UNIVERSITE JEAN MOULIN-LYON III
Faculté des Lettres et Civilisations
EVOLUTION ET LIMITES DE LA
CHRISTIANISATION EN PAYS SERERE(1880-1955)
Thèse pour le doctorat en Lettres (spécialité Histoire)
Présentée et soutenue par Diégane SENE
Sous la direction de M.le Professeur Jacques GADILLE
JURY
MM. Michel MESLIN, professeur à l'université Paris IV- Sorbonne (président)
Jacques GADILLE, professeur à l'université Jean Moulin -LYON III
Claude PRUDHOMME, professeur à l'université Lumière-LYON TI
Régis LADOUS,
professeur à l'université Jean Moulin -LYON m
Henry GRAVRAND (expert)
Volume 1
Lyon, Novembre 1997
PRINCIPALES
ABREVIATIONS
Arch.
Cssp
Archives privées des pères du Saint-Esprit
Arch. A. Dakar:
Archives de l'Archevêché de Dakar
A.N.S
Archives Nationales du Sénégal
ARCH. OPMe
Archives des Oeuvres Pontificales
Missionnaires
B.C.U
Bibliothèque Centrale de l'Université Cheikh
Anta Diop de Dakar
B.C.E.H.S.A.O.F :
Bulletin du comité d'études historiques et
scientifiques de l'AOF
C.H.E.A.M
Centre des Hautes études sur l'Afrique et
l'Asie modernes
C.N.R.S
Centre national de la recherche scientifique
C.R.E.D.I.C
Centre de recherche et d'études sur la
diffusion et l'inculturation du christianisme
ECHL
Entretien avec chrétien laïc
EM
Entretien avec musulman
EMCLR
Entretien avec membre du clergé
F.M.M
Congrégation des soeurs franciscaines
missionnaires de Marie
HORAF
Horizons Africains
I.F.A.N
Institut français d'Afrique noire - Devenu
Institut fondamental d'Afrique noire en 1966
J.O
Journal officiel
M.S.C.
Missionnaires du Sacré-Coeur
N.E.A(S)
Nouvelles éditions africaines (du Sénégal)
O.P.F
Oeuvre de la propagation de la foi
O.P.M
Oeuvres pontificales missionnaires
O.R.S.T.O.M
Office de recherche scientifique et technique
d'Outre-mer
P.U.F
Presses Universitaires de France
S.C.P
Sacrée Congrégation de la Propagande
S.F.H.O.M
Société française d'histoire d'Outre-mer
T.R.P
Très révérend père (ici supérieur général de
la congrégation du Saint-Esprit)
U.M.C
Union missionnaire du clergé
2
INTRODUCTION
3
Il est bien difficile d'entreprendre et de terminer un travail
de recherche sur l'histoire de la mission du Sénégal.
Aussi, le choix de notre sujet, pour cette raison, s'est fait après une
longue
réflexion,
l'expérience
que
nous
avions
déjà
eue,
en
préparant notre mémoire de maîtrise, puis notre rapport de DEA
nous ayant parfois découragé, dans notre volonté d'aborder une des
questions sans doute les plus délicates
de l'histoire contemporaine
du Sénégal. Ce n'est pourtant pas seulement parce que les sources
sont rares, elles sont aussi difficile d'accés. La bibliographie qui l'est
moins
ne
peut
évidemment
servir
qu'en
dernier
ressort,
étant
souvent le produit de réflexions trop générales et jamais centrées
sur notre sujet.
Et s'ils ne font pas la part trop belle à la mISSIOn, ces écrits
sont le fait d'auteurs souvent engagés qui partent de préjugés pro
ou anti-missionnaires. Quand ils sont issus des missionnaires eux-
mêmes, ils ont généralement cet avantage de traiter, directement,
de la mission par ceux-là mêmes qui la font. Dans tous les cas ils
sont malheureusement épars et si incomplets que leur maniement
s'avère souvent délicat. C'est ce qui nous a amené à donner toute
son importance à l'enquête orale.
1 • LA BIBLIOGRAPHIE
Pour la période et l'espace géographique qui nous occupent,
on ne trouve donc, pour l'essentiel, que des articles de journaux
parfois spécialisés - il est vrai- qui ne peuvent être que d'un apport
strictement
limité
pour
une
thèse.
Quand
il
est
par
ailleurs
impossible de les confronter à d'autres sources, il devient risqué
d'en trop user.
C'est ce qui explique l'apport limité, autant que possible
pour ce travail, de la presse "missionnaire" qui a cependant, à côté
de celle de l'Eglise du Sénégal (d'une utilisation plus sûre, la
confrontation étant plus facile du fait de la présence d'une bonne
partie des auteurs ou de ceux qui ont vécu les évènements qu'ils
relatent) servi à nous édifier sur des situations
-hélàs nombreuses
- pour lesquelles aucune autre source n'était disponible. C'est le cas
pour ce qui est des fondations et des oeuvres. Cette presse se
compose essentiellement de sept titres auxquels il faut ajouter le
Bulletin Général de la congrégation du Saint-Esprit:
4
a • Les Annales de la Propagation de la Foi
Créée
en
1822,
cette
revue
contient
des
informations
intéressantes sur les
missions
chrétiennes,
notamment
celles du
Saint-Esprit. Il s'agit d'informations envoyées depuis leurs postes
par les missionnaires et qui son relatives à des nouvelles sur les
fondations, les pays de mission (moeurs, coutumes, droit, histoire...).
On
y
trouve
également
des
relations
parfois
longues
de
missionnaires
informant
sur
leur
travail
d'approche
et
de
prospection, ce qui permet un certain suivi de l'évolution de la
mission. De bonne présentation, elle est reliée et classée par année
ce qui rend l'utilisation plus aisée. En 1974, cette revue dut changer
de nom et devint Solidaires.
b
• Les
Missions
Catholiques
Fondées en 1868, Les Missions catholiques sont un mensuel
publié par les
O.P.M
de Lyon.
En
1951, cette revue devient
trimestrielle,
avec
un
changement de
format
qui
n'affecte
pas
cependant
le
contenu
: comme
les
Annales, "Les
Missions
ca tholiq ues"
s'intéressent
tel
que
le
suggère
leur
nom,
aux
missions avec des études ethnographiques parfois très fouillées sur
les peuples et les pays de missions. Mais contrairement à elles, la
revue des OPM cessa de paraître au milieu des années 60. En 1964,
en effet, un dernier numéro mettait fin à sa riche expérience d'un
siècle d'information au service de la Mission.
c
• Les
Annales
Apostoliques
Les
Annales,
fondées
par
les
Spiritains
s'intéressaient
essentiellement aux activités missionnaires de la congrégation du
Saint-Esprit. Il s'agissait, comme les autres, d'une revue dont le but
était de faire connaître ce que faisaient, en dehors de la métropole,
les ouvriers du père Libermann. Le contenu est également le même,
avec cependant des renseignements plus fournis sur les acteurs de
l'évangélisation
et,
de
façon
générale,
les
membres
de
la
congrégation et les "abbés indigènes". Cette revue est sans doute la
meilleure référence pour qui voudrait connaître la vie des membres
disparus de la congrégation. Après la guerre, en 1948, elle devint
Annales
Spiritaines.
5
d
•
Horizons
Africains
Cette revue de l'église du Sénégal est, de toutes, la plus
riche en informations concernant la mission du pays. Fondée en
1947, elle eut,
entre autres
ambitions,
de
faire
connaître
aux
chrétiens sénégalais le passé de leur église. Aussi, y trouve-t-on
presque à chaque numéro, un point d'histoire sur la fondation d'une
mission
ou
sur
des
généralités
relatives
à
l'implantation
des
missionnaires. Elle réserve aussi, comme les autres, une place pour
faire connaître les serviteurs d'hier et d'aujourd'hui de la mission. A
la fin de notre période, Horizons
avait
initié
un
supplément
intéressant
en
langue
sérère
où
étaient
commentés
certains
passages de l'évangile. Ce supplément fit malheureusement long feu
mais Horizons, lui, continue.
e • Bulletin Général de
la congrégation
du
Saint·
Esprit
Manuscrit ou dactylographié jusqu'au début du siècle, le
bulletin
du
Saint-Esprit
rassemblait
la
correspondance
des
missionnaires spiritains avec (le plus souvent) la maison-mère. On
voit ainsi que comme pour les archives, il y a des documents que
l'on rencontre dans les
autres titres delâ presse
missionnaire,
surtout dans les Annales et Les
missions
catholiques et qui y
sont publiés. Le Bulletin recueille l'essentiel de la correspondance
depuis les origines de la mission spiritaine au Sénégal (fin de la
première moitié du XIXe siècle) jusqu'à la veille de la seconde
guerre mondiale, les documents de la congrégation étant d'ailleurs
difficiles à trouver au-delà.
f
• Spiritus
Le premier numéro paraît sous les presses de l'imprimerie
Saint-Paul
d'Issy-les-Moulineaux
au
printemps
1959.
Dans
l'éditorial, le supérieur provincial des spiritains, L. Rozo expliquait
bien l'origine de cette nouvelle revue
: son contenu, jusque-là
intégré au Bulletin de la province de France de la Congrégation
du Saint-Esprit, était désormais publié à part. Spiritus était ainsi
née. Son but essentiel était de continuer à échanger études et
réflexion concernant la personne et la doctrine de Libermann. Il
s'agissait de
publier
systématiquement l'oeuvre
de
Libermann
:
études, lettres, conférences... au service de la mission. En plus de ce
grand centre d'intérêt, des chroniques devaient régulièrement y
6
être tenues : "Nos causes de béatification", des "Groupes d'Etudes
spiritaines" ... Il Y était aussi question de la recension des ouvrages
ou articles
intéressant l'histoire de la mission spiritaine...
Cette
orientation ne tarda pas à subir de profondes modifications pour
englober désormais des questions aussi essentielles que l'étude des
problèmes
de
l'Eglise
à
la lumière des
mutations
sociales,
de
l'oecuménisme ou des questions liées à l'éducation...
g
Afrique.Documents
Si la revue Spiritus est toujours en activité, A fr i que-
Documents elle, n'a pas longtemps vécu. Fondée à Dakar en Janvier
1958 par les comités paroissiaux de la mission, elle avait dans le
cadre de l'Action catholique, un objectif ambitieux : contribuer à
l'éducation des chrétiens, préalable à leur engagement efficace dans
l'église.
Continuateur de la revue des mêmes comités, Savoir
pour
Agir, dont le dernier numéro (35) est publié en 1957, Afrique.
Documents était devenu un journal de référence pour tout ce qui
concerne
l'histoire
de
la
mission
du
Sénégal,
les
mouvements
d'action catholique, les activités de l'église... Mensuel puis bimensuel
à partir de 1960, cette revue s'intéressait également à tous les
problèmes de société. En 1969, il sortait son dernier numéro, après
une dizaine d'années seulement d'existence.
Toute
cette
presse,
pour
utile
qu'elle
soit,
présente
certaines lacunes liées à son manque toujours possible d'objectivité.
En cherchant des parrains pour leurs oeuvres, les missionnaires
pouvaient être tentés de gonfler les résultats obtenus sur le terrain,
pour mieux
encourager les
bienfaiteurs ou
se placer en
bonne
position dans le partage des subsides des oeuvres pontificales d'aide
aux missions.
En dehors de ces journaux, on trouve quelques publications
abordant moins directement le sujet qui nous occupe. On s'y refère
cependant puisqu'il s'agit d'études qui nous permettent de mieux
fixer le cadre général de la mission, de mieux comprendre, en
partant ainsi du "général" ses forces et faiblesses en pays sérère.
7
2 • LES SOURCES
Nous avons travaillé dans quatre dépôts d'archives et dans
un centre de documentation (IFAN) où nous avons pu trouver et
exploiter quelques documents inédits.
a - Les archives des OPM
Elles
se
trouvent
au
12,
rue
du
Plat,
dans
le
2e
arrondissement de Lyon.
Il s'agit d'archives privées
appartenant
aux oeuvres pontificales missionnaires de Lyon. Ces archives sont
très riches et contiennent des renseignements intéressants sur les
différentes oeuvres de la mission du Sénégal. On y trouve donc
beaucoup de renseignements sur le clergé indigène et les oeuvres
de formation (y compris le séminaire et les noviciats des auxiliaires
indigènes du clergé), la colonie agricole et industrielle de Ngasobil,
les orphelinats...
Y sont classées les correspondances et autres
documents des débuts de la mission (1849 à 1928).
Au-delà,
aucune
communication
n'est
encore
possible.
Espérons qu'un nouveau classement le permettra, au moins pour la
vingtaine d'années qui suit celle de l'embargo.
b
• Les
archives
de
la
congrégation
du
Saint-Esprit
Sises au 12, rue du père Mazurié à Chevilly-Larue, les
archives
spiritaines
rassemblent
l'essentiel
de
la
documentation
intéressant les activités des spiritains au Sénégal et dans le monde.
Elles couvrent toute la période qui nous occupe puisque
depuis 1845 (année à laquelle les premiers missionnaires du Saint-
Coeur de
Marie
ont débarqué
au
Sénégal) elles conservent la
"mémoire" de la "mission de Sénégambie".
La possibilité de consultation
s'arrête normalement aux
premières années de la seconde guerre mondiale (1939-1940). La
documentation devient d'ailleurs de plus en plus rare, au fur et à
mesure
qu'on
y
approche
mais
le
double
des
rapports
quinquennaux (à Rome) sont disponibles jusqu'en 1955 au moins.
8
c • Les
Archives
nationales
du
Sénégal
Notre séjour aux Archives nationales du Sénégal abritées
par le "Building administratif" (siège du gouvernement) à Dakar fut
moins fructueux. Cependant, dans les séries G et J, nous avons pu
trouver des informations en fouillant évidemment un peu plus. Les
documents
les
plus
intéressants
sont
ici
classés
dans
la
série
"plolitique". On ne s'étonne donc pas qu'ils concernent, avant tout,
lés~relations entre la mission et l'Administration ainsi que des
informations souvent classées confidentiel sur les missionnaires. Il
était d'ailleurs difficile, comme on le comprend, de s'attendre à y
trouver
autre
chose.
Au
passage
pourtant,
on
a
pu
recueillir
d'importants
renseignements
sur
le
nombre
de
prêtres
de
la
mission, leur origine, leur personnalité ainsi que sur l'enseignement
confessionnel (catholique) qui créa, un moment, tant de problèmes
entre les missionnaires et les administrateurs coloniaux.
d
- Les
Archives
de
l'Archevêché
de
Dakar
Situées
à
la
rue Jean
XXIII,
ces
archives
renseignent
notamment sur l'évolution de la christianisation et donnent une
photographie plus complète, par des chiffres régulièrement revus,
des
rapports
de
force
christianisme-islam-religion
traditionnelle.
Elles renseignent aussi sur les effectifs des différents serviteurs de
la mission.
e - Les inédits de l'IFAN
Beaucoup
d'études
inédites
sont
disponibles
à
la
bibliothèque de l'Institut fondamental d'Afrique noire. Certains ont
pu servir dans le cadre de ce travail.
3 - L'ENQUETE ORALE
Toutes les sources obtenues par une bibliographie peu fournie,
la presse et les archives souffrent forcément de lacunes
: elles
laissent de côté, en effet, le point de vue des évangélisés sur
l'évangélisation et sur la manière dont elle était décrite par les
évangélisateurs.
Aussi
pour
essayer
de
combler
ces
lacunes,
devions-nous les interroger, à défaut de pouvoir les lire. C'était
l'objet de notre enquête, menée à grande échelle sur une bonne
partie du pays, entre 1989 et 1992, en des endroits bien choisis.
9
A l'intérieur, on ne pouvait pas faire l'impasse sur Diohine,
qui fut longtemps un centre de la mission après la fermeture de
Foundiougne, à partir de 1928. Ici, nous avons privilégié, compte
tenu de la place importante prise par les "dépendances" dans cette
mission, certains villages
qui étaient de ces dépendances avant la
fondation de Niakhar. Nous étions aussi pressé de comprendre, au-
delà
des
rares
études
disponibles,
et
du
pourquoi
de
cette
fermeture de Foundiougne, ce qu'était devenue la mission après
elle,
comment
les
chrétiens
l'avaient
vécue,
comment
ils
continuaient à vivre leur foi
et quelle était leur attitude à la
réouverture en
1954. L'enquête que nous
avons
menée a ainsi
touché
les
vieux
chrétiens
et
des
musulmans
dont
d'anciens
chrétiens
reconvertis
à
l'islam,
dans
cette
mission
et
ses
dépendances.
De l'autre côté du Saloum, à Kaffrine, nous avons rencontré
des chrétiens et
des musulmans pour mieux saisir ce qui faisait de
cette mission la plus pauvre de toutes. Quand, dès le début de nos
entretiens nous avons découvert que le plus ancien des chrétiens
avait 65 ans sur le papier, "pour pouvoir en son temps aller à
l'école" et 70 ans en fait, nous avons compris que le peu de
catholiques qui composent la chrétienté de la ville ne pouvaient pas
être plus nombreux. Des missions de la "périphérie", nous avons
choisi celle qui, à nos yeux, résume les succès et échecs de la
christianisation : Ndiaganiao. Pourquoi tant d'acceptation et de refus
en même temps du christianisme, des
Ndiaganiaois ont tenté de
nous donner la réponse.
En tout, c'est plus de cent personnes que nous avons eu à
interroger, en sept déplacements, de Dakar vers le pays sérère.
Leurs réponses (qui ne nous ont pas, pour l'essentiel, donné le
sentiment qu'elles se dérobaient) nous ont semblé sincères; la seule
difficulté notée : quand les questions touchaient les points sensibles
des motifs de la conversion, de l'apostasie ou de la polygamie. Les
réponses
se
recoupent
cependant
trop
souvent,
ce
qui
peut
expliquer que certaines ne sont pas exploitées. Nous indiquerons, à
la fin du travail, les noms, âge et missions d'origine de ceux dont les
réponses ont servi ainsi que la date à laquelle l'entretien a eu lieu.
Les références, qui sont indiquées dans le texte, sont basées
sur un ordre, qui est lui-même celui de la prise de l'entretien.
Nous avons, enfin, interrogé d'anciens missionnaires, dont
une religieuse du Saint-Coeur de Marie, Mame Philomène, presque
centenaire au
moment de l'entretien
mais
qui
avait
gardé une
mémoire étonnemment intacte. Nous avons eu plusieurs entretiens
chez elle, à la maison généralice de la congrégation, à Karack
10
(Dakar), de 1990 à 1992, c'est-à-dire juste avant son décès, survenu
en octobre 1992.
L'intérêt, ICI,
c'était de
s'entretenir avec
les
acteurs et
combler certains vides laissés par leurs écrits s'ils existent ou le
vide tout court, concernant les soeurs du Saint-Coeur de Marie, bien
peu parmi elles sachant, au moins tout au
long des premières
décennies de l'existence de la congrégation, correctement écrire.
La démarche ainsi entreprise a voulu donner à la tradition
orale
sa
juste
place
dans
un
travail
où
elle
nous
paraît
indispensable. Son importance en tant que source de l'Histoire en
général et de l'histoire africaine en particulier est en effet connue.
Cela est encore plus vrai quand il s'agit de l'histoire de la mission où
s'impliquent sociologie et religions et où une partie essentielle des
acteurs, les évangélisés, n'ont pas une tradition d'écriture pouvant
permettre de faire connaître leur perception de l'évangélisation.
Ce travail doit beaucoup à mes maîtres que je tiens à
remercier, du fond du coeur. Le premier, M. Jacques Gadille, m'a
initié à l'histoire contemporaine et a su me faire aimer une matière
à laquelle je préférais, avant notre rencontre en année de licence,
l'histoire "ancienne", sans doute du fait de mon admiration de
l'impeccable organisation politique des sociétés antiques, de l'Egypte
pharaonique à la Rome d'Auguste.
La maîtrise parfaite de
son
"sujet" et ses qualités immenses de scientifique tout à fait à l'aise
dans la transmission du savoir m'ont séduit dès le premier contact
avec lui.
C'est donc tout naturellement qu'il a guidé mes premiers
pas de chercheur, après avoir très largement contribué à me faire
aimer l'enseignement de l'Histoire qu'il pratique avec art, au point
que, inscrit aussi en second puis en 3e cycle de l'autre côté de la rue
de l'Université, en faculté de Droit, j'ai tenu à passer, en priorité,
mes
examens
d'Histoire.
Aujourd'hui
qu'il
jouit
d'une
retraite
méritée,
nos premiers pas d'enseignant
largement guidés par la
riche
expérience acquise
auprès
de
lui,
tenteront
de
s'inspirer
davantage
de
son
modèle afin
qu'il
soit,
autant que
possible,
perpétué au profit des générations présentes et futures.
En
Madame
Paule
Brasseur,
j'ai
d'abord
rencontré
la
rigueur scientifique et la spécialiste tranquille de l'histoire politique
et religieuse de l'Afrique. Ses conseils et sa disponibilité m'ont
beaucoup aidé à aller très vite dans mes recherches.
1 1
Dès la seconde année de recherche, celle-ci était ainsi
presque
terminée,
sa
connaissance
parfaite
des
archives
des
Spiritains - qui sont sa seconde demeure ! - où devait s'effectuer la
plus grande partie de ce travail et des autres archives m'ayant
permis
d'éviter de perdre trop de
temps,
dans
la
consultation
infructueuse de documents sans rapport avec notre sujet. Madame
Paule Brasseur m'a permis, par ses vives recommandations, d'avoir
un accueil chaleureux dans les différents dépôts d'archives où j'ai
effectué mes rechreches. Je me reppellerai toujours ses "descentes"
à la rue père Mazurié où elle venait très souvent,
à l'occasion de
mes
séjours,
m'apporter
ses
conseils,
s'informer
sur
l'état
d'avancement de la recherche et s'assurer qu'il n'y avait pas de
problème.
Ces séjours aux archives m'ont aussi donné l'occasion de
rencontrer les missionnaires, dont beaucoup ont fait l'Afrique, et
certains le Sénégal, dans la période qui nous occupe, ce qui a permis
de très fructueuses conversations avec eux.
Mes remerciements sur le plan universitaire ne seraient
pas tout à fait complets si je ne mentionnais pas le concours
appréciable, à ce travail, de M. Claude Prud'homme qui, à la suite de
M. Jacques Gadille, m'a indiqué une partie de la bibliographie et a
bien accepté de lire et me faire des remarques sur le plan
de la
thèse, me faisant ainsi bénéficier de sa riche expérience et de sa
maîtrise
parfaite de l'histoire missionnaire du Saint-Esprit.
Notre gratitude va également aux responsables des dépôts
d'archives
sans
la
disponibilité
desquels
ce
travail
eut
été
impossible. Je pense en particulier au père Carrard, responsable des
archives de la congrégation du Saint-Esprit et à Saliou Mbaye,
directeur des archives du Sénégal. Amis de Madame Paule Brasseur,
c'est en ami qu'ils m'ont toujours reçu, me facilitant beaucoup le
travail dès qu'ils ont eu connaissance de la recommandation de
cette dernière.
J'associe dans ces remerciements Madame Dupuy-Roudel
ancienne
responsable
aujourd'hui
à
la
retraite
du
centre
de
documentation OPM de Lyon où nous avons passé beaucoup de
temps
à consulter les
archives
et
la
très
riche
documentation
bibliographique ainsi que ses collaboratrices, l'abbé Hyacinthe Dione
qui m'a réservé un accueil à la fois très amical et fructueux aux
archives de l'archevêché de Dakar et Mamadou Ndiaye des archives
nationales du Sénégal dont la disponibilité et la compétence furent
pour moi d'un apport fort utile.
1 2
Mes
remerciements
vont,
enfin,
à
tous
ceux
qui
ont
contribué - et ils sont nombreux- d'une autre façon à la réalisation
de ce travail. Je n'en citerai que quelques uns : MM. Khadime
Mbacké, islamologue, maître de recherche à l'IFAN de l'université
de Dakar qui, grâce à sa parfaite maîtrise des problèmes de l'islam
et
sa
disponibilité
de
pédagogue,
m'a
beaucoup
appris,
me
permettant ainsi
de
saisir
des
aspects
importants
et jusque-là
ignorés
d'une
religion
qu'il
nous
fallait
bien
connaître
pour
comprendre son impact sur l'accueil ou le refus du christianisme,
dans un pays très fortement musulman; Mamadou Faye, professeur
d'Histoire-Géographie au CES de Kaffrine qui a bien voulu me
recueillir la première enquête effectuée dans cette mission ; le père
Gérard Vieira des pères du Saint-Esprit à Dakar qui m'a édifié sur
bien des points obscurs du sujet, Mlle Fatou Thioune qui a assuré
une bonne partie de la saisie de cette thèse et Mlle Christine
Chadier du secrétariat de l'IHC de l'université Jean Moulin-LyonIII
pour sa contribution efficace aux toutes dernières corrections et
mise en forme.
Nous tenons, enfin, à exprimer notre gratitude à celui sans
lequel ce travail, dont on imagine l'exigence en moyens financiers,
n'aurait pu aboutir : le Président de la République M. Abdou DIOUF
pour tout le soutien qu'il a bien voulu m'apporter, me permettant
ainsi de terminer, dans de bonnes conditions, mes travaux.
4 - LA DEMARCHE
Elle prend en compte trois préoccupations majeures et un
préalable. Il nous faut, avant tout, en effet, faire une incursion, le
plus loin possible, dans
le temps, pour mieux
saisir,
par une
meilleure connaissance avec
notre sujet -les
Sérères avant
leur
évangélisation- l'''âme'' du pays à étudier. Un chapitre préliminaire
est donc nécessaire pour voir qui sont les Sérères, ces gardiens
intransigeants de leurs coutumes et croyances qui, près de deux
millénaires après la première expansion des religions révélées qui
ont radicalement changé la face du monde, continuent en 1880, de
vivre
enfermés
dans
leur
aire
géographique,
plus
que
jamais
déterminés à ignorer l'évidence : l'extrême vulnérabilité de leur
citadelle qui n'a pu tenir aussi longtemps que parce que durant de
longs siècles, la vie à l'écart des autres avait été rendue possible par
une nature complice qui limitait très largement les contacts entre
les différents "peuples" qui constituaient la Sénégambie. A la base, il
y avait certainement ce refus de toute influence extérieure qui
détermina d'ailleurs, pendant longtemps, le destin du pays.
1 3
Il Y avait donc des circonstances historiques, des réalités
géographiques
qui
sont
importantes
dans
l'ouverture
ou
l'"enfermement" d'une civilisation. Or celui-ci engendre toujours la
méfiance qui à son tour l'alimente, renforçant ainsi le rejet de
l'autre et tout ce qui, comme la religion, paraît l'incarner.
Lorsqu'à partir du XIXe siècle les contacts semblent se
multiplier entre les différents royaumes du Sénégal, les conflits
permanents entre eux ou en leur sein ne favorisèrent pas l'oeuvre
de ceux qui étaient chargés de diffuser l'islam. Souvent étrangers au
pays, ils suscitaient le rejet parfois systématique du Sérère moyen,
convaincu que l'islam n'était qu'''une affaire de Wolofs et ne saurait
concerner les autres"(l). Pendant longtemps en effet, l'islam, parce
qu'il a été plus directement diffusé par des Wolofs en pays sérère,
fut considéré comme une "religion ethnique" au même titre que la
religion traditionnelle sérère.
La ressemblance que d'aucuns ont cru y avoir décelée avec
la religion traditionnelle (sacrifice-dont celui annuel du mouton-, les
gris-gris théoriquement prohibés mais en fait portés par beaucoup
de marabouts qui étaient censés devoir les interdire, la nature qui
rythme tout le calendrier et l'année musulmans ... ) était certes un
facteur de rapprochement.
Mais celui-ci ne pouvait vraiment venir qu'avec le temps.
Les dernières décennies du XIXe siècle ne pouvaient le réaliser que
très
imparfaitement
surtout
au
Dièghem
où
les
pillages
des
tièdos(2) du Baol étaient encore frais
dans
les
mémoires dans
l'en tre-deux- guerres.
1. EM 001
2. Soldats
de
la
cour, les tiédos
se
sont
toujours
illustrés
par
leurs
exactions contre les paysans, leur brutalité et leur mépris souverain de
la justice et de la chose d'autrui ; leurs méfaits dans le pays furent tels
qu'ils
ont
fait
donner
plusieurs
significations
à
leur nom
:
pour
les
Sérères,
le mot
recouvre toute la
réalité
qu'on
veut
bien
y mettre
:
bandit,
voleur,
ivrogne
ou,
moins
méchamment,
adepte
de
la
religion
traditionnelle
pour
les
néo-musulmans.
Cette
dernière
signification
du
mot provient du fait qu'en général, les tiédos étaient les derniers à se
convertir à l'islam, les premiers étant souvent, surtout en pays wolof, les
paysans qui, pour se mettre à l'abri de l'arbitraire tiédo, se "donnaient"
(sens du mot wolof "Djeblu" 1) aux marabouts qui constituaient alors, à
partir
du
début
de
la
conquête
coloniale,
le
seul
rempart
contre
l'insécurité et les persécussions dont ils étaient victimes ; on comprend
que
devenus
assez
vite
musulmans,
ces
paysans
aient
leur
opinion
précise sur ceux qui ont fortement contribué
à leur ouvrir, ainsi, les
portes de la
"soumission"
(autre
mot
pour désigner le
"Djeblu") aux
marabouts.
14
On note d'ailleurs que c'est dans
cette reglOn du
pays
(exception faite bien entendu de la côte) où l'islam a eu moins
rapidement du succès. C'est dire que les espoirs des missionnaires,
lorsqu'ils fondèrent Fadiouth en 1880, de se déployer "à l'intérieur
du
pays" étaient justifiés, même si se posait, en même temps,
l'éternelle question des moyens.
Les
moyens
matériels
d'abord
qui,
dès
le
début de
la
mission dans le pays, étaient plus que précaires. Et ce malgré
l'appui
important
d'oeuvres
missionnaires
européennes,
dont
l'association de la Propagation de la Foi fondée en 1822 à Lyon et
qui ne tarda pas à s'implanter un peu partout dans les diocèses de
France et en Europe (l). Mais le plus difficile était aussi la pénurie
en personnel missionnaire.
Depuis longtemps en effet, les efforts de christianisation de
l'Afrique, amorcée avant le XIXe siècle au Congo, en Angola(2) et au
Sénégal - pour ne citer que ces exemples- avaient tourné court, sans
avoir réussi
à favoriser l"'éclosion" d'une chrétienté capable de
constituer vraiment une base pour une nouvelle évangélisation à la
reprise, au XIXe siècle, des missions d'Afrique. C'est que l'idée
missionnaire
s'était
longtemps
assoupie,
laissant
les
nouvelles
chrétientés d'Afrique du XVIIe au XIXe siècles à elles-mêmes, ce
qui explique qu'au retour des missionnaires il ne subsistait plus que
des traces bien vagues de christianisation.
Très lié à la situation politique en France et dans d'autres
pays "missionnaires" d'Europe voire à leurs conflits en Afrique, cet
assoupissement
frôla
même
l'agonie
lorsqu'entre
1808
et
1814,
disparaît la congrégation de la Propagande, dont le rôle dans l'action
missionnaire était si précieux.
Pourtant comme le souligne J-C Baumont, c'est curieusement
"dans ce contexte que l'on assiste... au réveil de l'idée missionnaire
en France qui prépare la grande expansion des
missions de la
deuxième moitié du XIXe siècle"(3).
ï:-:i:--ë.--BaümorÏt-;-;;-Ca-rënaissance de l'idée mIssIOnnaire en France au
début du XIXè siècle". In Les réveils missionnaires en France du Moyen-
Age à nos jours (Xllè-XXè siècles). Paris, Bauchesne, 1984 p. 212.
2. J. Gadille
:
"L'expérience africaine
des
"missions
chrétiennes".
Le
legs de l'histoire".
Les Quatre fleuves - Cahiers
de
Recherche
et
de
Réflexion
Religieuse. N°lO. 1979 p.9
3. J. C. Baumont : "La renaissance de l'idée missionnaire en France.....
p.201
1 5
Mais l'Afrique devait quand même continuer d'attendre, cette
expansion ne concernant, pour l'essentiel, que les Amériques et
l'Asie(l). En Europe même, l'appel à la mission est pressant(2) et le
Saint-Siège n'hésite pas à s'impliquer pour le rendre prioritaire(3).
Dans ce contexte, on comprend que "l'Afrique ne représente
qu'un terrain secondaire"(4) pour la Mission, les papes de l'époque
étant surtout "sollicité par les transformations du monde occidental,
la montée des nationalismes européens et les luttes autour de la
sécularisation, l'émergence d'un catholicisme non conformiste aux
Etats-Unis ou les poussées révolutionnaires"(5).
Et même lorsqu'elle se dégage du pouvoir temporel pour ne
s'en tenir qu'à sa mission sppirituelle, vers la fin du XIXe siècle(6)
la papauté avait d'autres urgences.
Léon XIII, qu'on ne peut pas soupçonner d'être indifférent
aux
missions
d'Afrique
était
bien
obligé de
marquer,
par
ses
initiatives,
ces
priorités
extérieures
à
l'Europe
"essai
de
rapprochement avec les chrétiens d'Orient, ouverture de relations
diplomatiques avec la Chine à laquelle on prédit un grand avenir,
mise en place d'une hiérarchie en Inde et au Japon"(7)
Il fallait donc des initiatives particulières pour que soit prise
en compte l'Afrique. Le père Libermann, dont la congrégation est
toute vouée au "salut des Noirs" devait être celui qui apportât la
"lumière"
au
milieu
de
tant
d'"obscurité"
plus
ou
moins
volontairement
entretenue.
2.
CI.
Prud'homme : "La papauté face à l'Afrique à l'époque du partage
colonial". Mondes et développement n065, 1989 p.107
3. J.C. Baumont : "La renaissance de l'idée missionnaire en France ... "
p. 208
4. Ibid, p. 207
S.
CI.
Prud'homme
"La papauté face à l'Afrique à l'époque du partage
colonial... "p.
107
6. Ibid, p. 108
7.
J.Mathieu-Rosay : Chronologie des papes. De St-Pierre à Jean-PaulII
2000 ans d'histoire mouvementée. Alleur, Marabout, 1988 pp.461-468
8.
CI.
Prud'homme : "La papauté face à l'Afrique à l'époque du partage
coloniaL."p. 108. Voir aussi à ce sujet la thèse de
Claude
Prud'homme:
Stratégie du Saint- Siège sous le pontificat de de Léon XIII. Centralisation
romaine et défis culturels. Thèse de doctorat d'Etat ès-Lettres, LyonIII
1989, 3 volumes.
16
Dans un mémoire à Rome "sur les miSSions des Noirs en
général et sur celle de Guinée en particulier", Libermann note
l'abandon dont était l'objet la race noire pourtant si proche, au
profit parfois de missions très lointaines :
"Partout jusqu'à présent [les Noirs] vivent dans la misère,
dans
une
stupide
ignorance,
dans
de
ridicules superstitions
et
partout
ils
sont
délaissés
.. personne
ne
leur
tend
une
main
secourable pour les arracher à la puissance infernale, qui les tient
garottés sous son joug. Depuis plusieurs siècles des légions d'apôtres
envoyés par la mère des églises à la conquête des âmes, volent aux
extrémités du monde avec ce zèle divin que la grâce de Jésus Christ
peut seule communiquer, tandis qu'à
la porte
de
l'Europe des
millions d'hommes croupissent dans l'ignorance et le malheur et
personne ne pense à les en retirer. Cependant ces hommes sont faits
à l'image de Dieu comme les autres, ils sont bons, et disposés à
recevoir le trésor de la foi qu'ils ne connaissent pas"(l).
La société du Saint-Coeur de Marie se devait donc de
s'occuper de ces âmes africaines "abandonnées" et commença, sans
tarder, à le faire dès qu'elle a
été créée.
Au Sénégal où ils débarquèrent en 1845, ses premiers
missionnaires trouvèrent cependant que ses âmes n'étaient pas si
totalement abandonnées que le croyait le fondateur.
Dans le village lébou de Dakar qui les
accueille avec courtoisie
et parfois chaleur, ils devaient assez vite constater que l'islam était
déjà bien assis.
Il progressait même chaque jour de sorte qu'une composante
importante du pays, les Wolofs, était en voie d'islamisation totale,
après les Toucouleurs, les Mandingues et une partie importante des
Peuls.
Tirant les conséquences de cette situation, les missionnaires
de Libermann allaient faire de l'évangélisation du pays sérère leur
préoccupation majeure au nord du Sénégal.
1. Libermann
1802-1852. Une pensée et une mystique
missionnaire.
Paris, éd. du Cerf, 1988 pp. 230-231
1 7
Dans ses conditions, on comprend que les missions de Saint-
Louis et Gorée qui, pour l'essentiel, s'adressaient à une population
déjà chrétienne, sans être en mesure de la renouveler vraiment,
aient été dissociées de la christianisation proprement dite qui se
déroulait un peu plus au Sud, avant de s'étendre aux Diolas de
Casamance. En quelques générations, de 1880 à 1955, l'Eglise tenta
ainsi de prendre pied et de se développer chez les Sérères avec des
succès et des échecs propres à toute entreprise humaine.
D'abord
très
localisée
sur
la
côte,
la
mission
gagna
difficilement le coeur du pays, avant de s'étendre à sa périphérie.
Ces phases de l'implantation et du développement des missions font
l'objet
de
notre
première
partie.
Cela,
la
mission
le
doit
certainement avant tout aux missionnaires mais aussi à des laïcs
engagés qui ont choisi de la servir et l'ont généralement bien fait,
malgré la nouveauté de leur conversion. Elle le doit aussi à son
orientation particulière et à sa vision du monde qui était, par
certains côtés, celle du pays sérère : les oeuvres
missionnaires
allaient,
ainsi,
être
d'une
influence
non
négligeable
dans
la
pastorale. Nous verrons comment, dans la deuxième partie de notre
étude.
Il est, enfin, question de
"la réponse des
Sérères
à la
proposition
chrétienne".
Totalement
en
contradiction
avec
la
première conception de la mission qui visait presque exclusivement
le "salut des âmes", ce titre résume, en lui-même, toute une réalité :
désormais convaicu, après les premières décennies d'évangélisation
qu'il
"ne
peut
plus
avancer
longtemps
comme
un
rouleau
compresseur détruisant tout sur son passage sous prétexte de bâtir
du neuf"(I), le missionnaire n'est plus dès lors, qu'un humble apôtre
qui ne dédaigne pas, pour pouvoir mieux enraciner l'Eglise, un
certain apport de l'évangélisé dans le "patrimoine" de celle-ci.
La réponse du Sérère à sa proposition et ses différentes
formes de résistance de même que les "leçons" sans doute tirées de
la pratique de l'islam qui, pour assurer son expansion n'a pas hésité
à
se
sénégaliser
presque
totalement
devenant,
de
ce
fait,
un
redoutable
concurrent
s'imposaient,
en
effet,
comme
autant
de
raisons
d'un
assouplissement de
la doctrine
et de
la
pratique
missionnaires. Ces problèmes et l'éclairage que nous essayons d'y
apporter font
l'objet de
la troisième et dernière partie de nos
travaux.
1. CI.
Prud'homme : "Christianisme et sociétés africaines
action et
réaction".
Mondes
et
Développement. n065. 1989 p.75
18
CHAPITRE
PRELIMINAIRE
LE PAYS SERERE ET LA MISSION EN 1880
19
1 • DELIMITATION GEOGRAPHIQUE ET POLITIQUE
L'exploitation
des
différentes
monographies
et
de
la
cartographie du pays sérère qui nous occupe nous amène à en fixer
les limites aux anciens royaumes du Sine, du Saloum et du Baol(l).
A l'exception cependant du Sine resté presque entièrement sérère
jusqu'à
la
fin
de
notre période,
les
Sérères,
dans
les
autres
royaumes, occupent des zones précises et n'ont cessé, au cours des
siècles, de "partager" leur terroir avec d'autres groupes éthniques
fortement présents bien qu'ils y restent, à l'exception du Saloum,
plus ou moins largement majoritaires.
C'est le cas dans le Baol occidental et dans certains villages
du Baol oriental restés presque entièrement sérères, mais dans un
environnement où dominent les grands centres de Bambey et de
Diourbel plutôt cosmopolites mais largement wolofs. Dans cette
zone, les Sérères ne forment que le tiers de la population(2).
Dans le Saloum, les 20 % de Sérères sont essentiellement
groupés à l'Ouest (3). Il s'agit là d'une répartition qui tient donc
compte de la vaste immigration enregistrée dans le pays qui aboutit
parfois même, dans certaines localités, à un certain métissage entre
Sérères et Wolofs(4) et qui amène des auteurs à s'interroger sur la
notion
même
de
pays
sérère,
lui
préférant
celle
de
"pays
à
prédominance
sérère "(5).
1. H. Gravrand. qui situe la frontière nord-est du pays sérère au-delà
de la voie ferrée de Thiès associe dans son étude l'ensemble des Sérères
du Sénégal : "Les Sérères". Horaf. n065-66, mars-avril 1953 pp.4-8. Ce
serait
sans
doute
très
intéressant
d'étudier
la
christianisation
de
l'ensemble des Sérères. Non sans hésitation. nous
nous limitons, pour
des raisons pratiques, aux Sérères habitant le Sine-Saloum-Baol qui ont
en gros les mêmes coutumes, la même langue, la même origine. Ce choix
nous
prive
malheureusement
d'une
étude
plus
poussée
de
la
riche
expérience de la mission à (et autour de) Thiès et Popenguine. Il exclut
en même temps
l'intéressante mission
de
Baback.
village sérère-Baol,
mais si proche de Thiès que son évangélisation s'en trouve confondue
avec celle du pays none.
2. Ch. Becker & V.
Martin
: "Les groupes ethniques".
Atlas national
du Sénégal. planche 25 p.65
3. Ibid. p. 65
4. H. Deschamps : Le Sénégal et la Gambie. Paris, PUF. 1975 p.43
S. P. Dlagne notamment
:
"Royaumes
Sérères"
Présence
Africaine
nO 54. 1965p.l44
20
Proposition défendable du point de vue sociologique mais
que l'historien ne saurait évidemment retenir.
Le nom du
pays
vient en effet de ses occupants soit parce que ceux-ci étaient les
premiers, soit parce qu'ils l'ont mis en valeur et si bien occupé qu'ils
l'ont rendu attractif à d'autres.
Et s'ils ne sont pas métèques, les minorités établies chez les
Sérères
ne
possèdaient
pas
toujours
ce
qui
pouvait
les
faire
considérer, aux yeux du peuple, comme des gens du pays : le droit
de propriété notamment foncière, beaucoup plus important que les
fonctions de conseils qu'ils ont pu exercer auprès des rois.
Ce qui explique en partie le regroupement des étrangers en
dehors des
zones de peuplement traditionnel où l'absence d'une
notion précise de frontière aidant, ils ont reconstitué leur habitat,
qui parfois, n'allait pas tarder à absorber en quelque sorte les
villages sérères épars des enVlTons.
Le métissage avec les étrangers et la disparition des Sérères
de certaines parties de leur terroir s'expliquent par ces occupations
réussies.
En fait, le pays serere n'a fait que se plier à une règle
générale: il a abrité comme les autres régions singulièrement durant
le XIXe siècle et les premières décennies du XXe qui ont apporté au
pays paix, sécurité et leurs conséquences sur le développement des
échanges, beaucoup d'immigrants venus du Sénégal et d'ailleurs.
1
A cette époque, les mouvements de population étaient déjà
i
tels qu'il n'y avait plus de région vraiment homogène du point de
j
l
vue peuplement. Dans leur zone ainsi délimitée, les Sérères sont
t
restés majoritaires même dans des centres importants dont on sait
1
j
qu'ils sont devenus, dès le début du siècle, la cible principale de
1\\
l'immigration.
1
Ils sont ainsi, en 1953, 90 % de la population à Foundiougne
et 60 % à Mbour(l). Dans la plupart des villages, ce chiffre est
beaucoup plus élevé.
Or,
l'évangélisation
allait
particulièrement
cibler ces zones rurales et citadines où la concentration des Sérères
"païens" augure un avenir florissant pour l'église.
1. H. Gravrand. "Les Sérères... " p. 6
21
Descendants d'ancêtres
à
l'origine discutée,
"les
Sérères
qu'on n'évaluait pas encore à 300.000"(1) au début du siècle, mais
qui semblaient avoir atteint et dépassé ce chiffre à la fin de notre
période(2) étaient donc les sujets de trois rois différents dont le
territoire réuni allait devenir, à la fin de la conquête coloniale, les
cercles administratifs de Thiès, du Baol et du Sine-Saloum.
l
.
Origines
des
Serères
Plusieurs thèses ont été défendues depuis le XIXe siècle sur
l'origine des Sérères et il n'est pas inutile d'en faire un bref exposé.
Un auteur, Pinet-Laprade, la situe au Gabou,
d'où
ils
auraient
émigré pour s'établir à Mbissel.
D'autres estiment que cette
émigration est
mandingue
seulement. les Sérères s'étant installés dans le pays avant l'arrivée
des Guélwars(3).
D'autres
estiment
encore
que
les
Sérères
viennent du nord du Sénégal.
La thèse de l'origine égyptienne est également défendue par
certains tandis que celle du père H. Gravrand, la plus actuelle, est
une pièce essentielle versée à ce délicat dossier.
1.1.
La
thèse
de
l'origine
sudiste
de
Pinet.Laprade
Reprenant en 1864 "ce que la tradition nous enseigne sur
l'origine
et
le
développement
des
Sérères",
Pinet-Laprade,
Commandant supérieur de Gorée écrit : Les Sérères
''furent repoussés vers la mer par un évènement semblable à
celui Qui dispersa les Lébous du Dioloff... A une époque éloignée de
1. H. Gravrand, "Le pays sérère". Horaf n062, déc.1952 p.12
2. Un recensement effectué en 1921 donnait une population de Sérères
de 200 000 environ sur un peu plus d'un million de Sénégalais. En 1948,
les Sérères atteignaient presque
les
300 000 âmes pour se multiplier
encore par deux en
1960 sur une population Sénégalaise totale de 3
millions
d'habitants
(voir M.
Diouf, Sénégal. Les ethnies et la nation.
L'harmattan, 1994 p. 21).
J. Les Guélewars sont la famille royale sérère du Sine et du Saloum,
issue d'un lointain métissage entre Mandingues immigrés au Sine et
Sérères.
22
la nôtre de quatre siècles au moins, Soliman Koli régnait sur le
Kabou... A sa mort, son frère, son successeur naturel au trône,
prétendit hériter aussi de ses biens et de ses captifs ; mais ces
derniers ne voulurent pas reconnaître ses droits et se donnèrent à
Bouré, fils de Soliman Koli. La guerre s'ensuivit. Bouré fut vaincu et
ses partisans se refugièrent vers la mer. Les uns s'établirent dans
les plaines marécageuses de la Basse Casamance où ils sont connus
aujourd'hui sous le nom de Jolas, les autres vinrent fonder leur
premier établissement à Mbissel"( 1).
De là, les Sérères rayonnent vers le Sud. Ne rencontrant
pas
d'obstacles
sérieux,
ils
fondent
le
royaume
du
Saloum
jusqu'alors
occupé
par des
tribus
mandingues
peu
consistantes
qu'ils soumirent à leur autorité ou qu'ils chassèrent devant eux... Au
Nord, les Sérères occupent successivement tout le pays dépendant
des Wolofs, mais alors inhabité et s'étendant jusqu'à trois lieues
environ de la côte qui forme la baie d'"Yoff"(2).
Originaires du Gabou(3), les Sérères seraient ainsi victimes
d'une
querelle
de
succession,
puis
entraînés
dans
la
grande
expansion
mandingue
que Mamadou
Mané(4) à la suite de Yves
Person(5) situe avant le XIIIe siècle.
1. A.N.S. 10 33
2. Ibid.
3.
Cette
thèse
restée
longtemps
officielle,
est
reprise
par
plusieurs
auteurs dont A. Sabatié : "Les Sérères Sine peuplent le Baol et le Sine et
quelques cantons du Saloum. Chassés par les Mandingues et les Peulhs de
la Haute Casamance il y a trois ou quatre siècles...ils occupent le Djoloff
qu'ils quittent pour venir mettre en valeur les régions qu'ils occupent
actuellement alors désertes et couvertes d'épaisses forêts" : le Sénégal. Sa
conquête,
son
organisation
(1364-1925).
Saint-Louis,
impr.
du
gouvernement, 1925 p. 299. Et avant lui :
L.J.B
Bérenger-Féraud
: Les peuplades
de
la
Sénégambie.
Paris,
Leroux 1879 p. 273. Réédition Nendeln, Kraus Reprint 1973
• Dr
Lasnet
: Une
mission
au
Sénégal.
Paris,
Challamel,
1900
(Les
Sérères pp. 137 & sq.).
• M. Courtet : Etude sur le Sénégal. Paris, Challamel, 1903 p. 114
• A. Villard (Histoire du Sénégal. Dakar, M. Viale, 1943 p. 46) devait à
son tour l'adopter vingt ans après Sabatié.
4. M. Mané : "Contribution à l'histoire du Kaabu" Bulletin
de
l'IFAN
sér. B n04, 1978 p.99
S.
Y.
Person
:
Les
Mandingues
dans
l'histoire.
Communication
au
congrès d'études manding. Londres, School of oriental studies,
1972; p.
103.
23
Si l'on veut donner crédit à la thèse de Pinet-Laprade, il
faudrait retenir que les Sérères étaient établis au Sine-Saloum à
cette date. C'est-à-dire à une époque où il serait possible d'admettre
la présence sérère dans leur territoire actuel. Et il semble que
l'immigration au Sine est antérieure au XIIIe siècle au moins dans
sa phase la plus décisive.
Cependant,
l'hypothèse d'une
immigration
successive
ne
semble pas avoir été retenue par Pinet-Laprade. Au contraire, il
s'agissait d'une fuite massive, organisée, de l'ensemble des Sérères
et qui se serait déroulée "en même temps". Dans le cas d'une révolte
politique ayant eu les conséquences mentionnées plus haut, seule
cette hypothèse est crédible.
Or il semble bien que l'immigration sérère au Sine se soit
faite par étapes, par groupes successifs durant des decennies voire
des
siècles.
Les
causes
d'une
telle
immigration
devaient
certainement être plus profondes que les simples circonstances d'un
coup d'Etat manqué.
Au total, cette premlere thèse a eu le mérite de constituer
une toute première base pour l'intelligence du pays sérère. Elle a
cette faiblesse de ne rien dire ou presque des Guélwars dont elle
fait les ascendants de la famille régnante sérère. Etaient-ils Bouré et
sa famille ? Etaient-ils les partisans mandingues de ceux-ci ? Une
seule chose
semble ici certaine, c'est qu'ils n'étaient pas les "captifs
sérères des rois du Gabou"
car Pinet-Laprade souligne que les
"familles
régnantes"
sérères
sont
bien
mandingues.
Assertion
d'ailleurs contestable, comme bien d'autres qui ne s'occupent pas de
savoir que plus de quatre siècles après leur installation en pays
sérère, les "princes du Gabou" étaient bien devenus autre chose que
les Mandingues qu'ils furent.
Une autre réserve vient de ce que le territoire assigné à ces
fugitifs soit largement étendu. Il couvre le pays sérère qui nous
occupe, "le Ndut, le Niankin, le Diobas, Fanden, le Lekhar, le Ndoïk et
la contrée comprise entre la baie de Gorée et la Tamna"(l). Certes,
Pinet-Laprade ne dit pas comment ni quand cette colonisation fut
effective mais l'ancienneté de l'occupation d'au moins une partie de
ce territoire par ses populations actuelles tendrait à prouver qu'elle
date au moins de l'arrivée des Guélewars dans le Sine. Dès lors, il
devient naturel de s'interroger sur l'origine "unique" de celles-ci.
24
1.2
•
La
thèse
du
peuplement
autochtone
L. Aujas, après Pinet-Laprade, a effectué un travail sur les
Sérères qu'il dit implicitement avoir déjà été au Sine lorsque des
Mandingues,
futurs
Guélwars, sont arrivés, pour s'emparer de
MbisseI. A l'encontre de la thèse de Pinet-Laprade qui fait de ces
Mandingues
le
peuplement
que
les
Sérères
chassés
du
Sud
pourraient avoir
trouvé sur place
(1),
Aujas
soutient
que
les
Mandingues, non seulement sont arrivés après les Sérères, qu'ils ne
sont donc pas venus avec eux, mais encore qu'ils n'ont pas fondé
Mbissel puisque ce village était déjà capitale des Sérères.
Les Mandingues auraient ainsi vaincu les Sérères et occupé
leur capitale sans que ceux-ci aient éprouvé le besoin d'émigrer ou
de reconquérir le pouvoir. Il y eut, par la suite, métissage entre les
envahisseurs et les envahis qui, bientôt, allaient absorber ceux qui
venaient
de
conquérir
leur
pays
"par
des
unions
qui
se
multiplièrent entre les chefs guélwars et les femmes du pays"(2).
Aujas fait de Maïssa Waly Dione un "conquérant manding"
donc un contemporain de la conquête alors que Pinet- Laprade
comme la plupart des auteurs le fait descendre de la deuxième
génération
après
celle-ci.
Sérères et Wolofs
seraient donc
"les
autochtones
du
Sénégal"(3).
Cette
thèse
de
l'antériorité
du
peuplement sérère et wolof fut déjà celle de Verneau(4). Elle est
admise
par
d'autres
auteurs
bien
postérieurs,
notamment
H.
Baumann et D. Westermann(5).
1. Remarquons que Pinet-laprade, sur ce point, n'est pas très affirmatif
et estime d'ailleurs que ces tribus mandingues dont l'établissement est
éventuellement
antérieur
à
celui
des
Sérères
"étaient
de
peu
d'importance". A.N.S. 1033
2. L. Aujas. "La région du Sine-Saloum" BCEHSAOF. TXII. 1929 p. 97
3. L. Aujas : "Les Sérères du Sénégal" BCEHSAOF, T XIV. 1931 p. 296
4. Verneau : "Wolofs, Leybous et Sérères". L'Antropologie T VI nOS,
Sept - Oct. 1895 p. 213
5. H. Baumann &
D.
Westermann, Les peuples et les civilisations de
l'Afrique. Paris, Payot 1962 p. 369
25
Mais c'est seulement à l'avènement de "Ouagana Maïssa né
de l'union de Maïssa Waly Dione avec une princesse sérère" que la
conquête semble terminée(1) car Aujas nous dit qu'il "détrôna les
bours sérères "(2). Pour Aujas. les Guélwars. qui ont ainsi conquis
tout le Sine sous la conduite de Wagane Faye, généralement admis
comme le troisième roi du Sine sont des usurpateurs. Usurpateurs
au Sine, ils le seraient également au Saloum puisque c'est "un frère
de Ouagana, MBégane
Ndour, qui réussit peu de temps après, à
s'emparer de l'autorité dans ce royaume"(3).
Comme au Sine. la "conquête". selon A.S. Diop. ne semble ici
avoir rencontré aucun obstacle, en l'absence d'un pouvoir central
digne de ce nom(4). Le pays était en effet morcelé en principautés
aussi faibles les unes
que les autres et sans vrai lien entre elles(5).
Traitant
essentiellement
des
Guélwars,
cette
dernière
approche, de A.S. Diop, n'apporte cependant aucune lumière sur la
.question
de l'origine sérère proprement dite. Du moins peut-on
penser qu'elle la trouve résolue. Comme tous ceux qui ont bien vite
évacué le problème par la seule étude de l'origine des Guélwars.
A.S. Diop semble faire de ceux-ci les seuls acteurs de l'histoire des
Sérères sur lesquels plane le mystère le plus total.
1. Lire Wagane Marssa et Merssa Waly Dione. Wagane Marssa parce qu'en
pays sérère. le prénom est souvent suivi de celui du père.
2.
En
plus
de
cette
conquête
dont
l'aboutissement
avait
pour
conséquence
le
métissage
Sérères-Mandingues.
on
pourrait
peut-être
continuer de se poser des questions. Surtout quand Aujas nous explique
que les migrations successives des Sérères tantôt au Sud, tantôt au Nord
(mais
quelles limites
?)
sont dues
aux
pressions que les
Mandingues
(lesquels au juste 7) et les Wolofs exerçaient sur eux. La thèse du double
peuplement(Nord-Sud)
trouvait-elle
ainsi
un
piètre
début
de
théorisation ou s'agissait-il simplement de la difficulté
de trancher ce
qui était déjà un débat d'historiens ?
3. L. Aujas :"La région du Sine-Saloum... " p.97
4. Ibid, p. 97
s. A.S. Diop : "L'impact de la civilisation mandingue au Sénégal. La
genèse
de
la royauté guélwar au
Sine et
au
Saloum".
Bulletin
de
"IFAN, serf B, n04. 1978 p.691
26
La faiblesse de toutes ces thèses est donc certaine. Si elles
ont
le
mérite
indéniable
d'avoir
tenté
d'élucider
l'origine
des
princes guélwars, elles sont généralement peu prolixes sur celle de
leurs sujets. Du peuplement pré-guélwar, on ne dit que bien peu de
choses. L'histoire du pays sérère est ainsi ramenée, pour l'essentiel,
à celle des Guélwars, ce qui est contestable.
On ne s'étonne donc plus de voir que le descendant du
conquérant guélwar est resté le même que son aïeul qui gouverna
le Sine du XVe siècle. Et pourtant, beaucoup de ce qui faisait de lui
le continuateur des princes mandingues du Mali avait, entre temps,
totalement disparu.
1.3
- La
thèse
de
l'origine
nordiste
et
la
thèse
de
l'origine
égyptienne
Maurice Delafosse, après E. Noirot (1), a défendu la thèse
selon laquelle les Sérères viennent du nord du Sénégal puisqu'ils
habitaient la rive droite du fleuve Sénégal, dans ce qui est devenu
la Mauritanie. Leur pays dépendait alors de l'empire du Ghana, qui
s'étendait jusqu'au-delà du fleuve Sénégal.
Lorsque
le
mouvement
de
propagande
islamique
prit
naissance chez les Berbères vers 1040, il ne tarda pas à gagner les
Noirs des deux rives du Sénégal. Il rencontra des obstacles, une
résistance qui se traduit parfois par l'exode des habitants . "C'est
ainsi que la plupart des Sérères émigrèrent sur la rive gauche du
fleuve, au Tékrour d'où un nombre considérable allèrent se grouper
dans le Sine"(2). Robin fait sienne cette thèse quelque vingt ans plus
tard(3) contribuant à faire de "Gannar"(4) l'un des lieux les plus
plausibles du séjour des Sérères avant leur émigration vers leurs
terroirs actuels.
1. "Notice sur le Sine-Saloum" J.O. nO 1904, 16 avril 1882 p. 167. Pour cet
auteur, les Sérères viennent en effet du Fouta, mais leur aspect "métissé"
semble
lui
échapper.
2. M. Delarosse : Les Noirs de l'Afrique. Paris, Payot, 1922 pp,45-47
3.
J. Robin : "D'un royaume amphibie et fort disparate. Essai sur
l'ancien royaume du Walo". Arrican
studies, n04, déc. 1946 p.251
4. Gannar comme le désignent Robin et les Sénégalais est, en gros, la
Mauritanie
actuelle.
27
Cette émigration est due à la poussée de l'islam mais aussi à
"un
souci
de
rechercher
des
terres
plus
fécondes
et
moins
arides"(l}. Les Sérères du XIe au XIVe siècles ont été ainsi obligés
de "s'enfoncer dans le pays des Ouolofs d'abord et ensuite dans le
Sine"(2}. Vincent Monteil, en même temps que Th. Monod(3) donne
raison à Delafosse et pense comme lui que les Almoravides sont "les
auteurs de ce déplacement de peuples à la suite de la prise de
Ghana"(4).
Quant à Cheikh A. Diop, il affirme que les Sérères sont
venus "du bassin du Nil au Sénégal"(5). Sans en éclaircir les raisons
ni le moment, il s'appuie sur des découvertes archéologiques et la
communauté de
certains
mots
entre
Egyptiens
et
Sérères
pour
tenter de prouver la réalité du
séjour de ceux-ci
au nord de
l'Afrique
et
tracer presque
point par point
l'itinéraire de
leur
migration qui les conduit jusqu'au Saloum.
Le passage des Sérères serait ainsi "jalonné par des pierres
levées que l'on trouve sur la même latitude à peu près depuis
l'Ethiopie jusqu'au Sine-Saloum"(6}. Ces pierres levées étant restées
une pratique des Sérères, il en déduit que ce sont eux qui ont pu
emprunter cet itinéraire. Une autre preuve serait apportée par le
fait que les Sérères enterraient leurs morts
"à la manière des
Egyptiens"(7}.
En effet, les toits coniques des Sérères ressemblent aux
pyramides en bien plus petits. A leur arrivée au Saloum, "la ville
sérère qu'ils ont créée est la ville de Kaôn. C'est aussi le nom d'une
ville egyptienne où l'on a trouvé des textes hiéroglyphiques"(8). De
plus, "le Dieu céleste sérère, dont la voix est le tonnerre, s'appelle
Rôg et l'on ajoute souvent : Sen, ce qui est qualificatif national, étant
donné que Sen est bien le nom totémique typique des Sérères.
1.
M. Delarosse : Les Noirs de l'Afrique. Op. cit. p. 47
2. M. Delarosse : Haut-Sénégal-Niger. T.I Paris, Maisonneuve & Larose,
1972 p.236
3. Histoire de l'Afrique. Paris. Hachette, 1966 p.169
4. V. Monteil
: Esquisses
sénégalaises
(Wâlo-Kayor-Djoloff-Mourides-
Un visionnaire). Dakar, !FAN. 1966 p.17
S. Ch.A. Diop : Nations nègres et culture T.2. Paris. Ed. Présence
Africaine 1979. p.392
6. Ibid, p.392
7. Ibid, p.399
8. Ibid, p.400
\\
28
Rôg est à comparer avec le Dieu égyptien Ra ou Ré qui était aussi le
Dieu céleste,' tandis que Sen fait penser au nom de certains rois de
Nubie, certains pharaons d'Egypte tels que Osorta-Sen, Perib-Sen".
Aussi, "la plaine du Sen aar ou Sin-arr fait penser à la
plaine du Sine"(1). Considérant la ferveur des Sérères "qui sont
jusqu'ici un des rares peuples du Sénégal non encore convertis à
une religion étrangère moderne", Ch.
A. Diop en déduit qu'ils
seraient ceux qui déterminaient en Egypte "les limites des temples",
sérère désignant en langue egyptienne cette fonction(2). Enfin, les
Sar pharaons et Sen, castes de prêtres et pharaons des premières
dynasties comfirment, selon lui, que les Sérères non
seulement
viennent d'Egypte, mais encore qu'ils y ont joué un rôle politique et
social de premier plan(3).
Cette
thèse
dont
l'originalité
ne
tient
qu'à
la
longue
démonstration qui
l'accompagne(4)· ne
méritait certainement
pas
l'hostilité parfois
irraisonnée dont elle a fait
l'objet.
Pas
plus
d'ailleurs que l'approbation aveugle qui l'entoure. La linguistique et
la toponymie ne sont certes pas une science exacte mais l'on ne
saurait
perdre
de
vue
qu'aucun
des
prédécesseurs
de
l'auteur
n'avait
pu
donner
d'opinion
incontestée
sur
le
sujet.
Une
immigration sérère par l'Est n'est pas incompatible avec le séjour
des Sérères sur la rive droite du Sénégal. D'autant que la "thèse
nordiste"
s'est révélée
incapable de dire
si les
Sérères
étaient
aborigènes de cette rive droite ou s'ils venaient d'ailleurs. Dans
cette dernière hypothèse et dans celle d'une immigration s'étalant
sur plusieurs décennies ou plusieurs siècles, il n'est pas impossible
que différents itinéraires aient été suivis par les Sérères à leur
départ d'Egypte.
1. Ch.A. Diop
Nations nègres et cultures. Op. cit. p.400
1. Ibid, pAO 1
3. Ibid, pAOl
4. Un certain M.
Rocache dont on ignore les titres et la fonction dans la
colonie avait. en effet, en 1904. fait une "étude sur la région du Sénégal
comprise
entre
le
Djoloff
et
le
Saloum"
en
fait
une
monographie
(inédite) sur le Baol qui peut bien avoir inspiré Ch. A. Diop qui n'en dit
cependant mot.
Rocache affirmait que les
Sérères ou plus
exactement
leurs
ancêtres
venaient
"du
plateau
central
et
de
l'Egypte".
La
différenciation
ethnique
se
serait
alors
produite
en
Mauritanie.
Les
Sérères,
"race issue des
Maures"
ayant
dû émigrer par la suite pour
s'établir "dans les pays avoisinnant du Sine, du Saloum. du Djoloff" avant
d'envahir plus tard le Baol où ils "refoulèrent dans la partie occidentale
les Nones" qui seraient la "race autochtone" du pays - A.N.S
IG 296. Plus
géneralement,
les
auteurs
auxquels
Ch.
A.
Diop
a
fait
des
emprunts
remettant
en
cause,
en
panie,
l'originalité
de
ses
thèses
sont
fort
nombreux.
B. Tounkara en cite cenains et en a même manifestement
oublié:"Problématique
du
comparatisme
égyptien
ancien/langues
africaines(wolof)",
Présence
Africaine n°
149-150, 1989 pp.313-320.
29
Notons
quand
même que Ch.
A.
Diop
ne
semble pas
envisager cette hypothèse et sa non-datation
de l'exode sérère ne
facilite guère les choses. Pour donner crédit à sa thèse, il aurait fallu
savoir la date à peu près exacte de "sa" fondation de Kahone. Si
celle-ci est postérieure à l'arrivée des premiers Sérères dans le Sine,
son approche pourrait être acceptable. Car il est aujourd'hui admis
que l'immigration sérère au Saloum au moins dans sa phase la plus
"massive", s'est produite du nord et non du sud de ce royaume.
Mais alors, l'itinéraire qu'il propose serait susceptible d'être
revu. Ceux qui auraient fondé Kahone ne seraient ainsi que des
immigrés sérères marginaux et au nombre si peu important qu'ils
n'ont pas retenu l'attention de la tradition orale. Or il se trouve que
celle-ci est justement méconnue par Cheikh Anta Diop qui n'y fait
aucune allusion. Du moins n'y renvoie-t-il pas, dans les travaux
cités, le lecteur attentif et curieux de connaître les sources de son
argumentation.
C'est sans doute là une des faiblesses de sa démarche car
l'histoire ne doit dédaigner aucun matériau disponible et dans ce
cas
précis
de
l'histoire
de l'Afrique,
la
tradition
orale,
même
lointaine, s'avère aussi importante que les autres sources dont il
s'est largement inspiré. Et elle fait du Tékrour une des premières
étapes de l'émigration des Sérères dont le séjour dans ce pays a
laissé des traces encore visibles(l).
1.4.
La
"nouvelle
approcbe"
du
père
Henry
Gravrand
a
-
Une
migration
nord-sud
des
Sérères
Cette
approche
est
le résultat de
l'approndissement
de
travaux antérieurs qui déjà avaient posé les jalons d'une démarche
originale(2) sur l'étude de l'histoire des Sérères(3).
1. Outre la tradition orale désormais unanime sur ce point et reprise par
les auteurs. il y a des découvertes archéologiques qui confirment cette
affirmation. Voir Ch. Becher et V. Martin in Atlas national du Sénégal.
Planche 25 p.52.
2. Et adoptée. depuis. par des auteurs sérieux dont P.
Pélissier. Les
paysans du Sénégal. Les civilisations agraires du Cayor à la Casamance.
Impr. Fabrègue. St. Yrieux 1966. pp. 192-196
3. H.
Gravrand : "Quelques peuples.. .Ies Sérères".
Afrique
Magazine.
Nelle série. n"2 mars 1959
p.15
30
H. Gravrand situe dans la plaine du Tagant, en Mauritanie
"un des lieux où se sont élaborées l'ethnie et la culture sérère"(l).
Le séjour des Sérères (2) dans cette région se situerait
entre-1400 et 830. Avec l'avancée du désert au sud du Tagant, les
Sérères, agriculteurs et éleveurs, durent partir à la recherche de
pâturages et de terres mieux arrosées. C'est ainsi qu'ils s'établirent
dans
le
Fouta(3).
Il
n'y
avait
pas
encore
dans
ce
pays
de
Toucouleurs, ceux-ci allaient apparaître plus tard et seraient issus
"des Sérères, des Lébous, des ancêtres des Wolofs et des Fulbés"(4).
C'est-à-dire des "Tekrari" qui semblent avoir donné leur nom aux
Toucouleurs et à la terre qu'ils habitent.
Le séjour des Sérères au Tékrour devait durer bien plus
d'un millénaire, car leur installation sur la rive gauche du Sénégal
remonterait à au moins sept siècles avant notre ère. Leur départ
pour leur pays actuel est dû à un ensemble de causes que H.
Gravrand estime être de trois ordres.
D'abord, "la charge humaine de la vallée du Sénégal". Cette
cause-là avait toujours été négligée ou méconnue par les auteurs
antérieurs, à l'exception notable de M. Delafosse(5). H. Gravrand en
fait la cause lointaine de l'exode mais aussi l'une des plus décisives.
La désertification
du
Sahel
s'y
ajoute
avec
la persistance
des
sécheresses, repoussant de plus en plus les populations vers des
endroits arrosés et fertiles.
Cette situation s'étant accentuée entre le XI éme et le XII
éme siécles, on assiste, à cette période, à une poussée des peuples
vers le Sud (6).
T-Ü-:--Gravraïid-:-ia-civlHsation séreer. Cosaan. Paris, Paillart, Dakar,
NEAS, 1983 p. 86.
2. Ce séjour n'était en définitive, qu'une étape : avec le tome2 de son
étude sur les Sérères, Henri Gravrand fait état de nouvelles découvertes
qui confirment bien que les Sérères, avant le Tagant, vivaient dans la
vallée
du
Nil
"bien
avant
l'émergence
de
la civilisation
pharaonique,
vers le Xe millénaire". Cf. La civilisation Sereer. PangooI. Les NEA du
Sénégal, 1990
p. 12.
3. J. Ki-Zerbo note aussi cette émigration des Sérères cf.
Histoire générale de l'Afrique Noire.
Paris, Hatier 1972,
p.lOS.
4. H. Gravrand : Cosaan... p. 98.
S. M. Delafosse:
Haut Sénégal-Niger
Op. cit. p. 236
6. H. Gravrand:
Cosaan ...
p. 119
3 1
Ensuite, l'islamisation du Tékrour à partir de la premlere
moitié du XI éme siécle a provoqué une crise religieuse qui, à
défaut d'avoir été la cause profonde de l'exode, a pu en être le
détonateur(1 ).
Enfin,
"la dislocation
de
l'empire
du
Ghana
et des
Almoravides du
Sud"
: cette
nouvelle
donnée
serait la cause
immédiate de l'émigration des Sérères. Ghana en tant qu'empire
avait disparu en 1076, sous les coups des Almoravides. Ceux-ci
allaient vite se disperser à leur tour en 1087. Leur chef Abou Bakr
ayant été tué par les Sérères, sans doute hostiles à sa prédication,
leur bref édifice ne put résister : ils disparurent donc au Sud,
laissant à ceux du Nord le soin de continuer, pendant plus d'un demi
siécle, leur croisade au Maroc et en Espagne.
Les Sérères purent ainsi quitter le Fouta pour le Baol, le
Sine et le Saloum(2). L'émigration se serait produite en deux temps.
Il y eut d'abord un exode immédiat dû au meurtre d'Abou Bakr. Il
comprendrait un
nombre
important de
Sérères
ou
suffisamment
représentatif de la population. Cet exode se serait déroulé entre
1087 et 1100(3). La deuxième phase, plus étalée dans le temps,
couvrirait le XII éme siécle et peut-être une partie du XIIIéme(4).
b ·
Les
migrations
mandê
et
la
formation
de
l'ethnie
sêrère
Il y avait des populations mandé dans ce qui allait devenir
le pays sérère avant le départ des "Sérères cosaan"(5) pour celui-ci.
Ces mandé semblent en outre avoir occupé une bonne partie du
"pays wolof". Les Sérères les auraient donc trouvés sur place. Peut-
être étaient-ils
issus de
l'expansion
mandingue
notée
antérieur-
ement au XIIIème siècle. La thèse de Gravrand semble cependant
exclure cette possibilité, l'installation mandé s'étant déroulée "avant
le XIème siècle".
1. H. Gravrand
p. 120
2. Ibid, p.
121
3. Ibid,
p. 122
4. Ibid,
p. 124
S. H. Gravrand emploie à juste titre ce mot pour désigner les "ancêtres
des Sérères".
C'est-A-dire ceux qui
ont quitté le
Fouta pour le
Sine-
Saloum et le Baol, avant leur contact avec les Mandé. Le Sérère issu de
cette rencontre, bien que gardant son nom, n'est plus en effet le même
car il est issu d'un métissage entre les Sérères de l'immigration et les
Mandingues, tel qu'indiqué plus bas.
32
C'est-à-dire
sous Ghana
alors que
les
Mandingues
sont
censés s'être lancés dans leur entreprise "coloniale" sous le Mali.
L'origine de ce "peuplement soos" est donc mystérieuse, bien que H.
Gravrand nous indique que ces premiers Mandingues venaient de
l'Est.
A Cette premlere vague d'immigrants, allait s'ajouter une
seconde, celle des Guélwars. Cette immigration guelwar se serait
produite en même temps ou peu avant une troisième et sans doute
dernière "expansion" mandingue, le tout s'étant déroulé au plus tard
au XIVe siècle. A cette date, la formation de l'ethnie sérère était
déjà achevée depuis au moins un siècle. Celle-ci est assurée par la
fusion des populations mandé et "sereer-cosaan" . La langue est
restée celle des "Sereer-cosaan"(l). L'arrivée des Guélwars au Sine
et leur établissement parmi les Sérères parachevèrent la constitu-
tion de la culture sérère.
Les
Guélwars
ont
trouvé
un
pays
sérère
inorganisé
politiquement. Ce fut grâce à eux que la transformation sociale déjà
achevée put être suivie d'une organisation politique digne de ce
nom. Une organisation d'autant mieux assurée qu'elle a su prendre
sa source non pas dans les traditions guélwars, mais bien dans
celles des Sérères majoritaires(2). Ce pragmatisme politique des
Guélwars, tout en facilitant leur acceptation par les Sérères, eut
pour résultat notable de renforcer la cohésion de la nouvelle société
sérère.
"Tous
se proclameront Sereer et rejeteront même l'idée
d'une origine non sereer"(3).
Ainsi s'acheva le processus de formation de l'ethnie sérère.
Mandingues
et
Sérères
venus
du
Fouta
sont
les
Sérères
d'aujourd'hui. Ceux-ci viennent donc non pas d'un seul endroit, mais
de plusieurs : du Nord, du Sud et de l'Est. Leur origine ne saurait se
limiter à une région, comme ont voulu le faire croire les auteurs qui
semblent avoir perdu de vue le caractère métissé du Sérère.
Cette thèse semble désormais s'être imposée. Comme les
auteurs postérieurs à Gravrand qui l'avaient déjà adoptée avant
même "Cosaan", nous la faisons nôtre bien qu'elle laisse toujours
non résolues des questions importantes.
1. H. Gravrand : Cosaan...
p. 160
2. Ibid.
p. 184
3. Ibid,
p. 185
33
L'origine des Soos que les Sérères ont trouvés sur place à
leur arrivée au Sine reste obscure. Venus de l'Est, avant le XIe
siècle, comme nous le souligne sans autre précision H. Gravrand, ils
ont donc précédé le vaste mouvement mandé des siècles suivants.
L'empire du Mali n'existant pas encore, on peut penser que s'ils
dépendaient d'une
puissance organisée, ce ne
pouvait être
que
Ghana.
Jusqu'au XIe siècle en effet, cet empire était à la fois
puissant et la principale force
politique vraiment organisée en
Afrique de l'Ouest. Si ces "Soos" étaient liés à cet empire, s'ils
appartenaient ou dépendaient d'une façon ou d'une autre de Ghana,
leur émigration avait plus de chance de s'être déroulée à l'apogée
de celui-ci.
Or il semble bien que c'est à ce moment-là (entre le IXe
et
le Xe siècles) que s'est effectué l'établissement des Soos en futur
pays sérère. L'hypothèse d'une dépendance ou tout au moins de
liens
lâches
entre
ces
Soos
et Ghana
semble défendable,
car
Gravrand mentionne bien qu'ils sont venus de l'Est et l'Est pouvait
être, à ce moment, Ghana ou ses dépendances occidentales. Ils
seraient alors des "colons"
de terres vierges dont on peut s'étonner
de la dépossession facile par des immigrants qui faisaient sans
doute partie de leurs nombreux sujets.
Le déclin de l'empire qui s'était entre-temps opéré pourrait
peut-être
expliquer
le
nouveau
réalisme
de
ces
anciens
conquérants. Un peu moins obscur - mais pas pour autant limpide-
est le processus de transformation des ethnies mandé et sérère,
ayant abouti à la naissance du Sérère "moderne", qui devait effacer,
curieusement, toute trace humaine de Soos dans le pays.
Les découvertes
archéologiques
ont en effet apporté
la
preuve que les Soos occupaient tout le pays sérère actuel du Baol au
Saloum en passant par le Sine et le Diéghem(l). Or, on voit mal
comment une masse humaine aussi importante pouvait se laisser si
facilement effacer par une autre, qui mit par ailleurs autant de
temps à se rassembler, au point de prendre sa langue et une bonne
partie de ses traditions.
1.
Ch.
Becker
&
V.
Martin
"Chronique
du
royaume
du
Sine... "Bulletin de l'IFAN, sér.B n04. 1972
p. 751
34
N'est-il pas probable qu'ils aient émigré au moins en partie
? L'interrogation de Ch. Becker et V. Martin sur la possibilité d'une
nouvelle émigration soos vers le Nord, ayant donné naissance à tout
ou partie des Sérères de Thiès, du Ndout et du
sud immédiat du
Cap-Vert(l) ne trouve-t-elle pas ainsi un début de réponse ? A
moins que, comme le note Robin(2), les Sérères aient repoussé à
leur arrivée, "les Mandé" vers l'Est et le Bambouck. Une chose
semble certaine : la fusion des Soos avec les Sérères ne pouvait pas
se faire avec tout le "peuple" mandé qui semble bien avoir déserté
des régions qui n'allaient plus être habitées avant le XVIIe ou
même le XVIIIe siècle.
A cette énigme, P. Pélissier répond par une autre : les
découvertes archéologiques tendraient à prouver que les Sérères,
qui ne reconnaissent pas la paternité de ces tumili ont soit perdu la
mémoire,
soit
les
ont
attribués,
dans
leur
tradition
orale,
faussement aux Soos qu'ils ont trouvés sur place. D'autant que les
mêmes
découvertes
ont
été
faites
dans
tout
le
Sénégal
septentrional, des portes de Saint-Louis au Sud du Sine (3).
Ce qui suggère un peuplement pré-soos disparu "avant les
migrations des Sérèr et dont la mémoire s'est perdue" (4). Alors
seulement, on peut envisager l'hypothèse d'une
"soumission" des
Soos par les Sérèr, du fait de la loi du nombre et non d'une
organisation politique inexistante : "l'aisance avec laquelle les Sérèr
s'installèrent
dans
leur
actuel
domaine
en
dépit
de
leur
émiettement
politique,
le
caractère
forestier
du
milieu
qu'ils
colonisèrent ... permettent de croire que les Socé ne formaient alors
qu'un
peuplement
très
lâche,
n'assurant qu'une
occupation
très
discontinue de l'espace" (5).
Situation d'autant plus plausible qu'il n'est pas exclu que
ceux des Soos qui refusèrent de s'incliner devant cette absorption
aient émigré plus au Sud "dans l'estuaire du Saloum où certains
villages insulaires se disent leurs descendants directs" (6).
1. Ibid,
p. 751
2. J. Robin : "D'un royaume amphibie... " p. 251
3. P. Pélissier : Les paysans du Sénégal. Les civilisations agraires du
Cayor à la Casamance. Fabrègue, St. Yrieux 1966
p. 195
4. Ibid,
p.195-196
S. Ibid, p. 195
6. Ibid,
p. 196
35
Leur langue sérère assez influencée par la langue socé ne
saurait en effet s'expliquer par l'établissement bien plus récent de
Mandingues islamisés dont la présence est notée dans
certaines
régions du Sine et du Saloum par des voyageurs européens des
XVIIè et XVIIIè siècles. Le processus de transformation de l'ethnie
sérère fut donc long et jalonné de péripéties qui ont laissé bien des
Sérères au bord du long chemin qui les a conduits du Tagant au
Sine.
Beaucoup d'entre eux ont succombé à l'influence des autres
ethnies
notamment
wolof
et
n'ont
pas
continué
l'émigration
cependant
que
la
majorité,
justement
parce
qu'elle
voulait
préserver sa "différence", a continué le mouvement plus au Sud
après un séjour plus ou moins long en pays wolof, au fur et à
mesure de son peuplement et de son organisation politique.
On peut donc noter avec Pélissier qu'à l'achèvement de la
constitution de l'ethnie sérère au XIVè siècle (1), ses membres
étaient des "hommes d'un double refus : refus d'adopter l'islam,
refus d'être assimilé par les Wolof : ou, si l'on préfère, d'une double
fidélité, à leur religion du terroir et à leur langue" (2).
2.
Les
royaumes
du
pays
sérère
2.1
Le
Sine
La date des premiers règnes guélwars n'est pas totalement
éclaircie.
Et avant l'installation
de
la royauté,
le
pays
n'était
pratiquement pas gouverné puisqu'il n'y avait que des lamanes(3)
aux pouvoirs aussi morcelés que limités(4).
1.
Cette précision est de Henry Gravrand : Cosaan, Op. cit. p. 160
2. P. Pélissier : Les paysans du Sénégal.
Op. cit. p. 192
3. L'institution du lamane est consubstantielle à l'installation des Sérères
dans
leur
habitat
actuel.
Aucune
organisation
politique
n'étant
en
vigueur,
la
seule
autorité
qui
existait
chez
les
premiers
occupants-
défricheurs
des
terres
était
celle
des
lamanes
"maîtres
du
feu
ayant
procédé à la première prise de possession de la forêt". Cf. P.
Pélissier:
Les paysans du Sénégal.
Op. cit.
p. 195. Les lamanes sont donc les chefs
de terre du pays. Ils étaient. de ce fait. à la tête de lamanats souvent peu
étendus qui étaient le domaine sur lequel
ils exerçaient leurs pouvoirs
ainsi liés à la terre.
4.
Bourgeau
: "Notes sur les coutumes des Sérères du Sine-Saloum".
BCEHSAOF T.l. 1933 p.2
\\
36
Le
premier
règne
guélwar
est
donc
consécutif
à
la
formation du royaume du Sine et on pense généralement que celle-
ci remonte à la deuxième moitié du XIVe siècle. Charles Becker et
Victor Martin proposent 1360 comme point de départ de la royauté
en pays sérère(l).
S'appuyant sur la
tradition
orale et
sur des
récits
de
voyageurs, notamment celui de Ca Da Mosto écrit à partir de son
séjour de
1455 en Sénégambie et qui mentionne l'existence de
certains "Barbecins" en voulant parler des sujets du "Bour Sine", ils
en déduisent que le terme Bour Sine et la réalité qu'il renferme
existaient bien avant et mieux, devaient être déjà bien établis.
Cette date
de la deuxième
moitié du
XIVe
siècle est
également retenue
par H.
Gravrand(2).
Si
l'on
retient que
les
Guelwars
avaient
un
rapport
avec
l'empire
du
Mali
comme
beaucoup d'auteurs semblent l'admettre, on ne peut envisager que
deux
possibilités:
soit les
Guélwars
ont profité
de
l'expansion
mandingue qui s'est produite sous les Mansa(3) pour s'installer au
Sine(4), soit ils ont été "victimes" du déclin de l'empire et des
problèmes intérieurs qui en découlèrent.
Dans le premier cas, l'immigration se serait déroulée trop
tôt puisque l'arrivée de ces Mandingues a trouvé le problème de la
constitution de l'ethnie sérère résolu, car ils n'ont trouvé au Sine
que des Sérères ce qui ne s'est pas fait avant le XIIIe siècle.
Dans le second, en revanche,
l'hypothèse peut être retenue.
Les problèmes du Mali ont, en effet, commencé avec la mort du
Mansa Souleymane en 1360.
1. "Chronique
du
royaume
du
Sine... "
Bulletin
de
l'IF AN sér.B n04,
1972 p.758
2. Cosaan... p. 55
3. Terme mandingue par lequel on désignait les rois ou empereurs du
Mali
4. C'est l'avis de Y.
Person et Mamadou
Mané.
Ces
auteurs
situent,
comme il convient de le rappeler, l'expansion mandingue avant le XIIIe
siècle (supra p. 22). A.S.
Diop adopte cette thèse mais descend encore
bien plus puisqu'il estime que l'implantation guélwar au Sine-Saloum se
situe à la fin du XIVe siècle. Mais les causes ne seraient plus les mêmes :
"L'impact de la civilisation mandingue ..." p.689
sq.
37
La guerre civile qui salua la disparition du dernier grand
empereur du Mali ne pouvait que favoriser les troubles dans les
provinces et les luttes de factions. Et se serait précisément à la suite
d'une lutte perdue que les Guélwars avaient quitté leur Gabou natal
pour émigrer en pays sérère.
Il nous paraît donc raisonnable de dater le point de départ
de la royauté sérère au XIVe siècle. Sous le roi fondateur, le Sine
n'était guère très vaste. On pouvait le ramener à Mbissel la capitale
et ses environs.
Ce fut sous le règne de Wagane Faye compris entre la fin du
XIVe et le début du XVe siècles que le royaume s'agrandit(l) pour
atteindre, semble-t-il, les limites qu'il garda jusqu'à la colonisation.
1.1.
Le
Saloum
C'est sous le règne de Wagane que, selon Aujas(2), Mbégane
Ndour, "fils" de Maissa Waly Dione devint le premier roi Guelwar du
Saloum. Si cette affirmation est discutable, elle a, en revanche, le
mérite de situer le rapport qu'il y eut entre le règne de Wagane et
l'expansion guélwar en général et au-delà du Sine en particulier.
Wagane Faye fut en effet le premier vrai roi du Sine, du "grand
Sine" en tout cas et l'un des rois les plus importants que ce royaume
ait eu. Une poussée guélwar au
Saloum est donc parfaitement
concevable sous son règne.
L'installation des Guélwars au Sud ne serait ainsi que la
conséquence logique de l'expansion qui se déroula au Nord. Il
semble cependant que cette installation se soit faite un peu plus
tard,
la
préoccupation
majeure
semblant
avoir
été,
après
l'agrandissement du Sine, la consolidation du pouvoir avant toute
nouvelle aventure. Cela est tout aussi naturel, chez un roi aussi
averti que semble l'avoir été Wagane.
1. H. Gravrand : Cosaan... p.220
sq.
2. L. Aujas : "Les Sérères du Sénégal..." p. 296
38
Le rapport entre son règne
et la conquête du
Saloum
semble donc certain, mais il ne paraît pas aussi direct que Aujas le
prétend. Wagane a en effet régné entre la fin du XIYe et le début
du XYe siècles, période à laquelle le Saloum en tant que royaume
n'existait pas encore.
Et c'est seulement après Wagane, lorsque les Guélwars sont
bien
installés
au
trône
et
l'idée
de
royauté
ancrée
dans
les
populations que n'ayant plus d'objectifs au Sine totalement soumis,
ils ont pu entreprendre d'étendre leur conquête
au
Saloum. Le
royaume du saloum a donc bien été fondé par Mbégane Ndour - là
dessus tous les auteurs sont d'accord- mais un peu plus tard.
Et si l'on tient compte de ce qui précède, on peut penser
que cette fondation n'a pas pu se faire avant le XYe siècle. Wagane
ayant disparu probablement avant la fin de la première moitié du
XYe siècle ou autour de cette date, on peut estimer avec A.B. Bâ et
H. Gravrand(l) que la fondation a eu lieu à la fin du XYe siècle. Il
est vrai que d'autres, après Aujas et avec plus de précision ont cru
devoir maintenir le principe de la dater bien plus tôt.
C'est notamment le cas de
A.S.
Diop
qui
estime que
l'établissement des Guélwars au Saloum s'est effectué à la fin du
XIYe siècle et l'avènement de leur roi des décennies plus tard, entre
1440
et
1450.
Nous
savons
désormais
que
cette
date
est
irrecevable. D'autres encore croient à une datation très tardive. C'est
le cas de J. Boulègue qui situe la naissance du royaume au début du
XYle siècle partant du fait que les
voyageurs européens
n'ont
jamais mentionné l'existence du Saloum avant 1506 (2).
Si cela tend à prouver qu'il n'y avait pas ce royaume dans
la première moitié du XYe siècle, on ne saurait valablement en
déduire qu'il n'existait pas dans la seconde. 1506 est en effet le tout
début du XVIe siècle et l'existence en ce moment du "Broçalo" (Bour
Saloum) prouve plutôt que son autorité était affermie ou tout au
moins existait déjà, ce qui ne s'est peut-être pas fait du jour au
lendemain.
ï:--A":B-:--Ür:--;;-ESsai-sur-ï'iifstoire du Saloum et du Rip". Bulletin
de
l'IF AN sér.B n03-4
1976
p.828 - H. Gravrand : Cosaan Op. cil. p.55
2. J. Boulègue : "Contribution à la chronologie du royaume du Saloum".
Bulletin de l'IFAN sér.B n03-4, 1966
p.557
39
Ces
nombreuses
dates
différentes
voire
contradictoires
tiennent
au fait que les auteurs ont négligé des détails importants.
Dès l'installation de Meïssa Waly Dione au trône, le Koular
bénéficiait
d'une
large
autonomie
en
souvenir
du
transit
qu'y
avaient fait les Guélwars dans leur mouvement vers le Sine(l). De
même, le Dionik fut laissé indépendant et n'allait être intégré au
Saloum que plusieurs décennies après la fondation de ce royaume.
C'est-à-dire sous le règne du troisième roi du Saloum, Latmingué
Djilène Ndiaye(2), qui aurait régné de 1520 à 1543.
L'achèvement de la conquête et l'unification du Saloum se
situeraient donc à cette époque, ce que certains ont pu prendre
pour la conquête elle-même et le début de la royauté. Toutes les
dates proposées se situent ainsi, pour l'essentiel, entre la fondation
du Djonik qui fut un royaume à sa manière et son incorporation au
royaume du Saloum.
Quant aux
partisans d'une datation remontant
au XIVe
siècle, ils ont pu être induits en erreur par l'autonomie laissée au
Koular qui avait pu le faire passer pour un royaume et ce dès la
fondation
du
Sine
c'est-à-dire
au
XIVe
siècle
date justement
proposée par ces auteurs.
Le problème de ces thèses est donc de ne tenir compte que
d'un élément particulier alors que c'est la somme des éléments qui
permet de saisir toute la réalité : loin d'être le fait d'une seule
génération, à une même époque, la conquête du Saloum fut menée
par étapes successives qui partent de la fondation du royaume, à la
fin du XVe siècle pour aboutir, à la première moitié du XVIe siècle,
à sa formation définitive,
tel qu'il subsista jusqu'à l'arrivée du
colonisateur.
2.3. Le
Baol
Contrairement aux précédents royaumes, le Baol, pour la
période qui nous occupe, n'a pas été gouverné par les Sérères ou
leurs descendants, encore moins par les Guélwars.
1. A.B. BA : "Essai sur l'histoire du Saloum..." p.820
2. Ibid, P 820
40
Avant l'avènement de la royauté, le pays était, comme les
autres pays sérères, dirigés par des lamanes(l). On vit alors se
produire ce qui s'est passé au Sine et au Saloum : pour mieux
assurer l'unité politique, les lamanes, alors "Socés" élirent un roi, le
"teigne"
qui,
comme
ses
autres
cousins
du
Sud,
allait
très
rapidement subir l'influence de ses sujets sérères qui l'ont porté au
pouvoir, au point de s'identifier complètement à eux (2).
Le règne des dix huit premiers rois du Baol fut ainsi sans
problème jusqu'au moment où les Wolofs, devenus nombreux dans
le royaume du
fait
de
l'immigration,
renversèrent
"la dynastie
régnante qu'ils remplacèrent" (3). Cela se passait au XVIe siècle si
l'on en croit Rokhaya Fall (4), avec l'avènement de Amary Ngoné.
Cette révolution douce n'a pu se justifier que par le fait que
le nouveau roi wolof était aussi sérère de par
sa
mère
mais
l'obligation désormais faite à tout souverain d'être de patronyme
Fall (un patronyme wolof) excluait totalement les Sérères de la
direction au sommet du royaume (5).
Selon J.B. Labat, dans sa "Nouvelle relation de l'Afrique
Occidentale", celle-ci disparaît puisqu'il mentionne qu'en 1695, les
royaumes du Cayor et du Baol, "qui avaient toujours été gouvernés
par deux princes différents... furent unis sous un même prince"(6)
A la lecture des relations de voyage des Européens qui sont
la principale source de l'histoire des royaumes
sénégambiens à
l'époque et qui ne mentionnent plus que le Cayor qui recouvre ainsi
les anciennes possessions du Baol, de l'intérieur sans doute jusqu'à
la côte(7), on est tenté de croire le religieux français d'autant que le
Cayor n'a jamais fait mystère des convoitises qu'il nourrissait sur le
Baol.
1. A. Sabatié : Le Sénégal. Sa conquête, son organisation ...p.313
2. A.N.S
IG 296
3. A.N.S
IG 296
4. R. FaU : Le royaume du Baol du XVIe au XIXè siècles. Thèse de doctorat
de 3e cycle d'histoire. Paris l, 1983
p.50
S.
Ibid.
6. J.B. Labat : Nouvelle relation de l'Afrique Occidentale. Paris,
Cuvelier, 1728 p.30
7. Ch. Becker & V. Martin : Histoire sociale, économique, politique et
religieuse du Kayor et du Baol (1695-1809). Kaolack, 1976 ; multigr. inédit
pp.6-8 (Transmis par IFAN sous nO 4° BRO /3727).
41
Avant 1695, en effet, les damels (rois du Cayor) ont tenté
en vain de conquérir le trône de ce royaume( 1). Cependant, au lieu
d'une conquête, il s'agirait bien d'une union des deux royaumes
qui
n'implique pas une mainmise totale de l'un sur l'autre "puisque seul
le roi est unique mais les autres postes politiques sont occupés par
des natifs du pays de même que les postes administratifs"(2).
Chaque royaume gardait donc une certaine autonomie(3).
L'union réalisée en 1695 dura ainsi un quart de siècle avant qu'en
1720, la mort du roi Latsukabé entraînât le partage du Cayor et du
Baol "entre ses deux fils"(4).
Aussi,
les
rapports
entre
les
deux
royaumes
restaient
étroits et malgré ce partage, la dynastie des FaU, qui commande au
Cayor comme au Baol réussit à maintenir une union au sommet(5).
Au XVIIIe siècle, plusieurs rois portèrent ainsi le titre de
damel-teigne qui symbolisait cette union(6). Une union qui ne s'est
d'ailleurs
pas
arrêtée
au
XVIIIe
siècle puisque
Biraïma Fatma
Thioub, qui régna de 1809 à 1832, de même que Meïssa Tendé
(1832-1855)
furent
damels-teignes(7).
On voit donc que la couronne du Baol, non seulement n'était
pas
sérère,
mais
en
plus,
s'était
détournée
des
Sérères.
La
conséquence
majeure
de
cette
situation
est
double
pour
ces
derniers. Ceux d'entre eux qui étaient en contact plus direct avec les
Wolofs - les populations sérères du Baol central et essentieUement-
se sont plutôt wolofisés (8) c'est-à-dire ont perdu leurs habitudes et
une bonne partie de leur "civilisation" au profit des habitudes et des
croyances wolofs. Beaucoup y ont ainsi laissé leur langue et leur
religion devenant en fait des Wolofs comme les autres.
ï:-K-Uï="ï'gaud-:-Hlstoire traditionnelle du Sénégal. Op. cit. pp.99-100
2. Ch. Becker & V. Martin cités sous 4° BRO/3727
3.
Ibid.
4.
Ibid.
5.
Ibid.
6.
Ibid.
7. F. Brigaud : Histoire traditionnelle du Sénégal. Op. cil. p.1l2
8. R. FaU : Le royaume du Baol... p.76
42
Ces anciens Sérères qui s'étaient fondus
dans la masse
wolof n'ont donc pas eu de réaction particulière face aux religions
chrétienne et musulmane : ils les ont accueillies ou refusées comme
des Wolofs.
Quant aux autres qui habitaient surtout le Sud-Ouest du
Baol, ils ont bien rendu à la monarchie la monnaie de sa pièce en se
détournant d'elle et mieux, en la rejetant. Ils le firent en se retirant
dans le Diéghem où ils fondèrent une république
indépendante.
D'autres bien que n'étant pas dans le Diéghem(l) ou les autres
provinces
"lointaines",
purent
ainsi
échapper
plus
ou
moins
efficacement à l'emprise du pouvoir royal (2).
Ce
fut
le
cas
de
tous
ceux
qui,
sur
les
marges
septentrionales et occidentales du Sine ont été assez tardivement
intégrés dans la mouvance du Baol après avoir longtemps échappé
au contrôle des Guélwars (3). De sorte que l'autorité des teignes sur
les Sérères ne s'exerçait que faiblement (4).
Bien avant le XIXe siècle, les Sérères rejetèrent donc si
massivement l'autorité de ces rois "étrangers " qu'il fallut à ceux-ci
réagir par des actions punitives qui étaient autant de moyens de se
procurer les richesses et la nourriture indispensables au royaume.
C'est ce qui justifiait les pillages nombreux des pays sérères du Baol
mentionnés par Ch. Becker et V. Martin (5). Ainsi, devaient naître
les nombreux conflits qui rythmèrent la vie de ce royaume jusqu'à
l'arrivée des colonisateurs.
1. Le DI é g hem
(du nom de
la forêt où
s'étaient retirés les Sérères
hostiles à la royauté du Baol) était en théorie une province du Baol mais
en fait une République indépendante qui eût souvent à faire face aux
expéditions des tiédos du Baol. Voir P.D. Boilat : Esquisses sénégalaises.
Paris,
Bertrand
Librairie-Editeur
1853
pp.89-93
(Réédition
Nendeln,
Kraus Reprint, 1973.
2. Ceux
des Sérères qui étaient
restés au
Baol même ont évidemment
accepté et subi le joug de la dynastie régnante. Ce qui commande. il est
vrai. une certaine réserve dans l'exposé des causes qui ont pu être à
l'origine
de
l'éloignement
des
autres.
D'autant
qu'au
Diéghem
comme
dans
les autres provinces "lointaines" dépendant théoriquement du Baol
(Sandoclc. Ndiaganiao. Fissel, Sassai), les populations venaient aussi bien
du
Baol
que
des
autres
royaumes
sérères.
avec
même
parfois
une
prédominance de Sérères du royaume du Sine.
3. P. Pélissier : Les paysans du Sénégal. Op. cit. p.198
4. Ch. Becker & V. Martin : Kayor et Baol. Royaumes sénégalais et
traite des esclaces... p.5
S.
Ibid.
43
MAURITANIE
OCEAN
MALI
ATLANTIQUE
Tambacounda
•
~ Le pays sérère
D. SENE
44
3.
La
société
et
sa
religion
3.1.
La
société
Henry
Gravrand
résume
bien
les
trois
principes
qui
régissent la société sérère: "0 fog ola ", "Wargal na", "Saté fa"(l).
"0 fog ola", c'est la famille, la base même de la société. C'est aussi la
vie en famille(2), mais qui peut s'étendre aussi bien au-delà pour
concerner le clan, la famille elle-même ayant des contours parfois
difficiles à préciser. Quant au "Wargal", il désigne l'ensemble des
devoirs qui incombent à l'homme dans la vie en société et qui
viennent non pas de ses obligations envers la puissance publique,
qui ne saurait avoir d'influence directe dans les relations sociales
mais envers les autres hommes : que ce soit ceux de sa classe d'âge
auxquels il est très intimement attaché(3) ou les autres, le Sérère
est toujours guidé dans
sa relation à l'''autre'' par un principe
immuable : l'homme n'est rien sans son environnement , au premier
rang duquel il y a son semblable : l'homme.
Le " Saté fa" enfin, c'est le "réceptacle" de la vie humaine, le
pays qui groupe les hommes et leur communauté d'intérêts. Mais la
"parenté"
reste
d'importance
primordiale
et
c'est
parce
qu'elle
s'affirme avec vigueur que les autres principes peuvent avoir un
sens. Le "Saté fa" a naturellement pour base le "Mbind"(4), le carré
qui est la cellule familiale, toujours vaste. Il n'est pas en effet rare
de rencontrer des "Mbind" si largement étendus, qu'ils comprennent
plusieurs dizaines d'individus.
L'intérêt d'une telle conception de la vie, c'est l'absence des
tensions claniques, les clans étant conçus plus comme un moyen
d'harmoniser la société à la base, par la solidarité, que de la
sauvegarder.Tout part de la société et toutes les actions doivent
concourir à la rendre solidaire, d'où l'inter-pénétration souvent très
dense qui existe entre clans, ne serait-ce que par le truchement des
relations
interpersonnelles, particulièrement développées.
1. H. Gravrand :"Rites d'initiation et vie en société chez les Sérères du
Sénégal".
Afrique
Documents n052, juillet-août 1960
p.137
2.
Ibid.
3.
Les
liens
unissant
des
individus
d'une
même
classe
d'âge
sont
puissants
et
cette
situation
s'explique
par le
fait
qu'ils
partagent
les
étapes les plus décisives de la vie
du Sérère
: la période
précédant
l'initiation
et
l'initiation
elle-même.
4. H. Gravrand : Rites d'initiation...
p.137
45
Le problème de tout homme est celui de tous. Celui du clan
d'abord qui se sent tout concerné mais celui aussi des autres qui
sont
souvent
directement
impliqués.
D'abord
parce
que
les
ramifications du clan sont nombreux(l) et ensuite parce que le
principe de base selon lequel "on n'est rien sans ses semblables"
veut que l'on pense précisément à ce qui peut vous arriver demain
pour comprendre ce qui arrive aujourd'hui aux autres et les aider.
La primauté de la société sur ses institutions intermédiair-
es, jugées à tort prépondérantes par ceux qui n'ont voulu voir en
Afrique que des tribus est donc certaine. Essentiellement basée sur
la parenté, mais une parenté très élargie, la société sérère est régie
par un système de relations où le lignage matrilinéaire joue un rôle
important. Il est en quelque sorte l'essence même de la parenté
mais son importance est souvent limitée par cette appartenance de
l'individu à la lignée paternelle : la famille agnatique, parce qu'elle
est le lieu de la naissance, garde en effet toute son importance.
D'autant que c'est elle qui assure, dans bien des cas, l'éducation dè
l'enfant(2) au moins jusqu'à un certain âge qui, en temps normal,
n'est jamais en deça de la majorité symbolisée par le ndut.
La prépondérance relative de la famille utérine est peut-
être liée au fait que c'est elle qui dispose des biens qu'elle gère
collectivement sous l'autorité du plus âgé. Celui-ci, l'oncle maternel
le plus souvent, peut aussi être le grand-père ou le cousin maternel.
Mais le droit sérère méconnaît la propriété privée au sens
du droit
romain. Gardien de la propriété familiale et arbitre (plus que juge)
suprême des différends familiaux,
le tokor, l'oncle maternel n'a
pas, loin s'en faut, cette puissance du pater familias, bien qu'il est le
"centre" de la vie familiale. Le fait que la personne humaine ne soit
pas, comme le note H. Gravrand, l'esclave de la société mais au
contraire sa plus grande valeur(3), le fait même que la vie a pour
centre et pour finalité la famille implique que celle-ci, bien que
base de l'autorité, ne peut pas avoir de penchants dictatoriaux.
Mieux,
l'autorité
des
parents
n'est
acceptable
que
si
elle
est
concertée.
1. Tout individu est en fait membre de fait du clan paternel qui implique
pour lui des obligations comparables à celles des membres par la lignée
maternelle du même clan. Les mêmes obligations incombent aux autres
parents qui appartiennent à d'autres clans de sorte que si un clan est
concerné c'est tout le village voire toute la localité qui l'est avec lui.
2. B.
Delpech
: "Dynamismes sociaux et conflits
d'autorité dans une
communauté
rurale
serer
du
bassin
arachidier
sénégalais".
Communication au 2e colloque africain de psychiatrie. Dakar, 1968. A.N.S
(Bi III 4° 1750)
3.
Ibid
46
De même, toute décision qui n'appartient pas à priori au
chef de famille doit être le fait de tous, c'est-à-dire de l'ensemble
des membres de la famille.
Il est vrai que les plus anciens ont toujours un certain
privilège de l'âge, qui rend leur oplOlOn difficilement contestable.
Mais cela n'est vrai que si elle est juste. Car entre anciens même, on
peut se dire bien des vérités. Le rôle collégial de direction qui leur
est dévolu est donc un facteur de limitation de l'autorité, qui exclut
tout risque de pouvoir personnel. Ceci est valable pour la société qui
n'est que la traduction, en plus grand, de la famille à laquelle elle
emprunte son mode de fonctionnement et de direction. A ce niveau
le plus élevé de l'organisation sociale, le chef n'a de pouvoir que
délégué, l'essentiel de ses décisions et leur exécution étant toujours
le fruit d'une large concertation dans laquelle il n'a pas forcément
plus que sa seule opinion.
Dans la République du Diéghem, ce "symbole"(l) n'existait
même pas ce qui ne manquait peut-être pas d'inconvénients: si les
forts n'étaient pas justes, les faibles pouvaient en faire les frais.
Mais le danger n'a pas semblé, ici encore, avoir été réel. Parce qu'il
était surtout à l'extérieur, il a au contraire fait prévaloir, plus que
partout ailleurs, les principes sacrés de la société sérère. Celle-ci
était divisée théoriquement en deux classes, exception faite des
familles régnantes là où elles existaient.
Il Y avait d'une part les hommes libres et d'autre part les
hommes de condition servile. Les hommes libres, essentiellement
les paysans, occupaient alors le second rang de la hiérarchie
sociale.
Hommes de la terre,
ils contrôlaient celle-ci et l'ensemble des
moyens de production(2).
Quant aux hommes de condition servile, c'est-à-dire les
"esclaves", ils se répartissaient en esclaves du roi,
esclaves de
naissance "qui étaient au service de quelques familles importantes
de paysans libres" et "simples" esclaves, c'est-à-dire des captifs, en
principe sans attache dans le pays et qui pouvaient faire l'objet de
transaction "(3).
1. H. Gravrand: "Rites d'initiation... " p.138
2. D. Sarr:
L'éducation
traditionnelle
chez
les
Sérères.
Paris,
Ecole
pratique des hautes études, 1971
p.iSO
3. Ibid, p.S3
47
Les deux premières catégories d'esclaves n'en étaient vraiment
pas puisqu'ils avaient, au même titre que les hommes libres, des
droits politiques et étaient, de ce fait, représentés et directement
impliqués dans la vie des institutions avec les mêmes droits et les
mêmes obligations qu'eux(1).
Quant à la dernière, elle était quasiment inexistante, les
Sérères tenant en horreur l'esclavage, du fait de l'idée précise qu'ils
se font de la vie et de la personne humaine.
Aussi
a-t-on
souvent appelé pad
(esclaves)
de
simples
étrangers au pays qui, parce qu'ils étaient sans terre, ont dû se
mettre au service temporaire d'une famille. Souvent d'ailleurs, ce
mot désignait des étrangers louant simplement leur force de travail
et
ne
recouvrait
nullement
la réalité qui
lui
est
généralement
connue.
Le
fait
que
le
même
mot désigne,
dans
le
cadre du
cousinage à plaisanterie ou des relations entre cousins consanguins
démontre parfaitement qu'il n'avait aucun contenu réel.
Cela n'en pose pas moins le problème autrement plus sérieux
de l'intégration qui n'est pas le fort des Sérères. Au contraire leur
société est hermétique,
ce qui est peut-être dû
à une certaine
méfiance née des épreuves de l'histoire.
En effet, plus les villages sérères ont été vIctImes dans le
passé des
nombreux
raids
étrangers
moins
ils
ont
tendance
à
s'ouvrir aux autres.
Ils OJlt plutôt enclins à ne voir en l'étranger que l'homme à
isoler qui ne doit pas être intégré notamment par le mariage. Aussi,
ceux dont les familles n'ont pas été des premiers habitants sont-ils
parfois considérés comme des handicapés sociaux, à qui il manque
toujours quelque
chose qui leur prive de cette
"noblesse"
tant
recherchée.
L'attachement à la terre produit donc cet effet pervers sur
les
relations
sociales et
interdit en
même
temps
l'aventure
et
l'esprit pionnier. La conséquence, c'est une certaine dictature de la
société - pourtant tolérante - qui impose ses normes, et freine les
initiatives, surtout quand elles sont timides et non conformes.
-l:-D:--Sa-rr:-L~ducation traditionnelle chez les Sérères. Paris. Ecole
pratique des hautes études, 1971
p.150
48
Le Sérère est donc très attaché à ses droits politiques - dont
il croit ne pouvoir jouir que chez lui - eux-mêmes intimement liés à
l'initiation. Et celle-ci renferme un secret qui ne doit jamais quitter
le
terroir(l)
ni
même
y
être
divulgué
aux
non-initiés.
C'est
également par elle que se prépare l'intégration des jeunes initiés
dans
la
vie
sociale
des
adultes(2)
et
leur
exercice
des
responsabilités.
L'importance de l'initiation est très grande, ce qui explique
tout
le
cérémonial
qui
l'entoure(3).
A
tort,
celui-ci
a
rebuté
beaucoup d'étrangers
au
pays,
surtout
les
missionnaires
qui
y
voyaient l'expression d'un culte "satanique". Un autre missionnaire,
sans
doute
plus
averti,
a
plutôt
cherché
à
comprendre
pour
découvrir, à la fin, qu'il n'en était rien. Son témoignage(4) est plus
édifiant que tous les discours sur ce rite sacré.
Hiérarchisée mais démocratique, la société serere reconnaît
à
l'homme
une
liberté
presque
totale
mais
qui
est fortement
sanctionnée par le poids des interdits qui ont tous un caractère
quasi religieux. Sa vision du monde soumet cependant l'individu à
un ensemble de groupes qui vont du carré à la famille lignagère en
passant par une fourmilière
d'autres
institutions
plus ou
moins
formelles.
Autant dire que c'est la personnalité des hommes et leur
situation matérielle et familiale qui déterminent en grande partie
leur rôle dans cette société bien que celle-ci a
une influence
toujours grande dans leurs résolutions et leurs choix. Mais suivant
le lieu et le
moment,
cette personnalité est largement limitée
d'autant
que
derrière
elle,
c'est-à-dire
derrière
toute
action
personnelle, se profile souvent celle d'une famille voire d'un clan
dont la pression morale, qui épargne cependant dans la majorité des
situations l'engagement religieux, peut décourager les initiatives les
plus hardies.
1. D. Sarr : L'éducation traditionnelle... p.195
2. Ibib, p.195
3. H. Gravrand : "Rites d'initiation... "p.135
4. Après s'être rendu en effet au ndut de Bicol dans le Sine, et après avoir
pénétré l'"âme" du pays au bout de quelques années de présence à Fatick,
le père Gravrand
s'élève contre l'ignorance qui consiste à vouloir tout
détruire
de
l'édifice
culturel
sérère,
jugé
incompatible
avec
le
christianisme.
Il
estime,
au
contraire,
qu'il
faut
christianiser
celle
culture pour être sûr de mieux implanter l'Eglise.
49
3.2.
La
religion
La religion traditionnelle sérère est caractérisée par trois
constantes sans lesquelles elle ne peut être pleinement saisie : Rôg,
les Pangols et le Tiuur(l).
Rôg est "l'être suprême, vivant et
personnel"(2) si proche de sa création, des hommes qu'il a, comme
eux,
un
nom
d'homme
Sen.Rôg
est
cependant
inaccessible
directement aux hommes.
Il
est si
puissant que ceux-ci
ne
sont
pas dignes
de
s'adresser à lui. Il leur faut donc des intermédiaires, les Pangols qui
ne sont rien d'autre que des ancêtres défunts.
"Génies tjtélaires d'une famille, appartenant à la lignée
paternelle ou maternelle"(3), les Pangols sont "fixés" par le culte
que
leur
rend
le
responsable
héréditaire
des
autels(4).
Ce
responsable, c'est le Tiuur, le prêtre assurant les libations et autres
cultes rendus à ces "modèles" désormais immortels.
La fonction du Tiuur est ainsi familiale, ce qui implique que
la religion est, là aussi, avant tout familiale. Chaque famille a en
effet ses Pangols puisque ayant ses ancêtres distincts, mais le culte
est pour l'essentiel un, dans tout le pays. Les ancêtres Pangols sont
toujours, partout, ceux qui ont le plus marqué leur époque.
Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, ils ne sont
pas simplement mythiques,
mais
sont
souvent
des
personnages
ayant
effectivement
existé,
avec
une
vie
bien
connue
de
la
postérité(5).
1. H. Gravrand :·Rites d'initiation...•
p.134
2. Ibid. p.140
3. A. Le Pichon
: "Naissance extraordinaire
et
modèle
mythique
du
Saltigué".
Demb ak tey - Cahiers
du
mythe, n06. 1980
p.30
4.
Ibid
S. L'exemple la plus caractéristique est sans doute Mafssa Waly Dione. Ce
fondateur du royaume du Sine fait l'objet d'un culte. sur sa tombe à
Mbissel.
Les
ancêtres
qui
s'approchent
du
mythe
sont
généralement
ceux dont aucune descendance ne se réclame du rait peut-être qu'ils ne
s'étaient
pas
particulièrement
distingués
par
leur
attachement
aux
valeurs les plus communes. Il en est ainsi par exemple. de Laga Ndong,
patron de la richesse mais qui emprunte. pour y parvenir, des méthodes
qui ne pouvaient - que rébuter un pays si profondément attaché à une
valeur - jugée suprême : l'homme, la vie.
50
L'absence d'une tradition écrite et la tendance de certains
auteurs
d'en
déduire
exagérément
une
limitation
forcée
de
la
mentalité collective ont pu faire croire le contraire.
Les vivants ont un certain nombre d'obligations à l'égard
des Pangols. Et ils doivent les remplir consciencieusement pour
plaire
à
Rôg,
prévenir le
malheur
ou
retourner
une
situation
difficile. Car les ancêtres ont aussi ce pouvoir de punir ceux qui ne
respectent pas les "prescriptions" religieuses(l). Mieux, ils ont un
pouvoir de protection contre les aléas de la vie qu'ils peuvent bien
se garder d'utiliser pour protéger leurs descendants indignes.
Aussi, ce "faisceau d'obligations" qui lie les vivants et les
morts(2) a pour but d'attirer la bienveillance des ancêtres qui sont
censés
veiller
sur
leur
descendance,
avec
cette
propansion
à
récompenser les bons et à punir les méchants.
Mais il Y a aussi des ancêtres méchants qui, sans aucune
raison
apparente,
s'acharnent
sur
les
vivants.
Cela
se
passe
notamment quand
il
y a
une
maladie
inexpliquée
ou
jugée
inguérissable
par
les
moyens
de
la
médecine.
L'ancêtre
peut
réclamer alors un repas, parfois de la viande mais aussi souvent
autre chose. Dans ce dernier cas, il s'agit généralement de maladies
moins graves ou d'ancêtres moins gourmands. Dans le premier, il
faut immoler un boeuf ou un agneau à l'emplacement même des
pangols pour apaiser cet appétit sélectif.
La
satisfaction
des
pangols
était perçue à travers la
guérison du malade. Celle-ci suivait d'ailleurs le geste réclamé par
les pangols. Dans le cas contraire, il fallait le reprendre en en
changeant la nature: le lait à la place de la viande et vice versa(3).
Si malgré tout le sujet n'était pas guéri on pouvait recourir à
d'autres moyens thérapeutiques mais après avoir épuisé toutes les
possibilités "offertes" par les pangols. Celles-ci sont assez étendues
puisque
les
pangols
maternels,
qui
sont
les
plus
prompts
à
intervenir, ne sont pas les seuls qui peuvent se rappeler au bon
souvenir de la postérité. Les pangols parternels le font aussi pour
les mêmes raisons.
ï:--ëëtïC"-j)üllition-jieüi-rëvêtir plusieurs formes,
allant
d'une
mauvaise
récolte à la perte de la vie, de "intéressé ou d'un être qui lui est cher.
2. H. Deschamps : Les religions de l'Afrique noire. Que sais-je .
1ère éd. PUF, 1954 p.14
3. EM 070
5 l
Si d'un côté comme de l'autre la "prière" ne produit pas de
résultat, on en déduit logiquement que les pangols n'y sont plus
pour rien, qu'ils ont lâché prise ou que le reste doit pouvoir se
traiter par la voie de la médecine traditionnelle. Or c'est celle-ci
précisément
qui
renvoie
à
la
thérapie
par
les
pangols.
L'intervention de la médecine peut alors s'opérer avec des chances
de guérison( 1).
La religion traditionnelle serere se caractérise donc par un
sentiment de dépendance presque
totale
du
croyant
vis-à-vis
de
Dieu
par
les
pangols(2), qui
n'en
illustre
pas
moins
ce
"désir
d'approcher la réalité invisible"(3).
Cette
présence continue des
ancêtres est d'ailleurs,
pour
reprendre H. Gravrand, le meilleur témoignage de la croyance des
Sérères à une survie après la mort. En effet, "le cérémonial des
funérailles et (ce) culte des mânes des ancêtres sont l'expression
d'une foi vécue"(4). Ce que notait déjà en 1940 G. Hardy. D'après lui
comme d'après
tous
ceux
qui
avaient entrepris de
les juger de
"l'intérieur", les religions africaines
"sont dans leur essence, bien
éloignées de la pure idolâtrie"(5).
La présence totale des
ancêtres
intercesseurs jusque dans
les détails les plus minimes de la vie, leur capacité d'influer sur les
plus importants, tels que le pouvoir et la santé démontre plutôt la
religiosité
des
Sérères
qui,
à
défaut
d'être
bien
pensée,
est
intensément
vécue.
Aussi, le "fétichisme" qui leur a longtemps collé à la peau
n'est que " le support et le truchement des forces surnaturelles qui
existent en dehors de lui et qui lui survivent (même) quand
il
vient à disparaître"(6).
Il existe donc,
selon G.
Hardy,
un
vrai
"dogme animiste"
, ce qui est fortement comfirmé par le "thème
central"
de
la
condition
humaine
qui
guide
toute
la
pensée
religieuse
sérère.
1. KM. 70
2.
D.
Diouf
:
"Le
sentiment
religieux
chez
les
Sérères".
L tA fr i que
Littéraire
et
Artistique W 48,
1978
p.75
3. Ibid,
p.75
4.
H.
Gravrand :"Rites d'initiation
p.141
5. G. Hardy
"Le problème religieux de l'empire français. Paris Puf,
1940
p.64
6. G. hardy
Le problème religieux dans l'empire français...
p.65
52
Le fait que tout part de l'homme pour revenir à la nature
humaine est la meilleure preuve que la religion sérère, loin d'être
pervertie par certaines pratiques que l'on rencontre ailleurs, est, au
contraire, fortement organisée autour de l'idée d'un Dieu bon, qui a
créé l'homme sans doute à son image.
Le sentiment qui se dégage de sa pratique telle qu'elle est
enseignée notamment par le ndut(l) est que le mal est proscrit, de
même que la sorcellerie qui en est l'une des manifestations les plus
courantes(2). Rog est donc d'une bonté sans borne avec les bons et
ceux qui respectent sa volonté mais il est aussi capable de colère
envers les autres(3).
Dans cette "volonté" de Rog, figure naturellement le respect
dû aux pangols qui semblent si bien proches de lui qu'il les laisse
régir comme ils l'entendent la vie des hommes. Le Dieu sérère si
"éloigné" est pourtant très présent dans cette vie des hommes. Tout
ce qui
arrive est de
son fait.
Les
phénomènes de
la nature en
particulier
sont
d'autant
plus
associés
à
lui
qu'ils
sont
extraordinaires. C'est ainsi Dieu qui pleut, "fait jour" ou beau temps.
Ce sentiment que Dieu peut tout et fait tout est sans doute,
en même temps, un frein
au renforcement du sentiment religieux
lui-même par le fatalisme qu'il installe. Rôg ayant créé les hommes,
c'est lui
qui fait qu'ils soient bons ou méchants.
A quoi sert-il alors de se casser la tête à chercher à lui être
agréable ? Mais ce sentiment est sans doute atténué par le fait que
Rog ne fait jamais, de lui-même, de mauvaises actions. Il a les
méchants
pour
cela.
Or
ceux-ci
peuvent
être
vaInCUS
par
sa
puissance.
1.
Le
ndut
ou
initiation
est
un
rite
de
passage
indispcnsable
à
tout
Sérère
pour
son
"acceptation"
par
et
dans
la
société.
Il
concerne
les
jeunes
âgés
d'environ
20
ans
-
parfois
un
peu
moins
ou
un
peu
plus,
toujours
moins
pour les jeunes femmes
mariées
- et
est
l'occasion pour
eux
d'apprendre
au
bout
de
quelques
mois
(de
quelques
semaines
pour
les femmes) les principales "vérités de la vie qui en font des hommes.
A
l'issue de celte étape
de
la
vie,
les
initiés
sont considérés
commes des
"citoyens"
à part entière, c'est-à-dire des
adultes.
2
H.
Gravrand : "Rites d'initiation ... p.134
sq
3.G.J.
Duchemin
: "L'organisation
religieuse
et
son
rôle
politique dans
le
royaume
Sérère
du
Sine".
In
Confcrencia
Internacional
dos
Africanitas occidentais. Bissau 1952, Lisboa
1974
p.37ü.
53
II -
L'ORGANISATION
POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE
L'organisation politique des royaumes
sérères n'a rien
de
particulier sur le plan formel. Il yale roi, clé de voûte du système
et une administration qui fait intervenir beaucoup d'intermédiaires
qui participent, de ce fait, à l'exercice du pouvoir royal. Mais il y a
de faibles
originalités qui
tiennent
à
celles
du
pays
sérère lui-
même.
1.
Le
pou voir
roya 1
1.1.
Le
Roi
Le pouvoir royal est influencé par le système matriarcal
dans sa dévolution. Ce système est à la base de toute l'organisation
politique et sociale puisque "c'est la parenté utérine qui détermine
la filiation"(l).
Il est vrai
qu'une telle
affirmation
mérite
d'être
nuancée, la relation de parenté elle-même, de par sa nature et son
extensibilité étant forcément de type bilinéaire.
Mais
c'est
surtout dans
la
succession
aux
biens
que
la
prépondérance du système matrilinéaire se fait sentir. Et le pouvoir
royal étant "le bien" de la famille royale, il fallait s'attendre à ce que
son mode de transmission obéisse aux règles en vigueur. Le roi est
donc
"choisi
parmi
les
plus
anciens
guelwars
suivant la
lignée
maternelle"(2),
du
moins
au
Sine et
au
Saloum,
et
suivant les
réalités politiques du moment.
En période de troubles et de tensoins politiques, en effet, il
n'était pas rare de voir des prétendants au trône fouler au pied ces
principes de
base du
pouvoir et
les
guerres
de
succession,
qui
semblent
avoir
été
sinon
nombreuses
du
moins
particulièrement
dommageables surtout vers la fin du XIXe siècle(3) ainsi que
1. L. Aujas :"Les sérères du Sénégal .... " p.306
2. H.
Gravrand : "Les Sérères" ... p.?
3. Mb. Guèye : Les transformations de la société Wolof et serer de l'ère
de la conquête à la mise en place de l'administration coloniale - 1854-
1920. Thèse de doctorat d'Etat ès- lettres Université Ch. A. Diop de Dakar
pp.464-468
; G. A. Diouf : les royaumes du
Sine et du Saloum des
origines
au
XIXe
siècle.
Mise en
place du
peuplement
- évolution
du
système
économique
et
socio-politique.
Thèse
de
3e
cycle
d'histoire,
Université de Dakar, 1984
p.261
54
l'usurpation, en
1878, du trône du Sine(1) démontrent la difficulté
d'une
uniformisation
des situations.
Mais
bien que non
respectée
intégralement,
cette
règle
de
dévolution
du
pouvoir
était
bien
établie.
Même au Baol où après la dynastie socé -qui semble avoir
observé le même mode de succession au trône qu'au Sine-Saloum-
ce sont
les
Wolofs
qui
se
sont emparés
du
pouvoir,
elle
était
généralement
respectée.
Désigné suivant le droit en vigueur ou imposé, le roi du
pays sérère exerce un pouvoir d'essence laïque. Il n'incarne pas Rog
Sen et doit même être accepté par les représentants des différentes
classes
sociales(2), bien que l'importance de ces
représentants et
leur indépendance pouvaient bien être atténuées par le fait qu'ils
sont désignés par le roi.
Mais
"le choix
aux
fonctions
n'étant
pas
nécessairement
simultané,
la
destitution
unilatérale
étant
exclue,
et
le
renouvellement
ne
se
faisant
que
si
le
décès
de
l'un
d'eux
se
prod uit,
il
en
rés ulte
que
les
grands
dignitaires
du
pays
se
trouvaient tous en état de sujétion mutuelle les uns par rapport aux
autres"(3).
Il
y
a
ainsi
une
limitation
de
l'autorité
royale,
un
contrôle qui lui assure une certaine réalité démocratique.
Le processus de désignation du roi fait intervenir les chefs
de provinces et de castes qui représentent l'ensemble des classes
sociales du royaume (4). Après cette désignation, le roi est intronisé
par "le collège des prêtres ou Saltigués"(5) au cours d'une cérémonie
solennelle à laquelle le souverain doit se soumettre pour obtenir la
protection
nécessaire
des
esprits
et
de
tous
les
"voyants"
du
royaume.
1. Sanou
Faye
(ou San Mon) qui n'avait aucun droit au trône à la mort
de Coumba Ndoffène lui succéda pourtant après avoir évincé par la force
des armes, Sémou
Diouf désigné
par les électeurs du
roi
du
Sine.
Son
règne
despotique
ne
pouvait s'accommoder du
respect des
institutions
2. P. Diagne : "Royaume sérères... "
p.IS6
3. Ibid,
p.IS6
4.
A. Sabatier : Le Sénégal... p.314
5. P. Diagne : "Royaumes sérères ... "
p.IS?
55
Le roi dispose des esclaves de la couronne ainsi que des
terres
qui
lui
appartiennent.
C'est-à-dire
qui
appartiennent
à
la
famille royale. La décision de la guerre relève de sa compétence et
il peut "entraîner tout le pays en état de belligérance"(l). Il rend la
justice sur la noblesse mais peut aussi en même temps se saisir et
trancher tout différend qui éclate dans le royaume. Il contrôle tout,
dispose de
l'administration
et
son
autorité,
une
fois
installé
au
trône, est généralement assez étendue. Mais la personnalité des rois
et la situation politique jouent un rôle
déterminant dans l'exercice
du pouvoir et ses limites. S'il jouit ainsi d'un "pouvoir absolu sur ses
sujets ", si " tout ordre juste ou injuste émané de lui est exécuté sur-
Ie-champ"
et
si
"personne
n'oserait
le
contrôler"(2)
comme
le
pensent certains
auteurs,
sans doute enfermés
dans des exemples
précis,
le
souverain
sérère
a,
en
fait,
très
rarement
un
pouvoir
absolu.
Le fait que les Sérères n'ont jamais voulu, avant l'arrivée
des Guélwars, se confier à une autorité vraiment supérieure permet,
au moins en partie, de comprendre pourquoi.
L'autoritarisme royal n'est pas sérère, comme le fait SI bien
remarquer H. Gravrand
"C'est ainsi que le chef gouverne. Avant de prendre sa
décision, il attend que ceux qui "voient" ou qui "savent"lui indiquent
ce qu'il doit faire. Les rois nègres dictateurs ont été très rares chez
les Sérères. Ceux qui ont prétendu gouverner seul et par la force ...
ont été finalement rejetés et exécrés. Le pouvoir est au service de la
personne dans la société ... mais la personne n'est pas faite pour le
pouvoir"(3).
En fait, les resistances au pouvoir royal ne manquaient pas
et dans un système réunissant certains éléments de la féodalité, les
chefs de provinces comme le roi étaient tenus de compter avec ou
même
de
s'incliner
devant
elles
aussi,
l'autorité
royale
était,
suivant les époques, ses détenteurs et les endroits absolue, modérée
ou même très faible.
1. P. Diagne : "Royaumes
sérères ... " p.IS7
2. J. Carlus: "Les Sérères de la Sénégambie". Revue de géographie
T. 7
2e semestre 1880
pAl a
3.H.
Gravrand
: "Rites d'initiation ... " p.138
56
1.2. Le
grand
diaraf
Le diaraf-Baol ou diaraf a
mag
ailleurs
est le
second
personnage du royaume après
le roi.
Il est
le représentant des
hommes
libres
dont
il
est
en
principe
l'élu(l).
Il
est
ainsi
indépendant de la couronne(2).
Une situation qui n'a pas toujours arrangé les choses, dans
ses rapports avec le roi. Aussi, des luttes entre drands diarafs et
rois ont-elles émaillé l'histoire du pays sérère(3). Personnage dont
l'importance était attestée par la crainte qu'il inspirait au roi, le
grand diaraf semble avoir été
un conseiller en
temps
de bonne
coexistence
avec
celui-ci
ou
un
adversaire
lorsque
les
choses
allaient
autrement.
Sa position importante implique que le rOI avait tout intérêt
à une bonne entente avec lui.
Représentant
du
souveralll
auprès
des
hommes
de
sa
classe, c'est-à-dire la bougeoisie terrienne et pastorale qui est par
ailleurs
la
plus
importante
numériquement
et/ou
socialement,
il
était aussi le relais entre celle-ci et la cour.
En communication directe avec la province du royaume, le
grand diaraf seul pouvait réunir
les différents
représentants
des
classes sociales pour l'élection du roi(4).
1.
Il
devait
cependant
être
accepté
par
le
roi.
Cette
procédure
de
désignation a fait dire à certains auteurs que le grand diaraf était choisi
par le roi - Ce qui a. du
reste.
pu se produire quelques fois, au
Baol
notamment.
2.
Là
également,
point
n'est
besoin
de
généraliser.
Tout dépendait
de
la personnalité des intéressés et du rapport des forces politiques.
3. P. Diagne:
"Royaumes
sérères .....
p.159
4. Cette
prérogative
se
comprend
aisément
quand
on
remonte
aux
sources du
pouvoir royal. Les "hommes de terre"
trouvés sur place par
les
Guélwars
ont
consenti
à
être
dirigés
par
eux.
Pour
recueillir
ce
consentement, il fallait bien qu'un natif du pays, le plus convaincu ou le
plus
en
vue
des
chefs
de
terre
rassemble
les
paysans
dont
les
descendants
sont précisément
le
grand
diaraf et
la
classe
sociale
qu'il
re p rés en te.
57
Il en présidait la ceremonie et se chargeait par la suite du
couronnement du roi élu( 1). Le roi devait donc avoir besoin des avis
et de la collaboration d'un personnage aussi important. Pourtant, il
serait exagéré de penser que le grand diaraf était politiquement
puissant.
Dans
un
système
qui
n'ignore
pas
la
représentation
directe, en effet, une telle fonction, si elle était convoitée du fait du
prestige qui lui était attaché, ne pouvait pas avoir une importance
absolue.
L'intervention
d'institutions
intermédiaires
à
compétences
exclusives
comme
les
saltigués
affaiblissait
nécessairement
la
position des diarafs, réduisant d'autant leur domaine d'intervention
et leur pouvoir. Le grand diaraf rappelle donc les lamanes à ceci
prés qu'il est unique dans le royaume. Sa fonction de représentation
des paysans et de conseiller du roi est, de plus, limitée par la
possibilité donnée à tout les habitants non nobles et libres de saisir
le roi directement, de tout problème important les concernant ou
concernant le royaume(2).
Quand
on
sait
qu'il
n'avait
à
traiter
aucun
problème
intéressant
les
autres
composantes
de
la
société,
on
voit
que
l'institution semble avoir été plus importante que la personne qui
l'incarne.
Mais
cette
quasi
absence
d'attributions
politiques
est
atténuée
par
l'existence
de
compétences
administratives
assez
étendues. Défenseur des
hommes
libres, le grand diaraf veille à
l'intégrité de la propriété familiale de ceux-ci.
Il est donc juge de toute réclamation pouvant s'élever sur
les
terres
en
matière
de
succession
surtout,
mais
aussi
de
délimitation des propriétés. Son pouvoir juduciaire s'étend sur tous
les
autres
litiges
pouvant s'élever entre les
hommes
libres
du
royaume.
Après
avoir rendu la justice, il veille à l'exécution des
décisions judiciaires. Il reste cependant juge du premier degré, le
roi pouvant connaître, en second et dernier ressort, de
tous
les
jugements
rendus
dans
le
royaume.
Le
grand
diaraf
n'était
d'ailleurs
pas
un
juge
absolu.
La
société
sérère
ne
l'aurait
certainement
pas
admis,
elle
qui
favorise
la
collégialité
et
la
concertation dans toute prise de décision.
1. J. Carlus : "Les Sérères ... "
pA13
2. P. Diagne : "Royaumes Sérères ... " p.16ü
58
Tous
ceux
qui
étaient
investis
de
l'autorité
associaient
forcément dans son exercice le peuple ou la
classe au nom de
laquelle ils l'exerçaient. Comme le roi qui était obligé de consulter
les assemblées du royaume, les autres détenteurs de pouvoir ne
pouvaient agir seuls.
Les
jugements
rendus
par
le
grand
diaraf
étaient
ainsi
souvent le fruit d'une
consultation d'au
moins
certains chefs de
familles
ou
de
groupes
familiaux
influents
de
l'endroit
où
s'élevaient les litiges.
Assisté dans
son
administration
de
la
justice,
le
grand
diaraf l'était aussi dans ses attributions de maintien de l'ordre.
Sans police organisée, il devait souvent avoir recours à la
disponibilité des jeunes pour maintenir l'ordre public, et de façon
générale,
à
la
population
pour
prévenir
ou
réprimer
des
actes
délictueux ou criminels qui étaient souvent le fait de gens étrangers
à la localité où ils se produisaient. C'est alors toute la société qui se
mettait debout pour
assurer sa propre
sécurité
ou
celle
de
ses
biens(l).
A toutes ces limitations, s'ajoutait le fait que la seule force
vraiment armée du pays échapait à son contrôle. Les tiédos, noyau
de l'armée royale(2), dépendaient en effet directement de la cour.
1.
La survivance de ce
réflexe d'auto-protection
populaire
est d'ailleurs
toujours très actuelle dans \\es zones non encore urbanisées.
2. Tous
les Sérères
valides étaient en effet soldats en temps de guerre
mais
n'étaient
pas
organisés
en
armée.
Aussi
les
opérations
militaires
terminées,
retournaient-ils
à
leurs
occupations
de
paysans.
Seuls,
assuraient
une
certaine
permanence
de
l'organisation
militaire
les
tiédos qui, attachés au service direct du roi, en étaient à la fois la garde
prétorienne
et
les
guerriers
attitrés.
59
1.3.
L'Administration
A côté du roi et du Grand Diaraf qui sont aussi les premiers
administrateurs dans un pays où règne une grande confusion dans
le système administratif, il y a l'Administration proprement dite.
Celle-ci
est
d'abord
composée
d'une
administration
centrale
directement rattachée au roi et ensuite d'une administration qu'on
ose à peine qualifier de "locale" et qui sert de relais entre les
paysans et la cour royale,
souvent par l'intermédiaire du
grand
diaraf.
L'administration
centrale
est placée
sous
le
contrôle
du
grand
farba,
le
chef
des
esclaves
de
la
couronne.
Ceux-ci
constituent l'armée royale, à la tête de laquelle est placée le farba,
un esclave comme eux choisi par le roi.
Le grand farba semble avoir été un homme puissant. Sorte
de général d'armée dans un pays en perpétuel danger, il était aussi
un
administrateur dont l'importance est attestée par le fait qu'il
n'avait de compte à rendre qu'au roi. En matière de justice, il avait
des
compétences étendues
sur les
membres
de
sa
propre classe
sociale. Le grand farba fut en fait le premier collaborateur du roi.
Cela semble venir du fait que ses origines excluaient, au moins
théoriquement, toute possibilité pour lui et pour les siens d'exercer
des fonctions
politiques.
11 est avant tout
un
administrateur qui
exécute les ordres qu'il reçoit du souverain.
1.
Les
fonctions
ainsi dévolues
au
farba ne
doivent pas
faire
illusion
notamment
sur
l'importance
numérique
des
esclaves
de
la
couronne.
Cette
classe
sociale
était
relativement
très
réduite
bien
que
se
soit
seulement par elle qu'on assiste
à une institutionalisation de l'esclavage.
Mais celui-ci, dans ces conditions,
n'était que fonctionnel
et n'avait pas
pour conséquence de diviser hermétiquement la société.
La preuve, c'est
que
les
fonctions
régaliennes
étaient
assurées
par
les
esclaves
qui
n'avaient
décidément
rien
à
envier
aux
hommes
libres.
Au
contraire... Une
autre preuve de l'atténuation des
différences tient au fait
que
la
raison
principale
d'être
de
ces
esclaves,
l'armée
et
la
guerre
étaient, en fait, l'affaire de tous les habitants du royaume et la classe des
hommes libres, des paysans, était d'ailleurs toujours la plus engagée dans
la défense de celui-ci. La preuve en a été donnée dans l'une des guerres
les plus meurtrières que le Sine a eu à mener dans toute son histoire,
celle qui l'opposa en
1867 à l'armée du
Maba.
Cf.
LD. Thiam : Maba
Diakhou 8â, Almamy du Rip. Dakar, NEA - Collection "Les Grandes Figures
Africaines,
1977
page
non
indiquée.
Etre
esclave
de
la
couronne
était
donc
plus
un
privilège
qu'une
charge.
60
Le grand farba a des auxiliaires qui sont tous issus de la classe
des esclaves de la couronne(l) et qui ont en charge des problèmes
précis concernant l'administration du royaume.
Il y a en particulier le farba de "l'Intérieur" une sorte de
ministre
de
l'Intérieur
chargé
de
la
sécurité
intérieure
du
royaume,
il
dépend
directement
du
grand
farba
mais
sans
être
nommé par lui ; c'est en effet le roi qui désigne toujours les autres
membres de la classe servile qui
assistent
le Grand Farba dans
l'administration
centrale(2).
A
côté
du
ministre
de
l'Intérieur
on
trouve
le
diaraf-
intendant,
qui
s'occupe
"de
la maison
du
rOI
et des
conditions
matérielles de vie"(3) du roi et de la cour.
A l'échelon local, l'administration a à sa tête des chefs de
province dépendant directement du roi( 4) et "nommés ou agréés"
par lui(5). Nobles, c'est-à-dire apparentés au roi, ces hommes libres
portent des noms différents: boumi, bour, thialaw (6). Des noms
qui
désignaient
des
chefs
de
provinces
bien
précises,
en
même
temps qu'ils établissaient leur hiérarchie dans le royaume.
Le thialaw était ainsi le premier des administrateurs locaux
au
Baol et chef de la province de
Guéoul(7) tandis
que
boumi
désignait au Sine le prince héritier, quelle que soit la province qUI
lui
était
assignée(S).
Bour
désigne
également
ce
chef
de
l'administration locale dans certaines autres provinces.
En fait il y avait presque autant de provinces que de noms de
chefs,
mais
les
plus
importants,
ci-dessus
mentionnés,
résument
assez bien l'essentiel de
leurs attributions.
D'autres fonctionnaires
venaient dans la hiérarchie, après ces chefs locaux.
1. P. Diagne : "Royaumes Sérères ... " p.159
2. F. Brigaud : Histoire traditionnelle du Sénégal. Op. cil.
p.156
3. A.N.S.
IG 296
4. P. Diagne
"Royaumes sérères... " p.163
5. A. Sabatié : Le Sénégal...
p.314
6.
Ibid
7. P. Diagne
:"Royaumes
sérères ... "
p.163
6 1
C'est le cas des diarafs de provinces( 1) désignés parmi les
hommes libres chez les propriétaires, les maîtres de terres. Choisis
par
leur
classe
ils
devaient
normalement
avoir
joué
un
rôle
important. Ils avaient les mêmes prérogatives dans leur région que
le grand diaraf dans ['ensemble du royaume.
Mais leur compétence majeure fut de s'occuper de la gestion
des terres et notamment de règler les différends qui surgissaient à
propos de celles-ci(2). Leur compétence judiciaire fut limitée aux
litiges mineurs. Pour les questions plus importantes, l'intervention
du Grand Diaraf était nécessaire et les diarafs, sous peine de voir
leurs décisions annulées, étaient tenus de se reférer à lui.
Les diarafs s'occupaient également de la gestion des champs
du roi, destinés à pourvoir aux réserves alimentaires de la cour. Ils
en assuraient l'entretien, en veillant à ce que toute la population
placée
sous
leur
autorité
y
participe.
Ils
veillaient,
enfin,
à
répercuter
les
commandements
royaux
au
niveau
des
familles
auxquelles ils répartissaient les charges imposées par le roi à ses
sujets(3).
Ainsi, le rôle de collecte des prestations destinées au roi
a semblé longtemps avoir été la raison d'être de l'institution des
diarafs(4).
Une multitude d'autres dignitaires exerçaient à côté de ces
chefs administratifs des fonctions plus ou moins importantes. C'est
le cas notamment de la linguère qui était la mère du roi ou, en cas
de disparition de celle-ci, la plus âgée de ses tantes maternelles.
C'est elle et non la femme du roi qui portait le titre de reine et en
jouait le rôle.
C'est aussi celui des sah
sakh, des petits
bours.
Chefs de
certaines provinces du Baol (surtout celle de Sandock), ils sont dotés
d'attributions
administratives,
financières
et
judiciaires
plus
ou
moins
étendues.
Ces
compétences
étaient
cependant
plus
importantes
que
celles
des
diarafs.
Ces
petits
bours
étaient
Guelwars ou (le plus souvent) hommes libres. C'est enfin le cas des
dialigués.
1. A.N.S.
IG 296
2. P. Diagne,
"Royaumes
sérères ... " p.164
3. Ibid,
p.164
4.
Cet
aspect
de
la
fonction
devait
même
survivre
à la
royauté.
A
l'époque
coloniale,
ces
diarafs
s'occupaient
ainsi
de
l'information
de
leurs
administrés
sur
les
corvées
et
les
différentes
interventions
des
populations pour travaux ou "dons" en faveur des chefs de canton dont
certains ont trop abusé de leur autorité pour les exploiter physiquement
et
matériellemenl.
62
Captifs de la couronne, ils étaient à la tête des villages habités
par des étrangers( 1). Leur importance ne semble pas avoir été très
grande, dans la vie administrative du pays.
2.
La
conquête
et
l'installation
coloniales
Le pays sérère à très tôt été en contact avec les Européens.
Dès
1591, R.
Rainolds,
en
voyage en Sénégambie,
mentionne la
présence plus que centenaire des Espagnols et des Portugais à Sally
("Porto d'Ally")
et
"Joala"
qui
"sont les principaux centres de
commerce"(2).
Sally
Portudal
et
Joal
dépendaient
respectivement
des royaumes du Baol et du Sine.
En 1697, un traité fut signé entre le roi du Sine et la France,
"consacrant
la
prépondérance
française
sur
la
côte"(3).
Mais
la
rivalité
des
puissances
coloniales
devait
réduire
la
portée de ce
traité
qui
n'eut
pas
d'application
satisfaisante.
C'est
en
fait
l'Angleterre qui continuait à avoir le monopole du commerce sur la
côte jusqu'au début du XIXe siècle, date à laquelle de nouveaux
traités rendaient le Sénégal à la France(4).
L'installation française au Sénégal put ainsi être définitive
en 1817. "Il ne sera plus, dès lors, question d'établissement" ou de
"comptoirs" du Sénégal mais de la colonie du Sénégal"(5). Celle-ci fut
matérialisée
en
1840
par
l'organisation
du
"gouvernement
du
Sénégal" qui allait entreprendre, quelque quinze années plus
tard,
la conquête de tout le pays.
Cette conquête dura quelques décennies et se terminait par
une nouvelle organisation administrative qui supprima les royautés
pour les remplacer par des cercles administratifs.
1. F. Brigaud : Histoire traditionnelle du Sénégal. Op. cil.
p.159
2. J. Boulègue &
R.
Marquet,
"Le voyage de
Richard Rainolds en
Sénégambie (1591). Bulletin de J'IFAN, série B n°l, 1971
p.12
3. Ch. Becker &
V.
Martin,
"chronique
du
royaume
de
Sine ... "p.766
4.
H. Deschamps, Le Sénégal et la Gambie... Op. cil.
p.54
5. A. Sabatié, Le Sénégal... Op. cil.
p44
63
2.1.
La
conquête
La
conquête
du
Sénégal,
après
plusieurs
siècles
d'occupation plus ou moins stable de St-Louis et Gorée avait été
méthodiquement
organIsee
par
la
France.
Les
causes
en
sont
connues
: besoin de
sécurité commerciale et
"souci de prestige
militaire du Second Empire"(l) naissant. On pourrait certainement
ajouter : l'ambition de Faidherbe qui, comme beaucoup de militaires
coloniaux, avait intérêt à ce que la France lui doive quelque chose :
des territoires étendus et des marchés commerciaux qui, pour peu
qu'on
y
investît
en
les
organisant,
pouvaient
être
d'un
apport
important pour l'économie française.
La place importante que les besoins de solutions de la crise
textile en Europe ont prise dans l'installation coloniale elle-même
favorisée par une politique de culture du coton au Sénégal est à cet
égard édifiante(2). Cette conquête, c'est au Nord,
dans
le Walo,
qu'elle prend forme en février 1855. L'expédition de Faidherbe mit
fin alors, non sans facilité, à l'existence de ce royaume.
En décembre, tout ce pays était déclaré français. Divisé en
cercles, il fut aussitôt placé sous l'autorité de chefs désignés par le
gouvernement de la colonie(3). Ce fut ensuite au tour d'El Hadj
Omar d'être chassé de
ses
possessions
occidentales
avant
d'être
éliminé à Bandiangara, dans ce qui allait bientôt devenir le Soudan
français, en 1863. Mais le Fouta ne fut pas tout de suite soumis. Le
Toro et
le
Damga
se
révoltèrent
en
effet
dès
1860 contre
la
présence française que le retrait de EL Hadji Omar avait favorisée.
Il fallut attendre 1881 pour que les derniers irréductibles
du Bosséa et du NGuénar se rendent, scellant ainsi le destin colonial
du
Fouta et
de
tout
le
nord
du
pays
au-delà
de
Saint-Louis,
désormais rattachés à la colonie. Maintenu dans ses fonctions, mais
évidemment dépouillé de tous ses pouvoirs, l'almani Baba Ly n'eut
pas de successeur à sa mort survenue en 1890(4).
1. H. Deschamps, Le Sénégal et la Gambie... Op. cil.
p.61
2.
R.
Pasquier
: En
marge
de la guerre de
sécession.
Les essais
de
culture du coton au Sénégal. Institut des Hautes Etudes de Dakar. Travaux
du Département d'Histoire. N°l. Impr. Guillemot et Lamothe, Paris, s.d. 22
pages
3. F.
Brigaud
: Histoire moderne
et contemporaine du
Sénégal.
Etudes
sénégalaises. fasc.ll, Saint-Louis, CRDS 1966, p.46
4. F. Brigaud : Histoire moderne et contemp
Op.cil. p.49
64
Avant même la disparition de El Hadj Omar, l'une des
préoccupations
majeures
des
Français
fut cependant de
régler le
problème du Cayor. Un traité dit de Bambey (du nom d'un village
du Baol) avait été signé par le roi du Cayor et la France en 1859,
autorisant
l'administration
coloniale
à
établir
une
ligne
télégraphique le long de la côte relevant du Cayor pour relier ST-
Louis à Dakar.
Or, le roi (Birahim) meurt peut de temps après, laissant à
son
frère
Macodou
le
trône
du
royaume.
Celui-ci
refusa
la
succession automatique à un traité qu'il n'avait pas signé.
Il n'en fallait pas plus pour que la France montât une série
d'expéditions punitives contre ce roi et ses sujets. Battu à Ndande,
une
province
du
royaume,
Macodou
est
bien
vite
remplacé,
à
l'instigation des Français, par Madiodio, contrairement à toutes les
règles de dévolution du trône. De plus, le Cayor fut démembré de
façon à donner au Diander, la province occidentale du royaume, une
indépendance
nominale.
En fait, c'est le protectorat français qui s'y établit(l) pour
faciliter
aux
administrateurs
coloniaux
le
contrôle
des
voies
de
communication.
Mais l'homme de la France, Madiodio, s'avéra très vite aUSSI
piètre
guerrier
que
mauvais
politique
: incapable
d'assurer
son
autorité(2), il fut contraint de faire face à Lat Dior, un prétendant au
trône, nouvellement arrivé sur la scène politique. Celui-ci
le bat en
1862 à Coki et se fait proclamer damel du Cayor(3).
Militairement défait, Madiodio resta quand-même au trône.
Le Cayor avait alors deux rois. Les Français ne tardèrent pas à se
rendre compte
que
leur
protégé
ne
faisait
pas
le
poids.
Ils
le
déposèrent en 1865, pour diviser ensuite le royaume en 7 cantons
directement rattachés à St-Louis.
1. F. Brigaud
Histoire moderne et contemp....... Op.cil. p.49
2. Ibid.
p.49
3. F. Brigaud : Histoire moderne et contemporaine du Sén... Op. cil. p.49
65
En 1869, Pinet-Laprade rendait le Cayor à Lat Dior, ce qui
ne
rétablit
pas,
pour
autant,
l'entente
entre
celui-ci
et
les
colonisateurs( 1).
Après
une
décennie
de
coopération
voire
de
collaboration,
Lat
Dior
et
l'administration
coloniale
étaient
à
nouveau en conflit(2), à propos de la construction du chemin de fer
Dakar-St-Louis,
dont
le
damel
ne
voulait
plus
entendre
parler.
Renouant avec
ses habitudes,
l'Administration déposa celui-ci,
lui
substituant Amary NGoné Fall et ce fut alors la confusion totale qui
favorisa l'avènement de Samba Laobé Fall.
Dépossédé
du
pouvoir,
Lat
Dior
continua
sa
résistance
jusqu'à sa défaite et sa mort, survenues en 1886. Le Cayor fut alors,
pour la seconde fois et définitivement, annexé à la colonie. Cette
"soumission" du Cayor semble marquer la fin des actions militaires
d'envergure.
Depuis
1884,
Mamadou
Lamine
s'opposait
dans
le
Haut
Sénégal à la présence française mais sa défaite allait le contraindre
à se replier en Gambie
où
il devait,
quelques
années
plus tard
(1887),
être
battu
et éliminé par Moussa
Mollo,
alors
allié des
Français .
Dès
lors,
il
ne
restait
plus
qu'à
mener
des
"actions
militaires de détail" non pas pour conquérir un pays pour l'essentiel
désormais conquis, mais
pour
"calmer des
mouvements politiques
de courte durée"(4).
Ces mouvements touchèrent en premier lieu le Diolof qui
devait
assez
vite
être
débarrassé
des
"usurpateurs"(5)
pour
être
placé sous protection française. L'entente de ce royaume avec ST-
Louis était alors si cordiale que la France intervint en 1886 pour
l'appuyer contre l'armée du damel.
1. F. Brigaud : Histoire moderne et contemporaine du Sén... Op. cil. p.49
2.
Ibid
3.
Ibid
4. A. Villard : Histoire du Sénégal. Dakar, ViaJe, 1943 p.171
S. Il y eut en effet entre 1857 et 1885 le règne des usurpateurs au Diolof.
Le premier usurpateur,
le roi Tanor fut
suivi par un
marabout,
Amadou
Cheikhou.
66
Mais le Diolof, de par sa position géographique, était malgré
lui le carrefour des oppossants à l'ordre français.
Cette faute par
omission était suffisante pour que les Français contraignent à l'exil
le roi Alboury Ndiaye en
1890(1). Son remplacement par Samba
Laobé Penda dura à peine plus de six ans.
Suspecté d'avoir des
relations
avec
Ahmadou
Bamba,
un
chef religieux alors en très mauvais rapports avec l'administration
coloniale,
Alboury
fut
en
effet
déporté
au
Gabon
et
son
pays
rattaché au Ndiambour pour former avec cette région le cercle de
Louga(2).
Il ne restait donc
plus
que le Sud
où
se
manifestaient
encore des
"mouvements politiques",
Pourtant la percée française
fut rapide et efficace dans cette région. Jusqu'en 1860 la France n'y
possédait que Karabane une île perdue en pays floup, acquise en
1836, un poste à Diémbéring sur la côte et un autre à Sédhiou
installé l'année suivante.
Et en cinq ans, de 1860 à 1865, "toute la Basse Casamance
jusqu'à Ziguinchor" est mise sous sa protection (3). Lorsqu'en 1893
le Fogny rejoignit ces possessions françaises après la fondation du
poste
de
Bignona,
l'ensemble
de
la
Basse
Casamance
finit
de
basculer dans l'influence française, Zinguinchor ayant été cédé par
le Portugal en 1886 et annexéé aux possessions françaises en 1888.
Cette
percée
sans
heurts
majeurs
de
de
la
présence
française semble être dûe au très grand morcellement politique de
la
Basse Casamance.
En
Moyenne
et
Haute
Casamance
où
des
tentatives
plus
ou
moins
réussies
de
regroupements
politiques
eurent lieu, l'armée française eut plus de difficultés à s'imposer.
Dans cette région, s'était établi depuis 1887 Fodé Kaba qui,
sous
l'étendard
de
l'islam,
voulut
agrandir
son
territoire
par
la
conquête notamment des pays diolas. La France devait d'ailleurs, en
1891
reconnaître sa souveraineté sur le Fogny. Cette si tuation ne
dura pas puisque la résistance diola mit en échec la mainmise du
Kian sur cette partie de la Casamance.
1. F. Brigaud:
Histoire moderne
Op. cil.
p.53
2.
Ibid.
3.
Ibid,
p.52
67
Affaibli davantage par ses propres problèmes intérieurs,
Fodé Kaba dut stopper son aventure avant de voir son pays placé
sous protectorat français en
1901
pour être rattaché ensuite à la
colonie. Il ne restait plus qu'à mâter la révolte peule pour achever
la pacification du Sénégal. D'abord
dirigée contre la domination
mandingue, elle est menée par Alpha Molo Baldé qui se rend maître
du Firdou dès 1871 avant de prendre le Fouladou en 1881.
A sa mon, son fils Moussa, soucieux de se protéger contre
les appétits mandingues qui continuaient à se manifester sous les
mots d'ordre du jihad prôné par Fodé Kaba, s'était déjà, en 1883,
rapproché
de
la
France.
L'entente
dura
d'ailleurs
relativement
longtemps
et
l'assistance mutuelle
qui
en découlait
sécurisa
les
Peuls
qui
purent alors
prêter main forte, jusqu'en
Gambie,
aux
Français, dans leur poursuite des résistants réfugiés dans ce pays.
En 1903 pounant, Moussa Molo fut contraint de fuir en Gambie(1),
par suite de la détérioration de ses rapports avec l'administration
coloniale. Commençait alors pour lui un long et tumultueurx exil en
territoire anglais(2) qui marquait, en même temps, la "soumission"
complète de tout le Sénégal à l'autorité de la France.
2.2.
La
soumission
du
pays
sérère
Malgré
des
relations
et
des
traités
anciens
entre
les
Français et les royaumes sérères, ce n'est qu'à partir de 1859 que la
colonisation s'est ouvert une brèche dans le pays. Conséquence de
l'installation des militaires français à Dakar à cette date, l'occupation
de Joal et le rattachement de la Petite Côte à la colonie devaient
amSI donner le coup d'envoi de la conquête.
Après sa défaite de Fatick en Mai
1859, face à l'armée
française
qui
voulait
ass urer
la
séc uri té
du
commerce
et
des
commerçants francais, le roi du Sine avait fini par accepter un traité
dit de Kaolack par lequel il s'engageait à assurer aux Français la
liberté
de
commerce
et
d'établissement
sur
ses
terres,
tout
en
acceptant
qu'ils
échappent
à
sa
propre
juridiction
pour
n'être
soumis qu'à celle de la France(3).
1. A.N.S.
13067 - 212
2. A.N.S. 13067 - 210
sq
3. F. Brigaud : Histoire moderne et contemporaine du Sénégal. .. p.51
68
Mais l'efficacité du trai té fut très limitée car tout le pays
resta sur le pied de guerre. Le besoin de contrôler le commerce qui
était une source importante de revenus pour les royaumes ayant un
débouché maritime, à un moment où la traite arachidière était de
plus
en
plus
active
sur
les
centres
commerciaux
fut
la
cause
principale de ces résis tances sérères.
A la fin des années 1850, en effet, Maba, dont la réputation
d'érudit
était
solidement établie
se
préparait déjà
à engager
la
guerre sainte pour convertir les "païens" de Sénégambie et peut-
être même d'ailleurs. 11 n'eut aucune peine à rassembler une forte
armée et devint rapidement puissant.
En
1861,
une
expédition
de
Pinet-Laprade
ramena
momentanément le calme, le colonel commandant de Gorée tentant
ainsi d'imposer la paix au Sine, au Saloum et au Baol(l). Ce nouveau
traité signé avec les trois royaumes resta sans effet, les Sérères
ayant dans un premier temps refusé de l'appliquer. Mais la menace
que fit peser, autant sur la présence française que sur le pays Maba
Diakhou BA(2) amena les parties à reconsidérer leur attitude.
1. F. Brigaud : Histoire moderne et
contemporaine
du
Sénégal.
Op.CiL
p.51
2. Amady
Bâ
plus
connu
sous
le
nom
de
Baba
Diakhou
naquit
aux
environs de
1809 au Rip de père d'origine toucouleur.
Après des études
coraniques, il s'établit comme marabout d'abord dans le Diolof puis dans
le Rip natal.
C'est
là qu'il
profita des difficultés de
la dynastie qui y
régnait alors et de l'attrait toujours plus grand de l'islam sur les masses
wolofs pour, sous l'étendard de cette religion, exercer, quasiment seul le
pouvoir politique. Ensuite, ce fut la conquête du Saloum. Continuateur de
El Hadj Omar dont il fut le disciple (A.
Le
Chatelier se pose la question
- l'islam dans l'Afrique Occidentale. Paris, G. Steinheil, 1899 p.204) assez
vite tranchée par ceux qui sont convaincus que l'almamy du Fouta avait
fait de Maba son représentant dans le Rip - T.O.
Bâ : Essai historique sur
le Rip (Sénégal). Bulletin
de
l'IF AN, sér. B n03-4, 1959 p.572 ; M. Ly -
Tall : un islam militant en Afrique de l'Ouest au XIXe siècle. La Tidianiya
de Saïku
Umar Futiyu
contre les
pouvoirs
traditionnels et la puissance
coloniale. Thèse de doctorat publiée par l'Harmattan, Paris,
1991, p.161.
Maba entreprit donc
de convertir par
la
force
les
Sérères.
Mais
il
ne
réussit qu'une chose : les disperser avant de tomber sous le feu ennemi.
La
première
et
seule
expérience
de
jihad
en
pays
sérère
se
terminait
alors
par la victoire de l'''animisme''
irréductible des populations. Notons
que
dans
le
Rip
même,
il
y
avait
une
forte
opposition
conduite
notamment
par
le
grand
marabout
Matar
Kalla
contre
Maba
et
ses
guerres qui
faisaient selon lui
"mourir nos
fils et
nos
frères,
dans
les
différents
eoins
du
Sénégal".
Cette
attitude
du
sage
Matar
devant
le
tribunal chargé par l'almamy de le juger - T .0.
Bâ : Essai historique sur
le Rip ... p.
582
- a fait abusivement dire à certains qu'il
y avait une
trahision dans le camp même de Maba, qui aida le Sine à se débarrasser
de
l'envahisseur
A.
Le
Chatelier
L'islam
dans
l'Afrique
Occidentale... p.209. Ce qui est sans doute excessif.
69
Mais
il
était en
même
temps
inquiétant.
Pas
seulement
pour les non-musulmans du Saloum et du Sine ou les Français mais
aussi
pour
certains
musulmans
eux-mêmes
qui
n'avaient
pas
la
même compréhension de l'islam que lui.
Ses
méthodes
comme
sa conception
de
la
guerre juste
soulevèrent
d'abord
une
partie
de
ses
amis
avant
d'inciter
les
royaumes voisins à y mettre un terme pour conjurer la menace
qu'elles représentaient pour eux. Surtout à partir de 1864 année à
laquelle au Saloum, Maba fut reconnu comme almamy (1), et bien
que
le
traité
reconnaissant les
pouvoirs
de
l'almamy
mentionne
clairement l'obligation qui lui est faite de respecter la souveraineté
et l'intégrité du territoire de ses voisins du Sine et du Saloum, les
rois de ces deux pays et les autorités du Baol l'accueillirent très mal,
l'interprétant comme une "rupture" entre les autorités coloniales et
eux.
Les dignitaires du Saloum en étaient si conscients qu'ils se
virent obligés d'attirer l'attention du Commandant de Gorée sur les
risques de cette nouvelle alliance, sur la stabilité et la sécurité dans
la région.
Ce qu'ils redoutaient ne
tarda d'ailleurs pas à arriver
puisque ignorant les obligations que lui imposait le
traité, Maba
continua sa guerre sainte faisant main basse sur de larges provinces
du royaume du Saloum. Ces victoires successives ne lui suffisant
pas,
il
estima
devoir
se
retourner
contre
le
Sine
"coeur
du
paganisme" selon lui.
La mobilisation totale du royaume qu'il attaqua en juillet
1867
vînt
cependant
définitivement
à
bout
de
ses
prétentions.
Discrètement appuyé par les Français, le Saloum et le Baol, le roi
Coumba Ndoffène Diouf, à la tête de son armée, tint à diriger lui-
même la bataille : la mort dans les combats de l'almamy, qui donna
aux Français le sentiment qu'ils venaient de se débarrasser, grâce à
leurs alliés sérères, de la menace la plus sérieuse à l'établissement
de
leur
autorité
au
Sine-Saloum
eut
pour
résultat
direct
un
changement dans les préoccupations de la France.
A la collaboration jusque-là imposée par la nécessité de
ménager des alliés dont le coup de main ou la neutralité pouvait
être
utile
dans
une
éventuelle
action
contre
l'ennemi
commun,
succédait
une
mainmise
plus
directe
des
colonisateurs
dans
les
affaires des royaumes du pays sérère.
1. H. Gravrand : "La dernière invasion du pays sérère" Graf, n068, 1953
p.lI
70
D'autres circonstances propres à ces royaumes comme les
troubles
intérieurs
nombreux
au
Baol
semblaient
favoriser
cette
nouvelle
situation.
Avant
même
la
soumission
complète
des
royaumes, certaines provinces plus ou moins dépendantes du Baol
en furent ainsi détachées et mises sous protectorat français. Ce fut
le cas en 1889 de Ndiaganiao, Sandock, Sassai et Mbadane(l). Au
nom
de
cette
"protection"
française,
la
colonne
Villiers
dut
s'interposer en 1890 entre les guerriers du Baol et les paysans de
Ndiaganiao(2),
fatigués
des
pillages
et
des
razzias
des
tiédos
auxquels ils étaient désormais résolus à mettre fin avec notamment
l'aide de la situation politique nouvelle. Le pouvoir du
Baol, en
jetant par ces actions inconsidérées les populations dans les bras
des "Blancs justes" a sans doute été, inconsciemment peut-être, le
meilleur allié du colonisateur.
L'impact de la situation intérieure des royaumes dans
la
colonisation est certes difficile à déterminer, les populations ayant
toujours été naturellement mises à l'écart du processus tant du côté
de leurs autorités que de celui des conquérants. Mais il est permis
de penser que si les colonisateurs ont pu s'installer aussi facilement
chez
nous,
c'est
sans
doute
parce
que,
par
leurs
méthodes
de
gouvernement et leur conception du pouvoir, nos autorités s'étaient
aliénées une très bonne partie de leurs gouvernés qui n'ont éprouvé
aucune envie de se battre pour elles.
Au Sine et au Saloum où le roi et ses tiédos ne pouvaient
pas,
de
façon
générale,
faire
prévaloir
l'arbitraire,
l'installation
coloniale ne s'est pas moins facilement déroulée. A part quelques
résistances
isolées,
la
conquête
fut
pacifique.
Ainsi
dès
1883,
l'autorité française s'était déjà établie, avec le traité plaçant le Baol
sou s protec torat français.
En
1887,
ce
protectorat
était
étendu
au
Sine
et
au
Saloum(3).
De fait,
la situation était mûre pour une interventin
française plus directe. Au Sine, depuis la disparition du roi Coumba
Ndoffène,
les
troubles
n'ont
cessé
de
plonger
le
pays
dans
le
désarroi( 4).
1. A. Sabatié : Le Sénégal. .. Op. cil.
p.200
2.
Ibid,
3. F. Brigaud : Histoire moderne el contemporaine du Sénégal. Op.cil.
p.52
4. A. S. Diop : Le Sine de 1859 à 1891. Mémoire de maîtrise d'histoire.
Université de Dakar, 1976
p.81
7 1
Les difficultés étaient encore plus préoccupantes au Saloum
où
la
guerre
n'a
pratiquement
cessé
depuis 1862.
Les
bonnes
dispositions à l'égard de la France de Mamour Ndary, frère de Maba,
avaient en effet, à la mort de celui-ci, été comme annihilées par la
fougue guerrière de Saër Maty, fils
de l'Almamy qui crut devoir
continuer la lutte de son père.
Il fallait pourtant qu'il détruisit la capitale du Saloum, Kahone,
pour
qu'enfin
les
autorités
coloniales
consentent
à
appliquer
le
traité qui les liait à ce royaume. Traqué, Saër Maty se réfugia en
Gambie.
Le
Saloum
retrouvait
alors
le
calme
au
prix
d'un
arrangement reconnaissant Mamour Ndary comme chef du Rip,
la
province
d'où
Maba
voulut
conquérir
les
pays
voisins
mais
amputant, au profit du Saloum, ce territoire de toutes les provinces
qui avaient été annexées par Maba(1).
Tout cela préparait l'étape "supérieure" des relations entre
le pays sérère et les colonisateurs et bien que ces deux royaumes
n'acceptèrent pas entièrement le fait
accompli, et que certains de
leurs
princes
eurent
des
difficultés
parfois
seneuses
avec
l'Administration(2),
leur
rattachement
à
la
colonie
est
effectif
quelque dix années plus tard.
Aux protectorats qui avaient maintenu le pouvoir royal allait
ainsi
succéder
un
système d'administration
qui
devait
dépouiller
progressivement les rois de tous leurs pouvoirs. Lorsqu'en 1904 un
décret
réorganisant
l'administration
en
AOF
donna
aux
colonies
leurs
limites
définiti ves(3)
qu'elles
gardèren t
pour
l'essentiel
jusqu'aux
indépendances, ces pouvoirs
avaient totalement disparu,
bien que l'institution royale survécut à la colonisation.
1. G.A. Diouf : Les royaumes du Sine et du Saloum des ongmes au XIXe
siècle.
Mise
en
place du
peuplement,
évolution du
système économique
et socio-politique. Thèse de doctorat de 3e cycle d'histoire. Université de
Dakar, 1984
p.253
2. Surtout
au
Saloum où le roi Sémou
Djimith
Diouf
refusait
de
verser
l'impôt
qu'il
était
contraint
de
collecter
pour
l'administration
coloniale.
Pour manifester sa résistance,
il
en prenait d'abord
sa "part".
s'il
n'avait
plus
le
moyen
de
s'y
opposer.
Ce
qui
contraignit
l'Administration
à étendre
ce
qu'elle
appela bientôt
"prime"
aux
autres
chefs,
une
prime
qui
subsista
bien
au-delà
de
la
colonisation
pour
profiter désormais aux chefs de villages chargés de la collecte directe de
l'impôt.
Son
successeur
Ndiémé
Diénoum
Ndao, dont le règne dura à
peine un an. entre 1902 et
1903, c4I fait de sa résistance, fut
relevé et
banni
par les
autorités coloniales.
3. A. Villard : Histoire du Sénégal. Op.cit.
p. 175
72
Resté malgré tout influent moralement, le roi ne gouvernait
évidemment plus, même si l'on note ça et là la présence de certains
membres des familles royales à la tête de cantons administratifs.
Cette
pratique
fut
d'ailleurs
très
limitée
et
les
Sérères
étaient désormais
gouvernés
par des étrangers,
la
famille royale,
surtout
dans
le
Sine,
ayant
préféré
ne
pas
participer
à
l'administration perçue comme un commandement. La conséquence,
c'est la désignation comme chef de cantons, dans le pays sérère,
d'étrangers
qui contribuaient ainsi à réduire davantage l'influence
des
rois.
Avec
la
montée
en
puissance de
l'islam,
les
figures
maraboutiques
charismatiques
devaient
achever
de
déconsidérer
totalement la royauté.
Tidianes
ou
mourides,
les
Sérères
comme
les
autres
Sénégalais ne s'intéressaient plus vraiment à bien des aspects de
l'ordre ancien mais s'efforçaient de camper sur le présent dont ils
attendaient un futur meilleur. Seuls, les cheikhs, chefs de confréries,
avaient désormais pignon sur rue, et la faveur des masses. Même
les "animistes"
pourtant toujours nombreux,
se sont détournés de
leurs
rois
ce
qui
est
d'autant
plus
compréhensible
que
['ordre
nou veau leur apportait paix et sécuri té.
2.3.
La
nouvelle
organisation
administrative
La nouvelle organisation administrative,
après l'effacement
de la royauté, traduit la volonté française de déposséder les chefs
africains de tout pouvoir de décision afin de contrôler directement
tout le pays.
Après l'installation durable du
système, il
s'agissait de le
perfectionner
pour
faire
de
la
colonie
un
maillon
important de
l'économie de la métropole et il fallait la développer au mieux pour
en tirer le maximum de profit.
Il s'agissait aussi et surtout d'assurer le maintien de l'ordre
nouveau, sans lequel ce développement n'était pas concevable. C'est
le
sens
qu'il
convient
de
donner
aux
nombreuses
réformes
administratives
qui
ont
jalonné
la
vie
politique
des
colonies
d'Afrique en général et celle du Sénégal en particulier.
73
Alors que jusqu'en 1895 il n'y eut pas de vraie réforme du
système
hérité de
l'administration de
"Gorée et Dépendances"
et
Saint-Louis( 1),
les
réformes
administratives
et
autres
remaniements territoriaux furent nombreux à partir de cette date.
1895
vit
la
création
de
huit
cercles
au
Sénégal
dans
lesquels sont totalement intégrés les royaumes sérères. A la tête de
chaque cercle, fut placé un administrateur des colonies dépendant
du
gouvernement
de
la
colonie
et
qui
était
le
seul
vrai
chef
politique et administratif du cercle.
Il avait sous son autorité les cantons composant le cercle
dont les chefs, caution du pouvoir indigène, étaient nommés par le
gouverneur.
1895
fut
aussi
l'année de
création du
gouvernement
général de l'ADF. D'autres décrets, de 1899 à 1904, allaient suivre
pour modifier les limites territoriales de l'ADF et du Sénégal et, à
l'intérieur, celles des cercles. Le décret du 1er Avril 1902 eut ainsi
pour but de renforcer le lien fédératif "un peu trop nominal" entre
les différents Etats de l'ADF(2).
Aussi,
marque-t-il
la
séparation
des
fonctions
de
gouverneur général
et de gouverneur du
Sénégal et le transfert-
comme
pour
mieux
marquer
le
changement-du
sIege
du
gouvernement général de Saint-Louis à Dakar(3). Avec la réforme
de 1904, la stabilité territoriale est désormais un fait acquis. Les
modifications
territoriales
ultérieures
ne
concernaient
plus
ainsi
que l"'intérieur" des colonies et semblaient plutôt répondre à des
nécessités
d'ordre
strictement
local.
C'est
le
cas
avec
le
rattachement de la Petite Côte au cercle de Thiès, où elle rejoint
certaines anciennes possessions du Baol occidental.
Au
même
moment,
le
Baol
était
intégré
au
cercle
de
Diourbel,
nouvellement
cree
pour
répondre
à
"l'importance
économique" de la ville du même nom(4).
1. Dès
la
proclamation
de
la
République
en
France,
deux
communes, Saint-Louis et Gorée avaient été créées. En 1880, Rufisque les
rejoignait
et
sept
ans
plus
tard,
Dakar
était
érigé
en
commune
"indépendante"
de
Gorée.
Le
décret
de
décembre
1891
instituant
les
communes mixtes est mis en application à partir de 1895.
2. A. Sabatié
: Le Sénégal... Op. cil.
p.364
3. A. Villard : Histoire du Sénégal. Op. cil.
p.174
4.
Ibid.
74
Quant au cercle de Foundiougne, il devint cercle du Sine-
Saloum,
Foundiougne ayant perdu, entre temps,
beaucoup de
son
importance. Celle-ci était liée au commerce particulièrement actif au
début du siècle mais désormais fortement réduit en partie par le
développement économique et commercial
de
Kaolack,
centre
de
production arachidière. La réforme de 1922 était inspirée par les
mêmes préoccupations, mais aussi sans doute par les nécessités de
la géographie politique.
Dans
son
"projet
de
réorganisation"
que
le
gouverneur
général avait adressé aux gouverneurs des colonies, il le précisait
bien. "La division territoriale des colonies date des premiers jours
de la conquête ; elle ne répond plus partout aux besoins actuels. Les
cercles
ont
été
calqués
le
plus
souvent
sur
d'anciens
commandements
indigènes qui
ne
sont plus
aujourd'hui
que
des
souvenirs ; leurs chefs-lieux ne correspondent pas toujours avec le
centre économique du pays et parfois leur étendue est telle que
notre influence s'y dilue sans effet utile"(l). Il importait donc de
"réduire
l'étendue
territoriale
des
circonscriptions"(2).
C'est-à-dire
de
multiplier
les
administrateurs
et
les
cantons
confiés
aux
"indigènes" dans le but de mieux contrôler le pays.
Ce
qUI
était
d'autant
moins
compliqué
que
malgré
l'''agitation''
des marabouts qui semble constituer un danger
plus
redoutable
que
la
Résistance
ne
le
fut
quelques
décennies
auparavant,
le
gouverneur
général
est
l'autorité
incontestée,
la
seule au Sénégal, avec évidemment son subordonné, le gouverneur
du Sénégal.
Aussi,
assurait-il sans entrave, cette autorité, assisté d'un
corps
de
fonctionnaires
directement
arrivés
de
la
métropole
et
devant lesquels devaient s'effacer progressivement les militaires.
1. A.N.S
17 G 46 (17)
2. A.N.S.
17 G 46 (17)
75
III • LA MISSION CATHOLIQUE (XVe Siècle-1880)
1
Une
présence
sans
missions
(1435-1848)
1.1.
Dans
les
brumes de
l'aube
(1)
La présence chrétienne au Sénégal semble relativement
ancienne
puisqu'elle
remonterait
à
la
découverte
des
côtes
sénégalaises
par
les
Portugais, dans la première
moitié du
XVe
siècle.
Rien
d'étonnant
à
cette
concomitance
puisqu'avec
les
explorateurs,
se
déplaçaient,
outre
des
commerçants,
des
missionnaires dont le rôle, au moins théoriquement, allait dépasser
l'aumônerie
des
voyageurs
pour
englober
une
intervention
plus
vaste
au
profit
des
terres
nouvellement
découvertes.
Un
rôle
d'évangélisation
avait
d'ailleurs
été
confié
à
des
missionnaires
portugais par le pape Martin V (1417 -1431) et un peu plus tard,
par les papes Nicolas V et Alexandre VI (1492-1503)(2).
Datation tardive, selon certains auteurs pour qui la religion
chrétienne a été introduite en Afrique, plus tôt, avant l'''invasion
islamique" de l'Afrique du Nord au VIle siècle(3).
Cette présence semble même avoir été solide dans certaines
localités puisque des siècles après l'avènement de l'islam, de petits
groupes de chrétiens disséminés à travers des régions de l'Afrique
continuaient de mener une existence cependant très isolée de Rome
et
de
Byzance
avec
lesquelles
ils
n'avaient
apparemment
aucun
rapport(4).
1. Titre emprunté à J.
Mathieu-Rosay
dans
sa
"chronologie des
papes
: de Saint-Pierre à lean-Paul II. 2000 ans d'histoire mouvementée. Alleur,
1988, p.15 et qui résume bien, nous semble-t-il, ce sous-paragraphe.
2. J. Delcourt
: Histoire religieuse du Sénégal. Dakar, Impr. Saint-Paul,
1976,
p.5
3. L. Brandi : Early Christianity in Africa-North Africa, the Sahara,
the
Sudan, Central and East Africa.
Présence
Africaine
n096,
1975
p.494.
4.
Ibid.
76
Certains venaient des reglOns d'Afrique du Nord dèjà
gagnées par l'islam. Mais en dehors de quelque parenté entre leur
langue
et celle
des
Wolofs
des
rives
du
Sénégal(l)
notée
par
l'auteur, il n'y a aucune autre preuve acceptable de leur possible
influence religieuse sur le pays.
Celle-ci est bien peu concevable en fait, à un moment où
la
vigueur des religions africaines est soulignée par tous les visiteurs
de
la
contrée,
Arabes
et
(à
partir
du
XYe
siècle)
Européens
confondus.
Cette
religion
serait donc
Je
fait
d'étrangers,
comme
le
suggère
M.
Delafosse
il
s'agirait
de
Berbères
"qui
furent
chrétiens"(2) et dont les traces ont été repérées à Ghana(3).
Le christianisme n'a donc réellement pénétré au Sénégal ni
au XYe siècle, ni avant. Si on peut retenir la fin du Moyen-âge
comme étant le début de l'histoire de l'églige au Sénégal, c'est sans
;=--
doute parce que c'est l'époque à partir de laquelle des signes plus
ou moins continus de la présence chrétienne s'y sont manifestés(4).
Mais il s'agit de signes qui ne trompent pas. S'il est vrai
qu'ils attestent d'une certaine présence de l'église ou plus sûrement
de croyants, ils sont muets sur celle de la mission.
J. Bouchaud rattache d'ailleurs cette pratique à la mentalité
profondément religieuse des marins de Moyen-âge qui les amenait
à planter des croix sur les terres
nouvelles en en prenant ainsi
possession "au nom du christ"(5).
1. L. Brandi: Early
Chrislianity
ln
Africa ... p.480
2. M. Delafosse : Les Noirs de l'Afrique. Paris, Payot 1922
p.480
3.
L'empire
du
Ghana,
constitué
au
lXe
siècle
est
le
premier
grand
empire connu en
Afrique de
l'Ouest.
Il englobait une partie du
Sénégal
et sans doute le pays sérère de l'époque qui était situé au Nord du Pays. Il
disparut au XIe siècle avec, notamment, la conquête almoravide.
4.
P.
Lintingre
mentionne un
exemple courant
: une
croix
plantée par
les
Portugais
à
la
fin
du
XVe
siècle,
à
Popenguine,
pour marquer
le
passage de la "mission du Christ" - "La mission du Sénégal sous l'Ancien
Régime".
Afrique
documents n087, 1966
p.197.
5. Les
Missions
d'Afrique
-
1402 -
1789. In
Histoire
universelle
des
Missions. T2
p.229.
77
1.2.
L'embryon
d'église
au
centre
des
rivalités
européennes
en Afrique
Jusqu'au XVIIe siècle, il n'y eut vraiment pas d'entreprise
missionnaire
et
celles
qu'on
note
à
partir
de
cette
date
se
distinguent par leur caractère sporadique(l).
Il
y eut
d'abord
la présence de
missionnaires
portugais
dont
la
marque
du
passage
fut
la
chrétienté
de
Joal
déjà
"nombreuse en
1635"(2). Celle-ci, née au début du siècle, était sans
prêtre
depuis
1627,
année
à
laquelle
les
derniers
missionnaires
portugais ont dû quitter, du fait, semble-t-il, du changement de la
situation politique dans les comptoirs de la côte.
A partir de 1620 en effet, les Hollandais ont supplanté les
Portugais dans
le commerce de
la côteet le
Portugal, puissance
déclinante, perdit l'essentiel de ses possessions en Sénégambie. Une
situation qui, sans doute, explique le retrait de ses missionnaires
désormais remplacés par les Capucins français(3).
Ceux-ci, arrivés au Sénégal en fin 1634, entreprirent dès
Janvier
1635,
une
tournée dans
le
pays
sérère qu'ils
trouvèrent
christianisé en
partie
: outre Joal
où
ils restèrent quelque deux
semaines, ils visitèrent Portudal où il y avait quelques chrétiens,
Pointe Sarène alors
"habités par des nègres et des mulâtres tous
catholiques" (4).
Les pères donnèrent dans ce dernier village cinq baptèmes.
Ces détails sont importants. Bien que la christianisation à Pointe
Sarène ne concerne que les "esclaves"(5) qui, avec les descendants
Portugais,
semblent seuls
le peupler, elle permet de comprendre
que dès le XVIIéme siécle, on pouvait parler, à défaut d'une mission
continue
et
sédentaire,
de
la
présence
en
pays
sérère
d'une
chrétienté qui avait plutôt tendance à se développer. D'autant que
Portudal,
village
important
du
Baol,
a
aussi
ses
catholiques,
essentiellement
étrangers,
il
est
vrai,
malgré
une
présence
plus
ancienne de la religion musulmane(6).
1. J. Bouchaud : Les
Missions
d'Afrique ... p.238
2. P. Lintingre : La mission du Sénégal sous J'ancien régime ... p.198
3. Soeur I. Occorsio
: Les origines du christianisme au Sénégal. Thèse
de doctorat d'Histoire. Université de Rome, 1979
T.I
pA8
4.
1bid.
5.
Ibid.
6. Ibid.
pp.48-49
78
Le
fait
notable
de
ces
premIeres
missions
est
leur
caractère
"discontinu et désordonné" justement souligné par Paule
Brasseur
à
propos
d'une
époque
déjà
relativement
moins
défavorable(l ).
Ce qui était dû au nombre évidemment très limité des
"ouvriers apostoliques"
susceptibles d'y être envoyés, à l'ignorance
de la mission et de son utilité par les chrétiens en Europe, mais
aussi sans doute à l'extrême centralisation de l'oeuvre missionnaire.
Avant
1637,
date
à laquelle
les
Capucins
français
reçurent
les
facultés
apostoliques
légalisant en
quelque
sorte leur intervention
en Sénégambie, seul, le Portugal était censé avoir le monopole de
l'action d'évangélisation dans le pays.
Et pourtant, il n'en avait plus les moyens. Et les menaces
d'arrêter les missionnaires français et de les faire juger au Portugal,
proférées par ses représentants
sur la côte sénégambienne
-qu'ils
mirent à exécution contre les Capucins- ne pouvaient que davantage
handicaper la mission.
Les prêtres français
ne
tardèrent d'ailleurs
pas à repartir
en France dès
1639, laissant derrière eux
de
nouveaux
convertis
dont on peut penser que certains d'entre eux, au moins, n'avaient
plus, quelques années plus tard, la foi des premiers jours. C'est ce
qui explique le constat -peut-être exagéré- des Capucins espagnols
arrivés quelque sept années plus tard sur la côte sénégalaise.
Convaincus que les Français, parce qu'ils se contentaient de
relations directes avec la seule population ont raté leur mission(2),
ils allaient tenter d'entrer en contact avec les rois(3) dans l'espoir
que la clé des conversions était entre leurs mains.
Mais pour des raisons qui tiennent en bonne partie à la
difficulté des communications de l'époque, ils ne purent aller au-
delà de Joal. 11 y ajoute le fait que les informations qu'ils avaient
reccueillies n'incitaient guère à l'optimisme( 4).
1. P.
Brasseur
:
"Missions
catholiques
et
administration
française
sur
la
côte
d'Afrique
de
1815
à
1870",
Revue
française
d'Histoire
d'Outre-Mer, nO 228,
1975
pAI5 (Egalement in Libermann 1802-1952.
Une
pensée
et
une
mystique
missionnaire.
Paris,
Ed.
du
Cerf,
1988
pp.849-881 ).
2. Soeur I. Occorsio : Les origines du christianisme au
Sénégal...
p.52
3.
Ibid
4. Ibid,
p,59
79
Quelles étaient ces informations? 1. Occorsion, auteur de ces
lignes ne le dit pas mais on sait que le roi du Baol, informé du désir
des missionnaires de le rencontrer leur avait opposé une fin de non
recevoir(l).
Cette
mission
tourna donc
court.
Devant ces
difficultés
aggravées
par
l'hostilité
portugaise,
les
prêtres
préférèrent
retourner en Europe ou gagner l'Amérique. Seuls, deux restèrent en
Sénégambie dont l'un, le père Antonio, s'embarqua en 1652 pour la
Sierra Léone et mourut en chemin, quelques mois plus tard. Quant
au second , le père Sérafin, il ne put faire grand chose et mourut en
1657.
La leçon à tirer de ces événements est que les Portugais, en
perte de vitesse, n'étaient plus utiles à la mission mais pouvaient
bien
lui
nuire.
Ce
sont
eux
qui
ont
provoqué
le
départ
des
missionnaires
espagnols
pour
l'Europe
ou
pour
le
Nouveau
Monde(2).
Dès lors, il ne restait plus que des missions sporadiques (pour
ne pas dire occasionnelles) pour maintenir ce qui pouvait encore
l'être de la chrétienté naissante du pays. Entre 1648 et 1663, on ne
note ainsi que quatre petites missions de Lazaristes
français
de
moins de 15 jours chacune(3). Dérisoires sans doute mais on ne
pouvait attendre mieux de missionnaires de passage(4).
1. G. Thilmans &
N.1. de Moraes
: "Dencha Four souverain
du
Baol"
(XVIIe siècle). Bulletin de l'IFAN,
ser B. nO
4,
1974
p.708
2. Soeur 1. Occorsio
: Les origines du
christianisme au Sénégal. ... p.61
3. Ibid,
p.62. Lors de leur passage de
1648, les Lazaristes remarquaient
J'existence
de
"Portugais
noirs"
-
ainsi
se
nommaient
les
chrétiens
sérères de 10al
- fon
bons chrétiens : N.l.
de
Moraes,
"Relations
de
Lazaristes français
concernant la Petite Côte (1648,
1654,
1660,
1663)".
Présence
afr icaine
n089,
1974
p.164.
Une mission
sur la côte
leur
semblait
tellement
promelleuse
qu'à
leur
arrivée
à
Madagascar,
ils
réitèrent
leur
demande
d'envoi
de
prêtres
au
Sénégal.
Demande
apparemment sans suite puisque plus tard, en
1660, le même constat de
l'inexistence
de
missionnaires
est
fait
par
les
mêmes
Lazaristes
de
repassage au Sénégal. N.1. de Moraes,
"Relations de Lazaristes ... " p.170
4. Les Lazaristes se rendaient en effet à Madagascar et leur séjour fut
toujours
très
court
en
Sénégambie
:
N.l.
de
Moraes,
"Relations
de
Lazaristes
français ... " p.158.
80
Quant
aux
aumôneries
des
compagnies
de
commerce,
obligation
leur
était
toujours
faite
"de
pourvoir
aux
besoins
spirituels de leurs employés et de promouvoir l'évangélisation des
aborigènes"(l)
mais
les
aumôniers, quant ils étaient présents, ne
l'étaient pas en nombre suffisant.
Il
ne faut
dès
lors
pas
s'étonner que
les
traces
de
la
présence
chrétienne
se
perdirent
assez
rapidement
dans
le
pays
sérère à l'exception notable de Joal.
Durant un siècle, c'est-à-dire de la mort du dernier Capucin
espagnol en 1657 au milieu du XVIIIe siècle, la mission chez les
Sérères de la côte fut pratiquement abandonnée, comme elle l'était
d'ailleurs presque partout ailleurs dans le pays.
1.3.
La
cure
de
Gorée
et
la
timide
reprise
de
la
mission
Comme à Joal, le mlmstere apostolique devint, à Saint-Louis
et Gorée, trop rare faute de prêtres(2). Cette situation s'explique par
l'occupation anglaise des deux villes qui durait depuis 1758.
Aussi, la restitution de Gorée à la France par un traité de
Févrierl763 devait-elle amener l'érection, la même année de l'île
en préfecture apostolique (3) , en fait une cure confiée à un "curé
(et) aumônier de par le roi", en la personne de l'abbé Jean-Baptiste
Demanet.
1. Soeur 1. Occorsio : Les origines du christianisme au Sénégal pp.8D &
85
2.
P.
Lintingre : "La mission du Sénégal
sous l'ancien régime".
Afrique
Documents n087,
1966
p.2D7
3.
P.
Brasseur:
"Missions
catholiques
et
administration
française
sur
le côte d'Afrique ... "pAI5. Une leLLre de
1849 écrite au nom de Libermann
par M.
Lamurier à l'oeuvre de la Propagation de la foi permet de voir
que
cette
préfecture
apostolique
avait
des
dimensions
floues
et
très
réduites. Elle panait des limites de Gorée et Saint-Louis "jusqu'aux autres
points" (non précisés) du continent. Le reste de la Sénégambie, quand le
Vicariat des Deux-Guinées fut institué un peu plus tard, appartenant à ce
vicariat : Arch.
OPM
G
07443.
De
fait,
le
manque de
précisions des
limites
terrritoriaies
de
cette
nouvelle
juridiction
devaient
amener
les
responsables
de
la
mission
à
intervenir
pour
clarifier
celles-ci(cf
Annales de la Propation de la foi, 1847 p. 97)
8 1
L'année suivante, il y eut une certaine reprise des activités
missionnaires au Sud de la presqu'île du Cap-Vert, Saint-Louis étant
restée aux mains des Anglais. Le pays sérère, Ioal essentiellement,
recommençait à recevoir des missionnaires (1).
Le curé lui-même visita, d'après sa propre relation, le pays
serere avec, si on l'en croit, un sens aigu de la prospective : non
seulement il séjourna à Ioal, mais encore il est allé, au-delà de ce
village, voir le roi du Sine dans l'espoir de le convertir. S'il n'y
arriva pas, il réussit néanmoins à baptiser un grand nombre de ses
sujets de la côte(2) comme Labat plusieurs décennies plus tôt.
Les successeurs de Demanet envoyés
à Gorée après son
expulsion du
comptoir et son
retour en
France
n'en
firent pas
autant. Ils semblent même ne pas s'être réellement intéressés à la
chrétienté de Joal encore moins aux non chrétiens des environs. Et
quand il revint en Afrique, en 1773, ce fut en tant que directeur
général de la Compagnie d'Afrique que Demanet y séjourna, et non
plus en tant que missionnaire(3).
Cette période ne fut pas pauvre en prêtres pour Gorée(4) mais
plutôt
attachés
à
la
Compagnie
ou
curieusement
sans
attache
quelconque(5), ils semblaient préoccupés par tout sauf la mission.
1. Rien de tel ne ressort des travaux d'auteurs s'intéressant à l'étude de
la mission de Gorée qui ne concernait peut-être pour eux que le millier
de chrétiens de cette ville et ceux de Saint-Louis, De la mission du pays
sérère,
il en est rarement question
bien que
Gorée eut
un
rôle
parfois
non
négligeable dans
celle-ci
- P.
Lintingre, déjà cité.
Démarche
qui
se
comprend
certainement
par
les
limites
qu'ils
ont
entendu
fixer
à
leurs
travaux,
la
trop
grande
instabilité
de
l'action
missionnaire
mais
aussi
sans
doute
par
les
difficultés
d'aborder
les
questions
de
la mission
avant l'arrivée des missionnaires du Saint-Coeur
de Marie, faute de sources. Les efforts - à la portée sans doute exagérée -
de
l'abbé
Demanet
depuis
Gorée
pour
poursuivre
l'évangélisation
du
pays sérère, ne peuvent pas, en effet, être passés sous silence pour qui
veut saisir toute la réalité de cette cure. Et l'abbé Coste, dont le nom est
souvent cité parmi les prêtres de Saint-Louis fut
à juste titre surnommé
"l'apôtre de Joal"
du
fait du
travail
d'évangélisation qu'il
y effectua en
1784. Ce missionnaire mourut d'ailleurs dans ce village où il fut inhumé
cette
même
année.
2. J. B. Demanet : Histoire de l'Afrique française,
T.2. Paris, Duchesne
et Lacombe, 1767,
p.28
3. L. Jore : Les établissements français sur la côte occidentale d'Afrique
de 1758 à 1809. Paris, Maisonneuve et Larose - 1965
pAO 1
4.
Ibid.
pAOI
S.
Ibid.
82
En 1776, un prêtre voué à la miSSIOn, l'abbé Chevalier
débarquait à Gorée pour le pays sérère de la côte. A peine installé
dans
un
endroit
indéterminé
de
celui-ci,
mais
qui,
en
toute
vraisemblance était Joal, il le quittait "épuisé de fatigue, vaincu par
les fièvres"(1). Il mourut au cours de son évacuation à Gorée en
septembre 1777(2) sans avoir réussi à débuter sa mission.
Désireux "de se fixer à un service moins actif que celui des
missions", le curé intérimaire de Gorée,
le père Chapelet qui ne
s'intéressa pas à l'église hors de sa ville et qui fut le seul prêtre au
Sénégal
après
le
décès
de
Chevalier,
demanda
en
vain
au
gouvernement français d'être nommé préfet apostolique.
Il décéda
peu de temps après en 1778, sans doute, dans l'épidémie de fièvre
jaune qui sévit dans l'île cette année-là (3).
Depuis,
Gorée
rejoignit
Saint-Louis
dans
la
"misère
spirituelle", aucun prêtre n'y étant plus signalé jusqu'au quatrième
ou
cinquième
anniversaire
de
l'installation
des
missionnaires
du
Saint-Esprit.
1.4.
L'arrivée
des
Spiritains
L'absence totale de prêtres au Sénégal, qui date du décès
du père Chapelet, durant l'été
1778, ne fut pas de longue durée
puisque quelques
mois plus tard,
des
membres de la société du
Saint-Esprit débarquaient, pour la première fois, au Sénégal c'est-à-
dire, pour l'époque, Saint-Louis.
Jusque-là,
en
effet,
le
Saint-Esprit
envoyait
dans
les
colonies ses séminaristes et il fallut attendre 1778 pour qu'il songe
à y envoyer des prêtres : destinés à la Guyane, les pères Bertout et
de Glicourt s'embarquèrent au
Havre en
avril
pour échouer,
des
semaines plus tard, sur le banc d'Arguin.
Prisonniers des maures, ils furent rachetés par le gouverneur
anglais de Saint-Louis avant d'être renvoyés en France.
Devant les
autori tés françaises, ils rendirent compte de la détresse morale des
Français et autres catholiques de la colonie(4).
1. L. Jore ; Les établissements français sur la côte occidentale d'Afrique
de 1758 à 1809. Paris, Maisonneuve & Larose - 1965 pA07
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4. Cf. Relation de Be r to utin Missionaires en Afrique française.
Paris,
Ed. Dillen & Cie, 1933 pp.9-57
83
Lorsqu'elle capitulait à Saint-Louis vingt ans plus tôt,
la
France avait signé, sous la contrainte anglaise, la prohibition de la
présence de ses ministres du culte dans
son ancienne possession
territoriale( 1).
Le résultat fut catastrophique pour la religion et les pères
de Glicourt et Bertout qui, à l'occasion de leur séjour saint-Iousien
l'ont constaté avec regret en rendirent compte aux autorités de leur
pays. C'est alors qu'une flotte aux ordres de l'amiral Vaudreuil fut
mise en route pour reconquérir le "Sénégal" et installer le duc de
Lauzun à son gouvernement, de Glicourt, qui venait, avec Bertout,
de
quitter
l'île
devant
y
retourner,
avec
eux,
comme
missionnaires(2) .
Ce fut chose faite en janvier 1779 et la ville, libérée des
Anglais et désormais pourvue de prêtre prit la priorité (coloniale)
au
Sénégal(3).
L'année
suivante,
un
autre
prêtre,
l'abbé
Coste
débarqua à Saint-Louis "en qualité de chef ecclésiastique" local(4).
Profondément missionnaire, Coste devait passer, à Joal, "la majeure
partie de
l'année
à
catéchiser
les
Sérères"(5).
Avec
lui,
la
vie
missionnaire
renaissait.
On note qu'il avait formé des chantres distingués" et était si
fier des résultats de son ministère qu'en juillet 1784, il s'installa
définiti vement
à
Joal( 6)
ainsi
devenu,
de
fait,
le
centre
de
la
mission.
Il y décéda en septembre 1785 dans "l'affection de ses
chrétiens" (7).
Mais sa mort ouvrait une nouvelle période de vide
missionnaire, les très rares prêtres qui, comme les abbés Lerendu
ou
Charbonnier étaient
restés
à
Gorée
et
surtout
à
Saint-Louis
n'ayant jamais
manifesté d'intérêt particulier pour "l'intérieur"
du
pays. Et ce n'est pas la révolution qui allait les inciter à changer
d'avis.
1.
L.
Jore
les
établissements
français
sur
la
côte
occidentale
d'Afrique. Op. cil.
p.4l0
2. Relation de Bertou t Op. cil. p.55
3.
Ibid.
4. D. BoHat
Esquisses sénégalaises. Op. cil. p.29
S.
Ibid.
6.
L.Jore
les établissements français
sur la côte occidentale d'Afrique.
Op. cil.
pAOS
7.
Ibid.
84
Au
contraire,
le
seul
prêtre resté au
Sénégal durant
la
période,
Charbonnier,
ne
tarda
pas
à
être
dépassé
par
les
événements : "après avoir quitté l'habit religieux, il s'était mis en
ménage avec
une mulâtresse de Saint-Louis en
1794 ou
1795(1).
Dès lors, il n'y avait plus de prêtre dans le pays. On comprend alors
que depuis novembre 1793 et ce pendant plus de 20 ans, il n'y eut
aucun
témoignage écrit de la vie chrétienne à Gorée(2) et sans
doute aussi ailleurs dans le pays.
Dans ce contexte, il y a certainement partout un recul de
l'embryon
de
christianisme
sénégalais.
Mais
une
chose
semble
certaine
la présence définitive sur la Petite Côte(3), malgré une
pratique parfois approximative qui se comprend aisément.
Cette présence permit à la petite chrétienté du pays serere
de survivre
aux
difficultés de la
mission pendant la
"tourmente
révolutionnaire". Le tableau que dresse J. Bouchaud de cette période
de l'église du Sénégal est aussi
brutal que réel
mais sans doute
assez exagéré. Comment, en effet, résumer la vie religieuse à un
prêtre défroqué à Saint-Louis et à la profanation de l'église ainsi
qu'au sac des registres paroissiaux de Gorée(4) ?
Cela démontre certes les problèmes de l'époque mais il est
bien discutable d'affirmer aussi explicitement qu'il n'y avait plus de
croyants attachés à
vivre leur foi autrement qu'en s'accrochant aux
"basques" d'un prêtre. La révolution fut certes un frein à la religion
dans
un
Sénégal
lointain où
les
rumeurs les plus folles
ont pu
décourager ou apeurer les plus déterminés, comme on l'a vu avec le
curé Charbonnier.
Mais ce raisonnement qui semble réduire l'église à la seule
présence du prêtre est tout aussi difficile à accepter que les (autres)
exagérations de P. Lintingre qui
parle d'une "heureuse exception"
pour le Sénégal(5) dont il est sans doute le seul à voir la portée.
1. L.Jore : les établissements français sur la côte occidentale d'Afrique.
Op. cil. p.422
2. P. Lintingre
"La Mission du Sénégal sous l'Ancien Régime... " p.108
3. ibid, p.20?
4.
P.
Lintingre
:
"La
cure
de
Gorée
d'après
ses
archives".
Afrique
documents nOl02-103.
1969 p.l04
5.
J.
Bouchaud
: Les
Missions
d'Afrique.
In
Histoire
Universelle
des
Missions. Op. cil.
p.238
85
De fait, la mission, au Sénégal comme partout ailleurs, connut
beaucoup de problèmes
mais le christianisme continuait d'y
être
vécu.
Ainsi,
vit-on
souvent
les
fidèles
prendre,
comme
c'était
parfois le cas sous l'Ancien Régime, le relais des prêtres malgré eux
défaillants et qui n'ont d'ailleurs pas attendu la fin du XVIIIe siècle
pour se faire rares dans la mission.
Jusque-là en effet, il est constant qu'ils n'y ont jamais été
particulièrement nombreux. 11 serait donc injuste d'en
accabler la
seule
Révolution
comme
il
est
incompréhensible
de
vouloir
l'exonérer
d'une
responsabilité
malgré
tout
réelle,
dans
le
"dépeuplement missionnaire" des colonies.
L'Assemblée
nationale
française
supprima
bien,
en
août
1792, les préfets apostoliques dans les colonies, motif pris de ce que
"l'indépendance du gouvernement français est inconciliable avec la
juridiction
qu'exerce
l'évêque
de
Rome"
dans
celles-ci
par
le
truchement des préfets mais cela n'a jamais signifié la mise hors la
loi définitive de la religion.
Au
nombre
des
causes
ayant
ralenti
les
progrès
du
christianisme, il y a sans doute la distance qui favorisa, pendant
plus d'un an, ['isolement du Sénégal et, surtout, la situation politique
internationale qui aggravait cet isolement.
L'attachement des habitants de Saint-Louis à leur religion
semble être resté constant durant toutes ces années noires pour la
mission et des analystes lucides de la situation reconnaissent le bon
comportement de la majorité des colons et des militaires français
croyants(l ).
Les actes hostiles à la religion commis à Gorée et Sainl-
Louis ne seraient pas ainsi un
baromètre permettant de
saisir la
situation dans
son
ampleur réelle puisqu'ils étaient le fait d'une
minorité d'agités
qui
profitèrent de l'hypnose d'une
partie de
la
population pour se lancer dans des opérations à la durée d'ailleurs
bien limitée dans le temps.
1.
J.
Bouchaud
Les
Missions
d'Afrique.
In
Histoire
Universelle
des
Missions. Op. cil.
p.239
86
La religion,
malgré
ses
mlseres,
avait
pu
si
bien
rester
debout que dès après la signature du Concordat en juillet 1801, "la
population de Saint-Louis s'empressa de demander qu'on lui envoya
un prêtre pour desservir la paroisse, requête que Blanchot appuya
avec
insistance"
et
qu'agréa
parfaitement
le
gouvernement
français(1 ).
Si aucun prêtre ne fut envoyé, c'est moins du fait qu'il lui
manqua de volonté que parce que cela ne fut pas possible : on peut
bien comprendre que l'église de France, qui venait de subir de vives
épreuves n'avait pas
beaucoup de
missionnaires
à
envoyer outre-
mer et que les évêques, qui n'arrivaient plus à doter leurs paroisses
de curés étaient moins enclins à les laisser partir en mission.
Il
s'y
ajoutait les
problèmes
internationaux
évoqués
plus
haut, notamment le blocus anglais qui isolait davantage le Sénégal
de la métropole.
En 1809, les Anglais occupaient d'ailleurs à nouveau Saint-
Louis qu'ils trouvèrent évidemment sans prêtre et il fallut attendre
plusieurs
années
et
le
traité
de
Vienne
de
1815
qui
restituait
définitivement
l'île
à
la
France
pour
assister
au
retour
de
l'administration française et de la mission.
La
Révolution
ne
fut
donc
pas
bénéfique
pour
la
christianisation mais l'on ne peut y ramener toutes les causes des
difficultés de l'oeuvre que s'étaient, juste avant elle, attribuée à tort
des missionnaires comme l'abbé Demanet(2).
Ses "nombreux" chrétiens de Joal n'étaient plus, quelque trente
ans plus tard, que des Kafirs , ces "infidéles" qui semblaient peupler
une bonne partie de ce village et du reste du pays sérère(3).
1.
L.
Jore
Les
établissements
français
sur
la
côte
occidentale
d'Afrique. Op. cil.
p.426
1. Rien
qu'à
Joal,
l'abbé
Demanel prétend
avoir
baptisé,
dans
la
seule
année
1764,
800
chrétiens.
Avec
"ses"
11.000 Chrétiens de
Gorée, cela
semblait
sans
doute
trop
réussi
pour
être
vrai
:
Nouvelle
histoire
de
l'Afrique Française. Paris, Duchesne et Lacombe, 1767
T.I
p.lll
3.
Mungo
Park : Voyage dans l'intérieur de l'Afrique fait en 1795, 1796
et 1797. Traduction de J. Castéra. Paris, Dcntu et Carteret, An VlII - (1799)
T.l p.22
87
Il est certain que l'abbé Demanet avait toujours tendance à
exagérer son action pour mieux obtenir les "faveurs" qu'il ne cessait
de demander à la cour. Aidé par la difficulté des communications
avec l'Afrique et risquant ainsi moins d'être démenti, il n'hésitait
pas
à
avancer
des
résultats
extraordinaires,
d'un
ministère
certainement beaucoup moins fructueux.
Si l'on fait foi à de telles exagérations, on ne peut que
constater
le
"désastre"
de
la
crise
révolutionnaire
puisqu'après
celle-ci, il fallait bien revenir à la réalité : et les missionnaires du
Sénégal on trouvé un pays peu chrétien qui ne l'a jamais été plus,
avant comme après cette crise.
Les
quelques
décennies
d'interruption
de
la
mission
n'expliquent pas à elles seules cette "désaffection", la réalité est plus
simple
:
les
chroniqueurs
européens
auraient difficilement
passé
sous
silence
une chrétienté aussi
florissante,
pour
ne s'intéresser
qu'aux
seules religions
attirant vraiment
le grand nombre avancé
par l'abbé Demanet. De fait, ces chroniqueurs ne mentionnaient, à
côté de l"'animisme" que la poussée de l'islam qui s'est installé ou
qui commence à s'installer un peu partout(l).
Un constat que Labat, en toute inpuissance, avait d'ailleurs
fait un demi-siècle plus tôt(2). Ceci s'explique en partie par le fait
que longtemps, le christianisme, pour une large part, s'est arrêté à
Saint-Louis et
Gorée.
La priorité
désormais
donnée
à
la
future
capitale de la colonie dès la réinstallation dans l'île de la France de
la Restauration a pu renforcer ce sentiment.
1.5.
Le
renrorcement
des
initiatives
missionnaires
Pourtant
l'une des
tâches
que
s'assigna
l'abbé
Judicelly,
premier missionnaire envoyé
au
Sénégal
avec
le
titre de
préfet,
après
la
reprise,
en
18l5,
des
missions
de
la
côte
occidentale
d' Afriq ue(3)
fu t
la
réorganisation
des
anciennes
mi ssions
qui,
depuis, "ne furent plus suspend ues" (4).
1. Mungo Park : Voyage dans l'intérieur de l'Afrique. Op. cil. p.33
2. J.P. Labat : Nouvelle relation de l'Afrique Occidentale. Paris, Giffart
1728, T.S p.32S
3.
P.
Brasseur
:
"Missions
catholiques
et
administration
française
sur
la côte d'Afrique... " , pAlS
4. P.D. Boilat : Esquisses sénégalaises. Op. Cil.
p.3D
88
Depuis l'installation, en 1779 des Spiritains à Saint-Louis, le
sentiment qu'on avait de la vie de l'église, était le déplacement de
son centre dans cette ville au détriment de Gorée.
Quand pour fonder leur première école des filles en Afrique
les soeurs de Saint-Joseph de Cluny arrivèrent au Sénégal, en 1819,
elles choisirent de s'installer à Saint-Louis. Gorée ne les reçut qu'en
1822, date à laquelle elle eut son école de jeunes filles, un quart de
siècle
cependant
avant
Dakar
où
les
religieuses
de
l'Immaculée
Conception sont arrivées en
1848, pour ouvrir leur enseignement.
Ce sentiment de la "priorité" de Saint-Louis est davantage renforcé
par l'intense activité missionnaire qui se déroulait, en même temps,
dans la région située au Nord de la ville.
En 1823, Mère Javouhey, fondatrice de la congrégation des
soeurs de Saint-Joseph de Cluny, en visite au Sénégal depuis un an,
avait obtenu, à Dagana, situé dans cette région, une concession pour
y
installer
une
mission
qui
devait
s'occuper
en
particulier
de
cultures(l). Mais ce projet tourna court, après un début des plus
prometteurs.
Il semble qu'avec cet échec et celui de la mission de Bakel
bien plus tard (2), cette importance de Saint-Louis ait commencé à
baisser
fortement.
Depuis,
en
tout cas,
ce
furent
successivement
Dakar et Gorée et même Ngasobil, un moment, qui étaient le centre
de la mission. L'arrondissement de Gorée englobant alors une bonne
partie du pays sérère, sles curés étaient chargés de desservir les
missions de la côte jusqu'à Sainte-Marie de Gambie.
1. P. Brasseur, Anne
Marie
Javouhey
(1779-1851).
In
Libermann.
Op. cil. p.635 sq.
2. Un peu plus à l'Est, à Bakel, une mission fut en effet fondée en 1851
par le père
Arlabosse mais ricn dc durable ne put y être fait (A r ch.
OPM. 0774). Dans ce cas comme dans celui de l'établisscment des soeurs,
les difficultés de
l'époque et
la particularité du
terrain
très
proche des
fiefs
de
marabouts
dont certains ne
cachaient plus
leurs
ambitions d'en
finir
avec
la
présence
française
dans
leur
pays
n'étaient
pas
des
facteurs
particulièrement
favorables.
A Bakel, la fièvre emporta
bientôt le père Arlabosse ainsi
que
le père
Dréano qui l'avait
rejoint.
La mission
fut
ensuitc détruite
par
une
crue
du
fleuve Sénégal
en
1854. Deux autres facteurs
allaient porter le coup
de grâce: Bakel,
centre
commercial
prospère,
avait
cessé
de
l'être
à
partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, d'une pan, et, d'autre part, la
conversion ancienne
des
autochtones
à l'islam constituait un obstacle au
christianisme
qui
rendait
peu
fructeusc
la
présence
d'une
mission,
dès
lors
que
la décadence
économique
avait amené
les
étrangers,
les seuls
chrétiens
ou
susceptibles
de
l'être,
à émigrer.
(cf.
Mgr
Le
Roy: La
reprise des missions au XIXe siècle. Paris, A. Colin, 1902 p. 139).
89
Un acteur de la période, l'abbé Boilat, estime le résultat de
ce ministère s'étant déroulé entre
1819 et 1845 à 1154 baptêmes
"d'adorateurs de démons et de mahométans de tout âge et de tout
sexe" (1) , sans tenir compte des "enfants de chrétiens"(2) Un chiffre
qui
n'a rien d'éxagéré compte tenu des limites géogaphiques des
régions
concernées,
qui
débordent
largement
le
pays
sérère
qui
nous occupe.
En
1846, ce
fut
Boilat lui-même qui
baptisa plus d'une
centaine de chrétiens à Mbour et à Joal : 25 dans le premier village
et
90 dans
le
second.
L'année précédente,
les
missionnaires
du
Saint-Coeur de Marie avaient débarqué à Gorée, avant de s'installer
à Dakar d'où ils nourrissaient l'idée d'évangéliser les Sérères. La
nouvelle mission de Guinée"(3) venait alors d'être dévoluée à la
société du père Libermann, la congrégation du Saint-Coeur de Marie
fondée quatre ans plus tôt.
Au départ,
le
Saint-Coeur de Marie,
dont
la vocation
a
toujours été l'évangélisation des Noirs des colonies françaises avait
curieusement
du
mal
à
trouver
des
terres
où
déployer
ses
missionnaires, le "clergé colonial" ayant en charge les colonies.
Aussi, lorsqu'il signa, à la veille de Noël 1842 l'accord qui
mettait ses
missionnaires
à la
disposition
du
vicaire
des
deux-
Guinées, Mgr Barran, jusque-là vicaire de Philadelphie qui eut de
Rome la charge(4) apostolique de l'Afrique mais sans avoir un seul
missionnaire, Libermann fut comme soulagé,
bien que l'immensité
et la difficulté de la tâche ne lui échappèrent pas.
1. D. Boilat : Esquisses sénégalaises. Op. cit.
p.3ü
2.
Ibid.
3.
Née dans un contexte de reprise des missions d'Afrique,
la mission
des
Deux·Guinées
fut
érigée
dès
le
28
septembre
1842
en
vicariat
apostolique (confié à Mgr
Barran).
Mission aux contours très nous, les
Deux-Guinées,
à l'instigation de Libermann étaient
"délimitées", en
1846,
année à laquelle cette
vaste mission est devenue
préfecture
apostolique.
Une délimitation qui n'avait pas résolu pour autant le problème. S'il était
clair, en effet que ces limites allaient de la côte sénégalaise à celle de
l'Angola,
il
l'était
moins
quant
à
leur
précision
à
l'intérieur
du
continent.
4. Vicaire
général
de
Philadelphie, Mgr
Barron
avait
été
désigné
par une
réunion
des
eveques
amencains
tenue
à
Baltimore en
1842,
à
une époque où l'on s'occupait du retour en Afrique d'esclaves affranchis
aux
Etats-Unis
et
qui
étaient
devenus
chrétiens
durant
leur
captivité.
Destiné
au
Libéria
avec
les
sept
missionnaires
qu'il
avait
réussi
à
obtenir du
père Libermann,
il
fut nommé vicaire
opostolique des Deux-
Guinées, poste créé à son intention.
90
Les
premiers
missionnaires
envoyés
dès
1843
par
le
fondateur,
sous
l'autorité
de
l'évêque
américain
devaient
malheureusement
penr
tous(l)
à
l'exception
d'un
seul,
le
père
Bessieux(2) dont on devait retrouver les traces, plusieurs mois plus
tard, au Gabon.
Baron lui-même fut abattu de découragement et rentra
définitivement
aux
Etats-Unis.
Les
missionnaires
du
père
Libermann, eux, devaient, depuis, rester en Afrique.
Le rescapé Bessieux fonda la mission du Gabon au moment où
Libermann, qui lui ne se découragea pas, désignait, pour remplacer
Mgr Baron, le père Tisserant(3).
En janvier 1845, il avait alors déjà été sollicité par la
Propagande qui le chargeait de désigner un préfet apostolique pour
la mission de Guinée. Le père Tisserant n'occupa jamais ce poste,
ayant
pen
en
mer
alors
qu'il
était en
route
pour
en
prendre
possession(4) malS il allait désormais être régulièrement pourvu.
Dès
1846, fut creee la "préfecture apostolique des Deux-
Guinées et de Sénégambie" à la tête de laquelle fut nommé un
vicaire apostolique Mgr Truffet , "l'une des valeurs les plus sûres" de
la société de Libermann.
1.
Les
sept
missionnaires
se divisaient en deux
groupes
: un
premier
groupe destiné aux Deux-Guinées se composait de 3 missionnaires et un
second
de
4
au
pays sérère,
à Joal,
précisément.
lis
arrivèrent
tous
à
Gorée
le
10 octobre
1842. en
"escale",
sur la route
de
leurs
missions
respectives.
Mais
là,
il
semble
qu'une
mauvaise
interprétation
d'une
lettre reçue peu avant
leur départ les ait tous amenés à embarquer pour
le Libéria où le drame devait se produire.
2. Il Y eut tout d'abord 5 victimes et les
deux
survivants ont dû
aller
chacun de son dôté.
En définitive,
seul survécut le
père
Bessieux pris
pour mort par Libermann
et les membres de
sa congrégation.
Lorsqu'il
"réapparaît"
au Gabon
près d'une année
plus
tard,
il était
alors devenu
pour eux le miraculé du groupe. Après avoir fondé la mission du Gabon,
Bessieux devint, après la mort de Truffet, le chef de mission
des
Deux-
Guinées. Toujours établi au Gabon, il y mourut en 1876.
3.
V.
Groffier
: Héros trop oubliés de
notre
épopée
coloniale.
Afrique
occidentale,
centrale
et orientale.
Paris-Lyon,
Libr.
catholique
Emmanuel Vitte, 1928
p.20
4.
Ibid, p.21
9 1
Sacré évêque en janvier 1847, Truffet s'installa à Dakar en
avril, alors que les tout premiers disciples de Libermann, dans la
future capitale de l'AOF, les pères Arragon et Warlop, après avoir
fondé le premier établissement de la société, songeaient déjà à aller
en mission à l'intérieur du pays, les Dakarois leur paraissant peu
disposés à se laisser convertir au christianisme(1). Avec la fusion en
1848 de la société de Libermann et de celle des pères du Saint-
Esprit,
fondée
en
1703(2)
pour
préparer
aux
ordres
des
clercs
pauvres
qui étaient ensuite envoyés
comme "clergé colonial"
en
mission, les difficultés suscitées par leur co-existence au
Sénégal
étaient ipso-facto résolues.
La nouvelle société qui prit l'appellation de congrégation du
Saint-Esprit et du Saint-Coeur de Marie, tout en gardant Libermann
à sa tête fut depuis, la seule pourvoyeuse de prêtres au Sénégal
pendant un siècle. Parmi les missionnaires du Saint-Coeur de Marie
que la fusion trouva à Dakar, il y a ceux qui sont arrivés de Neuville
en janvier 1846, un véritable renfort pour les pionniers de l'année
précédente, les pères Arragon et Briot, qui les mit en position de
pouvoir se déployer enfin, un peu plus au Sud de Dakar.
1.
Arragon lui-même décida de se rendre au Cayor voir le roi pour qu'il
lui
facilitât
son
établissement
dans
ses
possessIOns
proches
de
la
République
de
Dakar.
Accompagné
d'un
frère
convers,
Sim é on, il est
arrêté
par
les
hommes
du
roi
et
détenu
dans
la
capitale
du
royaume
pendant
une
quinzaine
de
Jours,
avant
d'être
relâché
avec
son
compagnon.
Cette
mésaventure devait
peser fortement
sur la
localisation
poussée à l'extrême de la présence missionnaire qui se limita pendant un
demi siècle sur la côte.
2.
Il
s'agissait alors
de
réunir en une deux
sociétés
si
différentes que
la
fusion
ne
pouvait
qu'en
être
bénéfique.
Parmi
ces
différences,
il
y
avait
tout
d'abord
l'expérience.
Le
Saint-Esprit
avait
142
ans
d'existence
de
plus
que
la société
du
Saint-Coeur
de
Marie,
fondée
en
1841.
Cette ancienneté donnait au
Saint-Esprit une sorte de privilège
dans
l'évangélisation des colonies pendant que
le Saint-Coeur n'avait pas
de terre où se déployer. Lorsqu'en 1842 il eut la mission de Guinée, il était
sans
moyens
financiers.
Or le Saint-Esprit
qui
eut
longtemps
pignon
sur rue était,
sur ce plan,
relativement bien
loti, mais sans les moyens
humains
nécessaires
à
l'entreprise
missionnaire.
L'institut
du
Saint-
Coeur
de
Marie,
enfin,
était
spécialisé,
en
tant
que
société
missionnaire,
dans
la prêche
des
missions,
tandis
que
le Saint-Esprit
était
plutôt
versé
dans
l'activité
paroissiale.
Le
but
commun
des
deux
sociétés étant resté le plus
fort,
la réunion de ces spécificités qui
sont
autant
d'atouts
était
réputée
nécessaire
à
l'entreprise
missionnaire.
Aussi dès
1846, Libermann
milita-t-il
pour la fusion,
instruit qu'il était
par, notamment le conflit de juridiction qui s'était élevé en 1845, à Gorée,
entre ses missionnaires et ceux
du Saint-Esprit.
Cette fusion eut lieu
le
jour de Pentecôte, en
1848, avant d'être approuvée par la Propagande le
10 septembre
1848.
92
On ne sait pas dans quelle mesure Mgr Truffet favorisa ce
début de déploiement, mais sa vision claire du rôle de la mission
devait y contribuer fortement,
bien qu'il n'eut pas le temps, pour
n'être
resté
que
très
peu
de
temps
à
la
tête
de
son
vicariat
apostolique des Deux-Guinées, de le vivre vraiment(l).
Juste après sa mort, le père Bessieux de passage à Dakar et
en charge de la communauté des missionnaires, "dans l'attente de
nouveaux ordres" devait, avant son retour au Gabon, envoyer deux
missionnaires,
le
père
Arragon
et le diacre
Gallais
et
un
frère,
Claude, reprendre la mission de Joal.
Les débuts furent naturellement difficiles et excédé par
l'accueil
et
le
comportement
peu
chrétien
des
Sérères,
le
père
Arragon rentra à Dakar laissant sur place Gallais qui résista encore
seul à 1"'adversité"(2), inscrivant ainsi son nom à la première page
de l'histoire de la mission "sédentaire" du pays sérère.
1.
P.
Brasseur,
"A
la
recherche
d'un
absolu
missionnaire.
Mgr
Truffee
Vicaire
apostolique
des
Deux-Guinées
(1812-1847-.
In
Libermann.
Op.
cit.
pp.3I9-332.
Madame
Brasseur
a
démontré
comment
Truffet
fut
un
vrai
visionnaire.
Nommé
préfet
apostolique en
novembre
1846, sacré
le 21 janvier 1847, il arrive à Dakar le
15 avril
pour y mourir le 23 octobre. Il n'eut donc qu'un ministère de 7 mois mais
qui
fut
fon
riche
en perspectives
pour la mission.
Tout en
privilégiant
la
conversion
des
populations,
Tru ffe t
pensait
déjà,
en
effet,
à la
création d'un clergé indigène et fut
très
réservé dans ses
relations
avec
l'administration,
évitant
ainsi
soigneusement
l'influence
du
gouvernement
local
sur la
mission.
Pour Tru ffe t,
il
s'agissait
d'établir
l'Eglise
en
Afrique
et
non
la
civilisation
occidentale.
Hostile
donc
à
l'ingérence du gouvernement dans les affaires de la mission,
il n'accepta
jamais
de
priver
sa
charge
de
hauteur
au
point
de
demander
à
l'Administration
l'autorisation
nécessaire
aux
sorties
de
Dakar.
On
comprend
ainsi
que
cet
esprit
d'indépendance
l'ait
amené,
lors
de
la
mésaventure de ses missionnaires
au Cayor à reporter tout
le mérite de
leur libération sur le chef des Lébous de Dakar, faisant totalement fi des
efforts
pourtant
décisifs
des
autorités
coloniales
de
Saint-Louis
pour
cette
libération.
Pour Truffet, le missionnaire doit se fa~ "nègre parmi les nègres" pour
mieux
implanter
l'église.
2.
L'installation
des
pères
fut
longtemps
entravée,
en
effet,
par
les
chrétiens
de
10al
eux-mêmes
qui,
curieusement,
n'en
voulaient
pas
-
abbé
Bo ila t
dans
ses
Esquisses
sénégalaises
expose
largement
cette
situation - et le roi du Sine qui se fit prier pour donner l'autorisation de
s'installer
aux
missionnaires.
93
En même temps, d'autres villages de la côte au Nord de Joal
recevaient, en cette année 1848, la visite des missionnaires. Le site
de N gazobil, découvert par le père Bessieux de retour d'une visite à
ses missionnaires nouvellement arrivés à Joal allait faire naître une
nouvelle priorité : sortir le centre de la mission
de Dakar pour
l'implanter en pays sérère, dans un endroit calme et retiré, pouvant
favoriser son expansion et la culture qui
devait servir tout à la fois
à faire aimer aux futurs chrétiens le travail de la terre et pourvoir
aux besoins alimentaires et financiers des missionnaires, désormais
unis autour de Mgr Kobès(l) et de la pensée de Libermann.
C'est à ce moment que les dépendances de la côte au Sud de
Dakar de la mission de Gorée qui commença à diminuer dès 1845
avec
l'arrivée
des
premiers
disciples
de
Libermann
furent
transférées totalement à cette nouvelle mission. C'est aussi le début
de
la
sédentarisation
de
la
mission
chez
les
Sérères
et
de
la
constitution des bases de son expansion des décennies suivantes.
2
-
La
fondation
de
la
mission
de
Joal
et
les
débuts
de
la
mission chez les Sérères de la côte (1848-1879)
2.1.
J oal
"la
doyenne"
La "résistance" du futur père Gallais avait quelque chose de
positif. Elle démontra aux chrétiens de Joal hostiles la détermination
des missionnaires à planter durablement la croix dans leur village
et à leur roi la nécessité de tolérer, à défaut de pouvoir collaborer
avec
la
mission,
sa
présence.
Désormais
convaicu
du
rôle
"inoffensif' de celle-ci et de ce qu'elle pouvait avoir de bénéfique, le
roi autorisa enfin, en juin 1848, l'établissement de Gallais qui devint
ainsi le premier missionnaire résident de IoaI. Mgr Kobès devait
largement encourager le processus et lorsqu'en
1863
une réforme
détacha la Sénégambie des "Deux-Guinées", il en devint le Vicaire
apostolique(2).
1.
Né
en
1820
à
Fassenheim,
dans
le
Bas-Rhin
en
France,
AI 0 Ys
K 0 b è s
passe
pour
le
fondateur
de
la
mission
en
pays
sérère.
Sacré
évêque coadjuteur de
Mgr
Bessieux, il
arrive au Sénégal en
1849 année
à laquelle, en effet, on assite, après la fondation de Joal un an plus tôt, au
début
du
renforcement
des
moyens
missionnaires
dans
ses
environs.
Ce
fut
ensuite
naturellement
la
fondation
de
Ngasobil
et la
prise en
charge
des
autres
villages
missionnaires
de
la
côte.
Son
long
ministère
vit
se
mettre en place lOutes les institutions de la mission : filles du Saint-Coeur
de Marie,
frères
de
Saint-Joseph, clergé
indigène...
Aussi,
lorsqu'il
meurt
e.n 1872, la mission est une solide réalité.
2 - Le
vicaire
apostolique
a
en
commun,
avec
le
préfet
apostolique.
d'être
à
la
tête
d'un
territoire
missionnaire
qui
n'a
pas
encore
le caractère canonique
d'un
diocèse.
Mais
le
vicaire
est
évêque,
contrairement
au
préfet
apostolique
qui,
de
ce
fait
ne
peut
ordonner
de
prêtre.
94
Ainsi, le rôle de collecte des prestations destinées au roi a semblé
longtemps avoir été la raison d'être de l'institution des diarafs(4).
Mission ancienne, Joal était loin d'être,
lorsqu'en
1848 y
débarquaient les missionnaires
Gallais et Arragon,
un
modéle de
chrétienté(l). Cependant, dès 1850, on note que beaucoup de jeunes
s'intéressaient à la religion chrétienne et s'ils ne demandaient pas le
baptême pour des raisons souvent familiales, n'en étaient pas moins
attentifs au nouveau voisinage de la mission.
En fait, la longue absence des missionnaires a favorisé ici
une classe particulière de privilégiés qui ont profité de ce vide pour
se
hisser et se
maintenir à
un
niveau
social
apparemment
sans
commune mesure avec leur mérite. Incarnée par Michel-Maria qui
n'a pas hésité à s'adjuger le titre de "curé de Joal"(2), cette nouvelle
classe qui se voulait la remplaçante des missionnaires ne pouvait
évidemment souffrir de les voir revenir. Les prêtres, en mettant à
nu
leur ignorance et
leur imposture, réussirent
à contenir
leurs
plans censés être un frein à l'évangélisation. C'était d'ailleurs là une
des clés du succés de la mission, ces "anciens" chrétiens ayant reussi
à avoir beaucoup d'influence. La saine implantation de la religion
passait donc par leur marginalisation. Celle-ci semble s'être faite en
même temps que s'éteignait leur "race".
Ces chrétiens étaient en effet, les derniers d'une longue
lignée de Luso-Africains descendant des Portugais au
XVIe siècle.
Selon Jean Boulègue, leurs communautés "s'étaient constituées sur
les
bases
d'une
spécialisation
économique
et
d'une
originalité
religieuse et linguistique "(3). Avec la disparition au XIXe siècle d'un
de
ces
éléments
:
le
créole,
"il
(ne)
restait
(qu)'une
activité
commerciale
médiocre
et
une
trace
presque
effacée
du
christianisme.
Ces
deux
éléments
leur
permettait
encore
de
se
particulariser.
Mais
c'était
sur
une
base
fragile
et
les
premiers
changements introduits par la mission catholique en 1848, puis par
l'occupation
française
de J oal
en
1859
suffiren t
à dissoudre
la
dernière
communauté
luso-africaine
de
Sénégambie"(4).
En
effet,
"avec les conversions faites en milieu sereer, la religion chrétienne
cessa
d'être
un
trait
distinctif
réservé
aux
familles
de
souche
portu gaise.
---------------------------
1. P.D. Boilal
Esquisses sénégalaises. Op. cil. p.118
2. Arch. CSSP, BG Il, 1860 P p.73
3. Arch. CSPP, BG Il,
1861 p.226
4. J. Boulègue
Les Luso-Africains ... déjà Cilé p.99
95
Quant à l'implantation française, elle accéléra l'installation
des
traitants
(qui
avaient
déjà
commencé
avant
elle)
et
le
commerce,
qui
constituait
depuis
environ
trois
siècles
l'assise
économiq ue de la communauté luso-africaine lui échappa. Dans la
seconde
moitié
du
XIXe
siècle,
les
derniers
Luso-Africains
de
Sénégambie étaient devenus des Sereer de Joal"(l).
Descendants d'union de Portugais en séjour plus ou moins
long en Sénégambie et de femmes du pays mais se mariant avec les
autochtones, les Luso-Africains ont tout d'abord épousé la couleur
de
ceux-ci
avant
de
se
fondre
complètement
à
eux.
Mais
lorsqu'en1848
arrivait
à
Joal
la
mission
"résidentielle"
du
père
Gallais,
il
y
subsistait
ce
qui
apparemment constituait
la
toute
dernière génération de ces Noirs qui ne voulurent être autre chose
que des "Portugais". Et "l'affaiblissement" de leur identité culturelle
n'empêchait
pas
les
Luso-Africains
de
Joal
de
proclamer
vigoureusement
leur
particularisme
par
rapport
à
la
population
sereer
environnante.
Ils se fondaient principalement sur la religion et pour cela
se montraient hostiles à l'évangélisation des autres populations"(2).
Gallais note même qu'''ils
ne peuvent pas concevoir qu'on puisse
baptiser un sereer, et si vous
le faites, ils vous diront qu'ils ne
savent
pas
comment
vous
pouvez
prendre
une
telle
responsabilité"(3). On les comprend puisqu'ils se voulaient "blancs"
et pour que la religion puisse efficacement continuer de conférer ce
"titre" - on n'ose parler de couleur ! - il fallait qu'elle ne fusse pas
celle de tous : "Ils veulent qu'on les appelle les blancs de Joal, les
chrétiens de Joal, parce qu'ils descendent des Portugais en ligne
directe et qu'ils sont baptisés"(4).
La
pratique
religieuse
de
ces
chrétiens
est
loin
d'être
orthodoxe et n'a pas grand chose à envier à l'''animisme''(5) tant
décrié par les missionnaires. Ils ne facilitèrent en tout cas pas la
tâche aux premiers prêtres dont la détermination, qui leur permit
de résister et de se maintenir à Joal, a largement contribué à les
marginaliser, favorisant ainsi leur effacement rapide et définitif.
1. J. Boulègue : Les Luso-Africains ... déjà cité
p.lOO
2.
Ibid.
3. Ibid.
p.98
4.
Ibid.
5. D. Boilal : Esquisses sénégalaises. Op. CiL
pp.108-109
96
En 1859, le rattachement de la côte au sud de Dakar à la
colonie
favorise
davantage
la
mission
jusque-là
plus
ou
moins
soumise
à
la
bonne
volonté
du
roi
du
Sine
et
entravée
par
l'insécurité due aux guerres que se livraient souvent les différents
royaumes de
l'Ouest du
Sénégal
ou
les
prétendants
au
trône,
à
l'intérieur de ces royaumes.
Aussi, dès
1860, on put noter les fruits de ce nouvel ordre
des choses : la sécurité ainsi créée donna une nouvelle impulsion à
la mission et le roi du Sine ne sembla
désormais voir que du bien
dans celle-ci puisqu'on note que ses nouvelles bonnes dispositions
permettent aux missionnaires de Joal de pénétrer à l'intérieur du
pays(l ).
Avec de telles dispositions, l'évangélisation ne pouvait que
progresser, à commencer par Joal-même où en 1861, on notait 74
communions
pascales,
12
premières
communions,
64
baptèmes
pour l'essentiel de jeunes. Peu de mariages mais une quinzaine de
baptèmes
de
mourants(2).
Dès lors, il ne restait plus qu'à édifier une chapelle à même de
recevoir
tout
ce
monde,
les
conditions
politiques
s'y
prêtant
désormais(3). Ce qui fut fait en 1861(4). 11 s'agit d'une chapelle en
dur, la première du genre en pays sérère qui, à l'époque, semblait
impressionnan te(5).
1. D. Boilal : Esquisses sénégalaises. Op. cit.
pp.106
2. Arch. CSPP,
BG II, 1861 p.226
3.
Le
roi,
en
admettant
l'installation
des
missIonnaires
en
1849,
avait
interdit
les
constructions en dur,
sans
doute
pour
tenir en
respect
(on
ne
sait
trop
pourquoi)
les
missionnaires
dont
l'établissement devait
être,
comme les cases du pays. transperçable "de part en part" par une flèche.
4.
Les
conditions
dans
lesquelles
a
été
édifiée
la
chapelle
furent
un
encouragemelll
supplémentaire
pour
les
missionnaires
comme
le
note
le
père Lamoie dans un rapport au T.R.P. "II y eut un tel enthousiasme dans
la
population
entière
que
les
ouvriers
nous
arrivaient
en
surabondance.
chose d'autant plus prodigieuse que nous
nous
trouvions
à l'époque des
grands
travaux
de
campagne...
Plusieurs
d'entre
eux
voulurent
travailler
gratuitement...
Tandis
que
d'autres
mettaient
à
notre
disposition
leurs cotres et leurs embarcations".
Arch.
CSSP
BG Il, 1862
p.585.
S. Arch.
CSSP
BG II,
1861
p.337
97
Au même moment, était "ouverte" une école à la mission,
confiée
au
père
Poussot{l).
Les
difficultés
ne
semblaient
pas
cependant être définitivement
vaincues
puisque
les
missionnaires
songèrent un instant à quitter Joal(2). Le roi et ses agents avaient
brusquement retrouvé un intérêt à "récupérer" leur village.
Ce qui s'explique sans doute par le fait qu'il y avait regain
d'activités dans le commerce, pratiqué depuis des siècles dans cette
partie du pays. Tombée à un très faible niveau au XVIIe siècle,
l'activité
commerciale
s'était
intensifiée
sur
la
côte
par
suite
notamment de la sécurité toute relative imposée par l'occupation
française
mais aussi du
fait de l'importance que
prenait, chaque
jour dans l'économie, l'arachide dont la culture était nouvellement
in trod uite au Sénégal.
De fait, la vie de la mission est rythmée par celle du pays.
Chaque roi apportant son style et ses problèmes et compte tenu de
la rapidité de succession des règnes, on peut penser que rien ne
pouvait être uniforme et stable, dans les relations des missionnaires
avec la royauté.
Ce qui était valable
un jour pouvait cesser de
l'être le
lendemain
et on ne
s'étonne
plus,
dans
ces
conditions,
que des
progrés
se muent aussi rapidement en obstacles
ou,
inversement,
des obstacles annoncés laissant rapidement la place à une situation
particulièrement favorable.
Aussi,
avant
même
La
fin
de
l'année
1862, une correspondance de Mgr Kobès adressée au TRP gomme
ces inquiétudes exprimées par le père Lamoise, après l'annonce du
"retour" à Joal de ceux dont on pensait qu'ils ne feraient rien pour
faciliter la tâche à la mission : "l'église" de Joal était toujours bien
remplie pour les offices(3). Joal ne fut pas abandonné, au contraire.
Dès
1863,
les
soeurs
du
Saint-Coeur
de
Marie
vinrent
renforcer les missionnaires(4), en se dévouant aux oeuvres sociales
de la mission. Leur arrivée ne fut pas tout de suite bénéfique à
celle-ci car les populations comprenaient très
mal
L'action de ces
femmes
qui
se détournaient du
mariage et de
la procréation
et
n'acceptaient pas facilement
Leurs interventions.
1. Arch.
CSSP
BG II. 1861 p.428
2. Arch.
CSSP
BG II, 1862 p.578
3. Arch.
CSSP
BG III, 1862 p.53
4. Arch. CSSP
BG III, 1863P
p.3ü7
98
Un comportement qui n'allait évoluer qu'avec le temps. De
même
l'''ouverture''
quelques
années
plus
tard
d'une
école
de
garçons et d'une autre de filles(1), tout en confirmant les difficultés
antérieures qui
semblent avoir contribué à l'échec de la première
école ouverte quelques années plus tôt dans la mission démontrait
que tous les éléments d'une implantation définitive étaient réunis.
Composées de deux cases, l'une pour les filles et l'autre pour les
garçons, ces écoles ont pu démarrer dès le début des années 1870.
Avec
toutes
les
institutions
qUI
accompagnent
traditionnellement la mission, les soeurs étant aussi soignantes, Joal
était ainsi, en 1879, bien partie pour aider l'église à progresser dans
le pays. Dès cette année, le père Lamoise, qui en avait désormais la
charge,
put ainsi effectuer une
tournée au
Sine, dans
l'espoir de
rapprocher
la
mission
du
roi
et
préparer l'avenir de
celle-ci
au
coeur du pays.
2.2.
La
brève
expérience
de
Mbour
Avant de songer aller plus à l'intérieur, les missionnaires
ont jugé plus indiqué de concentrer leurs activités sur "la côte au
sud de Dakar".
Ainsi,
Mbour fut-il
doté d'une mission dès
après
l'installation à Joal, en 1850(2). La prospection effectuée auparavant
dans ce village sérère avait fait naître tous les espoirs. Village grand
et
peuplé,
en
bonne
partie
de
Sérères,
Mbour
ne
devait
pas,
pensait-on
alors,
être
hostile
au
christianisme.
D'autant
que
la
religion musulmane n'y était pas pratiquée, chez les Sérères, comme
le rapportait un témoin de l'époque(3).
1. Arch. CSSP
BG VIII,
1870-1872
p.522
2. L'exploration avait concerné le Nord côtier de Joal dont Saly Portudal,
village sérère qui a joué un rôle imponant dans le commerce aux XVIe et
XVIIe
siècles.
Des Européens
s'y
rencontraient,
ce qui
lui
donnait plus
d'imponance
aux
yeux
des
premiers
missionnaires.
Mais
dès
le
XVIIIe
siècle, cette imponance économique, comme à Joal
d'ailleurs,
mais
dans
une plus
forte
proportion,
n'existait
plus et Sally
"dépeuplé"
commença
à perdre de
son intérêt,
d'autant qu'il
était déjà moins peuplé
que
son
voisin
Mbour.
On
comprend
dès
lors
pourquoi
les
missionnaires
ont
choisi de faire de Mbour la résidence.
3. P.D. Boilat : Esquisses sénégalaises. Op. cit.
p.118
99
Nouvellement
arrivés
de
France,
les
pères
Poussot
et
Lamoise furent donc affectés à cette mission naissante.
Première
expérience,
premier échec
: ignorée
par
les
Sérères
qui
ne
se
laissèrent pas convertir, la mission n'eut pour résultat positif que de
donner
aux missionnaires l'occasion de mesurer la difficulté de leur
entreprise. Bien reçus à Mbour et à Sally qu'ils pensaient ainsi
pouvoir desservir de Mbour, les pères ne tardèrenr pas à percevoir,
bien vite, que l'hospitalité qui leur était accordée ne rimait pas
forcèment avec conversion. A la quasi indifférence des habitants, se
mêlait
la
tension
politique
avec
l'invasion
de
Mbour
par
les
guerriers du Cayor.
Cette invasion décrite par Boilat a bel et bien eu lieu mais
ses causes étaient beaucoup moins avouables qu'il l'écrit, sans doute
par erreur(1). Notons tout d'abord qu'à l'époque il n'y avait qu'un
damel-teigne,
Maïssa Tende qui présidait aux destinées des deux
royaumes. Les difficultés politiques concernaient plutôt les rapports
de ce roi non pas avec le teigne du Baol inexistant, mais avec les
Sérères.
Le damel-teigne
se
plaignait,
avant
même
l'arrivée
des
missionnaires, de l'attitude à son égard de ces sujets "rebelles" qui
ne respectaient assez les liens d'allégance qu'il estimait les unir à
son royaume.
La période est celle de tous les dangers pour les
habitants de la région, les Sérères commençant à rejeter l'autorité
du
souverain
de
façon
ouverte,
comme
cela
arrivait
souvent.
L'occasion
fut
le
paiement
du
"tribut"
annuel
qu'ils
refusèrent
d'acquitter cette année-Ià(2). Maïssa Tende n'était pas loin de voir
dans
cette
attitude
le
résultat
d'un
encouragement des
autorités
coloniales
ou,
pour
le
moins,
des
commerçants
français
nouvellement installés à Mbour.
Dans une lettre au gouverneur Baudin de Gorée, il laissait
perçer toute son amertume : "Vous m'avez fait du tort en laissant
vos
gens
habiter
Mbour
sans
ma
permission
pour
y
faire
du
commerce.
1. P.D. BoHat
: Esquisses sénégalaises.
Op.
cil. p.118.
Boilat estime en
effet
que
ce
fut
sous
prétexte
de
déclarer
la
guerre
au
teigne
que
le
damel envahit
Mbour.
Ce qui
à priori
est
inconcevable puisqu'une
telle
guerre
ne
pouvait qu'avoir un objectif politique
et non économique
qui
eût justifié l'attaque d'une localité si
lointaine et si dépourvue, pour cette
raison, d'intérêt stratégique. Il y a surtout qu'à l'époque, il n'y avait pas
de problème possible entre le Cayor et le Baol (voir supra).
2. R. FaU : Le royaume du Baol du XVIe au XIXe siècle... p.258
100
Les
premIers
qui
ont
habité
le
village
étaient
mes
tributaires de nations serères, je puis donc les piller quand bon me
semble. Autrefois, ils me payaient un tribut annuel,
alors, je les
laissais
tranquilles,
et
maintenant
qu'ils
ne
veulent
plus
me
le
payer, je suis obligé d'avoir recours aux menaces et lorsqu'elles ne
réussissent pas, j'emploie la force"(1).
L'autorité
royale
avait
donc
besoin
de
s'affirmer
pour
exister dans une région où les populations n'en voulaient pas. Or
cela se passait à un moment où le royaume tirait une bonne partie
de ses ressources du commerce et des transactions qui se faisaient
sur sa côte.
Au-delà de ce besoin de contrôler le commerce pour en
tirer le maximum de profit, la cour du Cayor-Baol voulait aussi
s'assurer qu'il ne représentait pas un danger pour sa propre survie :
elle "redoutait l'achat d'armes à feu" par les badolos (les paysans
libres)(2) dont elle avait toutes les raisons, vu le traitement qu'elle
leur
réservait,
de
redouter
le
soulèvement.
L'établissement
des
Européens
à Mbour était donc
susceptible, aux
yeux
du
roi,
de
constituer une menace pour la stabilité du pouvoir politique.
C'est dans
ce contexte si défavorable que
fut fondée la
mission de Mbour.
On comprend donc la suite
: la mission fut
saccagée,
les
missionnaires
molestés
et
obligés
de
quitter
leur
établissement(3).
L'insécurité
eut
ainsi
raison
de
cette
première
expérience. Il semble, dans ces conditions, que la fondation était
trop
prématurée( 4)
et
n'a
pas
tenu
compte
de
la
situation
de
l'époque. Mbour était bien sur la Petite Côte mais n'a eu ni le passé
de Ioal, ni son intérêt pour le colonisateur. Il n'a donc pas attiré
l'attention
des
Européens,
qui
n'ont
pas
éprouvé
un
besoin
particulier de
le
protéger,
ni
militairement,
ni
par
leur
simple
présence. Toute la côte, de Dakar à Ioal n'allait devenir française tel
qu'on l'a vu, que plusieurs années après cet incident.
1. Cité par R. Fall : Le royaume du Baol. .. p.258
2.
Ibid.
3. P.D. Boilat
Esquisses sénégalaises. Op. cil. p.120
4. M. Briault
Le vénérable F.M.P Libermann. Paris, Gigord,
1946 p.509
101
Dès
lors,
il
paraissait difficile
d'entreprendre
une
action
d'évangélisation sans l'autorisation au moins tacite des chefs de la
contrée. Or, les missionnaires ont cru devoir s'en passer, ignorant
l'importance du fait politique dans la religion, à une époque où le
roi
du
Cayor-Baol
s'estimait
maître
absolu
de
ses
sujets
des
provinces sérères et le seul à y devoir dicter sa volonté et à y
autoriser
l'établissement
d'étrangers.
Ils connaissaient peut-être d'avance la réponse, l'enjeu que
représentait Mbour,
tant pour la religion chrétienne que pour le
pouvoir du roi ne leur ayant apparemment pas échappé.
Mais
la
mésaventure
des
missionnaires
au
Cayor,
trois
années plus tôt était encore récente pour qu'ils prennent le risque
de s'y exposer à nouveau volontairement. Ils ont préféré un autre
risque, celui de s'installer à l'insu des autorités avec tous les risques
que
cela
impliquait
pour
leur
sécurité
et
l'efficacité
de
leur
entreprise. Des risques d'autant plus grands que leur installation ne
pouvait passer inaperçue, elle avait même vocation à ne pas l'être.
La coexistence des tiédos avec
la mission n'avait aucune
chance d'être harmonieuse. Même si elle eut rarement lieu puisque
prenant les devants, celle-ci évita désormais de
s'installer à leur
portée.
2.3.
Ngasobil,
centre
de
la
mission
Le projet du père Bessieux de fonder une mission sur le site
de
Ngasobil,
alors
inhabité
et
"retiré
du
monde"
et
au
climat
relativement très sain, devait être mis à exécution par Mgr Kobés,
un an après son arrivée en Sénégambie.
On
sait jusqu'à
quel
point
l'idée
de
créer
une
colonie
agricole effleura le futur evêque des "Deux-Guinées" qui pensait au
transfert d'une partie de la mission et du séminaire en gestation de
Dakar à Ngasobil, du
moins prioritairement au début, mais Mgr
Kobès assigna cette mission à l'établissement qu'il fonda en 1850,
avec des objectifs ambitieux.
102
Comme le notait le père Arlabosse, vice-préfet apostolique
de Sénégambie, il fallait en faire "des établissements agricoles pour
les deux sexes"(1), ce qui apparaissait comme "le moyen d'assurer
les progrès futurs de la foi dans ce pays"(2).
pour les missionnaies,
il ne serait pas très difficile de trouver des enfants pour de tels
établissements. Mais la solution préconisée pour cela par le vice-
préfet témoigne de l'état d'esprit d'une mission qui était très peu au
fait des réalités.
Il
s'agissait pour
Arlabosse
de
simplement
habiller
"les
enfants de mahomettants" et de recourir à une certaine corruption
qui sévit dans "les grandes villes" de Gorée et Saint-Louis pour
trouver ces candidats de Ngasobil(3).
Dans la foulée,
on estimait que
l'évangélisation du pays
sérère serait complète dès que la mission pourrait disposer d'un
prêtre supplémentaire et de 20 à 25.000 francs par an(4).
Cette vision simpliste et très peu éclairée fut, comme on l'a
vu avec Mbour, à l'origine de bien de désillusions. Mgr Kobés l'avait
peut-être
bien compris
lorsqu'il créait l'établissement qu'il
plaça
sous le patronage de Saint-Joseph.
Tout en prenant acte de ce qu'il convenait d'éloigner les
enfants des rapports très fréquents avec le monde et le mouvement
des
affaires
(ce qui
reste d'ailleurs
une
stratégie discutable),
il
estima qu'il était question de leur apprendre à cultiver la terre, tout
en favorisant les études
pour ceux d'entre eux
qui
montreraient
plus d'aptitudes(5). Mgr Kobès envoya alors le père Chevalier régler
les
derniers
détails
de
la
fondation,
et
celui-ci
semble
s'être
parfaitement
bien
acquitté
de
sa
tâche
puisqu'en
1851,
le
seul
problème mentionné à propos de Saint-Joseph fut l'insécurité.
1. Arch.
OPM.
G.07442
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Ibid.
S.
Aperçu
historique
sur
la
miSSIOn
Saint-Joseph
de
Ngasobil.
Impr.
de la mission. Ngasobil, 1875,
p.9 et sq.
103
Aloys Kobès
(1820-1872)
Photo. in Libennann op cit p 650
104
Cette année était en effet particulièrement troublée et les
royaumes
dont
dépendaient
les
villages
de
la
côte
restaient,
à
l'image
du
pays,
peu
sûrs(l).
Les
troubles
nés
d'une
crise
de
succession au Sine compliquèrent davantage la situation(2). Aussi,
la mission fut-elle abandonnée.
En
1859,
les
choses
recommencèrent
à
évoluer
positivement
Avec Dakar et toute la côte au sud de la presqu'île du
Cap-Vert, le comptoir de Kaolack devint français.
Cette
nouvelle
situation,
dont
la
conséquence
était
l'encerclement
du
pays
sérère
par
des
fortifications
hautement
dissuasives, devait avoir pour résultat immédiat un changement des
comportements des royaumes vis à vis de l'autorité française qui
s'installe
et
incita
leurs
guerriers
à plus
de
prudence
dans
le
traitement
des
questions
intéressant
les
régions
limitrophes
du
nouveau territoire français. Toute la côte ne tarda d'ailleurs pas à
être
pacifiée(3).
Le
retour
à Saint-J oseph
fu t ainsi
possi ble
et
effectif en 1863(4).
Un
décret
impérial
de
cette
même
année
accorda
à
la
mission mille hectares sur le site de Ngasobil. De retour de France,
Mgr Kobés ramena suffisamment de dons pour la construction de la
nouvelle mission. Les bâtiments purent ainsi sortir de terre assez
rapidement,
les
ouvriers
ayant
répondu
massivement,
comme
à
Ioal, quelques années plus tôt, à l'appel des missionnaires.
Mais si la côte était devenue plus sûre, il n'en était pas de
même pour l'intérieur du pays. Les royaumes restaient attachés à
leur indépendance et à l'intérieur, étaient en permanence secoués
par l'instabilité politique ou leur difficulté à maintenir la paix. C'est
aussi
l'époque
où
le
prosélytisme
musulman
commençait
à
engendrer des "guerres de religion" en Afrique occidentale. En pays
sérère même, une de ces guerres éclata en 1862 et jusqu'en 1867,
le marabout Maba Diakhou voulut islamiser par la force des armes
les Sérères du Saloum, puis ceux du Sine.
1.
Aperçu
historique sur la miSSion
Saint-Joseph
de
Ngasobil.
Impr. de la mission. Ngasobil, 1875,
p.9 el sq.
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4.
Ibid.
105
La
conséquence
immédiate
fut
l'exode
d'une
partie
des
Sérères qui fuyaient ainsi les combats(l) ou la famine qui résultait
de l'état de guerre(2), quand ce n'était pas la conversion à l'islam
que certains, surtout
les
"gardiens
de la tradition"
ont, jusqu'au
début
du
XXe
siècle
au
moins,
considéré
comme
la
suprême
déchéance qui puisse arriver à quelqu'un.
Une bonne partie des fugitifs trouva refuge aux environs de
St-Joseph réputés relever désormais de la France et,
de ce fait,
protégés par elle. Bâti sur un désert humain, Ngasobil était ainsi
peuplé de quelques familles pendant que la majorité des Sérères
s'établissaient à Mbodiène et ses environs.
Même après la guerre,
la population ne diminua pas de
façon durable dans ces villages, ceux qui retournaient au Sine et
(surtout) au Saloum étant remplacés par d'autres(3). Venus vers la
mission par la force des choses, ces "immigrés" furent aussitôt "pris
en charge"
par elle(4).
11
n'y
avait
aucun chrétien
parmi
cette
population entièrement "animiste".
Situé à quelques pas de la mission, ce village "indigène de
Saint-Joseph
est
devenu
dès
la
fin
de
1879,
un
"village
de
chrétiens"(S).
L'action des missionnaires fut certainement efficace
mais
le
nombre
réduit
des
habitants
y
était
sans
doute
pour
quelque chose.
De plus, il y eut un sentiment général de dette due à des
missionnaires dont la "bonté" ne pouvait qu'être profitable à leur
entreprise.
Une autre raison à cette christianisation rapide vient du fait
que certains enfants formés à Saint-Joseph, dans la "colonie agricole
et
industrielle",
devenus
adultes
dans
les
années
1870,
avaient
choisi de s'établir à Ngasobil, juste le temps qu'il fallait cependant
pour trouver ailleurs une meilleure situation, c'est-à-dire un emploi
salarié.
------------------------
1. Arch.
CSSP BG IX, 1872-1874 P 727
2. Arch.
CSSP BG IX, 1863 P 307
3. Arch.
CSSP BG IX, 1881-1883 P 423
4. Arch.
CSSP BG IX, 1877-1881 P 305
5. Arch.
CSSP BG XII, 1881-1883 P 520
106
Avec
leurs
familles
chrétiennes,
ils
contribuèrent ainsI
a
peupler un peu plus le village(l) qui ne semble plus depuis, avoir
reçu de non chrétiens. Ngasobil était alors le centre de la mission
sénégambienne,
Mgr Kobés s'y étant souvent longtemps établi.
Il
devait, dés lors,
s'occuper de l'évangélisation des villages voisins,
plus ou moins régulièrement visités par ses missionnaires.
2.4.
Les
autres
villages
D'autres
villages
des environs de
Ngasobil
devaient être
desservis par les missionnaires dès leur retour de Dakar : Saint-
Benoît de Mbodiène, Saint-Michel de Fasna, Pointe-Sarène, Ndianda
et
Sainte-Marie.
Ce
dernier
village
disparut
rapidement,
ses
habitants
ayant
regagné
le
Saloum
ou
s'étant
fondus
dans
la
population
des
autres
villages.
Quant
à
Fasna,
il
n'attira
pas
vraiment l'attention de la mission, occupée sur plusieurs fronts et
ayant choisi, pour cette raison, de concentrer ses efforts sur les
villages les plus peuplés.
Ainsi
Pointe
Sarène,
Ndianda
et
Mbodiène
seuls
furent
réellement
les
villages
missionnaires
de
la
localité,
un
autre
à
l'avenir relativement
intéressant,
Nianing,
étant
très
peu
peuplé,
puisqu'en
1850,
il
n'était
même
pas
encore
habité(2)
et
l'immigration des gens du Saloum l'a presque totalement épargné.
L'importance
de
Nianing
est,
en
fait,
la
conséquence
du
développement de la culture de l'arachide et de son commerce qui,
à partir des années
1860, connut un grand essor, en particulier sur
la côte, à Saly.
C'est du
fait
de ce développement qu'un
autre point de
commerce fut créé à Nianing, en 1867(3). Le village commença alors
à prendre une certaine importance, une nouvelle "réalité" qui dicte
l'intérêt ultérieur de la mission sur cette petite escale. Celui-ci était
donc davantage dû à la position de carrefour de Nianing qu'à sa
population qui ne cessa jamais d'être relativement très modeste.
Village du
Baol, Pointe-Sarène existait depuis
longtemps,
contrairement à Nianing et aux
villages
peuplés
d'immigrants du
Saloum, pour l'essentiel, dans les mêmes conditions que Ngasobil. Il
fut même christianisé à partir du XVIe siècle, apparemment par les
Portugais qui christianisèrent Joal.
1. Arch. OMP
G
04. 07486
2. Arch. OPM
G07491
3.
Ibid.
107
Totalement abandonné depuis plus d'un
siècle, ce village
était donc à nouveau visité par les prêtres, qui y voyaient certaines
dispositions prometteuses. En 1878, le père Diouf y séjourna ainsi
régulièrement, une chapelle y fu t même construite.
La population
semblait si
intéressée que
le
missionnaire
s'adjoignit un catéchiste pour les jeunes pendant qu'il s'occupait, lui,
des adultes(l). En 1879, cette situation semble être restée la même
puisque rien d'anormal n'a été mentionné par les rapports et autres
relations missionnaires. Il en est de même de Ndianda, visité par les
missionnaires qui ne s'y établirent pas cependant aussi longtemps.
Malgré tout, l'évangélisation n'enregistra vraiment pas de résultas
avant le début des années 1880.
En fait, le premier de tous les villages mIsSIOnnaires de par
sa taille et l'intérêt qu'il suscita aux
yeux des missionnaires fut
Mbodiène, par ailleurs plus proche de Ngasobil. En 1869 déjà, ses
habitants prirent la résolution de bâtir eux-mêmes "la maison de
leur
communauté"(2).
Mais
le
choléra
qi
sévit
cette
année-là
empêcha la réalisation du projet(3).
L'année suivante, la chapelle
s'elevait grâce à l'aide des catéchumèmes(4).
Mais
contrairement
à
ce
que
pouvait
laisser
penser
la
relation de cette succession d'évènements, il n'y a encore vraiment
pas de communauté dans le village. Les jeunes manifestent certes
de
l'interêt à
fréquenter
les
missionnaires
de
passage
mais
la
décision
de
se
convertir
ou
même
de
suivre
l'enseignement
religieux
leur est plus
difficile à prendre.
La mission
rencontra
d'ailleurs longtemps l'hostilité de la population, malgré la fréquence
des interventions des soeurs du Saint-Coeur de Marie dont l'action
est ici beaucoup plus étendue et suivie que celle des prêtres.
Elles seules d'ailleurs s'étaient établies dans le village, dès
1870(5), les pères ne faisant que des visites aux futurs chrétiens.
Les
missionnaires
eux-mêmes
reconnaissaient
que
les
résultats
obtenus en 1873, "le mouvement religieux" qui a commencé cette
année-là étaient dus à leur présence(6).
1. Arch. OPM G 07491
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4. Arch. CSSP BG IX, 1972 p.727
S.
Ibid.
6.
Ibid.
108
Mais le résultat n'était pas à la mesure de l'espoir suscité
par
tant de
bonnes
dispositions
plus
apparentes
que
réelles
des
Mbodiénois comme semblaient le regretter les missionnaires : leur
"zèle est
récompensé
par
bon
nombre
de
baptèmes
d'enfants et
d'adultes à l'article de la mort "(1). Ainsi, les difficultés constatées
quelques années plus tôt subsistaient encore et les "préjugés" contre
le christianisme(2) demeuraient ténaces. Les raisons de ce refus du
christianisme nous paraissent utiles à mentionner ici, du fait de leur
particularité à cette région de la côte et ses environs immédiats.
Ces
villages
missionnaires
n'étant
pas
encore
sous
l'influence de l'islam,
l'environnemen t aidant,
la réaction
de
leur
population face au missionnaire, dans les circonstances de l'époque,
aurait dû
être, en
toute logique,
l'accueil
de cette religion,
les
conditions
ayant présidé au départ de leurs habitants
du
Saloum
semblant, dans un premier temps, les précipiter dans les bras de
l'église. Mais pourtant, c'est une toute petite minorité qui choisit de
se convertir pour des raisons moins obscures, dès lors qu'on jette un
regard sur celles plus profondes de l'émigration : le refus de l'islam
qui était aussi celui de toute religion autre que celle du pays.
Ces fugitifs
ne pouvaient donc que difficilement devenir
chrétiens même si la multiplicité à peine perceptible des causes de
la fuite incite à relativiser ce jugement. Si en effet la majorité des
Sérères
ont
cru
devoir
se
préserver
de
l'influence
musulmane,
préférant venir se réfugier dans les environs de la mission, d'autres
y ont été contraints par la famine ou tout simplement le goût de
l'aventure. Parmi ces fugitifs, peu semblaient d'ailleurs avoir pour
destination
la mission et ses environs
: la masse s'est en effet
installée non pas à côté de Ngasobil mais bien dans des villages
distants de plusieurs kilomètres. Une partie s'est établie à Joal.
A cela, il convient d'ajouter la diversité des situations. Le
XIXe siècle fut une période de grande mobilité démographique et
ceux
qui
changeaient
d'établissement
n'étaient
pas
toujours
les
meilleurs sujets. Bien des brigands, des insoumis, des criminels en
fuite, furent souvent obligés de s'éloigner le plus possible de leurs
anciennes régions pour échapper à une condamnation certaine.
1. Arch. CSSP BG IX, 1972 p.727
2.
Ibid.
109
Dans la confusion générale qui s'était emparée du Sine et
du Saloum tout au long des années 1860, il n'est pas exclu que de
tels sujets aient pris une part active dans l'émigration. Et il est
certain
qu'ils
ne
pouvaient
être,
sauf
heureuse
surprise,
les
meilleurs ni même des premiers éléments d'une église prospère.
Au total, la période était si troublée, les tensions si fortes
qu'elles ont créé une sorte de "réflex de survie" qui, dans ce cas,
poussait les gens à se réfugier dans ce qu'ils avaient de valeurs
sûres, leur croyance ancestrale ; c'est en effet une constante dans
l'histoire du pays
: chaque fois
que les difficultés surgissent, la
société se replie sur elle-même et tout ce qui est étranger devient
suspect.
Les
secours
apportés
par les
missionnaires
ont ainsi
un
impact au niveau individuel mais dès qu'il
y a foule
ou que la
société se trouve assemblée, le moi collectif retrouve sa dictature et
la liberté apparente du Sérère toutes ses limites. Détacher d'abord
l'homme de la société pour le christianiser ensuite, c'était là toute
l'équation qu'il fallait à la mission résoudre, avant tout. En faisant
exactement l'inverse, elle s'est mise dans
une situation délicate
:
prouver la supériorité de son message, ce qui marche. à coup sûr,
mais avec plusieurs décennies de retard.
Les
conversions
ont
donc
mis
du
temps
avant
de
se
multiplier.
D'autant
que
les
baptisés
dans
les
conditions
mentionnées
plus
haut
n'étaient,
bien
sûr,
que
rarement
catéchumènes et la préoccupation première des missionnaires, était
de se hâter "de leur faire apprendre les principales vérités du salut
afin qu'ils puissent être baptisés avant de mourir"(l).
La construction en
1877 d'une nouvelle chapelle témoigne
pourtant de la ténacité des missionnaires, et surtout de l'espoir que
suscite malgré tout Mbodiène. Détruite une année plus tard par un
incendie,
elle
fut
aussitôt
reconstruite.
Il
semble
que
les
conversions, depuis
1874 commençaient alors
à être
moins
rares
voire
même
à
devenir
plus
nombreuses.
Une
relation
de
1877
mentionne, en effet, le rôle des "chrétiens de Saint-Benoît" dans les
travaux
de
reconstruction(2),
effectués
avec
une
très
grande
rapidité.
1. Arch. CSSP BG IX, p.728
2. Arch. CSSP BG XI, p.3ü7
110
De plus, il est certain que l'entêtement missionnaire aurait
tourné court, s'il n'était pas justifié, plus de dix ans après le début
des premières visites missionnaires, par des résultats.
Mbodiène
reste
donc
la
véritable
premlere
étape
de
la
mISSIOn en dehors de Ngasobil. Dés
1879, ce village était même
devenu
une
véritable
mission
sans
prêtre
résident,
certes,
mais
suffisamment
intéressante
pour que
les
missionnaires
la
visitent
régulièrement.
Au
même
moment
commençait,
un
peu
plus
au
Sud,
à
Fadiouth, l'une des missions les plus réussies du pays.
Bien
peuplé,
entièrement
serere
et
de
religion
traditionnelle, Fadiouth est longtemps resté à l'écart de la mouvance
chrétienne qui s'est emparée très tôt de son voisin Joal. L'hostilité
de
ses
habitants
à
toute
activité
missionnaire
dans
l'île
freina
pendant de longues années l'implantation de la mission.
Totalement attachés
à
la religion
de leurs
ancêtres
et à
leurs coutumes, les Sérères de Fadiouth s'opposèrent d'autant plus à
la christianisation que face à Joal, ils estimaient être investis d'une
mission : celle de la défense de l"'âme" sérère menacée par le goût
des facilités qui avait entraîné, selon eux, les Sérères de Joal dans le
christianisme.
Fadiouth allait, jusqu'au bout, rester fidéle à sa logique de
groupe : c'est en masse qu'il avait rejeté le christianisme et c'est
également
en
masse
qu'il
devait
l'adpoter.
Lorsqu'en
1879
les
missionnaires,
arrivèrent
dans
l'île,
rien
ne
laissait
pourtant
entrevoir cette dernière possibilité.
L'opposition
des
anciens
a
leur
présence
a
toujours
été
catégorique
et
même
parfois
violente(1).
Curieusement,
les
missionnaires purent enfin s'installer.
Le terrain
semble avoir été
soigneusement
préparé
auparavant,
puisque
dès
l'arrivée
des
prêtres qui n'étaient plus chassés comme cela fut souvent le cas(2),
les
enfants
se
présentèrent
à
eux
pour
recevoir
l'enseignement
chrétien. A en croire G.G. Beslier, c'est "un musulman, le seul de l'île"
qui contribua à "délier" la situation.
1. Arch. CSSP BG, XII, p.434
2. G.G. Beslier : Le Sénégal. Paris, Payat 1925 p.160
III
"J'ai une religion dit-il aux hésitants mais vous autres, nen
ne
vous
arrête" (1).
L'attitude
partie ulièrement
toléran te
de
ce
musulman
ne fait pas
problème,
la
tolérance
religieuse en
pays
sérère étant totale, dès lors que la coexistence des religions est un
"fait acquis"
et un
tel esprit avait sans
doute
de
quoi
être
un
exemple,
aux
yeux
des
hommes
de
Fadiouth
hostiles
à
tout
embrigadement.
Mais son rôle a été, ici, manifestement surestimé. En fait,
l'hostilité de Fadiouth à la mission n'a cessé de s'amenuiser au fur et
à mesure
que le
temps passait et que les jeunes,
plus
mobiles
depuis que la sécurité a commencé à s'installer à partir de 1859,
connaissaient
désormais
les
"bienfaits"
de
la
mission
qu'ils
ne
manquaient sûrement pas de conter à ceux qui ne sortaient que peu
du village.
L'établissement depuis
longtemps
aux
portes
de
Fadiouth
de soeurs indigènes dont ['action, si eUe était acceptée fut souvent
perçue comme une simple oeuvre d'assistance sociale y fut
sans
doute aussi pour quelque chose.
De plus, le christianisme en 1879, c'était aussi l"'évolution"
ce
que
ne
perçevaient
évidemment
pas
les
"vieux"
qui
étaient
d'autant plus accrochés à leurs traditions qu'ils restaient conscients
d'en être les gardiens. On comprend dés lors que les jeunes aient
pris l'initiative, les premiers (et souvent les seuls), d'embrasser la
religion, entraînant même parfois les moins jeunes(2).
3.
La
situation
dans
le
reste
du
pays
sérère
(1880)
En
1880, la mission était donc déjà présente sur la côte
mais il n'y avait que peu de missions : Joal, Ngasobil, Fadiouth,
Mbodiène et Pointe-Sarène. Dans les autres villages de la côte et un
peu à l'intérieur sur une vingtaine de kilomètres, les missionnaires
continuaient
leurs
visites
qu'ils
venaient
à
peine
de
commencer,
avec plus ou moins de régularité.
Ndianda et les autres
villages
furent
ainsi
desservis,
en
principe
une
ou
plusieurs
fois
par
semaine. Ailleurs. aucune mission ne s'est encore installée.
1. G.G. Beslier : Le Sénégal. Op. cit. p.161
2.
Ibid.
1 1 2
On note seulement l'existence d'une toute petite chrétienté
dispersée aux quatre coins du pays surtout dans le Saloum et un
peu dans le Sine où étaient retournés des anciens de Saint-Joseph et
de Saint-Benoît, baptisés ou catéchumènes lors de leur séjour à la
Petite Côte, dans les années 1860.
La paix
revenue dans leur reglOn,
ils
avaient choisi
de
regagner leurs terres, tout en restant fidèles pour certains d'entre
eux, à leur nouvelle religion. Le départ de ces chrétiens et de bien
d'autres de leurs compagnons d'infortune, qui n'ont pas eu
à se
convertir dans leur exil, n'a pas comme on le sait, dépeuplé les
villages missionnaires à l'exception notable de Sainte-Marie. Mais la
mission l'avait assez fortement ressenti et regretté. Il causa en effet
des difficultés
à
Saint-Joseph où
"on
ne
venait
plus
vendre
du
mil"(l) aux missionnaires.
Il y eut certainement
une solution de
remplacement, le riz, mais très cher, il "greva assez lourdement le
budget d'une somme de 2 à 300 frs"(2).
Tout cela ne freina pas la mission, au contraire. Ces départs
devaient d'ailleurs rapidement cesser d'être sujet de préoccupation.
Parce que non
seulement les villages que les
"gens du
Saloum"
avaient fondés étaient devenus attractifs pour de nombreux autres
immigrants(3) mais
aussi et surtout, ceux qui
les quittaient pour
retourner chez eux pouvaient bien y être utiles au christianisme. Ils
constituaient en tout cas un noyau de chrétienté sur lequel pouvait
désormais s'appuyer la mission pour sortir enfin du cadre étroit de
la côte et se déployer enfin dans l'intérieur du pays.
Aussi,
les
tournées
des
missionnaires
établis
à
Joal
notamment,
qui
ont
été
très
tôt
hypothéquées
à
la
fois
par
l'insécurité et par l'absence de "répondants" sur place purent, avec
plus
de
succés,
reprendre,
dès
l'installation
de
ces
émigrès
de
retour.
Malgré
un
entourage
solidement
acquis
à
la
religion
traditionnelle,
ceux -ci
semblaient attachés
au
christianisme( 4),
se
plaçant ainsi en position de pouvoir le servir, en rapport avec les
missionnaires de passage. Mais ils n'étaient pas organisés et leur
action ne pouvait, de ce fait, être pleinement efficace.
1. Arch.
CSSP BG XII, P 423
2. Arch.
CSSP
BG XII, P 423
3. Arch.
CSSP
BG
XII,
P 423
4. Annales
de
la
Propagation de
la
Foi,
1878,
P 280
1 13
Aussi, on ne s'étonne pas de chercher en vain dans leurs
activités des traces d'initiatives prises pour être réellement utiles à
la mission, à travers, par exemple, l'organisation de catéchumènes
ou une auto-évangélisation qui eût pourtant été la bienvenue.
L'attitude du pouvoir royal,
d'après les missionnaires,
fut
cependant très favorable, du
moins au début. Le roi du Saloum,
Sadiouka Mbodj, se prononça-t-il ainsi dés
1877 en faveur de la
mission qu'il dit être prêt à soutenir. Il était non seulement disposé
à l'accueillir mais encore il demanda à ses sujets de lui faciliter la
tâche(l). Ce roi affirme aussi sa reconnaissance à la mission pour
ses "bienfaits à ses sujets" de Ngasobil et de Mbodiène(2).
Mais pouvait-on simplement le croire, même s'il affectait
un tiédo au service des missionnaires de passage ? D'autant
qu'il
était
plus
que
jamais
attaché
à
sa
religion
musulmane
? Peu
importe, en définitive puisqu'une telle attitude ne pouvait qu'être
bénéfique pour la mission en gestation dans cette partie du pays.
Les
missionnaires
y ont
tout
de
suite
vu
la
clé
d'une
évangélisation rapide et large et une fois encore, ils se sont trompés
: l'évangélisation sans entraves qui devait, selon eux, résulter de ces
"bonnes dispositions" se fit longtemps attendre en vain.
En fait,
le roi avait besoin du
soutien des missionnaires
auprès des autorités" françaises et le fit d'ailleurs bien savoir(3).
Au total, s'il ne fit rien pour entraver l'oeuvre missionnaire, il ne la
favorisa vraiment pas, non plus.
Les
prêtres
purent
constater
plus
tard
que
c'était
précisément dans les villages de concentration des chrétiens, dont la
taille semblait être un facteur d'évangélisation rapide(4) que celle-
ci a le plus piétiné. La mission de Gandiaye, n'allait ainsi naître que
près d'un
siècle
plus
tard
au
moment
où
celles
de
Diokoul
et
Gamboul
qui
mobilisèrent
aussi
tant
les
énergies
des
prêtres
restaient toujours du "monde des rêves".
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
1. Arch. CSSP
158 B
III
- 2
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4. Arch. CSSP
158 B
III
- 2
l 14
Dans le Baol, la situation
ne fut guère plus
brillante.
A
l'exception de Pointe-Sarène et accessoirement de Nianing, Mbour et
Sally,
sur
la
côte,
le
reste
du
pays
demeurait
à
l'écart
du
mouvement missionnaire qu'il ignorait totalement.
Il y a cependant deux catéchistes non résidents aux villages
de Ndiouk et Séssène(1) dans la région du Diéghem. Envahie en
permanence par les guerriers du Baol, celle-ci espérait trouver chez
les missionnaires "si attachés à la justice", des alliés à même de les
aider à conjurer les périls. Ce fut le sens qu'ils donnèrent d'ailleurs
à l'une de leurs ambassades à Ngasobil en 1880(2). Manifestement,
les Sérères de cette localité préféraient avoir pour "chef" Mgr plutôt
que leur roi du Baol, qui ne semblait s'intéresser à eux que pour les
corvées et le tribut, si ce n'était pour les razzias, érigées en mode de
gouvernement.
Leur
détermination
à
résister
au
danger
exteneur
les
poussait donc à s'allier avec les
prêtres pour le
meilleur
- leur
sécurité - mais sans le pire -l'adoption du christianisme. Cela ne
présageait évidemment rien de bon pour l'avenir d'une mission qui
eût tort de croire
qu'un
tel rapprochement ouvrait
la
voie
à
la
multitude
des
conversions.
Avec
le
changement
de
la
situation
politique, il fallait ainsi logiquement s'attendre à un changement de
comportement
à
l'égard
de
la
mission.
Celle-ci
n'eut
à
aucun
moment de bons résultats dans ces villages même pas au plus fort
de la tension politique avec le Baol.
On comprend dès lors qu'ils n'ont pas tardé à passer au
second plan des préoccupations de la mission. Dès que les conditions
s'y prêtèrent, les missionnaires, qui ont découvert des villages plus
éloignés mais bien plus peuplés et prometteurs ont commencé à y
concentrer
leurs
efforts,
délaissant
ainsi
ces
missions
de
fortune
qu'ils
n'avaient
plus
les moyens
humains
et matériels
de
visiter
plus ou moins régulièrement.
Contraints
de
rester
rattachés
la
plupart
du
temps
à
Ngasobil, les chrétiens se decouragèrent parfois de ne voir le père
qu'au
prix
d'une
longue
marche
de
plusieurs
heures
et
la
déchristianisation
s'ensuivit,
d'autant
plus facilement
qu'il
y avait
peu de conversions et que l'islam n'avait pas laissé tout le terrain
au
christianisme.
1. Arch. OPM
G
07494
2. Arch. CSSP B G XII,
p.430
1 1 5
Au
début
de
notre
période,
le
vicariat
apostolique
de
Sénégambie
commençait
pourtant
à
se
développer,
en
sortant
progressivement de la côte. Il comptait déjà plus de chrétiens que la
préfecture apostolique de Saint-Louis
6000 pour le vicariat et
5500
pour
la
préfecture( 1).
Tous
ces
chrétiens
étaient
pris
en
charge
par
16
prêtres,
14
Frères,
12
religieuses
et
quelques
catéchistes(2). Mais si l'on sait que Ziguinchor(3) n'était pas encore
1. Arch. OPM
007484
2.
Ibid.
3. Autre
réussite
de
la
mission,
la
Casamance
fut
évangélisée
relativement
tôt
pour
l'enclave
de
Ziguinchor
(restée
portugaise
jusqu'en 1886 et annexée à la colonie sénégalaise deux années plus tard)
proche
des
Iles
du
Cap- Vert
dont
l'importance
dans
l'évangélisation
portugaise a notamment permis la prise en charge d'une bonne partie de
la Sénégambie avant le début des missions françaises.
Aussi,
Ziguinchor
est
comparable
à
Joal
sur
ce
plan
puisque
lorsque débutait la mission spiritaine dans
les
régions
de la Casamance
alors occupés par les français, dans les années 1870, plus de la moitié des
habitants de
Ziguinchor
qu'on évaluat
à quelque 600 personnes étaient
baptisés.
Une
situation
favorisée
par
la
politique
portugaise
qui
assimilait aux nationaux portugais les catholiques des terres de mission.
Les
deux
seules
missions
françaises
existantes
en
1886
allaient
rapidement
se
multiplier.
A Sédhiou fondée en 1875 et Niamone
née
en 1880 du transfert de la mission de Karabane à ce village, se sont en
effet ajoutées
les missions de Ta n d 0 u k
en 1886, en même temps que
Elinkine
(transféréé plus tard à Baïla), Bignona
en
1905, Oussouye
en 1928. Quatre fondations en quarante ans, c'était juste moyen mais la
région,
en
1928,
comptai t
déjà
six
résidences
en
un
demi
siècle
seulement de
présence
missionnaire,
ce
qui
était
un
succès
unique
et
qui
s'est poursuivi d'ailleurs tant et si
bien que le Saint-père, le pa p e
Pie XII érigea la Casamance en préfecture apostolique le 25 juin 1939.
Ce succès devait s'affirmer jusqu'en pleine guerre
avec
la fondation
en
1942 des missions de Temento et de Kolda.
L'ampleur d'un
tel
accueil
du christianisme devait
en
même
temps
s'accompagner
de
la
fondation
d'oeuvres
de
formation
notamment
du
clergé indigène ct on ne s'étonne pas
que le nouvcau préfet apostolique
y songe dès
son installation en
1939 avec
la création du
pré-séminaire
d'Oussouye
transféré en février 1940 à Karabane
et qui allait donner
naissance quelques
années plus tard,
au petit séminaire de
Ziguinchor.
Au
même
moment,
fleurissaient
les
écoles,
les
dispensaires
et
les
nouvelles
missions
qui
firent
de
l'après-guerre
une
période
particulièrement
importante de
l'histoire
religieuse
de
la
Casamance.
Le
Saint-siège
qui
encouragea
le
mouvement,
passe
à
une
vitesse
supérieure de
la responsabilisation de
l'église locale en l'érigeant, le
10
juillet
1952,
en
vicariat
apostolique
avant
qu'à
la
faveur
de
l'établissement de la hiérarchie, elle devienne,
le
14 septembre
1955, le
diocèse
de
Ziguinchor
- voir notamment
à ce sujet
: J.
Trincaz-
Colonisation
et
religions
en
Afrique
Noire
:
l'exemple
de
Ziguinchor.
Thèse de doctorat en Sociologie. Publiéc par Ed. L'harmattan, Paris, 1981,
pp.29 ; 31 ; 33 ; 37-38.
116
compris dans le vicariat mais que
Karabane et une partie de la
Basse Casamance en étaient parties intégrantes, la Gambie ainsi que
la future
mission
de Thiès(1),
on
voit que les
Sérères n'étaient
qu'une partie de ces catholiques.
De plus,
dans
leur pays
même,
beaucoup
d'étrangers
se
comptaient parmi ces chrétiens dont des agents de l'administration
et
les
traitants
français
et
surtout
libano-syriens,
quelques
décennies
plus
tard.
Le
nombre
de
Sérères
chrétiens
atteindrait
donc à peine 3500.
1. Démarré
en
1886, ce qui était au départ conçu pour une maison de
repos
pour
missionnaires
malades
après
avoir
fait
germer
dans
l'esprit
de Mgr
Duboin
un projet d'établir une école d'agriculture - projet
bien
sûr
abandonné
-
devait
rapidement
devenir
une
mission
ordinaire.
Dès
après
une
première
tranche
des
constructions,
un
missionnaire,
le
p ère
Abiven
y fut envoyé, le 16 septembre 1886 et commença dans la même
semaine
son
ministère.
Début
mars
1887,
la
nouvelle
mission
est
solennellement
bénite
et
érigée
sous
le
vocable
de
Sainte-Anne
par
le
R.P.
Picarda assurant l'intérim du préfet apostolique.
Ce fut ensuite, dès
le mois suivant,
l'ouverture de l'école de la mission et, le lendemain
19
mai,
la
tenue
de
la
première
grand'messe,
suivie,
un
mois
après,
de
l'arrivée
des
soeurs
(BI eues)
renforcées
le
22
janvier
1892
de
deux
religieuses
de
Saint-Joseph
de
Cluny.
Quatre
mois
après,
la
mission
récoltait
les
premiers
fruits
de
son
action
par
la
bénédiction
de
la
chapelle de Th i a 1y,
village none
situé
à quelques
pas
de
Sainte-Anne.
Depuis,
les
progrès
du
christianisme
sont
allés
très
vite
dans
cette
fructueuse mission de Thiès
: aux chapelles qui s'élevaient aux alentours
de la mission s'ajoutaient avec
le même rythme, les
stations et missions
relevant de Saint-Anne : Mont-Rolland en mars 1894, Fandène en août
1896, Sanghé
en février 1897, Tivaouane
(chapelle)
en
1898.
A Bab a c k
l'école
qui
fut
construite
depuis
plusieurs
années
par
l'Administration qui
n'y envoya pas de maître fut affectée
à la mission,
ce qui
permit
à deux
missionnaires,
le
père
Le
Berre et l'abbé
Louis
de s'y établir le 28 décembre
1899, prenant en charge plus directement
une mission qui les attendait.
Depuis leur guerre d'avril
1891, en effet, les Sérères du Dio ba s qui
s'élevaient
contre
l'autorité
du
chef
des
provinces
sérères
du
Baol,
Sanor
Ndiaye,
installé quelques
années
plus
tôt
après
leur détachement
du
Baol, émeLlaient
le
souhait
de
voir s'installer
les
missionnaires chez
eux, sans doute LOuchés par leur dévouement dans
les
soins des blessés.
Un
prêtre
indigène,
père
Lacombe
avait
été,
à
l'occasion
de
ces
affrontements qui opposaient l'armée de Sanor au Diobas, dépêché par le
vicaire
apostolique
pour
prendre
en
charge
les
chrétiens
et
d'éventuels
baptisés
in
extremis
et en profita pour soigner tous
les
blessés qui
se
présentaient à
lui.
Lorsqu'en
1949
la mission de
Mont-Roland
devint
indépendante
de
Th i è s
et
que
partout
se
renforçait
la
présence
missionnaire,
la
mission
de
Thiès
était
déjà
une
des
meilleures
réussites
du
Sénégal
Cf
manuscrit
anonyme
Historique
de
la
mission
de
Thiès (Sénégal). S.l.d. (41 pages (Transmis par B.C. U. sous
Rés.
5211).
1 1 7
En dehors
de
Joal,
il
n'y
avait encore
guère ce
grand
mouvement vers la religion rêvé par les prêtres. Partout ailleurs
sur toute la côte, la présence du christianisme était visible mais
seule,
une petite minorité se laissait convertir.
Les quelque 900
chrétiens
de
Joal,
à eux
seuls,
constituaient
plus
du
quart des
Sérères convertis.
A
l'intérieur,
existait non
pas
une
chrétienté,
mais
des
chrétiens éparpillés un peu partout au Sine comme au Saloum qui
faisaient tout au plus quelques centaines. Tout le reste relève donc
des villages de la côte qui étaient nombreux, en 1880, à mobiliser la
mission
autour
de
Joal
et
Saint-Joseph,
bien
que
celle-ci
y
rencontrait
de
seneuses
difficultés.
3000
chrétiens
sur
une
population de 120.000 âmes, ça n'était pas le succès. Mais la mission
venait seulement de s'installer : après trente ans de présence à Joal
et moins de vingt ans à Ngasobil, elle fondait une troisième mission,
Fadiouth,
marquant
un
point
important
dans
sa
stratégie
d'occupation du terrain.
En sortant ainsi de son berceau, l'Eglise du
pays
serere
affirmait une autre priorité de sa mission : renforcer la mobilité des
prêtres
pour coller à son
temps, aux
moyens disponibles et, en
définitive,
à
la finalité
de toute entreprise
apostolique
dans
un
territoire à la fois très étendu et bien peu pourvu en missionnaires.
118
PREMIERE
PARTIE
LES PHASES DE L'IMPLANTATION DE
LA MISSION (1880-1955)
11 9
CHAPITRE
PREMIER
LES MISSIONS DE LA COTE
1 • LES PREMIERS POSTES MISSIONNAIRES A PARTIR DE 1880
A . Joal
En
1880, près de la moitié de la population de Joal était
catholique, soit 900 personnes(l). On peut donc, à priori, noter un
certain recul
de
l'évangélisation
dans
ce village
que
les
prêtres
trouvaient en grande partie chrétien quelques sièc1es plus tôt. Mais
en fait, le recul semble plutôt limité.
Centre des affaires du royaume du Sine, Joal n'a cessé d'attirer
les
immigrants
d'un
peu
partout du
Sénégal(2)
qui
venaient
s'y
établir
pour
des
raisons
généralement
commerciales,
contribuant
ainsi à gonfler considérablement le chiffre de la population. Aussi,
le village cessait-il d'être entièrement sérère et chrétien
ou pro-
chrétien pour devenir, comme tous
les
grands centres
urbains et
ruraux, un lieu de coexistence de différentes ethnies et donc de
différentes
religions.
Le
gonflement de
la population,
qui
était
le fait
de
non-
Sérères
en
grande
partie,
devait
minorer
le
pourcentage
des
chrétiens mais dans des proportions absolument raisonnables en ce
début des années 1880. Les progrès du christianisme n'étaient donc
pas encore stoppés bien que la concurrence de l'islam pointait déjà
à l'horizon.
La présence des
musulmans était en effet déjà si affirmée
qu'ils voulurent même construire une mosquée(3), mais l'histoire ne
dit pas si le projet aboutit ou non. Compte tenu de la prépondérance
des éléments de la religion chrétienne, on peut penser qu'une telle
idée
était
précoce
et
ne
pouvait
se
réaliser
à
l'époque
aussi
facilement qu'on pourrait le penser.
1. Arch. OPM
G 7486
2. Arch. CSSP
160 B III
3.
Ibid.
120
Quelques années plus tard seulement en effet, une "stipulation
de l'Administration " excluait de la chefferie du canton de Joal les
marabouts( 1).
Ainsi la "fissure" était là, pour de bon et le premier village
sérère à embrasser le christianisme devenait celui par lequel l'islam
commençait ses premiers pas dans le pays.
Les missionnaires de
Joal durent tirer les conséquences de la situation. Encore à l'abri de
toute
influence
extérieure,
l'intérieur
du
pays
s'offrait
à
leurs
tournées de plus en plus régulières et Joal devint ainsi un centre de
la mission du pays.
Palmarin, à la limite sud de la Petite-Côte et d'autres petits
villages des environs furent alors pris en charge(2) de même qu'une
bonne
partie
du
Sine-Saloum
visité
avec
plus
ou
moins
de
régularité(3). Cette stratégie qui n'était pas nouvelle mais venait de
trouver les moyens de s'exprimer plus efficacement, on la devait au
P. Lamoise(4).
Mais la mission "centrale" avait cessé d'être un modèle. Bien
qu'il y eut un nombre relativement élevé de baptisés, il n'y avait
que
peu
de
pratiquants.
Une
situation
générale
attribuée
à
l'ignorance voire à l'indifférence des chrétiens(5).
Dans une mission où l'appel à la messe est faite
tous les
jours(6),
une
telle
situation peut
paraître difficile
à
comprendre.
Avec 6 baptèmes seulement en 1898 la mission de Joal passait déjà
pour
secondaire au
début du
siècle
où
le
vaste
pays
sérère de
l'intérieur apparemment
disposé à recevoir les missionnaires était
en attente de prêtres.
1. Arch.
CSSP l60 B III
2.
Album officiel de la Mission Pontificale à Dakar, février
1936. Paris,
Bauer, 1936 p.168
3. Arch. CSSP 160 B III
4. Le
père Lamoise était arrivé
au
Sénégal
en
1847,
en
provenance de
Bordeaux. Depuis il
ne quitta plus le pays sérère. C'est lui qui
en
1850
ouvrit
avec
le P.
Poussot
la mission de
Mbour- Supra p ... - . Après
la
fermeture de celle-ci on le retrouvait à Joal
où il
resta jusqu'à sa mort
survenue en 1899 - Arch. CSSP
BG XX p.252.
S. Arch. CSSP 160 B III
6. Arch. CSSP BG XV p.174
121
On
comprend
dès
lors
que
parmI
les
mISSIOns
fermées
en
1914,
figurait
Joal
désormais
rattaché
à
Fadiouth(l)
devenu
la
mission centrale de la localité, à côté de celle de Saint-Joseph. Cette
fermeture ne dura pas cependant et dès 1928, le P. Cosson(2) faisait
état de grands progrès accomplis par la mission : "Voici quelques
mois que l'Eglise est remplie chaque dimanche et il y a eu
une
trentaine
de
baptêmes,
premières
communions
et
conversions
de
femmes"(3).
Ces progrès étaient malgré tout récents et fragiles.
Amorcés
depuis la fermeture de Foundiougne qui permit de placer à Joal une
religieuse indigène qui était auparavant dans cette mission du Sine-
Saloum, mère Augustine, "un esprit surnaturel" avec "un zèle digne
d'éloges"(4), ils demandaient à être confirmés.
Pour la première fois sans doute dans l'histoire missionnaire
du
pays,
une
religieuse
faisait
quasiment
le
travail
d'un
prêtre,
l'abbé
Dione
vieilli et
"ramollo"
(sic)
mais
à qui
on
n'ose
pas
annoncer sa retraite(5) souhaitée. Mais la splendeur de Joal n'était
plus que du passé. La mission restait désormais à l'extérieur.
Le P. Cosson, qui en avait notamment la charge passa ainsi, en
1928,
beaucoup
de
temps
dans
ces
villages
de
loO'extérieur,"
qui
étaient d'autant mieux desservis que des fondations à l'intérieur du
pays
avaient
permis
d'enlever
aux
missionnaires
de
la
côte
la
juridiction du Sine-Saloum.
1. Arch. CSSP 164
B Il
2.
Ou plutôt Joseph
1
Ce
père à l'indomptable énergie fut
toujours Jugé
par
ses
supérieurs,
à
juste
raison,
comme
l'un
des
meilleurs
missionnaires de son époque.
Il connut et évangélisa
tout le pays
sérère
jusque dans ses coins et recoins. Originaire du diocèse de Saint-Brieuc, il
fut
atteint
de
tuberculose
et
envoyé
pour
cela
au
Sénégal
en
toute
vraisemblance à la fin
du
XIX
siècle pour se soigner en climat chaud.
Après sa parfaite guérison, il retourna, au bout de 3 ans, en France où il
fit le noviciat à Grignon - Orly. Retourné au Sénégal au début du siècle, il
commença son fructieux
ministère qui
le mena de Dakar en pays sérère.
Vicaire
général
de
Mgr
Jalabert
et
représentant
de
sa
mission
au
chapitre
général
de
1919,
il
se
consacra
depuis,
entièrement
à
ses
Sérères. Mais le pays qui lui avait rendu la santé lui fit perdre son nom.
Cosson désignant en sérère
- par déformation du
mot français cochon -
un
anim al
particuli èremen t
sale
et
proscri t
par
les
m usu lm ans,
on
l'appela
désormais,
tout
simplement
père
Joseph.
Il
mourut
le
20
août
1936 (Annales
Apostoliques,
1936,
p.282)
d'acharnement
au
travail
et
de jeûne "perpétuel" Arch.
CSSP 262 A YI).
3. Arch. CSSP
262 A IY
4.
Ibid.
5.
Ibid.
122
Ainsi,
les
efforts
purent-ils
être
concentrés
sur
Palmarin,
Djilor, Mbissel, Nguéniane(1), Yayème, Fadial. La desserte de ces
villages devint plus régulière à partir des années
1930, de même
que les visites de Mar Lodj où le "bien" ne cessait de se faire depuis
les
années
1920(2).
Les
missionnaires
avaient
donc
toutes
les
raisons de penser que Joal ne devait pas porter préjudice au reste
du pays. En 1938, l'état de la mission leur donnait une fois de plus
raison. De Ngasobil, le P. Le Douaron démontrait comment il était
difficile de continuer à en faire cette mission modèle qui fut le rêve
de ses premiers apôtres : " Ce Joal!. .. antichambre d'enfer. Le bien
s'y fait difficilement,
si l'on en
fait.
Trop de
musulmans
et de
chrétiens blasés"(3). Ce constat désabusé panait d'une réalité qu'il
fallait bien regarder en face. L'ère de la mission était terminée à
Joal et l'on devait désormais s'employer à gérer les acquis. Or c'était
le plus difficile pour une "église" qui était encore loin de prendre
conscience de sa maturité.
1. C'est en 1920 que l'évangélisation de Nguéniane a débuté avec les
visites plus ou moins suivies des pères de Ngasobil. Les PP. Perez, Lucas,
Baumann
y
passèrent-ils
à tour de
rôle.
Mais
c'est
surtout
à partir de
1954. année
à
laquelle Nguéniane était rattachée à Joal que les résultats
ont commencé à se faire sentir. En novembre en effet, le P. Simonet qui
venait
d'être
nommé
curé
de
Joal,
spécialement
chargé
de
la
brousse,
reprit
en
fait
l'évangélisation,
installa
la
première
case
-
chapelle
du
village à Tok-o-Khouloub
qui
allait être transférée
l'année
suivante
à
Nguéniane
-
même
c'est
à
dire
au
centre
de
la
future
mission.
Les
premiers
baptêmes
au
village furent
célébrés cette même
année
mais
la
résidence
devait
atLendre
plusieurs
années
encore
avant
d'être
fondée
cf. Horaf. IX, 1967 p.17 ; VI, 1980 p. non prise; Xl, 1981 pp.20-23 ; VI, 1985
p.18
2. Mar
Lodj,
à l'image de
Fadiouth,
fut
une
réussite
exemplaire de
la
mission,
bien qu'il
n'y
ait pas eu
de
fondalion,
avant
la
fin
de
nOlre
période. L'histoire de son évangélisation qui
ne manque pas d'intérêt, esl
ainsi
contée
par
Horaf
;"Aux
alenlours
des
années
20,
Dimbo
Sarr
souffrant des oreilles
va se soigner à Ngasobil,
ayanl entendu la chariLé
des pères el soeurs de là-bas. Revenu au village, il réunil les jeunes el se
mit à leur enseigner. En 1923, ce groupe arriva au baplême, en enlraîna
d'aulres
en
1926.
En
1923 déjà,
la première chapelle fut
construite. La
croissance très
rapide de la chrélieneté (300
baptêmes en
1929 et
1939
pour
un
petit
village)
décidat
les
missionnaires
qui
n'y
résidaient
toujours pas à construire "une véritable église".
Ce qui était chose faite
en 1938. Desserv i désormais pour l'essentiel par les pères de
Ngasobil à
partir
des
années
30
et
Palmarin
après
1943,
Mar
était
visiLé
successivement
par
les
pp.
Mendy,
Pereira,
Waller,
Lucas ... En
attendant
d'avoir
un
prêtre
(*),
les
Mamar
allaient
participer
aux
grandes
fêles
chrétiennes de Ngasobil, Fadiouth. Joal,
Palmarin ... IV,
1986 p.15
• Ce qui ne devait arriver qu'en 1978
3. Arch. CSSP 264 B IV
123
Il
n'est donc pas très étonnant qu'une année à peine
après
cette relation écrite en
1938, un autre missionnaire, le P. Walter
parlait de
l'abandon
de Joal
au
moment
où
dans
les
nouvelles
missions on notait plutôt une "évolution constante"(l). Ainsi ayant
depuis longtemps atteint ses limites en matière de conversions, la
mission
ne
se
développait
plus,
l'essentiel
des
immigrants
étant
musulmans.
Ce fut donc l'islam qUI continuait de gagner du terrain des
fois servi par des apostasies de chrétiens. On note dès lors un recul,
bien loin du recul décrit par les prêtres mais irréel du début de
notre période ; celui-ci, réel et préoccupant, était dû à l'insuffisance
du renouvellement des
membres de
la communauté chrétienne au
moment où l'islam n'avait aucun problème de cette nature et où il
continuait d'être servi par la mobilité d'une population musulmane
prête à aller partout avec sa religion pour améliorer ses conditions
d'existence.
Mais
le
christianisme
est
resté
pour
l'essentiel
la
religion
des
autochtones
sérères.
Le
problème
c'est
qu'ils
devenaient de moins en moins majoritaires dans leur propre pays.
1. Arch. CSSP
264 B V
124
B
-
Fadiouth
Une année après le début de la mission à Fadiouth, en 1879, la
"moisson" y était déjà si prometteuse que le village était érigé en
résidence. Une chapelle fut bâtie dès juillet 1880 et le père Diouf
qui avait la charge de la mission put déjà se féliciter d'avoir des
dizaines de jeunes, d'adultes et
parfois
de femmes
qui
venaient
suivre ses enseignements(2). Aidé d'un catéchiste originaire de Joal,
Dominique Diam, il s'y fixa définitivement quelques mois plus tard,
un
nombre
encore
plus
appréciable
d'habitants
du
village
ayant
demandé à suivre le catéchisme(3).
On note cependant une résistance continue des anciens dont le
père Guy Grand, un des premiers apôtres du village, dit que "les
jeunes en rient"(4). En réalité, à la fin de 1880, au moment de cette
réaction
des
"vieux"
qui
s'apparentaient
plutôt
à
un
baroud
d'honneur, le plus difficile pour la mission était déjà derrière elle.
Ce
fut
l'année
précédente,
les
tentatives
d'installation
du
père
Lamoise qui
furent
particulièrement décourageantes.
Au
lieu d'en
rire, à ce moment là, les jeunes, à plusieurs reprises, se désolaient
de voir les missionnaires quitter précipitamment l'île sans avoir pu
échanger avec eux. Mais par la suite, les choses devaient aller très
vite.
Et
non
seulement
les
jeunes
étaient
désormais
libres
de
recevoir
l'enseignement
religieux
mais
leurs
parents
eux-mêmes
commençaient à se convertir.
Un
tel
changement
spectaculaire
s'explique,
d'après
les
missionnaires, par le statut bien particulier de ce village : "Tout le
monde
est
libre
(à
Fadiouth).
L'autorité
du
chef
est
assez
restreinte ... on ne trouve ici une seule de ces plaies, de ces maladies
repoussantes
que
la
corruption
engendre"(4).
Dans
une
telle
organisation, les supposés chefs n'ont que très peu de pouvoirs. Par
ailleurs, Fadiouth ne dépendait plus déjà du royaume du Sine(S) ce
qui pouvait sans doute favoriser plus qu'ailleurs la christianisation.
Il s'y ajoute que tous les vices qui freinent les progrès de la religion
catholique, "polygamie et préjugés fanatiques" notamment y étaient
inconnus(6).
1. Arch. CSSP
160 BV
2. Arch. CSSP
160 BV
3. Arch. CSSP
160 BV
4. Lettre du P.Guy-Grand au TRP : Les
Missions
Catholiques,
1982
p.362
5. Arch. CSSP
160 BV
6.
Annales
de
la
Propagation
de
la
Foi,
1880
p.67
125
Au-delà
de
ces
constats
évidemment
très
discutables,
il
semble
bien
que
la
mission
ait
bénéficié
de
circonstances
exceptionnelles pour s'implanter. Geneviève G. Beslier nous en cite
une pour elle assez décisive.
Frappant
par
sa
singularité,
l'évènement n'en
démontre
pas
moins
le
caractère
incidemment
"missionnaire"
de
certaines
conversions
: à
l'arrivée des
missionnaires,
"un
seul clan
restait
hostile
:
celui
des
Tyahnos.
Cependant,
Dyama
jeune
tyahno,
fréquentait l'école. "Si tu te fais chrétien, lui avait dit son père, je te
tuerai". L'enfant reçut le baptême. Rentré dans la case familiale, il
s'adressa à son père : père, tue moi, je suis chrétien 1" le père ne
maudit pas son fils, il fondit en larmes. On le compta bientôt lui-
même parmi les catéchumènes. Sa conversion entraîna celle du tiers
de la population"(1).
Un clan apparemment très
puissant entravait
ainsi l'évangélisation par une opposition résolue.
Il s'agit là d'un phénomène qui n'avait rien d'exceptionnel et
la mission elle-même était très consciente de la nécessité d'être en
bons
termes avec les élites et tous ceux
qui ont
un
pouvoir de
décision ou de l'influence. Le changement d'avis d'un clan influent
fut donc très bénéfique pour elle. Ce qui explique plus facilement
les progrès rapides obtenus par les missionnaires.
Les gardiens de la morale sociale s'étant eux-mêmes montrés
plus
libéraux,
les autres
n'avaient plus
aucune raison
d'être
plus
royalistes que le roi. Ils se laissèrent entraîner dans le christianisme
d'autant plus facilement que la caution des
valeurs elle-même s'y
était laissée entraîner.
Il y a aussi, sans doute, les
conséquences de la géographie. Ile
minuscule
et
retirée,
n'ayant
de
contact
plus
ou
moins
directs
qu'avec
Joal
qu'il
"hait",
selon
les
missionnaires,
Fadiouth
est
forcément
plus
à
l'abri
des
influences
extérieures.
Il
a donc
pu
garder
plus
durablement
ses
coutumes
et
rejeter
toute
nouveauté
susceptible de les altérer. La cohésion sociale et culturelle du village
n'a pas été entamée, ce qui facilita la prise des décisions collectives.
1. G.G. Beslier : Le Sénégal. Paris, Payot
1935,
p.161
126
Dans ces conditions, l'unanimité ne pouvait que jouer contre la
mission. Mais du moment où, par une faille créée par des contacts
devenus
moins distants avec
l'extérieur les
missionnaires se sont
installés, le même réflexe devait jouer en faveur de la conversion.
La réussite de Fadiouth n'est comparable qu'à celle de Mar Lodj. Et
on
constate
que
là
également,
il
s'agit
d'une
toute
petite
île,
naturellement
restée
en
contact
avec
la
terre
ferme
pour
des
raisons économiques,
voire de survie, mais aussi repliée sur elle-
même du
fait
de
la
géographie.
Et de
la
nature
des
habitants,
pensent certains analystes selon lesquels il
fallait
s'intéresser bien
peu
au
contact
et
à
l'autre,
pour
vivre
dans
les
îles
si
peu
accueillants,
alors
que
la
possibilité
existait
d'aménager
sur
les
terres vierges du Sénégal du XIXe siècle et d'avant(l).
Repliés
sur
eux-mêmes
les
gens
de
Fadiouth
ne
pouvaient
qu'être
hostiles
à
toute
nouveauté
venant
de
l'extérieur.
Il
leur
fallait
avoir
le
sentiment
d'être
eux-mêmes
les
artisans
du
changement, d'où la véritable mobilisation du village, dès lors que
l'adhésion
au
christianisme
semblait
inéluctable
pour
marquer
l'empreinte des évangélisés dans leur propre évangélisation. La part
souvent
active
que
les
nouveaux
convertis
ont
joué
dans
l'instruction
des
catéchumènes(2)
pour
aider
des
missionnaires
débordés
par
un
mouvement
inattendu(3)
esl
à
la
fois
particulièrement
remarquable
pour
l'époque
el
suffisamment
significati ve, à cel égard.
Ainsi, il ne faut pas s'étonner que les nouveaux chrétiens de
Fadiouth, entrés de façon bien particulière dans le christianisme, s'y
soient maintenus
avec
un
zèle
tout
aussi
particulier(4)
au
grand
bonheur
d'une
mission
qui
n'en
revenait
pas
de
l'apport
de
ces
catéchistes
improvisés
mais
fortement
présents
et
déterminés(5).
Mais
il
ne
faut
pas
déduire
de
ce
tableau
sans
doute
un
peu
irréaliste que la mission était terminée à peine commencée. Comme
partout ailleurs, la réticence était de rigueur et même si beaucoup
se sont convertis au
bout de quelques
décennies,
il
y avait une
bonne partie de la population qui continuait de refuser de suivre le
mouvement.
l. ECHL
099
2. Arch. CSSP
BG XIl,
p.441
3. Arch. CSSP
BG
XX,
p.251
4. Arch. CSSP
BG
XIl,
p.441
5. Arch. CSSP
BG
XX,
p.251
127
La situation, pour ce qui concerne les adultes et surtout les
vieilles personnes, pou vait toujours bien se résumer dans ces mots
lancés au début de l'évangélisation par un missionnaire, au sujet de
l'accueil, à Fadiouth, du christianisme : "Ni acceptation, ni hostilité
réelle".
Traduite
en
chiffres,
cette
réalité
est
en
effet
moins
reluisante qu'on pouvait le penser : en 1898, Fadiouth ne comptait
encore qu'une minorité de catholiques
: 700 chrétiens pour
1100
"païens"(l). Ce qui prouve que certaines relations des missionnaires
vingt ans plus tôt avaient quelque chose d'exagéré.
Le fait n'est d'ailleurs pas nouveau et s'explique à la fois par
un
excès
d'optimisme
au
tout
début
des
conversions,
avec
une
première vague sans précédent et le pessimisme qui
précéda cette
période, avec la violence de l'opposition à la mission d'une autre
partie de Fadiouthiens.
Au début du siècle, en
1901, les chrétiens restaient toujours
minoritaires
puisqu'ils
n'étaient
que
900
sur
une
population
de
2000 personnes(2).
Après les premières
vagues de conversions,
le
noyau dur de la résistance au christianisme n'était donc pas facile à
entamer. Cette situation était de fait la règle et au-delà d'un certain
stade,
la
courbe
des
conversions
descendait
forcément,
pour
remonter ensuite. La "chance", pour la mission, ici, c'est l'absence
d'un islam capable de profiter de cette faille pour s'implanter.
Les
conversions
n'étaient
donc
que
différées.
Mais
pour
l'heure,
les
missionnaires
si
euphoriques
hier
devinrent
même
franchement
sceptiques
:"
Fadiouth
si
plein
d'espoir
autrefois
a
changé"(3) se plaignaient-ils après avoir constaté que "le nombre de
chrétiens
n'augmente
plus"
et
que
les
baptèmes
se
comptaient
désormais sur les doigts d'une seule main(4). De plus, ces baptèmes
ne semblaient plus concerner que les enfants de parents chrétiens.
L'une
des
causes
de
ce
recul
ou
plus
exactement
de
ce
piétinement
du
christianisme
était
l'exode
rural
qui
amenait
les
jeunes à s'éloigner de leur village pour aller en ville où ils n'avaient
pas toujours pour souci premier de veiller à garder intactes leurs
croyances
religieuses.
1. Arch. CSSP
BG
XIX
pAI2
2. Arch. CSSP
BG
XXI
pAI9
3. Arch. CSSP
BG
XXII
p.291
4.
Ibid
128
Leurs "mauvaises rencontres" dans les villes ne facilitaient pas
non plus les choses. Elles concernaient d'abord "les Européens qui,
trop
souvent
font
leur
possible
pour
défaire
l'oeuvre
missionnaire"(l)
et
ensuite
"les
musulmans
qui
pilulent
et
cherchent à se faire des adeptes"(2).
Presque inexistants à l'arrivée de la mission, ces musulmans
étaient devenus, à Fadiouth même, assez actifs et se comptaient par
dizaines(3).
Si la population chrétienne ne cessa pas d'augementer
en
valeur
absolue,
elle
ne
cessa
pas,
non
plus,
de
devenir
minoritaire.
Ainsi en
1909, n'était-elle que de
1240 membres
sur
une
population
globale
de
3000
habitants.
Les
musulmans,
au
même
moment,
continuaient
de
gagner
du
terrain
et
étaient
une
centaine en
1933(4).
Mais l'espoir pour la mission restait permiS pUisque l'islam ne
convertissait, comme on le voit, que très lentement. La majorité de
la population était virtuellement convertissable au christianisme. Ce
qui devait d'ailleurs arriver, en ces années 1930 qui virent pour la
première
fois
les
chrétiens
devenir
majoritaires.
Il
restait
à
consolider cette "avance", en continuant la conversion des derniers
irréductibles.
Plus
d'un
demi-siècle
après
l'installation
de
la
mission,
la
dernière phase de la conversion de Fadiouth s'ouvrait ainsi avec la
fin des années 40. En 1949, pas moins de 1500 personnes ont pris
part à la fête de Sainte Thèrèse, des "bataillons" pour la communion
desquels le père Caudron dut se faire
aider du
père
Haumesser,
dépêché de Ngasobil pour l'occasion(5). La même année, le nombre
des baptèmes approchait les 200. Quant aux
mariages,
ils avaient
dépassé la quarantaine rien qu'en juillet et Août, au
moment où les
foyers chrétiens étaient estimés à 1100(6).
A la fin
de
notre
période, ce succès était
presque
ullique.
Celte
dernière phase de l'évangélisation se terminait dès
les années
50,
avec la multiplication des vocations religieuses parmi les jeunes du
vi lIage.
1. Arch. CSSP
BG
XXII P.301
2.
Ibid
3.
Ibid
4.
Ibid
S. Horar, n028, Xl. 1949 p.19
6.
Ibib.
129
On pouvait donc oublier les OppositIOns des premiers jours de
la mission même si la présence marquée d'une acti ve minorité de
musulmans
sonnait
comme
la
seule
fausse
note
dans
une
atmosphère où le chrisitianisme s'était définitivement installé.
Les contacts servant de canaux de diffusion de l'islam l'ayant
en grande partie épargné, Fadiouth fut à l'écart du zèle missionnaire
des marabouts qui semblent l'avoir longtemps évité du fait à la fois
de son accès moins facile et des conditions dans lesquelles ils y
étaient accueillis. S'y ajoute que l'immigration et le commerce qui
favorisèrent ailleurs la diffusion de l'islam n'avaient pas où tenir,
dans un environnement si limité. C'est donc, en définitive, l'échec de
l'islam qui, ici, devait en partie, favoriser
le développement sans
précédent de la mission.
Arrivés au moment où il leur fallait une "religion", les gens de
Fadiouth
ont
finalement
opté
pour
une
solution
de
facilité,
en
choisissant, non sans hésitation, celle qui était la plus entêtée dans
sa résolution à s'implanter : le christianisme qui, aux yeux de ces
Sérères, ne manquait pas par ailleurs de vertu, comparé à un islam
qui, à force d'être jugé par eux à travers certains de ses marabouts
si
"mal
vus",
avait déjà
des
chances
minces
d'être
la
nouvelle
religion de la majorité. Le christianisme, malheureusement, n'a pu,
ailleurs,
bénéficier ni de la même proximité géographique de
sa
base,
ni
des
mêmes
réalités
sociologiques,
particulièrement
favorables dans une si forte concentration humaine en un espace si
réduit.
C-Ngasobil
Au début de notre période, Ngasobil était toujours le centre
de la mission du pays sérère et desservait ainsi plusieurs stations
avec Joal. L'essen tiel des oeu vres su bsistait et on notai t même un
certain développement de l'agriculture après
le fiasco
des
projets
cotonniers
de Mgr Kobès. Mais l'objectif n'était plus le même. Des
ambitions du début, qui devaient favoriser le développement d'une
colonie agricole, on était revenu
à des
projets plus modestes. Il
s'agit
toujours
de
contribuer,
par
cette
activité,
à
donner
des
ressources à la mission et aider à la " moralisation des Noirs"(l),
comme le mentionnait un rapport de 1881, mais l'oeuvre agricole
ambitieuse des débuts avait vécu.
1. Arch. CSSP BG XII p.285
130
Certes après l'échec des tentatives du début qUI amena Mgr
Kobés
à
rendre
une
bonne
partie
des
1000
ha
qUI
lui
étaient
concédés pour l'oeuvre, à la colonie, le développement d'un village
de
Sérères
autour
de
Saint-Joseph
devait,
une
nouvelle
fois,
modifier la conduite de la mission. Aussi, Mgr Duboin obtint une
nouvelle
concession
de
400
ha( 1)
dont
l'exploitation
commença
immédiatement.
Moins
ambitieuse
et
sans
doute
plus
réaliste,
l'oeuvre put enfin produire certains résultats. Dix années plus tard
en effet, on remarquait que Ngasobil redevenait un centre agricole :
" la culture indigène et européenne du
terrain qui
nous
entoure
devient chaque jour plus intense. On défriche, on sème et on plante.
Déjà,
les
allées
de
manguiers,
d'orangers,
de
citronniers,
de
mandariniers
donnent leur ombre et leurs
fruits.
Les
champs
de
maniocs, de mil, d'arachide s'étendent au loin offrant le délicieux
spectacle des pépinières de la banlieue parisienne"(2).
Officiellement, il s'agissait, avec cette oeuvre, de retenir dans
leur pays les jeunes souvent tentés par l'exode et de favoriser ainsi
leur conversion ou leur maintien dans la religion chrétienne.
Cet
objectif fut loin d'être atteint. L'oeuvre ne dura. ici encore, que peu
de temps et il semble bien qu'elle eut déjà fini de dépérir au début
des années
1890.
Depuis, elle tomba dans l'abandon complet et il n'en fut plus
question. Tout juste conservait-on la culture de légumes et d'arbres
fruitiers pour occuper les jeunes de la mission, ravitailler celle-ci et
améliorer ses finances par la vente d'une partie de la production.
Mais
là aussi,
aucun de ces
objectifs
ne
fut
totalement atteint.
Installée dans
une zone peu
habitée,
la mission
de Ngasobil
ne
pouvait avoir d'intérêt que dans sa vocation de centre et de base de
départ de l'oeuvre d'évangélisation chez les Sérères. Cette vocation
s'affirma
d'ailleurs
très
tôt
par
notamment
le
transfert
ou
la
fondation
de
l'essentiel
des
oeuvres
de
la
mission
à
Ngasobil
même(3 ).
1. Arch. CSSP
BG
XII p.ns
2.
Annales
de
la
propagation
de
la
foi.
1~') 1
p.2ü7
3. Arch. CSSP
164 A V ; Arch.
OPM
G07S24
131
Désormais,
trois catégories de missionnaires coexitaient dans
cette mission
: les
missionnaires qui
s'occupaient des
oeuvres de
formation,
ceux
qui
s'intéressaien t
au
mllllstere
intérieur et
les
autres chargés du ministère extérieur. Celui-ci était très important
comme on l'imagine, avec le très faible peuplement déjà noté du
centre même de la mission. Et nous étions à un moment de pénurie
d'ouvriers apostoliques, ce qui donnai t tou te leur importance aux
tournées missionnaires où il s'agissait, avec un minimum de prêtres,
d'atteindre le maximum de fidèles potentiels.
Ngasobil devint donc cet endroit d'où "la lumière évangélique
rayonne"
dans
le pays
sérère(l).
Tou tes
les
fu tures
mi ssions de
l'intérieur
lui
étaient
ainsi
officiellement
rattachées
au
moins
jusqu'à la veille de la grande guerre qui vit naître les premières
missions
du
Sine-Saloum(2).
Et
à
leur
fondation,
les
nouvelles
missions étaient souvent confiées à des pères de Ngasobil. Il en fut
ainsi
pour Thiadiaye en
1954 où fut affecté le P.
Baumann, en
provenance de Ngasobil via (pour un très court séjour) Ndiaganiao.
Pour démarrer la future mission de Palmarin, le P. Cosson venait,
dans les années 1920 de
Ngasobil. Il en fut de même des premiers
"apôtres" du Baol.
Cette
vocation
fut
certes
très
légèrement modifiée
avec
la
fondation en 1928 de la mission de Diohine qui prit en charge une
partie de ce vaste territoire missionnaire. Mais cette fondation ne
libérait
pas
les
pères
de
Ngasobil,
au
contraire.
Leur
domaine
d'intervention
n'a
cessé
de
s'élargir
avec
la
multiplication
des
prospections et des
tournées dans
les différents
villages du pays.
Des
villages
qui
jusque-là étaient
à
l'écart
de
toute
mouvance
chrétienne
voire
totalement
inconnus
des
missionnaires
étaient
désormais pris en charge par Ngasobil, au moment où s'intensifiait
l'activité dans des
villages missionnaires tombés entre temps dans
l'abandon tels que Mbour et Boyar(3).
Mais
les
frontières
n'étaient
pas
hermétiques
entre
les
fonctions
de
l'''intérieur'',
de
l'''extérieur''
et
de
direction
des
oeuvres:
souvent,
les
missionnaires
s'occupant
du
ministère
extérieur s'occupaient aussi bien d'oeuvres à Ngasobil même.
1. Arch. CSSP BG XI
p.3ü2
2. 1nrra
p. 161
3. Arch. CSSP 262 A
VI
132
Inversement,
on
pouvait
diriger
l'oeuvre
des
frères,
du
séminaire
et
s'occuper
de
l'évangélisation
de
villages
parfois
lointains.
C'était le cas du
père Jeuland
qui,
en
1930, assurait la
direction de ces oeuvres
tout en étant le
missionnaire
"attitré" de
Ndianda(l ).
Ces
"passerelles"
s'avéraient
d'ailleurs
indispensables
à
la
poursuite
normale
des
oeuvres.
Les
missionnaires
devaient
être
partout
pour combler
les
très
nombreux
vides
inévitables,
laissés
par l'action d'une poignée de prêtres dans la réalisation d'objectifs à
la fois nombreux et contraignants. Ce qui ne devait pas manquer de
créer des difficultés
entre eux
surtout quand
Ngasobil
était
tenue
par des mains bien peu fermes comme cela fut le cas, cette même
année
1930(2).
Ces
problèmes
de
mésentente
et
de
sourde
opposition
au
sein
du
clergé
ne
semblent
pas
cependant
avoir
particulièrement bloqué le travail sur le terrain.
Le ministère intérieur de Ngasobil s'adressait à peu de monde
mais la maison-mère n'avait pas le droit de ne pas être exemplaire.
Des associations pieuses y virent ainsi le jour très tôt pour mieux
faire jouer aux fidèles du village et surtout aux jeunes membres des
oeuvres
de
la
mission
leur
rôle
de
laïcs
dans
l'Eglise,
tout
en
favorisant la diffusion de la religion.
Largement
encouragés
par
Mgr
Picarda(3),
ces
groupements
de
fidèles
furent
ainsi
le
prélude
aux
mouvements
d'action
catholique qui devaient prendre un certain essor dans les villes, un
demi siècle plus tard.
Mais l'importance de Ngasobil n'a cessé de diminuer tout au
long de la première moitié du XXe siècle. En 1949, les pères eux-
mêmes
constataient
que
sa
"splendeur
était
révolue"(4).
Cette
situation
nous
paraît
pourtant
s'inscrire
dans
l'ordre
naturel
des
choses.
Tout
mineur en
tutelle
a
vocation
à en
être déchargé
un
jour.
C'était
le
problème
de
Ngasobil.
Appelée
à
préparer
des
fondations,
cette mission
ne
pouvait que
perdre
de
plus
en
plus
d'importance au fur et à mesure que se réalisaient ses objectifs. Son
intérêt
résidait,
avant
tout,
dans
l'étendue
du
territoire
missionnaire qui était placé sous sa juridiction.
1. Arch. CSSP
262
A YI
2. Arch. CSSP 262
A
YI
3. Arch. CSSP
BG
XY
p.370
4. Harar, XI.
1949 p.18
133
Les détachements
successifs des
parties
les plus
importantes
par suite des nouvelles fondations
de missions,
tout en
réduisant
son influence, déplaçaient fatalement
le centre de la mission . A
cette
situation
devaient
s'ajouter
les
redécoupages
du
territoire
missionnaire du Sénégal et le développement sans précédent de la
mission du pays diola, devenue aussi importante, à bien des égards,
que
Ngasobil,
ce
qui
ramenait
le
centre
de
décision
à
Dakar.
L'évêque de Sénégambie avait d'ailleurs, depuis longtemps, renoncé
à s'y installer, celui de Dakar aussi.
L'un comme l'autre n'en firent désormais qu'un "pied à terre"
destiné à leur assurer le repos et la tranquillité que nécessitaient
parfois leurs charges dans
une ville déjà aussi
grouillante que la
capitale de L'AOF. Mgr Grimault y séjourna ainsi plusieurs fois entre
1943 et 1945, en pleine crise de ses relations avec l'administration
de la Libération(I).
En même temps que les charges territoriales diminuaient, les
oeuvres quittaient N gasobil.
Le
grand
séminaire l'avait déjà fait,
l'imprimerie aussi. Quant aux soeurs du
Saint-Coeur, elles avaient
déménagé avec
leur postulat à Popenguine en
1951(2),
avant de
gagner Dakar quelques années plus tard. Seuls, y restaient encore le
noviciat
des
frères
de
Saint-Joseph
et
le
petit
séminaire.
Mais
Ngasobil
n'avait
quand
même
pas
tout
perdu.
Elle
restait
une
mission
comme
les
autres
dont
le
rayonnement,
bien
servi
par
l 'his toire,
dépassai t
très
largement
cel ui
de
tou tes
les
autres
missions du pays.
1. A.N.S.
17 G
23-1
2. Horaf,
n° 112.
VI-VIl, 1959,
p.5
134
II - LES AUTRES MISSIONS
A
Le
problème
des
"villages
missionnaires"
La question
du
dépeuplement des
villages
des
environs
de
Ngasobil, peuplés de Sérères presque en
même temps que lui et
dans les
mêmes conditions, se posait encore à la fin des années
1870 pour quelques - uns parmi eux, bien que pour d'autres, elle
semblât déjà résolue.
Tous ceux qui avaient voulu retourner dans leurs villages du
Sine-Saloum- et ils étaient nombreux- y étaient déjà(1), mais seuls
les
petits
villages
en
souffrirent
finalement.
Outre
celui
qui
a
disparu (Sainte Marie) ou celui qui attirait désormais très peu les
missionnaires
(Fasna),
on
notait
que
Pointe-Sarène,
jadis
très
prometteur, était désormais un
village comme les
autres et,
pire
même, en perte de vitesse. La population de ces villages était peu
nombreuse et ils furent parfois touchés par le mouvement de retour
des immigrés de l'intérieur.
Un village naissait cependant à quelques pas
: Nianing.
Ce
village était, dès 1885(2), de ceux qui, sur la côte et ses environs,
mobilisaient les efforts des missionnaires de Ngasobil(3).
Mais le
plus gros de ces efforts allaient sans doute à deux villages : Ndianda
et
Mbodiène.
Plus
peuplés
et
ayant
attiré
au
moins
autant
d'immigrés qu'ils en ont perdus, ils étaient déjà en partie chrétiens,
en 1880. Les résultats inespérés obtenus à Fadiouth dès cette année
allaient certes amener les
missionnaires à concentrer beaucoup de
leurs
efforts
sur
ce
village,
au
détriment
parfois
des
premiers
villages
missionnaires.
Cette
situation
semble
concerner
particulièrement Mbodiène et jusqu'en
1889, il devint difficile de
rencontrer de compte-rendu d'activités
missionnaires concernant ce
village.
1. Arch. CSSP BG XII P. 427
2.
Sans doute
même
une
ou
deux
années
avant
pUisqu'en
fin
1884,
un
rapport
de
la
mission
signalait
l'augmentation
du
nombre
de
chrétiens
et la nécessité de bâtir une petite chapelle dans ce village - Arch
OPM
G 07491.
3. Arch. CSSP
BG Xlii p.ISU
135
De
fait,
il
était
dans
un
état
d'abandon,
justifié
par
les
problèmes de l'apostolat et la difficulté d'enregistrer de nouvelles
conversions après
1877.
En 1889, des baptèmes eurent lieu(l) mais ce nouveau départ
ne fut pas des plus fermes puisqu'il fallut attendre encore deux ans
pour trouver une trace d'activités de cette mission, signalée comme
l'un des "deux nouveaux postes" où se sont établies les soeurs du
Saint-Coeur
de
Marie(2).
On
précisait
qu'elles
ont
"repris
leur
ancienne
maison"(3) comme pour
souligner
le
caractère
total du
vide qu'avait créé leur retrait qui s'était accompagné de l'abandon
par les pères de leurs visites.
Mais ce retour des soeurs n'était qu'une solution partielle au
problème du village. Fidèles et soeurs furent en effet obligés de
continuer à se rendre à Ngasobil pour la messe(4) ce qui n'était pas
de nature à encourager les hésitants puisqu'il fallait tout de même
une bonne heure de marche pour joindre l'église(5).
Pourtant,
cela
n'eut
pas
de
conséquence
négative
sur
le
comportement des
vrais
catholiques de
Mbodiène
qui
semblaient
tenir
à
leur
assiduité
à
la
messe(6).
Durant
des
décennies,
ils
restèrent
rattachés
à
Ngasobil.
Les
soeurs
seules
étaient
là,
les
prêtres ne passant qu'une ou plusieurs fois dans le mois.
Cela était aussi valable pour Ndianda qui, comme Mbodiène,
ne
devait
pas
avoir
son
prêtre
résident
avant
la
fin
de
notre
période. Très peuplé relativement,
Ndianda fut
visité en moyenne
deux fois par semaine au début, avant que la distance ne pousse les
missionnaires
à
trouver
d'autres
moyens
d'apostolat.
C'est
ainsi
qu'un catéchiste, Jean Marie Ndour, y fut envoyé et semble avoir
donné
pleinement
satisfaction(7).
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
1. Arch. CSSP
BG XV, P.398
2. Arch. CSSP
BG XV, P.37Ü
3.
Ibid
4. Arch. CSSP
BG XVI, PA16
5. Arch. CSSP
BG IX, p.n8
6. Arch. CSSP
BG XXI, PAI6
7. Arch. CSSP
BG XIII, P.670
136
En
1884,
une
case
pour
le
catéchisme
y
fut
construite.
Cependant,
les
difficultés
matérielles
et
l'absence
de
résultats
vraiment
satisfaisants
amenèrent
les
missionnaires
à
envisager
l'abandon de Ndianda mais la population s'y opposa fermement(l).
Il
est difficile
de
savoir quel
impact
cette
soif d'apprendre
la
religion a pu avoir sur l'évangélisation du village d'autant que les
résultats de la pastorale n'ont guère été brillants par la suite.
"Situé dans un poste sain et relativement fertile"(2), le village
était lui aussi assez éloigné malgré
tout de Ngasobil.
Et lorsqu'à
l'occasion de la bénédiction de la chapelle construite en 1884
Mgr.
Riehl baptisa le groupe jusqu'ici le plus important de catéchumènes,
il dut se rendre à l'évidence que les résistances au christianisme
restaient très fortes.
Alors que le village ne faisait pas moins de
2000 habitants(3), ce groupe de
baptisés. lui, n'était composé que
de 26 membres( 4).
Une information contenue dans
un rapport rédigé quatre ans
plus
tard
ne
fut
pas
plus
encourageante
la
préparation
à
la
conversion de quelques
hommes et les soeurs assez peu occupées
par la quinzaine de femmes qu'elles instruisaien t(5).
Tout
cela
devait
peser
dans
la
décision
d'abandonner
la
mission
intervenue peu
de
temps
après.
Et
la détermination des
fidèles
semble
cette
fois
a voir
vacillé
dev an t
l'émergence
de
nouvelles
réalités,
dès
le
début
du
siècle.
L'apparition
et
le
développement
rapide
de
l'islam
fit
ainsi
dire
en
1904
au
P.
Tisserand
Tout
ce
qui
n'est
pas
chrétien
(à
Ndianda)
est
musulman"(6).
On comprend donc qu'il
devenait très
difficile d'obtenir des
conversions.
Mais
cette
situation
semblait,
curieusement,
avoir
quelque chose de bénéfique. Elle renforçait, selon les missionnaires,
l'attachement des chrétiens à leur religion
et
l'accomplissement de
leurs devoirs religieux(7).
1. Arch. CSSP
BG XV
p.389
2.
Ibid
3.
Ibid
4.
Ibid
5.
Ibid
6.
Ibid
7. Arch. CSSP
BG XXII p.661
137
Cette conviction ne semble pourtant avolT duré que le temps
qu'il fallut pour se rendre compte qu'il y avait de quoi être blasé :
dès 1930 en effet, le constat du P. leuland de Ngasobil est amer:
"Ndianda me donne l'impression d'une chrétienté qui végète. A côté
de bons chrétiens, il y a tant d'autres qui sont blasés, apathiques,
suffisants. Au début, j'ai pensé les remuer en m'occupant de former
sérieusement
leurs
enfants,
mais
là
encore
ils
se
montrent
indifférents"(l). Ce serait exactement le contraire qui se produisait
à Mbodiène
où
"les
gens
sont simples,
maniables
et aimant les
pères. Malheureusement, le père (Lucas, en
charge du
village)
a
réussi à les buter"(2).
La vérité était pourtant moins reluisante et les difficultés de
ces missions
ne faisaient que
s'aggraver.
Les
apostasies étaient
nombreuses(3), dans
une communauté presque laissée à elle-même
et qui dut se débrouiller toute seule pour faire face, sans prêtre, à la
rude
concurrence
de
l'islam.
Dans
ces
conditions,
on
garde
"difficilement une foi tiède"(4).
L'éparpillement des jeunes des deux villages n'a pas non plus
favorisé
la
situation
inverse,
d'autant
que
les
chrétiens
étaient
généralement les plus nombreux parmi eux (5).
Aussi, l'évangélisation des villages missionnaires reste un cas
intéressant par sa charge d'enseignements. Commencée très tôt, elle
suscita beaucoup d'espoirs avant de décevoir très rapidement, ces
villages,
qui étaient
partis
pour être
l'une
des
toutes
premières
missions du
pays sérère étant finalement devenus, en
1955, l'une
des dernières. Bien d'autres villages qui ont eu un contact beaucoup
plus récent avec la mission devaient les rattraper assez vite puis les
dépasser et devenir résidences de missionnaires bien avant eux(6).
1. Arch. CSSP
BG XXII
p.661
2.
Ibid
3.
Ibid
4.
Ibid
5. Horaf. VI,
1991
p.23
6.
Le
catéchiste
qui
introduisit
de
façon
permanente
l'enseignement
de
la religion
chrétienne
à
Ndiaganiao,
en
1926,
Léopold
Sarr,
venait
avec
sa
famille
de
Mbodiène.
27
ans
plus
tard,
Ndiaganiao
était
érigé
en
résidence.
Il
fallut
allendre
presque
autant
d'années
pour
voir
son
village d'origine l'être à son LOur.
138
Les causes de cette situation sont diverses mais on ne peut ne
pas
penser en
priorité
à
l'exode
rural.
Phénomène
plus
connu,
jusqu'aux années 50, dans les villages qui ont eu un contact plus
ancien avec l'extérieur, il est d'autant plus néfaste ici que Mbodiène
et surtout Ndianda étaient plus ouverts que les autres villages où il
a eu des effets comparables : Fadiouth et Palmarin, lui aussi trop
enclavé pour être pleinement attractif aux étrangers. L'immigration
facile
et
toujours
plus
importante
de
musulmans
devait
changer
ainsi
complètement
le
visage
de
Ndianda.
Naturellement
missionnaires pour leur religion, ces immigrants
devaient recruter
beaucoup de Sérères.
Ils
contribuèrent
de
ce
fait
plus
facilement
qu'ailleurs
à
"absorber"
davantage
les
catholiques
déjà
largement affectés
par
l'exode rural. Curieusement en effet, la mission était souvent, dans
ce cas de l'exode rural et du piétinement du christianisme, l'auteur
de
ses
propres
difficultés
en
instruisant,
même
de
façon
rudimentaire les chrétiens, elle en faisait des "évolués" pour qui ce
mot n'a
pas de sens
au
village
où
la persistance de la société
égalitaire et paysanne l'empêchait d'avoir un réel contenu.
Sachant désormais lire et compter, ce qui était dans bien des
cas suffisant pour trouver en ville et dans les grandes escales un
travail
d'autant
plus
convoité
qu'il
permettait
de
sortir
d'une
condition devenue
peu enviable de cultivateur, dont plus personne
ne voulait. Même pour beaucoup de non instruits, le baptême et le
"statut" de chrétien ouvraient droit à IOutes les ambitions et quel
qu'il fut, le travail salarié en ville était préféré à la culture de la
terre.
De fait, c'est l'échec des premières expériences missionnaires,
sans
doute
inadaptées
et
exigeant
des
moyens
que
la
mission
n'avait pas qui a fait
le lit de
tant de contradictions entre
une
stratégie du reste bien pensée de former des chrétiens dans et au
service de l'église, et ses résultats pratiques.
En somme, ce fut l'esprit de cette formation qui, en elle-même,
était porteuse d'incompréhension. En voulant à tout prix faire de
bons chrétiens qui ne se conçoivent que dans le détachement de
leur
milieu,
les
missionnaires
favorisaient,
inconsciemment,
leur
déracinement dont la conséquence fut
fatale
: le détachement de
son milieu du chrétien n'étant vraiment possible que s'il est d'abord
physique, J'exode en devint son mode privilégié d'expression.
139
On n'ignore certes pas que l'''émigré'' serere reste souvent en
contact avec son terroir, mais même s'il cherche à lui être utile, c'est
par un biais autre que la religion.
Relativement
épargné
par
l'islam,
Mbodiène
n'eut
pas,
en
définitive,
les
mêmes
problèmes
que
Ndianda,
hormis
celui
de
l'exode rural. Devenu difficilement chrétien, ce village, sur ce plan,
remplissait
une
des
conditions
qui
présidaient
généralement
aux
fondations. Mais après la seconde guerre mondiale, beaucoup de ses
chrétiens
l'avaient
quitté,
préférant
s'installer
ailleurs
où
généralement, ils avaient un travail rémunéré. Au même moment, il
n'y avait plus de christianisation à mener vraiment dans le village
et la proximité de
Ngasobil a fait
le reste
: celle mission étant
toujours
censée
prendre
en
charge
les
villages
des
environs,
s'occupait
en
même
temps
de
tout
ce
qui
était
susceptible
de
relever d'une mission de Mbodiène. Le manque de prêtres rendait
alors peu
urgente une fondation. La mission, dans sa stratégie de
toucher
"le
maximum
de
personnes
avec
un
minimum
de
missionnaires",
ayant
intérêt
à
envoyer
des
résidents
dans
des
localités plus éloignées de Ngasobil et à même de couvrir un espace
et un nombre plus grand de villages.
B.
La fondation
de
la
mission de
Mbour (1954)
La mission de Mbour est l'une des plus anciennes du
pays
sérère, si
l'on se réfère à la première fondation.
Avant Fadiouth,
Ngasobil,
les
"villages missionnaires"
et presque en
même temps
que la reprise de la mission de Joal, Mbour avait en effet été fondée,
avec l'espoir que le village sérère populeux qu'il était pourrait être
le
centre
d'une
mission
qui
prenne
en
charge
tous
les
villages
voisins et singulièrement le village de Saly Portudal. Celui-ci avait,
tel qu'on
l'a vu,
un brillant passé puisqu'il
fut longtemps
un des
comptoirs
de
la
côte
où
les
Européens
s'étaient
établis
pour
le
commerce.
Du
Moyen-âge
au
XVIIe
siècle,
Saly
était
ainsi
le
principal centre de commerce du royaume du
Baol. Mais à peine
après avoir été ouverte,
la mission de Mbour dut être fermée(l)
pendant
un
siècle au cours duquel
l'évangélisation ne devait être
assurée que par des tournées à la fois irrégulières et à l'efficacité
incertaine.
1.
Supra. p.92
140
Il était en effet rare, jusqu'à la fin des années 1930, que les
pères de Ngasobil qui, jusqu'à la reprise de la mission s'occupaient
du
secteur
de
Mbour,
effectuent
de
tournées
exclusivement
consacrées
au
village
qui
sembla,
au
contraire,
complètement
abandonné à son sort : très souvent, c'était sur la route de Dakar
que les missionnaires y passaient en escale, pour rejoindre ensuite
les
autres
villages de la côte avant Dakar dont certains, comme
Ndiangol et un peu plus tard Popenguine en pays safen
se sont
même avérés, vers la fin du XlXe siècle, plus prometteurs.
On comprend que pour ces deux missions, l'intérêt des pères
fut beaucoup plus grand, bien que Ndiangol n'eut jamais de prêtre
résident. En fait, son importance était due à ce fait que Popenguine
n'avait pas encore été vraiment découvert par les missionnaires qui
allaient
dès
1888,
lui
accorder
une
grande
importance
en
y
inaugurant un pélerinage marial(l) qui acheva de marginaliser son
voisin Ndiangol, "réduit
à végéter" avant de tomber dans l'abandon
presque
complet.
Il
fallut
attendre.
à
partir
des
années
1890,
plusieurs
décennies
voire
un
demi
siècle
pour
que
l'accroissement
des
moyens
humains
de
la
mission
et
l'installation
d'un
personnel
missionnaire plus nombreux à Popenguine même permettent de le
desservir à nouveau, avec plus ou moins de régularité. Mais c'était
déjà trop tard : il n'y eut pas dans ce village de chrétienté digne de
ce nom et il n'y eut pas de mission résidencielle non plus.
Mbour
avait
donc
depuis
longtemps
cessé
d'intéresser
les
missionnaires.
Les
préoccupations de
1850 semblent avoir évolué
très vite. Des villages de "Socés" s'étaient développés aux portes de
Mbour,
et
faisaient
tellement
l'objet
de
relations
de
voyages
désolées
des
missionnaires
qu'on
peut
bien
se
demander
si
l'évangélisation
des
Sérères
conservait
toujours
quelque
intérêt
pour eux. Musulmans et "esclavagistes" selon les missionnaires, les
Socés étaient un obstacle sérieux au christianisme.
1.
Le
pélerinage
de
Popenguine
rut
inauguré
le
jour
de
Pentecôte
et
devait
être
une
composante
de
la
pastorale,
comme
nous
le
verrons
infra,
pp.355-356
-
En
même
temps
que
s'ouvrait
le
pélerinage,
les
premiers
chrétiens
du
village
étaient
baptisés,
dont
les
parents
du
futur
Cardinal
de
Dakar,
François
Thiandoum
el
Anna
Sène
(H 0 r a f
cité).
Ainsi,
Mbour ne
pouvait que perdre
davantage
d'intérêt
le
relais
sur
la
route de Dakar après Ngasobil, étant de plus en plus
Popenguine, où des
institutions de
la
mission
ne
tardèrent
d'ailleurs
à
voir
le
jour dès
les
années
1930.
141
Mais les enfants qu'ils étaient censés avoir "volés" étaient des
Diolas
"enlevés"
en
Casamance(1)
et
non
pas
des
Sérères
avec
lesquels la cohabitation semblait cordiale. Aussi, ceux-ci devenaient
plus proches des musulmans que des pères qu'ils ne voyaient que
très
rare men t.
Dans les visites mêmes de ces derniers, il était rarement fait
mention de l'exercice du ministère religieux, toute l'attention étant
polarisée sur le sort des enfants "esclaves des marabouts"(2).
Jusqu'aux
années
1930,
Mbour
était
ainsi
délaissé
par
la
mission.
Mais
à
partir
de
cette
date,
la
présence
de
chrétiens
commerçants,
surtout
des
Libano-Syriens
devait attirer davantage
les missionnaires dont les visites devinrent plus fréquentes. Le P.
Lucas
depuis
N gasobil
était
alors
chargé
de
ces
visites(3).
Le
territoire qui lui était assigné était cependant assez vaste pour qu'il
pût se consacrer efficacement à Mbour. Outre ce village en effet, il
devait s'occuper de Mbodiène, du Dièghem et du Sine(4).
L'amélioration des conditions de travail des missionnaires qui
circ ulaien t désormai s avec des "autos" comri bua certes à renforcer
leur présence un peu partout mais pour le cas précis de Mbour, il ne
semble pas qu'elle ait produit dans l'immédiat, de résultats(5). Une
"église"
y
fut
construite
en
1930(6),
avec
l'espoir
d'y
recevoir
beaucoup
de
monde
"pendant
la
traite"(7).
Ce
qui
prouve
qu'à
Mbour même il y avait très peu de convertis parmi es autochtones.
1.
Missions
catholiques.
1880.
(Lettre
du
R.P.
Sébire
à
Mgr
Barthet),
p.179
2. 11
Y a
sans
doute
quelque
exagération
dans
ces
propos.
En
fait
il
s'agissait de
"talibés"
c'est-à-dire
des
élèves
étudiant
le
coran
chez
des
marabouts
auxquels
ils
étaient
confiés
et
parfois
"donnés"
par
leurs
parents. Le traitement
peu enviable - il est vrai - qui leur était souvent
réservé
procédait
d'une
philosophie
que
les
missionnaires
n'avaient
évidemment pas pu saisir : il était en effet question de cultiver en eux
l'humilité
du
croyant
dans
des
conditions
(labeur
souvent
très
dur
et
mendicité),
qu'un
regard
étranger
au
pays
peut
effectivement
considérer
cOlllllle
de
l'esclavage.
3. Arch. CSSP p.262 A VI
4. Arch. CSSP p.262 A VI
S. Arch. CSSP p.262 A VI
6. Arch. CSSP p.262 A VI
7. Arch. CSSP p.262 A VI
142
On comprend dés lors que la seconde guerre mondiale ait mis
presque fin à ce début bien timide de la reprise de la mission de
Mbour. C'est ainsi vers la fin des années 1940 que Mbour devait
renouer vraiment avec la mission. En 1952, un missionnaire y fut
affecté,
le
P.
Gravrand(l)
mais
sans
doute
pas
pour
y
résider
définitivement. Car la mission n'allait être fondée que deux années
plus
tard.
Il
y
avait
alors
beaucoup
de
Libano-Syriens
et
les
activités
économiques
favorisaient
l'installation
d'un
nombre
de
plus en plus important de chrétiens.
D'abord attirés par la traite, ceux-ci se fixèrent définitivement
dans ce qui déjà, était devenu la ville de Mbour. On remarque ainsi
que l'élément autochtone
s'est très peu converti au christianisme.
Mais des Sérères venus des autres coins du pays notamment
de la Petite-Côte et des autres villages environnants, et chrétiens à
leur
arrivée,
pouvaient
entretenir
la
vie
de
la
nouvelle
communauté.
L'évangélisation de
Mbour était
donc,
en
définitive,
liée
à
l'urbanisation de la ville, à sa situation de centre des affaires de ce
qui allait, bien plus tard, devenir le département du même nom .
Le
christianisme
revêt
donc
ICI
un
aspect
urbain
qui
le
différencie un peu du christianisme rural qui a bien plus de mal à
se défaire de la superstition et de l'attachement des chrétiens aux
valeurs
traditionnelles.
Les chrétiens
de
Mbour
bien
que
gardant
toujours certaines croyances religieuses
traditionnelles étaient plus
ouverts au compromis culturel dans
lequel
les valeurs chrétiennes
prenaient parfois largement le dess us sur la tradi tion sérère.
Ce qui se comprend, quand on sait que ces chrétiens de la ville
avaient, le plus souvent, quitté les pesanteurs villageoises qui sont
autant de facteurs de résistances au christianisme.
1. Harar. XI, 1952
p.7
143
Ce
comportement
était certainement
favorisé,
aussi,
par
le
caractère cosmopolite de la
mission
qui recrutait en
dehors
des
Libano-Syriens, parmi d'autres ethnies
attirées comme les Sérères
par le commerce ou le travail salarié. Les Diolas et les Mandjaks
les deux principales ethnies "chrétiennes" de Casamance y étaient
en effet représentés, comme dans les autres villes du Sénégal. Dès
sa fondation,
la mission de Mbour devait prendre en charge les
villages environnants.
Mais cette prise en charge n'a pas
semblé
avoir été particulièrement productive(1).
Aussi
bien
à
Mbour
même
où
il
n'y
avait
qu'une
petite
minorité
de
chrétiens
que
dans
les
enVlTons
de
la
ville,
le
christianisme
s'est
très
peu
implanté.
Le
nord
de
Mbour
en
particulier
était
peu
favorable
au
christianisme
et
il
fallait
descendre un peu plus au sud ou au sud-est pour rencontrer des
populations réellement intéressées
par la religion chrétienne. Mais
même là, les conversions furent peu nombreuses. L'attachement à la
tradition est ici trop forte, ces villages s'étant très peu ouverts à
l'ex térie ur.
Une
situation qui s'explique à la fois
par leur enclavement
relatif et l'absence d'un intérêt économique probant. Peu peuplés et
ne
constituant
pas
pour
cette
raison
des
escales,
les
villages
missionnaires de Mbour n'attiraient donc pas beaucoup d'étrangers
susceptibles d'y favoriser une présence musulmane très marquée.
La même situation semble avoir déterminé la démarche de la
mission dont le zèle à les convertir, fut des plus modérés. 11 y a
certes la distance qui n'est pas négligeable entre le centre de la
mission
qu'est
Mbour
et
cette
périphérie.
Mais
la
faiblesse
du
peuplement
et
l'absence
de
ces
conditions,
permettant
une
base
d'appui digne de ce nom ont surtout été les éléments déterminants
de cet échec missionnaire.
2.
Bien plus tard en effet, des dépendances de la mission de Mbour, les
villages
de
Takhum
et
Kibik
semblaient
n'avoir
jamais
reçu
de
missionnaires.
Le
P.
Gravrand
qui
les
visita
en
1967
alors
qu'il
était
revenu
(de fatick)
à Mbour, en
tant que missionnaire
résident cette
fois
n'y
rencontra en
tout cas "pas un
seul
baptisé"
bien qu'il
n'y
avait que
"peu de musulmans" - Horaf. Il, 1981 p.21.
144
C
.
Un
succès
difficile
:
Palmarin
(1944)
Les débuts de la mission de Palmarin démontrent qu'il était
difficile de s'engager dans l'oeuvre d'évangélisation de l'intérieur du
pays durant les années
1880, période pendant laquelle le pouvoir
royal restait encore solidement établi. Aussitôt après Fadiouth, les
missionnaires,
dans
leur
stratégie
d'occupation
du
terrain,
ont
cherché à s'installer dans le village le plus proche et le plus peuplé,
Palmarin,
une
presqu'île de
quelque
3000 habitants.
Dés janvier
1881, le père Diouf, déjà basé à Fadiouth se rendit-il en visite dans
ce village et rapporta une "impression des plus favorables" sur les
dispositions de la population(l).
Cette
exploration
avait
ete
projetée,
semble-t-il,
avant
l'installation de
la mission à
Fadiouth(2)
mais
dans
le souci de
procéder méthod iq uemen t et compte ten u des
moyens
très
limités
de la mission, elle avait été différée.
Le catéchiste
Diam qui
fut
envoyé
à Palmarin
cette
année
1881, ne put y rester : le roi du Sine (dont dépendait Palmarin)
manifesta une telle mauvaise humeur qu'il fut retiré afin de ne pas
créer
des
ennuis
à
la
population,
directement
menacée
par
le
pouvoir
qui
ne
voulait
pas
la
voir
embrasser
une
"religion
étrangère"(3). Dès lors, il ne restait plus à la mission qu'à négocier
avec le pouvoir royal pour obtenir l'autorisation d'installation qui
préserve les sujets d'éventuelles
représailles de leur monarque.
Cette
"négociation"
dura
trois
longues
années,
à
l'issue
desquelles une autorisation royale permit le retour du catéchiste et
le redémarrage de son enseignement.
Mais
l'intérêt manifesté par
les populations,
surtout les jeunes fut bien tempéré par la crainte
du
roi
et surtout de certains
membres de
son
entourage qui
ne
pouvait pas disparaître aussi facilement.
1. Arch CSSP
BG XIII p.449
2.
Ibid.
3. Arch CSSP
BG XII p.450
145
11 semble cependant que l'envoyé de la mission ait caché une
bonne partie de la vérité à ses chefs,
l'obstacle royal ayant été
aggravé par
l'hostilité
de
la population
à
l'enseignement
qui
lui
avait était proposé.
C'est du moins ce que pense le P. Lamoise qui, s'adressant à
Mgr Riehl, affirmait que la situation n'a jamais été aussi favorable
que le prétendait le catéchiste Diam(l). Ce qui est sûr en tout cas,
c'est
que
le
roi
souffla
longtemps
le
chaud
et
le
froid,
le
comportement
de
ses
représentants
à
Palmarin
et
ses
messages
personnels
allant
à
l'opposé
des
résolutions
prises
avec
les
prêtres(2).
Une
situation
qui
amena
les
missionnaires
à
envisager
de
trouver
parmi
eux
un
résident,
seul
moyen
à
leurs
yeux
de
continuer
efficacement
leur
apostolat
tout
en
rassurant
la
population(3).
Ce
qui
était
impossible,
vu
les
moyens
humains
disponibles.
Ainsi,
lorsqu'en
1916
une
chapelle
et
un
logement
furent
construits,
ils
précédèrent
très
largement
à
Pal marin
les
prêtres.
Tout juste fut-il question que le P. Ezanno de Fadiouth, s'il en avait
la possibilité, y passât quelques jours par mois pour les offices(4).
Le catéchiste lui-même ne semblait plus y résider depuis plus
de trente ans, puisque le P. Cosson, informant la même année Mgr
Jalabert,
supérieur
de
la
mission,
des
activités
sur
la
côte,mentionnait que les
missionnaires
et les catéchistes
"visitent
régulièrement
Palmarin"(5).
---------------------
1. Arch. CSSP
160 B
III
2. Arch. CSSP
160 B VI
3. Arch. CSSP
16U B
V
4. Arch. CSSP
160 B Il
S.
Ibid.
146
Le catéchiste qui y fut installé cette même année 1916,
Alioune Cissé(1) n'y a donc fait qu'un infructueux ou court séjour (à
moins
que ça ne
soit
les deux)
car
l'évangélisation
ne démarra
vraiment
qu'au
milieu
des
années
1920
qui
virent
les
premIers
baptèmes dans le village : "En arrivant (en 1924), le père (Cosson)
avait
appns
avec
peIne
que
quelques
catéchumènes
des
plus
anciens
s'étaient
faits
musulmans...
Ils
ne
voulaient
pas
rester
païens. Devenir chrétien était trop difficile et trop long. Le père
Joseph
voulait montrer, en administrant publiquement le baptème,
qu'il n'est pas impossible de devenir chrétien. Il choisit 4 jeunes
gens des plus avancés, leur fait plusieurs fois le catéchisme et les
baptisa avec toute la solennité possible. Alors, les courages furent
relevés
et
ce
fut
le
commencement
de
l'ère
chrétienne
pour
Palmarin"(2).
Mais Palmarin restait toujours sans prêtre résident. Même le
P. Etchevery de Fadiouth, alors chargé des missions au sud de ce
village ne s'occupa que très peu de visites, étant trop pris dans sa
mission(3). En cette période de la fin des années 1920, un catéchiste
originaire
de
Palmarin-même,
Joseph
Waly
SARR
tentait
difficilement de con vertir ses frères( 4).
1. Horaf, XII. 1978 p.lS
2. Horar. XII, 1978 p.16
3. Arch.
CSPP
262 A
III
4. Waldiodio
Sarr
est
sans
doute
l'exemple
du
catéchisme
parfait.
Né
vers
1872
à Palmarin,
il
manifesta
très
tôt
un
intérêt
marqué
pour
le
christianisme
avant
la
fin
du
siècle
dernier,
au
moment
où
dans
son
village,
peu
de personnes osaient
s'afficher catéchumènes.
Vers
1896,
il
se rendit à Ngasobil chez le P. Cosson pour "mieux assimiler les leçons de
catéchisme". Après
19 mois de séjour ct le baptême, il revint à Palmarin,
évangéliser ses
compatriotes.
Polygame
avant
son
baptême,
il
se
sépara
avec
sa deuxième femme pour rester monogame comme le commande sa
nouvelle
religion.
Mais
il
eut
au
départ
très
peu
de
fortune
:
les
Palmarinois
refusèrent
obstinément
de
le
sUIvre
dans
sa
religion
chrétienne.
Cependant,
son
comportement
très
chrétien
devant
une
épidémie
de
fièvre
et
la
guérison
d'un
de
ses
néophytes qu'il
avait envoyé chez les
pères.àJoal
créèrent
un
retournement
de
situation
: les
jeunes
devinrent
nombreux
à
fréquenter
son
enseignement.
Aussi,
en
1924,
put-il
mener
à Joal son premier groupe de catéchumènes pour y être baptisés. Voulant
suivre
son
exemple,
beaucoup
de jeunes
devinrent
catéchistes
et
il
en
résulta
"un
nombre
important
de
catéchistes
palmarinois
qui
furent
envoyés dans les villages voisins"
Horaf, X, 1968, pp. 16-17:
IV, 1968,
p.23.
147
A force de courage, il finit cependant par faire un si
bon
travail que lorsqu'en 1939 arrivait le P. Lucas pour une mission de
longue durée à Palmarin, "la chapelle s'avéra trop petite. On pensa
construire une église qui fut bénie le 2 janvier 1944"(1). Quelques
mois plus tard, Palmarin se détachait de Joal pour devenir résidence
sous la direction du P. Lucas(2). La construction de l'église, réalisée
par les fidèles sous la direction du père était déjà l'occasion pour les
missionnaires de tes ter positi vemen t "les q uali tés des chrétiens de
cette mission "(3), qui étaient, quinze années plus tôt, au nombre de
300(4). Ce nombre n'a cessé, depuis, d'augmenter. Tant et si bien
qu'en 1949, les PP. en charge de la résidence, Berhaut et Baniel
crurent devoir accorder la priorité à l'élévation d'une maison pour
les soeurs et à la construction d'une école pour les garçons(5).
La présence de religieuses dans
la mission
était
nécessaire
puisque comme les garçons, les jeunes filles s'intéressaient aussi à
la religion. L'école devait contribuer à fixer "nombre de jeunes qui,
poussés par l'humeur voyageuse de la tribu, vont faire le cabotage
en Gambie ou tenter fortune à Dakar"(6). En somme, il s'agissait de
lutter
contre
l'exode
rural,
réputé
être
un
tenace
obstacle
à la
christianisation.
Palmarin
était
alors
en
expansion
et
les
missionnaires
ont
pensé
élever
ou
planter
tout
ce
qui
pouvait
améliorer l'ordinaire de la mission: "le père Berhaut crée un potager
et
un
verger
où
papayers,
bananiers
et
orangers
promettent
de
beaux fruits ; des ruches bourdonnent du travail de leurs locataires
et
assureront
quelques
ressources
à
la
mission.
La
chasse
est
pourvoyeuse
de
gibier
qui
peut
alimenter
le
menu
de
plusieurs
jours"(7).
Dans la plupart des autres mISSIOns, les pères ont tenté, au
départ, de mettre en place ces potagers aux dimensions cependant
toujours modestes. De telles plantations faisaient, partout, partie du
décor des missions, toujours pour les mêmes raisons exposées plus
haut, dès lors qu'il est apparu, au début du
siècle, que l'oeuvre
agricole, en tant que composante de la stratégie pastorale, n'avait
pas d'avenir.
1. Horaf, XII,
1978
p.16
2.
Ibid.
3. Horaf, l,
1949
p.23
4. Arch. CSSP
262 A
VI
S, Horaf,
l,
1949,
p.23
6.
Ibid.
7.
Ibid.
148
En 1951, les chrétiens de Palmarin eurent enfin la satisfaction
d'avoir
une
nouvelle
église(l)
pendant
que
l'école
des
garçons
ouverte bien avant(2), semblait refuser du monde. Le projet d'une
construction pour les soeurs était, cette même année, en bonne voie
d'exécution. Il s'agissait de doter la mission après l'école des filles,
d'un
dispensaire.
Ce qui était fait
l'année suivante et
les
soeurs
s'installèrent à Palmarin dès l'été 1953(3). Une bonne partie de la
population
était
alors
chrétienne(4).
La réussite difficile de cette
mission
tient aux
nombreuses résistances
finalement
vaincues
des
populations.
Après
l'épisode
de
l'intolérance
royale
qui
alla
de
1880
à
1893,
se dressait l'obstacle des coutumes et de l'opposition d'une
société
dont
les
"vieux"
ne
voyaient
que
d'un
mauvais
oeil
l'introduction de la religion chrétienne .
Le premier catéchiste issu du village, Joseph Waly SARR, dut
alors être solide pour résister à la raillerie des gens de son village
qui voyaient dans tout malheur lui arrivant la conséquence directe
de son
"reniement" des ancêtres. La mort de sa femme dans les
années
1910 fut
ainsi
interprétée comme
une sanction
divine, de
même que tout ce qu'il a pu perdre un moment, personnes comme
biens(5).
L'épidémie qui constitua le déclic tant attendu produit l'effet
inverse en favorisant tout d'abord le baptême en danger de mort de
nombreux
catéchumènes
et
la
conversion
ensuite
d'un
nombre
toujours plus grand de Palmarinois au christianisme.
1. Horaf, y,
1951
p.12
2.
Ouverte en même temps que
la
résidence des pères en
1943, l'école
avait déjà en 1944, "plus de 80 enfants".
3. Horaf, VIII,
1952
p.13
4. Arch. A.D., Dossier Palmarin,
1952. Déjà cette année, le christianisme
était
la première religion du
village
: plus de 3200
baptisés (moins
un
millier,
tout
au
plus,
de
chrétiens
des
missions
rattachées)
auxquels
il
faut
ajouter
300
catéchumènes
contre
1500
musulmans
et
2000
"infidèles".
S. Horaf,
X,
1968,
p.17
149
La résistance à la conversion, ICI, semble avoir été alimentée,
dès la fin du XIXe siècle, par l'attachement à la religion et au mode
de
vie
traditionnels,
le
christianisme
étant
considéré
à
la
fois
comme religion étrangère et une pratique dangereuse qui,
parce
qu'elle détourne des croyances traditionnelles, met les croyants à la
merci du malheur. Quand cette croyance populaire a été démentie
par
les
faits,
il
ne
restait
plus
aux
gens
qu'à
en
tirer
les
conséquences
les
convertis,
bien
qu'ayant
délaissé
certaines
habitudes n'en étaient pas moins restés Sérères et le fait que Joseph
Waly SARR ait échappé à l'épidémie de fièvre alors qu'il était plus
exposé que tous, en étant quasiment le seul à s'occuper des morts,
était
suffisamment révélateur des
"vertus"
peut
être
cachées
du
christianisme.
Les railleries cessèrent en
tout cas depuis, et leurs auteurs
trouvaient
brusquement
que
la
religion
du
catéchiste
avait
une
force que ne saurait égaler l'''anilisme''(l). II faudrait donc trouver
une
partie
de
J'explication
des-conversions
massives
des
années
1930 dans cette conviction apparemment bien partagée.
Le "mythe" de la difficulté du christianisme avait également
volé en éclats dès lors que c'était par centaines que les conversions
étaient obtenues. Dans ces conditions, il devint évident pour tous
que le christianisme n'était pas inaccessible, même s'il gardait ses
exigences spécifiques. Son succès, ici, provient en définitive de ce
que
les
exemples
locaux
ne
manquaient
pas
et
ont
réussi
à
démontrer à un village entier en quête de religion que "la voie était
difficile
mais
pourtant
très
belle".
L'absence
d'une
vraie
concurrence de l'islam, venu pour l'essentiel après le christianisme
devait faire le reste.
1. Horaf.
X
1968.
p.16
150
CHAPITRE
II
LES MISSIONS DE L'INTERIEUR
1 - CONSIDERATIONS GENERALES
A
La
pénétration
missionnaire
(1880-1914)
Si la première installation missionnaire au nord-ouest du pays
serere s'est faite avec quelques difficultés mais
non
sans succès,
d'ailleurs
relativement
rapide,
la
géographie
et
les
circonstances
historiques y ayant largement aidé, il n'en fut pas de même des
missions
de
l'intérieur
dont
la
fondation
prit
un
temps
de
préparation
particulièrement
long.
De
1880
à
1914
les
prêtres
allaient faire plusieurs centaines de
tournées du Nord au
Sud et
d'Ouest en Est sans obtenir la garantie d'un travail aux fondements
réellement
solides.
Ces tournées furent épisodiques avant
1880 et pour cause :
jusqu'en
1900 en effet
l'intérieur du
pays fut soumis
au
pouvoir
morcelé et intolérant des roi s qui se partageaient le pays
sérère,
avec une période particulièrement troublée : celle qui va des débuts
à 1877. Cette année-là en effet, le roi du Saloum lui-même avait
ouvert son royaume aux missionnaires comme pour marquer la fin
d'une époque d'insécurité et de pillages souvent gratuits.
Mais les problèmes internes et externes des royaumes et leurs
conséquences : guerres civiles et nombreuses expéditions punitives
contre
les
paisibles
paysans(l)
ne
facilitaient
toujours
pas
les
choses. Il en fut de même des moyens humains et matériels de la
mission. En 1880 cependant, soit deux années après la reprise des
tournées par le P. Lamoise, celles-ci se généralisèrent aux quatre
coins du pays. Un peu partout, la "dissuation" française s'affirmait
désormais,
avec
les
forts
construits
depuis
quelque
vingt
ans
à
Fatick et Kaolack.
l. Arch. CSSP
BG
Xlii
p.683.
15 1
La tournée missionnaire restait avant tout une visite au roi.
Les
bonnes
relations
de
la
mission
avec
la
royauté
quant elles
existaient, devaient en effet être exploitées au
mieux des intérêts
du christianisme, ce qui passait, avant tout, par leur entretien et
leur promotion. Lors de la visite en 1883 du P. DIOUF au Saloum, le
roi lui donna ainsi comme il s'y était engagé six ans plutôt, et en
signe de bonne volonté, un homme de sa suite qui l'accompagna
tout au long de son séjour dans le royaume. Bien que rien n'indique
que
cet
accompagnateur
fut
chrétien,
il
partagea
pendant
deux
semaines la vie du
missionnaire qui retourna à Fadiouth avec la
conviction
que
la
conversion
du
Saloum
"n'était
plus
qu'une
question de temps"(1). Encore une fois,
cette erreur de jugement
allait être fatale
à l'efficacité de l'entreprise.
Pourtant il aurait simplement fallu se rendre compte que ceux
qui offraient au père ces facilités n'étaient nullement chrétiens pour
voir qu'au fond ils ne souhaitaient pas que leur religion perde du
terrain au profit d'une autre ou qu'elle soit marginalisée par elle en
perdant à son profit les "infidèles". De plus, le christianisme était
réputé incompatible, dans bien de ses aspects avec la royauté, telle
qu'elle existait et le roi et son entourage ne semblaient nullement
l'ignorer.
Et
pouvoir
et
religion
(musulmane
ou
traditionnelle)
étaient étroitement liés et la perte d'influence dans le royaume de
la
religion
majoritaire
sur
laquelle
s'appuyait
nécessairement
le
pouvoir pouvait sceller sa disparition au moins dans la forme qui
était alors la sienne.
D'ailleurs,
le résultat de cette
tournée très
longue était médiocre et
tranchait
nettement
avec
cet optimisme
gratuit. En 15 jours de présence dans le Saloum, qui intéressa plus
d'une dizaine de
villages,
le père
Diouf n'a pu
obtenir que
19
communions - ce qui pouvait se comprendre- 3 baptèmes et deux
mariages
"régularisés"(2)
- ce qui était nettement insignifiant et
révélateur
quand
on
sait
que
les
tournées
étaient
devenues
annuelles depuis cinq ans. La tournée de l'année suivante (1884)
fut encore plus longue et concerna un nombre plus important de
villages. Menée par le P. Diouf accompagné du P. Lamoise, elle dura
un mois et demi(3).
1. Arch. CSSP
BG
XIII
p.684
2. Arch. CSSP
BG
XIII
p.184
3. Ibid,
p.184
152
Le compte rendu qui en fut fait était, au moins, plus réaliste.
On y voit ainsi qu'il y avait dans
la partie centrale du Saloum
"beaucoup
de
Mahométans"
et
même
"un
enclos
servant
de
mosquée"
à quelques pas du poste français(l).
De ce constat, se
dégageait toute une réalité : depuis la guerre sainte de Maba, toutes
les régions de la rive gauche du Saloum étaient occupées par les
musulmans(2).
Si le pays a été jusqu'ici épargné, cette religion, depuis, s'y
installait déjà pacifiquement. Et cette tournée n'a fait que confirmer
la difficulté d'implantation du christianisme. Dans l'ensemble des 25
villages visités, il n'y avait guère qu'une vingtaine de baptèmes, 25
communions pascales et 7 mariages(3). Le résul tat dans le Sine ne
fut
pas
plus
encourageant.
L'essentiel
de
la
population,
encore
préservée de la vague islamique, restait indifférent au message des
. .
.
mISSIOnnaIres.
Au Baol, la démarche fut identique mais là plus qu'ailleurs, les
préoccupations sécuritaires étaient fortes, ce qui explique que cette
région
ne
fut
pratiquement pas ciblée avant
le début du
siècle,
exception faite de sa partie occidentale.
Et si en 1888
déjà le Saloum et le Sine étaient "pacifiés"(4), il
n'en fut pas de même du Baol où le Diéghem et les
"provinces
sérères"
continuaient de
vivre dans
l'insécurité et la menace des
invasions
et
ce
jusqu'à
la
fin
du
siècle.
Mais
les
tournées
missionnaires dans ce royaume continuaient à intéresser surtout les
localités les plus proches de Saint-Joseph, Noiouk et Séssène.
Plus encore à l'intérieur, Diourbel, Bambey et leur voisinage
restaient inconnus des missionnaires qui n'allaient pousser plus loin
leur prospection qu'en
1901
en direction de Ngohé(5)
sans
aller
plus avant. Le projet de fondation d'une mission dans ce village, en
1903, devait échouer(6), faute de prêtres(7).
1. Arch. CSSP
BG
XIII
p.686
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4. Arch. CSSP
164
A III
5. Arch. OPM
B 07496
6. Horaf, VIlI, 1966 p.14
7 Arch. CSSP
164
A IJI
153
Une explication sans doute assez courte d'une situation plus
complexe,
due
en
fait
à
une
approche
finalement
très
peu
méthodique de la mission qui, sur le moment, semblait croire que
l'avènement de
la sécurité tant attendue devait être le point de
départ d'une occupation de tout l'espace ainsi "libéré".
Sans
tenir
compte
de
ses
disponibilités
matérielles
et
humaines, elle s'engagea alors, jusqu'en 1911, dans une dispersion
dommageable de ses forces et à trop vouloir être partout, ne fut
finalement
nulle
part.
Comment, en effet,
laisser les
villages du
Dièghem pour aller se disperser dans une fondation solitaire où le
travail préalable qui n'aurait duré que deux ans à peine n'avait pas
été effectué ? Et où il fallait sacrifier les acquis, minces certes,
obtenus dans ces villages ? Faute de fondations,
les tournées se
poursuivaient donc
mais
intéressaient toujours
moins
le Baol que
les autres royaumes.
Il fallut attendre
1914 pour que dans cette partie du Baol,
elles s'étendent à Diourbel, Bambey et des escales comme Khombole
qui comptaient un certain nombre de catholiques(l). Mais Diourbel
et
ses
environs
offraient
déjà
un
visage
particulier
avec
leur
"groupement considérable de Mourites"(2).
Ailleurs les progrès, bien que lents, étaient plus nets et le
champ
d'action
plus
vaste.
Mais
dés
1907,
l'autoritarisme
administratif
sembla
y
succéder
à
l'autoritarisme
royal
des
dernières décennies du XIXe siècle. La tournée de cette année fut en
effet
perturbée
dans
le
Sine-Saloum
par
une
décision
du
gouverneur du
Sénégal ordonnant la fermeture
des établissements
où se tenait la messe et l'interdiction des offices(3). Ce qui fut
cependant évité
grâce à
la
bienveillance d'un
administrateur
très
chrétien et "complice"(4). Mais l'alerte fut chaude, aussi bien ici à
Foundiougne qu'à
Falick
où
le
même
prob:ème
s\\~lait posé mais
sans avoir atteint une gravité supérieure(S). C'était J'époque de la
loi de séparation que certains administrateurs
allaient essayer de
mettre
en
application.
Cependant,
ils
n'y
arrivèrent
que
très
rarement, et les relations entre l'administration et la mission n'ont
qu'exceptionnellement été mauvaises au Sénégal.
1. Arch. CSSP
164 B
11
2. Ibid. Entendre:
Mourides
3. Arch. CSSP
164 A
IV
4.
Ibid.
S.
Ibid.
154
La loi de séparation elle-même n'y a jamais été promulguée(l)
et les difficultés qu'elle créa au début du siècle furent assez vite
surmontées(2). Le successeur de M. Guy, l'administrateur auteur de
ces "chicanes" au Saloum, avait d'ailleurs été jugé "fort aimab1e"(3)
par les missionnaires.
Ces tournées devaient aboutir, en 1911, à la fondation de la
première mission de l'intérieur : celle de Foundiougne. Quelque trois
années plus tard, étaient fondées deux autres missions : Fatick et
Kaolack.
Désormais
établis
au
coeur
du
pays
sérère,
les
missionnaires
avaient
une
meilleure
base
pour
poursuivre
leurs
tournées apostoliques et fonder d'autres missions.
La même année, il fut question une fois encore de fonder une
mission dans la seule partie du pays qui n'en avait pas : le Baol et
de la confier aux pères de Thiès, c'est-à-dire à la mission du pays
none(4).
Mais
comme
d'autres,
ce
projet
n'eut
aucun
début
d'exécution.
Au total, les tournées missionnaires ont tenté de couvru tout
le pays,
sans
réellement y parvenir. Certes,
beaucoup de
villages
étaient touchés mais il restait d'autres - une bonne majorité - où les
tournées
étaient soit inexistantes,
soit si
superficielles qu'elles ne
pouvaient avoir aucun impact sur les populations.
1. Arch. CSSP
164
A V
2.
A titre d'exemple
: les traitements accordés
aux
curés et
vicaires qui
furent
supprimés
en
1907
par
le
gouverneur
Van
Vollenhoven
furent
très
rapidement
rétablis
quelques
années
plus
tard
par
son
successeur
William
Pont y
Rapport
de
la
congrégation
du
Saint-Esprit.
Paris,
Letouzey
est
Ané,
1926
P.89.
Aussi
pour
minimiser
l'affaire
du
Sine-Saloum,
Mgr
Rieh!
en
attribuait
loute
la
responsJ.bilité
au
supérieur de
Ngasobil,
le père Nieder qui
avait envoyé le prêtre
par qui
le problème
arriva,
l'abbé Gabriel
: c'était pour lui
une erreur d'envoyer
un
seul
prêtre
inexpérimenté
dans
le
Sine-Saloum
"après
avoir
créé
la
tension"
par
des
procédés
antérieurs
très
discutables.
Et
en
1910,
son
successeur,
Mgr
Jalabert
affirmait
que
l'Administration
laissait
une
grande
latitude
à
la
mission,
ce
que
ne
démentit
pas
Mgr
Le
Hunsec
quand
il
écrit,
un
peu
plus
tard,
en
1922
:
"tout
est
ici
à
l'union
sacrée ... gouverneur,
généraux,
galonés
de
toutes
couleurs
étaient
à
la
messe".
Le
gouverneur
général
"Olivier
dit
de
belles
paroles
et
nullement
en
contradiction
avec
la
doctrine
catholique"
-
Arch.
CSSP
262 A 1. En somme, tout dépendait des dispositions des administrateurs qui
étaient
bonnes
ou
franchement
neutres,
pour
l'essentiel.
3. Arch. CSSP
164 A
V
4.
Ibid.
155
C'était
surtout
le
cas
au
Baol
où
elles
étaient
assez
particulières : les prêtres n'avaient pas d'objectifs précis en dehors
de Ngohé et parcouraient un peu à l'aventure les autres villages, où
ils
pouvaient
ne
plus
jamais
revenir(l).
Ces
tournées
étaient
d'ailleurs plus rares. Au Sine et au Saloum par contre, cette cible a
toujours existé. C'était d'abord le roi jusqu'à la fin du XIXe siècle et
ensuite des populations connues
les anciens de Ngasobil d'abord,
les autres par la suite . Tout cela étant finalement devenu la même
cible,
au
fur
et
à
mesure
que
se
développaien t
les
contacts.
L'existence d'un vieux noyau de chrétiens a donc, ici, pu faciliter les
choses.
B
-
Les
premières
fondations
et
leur
échec
(1914 -19 28)
En 1914, la mission s'était donc enrichie de quelques stations
mais
qui
étaient
déjà
en
grandes
difficultés
(Foundiougne
et
Kaolack), sur le point d'être fermées (Fatick) ou simplement voulues
mais en fin de compte inexistantes (Ngohé). La fondation de Ngohé,
projetée depuis la fin du XIXe siècle et reportée plusieurs fois(2),
semblait pourtant effective en 1910, lorsque Mgr Jalabert informait
le
supérieur de la congrégation de la reprise de cette "ancienne
concession"(3). En fait de reprise, il n'y eut que de brefs séjours de
missionnaires, bien que sur le terrain en question, un pied- à- terre
fût aménagé pour les prêtres de passage. C'est ce qui a fait dire à
certains missionnaires sans doute trop pressés que la mission de
Ngohé avait été fondée en 1914(4).
Entre les préparatifs assez lents et l'installation effective de
missionnaires résidents, il y avait un pas qu'il fallait se garder de
franchir
aussi
facilement.
Une
mission
fondée
mais
finalement
inoccupée et même tombée quelques années plus tard à l'abandon,
telle était, en fin de compte, la mission de Ngohé. Celle-ci n'avait
donc
pas
besoin
d'être supprimée,
puisqu'elle
n'a
en
fait jamais
existé. Aussi lorsqu'en 1914, il fut question d'une réorganisation des
stations existantes, il n'était nulle part fait mention de Ngohé. Au
contraire, on vit les missionnaires regretter que jusque-là, le Baol
ne soit pas évangélisé"(5).
1. Arch. CSSP
163
A V
2. Arch. CSSP
164 A
III
3. Arch. CSSP 164 A
V. (Celle concession avait été achetée depuis 1901)
Arch.
CSSP
164 B
Il
4. Arch. CSSP 164
B
V
5. Arch. CSSP 164 A
Il
156
En fait, Ngohé, dont le prêtre résident ne pouvait pas venIr de
Ngasobil(l) devait être desservi par les missionnaires de Thiès(2)
mais ceux-ci qui avaient "pour champs d'action les pays nones et
une
partie des
escales
de Thiès
à
Saint-Louis"(3),
étaient
déjà
suffisamment
occupés
pour
prendre
en
charge
une
nouvelle
fondation. Ngohé, apparemment, n'eut donc même pas de catéchiste.
Pourtant en 1914, il se présentait plutôt bien, remplissant les
conditions pour être
une
priorité dans
l'action
des
missionnaires:
population
nombreuse
(3500 habitants),
site
salubre et bien
situé
entre le Sine et le Baol, forte proportion d'''animistes'' devant le
torrent déferlant, à quelques pas, de l'islam. C'était sans doute là les
raisons qui
avaient poussé les missionnaires à vouloir s'y établir
prématurément, quinze ans plus tôt. Mais 1914 n'était pas le point
de départ idéal.
Au
contraire,
ce début de
la
grande
guerre ne
pouvait
faciliter
l'action
missionnaire
les
urgences
étaient
désormais
ailleurs.
C'est ainsi que la mISSIOn de Fatick, dont la résidence a été
commencée en
1912(4) eut du
mal
à survivre à l'état de guerre
dont
les
conséquences
pour
la
mission,
sans
avoir
été
catastrophiques n'en étaient pas moins défavorables(5). Mais il n'y
a pas eu à Fatick de construction et les pères ont été hébergés par
"Maurel
&
Prom",
une
société
commerciale
solidement
établie
dans la colonie.
En 1912, alors que Fatick dépendait encore de Foundiougne, la
"maison-mère du Sine -Saloum"(6), le P. Jeuland qui s'y était rendu
en
visite
enregistra,
le
dimanche
de
Pâques,
"plus
de
130
personnes" et "37 communions pascales"(7), en grande majorité des
Européens et Syriens.
Mais la mission de Fatick était alors jugée
prometteuse(8) ce qui justifia son érection
en
résidence quelques
mois plus tard.
1. Arch. CSSP 164 A
III
2. Arch. CSSP A V
3. Arch. CSSP 164 B Il
4.
Bulletin
de
la
congrégation
du
Saint-Esprit,
1914
p.573
S.
Voir la situation pendant la Première Guerre
6.
Annales
apostoliques.
1912,
p.316
7. Ibid,
p.315
8.
Ibid.
157
L'importance qui fut
accordée à cette mission
était attestée
par la présence de deux missionnaires, les pères Fall et Jeuland( 1)
qui
devaient
malheureusement
abandonner
leur
poste
dès
1914.
Fatick était alors fermée.
Un échec qui semble inscrit dans l'ordre des choses comme le
reconnut
le conseil de
la
mission,
dans
sa séance
de novembre
1914(2). Fatick avait, en effet, été toujours considéré comme une
sorte de carrefour d'où
devait partir le message
missionnaire, en
direction des autres villages du Sine. La mission devait donc, en
même temps, être celle de tout le centre du Sine, jugé au moins
aussi important que la "capitale" elle-même qui, comme toutes les
grandes escales, était déjà en bonne partie musulmane(3).
Les jugements du début ne tardèrent pas ainsi à être revus et
corrigés puisque pour cette même raison
notamment, il
devenait
impossible d'y
accomplir
"un
travail
suffisant"(4).
Bien
que
les
tournées
missionnaires
s'y déroulaient
depuis
des
décennies,
bien
que la mission s'y était établie depuis deux ans, il n'y avait guère
que
des
Blancs
et
autres
étrangers
qui
étaient
chrétiens
:
une
vingtaine de personnes(5) en moyenne seulement y assistaient à la
messe en
1914 ce qui démontre, au regard des chiffres de 1912,
que
la
stabilité
ou
la
progression
de
la
population
chrétienne
dépendaient encore, avant tout, de la présence des étrangers.
Quant aux
catéchumènes qui en
pareil
cas devaient être la
seule justification de la mission, ils étaient quasi-inexistants : une
quinzaine
de
filles
seulement
fréquentaient
les
soeurs
parmI
lesquelles
10 étaient déjà musulmanes!(6).
Les causes d'une telle situation
sont de plusieurs ordres. Il
faut tout d'abord se rappeler que le coeur du pays fut longtemps à
l'écart de toute
mouvance chrétienne,
du
fait
même de l'emprise
royale sur les masses et Fatick, centre politique et religieux du pays
devait être le dernier à être touché par le message de la mission.
1.
Bulletin
de
la
congrégation
du
Saint-Esprit,
.1914
p.573
2. Arch. CSSP 164 B Il
3.
Ibid
4.
Ibid
S.
Ibid
6.
Ibid
158
La présence, très ancienne des marabouts auprès du roi pour
lequels ils faisaient office de conseillers a favorisé l'introduction de
l'islam timidement certes, mais de façon durable.
Lorsqu'à
l'effacement
de
la
royauté
la
mission
voulut
s'installer, les nouvelles conditions devaient profiter d'abord à ceux
qui
étaient
là avant.
Ces conditions
semblant être
accompagnées
d'une forte "demande de religion", l'islam s'est rapidement installé
avec d'autant plus de profondeur qu'il apparaissait aux populations,
surtout
dans
son
organisation,
comme
parfaitement
capable
de
combler
le
"vide
moral"
laissé
par
l'effacement
des
institutions
tradi tionnelles.
Il y a ensuite
les réalités géographiques et historiques qui,
malgré tout, ont depuis le milieu du XIXe siècle, favorisé l'ouverture
du
Sine
à
l'extérieur.
Comme
au
Saloum,
le
roi
était
souvent
musulman et
même
théorique,
cet
attachement
à
l'islam
était de
nature à "libérer" les dignitaires du régime et certains sujets dont
un nombre sans cesse croissant s'est tourné vers l'islam au fur et à
mesure
de
l'établissement
des
"étrangers"
qui
n'a
fait
que
s'accentuer
depuis
l'installation
coloniale.
Fatick,
enfin,
était
le
centre le plus important du Sine à l'installation de la mission, en
1912, et devait,
à ce
titre,
attirer plus de musulmans,
subissant,
comme nulle part ailleurs, la plus forte influence de l'islam.
On comprend
dans
ces conditions
que ce fut
finalement
le
découragement
pour
les
missionnaires(l)
à
une
époque
où
les
villages proches
semblaient passer, pour eux,
au
second plan des
préoccupations,
essentiellement centrées
sur
la
masse
humaine
de
cette grande escale.
Aussi, revint-on à la strategIe initiale de desservir Fatick par
Foundiougne. La mission de Foundiougne avait d'ailleurs vocation à
s'occuper des "villages environnants"(2) et, dans Foundiougne même
sembla, dès le départ, devoir être une réussite : un père, Simon Fall,
qui
"s'y
dévoue
au-delà
de
toute
mesure"
et
"80
communions
pascales"(3)
dès
1912
sans
oublier
des
dizaines
de
premières
communions, confirmations et mariages(4) étaient, en effet, le signe
d'un bon départ.
1. Arch. CSSP 164 B Il
2.
Ann .. les
Apostoliques.
1912,
p.316
3.
Ibid.
4.
Ibid.
159
Au total, la station comptait alors 300 chrétiens y compris les
Européens
(1).
Ceux-ci,
au
nombre
d'une
cinquantaine,
ne
semblaient
pas
particulièrement
versés
dans
la
pratique
re1igieuse(2).
Il
y avait donc
un
nombre
appréciable de
Sérères
chrétiens pour un début mais aussi des Sénégalais "étrangers"
au
pays et des commerçants libano-syriens qui étaient présents
dans
tous les centres commerciaux. Rejoint par le P. Le Berre après le
rappel
à
Rufisque
du
P.
Rialland,
le
P.
Fall
continuait
son
"dévouement"
notamment
dans
l'oeuvre
de
catéchisme
qu'il
dirigeait
et
qui
avait
pu
recruter
une
trentaine
d'enfants(3)
auxquels
il
faut
ajouter
"des
grandes
personnes"
au
nombre
indéterminé
qui
recevaient
à
domicile
leurs
leçons
de
catéchisme( 4).
En vingt mois de présence de la mission, de Mai 1910 à fin
1911,
la
"moisson"
était
convenable
41
baptèmes,
19
confirmations, 25 premières communions et 5 mariages(5).
Foundiougne,
qui
reste
la
seule
mission
de
l'intérieur
pratiquement jusqu'en
1914
semblait
alors
en
état
de
pouvoir
surmonter durablement les difficultés pour non seulement vivre et
prospérer
mais
aussi
servir
de
relais
à
la
fondation
d'autres
missions.
Mises à part les difficultés du début nées de l'intolérance du
reste passagère de l'Administration et de la maladie du P. Rialand
qui faillit tout compromettre(6), rien ne laissait entrevoir un échec.
D'autant que les soeurs du Saint-Coeur de Marie s'y étaient déjà
installées
la
même année que
les
pères
et ne
demandaient qu'à
continuer leur mission.
En
1914, clics réceptioIlnaient '.ine ln:;_~~oni'h~!bit;liicn
"bénie
par le P. Le Berre" supérieur de la mission(7). Mais les quatorze
années qui allaient suivre devaient tout compromettre.
1.
Bulletin
de
la
congrégation
du
Saint-Esprit,
1912,
p.734
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4.
Ibid.
5. Ibid,
p.736
6. Arch. CSSP
164 A V
7.
Bulletin
religieux
du
Vicariat
Apostolique
de
la
Sénégambie, n029,
février
1914
p.6.
160
Et on ne tarda pas à se rendre compte qu'il était parfois bien
difficile de fonder des missions durables sur des escales(l) peuplées
en bonne partie de gens attirés
par les affaires. Quand celles-ci
cessaient de marcher ou quand les affairistes trouvaient ailleurs un
point de chute
plus
lucratif,
ils
étaient
naturellement
tentés
de
partir. C'est ce qui est arrivé à Foundiougne.
Dés
1927,
les
pères
pensèrent
qu'il
fallait
"s'installer
en
brousse,
là où on peut fonder une chrétienté avec des
gens qui
demeurent
sur
place
pour,
de
là,
rayonner"(2).
Il
fallait
donc
s'installer ailleurs qu'à Foundiougne et de là, desservir "les escales
du Sud et de
l'Est"
dont Foundiougne
lui-même(3).
Dés
Janvier
1928,
Foundiougne
était
donc
fermée
et
la
maison
du
père
vendue( 4).
Cet
échec
eut
cependant
l'avantage
d'amener
les
missionnaires à revoir leur stratégie, essentiellement basée, jusque-
là sur les grands centres, sans se soucier de J'aspect temporaire de
la présence de certains de leurs chrétiens ou de la diversité de leurs
origines. Un esprit très éclairé, le P. Joffroy, après quatre mois de
prospection
dans
le pays avait démontré
les
inconvénients
d'une
telle démarche
: "ni
Fatick, ni
Kaolack,
ni Diourbel ne peuvent
devenir un foyer de vie chrétienne d'où l'on pourra rayonner parce
qu'on ne trouve dans ces escales
ni à Fatick, ni à Diourbel, ni à
Kaolack l'élément nécessaire. On trouve dans ces escales des Noirs
de partout, des ambulants, des passagers ou bien des boutiquiers,
des gens installés là pour gagner de l'argent et qui en somme sont
des étrangers"(5).
Avec
l'expérience
de
Foundiougne
et
Fatick,
la
mISSIOn
s'orienta enfin vers
des fondations à l'intérieur du pays, non plus
forcément
dans
ses
escaks
certes
populeuses
mais
souvent
insuffisamment disposées à embrasser Je christianisme.
1.
Les
escales
sont
de
grandes
agglomérations
villageoises
donc
bien
peuplées et
constituèrent, dans
la campagne,
les
centres
commerciaux.
2. Horaf, XII,
1963,
p.16
3. Ibid,
p.16
4. Arch. CSSP 262 A IV
5. Horaf, XII,
1963
p.16
16 1
Jusque-là elle avait pensé que de ces centres,
généralement
bien situés, aux carrefours des grandes voies de communication, elle
pouvait atteindre
le plus
grand nombre de
Sérères
du
pays mais
cela
nécessitait
d'abord
que
les
missions
ainsi
créées
fussent
solidement établies. Ce qui n'était le cas nulle part en ce milieu de la
seconde décennie
du
siècle,
les
seuls
réussites
étant
enregistrées
dans les villages au peuplement homogène comme Fadiouth.
Ailleurs plus il y avait un " mélange" de populations, plus les
chances
étaient
multipliées
d'avoir
affaire
à
un
christianisme
minoritaire ou mal pratiqué comme c'était souvent le cas dans les
villes à forte proportion d'étrangers. Il fallait donc désormais aller
chez les Sérères, directement, et ne plus attendre dans les escales
où ils n'étaient plus déjà les mêmes, ou se contenter de s'appuyer
sur celles-ci pour les toucher plus ou moins directement.
Bien que la préoccupation ait toujours été de finir par fonder
des missions dans les gros villages sérères à partir de ces grands
centres, on ne pouvait plus comprendre que les missionnaires ne le
tentent pas directement, dès lors qu'il était apparu que ces centres
avaient
suffisamment
de
problèmes
pour
pouvoir
efficacement
prendre en charge ces projets. Ils n'avaient donc plus d'intérêt dans
l'immédiat
et
ne
devaient
plus
en
avoir
vraiment
avant
le
développemen t des moyens de
transport.
Ce
développement,
tout en
contribuant
a en
faire
un
pôle
d'attraction
des
villages
environnants,
permettait
aux
pères
de
pouvoir
les
desservir
plus
facilement
et
préparer
d'éventuelles
fondations.
Cela explique que la position géographique qui a toujours été
importante dans toute fondation, l'était davantage à partir de la fin
des
années
1920.
Or,
Foundiougne est
une
île
à
l'accès
parfois
difficile et il était encore plus difficile d'en sortir pendant la saison
des pluies. Cette
mission n'était donc pas l'endroit idéal d'où on
pouvait répandre l'évangile dans le pays.
Il
y
avait,
en
plus,
la
proximité
de
Kaolack
dont
le
développement
fulgurant
contribuait
à
déconsidérer
Foundiougne( 1).
Non
seulement
cette
ville
lui
prenait
de
ses
richesses matérielles et humaines, mais encore il était devenu une
mission
plus
viable
et
plus
ouverte
sur
l'extérieur.
Foundiougne
n'avait plus les moyens de sa mission .
1.
Annales
Apostoliques,
1928
p.261
162
Appelée à desservir Fatick et de nombreux autres centres et
villages du Sine-Saloum, cette station avait dû
laisser une
bonne
partie de ce territoire missionnaire à Kaolack et même aux pères de
Saint-J oseph de N gasobil.
Cela laissait de côté, par la force des choses, une bonne partie
du pays qui allait du nord de Fatick à l'ouest de Diourbel, avec une
profondeur
de
dizaines
de
kilomètres
en
remontant
vers
la
"frontière" Nord du pays sérère. Seuls restaient assez bien desservis
Diourbel
et son
voisinage immédiat,
grâce
aux
missionnaires de
Kaolack qui prirent aussi en charge le Saloum et une partie sud du
Sine.
Il fallait donc, au plus vite, trouver le moyen de corriger cette
"imperfection".
Les
moyens
n'y
étant precIsement pas,
on
pensa
simplement remplacer Foundiougne par une autre mission, à même
de mieux prendre en charge ces préoccupations.
163
Il - LE RETABILSSEMENT DEFINITIF
DES MISSIONS
A
Des
conditions
nouvelles
Au moment de la reprise des anCIennes mISSIOns de Fatick et
Foundiougne, des conditions nouvelles prévalaient dans tout le pays
sérère qui ont dû influer sur cette décision de la mission.
L'islam était certes partout présent, convertissant chaque jour
un nombre encore plus grand de Sérères. A côté pourtant, on ne
pouvait
ignorer
qu'il
y
avait
des
Sérères
encore
nombreux
qui
préféraient
garder
la religion
traditionnelle
et
que chez
certains
néo-musulmans,
le caractère superficiel
de
la conversion
pouvait
être la brèche qui leur ouvre la voie du christianisme.
Nous étions donc en réalité face à un bilan mitigé où les échecs
côtoyaient les réussites et où l'on perçevait avec peine l'issue de la
course sur le terrain, entre islam et christianisme, la seule certitude,
malgré
un
avantage
certain
pour
l'islam,
étant
la
disparition
irrémédiable de l'''animisme'', du moins dans sa forme originelle.
Si l'islam semblait mieux parti puisque faisant plus facilement
d'adeptes,
c'est
bien
parce
que
le
christianisme
s'était
toujours
montré incapable de prendre en charge les aspirations populaires à
un minimum de "liberté" dans l"'état du chrétien".
li Y a surtout cette attitude critiquable de la mission dans ses
relations avec les autorités indigènes
locales toutes musulmanes de
surcroît et entretenant parfois des rapports conflictuels avec leurs
administrés : tout en ne cherchant pas - et là-dessus la démarc he
des missionnaires fut claire - à cautionner leurs abus ou même à
établir une quelconque collaboration avec
les plus décriées
parmi
elles, ces derniers ont eu la fâcheuse tendance à ne plus chercher à
comprendre dès lors qu'il était question de s'établir dans un canton,
s'ils devaient ou pas cautionner, par leur silence ou leur prédication,
les méthodes de gouvernement de ces petits chefs, dont certains se
sont
fait
connaître
par
leur
brutalité
et
leur
manque
notoire
d'honnêteté.
164
En
se
liant d'amitié avec
eux,
les
missionnaires,
bien
qu'ils
n'agissaient
que
dans
un
cadre
spirituel
strict,
se
gardant
de
se
mêler
des
affaires
de
l' admi ni stration,
créaien t
Je
trou ble
dans
l'esprit
de
bon
nombre
des
Sérères
qui
voyaient
dans
une
telle
situation, comme ce fut
le cas avec
le chef de Ndiaganiao, qu'ils
disaient être leur ami alors que l'arbitraire avec lequel il gouvernait
était connu de tous(l) soit ce qu'elle n'était pas en réalité c'est-à-
dire de la collaboration pure et simple, soit ce qu'elle était en fait :
l'indifférence devant le quotidien des populations.
Il
convient
certes
de
nuancer
le
propos
par
l'indépendance
ultérieure affichée à l'égard de son successeur dont la femme et lui-
même étaient, dans les prestations sociales de la mission tel que le
dispensaire,
servis
sans
aucune
considération
de
leur
rang
bien
qu'au
début,
c'est
à
dire
avant
de
comprendre,
ils
aient
estimé
devoir s'en servir pour recevoir un traitement de faveur.
Mais
la
mission était alors
déjà solidement installée ce qUi
autorise l'indulgence du jugement précédent fait
pour
une
période
où
les
missionnaires
semblaient
préoccupés
par
leurs
problèmes
d'installation. Cette phase de la mission où il faut trouver un terrain
et recouter
les
premiers fidèles,
noyau de
la chrétienté
locale est
d'ailleurs partout la plus délicate puisque la moindre opposition du
chef le plus insignifiant pouvait tout compromettre.
Il
en
résulta
malheureusement
celte
tendance
presque
naturelle des missionnaires à chercher l'appui et la solidarité si ce
n'était l'amitié des décideurs locaux au début de chaque création de
poste, au moment où de plus en plus, les missions naissantes étaient
établies au milieu de musulmans dont le chef lui-même.
Attirés
par
le commerce
et
la
prospérité
toute
relative
des
villages
sérères,
ces
"étrangers"
formaient
dans
les
escales
des
grO\\lfles UJlIS 0U Ploins 3 rnrt dont le mode rie vie ne t:{rda pas à
3lre ln1u.-é iJ".
i.,-:~) -'-;~r'.::('~.). -.(I\\~LJJ.~ ~l0 J..}\\":liL:'; _ .·~_l (')3, \\~~,.) .... ,._i(:j·(-î(i-."l-iL
le commerce et l'artisanat, ces wolofs (le plus
souvent) exerçaient
ainsi, au milieu des Sérères, un travail longtemps jugé avilissant et
indigne. Cela explique en bonne partie le rejet de l'islam avec lequel
ils étaient
naturellement
venus.
Mais les bouleversements intervenus depuis Je début du siècle
du fait à la fois de la conquête et du développement des moyens de
communication
ont
brutalement
fait
tomber,
surtout
à
partir
des
années 40, toutes ces
barrières psychologiques.
1. Arch. CSSP
262
A
III
165
Et le fait wolof s'est rapidement imposé dans l'ensemble du
corps
social
sénégalais
puisqu'il
correspondait
finalement
aux
aspirations nouvelles à
la modernité après avoir relégué le vieux
bon sens paysan en arrière plan des
urgences. Les préoccupations
étaient devenues non plus la richesse pour la gloire qui caractérisa
longtemps le pays
sérère,
mais l'aisance
matérielle
par les
biens
acquis
ou
à
acquérir
et
qui,
seule,
est
la
nouvelle
clé
de
respectabilité et de la considération sociales. Du coup, devenait une
tare le fait d'avoir beaucoup de biens sans en jouir matériellement,
et c'est depuis que l'influence wolof eut fini de s'imposer.
Bien servis par la renomée des chefs de confréries qui, s'ils
n'étaient pas d'origine wolof avaient fini par devenir Wolofs et ont
vécu en Wolofs au milieu des Wolofs dont la langue a véhiculé leur
message, ceux-ci, déjà bons pratiquants de leur religion étaient de
plus en plus imités dans leur vie de tous les jours faisant gagner à
l'islam
des
adeptes
de
plus
en
plus
nombreux.
Cette
imitation
conduisait si directement à la conversion que l'islam était véhiculé
dans leur langue qui s'est très rapidement imposé comme la langue
des échanges qui semblaient constituer le trait d'union de tous les
Sénégalais, faisant des Wolofs une sorte de centre où convergeaient
tous les besoins de la nouvelle société. Cette situation qu'ils ont sû
gérer avec intelligence en devenant de fait le point de convergence
de toutes les aspirations à une vie nouvelle dont ils ne manquèrent
pas
de
démontrer
qu'elle
est
difficilement
compatible
avec
une
religion
autre que
la leur a été très
profitable
à
l'expansion de
l'islam.
Tout
se
wolifisa donc,
y compris
une
bonne partie
des
Sérères et leur religion et on comprend que le christianisme n'a pu
vraiment réussir que là où cette influence wolof était toute relative
: sur la côte et les îles où le christianisme a devancé cette influence
et dans quelques poches du pays sérère souvent pour des raisons
historiques liées à une coexistence difficile entre Sérères et Wolofs
dans le passé comme à Thiadiaye ou à Ndiaganiao.
Etendu
à la
Casamance où l'influence wolof est beaucoup moins nette, le propos
est davantage confirmé par les résultats
de l'évangélisation
: les
Diolas
chrétiens,
toutes
proportions
gardées,
sont deux
fois
plus
nombreux que leur coreligionnaires sérères(l).
1.
Une
étude effectuée
à la
fin
de
notre
période
donne
en
effet
pour
l'cnsemble du pays, 9 à 15% dc catholiques
sérères contre 15 à 19% de
Diolas de la même religion - V.
Martin
: Etudes
socin· religieuses.
Fasc.l
- Notes d'introduction à unc étudc des populations dc Dakar ct du Sénégal.
Fraternité Saint-Dominique - Dakar,
1964
p.48.
166
En
même
temps,
un
mouvement
inverse
s'est
amplifié
en
faveur
du
christianisme,
pour
les
mêmes
raisons
mais
ici
directement liées à la perte de vitesse des autorités traditionnelles,
comme le souligne J.
Lombard : "Le développement de l'économie
commerciale a rarement profité à l'ancienne classe dirigeante et a
permis
l'apparition
de
nouvelles
couches
sociales,
composées
de
commerçants, de planteurs plus fortunées qu'elle. L'introdution d'un
régime financier et fiscal
nouveau,
l'apparition
dans certains cas
d'une économie de traite qui a favorisé l'émergence d'une catégorie
sociale
disposant
de
moyens
financiers
supérieurs
à
ceux
de
l'ancienne
aristocratie
ont achevé de ruiner
la
position
de
cette
dernière
déjà
fortement
atteinte
à
la
fois
par
la
dépendance
politique
dans
laquelle
la
colonisation
l'avait
placée
et
par
l'influence d'un système culturel altérant l'ensemble de ces valeurs
traditionnelles sur lesquelles reposait son pouvoir"(l).
Cette société issue de la colonisation, si elle n'a pas nourri un
sentiment
de
revanche
sur
l'ancienne
à
laquelle
la
rattachaient
d'ailleurs la nostalgie et la résistance au changement social malgré
le bouleversement politique et économique ainsi
opéré,
a généré
une notion nouvelle de l'élite où le savoir au
sens européen du
terme,
puisqu'il
conditionne pour une
bonne
part
l'accès à cette
catégorie
socialé
enviée
prit
toute
son
importance.
Et
nous
rejoignons ici, une fois de plus, la confusion faite entre l'école et la
religion
chrétienne
qui
entretient
en
même
temps
la
tolérance
religieuse
sans
laquelle
il
eut été inimaginable
que
la
minorité
chrétienne prospère comme elle l'a fait depuis la fin de la seconde
guerre
mondiale.
Parce qu'il s'est opéré en douceur, le passage de l'ancienne à la
nouvelle société a renforcé la disposition au compromis, religieux ou
culturel qui est l'un des traits caractéristiques du Sérère qui, depuis,
ne trouve plus de vraie raison à l'ostracisme qu'il soit culturel ou
religieux.
On
comprend
qu'il
y
ait
eu
des
Sérères
à
estimer
qu'en
matière
de
religion
comme
en
toute autre,
on
ne
pouvait
"pas
mettre ses oeufs dans le même panier"(2).
1.
Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en
Afrique
Noire.
Paris, A. Colin, 1967
p.85.
2. EM 87
167
Concrètement
donc,
on
pouvait
tolérer
voire
favoriser
les
différences religieuses
dans
une
même famille
puisque "personne
ne sait laquelle des deux religions est la meilleure ou la bonne"(I).
Plus
généralement,
on
estime
que
"toutes
les
religions
se
valent" et qu'il n'y a, dès lors, aucune raison de jeter l'anathème sur
un croyant qui pratique une religion différente(2).
Ainsi, si la femme doit suivre la religion de son mari, l'enfant
peut choisir la sienne. Il en résulte que dans beaucoup de familles,
frères et cousins, suivant ou non qu'ils étaient à l'école ou même
parfois n'y étant jamais allés, étaient de religions différentes.
Ceux qui, en effet, ont été les premiers à faire "l'école des
pères
étaient
parfois
les
seuls
parmi
leurs
frères
et
dans
leur
famille
à
être
chrétiens.
Les
autres
étant
restés
ou
devenus
musulmans"(3).
Leurs relations
avec
les
membres
de
leurs
familles
étaient
d'autant plus cordiales, qu'ils étaient généreux avec eux, leur faisant
profiter de leur "évolution" et de leur aisance matérielle. Car avec le
sens du
partage et de
la solidarité qui
les
animaitent
"ils
leur
faisaient
accéder
à
force
d'efforts
et
de
sacrifices
louables
aux
nouveaux
signes
extérieurs
d'aisance
que
sont
les
biens
pour
lesquels toute la société était désormais mobilisée.
Bien souvent d'ailleurs,
"la posltlûn que
les parents avaient
acquise dans cette société et dans leur milieu musulman était due à
leurs enfants chrétiens"(4). La coexistence des religions dans un tel
contexte
largement
favorable
à
l'école
et
finalement
au
christianisme ne pouvait donc pas être conflictuelle.
1. EM 108
2.
Ibid.
3. ECHL
018
4. EM
061
168
B - La
mission
de
Fatick
(1951)
Officiellement desservi par Diohine après la fermeture de la
mission de Foundiougne(1), Fatick resta donc pendant longtemps, de
1914 à 1951, sans prêtre résident. On ne sait pas avec certitude
tout l'impact négatif qu'ont pu avoir ces 37 ans de mission difficile,
mais un constat d'évidence s'impose qu'ils ont favorisé l'islam, au-
delà de ce "coeur" du Sine, dans le pays tout entier.
Il est vrai que cette religion
existait déjà au
temps de la
première fondation mais les missionnaires de passage n'ont jamais
ignoré qu'elle était loin d'être aussi profonde qu'elle l'est devenue
trois décennies plus tard.
L'intérêt
marqué
des
Sérères
après
la
refondation
de
la
mission pour le christianisme commande cependant de
relativiser
cette "profondeur" bien plus réelle dans le nombre que dans le vécu
de l'islam.
Jusqu'en 1950, il ne semble pas que la desserte de Fatick par
les autres
missions
y
ait produit de résultats
spectaculaires.
Au
contraire, les progrès semblent avoir été enregistrés surtout à partir
de
1951,
après
l'arrivée
d'un
prêtre
résident
le
père
H.
Gravrand(2).
Dès
1950, on annonçait l'ouverture prochaine de
la
mission qui devait être effective "dès que les constructions seront
terminées"(3).
Malgré la présence continue de l'islam et l'effacement de la
mission, le milieu était, selon les missionnaires,
"demeuré païen",
l'islam ne l'ayant "que très peu entamé"(4).
l.Arch.
CSSP
262
A IV
2. Horar, VII - VIII,
1956,
pA
3.
Arch.
CSSP
345 A.
1. Il faut noter qu'à son arnvee, le père H.
Gravrand trouva quand même 500 chrétiens sérères à Fatick.
4.
Horar,
III.
1962
p. 17
169
Un tel jugement méconnaît certes une partie de la réalité.
Pour le prêtre,
l'islam
se reconnaît
à
la pratique et à certains
symboles comme les édifices cultuels qui, il est vrai, n'ont existé en
grand nombre que plus récemment en pays sérère. Il se trouve que
pour
le
néo-musulman
sérère,
l'appartenance
à
la
communauté
islamique n'impliquait pas forcément le respect scrupuleux de ces
obliagations.
Sa proclamation verbale était généralement suffisante avec le
respect
de
certaines
coutumes
musulmanes
telles
que
les
fêtes
annuelles qui étaient d'autant plus faciles à "honorer" qu'elles ont
été introduites dans le pays bien avant l'islam lui-même, devenant,
à bien des égards, une coutume sérère.
Comparés aux chrétiens, les musulmans avaient donc gagné
beaucoup
de
terrain.
Seule,
pouvait
tenir
la
comparaison
l"'animisme" encore très présent dans le pays. C'est à ce niveau que
les
missionnaires
allaient
recruter
leurs
catéchumènes.
Ceux-ci
étaient déjà assez nombreux dès
1953 puisqu'on estime qu'en ce
moment,
le
nombre
de
baptêmes
avait
dépassé
1000
dans
l'ensemble de
la mission(l).
450 catéchumènes étaient en
même
temps préparés au baptème.
Un
"résultat
rapide"
qui
s'explique
par
"le
système
traditionnel de catéchistes dans les débuts"(2). Rapidement devenus
25, les catéchistes profitèrent de l"enthousiasme" de la population
pour faire du bon travail(3).
Mais les résistances restées malgré tout vives dans une bonne
partie de la population n'étaient pas pour arranger les choses. Aussi,
le père pensa-t-il fonder des écoles pour mieux faire face
à
la
situation, les
"réussites missionnaires modernes (étant) basées sur
l'Ecole"(4).
1. Arch. CSSP 345 - A - I
2.
Horaf,
I-II,
1954,
p.18.
Les
archives
de
l'archevêché
de
Dakar
mentionnent
déjà
près de
1000 chrétiens
(997)
pour ['année
1952 sans
compter
les
étrangers
(240)
et
les
catéchumènes
(400)
Arch.
A.D.
dossier Fatick,
A.
1952.
Notons cependant que la
mission polarise alors
des
dizaines
de
dépendances.
les
chrétiens
demeurant
toujours
très
minoritaires
à
Fatick
même.
3. Horar. l-Il, 1954.
p.18
4.
Ibid, p. 19
170
Le P. Gravrand favorisa donc l'institution d'une école dite de
brousse qui dispense les cours préparatoires et une "école centrale"
s'occupant des cours élémentaire et moyen(l).
Il
s'agissait ensuite de combiner le
système des catéchistes
avec le "système moderne des écoles" pour "arriver à une formule
apostolique
de
grand
rendement"(2).
Aux
25
catéchistes,
s'ajoutaient ainsi "Il
moniteurs qui dirigeaient respectivement 25
villages et 8 écoles de garçons, le tout groupé sous l'autorité de
quatre chefs-catéchistes ayant des pouvoirs très étendus chacun sur
un canton"(3).
Deux
écoles
furent
ainsi crees
en
1952 et
1953
à
Fatick
respectivement
pour
les
filles
et
pour
les
garçons
et
plusieurs
autres
dans
les villages dépendant de
la mission,
entre
1951
et
1953(4).
L'école des garçons de Fatick était dirigée carrément par un
prêtre, second du P. Gravrand, le P. Lavaire(5) tandis que les soeurs
de
l'Immaculé
Conception,
arrivées
en
décembre
1952(6)
s'occupaient de celle
des
filles
en
même
temps
qu'elles
avaient
ouvert sixa et internat(7).
Dans son désir, d'avoir ces auxiliaires preCleux, le P. Gravrand
avait
bien
cerné
le
caractère
essentiel
de
leur
apport
à
l'évangélisation: " le problème de la femme est le point crucial de la
chrétienté. La femme sérère du Sine est très difficile et seules, des
religieuses peuvent quelque chose sur elle"(8).
1. Horaf, 1-11, 1954
p.19
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4.
Horaf, I-II, 1954;
p.21
5. Horaf, VII-VIII, 1956
pA
6. Horaf, II, 1978, p.7
7.
Horaf,
N°
spécial
1973
:
125
années
de
présence
missionnaire
au
Sénégal : Les Soeurs de l'Immaculée Conception. p.15
8.
Ibid.
l 7 l
Bien que non-chrétiens, les chefs coutumiers du Sine, Mahécor
Diouf( 1) et Farba Diouf donnèrent sans difficulté apparente au père
le terrain où devaient s'intaller les religieuses et leurs oeuvres(2).
H. Gravrand, curé doyen de Fatick nous donne d'ailleurs des détails
assez piquants de ce coup de pousse royal : "ce terrain était de
propriété royale et sacrée. Pendant plusieurs siècles, on y perpétra
des actes de sorcellerie, de magie et des crimes d'Etat. Des génies
habitaient
trois
arbres
sur ce terrain,
arbres
devant
lesquels
on
faisait des sacrifices d'animaux et peut-être même d'humains"(3).
Ainsi, la stratégie chère au prêtre, qui est de "christianiser les
familles
sans
heurter
de
front
des
pre]ugés
et
des
croyances
millénaires"(4) ne pouvait avoir, de la part des
Sérères, meilleur
accueil. Mais jusque-là, Fatick n'avait pas encore d'église digne de
ses ambitions. Les chrétiens continuaient d'assister à la messe dans
un magasin qui fut une maison de commerce et devenait trop petite
pour contenir une chrétienté en expansion. Cette église ne devait
pas voir le jour avant la fin de notre période puisque commencée
depuis 1954, sa construction fut retardée, faute de moyens(5). Les
villages
desservis
par
Fatick
étaient
nombreux
Bicol,
Fayil,
Mboudaye, Poukham-sorok, Mbellakadiao pour ne citer que ceux-là.
En 1955, Fatick était devenu une mission prospère, certes très
vaste,
malS
vivante
et
solidement
tenue
par
un
missionnaire
omniprésent et averti des réalités du pays. Ce qui ne fut pas un
facteur défavorable pour son développement. Celui-ci, très rapide, a
bien sûr bénéficié aussi des circonstances d'une époque où les gens,
en contact depuis longtemps avec le christianisme, n'avaient plus la
longue hésitation des décennies précédentes, mais
la connaissance
du terrain et de ses hommes par le P. Gravrand a joué un rôle
déterminant. Nulle part, à l'''intérieur'' du pays et en si peu de
temps,
le
christianisme
n'a
semblé
avoir
fait
d'aussi
grands
progrès(6).
1.
Dernier roi
du
Sine.
II
n'avait
plus de
pouvoir politique et
n'était,
comme
le
mentionne
le
père
Gravrand,
qu'un
"chef
coutumier"
avec
lequel d'ailleurs la royauté ou ce qu'il en restait a disparu du Sine. Il était
proche
du
père Gravrand.
2. Horaf, II,
1978
p.8
3.
Ibid.
4.
Ibid.
5. Horaf, VII-VIII, 1956
pA
6. Le chiffre des baptêmes d'adultes généralemenL difficiles à obtenir est
ici "allé en croissant" pour atteindre, juste après la fin de notre période,
"le nombre de 250" - Horar, VII,
VIII,
1956
pA
172
C
-
La
mission
de
Foundiougne
(1954)
L'une
des
toutes
premIeres
missions
du
pays
sérère
est
curieusement devenue l'une des toutes dernières à être fondées (à
nouveau)
durant
notre
période. Foundiougne, en effet,
ne
devait
être réouverte qu'en fin 1954 par les pères du Sacré-Coeur.
Elle fut ainsi leur première mission au Sénégal( 1) puisque le
père fondateur
s'y est installé dès
février
de cette
année(2).
Il
s'agissait
du
père
Delacombaz,
nouvellement
ordonné
prêtre
et
arrivé quatre mois auparavant, en octobre, au Sénégal.
Comme ses autres compagnons, il n'a eu ainsi que peu de
temps pour se mettre à "l'ecole des Spiritains" pour apprendre les
rudiments de la langue du pays et ses coutumes(3).
Déjà 9, sans compter les trois "laïcs missionnaires" qui étaient
venus avec eux, les pères du Sacré-Coeur commençaient alors leurs
prospections. Foundiougne, lui, n'avait pas besoin d'être prospecté,
même si on était assez loin de la réalité de 1911. L'islam y était
certes
partout
présent
et
la
grande
majorité
de
la
ville
était
musulmane(4).
Mais
un
important
noyau
de
chrétiens entretenait l'espoir,
sans
compter
les
villages
VOISIns,
généralement
très
superficiellement islamisés voire "animistes", dont il était le centre
missionnaire.
1. "L'Eglise
de
Kaolack
1914-1989". Brochure éditée par le diocèse de
Kaolack. Dakar, s.d. Impr. Saint-Paul, p.9.
2.
Les
archives
de
la
mission
que
le
P.
Vincent
Traoré
curé
de
Foundiougne
a
eu
l'amabilité
de
mellre
à
notre
disposition
indiquent
cependant que si à la fermeture de la mission en 1928 le problème
de sa
desserte avait été résolu, il ne le fut qu'en théorie, comme cela peut se
comprendre
les
tournées
en
direction
de
Foundiougne
n'ont
été
vraiment
régulières
qu'après
la
guerre.
Ainsi
entre
1943
et
1954,
8
prêtres eurent à séjourner pendant
une ou plusieurs semaines dans celle
mission.
3. Horar, X, 1974,
pA.
4. ECHL
018
173
Ainsi, comme en
1911, il s'agissait d'en
faire
une
mission
centrale, appelée à prendre en charge une multitude de villages :
Mbam,
Mbassis,
Sourn, Thiaré,
Ndoundour,
Gagué
Mody,
Gagué
Bocar... Ces villages étaient généralement dotés de chapelles mais
ceux où
le christianisme s'implanta
le
mieux étaient surtout les
(plus) gros villages de Mbam et Soum(l).
Foundiougne,
c'est
tout
d'abord
une
localité
sérère,
mais
ouverte
sur
l'extérieur,
du
fait
de
ses
activités
industrielles,
portuaires et commerciales. Cela explique le nombre important de
musulmans dans la ville mais aussi de chrétiens étrangers au pays
qui venaient enrichir la communauté chrétienne(2).
Mais
la
reprise
de
la
mission
n'en
était
pas
pour
autant
facilitée, comme le précisent les acteurs eux mêmes : tous jeunes, ils
étaient "parachutés sans expérience et avec peu de moyens"(3).
N'étant encore ni préfecture apostolique ni diocèse, la mission
des pères du Sacré-coeur n'avait, en plus, pour vivre, que le denier
du culte local. Autant dire qu'elle ne vivait avec ses résidences dont
Foundiougne, que grâce à l'aide de
"la communauté MSC et des
bienfaiteurs d'Europe"(4).
Foundiougne semblait pourtant récupérer
une partie de son prestige perdu avec le développement croissant
des
centres
urbains
et
ruraux
qui
caractérise
le
Sénégal
d'après
guerre.
Les activités économiques de la ville étaient bien servies par
une culture de l'arachide qui était particulièrement active à partir
des années
1940 surtout dans cette zone du
Sine-Saloum qui
ne
tarda pas à s'imposer comme l'une
des
sources
premières
de la
production du pays.
Beaucoup de jeunes trouvaient aInSI, entre deux hivernages, le
temps de séjourner dans la ville de Foundiougne, facilitant par le
fait du regroupement, les activités pastorales(5).
1. ECHL
038
2. ECHL
020
3. ECHL Horaf, l, 1983
p.l3
4.
Ibid.
5. EMCLR
017
174
Il s'y ajoute que la chrétienté onglllaire du pays ou s'y étant
installée définitivement était restée
intacte et il n'y
eut pas
de
déchristianisation
notable,
malgré
le
laps
de
temps
relativement
long qui sépara la fermeture de la mission et sa réouverture(l).
L'un des bienfaits des oeuvres (malgré les nombreux dangers
que représentait l'exode rural) était en effet d'arriver à rassembler
des
jeunes
de
plusieurs
villages
dans
une
même
ville,
ce
qui
facilitait
l'expansion
du
christianisme,
quand
ces
jeunes
étaient
appelés à retourner chez eux.
Même
s'ils
n'étaient
pas
particulièrement
nombreux,
les
missionnaires y trouvaient le moyen de toucher une partie, la plus
large possible du pays, plus efficacement que ne l'auraient permis
les tournées forcément rares et difficiles
: dans une période où
l'augmentation
sensible
du
nombre
de
prêtres
n'avait
pas
pour
autant
résolu
tous
les
problèmes
de
leur
pénurie,
cette
augmentation s'étant souvent accompagnée d'un
accroissement des
besoins en personnel missionnaire, dû à une demande toujours plus
forte et plus large, la prise en charge de jeunes appartenant aux
quatre
coins du
pays
dans
une
seule
mission,
était
souvent
le
meilleur moyen d'amener le christianisme jusque dans les régions
les plus lointaines et les plus délaissées.
Certains chrétiens de petits villages reculés ou à peille peuplés
de quelques familles n'ont dû ainsi leur conversion qu'à ces oeuvres
des missions urbaines et non à une mission inexistante chez eux :
pour des raisons compréhensibles, ces
villages peu importants et
souvent isolés des grands centres ne pouvaient attirer l'attention
des missionnaires que tardivement à partir des années 1960. c'est-
à-dire à un moment où les communications étaient devenues plus
faciles et les prêtre plus nombreux.
Mission
centrale
dès
sa
premlere
fondation,
Foundiougne
devait continuer de l'être à partir de 1954 bien que son champ
d'action
fût
désormais
très
largement réduit.
Le
prêtre
résident
avait alors les seules localités du cercle dont Foundiougne était le
chef-lieu, ce qui permit un contact plus régulier entre lui et ses
néophytes.
1. EMCLR 017
175
Ceux-ci
faisaient
retraites
et
messe
à
Foundiougne
souvent
distant
d'une
dizaine
de
kilomètres.
Dans
ces
villages
éloignés, le père disait aussi la messe une fois par mois : le matin s'il
y avait deux
missionnaires, l'un d'eux étant spécialement "chargé
des villages" ou l'après midi, s'il n'y avait qu'un prêtre(l).
Celui-ci célébrait alors la messe le matin à Foundiougne pour
se consacrer, l'après midi, à l'un de ces villages éloignés. Ce schéma
est d'ailleurs, pour l'essentiel, celui de la christianisation dans les
autres missions du pays.
1. EMCLR 049; ECHL 017
176
III . LES CAS PARTICULIERS
A
.
Kaolack
(1914)
A Kaolack, escale importante du Saloum, les missionnaires ont
pensé très tôt établir une chapelle et un prêtre résident. En 1884
déjà, ce besoin fut exprimé à nouveau mais sans grand succès, "à
cause
d'autres
nécessités
qui
se
sont
manifestées
(dans
les)
différents poste de mission"(l).
Kaolack
était alors
desservi
par
Ngasobil
comme
tous
les
autres postes de l'époque(2), "une ou deux fois chaque année"(3).
La
régularité
au
moins
dans
cette
fourchette
des
visites
semble certaine et
Mgr Landreau,
qui servi de
1933
à
1945
à
Kaolack ne
notait,
en
1964, qu'une
interruption d'activité, entre
1906 et 1908(4), en partant des registres de baptêmes.
Le
P.
Ezanno
de
Fadiouth,
qui
fut
l'un
des
principaux
responsables d'alors du secteur de Kaolack à qui il demanda les
raisons de ce silence des archives devait lui écrire : "le dernier
baptème fut administré par nos soins. S'il n'yen
a pas d'autres
pendant les deux
années
suivantes, c'est que
l'administration
de
Fatick,
par
un
anticléricalisme
devenu
"article
d'exportation"
empêchait les
missionnaires de faire
acte
de
prosélytisme,
nous
faisant suivre et surveiller par un alcati (agent de police). Si vous
voulez trouver le nom des personnes qui
furent baptisées en ce
moment-là dans
le
Sine-Saloum,
orientez
vos
recherches
vers
la
Mission de Bathurst.
1. Arch. OPM
G 07491
2. Horar, VI-VII, 1964
p.25
3.
Ibid.
4.
Ibid.
177
On surveillait nos allées et venues sur la piste de Thiadiaye et
de
Diouroup et les
Missionnaires
montant de
Bathurst passaient
inaperçus et baptisaient les enfan ts des familles chrétiennes "(1).
Ces baptisés ne furent guère nombreux. Ils étaient 20 en tout
et pour tout mais rien ne prouve qu'ils n'étaient que des enfants de
chrétiens,
les
prêtres
gambiens
ne
l'ayant
pas,
apparemment,
précisé(2). De façon assez exceptionnelle, l'administration en cette
fin de la première décennie du siècle était ainsi un obstacle à la
christianisation mais dans une zone précise et en un laps de temps
relativement très
court.
Par la suite, les tournées ont pu continuer normalement avec
les PP de Ngasobil durant quelque deux années avant que Kaolack
soit rattachée à Foundiougne dès la fondation de cette mission en
1911.
Mis
en
veilleuse,
les
problèmes
de
la
mission
avec
l'administration semblent alors avoir très momentanément ressurgi,
le
P.
Greffier,
qui
desservait
Kaolack
ayant
eu
beaucoup
de
difficultés avec le "chef de poste"(3).
Pourtant en 1914, la mission de Kaolack fut fondée grâce à
"l'entêtement" du P. Le Berre. Passé par Foundiougne et Fatick où la
responsabilité de l'échec de la mission
quelques
mois plus
tard,
cette même année, lui fut en grande partie imputée, ce missionnaire
s'installa à Kaolack où il se mit immédiatement à construire une
maison et une chapelle(4).
Dans
la
foulée,
il
demanda
l'érection
de
la
mission
en
résidence, ce qui lui fut refusé par le conseil du Vicariat pour "les
mêmes raisons que Fatick"(5).
Ces raisons
invoquées étaient le caractère prématuré de la
fondation
mais
aussi
l'empressement
jugé
trop
grand
ct
préjudiciable du
père.
Arrivé dans sa mission
depuis Avril,
il y
resta quand même et en Juin, Kaolack était érigée en résidence.
1. Horaf, VI-VII, 1964
p.25
2.
Ibid.
3. Arch. CSSP 164
A
V
4. Horaf, VI-VII, 1964
p.25
5. Arch. CSSP
164
B II
178
Il
Y avait
alors
"une
bonne
soixantaine
de
fidèles"(l)
et,
hormis l'espoir, rien de plus. Mais en
1923 déjà,
cette chapelle
s'avérait trop petite et dut être remplacée "par la première église
Saint-Théophile"(2). Le succès était réel puisque cinq années plus
tard, cette église était à son tour agrandie pour faire face au nombre
croissant de fidèles.
Il
est
vrai
qu'aux
nouveaux
chrétiens
de
Kaolack
même,
s'ajoutaient les communautés de Foundiougne fermée
au début de
cette année et des villages que desservait cette mission. C'était au
temps du R.P. Caudron, un des témoins privilégiés de l'expansion de
la mission du Saloum.
A l'arrivée du P. Landreau, quelques années plus tard, deux
frères,
David
et
Paulin
étaient
déjà
là,
se
dévouant
dans
les
différentes oeuvres. F. David devait être d'ailleurs un collaborateur
précieux pour le père comme il le dit lui-même(3).
Les
progrès
de
la
mission
commandaient
le
concours
des
soeurs. Aussi, dès 1932 - soit juste avant l'arrivée du P. Landreau-
la congrégation des
soeurs de
l'Immaculée Conception y fut-elle
représentée. "Dans la stricte pauvreté", elles commencèrent aussitôt
leurs
oeuvres
dont
une
école
pour
filles
et
d'autres
oeuvres
féminines( 4).
Ces
"oeuvres
féminines"
concernaient
essentiellement
l'orphelinat de la mission(5) où était érigé un centre d'enseignement
ménager(6).
Si
l'école
était
relativement
bien
fréquentée
(une
centaine d'enfants en 1949), elle était malheureusement fermée aux
orphelines qui n'apprenaient que des travaux ménagers(7).
------------------------
1. Horaf, VI-VII, 1964
p.25
2.
Ibid.
3. Horaf, VI-VII, 1964
p.26
4.
Ibid.
5. HoraL II, 1949
p.22
6.
Ibid.
7. Horaf, IX, 1949,
p.28
179
La VIe religieuse semble avoir été animée puisque dès 1949,
naissait une
"amicale catholique"
regroupant
un
"bon
nombre de
chrétiens
adultes"(l)
qui
n'avaient
pas
cependant
vocation
à
s'investir
dans
l'apostolat
direct
des
laïcs.
Elle
organisait
des
"causeries périodiques" c'est-à-dire "au moins une fois par mois sur
des sujets variés et formateurs"(2).
En somme, il s'agissait plus de maintenir la ferveur religieuse
des fidèles que de les impliquer dans la pastorale. Ce qui ne semble
pas avoir été vain puisque une année plus tard seulement, le curé
de la mission, le P. Halter, faisait remarquer la piété des chrétiens
de son église(3).
Mais en 1954, la mISSIOn se terminait à Kaolack pour les pp du
Saint-Esprit,
désormais
remplacés
par
ceux
du
Sacré-Coeur
d'Isssoudun(4).
En
même
temps,
la
proposition
était
faite
de
l'érection de Kaolack en Préfecture apostolique(5).
Reprenant
déjà
dans
les
faits
la juridiction
de
l'ancienne
mission du même nom, la future préfecture de Kaolack "s'étendait
du Sine-Saloum aux frontières du Sénégal oriental"(6).
Et
comme
la
mission
qui
n'avait
pas,
faute
de
moyens
humains, la possibilité d'assurer le suivi nécessaire des nombreux
postes
qu'elle
desservait(7),
elle
devait
avoir
beaucoup
de
difficultés certes, mais ne devait pas tarder à fonder rapidement de
nouvelles stations entre fin 1954 et 1955.
1. Horar, IX, 1949
p.28
2.
Ibid.
3. Horar, V, 1950
p.22
4. Horar, VII, 1953
p.8
S.
Celle proposition allait être agreee sans problème et en janvier 1957,
la
préfecture
apostolique
de
Kaolack
était
officiellement
érigée
et
confiée au père (devenu Mgr) Cadoux.
6. Horar, IX,
1965
p.l.
7.
EMCLR, 049. Le P. Pouget, qui fait celle remarque, était missionnaire à
Kaolack entre 1942 et 1945.
180
De mission centrale, Kaolack était devenu le chef lieu d'une
vaste
entreprise
missionnaire
couvrant
quelques
80.000
km2(1).
Lorsqu'en Octobre 1955 le P. Cadoux était nommé vicaire général de
Dakar chargé du Saloum (et du Sénégal oriental), son plan de chef
de cette "nouvelle" mission était déjà bien ficelé. Il ne lui restait
plus qu'à
le
mettre
en
pratique ce
qu'il
fit
sans
tarder par le
"parachutage" des
pères aux endroits jugés
"stratégiques"(2). Les
choses allèrent si vite qu'après les deux premières missions fondées
en
1954-1955,
un
plus
grand
nombre d'autres
missions devaient
voir le jour dans
les
mois
suivant la dernière
année
de
notre
étude(3).
B
-
Diohine
(1928)
Fondée en 1928(4), la mission de Diohine fut sans doute l'une
des
plus
grandes
du
pays
serere.
Chargée
des
missions
de
Foundiougne,
Diourbel,
Fatick
et
Bambey(5)
elle
se
déchargea
rapidement des deux
premières au profit de
Kaolack,
mais
pour
retrouver un secteur non moins vaste englobant notamment dans
les années 1940, les futures missions de Thiadiaye et Ndiaganiao(6).
Diohine était un
village particulièrement
bien
peuplé
puisque
le
nombre de ses habitants était estimé à 5000(7). Aussi fut-il si bien
pourvu en prêtres au début de la fondation que le supérieur de la
congrégation
du
Saint-Esprit
trouva
exagéré
que
l'on
envoie
3
missionnaires dans une seule mission.
1. Horaf, X, 1974
pA
2.
Ibid.
3. Ibid. li s'agit des trois missions de Ndoffane, Gandiaye et
Guinguinéo.
4. Diohine
ne
semble
pourtant
pas
avoir,
auparavant,
particulièrement
attiré
les
missionnaires.
Certes,
un
terrain
y
fut
acheté
par
ceux-ci
"avant 1900" - Horaf, XII, 1963 p.16 - mais aucune mention ne fut faite de
ce village,
dans
les
relations
missionnaires
avant
1928.
L'intérêt
rapide
qu'il
suscita
dès
fin
1927
est
dû
à
une
stratégie
nouvelle
visant
particulièrement
la
"brousse"
où
le
peuplement
est
très
homogène
et
à
l'abri des "vices" des grands centres.
Sans être la seule mission centrale
possible, Diohine était cependant l'un des villages les plus peuplés et les
mieux
situés
géogaphiquement,
pour
pouvoir
desservir
une
partie,
la
plus large possible du pays sérère.
5. Arch. CSSP 262
A IV
6. Horaf, VII-VIII, 1956
pA
7. Arch. CSSP
262 A IV
18 1
Ce que Mgr
Grimault
expliqua
par
cette
densité
de
la
population et la desserte de quatre autres grands centres du pays
"non pas une fois par mois mais régulièrement"(l). Ainsi, avec 3
prêtres, Diohine en remplaçait 4(2). Pourtant le démarrage n'était
pas facile et les trois prêtres Joffroy, Etchevery et Fredon, ainsi que
le F. Léon qui les assistait n'auraient probablement pas tenu s'ils
n'étaient pas en aussi grand nombre pour se soutenir mutuellement.
Dès Octobre 1928, on peut certes remarquer que "la chambre
qui sert de chapelle est déjà insuffisante pour contenir les Sérères
qUI viennent chaque soir au catéchisme"(3) mais il avait suffi de
peu de temps après cette relation du P.
Joffroy pour que dans une
lettre du père Moullin au T.R.P. se dégage le découragement. "Il y
a un an, j'avais regardé comme une lâcheté de demander l'abandon
de
Diohine.
Diohine,
c'est
le
Sine ... "(4)
écrivait-il
comme
pour
confesser
son
impuissance
devant
les
réalités
d'un
pays
qui
entravaient sérieusement son
travail.
Les obstacles étaient en effet si graves que le père Joseph
Cosson, depuis Joal, en
1930, ne put s'empêcher d'être sceptique
quant à l'avenir de la mission de Diohine : "A Dioïne j'ai chanté la
messe ... Il y avait une trentaine de personnes dont 20 ou 25 Dioïne :
enfants , griots, quelques jeunes gens . Bien peu de chose en somme.
Cette mission sera difficile"(5).
Le P. poursuivait son récit en plaignant le P.
Moullin qui
résidait à Diohine
tout seul cette
année-là et mit en
cause les
fétiches
qui
"pilulaient dans
le
village"(6).
Ces
fétiches
étaient
certes,
un
obstacle mais
ils n'étaient rien
comparés
à l'obstacle
majeur : les préjugés tenaces qui faisaient des griots des quasi-
parias qui, par exemple, ne devaient entrer dans les maisons des
autres que dans des situations exceptionnelles: cérémonies de deuil
ou à l'occasion de réjouissances, dont ils étaient censés être les
animateurs.
--------------------
1. Arch. CSSP
262 A IV
2. Arch. CSSP
262 A IV
3. Arch. CSSP 262 A IV A
4. Arch. CSSP 262 A IV A
S. Arch. CSSP 262 A IV A
6. Arch. CSSP
262 A IV A
182
LES DEPENDANCES DE LA MISSION DE DIOHINE
Un exemple-type de la difficulté pour
la mission d'occuper le terrain
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1934
1936
1938
1940
1942
1944
1946
1948
1950
1952
Années
L'irrégularité des visites pastorales. De 73 stations visitées plus ou moins régulièrement
en 1936, elles passent è 22 en 1951. Les fondations de Diourbel (1943), Bambey(1951)
et Fatick (1951) qui prirent le relais, é leurs environs, de Diohine n'expliquent pas é eUes
seules cette chute Importante, telle que mentionnée sur le graphique, du nombtre de sta-
tions dépendant du centre missionnaire du Sine. De fait, le très grand nombre de villages
è christianiser amenait les missionnaires è ne visiter régulièrement que les plus peuplés
et les plus prometteurs. Le graphique montre surtout que la mU/tituplication des fondations
après la guerre n'a pas fondamentalement modifie cette approche missionnaire.
D. SENE
183
La
fin
de
telles
cérémonies
était
d'ailleurs
toujours
accompagnée de la "purification" des lieux. Or, il semble bien que la
mission malgré les avantages certains de Diohine, n'avait pas bien
étudié le lieu de son implantation qui se trouvait être "le quartier
des griots"(l).
Comble de malchance
-mais logique évidente-,
la
mission "était fréquentée dès le début par les griots. Les hommes de
caste supérieure et les Sinig(2) y trouvèrent un prétexte pour se
tenir à distance de la jeune mission"(3).
A
l'écart de
la nouvelle religion,
l'essentiel
du
village
se
gardait ainsi
d'être
mélangé aux
griots.
Il
en
résulta donc
des
défections de ceux des Sinig qui fréquentaient les missionnaires, la
majorité ayant préféré entraver leur action, encouragée en cela par
la " chefferie locale"(4), mais aussi par l'attitude des familles qui
interdisaient
systématiquement
à
leurs
enfants
de
fréquenter
un
milieu "infesté" par tant de griots.
Le. P. Schouver, arrivé à Diohine en 1938, décrit ainsi, en
1963, la situation:
"que de fois
les
enfants
venus
le dimanche
furent
privés
de
nourriture.
L'une
ou
l'autre
fois,
le père
d'un
catéchumène vint même chercher son garçon et le "rosser" dans la
cour
de
la
mission.
Heureusement
quelques
VIeux
Sérères
estimaient le père... (et) venaient à la tombée de la nuit, cachant
sous leur grand pagne le lait qu'ils venaient apporter au Père"(5).
Mais
les
griots
n'étaient
guère
persévérants
le
découragement et l'abandon semblent les avoir gagnés assez vite(6),
ce qui ne pouvait qu'être finalement bénéfique pour la mission qui
put ainsi toucher, enfin, la masse des Sinig c'est-à-dire la grande
majorité voire la presque totalité du village.
1. H. Gravrand
: Visage africain de l'église ... Ed. de l'Orante, 1962
p.lO?
2.
A
l'origine
habilant
"non
casté"
du
Sine
d'ascendance
elle-même
du
Sine, Sinig a fini
par désigner LOut Sérère n'élanL pas griol, la casle étant
en définitive la seule qui existe dans le pays. à côté de celle des Sinig.
3. H. Gravrand, Visage africain de l'Eglise. Op. cil.
p.lO?
4.
Ibid.
5. Horaf, XII,
1963
p.18
6. H. Gravrand, Visage africain de l'Eglise. Op. cil.
p.lO?
184
Bien que le P. Schouver attribue le succès relatif qui ne tarda
pas à résulter de l'action du P. Moullin et des pp
Guhmann et
Berhna rd arrivés à Diohine respectivement en 1930 et 1936, on ne
peut ne pas verser à ce dossier de la "réussite" l'une de ses pièces
essentielles: le retrait des griots de la religion qui ne pouvait que
favori ser l'entrée des Sinig.
En
1931, donc avant l'arrivée du
second et au
moment où
s'installait le premier(l), il y avait déjà 200 Sérères "qui viennent
toujours
régulièrement"
à
la
messe
y
compris
"même
quelques
vieux"(2). Cette situation, depuis, ne fit que se renforcer. Quatre
années
plus
tard
en
effet,
Mgr
Grimault,
dans
son
rapport
quinquennal à Rome, faisait état de l'accroissement du nombre des
fidèles qui nécessita la construction d'un
"hangar en paille assez
vaste pour recevoir les catéchumènes"(3), qui fut lui-même bientôt
incapable de contenir l'afflux de ces derniers.
La chapelle construite pour faire face à la situation s'avéra elle
aussi si petite qu'il était envisagé de la "doubler" pour qu'elle puisse
accueillir chaque dimanche le millier de chrétiens qui venaient à la
messe, de Diohine et des environs(4). On ne trouvait plus superflu le
nombre
de
quatre
prêtres
qui,
en
1940,
s'occupaient
de
la
mission(5).
Des
pionniers,
il
ne
restait
plus
personne
mais
les
pp
Bernhard, Schouver et les nouveaux venus, Bourgoing et Crétois ne
se
contentèrent
pas
de
gérer
l'héritage.
Au
contraire,
ils
la
fructifièrent d'autant plus facilement que la résistance des Sérères
semblait définitivement
vaincue.
Avec le temps, ils ont découvert que le christianisme pouvait
s'accommoder de certaines de leurs croyances fondamentales dont
précisément les "fétiches", les missionnaires ayant finalement perçu
que c'était là une des clés du succès.
1.
Dès son
arrivée,
le
P.
Guhmann
fUl
envoyé
à Diohine mais
il
n'a
débarqué (à Dakar) qu'en novembre 1930 - Arch. CSSP
262
A
VI.
2.
Annales
Apostoliques,
1931
p.163
3. Arch.
CSSP
261 A III
4. Arch. CSSP
261 A III
5. Arch. CSSP
264 A 1
185
Arrivées à Diohine dés les débuts de la mission en 1934(1), les
soeurs du Saint-Coeur de Marie prirent aussi une part active dans
l'évangélisation, en se livrant à leurs occupations habituelles.
L'école surtout à partir de la fin des années
1940, prospéra
dans
la
mission,
contribuant ainsi
à
faciliter
les
progrès
de
la
religion.
Diohine était
alors
un
cen tre
missionnaire
si
important
qu'on le préféra à Ngasobil pour abriter le centre de formation des
catéchistes
sérères.
Il devint aussi l'un des trois districts de la mission englobant
les vastes missions de Diohine, Bambey, Fatick, Diourbel, Thiadiaye
et Ndiaganiao(2), à côté de Ngasobil qui
s'occupait des missions
sérères de la côte et de Kaolack qui, en dehors de la quasi-paroisse
du même nom, avait la charge de coordonner l'action des missions
rattachées, du Saloum notamment(3).
Cette subdivision qui date du début des années 1950 tendait,
. .
.
semble-t-il,
à mieux
harmoniser l'action des
mISSlOnnalfes en en
confiant le contrôle à des "vicaires forains" qui avaient "la préséance
et
un
regard
de
surveillance
(sic)
sur
tous
les
prêtres
de
leur
district"( 4).
Ainsi, bien que les mISSIOns ne cessaient pas de se détacher de
Diohine au fur et à mesure des fondations, cette mission gardait tout
son
intérêt
pour
les
missionnaires
et
demeurait
une
mission
centrale qui continuait de desservir plus de 30 villages.
A la fin de notre période, on estimait les chrétiens de ces
villages à quelque
1500(5) dont une bonne partie sans doute de
Niakhar, un des villages du Sine les plus importants.
1. EMCLR 066
2. Arch. CSSP 345
A VI
3.
Ibid
4. Arch. CSSP 345
A VI
5. Harar, IX - X,
1956 pA
186
C
- Diourbel
(1947)
Au lieu de Ngohé, c'est à Diourbel que la miSSIOn du Baol fut
fondée en 1947. Rien pourtant ne laissait présager pareille issue de
la pénétration missionnaire dans cette région du pays sérère.
Au début du siècle en effet, Diourbel était peu important et il
n y a aucun indice permettant de penser qu'il entrait dans le cadre
des visées de la mission. Au contraire. Et c'est tout naturellement
Ngohé,
"village par excellence de
la mission
...qui inaugure les
éphémérides" de celle-ci( 1).
Il fallut attendre 1914 pour que Mgr Jalabert, qui découvrit
que Diourbel devenait "intéressant" y achetât un terrain pour une
future mission(2). Le chemin de fer et les affaires y favorisaient
déjà
l'établissement
d'Africains
de
Gorée,
de
Dakar
et
des
"Mandjagos de la Guinée portugaise", catholiques en partie, auxquels
il faut ajouter des Syriens et des Européens(3).
Dans ces conditions, Ngohé perdait de l'importance au profit
de la toute nouvelle capitale du Baol.
Desservi depuis par Kaolack avec pour premier missionnaire
desservant le P. Le Berre de cette ville( 4), Diourbel fut assez vite
doté d'une chapelle.
En
1916,
celle-ci
fut
inaugurée(5)
mais
l'essentiel
de
la
population chrétienne restait étrangère au pays.
1. Horar, VIII,
1966
pA
2. Horar, IV,
1977
p.5
3. Arch. CSSP
164 B II
4. Horar, IV.
1977
p.5
2. Horar. VIII,
1966
p.5
187
Les catéchumènes n'étaient donc
pas
nombreux(l),
puisqu'ils
ne
se
recrutaient
que
dans
la
population
sérère.
Celle-ci
dans
Diourbel-même
étant
restée
à
l'écart,
seule
une
quarantaine
de
personnes
venaient à la messe en
1917(2) dont une majorité de
commerçants et autres travailleurs non sérères.
C'est alors
que
pour marquer
l'intérêt que
malgré
tout
ils
continuaient d'accorder à Ngohé, désigné au départ pour abriter la
mission(3),
les
missionnaires
dénommèrent
la
mission
"Diourbel-
Ngohé" ce qui était d'ailleurs pleinement justifié par le fait que la
plupart des Sérères de celle-ci venaient,en ces débuts, de ce village
proche de Diourbel.
La desserte
de
la
mission
semble
régulière jusqu'en
1920,
année au cours de laquelle le P. Le Berre, " seul à Kaolack et souvent
malade ne
vient que rarement à Diourbel"(4).
Des difficultés
ne
tardèrent d'ailleurs pas à survenir, du fait à la fois de la distance
(malgré le train) qui sépare Diourbel de Kaolack et de l'étendue du
territoire dévolu à cette dernière mission. C'est sans doute ce qui
explique les tentatives avortées de reprise de Ngohé en
1922 par
l'Abbé
Louis
César(5), un prêtre indigène sur la présence duquel
on
fondait
beaucoup d'espoir
pour
l'implantation
d'une
résidence
dans ce village.
Ce "repli" qui ne devait pas s'accompagner de l'abandon de
Diourbel devait faire de Ngohé une "grande mission" dont la tâche
serait de convertir le plus rapidement possible les Sérères encore
réfractaires
au
mouridisme,
au
moment
où celui-ci
semblait
tout
vérouiller à son profit.
1. lis n'étaient alors que 10 catéchumènes en
1917 précise
Horaf,
VIII,
1966
p.5.
2. Horar. VIII ,
1966
p.5
3. Arch. CSSP
262 Al
4. Horar, VIIll,
1966
p.5
S.
Arch,
CSSP
262
A 1. On relève que le rhumatisme avait empêché à
l'abbé de demeurer efficacement et de
façon
prolongée à Ngohé.
Aussi,
pensa-t-on
au
P.
Lucas
qui
commençait
à
parler
sérère,
mais
en
s'empressant
de
se
demander
qui
le
remplaçerait
à
Ngasobil.
Contre
mauvaise
fortune,
bon
coeur
: on
remit
ça
à
plus
tard,
c'est-à-dire
à
jamais ... pour
ce
qui
concerne
en
tout
cas
notre
période.
Les
visites
missionnaires
furent
maintenues
faute
de
mieux.
188
Le nouvel échec de cette ultime tentative de faire de Ngohé
une mission résidentielle acheva de "favoriser" Diourbel, et renforça
certainement cette mission en en faisant
un
pôle
d'attraction de
toute la chrétienté éparse des environs, mais constitua un obstacle
majeur à une large christianisation qui ne pouvait se faire qu'en
partant du village sérère le plus peuplé et le plus central du Baol.
Tout cela amena les missionnaires
à desservir
Diourbel par
Diohine pour peu de temps à partir de 1929(1), Kaolack ne tardant
pas à reprendre "sa fille" selon le mot du P. Durand(2) avec, pour
dessevants, le P. Crétois et après lui les pp Guibert (qui s'insttalla
d'ailleurs quelque temps dans la mission en
1946) et Beraud qui,
lui, reprit "le service depuis Kaolack"(3).
La mission, ici, bénéficia de circonstances très favorables
:
l'administration de Diourbel n'a cessé, depuis 1914, de l'appeler et
les chrétiens ne souhaitaient qu'avoir leurs pères parmi eux(4). Ce
qui fut fait en 1947.
Après le départ du futur évêque, le P. Guibert, Béraud n'a
donc pas dû faire trop le trajet Kaolack-Diourbel puisqu'au courant
du mois de février de cette année 1947, le premier prêtre résident,
le P. Bouvet, arrivait enfin à Diourbel. Il y resta pendant une dizaine
d'années(5).
C'est avec lui que la mission
"s'enracina et prit son
extension"(6). Le P. Bouvet prit rapidement la mesure de sa tâche
et, tirant sans doute les leçons du passé, comprit qu'il ne servait à
rien de s'enfermer dans la ville, même s'il y trouva
un nombre
enfin
appréciable
de chrétiens
110" Africains
sérères"
et
150
Européens et Libanais(7).
Aussi parcourut-il la "brousse" dès son arnvee à la recherche
de catéchumènes. L'arrivée en décembre 1947 d'un compagnon, le
P. Joffroy, le libéra davantage et ses tournées s'intensifièrent.
1. Horar, VIII, 1966 pp.5-6
2. Curé de Diourbe1 de 1955 à 1975. Horar, Vlll, 1966, pA
3. Horar. Vlll,
1966
p.6
4. Arch. CSSP
164
B
Il
5. Horar. VllI, 1966
p.6
6.
Ibid.
7.
Ibid.
189
Ce
missionnaire,
qui
disait
venlf
pour
les
Africains
et
particulièrement les Sérères avait une conception de la mission qui
fut
celle des
grands
pionniers,
comme
ne
manquèrent
pas
d'en
témoigner ses successeurs et ses fidèles, de Diourbel à Niakhar (un
peu plus tard) en passant par Ndiaganiao : "il va de l'avant "écrit le
P.
Durand,
"sillonne tous
les sentiers, en
vrai défricheur.
Il est
infatigable
comme
un
vrai
scout qu'il
est
resté.
Il
pratique
le
détachement des biens de ce monde en campant perpétuellement ;
sa générosité, qu'on lui a parfois reprochée, le maintient dans une
pauvreté proche du dénuement,
un dénuement qui
s'affirme dans
toute la mission, où l'on vit au jour le jour, et que pratique même sa
voiture, réduite peu à peu aux organes essentiels"(I).
Le récit de ce successeur direct du père est confirmé par de
nombreux
autres
témoignages
desquels
nous
nous
contentons
d'extraire le plus frappant. Il est de l'un de ses tout premiers fidèles
de Ngohé à son arrivée à Diourbel en 1947 : "le père était un brave
paysan qui, aux champs, damait le pion aux plus jeunes cultivateurs
sérères. Ce qui fait qu'il n'était plus totalement blanc, à force de
cultiver. 11 ressemblait à un
"Nar Ganar"(2).
Il voulait tellement
rester dans le milieu sérère qu'il tenait à évangéliser qu'il préféra
demeurer
à
Ngohé
dès
son
arrivée
plutôt
que
de
s'installer
à
Diourbel où il ne se rendait que le samedi soir pour préparer et dire
la messe du lendemain"(3).
Dans ces conditions, la mISSIOn de Diourbel était loin de se
limiter à la ville mais s'étendait dans les villages environnants et
parfois dans des villages moins proches du Sine, pourtant censés
être pris en charge par Diohine.
On estime ainsi que pendant son séjour dans sa mission du
Baol, "le chiffre des
chrétiens a quadruplé"(4).
Au
moins
vingt
villages ont été pourvus de chapelles(5) sans compter l'école de
Ngohé(6).
1. Horaf, VIII, 1966
p.6
2. "Nar
Ganar" ou maure (blanc). La comparaison vient de ce que les
Nars ont la peau si sombre qu'elle vire plutôt au noir.
3. ECHL 011
4. Horaf, VIll,
1966
p.6
5.
Ibid.
6.
Ibid.
190
L'arrivée des soeurs en fin
1954 compléta un peu plus les
oeuvres par l'ouverture d'un
"internat"(l) pour les filles
et d'une
sixa pour les femmes(2).
Malheureusement,
une
implication
aussi
tardive
dans
l'apostolat ne peut avoir qu'un intérêt très limité pour notre étude.
Mais la mission avait gagné beaucoup de terrain.
Au même moment en effet, les
110 chrétiens sereres du P.
Bouvet à son installation à Diourbel s'étaient largement multipliés ;
ils étaient devenus 450(3).
Bien peu pour tant de sacrifices sans doute mais
beaucoup,
quand on sait qu'il s'agissait de centaines de personnes arrachées,
non plus à l'''animisme'', mais à l'islam, au mouridisme qui avait fini
de faire du Baal le berceau de sa force et de son expansion.
Pour les missionnaires en effet, un seul homme converti, dans
ces
conditions
au
christianisme
représen tai tune
vic taire
inestimable.
1.
Horar,
VIII,
1966 p.6.
11
serait sans doute plus juste de
parler de
centre
d'hébergement
de
filles
apprenant
la
couture
et
les
travaux
ménagers puisqu'il n'y avait pas d'école. Et il n'yen
eut pas avant 1957-
Guide
de
l'enseignement
catholique
au
Sénégal.
Editeur
et
année
d'édition non précis.
p.86
2. Horar, VIII,
1966
p.6
3. Horar, IV,
1977
p.6
191
CHAPITRE
III
LA PERIPHERIE DU PAYS SERERE
I. LA MISSION A LA FIN DES ANNEES 40
A.
Les
tentatives
d'extension
de
la
mission
avant
la
Grande
guerre
Les
tournées
missionnaires
ont
peu
ciblé
l'essentiel
de
la
périphérie du pays sérère avant les années 1920. Cela se comprend
aisément quand
on
se
rappelle
que
la
stratégie
d'occupation
de
l'espace missionnaire partait toujours de la nécessité d'accorder la
priorité aux centres : il s'agissait, en partant de la côte, d'explorer
l'intérieur du pays et y installer des missions avant de s'occuper de
la périphérie. Un choix qui se défend certes mais qui n'en est pas
moins contestable et dont les résultats mitigés allaient favoriser la
remise en cause.
Du coeur du pays, en effet, on n'obtient que bien peu de
choses d'où l'accent mis sur les autres villages de la côte qui, de
Fadiouth à Mbodiène en passant par Palmarin, allaient désormais
mobiliser
l'attention
des
missionnaires
autant
sinon
plus
que
le
coeur du Sine-Saloum.
La même
attention fut accordée aux villages situés
un
peu
plus au sud et à cheval entre le Sine et le Baol. Au même moment,
les villages situés à l'est de Ngasobil et appartenant au Diéghem
recevaient des catéchistes
résidents
et
la visite
de
prêtres,
aussi
régulièrement
que
le
permettaient
la
situation
politique
et
la
pénurie de missionnaires. MM. Armand Bida et Vincent Cissé furent
ainsi envoyés catéchiser en 1886 deux de ces villages( 1).
On note,
dès leur installation,
l'intérêt d'un
certain nombre
d'enfants mais
guère de
vrai mouvement vers la religion. Ici, la
mission prit les devants pour éviter la répétition de ce qui s'était
produit à Mbour quelques decennies plus tôt, en essayant d'entrer
en contact avec le teigne.
1. Arch. CSSP BG XIV p.29I
192
La médiation du gouverneur de Saint-Louis, M Seignac, qUI
adressa
une
lettre
au
roi
du
Baol
lui
demandant
d'aider
les
missionnaires sembla faciliter les choses du moins au début.
En réponse, celui-ci rassura les pères de Ngasobil à la surprise
générale, tant le discours qu'il tint était différent de celui de son
en tourage( 1).
Ce qui n'était pas un bon signe quand on sait que c'est cet
entourage qui tirait en fait les ficelles. Et l'on sait que son bras
armé, les tiédos, étaient en fait les seuls garants possibles de l'ordre
ou du désordre qui régnaient dans le pays.
A cet obstacle d'ordre politique, s'ajoutait un autre obstacle
sociologique.
Comme
les
autres
régions
du
pays,
le
Diéghem
commençait à avoir ses musulmans dès la fin du XIXe siècle (2), ce
qui appelait de la part de la mission l'envoi d'un prêtre résident,
mais la question était de savoir où le trouver (3).
Pour
les
populations
pourtant,
le
prêtre
etait
d'autant plus
nécessaire
qu'il
devait
non
seulement
les
protéger
contre
les
invasions dont elles étaient victimes (4) mais aussi contre un roi
dont elles n'ont jamais voulu. Sans doute pour cette seule raison,
envoyèrent-elles "tous" leurs enfants au catéchisme (5) ce qui était
tout de même un signe de bonne volonté difficile à ne pas prendre
en considération.
Mais il ne faut pas s'étonner que la menace ayant disparu dès
le début du siècle, les Sérères de ces villages soient retournés à leur
religion
-
mais
l'avaient-ils
vraiment
jamais
quittée
?
-
avant
d'embrasser
en
masse
l'islam,
ne
faisant
entrer dans
la
religion
chrétienne qu'une toute petite minorité.
-----------------------------
1. Arch. CSSP
BG
XIV
p.291
2. Arch. OPM G 07510
3. Arch. OPM G 07499
4. Arch. OPM G 07496
s. Ibid.
193
Cette minorité était constituée de jeunes essentiellement, qui
ne
tardèrent
d'ailleurs
pas,
devant
leur
désir
de
s'instruire
que
voulaient
brusquement
entraver
les
"vieux",
à
entrer
en
conflit
parfois ouvert avec eux(l).
Ailleurs, la présence missionnaire est presque nulle, ce qui se
comprend : l'insécurité a toujours été plus grande à la périphérie du
pays souvent mal contrôlée par le pouvoir et livrée à elle-même
d'abord et à la merci des agents du roi ensuite. De plus, il n'était pas
facile de joindre les villages souvent isolés derrière d'épaisses forêts
qu'aucune route ne reliait à Ngasobil. Les principales missions de
cette partie du
pays (Thiadiaye, Ndiaganiao, Kaffrine) qui virent
toutes le jour au courant de notre période n'ont pas été visitées
avant la première guerre par les missionnaires.
A moms que ces visites, trop rares et sans
aucun résultat
évidemment aient été en même temps très courtes et superficielles
pour
laisser de
traces
dans
la
mémoire collective
généralement
fidèle des Sérères.
Cette situation est due à la non constitution
à l'époque de
grandes escales dans ces villages, celles-ci étant nées de la traite
c'est-à-dire de la culture de l'arachide qui ne s'y est développée
qu'après la guerre et même parfois au-delà, après la seconde guerre
mondiale.
Contrairement
aux
régions
de
Fatick
et
Kaolack,
très
tôt
servies par le commerce et leur position de centre du pouvoir, ils
étaient inconnus des missionnaires. En dehors de la côte, l'action
missionnaire était ainsi concentrée dans
une partie du
pays que
l'intérêt suscité par Ngohé n'a pas particulièrement élargie. Car les
difficultés
mentionnées
plus
haut
au
sujet
de
cette
mission
n'expliquent peut-être pas tout.
Rien n'indique, en effet, que les pères qui voulurent fonder
cette
mission
se
soient
manifestés
par
un
zèle
excessif
les
conduisant loin au-delà du village.
1. Arch. OPM
G
07579
194
Le fait
que
Diourbe1, pourtant
situé
non
loin de
là
resta
longtemps sans recevoir la moindre visite d'un missionnaire est à
cet égard significatif. Les tentatives d'extension de la mission ne
sont donc pas allées plus loin que ce village du Baol, hormis celles
qui
avaient été
enregistrées
au
Diéghem
et qui
semblent
avoir
rapidement vécu. Il n'en fut plus question en tout cas, depuis, dans
les préoccupations premières des missionnaires.
Au total, jusqu'en 1914, il s'agissait, pour les pères, d'exploiter
au
maximum ce qu'ils considéraient comme des
atouts
au
Sine-
Saloum
: les anciens refugiés et les centres d'affaires qu'étaient
Kaolack, Fatick et Foundiougne. A partir de ces centres, il était
question de poursuivre l'évangélisation des villages de ces régions.
Les tournées, d'abord initiées par les missionnaires de Joal
étaient d'autant
plus
indispensbles
que
le
nombre
de
chrétiens
augmentait, même avec lenteur, beaucoup plus vite que les moyens
humains de la mission, aggravant le problème de la pénurie de ces
derniers.
Aussi, tous les centres avaient un nombre exagérément élevé
de
stations
à
desservir
avec
un
effectif
insignifiant
de
missionnaires. Et plus se créaient les résidences, plus ce nombre
avait tendance à s'accroître.
Diohine devait ainsi desservir, en
1943, 50 stations souvent
distantes
de
plusieurs
kilomètres
du
centre
voire
plus
de
10
kilomètres, avec moins de 3 prêtres (1).
Cette
mission
parfois
en
desservait jusqu'à
près
de
cent,
comme c'était le cas en 1936(2) ; le même constat est évidemment
de rigueur pour Ngasobil et de façon générale, l'ensemble des autres
missions dont
aucune
n'a jamais eu, quelle que
soit la période,
moins de dix stations, souvent lointaines à desservir, en plus du
centre.
1. Arch. A. Dakar.
Dossier Diohine,
1943
2.
Ibid.
195
Quant aux auxiliaires du clergé dont on pouvait attendre un
"coup de main" salutaire, ils ne furent guère très nombreux, bien
que
la
multiplication
après
la
seconde
guerre
mondiale
des
congrégatons missionnaires
faisait qu'ils dépassaient largement, en
nombre, les prêtres.
En 1952, il Y eut ainsi à Diourbel, à côté des trois prêtres du
Saint-Esprit, et d'un abbé indigène, six religieuses étrangères et une
religieuse
du
Saint-Coeur
de
Marie( 1).
A
vingt,
les
catéchistes
étaient assez nombreux mais quand on sait qu'il n'y avait pas moins
de soixante stations visitées(2) on se rend bien compte qu'ils ne
pesaient
pas
lourds
devant
la
forte
demande
en
personnel
mission naire.
La
station
de
Palmarin
n'était
pas
plus
favorisée,
avec
seulement un prêtre et trois catéchistes comme en 1948 pour une
mission en pleine expansion et appelée, en même temps, à desservir
plus de dix villages(3).
Il est vrai que cette situation, qui fut celle de la mission
depuis les origines n'a pas manqué de susciter de sa part la réaction
appropnee.
Sans
doute
parce
qu'ils
étaient
convaincus
de
la
nécessité de mobiliser toutes les forces disponibles, les chefs de la
mission
eux-mêmes
s'impliquèrent
désormais
dans
les
tournées
missionnaires et les visites aux fidèles et aux prêtres, comme on
peut le voir, dès la seconde décennie de notre période, à travers
cette relation de Mgr Barthet : "Au commencement du
mois de
février, je dus commercer mes tournées dans la brousse et je me
dirigeai d'abord sur notre station de Notre-Dame-de-la-Délivrande à
Popenguine où je demeurai quelques jours. Puis, je remontai sur le
petit cotre de la mission pour aller dans le district de Joal visiter
nos stations de cette région ...Mgr Le Roy désirait mettre à profit le
temps qui lui restait à passer au
Sénégal pour visiter Rufisque,
Thiès et Saint-Louis. Je désirais de mon côté me tenir prêt à profiter
de l'occasion qui allait se présenter pour faire ma tournée annuelle
en Casamance... Le lendemain .. .il se dirigea du côté de Saint-Louis et
je me disposai à m'embarquer sur le petit vapeur qui devait me
conduire d'abord à Foundiougne, puis à Bathurst et en Gambie et
enfin, me déposer en Casamance"(4).
1.
Arch.
A.Dakar.
Dossier Diourbel,
1952
2.
Ibid.
3.
Arch.
A.Dakar.
Dossier Palmarin,
1948
4.
Les
Missions
catholiques, 1893
p.388.
196
Cinq
ans
après,
le
vicaire
général
devait
se
reJouir
des
résultats de cette façon de concevoir la mission, dans un contexte de
pénurie générale : "Malgré toutes les épreuves par lesquelles il plaît
au Bon Dieu de nous faire passer, la mission continue sa marche en
avant. S'il y a quelques stations où le bien se fait plus difficilement,
il
y'en
a
d'autres
où
la
moisson
d'âmes
est
de
plus
en
plus
a bondan te" (l).
Depuis, la mission semblait bénéficier de ce qui avait pu être
considéré
comme
de
la
chance.
Les
vicariats
étaient
jusque-là
souvent assez courts et ceux relativement longs de Mgrs Barthet
(1889-1899)
et
Kunemann
(1901-1908)
n'avaient
été
entrecoupés
que par l'intermède fâcheux que représentait celui
de
l'éphémère
Mgr Buléon (1899-1900).
Le développement de nouveaux centres chrétiens
notamment
celui de la Casamance et ceux soudanais de Kita et Kayes avait
amene a revoir l'organisation du vicariat de Sénégambie. Aussi, tout
en
gardant
Ziguinchor,
les
missionnaires
du
Saint-Esprit
demandèrent et obtirent de Rome, en 1900, de se décharger de la
mission du Soudan, confiée aux pères blancs basés en Algérie et
cette mission
fut
ainsi,
dans
un
premier
temps,
rattachée
à
la
préfecture apostolique d'Alger.
Une autre source d'aggravation de la pénurie de missionnaires
en pays
sérère fut
également le développement des
missions de
Thiès et des villages environnants en partie favorisé par le chemin
de fer qui reliait désormais Dakar et Thiès à Saint-Louis.
En facilitant le déplacement des missionnaires, il les éloignait
en même temps de la côte et du pays sérère qui furent longtemps
leur base. L'ayant sûrement compris, les évêques de la mission du
Sénégal n'ont cessé de s'impliquer dans l'apostolat direct à la fois
pour faciliter le zèle de leurs missionnaires et combler, au mieux,
les
innombrables
vides
laissés
par
un
clergé
squelettique
et
incapable de répondre à la demande des populations.
1. Mgr
Barthet à Mgr Margot in Les
Missions
catholiques,
1898
p.155.
197
Cette implication au sommet était d'autant plus totale que les
moyens
de
communication
et
la
situation
politique
et
surtout
sécuritaire du pays la facilitaient chaque jour davantage, depuis le
début du XXe siècle.
En même temps, il fallait bien coordonner l'action des prêtres
qui n'a cessé de s'étendre géographiquement depuis la fin du XIXe
siècle. La tenue de synodes vint alors tout naturellement à l'esprit.
En 1893, Mgr Barthet convoquait à Dakar le premier synode
de Sénégambie. Depuis, cette réunion fut souvent convoquée et son
point de départ était la marque, en même temps, de la volonté de
créer à la fois les conditions d'une confrontation entre missionnaires
de leur expérience vécue et de mieux
orienter l'action commune
pour une meilleure efficacité.
198
B.
La
situation
de
la
mission
pendant
la
première
guerre
mondiale
Lorsqu'en
1914
débutait
la
première
guerre
mondiale,
la
mission était en extension certes limitée mais qui lui permettait de
compter
sur
un
certain
nombre
de
résidences
à
l'intérieur qui,
ajoutées
à celles de la côte,
formaient
une
bonne
base pour la
poursuite fructueuse de l'effort missionnaire.
A côté des stations de Foundiougne, Fatick et Kaolack, était en
chantier la résidence de Ngohé dont on saisit davantage mieux le
sort en cette année particulière(l).
Un témoin de l'époque devait, sous la plume du P. Durand
dont
les
écrits
très
documentés
nous
paraissent
dignes
de
foi,
raconter
les
circonstances
de
l'abandon
de
cette
mission
en
gestation : "celui qui rapporte ce fait déclare que " conquis d'emblée
par
la
rayonnante
sympathie
que
dégageait
le
sillage
de
ces
admirables
apôtres
du
Crucifié,
il
embrassa
aussitôt
la
religion
catholiq ue".
En
1912,
selon
le
même
narrateur,
les
mêmes
pères(2)
revinrent
et
constrUIsuent
une
case.
Ils
firent
quelques
séjours
dans
le village qui déjà "promettait". C'est là qu'ils
apprirent la
nouvelle
de
la
déclaration
de
guerre
en
août
1914
et
leur
mobilisation. "Je les accompagnai jusqu'à Thiès et les vis partir en
pleurant"(3).
Cet
espoir
deçu
ne
s'étendit
pas
partout
dans
la
mission.
Hormis Fatick, les
missions du
Sine-Saloum
devaient rester
ouvertes.
On
note donc
qu'il
y
avait
au
début
de
la
guerre
5
missions
ayant au
moins
un
prêtre résident
chacune qui
allaient
cependant
connaître
des
difficultés
pour
se
maintenir.
Ces
difficultés étaient telles pour Joal qu'elle disparut tel qu'on l'a vu,
durant la première année du conflit en
tant que résidence,
pour
être rattachée à Fadhiouth conformément à une
décision
de Mgr
Jalabert (4).
1. Horaf, VIII, 1966
pA
2. 11 s'agit des PP.
Boutrais et Guéro qui,
vraisemblablement,
venaient
de la mission de Thiès.
3. Horaf,
Vlll,
1966
pA.
4. Arch. CSSP 164 B 11
199
"Poussé en effet par la pénurie de personnel et cependant
désireux de faire
progresser l'évangélisation", il chargea donc les
pères
de
Fadhiouth
de
desservir
Jaol(l).
On
pensait
alors
que
l'abandon de ces stations était indispensable pour ne pas disperser
inutilement les forces, afin de repartir sur des bases saines après la
guerre. Au même moment, fut stoppée toute tentative d'extension
de la mission. On gérait les acquis. Ainsi, un autre projet (après
Ngohé) fut-il abandonné : l'installation de cases-chappelles dans 6
villages
du
Sine
qui
montraient
plus
d'intérêt
à
recevoir
l'enseignement de la religion(2).
La mission n'avait de toute façon pas le choix, tant la saignée
était
grande.
En
effet,
tous
les
jeunes
missionnaires
ont
été
mobilisés
et
il
ne
restait
guère
que
ceux
qui
n'étaient
pas
mobilisables
: des prêtres âgés pour être utiles
aux
armées, des
infirmes tout aussi peu utiles ou des malades qui ont un "besoin
urgent de rentrer en France pour y refaire une santé ébranlée"(3).
Dans une telle situation, l'urgence s'imposait de maintenir les
postes
existants.
C'est
ce
que
tenta
de
faire
la
mission,
se
conformant
de ce
fait
au
premier
appel
de
son
supérieur,
qui
sembla
d'abord
ébranlé
par
les
conséquences
de
la
première
mobilisation
: "Que ceux
qui
restent
et
remplacent
les
absents
redoublent de générosité et de
zèle pour faire face
à la lourde
charge qui leur incombe transitoirement pour que les âmes n'aient
pas trop à souffrir... Il nous faut garder toutes nos
positions" (4)
écrivait
Mgr Jalabert
conscient
qu'un
tel
mandement
n'aurait de
sens qu'avec une révision ne serait-ce que provisoire de la stratégie
missionnaire. La mission n'hésita pas à s'y engager, au prix
parfois
d'un
renoncement
douloureux.
Si
la
large
contribution
des
catéchistes ne souleva aucun problème moral, il n'en fut pas en
effet de même de la suppression de certaines oeuvres, malgré la
justification de circonstance qui lui fut donnée.
1.
Arch.
CSSP 164 B II. Le
Bulletin
de
la
congrégation
du
Saint-
Esprit précise que la décision fut prise à la suite d'un conseil tenu à
Dakar un novembre 1914. Cf
1914
p.803.
,Arch.
OPM
G 07569
3.
Ibid.
4. Arch. CSSP
164 B Il
200
1.
Des
objectifs
revus
Il s'agissait tout d'abord de réduire les charges de la mission
pour la rendre plus efficace et à même de faire face aux urgences
nées de la guerre.
Le séminaire,
transféré à Thiès depuis
1910, fut ramené à
Ngasobil
dès
après
le
conseil
de
la
mission
tenu
à
Dakar
en
novembre 1914 qui avait décidé de ce retour(l).
Au
même
moment,
J'orphelinat
était
supprimé
faute
de
ressources pour continuer l'oeuvre. En fait les missionnaires ont dû
se rendre compte qu'ils dépensaient peut-être
beaucoup
pour
une
oeuvre dont ils ne voyaient plus très bien la justification.
De fait, les résultats moraux et spirituels escomptés étaient si
minces que son objectif, l'influence de l'oeuvre et de ceux qui en
sortaient pour l'évangélisation semblait désormais appartenir à une
époque
révolue,(2)
dans
un
contexte
aussi
exceptionnel
où
la
consigne était : moins de dépenses et nécessité, plus que jamais, de
pratiquer la
pau vreté
et
la
mortification(3).
Mais
la
mission
se
maintenait dans
l'épreuve.
Celle-ci
a
toujours
été
une
cause
de
renforcement
de
la
pratique religieuse. Aussi, dès le milieu du conflit, Mgr Jalabert,
dans ses tournées, put constater que non seulement il n'y avait pas
recul du christianisme
mais qu'au
contraire, on
pouvait noter un
certain
progrès( 4).
1. Arch. CSSP 164 B Il
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4. Arch. OMP
G
07572
201
Le recul ne serait donc que formel, ne concernant que le nombre de
stations, celui des fidèles étant, au pire, ce qu'il fut avant la guerre.
Les
chiffres confirment d'ailleurs
ce raisonnement(1),
ce qui
ne
paraît pas étonnant.
Il suffit de voir les missions fermées pour se rendre compte
que la fermeture pouvait ne pas avoir les conséquences redoutées.
10al ne fut fermée que pour peu de temps et était desservie par une
mission qui aurait même pu fusionner avec elle, vue la proximité
géographique de Fadhiouth.
Fatick, quant à elle, pouvait normalement être desservie par
Foundiougne et le fut d'ailleurs, sans risquer de perdre les chrétiens
étrangers qui y étaient, avec la possibilité de maintenir dans
la
religion le peu de Sérères chrétiens.
Quant à Ngohé où le risque pouvait être plus grand de voir les
chrétiens se décourager face à la déferlante mouride(2), il n'avait
tout
simplement
pas
beaucoup
de
convertis,
l'exemple
de
l'accompagnateur
des
pp
Boutrais
et
Guéro
mentionné
précédemment n'étant finalement que
l'exception qui
confirme
la
règle.
1. Ils
n'ont
pas,
en
effet,
particulièrement
été
mauvais
entre
1915
et
1920. Alors qu'ils ont fait un véritable bon entre 1900 et 1905, passant de
15000 à
19500, un résultat qui s'explique par la pacification totale dès
1900 qui poussa tous ceux que retenaient encore
les pesanteurs socio-
politiques
de
la
période
antérieure
à
se
convertir,
les
effectifs
des
chrétiens
pour
l'ensemble
de
la juridiction
n'ont
plus
beaucoup
évolué,
de l'avant-guerre à la fin de la guerre : 19800 en 1910, 20100 en 1915,
20492 en 1920. La progression est constante, depuis, avant le grand bond
du
début
des
années
50
(Annuaire
des
Oeuvres
Pontificales
Missionnaires. lmpr.
Vanden Brugg, Lapaquelais,
1986 p.73). - cf.
page
suivante. L'évolution des années de guerre est donc identique à celle des
dix
années
précédant
celle-ci.
De
façon
générale,
le
christianisme
n'a
cessé
de piétiner du
début du
siècle à
1920, ce
qui,
à
première
vue,
pouvait sembler donner raison aux
plus
alarmistes des
missionnaires
qui
voyaient
partout,
dans
les
difficultés
de
la
mission
après
les
lois
de
séparation-et plus tard la
laïcisation-
la main de
l'administration.
II est
vrai que
les problèmes entre
l'administration et
la mission,
sans jamais
avoir été durables ni être une seule fois sortis de leur cadre strictement
local. pouvaient - quand-même - peser négativement sur les résultats de
la
christianisalion.
Et
on
sait
qu'une
partie
du
pays
sérère
en
fut
affectée.
Si
l'on
tient
compte
de
la
situation
générale
ayant
prévalu
avant la guerre,
il est cependant aisé de constater que
malgré
le recul
constaté
au
niveau
des
fondations
et
de
l'effectif des
missionnaires,
le
nombre de chrétiens a pu se maintenir.
2. De 1914 à 1915, il n'y eut pas de prêtre de passage à Ngohé. Ceux des
missionnaires de Kaolack qui passaient au Baol à partir de 1916 allaient à
Diourbel
et
l'existence
de
Ngohé
semble
avoir
été
ignorée
par
eux
-
Horaf, VlII, 1966
pp.4-7.
202
La menace, selon l'évêque de Sénégambie, ne serait donc pas
la
guerre
mais
plutôt
l'islam
et
surtout
les
Mourides
qUI
s'apprétaient à
construire
à Diourbel,
"au
coeur
du
pays",
une
"gigantesque" mosquée qui devait coûter 1 million de francs(1).
Pourtant,
la ferveur religieuse
cons tatée,
si
elle
a pu
être
rendue possible par l'absence de recul du christianisme, ne saurait
forcément l'être par les progrès supposés - donc à vérifier - de
celui -ci.
Des conditions imprévues semblent l'avoir surtout favorisée :
la grippe espagnole qui
fut particulièrement meurtrière en
1916-
1917
avait pu
créer
une
sorte
de
renouveau
dans
la
mission,
porteur d'une pratique plus intense(2).
Cette épidémie fut au moins aussi déterminante que la guerre
dans la situation décrite par le chef de la mission. Elle fut encore à
l'origine d'une diminution du nombre de missionnaires car certains
devaient laisser leur vie dans
leur
"empressement"
à apporter le
secours religieux aux mourants(3).
Cette
ferveur
des
croyants
fut
exploitée
à
fond
par
les
missionnaires pour faire face à la situation de pénurie engendrée
par la guerre. L'oeuvre du denier
du
culte fut établie par lettre
pastorale de Mgr Jalabert en décembre 1915(4).
Une oeuvre qui était d'autant plus indispensable que depuis la
loi de
séparation,
le
clergé
ne
recevait
plus
de
traitement
du
gouvernement
dont
l'aide
à
l'église
était
devenue
presque
symbolique. Or, jusque-là, ce manque à gagner n'a pas trop freiné
l'action missionnaire du fait du concours financier que continuait de
recevoir la mission notamment de l'Oeuvre de la Propagation de la
Foi et de l'Oeuvre de la Sainte Enfance.
-----------------------
1. Arch. OPM
G
07574
2. Arch. OPM
G
07574
3. Arch. OPM G 07574
4. Arch. CSSP 164 B II
203
Avec la guerre, il fallait s'attendre au moins à une diminution
de ces aides dont la source ne devait pas manquer d'être affectée
par les conséquences du conflit(l).
Les fidèles ont répondu à cet appel. Dès 1917, le bilan est jugé
excellent.
La mission encaissa alors
plus
de
13.000 francs
dans
l'ensemble du vicariat, dont 900 francs provenant des missions du
pays
sérère(2).
Né ici des difficultés de la guerre, le denier du culte avait cet
avantage
de
mieux
impliquer
les
croyants
dans
l'oeuvre
missionnaire en leur faisant comprendre l'étendue des difficultés et
en
les
amenant à
mieux
les
partager.
C'était
là
une
démarche
importante dans la voie de l'enracinement de l'évangile qui faisait
davantage
de
la
mission
et
de
son
patrimoine
la
"propriété
commune" des fidèles.
Dans
un pays où la propriété pnvee est plutôt symbolique
mais où la propriété collective est sacrée, une telle démarche ne
pouvait qu'avoir un aspect bénéfique non pas directement pour le
développement de la mission, mais pour son "appropriation" par les
Sérères qui était une condition première de son acceptation.
2.
Le
renforcement
de
l'appel
aux
catéchistes
Il fut question, ensuite, de faire un large appel aux catéchistes
cette réponse fut sans doute très déterminante dans le succès de la
stratégie de maintien des postes missionaires. Dès le début de la
guerre, les missionnaires pensèrent devoir organiser et développer
progressivement l'école des catéchistes.
Il est vrai
que cette perspective n'était pas
dictée
par
les
seules conséquences de la guerre mais s'inscrivait, bien avant, dans
le cadre d'une stratégie missionnaire globale, conçue pour faire face
au
manque d'" ou vriers
apostoliques" (3).
On pensait
alors pouvoir
toujours conserver toutes les missions existantes en faisant d'abord
appel
aux
"vétérans"
dont
la
disponibilité
s'était
manisfestée
spontanément dès après le départ des missionnaires mobilisés(4).
1. Arch. CSSP
164 B Il
2. Arch. CSSP
164 B II
3. Arch. OPM
G 07564
4. Arch. OPM
G 07569
204
La
nécessité
d'une
formation
préalable
des
catéchistes
qUI
allait prendre un minimum de temps renforçait la conviction d'un
nécessaire recours à ces "anciens".
Ils aidèrent ainsi
la mission,
avant comme d'ailleurs après que les catéchistes rapidement formés
eussent pris service. On les vit "redoublant d'efforts et de zèle"(1)
pour empêcher la fermeture de telle ou de telle autre mission ou
pour
maintenir
dans
la
religion
les
chrétiens
de
missions
sans
prêtres.
Le développement de l'oeuvre des catéchistes qui eurent le
même
travail
et
le
même
dévouement
fut
ainsi
une
autre
conséquence de la guerre. Jusque-là, on en parlait dans les milieux
de la mission mais à part quelques cas isolés, rien vraiment n'avait
été
entrepris
pour
fonder
leur
oeuvre
et
en
assurer
le
développement.
Avec
la
guerre
et
les
résultats
produits
par
les
premiers
catéchistes au cours des deux dernières décennies du XIXe siècle, on
se rendit vite compte que ces auxiliaires pouvaient non seulement
aider
au
maintien
des
missions
pendant
la
guerre,
mais
aussi
contribuer efficacement à l'ouverture d'autres après.
Leur
recrutement
et
leur
formation
devinrent
donc,
durant
ces moments troublés,
une priorité au
même
titre que ceux des
prêtres indigènes dont le nombre tardait désespérement à croître.
Mais leur entretien coûtant cher et les moyens de financement de
l'oeuvre insuffisants, se posa le problème de sa viabilité. Il fallait en
effet en 1915, 20 francs mensuels au catéchiste pour son entretien.
Rapporté au "grand nombre de catéchistes" que nécessitait la
mission, on aboutit à un
budget qui n'était sans doute pas à la
portée de celle-ci. C'est alors que l'on fit appel aux croyants surtout
Européens
afin
qu'ils
contribuent
au
financement
de
l'oeuvre.
Chaque fidèle donnateur avait, ainsi, à parrainer un catéchiste dont
il payait le "salaire". Il était ensui te possible au bienfaiteur d'être
mis en relation directe avec "son" catéchiste et d'être également
tenu au courant de la marche de l'oeuvre(2).
1. Arch. OPM G 07570
2. Arch.
CSSP 164 B II
205
Toute cette détermination à maintenir les progrès de la foi
ne
fut pas vaine. Non seulement aucune position de la mission n'était
finalement abandonnée de 1915 à la fin de la guerre mais encore il
y
eut
même
des
tentatives
parfois
fructueuses
de
poursuivre
l'évangélisation jusqu'au-delà des limites qu'elle avait atteintes au
début de la guerre.
On sait qu'il y eut la construction en pleine guerre, en 1916,
d'une
case
chapelle
à
Palmarin(l)
pour
abriter
des
leçons
de
catéchisme et des réunions de prière ce qui pouvait être interprété
comme un signe de l'accroissement du nombre de catéchumènes(2)
et la restauration d'une maison pour les pères à Diourbel qui devait
être inaugurée, toujours la même année, par Mgr Jalabert(3).
Mieux encore, les villages de Faoy, Djilas au sud de Palmarin
étaient visités
"régulièrement"(4) à partir de janvier 1915(5). En
même temps que ces deux villages, 6 autres villages "païens" des
plus importants du
pays sérère avaient commencé à recevoir les
enseignements de la religion(6).
On assiste donc à la réorganisation et à l'adaptation de l'action
missionnaire à la situation de guerre. Mais il n'est pas possible de
parler de progrès dans l'implantation missionnaire bien que nous
voyions l'action de la mission s'étendre à des villages qu'elle n'avait
pas jusque-là touchés puisque cette situation ne saurait nous faire
oublier qu'en même
temps,
d'autres
étaient
"bloqués"
dans
leurs
projets d'extension.
L'intervention
des
catéchistes
a
certes
allégé
de
façon
considérable la tâche du peu de missionnaires qu'il y avait dans la
mission, les libérant ainsi plus afin qu'ils puissent reprendre leurs
tournées mais
le résultat de celles-ci, en
termes
de conversions,
nous paraît très mince. Nulle part, on n'a vu ces vastes mouvements
de
conversions
matérialisées
par
des
baptèmes
qui
couronnent
toute réussite de l'action missionnaire.
1. Arch. CSSP
164
B II
2.
Mais
cela n'entraîne
pas
qu'il
y
ait
eu
les
tout
premiers
baptêmes
avant le milieu des années 1920.
3. Horar. VIIl,
1966
p.5
4. Arch. CSSP
164
B II
5. Arch. CSSP
164
B II
6. Arch. CSSP
164 B II
•
206
Il n'y a que des VISIteS, de nouveaux villages desservis plus ou
moins régulièrement sans qu'on
sache d'ailleurs
s'ils
avaient des
catéchumènes en nombre vraiment important.
Cette
situation
commande d'autant plus
la
réserve
que
les
visites de ces nouveaux villages se faisaient souvent au détriment
d'anciennes missions dont il ne semblait plus être question.
Des
villages du Diéghem, on ne parlait plus, pas plus que des villages
pourtant
proches
du
centre
de
la
mission
comme
Mbodiène,
Ndianda ou Nianing.
Les
nombreux
autres
villages
du
Sine-Saloum,
assez
régulièrement visités depuis les années 1880 semblaient, eux aussi,
avoir
autant
souffert
de
cette
mauvaise
passe
missionnaire.
En
définitive,
si l'action de
la mission
s'est poursuivie
à peu
près
normalement, elle ne pouvait enregistrer de réels progrès pendant
cette épreuve de la guerre.
C
Les
trois
décennies
malheureuses
(1919-1950)
Entre
1919
et
1950,
s'écoulèrent
trois
décennies
au
cours
desquelles
la
mission
n'enregistra
que
très
peu
de
fondations.
Plusieurs
causes
peuvent
être
invoquées
pour
expliquer
cette
situation
mais
les
plus
importantes
sont
la
persistance
et
l'aggravation
de
la pénurie de
missionnaires
et
la
situation
de
l'église naissante pendant la guerre. Ce manque de succès trouvait
donc sa source d'abord dans le passé récent de la mission.
1.
Persistance
et
aggravation
des
obstacles
à
la
mission
Qu'est-ce
qui
pouvait mieux
que
l'après-guerre
illustrer
le
piétinement de l'action missionnaire durant ces années
1914-19l8?
Si
les
progrès
de
la
mission
n'étaient
pas
contrariés
après
les
difficultés
suscitées
par
la
mobilisation
et
leurs
conséquences
directes
inévitables
à partir de
1916, c' est-à -dire
après
que
les
missionnaires épargnés eussent pris le temps de la réorganisation,
ils se seraient sans doute fait sentir aussitôt après la guerre.
La continuité de l'action missionnaire n'en aurait pas souffert
et
toutes
les
fondations
enregistrées
en
nombre
relativement
satisfaisant
dans
les
trois
années
précédant
la
guerre
auraient
certainement pu être reprises. Or, on n'assiste à rien de tel mais au
contraire, à la période la plus longue qui soit vécue sans fondation
de nouvelles missions.
207
De 1919 à 1942 en effet, la mission ne progressa pas sur ce
plan et si Diohine fut effectivement fondée en 1928, c'était pour
remplacer Foundiougne, supprimée la même année. Les cinq postes
existants
n'allaient
augmenter
qu'à
partir
de
1943
avec
la
fondation
de
Palmarin
et,
quatre
années
plus
tard,
la
"sédentarisation" de la mission de Diourbel.
Dans l'absolu, il n'y eut donc qu'une fondation supplémentaire
en 33 ans, soit plus du temps qu'il fallut pour "sortir" la mission de
la côte en fondant les premières
résidences du "centre" du pays
après celle de Fadiouth. C'est-à-dire le temps le plus long entre
deux fondations de toute l'histoire du pays au moins jusqu'en 1955.
Les
conséquences
de
la
guerre
étaient
donc
restées
très
présentes, longtemps après elle. La situation était aggravée il est
vrai, par de nouvelles épreuves vécues par la mission. Embarqué de
France, où il venait de séjourner, le 9 janvier 1920 pour le Sénégal,
Mgr Jalabert
périt
en
mer
trois
jours
plus
tard,
par
suite
du
naufrage du paquebot qui le ramenait à Dakar( 1).
La mission
ne perdit pas
ainsi
seulement son eveque, elle
perdait aussi en même temps des prêtres qui lui étaient destinés et
qui étaient tous morts dans le naufrage. Des 19 missionnaires ayant
péri avec l'évêque en effet, 6 étaient affectés au Sénégal. Et c'étaient
peut-être 6 fondations
de remises
à plus
tard.
Des missionnaires
pensaient, en tout cas, que "l'évangélisation a beaucoup été freinée"
par ce drame(2).
Celui-ci était d'autant plus préjudiciable que la
guerre avait déjà fait des victimes dans le clergé du Sénégal et que
l'effectif de celui-ci avait notablement diminué.
Des 41 prêtres et 10 frères de 1914, il ne restait plus guère,
en
1920,
que 27
pères
et 7
frères(3).
Tous
n'ont
pas
été
des
victimes
de
la
guerre
mais
directement
ou
indirectement,
la
majorité l'a été. Beaucoup de prêtres, devant la multiplication des
tâches due au départ de leurs collègues y avaient en effet laissé
leur
santé
et
s'ils
n'étaient
pas
morts,
avaient
dû
regagner
la
maison-mère de la congrégation pour ne plus retourner au Sénégal
pour les plus vieux ou les plus gravement atteints( 4).
1. Horaf,
XI
1976
p.20
2. Horaf,
XI
1961
p.5
3.
Annuaire
des
Oeuvres
Pontificales
Missionnaires. Op. cil.
p.73
4. EMCLR 009; 017.
208
Et comme on pouvait s'y attendre, la guerre avait rompu le
renouvellement
nécessaire du
personnel missionnaire
: l'immédiat-
après-guerre ne l'ayant pas permis, il devenait difficile de pouvoir
progresser
avec
des
effectifs
missionnaires
en
continuelle
régression.
Et
comme
si
ces
difficultés
ne
suffisaient
pas,
l'administration
introduisit
une
nouvelle,
relative
aux
réunions
cultuelles dans la colonie.
En
1922,
un
décret
du
gouverneur
interdit
de
telles
assemblées
"en
dehors
des
établissements
autorisés"(l),
ce
qui
visait clairement la mission catholique comme on peut le saisir à
travers
cet
extrait
d'une
correspondance
du
gouverneur
général
Carde au ministre des colonies, en date de février 1927.
Le
"contrôle
s'impose
dans
un
pays
comme
l'AOF
où
la
diversité des races, des milieux, des tendances , la multiplicité des
religions,
les
fanatismes
latents
commandent
la
plus
grande
vigilance
à
l'égard
des
réactions
que
peut
produire
la
brusque
intrusion d'une religion nouvelle dans un milieu mal préparé à la
recevoir"(2).
Cet
arrêté,
comme
il
fallait
s'y
attendre,
avait
soulevé
la
protestation des évêques des colonies.
11 ne pouvait avoir qu'une
conséquence négative sur la mission qui n'avait pas toujours ces
"établissements
autorisés"
qui,
au
contraire, n'étaient que
le fruit
d'un
travail
patient
et
long
au
cours
duquel
l'essentiel
de
son
activité avait toutes les chances de se faire en marge de la légalité.
Dans
une
mISSIOn
comme
Kaolack,
une
telle
disposition
réglementaire ne pouvait que contribuer à envenimer davantage les
relations
souvent
tendues
entre
l'administration
locale
et
les
. ,
.
mlSSIOnnalTes.
Mais de façon générale, elle n'eut pas d'effet sur la mission.
Totalement
inappliquée
en
"brousse"
où
les
administrateurs
fermaient les yeux quand ils n'ignoraient pas son existence, elle ne
posait
apparemment
pas
de
difficultés
insolubles
en
ville
où
le
problème qu'elle soulevait pouvait être plus facilement résolu.
1. A.N.S. 17 G 73 - 17
1.
Ibid.
209
Elle n'en était pas moins révélatrice du climat de méfiance qui
existait entre l'administration et la mission qui semblait accentué
par la poussée
toujours
plus
grande de
l'islam
qui
n'a jamais,
jusque-là, été aussi forte en pays sérère.
D'un
côté
il
y avait
l'administration
qui
avait
besoin
de
l'influence des marabouts, qui étaient alors la seule force pouvant
lui créer des difficultés dès lors que toute résistance politique avait
disparu ou, au contraire lui facili ter les choses, du fait de leur
influence déjà grande sur les masses et, de ce fait, faisait tout pour
se les concilier; de l'autre la mission qui avait le sentiment qu'une
telle politique ne pouvait que la marginaliser et réduire d'autant ses
chances de convertir les "païens" pour lesquels elle luttait afin qu'ils
ne soient pas noyés, quant à leur statut personnel, dans la masse
des "animistes" ou, pire, dans celle des musulmans.
Ceux-ci
bénéficiaent déjà,
aux
yeux
des
missionnaires,
de
privilèges exhorbitants en matière de justice, n'étant jugés que par
les tribunaux musulmans. Une situation d'autant plus inacceptable
pour la mission qu'aucune distinction de cette nature n'était faite
pour les chrétiens et les "animistes" africains soumis au droit civil
qui n'était pas celui de l'église ; pour cette raison, elle estimait que
les chrétiens étaient défavorisés devant la loi par ce "privilège" de
juridiction que la mission a longtemps combattu.
Aussi,
les
missionnaires
accusèrent-ils
souvent
les
gouverneurs du Sénégal et d'AüF de faire la pan trop belle à la
religion
musulmane( 1) en
lui
facilitant,
de
fait,
son
travail
de
conversion.
Un
reproche
qui
n'était
pas
sans
fondement,
l'administration ayant toujours jusque-là agi comme si tout ce qui
n'était pas chrétien dans la colonie était musulman.
Réunis
à
Dakar
en
1924,
les
chefs
de
mission
d'AüF
dénoncèrent fortement cette situation et obtinrent enfin, la même
année,
que leurs chrétiens fussent jugés
selon
la coutume.
Une
mesure d'importance primordiale, dans le domaine du mariage et,
de façon générale, de la famille christianisée. La "discrimination"
cependant,
était
loin
d'être
enrayée
et
cette
victoire,
les
missionnaires ne la prirent que pour ce qu'elle était à leurs yeux :
une étape pour de nouvelles "conquêtes".
1. Ce reproche devenait bien sûr de plus en plus persistant au fur et à
mesure que
la
mission
se rendait compte
que
ceux
qui
reslstaient à son
message étaient très
prompls à accueillir celui
des
marabouts.
210
La réglementation fixant les conditions precises d'ouverture et
de
tenue des
écoles
confessionnelles,
qui
s'appliquait pleinement
aux écoles catholiques laissait ainsi de côté les nombreux écoles et
centres d'enseignement coranique incontrôlables et incontrôlés. Dès
lors, on ne comprit pas, dans les milieux de la mission, que le
gouvernement de la colonie pût soumettre, par exemple en
1904,
l'ouverture
de
simples
garderies
à
l'autorisation
préalable
du
gouverneur du
Sénégal( 1).
Bien qu'il ne fut pas appliqué, cet arrêté était de ceux de ces
actes administratifs qui soulevaient la "suspicion" légitime du clergé
catholique, comme bien d'autres qui allaient suivre.
Cette période
des
années
1920
et
1930
fu t
donc
très
riche
en
événemen ts
intéressant la mission, dans ses rapports avec l'administration.
Elle
serait aussi
riche en conversions,
malgré
l'absence de
fondations - ce qui, du reste, n'est nullement lié - si l'on en croit une
lettre du P. Cosson du 20 Août 1930. De Joal où il était le curé, il
avait en charge plusieurs missions de l'intérieur dont il estima le
nombre
de
chrétiens
baptisés
cette
année
à
241,
les
premières
communions à 170 et les communions pascales à 629(2). Dans ces
conditions, on pouvait penser que seul entravait les fondations
le
manque d'ouvriers apostoliques. On comprend dès lors l'effort fait
par la congrégation du Saint-Esprit pour l'envoi d'un nombre un peu
plus significatif de missionnaires.
Rien
qu'en
cette
même
année
1930,
pas
moins
de
4
missionnaires ont été envoyés au Sénégal(3). Mais le "déficit" n'était
pas facile à combler. Il semblait même aggravé par le fait que
Ngasobil, pour l'entretien notamment de
ses oeuvres, détenait un
nombre parfois important de missionnaires, parfois perdus pour la
mission de l'intérieur.
En
1939, 7 missionnaires dont 4 pères y etaient affectés(4).
Mais quand on sait que les 5 pères et 3 frères de Dakar(5) n'avait
pas
plus
à
faire,
on
comprend
qu'il
s'agissait
peut-être
d'un
minimum.
La
conséquence,
c'est
que
la
dizaine
de
prêtres
qui
s'occupaient
des autres missions et des postes de l'intérieur non
pourvus de résidences ne pouvaient pas faire face à la demande.
1. A.N.S. J 84 - 8
2. Arch. CSSP 262 A VI
3. Arch. CSSP 262 A VI
4. Arch. CSSP 264 B V
S. Arch. CSSP 264 B V
21 1
Aussi, ces missions n'avaient pas les moyens de la tâche qui
leur
fut
confiée
et
amenèrent
parfois
à
des
remises
en
cause
argumentées, il est vrai, de la démarche initiale. Diohine fut ainsi
une erreur selon certains missionnaires qui estimaient qu'il fallait
s'en tenir à la seconde alternative du
rapport du
P. Joffroy qui
suscita
sa
fondation
mais
qui
faisait
de
Niakhar
une
possible
mission du coeur du pays.
Durant de longues années, l'incertitude liée à l'éventualité du
transfert de
la
mission
de
Diohine
dans
ce
village
amena
les
missionnaires à la construire suivant les "matériaux" et "procédés"
du pays, c'est-à-dire en banco pour assurer sans grands dommages
le
déménagement
quand
l'ordre
en
serait
donné.
Diohine
ne
déménagea
pas
mais
les
conséquences
d'une
telle
situation
ne
pouvaient pas être très bénéfiques pour l'action des pères.
"Partisan"
de
Niakhar,
H.
Gravrand
ne
s'étonna
pas
des
difficultés de la "Mission du Sine" et de son incapacité d'être, alors,
ce relais nécessaire à d'autres fondations
: "Diohine n'était pas le
meilleur choix ... Niakhar eut été de beaucoup préférable parce que
plus central. Cette escale était à égale di stance de Diohine et de
Diakhao et assez proche de Fatick. Diohine au contraire était isolé,
sans route et sans moyens de communication facile. Elle ne pouvait
espérer toucher l'ensemble de l'éthnie. De fait son influence réelle
ne
dépassera
pas
les
cantons
de
Diohine,
Diouroup
et
Ngayokhème ... "(1).
Cette erreur contribua donc à freiner l'avancée de la mission
vers l'intérieur et la périphérie. Mais la plus grande erreur fut sans
doute de penser qu'une mission de 2 prêtres -au mieux 4-
pouvait
efficacement s'occuper de l'essentiel de la région du
Sine, d'une
bonne partie du Baol et du Diéghem.
Quant
à
la
mission
de
Foundiougne,
elle
fut
simplement
impossible, du moins dans les attributions de mission centrale qui
lui étaient
assignées.
Celles-ci
comme
on
le
sait,
devaient être
reprises par Diohine.
Kaolack restait solidement debout depuis sa
fondation mais l'essentiel de ses activités concernaient la ville. Trop
vaste relativement et avec peu de grandes escales, ses dépendances
étaient impossibles à couvrir par une poignée de missionnaires
qui
n'ont jamais dépassé le nombre de 3.
1.
Visage
africain
de
l'église.
Op.
cil.
p.IOS
212
Aussi, la partie serere de ces dépendances était-elle souvent
en "souffrance", les missionnaires ayant dû aussi s'occuper en même
temps qu'elles, de toutes les régions comprises entre Kaffrine et
Kédougou en passant par Tambacounda( 1). Cette mission était donc
incapable d'assurer le suivi nécessaire de son apostolat(2).
Aussi,
fallait-il presque toujours commencer et recommencer par le plus
difficile : se faire admettre. Cela impliquait des "promesses : écoles,
dispensaires, etc."(3). Et ceux-ci tardant à arriver puisqu'étant liés à
la présence permanente d'un personnel missionnaire inexistant, le
travail ne pouvait qu'en être d'avantage compliqué.
Les missions de la côte (essentiellement Ngasobil et Joal) n'ont
qu'à peine été plus
heureuses. Le travail remarquable notamment
du P. Joseph avait pu permettre la constitution progressive d'une
chrétienté dans les villages du sud immédiat de la première mission
du
pays.
En
1930,
on
y comptait
déjà
au
moins
7
chapelles
apparemment
bien
fréquentées( 4).
Ngasobil de son côté avait déjà, en 1920, 3 chapelles sur la
côte(5)
auxquelles
devaient
très
bientôt
s'ajouter
celles
de
Ndiaganiao et Thiadiaye. Aucune de ces premières chapelles n'était
cependant récente, elles dataient toutes du XIXe siècle. Les progrès
étaient ici négligeables
bien que,
apparemment
induit en erreur
par un missionnaire pressé, ou peut-être qui prenait ses rêves pour
des réalités, l'évêque de la mission, dans son rapport quinquennal
de
1920, ajoutait à ces
missions
anciennes
une quatrième,
toute
récente, et qui abriterait la quatrième chapeJ.!"e des postes desservis
par Ngasobil.
Cette mission, Nguéniane, venait tout juste de démarrer mais
elle n'avait ni chapelle ni même vocation à être poursuivie dans
l'immédiat. Longtemps abandonnée à peine commencée, elle devait
attendre les années 1950 pour avoir sa première chapelle(6).
Mais l'évangélisation n'est pas une question de chapelles bien
qu'elles en fassent partie. Entre les murs vides et une assemblée de
fidèles sans toit, le problème du choix ne se pose pas.
1. EMCLR
017
2.
1bid.
3.
Ibid.
4. Arch. CSSP
261 A 111
5.
Supra,
p.ll3
213
Le grand problème de la mission demeurait la discontinuité
des
visites
et
autres
tournées
missionnaires
entre
lesquelles
beaucoup
de
détermination
pouvait
s'émousser.
Chaque jour qui
passait
amenant
pour
les
néophytes
et
les
autres
chrétiens
potentiels, bien des raisons de retourner à la religion traditionnelle
ou de faire le "saut opposé" en embrassant l'islam.
La mission n'avait toujours pas compris -à moins qu'elle fut
impuissante, ce que nous avons tendance à croire- que la "course
contre la montre" tournait, à chacune de ses absences sur le terrain,
à l'avantage de l'islam.
2. La seconde guerre mondiale
et ses difficultés locales
Ces "absences" devaient être davantage prolongées avec le
second conflit mondial. Non content d'occuper tous seuls une bonne
partie du terrain, les marabouts ou leurs partisans profitèrent de la
sitution pour marginaliser le maximum possible le christianisme. Le
procédé
utilisé
emprunte
à
la
guerre
psychologique
son
aspect
in térieuremen t
des tabilisateur.
Il consista, dès l'armistice à faire courrir le bruit selon lequel
"les Allemands fusilleraient les
prêtres en zone occupée et s'ils
venaient
au
Sénégal,
les
noirs
catholiques
subiraient
le
même
sort"(l). Les chrétiens étaient ainsi conviés "à se convertir à l'islam,
seul moyen d'éviter le massacre"(2).
Il
semble
que
les
localités
du
pays
serere
fussent
les
principales concernées par ces rumeurs rapportées par le chef de la
subdivision de Mbour et qui déterminèrent les autorités coloniales à
faire
mener
une
enquête
notamment
à
Foundiougne,
pour
en
déterminer les tenants et les aboutissants(3).
1. f. Diallo - Vichy el la religion au Sénégal. ln Le
Mois
en
Afrique,
n0241-242, février-mars 1986.
p.15?
2.
Ibid
3.
Ibid
p.15S
214
Ce qui est en
tout cas sûr,
c'est que
l'ampleur de
telles
rumeurs
fut
grande,
tant
du
fait
de
l'importance
des
étendues
territoriales
du
pays
sérère
qu'elles
ont
couvertes
que
de
leur
conservation
dans
la
mémoire
des
Sérères
des
régions
concernées( 1).
Si l'impact d'une telle propagande n'a été en définitive que
limité, celui négatif de la guerre sur la mission fut plus grand.
Le second conflit mondial eut tout d'abord sur la mission et
surtout
sur
son
personnel
les
conséquences
du
premier,
par
la
mobilisation et le manque de missionnaires(2) et aussi parce qu'elle
"perturbe et paralyse le vicariat de plus en plus obligé de vivre
uniquement de ses propres ressources"(3).
Mais il avait ensuite cette conséquence particulière de rendre
presque
impossible
la
coexistence
entre
la
mission
et
l'administration, du moins au plus haut niveau, dès
1943 après la
défaite allemande en Afrique et l'occupation des postes de direction
dans le gouvernement de la colonie par des Français libres ou leurs
partisans.
1. F. Diallo. Vichy et la religion au Sénégal... ..... p. 158
2. Il faut noter que chaque fois que la France, dans le passé, etan en
difficulté.
la
même
agitation
était obsrevée
dans
le
pays.
Ainsi,
après
l'annonce
en
octobre
1870
de
la
chute
du
Second
Empire.
certains
marabouts n'ont
pas
hésité
à voir dans
le
"désastre"
qui
venait
de
se
produire le signe de la fin du christianisme au Sénégal. D'autres en ont
profité
pour
s'installer
solidement
dans
la
région
de
la
Petite
Côte
évacuée par les Français - Cf. G.G. Beslier. Le Sénégal. Op. cil. p.79. Mais
l'on sait que
la
Troisième République,
qui
venait
ainsi de
s'intaller en
France
allait
vite
reprendre
tous
les
territoires
abandonnés
et
mieux,
devenue
impériale.
étendit
bien
plus
loin
la
domination
française
ouvrant
bien
des
brêches
à
la
présence
missionnaire.
Quant
aux
marabouts.
les
principes
civilisateurs
et
de
liberté
dont
elle
était
porteuse
ne
pouvaient
qu'encourager
leur
établissement
ou
leur
maintien
dans
les
pays
de
leur choix
de
plus en
plus
soumis
à leur
influence
grandissante.
L'islam
confériquedont il
sera
question
plus
loin
est égaiement un produit de cet "appel" à la "liberté".
3. Arch. CSSP
264
B VI
215
Tout était
parti,
semble-t-il,
du
refus
de
Mgr
Grimault de
participer aux cérémonies officielles après l'arrivée dans la colonie
de ces nouvelles autorités nommées par le gouvernement d'Alger.
En réponse à une invitation à une réception qui lui avait été
adressée,
l'évêque,
le
12
Juillet
1943,
déclinait
l'invitation
en
précisant que "depuis longtemps, le Vicaire Apostolique de Dakar ne
participait à aucune réception officielle" (1).
L'opinion que la nouvelle administration se faisait sans doute
de
Mgr
Grimault
se
précisait
davantage,
à
la
lumière
de
son
comportement antérieur avec son refus, quelques mois plus tôt, de
laisser enlever le portrait du maréchal Pétain(2) que celle-ci voulait
remplacer par celui
du
général
Giraud
au
foyer
la
"Maison
de
famille du soldat et du Marin". Cette "maison", à l'origine construite
par la mission pour servir de "salle paroissiale, dans
laquelle le
clergé accueillait les soldats et les marins "(3), était devenue un lieu
de rendez-vous par utilisation, en fait affecté à l'administration.
1. A.N.S.
17 G 23 1
2. Les
choses
sont
allées
si
vite
en
fin
1942
que
l'on
peut
bien
comprendre
l'altitude
de
l"église
sénégalaise
ou
du
moins
celle de
son
chef
qui,
comme
la
plupart
des
évêques
français.
trouvait
bien
d'avantages
dans
un
régime
de
Vichy
très
pro-catholique
et
accordant
des
faveurs
parfois
considérables
au
clergé
après
l'invasion
et
l'occupation par les troupes allemandes de la partie sud de la France sous
l'autorité
du
gouvernement
français,
aux
termes
de
l'armistice,
"l'amiral
Dar 1a n
qui résidait en Afrique française le Il novembre 1942 a, à cette
date, assuré de plein droit la "fonction de chef d'Etat pour les territoires
soumis
au
gouvernement du
Maréchal"
et qui
n'étaient
pas
occupés
par
les Allemands - A.N.S.
17 G 125 - 17 : Extrait du journal officiel du Haut
Commissariat de France en Afrique. N°l.
1er janvier 1943. Darlan, après
avoir pris le pouvoir en vertu de l'acte constitutionnel n04 du
10 février
1941 relatif à la suppléance et à la succession du maréchal Pétain, qui lui
étaient dévolues en vertu de ce texte, est victime, le 24 décembre 1942
d'un
attentat
et
le
26,
le
conseil
impérial
comprenant
Nogues,
Bergeret,
Boisson,
Chatel
et
Giraud
désigna
celui-ci
pour
remplacer
Darlan,
fonctions
auxquelles
s'ajoutait
le
commandement
en
chef
des
armées
- A.N.S.
17
G
125
-
17
: Extrait
du
journal
officiel. .. - Les
problèmes
commencèrent
alors
pour
la
mission
puisque
dans
sa
résolution à rétablir les lois de la République el à asseoir son autorité, le
nouveau
pouvoir
fait
arracher ou
recouvrir
par
la
croix
de
Lorraine
-
signe de la France libre - les portraits du Maréchal dans les lieux publics
- F.
Zuccarelli
: La
vie
politique
sénégalaise.
Tome
II
(1940-1988).
Publications du CHEAM. Périgueux, Fanlac, 1988 p.24.
3. A.N.S. I7 G 23 1
216
Pas donc par destination, comme voulait, à tort, le faire croire
le
gouverneur
Cournarie(l).
Ces
incidents
auxquels
s'ajoutaient
d'autres,
qui
se
déroulèrent
en
Août
1943,
créèrent
une
vive
tension dont une conséquence immédiate fut un rapport envoyé en
septembre 1944 par le gouverneur au ministre des colonies.
Axé sur "L'Activité de Mgr Grimaud Evêque de Dakar depuis
Juin 1940", il dévoilait notamment les extraits jugés pro-vichystes
d'un de
ses
sermons
prononcé
en
mars
1943
:
"Pour
nous,
le
Maréchal Pétain est, depuis Juin 1940, le seul chef légitime de la
France et nous ne pourrons que subir sans l'accepter une autorité
opposée à la sienne. La contrainte ainsi imposée doit nous attacher
encore davantage à celui qui, aux heures difficiles, a bien voulu
accepter le pouvoir et faire don de sa personne au pays"(2).
Dès le lendemain de cette déclaration, le 22 mars 1943, Mgr
Grimault, entendu par le procureur de la République sur requête du
gouverneur, avait confirmé être l'auteur de la déclaration et mieux,
avait ajouté : "je ne regrette aucunement les paroles qui me sont
reprochées. Elles ont été méditées pendant une journée et sont le
fond de ma pensée"(3).
Une
déposition
qu'il
confirma
d'ailleurs
dans
une
autre
audition
du
19
mai
1945
devant
le
capitaine
de
gendarmerie
Durand agissant en vertu d'une demande d'enquête du commissaire
du
gouvernement( 4).
L'''affaire Grimault" avait ainsi atteint de grandes proportions,
mais semblait bien circonscrite à Dakar et dans les autres villes
puisqu'il est difficile de voir un fidèle contemporain de l'intérieur
s'en rappeler.
L'agitation était
menée par la
" Fédération de la
France
Combattante
d'AOF".
une
association
de
résistants
dont
certains membres, pour des raisons souvent personnelles. ne se sont
jamais intéressés à l'église encore moins à la mission, avec laquelle
ils n'ont jamais essayé d'entretenir la moindre relation.
1. A.N.S. 17 G 23 1
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4.
Ibid.
217
La déclaration de Mgr
Grimault était donc une belle occasion
pour eux de démontrer qu'ils n'avaient pas tort. Les manifestations,
depuis, ne manquaient pas. Devant la cathédrale de Dakar et surtout
dans
les colonnes de l'organe de
la
"Fédération
de
la France
combattante"
d'AOF,
l'hebdomadaire
" Réveil",
les
manifestants
demandaient
"que
Mgr
Grimault
soit déféré
devant
la
Chambre
civique comme justiciable de l'indignité nationale"(l). C'est du fait
de ces manifestations que le gouvernement colonial jugea expédient
d'éloigner
l'évêque,
en
obtenant
son
rappel
en
France
ou
sa
nomination dans un diocèse, l'hypothèse de sa comparution devant
la chambre civique étant exclue du
fait des passions qu'elle ne
manquerait pas de déchaîner(2).
En
même
temps,
un
dossier
moins
chargé
était
instruit
à
Kaolack
sur
les
soeurs
de
Saint-Joseph
de
Cluny
qui
seraient
carrément pro-vichystes si l'on en croit les renseignements fournis
par le commandant du cercle(3). Quant au curé, le P. Landreau, il
eut le malheur (apparemment bien mérité) d'être taxé de militant
de la cause du Maréchal(4). Ce qui était suffisant pour le priver de
sa cure puisque dès 1945, on le retrouva à Dakar(5).
Les
pressions
s'accentuaient,
d'un
autre
côté,
sur
Mgr
Grimault. A défaut de pouvoir le juger, il fallait obtenir son départ
par tous les moyens. Rome seule pouvant en décider, la diplomatie
française
fut
mise
à
contribution,
dès
l'été
1944(6).
Le
silence
opposé par le Saint-Siège sembla inquiéter les autorités françaises
qui firent appel à Mgr
Le
Hunsee, supérieur du Saint-Esprit dont
l'intervention n'eut pas dans l'immédiat de succès.
Sans
apparemment
se
décourager
malS
n'y
croyant
plus
vraiment, il entreprit de laisser l'évêque de Dakar libre avec sa
conscience, comme en
témoigne cette
lettre qu'il
lui adressa en
novembre
1944
et
qui
fut
interceptée
par
les
services
du
gouvernement général : la situation "crée dans la colonie du Sénégal
un malaise déplorable ... Je demande à l'esprit saint d'éclairer votre
excellence
pour
qu'elle
agisse
en
toutes
sagesse
et
prudence
surnaturelles" (7).
1. A partir de "Réveil"
n062, 18 mai 1945
p.1
2. A.N.S. 17 G 231
3. A.N.S. I7 G 23 1 - 12
4. A.N.S. I7 G 23 1 - 12
5. A.N.S. 17 G 231
6.
Ibid.
7. Ibid.
218
A
en
croire
P.
Delcourt
qui
ignore
cependant
royalement
l'affaire Grimault, cette prière de Mgr Le Hunsec serait exhaussée
~
puisque bien avant, en
1942, Mgr Grimault songeait démissionner
parce que fatigué et que se seraient "des conseils autorisés" qui l'en
auraient dissuadé. Et qu'il devait profiter de la visite d'un envoyé
du
Pape en juillet 1946 pour lui redire
"son
désir de
voir son
vicariat confié à des mains plus jeunes"(l).
Ce
qui
n'est
tout
de
même
pas
impossible
puisque
déjà,
beaucoup
de
choses
avaient
changé
en
France
y
compris
le
gouvernement provisoire de la République, et beaucoup de passions
avaient donc pu s'être émoussées. Mais il est plus probable que
l'évêque
eût
enfin
cédé
devant
les
pressions.
Ce
que
pourrait
confirmer son départ précipité de
Dakar qu'il quitta dès octobre
alors
que
l'agrément
de
sa
démission
n'est
intervenu
qu'en
mi-
décembre(2).
Si
l'effervescence
consécutive
à
cette
affaire
épargna
pour
l'essentiel le pays sérère, ses implications indirectes dans la mission
du Saloum étaient importantes.
Les soeurs ne semblent pas avoir
été inquiétées mais Kaolack perdit un curé énergique dont l'action
efficace
est
reconnue.
Sa
nomination
ultérieure
comme
préfet
apostolique de Saint-Louis devait en être
le
témoignage
le plus
éloquent.
Heureusement,
personne
n'a
vu
dans
cette
affectation
l'ombre d'une sanction -elle n'en était peut-être pas une- et la vie
paroissiale et missionnaire de Kaolack ne s'en trouva pas finalement
trop affectée. Pas plus d'ailleurs que l'affaire Grimault sur celle de
la mission qui sortait plutôt de la guerre avec plus de vigueur qu'en
1918.
Si
la guerre a
ainsi
empêché la réalisation
des
nombreux
projets de fondation des années 30, l'immédiat-après-guerre ne fut
pas en effet celui des années 20. D'autant qu'à bien des égards, la
mission était pendant la guerre, dans une situation certes difficile,
mais
largement
supportable
grâce
notamment
à
l'aide
du
gouvernement de Vichy, qui bénéficia à toute l'église de France(3).
1. Horaf, l, 1976
p.IO
2.
Ibid.
3.
J-R
de
Benoist
- Colonisation
et
évangélisation
dans
la
Boucle
du
Niger.
Etudes
Scientifiques, mars
1985, p.52.
219
Le terrain missionnaire était mieux préparé, les prêtres plus
nombreux
et les
moyens
désormais
sans
commune
mesure
avec
ceux de la débrouillardise des premières décennies du siècle. Le
nouvel évêque,
Mgr
Lefèbvre
y fut
sans
doute
pour
beaucoup.
Certainement jeune comme le souhaitait son prédécesseur, il était
surtout missionnaire dans
l'âme. Estimant que
le
Saint-Esprit ne
pouvait plus, à lui seul, satisfaire la demande de missions dans son
nouveau
vicariat,
il
n'hésita
pas
à
faire
appel
à
d'autres
congrégations.
Les 5 premières années après 1945 pouvaient alors préparer
plus efficacement les fondations futures. Tout cela au moment où le
pays, plus que jamais, avait besoin d'instruction et de christianisme.
II - LE QUINQUENNAT DE LA RELANCE (1951-1955)
A partir du tout début des années 1950, il y eut enfin une
accumulation de succès du patient et trop long travail missionnaire.
En 5 ans, de 1951 à 1955, on vit s'élever 7 missions dont 3 étaient
d'anciennes missions abandonnées ou fermées et dont les conditions
nouvelles permettaient désormais la relance. Il s'agit des missions
de Fatick, Foundiougne et Mbour.
Les quatre
autres
sont
toutes
situées à la périphérie du
pays et ont cette
particularité d'être
fondées presque en même temps.
A - La
Mission
de
Bambey
(1951)
C'est Bambey qui débute le plus heureux quinquennat de la
mission, du point de vue des fondations. Jusque-là dépendant de
Diohine(l), Bambey n'était guère, avant la deuxième guerre, qu'une
escale importante certes
du point de
vue
commercial, mais qui
n'attira pas
spécialement les
missionnaires.
Peut-être
parce qu'en
dehors d'un groupe d'Européens et de Libanais, il y avait très peu
de
chrétiens
dans
le
village,
même
lorsqu'avec
l'urbanisation
accéléré d'après guerre, il devint rapidement une ville de plus en
plus peuplée. Bien situé dans le Baol, Bambey était ainsi entouré
d'un nombre important de villages "païens" sérères(2).
1. Arch. CSSP 262 A IV
2. Arch. CSSP
164 B
11
220
Cette position géographique en faisait une mission d'avenir.
Aussi, connu des missionnaires en fait bien après Ngohé, il finit par
devenir plus intéressant pour eux; et au moment où N gohé devenait
de moins en moins "prioritaire", du fait en partie de la proximité de
Diourbel,
Bambey
tendait
de
plus
en
plus
vers
l'autonomie
en
s'imposant
comme
le
grand
centre
de
plusieurs
villages
qui
y
venaient à la messe, à l'occasion des passages des missionnaires
desservant de Diohine.
Des
autres
villages
du
Baol,
seuls
Lagnar
et
Khombole
attirèrent vraiment autant que Bambey l'attention de la mission(l),
surtout à partir du début du siècle qui vit le développement du rail
s'étendre à l'axe Dakar-Kaolack en passant par Khombole, ce qui
désenclavait ce village et lui donnait un peu plus d'importance.
Mais à part l'Ouest tout le reste de l'environnement du village
qui constitue pratiquement la limite nord du pays sérère du Baol
était constitué de villages où la prédominance sérère avait depuis
longtemps disparu et qui n'ont, à l'exception notable des Nones du
Nord
jamais,
depuis
la
fin
du
XIXe
siècle,
intéressé
les
. .
.
mlSSlOnnaues.
On comprend dès lors le choix de Bambey pour abriter la
seconde
mission
du
Baol.
Très
largement
"intégré"
à
Diohine,
Bambey semble a voir été régulièrement desservi depuis 1928 et sa
chrétienté avoir même été très active dans la vie de cette mission.
Déjà, à l'inauguration de celle-ci, cette même année de
sa
fondation,
ses
chrétiens y étaient représentés
à côté de ceux de
Fatick(2). Et lorsqu'il fut question en octobre 1928 de demander aux
fidèles de contribuer financièrement à la construction de leur future
église,
les
missionnaires
de Diohine avaient
bon
espoir que
les
chrétiens de Bambey allaient bien participer à la collecte des 10.000
francs nécessaires au complément de la somme déjà versée, pour
cela, par Mgr Grimault(3).
1. Arch. CSSP 164 B II
2. Arch. CSSP 262 A IV
3. Arch. CSSP 262 A IV
221
Mais
essentiellement constituée
d'étrangers,
cette
chrétienté
ne pouvait avoir, dans l'immédiat, de prêtre résident, d'autant que
ses effectifs -même y compris les catholiques africains- n'avaient
jamais atteint, jusque-là, un niveau vraiment significatif.
En
1951, au moment de la fondation,
il n'y avait que 70
catholiques, Européens et Libanais compris( 1). Mais il y avait alors
beaucoup d'espoir de multiplier leur nombre assez rapidement. Bien
qu'à 40.000 les musulmans étaient déjà d'un poids écrasant, le fait
qu'il y avait, à côté, quelque 35.000 "païens"(2) justifiait pleinement
cet espoir. La mission était cependant très vaste , comme d'ailleurs
toutes les missions du pays. Elle couvrait une superficie de 1.749
km2(3) avec ses multitudes de villages rattachés.
Avec une aussi grande mission, le père
Halter,
fondateur,
n'avait pas le choix
: pour évangéliser les Sérères, il lui fallait
multiplier le nombre de catéchistes. Ce qu'il essaya de faire et dès le
début, il s'attacha à en former, aidé par le frère
Jean.Marie son
"compagnon d'apostolat"(4). Ici comme (souvent) ailleurs, fondation
ne fut pas synonyme de construction d'église.
A part le logement fort simple du reste, il n'y eut aucune
construction, le père ayant acquis
une boutique d'un commerçant
qui ne fonctionnait plus pour la transformer en chapelle(5). Avec le
nombre de chrétiens, on ne peut dire qu'elle fut trop petite.
Lorsqu'il se retirait en
1953 pour sa nouvelle
vocation de
contemplatif trappiste
à Aiguebelle, le père Halter n'avait formé
qu'un nombre réduit de catéchistes.
La mission restait donc très limitée, n'atteignant pas certains
villages importants. C'est ce que comprit son successeur, le père
Meckler qui renforça l'oeuvre des catéchistes pour en toucher le
maximum. Cela lui permit, en peu de temps, de doter de chapelles
les villages les plus intéressants: BatH, Sessène, Ngascob.
1. Horaf, XII, 1959
p.7
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4.
Ibid.
5.
Ibid.
222
D'autres chapelles allaient suivre pour d'autres villages. Dans
la mission
centrale
même,
il
construisit
un
internat
et
mit
"en
service les deux classes que le père Halter avait édifiées avant son
départ"(l). La mission demeura cependant incomplète puisqu'il n'y
eut pas de soeurs pour s'occuper des filles et des femmes.
L'action des frères était également très limitée car il n'yen
avait qu'un seul. Tout cela explique sans doute la lenteur de l'action
missionnaire
qui,
jusqu'à
la
fin
de
notre
période,
n'avait
pu
atteindre
efficacement
qu'un
nombre
limité
de
Sérères
300
environ(2). Ce qui n'était certainement pas négligeable mais pour
une
mission
aussi
étendue
et
compte
tenu
du
nombre
de
catéchumènes potentiels, on pouvait sûrement mieux faire.
1. Horar, XII,
1959, p.?
2.
Ibid.
223
B
-
La
mission
de
Ndiaganiao
(1953)
Contrairement à Bambey qui avait depuis longtemps un noyau
de chrétiens, il fallut partir de rien à Ndiaganiao, où on ne signalait
aucune présence chrétienne avant le début des années 1920. C'est
en effet après la grande guerre que l'évangélisation de ce village a
commencé dans les conditions particulières des années
1920-1940.
Il Y avait toujours en effet un vaste territoire à évangéliser, des
circonstances
défavorables
au
développement de
la
mission,
des
moyens notamment humains insuffisants ...
Dès 1925, alors qu'il n'y avait même pas encore de catéchiste,
il y eut une grande affluence de catéchumènes dans les réunions
convoquées par le père Cosson qui fut le premier apôtre du village.
On vit alors des villages avoir jusqu'à cent catéchumènes(l).
Comme la majorité des résidences, Ndiaganiao est un centre de
dizaines de villages plus ou moins proches. La population y était
homogène puisque mise à part l'escale, tout le reste était peuplé
presque exclusivement de
Sérères.
Compte tenu
de
tant d'intérêt
suscité
par
le
christianisme,
on
peut
donc
penser
que
seul,
le
manque de missionnaires a freiné l'évangélisation, en ses débuts.
Très occupé ailleurs, comme on l'a vu, le père Joseph était
partout et (finalement) nulle part. Sa mission de Ndiaganiao, plus
éloignée
de
la
côte
que
d'autres,
devait
donc
souffrir
particulièrement de ses longues absences.
Pour
surmonter
en
partie
cet
obstacle,
un
catéchiste
fut
envoyé au village dès 1927(2). C'était sans doute alors le meilleur
moyen de maintenir dans le catéchuménat les nombreux jeunes qui
y étaient déjà et que décourageait une mission sans prêtre malgré
ce fait que d'autres missionnaires que le père Joseph y séjournaient
aussi parfois, pour réduire autant que possible
le temps
souvent
très long qui s'écoulait entre deux visites pastorales.
1. Horaf. VI, 1966
p.1O
2. Arch. CSSP 262
A Il
224
C'est le cas du père Walter qui, en compagnie d'un frère Henri,
séjourna à Ndiaganiao en 1927(1). Une chapelle y avait déjà été
construite dès juin-juillet 1926, c'est-à-dire le mois suivant celui de
l'arrivée du catéchiste Léopold Sarr.
Le fils de celui-ci, Aloys Sarr raconte d'ailleurs les débuts de
cette installation qu'il a vécue, tout en notant au passage le rôle de
vrais missionnaires qui était celui des premiers catéchistes : deux
ans avant le départ du catéchiste Léopold et sa famille de leur
village de Mbodiène, "Ndéné Guénane Diouf( ... ) est venu voir mon
père à Mbodiène, pour parler de l'acquisition du terrain où serait
édifiée la mission de Ndiaganiao( ... ). Depuis
1920, Léopold Ndéné
Sarr avait parcouru à pied, seul ou avec le prêtre tous les villages
situés entre Mbodiène et Ndiaganiao pour les évangéliser( ... ). Au
début, beaucoup de gens venaient pour apprendre les rudiments de
l'alphabet et du
calcul"(2).
Très
prometteur
vu
l'intérêt que
ses
habitants
accordaient
au
missionnaire
et
à
son
enseignement,
Ndiaganiao
l'était
moins
pour
les
relations
que
les
"autorités
d'alors "(3) entretenaient avec le représentant de celui -ci. A peine la
construction
de
la
chapelle
terminée,
de
sérieuses
difficultés
survinrent, en effet, entre ces "autorités" et la mission, à propos du
terrain où s'est établie le catéchiste.
Il est dès lors difficile d'imaginer et encore plus de savoir ce
qui
était
convenu
entre
le
représentant
de
la
mission
et
le
propriétaire du
terrain
lors de leur rencontre
à
Mbodiène.
Juste
après la construction de la chapelle et, quelques mois plus tôt de la
maison
du
catéchiste,
le père Joseph,
dans
une
lettre
au
TRP,
annonçait
que
l'administration
faisait
"borner
et
immatriculer
le
terrain avant de passer l'acte de cession"(4).
1. Arch. CSSP
262
A
III. Ce séjour était d'ailleurs consécutif à la prise
en
charge
du
secteur
par
le
père
Walter,
ce
qui
déchargeait
le
père
Cosson de J'Est de sa mission. Il put alors mieux se consacrer à Palmarin
et ses environs, depuis ses missions de Ioal et de Ngasobil.
2. Horar. VI, 1986
pp. 17 -18
3. Ibid,
p.18
4. Arch. CSSP
262
A II
225
Mais
c'était pour
souligner
les
difficultés
suscitées
par
la
naissance
de
cet
acte
quelques
mois
plus
tard(l).
Aussi,
l'immatriculation traîna-t-elle en longueur, créant une vive tension
enCre la mission et le propriétaire (douteux dans le meilleur des cas
selon le père Joseph) du terrain. Ce qui peut paraître surprenant
quand on fait foi aux affirmations des missionnaires selon lesquelles
le chef de canton, Codé Ndiaye, était leur "ami" et que Léopold, leur
catéchiste,
vivait en paix
avec lui(2).
Mais
aida-t-il
peut-être à
régler rapidement le différend qui avant même la fin
de l'année
1927, semble avoir été totalement éteint.
Il ne restait dès lors plus à la mission qu'à régler le problème
essentiel : amener les gens à se convertir. En Janvier 1927 déjà, le
père Joseph annonçait de "bonnes nouvelles" de Ndiaganiao où "80
jeunes gens ont sanctifié le Dimanche pendant l'hivernage"(3). On
était alors bien loin des centaines de catéchumènes du début mais
la période n'était pas particulièrement indiquée pour juger de la
représentativité d'une église en gestation.
La saison des pluies, au début de la mISSIOn, ne pouvait que
constituer un sérieux frein
pour celle-ci, les catholiques vraiment
convaincus et décidés étant les seuls à accepter de "sacrifier"
un
dimanche de culture pour la messe. Ainsi, il n'était pas rare de voir
les
catéchumènes
préférer
se
rendre
aux
champs,
remettant
la
pratique religieuse à plus tard, c'est-à-dire quand l'allégement des
occupations le permettrait. Ni Ndiaganiao, ni Fadiouth, ni Ndianda
où le problème s'était posé avec la même difficulté n'étaient des
exceptions : le repos dominical dont dépendait en partie le succès de
l'évangélisation
ne
devait
être
acquis
que
lentement,
avec
l'évolution
des
mentalités
qui
n'a
été
nulle
part
rapide
et
irréversible.
Mais
l'on ne saurait non
plus
oublier que c'était en plein
hivernage
qu'une
année
auparavant,
bien
plus
de
catéchumènes
avaient répondu régulièrement présents à la messe(3).
---------------------------
1. Arch. CSSP
262 A III
2. Arch. CSSP 262 A III
3. Arch. CSSP 262 A 1I1
226
Il Y avait donc un problème autre que celui-là et qui était
sans
doute
au
moins
aussi
sérieux.
Le
piétinement
de
l'action
missionnaire (voire même son recul) devait d'ailleurs être reconnu
et
justifié
par
les
prêtres
par
"le
manque
de
personnel
missionnaire"(I). Ce qui n'était pas inexact, loin s'en faut, mais qui
était
certainement
assez
court
pour
expliquer
les
problèmes
d'implantation de la religion nouvelle.
Assez replié sur lui-même et gardant intactes
ses traditions
sérères villageoises, Ndiaganiao ne semblait pas prêt à les laisser se
perdre. Aussi, beaucoup de catéchumènes s'en étant rendu compte
après coup, ont simplement préféré tirer leur révérence(2). De fait,
ici comme partout ailleurs, beaucoup ont été attirés vers le prêtre
par simple curiosité et l'intérêt prenait naturellement fin
avec
la
satisfaction de celle-ci.
Quand ils se rendirent compte par la suite de la difficulté du
catéchuménat, c'est-à-dire
de l'accès
au
baptême,
la curiosité se
transformait
facilemen t
en
déception(3).
Cela
explique
que
l'évangélisation fut ici assez lente et Ndiaganiao resta longtemps un
poste de catéchiste.
Jusqu'en 1952, il dépendait ainsi de trois missions qui, l'une
après les autres, la desservaient sans souci apparent de cohérence
dans l'action que n'eut d'ailleurs pas pu facilement permettre une
telle situation.
Rattaché depuis les ongmes à Ngasobil, Ndiaganiao fut repris à
la veille de
la deuxième guerre mondiale
par
le
père
Lalouze
ancien directeur du séminaire et qui était alors à la mission de
Thiès. Dans une lettre au TRP, le père, apparemment satisfait des
résultats
de
son
ministère
indiquait,
en
1939,
que
Ndiaganiao
"mériterait bien des pères et des Soeurs"(4).
1. Horaf, VI. 1966
p.lO
2.
On
comprend
alors
le
très
grand
écart
qu'il
y
a
entre
le
nombre
d'appelés et celui des élus : les centaines de catéchumènes du début de la
mission n'ont donné,
en
1942 soit près de vingt ans plus
tard. que 25
chrétiens : Arch. A.D,
Dossier Ngasobil. 1942.
3. Arch. CSSP
262
A IV
4. Arch. CSSP 264
B V
227
Il Y avait alors 17 baptèmes "au lieu de deux en 1938"(1). Au
même
moment,
une
bonne
quinzaine
d'élèves
catéchistes
étaient
recrutés(2) pour aider à pallier l'absence de missionnaire résident.
Mais cette dépendance de Thiès ne dura pas longtemps. Elle devait
prendre fin avec le début de la guerre. Ngasobil reprenait alors "sa"
mission avant de la laisser, quelques années plus tard, à Diohine(3).
Alors vicaire de Diohine, l'abbé J-B. Ciss célébrait ainsi la messe à
Ndiaganiao de façon plus régulière.
En 1949 , il put écrire après une de ces messes, à Ho r a f :
"Aujourd'hui la messe du Dimanche réunit une centaine de fidèles
dans la petite chapelle en banco qui s'élève modestement sur le
terrain de la Mission. Le travail missionnaire.( ... ) reste(. ... ) surtout
un
travail
de
conquête
vu
le
petit
nombre
de
chrétiens"(4).
Témoignage
sans
doute
édifiant
sur
le
manque
de
percée
du
christianisme.
Pendant un quart de siècle, le piétinement etaIt total et les
effectifs
chrétiens
naturellement
modestes.
Mais
les
progrès
semblent, depuis,
avoir été plus rapides
et constants.
Aussi, les
missionnaires de Diohine pensèrent devoir faire de Ndiaganiao une
résidence dès le début des années 1950.
Aidé du père
Gavaud, l'abbé Ciss
se
dépensa
largement
pour
que
la
préparation
d'une
telle
échéance
se
fît
dans
les
meilleures conditions. C'est alors que Mgr Lefèbvre annonça, dans
son
rapport
quinquennal
de
1950,
de
futurs
fondations
dont
Ndiaganiao qu'il pensait ouvrir "dès que les constructions seront
terminées"(5). Ce village était l'une des quatre missions à fonder
dans le district de Diohine récemment érigé à côté de ceux de
Ngasobil et Kaolack(6), les autres missions étant Bambey, Fatick et
Thiadiaye.
1. Arch. CSSP 264
B V
2.
Ibid.
3. Arch. A.D. Dossier Diohine,
A. 1946
4. Horar, VII - Vlll, 1949
pp.13-14
5. Arch. CSSP
345
Al
6
Ibid.
228
Ces constructions
semblent avoir été retardées puisque c'est
seulement en 1952 que l'autonomie de la mission fut acquise(l). Il
fallut cependant attendre quelques
mois
encore pour qu'en
1953,
l'église fût bénie et officiellement ouverte et détachée de Diohine,
sans
doute
sous
le regard
protecteur de
Marie
Médiatrice, sa
Patronne.
Le curé était alors l'abbé
Joseph
Ciss(2). Celui-ci n'y fit pas
un long séjour. Dans la rubrique "changement dans notre clergé" du
même Horaf qui annonce la nouvelle, on note curieusement qu'il
"doit
abandonner
sa
chère
mission
de
Ndiaganiao
pour
devenir
Vicaire à Saint-Joseph de Médina(3) à Dakar, tandis que
les PP
Baumann
et
Haumesser
vont
s'occuper
du
secteur
de
NDiaganiao"(4).
Dans
l'entendement des missionnaires, ce secteur englobe la
mission
de
Ndiaganiao
proprement
dite
et
celle
de
Thiadiaye,
Ndiaganiao devant être la mission
centrale.
Une
vision
irréaliste
selon le père
Baumann qui en décida autrement(5).
En
1953,
la
tou te
nou velle
mission
résiden tielle
avait
beaucoup à faire. Le constat de l'abbé Ciss de 1949 était plus que
jamais actuel et les termes employés par Mgr Lefèbvre dans son
rapport de
1955 démontrent bien que l'essentiel, pour la mission,
\\restait à faire à Ndiaganiao même : la fondation, quelques années
\\après, continuait encore en effet de s'adresser "à un milieu demeuré
païen"(6) malgré l'islam et la présence depuis
une
génération du
Ilchristianisme. Il s'y ajoute que sa juridiction n'a cessé de s'étendre
depuis
1953.
1.
Horaf, VI, 1986
p.18. Allention cependant à quelques erreurs du récit
: le père Haumesser fut le second curé el non le fondateur de la mission,
comme indiqué dans la revue.
2. A ne pas confondre avec Jean-Baptiste du même nom, son cadet au
moins dans les ordres.
Joseph a en effel été ordonné en
1945 el Jean-
Baptiste 6 ans plus tard.
3. Horaf, 1 - II, 1953
p.22.
4.
Ibid.
5. Infra,
p.23ü
6. Arch. CSSP 345 A 1.
229
Fissel lui était rattaché et le premier curé, l'abbé Ciss, y avait
d'ailleurs
commencé
une
chapelle
qui
prit
cependant
un
temps
particulièrement long à être terminée(l). Cette mission était prise
en charge en même temps que tous les villages situés entre elle et
Ndiaganiao, pendant qu'au Nord, les nombreux villages sérères de
Sandock l'étaient aussi.
En
1955, il manquait toujours cependant à Ndiaganiao une
composante importante de la mission : les soeurs. Celles-ci n'allaient
s'y établir qu'une décennie plus tard.
Quant
aux
frères,
l'exemple
de
He n ri, qui fut des
tout
premiers
évangélisateurs
du
village
où
il
accompagna
les
missionnaires et qui y fit le séjour le plus long, avant le catéchiste,
en construisant la maison de celui-ci(2) n'a été guère suivi : ils ne
devaient pas y être envoyés avant les soeurs ... ni même après.
En
1955
pourtant,
l'évangélisation
avait
progressé.
Les
convertis dépassaient désormais
les
quatre
cents
et l'espoir était
grand d'arriver à multiplier rapidement ce nombre. La majorité des
Ndiaganiaois était en effet restée
"animiste", l'islam n'attirant que
peu de monde (3).
Cet espoir
devait,
malheureusement pour
les
missionnaires,
s'avérer difficile
à
réaliser,
les
"infidèles",
malgré
l'optimisme
affiché par les prêtres, devenant de plus en plus acquis à l'islam. Le
succès restait donc attendu, mais il semblait malgré tout possible.
1. Reprise en effet par le le père Haummesser, la construction ne fut
terminée par son successeur, le père
Bouvet que deux années après
notre période. Cf Horaf, VIII, 1957
p.2.
2. Horaf, VI, 1968
p.18
3.
Un an avant la fondation déjà, ces
"anismistes" étaient de l'ordre de
25.000
pour
2.000
musulmans
et
383
chrétiens.
Arch.
A.D.
Dossier
Ndiaganiao A. 1952.
230
C.
La
mission
de
Thiadiaye
(1954)
Desservie
par
N gasobil
puis
par
Diohine,
la
mission
de
Thiadiaye
est
née
une
année
après
celle
de
Ndiaganiao.
A
la
fondation de celle-ci, Thiadiaye lui fut rattachée le père Baumann
qui y était affecté
avec
le père
Haumesser en remplacement de
l'abbé
Ciss
dont
le
séjour
fut
très
court
en
étant
chargé
tout
spécialement. Il semble cependant avoir passé bien plus de temps
dans sa future mission que dans la mission centrale. Une démarche
de
visionnaire
puisque
Thiadiaye,
à
l'arrivée,
devait
avoir
un
nombre plus élevé de baptisés.
Le desservant, père Baumann, devait en fait s'y installer dès
1953 estimant que le territoire missionnaire qui venait de lui être
confié était à la fois très vaste et bien peuplé pour être desservi de
loin. Il y avait des chrétiens, plus de 20.000 habitants et, comme à
Ndiaganiao,
peu
de
musulmans(l).
Ce
qui
le
recommandait
particulièrement au zèle missionnaire. Aussi, construisit-il une case
sur le terrain de la mission, une construction suivie bientôt d'autres
: une maison plus confortable pour le père et une autre pour les
soeurs.
Parallèlement, une église fut édifiée(2) qui ne manqua pas de
susciter beaucoup de rumeurs. Très
belle et majestueuse dans un
paysage de cases et petits bâtiments à la limite de la modestie, de
surcroît située en
bordure d'une
route
nationale
bien
fréquentée,
elle était réputée être le don d'un "député local"(3).
On
voit
dès
lors
qu'il
n'y
avait
plus
de
mystère
sur
ce
généreux donateur : il s'agissait bien du
député catholique Senghor.
Pour comprendre la gravité de telles rumeurs, il suffit de faire une
incursion dans la vie politique locale. S.F.I.O et élu député avec
Lamine Guèye en 1945 et 1946, Senghor avait rompu avec ce parti
dès
1948et dans sa circonscription, se faisait le
champion de la
défense des sujets français.
1.
Ces
estimations
panent
des
chiffres
antérieurs
à
1953
et
d'autres
postérieurs publiés en décembre 1956. dans Horar, XII
1956
pA
2. Horar, 1V,
1956
p.2
3.
Ibid.
231
Il ne tarda pas à se brouiller avec Lamine Guèye le leader
local le plus puissant d'alors et devait aussitôt fonder son parti : les
élections
de
1951
qui
s'en
suivirent
étaient
marquées
par
une
campagne parfois sanglante au cours de laquelle certains partisans
de
Lamine
Guèye
(candidat
contre
Senghor)
utilisèrent
à
fond
l'arme
de
la
religion,
estimant
que
le
Sénégal,
essentiellement
musulman,
ne
devait
être
représenté
à
l'assemblée
nationale
française par un catholique.
Cette minorité extrémiste ou plus exactement calculatrice ne
fut
pas
écoutée.
Senghor
fut
élu
avec
M.
Abbass
Guéye,
un
syndicaliste musulman et dakarois comme Lamine Guèye grâce en
bonne partie aux musulmans dont les chefs les plus illustres avaient
d'ailleurs appelé a voter pour lui.
Mais la situation restait sans précédent pour ne pas appeler à
la vigilance les missionnaires. C'est ce qui explique qu'ils aient senti
le besoin de remettre les choses à leur juste place : "L'église de
Thiadiaye
est
due
en
grande
partie
à
la
générosité
d'amis
et
bienfaiteurs suisses( ... ). Le gouvernement du territoire
voulut bien
allouer la somme de 100.000 francs(oo.). Nous sommes au Sénégal où
la "politique" est reine( ... ). Et les langues d'aller leur chemin et les
détracteurs
d'affirmer
que
c'est
l'oeuvre
de
tel
député
local
!
Rassurons-nous( ... ) les donateurs peuvent être légitimement fiers de
cette
"cathédrale"
plantée
au
coeur
du
pays
sérère
et
due
uniquement
à
leur
générosité"(l).
Construite
en
1955,
l'église
n'allait cependant être inaugurée qu'en
1956, quatre mois après la
fin de notre période(2). Mais déjà une nombreuse chrétienté avait
été convertie par le P. Baumann(3).
Le succès était tel que presque tous les villages dépendant de
la mission étaient pourvus de chapelles. Certains en avaient même
deux ou plus. Des dizaines de catéchistes en étaient chargés. Ces
chapelles étaient alors au nombre de 63, dont "5 en dur et 58 cases-
chapelles"(4) couvrant le centre et le reste de la mission. Quant à la
case
chapelle
du
début,
elle
servait
d'école
catéchistique"(5)
instituée par le père.
1. Horaf, XI
1956
pA
2.
Ibid.
3. En 1956. elle était estimée à 2000 chrétiens et 1000 catéchumènes ce
qui
dépassait déjà quatre
fois
les
effectifs de
Ndiaganiao
- Horaf,
XII,
1956
pA
4. Horaf, XII,
1956
pA
5.
Ibid.
232
Malgré l'étendue de sa mission et le très grand nombre de
villages qui la composaient, le père Baumann consacrait à chacun
d'eux une visite "5 à 6 fois par an"(1). Mais l'apostolat de base
réalisé par les catéchistes demeurait irremplaçable. Le résultat de la
pastorale est parfois étonnant, comme ce fut le cas en Mai 1955 où
"plus de cent adultes" reçurent le baptème(2).
Pour y arriver, il
y avait certes l'action énergique du père qui
rappelait le père Joseph par bien des aspects de sa démarche. Mais
il y avait aussi sans doute le désir immense de villages entiers de
devenir
chrétiens.
A cheval entre le Diéghem et le Sine, Thiadiaye est sans doute
l'un des villages sérères où s'affirmaient le plus les contradictions
de la société, mais aussi ses
valeurs et ses réalités
immuables.
Comme à Fadiouth,
il
ne fallait pas
s'attendre ici
à une demi-
acceptation ou à un refus mitigé de la religion.
Le Diéghem a
toujours eu
une position claire et souvent largement partagée sur
les grands problèmes du monde, un comportement qui est peut-être
né de cette conscience de vie commune tissée à travers les âges par
les épreuves que lui valait son désir d'indépendance.
A la fin du XIXe siècle, cette position unanime s'était déjà
exprimée a travers un appel sans conviction des missionnaires suivi
d'un refus non moins unanime de la religion.
Le rejet de l'islam fut aussi largement partagé pUIsque même
jusqu'à la fin de notre période, les quelque 3000 musulmans du
secteur de la mission étaient signalés comme "résidant en grande
partie dans l'escale même de Thiadiaye"(3). Ce qui prouve bien que,
même rejeté,
l'islam
demeurait
solide et conquérant,
les
escales
étant
toujours
les
premières
à
être
islamisées.
Les
musulmans
étaient
cependant
souvent
étrangers
au
pays.
Mais
J'islam
s'est
réveillé en
même
temps
que
le
christianisme
et
recrutait
assez
largement.
1. Horar, V, 1967
p.3
2.
Ibid.
3. Horar, XII, 1956
pA
233
Après la fondation il ne restait plus qu'à installer les oeuvres,
ce qui ne devait plus tarder, la mission ayant tenu à le faire, en y
établissant les soeurs du
Saint-Coeur de .Marie presque en même
temps que le prêtre(l).
L'action qu'elles menèrent en direction des femmes contribua
fortement à l'évangélisation comme partout ailleurs où elles ont une
communauté.
Mais
elles
n'étaient
alors
ni
enseignantes,
ni
hospitalières.
Aussi,
y
dépêcha-t-on
les
soeurs
de
Saint-Charles
d'Angers
deux
années
plus
tard
afin
qu'elles
s'occupent
du
dispensaire
et
de
l'école
que
nécessitait
une
chrétienté en
nette
croissance(2) .
Quand on sait que certaines missions comme
Ndiaganiao et
Bambey n'avaient encore eu aucune communauté de religieuses, on
comprend aisément la priorité qu'était devenue Thiadiaye.
Les soeurs européennes déchargeaient ainsi les filles du Saint-
ICoeur de
Marie du
dispensaire qu'elles
tenaient(3),
leur donnant
plus de latitude pour leur oeuvre de prédilection : la formation des
lfilles
et des
femmes
sérères à leurs charges
de
bonnes épouses
!capables de s'occuper de foyers réellement chrétiens.
1. Horaf. XII, 1956
pA
2.
Ibid.
3. Arch. CSSP
345 A
VI
234
D
.
La
mission
de
Kaffrine
(1955)
Contrairement
aux
autres
missions,
Kaffrine
n'a
pas
particulièrement
attiré
l'attention
des
missionnaires
avant
le
début
des années 1950.
Coin perdu et très peu peuplé, il faisait juste l'objet de vIsites
de la part des
prêtres de la mission
Saint-Théophile de
Kaolack,
dans le cadre de leurs tournées missionnaires qui les menaient de
l'Est de cette ville aux confins de Kédougou(l).
Kaffrine, même en plein développement de Kaolack, était resté
un bourg sans grand intérêt pour les Spiritains de l'époque qui se
souciaient tellement de la grande étendue de leur rmSSlOn qu'ils ne
"pouvaient
s'attarder
que
dans
les
centres
d'une
certaine
importance"(2).
Or, ce sont les centres d'une certaine importance économique
qUi attiraient le plus les populations.
Kaffrine en devint rapidement
un, en cette fin
des années
1940. grâce notamment au chemin de
fer qui
le traverse mais aussi
au
développement de
la culture de
l'arachide qui fut largement servi
par les vastes étendues de terres
fertiles
de
la
région.
Le
train
a
vapeur,
qui
nécessitait
le
recrutement
d'une
main
d'oeuvre
locale
amena
tout
d'abord
des
"étrangers" à s'établir à Kaffrine et le peuplement, depuis, n'a cessé
d'augmenter(3).
Lorsqu'en
1954 le conseil général de la mission
décidait du
transfert
de
la
station
de
Kaolack
aux
missionnaires
du
Sacré-
Coeur( 4) il était déjà question de faire de Kaffrine une résidence, le
village étant désormais
un centre économique secondaire important
et peuplé.
1. EMCLR
D17
2. EMCLR
Dl7
3. ECHL
D91
4.
Bulletin
de
la
Congrégation
du
Saint-Esprit.
1953-1954
p.363.
235
Jusque-là,
les
missionnaires
desservant
Kaffrine
venaient
toujours
de
Kaolack
ce qui
implique que
la christianisation
était
étroitement liée à celle de cette ville et de ses autres dépendances.
Les tournées devinrent de moins en moins rares, au fur et à
mesure que s'amélioraient les moyens de communication et que se
multipliaient
le
nombre
de
prêtres.
Mais
à
aucun
moment,
elles
n'ont pu se faire plus d'une fois par moise 1).
Le "mauvais état des routes" mais aussi sans doute l'étendue
de la mission ne permettaient pas des visites plus rapprochées(2). Il
y
avait
aussi
les
difficultés
propres
au
pays,
et
qui
étaient
particulièrement
sensibles
dans
cette
région
"dans
le
Ndoucoumane, en effet, il était rare de voir des personnes acceptant
de
se
convertir
au
christianisme,
l'islam
y
étant
déjà
largement
répandu "(3).
Le
faible
peuplement
du
pays,
qui
favorisa
largement
l'immigration
et
l'installation
durable
et
efficace
de
l'islam
ne
pouvait
que
constituer
un
frein
seTleux
à
la
conversion
des
autochtones à la religion chrétienne. Aussi, l'essentiel des chrétiens
étaient-ils originaires "d'autres régions du pays"(4).
Etablies à Kaffrine même ou dans les villages environnants, les
chrétiens,
en
partie
sérères,
suivaient
la
messe
en
wolof
et
constituaient
une
communauté
très
réduite
pour justifier vraiment,
à elle seule, l'établissement d'une mission. Mais ici plus qu'ailleurs,
on avait compté avec l'avenir économique et humain de la mission
et de ses dépendances.
Il faut sans doute souligner le fait que Kaffrine est l'une des
rares
missions
de
la
périphérie
à abriter des
minorités
ethniques
chrétiennes plus importantes que les autochtones.
1. ECHL 091
2. EMCLR 017
3. EM 087
4. EM 087
236
A côté des Mandjacks et Diolas, qui se rencontrent dans toutes
les
missions des
villes,
il y avait d'autres
groupes
plutôt rares,
ailleurs : les Bambaras et les Cognaguis(l).
Ce caractère "cosmopolite " de la mission justifiait l'emploi du
wolof, langue trait-d'union et l'absence du sérère dans les offices.
Bien peu chrétien
à la
fondation
et donnant peu d'espoir de le
devenir
vraiment
Kaffrine
était
cependant
de
ces
endroits
"stratégiques" tant convoités par les pères du Sacré-Coeur.
Le centre de plus en plus important de Koungheul n'était qu'à
une
centaine
de
kilomètres
de
la
mission
et
il
appartenait
au
missionnaire d'y dire mensuellement la messe(2).
Kaffrine
était
ainsi
mieux
placé
pour
desservir
d'autres
villages importants : Diamaguéne situé à 20 km, Bondié, à quelque
40 km, Boule à 22 km... Bien situé sur l'axe Kaolack - Tambacounda,
il pouvait en même temps être le relais entre la mission centrale et
l'Est, facilitant ainsi les tournées vers cette région lointaine.
L'intérêt majeur qui se dégage de l'étude de la fondation de
Kaffrine
c'est
sans
doute
cette
gestion
de
l'espace
que
devait
inventer
une
mission
démunie
du
point
de
vue
du
personnel
missionnaire.
Il y avait certes
le renfort apporté par les pp du
Sacré-Coeur à la
"mission du
Sine-Saloum"
mais
les
besoins en
personnel
n'ont jamais
pu
être
satisfaits,
du
fait
de
l'extension
continue du territoire mi ssionnaire.
Ce renfort était cependant
bien appréciable d'autant que les
nouveaux
venus, les pères du
Sacré-Coeur, semblent avoir rompu
avec
la
"prudence"
habituelle
des
Spiritains.
Les résultats
de la
mission sont à cet égard édifiants, avec les fondations relativement
nombreuses
en
quelques
années,
qui
ont
suivi
la
fin
de
notre
période(3).
1.
Les
Cognaguis
sont
un
petit
groupe
ethnique
peu
mélangé
à
la
population
sénégalaise
(ce
qui
expliquerait
qu'il
ait
ici
échappé
en
partie à l'islamisation) et originaire de
Guinée (Conakry).
2. Harar, XI, 1978 ECHL
091
3. Supra, p.170
237
Kaffrine
était
naturellement de ces
fondations
faites
en
un
laps de temps si court par les pères du Sacré-Coeur. Il fut, en même
temps, le point de départ d'autres fondations. Son
intérêt, c'est qu'il
ne s'est pas contenté d'être une "mission-relais"
mais,
bien plus,
celle par laquelle, directement ou indirectement,
d'autres missions
devaient voir le jour. Pour une "mission secondaire" éloignée de la
mission centrale (Kaolack), le fait mérite d'être souligné.
GEOGRAPHIE DES FONDATIONS
MAURITANIE
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Bambey.
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D. SENE
239
EVOLUTION CHIFFREE DE LA CHRISTIANISATION
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240
DEUXIEME
PARTIE
LA
STRATEGIE
MISSIONNAIRE
241
CHAPITRE PREMIER
LES OEUVRES MISSIONNAIRES
Des
oeuvres
missionnaires,
nous
écartons
les
actions
humanitaires
liées
à la question de
l'esclavage,
ce
problème
ne
s'étant vraiment pas posé pour la mission chez les Sérères. L'abbé
Boilat le remarquait d'ailleurs au milieu du XIXè siècle à propos du
Diéghem : "Seule au milieu des nations qui l'environnent, la petite
république de Ndiéghem regarde l'esclavage comme un crime", ce
qui explique "le juste et sévère châtiment qu'ont eu à subir parfois
parmi
eux
les
chasseurs
d'hommes
que
ces
peuples
libres
ont
toujours en abomination et en horreur"(l).
Plus récemment, un rapport du résident de Toul à l'intention
de l'administrateur du cercle de Thiès confirmait cette affirmation
de Boilat près d'un demi siècle après. Il y a trois catégories de
captifs dans le Baal: "Les captifs de la couronne, les captifs de case
et
les
captifs
ordinaires"(2).
Les
premiers
parce
que
faisant
"absolument
partie
de
la
population
indépendante" (3)
n'étaient
donc pas des captifs. Pas plus que "les captifs de case" qui ne sont
pas non plus considérés comme des captifs. Ils "sont partie de la
famille"(4).
Quant
aux
captifs
ordinaires
c'est-à-dire
les
vrais
captifs, "il n'yen a pas chez les Sérères"(5).
Ainsi,
"l'esclavage n'existe à aucun
titre dans les provlOces
sérères.
Les
Sérères
qui
habitent
le
pays
depuis
des
siècles
répugnent à toute idée d'esclavage"(6). Seuls, les Sérères du Sine
étaient,
toujours
selon
ce
dossier
de
1902,
signalés
comme
possédant des captifs mais par un administrateur sans doute moins
averti que celui du Baol. Mais il s'était, quand-même à sa décharge,
empressé d'ajouter: "les captifs et les maîtres sont tellement mêlés
ensemble qu'on ne les distingue pas"(7).Le problème de l'esclavage
ne pouvait donc pas se poser pour la mission.
1.
Esquisses
sénégalaises. Op. cil.
pp.9D-93
2. A.N.S. K 27 - 2
3.
Ibid.
4.
Ibid.
5.
Ibid.
6. A.N.S. K 27 - 3
7.
Ibid.
242
Peut-être
est-ce
dû
au
fait
qu'au
moment
où
celle-ci
commençait, la traite avait déjà été abolie et bien que cela n'a pas
suffi à la faire disparaître( 1), c'était largement suffisant pour inciter
un pays qui pour l'essentiel ne la pratiquait pas à ne pas s'y laisser
entraîner. Il est vrai que l'établissement de la mission sur la côte
où se faisait la traite et qui fut très tôt intégrée à la colonie a pu
jouer
un
rôle
dans
l'abolition
effective
de
celle-ci
avant
notre
période et dissuader efficacement ceux qui, dans le pays, pouvaient
être tentés de s'enrichir par le commerce de leurs semblables.
Car
ceux-là
ne
semblent
pas
aVOIr
manqué,
bien
que
l'esclavage
en tant qu'institution fut
en
fait
impraticable.
Il
s'y
ajoute que dès la fin des années 1830, la dynamique missionnaire
"jusqu'ici "dissociée" de la lutte contre l'esclavage était désormais
confondue avec elle, sous l'impulsion de Libermann(2).
La forme d'esclavage qui persista en pays sérère ne concernait
alors
que
des
membres
d'autres
communautés,
des
Diolas
généralement
enlevés
de
leur
pays
par
des
Soc é s
groupés
en
quelq ues
villages
dans
les
centres
sérères
de
la
Petite-Côte(3).
Quelle incidence a pu avoir cette situation sur l'évangélisation? Il
est certain qu'elle n'a influencé ni négativement ni positivement la
chris tianisation.
Les Socès étaient déjà islamisés ; ils ne s'intéressaient pas aux
missionnaires et rien de ce qui
leur est proche
ne
pouvait être
évangélisé.
Arrivait-il
seulement
qu'un
esclave
échappât
à
ses
maîtres socés pour se réfugier à la mission de Ngasobil. Les cas
étaient rarissimes d'ailleurs, la conversion des fugitifs aussi(4). Les
oeuvres étaient donc "classiques".
1.
P.
Brasseur:
De
la
traite
à
l'esclavage.
Actes
du
colloque
international sur la traite des Noirs. Nantes 1985. C.R.H.M.A. - S.F.H.O.M.,
1988
p.336.
2.
Ibid.
3.
Missions
catholiques, 1890
p.182
4.
On peut noter quelques cas : le baptême aux environs de
1890 d'un
esclave
"arraché
aux
mains des
Socés"
(en
fait
leur
ayant
échappé)
à
Ngasobil ; au même moment, un esclave lui aussi échappé et baptisé plus
tard
du
nom
de
Benoît était signalé comme ayant
demandé
à entrer au
séminaire
- Missions
catholiques
1890
p.183.
Ils étaient tous Diolas,
comme
d'ailleurs
l'esclave Raphaël
venu
de
Casamance
on
ne
sait
trop
dans quelles circonstances, qui
fut
postulant des
frères
de
Saint-Joseph
Horaf, n0202,
1961l
pA. Il ne semble pas
qu'ils aient persévéré.
243
Il
existait
cependant
deux
situations
que
l'on
rencontra
longtemps en pays sérère : la question des griots et celle des clans.
Définis comme des parias par les missionnaires, les griots sont
une caste dite inférieure, relativement peu nombreux dans le pays.
Leur
rôle
y
était
pourtant
important
puisqu'ils
conservent
sa
mémoire et donnent vie à ses traditions.
Tout à la fois historiens et généalogistes, communicateurs et
maîtres de cérémonie, ils sont, en définitive si indispensables à la
société
qu'aucune
communauté
organisée
ne
devait
pouvoir
se
passer
d'eux.
Mais
leur
rang
social
effectivement
"inférieur"
implique qu'ils ne pouvaient jouer un rôle dans l'évangélisation que
quand ils étaient nombreux.
La
situation
évoquée
de
Diohine( 1)
est
donc
un
exemple
unique dans tout le pays. C'est sûrement parce qu'ils avaient ainsi
un excès de loisirs qe les griots ont été les premiers à fréquenter la
mission. Car généralement, les griots n'avaient ni religion, ni opinion
se rangeant toujours derrière celles du milieu dont ils étaient les
serviteurs.
La faiblesse de leur nombre facilitait une telle situation qui
n'a d'ailleurs pas
manqué de faire d'eux
la dernière cible de la
mission celle-ci n'ignorant pas, avec ou sans l'exemple de Diohine,
que son intérêt était de chercher à se concilier le plus grand nombre
et, si possible, ce qu'il recèle en personnes influentes.
En
tout
état
de
cause,
il
n'y
eut
nulle
part
le
moindre
problème griot dans la mission avant comme après
1928, d'autant
que ce seraient les griots eux-mêmes qui eussent tOllt fait pour qu'il
n'existe pas.
1. Supra, p.ISI sq
244
Derrière leur communauté et au service de ses membres,
individuellement, ils ne pouvaient être ni les plus empressés, ni les
moins décidés quand celle-ci avait fini de prendre ses résolutions.
Quant aux conversions individuelles, elles n'ont certes jamais cessé
d'être importantes mais les griots ont souvent été les derniers à s'y
engager, pour une raison toute simple : le chritianisme tel qu'il est
enseigné tendrait à leur éradication en tant que classe sociale ce à
quoi ils ne pouvaient que s'opposer puisqu'ils trouvaient dans leur
état la situation confortable d'une minorité entourée de toutes les
attentions.
Une sécurité intéressante que leur enviaient bien des sinig et
qu'il pouvait paraître illusoire de transformer en "liberté" sans, au
préalable,
modifier profondément l'ensemble des
structures
de
la
société rurale.
Ce qui reviendrait à entreprendre de déplacer des
montagnes.
Les clans pouvaient aussi être un frein à l'évangélisation mais
dans les faits, il en est allé autrement. D'apparence hermétiques, ils
sont en réalité très ouverts du fait d'abord du double lignage et de
la solidarité villageoise ensuite.
De plus, à l'intérieur même du clan, la notion de liberté est
très étendue. Et depuis l'installation coloniale, la monétarisation des
échanges et la découverte d'une nouvelle notion de propriété ont
assigné au clan une fonction nouvelle décisive : alors que jusque-là
celle-ci était de gérer la sécurité, le clan devint le gestionnaire du
bien commun et d'une solidarité résiduelle, limitée aux problèmes
les plus courants de la société moderne.
En dehors de son rôle de
trait
d'union
social, le clan n'avait
dès lors plus aucune fonction pouvant limiter la liberté individuelle
et
de
conscience
de
ses
membres.
Du
coup,
les
freins
à
l'évangélisation étaient ceux que la
société globale
y a mis et non
plus son mode d'organisation.
245
I. LES OEUVRES SOCIALES
A.
L'action
en
faveur
de
l'enfance
Née
avec
la
mission
dans
le pays,
l'action
en
faveur
de
l'enfance, en dehors de l'éducation traitée un peu plus loin et des
secours et autres aides ponctuels et très isolés apportés parfois à
des enfants(l), concernait es sentiellemen t les orphelinats.
Ceux-ci ont été installés à Ngasobil resté, comme on le sait,
pendant longtemps le centre de la mission chez les Sérères. Il y en
avait
deux
pour
garçons
et
filles
et
l'importance
qui
leur
fut
accordée au début était grande sans doute parce qu'ils permettaient
d'atteindre, en une seule et unique action, deux buts essentiels de
l'évangélisation : d'une part accomplir ce devoir de charité chère à
l'Eglise
et
d'autre
part
se
ménager
la
"chance"
d'avoir
des
collaborateurs,
religieux
ou
laïcs,
dans
l'immense
travail
apostolique.
Accessoirement, il était aussi question pour les missionnaires
d'avoir à leur disposition les bras nécessaires aux différents travaux
d'entretien de la mission centrale. L'orphelinat des garçons semble
avoir, jusqu'à la fin du XIXe siècle, rempli certains des objectifs qui
lui étaient assignés. Si en effet les prêtres n'étaient pas nombreux à
en être
issus,
les catéchistes, en revanche,
semblaient l'être
"en
grand nombre"(2).
La philosophie officielle qui guidait la mission en dehors du
devoir de charité était fort simple : l'aide à l'enfance devait rester
une des
priorités de l'Eglise et en particulier de sa Mission
qui
comptait sur les enfants pour s'enraciner et gagner du terrain.
1.
Ces
secours
étaient
multiples
et
allaient
du
simple
bonbon
aux
vêtements
offerts,
dans
le cadre de l'évangélisation
ou
non.
Bien que
la
mission
s'en
défende,
de
telles
pratiques
avaient
bien
cours
mais
n'ont
été
en
fait
que
d'importance
très
négligeable
tant
dans
la
stratégie
missionnaire
que
par
leurs
résultats.
2.
Arch. OPM
G 07494.
246
Cet objectif semble avoir été
le plus déterminant de tous.
Vivant
du
strict
minimum
et
sollicités
de
toutes
parts,
les
missionnaires
n'avaient
pas,
de
toute
façon,
les
moyens
d'une
charité gratuite. Aussi, au moins pendant la majeure partie de notre
période, toutes leurs actions dans le cadre des orphelinats ont obéi à
cette nécessité de sauver des enfants au double plan physique et
spirituel.
Pour cela, il y eut le concours de l'oeuvre
de
la
Sainte-
Enfance(l) qui, par des allocations annuelles, venait au secours des
missions.
Mais
les
concours financiers
de
cette
institution,
bien
qu'indispensables
à
l'oeuvre(2),
étaient
nettement
insuffisants.
Il
fallait donc
trouver
sur place et par
appel
à
des
donateurs
en
Europe les moyens de faire face aux charges de dizaines d'enfants.
C'est ainsi que les orphelins eux-mêmes furent sollicités. En
mettant
en
pratique
les
métiers
qui
leur
étaient
enseignés
de
blanchissage,
couture,
broderie(3)
surtout
pour
ce
qui
est
de
l'orphelinat des filles de Kaolack, né près d'un siècle après ceux de
Ngasobil,
dans
les
années
1930 et
en
s'appliquant
aux
travaux
manuels de la culture, de la menuiserie, de la maçonnerie pour les
autres, les orphelins contribuaient ainsi
à
trouver les
moyens de
leur propre entretien.
C'était d'ailleurs là une caractéristique majeure de l'orphelinat
il
fallait
non
seulement
apprendre
un
métier
mais
encore
contribuer,
par
sa
mise
en
pratique,
"à
alléger
les
frais
d'entretien "(4). Les filles de Kaolack(5), en vendant leurs broderies
et
les
vêtements
fabriqués
dans
les
ateliers
de
l'orphelinat,
procuraient
à
la
mission
des
moyens
financiers
supplémentaires
parfois
appréciables.
1.
L'Oeuvre
de
la
Sainte-Enfance
est
l'une
des
trois
oeuvres
d'aide
aux
missions
qui
intervcnaicnt
au
Sénégal.
Créées
au
XIXe
siècle
et
domiciliées
à
Rome
même,
elles
ont
pour
mission
:
le
financement
d'oeuvres
destinées
à
l'enfance
les
orphelinats,l'éducation
et
les
dispcnsaires
en
particulier
pour
l'oeuvre
de
la
Sainte-Enfance
;
l'aide
aux
séminaires
pour la
promotion du
clergé
indigène
pour l'Oeuvre
de
Sai nt· Pie r r e - A P Ô t r e
une
intervention
plus
générale
pour
le
développement
des
missions
pour
les
0 eu v r e s po n t i fi cal es
missionnaires.
2. Arch. CSSP
261
A
III
3. Arch. CSSP
261
A III
4. Arch. CSSP
261
A III
5. Il
n'y
avait
ICI
qu'un orphelinat pour les filles ouvert et tenu
par la
congrégation
des
soeurs
de
l'Immaculée
Conception.
247
Quant aux orphelins de Ngasobil, leurs cultures et les divers
travaux qu'ils effectuaient dans la mission avaient la même finalité,
tout
en
déchargeant
le
budget
de
l'établissement
de
certaines
dépenses
d'entretien
et
même
de
construction.
Une
autre
contribution
venait
également,
à
côté
des
"dons
particuliers
et
diverses oeuvres"(l), du concours du gouvernement.
Celui-ci était
souvent fonction du nombre d'enfants que la colonie confiait aux
missionnaires.
Il arrivait en effet que le gouvernement ait sur les bras des
enfants qu'il
rachetait
par des
intermédiaires
à
des
Maures
qui
pratiquaient largement l'esclavage, ou que ces enfants, ayant réussi
à échapper à leurs maîtres, demandent la protection des autorités
coloniales. Ils étaient alors
"libres de
plein droit sans qu'il soit
besoin
de
constater
cette
liberté
par
une
patente
ou
charte
q uelconq ue" (2)
dès
qu'ils
avaient
réussi
à
gagner
le
territoire
français.
Une autre situation était celle des enfants meUs abandonnés
par leurs pères retournés en Europe et ayant perdu leur mère ou
que celle-ci fût dans l'impossibilité de les entretenir.
Mais
puisqu'il
fallait
toujours
s'en
occuper,
on
en
confiait
certains
à
la
mission
moyennant
une
contribution
de
l'administration
à
leur
entretien.
Cette
contribution
prenait
généralement
la
forme
d'une
subvention
financière
à
la
mission
dont le montant pouvait dépasser les frais ainsi occasionnés mais il
semble plutôt qu'il fut souvent proportionné à ceux-ci(3). En tout
état de cause,
cette oeuvre ne fut pas
des
plus importantes,
le
gouvernement
lui-même
s'étant
tardivement
intéressé
à
cette
question des orphelins(4) et le problème de l'esclavage des enfants
s'étant peu posé depuis la fin de la "pacification".
I. Arch.
CSSP
261
A
III
2. A.N.S.
K 27 - 12
3. Arch. CSSP
264
BV. En 1891 le gouvernement de la colonie n'octroya
ainsi
que
juste
ce
qu'il
fallait
pour
l'entretien
des
seuls
métis
de
l'orphelinat,
estimant
sans
doute
qu'eux
seuls
relevaient
de
sa
responsabilité.
4.
Dès
le début
du
siècle en effet
l'interdiction
faite
aux
fonctionnaires
d'emmener
leurs
femmes
aux
colonies
ayant
été
levée,
prirent
progressivement
fin
les
"mariages
à la
mode
du
pays"
qui
étaient
à
l'origine de
cette situation.
248
Autant dire que les moyens n'étaient pas au rendez-vous(1) et
l'oeuvre se maintenait grâce aux sacrifices des missionnaires certes,
mais aussi des orphelins eux-mêmes. Les conditions de vie de ces
derniers n'étaient pas
des
plus
douces
mais
il
est difficile
d'en
imputer la faute à des missionnaires qui
n'étaient pas eux-mêmes
bien gâtés.
Les
difficultés
étaient
telles
qu'il
fallut
même
fermer
l'orphelinat au début de la grande guerre, dès novembre 1914. Les
orphelins furent dès lors confiés à certaines missions qui pouvaient
en accueillir ou plus souvent rendus "à leurs familles"(2). Mais ils
étaient devenus comme indispensables à la mission et cette mesure
ne pouvait trop durer.
L'orphelinat
fut
rétabli
à
N gasobil
mais
ne
semblait
plus
devoir
vivre
comme
avant.
Les
missionnaires
devenaient
plus
sélectifs dans leur accueil et tout se passait en même temps comme
SI certains d'entre eux ne voulaient plus en entendre parler.
C'était-là, en tout cas, le sentiment d'un défenseur acharné de
l'oeuvre, le père Le Douaron qui, à la veille de la seconde guerre,
écrivait au TRP: "il se trame quelque chose contre l'orphelinat... Il ne
reste plus que 28 enfants, à peine ce qu'il faut pour le service d'une
aUSSI grande mai son" (3).
Jardiniers,
ouvriers
et serviteurs,
les orphelins
étaient donc
aussi utiles à la mission que celle-ci ne le leur fut. Ainsi, ce seraient
en
partie
les
conditions
même
de
leur
séjour
à
Ngasobil
qui
déterminaient si négativement les orphelins à servir efficacement la
mission après l'avoir quittée.
1. La mission du pays sérère fut en effet des plus démunies. A part Thiès
(qui vivait à peu près du produit de ses cultures) et Dakar (où le casuel
était
relativement
élevé)
d'ailleurs,
aucune
autre
mission
n'arrivait
à
produire
le
minimum
nécessaire
pour
vivre
(Arch.
CSSP 261 A III)
dans
un
contexte où
il
restait
exclu,
depuis
les
lois
de
séparation
de
l'église
et
de
l'Etat
et
avant
même
les
mesures
de
laïcisation,
que
le
gouvernement
prenne
en
charge
le
financement
de
la
mission.
2. Arch. CSSP
264 B III
3. Arch. CSSP
264 B III
249
Les missionnaires leur reprochèrent ainsi souvent de préférer
la
vie
du
monde
au
service
de
l'Eglise.
Mais
étaient-ils
bien
préparés
à
ce
service
?
Il
semble
que
non.
La
trop
grande
application des enfants aux travaux durs de la mission de Ngasobil
laissait peu de place à une sérieuse instruction. Ils ne pouvaient
donc pas toujours saisir toute la dimension de l'oeuvre et sa finalité.
De plus, ces enfants n'étaient pas les seuls responsables de leur
manque d'engagement religieux. Autant que chez eux, il y avait le
meilleur et le pire chez certains de leurs précepteurs. Les craintes
du
père
Le
Douaron
mentionnées
ci-dessus
semblent
bien
le
prouver.
L'attitude des soeurs de l'Immaculée Conception de Kaolack
aussi
: en posant pour principe intangible l'impossibilité pour les
orphelines
de
fréquenter
l'école
d'enseignement
général
de
la
mission, elles
barraient ainsi consciemment la route du
savoir-et
peut-être du service de l'Eglise - à ces filles, réduites à n'être que
des femmes
au foyer dont l'engagement religieux ne pouvait que
dépendre des dispositions de leurs maris.
Dans ces conditions, il n'est pas très étonnant que l'oeuvre qui
comptait à Ngasobil, depuis sa création, des dizaines et parfois plus
d'une centaine de pensionnaires(1) soit finalement si pauvre qu'en
1935, elle ne s'occupait plus que de 35 enfants et moins en 1938.
Elle n'a d'ailleurs cessé, depuis, de perdre de l'importance et finit
même par disparaître pour ce qui concerne les garçons avant la fin
de
notre
période(2),
les
enfants
qui
s'y
trouvaient
encore étant,
comme ce fut le cas en 1914, confiés à des familles chrétiennes ou
aux
missionnaires
qui,
individuellement,
ont
tenté
de
perpétuer
l'oeuvre en accueillant et en entretenant "quelques garçons"(3).
Cela se passait dans les années 1940, à l'époque de l'expansion
missionnaire
qui
préparait
les
fondations
du
début
des
années
1950. Les prêtres semblaient ne plus avoir le temps de s'occuper
d'orphelinats
au
moment
où
la
demande
de
missions
était
sans
précédent
sans
qu'ils
aient
les
moyens
d'y
faire
face.
Le
développement de la mission a donc curieusement eu raison d'une
oeuvre dont l'importance dans l'évangélisation fut jugée grande.
1. Arch. CSSP
261 A III
2. Arch. CSSP
345 A VI
3. Arch. CSSP
345 A VI
250
Seules les filles conservaient leurs orphelinats à Ngasobil et
Kaolack. L'ensemble des orphelinats de la mission - y compris les
deux du pays
sérère-
totalisaient alors
177
filles( 1).
Chiffre qui
dépasse à peine les
seuls effectifs
de Ngasobil
au
temps
de la
splendeur de
l'oeuvre.
Il
est vrai
que déjà,
les
priorités
de
la
mission commençaient à changer. Le départ des jeunes pour la ville
où ils éprouvaient désormais le besoin de se rendre pour chercher
du
travail
devint
en
effet,
dès
après
la
guerre,
une
nouvelle
préoccupation pour les missionnaires.
D'abord pour ceux des
villages de ces jeunes qui voyaient
leurs
efforts risquer d'être anéantis
par les
conséquences parfois
dramatiques
de
l'exode
et ensuite
ceux
des
villes
d'accueil
où
l'environnement
urbain,
essentiellement
musulman,
ne
leur
semblait guère favorable à leur maintien dans le christianisme. De
plus, l'orphelinat avait cessé d'avoir ce caractère tragique lié à la
situation précoloniale
où
les
guerres
interminables
décimaient
les
populations.
La mission, enfin, croyait devoir renforcer les oeuvres qu'elles
estimaient plus essentielles et moins dissociables de son action : les
oeuvres médicales et l'enseignement. Le nombre toujours croissant
des postes qui appelaient à chaque fois la fondation de ces oeuvres
ne
cessait
d'augmenter.
Aussi,
les
orphelinats
qui
ont
prospéré
avant
le
développement
des
fondations
devenaient
assez
secondaires,
d'autant que
leur
impact
sur
l'évangélisation
restait
discutable. Ce qui ne pouvait être le cas de l'enseignement.
Quant aux
oeuvres
médicales,
parce
qu'elles
touchaient
un
nombre infiniment plus important de personnes, elles étaient mieux
à même d'incarner plus efficacement la charité missionnaire.
Très mal connus des populations. qui n'y ont pas eu un intérêt
direct, les orphelinats ne pouvaient, en effet, être vraiment utiles à
l'oeuvre
d'évangélisation
que
dans
la
mesure
où
ceux
qUI
y
séjournaient
pouvaient
eux-mêmes
lui
être
pleinement
utiles.
Puisque cela n'a pas toujours été le cas, leur interêt missionnaire ne
sembait plus s'imposer.
1. Arch. CSSP 345
A
VI
251
Dès
lors
l'orphelinat
cessait
d'être
considéré
comme
une
oeuvre
pastorale
et
quitta
d'ailleurs
le
terrain
de
la
mission
proprement dit pour, comme beaucoup d'autres oeuvres, trouver un
champ particulièrement fertile à Dakar. Depuis les problèmes de la
mission
avec
l'administration,
qui
ont
conduit
en
1904
les
missionnaires à quitter ( très momentanément) l'hôpital, les soeurs
de Saint-Joseph de Cluny tenaient leur orphelinat qui leur a si bien
donné de satisfaction qu'elles en ouvraient, en 1950, un autre à la
Médina,
un quartier populaire de Dakar ce qui
était plus qu'un
symbole, au moment où se fêtait la béatification de la fondatrice,
Mère Javouhey.
C'est dans un contexte à peine différent qu'est née à Dakar
une
oeuvre
voisine qui
était
promue
à
un
avenir
certain
: la
pouponnière des Franciscaines missionnaires de Marie, ouverte en
1955 dans le même quartier de la Médina, à un endroit situé entre
ce quartier et celui de Fass, encore plus populaire.
Cette pouponnière n'accueillait pas des poupons ordinaires et
c'était
sans
doute
là
une
justification
de
plus
aux
yeux
des
missionnaires
: il
s'agissait "de sauver les
bébés
en
danger de
mort"(l)
nés
de
mères
décédées,
gravement
malades
ou
d'une
indigence telle qu'elles en étaient réduites à supplier "les religieuses
d'accepter leur enfant"(2).
Cette oeuvre des Franciscaines touchait tous les milieux mais
on peut penser que les jeunes Sérères de l'exode rural, qui étaient
particulièrement
exposées
dans
la
grande
ville
qu'était
devenu
Dakar où elles n'avaient souvent ni attaches familiales, ni moyens
de subsistance suffisants en furent des principales bénéficiaires.
La capacité d'accueil de la pouponnière - la seule durant notre
période - fut cependant des plus limitée puisqu'elle ne disposait
que de 40 places. Ce qui créait bien souvent l'embarras pour les
religieuses
assaillies
de
demandes
et
devait
les
amener
assez
rapidement à agrandir leur maison d'accueil(3).
1. "A la maison de L'enfant-Jésus des
religieuses
franciscaines".
Horaf,
n° 120,
1960 (non paginé)
2.
Ibid.
3. En 1960, un étage était amsl ajouté à l'édifice, permettant de multiplier
la capacité d'accueil par deux (Horaf, n0120 cité).
252
B.
LI Action
médicale
1.
L'état
sanitaire
et
la
politique
de
santé
Unique domaine social où l'aministration coloniale eut un rôle
vraiment
pionnier,
comparé
à
celui
de
la
mission,
du
fait
de
l'ampleur
des
moyens
qu'elle
y
mit
et
de
la
cohérence
de
sa
politique en la matière, la santé publique a toujours été sujet de
préoccupation au Sénégal, dès l'installation des premiers Européens.
La présence médicale française est ainsi étroitement liée à celle des
troupes coloniales qui ont d'ailleurs fourni
les premiers médecins
"modernes" au continent.
Avec
la poussée coloniale,
l'armée comptait
en
effet
"des
médecins majors et aide-major qui soignent les troupes mais aUSSI
les
au tochtones" (l).
Ces
premiers
agen ts
de
santé
firent
ainsi
connaître
la
médecine
européenne,
juste
avant
ses
vrais
"propagateurs" que furent les membres du corps de santé militaire,
précisément sa section
coloniale qui
"s'individualisa lentement au
sein du service de santé de la Marine"(2).
Mais si
le XIXe siècle vit s'installer la médecine nouvelle,
celle-ci
était
bien
souvent
désarmée
face
aux
fléaux,
que
représentaient
les
principales
maladies
qui
décimaient
les
populations. Peu connues en Europe et de ce fait mal prises en
charge,
ces
maladies,
dont
la
conséquence
était
d'installer
les
endémo-épidémies
dont
beaucoup
emportèrent
des
Européens
comme en 1878, où vingt médecins sur les trente que comptait la
colonie
périrent
dans
l'une
d'elles(3),
devinrent
le
cen tre
des
préoccupations de la recherche médicale.
C'est ainsi qu'il convient de comprendre la création, dès 1896,
d'un laboratoire de micro-biologie à Saint-Louis qui devait donner
naissance, en 1937, à l'institut Pasteur de Dakar(4). L'intérêt ainsi
accordé à la recherche s'inscrit dans une perspective de faire face, à
une
demande
forte
mais
aussi
latente
de
médecine
qui
était
naturellemen t
à
ses
débuts
et
n'a vai t
encore
que
des
hôpitaux
assez pauvres à Saint-Louis, Gorée et Dakar pour s'installer(5).
1.
M.
Sankale
- Médecins et
action
sanitaire
en
Afrique
Noire.
Paris,
Présence Africaine.
1969
p.31
2. Ibid.
p.32
3. Ibid.
p.33
4.
C.
Mathis
-
L'Oeuvre
des
pastoriens
en
Afrique
Noire
-
Afrique
Occidentale Française - Paris, PUF, 1946
p.1
5. M. Sankale - Médecins et action sanitaire... p.33.
253
Avec
les
avancées
notables
qUI
devaient
résulter
de
cette
démarche,
les
maladies allaient être
davantage cernées
pour être
mieux combattues, le pays mieux couvert en agents de santé grâce à
une
politique réaliste : bien qu'accordant
un
intérêt soutenu aux
soins
des
malades,
l'administration
coloniale
devait
mettre
un
accent tout particulier sur la médecine préventi ve(1) dès que les
conditions l'ont rendu possible ; un tel travail suppose en effet de la
mobilité et une "réponse" des populations inenvisageables avant le
terme complet de la conquête.
Aussi, la médecine préventive fut organisée en
1921
par un
acte
administratif
suivi
cinq
années
plus
tard
par
un
autre
réorganisant l'assistance médicale indigène(2).
1. Et les instructions et autres décrets ne manquèrent pas pour marquer,
dès
après
la
première
guerre
mondiale,
cette
priorité
des
autorités
gouvernementales
:
en
1924
le
gouverneur
général
Carde, dans
la
perspective
de
renforcer
les
mesures
prises
en
1921
par
son
prédécesseur.
M.
Merlin, insistait sur la prise en charge du volet social
par
des
auxiliaires
indigènes,
le
recrutement
d'un
plus
grand
nombre
d'infirmiers
et,
surtout, celle
politique
de cases
indigènes
vers
lesquelles
étaient
poussées
les
sage-femmes,
appelées
à
sortir
des
hôpitaux
pour
privilégier cette
médecine
de
proximité.
Conscientes de ce que
l'assistance individuelle curative a peu
d'influence
sur le développement d'une race, les autorités décidèrent donc de limiter
l'assistance
hospitalière,
exception
faite de
Dakar
pour ne
pas
gêner la
formation
des
personnels
médicaux.
Les
années
suivantes,
les
mêmes
instructions sont
réitérées
avec un
bilan jugé satisfaisant au
moment
où
étaient
renforcés
les
corps
des
agents
de
santé
avec
l'institution
d'une
école des infirmiers. Dirigée à sa création par Aristide
Le
Dantec, elle
formait
des
"médecins
auxiliaires"
dont
l'institution
a
mis
fin
au
recrutement des aide-médecins dès
1918. Censés seconder les docteurs en
médecine,
ces
médecins
auxiliaires
devaient
rapidement
prendre
en
charge la responsabilité de la santé en milieu rural. En
1950 à la faveur
de la création d'une académie
d'AOF
(27 nov.) et de l'Institut des Hautes
Etudes
de
Dakar sept
mois
plus
tard,
est créée
l'Ecole Préparatoire de
Médecine et de Pharmacie qui allait devenir la faculté de médecine avec
la
transformation
en
février
1957
de
l'Institut
des
Hautes
Etudes
en
Université
de
Dakar.
L'école
préparatoire
puis
la
faculté
proviennent
donc de l'héritage de l'école de médecine à laquelle il ne restait plus qu'à
terminer la formation
de ses dernières
recrues.
Ce qui
fut
fait en
1953
année à laquelle elle ferma ses portes après avoir formé, en 35 ans, 582
médecins
et
87
pharmaciens
africains.
2.
M.
Chaillet
Histoire
de
l'Afrique
Occidentale.
Paris,
Berger-
Levrault,
1968 pA23
254
Celle-ci
fut
installée dès
1906 par le
gouverneur
R 0 li ID e,
après que l'on se soit rendu compte de la nécessité de créer un
corps médical civil pour à la fois assurer la relève des militaires( 1)
et doter le pays d'un service plus efficace par l'augmentation du
nombre
des agents de santé.
Cette situation, sur le plan politique, avait été favorisée par
l'effacement
des
militaires
de
l'administration
désormais
confiée
aux civils.
"Une
large
majorité
de
médecins
militaires"
restaient
cependant. comme on peut l'imaginer dans une situation de pénurie
de personnel,
"détachés en position
hors cadre" pour continuer à
servir dans les services médicaux civils(2).
Cette même année 1906 vit, en même temps que ces mesures,
la création d'un corps d'aide-médecins indigènes pour renforcer les
moyens humains de l'Assistance médicale indigène. Ces auxiliaires
médicaux
allaient
jouer
un
rôle
important
dans
cette
nouvelle
politique
sanitaire.
Formés "sur le tas" par un médecin auprès duquel ils étaient
placés
après
leur
recrutement
par
concours,
leur
mission
était
essentiellement
rurale.
Prenant
en
charge
les
tournées
de
vaccinations, ils étaient les exécutants des mesures de prophylaxie
édictées par les autorités médicales(3).
L'arrêté créant ce nouveau corps ajoutait à ces
occupations
d'autres
d'importance
primordiale
qui
faisaient
d'eux
les
vrais
premiers
"médecins"
de
la
brousse sénégalaise
: aux
soins
"aux
indigènes d'une localité voisine où règne une épidémie", pour mieux
la circonscrire et éviter la propagation qui était souvent immédiate,
devaient
s'ajouter
les
"soins
aux
malades
non
transportables".
autant dire une médecine domestique complétée par la mission de
"tenir le dispensaire ouvert pendant les tournées du médecin là où
ils existaient(4).
1. M.
Sankalé - Médecins et action sanitaire en Afrique. Op. cit.
p.36
2.
Ibid
3.
Ibid. p.38
4.
Ibid.
255
Seul
moyen
de
faire
une
médecine
de
masse,
les
aide-
médecins,
bien
que
leur
rôle
thérapeutique
était
inexistant,
puisqu'ils
n'étaient
habilités
qu'exceptionnellement
à
intervenir
dans la médecine curative, ont joué un rôle de pionniers avant la
création, en novembre 1918, de l'école de médecine de Dakar(l).
La protection de
l'enfance prit dans
cette
volonté
affirmée
d'améliorer l'état sanitaire la place centrale qui
lui revenait tout
naturellement.
La
mortalité
dans
cette catégorie
sociale
était en
effet anormalement élevée et explique que malgré
une
très
forte
natalité, la croissance démographique restait des plus médiocres.
L'ambition - qui n'allait pas tarder à être réalisée - fut alors
de doter chaque chef-lieu d'un hôpital tout en accentuant le rôle des
groupes
mobiles
de
prophylaxie dont
l'importance
pour
l"'arrière
pays" se passe de commentaires, à un moment où le seul médecin
existant pour eux était mobile et venait à eux, faute d'équipements
sanitaires qui devaient attendre les années
30 pour commencer à
gagner l'intérieur du pays.
Le
besoin
de
disposer
d'un
personnel
qualifié
et
plus
nombreux était donc
pressant d'autant que
tous
ces efforts
n'ont
pas empêché les ravages des épidémies, le réseau médical restant
lâche et incapable de satisfaire les besoins d'une urgence souvent
extrême(2).
La "brousse" et la
médecine
sociale
restaient cependant les
parents pauvres du système, ce qui amena Carde à déplorer cette
tendance des médecins et sages-femmes auxiliaires
à se détourner
de leur service normal d'assistance médicale indigène au profit de
la clientèle européenne , dans les centres urbains.
Trois
années
plus
tard,
la
situation
ne
semble
pas
avoir
particulièrement
évolué,
et
le
gouverneur
général
Brévié dut
édicter,
en
1930, de
nouvelles
instructions
pour
l'orientation
du
service de l'Assistance médicale. En même temps, le cas particulier
des travailleurs du secteur privé était également pris en compte par
le
texte,
en
particulier
ceux
parmi
eux
qui,
recrutés
dans
un
territoire, sont envoyés travailler dans un autre. L'instruction tenta
alors de codifier tous les actes réglementaires sur les droits de ces
travailleurs, y compris les textes intéressant l'hygiène de la main
d'oeuvre.
1:-Supra~-i253--------
2. M. Chaillet - Histoire de l'Afrique Occidentale. Op. cil.
p.423.
256
Le personnel médical devint en même temps de plus en plus
nombreux et pu atteindre davantage les campagnes, d'autant que le
personnel
paramédical
a
été
très
tôt
formé
les
exigences
de
diplômes ayant été, ici, particulièrement assouplies. C'est ainsi que
beaucoup d'infirmiers
et surtout
d'aide-infirmiers
étaient
illettrés
au moins au début de leur formation.
La réorganisation à partir de 1930 de l'école des infirmiers(l)
devait
rapidement
permettre
de
combler
autant
que
possible
le
grand déficit de cette catégorie d'agents de la santé de même que
de
sages-femmes
pour
lesquelles
une
école
avait
été
créée dès
1920(2).
Les résultats déjà forts appréciables obtenus par la recherche
souvent appliquée - ce qui permit ainsi à Saint-Louis d'échapper à
la fièvre jaune en
1911-1912(3)- désormais servis par des moyens
plus adéquats permirent ainsi
le recul des
maladies et on vit la
populaiton commencer à croître vraiment.
Cet effot fut poursuivi après la guerre et dès le milieu des
années 40, l'argent plus disponible et une formation mieux adaptée
aux
besoins
favorisèrent
de
nouvelles
avancées.
Les
crédits
budgétaires
plus
élevés
et
l'intervention
vigoureuse
du
FIDES(4)
dans toutes les actions économiques et sociales (y compris même
l'équipement
des
missions
catholiques)
ont
partout
permis
des
réfections ou des constructions de centres de santé de sorte que
l'essentiel du pays était couvert par l'action médicale dès les années
50.
Il s'y ajoute que la médecine au niveau mondial elle-même
avait fait de grands progrès qui furent pl us facilement introduits en
AüF désormais reliée au reste du monde par des communications de
plus en plus rapides et perfectionnées.
1.
Cette
école
restait
cependant
une
sorte
de
sous-école
d'infirmiers
puisqu'il
fallut
attendre
1951
pour que
soit créée,
à
Dakar,
une
école
délivrant
le diplôme
d'Etat d'infirmier.
2. M. Sankalé - Médecins et action sanitaire. Op. cil.
pAO
3. C. Mathis - L'Oeuvre des pastoriens en Afrique Noire. Op. cil.
pA4
4. M. ChaiIlet - Histoire de l'Afrique Occidentale. Op. cil.
pA64.
257
Mais
ces
progrès
ont
surtout
été
notables
dans
les
villes,
laissant
la
brousse
avec
une
couverture
médicale
certes
sans
commune mesure avec ce qui existait avant, mais qui demeurait
largement insuffisante pour répondre aux
besoins. Les dispensaires
y existaient ainsi dans les centres polarisant souvent un nombre si
important
de
villages
qu'ils
ne
pouvaient
répondre
qu'imparfaitement à l'attente des
populations.
On comprend dans ces conditions que l'action médicale de la
mission
qui
fut
la plus
constante
avant
l'installation
du
service
public de la santé, ne fut jamais de trop.
258
2.
L'intervention
de
la
mission
L'importance de
l'action
médicale dans
l'évangélisation
était
d'autant
plus
grande
qu'elle
s'était
vite
généralisée,
gagnant
l'ensemble de la mission au fur et à mesure des fondations.
Certes, bien des dispensaires ont été construits bien après ces
fondations
dans
la
plupart
des
missions
mais
les
missionnaires
n'avaient pas attendu l'arrivée des frères ou des soeurs infirmiers
pour s'occuper de cette.
Dans ce qui constituait l'essentiel de ses occupations dans la
mission de Ndiaganiao dont il venait d'être nommé curé en 1953,
l'abbé Ciss mentionnait ainsi en bonne place ce rôle d'infirmier qu'il
était obligé d'être : "Jacques me présente un orteil plein de sang : au
lieu de donner le coup de pied sur le ballon, il a frappé un caillou.
Jean a mal à la tête et demande de la quinine .... "(l).
Ce rôle était exactement celui du P. Moullin à Diohine lorsqu'il
écrivait, un quart de siècle plus tôt, à ses parents : "Nous passons le
plus
clair de
nos
matinées
à soigner d'énormes
plaies
qui
n'en
finissent pas( ... ) J'ai dû passer les 3/4 de ma journée à faire des
pansements"(2).
Dès le début de la mission, cette oeuvre
s'était revélée si
indispensable et si prenan te que les missionnaires on t cherché à la
confier à des mains plus libres dès que celles-ci ce sont présentées.
D'abord
affectées
aux
soeurs
indigènes
dans
les
premières
missions de la côte, cette action, en se développant, allait s'ouvrir
dans
ce
milieu
et
dans
les
autres
parties
de
la
mission
aux
religieuses d'autres congrégations et aux frères.
1. Horaf, 1 - II,
1953
p.20
2.
Anna les
Apostoliq ues.
1929
pp.179-180.
259
Avant
l'arrivée
des
soeurs
européennes,
ces
auxiliaires
du
clergé n'avaient pas reçu de formation appropriée pour soigner de
malades mais les nécessités ont dû imposer l'oeuvre, obligeant ses
acteurs à apprendre leur pratique médicale "sur le tas".
Ainsi, il
y 'avait toujours dans chaque mission, à défaut de dispensaire, un
auxiliaire du clergé (ou le prêtre) chargé des
médicaments et des
soins.
Cette fonction n'était évidemment pas exclusive de toute autre
activité,
au contraire.
C'était une
activité parmi
d'autres
que
les
intéressés devaient donc cumuler. Aux catéchistes aussi, cette tâche
était naturellement dévolue puisque faute d'auxiliaires qui y étaient
spécialement affectés,
le missionnaire "plus ou
moins infirmier"(l)
mais
pouvant demeurer
loin
des
villages
rattachés
à
sa
mission
confiait l'oeuvre à ceux qui y représentaient celle-ci. Il n'était pas
ainsi
rare que
les catéchistes soient dotés
de
petites
pharmacies
régulièrement
ravitaillées
par
les
missionnaires
et
pourvues
des
médicaments les plus essentiels pour la localité(2).
Jusqu'après la grande guerre, il n'y avait pas, comme on le
sait,
de
vrais
dispensaires
dans
les
campagnes,
encore
moins
d'hopitaux.
Tout
juste
pouvait-on
trouver
quelques
pharmacies
dans les stations de la mission et quelques hospices pour malades
abadonnés(3).
De façon générale, chaque mission s'arrangeait pour avoir sa
petite infirmerie et les
seules interventions efficaces ne pouvaient
concerner que les maladies dépourvues de réelle gravité.
Mais il
était difficile au missionnaire de ne pas tenir compte de l'immense
confiance qui était souvent placée en lui et en ses médicaments.
Même devant
un cas désespéré, il
lui fallait
toujours essayer de
soulager
la
souffrance
du
patien t
et
en tretenir
l'es poir
de
ses
proches quitte à faire
semblant d'administrer
le remède
salvateur.
11 en était de même pour ses auxiliaires et l'on sait que cela pouvait
avoir un aspect positif.
C'est en effet de cette façon que certains
enfants ont été baptisés avant de mourir(4).
1. Arch. CSSP 164 A III
2. EMCLR 009
3. Arch. OPM G 07457
4.EMCLR 009
260
Malgré leur manque de moyens, les missionnaires ont fait, ici
comme dans tous les autres domaines des oeuvres sociales que le
gouvernement
leur
abandonnait
volontiers(l),
pour
l'essentiel,
un
travail de pionnier dans bien des localités.
A part les premières
villes du Sénégal, il n'y avait pratiquement pas d'hopitaux avant le
début du siècle et même dans les hopitaux, une partie du personnel
hospitalier était souvent composé de soeurs.
Ainsi
c'est
seulement dans
ces
villes que
le
gouvernement
prenait en
charge,
au
quotidien,
la
santé,
le reste
du
pays
"la
brousse" étant souvent laissé aux soins des missionnaires(2). C'est-
à-dire des soeurs du
Saint- Coeur de Marie, au
moins jusqu'aux
années 1930 qui virent les premières soeurs européennes s'installer
dans une mission du pays sérère, à Kaolack(3). Ces soeurs africaines
se voulaient, selon Mgr Le Hunsec, enseignantes et hospitalières(4).
Plus
modestement,
nous
pouvons
admettre
qu'elles
intervenaient dans ces domaines essentiels de la pastorale avec plus
ou moins de réussite d'ailleurs : leurs compétences et les moyens
qu'elles
avaient
pour
les
mettre
en
oeuvre
étaient
souvent
très
limités. Leur tâche avec les malades fut des plus ardues, au moins
dans les premières décennies de notre période.
Nous
étions
en
effet à
un
moment où
aucune
importance
n'était accordée à leurs soins par les populations
sérères qui
ne
consentaient à se laisser soigner par elles que quand la situation
leur échappait totalement. C'est-à-dire quand toutes les astuces de
leur médecine traditionnelle avaient échoué, écartant tout espoir de
survie.
N'ayant
plus
rien
à
perdre,
les
parents
pouvaient
alors
consentir à laisser soigner leur malade par les soeurs. La mort qui
s'en
suivait était
souvent
mise
au
compte
de
la
vengeance
des
esprits, ce qui constituait un frein de plus à l'évangélisation. Mais
plus
que
les
résultats
obtenus,
c'était
le
dévouement
des
missionnaires qui finalement, comptait pour les Sérères.
1. J. Ki-Zerbo:Histoire de l'Afrique Noire. Op. cil.
p.439
2. Arch. CSSP
164
A
III
3. 11 Y en avait avant, à Ngasobil
mais elles ne s'occupaient que de la
formation des futures
filles du Saint-Coeur de Marie
4. Arch. CSSP
261
A
III
261
Dès les années 1920 en effet, les efforts de la mission dans le
domaine
médical
semblent
désormais
reconnus
par
les
plus
sceptiques.
Ce
qui
était
sans
doute
lié
en
partie
à
leur
développement continu
et aux
résultats
non
négligeables que ces
efforts avaient permis.
En 1925, il n'y avait pas moins de six dispensaires dans le
vicariat(l) entièrement pris en charge par la mission à côté des
dispensaires
et
hôpitaux
"civils"
qui
étaient
sous
l'autorité
du
gouvernemnt
de
la colonie.
Ces
dispensaires,
dont deux
étaient
installés en pays sérère occupaient déjà fortement les missionnaires
quand
on
se
refère
au
nombre
de
200
malades
qui
y
étaient
quotidiennement traités.
Ils étaient ainsi déjà
bien
différents
des
premiers
centres
de
soins
ou
plus
exactement
des
simples
pharmacies des missions dont il est difficile d'avoir une vue précise
de l'activité et de l'éfficacité.
Dotés de locaux adéquats et d'un
personnel formé pour les
soins
infirmiers,
ces
dispensaires
pouvaient
mieux
remplir
leur
mission.
Quant aux soeurs du Saint-Coeur de Marie, généralement peu
formées pour assurer les soins et d'autres travaux intellectuels, les
dispensaires
leur
étaient
de
plus
en
plus
fermés.
Avant
toute
construction
en
effet,
on
s'assurait
que
le
personnel
qualifié
nécessaire pourrait être obtenu de congrégations étrangères.
Les congrégations hospitalières tenaient désormais les centres
médicaux ainsi construits, tout en restant dans les hôpitaux qu'elles
n'ont pratiquement jamais quitté depuis l'arrivée des premières au
XIXè siècle.
Les hopitaux et les maternités ont en effet toujours relevé de
"l'autorité civile"(2)
c'est-à-dire du
gouvernement
mais
une
"très
grande
liberté y est laissée aux
missionnaires pour exercer
leur
ministère"(3) comme le notait, dans son rapport à Rome,
Mgr Le
Hunsec, en 1925.
--------------------------
1. Arch. CSSP 261 A III
2. Arch. CSSP 261 A III
3. Arch. CSSP 261 A III
262
Cela a pu favoriser l'action des hospitalières et même parfois
leur rôle de premier plan dans la tenue de ces centres de santé.
C'est
ainsi
que
le
dispensaire
"civil"
de
Joal,
aux
mains
du
gouvernement comme tous les autres, était dirigé par les soeurs de
Saint- Thomas de Villeneuve.
Au
même
moment,
les
soeurs
franciscaines
se
dévouaient
dans les
deux
hopitaux civils de Dakar ainsi qu'à la
"maternité
africaine" de la même ville(l). Quant au bloc opératoire (civil aussi)
de Kaolack, il était "tenu par les soeurs de N. D. du Sacré-Coeur"(2).
Dans les deux
villes, les plus grands centres médicaux,
les
seuls
qui
appartenaient
à
l'Etat
étaient
ainsi
dirigés
par
les
missionnaires dès la fin de la seconde guerre mondiale et jusqu'à la
fin de notre période, au moins. Ce qui n'empêchait pas la mission
d'y conserver au même moment ses oeuvres spécifiques de santé,
naturellement tenues par elle.
Ailleurs, les soeurs du Saint-Coeur de Marie restaient à leurs
postes en attendant une relève d'hospitalières mais
leur formation
n'a
cessé
de
s'améliorer
depuis
le
début
du
siècle.
Dans
les
dispensaires anciens de Fadiouth, Palmarin, Ngasobil , Diohine ou
nouvellement construits de Diourbel et Thiadiaye, elles continuaient
leur oeuvre médicale(3) qui n'avait plus qu'un très lointain rapport
avec leurs "tournées à la recherche des malades" de la fin du XIXè
siècle.
Avec
un
nombre de consultations annuelles,
vers la fin
de
notre période, de plus de 300.000(4), leurs dispensaires devenaient
enfin une composante essentielle de la pastorale de l'Eglise. D'autant
que les soins ainsi prodigués aux Sérères étaient gratuits. Toutes les
dépenses
occasionnées
par
l'entretien
des
dispensaires
et
le
traitement des malades étaient en effet supportées par la mission,
celle-ci étant aidée pour cela par l'Oeuvre de la Sainte-Enfance et
par des "dons divers"(5).
----------------------
1. Arch. CSSP 345 A VI
2. Arch. CSSP 345 A VI
3. Arch. CSSP 345 A VI
4. Arch. CSSP 345 A VI
5. Arch. CSSP 345 A VI
263
Dans
ces
dons,
il
y
a
sans
doute
les
subventions
du
gouvernement
redevenues
régulières
et
pleinement
justifiées
par
cette reconnaissance de l'oeuvre hospitalière comme composante de
la politique de santé de l'Etat : puisqu'il s'était "déchargé" d'une
fonction aussi essentielle sur la mission, celui-ci avait l'obligation
morale d'en tirer toutes les conséquences pécuniaires. Ce qui était
facilité par le fait que les difficultés nées de la loi de l'aïcisation et
de ses rares et timides réglements d'application appartenaient déjà
à une époque bien révolue.
Ce
fut
après
la
guerre
que,
comme
dans
le
domaine
de
l'enseignement,
les
congrégations
de
religieuses
hospitalières
commencèrent à s'installer
Arrivées
dès
1948,
les
Franciscaines
ne
se
sont
pas
contentées
de
leur
intervention
dans
le
domaine
du
secours
à
l'enfance et à la jeunesse mais se sont directement impliquées dans
celui de la santé.
C'était d'ailleurs là la raison d'être de leur présence à Dakar où
elles ont d'abord été appelées pour les deux hopitaux de la ville : les
4 arrivées en
1948
se sont immédiatement mises
au
service de
l'hôpital
Principal, comme le précise soeur Christiane, franciscaine
(l) avant d'ajouter qu'elles allaient être suivies d'autres.
En début
1949 en effet, un second
groupe est arrivé pour
l'hôpital Le Dantec. Au nombre de trois(2), elles semblent avoir eu
les mêmes occupations qu'à "Principal" : infirmières à la maternité,
elles y tenaient la crèche et la pédiatrie.
Le plus grand nombre devait arriver en 1950 pour renforcer
l'équipe
et
ouvrir,
l'année
suivante,
l'école
d'infirmiers
et
d'infirmières d'Etat dans l'enceinte même de l'hôpital
Principal(3).
1.
Soeur
Christiane, FMM à Ngor
Ndiaye - Dakar, 20 novembre 1980.
In
Ephémérides
de
l'Eglise
sénégalaise.
En
liaison
avec
!Eglise
universelle à travers "Horizons africains". Tome 1. Des origines à 1977 -
Horaf, nO l à 304 - Lyon, 1984
p.350
2. Horaf, n0 24, 1949
p.14
3. Horaf, n0 296, 1977
p.14
264
La même période a enregistré l'arrivée d'autres congrégations
hospitalières
: les
soeurs
de
Saint· Thomas
de
Villeneuve
qUI
prirent, en
1951, le relais, à Joal, des soeurs du Saint-Coeur de
Marie
dans
l'oeuvre
médicale,
après
avoir
fondé,
en
1949,
une
maison
à
Saint-Louis
celles
de
Saint-Charles
d' Angers,
enseignantes mais aussi
hospitalières qui,
dès leur installation en
1954, s'employèrent à ouvrir dans leur maison de Grand Dakar, un
centre de soins pour les nécessiteux du quartier. D'autres religieuses
n'ont fait qu'une escale à Dakar, le temps de se préparer à gagner la
préfecture apostolique de Casamance.
Dans ce contexte, même le monachisme
avait sa place, dans
un pays désormais ouvert à J'Eglise : il s'agissait de mettre la vie
contemplative au service des missionnaires et des fidèles dont on
pensait qu'ils "découvriront mieux, en allant visiter (les) cloîtrés, la
paix de Dieu et la valeur de la "vie intérieure"(l).
Aussi, dès
1949,
deux
projets
étaient-ils
conçus,
l'un
pour
l'établissement
d'un
carmel
et
J'autre
pour
un
monastère
bénédictin(2). Le monastère de carmélites devait être la première
réalisation puisque dès novembre 1950,
"5
fondatrices du car m e 1
de Cholet arrivaient
au
Sénégal.
Installées à Dakar, les religieuses etaIent, près de trois années
plus tard, établies à Sébikhotane, non loin de Dakar, juste derrière
le
séminaire Libermann,
laissant
leur
maison
de
la
Médina
aux
soeurs du Saint-Coeur de Marie. Une fois de plus, les religieuses
prenaient une bonne longueur d'avance sur les religieux(3) puisque
le projet concernant l'abbaye ne fut réalisé qu'un peu plus tard; et
l'abbaye
ne
fut
pas
cistercienne,
comme
cela
était
un
moment
envisagé
mais
bénédictine
et
allait
s'établir,
non
pas
à
Sébikhotane
mais
à
Keur
Moussa(toujours
non
loin
de
Dakar)
plusieurs années après notre période(4), en 1963.
1. Harar, n029,
1949
p.12
2.
Ibid.
3. On se rappelle que les premiers auxiliaires du
clergé
à débarquer au
Sénégal étaient des femmes, les soeurs de saint Joseph de Cluny arrivées
en
1919. Et exception faite des frères de Ploërmel
débarqués en
1841
à
Saint-Louis, et de deux ou trois frères convers qui étaient venus avec les
pères du Saint-Coeur de
Marie en
1846,
les
soeurs
de
Cluny
et celles
enseignantes
et
hospitalières
de
l'Immaculée
Conception,
débarquées
à
Gorée puis à Dakar en avril
1848
devancèrent largement les hommes.
4. Voir à ce sujet Ch.
Gravrand: Fils de saint Bernard en Afrique.
Une
fondation
au
Cameroun
1950-1990.
Paris,
Beauchesne
1990(Collection
Eglise aux Quatre vents)
265
C
-
L'aide
aux
pauvres
et
les
foyers
d'accueil
Il est parfois arrivé aux missionnaires d'accueillir ou aider des
familles
pauvres,
des
personnes
malades
ou
incapables,
pour
d'au tres raisons, de travailler, et de les entretenir.
On ne pouvait pas cependant parler de foyers puisque les cas
furent isolés et aucune oeuvre n'avait été spécialement chargée de
ce volet de la pastorale. De plus, l'accueil de ces nécessiteux ne
s'était jamais inscrit dans une perspective d'évangélisation même si
par la suite, il ne pouvait plus l'ignorer.
Ainsi en 1899, la mission de Ngasobil eut à accueillir une mère
de famille abandonnée, toute seule avec ses enfants et atteinte de la
lèpre. Rassurée par les soeurs qui finirent par la convaincre de les
suivre à la mission, elle fut installée à proximité avec ses enfants et
son aventure finit par la conversion : "en donnant aux enfants de
Coumba Diop quelques
habits et quelques
douceurs,
(les soeurs)
parvinrent
à
vaincre
sa
propre défiance.
Touchée
de
l'affection
qu'on témoignait à ses enfants, Coumba accepta d'habiter près de la
mission même où elle devait être nourrie à nos frais avec sa fille et
son
petit
garçon.
Nous
comptions
bien
que
là
nous
pourrions
l'instruire à loisir, elle et ses enfants. Effectivement, sa fille a fait sa
première communion et son petit frère a reçu au baptème le nom
de Pierre Coumba elle-même s'appelle Marie"(l).
Mais l'histoire contée par le père Sébire ne dit
pas
si la
mission trouva beaucoup d'autres nécessiteux comme elle. On peut
penser que non. De telles interventions de la mission, jusqu'à une
période plus récente, ne pouvaient être que très exceptionnelles.
La seule reslstance de la pauvre Coumba démontre largement
qu'elles n'étaient ni fréquentes ni même efficaces. Car, sinon, elles
seraient
alors
au
moins
connues
des
populations.
Ce
qui,
apparemment, n'était pas le cas. En fait, il s'agissait de situations où
ponctuellement,
la
mission
volait
au
secours
de
personnes
totalement démunies, malades ou abandonnées.
1.
Missions
catholiques.
1899
p.392
266
Ces actions ne pouvaient avoir de résultats quantifiables, du
fait
de
l'absence
d'un
cadre
institutionnel
les
intégrant dans
la
stratégie de la mission.
Au total, elles ne visaient pas à satisfaire un besoin social qui
eût contribué à mieux convaincre les populations de l"humanité" du
christianisme et de son aspect solidaire auxquels les Sérères sont
très sensibles. Ceux-ci, d'ailleurs, abandonnaient si rarement leurs
malheureux qu'on peut se demander si Coumba était réellement du
pays.
La même solidarité agit à tous les niveaux, ce qui relativisait
fortement la notion de pauvreté, et réduisait d'autant les nécessités
d'intervention des missionnaires. Tout cela, ajouté à l'impossibilité
matérielle de la mission, fait que l'aide aux pauvres n'a été que très
marginale dans les oeuvres, au
moins jusqu'aux années
1940. La
misère qui eût justifié une intervention sociale des missionnaires en
faveur des populations existait certainement car les disettes étaient
là, mais comme le note J. Janin,
personne
ne
songeait
vraiment,
avant ce siècle, à établir ce genre d'oeuvres sociales(l).
Les
difficultés
matérielles
de
l'époque,
surtout
dans
les
colonies, ne pouvaient que décourager les esprits les plus disposés.
Il suffit en effet de lire les différents rapports et autres lettres à
l'oeuvre de la Progagation de la foi pour se rendre compte que les
priorités étaient ailleurs. Cet héritage du passé subsista Ion temps au
Sénégal.
Jusqu'en 1955, les actions entreprises dans ce domaine furent
ainsi
presque
néglgeables
pour
avoir
une
influence certaine
sur
l'évangélisation.
Aussi, elles se confondaient aisément avec celles
entreprises dans
le cadre d'au tres
oeu vres telles que les
oeuvres
médicales dont il était question au paragraphe précédent.
Dès lors,
les foyers d'accueil, qui
auraient dû constituer un
volet
important des
oeuvres d'aide
aux
pauvres furent
longtemps
inexistants et même absents des préoccupations missionnaires. Une
autre cause possible de la création d'une telle oeuvre, l'exode rural,
existait déjà dès les années 1920.
1. Le clergé colonial de 1815 à 1850. Toulouse. H. Basuyant, 1936
p.367.
267
Mais il ne concernait que peu de villages et ne suscItaIt alors
que
l'intérêt
d'un
nombre
négligeable
de
prêtres
dont
celui
de
Fadiouth,
l'un
des
villages
les
plus
touchés
à
l'époque
par
un
phénomène inconnu à l'échelle du pays. Avec le temps, il ne tarda
pas
cependant
à
se
généraliser.
Et
déjà
la
préoccupation
avec
laquelle ce missionnaire le relatait démontre à la fois son acuité et
l'ignorance des prêtres des grandes villes de ses conséquences.
Le père Péreira y voyait ainsi, en 1930, un moyen d'enrichir, à
l'intervalle de deux saisons de pluies, la communauté chrétienne de
Kaolack, sans voir venir les conséquences : "Pendant la traite des
arachides, le R. P. Caudron faisait le catéchisme, tous les soirs à plus
de 50 filles sérères catéchumènes.... Du reste Kaolack est devenu le
rendez-vous
de
la jeunesse sérère
(Fadiouth,
Palmarin,
Mar)
de
sorte que chaque dimanche,
aux deux
messes, notre chapelle est
archi-comble". Mais pendant la traite seulement car dès le début de
juin, jeuns gens et filles se font un devoir de retourner chez eux
pour
l'hivernage(1).
Ces
conséquences
pouvaient
d'ailleurs
être
limitées
aussi
longtemps que tout était réglé suivant ce qui se passa à Kaolack
avant et en
1930. Que ces ruraux changent de comportement en
voulant exercer un
travail permanent et les données du
problème
changeaient.
Ce qui
ne devait pas
tarder à arriver, l'exode rural posant
désormais
un
vrai
problème
social
et
moral
à l'Eglise.
Celle-ci
préconisa
comme
solution
l'éducation
de
la jeunesse
dans
leurs
missions d'origine mêmes afin qu'une fois en ville, elle puisse faire
face à ces dangers(2).
Ceux-ci guettaient surtout les filles qui se faisaient
"mettre
enceintes"
à
Dakar(3)
et
sans
doute
ailleurs,
avec
toutes
les
conséquences qui pouvaient en découler, si leur milieu d'accueil,
comme cela pouvait être le cas, n'était pas chrétien.
1. Arch. CSSP 262 A VI
2. Arch. CSSP 264 B VI
3. Arch. CSSP 264 B V
268
La priorité devint donc, dans un village comme Fadiouth, de
trouver, par tous les moyens, la possibilité d'offrir aux petites filles
un ouvroir, avec le matériel (de couture notamment) adéquat pour
les retenir quelq ues années dans leur village,
afin de les "armer
contre les dangers mortels qui les attendent à Dakar"(l).
Cette action spécifique, qui tend à suppléer l'incapacité des
missions des villes à faire face à un phénomène qu'elles n'avaient
pas
prévu et dont elles
tardaient à prendre
toute
la mesure ne
semble
pas
avoir
été
particulièrement
efficace.
Les
dangers
redoutés étaient en effet
toujours
les
mêmes
à
la
fin
de
notre
période s'ils ne s'étaient pas aggravés.
Le seul risque pour les garçons restait l'apostasie ou cette
"déchéance
morale"
tant
redoutée
des
missionnaires,
le
tout
se
ramenant
à
la
même
conséquence
la
perte
d'influence
du
christianisme. Pour les filles en revanche, il était plus grave. Outre
qu'elles
étaient
plus
exposées
aux
"dangers"
que
constituait
la
fréquentation
de garçons
pouvant les détourner
vers
leur religion
musulmane par le mariage, elles étaient souvent obligées de vivre
dans
des
"conditions
de
promiscuité
alarmantes"(2)
qui
n'étaient
pas toujours les plus favorables au maintien de leur foi chrétienne.
Pour ces raisons, c'est vers elles que les efforts d'accueil de la
mission se tournèrent dès le début des années
1950. Aux soeurs
franciscaines, fut alors confiée la tâche d'ouvrir des foyers d'accueil
pour ces jeunes filles.
Ces "centres de protection de la jeune fille"(3) ouverts à Dakar
étaient
déjà,
par
leur
appellation,
assez
révélateurs
des
préoccupations de la mission. Ne pouvant pas maintenir sur place,
dans
leurs
missions
respectives
les
jeunes
qu'elle
amenait
au
christianisme, celle-ci voulait désormais gérer leur exode afin que le
dépeuplement
de
la
campagne
qu'elle
déplorait
n'eût
pas
pour
conséquence le recul du christianisme.
-------------------------~-
1. Arch. CSSP 264 B IV
2. Arch. CSSP 264 B IV
3. Arch. CSSP 264 B IV
269
Des
relations
plus
étroites
entre
les
missionnaires
de
la
brousse
et
ceux
des
villes
devaient
naître
de
cette
nécessité
d'assurer l'accueil
des chrétiens des campagnes. Les filles étaient
alors souvent recommandées aux missionnaires de Dakar par ceux
de leur village d'origine qui les leur confiaient en quelque sorte(l),
ce qui facilitait leur accueil et leur "suivi" par leurs hôtes.
D'autres filles se présentaient aussi
d'elles-mêmes et avaient
toutes les chances d'être acceptées. Leur demande était en effet une
preuve de leur sérieux, et il n'y avait pas de raison qu'elles soient
handicapées par le nombre des recommandations(l).
La volonté et la disponibilité des soeurs n'ont cependant eu
qu'une influence limitée sur les solutions aux problèmes de l'exode
rural. Le nombre de jeunes qui débarquaient à Dakar et dans les
autres villes était impossible à prendre totalement en charge et à
suivre normalement. Appelées à aller travailler le jour, les filles
n'étaient dans les conditions voulues que le soir. Or, les "dangers"
redoutés pouvaient aussi se produire au lieu même de travail ou
ailleurs sans que les soeurs aient la possibilité matérielle de les
prévenir.
Mais les foyers avaient une grande importance, en ce sens
qu'ils maintenaient les pensionnaires dans une ambiance chrétienne
qui
pouvait
contribuer
à
les
mettre
à
l'abri
des
mauvaises
tentations(3 ).
Ces foyers étaient nombreux à Dakar où ils étaient tenus, à
partir de la fin des années quarante, par plusieurs congrégations de
religieuses. C'est pour marquer à leur façcon le centenaire de leur
présence à Dakar que les Soeurs Bleues y ont ouvert, en 1948, l'un
des tout premiers foyers pour jeunes filles en plein centre-ville, un
peu pour compléter leur oeuvre qui, à quelques pas, était menée
dans le domaine de l'enseignemen t(4).
1. ECHL 099
2.
Ibid.
3. Horaf, 18, 1948
4. Horaf, 208.
1969, p.1O
270
Il
convient de mentionner que
pour des
raisons
évidentes,
cette activité ne pouvait être menée que dans les villes et lorsque
quelques
années
plus
tard
les
soeurs
de
la
même
congrégation
s'installèrent à Fatick, l'objectif de leur mission ne pouvait être que
différent : dans la "brousse" sérère, il s'agissait plutôt à la fois de
maintenir
sur
place
les
jeunes-filles
-
donc
lutter
autant
que
possible contre l'exode rural - et leur apprendre les connaissances
de base nécessaires à la tenue du foyer chrétien.
Ces foyers nés avant 1955 étaient déjà la manifestation d'un
besoin si grand qu'ils allaient se multiplier après. Ce besoin était
parfois si crucial que les Franciscaines, en plus de leur "crèche",
étaient amenées à créer, dans leur maison de la Médina, un foyer
chargé
de
recueillir
des
jeunes
filles
travailleuses(l)
certes
"exposées" mais aussi connues ou recommandées.
Les
missionnaires
ont
cru
devoir
regrouper
les
filles
hébergées
en
fonction
de
leur
provenance
géographique,
pour
résoudre
le problème de
langues
et de
cohabitation.
C'était là
surtout un
moyen
d'assurer une certaine cohérence dans
l'action
d'évangélisation
qui
en
était
ainsi
facilitée,
cerrtaines
des
pensionnaires n'étant encore que catéchumènes ou de rendre plus
efficace le séjour, tout en prévenant les problèmes de clans qui
pouvaient exister entre filles d'origines différentes.
Les
foyers
n'ont
pourtant
pas
été
le
séminaire
et
aucun
règlement ne venait régir la vie de leurs pensionnaires. Tout devant
se passer comme en famille, c'est comme en famille qu'était vécue
et gérée la discipline. La seule contrainte supplémentaire était le
contrôle sur les horaires(2) le reste étant l'affaire de tous, dans le
cadre d'une auto-discipline visant la responsabilisation individuelle
des
intéressées.
Presque au même moment qu'elle cherchait à loger les jeunes
des missions de brousse débarquées à Dakar, la mission travaillait à
instituer au
Sénégal
le Secours catholique.
En
1955 elle fondait
Caritas-Sénégal qui était alors "une succursale du Secours catholique
français"(3).
1. Horar, 208.
1969, p.1O
2.
Horar, n° spécial. L'Eglise du Sénégal.
1 - Il,
1992 p.84
3. Ce n'est que 30 ans plus tard que Caritas-Sénégal
devint
Ca ristas
tout court et un organe de la pastorale sociale de l'Eglise du Sénégal.
271
C'était le début de l'institutionnalisation d'une oeuvre sociale
pour les pauvres. Jusque-là celle-ci était gérée de façon ponctuelle
par
les
missions
même
si
au
niveau
national,
la
recherche
des
moyens était coordonnée de même que
leur distribution. Caritas-
Sénégal, reconnue d'utilité publique dès sa fondation, n'était donc
pas à proprement parler une institution de la mission du Sénégal.
Mais elle faisait en fait partie de ses oeuvres.
Les
domaines
d'intervention
qui
englobent
la
promotion
humaine
et
l'aide
aux
nécessiteux
intègrent
parfaitement
la
dimension sociale de l'action de la mission qui venait de trouver en
elle ses moyens. Concrètement, il s'agit de :
- "contribuer à la transformation de l'ordre humain dans le
respect des droits de l'Homme" ;
"faire
prendre
aux
chrétiens
conscience
de
leurs
responsabilités au service des plus pau vres";
"faire en sorte,"par le secours d'urgence", que soit assuré un
secours matériel aux populations menacées de famine"(l).
Ces objectifs qui ont de tout temps été ceux de la mission mais
qu'elle n'a jamais eu les moyens de mettre en oeuvre venaient amSl
de trouver le cadre de leur réalisation.
Mais cet aspect de la pastorale n'est guère très important pour
notre
période.
Une année de
Caritas
nous
semble
en
effet
très
courte pour être efficace dans l'évangélisation. De plus, la nécessaire
"décentralisation" de l'institution qui est la condition de sa pleine
efficacité en pays sérère n'allait intervenir que bien plus tard(2).
1. Horaf, numéro spécial - J'Eglise du Sénégal. 1 - Il, 1992 p.84
2.
Les
Caritas
diocésaines,
comme
leur
nom
l'indique,
ne
devaient
voir le jour qu'avec l'institution des diocèses. Et dans les faits, bien après.
Si
l' avènement
de
la
hierarchie
a
favorisé
l'érection
de
Dakar
et
Ziguinchor en diocèses dès
1955, Kaolack n'allait accéder à ce stade de
l'évolution de la mission qu'en 1957 et les autres encore plus tard: Saint-
Louis en
1966; Thiès en 1969; Tambacounda en 1990. Aussi, bien qu'une
bonne partie du pays sérère soit située dans le diocèse de Dakar, où s'est
établie
la
Cari tas
"nationale",
il
fallait
attendre
longtemps
encore
pour
que
celle-ci
s'intéresse
vraiment
au
monde
rural
par
des
actions
de
développement
ou
de promotion
humaine,
à côté
des
secours
d'urgence
qui,
jusque-là,
constituaient
l'essentiel
de
ses
interventions
en
faveur
des
paysans.
272
II - LES OEUVRES DE FORMATION
A.
Les
"écoles
d'enseignement"
Nécessité primordiale dès le début de l'évangélisation, l'école
est restée la
"plus en
vue"(l)
de
toutes les composantes
de la
pastorale sociale au Sénégal comme partout ailleurs dans la mission.
Les écoles ont en effet toujours été indissociables de celle-ci et
les missionnaires en créaient à chaque fondation bien que de façon
générale,
elles
devaient
rester
rudimentaires
pendant
de
très
longues
décennies(2).
1.
Horaf, numéro spécial - l'Eglise du Sénégal. 1 - Il
1992, p.SO. Ce qui
s'explique par le fait qu'on était
bien
dans
unc
mission
où
tout était
à
faire dans le domaine de l'Education.
2. J. Janin-
Ouvriers
missionnaires.
Paris,
les
Oeuvres
Françaises,
1944
p.139.
Généralement,
il
y
avait
dcux
catégories
d'écoles
pour
ce
qui
concerne
plus
spécifiquement
notre
sujet
:
les écoles de
brousse A qui
enseignaient
la
langue
indigène
(le
Sérère)
avec
le
catéchisme,
les
rudiments
de
la
lecture,
de
l'écriture
et
du
calcul
et
les
écoles
de
brousse B, enseignant la même chose en langue française
(voir
Arch.
A.
Dakar,
Dossiers
missions).
Parfois,
des
catéchistes
particulièrement
disponibles
enseignaient
dans
les
deux
langues.
Ces
écoles
dites
de
catéchistes
existaient
dans
toutes
les
missions
et
consistaient
à donner,
à côté
de
l'instruction
religieuse
sensée
être
le
plus
important,
un
enseignement
couvrant,
au
mieux,
le
programme
des
deux
premières
années
de
l'enseignement
primaire.
Mais
jusqu'à
la
première guerre mondiale, seules les écoles de Joal,
Ngasobil et Kaolack
dispensaient
un
tel
enseignement.
Après
la
guerre
et
à
partir
des
années
1920,
ces
écoles
catéchistiques
devaient se multiplier un peu partout dans la mission : Fadiouth en 1922,
Ndiaganiao
en
1927,
Mar
Lodj
en
1944
etc...
Précédant
parfois
l'établissement
définitif des
prêtres,
ellcs
étaient
d'une
fortune
inégale
:
celles
de
Bicol
(dans
la mission
de
Fatick),
Diohine,
Joal
et
Fadiouth
réussirent
à
donner
un
bon
enseignement
à
quelques
enfants
qui
s'étaient
montrés
particulièrement
intéressés,
mais
pour
la
plupart
des
autres
missions,
l'enseignement
resta
très
rudimentaire
et
put
à
peine
permettre aux élèves de lire et écrire.
Là où elles SOnt performantes, ces
écoles
ont
donc
pu
envoyer
certains
de
leurs
élèves
continuer
leurs
études
à
Ngasobil,
au
séminaire,
où
ils
pouvaient
recevoir
un
enseignement
primaire
complet
pour
y
entamer
ensuite
leurs
études
secondaires,
les
arrêter
pour
travailler
ou
(plus
récemment)
les
poursuivre
à
Dakar.
273
Même
au
Sénégal
où
l'administration
s'est
occupée
relativement tôt de fonder l'Ecole, elle devait compter, pour la tenir,
sur les missionnaires, pendant plus d'un demi siècle(1). Et cela n'a
pas empêché la mission de continuer, sans la moindre interruption,
de s'occuper dans ses propres établissements, d'une oeuvre qu'elle
considérait comme partie intégrante de son action.
Les objectifs de l'enseignement "général" ne sont pas, en effet,
très éloignés de ceux de l'enseignement religieux. Il s'agit toujours
pour le missionnaire, tout en favorisant l'''éveil'' des hommes et la
formation de leur personnalité ainsi que de leur conscience de vrais
citoyens, de discerner
"ceux qui
peuplent leurs
séminaires,
leurs
Ecoles Normales, les Noviciats ou qui tout au moins, seront dans
leurs villages de sérieux militants d'Action Catholique"(2).
1. Des tentatives furent faites, en effet, dès
1817, à Saint-Louis
par J.
Dar d,
instituteur
spécialement
débarqué
de
France
pour
créer
l'''école
mutuelle"
de
cette
ville.
A Gorée
peu
de
temps
après,
une
école
fut
également
créée
mais
ne
tarda
pas
à disparaître
rapidement
laissant
la
place à la seule école de Saint-Louis comme établissement public de la
colonie.
Une école qui eut d'ailleurs beaucoup de difficultés à s'imposer,
ce
qui
devait
amener
l'administration
de
Saint-Louis
à
solliciter
ou
laisser faire la mission dans le domaine éducatif : les premières écoles au
Sénégal
comme
d'ans
d'autres
pays
furent
donc,
à
l'exception
de
cette
école
mutuelle,
l'oeuvre
de
l'église
à
travers
des
congrégations
religieuses
féminines.
Elles étaient d'abord
des écoles de filles.
La toute
première naquit en
1819 à Saint-Louis.
Confiée par le gouvernement de
la colonie aux
soeurs de Saint-Joseph de
Cluny,
elle devait être
suivie,
trois ans plus tard, par celle de Gorée. La première école de garçons ne
vit
le
jour
qu'en
1835,
à
Saint-Louis,
sans
grand
résultat
d'ailleurs
puisqu'il
a
fallu
attendre
1841
pour
qu'avec
les
frères
de
l'Instruction
chrétienne
de
Ploërmel,
démarre
vraiment
l'enseignement masculin
dans
la colonie.
L'école des
frères
de
Ploërmel
devait être
suivie,
en
1844, par la
réouverture
de l'école
de
Gorée
et
depuis,
l'enseignement
était
entre
les
mains
de
la
mission.
Quelques
années
plus tard était créée à Dakar (en
1848) par les
soeurs Bleuesde
Castres
la troisième école de filles qui était en même temps (exception
faite du séminaire) la première école de la future capitale de l'AOF. Cet
effort
de
scolarisation,
jusque-là
urbain
devait
bientôt
gagner
les
campagnes
et,
en
1850,
avec
le
transfert
du
séminaire
de
Dakar
à
Ngasobil naissait la première école du pays sérère. Elle devait être suivie
quelques
années
plus tard
de celle de Joal, essentiellement catéchistique.
A partir de cette date (1860) on peut considérer que l'école avait pris un
départ définitif dans le pays, même si clic ne se développa qu'à partir de
la fin des années 1940.
2.
L.
Deyrieux:
"Lenseignement
catholique
dans
les
pays
de
missions".
Annales
de
la
Propagation
de
la
Foi,
janvier-mars
1948.
274
Il
s'agit
aussi
de
former
"les
familles
qui
cons ti tuen t
l'armature
de
la
chrétienté
nouvelle
et
plus
tard ...
les
évêques
indigènes auxquels il
faudra confier le gouvernement spirituel de
leurs
compatriotes"(l).
De fait, l'Eglise a toujours pensé que c'était "son rôle et son
devoir d'instruire les enfants,
les
hommes,
les
peuples"(2).
Cette
exigence
pastorale
ne
fut
pas
cependant
toujours
pleinement
satisfaite.
En
1880 et jusqu'en
1955, l'école restait, pour beaucoup de
Sérères, inutile et même dangereuse.
Pourquoi envoyer ses enfants
à ce lieu de mort spirituelle et sociale alors qu'on a besoin d'eux
ailleurs ?
D'abord on les veut "normaux "c'est-à-dire comme les autres
et si possible supérieurs. Mais toute comparaison ne pouvant partir
que du vécu quotidien de la société telle qu'elle est, cette notion de
réussite impliquant la "supériorité" exclut naturellement tout ce qui,
comme l'école, n'appartient pas à la tradition.
Les enfants avaient, ensuite, beaucoup à faire, aux champs et
avec la garde du troupeau pour qu'on ne préfère pas les "donner"
au Blanc. "Donner" éclaire très largement sur la conception qu'on se
faisait
alors
de
l'école
européenne
: ceux
qui
y
allaient étaient
censés perdus pour leurs parents et pour la société.
Car non seulement ils devenaient de "nouveaux" hommes, leur
vie ne pouvant plus être la même, mais encore ils ne pouvaient plus
être
utiles
à
la
société
puisque
leur
nouvelle
situation
ne
leur
permettait plus d'intégrer son réseau de relations et de solidarités.
Il
n'est
pas
étonnant dans
ces
conditions
que
les
premiers
élèves n'aient pas pu persévérer à une école qui marquait pour eux
une
rupture
brutale
avec
leur
environnement.
A
cette
situation,
s'ajoutaient parfois les obstacles liés aux relations entre la mission
et
l'administration.
1.
J. Lavarenne:"Pourquoi des écoles en pays de Mission" ?
Annales
de la
Propagation
de
la
Foi,
janvier-mars
1948.
2.
Ibid.
275
Bien
qu'elle
n'ait
eu
que
des
effets
très
limités
dans
la
"brousse"
sérère,
la
laïcisation
des
écoles( 1)
ne
pouvait
qu'engendrer
des
difficultés
pour
l'oeuvre
d'éducation
des
"
.
mlSSlOnnaues.
1.
Depuis la
relance de
l'institution
scolaire
par
le
gouvernement et sa
prise en main par les frères de Ploërmel en
1841, le tissu scolaire s'est
développé assez lentement mais le noyau formé à Saint-Louis n'a fait que
se fortifier grâce à la détermination des autorités coloniales mais aussi à
la compétence
des
missionnaires.
Avant
même
la
réouverture
de
l'école
de Gorée, un collège secondaire avait été créé en
1843 el immédiatement
confié à l'abbé Boitat, arrivé de France avec ses compagnons Moussa et
Fridoil en 1842. Lorsqu'en 1849 cette école est supprimée, du fait semble-
t-il
des
mauvais
rapports
que
leurs
dirigeants
(Boilat
et
puis
Fridoil)
entretenaient
avec
leur "hiérarchie" qui
semble
avoir tout
fait
pour
les
salir, les frères de Ploërmel la remplacèrent de fait par la
"classe latine"
un
embryon
d'enseignement
secondaire.
Avec
l'arrivée
de
Faidherbe
en 1854, l'école vit désormais au rythme de la conquête et à l'intérieur, les
toutes
premières
classes
s'ouvrent
à Dagana
(1858),
Podor
(1860) et
Bakel
(1861). Au même moment (en 1857 et 1864) deux écoles
laïques
sont
créées
à
Saint-Louis
dans
le
but
apparent
d'équilibrer
le
système
monopolisé
jusque-là
par
l'église
catholique.
Avec
la
première
de
ces
deux écoles qui s'est installée à Saint-Louis, naissait en
1857 une école
franco-musulmane, deux ans après celle des Otages
née
en
1855
avant
d'être
régularisée
en
mars
1861.
Cette
dernière
école,
placée
sous
la
direction des missionnaires recevait les fils,
neveux et autres parents des
chefs du pays destinés à être les agents de l'administration nouvelle issue
de la conquête.
En même temps,
l'école
formait
des interprètes,
recrutés
parmi
les
jeunes
des
pays
soumis
sans
forcément
qu'ils
fussent
des
parents de
chefs.
Avec
le
départ
de
Faidherbe,
cette
expansion
de
l'école
devait
être
freinée.
La défai te de
1871
allait davantage
aggraver
les choses et
l'on
assiste à un vrai recul de l'enseignement, avec
la suppression des écoles
existantes dans les postes. Le même souci de faire avec le peu de moyens
disponibles amena même à la suppression de l'école des Otages dès 1872 et
ce, pendant vingt ans
puisqu'elle ne fut
réouverte
qu'en
1893.
En
1884,
les
frères
de
Ploërmel
se
voyaient
confier
la
toute
nouvelle
é col e
secondaire
créée
cette
année-là,
telle
une
lumière
hésitante
au
milieu
de cette grande obscurité qui ne laissa finalement éclore, à la veille de la
laïcisation,
que
9
écoles
primaires
et
un
embryon
d'enseignement
secondaire
(malgré
un
demi
siècle de
tentative);
le
tout
situé
dans
les
quatre
communes
que
comptait
le
Sénégal.
Rappelons
pour
mémoire
que
ces
communes,
à la
fin
du
siècle
dernier
étaient
Saint-Louis et
Gorée
(les doyennes)
ainsi
que
Rufisque
et Dakar
nées
un
peu plus
tardivement,
aux
débuts
de
notre
période
de
raisons
essentiellement
historiques
(Rufisque
était
un
vieux
port
depuis
sa
découverte
par
les
Portugais
et
surtout
à
partir
du
XVIIe
siècle)
ou
géographiques
pour
Dakar qui, à partir de
1859, n'a cessé de gagner en
importance, sur le
double
plan politique ct économique.
276
Le
contrôle
assez
serré
que
le
gouvernement
exerçait
désormais sur l'enseignement de ceux-ci excluait de 1904 à 1922(1)
tout développement des écoles de la mission celle-ci se contentant,
après avoir "cédé" à l'administration ses écoles des villes, à y gérer
plus
ou
moins
officieusement
des
centres
d'enseignement
"parallèles"
évidemment
non
reconnus,
mais
bien
appréciés
des
populations.
1. En
1903,
l'école
ne
touchait
qu'un
nombre
insignifiant
d'enfants,
avec
seulement
5
écoles
des
garçons et 4
de
filles
tenues
par
les
soeurs de Saint-Joseph de Cluny, une seule école parmi ces 9 étant dirigée
par des laïcs.
Aussi,
l'arrêté
du
24
novembre
de
celte
année portant
réorganisation
de
l'enseignement en
AOF devait
prendre
des
mesures
pour
rendre
plus
satisfaisante la couverture scolaire du
pays.
En
même
temps,
des
écoles
primaires
superIeures
sont nées et dans
un souci de répondre à l'option d'étendre l'école à tous les pays conquis,
c'est-à-dire
à
l'ensemble
du
territoire
national.
est
créée
une
école
no r mal e
en
vue
de
la
formation
d'instituteurs.
Sur
le
plan
de
l'enseignement
professionnel.
est
créée
égalcment
l'école
superIeure
professionnelle
(école
Pinet-Laprade)
à
Gorée.
Quant
à
l'école
secondaire
des
frères
de
Saint-Louis,
elle
fut
laïcisée
et
devint
école
primaire
supérieure
Faidherbe.
Les missions qui, depuis le 1er janvier 1904 ne
recevaient
plus
aucune
aide
financière
de
l'Etat
purent
cependant
organiser
comme
elles
l'entendaient
leurs
écoles
devenues
libres
suivant
la
terminologie
officielle.
En
fait
ces
écoles
restèrent
pendant
longtemps
rudimentaires
en
brousse(
Supra, p 272). Lorqu'en 1914 une
circulaire
du
gouverneur
général tenta de remettre en cause le modus vivendi qui présidait depuis
dix ans aux
relations de la mission avec l'administration qui amena celle-
ci à toujours fermer les yeux sur les activités scolaires des congrégations,
en interdisant à la mission d'ouvrir de nouvelles écoles et obligeant celles
qui
étaient
déjà
ouvertes d'appliquer
le
règlement
des
écoles
officielles
(enseignement laïc et en français),
il était trop tard : la guerre qui éclata
le mois suivant allait créer l'épreuve propice à l'union sacréc plutôt qu'à
la division.
Unc
nouvelle situation
prévaut
en
tout
cas
et
avec
cl le
de
nouvelles positions de pan et d'autres et qui devait dès 1919, être suivie
du protocole
de
Saint-Germain
signé
en
septembre
entre
la
France,
la
Grande
Bretagne,
les
Etats-unis,
le Japon,
la
Belgique,
l'Italie
et
le
Portugal
et
qui
faisait
aux
signataires
obligation
de
ne
pas
entraver
l'action des
missionnaires de
toutes origines
et de
toutes
nationalités sur
leur territoire.
Si
les missionnaires étrangers ont dès
la fin
de la guerre
cherché
à
profiter de
la situation
créée
par ce
protocole en
s'installant
en
grand
nombre
en
AOF,
ils
étaient
trop
surveillés
malgré
tout
pour
pouvoir
se
déployer
librement
- A. N. S.
17 G
170 (28) : Activités des
missions religieuses ; il n'en fut pas de même des missions françaises qui
virent
leur
liberté
du
début
du
siècle
plutôt
renforcée.
C'est
dans
ce
contexte
qu'est
intervenue
le
décret
du
14
février
1922
réglementant
l'enseignement
privé.
.. ..../.....
277
La
réputation
des
frères
de
Ploërmel
et
des
soeurs
enseignantes
était
telle
que
le
gouvernement
était
finalement
impuissant devant cette "concurrence"
des écoles
laïques par les
religieux. Celle-ci était si rude que la directrice de l'école (laïque)
des
filles
de
Dakar
se
crut
obligée
d'en
saisir
officiellement
l'administration,
sûrement
pour
qu'elle
mette
fin
à
ce
qui
lui
paraissait illégal.
Les congrégations des soeurs Bleues et de Saint-Joseph de
Cluny avaient, en effet, après avoir été contraintes d'abandonner les
écoles qu'elles
tenaient pour le gouvernement, décidé de ne pas
quitter la colonie contrairement aux frères de Ploërmel qui étaient
tous
partis
aussitôt
après
la
promulgation
des
mesures
de
laïcisation.
Elles se consacrèrent à l'éducation des jeunes "dans d'autres
oeuvres"(l) qui ne tardèrent pas cependant à devenir de véritables
écoles.
En
1914,
l'orphelinat des religieuses
de
Saint-Joseph
de
Cluny de Dakar, ouvert en 1905 devenait tout simplement une école
pri maire( 2).
A
Rufisque
également,
on
usa
du
même
procédé
à
telle
enseigne qu'à Dakar(3) comme dans cette viHe(4), les écoles laïques
étaient largement désertées au profit de l'école catholique.
Ce
texte
était libéral
et
resta
le principe
fondateur de
tout
le
système
d'enseignement
privé
catholique
au
Sénégal
qu'il
organisa
autour
de
deux
grandes
idées
: l'autorisation
préalable
pour
l'ouverture
des
écoles
et
l'obligatgion
pour
les
écoles
autorisées
d'adopter
le
programme
officiel
d'enseignement.
Cela excluait
l'enseignement dans
les
idiomes du
pays
mais
depuis,
la
mission
avait
forgé
la
réponse
appropriée
:
les
écoles
catéchistiques qui
existaient
dans
toutes
les
missions.
voisinaient
de
plus
en
plus
avec
les
écoles
adoptant
le
programme
officiel
et
préparant
aux
diplômes
officiels.
Ces
écoles
ne
furent
pas
toujours
faciles
à
créer
mais
elles
allaient
couvrir
peu
à
peu
le
territoire
missionnaire
surtout
après
notre
période
cependant.
La
prise
en
charge
du
volet
éducatif
religieux
par
les
catéchistes
permettait
aux
écoles
primaires
de
mieux
se
conformer
aux
programmes
d'enseignement
officiel
avec
quelques
plages
horaires
consacrés
à
l'enseignement
religieux c'est- à -dire souvent avant ou après l'horaire normal de classe.
1.
Guide
de
l'enseignement
catholique
au
Sénégal
Ed.
et
date
d'édition
non précisées.
p.9
2.
Ibid.
3. A.N.S. J 84 - 61
4. A.N.S. J 84 - 63
278
Le caractère libéral de l'Administration(l) devait d'ailleurs se
confirmer aux
yeux
des
missionnaires eux-mêmes
dont l'évêque,
Mgr Le Hunsec, jugeant en 1923 le décret sur l'enseignement privé
en AOF "que le gouverneur général avait promis libéral", estima
qu'il était juste, ne donnant "ni avantage ni secours" à la mission(2).
Ici encore, c'est la personnalité des gouverneurs et leur conception
du rôle de la mission qui déterminaient ce qui lui était refusé ou
permis en matière d'enseignement.
Les missionnaires avaient ainsi, au plus fort de l'application de
la laïcisation, tout fait pour contourner les difficultés paralysantes
de celle-ci(3).
Dans les missions du pays sérère,
les écoles qui
existaient alors continuaient de fonctionner mais il n'y eut aucune
tentative de création de nouvelles.
Celles
de
Joal
apparaissaient
alors prospères.
Tenue par une soeur du Saint-coeur de Marie, l'école des filles
comptait, en 1906, 97 élèves. Celle des garçons, moins bien pourvue,
en avait 50, sous la direction d'un père du Saint-Esprit(4).
1.
Arch.
CSSP 262 A 1. Même les craintes exprimées au sujet des biens
d'église
devaient
finalement
s'avérer
sans
fondement,
le
gouvernement
colonial
estimant,
à juste titre, que
"comme les
missionnaires agissent
surtout avec
leurs propres ressources,
leur droit d'agir ainsi
(lui) paraît
incontestable" - A. N. S. J 10-16. Et seuls, devaient être considérés comme
propriété
des
communes
(auxquelles
d'ailleurs
il
était
demandé de
les
"mettre gratuitement" à la disposition des associations appelées à assurer
l'exercie
du
culte)
les
établissements
construits
par
le
gouvernement
quand il avait besoin de la religion pour sa politique coloniale. Pour tous
les autres (dont la totalité des chapelles et autres établissements du pays
sérère) qui étaient "construits sur des fonds appartenant à la mission". il
était hors de question de les rétrocéder à l'Etat ou à l'un quelconque de
ses démembrements "puisque les Pères du Saint-Esprit ont une existence
reconnue"
- A.N.S. J
84 - 1.
2. Arch. OPM
G 07579.
3.
La suppression des subsides du gouvernement dans les pays dits de
proctectorat n'a pas
arrêté le
fonctionnement de l'école
de
Joal ou du
séminaire de
Ngasobil
de
même que
les
autres
oeuvres
d'enseignement
de cette mission - A.N.S.
J. 84 - 4. Dans les villes. la "peur" du début s'est
vite
transformée,
en
l'espace
de
quelques
années
seulement,
en
détermination
ayant
abouti
à
la décision
ferme
de
transformer,
comme
on le sait, les ouv roirs et autres blanchisseries en écoles tenues par les
soeurs de Saint-Joseph de Cluny et de l'Immaculée Conception.
4. ANS J 84 - 4
279
Quant
aux
orphelinats
de
Ngasobil,
ils
ne
comptaient
pas
moins de 100 pensionnaires dont 70 garçons et 30 filles auxquels
l'enseignement
continuait d'être dispensé(1)
en
même
temps
que
fonctionnaient le séminaire et les autres oeuvres d'éducation.
Les écoles devaient cependant avoir des effectifs trop
fluctants puisque quelque quinze années plus tard, en 1920, Mgr Le
Hunsec notait dans son rapport quinquennal à Rome: "Depuis 1904,
le gouvernement à laïcisé toutes les écoles... A proprement parler,
nous n'avons plus qu'une école de garçons très prospère d'ailleurs
avec plus de 400 élèves; elle se trouve à Bathurst en cette enclave
anglaise du vicariat" (2).
La collaboration scolaire
gouvernement-mission devint donc,
à partir de
1904 d'abord
inexistante(3) ensuite très
limitée alors
qu'elle n'a jamais cessé d'exister dans les colonies, britanniques(4)
ou
belges(5),
une
situation
qui
devait
être
bénéfique
pour
la
mission
spiritaine de
Gambie.
On
comprend
ainsi les causes du
développement de l'école de Bathurst qui était subventionnée par le
gouvernement
anglais,
dans
un
environnement
de
morosité
générale de l'enseignement libre, dans toute l'étendue du reste de la
mission.
Par les mesures de 1904-1906 qui, contrairement à celles de
1881-1882 qui
n'eurent
pas
le
même
effet
négatif
au
Sénégal"
l'action missionnaire fut tès fortement gênée dans l'enseignement.
Les écoles catéchistiques continuaient pourtant de fonctionner là où
elles
existaient
mais
leurs
limites
étaient
ainsi
très
clairement
établies. La vraie école était toujours à venir. Quelques années après
le
rapport
cité
du
chef de
la
mission,
la
liberté
retrouvée
de
l'enseignement catholique ne fut pas la porte ouverte à tous
les
succès.
1. ANS J 84 - 5
2. Arch. CSSP 261 A III
3. J. Maze
- La
collaboration
scolaire
des
gouvernements coloniaux
et
des missions. Alger, Maison Carre. 1933
pA
4.
Ibid.
5. G. Hardy - Nos grands problèmes coloniaux. Paris, A Colin, 1949
p.84.
280
En
vam,
les
missionnaires
firent
appel
aux
congrégations
enseignantes
: pour notamment l'ouverture d'une
école
secondaire
qui
s'avérait
d'autant
plus
nécessaire
qu'un
lycée
était créé
par
l'Administration.
Il
y avait surtout ce fait que
la jeunesse avait
besoin
d'une
formation
solide
pour
affronter
ses
responsabilités
futures,
dans
un
pays
appelé à jouer, de
plus
en
plus,
un
rôle
important dans la conduite de ses affaires.
Mais
l'appel
resta
tout
d'abord
sans
écho
les
frères
de
Ploërmel,
que
leur
expenence
sénégalaise
semblait
avoir
traumatisés n'acceptèrent pas de revenir. Leur champ d'action était
d'ailleurs
si
vaste
qu'ils
n'en
avaient peut-être plus
les
moyens.
Réservant alors leur décision, les frères maristes furent attendus en
vaIn.
Quant
aux
autres
congrégations
enseignantes,
elles
se
sont
installées juste à la fin de notre période( 1). Aussi, on comprend que
même
pour
les
écoles
primaires,
les
choses
ne
soient
pas
très
simples.
Celle ouverte à Dakar en 1931
le fut par un missionnaire, le
père
Doutremepuich aidé d'un frère de la même congrégation du
Saint-Esprit et d'un "sous-maître indigène"(2).
Dès lors il ne subsista en pays serere que les écoles qui y
étaient créées au XIXe siècle avec la nouvelle école catéchistique de
Fadiouth qui avait commencé à bien tenir son cycle des deux années
de cours préparatoires.
1.
Les
frères
enseignants
de
Saint-Gabriel
ct
les
soeurs
enseignantes
et
hospitalières
de
Saint-Charles
d'Angers
n'allaient
s'établir
au
Sénégal
qu'en
1954.
Les
soeurs
s'installèrent
à
Grand
Dakar
où
elles
prirent aussitôt trois classes tandis que les frères s'établirent à Thiès. Les
pères
maronites.
eux,
étaient
depuis
1949
à
Dakar
mais
leur
établissement
d'enseignement
ne
devait
ouvrir
ses
portes
que
bien
plus
tard,
au
début
des
années
60.
Une
autre
congrégation
venue
répondre
à
l'appel
de
l'évêque
de
Dakar est
directement
allée
s'installer
à Bignona
dès
son
arrivée
en
1952.
Il
s'agit
des
soeurs
de
la
Présentation
de
Marie qui devaient fonder un second poste à Elena dans la même région
de Casamanse, en 1954 et un jardin d'enfants en 1959 à Grand Yoff dans la
banlieue
de
Dakar.
2.
C.
Tastevin:"Dakar
au
point
de
vue
catholique".
Les
missions
catholiques,
1931
p.250
281
Le problème des autres écoles de catéchistes restait le même
ceux
qui
étaient chargés de
l'enseignement,
les
catéchistes,
ne
dépassaient que rarement ce cycle de
formation,
ce qui
limitait
considérablement
la
qualité
et
le
niveau
de
l'enseignement.
Pourtant ces écoles étaient les seules à prospérer vraiment, par le
nombre de leurs élèves.
Les
écoles
proprement
dites,
c'est-à-dire
les
écoles
"régulières"
n'existaient
d'ailleurs
que
"dans
les
principaux
centres"(1) à l'exclusion donc de l'essentiel du pays.
C'est à partir du début des années
1950 que l'enseignement
prIve catholique, repartant sur des bases nouvelles, put commencer
à gagner l'ensemble du pays(2). Jusque-là, de sérieuses difficultés
se posaient au
sujet notamment du
recrutement des
maîtres.
Le
décret du
14 février
1922 qui régissait l'enseignement privé
en
AOF, en disposant que cet enseignement
"a le même objet que
l'enseignement officiel" et qu'''il doit appliquer les mêmes méthodes
d'instruction", le soumettait à l'obligation de confier ses classes à
des instituteurs remplissant
les conditions notamment de diplômes
exigées des enseignants de l'école publique. Or, cette condition était
impossible à remplir pour la mission dans la situation de J'époque.
Mais
avec
le
gouverneur
Boisson
et
dans
le
cadre
de
la
politique libérale de Vichy envers le catholicisme, se dessine dès
1941
"les perspectives d'une renaissance de J'enseignement privé"
en AOF(3).
C'est
ainsi
que
le
catéchisme,
interdit
depuis
les
lois
de
laïcisation durant les heures de cours dans les écoles publiques y
est légalement réintroduit dans cette fourchette horaire dès octobre
1941 (4). Mieux, le gouverneur général autorise la création d'écoles
normales dans les missions afin que celles-ci puissent former leurs
enseignants, une mesure que Mgr Grimault fit connaître en janvier
1943(5).
1.
Arch.
CSSP 261 A III
2.
Horaf, numéro spécial - l'Eglise au Sénégal. Déjà cité
p.80
3. J. R. de Benoist - "Colonisation Cl évangélisation ... "
p.52
4.
Ibid.
S. Ibid, p.53
282
Pour renforcer toutes ces bonnes dispositionss envers la
mission,
le
gouvernement
général
décide
en
même
temps
de
subventionner ces nouvelles écoles et dès le 7 octobre
1943, un
arrêté
fixe
le
taux
de
ce
concours
du
gouvernement
à
l'enseignement
privé( 1).
Boisson
parti
depuis
plusieurs
mois,
les
nouvelles autorités ont donc tenu à marquer la continuité de l'Etat
en respectant cet engagement.
En
1949 une école normale d'instituteurs(2)
put
ainsI
etre
ouverte,
devenant
l'expression
de
la
volonté
de
la
mission
d'accélérer
le
développement
de
l'enseignement
privé
catholique,
désormais considéré comme un "complément" qui a toute sa place
dans le système éducatif et non plus comme un "concurrent".
L'autorisation d'ouverture des écoles privées
était du ressort
du
Conseil
territorial
de
l'enseignement(3)
dont
les
décisions,
contrairement à l'attente initiale des missionnaires, ont été souvent
conformes à l'intérêt général et à celui de la mission, dans la mesure
où l'enseignement public, tout en demeurant la priorité de l'Etat laïc
n'a,
depuis,
nulle
part
exclu
l'établissement
d'écoles
privées
catholiques(4).
Celles-ci
étaient servies, en
même temps,
par une
demande sans cesse croissante de la part des "autochtones" de plus
en plus sensibilisés aux "bienfai ts" de l' enseignemen t.
Dans la plupart des régions du pays sérère, cette demande
restait certes très faible
voire marginale et beaucoup d'instituteurs
de l'école laïque durent sou ven t aller chercher eux -mêmes, dans les
villages, les enfants devant peupler leurs classes, avec une fortune
inégale.
Cependan t,
le rôle d' infl uence-qui
dans
les
changemen ts
présents et en vue passait nécessairement par l' école- qui découlait
désormais
de
la démarche de l'Eglise était une
raison
suffisante
pour elle, à côté de sa "mission naturelle" d'éducation, pour veiller à
1.
Ibid, p.53
2.
Arch.
CSSP 345 A 1
3. Deuxième
conférence
des
Ordinaires
des
mISSIOns
de
l'Afrique
Occidentale Française et du Togo. Dakar 18-23 avril
1955, Dakar, impr. de
la Mission, 1955
p.7
4. Les
écoles
se
multiplièrent
alors
: Joal
(où
l'ancienne
école
devint
une école primaire tout court avec ses classes couvrant tout
le cycle du
primaire) en
1952,
Pal marin
en
1950,
Diohine en
1951,
Bicol
en
1954,
Mbissel (toujours dans Fatick) en
1953,
Bambey en
1954. La première de
toutes ces écoles étant celle de l'Immaculée Conception de Kaolack fondée
en 1932.
283
l' "équité"
dans le domaine de l'enseignement,qu'elle n'a cessé de
revendiquer
dès
qu'il
lui
apparut
impossible
d'y
maintenir
son
monopole.
L'arbitrage
possible
du
juge
accentuait
d'ailleurs
cette
tendance
à
la
"démocratisation"
de
l'enseignement
car
un
refus
d'autorisation d'une école
privée était susceptible de recours en
annulation
devant
la
juridiction
administrative.
Mais
le
développement
des
écoles
catholiques
a
suivi
sans
jamais
le
rattaper celui
des
écoles publiques(l)
ce qui
a
pu
limiter
leur
efficacité.
Ce retard
mais
peut-on
parler de
retard quand
les
missions
ne
sont
pas
fondamentalement
les
mêmes?
de
l'enseignement
privé
sur
l'enseignement
public
qui
était
particulièrement
accentué
dans
les
campagnes
pour
des
raisons
évidentes a certainement été un handicap d'autant plus grand que
l'école laïque était gratuite au moment où précisément, la mission
obligée
de
financer
elle-même
l'essentiel
de
son
enseignement,
pouvait de
moins en moins garantir
la gratuité de celui-ci. Elle
essaya alors de faire face en minorant le prix de la scolarité, la
fixant dans les "missions de brousse" à un niveau parfois presque
symbolique.
1. Transféré en
1913 à Gorée puis en 1938 à Sébikotane, l'école normale
(devenue
Ecole
Normale
William
Pont y)
avait
déjà
préparé
un
nombre
non
négligeable
d'instituteurs
auxquels
étaient
venus
s'ajouter
de
nombreux
moniteurs
à
partir de
1945.
Cette
année
fut
celle
d'une
nouvelle
réorganisation
de
l'enseignement
primaire
avec
trois
décisions
majeures
mêmes
programmes
pour
l'essentiel
qu'en
métropole,
durée
d'études
dans
les
écoles
primaires
supérieures
portée
à
4
ans
et
enseignement
obligatoire
pour
les
enfants
des
fonctionnaires
et
de
militaires
de
carrière.
Quatre
ans
plus
tard,
cette
obligation
allait être
étendue à tous les enfants dans la limite de la capacité d'accueil des écoles
qui, de son côté, n'a depuis, cessé de croître. L'institution, en 1948, de 21
inspections
primaires
réparties sur l'ensemble de
la Fédération
- J.R. de
Benoist
: l'Afrique Occidentale
française ...
p.143
- devait compléter les
mesures
prises
dans
le
cadre
d'une
forte
offre
d'enseignements
par
le
pouvoir
colonial,
dans
une
contexte
de
triomphe
de
la
politique
d'assimilation marq ué
par la nouvelle
loi
consl itutionnejje de
1946.
Avec
la
création
de
ces
inspections,
était
prise
une
mesure
importante,
relative
à
la
nette
distinction
désormais
établie
entre
['enseignement
primaire et l'enseignement secondaire qui disposait déjà de deux
lycées à
la veille de guerre : en 1920, ['école secondaire des frères de l'Instrution
chrétienne
devenait
en
effet
lycée
Faidherbe
et
en
1937,
l'établissement secondaire créé depuis
1925
à Dakar était
érigé
en
lycée
Van
Vollenhoven.
La
création
de
l'académie
de
l'A OF complétait
ce
dispositif
institutionnel
de
l'école
désormais
devenue
un
service
public
partout
présent
et
si
bien
implanté
qu'il
fallait
effectivement
à
la
mission
revoir les moyens et Jes
buts assignés
à son enseignement pour
tenir efficacement la route.
Nommé par décret,
le
recteur était en même
temps
directeur
général
de
l'Enseignement
dans
toute
l'Afrique
occidentale
française
et
président,
en
même
temps,
du
conseil
de
J'Institut
des
hautes
études
de
Dakar
-
J.
Capelle
: Rapport
sur le
fonctionnement
du
service
de
l'enseignemcnt...
p.2.
284
Malgré
tou t,
l'école
catholiq ue
n'attirai t
s urtou t
que
des
chrétiens dans ce milieu. Quant aux enfants musulmans, le seul fait
que l'école semblait s'identifier pour eux ou pour leurs parents à la
religion chrétienne(l) les en détournait au profit de l'école publique
et plus généralement de l'école coranique.
Cette
difficulté
de
dissocier
école
française
et
religion
chrétienne
allait
même
priver
beaucoup
d'élèves
potentiels
de
l'instruction
puisqu'ils
n'avaient
aucune
"envie
d'apprendre
la
religion des pères"(2). Et par le jeu de l'amalgame -
pour ne pas
dire de l'ignorance - ils n'avaient non plus aucune envie d'aller à
l'école
publique.
Et
là
où
la
mission
accueillait
des
élèves
musulmans,
ceux-ci
ne
s'intéressaient
qu'à
l'enseignement
autre
que
religieux
et
très
rares
étaient
ceux
qui
se
laissaient
convertir(3).
En
définitive,
seules
les
écoles
d'enseignement
religieux
avaient pu jouer un rôle direct important dans l'évangélisation. C'est
sans
doute
ce
qui
explique
qu'elles
existaient
partout
dans
les
missions précédant très largement les écoles primaires "classiques".
Car
non
seulement
ces
écoles
catéchistiques
envoyaient
parfois
certains jeunes
continuer leurs
études
à
l'école
proprement
dite,
mais aussi elles étaient les seules vraies pépinières de la chrétienté.
L'enseignement privé catholique a d'ailleurs
très
tôt accepté
ses limites, et ne semble pas avoir beaucoup insisté pour garder une
fonction directe dans la pastorale, se cantonnant dans
un rôle de
soutien à la tâche naturelle d'éducation chrétienne des parents et
des missionnaires chargés de l'apostolat direct. Ce qui lui a permis
de pouvoir continuer à jouer son rôle d'influence au
profit de la
mission.
Aussi, les résultats aux examens, le sérieux de l'enseignement
et
des
enseignants
devant
aider
à
mieux
asseoir
l'influence
chrétienne dans
la
société devenaient-ils
prioritaires,
devant cette
vieille stratégie de convertir par l'école.
1. EM 013
2. ECHL 105
3.
Les missionnaires
l'ont d'ailleurs
très
tôt compris,
ce qui
a fonement
contribué
au
rapide
glissement
de
la
démarche
vers
l'obsession
du
résultat
qui
devait
faire
la
différence
avec
J'enseignement
public.
285
B.
Les
"écoles
de
formation"
Les
écoles
de
formation
n'ont
eu
qu'une
importance
très
limitée dans l'oeuvre missionnaire, bien que dans ce domaine de la
formation
professionnelle,
les
missionnaires
aient
été
de
vrais
pionniers,
comparés
à
l'administration
qui
ne
s'en
soucia
guère
avant le début du XXe sièc1e(l).
L'établissement
des
prêtres
à
Ngasobil
devait
certes
s'accompagner
de
l'installation
d"'écoles"
professionnelles
ayant
pour but la formation à divers métiers des enfants que recueillait la
mission, dans la perspective pour celle-ci d'avoir de bons agents de
l"'influence chrétienne" dans le pays, mais l'expérience ne fut pas
totalement
concluante.
Dès le retour en effet du
séminaire et des
missionnaires
à
N gasobil
en
1864,
devait
naître
dans
cette
mission
une"colonie
agricole et industrielle"(2).
Appellation qui
recouvrait
sans
doute
une réalité moins importante qu'elle pouvait le laisser penser mais
qui
rendait
bien
compte de la
volonté des
missionnaires d'allier
évangélisation et "promotion humaine" des Sérères.
Hormis
la
colonie
agricole
qui
fait
l'objet
du
paragraphe
suivant,
les oeuvres de
formation comprenaient tout
un ensemble
d'ateliers, une "usine" mécanique et un "chaufour". Les ateliers, au
nombre
de
8,
comprenaient
:
une
imprimerie,
une
reliure,
une
horlogerie, une forge, une cordonnerie, une scierie, une taillerie et
une charpenterie(3). L'usine mécanique, quant à elle, se composait
d'une
"locomobile"
servant
à
la
fabrication
de
l'huile(4)
et
à
l'égrenage du
coton(5),
le
chaufour s'occupant du
traitement
des
pierres calcaires et des coquilles( 6).
1.
Après
l'école
primaire
supérieure
Pinet-Laprade,
allait
ainsi
être
créée
à
Dakar,
en
1907, l'école des pupilles mécaniciens de
la
marine.
C'était
le
début
d'une
démarche
consistant
à
donner
à
l'école
professionnelle
toute
sa
place
dans
l'enseignement,
une
initiative qui
ne
quitta plus le
"camp de l'administration"
d'autant que la mission semblait
déjà résignée à ne plus avoir de rôle à jouer dans ce domaine.
2. Arch, OPM G 07456
3. Arch. OPM G 07457
4. Arch. OPM G 07463
5. Arch. OPM G 07457
6.
Ibid.
286
LA COLONIE AGRICOLE ET INDUSTRIELLE DE SAINT - JOSEPH
AU TEMPS DE SA "SPLENDEUR"l
- Imprimerie
- Reliure
- Horlogerie
- Forge
ATELEIRS
8
- Cordonnerie
- Scierie
- Taillerie
- Charpenterie
- Egrenage de coton (10 egreneuses)
LOCOMOBILE - Fabrication d' lmile dt arachide
{
1
_ Moutme du mil
CHAUFOUR{ - Pierres calcaires
- Coquilles
r,i
-coton
-mil
- Culture
-rIZ
-IlCm
FERME -Chariase{--c::ts avec roues en fer
- chevaux
- chameaux
- aDeS
- Bestiaux - baufs
-moutons
- chèvres
- porcins
1 Sources: Arch. OPM G.07457
287
Cette
colonie
industrielle
permettait
ainsi
à
la
mISSIOn
de
résoudre
ses
problèmes
les
plus
immédiats
de
logement
et
d'entretien
des
missionnaires.
Dans
un
pays
où
aucune
industrie
n'existait, il s'agissait avant tout, pour la mission, d'assurer tout à la
fois son autosuffisance alimentaire et arriver à produire elle-même
ses propres matériaux de construction.
Autant dire que l'idée de former des "indigènes" à ces métiers
était née de l'objectif pour la mission d'assurer la promotion sociale
des
chrétiens
autant
que
de
celui
de
s'assurer
une
sécurité
matérielle indispensable à son déploiement dans le pays.
L'un
des
buts
majeurs
de l'apprentissage
ainsi
institué était
également d'attirer autour
de
la
mission
les
évangélisés.
Le
but
ultime
étant,
par
des
installations
matérielles
et
des
réalisations
progressives, d'amener les populations à prendre conscience de
la
nécessité "d'un genre de vie supérieur"(2).
Les frères, généralement affectés à cette oeuvre de formation
que le missionnaire n'a pas le temps de prendre en charge, étaient
ainsi
enseignants
en
plus
de
leurs
autres
occupations.
L'enseignement
était
essentiellement
pratique
mais
s'accompagnait
d'une éducation semblable à celle qui était dispensée dans les écoles
catéchis tiq ues(3).
Les plus doués des enfants pouvaient continuer leurs études
pour entrer au séminaire ou au juvénat de la mission. Les métiers
semblent avoir plus intéressé les jeunes Sérères que l'enseignement
général.
Ce
qui
se
comprend
par
le
fait
qu'ils
étaient
plus
"pratiques"
et étaient censés déboucher directement sur un travail
rémunéré : alors que les études "générales étaient théoriques et ne
conduisaient
pas
forcément
à
un
métier
précis,
l'apprentissage
permettait,
dès
l'entrée
dans
la
formation
de
savoir
qu'on
se
prépare à tel ou tel autre métier à un travail de son choix ou à un
métier qui était la clé de la réussite(4).
1. Arch. OPM G 7474
2. J. Janin-Ouvriers
missionnaires.
Op.
cit.
p.23
3. Ibid.
p.138
4. ECHL 109
288
Il Y avait en plus le fait qu'ils étaient "moins difficiles" et les
enfants,
qui
trouvaient
j'enseignement
général
trop
abstrait
les
préféraient de loin(l), d'autant plus qu'ils offraient "un avenir plus
lucratif"(2). Ce même constat est valable pour les filles. Au centre
d'enseignement ménager pour filles de Kaolack, celles-ci, tel qu'on
l'a vu avec l'orphelinat, n'avaient pas le choix. Les seules classes
qu'il leur était possible de suivre étaient celles de cet enseignement.
L'enseignement ménager existait d'ailleurs à partir des années
1950 dans
la plupart
des
missions
au
fur
et
à
mesure
qu'elles
étaient
dotées
de
religieuses.
L'objectif,
ici,
était
de
former
de
bonnes
épouses
pouvant
être
les
promotrices
de
la
famille
chrétienne que la mission s'efforçait d'enraciner dans le pays.
Parallèlement,
était
née
une
oeuvre
de
formation
assez
spéciale,
liée
à
la
nécessité
pour
les
missionnaires
d'avoir
des
collaborateurs
laïcs
dans
leurs
centres
médicaux.
1.
Janin,
en
abordant
le
problème
des
frères
employés
dans
les
oeuvres
médicales, écrit à ce sujet: "ils avaient des enfants ou des jeunes
gens pour faire le travail mais il fallait sans cesse les surveiller et
les diriger sans quoi rien n'était fait"(3).
Ce besoin d'aide, qui amenait certains jeunes chrétiens à se
mettre
au
service
des
oeuvres
médicales
devait
donner
lieu
au
recrutement
de
certains
d'entre
eux
comme
aides-infirmières
des
missions.
Ceux qui étaient plus doués
ont même pu
dépasser ce
niveau en devenant des infirmiers au service de la mission ou des
hôpitaux des grandes villes( 4).
Ce volet des oeuvres de formation
ne semble pas cependant
avoir été d'une très haute importance du fait du nombre très limité
de chrétiens qu'il a pu atteindre. Il en fut d'ailleurs de même des
autres.
1. ECHL 109
2.
L.
Deyrieux
L'enseignemelll
catholique
dans
les
pays
de
mission.
Déjà cité
p. non préCIS.
3.
Ouvriers
missionnaires. Op. cil.
p.149
4. ECHL 053
289
Les "écoles" de filles, d'abord, furent si cantonnées dans la
formation
de
"bonnes
épouses"
chrétiennes
qu'elles
ont
fini
par
rendre "irresponsables", au-delà de la famille, beaucoup de femmes.
Celles-
ci
n'avaient
pas
toujours
pu
comprendre
que
leur
responsabilité
devait
et
pouvait
davantage
s'exprimer
dans
les
organisations sociales et religieuses(1).
Comme celle des garçons et parfois beaucoup plus, leur "école"
était trop pratique, ne laissant pour l'instruction que le minimum de
temps
nécessaire
à
l'apprentissage
de
la
lecture
et
du
calcul.
Replongées dans leur milieu, il leur était difficile de se convaincre
que le plus grand service qu'elles pouvaient rendre à
l'Eglise ne
s'arrêtait pas à la bonne tenue de la famille et à l'éducation la plus
chrétienne possible des enfants(2).
Bien qu'une telle tâche pouvait déjà être un pas vers la pnse
de
conscience
par
la
famille
et
ses
composantes
de
leur
responsabilité dans la société, elle avait cet inconvénient d'exclure
la femme de toute action directe dans celle-ci, si elle ne l'a confinait
pas dans l'ombre et l'inaction sociale. Or, la mission devait avoir
besoin de tous ses fidèles pour marquer sa présence et l'étendre le
plus loin possible.
Les
InltIatives
qu'on
pouvait
attendre
des
femmes
dans
notamment l'Action catholique furent ainsi lentes à se préciser pour
ne pas dire inexistantes dans la plupart des missions.
Le fait le plus marquant des mouvements religieux de laïcs
reste en
effet
le rôle
presque
négligeable qu'y
jouait la femme
rurale et sa propension
à se désintéresser de
la
vie de
l'église,
passée
l'''étape''
souvent euphorique qui
va de
ta
préparation
au
baptême et au mariage à la naissance des premiers enfants.
Le sentiment d'immense responsabilité qui accompagne ce
dernier
évènement
est
certainement
propice
à
tous
les
désengagements
religieux,
eux-mêmes
d'autant
plus
présents
que
rien dans l'organisation socio-religieuse n'incite vraiment la femme
mère de famille au zèle pastoral.
1. ECHL 099
2.
Ibid.
290
Aussi, tous les mouvements d'animation de la VIe religieuse au
village sont-ils le fait des enfants et des jeunes, ce qui s'intègre
d'ailleurs parfaitement dans une vision du
monde qui voudrait les
approcher du jeu el du divertissement auxquels seuls les enfants et
les jeunes ont droit. La relativité de cette notion de jeunesse, qui
exclut les individus non pas seulement en fonction de leur âge mais
aussi de la responsabilité familiale ou sociale permet bien de se
rendre compte de l'ampleur de la désertion religieuse, face à l'appel
de l'Action
catholique.
D'autant
que
le
manque
évident
de
spiritualité excluait tout développement d'autres
mouvements.
A Ngasobil même, on était bien loin des villages de liberté
prospères
et
faisant
la
fortune
du
christianisme
qu'on
rencontra
ailleurs, même si beaucoup de ceux qui s'étaient établis autour de la
mission étaient des Sérères du Saloum fuyant la persécution ; mais
en fait la mission ne réussit pas à en créer(l). Les enfants formés
étaient ensuite à la recherche de travail et quittaient le village pour
les grands centres de commerce.
La
conséquence
fut
qu'il
n'y
avait
pratiquement
que
la
mission
à la fin
de
notre
période
el
bien
peu
de
familles.
Le
dépeuplement était aggravé par le transfert successif de l'essentiel
des oeuvres à Dakar et ailleurs qui ne laissait plus à Ngasobil que
son passé de centre
missionnaire. Prospères à leur début, les écoles
de formation le devinrent de moins en moins en pays sérère.
1.
L'expérience
des
villages
de
liberté
fut
très
timidement
tentée
au
Sénégal.
mais
ne donna
guère
de
résultats
: vers
la
fin
de
la
première
moitié du
XIXe siècle, furent créés par le gouvernement de la colonie du
Sénégal deux de ces villages près de ce qui était alors la ville de Saint-
Louis,
à
Ndar-Toute
et
à Sor.
Mais
faute d'esclaves
libérés
auxquels
ils
étaient
destinés.
ils
n'eurent
aucun
avenir,
les
esclaves
ayant
préféré
se
faire
une
place
dans
la
société
saint-louisienne.
Le
seul
village
qui
a
vraiment
existé
fut
fondé
à
Khor,
toujours
près
de
Saint-Louis
par
la
mission
protestante de cette
ville.
D'autres
villages
ont
par
ailleurs
bien
existé mais ils furent des créations spontanées de captifs. où donc aucune
institution
n'a
joué
un
rôle
quelconque.
l'Administration
se
contentant
de
délivrer
"des certificats de
liberté"
ct d'attribuer
des
terres.
En
pays
sérère. un tel
village exista à Mbam, près de Foundiougne.
Mais, comme
IOUS
les autres. il disparut avant l'arrivée de la mission. De ces villages, il
n'y
avait
plus
trace
après
la
conquête
coloniale.
Cf
D. Bou che
: Les
villages de liberté en Afrique noire française
-
1887-1910.
Paris,
Mouton
& Co. 1968. pp.53-54; 83 ; 117 et 166.
291
Cela s'explique au moms en partie par le fait que l'Etat, petit à
petit, avait pris en charge la création d'écoles professionnelles dans
les colonies et le rôle central de la colonie du Sénégal en faisait
naturellement la première bénéficiaire de cet enseignement.
Comme
le
notait
très
tôt
Mgr
Duret,
l'imprimerie
a
été
finalement la meilleure réussite de toutes ces oeuvres de formation
professionnelle(l).
Elle
n'avait
certainement
pas
pour
vocation
première
de
former
des
ouvriers
mais
son
importance
dans
la
mission ne tarda pas à l'amener à le faire, du fait de son besoin
croissant de personnel.
Les oeuvres de formation, après que les autres eurent disparu
assez vite du fait de la diminution sensible des effectifs et puis de la
disparition de
l'orphelinat, ne concernaient plus que les
"travaux
manuels" des séminaristes qu'on appliquait aussi à la culture et aux
autres travaux de la mission
Encore plus que les écoles de formation, l'oeuvre agricole de la
mission du Sénégal correspondait d'abord, comme partout ailleurs, à
un
besoin
économique,
lié
notamment
à
la
nécessité
pour
les
missionnaires de faire vivre leur propre communauté(2).
Elle
ne
fut
donc
pas,
à
proprement
parler,
une
oeuvre
missionnaire mais l'importance qUI lui fut donnée dès la fondation
de Ngasobil a fini par en faire, du moins au début de la mission, une
composante essentielle de la stratégie missionnaire.
Dès 1863 en effet, Mgr Kobès se promettait d'assigner à celle-
ci
l'objectif
"de
réunir
un
grand
nombre
d'ouvriers
et
le
plus
d'enfants possible pour les appliquer à la culture du coton"(3).
Il est vrai que l'idée de convertir ces enfants et parfois les
adultes
"par
le
travail"
n'était
pas
totalement
étrangère
à
l'entreprise puisque les prêtres estimaient que cela leur permettrait
"de donner une instruction religieuse à ces gens, tout en leur faisant
aimer le travail"(4).
1. Arch. OMP G 07474
2. D. Parrot-La
formation
rurale
dans
l'Afrique
coloniale
(1885-1960).
Thèse de 3e cycle, Lyon II, 1982
p.163
3. Arch. OPM G 07450
4. Arch. OPM G 07450
292
Mieux,
les
"établissements
agricoles"
ont
ete
considérés
comme "le meilleur moyen d'assurer les progrès de la foi" en pays
sérère,
essen tiellemen t
agricole(l).
Ce
qui
sem blai t
parfai temen t
possible et souhaitable, "loin des lieux habités par les Européens"(2).
La conviction d'une telle
nécessité était si ancrée que l'on
pensait qu'il ne fallait pas opérer une sélection chez les seuls jeunes
garçons les filles étant également à prendre en compte(3).
Ce qui
nous semble d'ailleurs
naturel dans
un pays où
les
travaux
des
champs
faisaient
appel
autant
aux
femmes
qu'aux
hommes. Et puisque l'oeuvre était aussi pastorale, il n'y avait pas de
raison qu'elle s'adressât à une seule catégorie sociale.
Il s'agissait de "prêcher l'utilité du travail aux indigènes"(4) et
le rôle des femmes dans l'évangélisation et l'Eglise était considéré
comme important. La possibilité d'une action directe ainsi donnée
aux
missionnaire
sur
"un
nombre
considérable
d'ouvriers"
devait
permettre
de
les
catéchiser
"pendant
le
temps
de
leur
travail",
ouvrant dés lors la voie à la préparation
de
"précieux éléments"
devant constituer le noyau de la famille chrétienne et
mieux,
le
clergé indigène(5) de la mission.
La population sérère devait, selon les missionnaires, être fixée
à son
sol pour être plus et mieux évangélisable par les oeuvres
agricoles. Le nomadisme semble avoir été parfois le lot d'une partie
des Sérères(6) qui, pour changer de terres, assez vite épuisées par
l'agriculture, se déplaçaient parfois, dépeuplant certains villages ; le
plus souvent, il s'agissait de déplacements dus à des
raisons de
sécurité, surtout avant la fin du siècle dernier.
Ce phénomène noté par les missionnaires était cependant très
marginal
puisqu'à
l'exception
de
l'immigration
des
Sérères
du
Saloum à la côte,
on
ne
note
aucun
mouvement de
populations
significatif dans le pays, du XIXe siècle aux années 1950.
1. Arch. OPM G 07442
2. Arch. OPM G 07442
3. Arch. OMP G 7442
4. Arch. OMP G 7449
5. Arch. OMP G 7449
6. Arch. OMP G 7502
293
Pour
les
missionnaires,
il
fallait
apprendre
aux
Sérères
à
cultiver
par
l'attelage
et
contribuer
ainsi
à
moderniser
les
techniques
culturales.
Une modernisation qui devait permettre en même
temps de
faciliter la "délivrance des esclaves" dont en ne devrait plus avoir
besoin pour les travaux des champs"(l). Il convient de rappeler que
l'esclavage dont il est ici question n'en était pas un et que la relation
s'adressait sans doute ici à la mission du Sénégal en général.
A
côté
de
cet
apprentissage
dont
l'esprit
pratique
se
manifestait dans le domaine agricole de la mission de Ngasobil et
qui fut, tel que noté précédemment, de portée très limitée, il y a
l'essentiel de l'oeuvre qui se résumait à quatre cultures: le mil, le
riz,
le coton,
le ricin et l'élevage de
bestiaux du
pays:
boeufs,
moutons, chèvres et porcs(2).
Ailleurs,
aucune
tentative
notable
ne
fut
enregistrée
à
l'exception de la " ferme Herzog de Saint-Antoine" de Pointe Sarène
qUl disparut plus vite que la mission du village du même nom(3).
On note cependant des situations isolées où les missionnaires
ont tenté de donner l'exemple en s'adonnant eux-même à la culture
souvent avec un courage admirable. Ce fut le cas du père Bouvet qui
laissa à Ngasobil et dans toutes les missions où il passa le souvenir
d'un brave paysan(4). Tout en "prêchant par l'exemple", il se faisait
ainsi
du
mil qui
lui
permettait de
réduire
les
dépenses
de
sa
mission et aider parfois les plus nécessiteux de ses chrétiens.
De façon générale, "l'évangile du travail"(5) était respecté par
les
missions
qui
veillaient
toujours
à
avoir
leur
petite
activité
agricole : à défaut de vastes champs plantait-on volontiers de petits
vergers
à
côté
d'un
petit
élevage
qui
contribuait
à
améliorer
l'ordinaire de la mission et parfois à procurer un complément de
ressources. Cela était d'autant plus nécessaire que comme on l'a vu,
les
ambitions
initiales
d'une
vaste
oeuvre
agricole
s'étaient
effondrées
assez
rapidement.
1. Arch. OMP G 07502
2. Arch. OMP G 07457
3. Arch. OMP G 07457
4.
R.
Pasquier
:
En
marge
de
la
guerre
de
sécession.
Les
essais
de
culture du COLOn au Sénégal...
pp.20
5. ECHL 011 : 015
294
Une situation qui s'explique par le manque de moyens pour
une telle oeuvre, comme devaient l'avouer les
missionnaires eux-
mêmes(l). Et il s'y ajoute la sécheresse qui ravageait souvent les
cultures puisque la croissance de celles-ci, par ce même défaut de
moyens, était laissée à "la providence"(2).
La providence devait donc amener les cultures à terme, ce qui
n'est malheureusement pas arrivé très souvent pour le coton censé
être la culture de base. Même avec la disparition de cette culture,
remplacée par d'autres plus adaptées au pays et à son climat, les
difficultés n'étaient pas pour autant résolues. Celles rencontrées en
1907 ont, en effet, été quasi constantes depuis le début de l'oeuvre
et durant toute la période de son existence.
Les
problèmes
"inhérents
au
pays
excès
de
température,
manque d'eau,
insectes nuisibles et terres
faibles"(3)
n'ont
guère
jamais arrangé les choses. Aussi s'est-on réorienté vers des rapports
plus réalistes entre missionnaires et paysans
: tout en continuant
d'oeuvrer
pour
un
meilleur
devenir
du
paysan
dans
son
environnement,
les
missionnaires
renoncèrent
désormais
aux
oeuvres
d'envergure.
Mais l'objectif lui, demeura le même. La mission continuait de
jouer un rôle de formateur dont la fin devait être l'amélioration de
la vie au village( 4) dont dépendait en partie l'enracinement sain de
l'évangile. Les premiers convertis, les catéchistes en tête, devaient
alors
être
le
"centre
d'expérimentation"
de
toute
nouveauté
l'attelage, le maraîchage et l'introduction d'engrais dans les cultures
qui furent, au départ, prohibés par les Sérères étaient souvent le
fait des chrétiens(S).
1. Arch.
OPM 07449
2.
Missions
catholiques.
1907
p.522
3.
Ibid.
4. D. Parrot-La
formation
rurale
dans
l'Afrique
coloniale ... p.170
S.
ECHL
001. Cette affirmation est cependant à nuancer.
Car si elle est
confirmée
dans
plusieurs
localités,
la
lente
pénétration
de
la
religion
fait
que
dans
d'autres.
certaines
de
ces
nouvelles
techniques
ont
été
appliquées
avant
l'arrivée
des
missionnaires.
295
Echec ou demi succès, l'oeuvre agricole n'a donc atteint aucun
de ses objectifs initiaux. Mais l"'éveil" tant désiré du monde rural,
s'il n'a pas pris naissance chez les chrétiens, les toucha sans doute
largement.
Au
total,
les
oeuvres
missionnaires
ont
SUIVI
la
même
évolution que la mission. Les premiers missionnaires ont ete tout à
la fois
: prêtres, catéchistes, infirmiers, enseignants, juges parfois,
paysans. A vec le développement de la mission à partir du milieu
des
annéees
40,
les
prêtres
sont
graduellement déchargés
de
la
plupart de ces
activités
prises
en
charge par
un
personnel
plus
spécialisé et plus nombreux.
Dès
1948, les congrégations enseignantes et hospitalières ont
commencé à s'installer en plus grand nombre.
D'un autre côté,
la liberté retrouvée
de
l'enseignement dont
l'une
des
conséquences
fut
l'accroissement
rapide
du
nombre
de
laïcs enseignants et infirmiers devait être une autre pièce maîtresse
de ce succès, de ce vaste mouvement missionnaire.
Déchargeant les prêtres de leurs
oeuvres de prédilection, les
nouvelles congrégations de frères et de soeurs donnèrent un nouvel
envol à l'action missionnaire par une prise en charge plus complète
et plus suivie des oeuvres, ce que ne pouvaient plus garantir les
quelques sociétés d'auxiliaires trouvées sur place(l) et qui, depuis
un siècle, étaient, à côté des frères indigènes et des filles de Saint-
Coeur de Marie, les seules à seconder l'action des pères.
Aussi,
dès
la
fin
des
années
40,
l'image
du
"missionnaire
touche à tout"
commençait à disparaître, l'enseignement comme le
dispensaire étant désormais confiés à des auxiliaires et parfois à des
laïcs spécialement formés pour s'y dévouer.
1.
Il
s'agit des soeurs de
l'Immaculée
Conception
de
Castres et de
Saint-Joseph
de
Cluny
toutes
arrivées
au
premier
XIXe
siècle
ainsi
que
des
frères
du
Saint-Esprit.
Ces
derniers,
plutôt
ouvriers
manuels,
sont arrivés avec les pères, mais le fait qu'ils n'ont jamais été nombreux
et
leur
destination
particulière
font
que
leur
rôle
dans
les
oeuvres
est
plutôt
limité.
296
Il reste les autres oeuvres sociales. Si le social proprement dit
prospérait
au
rythme
de
l'Eglise,
il
en
allait
différemment
de
l'oeuvre agricole qui est sans doute l'échec le plus net de la mission
si l'on sait qu'elle était au départ un de ses objectifs primordiaux.
Il
fallut
attendre
plus d'une
décennie
après
1955
pour que
soit créée, à Bambey, une école agricole mieux adaptée à la situation
sans cependant réussir pleinement sa mission et que Cari tas initie
et développe, à partir de 1970, une oeuvre de formation
agricole
d'envergure. L'impact dans tout le pays sérère de cette oeuvre de
Caritas
s'est aussitôt affirmé à côté d'initiatives strictement locales
de stations agricoles dont la meilleure réussite est sans doute celle
des Bénédictins de Keur Moussa.
297
III
• L'IMPACT
DES
OEUVRES
SUR
L'EVANGELISATION
A
L'apport
de
serviteurs
de
l'Eglise
L'oeuvre de formation en général et celle des auxiliaires du
clergé en particulier a permis à la mission de se doter d'un certain
nombre
de
collaborateurs
"indigènes".
Mais
il
est
difficile
de
mesurer l'impact
de cet
apport
dans
la christianisation, dans
la
mesure où peu d'entre eux étaient issus du pays sérère(l).
L'une
des
réussites
de
l'action
missionnaire
fut
certes
la
promotion du clergé indigène,
unique en Afrique
francophone
au
moins jusqu'à la première guerre mondiale.
Mais le clergé indigène sénégalais, favorisé
par l'Histoire, à
trop longtemps vécu sur le legs de celle-ci sans avoir pu bénéficier
d'un renouvellement convenable, se laissant ainsi distancer par le
clergé autochtone d'autres pays qui, comme la Haute-Volta ou
le
Dahomey, étaient pourtant, au départ, bien plus mal lotis.
1. Juqu'à
une
époque
récente,
en
effet,
le
clergé
indigène
ne
semble
pas avoir beaucoup recruté chez les Sérères. Le cas de BoiIat et de ses
deux condisciples est édifiant à ce sujet : métis sénégalais ou originaires
de
l'extérieur du
pays
(pour l'abbé
Moussa),
ils ne
semblent même pas
avoir
connu
le
pays
sérère
avant
leur
ordination
sacerdotale.
D'autres
clercs,
comme
Joseph
Faye
et son frère
Edouard
avaient
bien
des
noms
d'origine
sérère
mais
n'étaicnt
pas
du
pays.
puisque
Diolas,
ils
étaient
originaires
de
SédhlOU
(Casamance).
Gabriel
Sène qui porte un
autre nom d'origine sérère était.
lui, originaire du
Haut-Fleuve
Sénégal,
de Bakel et certaines sources le présentent comme étant Wolof. Ce qui est
parfaitement
possible
puisque
des
Wolofs
s'étaient
convertis
au
tout
début de
l'évangélisation.
à
un
moment où
l'islam ne s'était pas encore
totalement
établi
dans
leur
pays.
Ces
missionnaires
n'étaient
donc
sûrement
pas des
Sérères.
En
revanche,
Simon
FaU,
ordonné
prêtre
au
début de notre période, était originaire de Joal. Il semble être le premier
prêtre du pays. Tous les autres-y compris le père Di ou f - dont le nom est
également sérère
- venaient d'autres
régions du
Sénégal et
il
fallut,
de
fait,
attendre les
années
1940 pour
voir les
Sérères
s'intéresser un
peu
plus à la prêtrise.
298
Quant
aux
congrégations
des
frères,
des
soeurs
et
naturellement à l'institution des
catéchistes,
elles
avaient
le plus
intéressé
les
Sérères
sans
doute
du
fait
de
leur
caractère
plus
accessible.
Des quatre premiers frères de Saint-Joseph, on note que deux
au moins étaient originaires du pays, du Saloum(1) sans que l'on
sache malheureusement s'ils étaient ou non Sérères, cette partie du
Sénégal étant déjà
à
l'époque
(fin
du
XIXe
siècle),
le
lieu de
rencontre de l'ensemble des ethnies du Sénégal.
Les soeurs du
Saint-Coeur de
Marie semblent avoir recruté
beaucoup plus parmi les Sérères. Une de ces recrues du tout début
du
siècle,
soeur Philomène Sarr
a fait
le
tour de la
mission
:
Karabane, Bignona, Ziguinchor, le pays sérère ensuite en 1934 ; puis
ce fut le retour chez les Diolas à Oussouye en 1948...(2). Comme elle,
d'autres
"filles"
sérères étaient souvent parmi
les
membres de la
con grégation(3).
Le peti t nombre de
prêtres
nOirs
même si
on
leur préféra
souvent
les
"toubabs",
avaient
beaucoup
d'influence
chez
les
Sérères, bien que ceux-ci n'aient pas tout de suite voulu que leurs
enfants en fassent partie.
La même
influence
pOSItIve était notée sur
les
progrès de
l'évangélisation. Connaissant mieux le pays et mieux armés contre
les
aléas
du
climat,
il s
étaien t
tou t
naturellement
préparés
à
prendre en charge n'importe quelle localité de la mission.
Depuis les trois "premiers" prêtres indigènes pourtant, il était
de bon ton de refuser de laisser tout seuls ces clercs qui, pensait-on
alors, risquaient de retourner, comme l'abbé Moussa le fit d'après
un
gouverneur
apparemment
hostile
à
l'institution
de
prêtres
nègres, "à la vie sauvage".
1. Arch. CSSP 262 A 1
2.
EMCL
009.
Soeur
Philomène
se
plaît
particulièrement
à
parler
de
Thérèse
Sagna.
la
fondalrice
avec
Louise
de
Sainl-Jean
de
la
congrégation des Filles du Saint-Coeur de Marie qu'elle a bien connues el
avec qui elle a même vécu en communauté.
3. EMCL 009
299
Aussi,
fallait-il
souvent
qu'ils
soient
"encadrés"
par
un
Européen. Du fait de préjugés évidemment inacceptables de certains
de ses membres (et d'une partie de l'Administration et des colons),
la mission gâchait ainsi les atouts qu'elle avait en ces prêtres en en
faisant d'éternels assistés voire surveillés dans leur ministère sans,
pour ces raisons, réussir à remplir la mission naturelle qui présida à
la création de l'oeuvre : multiplier les fondations en attendant que
se constitue l'église sénégalaise par la maturité qui devait découler
d'un tel travail.
A
force
d'être
"accompagnés"
ou
plus
exactement
accompagnateurs,
les
prêtres
indigènes
ne
"bouchaient"
plus
ces
innombrables
"trous"
de
l'évangélisation
qui
justifièrent
leur
institution
puisque
leur
utilité
pour
le
travail
missionnaire
dépendait de la disponibilité d'un
prêtre européen
préposé à leur
accompagnement ou à leur "surveillance".
Il en découlait une sous-utilisation de ces
precIeux ouvriers
qui ne pouvait qu'aggraver l'hypothèque des moyens humains qui a
longtemps pesé sur l'efficacité de l'entreprise missionnaire.
Cette situation ne se généralisa pas, heureusement. Au fur et à
mesure que
s'amélioraient leurs
conditions de
travail,
ces
prêtres
ont pu continuer avec de plus en plus d'efficacité, à s'occuper de
leurs
compatriotes, dans
la satisfaction
générale de la plupart de
leurs
"collaborateurs"
européens.
La
christianisation
n'aurait
certainement pas pu avoir les résultats qu'elle a eu sans leur apport
et leur présence.
Mais
la
participation
des
Sérères
à
l'évangélisation
s'était
surtout manifestée
par l'oeuvre des catéchistes.
Le développement
et l'importance de celle-ci trouvait d'ailleurs en partie leur source
dans l'échec relatif des autres oeuvres.
C'est en
effet
parce
que
le
nombre
de
prêtres
restait
très
insuffisant, l'apport du clergé indigène l'étant lui-même, et que les
oeuvres
des
frères
et
des
soeurs
ne
pouvaient
répondre
qu'imparfaitement à la situation, qu'il avait fallu
créer l'institution
des catéchistes et lui accorder une priorité parfois totale, comme on
l'a vu avec la grande guerre.
Cette oeuvre
fut
la
seule
à
connaître
un
progrès
constant
depuis sa fondation vers la fin du XIXe siècle et singulièrement à
partir de 1915.
300
Ce qui s'explique peut-être par le fait qu'elle est en principe
accessible à tous les chrétiens, la seule exigence étant en fait la
disponibilité.
Le
préalable
de
la
formation
des
catéchistes
était
d'autant moins contraignant qu'une école pour eux existait dans le
pays et la durée ainsi que la période de la formation s'adaptaient
parfaitement à leurs occupations.
Le rôle de ces auxiliaires du clergé était d'ailleurs d'autant
plus
important
qu'ils
vivaient
pleinement
au
milieu
des
catéchumènes
et
des
chrétiens,
partageant
pour
l'essentiel
leur
condition. Aussi, leur était-il plus facile de "prêcher par l'exemple"
au
moment où le prêtre, parfois distant d'une population qui lui
dresse une barrière psychologique du fait de la sainteté et de la
proximité
de
Dieu
qu'elle
lui prête
volontiers,
était
bien
moins
accessible.
"Ami" du
père, qu'on
voudrait
tant
approcher,
connaître et
avoir
pour
ami,
même
si
on
n'était
pas
chrétien,
de
façon
à
rehausser
son
prestige dans
son
entourage( 1) mais
sans
oser
ou
pouvoir
franchir
le
pas,
le
catéchiste
jouissait
d'une
certaine
considération, celle qu'on a à l'égard du
missionnaire rejaillissant
sur lui.
L'importance
de
la place du catéchiste dans
la
mission
se
comprend surtout quand on connaît la propension du Sérère à agir
et pratiquer sa religion par des intermédiaires : s'il "n'est pas Dieu",
le missionnaire, pour le commun des croyants, "est son représentant
sur
terre",
un
saint
auquel
il
pouvait
paraître
plus
indiqué
de
s'adresser par un intermédiaire, le catéchiste(2).
Ce que A.H. Bâ avait bien saisi, en notant, à juste titre: "Le
nègre
a
par
nature
tendance
à
placer
partout
et
en
toutes
circonstances un intermédiaire
entre 1ui et son in terlocu teur, quel
qu'il soit"(3). On comprend dès lors que les autres auxiliaires du
clergé (frères et soeurs), souvent assimilés aux prêtres ne pouvaient
jouer
un
tel
rôle d'intermédiaires
entre
les
missionnaires
et
la
population.
1. ECHL 007 ; 036 ; 051
2. ECHL 021
3.
"Animisme
en
savane
africaine".
In
Les
religions
africaines
traditionnelles.
Actes
des
Rencontres
internationales
de
Bouaké.
Paris,
Le
Seuil,
1965 p.34.
301
On ne l'attendait d'ailleurs pas d'eux, la pastorale les ayant,
pour
l'essentiel,
souvent
appelés
à d'autres
tâches.
De
plus,
ils
semblaient aussi "distants" que les missionnaires. On se rend donc
mieux compte de l'utilité d'une institution injustement marginalisée
dans l'étude de l'histoire de la mission. Quant aux (simples) laïcs, la
mission
était en droit d'attendre d'eux
qu'ils
la
servent dans
le
laïcat en étant missionnaires à leur façon.
Ceux d'entre eux qui avaient pu recevoir une instruction à
Ngasobil en particulier devaient être les plus généreux et les plus
disponibles pour un tel engagement d'autant que ce sont les prêtres
qui les ont élevés et leur ont appris un métier. Et, après s'être rendu
compte qu'ils ne pouvaient pas servir autrement,
les missionnaires
souhaitaient qu'ils fûssent J'avant-garde d'un laïcat engagé.
En 1890 déjà, les prêtres constataient que si la volonté y était,
ils pouvaient bien être utiles : "Notre établissement de St-Joseph ... a
été une pépinière de chrétiens qui
sont maintenant dispersés
sur
toute
la
surface
du
Sénégal.
Les
uns
travaillent
dans
l'Administration à divers titres, les autres dans le commerce ... "(l).
La mission a dû
recevoir l'appui de certains de ces "fils" qui
ont réussi. Mais il est difficile de retrouver les traces d'un tel appui.
A part les catéchistes, qui étaient parfois issus des centres d'accueil
de Ngasobil, on ne sait pas ce qu'étaient devenus la masse des
autres .
La
suppression
relativement
tôt
des
orphelinats
ne
permet
pas d'en rencontrer assez souvent. Tout se passe plutôt comme si,
dés leur départ de Ngasobil, ils n'avaient plus de contact avec les
missionnaires. Tout ce qu'on sait d'eux avec certitude concerne le
temps de leur séjour dans cette mission.
En tout état de cause, le silence des archives les concernant
semble plutôt éloquent. Si dans leur vie de chrétiens ils s'étaient
particulièrement
fait
remarquer,
on
les
aurait
sans
doute
remarqués. Et la mission se ferait certainement un plaisir d'écrire
qu'elle n'avait pas, en les entretenant et en leur apprenant ce qui en
faisait des chrétiens à la situation sociale enviée, perdu son temps
et son argent.
1. Arch. OPM G 07502
302
Le risque était en tout cas grand que, une fois en ville, ils
deviennent comme ces Européens à la foi trop tiède qui désolaient
tant
la
mission.
Ces
chrétiens
pouvaient
pourtant jouer
un
rôle
importan t dans
la 1utte contre les
conséq uences
de
l'exode rural
puisque la nature même de leur travail les fixait en grande
partie
dans
les
centres
urbains.
En
aidant
les
jeunes
chrétiens
de
la
brousse venus y chercher du travail à mieux s'organiser et à rester
dans
leur religion,
ils
auraient
sûrement contribué
à leur éviter
l'apostasie
chez des
musulmans
ouverts
et
naturellement engagés
au service de leur prochain mais aussi de leur religion.
Cependant, on ne voit que les prêtres à leur secours, bien que
beaucoup de laïcs ont dû s'engager dans les oeuvres sociales par le
biais de l'Action catholique. Et certains de nos anciens de Ngasobil
qui y ont sans doute individuellement joué un
rôle, ne semblent
guère avoir été les plus engagés.
Ils ne semblent pas, non plus,
avoir craché sur la mission, cette soupe qui a contribué à les faire.
Sinon ce serait connu et largement déploré.
Les missionnaires en effet, auraient difficilement laissé passer
une telle "ingratitude" eux qui étaient prompts à se lamenter sur le
moindre "revirement" du dernier des catéchumènes.
B.
La
bonne
image
du
christianisme
Pour
les
premiers
missionnaires
il
devait
être question
de
rester exemplaire pour convaincre les peuples à évangéliser et le
court
moment
du
passage
de
Mgr
Truffet
à
Dakar
en
est
la
meilleure illustration( 1). Revue et corrigée, cette conception de la
mission n'a en fait jamais été abandonnée.
Au contraire, il s'agissait de toujours veiller à la bonne image
du
christianisme,
dans
un
pays
largement
dominé
par
deux
religions
dont
il
fallait,
pour
les
prêtres,
se
démarquer
très
nettement : la religion traditionnelle et l'islam. Cette nécessité n'a
d'ailleurs fait que s'accentuer au fur et à mesure que le recul de la
religion
traditionnelle
faisait
le
lit
de
la
religion
musulmane
réduisant,
d'autant,
les
"chances"
du
christianisme
qui,
dès
lors,
commença, plus à fond, à faire de sa "bonne image" une arme contre
la "marée montante" du "mahométisme".
1.
P.
Brasseur-"A
la
recherche
d'un
absolu
missinnairc
Mgr
Truffet...p.319 et sq.
303
Bien servie par la conduite du clergé qui était généralement
bien apprécié et surtout par ses oeuvres médico-sociales, la mission
intégra plus encore celles-ci dans ses activités, au point qu'il devint
bientôt impossible de s'engager dans de nouvelles fondations
sans
tenir compte de la nécessité de les créer.
Il est vrai qu'elles ont toujours été indissociables de l'action
missionnaire et le prêtre-infirmier et assistant social ne date pas du
début du siècle. Mais dans la mesure où
elles n'intéressaient pas
seulement les
membres de la communauté chrétienne, ces actions
charitables ne pouvaient qu'avoir une influence positive sur l'image
du "missionnaire homme de Dieu".
Apparemment détachés
du
monde
et
ne
s'intéressant qu'aux
affaires de religion, les prêtres se forgeaient avec ces actions, une
image de sainteté(l) à laquelle le Sérère, profondément croyant, ne
pouvait rester insensible.
Et même s'il avait choisi d'être
musulman,
le
respect qu'il
vouait aux missionnaires était total(2). Ceux-ci n'étaient-ils pas ceux
qui
avaient pu
allier religion et
travail
au
point de
former
des
jeunes à la religion en même temps qu'à un métier ?(3).
Vue de l'extérieur, l'oeuvre de Ngasobil ne laissait donc pas
indifférents les non chrétiens bien que son impact sur les chrétiens
ne fut pas particulièrement notable faute d'un engagement suffisant
de ses bénéficiaires.
L'''évolution'' très rapide de ces nouveaux chrétiens promus à
une "vie plus aisée"(4) devait faire beaucoup d'envieux, créant ainsi
une situation sans doute favorable au christianisme(5).
1. ECHL 018
2. EM 091
3. EM 077 ; 108
4. ECHL 019
S. EM 089 ; ECHL 039; ECHL 033; 109
304
En
même
temps,
ces
chrétiens
constituaient
un
"socle"
où
s'édifiait la famille chrétienne idéale, capable d'exercer l'influence
salutaire sur le reste de la société. Sans avoir été particulièrement
actifs
au
service de
la religion,
ces chrétiens
ne
l'avaient
donc
généralement
pas
quittée
et
leurs
enfants
nés
chrétiens
étaient
susceptibles de porter et de réaliser les espoirs parfois déçus qui
étaient placés en leurs parents. Ici, c'est donc
moins l'attitude ou
l'exemple chrétien de ces nouveaux "toubabs"(l) qui était bénéfique
pour l'Eglise que leur réussite enviée.
Une situation qui ne pouvait que faire de la mission une voie
pour réussir facilement, pour tous ceux qui rêvaient de sortir de
leur dure condition de paysans. L'éducation chrétienne ne semblait
d'ailleurs pas viser meilleur objectif.
Comme le rappelait Pie XI en effet, "le vrai chrétien, loin de
renoncer aux oeuvres de la vie terrestre et de diminuer ses facultés
naturelles,
les
développe et
les
perfectionne
en
les
coordonnant
avec la vie surnaturelle, de manière à ennoblir la vie naturelle elle-
même, et à lui apporter le plus efficace, non seulement en choses
spirituelles et éternelles, mais aussi matérielles et temporelles"(2).
Mais l'image de la mission a sans doute été mieux servie par
les
oeuvres
médico-sociales.
Dans
un
pays
très
largement
réfractaire
à
l'''école
du
Blanc"
et,
après
l'imposition
de
l'enseignement par le temps, à l'école des pères, ces oeuvres étaient
d'un intérêt
particulier.
Des jeunes, dont quelques futures
soeurs du
Saint-Coeur de
Marie notamment, n'ont dû leur intérêt pour la religion chrétienne
et leur conversion qu'aux orphelinats de Ngasobil et de Kaolack.
1.
Toubab.
mot
sérère
désignant
l'Européen
blanc
est
également
empoyé
de façon
très péjorative pour désigner ceux qui
vivent "à la
manière des
Blancs"
ou
des
gens
qui
exercent
des
métiers
autres
que
"traditionnels"
qui
les
amènent
à se
détacher
en
apparence
de
certaines
habitudes
ou
coutumes du
pays.
2.
L'Education
chrétienne
de
la
jeunesse
-Lettre
encyclique
du
31
déc. 1929. Ed. Bonne presse, 1962
pAl
305
Et si cette oeuvre sociale, comme nous le savons, a assez
rapidement disparu, du moins dans sa forme initiale qui, en
trop
privilégiant le nombre s'est montrée incapable de faire face à ses
charges, rendant
ainsi discutable son efficacité réelle et son impact
sur la société surtout à partir du premier conflit mondial , il n'en fut
pas de même de l'oeuvre médicale dont le caractère permanent n'a
cessé de se renforcer tout au long de notre période.
Souvent improvisée au départ, elle est devenue une véritable
institution, s'imposant dés la fin des années 1940 comme l'une des
toutes premières composantes de la politique de santé publique et
de la pastorale de l'église.
Son impact sur la christianisation n'était pas négligeable et il
est arrivé que des Sérères, frappés par l"'humanité"
de ceux qui
l'exerçaient changent totalement d'attitude à l'égard d'une
mission
qu'ils accueillaient, jusque-là, avec la plus extrême réserve(1). Il en
était
d'ailleurs
de
même
des
autres
oeuvres
sociales
qui
ne
relevaient pas de l'orphelinat et qui
n'ont jamais cessé d'être une
composante de la mission.
Détachées des préoccupations de vocations, qui ont peut-être
faussé
à
la
base
l'esprit
des
orphelinats
de
Ngasobil,
elles
consistaient à apporter des secours d'urgence
aux déshérités pour
soulager leur misère, à défaut de pouvoir l'enrayer. Souvent bien
plus efficaces qu'on pourrai t le croire, de telles actions chari tables,
bien que très isolées ne pouvaient, chez les
Sérères, qu'avoir un
impact dépassant très largement le cadre des seuls intéressés.
Comme on l'a vu en 1890 à propos d'une femme malade et
vivant seule avec ses deux enfants, il s'agissait d'actions discrètes
mais efficaces.
De façon certainement très ponctuelle, la mission aida ainsi
peu de monde pour que cela puisse avoir une influence directe dans
l'oeuvre de conversion mais sans doute beaucoup, quand on
tient
compte de
l'influence sur les
autres,
la
masse, qui
ne laissaient
jamais passer de telles actions sans les "commenter", de façon très
favorable
aux
missionnaires(2).
1.
Annales
de
la
propagation
de
la
foi.
1881,
p.303
2. EM 075
306
Ceux-ci étaient jugés "bons et honnêtes propagateurs" de leur
religion(l) qui étaient "toujours disposés à rendre service", à aider.
Dès lors, ils apparaissaient comme le soutien des pauvres et des
faibles une réputation d'autant plus ancrée qu'ils n'hésitaient pas à
intervenir auprès des
chefs de l'administration
pour recommander
leurs
coreligionnaires
aux
hôpitaux
du
gouvernement
ou
à
des
entreprises ayant besoin de recruter des travailleurs(2).
Une situation qui n'était certainement pas
sans risques,
les
chrétiens qui ont vu leur voisin aidé de la sorte et désormais dans
une situation enviable en tirant une conclusion invariable : "Si le
père veut, il peut nous trouver du travail"(3).
L'abbé
Ciss,
qUI
raconte
comment
des
Ndiaganiaois
demandaient son appui pour du travail rémunéré en ville, en 1953,
fait de cette question l'une des
principales pour lesquelles il était
souvent sollicité(4).
Le phénomène était en fait général et aucun
missionnaire n'a
pu y échapper. Même au niveau de la justice , le
commun des Sérères croyait que rien n'étant
impossible au père , il
pouvait en infléchir le cours ou amener les juges à donner raison à
ceux qui ne l'avaient pas(5).
Le
missionnaire était ainsi
un
homme
puissant,
capable de
résoudre
les
problèmes
auxquels
les
croyants
étaient
confrontés.
Au-delà
des
problèmes
sociaux
où
ils
semblent
avoir
été
plus
raisonnables en voyant d'eux-mêmes que la mission n'avait pas des
possibilités
matérielles
illimitées,
les chrétiens
ont souvent pensé
que l'Administration étant "blanche", le père avait beaucoup plus
d'influence
auprès
d'elle
que
leurs
chefs
de
canton
qui
étaient,
comme
eux,
issus
du
pays.
Il
s'en
suivait
parfois
ce
refus
d'obéissance à ceux-ci par certains, comme ont pu le noter certains
ad minis tra te urs( 6).
1. EM 075
2. EM 075 ; ECHL 024; 054
3. ECHL 034; EMCL 091
4. ECHL 024
5. Horaf, 1 - II, 1953 p.20
6. A.N.S. 17 G 73 - 17
307
En fait, le complexe de supériorité du chrétien sur les non-
chrétiens n'était pas un phénomène propre au "nègre-blanc" Michel
Maria de Joal, si méchamment décrit par l'abbé Boilat au début de
la seconde moitié du XIXe sièc1e( 1). C'était une réalité plus globale
qui n'a pas atteint ailleurs les limites qu'elle eut à Joal du simple
fait
du changement de circonstances dans la vie de la mission. La
présence
plus
affirmée
du
missionnaire
a
pu
aider
largement
à
limiter les excès de ceux qui confondaient christianisme et élévation
sociale.
La mission n'a pas cessé en effet de prêcher aux fidèles que le
respect et la considération
s'acquièrent
par le
mérite c'est-à-dire
par le travail, par ce que l'on apporte à l'organisation sociale des
hommes, à leur progrès et non par un "état" : ils s'acquièrent mais
ne se donnent pas.
Aussi, cette attitude des premiers chrétiens semble bien avoir
disparu
avec eux. L'influence sociale des missionnaires, elle, n'a fait
que se renforcer. Chaque dispensaire ouvert dans le coin le plus
reculé du pays en était un facteur important. De même, les filles
formées
dans
les
centres
d'enseignement
ménager
en
étaient
le
véhicule si l'on en juge par l'attrait qu'elles exerçaient sur les non
chrétiens du
fait de
leur capaci té partic ulière à être de
"bon nes
épouses" .
Ce
fait
qu'elles
étaient
souvent
"convoitées"
par
des
musulmans
démontre,
en
effet,
que
le
christianisme
était
finalement
très
"populaire"
dans
les
différentes
couches
socio-
religieuses
du
pays.
Il
fixe
en
même
temps
les
limites
d'une
stratégie : l'influence des oeuvres,
socialement, fut certaine. Mais
elle n'a eu d'effets sur les conversions que chez les "animistes". Les
autres
les
ont
cependant
appréciées,
ce
qui
relativise
très
largement, il est vrai, la faiblesse des résultats obtenus.
Car
la
coexistence
entre
minonte
chrétienne
et
majorité
musulmane devait être facilitée en partie par l'influence chrétienne
née de ces oeuvres "qui n'excluent personne", le jugement positif
des
musulmans
sur
une
minorité
si
engagée
au
"service
du
prochain", c'est-à-dire, en définitive, du "Dieu commun"(2).
1. Esquisses sénégaJaises...... Op.
Cil. p.117 SQ
2. EM 089
308
C
L'enracinement
de
la
famille
chrétienne
L'oeuvre d'éducation a particulièrement visé la formation des
Jeunes,
en
vue
d'''enraciner
l'évangile
par
l'enracinement
de
la
famille
chrétienne".
Pour les missionnaires, l'évangélisation ne pouvait vraiment
être
complète
et
durable
qu'après
la
constitution
de
la
famille
chrétienne,
d'autant
plus
imprégnée
du
message
de
la
religion
qu'elle est homogène tout en restant proche de sa base sociale.
Concrètement, il s'agit pour "l'Eglise de faire de la famille non
plus un simple lieu de réception ou d'acceptation de l'évangile mais
ce qu'elle doit réellement être: un milieu naturel, le premier, où se
dispense et est reçue l'éducation chrétienne". Car "l'éducation la plus
efficace et la plus durable sera reçue dans une famille chrétienne
bien
ordonnée et bien disciplinée, et son
efficacité sera d'autant
plus grande qu'y brilleront plus clairement et plus constamment les
bons exemples surtout des parents puis des au tres membres de la
famille"( 1).
Autant dire que
la premlere évangélisation
a forcément
un
objectif moins ambitieux mais c'est précisément ce qui accroît son
importance
dans
le
domaine
de
la
formation
de
la
famille
chrétienne. Puisque celle-ci est indispensable à la constitution du
noyau de la chrétienté, le plus gros des efforts devait être dirigé
vers elle.
Aussi
on
comprend
la
démarche
jugée
tatillonne
des
missionnaires
pour
le
mariage
des
jeunes,
et
leur
exigence
de
l'abolition,
par
les
moins
jeunes,
des
pratiques
qui,
comme
la
polygamie, étaient jugées incompatibles avec le sain développement
des familles, dont on attendait qu'elles constituent, comme ailleurs,
la base de la religion nouvelle.
1. Pie XI : L'éducation chrétienne de la jeunesse. lettre - encyclique
déjà citée
p.30.
309
Leur
"pureté"
religieuse
etaIt
donc
jugée
indispensable
au
succès de
l'entreprise d'évangélisation.
Cette entreprise était avant
tout une lutte contre les "ténèbres de l'ignorance" générées par les
religions
autres
que
le
christianisme
et
leurs
effets
sur
les
populations.
Il
fallait
arriver,
par
l'école,
à
les
éliminer
puisqu'elles
constituaient le frein le plus puissant à l'éclosion de la famille et
donc aux progrès de la foi. Nous revenons encore ici au thème de
l'éducation dont l'importance est sans cesse affirmée. Puisqu'ils sont
l'Eglise d'aujourd'hui et (surtout) de demain, les jeunes, "instruits
peuvent faire échec" à l'avancée de tout obscurantisme(l).
Très attachés aux symboles, les missionnaires ne rataient ainsi
aucune occasion
pour se féliciter des
exemples
qu'ils
voudraient
voir imiter ailleurs par la jeunesse catholique, comme à Fadiouth
dans les débuts alors euphoriques de l'évangélisation. "Parfaitement
secondé par ce qui se fait en classe, le ministère produit dans cette
chrétien té des
fruits
exceptionnellemen t heureux" (2).
Mais pour être pleinement efficace, cette éducation de l'Eglise
devait être précédée
et
sans
cesse
complétée
par
une éducation
domestique. Autant dire qu'elle ne devait pas être entravée ni par
la famille ni par l'Etat. Celui-ci comme le reconnaîssent le Saint-
Siège lui-même et ses missionnaires, a un droit naturel d'éducation
qui est d'autant plus légitime qu'il complète celui de la famille et de
l'Eglise, suivant la doctrine chrétienne.
Sous
ce
rapport,
l'Eglise
trouve
même
que
la
puissance
publique,
parce
qu'elle
est
à
la
fois
la
somme
des
aspirations
individuelles
de
chaque
peuple
et
l'expression
de
sa
volonté
politique et sociale, a un devoir d'éducation transcendant celui de
toute autre institution:
"il appartient principalement à l'EtaL( .. ) de
promouvoir( .. )
l'éducation
et
l'instruction
de
la
jeunesse
:
tout
d'abord, il favorisera et aidera lui-même l'initiative de l'Eglise et
des
familles
et
leur
action
dont
l'efficacité
est
démontrée
par
J'histoire
et par
l'expérience;
de
plus
il
complètera
cette
action
lorsqu'elle n'atteindra pas son but ou qu'elle sera insuffisante; il le
fera même au moyen d'écoles et d'institutions de son ressort"(3).
l. Arch. OPM 07520
2. Arch. OPM 07520
3. Pie XI-L'Education
chrétienne
de
la
jeuncsse ... p.19
310
La laïcité ainsi comprise était donc acceptable et acceptée par
l'Eglise. Ce qui impliquait que ce droit et ce devoir de l'Etat ne
devaient pas écraser ceux de l'Eglise et ont une fonction double
mais
bien
précise
:
"protéger et
faire
progresser
la
famille
et
l'individu( ... ) sans les absorber ou s'y substituer( ... ) C'est le devoir
de
l'Etat de
protéger par ses
lois
le
droit
qu'a
la
famille
sur
l'éducation
chrétienne
de
l'enfant,
et
par
conséquent
aussi,
de
respecter
le
droit
surnaturel
de
l'Eglise
sur
cette
même
éducation "(1).
Le rôle de
la
famille
dans
l'éducation
en
général
et dans
l'éducation
religieuse
en
particulier
devait
donc
rester
irremplaçable.
Pour ce faire,
il fallait que les parents eux-mêmes y soient
préparés et que le milieu familial y soit également préparé. Ce qui
suppose, tout d'abord, que les chefs de famille, en temps opportun
fussent
eux-mêmes
préparés
à
assumer leurs responsabilités
dans
la famille pour être à même de mieux les assumer dans l'Eglise.
L'''école sans Dieu" se nourrit aussi, en effet, des carences des
parents et de leur incapacité à jouer leur rôle à la maison d'abord et
dans l'Eglise ensuite.
D'où l'importance de leur propre éducation,
particulièrement
nécessaire
en
pays
de
mission
mais
tout
aussi
difficile à obtenir.
Pasteurs d'une certaine façon,
les parents devaient s'appliquer
a user de toute rectitude de l'autorité qui leur a été confiée par
Dieu, dont ils sont, en un sens très réel, les vicaires ; qu'ils en usent
non
pour
leur
propre
commodité,
mais
pour
une
consciencieuse
formation
de leurs enfants dans cette sainte et filiale crainte de
Dieu( ... ) et seule base solide du respect de l'autorité sans laquelle ne
peuvent en
aucune
manière subsister l'ordre,
la
tranquillité et
le
bien-être de la famille et de la société"(2).
1. Pie XI-L'Education chrétienne de la jeunesse. Lettre encyclique ... p.I8
2.
Ibid.
3 Il
Enraciner la famille chrétienne, c'était aussi lutter contre les
dangers extérieurs qui la menacent. L'un de ces dangers ne pouvait
être que l'environnement.
Pour les missionnaires, celui-ci était suffisamment permcleux
pour justifier sinon une mise à l'écart(l) du
moins
une
bonne
instruction des
chrétiens qui les
aide
à pouvoir résister
à
ses
différents entraînements
: retour à la religion
traditionnelle,
au
relâchement de
l'engagement chrétien
ou
reconversion
à l'islam,
tout restait en effet possible.
Si
les
effets
de
la
reconversion
à
l'islam
furent
parfois
néfastes, ceux du retour à la religion traditionnelle n'ont été que
très limités.
De fait il n'y a pratiquement jamais eu de retour
proprement dit à la religion traditionnelle
mais
simplement une
sorte de situation transitoire pendant laquelle l'intéressé préparait
son entrée dans l'islam.
On comprend dès lors que ce retour à la religion traditionnelle
ait pu
être
"redouté"
par
les
missionnaires
d'autant qu'il
était
beaucoup plus fréquent pour les intéressés de devenir musulmans
que de rester bon chrétien.
Aussi, le rôle de la famille dans la communauté chrétienne
était d'autant plus affirmé que cette base du christianisme pouvait
aussi être celle de la déchristianisation. Là où le père de famille
chrétien choisissait d'être polygame ou
musulman, la qualité de
l'engagement chrétien des enfants pouvait en être affectée.
De façon générale, il semble bien que le rôle de la famille ait
été bien vécue car les familles chrétiennes ont souvent été jugées
très exemplaires par les non chrétiens eux-mêmes.
1. Cette mise à l'écart était
favorisée
par
J'attitude
des
missionnaires
dont on se rappelle qu'ils interdisaient souvent aux chrétiens de prendre
part à
certaines
cérémonies
"animistes".
312
Elles avaient la réputation de bien éduquer leurs enfants et
d'abriter
des
citoyens
"conscients,
travailleurs,
disciplinés
et
patriotes "(l). Ce qui démontre qu'elles avaient pris conscience de
leur rôle éducatif qui est, avant tout, une pratique quotidienne, un
comportement de tous les instants.
En fait, la communauté chrétienne sérère a toujours voulu se
singulariser
par
des
comportements
calqués
sur
le
toubab,
évidemment agrémentés à
la sauce africaine. Comme le notait en
1933 le gouverneur Brévié,"les néo-chrétiens s'imaginent volontiers
être convertis par une sorte de naturalisation qui, à leur sens, doit
les
soustraire
des
obligations
de
l'indigénat( ... ) Ils
prétendent
constituer une caste à part dans la société"(2).
Motif possible de conversion au christianisme, ce désir de
ressembler
au
Blanc
ne
pouvait
qu'engendrer
quelques
excès,
comme la volonté de récuser les autorités et juges traditionnels(3).
Mais il avait un avantage certain.
En tirant les leçons de ce que pouvait offrir de bénéfique pour
la société "l'organisation et la méthode"(4), ainsi que la structure
d'éducation des enfants, ces "néo-chrétiens" prenaient un pan sur
l'avenir qu'ils
semblent
avoir
gagné,
ce
qui
relativise
d'autant
l'aspect caricatural supposé de leur comportement.
Si l'on en juge en effet par le résultat, on comprend sans
difficultés qu'ils n'ont pas été sanctionnés pour ce qui parut à bien
des
administrateurs
une
faute,
car
l'influence
chrétienne
a
largement
dépassé,
dans
la
société
sénégalaise,
l'importance
sociologique
du
christianisme.
Conscients
de
la
minorité
que
constitue leur religion, les missionnaires, déjà au tout début de
notre période, n'en espéraient pas plus.
1. EM 075. Notons que tous ceux avec lesquels le sujet a été abordé y
compris les musulmans (12) ont en gros la même réponse.
2. A.N.S. 17 G 73 - 17
3. A.N.S. 17 G 73 - 17
4. Reprenons volontiers ici la fonnule célèbre du président Senghor qui
a toujours pensé, à juste titre que de ce que la société africaine peut tirer
de la civilisation occidentale figurent en bonne place l'organisation et la
méthode qu'elle n'avait pas, ou si peu, à l'exclusion bien entendu d'autres
qualités
qui
ne
seraient
que
défauts
en
Afrique
et
qu'il
serait
préjudiciable
d'y
introduire.
313
CHAPITRE II
LA CONTRIBUTION DES EVANGELISES
1 - LES RELIGIEUX
A.
Le
clergé indigène et
sa
formation
1.
Les
membres
du
clergé
En
1880,
le clergé
indigène du
Sénégal
comptait
déjà
7
prêtres(l) décédés ou en activité, après Boilat, Moussa et Fridoil qui
furent,
depuis
la
reprise
de
la
mission
du
Sénégal
par
les
missionnaires du Saint-Esprit au XIXe siècle considérés, à tort sans
doute, comme les premiers prêtres sénégalais(2).
1. Tous ces prêtres ont pour l'essentiel été ordonnés sous l'épiscopat de
Mgr
Kobés
(1847-1872)
qui
fut
un
artisan
remarquable
du
clergé
indigène. Ces
prêtres, dans l'ordre de leur ordination sacerdotale sont :
Joseph
Santamaria: fit ses études à Rome où il fut ordonné en 1852 ;
Jean
Lacombe: étudia à la rue Lhomond à Paris où il fut ordonné en
1852 ; Guillaume
Jouga : fit toutes ses études à séminaire du Sénégal où
il devait être ordonné en 1864. Il n'était pas le premier prêtre ordonné au
Sénégal puisque le diacre Gallais venu du diocèse de Nantes quinze ans
plus tôt et qui fonda Joal en 1848 avait été ordonné par Mgr Kobés
plusieurs années après son arrivée au Sénégal, en 1853, devenant ainsi
le premier prêtre ordonné en terre sénégalaise sans faire,
bien entendu,
partie du clergé indigène. Le P. Jouga est cependant le premier à y avoir
fait l'intégralité de ses études, donc à être issu du séminaire de la mission
du Sénégal;
Jean
Samba : formé à Rome où il fut ordonné en 1869 par Mgr Kobés à
l'occasion du concile Vatican 1 ;
Gabriel
Sène : formé et ordonné au Sénégal en début 1871 ;
Giraud
Sock : formé et ordonné lui aussi au Sénégal en août 1871. Après
Mgr
Kobés,
son
successeur,
Mgr
Duret,
n'ordonna
qu'un
seul
prêtre,
l'abbé Léopold Diouf, en mai 1874. Les trois premiers cités avaient été
admis dans la congrégation du Saint-Esprit ce qui était à la fois le signe
de l'existence chez les prêtres indigènes de toutes les qualités attendues
des membres du clergé et une certaine maturité de l'oeuvre qui étaient
sans doute la meilleure réponse que les abbés noirs pouvaient opposer à
ceux qui, nombreux dans les milieux de l'Eglise, étaient hostiles à leur
institution.
.../...
314
...1...
2.
Le premier prêtre
sénégalais
est en
effet
antérieur
au
XIXe
siècle
puisqu'il
fut
ordonné
au
XVIe
par
les
Portugais,
à
une
époque
où
l'évangélisation semble
avoir donné des
fruits
sur la côte d'Afrique,
si
l'on met cet évènement en relation avec l'ordination épiscopale de Mgr
Henri, fils du roi (lui-même chrétien) du Congo. Il s'agissait du P. JoAo
Pinto,
un Wolof ou, pour le moins, un noir originaire
du Diolof.
Il
s'agissait évidemment d'un converti qui dut son nom de Portugais au fait
qu'il adopta celui du père qui l'amena dans le christianisme et les ordres.
Nommé curé "à vie" d'une "ville " de Sao Tomé, il n'y resta pas longtemps
et dut quitter, pour des raisons non éclaircies l'Afrique pour le Portugal.
Il
fut
ensuite
envoyé en mission
au
Cap-Vert,
qui
dépendait
alors de
l'évêché de Sao Tomé, qui incluait les territoires situés entre le nord du
Sénégal et le
Cap-des-Palmes
(Libéria).
Après
avoir
en
vain
tenté
de
convertir ses compatriotes
wolofs,
"il
alla chez
d'autres
peuples
où il
baptisa beaucoup de gens". Son passage en pays sérère est certain et sans
doute
Joal
et
les
villages
voisins
étaient-ils
de
ces
"autres
peuples".
Rappelé au
Cap-Vert par son évêque,
qui craignait
qu'il
"ne lui
fasse
perdre de son influence", et "livré à lui-même, le père y mourut" :
J.
Boulègue & B.
Pinto-Bull
: "Un prêtre sénégalais au XVIe siècle".
Notes
Africaines, n0109, janv. 1966
pp.28-29.
315
Certains missionnaires avaient, en effet, toujours pensé qu'il
était nécessaire de favoriser la naissance d'un clergé autochtone,
non
pas
seulement
pour
éviter
d'implanter
des
"colonies
ecclésiastiques"
selon la formule
du
père N.
Kowalsky(l)
mais
aussi et surtout pour établir durablement et faire progresser la foi
chrétienne(2), objectif dont la prise en charge ne tarda pas à se
faire sérieusement(3) à travers diverses tentatives plus ou moins
heureuses qui devaient aboutir à l'ordination de BoHat et de ses
"compagnons"(4).
1.
Le clergé indigène de l'empire fançaise.
T.l
: Afrique Occidentale
Française. Bloud & Gay, s.d. p.20
2.
J.
Gadille-
L'Expérience
des
"Missions
chrétiennes".
Le
legs
de
l'histoire. Les Quatre Vents, 1979
p.9
3. Avant les vraies tentatives de création d'un séminaire indigène ou de
formation en Europe de futurs clercs sénégalais, il y avait en effet celles
jugées
peu
sérieuses
de
fondation
d'un
séminaire
africain
de
l'abbé
Demanet, "curé et aumônier de par le roi" de Gorée. Chassé tout d'abord
de
Gorée
par
le
gouverneur qui
lui
reprochait
son
"ivrognerie".
son
"libertinage"
et
ses
....obscénités .. , il
se
défendit si
bien, une fois
en
France, qu'il obtint non seulement le non-lieu sur cet acte d'accusation
grave,
mais
aussi
l'autorisation
de
reconstituer
une
compagnie
de
commerce
pour,
disait-il,
obtenir
les
fonds
nécessaires
à
une
vaste
campagne
d'évangélisation
de
l'Afrique
et
à
la
construction
d'un
séminaire pour la fondation d'un clergé indigène. Il débarqua à Gorée en
1773 avec un contingent de 7 "prêtres-commerçants" (!) qui semblent si
privilégier leur commerce qu'ils ne tardèrent pas
à se disperser sur la
côte.
Impliqué
dans
le
commerce
de
la
gomme
et
pour cette
raison
difficile
à
disculper des
accusations
portées contre
lui
dans
la traite,
l'abbé Demanet ne pouvait être pris au sérieux dans son entreprise. Mais
celle-ci reste la première trace d'une volonté de missionnaires de fonder
un
séminaire
au
Sénégal
et
d'y
assurer
la
formation
d'un
clergé
sénégalais - I.
Occorsio
: Les origines du christianisme au SénégaL.
pp.90-91.
4. P. Brasseur nous démontre, passé cet épisode au Sénégal, qu'il fallut
attendre près d'un demi siècle après Demanet pour entendre reparler de
cette nécessité d'un clergé indigène. Cette fois. l'auteur n'avait rien d'un
"missionnaire-commerçant"
il
s'agit
de
l'abbé
Baradère,
préfet
apostolique
de
Saint-Louis,
un
des
ces
"hommes
de
valeur"
qui
réfléchirent
aux
problèmes
de
la
mission
en
Afrique
Missions
catholiques et Administration française sur la côte d'Afrique
1815-1870.
Rev.
rranç.
d'histoire
d'outre
mer ... pp,421-423.
Cette
réflexion
aux
problèmes de la mission concerna en partie le clergé indigène, pour lui
"seul moyen d'évangéliser les Noirs" - J.M.
Sedès, Le clergé indigène...
Op. cit. p.20. Quelques années plus tard, Mère
Javouhey, supérieure des
soeurs de Saint-Joseph de Cluny qui eut la même idée ramena, à la fin de
son séjour au Sénégal en 1824, un groupe de jeunes sénégalais en France
dont trois devaient,
seize années plus tard,
devenir les
trois
premiers
prêtres sénégalais depuis les débuts de la mission française ; après avoir
tout d'abord pensé établir un séminaire à Dagana, idée qu'elle abandonna
assez
rapidement
P.
Lintingre,
"Premiers
pas
vers
un
clergé
sénégalais". Horsr, 164, 1964
p.8.
316
La fondation presque en même temps d'un semmaire à Dakar
par les pères du Saint-Coeur de Marie devait faciliter la promotion
du clergé indigène qui sembla, au début de notre période, avoir pris
un nouveau départ.
Le successeur de Mgr Duboin ordonna un prêtre dès 1881,
l'abbé
Sébastien
Dione
et un
autre,
l'abbé
Simon
Fall
l'année
suivante. Ces deux prêtres semblent être les seuls "rescapés" des 27
séminaristes que Mgr Kobés avait laissés à la mission à sa mort en
1872. Car, il ne devait plus y avoir d'ordinations avant treize ans et
il n' y en eut que trois seulement, entre 1895 et 1924. Ce qui
signifie qu'il y avait un frein à l'élan pris sous Mgr Kobès et qui
était consécutif à la fondation de l'oeuvre du séminaire en 1847.
Dès
cette
date,
en effet,
les
ordinations
ont été
presque
régulières, la plus longue période "infructueuse" ayant seulement
duré douze ans, entre les ordinations de J. Lacombe et G. Jouga, sans
que les autres aient jamais dépassé 7 ans. En un demi siècle, c'est-à-
dire de 1872 à 1930, il n'y eut que 7 prêtres ordonnés sous 4
épiscopats(l), presque le même nombre que
sous celui de
Mgr
Kobés. Il y avait donc deux fois moins de prêtres.
La faiblesse des effectifs des séminaristes n'était évidemment
pas étrangère à cette
situation. Celle-ci est telle que le séminaire
frôla
même
la
disparition
entre
1894
date
à
laquelle
les
séminaristes étaient au nombre de Il et 1908 où ils n'étaient plus
que 2. On atteignait ainsi le "record" de la baisse qui, jusque-là,
n'avait
quand-même
jamais
atteint
des
proportions
aussi
dramatiques(2).
Mais l'institution devait continuer de vivre. On pensa alors la
transférer à Thiès, ce qui fut fait, en 1910, dans l'espoir que bien
installé
au
centre de
la chrétienté,
qu'étaient
assez
rapidement
devenus
les
Nones
des
alentours,
le
séminaire
donnerait
de
meilleurs résultats. Ce qui ne s'est pas produit.
1. Il s'agit. après Léopold
Diouf. Sébastien
Guigues
Dione et Sim 0 n
FaU de Louis
César
Bakhoum
(1895) sous Mgr
Barthet; Gabriel
Sané
Sonko en 1902 sous Mgr
Kunemann; Pierre
Pereira en
1919
sous Mgr
Jalabert & Joseph Mendy en 1924 sous Mgr
Le
Hunsec.
2. RP. Le Névé. "Histoire du petit séminaire du Sénégal". Les
Missions
catholiques. 1935
p.334.
317
Au
contraire,
il
s'est
avéré
bien
vite
que
les
avantages
escomptés étaient minimes par rapport aux inconvénients qui
ne
devaient pas tarder à se manifester. On ne trouvait pas dans cette
mission "la solitude et le recueillement de Ngasobil"(l). Il fallut bien
procéder à un autre transfert à Ngasobil en 1914 pour, dix années
plus tard, ramener l'institution à son lieu de naissance, Dakar(2).
A la veille de ce nouveau transfert, il ne restait pratiquement
plus de séminaristes dans la mission, tous étant partis sauf un(3).
Cette même année 1924, était ordonné Joseph Mendy par Mgr Le
Hunsec.
Transféré à Popenguine en 1930 soit six ans à peine après son
retour à Dakar, le séminaire voyait enfin ses effectifs redevenir plus
raisonnables, 16 enfants l'ayant rejoint(4).
Mais une épidémie de trypanosomiase qui sévit en 1938 dans
Popenguine et ses environs décida les missionnaires à transférer à
nouveau le
séminaire
à
Thiès(5)
où il
ne
resta que
le
temps
nécessaire pour préparer son "retour" à Ngasobil c'est-à-dire deux
ans.
Revenu dans son "site" en 1940, le semInaire se scinda dès
1946
en
deux,
un
grand
et
un
petit
séminaire
autonomes
et
désormais indépendants l'un de l'autre. Le grand séminaire regagna
Popenguine aussitôt. Il y resta de 1946 à 1951, date à laquelle il
s'installa à Sébikotane qu'il ne devait plus quitter(6) pendant que le
petit séminaire demeura à Ngasobil.
1. P. Le Névé-"Histoire du petit séminaire du SénégaL .. p.334
2.
Fondée en
1847, à Dakar, le séminaire avait été transféré pour la
première
fois
à
Ngasobil
en
1850.
Deux
ans
plus
tard,
l'abandon
provisoire
de
cette
mission
fit
qu'il
suivit
les
pères
dans
leur
déménagement. en 1852, à Dakar. Il y resta avec eux jusqu'en 1866 année
à laquelle il revint pour plus de 40 ans à Ngasobil.
3. Abbé L. Nd. Diour·"Le grand séminaire de Dakar de ses origines à
nos jours". Harar, IV,
1981
pA
4. Arch. CSSP 262 A VI
5. Arch. CSSP 264 B IV. "Pour la grande joie de Satan" s'est écrié le P. Le
Douaron en apprenant qu'il n'y resta pas longtemps.
6. Abbé L. Nd. Diour-"Le grand séminaire de Dakar... " pA
318
EVOLUTION DU CLERGE INDIGENE
( Com pte non tenu des décés)
26
24
22
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··············T··················T····················r·················T···················l··················T············· ····l··············
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1880
1890
1900
1910
1920
1930
1940
1950
1960
Années
D. SENE
319
Entre-temps 10 prêtres avaient été ordonnés( 1), le dernier à
l'être pendant notre période étant Pierre Sock ordonné en 1953. Le
record de Mgr Kobés venait d'être battu mais tout de même, par
deux évêques. De 1880 à 1955, il Y eut ainsi 17 prêtres indigènes
ordonnés dont 7 vivants et en activité en 1955(2).
En cette fin
de
notre
période,
douze
grands
séminaristes
étaient également inscrits
au
séminaire(3).
Il
Y avait
alors
un
nouveau
petit séminaire à Dakar, le
séminaire
Delatena, qui
naquit au sein de l'école Sainte-Marie de Hann en 1948. D'abord
totalement intégré à celle-ci(4), le séminaire vécut jusqu'en 1954
sous un régime assez particulier, les séminaristes étant logés comme
les
autres
élèves
à
l'internat.
Il
accueillait
à
partir de
la 5e
secondaire, les petits séminaristes de Ngasobil après le primaire
ainsi que ceux de Ziguinchor où le petit séminaire créé en 1949
continuait
de
vivre
au
rythme
du
développement
de
cette
mission(5).
1.
Le
premier
de ces
prêtres, Joseph
Faye devait être, comme
on le
sait,
le premier Sénégalais
titulaire de
la charge
d'évêque.
Ordonné
à
Paris en
1931,
il fut enseignant au
séminaire à partir de cette année,
avant de prendre en charge le gouvernement spirituel de
ses
frères
de
Casamance.
Membre
de
la
congrégation
du
Saint-Esprit,
il
devait
démissionner de
ses charges pour intégrer les cisterciens,
à Aiguebelle.
Après
être ensuite
passé
au
monastère
du
même
ordre
à
Koutaba,
au
Cameroun, il fut ensuite aumônier des Bénédictins à leur monastère de
Parakou, au Bénin. C'est de là qu'il rejoignit à nouveau Aiguebelle où il
devait
mourir
en
1988.
(Cf.
homélie
de
son
Eminence
cardinal
H.
Thiandoum.
In
Horaf, 405, 1988 pp.2-3). Il Y avait ensuite : Alexandre
Ndiaye
(1936),
Léonce
Crétois
(1937),
Prosper
Dodds
(1939),
Laurent
Sagna (1943), Joseph
Ciss (1945), Raphael
Rodriguez (?),.
A
ces
prêtres
ordonnés
sous
l'épiscolat
de
Mgr
Grimault,
devaient
s'ajouter les 4
ordonnés
sous Mgr
Lefebvre: Hyacinthe
Thiandoum
et François
Ndione (1949)
Jean
Baptiste
Ciss (1951) ; Pierre
Sock
(1953).
1. Arch. CSSP 245 A VI
3. EMCLR 016
4. Cela n'était pas nouveau. Lorsque le séminaire fut transféré à Dakar en
1924, le séminariste Léopold Sédar Senghor et ses compagnons suivaient
leurs cours au collège Libermann, "séminaire - collège".
S.
En
1949, on
apprend dans Ho ra f
(20,
p.19) le transfert du petit
séminaire de Ngasobil à Oussouye où "une dizaine de petits séminaristes
du
vicariat
reçoivent,
avec
une
trentaine
de
leurs
frères
casamançais
l'instruction religieuse". Mais bien vite, on s'est rendu compte que cette
solution n'était pas pratique et Ngasobil retrouvait ses séminaristes et son
séminaire - tandis que la Casamance gardait les siens.
320
Ils étaient en 1954-1955 assez nombreux (une douzaine) pour
qu'on
pensât
les
regrouper
sous
la
direction
d'un
père(l).
Ce
nouveau séminaire était ainsi la continuation jusqu'au baccalauréat
de
celui
de
Ngasobil
qui
ne
dispensait
plus
alors
que
les
enseignements du primaire et de la première année du secondaire.
L'enseignement dispensé aux séminaristes de Dakar était le même
que celui des collégiens renforcé de celui approfondi de la religion
puisqu'il leur fallait réussir les examens officiels pour entrer au
grand séminaire où le baccalauréat était exigé.
2.
La
formation
et
("'emploi"
des
clercs
Le règlement du
petit séminaire de
Ngasobil
laissait une
bonne place aux jeux entre 13 H et 14 H 30 après une matinée bien
remplie : lever à 6H. Prière, messe puis travaux "matériels" avant la
classe qui commençait à 8 H 30(2).
La formation des grands séminaristes n'a, elle aussi, rien de
vraiment particulier. Les "matières" enseignées étaient les mêmes
qu'en
France
: Philosophie,
Ecriture
Sainte,
Dogme
et
Morale
fondamentale, Théologie morale et Initiation à l'islam, Théologie
dogmatique,
Patrologie et
histoire
de
l'Eglise,
Droit canonique,
Formation pastorale, Liturgie(3).
Il est vrai que derrière les intitulés, avaient pu se cacher de
petites différences dans le contenu de la formation. Si en effet la
plupart des matières ne souffraient aucune adaptation, il n'était pas
exclu que pour d'autres, un certain accent fût mis sur les réalités
locales.
L'initiation à l'islam ne pouvait ainsi ignorer les confréries et
la formation de l"'islam sénégalais"
même si le principal devait
concerner, là encore, le contenu de la formation que l'on trouve chez
les Spiritains. La même "adaptation" fut de mise pour la liturgie
suivant un schéma porté par l'évolution sur cette question, c'est-à-
dire de façon plus récente.
1. Arch. CSSP 345 A VI. En même temps, deux autres pères maristes
étaient
chargés
de
la
direction
spirituelle.
Désormais,
une
section
spéciale leur était réservée avec chapelle ainsi qu'un dortoir à part.
2. Horaf, XII, 1975 p.5. Il faut ajouter l'apprentissage du wolof et même, à
en croire L.S. Senghor, qui semble y avoir pris goût, celui du soin des
animaux. Cf. allocution du président Senghor à l'occasion de sa visite à la
mission de Ngasobil : Harar, III, 1970, p.9.
3. Haraf, Il, 1977 p.21
321
De fait, ici comme ailleurs, dans la mISSIon, on a assisté à la
même démarche toute de prudence : étaient ainsi enseignées les
matières que l'on trouve dans les séminaires français avec une trop
timide tentative de tenir compte de
l'environnement social des
futurs
prêtres.
En 1955, ces matières étaient enseignées par 3 professeurs
l'économe, le supérieur du séminaire et "un autre prêtre"(l).
En réalité, cet enseignement semble avoir subi une grande
évolution compte tenu des compétences dont pouvait disposer la
mission.
C'était
l'enseignement
fondamental
auquel
s'ajoutait
souvent l'étude des sciences sociales, des relations internationales et
de toutes les autres questions du monde pouvant intéresser les
séminaristes en tant que citoyens de leur pays et du monde(2).
Ces enseignements hors programme étaient dispensés par des
intervenants extérieurs ou, à défaut, sous forme de causeries(3).
L'ONU a ainsi dû, dans les premières années de son existence,
notamment en 1955, faire l'objet de ce genre de cours(4).
Venaient
compléter
ce
programme
les
inévitables
travaux
manuels effectués "en général" le samedi après midi. Ils consistaient
surtout à "nettoyer la maison", à ranger les livres de la bibliothèque
ou à tailler les arbres et les fleurs(5).
Dans un pays qui souffre de la pénurie de mIssIonnaires, on
pouvait s'attendre à ce que les séminaristes, surtout les diacres,
participent activement à l'oeuvre d'évangélisation. Même dans les
pays chrétiens, le diacre peut exercer le ministère mais il n'en fut
pas ainsi dans la mission du Sénégal. Tout, dans leur fonction dans
l'Eglise les rapprochait plutôt, dans bien de ses aspects, à celle des
catéchistes, à ceci près qu'ils étaient plus proches du missionnaire
dont ils partageaient la vie, à la mission, où était censé se prolonger
leur formation.
l.EMCLR 16.
2.EMCLR 16.
3.EMCLR 16.
4.EMCLR 16.
S. E M C L R
16. Le tout s'étalant sur une période de 6 ans. divisée en 2
cycles. Un 1er cycle de 2 ans où il y a une dominante philosophie. un
second de 4 ans avec pour dominante la théologie - Arch.
CSSP
345 VI
322
Tout
au
plus
pouvait-il
faire,
comme
les
"simples"
séminaristes, le catéchisme pendant les vacances( 1) et aider les
missionnaires dans les autres tâches sociales, de préparation de la
messe, d'entretien des missions, de tournées ou de prospection.
Cela s'explique sans doute par cette méfiance à peine contenue
que les missionnaires nourrissaient à l'égard du clergé diocésain et
qui était en partie responsable des difficultés de l'oeuvre. Car le
comportement
de
certains
d'entre
eux
n'a
pas
toujours
été
encourageant, à l'égard des séminaristes.
On constate, en effet, que la période la plus critique de la vie
du séminaire correspond à celle de sa prise en charge par un prêtre,
le père Le Douaron, sans doute l'un des plus convaincus partisans de
l'oeuvre mais que l'infirmité rendait "digne de compassion"(2) et si
difficile qu'il ne tarda pas à faire le vide autour de lui, entre
seulement 1922 et 1923(3).
Mgr Le Hunsec, qui avait tôt perçu le risque avait pourtant
prévenu
la maison-mère dès novembre
1922
: "A
Ngasobil,
il
faudrait bien autre chose que le P. Le Douaron pour le séminaire qui
a une tendance générale à intriguer les Noirs ses élèves et parfois à
les
décourager
par
des
paroles
piquantes
qui
ont
un
effet
lamentable sur les séminaristes n( 4).
La responsabilité du départ en 1923 des derniers séminaristes
qui ne laissa plus qu'un seul à Ngasobil lui fut
naturellement
imputée par le même Mgr Le Hunsec.
Et auparavant, il y avait les dispositions peu favorables à
"l'oeuvre de Saint-Joseph" de Mgr Barthet que déplorait en 1890, le
père Kunemann alors supérieur de Ngasobil(5). Ce qui ne semble
pas avoir été un reproche gratuit tant ses actions contre les oeuvres
de façon générale et du séminaire en particulier lui furent néfastes.
i-Ë~ëLR-of6-----------
2. Arch. CSSP 262 A 1
3. Arch. CSSP 262 A 1
4. Arch. CSSP 262 A 1
S. Arch. CSSP 262 A III
323
Installé évêque en
novembre
1889, il
transféra dès
1891
l'imprimerie
à
Dakar(1)
et
dans
un
rapport
de
1909
sur
le
séminaire, on relève ceci qui correspond exactement à la période de
son épiscopat
:
"entre
1890 et
1900,
les
séminaristes
furent
appliqués trop exclusivement aux travaux matériels et le soin de
leur éducation intellectuelle et morale fut négligé"(2).
Il est vrai que dans pareille situation, il était difficile d'avoir
les meilleurs prêtres de l'Eglise ou les plus nombreux. On comprend
dès
lors que
Mgr Barthet n'ait préparé
aucun
séminariste
aux
ordres. Le seul qu'il ait ordonné, l'abbé Bakhoum, était au séminaire
avant son arrivée(3) de
même que Gabriel Sané Sonko ordonné par
son successeur et qu'il avait déjà trouvé petit séminariste.
Il Y avait également "le comportement de certains pères et de
certains frères très peu exemplaires" sans oublier "l'interprétation
sévère et la mise en pratique du décret du concile de Trente
concernant
les
séminaires"(4)
très
difficile
à
appliquer
avec
efficacité en pays de mission.
De façon générale, les difficultés étaient nombreuses. Jusqu'à
la Grande guerre, on déplora l'absence d'un règlement bien défini, le
manque de personnel, la relation trop facile avec les orphelins (qui
était particulièrement redoutée avec les filles)(5), "la séduction du
dehors et l'entraînement du dedans"(6).
1. Et ce n'était pas tout puisque Mgr Barthet décida même de fermer le
séminaire, convaincu sans doute qu'il fallait vider Ngasobil de toutes ses
oeuvres
importantes pour mieux s'en débarrasser - Arch.
CSSP
163 A
III.
Une
décision
pour
rien
puisque
grâce
à
l'acharnement
d'un
père,
Sébire,
résolu
à
en
"construire
un
nouveau",
il
ne
tarda
pas
à
la
rapporter.
2. Arch. CSSP 164 A V
3. Arch. CSSP 164 A V
4. Arch. CSSP 164 A V
S. Arch. CSSP 164 A V
6. Arch.
CSSP 164 A III. Par "entraînement du dedans", l'auteur de la
relation,
le
P.
Sébire
entend
la
période
particulièrement
difficile
de
"l'âge des passions"
propice à l'abandon pour beaucoup de séminaristes
faute
d'une
éducation
première
chrétienne
suffisante
du
fait
que
les
parents
n'étaient
pas
toujours
chrétiens.
324
Petit semInaire et scolasticat étaient réunis dans la même
enceinte mais
il
était de plus
en
plus
question d'envoyer les
meilleurs en France(l) surtout par faute de personnel(2).
Les nombreux déplacements du séminaire n'étaient pas, non
plus, pour arranger les choses, comme le notait à juste titre l'abbé L.
Nd. Diouf(3). Entre 1850 et 1951 soit en un siècle, le séminaire
changea Il fois de résidence et bien plus de directeurs(4).
Tout cela favorisa
l'entrée de certains membres du clergé
indigène
dans
la
congrégation
du
Saint-Esprit,
presque
une
génération entière de prêtres qui ont fait en France leurs études
après les toutes premières classes du secondaire avant d'y être
ordonnés. Cela priva ainsi le clergé sénégalais de prêtres diocésains
de 1924 à 1943(5) ceux qui étaient ordonnés durant cette période
l'ayant été au titre du clergé missionnaire du Saint-Esprit, dont ils
étaient membres : Joseph Faye, Alexandre Ndiaye, Léonce Crétois et
Prosper Dodds enrichirent cependant le presbyterium
sénégalais
puisqu'ils devaient rentrer dès après leur ordination pour se mettre
à la disposition du clergé de leur pays(6).
Les
relations
n'étaient
pourtant
pas
mauvaises
entre
les
missionnaires
européens
et
les
abbés
sénégalais.
Mis
à
part
quelques rares prêtres imbus de préjugés, le clergé indigène a été
pleinement "accepté" par les missionnaires ce qui se comprend rien
que par la durée puisqu'au début de notre période, le séminaire
avait déjà
plus
de
trente
ans
d'existence.
Mieux,
les
prêtres
sénégalais ont toujours été appréciés de leurs supérieurs qui ne
voyaient pas
en
eux
moins
que
ce que
pouvait être
un
bon
missionnaire.
1. Arch. CSSP 163 A V
2. Arch. CSSP 261 A III
3. L. Nd. Diouf- "Le grand séminaire de dakar de ses débuts à nos jours".
Haraf, IV,
1981
pp.3-4
4. Arch. CSSP
164 A V
5.
Ibid.
6.
Ibid.
325
Mgr Lefèbvre en faisait d'ailleurs le témoignage en 1955. dans
son rapport à la Propagande: les prêtres du Sénégal étaient jugés
bons et ceux "qui se distinguent par leur piété, leur zèle et leur
science(...) nombreux. Parmi eux(...) les abbés Hyacinthe Thiandoum
et François Dione: le premier est directeur vicarial des oeuvres et
s'acquitte de ces délicates fonctions avec beaucoup d'intelligence, de
zèle et de prudence"(l).
Un autre missionnaire, supérieur de Ngasobil avait fait un
constat analogue un quart de siècle plus tôt. Dans une lettre au TRP,
le père Jeuland louait l'engagement des religieux sénégalais qu'il ne
trouvait pas totalement en certains des missionnaires du Saint-
Esprit : "Si le personnel européen me donne beaucoup de fil à
retordre, en revanche, le personnel indigène me procure beaucoup
de satisfaction"(2).
Le
clergé
indigène
forgea
donc
lui-même
sa
propre
justification à un moment où il venait à peine d'être accepté par
ceux
qui
avaient
toujours
refusé
d'admettre
l'opportunité
d'un
clergé diocésain pour l'Afrique, en plein XXe siècle(3).
Le Sénégal, avec 27 prêtres en cent ans soit un peu plus d'un
prêtre tous les cinq ans, pouvait déjà se considérer comme un bon
pionnier, dans la voie de la "nationalisation" ultérieure des églises.
1. Arch. CSSP 345 A VI
2. Arch. CSSP 262 A VI
3. Il s'y ajoute que durant toute sa longue histoire, le clergé sénégalais
s'est distingué par la constance dans la fidélité
aux ordres comme en
témoigne les cas de prêtres très âgés mais qui, conscients de la pénurie
de missionnaires, ont tenu, jusqu'au bout à rester utiles à la mission. Un
seul cas déplorable fut ainsi enregistré en un siècle de clergé indigène :
celui du père
Léopold
Diouf qui allait quitter le sacerdoce moins de 20
ans après son ordination pour vivre marié ou maritalement à Fadiouth.
où il était auparavant missionnaire.
326
B
•
Les
Frères
de
Saint-Joseph
Les
petits
frères
de
Saint·Joseph
étaient,
des
trois
institutions religieuses
indigènes,
la plus tardivement fondée
et
aussi la moins pourvue en vocations( 1).
En
1880, il n'y avait encore aucune ordination de frères
indigènes, bien que le postulat, institué depuis 1865, ait été ouvert,
officiellement, le 4 août 1869.
De
fait,
ce
n'est
qu'en
1923
que
l'oeuvre
put
vraiment
démarrer avec
succès, grâce à l'opiniâtreté du père Cosson qui
n'était pas
que
bon
missionnaire
itinérant. Il
put recruter des
jeunes et si bien tenir la nouvelle institution que dès
1925, le
premier novice de la congrégation fit profession de foi. Il ne s'agit
pas d'un Sérère mais d'un Diola venu de Casamance, le frère Henri
Coly(2).
1.
Il
ne
serait
pas
vain
de
rechercher
les
onglnes
lointaines
de
l'institution des frères indigènes dans celles du clergé indigène.
Quand
ils ouvrirent en 1846 une école à Dakar, les PP. du Saint-Coeur de Marie
avaient à l'idée de former des artisans et peut-être, par ce biais et avec le
temps, des frères et des prêtres : "Dakar possède une maison centrale
d'Etudes et d'Arts professionnels composée de 40 enfants, destinés à aider
plus tard les missionnaires, les uns comme des artisans, les autres comme
instituteurs et même comme prêtres s'il plaît à Dieu" disait déjà, quelques
mois après l'installation des missionnaires de Libermann à la presqu'île
du Cap-Vert, un document de la mission sans que celle-ci ait pu penser
que venait de se créer le séminaire du Sénégal. La suite, comme on le
sait, c'est l'accent qui devait, dès 1847, être porté sur la formation des
futurs prêtres. Depuis, et avec le départ de l'oeuvre pour Ngasobil. on ne
parla plus que
de séminaire et d'horphelinats
après
l'échec
des
autres
oeuvres. Le projet avait mûri et ses objectifs étaient devenus plus clairs
et plus précis. Mais si le séminaire et les autres oeuvres d'éducation de
Ngasobil
prirent immédiatement la succession de cette
école
"d'Etudes
d'Arts professionnel", le postulat, autre émanation de cette école,
telle
qu'elle avait été pensée au départ, devait attendre assez longtemps avant
de
voir
le jour.
La dizaine
de
"candidats"
qui
l'ouvrit
en
1869
ne
persévéra pas ; il est alors fermé mais pour être réouvert en 1871. Nouvel
échec
de
Mgr
Kobés
qui
disparut
l'année
suivante,
emportant
son
ambition de promouvoir une congrégation de frères
indigènes.
H or a r,
IV 1961 p.13; VI, 1968 pA.
2. Horar, IV, 1961 p.13
327
Entre la fondation et la première profession, il s'est donc
écoulé plus d'un demi siècle, un manque de réussite difficilement
compréhensible
au
moment où
le
clergé pourtant
moins
facile
d'accès
s'enrichissait
malgré
ses
problèmes,
de
nouvelles
ordinations plus ou moins régulières. A cela, il y a sans doute
plusieurs explications.
L'attitude
des
missionnaires
ne
semble
pas
avoir
été
particulièrement favorable
à
l'oeuvre
puisqu'on
ne
trouve
nulle
part trace d'une tentative vraiment sérieuse de reprise, du décès de
Mgr Kobès à l'initiative du père Joseph Cosson. La seule initiative
enregistrée fut celle de Mgr Picarda en 1888 mais elle était à la fois
peu ferme et assez tardive pour pouvoir être porteuse.
Dès
le
début
de
l'année
suivante
en
effet,
l'évêque
de
Sénégambie mourait d'une fièvre typhoïde et il ne fut plus question
de frères indigènes. L'indifférence des missionnaires par rapport à
l'oeuvre se perçoit facilement à travers ces mots de Horaf: "La
petite famille privée de son soutien et Père semble abandonnée à
elle-même. En effet, il y eut une dure pérégrination de 1872 à 1923
durant laquelle elle eut à souffrir du relâchement de ses membres
faute
d'encouragement"(I).
A ces obstacles, s'ajoutait le peu d'intérêt que les gens du pays
trouvaient dans l'oeuvre, beaucoup ne voyant "l'importance ou la
nécessité de celle-ci"(2).
En fait, les jeunes qui, tout compte fait pensaient que la vie du
frère "était la même que celle du prêtre"(3) trouvaient qu'il valait
mieux, dans ces conditions, choisir la prêtrise, "plus prestigieuse" et
surtout
plus
"connue"(4).
Le
travail
du
frère,
essentiellement
manuel, n'attirait pas, en effet, les jeunes chrétiens qui rêvaient
plutôt d'une autre vie s'ils en avaient la disponibilité intellectuelle
ou d'un rang supérieur dans l'Eglise.
1. Harar, VI, 1968 pA
2.
Ibid.
3. EeHL 098
4.
Ibid.
328
On comprend donc
que tous
ceux
à
qui
la
disponibilité
intellectuelle le permettait ont préféré aller au séminaire même s'ils
ne devaient pas tous y persévérer.
Le frère Henri devait être suivi d'autres frères, Jean-Marie qui
était lui aussi venu de Ziguinchor d'où il a été ramené par Mgr Le
Hunsec(l) (qui servit en Casamance avant d'être vicaire général à
Dakar et remplaçant de Mgr Jalabert), et Frère Joseph(2) dont
l'origine nous est inconnue.
En 1927, date de ces informations, le postulat avait ainsi, en
quelques
années,
formé
3 frères,
un
nombre
certainement très
insuffisant
mais
qui
était
apparemment
de
qualité,
comme
le
mentionnait l'artisan de tout cela, le père Joseph(3).
En 1930, le père
Jeuland confirmait ces bonnes dispositions
des frères en écrivant au TRP : "En chacun des frères et postulants,
je constate beaucoup de dévouement, de bonne volonté et d'esprit
religieux"(4).
Des
qualités
sans
doute
indispensables
à
une
congrégation qui n'a, en fait, jamais beaucoup recruté avant la fin
des années 1940.
En
1955 cependant, le rapport de Mgr Lefèbvre à Rome
permet de voir que la société se développait puisque les frères
étaient, à 12, devenus plus nombreux que les séculiers indigènes(5),
et sans doute l'ensemble des membres d'origine
sénégalaise du
clergé. Ceux-ci ne dépassaient pas, en effet, le nombre de Il à
moins que des prêtres ordonnés avant 1924 aient été admis dans la
congrégation du Saint-Esprit ce qui nous paraît très peu probable. Et
même dans ce cas, cela ne devait avoir aucune influence sur les
effectifs globaux.
De façon
générale
pourtant, les
frères,
rappelons-le
n'ont
jamais été nombreux dans la mission du Sénégal au moins jusque
vers la fin des années 1950. En 1955, ils n'étaient que 26 toutes
congrégations confondues, les frères indigènes et ceux du Saint-
Esprit étant, à eux seuls, 21. Les frères de Saint-Gabriel, qui étaient
2 et ceux des pères Blancs, du Sacré-Coeur ainsi que les frères
Dominicains n'étant représentés que par un seul missionnaire(6).
1. Arch. CSSP 262 A III
2. Arch. CSSP 262 A III
3. Arch. CSSP 262 A III
4. Arch. CSSP 262 A III
S. Arch. CSSP 345 A VI
6. Arch. CSSP 345 A VI
329
Mais contrairement à ces frères enseignants ou hospitaliers,
les
frères
de
Saint-Joseph
étaient,
comme
les
Spiritains,
des
"hommes à tout faire".
Arrivés en même temps que les mlSSlOnnaires de la fin de la
première moitié du XIXe siècle, ces frères du Saint-Esprit étaient de
toutes
les
fondations,
participant
ainsi,
à
leur
façon,
à
l' évangélisation(l).
Les petits frères de Saint-Joseph, comme les désigna l'artisan
de la résurrection de
l'oeuvre,
le père
Cosson,
allaient
suivre
exactement le "modèle" spiritain, tout en y ajoutant des occupations
particulières, liées à l'''état de mission" et à leur situation de natifs
du
pays
qui
leur
assignait
une
mission
spécifique,
concernant
certains problèmes de l'évangélisation.
Ils étaient ainsi avant tout artisans. A ce titre, ils ont bénéficié
de
la formation
des
frères
spiritains
qui
a
touché
un
nombre
beaucoup plus grand d'artisans, la majeure partie des jeunes formés
à la mission de Ngasobil l'ayant été en dehors du postulat et dans le
cadre des oeuvres de formation.
Menuisiers, ils font "toutes les portes et toutes les fenêtres"
des missions(2). Mieux, ils meublent "ceux qui le désiraient", un
travail
extérieur
qui
contribue
à
procurer
des
recettes
supplémentaires
à
leurs
missions(3)
maçons,
les
frères
construisaient des dispensaires, chapelles(4) en un mot s'occupaient
des différents chantiers de la mission.
1.
L'une
des
meilleures
illustrations en est sans doute ce qui aurait
pu être la première mission du Cayor en 1847. Le père Aragon qui y fut
prisonnier l'était avec un frère. Siméon. Souvent, les
frères étaient les
premiers à résider dans les missions qu'il leur fallait construire, même si
par la suite ils les quittaient pour d'autres tâches.
2. Horaf. IV. 1959 p.2
3.
Ibid.
Quelques
années
après
1955,
le
travail
extérieur
d'un
frère
menuisier. à lui seul, faisait vivre tout le postulat.
4. Horar. IV, 1959 p.2.
330
Le travail matériel est très prenant pour eux. Ils étaient, par
nécessité aussi, mécaniciens et jardiniers(l). Et si la mécanique était
assez récemment pratiquée en 1950, il n'en était pas de même du
jardinage qui existait avec la mission.
Une autre de leurs occupations "récentes" fut la "pratique de
l'électricité" dictée, comme la plupart des autres, par la nécessité de
"l'entretien de la Mission"(2).
Pour les mêmes raisons, la plomberie leur était confiée(3). De
même
ils étaient peintres
et à l'occasion
infirmiers.
De
façon
générale,
le
frère
de
Saint-Joseph
était
un
missionnaire
bien
particulier qui travaillait "un peu partout" et "un peu à tout"(4).
Ce qui ne veut pourtant pas dire qu'il manquait de vocation
apostolique. Dans une mission comme celle du Sénégal c'eût été
incompréhensible. Les frères, théoriquement au moins, bouchaient
bien de trous, parmi les innombrables laissés par la pénurie de
missionnaires.
Dans
la
catéchèse
tout
d'abord,
ils
"aident
les
catéchumènes à se préparer au baptème"(5) quand ils n'étaient pas
formateurs de futurs frères, des postulants et des novices.
Ils aidaient aussi plus directement les missionnaires en faisant
office
de
lecteurs
"pendant
la
messe,
en
faisant
chanter
l'assemblée".
De même, ils
s'occupaient des enfants
de
choeur
auxquels ils faisaient la répétition des offices liturgiques(6).
Dans le domaine des oeuvres, ils servaient également dans des
fonctions
d'encadrement des organisations de jeunesse, en même
temps qu'ils initiaient et dirigeaient les 10isirs(7). A ces occupations
déjà innombrables, pouvaient s'ajouter les visites des familles, des
malades ou des villages à évangéliser(8).
1. Horar, XI, 1961 p.?
2. Horar, IV, 1959 p.2
3.
Ibid.
4.
Ibid.
5. Horar, IV, 1961 p.13
6. Horar, XI, 1961 p.?
7.
Ibid.
8. Horar, X, 1963 p.12
331
Pour tout cela, il fallait une formation adaptée. Elle tenait
compte, en effet, de la nécessité d'édifier, en même temps, "les deux
maisons de Dieu : le Temple de pierres et le temple de l'Esprit"(l)
c'est-à-dire la communauté des chrétiens. Les missionnaires avaient
donc besoin de frères apôtres : aussi, la formation était fortement
spirituelle. Les frères ne devaient pas seulement être animés d'une
"foi robuste" et "éclairée", ils devaient, en plus, être "prêts à lutter
contre le mal intérieur et extérieur"(2) et décidés à faire partager
leur foi. Le règlement amenait donc les postulants à s'exercer "déjà
à pratiquer la vie religieuse et à en acquérir les habitudes"(3).
Ce qui devait être "acquis" par la formation "intellectuelle" à
laquelle était généralement préposés deux
missionnaires
(prêtres
ou frères) du Saint-Esprit avant que des frères de Saint-Joseph eux-
mêmes
en
prennent
la
charge
avec
parfois
l'assistance
de
moniteurs(4). Cette formation englobait les différents niveaux de
l'école élémentaire et se terminait avec
le
niveau du certificat
d'études(5).
Au
programme,
on
notait
les
matières
essentielles
enseignées dans les écoles primaires: français, calcul, histoire et
géographie,
sciences
naturelles,
instruction
générale
auxquels
s'ajoutaient les travaux manuels(6).
Mais ce programme était concentré sur un espace temporel
bien réduit, comprenant 2 à 3 ans que durait le postulat.
Au
noviciat, "il n'y a pas d'études proprement dites; elles se limitent à
des
"entretiens"
qui
permettent
de
conserver
le
peu
de
connaissances acquises"(7). Mais après l'année de noviciat et la
profession, le frère n'arrêtait pas d'apprendre. Il "complétait" au
moins durant cette première année dans le service plénier de sa
vocation toute la formation intellectuelle et "technique" reçue au
cours de ses années d'études(8).
1. Horaf, IV, 1961, p.13
2. Horaf, IV, 1959, p.2
3.
Ibid.
4. Horat, IV, 1959, p.2
5. Horat, XI, 1961, p.7
6. Horat, X, 1963, p.lI
7. Ho rat, XI, 1961, p.7
8.
Ibid.
332
Et
si
cette formation
intellectuelle était plutôt courte,
la
fomation
spirituelle était convenable.
D'autant que
l'année
de
n~viciat
lui
était
particulièrement
consacrée(1).
Cependant,
la
formation restait, dans l'ensemble, incomplète.
Le tri e n n a t
qui
eut
permis
de
consacrer
une
année
supplémentaire d'enseignement après le noviciat n'existait pas(2).
De plus, le problème qui a toujours été celui de la congrégation des
frères de Saint-Joseph
se reproduisait à la fin de notre période: la
"dure pérégrination"
de
ses
débuts.
Il
y
eut
heureusement
un
nouveau père Cosson pour la tirer d'affaires(3).
En définitive, les frères indigènes n'ont nulle part pu réussir à
honorer l'intégralité de la mission qui était la leur. Leur faible
nombre et leur rôle important dans les travaux manuels ne le leur
ont pas permis.
Mais cela signifie déjà qu'ils ne manquaient pas d'occupations
lprimordiales dans les missions et si pour l'essentiel ils étaient
iouvriers comme leurs "modèles" du Saint-Esprit, ils se sont aussi
Idévoués
dans
l'Action
catholique et dans
la
pastorale
directe,
chaque fois que leur tâche manuelle le permettait.
1.
Horaf,
XI,
1961
p.7.
Un
accent
particulier
fut
alOSI
mis
sur
l'acquisition
par
le
futur
frère
de
solides
connaissances
en
matière
religieuse
et
missionnaire.
2. Horaf, X, 1963, p.l
3.
Il fallut en effet la détermination du père
Henry
Gravrand
pour
qu'une nouvelle agonie soit évitée de justesse. A Fatick où il a pu ouvrir
le postulat, l'oeuvre a continué, avant d'être déplacée à Rufisque à la fin
des années 1950. Harar, VI, 1959
p.2 - pour regagner enfin Ngasobil dès
les années 1960.
,
333
EVOLUTION DE LA CONGREGATION
DESFRERESDESAINT~OSEPH
(Compte non tenu des décès)
10
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1880
1890
1900
1910
1920
1930
1940
1950
1960
Années
D. SENE
UNIVERSITE JEAN MOULIN-LYON III
Faculté des Lettres et Civilisations
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,lCONSEILAFRICAINETMALGACHE:
. POUR L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUI
C. A. M. E. S. -
OUAGADOUGOU
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; Enreglstre__s~u~n· __ • 'j'~ .'.8..
EVOLUTION ET LIMITES DE LA
CHRISTIANISATION EN PAYS SERERE(1880·1955)
Thèse pour le doctorat en Lettres (spécialité Histoire)
Présentée et soutenue par Diégane SENE
Sous la direction de M. le Professeur Jacques GADILLE
JURY
MM. Michel MESLIN, professeur à l'université Paris IV- Sorbonne (président)
Jacques GADILLE, professeur à l'université Jean Moulin -LYON III
Claude PRUDHOMME, professeur à l'université Lumière-LYON II
Régis
LADOUS,
professeur à l'université Jean Moulin -LYON III
Henry GRAVRAND (expert)
Volume 2
Lyon, Novembre 1997
334
C
- Les
soeurs
du
Saint-Coeur de
Marie
Notre
période
débute
avec
des
problèmes
qui
ont
failli
emporter la société du Saint-Coeur de Marie, fondée vingt ans plus
tôt(l).
Association
"illégale"
selon
l'Administration,
elle
devait
disparaître, ce qui put finalement être évité grâce à son affiliation à
la
congrégation
des
soeurs
de
Saint-Joseph
de
Cluny(2).
Une
affiliation formelle, destinée simplement à sauver la congrégation
des soeurs indigènes des conséquences fâcheuses
de la mauvaise
humeur - d'ailleurs très passagère- du gouvernement colonial.
1.
Fondée
comme
les
autres
institutions
par
Mgr
Kobès
en
1858,
la
congrégation est aussi et tout d'abord le fruit d'une vocation, celle d'une
Goréenne de 23 ans : Louise de Saint-Jean qui, le 15 mai de cette année,
quitta
son île
natale pour le village
de Dakar afin de
se présenter à
l'évêque
pour
"répondre
à
l'appel
de
Dieu".
Mgr
Kobès,
sentant
que
l'occasion
s'était
présentée pour fonder une communauté
religieuse qu'il
souhaitait
depuis
son
installation
au
Sénégal
ne
fit
pas
traîner
les
choses. Dès le 24 mai, Louise commença son postulat et naquit ainsi la
congrégation.
Mère
Chapelain,
une
religieuse de
Saint-Joseph
de
Cluny
fut
alors
chargée
de
la
formation
de
Louise
bientôt
rejointe
par une
autre Goréenne, Thérèse Sagna. Quand toutes deux elles font
profession
religieuse en 1860, la société était promise à un bel avenir, tant et si bien
qu'en
1880, elle réussit à recruter un nombre relativement
important de
religieuses qui
lui permit de
se déployer "dans la plupart des villages
missionnaires de la côte" ; ainsi elles s'installèrent dès
1863
à Joal,
à
Ngasobil une année plus tard, à Mbodiène en 1874, à Ndianda en 1880, à
Fadiouth
en
1881...Les
troisième
et
quatrième
communautés
ont
été
fondées
sans
qu'il
y
ait
de
prêtres
résidents,
ce
qui
renseigne
sur
l'importance de
la congrégation
à
une époque où
elle était obligée de
porter
parfois
la
casquette
des
défricheurs
spirituels
qui
colla
si
parfaitement à la tête des premiers missionnaires - Arch.
CSSP
163 A
III : Arch.
OPM G 07461 : Arch.
CSSP
BG
III, p.307 : VIII, p.522. Les
buts
et
principes
de
la
société
étaient
ainsi
définis
à
sa
création
:
Protection du
Saint-Coeur de Marie
: désignation
des membres
sous le
nom de "Filles de Saint-Coeur de Marie" : règle s'inspirant de celle de
Saint-Augustin
et
"conversion
des
Noirs
d'Afrique
par
la
prière,
la
pénitence et les oeuvres de miséricorde spirituelle et corporelle" : voeux
non
perpétuels
de
3
ans
à
la
profession
renouvelables
pour
5
ans
supplémentaires
"en
attendant
l'approbation
officielle
par
Rome
leur
permettant des voeux perpétuels" - Harar, X,
1969
p.7. Les cordon bleu,
voile
blanc,
rosaire
et
cierge
allumé
résumant
bien
l'objet
de
leur
mission ; la chasteté, la piété, la pauvreté, le dénuement au service du
salut de leurs frères africains - Arch.
CSSP 163 A III.
2. Arch. CSSP BG XII, pA2!.
335
Mais les difficultés persistaient. La majorité des soeurs étaient
décédées entre 1878 et 1880 et on signalait, en même temps un
"manque de personnel" et de vocations. En 1889, on constate ainsi
que la société ne produisait plus aucune novice( 1). Une situation qui
semble s'être à peine améliorée en 1904 année à laquelle on ne
note que la présence d'une novice et de quatre postulantes(2).
Entre-temps, le départ des soeurs de Saint-Joseph de Cluny,
qui
assuraient
la
formation
avait
favorisé
cette
"pérégrination"
d'une société dont la grande réussite des premières décennies de
son existence avait pourtant suscité beaucoup d'espoirs quant à la
régularité du
recrutement.
Les
soeurs indigènes, qui assuraient désormais la formation
n'étant
pas
vraiment
préparées
à
cette
tâche,
ne
purent
évidemment
la
remplir
correctement.
Aussi,
les
missionnaires
entreprirent-ils
des
démarches
pour
leur
retour
à
Ngasobil,
où
avaient été transférés le postulat et le noviciat en même temps que
le séminaire, après un séjour de près de dix ans à Dakar où ils
avaient été fondés.
En 1896, c'était déjà chose faite puisque un rapport de Mgr
Barthet
souligne
la
présence
de
4
soeurs
de
Saint-Joseph
qui
conduisaient la formation de 5 filles dont 4 postulantes(3). Elles y
étaient en fait depuis 1891, comblant ainsi ce que les missionnaires
croyaient
être
un
vide
désastreux
pour
l'oeuvre,
que
seules
pouvaient combler selon eux, les soeurs européennes.
Les difficultés étaient cependant telles que de
1876 (début
des
problèmes
de
recrutement)
à
1890,
il
n'y
eut
que
3
professions(4). Le redressement devait attendre, même à partir de
cette dernière date, puisque les vocations n'allaient devenir un peu
plus
nombreuses
qu'à
partir
de
1900,
sans
jamais
dépasser,
jusqu'en 1935, plus d'une profession par an(5).
1. Arch. CSSP BG XVI p.285
2. Arch. CSSP BG XXII p.659
3. Arch. OPM G 07520
4. Horar, VI-VII, 1959 p.4
5.
Ibid.
336
A
cela,
s'ajoutait
le
"problème
de
la
direction
de
la
congrégation",
qui
resta longtemps sans solution(l).
A partir de
1904,
cette
opposition
à
une
"direction
africaine"
devint
plus
résolue, comme on peut le lire dans cette déclaration de 1921 de la
voix la plus autorisée de la mission, Mgr Le Hunsec : "si on ne veut
pas laisser périr l'oeuvre des religieuses indigènes, il faut en confier
la direction à des soeurs européennes" (2).
Un an
plus tard, il constatait le désaccord
auquel
il était
parvenu avec les soeurs de Saint-Joseph qui avaient même renoncé
à former les soeurs du Saint-Coeur(3).
Désormais formées par une soeur indigène "bonne et sainte
âme mais incapable de donner à d'autres ce qu'elle n'a pas elle-
même"(4), les filles du Saint-Coeur de Marie étaient ainsi exposées,
d'après le chef de la mission, à un certain danger, lié notamment à
la carence inévitable de la formation. Ce qui justifia l'acharnement
avec lequel il continua de solliciter le retour à Ngasobil des filles de
Mère Javouhey.
Tous ces efforts semblaient désespérés lorsqu'en fin
1922, il
constatait à nouveau que le projet intéressant qu'il avait fait pour
elles n'avait pas suffi à leur faire prendre une décision positive(5).
Les soeurs de Saint-Joseph, après les débuts très prometteurs
avec mère Rosalie, se désintéressèrent de l'oeuvre à laquelle elles
ne semblaient plus croire. Pourquoi un tel comportement alors que
les succès rapides de la congrégation avaient de quoi les rendre
fières d'y avoir largement contribué ? Tout un ensemble de causes
expliquent un tel changement inattendu de comportement.
1. Après le départ de Mère Rosalie des soeurs de Saint-Joseph qui
"vit
naître la congrégation" et qui la "guida dans ses premiers pas", en 1875,
il
semble
que
celle-ci
resta
sans
supérieure
jusqu'en
1878
année
à
laquelle
elle
est
confiée
à
une
soeur africaine,
Marthe
Ngom.
Ce
fut
ensuite Mère Joséphine, la compagne de la fondation, en 1858, de Louise
de Saint-Jean qui en prit la direction de 1885 à sa mort en 1904.
2.Arch.
CSSP 262 A 1
3.Arch.
CSSP 262 A 1
4.Arch.
CSSP 262 A 1
S.Arch.
CSSP 262 A 1
337
Les rapports entre les
soeurs de Saint-Joseph
de Cluny et
celles du Saint-Coeur de Marie n'ont jamais été particulièrement
empreints de chaleur. Lors du seul contact suivi qu'elles ont eu,
c'est-à-dire
lorsque
les
premières
assuraient
la
formation
des
secondes, les missionnaires déploraient que les européennes ne se
mêlaient
ni
avec
les
africaines,
ni
de
leurs
affaires
préférant
constituer un "clan" à part dans la même mission de Ngasobil(l).
De plus, occupées ailleurs, dans leurs différentes oeuvres de la
ville , elles n'avaient plus en fait ni de temps, ni de courage à
consacrer à la formation, dans "la brousse", de soeurs africaines.
La période particulièrement difficile du début du
siècle les
mobilisait dans les écoles et leurs autres oeuvres des villes, rendant
pour elles
secondaire
tout
ce qui
pouvait
intéresser
les
autres
missions.
Dans ces conditions, on comprend qu'un désaccord soit vite
arrivé entre l'évêque de Sénégambie et les soeurs de Saint-Joseph
qui réduisit à néant les propositions de large autonomie faites par le
premier aux secondes.
Ainsi, la question de l'emplacement du
novIciat qui
est la
cause
théorique
directe
du
"malentendu"
nous
paraît
à
la
fois
révélateur de cet état d'esprit des religieuses et de l'accent tout
particulier qu'elles
entendaient
mettre
au
renforcement
de
leurs
oeuvres plus directement liées à la pastorale. Pour l'évêque, il fallait
qu'il restât à Ngasobil tandis que les soeurs estimaient qu'il devait
être transféré à Thiès.
La mission eût ainsi été obligée de construire de nouveaux
bâtiments et laisser vides ceux de Ngasobil. C'était le prix à payer
pour amener les soeurs à accepter de revenir. Thiès était déjà un
grand
centre
où
elles
espéraient
se
constituer
en
communauté
s'occupant de
la formation
des
religieuses
indigènes
et d'autres
oeuvres, en mêmes temps, ce qu'elles ne croyaient pas pouvoir faire
à Ngasobil, de plus en plus déserté par le peu de ses habitants(2).
ï:~rch:ë:SSP-264-BV------
2. EMCLR 009
338
En 1924 pourtant, les difficultés commencèrent à se "tasser".
La maison-mère des religieuses de Saint-Joseph donna enfin son
accord
pour l'envoi,
cette
même
année,
de
deux
soeurs
devant
s'occuper du noviciat et même de l'orphelinat tenu à Ngasobil par 3
soeurs
africaines
de
façon
à
les
libérer
pour
de
nouvelles
fondations(l).
Assurer une meilleure formation
tout en ramenant les filles
du Saint-Coeur de Marie à leurs occupations naturelles, qui ont été
le but originel de l'oeuvre devenait ainsi possible, après plusieurs
années de piétinement si préjudiciable.
Mais
ces
changements,
s'ils
ont eu
quelques
répercussions
positives sur le recrutement, ne résolurent pas les problèmes de la
congrégation. Celle-ci tentait toujours de rattraper son passé sans y
arriver. Les soeurs dans un tel contexte, ne précédaient donc plus
les missionnaires dans les fondations, elles s'y faisaient au contraire
attendre.
C'est alors que pour exaucer un voeu longtemps exprimé par
les prêtres, Mgr Lefèbvre demanda et obtint de Rome la nomination
d'une soeur de Saint-Joseph comme supérieure de la congrégation
des soeurs africaines, en 1951.
La
même
année,
Ngasobil,
"vieilli"
et
"désert"
fut
jugé
désormais mal placé pour garder le siège de la congrégation et de
ses instituts de formation.
Le noviciat fut
ainsi
transféré à Popenguine(2)
sans
doute
pour y
occuper
les
bâtimen ts
laissés
vacants
par
le
séminaire
désormais établi à Sébikotane. Depuis, le redressement de l'oeuvre
put être effectif.
Avec le noviciat et le postulat, s'étaient déjà installées en cette
année 1951 6 postulantes dont le nombre ne devait plus cesser de
croître(3). Leur court séjour au pied du sanctuaire marial n'était
donc pas dû à la nécessité de les rendre actives.
1. Arch. CSSP 262 A II
2. Horar, VI - VII, 1951 p.5
3.
Ibid.
De
1953
à
1958.
33
novices
firent
ainsi
profession
et
9
communautés
furent
fondées
par
les
soeurs
à
travers
le
Sénégal.
138
relieugieuses
étaient
déjà
sorties
du
noviciat
au
centième
anniversaire
de la congrégation, en 1958.
339
GRAPHIQUE MARQUANT L'EVOLUTION DE LA
CONGREGATION DES SOEURS DU SAINT-COEUR DE MARIE
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1870
1880
1890
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1910
1920
1930
1940
1950
1960
Années
Nombre total de professes (saos ~ntr compte des décès et des défectioos)
Nombre de professions
Source: HORAF • X, 1969
340
Lorsque le nOVIciat déménagea quatre ans plus tard à Dakar, il
était
plutôt
question
d'augmenter
encore
le
nombre
de
recrues,
certes,
mais
aussi
et
surtout
de
mettre
celles-déjà
assez
nombreuses-qui étaient là dans les conditions les meilleures pour à
la fois préserver leur vocation et leur assurer une formation plus
adaptée aux nouvelles exigences de la mission.
De plus en plus, en effet, les soeurs allaient être formées pour
ne plus être cantonnées aux "tâches de Marthe" mais, pour les plus
disponibles d'entre elles, pour assurer des fonctions enseignantes et
hospi talières.
Celles-ci
étaient
jusque-là
exercées
de
façon
très
rudimentaire; il s'agissait désormais de former des enseignantes et
des hospitalières diplômées, comme les autres soeurs européennes
s'occupant dans le pays de ce secteur social de la mission( 1).
Dakar
était
donc
mieux
indiqué
pour
abriter
une
telle
formation du fait de ses infrastructures uniques dans le pays.
Le travail des
soeurs du Saint-Coeur de Marie était, avant
tout, un travail d'apostolat, tel que prévu par leurs constitutions. Il
leur fallait "procurer le salut et la sanctification des Noirs par la
prière
d'abord"
pour
mieux
contribuer
à
leur
saine
conversion
ensuite(2).
Les soeurs étaient également vouées aux travaux manuels et
élevaient
les
jeunes
filles,
orphelines
ou
leur
étant
confiées.
L'orphelinat
des
filles
de
Saint-Joseph
était
ainsi
sous
leur
responsabilité. Elles baptisaient également, comme tous les autres
auxiliaires du clergé
les mourants lorsqu'il
n'était "plus possible
d'appeler le père(3).
De façon générale les religieuses indigènes étaient destinées
aux "missions de l'intérieur où la vie est plus difficile et le climat
plus mauvais"(4). Le fait qu'elles étaient du pays et pouvaient plus
facilement s'adapter à son climat justifiait une telle situation.
1.
Cette orientation était nouvelle en
ce début
des
années
1950 et
ne
devait produire de résultats que plus tard.
2. Arch. CSSP 163 A III
3. Arch. CSSP 163 A III
4. Arch. CSSP 261 A III
341
Dans les missions comme Diohine, ou elles avaient ouvert un
centre ménager - c'était d'ailleurs le cas dans toutes les missions où
elles avaient une communauté- les soeurs s'occupaient des filles
auxquelles
elles
faisaient
le
catéchisme,
l'instruction
de
base
correspondant
aux
premières
classes
du
primaire
et
"tout
l'enseignement pratique ménager"( 1).
Pour les fiancées, elles tenaient un catéchuménat spécial qui
fonctionnait également dans les missions. Amenées par leurs fiancés
chrétiens aux religieuses, elles y demeuraient "internes pendant 4
ou 5 mois pour étudier le catéchisme"(2) avant le baptème qui
précédait le mariage chrétien.
Dirigeantes de chorales comme mère Thérèse, à Diohine en
1951, les soeurs,
mêlées parfois de près au déroulement de la
messe,
s'occupaient
également
"du
soin
de
l'église
et
de
la
sacristie"(3).
D'autres étaient au "dispensaire" de la mission, ce qui leur
permettait,
"tout
en
exerçant
la
charité,
d'envoyer
parfois
au
paradis de petits innocents"(4).
Cuisinières, elles avaient tout le
travail nécessaire à la vie quotidienne et à l'entretien des missions.
Quand on voit que c'était là l'essentiel de la tâche attendue
d'elles, on peut bien s'étonner du jugement très peu positif que
certains missionnaires avaient sur les religieuses indigènes. D'autant
plus, d'ailleurs, que jusqu'à une époque récente, comme on l'a vu,
rien n'avait été fait pour leur donner une formation à la hauteur
d'une mission plus directe dans l'évangélisation.
Comment peut-on valablement se plaindre comme le fit en
1927 le père Joseph, que "les soeurs Diolas laissent à désirer sous le
rapport intelligence"(5) alors qu'il fallait tout juste trois ans pour
leur inculquer tout un esprit et le minimum de bagage "intellectuel"
indispensable à leur travail de religieuses ?
1. Horar, III. 1951 p.ll
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4.
Ibid.
S. Arch. CSSP 262 A III
342
Très rudimentaire,
leur instruction devait
se parfaire
sans
cesse après leur entrée dans la vie religieuse d'où la nécessité d'être
compréhensif avec elles surtout les plus jeunes.
Ce que ne semble pas avoir compris le père Ezanno qui ne
voyait en elles qu'un "atout physique" lorsqu'en 1928, la mission lui
envoya de nouvelles religieuses : "Les soeurs ont été renouvelées à
Fadiouth... Ai-je gagné ? J'ai des soeurs jeunes, mais il n'y a rien de
changé.
Elles
ne
s'occupent
pas
plus
des
femmes
que
leurs
devancières.
Les
raisonner
est
peine
perdue.
C'est
beau
sur le
papier les soeurs indigènes et aussi souvent les prêtres indigènes,
pour
lesquels
les
gens
du
pays
n'ont
très
souvent
guère
de
considération "( 1).
Les reproches adressés aux religieuses indigènes concernaient
également leur manque de détachement du monde et une certaine
tendance à trop vouloir s'occuper en priorité de leurs familles ; un
danger
qui,
selon
Mgr Kunemann,
entravait l'épanouissement de
l'esprit religieux : "comme chez les Prêtres indigènes, il y a chez
elles la tendance presque opiniâtre à s'occuper outre mesure des
choses temporelles avec leurs compatriotes. Sans cesse, il faut réagir
contre ce courant et l'on n'y parvient pas toujours"(2).
Tout cela explique la méfiance qui entourait la société du
Saint-Coeur
de
Marie
que
certains
estimaient
loin
de
pouvoir
remplir sa mission.
Aussi,
plusieurs
décennies
après
sa
fondation,
ses
constitutions n'étaient pas
approuvées
par Rome
ce qui
était de
nature
à
décourager
celles
des
soeurs
qui
souhaitaient
ne
pas
retarder leurs voeux perpétuels.
Et lorsqu'elles le furent, "on mettait (toujours) des doutes sur
la validité de ces
voeux "(3) selon
Mgr Grimault lui-même,
qui
s'adressait, en 1928, au TRP. Dans ces conditions, il est aisé de voir
que
l'environnement
des
soeurs
n'était
pas
toujours
absolument
favorable à leur épanouissement en tant que congrégation.
1. Arch. CSSP 262 A IV
2. Horar, XI, 1969 p.1O
3. Arch. CSSP 262 A IV
343
Pourtant, les missionnaires les plus exigeants avec elles ne
semblent avoir nen fait pour les encadrer et les aider à mieux faire.
Le père Lalouse, qui fit beaucoup, dans les années 1930, pour
le développement des oeuvres de formation le déplorait d'ailleurs,
dans
une
lettre
au
supérieur
du
Saint-Esprit,
en
1939
:
les
religieuses
indigènes
étaient
"dévouées", il
s'agissait d'améliorer
leurs relations avec les autres religieux de la mission(l).
Ces relations n'ont pas toujours été bonnes - et pas seulement
avec les soeurs de Saint-Joseph comme on peut le voir dans cet
extrait d'une circulaire de Mgr Lefèbvre, à la fin de notre période
:"A maintes reprises nous avons souhaité que les relations avec les
communautés de Soeurs africaines fussent empreintes de la plus
fraternelle charité. Mettons-nous à leur portée; comprenons leurs
difficultés et veillons à ce que leur vie religieuse s'épanouisse au
même service qui est le nôtre. Certaines communautés semblent
parfois délaissées
: nous
soucions-nous
parfois
de
savoir si le
minimum pour leur entretien leur est assuré. Laissons de côté les
vieilles "histoires" du passé et cherchons à vivre dans un parfait
climat de confiance et d'entente"(2).
Ces difficultés ont sans doute constitué un obstacle sérieux à la
christianisation. Les soeurs indigènes semblaient, quoi qu'en aient
pensé les autres missionnaires,
s'acquitter honorablement de leur
tâche. Bien que rudimentaire, leur enseignement et leurs oeuvres
médico-sociales étaient irremplaçables.
Que seraient les stations de brousse sans leur présence et leur
dévouement au service des populations ? Le seul fait qu'un chef de
la mission averti ait cru devoir remettre à l'ordre ses missionnaires
qui
ne
croyaient
pas
à
leur
utilité
tout
en
en
profitant
quotidiennement démontre
à
quel
point la
christianisation,
sans
elles, serait privée d'une de ses composantes essentielles.
1. Arch. CSSP 262 A IV
2. Harar, IX, 1969 p.lO
344
II • LA MISE A CONTRIBUTION DES CATECHISTES
L'institution
des
catéchistes
est
relativement
récente,
bien
qu'un règlement ait été conçu pour elle depuis Mgr Kobès(l). En
fait, les conditions de diffusion du christianisme n'ont pas toujours
nécessité leur mise à contribution, le territoire missionnaire étant
longtemps
réduit
à
la
côte et
assez
facile
à
occuper par
les
missionnaires. Il avait fallu attendre 1880 pour que le besoin de
catéchistes devint réel et crucial, avec l'extension de la mission au
sud de Joal et l'accroissement de ses contacts avec le reste du pays
sérère.
Dès lors, le catéchiste devenait indispensable au missionnaire
qui ne pouvait plus envisager de nouvelles fondations sans lui. C'est
dire que la question du choix d'un tel personnage était importante
pour l'église de même que celle de sa formation, le travail qui était
le sien en faisant, bien des fois, un véritable missionnaire.
A
.
Le
choix
des
catéchistes
Les catéchistes ne sont pas des prêtres et l'on ne saurait être
trop
exigeant
dans
leur
choix.
Cependant,
certaines
conditions
étaient souvent requises pour ces auxiliaires du clergé. S'il n'était
pas nécessaire d'avoir une parfaite maîtrise de la religion il l'était,
en revanche, d'être fervent catholique(2), ce qui
impliquait d'en
être au moins instruit(3).
Le
zèle
était
également
souhaité
pour
les
canditats-
catéchistes(4) ainsi que le désintéressement matériel, le catéchiste
devant être mû par la seule volonté de servir Dieu(5).
De plus, il ne devait pas être n'importe quel bon chrétien. Plus
que tous les autres, il devait être issu de "famille estimée" et il était
aussi souhaitable qu'il fût d'un certain âge, à défaut d'être marié(6).
1. Arch. CSSP 164 B II
2. Horaf, VII 1952 pA
3. Arch. CSSP
BG XIII p.67D
4. Arch. CSSP 163 B III
5. Arch. CSSP 163 B III
6. Arch. CSSP 163 B III
345
Souvent, les catéchistes étaient jeunes et marIes. Le critère,
théoriquement le plus décisif pour le choix était sans doute, à côté
de l'engagement chrétien, celui de la famille, comme le précise un
témoin
et
acteur
distingué de
l'évangélisation
: les
catéchistes
devaient être "issus de familles où le
travail est en honneur et le
mil ne manque jamais. C'est la première condition pour avoir de
l'influence auprès des
vieux. Choisir un jeune considéré comme
sérieux, pieux, travailleur, n'ayant pas de dettes et peu porté à la
boisson"(l).
Ce
critère
de
la
"famille
considérée"
n'avait
cependant
d'importance que tant qu'il était possible à la mission de choisir. Au
temps le plus fort de la pénurie de prêtres, en 1914, lorsque fut
envisagée la formation en nombre plus
important de catéchistes
appelés à prendre en charge une partie des missions désertées par
les prêtres, il était cependant réaffirmé, ce qui tendrait à prouver
que les candidats n'ont jamais manqué, à l'appel des missionnaires :
"nous
prendrions
dans
les
villages
païens
du
Sine
jusqu'à
concurrence de
12 jeunes
gens
à qui
serait donnée
une
forte
instruction chrétienne... ces jeunes seraient choisis parmi les plus
intelligents et dans les familles les plus considérées ...De retour dans
leur village, nous aurions en chacun d'eux autant d'auxiliaires sinon
de catéchistes véritables"(2).
Théoriquement, le choix était donc possible. Dans les faits
pourtant, il était souvent inopérant le seul critère constant étant
l'honnêteté morale et l'engagement dans l'Eglise.
La disponibilité était ainsi un élément essentiel dans le choix
et il semble bien que la mission n'a pas tellement eu besoin de
prendre en considération le second critère, celui de la naissance.
Seule, la valeur intrinsèque du chrétien-catéchiste comptait et le
fait que H. Gravrand ait repris à son compte ce critère, un demi
siècle après sa formulation, prouve bien qu'il n'a pas été au moins
jusque-là, toujours appliqué.
1. H. Gravrand- Visage africain de l'Eglise... Op. cil.
p.ll?
2. Arch. CSSP 164 B II
346
Et
puisque
ce
n'était
pas
les
candidats-catéchistes
qui
manquaient(l), on voit sans peine qu'il était peut-être simplement
inapplicable.
Ce qui est sûr, c'est que, comme on l'a vu, l'élite était difficile à
convertir. Etait-il, pour les mêmes raisons, difficile de recruter les
meilleurs chrétiens dans les classes moyennes ? Avec la tendance
au nivellement social qu'il y avait dans le pays, il est sans doute
oiseux de chercher aussi loin : les possibilités de choix concernaient
essentiellement
cette
catégorie
sociale
qui
se
trouvait
être
l'essentiel, numériquement parlant, de la population.
Le critère déterminant, le zèle et la foi chrétienne était celui
du
bon
sens,
quand
il
s'appliquait
bien
entendu
à
des
gens
irréprochables, du point de vue de la morale. Quel autre critère eut
d'ailleurs été plus important ? Le fait même que le catéchiste, parce
qu'il avait vocation à précéder le missionnaire sur le terrain était
souvent un
étranger dans
sa mission rendait très
secondaire le
critère initial qui
n'avait vraiment de
sens que
dans
le
milieu
d'origine de l'intéressé.
En pays sérère, tous les étrangers étaient égaux quelle que fût
leur origine. Bien des catéchistes d'ailleurs, comme le prévoyait la
mission devaient être issus des oeuvres de Ngasobil c'est-à-dire de
familles pauvres ou inconnues : "l'orphelinat de la Sainte-Enfance a
fourni des catéchistes en grand nombre"(2), comme le précisait, en
effet, un rapport de la fin du XIXe siècle, sur les oeuvres de Saint-
Joseph.
C'était ainsi le cas de Jean-Marie NDour, l'un des tout premiers
catéchistes, qui fut aussi l'un des meilleurs de toute l'histoire de
l'institution : "venu de Gambie" et sans doute de famille inconnue, il
n'en
fut
pas
moins
l'artisan
principal
de
la
christianisation
de
Ndianda dans les années 1880.
1.
Rapport
de
la
congrégation
du
Saint-Esprit.
Paris,
Letouzey
et
Ané 1926 p.141 : "Ce ne sont pas d'ordinaire les catéchistes qui manquent,
ce sont les ressources pour les former et les entretenir". Ce rapport sur
les missions du Saint-Esprit confirme les
relations missionnaires sur le
problème
des
catéchistes
qui
insistaient
non
pas
sur
le
recrutement,
mais plutôt sur les difficultés de la mission à financer l'institution.
2. Arch. OPM
G 07494
347
Ce fut aussi le cas de François d'Assises Guèye, orphelin
entretenu, éduqué par la mission et converti à cette occasion. En
1885, il était le deuxième catéchiste de Fadiouth après Dominique
Diam, de Ioal, mais dont rien n'indique que la famille y était des
plus distinguées, et qui venait d'être envoyé à Palmarin(l).
Entre le désir et la réalité, il n'y avait peut-être pas un fossé
mais un écart tout de même important. Mais il y avait une sorte de
compromis:
les
missionnaires
se
gardaient
bien
de
choisir
des
chrétiens pour lesquels personne n'avait de considération, pour en
faire des catéchistes. Mais qui l'eût seulement pensé ?
Les chrétiens considérés pour leur aisance sociale, non plus,
n'étaient pas les seuls catéchistes. Il y eut bien des pauvres(2), mais
qui étaient suffisamment riches de leur foi pour être dignes de
confiance. Et c'était là l'essentiel.
B.
La
formation
des
catéchistes
A l'origine, la seule école de formation des catéchistes était
établie à Ngasobil.
A la fin des
années
1940, cette école est
transférée à Diohine et une autre fondée à Mont-Rolland, dans la
mission de Thiès en pays ndut. Il s'agissait de former les catéchistes
sérères dans la première et des catéchistes en langue wolof dans la
seconde(2).
Il convient de noter que ces écoles, sans doute parce que la
formation n'était pas aussi institutionnalisée que dans les autres
catégories d'écoles de la mission, pouvaient changer facilement de
lieu d'implatation. Cela s'explique aussi par le fait que la formation,
qui tenait compte des besoins, était toujours limitée dans un espace
temporel au-delà duquel il pouvait ne plus y avoir de formation,
pour plusieurs années, d'école de catéchistes.
1. Arch. CSSP BG XIV p.285
2.
Même
bien
après
notre
période,
le
problème
est
demeuré
entier
pour que. dans les années 1970. la mission continuât de s'en préoccuper
comme
on
le
voit,
ici,
à
travers
les
propos
de
M.
Jean-Baptiste,
responsable du centre de formation des catéchistes de Bambey : "Si nous
en avions les moyens,
nous aiderions davantage certains catéchistes très
pauvres à devenir dans leur village, "un homme respecté et respectable"
ayant des assises solides dans son village, c'est-à-dire ne menant pas une
vie misérable". - Horaf, IX,
1975
p.lO.
3. Arch. CSSP 345 A VI
348
Il n'était d'ailleurs pas exclu que des missionnaires
entreprenants
puissent,
pour
faire
face
à
un
grand
besoin
de
catéchistes,
suscitent
la
formation(l)
dont
l'école
pouvait
disparaître, au moins momentanément, avec la fin de celle-ci.
La
formation
s'étalait
sur
quelque
deux
ans(2)
et
comprenait
essentiellement deux volets : un volet
formation
générale
et un
autre volet
formation
intellectuelle
.
Relativement
secondaire,
la "formation morale" se limitait à pousser le futur catéchiste "à
s'approcher régulièrement des sacrements qualifiés de pénitence et
d'Eucharistie"(3). Il s'agissait aussi de donner, au moins une fois par
semaine des enseignements sur ces sacrements(4).
Il faut dire que l'essentiel de la formation était axé sur les
"vérités
principales"
contenues
dans
le
catéchisme(5)
qui
était
réputé d'ailleurs être pour tous la base de toute connaissance de la
religion. Il fallait à l'élève-catéchiste apprendre tout ce qui concerne
les
mystères
principaux,
les
péchés,
les
autres
sacrements,
les
commandements de Dieu et de l'Eglise(6).
Il était particulièrement recommandé de connaître "la formule
du
baptème
et
la
manière
d'administrer
ce
sacrement"(7).
Le
baptème des moribonds étant une des tâches de chaque mission, le
catéchiste se devait d'être formé, pour être à même de l'administrer
en l'absence du prêtre.
Il était nécessaire qu'il fût lui-même instruit des "mystères de
la
Trinité,
de
l'Incarnation,
de
la
Rédemption
ainsi
que
le
baptème"(8). Ce volet la "formation intellectuelle" était sans doute
très important, comme le fut l'alphabétisation.
1. L'exemple de H. Gravrand. pour Fatick est sans doute à la fois la
plus édifiante et la plus instructive, à cet égard.
2. Arch. CSSP 164 B III
3. Arch. CSSP 164 B III
4. Arch. CSSP 164 B III
5. Arch. CSSP 164 B III
6. Arch. CSSP 164 B III
7. Arch. CSSP 164 BIII
8. Arch. CSSP 164 B III
349
D'abord
instruits
dans
leur
propre
langue,
les
élèves-
catéchistes devaient pouvoir commencer à y lire et à l'écrire au
bout de la première année(l). L'apprentissage de la lecture dans la
langue sérère fut donc une des occupations des futurs catéchistes
obligés en même temps d'apprendre le français.
Pour accélérer l'étude de cette langue en si peu de temps et avec
tant d'occupations, les formateurs la rendaient obligatoire dans la
conversation entre les élèves-catéchistes(2). Dans le catéchisme, il y
avait le volet "intéressant"(3) de l'histoire sainte(4) qui comme lui,
devait être apprise par coeur(5).
Pour tenir leurs
registres,
les catéchistes
devaient pouvoir
aussi
compter.
Le
calcul
était
ainsi
au
programme
de
leur
formation(6), de même que la musique(7) qui était d'autant plus
nécessaire qu'elle tenait une place importante dans l'apostolat ; et
bien souvent, le catéchiste dirigeait, dans son église, les chants de la
messe.
Tout cela en deux ans, c'est sans doute beaucoup mais il fallait
faire
vite quitte à faire revenir les catéchistes
à l'école,
après
plusieurs années de service pour les aider à parfaire, à la lumière
de la pratique sur le terrain, une formation si rudimentaire, tout en
leur donnant la force d'un nouveau départ : c'est le problème des
nécessaires récollections
dont on pensait surtout qu'elles
étaient
indispensables
au
réarmement
moral
et
à
l'éfficacité
du
catéchiste( 8).
1. Arch. CSSP 164 B III
2. Arch. CSSP 164 B III
3.
Cet
enseignement
intéressait,
en effet,
plus
les
Sérères
que
tout
autre,
comme
nous
le
rapporte
l'abbé
Ciss
(concernant
Ndiaganiao)
-
Harar 1 - II
1953 p.19
4. Arch. CSSP 345 A VI
5 Arch. CSSP 164 B III
6. Arch. CSSP 345 A VI
7. Arch. CSSP 345 A VI
8 Cf. Mgr
Lerèbvre in Harar, n057,
1952,
p.5
350
Ces récollections avaient d'ailleurs été initiées très tôt, dès
1885 par Mgr Riehl, qui est à l'institution des catéchistes ce que
Mgr Kobès est à celle du clergé indigène. Cette année-là, en effet, les
six catéchistes qui étaient les
tout premiers(l) que comptait la
mission furent réunis à Ngasobil
pendant plusieurs jours
avant
d'être renvoyés à leurs différents postes(2).
A cette "formation intellectuelle" du catéchiste, s'ajoutait le
travail manuel qui occupait "la moitié du temps" d'étude(3). Les
catéchistes étant paysans, il fallait les initier non pas forcément aux
techniques
agricoles,
mais
à tout
un
ensemble de
travaux
qui
pouvaient les aider à améliorer un tant soit peu leur situation
sociale par des sources nouvelles de revenus ou leur propre habitat
: la maçonnerie, le jardinage, la charpenterie, la menuiserie, la
taillerie étaient ainsi, comme dans les "écoles de formation" de la
mission, enseignés aux catéchistes.
Ceux-ci
devant
aussi
être
des
infirmiers
à
l'occasion,
l'administration des soins les plus courants leur était enseignée.
Pendant ces deux années de formation, les élèves catéchistes étaient
pris en charge dans des stages de "quelques jours par mois" par les
catéchistes de leurs villages ou par d'autres catéchistes, pour la
mise en pratique de ce qu'ils avaient appris(4).
Cette formation
des catéchistes,
telle qu'elle était conçue,
présentait donc des lacunes qui n'allaient pas tarder à se répercuter
sur l'efficacité
de
leur
action
et
sur
ses résultas.
Du
pays
à
catéchiser, aucune
mention n'était faite
si ce n'est le caractère
condamnable
de
la
coutume
et
son
incompatibilité
avec
l'enseignement reçu.
1. Et ils étaient pour l'essentiel installés en pays sérère
: Jean-Marie
Ndour établi à Ndianda ; Dominique Diam à Palmarin ; Armand Bida à
Ndiouk dans le Diéghem ; Vincent Cissé à Séssène (dans le Diéghem aussi)
et François d'Assise Guèye à Fadiouth. Seul, Marc SaBa à Popenguine,
était hors du pays.
2. Arch.CSSP BG XIV p.285
3. Arch.CSSP BG XIV p.285
4.
Arch.CSSP 164 B III
351
La mission avait sans doute tort de penser que ces coutumes,
puisque vécues par les futurs catéchistes, leur étaient bien connues.
Les
élèves-catéchistes
étaient
souvent
très
jeunes
et
un
enseignement portant sur le milieu qu'ils étaient appelés à servir
les eût mieux placés devant leurs responsabilités de chrétiens, tout
en permettant à ceux qu'ils amenaient dans le catéchisme de mieux
l'apprécier, puisque le lisant à travers leur religion traditionnelle
qu'ils auraient sans doute ainsi mieux abandonnée.
Il était donc difficile aux missionnaires de former, dans ces
conditions, des auxiliaires parfaitement conscients de leurs
responsabilités sociales qui, dans le cas des catéchistes, étaient au
moins aussi importantes que les responsabilités religieuses.
L'institution était ainsi, dès le départ, coupée des masses qu'elle
voulait "amener au Christ". Il ne faut donc pas s'étonner que peu
d'adultes aient consenti à lui prêter une oreille attentive et qu'elle
n'ait réellement pu recruter que chez les jeunes.
C.
Travail
des
catéchistes
et
contenu
des
catéchismes.
A en croire J.
La varenne,
la
mission
du
catéchiste
est
particulièrement difficile
: non
seulement il passe
beaucoup de
temps à catéchiser, mais encore, la rémunération qu'il perçoit est
tellement modique qu'elle ne le dispense pas de travailler comme
les autres pour vivre(l). Ce propos, bien que ne rendant pas compte
de toute la réalité(2), résume assez bien la situation de cet auxiliaire
du clergé.
1. Catéchistes
indigènes. In Annales
de
la
propagation
de
la
Foi. Janv-mars 1944
pA
2. En
1925, on note qu'il y avait des catéchistes qui se contentaient d'un
salaire
de
1
à
2
francs
par jour.
Mais
d'autres
au
même
moment
réclamaient jusqu'à 200 francs
par mois . Arch.
CSSP 261 A III - La
rémunération n'a donc
pas
été
uniforme
; tout
semblait,
au
contraire,
dépendre
de
l'existence
ou
non
d'une
activité
professionnelle.
Si
le
catéchiste était dans une ville ou dans un bourg, il dépendait plus de la
mission que celui qui résidait au village, cultivateur et autosuffisant, sur
le plan alimentaire. Ce qui jelle une certaine lumière sur la préférence
accordée par la mission à cette catégorie de catéchistes.
351
La mission avait sans doute tort de penser que ces coutumes,
puisque vécues par les futurs catéchistes, leur étaient bien connues.
Les
élèves-catéchistes
étaient
souvent
très
jeunes
et
un
enseignement portant sur le milieu qu'ils étaient appelés à servir
les eût mieux placés devant leurs responsabilités de chrétiens, tout
en permettant à ceux qu'ils amenaient dans le catéchisme de mieux
l'apprécier, puisque le lisant à travers leur religion traditionnelle
qu'ils auraient sans doute ainsi mieux abandonnée.
Il était donc difficile aux missionnaires de former, dans ces
conditions, des auxiliaires parfaitement conscients de leurs
responsabilités sociales qui, dans le cas des catéchistes, étaient au
moins aussi importantes que les responsabilités religieuses.
L'institution était ainsi, dès le départ, coupée des masses qu'elle
voulait "amener au Christ". Il ne faut donc pas s'étonner que peu
d'adultes aient consenti à lui prêter une oreille attentive et qu'elle
n'ait réellement pu recruter que chez les jeunes.
C.
Travail
des
catéchistes
et
contenu
des
catéchismes.
A en croire J.
Lavarenne,
la
mission
du
catéchiste
est
particulièrement difficile
: non
seulement il passe
beaucoup de
temps à catéchiser, mais encore, la rémunération qu'il perçoit est
tellement modique qu'elle ne le dispense pas de travailler comme
les autres pour vivre(1). Ce propos, bien que ne rendant pas compte
de toute la réalité(2), résume assez bien la situation de cet auxiliaire
du clergé.
1. Catéchistes
indigènes. In Annales
de
la
propagation
de
la
Foi. Janv-mars 1944
pA
2. En
1925, on note qu'il y avait des catéchistes qui se contentaient d'un
salaire
de
1
à
2
francs
par
jour.
Mais
d'autres
au
même
moment
réclamaient jusqu'à 200 francs par mois
- Arch.
CSSP 261 A III - La
rémunération
n'a
donc
pas
été
uniforme
; tout
semblait,
au
contraire,
dépendre
de
l'existence
ou
non
d'une
activité
professionnelle.
Si
le
catéchiste était dans une ville ou dans un bourg, il dépendait plus de la
mission que celui qui résidait au village, cultivateur et autosuffisant, sur
le plan alimentaire. Ce qui jette une certaine lumière sur la préférence
accordée par la mission à cette catégorie de catéchistes.
352
L'instruction
des
catéchumènes
est
un
travail
dévolu
aux
missionnaires eux-mêmes et c'est parce qu'ils étaient peu nombreux
que le besoin de catéchistes s'est fait sentir. Mgr Barthet le faisait
remarquer d'ailleurs en 1892, en déclarant être disposé à mettre
dans leur formation et leur entretien les moyens qu'il fallait, dans le
but d'étendre l'espace missionnaire(l).
La présence de ces catéchistes était surtout importante à la
périphérie de la mission et, de façon
générale, dans toutes les
nouvelles missions où ils étaient des "éclaireurs". Une "Note sur les
catéchistes" de
1915 définit bien cette fonction : "leur exemple,
leurs prières, leurs oeuvres de charité attirent à eux les âmes de
bonne volonté... Le père arrive, raffermit l'établissement naissant,
prêche la bonne parole et laisse catéchistes et ouailles animés d'une
bonne parole"(2).
L"'exemple du catéchiste" était ainsi d'une haute importance
puisque tout le monde l'observait d'autant plus attentivement qu'il
était porteur d'un
message
nouveau,
non
encore admis
par les
villageois et c'est à force de mener une vie enviable et exemplaire
qu'il arrivait à gagner la sympathie des "infidèles", à les attirer à lui
et, enfin, à sa religion(3).
Dès lors, il ne restait plus qu'à leur enseigner "la doctrine
chrétienne, à lire, à chanter les cantiques et à réciter le capelet"(4).
Un accent particulier était, en même temps, mis sur les prières et la
lettre du catéchisme(5). Les catéchumènes ainsi pris en charge par
le
catéchiste
"formaient
un
groupe
spécial"
qui
recevait
les
enseignements de la doctrine "pendant deux ans, parfois trois"(6).
Au moins au début, l'accent était mis sur la répétition du "signe de
la croix et le "ressassement" du Notre Père"(7). Avait également une
part dans
cet
enseignement
le
"Je
vous
salue
Marie"(8).
Les
catéchumènes devaient savoir parfaitement réciter tout cela "avant
de porter une médaille"(9).
1 Arch. OPM G 07510
2 Arch. CSSP 164 B II
3. Horaf, 57, 1952 p.5
4 Arch. OPM G 07494
5 Arch. CSSP 163 B III
6. Horaf, III, 1956 p.3
7. Horaf, 1 - II, 1953 p.18
8.
Ibid.
9.
Ibid.
353
La catéchèse des baptisés n'était qu'un approfondissement de
tout l'enseignement reçu avant le baptème et consistait à expliquer
"le mot à mot" du catéchisme supposé être connu par coeur pendant
la période
du
catéchuménat(l).
Ce
catéchuménat
était
souvent
complété chaque dimanche.
Après
la
messe,
"les
catéchumènes
restaient
pour
l'appel
et
(cet)
enseignement
qui
leur
(était)
particulier"(2).
A la fin des deux ou trois ans de catéchisme le père, aidé du
cahier d'appel qu'il a pu tenir ou faire tenir par les catéchistes
procédait à une sorte d'examen final qui décidait du baptème ou
d'une année supplémentaire de catéchuménat pour les néophytes.
Quelle que fût sa durée, le catéchuménat pouvait donc être prolongé
si nécessaire.
Il pouvait aussi être abrégé sur l'autorisation de l'ordinaire(3)
ce qui semble être arrivé souvent soit pour faciliter les conditions
d'un
mariage,
soit
pour
répondre
à
des
dispositions
particulièrement bonnes et sûres(4).
Mais bien souvent, cette période nécessitait d'être prolongée
du fait de la non assiduité au catéchisme ou du non respect de "la
coutume qui demande le repos du dimanche"(5).
Cette dernière
condition pouvait d'ailleurs entraîner un refus définitif du baptème,
de même que la participation à "certains rites"(6).
Sur ce dernier point, les catéchistes semblent avoir été très
vigilants.
Les jeunes
gens qu'ils
instruisaient,
en effet,
avaient
tendance à s'occidentaliser plutôt qu'à s'illustrer comme animateurs
principaux des manifestations traditionnelles, bien que beaucoup de
leurs convertis étaient initiés et avaient donc déjà participé à l'un
au moins de ces "rites", qui se trouvent être des plus combattus par
l'église.
1. Horar, I-II, 1953 p.18
2. Arch. CSSP
345 A VI
3. Horar, III, 1956. p.3
4. Arch. CSSP 345 A VI
S. EMCLR 044; 066
6. Arch. CSSP 345 A VI
354
En dehors de l'enseignement, le catéchiste suivait la situation,
avait un rôle comparable à celui du père de famille ce qui le liait
d'ailleurs assez fortement
à ceux qu'il réussissait à convertir.
Il
devait en effet veiller à ce que les enfants dont il avait la charge
aillent régulièrement à la messe le dimanche(l).
Un
autre
rôle
qui
le
rapprochait
particulièrement
du
missionnaire était celui de présider les prières partout où il n'y
avait pas de prêtres(2).
Et là où il y en avait, il était "l'oeil" et "l'oreille" du prêtre qu'il
devait informer sur tout ce qui se passait dans son village, avertir
quand il y avait des malades(3), en particulier des moribonds.
Le catéchiste devait également faire connaître au prêtre en
charge de sa mission tous les usages du pays, pour mieux l'aider à le
connaître.
Au
missionnaire
qui
n'avait
pas
encore
la
parfaite
maîtrise de la langue, il
devait apprendre, par la conversation, à
mieux la connaître et la parler.
Exceptionnellement, il pouvait baptiser les enfants et même
les adultes en danger de mort(4). Mais le ministère ordinaire du
baptème étant non
seulement réservé
au
prêtre
mais
s'entourant
égalemen t
de
"garan ties"
particulières,
une
telle
situation
était
surveillée de très près(5). Elle l'était surtout là où il y avait la
présence plus ou moins régulière du missionnaire.
Là où il n'y avait pas cette présence et où le catéchiste, de
surcroît ne passait que rarement, il était toléré qu'il pût procéder au
baptème non seulement des moribonds, mais aussi des malades non
immédiatement en danger de mort mais dont on craignait qu'ils
succombent avant la prochaine visite(6).
1. Arch. CSSP 345
AVl
2. Arch. CSSP 345 A VI
3. Arch. CSSP 345 A VI
4. Arch. CSSP 345 A VI
5. Arch. CSSP 345 A VI
6. Arch. CSSP 345 A VI
355
Cette
action
missionnaire
du
catéchiste
était
donc
très
bénéfique
et
sans
doute
irremplaçable.
Elle
était
en
tout
cas
appréciée par les
missionnaires qui notaient qu'elle donnait "les
résultats les plus rapides et les plus sensibles"(I) qui eussent sans
doute
été
mieux
servis
et
davantage
plus
notables
avec
une
meilleure formation.
Parmi ces auxiliaires, il y avait des femmes qui s'occupaient
des jeunes filles : elles étaient 14 en 1925(2) mais il ne semble pas
que leur nombre ait pu se maintenir longtemps à ce niveau. Au
contraire, elles étaient devenues très rares depuis: entre 1950 et
1955, elles n'ont guère atteint la dizaine sur l'ensemble du pays(3).
1. Arch. CSSP 164 B II
2.
Arch.
CSSP
261
A III.
Il convient cependant
de
noter que cette
séparation des filles d'avec des garçons n'a pas toujours été nécessaire ni
même possible. Elle résultait du fait soit qu'il y avait une catéchiste dont
il fallait utiliser les services soit parce qu'il y
avait beaucoup
trop de
catéchumènes qu'il fallait diviser en deux groupes.
Dans d'autres cas, la
catéchiste
se
partageait,
avec
son
mari
catéchiste.
le
travail
en
le
déchargeant de la catéchèse des filles.
3. Arch. A.D. Dossiers 1950 - 1956.
356
III • LES FIDELES
A.
Leur
implication
dans
la
pastorale
L'implication
des
fidèles
dans
l'évangélisation,
directement
par
l'Action
catholique
ou
indirectement
par
leur
engagement
individuel n'a pas toujours été une préoccupation vraiment majeure
de
la
mission
du
Sénégal
avant
la
seconde
guerre
mondiale.
Pourtant, elle se justifiait très largement, soit parce que la mission,
dès les origines, avait besoin du concours de
tous pour mieux
s'implanter(l),
soit
parce
que
les
papes
eux-mêmes,
un
peu
tardivement mais avec fermeté, l'ont toujours souhaité, l'estimant
indispensable au plein
épanouissement de la chrétienté(2).
Les tout premiers mouvements de chrétiens étaient cependant
apparus relativement tôt à J oal et un peu plus tard, dans d'autres
villages de la côté. La confrérie
du
Rosaire, créée par le père
Lamoise en 1884 avait pour but essentiel de mieux ancrer la foi
chrétienne par une pratique de la religion qui laissait une large
place à la prière de groupes, aux échanges ainsi qu'aux oeuvres de
charité(3).
Créée à l'école des filles de Joal en 1887, la "congrégation des
enfants de Marie" participait du même souci(4). A ces congrégations
pour
enfants,
devaient
s'ajouter
deux
autres
en
1889
la
congrégation du Sacré-Coeur de Jésus pour les pères de famille et
celle de Sainte-Anne pour les mères de famille. Toutes les deux
étaient des associations pieuses, s'occupant essentiellement de créer
une certaine ferveur parmi la population chrétienne(5).
1.
On
a,
en
effet,
souvent
invoqué
"les
besoins
des
âmes"
sans
commune
mesure
avec
le
nombre
peu
important
des
ouvriers
apostoliques,
l'impuissance
du
seul
apostolat
épiscopal
face
aux
nombreuses demandes pour justifier le devoir d'apostolat des laïcs, "leur
baptème qui les a incorporés au Christ" étant le fondement naturel de ce
devoir.
Cette
intervention
des
laïcs
se
justifiait
également
par
une
évidence : la nécessité d'agir sur les structures sociales que ne pouvait
efficacement
satisfaire
les
prêtres
qui
"suffisent
difficilement
à
leur
tâche".
Cf.
"conférence
du
père
de
Tavernier:
Réflexions
d'un
auditeur". In Horaf, V, 1953 p.12
2. Surtout ~ partir de Pie XI. Cf. Mgr
Suenens,
l'Eglise en état de
Mission. Bruges, Desclée de Brower, 1955
p.76.
3. Arch. CSSP 160 B III
4. Arch. CSSP 160 B III
S. Arch. CSSP BG XV p.370
357
On note ainsi que les deux congrégations des filles et des
garçons étaient un creuset de vocations. Quelques années à peine
après leur création, en effet, on signalait les deux premiers préfets
de la congrégation des garçons au postulat des frères de Saint-
Joseph, au moment où les deux premières responsables de celle des
filles
étaient passées au noviciat des
soeurs
indigènes(l). C'est
d'ailleurs grâce à ces deux vocations inespérées que
le noviciat des
frères put alors rouvrir ses portes(2).
Mais ces
différents
mouvements,
qui ont existé
aUSSI
a
Fadiouth n'avaient pas de vocation pastorale. Il s'agissait, d'oeuvres
de dévotion mais qui avaient déjà pourtant vocation à assumer un
apostolat indirect : pour les missionnaires de Joal où ils semblent
avoir été les plus actifs il s'agissait de lutter contre l'influence de
l'islam(3) .
Devoir
missionnaire
ou
pl us
sûrement
devoir
religieux,
l'apostolat des laïcs est ici, avant tout, la pratique religieuse elle-
même
: il
s'agissait plus de contenir
l'avancée de
l'islam par
"l'apostolat par
la
parole
et
l'exemple"(4)
que
par
une
vraie
participation à l'apostolat hiérarchique.
Minoritaires et menacés sans cesse de l'être d'avantage, les
catholiques devaient pouvoir mobiliser toutes leurs forces dans des
actions
pieuses
qui,
aux
yeux
des
autres,
pourraient
faire
la
différence: l'intensification de la pratique religieuse et de la charité
chrétienne(5) devait ainsi être l'une
des
meilleures
armes
pour
maintenir les croyants dans la religion et s'attirer la sympathie des
non-chrétiens.
1. Arch. CSSP BG XI p.370
2.
Arch.
CSSP BG
XV
p.no.
On
sait que ces
pieux
garçons
n'ont
malheureusement pas persévéré car durant toute cette période de la fin
du XIXe siècle. il n'y eut pas de frères de Saint-Joseph. Cf Supra. p.311 et s.
3. Arch. CSSP 160 B III
4.
P.
de
Tavernier,
Horaf cité p.12
5. Arch.
CSSP 160 B III
358
Ce rôle des laïcs était donc assez limité. Jusque-là, il n' y avait
d'ailleurs aucune centralisation de cette oeuvre qui n'existait que
suivant le bon vouloir ou le dynamisme des missionnaires. A partir
de 1945, le mouvement commença à se structurer et cette même
année, était créée à Dakar "une centrale des oeuvres pour l'AOF"(l).
C'était en fait le vrai début de la participation des laïcs à l'apostolat,
encouragée
par
les
ordinaires
des
différents
territoires
missi onnaires(2).
L'intérêt
des
oeuvres,
de
la
participation
des
laïcs
au
développement
de
l'Eglise
était
alors
devenu
très
grand.
On
comprend d'ailleurs que la mission ne se soit pas précipitée pour
créer ces oeuvres : il fallait bien qu'elle forme d'abord la chrétienté,
que celle-ci existe avant qu'on ait à l'idée de lui confier un rôle dans
son propre développement.
Le rôle de l'Action catholique devenait plus clair et trouvait
enfin
ses
moyens
d'expression.
Organisée
dans
le
cadre
d'un
mouvement, le plus vaste possible, celle-ci avait d'abord un besoin
de formation sans laquelle aucun de ses membres ne pouvait être
pleinement efficace.
L'Action catholique était, enfin, devenue ce qu'elle devait être
et qu'elle ne fut pas tout à fait : "une fraternité de prière, de
méthodes de travail, de cercles d'études, de champs d'apostolat"(3).
Capable de pénétrer plus en profondeur la société, le mouvement
d'action
catholique
devenait
un
complément
plus
important
de
l'action missionnaire.
Elle en était, en même temps, le prolongement et la base. Par
son
"côté
pratique",
l'Action
catholique
a pu
mieux
intéresser
certains croyants : "il était, bien des fois, plus intéressant de se
réunir autour d'une table et échanger
en priant, aller pique-niquer
dans
la
brousse,
visiter
les
vieilles
personnes
ou
marcher
en
chantant vers un objectif précis et accueillant que de s'adonner au
rythme monotone de la prière chez le père ou le catéchiste"(4).
1.
P.
Brasseur-
L'Eglise
catholique
et
la
décolonisation
en
Afrique
noire.
In
Les
Chemins
de
la
décolonisation
de
l'Empire
colonial
français. Paris, Ed. du CNRS, 1986
p.62.
2.
Ibid.
3.
Directives
pastorales
de
Mgr
Lefèbvre.
In
Première
réunion
des
Archevêques Métropolitains d'AOF à Dakar,
7 - 16 mai 1955. Dakar, impr.
de la Mission catholique. 1956
pAl.
4. ECHL 023
359
Ce témoignage démontre à quel point l'aspect "évasion" qui
s'attachait aux activités de certains mouvements pouvait y conduire
certains fidèles.
Et si pour des raisons évidentes de tels chrétiens n'étaient pas
toujours exemplaires, du point de vue de leur engagement dans
l'Eglise, qui pouvait être affecté par l'ignorance, les mouvements
auxquels ils adhéraient étaient un lieu privilégié de la poursuite et
de l'amélioration de leur éducation chrétienne.
Cet aspect du mouvement d'action catholique était d'ailleurs
très important : il s'agissait souvent de "consolider" la foi des jeunes
chrétiens" par des associations de masse où, tout en s'épanouissant
moralement et physiquement, ils
trouvaient en
même
temps
les
moyens de mieux connaître leur religion(l).
De cette façon, le christianisme était mieux enraciné puisqu'il
fallait nécessairement relayer la catéchèse (dont les limites ont déjà
été soulignées) et l'approfondir pour faire des baptisés non plus
seulement des chrétiens dont l'apprentissage de la religion s'arrêtait
au catéchuménat, mais des disciples ayant sans cesse besoin de
renouveler
leur
engagement
par
la
prière
et
un
réseau
d'associations qui les aident à mieux prendre conscience du maillon
indispensable
qu'ils
forment,
individuellement,
pour
l'utilité
commune d'abord, et le Salut de tous ensuite(2).
Des catholiques ont dû ainsi leur parcours vers le baptème et
ce baptème lui-même à l'Action catholique qui était souvent jugée
"peu contraignante" du point de vue de ses obligations et surtout de
sa forme d'expression et de prière.
Moins que toutes les formes de prière, ces associations de
fidèles,
même conduites par des prêtres, ressemblaient beaucoup
moins à l'école(3).
1. EMCLR 009
2. EMCLR 009 ; 017
3. ECHL 021
360
Mieux, elles rappelaient même l'organisation de
la société
sérère,
avec
ses
nombreux
groupements
villageois
et
inter-
villageois qui mobilisaient tant la jeunesse.
Au moins pour ces raisons, l'Action catholique fut un moyen
d'apostolat non négligeable là où elle avait pu être sérieusement
instituée. Ce qui ne fut le cas qu'au début des années 1950(1) avec,
pour l'essentiel, tous les mouvements existants en Europe.
Mais les plus en vue étaient la Jeunesse ouvrière catholique
(Joc), l'Action catholique des familles (A.C.F), la Légion de Marie, le
Secrétariat social de Dakar, différentes confréries et surtout les
mouvements
de
jeunesse
que
sont
les
Coeurs- Vaillants-Ames-
Vaillantes (C.V.A.V).
Les confréries de laïcs tout d'abord, étaient bien différentes de
l'Action catholique proprement dite. Mais il serait difficile de faire
l'impasse sur elles, dans le cadre d'une étude de la participation des
laïcs à l'oeuvre d'évangélisation qui ne saurait d'ailleurs se résumer
à l'Action catholique.
Par leur organisation spécifique, ces confréries étaient très
actives dans l'apostolat par la prière auquel elles contribuaient très
fortement au sein des comités paroissiaux où elles étaient surtout
représentées.
Participant
ainsi
pleinement
à
l'orientation
de
l'activité
missionnaire, les confréries étaient en même temps des associations
pieuses dont la raison d'être était, principalement, de "maintenir
l'esprit chrétien" et de favoriser
"l'accomplissement des
devoirs
essentiels du christianisme", comme le précisait Mgr Lefèbvre, dans
son rapport de 1955, à Rome(2).
1. Arch. CSSP 345 A VI
2.
Arch.
CSSP
345
A VI.
Ces
confréries
étaient
essentiellement
au
nombre de 6 : l'Apostolat
de
la
prière, le
Tiers
ordre
de
Saint-
Fra n ç 0 i s. l'Association
pour
la
délivrance
des
âmes
du
Purgatoire. la
Congrégation
des
Enfants
de
Marie
(ou
1 a
Légion, la plus active de toutes). la Confrérie
de
Saint-Joseph. et la
Société
de
Saint-Vincent
de
Paul.
361
La Jeunesse
ouvrière
catholique était, quant à elle, une
association dont la vocation n'était pas directement la prière ou
l'apostolat.
Il s'agissait pour elle de réfléchir aux problèmes de
l'heure afin d'aider les chrétiens à éviter les entraînements néfastes
de la vie.
Ainsi, en ces années 1950 où le conflit Est-Ouest se nourrissait
de la lutte d'influence en Afrique, la J.O.C. réfléchissait au marxisme
et à ses problèmes "en vue d'éclairer les aînés dans la vie politique
actuelle et les
mettre en mesure de ne
pas
se laisser enrôler
aveuglément"(l ).
Ce mouvement discutait aussi sur le cinéma en invitant les
chrétiens à faire attention à deux catégories de films en particulier :
Les films "cow-boy" ou "du type Tarzan" et les films d'amour.
Car "le genre cow-boy" présente un danger en montrant un monde
irréel
dominé
par
l'esprit
de
bagarre,
de
vengeance
et
de
banditisme, pendant que des films comme "Tarzan" sont souvent
néfastes pour l'idéal de l'homme qu'ils magnifient"(2).
Quant aux films d'amour ils "troublent les jeunes sans les
intéresser vraiment. Certains, plus âgés, y apprennent une certaine
délicatesse de relation mais aussi une idée fausse de la vie, car
presque
tous
ces
films
ne
montrent qu'un
monde
de
luxe,
de
grandeur mondaine et ramènent presque toujours l'amour humain à
la passion sensuelle"(3).
Dans
la
perspective
de
l"'enracinement
de
la
famille
chrétienne", il fallait donc lutter contre ces dangers extérieurs qui
pouvaient la menacer.
1. Horar, IX, 1949 p.20
2. Horar, IX. 1949 p.21
3.
Ibid.
362
Les autres moyens de communication de masse que sont la
radio (née au Sénégal dès la fin des années 1930) et la presse
furent en même temps particulièrement ciblés par les "jocistes" et
l'Eglise de façon générale qui, devant l'enjeu, avait créé dès 1947
ses propres journaux à large diffusion(l) pour à la fois en faire un
moyen
de
l'apostolat
et
(surtout)
mettre
à
la
disposition
des
chrétiens une
"information saine"
qui
les
mette
à l'abri de
la
propagande d'une presse souvent hostile au christianisme ou aux
valeurs qu'il incarne(2).
Un
autre
mouvement d'action
catholique
bien
établi
était
l'Action
catholique
des
familles. De façon plus directe, il avait
pour
tâche
"la
participation
des
laïques
à
l'apostolat"(3).
Il
s'adressait donc
à
tous les catholiques mais
en particulier aux
familles, désireuses "de participer de façon personnelle"(4) à cette
mission de l'église.
Cela, le mouvement y arrivait en s'occupant de "la formation
authentiquement chrétienne de ses membres" et en s'engageant de
façon organisée dans son travail missionnaire ; le support de cette
action était essentiellement les études et enquêtes "ayant pour but
d'éclairer l'opinion ou les pouvoirs publics sur les problèmes de
l'apostolat" ou d'autres questions intéressant chrétiens et pouvoirs
publics(5).
1.
Horizons
Africains et Afrique
Nouvelle
avaient
en
effet
été
créés
pour rendre
compte des
activités
de
l'Eglise
et
faire
connaître
celle-ci
aux
chrétiens
pour
le
premier
et
"informer
par
un
regard
chrétien sur l'actualité" pour le second.
2. Si
Horizons
Africains, en s'attachant à être le relais de toutes les
décisions et autres mandements de l'évêque du Sénégal tout en mettant
un
accent
particulier
à
faire
connaître
le
passé
et
le
présent
de
la
mission
avait
un
but
plus
directement
pastoral,
Afrique
Nouvelle
s'adressait à un public plus large, ayant pour vocation de livrer le regard
de
l'Eglise
sur
l'actualité
et
les
évènements qui
agitaient
le
Sénégal,
l'Afrique et le monde. Le fait que l'idée de créer le journal soit née au
cours d'une conférence sur l'enseignement qui se tint à Dakar en août
1944,
au
cours
de
laquelle
l'enseignement
privé
catholique
fut
violemment
combattu,
par des
arguments
repris
dans
certains journaux
sénégalais est à cet égard édifiant - J-R.
de
Benoist
: Colonisation et
évangélisation ... p .54.
3. Horar, V, 1951 p.9.
4. Ibid,
p.9
S.
Ibid.
363
Le mouvement intervenait également dans "l'aide aux curés",
dans leur ministère, le catéchisme, la discipline des offices(l). Dans
le domaine social enfin, il collaborait avec le Secrétariat social et
était actif dans l'assistance à l'enfance abandonnée, aux vieillards,
aux malades, aux prisonniers(2).
Ce dernier volet de l'intervention de l'A.C.F ne faisait pas
double emploi avec le Secrétariat social qui n'était pas une action de
bienfaisance, d'assistance ou de soins aux malades : l'action sociale
ainsi prise en charge se proposait, en effet, "d'organiser la vie en
société par la mise en place de toutes les institutions qui lui sont
nécessaires "(3).
Concrètement,
le
Secrétariat
social
s'occupait
de
la
"réglementation du travail", de la sécurité sociale des travailleurs,
de l'orientation et de la formation professionnelle, des problèmes
familiaux, du logement, de l'information de l'opinion publique en
matière économique et sociale; l'objectif final de ces actions étant la
promotion
d'''une
action
sociale
inspirée
par
les
principes
qui
constituent la doctrine sociale de l'Eglise"(4).
La Légion de Marie, l'un des premiers mouvements à voir le
jour dans la mission(5) s'était essoufflée bien avant 1955, année à
la laquelle lui fut donnée "une nouvelle impulsion, à la suite de la
visite d'un envoyé spécial de Dublin" où se trouve le siège de la
Légion(6).
Ses activités se recoupaient, par certains côtés, avec celles de
l'A.C.F et comprenaient surtout les "visites aux malades à l'hôpital
ou à leur domicile, les visites aux familles, aux prisonniers, les soins
d'urgence donnés aux blessés, les enterrements de personnes sans
famille,
le
placement de
travailleurs,
le
baptème
d'enfants
en
danger de mort, le catéchisme des enfants et des adultes, le service
de garde-malades à l'hôpital et dans les familles, la réconciliation de
conjoints, de familles, d'amis, de parents, des démarches et aides
pour régulariser les mariages"(7).
1. Horar, V, 1951 p.9
2.
Ibid.
3. Horar, VI, 1957 p.3
4. Horar, VI, 1957 p.3
5. Horar, VI, 1956 p.7
6.
Ibid.
7.
Ibid.
364
Il s'agissait donc d'une assoclatlOn pieuse dont l'utilité résidait
surtout dans le fait
qu'en pénétrant la masse, elle assurait cette
nécessaire liaison entre elle et le missionnaire.
Mais les véritables mouvements de masse étaient les C.V -
AV. Regroupant des jeunes et surtout des enfants, ils ne comptaient
pas à la fin de notre période, moins de 1500 membres. Les AV-C.V
étaient le mouvement le plus populaire, le plus connu, à côté des
"Guides et Scouts de France" qui fut introduit au Sénégal presque en
même temps, au début des années 1950(1).
Pour aider les ruraux de l'exode à rester dans l'Eglise et,
mieux,
à
participer activement à son expansion, avait été créée
"Jeunesse catholique africaine" qui regroupait "tout spécialement la
jeunesse de brousse qui vient travailler à Dakar durant la saison
sèche"(2).
Quant à ceux qui étaient restés au village, il fallait
les aider
aussi à mieux se fixer à leur terre ce qu'on ne pouvait faire qu'en
améliorant leurs conditions de vie et de travail. Il devait ensuite
être question de les sensibiliser sur leur rôle social de travailleurs
chrétiens, engagés dans la vie de l'Eglise.
Pour cela, le père H. Gravrand lança en 1955 un "Syndicat des
paysans du Sine" (SPS) affilié à la C.F.T.C qui semble avoir attiré, au
départ, un nombre assez important de paysans sérères(3). Il était
au
même
moment actif,
à
l'instar de la CFTC
qui
était "très
écoutée"(4),
en
tout cas
par les
missions
d'Afrique
occidentale
Française dont l'influence sur elle est évidente. Le S.P.S, tout en
réunissant les paysans, les formait "à une action coopérative pour la
défense de leurs légitimes intérêts"(5).
Bien
que
ne
participant
pas
à
l'évangélisation,
une
telle
association était importante puisqu'elle était la façon la plus efficace
d'inviter à l'action chrétienne ceux de ses membres chrétiens (car il
n'y avait pas que des chrétiens) des campagnes, très peu touchées
par les autres mouvements.
1. Arch. CSSP 345 A VI
2. Arch. CSSP 345 A VI
3. Horar, VII - VIII, 1954 pA
4. Arch. CSSP
345 A VI
S. Arch. CSSP 345 A VI
365
En les rassemblant sur la base d'intérêts palpables, la mission
se
créait
ainsi
les
conditions
de
parfaire
indirectement
leur
engagement dans l'Eglise, tout en s'attirant la sympathie et parfois
l'adhésion d'autres Sérères au message qui était le sien. Cela, elle
était censée le faire à travers la représentatoin chrétienne dans le
mouvement paysan qui semble avoir été appréciable(1).
Lue à travers ce message, l'action paysanne, si elle produisait
des résultats, pouvait encore mieux servir l'Eglise qui n'aurait ainsi
aucune peine à les exploiter pour son compte, c'est-à-dire aux fins
de l'évangélisation. En cela, elle n'était pas isolée des oeuvres mais
formait au contraire, avec elles, un tout destiné à faciliter l'action
générale de conversion et de promotion de l'église naissante.
Aussi, malgré ses limites, en partie dues à son apparition
tardive, l'Action catholique n'a pas manqué d'être importante pour
les
missionnaires et pour la mission d'autant
que
la prise de
conscience attendue des fidèles ne semble pas avoir fait défaut.
Même ceux des catholiques qui étaient les moins engagés dans
l'action contribuaient financièrement à l'apostolat.
Dans
bien
des
missions,
celui-ci
a
pu
se
poursuivre
normalement grâce en bonne partie au denier du culte qui, dès qu'il
fut institué, en
1914, a été bien observé par les fidèles,
dont
beaucoup le respectaient commes ils respectaient les sacrements
(2).
Une situation qui a atténué le manque de moyens financiers
en
permettant
bien
souvent l'entretien
des
missionnaires
et
la
construction d'édifices du culte.
A Joal, en 1952, le denier du culte a rapporté jusqu'à 7 000
francs, soit une somme de très loin supérieure à la moitié du total
de l'argent reçu par cette mission cette année(3).
1.
H.
Gravrand- Visage africain de l'Eglise... Op. cit.
p.78. Lors de la
formation en 1961 des bureaux des coopératives villageoises. des paysans
chrétiens devaient
ainsi
y être représentés par un nombre
qui
"dépasse
leur
importance
numérique".
2. ECHL 038
3. Arch. A.D. Dossier ]oal. 1952
366
L'année précédente, il
avait fourni
la presque totalité des
ressources de la mission de Diohine : 9 500 frs sur un total de 1 200
francs le reste provenant de la Propagation de la Foi pour 225
francs, de l'oeuvre de Saint-Pierre Apôtre pour 175 francs et de la
Sainte-Enfance pour 85 francs(1).
Le denier du culte était même parfois reçu en nature, en
l'occurrence en mil comme c'était le cas à Fadiouth en 1949 et en
1950(2). Toutes
les
occasions
étaient d'ailleurs
saisies
par
les
évangélisés
pour
témoigner
leur
disponibilité
à
leurs
évangélisateurs et contribuer au financement de leur entreprise.
En 1945, en pleine période de difficultés pour les missions,
plus de1270 francs avaient été collectés sous forme de quête à
l'occasion de la Pâques, dans la seule station de Mbour alors partie
de la missions de Ngasobil.
Il convient certes de noter qu'une part importante a dû, ici,
comme ailleurs dans les quelques grands centres de la mission, être
versée par les Libano-Syriens, commerçants, mais quand on connaît
l'attrait de Mbour sur les villages environnants et la présence de
plus en plus forte dans la ville de chrétiens sérères depuis l'entre-
deux-guerres, on ne peut que conclure qu'ils y ont joué peut-être le
plus grand rôle. D'autant qu'à Ngasobil même où il n'y avait pas
d'étrangers, et qui était beaucoup moins peuplé, la même quête à
permis de rassembler plus de 526 francs(3).
1. Arch. A.D. Dossier Diohine, 1951
2. Arch. A.D. Dossier Fadiouth, 1949 & 1950
3. Arch. A.D. Dossier Ngasobil. 1945.
367
B
Les
limites
d'une
responsabilisation
collective
Dans un pays où il était plus facile de se convertir que de
rester bon chrétien(1), l'Action catholique devait être d'une grande
importance. Pourtant, jusqu'à la fin des années 1940, elle fut de
portée très limitée, tant du fait de la faiblesse de sa couverture de
la mission que de sa fonction particulière dans l'apostolat.
Il
faut,
comme
on
l'a
vu,
tout
d'abord
constituer
une
chrétienté avant de l'instituer et toute la période qui va du XIXe
siècle
à
l'entre-deux-guerres
fut
non
pas
vraiment
celle
des
conversions d'une masse de Sérères mais de préparation à cette
conversion.
Les
missionnaires
étaient
donc
préoccupés
par
la
multiplication
des
catéchistes
plutôt
que
par
l'expansion
de
mouvements d'action catholique.
Aussi, c'est vers la fin de
notre période que l'on assista
vraiment au développement de l'Action catholique. Celui-ci n'était
d'ailleurs pas sans poser de sérieux problèmes, de l'aveu même du
chef de la mission, Mgr Lefèbvre : "certains jeunes prônent des
méthodes
d'avant-garde
qu'on
sent
marquées
de
l'esprit
dit
"progressiste" et qui ne correspond nullement aux besoins sociaux
actuels.
Les
étudiants
de
l'université,
très
accaparés
par
les
mouvements politiques et par les revendications d'ordre temporel
auraient trop tendance à mêler la Religion à ces problèmes"(2).
Si
ces
inquiétudes
découlaient
de
l'activité
de
certains
membres de la J.E.C et de la J .E.C.F(3), les obstacles concernant les
autres associations, bien qu'étant de nature différente, n'en étaient
pas moins sérieux. Le mouvement des laïcs dans l'Eglise a, comme
cela
mérite
d'être
rappelé,
été
longtemps
retardé
par
les
missionnaires pour, disait-on, conserver la pureté de la doctrine
religieuse.
1. Arch. CSSP 160 B III
2. Arch. CSSP. 345 A VI
3. La
Jeunesse
étudiante catholique et la Jeunesse
étudiante
féminine
catholique
s'étaient,
elles
aussi,
organisées
au
début
des
années 1950, à la faveur de la création de l'Institut des Hautes Etudes de
Dakar. Leur influence fut
alors
grande mais semble-t-i1, beaucoup plus
au niveau de la hiérarchie que dans l'évangélisation proprement dite.
368
Mais une exigence devait conduire à une situation déplorable
que devaient relever les laïcs du Sénégal, réunis en 1970 à Thiès:
"Dans le passé, les chrétiens étaient tenus à l'écart des affaires de
leur
Eglise.
Le
clergé
missionnaire,
formé
dans
le
sens
d'un
dirigisme très
poussé,
avait marqué
l'éducation d'une chrétienté
dominée par le souci de l'honneur et la volonté de constituer une
communauté cohérente. En somme, les chrétiens étaient confrontés
avec une
conception de l'Eglise dans laquelle leur rôle et leur
fonction n'étaient décrits et dictés que par le clergé. Cela marque
bien le paternalisme de l'Epoque coloniale"(l).
Ce dirigisme, qui ne favorisait pas le rôle des laïcs dans l'Eglise
en dehors de celui que voulait bien leur confier un clergé très
méfiant ne pouvait qu'être néfaste pour une saine implication des
chrétiens dans l'apostolat.
Les
conclusions
de
la
premlere
réunion
des
archevêques
métropolitains d'AOF de 1956, tenue juste à la fin de notre période
démontre que ce problème ne fut jamais résolu. Elles indiquent au
contraire
que
la
démarche
d'exclusion
des
laïcs
fut
toujours
confirmée, bien que les nécessités du moment et l'évolution de la
mission ont souvent amené à assouplir bien des positions figées sur
l"'immaturité de l'Eglise" !
On note ainsi dans ces conclusions que la participation des
laïcs à l'évangélisation est voulue par l'Eglise et prescrite dans le
cadre d'un apostolat hiérarchique donc soumis à la surveillance du
clergé(2). De plus, en prenant le soin de remplacer Evangile par
Eglise c'est-à-dire la hiérarchie, les chefs de la mission traçaient, du
coup, les limites qu'ils ont toujours entendu donner à l'apostolat des
laïcs et de façon générale à leurs activités dans l'Eglise.
La conséquence, c'est qu'il fallait un "mandat" de la hiérarchie
pour
exercer
une
quelconque
mission
de
laïc.
Flanqué
d'un
aumônier chargé entre autres tâches de veiller aux activités et à
leur
conformité
avec
les
bases
établies
au
départ,
chaque
mouvement était ainsi surveillé de près.
1. Rapport
de
la
commission. ln Horar, VIII, 1970
p.1
2.
Première
réunion
des
Archevêques
Métropolitains
d'AOF
et
Togo.
Dakar, impr. de la Mission, 1956
p.36.
369
L'aumônier
devait
en
effet
"veiller
à
l'application
des
directives et des principes de l'Eglise et à l'intégrité de la doctrine;
s'assurer que technique et méthode sont appliquées conformément
à l'esprit chrétien; juger de l'opportunité, de l'efficacité de telle ou
telle initiative par rapport à l'ensemble de l'apostolat de l'Eglise ;
donner, enfin, l'exemple du respect, de l'obéissance, de l'esprit de
docilité confiante vis-à-vis de la hiérarchie"(l).
On comprend qu'avec ces exigences, le mouvement d'action
catholique ne fut pas toujours à la hauteur des espoirs qu'il a pu
susciter. Il y avait ensuite une réalité propre non pas à la seule
mission, mais à l'Eglise universelle, bien soulignée par Mgr Léon- J.
Suenens, dans son ouvrage de 1955 : le sacerdoce du baptisé est
négligé "par crainte du protestantisme qui en abusait et faussé par
une "théologie laïque" dont SS Pie XII dénonçait les prétentions
inadmissibles "(2).
De fait,
même les plus chauds
partisans de
la
"prêtrise"
naturelle de "tout chrétien" comme le R.P de Lubac conviennent
qu'il fallait, "si l'on veut éviter des confusions fort graves, expliquer
ce rôle des laïcs c'est-à-dire en fixer les limites"(3).
A ces problèmes liés à une certaine conception de la Mission, il
faut
ajouter ceux
nés des
difficultés
sur
le
terrain.
En
1955,
beaucoup des associations d'action catholique n'étaient encore qu'à
leur début. De plus, leur activité était souvent limitée, pour des
raisons diverses.
Créée pour rassembler les jeunes de brousse
à Dakar, la
Jeunesse catholique africaine fut bien vite noyée dans les oeuvres
instituées dans les quartiers. Mieux organisées et dotées de cours
du
soir, de catéchuménats et de centres d'accueil,
ces
oeuvres
étaient de loin plus importantes que le mouvement de la J .C.A qui,
par
sa
nature
même,
ne
pouvait jouer
aucun
rôle
important.
Constitué de saisonniers et instable dans son organisation, il ne
pouvait être un mouvement d'action catholique efficace.
1.
Première
réunion
des
Archevêques
Métropolitains...
Op.
cit.
p.29
2. L'Eglise en état de Mission. Bruges, Desclée de Brouwer, 1955
p.85.
3.
Méditation
sur l'Eglise.
Cité
par Sue n e n s, in l'Eglise en était de
Mission. Op. cit.
p.85.
370
Quant
aux
autres
mouvements
de
jeunesse
qui
ont
particulièrement
mobilisé
l'attention
des
missionnaires,
leur
dynamisme
parfois
très
grand
cachait
mal
une
sous-
représentativité bien que certains, comme la J.E.C, bénéficiaient du
renfort
appréciable
d'étudiants
étrangers,
l'Institut
des
hautes
études
de
Dakar
étant
alors
le
seul
centre
d'enseignement
universitaire de la sous-région ouest africaine francophone.
Cette priorité accordée à la jeunesse dans l'organisation des
mouvements
de
masse
se
comprend
d'autant
plus
que
l'analphabétisme était un frein à l'expansion de ces mouvements et
surtout de leur vrai rôle dans la société et dans l'Eglise.
La doctrine de l'Eglise dans ce domaine ne pouvait pas, en
effet. être correctement saisie par des illettrés qui, s'ils pouvaient se
laisser séduire par certains de leurs aspects. risquaient de négliger
le fond qu'ils ne connaissaient peut-être pas. Le Secrétariat social,
lui, aurait certainement pu jouer un grand rôle.
Malheureusement,
son installation tardive et surtout le fait
qu'il n'était établi qu'à Dakar expliquent qu'il n'a été que d'un appui
fort limité à l'évangélisation.
Jusqu'à une période récente,
quitter son village pour aller
chercher du travail en ville était considéré par le Sérère moyen,
comme
un
acte
de
fainéantise
condamnable.
du
moins
dans
certaines localités du pays : essentiellement paysans et très attachés
à leur terroir, les Sérères de l'intérieur ont depuis toujours pensé
que le seul travail noble et respectable était celui de la terre, et pas
n'importe laquelle : celle de ses propres ancêtres.
Il était donc naturel qu'ils ne fussent pas touchés par un
phénomène
urbain
qui
, jusqu'à
l'entre-deux-guerres,
n'intéressa
vraiment qu'une portion
du pays,
comprenant essentiellement le
littoral. Quant au mouvement d'action catholique des paysans, en
son problème, c'est qu'il était difficile de percevoir avec exactitude
quel vrai rôle lui confier, exception faite de celui d'influence dans
les organisations paysannes.
Le résultat est que l'impact de l'Action catholique en brousse
fut négligeable et, de façon générale, elle n'exista pratiquement que
chez les jeunes. Chez les moins jeunes, dans ce milieu, il est certain
que
seules
auraient
pu
trouver
grâce
auprès
des
paysans
des
associations de dévotion, une piste qui, apparemment, fut très peu
explorée.
371
De fait, la mISSIOn estimait devoir tout faire y compris penser
pour les chrétiens et ne songeait vraiment pas à les associer à la
pastorale. Les rares mouvements qui avaient pu s'implanter dans
les villages, les C.Y - A.Y notamment, ne semblent ainsi avoir dû
leur relatif succès qu'à leur organisation particulière et surtout à la
nature
de
leurs
activités
qui
laissaient
une
"large
place
au
défoulement physique"( 1).
La difficulté, c'est qu'à côté de ces mouvements assez timides
sur
le
terrain
et
d'associations
pieuses
qui
avaient
du
mal
à
s'implanter existaient, dans la presque totalité du pays, les sociétés
secrètes
et
les
puissantes
organisations
traditionnelles
qui
continuaient de mobiliser la masse des Sérères.
Les
cérémonies
du
ndut
ou
les
"fêtes"
funéraires,
les
circoncisions et les interminables réjouissances qui les précèdent et
les
accompagnent,
les
fêtes
rituelles
qui
rythmaient
la
vie
au
village, tout cela restait ainsi un pôle d'attraction qui marginalisait
très facilement les autres mouvements chrétiens.
Et ces manifestations renforçaient la méfiance du mISSIOnnaire
qui était plus manifeste dès lors qu'il lui apparaissait, au fond,
difficile de détruire tant de symboles de l'opposition à son message
et de la force d'une tradition dont l'omniprésence était incompatible
avec l'influence des organisations qu'il pouvait être tenté de mettre
en place pour en prémunir ses fidèles.
Aussi, même après la conversion du Sérère, le prêtre pensait
qu'il lui fallait encore du temps pour se débarrasser de son "esprit
animiste". Comment alors lui confier une mission dans l'Eglise ?
Sa
foi
"superficielle"
ne
facilitant
pas
les
choses,
les
mISSIOnnaires ont cru devoir rester vigilants. D'autant que certains,
sinon
beaucoup
de
convertis
continuaient
"en
cachette"
de
participer aux rites et autres manifestations "animistes" interdits
par la religion chrétienne.
C'est donc
la mission qUI
avait
elle-même
volontairement
limité l'apport des Sérères à leur propre évangélisation. Aussi, le
pays
sérère, au
moins dans
un premier temps,
ne
pouvait que
"subir" la christianisation.
1. ECHL 054 ; 109.
372
La conception que les Sérères ont de la religion les dispensait
d'ailleurs d'être des activistes chrétiens. Tout est affaire d'initiés et
la christianisation devait rester l'affaire du prêtre. Celui-ci est si
proche de Dieu et si capable d'efforts et de succès surhumains qu'il
n'a pas besoin d'eux dans sa mission sacrée.
Manifestement,
la
mutiplicité
des
"intermédiaires
le
catéchiste, le père, les saints,
le Christ et enfin Dieu - est apparue
complexe et déroutante au Sérère dont la tendance à la facilité
s'exprime largement dans le domaine religieux.
Dans ce contexte, le pélerinage de Popenguine(en pays serere
safen)
inauguré
en1888
ne
pouvait avoir
qu'une
fin
pastorale,
comme on l'imagine d'ailleurs aisément, en pays de mission.
Parti
d'une
affaire
de
superstition,
le
pélerinage
devint
rapidement une institution et un autre moyen d'apostolat :
"L'un des points de la côte des plus redoutés par les Noirs du
Sénégal est le
Cap de
Naze
(à
Popenguine)
situé à
quarante
kilomètres au Sud de Dakar(...). Il arrête les vents qui soufflent du
large et si les bateaux(...) n'ont pas la précaution de s'avancer
suffisamment dans la haute mer, le calme les retient dans la baie ;
puis lorsqu'ils ont franchi le promontoire, les vagues houleurses les
jettent souvent à la côte où ils se brisent contre les rochers Si vous
êtes passagers sur un cutter dirigé par des noirs, ayez bien soin de
ne pas montrer du doigt ce promontoire redouté ; tous vous diraient
que le génie du cap,
"Gourgui" entrerait en
fureur
et rendrait
impossible toute navigation( ... ). Mgr Picarda, voulant seconder le
zèle de ses prêtres, forcer le "Gourgui", le démon à reculer vers
l'intérieur et attirer sur ce peuple la protection de l'Etoile de la mer
avait résolu d'y élever un sanctuaire sous le vocable de Notre-
Dame-de-Ia-Délivrande"(l ).
1.
R.P.
Montel: In
Les
Missions
catholiques. 1888
p.362
373
Photo: Arch. OPM
Inauguration en février 1936 de la cathédrale du Souvenir Africain~
Deja 71'animation chrètienne•••en ville
374
Avec l'implication des Sérères à cette rencontre annuelle, on
peut
penser
que
bien
des
jeunes
désoeuvrés
se
sont
laissés
entraîner
dans
la
"promenade"
menant
à
Popenguine(1)
dont
certains sont devenus chrétiens(2).
Ce pélerinage marial, rapidement devenu national, était donc
avant tout l'occasion d'un culte de la Vierge doublé d'un culte pour
la mission : "Nous-nous proposons d'obtenir, par le moyen de cet
acte public et solennel de foi et de piété, le développement de
l'esprit et de la pratique chrétienne dans la colonie. Nous offrirons
en même temps à Dieu et à la Sainte Vierge des supplications
constantes pour la conversion des païens qui nous entourent"(3).
La participation souvent active des fidèles à ce rendez-vous
de la mission qui n'a cessé d'être importante, est sans doute un
indice non négligeable de leur implication dans la vie de leur Eglise.
Une situation qui n'a qu'un lointain rapport avec la pastorale mais
qui, par sa permanence et son retentissement dans la masse des
non chrétiens ne pouvait qu'être bénéfique pour la christianisation.
1. ECHL 033
2. ECHL 061
3. Lettre de Mgr Picarda aux fidèles (1888). In Horar, 83.
1956
p.3.
375
C
-
Maturité
de
la
mission
et
adaptation
du
discours
religieux
1
•
Le
discours
religieux
Le discours d'origine de la mISSIOn ne pouvait qu'évoluer vers
plus de compréhension des cultures "païennes" dont on a fini de se
convaincre que rien ni aucune religion ne pouvait les "réduire".
Au début de la mission, il était invariablement question de
lutte contre deux "fléaux", à lire les relations missionnaires. Le
premier, sans doute le plus condamné jusqu'à une certaine période,
c'est 1'" animisme",
le "paganisme", les croyances ancestrales des
Sérères et des autres Africains voire leurs pratiques issues du fond
des âges
et qui,
comme le travail du dimanche,
étaient jugés
incompatibles ave la nouvelle religion.
Le second, l'islam, l'est devenu lorsque, des décennies après
l'installation sur la côte et l'exploration de l'ensemble du pays, les
missionnaires se sont aperçus qu'il ne recrutait pas que chez les
Wolofs, mais
qu'il était en
fait
la religion de
la plupart des
Sénégalais. Et que chez les Sérères mêmes, il constituait désomais
une menace pour la bonne réussite de la christianisation.
La réaction de la mission face à cette double "menace" pour
l'enracinement
du
christianisme
a
déjà
été
étudiée
par
Pau 1e
Brasseur(l) et
n'a
fait que
s'accentuer,
au
moins
jusqu'à la
première guerre mondiale, surtout pour ce qui est de l'islam.
Le ton parfois violent contre l'''animisme'' est d'autant plus
curieux
que la démarche
semblait relever
d'une
stratégie
bien
pensée.
En
effet,
"usant
de
toutes
sortes
de
moyens,
les
mIssIOnnaires s'efforcèrent de saper la religion africaine avec plus
ou moins de succès; l'attitude négative qui consistait à la condamner
comme mauvaise fut adoptée quand l'attitude positive qui consistait
à montrer les vertus du christianisme s'avérait sans effet"(2).
1.
Les
religions
traditionnelles
et
l'islam
vus
par
les
premiers
Français à la côte d'Afrique - 1815-1880. In Les réveils missionnaires en
France du moyen-âge à nos jours (XIIe-X Xe siècle). Paris, Beauchesne,
1984 pp.353-362
2. W. Bascom:
"La culture
africaine et le missionnaire".
Conférence
prononcée en 1953
à Kennedy scool. In Images
de
Toumliline, mars
1963 p.l0
376
Mais s'ils n'avaient pas radicalement changé de conduite, les
missionnaires comprirent de plus en plus que ce n'était pas là la
meilleure formule. Aussi la tolérance, que l'on aurait de la peine à
trouver
dans
leur
démarche,
sembla
suivre,
très
timidement,
l'évolution non
moins
timide
des
mentalités
sérères
vers
plus
d'ouverture au christianisme.
Le pays n'était plus alors ce monstre indésirable, ses
habitants devenaient plus "droits" et plus sympathiques. De fait, il
fallut attendre les profonds changements socio-politiques qui ont
suivi
la
fin
de
la
seconde
guerre
mondiale
pour
voir
les
missionnaires
adopter
un
comportement
plus
conforme
à
la
situation de l'Afrique.
Avec la fulgurante avancée de l'islam à partir des années
1920, la préoccupation majeure de la mission changea de nature.
Désormais, l'opposition des habitudes locales au christianisme, le
"paganisme" sans âme des débuts de la christianisation, l'arriération
culturelle
du
Noir,
tout
cela
s'efface
d'un
coup
derrière
le
sympatique Sérère, naturellement fait pour le christianisme mais
risquant d'en être éloigné pour toujours, non plus par ses coutumes
mais par un islam boulimique et ravageur.
Les moyens des confréries musulmanes étant importants, le
danger pour la mission devint donc
de voir
toute
une
ethnie
naturellement
plus
portée
au
christianisme
qu'à
l'islam
être
contrainte de virer à celui-ci faute d'une attention suffisamment
efficace de l'Eglise. Aussi, s'engage-t-on jusqu'à la tête de celle-ci à
passer
outre certaines consignes
de
Rome
pour "devancer"
les
musulmans
et conserver aux
populations
la chance
de
devenir
chrétiennes(I).
A
chaque
époque
ses
problèmes,
sommes-nous
tentés de conclure.
L'importance ainsi prise par l'islam dans le discours religieux
dénote une place importante de cette religion dans le corps social.
De fait, l'islam a assez rapidement pris la place de l"'animisme" et,
plus agressif encore que lui, il ne cessait d'inquiéter une mission à
laquelle il prenait l'essentiel de ses adeptes potentiels.
1. Cf
infra p. 586: Mgr Jalabert à propos de Ngohé et de la région du
Baol
377
Mais à partir de la fin des années quarante, le changement du
discours religieux est total. Il ne s'agissait alors plus d'engager la
lutte
contre
ces
deux
fléaux
l"'animisme"
étant
voué
à
une
disparition certaine et l'islam devenant, malgré sa force - et peut-
être à cause d'elle-
une religion
avec
laquelle il était devenu
possible de s'entendre, mais d'affirmer le message universel de
l'Eglise à l'endroit tout d'abord des chrétiens, et de l'ensemble de la
société ensuite.
En ces années d'après guerre, la politique était au centre des
préoccupations de la mission celle-ci, devant les changements très
rapides survenus après 1945, "comprenant que ce qui concerne le
gouvernement
de
la
cité
ne
peut
pas
laisser
l'Eglise
dans
l'indifférence et la neutralité"(1).
Mais
tout
en
demandant
à
ses
fidèles
de
s'engager
politiquement et "d'avoir toujours devant les yeux en accomplissant
leurs devoirs de citoyens les principes qui sont le fondement de la
vraie société voulue par Dieu"(2), l'Eglise sénégalaise n'intervient,
politiquement, "que dans le cas de doctrines absolument perverses
et opposées radicalement aux droits de Dieu, de l'Eglise, de la
famille ou de la personne humaine, comme c'est le cas pour le
communisme"(3).
Cet engagement de la mission, qui frappe par sa nouveauté
(les missionnaires s'étant, jusque-là manifestés par une neutralité
et un silence parfaits sur les luttes politiques parfois violentes au
Sénégal) se comprend quand on se rappelle la situation politique de
l'époque, marquée par les conséquences de la guerre froide sur
l'émergence en Asie de mouvements nationalistes pro-communistes
dont on redoutait l'extension possible aux colonies d'Afrique. De
plus, dès le début des années 50, les revendications nationalistes en
Afrique du Nord étaient, pour beaucoup, la preuve que la contagion
de l'AOF n'était plus qu'une question de temps.
On comprend dès lors que la baisse toute relative de la tension
Est-Ouest,
observée
après
la
mort
de
Staline
n'avait
aucune
influence sur les rapports
souvent heurtés que certains
groupes
politiques
africains
entretenaient avec
la
métropole
où
la parti
communiste restait d'ailleurs puissant.
1.
Lettre
pastorale
de
Mgr
Lefèbvre
pour
le
carême
de
1955.
Reproduite par Horar, non,
1955, p. 4
2.
Ibid.
3.
Lettre
pastorale
...p.I2
378
Si cette situation s'explique assez facilement, il n'en est pas
forcément de même d'autres qui sont plus directement liées à la
pastorale. Il en est ainsi du mariage : si les principes qui sont à la
base du mariage chrétien sont toujours réaffirmés, il n y a plus, par
contre,
nulle
trace
de
cette
condamnation
sans
appel
de
la
polygamie : cela n'implique nullement que celle-ci fût officiellement
tolérée par l'église, mais si l'on se rappelle la quasi impossibilité des
premiers
missionnaires
de
parler
du
mariage
chrétien
sans
en
souligner le frein que constituait la polygamie, on perçoit l'évolution
de la mission sur ce plan et son option d'éliminer la polygamie par
la christianisation de la société, l'imprégnation du message chrétien
plutôt que par des procédés autoritaires.
C'est que le "mariage africain" est un élément d'une coutume
qui n'est plus regardée comme
barbare ou constituant un
frein
absolu au christianisme.
Bien des aspects de cette coutume, tels que "l'hospitalité, le
caractère sacré de l'autorité, l'esprit d'entraide, la fidélité dans les
sentiments,
la vénération et le respect de
la mère,
la pudeur,
l'honnêteté
des
moeurs
sauvegardée
sans
doute
par
de
sévères
sanctions (et) un sentiment religieux profond auquel on peut faire
appel
pour de réels
dévouements"(2)
deviennent en
effet
aussi
respectables que les valeurs enseignées à travers le christianisme.
Ces convictions n'allaient pourtant pas forcément de soi en
1955 et leur prise en compte ultérieure par l'Eglise, qui ne fut pas
aussi
facile
que certains
pouvaient s'y
attendre
n'est pas
pour
démentir cette affirmation. Mais point n'est encore besoin, pour la
mission, d'apports des cultures africaines le tout étant d'accepter
l'existence de ces cultures à côté du message chrétien quitte à les
évangéliser si elles sont évangélisables(3).
L'accès à la propriété privée "telle qu'elle est voulue par Dieu"
est également une "revendication" récente de la mission et, sans
doute, assez rare pour ne pas attirer l'attention.
,
1. Lettre
pastorale... p.12
2.
Ibid.
3. Lettre
pastorale ... p.12
379
Mais
l'Eglise
estime
que
le
clan
qui
se
substitue
trop
ouvertement
à
la
personne
n'est
pas
toujours
favorable
à
la
christianisation.
Aussi,
continuer
à
accepter
qu'il
régente
tout,
jusqu'à
la
propriété
privée
serait,
pour
elle,
trop
nuisible
à
l'épanouissement de la personne individuelle et de la famille.
Il Y a sans doute là un problème d'incompatibilité de cette
tradition avec
la
société que
les
missionnaires
s'employaient à
édifier, l'absence de propriété privée se répercutant forcément sur
le comportement des individus pris isolément et sur leurs réflexes :
les salariés, obligés de partager leur salaire avec les membres du
clan ne
pouvaient pas ainsi économiser pour "la construction de
l'habitat et des moyens normaux d'existence"(l) une existence dont
l'amélioration, à laquelle étaient fortement liés les bons progrès de
la christianisation était au centre, dès le début, des préoccupations
missionnaires.
Derrière
ce
changement
apparent
du
discours,
se
profile
pourtant un conservatisme criard dans l'approche des problèmes de
la mission. Celle-ci s'est en effet, toujours employée, tel qu'on l'a dit,
à détacher l'homme de la société pour le prémunir des influences
qui
pouvaient
compromettre
l'évangélisation.
On
ne
pouvait
cependant ignorer l"'évangélisation par le progrès social" telle que
conçue et pratiquée par les tout premiers missionnaires de Mgr
Kobès.
Les principes de la civilisation européenne ne peuvent, selon
la mission, être enseignés efficacement aux jeunes africains qui en
ont besoin par des Européens non convaincus que la supériorité de
cette civiliation se fonde moins sur les techniques que sur la valeur
des principes chrétiens(2). Or l'éducation désirée par ces jeunes
africains et qu'ils recherchent "auprès des missionnaires, on s'est
abstenu de la leur donner"
sous le prétexte de la nécessité de
respecter leurs coutumes, la laïcité ou la législation.
1.
Lettre
pastorale... p. 13
2. Ibid, p.IS.
380
Cette dénonciation de l'"école sans Dieu" était encore plus
explicite l'année précédente, Mgr Lefèbvre déclarant sans ambages :
"Là où les écoles catholiques ne suffisent pas, où par une injustice
évidente, seule l'école publique est abordable aux enfants dont les
parents
sont pauvres, les parents chrétiens doivent s'associer et
exiger de l'école publique la facilité pour leurs enfants d'apprendre
la religion, de la pratiquer, et ce à des heures raisonnables. L'école
primaire laïque où la religion est inconnue est une abomination et
un
crime
qui
attire
les
pires
malédictions
de
Dieu
sur
une
nation"(l).
A côté de cet emportement contre l'Etat laïc, il y a la critique
plus générale du système éducatif qui semblait avoir perdu de vue
qu"'une société ne peut se composer uniquement de fonctionnaires
et de commerçants, mais qu'elle a pour base d'abord l'agriculture,
puis l'industrie.
Ne fallait-il
pas
former
le paysan,
lui donner
l'amour du travail de la terre et de la propriété, lui donner une
instruction convenable et une éducation sérieuse?."(2).
En
somme,
après
avoir initié au
Sénégal
une
pratique à
l'inspiration incertaine de colonisation des terres, la mission, qui la
vit échouer demandait, ici, à l'Etat de prendre efficacement le relai
en exécutant ses vues qu'elle croyait être celles de tous ceux qui se
souciaient vraiment du progrès des colonies.
Ce serait là le meilleur moyen de gérer, au mieux des intérêts
des
Africains,
cet
"affrontement
d'une
civilisation
centrée
sur
l'individu et la technique et d'une tradition paysanne et collective"
qui est celle de l'Afrique(3). Ce qui est frappant dans le changement
du discours
missionnaire
à la fin
de
notre
période,
c'est
son
glissement insensible vers la prise en charge des problèmes socio-
politiques tels qu'ils se posaient avec acuité aux populations.
Le
code
du
travail
nouvellement
promulgué
et
qui
reconnaissait
notamment
des
droits
syndicaux
plus
larges
aux
Africains, était ainsi bien accueilli comme on pouvait s'y attendre,
par l'ensemble des missions africaines à l'occasion de la réunion, à
Dakar, en avril 1955, de leurs chefs respectifs(4).
1. Horar, non. 1954 p.3.
2. Lettre pastorale...p.16
3. Déclaration commune des chefs de missions d'AOF et du Togo. Dakar, 24
avril 1955 p.9
4. Ibid. p.lO
381
2.
Les
sermons
Une partie intéressante de l'histoire de la mISSIOn du Sénégal
est jusqu'ici restée à la fois totalement inconnue puisque n'ayant
encore fait l'objet d'aucune étude et difficile à cerner du fait du
manque total de sources s'y rapportant.
Il s'agit des sermons, cette composante primordiale de toute
vie religieuse et qui, en pays de mission, revêtent une importance
tout à fait particulière. Ils permettent en effet au guide de la
communauté qu'est le prêtre de bien centrer le discours religieux
sur celle-ci et ses préoccupations, à la lumière de l'évangile et
diffèrent, pour cette raison, du discours religieux proprement dit
qui s'adresse en général, au-delà des fidèles, à l'extérieur.
Cette absence totale de sources ne nous a pour autant pas
découragé,
dans
notre
curiosité
de
connaître
leur
contenu
en
cherchant
tout
d'abord
dans
la
littérature
missionnaire
où
transparaissent des fois les préoccupations qui servent d'inspiration
au discours religieux en général.
Il y a ensuite des acteurs directs de la période qui ont pu
éclairer notre démarche nous permettant ainsi d'arriver au constat
que les sermons peuvent être divisés en deux parties : une qui n'a
rien de particulier puisque intéressant l'"évangile du jour" tel qu'il
serait porté à 'n'importe quel auditoire de fidèles.
Si
différence
il
y
a
ainsi,
elle
ne
découle
pas
fondamentalement du contenu mais relève plutôt de la sensibilité
du prêtre et de son désir de chercher une application théorique du
message au milieu récepteur.
Il y avait donc surtout l'état de mission qUI, dans la seconde
partie
du
sermon,
expliquait
un
contenu
particulier
lui-même
orienté par les "circonstances de temps et de lieu" au moment où le
missionnaire s'adressait aux fidèles(l).
1. EMCR 017
382
En tout état de cause, celui-ci devait toujours garder à l'esprit
qu'il avait en face de lui de nouveaux convertis qui avaient souvent
tout à apprendre de la religion(l). Il fallait donc s'attendre tout
d'abord à un discours moralisateur, dans la perspective de changer
les habitudes sérères et les rendre plus conformes à la nouvelle
religion.
C'est dans ce même esprit que les missionnaires ont presque
toujours mis l'accent sur la supériorité du christianisme face au
paganisme qui est voué à l'extermination totale. Cette supériorité se
manifeste notamment dans les miracles de Jésus et cette partie de
l'histoire
de
l'Eglise
qui
va
de
la
naissance
du
Christ
à
la
Résurrection est largement expliquée aux fidèles afin qu'ils soient
persuadés de cette supériorité.
C'était
déjà
une
préoccupation
du
catéchuménat
mais
les
sermons devaient y revenir sans cesse, comme ils revenaient à
chaque occasion sur "le rôle des douze" qui ont, avec le Christ, fondé
la mission(2).
C'est pour cette raison d'ailleurs que les Actes ont pns une
importance non négligeable dans cette volonté d'expliquer l'Eglise.
Si le mystère de la Résurrection fut assez largement expliqué et
surtout compris, il n'en fut pas toujours de même de l'incarnation.
Aussi,
les
missionnaires
ne
semblent
pas
av OIT
particulièrement insisté, estimant sans doute que l'Eglise qui allait
prendre
leur
succession
aurait
en
charge
de
le
faire
plus
efficacemen t.
La notion de péché par contre était présente dans bien des
sermons et là, les prêtres, sans doute pour davantage frapper les
esprits
ont
souvent
et presque
partout pensé
l'illustrer
par
le
meurtre
d'Abel
et la descendance
de
Caïn(3).
Leur père Adam
et leur mère Eve furent d'ailleurs au centre des prédications pour
démontrer
la
parenté
humaine(4),
sans
doute
pour
mieux
convaincre sur la fraternité en Dieu et en Jésus Christ.
I:Ëë-HLÏ09-------------
2. EMCLR 017
3. EMCLR 009
4. ECHL 099
383
Pour illustrer
le
péché
d'ailleurs,
Caïn
fut
souvent
à
la
rescousse de Satan non pas seulement parce qu'il "se jeta sur Abel
son
frère
et
le
tua"(l)
mais
aussi
et
surtout
pour
démontrer
comment les
mauvaises
actions
rendent
leur
auteur
mauvais
et
vulnérable au péché qui guette(2).
C'est dire
que Satan était au coeur de
tous
les
sermons
puisqu'il était finalement censé incarner tous les péchés et toutes
les formes de déviations.
Aussi, était-il affublé de tous les noms que lui attribuent les
nombreuses
références
bibliques
se
rapportant
à
lui
serpent
originel, diable, calomniateur, opposant(3), rien de ce qui pouvait le
caractériser n'était laissé de côté pour inciter les chrétiens sérères à
s'en
détourner
par
la
prière,
c'est-à-dire
l'adhésion
totale
au
christianisme et la bonne action.
Cela semble avoir si bien marché que
Say tan
(Satan en
sérère) désigne désormais aussi bien tout ce qu'a voulu y mettre la
Bible que la conséquence malheureuse de n'importe quelle action
qui a mal tourné.
Il
est
vrai
que
les
chrétiens
n'ont
pas
le
monopole
de
l'extension du sens du mot qui se retrouve aussi bien chez les
musulmans. Mais elle suffit à démontrer que le message fut bien
reçu de la part des fidèles.
La propension notée dans la démarche des
missionnaires à
caresser dans le sens du poil de petits chefs locaux pour obtenir
quelques
facilités
d'installation
au
début
des
fondations
devait
également les amener à prêcher l'obéissance voire la soumission à
l'autorité.
1. Genèse, 4 : 8
2. Genèse, 4 : 7
3. Dans le désordre on peut citer entre autres:
Chroniques, 21 : 1 ; Job,
1 : 6 et 2 : 2 ; Mathieu, 4 : 10, 12 : 26, 16 : 22 ; Marc, 1 : 13,4 : 15 ; Luc, 10 :
18 , 22 : 3 ; Actes, 26 : 18 ; Romains, 16 : 20 ; 1 Corinthiens, 5 : 5 ;
2 Corinthiens, 2 : Il, 11 : 14, 12 : 7 ; 1 Thessaloniciens, 2 : 18 ,
2 Thessaloniciens, 2 : 9 ; Révélation, 2 : 9, 12 : 9, 20 : 2, 20 : 7 ; Jean, 13 : 2,
3 : 8,8 : 44 ; Hebreux, 2 : 14...
384
En réalité cette attitude allait bien au-delà de ces nécessités
du moment
la mission semblant s'être placée, dès le départ, dans la
position d'un pouvoir spirituel conscient qu'il ne pouvait s'exercer
pleinement que dans la seule mesure où il ne gênait pas le pouvoir
temporel dans ses prétentions au monopole de l'Autorité.
De là
découlaient des incompréhensions et bien des accusations souvent
injustes
qui
accompagnaient
l'œuvre
missionnaire
ou
qui,
a
posteriori, étaient portées contre elle.
D'autant
que
la
situation
n'a
jamais
débordé
du
strict
nécessaire pour entretenir l'entente dans la différence des missions
naturelles
confiées
respectivement
à
l'Administration
et
à
la
mission. Mais les situations particulières ont toujours amené celle-ci
à s'engager
plus
ouvertement
dans
ses
sermons
au
nom
du
gouvernement
des
âmes
et
des
exigences
que
requiert
la
continuation de l'oeuvre des Apôtres que l'Eglise lui a confiée.
C'est ainsi qu'entre 1940 et 1943, l'Eglise du Sénégal devait
s'impliquer dans les grandes questions qui agitaient alors la VIe
publique en orientant les sermons vers ce qui lui paraissait être des
réponses
à apporter
aux
fidèles
dans
leurs
angoisses
face
aux
contradictions de la société.
On rappelle qu'en chaire, à la cathédrale de Dakar, il fut
plusieurs
fois
question
d'attachement
à
l'autorité
légitime,
une
proclamation dont le coup d'envoi semble avoir été donné par un
prêtre qui, démobilisé
après l'armistice, était en
escale dans la
capiale d'AOF dans l'attente d'un embarquement pour sa destination
américaine(l). Le chef de l'Eglise lui-même, Mgr Grimault allait
s'impliquer dans cette logique qui ne pouvait s'exprimer pleinement
que quand elle avait ainsi son aval(2).
Si nous sommes ici dans une situation qu'on peut qualifier de
générale pour l'Eglise de France et celles de ses colonies qui étaient
encore dans la mouvance de Vichy, il y avait, ailleurs, une autre
préoccupation assez spécifique pour une mission née avec le désir
de convertir par le travail, en plein milieu paysan qu'était le pays
sérère.
1. A.N.S. 17 G 23 - 1
2. Ibid. Voir Supra. p.203
385
L"'évangile du
travail"
devait donc
y avoir droit de cité
surtout quand on se refère à une vision des Africains généralement
répandue,
à
l'époque,
chez
les
Européens
y
compris
les
mIssIOnnaires : paresseux ou ne sachant pas bien travailler, les
Africains
étaient,
selon
elle,
plongés
dans
une
économie
de
subsitance voire de survie qui était désormais incompatible avec le
destin qu'ils croyaient leur préparer.
Aussi,
les
évangéliser
par
le
travail
supposait
leur
faire
comprendre
l'importance
de
celui-ci
dans
la
valorisation
de
l'homme(l) et le fait qu'il est le passage obligé pour le progrès
social, des pauvres en particulier pour lesquels il faut beaucoup
d'efforts et de souffrances pour arriver à changer durablement leur
condition(2).
Mais le travail sans Dieu ne suffit pas et les mISSIOnnaires ont
toujours attiré l'attention sur le fait qu'il lui fallait s'accompagner
d'une vie pleinement chrétienne pour être fructueux et combler de
biens le travailleur : la recherche de Dieu est au début de la
fortune(y compris même) matérielle(3).
C'est
logiquement l'humilité
qui
devait
découler de
telles
recommandations
non
pas
seulement
parce
que
le
charpentier
Joseph, en étant le chef du foyer qui accueillit le Christ est une
invite biblique à la modestie, mais surtout parce que ceux que la
providence a enrichis par leur travail ne devaient jamais oublier
qu'ils ont tout eu par la grâce de Dieu, sous peine de se laisser
couvrir d'orgueil(4).
Ce message n'était sans doute pas de trop dans une mISSIOn où
la richesse était recherchée non pas pour en jouir en tant que bien
matériel
consommable,
mais
avant
tout
comme
moyen
de
considération
sociale
et
de
puissance
qui
entretient
tout
spécialement cet orgueil que condamne l'évangile.
1.
EMCLR 017. La référence ICI à Proverbes. 22
29 est implicite mais
très
claire.
2. Isaïe. 66 : 7
3.
Chroniques. 26 : 2 - 15
4.
Chroniques. 26 : 16 - 22
386
3
•
L'effet
du
changement
de
discours
sur
('orientation
de l'action missionnaire
Ce changement de discours ne fut pas que théorique et était
accompagné, timidement sans doute mais aussi fermement, d'un
assouplissement de l'action sur le terrain.
Il ne
serait pas en effet vain de rappeler comment les
missionnaires ont tenté et réussi un peu partout à exploiter les
dispositions particulières des Sérères à susciter et accompagner les
"belles cérémonies".
Celles-ci. bien que très souvent condamnées dès qu'il était
question
de
manifestations
traditionnelles.
étaient
largement
devenues un moyen d'évangélisation.
De même. si elle n'a en rien été favorisée. du fait de sa
résistance plus efficace à l'évangélisation. la famille élargie a bien
souvent servi de base à celle-ci dès l'instant que ses éléments
influents servaient. en quelque sorte. de socle à la nouvelle religion
qui. dès lors. pouvait avec moins de difficultés. gagner le corps de la
grande famille.
De façon générale. tout ce qu'on pouvait christianiser dans la
tradition ou tout ce qui pouvait faciliter la christianisation dans
cette tradition était le bienvenu. surtout à partir de la fin des
années
40.
dans
la
mesure
où
il
n'altérait
pas
l'essence
de
l'enseignement transmis.
L'apport de la tradition au christianisme était cependant plus
net que l'influence de celui-ci sur la vie des Sérères du moins tant
qu'ils étaient restés au village. cette tradition ne pouvant être
réellement transformée qu'avec le temps. Dans ce qu'il est convenu
d'appeler les villages chrétiens par contre. les changements furent
plus rapides et plus prononcés.
Situés sur la côte et christianisés un peu plus tôt. ces villages
ne
semblent cependant avoir retenu
du christianisme
que
son
aspect superficiel de véhicule d'un mode de vie occidental. Mal
assimilé et se heurtant malgré tout aux réalités restées présentes.
ce mode de vie ne peut. en aucun cas. être considéré comme un
apport positif du christianisme au monde sérère.
387
D'autant qu'a priori on est tenté de chercher cet apport dans
l'éradication
d'un
des
maux
les
plus
graves
de
la
société,
le
fétichisme dont rien , en 1955, ne permet de conclure au recul,
même dans les villages et villes les plus attachés au christianisme.
C'est que partout, la culture traditionnelle restait vivace et
résistait à la religion des nouveaux convertis même après deux ou
plusieurs
générations.
Cette culture était "mélangée" à celle du christianisme et,
souvent pleinement vécue dans celui-ci qui ne pouvait plus, dès lors
que le dogme n'était pas atteint, exiger la transformation complète
des croyants encore moins leur assimilation totale.
Au contraire, il devait se contenter "de concilier la foi nouvelle
et la civilisation ancienne" étant désormais convaincu que "dans la
nature hormis le péché, rien n'est étranger à Dieu, à Jésus Christ"(l).
Le probème, c'est que
"le péché"
pouvait être
partout et
bloquer ainsi tout effort d'ouverture. On le perçoit en particulier
dans le comportement de ceux des missionnaires qui étaient restés
hostiles à cette ouverture de même d'ailleurs que dans l'attitude de
certains
prêtres
traditionnels
qui
ont
toujours
vu
dans
le
christianisme un danger mortel pour leur religion.
Entre les deux pourtant, il semble avoir eu un juste milieu, la
mission tenant "à garder la variété et la diversité compatibles avec
l'unité de la foi et des moeurs, dans le cadre de la discipline
ecclécastique" (2).
C'est donc dire que même s'il est difficile pour l'époque de
parler d'une introduction significative, dans le rituel notamment,
d'éléments de la culture sérère, certains aspects d'une africanisation
de
l'Eglise
au-delà
de
la
formation
d'un
clerge
indigène,
apparaissaient
déjà,
à
travers
l'essentiel
des
cérémonies
qui
accompagnaient les évènements de la vie religieuse.
1. Mgr Lefèbvre, Préface à "Des Prêtres noirs s'interrogent". Op. cit. p.14
1.
Ibid.
388
Force est cependant de noter que cette africanisation est allée
à un pas si mesuré qu'on ne peut pas dire qu'elle était pleinement
vécue par tous les missionnaires dont beaucoup y ont au contraire
vu la grande menace qui pouvait peser sur l'Eglise.
Le fait que le R.P. Henry Gravrand, arrivé au Sénégal vers la
fin de notre période ait été l'un des précurseurs les plus en vue de
cette quête d'une rencontre avec les valeurs de civilisation locales
démontre, en effet, que la résistance des missionnaires, sur ce plan,
fut à la fois très grande et très efficace. Tout dépendait donc de la
souplesse
des
prêtres
qui
ne
fut
malheureusement
pas
leur
première qualité.
Beaucoup d'entre eux ont plutôt laissé l'image de gens très
durs
pour
lesquels
aucun
compromis
n'était
possible
entre
le
christianisme et le
mode de
vie
sérère.
C'est
par
suite
d'une
"réaction" déterminée et tout aussi efficace que celui-ci finit par
être pris en compte dans certains de ses aspects acceptables par les
missionnaires ou, plus sûrement, qui se sont imposés à eux.
389
EVOLUTION CHD'FREE DE LA PRESENCE
DESPRETRESINDIGENES
6
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1950
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Années
D. SENE
390
EVOLUTION DE LA PRESENCE MISSIONNAIRE
Les prêtres
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1890
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1910
1920
1930
1940
1950
1960
Années
O.SENE
391
TROISIEME PARTIE
LA REPONSE DES SERERES
A LA PROPOSITION CHRETIENNE
392
CHAPITRE PREMIER
LE BAPTEME ET LES BAPTISES
I. LES RAISONS DE LA CONVERSION
A.
L'action
de
l'Eglise
L'action de l'église a naturellement été déterminante dans la
conversion. A côté des missionnaires, il y a les membres de la
communauté chrétienne, les auxiliaires du clergé mais aussi les laïcs
engagés qui tous, participent à l'évangélisation.
Le rôle de ces derniers fut parfois non négligeable dans le
cadre de l'Action catholique mais les limites de celle-ci ont été
suffisamment soulignées pour qu'il soit besoin d 'y revenir.
Quant aux missionnaires, leurs résultats ont connu des hauts
et des bas mais n'ont cessé dans l'ensemble de progresser, surtout à
partir de la fin du second conflit mondial. Les obstacles les plus
importants, tenant à la situation particulière du pays avaient alors
disparu,
longtemps
ou
récemment
:
l'insécurité
des
voies
de
communication, l'emprise du système politique traditionnel sur les
masses,
les
conditions
de
déplacement
difficiles,
tout
cela
n'appartenait plus qu'au passé.
Les
missionnaires
pouvaient
alors
déployer
toute
leur
stratégie et atteindre d'une façon
ou d'une autre l'ensemble des
villages du pays. A cela s'ajoute le fait que la motorisation de toutes
les missions s'est faite à un rythme accéléré, entre seulement 1948
et 1951(1).
1. H. Gravrand
Visage africain de l'Eglïse...Op. cil.
p.63.
393
Dès lors, les conversions se multiplièrent, non plus dans les
seuls premiers villages missionnaires qui n'enregistraient déjà plus
les
nombreuses
conversions
des
premières
années
de
leur
christianisation pour celles d'entre ces missions qui en avaient la
fortune(1) mais ailleurs, au coeur et à la périphérie du pays sérère.
A côté des oeuvres de la mission, la "vision" généralement très
positive du missionnaire dans la société semble avoir été pour
beaucoup dans ce mouvement de conversions. Les développements
très
instructifs
de
Jacques
Gadille
sur
la
perception
assez
négative
des
Africains
de
la
mission
et
des
missionnaires
démontrent
bien,
en
mettant
en
exergue
l'absence
totale
de
conformisme dans le jugement de ceux qui sont pourtant censés
avoir le plus bénéficié de ce "supplément d'âme" qu'elle apporta à la
colonisation,
qu'il
y
a
en
fait
des
regards
croisés
sur
le
missionnaire:
d'une
part
il
y a l e
regard
des
intellectuels,
généralement critique
mais
sans
toujours
verser
dans
la
féroce
satire du Pauvre
Christ
de
Bomba (3) et un autre qui met, lui,
l'accent sur
"le rôle
religieux
et
sacré
du
missionnaire" (4).
Il
reconnaît en la personne du missionnaire "l'homme de Dieu"(5).
1. A l'exception
de
Palmarin - mais cela s'explique sans doute par le
fait qu'il est le dernier de tous à avoir été évangélisé - les premiers
villages missionnaires semblent avoir atteint,
à partir des
années
1940,
leurs
"limites".
L'évangélisation
y
a
généralement
bien
réussi
et
on
rencontre
dans
certains
de
ces
villages
une
bonne
majorité
de
catholiques,
parmi
les
Sérères.
Mais
plusieurs
facteurs
allaient
influer
négativement
sur
cette
situation
jusqu'à
renverser
le
"rapport
des
forces"
musulmans-catholiques
en
faveur
des
premiers,
dans
d'autres
villages. Ainsi
Ndianda, au début très "prometteur"
finit par n'être plus
qu'une
mission
de
seconde
importance.
A
Joal
même,
les
musulmans
étaient
chaque
jour
plus
nombreux.
Comme
à
Fadiuoth,
presque
entièrement "animiste" ou chrétien au
début
de notre
période et
assez
islamisé à la fin.
2. J. Gadille : L'expérience africaine des missions chrétiennes... p.7
3. M. Héti, comme on le sait, a romancé son regard sur le missionnaire
et
la
mission
dans
un
accent
bien
représentatif
de
l'opinion
de
la
minorité
d'intellectuels
africains
qui,
partant
d'une
situation,
ont
voulu
généraliser le
caractère
"néfaste"
du
christianisme sur le
plan
culturel
et/ou la collusion de la mission avec une administration dominatrice. Le
seul
titre
de
son
ouvrage
résume
assez
bien
les
excès
qui
peuvent
entacher une
telle
démarche.
4.
L.
Laverdière
L'Africain
et
le
missionnaire.
L'image
du
missionnaire
dans
la
littérature
africaine.
Montréal,
Bellannin,
1987
p.130.
S.
Ibid.
394
"Ette à part, le missionnaire est relié au sacré et à la Divinité,
voué à la prière et au culte, doué de pouvoirs prodigieux et de ce
fait entouré à la fois de respect, de vénération et de crainte"(l). Il
jouit ainsi d'un prestige très grand, lié à sa fonction, même s'il n'est
pas toujours à la hauteur(2).
A
ce regard
plutôt
positif,
s'ajoute
tout
naturellement
la
reconnaissance pour l'action sociale de la mission qui vaut aux
missionnaires
"d'être
beaucoup
plus
influents
et
puissants
sociologiquement que spirituellement"(3).
De toute évidence, une telle situation ne pouvait que créer de
bonnes dispositions pour l'Eglise, en particulier lorsque s'y ajoutait
un intérêt direct.
Il est certain que chez les ruraux de l'exode, l'aide apportée
par les
missionnaires
des
grands
centres
urbains
a été
parfois
déterminante
dans
la conversion
et surtout,
la persévérance
au
catéchuménat.
1.
L.
Laverdière
: L'Africain et le missionnaire... Op.
cit.
p.247.
Cette
crainte du
missionnaire est
très
répandue
mais
on
en
tire
aussi
des
conclusions bénéfiques pour l'évangélisation
: ceux qui croyaient à une
"punition des esprits" en cas de conversion au catholicisme pouvaient en
effet être très vite rassurés par les "pouvoirs mystiques" autrement plus
efficaces que l'on prêtait au père.
Ce
sentiment a
été
particulièrement présent dans
tous
les
villages du
pays et était souvent alimenté par le "mépris" du missionnaire pour tous
les
interdits.
Des
endroits
censés
être
sacrés,
donc
inviolables,
ou
fréquentés
par des
esprits
maléfiques où personne
n'osait
s'attarder lui
servaient
ainsi
d'établissement
de
préférence
à tout
autre,
pour mieux
convaincre
les
populations
de
leur
"erreur",
comme
on
l'a
vu
avec
l'exemple du père Gravrand, à Fatick. Ailleurs, tous ces interdits étaient
systématiquement
violés,
impunément,
par
les
prêtres
dès
qu'ils
s'installaient
dans
une
mission
à
la
fois
pour
frapper
les
esprits
et
destabiliser
l'organisation
religieuse
du
terroir
pour
mieux
en
neutraliser les croyances avec
lesquelles il était impossible d'assurer la
prospérité du christianisme. On en a vite déduit que c'était là la preuve
de la "supériorité" du missionnaire et de sa relation à Dieu.
Depuis, le respect et la vénération qui entouraient les missionnaires se
sont évidemment accrus,
tout le
monde
étant convaincu
qu'ils ont des
"pouvoirs" directement "donnés par Dieu".
2. L. Laverdière : L'Africain et le missionnaire... Op. cit. p.247.
3. Ibid,
p.248
395
En ces années où les parents susceptibles de les accueillir
étaient plutôt rares à Dakar et ailleurs dans les
grands centres
urbains, l'aide de la mission était souvent irremplaçable. Celle-ci, on
l'a vu, s'y est prêtée de bonne grâce, dès après la deuxième guerre
mondiale,
alimentant
ainsi,
inconsciemment
le
phénonème
de
l'exode rural mais
aussi
sans doute
ses réseaux de recrutement
d'une jeunesse toute portée vers la "modernité" qui signifiait tout
d'abord, pour elle, s'installer en ville.
Loin des pressions familiales ou d'un entourage exigeant et
curieux, on pouvait donc se permettre certaines libertés y compris
une conversion qui eut été impensable au village.
Le fait qu'il y avait des jeunes convertis et qui, avant leur
exode ne s'étaient pas particulièrement intéressés au christianisme
alors que l'occasion existait(l) prouve bien que les oeuvres, dans les
villes d'accueil, pouvaient favoriser l'acceptation du christianisme.
D'autres ont tout simplement découvert la mission dans les villes
d'accueil,
leur village,
trop
éloigné et peu
peuplé,
n'ayant
pas
particulièrement attiré les pères.(2).
Il reste que l'essentiel de ces œuvres à Dakar concernait les
jeunes déjà chrétiens à leur arrivée(3), mais c'est précisément ce
qui pouvait attirer vers le christianisme ceux qui ne l'étaient pas . Si
certains de ces jeunes chrétiens étaient recommandés aux pères de
Dakar par leur missionnaire, l'intérêt de ceux qui ne l'étaient pas au
christianisme,
même nouvellement acquis
"en ville", justifiait en
effet, qu'on les aidât commes les autres.
La
perception
que
beaucoup
avaient
en
tout
cas
du
christianisme fut longtemps ce devoir chrétien de la mission de
les
soutenir dans leurs
démarches qu'ils
pouvaient mener pour leur
insertion sociale voire les mener à leur place. Ce procédé, pour
beaucoup,
avait
été
longtemps
considéré
comme
une
méthode
infaillible.
Quoiqu'il en soit, la reconnaissance du Sérère se manifesta
toujours par un geste et le plus noble des gestes possible.
1. ECHL 098
2.
Supra, p. 176
3. EMCLR 009
396
Celui-ci
dans
bien
des
cas,
ne
pouvait
être
que
la
conversion(l). Dans le but de fouetter le zèle de certains laïcs ou de
simples catéchumènes, la mission s'est aussi employée à leur tendre
"l'appât de
quelque récompense"(2)
bien
que dans
ses
rapports
quinquenaux adressés à Rome, elle s'en défende(3).
Cette pratique était même assez courante(4) même s'il reste
difficile de mesurer ses effets. La pudeur qui l'entourait, tant du
côté des missionnaires que de celui des bénéficiaires semble, de
toute façon, indiquer qu'elle n'a pris qu'une place négligeable dans
les raisons de la conversion.
Ce qui n'était pas le cas pour le placement de chrétiens à des
emplois rémunérés qui suscitaient l'intérêt le plus vif. Le problème,
c'est que le prêtre dont on était convaincu "qu'il pouvait quand il
voulait"
caser
ses
ouailles
était,
sur
ce
plan,
particulièrement
impuissant.
Aussi, il convient de faire la distinction entre le moment où
cetains
prêtres
isolés
ont cru
devoir
faire
de
certaines
bonnes
actions
un
moyen
d'apostolat(5)
et celui
où
elles
étaient plus
courantes
mais
essentiellement
orientées dans
un
autre
sens
et
conçues pour d'autres buts.
De plus, une telle pratique ne pouvait être efficace que chez
les enfants. Il s'agissait de les attirer afin qu'ils soient assidus aux
leçons de catéchisme(6).
A côté du cérémonial entourant les différents évènements de
la vie de l'église naissante dont on sait qu'il a toujours été aussi un
moyen d'apostolat il y a eu, très tôt, ce besoin de traduire en langue
locale
les
beautés
de
la
liturgie
dont
l'importance
dans
l'évangélisation se passe de commentaire.
1. ECHL 001
2. Arch. CSSP B G XIV, p.285
3. Arch. CSSP 345 A 1
4. Cette conviction est largement partagée par nos
interrogés
S. Arch.
CSSP B G XIV, p.285 : on était alors aux débuts de la mISSIOn
dans "tout le pays sérère" et tous les rêves étaient permis : "Plus d'une
fois,
il a fallu pour ramener à lui ce petit peuple présenter l'appât de
quelque
récompense.
Une
ceinture
d'étoffe
donnée
à
propos
triomphe
des plus rebelles ; il suffit même quelques fois d'un miniscule fragement
de biscuit trempé dans de l'eau sucrée".
6. Arch. OPM G 07494
397
Cet effort de rendre plus compréhensible et plus puissant le
chant liturgique est demeuré constant et les premiers missionnaires
déjà s'occupaient d'en concevoir, avec la certitude du très heureux
effet d'entraînement que provoque la musique dans la langue des
évangélisés ; comme ce fut le cas à Ndianda en 1890, avec la "belle
messe"
où
un cantique en langue sérère dédié à Saint-Etienne,
patron de la mission réveilla l'enthousiasme assoupi des fidèles( 1)
tout en intéressant les autres à la "beauté de la voie chrétienne".
Les
missionnaires
avaient
donc
compris
que
"l'indigène
affectionne les belles cérémonies"(2). Aussi les fêtes de l'Eglise qui
se ramenaient ici essentiellement à quatre(3) étaient célébrées avec
beaucoup de ferveur et d'engagement populaire et toute occasion
était bonne pour frapper l'attention.
Même les autres, les fêtes spécifiques des apôtres Pierre et
Paul, la Purification fête de la Mission et la fête-Dieu
étaient
entourées
de
très
grandes
solennités,
à
côté
des
"fêtes
traditionnelles "(4). Il en était de même des premières communions
que l'on s'arrangeait toujours à faire coincider avec un jour de fête.
Celles de 1892 eurent ainsi lieu le jour de la fête du "Très Saint
Rosaire" et celles de l'année suivante le jour de la Toussaint(5).
Les grandes solennités du culte catholique valaient donc, pour
les
missionnaires,
n'importe
quelle
leçon
de
catéchisme.
L'importance qui leur était accordée vient du fait qu'elles étaient
tout à la fois un moyen d'enrichir le "troupeau" et de le préserver.
Les
missionnaires étaient en
tout
cas
convaincus
de
leur
"vertu apostolique"(6) et allaient d'ailleurs plus loin dans cette
conviction en estimant que ces cérémonies extérieures étaient bien
accompagnées d'une foi sincère(7) et même profonde(8).
1. Annales de la propagation de la foi,
1890,
p.119
2.
L. V.
Thomas
: Animisme
et christianisme.
Réflexions
sur quelques
problèmes
d'évangélisation
en
Afrique
occidentale.
Pré sen c e
africaine n026 Juin-Juillet 1959
p.?
3. Arch. CSSP BG XVII p.192
4.
Ibid.
S. Arch. CSSP BG XVII p.191
6. Arch.
CSSP 261 A III
7. Arch. CSSP 345 A VI
8. Arch.
CSSP 345 A VI
398
Ce qui est possible. Mais le fait qu'il s'agit d'une religion
nouvelle incite peut-être à plus de prudence. Peut-on sincérement
être convaincu, à quarante ans, que tout son passé - qu'on ne renie
d'ailleurs pas totalement - n'était que péché et égarement ?
La sincérité, dans la mesure où elle n'exclut pas la nostalgie de
certaines
pratiques
et de certains
comportements
- ce
qui,
on
l'imagine, était loin d'être la perspective des missionnaires - est
compatible
avec
l'état d'esprit du
catholique
sérère
moyen
qui
après tout, à mis plusieurs siècles à s'opposer victorieusement à
toutes les religions étrangères.
Si
enfin
il
choisi t,
ce
choix
peut
parfaitement
être
intérieurement
bien
accepté.
Mais
il
faut
forcément
le
renouvellement
des
générations
pour
qu'il
puisse
s'enraciner
profond émen t.
Pour beaucoup en effet, il aurait fallu une rupture totale avec
la société en majorité hostile ou indifférente pour vivre pleinement
la nouvelle religion.
Ce qui
n'a été
le cas
nulle part,
les
pesanteurs
sociales
continuant d'agir sur le chrétien comme sur les autres composantes
de la société à cette différence près qu'elles
semblaient davantage
faites pour le chrétien que pour les non-chrétiens.
B.
Le
conformisme
religieux
Dans une société comme celle des Sérères où "l'individu n'est
rien
sans
la collectivité"(l),
l'importance du
"conformisme"
est
primordiale. Aussi celui-ci joue toujours un rôle même dans l'action
la plus isolée en apparence, la plus individuelle.
1.
Cette
conception
du
monde a cet inconvénient
de donner trop de
pouvoirs aux anciens censés défendre les intérêts de cette "collectivité".
et dont l'opposition à toute idée d'évangélisation est bien connue.
399
L'exemple le plus caractéristique est sans doute Fadiouth :
c'est collectivement que les habitants de ce petit village avaient
refusé les missionnaires qu'on leur envoyait et c'est collectivement
qu'ils les ont acceptés et adoptés(l).
Les
converSIOns
ICI
comme
(presque)
partout
ailleurs
ont
beaucoup
bénéficié
de
l'''effet
d'entraînement",
même
s'il
est
difficile
faute
de
statistiques
complètes
et
fiables
couvrant
entièrement la période, d'en saisir toute l'ampleur et la portée.
Nulle part, ces conversions n'ont été faciles
: il s'agissait
souvent
de
groupes
relativement
réduits
comprenant
les jeunes
gens d'une même génération voire d'une même classe d'âge.
Une situation qui s'explique pourtant facilement
: le Sérère
n'aime
pas
la
solitude
et
prend
toujours
la
précaution
d'être
accompagné surtout quand il ne sait pas exactement où il va(2). Et
le
christianisme
était
un
peu
comme
une
voie
inconnue
qui
nécessitait un ou plusieurs accompagnateurs(3).
Cela était d'autant plus important que malgré le respect et la
confiance que les Sérères avaient pour le missionnaire, ils étaient
conscients qu'il n'était pas des leurs. On pouvait le suivre, mais
comme on suivrait finalement n'importe quel étranger : jamais seul.
1.
Pour
ne
parler
ni
de
collectivité,
c'est-à-dire
de
tous,
ni
des
conversions hâtives de Mme G.G. Beslier qui, du premier coup, auraient
concerné le tiers de la population -une affimIation qui a déjà suscité nos
plus expresses réserves -
une telle situation parfaitement du domaine du
possible
et
s'étant
même
effectivement
déroulée,
n'ayant
pu
arriver
qu'échelonnée
dans
le
temps.
En
fait,
il
s'agit
d'une
conversion
tout
d'abord très limitée de 12 personnes et d'un nombre beaucoup plus grand
une année plus tard c'est-à-dire en
1881. Les missionnaires de Fadiouth
continuaient d'ailleurs
de faire
cas
de
difficultés
rencontrées
dans
leur
ministère en direction des adultes, sans parler des vieux comme on le sait
maintenant(voir
su pra,
p.1I5
sq).
Seuls,
les
enfants
s'intéressaient
vraiment, en masse,
à leur enseignement et il
n'a été établi nulle part
qu'ils faisaient
le tiers de la population, ni qu'ils
allaient tous chez le
père. Nous avons démontré que le phénomène qu'elle décrit en 1925 est
bien sruvenu, mais un quart de siècle plus tard !
2. EM 040
3. ECHL 015
400
Quant au catéchiste, s'il était bon, c'est qu'il avait déjà choisi
son "camp". Aux yeux de ses compatriotes, il n'était donc plus
vraiment différent du missionnaire. Alors, même pour aller le voir,
il ne fallait pas le faire tout seul(l). Aussi ne s'étonne-t-on pas de
voir
que
quand
les
conversions
étaient
nombreuses,
d'autres
venaient s'y greffer. Les conversions appelaient les conversions, ce
qui pouvait avoir pour conséquence
heureuse
le renouvellement
continu des générations de catéchumènes.
Dans tout le pays, ces catéchumènes étaient généralement des
jeunes. Ce qui se comprend du reste d'autant qu'à un certain niveau
de
responsabilités,
très
souvent
déterminées
par
l'âge,
il
était
difficile d'aller à l'école, de peur d'y rencontrer ses enfants. C'est-à-
dire les siens propres ou les autres qui sont théoriquement pris
comme tels(2).
Cette vision du monde a été un des freins les plus seneux à
l'évangélisation. Ceux des adultes qui avaient le courage de l'ignorer
changeaient
parfois
rapidement
d'avis
puisqu'ils
devenaient
"la
risée du village" et particulièrment des enfants s'il y en avait au
catéchisme qu'ils fréquentaient.
Très souvent en effet, ces enfants
ne
manquaient pas de
"railler le père de leur camarade qui était "si cancre" et incapable de
retenir ce qu'il y avait de plus facile dans la religion "(3). Et il
suffisait que cela soit une simple impression de la part des enfants
pour que le jugement soit si implacable.
Même si généralement les adultes n'avaient pas les mêmes
leçons de catéchisme que
les
enfants,
l'indiscrétion de ceux-ci
pouvait les amener à voir d'une façon
ou
d'une autre ce que
pouvaient bien faire de particulier leurs "parents". Les causeries du
soir
tournaient
alors
autour
de
cette
école
assez
bizarre
des
adultes(4).
Aussi parfois,
les
enfants
eux-mêmes demandaient
à
leurs parents de ne plus fréquenter les pères pour "échapper à une
situation qui les faisaient beaucoup souffrir"(5) sans renoncer eux-
mêmes à leur catéchuménat(6).
1. ECHL 099
2. ECHL 037
3. ECHL 001
4. ECHL 023
s. ECHL 018
6. ECHL 109
401
A côté de la traditionnelle résistance des adultes à la religion
chrétienne, impliquant pour eux un changement de vie impossible,
on trouve donc, dans la "mentalité sociale" notamment des enfants,
une raison
supplémentaire de résistance des personnes
âgées au
christianisme. Que fit celui-ci pour aider à contourner la difficulté ?
On sait que des missionnaires bien avertis des réalités ont cherché à
trouver une solution à cette situation pour le moins paralysante.
Ce fut le cas du père Simon Fall qui était issu du pays et le
connaissait ainsi particulièrement bien. Aussi, non seulement tint-il
à séparer jeunes et adultes dans le catéchisme, mais mieux, poussa
la disponibilité jusqu'à donner
chez
eux,
l'enseignement
à
ces
derniers( 1).
Mais, pour le reste, la mission ne fit pas grand' chose pour se
sortir de l'impasse.
Continuant à
ignorer tout de
la réalité,
les
missionnaires
restaient figés
sur l'essentiel de
leurs
exigences
qui
amenèrent
beaucoup de chrétiens de coeur à demeurer animistes ou à devenir
de mauvais musulmans.
Cela est d'autant plus vrai que c'était toujours avec intérêt que
ceux-ci
assistaient aux différentes
manifestations de
l'Eglise,
se
mêlant avec un plaisir non dissimulé aux différentes fêtes de la
mission,
contribuant
ainsi
parfois
aux
"églises
pleines"
dont
aimaient parler les missionnaires.
De fait,
la conception de la fête chez les Sérères rendait
forcément populaire celles de la mission et quand un parent ou un
ami était concerné, tout le monde partageait sa joie en se rendant à
l'église. C'était d'ailleurs ce que sembla rechercher la mission qui ne
se préoccupait pas seulement de susciter une certaine "envie" à
l'extérieur mais aussi bien à l'intérieur même de l'église.
1. On comprend cependant que
cette
pratique
de
S.
Fall
qui
n'a pas
manqué
de
donner
des
résultats
à
Foundiougne
où
servait
alors
le
missionnaire
au
temps
de
la
première
fondation
ne
pouvait
être
systématiquement suivie. Elle demandait en effet à la fois beaucoup plus
de personnel que la mission pouvait en disposer et une occupation plus
rationnelle
de
l'espace
missionnaire,
à
même
de
réduire
considérablement la cible de catéchumènes qu'on ne peut ainsi
prendre
en charge que quand ils ne sont pas très nombreux.
402
Ainsi, le mariage fut-il souvent l'objet d'une "mise en scène en
toute beauté" pour le magnifier en tant qu'institution de base de la
société chrétienne mais aussi et surtout pour en faire un moyen de
recruter de nouveaux catéchumènes, comme on le perçoit à travers
ce récit d'un des membres de la communauté de Ngasobil
aux
premières années de notre période : "L'autel était orné comme aux
grandes fêtes... La jeune mariée, vêtue de blanc et une couronne sur
la tête était conduite à son futur époux, au pied de l'auteI..."(I).
Pour les missionnaires, il ne fallait pas, en Afrique, négliger
tout ce
qui, dans
les
cérémonies
cultuelles,
était
adapté
à
la
mentalité populaire. Mieux, il fallait en faire un moyen d'apostolat
comme semblait en être convaincus les prêtres de Ngasobil : "Les
deux orphelinats de garçons et de filles furent en fêtes, le jour où
les premières noces furent célébrées car autant que possible, nous
faisons
plusieurs
mariages
le
même
jour
pour
augmenter
la
solennité(...). La grand'messe fut chantée avec solennité. Tous les
chrétiens y assistèrent le visage rayonnant de joie(...) Les jeunes
comprirent d'instinct ce que le mariage offrait d'honorable et de
digne. Aussi, au sortir de l'église. n'y avait-il qu'une voix parmi elles
pour dire : moi aussi, je veux être mariée comme les chrétiennes.
Depuis, il ne s'est pas passé une année sans que plusieurs mariages
chrétiens aient été célébrés"(2).
Cette
situation
se
comprend
surtout,
quand
on
sait
que
l'évangélisation n'a depuis, cessé de progresser : pour être marié
chrétiennement il faut d'abord être chrétien et on n'hésitait pas à le
devenir pour faire comme les autres, dans l'espoir de pouvoir être
marié comme eux.
Il serait sans doute exagéré de déduire trop d'effets d'une
simple
cérémonie
religieuse
d'un
jour,
mais
le
comportement
ultérieur du couple, qui en tire peut-être une bonne partie de sa
stabilité était aussi un élément important de l'attrait que pouvait
exercer le christianisme.
Le conformisme religieux était accentué quand
un
malheur
comme une épidémie survenait, ravivant les croyances religieuses.
1.
Les
Missions
Catholiques
1884
p.570
2.
Ibid.
403
Il semblait alors moins difficile de pousser les gens à accepter
la religion. Ce fut le cas plusieurs fois, notamment en 1893(1). En
voyant
les
chrétiens
devenir
plus
fervents,
des
Sérères
non
convertis
s'approchaient
alors,
dans
ces
conditions
de
l'église,
acceptant parfois la conversion(2).
Faute de chiffres, là encore, il est difficile de savoir combien
de
personnes
se
sont
ainsi
converties
mais
rien
que
pour
les
moribonds, il n'y eut pas moins de plusieurs centaines lors d'une
épidémie
précédente(3).
Il est vrai qu'ici, la peur de l'inconnu a semblé avoir été la
cause décisive mais les décisions de changer de religion se sont
largement nourries de l'existence d'abord de celle-ci bien sûr, de sa
pratique
ensuite,
par
les
voisins
dont
l'assurance
de
croyants,
alimentée
voire
renforcée
par
la
circonstace,
pouvait
être
entraînante.
Ainsi, pour retrouver cette même confiance en soi, on pouvait
être amené à faire comme eux, en devenant ce qu'ils sont. Mais
cette situation a eu son effet contraire qui contribue à expliquer
pourquoi des régions du pays où le christianisme semblait promis à
un bel avenir sont devenues essentiellement musulmanes.
En effet, à un moment généralement situé au début de la
christianisation, la population chrétienne pouvait s'être accrue au
point de former un solide noyau mais sans arriver à entraîner la
majorité.
Restée "animiste", celle-ci finit par être musulmane non pas
toutjours parce qu'elle est convaincue mais parce que l'islam paraît
seule capable de répondre à "l'urgence d'avoir une religion"(4). Dès
lors,
l'effet d'entraînement joue
en
faveur
de
la majorité
avec
souvent d'ailleurs des apostasies de chrétiens.
L'emprise de l'aîné sur ses frères, très vivace chez les Sérères,
a également pu être à l'origine de beaucoup de conversions au
christianisme.
1.
Les
Missions
catholiques,
1893, p.411
2. ECHL 105
3. Arch. OPM G 07466
4. ECHL 038
404
Bien des
Sérères
sont devenus
chrétiens
parce
que
leurs
"grands frères l'étaient devenus"(l). Même si comme cela semble
être parfois le cas, ceux-ci n'ont rien fait pour. L'imitation des aînés
par les plus jeunes est un comportement bien partagé dans toutes
les civilisations mais particulièrement chez les jeunes Sérères.
L'absence de structures formelles d'éducation soumet en effet
davantage le jeune au moins jeune, censé devoir l'éduquer et lui
montrer les voies à emprunter pour déjouer les nombreux pièges de
la vie. Cette situation marque d'autant plus fortement le cadet que
l'éducation se passe souvent hors du village, dans la brousse où se
déroulent,
avec
la
garde
du
troupeau
qui
est
une
importante
occupation du Sérère à côté de la culture de
ses champs, les
multiples séquences de la préparation à la majorité. Dans ce milieu
qui est un véritable royaume pour les aînés, se tisse le profil des
relations futures où l'ascendant du plus âgé sur le plus jeune prend
facilement les allures d'un respect quasi religieux.
Ainsi
habitués
à
être
"guidés"
et
à
suivre,
les
jeunes
trouvaient naturel de le faire en religion(2), aussi longtemps que
celui qui était suivi s'en était montré digne. Mais les soeurs, elles,
sont plutôt habituées à "aller chez les femmes" avec lesquelles elles
forment un monde à part dans la famille et dans la société, ce qui
est une autre explication du fait que, dans un même carré, on peut
trouver deux ou plusieurs religions.
C.
Les
raisons
d'ordre
social
Il est difficile de trouver, dans les archives, de traces de
conversions pour motifs d'ordre social de ceux qu'on appelait les
"indigènes", d'où la difficulté de s'étendre sur le sujet sans faire une
enquête approfondie. Cela se comprend parfaitement.
Le
missionnaire,
nous
semble-t-il,
n'avait
aucun
intérêt
à
dévoiler certains côtés de son action qui eussent sans doute porté
tort à celle-ci. Les conversions, on le sait, n'étaient vraies que quand
elles
étaient
accompagnées
d'un
minimum
de
désintéressement
matériel.
1. ECHL 054
2. ECHL 053
405
Convertir
par
l'amélioration
des
conditions
sociales
des
convertis
était certes
un
objectif noble
mais
en
dehors
de
la
formation du néophyte afin qu'il y arrive de lui-même, cela ne
pouvait que relever d'une conception déformée de la mssion même
s'il était du devoir naturel de celle-ci de lutter contre la pauvreté,
dans tous les sens du terme.
Mais elle ne pouvait donc valablement le faire qu'en incitant
au travail, seul moyen de sortir durablement de l'indigence. La
mission
elle-même
ne
pouvait
se
permettre
d'acheter
des
consciences, il aurait fallu qu'elle en eût tout d'abord les moyens.
Pourtant,
à
travers
certaines
de
leurs
actions,
en
principe
désintéressées,
les
missionnaires
ont,
peut-être
inconsciement,
favorisé
un
certain
opportunisme de
nouveaux
convertis
ou
de
candidats à la conversion dont on peut légitimement penser qu'ils
étaient
devenus
chrétiens
non
pas
par
conviction,
mais
par
nécessité.
Il ne faudrait certainemet pas en conclure que la mission fut
corruptrice.
Mais
en
voulant
à
tout prix
lier évangélisation et
oeuvres, elle a sans doute fait croire à certains qu'il suffisait de se
convertir pour voir résolus sinon tous, du moins une partie de ses
problèmes
notamment matériels.
Comment comprendre
autrement
les
affirmations
de
convertis,
dont
beaucoup
semblent
pourtant
sincères, vantant la "bonté" et l'''humanité'' des pères ?
Ainsi, des entretiens avec ces chrétiens qui ne l'admettent
cependant jamais de façon explicite, on tire aisément la conclusion
que des conversions
intéressées ne manquaient pas(l).
Certaines
l'étaient d'ailleurs si ouvertement qu'elles se sont mûes en apostasie
dès lors qu'il est apparu aux intéressés que leur mission ne pouvait
rien faire pour eux(2).
1. Certains
chrétiens
ou
anciens
chrétiens
soutiennent
que
les
enfants
du
voisin étaient
promus
à
un
bel
avenir dès
lors qu'ils
ont
accepté
d'aller à l'école des missionnaires.
2. D'a u t r e s
encore
estimaient
que
la
religion
chrétienne
est
si
contraignante
qu'il
est
difficile
à
un
paysan
de
la
pratiquer.
Souvent
après
plusieurs
années
de
présence
au
catéchisme
voire
après
la
conversion. Alors ne peut-on pas en déduire que l'apostat en attendait un
changement
de
sa
condition
?
Ne
voyant
pas,
par
exemple
venir
le
travail en ville qui en ferait un "toubab", on retourne donc à sa religion
ou on devient musulman, "situation mieux adaptée".
406
Cette situation est cependant plus rare. Ce qui semble en
revanche s'être produit plus souvent,
c'est le
maintien
dans
la
religion catholique de "déçus" qui, venus par intérêt, ont fini par y
découvrir la foi, devenant des chrétiens convaincus(1).
Dès
lors,
l'intérêt
matériel
qu'ils
espéraient
en
se
converstissant et qu'ils n'ont pas eu devenait secondaire. Il apparaît
donc
nettement,
ICI,
que
l'appui
que
certains
missionnaires
apportaient à des chrétiens dans la recherche d'un emploi rémunéré
a pu encourager des jeunes désireux de quitter leur village dans les
conditions les meilleures possibles, à devenir chrétiens.
Les secours matériels de la mission, eux, participaient de la
"bonté" des missionnaires et semblent avoir eu un certain impact
sur l'évangélisation.
Cette réalité bien présente dans le pays ne doit pas cependant
être l'arbre qui cache la forêt. C'est en effet un fait que la grande
majorité des chrétiens n'a cherché à bénéficier, de façon directe,
d'aucune aide matérielle ou autre des missionnaires car pour le
Sérère,
"la
religion
est
Divinité
qui
ne
peut
se
monnayer
directement ou indirectement"(2).
De plus, le caractère intéressé des conversions n'a apparement
pu concerner qu'une partie de notre période, essentiellement celle
qUI commence avec la fin de la seconde guerre mondiale.
La monétarisation plus
accentuée des relations
sociales et
l'apparition
d'une
classe
enviée
d'ouvriers
et
d'employés
de
l'Administration
et
du
commerce
ont
suscité
la
naissance
d'ambitions jusque-là inconnues et naturellement propices à tous
les "reniements".
1. D'a u t res
enfin
mettent
tellement
l'accent
sur
le
côté
social
de
l'oeuvre
missionnaire,
avec
des
exemples
à
l'appui
de
gens
"devenus
quelque chose" grâce à "l'aide" des prêtres qu'on perçoit aisément dans
leur raisonnement le regret de n'être pas "aidés" comme eux.
D'où une
autre
question
:
ces
catholiques convaincus
(finalement
convaincus ou
convaincus simplement) y
ont-ils été aidés par un long espoir de finir
par
"trouver quelque
chose"
à
force
de
patience
et
d'assiduité
à
la
fréquentation des missionnaires et de la mission ?
2. EM 029
407
Ceux-ci,
dans
la
mesure
où
ils
s'attaquaient,
dans
leur
expression, à
la structure sociale et aux fondements mêmes de la
société tradionnelle, ébranlèrent celle-ci, tout en favorisant,
pour
cette
raison,
l'introduction
de
nouvelles
valeurs,
de
nouvelles
croyances qui, tout en légitimant l'ordre nouveau, installaient, de
fait le "malentendu" que beaucoup de prêtres ont noté, après 1945,
entre les anciens et les jeunes.
Elles trouvaient en même temps à ce malentendu une base
d'autant plus fragile que les nouveaux chrétiens ont souvent été à
l'origine d'initiatives positives allant dans le sens de l'amélioration
des conditions et du cadre de vie, à laquelle les villageois, toutes
générations confondues, ont été particulièrement sensibles.
Le christianisme a profité de cette situation pour gagner tout
le pays, les dernières grandes résistances ayant été vaincues par le
brassage des populations, qui devait succéder, à partir du début du
siècle, à leur cloisonnement du siècle dernier.
On note d'ailleurs que les progrès du christianisme ont surtout
été plus nets là où cette conscience du christianisme porteur de
progrès a été la mieux établie.
Les régions qui ont su envoyer le plus de jeunes à l'instruction
aux débuts de la mission en particulier, comme les villages côtiers,
s'imposent comme celles où ce conflit a été le plus rapidement
éteint, grâce notamment au "rapatriement" d'une bonne partie du
fruit du travail de ces jeunes devenus employés en ville qui s'est
vite
imposé
comme
le
plus
sûr
élément
de
la
"propagande"
chrétienne.
Comme le
précise soeur Marie-André du
Sacré-Coeur,
les
progrès
humains
ont
bien
entraîné
la
modification
de
la
VIe
coutumière.
L'insécurité
qui
entretenait
la
cohésion
familiale,
tout
en
fixant
les
individus
dans
leurs
villages
respectifs,
favorisait
le
développement et la force de la "tribu" et, du coup, rendait les
hommes
prisonniers
de
leur
environnement
et
de
leurs
traditions( 1).
1.
La
condition
humaine en Afrique noire. Paris, Grasset, 1953
p.95
408
Après
la dernière guerre mondiale,
bien
des
changements,
désormais, "provoquent l'absence du mari de l'épouse, des enfants
qui échappent du
moins temporairement à l'emprise du
clan ... ".
Aussi, on s'éloigne du village, "centre de la famille où tous se
reconnaissaient, où chacun avait un rôle social et une influence
proportionnée à sa dignité (et qui) était le meilleur gardien de la
morale familiale"(1).
La mobilité qui affranchit les personnes de l'emprise familiale
et la liberté plus grande engendrée par les nouvelles formes de
relations sociales devenaient alors un facteur de progrès pour la
christianisation.
Il Y a aussi le fait que la mISSIon, jusqu'à une période plus
récente,
était
très
préoccupée
par
sa
pauvreté
et
ses
propres
pénuries
qui
empêchaient
les
fondations
ou
l'établissement
de
catéchistes
pour
pouvoir s'engager dans
des
œuvres
de
grande
envergure.
Les
secours
matériels
à
proprement parler
sont donc
une
institution dont la portée dans l'évangélisation pour notre période
mérite,
encore
une
fois,
d'être
nuancée.
Moins
négligeables
semblent être les conversions obtenues par la voie des oeuvres de
formation. En effet, "le missionnaire est l'homme de l'école, de
l'instruction qui ouvre les portes aux postes les plus rémunrérés et
les plus en vue"(2).
Etre chrétien pouvait donc décider de cette promotion sociale
tant recherchée. C'est d'ailleurs ce désir de promotion qui, tout en
favorisant cette "vague soudaine de christianisme"(3) dès après la
seconde
guerre
mondiale,
brisait la résistance
des
parents
qui,
convaincus de n'avoir "plus de chance d'aller à l'école" désiraient se
rattraper en y envoyant leurs enfants ou en les laissant y aller(4).
1.
Sœur
Marie
André
du
Sacré-Cœur
:
La
condition
humaine
en
Afrique noire. Op. cil. pp.94-95
2. H. Gravrand : Le pays Sérère. Horar, XII, 1952
p.13
3.
Ibid.
4.
B.
Delpech
Arachides,
options
religieuses,
société
sérer
traditionnelle.
ln
l'Antropologie
économique
face
au
problème
de changement
en
situation
asymétrique.
ORSTOM,
1970,
pAl
409
On est ainsi devant la confusion longtemps entretenue, entre
l'école des missionnaires et leur religion : étudier, c'est apprendre à
devenir "toubab", c'est-à-dire salarié et chrétien. On comprend dès
lors que "le christianisme attire les plus jeunes ruraux dans la
mesure où il leur propose un modèle de structure familiale de type
occidental mais surtout leur offre des possibilités de promotion
sociale par la formation générale et profesionnelle que dispensent
les écoles des missions"(l).
Ce
désir et cette
volonté
de
changer de
condition
sont
certainement compréhensibles puisqu'à force d'être présents chez
les Sérères d'après guerre, ils témoigent finalement de leur option
de s'installer dans leur temps. Ils sont même louables s'ils sont
basés sur une notion claire du progrès. Ce qui n'est plus le cas
quand ils n'ont qu'un lointain rapport avec l'intelligence et dénotent
pl utôt l'ignorance des réalités.
C'est le cas lorsque les convertis le sont parce
que,
en
assimilant colonisateurs et missionnaires, ils estiment que ceux-ci
"avaient une religion plus forte et que le fait d'y adhérer comme le
fait d'adopter leur mode de vie et leur civilisation étaient pour eux
une sorte de promotion sociale"(2).
Cette vision naïve a certainement favorisé des conversions.
Certains,
en
effet,
n'ont
pas
manqué
de
porter fièrement
leur
prénom catholique, refusant même systématiquement d'y adjoindre
ou même qu'on les désigne par celui de leur naissance.
Trouvaient-ils
brusquement
"barbare"
leur
prénom
traditionnel, devenu
éloigné ou incompatible avec
leur nouvelle
situation de chrétien ? Sans doute.
Cela prouve, hélas,
que le
catholicisme ne fut pas seulement vécu, par certains, comme une
simple religion mais aussi et surtout comme un état social de
préférence supérieur ou plus généralement comme une "évolution,
une élévation" d'où le changement de port qui suivait certaines
conversions. Il fallait ainsi s'habiller comme le Blanc et essayer de
l'imiter le plus fidèlement possible, surtout dans son mode de vie et
dans son comportement.
1.
B.
Delpech
Arachides,
options
religieuses.
société
sérer
traditionnelle...
p.41
2.
P.
Verger
Les
religions
traditionnelles
Africaines
sont-elles
compatibles
ave
les
formes
actuelles
de
l'existence
?
In
Re n co n t re s
internationales
de
Bouaké. Op.cit.
p.114.
410
Ce souci de
s'élever socialement est sans doute
très net,
surtout dans ses manifestations extérieures les plus frappantes.
Pour
le
Sérère
moyen
pourtant,
oser
afficher
pareille
"différence"
relève
souvent
d'une
tare
cachée
ou
connue
car
l'homme ne tente de "fuir son milieu que quand il n'y est pas des
meilleurs""(l ).
Ainsi, ceux qUi essayaient tant d'imiter le Blanc avaient-ils
toujours
selon
une
oplDlon
largement
répandue
dans
le
pays,
quelque chose de particulier : soit ils étaient des étrangers(2), soit
ils étaient d'une pauvreté au-dessus de la moyenne, soit encore ils
avaient brusquement acquis une richesse aux
origines douteuses
voire condamnables, en particulier en pactisant avec Laga Ndong(3).
1.
Adage
sérère
également
bien
répandu
et
repris
assez
souvent
par
les
interrogés,
aussi
bien
chrétiens
que
musulmans,
chaque
fois
qu'il
était question de la "conception sérère du chrétien et du christianisme".
2.
Le mot étranger
recouvre en général plusieurs
réalités qui
vont de
l'étranger au sens strict du mot à l'étranger en fait né dans le village de
parents
et d'arrières
parents
qui
y
sont
nés
mais
dont
on
garde
en
mémoire
les
conditions
particulières
d'établissement
ou
d'entrée
dans
l'un quelconque des clans qui le constituent. Un fugitif du Sine établi au
Diéghem et dont la famille n'est pas bien connue, ou même connue ne
s'est jamais distinguée par son respect ou son intégration par les valeurs
communautaires (ce qui n'était pas rare jusqu'à la fin du siècle dernier)
avait toutes les chances de voir ses enfants demeurer de fait "étrangers"
dans
leur propre village et soumis
à
un
certain ostracisme
pour leur
mariage,
même
si
l'accueil
traditionnellement
vécu
comme
une
valeur
sûre
dans
le
pays
fait
qu'ils
ne
pouvaient
avoir
de
difficulté
pour
s'intégrer à un clan. Mais le mariage entre membres du même clan est
prohibé puisqu'ils sont tous censés descendre de la même mère.
3.
Les
richesses
"inexpliquées,
c'est-à-dire
non
héritées
et
acquises
rapidement - même si tout le monde voit qu'elles sont le fruit d'un travail
acharné - étaient souvent considérées comme
le
fruit
d'un
pacte
avec
Laga Ndong, ancêtre mythique des Sérères et patron de la richesse. Mais
Laga était réputé exigeant et gourmand. insatiable de vies humaines. Le
pacte consistait donc à avoir beaucoup de richesses c'est-à-dire du mil et
des
animaux
domestiques
les
plus
courants
en
quantité
et
en
têtes
supérieures à
la moyenne en
échange d'hommes
et de
femmes
de
sa
famille proche souvent à la fleur de l'âge dont Laga pouvait s'emparer
quand bon lui semblait pour "les manger". Ainsi. ce qui caractérisait ces
personnes,
c'était
souvent
une
richesse
matérielle
sans
beaucoup
de
descendants - directs ou par les soeurs - pour en profiter puisque celui
qui donnait la richesse les fauchait les uns après les autres pour apaiser
son horrible et gargantuesque appétit !
411
En devenant chrétiens, les Sérères si particuliers trouvaient
dans le changement de religion et de mode de vie un moyen
d'échapper à leur propre condition dans une société incapable de
trouver la moindre explication rationnelle aux phénomènes qu'elle
engendrait elle-même.
La
religion
chrétienne,
qui
condamne
et
décourage
cet
irrationnel est dès lors un refuge aussi bien pour le pauvre( 1)
sournoisement méprisé que pour
le riche jalousé(2) et en
fait
discrètement
envié
mais
dont
la
richesse
traîne,
presque
infailliblement,
tellement
de
casseroles
qu'elle
en
devient
un
fardeau moral et une source de gêne parfois difficile à supporter.
C'était pourtant le même irrationnel qui para de toutes les
vertus les familles
nombreuses où dominaient de préférence les
hommes, censées être le réservoir des élites surtout lorsqu'elles
étaient, dans leur village, des tout premiers habitants et maîtres, de
ce fait, d'une partie de la terre.
La naissance étant déjà une bénédiction divine, les besoins de
sécurité physique - et plus récemment matérielle - aidant, ces
familles étaient respectées voire honorées et on devine l'importance
qu'elles pouvaient avoir dans l'accueil ou le refus du christianisme.
1.
La
pauvreté
extrême était aussi un péché dans la mesure où elle
était réputée résulter de très mauvaises actions. cause d'une punition de
quelque esprit voire
de
Dieu.
C'est
ainsi
selon
cette
logique
que
le
"mangeur d'âmes".
le
"nakh"
était quelqu'un qui ne connaissait que la
loi des extrêmes. Soit il était riche. soit il était pauvre. Dans le premier
cas. la richesse avait naturellement une source immorale car si elle ne
provenait pas de Laga. elle était le fruit de sacrifices que le nakh fait
notamment
à
"partir
de
ceux
qu'il
tuait".
Les
nouveaux-nés
étaient
particulièrement
vulnérables
à
ce
genre
de
manigances
dont
seul
le
nakh avait le secret. S'il était pauvre. c'était parce qu'il était tellement
"souillé"
(oumouh
en
sérère)
qu'il
n'avait
plus
aucune
chance
de
pouvoir être propriétaire d'un quelconque bien matériel.
réputé
sacré.
2.
La
jalousie
n'était
d'ailleurs
pas
totalement
étrangère
à
l'omniprésence de Laga dans la société. Tout se passait en effet comme si
certains
trouvaient
anormal
le
progrès.
le
passage
d'un
homme
de
la
pauvreté
à la richesse. Le "normal" demeurant
la pauvreté, la richesse
ne
pouvait s'expliquer que par l'irrationnel.
412
Dans le refus, elles se manifestèrent bien souvent pUIsque
largement bénéficiaires dans l'ordre en place, elles n'ont éprouvé
aucune envie de le voir s'écrouler.
Vivre commes les toubabs et embrasser leur religion, tout cela
devient donc à la fois un moyen de s'absoudre surtout en devenant
un bon chrétien et de fuir la société.
La conversion, ici, a donc cette vertu particulière de favoriser
un certain nivellement social, en noyant finalement les tares des
uns et des autres, mais cela n'est efficace que dans la mesure où le
christianisme a réussi à avoir raison de la résistance d'une partie
significative de la population.
Ce besoin de prendre sa revanche sur la méchanceté des
hommes
qui
s'exprime à
travers
tout d'abord
la
conversion et
ensuite par un engagement dans la nouvelle religion ne pouvait
donc que faire le lit d'un christianisme qui condamne la superstition
et
tout ce
qu'elle
engendre
de contraire à
l'égale
dignité
des
hommes.
En enseignant que tout ce qui est dit sur les différents groupes
sociaux et sur les hommes apparemment "différents" ne procède
que
de
l'ignorance
et
des
aspects
pervers
de
la
religion
traditionnelle, le christianisme tient précisément le langage dont ont
besoin les parties les plus sensibles de la population.
Les
inconvénients
d'une
telle
démarche
sont
cependant
certains.
En
se faisant le défenseur de gens qui
n'étaient pas
toujours des saints, en leur permettant de s'identifier à ce que la
religion chrétienne pouvait avoir de meilleur comme représentants,
les missionnaires faisaient davantage douter les hésitants c'est-à-
dire la majorité. Celle-ci ne pouvait pas toujours comprendre que
l'on fit tant de place à ceux qui incarnaient le mal ou l"'arrière
garde" de la société.
413
II. LE BAPTEME DES MORIBONDS
UN SIGNE DES OBSTACLES
AU CHRISTIANISME
A.
La
notion
de
"danger
de
mort"
selon
la
mission
et
les
problèmes
particuliers
au
baptême
des
enfants
Le fait que le baptême des moribonds était souvent confié aux
catéchistes
amena
les
missionnaires
à
l'enfermer
dans
des
conditions strictes pour éviter tout "abus"(l).
Les raisons d'une telle délégation sont largement connues et
tiennent à l'insuffisance de la couverture missionnaire du pays. Ce
problème ne fut pas résolu avec l'apparition des moyens modernes
de communication, au contraire.
Si tous les
villages devenaient
accessibles, le nombre de missionnaires ne fut guère en effet, jamais
suffisant pour les couvrir tous.
Dans ces conditions l'importance des catéchistes soulignée dès
la fin du XIXe siècle ne diminua pas. Elle augmenta même du fait de
la généralisation de l'instruction missionnaire dans le pays, dès les
années 1940, et la persistance des conditions qui avaient présidé à
leur institution.
Dans
leur mission particulière de baptême,
les
catéchistes
comme les prêtres et les autres religieux devaient distinguer les cas
suivants, formellement identifiés par les missionnaires :
la "cause extrinsèque"(2) de la mort : celle-ci apparaît comme
une curieuse tolérance des superstitions par la mission. Elle admet,
conformément à une "réponse de Rome à un cas semblable"(3), la
possibilité de baptiser des enfants dont on est "moralement" sûr,
par suite d'une "coutume supertitieuse", que leur naissance un jour
déterminé implique qu'ils devaient bientôt mourir.
1. Arch. CSSP 163 B III
2. Arch. CSSP 163 B III
3. Arch. CSSP 163 B III
414
Si tous étaient réputés devoir mourir, le baptême devait se
faire sans difficulté par le catéchiste en l'absence du prêtre. En
revanche,
si
une
partie
d'entre
eux,
même
minoritaire,
devait
survivre,
sans
qu'on
connaisse
lesquels,
ni
ceux
qui
devaient
mourir, le baptême n'est pas possible. A moins que les parents, bien
disposés
"laissent
instruire
leurs
enfants
dans
la
religion
chrétienne"(l) ;
la "cause intrinsèque" concerne plus directement la maladie.
C'est la situation classique du baptême en danger de mort. Ici, il
n'est pas nécessaire que la mort soit imminente, il suffit qu'il y ait
danger problable que la vie finisse bientôt(2).
Comme on le voit, les conditions du baptême sont ICI molOS
contraignantes
qu'on
pouvait
le
penser.
A
la
base,
il
y
a
certainement cette
volonté de
"sauver les
âmes",
surtout quand
elles sont "innocentes" : on n'hésite plus dès lors à aller les pêcher
dans les tréfonds de la superstition, ce qui ne manque d'ailleurs pas
de bon sens.
En acceptant d'être souple à priori, pour le salut des enfants,
les missionnaires,
poussés
par Rome
faisaient
sans doute œuvre
réaliste. Et c'et d'autant plus remarquable que cette "tolérance" ne
date pas de la fin mais du début de notre période, où l'on se
montrait, du côté de la mission,
plutôt moins
ouvert et moins
tolérant dans les faits.
Il
est
vrai
qu'il
était
difficile
de
tenir
les
enfants
pour
responsables
des
fautes
commises
par
leurs
parents
ou
plus
sûrement par la société de leurs parents. Si le risque était réel qu'ils
finissent comme eux, du moins n'en était-on pas encore là.
De plus, il est évident que pour combattre certaines croyances,
il fallait
bien parfois
se
garder de
les
heurter de
front
aussi
systématiquement que la mission avait souvent tendance à le faire
pour ce qui
concernait l'essentiel des
coutumes
indigènes.
Les
ignorer pour les condamner aveuglément n'avait pas plus de sens
d'autant que cela ne pouvait qu'élargir le fossé qu'il y avait entre
missionnaires et populations sérères.
ï:-A'rëïï:--cssp-i63-B-IÏr--
2. Arch. CSSP 163 B III
415
Mais
ces
définitions
limitaient en
même
temps
le
champ
d'action du catéchiste en matière de baptême. Il ne pouvait en
aucune façon baptiser les enfants de chrétiens et les autres enfants,
en situation normale. C'était au missionnaire de le faire puisque
c'est lui le ministre ordinaire de ce sacrement. En même temps
cependant, une certaine liberté d'action semble avoir été reconnue
au
catéchiste pour apprécier
l'opportunité du
baptême
dans
les
situations
particulières.
Ainsi, s'il juge que tel enfant, "vu son état n'arrivera pas à
l'âge de raison", il pouvait le baptiser avant même que le danger de
mort se soit directement manifesté. Mais à la (seule) condition qu'il
ne résidait pas dans le village où habitait l'enfant et qu'au contraire,
il n'y passait que rarement(2). S'il y allait souvent, le missionnaire
le charge tout simplement de suivre l'enfant et en référer à lui(3).
Ces
dispositions
relatives
au
baptême
des
enfants
étaient
naturellement valables pour les adultes. Cependant, une condition
particulière
était
alors
requise
pour
le
baptême
des
enfants
"normaux" qui avaient régulièrement suivi leurs catéchismes et qui
remplissaient les conditions d'étude pour être baptisés.
Quand l'enfant avait l'usage de la raison, il n'y avait pas de
difficulté : on pouvaitt le baptiser, que ses parents fussent ou non
d'accord.
En pratique, le problème ne devait pourtant pas se poser :
l'enfant qui
a régulièrement fréquenté
le catéchisme ne pouvait
avoir de problème d'opposition de ses parents à son baptême car en
le
laissant
suivre
les
enseignements
de
la
religion,
ceux-ci
consentaient déjà à leur suite logique.
Il a certainement pu arriver des exceptions : l'enfant pouvait
avoir perdu ses parents en cours de catéchuménat et dans ce cas,
ceux qui l'avaient recueilli pouvaient s'opposer au baptême. Dans
d'autres situations, il a quitté ses parents pour aller vivre avec ses
oncles maternels, ce qui arrivait souvent en pays sérère surtout
quand l'oncle, qui détenait beaucoup de biens manquait de bras
pour les entretenir.
1. Arch. CSSP 163 B III
2. Arch. CSSP 163 B III
3. Arch. CSSP 163 B III
416
Comme on peut le comprendre, l'enfant ainsi involontairement
"arraché" à son père l'était aussi parfois au christianisme pour
lequel il n'avait lus forcément de temps(l). Ses nouveaux tuteurs
pouvaient aussi s'opposer à sa fréquentation de la mission s'ils y
étaient hostiles ou pour d'autres raisons(2).
Mais il semble bien que dans ce cas, la détermination de
l'enfant finit toujours par faire céder les tuteurs comme elle a pu
faire,
plus
d'une
fois,
céder
les
parents
qui,
au
début
du
catéchuménat, n'étaient pas toujours consentants pour le nouveau
choix de leurs fils.
Mais tout se réglait généralement assez rapidement de sorte
que bien avant le baptême, toute trace d'opposition disparaissait.
La liberté des enfants chez les Sérères est si grande dans
certaines
localités
du
pays
qu'ils
pouvaient
bien
parfois
être
baptisés
sans
le
consentement
des
parents(3),
comme
le
constataient d'ailleurs les
missionnaires eux-mêmes,
et
sans que
cela conduise à un drame familial.
De plus, il était toujours difficile aux tuteurs - qui sont dans
tous les cas des parents proches - d'être plus exigeants avec les
enfants que ne l'étaient leurs propres parents, en particulier quand
ceux-ci avaient disparu. La société, qui assurait une forte protection
aux
enfants
et particulièrement aux
orphelins,
était prompte
à
pointer son doigt accusateur sur ceux qui les maltraitaient.
Le
résultat,
c'e
fut
la
liberté
généralement
plus
grande
reconnue à cette catégorie d'enfants
réputés être ceux
de tous.
Ainsi, les laissait-on souvent dans la voie où ils s'étaient engagés du
vivant
de
leurs
parents,
si
celle-ci
n'était
pas
ouvertement
condamnable(4). "Ce qui, qu'on aimât le christianisme ou non, n'était
pas, dans la mentalité collective, le cas de cette religion"(5).
1. EM 087
2. EM 076
3. Arch. CSSP 163 B III
4. EM 040
5. EM 040
417
Quand l'enfant n'a pas l'usage de la raison, le missionnaire
était désarmé devant les exigences des parents. L'enfant pouvait
alors être baptisé quand
seulement ils consentaient à la fois
à
l'éducation et au baptême.
Celui-ci ne pouvait en principe avoir lieu quand les parents ne
consentaient pas à l'éducation.
Il était nécessaire alors que le mIssIOnnaire, voire le vicaire
général décide( 1). Et l'un comme l'autre ne saurait autoriser un
baptême sans un minimum de connaissance de la religion.
B.
Une
pratique
de
substitution
Le baptême des moribonds a parfois occupé une place non
négligeable dans l'évangélisation du pays sérère. Longtemps laissée
à elle-même, la petite et fragile chrétienté de l'intérieur ne pouvait
se
multiplier
faute
d'un
encadrement que
n'ont pu
assurer les
seules tournées d'une poignée de prêtres.
Ailleurs, ce noyau fut longtemps en formation et même avec
l'établissement d'un nombre plus important de missions à partir du
début des
années
1950, persistait toujours le problème de leur
étendue.
Si l'on avait pensé y installer des catéchistes qui pouvaient
d'ailleurs bien être issus, parfois, de la petite chrétienté locale, on
pouvait alors faire mieux que maintenir - difficilement - les rares
convertis de l'époque en multipliant leur nombre.
Malheureusement,
la
mission
ne
semble
pas
s'en
être
particulièrement souciée très tôt. Le résultat, dès lors, fut que les
baptêmes de moribonds étaient assez rares dans ces parties du pays
au moins jusqu'au début des années
1910, qui vit s'installer les
premières missions "sédentaires" de Foundiougne, Fatick et Kaolack.
On comprend alors qu'ils n'aient pas dépassé ni même atteint
le
nombre
des
autres
baptêmes,
ce
qui
démontre
que
cette
occupation,
bien
que
devenue
une
véritable
pratique
de
substitution, n'avait qu'une portée limitée.
1. Arch. CSSP 163 B III
418
Ainsi, à Joal en 1937, il n'y eut pas plus de 9 baptêmes en
danger de mort, adultes et enfants compris, pendant que 75 adultes
ont
reçu
le
baptême
à
côté
de
172
enfants(l).
Les
mêmes
proportions sont notées en 1950 dans cette mission. A Palmarin,
cette année, on retrouve le même chiffre de Joal en 1937 pour ce
qui
est
des
baptêmes
en
danger
de
mort
avec
42
baptêmes
d'adultes et 128 d'enfants(2).
A Fatick, le fossé s'est davantage creusé en
1952 avec 5
baptêmes
en
danger
de
mort,
83
baptêmes
d'adultes
et
135
baptêmes
d'enfants(3).
A Fadiouth, où la christianisation était pour une bonne part
terminée en 1946, on notait, en toute logique, 2 baptêmes d'adultes
en
danger de
mort et autant d'enfants,
à côté
de
6 baptêmes
d'adultes et 177 d'enfants(4).
Même à Diohine où le nombre de moribonds baptisés paraît, à
34,
particulièrement
élevé
en
1951,
la
situation
n'a
pas
fondamentalement varié. Non seulement il y eut deux fois plus de
baptêmes (84) d'enfants et d'adultes, mais encore il s'agissait d'une
année exceptionnelle puisqu'il n'y a jamais eu, jusque-là et au-delà,
autant de baptêmes de mourants.
Cette mission reste cependant, avec celle de Ndiaganio, l'une
des grandes missions les plus difficiles ce qui explique sans doute le
nombre relativement élevé de leurs baptisés en danger de mort.
Le baptême en danger de mort a souvent été, pour les adultes,
impossible
à
obtenir.
A
l'approche
du
moment
fatal,
il
était
beaucoup trop difficile aux adultes et aux "vieux" de changer de
religion. S'ils sont encore conscients, ils savent que leur décès doit
être suivi de la cérémonie funèbre traditionnelle. avec toutes les
manifestations requises : "c'est à cette condition qu'ils peuvent être
bien accueillis par les parents de l'au-delà"(5).
1. Arch. A. Dakar Dossier 10al, 1937
2. Arch. A. Dakar Dossier Palmarin, 1950
3. Arch. A. Dakar Dossier Fatick, 1952
4. Arch. A. Dakar Dossier Fadiouth, 1946
5. EM on
419
Or, c'est précisément ce que condamnait l'église qui veillait
particulièrement à ce que les chrétiens comme les
baptisés en
danger de mort soient enterrés chrétiennement.
C'est-à-dire sans
ces rites et bien évidemment avec toute le sobriété requise
En
somme,
tout
le
contraire
des
cérémonies
sérères
qui
voulaient toujours, dans
un hommage haut en couleurs, fêter le
mort, l'accompagner jusqu'aux "portes du monde des Ancêtres"( 1).
Plus la cérémonie était belle, plus le mort avait de chances d'y être
bien reçu.
L'on
perçoit donc
ICI
les
difficultés
d'une
conversion
1 n
extremis.
Dans ce laps de temps très court qui lui reste à VIvre, le
malade, s'il le peut, "pense plutôt à cette destination et au courroux
des ancêtre que provoquerait l'absence de fête"(2).
De plus, l'existence d'une autre religion qu'on lui propose à
côté de la sienne a pu créer le doute, faisant réfléchir les intéressés.
Et le doute favorise, ici, la religion traditionnelle.
Car, comme le dit l'adage, "si vous ne savez pas où vous allez,
retournez d'où vous venez"(3). S'ils étaient inconscients, le baptême
n'en
était
pas
plus
facilité
puisque
le
prêtre
était
dans
l'impossibilité de recueillir leur consentement.
Pourtant,
ces
obstacles
qui
étaient
réels
et
limitaient
considérablement les baptêmes ne les ont pas empêchés. De façon
modeste
mais régulière,
ils
se faisaient
partout et précédèrent
d'ailleurs très souvent les conversions dans les villages visités par
les missionnaires.
Il arrivait même que leur nombre s'accrut considérablement,
surtout en période d'épidémies(4). Beaucoup s'abandonnaient alors
au "Dieu des Blancs"(5).
1. EM ()4{)
2. ECHL 037
3. EM 013
4. Arch. OPM G 07466
5. ECHL 099
420
Fallait-il y voir aussi l'aboutissement logique de l'action des
missionnaires
et
admettre
l'existence
de
chrétiens
anonymes
comme le suggèrent des Sérères rencontrés pour les besoins de ce
travail ? Pour eux, certains de ces convertis devant la mort étaient
en fait de vrais chrétiens qui finiraient, s'ils étaient restés vivants,
par se convertir et devenir catholiques.
En effet, seul le courage semblait leur manquer s'ils n'étaient
pas prisonniers de leurs responsabilités sociales. De coeur avec le
christianisme, ils "n'osaient pas se convertir ou pratiquer la religion,
par faiblesse ou du fait de leur place dans la société. A l'approche
de la mort, ils voyaient qu'ils n'avaient plus rien à perdre ou à
craindre et se convertissaient sans difficultés" (1 ).
Une telle situation n'était évidemment pas sans risque pour
les parents qui,
"du fait des mauvaises langues", pouvaient en
souffrir(2). Mais "le respect qui entourait la mémoire des défunts
limitait considérablement ce risque"(3).
On ne parle généralement des disparus qu'en bien et ceux qui
ont fait du mal de leur vivant ont plutôt tendance à être oubliés : la
société ne leur manifeste aucune reconnaissance mais ne les accable
pas non plus.
Cette logique a engendré de grands noms qui sont devenus
notamment les
ancêtres
tutélaires des
familles
à
côté du
vide
immense
laissé
par
les
autres,
c'est-à-dire
les
méchants,
dont
certains en réalité ne manquaient d'ailleurs pas de vertus, et les
anonymes qui, comme dans toute société, sont la majorité.
La
mission
fut
finalement
amenée
à modérer encore
ses
exigences pour le baptême des malades. S'il est vrai que la preuve
de l'enterrement chrétien des
convertis a toujours
été facile
à
rapporter,
on
assita
aussi
bien
des
fois
à
des
"réjouissances
païennes" à la mort de baptisés(4).
1. ECHL 001
2. ECHL 033
3. EM 040
4.
C'est
presque
unanimement
que
nos
interrogés,
toutes
religions
confondues
l'ont
confirmé,
rejoigant
ainsi
le
point
de
vue
des
missionnaires.
421
En
fait,
les
mIssIonnaires
fermaient
les
yeux
finalement,
veillant seulement à ce qu'il n'y ait aucune cérémonie de cette
nature
avant
l'enterrement(l).
L'interprétation
de
cette
résignation
engendra
malheureusement des excès de beaucoup de chrétiens, y compris
des fidèles d'entre les fidèles qui en avaient déduit qu'on "pouvait
tout se permettre après"(2).
Ces cérémonies post-mortuaires ont été une des causes de la
difficulté
d'implantation
des
missions,
parce
qu'elles
sont
un
élément de la culture sérère parmi les plus importants et les plus
enracinés.
Loin d'être des réjouissances, elles procèdent du culte aux
morts dont les séquences les plus essentielles n'avaient d'ailleurs
nen de contraire aux exigences du christianisme.
Aussi, celui-ci devait plutôt chercher à les dépouiller, au
moins
dans
un
premier
temps,
de
leurs
aspects
les
plus
ouvertement "gênants" pour lui, afin des les éliminer graduellement
au lieu de les condamner systématiquement en bloc.
Cela eut
évité
les
"excès"
mentionnés
précédemment,
en
contribuant plus
efficacement à l'éradication d'une coutume qui
avait malgré tout besoin d'être, dans le meilleur cas, profondément
réformée pour être acceptable : les danses mortuaires, la beuverie,
les règlements de comptes au grand jour pour des actions censées
s'être
déroulées
de
manière
occulte
donc
invérifiables,
les
différentes épreuves auxquelles étaient soumis certains proches du
défunt ou auxquelles ils se soumettaient volontairement pour ce qui
est des femmes et qui pouvaient entraîner mort d'homme, tout cela
était naturellement injustifiable pour une cérémonie qui devait être
dominée par le recueillement et la prière.
Il nous faut cependant noter que seules, les deux premières
"déviations" ont été constante en pays sérère.
1. Arch. CSSP 345 A VI
2. ECHL OIS
422
Quant à la troisième, elle était liée au genre de mort et surtout
à la situation du défunt. S'il était jeune ou adulte, la cause de la
mort ne pouvant être naturelle pour le Sérère, il fallait chercher du
côté de sa famille maternelle pour déterminer, non pas cette cause
qui ne pouvait être que le résultat de l'action du "nakh" mais lequel
des membres de cette famille en est l'auteur.
Désigné par ceux qui dans le village "voient", c'est-à-dire sont
au courant de toutes les actions occultes des nakh, il était alors
soumis à une correction sévère dont il arrivait qu'il ne sorte pas
vivant. Si par chance il était sauvé, sa vie devenait difficile dans un
environnement d'autant plus méfiant que si pour les adultes et les
jeunes son terrain de chasse était limité, il ne connaissait pas de
frontière pour ce qui est des nouveaux-nés que tout nakh pouvait
"manger" souvent impunément dès lors que dans son oeuvre, il ne
rencontrait pas l'opposition de ceux qui voient ou la résolution des
parents, qu'ils
voient ou
qu'ils
soient simplement craints,
pour
d'autres raisons.
La dernière, enfin, était souvent liée au problème d'orgueil
des femmes qui, pour prouver qu'elles ont été des épouses modèles
qui
n'ont jamais
trompé
leur mari,
tenaient
à
marcher
sur le
cadavre autour duquel se formait toujours un groupement où se
mêlaient témoignages aussi bien sur lui que sur les membres de son
entourage et professions de foi.
La femme décidée à subir une telle épreuve était souvent, du
vivant de son
mari,
réputée à tort ou
à raison
volage
et on
comprend qu'il s'agissait pour elle de saisir l'unique occasion qu'elle
avait pour se disculper.
Si
elle restait
en
vie et en
bonne
santé quelque
temps
(indéterminé
mais
la
"punition"
des
esprits
étant
souvent
immédiate, on comprend qu'il ne devait pas être trop long) après
l'épreuve, on en concluait qu'elle a été victime de mauvaises et
méchantes langues qui ne disaient pas la vérité.
Bien souvent - et c'est là où il y avait le plus grave problème -
le femme y était obligée par ses propres frères ou oncles dont le
sens de l'honneur avait pu être atteint par l'image qu'on avait de
leur parente.
423
Nous ne devons pourtant pas oublier que cette situation s'est
rarement
produite.
Conscients qu'une telle épreuve est à la fois risquée et peu
convaincante,
bien
des
proches
des
intéressées
leur
en
ont
empêchées au moment où elles s'apprêtaient à passer à l'acte(l).
Autant dire qu'il aurait fallu d'abord comprendre le sens des
"réjuissances" ce que beaucoup de missionnaires ne se sont pas
donné la peine de faire. Parce que la vie continue après la mort, il
n'y avait aucune raison de condamner si
systématiquement ces
fêtes : il fallait plutôt les "évangéliser", ce qui eut permis d'en
extraire tous les aspects "païens" les plus nuisibles et de briser la
résistance de quelques irréductibles.
Le nécessaire consentement du malade à baptiser n'était donc
pas toujours possible à recueillir mais cela ne semble pas avoir
généré
beaucoup de difficultés.
Le
prêtre
pouvait
se contenter
facilement
de
témoignages
sur
le
mourant
incapable
de
s'exprimer(2).
Celui du catéchiste ou des parents qui l'ont sollicité était alors
suffisant s'il établissait le désir et la volonté du malade de recevoir
le baptême. A condition qu'il n'eut pas d'opposition de la famille, ce
qui était d'ailleurs souvent un problème résolu avant l'arrivée du
missionnaire.
Ainsi,
le
baptême
des
moribonds
fut
une
autre
façon
d'évangéliser les Sérères. Devant leur grande résistance, on a pensé
que la conscience d'une fin fatale les amènerait enfin à se décider
mais cet espoir, comme on l'a vu, ne s'est pas toujours matérialisé.
Quoi qu'il en soit, ce genre de baptême n'a jamais été pris que
pour ce qu'il était. Répandre l'évangile, développer l'Eglise étaient
restés l'objectif,
qu'on ne pouvait atteindre qu'avec les
vivants.
Aussi
la mission de
sauver les
âmes
allait
bien
au-delà.
Les
missionnaires,
dans
leur
action,
intégrèrent donc
d'autant
plus
naturellement cette préoccupation que les dispositions des "vivants"
n'étaient pas toujours particulièrement bonnes.
1. EM 40
2. EMCLR 009 ; 017
424
C.
Un
indice
de
la
résistance
il
la
convesion
Le
fait
que
les
baptêmes
de
moribonds
ne
furent
pas
particulièrement nombreux n'en démontre pas moins qu'il y avait
chez les
Sérères
une très
forte
résistance à
la
conversion
au
christianisme.
Le pays a toujours été en effet en majorité non chrétien et les
baptêmes de
malades
allaient au
rythme de ceux des
autres
:
nombreux
parfois,
décevants
souvent.
Aussi,
convient-il
d'être
prudent quand on veut juger l'état de l'évangélisation à travers ces
baptêmes.
Une certitude cependant s'impose à leur examen,
qu'il ne
serait pas inutile de rappeler ici : le christianimse a été très loin
d'être accepté facilement et qu'au contraire, la résistance qui lui
était opposée fut grande.
S'il est difficile de connaître, même approximativement le
nombre de
baptêmes en danger de mort avant
1930 faute
d'un
accès aux renseignements sur la question avant cette date, il est au
moins possible de se mettre d'accord sur un fait : ils n'ont qu'une
importance
secondaire
sinon
dans
les
activités
des
prêtres,
du
moins dans leurs préoccupations. A moins que cela confirme que le
plus important dans ce domaine a été fait par les catéchistes(1),
surtout en direction des enfants.
Il serait édifiant d'écouter à cet égard, l'une de ces auxiliaires
qui parle de son expérience vécue en 1934 et 1948 à Diohine où elle
fit partie des fondatrices de la communauté des soeurs de cette
mission : "le baptême des enfants en danger de mort était très
délicat car les parents ne voulaient généralement pas qu'on baptise
leurs enfants.
1. Une très bonne partie de l'histoire missionnaire est ainsi "partie" avec
les
premiers
catéchistes
dont
certains
ne
savaient
pas
tenir
correctement leurs
registres,
ce qui
rendait aléatoires certains
chiffres
publiés par les missionnaires.
Ceux qui
pouvaient le faire
ne semblent
pas avoir laissé des informations intéressantes ou facilement accessibles.
Ainsi
se
contente-t-on
souvent
de
répondre,
invariablement,
aux
questions posées par des chiffres et des dates souvent difficile à manier
puisque
très
contradictoires.
425
Mais puisque nous les soignions à la rmSSlOn ou chez eux, nous
trouvions là le moyen de les baptiser quand il était apparu qu'ils
n'avaient plus de chance de survie. Tout en faisant semblant de leur
administrer un remède, nous prononcions discrètement les paroles
et
faisions
les
signes
appropriés.
Ils
étaient
ainsi
baptisés
au
moment
où
les
parents
pensaient
évidemment
qu'on
les
soignaient"( 1).
Ce procédé était en fait très répandu et était comme une
consigne
passée
entre
les
missionnaires.
Les
soeurs
étaient
particulièrement bien placées pour savoir l'exécuter compte tenu de
leurs relations particulières avec les enfants. Les catéchistes aussi
l'exploitaient(2) pour sauver des enfants car ils étaient également
soignants
à
l'occasion
et
sans
doute
les
autres
missionnaires
également.
Mais il s'agit d'une pratique qui n'est pas sans inconvénients :
la mort qui s'ensuivait éloignait davantage, surtout au début de
notre période, les parents des missionnaires qui n'avaient pas pu
réaliser
le
miracle
attendu
et
qui
étaient
ainsi
tenus
pour
"responsables de ce qui est arrivé"(3).
On est ici encore en plein irrationnel et ses conséquences dans
la pratique délicate de certains aspects des
œuvres médicales
:
quand tout allait bien, on pouvait avoir des conversions ou tout au
moins la gratitude des parents du malade(4) avec l'espoir d'une
implantation plus en profondeur du christianisme dans les coeurs et
plus tard dans la société.
A l'inverse, la superstition reprenait le dessus compliquant
momentanément l'action missionnaire chaque fois que la guérison
n'avait pas été au rendez-vous. C'est-à-dire à chaque baptême dans
les conditions précitées d'enfants, ce qui avait cette conséquence
négative de retarder l'évangélisation.
1. EMCLR 009
2. ECHL 001
3. EMCLR 009
4. Annales de la Propagation de la foi,
1881
p.303.
426
Le résultat fut le refus des parents d'envoyer ou de laisser
leurs enfants se soigner chez les soeurs, à la
mission ou de laisser
les
soeurs
les
approcher.
Les
catéchistes
également(1)
étaient
parfois victimes de ces préjugés.
Il ne s'agissait plus de les mettre à l'abri de la conversion mais
d'une mort certaine ! Au moins pour cette raison, les baptêmes
d'enfants
en danger
de
mort
furent
relativement
peu
nombreux
même au début de l'évangélisation.
A Diohine, Marne Philomène (2) n'a réussi, en une quinzaine
d'années,
à en administrer qu'une dizaine à peine(3). Dans les
autres missions où les soeurs se sont installées plus tardivement, le
même constat semble pouvoir être fait : les catéchistes qui les y
précédèrent
s'occupaient
d'enseigner
les
enfants
et
de
baptiser
surtout les enfants moribonds de parents chrétiens.
Pour les autres cas plus rares, ils n'avaient pas toujours cet
"appât" des soeurs et peu de parents consentaient, pour le reste, à
laisser baptiser leurs enfants.
Pourtant,
le
baptême
des
nourrissons
s'imposait
souvent
d'autant qu'ils étaient à un âge fragile et à la merci du "mauvais
sort", surtout des nakh, du moins comme en étaient convaincues les
populations.
Exposé à toutes les maladies à la naIssance et au début de la
vie, dans un environnement qui ne pouvait lui assurer le minimum
de protection par ignorance de certaines règles sanitaires pré et
post
natales,
le
nouveau-né
avait
beaucoup
plus
de
chance de
mourir que les autres.
Cette
mortalité
souvent
trop
élevée
devait
naturellement
amener l'irrationnel à lui trouver de justification.
1. Arch. OPM B 07494
2. Longtemps la plus âgée de la congrégation des soeurs du Saint-Coeur
de Marie, soeur Philomène SaIT était finalement très entourée et soignée
par ses cadettes qui.
à
Karack, lui vouaient une chaleureuse
affection.
Elles finirent ainsi par ('appeler Ma me. terme sérère et wolof qui veut
dire
grand-mère.
427
C'est d'ailleurs
cet irrationnel
qui
alimentait en
partie
la
résistance à la conversion.
Il arrivait cependant que cette conversion soit facilitée chez le
Sérère acquis au christianisme par le changement de circonstance
dans la vie.
La certitude d'une mort annoncée et le comportement d'un
entourage
attentif et
soucieux
décidaient
alors
le
malade
à
se
convertir, comme pour manifester son "dépit d'une société ingrate
et inhumaine"(l).
C'est en fait,
l'ultime "manifestation d'orgueil qu'il pouvait
alors
lui
opposer"(2).
La
majorité
des
baptêmes
in
extremis
semblent cependant plus raisonnés.
Souvent chez les adultes et les enfants d'un certain âge, ils
concernaient des catéchumènes ou des
gens dont l'opposition au
christianisme
s'est
toujours
manifestée
discrètement
ou
s'est
émoussée avec le temps, sans cependant aboutir à une acceptation,
pour diverses raisons, d'un apprentissage conduisant au baptême.
Dans le premier cas, il s'agit de gens qui avaient toutes les
chances
de
devenir
chrétiens
mais
qui
n'en
remplissaient
pas
encore les
conditions
; dans
le second, de personnes dont
les
résistances plus ou moins fortes n'ont pas encore été vaincues par la
force de conviction du missionnaire ou de ses auxiliaires.
En
acceptant
de
se
laisser
convertir
devant
la
mort,
ils
réalisaient un voeu qui peut bien être sincère.
Le fait que le malade ait compris qu'il n'a plus rien à attendre
nI
a apporter à la société, se dégageant ainsi d'un poids immense
qui entravait l'acceptation du christianisme ne signifie pas, en effet,
que la conversion soit dépourvue de la nécessaire conscience, dans
ce cas, d'accepter l'abandon de la religion traditionnelle.
1. ECHL 033
2. ECHL 033
428
Pour
une
pratique normalement exceptionnelle,
le
baptême
des
moribonds
devait être en
régression
continue
au
fur
et à
mesure que s'accélérait l'implantation des missionnaires.
Or ça n'a pas été le cas, ce qui pourrait s'expliquer par les
lents progrès de la christianisation et le fait que l'implantation des
églises ne coïncidait pas toujours avec ce vaste mouvement de
conversion décrit à Fadiouth.
Certes
dans
cette mission
comme dans
bien d'autres,
peu
nombreux étaient les baptisés en danger de mort, le gros étant les
enfants de chrétiens.
Mais on remarque en même temps qu'à Diohine et Ndiaganiao,
où la mission prit beaucoup plus de temps avant de gagner la
"masse", les baptêmes des moribonds, sans jamais être la majorité
des baptêmes, ont souvent été relativement nombreux.
La résistance à la conversion dans ces missions a été plus forte
qu'ailleurs et les causes des baptêmes en danger de mort, telles que
décrites
plus
haut,
particulièrement adaptées
à
la
situation
des
baptisés.
C'est aussi un fait qu'à part les intervalles séparant les fortes
périodes de demandes qui correspondent toutes
à celles pendant
lesquelles
ont
sévi des épidémies,
ces
baptêmes
ont
suivi
une
courbe très modérément ascendante et même descendante parfois.
Une situation qui s'explique à la fois par la persistance de la
difficulté de couvrir l'espace missionnaire et l'absence chez les
Sérères
d'une
réelle
hésitation devant
le christianisme,
qui
eut
favorisé la longue attente de la conversion qui justifie généralement
ce genre de baptêmes.
1. EMCLR 017. Ce point de vue d'un missionnaire. acteur de la période
qui
nous occupe
a été très
largement approuvé par nos interlocuteurs
convertis.
429
Avant la pénétration mIssIOnnaire en effet, on a vu comment
les
tournées,
très
espacées,
ont
tenté
de
combler
le
vide
missionnaire.
Si le nombre des baptêmes en danger de mort était alors
relativement élevé dans les régions visitées, dépassant bien souvent
celui
des
conversions,
qui
lui-même
était
très
faible,
cette
importance était restée très relative du fait qu'il s'agissait souvent
de tournées annuelles.
La même évidence s'impose lorsqu'il est question de donner
un sens
aux chiffres des mêmes
baptêmes quand,
à
partir de
l'entre-deux-guerres,
la
mission
commença
à
s'installer
en
profondeur à l'intérieur du pays.
Deux
situations
se
présentaient
alors
à
elle
le
refus
systématique ou l'acceptation totale : Il n'y eut pas de demi-mesure
chez les Sérères. Et même lorsque le refus
se transformait en
acceptation, celle-ci était dès lors bien vécue et assumée au moins
en apparence, comme si elle n'a jamais été difficilement obtenue.
Entre ces deux situations, il
y a peu de place pour les
baptêmes in extremis : dans le premier cas, le refus les excluait et
dans le second, la conversion leur enlevait toute raison d'être. On
perçoit néanmoins, à travers la faiblesse de leur nombre, que celui
des conversions ne pouvait guère être particulièrement très élevé.
430
III. LES CATÉGORIES SOCIALES CONVERTIES
A.
Le
meilleur
succès
la
conversion
des
jeunes
Au fait que les jeunes ont toujours été la catégorie sociale la
plus disponible pour recevoir l'évangile(l), les missionnaires ont
trouvé, invariablement, la même explication : l'apprentissage de la
religion
nécessaire
avant
tout
baptême
étant
difficile
pour
les
adultes et les personnes âgées, seuls les jeunes pouvaient le suivre
et arriver au stade de la conversion.
Les habitudes des adultes, leur mode de vie présent et passé
les
empêchaient
de
s'intéresser
à l'instruction religieuse.
Cette
explication
un
peu
courte
n'en
traduit
pas
moins
une
réalité
immuable : l'école, chez les Sérères, est faite pour les enfants, non
pour les adultes.
Mais pourquoi donc ceux-ci considéraient qu'ils n'avaient plus
grand chose à apprendre dès lors qu'ils dépassaient un certain âge ?
Il semble bien que la notion de savoir fût trop centrée sur le
"ndut"(2) et la longévité pour avoir ce caractère relatif et mouvant
que lui connaît l'Occidental.
Aussi au sortir de cette initiation, on se croit la tête bien faite
et y ajouter quelques décennies de plus ouvre naturellement, selon
la compréhension des Sérères, la voie à l'acquisition de l'essentiel
des connaissances.
On peut malgré tout continuer d'apprendre, mais seulement
jusqu'à une certaine limite. Dans tous les cas, il demeure impensable
de fréquenter l'école en même temps que ses enfants ou ceux de
parents de même génération.
1. Arch. CSSP BG
XX
p.251.
Et
les
missIOnnaires
trouvèrent
cela
dommage : "la conversion est le fait des jeunes". écrit l'un d'eux, de
Fadiouth.
"A
côté
de
nos
chrétiens.
tous
assez
jeunes.
se
trouve
la
catégorie
des
vieux
; encroutés
dans
leurs
habitudes
paIennes,
il
est
difficile de les amener à la vraie religion" ...
2. Rite de passage important qui marque la majorité du Sérère.
431
On voit bien que cette assimilation de l'apprentissage de la
religion chrétienne à un "séjour réussi à l'école" ne pouvait que
créer une certaine confusion dans les esprits.
Pour le Sérère, il n'y a qu'une vraie école, le nd u t qUI est
obligatoire
et
qui,
s'il
ne
dit
rien
contre
les
autres
formes
d'acquisition du savoir ne fait non plus rien pour les encourager.
A la fois difficile et sans intérêt, comme le disaient les vieux,
l'école du catéchiste et du missionnaire ne pouvait donc intéresser
que ceux qui n'avaient encore aucune responsabilité dans la société.
Ce qui ne veut pas dire que les autres s'y opposaient, avec la
même
détermination
qu'y
encourageaient
quelques
adultes,
une
minorité parfois infime, en recevant bien les missionnaires et en
leur confiant leurs enfants,
sans
évidemment toujours
s'engager
personnellement.
Cela relativise,
il
est
vrai,
les
oppOSItIOnS
systématiques
mentionnées
par
les
missionnaires,
puisqu'elles
étaient rarement
unanimes mais leur effet d'entraînement était d'autant plus grand
que partout, elles ont été le fait du plus grand nombre.
Mais cette ouverture ne rimait pas toujours avec conversion
comme on l'a remarqué à l'intérieur du pays, plus conservateur
puisque en contact plus tardif avec l'extérieur.
Et c'est cette partie du pays qui était devenue dès le début du
siècle, la cible principale de la mission au prix d'un certain abandon
des missions non sédentaires de la côte et de ses environs dont
aucune, à l'exception de Palmarin, qui n'entra d'ailleurs que plus
tardivement dans la mouvance missionnaire, n'allait avoir de prêtre
résident durant notre période.
Les
critères
déterminants
deviennent
en
effet
pour
les
missionnaires la population, l'activité agricole et commerciale (de
préférence des escales) et la situation géographique (des villages-
carrefours
pouvant
desservir
le
maximum
possible
d'autres
villages).
432
Dès lors, l'intérieur du pays et la périphérie acquirent une
importance
nouvelle,
un
intérêt
d'autant
plus
marqué
pour
la
mission
que
leurs
jeunes
demeuraient
accessibles,
étant
moins
touchés par le phénomène de l'exode rural qui affectait les forces
vives des villages côtiers(l).
Leur disposition particulière à devenir chrétiens
s'explique
ainsi, tout d'abord, par le fait qu'ils en avaient de plus en plus les
moyens avec l'accès plus facile de la mission.
Mais il y a, ensuite, l'attitude des parents. Sans leur large
consentement, la mission eut rencontré beaucoup plus de difficultés.
Le goût des jeunes pour le changement est, enfin, à prendre en
compte parmi les causes de cette demande de christianisme.
Dans le cas precIs de la mission, le désir de ressembler aux
"évolués" (2) ne fut pas étranger à cet intérêt pour le christianisme.
Beaucoup de ces "évolués" furent en effet formés par les
missionnaires et en milieu rural sérère, la majorité était souvent
composée de
chrétiens,
sortis
des
écoles
d'apprentissage
et de
formation de la mission, à Ngasobil notamment ou simplement de
l'école catéchistique du village.
Ils
incarnaient
une
certaine
réussite(3)
qUI
pouvait
encourager les autres à persévérer dans la religion.
A la base donc, il y avait non pas forcément un rejet de la
société traditionnelle, mais le désir de changer de vie(4), de profiter
de ce que pouvait offrir le confort moderne.
De fait, on perçoit déjà l'opposition de deux sociétés dont l'une,
la société traditionnelle semble d'emblée en mauvaise posture car
elle refuse
globalement d'évoluer
alors
que
de
cette
évolution
pouvait dépendre
sa
survie et
sa coexistence
hamonieuse
avec
l'environnement désormais plus agressif et plus exigeant.
1. ECHL 099
2. ECHL 099
3. ECHL 053
4. ECHL 098
433
Du coup, la fracture occasionnée par la "trahison" de certains
de ses éléments qui sont devenus plus proches du Blanc mais vivant
- du moins apparemment - nettement mieux que les autres était la
meilleure
brèche
dans
laquelle
pouvait
espérer
s'engouffrer
le
christianisme pour se développer.
Et avec lui tous ceux qui avaient l'intelligence de percevoir
plus
tôt
les
mutations
en
cours
et
dont
la
position
pouvait
s'accommoder d'une entrée dans la religion catholique.
Cependant
les
"anciens"
aussi
semblaient
percevoir
les
changements mais ils avaient précisément pour rôle de les prévenir,
de protéger la
société et ne pouvaient se permettre d'être
les
artisans de sa destruction(l).
En
n'entravant
pas
le
mouvement
de
leurs
enfants,
ils
prenaient sans
doute
ainsi
acte
du
caractère
non
absolu
voire
dépassé de certains aspects de leurs traditions
ainsi que de la
légitimité des aspirations nouvelles au changement.
Mais en même temps, ils voulaient veiller au passage en
douceur à une société nouvelle qui ne méprisât pas leurs valeurs les
plus essentielles.
On comprend dès lors que la christianisation , malgré la
détermination de ses artisans les moins avertis, n'a pas réussi à
détruire l'âme sérère.
Et c'est pourquoi d'ailleurs elle a pu rencontrer l'adhésion des
jeunes car mis en demeure de choisir entre la mission et leurs
parents, ils eussent sans doute choisi ces derniers.
C'est aussi pourquoi les jeunes, ainsi libérés par une société
compréhensive, avaient souvent choisi de se convertir en masse. Le
phénomène de groupe était tellement
ancré dans les
mentalités
qu'il était presque impossible de voir des conversions solitaires.
1. EM 04û
434
A la base, il y a certainement la démarche de la mISSIOn qUI a
toujours favorisé les "conversions groupées". Mais il ya surtout le
plus important : l'entrée en groupe dans le christianisme qui a
toujours caractérisé les conversions chez les Sérères, et qui se
comprend quand on sait que les "sociétés africaines manquent de
conscience individuelle", comme l'affirme G. Hardy(l).
Les
Africains
en
effet,
ont
l"habitude
de
vIvre
même
moralement d'une vie toute collective"(2). Si l'on doit arrêter là cete
belle citation, pour ne pas risquer de cautionner l'option contestable
de l'auteur selon laquelle les Africains "n'ont pas acquis le sens de
la responsabilité individuelle" - ce qui ne s'applique évidemment à
aucune collectivité digne de ce nom - on note avec lui l'importance
du groupe dans les décisions individuelles.
H. Gravrand va même plus loin et parle d'''emprise du groupe
sur l'individu", dont la principale raison du ndut est d'ailleurs de le
faire savoir aux hommes(3).
Cette emprise s'est particulièrement manifestée à Fadiouth, où
en plus de la christianisation proprement dite qui l'a bien révélée
aux
missionnaires,
se posait, comme dans d'autres missions, le
problème du repos dominical.
Pour changer une coutume aussi importante et décider que le
repos devait désormais être pour le dimanche, il y eut de très vives
résistances qui n'ont pu être vaincues que par une assemblée de
tout le village qui "officiellement, décrétait le dimanche jour de
repos à la place du lundi"(4).
Et il a fallu cette décision pour que les chrétiens fussent enfin
"libérés" du travail dominical.
I:-<r.-ïÏardy-:-"l'ios-grands-problèmes coloniaux... Op.cit. p.98
2.
Ibid.
3. H. Gravrand : "Rites d'initiation et vie en société chez les Sérères du
Sénégal". Afrique
Documents, n052 Juillet-Août 1960
pp.137 &
139.
4. Arch. CSSP 160 B III
435
Habitués à tout faire en groupe de l'"âge des jeux" à celui de la
circoncision(l), c'est-à-dire pendant toute la durée de la formation
de leur caractère d'hommes, les jeunes, en toute logique, devaient
se convertir en groupes, démontrant ainsi dès le départ leur volonté
de ne pas s'abandonner entièrement au christianisme.
La société est consensuelle par essence et l'individualisme
qu'il serait sans doute exagéré de dire qu'il n'y existe pas s'y noie
facilement,
tout
ce
qui
est
important
partant
du
groupe
pour
revenir à lui.
Et celui-ci n'est pas constitué d'individus mais plutôt d'une
somme de valeurs et d'une instance qui génère et met en oeuvre,
par ses membres les plus influents et/ou les plus dynamiques, tout
processus décisionnel dont l'aboutissement crée une situation qui
engage nécessairement l'ensemble de la collectivité.
On comprend que pour le christianisme, une telle VISIOn du
monde, qui a ses inconvénients, pouvait aussi avoir quelque chose
de
bénéfique.
Les
"classes
d'âges"
mûries
par
le
ndut
et
les
épreuves y menant, ou non encore arrivées à cet âge éprouvaient
ainsi le besoin de se convertir : si cela n'impliquait pas forcément
tous les membres, au moins pouvait-on voir un nombre significatif
se
décider
à
affronter
ensemble l'"épreuve"
du
catéchisme,
se
soutenant les uns les autres jusqu'à l'arrivée au baptême.
L'apprentissage
des
responsabilités
dans
et
par
le
groupe
favorisait ainsi relativement tôt la maturité des jeunes qui, s'ils
s'engageaint dans la religion, avaient sans doute plus de chance de
lui rester attachés.
Les apostasies étaient ainsi isolées, l'effet de groupe cessant
de Jouer dès
lors,
semble-t-il, que
l'âge
et
les
responsabilités
individuelles particularisaient les problèmes de chacun.
A partir
d'un certain âge en effet, il semble bien que le père de famille
tendait à se replier un peu plus sur lui-même, avec ses problèmes
domestiques.
Ainsi, l'effet d'entraînement mentionné plus haut est avant
tout une question liée essentiellement à la situation sociale des
intéressés.
D. Sarr
L'Education traditionnelle chez les Sérères au Sénégal...p.171.
436
A l'âge jeune, nous disait un vieux,
"vous n'avez pas de
problèmes autres que vous-mêmes( 1). Pas de responsabilité donc,
bien qu'en apparence votre éducation vous en donne déjà de très
grands. Mais quand vous commencez à gérer une famille, à avoir
des problèmes de famille que ne connaissent pas vos compagnons,
vous percevez facilement que ce n'est certes pas la compagnie qui
les résoudra. Elle peut certes aider mais ce sera vous qui les
résoudrez ou ils ne seront pas résolus"(2).
Le seul allié du christianisme serait ainsi la jeunesse . L'âge en
tout cas, non seulement ne favorisait pas la conversion, mais était
même un motif d'abandon de la religion catholique, bien que des
jeunes
enthousiastes
au
départ
"qui
s'étaient
juré
de
pouvoir
observer
une
saine
pratique
du
christianisme,
s'étaient
rendu
compte, à 40 ans, qu'ils ne le pouvaient plus"(3).
Les décisions collectives avaient donc des limites sérieuses ?
En fait, on peut vraiment en douter. C'est un peu à la pointe des
pieds que les gens quittaient le catholicisme pour une autre religion
dans laquelle ils n'étaient d'ailleurs pas toujours des modèles de
piété,
bien
qu'ils
aient
souvent
tenu
à
marquer
leur
nouvelle
appartenance, sans doute pour mieux convaincre de leur "divorce".
C'est la preuve que le poids du groupe était toujours là,
omniprésent, d'autant plus pesant que le groupe lui-même semblait
remplacer
l'Etat
inexistant
dans
la
mentalité
collective
et
entretenait
les
relations
qui
permettaient
de
s'en
passer
sans
dommage. Il était ainsi souvent difficile à l'individu de se dissocier
de la volonté collective.
Dans les villages où la tradition du n dut est restée ancrée, les
conversions
collectives
se
faisaient
généralement
après
cette
initiation. Avant, les jeunes étaient surtout immatures et réputés
incapables
de
prendre
par
eux-mêmes
une
décision
aussi
importante que l'''entrée dans une autre religion"(4).
1.
n est difficile de traduire cette expression dont l'idée est pourtant
simple : à l'âge jeune, on n'a pas de charges
familiales
et les soucis
quotidiens du père de famille sont encore lointains...
2. ECHL 033
3.
Ibid.
4. ECHL 021
437
Ils
étaient
surtout
trop
occupés
pour
pouvoir
fréquenter
assidûment les catéchistes. Préposés à la surveillance du troupeau,
ils ne rentraient pas toujours à la maison mais passaient leurs
journées et nuits à côté ou loin du village en compagnie de leurs
animaux. Tenter de se soustraire à cette obligation était impensable.
Même les jeunes qui, pour des raisons d'études étaient allés
en
ville
revenaient
immanquablement
à
ces
occupations
importantes chaque fois que le calendrier scolaire leur en donnait la
possibilité.
La
période
de
l'immédiat-après-ndut
est
donc
la
plus
favorable.
Elle
l'est d'autant
plus
que
le jeune
initié
se
sent
débarrassé de
la tutelle parentale donc
beaucoup plus
libre et
majeur pour pouvoir enfin prendre ses décisions. Avec ses amis
d'enfance, avec lesquels il venait de subir l'initiation, il pouvait
enfin choisir.
Un choix d'autant plus conscient qu'il pouvait, à la lumière de
ce qu'il savait "maintenant" après son initiation de sa société, "peser
le pour et le contre de celle à laquelle il aspire "(1 ). Une bonne partie
des conversions se décidaient ainsi, à ce moment-Ià(2).
Les jeunes qui ont la conviction d'être enfin entrés dans une
"ère nouvelle", qui échappent désormais à l'emprise de la société
telle qu'elle s'est exercée sur eux
avant le ndut(3) et qui ne
sentaient
pas
encore
le
poids
véritable
de
leurs
nouvelles
responsabilités dans celle-ci étaient comme des gens qui cherchent
leur voie, après de longues années de privation de liberté(4).
Ils
pouvaient
facilement
être
tentés
de
choisir
une
voie
nouvelle ou tout au moins particulière(5). Fermée aux adultes, celle
du christianisme l'était moins à eux. D'autant qu'en l'empruntant, ils
pouvaient espérer fonder une famille qui entrât avec eux dans la
"moderni té" (6).
1. ECHL 033
2. ECHL 033
3. EM 040
4. ECHL 038
S. ECHL 029
6. ECHL 007
438
Il suffisait dès lors que la mission pût leur garantir qu'ils ne
risquaient pas, avec une telle option, de rompre avec une tradition
dont ils ont, tout compte fait, la pleine conscience d'avoir participé
au
maintien.
Ce
voeu-là ne
fut
malheureusement
pas
toujours
exaucé.
B.
Un
échec
la
conversion
des
élites
La stratégie missionnaire du moins au début de la mISSIOn a
toujours visé la conversion des élites dont on pensait qu'elle était le
meilleur
moyen
d'évangéliser
plus
complètement
les
autres.
Il
fallait
ainsi se
servir de
leur influence pour faire
accepter la
présence des missionnaires et celle de leur religion dans le pays.
Cela explique les nombreuses visites qui avaient été faites par
les prêtres aux rois et autres chefs tout au long de leurs tournées
pastorales ou de prospection des différents villages du pays.
A l'absence de conversions et faisant contre mauvaise fortune
bon coeur, tout geste non hostile de ceux-ci était, automatiquement
pour
les
missionnaires,
favorable
à
la
mission.
Car
dans
l'impossibilité de se convertir, ces chefs du pays démontraient ainsi
selon eux, qu'ils n'étaient pas hostiles à la conversion de leurs
sujets.
Il en résulta une certaine exclusion des gens de castes" qUI,
"lorsqu'ils
ne
sont
plus
païens,
ont
opté
pour
l'islam",
les
missionnaires les ayant parfois "oubliés" puisqu'ils se sont surtout
"attachés à la conversion des catégories rurales situées au sommet
de la hiérarchie : notables, chefs de terre, lignage excerçant des
fonctions publiques au niveau villageois ou régional et susceptibles
de favoriser l'expansion du christianisme"(1).
1.
B.
Delpech
"Arachides.
options
religieuses
et
société
serer
traditionnelle".
In
('Antropologie
éconimique
face
aux
problèmes
du
changement
en
situation
asymétrique. 0 R S TOM,
1970,
pAO.
439
Pourtant, la christianisation du pays serere ne se fit pas du
sommet, bien au contraire, elle fut un problème de "masse"(I).
Si souvent elles ont toléré et parfois aidé les missionnaires
dans leur
apostolat,
les élites
du
pays
sérère ne
se
sont pas
converties au christianisme, ni n'ont laissé facilement leur proches
le
faire.
Sans
doute
pouvons-nous
noter
quelques
cas
de
conversions rares.
Le premier est la conversion au christianisme de la presque
totalité de la famille de Thione Sène "Premier ministre du Sine" que
purent enregistrer, dès
1886, les missionnaires. Très tolérant, ce
dignitaire semble avoir largement encouragé le processus, quand on
tient compte de ses rapports cordiaux avec la mission(2).
La même année d'ailleurs, le père Lamoise, en charge du
secteur depuis Joal, ajoutait une nouvelle "plus que consolante", à
ces informations déjà bien intéressantes
: "le père du
"Premier
ministre" faisait même partie de ces chrétiens(3). Il y eut ensuite,
en 1892, de meilleures dispositions du côté de la famille royale.
Cette année en effet, deux filles du roi du Sine étaient, avec
d'autres enfants de moins illustre ascendance, de ceux qui reçurent
la première communion.
Le cas, enfin, de Diogoye Senghor est assez rare pour passer
inaperçu. Cultivateur-éleveur et homme d'affaires avisé et ouvert
sur le monde, il perçut sans doute très tôt la nécessité d'envoyer ses
enfants à l'école, à la mission de Joal.
1. Ce qui réglait en même temps la question des castes. Rappelons qu'il
n'en existait que deux en pays sérère et le fait qu'elles sont très loin de
s'équilibrer,
l'une
étant
entièrement
dominée
par
l'autre
tant
numériquement
que
socialement,
explique
qu'il
convient
de
lire
la
réponse
qu'elles apportèrent au christianisme à la lumière des
réactions
de l'essentiel de la population que sont les Sinig. (voir Supra, p.230).
2. Arch. CSSP BG XIV 188 p.19
3. Arch. CSSP 160 B III. Une remarque cependant : le Premier ministre
serait l'un des rares membres de sa famille à ne pas être converti. On voit
là
les difficultés pour les élites de suivre le mouvement même si elles
sont de tout coeur avec le christianisme.
440
Aussi
fit-il
"baptiser tous
ses
enfants"(I)
en
n'étant que
"sympathisant du christianisme"(2), sans doute pour se conformer
autant que possible à ses traditions et à son option polygamique(3).
Il finit cependant par se convertir vers la fin de sa vie, dans les
années
1910, devenant Basile(4),
tout en conservant son
statut
matrimonial.
Ces exceptions ne font cependant que confirmer la règle :
l'élite du pays est restée à l'écart du christianisme. Elle lui fut même
parfois
hostile
comme
le
démontre
la
difficulté
largement
commentée de l'installation des missionnaires à Palmarin à partir
de 1885(5).
De façon générale, elle n'avait pas intérêt à l'installation d'une
religion qui risquait de saper la base de ses intérêts. Seule en effet,
l'élite intellectuelle née bien tardivement(6) pouvait avoir quelque
intérêt à voir s'établir l'Eglise qui avait certaines de ces vertus
qu'elle croyait indispensable au progrès matériel des siens.
Mais elle a semblé si désintéressée de tout engagement laïc,
surtout
au
niveau
des
masses
rurales
qu'elle
ne
pouvait
être
d'aucune utilité
pratique pour l'évangélisation de l'essentiel du
pays
sérère(7).
1. Horaf, nOX, 1976 p.12
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4.
Ibid.
5. Supra. p.1S0
6. En 1955, celle-ci n'était guère très significative en pays sérère. Les
"rescapés"
de
l'analphabétisme
qu'on
rencontrait
surtout
dans
les
villages
de
la
côte
semblent
s'être
convertis
non
pas
de
façon
particulière,
mais
dans
la
mouvance
générale.
De
plus.
ils
doivent
presque tous d'être "élite" à leur conversion. ce qui revient à dire qu'elle
n'a aucun intérêt en tant que telle pour notre étude. Quant aux chrétiens.
le problème ne se posait évidemment pas.
7.
On ne
saurait
certes
négliger le
travail
remarquable
des
"maîtres-
catéchistes" qui
commencèrent
à
se
multiplier
à
partir
de
la
fin
des
années
1940, mais leur impact ne devait être vraiment certain qu'après
notre période marquée pour l'essentiel par leur quasi inexistence dans la
plupart du pays.
441
La situation ne favorisait d'ailleurs pas· un tel engagement.
Instruits
et
parfois
éduqués
par
les
missionnaires,
les
jeunes
Sérères, s'ils ne se destinaient pas au sacerdoce, étaient comme
préparés à se détacher de leur société.
Le pays était rural et ne pouvait donc les accueillir après leurs
études. Appelés à travailler loin de leurs villages, les nouveaux
chrétiens ne pouvaient qu'y susciter l'envie.
S'il est vrai que certains ont cherché à s'engager au service
des leurs restés au village - et l'exemple de L.S. Senghor(l) est
édifiant à cet égard - ils l'ont fait par d'autres voies que celles de la
religion(2).
Quoiqu'il en soit, ils étaient SI peu nombreux, d'importance
parfois si marginale dans la société qu'ils étaient peut-être plus
utiles ainsi. La seule élite qui ait pu avoir une influence, par sa
conversion ou son refus de se convertir, sur la religion, est donc
l'élite traditionnelle.
1.
Senghor
a suivi l'éducation classique
de
l'époque
: deux
ans
à
l'"école" de 10al où comme tous les enfants il apprit la religion et le
français. Puis ce fut le séjour à Ngasobil de 1914 à 1922 (cf extrait de
discours à l'occasion de sa visite à Ngasobil en 1970. In Horaf
n0221,
mars 1970
p.9).
Le séminaire - collège Libermann lui ouvre alors ses portes à un moment
où
il
accueillait
encore
les
grands
séminaristes
en
même
temps
que
d'autres élèves ne se destinant pas à la prêtrise. Senghor, qui semblait
déjà se destiner
au professorat, resté
au collège Libermann,y obtint le
bac en 1928 et ce fut alors le départ pour la France, l'agrégation en 1935,
la politique en 1945 "pour les ruraux oubliés" de son pays nataI...
2. On sait que le
Mouvement
d'action
catholique
fut
peu efficace
dans les campagnes au moins jusqu'en 1955, et que tous les efforts isolés
d'organisation des chrétiens et de façon générale des ruraux étaient le
fait
de
missionnaires
particulièrement
inspirés
et
novateurs
dont
l'exemple-type est sans
doute
H.
Gravrand-
à
travers
notamment
son
organisation
des
paysans
du
Sine-
et non pas
celui
d'"évolués"
dont
l'empressement à déserter les
villages.
bien qu'ils
n'oubliâssent jamais
de s'occuper matériellement de leurs familles qui y étaient restées a déjà
été
lagement souligné.
442
Elle est certes tout d'abord représentée par le roi et certains
membres
de
la
famille
royale
au
moms
jusqu'aux
premières
décennies du siècle.
A partir des années 1920 en effet, l'achèvement complet de la
conquête coloniale et de la mise en place de nouvelles institutions
politico-administratives, qui contribua à faire éclater la conception
traditionnelle de l'autorité achevèrent de marginaliser le pouvoir
traditionnel qui ne tint plus que par sa seule nécessité "historique".
Le roi, qui survécut à ces changements(l) n'avait plus aucune
autorité politique et ne reposait plus que sur des sujets de plus en
plus indifférents.
L'aspiration
au
mieux-être
et
en
conséquence
aux
biens
matériels qu'on ne pouvait pas avoir sur place incita de plus en plus
à l'ouverture. Celle-ci impliquant un certain abandon de soi, si
symbolique soit-il, on finit par considérer que le roi, qui n'avait déjà
pas un pouvoir absolu, tout comme la société qu'il incarna devenait
de moins en moins utile face aux nouveaux enjeux. Il ne freinait
donc plus rien, n'ayant plus de prise directe sur les évènements
encore moins sur ses sujets.
Mais
jusqu'à
la
seconde
décennie
de
notre
période,
son
autorité encore réelle, bien que parfois limitée pouvait être un
obstacle ou au contraire un encouragement à l'évangélisation.
Il semble même que jusqu'à la fin
de notre période son
prestige et le respect qui l'entourait pouvaient continuer de faire de
lui un agent ou un ennemi efficace de l'implantation des missions.
1.
La
royauté
a
en
effet
continué
théoriquement
d'exister
jusqu'en
1970 au Sine. Le dernier roi, Mahécor Diouf, étant mort cette année-là,
celui qui devait lui
succéder préféra continuer de
se consacrer à son
métier d'instituteur plutôt que de ceindre une couronne trop symbolique.
En fait, il avait déjà senti qu'elle ne valait plus rien.
Au Baol également, la royauté était disloquée mais tenta de profiter de
tout ce que pouvait offrir le nouveau système. Aussi beaucoup de ses
représentants
furent-ils
des
agents
de
l'administration
coloniale,
à
travers
notamment
les
chefferies
de
cantons.
Au
Saloum.
les
princes
nostalgiques n'ont en fait jamais rompu avec la tradition mais celle-ci a
depuis longtemps rompu avec eux : le roi continue d'exister mais il n'a
évidemment plus de royaume.
443
Les entretiens réguliers entre H. Gravrand et le roi Mahécor
Diouf, les relations que celui-là avait tenu à tisser avec celui-ci en
seraient une preuve(l). De fait l'autorité morale de ces souverains
déchus étaient toujours importante et ils restaient de l'élite.
Pour les missionnaires pourtant, les rois
sérères,
au
moins
jusqu'à la fin
du siècle dernier et mises
à part quelques rares
exceptions, étaient chargés de tous les péchés.
Ainsi, les chrétiens devaient échapper à leur contrôle voire à
leur
autorité
néfaste.
Une
vision
que
semblaient confirmer
ces
derniers qui veillaient
à avoir un mode de vie qui les éloignait plus
qu'il ne les rapprochait de leur milieu d'origine.
Et logiquement, cela pouvait les amener à moins accepter tout
ce qui, comme la royauté, en assurait la "régulation". Et logiquement
aussi, ces nouveaux convertis pouvaient sembler, aux yeux de leurs
concitoyens, déracinés, n'ayant plus comme "chefs" que les seuls
mis sionnaires.
Il en résultait une "ingérence" de ceux-ci dans les "affaires du
royaume", qui était d'autant plus inacceptable qu'ils n'hésitaient pas
à s'ériger en justiciers pour protéger ceux que punissait la loi du
pays.
Pour les mêmes raIsons, les Salligués
(2)
qui
appartenaient
aussi d'une certaine façon
à l'élite et qui occupaient une place
centrale
dans
le
royaume,
ne
pouvaient
ni
être
chrétiens,
ni
accepter facilement que le christianisme s'y installât.
Celui-ci
apparaissait d'emblée
totalement
incompatible
avec
l'existence même des Saltigués
"procédant de Satan" selon certains
. .
.
mlSSlOnnatres.
1.
H.
Gravrand : Celle amitié entre le missIOnnaire du Sine et son roi
semble si solide que celui-ci n'hésita pas à donner à celui-là de véritables
cours de missiologie. Cf. Visage africain de l'Eglise...p.92.
2.
Les
Saltigués sont ceux qui voient l'avenir et peuvent donc aider à
conjurer le mauvais
sort.
De
tels
personnages
étaient si
sollicités
que
rien de grave - notamment l'état de belligérence - ne pouvait se décider
sans qu'on leur demande leur point de vue. Dans un pays où l'irrationnel
est roi, les Saltigués
ne
pouvaient
qu'être
importants.
444
On en revient à l'attitude peu conciliante des pères qUI ne
semblent pas avoir toujours cherché à établir de modus vivendi
entre le christianisme et l'"animisme" dont devaient dépendre les
conquêtes chrétiennes du XXe siècle(l).
Ainsi, le père Baumann(2) qui fut l'un de ceux qui se sont le
plus battus pour implanter l'Eglise chez les Sérères, de la côte à
Ndiaganiao en passant par Thiadiaye et Nguéniane, se caractérisa
par son intransigeance contre tout ce qui n'était pas chrétien et
surtout les pratiques comme le ndut et
l'ensemble
des
autres
cérémonies
tradionnelles.
Sa vision carrée du christianisme et ses préjugés tenaces sur
les autres religions sont restés pour la postérité, partout où il est
passé(3).
on peut dire
la même chose du
père
Guhmann que l'on
retrouvait à Diohine dès le début des années
1930 et, de façon
générale, de la plupart des missionnaires du pays. Comme les colons
défricheurs,
par rapport aux
terres
prétendues
vierges
dont
ils
s'appropriaient,
ils
ont
souvent
eu
le
tort
de
penser
que
le
défrichement
spirituel
devait
être
complet
et
ne
s'accommoder
d'aucun compromis avec l'essentiel des pratiques religieuses voire
sociales
locales.
1.
Un
missionnaire,
H.
Gravrand, qui
vint au pays en
1948. avait.
lui.
cherché
à
comprendre.
Le
résultat
théorique
ne
pouvait
qu'être
satisfaisant
mais
on
se
demande
jusqu'où
il
put
avoir
une
influence
réelle directe sur l'évangélisation. D'autant que son expérience fut à la
fois assez tardive (pour notre période) et trop limitée géographiquement.
2.
Alphonse
Baumann est arrivé au
Sénégal
dans
les
années
1930.
Mobilisé en
1939.
sa requête
au
Conseil de
réforme
fut
apparemment
rejetée
puisqu'on
le
trouve
en
1940
comme
aumônier
des
troupes
stationnées à Thiès. Après l'armistice, il est démobilisé comme la plupart
des missionnaires et. de Ngasobil. prend en charge une bonne partie des
dépendances extérieures de cette mission. Il semble avoir échappé à la
remobilisation de
1942-1943. ces années 1942-1944 l'ayant plutôt occupé
dans la mission des environs de Ngasobil. En 1953. il est à Ndiaganiao
comme spécialement chargé de la mission de Thiadiaye où il ne tarda pas
à s'établir avant de revenir à Ndiaganiao après notre période où il devait
être enterré en 1977 après sa mort accidentelle en juillet de cette année.
3. Et particulièrement à Thiadiaye sa première résidence et Ndiaganiao.
445
De façon générale, les premiers nusslOnnaires se sont toujours
montrés très exigeants avec les "indigènes" dont les coutumes les
rébutaient profondément. Et ils ont ainsi freiné la christianisation.
Comme le dit si bien L. V. Thomas, "l'attitude doctrinale des
missionnaires vis
à
vis des religions
autochtones
a manqué de
souplesse
et
de
compréhension:
bien
des
entreprises
de
christianisation
ont
échoué
partiellement
à
cause
de
leur
intransigeance
dogmatique
et
du
paternalisme( ... )
qui
les
accompagnent"(l ).
La
manifestation
de
ce
comportement,
c'est
souvent
un
langage religieux combattant, viscéralement opposé aux gardiens de
la coutume ou tout au moins à leurs pratiques(2).
Les missionnaires réagissaient ainsi plus qu'ils n'agissaient sur
les évènements, parfois même dans
un contexte favorable
mais
certainement
très
peu
ou
mal
connu,
faute
d'un
effort
de
pénétration suffisant des coutumes ainsi rejetées en bloc, souvent
de manière définitive.
A la base, se trouve sans doute une formation en fait bien peu
ouverte sur le "monde missionnaire" qui ne leur a pas permis d'être
capables de mieux le saisir.
Une connaissance réelle et approfondie de l'Afrique en dehors
des seuls schémas de la mission et de ceux qui pensaient comme
elle, bien acquise, aurait sûrement aidé à une meilleure intelligence
des habitudes des Sérères, de leurs moeurs et de leur religion.
La conséquence est lourde : la réaction de la société sérère ne
s'est pas faite attendre. Une composante de l'élite de celle-ci, les
Saltigués, tout bardés de certitudes commes les missionnaires, sur
1. L.V. Thomas : Animisme et christianisme ...p.5.
2. Supra, p.374
446
un autre plan, ne pouvaient ainsi accepter qu'on voulût faire table-
rase de la tradition et de la culture dont ils étaient restés les
gardiens les plus autorisés. Pour ne parler que d'eux.
Et ils n'ignoraient pas que la mission les tenait peu en estime.
Aussi, en tirèrent-ils la conséquence : ils n'allaient pas devenirl.
chrétiens
et
ne
firent
rien
pour
faciliter
la
tâche
à ceux
qui
voulaient l'être et à leurs convertisseurs.
En essayant de maintenir vivaces les traditions, ils y sont
parfois arrivés, tout en ne faisant que leur "travail". Ainsi dans
certains villages où la tradition était très forte et où l'influence des
Saltigués contribuait largement à la raviver, il pouvait être risqué
d'être trop différent, en quittant la religion traditionnelle pour une
autre, singulièrement la religion catholique qui "exprime plus cette
différence" (1).
Le pouvoir occulte qu'on prêtait aux Saltigués pouvait sans
doute dissuader les esprits les plus faibles, là où l'opposition à
l'implantation d'une mission, de leur part, était suffisamment forte.
Il ne semble heureusement pas qu'une telle opposition se soit
manifestée souvent, ce qui est dû en partie au fait que le problème
de l'implantation des missions au coeur du pays, directement sous
contrôle royal ne s'est pas posé au temps de la "splendeur" de la
royauté qui faisait aussi la force et la puissance des Saltigués.
Le roi n'aurait sans doute jamais autorisé l'installation de la
mission sans en référer aux "voyants" qu'ils sont, pour savoir si elle
était ou non bénéfique au royaume ou si elle ne risquait pas de lui
être néfaste.
Leur influence était en tout cas telle que leur OpInIOn sur la
christianisation
du
pays
ne
pouvait
pas
être
dépourvue
de
conséquences et semble avoir été déterminante dans l'opposition
aux fondations que l'on a notée, dans les dépendances notamment
côtières du royaume du Sine.
1. EM 040
447
C'est aussi un fait que leur conversion eût beaucoup aidé la
mISSIOn
dans
son
implantation.
Beaucoup
y
verraient
en
effet
quelque chose de bon pour l'avenir(l).
Cette "aide" fut naturellement inimaginable et comme tous les
autres
membres
de
l'élite,
les
propriétaires
terriens
et
les
possesseurs de grands troupeaux, les
Saltigués se sont sagement
tenus à l'écart de la christianisation.
La difficulté
pour les propriétaires
terriens
et les
grands
éleveurs n'a rien
de particulier.
Souvent gestionnaires
plus
que
propriétaires des biens, ils recevaient en même temps en "héritage"
toute la tradition et
les Pan g ols
dont ils étaient aussi les
"gardiens" .
Il leur était dès lors très difficile de devenir chrétiens puisque
cela eût supposé un abandon au moins partiel de cette tradition,
une certaine "trahison" des morts et des vivants.
Cela aurait dangereusement compromis l'avenir, sans écarter
les risques de remises en cause de l'autorité, du pouvoir et des
privilèges qui leur étaient attachés.
Les grandes responsabilités religieuses et temporelles qui se
mêlent
souvent
n'ont
donc
pas
été
un
facteur
favorable
pour
l'évangélisation.
Car leur exercice, qui restait indispensable ne serait-ce que
pour assurer le passage complet de la société traditionnelle à la
société
moderne
était
difficilement
conciliable
avec
le
"statut"
chrétien.
Il
fallait
en
fait
créer
le
vide
pour
le
combler
par
le
christianisme et les anciens ont vu qu'il s'agissait là d'une démarche
suicidaire. D'autant plus que du christianisme, on ne connaissait que
la difficulté.
C'était donc un peu l'inconnu et les élites, prudentes, qui
préféraient souvent "retourner au point de départ devant le doute",
ont poussé la sagesse jusqu'au bout en ne prenant pas du tout le
départ. Celui-ci pouvait, dès lors, être laissé aux autres, à ceux
auxquels la société n'avait pas encore confié tant de soucis.
1. EM 108
448
C.
Le
baptême
des
jeunes
filles
une
situation
souvent
précaire
Déjà plus difficile à obtenir que celui des garçons, le baptême
des jeunes filles
n'en fait pas
toujours durablement de
bonnes
catholiques. En pays sérère, il est courant en effet d'entendre dire :
"la femme n'a pas de religion". Autrement dit, il fallait attendre le
mariage pour prendre la religion du mari.
Cette situation curieuse démontre qu'aucune religion n'était a
priori rejetée par les femmes et surtout que la religion, chrétienne
ou
musulmane,
venait
au
second
plan
des
préoccupations
l'essentiel, c'était d'avoir un mari ; après seulement, on s'occupait de
religion.
L'importance
du
mariage
était
donc
essentielle
et
mérite
d'être mentionnée pour l'intelligence de l'instabilité des situations
religieuses des femmes.
Elle trouve sa source dans la procréation qui est une autre
donnée importante de la vie en société chez les Sérères. La femme
devait procréer et n'avait d'utilité que dans la procréation. En effet,
"dans un monde qui tend essentiellement à survivre, le mystère de
la
fécondité
et de
la
venue
au
monde
prend
une
importance
primordiale.
L'enfant
est
la
chance
de
son
groupe.
Il
est
sa
permanence et son avenir"(l).
La conséquence, c'est la primauté du mariage, seul "lieu" du
baptême des filles chrétiennes qui se convertissaient à la religion
musulmane
ou
redevenaient
"païennes"
selon
que
leurs
maris
étaient musulmans ou "païens".
1. L. V. Thomas & R.
Luneau : Les religions d'Afrique Noire. Textes et
traditions sacrées. T2. Paris, Stock, 1981
p.14. La conséquence, c'est que
la
fécondité
"donne
même
à
la jeune
mère
une
auréole".
Cf.
R. P.
Maréchal: La condition de la femme indigène. In Semaines
sociales
de France, XXIIème Session, 1930, Impr. Express, Lyon Sd
p.316.
449
Mais
dans
la
grande
majorité
des
cas,
ils
étaient
musulmans(l).
Et
ces
reconversions
de
chrétiennes
à
l'islam
semblaient se passer assez souvent, même à Fadiouth(2) réputé être
la meilleure réussite des missionnaires au moins en pays sérère.
Ce qui se comprend par le nombre de
plus en plus important
de
marabouts
et
de
musulmans(3)
qui,
de
surcroît
préféraient
épouser les filles chrétiennes "parce qu'elles savent la cuisine et
connaissent la couture"(4).
Une fois encore, la mission a créé elle-même, ici, les conditions
de ses propres difficultés. Formées par les soeurs pour devenir de
"bonnes épouses" et des mères modèles de la famille chrétienne, les
filles sérères étaient convoitées pour l'éducation qu'elles ont ainsi
acquise par les musulmans qui les arrachaient à leur religion.
Le fait est d'autant plus grave qu'il semble s'être déroulé à
une grande échelle et pas seulement chez les filles converties, mais
également chez celles issues de parents chrétiens et qui, de ce fait,
étaient "élevées chrétiennement"(5).
Pour les missionnaires, le phénomène était plus préoccupant
en ville(6), mais il ya des signes qui ne trompent pas : le milieu
rural était au moins aussi touché que les villes. D'abord parce que
ces
reconversions
pour
raison
de
mariage
concernaient
essentiellement les Sérères qui se rendaient en ville pour chercher
du
travail(7).
Elles
venaient
de
la
campagne
où
elles
étaient
évangélisées.
1.
Il
devenait,
en
1955,
moins
courant
de
rencontrer
des
Sérères
"païens".
Ils
se
déclaraient
tous
soit
chrétiens
soit
musulmans.
Ces
derniers étant parfois en fait des adeptes de la religion
traditionnelle et
ne connaissant rien de l'islam et de sa pratique, à la seule exception de
ses grandes fêtes qui sont plus pour eux une occasion de ripailles que de
prières et de
recueillement.
2. Arch. CSSP BG XXII 19
p.662
3. Arch. CSSP BG XXII 19 p.662
4.
L.V.
Thomas
: Animisme
et
christianisme.
Réflexions
sur quelques
problèmes
d'évangélisation
en
Afrique
occiden tale.
Pré sen c e
africaine n026 Juin-Juillet 1959
p.7.
5. Arch. OPM G07557
6.
Ibid.
7. Arch.CSSP BG XXII p.662.
450
N'oublions pas en effet que de toutes les ethnies du Sénégal, à
l'exception
des
Diolas
et
d'autres
petits
groupes
ethniques
casamançais, les Sérères étaient seuls, en ville, à être christianisés ;
qu'à l'époque, ces chrétiens étaient particulièrement intéressés par
le phénomène de l'exode rural qui touchait les villes du Nord du
Sénégal où ils se trouvaient particulièrement concentrés.
Si on pouvait à peu près dire la même chose des Diolas et des
Mandjacks, un détail important permet de garder la juste
proportion des choses : ces groupes étaient relativement plus
"fermées" et semblaient accepter moins les mariages avec les
"étrangers"(l).
Les apostasies concernaient donc ainsi, directement ou
indirectement,
le
milieu rural
sérère.
Contrairement à ce qu'on
pourrait
penser,
cette
situatin
n'est
pas
la
conséquence
d'un
manque de foi mais dénote peut-être une certaine ignorance.
Profondément
croyant, religieux même,
le Sérère croit que
Dieu
est
en
même
temps
"maître
du
monde
et
de
toutes
les
religions" et que "si elles n'étaient pas toutes bonnes, il ne les aurait
pas créées"(2).
En résumé : toutes les religions se valent et l'essentiel c'est
d'en avoir une, peu importe laquelle. Dès lors, entrer dans l'une
quelconque de
ces religions
ou
en
sortir pour rejoindre l'autre
devient
un
simple
problème
de
convenance
personnelle
ou
de
milieu.
Aussi, n'était-il pas rare de voir des chrétiens qui, parce qu'ils
avaient changé de milieu ou de village, se reconnaître sans difficulté
dans l'islam. En fait, la foi, ici, tient à peu de chose et c'est
précisément ce qui est curieux.
D'autant que la conviction de l"'égalité" des religions devait,
dans
ces
conditions,
pouvoir
jouer
en
faveur
de
la
religion
traditionnelle
. Or,
il
est certain que cela n'a pas été
le cas.
Pourquoi?
Il
semble
bien que
cette
religion
n'assure
pas
cette
"proximité" de Dieu indispensable à tout croyant"(3).
1. ECHL 098
2. EM 087
3. EM 098
451
Dans l'islam ou le christianisme le culte "vous met en contact
direct avec le Créateur et le sentiment de cette proximité est réel de
même que celui d'avoir bien accompli son devoir religieux après
chaque prière. C'est ce "contenu" indispensable qui fait défaut à la
"religion sérère"(l).
"Vous avez toujours le sentiment d'un vide avec cette religion,
de vous adresser parfois à un vide même au moment le plus intense
de la pratique religieuse"(2).
De plus, cette pratique n'est pas aussi bien harmonieusement
conçue
que
celle
des
religions
révélées
et
la
trop
grande
hiérarchisation des pratiquants, qui
"confie l'essentiel des prières
aux chefs de famille exclut la majorité, ce qui accentue le sentiment
du vide dans la population qui se croit ainsi sans religion dès lors
qu'on
lui
propose
une
"pratique
personnelle"
du
reste
très
compatible avec ses aspirations à l'exercice de la responsabilité
individuelle, dans ce domaine sensible de la religion"(3).
Pour les Sérères donc, toute religion est bonne à suivre en soi,
les différences de pratiques et de dénomination étant le seul fait
des hommes qui ne sauraient engager que leurs auteurs. Après en
effet
la
période
pendant
laquelle
on
peut
penser
qu'ils
se
cherchaient et qui est féconde en opposition contre l'islam(4), ils ont
souvent choisi la religion qui leur paraissait la plus accessible, se
refusant généralement à entrer dans des "débats théologiques" pour
eux inutiles.
1. EM 098
2. EM 072
3. EM 077
4. Contrairement
à ce
que pensent
généralement
les
mIssIOnnaires,
les
Sérères ne se sont plus jamais, dès que l'islam s'est établi dans l'essentiel
des régions du Sénégal, vers la fin du XIXe siècle, opposés "avec violence"
a cette religion. Le problème était plutôt celui de la pratique de l'islam
dont
certains
de
ses
représentants
marabouts
n'étaient
pas
un
modèle
d'honnêteté.
C'est
donc
moins
l'islam
qu'ils
"détestaient"
que
ses
propagateurs "errants et paresseux" qui voulaient profiter de la religion
pour vivre
sur le
dos
des
honnêtes
gens.
On verra que
quand
une
confrérie musulmane prêchant la religion en même temps que le travail
est
apparue,
leur
"résistance"
s'est
très
vite
transformée
en
adhésion
massive. De façon générale, le mouridisme et le tidianisme, en faisant
découvrir aux
Sérères
la religion musulmane, ont fait tomber beaucoup
de tabous.
452
Cette conviction qu'il n'existe qu'un Créateur à toute chose et
en particulier pour les religions fait que le Sérère est très tolérant
en
matière religieuse.
Ainsi,
c'est sans
peine qu'il
accepte de
cohabiter avec une religion autre que la sienne sans que cela nuise
en rien à l'harmonie de la famille ou de la société.
Devant les "offres" d'un musulman, la jeune fille ne rencontre
donc aucun obstacle de la part de ses parents(l) et elle-même est
convaincue de ne faire que du bien en adoptant la religion de son
époux.
Ce phénomène semble à
première
vue
épargner
les
rares
localités comme Joal "où la chrétienté a été bien formée" et où on
observe même un recul du "mahométisme"(2) au début des années
1920. En apparence seulement puisqu'à l'époque, le "recul" supposé
de l'islam n'était dû qu'à des circonstances particulières et très
provisoires.
Si la période de l'entre-deux-guerres n'a pas été
la plus
favorable en fondations, elle fut celle de l'''éveil missionnaire" en
pays sérère qui coïncide, à ses débuts, avec un "heureux reflux" de
l'immigration à Joal(3).
1.
Il
est
cependant
arrivé
des
difficultés
dans
l'application
de
ce
principe.
Bien des
parents chrétiens,
surtout
quand
leur fille
à marier
était née chrétienne, se sont opposés à cette vision du monde, en refusant
de
donner
la
main
de
leur
enfant
à
un
musulman.
Parfois
victorieusement, parfois sans y
arriver la fille
décidant d'elle-même
de
se marier contre la volonté de ses parents ou choisissant, pour ne pas
rompre totalement avec sa famille, de rejoindre le domicile de son oncle
(maternel
ou
paternel)
lui-même
généralement
musulman.
Celui-ci
la
donnait alors en marige se chargeant, dans la majorité des cas et après
que le mariage fut consommé. de rapprocher sa nièce avec son père. Car
il faut noter que c'est le père qui, pour l'essentiel s'opposait au mariage.
C'est
en
effet
lui
qui
subit
le
plus
directement
l'influence
des
missionnaires,
les
femmes,
pour
les
raisons
avancées
plus
haut,
ne
faisant
que
"suivre"
même
si
elles
sont
croyantes
et
pieuses.
La
survivance
d'éléments
de
la
société
traditionnelle
dans
les
comportements
chrétiens
a
ainsi
longtemps
constitué
un
obstacle
à
la
place des femmes dans l'église.
2. Arch. OPM G 7524
3. ECHL 099
453
L'évolution des rapports entre l'islam et le christianisme dans
cette mission est donc en grande partie liée à cette immigration. Le
contexte des années 1920-1930 a également pu avoir une influence
à Joal - mais jusqu'à quel point, il est difficile de le dire - d'où
partaient des missionnaires pour les longues visites du pays.
Mais au même moment, la confrérie des mourides, en pleine
expansion, préparait son déploiement non plus seulement dans le
Baol, mais à travers tout le pays. Comme les autres villages, Joal vit
reprendre
une
immigration
notable
de
travailleurs
qui
venaient
naturellement avec leur religion(l) convertissant, comme ailleurs,
ceux qui, "païens" ou chrétiens, voulaient bien changer de religion.
Ainsi,
on
assista
à
une
certaine
rupture
de
l'évolution
antérieure en faveur de la religion musulmane. Les apostasies
ne
semblent certes pas avoir eu le caractère spectaculaire et massif
qu'elles ont eu dans des localités comme celles du Baol mais il n'en
reste
pas
moins
qu'elles
ont été
très
loin
d'avoir épargné
le
"premier village chrétien" du Sénégal.
Le phénomène était donc général et s'il est difficile, faute de
documents, de l'illustrer par des chiffres, il l'est moins de savoir
qu'il concerne de près ou de loin l'ensemble des villages du pays ; il
est en effet impossible de voir une mission où il ne se soit pas
produit même si dans certaines localités, il avait plutôt un caractère
presque marginal.
Il semble cependant - ce qui donne partiellement raison aux
missionnaires - qu'il fut plus accentué dans les villages dépourvus
de prêtres résidents et rattachés à la "mission la plus proche"(2).
L'éloignement
du
missionnaire
était
donc
cause
de
déchristianisation,
ce
qui
n'étonne
pas.
La
"déception"
des
populations
s'explique,
ici,
par les
"nombreuses
demandes
sans
suite"
adressées aux missionnaires pour "une église et un père
vivant parmi les fidèles"(3).
1. ECHL 099
2. EMCLR 099
3. Arch. OPM G 07524
454
On
perçoit
ainsi
toutes
les
limites
de
l'institution
des
catéchistes que Mgr Barthet avait soulignées dès 1898 : malgré ses
avantages,
la présence du
catéchiste ne
pouvait rien
contre la
montée en puissance de l'islam(I).
Seulement, le prélat aurait dû pousser la logique jusqu'au bout
en
s'attaquant
à
la
conception
de
la
mission
qui
faisait
du
missionnaire
le
seul
vrai
responsable
de
l'évangélisation,
sans
lequel le meilleur des catéchistes est paralysé dans son action.
On peut enfin se demander dans quelle mesure ces mariages-
apostasies étaient favorisés par la position des parents des jeunes
filles.
Il est certainement compréhensible que dans la mesure où
ceux-ci laissaient la liberté à leurs enfants de devenir chrétiennes
alors qu'eux-mêmes ont préféré demeurer "païens", ils pouvaient
tolérer qu'elles changent de religion, l'opposition à l'islam étant une
question
de
temps
et de
lieu
puisqu'elle
n'a jamais
été
plus
importante, au fond, que l'opposition au christianisme ; sinon, il
serait difficile de comprendre que cette religion musulmane ait pu
gagner plus facilement les Sérères.
Dès lors, l'abandon de l'une quelconque de ces religions au
profit de l'autre n'avait rien d'étonnant, et semblait dépendre plus
des circonstances que des individus.
Des parents plutôt "indifférents"
au christianisme(2), même
"hostiles" à l'islam, ne semblent pas particulièrement disposés à
favoriser l'une quelconque de ces religions. Devant le christianisme
et l'intérêt de leur fille, c'est-à-dire son mariage(3), il n'y a pas de
doute que leur choix ne se ferait pas attendre.
1.
Il
faut
en effet
mentionner que le
mouvement
inverse
s'est
aussi
observé
dans
le
changement
de
religion.
Certaines
jeunes
filles
musulmanes. en nombre bien moins important cependant, que celui des
catholiques
se
sont
reconverties
au
christianisme
pour
épouser
des
chrétiens. L'apparence est certes ici trompeuse. beaucoup de Sérères en
fait
·païens·
se
classant
d'eux-mêmes
parmi
les
·musulmans·.
Ceci
renseigne largement sur l'emprise qu'avait déjà l'islam sur les masses et
son importance dans la société.
2. Arch. CSSP BGXX p.251
3. EM 077
455
Et la prépondérance de l'influence des parents en matière de
mariage est restée une donnée constante. Ainsi soumis à la volonté
de parents qui trouvent que "l'intérêt de la femme est d'abord dans
le mariage et ensuite dans la religion"(l), qu'il appartient de toute
façon à l'époux de choisir, le christianisme ne pouvait s'appuyer sur
les jeunes filles pour gagner du terrain.
Aussi les missionnaires, tout en les éduquant, devaient mettre
un accent particulier sur la formation de celles qui étaient déjà
mariées à des chrétiens ou qui allaient l'être à travers notamment
les centres de préparation au mariage qui étaient installés dans les
missions, à leur fondation.
1. EM 077
456
CHAPITRE
III
LES FORMES DE RESISTANCE
1. LA DIFFICULTE D'UN REJET TOTAL DE LA RELIGION
ET DU MODE DE VIE TRADITIONNELS
A.
La
fidélité
aux
ancêtres
une
question
de
sécurité
Comme le dit si bien L. V. Thomas, il est bien difficile,
socialement
à
l'Africain,
"de
s'arracher
aux
coutumes
ancestrales"(l).
"S'arrracher" est en effet plus
approprié que le
terme "choix" proposé par A. Gouilly(2) car dans la conversion, il y a
toujours, chez les Sérères tout au moins, un certain renoncement,
une "trahison" qui n'est jamais absolument bien vécue.
Mais qui trahit-on ? La société à première vue mais là, le
problème se pose moins puisque celle-ci sait forger la réponse
adaptée
tout
manquement
à
la
solidarité
du
groupe
exclut
l'intéressé de celui-ci, ce qui ne pouvait avoir pour conséquence
qu'un attachement continu, même après la conversion, aux valeurs
qui fondent cette solidarité, y compris celles qui
sont souvent
condamnées par le christianisme.
Ainsi, le converti, parce qu'il
reste attaché, presque toujours, à certaines de ses coutumes, "trahit"
plus sûrement la religion chrétienne du moins telle qu'elle lui a été
enseignée.
Comment en effet "essayer la religion de l'homme blanc sans
pour
autant
aller
jusqu'à
renoncer
à
la
religion
de
(ses)
ancêtres"?(3). Ici, subsiste la difficulté de s'adapter totalement à la
religion nouvelle, dans une société traditionnelle qui résiste
au
changement.
I.
Animisme
et
christianisme.
Réflextions
sur
quelques
problèmes
d'évangélisation
en
Afrique
Occidentale.
Présence
Africaine,
n026
Juin-Juillet 1959
p. 7.
2.
L'Islam
dans
l'Afrique
occidentale
française.
Paris,
Larose,
1952
p.27l.
3.
W.
Bascom
: La culture Africaine et le missionnaire.
Images
de
Toumliline. Mars, 1963
p.lO.
457
Aussi, les Sérères se gardèrent-ils de se convertir ou, après
l'avoir
fait,
tentaient-ils
en
même
temps
d'échapper
aux
conséquences éventuelles de leur nouvel engagement.
On en vient dans ce dernier cas au constat de W. Bascom, bien
traduit par L.V. Thomas : "Bien des martyrs inconnus ont existé en
Afrique noire et la menace du poison n'a pas disparu de nos jours.
De plus, les nouveaux chrétiens ne se séparent pas aisément de leur
passé
et
beaucoup
clandestinement,
retournent
à
leurs
autels
coutumiers,
littéralement fascinés
par
le
prestige du
prêtre
ou
l'ambiance des grandes cérémonies traditionnelles. Malgré eux, ils
continuent d'adhérer à leurs anciennes croyances. Il n'est pas rare
de trouver dans les cases chrétiennes des fétiches protecteurs ou de
voir des jeunes mariés sacrifier au génie de la fécondité.. Parfois
même
des
individus
suivent l'ancienne
et la
nouvelle
religion
espérant ainsi se concilier le Dieu de leurs ancêtres et le Dieu des
blancs,
attitude
pragmatique
sans
doute,
mais
qui
manque
de
spirituali té" (1).
A
cette
attitude
pourtant,
il
semble
bien
que
l'Africain
s'accroche moins par pragmatisme religieux que pour faire face au
poids écrasant de la société.
Les obstacles intellectuels à la christianisation, l'état social
sont tels que "seul, un chrétien sans famille pourrait échapper aux
coutumes fétichistes : par exemple, malade, il se ferait soigner au
dispensaire. Mais il devra agir autrement si le malade est sa mère
ou sa soeur ou sa femme ; ces êtres ne lui appartiennent pas
exclusivement...Si
le groupe contient des païens, ceux-ci
feront
pression
sur lui pour qu'il consulte le féticheur"(2).
L.V. Thomas lui-même le reconnaît par ailleurs : "Sur le plan
pratique, le catholicisme suscite plus d'un problème délicat. Par
exemple, la coutume indigène exige qu'un homme, pour se marier,
soit initié.
Or refuser de participer
à
ce rite
de passage
est
interprété comme une lâcheté d'une part et comme un manquement
grave à la solidarité du groupe de l'autre.
1. L.V. Thomas : Animisme et christianisme...p.8
2. J. Wilbois : L'action sociale en pays de missions. Paris. Payot. 1938
p.69.
458
Et pourtant, le missionnaire interdit fréquemment sous peine
de refus des sacrements, toute présence - et à plus forte raison
toute participation - de chrétiens aux cérémonies animistes "(1). Un
interdit
difficile
-
voire
impossible
-
à
respecter(2)
dans
un
environnement
social
entièrement
versé
dans
les
pratiques
traditionnelles.
Le poids de la société peut se manifester aussi par la menace
qui pèse sur l'individu seul face au groupe. Nous avons en effet
examiné l'importance du groupe, qui a une conséquence majeure : le
danger de la solitude.
Il est très difficile,
socialement, de
se sentir isolé de la
communauté. Dans un pays où l'homme seul est réputé impuissant,
la communauté devient un refuge d'autant plus indispensable que
les forces occultes du mal ne manquent pas et sont censés pouvoir
être neutralisées par elle.
Cet aspect du problème est important et permet de mieux
comprendre, par ailleurs, pourquoi les chrétiens continuent de vivre
leur "animisme". Le rejeter totalement équivaudrait à prendre des
risques,
en
s'exposant
tout
à
la
fois
à
la
colère des
"génies
protecteurs" et à la méchanceté de ceux du mal qui seraient ainsi
plus libres d'accomplir leur pouvoir de nuisance.
Ainsi
dépourvu
de
la
double
protection
des
Pan g 0 ls
bienfaiteurs et du groupe, le Sérère converti est dans l'insécurité
totale et à la merci des accidents et du malheur.
Dès
lors,
on
comprend
que
tout
évènement
malheureux
survenu dans sa vie soit relié à sa conversion(3). Il expose donc
ainsi inutilement sa santé voire sa vie ou celle des
siens aux
nombreux risques de la nature rendant facilement explicables toute
survenance d'un évènement malheureux dans celles-ci.
1.
Animisme
et
christianisme... p. 5
2. J. Wilbois
L'action sociale en pays de Missions. Op.cit.
p.70
3. EM 089
459
On
voit
qu'il
était difficile
au
Sérère éduqué
depuis
sa
naissance
dans
un
environnement
si particulier,
de
préférer
la
"protection" forgée par la nouvelle religion moins "matérielle" à
celle visible et concrète de sa société : dans les missions, en effet, les
missionnaires donnaient des
médailles
"protectrices"
frappées
de
l'effigie
des
saints
et
qui
étaient
censées
remplacer
pl us
efficacement, aux yeux des néo-chrétiens, les fétiches, du moins
selon une vision populaire bien répandue(l).
C'était là, pensait-on au niveau de la mission, un bon moyen
de
détourner
les
nouveaux
convertis
du
"fétichisme",
jugé
particulièrement incompatible avec le christianisme. C'était aussi la
preuve que cette pratique, partout présente, était un des obstacles
les plus sérieux à la christianisation.
Mais le résultat de cette trouvaille mIssIOnnaire fut des plus
incertains. Au lieu d'éliminer une mauvaise pratique, ce procédé ne
fit que la renforcer.
Convaincus plus que jamais de la nécessité de cette protection
que les évangélisateurs ne combattaient plus que dans sa forme, la
légitimant
alors
inconsciemment,
les
chrétiens
en
demandaient
toujours et puisque deux ou plusieurs
valent mieux qu'une, ils
trouvaient
facilement
que
la
médaille
ne
dispensait
pas
du
fétiche(2).
Aussi, si on aimait souvent la mettre en relief sur la poitrine
pour
marquer
fièrement
son
appartenance
au
christianisme,
on
cachait, en même temps sous les vêtements, un nombre parfois
impressionnant de gris-gris.
C'est alors qu'une rumeur sans doute largement inspirée et
encouragée
par
les
prêtres
se
répandit,
rumeur
selon
laquelle
les"pouvoirs" du prêtre annihilent l'efficacité des gris-gris qui, dès
l'entrée
de
celui
qui
les
porte
dans
l'église,
devenaient
immédiatement dénués de toute efficacité(3).
1. ECHL 033
2. ECHL 105
3. ECHL 054
460
Mais en même temps, cela n'encourageait-il pas, hors de cette
enceinte,
c'est-à-dire
partout
ailleurs,
le
port
de
"ces
choses
sataniques", comme les appelait le père Guhmann ? En luttant ainsi
contre
les
fétiches
et autres
gris-gris
, les
missionnaires
leur
reconnaissaient implicitement ce pouvoir bénéfique ou maléfique
qui fondait
leur puissance. Ils semblaient donc dire aux "indigènes"
qu'ils
existent
et
demeurent
efficaces,
ce
qu'aurait
évité
une
attitude plus nuancée et réaliste.
On
comprend
que
l'efficacité
même
des
"médailles
de
remplacement" devenait ainsi douteuse pour certains Sérères qui
n'avaient aucune raison de croire que celle de leurs "fétiches" était
moindre.
D'autant
que
pour
être
efficace,
l"'instrument
de
protection", doit être moins simple et si possible, nécessiter un
rituel avant tout usage.
On revient encore ici au coeur de la pratique religieuse sérère,
essentiellement
extérieure
comme
d'ailleurs
tous
les
actes
importants de la vie.
On comprend ainsi mieux, par le "fétichisme" les difficultés
éprouvées par les missionnaires pour convertir les gardiens de cette
tradition et tous ceux qui y étaient attachés. Se convertir pour eux,
équivalait tout à la fois
à renier la tradition protectrice et à
cautionner la fin de tout un monde de sécurité dont ils ont mission
d'assurer
non
plus
seulement
la
permanence
mais
encore
l'inviolabilité.
Tous les "anciens" ont en effet le sentiment d'un devoir de
fidélité à l'héritage qui leur est transmis par leurs pères et oncles et
qui "est inscrit comme l'airain dans la mémoire merveilleusement
fidèle des prêtres, des devins, des griots, des féticheurs"(l).
Les prêtres de la religion traditionnelle, les griots et même les
devins et les féticheurs devaient rester fidèles à leurs ascendants
disparus et avaient la conviction que la société leur était confiée.
D'où la nécessité de rejeter les influences extérieures qui pouvaient
la menacer dans ses fondements.
1. G. Hardy
Le problème religieux dans l'empire français. Paris. PUF.
1940 pp.65.
461
Cet héritage reçu naturellement impliquait des
obligations,
notamment sa retransmission intacte aux générations futures sous
peine d'avoir à rendre des comptes aux dépositaires naturels que
sont les ancêtres.
De là, la volonté de maintenir la religion traditionnelle et de
conjurer la menace qui pesait sur ceux qui, trop isolés, voudraient
s'en défaire.
Ils étaient ainsi aux prises avec plusieurs risques : à côté du
risque de mécontenter les ancêtres, il y avait tout d'abord celui de
se mettre à dos les prêtres, c'est-à-dire les intercesseurs entre les
hommes et les divinités ; risque ensuite d'être dans la ligne de mire
des devins
toujours
redoutables puisqu'ils
sont
aussi
bons
que
méchants ; risque afin d'être victimes des féticheurs auxquels on
attribue le même pouvoir de nuisance.
Dans
ces
conditions,
les
résistances
au
christianisme
deviennent même normales, d'autant que la société si exigeante
répand partout un profond sentiment religieux, dont la permanence
se nourrit du thème essentiel de ce que H. Gravrand appelle la
"condition humaine"(l) et qui reste la base de toute la pensée
religieuse.
La religion sérère est en fait plus qu'une religion, un mode de
vie, une "façon d'être"(2) dont on ne peut se soustraire sans cesser
d'exister.
On se demande ainsi s'il est possible au Sérère de "renaître"
par le baptême, dans sa propre société, où la présence quotidienne
des "Ancêtres" rappelle sans cesse qu'ils sont si proches et veillent,
tel
le
berger
sur
son
troupeau,
sur
leur
descendance
qu'ils
voudraient dans le siècle c'est-à-dire, résolument tournée vers eux.
1.
H.
Gravrand
: Le symbolisme serer. Psychologie
Africaine.
Vol.
IX. n~. 1973 p.239.
2. ECHL 021
462
B.
Le
refus
de
l'assimilation
La collusion supposée (par certains auteurs) entre la mISSIOn
et l'administration coloniale pose le problème de l'''assimilation'' des
Noirs et ces auteurs estiment que celle-ci figurait aussi bien dans
les
préoccupations
des
missionnaires
que
dans
celles
des
adminis trateurs.
Le nationalisme des uns et des autres jouerait ainsi un rôle
important dans
l'établissement
des
missions
en
Afrique(l).
La
mission serait donc la poursuite de la politique par d'autres moyens,
dans laquelle le missionnaire laisse parfois jusqu'à son âme.
Les missionnaires étaient souvent "envoyés dans les colonies à
la suite d'un accord avec leur gouvernement auquel ils étaient liés
par une convention qui les rendait membres du clergé colonial et
fonctionnaires de l'Etat".
Ainsi, il n'y a rien d'étonnant que chez certains d'entre eux, les
intérêts du pays passaient parfois avant ceux de l'Eglise et. ..leur
patriotisme l'emportait sur leur ardeur religieuse(2).
L'auteur de ces lignes précise cependant sa pensée en ajoutant
que cela se passait "à l'époque des fondations" où les missionnaires
qui
arrivent
en
Afrique
sont
solidement
imbus
de
préjugés
culturels(3 ).
Cette
thèse
est
largement
représentative
de
celles,
nombreuses,
qui
accablent
les
missionnaires,
leur
reprochant
d'avoir voulu en fait "européaniser" l'Afrique.
1. L.
Laverdière
L'Africain et le missionnaire... p.53
2.
Ibid.
3.
L.
Laverdière : L'image du miSSIOnnaire dans la littérature africaine
d'expression française. Thèse de Doctorat de 3e cycle de Sociologie. Paris
V, 1979,
p.165. (C'est en fait cette thèse qui est publiée sous le titre ;
L'Africain et le missionnaire... )
463
Pourtant, il serait lDJuste de passer sous silence la pOSitIOn de
l'Eglise sur ce point car depuis
longtemps, elle
avait pris
ses
précautions
pour
éviter
le
zèle
politique
de
ses
agents
missionnaires. Et les papes sous lesquels s'est effectuée la mission
au Sénégal l'ont suffisament rappelé.
En 1919, Benoît XV dans l'encyclique Maximum Illud et Pie
XI sept ans plus tard, dans Rerum
Ecclesiae
et la lettre Ab ipsis
pontificatus primordiis
"ont marqué avec force la nécessité de
maintenir le caractère supranational des missions"(I).
Concrètement, la papauté voulut éviter que les missionnaires
n'aiment
"leur
propre
institut
au
détriment
de
la
hiérarchie
indigène"(2)
où
leur
patrie
"au
détriment
des
nécessités
de
l'apostolat"(3). Et un examen de leur situation sur le terrain aide
amplement à mieux comprendre leur attitude qui n'a pas toujours
été
"pro-gouvernementale".
L'installation de la mission
au Sénégal s'est certes parfois
accompagnée
d'une
certaine
collusion
entre
celle-ci
et
l'Administration.
Mais n'oublions pas que certains prêtres se sont brouillés avec
les
gouverneurs
précisément
pour
éviter
de
servir
ou
même
cautionner une politique qu'ils estimaient ne pas entrer dans le
cadre
de
leur
mission
et
qu'ils
condamnaient
d'ailleurs
très
fermement( 4).
1. E. Duthoit : Comment se pose le problème social aux colonies et à
quelle
lumière
faut-il
l'étudier.
In
Semaines
sociales
de
France,
XXIle session, 1930. Impr. Express. Lyon Sd. p.78.
2. P.
Brasseur: L'Eglise catholique et la décolonisation en
Afrique.
In
Les chemins de la décolonisation. Op. cil.
p.60.
3. Ibid.
p.60.
4. P. Brasseur : "Missions catholiques et administration française sur la
côte d'Afrique de 1815 à 1870". Revue
française
d'histoire
d'Outre-
mer. T. L XII (1975) n"228
pAlS
sq.
464
Toujours à ces "débuts" de l'entreprise mIssIOnnaire, le rôle de
Benoît
Truffet
dans
la
dissociation
de
l'action
temporelle
de
l'Administration
de
la
mission
spirituelle
de
l'église
dans
les
colonies, est jugé à la fois visionnaire et remarquable pour la
période( 1), les attitudes ultérieures de l'Eglise dans ce domaine
démontrant tel qu'on l'a vu,(2) qu'il y a toujours eu, en la matière,
une parfaite continuité.
Si par la suite la bonne existence fut rétablie, elle n'a jamais
mené les missionnaires à un rôle d'agents de l'administration(3).
Les prélats semblent avoir plutôt exploité cette situation au profit
non pas d'un pays fût-il le leur, mais de l'Eglise(4).
Même si au passage l'Etat français y trouvait son compte. Mais
quel Etat ne chercherait-il pas à tirer profit des activités de ses
nationaux ? Il est vrai que dans le domaine social, une collaboration
s'était installée, comme le mentionne E. Duthoit, qui s'empresse
cepedant de remettre les choses à leur juste place : "sans être au
service de la puissance qui colonise, l'action missionnaire trouve
dans
l'action
sociale
un
moyen
efficace
et
nécessaire
de
collaboration (avec le pouvoir colonial) au service de l'indigène"(5).
Critiquer
une
telle
collaboration
reviendrait
à
condamner
l'action
d'éducation
des
frères
de
l'Instruction
chrétienne
par
exemple, ce qui n'est sans doute pas l'intention des plus anti-
missionnaires.
D'autant qu'il est maintenant clair que cette collaboration n'a
pas
été
sans
heurts,
du
fait
évident
que
missionnaires
et
colonisateurs
n'ont
pas
toujours
réussi
à
s'accorder
sur
une
conception claire de l'éducation et de la place des uns et des autres
dans les colonies.
1.
P.
Brasseur
-
A
la
recherche
d'un
absolu
missionnaire
Mgr
Troffet.... In Libermann. Op. cit. p. 457 sq
2. Supra. p.86
3. P. Brasseur-
Missions
catholiques
et
administration
française ...
pAl5 sq.
4.
Ibid.
5. E. Duthoit- Comment se pose le problème social... p.78
465
Le mauvais procès fait aux mIssIOnnaires se nourrit aussi de
leur regard très critique sur les Européens de la colonie qu'ils
estimaient être un frein à l'évangélisation par leur matérialisme et
leurs
moeurs
dépravées,
conséquence
de
leur
trop
grand
attachement
aux
"choses
de
ce
monde"(l)
qui,
parce
qu'elles
n'étaient pas de la préoccupation de la mission, ne pouvaient par
ailleurs
que
l'amener à être
prudente dans
ses
relations
avec
l'Administration
dont
la
raison
d'être
est
précisément
de
s'en
occuper.
Quant aux gouverneurs et autres administrateurs, le seul fait
que les missionnaires ne cessaient de se plaindre du fait qu'ils
n'avaient
"aucun
égard
à
leur
qualité
de
catholiques
et
de
français"(2), avant comme bien après les difficultés de la laïcisation
démontre que l'enttente ne fut pas toujours cordiale.
Le refus de l'assimilation ici, ne procède donc pas d'une
opposition à
une civilisation étrangère imposée
par le pouvoir
politique et ses "agents" missionnaires.
Il est tout simplement le résultat de la démarche contestable
des missionnaires qui ont pensé que la foi chrétienne ne pouvait
être
implantée
durablement
en
pays
de
mission
qu'avec
le
changement des habitudes locales, c'est-à-dire la perte d'identité
quasi complète des évangélisés.
Il est évident qu'on est là devant une conception discutable de
la "mission civilisatrice", qui a cependant l'avantage de prouver,
encore une fois,
la différence d'objectifs et surtout d'approches
entre la mission et l'Administration. Car celle-ci ne s'est jamais
préoccupée en fait de "civiliser" les Africains, elle voyait d'ailleurs,
très probablement, qu'il y avait un danger à le faire.
Ce qui était tout le contraire de la mISSIon qui estimait plutôt,
que la "civilisation" était la seule voie de son succès. Et c'est là sans
doute la source de son erreur.
1. Arch. CSSP BG XXII pp.661-662 Arch. OMP G 07524 ; G. 07491
2. Ibid.
466
En voulant "civiliser", elle développait la résistance de ceux
qu'elle voulait convertir. "L'orgueil étant humain, les Sérères ne
pouvaient écouter ceux qui venaient leur dire que tout ce qu'ont été
vos
ancêtres et tout ce qu'ils
ont fait est
abominable
; vous
connaîtrez le salut si vous les reniez"(l).
Du
coup,
la
conversion
devient
pour
eux
synonyme
d'assimilation alors qu'on eut "mieux fait d'appeler à la religion, tout
simplement, au lieu d'inviter au reniement et au suicide"(2).
Le missionnaire en effet,
ne s'était pas
persuadé que
"le
féticheur prosterné devant un boékin (3) est humainement
aussi
responsable s'il est sincère que le prêtre chrétien à genoux au pied
du crucifix"(4).
Ainsi,
il
n'a pas
réussi
à
comprendre
certaines
pratiques
sérères
qu'il
pouvait
pourtant
parfaitement
exploiter
dans
son
action d'évangélisation.
En effet, quand on sait que les moyens d'exprimer la réalité
sérère, d'entrer en relation avec les Pangols
"sont le plus souvent le
"rythme et la danse"(5) indissociables de la vie, on perçoit qu'il était
absurde de décréter qu'elle et le tam-tam étaient des inventions de
Satan.
Et jusqu'à la fin de notre période, on n'a pas vu une seule
lueur d'espoir annoncer la levée d'une telle interdiction.
La même interrogation vient à l'esprit à propos du repos
dominical dont on a largement pu mesurer le degré de nuisance à
l'éfficacité de l'action missionnaire.
1. EM 077
2.Ibid.
3. Fétiche en langue diola
4. L.V. Thomas : Animisme et christianisme... Op. cil. p.20
S. H. Gravrand : La civilisation Sérer. Pangool. Op. cil. p,46.
467
En voulant imposer coûte que coûte ce qui s'identifie pour le
Sérère plus à un fait de civilisation qu'à une exigence religieuse, les
missionnaires
faisaient
ainsi,
inconsciemment,
le
jeu
de
ces
Européens
"dépourvus
de
tout
principe
religieux"
et
dont
la
"conduite est un bien triste exemple pour les indigènes"(1) : ces
Européens peu exemplaires ne travaillaient pas le dimanche mais
n'étaient pas non plus les plus assidus à la messe.
Dès lors, comment comprendre qu'il fallût surseoir à une
journée précieuse de culture pour y aller et surtout, le changement
d'habitudes que supposait une telle vision du monde ?
Les Sérères n'ont pas, non plus, compris que ce qui est apparu
comme "un principe religieux" soit si bien partagé y compris par
ceux-là mêmes qui n'en ont aucun. Les Blancs ne faisant "rien de ce
qu'ils leur enseignent" ils ne voient pas pourquuoi ils seraient eux-
mêmes
obligés de
le faire(l)
s'interrogeaint-ils alors
au
grand
regret des missionnaires.
Il est sans doute certain que l'explication eût été mieux reçue
si elle avait été plus simple : le dimanche est consacré à la messe et
tous les chrétiens doivent s'y rendre. Bien sûr, cela comporte le
risque de voir aller aux champs les nouveaux convertis.
Mais qu'est-ce que cela peut faire aux mISSIOnnaires si c'est
après l'accomplissement du devoir religieux ? En voulant ainsi se
montrer trop dogmatique, la mission s'est aliénée la grande majorité
des adultes et une bonne partie de la jeunesse attentiste qui, si elle
se décidait à se convertir, y était cependant souvent poussée par un
certain besoin d'être "assimilé", perceptible à travers cette "volonté
d'échapper à l'influence des vieux"(3).
Mais celle-ci demeurait puissante, et cette tendance n'a freiné
en rien le mouvement inverse.
1. Arch. OPM G 07524 ; 07579
2. Arch. OPM
G 07524
3. L.V. Thomas : Animisme et christianisme... Op. cit.
p.7.
468
C.
Les
raisons
d'ordre
personnel
Comment chercher et trouver des raisons d'ordre personnel
dans l'accueil ou le refus du christianisme ? Si ceux qui ont "rejeté"
le christianisme pour des raisons strictement personnelles - souvent
liées d'ailleurs aux autres causes de rejet déjà mentionnées - de
même que ceux qui y ont totalement adhéré ou encore ceux qui,
bien que devenus chrétiens n'en sont pas moins restés attachés aux
pratiques de la religion traditionnelle sont légion, il est absolument
difficile de leur arracher un mot sur les raisons profondes de leur
"choix".
Du côté des mIssIOnnaires, il n'y a non plus aucune source
totalement crédible, les productions en la matière partant souvent
d'un parti pris de principe bien connu : la condamnation de certains
comportements indigènes contraires au
christianisme,
surtout les
comportements
collectifs
ne
pouvait
que
rendre
difficile
la
recherche des causes profondes de la conversion.
Parce
qu'elle
laisse
fatalement
de
côté
ceux
des
comportements et des valeurs qui auraient dû pourtant constituer
la base de toute connaissance des évangélisés, une telle démarche
néglige les comportements les moins visibles qui nourrissent en fait
la face cachée de la société, la plus intéressante sans doute, qu'il
fallait connaître pour pénétrer l'âme "indigène"(l).
Le
missionnaire
ne
s'est
intéressé
en
fait
qu'à
ses
manifestations
extérieures.
une autre difficulté vient de ce que l'emprise de la société et
l'importance du groupe dans la vie des hommes dont il a déjà été
question dans nos développements rendent difficile l'expression des
convenances personnelles, par ailleurs largement découragées par
une vision du monde qui a tendance à tranférer les initiatives de ce
sommet à la base.
1.
L.
Laverdière.
L'image
du
missionnaire
dans
la
littérature
africaine...
p.276.
469
Bien que responsabilisés
socialement dès leur sortie de la
période initiatique, les jeunes et les adultes n'ont pas le dernier mot
face aux plus vieux et doivent s'incliner devant leurs décisions.
L'unanimisme ainsi créé autour des anciens bloque l'expresion du
sentiment
personnel(l).
La dernière difficulté, enfin, tient à l'impossibilité de partir du
groupe pour pénétrer le sentiment individuel. L'extériorisation des
croyances n'est pas, en effet, une garantie contre l'hypocrisie. Celle-
ci
semble
d'ailleurs,
au
contraire,
trouver
un
terrain
particulièrement fertile avec elle.
En
cherchant,
on
trouve
pourtant que
la résistance
à
la
christianisation
était,
en
partie,
bien
alimentée
par
des
"convenances personnelles" curieusement assez répandues.
Il est ainsi un fait que la condamnation systématique de la
religion traditionnelle non seulement n'a pas encouragé les prêtres
de
cette
religion
à
aller
vers
le
christianisme,
mais
a
même
découragé
leurs
enfants
à
fréquenter
les
missionnaires
jugés
hostiles et intolérants(2).
Il est vrai qu'il
fallait
ne pas craindre d'être déçu
pour
attendre de ce comportement meilleur résultat : "le rejet appelle le
rejet"(3) disent les Sérères qui auraient bien pu se convertir si on
leur "présentait les choses autrement"(4).
Plus curieuse est cependant l'attitude de ceux qui refusent
d'être chrétiens parce que leur voisin avec lequel ils ne s'entendent
pas l'est. Quant il était catéchiste, cette situation pouvait à la limite
se
comprendre
d'autant
que
pour
certains,
le
christianisme,
à
l'absence du prêtre, était "celui du catéchiste"(5).
1. Le problème ne se pose évidemmet pas pour les femmes soumises à
l'autorité
de
leurs maris.
Aussi,
s'il
est vrai
qu'on observe
la même
"hiérarchisation"
dans
les
relations
interpersonnelles
de
cette
catégorie
sociale, la seule vraie autorité est détenue par les hommes.
2. EM 039.
3. EM 040.
4. EM 039.
S. EM 072.
470
"Faire le contraire de ce que fait votre ennemi était alors un
moyen de s'affirmer contre lui et il est arrivé plusieurs fois que l'on
insulte chrétiens et christianisme rien que pour faire mal à une
seule personne, qu'on voulait ainsi atteindre"(l).
Cette
cause
de
résistance
nous
semble
assez
mineure,
contrairement à celle qui tient à la difficulté de la catéchèse. Bien
des
formes
de
résistance
proviennent
comme
on
le
sait
de
"l'impossibilité
pour
un
adulte
d'aller
étaler
son
ignorance
à
l'école"(2).
Ce
que
les
missionnaires
ont
rendu
par
cette
formule
évidemment peu satisfaisante : "on (les anciens) veut bien être
chrétien, mais on n'a pas le temps d'apprendre la religion"(3).
Le fait de soumettre les adultes à la catéchèse a découragé
plus d'un. Longtemps après l'initiation, le Sérère, en cessant d'être
jeune, perd le courage de s'instruire d'autant que l'école est jugée
peu valorisante et pire, elle "abaisse la personnalité pour un père de
famille"( 4).
Dans une société qui consacre la puissance du seul groupe
composé par les adultes et les anciens, qui sont en principe le
recours en tout, y compris dans le domaine du savoir, on saisit bien
les raisons d'une telle hostilité.
La religion chrétienne n'était donc pas forcément rejetée en
elle-même,
mais
la
voie
y
menant
fut
jugée
hermétique
et
impraticable par le plus grand nombre, bien que les missionnaires
fûssent généralement bien vus des populations.
On comprend dès lors que
sollicités par les
habitants du
Diéghem pour une protection contre les pillards venant du Baol, les
missionnaires de Ngasobil apprirent ainsi à leurs dépens qu'ils ne
pouvaient, bien qu'ils eussent besoin de leur protection, convertir
les Sérères qui n'avaient aucune envie d'aller à leurs écoles de
catéchisme.
1. ECHL 015
2. EM 087
3. Arch. CSSP BG XXII p.662
4. EM 089
471
A l'évidence, ils n'avaient besoin que de leur influence et
peut-être de leurs "pouvoirs surnaturels". En plus de son méprris
du danger et de son efficacité contre les
gris-gris en effet, le
missionnaire
du
pays
sérère
est
crédité
de
tous
les
pouvoirs
occultes.
Mais fort heureusement il s'agit toujours de pouvoirs orientés
vers le bien et contre le mal. Le missionnaire est ainsi la terreur des
"mangeurs d'âmes", qui se tiennent tranquilles là où il passe ; il
déjoue les mauvais sorts lancés contre les innocents et certaines des
"prières" qu'il enseigne font fuir les démons.
Même contre les Pangols
qui vous possèdent, il a un remède
infaillible : la conversion( 1). Beaucoup de personnes qui étaient
comme
folles
puisque
"possédées
par de
mauvais
esprits"
ont
effectivement retrouvé pleinement la santé après leur conversion
au christianisme...
Les mauvais Pangols
ont peur du christianisme et de ses
symboles(2)
entendait-on
alors
partout
dans
le
village
des
intéressés. Ce pouvoir surnaturel que l'on prête au missionnaire a
sans doute pesé de son poids dans l'évangélisation.
Dans une localité comme Ndiaganiao, ce qui est longtemps
apparu comme l'évidence a une
histoire : le "subordonné" des
missionnaires de Ngasobil, le catéchiste Ndéné Sarr eut, en 1927,
de
sérieuses difficultés avec un chef local, qui le somma de quitter le
terrain sur lequel il
s'était installé, motif pris de ce qu'il lui
appartenait.
Devant la résistance du catéchiste, le "propriétaire" du terrain
brandit la menace d'user de tous ses pouvoirs pour déguerpir le
récalcitrant qui se trouva bientôt menacé de mort surnaturelle.
1. ECHL 099
2. ECHL 015
472
Mais ce fut la propre fille du chef qui mourut quelque temps
après, ce qui amena son père à de meilleurs sentiments envers les
missionnaires et leur auxiliaire( 1).
Dans ces conditions, le bon Labé (2)
avait
des
procédés
redoutables, dont il fallait se méfier.
Mais en même temps, il
incarnait la puissance et la justice. Il n'était donc pas inutile de
l'approcher ne serait-ce que pour bénéficier de sa protection.
Il n'est donc pas douteux que certains, ayant vu dans la
mission une source de sécurité face à l'arbitraire ont accepté de se
convertir.
D'autres,
naturellement,
n'ont pas jugé équitables
les
termes de l'échange.
1. Arch. CSSP 262 A III. Cet évènement rapporté par les missIOnnaires
fut suivi d'autres, racontés par les évangélisés eux-mêmes. L'histoire de
l'évangélisation de
Ndiaganiao est ainsi
émaillée de ce genre de
récits
devenus
populaires
et
qui
démontrent
tous
que
l'on
prêtait
aux
missionnaires
beaucoup
de
puissance
et
de
pouvoirs,
spirituels
comme
temporels,
occultes surtout.
Et les
prêtres
ne se firent
pas prier pour
exploiter celle
situation.
2.
Mot désignant
le prêtre. Labé veut
bien entendu dire
abbé
et est
prononcé quand on s'adresse aux prêtres en général. Mais les Sérères qui
n'appellent
ceux-ci
que
par
"Mon
père"
pensent
que
ce
serait
irrespectueux de les désigner par un nom si "impersonnel" et si distant.
473
Il.
LA QUESTION DU MARIAGE
A.
Réalités
sérères
et
mariage
chrétien
L'Eglise catholique "fait du mariage un acte religieux,
un
engagement à vie voulu par Dieu, alors que pour l'animiste, il s'agit
d'un
acte
temporel,
d'un
simple
contrat
dont
la
durée
est
évidemment fonction de la bonne volonté des époux"(l). Ou plus
sûrement des rapports
entre les
familles
qu'il concerne car, le
mariage traditionnel est aussi une certaine quête patiente "à travers
l'affermissement
d'alliances
familiales
et
tribales
au
sein
desquelles"
les
mariés
eux-mêmes
ne
sont
"qu'un
modeste
maillon"(2).
Les deux conceptions du mariage s'inspirent toutes comme on
le voit de la famille, mais ne donnent pas forcément à ce mot le
même sens.
Le mariage sérère qui part de la famille et a pour finalité cette
même
famille,
se
doit
de
pouvoir
non
seulement
assurer
la
permanence de celle-ci, mais aussi sa puissance.
La
conséquence,
c'est
qu'il
est
difficile
d'y
échapper(3)
puisque, plus qu'une situation juridique, c'est un "service de la vie
auquel chaque homme est naturellement appelé"(4).
1.
F.J.
Amon
D'aby
: "Attitude de
l'animisme face
à l'islam
et au
christianisme".
In
Notes
et
études
sur
l'islam
en
Afrique
noire.
Recherche
et
Documents
du
CHEAM, l, 1962 p.lli.
2. M. Legrain : Appel évangélique au sein des mariages africains. Les
Quatre
fleuves. Cahiers
de
recherches
et
de
réflexions
reH gieuses. N°lO, 1979
p.82.
3.
L.V.
Thomas & R.
Luneau : Les religions d'Afrique noire. Op. cil.
p.43.
4.
Ibid.
474
Se marier, c'est aussi "assurer à son propre groupe familial de
meilleures conditions d'existence. Non pas seulement parce que les
enfants à naître en accroîtront la renommée et par là la puissance,
mais parce que le mariage, fondant une alliance entre deux clans,
deux lignages jusqu'à présent étrangers.. .les associe dans un réseau
étroit d'intérêts et de solidarités. Chaque famille devient alors par la
force
des
alliés ... un
groupe
socialement
valorisé
et
mataphysiquement
vitalisé"(l).
Le mariage obéit ainsi à des préoccupations temporelles et
religieuses. Il est une obligation et autant sinon plus que la famille,
la société y veille particulièrement. Ne pas se marier, c'est refuser
de remplir l'une des obligations les plus importantes de la vie.
Pour l'homme, c'est renier sa qualité d'homme et une telle
situation
est
sévèrement
sanctionnée
:
le
non-marié
ne
jouit
d'aucune considération.
Après l'initiation, l'homme n'est toujours pas complet, il est
encore à moitié adulte. Il est homme seulement avec le mariage(2).
Quel que soit par ailleurs son âge, l'homme marié est considéré et
respecté. Ce qui s'explique par le fait que le mariage permet à la
société de se renouveler harmonieusement, c'est-à-dire d'assumer,
comme c'est le cas pour la famille, sa permanence et sa sécurité à
travers celles de ses institutions.
En effet "dans les sociétés africaines où la famille au sens
strict n'est qu'une partie de la famille globale... le mariage... est le
moyen nécessaire pour perpétuer la lignée"(3).
Ce qui fonde l'intervention des chefs de famille, responsables
jusqu'au choix des femmes de leurs enfants,
étant entendu que
ceux-ci
"ratifieront
(la)
décision
par
une
acceptation
pure
et
simple"(4).
1. L. V. Thomas & R.
Luneau
:Les religions d'Afrique noire...
Op. cil.
pp.43-44.
2. EM 047
3.
M.
A.
du
Sacré-Coeur
la condition
humaine en
Afrique
Noire.
Paris, Grasset, 1953, p.65
4.
Ibid.
475
Ce procédé n'a pas toujours été uniformément SUIVI mais le
seul fait qu'il ait existé démontre le sérieux avec lequel la question
du mariage est traitée.
Plus généralement en effet, les autorités familiales pouvaient
proposer à l'approbation des jeunes
leurs futurs
conjoints
mais
souvent, c'était l'inverse qui se produisait. Etant entendu que le
mariage n'était possible qu'après l'accord des parents intéressés(l).
A
la
famille
large
sérère,
la
mission
oppose
la
famille
"nucléaire" et l'Eglise à la société traditionnelle. Sans qu'on puisse
vraiment aller plus loin. Ni même que l'on comprenne pourquoi le
mariage chrétien seul était considéré par les missionnaires comme
"légitime" le mariage traditionnel ou coutumier et de façon générale
tout mariage non célébré à l'Eglise n'étant que concubinage.
Dès lors, on ne s'étonne plus que le vicaire apostolique de
Sénégambie, Mgr Kunemann, le déplora en 1906, après et avant
tant d'autres : "rien n'est plus difficile que d'amener ces chrétiens
des pays chauds à contracter des unions légitimes et durables"(2)
écrit-il, oubliant sans doute que même pour les Européens,
la
légitimité était bien établie dès lors que voulant se marier avec les
Sénégambiens, ils choisirent de le faire suivant les règles en vigueur
chez leurs futurs conjoints.
Ce curieux comportement, qui exclut l'existence d'un droit
coutumier rendait
ainsi
"barbare"
et concubinesques
tous
les
mariages ayant existé en dehors des lois françaises et de l'Eglise.
1.
Cet
accord
avait
souvent
pour
but
d'éviter
aux
jeunes
inexpérimentés
de
prendre
pour
femmes
des
jeunes
filles
"à
ne
pas
marier". Soit parce qu'elles sont destinées à vivre le malheur de voir
mourir jeunes
leurs époux.
soit parce que leurs maris
sont voués
au
dénuement
complet,
soit
encore
parce
qu'elles
ne
peuvent
avoir
d'enfants
vivants...
Par
leur
expérience
de
la
vie
et
leur
sens
de
l'observation,
les adultes étaient réputés connaître ce genre de femmes.
par leurs origines,
leur démarche ou leurs traits physiques paniculiers.
Il s'agissait aussi de ne pas mélanger le "sang p\\)r" à celui des castés ou de
ceux
dont
l'origine
"sinig"
est
douteuse
ou
secrètement
tenue
pour
étrangère.
2. Arch. OPM G 07543
476
Pour
les
missionnaires
donc,
il
fallait,
par
l'union
monogamique
et
indissoluble célébrée chrétiennement,
arriver
à
bâtir
et
consolider
les
familles
chrétiennes
par
lesquelles
se
perpétuerait l'Eglise en terre de mission. Ce qui donne toute son
importance
au
mariage
chrétien,
dans
un
environnement
qui
pourtant, a tendance à le repousser, puisqu'étant largement dominé
par des religions autres que le christianisme.
Du fait peut-être de cet environnement peu favorable, les
missionnaires du pays sérère n'ont pas été particulièrement souples
dans
leurs conditions de célébration et de validité du
mariage
chrétien.
Au début du siècle, les conditions de forme et de fond du
mariage démontrent, en effet, cette prudence, voire cette méfiance
des missionnaires.
De la publication des bans aux cas d'empêchement, en passant
par les éventuelles dispenses, le chemin était parfois long pour les
candidats au mariage.
Si les cas d'empêchement dirimants semblent avoir souvent
bénéficié
des
dispenses,
du
fait
de
la
"rareté
(des)
mariages
réguliers" et des réalités du pays(I), il n'en a pas été de même des
mariages
mixtes.
D'abord
parce
que
les
mariages
intéressant
catholiques et protestants n'ont été signalés
nulle part en pays
sérère(2) sans doute faute de protestants. S'il y a eu des demandes
de dispenses, elles n'ont concerné, sur ce point, que "la partie
anglaise du vicariat"(3).
Ensuite, le mariage de catholiques avec des athées ou des
adeptes de l'islam ou de la religion traditionnelle n'était accepté que
"dans
des
conditions
exceptionnelles
favorables
à
la
partie
catholique" (4).
1. Arch. CSSP 164
A III
2. Arch. CSSP 164 A III
3. Arch. CSSP 164 A III
4. Arch. CSSP 161 A III
477
En pratique pourtant, il semble bien que cette exigence ait été
plus
théorique
que
pratique.
Elle
s'est
surtout
appliquée
aux
mariages
de
musulmans
avec
des
chrétiennes,
les
enquêtes
effectuées pour les nécessités de la dispense s'avérant dans ce cas
moins favorables, que s'il s'agissait d'un catholique se mariant à une
musulmane.
Les missionnaires, pour ces raisons, estimaient alors qu'il y
avait peu de chance que le mari tienne les promesses faites de la
liberté religieuse de sa femme. Aussi, accordées jusqu'au début du
siècle(l), ces dispenses semblent ne plus l'être à partir des années
1920(2).
Sans
doute
parce que,
instruits
par
l'expérience,
les
missionnaires étaient devenus encore plus exigeants.
Il
était en
effet difficile,
dans
la société
sénégalaise de
l'époque, de vivre avec une épouse pratiquant une religion autre
que la sienne. La mentalité sociale ne le comprenait pas et la
tolérance du
mari
était
très
vite
perçue comme
une
faiblesse
impardonnable(3 ).
Ainsi, les chrétiennes finissaient toujours par faire les frais de
l'intolérance collective en se convertissant à la religion de leurs
maris, si elles ne voulaient pas les quitter. Beaucoup de maris
s'engageaient d'ailleurs de mauvaise foi sachant qu'une fois mariée,
la
femme
aurait
tellement de
difficultés
pour
divorcer
ou
en
divorçant qu'elle se résignerait à les rejoindre dans leur religion.
Contrairement
au
mariage
traditionnel
sérère,
le
mariage
chrétien est donc régi par tout un ensemble de règles écrites(4), les
"Saints canons", au respect desquels veille le missionnaire. Il n'en
est pas forcément plus responsable pour autant.
1. Arch. CSSP 164 A III
2. Arch. CSSP 345 A VI ; 261 A III
3. EM 064
4.
La
précision
est
importante
car
le
mariage
"coutumier".
chez
les
Sérères,
contrairement
à
ce
que
pouvaient
en
penser
certains
missionnaires
et
autres
africanistes,
n'était
pas
dépourvu
de
règles
juridiques
-
cf.
M.A.
du
Sacré-Coeur
:
La
condition
humaine
en
Afrique Noire. Op. cil. p.66 - ; au contraire, ces règles sont même très
précises et prévoient les mêmes cas d'empêchement qu'on trouve dans le
droit
positif.
en
plus
des
empêchements
(qu'on
peut
certainement
déplorer) tenant à la différence de castes.
478
Seule,
en
effet,
nous
paraît importante
la
façon
dont
le
mariage est vécu. Bien des aspects du mariage chrétien ne semblent
pas applicables avec le succès voulu au mariage sérère et rien ne
prouve d'ailleurs qu'ils aient été connus en dehors de la civilisation
dite judéo-chrétienne.
Un adepte notoire de la religion traditionnelle, à fortiori un
chrétien
pratiquant
peut
bien
"vivre"
le
message
évangélique
véhiculé à travers le mariage.
Seule, la façon de le saisir et de le vivre est différente et la
mission n'a pas été capable d'admettre que cette différence pouvait
aussi être enrichissante.
Aussi, sommes-nous d'accord avec Mgr Legrain pour dire que
"plutôt que de marginaliser le mariage coutumier et d'en assimiler
les étapes à un vulgaire concubinage public, la théologie pastorale
pourrait peut-être
voir
comment ces
divers
degrés
d'entrée
en
mariage(l)
sont
susceptibles
d'être
évangélisés
et
de
devenir
porteurs d'un engagement chrétien authentique"(2).
B.
Le
problème
de
la
polygamie
Pour
les
missionnaires,
l'aspect
le
plus
insupportable
du
mariage coutumier était surtout la polygamie. Cette institution était
si décriée jusqu'en Europe que les plus libéraux des chrétiens ne
pouvaient ni la comprendre, ni la tolérer.
1. Ces "divers degrès" concernent ici ce que par traduction littérale du
mot
sérère
correspondant
nous
appelions
"quête
patiente"
et
que
R.
Simon désigne sous le nom de "mariage progressif'- "Mariage africain,
mariage chrétien : dialectique des cultures et de la foi". Spiritus
n060,
1975
p.303 - et que d'autres appelleraient "mariage à l'essai" du fait que,
"étalé
dans
le
temps,
le
mariage
traditionnel
assure
dans
cette
profondeur
temporelle-même
l'intégration
sociale"
des
familles
des
conjoints.
2.
Appel
évangélique au sein des mariages africains... p.82.
479
Selon un auteur représentatif de cette VISIon du monde, il ne
pouvait y avoir pluralité de femmes dans l'église puisque seul le
statut monogamique "assure la dignité de la femme, sa libération,
l'accomplissement de la tâche éducative confiée aux parents.
Seule, l'union monogamique et indissoluble élève la famille indigène
jusqu'à
cette
conscience
des
responsabilités
paternelles
et
maternelles qui est propre à la société familiale chrétienne"(l).
On perçoit évidemment à travers cette citation l'étendue de
l'ignorance de l'institution polygamique, aussi bien dans le clergé
que dans l'opinion européenne de la colonie et en métropole.
On lui
reprochait essentiellement
: d'être
tout d'abord
le
privilège injuste d'une partie fortunée de la population autochtone
et de défavoriser ainsi les jeunes qui, étant dépourvus de moyens,
ne pouvaient "se payer une femme".
Ce qui nous amène, ensuite, au problème de la dot qu'elle était
censé
aggraver.
Problème
sans
doute
aussi
exagéré,
bien
que
l'absence d'uniformité des situations dans ce domaine n'autorise pas
à conclure à une parfaite maîtrise de la situation.
La
dot
selon
beaucoup
de
mlsslOnnaires
était
devenue
dangereuse pour la santé morale de la famille, sa monétarisation
ayant pour conséquence, à partir de l'entre-deux-guerres surtout,
de vider de son contenu l'esprit chrétien du mariage.
On perçoit, ici encore, que la généralisation est excessive. Sans
s'imposer peut-être partout et en même temps, la caractéristique
essentielle de la dot en pays sérère, même avec la monétarisation
des échanges, est qu'elle est simplifiée puisqu'à la base du mariage,
il y a toujours la famille qui ne se monnaye pas(2).
Tout
se
passe
comme
si
la
dot dont
la
partie
la
plus
symbolique - et donc la plus importante - est souvent payée en
nature est permanente, un peu pour maintenir les relations inter-
familiales toujours aussi intactes(3).
1. E. Duthoit : Comment se pose le problème social aux colonies...
p.8l.
2. EM 108
3. EM 040
480
C'est ainsi qu'il faut comprendre les "coups de mains répétés
du mari accompagné de ses amis, donnés à la famille de sa femme
dans les interminables travaux des champs ou de réfection des
maisons entre deux hivernages"(1).
Ces prestations ont beaucoup plus de poids et de portée dans
l'objectif qui est celui du mariage que l'argent donné, quelle que soit
son importance(2).
La monétarisation de la dot n'a donc jamais été ni complète, ni
définitive. "Le Sérère voit dans le mariage plus une occasion de
s'enrichir
humainement,
spirituellement
et
socialement
qu'économiq uement" (3).
La dot, même si elle était importante financièrement, n'aurait
enrichi presonne car elle est partagée entre les différents membres
de la famille de la femme, l'oncle maternel lui-même, censé recevoir
la plus grosse part ne recevant finalement, après le partage, qu'une
valeur souvent très symbolique.
L'apport de la femme à la constitution du patrimoine familial
est ainsi le fruit de son travail, chez son mari (en pratique cela
n'attend guère le
mariage) et non pas celui de la dot, comme
beaucoup ont été tentés de l'écrire.
Si la polygamie a donc pu défavoriser les jeunes, il faut en
chercher les raisons ailleurs. Et on trouve sans peine que ce n'est
pas un problème de jeunes et de riches mais plutôt de riches et de
pauvres
simplement.
La
femme
et
sa
famille
ont
tendance
à
préférer
ceux
qui
peuvent
leur
assurer
une
certaine
sécurité
matérielle et (surtout) de la considération, ce
qui concerne les
familles et non la dot ou des individus en particulier(4).
Cette situation ne s'est modifiée que très lentement sans doute
à partir de la fin
de la seconde guerre mondiale,
sans même
concerner la grande majorité du pays à la fin de notre période.
1.
Ibid.
2.
Ibid.
3. EM 075
4. EM 013
481
La
mobilité des
populations
et l'éclatement des
structures
villageoises
et claniques déjà notés
introduisirent alors
d'autres
formes de rapports entre les hommes dans lesquels l'argent n'a
cessé de gagner en importance.
En réalité, les raisons profondes, les plus répandues de la
polygamie chez les Sérères n'avaient rien de condamnable.
Les
missionnaires
le
reconnaissaient
d'ailleurs
implicitement
en
constatant que la polygamie "n'existe qu'en cas de veuvage d'une
parente, qui ne peut se remarier"(l).
Ce qui est inexact mais
démontre bien que les "excès" annoncés n'en étaient peut-être pas..
Qu'au contraire, il y avait sans doute parfois beaucoup d'humanité
dans l'institution polygamique.
Cela amène surtout à changer les termes du problème, à se
demander si ces excès, si excès il y eut, n'étaient pas les jugements
assez durs des missionnaires contre les polygames.
De fait, la situation est bien moins simple. S'il est vrai que la
polygamie était recherchée par les hommes, il est aussi certain que
ses causes, souvent mal connues ou ignorées, pouvaient pleinement
la justifier.
"Le désir d'accroître son influence par des alliances choisies,
par une postérité plus nombreuse"(2) dans un pays où la seule
vraie
richesse
est
humaine
avait-il
ce
caractère
"arriéré"
et
inacceptable qu'on lui prêtait ? Certainement pas.
De plus, il ne faudrait pas oublier les réalités économiques et
sociales de l'époque. Les "techniques primitives de travail"(3) qui
demandaient une main d'oeuvre nombreuse ont également pu être
à la base du désir d'avoir beaucoup d'enfants qui sont autant de
bras
pour
les
champs
et,
en
même
temps
source
de
richesse
matérielle,
de
respectablité
mais
aussi
parfois
de
(simple)
subsis tance.
1. Arch. CSSP 160 DY
2.
M.A.
du
Sacré-coeur
La condition humaine en Afrique noire. Op.
cit. p.114
3.
Ibid.
482
Ces deux aspects, l'économie(l) et la puissance familiale, ont
ainsi été les raisons les plus profondes de la polygamie, à côté, bien
entendu, de l'impossibilité de laisser dans leur détresse les femmes
et les enfants
des disparus.
Cette pratique de "l'héritage des personnes" avait, elle aussi,
provoqué une levée de boucliers de la part de la mission. On lui
reprochait
d'être
immorale,
reproche
évidemment
contestable
puisque les excès qui ont pu être commis par une minorité de
polygames
ne
devaient
en
rien
entacher
une
pratique
profondément humaine, du reste très proche de la loi mosaïque(2)
dont rien n'indique qu'elle était aussi rejetée par les adversaires
intransigeants de la polygamie.
Le rôle central qu'occupe dans la société la famille qui devait
être la plus large possible pouvait donc avoir pour conséquence la
multiplicité de femmes.
Quant à l'importance signalée de la procréation, elle implique
que toute femme qui ne pouvait avoir d'enfants avait,
par contre,
toutes les chances de vivre avec une ou plusieurs coépouses. Ce qui
contredit bien des idées et brise le mythe de la femme-objet ne
servant qu'à "faire des enfants".
C'est parce que précisément la femme ne doit pas être objet
que l'on fait tout pour que l'une des raisons d'être du mariage, les
enfants,
ne
lui
fasse
pas
perdre
son
âme.
Ainsi,
préfère-t-on
souvent
prendre
d'autres
femmes
ayant
la
chance
de
pouvoir
"donner" des enfants, à côté d'une première qui en est dépourvue,
plutôt que
de commettre la
faute
de la
renvoyer
pour rester
monogame.
1. Il faut bien sûr comprendre ce terme dans son sens le plus precIs,
c'est-à-dire le moins
"monétaire"
possible.
Nous
l'empruntons volontiers
à J.M.
Castellu : "Le but final de l'activité économique de chaque Sérer
est
la
constitution
d'un
troupeau
principalement
de
bovins.
La
constitution d'un troupeau est par excellence la sanction du travail de la
terre puisque c'est avec le surplus du produit des récoltes qu'est acheté le
cheptel.
On
peut
donc
retenir
la
constitution
d'un
troupeau
comme
critère
de
réussite
économique"
Dynamismes
économiques
différentielles
en milieu sérer"
: In L'Antropologie
économique
face
aux
problèmes
du
changement
en
situation
asymétrique.
ORSTOM, 1970 p.32.
2. Arch. CSSP 160 B V
483
L'aspect
humain
des
relations
intrafamiliales
et
intepersonnelles ainsi tissées apparaît ici nettement et permet de
mieux
comprendre
que
l'indissolubilité
du
mariage
est
intellectuellement bien vécue. Seuls, manquent son caractère "sacré"
(du moins au sens chrétien du terme) et la vraie conscience d'un
engagement
viager
dicté
non
pas
par
la
loi
des
hommes
(exceptionnellement contournable d'ailleurs), mais par celle de Dieu.
"Doublée"
mais
quand
même
toujours
mariée
avec
les
conséquences qui découlent du mariage, la femme conserve même
un certain ascendant sur les autres venues après elle, une certaine
prééminence que lui vaut le fait d'avoir été la première(l).
Et il faut noter que bien des situations de polygamie étaient
inspirées
par
les
femmes
elles-mêmes
qui,
pour
des
raisons
particulières ou personnelles, ont préféré avoir de coépouses, ce qui
prouve au moins qu'elles n'étaient pas ces victimes qu'on a toujours
voulu voir en elles.
En
effet,
"tantôt,
c'était
une
première
épouse
âgée
qui
éprouvait le besoin de s'associer de plus jeunes femmes pour le
travail du ménage et pour celui des champs(2), tantôt il s'agissait
pour elle de chercher tout simplement la compagnie d'une autre
femme
et
dans
ce
cas,
il
est
même
arrivé
que
des
femmes
choisissent elles-mêmes leurs coépouses pour leur mari(3).
L'enfer conjugal qu'à institué
la polygamie
n'a donc
pas
vraiment eu lieu. Très souvent, elle était même une source de
soulagement moral pour la femme et une "raison de reprendre goût
à la vie"(4). Bien des femmes sans enfants ont fini par en avoir, en
adoptant des enfants de leurs coépouses qu'elles éduquaient très tôt
et ceux-ci se comportèrent souvent en
vrais
fils
de leur mère
adoptive, remplissant pleinement les obligations de fils naturels vis
à vis d'elles.
1. M.A. du Sacré-Coeur : La condition humaine en Afrique noire. Op.
cil.
p.114
2. M. Alliot : Christianisme et droit traditionnel au Sénégal. In Et u des
d 'histoires
du
droit
canonique
dédiées
à
Gabriel
Le
Bras.
Paris,
Sirey, 1963 T.II, p.1030.
3. EM 061
4.
Ibid.
484
On est ainsi encore bien loin de cet "état de servitude différant
peu de l'esclavage" dont parlait la Société des Nations
à propos
de la polygamie(l).
Jugée du dehors avec toujours un parti-pris de principe contre
elle, cette institution du mariage "indigène", malgré ses déviations
regrettables et qu'on ne saurait évidemment cautionner, ne méritait
sans doute ni
l'ostracisme dont elle fit
l'objet de
la part des
missionnaires,
ni
la
condamnation
souvent
gratuite
des
"africanistes". Les uns comme les autres n'ont voulu y voir que
l'avilissement de la femme et un obstacle à l'évangélisation ignorant
ainsi que ses aspects humains devaient pouvoir être pris en compte
par la mission.
Ce qui, bien sûr, ne justifiait pas l'extravagance de chefs-
d'ailleurs
souvent
assez
rares
qui
avaient
leur
conception
particulière
du
mariage
et de
la
puissance
avec
leur
nombre
incalculable de
femmes-objets.
Ceux-là
ont
porté
un
préjudice
grave, non pas à la mission - puisque de toute façon ils n'allaient
jamais se convertir - mais à l'Afrique dont ils ont très fortement
contribué
à
ronger
la
civilisation,
préparant
naturellement
le
continent à occuper la place très peu enviable qui n'allait pas tarder
à être la sienne dans le "concert des nations"(2).
Mais
il
convient,
sans
s'engager
dans
un
début
de
"compréhension" d'une telle pratique, de souligner qu'elle a existé
essentiellement dans les régions où le pouvoir était très fortement
centralisé, impliquant des alliances d'une
autre nature
(que
les
alliances politiques traditionnelles) qui pourraient elles-mêmes, en
partie, expliquer cette forme de polygamie.
1. Cité par E.
Duthoit
:
Comment
se
pose
le
problème
social
aux
colonies ... p.82
2. On en a désormais assez de ceux qui ont rendu un mauvais service à
l'Afrique
en voulant toujours
expliquer
les
carences
de
notre
histoire
par la "domination extérieure", voyant ainsi
souvent la
"réussite" dans
ce qui n'est que débacle et essayant, peut-être là, de masquer leur propre
honte. Non, l'histoire ne connaît pas et ne doit pas connaître de parti
pris
de
principe.
La
responsabilité
des
Africains
dans
l'arriération
sociale
et
économique
de
leur
continent
est
suffisamment
grave
pour
être diluée dans celle d'étrangers à l'Afrique.
485
En pays sérère, le phénomène n'a été que très marginal et les
missionnaires eux-mêmes ont constaté qu'il
n'y courait pas
les
rues(l).
Et
cette
situation
"recommandait
particulièrement
les
Sérères à l'intérêt du missionnaire", d'autant que le pays ignorait en
même temps les "préjugés fanatiques"(2).
Ce constat ne traduisait bien sûr qu'une partie de la réalité.
Cinq années plus tôt en effet, la mission, dans un rapport, faisait
remarquer à propos de la maison royale : "Pour pénétrer jusqu'aux
épouses royales, il faut traverser les cases du roi. Elles sont sous la
dépendance
des
vieilles
femmes
qui
avaient
appartenu
au
roi
précédent"(3).
La réalité est donc plus nuancée: la polygamie existe mais
dans des proportions relativement modestes et si limitées qu'elle
passe parfois inaperçue. Le roi était ainsi très peu suivi par les
populations. On comprend dès lors qu'une tendance à la diminution
des mariages polygamiques ait pu être observée dès le début du
siècle.
La modification des conditions de vie, les transformations de
l'économie ainsi que des "règles de la division du travail entre
hommes et femmes qui se sont développées au cours des siècles
pour répondre aux besoins de la famille polygamique" devaient,
selon certains auteurs, fortement contribuer à éradiquer le "fléau",
au moins parmi les chrétiens(4).
Ainsi,
note-t-on
à
Diohine,
quelque
trente
ans
après
la
fondation de cette mission, une baisse sensible de la polygamie chez
les baptisés, qui ne dépasse plus 1% des mariages(5).
1. Annales de la Propagation de la foi. 1880
p.67
2.
Aperçu
historique
sur
la
mission...
déjà cité
3. W. Bascom : La culture africaine et le missionnaire...p.17
4.
Rien
n'indique
en
effet
que
cela
soit
le
cas.
dans
les
mêmes
proportions, pour les autres couches de la population.
5. M. Alliot : Christianisme et droit traditionnel au Sénégal...p.1030.
486
La leçon à tirer de ce tableau est qu'il fallait d'abord à la
mission agir sur les conditions sociales avant de prétendre changer
les comportements. A cet égard, la christianisation des habitudes
"païennes" christianisables, préconisée par des auteurs clairvoyants
eut permis d'éviter les nombreuses démissions de chrétiens vrais
qui, parce qu'on leur demandait brutalement de se défaire de leurs
épouses,
ont
fini
par
voir
dans
le
christianisme
cette
voie
impossible, à regarder de bien loin.
C.
Les
autres
problèmes
du
mariage
chrétien
La mISSIon ne s'est pas contentée de refuser le baptême aux
polygames et autres Sérères dont le mariage est "sujet à caution"(l),
mais
s'est
parallèlement
battue
pour
"protéger
civilement
les
chrétiens
monogames"(2).
La
protection
de
ces
chrétiens
ne
suffisant pas non plus, il lui fallu agir sur un autre front pour
permettre la liberté de choix du mari pour la femme, après avoir
amené l'Administration à veiller à la réglementation de la dot pour
les raisons précédemment évoquées.
Il fallait aussi soumettre le divorce aux règles de la religion
chrétienne c'est-à-dire le rendre impossible, en principe. Mais ces
exigences entraient souvent en conflit avec la loi et la jurisprudence
civiles relatives au mariage qui, de façon générale, étaient toujours
largement contestées par les missionnaires.
Il était pourtant certain que civiles ou religieuses, les lois ne
pouvaient
être
pleinement
appliquées
ni
même
valablement
conçues qu'avec un changement préalable des mentalités. Les lois
sur les successions - par exemple - n'avaient de sens qu'avec une
certaine prise de conscience de la nécessité de passer du lignage
maternel en vigueur à "une cellule familiale comme institution de
droit naturel "(3), assurant une meilleure cohésion de ses membres
et pouvant ainsi être la véritable base de la société chrétienne. Or
cette prise de conscience n'a jamais été le fait du hasard, ni même
une quête facile.
1. Arch. CSSP 261 A III
2. E. Duthoit : Comment se pose le problème aux colonies... Op. cil.
p.S1
3. M. Alliat : Christianisme et droit traditionnel au Sénégal... p.1031.
487
On remaque ainsi que le résultat obtenu dans ce domaine est
inégal selon les régions. Dans les missions les plus anciennes, situées
sur la côte, "l'hostilité au principe de la succession d'oncle à neveu
s'est manifestée très tôt(l) et dès après la seconde guerre, il y était
acquis que la succession du père revenait au fils.
Dans
le
reste
du
pays
en
revanche,
où
la
présence
mIssIonnaire est plus récente et souvent de moindre influence(2), la
tradition a continué de prévaloir, si elle n'a pas été changée par
l'islam. Les chrétiens, dans ces conditions, "n'ont eu souvent qu'à
suivre l'exemple des musulmans"(3).
En réalité pourtant, il n'y a nulle part de situation vraiment
homogène.
Dans
la
plupart
des
cas,
le
régime
successoral
traditionnel a prévalu jusqu'au-delà de 1955. Seuls, les villages de
la côte, plus exposés aux influences extérieures avaient plus ou
moins totalement adopté le nouveau régime. Dans les villages de
l'intérieur par contre, certains catholiques ont continué de pratiquer
la
"succession
par
les
neveux"
parfois
même
sur
plusieurs
générations( 4).
Pour ce qui est des "évolués" africains, et sans doute encore
plus des missionnaires, ce régime successoral, qui trouve sa source
dans le matriarcat sérère devait être aboli car il "désorganise la
famille naturelle"(5). C'est un fait, en effet que la succession aux
terres et aux troupeaux amenait les jeunes à quitter leur père pour
rejoindre la "maison maternelle" c'est-à-dire leur oncle ou grand-
père maternel. Si ça n'était pas le cas du vivant de ceux-ci, les
intéressés devaient impérativement rejoindre la maison à leur mort
pour continuer la garde et l'exploitation du patrimoine familial.
1. M. Alliat
Christianisme et droit traditionnel... p.1032
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4. EMCLR 066
S.
M.A.
du
Sacré-coeur
La condition humaine en Afrique noire.
Op.
cit.
p.37
488
Mais il Y a certainement quelque exagération à trop vouloir
insister sur un matriarcat dont on omet de souligner qu'il n'a jamais
existé à l'état pur, en pays sérère.
Car non seulement succession par les femmes ne veut pas dire
matriarcat, mais aussi et surtout le système en vigueur empruntait
ses éléments aussi bien au matriarcat qu'au patriarcat. Tant qu'il
était encore chez son père (ce qui est en principe le cas jusqu'à
l'initiation) l'enfant, le jeune homme était sous son autorité bien que
l'oncle pût toujours, si nécessaire, le mobiliser pour quelque travail
et disposer également de ses biens.
Mais tout cela, le pèrepouvait déjà le faire, même s'il n'était
pas forcément bien vu qu'il disposât des biens de son fils au lieu de
ceux de ses neveux(l).
De plus, la succession domestique de l'oncle n'a jamais été
automatique, l'héritier pouvant toujours user d'un certain bénéfice
d'inventaire avant de la prendre.
Aussi n'hésitait-il pas à rester chez son père s'il estimait que
ce qu'il pouvait tirer de la succession ne lui permettait pas d'avoir
un sort meilleur.
Pour toutes ces raisons, on comprend que les incidences du
matrilignage sur la famille et par conséquent sur la christianisation
n'ont pas été tellement importantes. Ce qui n'était évidemment pas
le cas de la famille chrétienne, objet de toutes les attentions.
Les missionnaires, pour la protéger, menèrent une véritable
croisade
pour
"libérer
la
femme"
par
l'éducation
chrétienne,
sûrement,
mais
aussi
en
agissant
fortement,
au
niveau
des
décideurs politiques,
pour l'institution de
lois
réprimant la dot
excessive et les mariages forcés.
1. EM OSO
489
Devant ce qu'ils considéraient comme des lenteurs voire des
complicités de l'Administration qui se matérialisaient selon eux par
un "respect abusif des coutumes" par celle-ci(l), les missionnaires
mutiplièrent, là où ils le pouvaient, les initiatives pour obtenir les
changements voulus, et les innovations juridiques qui intervinrent à
partir des années 1930 étaient ainsi en partie dues à l'influence des
idées de certains d'entre eux.
Le décret de décembre 1931 sur l'organisation de la justice
indigène était ainsi bien accueilli au départ, avant qu'on se rendît
compte
qu'il
était
loin
de
régler
le
problème
des
indigènes
catholiques; celui qui intervint en 1939 sous le nom de décret
Mandel(2) fut assez protecteur pour la femme.
Il interdit sur tout le territore des colonies d'AüF et d'AEF le
mariage des femmes de moins de 14 ans (16 ans pour les hommes),
rend indispensasble le consentement des futurs époux et réprime
l'héritage "forcé" des femmes(3).
1.
P.
Brasseur
La
politique
indigène
à
la
conférence
de
Brazzaville...Op. cit. p.I44. Ce sentiment semblait si bien partagé qu'il y
avait
un
véritable
vide juridique
concernant
le
mariage
coutumier
et
surtout le mariage chrétien qui pour la mission ne devait être régi que
par le droit canon,
au
regard du
statut personnel
qu'elle
revendiquait
pour ses convertis, mais que l'Administration tenait à régir suivant les
règles du droit civil. Un exemple célèbre qui
révolta les missionnaires
était encore tout frais dans les mémoires : le tribunal de subdivision de
Bamako avait débouté, en 1924, une dame qui demandait le divorce parce
que la coutume catholique s'y opposait. Après le tribunal de cercle qui
confirma ce jugement. la cour d'appel de Dakar saisi d'un pourvoi devait
l'annuler,
attendu
qu'il
ne
faut
pas
confondre
une
religion,
un
culte
avec le statut qui est l'ensemble des lois et coutumes relatives à l'état. à la
capacité des personnes et à la fixation de leurs rapports juridiques : "La
coutume catholique invoquée est inexistante...Aussi bien au regard de la
loi française que des coutumes indigènes, le mariage religieux contracté
par les parties ne peut produire aucun effet civil". Cf G.
Hardy: Le
problème religieux dans l'empire français ...Op.cit.
p.95.
2. Du nom de Georges
Mandel, alors ministre des colonies
3. Texte in M.A.
du
Sacré-Coeur
: La condition humaine en Afrique
noire. Op. cit.
p.l44.
490
Le décret
Jacquinot de septembre 1951
alla plus loin et
dispose que toute femme pouvait désormais se marier "sans que
quiconque puisse prétendre en tirer un avantage matériel". Cette
disposition importante visait l'interdiction de la "dot excessive"(l).
Pour décourager ou limiter la polygamie, l'article 5 institutait une
option de monogamie par l'engagement, au moment du mariage,
devant l'officier d'état civil "de ne pas prendre une autre épouse
aussi longtemps que le mariage (qu'on a contracté) ne sera pas
régulièrement dissous".
Mais quel est l'impact au
fond de cette législation sur le
mariage chrétien chez les Sérères ? A première vue, on peut penser
qu'il fut positif. Nous avons vu la réduction très sensible du nombre
de polygames à Diohine. Si le lien entre cette réglementation et la
chute du nombre de polygames chrétiens dans cette mission rurale
est difficile à établir, son application, en revanche, a certainement
permis
des
avancées
ailleurs.
Mieux,
leur
interprétation
très
favorable, qui créa une jurisprudence heureuse fut bien accueillie
par les chrétiens.
Ainsi
en
1954,
le
tribunal
de
Fatick,
s'appuyant
sur
un
jugement rendu quatre ans plus tôt pour le même problème, en
pays diola, rejeta la demande de divorce intéressant un couple de
Sérères christianisés parce que "le mariage avait été conclu selon le
rite catholique"(2).
Dans le même esprit, la justice indigène trancha "à propos de
l'héritage d'un
Sérère catholique polygame décédé en
1946 que,
lorsqu'un
chrétien
religieusement
marié
contracte
une
seconde
union selon les rites coutumiers, sa seconde femme ne peut être
considérée que comme une concubine", les enfants issus de cette
union ne pouvant être que des enfants naturels, les seuls héritiers
légitimes étant ceux issus du mariage célébré à l'église(3).
1.
M.
Niang
livre
une
analyse
succinte
et
très
accessible
de
ces
derniers
décrets
ayant
très
fortement
marqué,
dans
un
contexte
de
renouveau de la politique coloniale et de libéralisme juste relatif mais
certain de sa législation, l'évolution des colonies africaines de la France,
dans les dernières décennies précédant la décolonisation:
"L'évolution du
statut juridique, politique et social de la femme en Afrique traditionnelle
et moderne".
Bulletin de l'IFAN, sér. B
n°l, 1976
pp.64 sq.
2. M. Alliot : Christianisme et droit traditionnel au Sénégal... p.1034
3. Ibid, p.l035
491
Quant aux mariages monogamiques, ils avaient même à un
moment connu une certaine vogue
: l'engagement monogamique
prévu par le décret Iacquinot étant matérialisé,
au
moment du
mariage, par un
tampon
au coin du certificat de
mariage,
un
"mythe" naquit bientôt autour du tampon et les Sérères chrétiens
de Fatick estimaient qu'il n'y a de mariage vraiment chrétien que
celui qui est authentifié par cette formalité.
Une vision populaire apparemment bénéfique pour la mission
puisque "dépassant l'intention du décret, les chrétiens... attribuaient
au
tampon
la
vertu
de
rendre
les
mariages
non
seulement
monogamiques mais indissolubles"(l).
Un
fait
demeure
cependant
l'intervention
de
cette
réglementation nouvelle, malgré ses avantages certains, était loin de
résoudre l'équation sociale posée par la christianisation. Dans leur
réunion de 1955 en conférence plénière, les évêques d'AOF et du
Togo le déplorèrent d'ailleurs en affirmant qu'il s'agissait bien là
"d'une réponse partielle" à leurs requêtes(2).
Ce qu'on pouvait remarquer déjà, à la seule lecture des actesa
dministratifs en cause qui semblent n'avoir été inspirés que par le
seul souci de protéger la femme.
1.
M. Alliol: Christianisme et droit traditionnel... p.1031
2.
Deuxième
conférence
plénière
des
ordinaires
des
Missions
de
l'Afrique Occidentale Française et Togo. Dakar, 18-23 avril 1955. Dakar,
impr.
de
la
Mission
1955,
p.91.
Ces
requêtes
concernaient
surtout
"l'organisation d'un statut juridique et judiciaire du
monogame et "la
modification de la Loi Lamine Guèye" sur l'aspect particulier du mariage
coutumier favorable à la polygamie : Cf. P.
Brasseur : Les chemins de la
décolonisation de l'empire colonial français - Op.cit. p.62. Cette fameuse
loi votée en novembre
1951 supprimait la barre de 6 enfants jusque-là
fixée pour le bénéfice des allocations familiales. Considérée comme une
victoire par les syndicalistes africains qui dès
la fin
de la
seconde
guerre
mondiale
s'étaient
imposés
en
redoutable
groupe
de
pression
politique,
elle
était
désastreuse
pour
l'Eglise
qui
y
voyait
un
encouragement direct à la polygamie: les allocations pouvant, dans bien
des cas. représenter 75% du salaire, les missionnaires ont estimé qu'il
s'agissait là d'une prime à une pratique qu'ils n'ont jamais cessé de
dénoncer,
beaucoup
d'Africains
devant
selon elle en
profiter pour se
faire plus de femmes, plus d'enfants pour plus d'allocations. Ce qui leur
apparaîssait par ailleurs injuste vis-à-vis des autres,
les monogames et
les célibataires. Car d'une part, pour le même travail ils gagnaient moins
et, d'autre part, ils étaient obligés de financer,
par leurs impôts, ces
nouvelles
dépenses
-Cf
Annales
de
la
Propagation
de
la
Fol, 4e
trim.
1951(non paginé).
492
Une protection certainement légitime mais à laquelle ne saurait
se résumer l'action missionnaire dans ce domaine du mariage. La
protection ne pouvait être qu'un moyen et non une fin de celle-ci.
De plus, les exemples jurisprudentiels donnés un peu plus haut
ne doivent pas faire illusion. Les protégées elles-mêmes, les jeunes
filles,
les
femmes,
ne
s'étaient
pas
signalées
par
une
grande
propension à saisir la justice. Comme le note soeur M.A. du Sacré-
Coeur en effet, "outre la crainte de susciter des ennuis aux leurs,
elles
sont souvent empêchées de
se rendre
au
tribunal
par la
distance qui sépare leur village du Cercle et par la surveillance
qu'exerce l'entourage"(l).
Les rares cas de procès connus ne semblent ainsi concerner
que les chrétiens des villes c'est-à-dire une infime minorité. Le
"phénomène" est d'ailleurs si inexistant que "personne n'a jamais vu
une femme traîner un homme devant le juge pour une histoire de
mariage ou de divorce"(2).
Notons que
cela est compréhensible parce qu"'une telle
affaire
concernerait
les
membres
d'une
même
famille"
qui
ne
peuvent régler leurs problèmes qu'en famille(3). En fait, la grande
majorité des Sérères ne connaissaient du tribunal que la vision
déformée qu'ils en avaient et sa promptitude à "s'ingérer dans les
affaires des gens"(4).
On n'a pas en effet besoin de tribunal ici, même pas celui du
village. Tout se règle en famille et "sauf catastrophe, c'est elle notre
tribunal de première instance". Et sans doute de dernière aussi(5).
Ce qui tenait lieu de législation coloniale semblait encore plus
méconnu que l'importance de la justice.
Dans ces conditions, ce qui pouvait favoriser une
christianisation en masse se trouvait ailleurs que dans ces
dispositions, bien que leur intérêt pour les "évolués" fût certain.
1. La
condition humaine en Afrique noire. Op. cit.
p.145
2. ECHL 099
3. ECHL 033
4. ECHL 033
S. EM 067
493
Ceux-ci, qui étaient essentiellement dans
les
villes
commençaient à s'occidentaliser et pouvaient certainement trouver,
dans ces conditions, un avantage à se marier suivant les principes
ainsi édictés par les autorités coloniales.
Beaucoup de nouveaux intellectuels africains avaient, dès que
les nécessités de leur travail les éloignaient de leur milieu, cette
tendance compréhensible à lui tourner le dos pas physiquement
comme on le sait mais psychologiquement, sans doute, préférant le
"modernisme" des colonisateurs aux lois des origines.
Toute la législation coloniale était ainsi accueillie avec
enthousiasme par ces nouveaux toubabs qui y voyaient, en plus, un
moyen de s'élever davantage, dans la hiérarchie sociale.
Il y a aussi les réalités nouvelles. Etant appelés à vivre une
autre vie, qui de toute façon n'avait plus rien de commun avec celle
de leurs ancêtres, les "évolués" et autres intellectuels ne pouvaient
qu'adopter le mode de vie et les lois qui étaient les plus compatibles
avec leur nouvelle situation, leur nouveau milieu, leurs aspirations
au progrès et au bien-être,
Mais il convient de rappeler qu'ils n'étaient guère nombreux
et dans des villages entiers, ils furent très longtemps inexistants(l).
On comprend donc que de façon générale, tout dans le mariage
semblait être un obstacle à une large christianisation.
1. Dans un village comme Ndiaganiao où l'école publique. née après la
Seconde guerre mondiale, a largement précédé l'école catholique (mise à
part
la
première
expérience
de
l'école
catéchistique
qui
ne
donna
principalement
pour
résultat
que
d'instruire.
très
sommairement,
des
catèchumènes
en
sérère
et
parfois
en
français),
hormis
de
rares
militaires et chrétiens
à peine alphabétisés,
les premiers
"évolués"
sont
postérieurs à notre période. Cette situation est identique dans la plupart
du pays. Il s'y ajoute que tant qu'il n'est pas hors de son milieu d'origine.
l'"évolué" ne peut que vivre exactement comme les "non-évolués" de son
village.
494
III.
LA CONVICTION DE L'INACCESSIBILITE DE LA
RELIGION
CATHOLIQUE
A -
Le
problème
du
"parcours"
Entre la décision de devenir chrétien et le baptème, il s'écoule
beaucoup de temps pendant lequel tout est possible : persévérance
ou découragement, baptème ou abandon de la voie chrétienne.
Ces constantes démontrent bien à quel point ce parcours est
parsemé
d'embûches.
Il
durait
normalement
deux
ans(l)
mais
pouvait bien être prolongé si les néophytes ne persévéraient pas
dans la connaissance de la religion ou s'ils n'étaient pas réguliers au
catéchisme. En réalité, il arrivait que cette durée soit raccourcie, si
les catéchumènes
s'étaient montrés particulièrement intéressés et
disponibles(2).
Cela semble avoir été le cas notamment à Fadiouth, au tout
début de la mission. Arrivés en 1879 dans ce village où il n'y avait
alors aucun catéchumène, les missionnaires y opèrent les premiers
baptèmes dès
1880(3). C'était aussi le cas à Palmarin où pour
vaincre la vive résistance à la mission, celle-ci s'est empressée de
baptiser le premier groupe le plus avancé dans la connaissance du
catéchisme(4).
Cette
situation
était
d'ailleurs
assez
fréquente,
comme
exception à une règle bien établie : les missionnaires, qui avaient
pris l'habitude de faire des baptêmes groupés pouvaient introduire
dans le groupe des gens ayant commencé le catéchisme après les
autres et qui paraissaient particulièrement disposés(5).
1. Arch. CSSP 261 A III
2. EMCLR 017
3. Arch. CSSP 160 B V
4. Su pra. p.134
S. EMCLR 017 ; 009
495
De façon générale cependant, la route était longue entre les
premières leçons de catéchisme et le nom chrétie censé couronner
la fin du parcours et symbolisant l'entrée comme membre à part
entière dans la communauté.
Ce qui posait problème pour beaucoup, tous ceux qui n'avaient
pas de temps ou de patience à consacrer à un tel cheminement.
Changer de voie ou rester dans la religion traditionnelle était alors
assez souvent la réponse des Sérères qui trouvaient inadmissible
qu'à
leur
âge,
"on
veuille
encore
leur
apprendre
à
devenir
croyants" (1).
Une
expérience
vécue
par
un
de
ces
missionnaires
qui
apprenait aux
Sérères
"à devenir croyants"
est
particulièrement
édifiante à cet égard : "Un groupe de chefs de carré du village de
Fayl (2) demandait collectivement le baptême. On leur indiqua les
conditions normales du baptême. Les vieux hochèrent la tête et
remirent leur réponse à plus tard. En dépit de toutes les visites, ils
ne donnèrent plus de suite à leur première demande et il n'en fut
plus question"(3).
A Pokham Tok où les chefs de famille voulurent également se
convertir, la même observation était faite avec cet autre constat
d'impuissance face à cette sorte de religion-refuge qu'était l'islam,
prêt à embarquer tous ceux que le christianisme exigeant avait
laissés sur le quai :
"A l'époque, il n'y avait aucun Sérère musulman dans ce
village.
Tous les enfants et jeunes
gens étaient catéchumènes.
Voyant leurs enfants à la veille du baptème, les parents désiraient
les rejoindre dans la même croyance. Comme aux adultes de Fayl, il
fallut bien leur donner les indications nécessaires pour mener une
vie chrétienne authentique. Comme eux également, ils décidèrent
qu'ils ne le pouvaient pas. Ils voulaient bien être chrétiens mais ils
ne pouvaient plus changer de style de vie à leur âge. L'affaire en
resta là.
1. EM 040
1. Village du Sine qui dépendait de Fatick à la reprise de cette mission en
1951. Id. pour le suivant, Pokham Tok
3. H. Gravrand : Visage africain de l'Eglise. Paris, Ed. de l'Orante, 1961
p.lOl
496
Trois
mois
plus
tard,
nous
remarquions
une
immense
palissade à côté de notre case chapelle.
"C'est notre mosquée"
répondit un vieux sérère à notre interrogation." Nous avons entendu
tes sermons et nous sommes maintenant convaincus de la nécessité
d'avoir une religion. On ne peut pas mourir sans religion. La voie
catholique était la plus belle mais il faut être jeune pour la prendre.
Sur la voie de l'islam, nous irons à Dieu... Nous prierons le même
Dieu"(l).
On pouvait sans doute
multiplier les
exemples
à l'infini,
tellement il
apparaît certain que
bien d'autres
Sérères
ont été
découragés, dans leur désir de se convertir, pour les mêmes raisons.
L'éducation
religieuse
précédant
le
baptème
étant
pour
les
concernés longue et difficile, elle finit "souvent par lasser"(2) ceux
qui
ont
trouvé
plus
de
courage
que
les
autres
pour
tenter
l'expérience, comme c'est parfois le cas ou, plus souvent, pour
simplement devenir chrétiens.
Les raisons liées à la difficulté pour les adultes d'aller à l'école
sont certainement cruciales dans cette situation. Il y a également le
fait que le catéchisme est "très compliqué" et fait appel à des
notions parfois très abstraites pour le Sérère moyen; il faut en plus
l'apprendre par coeur et la mémoire ne répond plus tout à fait à
cinquante ans(3).
On comprend ainsi que les rares "anciens" qui ne font pas
comme les autres c'est-à-dire la majorité qui n'a même pas jugé bon
d'essayer ne persévèrent que difficilement. Ce qui contribue à faire
davantage comprendre que les baptèmes d'adultes furent rares.
A l'origine, il y a sans doute le peu d'attrait exercé sur eux par
le christianisme qui peut bien être dû à l'absence d'une volonté
d'apprendre et d'assimiler le message catéchistique.
1. H. Gravrand : Visage africain de l'Eglise. Op. cit. pp. 10 1-102.
2.
A.
Quellien
:
La
politique
musulmane
dans
l'Afrique
occidentale
française. Thèse de Doctorat. Ed. Larose, Paris 1910
p.82.
3. EM 050 ; 055
497
Compte tenu de tout ce qui précède, un adulte catéchumène a
certainement
du
mérite.
Plus
que
le
jeune
qui,
favorisé
par
l'ambiance du groupe et un environnement où il ne rencontre que
des jeunes, peut bien trouver dans le catéchisme un moyen de
vaquer à des occupations utiles même si, avec le temps, il finit par
devenir bon chrétien, un adulte ne peut pas se permettre ce luxe.
Compte tenu de tout ce qu'il a à perdre dans l'opération, il est exclu
qu'il puisse s'y engager sans une volonté préalable forte de se
convertir.
Le catéchisme concernait surtout les jeunes hommes( 1) les
femmes, mariées très jeunes, étant sous la dépendance de maris qui
ne pouvaient les autoriser à y aller que quand eux-mêmes étaient
déjà chrétiens ou catéchumènes. Et quand elles étaient en attente de
maris,
elles
préféraient
parfois
se
marier
d'abord
avant
de
s'engager dans une voie incertaine, pouvant être remise en cause
par le mariage.
On
comprend
ainsi
l'importance
des
centres
d'accueil
de
fiancées créés dans les missions et chargés de préparer les jeunes
filles au mariage chrétien et, au passage, de leur apprendre les
rudiments de travaux ménagers, dans une sorte de retraite où le
temps nécessaire aux apprentissages est inévitablement abrégé.
Ces
femmes
n'ont
souvent
reçu
auparavant
aucun
enseignement religieux mais leur conversion étant nécessitée par
leur mariage, dont la date est généralement fixée avant la "retraite",
on
leur
aménage
le
temps
d'une
formation
accélérée
sous
la
direction
des
soeurs.
Beaucoup
de
jeunes
filles
rêvaient
naturellement de cette entrée dans la religion par la grande porte et
il semble ainsi que le laps de temps relativement court que durait
la formation n'était pas préjudiciable à la qualité de celle-ci(2).
1. Le cas de Fadiouth fait partie des exceptions notables. Dès le début
de la mission en effet. les femmes "réticentes ailleurs" semblaient aussi
intéressées et assidues au catéchisme que les hommes. Arch.
CSSP
160 B
V.
2. EMCLR 009
498
La
femme,
dans
ces
conditions,
en
effet,
semblait
particulièrement
motivée.
Mais
ces
raccourcis
demeuraient
exceptionnels. Ce qui nous ramène aux problèmes du parcours,
nombreux, à l'image des obstacles au christianisme. Beaucoup de
musulmans étaient, encore ici, des
chrétiens
qui
s'ignorent car
comme ceux de Pokham Tok, le coeur était chrétien sans qu'ils
puissent le matérialiser.
D'autres ont tenté d'aller plus loin en
essayant la voie chrétienne, mais sans avoir eu le courage de
continuer.
Comme ce musulman de Niakhar qui commença le catéchisme
mais
dut
l'abandonner
des
mois
plus
tard(l).
Ou
cet
autre
catéchumène devenu musulman, au bout de 3 ans de catéchuménat,
sans vraiment savoir pourquoi(2) guidé qu'il était par la certitude
que le catéchisme et le peu qu'il y avait appris n'étaient pas faits
pour lui. Mais avec son voisin resté chrétien, on comprend qu'il
n'était pas facile
à
quelqu'un
de
non
déterminé
de
persévérer
quand le missionnaire pouvait faire 6 mois sans passer, dans un
village où la confrérie Qadria était active et représentée par un
marabout
entreprenant(3).
La longueur excessive du catéchuménat devenait d'autant plus
insupportable que ceux d'en face étaient si simples... De plus, ces
bons Sérères n'avaient plus le temps
avec
leurs champs et le
troupeau à garder.
En fait, savoir qu'il faut des années pour devenir chrétien est
difficilement compréhensible quand on voit tous les jours les autres
"se coucher "païens" pour se réveiller le lendemain musulmans"(4).
Les gens se disaient alors que "le christianisme est la "propriété" du
missionnaire qui y fait entrer qui il veut et refuse les autres"(5). Ce
sentiment est sans doute renforcé par le fait que le missionnaire est
étranger au pays, de même que la religion qu'il représente.
1. EM 075
1. EM 075
3. ECHL 001
4. EM ()4{)
S. EMCLR 017 ; EM 055
499
On ne peut pas en dire autant de l'islam dont l'absence de
formalités
pour
l'accueil
de
ses
recrues
est
particulièrement
prononcée.
La
conséquence,
c'est que
le christianisme apparaît
comme une religion fermée, une sorte de corps d'élite, voué à
recruter une petite minorité de croyants.
Les masses sont ainsi tentées d'aller voir ailleurs, ce qUI est
d'autant moins compliqué qu'il n'y avait aucun obstacle à l'entrée
dans la communauté musulmane et qu'au contraire, on était ravi
d'accueillir
les
intéressés
d'abord,
avant
de
chercher
à
leur
apprendre non pas forcément la religion,
mais
un minimum de
pratiques toutes simples.
L'ignorance ambiante de la religion chrétienne n'a pas non
plus facilité les choses. Certains n'ont pas compris, ou alors avaient
une opinion précise du chrétien, que le catéchumène, en cas de
danger de mort, était automatiquement baptisé et ont quitté le
catéchuménat pour se faire musulmans(l). Avec parfois, il est vrai,
des arguments de poids : "puisqu'on peut mourir avant le terme du
parcours, pourquoi risquer de mourir sans religion 1" Il ne semble
pas
que
de
telles
inquiétudes
aient
été
particulièrement
bien
répandues mais le seul fait qu'elles aient existé démontre à quel
point les "lenteurs"(2) de la mission lui étaient préjudiciables.
De fait, le sentiment que donnait le catéchuménat, c'était "que
les gens travaillaient dans le vide"(3). Souvent n'ayant d'objectif
que pour la conversion, ils ne comprenaient pas très bien qu'on eut
cette idée de la renvoyer si loin, en la jalonnant, de surcroît, de tant
d'obstacles(4).
1. EMCLR 017
2.
C'est
le
mot
souvent
utilisé
par les
anciens
catéchumènes
devenus
musulmans.
3. EM 067
4. EM 061
500
B
-
La
difficulté
de
la
pratique
religieuse
Un des obstacles majeurs de la christianisation a sans doute
été la difficulté de la pratique religieuse, liée en partie à l'usage de
langues étrangères. Il est vrai que des efforts ont été faits dès le
début par les missionnaires pour apprendre la langue du pays et
que
beaucoup
d'entre
eux
étaient,
pour
paraphraser
le
R.P.
Libermann, Sérères avec les Sérères dont ils parlaient et écrivaient
parfaitement la langue.
Le père Lamoise qui passa un demi siècle à Joal traduisit
même la bible en sérère ce qui eut naturellement une influence très
positive sur l'évangélisation. Les catéchismes eux-mêmes étaient
tous traduits en sérère et l'ensemble de la catéchèse était effectué
dans cette langue.
C'est qu'il était indispensable au mIssIOnnaire de connaître le
sérère et tous ceux qui ont servi dans le pays se sont mis à
l'apprentissage de la langue avant tout déploiement à l'intérieur.
C'est ainsi que des "escales" étaient souvent nécessaires entre Dakar
et Ngasobil pour les nouveaux missionnaires du Sénégal. Dans ces
deux missions, on apprenait généralement vite les rudiments du
sérère, le reste étant à parfaire sur le terrain.
Cependant,
l'essentiel
de
la
liturgie, surtout
au
début,
ne
pouvait se faire qu'en langue latine, de même d'ailleurs que les
autres
parties
les
plus
importantes
de
la
messe,
le
sermon
excepté(l). Même le baptème était célébré en latin ainsi que les
autres sacrements(2). Pour les adultes, on se montrait cependant
plus souple en traduisant les questions en sérère(3). Mais beaucoup
de
"vieux"
chrétiens,
malgré
leur analphabétisme,
ont
toujours
préféré
le
latin
au
sérère,
ce
qui
démontre
quand-même
que
l'obstacle n'était pas insurmontable.
1. EMCLR 009 ; 017
2. Arch. CSSP 261 A III
3. Arch. CSSP 261 A III
501
Cela tend, surtout à prouver que "le problème se posait au
moment
des
premiers
contacts
avec
le
missionnaire.
Celui-ci
s'adressait alors aux populations dans leur langue mais une fois à la
messe,
c'est
à
peine
qu'il
prononçait
une
phrase
dans
cette
langue"(l). Même le sermon dans certaines missions était fait dans
une langue autre que le sérère. A Kaffrine comme à Diourbel, les
Sérères devaient ainsi suivre de bout en bout, une messe à laquelle
ils ne comprenaient rien puisque s'ils savaient par coeur les chants,
ils ne comprenaient que leur langue sérère et peut être le wolof.
Après la messe le prêtre, dans cette dernière miSSion, les
retenait seuls dans l'église pour leur faire l'économie du sermon du
jour en sérère qu'il avait au cours de la messe prononcé en français.
Ce qui
allongeait d'autant
la
durée
des
activités
du
dimanche
puisque les catéchumènes devaient souvent être eux aussi retenus
encore pour les besoins de la catéchèse(2).
Cette
même
situation
se
déroulait
partout
ailleurs
où
la
présence des étrangers (essentiellement des traitants
syro-libanais
et des Européens) était importante : Kaolack, Foundiougne et Fatick
au moins des décennies après les premières fondations de ces deux
dernières missions(3) . Ailleurs, un effort était fait pour introduire
le sérère dans les parties de la messe où il était introduisible, c'est-
à-dire dans le sermon et la liturgie(4).
Mais cela n'arrangeait pas forcément les choses. Le "mélange
de
langues
était parfois déroutant et il
est difficile de
suivre
correctement la messe dans ces conditions"(5). Pour quelqu'un qui
possède même approximativement ces langues, le problème ne se
posait peut-être pas.
1. ECHL 105
2. ECHL 011
3. ECHLR 017
4. EMCLR 009 ; 017
5.
Ibid.
502
Ce n'était pas le cas de ceux qui "fixaient à peine le sens des
mots
ou qui n'en connaissaient rien
du tout et qui étaient la
majorité"(l).
L'inconvénient d'une telle situation, c'est malheureusement le
manque de profondeur de l'engagement religieux.
Soit on était
vraiment intéressé et c'était le rythme. les belles mélodies du latin
qui vous emportaient et le fond ne suivait pas toujours ; soit on ne
comprenait pas et ne cherchait pas
à comprendre et tout cela
paraissait ennuyeux. C'est surtout la longueur de la messe qui. dans
ces
conditions,
présentait
la
plus
grande
difficulté
pour
les
chrétiens(2).
Mais de façon
générale, les fidèles avaient bien intérêt à
remplir leurs devoirs religieux et si l'on en croit les missionnaires,
les églises étaient bien fréquentées. Et le plain-chant, bien apprécié
par beaucoup(3), était suffisamment attractif pour faire supporter
ces problèmes de la messe.
L'exigence de la présence du prêtre, indispensable dans les
principaux
actes
de
la
vie
religieuse
n'a
pas
facilité
l'action
missionnaire.
Un
de
ses
inconvénients
était
de
ne
pas
trop
impliquer les fidèles
du moins le pensaient-ils parfois. ce qui les
amenait à croire que toute pratique, pour ne pas courir le risque de
s'écarter
trop
dangereusement
de
l"'orthodoxie".
devait
être
supervisée
par
"le
père".
Il
est
vrai
que
celui-ci
n'a
pas
particulièrement bien oeuvré pour qu'il en fût autrement tel qu'on
le sait avec le mouvement d'action catholique.
Sa méfiance excessive des "pratiques chrétiennes"
l'amenait à
trop vouloir centraliser l'action missionnaire, annihilant ainsi des
initiatives qui eussent été porteuses de plus de résultats. Dès lors.
l'idée que les sacrements étaient "compliqués"(4) était si répandue
et
dommageable
pour
l'adhésion
au
christianisme
que
même
certains catéchistes n'ont jamais songé à les administrer(5).
1. ECHL 011
2. ECHL 106
3. Le jeune L.S. Senghor par exemple. Horsr. XII, 1980,
p.5
4. A. Goudilly : L'Islam dans l'Afrique occidentale. Op. cit.
p.272
5. EMCLR 017
503
Aussi, la responsabilité souvent pleine et entière d'un nombre
de fidèles
beaucoup plus grand dans les autres religions ayant eu
tendance à
leur donner plus de responsabilité,
celle-ci
n'a pas
manqué de rejaillir sur la masse des autres. D'où cette impression
que "la religion leur appartenait"(l) au moment où le christianisme
restait la religion du Blanc et de ceux qui, bien que Noirs, voulaient
être
comme
lui.
L'existence
d'un
clergé
indigène
n'a
pas
profondément modifié cette vision inexacte de la mission,
mais
assez bien cultivée, sans doute inconsciemment par elle.
Bien que noirs, les membres de ce clergé ne l'étaient plus que
par la peau, si l'on en juge par leurs habitudes et la façon dont ils
étaient
généralement
perçus
par
leurs
compatriotes.
Mais
peu
importe, c'était là, pour la mission, la preuve qu'ils étaient de bons
clercs. Et il continuaient à jouer leur rôle et à être cette caution de
l'universalité de l'Eglise auprès de ceux qui seraient peut-être plus
réticents à y adhérer s'ils n'y voyaient pas, aux "postes les plus
élevés, leurs frères de race"(2).
Le déracinement de ces abbés noirs n'avait pas cependant les
graves conséquences qu'on pouvait en attendre. Ses effets négatifs
étant
largement
atténués
par
le
fait
que
les
parents
qu'ils
conservaient dans le pays ou tout au moins la conscience qu'ils
avaient d'y appartenir était un puissant élément de rattachement à
celui-ci ; inversement la société était fière d'avoir "ses prêtres" aussi
instruits et savants que les Blancs"(3).
L"'égalité de tous devant Dieu", si elle ne gêne pas les hommes
qui n'avaient pas conscience d'être supérieurs aux femmes devant
la religion, n'était pas aisée à appliquer dans la prière, dans une
société qui -comme en islam- a tendance à séparer les hommes et
les femmes dans les cérémonies et l'accomplissement des devoirs
religieux. L'on sait que l'une des cérémonies les plus importantes, le
ndut était faite séparément, de préférence à des années différentes
: les
hommes avaient leur ndut,
les femmes
le leur.
Le culte
catholique qui les
rassemble n'était pas forcément
bien
vu
des
gardiens de la tradition voire même de certains chrétiens.
1. EM 064
2. ECHL 098
3. ECHL 099
504
Ceux-ci auraient sûrement aimé que les pneres se fassent
séparément. Beaucoup de Sérères auraient en effet préféré ne pas
s'agenouiller devant des femmes et des enfants pour prier aussi
longuement que l'oblige le culte catholique(l). Pour d'autres, arrivés
au faîte de la connaissance dans leur société, et respectés pour cela,
certaines formes de prières étaient difficilement compatibles avec
leur rang ; ils n'avaient pas l'humilité du croyant.
La nature du
culte
traditionnel
et des
habitants
du
pays
expliquent également la difficulté pour le Sérère de la pratique
religieuse catholique. Ils s'agirait donc moins d'un orgueil mal placé
que de la difficulté de se départir de pratiques séculaires. Les
prières les plus intimes des adeptes de la religion traditionnelle
sont secrètes
ou
quasi-secrètes
et dites
en présence des
seuls
initiés(2).
Les femmes et les enfants sont très rarement concernés : on
prie pour eux bien qu'ils n'aient pas de prières personnelles à
adresser à Dieu. Le prêtre sérère ne prie pas en faisant prier, il
s'adresse à la divinité au nom des siens et pour eux(3).
C.
L'incompréhension
des
aspects
fondamentaux
du
christianisme
Ces mots de
A.
Quellien, lancés au tout début du
siècle
méritent
d'être
cités
pour
comprendre
la
difficulté
pour
les
Africains de s'adapter totalement à la religion catholique : "Si tout
le monde est croyant, il y a une distinction très nette entre le prêtre
et le fidèle"(4). Ce qui s'explique par le fait que le christianisme
comporte des
notions tranchées de distinction de classes et de
hiérarchie sociale.
"Il
y a nécessairement une
distance et une
différence aussi bien entre l'évêque et le simple prêtre qu'entre le
directeur d'une factorerie et son employé.
1. EM 064
2. EM 040
3. EM 108
4. A. Quellien
La politique musulmane ...Op. cft.
p.81
505
Les croyants sont en fait inégaux même devant Dieu et s'ils
ont les mêmes devoirs, ils sont loin d'avoir les mêmes droits"(l). Le
sentiment de "partialité de Dieu" qui pouvait découler de ce constat
n'est pourtant pas très répandu. Mais on ne peut soutenir sans
risquer de se tromper qu'il n'a pas pour
conséquence le scepticisme
des
masses
devant
cette
idée
largement
véhiculée
par
les
missionnaires que les hommes sont égaux devant Dieu, quelle que
soit leur situation dans ce monde.
Il est certain que les Sérères n'ont pas manqué de relever
cette contradiction entre ce qui est théorie missionnaire et réalité
de l'Eglise.
La
pauvreté
pratiquée
par
les
missionnaires
n'avait
ainsi
aucune chance d'être comprise ; on se demande d'ailleurs si elle a
jamais intéressé les fidèles qui, de toute façon, ont toujours cru que
les
missionnaires
baignaient
dans
l'aisance
matérielle
la
plus
totale(2). Dans ces conditions, "il était difficile de les croire quand ils
nous parlaient de pauvreté" - la vraie - ou quand ils semblaient lui
trouver
une
certaine
vertu
à
travers
cette
phrase
alors
assez
répandue : "Il est plus facile à un chameau d'entrer dans le chas
d'une aiguille qu'à un riche d'aller au paradis"(3).
En même temps, la chasteté, le célibat des prêtres fut souvent
"épinglé" par les Sérères qui le trouvaient particulièrement difficile
à saisir. Ce qui se comprend, puisque le mariage est si important
chez eux ; le Sérère louait ainsi les qualités du prêtre mais l'idée
qu'il avait de la vie imposait une certaine réserve à son endroit : on
pouvait donc à peine tolérer le missionnaire célibataire puisqu'il
n'était pas du pays et échappait ainsi à ses règles.
Mais sa situation était loin d'être enviée. Ce que confirme
largement le fait que, bien qu'il fut pratiquement né en pays sérère,
le
séminaire
n'a
formé
qu'un
nombre
presque
insignifiant
de
prêtres sérères avant la seconde guerre mondiale.
1. A. Quellien : La politique musulmane. Op. cit. pp.89-90
2. EMCLR 017
3. Affirmation si répandue qu'on ne sait d'ailleurs plus, dans le pays. qui
des musulmans ou des catholiques l'a inventée !
506
"Il s'y ajoute la symbolique trop abstraite"(l) du christianisme
qui déroute
les
Africains,
"non
à cause du
merveilleux qu'ils
seraient prêts à admettre, mais parce que, en l'occurrence, ces
mystères heurtent leurs idées sur l'anthropomorphisme ou sur la
toute puissance de Dieu"(2). Les symboles de l'orthodoxie catholique
paraissent ainsi "bien compliqués et abstraits"(3).
Dés
lors,
les
Sérères
"qui
ne conçoivent que
le
concret
comprendront difficilement les mystères du christianisme"(4). Ils
ont donc beaucoup de peine à admettre, "avec le mystère de la
Sainte-Trinité, que trois personnes distinctes ne font qu'un seul et
même Dieu ; le mystère de l'Incarnation ne (leur) sera pas moins
incompréhensible, (ils se refuseront) à croire que Dieu dont (ils se
font) une conception tout à fait transcendantale, ait pu prendre une
corps et une âme semblables aux nôtres dans le sein de la Vierge-
Marie.
La Trinité ne peut comporter pour eux une nature à la fois
divine
et
humaine.
(Ils
ne
comprendront)
pas
davantage
l'Immaculée conception qui se trouve en contradiction absolue avec
(leurs) notions plus élémentaires de physiologie et (leur) conception
de la toute puissance de Dieu ne sera nullement satisfaite par l'idée
de faiblesse incluse dans la crucifixion de Jésus-Christ"(5).
On touche sans doute ici l'une des causes (secondaires, il est
vrai car l'on a vu comment le Sérère est peu porté à la réflexion
religieuse et à la spiritualité) de la résistance à la conversion. Les
Sérères, qui ont le sentiment que leur Dieu et celui du missionnaire
sont un seul et même Dieu, ont bien du mal à comprendre qu'un
être aussi complet et puissant puisse "naître", et comment ? : de la
réunion de tant d'éléments qu'il est lui même
censé avoir créés(6).
1. A. Gouilly
L'islam dans l'Afrique occidentale française ...Op.cit.
p.272
2.
Ibid.
3. A. Quellien : La politique musulmane...Op. cit.
p.79
4. A. Gouilly : L'islam dans l'Afrique occidentale française... Op.cit.
p.272
S. A. Quellien : La politique musulmane... Op. cit.
pp.79-80
6. EM 067
507
Dés lors, on entre de plain-pied dans la confusion. A la base, il
y a bien sûr la difficulté de comprendre et même d'accepter le
mystère lui-même
et l'idée qu'on
se fait de Dieu dont la puissance
est telle, pour les Sérères,
qu'on ne saurait l'identifier à une
personne( 1).
Aussi,
poussent-ils
parfois
le
scepticisme
jusqu'à
parler de blasphème concernant la Trinité(2).
L'Eglise
est
donc
ICI
en
situation
difficile
pour
faire
comprendre et accepter un mystère par ailleurs largement contredit
par l'islam qui, sur ce point, rejoint tout à fait la compréhension de
la religion traditionnelle.
Bien curieusement, la mISSIon pour surmonter la difficulté,
semble avoir utilisé ici un procédé qui fut largement celui de l'islam
: devant la complexité des mystères conduisant naturellement au
doute, certains missionnaires recommandaient de s'abstenir d'aller
plus loin dès lors que celui-ci risquait de conduire le fidèle à
s'interroger sur l'existence de Dieu ou sur de la véracité de la
religion(3 ).
En somme, la foi en Dieu ne s'explique pas, elle se vit et se
conserve. Les missionnaires qui, dans leur logique croyaient devoir
tout expliquer faisaient donc, ici, comme ceux d'en face. Ce qui,
après tout, n'était pas dépourvu de bon sens.
Dans l'impossibilité de faire comprendre en se mettant
notamment "au niveau de leurs adeptes"(4» pour ne pas risquer
"de dénaturer l'essence même du dogme"(5) ils acceptaient plutôt le
christianisme superficiel que rien. La connaissance de la religion est
ainsi généralement très limitée.
L'adoption
du
christianisme
qui
devait
nécessairement
s'accompagner du rejet de tout ce qui s'identifiait à la religion
traditionnelle semble avoir favorisé
cette situation où,
une fois
acquises les connaissances nécessaires pour le baptême, le chrétien
était
souvent convaincu qu'il
n'avait
plus
à
apprendre
puisque
connaissant tout du christianisme.
1. EM 040
2. EM 072
3. EM 108
4. A. Gouilly
L'islam dans l'Afrique occidentale... Op. cil.
p.272
S. Ibid, p.273
508
C'est alors que la pression qui pesait sur les catéchumènes
qu'ils étaient s'étant relâchée, les nouveaux chrétiens durent parfois
affronter le risque de trouver,
dans leur ancienne religion trop
condamnée par les missionnaires mais qui gardait pour eux au
moins certaines de ses verités - ce qui n'était pas sans accentuer le
défi
au christianisme- les réponses
à
bien de
leurs
problèmes
auxquels le christianisme était loin d'avoir trouvé un début de
solution( 1).
Il n'est donc pas étonnant qu'ils aient souvent éprouvé le
besoin d'y retourner, devant ce qu'ils considéraient comme un "vide
compliqué", d'autant qu'avec le temps, ils n'ont cessé de se rendre
compte qu'il leur était décidément bien difficile de se détacher de
leurs coutumes.
1.
Sans
forcément
retourner
à
l'''animisme",
beaucoup
de
chrétiens
retournaient
très
souvent
à
certaines
de
ses
méthodes.
Comme
ce
chrétien "convaincu" qui n'a pas hésité à aller voir le charlatan dont il
attendait la survie de ses enfants puisque aucun de ceux qu'il a eus n'a
survécu à son baptême. Ou cet autre qui consultait souvent les devins
"pour connaître la source du mal des siens plutôt que d'aller voir le
médecin parce que "c'était plus efficace et moins cher" ou, plus grave,
cette
femme
convaincue
que
le
baptême
ne
dispensait
pas
de
la
consultation et de la pratique des fétiches "qui seuls mènent le monde.
font et défont les situations
et les hommes,
garantissent ou "gâchent
l'avenir.....
On pouvait continuer la liste de ces exemples, certainement
très
nombreux.
509
CHAPITRE
III
L'ISLAM
UN FACTEUR DE REFUS DU CATHOLICISME
1 - UNE RELIGION ANCIENNE AU SENEGAL
A -
L'introduction
de
l'islam
au
Sénégal
Si tout semble indiquer que l'islam fut introduit en Afrique
après le christianisme, il s'y est, en revanche, mieux acclimaté et
plus vite de sorte qu'à partir du XIVe siècle, il laissait déjà des
traces
d'un
développement
continu
et
même
assez
harmonieux
parfois, suivant les conjonctures et les époques.
La première introduction de l'islam en Afrique occidentale
ressemble pourtant à celle du christianisme : elle fut sans effet. Aux
VIlle et IXe siècles, des expéditions contre les
Sud a n (1)
ne
parvinrent pas à imposer l'islam.
Et quand au
XIe
siècle les
Sanhadja(2)
occupèrent
Ghana(3),
ils
ne réussirent pas,
au
contraire, à amener ses habitants à l'islam. Ce qui contredit sans
doute la thèse de ceux qui estiment que c'est à ce moment que s'est
précisément effectuée la première vague significative d'islamisation
des Noirs.
1. De Bilad al Sudan. Désigne donc les habitants de Ghana c'est-à-dire
les Noirs.
2.
Peuple
arabo-berbère.
3. Empire
de l'Ouest africain, englobant au moins une partie nord du
Sénégal. Il fut fondé au IIIe siècle et dura jusqu'au XIe siècle date à
laquelle il fut détruit par les AI m 0 r a v ide s
engagés
dans
la
conquête
islamique du "pays des Noirs" ; il s'en est suivi une dispersion des peuples
qui résistaient ainsi à la conversion islamique. Au début du XIIIe siècle,
Soumangourou
Kanté s'empara de Ghana
désormais
réduit
en petit
royaume et fonda le Mali qui s'étendit considérablement avant d'être,
à
son tour, attaqué par les Mossis et totalement conquis par les Songhais
au XVIe siècle. L'empire
SonghaI qui existait déjà au VIe siècle devint
ainsi le plus grand empire de l'Ouest africain avant de disparaître sous
l'invasion marocaine de la fin du XVIe siècle (1592). Le renforcement de
l'émiettement politique aussi facilité par la disparition du dernier grand
empire africain ouvrait en même temps l'"ère européenne" de l'Afrique
dont le point culminant devait être la colonisation, à partir de la seconde
moitié du XIXe siècle.
510
A
l'opposé,
J.H.
Triaud
signale
l'impossibilité
d'une
islamisation si précoce(l) avant de céder, malheureusement, aux
prétentions qui sont la conclusion logique des premiers, en prêtant
à l'islam au Mali
du XIVe siècle une "pleine expansion"(2). La
réalité nous semble évidemment moins tranchée.
De l'invasion sanhadji au XIe à la conquête soussou du début
du XIIIe siècle qui rejeta les Sanhadja dans la zone désertique(3), il
s'est écoulé plus de cent ans de présence berbère dans le Bilad al
Sud a n qui n'a pas été vidé de toute sa population noire, malgré
l'exode massif de celle-ci.
Aussi, les roitelets qui acceptèrent, à la tête de ceux qui
étaient restés, d'entériner le fait accompli ont dû, en échange de
leur position, accepter de se convertir à l'islam.
Cet islam opportuniste(4) date certainement du XIe siècle et
on cite volontiers le roi du Tékrur, War
Diaby dont on ne sait
d'ailleurs pas s'il est mort en 1040(5) ou s'il s'est converti en 1068
1(6), Qanmar
ben
Basi "roi d'Alûkan", une province perdue et
apparemment
sans
grand
intérêt
puisque
les
auteurs
arabes
se
contentaient de mentionner tout simplement qu'elle est "proche du
pays de l'or"(7), ou le très anonyme "roi de Gao"(8) ...
r-J~-C-Triaüëi-:-Queïqu-es remarques sur l'slamisation du Mali des
origines à 1300. Bulletin de l'IFAN sér. B. 0°4, 1968
pp.1335-1338.
2. Ibid, p.1341
3.
A.
Le
Chatelier
:
L'islam
dans
l'Afrique
occidentale.
Paris,
G.
Steinheil, 1899
p,46
4.
M.
Delafosse
parle du
"prestige"
qui
s'attache
aux
adeptes
de la
religion nouvelle : Les Noirs de l'Afrique. Paris, Payot. 1922
p,47
S. J. Ki Zerbo : Histoire de l'Afrique noire. Paris, Hatier, 1972,
p.106;
J. Cuocq : Histoire de l'islamisation de l'Mrique de l'Ouest des origines
à la fin du XVIe siècle. Paris, Geuthner, 1984
p,43
6. J. L. Triaud : Quelques remarques sur l'islamisation du Mali...
p.137
7.
Ibid.
8.
Ou Kaw-kaw, comme l'appelaient alors d'autres auteurs arabes.
511
La population, si elle a existé, était ainsi trop squelettique
pour amener à admettre, comme le fait sans réserve R.
Manevy( 1),
l'islamisation des "gens de Kouar, de Gao (et) de certaines régions du
Soudan".
Cette
affirmation
est
d'autant
moins
acceptable
que
l'auteur donne raison à Al Bakri qui écrit au XIe siècle, pour
relater des faits antérieurs à son époque. Visiblement, les auteurs
confondent l'existence de mosquées "dès le IXe siècle"(2) et donc,
fatalement la présence de musulmans à Ghana avec l'islamisation de
ses habitants. Or ces musulmans n'étaient que des étrangers au
pays
qui,
avant
et
après
l'échec
de
la
dernière
tentative
d'introduction par la force de l'islam au Soudan, ont cru devoir user
de diplomatie et de patience pour convertir les Noirs.
L'aspect économique fut d'une importance certaine pour cette
conquête musulmane puisque depuis le VIlle siècle, les Arabes
savaient que
le pays des Sudan était aussi
"celui de l'or"(3).
Jusqu'au XIVe siècle, l'islam est donc trop localisé et si peu ancré
chez les Noirs qu'il ne pouvait constituer une religion du grand
nombre.
On peut noter avec A.
Es-Sadi que "le paganisme demeura
souverain dans les régions autres que le Mali proprement dit et
dans cette région même, il ne perdit pas sa puissance"(4).
De fait, "l'islam fut comme une religion d'apparat, une sorte
d'exotisme de bon aloi pour courtisans dont l'intransigeance et le
fanatisme n'entamèrent pas le fond indigène. La masse du peuple
n'a pas changé elle est demeurée païenne"(5).
1.
L'Afrique
occidentale
d'après
les
auteurs
arabes
anciens
(666-977).
Notes
Africaines 0°40,
oct. 1948
p.7
2. J. Cuocq : Histoire de l'islamisation de l'Afrique de l'Ouest...Op. cit.
p.43
3.
R.
Manevy
:
L'Afrique
occidentale
d'après
les
auteurs
arabes
anciens...
p.6
4.
Tarikh
es-Sudan. Traduction de O.
Houdas.
Paris.
Maisonneuve,
1964 p.122
S. A. Es-Sadi : Tarikh es-Sudan... Op. cit.
p.122
512
Il fallut attendre l'avènement des Mansa (1) pour assister au
vrai début du mouvement d'islamisation de l'Afrique occidentale(2).
Mansa
Moussa fit le pèlerinage à la Mecque, auquel on attribue
généralement des conséquences positives sur l'islamisation.
De ce pèlerinage, est née, d'après l'auteur, "la régularité de la
pratique musulmane" dans l'empire(3). Et ce bien qu'on prête à "cet
islam
populaire,
immergé
dans
un
animisme
luxuriant
et
envahissant", une grande faiblesse(4), d'ailleurs largement
attestée
par le comportement du "plus musulman" des Mansa qui ignorait
"l'interdiction coranique d'avoir plus de quatre
femmes"(5).
En fait, l'islam restait superficiel(6). Cependant, s'il est vrai
que ces observations de J. Cuoq et J. Ki-Zerbo démontrent
la
difficulté d'une application correcte de la nouvelle religion, elles ne
sauraient
contredire
la
dévotion
de
Kankou
Moussa
qui
est
généralement
admise.
Contrairement à ce que pourraient laisser penser certaines
thèses de spécialistes(7), l'islamisation du Sénégal ne vient pas du
Mali, elle ne débute pas sous les Mans a , mais avant eux. Au
moment du pélerinage de Kankou
Moussa, au début du XIVe
siècle en effet, le Tékrur officiel était déjà islamisé et son chef est
considéré comme "le premier souverain soudanais que convertit la
propagande almoravide"(8) quelque trois siècles plus tôt.
1.
Terme
mandingue
désignant
le
souverain.
On
nomma
ainsi
les
successeurs
de
Soundjata
Keita,
singulièrement
ceux
des
empereurs
qui régnèrent à partir de Mansa (ou Kankou) Moussa, au tout début du
XIVe siècle.
2. J. Cuocq : Histoire de l'islamisation en Afrique de l'Ouest... Op. cit. p.88
3. Ibid.
p.124
4.
Ibid.
5. J. Ki Zerbo : Histoire de l'Mrique noire... Op. cit.
p.138
6.
Ibid.
7.
Notamment
J.
Cuocq
: Histoire
de
l'islamisation
de
l'Afrique
de
l'Ouest. Op. cit.
p.88. Avant ce mouvement qui concerna certainement
une partie de l'Afrique de l'Ouest et le Sénégal, l'islam était déjà, depuis
des siècles. introduit (mais très localisé sans doute) au nord du pays.
8. Ch. Monteil : Les empires du Mali. Paris. Maisonneuve & Larose. 1968
p.92
Bien qu'il peut a priori être hasardeux d'en déduire que ce
Tekrur est sénégalais, ce nom étant devenu le signe de l'islamisation
513
dans le Soudan, au point que toute région soudanaise soumise à la
loi de Mohamet a été dans les textes appelée Tékrour(l), il nous
semble qu'il s'agit bien de la région sénégalaise des Tekrari, des
Toucouleurs dont la conversion du roi est unanimement située à
cette date, aussi bien par les auteurs que par la tradition orale.
En revanche, que ce pays ait englobé à l'époque une zone bien
plus vaste au Nord et à l'Est et bien moindre au Sud n'est pas
impossible d'autant que les mouvements de populations, à cette
période particulièrement troublée,
étaient fréquents.
Que par la
suite cet islam se soit assoupi ne fait pas de doute. Comme on le sait,
la pratique et la ferveur religieuses dépendaient de la situation
politique, des souverains, de l'époque.
Mais quoi qu'il en soit, la religion était déjà introduite au
Sénégal et devait gagner leSud. Elle devait le faire dans un premier
temps avec les populations wolofs(2). Cette donnée est importante
et démontre que l'islam officiel peu consistant ou en perte de
vitesse, ne pouvait prendre en charge l'islamisation de la société, à
cette période particulière, contrairement à ce que suggère A. Gouilly
dont l'analyse des phases d'implantation de l'islam est séduisante
mais
défend
la
thèse
contestable
d'une
islamisation
par
le
sommet(3).
Ces 5 phases(4) correspondent en effet aux dates de règnes
précis : ainsi, si la phase berbère est acceptable non pas pour les
résultats
très
limités que permit d'obtenir la guerre
sainte des
Almoravides, mais parce qu'elle amena les premières conversions
dont on a cependant bien montré les limites; s'il est difficile de faire
l'impasse sur les "templiers de l'islam", idéalistes et intolérants de la
deuxième moitié du XIXe siècle dont l'impact sur l'expansion de la
religion
est
par
ailleurs
discutable,
il
est
impossible,
voire
surprenant de vouloir assigner aux Mansa ou aux
Peuls, ou encore
à l'empire
songhaï un rôle qu'ils
n'ont pas
vraiment eu
dans
l'islamisation.
1. Ch. Monteil : Les emprises du Mali. Op. cit. p.92
2. A. Le Chatelier: L'islam dans l'Afrique occidentale...Op. cil. p.14û
3. L'islam dans l'Afrique Occidentale Française. Op. cit. pA7
4. Phases
berbère
(XIe
siècle),
manding
(XIVe
siècle).
sonrai
(XVIe
siècle), peule (XVIIe-XIX siècles) et des empires combattantes (fin du XIXe
siècle).
514
Même au temps fort des guerres saintes (qui n'ont
aucunement été le souci majeur des grands empires), l'islam n'a
jamais réussi à gagner les Sénégalais par la force.
L'islam imposé n'a pas réussi à atteindre les masses et ne
concernait en fait que les dirigeants(l) et leur entourage dont les
conquérants pensaient peut-être qu'il suffisait de les convertir pour
islamiser le reste du pays. Erreur évidemment.
Aussi, n'est-il pas étonnant que même les partisans de cette
thèse ne puissent pas expliquer pourquoi "une classe de la société
indigène"
qui
est
importante
par
son
poids
politique
et
son
influence sociale, et qui faisait régner -à sa manière - la loi dans les
royaumes
de
tout
le
pays,
les
"tiédos",
resta
réfractaire
au
"mahométisme" jusqu'à la conquête coloniale(2).
La tolérance religieuse du roi
a facilité
l'installation des
Maures, ces "Arabes qu'il tient ordinairement en sa maison quasi
comme
prêtres,
lesquels
sont ceux
qui
l'instruisent
en
la
loi
mahométane"(3). Signalée ainsi dés le XVe siècle, la présence des
Arabo-Berbères est encore attestée deux siècles plus tard.
1. Encore faut-il entendre "dirigeants" au sens le plus Irge car le roi, s'il
n'y
est pas
contraint
directement.
n'a
aucune
raison
de
se
convertir,
d'autant
qu'il
est
le
chef-gardien
d'un
pays
dont
le
changement
de
traditions
religieuses
peut bien lui
coûter le trône.
Ils
sont,
en
fait,
parmi les premiers résistants dans la plupart des cas et les derniers à
changer de
religion.
2. A. Le Chatelier : L'islam dans l'Afrique occidentale... Op. cit. p.140
3. A. de Ca da
Mosto
: Relation
de
voyages
à la côte
occidentale
d'Afrique. Paris, Ch. Schefer - Ed. Leroux, 1895 p.98.
515
Il semble même qu'à l'époque déjà, l'islam soit désormais bien
établi et des écoles coraniques fonctionnaient dans le pays. Le père
Baltasar
Bareira(l) notait ainsi en
1606 que
les
"Jalofos"(2)
suivaient tous "la secte de Mohamet"(3).
Mieux, ces écoles et des mosquées existaient jusqu'aux portes
mêmes du pays sérère : "les Mandingues voisins des Barbecins(4)
possèdent des mosquées, des écoles où l'on apprend à lire et à
écrire"(5).
Dés
lors,
on
peut
parler
de
l'installation
de
la
religion
musulmane d'autant que les "cacizes"(6) étaient présents dans le
pays
où
ils
islamisaient les
autres
localités
(apparemment les
royaumes non sérères) dans lesquelles ils jouaient un rôle politique
souvent très important(7).
A cela, s'ajoutait une pratique religieuse assez suivie puisque
toutes les grandes fêtes musulmanes étaient
célébrées dans le
Cayor : "Naissance de Mohamet, Tabasky et Tamharit"(8).
1. lésuite d'une mission ponugaise à la côte du Cap-ven au début du
""Ile si~le.
2. Probablement, le père voulait parler des Wolofs ou les habitants du
Diolof (ce qui reviendrait d'ailleurs, à peu de choses près. au même).
3. G. Thilmans &
N.1. de Moraes : La description de la côte de Guinée
du P. Barreira (1606). Bulletin de l'IFAN. série B,
nOl. 1972 p.31
4.
Barbecins désigne sans doute ici les Bours Sine. appellation wolof et
sérère des rois du Sine. dont le nom serait ainsi attribué également à
leurs sujets sérères.
S. G. Thilmans & N.I. de Moraes : La description de la côte de Guinée ...
p.32
6. Mot désignant sans doute les marabouts
7. G. Thilmans & N.I. de Moraes: La description de la côte de Guinée ...
pp.32-33
8. J.A. Le Brasseur : Détails historiques et politiques : mémoires inédits
(1778) de...présenté et publié par Ch.
Becker &
". Martin - Bulletin
de l'IFAN ser. B. nOl, 1977 p.99
516
On note que ces deux derniers noms étaient déjà définitifs, ce
qui serait un autre indice de l'ancienneté de l'islam. Mungo
Park
confirme cette version vers la fin du XVIIe siècle en notant que
l'islam "a fait de grands progrès parmi ces nations et chaque jour en
fait de nouveaux"(l).
Cette période est d'ailleurs fertile en événements intéressant
la religion musulmane : "soulèvements musulmans au Ndiambour et
au Cap-Vert, invasion de l'Almamy Abdoul Qadir(2) du Kayor"(3).
Ces événements sont liés à la transformation en profondeur de la
société sous la houlette des musulmans.
A l'exception en effet des Etats "théocratiques"(4), tous les
royaumes wolofs et sérères(5) sont dirigés par des rois "animistes"
et
des
tiédos
dont
les
exactions
sur
les
populations
avaient
notamment contribué, au XVIIIe siècle, au soulèvement et à la
sécession des provinces du Cap - Vert et du Ndiambour...
De
façon
générale,
elles
devaient
renforcer
le
camp
des
musulmans, beaucoup trouvant désormais dans l'islam un moyen
d'échapper à l'arbitraire qui se manifestait au quotidien dans les
royaumes.
1.
Voyage
dans
l'intérieur
de
l'Afrique
en
1795,
1796
et
1797.
Traduction de J. Castéra. Paris, Dentu & Carteret, an VIII (1799)
T.l p.22
2. Mungo Park rend compte de cet évènement en 1799. "Le roi de Fouta
Torra enflammé d'un saint zèle pour la propagation de sa religion avait
envoyé à Damel une ambassade" pour le convertir. Le refus du Damel (roi
du Cayor) entraîna l'expédition d'Abdoul Kader qui fut défaite et son chef
prisonnier. Le Damel le garda pendant trois mois avant de le libérer"
Voyage dans l'intérieur de l'Afrique... T.2 pp.127-130
J. Ch. Becker &
V.
Martin
: Kayor et Baol.
Royaumes sénégalais et
traite des esclaves au XVIIIe siècle, p.6. Inédit
transmis par bibliothèque
IF AN sous 4° BRI 3713.
4. On en compte 3 qui vécurent au moins jusqu'à la conquête coloniale :
le Fouta
Torro, le Boundou et le
Ndiambour. Un autre Etat, celui des
Lébous
du Cap-Vert, était plutôt laïc, avec des institutions plus proches
de celles d'une République.
S. Walo, Cayor, Diolor au Nord; Baol, Sine et Saloum à l'Ouest.
517
Cela était d'autant plus compréhensible que les
marabouts
prêchaient
l'égalité
de
tous
puisque
"seul
Dieu
est
maître",
s'opposaient à la traite des esclaves au nom du même principe, aux
guerres interminables et aux nombreux pillages.
Le
"renouveau musulman"
du
XIXe
siècle que A.
8amb
appelle
"l'islam
guerrier"(l)
trouve
donc
ses
racines
dans
ces
mutations
du
XVIIIe(2).
Celles-ci
sont
la
cause
lointaine
de
l'accélération de l'islamisation du Sénégal qui, bien que n'ayant
qu'un rapport indirect avec les
guerres saintes de la deuxième
moitié du XIXe siècle, prit son départ avec elles.
Les
marabouts
guerriers
n'ont
donc
pas
eu
le
temps
d'assimiler les leçons du passé. La guerre religieuse n'a nulle part
porté en elle la réalisation de l'espoir qu'ils avaient d'amener les
populations à l'islam et des Almoravides à Abdel Kader, se sont
ainsi écoulés plus de six siècles de piétinement religieux dans lequel
les seules lueurs de progrès ont été celles portées par l'islam
pacifique. Celui-ci recruta beaucoup plus et tous les progrès jusqu'à
la fin du XVIIe siècle lui sont pour l'essentiel dus. Mais ces
marabouts contribuèrent sans conteste à mieux faire connaître la
religion, jusque dans les régions où elle était la plus mal accueillie.
Par sa charge de violence qui ne laissa aucune zone insensible,
du fait du problème de sécurité qu'elle posait aux différents pays,
l'islam guerrier réussit ainsi à faire
admettre l'existence de
la
religion
musulmane
qui,
à
défaut
d'être
acceptée,
était
un
adversaire respectable qui, parce qu'il ajoutait à l'insécurité, était
parfois un problème d'Etat auquel était finalement opposé, non plus
forcément un refus définitif mais l'orgueil de souverains et de
sujets, qu'habitait le souci légitime de ne pas se voir dicter leur
conduite par l'étranger.
Cette situation favorisa largement le travail des marabouts
locaux qui, parce qu'ils ont parié sur la coexistence pacifique de leur
religion
avec l'ordre temporel,
n'ont pas manqué de gagner la
sympathie des populations. Celle-ci fut d'ailleurs telle que dépassés
par les évènements, les puissants d'hier acceptèrent de reconnaître
la légitimité de ce nouveau pouvoir.
1. L'islam et l'histoire du Sénégal. Bulletin de l'IFAN. série B, n03.
1971 p.477
2. Cb. Becker & V.
MArtin : Kayor et Baol...p.6
518
Les forces religieuses avaient alors commence a prendre le
dessus sur les forces politiques traditionnelles et on vit des rois
dépossédés de leur territoire par l'administration coloniale, et qui
s'étaient
toujours
montrés
ardents
défenseurs
de
la
tradition,
n'avoir d'autre recours que les marabouts. Lat Dior chassé du Cayor,
se réfugia ainsi dans le Saloum, chez Maba où il se convertit même à
l'islam(l).
1. Seul, A.B.
Diop, petit fils
de Lat
Dior prétend que celui-ci s'est
converti à l'islam avant d'aller rejoindre Maba, voulant accréditer ainsi
la thèse contestable d'une présence au sommet de
l'Etat du
Cayor de
l'islam,
avant comme au temps
de son grand-père
: "Lat
Dior et le
problème
musulman".
Bulletin
de
l'IFAN sér. B nOl-2, 1966, pp.493-
539. Affirmation évidemment fausse qui a cependant l'intérêt majeur de
démontrer que l'islam avait, dès la 2e moitié du XIXe siècle. pris une telle
importance
("morale"
plus
que
sociologique
dans
un
premier
temps)
qu'il
devenait
directement
ou
indirectement,
un
passage
obligé
pour
toute légitimation du pouvoir. Aussi, les contemporains des descendants
de Lat Dior, qui en sont entièrement imprégnés ne comprendraient pas
que leur héros ait pu demeurer longtemps "animiste". Du moins A.B. Diop
le pense-t-i1, à tort sans doute. Mais cela ne devait quand même pas le
pousser
à
défendre
l'indéfendable.
Sa
thèse
est
d'ailleurs
si
confuse
qu'elle amène souvent à de l'à-peu-près : ainsi, le mot Yalla (de l'arabe
Allah)
désignant
Dieu
en
wolof serait-il.
selon
lui,
la
preuve
d'une
islamisation très ancienne des Wolofs qui pourrait même être antérieure
à l'empire du Mali ! La preuve ? : "des groupes plus récents, fortement
islamisés ont conservé leur nom : Emitaye pour les Diolas. Rok pour les
Sérères ... ". Une logique discutable qui ignore que les Diolas sont plus
anciens
que
les
Wolofs
au
Sénégal
et
bien
qu'occupant
une
aire
géographique située au Sud du pays, ont bien pu être en contact avec
l'islam sans l'adopter pour autant ; qu'avec les Sérères, les Wolofs ont
émigré plus au sud au temps de la poussée almoravide pour échapper à
l'islamisation, ne laissant dans cette partie du Sénégal que les Tékruri et
que,
bien
plus
anciennement
islamisés.
ceux-ci
n'en
ont
pas
moins
conservé "leur" nom de Dieu. D'une remarque de A.Bamba à son père à
propos de son grand-père : Lat Dior "n'a rejoint Maba que dans le but
d'acquérir la force militaire indispensable à sa lutte contre les Français.
mais une fois engagé dans l'islam. il en a respecté l'esprit". A.B. Diop
déduit que
c'est
la conjoncture
politique
qui
était
à
la base
de
cet
évènement et que
Lat Dior était musulman
avant
même de
connaître
Maba.
devenant
simplement
après.
un
grand
islamisateur.
Curieuse
manière de faire l'exégèse d'un texte. La pensée du cheikh mouride ne
souffrait
pourtant
d'aucune
ambiguité
et
confirme
tous
les
renseignements
sérieux
sur la question
: comme
d'autres
rois
de
son
époque, Lat Dior n'a été ni musulman avant son séjour au Rip, ni même
bon pratiquant après
sa conversion.
Son petit fils
ignore d'ailleurs un
détail important : son grand-père ne s'est résolu à aller chez Maba que
parce qu'il a été refusé au Sine où le roi Coumba Ndoffène Diouf, cédant -
encore une fois - à la pression française, ne voulait pas de sa présence ;
et c'est alors seulement qu'il s'est rappelé qu'un peu plus au Sud, il y
avait
un
ennemi
des
Français
sans
doute
le
seul
susceptible
de
l'accueillir.
Le marché qu'il
passa
avec
Maba
semble
ainsi
avoir été
conclu malgré lui, puisque l'almamy était son ultime recours ; il fut clair
et net : l'asile en échange de la conversion (cf. notamment 1. D. Thiam :
Maba Diakhou Bi Almamy du Rip. Op. cit. Non paginé).
519
B.
L'islam
dans
le
pays
:
du
jihad
aux
confréries
pacifiques (1850 - 1955)
Au moment où commença la guerre sainte de El Hadj Omar, en
1850, l'islam qui est loin d'être "une religion
traditionnelle au
Sénégal" comme l'affirme A. Samb(l) était pratiqué un peu partout
dans le pays, mais par une minorité, au moins en pays wolof et
sérère, sans parler du Sud où, à l'exception notable de la Haute
Casamance largement islamisée, toute la région, à l'exception d'une
toute
petite
minorité
chrétienne
d'origine
étrangère,
restait
essentiellement "animiste".
S'il est vrai que son introduction dans le Fouta remonte au
haut Moyen-âge, rien ne prouve que les royaumes et Etats "qui se
sont formés au Sénégal ont été portés sur les fonts baptismaux de
l'islam"(2). Comme le note Y.J.Saint-Martin en effet, les positions
qu'occupe l'islam jusqu'à la fin de notre période "ont été conquises
assez récemment"(3). L'expansion de l'islam a souvent été stoppée
et parfois
même il disparut(4),
notamment quand
l'islamisateur,
étranger au pays, le quittait pour une raison ou pour une autre,
sans avoir laissé de remplaçant ou une communauté musulmane
digne de ce nom.
1. L'islam et l'histoire du Sénégal. Bulletin de l'IFAN sér. B, n0 3, 1977
p.461
2. Ibid, p.469
3. L'empire toucouleur (1848-1897). Paris, Le livre africain, 1970
p.22
4. J.C. Froelich : L'islamisation de l'Afrique de l'Ouest au Xe siècle. In
Islam
in
Tropical
Africa. Studies presented and discussed at the fifth
international
african
seminar.
Ahmadou
Bello
University.
Zaria,
lanuary 1964. Oxford University Press,
1966 p.167. Ceci explique sans
doute que "l'ensemble des Wolofs du Sénégal ne semblent bien s'être
islamisés en masse que vers la fin du XIXe siècle" : V.
Monteil, L'islam
noir. Une religion à la conquête de l'Afrique. Paris, Seuil, 1980
p.124. Si
on enlève de la société sénégalaise les Wolofs, les Sérères et la plupart
des groupes ethniques de la Basse Casamance il reste certainement une
minorité. Certains auteurs ont donc vu à tort l'existence des musulmans
en nombre là où seul, le libéralisme des rois "païens" ou plus ou moins
musulmans,
les
amenait
à
donner
aux
marabouts
des
concessions
territoriales
qu'ils
mettaient
en
valeur,
en
s'installant
souvent
avec
leurs "talibés" ou en convertissant une minorité des gens du pays. C'est
de ces "chefs· dont parle J.C.
Froelicb (L'islamisation de l'Afrique de
l'oueat...Op.
cit.
p.167)
et
leur
disparition
ne
pouvait
que
rendre
orphelins les nouveaux convertis qui, devant le vide ainsi créé voyaient
se réveiller en eux "le paganisme enkysté" - Ibid, p.167.
520
Le fait même que la guerre de El Hadj Omar ait débuté chez
les Toucouleurs, les premiers islamisés que la domination "païenne"
de plus de deux siècles
avait ramenés à leur "paganisme"(l) est à
cet égard significatif. Cette guerre marque l'irruption sur la scène
politique des
marabouts
guerriers,
qui
voulaient
se
tailler
un
empire à la mesure de leurs ambitions.
Prêchant un islam orthodoxe(2) et pour le "Jihad intérieur"(3),
El Hadj Omar semble tout d'abord avoir atteint l'objectif important
pour chaque marabout de se faire beaucoup de fidèles au Sénégal
dont un de taille, Maba Diakhou Bâ(4) avant d'échouer à peu près
complètement dans son Jihad militaire dans son propre pays, bien
que le gros de ses troupes fût composé de Toucouleurs : les régions
du Nord et de l'Est qu'il attaqua étaient souvent soutenues, voire
protégées
par
la
France
si
proche,
avec
l'installation
de
l'administration coloniale à Saint-Louis. Ses meilleurs succès furent
donc obtenus au Soudan.
Il prit ainsi possession de Nioro du Soudan dés 1854, après
s'être rendu maître du Bambouk. C'est alors qu'il nourrit l'espoir de
pouvoir se retourner contre son Fouta d'où il était chassé quelques
années plus tôt. Après avoir levé le siège devant Médine en 1857
pour échapper à l'encerclement imminent des troupes de Paul Holle,
il vit l'avancée de ses soldats en direction du Khasso stoppée.
Ce fut
le cas deux années
plus
tard,
quand
ses
troupes
essuyèrent un échec aux portes de Matam. El hadj Omar renonça
alors définitivement au Sénégal et se tourna vers
les pays de
l'intérieur du
Soudan.
En
1861,
il
prend
Ségou et
Hamdallah
(capitale du Macina) en 1862. C'est là sa dernière victoire. Peuls du
Macina et Bambaras de Ségou se liguèrent contre lui, ce qui entraîna
sa défaite et sa mort en 1864.
1. Y. J. Saint-Martin
: L'Empire
toucouleur... p.23
2. M.Ly-TaU : Un islam militant en Afrique de l'Ouest au XIXe siècle. La
Tidjaniyya de Sal1mu Umar Futiyu contre les pouvoirs traditionnels et la
puissance
coloniale.
Thèse
de
doctorat
d'histoire.
Publiée
par
l'Harmattan, Paris, 1991, P.161
3. Ibid, p.136
4. Ibid. p.161
521
Son fils Amadou
Cheikhou, qui prit sa succession ne put
maintenir l'ordre dans ses Etats troublés par les guerres, ce qui
facilita la conquête française et l'effondrement de son empire à
partir de 1893(1) de même que celui de la branche tidiane fondée
par son père, le tidianisme
omarien.
Pendant ce règne troublé, un autre Ahmadou
Cheikhou, du
Fouta Torro, envahit les royaumes wolofs du Diolof et du Cayor
avant d'être tué par les Français en
1875(2). Mais Ma m a do u
Lam i ne, né au Soudan français, qui guerroyait aussi pour les
mêmes raisons de son côté, eut des victoires jusqu'en Gambie en
1885(3), sans que son action fût vraiment marquante au Sénégal.
Après la mort de Maba Diakhou, l'action militaire française
s'est orientée
plus
au
Sud
où
avec
l'élimination
du
marabout
Mamadou Lamine en 1887, le terrain ne fut alors plus occupé que
par les derniers "combattants de la foi", les Molo et surtout Fodé
Kaba(4).
Aussi, la fin en 1903 de la résistance peule(4) du Firdou, tout
en marquant la fin de l'islam guerrier,(5) ouvrait une ère nouvelle
de prosélytisme musulman : l'islam
confrérique.
L'islam du XIXe siècle est donc marqué au Sénégal par une
agitation sans précédent par son ampleur et la personnalité des
acteurs. Ainsi, peut-on qualifier cette agitation de réveil islamique ,
bien
que la période précédente ait déjà été marquée par ce réveil
missionnaire de l'islam . Mais de par ses dimensions, le mouvement
du XIXe siècle est plus global que celui du XVIIIe ; il a un caractère
nationaliste qui le légitime davantage puisqu'il
s'opposait à
la
conquête coloniale du pays.
1. A. GouiIly : L'islam dans l'Afrique Occidentale... Op. cil. p.75 et s.
1. A. Samb : L'islam et l'histoire du SénégaI...p.478
3. Ibid, p.478
4. Voir Supra.
pp.66-67
4. A.N.S. 13 G 67 - 212
S. A. 88mb : L'islam et l'histoire du SénégaI...p,480
522
Aussi,
les
royaumes
traditionnels
furent-ils
relégués
au
second plan même si leur résistance à la même période n'était pas
négligeable, mais le fait était là : ils ont rejoint l'islam dans la
résistance et se sont essoufflés avant lui. Cependant, si elles ont
contribué à l'établissement de
la religion
musulmane de façon
définitive dans certaines localités, les guerres déclenchées par les
marabouts ont globalement échoué.
Sur le plan militaire, elles n'ont pas atteint leur but comme on
le constate ci-dessus. Sur le plan religieux non plus puisque après
les guerres, les pays "animistes" l'étaient tous restés. Les Diolas
n'ont pas suivi Fodé Kaba pas plus que les Sérères n'ont écouté
Maba Diakhou. Quant aux autres, ils étaient déjà musulmans ou,
comme les Wolofs, entrain de le devenir. La guerre sainte les a
d'ailleurs pratiquement épargnés. Il n'est donc pas étonnant que
dans
l'oeuvre des
dévots
du jihad,
semble prédominer
l'aspect
politique.
Aussi,
l'idée
de
résistance
à
la colonisation
prend
pour
beaucoup le pas sur celle de guerre sainte proprement dite et tous
ces marabouts, à l'exception de ceux qui avaient vécu ou agi avant
la
période
de
la
pénétration
française,
sont
considérés
essentiellement comme des nationalistes qui défendaient leur pays.
Il est vrai que certains dans les milieux confrériques avaient
intérêt à ce que l'histoire fût sélective dans l'''hommage'' qu'elle
rend aux propagateurs modernes de l'islam sénégalais. Ce qui serait
une
injustice
très
certainement
mais
prouve,
surtout,
que
les
confréries, qui naquirent de l'épuisement des praticiens du jihad
sont, en réalité, les grandes propagatrices de l'islam contemporain
au Sénégal. Ce que démontre parfaitement le fait que, nées pour la
plupart après ou en même temps que l'installation coloniale, elles
ont trouvé un terrain souvent vierge de toute présence islamique
ou à réislamiser.
Ces confréries sont au nombre de quatre mais une d'entre
elles, le tidianisme, se divise en trois branches au moins, largement
dominées par le tidianisme
malikite, le plus pratiqué en pays
sérère.
Bien
servie
par
l'Histoire,
la
confrérie
des
K h a d i r s ou
q a d ri ya est la toute première de ces confréries et la première
qu'ait connue le Sénégal.
523
Fondée au début du XIIe siècle par le Mésopotamien Si d i
Mohammed Ab El Qadir El Djilani, introduite en Mauritanie dès
le XVe siècle et au Sénégal au XVIe et répandue à travers l'Afrique
depuis, elle ne gagna cependant le coeur du Sénégal qu'à partir du
XIXe sièc1e(l), bien que son installation au Nord était, dès le XVIIIe
siècle, un fait largement accompli. On lui attribue en effet, le
soulèvement des Toucouleurs contre la dynastie "païenne" qui les
dirigeait en 1776(2).
La q a d ri y a
se
divise
elle-même
en
trois
rameaux
: la
qadriya
Bekkaya de Cheikh Sidiya, la qadriya
Fadhélia de
cheikh Talibouya de Mauritanie : ces deux rameaux ont tous des
fidèles au Sénégal comme en Mauritanie et dans les autres pays
d'Afrique de l'Ouest. Le 3e rameau est formé par la qadriya
Kounta de Ndiassane(3) qui n'a qu'une influence locale.
Fondé
en
1885,
ce
qu'il
convient
mieux
d'appeler
"groupement" comme le fait à juste raison F.
Quesnot(4),
cette
branche de la qadriya est restée fidèle à l'image de celle-ci : on dit
du fondateur de la qadriya qu'il "était plein de vénération pour
Jésus-Christ dont il
admirait
l'immense
amour du
prochain"(5).
Descendants directs de Sidi Mokhtar qui redressa la confrérie en
plein déclin au XIXe siècle et dont l'ouverture d'esprit semblait très
appréciée
de
ses
contemporains,
les
fils
Kounta
furent
jugés
positivement pour leur absence de
fanatisme
et leur réputation
d'hommes de bien(6).
1. On sait pourquoi. L'islam lui-même ne s'étant vraiment installé à une
grande échelle qu'à partir de cette date.
1. Y.L.
Saint-Martin : L'empire toucouleur...op. cit. p.25
3.
VlIlage
du
Sénégal où s'est établi vers la fin du siècle dernier le
fondateur de ce rameau. Comme tous les autres chefs-lieux de confréries.
Ndiassane est le lieu de "pélerinage" des Khadirs sénégalais.
4.
Les
cadres
maraboutiques
de
l'islam
sénégalais.
In
Notes
et
études
sur
l'islam
en
Afrique
noire. Recherches
et
Documents
du CHEAM.I, 1962 p.17l
S. J. Sicard
:
Le
monde
musulman
dans
les
possessions
françaises
(Algérie. Tunisie. Maroc. AOF). Paris. Lamse. 1928 p.62
6. A. Gouilly : L'islam dans l'Afrique Occidentale...Op. cil. p.89
524
Leurs descendants sénégalais de Ndiassane l'étaient également
et dans la situation troublée de la fin du XIXe siècle, on n'a pas
manqué de se féliciter de leur rigueur morale et de leur loyauté
absolue envers la France(l). Mais leur confrérie était déjà en déclin,
devant la montée en puissance de nouvelles confréries.
Celles-ci se sont constituées presque en même temps que la
qadriya de Ndiassane,
mais
leur capacité d'adaptation fut
plus
grande et les résultats qu'elles ont obtenues aussi(2).
La deuxième confrérie, la tidjaniya ou tidianisme ou encore
confrérie
des
tidianes
a été
fondée
en
1782
par l'Algérien
Abul.Abass-Ahmed-Ibn
Mohamed
Tidjani
qui
avait
alors
rompu avec ses maîtres khadirs pour exécuter une "recommadation
divine" consistant à créer un ordre nouveau(3).
1. F. Quesnot : Les cadres maraboutiques de l'islam sénégalais...p.l72
2. La quatrième de ces confréries par son importance sociologique est la
confrérie
des
Layènes ou les L a y è n e s
tout
simplement.
fondée
en
1883
par
Seydina
Limamou
Laye
Thiaw - mais l'histoire ne retient
pas le nom - à Yoff près de Dakar où il était lui-même né quarante ans
plus
tôt.
La
"mission
divine
reçue
par le
fondateur"
était
alors
de
parachever l'oeuvre des Almoravides du XIe siècle et de "pousser l'islam
aussi loin que possible vers l'ouest jusqu'à la porte occidentale du vieux
monde"
(Ch. T. Sy : La Confrérie Sénégalaise des Mourides - Thèse de
doctorat
publiée
à
Présence
Africaine.
Paris.
1969
p.168).
Mais
les
Layènes
(de
Laye.
le
fondateur
ayant préféré
ce
nom
à
Thiaw)
ne
progressèrent pas vraiment. A la mort de Limamou Laye en 1890. leur
confrérie ne dépassait guère les limites du Cap-Vert. Elle est restée un
groupement
de
Lébous
ne
recrutant
que
rarement
dans
les
autres
ethnies. encore moins à l'intérieur du pays. C'est la seule confrérie qui.
sans
évidemment
l'avoir
voulu.
recrute
ses
adeptes
sur
une
base
essentiellement ethnique.
Curieuse
destinée
pour
un
groupement
initié
par le "Mahdi" que des avocats de l'ordre voudraient bien voir en son
fondateur.
tout
en
souligant
pourtant
les
handicaps
missionnaires
de
leur maitre : illettri - mais pensent-ils. sans doute malicieusement. que
le prophète le fut aussi - Limamou Laye. de par ses pratiques. incarna
l'"islam noir" au plus haut point. (cf. A.
Sylla.
Les
persécutions
de
Seydina Limamou Laye par les autorités coloniales. Bulletin
de l'IFAN.
sér. B n03. 1971
p.590-461).
3. A. Gouilly : L'islam dans l'Afrique occidentale Française...Op.cit.
p.108
525
La nouvelle confrérie "simplifia les règles de la qadrya trop
compliquées"
en allégeant notamment le rituel
qui se compose
désormais "de quelques obligations peu rigoureuses en particulier la
répétition de certaines formules à des moments particuliers de la
journée"(l).
Cette simplification sembla d'ailleurs si excessive qu'elle n'a
pas été totalement prise en compte par les fidèles de Tidjani. La
réduction des 5 prières, la facuité du jeûne permise dans des
conditions très libérales ne semblent pas avoir été particulièrement
suivies, bien qu'il ne soit pas exclu qu'on ait assisté, au début, à un
glissement vers ces facilités(2).
Toujours est-il que la tidjaniya est bien adaptée au monde
africain ce qui rend son expansion plus aisée. Le disciple de Tidjani
qui
l'introduit en Afrique noire fut
Mohammed
El
Hafiz de
Mauritanie,
avant
que
la
"mission"
de
l'imposer
aux
"impies"
n'échoit à El Hadj Omar.
Il semble tout d'abord, que El Hadj Omar, avant sa prédication
guerrière,
ait
séjourné
plusieurs
fois
au
Cayor
et
au
Baol
notamment, où il tenta en vain d'islamiser les Sérères et les autres
groupes ethniques
"animistes" de ces
localités(3).
Ces passages
devaient
cependant
laisser
des
traces,
à
travers
quelques
groupements se rattachant au tidjanisme omarien et dirigés par des
figures historiques dont la succession n'a pas toujours été assurée.
Une situation qui s'explique par les conditions dans lesquelles
El Hadj Omar a quitté le Sénégal sans avoir réussi à imposer son
ordre dans une partie significative du pays et la parfaite occupation
du terrain par le tidianisme malikite qui n'a pas laissé au tidianisme
omarien le temps de se réorganiser après la disparition brutale de
son fondateur.
1. A. Gouilly : L'islam dans l'Afrique Occidentale française... Op. cit.
p.l09
2.
R.P.
Nique : L'islam et les Noirs du Sénégal. In L'Islam
et
les
missions
catholiques
- Conférences données
à l'Institut catholique de
Paris (1926-1927), p.137
3. M. Sali : Le Tidianisme au Sénégal. Thèse de 3e cycle Université de
Paris, 1970 p.56.
526
Ainsi, à l'exception notable des tidianes de Tbiénaba(1),
et
surtout de ceux de Madina
Gounasse
en Haute Casamance, les
seuls vraiment restés fidèles, sinon à la mémoire de El Hadj Omar
du moins à certains aspects fondamentaux de son enseignement"
aucun de ces groupes n'a vraiment jamais été représentatif(2).
1. Village non loin de Thiès, à une centaine de kilomètres de Dakar. De
tous les groupements qu'avait pu rassembler El Hadj Omar, seul subsista
en
tant
que
famille
religieuse
indépendante
de
toute
autre
confrérie
celle
qui est dirigée
sipirituellement par les
Seck
de
Thiénaba. Les
Niassènes
(de
la
famille
de
Niasse)
ont
fini
par ne
plus
attacher
beaucoup
d'importance
à leur origine
omarienne
et
des
Gu è y e et B i
(descendant respectivement de Mossou Guèye et Thierno Amadou Bi), on
n'entendait pratiquement plus parler en
1955, en tant que disciples du
tidianisme
omarien.
A Madina
Gounasse,
en
effet
les
Bi
restent
attachés à la conception omarienne
de l'islam mais plus en
tant
que
chefs d'une confrérie "familiale" que disciples de El Hadj Omar. Quant
aux
Seck,
ils
ont toujours
voulu
se montrer
indépendants
des
autres
confréries puisqu'ils pensent en constituer une.
Représenté par El
Hadj
Ibrahima
Faty
Seck qui a reçu le wird
d'El Hadj Omar par son père
qui le tint lui-même de son père disciple d'El Hadj Omar, le tidianisme
omarien
compte des disciples, jusqu'à la fin de notre période dans le
cercle de Thiès - mais pas ou très peu en pays sérère qui nous occupe - à
Kaolack, dans la région de Kolda, en Casamance et dans la vallée du
fleuve Sénégal : F.
Quesnot
:
Les
cadres
maraboutiques...pp.146-147.
Mais les effectifs des adeptes du groupement sont restés très modestes,
comme semble l'être d'ailleurs le rôle de Thiénaba dans l'islamisation. A
l'instar des khalifes,
Serigne
Thiénaba et celui de Madina
Gounasse
organisent
un
g a mou
pour l'un et un da k a
pour
l'autre(sorte
de
pélerinages) annuels dans son village dont
il
restait toujours
difficile,
dans les années 1950, d'évaluer l'impact sur l'islam sénégalais.
2. M, Sali : Le tidianisme au Sénégal...p.56. En fait, la mort de Amadou
Cheikhou et l'expansion du tidianlsme
malikite
ont donné le signal de
la dislocation du tidlanlsme
omarien, la descendance
d'El
Hadj
Omar
n'ayant pas pu résoudre le problème de la succession et ayant même fini
par se disperser (cf.
M,
Sali
:
Le
Tidianisme
au
Sénégal...p.58).
A
l'exception de Mountaga
Tall
et de El Hadj Seydou Nourou Tall pou r
le Sénégal et des représentants de
la famille à Ségou pour le Soudan
français
(dont
l'influence
n'a
d'ailleurs
jamais
atteint
celle
de
leurs
cousins sénégalais), les
facteurs
de
l'influence
religieuse
de
la
famille
sont devenus très faibles. Une faiblesse qui s'explique en grande partie
par
l'implication
trop
ouverte
de
Seydou
Nourou
dans
les
affaires
politiques. Après s'être fait distinguer par ses interventions en faveur de
l'Administration notamment durant la guerre, entre 1940 et 1942, il s'est
résolument engagé en
faveur du général de Gaulle et des représentants
du Gouvernement provisoire en AOF.
Ce fut ensuite le Bloc
Démocratique
Sénégalais
de
Senghor
qu'il
soutint à fond après sa création, en 1948. Ainsi, son rameau du tidianisme
n'a cessé de s'effriter et c'est sans doute parce qu'il en était conscient que
Seydou Nourou Tall s'est rangé également au côté du chef spirituel des
...1.•.
527
Ils ont même fini par se joindre au tidianisme
malikite avec
une indépendance
plus ou moins
affirmée(I).
Le
tidjanisme
au
Sénégal est donc essentiellement le fait de son fondateur, El Hadj
Malick
8y. Basé à Tivaouane, il est organisé sous une forme
confrérique avec, à la tête, un khalife qui est issu de la descendance
du fondateur.
Malick Sy, né vers 1855, fit le pèlerinage à la Mecque quelque
trente ans plus tard et s'installa, à son retour, un peu partout à
Saint-Louis, Louga et leurs environs avant de se fixer pour de bon à
Tivaouane, dans le Cayor, en 1902(2).
A l'époque, les groupements omariens s'étaient déjà installés
dans le pays mais leur indépendance, voire leur ignorance les uns
les autres, qui impliquait une absence de centre et de chef fit qu'ils
allaient bientôt être absorbés par le tidjanisme de Malick Sy.
Celui-ci est tout d'abord servi par sa "haute culture, sa
renommée,
sa vie exemplaire et son
désintéressement"(3).
Mais
c'est
surtout
son
approche
de
la
religion
qui
devait
asseoir
définitivement cette renommée.
tidianes
malikites
de Tivaouane qu'il "conseille et
soutient"conformément "à la promesse faite à son directeur de
conscience El Hadj Malick Sy" (F. Quesnot: Les cadres
maraboutiques de l'islam sénégalais... p.137). Ce qui avait pour
conséquence importante de dégarnir davantage les rangs du
tidianisme
omarien (dont la seule citadelle reste en fait Madina
Gounasse et dans une bien moindre mesure Thiénaba)
1.
Ainsi
celui
de
Abdoulaye
Niasse.
grand
marabout
qui
se
fixa
d'abord dans le Rip en 1888 avant de s'établir à Kaolack en 1910. Il reçut
le wi r d
(litanie,
oraison
ou prière désigne
ici
l'ensemble des
prières
spécifiques
à
une
confrérie.
généralement
établies
par
le
fondateur)
tidiane en 1875 du cheikh Mamadou Diallo. un talibé du fils d'un des plus
grands disciples de El Hadj Omar. Son fils, 1brahima Niasse qui prit sa
succession, s'en éloigna sensiblement avant de se rallier à la famille de
Tivaouane
(F. Quesnot :
Les
cadres
maraboutiques ... p.145),
rompant
ainsi l'autonomie qui caractérisait le tidianisme omarien.
2. I. Marone : Le Tidianisme au Sénégal. Bulletin
de
l'IF AN série B;
n0 1, 1970
p.149
3. F. Quesnot : Les cadres maraboutiques...p.134.
528
A Tivaouane, "il fonde une véritable université populaire
destinée à former des maîtres d'écoles coraniques qui en même
temps qu'ils enseignaient aux enfants dans les différentes régions,
éclairaient également la masse des croyants quant à leur pratique
de la religion"(l).
Loyal envers l'administration coloniale et le pouvoir
politique(2), il évita cependant de se mêler de politique(3).
Ce qui ne pouvait que renforcer son crédit d'homme de religion. A
sa mort en 1922, l'influence qu'il excerçait sur les masses avait déjà
fini de faire de lui un modèle à suivre et ses fils purent sans
difficulté
recueillir
pour
leur
nouvelle
confrérie
ce
capital
inestimable.
Ceux
qui sortaient de l"'université" de Tivaoune étaient tout
de suite des marabouts qui, à leur tour,
allaient s'établir dans
d'autres localités où ils ouvraient des écoles coraniques. Le pays
tout entier ne tarda pas à être "couvert" par les marabouts tidianes
qui répandaient ainsi les bienfaits de la confrérie. Ababacar Sy, le
premier fils de El Hadj Malick qui lui succéda devait tenir le khalifat
pendant 35 ans c'est-à-dire jusqu'à la fin de notre période. Il n'eut
pas l'envergure de son père mais bénéficia de sa renommée et de la
vénération qui entoura son nom.
Toute la confrérie est d'ailleurs, depuis 1922, fondée sur cet
héritage au moment où les "excès" que l'on prêtait à une branche
proche du tidianisme
omarien
semblaient renforcer les cheikhs
de Tivaoune
dans leur option de tolérance et d'ouverture sur le
monde(4).
1. M. Sali, Le Tidjanisme au Sénégal...pp.64-65
2. Ibi d. p. 6 7
3. 1. Marone, Le Tidianisme au Sénégal...p.153
4.Une
tendance
b i e n
particulière du t id i a n i s m e
omarlen.le Hamallisme, s'est manifestée avec violence au moment
où
on
pensait
que
Tivaouane
avait
ouvert
définitivement
la
voie
d'une diffusion
humaniste de
l'islam
que devaient
suivre
tous
les
autres
groupements
religieux.
Fondé
au début
du
siècle
par SI d 1
Mohammed
Ibn
Abdalah
pour
renouveler
la
tidjaniya,
entretenu après sa mort par son successeur cheikh
Hamallah (qui
le fit surtout connaître et lui donna son nom), le Hamallisme devint
assez vite encombrant.
Hamail ah
avait tout d'abord
de très bonnes
idées : il prêchait la libération de la femme et des esclaves de même
que la fin de l'exploitation des croyants par les marabouts.
..J...
529
La confrérie
des
mourides ou mouridisme
est, enfin, la
plus importante après le tidianisme, dès les années 1920. Fondée
par Ahmadou
Bamba
Mbacké, elle incarne un islam très adapté
aux préoccupations des Sénégalais, attrayant mais rigoureux.
D'origine toucouleur(l) comme El Hadj Malick Sy, Bamba
naquit
en
1853
de
père
et
de
grand-père
marabouts-
enseignants(2).
L'instruction de Ahmadou Bamba fut acquise, à en croire A.
Samb, auprès d'un "nombre impressionnant" de maîtres : pas moins
d'une
dizaine
y compris le premier de
tous,
son
père(3),
ont
contribué à sa formation(4).
Après s'être installé avec sa famille très proche de celle de Lat
Dior(5) tantôt au Baol tantôt au Cayor, il se signala à l'attention des
Ce qui
était déjà
suffisant pour lui
attirer· tous
les
ennuis,
certains
marabouts
tidianes
y
voyant
naturellement
une
menace
à
leurs
privilèges
injustifiés(I.
Marone
: Le
tidianisme
au
Sénégal...p.191).
Aussi, ne tardèrent-ils pas à rendre la vie difficile au cheikh aux idées si
généreuses.
Hamallah piégé et poussé à l'extrémisme par ses ennemis
devint violent et intolérant à l'égard des non musulmans, provoquant à
plusieurs reprises de très graves troubles qui entrainèrent beaucoup de
morts en 1923 et 1940 au Soudan où il s'était établi. De nombreuses
tentatives
furent
entreprises
pour
étendre
le
mouvement
au
Sénégal
mais il ne semble pas qu'il y ait dépassé quelques centaines de fidèles (F.
Q u es n 0 t
: Les cadres maraboutiques...p.185).
On note
cependant que
l'unique
représentant dans le pays,
le marabout Fodé
Doucouré était
établi à Malicounda tout près de Mbour. en plein pays sérère, sans qu'on
puisse en déduire que le Ham a Il i s m e
y avait la moindre importance.
Une
percée
très
limitée que
I.
Marone explique par le fait que les
disciples de Hamallah y avait trouvé "un tidianisme encore uni et que
revalorisait la grande figure de El Hadj Malick Sy" (Le Tidianisme au
Sénégal...p.192).
Exilé
plusieurs
fois,
Hamallah
meurt
à
Montluçon
(France)
en
début
1943.
Sa
succession
n'étant
jamais
réclamée
(F.
Quesnot
: Les cadres maraboutiques...p.185), le Hamallisme, également
appelé
Tldlanisme
différencié
ne
put
survivre
d'autant
que
l'opposition
des
marabouts
des
autres
confréries
et
la
répression
de
l'administration coloniale sur ses membres les plus en vue n'ont jamais
faibli .
1. Selon P. Marty : Cette origine remonte à la 4e ascendance : Etudes sur
l'Islam au Sénégal. Paris, Léroux, 1917
T.l
p.222.
2. P. Marty : Etudes sur l'Islam au Sénégal. Op. cit. p.222
3.
Ibid.
4. A. 8amb : L'islam et l'histoire du Sénégal... p.483
S. P. Marty: Etudes sur l'islam au Sénégal. Op. cit.p.223
530
Français vers 1886, alors qu'il était aux côtés du damel, dans le
village de Mbacké (du Cayor) fondé par son père(I).
Sa prédication jugée hostile
aux Français coïncide,
à
ses
débuts, avec la dégradation de l'autorité royale au Sénégal avec la
soumission du Cayor et du Baol qui n'a pas manqué de créer un
certain vide, les populations n'ayant pas encore mesuré toutes les
conséquences de son remplacement par l'administration coloniale.
Ceci
explique
que
les
nouvelles
autorités
d'abord
et
les
analystes
de
leur
obédience
ensuite
estimèrent
que
Ahmadou
Bamba a "songé dès
1886(2), à restaurer à son profit l'autorité
indigène défaillante"(3). A l'époque pourtant, Bamba n'avait pas
encore créé sa "voie".
Mais beaucoup restaient convaincus que ce qui était valable
pour d'autres l'était aussi pour lui. D'autant qu"'après avoir vu leurs
chefs naturels disparaître, les Noirs se sont regroupés autour de
leurs chefs spirituels"(4).
Cela semblait à l'Administration d'autant plus plausible pour
Ahmadou Bamba qu'à Darou Marnane où il s'était établi(5), il fut
très vite rejoint par "un monde hétéroclite" faisant malgré lui "face
à des aspirations diverses"(6) qui pouvaient effectivement être le
ferment d'un mouvement politique.
1. P. Marty : Etudes sur l'Islam au Sénégal. Op. cil. p.223
2. Lat Dior venait alors de disparaitre.
3. A. Gouilly : L'islam dans "Afrique Occidentale...
p.116
4.
R. P. Nique : L'islam et les Noirs du Sénégal. In L'islam
et
les
missions
catholiques. Op. cil. p.143
5. A la fin de ses études
en
Mauritanie.
cheikh
A.
8amba
s'installa
dans ce village tranquille où on lui prêtait l'espoir de pouvoir échapper
à l'agitation ambiante de l'époque et le désir de se consacrer à la prière et
à la méditation. Mais désormais, son charisme attire beaucoup de monde.
n fonda Touba un peu plus tard qui devint après sa mort survenue en
1927. la "capitale" de la confrérie.
6. Ch. T. 8y : La confrérie sénégalaise des Mourides. Op. cit.
p.109
531
Le leadership musulman dont parle M.A.
Klein fut ainsi
favorisé par l'écroulement du système politique traditionnel, facilité
par la coexistence difficile entre tiédos et populations(7).
Mais tout le monde se sent apparemment victime puisque, des
t i éd os qui ont fui
leur pays du fait de la tension ou sa conquête
aux paysans fatigués de leurs exactions, ils étaient nombreux ceux
qui cherchaient la paix et la tranquillité auprès du recours qu'était
devenu le marabout(l).
1. M.A. Klein : Islam and imperialism in Senegal - Sine-Saloum.
Stanford U.P. 1968 p.219.
1. On ne sait pas dans quelle mesure cette situation contribua à décider A.
Bamba à fonder sa confrérie, moyen sans doute le plus efficace pour
canaliser
et
gérer
au
mieux,
dans
l'intérêt
de
la
religion,
cette
"révolution
sociale"
dont parle M.A.Klein - Islam and imperialism in
SénégaL.Op. cit. p.91 - et qui s'est traduite par une vague soudaine vers
l'islam. Toujours est-il que, disciple de cheikh 8idiya de Mauritanie,
A.
Bamba. était d'abord khadir et était jusqu'au début du siècle, rangé dans
la
catégorie
des
marabouts
de
la
qadriya
par
les
fiches
de
renseignements de l'Administration : cf. A. N. 8. 13 0 notamment. Il reçut
le wird
qadri
du
cheikh
mauritanien qui
"l'investit
de
la charge
de
khalife de la qadriya dans le pays wolof" - Ch. T. 8y : La confrérie
sénéglaise des Mourides...p.109 - Mais il semble être convaincu dès le
dép an de devoir suivre une autre voie, d'où ses hésitations. A.
Gouilly
estime, en effet, qu'il a "d'abord tourné ses regards vers le Tidianisme"
- L'islam dans l'Afrique occidentale... p.lI 8 - ce que ne dément d'ailleurs
pas
le
nom
de
"mouride"
qu'il
utilisa
pour
désigner
le
croyant,
le
musulman qui aspire
à la connaissance de Dieu par l'intermédiaire de
son marabout. Aussi, il n'y avait aucune contradiction que le mouride fut
tidiane ou khadir. La conception du mouridisme
comme
confrérie
différenciée est donc un fait plus récent qui semble être favorisé par les
épreuves que l'Administration a fait subir au cheikh entre 1895 et 1912.
Aussi,
à sa mon,
survenue en
1927, on crut. devoir lui
trouver un
successeur en la personne de l'aîné de ses fils,
El
Hadj
Moustapha
M bac k é .
Etabli
à
Touba
où
depuis
1912
a
lieu
annuellement
un
rassemblement
de
prières
toujours
plus
populaire,
le
magal.
celui-ci
poursuit
l'oeuvre
du
fondateur
à
la
tête
de
ce
qui
est
devenu
la
confrérie
des
mourides. A sa mon en 1945. Moustapha Mbacké n'a pas
réalisé
le
voeu
cher
à
la
confrérie
:
l'édification
d'un
sanctuaire
religieux
à
Touba.
Son
frère
et
successeur
Falllou
Mbacké allait s'y
employer.
Pendant
ses
22 ans
de
k h a lifa t,
il fut
non seulement le
constructeur de la grande mosquée mais aussi celui qui fit coïncider, à
panir de 1946, le magal avec l'anniversaire du retour d'exil du Oabon du
fondateur. Le mouridisme, dès lors, retrouvait tout ce qui lui manquait
pour devenir une grande
confrérie.
532
Dés lors, la coexistence avec les autorités coloniales devenait
difficile, lorsque ces chefs spirituels étaient soupçonnés, comme ce
fut le cas pour Bamba, d'avoir des ambitions politiques.
Exilé au Gabon (1895-1902) et en Mauritanie (1903-1907),
Ahmadou
Bamba fut
très
étroitement surveillé
à
son
retour
à
Diourbel, par l'administration coloniale. Ses rapports avec celle-ci
n'allaient s'améliorer qu'à partir de 1913.
Bamba avait, à partir de 1910, fini par rassurer les Français
condamnation de la guerre, désaveu du jihad, valable selon lui à des
temps qui n'étaient plus ceux de l'époque,
"reconnaissance" aux
Français pacificateurs(l) exprimés par le chef mouride étaient ainsi
brusquement
devenus,
pour
les
colonisateurs,
le
gage
d'une
conduite "normale".
Aussi, on ne s'étonne plus de voir qu'aux yeux du gouverneur
général William Ponty, les écrits de Ahmadou Bamba n'étaient pas
particulièrement plus
hostiles
"que la plupart des
écrits
de
ce
genre"(2).
Même s'il est vrai que Ponty est peu représentatif des
administrateurs
coloniaux
pour
son
caractère
tolérant
et
très
libéral(3), on note, depuis, une entente cordiale entre Bamba et les
autorités françaises. Celles-ci devaient d'ailleurs le décorer en 1919
de la croix de la Légion d'honneur pour rendre hommage "à sa
contribution à l'effort de guerre"(4).
1. F. Dumont
La pensée religieuse d'Amadou Bamba. Dakar, N.E.A, 1975
p.7S
2. Ibid, p.SO
3.
Il
appliqua cette même tolérance à l'Eglise d'ailleurs en rétablissant
dans
ses
colonies,
les
traitements
accordés
aux
curés
et
aux
vicaires
supprimés auparavant, en 1907. par son prédécesseur Van Vollenhoven -
Rapport
de
la
congrégation
du
Saint-Esprit.
Paris,
Letouzey
et
Ané, 1926 p.S1
4. F. Dumont : La pensée religieuse d'Ahmadou Bamba. Op. ch. p.SO
533
Ainsi le marabout sembla ne plus s'intéresser qu'à sa fonction
traditionnelle de prière, d'enseignement et de visites aux fidèles(1).
La confrérie put alors déployer toute sa stratégie d'occupation de
l'espace rural qu'elle défriche, investit et met en valeur par la
culture de l'arachide(2).
Le marabout enseignant tidiane, tel que le concevait El Hadj
Malick
Sy devait, peu à peu, coexister avec le marabout cultivateur
de Ahmadou Bamba(3) se partageant avec lui l'espace physique et
religieux du Sénégal. Il n'y a donc rien d'étonnant que les paysans,
la masse rurale furent très tôt attachés à la confrérie.
1. F. Dumont: La pensée religieuse d'Amadou Bamba. Op. cit. p.80
2. J. Copans: Les marabouts de l'arachide. Paris. Le Sycomore, 1980
p.263
3. F. Quesnot, Les cadres maraboutiques... Op. cit.
p.157. Il convient de
signaler une remise en cause de cet édifice de l'islam sénégalais par des
intellectuels
arabisants,
généralement
formés
dans
les
universités
des
pays arabes en particulier de AI
Ahzar. Dirigée par Cheikh Touré qui
venait de rentrer de Constantine, et créée en
1953, l'Union
culturelle
musulmane. manifestement inspirée du réformisme arabe et qui était le
cadre de cette contestation de l'islam confrérique. est animée surtout par
le fondateur et ses
amis.
Un mouvement qui
ne revendiquait
pas que
l'islam
sans
les
marabouts
qu'il
estimait
être
une
déviation,
mais
s'opposait en même
temps
au
colonialisme.
Ce
qui
était d'autant
plus
inquiétant
pour
l'Administration
que
l'année
suivante,
des
étudiants
avaient,
de
leur
côté,
fondé
l'Assocation
musulmane
des
étudiants
africains. proche dans ses idées de l'Union culturelle musulmane. J.R.
de Benoist : L'Afrique Occidentale française de 1944 à 1960... p.282). Très
influencés par le
wa hab b is m e
réformiste,
ces
associations
n'eurent
cependant pas les moyens de changer le cours des choses dans l'islam
sénégalais.
Les
confréries
étaient
déjà
bien
implantées
et
si
profondément
enracinées
qu'il
fallait
bien
plus
qu'un
mouvement
d'intellectuels
isolés
pour
les
ébranler.
L'association
des
étudiants
disparut
d'ailleurs
assez
vite,
laissant
seule
l'Union
culturelle
sur
le
terrain.
Cette Union existe toujours d'ailleurs de nos jours mais semble
avoir largement revu ses ambitions à la baisse.
534
C.
L'Islam
en
pays sérère
Dans la " Chronique du Fouta sénégalais", Siré Abbas Soh
affirme que des musulmans ont séjourné en pays sérère très tôt au
moins dès le XVe siècle. Venu du Fouta où il régnait avant d'y être
chassé
par Koli
Tengala(l), le marabout EH·Bana
s'établit au
Saloum où il semble avoir régné sur une population dont on connaît
en fait très peu de choses. Evincé par le fondateur du royaume du
Saloum, Mbégane Ndour, il s'installa alors à Kahone où il décéda
des suites d'une morsure de serpent(2).
Cette
mort
semble
marquer
la
fin
de
l'aventure
de
ces
musulmans
du
Fouta
en
pays
sérère(3)
qu'on
peut,
avec
J.
Boulègue, dater vers la fin du XVe siècle(4). L'islam dans le pays
serait ainsi introduit presque au même moment que dans les autres
parties de ce qui était alors l'empire du Diolof c'est-à-dire le Diolof-
même et sa province du Cayor. Mais moins que partout ailleurs,
l'islam y eut des
convertis et disparut même
assez rapidement
puisque à la mort du marabout "sa famille revint sur le territoire de
Fouta du Toro"(5).
1.
S.A.
Soh
:
Chronique
du
Fouta
Sénégalaise.
Traduit
de
deux
manuscrits arabes inédits par M.
Delalosse et M.
Gaden. Paris, Leroux,
1913 p.26
2.
Ibid.
3. Il est cependant possible que d'autres familles
musulmanes y soient
restées notamment
celles qui
avaient
accompagné
le
Lam
Toro
(chef
politique et religieux du Fouta Toro assimilable à un monarque) déchu
dans sa fuite, qu'il a (peut-être) trouvées sur place ou qui sont arrivées
après lui. A l'époque en effet. la situation troublée dans cette partie du
Sénégal
était
favorable
à
l'émigration
des
vaincus
qui
très
souvent,
n'avaient pas
le
choix.
L'avancée des
troupes
du
vainqueur jusqu'aux
portes du Saloum, à Fissel dans le Baal (Ibid. p.120) prouve que le pays
sérère avait bien pu être un refuge pour bien de musulmans du Fouta et
d'ailleurs.
4.
Contribution à la chronologie du royaume du Saloum.
Bulletin
de
l'IFAN série B. n03-4. 1966 p.662
S. S.A. Soh : Chronique du Fouta...Op. cit. p.26
535
Aussi, s'il a laissé une empreinte plus durable dans les autres
royaumes
sans
jamais
cependant
avoir
réussi
à
s'implanter
réellement avant le XIXe siècle dans la majeure partie du pays,
l'islam n'a fait, en définitive, qu'une apparition brève au Saloum
avant d'y être réellement introduit des siècles plus tard par des
étrangers et par les Madingues voisins.
Le Saloum est ainsi le premier royaume sérère à connaître
l'islam, avec la partie du Baol non sérère, au même moment où dans
l'ensemble du pays, on notait une hostilité générale aux religions
islamique et chrétienne(1).
Il fallut attendre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe
pour rencontrer des traces certaines de présence de l'islam chez les
Sérères(2». Nous lisons en effet sous la plume du P.
Baltasar
Barreira qui séjourna à 10al en 1606 que les habitants de ce village
"suivent la loi de Mahomet"(3).
Il convient certainement d'être prudent avec les écrits de ce
prêtre portugais apparemment porté à l'exagération : ne dit-il pas,
par exemple, dans la même relation, que tous les "1010fos suivent la
secte de Mohamet" ?(4).
1.
S.M.
Cissoko
: La civilisation
wolofo-sérère (à travers
les
récits
d'auteurs
portugais
au
XYe
siècle).
Présence
Africaine
n062,
1967
p.121 sq
Z. Ce qui se comprend car les Sérères, comme nous le mentionnons plus
haut,
avaient
émigré
précisément
du
Fouta
pour
échapper
à
la
conversion
musulmane.
Il
nous
paraît
donc
raisonnable
que
cette
résistance ait pu se poursuivre dans leur nouveau pays pendant au moins
les premiers siècles, ce qui nous amène à ne pas confondre l'islam des
étrangers qui peut être daté de la première islamisation des
royaumes
voisins et l'islamisation des Sérères qui est évidemment beaucoup plus
récente.
3. G. Thilmans & N.1. de Moraes : La déscription de la Côte de Guinée
du P. Baltasar Barreira (1606). Bulletin
de
l'IFAN série B, nOl, 1972
p.32.
4.
G.
Thllmans & N.I.
de
Moraes
: La déscription de la Côte de
Guinée ... p.31
536
Cependant il
montrait du
doigt
une
certaine réalité
: la
présence d'éléments de l'islam dès cette date en pays sérère, sans
qu'une telle présence ait, pour le pays, une signification importante
sur le plan religieux, les musulmans dont il est question étant pour
l'essentiel des étrangers souvent peu nombreux.
Car loal, au XVIIe siècle, était d'abord un centre commercial
qui attirait beaucoup de monde et des étrangers musulmans ont
bien pu s'y installer avec leur religion. Ensuite, l'auteur lui-même
affirme que "presque dans tous les royaumes", les marabouts(ici
vraisemblablement
mandingues)"possèdent
une
ou
plusieurs
localités" où ils s'adonnent à la pratique de leur religion(1).
Le commerce, depuis la découverte de la côte, n'a cessé de se
développer(2).
Or c'était précisément
un
des
moyens
les
plus
efficaces de la propagation de l'islam, utilisés par les musulmans.
Que pour des raisons notamment commerciales ceux-ci vinrent à
loal nous paraît certain.
Une autre certitude est qu'ils n'y ont pas pour autant fait
beaucoup d'adeptes parmi les Sérères. Cela explique d'ailleurs que
les missionnaires venus ultérieurement à loal et ailleurs dans le
pays n'ont pas rencontré un islam très conquérant.
Celui-ci continuait d'exister certes, puisque un demi siècle plus
tard, l'abbé Demanet affirmait avoir converti au christianisme des
"Mahométans"(3). Mais à côté des 800 "païens" baptisés en même
temps(4) leur nombre -qu'il ne donne pas- ne devait pas peser
lourd.
1.
G.
Thilmans
&
N.1. de Moraes
: La
description
de
la
côte
de
Guinée ... p.33
2. J.B. Labat : Nouvelle relation de l'Afrique Occidentale. Paris, Giffart
1728, Tl. p.54
3.
Abbé
Demanet
:
Nouvelle
Histoire
de
l'Afrique
française.
Paris.
Duchesne et Lacombe. 1767.
Tl. p.lIl
4.
Ibid.
537
Bien que nos réserves sur les écrits de ce missIOnnaire-
affairiste sont connues, en particulier le nombre de ses convertis
qu'il avait de toute évidence intérêt à gonfler pour justifier son
occupation injustifiable sur la côte, ce seul "rapport de forces" dans
un pays réputé avoir auparavant été largement christianisé est la
preuve que la grande masse des Sérères n'était pas concernée par
l'islam.
Presque au même moment d'ailleurs Le Brasseur confirmait
dans une relation que les cas de conversion à l'islam soulignés
précédemment étaient si isolés qu'ils en devenaient presque Bien
insignifiants : la religion des habitants du "royaume de Barbesin"
restait ce qu'elle n'a pas cessé d'être : l"'animisme"(l).
L'abbé Boilat fit le même constat au milieu du XIXe sièc1e(2)
et bien qu'il soutint que le roi Khamade Diouf était musulman, qu'il
se prenait pour le plus grand prophète de l'islam après Mohamet et
qu'il y ait eu des marabouts dans son palais(3), il n'ignora pas que
l'islam était demeuré exceptionnel et que cette conversion du 43e
roi du Sine n'a jamais été ni profonde, ni même génératrice d'une
pratique religieuse quelconque.
La résistance
acharnée de
son
successeur et de
tout son
royaume contre Maba en est une preuve : aussi bien au sein de la
famille royale que dans la société, l'islam restait étranger, mal
connu et surtout refusé par les Séréres qui y voyaient un danger
d'acculturation et le meilleur moyen de subir passivement le joug
de 1'" étranger".
1.
Détails
historiques et politiques, mémoires inédits (1778) de J. A.
Le
Brasseur.
Présenté
et
publié
par
Ch.
Becker & V.
Martin.
Bulletin de l'IFAN. série B, n°l, 1977 pp.101-102
2.
Esquisses
sénégalaises. Op. cil. p.61-188
3. Ibid, p.146
538
En optant pour la guerre et l'intolérance, il est vrai que l'islam
de la seconde moitié du XIXe siècle ne pouvait que dresser contre
lui des gens qui avaient du mal à le dissocier d'une certaine volonté
de domination, dans une période déjà largement dominée par les
impérialismes( 1).
On comprend donc que la farouche opposition qui lui fut
dressée l'était, non pas en réalité contre l'islam en tant que religion,
mais contre les prétentions inadmissibles, aux yeux des populations,
de
ses
propagateurs,
réputés
s'engager dans
une
entreprise de
destruction culturelle et de conquête politique.
Les Sérères du Sine en étaient d'autant plus convaincus qu'au
Saloum
la guerre, en étant essentiellement dirigée contre le coeur
du royaume, après que Maba eût dépossédé les princes du Rip,
semblait
davantage
motivée
par
l'évincement
des
dirigeants
qu'inspirée par l'idée de conquête religieuse. Une situation d'autant
moins compréhensible que le roi et son entourage,
même
s'ils
n'étaient
pas
des
modèles
de
piété,
étaient
quand-même
musulmans et n'entravaient en rien l'islam et sa pratique dans leur
royaume.
1.
Les
populations
sérères n'ont pas pu, en effet, saisir les véritables
motivations des guerriers de l'islam. Ceux-ci se combattaient entre eux,
entre
croyants,
alors
que
la
guerre
était
sensée
dirigée
contre
les
"infidèles" : quand il envahit le Baol, Maba
tua des
musulmans dont
Mballa
Mbacké père de Momar
Antassali
lui-même
père
de
Abmadou
Bamba et emmena d'autres de force au Rip, dont Antassali
lui-même - P. Marty : Etudes sur l'islam au Sénégal. Op. cit. p.223 - ; peu
après la disparition de Maba. Matar
Kalla, un autre grand marabout du
Rip, était assassiné par ses successeurs. Non pas parce que, comme le
soutient à tort T.O. BA, un descendant de Maba, "il avait pour unique but
de renverser la famille des Bâ" - Essai historique sur le Rip...p.587 . mais
du fait que l'ambition politique de certains marabouts les poussait tout
droit au crime. Matar
Kalla,
dont
le
désintéressement
semble
évident
pour ses contemporains (A. Le Chalier, qui écrit en 1899 ne le dément
pas - L'islam dans l'Afrique occidentale. Op. cit. p.209 - et même dans la
littérature pro-Maba qui est souvent la copie servile d'une tradition orale
dont il faut pourtant se méfier, la volonté de le salir trahit difficilement
ce trait de caractère) ne pouvait qu'être combattu par ceux qui voulaient
assigner
un
rôle
politique
à
l'islam.
L'ambition
politique
de
Maba
semblait évidente d'autant que non seulement il a accepté un compromis
avec les Français qui faisait de lui l'a 1ma m y
du Saloum, mais encore,
semble-t-il, il se plaisait à se prévaloir d'une ascendance (non prouvée)
remontant
à
Koli
Tenguela, fondateur de la dynastie Dénianké
du
Fouta Toro au premier XVIe siècle.
539
Cet islam-là devait donc échouer au Sine, comme il a échoué
partout mais avec plus d'éclat ici qu'ailleurs(l). Son entrée dans le
pays, qui se fit désormais pacifiquement fut
ainsi retardée de
plusieurs décennies.
Aussi, jusqu'au début du XXe siècle, la mission pouvait-elle
espérer amener au christianisme la majorité des Sérères.
C'est pourtant à ce moment précis que la concurrence de
l'islam était plus acharnée. La résistance des Sérères à cette religion
resta vive et bien qu'elle ait précédé le christianisme dans le pays,
celui-ci partait avec les mêmes chances, avant d'être rapidement
distancé. Pourquoi donc cette facilité relative à vaincre enfin la
résistance millénaire des Sérères ?
Il Y a sans doute, avant tout, le changement de la situation
socio-politique
et des
conditions
nouvelles,
une
approche
plus
intellegente de la mission développée par des figures islamiques
connaissant mieux le pays et ses réalités. Elles ont donc réussi à s'y
faire accepter et suivre, installant ainsi, dans la douceur, l'islam qui,
vu à travers les qualités qu'on leur trouvait, n'était plus tout à fait
éloigné de la conception que les Sérères avaient de la religion qui
doit être, pour eux, facteur de convergence et d'harmonie pluôt que
de conflits.
1. A.N.S, 13 G 67-174 : après la mort de Maba, le Rlp et le Saloum
continuèrent certes à être agités par des conflits opposant surtout les
propres
parents
de
l'a 1m a m y
: d'un côté Saer
Mat y et de l'autre
Mamour
Ndary
Bi,
se
livrèrent
une
guerre
sans
merci
pour
le
contrôle de l'héritage. Contrairement à son !ère Maba. Mamour
Ndary
accepta la protection française en 1887, ce qui lui permit de chasser son
neveu Saer du pays. A sa mon en 1889. ce fut sans beaucoup de peine
que son fils Mandiaye Bi lui succéda pour deux ans. "Revoqué" ensuite
par
les
Français
qui
lui
reprochaient
son
attitude
complice
dans
la
révolte, la même année, des marabouts du Rip, il est remplacé par Insa
Bi, fils de Mamour, remplacé à son tour par son frère Ousmane en 1908.
A l'époque, les Bi et les Ta m sir
du Rip étaient trop pris dans leurs
intrigues
et
leur
course
pour
le
pouvoir
pour
être
en
mesure
de
s'occuper
réellement
d'islamisation.
Ainsi.
à
part
les
Sérères
que
la
propagande avait déjà touchés dans le Rip et les dépendances du Saloum,
l'oeuvre de Maba et de sa descendance dans l'islamisation du pays est
pratiquement nulle.
Aussi.
les archives
sénégalaises
signalent
que dès
1910, le "successeur" de Maba. simple affilié à la tidjaniya, n'y avait
"aucun
grade,
aucun
talibé,
aucune
qualité
pour conférer le
titre
de
tidiani".
Les
divisions mais aussi
la méthode
utilisée
avaient fini par
saper le pretisge
de
l'oeuvre,
marginalisée
dès
l'émergence,
dans
les
années 1880. d'autres marabouts ayant une conception plus adaptée de la
mission
islamique.
540
Autant dire qu'avec ces marabouts, ils ont enfin découvert la
religion musulmane, le passé récent de la guerre ayant dû réveiller
en eux les sentiments jusque-là latents de sa force qui" désormais
mise au service de la paix, était devenue plus attractive.
Ainsi, le tidianisme avait déjà, par la personne de serigne
Abdoulaye
Niasse qui allait être le premier vrai islamisateur des
Sérères du Saloum et même d'une partie du Sine, fait un nombre
non négligeable, pour l'époque, de musulmans dans les régions où il
s'était implanté
à partir de la fin du XIXe siècle(I). Nous avons vu
comment l'héritage de ce tidianisme omarien a été versé, presque
entièrement, au tidianisme de Tivaouane.
Mais c'est surtout avec ce dernier, le mouridisme et dans une
moindre mesure la qadria que les conversions ont pris l'allure d'un
fait de société chez les Sérères. Les
missionnaires le craignaient
d'ailleurs,
voyant très
tôt le danger que représentait pour leur
travail apostolique la montée en puissance du "Bambisme" comme
ils appelaient parfois la voie
toute nouvelle de Ahmadou Bamba
dont les moyens financiers inquiétaient là où l'Eglise était réduite à
gérer la pénurie.
Ils n'avaient sans doute pas tort . En effet, "la propagande
mouride a été extrêmement active et les progrès de la confrérie fort
rapides. S'étendant en "pays païen", elle a amené à l'islam un
nombre important de Sérères "animistes"(2). Il s'agit sans doute, au
moins lorsque A. Gouilly écrit ces lignes en 1952, essentiellement
des Sérères du Baol(3) mais la progression de l'islam qui semblait
depuis longtemps programmée était désormais irrésistible.
1. F. Quesnot : Les cadres maraboutiques de l'islam sénégalais...Op. cil.
p.l44
2. A. Gouilly : L'islam dans l'Afrique occidentale française. Op. cil.
p.120
3.
Les
mourides
se
recrutainet
jusqu'en
1912
chez
les
Wolofs.
Ils
n'étaient alors
que
68
000.
En
1950, ce chiffre
passait
à 420
000,
originaires des seules régions du Cayor et du Baol pour les trois quarts (J.
Copans : Les marabouts de l'arachide. Op. cit.
p.83). Du quart restant, il
faut sans doute déduire une bonne partie de colons agricoles dans les
autres régions du Sénégal. On voit alors qu'il ne reste qu'une minorité de
non-Wolofs.
Mais
les
Sérères
du
Baol
étaient
déjà
touchés
par
les
conversions
en
masse,
phénomène
d'autant
plus
sensible
que
contrairement à la plupart des Wolofs en ces premières décennies du XXe
siècle,
ils
n'étaient
pas
musulmans.
Cf.
F.
Quesnot:
Les
cadres
maraboutiques de l'islam sénégalais. Op. cit.
p.I57. Le phénomène fut
donc notable dans ce laps de temps si court qui va des années 40 au début
des années 50,qui fut celui du tout premier mouvement significatif de
conversions des Sérères à l'islam, après celui -du reste assez Iimité- qui
s'est opéré avec cheikh Abdoulaye Niasse.
541
Attirés par le tidianisme, les Sérères, bientôt, allaient l'être
encore plus par le mouridisme qui, dès le départ, s'imposa comme
une doctrine parfaitement adaptée
à
leurs
besoins
spirituels
et
temporels. Car "la morale mouride consiste à s'abandonner corps et
âme à son marabout pour être délié de toute pratique religieuse...
La mystique du travail deviendra le dogme de la doctrine mouride
qui, en fait,
s'applique à remplacer la prière et l'enseignement
spirituels par des considérations purement pratiques et matérielles
plus accessible à l'entendement de l'Africain"(l).
Avec la "mystique du travail" qui est celle du mouridisme,
beaucoup
de
Sérères
ont trouvé
qu'il
n'y
avait rien
de
plus
valorisant à être mouride d'autant que ceux qui prêchaient une telle
doctrine étaient les premiers à donner l'exemple. Beaucoup
de
villages mourides ont en effet été fondés sur des milliers d'hectares
de forêt qu'il fallut défricher mètre par mètre, pour en faire des
greniers du pays en un laps de temps très court(2).
Le "marabout-parasite" s'étant éloigné, le marabout-paysan,
pouvait enfin amener les populations à sa religion. Ce que facilite,
par ailleurs, le fait qu'il comprend et admet un minimum d'efforts
en matière de pratique religieuse et que le cheikh-fondateur est
celui sur lequel on pouvait remettre sa destinée ce qui impliquait
une seule obligation vraiment majeure : l'attachement aveugle à lui
et à sa confrérie qui est, pour beaucoup, une forme de prière.
Vraie ou fausse, cette interprétation du mouridisme par les
gens qui n'avaient aucune envie ni d'être particulièrement pieux
(pour ne pas se détacher de leur milieu), ni de faire l'effort de
connaître vraiment leur nouvelle religion (puisqu'ils ne veulent pas
de l'école) était un allié de poids pour la confrérie mouride.
1. J. Copans : Les marabouts de l'arachide...Ce Livre de 260 pages décrit
comment les
mourides ont réussi. par la "sanctification" du travail. à
étendre leur influence religieuse par une occupation et une exploitation
-
souvent
irrationnelle
cependant
-
de
l'espace
rural
sénégalais.
Ces
travailleurs acharnés que les écrits et la vie du fondateur de la confrérie
invitent sans cesse à "travailler comme s'ils ne devaient jamais mourir"
et
à
"prier comme
s'ils devaient
mourir demain"
sont réputés
avoir
réussi
une
appropriation de l'islam par les Africains qui
éclaire
sur
l'aurait que la confrériea exercé. au-delà de ses "adhérents directs", sur
les
autres
confréries,
essentiellement
la
qadria
qui
l'a
largement
alimentée de ses anciens membres, dans les premières décennies de son
existence.
2. J. Copens: Les marabouts de l·arachide....p.21 sq
542
Aussi,
les
"ignorants"
ne
manquèrent-ils
pas
parmi
ces
musulmans, ce qui posait bien sûr le problème du fanatisme qui, à
son tour, semblait lui assurer chaque jour plus de vitalité. Dans ces
conditions, il ne fallait pas s'étonner de voir des marabouts de la
confrérie dévier des enseignements du maître pour exploiter des
talibés
crédules, contribuant ainsi
à défigurer l"'expérience"
du
"mystique" Ahmadou Bamba(l).
Celle-ci a insensiblement glissé "d'une expenence religieuse
originale, valable et saine... à une institution à caractère social et
économique dont
les
principes résident essentiellement dans
la
discipline
et
le
travail"(2).
Mais
c'était
ce
"concret"
que
recherchaient les Sérères mourides qui, même dans leurs croyances
religieuses
les
plus
profondes,
ont
toujours
besoin d'un repère
infaillible. Et ce repère-là, c'est moins ce qu'ils croient que ce qu'ils
voient.
1. Ch.T. 8y
La confrérie sénégalaise des Mourides Op. cil. p.148
2.
Ibid.
543
II • LA STRATEGIE MUSULMANE
UNE REPONSE ADAPTEE
A
•
Une
stratégie
différente
de
celle
de
la
mission
Toute la stratégie de conversion à l'islam
tient au rôle du
marabout. Ce rôle est d'autant plus important que, comme le note P.
Marty, les musulmans sénégalais "se classent d'eux-mêmes et sans
exception
sous
la
bannière
religieuse
des
marabouts
et
ne
comprennent l'islam que sous la forme de l'affiliation à une vie
mystique ou plus exactement sous la forme de l'obédience à un
"Serigne"(1 ).
Le serigne ou marabout est sans doute une institution très
ancienne puisque le mot semble issu des Almoravides(2), ceux-là
mêmes qui introduisirent l'islam en Afrique de l'Ouest au XIe siècle.
Il désignait alors les Almoravides eux-mêmes avant de signifier
tout simplement l'"homme de Dieu"(3).
Théoriquement
saint
par
ses
occupations
pieuses
et
sa
proximité supposée de Dieu, le marabout a cependant fini par
désigner
le
musulman
moyen
qui
dirige
les
prières
voire
les
descendants des grandes familles
maraboutiques.
Son importance
ne semble pas avoir été affectée par cette large extension du sens
du mot, au contraire.
Dans une religion sans clergé, les marabouts "représentent
l'élément humain ; mieux ils incarnent la religion au point que
marabout et musulman sont devenus synonymes(4).
1. Etude sur l'islam au Sénégal. Op. cit. p.3
2.
F.
Dumont : La pensée religieuse
d'Amadou
Bamba Fondateur du
Mouridisme sénégalais. Les NEA. 1975 p.35
3.
Ibid.
4. A. GouiIly : L'islam dans l'Afrique Occidentale française. Op. cit. p.20.
544
Cela est surtout vrai chez les Sérères, qui n'ont que le même
mot pour désigner deux réalités pourtant différentes. Le sirin (ou
serigne) sérère désigne en effet aussi bien celui-là même qui dirige
la prière que ses talibés c'est-à-dire ses élèves et tous ceux qui se
retrouvent sous son autorité spirituelle.
En un mot, tous les membres de la communauté musulmane.
Dans ces conditions, il y a donc de petits et de grands marabouts et
l'importance des uns et des autres et liée au nombre et à l'influence
de leurs talibés ainsi qu'à l'étendue de leur zone d'influence.
Dans
les
villages,
l'importance
du
marabout
qui
n'a
pas
toujours de talibés, les croyants étant affiliés à diverses confréries
et à des marabouts plus influents, est souvent liée à la connaissance
de la religion et du coran.
Si celle-ci est solidement établie, il peut se faire des talibés
sur
place
mais
son
influence
ne
peut
avoir
qu'un
caractère
strictement local. D'ailleurs, de tels marabouts n'ont guère été très
nombreux et s'ils existaient, ils étaient toujours étrangers au pays.
L'attachement qui leur était témoigné trouvait alors sa source
dans celui des musulmans sérères à la confrérie qu'il représentait
dans le pays. Le rattachement direct des fidèles
aux confréries
faisait
en
effet
du
marabout
un
intermédiaire,
mais
un
intermédiaire
obligé
pour être
reconnu
comme
membre
à
part
entière de celles-ci.
Cependant, les mosquées confrériques comme on en trouve
dans les villes n'ont pas existé de façon prononcée en pays sérère,
tout au long de notre période. La même mosquée servait de lieu de
culte aussi bien aux tidianes et aux mourides qu'aux membres des
autres confréries.
Intervenant dans
tous les actes de la vie,
le marabout a
parfois
su
se
rendre
indispensable
même
si
les
progrès
de
l'instruction
coranique
semblent
avoir
réduit
l'importance
du
marabout-enseignan t.
545
Celle prise par le marabout confrérique étant devenue de plus
en plus primordiale, l'institution maraboutique n'a cessé de gagner
en popularité et en crédibilité auprès des masses. Le marabout du
XIXe siècle était non seulement enseignant, mais aussi juriste et
juge
puisqu'il
s'occupait,
comme
le
notait
déjà
Boilat,
de
"jurisprudence"( 1).
Il
était
aussi
médecin(2),
comme
l'étaient
généralement les missionnaires de la même période. Les marabouts
ont d'ailleurs conservé l'essentiel de ces "occupations" qui sont
devenues
difficilement
dissociables
de
leurs
responsabilités
religieuses.
Ce rôle
du
marabout s'est même renforcé,
bien
que
par
certains côtés, il ait dû s'adapter aux réalités changeantes de la
société sénégalaise. Ainsi, le rôle qui fut le sien de protéger "les
faibles et les opprimés"(3) avait, au XIXe siècle, été marqué par des
troubles
qui
affectèrent
largement
la masses
des
paysans,
une
importance et un contenu qui ne pouvaient plus être les mêmes, dès
lors que le règne de la justice privée avait vécu et que la paix était
revenue dans le pays. Avant de se ranger sous la bannière des
marabouts contre leurs
oppresseurs
tiédos,
les
masses
ont subi
beaucoup d'exactions qui furent parfois la cause profonde de leurs
conversions massives de la fin du XIXe siècle(4).
Ce rôle historique de protection des faibles devait donc se
muer en un rôle de représentation politique de fait : convaincus de
devoir continuer à protéger leurs fidèles, les marabouts, de plus en
plus influents politiquement du fait du rôle de grands électeurs
voire de groupes de pression qu'ils jouent grâce à leurs milliers de
talibés dont le vote est dicté par eux, se firent sans complexe leur
porte-parole et leurs représentants devant les hommes politiques
auxquels
ils
ne
manquaient pas,
à
l'occasion,
de rappeler
les
promesses qu'ils leur avaient faites en insistant pour qu'ils
les
honorent(5).
1.
Esquisses
sénégalaises. Op. cit. p.70
2.
Ibid.
3.
V. Monteil : L'islam noir. Une religion à la conquête de l'Afrique.
Paris, Ed. du Seuil, 1980 p.172
4. M. Klein :Islam and imperialism in Sénégal...Op. cil. p.91
S. EM 050. De là, est née et s'est développée l'influence des confréries
dans la vie politique
546
Représentant politique, juge et arbitre privé(l), le marabout
participa très activement à l'administration de la justice par le biais
des cadis institués par la législation coloniale.
Ceux-ci rendaient la justice pour les musulmans, suivant les
principes de la charia,
largement "canalisée" cependant par ceux du
dorit positif français.
D'autres marabouts ont, il est vrai, perdu de leur importance,
qui fut si grande qu'aucun roi ne pouvait se passer d'eux, même pas
les rois "animistes" : les marabouts-secrétaires (2).
Au service des rois puisque détenant seuls l'instruction, ces
marabouts ont pu entretenir la confusion au niveau de certains
chroniqueurs
européens
qui
déduisaient
facilement
de
leur
présence
dans
les
cours
royales
que
le
pays
ou
le
roi
était
musulman.
1. V. Monteil.: L'islam noir... Op. cit. p.l72
2. D'autres,
comme
les
"faiseurs"
d'amulettes
ne nous paraissent pas
dignes d'être rangés dans la catégorie des marabouts, malgré la place qui
leur y est généralement réservée.
Comme le notait indirectement P. D.
BoiJat, ils sont un genre particulier comparé aux autres : "les grands
marabouts
ne
portent
point
de
gris-gris
et
n'en
font
point,
ils
se
contentent
de
prier
pour
ceux
qui
se
recommandent
à
eux
et
leur
imposer les mains en jetant un peu de salive sur leur tête ou leur main" -
Esquisses sénégalaises ... Op.
cil. p.301-.
Le marabout
faiseur d'amulettes
est
donc
une
déviation
"animiste"
de
l'islam
qui
ne
pouvait
être
institutionnalisé sans nuire à celui-ci. Aussi, était-il rare que ceux qui
l'étaient
puissent
assurer
les
autres
fonctions
du
marabout
singulièrement
les
plus
prestigieuses.
Ces
marabouts
étaient
généralement de petits marabouts
sans
influence aucune qui
recrutaient
non pas des talibés, mais des gens ayant un problème personnel ponctuel
à
résoudre.
La
relation
s'arrêtait
d'ailleurs
souvent
à
l'échange
de
l'amulette et de son prix, surtout quand celle-ci ne s'avérait pas efficace.
547
Longtemps
restés
étrangers
au
pays,
ces
marabouts
s'occupaient de la correspondance des rois et de conseils auprès
d'eux. Comme le marabout
fac-tâl (1) qui recevait du roi "des
concessions
sur
lesquelles
il
pouvait
s'établir
et
grouper
ses
élèves"(2), ce type de marabout a disparu au début du XXe siècle. Il
en est de même du marabout guerrier(3) dont on doute même qu'il
fut une institution.
Phénomène
finalement
très
marginal
dans
l'islamisation,
malgré le problème politique majeur qu'il créa, il n'a vraiment
jamais fait recette au Sénégal. Il fit rapidement place aux "chefs
religieux arrivés trop tard pour mener une guerre sainte, mais au
moment opportun pour propager et enraciner plus profondément
l'islam" (4).
Ces chefs religieux appelés marabouts-sayh (5) sont d'abord
des chefs d'ordres religieux mystiques(6). Ils se recrutent parmi les
fondateurs de confréries ou de groupements s'étant, à un certain
moment, identifiés à elles : des tidianes de Tivaouane aux khadirs
de Ndiassane en passant par les mourides et les niassènes, leur
fonction
semble
cependant
se
dédoubler
puisqu'ils
sont
aussi
marabouts-enseignants
ou
serignes-daara (7), tous ayant fait de
l'enseignement au
moins
au début de
leur
"carrière".
Mais
les
marabouts-enseignants dépassent de très loin en nombre le cadre
étroit de ces pionniers. Ils se rencontrent jusque dans les villages
les moins portés à l'islam puisque le rôle de tout marabout est,
outre la direction de la prière, l'enseignement du coran.
1. Mot wolof qui indique qu'il s'agissait d'une sorte de précurseur du
marabout mouride.
Ces
marabouts
fac-tâl
étaient en
effet
souvent
des
défricheurs de terre que leur donnait le roi et qu'ils mettaient ainsi en
valeur.
2. A. 8amb : L'islam et l'histoire du Sénégal...p.467
3. M. Ndiaye
:
L'Enseignement
arabo-islamique
au
Sénégal.
Istanbul.
Centre de recherche sur l'art et la culture islamiques. 1985
p.27
4. A. 8amb : L'Islam et l'histoire du Sénégal...p.468
5. M. Ndiaye : L'enseignement arabo-islamique au Sénégal. Op. cil. p.27
6. A. 8amb : L'Islam et l'histoire du Sénégal...p.469
7.
Daara est un mot
wolof désignant en gros
l'école.
Ces marabouts
tenaient donc les multiples écoles coraniques du pays.
548
Ainsi,
ces
classifications
ne
sauraient être
hermétiques(l).
L'importance de l'enseignement est très grande dans l'islamisation.
On comprend donc que cet enseignement ait forgé la réputation de
sérieux et de pureté doctrinale d'une confrérie comme celle des
tidianes réputée pratiquer un "islam pur", fruit de la haute culture
de son fondateur et de ses successeurs.
El Hadj Malick Sy était en effet connu pour sa science et
surtout, pour sa soif de la communiquer. Il forma ainsi un nombre
impressionnant
de
marabouts
dont
le
rayonnement
fut
particulièrement positif pour l'islamisation de la fin du XIXe siècle
aux premières décennies du XXe.
La multiplication du nombre des marabouts était d'autant plus
rapide que chaque élève était, dès sa sortie de l'école, un marabout-
enseignant.
Aucune exigence de niveau encore moins de diplôme n'étant
en vigueur, on comprend que l'islamisation ait pu faire des pas très
rapides. Et pour se "faire" des fidèles, le nouveau marabout était
obligé
de
s'éloigner
des
zones
déjà
desservies
par
d'autres
marabouts, ce qui permit une occupation méthodique, très efficace
et complète du pays.
Le contact quotidien devait faire le reste. Installé au sein
même des populations qu'il veut amener à sa religion tandis que ce
qui caractérise le missionnaire, ce fut d'abord un habitat différent
et si possible à l'écart du village, il partageait tout avec elles. Leurs
habitudes, les manifestations de leurs croyances ne le gênaient pas
puisqu'il les comprend et les vit.
Son rôle, il le connaît et le prend au sérieux : aussi, au lieu de
chercher à leur faire abandonner ces croyances au risque d'être lui-
même rejeté, il s'emploie à les islamiser. Et puis, il sait trouver les
mots justes pour être écouté et suivi : il ne dit pas : abandonnez vos
pratiques pour pouvoir venir à la religion mais plutôt : venez à
l'islam pour abandonner vos croyances(2).
1. M. Ndiaye
L'enseignement arabo-islamique au Sénégal. Op. cil. p.83
2. EM ()4()
549
De fait, il ne s'attache même pas vraiment à cet abandon
puisque leur "côté satanique", il ne le perçoit pas. En tout cas, pas de
la même façon que le missionnaire blanc(l). Il voit, par exemple
dans le ndut, plus
l'expression
d'un
passé révolu
dont
il
faut
s'écarter du fait de sa nouvelle position sociale qui lui commande
plus de hauteur qu'une pratique contraire à sa religion puisqu'il vit
intérieurement ce passé et trouve d'ailleurs souvent que le présent
ne peut pas lui tourner totalement le dos.
Le
marabout,
aux
yeux
des
Sérères,
n'a
donc
rien
d'un
sectaire. Sa stratégie consiste à accepter la communauté des valeurs
et des pratiques pour mieux les faire oublier si seulement elles sont
ouvertement
incompatibles
ave
l'islam.
Il
ne
boude
pas
les
"animistes" et n'interdit à personne d'assister à leurs cérémonies
qu'il honore d'ailleurs parfois de sa présence. Il n'hésite même pas à
aider les "animistes" à organiser ces cérémonies "même si dans son
for intérieur, il aurait souhaité qu'elles n'aient pas lieu"(2).
Le
secret des
marabouts
c'est qu'ils
ont le comportement
villageois puisqu'ils sont tous issus de villages. Ils ne donnent pas
l'impression de vouloir faire changer aux gens de religion. Ils vivent
tout simplement avec eux, s'adonnent aux mêmes activités qu'eux,
sont des habitants à part entière du village.
Ils demandent donc des terres qu'ils cultivent, s'intègrent à la
population souvent par le mariage et commencent à nouer et à
entretenir patiemment des relations qui
s'élargissent chaque jour
d'autant plus facilement qu'elles sont quotidiennes et directes.
La conversion des anciens peut être obtenue sans grande
difficulté puisqu'après, ils restent
libres de ne pas
aller
à la
mosquée et même de continuer à s'adonner à la pratique de la
religion traditionnelle.
1. EM 040
2. EM 108
550
On comprend dès lors qu'il soit difficile de mesurer le degré
d'islamisation du corps social par le nombre des convertis. Celui-ci
est toujours de très loin supérieur à celui des pratiquants, c'est-à-
dire, en fait, des musulmans. La compréhension bienveillante des
marabouts de l'attitude de ces convertis est un élément essentiel
des progrès de l'islam. Ses adeptes ne courent donc aucun risque
d'être exclus d'une communauté si tolérante(l).
On ne s'étonne donc pas que beaucoup de conversions restent
formelles
et
s'arrêtent
au
premier jour,
sans
aucune
pratique
religieuse par la suite. Et les gens trouvent cela normal et n'ont
nullement le sentiment de se contredire en procédant aux libations
traditionnelles. Car "beaucoup de marabouts n'ont pas pu ou voulu
nous
signaler
tous
les
interdits
qui
nous
eussent
peut-être
découragés" estiment certains musulmans sérères(2). Il y a aussi
cette curieuse tradition
du
mouridisme
qui
veut que le B a y e
FaU (3) soit au moins théoriquement dispensé de pratique religieuse
formelle( 4) : une telle conception de la religion ne pouvait que
favoriser l'adhésion des partisans du moindre effort en la matière.
1. Cette
tolérance est sans doute facilitée par l'absence d'une véritable
hiérarchie
entre
marabouts.
Elle
facilite
à
son
tour
l'islamisation.
Le
marabout est seul chef religieux dans son village même s'il faut rappeler
toute la relativité qui s'attache à ce terme. Il n'a de compte à rendre à
personne
et
n'est
surveillé
par
personne.
Ce
caractère
libéral
est
d'ailleurs celui de la religion à tous les niveaux.
2. EM 061
3. Les Baye
Fall, du nom de Ibra
Fall devenu par la suite cheikh par la
volonté de Ahmadou
Bamba dont
il
fut
un des
premiers
disciples
et
compagnons, sont un groupement dans le mouridisme.
Se
réclamant de
leur fondateur, ils tentent d'imiter sa vie faite de soumission totale au
fondateur du mouridisme et de zèle religieux si grand que celui-ci l'avait
déchargé. dit-on.
des obligations religieuses de la prière et du jeûne.
Leur soumission et
leur acharnement
au travail constituant leur prière,
ils devaient travailler durement pour leur cheikh au moment où celui-ci
priait pour eux. Cette déviation regrettable de la religion attribuée à ton
ou à raison au fondateur du mouridisme est préjudiciable à l'image de
celui-ci. Mais les Baye Fall sont une force d'animation et de mobilisation
vivifiante et
attrayante pour la
confrérie qui
relativise
finalement
cet
inconvénient.
4. Cette dispense est discutée, jusque même dans la confrérie et chez les
Baye Fall, dont beaucoup s'adonnent comme les
autres
mou rides
à la
prière et au jeûne. tout en ne négligeant pas leurs activités du Baye Fall
qu'ils jugent parfaitement compatibles avec le respect de ces piliers de
l'islam.
551
Un
autre
facteur
de développement des
confréries
est
la
formation des marabouts -y compris plus récemment les marabouts
sérères- qui, après leurs études plus ou moins longues, retournaient
dans leurs villages où ils réintégraient facilement la population. Le
marabout, ici, exploite avec moins de difficulté ses relations. Le fait
qu'il ait été initié avant de quitter le village - ce qui était presque
toujours
le
cas
- le
mettait
déjà
dans
un
réseau
d'alliances,
d'amitiés, de relations, néés d'abord dans sa famille et ensuite dans
sa classe d'âge du ndut
qui pouvait bien servir pour la diffusion de
sa religion.
Aussi, le noyau généralement constitué par sa famille et ses
co-initiés(l), avait toutes les chances de s'élargir assez rapidement.
Sans se détacher des solidarités villageoises puisqu'Havant d'être
marabout il est membre de la communauté du village qui lui a tout
donné et à laquelle il
n'oserait tourner le dos"(2) et tout en
continuant de vivre les réalités qu'il y a toujours vécues, il incarne
une certaine "évolution" par son comportement et sa nouvelle vision
du monde d'autant plus attrayants qu'ils se gardent de heurter le
bons sens populaire et les traditions. Et connaissant bien son milieu,
il sait comment faire pour ne pas entrer en conflit avec lui, tout en
le faisant glisser vers le changement.
L'occupation méthodique des villages par les marabouts est un
autre aspect de leur stratégie qui s'appuie ici sur le nombre. Chaque
village, quelle que soit sa taille, est pris en charge par au moins un
marabout.
Les
musulmans ne souffrent pas
ainsi
d'une pénurie
maraboutique, au contraire.
En 1912, au moment où la confrérie mouride ne faisait que ses
premiers pas dans les
localités
sérères du Baol et du
Saloum
occidental, on estimait le nombre des seuls cheikhs à 162 avec, pour
chacun, une moyenne de 15 talibés(3), un chiffre alors largement
dépassé par la tidianiya et sans doute par la qadria et qui n'a cessé,
depuis,
de
se
multiplier.
Quand
on
sait
que
les
limites
géographiques de la confrérie étaient ainsi très modestes, on voit
bien que les vocations ne manquaient pas, pour la diffusion de
l'islam
1. Les 'vertus" de la famille élargie ayant dû jouer pleinement aussi,
celle-ci
étant
souvent
des
premiers
à
suivre
leurs
parents
dans
sa
nouvelle
voie.
2. EM 039
3. P. Marty : Les Mourides d'Ahmadou Bamab. Op. cil. p.148
552
Ce chiffre d'ailleurs ne tient compte que des marabouts d'une
certaine importance qui seuls retenaient l'attention des rapports de
l'administration coloniale(l). Bien d'autres marabouts de villages
c'est-à-dire les plus nombreux, dont certains ne
manquaient pas
d'influence chez eux furent ainsi tenus à l'écart du recensement.
Aussi
comprend-on
que
les
travaux
ultérieurs
aient
souvent
privilégié l'islam de sommet au détriment de celui de la base qu'il
est impossibe de comprendre à travers la seule soumisson à un
cheikh, fut-il des plus influents.
La force de l'islam est sans doute liée, en grande partie, à cette
conscience commune à tous
les croyants d'être
membres
d'une
communauté.
Celle-ci
étant
entretenue,
au
quotidien,
par
la
solidarité
concrète
et
le
partage
d'une
fortune
toujours
plus
importante, fruit de l'obole de la collectivité(2).
Ce
qui
se
comprend
par
le
fait
que
le
mouridisme,
contrairement à la tidianiya que El Hadj Malick Sy a trouvée sur
place, avec ses figures et ses familles, a été fondé et entièrement
organisé par et autour de Ahmadou Bamba et de sa famille.
C'était aussi le cas de la branche de la tidianiya omarienne
incarnée par Seydou Nourou Tall, bien qu'il finît par rejoindre de
fait, lui aussi, les Malikites de Tivaouane. C'était enfin le cas des
chorra
Haïdara
de
Casamance
qu'on
peut
considérer
comme
proches de Tivaouane mais qui ont des manifestations et beaucoup
d'activités
autonomes.
D'autres
grands
marabouts
dépendaient
directement
de
Tivaouane mais avaient, du fait du nombre de leurs talibés ou de
leur influence familiale ou personnelle, une autonomie limitée mais
certaine : il en fut ainsi de El Hadj Thierno Barro de Mbour et
des Nd i é g u è n e
de
Thiès
qui
restent
représentatifs
de
cette
catégorie de marabouts.
1. A.N.S. 13 G 69
2. Ibid. L'administration coloniale a, à ce sujet, beaucoup insisté sur la
personnalité
de
Cheikh
Anla
Mbacké,
frère
consanguin
de
Ahmadou
Bamba, marabout
et homme
d'affaires
très
riche
qu'elle
suspectait de
socialisation des biens de ses talibés à son profit. (Cf. réf. citée).
553
Ces marabouts-relais jouissaient d'une influence très grande
auprès
des
fidèles.
Cela
n'empêchait
pas
pourtant
les
petits
marabouts dont ils étaient les serignes
et les
simples croyants
d'être liés directement aux responsables de la confrérie au plus
haut niveau.
Le marabout, même khalife, reste très simple et accessible à
tous les talibés de sa confrérie. Ce qui
ne peut naturellement
qu'avoir une influence positive sur l'islamisation.
Et quand on sait que "le marabout du village partage tout avec
eux au village", on comprend que les Sérères aient pu se convaincre
que "tout est si simple dans l'islam"(l). D'autant qu'il n'est même
pas toujours nécessaire que le marabout soit savant.
On rencontre beaucoup qui n'avaient qu'une instruction très
limitée(2). D'autres étaient même analphabètes et ne comprenaient
du Coran que le strict nécessaire pour s'acquitter de ses obligations
religieuses(3).
Mais
tout
cela
renforçait
la
simplicité
qui ..
apparemment, ne fut jamais assez prise en compte.
B.
Une
religion
plus
accessible
En étudiant le catéchumat et les difficultés de la pratique
religieuse chrétienne, nous avons déjà abordé un aspect de l'accès
très difficile, pour beaucoup de Sérères, de la religion catholique.
Cela est encore plus frappant quand on compare le christianisme à
l'islam qui a sans doute ses exigences sur d'autres plans, mais
s'avère pour l'essentiel plus "pratique" et plus adapté aux exigences
de la vie et aux "attentes religieuses" des populations.
1. EM 067
2. A.N.S. 13 G 69
3. A.N.S. 13 G 69
554
Au
niveau
de
la
pastorale
même,
l'islam
part
avec
un
avantage certain : alors que pour fonder des missions il faut toute
une procédure devant déboucher sur "l'approbation de la maison-
mère"(l), chez les musulmans, il est toujours fortement apprécié
d'avoir des résultats, c'est-à-dire des mosquées avant d'en informer
le marabout,
simple délégué dans
la région
ou le chef de la
confrérie. A ce niveau, la différence d'approche ne peut que profiter
à l'islam.
L'absence
de
contraintes
bureaucratiques,
la
responsabilisation totale de toute bonne volonté désireuse de servir
la religion sont un facteur important d'expansion de celle-ci. Le
catholicisme, face à une telle organisation des fidèles musulmans, où
tout le monde peut être missionnaire, ressemble à une société très
fermée où la christianisation et tout ce qui, d'une façon générale
touche à la religion
est affaire de la hiérarchie, du prêtre et
accessoirement des auxiliaires du clergé. Le musulman n'est pas
toujours obligé de se référer à son marabout pour remplir certains
actes des plus naturels de la vie du croyant.
La dispense d'empêchement de mariage, il n'en a pas besoin et
se contente de consulter son marabout dans les rares cas où il
l'ignore pour savoir que tout est encore ici simple : la musulmane ne
saurait pouvoir se marier à un non-musulman - à moins que celui-
ci accepte d'embrasser sa religion - mais le musulman lui, peut
prendre femme chez les adeptes de toutes les religions.
Ce qui minimise l'obstacle du mariage qui ne se pose que de
façon très marginale dans l'islam. Comme on le sait, c'est d'ailleurs
toujours le musulman qui, sans grande difficulté, fait changer à la
femme
chrétienne
de
religion.
La
pastorale
musulmane
est
singulièrement
facilitée
par
l'idée
que
l'islam
se
fait
de
la
conversion. Amener quelqu'un dans la voie islamique équivaut à la
plus saine des prières et constitue l'une des meilleures actions
qu'un croyant peut faire pour plaire à Dieu. "Plus on convertit les
gens, plus on augmente ses chances d'entrer au paradis"(2).
1. Arch. CSSP 262 A IV
2. EM 072. A. Quellien note justement à ce sujet : "l'expansion de l'islam
est occasionnée par l'action des individus animés du désir de convertir
dans le but unique de gagner par cet acte méritoire le paradis"
: La
politique musulmane... Op. ch. p.27.
555
Tout croyant est ainsi pasteur et trouve
son action
bien
facilitée par une conversion qui ne s'entoure pas de préalables
difficiles. On peut être musulman à part entière et recevoir son nom
de baptême le jour même que la décision est prise et n'importe quel
marabout, grand ou petit peut baptiser.
Dans bien des cas, ce baptême est même secondaire et il suffit
de se proclamer musulman pour être considéré comme tel par les
membres de la communauté(l). Le baptême des grands marabouts
est
certainement
très
apprécié
mais
dans
un
pays
où
les
communications
ne
sont
pas
toujours
faciles,
cette
préférence
n'avait qu'une portée très limitée.
Aussi, n'était-il pas rare de voir des gens recevoir le baptême
du premier marabout venu, quitte à entrer par la suite dans la
confrérie de leur choix(2). La conséquence c'était bien entendu une
certaine confusion du wird
dans beaucoup de villages.
Chaque confrérie ayant son wird. le marabout qui "donne le
nom", qui baptise, ne peut que recommander la prière dans le sien.
Or, ces premières conversions, souvent très superficielles, pouvaient
être suivies d'autres au gré de l'influence des obédiences : à chaque
marabout, il fallait se soumettre c'est-à-dire se (re)convertir en fait,
bien que l'"adhésion" à l'islam ait été acquise avant.
On est donc loin de ce qui se passe dans le christianisme pour
les protestants devenant catholiques et inversement. Ici, l'acte de
baptême ne consacre plus l'entrée dans une communauté dont on
est déjà membre mais la soumission aux règles d'une confrérie et à
son fondateur, par le biais de ses descendants ou de leurs délégués.
La pudeur naturelle du Sérère musulman ne craint pas, de
plus, d'être atteinte par une confession inexistante, dans sa forme
catholique, en islam.
1. EM 013
2. EM 067
556
A
un
père de
famille
ordinaire,
il est difficile de
faire
admettre ce système qui "abaisse l'homme alors qu'il vaut mieux
s'adresser directement à Dieu plutôt que de passer par un homme
comme nous"(1). Pourquoi en effet s'adresser à "un pécheur comme
tout le monde pour lui dire toute notre intimité, même s'il y a la
garantie qu'il sait conserver le secret 1"(2).
Il est vrai que l'obligation religieuse de la confession n'a pas
été de nature à favoriser l'acceptation du christianisme.
Rien de tel dans l'islam dont le libéralisme réduit même
finalement les "cinq piliers" à leur plus simple expression : la prière
et la zakat ou aumône légale. La prière est sans doute l'élément
central du culte musulman chez les Sérères, encore qu'elle soit
pratiquée avec un intérêt très inégal. Elle a joué un rôle essentiel
dans l'islamisation par son côté "frappant", largement favorisé par
la répétition, dans une même journée, des mêmes gestes, dans un
endroit public et de préférence découvert.
De cette façon, l'islam capte l'attention, devient un élément
naturel
du
cadre de
vie.
Pour
s'épanouir pleinement dans
son
milieu, il devient difficile, dès lors, de s'en désintéresser totalement.
Dans certains cas même, cela est jugé inutile puisque tout est
si simple dans une religion où le respect des prières est "considéré
comme une preuve suffisante d'appartenance"(3) qu'il ne vaut pas
la peine de se marginaliser en ne les pratiquant pas.
Quant à l'aumône, s'il est difficile de respecter son aspect légal
qui concerne une partie déterminée des biens du croyant, il est en
revanche certain qu'il est non seulement apprécié mais à contribué,
en plus, à faire découvrir aux Sérères le visage humain qu'ils n'ont
pas manqué de trouver dans la religion musulmane. Un visage si
proche de leurs valeurs qu'il en devenait séduisant.
1. EM 108
2. EM 087
3. A. Gouilly
L'Islam dans l'Afrique Occidentale... Op. ch. p.201
557
Par cet aumône, "le musulman reconnaît qu'il n'a pas le libre
usage
de
ses
biens,
qu'il
en
doit
compte
à
la
communauté
spécialement à ses membres les plus deshérités"(l). Cette exigence
religieuse
rencontrait
ainsi
ce
qui
n'a
jamais
été
absent
des
préoccupations les plus naturelles des Sérères.
Aussi, s'il paraît exclu que cette recommandation de
l'assaka
(2) fût respectée à la lettre, il est en revanche certain
qu'elle le fut dans son esprit.
La sensibilité à la solidarité et par la suite son entretien par
tous les membres de la communauté est une constante de l'âme
africaine.
A
cela,
s'ajoutent
des
circontances
particulièrement
favorables, liées en grande partie à l'organisation de la religion,
amenée à choisir habituellement ses chefs dans les régions mêmes
qu'ils
sont appelés à convertir(3). Nous nous
sommes largement
étendu sur les avantages d'une telle conception de la pastorale.
1. A. GouiIly : L'Islam dans l'Afrique Occidentale. Op. cil. p.201
2.
Zakat ou
dîme
religieuse, rendue par déformation
du mot arabe.
3. Cette affirmation du R.P.
Nique : (L'Islam et les Noirs du Sénégal. In
L'Islam
et
les
Missions
catholiques.
Op. cit.
p.147) qui concerne la
Medersa
de
Saint-Louis
touche
ici
une
réalité
cenainement
beaucoup
plus large qu'il le pense. Le "choix" intéresse en effet les grandes aires
géographiques
qui
englobent
une
multitude
de
villages
ayant
leurs
marabouts dont
il est inimaginable qu'ils
ne soient
pas originaires
de
leur
propre
lieu
d'établissement.
Il
faut
aussi
relever
certaines
confusions
de
l'auteur entre Me der s a et Ecole des fils
de chefs d'une
part, et élèves de ces deux institutions et les missions respectives qui leur
étaient assignées d'autre part. La Medersa n'est pas l'école des fils de
chefs, au contraire. Créée à la fin du XIXe sicèle, l'école des fils de chefs
gardait son but essentiel de
former des
auxiliaires
de
l'Administration,
politique
valable jusqu'au
début
du
siècle.
C'est
alors
qu'un
nouveau
problème surgit : comment faire
face
à la situation nouvelle dans les
colonies où les marabouts, après la dépossession des chefs traditionnels
étaient devenus
le principal
danger pour la présence française
(A. N. S.
13 G 67 : ce dossier des archives du Sénégal est particulièrement édifiant
à ce sujet). Aussi pensa-t-on en 1908, créer la Medersa. qui était une école
d'où devaient sonir des marabouts acquis à l'influence française et des
interprètes tout aussi acquis et fiables : cf exposé
des
motifs des actes
créant la nouvelle et supprimant l'ancienne école : A.N.S. J. 93-12 ; J. 92-
15-62 et 742 ; J. 86-104. On comprend que le prêtre ait pu être induit en
erreur par le fait que cette nouvelle école avait hérité des bâtiments de
l'ancienne.
558
La tradition, jusqu'à un certain niveau étant l'hérédité, il y a
au moins la certitude que l'islamisation ne se fasse pas par des
étrangers au pays. Mais l'hérédité n'a pas de caractère absolu. Elle
dépend de la situation sur le terrain et si elle s'impose pour les
chefs de confréries, elle est bien plus élastique pour les autres
marabouts
choisis
par eux
pour
les
mosquées
de
plus
grande
importance(l) ou par les fidèles pour les autres.
Ce caractère démocratique
du
choix
du
marabout
qui
ne
s'impose pas
ainsi
aux
populations est sans doute
un
élément
important de l'implication de tous les croyants dans les affaires de
l'islam réputées n'être le monopole d'aucune catégorie sociale.
Ce choix était certes souvent limité par le fait que dans la
plupart des villages, il n'y avait que très peu d'instruits à même de
prendre en charge la direction de diakas (2) ce qui favorisait la
transmission
héréditaire
de
celle-ci,
mais
même
dans
ce
cas,
l'implication des populations dans la ratification de la succession
était totale.
De façon générale, la succession ne posait pas de problème
puisqu'il n'y
avait aucun enjeu
véritable à l'exception du
seul
service de la religion. Ce qui n'était pas le cas des mosquées où
l'imam
pouvait espérer vivre soit de subsides du gouvernement,
soit des aumônes des talibés ou des deux à la fois.
Les conflits entraînaient l'intervention du gouvernement qui,
à défaut de vouloir ou de pouvoir se mouiller en supportant un des
clans, se contentait de fermer les lieux de culte, en attendant que
l'entente se réalise entre' les groupes opposés(3). Mais quel qu'il
soit, le marabout tient toujours compte des possibilités de ceux qu'il
attire à la conversion et sa parfaite connaissance du milieu lui
permet d'éviter les erreurs du missionnaire.
1. Un
exemple-type nous vient, ici, des Ndiéguène.
El
Hadj
Mamadou
Ndiéguène fut
désigné
par le khalife
Ababacar Sy dans
ses
fonctions
d 'i m a m
de la grande mosquée de Thiès, en remplacement de son père
lui-même désigné auparavant à cette charge par El Hadj Malick Sy.
2. Les diakas
sont de petits édifices de quartiers ou de villages. Les
dioumas, plus imposants, portent le nom de mosquées et se rencontrent
dans les gros villages et les centres urbains.
3. A.N.S. 13 B 354
559
Ainsi, il est attaché à la nécessité de donner un enseignement
à ses talibés et s'y consacre quand il le peut. Mais il garde les pieds
sur terre et n'exige pas des gens plus qu'ils ne sont en mesure de
donner. De la religion même, il essaie d'imposer le moins possible en
n'en retenant que "ce qui ne s'oppose pas trop ouvertement aux
croyances et pratiques fétéchistes" ; et c'est cela qui constitue "la
religion nouvelle"(l).
Celle-ci est d'autant plus attrayante qu'elle favorise l'extention
de la famille chère au coeur du Sérère. Moyen de cette extension, le
mariage est ici, en même temps, moyen de prosélytisme(2), bien
qu'il ne fasse pas de doute que les raisons d'ordre temporel en sont
restées, avant tout, la base(3).
Mais par des alliances nées du mariage, l'islam n'a cessé de
gagner du
terrain
: le musulman
polygame amène d'abord
ses
femmes à l'islam, la grande famille qui naît de ce mariage ensuite et
le grand nombre de personnes qui entrent désormais dans le cadre
élargi de ses alliances, enfin.
La grande souplesse de l'islam a aussi pu amener certains à
penser qu'il "n'a fait que se superposer au fond animiste sans le
détruire"(4). C'est un fait en effet que certaines interprétations du
Coran peuvent faire penser que l'existence de forces surnaturelles,
la possiblité de faire par des procédés occultes le bien ou le mal ne
semblent pas être systématiquement condamnées
par la pratique
islamique.
1. J. Sicard : Le Monde musulman dans les possessions françaises. Op.
cit. p.7l
2. A. Quellien : La politique musulmane... Op. cit. p.26
3. A.N.S. 13 G 67-174 : comme le cas de ce marabout du Saloum, ayant
quatre
femmes
et
apparemment
très
désintéressé
de
sa
fonction
religieuse
au
profit de
ses affaires
personnelles et
qui
est,
"par ses
mariages ou ceux de ses frères, allié à presque tous les chefs de cantons
avoisinants"
(réf.
citées).
4.
F.J.
Amon
d'Aby
: Attitude de l'animisme
face
à l'islam et
au
christianisme.
In
Notes
et
Etudes
sur
l'islam
en
Afrique
noire.
Recherches
et
Documents
du
CHEAM, l, 1962 p.109. A.
Quellien ne
pense
pas
autre
chose
quand
il
écrit
l'islam
"ne
s'attache
principalement
qu'à
détruire
l'aspect
extérieur"
des
croyances
des
Africains - La politique musulmane...Op. cit. p.60.
560
Le fait que les écritures saintes de l'islam soient souvent
utilisées pour confectionner les fameuses amulettes est à cet égard
édifiant. Sous ce rapport, l'islam est très proche de la religion
traditionnelle à laquelle la rapproche aussi sans doute l'existence de
"génies malveillants"(l) qui n'ont pas d'ailleurs que ce caractère
puisqu'ils peuvent parfaitement être bons. En islam, un principe
majeur très simple domine tout : la foi en Dieu et à la mission de
Mohamet. Ajouté à la prière, cela constitue l'essentiel de ce qu'il
faut croire, ne pas faire le reste ne relevant, au pire, que de la
nature humaine, "faillible et excusable.
Ce mystère de l'existence de Dieu qui est le seul que contient
le dogme de l'islam n'est pas très difficile à pénétrer(2). Le "grand
nombre de postulats" qui compliquent ailleurs les choses(3) ne pose,
ici, aucun problème puisqu'ils n'existent pas.
On ne saurait pourtant ignorer plus longtemps le sujet. Pour
les auteurs cités en référence en effet, c'est l'islam qui
semble
mener le jeu, les convertis demeurant dans l'ombre et de ce fait,
totalement invisibles et inexistants. Or ce sont eux qui font la réalité
de l'islam et non le contraire. Et on ne perçoit par leur véritable
rôle.
Ce
qui
se
comprend
difficilement
puisque
dans
cette
adaptation, l'islam n'a fait que subir et sa prépondérance s'arrête à
la conversion. C'est ensuite l'Africain, le Sérère qui dicte sa loi.
Ainsi, s'est-il approprié une religion qui, tout compte fait, était
étrangère
même
si
elle
n'entendait pas
le
rester.
Mais
en
lui
imprimant sa marque, le Sérère contribue à son universalité pour
autant que peut l'être ce qui est, après tout, une civilisation, un
mode de vie.
1. Ibid, p.109
2. A. Quellien
La politique musulmane...Op. cil. p.5D
3.
Ibid.
561
c. Un genre de vie plus proche de celui des Sérères
Le rôle du marabout est bien vite devenu essentiel dans la
société. Educateur et célébrant de tous les actes importants de la
vie, il est "l'ombre tutélaire qui abrite la masse"(l).
L'institution
est
devenue,
à
force
d'être
envahissante,
désormais indissociable de la vie quotidienne et même dans les
villages où l'islam ne s'est pas fortement implanté, on fait volontiers
appel au marabout pour le baptême des enfants.
Cela
s'explique
par
l'absence
de
conditions
au
baptême,
chaque enfant même né de parents non musulmans pouvant être
baptisé à la simple demande de ceux-ci. Dans la pratique, les
parents se sont convertis, mais leur adhésion à l'islam est plutôt
formelle. Aussi, est-il possible de rencontrer des villages entiers
devenus musulmans,
mais où toute pratique de la religion est
presque inconnue, en dehors des fêtes religieuses qui, tel qu'on l'a
vu, sont souvent plus l'occasion de réjouissances que de communion
religieuse.
En somme, on est musulman, on en est fier, mais on ne
pratique pas la religion. Cette situation, particulièrement valable au
XXe siècle, l'est restée tout au long de notre période. Elle était due
en partie au phénomène des Baye-FaU mais aussi et surtout à une
mentalité qui ne trouve pas toujours l'explication voulue à l'utilité
de
la
prière
rituelle
considérée
parfois
comme
étant
peu
importante, face à l"'essentiel" : l'acte d'adhésion et de soumission
qu'est la conversion.
En fait, l'introduction de l'islam dans les villages sérères s'est
souvent heurtée fort curieusement au manque de culture islamique,
de connaissance de la religion par ceux-là mêmes qui en étaient
chargés.
1. F. Dumont
La pensée religieuse d'Ahmadou Bamba...Op. cit. p.37
562
Leur instruction souvent très approximative de la religion, le
manque d'honnêteté de certains d'entre eux qui ne se sont jamais
intéressés qu'à agrandir le nombre de leurs talibés pour ce que cela
pouvait leur apporter en richesses matérielles ou en influence au
mépris de l'apprentissage de la religion - qui dans ces conditions
pouvait donc être contraire à leurs intérêts -
mais aussi sans doute
le refus des Sérères de s'engager dans cet apprentissage expliquent
très largment cette ignorance ambiante et le peu d'intérêt que les
nouveaux musulmans pouvaient trouver dans une pratique saine de
l'islam.
Cet aspect de l'islam intéressé et matérialiste explique les
conflits de succession notés plus bas à la tête des mosquées.
D'autant
que
supprimés
par
les
décrets
et
autres
actes
d'application des lois de séparation de l'Etat et de la Religion à
partir de
1905(1), les subsides gouvernementaux pour l'entretien
des mosquées - qui attérissaient bien sûr dans la poche des imams -
ne
tardèrent
pas
à
réapparaître
sous
d'autres
formes(2),
l'Administration
restant
convaincue
qu'une
bonne
politique
musulmane
était
indispensable
à
l'influence
française
dans
la
colonie du Sénégal(3).
1. A.N.S. 13 G 67-29
2. Ibid. L'un des exemples les plus caractéristiques de l'incohérence de
l'Administration dans cette politique coloniale est, outre ce tâtonnement
apparent, la construction du quartier Pon ty- VIII e
à Dakar,
rapidement
devenu la M é di na. En pleine période de séparation de l'Etat et de la
Religion,
ce
quartier est doté
d'une
"spacieuse
mosquée"
pour
mieux
pousser les "indigènes" à venir y habiter (réf. citées). Constitué alors de
baraquements,
Ponty-ville
n'attirait
personne
et
on
comprend
bien
ce
calcul de
l'Administration
qui,
neût été
le contexte,serait
une
géniale
trouvaille.
3. La même politique était adoptée partout où l'influence de l'islam était
grande ou majoritaire. Cette réalité sociologique dont on ne pouvait pas
ne pas tenir compte du fait de ses conséquences politiques pouvait certes
justifier cette "part belle" faite, selon les missionnaires, aux musulmans.
Mais pourquoi alors la politique de l'autruche ? Il est vrai qu'il n'était pas
facile
d'assumer
les
contradictions
d'une
politique
pensée
ou
inspirée
par des
politiciens de la métropole, qui
n'avaient souvent
qu'une
idée
approximative des réalités locales.
563
Si en pays sérère le problème semble ne pas s'être vraiment
posé, il est hautement probable qu'il y eut des répercussions quand
on sait que l'influence des villes sur la campagne n'a cessé de
gagner en importance depuis la fin de la conquête.
Mais l'islam dans les villages sérères est resté pour l'essentiel
à l'écart des
turbulences
qui
l'affectaient en
ville.
Ce qui
le
caractérise demeure
son
unité
sociologique et
son
absence
de
divisions confrériques vraiment prononcées s'explique par le peu
d'engagement religieux des Sérères.
Chacun est bien
mouride,
tidiane ou khadir malS
tout le
monde se retrouve sans problème à la même
mosquée. On ne
rencontre pas dès lors le phénomène urbain de la particularisation
des
chapelles(l)
qui
implique
souvent l'institution
d'un
i m a m
officiel démocratiquement choisi par les fidèles et qui garde la
grande mosquée commune à tous(2).
Cet imam est ainsi le garant de l'unité dans la même foi
islamique qu'il symbolise en même temps. Dans la campagne sérère,
l'imam du diaka est parfois le représentant du chef de la confrérie
ou du grand marabout qui a en charge le secteur(3), dans le cas de
l'existence d'une seule confrérie, cas plutôt rare.
Il
faut
dire
qu'au
total,
le
problème
de
la
pluralité
d'obédiences est parfois réglé par un compromis, chacun des chefs
locaux étant considéré comme imam et officie en tant que tel, à tour
de rôle avec les autres(4). Plus généralement, une des confréries
construit sa propre mosquée, ce qui explique que dans la même
localité, existent bien souvent deux mosquées, confrériques de droit
ou de fait.
Ces divisions confrériques, qui n'ont jamais affecté les
relations
cordiales
qui
existent
entre
les
chefs
de
confréries
semblent dues à l'excès de zèle et au fanatisme de certains croyants,
convaincus qu'ils sont seuls à être dans le vrai s'ils ne cherchent pas
à se faire remarquer pour des raisons étrangères à la religion.
1. A.N.S. 13 G 67-29
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4.
Ibid.
564
Comme pour certains
petits
marabouts,
en effet,
l'appartenance
confrérique,
chez
beaucoup
de
musulmans
est
censée
ouvrir
toutes
les
portes
de
la
réussite,
politique
ou
simplement professionnelle. C'est ce qui à la fois donne son sens et
explique le poids politique des marabouts.
L'union des fidèles derrière un seul imam existe pourtant(l).
C'est partout le cas quand la personnalité de l'un des prétendants
s'impose(2) ce qui peut être facilité par le fait qu'il n'y a aucun
avantage vraiment lié à la charge du moins en dehors des escales où
a sans doute pu s'observer parfois le phénomène urbain décrit plus
haut. De façon générale, l'imam en pays sérère est, comme tous les
autres habitants de son village,
un cultivateur acharné qui réduit
d'ailleurs une bonne partie de ses occupations pendant l'hivernage
pour cultiver ses champs.
Ainsi, s'il est enseignant. il met en veilleuse cette activité
d'enseignement jusqu'à la fin des cultures. Il n'a d'ailleurs plus
d'élèves et même s'il voulait continuer d'enseigner, il ne le pourrait
pas, ses talibés étant, eux aussi, pris aux champs.
Le marabout est donc, ici, forcément désintéressé et il s'en
trouve beaucoup à qui personne n'oserait jamais
songer donner
l'aumône(3).
Ce phénomène de
l'aumône aux marabouts
a ainsi
longtemps été inconnu chez les marabouts sérères(4).
1.
L'explication
tient
peut-être
à
un
manque
d'imprégnation
suffisante
de
la
foi
islamique
chez
les
croyants
qui
fait
qu'ils
privilégient,
dans
leurs
relations,
d'autres
paramètres
que
ceux
de
la
religion. Mais l'explication essentielle, c'est la nature même de la société
et des hommes. Le tissu de relations sociales est tel qu'il est difficile au
musulman
le
plus
croyant
de
le
transgresser en
introduisant
dans
la
société
une
vision
du
monde
totalement
nouvelle
"qui
serait
immanquablement
considérée
comme
germe
de
division"
-
E M
067
-Ainsi,
la
pratique
religieuse
et
l'appartenance
à
l'islam
ne
sont
concevables que dans la mesure où elles n'entrent pas en contradiction
ouverte
avec
certaines
valeurs
jugées
essentielles.
Les
valeurs
traditionnelles
telle que l'union clanique ou
la
solidarité
familiale
(au
sens
large)
et
villageoise
priment
largement
les
exigences
religieuses
nouvelles
et les
divisions
confrériques, souvent jugées
compréhensibles
mais dans la seule mesure où elles ne déteignent pas vraiment sur la
cohésion de la société.
2. A.N.S. 13 G 67-29
3. EM 108
4. Dans
les
escales
cependant,
il
était
rare
de
voir
des
marabouts
sérères.
La même
pratique
des
champs
pour marabouts,
entretenus
de
bout en bout par leurs talibés et de l'aumône y était ainsi très fréquente.
Elle ne tarda d'ailleurs pas à gagner les marabouts sérères qui, à parti des
années
1950, commencèrent à avoir la charge d'escales.
Mais au même
moment, la situation
restait inchangée ailleurs.
565
Il est certes arrivé qu'on aide certains d'entre eux à tenniner,
dans les délais, leurs cultures mais cet acte n'a jamais revêtu aucun
caractère religieux. On ne le fait pas pour le marabout mais pour le
voisin, le parent qui, pour des raisons ou pour d'autres, est en
retard dans ses travaux champêtres(l).
On peut donc aider le marabout à cultiver des champs qu'il a
eu lui-même l'initiative de semer comme on le ferait pour le non-
marabout se trouvant dans la même situation, mais on ne cultive
pas pour lui.
Dans ce cas d'ailleurs, l'initiative est toujours isolée et ne
concerne pas l'ensemble du village. Et quand cela concerne un autre,
le marabout est, comme tout le monde, présent à l'appel(2).
Cette conception ne manque pourtant pas de
susciter des
contradictions. Les musulmans sérères honorent bien la culture des
champs collectifs des marabouts installés dans les escales proches
de leurs villages ou de leurs cheikh et comme d'autres, ne semblent
pas trouver cela anormal(3).
C'est que selon leur entendement, cultiver pour ces grands
marabouts de la famille du khalife ou pour le khalife lui-même est
un acte de dévotion de portée au
moins
aussi
grande que la
prière( 4).
C'est pourtant par le marabout si anonyme du village que
l'islam est aussi entré dans le pays bien que le rôle direct des
nombreux marabouts wolofs, toucouleurs et mandingues fut décisif,
au début de l'islamisation. Malgré son savoir souvent rudimentaire,
il a reçu la conversion de beaucoup de ses compatriotes qui l'ont,
dans ces conditions, rejoint dans sa confrérie.
1. EM 077
2.
Ibid.
3. EM 075
4. EM 013
S. ECHL 018
566
Les marabouts sérères ne roulaient cependant pas sur l'or.
mais ils ne vivaient pas d'aumônes non plus.
D'abord presque inexistants jusqu'à la premlere décennie du
XXe siècle(l), ils ont commencé, à partir des années 1930, à se
recruter non sans difficultés(2).
Aussi, beaucoup de Sérères avaient-ils leurs marabouts wolofs
ou
toucouleurs
qui
n'allaient
pas
cependant
s'établir
dans
les
villages mais se contentaient de s'installer dans les escales. Comme
d'ailleurs les Wolofs et la plupart des étrangers au pays dont les
activités,
souvent
commerciales
ou
artisanales,
ne
pouvaient
prospérer que dans ce milieu devenu, dès l'entre-deux-guerres, le
point de convergence des échanges inter-villageois. Seuls, parmi ces
étrangers, les Peuls, qui avaient des activités spécifiques d'élevage
s'éloignaient ainsi de ces centres pour des raisons évidentes tout en
y pratiquat d'ailleurs les échanges que la société nouvelle imposait
à tous.
Il n'était pas ainsi rare de voir dans la même escale deux ou
plusieurs marabouts de la même confrérie y représenter celle-ci. Il
y eut parmi eux de vrais érudits animés d'un saint zèle pour la
diffusion de l'islam.
1. A.N.s. 13 G 67-S-11 ; 13-15
2.
Le
marabout
avait une occupation dont la ressemblance
avec celle
du missionnaire était. pour une fois. assez frappante. Les modes de vie
respectifs étaient certes aussi opposés que la nuit et le jour. Mais au
quotidien,
marabouts
et
prêtres
étaient
proches
dans
leur
travail
missionnaire ou de guide des croyants.
La journée du marabout, qui commence très tôt est. comme celui du
prêtre,
assez
meublée
prière,
enseignement
en
constituent
les
constantes.
Les
marabouts
qui
n'enseignaient
pas
pouvaient
toujours
meubler leur temps par des visites aux fidèles et des réceptions. S'U était
un grand marabout, la journée pouvait continuer par la bénédiction des
talibés comme le faisaient les fondateurs des confréries. "en mettant un
peu de salive sur la tête des adorateurs prosternés"(F. Du mon t :La pensée
religieuse d'Amadou
Bamba.
Op.cit.p.SO)
-cette forme d'occupation ne
concerne que certains
marabouts:les
fondateurs
de
confréries ainsi
que
leurs
descendants et tous les grands marabouts qu'Us ont ou non faits
cheikh-
Le
missionnaire(le
charisme
en
moins!)
a
sensiblement
la
même occupation journalière : U "se réserve les
premières heures
du
matin pour bréviaire et étude" ; puis l
9 heures 30, il commence le
catéchisme l
la mission.
L'après-midi étant
réservé
à
la
lecture,
aux
offices et à la visite des malades (Arch. CSSP 160 BV).
567
Ils semblent avoir même été, de loin, les plus nombreux à côté
des inévitables profiteurs souvent peu instruits(l) et naturellement
dangereux pour l'orthodoxie de la religion. Généralement dans le
besoin s'ils n'étaient pas commerçants et usuriers de ceux-là mêmes
qui cultivaient leurs champs, ils pouvaient difficilement s'acquitter
sainement de leur mission.
Dès lors, il ne faut pas s'étonner que certains marabouts dans
les villages et ailleurs n'aient pas eu de talibés et ne donnaient
aucun enseignement.
Ils dirigeaient
les
prières et faisaient
les
autres actes tels que le baptême en récitant des formules connues
par coeur dont on peut quand même penser qu'ils ont cherché à
connaître
la
signification.
Toutes
catégories
confondues,
les
marabouts faisaient des milliers à la fin de notre période.
En 1913 déjà, on les évaluait à plus de 1 300(2). Ce chiffre
obtenu
par l'enquête-recensement de
cette
année
semble
s'être
multiplié
très
rapidement.
On
perçoit
l'inégalité
des
moyens
humains qu'il y a entre l'islam et le christianisme. Cette inégalité se
reflète également sur le plan des moyens matériels. Alors que la
mission
se
plaignait
presque
constamment
de
manquer
chroniquement de moyens, l'islam ne semble pas, de ce côté là,
avoir eu beaucoup de problèmes.
L'argent ne venait pas cependant de là où le croyaient les
missionnaires(3) mais plutôt des fidèles qui ont un sens aigu de la
communauté. En 1915 par exemple, les cotisations que les mourides
ont versées à leurs cheikh dépassaient le montant total des impôts
perçus par l'Administration(4).
ï:Ëi{05S----------
2. P. Marty : La Médersa de Saint-Louis. Tours, Arrault & Cie, 1914 p.27
3. L'Administation
que la mission suspectait d'enrichir les
marabouts
était en fait souvent étrangère à cet enrichissement. Grands cultivateurs,
(surtout chez les mourides), les cheikh sont les gestionnaires de fait des
biens
de
leurs
communautés
confrériques
qui
fonctionnent
suivant
certaines règles voisines
de la mutualité. L'obole qu'ils reçoivent des
fidèles est gérée au mieux des intérêts de la confrérie et parfois même
au-delà, tout indigent, quelle que soit sa religion étant censé pouvoir être
secouru
par
ces
chefs
religieux
particulièrement
généreux.
Directement,
l'argent
ainsi
rassemblé
sert
donc
à
soutenir
les
plus
défavorisés
de
la
communauté.
Indirectement,
il
bénéficie,
également
aux fidèles, en permettant l'édification de lieux du culte.
4. A.N.S. 13 G 67-119
568
Une contribution qui n'a cessé de s'accroître, avec les progrès
continus
de
la
confrérie.
A
l'époque,
en
effet,
l'islam,
le
mouridisme, commençait à peine à pénétrer le pays sérère non
sans
une
certaine
résistance
chaleureusement
saluée
par
les
missionnaires.
Mais la grande faille de cette résistance s'ouvrait déjà dans le
Baol, à Diack précisément où près de la moitié de la population
était musulmane et mouride dès 1913(1).
Ce village n'a en fait jamais été vraiment ciblé par les
missionnaires auparavant et quand ceux-ci s'en sont aperçus, il était
déjà trop tard. Coïncé entre les Nones au Nord et les Wolofs au Sud-
Est et assez éloigné des Sérères de l'Ouest où ses habitants ont
pourtant beaucoup de parents, notamment à Ndiaganiao et dans les
petits villages intermédiaires de Guélor et de ses environs, Diack
était trop coupé de ses racines pour pouvoir longtemps résister à
l'influence wolof.
Son islamisation, qui fut rapide et quasi-totale dès la fin de
notre période, ne rend donc qu'imparfaitement compte de la réalité
de l'islam chez les Sérères même si plus au Sud, d'autres villages du
Baol occidental tel que Toul ou N goye
semblent avoir suivi le
même
cheminement.
Le mouridisme devait recruter dans cette partie du pays
sérère plus qu'ailleurs mais de façon générale, cette "voie", par
laquelle
une
masse
de
Sérères
ont intégré
l'islam
reste
assez
largement représentée dans le reste du pays.
1. A.N.S. 13 G 67-8
569
III. LE RESULTAT : L'ECHEC (RELATIF ?) DU CHRISTIANISME
FACE À L'ISLAM
A.
Les
limites
de
la
stratégie
missionnaire
Les
résultats
obtenus
dans
la
christianisation
grâce
aux
oeuvres missionnaires sont certainement difficiles à chiffrer. Ce qui
est sûr en revanche, c'est que ces oeuvres n'ont pas totalement
atteint l'objectif qui leur était assigné. Il suffit pour s'en convaincre
de comparer l'état religieux du pays à l'arrivée des missionnaires et
ce qu'il est devenu à la fin de la mission : essentiellement "animiste"
au XIXe siècle, il était, en 1955, plutôt musulman et "animiste"avec,
il est vrai, d'importantes poches chrétiennes surtout sur la côte mais
aussi un peu partout à l'intérieur.
Pourquoi
cette
percée relativement faible
du
christianisme
malgré la présence et le développement des oeuvres missionnaires?
C'est un fait que ces oeuvres étaient très mal comprises des Sérères
qui avaient tout d'abord choisi de les ignorer. Si avec le temps cette
méfiance s'est estompée, l'efficacité attendue du contact ainsi établi
ne fut guère très grande, dans l'ensemble du pays.
Souvent,
les
missionnaires
ont
vu
les
enfants
qu'ils
ont
instruits
et
formés
préférer
le
confort
matériel
au
service
de
l'église, même si ce service était compatible avec l'exercice d'un
métier rémunéré. En fait, manquait dans l'éducation de ces enfants
la conscience d'appartenir à une communauté chrétienne.
Dans la société sérère telle qu'elle est, cette conscience était un
préalable pour un engagement au service exclusif de l'église. La
parenté étant absolument élastique,
même l'orphelin
entièrement
élevé par la mission à Ngasobil retrouvait toujours sa famille (ou
celle-ci le retrouvait) surtout quand l'instruction qu'il a reçue lui
assurait
une
certaine
aisance
matérielle,
lui
permettant
de
l'aider(l). Les parents étaient alors souvent ceux qui le pressaient
de trouver un emploi rémunéré en ville, préférable au service de la
religion(2).
1. ECHL 011
2. EMCLR 099
570
Aussi, les rares orphelins qui perdaient toute trace de leurs
parents étaient ceux qui venaient de l'extérieur du pays et qui, de
ce fait, étaient suffisamment éloignés de leurs racines pour les
perdre plus facilement.
Mais peut-on valablement reprocher aux
orphelins
de
ne
pas
s'être
engagés
au
service
de
l'église
?
Certainement pas.
C'est,
théoriquement au
moins,
dans
un
but
purement humanitaire que la mission les avait recueillis. Il serait
donc curieux qu'elle leur demande en retour de se trouver dans une
certaine obligation morale de la servir.
Il n'y a ainsi rien de particulièrement gênant à ce que certains
enfants n'aient vu dans l'orphelinat qu'un moyen de régler des
problèmes strictement personnels et de
se
préparer
à
une
vie
meilleure. Les missionnaires auxquels semble avoir échappé cette
donnée ne pouvaient, dès lors, que constater les dégâts.
Le problème des orphelinats d'ailleurs, c'est qu'il était difficile
au commun des pensionnaires d'y voir autre chose que l'aspect
humanitaire de la mission. L'une des conséquences négatives de
cette situation devait être l'absence d'une réelle conscience des
responsabilités chez certains jeunes recueillis, du moins par rapport
à la mission.
Celle-ci a été conséquente avec elle-même en les
faisant
travailler,
contribuant
ainsi
à
éloigner
d'eux
cette
mentalité
d'assistés si néfaste au plein épanouissement moral des hommes.
Mais
le
sentiment
de
devoir
beaucoup
trop
de
choses
aux
missionnaires c'est à dire à des individus ne pouvait pas forcément
leur faire prendre conscience de ce qu'ils devaient en fait à la
collectivité, celle des fidèles, au moins, qu'ils étaient appelés à
servir, même dans le monde. Mais en les accueillant, la mission ne
les avait-elle pas déjà coupés de la société qui ne s'est jamais
souciée d'eux et du service religieux de laquelle leur regard se
détournait désormais ?
Souvent trop appliqués au travail manuel, les orphelins n'ont
pas
toujours
reçu,
comme
on
le
sait
maintenant,
l'éducation
adéquate leur permettant de "faire la part des choses"(l). Ceux
d'entre eux qui gardaient des parents dans le pays en particulier,
demeuraient sans doute les plus vulnérables.
1. ECHL 099
571
Chacune de leurs fréquentations était ainsi un pas de plus
dans la direction opposée à celle qu'on leur indiquait chez les
misssionnaires( 1).
Les écoles privées catholiques se sont, elles aussi, heurtées à
beaucoup d'obstacles : ouvertes en priorité aux chrétiens, elles se
sont trouvées obligées de recruter leurs élèves en majorité parmi
les enfants musulmans. Cette situation était la conséquence de celle
qui prévalait dans le pays : largement minoritaires, les chrétiens ne
pouvaient
à
eux
seuls
suffire
à
leurs
propres
établissements
scolaires. Tout cela se passait, de plus, à un moment où les écoles
d'enseignement
religieux
perdaient
du
terrain,
du
fait
de
l'établissement des écoles élémentaires dans les missions.
Elles finirent d'ailleurs par disparaître sous leur forme initiale,
leur tâche étant partagée entre les écoles élémentaires de la mlSSlon
et
accessoirement
les
cases
de
catéchisme
où
on
n'enseignait
d'ailleurs pratiquement plus autre chose que le catéchisme.
Mais le catéchisme à l'école ne dispensait pas de celui du
catéchiste du quartier. L'horaire n'étant pas toujours le même, tous
étaient conviés au catéchisme du soir, dans des réunions qui étaient
tout à la fois une prière avant le coucher et une leçon de catéchisme
pour catéchumènes(2).
Tout en demeurant l'une des oeuvres les plus importantes,
l'enseignement privé catholique n'a pas réussi à atteindre l'objectif
qui a toujours été le sien de favoriser pleinement la christianisation
par la formation d'une élite notamment sociale, engagée au service
de la religion. Il a formé un grand nombre de musulmans et de
"païens" qui n'ont jamais songé à se convertir au christianisme.
Avec le développement de l'école publique à partir des lois de
laïcisation, une bonne partie de l'influence de l'école de la mission
est partie, avec la conviction longtemps entretenue que le savoir-
faire
des
frères
de
l'Instrution
chrétienne
était
unique.
La
conséquence fut immédiate : bien des musulmans se détournèrent
de l'école de la mission.
1. EMCLR 017
2. ECHL 105
572
Cela était surtout le cas à la campagne mais aussi là où le choix
entre école de la mission et école publique était possible. C'est à dire
dans la plus grande partie du pays sérère. Une situation sans doute
favorisée par le fait que désormais,
l'école
publique devançait
partout l'école privée catholique(l). Il s'en suit que s'ils n'étaient
pas seuls, les chrétiens étaient souvent majoritaires dans "leurs"
écoles. Il fallut ainsi attendre plusieurs décennies après le début du
siècle pour que se dessine la tendance inverse, mais seulement dans
les villes.
Mais de façon générale, ces écoles catholiques de brousse ne
pouvaient pas faire le poids devant les écoles publiques, malgré la
réputation de sérieux qu'on leur a toujours connue.
Les écoles publiques avaient plus de moyens et recrutaient le
plus grand nombre d'élèves. Et beaucoup d'écoles de la mission
n'étaient
dotées
que
d'un
nombre
insuffisant
de
classes
ou
composées, pour les mêmes raisons et en vertu d'une demande
malgré tout insatisfaite, de classes multigrades qui pouvaient aussi
s'expliquer par le nombre insuffisant d'enseignants.
Les oeuvres
médicales, enfin, avaient,
depuis le début du
siècle,
perdu
leur
vertu
première
de
favoriser
certaines
conversions,
comme
on en
a
vu
au
début
de
la
mission
de
Mbodiène(2). Après tout, l'Eglise n'a jamais songé quitter, sur cette
question, sa position de toujours: comme au début de la mission, il
n'y avait aucune exigence d'être chrétien pour être admis dans un
centre médical de la mission et tous les patients, quelle que fût leur
appartenance religieuse, y avaient un traitement égal(3).
1.
A.N.S.
J.
10-48-50.
A
part
quelques
villages
plus
anciennement
christianisés et certains
autres de
moindre importance,
l'école
publique
a
existé
partout
avant
l'école
catholique.
Les
catéchistes
et
les
missionnaires ont cependant été partout les premiers à introduire l'école
dans le pays par des rudiments d 'un enseignement
dicté par la seule
nécessité
d'une
alphabétisation
fonctionnelle.
réputée
essentielle
pour
une chrétienté sachant utiliser elle-même les instruments de prière que
nécessite la pratique de la
religion. Mais la portée de cette oeuvre est
trop limitée pour qu'on puisse vraiment en tenir compte. dans le cadre de
l'"apport" des oeuvres scolaires à l'évangélisation.
2. Annales de la Propagation de la Foi,
1881
p.303
3.
Ce
qui
est
d'ailleurs
naturel
puisque
les
oeuvres,
à
l'origine.
ne
pouvaient être destinées à une chrétienté inexistante.
Cette philosophie-
là est restée une constante dans l'action missionnaire.
573
Dans une société qui n'avait pas totalement adopté la religion
musulmane
qui
manquait
à
ses
yeux
d'une
préoccupation
humanitaire de cette nature, cette logique des missionnaires n'était
pas toujouts admise. Pour beaucoup de chrétiens, la conversion
devait générer certains droits et avantages par rapport aux non-
chrétien s( 1).
La "démocratisation" de l'accès aux oeuvres était dès lors une
raison pour ceux qui voyaient dans celles-ci une preuve de la
supériorité du
christianisme,
et qui
étaient
peu
partageux,
de
penser que leur religion cachait peut-être une faiblesse coupable en
donnant ce qui devait exclusivement appartenir aux chrétiens à
ceux qui "méprisent" leur religion(2).
Certains musulmans, c'est un fait, étaient intolérants à l'égard
des chrétiens et ceux-ci le leur rendaient ainsi bien et ne pouvaient
pas comprendre d'être "placés sur le même pied d'égalité" que ceux
qui ont de la sorte "rejeté leur religion"(3).
La conception patrimoniale que beaucoup de chrétiens avaient
des biens et services de la mission qu'ils croyaient appartenir à tous
les chrétiens et à eux seuls explique cette curieuse vision des
choses.
Même si certaines aides ponctuelles de la mISSIon aux seuls
chrétiens pouvaient équilibrer un tel jugement, les conséquences
chez
ceux
qui
ont
été
en
grande
partie
convaincus
par
le
christianisme "social" sont restées assez négatives. Ainsi, l'église
était
incomprise
de
ses
propres
membres
sans
avoir
réussi
à
convaincre les autres. Il est certain, dans ces conditions, que les
oeuvres avaient leur "mauvais côté", au regard de la frustration
qu'elles ont pu engendrer chez ces fidèles.
Alors que l'islam n'a jamais cessé de bénéficier du concours
matériel et financier de ses fidèles, ceux de l'église, hormis le denier
du
culte
et les
quêtes
dominicales
relativement importants
en
montant mais suffisant à peine pour régler les besoins les plus
pressants des missions, semblaient beaucoup attendre d'elle. Il est
vrai que son organisation et son fonctionnement très hermétiques
n'ont pas favorisé, comme nous l'avons déploré, une responsabilité
collective des fidèles.
1. EMCLR 00
2. ECHL 064
3.
Ibid.
574
Quant aux mouvements d'action catholique, ils ne pouvaient
s'acclimater vraiment que chez les intellectuels
sérères dont la
disponibilité
et
l'apport dans
l'évangélisation
sont
restées
très
limitées à la fin de notre période. Le mouvement d'action catholique
fut
perçu
plus
comme
un
moyen
d'entretenir
la
vie
de
la
communauté et sa vitalité spirituelle que de la renouveler et de
l'enrichir : il n'y a pas de conscience "missionnaire" chez le laïc
sérère.
Ce qui s'explique aussi par la conception très restrictive du
rôle des laïcs dans l'Eglise, directement liée, ici, non plus seulement
à l'attitude de la hierarchie devant les questions qu'il soulève, mais
aussi à la complexité de la religion qui rend inaccessible la pastorale
au commun des croyants. Ici encore, le christianisme a été victime
de
son manque de souplesse qui entretient malencontreusement
l'idée largement déplorée que sa diffusion est affaire d'initiés et
d'une classe particulière de dirigeants qui en auraient spécialement
la charge.
L'unique obligation religieuse des laïcs, leur devoir religieux le
plus sacré devint la seule présence aux offices juste pour entretenir
leur qualité de membre de la communauté, ce qui laisse au seul
prêtre la mission
de pasteur.
Une
mission
tellement sacralisée
d'ailleurs qu'elle est,
là aussi, intellectuellement inaccessible au
simple laïc(l).
Au total, la conception des oeuvres, au lieu de libérer le
croyant,
l'enferme
dans
des
schémas
qui
le
privent
de
toute
intitiative utile et le rendent plus dépendant d'une hiérarchie si
envahissante
qu'elle
donne
le
sentiment
de
"monopoliser"
complètement la religion.
Il était ainsi difficile de faire jouer aux jeunes, même instruits,
une mission religieuse dans le monde dès l'instant qu'ils n'avaient
pas, du fait de ce qui précède, une claire conscience de leurs devoirs
de laïcs. Le choix pour eux était clair. Les serviteurs de l'Eglise,
c'étaient
les
membres
du
clergé
et
choisir
le
commerce
ou
l'Administration
à
sa
sortie
de
l'école
de
Ngasobil
était
une
indication assez précise du rôle de simple croyant qu'on entendait y
jouer.
1. ECHL 106
575
Les oeuvres sociales n'ont pas été plus porteuses. Elles ont, au
contraire, renforcé le sentiment d'irresponsabilité des assistés qui,
dès lors, croyaient qu'is pouvaient tout attendre de la mission-
providence. Qu'ils avaient besoin de la mission mais que celle-ci
n'attendait
rien
d'eux
dès
l'instant
qu'ils
étaient
baptisés
et
s'acquittaient de
leurs
devoirs
élémentaires
de
croyants(l).
La
contagion islamique fut, ici, une réalité vécue.
En
prenant en charge des
obligations
qui
n'entraient pas
forcément dans le cadre de sa mission naturelle mais qui étaient en
réalité du domaine de l'Etat c'est-à-dire de la collectivité, la mission
s'est plus érigée en oeuvre de bienfaisance, désintéressée et dont on
pouvait
donc
profiter
sans
contrepartie
aucune,
qu'en
une
communauté entretenant la solidarité entre ses membres.
Mais désintéressée, l'oeuvre missionnaire l'était-elle vraiment
en ces
années de
"lutte"
contre l'"envahissement" de l'islam ?
Pouvait-elle seulement l'être dans son principe . Certainement pas.
C'est donc à la base même que cette oeuvre avait été faussée et c'est
sans doute ce qui explique sa "réorientation".
La
gratuité
des
soins
médicaux
devait
ainsi
être
graduellement supprimée pour n'être plus appliquée après la fin de
notre période. Celle de l'enseignement aussi, même s'il continuait
d'exister un système d'exonération pour ceux dont on croyait qu'ils
pourraient directement servir l'Eglise après leurs études. En fait, du
rêve, on est un peu retourné à la réalité : conçues pour les besoins
de la pastorale, les oeuvres missionnaires ne pouvaient directement
transformer la face du monde d'autant moins qu'elles péchèrent par
une omission coupable : dans un pays essentiellement rural, quelle
oeuvre pouvait, en effet, être mieux accueillie que l'œuvre agricole?
Des résultats appréciables ont pu être obtenus dans d'autres
missions par cette oeuvre(2) qui fut hautement négligée en pays
sérère. L'échec du village agricole de Ngasobil ne saurait s'expliquer
par les seules circonstances historiques et le climat.
1. ECHL OSO
2. Guinée, par exemple - cf
A.N.S J. 84
576
Il n'y a, en fait, jamais eu de volonté vraiment affirmée de la
poursuivre après
Mgr Kobès(l).
Cette oeuvre finalement conçue
comme un moyen d"'améliorer l'ordinaire de la mission", laissait
ainsi de côté l'essentiel qui, nous semble-t-il, ne pouvait être rien
d'autre
que
son
caractère
éducatif.
Aussi,
il
n'y
avait
aucun
missionnaire vraiment intéressé pour s'en occuper. Et puisqu'on y a
plutôt employé des orphelins, la disparition de l'orphelinat devait
réduire de façon considérable cette activité agricole résiduelle.
B.
L'échec
de
la
christianisation
intégrale
Dès les débuts de la miSSion, l'optimisme des missionnaires
devait
rapidement
laisser
la
place
aux
dures
réalités
de
la
christianisation : alors que Mgr Truffet, à son débarquement à
Dakar en 1847 avait toutes les raisons de penser qu'il était possible
d'évangéliser Wolofs et Sérères, son successeur, Mgr Kobès, après
Dakar, devait pratiquement s'établir à Ngasobil, en pays sérère, dès
1864, où il nourrit le projet d'établir le centre de la mission comme
s'il voulait tirer la conséquence de l'hostilité des Lébous et des
Wolofs à l'évangélisation.
Les missionnaires savaient alors déjà qu'ils n'avaient plus rien
à
attendre,
sur
le
strict
plan
de
l'évangélisation,
des
voisins
islamisés où en voie de l'être des Sérères.. Déjà à l'époque, ceux-ci,
qui ont subi depuis plusieurs siècles l'influence de l'islam étaient en
passe de se mettre entièrement sous sa bannière pour résister à
tout ce qui, comme les missionnaires, rappelaient ou ressemblaient
à ceux qui voulaient occuper leurs pays.
Limitrophe de Saint-Louis et pris en "sandwich" entre les
possessions
françaises
du Nord
et Gorée,
le
pays
wolof était
géographiquement
très
mal
situé
pour
s'entendre
avec
les
colonisateurs.
1. Encore que, même avec Mgr Kobès, le but de l'oeuvre, tournée vers
l'éducation
des
chrétiens et
leur
"apprentissage"
de
l'amour du
travail
était en fait directement intéressé matériellement. A côté de ces bonnes
résolutions en effet, il y avait l'essentiel : créer des ressources pour la
mission.
577
Il
Y avait aussi
un chef historique que les circonstances
devaient
transformer en
opposant
à
la
colonisation,
après
des
moments de collaboration dictée semble-t-il, par les intérêts de la
couronne.
Jusqu'à
sa
mort
en
1886,
Lat
Dior
incarna
ainsi
l'opposition du pouvoir traditionnel à l'hégémonie française, mais
aussi sans doute ses hésitations et ses contradictions. Celle-ci était
politique et religieuse, ce qui impliquait la mission, ainsi tenue pour
élément de la présence française.
Cette vision du rôle de l'Eglise provenait bien sûr de la nature
même de la mission du Sénégal dont les
rapports
avec
l'Etat
semblaient conçus, en bonne partie, pour la "mission civilisatrice" de
celui-ci(2).
Dès
lors,
le caractère de
religion
étrangère restait
évident pour le christianisme, en tout cas beaucoup plus évident
que pour l'islam. Non encore entièrement adoptée mais s'identifiant
déjà au "génie des Wolofs" s'il n'en était pas devenu la sève
nourricière,
l'islam
n'avait
plus
désormais
aucun
caractère
hégémonique
mais
retrouva
au
contraire
toutes
les
vertus
nationales défendues par l'élite politique. Cette élite eut le temps de
voir,
à
travers
les
expériences
du
tidianisme
omarien
et
de
certaines de ses branches comme celle de Maba Diakhou, que l'islam
était malgré tout progressiste et anti-colonialiste et l'on comprend
qu'il n'allait pas tarder à devenir la religion du peuple, éliminant
largement de la course le christianisme désormais "compromis" des
colons et de leurs "mandataires" missionnaires.
1. M. Diouf : Le Kajoor au XIXe siècle. Pouvoir ceddo et conquête
coloniale. Paris, Karthala 1990. Dans ce livre fruit de la publication d'une
thèse de 3e cycle d'Histoire soutenue à Paris 1 en 1980 sous le titre "Kajoor
au XIXe siècle: la conquête coloniale" Mamadou Diouf, aujourd'hui maitre-
assistant à la faculté des Lettres et sciences humaines de l'université de
Dakar
livre
une
analyse
originale
et
courageusement
objective
sur
notamment la face cachée du héros national sénégalais (pp.247-284).
2.
A.N.S. J. 84-1. Il était en effet question, surtout à partir de l'Empire,
que
la
mission
participe
à
l'"oeuvre
sociale
et
spirituelle"
de
la
colonisation. Aussi, des "dispositions spéciales"
furent-elles
prises quant
à l'organisation du culte catholique pour faciliter et réglementer celui-ci
: loi du 18 Germinal an X, arrêtés du 13 Messidor de la même année et du
12 Frimaire an II, décrets du 5 Avril 1816 et des 23 Juillet et 3 Septembre
1817.
Ces
dispositions
légales
et
réglementaires
qui
fonctionnarisaient
les missionnaires ne sont pas, il est vrai, pour conforter notre thèse de
l'extrême
réserve
sur
la
prétendue
collusion
qui
pouvait
en
être
la
conséquence. Mais on voit déjà que la situation qu'elles créaient était
trop
limitée dans
le temps pour être autre chose qu'une partie de
la
réalité.
De
plus,
même
dans
cette
situation-là,
la
personnalité
des
missionnaires
était
déterminante
dans
l'orientation
finale
des
rapports
mission -adm inistration.
578
L'influence de l'islam était donc certaine chez les Wolofs et ne
pouvait que rendre difficile l'action de l'église. D'autant que jusque-
là mal coordonné, l'islam sortait enfin uni des troubles de la fin du
XIXe siècle. Cet aspect d'un islam uni et ayant des modèles sur le
terrain-même explique en partie l'échec d'une christianisation qui
manque de repères pour les Sérères qui en ont besoin pour s'y
retrouver.
Or
c'est
bien
vers
eux
que
se
tournèrent
les
missionnaires
qui
ne
désespéraient
pas
de
les
convertir
intégralement. Un espoir a priori bien fondé puisque contrairement
aux Wolofs, les Sérères semblaient opposer un refus définitif à
l'islam.
Aussi dès
1912,
la décision
fut
prise de
ne
plus
disperser
inutilement les effectifs très réduits de la mission( 1) dans le but de
prendre en charge,
le
plus
complètement possible,
les
régions
restées prometteuses.
Ainsi, du
Fou ladou,
les missionnaires se
replièrent en Basse Casamance (2) et au Sine-Saloum, avec la
résolution de consacrer l'essentiel de leurs efforts aux Diolas et aux
Sérères
"qui,
jusqu'ici,
sont
demeurés
réfractaires
au
Mahométisme"(3).
Cette
curieuse
initiative
d'évangéliser
le
Fouladou(4) prise une année plus tôt démontre bien les hésitations
souvent lourdes de conséquences de la mission.
Pourquoi
contourner
la
pays
diola(5)
pour
aller
si
loin
évangéliser un pays musulman ? Depuis cet épisode, il semble que
les missionnaires aient pris conscience de l'inutilité de concentrer
trop d'efforts sur les Peuls
Firdou, l'une des rares ethnies encore
"animistes" de la région mais très nettement plus sensibles à l'islam
qu'au christianisme. Mais le repli sur le "pays fétichiste" ne s'est pas
non plus accompagné de toute la lucidité nécessaire à l'entreprise.
Les missionnaires ont ainsi pensé que Foundiougne, en pays sérère,
représentait le centre de tous les espoirs de la mission dans ce pays.
La suite, comme on le sait, démontra largement le contraire.
1. Arch. OPM G07560
2.
Ibid.
3.
Ibid.
4.
Ibid.
5. Il Y avait certes déjà plusieurs missions en Basse Casamance mais les
possibilités en pays diola étaient telles qu'il est incompréhensible de les
négliger de cette façon pour cibler le Fouladou, resté longtemps un enjeu
de la lutte des "islamistes". Chassé de son pays en 1903, Moussa Molo,
installé
en
Gambie
depuis,
continuait
toujours
en
effet
de
vouloir
retourner chez lui - A.N.S. G 67-210-211-212 - sous l'étendard(du moins
l'Administration
le
craignait-elle)
de
l'islam
qui
y
était
déjà
tr~s
largement implanté, comme la mission ne l'ignorait pas -cf Arch.
OMP
G 07560
579
Après plus d'un demi siècle d'efforts vains sur l'étendue du
territoire sénégalais(l), on en revint finalement à une conception
plus réaliste de la mission. Depuis les origines, celle-ci à basé son
action sur des
stratégies d'autant plus mouvantes que ses chefs
changeaient souvent et les missionnaires eux-mêmes n'avaient pas
toujours cette capacité d'adaptation suffisante que nécessitait une
telle situation.
Les excès que certains d'entre eux prêtaient à Mgr Truffet se
sont ainsi révélés, au fil du temps, être des qualités indispensables
dont tous n'étaient malheureusment pas pourvus. Mieux adaptées à
la situation, ces vues missionnaires eussent sans doute permis de
meilleurs résultats. Il y avait aussi le nombre peu important des
missionnaires qui rendait bien difficile l'application des stratégies
les mieux élaborées
Jusqu'au début de la nussIon qu'il est difficile de dater d'avant
1846, l'essentiel de leur action était concentré sur les villes de ce
qui
était
alors
la
colonie
du
Sénégal.
Ce
fut
ensuite,
avec
l'établissment des pères de la toute nouvelle société du Saint-Esprit
à J oal en
1848 et Mbour en
1850,
le début de
la
stratégie
d'occupation de l'espace rural qui avait le mérite de cibler des
villages traditionnels sérères.
Cette phase n'alla pas loin, les circonstances de l'époque, liées
à une situation politique particulière du pays ne l'ayant pas permis.
Avec l'installation à Ngasobil, une autre ère de l'évangélisation
s'ouvrait avec cette possiblité entrevue d'assurer une évangélisation
à
distance qui ne pouvait finalement pas marcher et les
trois
premières décennies de notre période se caractérisèrent ainsi par
un certain piétinement missionnaire aux portes du pays.
1. De Sédhiou A Bakel en passant par les échecs ci-dessus mentionnés,
les exemples ne manquent pas.
2. Le nombre des missionnaires devait cependant augmenter de plus en
plus,
par
des
envois
plus
imponants
en
Afrique
mais
aussi
par
l'amélioration
des
conditions
de
vie
et
de
travail
qui
contribua
à
augmenter sensiblement l'espérance
de
vie:
ainsi, de
1845
à
1815, la
moyenne d'âge des
59
missionnaires
du
Saint-esprit mons
en Afrique
était de 31 ans et 6 mois ; de 1815 à 1910, la moyenne d'âge des 302
missionnaires de la même congrégation mons en Mrique était passé à 31
ans et 4 mois; de 1910 à 1930. elle était de 48 ans et 1 mois: EMCLR 011
580
La quatrième phase est un retour à la stratégie initiale des
grands centres d'affaires et devait se concrétiser par la fondation
des trois missions du Sine-Saloum : Fatick, Foundiougne et Kaolack
entre 1910 et 1914. Ces fondations, qui s'appuyaient surtout sur
des éléments étrangers au pays ne se concevaient que dans le cadre
de la christianistion (ou plus sûrement de l'appui et du maintien du
christianisme chez les étrangers chrétiens) des villes et de ce fait ne
pouvaient avoir aucun impact significatif sur la masse des Sérères.
Leur échec (Kaolack) qui
entraîna leur disparition
rapide
(Fatick) ou différée (Foundiougne) s'explique donc par le fait que
ces missions ne concernaient que peu l'élément autochtone de la
population et que, faute de moyens, elles n'ont pas pu être ces
centres de l'action missionnaire qu'elles ambitionnaient d'être.
Mais il ouvrait aussi l'ère du réalisme missionnaire qui
coïncide, en 1928, avec l'ouverture de la mission de Diohine en plein
coeur du pays, appelée à jouer dans le Sine et une partie du Baol et
du Saloum, un rôle important.
En même temps, il apparaissait pourtant illusoire de vouloir
évangéliser tout le pays. C'est alors qu'un "redécoupage" fut effectué
et priorité fut donnée aux régions les plus prometteuses.
Au Baol, la seule mission de Diourbel s'efforçait de faire face
sans vraiment y arriver à la montée en flèche du mouridisme des
héritiers de Ahmadou Bamba.
A l'Ouest, tous les villages bien peuplés furent ciblés,
devenant
les
relais
d'une
grande
activité
en
provenance
de
Ngasobil. Un peu plus au Sud, Fatick, Foundiougne et tous les
environs sont pris en charge par Diohine, Kaolack s'occupant aussi
de ses environs sérères mais était également tourné vers le Sud et
le Sud-Est, de Kaffrine à Kédougou(l).
1.
EMCLR 017 : Ce découpage n'était cependant pas de nature à favoriser
une action pleinement efficace en direction des Sérères du Saloum. sans
garantir la réussite du christianisme chez les autres populations de ce
vaste
ensemble
missionnaire.
Un
acteur
durant
les
années
de
guerre
(1942-1945),
le
père
Pouget
le constatait d'ailleurs
avec
regret
(réf.
citée).
581
Ce pragmatisme et ce redéploiement mIssIonnaire des années
1930 ne devaient pas tarder à porter leurs fruits. Dès après les
difficultés de la guerre en effet, beaucoup de missions allaient
naître qui portèrent le sceau de ce renouveau. La mission avait
désormais
compris
qu'il
était vain
de
vouloir être
partout.
Il
s'agissait désormais de vivre sur les acquis pour ensuite progresser
plus sûrement. Et ses résultats n'ont jamais été aussi bons depuis,
même s'il est certain que beaucoup d'autres facteurs extérieurs y
ont fortement contribué.
Ces facteurs dont il a largement été question dans les
développements antérieurs ne sauraient expliquer à eux seuls les
succès relatifs de la christianisation : ils n'étaient pas les "facteurs"
de la seule mission et l'on sait désormais jusqu'à quel point l'islam
a constitué un frein à la christianisation.
L'échec des grandes tentatives consistant à couvrir tout le
pays
avait
donc
finalement
quelque
chose
de
bénéfique,
en
permettant aux missionnaires de savoir que la "politique des petits
pas" était aussi applicable en religion. D'autant que sans abandonner
a priori les positions acquises, il était parfaitement possible de
privilégier quelques
fondations
dès
lors qu'elles
pouvaient être
durables et servir de rampe de lancement à d'autres.
C.
La
qualité
en
question
La
reconversion
•
l'islam
de
catholiques
La fondation d'une chrétienté nombreuse, pleinement engagée
dans la vie de l'Eglise et consciente de ses responsabilités dans la
"cité"
a
toujours
été
la préoccupaton de
la
mission
dès
son
avènement au Sénégal.
Et là où elle ne réussit que fort peu à se faire des fidèles,
l'Eglise a souvent cherché à combler cette lacune par la culture de la
qualité au niveau de sa minorité de croyants. Ceux-ci, pour à la fois
résister à l'islam et donner à leur religion la vigueur indispensable à
son
plein
développement
spirituel,
sont
appelés
par
leurs
missionnaires
à
être différents par la qualité de
leur pratique
religieuse,
leur
solidarité
aussi
bien
entre
eux
qu'avec
leur
institution religieuse,
leurs
"comportements
exemplaires"
à tous
points de vue.
582
Mais cela nécessite tout d'abord une réelle connaissance de la
religion, une claire conscience de sa "supériorité spirituelle" et de
son rôle social qu'on
ne peut acquérir que
par
une formation
religieuse
sérieuse que
toutes
les
missions
avaient
inscrite
au
premier plan de leurs préoccupations.
L'efficacité d'une telle démarche suppose, avant tout, que la
communauté
catholique puisse
d'abord
non
seulement
s'enrichir
humainement, mais aussi se conserver, aidée en cela par sa culture
religieuse et la pleine conscience d'être une minorité qui a, avec
elle, la vérité ou tout au moins la meilleure clé pour découvrir celle-
ci.
Autant dire que le chrétien ne doit pas douter de sa voie ou
lui préferer une autre ceci ne manquant jamais de constituer un
certain échec du missionnaire. Or, les reconversions de catholiques à
l'islam
étaient
nombreuses
et
leurs
raisons
pouvaient
être
les
mêmes que celles de la conversion proprement dite.
Comme on le sait à propos des catéchumènes détournés vers
le "Mahométisme" pour cause de facilité relative de cette religion, il
est souvent
arrivé
que pour les
mêmes
raisons,
des
chrétiens
deviennent musulmans pour nouer avec une religion dans laquelle
ils se retrouvent plus à l'aise et mieux à même d'assumer leurs
obligations de croyants.
Pour la raison inverse également, certains autres ont choisi,
à
mi-parcours,
de
suivre les
marabouts plutôt que
les
prêtres(l),
d'autant qu'un tel choix répondait parfaitement à leur souhait d'une
adhésion purement formelle à leur nouvelle religion.
Plus
sérieusement,
les
reconvertis
ont
souvent
découvert
l'islam après le christianisme. Beaucoup n'ont pas eu, avant de
devenir chrétiens, à rencontrer de marabouts, de musulmans qui
aient pu vraiment les convaincre(2). Cela tient tout d'abord à une
disposition très peu favorable à l'adhésion massive des gens qui ont
toujours eu une image assez déformée de l'islam.
ï~ENfo55---------
2. EM 108
583
Dans un pays où le marabout n'est pas toujours bien vu, moins
en réalité pour ce qu'il représente que pour ce qu'il paraît être, il
est toujours difficile de comprendre sa religion qui est souvent
rejetée en même temps que lui(l).
Cette vision populaire de l'islam a favorisé l'incompréhension
qui exista entre cette religion et les Sérères. Dans ces conditions, le
christianisme, souvent pris comme le meilleur moyen de manifester
son hostilité à l'islam et à la prédication jugée envahissante des
marabouts
ne
pouvait
ni
être
sincère
chez
tous,
ni
générer
d'engagement
irréversible.
Avec un changement de conception qui pouvait bien arriver
avec l'observation d'islamisés que l'on respectait avant et qui n'ont,
après leur conversion, changé en rien leur comportement, leurs
habitudes,
il était possible de
s'apercevoir brusquement de
son
erreur de jugement(2).
Si cette prise de conscience s'accompagnait de griefs contre sa
religion
chrétienne
pour
ses
"exigences
impossibles"
ou
ses
serviteurs les missionnaires, il devenait facile de basculer dans
l'autre "camp"(3).
Ce
qui
favorisa
parfois
chez
les
intéressés
un
certain
sentiment d'avoir été dans l'erreur, en jugeant trop mal la bonne
religion. Cela pouvait aboutir à un investissement total dans le
service de celle-ci, à la fois un peu pour rattraper le temps perdu et
se faire pardonner ses excès de jugements.
1. Plus d'un demi siècle après BoHat, qui la mentionne à propos des
Sérères de Mbour. la même hostilité contre l'islam et ses représentants
est obervée un peu partout dans le pays : E M 0108 ; E C H L
033; Arc h.
CSSP 164 B II. Mais cela sonnait déjà comme un baroud d'honneur opposé
à certains de ses représentants marabouts pour mieux l'adopter.
2. EM 039
3. EM 013
584
Il
arrivait ainsi
que
les
grands fanatiques
musulmans
se
recrutent parmi les anciens catholiques reconvertis à l'islam{l) bien
que celui-ci n'a jamais été un refuge absolu. L'incompréhension de
l'islam existe en effet et une de ses explications tient curieusmenet
à
son
apparence
simple
et
dénuée
de
mysticisme.
Certains,
convaincus qu'on ne saurait pouvoir s'adresser "au vrai Dieu" que
par des voies compliquées et surtout par des intermédiaires, ne
comprennent pas le rôle du marabout qui recommande la relaton
directe à Dieu.
On saisit dès lors qu'une confrérie comme le mouridisme, qui
reconnaît
le
rôle
intercesseur
du
fondateur
ait
fait
beaucoup
d'adeptes.
Cette catégorie ne semble pas majoritaire certes, mais la quasi
impossibilité
de
rencontrer
de
musulmans
non
affiliés
à
une
confrérie tend à prouver que les fidèles n'apprécient pas toujours
une trop grande simplicité non pas dans leur religion proprement
dite, mais dans l'idée qu'ils se font de leur relation à la divinité.
Pour eux, le marabout doit servir à quelque chose.
L'ignorance ou
une conception particulière de l'islam peut
donc être à la base d'une préférence du christianisme et un motif,
en même temps, de reconvesion à l'islam : les causes de conversion
étant parfois superficielles, il suffit évidemment que les conditions
changent pour favoriser l'abandon du christianisme.
Une
autre
cause
de
reconversion,
sans
doute
des
plus
fréquentes,
est
liée
directement
aux
conditions
dans
lesquelles
travaillait la mission. Celle-ci, à force de vouloir convertir à tout
prix le maximum possible de Sérères, a quelques fois rompu avec sa
prudence
habituelle
sans
avoir
réussi
à
bien
gérer ce
nouvel
empressement à se faire des fidèles.
1. EM 108. Des exemples rencontrés plusieurs fois tendent à le prouver.
Certains
ne
craignent
même
pas
d' en
faire
trop
en
refusant
toute
référence à leur passé de chrétien (réf. citées)
à commencer par leur
nom
chrétien.
Une
certitude
en
tout
cas
:
ces
musulmans
issus
du
catholicisme
n'ont
généralement qu'un
lointain
rapport
avec
la
tiédeur
de la masse des autres, au moins pour ce qui est du respect de l'obligation
de la prière et l'attachement à leur marabout. De la sorte,
l'adhésion
formelle à l'islam est bien vécue par eux.
585
Ainsi, elle réussit parfois à convertir beaucoup de monde mais
les conversions n'étaient pas toujours durables. Soit parce qu'elles
étaient tout simplement superficielles, soit parce que les nouveaux
convertis
étaient
trop
isolés
au
milieu
des
"païens"
ou
des
musulmans et finirent par devenir musulmans avec ces "païens" ou
rejoindre les musulmans dans leur religion.
Cet isolement à d'ailleurs toujours été jugé comme étant à la
fois
un obstacle à la christianisation et au maintien de la foi
chrétienne des convertis. Avant et dans les premières décennies de
notre période, le danger, c'était le retour à la religion traditionnelle
comme le laissait craindre le père Lamoise après une tournée dans
le
Sine-Saloum(l).
A
partir
des
années
1910,
c'était
devenu
l'islam(2). Cette évolution devait d'ailleurs très fortement marquer
l'orientation
du
discours
missionnaire,
tel
que
mentionné
plus
haut(3).
Les apostasies étaient, depuis, devenues si fréquentes qu'elles
étaient très préoccupantes (4). Les raisons de ces apostasies chez les
jeunes filles ont été examinées dans leur aspect particulier et c'est
sans doute la plus importante de ces formes de reconversions chez
les femmes mariées.
Mais les causes générales du phénomène concernaient aussi
bien
d'autres
situations.
Elles
restaient
liées
à
la
propagande
maraboutique très active et déterminée, et qui avait surtout les
moyens de son action.
Par
son
occupation
du
terrain,
elle
finit
aisément
par
marginaliser le maigre noyau de chrétiens des villages qui voyaient
se convertir en masse leurs voisins, longtemps restés aux portes de
l'Eglise.
Le phénomène des conversions à l'islam était si général et
rapide qu'il semblait tout balayer sur son passage. Il fallait être
moralement bien "assis" pour pouvoir lui résister. La foi elle seule
n'était d'ailleurs plus opérante puisqu'on en était finalement "réduit
à en douter"(5).
1. Annales de la Propagation de la Fol.
1878
p.280
2. Arch. OPM G 07557
3. Supra, p.372
4.
Ibid.
S. EM 108.
586
Mgr Jalabert ne démentirait pas cette assertion d'un chrétien
devenu musulman et qui aurait sans doute pu être celle de certains
autres de ses fidèles du Baol notamment, totalement "noyés" dans le
torrent islamique. Aussi prit-il, à la veille de la grande guerre, la
responsabilité d'aller contre les lenteurs de la christianisation en
voulant briser le carcan dans lequel elle était plongée :
"Il ne nous est plus possible de renvoyer à une date ultérieure
l'évangélisation
du
Sine
et
du
Baol.
Nous
irons
contre
les
instructions formelles et reitérées de la sacrée Congrégation de la
Propagande. Tous les jours, l'islam gagne du terrain" (1 ).
Cette avancée de l'islam était d'autant plus inquiétante pour
lui qu'elle ne se faisait
pas
avec
les seuls
"fétichistes"
mais
"détournait" en même temps les chrétiens de leur voie(2).
Les instructions de la Propagande, il est vrai, semblaient
méconnaître la réalité sur le terrain. En imposant des conditions
d'ouverture des missions liées aux bonnes dispositions d'un nombre
important de
fidèles,
elles
tiraient certes
les
conséquences du
manque de moyens de la mission qu'il fallait éviter de disperser
inutilement mais oubliaient, en même temps, que cette conception
de l'implantation des églises n'était valable que pour une époque et
des situations précises.
Dans le pays tel qu'il était au XIXe siècle, elle pouvait encore
être défendable puisque seul face à la religion traditionnelle, le
christianisme avait le temps qui travaillait, d'une certaine manière,
pour lui. Ce n'était plus le cas, dès lors qu'il y avait une religion
concurrente et dont l'expérience démontre que ceux qui l'ont une
fois
embrassée ne voulaient plus du christianisme.
Plus qu'une
religion, l'islam était devenu un fait de société qu'il était difficile à
tous ceux qui voulaient continuer d'"exister" dans la société et d'y
jouer un rôle d'ignorer.
La marginalisation redoutée de la minorité chrétienne dans
certains milieux fraîchement acquis à la cause de l'islam ne lui
laissait
qu'une
marge
de
manoeuvre réduite.
Ceux
qui
étaient
moralement ou spirituellement forts
et préparés
à la résistance
cessaient d'engager celle-ci, dès l'instant qu'ils se rendaient compte
qu'elle entravait leurs ambitions.
1. Arch. OPM B 7556
2. Arch. OPM B 07557
587
Sans qu'il ait été observé un quelconque conflit de religions ou
un ostracisme d'inspiration religieuse,
les
minorités
catholiques,
quand elles
n'étaient pas fortes ou enviées, dans la campagne
sérère,
ont
en
effet
très
rarement
été
déterminantes
dans
l'évolution politique de leur terroir. Il fallait souvent du temps pour
que les progrès dont elles étaient parfois porteuses sur le plan
social soient convaincants et acceptés comme tels par la masse"
assurant ainsi leur influence, ce qui était presque toujours beaucoup
trop long et aléatoire pour les moins engagés qui, entre-temps,
choisissaient de passer, avec leur expérience, à l'islam.
Ainsi, le désir de "vivre harmonieusement" avec leur
environnement et d'y
conquérir ou
conserver
une
parcelle
de
pouvoir ou de respectabilité pouvait
les conduire à revoir leur
"position" religieuse(l). Si en plus le prêtre n'était pas résident et ne
faisait que passer, au gré de tournées épisodiques, cela facilitait
tous les revirements. Ceux-ci restaient aussi, pour d'autres raisons,
fréquents en ville où il y a toujours eu une majorité chaque jour
plus forte de musulmans(2).
Quand ont sait que même dans tous les autres grands centres
ruraux
du
pays,
les
Sérères
se
mêlaient
avec
des
musulmans
d'autres
ethnies
qui,
s'ils
n'étaient
pas
majoritaires
sociologiquement,
réussissaient
sans
peine
à
le
devenir
religieusement, on comprend que rares étaient les zones réellement
à l'abri du phénomène. Comme les villes, les escales devenaient
cause de recul du christianisme.
Il s'y ajoute la fameuse menace de l'excommunication même si
dans les faits, elle a été plus verbale que réelle. Au lieu de s'y
exposer
(ce
qui
serait
une
malédiction
et
une
honte
insupportable(3) ), des chrétiens préfèrent prendre les devants et
s'exclure d'eux-mêmes d'une religion qui ne cherchait pas à les
comprendre(4) et qui se permettait de limiter leur liberté d'homme,
comme celle d'être, à l'image de leurs voisins, "maîtres" de leur
pratique religieuse.
1. EM 067
2. Arch. OMP G 07524
3. EM 055
4. EM 108
588
Le problème pour l'Eglise ici, c'est sa "tendance naturelle à
vouloir régir jusqu'à la vie privée des gens. Alors que l'islam leur
laisse
leur
liberté,
ils
avaient
le
sentiment
que
celle-ci
était
confisquée chez les chrétiens, par des hommes comme eux qui
pouvaient les sanctionner sans préjudice de la sanction suprême,
celle du Ciel"(l).
Mal comprise, toujours prise pour dégradante et définitive, la
sanction religieuse était ainsi mal vécue et aboutissait souvent à
l'auto-exclusion de la communauté et surtout, à un changement de
religion par les sanctionnés ou ceux qui craignaient de l'être.
Elle avait donc une efficacité très discutable et poussait à des
résolutions extrêmes. Plutôt Dieu que ses saints pensaient les fautifs
; et puisque de toute façon la sanction divine devait survenir, la
sanction religieuse ou son absence n'y changerait rien.
Autant donc "faire ce qu'on veut et n'avoir affaire qu'au juge
suprême"(2), réputé d'ailleurs plus libéral et
plus compréhensif
que son mandataire religieux. Changer de religion, dans laquelle on
peut aussi être en mesure de se faire pardonner ses faiblesses
humaines devient alors assez tentant.
Toujours liées à l'insuffisance de l'enracinement de la foi
chrétienne, les reconversions des jeunes de l'exode rural semblent
avoir été préoccupantes. Des chrétiens en citent volontiers et on
peut rencontrer des
vieux
musulmans
venus à Dakar dans
les
années 1940 ou au début des années 1950 en bons chrétiens en
quête de travail, et qui se sont retrouvés, quelques temps après,
dans la religion musulmane.
D'eux,
il
est
impossible
d'obtenir
la
moindre
explication
convaincante
mais
leur
parcours
renseigne
amplement
sur
les
raisons de leur reconversion.
Certains d'entre eux ont poussé la rupture avec leurs ongmes
jusqu'à épouser les filles de ceux-là mêmes qui les ont poussés à
embrasser l'islam et aidés à s'installer à Dakar ou dans d'autres
villes, d'y trouver le travail recherché et d'y fonder un foyer
musulman.
1 EM 050
1.EM 108
589
A en croue certaines anciennes "victimes" rescapées, tout cela
s'obtenait
au
moins
en
partie
par
le
chantage
il
y
a
des
"musulmans qui exigeaint toujours indirectement mais de manière
claire pour qui sait donner un sens au comportement, des jeunes la
conversion avant de les accueillir chez eux(l).
Le même procédé pouvait également être utilisé quand ils
devaient leur trouver du travail"(2). Mais dans les faits, il était
difficile aux musulmans de conditionner trop ouvertement leur aide
puisque les jeunes qui venaient à eux étaient parfois des parents ou
des
connaissances
qu'ils
accueillaient en
toute
connaissance
de
cause.
Il s'agissait, dans certains cas, de travailleurs saisonniers qui,
parce qu'ils ne venaient pas vivre en ville, étaient obligés de penser
au retour et à la manière dont ils allaient être jugés s'ils rentraient
au village(3). En fait, les apostasies semblent avoir concerné ici les
jeunes qui, de toute façon, devaient être perdus pour leur village
puisqu'ils allaient en ville sans intention de retourner chez eux,
dans l'immédiat tout au moins.
Attirés par le mirage de la ville plus que par l'argent qu'ils
pouvaient y
gagner pour retourner aider leur famille
restée au
village, ces apostats étaient prêts à tout pour y rester.
Ils pouvaient être nombreux ceux qui voulaient une situation
meilleure en ville mais quand on se rappelle que les secrétariats
sociaux
de
la
mission
s'occupaient
précisément
de
prévenir
l'exploitation de leurs ambitions légitimes par d'autres religions, on
comprend que les dégâts ont pu être limités.
1.
Il
faut
très
certainement
corriger
un
peu
ce
témoignage
trop
"engagé".
Très
rares
étaient
les
foyers
où
il
y
avait
une
telle
conditionnalité de l'accueil.
les musulmans essayaient.
seulement après.
de ramener à leur religion leurs hôtes. Le fait que beaucoup aient pu
résister
à
ces
offres
prouve
bien
que
les
autres
n'y
ont
pas
été
ouvertemant contraints. De plus. l'hospitalité désintéressée est l'une des
meilleures
traditions
des
musulmans
sénégalais
qui
ne
la
soumettent
généralement
à
aucune
condition.
2. ECHL 099
3. ECHL 105
590
Ainsi, convient-il de relativiser la portée de ces apostasies sur
les problèmes de l'évangélisation et de se montrer par conséquent
réservé
devant
l'ampleur
que
semblaient
leur
donner
les
missionnaires. Ces situations n'intéressèrent pour l'essentiel que la
première
génération
de
chrétiens.
Au
fur
et
à
mesure
que
s'enracinait l'Eglise dans les villages, les jeunes issus de ces villages
étaient de moins en moins tentés par l'apostasie.
Celle-ci a toujours malheureusement été et est restée une
donnée de l'histoire de l'Eglise au Sénégal mais contrairement à ce
qu'en pensait Mgr Barthet qui s'en plaignait en 1898, elle n'était pas
"un phénomène qu'on ne rencontre qu'en Sénégambie"(1).
C'était plutôt une sorte de loi naturelle qui veut que, les
contraires
s'attirant,
c'est la force
la plus importante qui
finit
toujours par prendre le dessus : dans tous les pays où il y a des
religions et leurs missionnaires respectifs, les plus entreprenants,
les plus convaincants ou ceux qui ont l'avantage d'être préférés aux
autres, quelles qu'en soient les raisons, gagnent du terrain.
A moins que l'on soit dans une situation que n'a pas connue le
Sénégal, de communautés hermétiques et hostiles qui, parce qu'elles
campent chacune sur ses positions et se regardent en ennemies, ne
peuvent partager ce qui précisément les divise : la religion.
Le danger se trouvait donc ailleurs, dans ce qui constituait
curieusement l'allié de l'islam et du christianisme contre la religion
traditionnelle : les changements notés dans la société, qui mettent
les hommes à l'abri de certaines influences et leur donnent plus
d'autonomie de décision.
Cette autonomie dont on sait qu'elle favorisa la conversion au
christianisme, pouvait aussi lui être néfaste quand les concernés, se
sentant
affranchis
de
la tutelle
de
leur famille
chrétienne
ou
"animiste-pro-chrétienne",
trouvaient
mieux
de
changer
de
religion(2).
1. Arch. OPM G 07524
2. EM 108
591
Ce
changement
pouvait
être
rapide
quand
les
intéressés
étaient convaincus qu'il les affranchissait davantage de l'influence
du clan que la famille, même chrétienne, ne pouvait pas briser
totalement(l) bien que, encore une fois, cette influence
soit restée
relativement très faible en matière de choix de la religion. Il n'en
demeure
pas
moins que
la structure villageoise laisse
toujours
forcément de fortes survivances de la société traditionnelle dont les
dernières à disparaître ne pouvaient être que la famille au sens
traditionnel du mot.
Si par exemple elle a favorisé la transformation du mode de
transmission des biens, la mission n'a pas pu modifier de façon
significative leur mode de gestion. Aussi, même dans la famille
chrétienne, les biens, indivis, appartenaient à toute la famille et
continuaient à être gardés par un seul homme, le père de famille
qui, s'il remplaça l'oncle dans leur dévolution, ne le remplaçait pas
dans
leur gestion. Or celle-ci était plus importante puisque le
principal demeurait le résultat qui est, ici, rien de moins qu'une
sorte de communauté
nouvelle,
qui
contribua
finalement
à
recimenter la famille, non plus autour des mêmes personnes certes,
mais en vue de la même finalité.
Restée dans les contradictions de la société traditionnelle, la
famille chrétienne, qui hésite entre le passé qui la dépersonnalise et
le présent qui ne lui propose pas d'avenir était mal placée pour
résister efficacement aux "influences néfastes" tant décriées par les
évangélisateurs.
Aussi,
se
sentant
plus
libres,
ses
membres
pouvaient désormais être tentés de traduire cette liberté dans un
domaine où elle devenaient sans doute la moins bien partagée : la
religion "familiale".
Devenir musulman pouvait ainsi être, pour le chrétien, un
moyen de s'affirmer(2) mais s'accompagnait souvent, alors, d'une
rupture
non
plus
avec
la
société
traditionnelle
mais
avec
la
famille(3) qui, compte tenu de sa conception de la religion et de la
solidarité, ne voulait désormais plus voir les siens déserter son
"camp" .
1. EM 067
2. EM 050
3. EM 067
592
Tout se passe en effet comme si, ayant pris conscience du
danger de déstabilisation qui pouvait la menacer, la famille, dans
une
sorte
de
sursaut
conservateur,
devenait
farouche
dans
la
"protection" de ses membres.
Cette désertion
religieuse
était plus
ou
moins supportable
suivant l'état local des relations entre les religions chrétienne et
musulmane.
Mais dans
tous
les cas, elle
ne
manquait pas de
produire des conséquences qui allaient bien au-delà de la cellule
familiale.
C'était en effet tous les chrétiens qui se sentaient trahis(l) et
modifiaient parfois leur jugement sur la religion musulmane(2).
Injustement, celle-ci était accusée d'être responsable d'un certain
dégarnissement
des
rangs
chrétiens,
comme
si
les
chrétiens
reconvertis
eux-mêmes
n'avaient
été
que
les
victimes
d'une
propagande et pas réellement responsables de leur acte.
Faute de chiffres, il est difficile de tracer avec exactitude
l'évolution de ce phénomène de reconversion à l'islam. Mais le fait
que ces reconversions
n'ont épargné aucune mission autorise à
penser
qu'elles
intéressent,
pour
l'ensemble
de
notre
période,
plusieurs centaines d'anciens chrétiens au moins.
En tout état de cause, le chiffre de 2000 ne nous paraît pas
avoir été dépassé, en soixante quinze ans de vie de la mission. Ce
qui est à la fois peu et beaucoup. Peu dans la mesure où l'ampleur
que semblaient donner au phénomène les relations alarmistes de
certains missionnaires ne pouvait que faire croire au désastre, à
première vue. Beaucoup, en même temps, pour une mission qui, en
un siècle d'existence, c'est-à dire de la fondation de Ioal à la fin de
notre période n'a guère converti qu'une minorité.
De fait, sans jamais avoir le caractère massif ou groupé des
conversions, les apostasies-reconversions à l'islam ont parfois pris
l'allure d'un fait de société dans certaines régions, un fait d'autant
plus notable que la mission, y voyant sans doute le symbole de son
propre échec, plus grave que le refus de conversion des Sérères, n'a
cessé de lui donner les proportions qu'il n'avait pas. Bien souvent en
effet, ces reconversions s'opéraient quasi-clandestinement, ce qui
renseigne assez amplement sur leurs limites à l'échelle du pays.
ï:E~067----------
1. EM 055
ORIGINES ET IMPLANTATION
DES CONFRERIES
i
1 Oak
1
eNiassèllcs
•
Titlillnisrnc mlllikilc
eNuuritlismc
•
Tidilmismc uniDricm
i
7
1
1
1
f
MAU~ITANIE ro
"
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OCEAN
\\
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t
~
1
1
Daka-...."
Hall1alisll1e
1
1
1
i
j
ATLANTIQUE
1
1
L__---C~UINEE
~~~~~~~~~
BISSAU
o
70
~"","--",,-.--IlKm
o. SENE
STATISTIQUES A LA FIN DE NOTRE PERIODE
Juillet 1955 - Juin 19561
Paroisses
Population
Catholioues
Total au
Catéchu-
Musul-
PaIens
ou
totale2
Locaux
E~ers
30 Juin
mènes
mans
IDlSS100S
1955
1956
1956
1956
BAMBEY
75.591
185
251
150
401
130
40.000
3.500
DIOfllNE
35.464
884
1025
39
1.064
402
3.000
31.000
DIOURBEL'
105.909
502
427
300
727
150
80.000
25.000
FADIOl.l'fif"
5.024
4.800
4712
4.712
12
200
100
FATICK
50.270
1.680
2020
250
2.270
1.000
15.000
32.000
JOAL
22.160
2.950
3050
100
3.150
200
11.000
7.800
MBOUR
16.446
?
230
200
430
10
11.000
5.000
NDIAGANIAO
28.913
520
585
28
613
300
2.500
25.500
NGASOBIL)
1.460
150
1200
1.200
200
50
PALMARIN
7.470
3.624
3650
3.650
200
1.820
1.800
1HIADIAYE
33.343
1.633
1750
20
1.774
963
3.600
27.000
a
TOTAL
382.050
16.428
18904
1.087
19.791
3.367 170.320
158.750
1 Archives de l'Arcllevêché: statistiques 1955 - 1956. Ces statistiques comprennent les non Sérères sénégalais
nombreux dans Jes escales. EUes laissent en même temps de côté une bonne partie de la population sérères: dans les
régions de la mission du Saloum d'abord, ensuite dans le reste du pays où il n'y avait ni mission, ni chrétiens et
enfin dans le reste du Sénégal, beaucoup de sézëres étant hors de leur terroir traditionnel. En tout, cela fait environ
la moitié de la population. Noû>ns que le nombre de chrttiens hors du pays est très faible.
l Par populatioo totale, il convient de comprendre l'ensemble de la population dépendant des missions au 30 juin
1956: le centre (avec ses musulmans wolofs) et la ptriphérie, parfois wolof comme c'est le cas de Diowbel et
accessoirement de Mbour. Les proœstants qui existent dans de rares missions (Bambey. DioUIbel, Mbour et 10&1) et
au nombre total insigniflBnt de 25 sont compris dans la -population totale-.
}Vtt.art (en baisse) s'explique ici partiellement par le détadJement d'une partie de la mission au profit de celle de
Bambcy.
4 Le même écart a. dans ce cas de Fadiouth, une toute autre explication: l'exode rurale qui est par ailleurs la cause
de la stagnation apparente de Palmarin.
S La fulgurante progression de Ngasobïl qui est en réalité une baisse notable de quelques milliers se comprend par
les changements institutionnels profonds intervenus dans la mission en 1953-1954. Cette a.nnee là, la fondation de
Ndiagani80• dont dépendaient désormais plusieurs localités jusque-IA prises en charge avec cette nouvelle mission
par Ngasobil a pu faire chuter de façon vertigineuse la population c:hnllienne de ce qui était désormais devenu
J'ancien centre missionnaire du pays. Ainsi "libéré" de ses missions les plus importantes.. situées aJ'est,. Ngasobil
~vait alors prendre une partie de celles de Joal, multipliant par huit le nombre de ses fidèles.
Qudques années auparavant (1951). il convenait d'ajouter aces statistiques. pour KsoJack qui englobait alors
les missions de Foundiougne et Kaffiine avec 18 autres stations et dont nous n'avons pas de chiffres au-delà de
1951:
catholiques indigènes: 600 ~ ëtrangers: 1675 ~ ClI1échumènes: 80 ~ musulmans: 120.000 ; .~: 50.000.
Total: 173.140. (Avec là aussi, un nombre insignifiant de protestants). Compte tenu de la progression moyenne de
la christianisatio on peut situer le nombre de catholiques -locaux- dans ces trois missions, en 1955, à 1100 (la
fondation de Foundiougne et Kaffiine ayant dO avoir un effet accélérateur dans l'occupation missionnaire du
terrain) et celui des caù!chumènes à 200.
595
CONCLUSION
596
Avec une quinzaine de résidences et au moins trois fois plus de
chapelles,
le
pays
sérère
pouvait
être
considéré
comme
bien
couvert, en 1955, par la mission. Ce qu'avait d'ailleurs tendance à
confirmer le nombre de chrétiens qui, avec quelque vingt mille
baptisés
et
des
milliers
de
catéchumènes,
n'était
pas
aussi
négligeable que
voudraient
bien
le faire
croire
certains, qui
rêvaient
sans
doute
d'une
"christianisation
intégrale"
ou
-autre
extrême- de l'échec total de l'œuvre missionnaire.
Le succès de la christianisation, même relatif, pouvait donc
être considéré comme réel quand on sait qu'aux conversions, s'était
ajouté un nombre relativement appréciable d"'autochtones" (Sérères
et non Sérères) dans le clergé et les congrégations de religieux et de
religieuses indigènes.
Ainsi, de 1880, année à partir de laquelle la mISSIOn peut être
considérée comme intéressant l'ensemble du pays sérère à 1955,
date de l'établissement de la hiérarchie qui, bien qu'étant loin de
consacrer l'avènement des "Eglises nationales" était la marque d'une
certaine maturité de l'Eglise dans ses composantes africaines et
mettait fin à l'"état de mission"(l), le pays sérère a donc connu,
accepté et parfois assimilé le message chrétien avec
sa touche
personnelle qui était son "apport" au christianisme.
Ces décennies d'évangélisation n'ont pu produire un tel effet
que parce que dans le corps social, la religion était vécue, non
seulement à travers la pratique religieuse proprement dite, mais
aussi dans les comportements sans doute enrichis -pour ne pas dire
transformés- par "l'école du père" plus, il est vrai, que par le père
lui-même.
Le bilan de la période mIsSIOnnaire n'est donc pas seulement
une
question
de
chiffres.
Ceux-ci,
à eux
seuls,
ne
rendraient
d'ailleurs que très imparfaitement compte de la réalité.
1. Dans l'immédiat, la hiérarchie n'eut d'influence notable que sur les
institutions, et sans doute aucune sur la mission en cette fin de 1955. Cf.
quelques textes publiés à ce sujet:
"La
Documentation
catholique" ,
nOl196,
3
avril
1955
pp.435-439
;
Deuxième
conférence
des
ordinaires
des
Missions
de
l'Afrique
Occidentale
Française
et
Togo, Dakar, impr de la Mission, 1955 pp.ll-l2.
597
Très
minoritaires
à
la fin
de
notre
période,
les
Sérères
chrétiens avaient, face à la majorité "animiste" ou musulmane, une
influence très grande, liée à la perception généralement positive
que les non-chrétiens ont toujours eu de la religion catholique, ce
qui devait, très largement, favoriser la coexistence des différentes
religions.
Ce facteur propre au pays a certainement contribué de façon
importante à créer les bases du dialogue islamo-chrétien qui, après
les premières décennies de "mésentente", due en partie à la peur et
à la méfiance suscitées par l'"islam guerrier", mais aussi à la vision
trop étroite de certains missionnaires qui ne voulaient voir dans la
religion musulmane que superstition et fanatisme, devait être l'une
des préoccupations majeures de l'église et surtout des croyants.
Après avoir pris conscience qu'elle ne pesait que bien peu face à la
masse
des
musulmans,
qu'elle
ne
pouvait plus
se
préoccuper
principalement de convertir, l'Eglise fut obligée de compter avec
une
réalité
qu'elle
ne
pouvait
plus
ni
combattre,
ni
ignorer.
L'effacement de l'intolérance musulmane et l'avènement de l'islam
confrérique bien "encadré" par des chefs plus ouverts devaient,
assez largement, faciliter ce dialogue.
Celui-ci avait d'ailleurs commencé avec l'Administration qui,
dès le début du siècle, entretenait des relations confiantes avec les
mourides, les chefs tidianes
de Tivaouane ne lui ayant, pour
l'essentiel, jamais posé de problèmes.
La mission pouvait, dès lors, vaincre ses dernières réticences
et, à défaut d'aller vers l'islam, cessait de la regarder en adversaire
irréductible. Bien qu'elle continuât de critiquer tout ce qui, dans la
législation ou la pratique gouvernementale, favorisait selon elle la
religion musulmane, l'Eglise ne semblait se préoccuper, désormais,
que de la protection de ses convertis et non plus de lutter contre un
adversaire devant lequel elle ne se faisait plus d'illusions.
A cela,
s'ajoutent les
profonds changements
qui
s'étaient
produits dans la société sérère et qui favorisaient son ouverture et
la prise en compte de certaines valeurs qui n'ont d'ailleurs jamais
été étrangères à sa nature et à ses préoccupations, mais qui ont pu
être parfois confisquées par des élites politiques peu soucieuses de
démocratie : la liberté et la tolérance.
598
Débarrassé
des
"pesanteurs
royales"
et
de
toutes
les
contraintes qui y étaient attachées, le pays sérère, dont on a vu qu'il
n'a jamais opposé d'hostilité extrémiste aux missionnaires pouvait
désormais choisir plus librement sa religion, tout en manifestant sa
tolérance envers celles qu'il n'avait pas choisies.
Venus
généralement
des
classes
moyennes,
les
nouveaux
riches autour desquels s'organisa l'activité économique nouvelle,
s'ils n'étaient pas hostiles à l'ordre en voie de disparition, trouvaient
dans le libéralisme politique relatif du colonisateur leur intérêt.
Ils ne pouvaient donc que le favoriser, renforçant du coup le
"dialogue" à tous les niveaux de la société, dialogue facilité par
l'éclatement progressif des
groupes claniques
ou
tribaux,
et la
pénétration en leur sein d'éléments étrangers qui était une autre
raison de leur perte d'influence et de la transformation positive du
"système traditionnel des relations sociales "(l).
En fait, ces changements ont surtout libéré les Sérères qUI, ne
se sentant plus une vocation de protéger certaines des valeurs
sociales
qui
leur
semblaient dictées
ou
entretenues
d'en
haut,
pouvaient désormais se permettre de recevoir qui et tout ce qu'ils
voulaient sans craindre une dénonciation fatale ou cette mise au
ban, tant redoutée de la société, l'élargissement continu de celle-ci
devenant la meilleure garantie de son ouverture et de sa tolérance.
La
facilité
des
déplacements
qui
devait
avoir
pour
conséquence la présence rapide de l'islam à côté du christianisme
ou, inversement, du christianisme à côté de l'islam, introduisait une
autre réalité nouvelle dont il fallait désormais tenir compte; jusque-
là, ces deux religions ne coexistaient pas toujours, seul l"animisme"
étant présent partout, de façon significative.
Le développement rapide de l'islam et du christianisme à
partir de la fin des deux premières décennies du XXe siècle les
mettait, en quelque sorte, face à face, l'animisme, bien que résistant
encore avec force, s'étant déjà résolu à abandonner le terrain, sans
doute pour mieux l'occuper, au profit de conversions superficielles
qui avaient toujours besoin de son "fond" et même de sa forme pour
s'exprimer.
1. J. Lombard :
Autorités
traditionnelles
et
pouvoirs
européens
en
Afrique noire. Paris. A. Colin 1967 p.76.
599
Chrétiens et musulmans, qui partageaient ainsi, pour la
première
fois,
un
terrain
jadis
hostile
devaient
donc
pouvoir
trouver un modus vivendi pour coexister, dans
un contexte de
liberté - y compris religieuse - retrouvée.
Ils le firent dans une situation de quasi
dialogue
,
seule
possibilité d'ailleurs concevable, au vu de la situation nouvelle. Ce
dialogue s'exprime surtout au niveau individuel, ce qui le rendait
plus efficace et plus harmonieux.
Dans les familles
même, il n'était pas rare de rencontrer
plusieurs religions. Les anciens étaient généralement restés dans
leurs
croyances
ancestrales
au
moment
où
les
adultes
étaient
musulmans et les jeunes chrétiens. On comprend que les adultes
fussent tolérants avec leurs enfants : leurs parents l'ayant été avec
eux, ils "ne trouvaient pas de raison de ne pas l'être avec leurs
fils"(l).
De fait, la"nouveauté" de toutes ces religions étrangères et
(surtout) la conviction désormais acquise, avec l'expérience, qu'elles
pouvaient coéxister entre elles et avec la religion traditionnelle sans
menacer vraiment les fondements
de la famille
favorisaient
ce
libéralisme : anciens, adultes comme jeunes continuaient, même
devenus musulmans ou chrétiens, de baigner dans un milieu "paien"
qui était une sorte de trait d'union "plus puissant que l'attachement
à l'une ou à l'autre religion étrangère"(2).
Ce
sentiment
de rester
malgré
tout
unis
pour
l'essentiel
favorisait ainsi la tolérance parentale. Celle-ci est telle qu'il est
parfois difficile de rencontrer une famille entièrement chrétienne
ou entièrement musulmane. Beaucoup de musulmans laissent leurs
enfants
devenir
chrétiens
d'autant
plus
volontiers
qu'ils
sont
convaincus que leur religion ne peut assurer la réalisation des
ambitions
de
réussite
qu'ils
nourrissaient
pour
eux(3)
et que,
comme les "animistes", ils voient dans le christianisme un moyen de
promotion sociale.
1. EM 075
2. ECHL 011
3. EM 064
600
Cette vision du monde avait donc quelque chose de bénéfique
pour le dialogue des religions. Les apostasies de chrétiens et les
conversions au christianisme se sont ainsi opérées en douceur, sans
jamais poser de réels problèmes de coexistence sociale.
Ce dialogue de fait opéré à la base précède ainsi largement le
dialogue islamo-chrétien proprement dit qui ne se matérialisa, pour
notre période, que par des initiatives individuelles voire isolées
d'autorités religieuses particulièrement bien éclairées(1).
Côté chrétien, on note surtout l'action de Mgr Jalabert, très
marquée par sa tolérance et son ouverture(2).
Dès 1917, il fit le voyage de la Mauritanie,
poussé par le désir
d'établir le contact avec cheikh Sidya, le plus grand marabout de ce
pays et dont l'influence au Sénégal, en particulier sur les khadirs et
le chef de la nouvelle confrérie des mourides, était considérable.
1. Le
Secrétariat
s'occupant
du
dialogue
islamo-chrétien
ne devait
en effet voir le jour que bien au-delà de notre période. Il est né dans le
contexte déjà évoqué d'une véritable emprise de l'islam sur la société
sénégalaise, qui se manifeste au quotidien. Cette situation était d'autant
plus facile à intégrer par les missionnaires dans
leur stragie pastorale
qu'au niveau le plus élevé de l'Eglise, ce dialogue était préconisé et que
sur le terrain, les marabouts, petits ou grands, se sont toujours montrés
tolérants à l'égard de
toutes
les
religions et davantage
à l'égard du
christianisme que de l'''animisme''. C'est ainsi
que lors du procès intenté
en 1951 à Afrique
Nouvelle
et aux pères
Blancs qui en assuraient la
direction,
par le
gouvernement
général
de
l'AOF,
la
réaction
des
marabouts
et des
musulmans
était
unanime
à
désapprouver
que
l'on
traîne ainsi en justice "des hommes de Dieu"
-sur ce procès et sur la vie
de ce journal de l'Eglise, on consultera avec intérêt: A.
Lenoble-Bart:
Afrique
Nouvelle,
un
hebdomadaire
catholique
dans
l'hiltoire-1947-1987.
Talence,
éd .. Maison
des
sciences
de
l'homme
d'Aquitaine,
1996.
L'harmonie de la société était d'autant moins facile à ébranler que l'un
des successeurs de Jalabert. le premier évêque "autochtone" du pays. qui
prit la direction de l'Eglise peu après notre période, Mgr
Thiandoum a
des frères musulmans et très engagés dans le service de leur religion.
2. En
plus de son ouverture envers "islam, Mgr
Jalabert s'est aussi
distingué par son opiniâtreté à "ramener à Dieu les coloniaux qui avaient
la phobie du prêtre" et sa main tendue permanente "à de notoires francs-
maçons". Une démarche qui s'inscrit dans la logique de sa fameuse devise
consistant à "reverdir le désert".
3.
M.
Ponet·Bordeaux
:
Une
vie
de
missionniare.
Mgr
Hyacinte
Jalabert. Paris, Beauchesne, 1924
p.185.
601
Le cheikh mauritanien ne déçut pas l'espoir du prélat. Il se
montra tout aussi ouvert et disposé comme le relata plus tard Mgr
Jalabert:
"le grand cheikh me demande tout d'abord des nouvelles de
Benoît XV et me prie avec insistance de le saluer de sa part lorsque
je lui écrirai. Une chose qui le préoccupe, c'est de savoir de quel côté
nous-nous tournons pour faire nos prMres. Il me demande même si
je crois à l'enfer... Il me parle de la Bible, de l'Evangile qu'il consulte
souvent et avec un religieux respect. L'exemplaire qu'il a en sa
possession est usé et incomplet. Il exprime le désir d'en avoir un
autre... En me quittant, il me serre affectueusement la main et
m'assure de son éternelle amitié. Les filles du marabout vinrent
solliciter de
leur p~re l'autorisation de recevoir la bénédiction
épiscopale ce qui leur fut accordé"(l).
Ce dialogue au sommet fut comme béni par les croyants. Une
bénédiction qui a une histoire, comme l'écrit M. Ponet-Bordeaux en
partant du récit qu'en fit l'évêque lui-même :
"Au cours du véritable interrogatoire que cheikh Sidia fit
subir à l'évêque catholique, il lui demanda, entre autre chose, s'il
avait
le
pouvoir
de
faire
des
miracles.
L'évêque
répondit
modestement
que
Dieu
seul
avait
un
tel
pouvoir,
mais
qu'assurément, s'il le voulait, il pouvait se servir de lui comme
instrument... Justement à Aleg, à quelque distance de là, on creusait
un puits et aucune trace d'humidité ne s'apercevait encore. On allait
renoncer au travail, lorsque, au moment même où l'évêque entrait à
Aleg, l'eau jaillit abondante et pure au fond du puits sec jusqu'alors.
C'était le miracle attendu par la foule qui vint longuement acclamer
Mgr
Jalabert et resta persuadée que l'évêque était vraiment un
ami de Dieu"(2).
Bien que le but essentiel du voyage de Mgr
Jalabert ne fut
pas de nouer amitié avec le cheikh, mais plutôt la visite d'un
homme de Dieu influent dans un territoire qui relevait alors de la
juridiction de la mission du Sénégal, les liens qui étaient ainsi tissés
étaient si solides et si sincères qu'ils demeurent un exemple vrai de
dialogue entre religions musulmane et chrétienne.
1.
Cité
par
M.
Ponet-Bordeaux
Une
vie
de
missionnaire.
Mgr
Hyacinte Jalaben. Op. cil. p.184
2. Ibid, pp.193-194.
602
Un autre marabout du Nord-Est du Sénégal, de la fin des
années
1910 aux
années
1940, montrait à
ses
coreligionnaires
parfois portés à l'intolérance, la voie du dialogue de sa religion avec
le christianisme : cheikh
Moussa
Kamara( 1), érudit musulman et
chercheur de qualité comprit en effet assez tôt qu'il existe bien des
convergences
entre
l'islam
et
le
christianisme,
beaucoup
plus
importantes que les divergences supposées.
Dans
un
ouvrage
qu'il
écrit
pour
les
besoins
de
sa
démonstration(2), il affirme que le christianisme est la soeur de
l'islam, que le zèle déployé par les moines dans leurs actes de
dévotion envers Dieu est la preuve de leur amour et de leur crainte
sincères envers Dieu : l'essence même du christianisme, c'est celle
de l'islam. Et il tennine en implorant Dieu de rapprocher la religion
chrétienne de l'islam(3).
Un autre marabout du Soudan, Thierno
Bokar Salif, qUI eut
aussi une certaine influence au Sénégal voyait la religion de la
même façon. Plus que celle de cheikh Moussa Kamara et cheikh
Sidia, sa tolérance religieuse, qu'il eut l'occasion de vivre plus sur le
terrain, a marqué davantage les missionnaires au point qu'il lui
consacrèrent
des
conférences
ou
des
espaces
dans
la
presse
catholique.
Et c'est "vers, 1955 que Thiemo Bokar prêchait déjà une sorte
d'oechuménisme,
une véritable fraternité universelle de tous
les
hommes quelles que soient leurs croyances au nom de l'unique Dieu
Créateur"(4). Les écrits et la pratique de ce marabout étaient en
parfait
accord
avec
son
souhait
de
voir
ses
coreligionnaires
considérer tous les chrétiens comme des croyants aussi dignes de
respect que n'importe quel musulman :
1.
1864·1943. Ce marabout bien dans son siècle condamne également la
guerre sainte, "faite trop souvent, au nom de Dieu. pour des ambitions
terrestres".
L'exemple
caractéristique
était
celui
de
El
Hadj
Mamadou
Lamine "Le Sarakholé" qui l'avait invité à l'aider à faire la guerre contre
les "parens" et qui combattit en fait "les habitants du Boundou et d'autres
musulmans"... Cf. Bulletin de l'IFAN. série B n01. 1976 pp.158-199.
1. Le titre
:
"Possibilités
d'entente
entre
les
Religions
chrétienne
et
musulmane" était déjà édifiant.
3.
Ch.
M.
Kamara
:
"L'Islam
et
le
Christianisme".
Retitrage
de
"Possibilités d'entente entre les Religions
chrétienne et
musulmane"
et
traduction
de
A.
8amb. In Bulletin
de
l'IFAN
série
B n02,
1973
pp.269-322.
4. Horaf, VIII, 1970, p.9
603
"Frtre en Dieu, ne querelle pas l'adepte de Moïse; Dieu a
témoigné en sa faveur. Ne bouscule pas non plus l'adepte de Jésus.
Dieu en parlant du miraculeux enfant de Marie, la Vierge-M~re, a
dit: "Nous avons accordé à Jésus, Fils de Marie, le don des miracles
et l'avons raffermi par le Saint-Esprit ""( 1)
En se référant ainsi au Coran, Thiemo Bokar poursuivait: "Et
les
autres
hommes?
Laisse-les
entrer
et
même
salue-les
fraternellement pour honorer en eux ce qu'ils ont hérité d'Adam ...
En chaque descendant d'Adam, il y a une parcelle de l'Esprit de
Dieu. Comment oserions-nous mépriser un vase renfermant un tel
contenu ?"(2).
L'islam confrérique sénégalais s'est rangé, pour l'essentiel, sur
ces
positions.
Passés
les
heurts
entre
le
mouridisme
et
l'administration coloniale, il s'est engagé dans une période de bonne
coexistence avec le christianisme.
De fait, il était impossible à l'islam d'être foncièrement
intolérant envers les chrétiens. D'autant que "le profond respect que
les musulmans ont du nom de Dieu rappelle la foi ardente des plus
grands saints du christianisme"(3) et ce même respect les conduit
fatalement à ne pas rejeter aveuglément tout ce qui se réclame de
1e ur Créateur. Surtout, il y a toujours eu, si l'on en croit M.
Boisnard, une convergence de taille entre islam et catholicisme :
"le musulman qui s'adonne à la contemplation sacrée de
l'éternité et de l'infini ne peut pas être l'ennemi du chrétien qui agit
pour un idéal de justice et de liberté" (4).
Cela est particulièrement vrai pour les figures déjà citées et
les fondateurs des confréries du Sénégal qui ont vu dans le
christianisme une religion respectable contre laquelle ils n'avaient
pas à jeter leurs fidèles.
Comme le note P. Khoury, ce dialogue pleinement vécu à la
base mais introuvable en fait au sommet qui ne lui donne encore
aucun cadre institutionnel ni même de suivi adéquat était malgré
1. Horar~viiï.-1970P:9-
2.
Ibid.
3. J. Sicard: Le monde musulman dans les possessions françaises(Alger,
Tunis, Maroc, AOF). Paris, Larose, 1928 p.93
4.lbid.
604
tout limité sur le plan doctrinal par l'affrontement diffus entre
chrétiens et musulmans, "sur le problème de la vraie religion"(l).
Mais "dans la vie", il est au moins inconsciemment pratiqué
par
tous
les
croyants
sincères.
Intellectuellement,
la
caution
doctrinale ne semble d'ailleurs plus être aussi éloignée qu'on le
pense. Chrétien "sincère", on l'est "par la confession de Jésus-Christ
et tout salut s'accomplit par Jésus; mais la théologie a fini par
admettre la possibilité d'une foi inconsciente ou indirecte en Jésus-
Christ de sorte qu'il est possible au non chrétien d'être sauvé par
Jésus-Christ,
sans
le
confesser dans
les formes
ordinaires
et
reconnaissables"(2).
Et même s'il semble "qu'il n'y ait pas plusieurs manières
d'être musulman, en dehors de la confession explicite de l'Unique, et
qu'il y ait donc peu de chances pour un non musulman de se sauver,
l'insistance sur l'absolue liberté divine, sur l'arbitraire divin laisse
la porte ouverte au salut des non-musulmans...De même, l'insistance
sur les dispositions intérieures et sur les oeuvres de bien... Si, de
plus, on considère le cas des chrétiens, qui seraient d'après les
apologistes chrétiens tenus, aux termes mêmes du Coran, de rester
chrétiens,
on
peut
apercevoir
chez
les
musulmans
un
commencement de théorie de ce qui pourrait, par comparaison, être
appelé le musulman anonyme"(3).
Il
est
certain
que
ces
interprétations
rejoignent
bien
la
conception sérère de Dieu et de la religion. Tout part et se ramène à
Dieu, l'unique référence, qui est de loin plus importante que toutes
les
religions
elles-mêmes qui
ne
seraient qu'une
forme
parmi
d'autres d'assurer cette nécessaire relation à Lui. Une telle vision de
Dieu ramène, quelque part, les différences religieuses au second
plan et facilite le rapprochement entre croyants.
Aussi, "chrétien anonyme, musulman anonyme, cela peut bien
finir par être la même chose si, au bout du compte, c'est Dieu qui
sauve, et si ce Dieu veut efficacement le salut de tous"(4).
Les Sérères, eux, en sont tellement convaincus qu'ils évitent
soigneusement de disserter sur la validité des religions.
l""-P-:-ihourY:-Ïsiiüiï-et-Christianisme. Op. cil.
p.54
2. Ibid. p.54
3 Ibid.
4.Ibid.
605
Toutes leur paraissent acceptables l'essentiel étant la sincérité de la
foi et surtout la bonté du coeur, la disponibilité et l'amour du
prochain.
Ces qualités font du "non croyant" un homme plus proche de
Dieu que le plus fervent des musulmans ou chrétiens qui en est
dépourvu( 1).
Les relations entre chrétiens et musulmans sérères n'ont pas
ainsi pris l'aspect de cet "effort pour la conquête religieuse" qui
caractérise parfois l'histoire des rapports de la mission et de l'islam
et
qui
est,
du
reste,
demeuré
un
problème
des
hiérarchies
respectives
des
deux religions jusqu'à une certaine période tel
qu'indiqué plus haut et jamais en fait l'affaire de ceux qui en
étaient l'enjeu.
Une
telle
position
des
fidèles
ne
pouvait
qu'avoir
des
conséquences bénéfiques et contribua à favoriser l'institution du
dialogue entre ces
hiérarchies désormais
conscientes
de
devoir
utiliser leurs forces ailleurs que dans une course conflictuelle sur le
terrain. Ce qui ne veut pas dire que les chrétiens qui étaient en
dehors
du
pays
sérère,
dans
des
localités
essentiellement
musulmanes n'avaient pas à souffrir parfois du comportement de
musulmans
intolérants
et
certains
brusques
revirements
de
chrétiens prenant leurs distances avec le christianismes n'ont pas
toujours été motivés par la claire conscience de choisir un islam
devenu plus convaincant.
Mais le phénomène était marginal et de tels changements de
religion avaient généralement d'autres motifs.
D'autant que, désormais instruits par l'histoire récente, mais
aussi par une conception de la religion qui interdit de mépriser
l'homme même avec la conscience qu'il est dans l'erreur et le faux,
ce qui pour le musulman est motif de compassion plutôt que de
haine,
la
masse
des
musulmans est toujours
restée
ouverte et
tolérante.
Débarassée des soucis d'une coexistence avec un pays pour
l'essentiel
musulman,
la
petite
minorité
chrétienne
est
restée
d'autant plus à l'aise qu'à l'échelle du pays sérère, elle n'était plus
aussi squelettique qu'elle le fut au niveau du Sénégal.
1.
P.
Khoury:
Islam
et
Christianisme.
Dialogue
religieux
et défi
de
la modernité. Beyrouth. Heidelberg - Press. 1973 p.53
606
Il s'agissait en effet d'une forte minorité qui, tout en recevant
beaucoup
du
christianisme,
pouvait
légitimement
prétendre
lui
apporter quelque chose. Elle ne pouvait mieux le faire qu'en restant
avant tout chrétienne mais aussi en n'oubliant pas qu'elle avait ses
racines
dont certaines
n'étaient
en
rien
incompatibles
avec
la
nouvelle religion.
On est ici encore loin du concept d'inculturation de création
récente(l)
mais
les
rapports
entre
chrétiens
sérères
et
christianisme
s'organisent
autour
du
"double
principe"
qu'elle
recouvre, réalisant ainsi une inculturation avant la lettre:
"un principe de synth~s théologique. a partir de l'inculturation.
mod~le historique de
conversion
.. un principe épistémologique
dégageant et mettant en présence les deux partenaires obligatoires
de toute christianisation. ou de tout refus de christianisation : la
proposition chrétienne et la personalité culturelle locale dans toutes
ses composantes et ses capacités de "réaction"(2).
Ces capacités de
réaction
se
traduisent
par
une
certaine
réinterprétation
"par le monde traditionnel qui ne se laisse pas
réduire" de l'influence chrétienne, amenant ainsi le christianisme à
assurer progressivement "la prise en compte des coutumes sociales
et religieuses locales"(3).
De fait, même si l'inculturation, dans le domaine de la liturgie,
est
postérieure
à
notre
période(4),
l'adaptation
graduelle
du
christianisme aux coutumes sérères s'est faite avant.
La volonté des prêtres africains d'"africaniser" la liturgie
existait mais les chefs de la mission n'ont jamais voulu de chants
harmonisés
selon
le rythme
sérère qui paraissait
trop dansant,
"dangereux" et en totale "contradiction" avec le rythme grégorien en
vigueur(5 ).
1. J. Gadille : Les modèles d'interprétation de l'accueil ou du refus du
christianisme.
Essai
de
classification
des
interprétations
historiques.
Actes du colloque de Stuttgart de Septembre 1985. CREOIC, Lyon III, 1986
p.12
2. Ibid,
p.13
3. J. Gadille
:
L'expérience
africaine
des
"missions
chrétiennes".
Le
legs de l'histoire... p.17
4. ECHL 061 ; EMCLR 009
5. EMCLR 009
607
Il était d'ailleurs très difficile à la mISSIOn d'autoriser cette
africanisation
de
la
liturgie,
qui
introduirait
forcément
des
instruments qui étaient proscrits par les missionnaires : le tam-tam
où la kora ont longtemps, en effet, été considérés par eux comme
"procédant de satan"(l), sans doute parce qu'ils étaient le support
indispensable des manifestations traditonnelles qu'ils condamnaient
si fermement.
Dans bien d'autres domaines pourtant, la question n'était plus
de savoir s'il fallait tout africaniser de la religion ou rejeter tout ce
qui y était africain, mais bien la conversion du Sérère : du nouveau
chrétien qu'il était, "quelque chose devait mourir pour permettre au
mieux qu'il porte en lui de vivre et d'avoir abondance de vie"(2).
Mieux, il s'agissait de faire en sorte que le christianisme
prenne
chez
les
évangélisés
"un
aspect
négroïde,
une
saveur
pimentée", permettant aux africains de "servir au Christ des mets
de notre pays"(3).
Ainsi, si la danse religieuse restait "sujette à caution"(4), le
maintien des seuls aspect européens du christianisme n'était plus
possible.
Il
fallait
christianiser
les
valeurs
culturelles
négro-
africaines ou africaniser le christianisme : c'était là la condition de
son enracinement durable qui était d'autant plus impérative que le
christianisme véhiculait, par certains côtés, une culture européenne
pour un message universel.
Aussi, était-il nécessaire d'adapter ce message à
toutes les
autres cultures, le but à atteindre étant que "le peuple converti
pense et vive le Christ et le christianisme avec son âme propre"(5).
1. ECHL 061
1. R.
Sastre : Liturgie romaine et négritude.
In
Des prêtres
noirs
s'interrogent. Paris, éd. du Cerf, 1957
p.163
3.
M.
Hebga
:
Christianisme
et
négritude.
In
des
prêtres
noirs
s'interrogent. Op. ch.
p.200
4. M. Lefebvre : Préface l
Des Prêtres noirs s'interrogent... p.12
S.
V.
Mutago
:
La
théologie
et
ses
responsabilités.
Pré sen c e
Africaine, n027-28,
août-nov.1959 p.202.
608
Cette situation "met le christianisme d'Afrique en demeure
d'apporter une contribution originale aux problèmes d'organisation
posés à la société moderne"(l) dont l'Eglise a d'ailleurs si fortement
favorisé l'avènement dans les pays de mission, par ses écoles et ses
valeurs. Ce défi ne fut pas facile à relever mais dès le début, les
coutumes
séréres
qui
étaient compatibles
avec
le christianisme
firent irruption dans celui-ci.
Il y a ainsi, en amont, un dialogue du christianisme avec la
religion traditionnelle(2), voulu par l'Eglise(3). La mission instituait
déjà ce dialogue, même si beaucoup de ses représentants l'ont
toujours écarté de leurs préoccupations. Pourtant, en étudiant la
langue
et
(parfois)
la
religion
sérères,
les
missionnaires
introduisaient ce dialogue qui était d'autant plus viable et efficace
qu'il devait consacrer
le passage de
"nos
cultures
à
l'âge de
l'écriture"(4).
L'Eglise n'a donc pas, dans le fond, pu totalement ignorer les
religions africaines traditionnelles même si elle les condamnait très
largement, Sans compter avec elles bien sûr, elle finit par accepter
leur "bon côté"
ou
tout au
moins
ceux
de
leurs
aspects
qui
n'entraient pas en conflit ouvert avec
le dogme
ou la morale
chrétienne
Cette
christianisation
des
cultures
africaines,
pour
être
pleinement efficace ne pouvait être cependant que le fait de prêtres
africains. Or, ceux-ci ne semblent avoir aucune initiative dans ce
domaine, avant la fin des années 1950. Le clergé indigène était si
dépendant de la hiérarchie
qu'il était incapable d'imprimer
sa
marque surtout dans ces matières aussi sensibles.
1. J.
Gadille
: L'expérience des
"missions
chrétiennes"
: le
legs
de
l'histoire... p.17
2.
E.
Mveng
:
A
la
recherche
d'un
nouveau
dialogue
entre
le
christianisme,
le
génie
culturel
et
les
religions
africaines
actuelles.
Présence
Africaine
n096, 1975 p.443
3.
Ibid,
p.444.
L'auteur ajoute
que
dès
1659
une
Instruction
de
la
Propagande
recommandait
le
respect
des
cultures
locales
aux
missionnaires.
4. Ibid, p.445.
609
Ainsi, il fallut attendre qu'ils fussent plus nombreux et mieux
"assis" dans le gouvernement spirituel de leurs frères pour voir les
"abbés
noirs"
jouer vraiment
un
rôle dans
l'orientation
de
la
pastorale.
Jusque-là, tout s'articulait autour d'un compromis fragile dont
les contours étaient dessinés par les missionnaires qui se servaient
quasi-ponctuellement des cultures traditionnelles plus qu'il ne les
intégraient dans une stratégie d'évangélisation.
Cette
démarche
à
pas
forcés
de
la
mission
a
pourtant
contribué à faire
du
christianisme
un
facteur
d'identité
sérère
puisqu'il lui a fallu
devenir catholique,
"c'est-à-dire
se faisant
africain
en
Afrique"(I)
pour faciliter
l'adaptation
à
lui
de
la
mentalité sérére. En cela, il a plus efficacement contribué au
changement des esprits même s'il y est arrivé au prix de certains
renoncements.
Mais n'était-ce pas la rançon du succès ? L'accueil de certains
dogmes catholiques particulièment adaptés à la vie des Séréres ne
pouvait
dès
lors
que
contribuer
davantage,
avec
cette
sorte
d'appropriation, à enraciner l'évangile.
Au total cependant, il semblait tôt, en 1955, pour que puissent
être bien visibles des marques durables de la mission dans la vie en
société des Sérères convertis au christianisme, et la mise à l'écart si
regrettée de ceux-ci de la vie de leur Eglise,
même dans les
décisions les engageant, ne permet pas de voir très clairement ce
qu'ils ont pu lui apporter dans son "enrichissement".
C'est qu'à la base du syst~me d'évangélisation, il y avait un
malentendu né de cet empressement des missionnaires à "faire des
chrétiens",
souvent
au
détriment
d'une
application
du
"modèle
ethnographique" qui eût pu aider à éviter les écueils les plus graves
de la christianisation.
1. J. Thiam : "Du clan tribal
à la communauté chrétienne". In Des
prêtres noirs s'interrogent. Op. cit. p.49
610
Les "modèles d'interprétation" de ce systime, énumérés par
Jacques
Gadille(l)
laissent
en
effet
une
place
importante
à
l'ethnographie qui, à de rares exceptions près, n'a pas été prise en
compte par les évangélisateurs(2).
Aussi, "l'observation systématique des coutumes locales" qui
permet de
mieux
définir
la
stratégie
missionnaire
(3)
a-t-elle
souvent été ignorée au détriment du modèle de la chrétienté rurale,
institué en vu de défendre les âmes de "la perdition"(4), ce qui
entraîne évidemment, à la fois
méconnaissance des coutumes et
hostilité à leur prise en compte dans l'évangélisation.
De plus, ce modèle ne vise pas forcément à responsabiliser
l'évangélisé et il n'est pas étonnant, dans ces conditions, qu'on ne lui
demande
qu'une
chose
se
convertir,
c'est-à-dire
subir
le
christianisme sans que celui-ci ait besoin de compromis avec sa
culture, à peine acceptée comme telle. Ce défaut d'ouverture du
missionnaire
ne
pouvait naturellement que
l'enfermer
dans
ses
certitudes, souvent fatales au renouvellement de l'inspiration et à
l'adaptation nécessaires de la stratégie pastorale.
La réaction est tout aussi fatale à l'accueil du message même
chez
les
convertis,
en
particulier
dans
ses
aspects
les
plus
contraignants. D'où le renforcement de ce timide compromis né
consciemment ou inconsciemment avec toute mission : à défaut de
concevoir qu'il pouvait y avoir quelque chose de chrétien dans la
culture
sérère,
l'Eglise
finit
par admettre que certains de
ses
éléments
étaient
juxtaposables
voire
assimilables
par
le
christianisme.
1.
Les
modèles
d'interprétation
de
l'accueil
ou
du
refus
du
christianisme...
pp.14-lS
2. A l'exception de rares études sans grande portée de
quelques uns
des premiers missionnaires. et qui concernaient essentiellement la cÔte.
les tentatives sérieuses de connaissance du pays sont nées l
la fin de
notre période. avec les travaux du père H. Gravrand.
3. J. Gadille : Les modèles d'interprétation... p.lS
4. Ibid. p.14
611
ANNEXES
612
ANNEXE 1
Vicaires
apostolistiques
du
Sénégal
Après Mgrs
Benoît
Truffet (1847), Aloise
Kobès
(1848-
1872) et Jean·Claude
Duret (1873-1876), l'église du Sénégal a
successivement été gouvernée par les évêques :
François
Duboin
1876-1883
(Début
de
déploiement
de
la
mission au cœur du pays sérère - Fondation de Fadiouth)
• François
Xavier
Riehl
1883·1886
(Troubles
généralisés
dans
les royaumes au Sine en particulier - Début de la mission à
Palmarin)
Mathurin
Picard a
1887·1889
(Inauguration
(1888)
du
pélerinage de Popenguine)
•
Maglorie
Barthet
1889·1898 (Main-mise totale de la France
sur le pays. Les routes d'où s'écartaient le danger depuis
une
décennie
deviennent
sûres
ce
qui
renforce
la
mobilité
des
missionnaires)
• Joachim Buléon 1899·1900 (Détachement
du
Soudan
rattaché
à Alger)
François
Kunemann
1901·1908
(Laïcisation
et
départ
des
frères de l'Instruction chrétienne)
•
Hyacinte
Jalabert
1909·1920
(Institution
(1914)
du
denier
culte - Idée du "Souvenir Africain")
• Louis Le Hunsec
1920·1926 (Pose de la première pierre de la
future cathédrale du "Souvenir Africain" (novembre 1923)
•
Auguste
Grimault
1927·1946 (Détachement de la Gambie en
1931; de la Casamance devenue préfecture apostolique en 1939)
•
Marcel
Lefèbvre
1947·1955
(Hiérarchie.
Mgr
Lefèbvre
qui
devait rester à Dakar jusqu'en 1962 devint le premier archevêque
du Sénégal).
613
ANNEXE II
Relation
d'une
mission
"abandonnée"
Un des premiers prêtres à être passés à Foundiougne dans la dizaine
d'années qui séparent la fin de la guerre (en Afrique) et la reprise
de la fondation de Foundiougne. le père
Courrier, qui passait en
1948
ses
vacances
à
Kaolack
-
ce
qui
lui
permit
de
visiter
Foundiougne, pendant six jours - nous apporte une relation riche
d'enseignements.
Et
qu'on
pouvait
faire
sur
n'importe
quelle
mission
non
résidentielle
en
particulier
celles
qui,
comme
Foundiougne ou Fatick, étaient "abandonnées".
..
Foundiougne est une escale importante avec son port sur le
Saloum qui décongestionne celui de Kaolack et attire, en temps de
traite, nombre de manoeuvres, venus de Casamance et de toute la
région... Pour un missionnaire, Foundiougne cause de la peine,
malgré l'extrême anabilité de l'accueil reçu car elle représente un
aveu public d'impuissance chrétienne. Foundiougne fut en effet un
centre de mission. Elle eut son église, son presbytère, sa maison des
soeurs. Et le manque de personnel obligea Mgr Grimault, en 1928, à
fermer ce poste.
Les familles chrétiennes sont restées chrétiennes (...) et le 15
août, je fus surpris de la correction avec laquelle les chants furent
exécutés à la messe. Mais les catéchismes des enfants du pays, ceux
des nombreux catéchumènes qui passent ici à la belle saison, malgré
des efforts méritoires restent insuffisants. Surtout la pénétration du
message
du
Christ
dans
les
villages
voisins,
dans
les
îles
nombreuses et à peine prospectées du point de vue chrétien, est
bien près d'être nulle, cependant que dans tout le Saloum, l'islam
continue sa progression, facile à la vérité.
Et pourtant, l'église en si bon état encore, pieuse et coquette
avait belle allure, le 15 août (...). On débouche sur le village de
Tiaré, jadis point de mire des pères de Foundiougne. Il n'y a plus
que trois familles catholiques et la modeste chapelle de banco qui y
éleva le père Donnard a succombé aux tornades.
...1...
614
Au
village
de
Sourn,
étendu
et
très
peuplé
où
tous
les
habitants sont Sérères, on a gardé les coutumes religieuses des
ancêtres à l'exception du groupe de chrétiens (12 baptêmes et 18
catéchumènes) et d'un "carré" devenu musulman C...). Des centaines
de
chrétiens
peut-être
si
la
mission
pouvait
les
soutenir
plus
efficacement. Pascal (le catéchiste), à la belle saison, donne aux
enfants qu'on lui envoie tout ce qu'il connaît de français le matin, et
de religion l'après-midi C...). Le lendemain matin à la messe C...), tous
les baptisés en âge de communier reçurent leur maître. Une heure
plus tard, je rejoignais Foundiougne..."
Extrait
d'Horst,
D018,
1948
pp.28-29.
ANNEXE ID
CONGREGATIONS ET EFFECTIFS MISSIONNAIRES EN 1955
A - PRETRE ET SŒURS
Congrégations
Maison-
Effedifs
C~tions
Maîson-
Effectifs
Mère
mère
Congo du Saint-Esprit
Pans
51
Congrégation de
45
l'Immaculée
.
C
on
Sté de Marie (Maristes)
Rome
10
Congrégation Saint
32
Joseph de Cltmy
Cong. du Sacre-eœur
Rome
9
Filles du Saint-Cœur de
Indigène
29+6
d'Issoudun
Issoudun
Marie
noVices
PèœsBIancs
Rome,
4
Congrégation des FMM
Rome
21
Paris
Dominicains (DP)
Rome,
3
Ordre de la BVM du
SebikotaDe
9
Lyon
MontCasmel
. el
lI.
Ordre maronite de
Djoubail-
2
Notre Dame des Apôtre
Lyon
8
Saint Antoine du Liban
-Liban -
Missions Africaines de
Rome
1
Sté de Marie
7
4
Lyon
Lyon
(Sœurs Maristes)
R.édemptionistes
Rome,
1
St-Thomas de
Neuilly/Sein
4
Paris
Villeneuve
e
(Franœ)
Clergé séculier
Sœurs de St- Paule
?
3
- Indigènes
SebikotaDe
7
"-
2
Sœurs de St Charles
AngenJ
3
d·An........
(Fnmce)
Sœurs du Sacre-eœur
Issoudun
3
B-FRERES
C
-~
tiOlU
Maison-Mère
Etredifs
Congrégation des frères
Indigène
12
de Saint-Joseph
Congrégation du
Paris
9
Saint-EBPrit
Frères de Saint Gabriel
St.-Laurent!
2
Seine (Fraoœ)
Pères Blancs (Frères)
?
1
Sacré-Cœur d'Issoudun
7
1
Dœninicains (DP)
7
1
616
ANNEXE IV
QUESTIONNAIRE
Notre enquête étant entièrement orale, nous avons conçu un projet
de 37 questions qui ont servi de base aux discussions que nous
avons eu avec nos interrogés. Les questions posées dans un tel
contexte sont donc impossibles à recenser toutes, celles dont nous
faisons ci-dessus la description n'étant qu'un cannevas ayant guidé
notre démarche.
1· Etes-vous chrétien de naissance ou par conversion?
2- Quand et pourquoi avez-vous choisi le christianisme?
3· Si vous êtes chrétiens reconverti à l'islam, pouvez-vous
nous indiquer pourquoi?
4· Depuis combien de temps êtes-vous devenu musulman
et trouvez-vous qu'il
y a une
difference,
faible
ou forte
entre
christianisme et islam?
5· Combien de temps a duré votre catéchisme et pensez-
vous y avoir beaucoup appris ou votre instruction religieuse a-t-elle
surtout été acquise après votre baptême?
6·
Que pensez-vous:
-de l'importance du catéchisme dans le christianisme;
-des missionnaires et de leur façon de proposer leur
religion;
-de la façon dont ils ont diffusé le christianisme?
7· Vous est-il arrivé de comparer le christianisme avec
les autres religions? Si oui, qu'est ce qui vous a le plus frappé dans
l'une comme dans les autres?
8-
Que
pensez-vous
des
marabouts
et
des
differences
confrériques?
9- L'unité du christianisme, ne vous est-il pas, à cet égard,
apparu comme une cause de conversion?
617
10- Que
pensez-vous
de
la
mISSIOn
en
général
et
de
l'organisation et du fonctionnement de l'Eglise en particulier?
li-Le christianisme, ne vous semble-t-il pas inadapté aux
réalités sérères ou au contraire vous paraît-il très adapté? Quelle
influence a pu avoir, dans votre conversion, ce sentiment que vous
avez sur cette question?
12- Comment comprenez-vous
le
rôle
et
la
place des
auxiliaires du clergé en général et des religieuses en particulier?
13- Votre mission a été fondée en ... Comment se faisait la
christianisation avant, si elle a pu se faire:
-les visites pastorales
-le rôle des catéchistes
-la messe et les autres offices?
14- Les exigences du christianismes: monogamie, prière du
dimanche
qui
exclut
les
activités
agricoles,
l'interdiction
de
certaines
de
vos
pratiques
traditionnelles
vous
paraissent-elles
compatibles avec les exigences de la vie en société?
15-Pensez-vous
avoir
compris,
très
bien,
bien,
un
peu
seulement
ou
pas
du
tout
votre
religion
à
travers
ses
enseignements? Quels aspects de la religion vous sont les plus
difficiles à saisir? Que faites-vous pour les comprendre?
16-Vous est-il
arrivé,
quand
vous
étiez
plus jeune,
de
penser devenir prêtre ou auxiliaire du clergé? Sinon pourquoi? Si
oui pourquoi n'êtes-vous pas allé jusqu'au bout de votre résolution?
17-Quel sens avait pour vous l'école des missionnaires?
18- Pensez-vous qu'il soit possible de concilier la tradition
avec ce qu'elle enseigne ou êtes-vous pour une
table-rase des
coutumes
sérères?
19· Comment, SI vous l'estimez nécessaire, concilier tout
cela?
20-
Avez-vous
eu
des
relations
particulières
avec
les
missionnaires, les auxiliaires, les catéchistes? Quel était selon vous
le fondement de ces relations?
618
21- Avez-vous connu des chrétiens qui ont "réussi" et quelle
était, selon vous, la base de cette réussite?
22- Si on vous demandait de présenter en quelques mots le
christianisme....
23- La mission, c'était aussi les oeuvres: en plus de l'écoles, il
y a les dispensaires et les aides diverses. Comment appréciez-vous
une telle démarche? Ne rend-elle pas plus facile l'accueil du
christianisme ou estimez-vous que celui-ci doit avoir une base plus
solide?
24- Avez-vous
connu des chrétiens ayant bénéficié de ces
aides? Lesquelles aides exactement? Croyez-vous que cela a plus
servi les intéréssés que le christianisme? Pourquoi?
25- Certains pour choisir une religion y sont poussés par leur
hostilité à d'autres religions. Cela vous parâit-il acceptable?
26-
On
a souvent
vu
des
conversions
groupées.
N'est-ce pas
entraînant ou au contraire décourageant? Pourquoi?
27-
A quel
moment avez-vous
été
catéchumène,
baptisé?
Croyez-vous qu'il y ait pour cela un moment idéal?
28- Y a t-il dans l'Eglise des pratiques qui vous gênent?
Lesquelles?
29- Avez- vous étudié et jusqu'à quel niveau?
30- Pourquoi et comment êtes-vous devenu catéchiste?
31-
Ne croyez-vous pas représenter une vision du
monde
étrangère chez les vôtres? Quelles sont vos relations avec les non-
chrétiens?
32- Comment jugez-vous l'islam et a t-il
pu arriver que vous
songiez vous reconvertir à cette religion? Que pensez-vous avoir
motivé les reconvertis que vous avez connus?
33- Quel est votre statut matrimonial? Pensez-vous qu'il soit
une
situation
irréversible
et
que
pensez-vous
des
chrétiens
polygames?
34- Etes-vous bon, moyen, mauvais pratiquant?
619
35-
Vous êtes vous senti obligé de veiller à l'éducation
religieuse de vos enfants ou avez-vous choisi de les laisser libres de
leur choix religieux? Pourquoi?
36· Y a t-il eu, toujours dans la période considérée de 1880-
1955 dont vous avez vécu une partie, des mouvements d'action
catholique dans votre mission? Comment se présentaient-ils? Et
vous-même
y
avez-vous
pris
une
part
quelconque?
Pourquoi?
Comment se présentait l'état des rapports entre chrétiens d'une
part et musulmans de l'autre? N'y avait-il pas une division entre
religions? Pourquoi selon vous?
37· Croyez-vous, en choisissant le christianisme, avoir fait un
bon choix?
620
SOURCES
1 • DOCUMENTS D' ARCHIVES
1
-
Archives
nationales
du
Sénégal
Série K • 27
CAPTIVIlE, ESCLAVAGE
K 27-2
Rapport du résident de Toul à l'intention de
l'administrateur du cercle de Thiès (Avril 1902)
K
27-3
Rapport du résident des "Provinces
sérères"
du cercle de Thiès
K 27-3
- Rapport du résident du Sine
Série G
POLmQUE, RELATIONS ADMINISTRATION-
REUGIONS, MONOGRAPHIES SUR LE PAYS
SFRFRE
1 G 33
- Notice de Pinet-Laprade "commandant de
Gorée" sur les Sérères
1 G 296
- Monographie de M. Rocaché sur le Baol
13 G 69
- Fiches de renseignements sur les marabouts
1912-1913
13 G 67 (174) - Extrait du registre confidentiel
des
marabouts du Rip
13 G 67 (29)
- Document sur les mosquées
13 G 67 (113) - Etat des marabouts influents
13 G 67 (210)
- A propos de Moussa Molo
13 G 67 (339)
- Lettre non signée, datée de 1915 sur la
"recrudescence marquée dans la circulation
sur la côte de personnalités maraboutiques"
621
17 G 73
•
(numéro de classement inconnu) : A propos
des "associations ou agrégations religieuses
non autorisées", de l'enseignement
confessionnel catholique - lettre du
gouverneur général de l'AOF au ministre des
colonies et réponse.
17 G 23 (1) -
Affaire Mgr Grimault
Série J
•
ENSEIGNEMENT, CULlE
J 10 (16)
Mémoire du directeur de l'enseignement en
AOF
J 10 (50)
• Dépenses générales de l'enseignement en 1906
J 10 (5 et 52) - Les écoles catholiques (1906)
J 84 (3)
gouverneur du Sénégal à gouverneur
général de l'AOF sur les membres de la
congrégation du Saint-Esprit
J 84 (8)
- Arrêté du gouverneur du Sénégal sur les
garderies
J 84 (27)
- Demande de
renseignements
du
secrétaire
général p.i de l'AOF aux administrateurs de
cercles de la Sénégambie "au sujet des
missionnaires résidant dans nos colonies" et
réponses.
J 84
- (numéro de classement pas clair) :
gouverneur du Sénégal à gouverneur général
au sujet des cultes catholique et protestant
J 84 (47)
- Gouverneur du Sénégal à gouverneur
général sur la mission : activités des prêtres
et des congrégations de religieuses, surtout
dans le domaine de l'enseignement.
622
J 84 (61)
- A propos de la "concurrence" faite à
l'enseignement public par les soeurs de Saint
Joseph de Cluny
J 84 (62 à 63) - Divers documents sur la "concurrence"
J 84 (65)
- Gouverneur général à lieutenant-
gouverneur du Sénégal
2 • Archives des OPM
G 07442
- M. Arlabosse à vice-préfet (1849)
G 07446
- Supérieur du Saint-Esprit à président
de l'œuvre de la propagation de la foi
10/1860
G 07449
- Mgr Kobès aux directeurs et membres des
conseils centraux de l'oeuvre de la
propagation de la foi (O.P.F) 20/01/1863
G 07450
- Mgr Kobés à ...1 ... 1863
G 07452
- Etat des recettes et dépenses pour l'année
1886
G 0745
- Etat des recettes et dépenses pour 1867
G 07456
- Etat de la mission en 1866
G 07457
- Situation du vacariat au 1er janv. 1867
G 07459
- Mgr Kobés aux membres des C.C de l'OPF.
1/02/1867
G 07462
- Supérieur général du Saint-Esprit au
président de l'OPF
G 07463
- Etat des recettes et dépenses pour 1869
G
07466
- Mgr Kobés à OPF /16/03/1870
623
G 07467
- Mgr Riehl à direction de l'OPF 14/05/1871
G 07468
- Etat des recettes et dépenses pour 1872
G 07469
- Mgr Kobés à l'OPF 15/02/1872
G
07474
-
- Rapport (pour l'OPF ?) de Mgr Duret-
8/12/1875
G 07486
- Rapport de Mgr Riehl 25/11/1881
G 07487
- Etat des recettes 1882
G 07491
- Etat des recettes 1884
G 07492
- Mgr Riehl à l' OPF-28/04/1885
G 07493
- Etat des recettes 1886
G 07494
- Sur les catéchistes-6/01/1886
G 07496
- Rapport sur la mission (ref. non dispo.)
G 07497
- Etat des recettes 1888
G 07499
- Mgr Picarda à OPF-18/11/1888
G 07501
- Etat des recettes 1889
G 07502
- Mgr Barthet à OPF-6/02/1890
G 07503
- Mgr Barthet à OPF-3/12/1890
G 07510
- Rapport de Mgr Barthet à OPF-3/12/1892
G 07515
- Rapport de Mgr Barthet à OPF-5/12/1894
G 07520
- Mgr Barthet à OPF-20/12/1896
G 07521
- Etat des recettes 1896
G 07524
- Mgr Barthet à OPF-14/12/1898
624
G 07531
- Etat des recettes 1900
G 07551
- Rapport de Mgr Kunemann-1er/12/1907
G 07556
- Etat de recettes 1910
G 07557
- Mgr Jalabert à OPF-12/12/1912
G 07558
- Etat des recettes 1911
G 07560
- Etat des recettes 1912
G 07561
- Mgr Jalabert à OPF-?/?/1912
G 07563
- Etat des recettes 1913
G 07564
- Mgr jalabert à l'OPF-l/12/1914
G
07565
- Mgr Jalabert à OPF ?1?/1914
G 07569
- Etat des recettes 1915
G 07570
- Etat de recettes 1916
G 07571
- Mgr Jalabert à OPF-24/1O/1917
G 07573
Mgr Jalabert à OPF-30/1O/1918
G
07574
- Etat des recettes 1918
G 07577
- Etat des recettes 1920
G 07578
- Etat des recettes 1922
G 07579
- Etat des recettes 1923
625
3
-
Archives
de
la
congrégation
du
Saint-Esprit
Les références complètes des sources tirées du Bulletin étant
indiquées dans le texte et d'accés facile, dès lors, nous évitons un
tableau fleuve de l'inventaire des sources puisées des archives de la
congrégation du Saint-Esprit en nous bornant à énumérer les autres.
- 159 • BI
- Président OPF à Mgr Duboin 22/09/1881
Ministre de la Marine à Mgr-Duboin
17/09/1881
- 160·B III . Père Lamoise à père Levavasseur- 24/06/1881
Père Lamoise à Mgr Riehl-18/03/1884
Père Lamoise à Mgr Riehl-8/1O/1884
Père Lamoise à Emonet-l/0l/1885
Père Lamoise à Mgr Riehl-22/04/1886
Père Lamoise à TRP- 10/01/1886
Père Lamoise à Mgr Riehl-7/07/1886
Père Lamoise à TRP-1O/07/1886
Père Lamoise à TRP-09/09/1887
Père Jouan à TRP- 16/01/1887
Père Lamoise à TRP- 7/06/1888
Père Lamoise à TRP- 4/08/1889
163-A·III-
Rapport sur le séminaire par le père Sébire à
Mgr Barthet - Octobre 1890
- Père Chany (7) à Emonet-l/01/1891
- Père Sébire à Emonet- 30/07/1891
- Rapport du père Sébire sur congrégation
des
filles du Saint-Coeur de Marie
30/07/1891
- 163-A-V·
- Mgr Buléon à Mgr Le Roy-
9/01/1900
"
"
"
"
- 26/01/1900
- Mgr Kunemann à Mgr Le Roy 1/10/1902
- P.Le Hunsec à TRP - 18/05/1909
- Père Greffier à Mgr (Jalabert 7) -5/07/1909
- Rapport sur les oeuvres de Saint-Joseph
(1909)
-
163-B-III·
Sur les catéchites : compte rendu de la
conférence théologique tenue à Thiès (1895)
626
164·A·III·
- Mgr Kunemann à TRP - 30/05/1903
- Rapport quinquennal (1897-1903) de Mgr
Kunemann à S.C.P - 1er/1O/1903
- P.V. du conseil de la mission tenue à Dakar
le 9 sept. 1904 et relatif aux problèmes de
la laïcisation.- Circulaire du gourverneur au
lieutenant-gouverneur du Sénégal, aux chef
d'adminitration et de Service, envoyée de
Saint-Louis le 10/10/1904.
- Mgr Kunemann à TRP - 24/11/1904
-
164·A-IY·
- Mgr Kunemann à TRP -22/05/1907
- Mgr Kunemann à TRP - 5/07/1907
Il
Il
Il
_
21/07/1907
- 164-A-Y·
- Père Greffier à Mgr Jalabert 14/04/1910
- Mgr Jalabert à RP Pascal - 20/08/1910
- Mgr Jalabert à Supérieur Général -
3/11/1910
- Mgr Jalabert à TRP - 29/11/1910
164-B-II-
- Circulaire de Mgr Jalabert à tous les
missionnaires du Vicariat -
octobre 7 1914
- Rapport du conseil de la mission sur la
situation de la mission dans la guerre-
Novembre (1914)
Rapport de Mgr Jalabert sur les catéchistes
et l'oeuvre de Saint-Joseph
(1916)
Réglement et notes sur les catéchistes -
7/07/1915
Lettre pastorale de Mgr Jalabert sur
l'établissement du denier du culte (déc. 1915)
Père Duboin à (7) - 19/02/1916
Père Cosson à Mgr Jalabert - 12/03
164-B·III-
- Lettre-circulaire de Mgr Jalabert sur le
denier du culte - 25/02/1918
627
•
262-A-I-
- Mgr Le Hunsec à TRP
-
30/11/1921
- Mgr Le Hunsec à TRP
22/11/1921
"
fi
ft
15/06/1921
"
"
Il
07/02/1922
Il
"
"
-10/05/19221
"
"
"
08/07/1922
- Mgr Le Hunsec à TRP
-
11/08/1922
"
"
"
30/10/1922
"
"
"
03/11/1922
"
"
"
07/02/1923
-
262-A-II-
- Mgr Le Hunsec à TRP
-
04/01/1924
tt
"
"
29/10/1924
Il
"
"
10/05/1926
- Père Logié à TRP
-
05/08/1926
- Père Joseph à TRP
-
10/08/1926
If
Il
"
04/01/1927
-
262·A-III-
- Père Etcheverry à TRP
-
05/01/1927
- Père Caudron à TRP
-
09/01/1927
- 262-A.IV-
- Mgr Grimault à TRP
-
16/01/1928
..
..
"
17/02/1928
- Père Joseph à TRP
-
09/03/1928
- Père Ezanno à TRP
-
10/03/1928
- Père Le Douaron à TRP
-
07/06/1928
- Mgr Grimault à TRP
-
31/05/1928
"
"
"
-
25/05/1928
- Père Lalouse à TRP
-
20/03/1928
- Père Doutremepuich à TRP
- 07/06/1928
- Mgr Grimault à TRP
- 31/05/1928
"
"
ft
- 25/05/1928
..
"
"
- 23/1 0/1928
- Père Ezanno à TRP
- 25/06/1928
- Rapport quinquennal à la Propagande de
Mgr Grimault
- 05/09/1928
- Père Joseph à TRP
- 02/08/1928
- Père Joseph à TRP
- 12/12/1928
628
• 262-A-VI-
- Père Joseph
à TRP
-14/03/1930
- Père Pereira à TRP
- 26/05/1930
- Mgr Grimault à TRP
- 14/03/1930
- Père Doutremepuich à TRP
- 11/08/1930
- Père Joseph à TRP
- 20/08/1930
- Père Moulin à TRP
- 19/10/1930
- Père (?) à TRP
- 1/12/1930
- Mgr Grimault à TRP
- 5/12/1930
- Père Jeuland à TRP
- 09/12/1930
- Père Joseph à TRP
- 12/12/1930
- Père Le Douaron à TRP
- 13/12/1930
· 264·B·IV.
- Père Gaschy à TRP
- 06/01/1938
- Père Le Douaron à TRP
..
..
..
- 30/06/1938
-12/11/1938
- Père Baumann à TRP
- 28/11/1938
· 264·B·V.
- Père Joseph FAYB à TRP
- 22/03 1939
- Père Lalouse à TRP
..
..
..
- 08/06/1939
- 15/07/1939
- Père Caudron à TRP
- 24/08/1939
- Père walter à TRP
- 30/08/1939
- 264·B-VI-
- Mgr Grimault à TRP
..
..
..
- 17/01 1940
- 27/01/1940
- Père Landreau à TRP
- 08/03/1940
• 34S-A·I·
- Rapport quinquennal 1945 - 1950 à la S.C.P
de Mgr Lefèbvre.
-
261·A-Ill.
- Rapports quinquennaux de 1920 à 1935
· 34S-A-VI·
- Rapport quinquennal 1950 - 1955
629
4
•
Les
archives
de
l'Archivêché
de
Dakar
Elles concernent surtout les statistiques paroisiales (ou plus
exactement
des
missions)
et
permettent
ainsi
de
bien
saisir
l'évolution de la christianisation
et des oeuvres. La population
globale de chaque mission y est mentionnée, ce qui permet une
potographie
comparée
des
trois
principales
religions
qui
se
partagent le
terrain
: le
christianisme
l'islam
et
la
religion
traditionnelle. Privées et d'accés évidemment limité, les archives de
l'archevêché de Dakar ne sont pas classées suivant le modèle des
archives publiques.
Aussi, convient-il de mentionner la mISSIOn et l'année du
document,
chaque
mission
ayant
son
dossier
qui
contient
en
principe toutes les statistiques disponibles, des origines à nos jours.
Il convient, enfin, de mentionner que, dans un cadre reservé à un
rapport
succint,
on
peut
aussi
trouver
des
renseignements
intéressants sur la marche et les problèmses des missions
Dossier
Diohine
1936
1951
Dossier
NDiaganiao
1945
1952
Dossier
Fatick
1952
Dossier
Palmarin
1943
1952
Dossier
Fadiouth
1937
1952
Dossier Joal
1937
1952
Dossier
Ngasobil
1937
1952
630
II • ENQUETE ORALE
Cet échantillon est à peu près la moitié des personnes que
nous
avons
eu
à
interroger,
tout
au
long
de
notre
enquête,
l'échantillon initial étant composé de 111 personnes. Les réponses
se recoupant bien souvent, beaucoup n'ont donc pas servi, notre
préférence allant, dans ce cas, à celles qui présentent un minimum
d'originalité.
L'âge
des
personnes
interrogées,
mentionné
pour
chacune d'elles, est celui qu'elles avaient le jour de l'entretien.
Notons
enfin
que
dans
les
situations
ayant
nécessité
plusieurs
entretiens avec une même personne, la date retenue ici est celle du
premier entretien. L'ordre est celui de la date de l'entretien.
001.
Paul FAYE,
67 ans, rmSSlOn de Diohine, catéchiste.
Entrevue le 5/11/89 à Diané (Niakhar)
007.
François NDONG, 80 ans, mission de Diohine, catholique.
Entrevue le 5/11/89 à Patar (Niakhar)
009.
Philomène SARR, 99 ans, soeur du Saint-Coeur de Marie.
Entrevues le 15/01/90 ; ler/05/90 ;
2/01/91 et 15/05/92 à la maison des
soeurs du Saint coeur à Dakar
011.
Augustin DIOP, 73 ans, mission de Diourbel, un des tout
premiers catholiques de Ngohé et policier
en retraite.
Entrevue le 29/12/89 à Dakar
013.
Diégane NDlAYE, 76 ans, mission de Diourbel, musulman
converti "très tôt" dans son village de
NdondoI. Electricien en retraite.
Entretien le 29/12/89 à Dakar
015.
Bernard NDOUR, 69 ans, mission de Diourbel, catholique.
Employé des industries alimentaires en
retraite.
Entretien le 29/12/89 à Dakar
016.
Père Georges Henri, missionnaire spiritain et enseignant au
grand séminaire de Sébikotane en 1955.
Entretien le 24/10/91 à Chevilly- Larue
(France) - Age non pris
631
017.
P. Pouget,
mIssIOnnaire spiritain en pays sérère,
notamment à Kaolack (Saloum) pendant
la
guerre.
Entretien le 6/11/91 à la maison des
horphelins-apprentis, à Auteuil (France).
Age non pris.
018.
Vincent B. Sylva, 80 ans, Foundiougne. Catholique
"constructeur de la mission à sa reprise" au
début des années 1950.
Entretien le 16/12/91 à Foundiougne
020.
Léon Nunez,
Foundiougne, 62 ans, catholique.
Entretien le 16/12/91 à Foundiougne
021.
Fulgence SARR, 79 ans, Foundiougne, catholique.
Entretien le 16/12/91 à Foundiougne
023.
Paul DIOP,
70 ans, Foundiougne, catholique.
Entretien le 16/12/91 à Foundiougne
024.
Emile Ngom,
Foundiougne, 59 ans, catholique.
Entretien le 16/12/91 à Foundiougne
025.
Bernard BOB,
60 ans, Foundiougne, catéchiste.
Entretien le 16/12/91 à Foundiougne
029.
Benjamin NDIAYE, 66 ans, Foundiougne, catéchiste.
Entretien le 17/12/91 à Gagué Mody
(Foundiougne)
033.
Michel SENE, Foundiougne, 90 ans. Fait partie des "tout
premiers baptisés de la mission de Diohine"
où il est né, avant d'émigrer à Gagué Mody
Foundiougne)
Entretien le 17/12/91 à Gagué Mody
(Foundiougne)
632
034.
Charles SY,
73 ans, Foundiougne. "Baptisé en 1939 à
Diohine mais (habitait) à l'époque Ngohé alors
que Diourbel n'était pas encore résidence".
Emigré à Gagué Mody des dizaines d'années
plus tard.
Entretien le 17/12/91 à Gagué Mody
(Foundiougne)
036. Albert
BAKHOUM, 80 ans, Foundiougne, "musulman sans
profondeur" reconverti au christianisme".
Entretien le 17/12/91 à Gagué Mody
(Foundiougne)
037. Edouard
NDOUR, Foundiougne, 60 ans, catholique.
Entretien le 17/120/91 à Gagué Mody
(Foundiougne)
038. Pierre
NDOUR, 73 ans, Foundiougne, catholique.
Entretien le 20/12/91 à Gagué Mody
(Foundiougne)
039. Ndiaga NDONG, 81 ans, Foundiougne, musulman.
Entretien le 20/12/91 à Foundiougne
040. Guignane
DIONE, 83 ans, Ndiaganiao, musulman.
Entretien le 28/12/91 à Ndiaganiao
047. Kholé SENE,
59 ans, Ndiaganiao, musulman.
Entretien le 28/12/91 à Ndiaganiao
050. Daouda SECK,
71 ans, Palmarin, musulman.
Entretien le 24/04/92 à Dakar
051. Michel Ségou SENE, 55 ans, Ndiaganiao, catholique.
Entretien le 23/05/92 à Ndiaganiao
053. Fulgence
DIOP, 57 ans, Ndiaganiao, ancien infirmier de la
Mission de Ndiaganiao.
Entretien le 26/05/92 à Ndiaganiao
054. Jean DIAGNE, 66 ans, Ndiaganiao, gendarme en retraite.
Entretien le 26/05/92 à Ndiaganiao
061. El Hadji Amath DIOUF, 78 ans, Joal, musulman "immigré"
à Dakar.
Entretien le 29/05/92 à Dakar
633
064. Cheikh Mbacké Niokhor TINE, 69 ans, Diourbel, musulman
employé de commerce en retraite.
Entretien le 30/05/92 à
Dakar
067. Babou Ndiaye DIOUF, 71 ans, Palmarin, musulman
chauffeur en retraite.
Entretien le 27/07/92 à Dakar
072. Fassar THIAO, 70 ans, Diohine, musulman.
Entretien le 19/11/92 à Patar-sérère
(Niakhar)
075. Laba DIOUF,
65 ans, Diohine, musulman.
Entretien le 19/11/92 à Patar-Dangala
(Niakhar)
076. El Hadji Daouda TINE, 74 ans, Diohine, musulman.
Entretien le 19/11/92 à Diané
(Niakhar)
077. Massène SENE, 76 ans, Diohine, musulman.
Entretien le 19/11/92 à Diané (Niakhar)
087. Mame Cor DIONE 67 ans, Kaffrine, musulman.
Entretien le 28/11/92 à Kaffrine
089. EL Hadji Mor SENE, 79 ans, Kaffrine, musulman.
Entretien le 28/11/92 à Kaffrine
091. Jacques
Coly 65 ans, Kaffrine, catholique.
Entretien le 28/11/92 à Kaffrine
098. Dominique
Etienne
GOMIS, 67 ans, "enfant de coeur de
Mgr GRIMAULT".
Entretien le 09/12/92 à Dakar
099. Matilde NDIAYE 91 ans, Joal, installée à Dakar "depuis Mgr
Jalabert". Ancienne postulante de la
Congrégation des soeurs du Saint-Coeur de
Marie. Entretien le 11/12/92 à Dakar.
105.
Edouard THIACANE, 79 ans, Foundiougne
Entretien le 23/12/92 à Foundiougne
634
106. André
BAKHOUM, 72 ans, catholique comme le précédent
Entretien le 23/12/92 à Foundiougne
lOS. Ibra Mar DIENE, 76 ans, Foundiougne, musulman.
Entretien le 26/12/92 à Dakar à Foundiougne
109 . André Latyr FAYE, 67 ans, Ndiaganiao. Ancien postulant de
la Congrégation des Frères de Saint-
Joseph. Ramené à son village par son
père musulman plutôt très tiède qui
était allé le chercher à Ngasobil. Mais ne
s'opposa pas à ce qu'il reste chrétien.
Entretien le 30/12/92 à Ndiaganiao
635
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TABLES DES CARTES, GRAPHIQUES, PORTRAITS
1- Le pays sérère
P. 43
2- Mgr Aloys Kobès
117
3- Les dépendances de la mission de Diohine
.l82
4- Géographie des missions
238
5- Evolution chiffrée de la christianisation
239
6- La colonie agricole et industrielle de Ngasobil...
286
7- Evolution du clergé indigène
.318
8- Evolution de la congrégation des frères de saint-Joseph
333
9- Evolution du Saint-Coeur de Marie
339
10- Cathédrale du "Souvenir africain
373
11· Evolution de la présence des prêtres indigènes
389
12- Evolution de la présence missionnaire
390
13- La pénétration de l'islam au Sénégal
5g,
~ ~
~
15- Statistiques à la fin de notre période
594
16- Congrégations et effectifs missionnaires
616
654
TABLE DES MATIERES
655
INTRODUCTION
P. 2
CHAPITRE
PRELIMINAIRE: LE PAYS SERERE ET LA
MISSION EN 1880
18
1 - Délimitation géographique et politique
19
1 - Origines des Sérères
21
1 -1
La thèse de l'origine sudiste de Pinet-Laprade ......21
1 -2
La thèse du peuplement autochtone
24
1-3
La thèse de l'origine nordiste et la thèse
de l'origine égyptienne
26
1 - 4
La nouvelle approche du P. H. Gravrand
29
a) - Une migration nord-sud des Sérères
29
b) - Les migrations mandé et la formation
de l'ethnie sérère
31
2 - Les royaumes du pays sérère
35
2 - 1
Le royaume du Sine
.35
2 - 2
Le Saloum
37
2 - 3
Le Baol
39
3 - La société et sa religion
44
3 - 1
La société
44
3 - 2
La religion
49
656
II . L'organisation politique et administrative
53
1 - Le pouvoir royal
.53
1 - 1 Le roi
.53
1- 2
Le grand diaraf
56
1 - 3
L'Administration
59
2 - La conquête et l'installation coloniales
62
2 - 1 La conquête
63
2 - 2
La soumission du pays sérère
67
2 - 3
La nouvelle organisation administrative
72
III . La Mission catholique (XVe siècle-1880)
75
1 - Une présence sans missions (1435-1848)
75
1 - 1
Dans les brumes de l'aube
75
1 - 2
L'embryon d'église au centre des
rivalités européennes en Afrique
77
1 - 3
La cure de Gorée et la timide
reprise de la mission
'"
80
1 - 4
L'arrivée des Spiritains
82
1 - 5
Le renforcement des initiatives
missionnaires
87
2 - La fondation de la mission de Joal et les débuts
de la mission chez les Sérères de la côte
(1849-1879)
93
2 - 1 Joalla "doyenne"
93
2 - 2
La brève expérience de Mbour
98
,
1
657
2 - 3
Ngasobil, centre de la mission
'"
101
2 - 4
Les autres villages
105
3 - La situation dans le reste du pays sérère (1880).... 11 0
PREMIERE PARTIE:
LES PHASES DE L'IMPLANTATION
DE LA MISSION (1880-1955)
118
CHAPITRE 1
: LES MISSIONS DE LA CÔTE
119
1
-
Les
premiers
postes
missionnaires
à partir de 1880
119
A -JOO
119
B - Fadiouth
124
C- Ngasobil
129
II - Les autres missions
134
A - Le problème des villages missionnaires
.134
B - La fondation de la mission de Mbour (1954)
139
C - Un succès difficile: Palmarin (1944)
144
CHAPITRE Il : LES MISSIONS DE L'INTERIEUR
150
1 • Considérations générales
150
A - La pénétration missionnaire (1880-1914)
150
B - Les premières fondations et
leur échec (1914-1928)
155
658
II - Le rétablissement définitif des missions
163
A - Des conditions nouvelles
.
B - La mission de Fatick (1951)
168
C - La mission de Foundiougne (1954)
172
III - Les cas particuliers
176
A - Kaolack (1914)
176
B - Diohine (1928)
180
C - Diourbel (1947)
186
CHAPITRE III : LA PERIPHERIE DU PAYS SERERE
191
1 - La mission à la fin des années 40
191
A -Les tentatives d'extention de la mission
avant la grande guerre
191
B - La situation de la mission pendant
la première guerre mondiale
198
1 -
Des objectifs revus '"
200
2 -
Le renforcement de l'appel
aux catéchistes
203
C - Les trois décennies malheureuses (1919-1950)
206
1 -
Persistance et aggravation
des obstacles à la mission
206
2 -
La seconde guerre mondiale
et ses difficultés locales
213
659
II - Le quinquennat de la relance
(1951-1955)
219
A - La mission de Bambey (1951)
219
B - La mission de Ndiaganiao (1953)
223
C - La mission de Thiadiaye (1954)
230
D - La mission de Kaffrine (1955)
234
DEUXIEME PARTIE : LA STRATEGIE MISSIONNAIRE
240
CHAPITRE 1: LES OEUVRES
241
1 • Les oeuvres sociales
245
A - L'action en faveur de l'enfance
245
B - L'action médicale
252
1 -
L'état sanitaire et la politique de santé
252
2 -
L'intervention de la mission
258
C - L'aide aux pauvres et les foyers d'accueil
265
II • Les oeuvres de formation
272
A - Les "écoles d'enseignement"
272
B- Les "écoles de forrnation"
285
III - L'impact des oeuvres sur ('évangélisation
297
A - L'apport de serviteurs de l'Eglise
297
B - La bonne image du christianisme
.302
C - L'enracinement de la famille chrétienne
.308
\\
660
CHAPITRE II : LA CONTRIBUTION DES EVANGELISES
313
1 • Les religieux
313
A - Le clergé indigène et sa formation
.313
1 -
Les membres du clergé
313
2 -
La formation et l"'emploi" des clercs
320
B - Les frères de Saint-Joseph
326
C - Les soeurs du Saint-Coeur de Marie
.334
II - La mise à contribution des catéchistes
344
A - Le choix des catéchistes
.344
B - La formation des catéchistes
347
C - Travail des catéchistes et contenu
des catéchismes
.351
III . Les fidèles
356
A - Leur implication dans la pastorale
356
B - Les limites d'une responsabilisation collective
367
C - Maturité de la mission et adaptation du
discours religieux
375
1 -
Le discours religieux
.375
2 -
Les sermons
381
3 -
L'effet du changement de discours
sur l'orientation de l'action missionnaire
386
661
TROISIEME PARTIE: LA REPONSE DES SERERES A LA
PROPOSITION CHRETIENNE.
391
CHAPITRE 1 : LE BAPTEME ET LES BAPTISES
392
1 - Les raisons de la conversion
392
A - L'action de l'Eglise ..7
392
B - Le confonnisme Têligieux
398
C - Les raisons d'ordre social
404
I I .
Le baptême des moribonds :
un signe des obstacles au christianisme
.413
A - La notion de "danger de mort" selon
la mission et les problèmes particuliers
au baptême des enfants
413
B - Une pratique de substitution
.417
C - Un indice de la résistance à la conversion
.424
III • Les catégories sociales converties
.430
A - Le meilleur succès : la conversion des jeunes
.430
B - Un échec : la conversion des élites
.438
C - Le baptême des jeunes filles :
.
.
,
.
448
une sItuatIon souvent precarre
.
CHAPITRE II : LES FORMES DE RESISTANCE
.456
1 - La difficulté
d'un
rejet total
de
la religion
et du mode de vie traditionnels
.456
A - La fidélité aux ancêtres :
une question de sécurité
456
B - Le refus de l'assimilation
462
C - Les raisons d'ordre personnel
.468
662
II - La question du mariage
473
A - Réalités sérères et mariage chrétien
.473
B - Le problème de la polygamie
.478
C - Les autres problèmes du mariage chrétien
.486
III
•
La conviction
de
l'inaccessibilité
de
la
religion catholique
494
A - Le problème du "parcours"
494
B - La difficulté de la pratique religieuse
500
C - L'incompréhension des aspects fondamentaux
du christianisme
504
CHAPITRE III : L'ISLAM: UN FACTEUR DE REFUS
DU CATHOLICISME
509
1 - Une religion ancienne au Sénégal
509
A - L'introduction de l'islam
au Sénégal
.509
B - L'islam dans le pays : du jihad aux
confréries pacifiques (1850-1955)
519
C - L'ishull en pays sérère
536
III
•
La
stratégie
musulmane:
une réponse adaptée
545
A - Une stratégie différente de celle
de la Mission
545
B - Une religion plus accessible
555
C - Un genre de vie plus proche
de celui des Sérères
563
663
III - Le résultat: l'échec
(relatif
?)
du
christianisme
face à l'islam
571
A - Les limites de la stratégie missionnaire
.571
B - L'échec de la christianisation intégrale
578
C - La qualité en question : la reconversion
à l'islam de catholiques
583
CONCLUSION
.596
Annexes
612
Sources
621
Bibliographie
636
Table des cartes, graphiques, portraits
653
Tables des matières
654
Document Outline