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Maître de COnfQFenCQS
R E MER CIE MEN T S
Nous voudrions exprimer particulièrement~otreprofond~gratitude
-,
à M. Bernard BARITAUD. Nous n'avons pas pu trouver de termes propres pour
traduire'nos sentiments à son égard.
)
\\
Nous avons pu, pendant toute notre formation,
bénéficier de
l'encadremert,
des conseils de M. Madior DIOUf,
qui a guidé nos premiers
pas dans l~recherche.
(
!
,C'est avec un réel plaisir que nous exprimons toute notre
reconnaissance à M. Ferdinand DIARRA oui a bien voulu se charger de la
relecture de notre thèse.
(
Nous remercions également notre ami Mamadou NDIAYE, -MM.
Louis SEI~E,
(
Ferdéric BADIANE, Mamadou BOP et Mme 8inete NDOYE pour leur concours
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1 --
l N T R 0 DUC T ION
Quelques considérations,
à notre avis,
s'imposent pour compren-
dre les raisons profondes du choix de notre sujet.
Son intitulé SARTRE ET
L'AFRIQUE,
marque une étape dans l'orientation de la production intellec-
tuelle de J;ean-Paul SARTRE.
SARTRE,
jusqu'à la guerre adepte d'un culte de l'art plus proche
de Flaubert que de Marx,
devenu l'incarnation de l'intellectuel engagé
l
"compagnon ge route critique"(l), pose,
de manière significative, la
question des choix politiques qui définissent la forme de l'écriture des-
tinée à un grand public.
Le cas de SARTRE,
"en particulier, exige que
l'on s'interroge sur les relations entre "l'art pour l'art" et le prophé-
tisme politique"(2).
Il faut aussi s'interroger sur les rapports de l'intellectuel
avec les différents groupes de pression.
Il pose la question essentielle
de la liberté de conscience.
Mais "il ne s'agit aucunement de la subordination
'\\;
de la littérature à la politique qu'y ont vue,
consternés et scandalisés, Gide et les autres
partisans de la littérature "pure". C-',ëst au con-
traire une défense passionnée de la littérature
contre la politique. Si SARTRE répudie avec tant
de véhémence l'irresponsabilité et la gratuité,
c'est moins contre les partisans de la forme,
concurrents peu dangereux dans une conjoncture
prophétique, que pour laver la littérature d'un
soupçon et revendiquer son auto-suffisance abso-
lue. Proclamer que la littérature est déjà intrin-
sèquement politique est la meilleure façon de la
dispenser de la politique au sein strict où l'on
voudrait l'enchaîner"(3).
(1) SARTRE cité par CONTAT, RybalkR,
les Ecrits de SARTRE -
Chronologie
Bibliographie commentée, Paris, G'Ülimard,
1970,
Page 184.
(2) Anna BOSCHETTI, SARTRE et les "Temps Modernes",
Paris,
Editions de
Minui t,
_: ,.-=--1985,
page-150---
(3) Anna BOSCHETTI,
SARTRE et Les
Temps r~odernes", op. cit.
PP.
143 -
144.
2
Dans ces conditions,
il est symbolique que les deux manifestes
de l'engagement,
la
présentation
des
Temps Modernes
et la conférence
sur l'humanisme existentialiste, à quelques jours d'intervalle, en octo-
bre 1945, définissent clairement "les fonctions du prophétisme sartrien"(l).
La séparation entre culture et politique confrontées à l'époque de crise,
disparaît progressivement.
En effet,
"la politique et le social, en envahissant la vie
imposent une façon de penser historique, des
thèmes que le discours des temps ordinaires exor-
cise, et le discours prophétique n'est qu'une
expression extrême de cette irruption de l'his-
toricité~ Face à un présent intolérable et in-
compréhensible apparaît la réflexion sur
l'histoire comme mouvement vers. le futur, pensée
du changement, relativatinn de l'existant qui
peut devenir rationnel dans la perspective de
devenir" (2) .
Parce que "SARTRE estime que l'écrivain n'a plus le droit
de créer des oeuvres, convaincantes peut-être
mais qui ne représentent, par rapport à la
réalité, que les fictions symboliques~ Son
devoir est au contraire d'analyser directement
la réalité politique, se faisant ainsi journa-
liste, polémiste, théoricien, analyste, et non
vendeur d'imaginations, de confessions, de
débats intimes"(3).
"Il parlera alors la langue des sciences poli-
tiques et sociales, emploiera leur style, leur
manière d'analyser les faits sociologiquement
et non à travers l'intimité d'une conscience
individuelle" (4).
Ainsi la création des Temps Modernes entraîne une métamor~
phose de SARTRE.
Solidaire de tous les discriminés du monde,
SARTRE
par cette morale anticonformiste,
permet de faire accéder à un savoir
typiquement ésotérique et distinctif un public non initié.
(1) Anna BOSCHETTI, SARTRE et ''Les Temps Modernes", op.
cit.
-
PP.
146.
(2) Idem;
Page 150
(3) Albérés, Jean-Paul SARTRE,
Paris,
Editions universitaires,
1962 -
Page 128.
(4) Idem
"
Page 128.
3
La revue Les Temps Modernes, est donc la tribune où i l
analyse l'actualité qui lui fournit des thèmes vivants illustrant
sa philosophie.
Les développements doctrinaux,
dans cette perspec-
tive,
sont exclus de notre sujet. SARTRE met en oeuvre une forme
d'action politique réservée à l'écrivain à travers une émission in-
titulée la "Tribune des Temps Modernes".
Dans les deux pièces,
La
putain respectueuse et Les séquestrés d'Altona,
consacrées au thème
du racisme et à la brûlante guerre d'Algérie,
"Il vise clairement
un art engagé, capable de rappeler à son public des vérités désa-
gréables" (1) •
car "la littérature n'est pas .un chant innocent et fa-
cile qui s'accomoderait de tous les régimes, mais
elle pose d'elle-même la question politique; écri-
re c'est réclamer la liberté pour tous les hommes
si l'oeuvre ne doit pas être l'acte d'une liberté
qui veut se faire reconnaître par d'autres liber-
tés, elle n'est qu'un infâme bavardage"(2).
La littérature française compte des antécédents qui échappent
à cette condamnation: Voltaire,
Zola,
le Gide du Voyage au Congo,
SARTRE "intellectuel total~:~~est le seul à pouvoir porter à
la perfection" .
La construction de notre thèse devrait ainsi attester que
notre dessein n'est pas,
comme dans les biographies sartriennes,
de
"dévoiler tout un individu"(4).
Nous n'avons pris en considération,
dans l'itinéraire sartrien,
que la période marquée par "l'offensive existentialistd'(5) à l'exception
des oeuvres doctrinales dont nous avons l'illustration dans La Putain
respectueuse,
Les séquestrés d'Altona,
les articles,
les conférences,
(1)
Anna BOSCHETTI,
SARTRE et"Les Temps Modernes" op.
cit.
Page 245
(2) Les Lettres Françaises,
n 015,
1944 article non signé -
Page 8
(3) P.
BOURDIEU, "SARTRE",
London review of books,
volumes 2,
n022,
20 Novembre -
3 Décembre 1980
PP 11--12.
(4) Anna BOSCHETTI, SARTRE et "Les Temps Modernes",
op.
cit. -
Page 81.
(5) Texte ci té par Anna BOSCHETTI,
SARTRE et "Les Temps Modernes"
op.
cit
Page 10.
4
qui dévoilent deux images,
désormais,
inséparables de ce "-corrupteur
de la jeunesse ou guide moral" (1).
Plusieurs travaux ont été consacrés à cet esprit aigu,
à
ce Prix nobel qui refuse de se faire institutionnaliser; mais le pro-
longement concret de sa pensée dans l'histoire singulière de l'Afrique
à travers l'esclavage,
la colonisation,
le problème israélo-arabe,
la
décolonisation sanglante ou violente, constitue encore à notre connais-
sance, un domaine inexploré.
Les problèmes africains,
les rapports de l'homme noir avec les
autres races dans une large mesure,
pour beaucoup d'intellectuels,
se
ramènent,
dans le cadre de la négritude,
de l'authenticité zaïroise ou
du conscencism~, à la quête de l'identité culturelle et au conflit du
traditionalisme et du modernisme.
Et pourtant la contradiction princi-
pale de l'Afrique,
de l'homme noir,
se pose en termes d'être, .de survie
et,
fondamentalement,
de conquête de la liberté.
L'esclavage et la colonisation posent la question de l'iden-
tité culturelle,
des rapports entre les Noirs de la diaspora avec
l'Afrique d'une part, avec leurs sociétés d'implantation de l'autre.
La colonisation soulève les contradictions qui ont existé
entre le colonisateur et le colonisé
; elle pose un problème de rapports
économiques et de personnalité.
L'accession à l'indépendance,
avec le jeu des anciennes puis-
sances colonisatrices,
indique un double défi pour l'Afrique:
l'unité
et la construction nationales.
La diversité ethnique et les intérêts
particuliers multiplient les obstacles.
En effet,
l'indépendance négo-
ciée,
ce qui est le cas de l'Afrique en général,
permet à l'ancienne
puissance colonisatrice de mettre aux commandes des nouveaux Etats des
éléments objectivement prêts à accepter des aménagements.
Le colonia-
lisme laisse la place au néo-colonialisme.
(1) S.
de BEAUVOIR La
force des choses,
Paris,
GallimarCi,
Coll.
folio,
1963
Page 60.
5
Au contraire,
la violence sanglante crée la nation,
désigne
ses chefs et met en place les premières institutions de la paix. Du
coup,
les structures de la société traditionnelle,
les conflits eth-
niques et les intérêts particuliers trouvent leur solution provisoire
dans la lutte. Ainsi naît la nation.
Et cet accouchement se fait dans
la douleur mais dans l'unité;
Les textes de SARTRE relatifs à l'Afrique sont le miroir le
plus significatif de son idéologie de combat pour la liberté des peu-
ples opprimés parce que "la politique est un aboutissement pour un
écrivain consaçré(l).
NOGre sujet définit des aires géographiques et culturelles.
Parler de SARTRE face à l'Afrique, c'est indiquer la principaleréfé-
rence théorique et méthodologique de notre analyse
: une solution
proprement historiciste.
La méthode historique est en effet attentive aux évolutions
parallèles de l'art, des relations économiques,
des attitudes cultu-
relles,
car elle est décomposée en études d'idées,
de thèmes et de
formes;
"et cela traduit une évacuation certaine de l'homme, et la
volonté d'échapper à l'atomisme en retrouvant des continuités lon-
gues" (2) .
Notre objectif n'est pas de montrer que nous maîtrisons les
théories à la mode,
ni de donner des réflexions sur la littérature,
l'écriture. Notre dessein montre que nous nous attachons à faire la
lumière sur les problèmes spécifiques à l'Afrique à partir des oeu-
vres de SARTRE certes, mais que nous nous fondons aussi sur d'autres
travaux abordant les mêmes questions.
La notion si galvaudée d'engagement,
à laquelle nous
préférons la notion de base concrète,
trouve toute sa signification.
(1) Anna BOSCHETTI,
SARTRE~~Les Temps Modernes" op. cit. Page 146.
(2) Pierre BRUNEL, Daniel MADELENAT,
Jean-Pierre GLIKSOHN,
Daniel COUTY,
La critique littéraire,
Paris,
PUF 1977,
Page 60.
6
I l faut,
dans ce cas précis,
tenir compte du contexte et de
l'ambiguïté de la situation de l'écrivain africain,
de la langue d'écri-
ture et du public double de lecteurs.
"Dans la réalité, "les valeurs" des oeuvres étant
décidées par les jugements des compétents, n'im-
porte quel producteur est obligé de se confron-
ter à l'image qui lui est renvoyée par les
éditeurs, les critiques, les autres auteurs"(l}.
La méthode historique évite les schématisations,
les approxi-
mations et les généralités qui ne rendent pas suffisamment compte des
spécificités de l'homme noir de la diaspora ou de l'Afrique-mère.
Toutes ces considérations expliquent l'orientation de cette
recherche qui porte essentiellement sur les oeuvres.
Leur interrogation
seule nous importe au-delà de tout souci de justifier, de légitimer une
quelconque théorie littéraire.
Nous n'avons pas non plus cherèhé à dis-
tinguer le fond de la forme.
Le message,
à notre avis,
dans ce débat,
hors de l'enceinte canonique de
l'Université,
est plus important.
Le sujet s'y prête.
I l permet de mieux cerner la spécificité
de l'Afrique à travers l'esclavage,
les rapports de colonisés à coloni-
sateurs,
l'âme noire et les indépendances naissantes.
En outre,
une telle démarche a l'avantage de montrer les in-
suffisances des analyses de SARTRE,
mais aussi l'apport inestimable de
sa contribution dans la défense des valeurs de civilisation du monde
noir, son soutien actif aux peuples opprimés qui luttaient pour l'affir-
mation d'une personnalité noire,
les difficultés d'édification d'une
nation,
la consolidation de la souveraineté nationale et la nécessaire
cohabitation entre Israéliens et Arabes.
SARTRE et l'AFRIQUE c'est la notion d'engagement en rapport
avec l'histoire du continent noir.
Les écrits sartriens relatifs à
l'Afrique,
aux Noirs,
épousent,
de façon saisissante,
les contours de
(i ) Anna BOSCHETTI,
SARTRE et "Les Temps Modernes",
op.
cit.
Page 62.
.;
7
l'histoire de notre continent et de notre race.
Ces textes attestent la
centralité de cet "intellectuel symbolique" qui précise
:
"C'est le monde entier que je veux posséder. Mais
cette connaissance a pour moi un sens magique
d'appropriation"(2).
On découvre donc au centre du projet sartrien deux thèmes,
deux passions:
le monde et le "moi" - Mais le "moi" sartrien n'est pas
"narcissique ou égocentrique mais plutôt un moi -
et
les autres(3).
Il dispose de deux outils qui se relaient:
la littérature
et/ou la philosophie.
Nous disons,
pour l'étude de notre sujet,
l i t -
térature car c'est le passage du réflexif à la praxis.
C'est-à-dire
les applications pratiques ou si l'on préfère la pratique politique
à travers une théorie de l'engagement,
un militantisme ponctuel,
des
interventions publiques.
Ces variations .polymorphes, on les retrouve
dans les textes sur l'esclavage,
l'oppression des Noirs,
le problème
israélo-arabe. On les retrouve dans les pièces
: La putain respectu-
euse, Les séquestrés D'cAl tona,
Morts sans sépulture,
Les mains sales.
Le théâtre sartrien englobe en effet "éthique et politique liées,
reliées, contradictoires, complémentaires(4).
Ainsi conçue,
la littérature peint la condition humaine et
participe pleinement aux mouvements de la société.
Le contexte socio-
historique détermine bien la thématique dans l'oeuvre sartrienne.
Dans "Orphée noir",
SARTRE soutient les Noirs dans la quête
de l'identité culturelle et la lutte pour la résurrection de leur
race. Mais le retour aux sources,
dans le mouvement de la négritude,
est marqué par des circonstances sociales fort différentes.
(1) A. Boschetti, SARTRE et "Les Temps Modernes" 9p.
cit.
page·535
(2) SARTRE cité par Cohen - SalaI Annie,
J.P. SARTRE 1905 -
1980 op.
cit.
Page 377.
(3) A.
Cohen- Solal Jean-Paul SAJ~TRE - 1905 - 1980 op. cit. P. 377.
(4) Idem ~ Page 377.
8
Le drame vécu par le nègre dans le cadre de l'esclavage est la
principale source d'inspiration des poètes et écrivains noirs.
L'escla-
vage est un exil tragique loin de la terre des ancêtres,
un vide cultu-
rel à meubler.
La colonisation n'a pas le même impact chez l'Africain et le
Nègre de la diaspora.
L'Africain a un fonds traditionnel consistant.
Le
drame culturel se caractérise par une tension entre un enracinement
dans les valeurs de civilisation du monde noir et le viol de la culture
et de la personnalité nègres par le colonisateur.
Le Noir de la diaspora n'a plus ce socle culturel.
Le cordon
ombilical le reliant à l'Afrique,
à sa race,
est coupé.
CESAIRE avoue:
"Le poème, par le retour aux sources qu'il nécessite,
:r/
peut être une tentative de repersonnalisation".( 1).
L.
KESTELOOT, dans sa thèse,
Les écrivains noirs de langue
française,
insiste sur la naissance et les aspects politiques de la
négritude.
Mais,
à notre avis, SARTRE et L.
KESTELOOT n'insèrent pas
ce mouvement dans le vaste champ magnétique de la renaissance cul tu-
relIe noire qui embrasse plusieurs disciplines
l'ethnologie,
le
droit,
l'histoire,
la théologie,
la philosophie,
la sociologie,
la
linguistique.
Le contexte socia-historique ainsi défini englobe la situa-
tion des Noirs déportés,
la colonisation,
la marche pacifique,
violente
ou sanglante de l'Afrique vers J.'indépendance,
la cohabitation conflic-
tuelle entre Israéliens et Arabes.
La revue,
'Les Temps Modernes ,
joue un rôle de premier plan.
L'histoire,
dans une large mesure,
est le moteur des prises
de position de
SARTRE.
La situation originale du
(1) CESAIRE, Revue Afrique, na 5, Octobre 1961, page 13.
9
Nègre, à travars l'esclavage, fait naître un langage spécifique,
expres-
sion d'une situation humaine inédite, car le projet des poètes,
écrivains
et artistes noirs est la coïncidence d'une "conjonction exceptionnelle
d'une _poétique et d'une révolution sociale, économique et politique" (1)
La substance de cette création est l'histoire intériorisée,
vécue, écrite dans la langue de l'homme blanc.
Mais,
"la culture est un
instrument"~2). Le français est une arme retournée contre le colonisa-
teur
: Les armes miraculeuses (3) , précise CESAIRE.
Les oeuvres des écrivains noirs sont originales à un double
t i t r e :
elles ont fait naître un langage neuf.
SARTRE a bien saisi cette
double exigence de l'homme noir.
La colonisation lui permet de montrer que "toute nation colo-
niale porte ainsi, en son sein, les germes de la tentation fasciste"(4).
Il prouve aussi que la déportation des Nègres dans tous les
coins du monde et le contexte colonial imposent aux Noirs une situa-
tion intolérable.
Ils sont "hors de l'histoire et de la cité"(5).
L'Africain déporté ou colonisé n'est aucunement sujet fai-
sant l'histoire; cependant il en subit le poids plus cruellement
que les autres, mais comme objet.
Il a perdu l'habitude de toute participation active à
l'histoire.
La lutte du Noir est donc un combat émancipateur. Sékou
TOU RE , dans son discours du 25 Août 1958 à Conakry à de Gaulle,
précise
:
(1) Idem - page 13
(2) SARTRE,
"Présence noire" in Présence Africaine nO l,
1947,
Page 29
(3) A.
CESAIRE,
Les Armes miraculeuses,
Paris,
Gallimard,
1946
(5) A. MEMMI,
~rtrait du colonisé précédé du portrait du colonisa-
teur -
Paris, Gallimard,
1985
Page 106.
1 0
"Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse
dans l'esclavage"(l).
La pratique politique trouve une tribune, un noyau d'expression
privilégiée à travers
Les Temps Modernes. Et tous les textes de SARTRE
relatifs à l'Afrique et à l'homme noir sont,
à notre sens,
l'expression
du "climat collectif (qui) impose aux écrivains une attention dramatique
aux rapports de l'individu avec la société et avec l'histoire"(2).
Ainsi l'analyste des rapports de SARTRE avec l'Afrique doit
d'abord étudier les questions liées à la tentative de réenracinement
ou d'enracinement,
à l'authenticité du message dans la langue du maître
d'esclavage ou du colonisateur.
La problématique de l'identité,
à tra-
vers l'expérience du Nègre dans sa double dimension du temps et de
l'espace,
est à élucider.
La colonisation,
avec ses révisions déchirantes,
ses convul-
sions ethniques, religieuses,
séparatistes,
face à l'unité africaine,
l
à la situation des élites et au rôle du système des Nations-Unies est
à étudier. La réponse à ces interrogations constitue la première par-
1
tie de notre travail.
!
Son deuxième mouvement est axé sur l'histoire singulière des
(
Noirs de la diaspora confrontés à l'exil tragique et à la ségrégation
raciale.
Une conscience tragique,
face à l'histoire et à la bourgeoi-
1
sie corrompue aux Etats-unis,
se dégage du contenu de La putain res-
a
pectueuse.
Tous les Noirs se rejoignent par la souffrance, par
l'histoire.
Enfin, nous
nous efforcerons d'analyser la décolbnisation
violente avec le cas précis de l'Algérie.
La lutte armée comme voie
obligée de la libération nous révèle deux attachements poignants à
la même terre algérienne,
deux univers,
deux identités qui s'affron-
tent.
Mais cette guerre est aussi un drame franco-français.
(1) Sékou TOURE, Discours de
Conakry,
25 Août 1958
(2) Anna BOSCHETTI,
SARTRE et "Les Temps Modernes,
op.
ci t.
Page 67.
1 1
La guerre de libération nationale algérienne inspire à SARTRE Les .séques-
trés d'Altona, oeuvre qui lui permet de proposer une morale à toute
l'humanité.
A cela s'ajoutent les problèmes spécifiques au Maghreb,
au
monde arabe face à Israël. Tout cela constitue l'objet du troisième
temps de notre réflexion.
Cette articulation permettra de regrouper les contradictions
qui se posent en des termes identiques et de présenter cette recherche
avec plus de rigueur.
Notre étude, sans inclure les écrits philosophi-
ques et doctrinaux,
peut fournir une carte pertinente des positions
\\
qui ont le plus marqué les rapports de SARTRE avec l'Afrique.
Pourtant, ce n'est pas sans hésitation que,
parvenu au terme
de notre analyse, nous en livrons les résultats.
Nous savons combien
il est probable que le sens de cette entreprise soit détourné.
Contri-
buer à éclairer les positions de SARTRE en éclairant le contexte
~ - _._. '-~-.'•.. "------- -
-
-
---
historique,
telle est la tâche que nous nous sommes proposée.
Ainsi
_
r - . ~ . - - - " " ' -
nous pensons que "l'analyse scientifique bien comprise doit rester un
travail d'objectivation"(l). Mais
nous ne pouvons oublier que parler
de SARTRE littéraire et politique sans le philosophe est l'enjeu
d'une lutte.
Le r81e social de SARTRE,
son action littéraire et politique,
(
restent notre préoccupation première mais en relation avec l'Afrique.
Tant SARTRE, "le plus génial parmi tant de génies présumés"(2) a
incarné,
croyons-nous,
"l'idée régulatrice de la vocation intellèc-
tuelle" (3) .
(1) A. BOSCHETTI.
SARTRE et "Les Temps Moderne~"
op.
cit.
Page 13.
(2) R.
ARON en 1979 cité par A. BOSCHETTI,
SARTRE et "Les Temps Modernes"
op.
cit.
Page 24.
(3) P.
BOURDIEU cité BOSCHETTI,
SARTRE et "Les Temps Modernes",
op.
cit.
Page
1~.
PREMIERE PARTIE
l 0 -Tl
~ "RTRL
--
'YMJ'!'
i ;
lA
LA
RENCONTRE
DE
L"'HOMME
t-40 I:fI
ET
D E S lA
- C I U l L I S R T :I 0 N ~
2~) LA DECOLONISATION
§~~
DU
CONGO-LFO~=OLnUILL~:
\\.'
:.
;.
1 2
CHAPITRE PREMIER / . SARTRE A LA RENCONTRE DE L'flGMME NOIR
ET DE SA CIVILISATION
l N T R 0 DUC T ION
Le destin de l'homme noir,
à travers l'histoire de l'esclavage,
de la colonisation et de la décolonisation,
est singulier. Sa physionomie,
sa conduite,
le drame de sa race,
sa lutte pour l'identité retrouvée et
pour la liberté lui ont posé d'énormes problèmes.
Ils sont à l'origine
de graves pulsions conflictuelles.
Les Noirs,
à travers des convulsions
dramatiques, ont toujours cherché une formule de vie sociale corres-
pondant à leur génie propre.
L'esclavage,
première agression caractérisée contre l'Afrique,
n'est pas,
l'histoire de l'humanité l'enseigne,
une spécificit.é des peu-
ples noirs. L'esclavage domestique pratiqué par les Arabes existait en
Afrique,
dans l'ancienne Egypte,
mais aussi à Rome, en Grèce.
Les Grecs et les Romains faisaient le commerce des Slaves.
Mais l'esclavage moderne,
entreprise mercantile systématique aux fins
de production marchande à grande échelle, est spécifique à la race
noire. Elle a eu,
pendant trois siècles,
à le subir.
L'esclavage,
à
grande échelle, peut être,
à juste titre, considéré comme un fléau
de l'histoire contemporaine et comme la plus grande agression contre
l'Afrique et les peuples noirs.
Le Nègre exilé dans le monde,
à travers la quête de ses
racines,
par la poésie, par la prose aussi,
recense et vulgarise l'en-
semble des caractères, des manières de penser,
de sentir propres à
la race noire. Ecartelé entre un désir de réenracinement et un présent
chargé de contradictions tragiques,
il tente,
par la littérature,
de
communiquer avec ses frères d~lrace.
Les Noirs de l'Afrique nourris de la culture nègre résistent
1 3
\\
1
\\
mieux aux agressions de l'Occident. Un puissant socle culturel les pré-
\\
serve mieux de l'acculturation.
La colonisation,
oeuvre d'exploitation
1
et de domination,
agresse l'homme et détruit ses valeurs de civilisation.
Dans ce contexte oppositionnel entre le Blanc et le Noir,
entre les Valeurs Occidentales et les Valeurs Nègres,
il ne reste au
Noir que la lutte pour la liberté. Son mouvement, la négritude,
loin
d'être une spéculation oiseuse sur le passé,
est une revendication,
une accusation et une mobilisation pour reconquérir la pureté originelle
et la dignité;
L'homme,
tragiquement déchiré entre un passé violé
qu'il veut restaurer et un avenir stoppé dans un présent sombre,
mène
un double combat : réussir sa repersonnalisation et conquérir sa l i -
berté confisquée.
Dans "Orphée noir" et "Présence noire",
Jean Paul SARTRE,
à travers la géographie mystique du nègre dans le temps et l'espace,
analyse les causes de l'expression poétique nègre.
Les écrivains
négro-africains,
dans leurs créations littéraires,
trouvent des thè-
mes concrets:
l'esclavage,
la colonisation,
l'exil, la décoloni-
s a t ion ,
L'antagonisme entre les valeurs du monde noir et la culture
occidentale,
la conflagration entre les deux races,
entre les deux
civilisations, créent une situation grosse de bouleversements,
de crise.
Le décallage linguistique,
c'est-à-dire le manque de corres-
pondances entre les concepts du français et les concepts des langues
africaines,
est analysé.
Mais les affirmations sartriennes,
par mo-
ments,
sont surprenantes.
Ses assertions,
dans certains cas, attestent
un manque de logique dans la réflexion.
Il ne parvient pas,
chose
étonnante,
à dégager une conclusion mais des conclusions parfois con-
tradictoires.
Certains aspects de la négritude,
le racisme qu'Il y décèle,
le panthéisme sexuel et l'hétérogén8it~ de ses différentes composantes,
1 4
ne sont pas analysées avec rigueur.
Il survole toutes ces questions et
la signification première de ce mouvement.
Il ne les perçoit pas en
profondeur.
La situation du Noir comparée à la Passion du Christ est
juste, mais son intelligence du péché originel et de ses conséquences
l'a conduit à des comparaisons mal fondées.
Dans sa préface à La pensée politique de Patrice LUMUMBA,
SARTRE, malgré quelques erreurs,
analyse avec précision les mutations
de l'Afrique,
les métamorphoses des Africains et les exigences d'une
indépendance plénière.
Le colonialisme est mort,
le néo-colonialisme se révèle un
mécanisme conçu pour mieux asservir et exploiter les peuples d'Afrique.
SARTRE propose des solutions:
l'unité nationale,
le fédé-
ralisme,
le marché commun.
Mais l'intérêt mal compris de l'Afrique,
l'égoïsme et la politique de prestige personnel des dirigeants afri-
cains,
le micro-nationalisme,
les conflits ethniques et religieux,
la
cynique philosophie secrétée par l'impérialisme font naître des anta-
gonismes au dénouement tragique.
L'Afrique est "étranglée"(l).
Les intellectuels coupés des masses par leur formation et
de maigres avantages tirés de leur position de "classe" ne veulent
pas,
mais surtout ne peuvent pas,
être le levier de la conscience
nationale.
Au service des sociétés étrangères, avec une conscience
de classe embryonnaire,
ils ne s'attellent pas à l'éducation des
masses,
à l'élevation de la pensée.
Les partis religieux et ethniques menacent l'unité et l'in-
dépendance nationales et KASAVUBU,
obscur personnage,
chef charisma-
tique mais ambigu, s'acoquine avec TSCHOMBE,
KALONDJI et MOBUTU pour
anéantir toutes les tentatives unitaires.
Les structures tradition-
nelles participent à la dislocation du Congo.
(1) René DUMONT,
L'Afriq~e étrm~lée, Paris, le Seuil, 1980.
1 5
Le Katanga,
avec sek immenses
Il,;!
r~!3,s.ources , est la convoitise
l'" .
des grandes puissances soutenues par des aii{és locaux peu soucieux du
1
peuple.
Le M.N.e. de LUMUMBA,
sans lien organique avec les masses,
conscient des enjeux,
armé de sa foi en l'Afrique,
à cause de cette
carence congénitale qui le coupe des populations,
est la proie des évo-
lu§s corrompus,
des chefs traditionnels et de la bourgeoisie naissante,
inutile et nocive.
Les convictions panafricanistes de LUMUMBA effraient l'im-
périalisme occidental et ses alliés naturels et objectifs,
les diri-
geants africains peu clairvoyants,
soucieux surtout d'un pouvoir
personnel.
Leur coallition a eu raison de LUMUMBA.
Le système des Nations-Unies dominé par les grandes puissances,
avec un personnel à "la consternante médiocrité, avec sa rapaci-t_é"( 1)
est un des artisans de la désintégration de l'unité congolaise et de
la liquidation des efforts fédéralistes du chef du M.N.e.
L'homme africain,
à la recherche d'un réenracinement ou
d'un enracinement,
veut réhabiter son univers et sa civilisation:
telle est la grande orientation et la signification profonde de la
négritude.
L'Africain,
sous la colonisation,
lutte pour conquérir sa
liberté. Mais la décolonisation du continent noir met à jour de
déchirantes convulsions.
Etudier "Présence noire",
"Orphée noir",
la préface à
La pensée politique de LUMUMBA,
c'est réfléchir sur l'histoire de
c
l'esclavage,
de la colonisation et de la décolonisation,
mais allssi
de la civilisation de l'Africain.
Tel est l'objet de cette première
partie.
(1) H.
eORNEVIN,
Histoire du Congo--Léo,
Paris,
Berger-Levrault,
1963 Page 267.
1 6
Jean Paul SARTRE, dans "Orphée noir" et "Présence noire",
livre une étude profondément originale de la négritude.
Saisissants
témoignages rendus à l'homme noir,
ces deux préfaces dévoilent,
aujourd'hui, bien après leur publication, les limites de la vision
sartrienne des problèmes propres à l'Africain et à sa civilisation.
Tous les textes de SARTRE relatifs aux Noirs et à leur
culture montrent,
de façon frappante,
que certaines appréciations
contenues dans l'analyse de notre auteur,
confrontées à l'épreuve
du temps,
sont actuellement dépassées.
Son dessein est d'identifier les causes,
de définir les
diverses manifestations de la négi'itude.
Mais ses conclusions,
par
moments,
sont étonnantes.
1/
LES
CAUSES
SARTRE,
dans sa préface à l'Anthologie de la nouvelle poésie
nègre et malgache de langue ~rançaise(l) de SENGHOR, examine la
situation de l'homme noir en Afrique et dans le monde.
Il analyse
l'expérience collective du Nègre dans sa double dimension du temps
et de l'espace et les rapports conflictuels entre le colonisateur
et le colonisé.
Déracinés,
sans espoir d'un réenracinement réel,
les
Nègres de la diaspora,
dans leurs oeuvres,
tentent,
par un retour
aux sources,
de retrouver leur identité culturelle.
Ce sont,
dans
une certaine mesure,
les damnés de la t'erre(2) dont parle leur
frère Frantz FANON.
Par contre,
la colonisation,
pour l'Africain resté sur
le continent,
trouve un fonds culturel consistant,
contrairement
(1) L.S. SENGHOR, Anghologi~ de la nouvelle poeSle nègre et malgache
~e l~gu~rançaise, Paris, Presses universitaires
de France,
19&8.
(2) F. FANON, .!:~d'amnés de la terre, Paris, "Petite Collection"
Maspéro,
1967.
1 7
aux Noirs disséminés dans le monde.
Le drame culturel, pour eux, résulte,
de manière concrète, d'un choc des valeurs de civilisation des mondes
africain et occidental.
La colonisation, face à l'univers noir, engendre
des boulerversements à tous les niveaux.
Et cette déchirure vécue,
réactualisée, définit les grands thèmes et les enjeux de la lutte de
la race noire.
a)
L'esclavage et la colonisation
Les poètes de la diaspora et ceux de l'Afrique,
dans leur
mission de restituer à l'homme noir sa personnalité, se rejoignent
dans l'affirmation,
l'illustrat~on de leurs valeurs de civilisation.
Agressé,
sa civilisation entamée par l'esclavage et la colonisation,
le Nègre lutte pour préserver son identité.
La souffrance,
l'humiliation,
l'exil consécutifs à l'escla-
vage et à la colonisation sont les thèmes dominants de cette produc-
tion littéraire de l'homme noir.
Loin d'approuver l'esclavage et la colonisation, SARTRE,
dans son approche,
leur trouve cependant des aspects positifs.
Ils
sont les sources d'inspiration de la création poétique des Noirs
qui se rejoignent dans leur quête et dans la défense de la civilisa-
tion noire.
N'affirme-t-il pas que:
"la chance inouïe de la poes~e noire, c'est que les
soucis de l'indigène colonisé trouvent des symboles
évidents et grandioses qu'il suffit d'approfondir
et de méditer sans cesse: l'exil,
l'esclavage, le
couple Afrique -
Europe et la division manichéiste
du monde en noir et blanc"(l).
L'antagonisme entre l'Europe et l'Afrique,
l'exil,
l'escla-
vage sont les préoccupations fondamentales des hommes de lettres
africains.
L'analyse des sources de la négritude,
chez Aimé CESAIRE,
(1) SARTRE,
"Orphée noir" in ~thologie de la nouvelle poeSle nègre mal-
gache de langue française,
Par Ls , PUY,
1948 -
Page XVI.
1 8
aboutit à la même conclusion.
Il constate que
"Jusqu'à maintenant, les ouvrages étaient plutôt tournés
vers la colonisation, vers l'esclavage, vers l'exploi-
tation du Noir"(l).
Claude WAUTHIER, dans son inventaire de la négritude atteste
le même f a i t ;
il écrit à ce sujet:
"En fait,
la poésie,et le roman africains apparaissent,
dans leur ensemble,
"déterminés" par la situation
coloniale"(2).
Le poète noir traite des thèmes concrets tirés de son histoire.
Sa création prend en charge des réalités de son univers.
Une conception
réaliste du monde est à l'origine du drame nègre au niveau objectif.
L'oppression de la race noir,
à travers l'esclavage et la
colonisation,
explique le besoin qu'éprouve l'homme dominé de s'exprimer.
La fécondité et la vitalité de la poésie nègre trouvent leur origine
profonde dans ces deux fléaux.
Mais SARTRE,
dans cette même préface,
voit une autre cause
à la poésie nègre.
Il soutient curieusement que les difficultés linguis-
tiques,
particulièrement le manque de correspondances entre le français
et les langues africaines,
sont la source de la littérature noire.
b)
Le décalage
linguistique
Selon SARTRE,
l'explosion poétique a pour origine la langue
d'écriture.
En effet le Nègre ne dispose pas de termes propres,
de
syntaxe et d'images appropriées pour exprimer l'âme noire.
Il écrit à
ce propos
:
"Qu'il (le Nègre) se ressaisisse brusquement, qu'il se
rassemble et prenne du recul,
voici que les vocables
(1) Aimé Césaire in Vie afri_cc.ün~ propos recuillis dans le Progressiste,
nOllO du f>{~'ITdi 17 Novembre 1964, page 3
(2) Claude waut.h i e r , L'A~~~!:S,-~le des Africains = Inventaire de la négritude,
Paris,
le Seuil,
1964,
page 154.
- 1 9
gisent en face de lui,
insolites, à moitié signes et
choses à demi.
Il ne dira point sa négritude avec des
mots précis, efficaces, qui fassent mouche à tous les
coups.
Il ne dira point sa négritude en prose. Mais
chacun sait que ce sentiment d'échec devant le langage
considéré comme moyen d'expression directe est à l'ori-
gine de toute l'expérience poétique"(l).
: '
Cette réflexion de SARTRE,
loin de traduire notre sentiment,
nous inspire quelques réserves.
D'abord,
la poésie nègre,
avec toute sa fécondité,
trouve sa
source profonde dans l'existence réelle,
concrète,
effectlve du mal et
dans l'expérience collective de ce fléau à travers la souffrance,
la
douleur,
l'hum~liation, l'exil et l'exploitation consécutifs aux vicis-
situdes de l'histoire.
En effet,
la déportation et la domination
coloniale sont suffisamment
"chargées"
pour justifier la créativité des
Africains.
L'expression poétique prend alors en charge,
de façon évi-
dente,
les soucis,
les préoccupations,
les problèmes de l'Africain
déporté ou colonisé.
"Ce sentiment d'échec" devant le langage, à notre avis, prouve
tout simplement que le français n'a pas assez de concepts pour traduire
toute la réalité de l'âme noire.
Les mots de chaque langue sont à la fois
signes et choses qui,
de façon frappante,
renvoient à un univers cultu-
rel,
social. Chaque race a des traits qui lui sont spécifiques et qui
constituent sa civilisation.
Puisque les civilisations française et
africaine sont différentes,
il est évident et normal que la langue
française sera impropre à traduire les spécificités de l'Africain et de
son univers.
En effet,
"Si les mots ne sont pas seulement les signes mais
aussi les réceptacles concrets des idées,
je con-
sidère l'ensemble de la langue comme une vaste
collection d'idées, comme un monde infini de con-
cepts . . . Chaque nation a son propre réservoir de
- - - - - - - - - - - - - - - - -
(1) SARTRE,
"Orphée noir",
in Anthologie de SENGHOR op.
cit. XIX.
2 0
de pensées devenues signes. C'est sa langue .•• C'est
la richesse de pensée de tout un peuple"(I).
Le français,
pour toutes ces raisons,
ne peut pas traduire les
particularités qui sont l'essence même de la culture noire.
Ensuite,
l'anthologie de SENGHOR n'est pas une bibliographie
complète, exhaustive, de toute la production intellectuelle de l'homme
noir de cette époque.
La renaissance nègre,
puisque c'est de cela qu'il
s'agit,
a préoccupé,
certes,
les poètes noirs mais aussi les ethnololo-
gues,
les histoiriens,
les philosophes,
les théologiens.
Toutes les
branches du savoir ont contribué à ce renouveau culturel.
Cet aspect
a échappé, croyons-nous,
à Mme KESTELOOT, comme à DAMAS et à SARTRE.
Enfin,
les thèmes de la négritude,
la revendication de
l'identité noire,
la vulgarisation de la culture nègre,
sont effective-
ment traités en prose.
La préface de SARTRE date de 1948.
Avant sa
publication,
déjà plusieurs oeuvres en prose ont été publiées.
Nous
notons à titre indicatif les oeuvres de Paul HAZOUME(2) , Cissé DIA(3),
Birago DIOP(4).
Notre auteur,
dans ce même texte,
analyse d'autres aspects de la négritude. Sur ces points aussi ses
jugements étonnent par leurs conclusions et révèlent des difficultés
évidentes pour cerner correctement toutes les nuances de ce mouvement.
(1) J.
KLEIN,
"La traduction technique" in Revue de phonétique aplliquée
nOs 66-67-68,
Université de
l'Etat à Mons Belgique
les 2L1 et: 25 Mars 1983 Page 230.
(2) P. HAZOU~1E, Do~ici~i.J Paris, Larose, 1938.
(3) DIA Cissé,
La mort du Darne L in Présence.Œfi"iciüne n ?
1 -
Octobre -
- - - - -
Novembre 1947
(4) Birago DIOP,
L'os in Présence Africaine nO 1 -
Octobre -
Novembre 1947.
1
2 1
1
1
11/
SARTRE ET LES DIVERSES MANIFESTATIONS DE LA NEGRITUDE
1
\\
a)
L'homogénéité
1
1
La complexité du mouvemnt,
sa diversité thématique,
la violence
des écrits,
les différences d'approche,
voire de tempérament,
expliquent
1
peut-être, mais ne justifient pas certains jugements à l'encontre de
1
l'homme noir,
de ses réactions et de sa littérature. Notre auteur écrit
i
1
!
"Mais pouvons-nous encore, après cela, croire à
1
l'homogénéité intérieure de la négritude? Et
comment dire ce qu'elle est? Tantôt c'est une
innocence perdue qui n'eut d'existence qu'en
un lointain passé, et tantôt un espoir qui ne se réa-
lisera
qu'au sein de la Cité future. Tantôt
elle se contracte dans un instant de fusion
panthéiste avec la nature, tant elle s'étend
jusqu'à COlncider avec l'histoire entière de
l'hurnanité"(I)
La négritude est attachement et identification de l'homme noir
à tous les éléments de son univers; cela explique l'importance du sym-
bole végétal dans cette quête,
qui est,
en même temps,
conscience
historique et projet.
L'homogénéité
de la négritude réside dans l'harmonie,
l'équilibre entre l'homme et son milieu; elle se trouve ainsi dans son
unité thématique:
la revendication d'une âme noire authentique,
l'ac-
cusation de l'oppresseur. Elle est tension de dépassement de cette
situation imposée.
La négritude est universelle; elle vise à réorganiser
les significations, à réinterpréter le monde.
b)
Le racisme
SARTRE,
dans son &tude,
n'a pas une intelligence correcte de
toutes les formes de la négritude.
Il se méprend sur l'attitude,
la
(1) SARTRE,
"Orphée noir",
in Anthologie op.
ci t.
Page XXXIX.
2 2
mentalité,
l'esprit de l'homme noir.
Il est tout de même étonnant de re-
lever quelques erreurs et contradictions dans ses appréciations.
Il
note que
:
ilLe racisme antiraciste est le seul chemin qui puisse
mener à l'abolition des différences de race"(l).
Il poursuit son analyse en ces termes
"Il (le Nègre) veut l'abolition des privilèges ethni-
ques d'où qu'ils viennent;
i l affirme sa solidarité
avec les opprimés de toute couleur"(2).
L.
KESTELOOT estime que le Noir souhaite une société
"sans racisme"(3)
SENGHOR, dans son analyse de la négritude,
précise
"Eiiê6ve une fois,
la négritude n'est ni racisme,
ni contorsions vulgaires"(4).
FANON confirme
:
"La conscience de soi n'est pas fermeture à la
communication~ La réflexion philosophique nous
enseigne qu'elle en est la garantie"(5)
La négritude n'est pas raciste;
elle veut incarner la dia-
lectique des races et le métissage des cultures.
Le Noir ne cherche
pas non plus à "abolir les différences de race" car il veut retrouver
et préserver les valeurs propres à sa civilisation.
Ces spécificités
sont l'âme de chaque race. Mouvement d'affrimation d'une culture nè-
gre,
la négritude est aussi la manifestation concrète des valeurs
propres au monde noir.
(1) SARTRE,
"Orphée noir",
in Anthologie op.
ci t.
P.
XIV
(2) SARTRE,
idem -
Page XL
(3) L.
KESTELOOT, Les écrivains noirs de langue française:
naissance
d'une littérature,
Bruxelles, Editions de l'Univer-
sité,
1977, p.
122
«4)) SENGHOR,
Lil~~rt~~: Négrit~e e~Humanisme, Paris, Seuil,1964,page 400
5
J. P. SARTRE,
"Orphée noir",
in Arlthologle op. ci t.
P.
XL.
- _ _
J
,
2 3
Le Noir n'est pas raciste;
i l rejette l'oppression.
Il est
solidaire avec "les opprimés de toute couleur" malgré la particularité
de son combat qui déborde, de toutes parts,
la lutte des prolétaires.
Il condamne la domination et l'exploitation des Nègres mais aussi
celles de tous les autres hommes sans distinction de race.
Il dénonce et combat les avantages liés à la race,
"les privi-
lèges ethniques d'où qu'ils viennent"
qui sont une marque fondamentale
du racisme. Spécificité et standardisation de la culture,
pour cet
aspect de la question,
sont contradictoires.
Sur un autre registre,
SARTRE écrit
"Du coup la notion subjective, existentielle, ethnique de
la négritude "passé" comme dit Hegel, dans celle -
objec-
tive, positive, exacte -
prolétaire"(l).
Il ajoute aussitôt
"Mais cela n'empêche que la notion de race ne se
recoupe pas avec celle de classe : celle-là est
concrète et particulière, celle-ci universelle
et abstraite"(2).
Pour lui,
les Noirs veulent "préparer la synthèse ou réalisa-
tion de l'humain dans une société sans races"(3).
La lutte des races ne se confond pas avec la lutte des
classes,
le Nègre n'est pas le prolétaire. Car le Noir est opprimé
en sa double qualité d'homme de couleur et de prolétaire.
A ce sujet,
L.
KESTELOOT aboutit à la même conclusion que nous
:
"SARTRE nous paraît trop porté à assimiler lutte des
races et lutte des classes, nègre et prolétaire"(4).
(1) SARTRE, "Orphée noir",
in (\\nthologie op.
cit.
P.
XL
(2) SARTRE,
Idem - pp XL~XLI
(3) SARTRE,
Idem -
Page XLI
(4) L.
KESTELOOT, Les écrivains noirs de langue française
naissance
d'une littéraire op.
cit.
- Page 122.
2 4
Les Noirs ne veulent pas une "société sans races" mais une so-
ciété "sans privilèges ethniques".
SARTRE,
sur la même question,
conclut en ces termes
"La négritude s'insère avec son Passé et son Avenir dans
l'Histoire Universelle, ce n'est plus un état ni même
une attitude existentielle, c'est un devenir"(1).
SENGHOR estime que
'~'est cet ESPRIT de la civilisation négro-africaine, qui,
enraciné dans la terre et les coeurs noirs,
est tendu
vers le monde"(2).
Pour "la civilisation mondiale et d'abord la paix (qui) sera
l'oeuvre de tous ou ne sera pas"(3).
Pour Léopold Sédar SENGHOR la civilisation de l'Universel
"Se lève à l'aube des Temps Futurs.
(Il) ne crain (t)
de le proclamer, si une seule race,
une seule civili-
sation particulière manquait au rendez-vous,
i l Y au-
rait, certes, une civilisation universelle, imposée
par la force,
i l n'y aur'ait pas de civilisation de
l'Uni versel " ( 4) .
Le Nègre est ouvert,
disponible pour bâtir avec tous les autres
hommes de toutes les races la civilisation de l'Universel,
"l'histoire
universelle" qui ne peut se faire par l'exclusion de l'autre.
Elle
suppose la reconnaissance de la différence,
des traits culturels propres
à chaque race.
Il faut plutôt préserver les notions caractéristiques
de chaque communauté humaine car
.'
._---;
(1) SARTRE,
"Orphée noir" .i.n Anthologie op.
cit. page XXXIX
(2) SENGHOR, ~iberté l, op. cit. Page 400
(3) SENGHOR, cité par jacques CHEVRIER,
Littérature nègre,
op.
cit.
Page 178
(4) SENGHOR, lJiberté lJ op. ci t. Page 317.
2 5
"Sans doute les races ne sont-elles pas d'une égalité
mathématique, mais elles sont d'une égalité complé-
mentaire et la civilisation de l'lliiversel se situe
exactement au carrefour des valeurs complémentaires
de toutes les civilisations particul~ères(1).
c)
Le panthéisme
L'homme noir reconnaît la fécondité et la puissance reproduc-
trice de la nature.
Ce sentiment de consubstantiation avec l'univers
imprègne les oeuvres de ces écrivains.
La sensation d'appartenir au
monde est toute physique.
Ce syncrétisme est une union charnelle de
l'homme et du cosmos;
c'est une union fécondante.
SARTRE le note bien
"Le Noir reste un grand mâle de la terre,
le sperme
du monde. Son existence, c'est la grande patience
végétale, c'est la répétition d'année en année du
coït sacré. Cféàrit et nourri parce qu'il crée.
Labourer, plmlter, manger, c'est faire l'amour
avec la nature ( ..• ) c'est par là qu'ils (les Nègres)
rejoignent les danses et les rites phalliques des
Négro-africains" (2) .
SENGHOR confirme ce sentiment
"Voilà donc la Poésie-Prière, participation identi-
ficatrice aux forces cosmiques, l'acte créateur de
Dieu"(3).
Pour Abdoulaye WADE aussi,
ce qui caractérise notre civili-
sation
"c'est sa physicité fondamentale.
La pensée négro-
africaine ignore totalement la notion d'un esprit
immatériel" (4) •
(1) Jacques CHEVRIER,
Littérature nègre,
Paris,
A.Colin,
1984 ... Page 178
(2) SARTRE,
"Orphée noir",
in Anthologie,
op. sjt.
Page XXXII
(3) SENGHOR,
Liberté l, op.
cit.
Page 172
(4) Abdoulaye WADE,
Un destin pour 1'Afriqu~, Paris, Karthala 1989,
Page 39.
il
\\
2 6
Le Révérend père Tempels parle de "force vitale"(l)
Le panthéisme sexuel est certes une forme d'enracinement.
Le
Noir retrouve son équilibre.
Le panthéisme "est une sorte d'appel à
l'infini cosmos ••• L'Arbre-homme, l'Arbre humanisé, animé . . .
en un
certain sens divinisé"(2)
Ainsi l'univers du Négro-Africain est cohérent. SARTRE pense
aussi que
"Cette religion spermatique est comme une tension de
l'âme équilibrant deux tendances complémentaires:
le sentiment dynamique d'être un phallus qui s'érige
et celui plus sourd, plus patient, plus féminin d'être
une plante qui croît. Ainsi la négritude en sa source
la plus profonde, c'est une androgyùie"(3).
SENGHOR précise
"Le négro-africain, au contraire, pense le monde par-
delà la diversité de ces formes,
comme une réalité
fondamentalement mouvante, synthétique, mais unique"(4).
La négritude est un acte de création; elle est l'identité
des gestes matériels,
humains et ûes forces spirituelles.
Le Noir,
par
ses mouvements pour retrouver toutes ses dimensions,
son harmonie avec
le cosmos,
a un rapport non de domination mais de "participation iden-
tificatrice".
Ce n'est pas une vivisection de la réalité.
Il s'identi-
fie,
communie,
s'accouple avec tous les éléments de son univers pour retrouver
toute sa personnalité dans la plénitude.
L'homme noir et son univers
se refèrent à des énergies abstraites;
ils sont soumis aux lois d'in-
teraction.
L'anthologie négro-africaine se caractérise essentillement
par ce sentiment qu'éprouve l'homme noir d'être un élément d'une tota-
lité dans l'unicjté de l'Univers.
(1) Révérend père Placide 'I'ernpe Ls , La philosophie bantoue, Paris,
Présence Africaine 1948,
Page 32.
(2) NGAL,
Césaire, un homme à la recherche d'une Patrie,
Dakar -
Abidjan,
N.E.A., 1975, PP.
1~2-272.
(3) SARTRE,
"Orphée no i r!' ,
in Anthologie, op.
cit.
Page XXXIII
(4) SENGHOR,
Liberté III : Négritude et Civilisation de l'Universel,
Paris,
Le Seuil, 1977 -
Page 72.
2 7
Or, l'intellectuel africain,
qu'il soit écrivain, ethnologue,
sociologue, philosophe, artiste, vulgarise dans ses oeuvres la culture
noire par la langue du colonisateur.
d)
Le français
une langue étrangère
SARTRE, sur la question de la langue d'écriture,
soutient
"Il n'est pas vrai pourtant que le noir s'exprime dans
une langue "étrangère" puisqu 'on lui enseigne le fran-
çais dès son plus jeune âge"(l).
Curieusement il ajoute
"La vérité, c'est que les Noirs tentent de se r:ejoindre
eux-mêmes à travers un monde culturel qu'on leur impose
et qui leur est étranger"(2).
Dans le même registre,
i l termine sur ces mots
"Une langue étrangère les (les Noirs) habite et leur
vole leur pensée"(3).
Pour SENGHOR,
"c'est notre situation de colonisé qui nous im-
posait la langue du colonisateur"(4).
CL.
WAUTHIER partage cette appréciation de SENGHOR
"Le .di Lemme original posé aux intellectuels africains,
qui est de se voir réduits à s'exprimer le plus souvent
dans une langue étrangère •.. "(5)
(1) SARTRE,
"Orphée noir" in Anthologie,
op.
cit.
Page XIX
(2) SARTRE,
"Présence noire" in Présence africaine n 01,
Novembre-Décembre,
1947
Page 29.
(3) SARTRE,
"Présence noire" in Présence africaine,
n 01 Novembre-Décembre
1947, Page 29.
(4) SENGHOR,
Liberté l,
op. cit ... Page 399.
(5) WAUTHIER,
L'Afrique des Africains op.
cit.
Page 31.
2 8
Nous pensons avec SENGHOR et WAUTHIER que le français est bien
une langue étrangère pour les Africains.
SARTRE se contredit dans les
passages cités. Même appris dès le jeune âge,
le français n'est pas la
langue maternelle des Africains.
Une chose (le français)
ne peut être son
contraire. Toujours dans le domaine de la langue,
SARTRE poursuit:
"Et puisqu'il y est parfaitement à son aise dès qu'il
pense en technicien, en savant ou en politique"(l).
La conclusion de A.
LEFEVRE mérite qu'on s'y arrête.
Il écrit
"Les textes scientifiques et techniques sont "différents"
parce que l'univers de discours dont ils se servent est
non seulement plus restreint, mais aussi parce qu'il est
déjà,
à la suite d'une évolution historique,
international,
c'est-à-dire indépendant, en grande mesure, du langage
dans lequel i l est introduit dans le texte de départ"(2).
Pour sa part,
J. R. LADMIRAL estime que
"Les textes dits informatifs,
dont la fonction réside dans
la représentation (Darstellung) d'un certain "contenu"
(inhaltsbetont) et qui sont centrés sur leur objet
(Objecktberzogen) sur la'~chose" dont il s'agit (Sacho-
rientiert)
ce sont les textes neutres ou "prosaïques"(3).
,
Le langage technique -
nous épousons parfaitement l'analyse de
J.R.
LADMIRAL et de A.
LEFEVRE -
est international;
il n'a pas d'âme.
Pour cette raison,
il peut être assimilé par tous les hommes sans
distinction de race parce que centré sur la "chose" et non sur l'être.
Le savant n'a pas affaire aux êtres, aux choses, mais aux lois qui
les régissent.
Sa méthode est scientifique:
"ce sont des textes neutres".
(1) SARTRE,
"Orphée noir" in Anthologie,
Page XIX
(2) A.
LEFEVRE "Description de la traduction d'un poème" in Revue de
Phonétiq~e a~pliquée nOs 66-67-68, 1983, Université
de l'Etat MONS,
BELGIQUE,
les 24 et 25 Mars 1983 ...
Page 111.
('3) J. R.
LADMIRAL "La traduction philosophique" in Revue de phonétique
appliquée nOs 66-67-68,
1983,
Université de l'Etat
MONS BELGIQUE les 24 et 25 Mars 1983, op. cit.
Page 239.
2 9
Jean-Paul SARTRE pense
:
qu"il faudrait plutôt parler de décalage léger et
constant qui sépare ce qu'il dit de ce qu'il vou-
drait dire,
dès qu'il parle de lui.
Il lui semble
qu'un Esprit septentrional lui vole ses idées,
les
infléchit doucement à signifier plus ou moins que ce
qu'il voulait,
que les mots blancs boivent sa pensée
comme le sable boit le sang"(I).
Au contraire du langage scientifique,
"les textes dits expressifs, dont la fonction domi-
nante réside dans leur forme
(formbetont)
dans leur
expression (audruchsbetont), et qui sont centrés sur
l'émetteur, c'est-à-dire sur leur "auteur"
:
i l
s'agit principalement de la littérature (qu'en
Erallemand), on pourrait appeler "belletristique"(2).
La comparaison de ces deux points de vue montrent qüe "les
textes dits expressifs" ont affaire aux êtres et à l'âme de "l'émetteur".
Il y a donc rupture,
"décalage léger et constant" entre la conceptua-
lisation des choses propres au Noir,
"ce qu'il voudrait dire" et la
matérialisation concrète dans l'expression écrite,
"ce qu'il dit".
Ainsi,
le message littéraire n'est pas fidèle à la pensée
authentique nègre.
Il "signifie plus ou moins ce qu'il voulait" parce
que le français est insuffisamment riche pour traduire les spécificités
de l'homme noir.
Dès qu'il parle de lui-même,
les mots se révèlent
impropres,
impuissants pour exprimer l'âme nègre car aucune langue
n'est innocente.
Toute langue est une culture et "l'expression lexi-
cologique et la théorie sémantique montrent qu'il n'existe pas entre
signes de langues différentes de rapports d'univocité"(3).
(1) SARTRE, "Orphée noir" in Anthologie, op. cit.;. Page XIX
(2) J.
R.
LADMIRAL,
"la traduction philosophique i n Revue de phonétique
appliquée nOs 66-67-68,
1983, Université de l'Etat
MONS
Page 239.
(3) M. PERGNIER "quelques considérations sur l'équivalence sémantique"
in Revue de phonétique appliquée nO 66-67-68 op.
cit.
Page 133.
3 (')
e)
Authenticité et problèmes linguistiques
Rester nègre,
penser nègre et traduire son "moi" dans une
langue étrangère sont une situation chargée de significations.
L'homme de culture noir sent toujours ce manque de correspon-
dances,
ce vide,
tant qu'il doit s'exprimer dans une langue étrangère.
A ce sujet, SARTRE note
:
"Il (le Nègre)
installe en lui, comme une broyeuse,
l'appareil~à-penser de l'ennemi(l)
Il souligne les efforts du Noir qui tente de "se conquérir
dans et par le langage hostile du colonisateur"(2).
J.
RABEMANANJARA reconnaît aussi que leur "Congrès, "à la
vérité, c'est le congrès des voleurs de langues"(3).
SAKILIBA parle du "paradoxe de nationalismes qui s'expriment
en français ou en anglais" (4) .
GANDHI faisait la même remarque
"N'est-ce pas une chose pénible que lorsque je désire
aller en Cour de Justice je doive utiliser la langue
m,glaise comme véhicule,
que lorsque je deviens avo-
cat,
je ne puisse pas parler ma langue maternelle
et que quelqu'un d'autre soit obligé de traduire
pour moi de ma propre langue ?
(1) SARTRE,
"Orphée no.i r " in.Anthologie,
op . . cit.
page XVIII
(2) SARTRE, "Présence noire" in Prêsence, Africaine nO 1 Novembre-
Décembre E<47 , page 29
(3) J.
RABEMANANJARA in Présence Africaine XXXIV -
XXXV ... Page 70
(4)
F.O.
SAKILIBA,
"Présent et futur des langues" in Présence Africaine
XII -
XIII,
page 27.
3 1
Est-ce que cela n'est pas proprement absurde? N'est-
ce pas un signe d'esclavage"(l).
L'intellectuel noir est bien conscient de cette situation
paradoxale, ambivalente,
que la réalité et le contexte historique lui
imposent.
Mais la question linguistique pose plusieurs problèmes à la fois.
L'homme de lettres,
de sciences,
a un double public: occidental et afri-
cain.
L'éditeur,
pour des raisons économiques et parfois idéologiques,
accepte une oeuvre en fonction des lecteurs occidentaux plus nombreux.
Cette "broyeuse,
l'appareil-à-penser de l'ennemi",
ce "langage
hostile" confirment une fois encore que le français est bien une langue
étrangère.
SARTRE aborde d'autres faits liés à l'expression linguistique.
Il fait le constat suivant:
"Puisque l'opresseur est présent jusque dans la langue
qu'ils parlent,
ils parleront cette langue pour la
détruire" (2) •
Curieusement,
i l poursuit
"Chaque Noir qui cherche à se peindre au moyen de nos
mots et de nos mythes, c'est un peu de saQg frais
qui circule en ce vieux corps"(3).
L'authenticité du message de l'homme noir réside aussi dans
cette révolte contre les canons traditionnels du français.
Cette "pos-
session" de
la langue participe de l'acte créateur.
L'écrivain ne
"détruit" pas la langue;
il rémodèle la syntaxe pour être plus pro-
L
j;
che de la réalité. C'est du "sang frais" qui vient irriguer "ce vieux
(1) GANDHI cité par Eric Willia;.l~3, Présence Af:L'icaine XXIV - XXV -
Page 96
(2) SARTRE,
"Orphée noir" op.- c it..
page XX
(3) SARTRE,
"Pr-é s e nce noire" in Fr-é s erice af:::'icaine nOl,op.cit.page 29.
3 2
corps".
La langue est un instrument au service du colonisé. SARTRE le
note bien pourtant:
"la culture est un instrument"(l).
Curieusement,
il écrit par ailleurs
"Les poètes sont des hommes qui refusent d'utiliser le
langage. Le poète a choisi une fois pour toute l ' a t t i -
tude poétique qui considère les mots comme des choses
et non comme des signes; Car l'ambiguïté du signe im-
plique qu'on puisse à son gré le traverser comme une
vitre et poursuivre à travers lui la chose signifiée
ou tourner son regard vers la réalité et le considérer
comme objet. L'homme qui parle est au-delà des mots,
près de l'objet; le poète est en-deç~'(2).
Il est étonnant que cette analyse soit approuvée par
B.
FAUCONNIER :
"Le risque du poète est de demeurer une conscience
parcellaire, un être privé de conscience politique
et sociale. La poésie est comme un en-deçà de la
consc i enc ev Lô ) •
Et il poursuit
"La poesle est menacée de passivité car elle est para-
lysie du mot dans le mot et non circulation du mot
vers la chose et de la chose vers le mot. Faisant
corps avec le langage, le poète se confond avec lui,
s'y love, au lieu que le prosateur libère le langage,
en fait l'outil d'une présence active au monde, un
élément critique"(4).
Les poètes de la négritude ont une "conscience politique et
sociale" aiguë et leur poésie est une "présence active au monde",
"un
élément critique"
car ils combattent tous pour la liberté qui n'a pas
de sens sous la colonisation.
Le Discours sur le colonialisme(5) est
éloquent à ce sujet.
(1) SARTRE,
"Pr·ésence no i r-e " in Présence Africaine op.
cit.
Page 29.
(2) SARTRE,
"Qu'est-ce que la littérature", Situation II,
Paris,
Gallimard,
1951 Page 6~.
(3) B.
FAUCONNIER, III'arnour vache de la poésie " in Magazine littéraire
nO 282
Novembre 1990 -
Page 52.
(4) B.
FAUCONNIER, Idem -
Page 53.
(5) CESAIRE, Qisc~~rs s~ le coLon i.a.l.i sme , Paris, P.A., 1955.
3 3
D'ailleurs, SENGHOR précise
"Le français est une arme retournée contre le colonisa-
t.eur-t'{L) •
Ce sont,
pour Aimé CESAIRE,
Les armes mi.r-acuLeus es (2). En
effet la langue participe au combat libérateur de l'homme dominé, humi-
lié. L'écrivain ne peut être qu'organique c'est-à-dire né dans/de
l'action de sa race déportée, ou dominée, ou ralliée sans réserve.
f)
La situation ambiguë des écrivains
L'écrivain, même s ' i l manie correctement le français,
éprouve
toujours d'énormes difficultés dans l'expression de son "moi".
Il y a
un vide linguistique qui fait qu'il ne parvient pas à réalise~ pleine-
ment son projet initial:
exprimer l'âme noire dans toute sa réalité,
dans toutes ses dimensions.
SARTRE, sur cette question, précise
"Cette syntaxe et ce vocabulaire forgés en d'autres
temps, à des milliers de lieues, pour répondre à
d'autres besoins et pour désigner d'autres objets
sont impropres à lui fournir les moyens de parler
de lui" (3) .
Le Nègre est incapable de parler de son identité de façon
correcte. La conscience noire ne peut s'exprimer avec plénitude en
français,
médium insuffisamment riche. SARTRE le réaffirme clairement
"Et puisque le français manque de termes et de con-
cepts pour définir la négritude, puisque la négri-
tude est silence, ils (les Noirs) useront pour
l'évoquer de "mots allusifs" jamais directs, se
réduisant à du silence égal" (4).
11) SENGHOR, Liberte I, op. cit. Page 399.
(2) CESAIRE,
Les armes miracul~~~s, Paris, Gallimard, 1946.
(3) SARTRE,
"Orphée noir" inAn~l101ogie, op. ci t. Page XVIII.
(4) SARTRE, idem ... Page XX.
3 4
La poésie n'est pas une description de la réalité
elle n'est
pas toujours le langage de la précision.
CESAIRE,
dans un texte relatif à la poésie, affirme
"La poésie est, en effet, aussi un art de la pudeur,
un art où l'on dit sans dire"(l).
S.P.
CORDER,
à son tour, précise
"Le langage poétique constitue une autre classe de
dialectes idiosyncrasiques, puisque ce langage ne
peut être analysé uniquement au moyen des règles
d'un dialecte social donné(2).
Les concepts de la langue française ne correspondent pas aux
concepts des langues africaines.
Il n'y a pas de "rapports d'univocité"
entre les deux langues.
Pour cette raison,
GANDHI préconisait:
"Je dois m'accrocher à ma langue (!!~) comme au sein
de ma mère. Elle seule peut me donner le lait nour-
ricier" (3) .
Cheikh Anta DIOP,
à son tour, souligne
"Il est inséparable (le développement des langues
africaines:) également de la création d'une l i tté-
rature africaine moderne, qui sera a.l or-s, néces-
rement, éducative, militante, et essentiellement
destinée aux masses"(4).
Même dans ce combat, le développement et l'épanouissement
véritables des langues ne peuvent se faire sous la domination.
Sékou TOURE note à juste tit~e
(1)
A. CESAIRE,
in Revue africaine,
405, Octobre 1961. ..
Page XX
(2) S.P. CORDER,
"Di8.1ecte,,: idiosyncratiques et analyse d'erreurs"
in Langage~ revue trimestrielle,
Mars 1980, n057,
Page 19.
(3) GANDHI cité par Eric WILLIAMS,
P.A. XXIV -
XXV, ... Page 96
(4) C.A.
DIOP, ~at~~.!}s nègE~s ~!-eultur'e, Paris, P.A. 1954, Page 262.
3 5
qu'''il ne suffit pas d'écrire un chant révolutionnaire pour
participer à la révolution africaine, i l faut faire
cette révolution avec le peuple. Avec le peuple et
les chants viendront seuls d'eux-mêmes"(l).
FANON réaffirme cette mise en garde,
adressée particulière-
ment à SENGHOR :
"La culture négro-africaine, c'est autour de la lutte
des peuples qu'elle se densifie et non autour des
chants, des poèmes ou du folklore"(2).
C'est vrai pour Henri KREA, poète algérien qui affirme
"La révolution et la poésie sont une même chose"(3).
En effet,
l'homme noir "se charge en tant qu'écrivain de la
théorisation, donc de l'homogénéisation,
d'une pratique révolutionnaire
au sein de laquelle i l se situe"(4).
3°)
Négritude
Une Passion
SARTRE,
en définissant la négritude comme étant une passion
comparable à celle du Christ,
a raison
; mais i l en tire des conclu-
sions surprenantes dans le passage suivant
:
"A l'absurde agitation utilitaire du Blanc,
le Noir
oppose l'authenticité recueillie de sa souffrance;
parce qu'elle a eu l'horrible privilège de toucher
le fond du malheur,
la race noire est une race élue.
Et bien què ces poèmes soient de bout en bout anti-
chrétiens, on pourrait,
de ce point de vue, nommer
la négritude tille Passion : le Noir conscient de soi
se représente à ses propres yeux comme l'homme qui
a pris sur soi toute la douleur humaine et qui souf-
fre pour tous, même pour le Blanc"(5).
:.î
(1) S. TOURE,
"le leader politique considéré ccmme le représentant d'une
culture".
Communication au deuxième congrès des écrivains
et artistes noirs.
Rome 1959.
(2) F . FAN(1\\! ,
Les ~damnés de la Terre... op. ci t. Page 176
(3) Henri KREA cité par Ivl,UTHIEH, L'Afrique des Africains ,op. c i t .
Page 155
(4) Charles BONN, La Littérature algérienne de langue française et ses
lectures -
Imaginaire et Discours d'idées,
Ottawa
Editions Naanian 1977 P.
142
(5) SARTRE,
"Orphée noir",
in J\\nt~~.oi;~~,OP. cit. Page XXXIV.
3 6
Il nous faut,
à la lumière de cette assertion,
indiquer la
mission que la Bible assigne au Christ .
.La grace de Dieu " ••• nous enseigne à renoncer à
l'impiété et aux convoitises mondaines ( ••• ) en
attendant la bienheureuse espérance, et la mani-
festation de la gloire du grand Dieu et de notre
Sauveur Jésus-Christ, qui s'est donné lui-même
pour nous, afin de nous racheter de toute in~qtlité,
et de se faire un peuple qui lui appartienne,
purifié par lui et zélé pour les bonnes oeuvres"(l).
La négritude est une Passion: celle de la race noire exclu-
sivement.
Elle est la somme des souffrances et des supplices du Nègre.
Elle est donc une Passion spécifique au Noir.
Singul~rité de la Passion
du Noir qui fait pénitence pour sa seule race.
Elle est donc sélective.
Le Christ a pour ambition de sauver toute l'humanité et non
une humanité particulière,
une race particulière.
L'acte du Christ est
général.
En effet,
i l est précisé que:
"Jésus Christ (est)
Incarnation
du Verbe pour le Salut des Hommes"(2).
Le Christ fait pénitence pour tous les hommes de toutes les
races.
Il a l'ardent désir de racheter toute l'humanité.
SARTRE poursuit ce rapprochement et parle de la Faute d'Adam
et d'Eve.
b)
La Faute
Il analyse la Faute et la Rédemption.
Il fait un parallèle
fort curieux entre la situation objective du Nègre qui supporte une
infériorité imposée par l'homme blanc et la mission de portée géné-
rale du Christ.
Cette situation du Noir est comptée au passif de sa
seule race,
l'acte général du Sauveur à l'actif de l'humanité entière.
(1) "Epître à Tite" Chapitre 2, Versets 13-15 in La Bible de Jérusalem,
Paris,
les éditions àu Cerf/Verbum Bible,
1986 ...
Page 126.
(2) La Bible de Jérusalem,
Paris,
Editions Cerf/Verbum Bible 1986,
Page 1526.
3 7
La première est singulière, particulière,
le second,
universel.
Or,
il
se méprend sur la signification profonde de la volonté du Christ quand
i l affirme
"Et en un certain sens je vois assez le rapprochement qu'on
peut faire d'une conscience noire et d'une conscience
chrétienne: la loi d'airain de l'esclavage évoque celle
de l'ancien testament, qui relate les conséquences de la
Faute.
L'abolition de l'esclavage rappelle cet autre fait
historique : la Rédemption.
Le parternalisme doucereux de
l'homme blanc après 1848, celui du Dieu blanc après la
Passion se ressemblent"(l).
Mais les écritures saintes enseignent que:
"les pères ont mangé
du raisin vert et les fils en ont les dents agacées"(2).
Le supplice du Christ est de portée générale
; on ne peut pas
comparer l'esclavage à grande échelle subi par les seuls Noirs aux consé-
Quences de la Faute décrite dans la Genèse.
L'homme noir est victime de
la tyrannie du Blanc.
Alors Que la cosmogonie,
les Ecritures nous ensei-
gnent que tout homme,
quelle que soit sa race,
est coupable du péché
originel commis par Adam et Eve.
La Rédemption concerne toute l'humanité.
Le Christ cherche le
rachat de l'humanité tout entière,
sans exclusive;
le Noir,
le Salut
de sa race.
Il n'y a pas de péché originel propre à la race noire.
SARTRE,
lui-même,
reconnaît la Faute mais elle est commise par le Blanc.
Il écrit
"Seulement la Faute inexpiable que le Noir découvre au
au fond de sa mémoire, ce n'est pas la sienne propre,
c'est celle du
Blanc; le premier fait de l' histoire
nègre: mais le Noir en est innocente victime"(3).
(1) SARTRE,
"Orphé noir",
in Anthologie,
op. -c-i-t-.-p-a-g-e--X-X-X-_V-I-I--------------"
(2) P. THIVOLLIER in Parler-Franc sur la Religion, n07, le Péché originel
Paris,
Cerf Verbum Bible 1977 -
Page 106
(3) SARTRE,
"Orphée noir" ... op.
cit.
Page XXXVII
3 8
La cruauté et l'oppression sont exercées par le Blanc sur le
Noir qui découvre dans son être la Faute du Blanc.
Il est conscient de sa
condition malheureuse.
Il subit l'injustice du Blanc.
Le Noir retient l'esclavage avec son cortège de privations, de
souffrance,
la colonisation comme l'humiliation,
l'exploitation,
les
travaux forcés.
3 9
CON C LUS ION
PAR T l E L L E
SARTRE,
dans "Orphée noir" et "t'résence noire", apprécie,
de
façon approximative,
contradictoire par endroits ou simplement erronée
la négritude dans ses multiples aspects et ses manifestations. Sa vi-
sion de l'Africain, des valeurs de civilisation du monde noir,
étonne
aujourd'hui,
du moins sur certaines questions.
Géniale dans le contexte historique de 1948, son analyse,
sur
certains points, est tout simplement dépassée de
nos jours. Vérités
d'hier,
erreurs d'aujourd'hui,
sa pensée oscille entre ces deux pôles.
SARTRE était nettement en avance sur son temps.
La réaction
des intellectuels noirs le confirme
"C'est avec ferveur qu'il (SARTRE) écrivit une étude
profondément originale dont l'ampleur dépassa nos
espoirs. Nous écrivions alors qu'''Orphée noir" mar-
querait ùoe date dans l'analyse de la négritude et
que les Noirs ne demeureraient pas insensibles à
l'effort d'intelligence et de sympathie qu'un Blanc
de qualité faisait pour les comprendre"(l).
C'est le propre de la recherche humaine:
d'être,
un jour,
dépassée.
La négritude,
double postulation contradictoire,
réaction
revendicative,
expansion de générosité, en son essence,
s'exprime dans
une poésie engagée qui n'est pas un particularisme étroit.
Retrouver
sa plénitude, c'est s'enraciner ou se réenraciner dans les notions
propres à sa race. Sublimation des valeurs culturelles nègres,
ce
mouvement est la quête de l'homme noir qui veut "s'enraciner dans son
héritage culturel, dans la perso~~alité collective, pour assimiler
activement, les éléments fécondants de la modernité"(2).
Ainsi le Noir est-il ouvert au souffle fécondant de toutes
les autres civilisations.
A travers les tribulations de son histoire,
confronté aux exigences de la création l~ttéraire, artistique,
(1) Ch.
André Julien,
Avant-t'repos de 1'Anthologie de la nouvelle
poésie op.
eit.
Page VIII
(2) SENGHOR,
Liberté III,
Négritude et Civilisation de l'Universel,
Paris,
Le Seuil,
1977
Page
16~.
4 0
scientifique, soumis au contexte historique,
l'homme noir transcrit son
expérience individuelle ou les pulsions collectives de son peuple par
le français,
la langue du Blanc.
Il est conscient du décalage linguistique, mais il a un double
public de lecteurs. Sa quête est une Passion, mais elle est sélective car
elle est propre à la seule race noire. Sa contrition est raciale,
l'acte
du Christ rédempteur des hommes,
universel,
parce "Dieu envoya son Fils,
né d'une femme, né sujet de la loi, afin de racheter les sujets de la
LOI"(l) .
Le Sauveur veut le rachat de toute l'humanité et non le Salut
d'une communauté ~3rticulière.
Soucieux de préserver sa spécificité,
de pérenniser sa civili-
sation, soucieux de rester authentique,
le Négro-Africain lutte pour un
monde de compréhension réciproque,
de complémentarité,
dans un univers
où le racisme,
la domination ne seront qu'un souvenir.
Ecrire "Orphée noir" et "Présence noire",
c'est comprendre,
mais surtout s'engager au côté des Noirs qui luttent pour la LIBERTE.
Pour SARTRE et les écrivains,
"parler est une affaire; écrire une
affaire plus sérieuse encore. Et comme ils savent que leurs oeuvres
engagent nécessairement ...
; ils veulent s'engager complètement dans
leurs oeuvres"(2).
SARTRE,
à la rencontre de l'homme noir et de sa civilisation,
c'est l'histoire d'une Passion
Passion de la Vérité, Passion de la
Liberté, Passion de L' Hutna i.n .
(1) Epitre aux Galates chapitre 4, vers 4-5 in La Biblê dê Jérusalem,
op.
cit.
Page 1682
(2) Annie-Cohen SOLAL,
Jean Paul SARTRE 1905-1980, op. ct.
Page 309.
41
CHAPITRE II 1
LA
DECOLONISATION
Il
LES
CAUSES
Le Congo,
actuel Zaïre,
n'a pas eu le privilège de mener,
comme
l'Algérie,
sa révolution:
la lutte de libération nationale.
Cette phase
de
l'histoire peut,
au moins,
aider à réaliser l'unité nationale grâce
au commandement unifié qui met en place les premières institutions de la
paix.
Pendant la guerre de libération,
les chefs sont à la fois militai-
res et politiques.
Cette étape de lutte pour la liberté forge le patrio-
tisme des colonisés,
résoud,
dans une large mesure,
les conflits
ethniques,
les problèmes liés aux structures traditionnelles.
Mais c'est
un acquis à consolider une fois l'indépendance obtenue.
Le Congo,
pour des raisons objectives,
a fait l'économie de
cette phase.
L'indépendance,
décidée brusquement par la Belgique,
révèle
un mécanisme qui inaugure de nouveaux rapports entre l'ancien pays colo-
nisateur et l'ancienne colonie, mais aussi un manque fondamental de
préparation politique.
Ce processus intègre plusieurs facteurs et d'abord toutes les
transformations survenues dans le monde.
Le contexte historique est très
chargé.
Le 1er Novembre 1954,
l'Algérie déclenche la lutte armée pour
reCOUV1'er sa liberté
; le Ghana est indépendant en 1957. Au référendum
du 28 Septembre 1958,
la Guinée,
sous la direction de Sékou TOURE, vote
massivement pour le "non".
Du 6 au 13 Décembre 1958, s'ouvre à Accra,
capitale du Ghana indépendant,
une conférence qui prend trois résolu-
tions dont :
"la première résolution anticolonialiste soutient la
cause de la lihération nationale et met l'Afrique
indépendante en garde contre l'association aux puis-
sances étrangères sous couvert d'alliances militaires
et économiques; Les délégués admettent aussi l'emploi
de la force pour obtenir l'indépendance"(1).
(1) Lamine KABA,
"Nkrumah et le rêve de l'Unité Africaine",
collection
Afriq':l€
ccrlt~mpora~E_~, vc l urne .11, Page 12.
42
A ces faits,
vient s'ajouter la crise économique dans la métro-
pole et dans les colonies. La conjonction des deux circonstances justifie
une nouvelle mentalité.
Dans ce contexte,
les colonies deviennent une
charge accrue par la pression des masses qui aspirent à plus de liberté.
Le système colonial est une forme en mouvement qui produit inéluctable-
ment sa propre destruction.
L'expérience algérienne constitue, à cet
égard,
un enseignement:
les métropoles sont écrasées par le poids des
colonies,
en lutte sanglante ou simplement violente.
SARTRE,
dans sa préface à La pensée politique de Patrice
LUMUMBA,
analyse,
de façon pertinente,
cette nouvelle orientation que
l'histoire imprime aux événements.
Il écrit notamment
"En vérité c'est la crise économique, cette recession
coloniale qui touche durement la Métropole, et l'agi-
tation des masses prolétarisées dont le niveau de vie
se détériore sensiblement, c'est cela -
joint aux ma-
ladresses de l'administration -
qui a décidé le
gouvernement métropolitain à donner brusquement au
Congo son indépendance"(l}.
Ce sont donc des données réelles et objectives,
et non une
nouvelle philosophie politique,
qui contraignent l'occident à renoncer
au type classique de l'exploitation coloniale.
II/
COLONIALISME ET NEO-COLONIALISI-m
Il s'agit de remplacer les anciens rapports par des relations
nouvelles qui obéissent cependant à la même logique et au même état
d'esprit.
Les colonialistes révisent les formes traditionnelles d'exploi-
tation et d'adminisatration.
De nouveaux mécanismes sont savamment mis
en place;
la métropole,
à cause du poids et de la situation conflic-
tuelle des co Lon ie s , décide de "troquer -
avec l'approbation des grandes
compagnies -
le régime colonial contre un néo-colonialisme"(2}.
- - - - - - - - - -
(l) SARTRE,
"Pl'é:rac:'é" à \\.3. pensée Poli tique de Patrice LUMUMBA,
Situations,
~ Pa!lS, Gailimard, 1964, p~ 207~208
(2) SARTRE, .?L-t:.Li~~:C~ll)~~, Paris. Gallimard, 1964, ».
208.
44
"Minée par son incapacité congénitale à penser l'ensemble
des problèmes en fonction de la totalité àe,lanation,
la bourgeoisie nationale va assurer le rôle de gérant des
entreprises de l'Occident et pratiquement organisera son
pays en lupanar de l'Europe" (1) •
A. MEMMI,
pour sa part estime que "tout changement ne pouvant se
faire que contre la colonisation, le colonisateur est
condui t
à favoriser les éléments l'es plus rétrogrades" (2) .
En effet,
les colonialistes ont décidé "une mise en place
,d'hommes polltiques bien
pensants, de toute une
infrastructure adequate.
La nouvelle politique
"libérale" a eu comme conséquence l'éviction des vérita-
bles mouvements révolutionnaires et le triomphe des
équipes traditionnellement conformistes"(3).
La coincidence des pensées de ces trois auteurs mérite qu'on
s'y arrête
: loin d'être fortuite,
elle correspond à la pression de
situa-
tions et d'événements dont l'analogie est frappante.
La crise structurelle
du colonialisme explique ce processus.
L'indépendance,
dans ces conditions,
participe d'une haute stratégie de
domination.
Elle se révèle plus efficace,
d'autant que les dirigeants ne contrôlent pas les mécanismes du pouvoir en
place.
Le colonialisme s'essouffle et craque de toute part;
l'occident
met en place les structures néocoloniales.
SARTRE,
à ce sujet,
constate
"qu'il semble même, à bien observer le développement des
nouveaux Etats Africains, que l'indépendance soit la
solution la plus rentable"(4).
Dans là ré~lité l'les différentes métropoles européennes 'pensent qu'elles
peuvent sans grands dommages se retirer politiquement
de l'Afrique de façon apparente, en y restant de façon
réelle dans le domaine économique, spirituel et cul-
turel"(S)
.!
,J
,2;
45
Dans. ces conditions, "les circuits économiques du jeune Etat s'enlisent irréver-
siblement dans la structure néocoloniale. L'économie natio-
nale, autrefois protégée, est aujourd'hui littéralement
dirigée ( ••. ). L'ancienne puissance coloniale multiplie les
exigences, accumule concessions et garanties, prenant de
moins en moins de précautions pour masquer la pujétion dans
·laquelle elle tient le pouvoir national"(l).
N'étant pas maître de son destin,
n'étant pas son propre législa-
teur,
ne disposant pas de son organisation propre,
le dirigeant de l'Etat
néocolonial ne peut pas accorder ses institutions aux besoins profonds de
son peuple.
Or,
ce sont ces besoins qui modèlent le visage organisationnel
de toute société normale,
au moins relativement.
Les nouveaux Etats satellites des anciennes puissances colonisa-
trices,
la balkanisation du continent,
le micro-nationalisme exposent ainsi
les pays indépendants à une exploitation plus féroce.
Pour y parvenir,
il suffit de mettre au pouvoir les hommes liés
à la métropole par des intérêts particuliers et par leur situation précaire
parce qu'ils sont coupés des masses.
Ils doivent leur pouvoir à l'ancien
colonisateur.
En effet, selon SARTRE,
"l'impérialisme a besoin d' une classe dirigeante qu i.s so Lt
assez consciente de sa situation précaire pour lier ses
intérêts de classe à ceux des grandes sociétés occiden-
tales" (2).
Pour FANON aussi, "le budget est alimenté par des prêts et par des dons.
Tous les trimestres, les Chefs d'Etats eux-mêmes ou
les délégations gouvernementales se rendent dans les
anciennes métropoles ou ailleurs, à la pêche des
capitaux"(3).
(1) FANON,
Les damnés de la terre,
op.
cit;
page 125-126
(2) SARTRE, "Préface" à La pensée politique de P; LUMUMBA,
in Situations, V,
op.
cit.
Page 244
(3) FANON,
Les damnés de la terre,
op.
cit.
Page 125
46
La situation devient plus poignante car "la bourgeoisie nationale
va se complalre sans complexes, et en toute dignité, dans le rôle d'agent
d'affaires de la bourgeoisie"(l).
WAUTHIER constate aussi que
"l'indépendance est pratiquement partout acquise en Afrique,
mais elle est bien fragile,
économiquement surtout"(2).
Liés aux grandes compagnies,
de façon générale,
les hommes au
pouvoir en Afrique exploitent les richesses du continent au détriment des
masses laborieuses.
Ils reçoivent,
en échange, de maigres dividendes.
Ils
se soucient de leur prestige personnel et non des souffrances et frusta-
tions des peuples.
Pour ces raisons,
L"Afrique noire est mal partie"(3).
Cette cruelle réalité se ressent sur les plans économique
et
diplomatique.
Nos Etats s'alignent souvent sur les positions des anciennes
puissances colonisatrices. Cela rend l'Afrique vulnérable.
La domination résultant de l'exploitation économique crée donc
une situation conflictuelle.
3 C )
L'exploitation
économique
Elle est inscrite dans le système; elle est liée à la notion
de race.
Les employés noirs,
pour le même travail,
avec la même qualifi-
cation que leurs collègues blancs,
n'ont pas le même traitement.
La
discrimination est économique et raciale.
En effet,
"à valeur égale et
pour le même travail, un commis belge touchera le double de son salaire"(4).
(le double du salaire du com~is congolais).
.'-
".'
.,
---------------------------------------------------~:
l'
(1) FANON,
ibidem page 116
(2) CI. WAUTHIER,
L'Afrique des Africains: lnvéfitai~ê dê lâ fi4gritüd§,
Paris,
le Seuil, 1964,
Page 293
(3) R.
DUMONT,
L'Afrique noire est mal partie,
Paris,
le Seuil, 1962.
(4) SARTRE, Situations, V,
Paris, Gallimard,
1964, page 202.
47
Pour Albert TEVOEDJRE' "la -discrimination r-acj.a.l e aux colonies trouve l'un des
meilleurs champs d'action dans les différences de sa-
laires entre Européens et Africains"(l).
MEMMI renchérit:
"le racisme résume et symbolise la relation fondamentale:
qui unit colonialiste et colonisé"(2) car précise-t-il,
"il est plus économique d'utiliser trois colonisés qu'un
Européen"(~).
Ainsi la situation coloniale impose à tout colonisateur des
données économiques, politiques et affectives qui forment l'essence du
colonialisme.
Il doit donc tout faire pour légitimer son usurpation.
Le colonialiste se fonde sur le principe directeur qui renie au
colonisé son statut d'homme pour mieux exploiter.
En outre,
"le proléta-
riat éreinté, sous-payé, souffre beaucoup plus de la surexploitation que
de la discrimination raciste qui en est la conséquence"(4).
A. MEMMI complète le tableau:
"A l'agression idéologique qui
tend à le déshumaniser, puis à le mystifier, correspondent en somme des
situations concrètes qui visent au même résultat"(5).
Pour Kwamé NKRUMAH,
"depuis l'arrivée du capitalisme dans les
colonies, la population a été réduite à la condition de travailleurs et
de serfs" ( 6) .
La similitude des analyses des auteurs cités est frappante.
Les
peuples, sous le joug colonial, souffrent à la fois du caractère discrimi-
natoire de l'idéologie coloniale et de l'exploitation économique.
:;
- - - - - - - - - - - - - }
(1) A. TEVOEDJRE,
cité par CL.
Wauthier,L'Aîrique des Africains,
op.
cit.
_page 1413
(2) A. MEMMI, Portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur -
page 87
(3)
A. MEMMI, Portrait du colonisé, op. cit. page 96
(4) SARTRE, Situations, V, op. cit.
page 203
(5) A. MEMMI, Portrait du colonisé,
op. cit.
page 106
(6) K. NKRUMAH cité par WAUTHIER L'Afrique des Africains,
op.
cit. page 146.
48
Les options économiques exigent en effet l'abaissement du colonisé.
Le colonialisme fait des comparaisons morales,
sociologiques,
toujours au
détriment du colonisé.
Mais la "surexploitation" est l'objectif principal
du colonialisme.
Le système doit "refuser la qualité d'homme aux indigènes,
les définir comme de simples privations ( ••• ). Une idéologie pétrifiée
s'applique à considérer des hommes comme des bêtes qui parlent"(l).
A. MEMMI,
sur le même sujet, affirme:
"Le colonisé ne jouit d'aucun des attributs de la nationa-
lité,; ni de la sienne, qui est dépendante, contestée,
étouffée, ni, bien entendu, de celle du colonisateur ( ••. ).
Par suite de la colonisation, le colonisé ne fait presque
jamais l'expérience de la nationalité et de la citoyen-
neté, sinon privativement : natio~alement, civiquement,
i l n'est que ce que n'est pas le colonisateur"(2).
Pour NKRUMAH,
"la situation qui leur(1es colonisés) est faite
est des plus dégradantes"(3).
Pour mieux abaisser l'homme colonisé,
i l faut une exploitation
systématique. On ne lui reconnaît aucun des droits,
aucun des attributs
distinctifs de l'espèce humaine.
Le colonialisme est une entreprise poli-
tico-économique,
fondamentalement, avant
de secréter le racisme.
Mais à
ce niveau de son étude, SARTRE précise:
"Et puisqu'on l'opprime dans sa race et à cause d'elle,
c'est d'abord de sa race qu'il lui faut prendre cons-
cience"(4).
Les intellectuels africains retournent aux sources pour revalo-
riser leur race et leur patrimoine culturel.
Ils démontrent "la richesse
spirituelle et morale, la valeur didactique et l'intérêt historique de
leurs contes et légendes"(5).
(1) SARTRE,
in Portrait du colonisé de MElilMI
op.
ci t.
pp.
25-26
(2) A. MEMMI,
Portrait du colonisé op.
cit;
page 110
(3) K.
NKRUMAH ci té par IIJAUTHIER,
L' Afrique des Africains,
op.
ci t.
page 145
(4) SARTRE,
"Orphée noir" in Anthologie -pp XIII-XIV
(5) WAUTHIER L'Afrique des Africains, op. cit.
page 67.
.~
49
MEMMI,
après SARTRE,
explique:
"Ici, les gens d'ici, les moeurs de ce pays, sont inférieurs,
et de loin, en vertu d'un ordre fatal et préétabli"(l).
SARTRE et MEMMI se méprennent.
La question est économique avant
d'être raciale.
Le Blanc a des droits,
le Nègre,
des devoirs.
Toute la philo-
sophie de l'oeuvre coloniale trouve sa source,
sa justification dans la
surexploitation qui permet de légitimer la prétendue infériorité de la race
noire.
La relation coloniale implique des privilèges fondés sur la supério-
rité supposée du Blanc.
Le dénuement complet du colonisé doit expliquer
sa propre négation,
mais aussi le refus de la colonie.
La misère désespé-
rée,
le mépris de
l'homme de couleur le condamnent,
s ' i l ne se libère pas,
à une longue et frust~ante dépendance.
La théorie de la race inférieure n'est qu'un prétexte pour jus-
tifier la spoliation économique.
Il est vrai que le racisme est inscrit
dans le système,
mais il n'est qu'une conséquence de la tyrannie coloniale.
Divisé,
exploité,
le Congo connaît de déchirantes convulsions qui
rendent difficile l'édification de la nation congolaise. La résurgence en
diverses provinces des luttes tribales accroît les oppositions.
4°)
Les difficultés pour l'édification de la nation congolaise
a)
Les divisions ethniques
Elles mettent en péril l'unité nationale.
Elles constituent un
obstacle pour la consolidation de la nation congolaise.
Elles sont réelles
mais artificiellement entretenues.
En effet,
"il faut en finir avec le
tribalisme, avec le provincialisme, avec les conflits artificiels"(2).
(1) A. MEMMI,
Portrait du colonisé op.
cit.
page 86
(2) SARTRE,
Situation, V,
op.
cit.
page 212.
5(')
SENGHOR avertit:
"Nous avons sous-estimé la force actuelle, en
Afrique, du terri torialisme., du micro-nationalisme" (1) •
FANON,
en ce qui concerne, constate:
"un reflux vers les positions tribales
on assiste, la
rage au coeur, au triomphe exacerbé des ethnies"(2).
La diversité ethnique, en Afrique et ailleurs,
devait être perçue
comme une source de richesse et non de rapports conflictuels.
Mais les
hommes politiques,
les bourgeoisies nationales n'ont pas mis en place une
véritable politique d'intérêt national.
La différence doit être cultivée dans le seul souci d'enrichis-
sement mutuel,
de complémentarité effective et affective.
Dès lors les divisions sur une base géographique sont à éviter
car elles sont une menace pour la concorde et l'unité nationales.
Une
judicieuse politique économique,
culturelle,
peut aider à édifier la na-
tion sur des bases solides et fécondes.
Tout séparatisme doit,
dès la
phase de balbutiement,
trouver une solution définitive parce que,
1
1
"quèll,e que soit l'intention, si minime que soit l'autonomie régionale:
i
1
qu'un parti réclame, c'est le ver dans le fruit"(3).
1
L'exemple congolais révèle donc "les vieilles rivalités anté-
coloniales, les vieilles haines inter-ethniques (qui) ressuscitent"(4).
Pour le Professeur Cheikh Anta DIOP,
les Africains doivent
refuser que "la vie nationale de ces futurs
Etats s'organise sur une
base ethnique"(5).
(1) SENGHOR, cité par C.
Wauthier;
L'Afrique des Africains,
op.cit. page 269
(2) FANON,
Les damnés de la terre,
op.
cit. Page 120
(3) SARTRE, Situation, V, op.
cit.
Page 212
(4) C.A.
DIOP, Les fondements,
op. cit.
Page 43
(5) Idem, page 42.
51
LUMUMBA,
lui-même, est conscient de ces problèmes;
i l faut mener,
estime-t-il,
"la lutte contre les facteurs internes et externes qui consti-
tuent un obstacle à l'émancipation"(1).
L'heure est aux grands ensembles.
Et tous les obstacles sur la
voie de l'unité nationale africaine,
les ethnies ou la répartition inégale
des richesses,
sont une source profonde de conflits sur le continent noir.
Mais l'Afrique n'a pas aujourd'hui,
il est vrai,
le monopole des conflits
ethniques ou sécessionnistes.
Le Congo,
dans le cas qui nous occupe,
en est la parfaite illus-
tration.
SARTRE n'a pas perdu de vue cet aspect. Effectivement,
"C'est que le Congo lui paraît un condensé de toutes les
différences qui perpétuent les séparatismes africains
:
on y trouve des frontières provinciales, des conflits
ethniques et religieux, des différenciations économiques
tant verticales (strates sociales) qu'horizontales (répar-
tition géographique des ressources)"(2).
Dans cette situation,
"le Katanga se constitue en Etat"(3).
Plus grave "au Sénégal, on parle d'impérialisme arabe et on
dénonce l'impérialisme culturel de l'Islam"(4).
Le séparatisme ne menace pas l'Afrique seule de nos jours.
La
nation n'est pas un donné,
mais un processus à consolider chaque jour
davantage.
LUMUMBA avait pleine conscience que tous les facteurs d'une
confrontation ouverte étaient réunis au Congo.
Les structures traditionnelles paraissent,
dès lors,
un élément
de désintégration.
(1) LUMUMBA in Situations, V,
op. cit. page 218
(2) SARTRE, Situations V,
op.
cit.
page 216
(3) FANON, Les damnés de la terre, op.
cit. page 120
(4) FANON, ibidem,
page 121.
52
b)
Les
chefferies
L'autorité traditionnelle garde son influence et engendre de gra-
ves heurts. Ses intérêts se confondent dans une large mesure avec ceux de
l'ancienne puissance colonisatrice et des couches historiquement au service
des grandes compagnies.
Elle est l'aile la plus conservatrice.
En effet,
"les coutumiers ruraux dirigés par une chefferie conservatrice et,
plus
souvent, vendue aux Européens, n'entrent pas dans les vues des citadins
évolués" (1) .
Pour WAUTHIER,
le prolétariat des villes "est encadré par les
chefs traditionnels qui se sont montrés d'une façon générale les auxiliaires
zélés de l'administration coloniale, en majorité hostiles à
l'indépen-
dancevf z ) •
FANON caractérise ainsi ces forces "féodales"
:
"Les cadres féodaux forment un écran entre les jeunes natio-
nalistes et les masses. Chaque fois que les élites font un
effort en direction des masses rurales,
les chefs de tribus,
les chefs de confréries, les autorités traditionnelles mul-
tiplient les mises en garde, les menaces,
les excommunica-
tions.
Ces autorités traditionnelles qui ont été confirmées
par la puissance occupante voient sans plaisir se développer
les tentatives d'infiltration des élites dans les
campagnes. Elles savent que les idées susceptibles d'être
introduites par ces éléments venus des villes contestent
le principe même de la pérennité des féodalités.
Aussi
leur ennemi n'est-il point la puissance occupante avec
laquelle elles font,
somme toute, bon ménage mais ces moder-
nistes qui entendent désarticuler la société autochtone et
par là même leur enlever le pain de la bouche"(3).
Pour SENGHOR, les dirigeants africains ont "négligé d'analyser et
de comprendre les différences sociologiques(4).
(1) SARTRE,
Situations, V,
op.
cti.
page 210
(2) WAUTHIER, L'Afrique des Africains,
op.
cit.
page 249
(3) FANON, Les damnés de la terre,
op.
cit.
page 85
(4) SENGHOR, ci t
par- C.
Wauthier,
L'Afrique des Africains,
op.
cit.,
é
page 269.
53
Toutes les forces centrifuges sont à l'origine des problèmes de
séparatisme, de sécession surtout,
lorsqu'elles sont soutenues, entretenues
par les grandes puissances.
A cela viennent s'ajouter l'absence de politi-
ques nationales et l'étroitesse de vue de certaines bourgeoisies locales
et de certains dirigeants africains.
c)
La
.sécession
Des partis
ethniques,
des conflits régionaux et religieux,
une
répartition inégale des richesses créent une situation explosive.
KASAVUBU
et son parti,
l'ABAKO,
vont assumer cette sinistre responsabilité.
Concrè-
tement,
"il ne s'agit point ici de psychologie mais de détermination objec-
tive : séparatiste en son essence, l'ABAKO (parti de KASAVUBU), après
l'indépendance, devait ruiner l'oeuvre des nationalistes au pro~it des
puissances étrangères"(l).
KABEMBA Assan et Pierre SALMON notent pour leur part :
"Plus qu'une doctrine mal définie et souvent inconnue des
masses, c'étaient la personnalité du Leader, ses origines
(ethniques ou/et sociales) et les idées dont i l se fai-
sait le porte-parole qu déterminaient son audience et
l'adhésion des membres à son parti ( ••• ). Cette consta-
tation valable pour l'ABAKO traduit cependant la réalité
de l'époque" (2) .
Po~r Frantz FANON,
cette analyse est vraie.
En fait,
"l'unité dévoile son vrai visage et s'émiette en
régionalisme à l'intérieur d'une même réalité na-
tionale. La bourgeoisie nationale, parce qu'elle
est cri~pée sur ces intérêts immédiats, parce
qu'elle ne voit pas plus loin
que le
bout de ses ongles, se révèle incapable de réa-
liser la simple Unité nationale,
incapable d'édi-
fier la nation sur des bases
solides et fécondes.
Le front national qui avait fait reculer le colo-
nialisme se disloque et consume sa défaite"(3).
(1) SARTRE, Situations, V, op. cit.
PP
206-207
(2) KABEMBA Assan,
Pierre SALMON in Historiens-Géographes du Sénégal,
nO 6,
2e semestre 1991,
page 77
FANON,
Les damnés de la terre, op.
ci t. ~ pp
120·-121.
54
Ce constat est valable pour toute l'Afrique et particulièrement
pour le Congo parce que l'ABAKO ~t, tout'à la fois,
un parti ethnique, ré-
gional et religieux très représentatif.
Des liens secrets messianiques unis-
sent
KASAVUBU au BAKONGO.
Il est leur chef religieux,
leur roi.
Il est
resté étroitement lié à sa base ethnique. Mais il n'a pas la conscience
claire de sa classe et de ses intérêts véritables.
Dans ces circonstances, seul un fédéralisme réel,
effectif,
peut aider à surmonter toutes les barrières,
toutes les oppositions.
d)
Le fédéralisme
Le fédéralisme bien compris et accepté est une voie de salut.
Mais cela suppose que les intérêts particuliers soient mis de côté et que
la notion d'indépendance soit ancrée dans les consciences.
Or,
l'ABAKO,
en la personne de KASAVUBU,
a une position fluctuante,
ambiguë.
Dans la
réalité,
"il oscillera d'un fédéralisme anarchique à un centralisme dic-
tatorial, appuyé sur la force militaire"(l).
D'autres accentuent la rupture à l'instar de "Albert KALONDJI
(qui) se fait couronner roi du Sud Kasaï(2).
Les attaques de Sékou TaURE contre la balkanisation de l'Afrique
résument bien la situation et indiquent la nature du
seul combat digne
d'être mené:
"Ce qui nous unit, et c'est là notre chance, est bien
plus important que ce qui peut nous opposer. La division
de l'Afrique présente est arbitraire et illusoire.
Sur le plan économique, social et culturel, nos con-
ditions, nos moyens, nos objectifs sont identiques.
Il faut dénoncer le complexe des oppositions apparen-
tes par une analyse objective de chaque secteur"(3).
(1) SARTRE, Situation, V,
op.
cti.
page 206
(2) FANON,
Les damnés de la terre, op.
cit.
page 120
(3) Sékou TaURE in L'Action du P.D.G. et la lutte pour l'émancipation
africaine pp 79-80.
55
Les dirigeants africains n'ont pas fait preuve d'une attitude
éclairée.
En effet,
"la balkanisation a été un choix, certes proposé aux
dirigeants africains par le pouvoir colonial mais accepté et défendu,par
eux, pour de simples motifs de prestige personnel"(1).
On note par ailleurs que "le 8 Août 1960, Albert KALONDJI pro-
clame l'Etat indépendant du Sud Kasaï"(2).
L'idéal de l'unité africaine est étudié dans l'oeuvre histori-
que, sociologique et ethnographique du Professeur Cheikh Anta DIOP,
par-
ticulièrement dans Les fondements d'un futur Etat fédéral de l'Afrique
noire(3).
NKRUMAH était conscient de l'impérieuse nécessité de l'unité.
Il déclarai t
:
"L'Afrique est par ses richesses une source de convoitise
pour le monde extérieur, tandis que la pauvreté abjecte
continue de s'imposer à nous. Il y a un réel danger à ce
que les puissances colonialistes accordent une sorte
d'indépendance politique nominale à de petites unités
individuelles, parce qu'elle leur permet de maintenir
le vieux style colonial d'organisation économique après
que l'indépendance ait été acquise" (4) .
AZIKIWE estime que "le rêve du panafricanisme est destiné à
devenir réalité" (5) .
Les Africains avaient donc identifié les dangers qui menaçaient
l'Afrique.
l faut souligner que "la plus dramatique des contradictions que subit le Congo
est celle qui divise son sol par la sécession d'une de
ses provinces, le Katanga. Les forces de l'impérialisme
étranger et du grand capitalisme se sont opposées à
(1) A.
"
;
WADE,
Un destin pour l'Afrique op.
cit;
page 118
c
(2) R.
CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo, Paris,
Berger-Levrault,
1963,
page 271
(3) Cheikh Anta DIOP,
Les fondements d'un futur Etat fédéral de l'Afrique
~oire, Paris, Présence Africaine 1974.
(4) K. NKRUMAH,
"1 speak of freedom",
traduit par CL.
WAUTHIER,
L'Afrique
des Africains : inventaire de la négritude,
op . c i't .. pp 268-269
(5) AZIKIWE in Présence Africaine, XL,
p~gc 31,
56
l'unité du Congo ( . . . ). L'Union Minière du haut Katanga pro-
duisait en 1959 pour une valeur de 15,5 milliards de francs,
c'est-à-dire 62 milliards de francs CFA,
soit 22 % du pro-
duit national du Congo, soit encore 60 % du total des expor-
tations du Congo"(l).
Le Professeur Cheikh Anta DIOP remarque à son tour
:
"Avec ses 650 milliards de KWH de réserves annuelles d'énergie
hydraulique (près de 2/3 de la production mondiale)"(2) , le pays ne pouvait
être à l'abri des appétits occidentaux. D'autant plus que "le bassin du
Zaire, par une contradiction presque dramatique, recèle aujourd'hui
la quasi-
totalité de nos richesses continentales"(3).
Cette immense richesse a conduit à l'éclatement du pay~. Et "c'est
le 11 Juillet 1960 au soir que l'indépendance du Katanga est proclamée par
Moïse TSCHOMBE" ( 4) •
Après la mutinerie des soldats,
"TSCHOMBE paiera la solde
en
échange on lui remettra LUMUMBA"(5).
Il fallait aussi "désarmer les bandes illégales de MOBUTU"(6).
Les grandes puissances,
la sédition de la force publique,
l'exo-
de des colonialistes et l'intervention des Nations-Unies anéantissent les
efforts de LUMUMBA livré à TSCHOMBE et à ses acolytes,
MOBUTU et les autres.
Le rêve de l'unité du Congo,
avec l'assassinat de LUMUMBA,
est étouffé dans
l'oeuf.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - iij
(1) A. KITHH1A,
"Colloque sur les poli tiques de développement et les diver-
:~
ses voies africaines vers le socialisme" Dakar 3 - 8 Décem-
bre 1962,
Paris,
in Cahiers Présence Africaine p.
346
(2) C.A. DIOP,
Les fondements d'un futur Etat fédéral de l'Afrique noire
op.
cit.
page 73.
(3)C:;:A;. DIOP,
Les fondements d'un futur Etat fédéral de l'Afrique noire
."
op.
ci t.
page 79
"
"e,'
(4) R.
CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo, op.
cit. page 270
(5) ~ARTRE, Situations, V, op. cit. page 246
(6) R.
CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo,
op. cit.
page 282.
57
e) Le système des Nations-Unies face à l'histoire du Congo-Léo
Le système des Nations-Unies,
dans la tourmente congolaise,
a joué
un rôle néfaste à tous égards.
Il a servi les intérêts des grandes puissan-
ces en accentuant les divisions. Dans la réalité "les soldats de l'O.N.U.,
envoyés pour maintenir l'ordre, avaient protégé KASAVUBU le séparatiste et
laissé le Premier Ministre centraliste à la merci de ses ennemis"(l) parce
Que "le jeune gouvernement du Congo était dirigé par un nationaliste in-
transigeant, Patrice LUMUMBA" (2) .
On peut,
par ailleurs,
noter que "durant l'automne 1960, la
médiocrité, l'incompétence, voire la vénalité du personnel de l'O.N.U.
vouèrent l'entreprise à l'échec"(2).
Il faut signaler les actions de l'O.N.U.
contre LUMUMBA.
En effet, "Le 10 octobre, LUMUMBA avait été bloqué dans sa résidence
de Premier Ministre à Léopoldville. Les forces de l'O.N.U.
disposées dans le jardin de la résidence assuraient sa
sécurité, cependant que les forces de l'armée nationale
congolaise contrôlaient les sorties"(4).
Les Nations-Unies ont joué au Congo sur le partage du pouvoir.
Elles ont aidé à l'émiettement du pays;
leurs soldats ont protégé le sépa-
ratiste parce que cela garantissait les intérêts impérialistes.
Les décla-
rations fédéralistes de LUMUMBA ont orienté ce choix.
.;
L'O.N.U.
ne semble pas avoir été,
à l'occurrence, une organisa-
tion neutre et impartiale.
Et SARTRE précise
:
(1)
SARTRE, Situations, V,
op.
cit. page 249
( 2) IL KITHIMA "Colloque sur les poli tiques de développement et les diver-
ses voies africaines vers le socialisme" op. cit. page 346
in Cahiers Présence Africaine
(3)
fL
CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo,
op.
cit. page 274
(4)
R.
CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo, op.
cit. page 174.
58
"NKRUMAH connut la déception la plus amère:
i l avait envoyé
dès Juillet des troupes ghanéennes au Congo sous l'autorité
des Nations+Unies qui les employèrent, malgré les protesta-
tions du Ghana, contre Patrice LUMUMBA"(l).
R.
CORNEVIN constate que "LUMUMBA et ses Ministres étaient persua-
dés que l'O.N.U. ne s'opposerait plus à leur arrestation"(2).
Il poursuit
"LUMUMBA (arrêté) est amené le 2 décembre à DJILI,
aéroport de Léopoldville. Le 3 décembre LUMUMBA é-
tait interné au Camp à Thysville. Le 17 janvier
LUMUMBA est transféré au KATANGA ; i l devait être
assassiné peu après son arrivée"(3).
Sans doute,
l'O.N.U.
est-elle, estime SARTRE,
"un système rigou-
reusement agencé pour défendre partout en Occident,
(et ailleurs)
l'impé-
rialisme" (4) .
Cette expérience tragique de NKRUMAH pose la question de l'Unité
Africaine avec un pouvoir central, un commandement unifié
pour l'armée.
L'Afrique doit elle-même résoudre ses problèmes.
Au Moyen-Orient,
l'O.N.U.,
avec l'aval des Etats-Unis, ne peut
pas faire respecter les décisions du conseil de sécurité.
Israël,
par ses
agissements, viole régulièrement les résolutions de l'institution interna-
tionale.
Il faut,
après ce constat,
qu'une grande puissance l'empêche de
servir partout les intérêts américains,
surtout après l'effondrement du
camp socialite.
Exaspéré par l'attitude complice du Secrétaire Général Hammars-
kjold,
LUMUMBA fait donc appel à l'U.R.S.S.
qui lui fournit des avions.
Mais le soutien du camp socialiste a révélé ses insuffisances,
même s ' i l
a sauvé Castro et son régime.
Le socialisme,
en Afrique,
est un échec.
Notre continent, sur le plan idéologique,
en ~Gtière de gestion et de
(1) SARTRE, Situations, v, op.
cit.
page 250
(2) R. CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo,
op. cit. page 274
(3) R.
CORNEVIN, ibidem, page 274
(4) SARTRE, Situations, V, op.
cit. page 250.
59
conduite des affaires de nos différents Etats,
n'a pas fait de percées signi-
ficatives.
La tutelle soviétique,
en Afrique, -
et sous d'autres cieux -_a
toujours posé la question centrale de la liberté de conscience.
L'oeuvre,
Les mains sales,
en est l'illustration. En effet,
les partis communistes
africains se sont toujours alignés sur les positions du camp soviétique ou
chinois suivant les nuances de leur interprétation.
Face à cette cruelle réalité,
l'Afrique doit réaliser son "Unité
qui fera sa force"(l).
Mais le micro-nationalisme,
les intérêts mal compris
de
l'Afrique,
l'égoïsme et l'étroitesse de vue des hommes au pouvoir peu
soucieux de leur peuple,
préoccupés de prestige personnel,
les frontières
héritées de la colonisation retardent la matérialisation de cette unité.
Le c010nialisme est mort,
le néo-colonialisme est en place.
La lutte des
peuples pour la justice sociale,
la liberté reste d'une actualité brûlante.
Elle est une exigence fondamentale.
La mince élite congolaise connaît des convulsions contradictoires.
vi
L'ELITE
CONGOLAISE
a)
L'ambiguïté de la situation de l'élite
Elle vit,
à l'image de toute l'élite africaine en général qui
n'a pas l'expérience de la lutte armée,
des contradictions déchirantes
résultant de sa position de classe hybride.
SARTRE écrit
"Unis par une solidarité de fait au sous-prolétariat,
séparés de lui par de maigres privilèges,
leurs membres
vivent dans un malaise perpétuel"(2).
(1) Mamadou DIA in Cahiers Présence Africaine,
3 -
8 décembre 1962
op.
cit.
page 433
(2) SARTRE,
Situations, V,
op.
cit.
page 50.
60
Pour sa part, WAUTHIER note
"Le coeur du problème réside sans doute dans la découverte
des raisons qui ont fait que cette élite qui était finale-
ment la couche sociale la plus proche du colonisateur, et
par sa culture et par son niveau de vie, se soit placée à
la tête du mouvement pour la revendication de l'indépen-
dance nationale"(l).
Pour Bakary COULIBALY
"Ces classes (ou ces équipes dirigeantes), après avoir pris
la place que les colonialistes ne pouvaient plus occuper,
se savent les mêmes intérêts que les colonialistes, utili-
sent les mêmes armes que les colonialistes"(2).
Dans ces conditions, "le leader,va révéler sa fonction intime: être le Prési-
dent Général de la Société des profiteurs impatients de
jouir que constitue la bourgeoisie nationale"(3).
Ces déviations se justifient car
"la conscience nationale au lieu d'être la cristallisation
coordonnée des aspirations les plus intimes de l'ensemble
du peuple, au lieu d'être le produit immédiat le plus pal-
pable de la mobilisation populaire, ne sera en tout état
de cause qu'une forme sans contenu,
fragile, grossière"(4).
FANON conclu-t qu'" elle est aussi le résultat de la formation pro-
fondément cosmopolite de son esprit"(5).
(1) VJAUTHIER,
L' Afrique des Africains,
op.
ci t., page 25
(2) B.
COULIBALY,
"Colloque sur les politiques de développement et les
diverses voies africaines vers le socialisme" op.
cit.
pp 360 -
361
in Cahiers Présence Africainec
(3) FANON,
Les damnés de:la terre,
op.
cit. page 125
(4) FANON,
Les damnés de la terre,
op.
cit.
page 113
(5) FANON,
ibidem, page 113.
61
On ne peut pas,
dans ce contexte,
parler d'oppositions de classes
en Afrique à ce stade des indépendances.
La contradiction principale, à ce
point de son histoire,
se situe entre le colonisateur et le colonisé.
L'élite n'a pas une claire conscience de son statut peu stable et
de ses intérêts précaires. Coupée des masses,
prête à trouver un compromis
avec l'ancienne puissance occupante,
elle ne veut ni ne peut jouer son rôle
historique : gouverner par le peuple pour le peuple.
C'est aussi la situation de l'élite congolaise.
Le résultat de ce
double mais négatif repérage sociologique est qu'elle navigue entre une s0ci~
té lointaine et une société présente avec ses exigences
; elle en prendra
douloureusement conscience,
"mais sa prise de conscience est double et contra-
dictoire : au-dessus de tous les Noirs, i l restera pour toujours au-dessous
de tous les Blancs ( . . . ). Son destin est entre les mains des autJ'es"(l).
MEMMI fait observer qu'''en pleine révolte, le colonisé continue
à penser, sentir et vivre contre et donc par rapport au colonisateur et à
la colonisation"(2).
Au niveau économique,
le constat est le même;
en effet,
on note
"la persistance d'une domination économique totale au sein d'une indépen-
dance poli ti que" (3) .
Cette dualité de conscience des élites se reflète dans le choix
des dirigeants
"Est-ce une coïncidence si tant de chefs colonisés ont con-
tacté des mariages mixtes ? Si le leader tunisien BOURGUIBA,
les deux leaders algériens Messali
Hadji et Farhat Abbas,
si plusieurs autres nationalistes, qui ont voué leur vie à
guider les leurs, ont épousé parmi les colonisateurs"(4).
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - '
(1) SARTRE, Préface au Portrait in Situations,V, op.
cit.
page 202
~:
;~
teur op.
cit, page 50
(2) MEMMI,
Portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur op.
cit;
;:
page 145
(3) A. KITHIMA,
"colloque sur les politiques",
in Cahiers'-,Présence Africaine,
op.
ci t,
page 347
(4) MEMMI, Portrait du colonisé, op. cit. page 142.
62
Un présent sombre,
un avenir bouché,
tel est le destin de l'élite
africaine.
La seule issue est l'indépendance totale
car "sa condition (de colonisé) est absolue et réclame une solution
absolue, une rupture et non un compromis.
Il a été arraché de
son passé et stoppé dans son avenir, ses traditions agonisent
et i l perd l'espoir d'acquérir une nouvelle culture"(l).
L'auteur de ces lignes poursuit
"La situation coloniale, par sa propre fatalité inférieure,
appelle la révolte car la condition coloniale ne peut être
aménagée" (2) .
Pour Bakary COULIBALY, i l faut mener "la lutte pour Ûlle indépendance
réelle"(3).
On ne peut pas aménager la servitude;
l'indépendance apporte aux
anciens colonisés la réparation morale et consacre leur dignité.
Elle crée
les conditions d'un épanouissement total.
Enfin libres,
ils décident souve-
rainement de leur sort.
b)
Le costume national
Le costume est un attribut culturel
SARTRE s'y est mépris.
Il
parlera de LUMUMBA en ces termes
:
"Un jeune paysan qui a lu ROUSSEAU et Victor HUGO rencontre
tout à coup la ville ; son niveau de vie se transforme
radicalement:
i l allait à l'école en pagne, i l se rend
au travail en complet veston; i l gagne assez d'argent
pour acheter et faire venir Pauline, sa fiancée MUTULE LA,
qui devient sa femme" (4) .
(1) MEMMI,
Portrait du colonisé précédé du protrait du colonisateur,
op.
cit.
page 136
(2) MEMMI,
ibidem,
page 136
(3) B.
COULIBALY, "Colloque sur les politiques de développement et les
diverses voies africaines vers le socjalisme" op.
cit.
page 359
in Cahiers Présence Africaine
(4) SARTRE, Situations, V,
op. cit.
page 201.
63
"Le complet veston" n 1 est pas une preuve ou une marque d'émancipation ; il
ne traduit pas "un niveau de vie".
Le pagne comme tout costume national,
est une marque de civilisation,
d'identité.
Il est fondamentalement un
trait culturel.
En Afrique,
les femmes ne sont pas à vendre.
Les dépenses engagées
sont un signe de respect de la tradition.
Le mariage est source de vie.
c)
Les partis politiques
Les divergences ne sont pas idéologiques.
LUMUMBA,
KASAVUBU,
KALONDJI,
TSCHOMBE,
MOBUTU,
appartiennent au même groupe social:
celui
des "évolués" bien que ce terme suscite en nous des réserves.
Leur-s diver-
gences résultent des conflits ethniques,
religieux et d'une répartition
inégale des richesses du Congo.
Il faut retenir que "l'ABAKO est un mouve-
ment puissant mais archaïque; société secrète et parti de masse"(l).
R.
COnrŒVIN écrit que l'ABAKO oeuvre pour "l'unité du peuple
moukongo fondée sur la langue kikongo et sur l'histoire du royaume kongo-
dia NTOTILA" (2) .
Et le 20 Août 1954,
l'ABAKO propose "des candidats au poste de
chef de cité avec le motif que les cités de Léopoldville comptant 82 %
des BAKONGO, l'ABAKO qui représente ce pourcentage se voit obligé de don-
ner son avis sur cette gestion"(3).
R. CORNEVIN poursuit
"Depuis plusieurs mois, des tendances séparatistes se
manifestaient dans l'ABAKO ( ••• )
(KASAVUBU'et son
ethnie) souhaitaient obtenir l'indépendance avant les
autres"(4) .
(1) SARTRE, ?ituations, V,
op.
cit.
page 206
(2) R.
CORNEVIN, Histoire du CONGO-Léo,
op.
cit. page 232
(3) R.
CORNEVIN, ibidem,
page 233
(4) R.
CORNEVIN, ibidem,
page
24<1.
64
Sans cohésion idéologique,
sans programme authentiquement national,
sans une conscience claire des enjeux de l'indépendance dans l'unité,
l'ABAKO
de KASAVUBU,
par essence,
est objectivement une source de désunion.
Les ap-
pétits de KALONDJI,
de TSCHOMBE nous installent dans Une saison àu Congo ou
la tragédie d'un homme,
d'un peuple,
de tout un continent.
Cette conscience
embryonnaire ruine les chances du Congo comme de l'Afrique.
Le M.N.C.
de LUMUMBA est le parti des "évolués" mais en réalité
"les "évolués" n'avaient aucun pouvoir sur les masses sauf au BAS-CONGO"(l).
Mais le BAS-CONGO est séparatiste.
Retenons avec FANON que
:
"l'impréparation des élites,
l'absence de liaison organique
entre elles et les masses ( .•. ) vont être à l'origine de
mésaventures tragiques"(2).
Cette vérité explique l'échec de LUMUMBA ...
"L'absence de liaison
organique" entre le M.N.C.
et les masses est à l'origine de la tragédie con-
golaise.
La conscience des "évolués" n'est pas la "cristallisation coordon-
née des aspirations'~les plus intimes de tout le peuple parce qu'ils sont
coupés des masses.
Elle est sans contenu,
fragile
et grossière.
Tous les élé~ents d'une crise sont ainsi réunis.
Un parti sans
base populaire pour le Premier Ministre centraliste,
un rassemblement lié
aux masses mais séparatiste par vocation pour le Président,
le drame con-
golais a commencé.
La composition,
la base du M.N.C.
ne donnent aucune chance à
LUMUMBA parce que
"le M.N.C. est universaliste, par delà les ethnies et les
frontières,
parce que ses militants sont des universa-
listes, en un mot c'est un mouvement des "évolués""(3).
(1) SARTRE,
Situations, ~, op. cit. page 207
(2) FANON, Les damnés de la terre, op.
cit.
page 113
(3) SARTRE,
Situations, V,
op.
cit.
page 215.
65
et SARTRE ajoute
"Dès le 1er Juillet, le centralisme devient Je rêve abstrait
d'un prisonnier d'honneur qui a perdu toute prise sur le
pays" (1) •
FANON voit là le
"résultat historique de l'incapacité de la bourgeoisie natio-
nale des pays sous-développés à rationaliser la praxis popu-
laire, c'est-à-dire à en extraire la raison"(2).
SARTRE avoue que le M.N.C.
est le "mouvement des "évolués" et re-
connaît que les "évolués" n'avaient aucun pouvoir sur les masses".
LUMUMBA,
chef du M.N.C.
n'a pas perdu "toute prise sur le pays".
Ce contrôle,
i l ne
l'~ jamais eu de façon effective, car son parti est sans base populaire
réelle.
Les "évolués" sont divisés
; les éléments les plus prêts à trahir
se recrutent dans ses rangs.
L'évolution de la crise congolaise le confirme,
et LUMUMBA en est le martyr.
Ils sont coupés des masses,
ils n'incarnent pas la volonté popu-
laire.
Ils sont donc incapables par nature de mener une lutte acharnée,
im-
placable, pour aider leur peuple à se libérer.
VII
LES OBSTACLES A
UNE INDEPENDANCE. AUTHENTIQUE
Nous avons déjà signalé quelques oppositions de diverses natures
à la construction,
à la consolidation de la souveraineté. D'autres facteurs
';
amoindrissent les chances de succès.
a)
Le vide politique
Les raisons de l'échec sont multiformes.
Ces contradictions et le
jeu de l'impérialisme conduisent à la désintégration du Congo.
A ce moment
(1) SARTRE,
Situations, V, op.
cit.
page 224
(2) FANON,
Les damnés de la terre,
op.
cit. page 113.
66
précis de son histoire,
l'exercice effectif, réel du pouvoir révèle un vide
politique créé et entretenu par la Belgique en particulier. En vérité,
"c'est, au Congo, un point mort, le degré zéro de l'histoire congolaise, les
moments où les Blancs ne commandent plus mais continuent d'administrer, où
les Noirs sont au pouvoir mais ne commandent pas encore"(l).
R.
CORNEVIN constate une "période de trois pouvoirs (Léopoldville,
Stanleyville, Elisabe~hville) auxquels il faut ajouter celui de l'O.N.U."(2).
Cette période est favorable à tous les troubles,
à tous les com-
plots.
Les hommes sont au pouvoir mais ne détiennent pas les rênes du pou-
voir.
Ils n'ont pas eu le temps d'élaborer une politique nationale.
Ils
n'ont pas pu mettre en place un programme économique et culturel.
Les éléments d'un fractionnement,
d'une explosion son~ tristement
réunis.
L'impérialisme profite de cette période de flottement pour déclen-
cher un conflit fratricide entre Congolais.
b)
L'absence de révolution
La seule solution est l'indépendance totale
parce que la condition
coloniale "tel un carcan, ne peut qu'êtrebrisée"(3).
Mais l'impérialisme a fait l'économie de cette étape pour mieux
assujettir le peuple congolais.
La révolution balaie en principe toutes les
structures paralysantes. C'est pourquoi "les dirigeants du trust mirent
tout en oeuvre, dès avant l'indépendance, pour provoquer la sécession du
Katanga" (5) .
(l) SARTRE, Situations, V,
op.
cit.
page 231
(2) R.
CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo op.
cit. page 260
(3)
A._ MEM~n in Portrait
op.
cit.
page136
(4) MEMMI, Portrait~olonisé
précédé du colonisateur,
op.
cit. page 136
(5) A. KITHIMA,
"Colloque sur les politiques de développement",
op.
cit.
page 347
in Cahiers Présence Africaine.
67
La liberté ne se donne pas
; elle se prend.
Si le Congo avait
fait sa révolution,
comme l'Algérie qui vit aujourd'hui des problèmes
liés à l'Islam et non à des divisions ethniques,
l'unité serait réalisée,
le commandement unifié aurait garanti la cohésion nationale car dans ce
cas précis,
"les chefs sont à la fois militaires et politiques: ils
ont brisé les anciennes structures, tout
est à refaire"(l).
Mais aussi "l'effort conjugué des masses
encadrées par un parti
et des intellectuels hautement conscients et armés
de principes révolutionnaires doit barrer la rou-
te à cette bourgeoisie inutile et nocive"(2).
F.
FANON poursuit:
"Le gouvernement natio:1al s ' i l veut être national
doit gouverner par le peuple et pour le peuple"(3).
L'indépendance nationale implique une liaison organi~ue entre
les dirigeants conscients et les masses responsables pour définir et ap-
pliquer ensemble les politiques nationales.
c) Deux visages du Congo
Joseph KASAVUBU, Patrice LUMUMBA
KASAVUBU résume à lui seul les barrières mises à l'unification
congolaise.
Il est un des pires ennemis de l'indépendance du pays.
Il
est uni à son ethnie par un lien obscur.
Président de la République,
il
vit une profonde contradiction née de sa conscience embryonnaire.
Il
est vrai que "son office lui commande de préserver l'unité nationale
en particulier contre la sécession katangaise qui risque de ruiner le
Congo -
son peuple réclame qu'il soit lui-même sécessionniste"(4).
La raison en est la suivante
;
"A la veille de l'indépendance,
l'ABAKO, chargée d'une
responsabilité particulière, marque le mouvement poli-
tique congolais de sa dualité profonde: mouvement
(1) SARTR~, Sîtuations, V, op. cit. page 228
(2) FANON,
Les damn~s de la terre, op. cit. page 131
03) FANON,
ibidem page 1~1
(4) SARTRE, Si tua tians ,~_~'{, op. ci t. page 206.
68
révolutionnaire, l'ABAKO impose aux tacticiens du néo-colo-
nialisme l'exigence paysanne d'une indépendance immédiate
et absolue; mouvement réactionnaire,
l'ABAKO se révèle
incapable, dans son mépris orgueilleux des autres races
et autres régions, d'assurer la direction du Congo au-delà
de la clairière ou de la région du BAS CONGO"(I).
Les théoriciens de la révolution africaine ont commis une erreur
fatale au continent car nous pensons avec FANON, SENGHOR, TROTSKY, Sékou
TOURE que "les assises profondes de la Révolution étaient dans la question
agraire" ( 2) •
KASAVUBU n'a ni la volonté,
ni la conscience pour résoudre cette
antinomie,
cette "dualité", cette inconséquence.
Et le drame pour LUMUrv1B!\\,
pour l'Afrique,
est que l'ABAKO de KASAVUBU est très puissant,
mais très
primitif. Ses chefs,
des "évolués",
sont restés soudés aux masses,
ce qui
fait leur force.
Le M.N.C.
recrute,
lui,
parmi
les "évolués" qui sont sans prise
réelle sur le peuple.
LUMUMBA,
sans arrière-pensée,
met au pouvoir les élé-
ments les plus réactionnaires,
les plus actifs de sa "classe".
Ils étaient
disposés à le trahir.
Il met en place un front mais sa victoire de 1960
masque mal les inconséquences de ce cartel.
Le mot d'ordre moblisateur était l'indépendance
une fois
celle-ci obtenue,
les particularismes surgissent.
D' une part KASAVUBU,
"le chef charismatique",
en face,
LUfvlUMBA
déjà seul parce qu'''il a mis sa classe au pouvoir et qu'il se disposait
à gouverner contre elle"(3).
Il voulait en effet "gouverner pour les déshérités par les
déshéri tés" (4) .
(1) R. CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo, op. cit.
page 245
(2) TROTSKY ci té par \\>JAUTHIER,
L'Afrique des Africains,
op.
ci t.
page 253
(3) SARTRE,
Situations, V,
op. cit.
page 221
(4) FANON, Les damnés de la terre,
op.
cit. page 151.
69
Cruelle ironie de l'histoire,
c'est SENGHOR qui affirme que
"l'expression politique de l'Afrique Noire veut des chefs
qui représentent le Peuple, des chefs choisis par le
Peuple" (1) .
Les "évolués" au Congo,
à cette date,
n'étaient pas encore une
classe,
mais un groupe social peu conscient de seS intérêts véritables.
L'attitude de LUMUMBA relève donc de l'idéalisme politique,
car ses cama-
rades n'étaient pas prêts à assumer un suicide de "classe".
Ils l'avaient
déjà trahi.
A partir de ce moment,
"LUMUMBA est seul. Absolument seul"(2).
Un autre analyste
confirme cet isolement
"LUMUMBA (est) isolé à Léopoldville, au milieu des BAS-CONGO
hos t I Leat'{S) •
Il se crée fatalement un vide autour de lui.
Il veu~ l'indépen-
dance plénière du Congo qui passe nécesairement par l'unité africaine.
Mais
il n'est pas parvenu à créer la communion avec son peuple.
Cette solution
le conduit à la mort,
mais avant,
i l peut dire à ses ennemis,
KASAVUBU,
TSCHOMBE,
KALONDJI,
MOBUTU et les autres:
"Nous sommes deux forces:
les deux forces:
tu es l'in-
vention du passé, et je suis inventeur du futur" (4) •
LUMUMBA est artisan,
acteur de l'histoire qui s'est faite contre
lui.
Il est l'avenir;
KASAVUBU,
TSCHOMBE,
KALONDJI et MOBUTU,
le passé
sombre,
que nous souhaitons révolus,
de l'homme africain.
SARTRE note que
"La force de LUMUMBA était parlementaire; celle de
KASAVUBU était réelle et massive ( •.. ). Lill-ruMBA fut
démis et arrêté sans avoir jamais été mis en minori-
té. En d'autres termes, la démocratie fut simplement
rejetée" (5).
".
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
(1) SENGHOR,
Libe~~~op.
cit.
page 58
(2) SARTRE,
Situations, V op.
cit. page 217
(3) R.
CORNEVIN, Hi~toire du Congo-Léo, op. cit. page 261
(4) CESAIRE, ~ne _~~~~_on a~ongo,
Paris, Seuil, 1973
page 109
(5) SARTRE,
Situa~~ons, V, op. cit. page 224.
70
Nous retenons que "disposant d'une majorité précaire, LUMUMBA
devra d'abord réagir aux é.vénements" (1) .
Ce n'est pas un rejet de la démocratie.
Dans un système démocra-
tique,
les élus incarnent la volonté populaire.
Ils sont l'expression vi-
vante de la conscience nationale.
Une "majorité parlementaire précaire",
sans prise effective sur le peuple,
pos~ avant tout, le problème de sa
légitimité.
Une
juxtaposition d'intérêts particuliers,
divergeants,
opposés,
des aspirations réelles mais contradictoires,
une incapacité presque con-
génitale à élaborer et à mettre en oeuvre un programme commun,
conduisent
fatalement à la tragédie.
L'histoire congolaise nous enseigne cette cruel-
le vérité.
VIII
POUR UNE INDEPENDANCE AUTHENTIQUE
à;)
Le
panafricanisme
Après la conférence d'Accra du 6 au 13 décembre 1958,
le discours
unitaire de l'Afrique inquiète.
Mais dans la situation historique du Congo,
LUMUMBA effraie également par ses profondes convictions panafricanistes.
Objectivement,
"le panafricanisme déclaré de LUMUMBA lui a valu quelques-
uns de ses plus redoutables adversaires, les Blancs de
Rhodésie (Zimbàwé) d'Afrique du Sud, et, plus sournoise-
ment, les conservateurs anglais"(2).
Parce que,
après sa rencontre avec NKRUMAH et Sékou TOURE à Accra,
LUMUMBA "découvre l'Afrique indépendante et prend conscience de la solida-
rité africaine.
Le 28 décembre i l fait un compte rendu passionné de la
conférence d'Accra"(3).
(1) R.
CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo, op.
cit.
page 261
(2) SARTRE,
Situations, V,
op.
cit.
page 224
(3) R.
CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo, op.
cit.
page 241.
71
Cette unité est indispensable.
L'Afrique divisée,
t~coup de force mili-
taire pourra facilement mettre en place une équipe gouvernementale de
techniciens qui ne seront pas engagés avec l'Afrique révolutionnaire"(I).
D'autant plus que d'''Accra, du Nigéria, en passant par la Guinée,
et dans chacun de ces pays, LUMUMBA a enri-
chi son expérience. On compte sur l'aide
des Etats Noirs indépendants pour appuyer
le nationalisme congolais"(2).
Cette hostilité est ~active car l'impérialisme a clairement
identifié les enjeux.
Le contexte historique et l'attitude peu éclairée
des dirigeants africains,
à l'exception de quelques consciences réfléchies,
permettent à l'impérialisme de triompher.
Cette vue étroite ruine les es-
poirs des régimes encore fragiles.
L'Afrique découvre dans la tragédie congolaise son destin.
On
constate qu'''en fait,
les nations africaines découvraient au Congo leur
destin, le destin de l'Afrique"(3).
L'Afrique,
par la faute de ses dirigeants peu clairvoyants, sur-
tout soucieux de prestige personnel,
est humiliée.
Le sort du contjnent
se décide ailleurs,
et par d'autres.
b )
Le marché commun
L'organisation des échanges au niveau continental s'est révélée
indispensable.
La question demeure actuelle.
SARTRE é c r i t :
';L'Afrique ne peut se faire sans produire pour elle-même
un marché africain.
L'organisation d'un marché commun
à l'échelle du continent noir implique d'autres pro-
blèmes et d'autres luttes"(4).
(1) R.
CORNEVIN, Histoire du Congo-Léo, op.
cit.
page 261
(2) KABEMBA ASSAN Professeur à l'Université de Kisangani,
Pierre SALMON
Professeur à l'Université Libre de Bruxelles Belgique
in Historiens-Géographes du Sénégal,
op.
cit.
page 78
(3) SARTRE, Situations, V, op.
cit.
page 250
(4) SARTRE,
ibidem page 213.
72
Pour réaliser ce marché commun, i l faut une volonté politique
et une correcte intelligence des intérêts du continent.
Les dirigeants
n'étaient pas prêts; mais le sont-ils aujourd'hui, malgré les nom-'
breuses organisations régionales,
sous-régionales et continentales?
La question reste ouverte.
En tout cas,
NKRUMAH militait "en faveur de la création d'un
marché commun africain"(l).
A partir du moment où cette option a échoué,
le rôle de
Patrice LUMUMBA était terminé.
Seul,
trahi de tous,
livré aux sinistres
ennemis de l'Afrique,
i l ne pouvait pas être le héros du panafricanisme,
mais son martyr.
Il faisait l'histoire mais contre lui-même.
LUMUMBA,
objective-
ment non violent,
devait s'effacer au profit des hommes de main de l'im-
périalisme
: KASAVUBU, TSCHOMBE,
KALONDJI et MOBUTU.
En assassinant LUMUMBA,
ceux-ci pensaient anéantir les espoirs
de l'Afrique tout entière.
Les intrigues de Youlou s'ajoutent aux nombreux
problèmes.
LUMUtiJBA "était l' homme de la passation des pouvoirs
sitôt
après,
i l devait disparaître"(2).
Il incarnait les illusions,
les espoirs et les désillusions de
l'Afrique~ Mort,
il devient le symbole de la lutte des peuples opprimés.
Il est un mythe.
(1)
C.
Wauthier,
L'Afrique des Africàins, op.
cit. 1 page 267
(2) SARTRE,
Situations, V,
op.
cit.
page 244.
73
CO N C LUS l
ON
PAR T l E L L E
La préface à La pensé politique de patrice LUMUMBA est la ré-
flexion sur les raisons d'un échec établi.
Elle décrit les espoirs,
les
bouleversements et indique les perspectives pour sauver l'Afrique.
La force de LUMUMBA représente une Afrique consciente de ses
intérêts, responsable de son destin.
Elle doit,
pour parvenir à ses fins,
réaliser son unité politique dans une volonté commune d'assumer l'Histoire.
Après la revendication culturelle,
l'Afrique doit mener le com-
bat pour la souveraineté politique,
créer les conditions de l'indépendance
plénière économique et sociale dans une fédération des Etats. Un pouvoir
central peut aider à écarter le spectre des guerres tribales,
ou entre
pays indépendants pour des questions de frontières.
La faiblesse de LUMUMBA se résume en quelques réalités négative-
ment chargées et malheureusement intériorisées par certains Africains,
entretenues par l'impérialisme.
Le séparatisme,
le régionalisme,
les
convulsions ethniques,
religieuses font de l'Afrique un continent divisé,
déchiré et finalement balkanisé.
Le dessein principal de SARTRE était d'identifier complètement
et,
en vérité,
de faire le portrait des protagonistes du drame congolais,
et de la relation qui les unit et qui ne trouve son terme que dans la
victoire d'un camp.
Cette lutte acharnée par la liberté,
le pouvoir,
le contrôle
"
"
..~
des richesses immenses au Congo qui "n'a perdu qu'une bataille"(l) est
i
?
le combat de tout le continent noir.
,1
Po~r réussir
les peuples d'Afrique doivent vaincre les forces
centrifuges.
Mais dans l'exemple congolais,
l'union a fait les frais des
stratégies et des intérêts divergents.
(1)
SARTRE,
Préface à
La Pensée Politique de Patrice LUMUMBA, op.
cit.
page 253.
74
CONCLUSION GENERALE DE ~ PREMIERE. PARTIE
La création littéraire,
scientifique négro-africaine est liée à
la vie sociale, à l'expérience collective du MAL à travers l'histoire.
Elle
résume,
de manière saisissante,
le drame des nègres dans le monde entier,
le destin de l'homme noir.
Le peuple,
en raison de l'esclavage,
de la colo-
nisation, n'a plus d'avenirs individuels, mais une histoire collective.
Dans ce contexte chargé de menaces,
de risques d'acculturation,
les Noirs de la diaspora,
pour retrouver leur équilibre,tentent de se ré-
enraciner dans la race,
dans la culture noire.
La littérature négro-africaine,
à cause de cette exigence histo-
rique,
est,
pour les écrivains nègres,
une contestation de la réalité.
Ils
assument,
à partir de cette prise de conscience,
leur identité,
leur patri-
moine culturel,
leur spécificité. Mais la revendication n'est pas sectaire.
Elle n'est pas un particularisme étroit car "nous ne sommes pas racistes"(l).
Les écrivains noirs,
pour transcrire leur vi.sion du monde, ont
recours -
la situation l'impose et le réalisme l'exige -
au français,
une
langue étrangère qui les trahit.
Mais ils parviennent,
malgré la pauvreté
du français en concepts opératoires pour décrire l'âme noire, à faire par-
tager leurs obsessions à leurs frères de race et à tous les hommes.
Ils font pénitence, mais pour le rachat de leur race victime de
l'oppression du Blanc. Cette disposition psychologique,
comportementale
n'est pas une conséquence du péché originel décrit dans la Genèse.
C'est
un acte singulier qu'on ne saurait rapprocher de l'action du
Christ;
Sauveur pour les chrétiens,
car
"la Vierge Marie est la seule
personne de la caravane humai-
ne qui ait été préservée de
"tomber dans le précipice" où
Adam a entraîné toute la race" (2) •
(1) C.A.
DIOP,
Les Fondements ... op.
cit. page 245
(2) P.
THIVOLLIEH,
Parler-Franc sur la Religion, nO /,
le péché originel,
Cerf/Verbum Bible,
1977 -
page 117.
75
b~ fi6ei6fi de ~ace déchue n'a rien à voir avec la situation, les
conditions du Nègre victime de la vicissitude des événements.
Dans cette quête de l'équilibre rompu par l'homme blanc qui l ' a
exilé,
dominé,
exploité, méprisé,
le Noir cherche à se repersonnaliser.
Le mythe végétal,
dans un univers où tout est communion, est donc
symbole d'une union charnelle entre le Noir et tous les éléments du cosmos.
Dans cette optique, on constate une originalité de la situation
des Noirs dans le monde,
une originalité des problèmes nègres,
une origina-
lité de l'histoire nègre amputée par l'esclavage,
et la colonisation, une
originalité de la culture à assumer et à vivre pleinement.
Le Noir doit avoir
une conscience claire
: cette nécessité impérieuse à assu-
mer suppose que les Noirs,
face à l'accélération des événements, créent
les conditions pour dépasser le fait colonial et réussir les indépendances.
Mais les convulsions multiformes,
exploitées par l'impérialisme
occidental et ses agents,
atomisent le Congo.
L'ABAKO,
parti lié aux masses,
à l'image de son Chef KASAVUBU,
est séparatiste par essence. Les Jiri~eants de ce parti ethnique, religieux et
régionaliste
conçoivent l'indépendance comme un partage scandaleux des
richesses nationales à leur seul profit.
Les ambitions de KASAVUBU,
TSCHOMBE, KALONDJI,
MOBUTU,
leur séparatisme maintiennent les anciennes
discordes entretenues par le colonialisme belge.
Le destin du Congo s'est joué entre les Belges,
les Anglais,
les Français,
les Américains,
les Blancs d'Afrique du Sud et de Rhodésie
(Zimbawé).
Les décisions brusques et contradictoires de l'O.N.V. sont les
signes qui ont trahi les tractations,
les négociations entre ces gouverne-
ments ayant scellé le sort du Katanga.
76
Le M.N.C.
de LUMUMBA formé par les éléments les plus réaction-
naires, sans lien organique avec le peuple, est la proie de déchirantes
contradictions qui ruinent l'indépendance du Congo.
Dans ces circonstan-
ces,
"LUMUMBA, seul et trahi, restait le symbole abstrait de l'Unité
Nationale"(l).
Celle-ci doit être en effet une réalité concrète et non une
abstraction comme au Congo dans cet état de son histoire.
Le pays connaît de
graves crises nées du séparatisme et retourne à l'état d'empires disloqués.
LUMUMBA voulait l'indépendance plénière mais il n'avait pas
les moyens pour la réaliser.
Le séparatisme préfigurait la division de l'Afrique en plu~
sieurs Etats nains.
Il l'avait compris. C'est la raison essentielle
qui l'orientait vers le fédéralisme manqué à cause de KASAVUBU,
et vers
l'Unité Continentale.
Le panafricanisme de LUMUMBA faisait de lui,
comme de NKRUMAH
et de Sékou TaURE avec le "Non" historique de la Guinée,
des hommes à
sacrifier pour des intérêts étrangers à l'Afrique entière.
Aujourd'hui encore,
le micro-nationalisme,
le régionalisme
artificiellement entretenu par les régimes autocratiques retardent l'Uni-
té Africaine.
LUMUMBA était l'Afrique entière,
avec sa volonté unitaire,
la
diversité de ses régimes,
ses clivages,
ses discordes.
L'histoire du Congo,
à travers son martyr, a mis, en lumière,
de façon définitive,
la nécessité absolue d'un lien profond entre l'indé-
pendance effective,
l'unité et la lutte contre le néo-colonialisme et les
réformistes.
Libérer l'Afrique,
c'est faire face à cette exigence histo-
rique.
(1)
SARTRE, Situations, V,
op. cit. page
\\
1ii
1
,
DEUXIEME PARTIE
1
1
!
,
o )
SARTRE
DE
LA
o )
TR~ITEMENT
DU
RACISME
TJRAUE:RS
LA
PUTAIN
RESPECTUEUSE_
...... ,'-'i
78
incertain à bâtir.
L'homme sartrien est alors conscience de l'histoire
et projet.
Confronté à un monde hostile,
dans une société cloisonnée,
avec une psychologie figée,
l'homme doit se conquérir dans et par son
action dans sa communauté d'exil.
Responsable devant son destin,
emprisonné dans la conscience
humaine,
le Noir est enfermé dans les limites de ses propres problèmes.
Mais sa lutte cherche à détruire moins le Blanc que les structures de
l'oppression.
Ainsi,
"l'arme de la violence,
dans les mains des Noirs,
a été employée presque exclusivement contre la propriété, non contre
les personnes" ( l ) .
Dans La putain respectueuse,
Lizzie et le Nègre,
dans la mou-
vance événementielle, ne s'assument pas en fondant véritablement leurs
actions dans un système de valeurs authentiques et personnelles.
Prison-
niers des lois de leur univers, enfermés dans les fausses valeurs de
leur
société,
incapables d'ériger leur propre échelle de valeur conforme à
leur conscience,
ils ne transforment pas leur vie en un acte souverain
assumé pleinement.
Ballotés entre ce qu'ils voudraient faire et ce qu'ils
font effectivement,
ils ont une conscience tragique,
déchirée, du seul
fait de leur tricherie avec les exigences les plus profondes de leur per-
sonnalité. Victimes d'une société raciste, victimes d'une bourgeoisie
puissante mais corrompue,
sans volonté ni conscience lucide de transfor-
mer leur monde,
~ls voient l~ur pré~~n~ C~ leur avenir proGis à misère.
Une conscience livrée aux systèmes de valeurs d'une société
raciste est au centre des préoccupations sartiennes dans La putain res-
pectueuse.
(1) M.L. KING,
La seule révolution traduit par Jacques POTIN,
Paris,
Casterman,
1968, page 31.
79
TRADITIONS ET REALITES SOCIALES
La négritude,
pour les Noirs disséminés à travers le monde,
est avant tout un effort de reconquête des valeurs perdues en raison
de l'Histoire.
Le thème du retour aux sources domine la production lit-
téraire de ces écrivains.
Leur quête intègre l'espace géographique et
temporel.
Leurs réalités sociales, hors du continent noir,
souffrent des
rapports de discrimination de façon cruelle.
Il
LA
NEGRITUDE
1°)
Les causes
L'Afrique,
pour les Noirs de la Diaspora,
est une absence;
par
contre,
elle est,
pour leurs frères restés sur le continent,
une présence.
L'impact de la colonisation en Afrique et dans la diaspora,
n'est donc
pas identique.
Le drame culturel,
pour le Noir du continent,
résulte de
la rencontre conflictuelle entre deux mondes,
deux civilisations. Pour
les nègres de la diaspora,
le fonds
culturel n'est pas consistant,
solide.
Leur drame,
dG à leur exil de
la terre des ancêtres,
se greffe à vif sur
une tragédie culturelle.
Cependant les causes de la négritude sont les mêmes.
Il faut
sonder le coeur de ces
écrivains pour découvrir les raisons qui fondent
leur besoin d'écrire.
L'exil
L'exil du Nègre à Port-au-Prince, à Haiti,
à travers le monde,
est double et justifie le besoin de la création.
Exilé d'Afrique,
coupé
de sa culture sans un espoir réel de
se réenraciner,
il thématise cet
éloignement et d'autres aspects de son histoire.
La littérature a une
relation directe avec son expérience sociale, culturelle.
Le poète écrit
pour la résurrection de
sa race et de la mémoire collective.
80
A ce propos,
Jean-Paul SARTRE,
dans la préface à l'anthologie
de SENGHOR; constate
:
"Et réciproquement, c'est parce qu'il était déjà exilé de
lui-même qu!il s'est trouvé ce devoir de manifester. Il
commence donc par l'exil ( . . . ). A Port-au-Prince i l était
en e x i l ; les négriers ont arraché ses pères à l'Afrique
et les ont dispersés"(l).
En effet,
les Noirs,
jetés dans toutes les parties du monde,
"se flétissent et meurent comme des arbres arrachés à leur sol natal"(2).
Les Noirs sont coupés de leur terre natale;
c'est une expatria-
tion.
Cet exil est matériel, moral et culturel.
Il est un supplice cruel
parce que "cet exil ancestral des corps figure l'autre exil: l'âme noire
est une Afrique dont le Nègre est exilé"(3).
En effet,
les Noirs de la diaspora "se glissent à travers les
rouages complexes de (leur) civilisation comme des spectres gémissants;
ils gravitent comme des planètes embrasées détachées de leurs orbites"(4).
Ils ne vivent plus intensément les valeurs de civilisation de
l'homme noir.
Déracinés,
les Nègres vivent cette déchirure.
Il est donc
normal que l'exil soit une de leurs préoccupations.
Leur littérature a
une prise directe sur la situation sociale historique.
L'autre thème des écrivains de la diaspora est de retrouver
leurs racines,
les valeurs de civilisation du monde noir.
Le thème du
retour aux sources,
l'identité nègre retrouvée correspondent à une aspi-
ration profonde.
----------,C·:;
(1) SARTRE,
"Orphée noir" in Anthologie,
op.
ci t.
page XVI
(2) Richard WRIGHT, Un enfant du Pays,
traduit par Hélène BOKANOItJSKI,
Paris Gallimard,
1988 -
page 491
(3) SARTRE,
"Orphée noir" in Anthologie,
op.
cit.
page XVI
(~) R. WRIGHT, Un enfant du Pays, op. cit. page 491.
77
CHAPITRE
III 1
SARTRE FACE AUX NOIRS DE LA DIASPORA
l
N T R 0 DUC T ION
La solitude, la liberté,
la responsabilité autonome de l'homme
face à lui-même,
dans un univers sans Absolu,
semblent résumer les préoc-
cupations de SARTRE qui,
avec une lucide exigence,
met l'homme en face
de son destin.
Dans ce monde qui n'a rien d'idyllique,
rien ne saurait,
même pas la bonne volonté,
éliminer les violentes contradictions qui
l'agitent,
le traversent et le déchirent.
L'angoisse de la responsabilité
humaine.
sans guide dans l'exercice de cette responsabilité,
sans les
grandes doctrines expliquant le monde,
oblige l'homme à se mettre en jeu
car "Ainsi privé du secours des doctrines toutes faites aux-
quelles i l ne croit plus,l'homme se sent seul. Et dans
cette solitude, pourtant sa responsabilité lui apparaît
d'autant plus nette qu'elle n'a plus rien qui le guide
et devient inquiète" (1) .
L'homme,
enfermé dans sa condition humaine,
dans un ciel vidé
de
tout Absolu doit faire face à son propre "moi" et aux consciences du
genre humain.
Pourtant "délaissé et libre, l'homme est responsable de son
être, précisément parce que, englué dans la contin-
gence de sa situation, i l n'est pas cause de son
être. Il lui appartient dès lors de se jeter en
avant dans le monde pour échapper à cette gratuité.
Il s'y jette comme à dessein de lui-même pour être
- à l'avenir - son propre fondement"(2).
L'homme doit évoluer entre deux valeurs contradictoires en ap-
parence,
mais étroitement liées
: la solitude et la responsabilité.
Les
Noirs de la diaspora,
dans tous les textes de SARTRE,
vivent une tension
entre un passé connu à travers l'histoire bouleversante de l'esclavage,
de la colonisation,
un présent négativement chargé à assumer et un avenir
(1) René-MARILL ALBERES,
Jean-Paul SARTRE,
Paris,
Editions Universitaires
1962 page 11
(2) Hadi·RIZK,
"L'aventure de l'être" in Magazine littéraire,
nO 282 -
Novembre 1990 page 58.
81
2°)
La quête de l'identité
Les écrivains nègres ont recours à la tradition pour se ressour-
cer, se réenraciner.
Leurs oeuvres reflètent quelques aspects de l'authen-
ticité africaine.
En claire,
"la situation du Noir, sa déchirure "or-Lgf.neLkev , l'a-
liénation qu'une pensée étrangère lui impose sous
le nom d'assimilation le mettent dans l'obligation
de reconquérir son unité existentielle de nègre ou,
si l'on préfère, la pureté originelle de son projet
par une ascèse progressive, au-delà de l'Univers du
discours" ( 1 ) .
D'autant
que l'assimilation est impossible.
L'homme noir a
besoin de retrouver ses racines. Césaire,
dans son analyse,
le confirme
quand il écrit:
"L'Antillais par contre, à la limite, n'a rien, ni langue
véritable, ni religion, ni histoire. Le poème, par le re-
tour aux sources qu.:'il nécessite, peut être une tentative
de repersonnalisation" (2) .
Pour assumer son statut d'homme,
le Nègre a besoin de savoir
qui il est,
de connaître son passé.
Sa personnalité dépend de ce retour
aux sources.
Ce sont, dans une certaine mesure "Les damnés de la Terre"(3),
Paris, Maspéro,
1967.
Les valeurs culturelles du monde noir,
la quête du "moi",
dans
leurs oeuvres,
se manifestent par la référence au tam-tam,
au vaudou,
au
jazz. Cette quête se manifeste ainsi
"Il existe, en effet, une négritude objective qui s'expri-
me par les moeurs, les arts, et les danses des populations
africaines" (4) .
La négritude est une manifestation concrète,
vivante de tous les
aspects de la civilisation du monde noir.
En effet, SARTRE note encore
(1) SARTRE,
"Orphée noir",
in Anthologie,
op.
cit.
page XXIII
(2) CESAIRE,
in ~evue Africaine, n05, Octobre 1961 - page 12
(3) F ... FANON ,L~s 'damnés de la 'terrê, Paris, ['1aspéro 10b7
(4)SkRTRE,
ArithoJ-ogie;"op.
c i t . p"p XXEI-XXIV.
82
"La négritude, c'est ce tarn-tarn lointain dans les rues de
Dakar, ce sont ces cris vaudous sortis d'un soupirail
haïtien. C'est ce masque congolais mais c'est aussi ce
poème de CESAIRE"(1).
Expression vivante de la culture nègre,
elle est aussi musique
et rythme qui relatent toutes les peines endurées par les hommes de cou-
leur.
SARTRE voit
"les Noirs de Harlem danser frénétiquement au rythme de
ces "Blues" qui sont les airs les plus douloureux du
monde" (2) .
Ces "Blues" sont fondamentalement liés aux conditions d'exis-
tence des Noirs.
3°)
Une littérature fonctionnelle
Le Nègre a souffert de l'esclavage,
de la colonisation,
de
l'exploitation capitaliste.
Il a besoin d'une arme pour lutter.
Edifier
la statue de la négritude exige un style approprié et une littérature
militante.
C'est la raison pour laquelle
"la poésie noire n'a rien de commun avec les effusions
de coeur : elle est fonctionnelle,
elle répond à ~n
besoin qui le définit exactement"(3).
Mais contre toute attente,
SARTRE écrit
"Mais cet acte est une disposition intérieure:
i l ne
s'agi t
pas de prendre dans ses mains et de t.r-ans ror-c-
mer les biens du monde,
i l s'agit d'exister"(4).
----------------------------------------------------~'
:~
(1) SARTRE,
"Orphée noir",
in Anthologie, op.
cit.
page XXVI -
XXVII
;!-:
~:.
(2) SARTRE,
ibidem,
page XXXV
(3) SARTRE, cité par Contat et Rybalka Les écrits de SARTRE op.
cit.
page 216
(4) SARTRE,
"Orphée noir" in Anthologie,
op.
cit.
page XVI.
83
La littérature comme expression de la conscience nègre continue
une nouveauté et une originalité. Elle est sociale:
elle ne s'intéresse
qu'à l'homme et à son sort.
Elle est une arme contre toutes les formes
de domination et de négation des valeurs du monde noir.
Elle est la mé-
moire collective des Noirs.
D'ailleurs Martin Luther KING oppose à SARTRE les propos suivants
"La discrimination coupe en deux une trop grande partie de
leur (les Noirs) vie pour qu'ils la supportent dans le
silence et l'apathie"(l).
Leurs chants,
leurs danses,
leurs oeuvres sont une forme de
lutte.
Ils sont une opposition active.
11/
LA SOCIETE AMERICAINE
a)
Conservatrice
La société américaine est profondément conservatrice
"L'oppression est dans la"nature"puisque c'est un fait
naturel que le Noir est inférieur au Blanc. Elle est
"de droit divin" puisque la nature,
dans un monde créé,
est ménagée selon la volonté de Dieu"(2).
Martin Luther KING,
de son côté, constate
"Ils (les Noirs) devaient s'attendre à rester pour tou-
jours dans l'inégalité et la pauvTeté"(3).
(1) Martin Luther KING La seule révolution op. cit.
page 28
(2) SARTRE, cité par Contat et Rybalka,
Les_ écrits de S.J\\RTRE,
op.
cit.
page 216
(3) Martin Luther KING,
La seule révolution,
op.
cit.
page 27.
84
Ce conservatisme se manifeste dans tous les rapports entre Blancs
èt Noirs.
Il est psychologique. C'est une ségrégation active;
de fait,
la
société américaine est raciale.
b)
raciale
Le racisme se reflète dans la géographie des habitations.
Les
zones d'habitation des deux races sont séparées.
Les Blancs et les Noirs
ne vivent pas dans les mêmes lieux,
lieux qui sont à l'image des condi-
tians sociales.
"Dès que la construction du barrage a commencé, on a <1bat-
tu les pins et trois villages ont surgi du sol : deux
villages blancs qui ont respectivement trois mille et
cinq mille habitants et un village nègre. Les ouvriers y
habitent avec leurs familles"(l).
Cette discrimination se note dans d'autres secteurs de la vie
quotidienne
:
"Il n'est aucun lieu public où l'on voit Blancs et Noirs
se mélanger ••• Dans les chemins de fer et les tramways,
ils ont des places à part ; ils possèdent leurs églises,
leurs écoles, plus pauvres et plus rares que les écoles
blanches; i l arrive même souvent,
dans les usines,
qu'ils travaillent dans des locaux séparés"(2).
WRIGHT, dans une autre situation,
aboutit à la même conclusion.
Il écrit
"Noir et domestique dans une Amérique raciste et une
société fondée sur l'argent, BIGGER sait qu'il n'a
aucune chance"(3).
MAX,
son avocat, saisit l'occasion pour "dénoncer "l'J10nneur
moral de la vie d'un Noir aux Etats-Unis" dans les années quarante"(4).
(1) SARTRE,
"Villes d'Amérique~, Situations,III,Paris,Gallimard,1949,
page 95
(2) SARTRE,
cité par A. Cohen SOLAL, Jean-Paul SARTRE 1905-1980,
Paris,
Gallimard,
1985, page 319
(3) R.
vJRIGHT, Un enfant du Pays, op.
c i t , page 134
(4) R.
WRIGHT, ibidem op.
cit.
page 135.
85
KING dénonce
"les milliers de barrières, visibles et invisi-
bles, qui parquent étroitement les Noirs dans
des quartiers, des écoles, des emplois (
), des
activités sociales"(l).
WRIGHT, dans Black Boy, affirme
"J'avais peur en me faufilant à travers la foule
des Blancs, mais ma peur me quitta quand je re-
vins dans mon quartier et que je vis des visages
noirs souriants"(2).
Le racisme définit donc les rapports entre les deux communautés
blanche et noire.
Même la distribution du travail obéit aux normes de la
race.
La main-d'oeuvre est noire.
Les Noirs ne sont admis dans les quartiers blances,
dans les
résidences des blancs qu'à titre de domestiques.
La présence ~ègre est
juste tolérée dans la mesure où les Noirs assument les travaux subalter-
nes.
SARTRE rapporte:
"Et ce matin un avocat de 35 ans, qui me montrait
le quartier nègre:
"j'y suis né. A cette époque-
là, c'était la résidence des Blancs, vous n'y au-
riez pas vu un Noir, sauf des domestiques"(3).
\\<JRIGHT décrit aussi la journée d'un Noir qui passera "la matinée
du lendemain à casser le bois pour la cuisinière, à traîner des seaux de
charbon pour les foyers,
à laver l'entrée de la maison, à balayer l'entrée
de la cour et la cuisine, à servir à table et à laver la vaisselle"(4).
Même constat de SARTRE dans d'autres situations
"En cette terre d'égalité et de liberté vivent
treize millions d'intouchables . . . Ils vous ser-
vent à table, ils cirent vos chaussures, ils
,,
,.
---------~_.~
(1) M. KING,
La seule révolution,
op.
cit.
page 27
(2) WRIGHT, Black boy,
traduit par Marcel DUHA MEL, Paris,
Gallimard,
1957, P.
132
(3) SARTRE,
"Villes d'Amérique", Situations, III,
op.
cit. page 99
(4) WRIGHT, Black boy (Jeunesse noire),
traduit par rv.ar'cel Duhamel,
Paris,
Gallimard,
1947, op. cit. page 249.
86
manoeuvrent vo-tr-e ascenseur, ils portent vos valises dans.
votre compartiment; mais ils n'ont pas affaire à vous,
ni vous à eux, ils ont affaire à l'ascenseur, aux valises,
aux chaussures"(l).
Et enfin,
"Soixante-quatre pour cent de la population noire totale
des Etats-Unis est employée à des travaux agricoles ou
domestiques"(2).
Malgré cette ségrégation dans l'habitation,
dans la distribution
des métiers,
dans l'éducation, SARTRE trouve que le problème des Noirs aux
Etats-unis n'est ni politique,
ni idéologique.
Il affirme à ce sujet:
"Le problème noir n'est pas un problème politique, ni un
problème culturel : les Noirs appartiennent au proléta~
riat américain et leur cause est la même que celle des
ouvriers blancs"(3).
Martin Luther KING répond
"Ce n'est pas contre la race en elle-même que nous luttons,
mais contre la politique et l'idéologie que les leaders
de cette race ont formulées pour perpétuer l'oppression"(4).
Dans un autre texte,
sur la même question,
SARTRE, paradoxale-
ment soutient
:
"le Nègre, comme le travailleur blanc, est victime de la
structure capitaliste de notre société.(~.~) Mais, si l'oppres-
sion est une, elle se circonstancie selon l'histoire et
les conditions géographiques : le Noir en est la victi-
me, en tant que Noir, à titre d'indigène colonisé et
d'Africain déporté"(5).
(1) SARTRE, cité par A. COHEN SOLAL, Jean-Paul SARTRE 1905-1980, op. cit.
page 319
:1.
.'.
( 2) SARTRE, cité par A. COHEN SOLAL, Jean-Paul SARTRE 1905-1980, op. cjt.
.::
page 319
";'.
(3) SARTRE,
cité par Contat et Rybalka,
Les écrits de SARTRE, op.
cit
page 123
( 4) t'l,
L.
KING,
La seule révolution,
op. ci t. page 25
(5) SARTRE,
"Orphé noir" , in Anthologie, op.
ci t.
page XIII.
87
Il achève sur le même registre en remarquant :
"En tout cas i l (l'ouvrier blanc) est moins cyniquement
exploité que le journalier de Dakar ou de Saint-Louis"(l).
SARTRE se débat dans des contradictions.
Le problème noir aux
Etats-unis est idéologique et politique. Même si le Noir est solidaire du
"prolétariat", sa lutte déborde celles des autres "prolétaires". Mais les
Noirs,
de façon plus précise,
répondent qu'ils sont partout combattus et
se trouvent au bas de l'échelle sociale.
D'autant
que
"même lorsqu'un Noir arrive à mettre le pied sur l'échelle
économique,
la discrimination est toujours là pour le fai-
re tomber après qui'l a monté quelques barreaux"(2).
Il faut noter aussi que
"le nombre de chômeurs noirs,
d'après les chiffres du gou-
vernement, atteint 30 à 40 % dans de nombreuses villes"(3).
A cela s'ajoute que
"les Noirs forment plus de 20 % des troupes combattant
en première ligne, dans une guerre d'une sauvagerie
sans précédent, alors qu'ils ne forment que la % de la
population" (4) .
Le problème est bien politique.
Les Noirs luttent contre les
hommes et l'idéologie que secrètent les institutions des Etats-Unis.
Cette discrimination flagrante disparaîtra avec les régimes
initiant des politiques soucieuses des seuls intérêts des Blancs.
(1) SARTRE,
"Orphée noir",
in Anghologie, op.
cit. page XIV
(2) M.L.
KING,
La seule révolution,
op;
cit.
page 28
(3) M.L.
KING,
ibidem, page 28
(4) M.
L.
KING,
ibidem, pp 28 -
29.
88
Les Noirs appartiennent aux classes exploitées en Afrique et
dans la diaspora,
mais ils souffrent plus atrocement de l'exploitation
parce qu'ils sont noirs.
L'ouvrier blanc est "moins cyniquement exploité"
que son collègue nègre.
Toutes ces raisons reconnues par SARTRE sont d'abord politiques
les autres aspects ne sont que des conséquences de l'idéologie dominante.
c)
Le
Nègre
1°)
Le
statut
social
Le Noir vit dans la misère,
le dénuement à tous points de vue.
SARTRE constate
:
"Ce furent des demeures aristocratiques, à présent des
pauvres les habitent. Il y a de ces temples gréco--romains
dans le sinistre quartier noir de Chicago ; du dehors ils
ont encore bonne mine. Seulement à l'intérieur, douze fa-
milles nègres, mangées aux poux et aux rats, s'entassent
dans cinq ou six pièces"(l).
Pour KING,
les responsables politiques blancs "ont crée la dis-
c:éiril'ination ; ils ont créé les taudis
; ils perpétuent le chômage,
l ' igno-
rance, la pauvreté" (2) .
WRIGHT renchérit
"Vous louez des maisons aux nègres de la ceinture noire,
et vous refusez de les loger ailleurs. Vous avez confiné
BIGGER dans ce mé!quis"(3).
Le Noir vit des conditions pénibles.
Les habitations sont insa-
lubres.
Le cadre des nègres est ainsi décrit:
"Aujourdh'ui les Blancs sont partis et vingt mille nègres
s'entassent dans leurs maisons"(4).
(I) SARTRE,
"Ville d'Amérique",
Situations, III,
op.
cit. page 98
(2) M. L.
KING,
La seule révolution,
op.
cit. p p 23 -
24
(3) R.
\\>lEIGHT,
Un enfant du Pays,
op.
ci t.
page 486
(4) SARTRE,
"Villes d'Amériques",
Situations, III,
op.
cit. page 99.
89
KING précise
"Au fond de ce chaos de négligences,
les Noirs étouffent
dans des taudis si sordides qu'on n'en trouve l'équiva-
lent dans aucune nation industrielle du monde"(l).
La misère,
la souffrance,
la promiscuité restent le lot des Afri-
cains de la diaspora.
2°)
Le
statut
juridique
Le statut juridique est défini par la position sociale.
Confinés
dans ces quartiers et villages spécifiquement nègres,
voués à la misère,
les Noirs n'ont aucun droit.
Ils sont "domestiques" ou "ouvriers".
Ils sont,
dans tous les secteurs de la vie américain~, au bas
de l'échelle.
Leur statut juridique est inscrit dans la géométrie des habi-
tations.
Les zones nègres font face aux zones blanches.
KING note
"Lorsque nous demandons aux Noirs de respecter la loi,
n'oublions pas de faire remarquer que l'homme blanc
ne respecte pas la loi dans les ghettos. Jour après
jour, i l viole les lois d'assistance pour priver les
pauvres àe
leurs maigres allocations ; i l viole
d'une façon flagrante les codes et les règlements de
la construction ; sa police tourne les lois en déri-
sion; i l viole les lois sur l'emploi,
l'éducation,
les services publics"(2).
WRIGHT continue en ces termes
:
"Ce qui se passe ici, aujourd'hui, ce n'est pas une
injustice, mais de l'oppression"(3).
(1) M.L.
KING,
La seule révolution,
op.
cit.
page 29
(2) KING,
La seule révolution,
op.
cit. page 24
(3) WRIGHT ,Un enfant du Pays, op.
cit.page 484.
, .:: .'
90
3~)
Le
statUt
politique
Il est le reflet de sa situation sociale et juridique mais les
seules transformations résulteront de la volonté de lutte des individus.
SARTRE écrit:
"En ce pays, fier à juste titre de ses institutions démo-
cratiques, un homme sur dix est privé de ses droits po-
litiques ( ••• ). Ces parias (les Noirs) sont entièrement
privés de droits politiques"(l).
C'est à croire que pour l'homme blanc,
"les Noirs sont incapables de changement constructif et
que,
par leur comportement désordonné, ils sont déchus
de to~s leurs droits et justifient toute forme de me-
sures répressives" (2) .
Tout changement dépend donc de la capacité de lutte "des Noirs
pa~ tous les moyens. L'écriture est aussi une arme. En effet,
"pour une
fois au moms,
le plus authentique projet révolutionnaire et la poésie pu-
re sortent de la même source"(3).
KING note
"Les structures du pouvoir blanc cherchent à maintenir in-
tacts les murs de la ségrégation et de l'inégalité tandis
que la détermination des Noirs à les démanteler
s'est
intensifiée" (4) .
Les Noirs ont pris conscience de leur identité;
ils sont cons-
cients qu'ils sont victimes de l'oppression.
S'ils décrivent leur situa-
tion, c'est pour dévoiler.
Or,
dévoiler est un aspect de la lutte car
(1) SARTRE, cité par.
Cohen-Solal -
Jean-Paus SARTRE 1905-1980, op.
ci.t.
p.
319
(2) KING,
La seule révolution,
op.
cit. page 23
~
(3) SARTRE, "Orphée noir",
in Anthologie,
op.
cit.
page XLIV
;f
"'
(4) KING,
La seule révolution, op.
c i t . page 25.
1
91
ils dévoilent pour changer. Balloté entre un passé dont on ne veut pas,
un retour aux sources impossible,
un présent qu'on ne peut accepter,
le
Nègre est contraint à la lutte.
Le chant nègre s'élève de partout pour parler aux Noirs de leur
situation,
de leur identité, puisque "par la seule poésie les Noirs de
Tananarive et de Cayenne,
les Noirs de Port-au-Prince et de Saint-Louis
peuvent communiquer entre eux"(l).
(1) SARTRE l
"Orphée noir",
in !illghologie l
op.
ci t.
page XX.
92
CONCLUSION
PARTIELLE
Confiné dans des limites géographiques,
exilé de l'Afrique,
coupé de la culture africaine,
dans des Etats-Unis caractérisés par des
préjugés raciaux,
le Noir a une situation singulière.
Il doit,
s ' i l veut
s'arracher à ce destin, mener une double lutte. Arracher son statut
d'homme,
renverser les rapports avec le Blanc fondés sur la discrimina-
tion aux plans économique,
culturel,
juridique et social sont la double
exigence de son combat.
La lutte du Noir découle de la situation que l'homme blanc lui
impose.
Les dirigeants politiques de la société américaine sont les seuls
rC3ponsables de la situation du Noir car "si l'âme est laissée dans les
ténèbres, des péchés seront commis. Le coupable n'est pas celui qui com-
met la faute, mais celui qui est cause des ténèbres"(1).
Ainsi, pour se conquérir et conquérir sa place dans la société
américaine,
le Noir est acculé à la révolte contre le Blanc et les insti-
tutions qu'il a mises en place.
Exclu de
la société et non assimilé par elle,
habité par les
mêmes impulsions que le Blanc,
le Noir,
privé de ses objectifs et moyens
d'expression,
est,
dans ses propres écoles,
ses propres églises,
ses em-
plois domestiques,
une main-d'oeuvre bon marché pour les durs travaux.
Il doit lutter ou subir "ceux qui se croient justifiés"(2).
Mais dans ce combat pour l'égalité en droits et en devoirs,
le
Noir,
dans sa révolte, vise essentiellement les institutions qui secrè-
tent ou autorisent la discrimination dans tous les domaines de la vie
nationale.
SARTRE, allié des opprimés,
des faibles,
des justes causes,
','
dénonce,
au nom d'une éthique,
les rapports porteurs de contradictions
,i
(1) Victor HUGO cité Martin Luther KING,
La seule révolution, op.cit.
page 23
(2) Albérès,
SARTRE op.
cit.
page 44.
93
et d'une philosophie de vie fondée non sur une complémentarité des races,
mais sur une prétendue supériorité du Blanc.
Dans ce contexte,
le Noir,
dans ses déchirantes convulsions,
jouit du soutien actif de Jean-Paul
Sartre
qui indique la seule voie féconde rendant,
dans les Etats-unis de
son temps,
au Blanc et au Noir à la fois,
leur statut d'homme.
94
CHAPITRE
IV 1
LE TRAITEMENT DU RACISME A TRAVERS LA PUTAIN
RESPECTUEUSE
a)
Le
ëadre
géographique
Le cadre spatial, dans La putain respectueuse,
est chargé de
signes,
de symboles,
de significations.
Il est l'objet d'une intention
claire
: c~lle de SARTRE qui dénonce le racisme aux Etats-Unis.
Il a
une valeur active qui permet,
au-delà de la chasse au Nègre,
d'étudier
les contradictions déchirantes entre les populations blanche et noire.
Il correspond à un ordre psychologique marqué par une coexistence con-
flictuelle entre Blancs et Noirs dans une ville du Sud des Etats-Unis
fortement caractérisée par la ségrégation raciale et le pouvoir de
l'argent.
Le cadre géographique,
du seul fait de la présence dialecti-
que des deux races,
est gros de méfiance,
de solitude,
de violence et
d'angoisse justifiées.
Le théâtre, par la représentation,
la mimique gestuelle,
véhicule une intensité émotionnelle très vive,
secrète cette atmosphère
de menace,
de terreur particulière à La putain respectueuse.
En effet,
"le théâtre est un moyen d'expression privilégié pour un
philosophe de l'existence: dès lors que celui-ci a pour
principe de partir de l'expérience vécue, de l'Erlebnis,
qui prend toujours pour l'homme la forme d'un conflit,
d'un choc d'exigences"(l).
Le personnage du Nègre évoque une situation où l'homme noir
prend douloureusement conscience d'un destin ou d'une fatalité qui pèse
sur sa vie,
sa nature,
sa condition,
son être social.
Les préjugés du
Nègre s'opposent à son émancipation complète.
Et il estime même que
"quand des Blancs qui ne se connaissent pas se mettent à parler entre
eux, i l y a lm Nègre qui va mourir"(2).
(1) Pierre- Henri SIMON, Théâtre Destin,
Paris tA.
COLIN,
1959, page 167
U~) SARTRE, La putain respectueuse, Paris, Gallimard, 1954, page 259.
95
Victime des préjugés de race,
conscient de sa position très
fragile,
le Nègre,
dans de telles circonstances,
n'a pas les moyens
d'affronter ses adeversaires.
Le premier segment narratif désigne les
Blancs qui se concertent,
le second, une civilisation d'exclusion de la
différence et un accord profond,
total dans la chasse au Noir.
Les dissi-
militudes ne sont pas un rapport d'harmonie mais de discordance,
d'af-
frontement entre les communautés blanche et noire. Mais,
pour mieux
comprendre les antagonismes,
il nous faut analyser le contexte historique.
b)
Le
contexte
historique
Le problème noir,
en 1946, aux Etats-Unis,
était d'actualité
à la suite de la politique raciste du Sénateur BILBO et d'une série de
lynchages dans le Sud du pays.
Effectivement,
"le problème noir était
d'actualité én 1946"(1).
En Alabama, neuf Noirs accusés du viol de deux prostituées,
furent condamnés, malgré les multiples changements dans leur témoignage,
à la chaise électrique.
Pour cette raison,.
"l'affaire eut un retentissement international; elle fut
compliquée par le fait que les deux prostituées, cédant
aux différentes pressions exercées sur elles, changèrent
plusieurs fois leur témoignage"(2).
Le Noir,
dans une société raciste dominée par le pouvoir de
l'argent,
est victime du système défavorable à l'homme de couleur.
Cet événement a été l'objet d'une exploitation littéraire par
Vernon SULLIVAN(3) dans J'irai cracher sur vos tombes en 1946 et par
"SARTRE (qui) s'inspira d'un cas célèbre rapporté d'une façon partielle
(1) M. CONTAT,
M. RYBALKA,
Les écrits de SARTRE,
Paris, Gallimard,
page 136
(2) M. CONTAT,
M. RYBALKA,
ibidem,
page 136
(3) Vernon SULLIVAN est le pseudonyme de Boris Vian,
écrivain français.
96
par Vladmir POZNER(l) dans Les Etats désunis"(2).
La putain respectueuse est donc le traitement littéraire du
racisme aux Etats-Unis.
LIZZIE,
suite à des influences multiples, multiformes, oscille
entre la vérité et le mensonge. Eu égard à son statut social, à cette
tension psychologique, elle change d'opinions,
de déclarations au gré des
circonstances.
SARTRE,
de manière significative,
s'intéresse à la tension
psychologique et aux prolongements moraux de cette conscience mouvante.
Dans son oeuvre,
"il Y a peu d'événements dans les histoires que SARTRE
conte, et ces événements sont toujours des événements
psychologiques et moraux"(3).
L'action,
par moments,
s'efface au profit de la caractérisation
psychologique, morale et sociale.
Les Blancs font de la projection.
Les
idées préconçues réapparaissent. Pour eux,
"ça porte toujours malheur de
voir des nègres" (4) .
Le portrait moral du Noir est donc une accumulation de traits
négatifs.
Les préjugés,
dans ce Sud dominé par la discrimination raciale,
sont saisissants de significations.
L'avenir du Nègre y est sombre.
Les
croyances,
les opinions préconçues imposées par le milieu,
l'époque et
l'éducation n'autorisent pas de perspectives favorables à une coexistence
pacifique
les jugements sont catégoriques et définitifs.
Le Blanc est
convaincu qu'''un Nègre a toujours fait quelque chose"(4)c
Tout atteste une attitude et une mentalité figées;
Les stéréo-
types faussent les relations entre les deux races.
La race noire est
négativement chargée.
JÎ
{l)Vladimir' PDZNER, Les Etats désunis,
Paris,
Denoël,
1938
(,2) René-Marill Albérès,
SARTRE,
op. cit.
page 13
(3) SARTRE,
La putain respectueuse op. cit.
page 263
(4) SARTRE,
ibidem,
page 272.
97
L'analyse de La putain respectueuse permet,
à la fois,
de com-
prendre les mutations de SARTRE et de définir les personnages par socia-
lisation à travers quelques indices.
En effet,
"sa position va évoluer de plus en plus nettement vers la
conception d'une littérature historiquement engagée, orien-
tée
~ur les seuls problèmes de transformation politique
et sociale"(l).
Dans ce contexte socio-historique, SARTRE s'intéresse aux luttes
politiques et aux causes purement sociales,
"là se met en route la machine
de guerre sartrienne: elle ne s'arrêtera plus"(2).
Il dénonce toutes les formes d'oppression.
Les peuples,
les races,
dominés,
exploités trouveront un allié naturel en SARTRE.
Il
DEFINITION DES PERSONNAGES PAR SOCIALISATION
1°)
Les traits
socio-culturels
Les traits socio-culturels expliquent les attitudes,
justifient
les mentalités et la psychologie des personnages.
Le Sénateur et FRED sont les personnages archétypes de la bour-
geoisie puissante mais raciste du Sud des Etats-Unis.
Une incursion dans la vie de FRED et dans ses antécédents révèle
sa philosophie des relations inter-raciales. Son attitude ne peut être à
l'origine d'une bonne méthode d'approche pour reconnaître l'homme noir.
L'esprit dialectique reconnaît par essence la différence,
l'esprit dogma-
tique détruit par naissance la différence. FRED avoue
:
(1) Pierre-Henri SIMON,
L'homme en procès,
Neuchatel et Paris, Editions
de la Baconnière,
1950,
page 65
(2) Annie Cohen-SalaI,
Jean-Paul SARTRE 190?-1980, op.
cit. page 319.
98
"J'ai cinq domestiques de couleur. Quand on m'appelle au
téléphone et que l'un d'eux décroche l'appareil,
i l l'es-
suie avant de me le tendre . . . Nous n'aimons pas beaucoup
les Nègres ici, ni les Blanches qui s'amusent avec eux"(l).
Cette rétrospection dans le passé de FRED explique la situation
présente marquée par le racisme et l'exploitation.
La succession des événements réels ou
fictifs,
leurs diverses
relations dialectiques introduisent des indices nouveaux pour une intelli-
gence plus complète de la situation.
Le dialogue entre FRED et LIZZIE nous éclaire davantage
FRED:
"Tu vas témoigner contre un Blanc pour un Noir
LIZZIE
Puisqu'il a tué,
i l est coupable
FRED:
Coupable de quoi ?
LIZZIE
D'avoir tué
FRED:
Mais c'est un Nègre qu'il a tué
Si on était coupable
chaque fois qu'on tue un Nègre
" (2) .
FRED proclame ainsi la supériorité de
sa race qui autorise,
justifie les comportements,
les actes.
Pour lui,
un Nègre,
en aucun cas,
ne doit être à l'origine de la condamnatibn d'un Blanc.
Noir dans une
ville raciste et une société fondée sur l'argent,
le Nègre,
dans ces cir-
constances,
est obligé de fuir pour échapper à la machine judiciaire de
l'homme blanc.
L'incursion dans la vie de LIZZIE nous éclaire égaleme"t sur
ses antécédents.
Elle a déjà eu affaire avec la police
cela justifie sa
m~fiance. Elle avoue cet aspect de son passé mais elle précise :
"Mais pas pour des vols, en tout cas"(3).
::.
(1) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 270
(2) SARTRE,
ibidem,
page 272
(3) SARTRE,
ibidem,
page 260.
99
Ce fait antérieur aux événements fonde sa réticence à témoigner.
Elle ne garde pas un bon souvenir de ce premier contact.
Le dialogue con-
tinue,
permet d'introduire Thomas,
renseigne sur son statut social,
"Thomas, le type qui a tué: c'est mon cousin"(l) précise FRED.
SARTRE pousse le réalisme à l'extrême férocité dans la satire
et l'humour noir.
Le statut social explique et autorise tout.
FRED est riche,
lui aussi. Mais ses connaissances artistiques ne
sont pas très raffinées:
la poéticité de la nature,
"Viens voir ma vue, viens -!- J'ai une belle vue"(2),
le laisse insensible.
L'ar:": non plus,
à travers la "cruche cassée",
n'est
pas son domaine privilégié. Sa culture artistique n'est pas très poussée.
La différence de statut social explique les comportements,
fonde
les jugements.
Cette affirmation,
"une fille comme toi ne part pas tirer
sur un homme comme moi"(3),
confirme la stratification de la société amé-
ricaine qui ne s'enrichit pas,
du moins dans La putain respectueuse,
de
sa diversité raciale.
Le nègre et LIZZIE subissent les événements.
Il
est surprenant que Jeannette COLOMBEL,
dans son texte,
semble dire que
tout est possible à tout moment;
lorsqu'elle écrit:
"Nous sommes condamnés à la liberté car, même si la situa-
tion vient du dehors, même si elle apparaît comme une
fatalité encore n'en est-ce pas une car, en elle, le choix
de la lutte, de l'abandon, de la maîtrise, de l'anxiété,
du repli, du soutien restent ou deviennent possibles"(4).
(1) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 282
(2) SARTRE,
ibidem,
page 263
(3) SARTRE,
ibidem,
page 298
(4) Jeannette COLOMBEL,
"La recherche d'une morale ir:lpossible" in
Magazine littéraire nO 282 -
Novembre 1990,
page 62.
100
Pierre Henri SIMON déjà commentait
"La liberté de l'homme est absolue; non seulement l'homme
choisit ses actes, mais i l invente aussi les valeurs qui
les justifientlt(l).
Contrairement à ces affirmations,
LIZZIE et le Nègre ne sont pas
libres.
Pierre Henri SIMON et Jeannette COLOMBEL,
dans leur commentaire de
SARTRE, ne tiennent pas compte du déterminisme historique.
Les hommes font
l'histoire mais dans des conditions héritées du passé.
2°)
Les traits
physiques
Jean Paul SARTRE,
dans La putain respectueuse,
ne s'attache pas à
faire le portrait physique des personnages qu'il a créés.
La description,
pour cette raison essentielle au théâtre des idées,
y occupe une place fort
mince
seuls quelques détails donnent des indications sur les traits des person-
nages
• ?i:u· cor, t r e , la peinture psychologique et morale est plus complète.
FRED est "un peu jeune ... mais beau comme un astre"(2).
Cette beauté physique,
nous le verrons,
s'oppose à la laideur
morale du personnage. Toutes les autres précisions renvoient à d'aut~es
éléments d'analyse permettant de saisir,
de manière plus détaillée,
la
personnalité,
surtout morale.
Quelques indices suggèrent,
dans une large mesure,
des trajts
physiques qui laissent penser à une certaine jeunesse,
à un charme de
LIZZIE.
Déçue,
énervée elle lance à FRED:
liOn t'en faudra,
des jeunes filles comme moi, pour dix
dollars! Tu les as vues, mes jambes? Et mes seins, tu
les as vus ? Est-ce que ce sont des seins de dix dollars ?
Reprends ton billet tire-toi"(3).
(1) Pierre-Henrj
SIMON,
L'homme en procès,
op.
cit.
page 75
(2) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 264
(3) SARTRE,
ibièem,
page 266.
101
Le Sénateur CLARKE est "un vieil homme qui a beaucoup vécu"(l)~
MARY,
"Une vieille . . . aux cheveux blancs. Mais le visage est res-
té jeune" ( 2) .
Le Nègre n'est pas un Nègre,
il est le Nègre c'est-à-dire le re-
présentant de toute sa race.
Il "est un gros et grand Nègre à cheveux
b Lancs t'{S) •
FRED offre "cinq cents dollars"(4) à LIZZIE pour la corrompre,
il lui faut ce faux témoignage pour libérer THOMAS.
SARTRE accumule les traits négatifs pour le portrait psychologi-
que et moral de FRED qui "ne peu(t»)pourtant pas se damner pour une putain"(5)
mais s'associe à la police pour arracher un faux témoignage à la prostituée.
Il déclare que "le l i t sent le péché"(6) mais décide de' l'''installer sur la
colline, de l'autre côté de la rivière dans une belle maison ~vec un
parc"(7) pour en faire sa maîtresse.
Il devient même "très jaloux"(8).
La jalousie est une forme de connaissance douloureuse.
Moralement,
il est corrompu de manière irréversible.
Le statut social de LIZZIE n'a pas altéré son "naturel déli~'
cieux
Il y a quelque chose en (elle) que (ses) désordres n'ont pas
entamé.
Elleveu(t) dire la vérité"(9).
La prostitution physique de LIZZIE s'oppose à la protitution
morale de FRED.
Mais elle "ne sai(t) plus où (elle) en (est)"(10. Elle
est troublée par le discours de CLARKE, le sénateur.
(1) SARTRE,
La Putain respectueuse,
op.
cit,
page 281
(2) SARTRE,
ibidem,
pages 279-280
(3) SARTRE,
ibidem,
page 257
(4) SARTRE,
ibidem,
page 274
(5) SARTRE,
ibidem,
page 296
(6) SARTRE,
ibidem,
page 261
(7) SARTRE,
ibidem,
page 298
(8) SARTRE,
ibidem,
page 298
(9) SARTRE,
ibidem, page 288
(la) SARTRE,
ibidem,
page 272.
102
Le jugement de
LIZZIE nous éclaire encore sur les traits moraux
de THOMAS
"Un homme de bien qui se poussait tout le temps contre moi
et qui essayait de relever mes jupes. Passe-moi l'homme
de bien! ça ne m'étonne pas que vous soyez à la même
famille" (1) .
Le Sénateur est le chef de cette famille,
"sa parole est de
miel"(2) mais il ne respecte pas ses engagements.
Sa méthode est douce.
Le chantage moral se révèle efficace.
Marie est "une pauvre chère vieille qui va en mourir"(3).
La pauvreté morale s'onpose à son statut social.
Elle est de
la haute bourgeoisie américaine.
Le Nègre ne peut pas se révolter.
Il se résigne.
Il ."ne peu(t)
pas tirer sur des Blancs"(4) parce que "ce sont des Blancs"(5).
Il est tremblant de
peur et de respect parce que les conditions
n'étaient pas réunies en 19~6 pour une lutte acharnée de la communauté
noire.
Dans la réalité,
"ce n'est pas la conscience des hommes qui déter-
mine leur être
c'est inversement leur être social qui détermine leur
conscience"(6).
Les contradictions entre Blancs et Noirs n'étaient pas très aiguës
et historiquement les entraves à la lutte des Nègres n'étaient pas mOres
pour un soulèvement.
La justice est au service de
la classe dominante et non de la
vérité et de
la protection,
surtout,
des faibles.
Leur méthode est révé-
latrice de leur état psychologique et moral "Tu sais que la prostitution
est un délit"(7)
; John poursuit: "Tu l'as mise au courant? Le juge est
(1) SARTRE, La Putain2 respectueuse, op. cit. page 294
(2) SARTRE,
ibidem,
page 272
(3) SARTRE,
ibidem,
page 268
(4) SARTRE,
ibidem, page 268
(5) SARTRE,
ibidem, page 268
(6) MARX,
Contribution à la critique de'l'économie politique traduit par
Maurice, Husson et Gilbert BADIA,
Paris,
Editions Sociales,1977
page 3.
103
d'accord pour relâcher THOMAS, s!il a ton témoignage écrit .. On l ' a rédigé
pour Toi, tu n'as qu'à signer. Demain, on t'interrogera régulièrement"(l).
La procédure est révélatrice des intentions
un témoignage si-
gné avant une audition régulière.
Le Sénateur et FRED ont donc une conscience fuyante,
LIZZIE,
une conscience oscillante et le Nègre,
une conscience tragique.
3°
Etre,
paraître
Le comportement social de FRED ne ceflète pas son rang.
Il est
brutal car "il fait mal"(2)
à LIZZIE. Enfant "d'une des plus vieilles
famills"(3) ,
il a une attitude étrangère à son milieu.
Dès son entrée,
LIZZIE l'interroge "D'où sors-tu, paysan? Ta mère devait être une fière
traînée, si elle ne t ' a pas appris à respecter les femmes"(4).
Le paraî-
tre n'est pas le reflet de l'être.
Le
jugement de LIZZIE,
"Mais dis donc,
mon petit gars •.• Si tu es monté pour me proposer ta combine, tu n'avais
pas besoin de coucher avec moi"(5) renverse les valeurs liées aux clas-
ses sociales.
L'adjectif "petit" traduit bien ce bouleversement des
valeurs.
LIZZIE,
la "putain à dix dollars" respectueuse de la justice,
par principe,
condamne la corruption et le mensonge.
Dès lors les notions
de "BIEN,JUSTICE, BONHEUR,
REVOLUTION,
BEAUTE,
POESIE ne sont plus des
fétus,
soufflés dans le vent d'une décomposante dialectique, mais devieo,-
nent des épis lourds" (fi) •
L'être social de la prostituée incarne des valeurs morales posi-
tives,
l'être social du bourgeois FRED,
des 'laleurs négatives.
(1) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 276
(2) SARTRE,
ibidem,
page 265
(3) SARTRE,
ibidem,
page 282
(4) SARTRE,
ibidem,
page 267
(5) SARTRE,
ibidem,
pp 273-274
(6) Pierre Henri SIMON,
L'homme en procès,
op.
cit.
page 91.
104
La même opposition être/paraître, appliquée au Sénateur,
conduit
à la même conclusion. Ce dialogue est édifiant :
Le Sénateur
"Regarde-moi, LIZZIE -
Avez-vous confiance
en moi ?
LIZZIE :
Oui, Sénateur
Le Sénateur
Croyez-vous que je peux vous conseiller une
mauvaise action ?
LIZZIE :
Non,
Sénateur
Le Sénateur
Alors i l faut signer. Voilà ma plume"(l).
Cette confiance à l'apparence induit LIZZIE en erreur.
LIZZIE
est respectueuse du Sénateur, symbole de
l'ordre,
de la justice,
des va-
leurs morales.
Ses réponses évasives,
ambiguës "peut-être bien ... C'est
bien possible"(2) traduisent sa mauvaise foi.
Le Sénateur ne ~especte
pas les engagements souscrits par sa famille,
"cent dollars. Vous devez
être content: votre fils m'en avait promis cinq cents, vous faites une
belle économie"(3). Elle éprouve une grande déception.
"Vous m'avez
eue" (4) .
4°)
Présentation des personnages par couples
Le Sénateur, sa famille,
FRED,
THOMAS et leur justice représen-
tent la bourgeoisie américaine.
Dans cette société dominée par le racisme
et l'argent,
la prostituée,
marginalisée, va être l'intermédiaire d'un
dialogue impossible entre les représentants des communautés blanche et
noire.
LIZZIE et le Nègre,
dans ce contexte,
subissent l'histoire plus
qu'ils ne le font dans une société minée par la déliquescence morale.
il) SARTRE,
La putain respectuéuse,
op. cita
page 283
(2) SARTRE,
ibidem,
page 283
(3) SARTRE,
ibidem,
page 285
(4) SARTRE,
ibidem,
page 287.
105
La bourgeoisie, symbole d'une communauté figée dans le culte de
l'immobilisme, à travers les mécanismes de la répression, recherche,
en
vains,
le Nègre.
La course -
poursuite du Nègre et de FRED ne se termine pas dans
la confrontation.
Il échappera ; cela préfigure la non-résolution,
du moins
dans un avenir proche,
des contradictions provisoirement irrédutibles entre
Blancs et Noirs.
La synthèse,
la symbiose des valeurs de civilisation des deux
mondes sont irréalisables dans ce contexte historique.
Le racisme,
l'oppres-
sion ne trouvent pas leur solution dans ces circonstances socio-historiques
et dans les limites de La putain respectueuse.
SARTRE le reconnaît:
"Ma pièce reflète l'impossibilité actuelle de résoudre le
problème noir aux Etats-Unis"(l).
II/
LA
SOCIOLOGIE
D'UNE
SOCIETE
1°)
Le bien,
le mal
Le bien et le mal sont introduits par les références à la Bible,
"Tu parles comme la Bible"(2),
par une opposition textuelle lumière/obs-
curité,
"pas de soleil ici. Je veux que ta chambre reste comme elle était
cette nuit"(3) et par l'opposition sommeil/insomnie:
"encore huit heures
avant le jour. Je sens que je ne pourrai pas :fermer l'oeil"(4).
Les notions de clarté,
les références à la Bible correspondent
à la vérité, au bien,
les notions d'obscurité,
d'insomnie,
de diable,
au
MAL "Tu es le Diable. Le Nègre est le Diable"(5).
(1) SARTRE,cité par Michel Contat,
Michel Hybalka,
Les écrits de SARTRE,
op.
cit.
page 137
(2) SARTRE, La putain respectueuse,
op.
cit.
page 261
(3) SARTRE, ibidem,
page 263
(4) SARTRE, ibidem,
page 287
(5) SARTRE,
ibidem, page 278.
106
La prostituée et l'homme de couleur sont l'une et l'autre une
tentation.
Ils représentent,
pour le Blanc,
Satan.
Les stéréotypes fon-
dent les jugements et déterminent les attitudes.
Les préjugés de race,
dans La putain respectueuse,
s'opposent à l'évolution de la société amé-
ricaine.
Les rapports entre Noirs et Blancs,
dominés par le refus de
1
l'autre,
ne sont pas porteurs,
dans ce contexte,
d'une possible émanci-
1
pation de la minorité noire.
L'Eglise,
dans ce cadre,
n'est pas non plus
1
1.
un facteur de rapprochement entre les deux communautés.
Ainsi,
lorsque
\\
LIZZIE décide de sauver le Nègre,
donc de
faire le BIEN, elle ne se re-
fère à aucun ordre divin car "il n'y a pas de conscience infinie et par-
1\\
faite pour le penser"(l).
!
t1!ü
2°)
Les
rapports
de
classe
Ils sont conflictueles.
Ils révèlent les mécanismes de fonction-
nement qui régissent les deux communautés.
Leurs antagonismes sont,
du
moins,
irréductibles.
ll'\\ais,
"Dans La putain respectueuse,
l'affrontement des cons-
ciences ne résulte pas de situations exceptionnelles,
vécues de façon plus ou moins héroïque par des indivi-
dualités poussées aux limites d'elles-mêmes, mais de
structures collectives dont le Nègre pourchassé et la
jeune LIZZIE sont à la fois les produits et les victi-
mes. En un mot,
l'action se situe pour la première fois
dans la sphère du social"(2).
L'action se situe toujours dans le social.
La structure économi-
que de la société est la base concrète sur laquelle repose,
de façon ef~
fective,
une superstructure juridique et politique qui détermine la
conscience sociale des hommes.
(2) Francis Jeanson,
SARTRE par lui-même,
Paris,
Seuil 1963 IJage 35.
107
car "le mode de production de la vie matérielle conditionne le
processus de vie social, politique et intellectuel dans
l'ensemble."Ce n'est pas la conscience des hommes qui dé-
termine leur ê t r e ; c'est inversement leur être social qui
détermine leur conscience"(l).
LIZZIE et le Nègre,
pour se libérer totalement de l'oppression,
doivent mener des luttes sociales afin de changer l'idéologie dominante
qui est la source de la politique économique,
juridique et politique.
Il
s'agit de renverser un ordre fondé sur le discrimination raciale pour
mettre en place de nouvelles structures porteuses de valeurs fécondantes
pour les deux communautés.
Mais les contradictions ne sont pas,
dans
La putain respectueus~, à leurs termes.
Le Nègre et LIZZIE ne peuvent
pas,
à cause de leur conscience,
se révolter.
Ces rapports sont du type da la domination,
de la corruption:
"sois raisonnable: cinq cents dollars"(2) suffisent pour une ·conspira-
tion du silence ou un faux témoignage.
Ils sont de mépris
: "la vérité:
Une putain à dix dollars qui veut dire la vérité. Il n'y a pas de vérité.
Il n'y a pas de vérité
i l ya des Blancs et des Noirs. C·',est tout
dix sept mille Blancs, vingt mille Noirs-
Nous ne sommes pas à New York
ici" (3) .
Une minorité blanche domine,
exploite et marginalise les autres
couches sociales.
Ainsi la classe sociaJe donne des privilèges.
Le droit,
dans ces conditions,
est un moyen au service exclusif de la bourgeoisie.
Dans ce cas précis,
"Le salaud est celui qui s'arroge des droits, qui est
persuadé qu'il a des privilèges,
que le simple fait
d' exi s ter- est un dr-o ic" (4) .
(1) MARX,
Contribution à la critique de l'économie politique, op.
cit.
pp
2 _. 3
(2) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 274
(3) SARTRE,
ibidem,
page 272
(4) IVlichel CONTAT,
"le continent Sf~Jn'RE", in ~ag~zine littéraire,
nO 282 Novembre 1990 . . . .
page 22.
108
ANOUILH, à son tour,
précisera
"Race d'Abel, race des justes, race des riches, comme vous
parlez tranquillement. C'est bon, n'est-ce pas, d'avoir
le ciel pour soi et aussi le gendarme"(l).
Ainsi la bourgeoisie a des droits
la classe déshéritée et la
race noire,
des devoirs.
3°)
La coexistence
des
deux
races
Les rapports entre les Blancs et Noirs,
dans le Sud des Etats-
Unis,
sont discordants. La différence,
ailleurs source de richesse,
de
féconde complémentarité,
est une valeur négative,
"les Nègres, c'est le
diable" (2) .
Nourris de cette idéologie raciste,
conformistes, conservateurs,
le Sénateur et FRED sont psychologiquement bloqués.
Asséchée,
la société
du Sud des Etats-Unis se trouve menacée.
Repliée sur elle-même,
elle
s'étiole.
III/
ETUDE
THEMATIQUE
1°)
La
liberté
Nous n'étudions pas le théâtre sartrien sous l'angle du tragique
de la liberté.
Cependant,
deux aspects de 12 liberté retiendront notre at-
tention : l'homme face à ses responsabilités et face à autrui.
Assumer ses actes avec une conscience lucide est une manifesta-
tion de la liberté.
FRED ne veut pas se souvenir
; il ne veut pas se
reconnaître dans ses actes,
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
(1) Jean ANOUILH, Médée,
Nouvelles Pièces Noires,
Paris,
Editions de la
Table ronde,
1958,
page 393
(2) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 278.
109
"Je l'ai oubliée, ta nuit. Complètement oubliée"(l).
L'homme n'est pas ce qu'il prétend être;
i l est la somme de
ses actes.
La liberté,
dans le théâtre de SARTRE,
pose aussi la question
des rapports avec les autres.
Ce problème, pour toute philosohie, toute
littérature,
est très complexe car il s'agit du "moi" replié sur sa sub-
jectivité : la reconnaissance et la pénétration d'un autre être qui est
sujet, conscience,
liberté.
Le théâtre ne peut éviter de poser cette
question puisque,
par nature,
par essence,
i l oppose des personnages dans
diverses actions.
Les rapports avec l'autre sont ambigus:
ils sont conflit entre
LIZZIE et FRED,
communion entre THOMAS et FRED,
car THOMAS jugé par FRED
"est un homme de bien"(2).; ces rapports sont donc de rejet ou de soli-
darité.
"Suffit. J'ai rien contre eux (les Nègres), mais je ne voudrais
pas qu'ils me touchent"(3) et pourtant elle se sent solidaire du Nègre.
"Ce qu'on est seuls? Nous avons l'air de deux orphelins. File dans le
cabinet de toilette" (4) .
Le Nègre et LIZZIE appartiennent à la couche sociale victime de
l'oppression de la bourgeoisie;
et pourtant,
LIZZIE se sent supérieure
au Noir parce qu'elle ne veut pas qu'il la "touche".
Ils ont une identité de destin,
ils sont "deux orphelins",
dans
la mesure où la mère-partie les a rejetés.
Le rêve d'une terre qui les
accepte, au contact de la cruelle réalité,
s'évanouit.
Les deux personnages sont là terriblement "seuls"
ils sont
très vite des êtres damnés,
condamnés.
(1) SARTRE,
La putain respectueuse, op.
cit. page 265
(2) SARTRE,
ibidem,
page 272
(3) SARTRE,
ibidem, page 270
(4) SARTRE,
ibidem, page 294.
110
Le théâtre sartrien insiste sur les aspects négatifs,
sur la
solitude du "moi"livré aux autres,
mais le "je" sartrien n'est pas ex-
clusif du nous.
Il est, au contraire, éclectique,
inclusif de nous.
Il
y tend et,
à partir de
là,
apparaissent le seul Absolu,
la seule foi
véritable:
l'homme.
En effet,
"le seul Absolu, pour lui, c'est à coup
. sûr, la condition humaine" (1) •
L'homme libre assume ses responsabilités dans la situation où
l'a jeté la conjonction des hasards. De cette dialectique vidée de tout
Absolu naît un nouveau tragique différent de celui des GRECS,
où la fata-
lité est insurmontable,
invincible.
SARTRE,
dans La putain respectueuse,
mOlltre des personnages,
le
Sénateur,
FRED,
THOMAS,
LIZZIE et le Nègre, qui n'ont pas de Pathos.
Le pathos est non seulement un sentiment, mais un sentiment qui
est un droit.
Les droits s'opposent, s'excluent.
Le pathos,
dans son es-
sence, suppose deux avocats aux positions irréductibles en face l'un de
l'autre. Cet antagonisme n'a de solution que dans la mort ou la servitude.
Or le Sénateur,
FRED,
THOMAS,
d'une part,
LIZZIE et le Nègre,
d'autre
part, n'ont pas de pathos;
ils n'ont pas de droits opposés. La bourgeoi-
sie,
le Sénateur, ont des droits,
les autres LIZZIE,
le Nègre,
simplement
des devoirs.
Ce tragique est aussi différent du tragique chrétien qui
oppose aux passions le devoir.
Il s'agit,
dans un monde sans raison et
sans signe où surgit une conscience autonome,
d'un tragique de l'absurde
et de la liberté.
Il est vrai que "l'humanisme chrétien n'est pas délais-
sé ; i l a la Providence et la Grâce, la loi naturelle et la loi révélée
l'humaniste laïque a la RAISON, l'humanité,
la MORALE,
le CODE, la cul-
ture. Mais ce nouvel homme qui vient n'a que sa liberté et l'angoisse de
la liberté"(2).
La putain respectueuse est la satire de la mauvaise foi bour-
geoise qui détourne les actes de la liberté en devoirs moraux au nom d'Un
système d'intérêts de classe.
.~---------------_.,
(1) F. Jeanson, SARTRE, Les écrivai~s ~evant D~eu, Bruges (Belgique) Desclée
rOe BLou~er, 1966, page 66
( 2) Pierre-Henri SIMON, L'homme en procès, op. cit, page 73.
Pathos:
mot grec,
passion.
111
2°)
L'absurde
Le théâtre de SARTRE, analysé à partir de La putain respectueuse,
dissertant,
démonstratif,
est, de manière singulière,
intrinsèquement
idéologique.
SARTRE,
avec dextérité, met l'absurde au service du racisme
il lui sert à relativiser le meurtre du nègre,
à donner peu d'importance
à l'acte. Une conjonction de hasards explique l'assassinat du Noir.
L'absurde,
dans ces conditions, explique,
justifie cet acte qui devient
ainsi gratuit car "avec le Diable, on ne peut faire que le mal. Il a
tiré sur un sale nègre, la belle affaire; ce sont des
gestes qu'on a sans y penser,
ça ne compte pas. THOMAS
est un chef, voilà ce qui compte" (1).
La conjonction de hasards et la force du diable établissent le
caractère absurde du crime. FRED oppose l'utilité de THOMAS au statut du
Nègre qui est au bas de l'échelle sociale.
La socialisation,
"c'est un
chef",
lui confère le droit de vivre.
3°)
Le
communisme
A travers le discours que le Sénateur prête à la nation améri-
caine pointe un anticommunisme viscéral.
THOIMS est "un solide rempart
contre le communisme, le syndicalisme et les Juifs"(2).
Cet aspect de la réalité américaine se trouve confirmé par
Richard WRIGHT confronté à deux ostracismes
: celui du parti communiste
et celui de la ségrégation raciale.
Il affrime
:
"Je ne considère plus aujourd'hui le Parti Communiste
Américain comme l'instrument efficace d'un change-
ment social"(3);
(1) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 273
(2) Cohen-Sol al Annie,
Jean-Paul SARTRE 1905-1980,
op.
cit. page 319
(3) Richard WRIGHT, cité par Cohen-Solal Jean-Paul SARTRE 1905-1980,
op.
cit. page 319
Cette prise de position de Richard WRIGHT date du
début de l'année 1945.
Interrogée,
LIZZIE,
avec le naturel qui la caractérise, s'écrie
"Quelle horreur
non" (L) •
Et elle ajoute aussitôt:
"Je préférais les vieux parce qu' ils ont l' aar-vr-espec tab Le
mais je commence à me demander s'ils ne sont pas encore
plus chinois que les autres"(2).
La respectabilité apparente fondait jusque-là les déterminations
de LIZZIE qui commence à douter.
La société américaine,
à travers les répliques de LIZZIE,
est
anticommuniste,
antisémite.
Elle apparaît comme une machine qui écrase
les classes déshéritées et les minorités.
4°)
L~ athéisme
L'ahtéisme se manifeste dans l'oeuvre à travers la réplique de
LIZZIE à qui le Nègre demande de jurer "sur le bon Dieu qui (les) voit"(3)
Quand elle s' écrie
:
"Oh! Va te faire foutre. Je te le promets, ça doit te
suffire" ( 4) .
Elle ne se refère à aucun Absolu pour donner un sens à ses
actes.
Pour LIZZIE,
"il n'y a pas de LOr,
mais i l doit y avoir des
lois" (5).
(1) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
ci t. page 281.
(2) SARTRE,
ibidem,
page 288
(3) SARTRE,
ibidem,
page 259
(4) SARTRE,
ibidem,
page 259
(5) Pierre-Henri SIMON,
L'homme en procès,
op.
cit.
page 71.
113
Elle s'attache à faire la morale non par une affrimation de
principes mais par l'analyse des situations concrètes.
Cette solidarité
de fait,
cette communauté de destin lui sont imposées par le contexte
historique,
politique et social.
Ils sont tous deux,
à des degrés différents certes,
les victi-
mes désignées de cette angoisse.
IV!
LE
THEATRE
SARTRIEN
Le théâtre de SARTRE,
théâtre d'idées,
pièces à thèse, ne
s'attache pas à faire le portrait physique des personnages.
Il crée la
distance,
stylise le langage.
SARTRE,
dans son théâtre,
ne crée pas le
rêve poétique, n'appelle pas,
loin s'en faut,
l'émotion raffraîchis-
sante.
Il ne fait pas monter le chant de la tendresse.
Le mot y retrou-
ve sa fonction qui est,
de manière significative, de porter la pensée.
C'est un théâtre de situation.
L'histoire,
les événements sont à l'ori-
gine profonde de la création de plusieurs oeuvres de SARTRE
La putain
respectueuse,
Les séquestrés d'Altona et Les mains sales.
V!
LA
DYNAMIQUE
INTERNE
DE
L'OEUVRE
1°) Une conscience
oscillante
a)
La réalité est contradictoire
La réalité,
dans La putain respectueuse,
est perçue différem-
ment par les personnages.
Pour FRED et le Sénateur, THOMAS a tué un Noir "mais c'est un
homme de bien"(l).
(l)SARTRE,
La putain respectueuse, op. cit. page 272.
114
A ces deux positions complémentaires s'opposent celle du Nègre
qui clame son innocence
"Je:il'ai rien fait, Madame, vous le savez bien"(l).
et celle de LIZZIE qui confirme cette déclaration :
"Ne tire pas, tu sais bien qu'il est innocent"(2).
La réalité est contradictoire et cela trouble LIZZIE
"Vous m'avez embrouillée"(3).
Cette ambiguïté de la réalité et les pressions multiples qu'elle
subit rendent instable la conscience de LIZZIE.
b)
Les changements de points de vue
Au début,
LIZZIE,
avec fermeté,
refuse de cacher le Nègre pour-
chassé:
"te cacher! Moi? Tiens. Pas d'histoires"(4) , mais elle cède
ensuite:
"file dans le cabinet de toilette, et ne bouge pas. Retiens
ton souffle"(5).
Sous la pression de FRED,
de la police et du Sénateur, elle
signe, puis se rétracte aussitôt "Sénateur! Sénateur! Je ne veux pas
Déchirez le papier! Sénateur !"(6).
Cette conscience oscillante et le caractère contradictoire de
la réalité sont un moteur de l'action.
(1) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 294
(2) SARTRE,
ibidem,page 297
(3) SARTRE,
ibidem,page 283
(4) SARTRE,
ibidem,page 292
(5) SARTRE,
ibidem,
page 292
(6) SARTRE,
ibidem,
page 284.
115
Le comportement et les réactions de LIZZIE,
dans ce contexte
où les contradictions ne sont pas à leurs termes, montrent qu'elle n'est
pas encore capable d'affronter les Blancs pour se libérer.
Elle n'est
qu'un objet de plaisir entre les mains de FRED.
2°)
La structure
interne
du
texte
a)
L'art
de
la
composition
La putain respectueuse,
pièce en un acte et deux tableaux,
est
une oeuvre très courte,
et surtout très
rlenseu
On peut distinguer les
ellipses,
mais l'action continue.
Elle peut être subdivisée en trois mou-
vements.
Le premier mouvement,
avec ses dix-sept pages, sert ,à poser les
prémisses;
c'est une scène d'exposition;
le Nègre tente de convaincre
LIZZIE de témoigner en sa faveur,
la recherche du Nègre,
les éléments cons-
titutifs du chantage,
du racisme et de la mauvaise foi bourgeoise sont
juxtaposés.
Le deuxième moment,
avec ses neuf pages,
est un instant de
confrontations dialectiques,
de duel entre LIZZIE et les autres personnages,
de confirmation de quelques indices notés dans le premier mouvement.
La troisième partie, constituée de quinze pages,
apporte des
réponses définitives à certaines interrogations.
La pièce est conçue comme une dissertation rigoureusement menée
avec le seul souci de démontrer toutes les hypothèses avancées au début.
Même les voeux émis par LIZZIE sont exaucés à la fin selon la même loi
de récurrence;
désormais,
elle a un amant qui viendra la "voir trois fois
par semaine, à la nuit tombée
le Mardi, le Jeudi et pOUF'le week-
end"(l).
(1) SARTRE, La putain respectueuse,
op.
cit.
page 298.
116
A la première scène du premier tableau,
nous avons trois person-
nages:
LIZZIE et le Nègre ensemble, FRED,
dans la salle de bains.
Le Nègre
doit se sauver pour les laisser seuls.
A la cinquième scène du deuxième tableau,
c'est-à-dire à la fin
de la pièce, nous retrouvons les mêmes personnages avec une légère modifi-
cation:
LIZZIE est avec FRED et le Nègre,
dans la salle de bains.
Il doit
à nouveau se sauver pour les laisser seuls.
A la lumière de ces constatations résultant de la composition de
l'oeuvre,
nous pouvons dire que La putain respectueuse est une pièce cir-
culaire.
b)
L'art
des
contrastes
Le contraste s'opère sur des méthodes et des valeurs antithéti-
ques.
FRED, malgré son statut, est rustre
"A gfD1IX.,
putain P'(l). Cette
méthode énergique s'oppose aux procédés du Sénateur
"Vous la brutalisez et vous voulez la faire parler contre
sa conscience. Ce ne sont pas des procédés américains.
Est-ce que le Nègre nous a violentée mon enfant ?"(2).
L'expression "mon enfant", loin d'avoir une valeur affective
authentique,
traduit une différence d'approches.
la brutalité de FRED
échoue;
le Sénateur,
avec plus d'habilité,
initie une méthode douce qui
réussit.
Le contraste fondé sur des valeurs dialectiques permet de con-
naître les caractéristiques essentielles des personnages.
Pour le Sénateur CLARKE, représentant de la nation américaine,
"ce nègre est né au hasard, Dieu sait où.
(Il) ne s'apercevra même pas de
sa mort" ( 3) .
(1) SARTRE, La putain respectueuse,
page 278
(2) SARTRE,
ibidem, page 279
(3) SARTRE,
ibidem,
page 282.
117
Contrairement à THOMAS,
"un américain cent pour cent ( ..• ). Il
emploie deux mille ouvriers dans son usine"(l}.
En raison de son utilité, de sa socialisation,
THOMAS doit donc
vivre
la classe,
ici la grande bourgeoisie américaine,
donne des droits.
Mais le Nègre,
en raison de son statut,
est juste toléré.
Le Mal,
dans ce contexte,
se mue en devoirs moraux.
L'opposition est générique au niveau des deux races.
Le Nègre,
et
non un Nègre,
est le représentant de sa race.
Il "ne peu(t} pas tirer sur
des Blancs(2}.
Il est un type . oppositionnel des Blancs qui "ne vont pas se gêner
eux"(3} parce que "ce sont des Blancs"(4}.
Ce contraste, sur un mode binaire,
valeurs positives incarnées
par le Blanc /
valeurs négatives symbolisées par le Noir,
est une ressource
de l'art de SARTRE.
c}
Les
images
Les images contenues dans l'oeuvre sont très réalistes,
très
saisissantes.
LIZZIE,
pour rappeler la nuit d'intimité partagée avec FRED
a recours,
dans ses circonstances, à une image expressive,
très parlante
en elle-même
:
"Et quand on jouait aux deux nouveaux-nés qui sont dans
le même berceau? ça, tu te rappelles"(5}.
La figure est rafraîchissante, malgré le refus de FRED de se
souvenir et d'assumer son acte.
(l) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 282
(2) SARTRE,
ibidem, page 292
(3) SARTRE,
ibidem,
page 292
(4) SARTRE,
ibidem, page 292
(5) SARTRE,
ibidem,
page 265.
118
Pour expliquer le supplice qui l'attend,
le Nègre,
dans cette
situation dramatique,
dans cette chasse à l'homme,
a un langage imagé,
très révélateur.
"L'essence"(l) est une méthode employée pour commettre
un meurtre.
Le terme lui-même véhicule une atmosphère atroce.
En effet,
l'essence permet de brûler vif la victime.
d)
L'art
du
style
LIZZIE. passe,
avec le Nègre,
du
vouvoiement "vous devez vous
tromper d'adresse"(2) au tutoiement "attends. C'est toi qui étais dans le
train? Tu as pu leur échapper? Comment as-tu trouvé mon adresse ?"(3).
Ce glissement du "vous" au "tu" peut s'expliquer par la diffé-
rence de races et non par la familiarité.
Elle a un parler populaire
:
"Oh! Va te faire foutre.
Je te promets, ça doit te suffire.
Mais va-t-en!
va-t-en donc !"(4).
ou un langage vulgaire
:
"Je ne'veux pas de ton "fafiot"(5).
Dans le même registre,
mais plus dure et plus vulgaire,
elle
laisse éclater son état d'âme:
"Ta mère devait être
une fière traînée"(6).
et ajoute
"Vous ne cassez pas la tête. Bien sûr, que je l'ai ramené
chez moi. Seulement, j ' a i fait l'amour gratis.
ça vous
la coupe" ( 7) .
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - J
(1) SARTRE, La putain respectueuse, op.
cit.
page 289
(2) SARTRE,
ibidem,
op.
cit. page 257
03) SARTRE, ibidem, page 258
(4) SARTRE,
ibidem, page 258
(5) SARTRE,
ibidem,
page 266
(6) SARTRE,
ibidem,
page 267
(7) SARTRE,
ibidem,
page 276.
119
1
Mais elle sait être correcte avec le Sénateur:
"Vous m'aviez dit qu'elle pleurerait"(l).
De très courtes répliques traduisent son embarras et son respect
"Oui,
Sénateur...
Non,
Sénateur"(2).
Le Sénateur lui,
s'exprime en un style posé,
convaincant, mora-
lisant.
Il accumule les adjectifs d'ordre moral et affectif pour sensi-
biliser,
émouvoir LIZZIE.
La fausse interrogation permet de tenir la jeune
fille attentive
:
"Mary? C'est ma soeur, la mère de l'infortuné THOMAS"(3).
Les termes "soeur", "mère" sont une forme d'insistance;
ils
servent aussi à identifier par les liens du sang.
L'homme est éloquent.
Son art orratoire fascine
:
"Ce que vous parlez bien"(4) s'exclame LIZZIE.
Son discours introspectif,
"Voulez-vous que je dise ce qu'il y
a dans votre tête"(5) est révélateur de cet art.
Désorientée,
elle in-
terroge
:
"C'est vrai ce qu'on dit, sa parole est de miel ?"(6).
Son récit prospectif et son titre de Sénateur lui permettent de
_~rêter
un discours à la nation américaine.
Véritable psychologue,
il bou-
leverse l'âme sensible de la prostituée.
(1) SARTRE,
La putain respectueuse, op. cit; page 285
(2) SARTRE,
ibidem,
page 283
(3) SARTRE,
ibidem, page 282
(4) SARTRE,
ibidem, page 280
(5) SARTRE,
ibidem, page 268
(6) SARTRE,
ibidem, page 260.
120
FRED parle sur le même registre que LIZZIE
; son style est
familier "tu me casses les oreilles"(l) ou bien monosyllabique pour évi-
ter de répondre avec précision aux questions "Non, pourquoi ?"(2) "Oui,
très" (3) •
Il est, par moments,
vulgaire et dur:
"pour une cochonnerie, c'est large"(4)
ou encore
"la vérité : Une putain à dix dollars qui veut dire la
vérité"(5) et enfin "pas mentir, roulure !"(6).
Le Nègre est courtois dans son discours
"S'il vous plaît, Madame" (7)
Cela est dû à sa situation contextuelle:
i l est recherché,
et
à son statut social, un Noir dans une ville raciste.
Il fait de courtes
phrases
:
"Ils guettent dans les gares"(8)
ou des phrases nominales
:
"Les Blancs" ou encore "tous les Blancs"(9)
qui traduisent son infériorité, sa tension psychologique.
Il insiste et
supplie,
dans la formulation de ses prières:
"Dites-le aux gens du journal"(lO)
(1) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 261
(2) SARTRE,
ibidem,
page 261
(3) SARTRE,
ibidem,
page 267
(4) SARTRE,
ibidem,
page 272
(5) SARTRE,
ibidem, page 277
(6) SARTRE, ibidem, page 258
(7) SARTRE,
ibidem, page 258
(8) SARTRE,
ibidem, page 259
(9) SARTRE,
ibidem,
page 259
(10) SARTRE,
ibidem, page 259.
121
John a un style incisif.
Il donne des ordres
"Réponds quand on te parle"(l)
Il vérifie l'identité du personnage "tes papiers"(2) , interroge
"Si tu les as refusés, comment se trouvent-ils sur la
table ?"(3).
Il cherche à intimider :
",Assieds-toi. .. je te dis de t'asseoir"(4)
Il accule LIZZIE :
"Décide-toi. Tu signes ou je t'emmène en t.auLe I S) .
Il est le type de l'agent de police direct,
brutal.
Le premier
homme se renseigne de façon imprécise
:
"Nous cherchons le Nègre"(6)
Le parler du deuxième est familier
:
"Si, si, si, je vous ai vu descendre du train avant-,hier"(7)
Le registre du troisième homme est encore familier
:
"ça ne traînera pas, mon petit sucre: on sait qu'il:; se
cache dans cette rue"(8)
L'expression,
"mon petit sucre" est suggestive.
Rien ne l'auto-
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rise pourtant.
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(1) SARTRE,
La putain respectueuse,
op.
cit.
page 259
(2) SARTRE,
ibidem,
page 275
(3) SARTRE,
ibidem,
page 276
(4) SARTRE,
ibidem,
page 276
(5) SARTRE,
ibidem,
page 277
(6) SARTRE,
ibidem, page 292
(7) SARTRE,
ibidem, page 293
-;
(8) SARTRE,
ibidem,
page 293.
J
122
CONCLUSION PARTIELLE DE LA DEUXIEME PARTIE
SARTRE,
dans La putain respectueuse,
traite,
avec générosité
mais avec excès,
du problème noir aux Etats-Unis.
Il se fait l'instrument
d'une politique qui véhicule une vision globale, grossière et négative
des U.S.A.
Il nous faut cependant,
à la lumière de notre analyse,
situer
le racisme dans ses frontières géographiques réelles
: le Sud des Etats-
Unis.
Le choix du cadre statio-temporel n'est pas innocent.
Il permet à
SARTRE de se faire l'écho,
dans ces années quarante,
de l'antiamérica-
nisme en France. Cette réaction est due,
dans une large mesure,
à la
présence de l'armée américaine sur le territoire français.
Elle est
perçue,
dans ce contexte par certains Français comme une armée d'occupa-
tion.
La putain respectueuse est la satire d'une morale sociale:
une femme,
d'un naturel très spontané et sincère mais d'un rang infé-
rieur,
est victime,
au même titre que le Nègre,
de la justice.
LIZZIE,
bien que cette justice soit au service de l'avoir et du pouvoir,
naïve-
ment,
veut rétablir les faits,
dire la vérité qui est contraire aux
intérêts de cette puissante bourgeoisie. Mais la justice est aux
puissants
:
"Ainsi, les salauds -ceux qui se sont arraTlgés pour mettre le
BIEN et le DROIT',"
de leur côté, ceux dont l ' exis-
tence est d'emblée fondée et justifiée ~ finissent~ils par
former les autres à se sentir de trop dans ce monde, à
n'y avoir aucun droit, à s'y trouver seulement tolérés,
dans la mesure où ils y sont utilisables"(l).
THOMAS,
par tous les moyens,
doit être innocent
"Est':"ce
que tu crois qu'une ville tout entière peut se
tromper? une ville tout entière, avec ses pasteurs et
ses curés, avec ses médecins, ses avocats et ses artis-
tes, avec son maire et ses adjoints et ses associations
de bienveillance. Et-ce que tu le crois ?"(2).
(1) Francis Jeanson,
SARTRE par lui-même, op.
cit.
page 36
(2) SARTRE,
La putain respectueuse,
op. cit.
pages 282 -
283 -
284.
123
Toutes ces professions libérales sont,
la plupart du temps,
exercées par la même classe : la bourgeoisie.
Le Sénateur, CLARKE, reconnaît les faits,
mais oppose la valeur
du Nègre à l'utilité de THOMAS qui "a le droit de vivre et toi (LIZZIE)
tu as le devoir de lui conserver sa vie"(l).
Les seules raisons évoquées tiennent compte du rang,
de la posi-
tion sociale.
L'acte de liberté, ainsi détourné,
devient un devoir moral.
Ainsi,
"Vérité et Justice sont toujours du côté des gens respec-
tables et ( . . . ) le fils de famille doit être innocent"(2).
Respectueuse de la vérité des faits,
respectueuse de l'ordre,
de
la justice,
des valeurs morales,
LIZZIE, sous diverses pressions,
ne s'as-
sume pas face à l'histoire.
(1) SARTRE, La putain respectueuse, op. cit.
p age 282
(2) René-Marill Albérès,
SARTRE,
op.
cit. page 83.
124
CONCLUSION GENERALE DE LA DEUXIEME PARTIE
Les Noirs,
aux Etats-Unis, dans les textes de SARTRE,
n'ont
aucun droit politique, ni juridique.
Ils sont,
dans une très grande majo-
rité,
au bas de l'échelle sociale.
La discrimination raciale les frappe dans l'emploi:
ils occu-
pent souvent les postes que les Blancs refusent.
Dans le système éducatif,
on distingue des établissements destinés exclusivement aux Blancs. Les
Noirs,
généralement, ne peuvent pas y accéder.
Dans le domaine religieux,
curieusement,
il y a des lieux de
culte séparés pour les deux communautés.
La géométrie des habitations obéit à cette logique raciale
les seuls contac~s, les seuls rapports entre Blancs et Noirs sont de
soumission dans le cadre d'emplois subalternes,
et d'exclusion dans la
mesure où chaque communauté a ses écoles, ses quartiers,
ses emplois.
Il
s'agit d'une ségrégation de fait.
C'est pourquoi les thèmes des écrivains sont concrets.
Ils
sont relatifs à leur histoire à travers l'esclavage,
l'exil de
la terre
africaine et la qu~te d'une iJRntité noire fortement entamée.
Leur seul rêve se reflète dans leur combat pour des Etats-Unis
où Blancs et Noirs jouiront des mêmes droits politiques,
juridiques,
économiques et sociaux.
Ils ne veulent plus être des citoyens de seconde
classe,
"certes, d'autres minorités se heurtèrent à des obstacles, mais
aucune autre ne fut aussi brutalement méprisée, aucune autre ne se vit
refuser avec autant d'acharnement ie droit de saisir sa chance et d'es-
pérer"(l).
-------~--------------------------------------_.-
(1) Martin Luther KING,
La seule révolution,
Paris,
Gasterman,
1968,
page 30.
125
La situation des Noirs aux Etats-Unis, soumis à une grossière
exploitation,
dans un contexte de discrimination révoltante,
les oblige
à lutter pour leur survie. Ces conditions leur fournissent l'aliment de
la lutte,
du combat pour la liberté et l'égalité.
La putain respectueuse est une satire de la morale purement
sociale.
LIZZIE est agressée par un fils de famille mais la faute en est
rejetée sur le Nègre. Les personnages vivent selon des valeurs établies.
Ils ne transforment pas le monde en créant leurs propres valeurs.
Cette fraternité humaine,
purement collective,
formelle,
est
une morale qui exclut toute responsabilité interne,
toute intelligence
critique et purificatrice. Elle n'est pas,
sous cet aspect,
sincère;
elle est,
dans le fond,
pure apparence qui recouvre,
de façon évidente,
la comédie,
l'hypocrisie,
les intérêts de classe.
Incapable de créer à chaque instant,
à chaque étape,
à chaque
situation,
ses propres valeurs,
incapable de faire vivre en lui de façon
sincère, authentique,
des valeurs déjà existantes,
l'homme se réfugie
dans les fausses valeurs;
il s'y complaît et se cache en elles.
Par dé-
mission ou par crainte d'assumer,
en toute responsabilité et tout seul,
ses propres valeurs,
l'homme,
soumis à des conventions hypocrites,
jus-
tifie l'inauthenticité des valeurs sociales.
Et "cette morale purement collective et formelle,
d'où sont
exclues toute Tesponsabili té interne et toute vie spiri-
tuelle, ne porte évidemment en elle aucune sincérité;
elle est pure apparence. Elle recouvre l'hyPocrisie et
les passe-droits des puissants"(l) c'est-à-dire des
"Salauds".
(1) R. M. ALBERES, SARTRE, op. cit. page 83.
TROI5IEME PARTIE
10 ) SARTRE ET LE M~GHREB
UN
THEATRE
DE
SITUATION
3°) SARTRE ET LE PROELEME
ISJRII=lELO-A:RAlBE_
.
-",
"
:..
~_.,':
"0.
126
CHAPITRE vi
SARTRE
ET
LE
MAGHREB
l N T R 0 DUC T ION 1
La troisième partie de notre recherche,
SARTRE face au Maghreb
et au problème israélo-arabe,
semble,
de prime d'abord,
dissocier les
engagements et les oeuvres. SARTRE,
l'artiste,
doit-il reléguer dans
l'ombre l'homme politique? Cette question est au centre de notre travail.
Il existe,
de toute évidence,
dans toute l'oeuvre relative à ce sujet,
une unité profonde de l'écrivain et de l'homme,
qui motive les livres au-
tant que les engagements:
la recherche d'une morale.
La politique,
perçue
comme un engagement moral,
sera le terrain où l'écrivain rejoint ceux qui
n'écrivent pas et qui ont affai~e à la réalité des événements.
SARTRE,
créateur et politique, sans l'exigence de l'éthique qui
l'anime et consiste à fonder pour lui-même la politique de la liberté sur
l'écriture,
est inintelligible.
La littérature devient dans cette optique,
une pratique du monde.
Son oeuvre est
"une littérature qui s'efforce de peindre la condition méta-
physique de l'homme tout en participant pleinement aux mou-
vements de la société" (1) •
SARTRE et les autres signataires du "manifeste des 121",
en toute
lucidité,
"ont pris l'habitude de penser qu'écrire est un acte, et ils ont
acquis le goût de l'action"(2).
Ainsi SARTRE assume entièrement tous ses écrits.
Comprendre
Jean-Paul Sartre,
c'est saisir le sens des conflits moraux,
poli ti-
ques et esthétiques de notre époque.
Denis ROUGEMONT,
dans Politique de la personne(3) analyse le pro-
blème de la liberté et de la responsabilité de l'homme.
Les thèmes qu'il a
(1) A. Cohen-Solal,
Jean Paul. SARTRE 1905-1980, Paris,
Gallimard 1985,
page 309
(2) A. Cohen-Sol al , ibidem,
page 309
(3) Denis ROUGEMONT, Politique de la personne,
Paris,
Je sers,
1946
Manifeste des "121" : 121 écrivains et artistes ont signé une déclara-
tion sur le "droit à l'insoumission dans la guerre
d'Algérie".
127
développés sont sytématiquement traités par Jean-Paul SARTRE qui a tou-
jours senti la nécessité de donner un prolongement concret à son oeuvre.
Sa production littéraire est étroitement liée aux événements et aux con-
tradictions de notre époque.
Jean-Paul
Sartre
porte son humaine condition
en établissant un rapport rigoureux entre sa vie et ses oeuvres.
Toutes les prises de position et conférences,
tous les articles
de SARTRE liés à la guerre d'Algérie,
au Maroc,
à la Tunisie et au problème
israélo-arabe décrivent "le moment qui engage une morale et toute une
vie" (1) •
La mystique qui place l'Absolu dans l'art disparaît progressive-
ment;
SARTRE poursuit,
dans l'activité politique,
ce salut qu'il a,
en
vain,
cherché dans la littérature.
Le seul Absolu,
pour lui,
c'est la
condition humaine.
Son oeuvre est importante parce qu'elle porte le poids
de ses choix politiques
car "haï ou apprécié, SARTRE focalisa sur sa personne une partie
des tensions de la société française,
déchirée par la guer-
re d'Algérie.
Il servit de bouc émissaire aux uns, de cau-
tion symbolique aux autres.
"Fusillez SARTRE", hurlèrent
certains manifestants sur les Champs-Elysées.
"On n'empri-
sonne pas Voltaire", répondit le Général de Gaulle"(2).
Les deux préfaces,
"Présence Noire" et "Orphée noir",
les textes
relatifs au Maghreb,
montrent qu'il a épousé la lutte des peuples opprimés.
Il a soutenu les nations qui luttent pour leur dignité;
il a compris leur
attitude réfléchie.
Les rapports de SARTRE avec le Maghreb,
de façon plus précise,
avec l'Algérie pendant la guerre de libération nationale,
dans ce siècle
chargé de crimes collectifs,
avec ses héros complices ou innocents subis-
sant la tragédie de l'existence et de ses contradictions, sont fondés sur
l'analyse objective de la réalité et sur l'écoute de la voix du peuple.
(1) SARTRE,
"La responsabilité de l'écrivain",
Les conférences de l'UNESCO,
Fontaine 1947 . . . . page 58
(2) Annie Cohen-Solal, Jean-Paul SARTRE 1905-1980, Paris, Gallimard, 1985,
page 535.
128
Ainsi,
sa pensée est-elle dialectique;
elle enseigne le dépas-
sement d'une situation imposée à l'Algérie, mais rejetée par des conscien-
ces libres.
Son art est donc l'expression d'une conscience face au monde,
avec ses contradictions et son histoire.
Il est effectivement "la prise
en charge du monde par une liberté"{l).
Pour Sartre
"l'écrivain est en situation dans son époque; chaque parole
a des retentissements. Chaque silence aussi ( ..• ). Nous ne
souhaitons pas gagner notre procès en appel et n'avons que
faire d'une réhabilitation posthume : c'est ici même et de
notre vivant que les procès se gagnent ou se perdent"(2).
Michel CONTAT confirme cette analyse.
Pour lui,
"qu'il le veuille ou non, l'écrivain est engagé (embarqué
au sens pascalien), i l écrit pour son époque et cette
époque se parle à travers lui
; pas moyen de lui échap-
per ; alors, autant transformer cet engagement de fait
en engagement de droit, plonger nos personnages dans
l'histoire et montrer leur liberté se gagner ou se perdre
dans cette histoire qui est la nôtre"(3).
La littérature de SARTRE est engagée et i l est prêt à assumer
toutes les conséquences de ses prises de position car les réations verbales
ou violentes n'ont pas manqué,
"Et SARTRE se retrouva parmi les premiers visés dans les
attentats de l'O.A.S.
: à deux reprises, le 19 Juillet 1961
et le 17 Janvier 1962, l'appartement de la rue Bonaparte
fut plastifié; le local des "Temps Modernes" n'avait pas
non plus été épargné le 13 Mai 1961"(4).
L'écrivain se sait "dans le coup" selon l'expression de SARTRE
lui-même.
Acteur ou spectateur, résigné ou révolutionnaire,
i l ne peut
s'évader de ce monde;
il doit être,
de manière étroite,
lié à son époque.
La littérature est une fonction sociale
; elle arialyie les problèmes
(1) SARTRE,
Si t.uat i.ons II, op.
ci t. -page 10
(2) SARTRE,
ibidem,
page 11
(3) Michel CONTAT,
"le roman existentiel" in Magazine littéraire n0282,
Novembre 1990, page 38
(4) Cohen-Sol al Annie, Jean-Paul SARTRE.190S-1980,
Paris,
Gallimard,
1985, page 562.
129
politiques,
sociaux,
économiques et culturels. Malraux(l) et Gide(2),
dans
des circonstances diverses,
pour des raisons qui leur étaient propres, ont
établi cette relation stricte entre leur vie et leurs activités littéraires.
Loin d'être une spéculation stérile,
la littérature est une ré-
flexion sur la condition humaine.
Ecrire, c'est dévoiler,
c'est transmettre
un message car,
pour les écrivains,
"Parler est une affaire sérieuse;
écrire, une affaire plus sérieuse encore. Et comme ils savent que leurs
oeuvres engagent nécessairement le lecteur,
ils veulent s'engager eux-mêmes
complètement dans leurs oeuvres"(3).
L'écriture est donc une arme de combat qui peut être au service
de la liberté.
Ses textes relatifs au drame algérien,
au Maroc,
à la Tunisie et
au problème israélo-arabe, permettent à SARTRE de manifester aux peuples
opprimés ou aux pays en situation conflictuelle sa sympathie,
sa solidarité
et surtout,
son soutien actif aux combattants du front de libération natio-
nale (F.L.N. l,. En effet, pour lui,
"Il faut donc écrire pour son époque, comme ont fait les
grands écrivains. Mais cela ne signifie pas qu'il faille
s'enfermer en elle. Ecrire pour l'époque, ce n'est pas la
refléter passivement, c'est vouloir la maintenir ou la
changer, donc la dépasser vers l'avenir, et c'est cet ef-
fort pour la changer qui nous installe le plus profondé-
ment en elle, car elle ne se réduit jamais à l'ensemble
mort des outils et des coutumes, elle est en mouvement,
elle se dépasse elle-même, perpétuellement, en elle coïn-
cident rigoureusment le présent concret et l'avenir vivant
de tous les hommes qui la composent"(4).
L'écriture n'est donc pas innocente.
L'étude de la vision sartrienne de la crise algérienne,
de la
colonisation au Maroc,
en Tunisie,
et du problème israélo-arabe peut se
(1) A. Malraux, L'ESPOIR, Paris, Gallimard, 1937
(2) A.
GIDE, Voyage au Congo, Carnets de route, Paris, Gallimard, 1927.
11 faut signaler l'engagement de GIDE dans l'affaire Dreyfus.
(3) Cohen-SalaI Annie, Jean-Paul SARTRE 1905-1980, op.
cit. page 309
(4) SARTRE in Les écrits de SARTRE de M. CONTAT et de M. RYBALKA,
op. cit.
Page 674.
130
faire,
pour une intelligence aussi profonde que possible de ces thèmes,
en cinq directions éclairantes: d'abord,
le système colonial,
puis la
prise de conscience des Maghrebins, puis la lutte de libération natio-
nale algérienne,
ensuite la France face au Maghreb en général, à la
guerre d'Algérie en particulier, et enfin le conflit entre Isra~l et
les pays arabes. Cette partie se termine par l'étude des Séquestrés.
d'Altona.
Ce mouvement permet de mieux saisir la relation qui unit le
colonisateur au colonisé,
d'avoir une intelligence plus globale de la
signification de la marche vers l'indépendance des peuples opprimés.
La
notion de privilège et de race est au coeur de la relation coloniale.
I/
LE
SYSTEME
COLONIAL
a)
L'exploitation
économique
Le colonialisme,
par essence,
est une oeuvre de spoliation.
Il
bouscule les structures de la société traditionnelle en mettant en place
une nouvelle organisation.
Le souci principal du colonisateur est donc
d'accaparer les richesses de la colonie par une exploitation systématique.
Le Maghreb,
à l'instar des autres colonies, n'a pas échappé à cette règle.
Les terres fertiles deviennent progressivement,
de manière ha-
bile, la propriété du colonisateur. Propriétaire des moyens de production,
il pressure les populations.
En Algérie,
"en 1850, le domaine des colons était de 115 000 hec-
tares. En 1900, de 1 million 600 ; en 1950, 2 mil-
lions 703. L'Etat Français.possède Il millions
d'hectares sous le nom de "terres domaniales"
; on
a laissé 7 millions d'hectares aux Algériens. Bref,
i l a suffi d'un siècle pour les déposséder des deux
ti ers de leur sol" (1) •
(1)SARTRE,
"le colonialisme est un système", Situations, V, op.
cit.
page 32.
131
En effet,
"les chef d' exp loi tation agricole, colons aur.aena
propre~du terme, n'étaient plus que 22 000, dont
un tiers,
i l est vrai, détenait plus de 100 hectares
et accaparait 87 % du domaine rural européen"(l).
Les rapports entre le colonisé et le colonisateur reflètent de
façon saisissante,
au plan économique,
cette inégalité car "le revenu mo-
yen du français d'Algérie est dix fois supérieur à celui du musulman ( .•. ).
La population vit en état de sous-alimentation perpétuelle" (2) .
Bernard DROZ et Evelyne LEVER,
dans leur ouvrage,
constatent la
même situation faite aux colonisés.
En effet,
"l'agriculture n'occupait plus que les 10 % à peine
des actifs européens mais représentait 55 % de la
valeur de la production agricole globale
; elle pro-
curait en 1954 un revenu net de 93 milliards de
francs,
soit un chiffre comparable au budget ordi-
naire de l'Algérie pour la même année"(3).
Ils poursuivent :
"Rarement société aussi essentiellement popu.Lai r-e
ne
s'est révélée aussi étroitement oligarchique. Enten-
dons par-là tenue en main par une minorité de poten-
tats qui, maîtrisant l'essentiel des circuits
économiques et des moyens d'information; ont su forger
à leur profit lli1e solidarité d'intérêts. Etonnant phé-
nomène d'aliénation qui porte en lui tout le drame de
l'Algérie française" (4) .
Ils constatent aussi que
"l'économie musulmane n'offrait évidemment pas le même
visage de prospérité. Alors que la population indigène
avait plus que doublé en un demi-siècle, le volume des
ressources oscillait dangereusement entre la stagna-
tion et la récession"(5).
(1) Bernard DROZ, Evelyne LEVER,
Histoire de la guerre d'Algérie, Paris,
Seuil,
1991 page 40
( 2) SARTRE,
"l?réface"qu Portrait du colonisé pr-êcè dé du portrait du colo-
nisateur"
page 25
(3) Bernard DROZ, Evelyne LEVER, Histoire de l'Algérie, op. cit. page 37
(4) Bernard DROZ, Evelyne LEVER,
ibidem,
page 40
(5 ) Bernard DROZ, Evelyne LEVER, ibidem, page 38.
132
Et plus grave
"la failli te du système français à a3Sl.JI:'e['
aux trois quarts
de la population algérienne un niveau ole vie décent"(l)
est réelle.
Cette description de la situation dévoile,
avec plus de précision,
les intentions du colonisateur qui,
dans la même mouvance,
produit,
avant
tout,
pour la métropole.
En effet,
"entre 1927 et 1932, la viticulture a gagné 173 000 hectares
dont plus de la moitié a été prise aux musulmans. Or les
musulmans ne boivent pas de vin'''(2).
L'agriculture
"livrait au marché algérien et métropolitain l'essentiel de
la production viticole, une part notable de la production
céréalière et la quasi-totalité des agrumes et des pri-
meurs" ( 3) .
Dépossédés d'une partie de leurs bonnes terres,
les Algériens de-
viennent une main-d'oeuvre nombreuse et bon marché.
Les cultures, conçues,
pour l'essentiel,
en fonction du marché français ne sont pas à la portée
de ce prolétariat agricole.
Elles sont destinées à la métropole.
Cependant,
à la lumière de la réalité,
i l convient de nuancer
l'affirmation de SARTRE selon laquelle "les musulmans ne boivent pas de vin"
il s'agit d'un principe religieux qui n'est pas,
le vécu quotidien l'attes-
te,
toujours respecté.
Cette déclaration un peu forcée est l'énoncé d'un
code général de conduite et non une morale de vie.
On peut aussi,
après
trente ans d'indépendance,
constater que les Algériens cultivent toujours,
malgré l'Islam,
des vignes;
ils fabriquent et exportent du vin.
La mécanisation du travail agricole fait des chômeurs et ce sous-
prolétariat,
sans qualification,
sans avenir,
sans défense,
s'entasse dans
(1) Bernard DROZ, Evelyne LEVER, Histoire de l'Algérie, op.
cit.
page 42
(2) SARTRE,
"le colonisalisme est un système", Situations, V, page 33
(3) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op. cit. page 37.
133
les villes.
Il est contraint à l'émigration comme seule solution. Dans
ce contexte difficile,
"les Algériens sont contraints de chercher en
France les emplois que la France leur refuse en Algérie"(l).
En effet,
"cette inégalité flagrante dans la distribution de l'espace
rural condamnait au sous-emploi et au chômage peut-être
un million de paysans sans terre et de pasteurs sans trou-
peaux" ( 2) •
DROZ et LEVER ajoutent :
"Une foule d'emplois tertiaires, précaires et rénumérateurs,
ne suffisait pas à enrayer un chômage endémique que l'on a
pu évaluer en 1954 à 25 % de la population masculine en âge
de travailler" (3) .
Ils complètent le tabelau en ces termes
:
"La plupart des emplois, et assurèment les meilleurs, étaient
tenus par une myriade de fonctionnaires blancs"(4).
L'émigration pose bien des problèmes aussi bien au pays d'accueil
qu'aux hommes arrachés à leur sol natal. Mais la position de SARTRE nous
semble tranchée.
La recherche de l'emploi,
le besoin d'une formation de
haut niveau restent une équation que l'Algérie indépendante doit résoudre.
Il y a aujourd'hui encore, bien après la libération de l'Algérie, une for-
te émigration d'Algériens vers la France.
Les maux imputés naguère à la colonisation,
dans beaucoup àe
pays d'Afrique,
sont toujours actuels.
Le chômage, malgré des efforts cer-
tains,
après la nationalisation de certains secteurs de l'économie,
est
une réalité en Algérie,
au Maroc et en Tunisie
Il n'en demeure pas moins que,
dans les années cinquante,
les
terres étant "occupées"
"aux deux tiers" par les Européens,
les Algériens
(1) SARTRE,
"le colonialisme est un système", Situations, V, op.cit.page 37
(2) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op. cit.
page 39
(3) DROZ et LEVER,
ibidem, page 39
(4) DROZ et LEVER,
ibidem,
page 43.
134
sont privés de leur aliment principal:
les céréales.
La prduction céré-
alière diminue d'année en année à cause aussi d'" une agriculture tradi-
tionnelle de subsistance que l'usure des sols et l'archaïsme des
,_
techniques rendaient de moins en moins _producti ve" ,( 1) •
La situation se dégrade. Pendant ce temps,
selon les statistiques,
la population a triplé.
Exploitée, humiliée,
la société est progressivement, méthodique-
ment désarticulée.
b)
La
société
tribale
La propriété tribale,
de manière générale,
est collective.
Pour
diviser et affaiblir la population,
le colonisateur a greffé le code fran-
çais sur le corps social musulman.
La caratéristique,
est qu'''ici, avec
prémédition, avec cynisme, on a imposé un code étranger aux musulmans parce
qu'on savait que ce code ne pouvait s'appliquer à eux et qu'il ne pouvait
avoir d'autre effet que d'anéantir les structures internes de la société
algérienne" (2) .
En effet,
la politique de l'assimilation "se révèle tout autre
chose, une entreprise consciente de destruction de la société musulmane
et de ses institutions traditionnelles par l'introduction modulée du
code françai s" ( 3) .
F. FANON constate le même phénomène et é c r i t :
"Les paysans démembraient lopin par lopin le patrimoine
familial et dans une dernière phase y travaillaient pour
le compte de l'Européen"(4).
(1) OROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie, op. cit. page 38
(2) SARTRE,
"le colonialisme est un système" in Sit;~iations,V, op. cit.
n ?
123 page 31
-
OROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op; cit.
page 21
f.
FANON,
Les da~és de la terre, op. cit. page 141.
135
A. MEMMI approuve cette analyse. En effet, la colonisation crée
"des situations de carence ( . . . ). Or ce mythe-là (l'agres-
sion idéologique) est, de plus, solidement étayé sur une
organisation bien réelle, une administration et une juri-
diction ; alimenté, renouvelé par les exigences histori ë
ques, économiques et culturelles"(l).
SARTRE,
MEMMI,
OROZ et LEVER, FANON, dans les passages cités,
condamnent sans ambiguïté,
surtout la législation coloniale inadaptée aux
réalités du Maghreb.
L'application du code civil français aux musulmans engendre de
graves conséquences. Désarticulée,
la société tribale,
avec le morcelle-
ment de la propriété famili~le collective, perd ses fondements.
Désé-
quilibrée,
son ossature se brise.
Cette législation française,
appliquée
aux réalités de
l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie ou de toute l'Afri-
que,
ébranle les bases de la société.
Une loi étrangère ne peut pas
sauvegarder les intérêts,
l'organisation et l'harmonie qui sont à la
base de la cohésion sociale.
Les pays du Maghreb,
le Maroc,
la Tunisie,
l'Algérie,
néanmoins
à l'instar des pays d'Afrique indépendants, avec une nouvelle législation,
ont tenté,
sans grand succès,
de rendre la terre à ceux qui la travaillent.
D'autres pays,
dont le Sénégal, ont échoué dans ce domaine.
Les terres
restent,
surtout dans les zones fertiles,
entre les mains non pas des pay-
sans mais de riches hommes d'affaires.
SARTRE critique d'autres aspects de la justice française qui ne
guarantit pas,
dans les colonies,
l'équité dans les procès et les arres-
tations.
Il dénonce la démesure,
la nature altérée de cette justice de
classe qui n'obéit qu'aux objectifs et aux intérêts du colonisateur.
Il
fustige l'absence des preuves. En effet,
1
"à Alger, notre justice aime mieux étonner le monde par la
sévérité de ses sentences que par la qualité des preuves
qui . les étayent" (2) .
(1) A.
MEJv1MI, Portrait du colonisé précédé du Portrai t
du colonisateur-,
Paris,
Gallimard,
1985-; iJage 106
(2) SARTRE,
"Nous sommes tous des assassins" in Situations, V op.
cit.
page 69.
136
Dans ces circonstances,
"les juristes ont pu également s'émou-
voir de la violation des droits élémentaires de la personne ou de la
défense qu'engendraient tant d'arrestations arbitraires et de procès bâ-
clés" (1) •
L'actualité confirme ces déclarations:
"Dans la matinée, voici la lettre d'un instituteur arabe
dont le village a vu quelques-uns de ses hommes fusillés
sans jugements"(2)
Pour FANON aussi "les autorités prennent en effet des mesures
spectaculaires, arrêtent un ou deux leaders"(3).
Cohen-Solal aboutit à la même conclusion
"Le procès du réseau Jeanson fut une mascarade, un opéra
bouffe, un véritable cirque, un happening politique"(4).
Elle ajoute peu après
"La France s'affole, le pouvoir se durcit, les scandales
du procès, parvenus à l'étranger, reviennent en écho à
à Paris: manifestations de soutien.
Intellectuels ita-
liens, allemands, américains, britanniques tour à tour
se mobilisent pour les fameux cent vingt et un (5).
L'intitulé de l'article,
"Nous sommes tous des assassins",
la
signification des passages cités sont un violent réquisitoire contre cet
aspect de la justice française dans la colonie.
Sans situer les responsa-
bilités de manière objective et sereine,
SARTRE condamne donc tout un
peuple.
(1) DROZ et LEVER, Histoire de la Guerre d'Algérie, op.
cit.
page 139
(2) CAMUS,
"L'Algérie déchirée" in Ecrivains francophones du Maghreb
Antologie,
Paris,
Seghers, 1985, page 93
(3) FANON,
Les_<:!amJ~és de la terre, op. cit. page 54
(4) A. Cohen-Sol al , Jelli1-Paul SARTRE 1905-1980, op.
cit.
page 540
(5) A. Cohen-Solal,
ibidem,
page 545.
137
Cet excès et cette démesure du jugement sont à lier aux objec-
tifs de SARTRE qui cherche, en dramatisant certaines situations,
en les
portant à la limite, à sensibiliser toute l'opinion publique.
Par exemple,
les époux Guerroudji, Jacqueline et Abdelkader,
tous deux complices de Fernand Yveton,
jugé et exécuté, sont condamnés à
mort.
Ils ont,
par un acte de sabotage de la centrale électrique d'HAMMA,
cherché à plonger la ville dans l'obscurité. Mais la France,
chaque jour,
dans cette guerre,
"plongeWn village
dans la mort"(l) et la désolation.
Cela met à nu la mentalité des colonisateurs car
"Tous, ou presque tous, communiaient dans la certitue que
les Arabes étaient de grands enfants qui ne respectai2nt
rien autant que la force"(2).
Ils s'autorisent de cette théorie pour mieux les maltraiter,
"se révélant ainsi racistes, violents, acharnés à préserver
une réalité qu'ils voyaient s'effriter chaque jour un peu
plus"(3).
C'est la raison pour laquelle tout est prêtexte à violence
"un incident banal et le mitraillage commence:
c'est Sétif en Algérie,
ce sont les Carrières Centrales au Maroc,
c'est Moramanga à Madagascar"(4).
Et cette France qu'a connue SARTRE "n'a même plus les moyens d'in-
timider, elle commence à faire horreur"(5).
La justice française,
en Algérie,
au Maroc,
en Tunisie,
dans
plusieurs colonies,
ternit son image par son caractère inadapté,
son man-
que de mesure;
elle rompt avec les principes d'équité.
(1) SARTRE,
"nous sommes tous des assassins"
Situations, V,
op.cit.
page
70
(2) DROZ et LEVER,
Histoire de la guerre d'Afrique,
op. cit. p-p .. 44-45
(3) Cohen-SalaI,
Jean-Paul SARTRE 1905-1980, op.
cit.
page 562
(4) FANON,
Les damnés de la terre,
op. cit. page 54
(5) SARTRE,
"Nous sommes tous des assassins"
Situations, V,
op.
cit.
page 71.
138
Mais il est heureux de noter que la peine de mort est aujour-
s'hui abolie en France;
nos pays,
nous l'espérons,
suivront cet exemple.
c)
L'identité
culturelle
Le système colonial a aussi tenté de détruire l'identité cultu-
relle et la personnalité algériennes.
En 1956,
l'Algérie comptait 88 %
d'illettrés.
La colonisation a formé,
pour les besoins de son fonctionne-
ment,
quelques Algériens.
L'acculturation,
par les effets conjugués de
l'analphabétisme et du statut de la langue,
s'accentue car
"depuis 1830 l'Arabe es-t considéré en Algérie comme une
langue étrangère"(l).
La situation du colonisé est donc dramatique. Déchipé par l'anal-
phabétisme ou le bilinguisme colonial avec son faible taux de scolarisa-
tion,
il se meut dans un univers chargé de contradictions.
"Le retard de la scolarisation était patent"(2).
Et on constate que "de toute évidence,
l'instruction primaire
restait un privilège, très relatif du reste, compte tenu du surpeuplement
en vigueur dans les classes musulmanes"(3).
Le processus de l'assimilation se trouve,
par cette voie,
en-
clenché.
Le statut de l' arabe est remis en cause au profit de la langue
de l'envahisseur qui développe un enseignement très sélectif,
malthusien.
Le gouvernement algérien,
sous la pression des intégristes mu-
sulmans,
en 1990, a réhabilité l~rabe mais cette mesure menace la lai-
cité de l'Etat et ne résoud pas la question de l'analphabétisme.
En 1992,
(1) SARTRE, "le colonialisme est un système",
Situations ,V, op.
cit.
page 39
(2) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.
cit.
page 43
(3) DROZ et'LEVER,
ibidem, page 43.
139
l'Algérie se trouve confrontée aux dramatiques problèmes d'un Islam pur
et dur et non à un conflit ethnique.
Toutes les mesures initiées par le colonisateur visent à faire
des Maghrébins des hommes déracinés.
La vérité c'est qu"on a refusé aux
musulmans l'usage de leur propre langue"(l).
Le colonisé assiste "à l'agonie de sa cuLt.ur-ev Z)
répond A.
MEIVIMI.
Ï
En effet,
"nous (les Français) avons;tout pris aux Musulmans, et
puis nous leur avons tout interdit jusqu'à l'usage de
leur propre langue"(3).
Et SARTRE continue en ces termes
:
"L'Europe a hellénisé les Asiatiques, crée cette espèce
nouvelle, les nègres gréco-latins"(4).
A.
MEMMI pense lui-même que "le colonisé semble condamné à perdre
progressivment la mémoire"(5).
A ce propos,
jean AMROUCHE,
face au sort du colonisé,
écrit
"Nous voulons la patrie de nos pères
la langue de nos pères
la mélodie de nos songes et de nos chants
sur nos berceaux et sur nos tombes
Nous ne voulons plus errer en exil
dans le présent sans mémoire et sans avenir"(6).
La même analyse est faite par d'autres écrivains qui
affirment
qu'
"ainsi l'intellectuel colonisé luttait,
abrégé dans ses racines les plus vivantes"(7).
(1) SARTRE, "nous sommes tous d~~a~l;>~sj.ns'!, Sit.uat.i.onsçv , op. ci t. page 39
(2) A.
MEMMI,
Portrait du colonisé prée édé du~ portrai t
du colonisateur,
op. cit. page 106
(3) SARTRE,
".une v i o t.o i r-e '
in Si-Lllations,V, op-,,-ç.i.t.
page ~4
(4) SARTRE,
"Préface" à Les damnés de la terre,
Situations,V, page 168
(5) A.
MEMMI,
Portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur,
op.
cit.
page 115
(6) Jean AMROUCHE,
in Ecrivains francophones du Maghreb-Anthologie,
Paris, S~ghe~i~ 1985, page 24
(7) Abdelkabir Khatibi,
in Ecrivains francophones du Mghreb-Anthologie,
op.
cit. page 197.
140
Le déracinement s'est accentué:
il a miné la personnalité du
colonisé'L!arabe, langue d'unification et langue de culte, a perdu sa
place dans la société maghrébine colonisée.
L'oeuvre d'aliénation cul-
turelle s'est ainsi renforcée.
La réforme de 1990 en Algérie,
qui fait de l' ar-abe la langue
officielle, devait toutefois,
à notre avis,
maintenir le français comme
langue de travail et de formation des cadres.
Il n'en demeure pas moins que toutes ces citations de différents
auteurs attestent le caractère aliénant de la colonisation.
Après aVOIT
pacifié les corps par la force des armes,
la France a cherché à pacifier
les âmes par la lrlngue.
Aucune langue n'est innocente;
elle véhicule une
culture.
L'imposer, c'est chercher à Bbranler
les fondements culturels,
sociaux de la communauté concernée.
Mais,
pour des besoins de communication,
d'efficacité dans la
formation,
il est évidemment souhaitable de connaître d'autres langues.
La colonisation, par ce canal,
finit par détruire la personna-
lité,
la culture du colonisé,
("nous avons liquidé leur civilisation tout
en leur refusant la Nôtre")(l), car "dans les conditions contemporaines de
la colonisation, assimilation et colonisation sont contradictoires"(2).
Ainsi MEMMI,
pour qui
"l'assimilation est encore le contraire de la colonisa-
tion ; puisqu'elle tend à confondre colonisateurs et
colonisés, donc à supprimer les privilèges, donc la
relation coloniale"(3) a milité pour l'indépendance.
DROZ et LEVER dans leur analyse,
soutiennent la même position.
Ils notent
."la politique dl assimilation fut en fait une politique
de soumission"(4).
(1) SARTRE,
"Une victoire" Situations, V, op.
cit.
page 85
(2) A. MEMMI, Portrait du colonisé précédé du Portrait du colonisateur
op. cit.
page 135
(3) A. MEMMI,
ibidem,
page 151
(4) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op. cit. page 21.
141
La France a,
en effet, refusé aux colonies en général l'intégra-
--
.
~
-
- ' .
' -
gration car c' eût été Be reconnaître il leurs habitants le statut d homme.
l ' aÉisintil<l~tioQ'et l' if!t;§gratiof-l, en pr i nc.i pe, . leur auraient donné les .. mêmes
dr o i t.s . et privilèges que: î~s Franç a i s ; La dialectique rn<.;~ t:ce/ esclave .n vau-
•
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• -
1
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......
_
rai t
plus eu sa raison ct' être. ~àUt cela obéit à la mission ".~:lvilisatÏ'ice"
fondée sur la prétendue supériorit~du Blanc.
Cependant,
i l faut souligner qu'après cent trente deux ans de
domination,
la civilisation algérienne, comme dans le reste de l'Afrique,
n'a pas été "liquidée". Elle est bien vivante.
SARTRE a souligné le racisme secreté par la colonisation puisque
"l'essentiel est de faire sentir qu'il n'est pas de
'leur'
race"(l) parce
que,
dans la réalité,
le colo~ialisme est sous-tendu par le racisme,
"En fait,
le racisme est inscrit dans le système: la colonie
vend bon marché des denrées alimentaires, des produits bruts,
elle achète très cher à la métropole des produits manufac-
turés" ( 2) .
DROZ et LEVER renchérissent
"Pressé par l'impôt et par l'usure, le fellah était contraint
de vendre sa récolte aux prix le plus bas et d'acheter à
prix élevé les semences et les rares produits industriels
qui étaient nécessaires. La fameuse complémentarité des deux
économies, l'une spéculative et l'autre de subsistance,
aboutissait en fait à une situation de sujétion partielle"(3).
FANON, dans son étude,
va plus loin.
Il signale
qu'''au cours des années 1956-1957, le colonialisme français
avait interdit certaines zones, et la circulation des
personnes dans ces régions était strictement réglementée.
Les paysans n'avaient donc plus la possibilité de se ren-
dre librement à la ville et de renouveler leurs provi-
sions" (4).
( 1) SARTRE, "Une v i c to.i r è '! ,
Situations, v , op. ci t. pç,g8'77·
(2) SARTRE,
in Portrait du colonisé précédé du Portrait du colonisateur,
op.
ci t.
page 23
(3) DROZ et LEVER,
Histoire de la guerre d'Algérie,
op.
cit.
page 39
(4) FANON, Les damnés de la terre op. cit;
page 141.
142
Et enfin,
ce qui est plus grave,
"puisque tous les hommes ont
les mêmes droits, on fera de l'Algérien un sous-homme"(l).
Le colonisateur est obligé d'''opposer irrémédiablement les deux
figures,
la sienne tellement glorieuse, celle du colonisé tellement mépri-
sable"(2) .
MEMMI conclut que "la situation coloniale fabrique:des colonialis-
tes, comme elle fabrique des colonisés"(3).
On peut assister aussi,
dans tous les domaines de la vie,
"aux
manifestations les plus répréhensibles du racisme ordinaire"(4).
Sous la colonisation,
les valeurs du colonisé sont menacées,
sa
personnalité dégradée.
La seule solution pour s'affranchir de cet état de
fait est,
pour lui,
de mettre un terme au colonialisme.
II/
LA
PRISE
DE
CONSCIENCE
Asservis,
exploités, humiliés,
les colonisés luttent pour leur
émancipation.
La colonisation secrète elle-même les armes de sa propre
destruction.
Les néo-colonialistes proposent certes des réformes pour main-
tenir le peuple sous le joug colonial. Mais,
rétorquent les colonisés
"Même si nous étions heureux sous les baïonnettes
françaises, nous nous battrions"(5).
Jean AMROUCHE,
poète algérien,
pose les revendications des colo-
nisés
"Alors vint une grande saison de l'histoire
portant dans les flancs une cargaison
d'enfants indomptés qui parlèrent
un nouveau langage et le tonnerre
d'une fureur sacrée
(1) SARTRE,
"le colonialisme est un système",
Situations, V, op.cit.page 44
(2) ['1ŒMMI,
Portrait du colonisé précédé du Portrait du colonisateur, op.cit.
page 75
(3) MEMMI,
ibidem,
page 76
(4} B.
DROZ, E.
LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.cit.
page 114
(5) SARTRE,
"le colonialisme est un système",
Si1;uations,V,op.cit.page 26.
143
on ne nous trahira plus
on ne nous mentira plus
on ne nous fera plus prendre des
vessies peintes
de bleu de blanc et de rouge
pour des lanternes de liberté.
Nous voulons habiter notre nom
vivre ou mourir sur notre terre mère
Nous ne voulons pas d'une patrie marâtre
et des riches reliefs de ses festins" (1) •
Tout cela.
aboutit à une "réunion historique qui prit la décision
d'une guerre illimitée jusqu'à l'indépen-
dance" (2) .
La liberté n'a pas de sens sous la menace c'est-à-dire sous
"les baïonnettes".
Le statut d'homme,
l'affirmation de la personnalité et
l'identité culturelle ne sauraient se réaliser sous la domination.
La
guerre de libération nationale,
dans le contexte historique de 1954, est
la seule voie pou~ le peuple algérien opprimé.
Elle émancipe le combattant,
crée les conditions d'une unité nationale véritable.
Elle forge le senti-
ment national.
En effet,
"C'est par réaction à la ségrégation et dans la lutte
quo t ï.di.eùneique _s,' est découverte et forgée la person-
nalité algérienne. Le nationalisme algérien n'est pas
la réviviscence d'anciennes traditions, d'anciens atta-
chements : c'est l'unique issue dont les Algériens dis-
posent pour faire cesser leur exploitation"(3).
On peut,
dès lors,
constater un engagement irréversible dans
tous les secteurs.
Les écrivains prennent une part active à ce combat.
On
peut lire sous la plume d'Amrouche
"ici et maintenant
nous voulons-
libre à jamais sous le soleil dans le vent
la pluie ou la neige
notre patrie
l'Algérie" (4) .
DROZ et LEVER vont dans le même sens.
Ils constatent, pour leur
part,
"la permanence du nationalisme"(S) algérien.
(1) Jean AMROUCHE in Ecrivains francophones du Maghreb-Anthologie,page 24
(2) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie op.
cit.
page 52
(3) SARTRE,"le colonialisme est un système" Situations,V, op.cit.PP 46-47
(4) J.AMROUCHE,in Ecrivains francophones du Maghreb-Anthologie,op.cit.page 24
(5) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.cit. page 45.
144
Leur analyse est illustrée par le soulèvement déjà d'Abdelkader,
deux ans après le début de la colonisation.
Et SARTRE ajoute
:
"C'est le colonialisme qui crée le patriotisme des colm-
nisés"(l).
Mohamed DIB salue, en effet, l'avènement
d'
"un homme que vous vous obstinez à méconnaître, mais dé-
pouillé de son histoire, de ses racines,
sans attaches,
tout destin, un homme sans nom prêt à vous réduire au
même sort. Un homme: peut-être le dernier d'une ère, ou
peut-être au contraire l'annonciateur de temps nouveaux,
je l'ignore, mais inattendu quand i l nous apparaîtra"(2).
Par son caractère dégradant,
avilissant,
le colonialisme
crée
les conditions favorables à la libération qui cimente et développe la
conscience nationale.
Dans ce combat pour la liberté,
deux faits en ap-
parence contradictoires mais en réalité complémentaires se sont produits
l'union de toutes les couches sociales,
de toutes les composantes de la
société maghréhine sur un programme national et particulariste -
se libé-
rer de la domination coloniale - et non sur un programme universaliste
et social;
les conditions de
la lutte contre les colonialistes radi-
calisent tout le peuple sous la direction du "F.L.N.
(qui) ne relève
d'aucun particularisme régional"(3).
Aucune réforme ne peut empêcher les combattants du F.L.N.
de
continuer cette bataille.
La culture nationale se densifie dans cette
lutte pour la liberté.
Les inégalités sociales,
la ségrégation raciale
ne peuvent disparaître qu'avec le système qui les engendre.
Les transformations indispensables,
l'émancipation de tout
,
colonisé ne peuvent se concevoir sous la domination.
La personnalité et
./
la culture s'affirment dans la lutte armée,
se consolident sous la
(1) SARTRE,
"PréfaclLPortrai t
du colonisé, in Situations, V page 56
(2) Mohamed DIB in Ecrivains francophones du Maghreb,
op.
cit.
page 117
(3) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.
cit. page 54.
145
souveraineté nationale. Elles aideront la société libre à retrouver son
harmonie et son équilibre social. C'est dire que la contradiction prin-
cipale du peuple en lutte reste le colonialisme parce qu""il est impos-
sible de commencer par les transformations économiques car la misère et
le désespoir des Algériens sont l'effet direct et nécessaire du colonia-
lisme et on ne les supprimera jamais tant que le colonialisme durera"(l).
Dans la réalité, MEMMI estime que:
"Pour voir la guérison complète du colonisé i l faut que
cesse totalement son aliénation : i l faut attendre la
disparition complète de la colonisation, c'est-à-dire
période de révolte comprise"(2).
Son analyse du colonisateur et du colonisé aboutit à cette
conclusion :
"Cet aménagement ne pouvait
avoir lieu parce qu'il était
impossible. La colonisation con~emporaine portait en elle-
même sa propre contradiction, qui tôt ou tard devait la
faire mourir"(3).
Les antagonismes nés de la colonisation ne disparaîtront donc
qu'avec celle-ci.
On n'aménage pas la servitude.
Les intérêts du peuple
et les lois du système colonial sont contradictoires.
Cette contradiction
ne cessera,
ne trouvera son terme qu'avec la fin du colonialisme qui
l'a engendrée.
Les dirigeants,
les combattants du F.L.N.,
tout le peuple algé-
rien ont bien compris cette exigence.
La prophétie de Ferhat Abbas,
dans
ce contexte historique avec la question des protectorats à l'ordre du
jour de l'O.N.U.,
indique clairement le choix des Algériens car,
à ce
moment-là,
pour lui,
"il n'y a plus d'autre solution que les mitrail-
lettes" ( 4) .
(1) SARTRE,
"le colonialisme est un système" Situations ,V, op.cit. p.40
(2) MEMMl, Portrait du colonisé précédé du Portrait du colonisateur, op.
cit.
page 146
(3) MEMMI,
ibidem, page 148
(4) Ferhat Abbas cité par DROZ et LEVER, Histoire, op.cit. page 36.
146
111/
LA LUTTE
DE
LIBERATION
NATIONALE
a)
La
lutte
armée
L'exigence de lutte, en raison des rapports porteurs de contra-
dictions entre le colonisateur et ie colonisé,
s'impose aux Algériens.
La guerre de
libération reste l'unique issue pour le peuple sous le joug colonial.
Elle
crée,
à la fois,
un sentiment de solidarité nationale et une étroite li-
aison entre les forces insurrectionnelles et la population.
Ce lien dé-
termine la nature de la guerre
:
"Nous luttons contre un adversaire secret"(1).
Cela détermine aussi la stratégie et les moyens à mettre en
oeuvre pour faire face à un adversaire mieux armé.
C'est pourquoi,
"leur
infériorité numérique est compensée par la connaissance du terrain,
les
complicités qu'ilssse sont acquises dans les populations"(2).
La guerre commence.
C'est "particulièrement entre minuit et trois
heures du matin qu'éclatent sur une trentaine de points du territoire en-
viron soixante-dix attentats"(3).
Il s'agit d'une guerre populaire mais avec son particularisme
que M. BOUDIAF précise :
"Le 1er Novembre fut d'abord et avant tout le résultat d'une
révolte, d'une remise en cause de tous les appareils éta-
blis, c'est-à-dire une rupture catégorique avec les anciens
mouvements nationalistes"(4).
C'est la guerre populaire de libération nationale.
Les combat-
tants du F.L.N. bénéficient du soutien actif du peuple algérien.
(1) SARTRE, "Une victoire" Situations, V, op. ci t. page 83
(2) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie, op. cit. page 125
c,)
( J ,
DROZ et LEVER,
ibidem,
page 59
(4) M. BOUDIAF, cité par DROZ et LEVER, Histoire, op. cit. page 55.
147
La fraternité entre les combattants du F.L.N. et le peuple al-
gérien multiplie les difficultés de l'armée d'occupation.
Dans cette étape ultime de la lutte des Algériens, FANON,
dans
une analyse pénétrante,
pense qu'
"au feu du combat, toutes les barrières intérieures doivent
fondre,
l'impüissante bourgeoisie d'affairistes et de com-
pradores, le prolétariat urbain, toujours privilégié, le
lumpen-prolétariat des bidonvilles, tous doivent s'aligner
sur les positions des masses rurales, véritable réservoir
de l'armée coloniale et révolutionnaire; dans ces contrées
dont le colonialisme a délibérément stoppé le développement,
la paysannerie, quand elle se révolte, apparaît très vite
comme une classe radicale"(l).
L'analyse est pertinente;
elle tient compte des spécificités de
l'Afrique où les paysans représentent l'écrasante majorité.
Ils sont la
couche, même avec l'indépendance,
qui souffre le plus de l'exploitation.
Toute guerre de libération,
toute politique de développement,
sans le
soutien actif des masses rurales,
sans leur participation effective, sont
vouées à l'échec.
Les interllectuels révolutionnaires seront à l'écoute
et au service exclusif du peuple en lutte.
Le danger qui a guetté l'Algé-
rie,
l'Afrique entière, c'est de voir les intellectuels,
le prolétariat
des villes,
se substituer au peuple.
Cette menace est encore réelle.
Toute entreprise,
sans l'adhésion effective de la majorité,
va échouer.
Les paysans,
dans nos pays agraires, doivent,
à tous les niveaux, prendre
une part active à la conception,
à l'élaboration et à la réalisation des
plans nationaux.
Nos gouvernants et nos marxistes ont commis cette erreur
en privilégiant les ouvriers.
b)
Les
violences
Il Y a deux types de violence dans toute guerre de libération
la violence au service de la liberté et la violence pour maintenir une
domination.
Elles ne revêtent pas la même signification.
La violence du
(1) SARTRE,
"Préface" à Les damnés de la terre, in Situations, V,
op.
cit. page 171.
148
colonisé humanise,
celle du colonisateur déshumanise.
Les peuples coloni-
sés,
dans bien des cas, n'ont pas d'autres issues pour conquérir leur
indépendance avec leurs moyens dérisoires, mais avec une volonté inébran-
lable.
La fonction de la répression se précise alors davantage
:
"La terreur et l'exploitation déshumanisent et l'exploiteur
s'autorise de cette déshumanisation pour exploiter davan-
tage" (1) .
Cette philosophie se vérifie dans les options de "l'O.A.S.
(qui)
a lancé un mot d'ordre de "chasse aux musulmans""(2).
Dans ces conditions,
"il apparaît, en définitive, que le coloni-
sateur est une maladie de l'Européen, dont i l doit être complètement guéri
et préservé" (3) •
parce qu'
"un jour vient nécessairement où le colonisé relève la tête
et fait basculer l'équilibre toujours Lns t.ab Le de la coloni-
sation. Car, également pour le colonisé, il n'y a pas d'au-
tre issue que la fin achevée de la colonisation. Et le refus
du colonisé ne peut être qu'Absolu, c'est-à-dire non seule-
ment révolte, mais dépassement de la révolte, c'est-à-dire
révolution"(4) .
La violence du colonisé a sa dynamique interne qui débouche sur
des structures nouvelles. Elle est porteuse de valeurs car elle émancipe.
Il Y a certes,
"violence aveugle, mais rarement gratuite, qui vise moins
à frapper les vies humaines que des symboles"(5).
Et par ailleurs,
"cette violence n'est pas non plus stérile puisqu'elle
vise à substituer aux structures de l'ordre colonial les
cadres politiques, administratifs et sociaux d'une Algérie
libérée"(6).
(1) SARTRE,
"Préface" auPortrait du colonisé, in Situations,V op.cit.
page54
(2) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.
cit. page 334
(3) A. MEMMI,
Portrait du colonisé précédé du Portrait du colonisateur,
op.
cit. page 149
(4) A. MEMMI,
ibidem, page 151
(5) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op. cit. page 15
(6) DROZ et LEVER,
ibidem, page 15.
149
Le colonisateur cherche la négativité du colonisé qui combat
pour son statut d'homme. Mais l'insurrection et la répression ne luttent
pas à armes égales et "la guerre d'Algérie, c'est l'oppression systéma-
tique d'une population entière"(l).
Dans ce contexte,
le colonisateur a un "recours systématique aux
"interrogations renforcées", c'est-à-dire à la torture"(2).
Sans doute,
"il n'y a pas assez de place en Algérie pour deux espèces humai-
nes ; entre l'une et l'autre, i l faut choisir l'(3).
Et SARTRE poursuit :
"Mais la haine de l ' homme qui s' y manifeste, c' est le :r.'acis-
me qu'elle exprime"(4).
Cette position se voit confirmée par DROZ et LEVER:
"Aussi, les Algériens désertent-ils les quartiers qu'ils
partageaient
avec les Européens. Une ségrégation de fait
s ' établit" (5) •
Cela conduit à l'éclatement de la société où les deux communautés
vivent désormais séparées.
On a "deux communautés de plus en plus radicale-
ment séparées, sinon opposées"(6).
Dans cette Algérie déchirée,
"le drame du 20 Août porte en lui de graves conséquences.
La première réside assurément dans la coupure définitive
entre deux communautés irréductiblement dressées l'une
contre l'autre"(7).
(1) SARTRE,
"L'analyse du référendum",
Situations,V,
op. cit.
page 156
(2) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie, op.
cit. page 131
(3) SARTRE,
"Une victoire" Situations,V, op.
cit.
page 86
(4) SARTRE,
ibidem, page 86
(5) DROZ et LEVER,
Histoire de la guerre d'Algérie,
page 334
(6) DROZ et LEVER,
ibidem, page 87
(7) OROZ et LEVER,
ibidem,
page 77.
150
Dans cette lutte, la haine domine
et pourtant les victimes du
drame algérien
"sont de la même tragique famille et ses membres aujour-
d'hui s'égorgent en pleine nuit, sans se reconnaître à
tâtons, dans une mêlée d'aveugles(l).
L'armée, naturellement,
joue un rôle important dans cette situa-
tion.
L'intransigeance des militaires est nette:
"Ce que l'armée veut, c'est qu'on lui laisse son os
l'Algérie française"(2).
Son rôle,
au fil des jours, se précise;
i l faut "l'anéantisse-
ment des terroristes,
la destruction de l'organisation politique du
F.L.N."(3).
et
"dans cette tâche,
l'armée va s'engager avec une conviction
profonde et une détermination qui la rendra peu regardante
sur le choix des moyens"(4).
Ensuite "l'appui aerlen, par le bombardement (au napalm parfois,
malgré les ordres officiels) d'innocentes mechtas, s'a-
vère psychologiquement désastreux"(5).
Le colonialisme n'hésite pas à employer des armes redoutables ou
à massacrer les populations.
Un poète écrit:
"Il était une fois
; i l sera toujours une fois
; rien qu'une
fois
; un monde roué ; une énorme plaisanterie ; un holo-
causte ; un pacte avec la cond~~ation ; contre les gorges
du Sud ; contre les rivières colorées
; contre les murs
qui ré§istent ; Q~ pacte avec Kandischa l'arraignée"(6).
(1) CAMUS,
"L'Algérie déchirée" in Ecrivains francophones du Maghreb,
op.
cit. page 94
(2) SARTRE,
"Les grenouilles qui demandent un roi", Situations ,V,
op.
cit. page 124
(3) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.
cit.
page 129
(4) DROZ et LEVER,
ibidem, page 135
(5) DROZ et LEVER,
ibidem, page 64
Drame du 20 Août 1955 : date essentielle de la guerre d'Algérie,
les
journées d'émeute des 20 et 21 Août 1955 constituent à bien des égards
une répétition des troubles de Mai 1945
(6) Tahar Ben JELLOUN in Ecrivains francophone~, op. cit. page 169.
151
Et pour parachever l'oeuvre,
"la grande muette va faire de l'Al-
gérie une affaire personnelle" (1) •
La guerre d'Algérie pose le problème de la fin et des moyens.
Pour tous les militaires,
pour les partisans de l'Algérie française,
la
fin justifie les moyens.
Cette option détruit l'humanité qui doit présider
aux décisions humaines.
Le sous-prolétariat,
la main-d'oeuvre excédentaire, le chômage
chronique sont à l'origine de la richesse du colonisateur.
Le colonialisme
refuse à tout colonisé son humanité.
On cherche à détruire en lui tout ce
qui lui confère le statut d'homme.
Certes,
les indépendances n'ont pas fait disparaître les maux
que SARTRE fustige.
L'exploitation a pris d'autres formes;
elle est le
fait des dirigeants de notre continent.
Le chômage,
l'émigration,
une
main-d'oeuvre excédentaire sont le lot des masses en Afrique.
Le tableau
est sombre.
La colonisation n'en demeure pas moins une entreprise de domina-
tion,
d'exploitation,
de négatJ_on de l'homme.
Les colonisés l'ont compris.
Leur émancipation,
leur dignité,
leur identité culturelle,
leur civilisa-
tion,
bref leur humanité,
ne peuvent pas se réaliser pleinement sous le
colonialisme.
SARTRE définit ainsi les impératifs de la brutalité.
"La violence coloniale ne se donne pas seulement le but de
tenir en respect des hommes asservis, elle cherche à les
déshumaniser"(2).
En d'autres termes,
" la mémoire collective a surtout retenu la torture dans la
:-
'.
mesure où elle a soulevé les réactions les plus passionnées,
(1) OROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie, op.
cit. pagp 135
(2) SARTRE,
"Préface" à Les-dalnnés de la terre, Lr. .?}tuations,V,
op.
cit.
page 176.
152
et où elle a représenté le p0int limite de la violence
qu'une institution ait pu porter à un peuple"(l).
Tout,
dans le colonialisme,
cherche à dénier au colonisé les
caractères propres à la nature humaine.
Le colonisateur veut faire du
colonisé une négation; mais i l ne sait pas que celui-ci lui renvoie sa
propre image car la colonisation aliène,
à la fois,
le colonisateur et le
colonisé.
c)
La
torture
La torture dégrade en effet la victime et le bourreau qui se
change en "Sisyphe". Le colonialisme assujettit simultanément la pensée
et le travail du colonisé.
Ce travail n'est pas une notion simple.
L'es-
clavage ne permet pas le travail qui suppose la liberté,
la responsabilité
et la conscience.
Le colonisateur se plaint de la lenteur du colonisé.
Mais i l ignore qu'
"une impitoyable réciprocité rive le colonisateur au
colonisé, son produit et son destin"(2).
Pour A. MEIvIMI,
"Avec le colonisé disparaîtrait la colonisation, colonisa-
teur compris"(3).
La volonté de soumettre l'autre, par tous les moyens,
justifie
la torture érigée en système.
Le plaisir néronien du
bourreau,
le traite-
ment infligé par le tortionnaire à sa victime et sa conscience face à la
souffrance de l'homme déshumanisent.
Cela détruit la fraternité qui sus-
cite une source vive d'humanité.
Aucune raison ne peut justifier la tor-
ture pour un être qui a un sens aigu de l'humain.
Les Néron ont mauvaise
conscience.
La domestication de la race "Lnf'ér-Leur-e " par la violence,
(1) DROZ et LEVER,
Histoire de la guerre d'Algérie,
op.cit.
page 139
(2) SARTRE, _'Préfrtç~ .BU Portràitdu colonisé inSH;uations, V, op. ci t. page 55
(3) A. MEMMI, Portrait du colonisé précédé du Portrait du colonisateur,
op.
cit. page 150.
153
"les sauvages à spiritualiser" démolissent toute éthique chez les êtres
qui torturent ou admettent de telles pratiques.
La torture réfléchit au
bourreau sa propre image: celle d'un homme moralement atteint.
En réa-
lité,
"la torture est une haine, érigée en système et se créant ses
propres instruments"(l}.
DROZ et LEVER observent de leur côté
:
"L'arbitraire de la répression a pourtant pris bien d'au-
tres formes,
qu'il s'agisse de l'exécution "pour l'exem-
ple"~Jde. fuyards ou de simples suspects, de l'achèvement
des blessés, des prisonniers discrètement abattus au
détour d'un chemin (la "corvée de bois") ou carrément
largués dans le vide par avion. ( ..• )Dans ce contexte repres-
sif, la torture fut à la fois un cas extrême et une
pratique courante" (2) •
Eriger la répulsion en système, c'est ruiner les notions
d'Amour et de Fraternité universelle.
SARTRE découvre le monstre dans
la nature humaine.
Le supplice imposé aux faibles n'est malheureusement
pas le propre du colonialisme.
L'Afrique indépendante torture elle aussi.
IV!
LA
FRANCE
FACE
AU
MAGHREB
La France a inscrit les notions d'égalité, de droits de l'homme,
de
justice dans ses lois.
Elle les a érigées en principes guidant son
action.
Et pourtant,
le colonialisme français "refuse les droits de l'hom-
me à des hommes qu'il a soumis par la violence,. qu'il maintient de force
dans la misère et l'ignorance"(3}.
DROZ et LEVER, dans leur pénétrante étude de l'histoire de l'Al-
gérie,
affirme que
"l'opinion ne pouvait pas non plus rester indifférente à
la violation ouverte des Conventions de Genève de 1949
que constituait la déportation de près de deux millions
de personnes" ( 4 ) •
(1) SARTRE,
"Une victoire",
Situations,V, op.
cit.
page 79
(2) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
Pages 139-140
j
..
(3) SARTRE,
"Préface" à Portrait du colonisé, op. cit.
page 23
(4) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.
cit. page 139.
154
Le tableau est poignant,
édifiant
j
la France, face aux valeurs
qu'elle a cultivées, aux principes qu'elle a défendus,
s'est métamorphosée.
Elle a trahit sa vocation.
Certes,
les droits de l'homme sont violés,
les libertés confis-
quées dans plusieurs pays, bien après les indépendances. Ces thèmes sont
d'une actualité brûlante en Afrique.
La mission de la France,
depuis la Révolution de 1789, n'est pas
moins de défendre dans le monde les droits de l'homme et du citoyen. Or,
le colonialisme français,
dans toutes ses manifestations,
détruit cet idéal.
Il naît de cette situation une amère déception chez les peuples colonisés.
La peinture offre un tableau pathétique
:
"Il faut affronter d'abord ce spectacle inattendu: le
strip-tease de notre humanisme. Le voici tout. nu, pas
beau: ce n'était qu'une idéologie menteuse, l'exquise
justification du pillage ; ses' tendresses et sa précio-
sité cautionnaient nos agressions"(l).
Evidemment, répond FANON,
c'est parce que
"quand je cherche l'homme dans le technique et le style
européens, je vois une succession de négations de l'hom-
me, une avalanche de meurtres"(2).
La condition humaine,
les projets de l'homme,
la collaboration
entre toutes les races pour un monde de paix,
de justice et la fraternité
augmentent et grandissent la totalité de l'homme.
La France de SARTRE est atteinte.
la métamorphose est complète.
Elle a violé ses propres lois,
bafoué les principes qu'elle s'est libre-
ment donnés.
L'image n'est pas rassurante,
car elle ne reflète plus son
humanisme.
Dans ces conditions,
elle ne pouvait plus sauvegarder les
(1) SARTRE,
"Préface" à Les damnés de la terre,
SITUATIONS, V, op.cit.
page 186
(2) FANON,
Les damnés de la terre, op.
cit.
page 240.
155
éléments qui fondaient et raffermissaient sa propre civilisation; C'est
que le colonialisme détruit, à la fois,
nous l'avons dit,
le colonisa-
teur et le colonisé.
La France a pris diverses mesures pour sauver l'Empire colonial,
"Mais pour éviter la fameuse Braderie de notre Empire, nous
avons bradé la France ; pour forger aes armes nous avons
jeté dans le feu nos institutions ; nos libertés et nos
garanties, la Démocratie et la Justice, tout a brûlé ;
i l n'en reste rien"(l).
La France ruse avec ses principes,
CESAIRE a fait le même cons-
tat dans le Discours
sur le colonialisme" (2) .
OROZ et LEVER, pour leur part,
l'expliquent par un "attachement
passionnel, presque charnel, dont on ne niera pas l'importance dans les
drames et les choix ultérieurs"(3).
La tentative de déshumanisation de l'opprimé se retourne contre
son initiateur et devient l'aliénation de l'oppresseur détruisant ainsi
sa propre humanité.
Passionné et passionnant, SARTRE,
face au drame algérien,
a eu
des positions tranchées;
il n'a reconnu,
à la colonisation,
aucun aspect
positif.
Or,
la France, contrairement aux déclarations forcées de Jean-Paul
SARTRE, n'a pas tout perdu. Elle a rusé avec ses lois mais a su surmonter
la crise.
a)
La
bataille
d'opinion
Le peuple de France,
pour apprécier objectivement la situation,
avait droit à des informations fiables.
Il avait besoin de connaître la
réalité dans sa cruauté pour déterminer sa position.
L'authenticité de
(l) SARTRE,
"Les somnambules" Situations ,V,
op.
cit.
pp 161-162.
(2) CESAIRE, Discours sur le colonialisme,
Paris,
Présence Africaine,1955
(3) DROZ et LEVER, Histoire de la ~~erre d'Algérie, op. cit. page 135.
156
l'information lui aurait permis, en toute connaissance de cause,
de choisir.
Or la tactique consiste à "cacher, tromper, mentir: c'est un devoir pour
les informateurs de la Rétropole ; le seul crime serait de nous tboubler ( . . . ).
La vérité d'Afrique est un vin trop fort pour nos tendres cervelles"(l).
DROZ et LEVER partagent ce point de vue de SARTRE et jugent
"le rapport de WUILLAUME et le rapport de MAIREY, suffisam-
ment accablants pour qu'il fût jugé préférable de les lais-
ser secrets" ( 2) .
Cohen-Solal écrit à son tour que "des hommes de Gauche, enfin et
certains libéraux (sont)écoeurés par les méthodes de l'armée contre les com-
battants algériens, par les outrances, les excès et les mensonges patents
que couvrait le pouvoir"(3).
Mal informés,
les Français, dans une large mesure,
ont ignoré les
crimes commis en leur nom en Algérie.
Les autorités ont désinformé.
La réa-
lité dans la colonie était couverte d'un voile. Seules,
quelques révéla-
tions relatives à la barbarie des Algériens étaient diffusées à une grande
échelle et "dès qu'on tente de se procurer les pièces du procès, notre
claire société se change en forêt vierge"(4).
Après les dénégations du Gouvernement,
GUY MOLLET,
Président du
Conseil, Février 1956 - Mai 1957, forme une commission qui conclut,
à la
satisfaction des autorités,
à l'absence de sévices:
"La torture n'existait pas en Algérie"(5).
La démission de Jacques HOVNANIAN est un cinglant démenti.
De manière consciente,
les autorités ont mis l'information au
service de la domination,
de l'exploitation pour sauver l'Algérie Fran-
çaise,
et non au service de la recherche de la vérité.
(1) SARTRE,
"Vous êtes formidables",
Situations,V, op.
cit. page 59
(2) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.
cit.
page 141
(3) Cohen-Solal Annie,
SARTRE 1905--1980, pages 535-536
(4) SARTRE,
"Vous êtes formidables",Situations,V,
page 61
(5) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.cit. page 141.
157
b)
Le
rôle
des
intellectuels
Malgré le manque d'informations précises,
"en 1958, à Alger, on
torture régulièrement, systématiquement, tout le monde le sait"(l).
Paul TEITGEN reconnaît
"Hélas, oui, l'on a torturé à Alger, l'on a torturé tous
les jours, l'on a torturé de manière systématique"(2).
Il achève sur ces mots
:
"Ces excès, ces tortures ont été la raison pour laquelle
j'ai quitté mes fonctions"(3).
Paul TEITGEN est clair :
"J'ai le regret d'avouer que des disparitions ont été por-
tées à ma connaissance, dont je suis certain"(4).
La torture se transforme en institution:
"La torture était devenue en 1957 une pratique quotidienne
et presque banale. Elle fonctionnait partout"(5).
Et pourtant "de tout cela les gouvernements successifs furent par-
faitement informés, ne serait ce que par deux rapports of-
c i.eLa'tf ô ) •
Dans ce contexte,
le silence devient suspect.
Le drame algérien a donc révélé des pratiques intolérables,
"On torture des enfants en notre nom et nous nous tai~
sons" (7) .
(1) SARTRE,
"Une victoire" Situations,V,
page 72
(2) Paul TEITGEN,
Le procès du réseau Jeanson,
Maspéro,
page 104
(3) Paul TEITGEN,
ibidem, pages 104-105
(4) Jacques HOVNANIAN : député radical se désolidarisa néanmoins publique-
ment de ces conclusions.
Paul TEITGEN
: Secrétaire de la Préfecture de Police d'Alger
(5J DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.
cit. page 140
(6) DROZ et LEVER,
ibidem, page 141
(7) SARTRE,
"Vous êtes formidables",
Situat~ons~, op. cit. Page 66
158
DROZ et LEVER constatent :
"Le rapport remis le 14 Septembre 1957 au président du Conseil,
Bourgès-Mawnoury •. étaitassurément plus courageux que· le pré-
cédent, mais encore plus édulcore"(l).
Ainsi le silence devient une approbation du crime perpétué au
nom de tout un peuple. Chaque désapprobation,
dans ce contexte,
aide à
informer correctement.
Il est heureux de noter que des voix,
à travers
tout le pays,
se sont élevées pour dénoncer ces atrocités.
C'est notamment
le cas des signataires du Manifeste des "121".
Ils affirment:
"Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Fran-
çais qui estiment de leur devoir d'apporter aide et pro-
tection aux Algériens opprimés au nom du peuple français.
La cause du peuple algérien, qui contribue de façon déci-
sive à ruiner le système cOLonial, est la cause de tous
les hommes libres"(2).
SARTRE invite ses compatriotes à se prononcer, sans 'ambiguité,
sur la crise algérienne.
En réalité,
"nousn~ommes pas candides, nous somme sales. Nos consciences
n'ont pas été troublées et pourtant elles sont troubles"(3).
Et i l ajoute
"Il est encore possible de briser le cercle infernal de
cette responsabilité irresponsable, de cette coupable
innocence ët de cette ignorance qui est savoir : regar-
dons la vérité, elle mettra chacun de nous en demeure ou
de condamner publiquement les crimes accomplis ou de les
endosser en pleine connaissance de cause ( ... ) Voilà
l'évidence, voilà l'horreur,
la nôtre: nous ne pourrons
pas la voir sans l'arracher de nous et l'écraser"(4).
E:1 signant "le Manifeste des 121",
les intellectuels approuvent la
"Déclaration sur le droit à l'insOUJ!lission et à la déser-
tion dans la guerre d'Algérie"(5)
'ï~~
----_.~
(1) DROZ et LEVER, Histoire de la guerre d'Algérie,
op.cit.
page 142
(2) "Manifeste des 121", cité par A.. Cohen-SalaI in Jean-Paul SARTRE 1905-
1980 op.cit. page 537
(3) SARTRE,
"Vous êtes formidables",
Situations ,V,
page GO
(4) SARTRE,
ibidem, pages 66-67
"
(5) "Manifeste des 121" ci té par Cohen-Sol al , Jean.-Paul SARTRE 1905-1980,
":-
op.
cit.
page 538.
159
La lutte pour la décolonisation de l'Afrique a interpellé toute
la société.
Dans ce cadre,
la Gauche,
par vocation,
devait jouer un rôle
de premier plan.
La solidarité avec les combattants de l'armée de libé-
ration nationale,
avec le peuple algérien,
devait être concrète
i l
lui fallait une base matérielle.
En effet,
"la Gauche française doit être
solidaire aveclle F.L.N. Leur sort est d'ailleurs lié. La victoire du
F.L.N. sera la victoire de la Gauche"(l).
Or la Gauche socialiste s'est accommodée du fait colonial.
L'Extrême-gauche a,
naturellement, condamné la colonisation. Cette solida-
rité devait être manifestée d'abord au Marocetà la Tuni~ie
"C'est en luttant à vos côtés (les Marocains) contre la
classe et les institutions qui vous oppriment que nous
arriverons à nous libérer nous-mêmes"(2).
parce qu'
"ici ce sont les Tunisiens qui se révoltent contre le colon,
ailleurs ce sont des mineurs qui font une grève de revendi-
cation ou de solidarité"(3).
MEMMI répond à SARTRE
"La colonisation, c'est d'abord une exploitation politico-
économique" (4) .
SENGHOR confirme et marque l'ambiguIté de la position des ouvriers
de la métropole
:
"Le prolétariat français bénéficie indirectement de l'exploi-
tation coloniale"(5).
Les signataires du "Manifeste des 121" manifestent leur solidarité
aux combattants algériens.
(1) SARTRE,
"Jeunesse et guerre d'Algérie" in Les écrits de SARTRE,
op. cit.
page 356
(2) SARTRE,
in La Gauche nO 8, Novembre 1948, page 2
(3) SARTRE,
"Réponse à Camus",
Situations,V,Pal'is,Gallimard 1964,page 124
(4) A. MEMMI,
Portrait du colonisé précédé du Portrait du colonisateur,
op. cit; page 150
(5) SENGHOR,
in Cahiers césairiens, n02 automne 1975, page 32.
160
Leur atti t.ude . "t:eadui t
essentiellement la volonté de refuser publiquement
à l'Etat les moyens de continuer la guerre injuste qu'il
mène en Algérie ( . . . ). Nous assurons (tous les Signataires)
de notre sympathie et de notre estime"(l)
Et ce soutien "était un acte, un acte important et vraiment un acte de
résistance, parce que la résistance avant d'être une action,
de donner lieu à un mouvement,
de chercher à le faire,
était,
devait être un non,
un refus,
un acte de parole, de
jugement"(2) .
L'attitude de SARTRE,
celle des autres signataires du
"Manifeste
des 121" et de l'Extrême-gauche est claire.
i l s'agit de soutenir partout
et par tous les moyens les peuples opprimés et en lutte pour leur souve-
raineté.
Cette solidarité dans le combat pour la justice,
la dignité,
la
paix s'imposait parce qu'elle délivrai~ à la fois,
en même temps,
l'op-
presseur et l'opprimé.
Le seul devoir des intellectuels est de
"lutter à ses côtés (du peuple algérien) pour délivrer à
la fois les Algériens et les Français de la tyrannie colo-
niale" (:::\\) .
Ils soutenaient et
"aidaient àctivement ce peuple à se débarrasser de la
colonisation" (4) .
Pour A. MEMMI aussi
"oli la situation coloniale subsiste et ses effets conti:....
nuent ;00 elle disparaît et la relation coloniale et le
colonisateur disparaissent avec elle"(5).
Le colonialisme avilit le colonisé,
détraque la société colonia-
trice.
Il ruine les fondements de la société dominatrice et entame ses
vertus cardinales.
Il secrète la négation des raisons avancées pour la
justifier.
i!..LJ·1anifeste des "121" ci té par Cohen-Solal,
Jean-Paus SARTRE 1905-1980,
op. cit.
page 545
(2) Mascolo cité par Cohen-SalaI,
Jean-Paul SARTRE 1905-1980,
op.
cit.
page 539
(3) SARTRE,
"le colonialisme est un système" Si-L-uations,V,
page 48
(4) Jean SCHUSTER cité par Cohen-Solal Jean-Paul SM1TRE 1~0$-1980,p.536
(5) A.
MEMMI,
Portrait du colonisé,
op.
cit. page 150.
161
Un danger réel menace donc non seulement tous les pays coloni-
sateurs mais toute l'humanité,
car la torture est un mal du siècle.
En
vérité,
"la torture n'est ni civile, ni militaire, ni spécifiquement
française:c'est une vérole qui ravage l'époque entière ( ••. l. Hitler
n'était qu'un précurseur"(l).
A. MEMMI confirme;
pour lui,
"toute nation coloniale porte
ainsi, en son sein, les germes de la tentation fascite"(2).
René CAPITANT,
professeur de droit à l'Université d'Alger,
en
démissionnant à cause de la disparition de Ali BOUMENDJEL,
démontre qu'il
partage cette éonviction
"J'ai acquis la certitude que nous sommes engagés dans
l'anonymat et l'irresponsabilité qui peuvent conduire
jusqu'aux crimes de guerre"(3).
Il y a,
dans la nature humaine,
ce monstre qui peut,
à tout
moment,
surgir.
Nul n'est exempt du virus,
de la tentation de torturer.
Ce fléau reste actuel malgré ou à cause des bouleversements intervenus
dans le monde.
(1) SARTRE,
"Une victoire" Situation~, PP. 80 - 81
(2) A. MEMMI,
Portrait du colonisé précédé du Portrait du colonisateur,
op.
cit.
page 81
(3) René CAPITANT cité par Cohen-Solal Jean-Paul SARTRE 1905-1980,
page 536.
162
CONCLUSION
PARTIELLE
La France,
dans le cadre de la décolonisation du Maghreb en
général et tout particulièrement de l'Algérie,
est déchirée,
divisée en
deux blocs.
Pour les premiers,
"la France réelle doit être vaincue pour que triomphe la
France sartrienne, l'idée révolutionnaire de la France que
M. Jean Paul SARTRE a substituée à la France, et qu'il pré-
fère à la France. De cette France sartrienne, de cette
France des "individualités pensantes", c'est le F.L.N. qui
est l'armée véritable, tandis que l'armée française devient
l'ennemie odieuse, inexpiable: quelque chose comme L'héri-
tière ët la continuatrice de l'armée hitlérienne des années
40" (1) .
Pour les seconds,
"on parla même de nouvelle période de résis-
tance" (2) .
Le Maghreb de SARTRE,
malgré des positions parfois tranchées que
l'on constate de part et d'autre,
malgré la dramatisation de quelques faits
des deux côtés,
dans ce contexte historique de la lutte pour la liberté,
nous a révélé, à la fois et sans ambiguité,
une humanité maghrébine à la
conscience claire,
la recherche constante d'une éthique,
et un prolongement
concret à l'engagement de l'artiste.
Il se dégage de
l'analyse,
passionnée par moments,
de Jean Paul
SARTRE,
dans ce siècle chargé de signes,
quelques enseignements universels.
Les peuples opprimés,
à un moment donné de leur évolution,
luttent
pour
reconquérir
leur
liberté.
Le
colonialisme,
se réalisant par l ' annula~
tion du colonisé, se détruit lui-même.
Il renferme ses propres lois contra-
dictoires qui mènent à son propre anéantissement.
L'opprimé puise donc son humanité qu'on lui dénie dans la violence
que le système colonial lui impose.
(1)
Thierry
tJ1aulnier
"les
individualités
pensantes", in Jean-Paul
SARTRE 1905-1980, op.
cit.
pp 545-546
(2) Annie Cohen-Solal, Jean-Paul SARTRE 1905-1980, op"
cit. page 536.
163
La pensée éthique du XXe siècle ne peut éviter le problème
de
la
torture
qui
interpelle
toujours,
à
l'aube
du
XXle
siècle,
toutes
les consciences libres.
Le monstre qui sommeille en nous,
sans une vigilance
de
tous
les
instants,
sans
une
lutte
acharnée
contre
la
tentation,
peut
se réveiller et détruire notre
part d'humanité.
Le virus du mal est partout;
nul n'en est exempt.
Nous le portons en nous-mêmes et pouvons,
par distrac~
tion,
le communiquer à d'autres.
Il ressort aussi de la réflexion de SARTRE sur la décolonisation
au Maroc,
en Tunisie, sur le drame algérien,
une philosophie de vie.
La
MORALE est le seul ABSOLU pour SARTRE.
Les notions de liberté,
d'égalité,
de fraternité cessent d'être
des symboles,
mais deviennent une réalité vivante pour tous les hommes de
toutes les races.
SARTRE a soutenu,
dans les conflits de son époque,
l'humanité
souffrante. Son art est conscience du monde.
Il n'existe aucune rupture
entre son oeuvre consacrée aux mouvements de libération nationale et son
engagement conséquent aux côtés des peuples muselés,
des consciences violées.
Ainsi,
SARTRE a porté son humaine condition par le lien concret
qu'il a établi entre sa propre vie et sa production littéraire.
"Homme de
totalité, homme de résistance aux Pouvoirs, SARTRE a inscrit dans son oeu-
vre et dans son action le: plus important discours critique de notre temps"(l).
(1) Claude Bonnefoy, Tony Cartano, Daniel Oster,
Dictionnaire de littérature
contemporaine,
Paris, Jean Pierre Delarge,
1977, page 313.
164
CHAPITRE VI
LES SEQUESTRES D'ALTONA
UN THEATRE DE SITUATION
Il
LE CHEMIN DES ALIENATIONS
a)
La
société
L'homme,
avant de prendre conscience de sa propre personnalité,
de son être,
dans un monde dont il dépend,
se voit qualifié,
défini,
objec-
tivé par les autres hommes,
par la société.
Il est contraint,
pour survivre,
de s'identifier à ce qu'on a fait de lui. Cet aspect de notre condition,
qui est d'avoir une enfance, est important.
L'homme a été par les autres
avant d'exister p8r lui-même.
FRANTZ avoue:
"Moi? Mais je ne choisis jamais, ma pauvre amie
! Je suis
choisi. Neuf mois avant ma naissance, on a fait choix de
mon nom, de mon office, de mon caractère et de mon destin"(l).
Francis JEANSON précise
"Nos projets, en se réalisant hors de nous, nous deviennent
plus ou moins étranger.s ; les entreprises que nous engageons
cessent d'être les nôtres, et ce sont elles, bientôt, qui
nous mènent, qui de toute leur inertie, acquise en se déve-
loppant parmi les autres, refluent sur nous pour nous impo-
ser une figure, un personnage, un "être"(2)
Le rôle,
dans la s~ciété, dans l'histoire, attend l'homme chargé
de l'assumer.
Les lois de la société,
les conditions sociales,
l'être social
de l'homme déterminent d'avance notre personnalité.
FRANTZ,
LENI,
le père,
dans "ce siècle de fer"(3),
notre "minuit"(4)
sont de notre temps;
ils sont,
au même titre que nous,
esclaves de leur
passé,
de l'histoire,
de leur époque.
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
page 181
(2) FRANCIS JEANSON,
SARTRE, Bruges,
Desclée de Brouwer 1966, page 37
(3) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
pag~ 155
(4) SARTRE,
ibidem,
page 155
La guerre d'Algérie est la source des Séquestrés d'Altona.
165
En effet "nos vies sont "truquées", nous sommes tous manipulés
par les autres et nous les manipulons nous-mêmes sans
le vouloir, chacun de nous est à son insu la "créature"
de tous, l'instrument de l'histoire"(l).
L'aliénation,
dans ces conditions,
est purement et simplement
forgée naturellement par la famille.
b )
La
famille
Dès l'enfance,
la famille prend possession de l'homme qui,
de
ce fait,
est coupable,
impuissant,
et prisonnier de son milieu familial
et de son époque.
La famille,
à travers l'éducation, participe à cette aliénation
de l'homme.
Dans Les Séquestrés d'Altona,
le père,
pour réaliser ses projets,
sa propre vision du monde,
façonne FRANTZ à son image.
La personnalité du
fils fond dans le "moi" du père. Sans identité propre,
F'RANTZ est une cons-
cience esclave et non une conscience libre.
Il est mutilé,
son avenir est
entre les mains de sa f am.i.Ll e , le père "m'a créé à son image, à moins
qu'il ne soit devenu à l'image de ce qu'il créait"(2) , dit-il.
FRANTZ,
cemme Lucien FLEVRIER dans L'Enfance d'un Chef, sur la
décision de sa famille "sera un "chef" parce qu'il doit succéder à son
père,
industriel bien établi dans la société"(3).
NIZAN reconnaît :
"Où l'homme s'est-il caché? Nous étouffons; dès l'enfance
on nous mutile:
i l n'y a que des monstres"(4).
FRANTZ est une conscience esclave car "le lien de paternité est
pourri" ( 5) .
(1) Francis JEANSON,
SARTRE,
op.
cit.
page 37
(2) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
p age 172
(3) Albérès, ~ARTRE, op. cit. page 85
(4) NIZAN cité par JEANSON dans ~ft~IRE, op. cit. pages 31-32
(5) Michel CONTAT, "Le continent SARTRE" in tlfagazine litéraire n? 282
Novembre -
Décembre 1990, page 40.
166
L'être de FRANTZ se dissout donc dans la personnalité du père.
L'ambition,
le passé de celui-ci deviennent l'avenir de son fils.
Le père
définit ce lien entre père et fils en ces termes:
"Te rappelles-tu cet avenir que je t'avais donné? ( •.. )
Eh bien, ce n'était que mon passé" (1) •
JEANSON approuve ce constat en affirmant :
"Nous sommes dans le même bateau: aussi coupables qu'eux,
et tout aussi impuissants à surmonter cette culpabilité"(2).
Voué à l'impuissance, au crime,
"par (les) passions, qu' (il)
(a)
mises en lui"(3). FRANTZ a existé comme objet absolu ayant,
pour tout avenir,
son propre passé.
La liberté du personnage se réduit aux rêves,
au passé,
aux projets du père.
Cette projection du père sur FRANTZ a des dimensions historiques
très graves.Le destin du personnage est même scellé par son milieu social.
Il ne peut se forger une personnalité,
un avenir.
Le père a tout décidé.
Il affirme
"Mon corps et mon sang, ma puissance, ma force,
ton avenir"(Ll).
Ainsi,
"Il ne lui restera dès lors qu'à devenir étranger à lui-même,
autre que lui-même"(5).
Cette aliénation devient plus concrète
:
"La dépendance de tout homme à l'égard d'une conjoncture
historique radicalement contradictoire, qui ne cesse de
refluer sur lui pour le condi tionner même lorsqu'il S' ef-
force d'en orienter le cours"(6).
Ainsi la famille consolide l'aliénation.
Mais un tel destin n'est
pas radieux,
dans ce siêcle chargé, traversé de bouleversements.
Il est
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
page 368
(2) JEANSON, SARTRE,
op.
cit.
page 32
(3) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op. cit. page 37,)
(4) SARTRE,
ibidem,
page 80
(5) JEANSON,
SJh~l~~, op. cit. page 31
(6) JEANSON,
ibidem,
page 33.
167
sinistre par la seule faute de l'homme. FRANTZ le définit bien:
"Parce que la guerre était mon lot : quand nos pères ont
engrossé nos mères, ils leur ont fait des soldats"(1).
JEANSON le note
:
"C'est l'Histoire qui nous tient, c'est notre époque"(2).
Possédé,
le personnage n'échappera pas à. un destin décidé par
sa famille.
Les impératifs sociaux et le destin individuel sont une vraie
contradiction.
SARTRE met en scène des personnages totalement impuissants.
Ils sont les victimes désignées,
consentantes,
d'un processus bien huilé
sur lequel ils n'ont aucune prise.
Ils restent pourtant entièrement responsables de ce mécanisme qui
les condamne à l'échec,
à la solitude,
c'est-à-dire à la séquestration car
"toute l'inauthenticité des valeurs sociales tient chez lui
(SARTRE)
au fait que l'individu s'en remet à des conventions
hypocrites par crainte de devoir lui-même et sous sa seule
responsabilité assumer ses propres valeurs"(3).
Nous sommes les produits de ce monde,
Nous subissons le poids de
la tradition,
l'héritage historique de notre époque à travers la famille,
la société,
la religion.
c)
L'inauthenticité de la foi
Quelques indices permettent de définir l'héritage religieux de la
famille Gerlach.
Leur plarisaïsme est révélateur de leurs moeurs
:
"C"est vrai. Mais nous allons au Temple et nous jurons sur la
Bible. Je l'ai d i t : cette famille a perdu ses raisons de vi-
vre, mais elle a gardé ses bonnes habitudes"(4).
il
;il
------------------------~
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op.
cit. page 301
(2) JEANSON,
SARTRE,
op. cit.
page 32
(3) Albérès,
SART~, op. cit. page 85
(4) SARTRE,
Les séquestrés d'A~!~na, op. cit. page 24.
.,
.;
168
Cette opposition entre sincérité et attitude prend un aspect
moral. Ainsi,
on peut noter que
"dans cette recherche d'alibis et cette foire aux masques,
le conformisme social joue un rôle. Aux gens "honorables",
aux importants et aux suffisants, i l offre une vie pure-
ment formelle faite de certitudes et de morgues, de rou-
tines et d'idées apprises"(l).
Albérès constate que
"cet ordre banal et superficiel tient lieu de vie spiritu"'-
elle" (2).
Le poids de la tradition,
loin de traduire une foi authentique,
est donc une manifestation de la soumission aux règles du milieu.
La famil-
le se réfu~ie dans l'hypocrisie; elle ne crée pas ses propres valeurs.
La religion,
au lieu d'être un acte de liberté par l'adhésion libre,
est
le poids d'un héritage,
d'une tradition.
Dans ces conditions;
"nous sommes alors entraînés à résoudre le problème de la
vie
par une interrogation de notre conscience et par un
engagement personnel de notre responsabilité, mais' par le
respect, l'obéissance et l'admiration devant des valeurs
qui ne sont souvent que des conventions et des mensonges"(3)
Les valeurs établies justifient ainsi l'inauthenticité de la foi
qui se transmet de génération en génération.
Ce n'est pas un foi réelle,
sincère, un acte de liberté.
La famille Gerlach,
protestante par devoir,
par tradition,
ne croit "ni à Dieu, ni au Diable"(4).
L'inauthenticité de l'acte rend l'homme esclave de son milieu,
de son époque.
Ainsi,
les Gerlach conformistes, conservateurs,
se réfugient
dans les fausses valeurs.
En effet,
"Par ce conformisme, au lieu d'assumer un risque personnel
et d'être nous-mêmes, nous rejetons la responsabilité de
nos actes sur un code pénal et moral : i l suffira de le
suivre, même en apparence et nous serons tranquilles, nous
pourrons avoir cette conscience satisfaite, qui définit
l'attitude pharisienne"(5).
(1) Albérès, SARTRE, op. cit. page 80
( 2) Albérès, ibidem, p2ge
81
(3 )
Albérès,_ibidem,
p3ge 82.
(4)
SARTRE,
Les séqu8Etrés d'Altona,
op.
cit. page 24
_(5) Albérès, SARTRE, op. cit. pages 82-83.
169
Cette religion purement formelle et collective exclut toute
responsabilité.
Le viol des consciences conduit à l'athéisme.
Un conflit
de dogmes n'a pas conduit les Gerlach à l'incroyance; mais c'est leur
indifférence à un rituel sans valeur réelle qui aboutit à cette situation.
Cette caractérisation des Gerlach résume la situation de SARTRE qui dé-
clare
"Je fus conduit à l'incroyance non par le conflit de dogmes
mais par l'indifférence de mes grands-parents"(l).
La société, la famille,
la religion sont,
dans Les Séquestrés
d'Altona,
la voie royale qui conduit aux aliénations.
Esclave d'un système,
victime de l'''opposition entre sincérité et attitude",
incapable d'être soi-
même,
l'homme sartrien n'est pas libre. SARTRE "veut que l'on refuse l'atti-
tude pour être liberté"(2).
Mais FRANTZ se fige dans le choix de la famille.
L'habitude tue
la liberté.
11/ DEFINITION DES PERSONNAGES PAR SOCIALISATION
a) Les
traits
socio-culturels
La décomposition de la famille Gerlach à l'intérieur, à travers
quelques détails,
n'épargne aucun des personnages, C'est une gangrène qui
gagne la cellule familiale,
et toute la société,
toute l'époque. Tous les
Gerlach ont un trait commun:
l'orgueil.
le père avoue
"Cela, ma bru, je n'en sais rien. Tout ce que je peux vous
dire, c'est que les Gerlach sont victimes de Luther: ce
prophète nous a rendus fous d'orgueil"(3).
(1) SARTRE,
cité par JEANSON dans SARTRE, op.
cit.
page 42
(2) Albérès,
SARTRE,
op.
cit.
page 80
(3) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
page 78.
170
Ce caractère hautain justifie certains comportements des person-
nages.
Noble,
puissant industriel à la culture raffinée,
le père fait par-
tie des
"Géants qui ont construit l'Allemagne. A tout Seigneur, tout
honneur; ils commencent par les Gerlach"(l).
Cet empire permet au père de tout arranger.
Mais il est profondé-
ment conformiste.
Il impose sa décsion en ces termes
:
"Non. Mon fils demeurera ici pour y vivre et pour y mourir
comme je fais et comme ont fait mon père et mon grand-
père"(2) .
WERNER,
à travers ses prises de position,
("tu sais bien que je
lui obéirai •.• C'est le père"(3)~~st respectueux de la tradition. Il définit
ainsi le statut de la femme:
"chez les Gerlach,
les femmes se taisent"(4).
Et pourtant les conséquences décident de leur avenir,
"Bon avoçat"(5),
WERNER,
contre sa volonté,
devra diriger l'entreprise de construction morale
et abandonner sa carrière au barreau.
Les exigences du milieu l'emportent
sur la liberté individuelle.
Le père,
avec sa puissance,
fait tout pour sauver FRANTZ "le dernier
des vrais Von Gerlach . . . le dernier rnons tr-et'{ô ) .
Les Gerlach sont effrayants par leur caractère et leurs comporte-
ments.
"Gosse de riches"(7), FRANTZ est le destin de la famille parce que
le père,
par des pressions sûr les autres,
l'exige.
Johanna est de condition modeste;
elle est marquée,
comme les
Gerlach, par son milieu,
sa profession "Ce sont des menaces de théâtre :
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op.
cit.
page 328
(2) SARTRE,
ibidem,
page 41
(3) SARTRE,
ibidem,
page 43
(4) SARTRE,
ibidem,
page 38
(5) SAR~RE, ibidem, page 29
(6) SARTRE,
ibidem, page 53
(7) SARTRE,
ibidem,
page 90.
"
1
171
le dépit a ressuscité l'actrice et l'actrice a voulu sa sortie"(l). Actrice
de profession,
Johanna n'ira pas au bout de ses menaces de retourner à Ham-
bourg sans WERNER.
Heinrich,
"le feldwelbel, cent pour cent nazi"(2) est très pragma-
tique contrairement au lieutenant Klages,
"fils d'un pasteur ••• dans les
nuages" (3) .
L'éducation,
les attaches familiales déterminent le caractère et le
comportement des deux personnages.
b)
Les
traits
physiques
"Le vieil Hindenburg"(4) n'est pas "un vieillard d'avenir"(5)
il
a un "cancer à la gor-ge Lô }.
v
Il est condamné
il a six mois de sursis
FRANTZ est "lieutenant"(7). "Opprimé, infirme, malade" (8) , "la peau
sur les os"(9), il a "trente-quatre ansv f Lu) ,
WERNER,
"athlète de quatre-vingts kilos"(ll) a "trente-trois ans"(12).
Il est l'héritier circonstanciel des Gerlach à cause de l'infirmité de son
frère.
"Jeune bien portante"(13) au "visage pur,
tranquille"(14) Johanna
est "très belle"(15).
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
page 101
(2) SARTRE,
ibidem, page 303
(3) SARTRE,
ibidem, page 303
(4) SARTRE,
ibidem,
page 15
(5) SARTRE,
ibidem,
page 60
(6) SARTRE,
ibidem,
page 22
(7) SARTRE,
ibidem, page 86
(8) SARTRE,
ibidem, page 169
(9) SARTRE,
ibidem,
page 245
(10) SARTRE,
ibidem, page 319
(11) SARTRE,
ibidem, page 256
(12) SARTRE,
ibidem, page 14
(13) SARTRE,
ibidem,
page 169
(14) SARTRE,
ibidem,
page 202"
(15) SARTRE,
ibidem,
page 162.
172
LENI',
la soeur cadette de FRANTZ et de WERNER a le "visage très
parlant"(l).
SARTRE,
dans Les séquestrés d'Altona,
ne s'attache pas au portrait
physique de ses personnages. Pour un ±hé?tre d'idées,
les traits ppychologi-
ques et moraux sont plus importants.
c)
Les
traits
moraux
Les détails,
pour un portrait moral du père,
s'accumulent,
justi-
fient son autorité sur ses enfants.
Puissant industriel bourgeois,
le père,
"dune exactitude militaire"(2) , a l'âme d'un chef.
"Le vieux Führer"(3) est
un véritable dictateur.
Il ordonne
"Hors de question. A présent, écoutez-moi. L'héritage est indi-
vis.
Interdiction formelle de vendre ou de céder vos parts à
qui que ce soit. Interdiction de la vendre ou de louer cette
maison. Interdiction de la quitter: vous y vivrez jusqu'à la
mort" (4).
Le père complète aussitôt pour répondre à Johanna:
"Je dispose de la sienne (la vie de WERNER) parce qu'elle
m'appartient, mais je suis sans pouvoir sur la vôtre"(5).
Mais le père sait que tous les personnages se tiennent,
s'influen-
cent mutuellement.
La formulation,
la reprise systématique de l'expression
"interdiction de vendre" ne souffrent aucune exception.
Il se révèle,
à la
limite,
tyran.
Il est aussi un habile martre dans l'art d'exercer un chan-
tage sur les autres personnages.
"Eh bien, tu sais ce qui nous attend: complicité dans lIDe
tentative de meurtre, faux et usage de faux, séquestration
( •.. ). C'est la cour d'assises ?"(6).
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op;
cit.
page 19
(2) SARTRE,
ibidem,
page 15
(3) SARTRE,
ibidem,
page 173
(4) SARTRE,
ibidem,
page 33
(5) SARTRE,
ibidem,
page 36
(6) SARTRE,
ibidem, pages 52-53.
173
Cependant il s'empresse d'ajouter
"Mon fils,
je ne te demande qu'un peu de pitié pour ton
frère" ( 1) .
Les arguments,
juridique et moral,
sont bien choisis.
Le père
emploie tous les moyens pour parvenir aux objectifs qu'il s'est fixés.
La
fin,
dans ce cas,
justifie les moyens.
Les traits physiques concourent au dessein du père,
"soyez belle"(2)
dit-il à sa bru,
Johanna pour convaincre FRANTZ.
Nous pouvons, à la lumière des rapports entre FRANTZ et son père,
reprendre à not~e compte ces termes de JEANSON :
"Il est sans doute vrai qu'il n'y a pas de bon père"(3).
Victime de son amour tyrannique
("ma première visite sera aussi
la dernière ••• pour prendre congé"(4»
ce "pauvre père"(5),égoiste comme
"les grands de ce monde (qui) ne supportent pas de mourir seuls"(6),
ira
jusqu'au bout de sa logique:
i l va se tuer mais avec FRANTZ, son image,
car FRANTZ "est habité par le passé ou par les passions de son père(7).
Tyran domestique "qui aime"(8) la "beauté" (9) ,
"fou à lier"(10) ,
solitaire ("ne me laisse pas seul")(ll),
victime d'un amour incestueux
("l'inceste, c'est ma loi, c'est mon destin. En un mot, c'est ma façon de
resserrer les liens de famille"(12) proclame LENI
, FRANTZ est aussi "un
lâche"(13).
I l ne veut pas, à certains moments,
assumer ses actes. Jaloux,
(1) SARTRE', Les séquestrés d'lU tona,
op.
ci t.
page 53
(2) SARTRE,
ibidem, page 115
(3) ~EANSON, SARTRE, op. cit. page 40
(4) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op.
cit.
page 215
(5) SARTRE,
ibidem, page 105
(6) SARTRE,
ibidem, page 16
(7) F. JEANSON', SARTRE
op. c i t , page 39
(8;) SARTRE,
Les séquestrés d'Al tona, op.
ci t.
page 116
(9) SARTRE,
ibidem, page 120
(10) SARTRE,
ibidem, page 122
(11) SARTRE,
ibidem,
page 149
(12) SARTRE,
ibidem,
page 189
(13) SARTRE,
ibidem,
page 273.
174
il demande à Johanna de quitter WERNER. Face au refus clairement formulé
par
sa belle-soeur,
il réagit:
"ALor-s., qut t.t.e-mo i.t'{L) ,
A Hambourg, WERNER "était libre. i l était franc"(2).
Mais en
Altona,
il a radicalement changé sous l'ombre du père.
"WERNER est faible,
FRANTZ est fort:
personne n'y peut rien. Nous sommes quatre ici dont i l
est le destin sans même y penser"(3),
avoue le père.
Femme forte
("mieux vaut la prison à terme que le bagne à perpé-
tuité"(4)),
Johanna change souvent de point de vue de manière très inattendue
"Je n'irai pas vchez FRANTZ" (5). Mais quelques instants après,
par curiosité
ou suivant l'étape d'un processus, elle accepte: "Je me ferai bel-
le, pour me protéger"(6). Et pourtant, malgré son désir de sauver son ménage,
elle répugne à avoir recours à certains moyens:
"Ai-je une tête à prévenir
la police? Permettez-moi de me retirer"(7).
Elle n'est pas une dénonciatrice.
Elle veut,
c'est évident,
sauver
son amour mais pas à tous les prix.
La fin ne justifie pas les moyens pour
elle.
Johanna est aussi "une bien brave fille"(8).
LENI est orgueilleuse,
"Je suis née GERLACH cela veut dire: folle
d'orgueil et je ne puis faire l'amour qu'avec un GERLACH"(9). C'est vrai,
car
elle est liée à FRANTZ par "une habitude incestueuse"(10).
(1) SARTRE, Les séquestrés d'Altona, op. cit. page 21
(2) SARTRE, ibidem, page 56
(3) SARTRE, ibidem, page 53
(4) SARTRE, ibidem, page 123
( 5) SARTRE, ibidem, page 123
(6) SARTRE, ibidem, page 99
( 7) SARTRE,
ibidem,
page 324
(8 ) SARTRE, ibidem, page 324
(9) SARTRE,
ibidem,
page 189
(10) Albérès,
SARTRE, op.
cit.
page 135.
"
175
Le lieutenant KLAGES est un "idéaliste"(l)
il est aussi "mora-
liste"(2) •
Heinrich est bête et méchant
; et pour cette raison,
il est une
menace:
"ce sera la catastrophe: pour mes soldats parce qu'il est bête,
pour tes prisonniers parce qu'il est méchant"(3).
111/
LE
SIECLE
OBSCUR
La raison et la sagesse humaines,
pour diverses raisons,
n'ont pas
maîtrisé la science et la technologie pour les mettre au service de l'homme.
Le tragique apparaît dans l'histoire,
avec la montée des périls et l'escalade
qui conduit,
malgré les progrès et les bonnes volontés,
aux guerres.
Le moin-
dre geste compte,
la moindre parole est irrévocable.
La guerre,
la barbarie
font de l'homme un monstre.
Le vingtième siècle est dominé par le Mal:
"Au
troupeau des siècles,
i l manque une brebis galeuse"(4).
a)
Le
Génocide
Les alliés,
après leur victoire,
condamnent,
sans exception,
tout
le peuple allemand jugé responsable de la guerre
: "nous sommes Allemands,
donc nous sommes coupables ; nous sommes coupables
parce que nous sommes
Allemands ••• Quatre-vingts millions de criminels"(5).
L'Allemagne entière
se voit condamnée en bloc.
On assiste à "l'assassinat de l'Allemagne"(6).
Nul,
dans cette
Allemagne vaincue,
pas même les innocents,
n'est épargné.
Les enfants, au
même titre que les vrais responsables,
connaissent le même sort.
On dénom-
bre "sept cents petits cercueils veillés par une foule en haillons"(7).
Aveuglés par la haine,
par la rage de tuer,
de massacrer,
les hommes,
dans
ces circonstances particulières,
se révèlent être des monstres;
Ainsi,
ils
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op, cit.
page 303
(2) SARTRE,
ibidem,
page 308
(3) SARTRE,
ibidem,
page 306
(4) SARTRE,
ibidem,
page 161
(5) SARTRE,
ibidem,
page 66
(6) SARTRE,
ibidem,
page 183
(7) SARTRE,
ibidem,
page 258.
176
se ravalent,
sans le savoir, à l'état de bêtes. Toutes les valeurs qui fon-
dent l'humanisme du XXe siècle s'envolent.
Ils agissent sous la pulsion de
leurs instincts.
b)
Les
camps
de
concentration
Avec la guerre,
la volonté de détruire l'homme,
apparaît une horri-
ble réalité:
les camps de concentration.
Les bourreaux,
dans ces lieux d'ex-
termination,
assassinent l'homme.
L'état des prisonniers est bouleversant.
"Les détenus. Je me dégoûte mais ce sont eux qui me font horreur. Il y a leur
crasse, leur ~ermine, leurs plaies. Ils ont tout le temps l'air d'avoir
peur"(l).
Ils ont peur de leur état,
de leur présent,
de leur avenir qui
s'accomplissent sous l'impulsion du monstre qui sommeille en l'homme. Une tel-
le situation dégrade l'homme.
Ces "camps d'extermination" inspire l'horreur;
ils sont un lieu d'humiliation,
de dégradation de l'espèce humaine.
L'homme,
dans ces circonstances, est un androgyne.
En effet,
"sous un double être (pourtant le même), sous une double forme
(pourtant la même), n'es-tu pas un enfant monstrueux de la
nature: pour autant qu'un monstre sommeille, comme on dit,
en chacun de nous" ( 2) .
c)
La
torture
Les sévices,
les mutilations,
la mort sont le lot quotidien des
prisonniers.
Lorsqu'on érige la haine en système de conduite,
lorsque l'ex-
clusion de la différence devient une morale devie,
les valeurs humaines se
trouvent menacées.
L'homme retrouve son état primitif.
La torture,
avec son
J:J!
cortège de malheurs,
de souffrances,
a sa place dans une telle ambiance de
'\\
terreur,
"dans les interrogatoires de police, on braque des projecteurs sur
l'inculpé"(3).
Et puis "vous n'êtes pas de la police mais vous comptez me
soumettre à un interragatoire policier"(4).
L'interrogatoire,
la torture ne
sont pas la spécialité de services "compétents"(5).
C'est une gangrène du
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . ;
(1) SARTRE, Les séquestrés d'Altona,
op.
cit. page
(2) Abdè1kébir Khatibi,
in Ecrivains Francophones du Maghreb,
Anthologie,
:j
Paris SEGHERS,
1985
(3) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op.
cit.
page 296
(4) SARTRE,
ibidem, pagelll
(5) SARTRE,
ibidem, page ~lL
" .
.~
.'
177
siècle; c'est une vermine qui ronge l'homme.
La torture,
à la fin du XXe
siècle,
interpelle l'humanité toute entière.
Et nul,
dans une société qui
se transforme,
n'est exempt du virus de la torture.
La tentation n'épargne
personne.
d}
La
responsabilité
des
vainqueurs
Les Alliés n'ont pas su gérer sainement leur victoire.
Après leur
triomphe,
ils n'ont pas créé les conditions indispensables à une cohabitation
pacifique entre les peuples.
Le Mal,
sous sa forme achevée,
la guerre,
menace
toujours l'humanité et de façon plus tragique eu égard à la puissance de des-
truction des armes.
Les vainqueurs ont gagné la guerre mais n'ont pas instauré
la sécurité,
la paix:
"Nom de Dieu, non ! Personne. Sauf les chiens couchants qui
acceptent le jugement des vainqueurs. Beaux vainqueurs ! On
les connaît: en 1918, c'étaient les mêmes, avec les mêmes
hypocrites vertus. Qu'ont-ils fait de nous, depuis lors?
Qu'ont-ils fait d'eux? Tais-toi: c'est aux vainqueurs de
prendre l'histoire en charge. Ils l'ont prise et ils nous
ont donné Hitler. Des juges? Ils n'ont jamais pillé, massa-
cré, violé? La bombe sur Hiroshima, est-ce Goering qui l ' a
lllilcée ? S'ils font votre procès, qui fera le leur? Ils par-
lent de nos crimes pour justifier celui qu'ils préparent en
douce: l'extermination systématique du peuple allemand"(l}.
Les vaincus ne doivent pas accepter la condamnation des Alliés.
Ils
ont les mêmes pratiques.
L'indignation des vainqueurs est coupable,
leur res-
ponsabilité devant l'histoire,
après 1918, pleine et entière.
Ils n'ont pas
créé les conditions d'une paix mondiale,
d'une fraternité universelle car
"Hitler est convaincu qu'il peut tout oser dans une Europe
désunie. Il voit avec plaisir que la guerre a détruit l'accord
que les trois puissances avaient noué à Stresa ( . . . ). Hitler,
enhardi par son succès dans la Sarre, a llilnoncé déjà,
le
9 Mars 1935, la reconstruction d'une aviation militaire et
établi, le 16 Mars, le service militaire obligatoire ( .•• ).
Il réoccupe la zone rhénane démilitarisée le 7 Mars 1936"(2).
(1) R. HEMOND ,. P. CHAUNU, A. MARCET, Joseph KI-ZERBO, Le
monde contemporain,
Paris,
Hatier,
1962, page 170
(2) R.
REMOND,
P. CHAUNU,
A.
MARCET, Joseph KI-ZERBO, idem, page 172.
~;
.•i
r
.".
178
On assiste donc à "l'effrondrement de la S.D.N."(l)
et à la
"formation de nouveaux blocs"(2).
IV / LES
THEMES
Quelques thèmes fondamentaux apparaissent dans Les séquestrés
d'Altona.
SARTRE regrette de voir ses semblables s'enfermer dans des notions
qui n'ont plus la même signification. Elles ont perdu,
dans et à travers
l'histoire,
leur pureté originelle,
leur valeur humaine.
Comprendre Les
~équestrés d'Altona, c'est saisir le sens textuel de ces thèmes que nous nous
proposons d'analyser.
a)
La
grandeur
FRANTZ, par ses efforts, par son action,
cherche la grandeur.
Mais la notion n'a plus le même sens.
Il ne la possède pas; i l est possédé
par "la grandeur... Elle (le) possédait mais (il) ne la possédai( t) pas" ( 3) .
Ainsi FRANTZ s'engage, se bat pour la gloire,
mais il devient son
esclave.
Il cherche par la suite à laisser une empreinte sur terre,
contraire-
ment à son père désabusé.
"Vous avez écrit votre nom" (4) •
dit-il au père qui réplique
;
"Si tu savais comme je m'en fous"(5).
Mais FRANTZ, à défaut de laisser une marque sur terre,
veut vivre.
"Je n'ai que ma vie, moi. On ne me la prendra pas"(6).
(1) R.
REMOND,
P.
CHAUNU,
A. MARCET, Joseph KI-ZERBO,
Le monde contemporain,
Paris,
Hatier,
1962, page 173
(2) SARTRE, Les séquestrés d'Altona, op.
cit. page 198
(3) SARTRE, ibidem,
page 367
(4) SARTRE,
ibidem,
page 367
(5) SARTRE,
ibidem,
page 367
(6) SARTRE,
ibidem,
page 367.
179
achève-t-il de dire. Mais ce secours, cette illusion,
le père va les lui
ôter:
"Ta vie, ta mort, de toute façon, c'est rien. Tu n'es rien,
tu ne fais rien, tu n'as rien fait, tu ne peux rien feire"(!).
La négation absolue dans la formule montre que la vie de FRANTZ n'a
pas de sens.
Elle est sans valeur,
sans issue,
sans repère;
que peut-il
alors lui rester ?
Johanna,
dans son expérience, connaît le même échec,
la même expé-
rience amère,
décevante:
"Je ne me rappelle même plus ce que c'était, la photo d'une
star défunte ..• depuis que le public (l') a rejetée"(2).
Elle croit, à partir de ce. moment,
que le mariage peut être la
planche de salut mais "il y a des mariages qui sont des enterrements"(3).
Son ménage en est un.
Lorsque le père,
pour le convaincre, propose
à WERNER d'être "le maître de cette maison et le chef de l 'entreprise" (4) ,
sa réponse n'est pas un acte de liberté;
elle traduit une attitude de sou-
mission à l'autorité paternelle. Elle n'a pas de sens.
Ainsi,
la grandeur
n'est pas,
à travers ces ex.emples,
unevaleuIè.Elle est négativement chargée.
SARTRE met ainsi en cause le statut filial.
Autoritaire,
le père
impose sa volonté.
L'écrivain met en cause aussi son statut social. Puissant
industriel,
il décide de la vie de ses enfants par un habile chantage.
b)
L'héroïsme
.militaire
L'hérolsme n'est pas une valeur car il est conditionné par une
violence inconditionnelle. FRANTZ s'est battu,
a eu "douze décorations"(5)
(1) SARTRE, Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
page 367
(2) SARTRE,
ibidem, pages 200-201
(3) SARTRE,
ibidem, page 59
(4) SARTRE,
ibidem, page 28
(5) SARTRE,
ibidem, page 92.
180
qui symbolisent "douze échecs de plus"(l).
Le risque de torturer,
d'employer tous les moyens, se manifeste.
Les signes distinctifs du courage militaire n'ont plus la même importance.
Ils ont une signification, une portée ambivalentes. FRANTZ, au-delà des ap-
parences, est un héros faible,
impuissant,
lâche.
Il l'avoue lui-même:
"Moi,
je sui s un héros lâche" ( 2) .
1
1
1
L'expression "héros lâche" comprend deux termes antithétiques qui
1
s'annulent réciproquement.
SARTRE renforce cette idée de peur,
car les mé-
i
dailles du personnage sont "en chocolat"(3).
1
!
L'hérolsme militaire se trouve ainsi démystifiée. Lorsque des
valeurs qui paraissaient positives deviennent ambiguës, négatives,
la cons-
cience perd ses repères et s'égare.
c)
La
folie
La folie est le signe d'une société en crise qui se cherche. Elle
cherche à retrouver son équilibre rompu,
son harmonie.
L'époque,
la nôtre,
en contradiction avec ses propres valeurs,
ses propres principes, avec son
humanisme, ne se reconnaît plus.
On ne peut rester soi-même devant FRANTZ
il déclare d'ailleurs
"Et quant à ma folie, i l y a longtemps que vous y êtes entrée.
Quand je vous ai ouvert la porte, ce n'est pas moi que vous
avez vu : c' est quelques images au fond de mes yeux" (4).
FRANTZ est un reflet qui cherche à être
; il ne peut laisser in-
différent.
Cette quête d'une identité authentique est la nôtre parce que
nous sommes tous embarqués dans notre siècle.
(1) SARTRE, Les séquestrés d'Altona, op. cit.
page 92
(2) SARTRE,
ibidem,
page 180
(3) SARTRE,
ibidem, page 180
(4) SARTRE,
ibidem, page 200.
181
La vérité que nous n'osons avouer,
la crise profonde que nous
refusons,
que nous refoulons par manque de lucidité,
les L8rsonnages de
SARTRE nous les présentent dans leur nudité car "les fous disent la vérité"(l).
Le délire de FRANTZ est une accusation du siècle. Les fous sont les
symboles de ce siècle en crise.
Leurs difficultés,
leurs interrogations,
leurs angoisses fondées
restent les préoccupations de notre temps.
L'enfantement de nouvelles valeurs
sera douloureux;
il ne se fera pas par la comédie.
d)
La
comédie
Les contradictions les plus graves apparaissent en effet comme un
jeu de hasards.
Cela permet de montrer l'ambiguïté des actes de la vie.
C'est
l'envers et l'endroit de chaque action humaine car "ici, vous savez, nous
jouons à qui perd gagne" (2) .
Chaque entreprise,
chaque décision humaine,
au-delà de l'impression
première qui n'est pas d'ailleurs une vérité fondamentale,
restent complexes.
Cette complexité de la vie,
cette ambivalence des choses, cette ambiguïté de
l'être rendent difficile toute prise de position.
SARTRE,
dans Les $é~uestrés
d'Altona,
est contre les comédies humaines car "le propre de l'existence hu-
maine est de créer le sens de la vie. Mais i l ne s'agit pas
de le créer une fois pour toutes et de s'y établir, i l faut
le renouveler et l'assumer au contraire à chaque instant. Par
définition même de la conscience, qui est perpétuelle lucidité
et choix continuel, la valeur de la vie est un effort con~
tinu( 3) •
vi
L'HOMME
FACE
A
SON
DESTIN
a)
Les
contradictions
de
la
vie
La vie est complexe.
Les personnages des Séquestrés d'Altona agissent
(1) SARTRE, Les séquestrés d'Altona, op. cit. page 2~8
(2) SARTRE,
ibidem, page 95
(3) Albérès, SARTRE, op. cit.
page 63.
182
de façon contradictoire.
Ils veulent une chose, mais au moment de réussir,
ils renoncent:
"Vous allez contre vos propres intérêts"(l).
FRANTZ,
JOHANNA, WERNER,
le Père,
LENI sont très proches de la
réalité.
Ils sont prêts à conquérir leur liberté et ils se trouvent,
en
même temps,
plongés dans les contradictions et les combats les plus graves.
Le réalisme critique explique l'ambiguïté .et les contradictions.
Le monde change;
i l change l'homme.
L'homme aussi change le monde.
Cette
interaction entre l'homme et le monde, cette réciprocité des influences
accentuent les oppositions.
b) L' apparition
d'une
dualité
La dualité fondamentale des Gerlach est aiguë.
Leur puissance
industrielle,
leur titre nobiliaire,
leur passé,
leur culture,
à aucun mo-
ment, ne les empêchent de collaborer avec les nazis qu'ils méprisent pour-
tant.
Ils pensent contre,
ils agissent pour; cela résume la collusion des
hommes,
"Hitler, nous le haïssons, d'autres l'aimaient: où est la
différence ? Tu lui as fourni des bateaux de guerre et je
lui ai fourni des cadavres"(2).
Albérès ne s'y trompe pas
"Cette tragi-comédie dénonce seulement la volonté de
mensonge qui caractérise la vie bourgeoisie. Les Séquestrés
d'Altona montrent tout simplement -
et avec quelque complai-
sance dans les postulats -
les contradictions internes dlune
famille bourgeoise"(3).
Leurs intérêts les obligent à agir contre leurs plus profondes
convictions.
SARTRE pense à cette contradiction de la bourgeoisie car
(1) SARTRE, ~es séquestrés d'Altona, op. cit. page 225
(2) SARTRE,
ibidem,
page 69
(3) Albérès, SARTRE,
op.
cit. page 136.
183
"Les Américains ont été vraiment très bien ••• comme Goebbels, en 41"(1).
Les Gerlach servent les nazis, puis les Américains, selon les
circonstances,
les enjeux présents,
les impératifs sociaux.
FRANTZ est le ferment grâce auquel les contradictions se multiplient, et
lui-même n'est que contradiction,
"tant mieux. Mon cher père, autant vous prévenir
je suis tortionnaire parce que vous êtes dénonciateur"(2).
L'affrontement entre FRANTZ et son père "industriel opportunis-
te"(3) laisse éclater la cruelle réalité des contradictions. FRANTZ, en~
clin à 13 mansuétude, ne veut pas torturer;
i l le fera pourtant.
Le père
a promis de sauver le Polonais,
il le livre pourtant aux bourreaux. Cette
dualité de la bourgeoisie aboutit à l'ambiguïté des actes.
c)
L'ambiguïté
des actes
Confronté à l'histoire,
l'homme agit,
Mais ses actes,
suivant
les intérêts,
les circonstances,
peuvent le servir ou le desservir.
Dans
Les séquestrés d'Altona,
les personnages d'une grande famille hanséatique
connaissent les mêmes difficultés d'appréciation de leurs comportements
que des personnes réelles;
ils sont à l'image de l'homme,
avec ses pré-
occupation,
ses contradictions.
Il n'est pas facile,
dans ces conditions,
de définir avec précision ce qui relève de l'indépassable condition hu-
mai ne et ce qui demeure accessible à nos entreprises transformatrices.
Les actions que nous engageons cessent d'être nôtres,
se développent et
refluent sur nous pour nous imposer une signification peu conforme à notre
motivation initiale.
Les actes sont ambigus parce qu'ils véhiculent une
dualité née de la vie
"C'était (Klages) le champion de la restriction mentale;
i l condamnait les nazis dans son âme pour se cacher qu'il
les servait dans son corps" (4) .
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op.
cit.
page 94
(2) SARTRE,
ibidem,
page 348
(3) Albérès,
SARTRE, op.
cit.
page 136.
(4) SARTRE,
Les séquestrés d'Alton~, op. cit. page 307.
184
L'histoire, à travers des circonstances,
par un contexte, nous
impose un être.
L'homme ne décide pas toujours du sens,
de la portée de
ses actions.
Les actes du soldat,
instrument "des crimes préfabriqués qui
n'attendent que leur criminel"(l) sont équivoques,
obscurs.
Le rôle est
là,
bien défini; reste homme qui doit s'en charger.
L'accusation est menée
en ces termes
:
"Tu nous trahis en donnant ce qui ne t'appartenais pas:
chaque fois que tu épargnais la vie d'un ennemi, fût-il
au berceau, tu prenais une des nôtres ; tu as voulu com-
battre sans haine et tu m'as infectés de la haine qui me
ronge le coeur. Où est ta vertu, mauvais soldat ? Soldat
de la déroute, où est ton honneur? Le coupable, c'est
toi
! Dieu ne te jugera pas sur tes actes, mais sur ce que
tu n'as pas osé faire:
sur les crimes qu'il fallait com-
mettre et que tu n'as pas compris. Le coupable, c'est t o i !
C'est t o i ! C'est toi
!"(2).
Le caractère ambivalent de toute entreprise humaine,
de tout
engagement, est une donnée essentielle de la vie des hommes.
Il faut donc
faire son devoir,
aller jusqu'au bout.
Mais comment se fondre dans l'autre
et rester soi-même ?
d)
La
liberté
Etre libre, c'est, avant tout,
se reconnaître dans. tout ce que
l'on fait.
C'est assumer pleinement,
entièrement,
la responsabilité de
son acte.
C'est revendiquer la paternité de toutes ses entreprises. FRANTZ
"crève de honte,
i l couche avec (LENI) dans le noir"(3).
Il n'est pas libre parce qu'il refuse de s'assumer. FRANTZ est
une conscience fuyante,
contrairement à LENI qui est fière de ses actes.
Elle est, même dans l'inceste, une conscience libre qui s'assume souveraine-
ment.
Elle proclame
(1) SARTRE, Les séquestrés d'Altona,
op.
cit. page 299
(2) SARTRE, ibidem, page 297
(3) SARTRE,
ibidem, page 139
185
"C'est moi qui gagne. J'ai voulu l'avoir (FRANTZ)
et je l'ai"(I).
Et précisément,
"C'est seulement dans cette situation et par rapport à
elle qu'il (l'homme) est libre"(2).
Le père, conscient de l'attitude de démission de FRANTZ, supplie
JOHANNA de le sauver; FRANTZ "n'a qu'une envie: se fuir"(3).
Le personnage a lui-même pris conscience de sa volonté de fuite
devant les faits,
devant l'histoire.
Il est lucide, mais il manque de coura-
ge pour être et s'épanouir car on ne se développe pas librement,
selon toutes
ses possibilités,
dans la mauvaise conscience ou par des alibis car les
"faits ne deviennent des valeurs que si nous les regardons
en face, et c'est par le fait de les regarder en face que
nous en faisons des valeurs"(4).
Mais FRANTZ ne veut pas voir la réalité
"Déjà ma folie se délabre; JOHANNA, c'était mon refuge
que deviendrai-je quand je verrai le jour" (5),
di t-il.
En effet,
FRANTZ "naziste convaincu, a dû se faire passer pour mor.t ,
Depuis dix ans, i l vit, en uniforme allemand, dans une cham-
bre murée ••• refuse de lire les journaux, veut croire que
l'Allemagne occupée est encore maintenue en tutelle, désin-
dustrialisée, brimée"(6).
Et pourtant le personnage est certain qu'il ne peut continuer à
tricher,
à se mentir. Sa folie "était (son) refuge"
; il l'a perdue.
Il le
sait.
Il avoue:
"Que faisais-tu le 6 Décembre 1944 à 20H30 ? Tu ne le sais
plus? Ils le savent : ils ont déplié ta vie, LENI, je dé-
couvre l'horrible vérité: nous vivons en résidence sur-
veillée"(7) .
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op. cit. page 152
(2) Albérès,
SARTRE,
op. cit.
page 105
(3) SARTRE, Les séquestrés d'Altona, op.
cit.
page 226
(4) Albérès,
SARTRE, op.
cit. page 107
(5) Albérès,
ibidem, pages 135-136
(6) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit. page 279
(7) SARTRE,
ibidem, page 139.
186
Il n'y a plus de mystère, plus de secret.
Le voile de l'histoire
se lève.
Les actes apparaissent dans toute leur nudité.
Ils sont, pour
FRANTZ, une cruelle vérité.
Conscient du caractère tragique de la vie,
ne pouvant se réfugier dans la tricherie,
dans la "folie", que reste-t-il
à FRANTZ, pour donn~r_un sens à sa vie?
e)
La naissance
de
la tragédie
L'évasion n'était,
jusqu'ici, qu'une mise en vacances,
elle devient
une voie semée de menaces.
Les conflits semblent se resserrer entre l'homme
et les hommes,
entre l'homme et sa propre personnalité.
Les valeurs qui
réconcilient l'homme avec lui-même, avec les autres hommes,
avec le siècle,
s'effondrent les unes après les autres.
Les voies conduisant au salut se
ferment autour de FRANTZ :
"Je ne suis pas du sièble. Je sauverai tout le monde à la
fois mais je n'aide personne en particulier"(I),
déclare-t;":il.
Il condamne donc l'époque, mais il s'engage à sauver toute l'huma-
nité,
les privilégiés et les autres.
FRANTZ se présente ainsi en messager,
soucieux de guérir l'homme de l'orgueil,
de la haine,
de la barbarie et des
instincts de domination.
Il propose,
à la place de notre civilisation dominée
par le poids de la tradition et des modèles,
une civilisation d'Amour.
"Ceci
est mon corps. Ceci est mon sang"(2) , dit ce Christ de la fraternité humaine.
Mais le salut par 13 conversion à un humanisme d'amour,
par la morale, ne
suffit pas.
Les croyances,
les idéologies lui "ont mis du coton dans la tête.
De la
brume.C'est blanc ... Ce soir i l y aura du sang(3).
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op.
cit.
page 168
(2) SARTRE,
ibidem,
page 321
(3) SARTRE,
ibidem,
ppges 156-157.
187
Les valeurs négatives triomphent.
Le désespoir s'installe. Ce
sang n'est pas purifiant car "il n'y a qu'une vérité:
l'horreur de
vivre" (1) •
Le tragique naît ainsi du pessimisme du personnage,
du siècle,
de l'homme.
Il n'y a plus d'issue heureuse.
Nous sommes dans le tagique.
Nous ne le quiterrons plus.
Le père comme FRANTZ trouvent que leur vie n'a plus de sens;
ils décident de se suicider. Cet acte infirme le jugement de Pierre Henri
SIMON :
"Ses héros (SARTRE) ne sont pas habituellement tentés par le
suicide ; ffidis plutôt, aussi embourbés soient-ils dans le
dérisoire et le vaseux, ils ont le souci profond d'émerger
au sec, d'accéder à un mode d'existence justifiante et sup-
portables"(2).
Albérès, à ce sujet, écrit
"Et à la fin de la pièce 'le père industriel, opportuniste, et
le fils, ancien officier nazi, partent ensemble se suicider
dans un faux accident de voiture"(3).
f)
Le
responsable
du
Mal
Dans Les
séquestrés d'Altona,
le responsable du Mal n'est pas la
société. SARTRE,
sans équivoque,
pense que l'homme est responsable de la
situation tragique.
Pour diverses raisons,
l'homme,
dans cette époque de
misère morale,
est coupable,
"l'accusé témoigne pour lui-même. Je reconnais qu'il y a
cercle vicieux. Je suis l'homme, Johanna;
je suis tout
homme et tout l'homme,
je suis le siècle comme n'importe
qui" (4) •
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op. cit.
page 248
(2) Pierre-Henri SIMON,
L'homme en procès, op.
cit.
page 59
(.3) Albérès,
SARTRE, op.
cit. page 136
(4) Albérès,
ibidem,
page 136.
188
Accusé et témoin à la fois,
l'homme est l'unique auteur du Mal.
SARTRE soutient que
"le siècle eût été bon si l'homme n'eût été guetté par son
ennemi cruel, immémorial, par l'espèce carnassière qui avait
juré sa perte, par la bête sans poil et maligne, par l'hom-
me"(l).
La société,
le siècle se trouvent donc menacés par l'homme.
A ce sujet, Albérès estime que
"dans l'éternelle querelle de ceux qui disent que le mal
provient d'une société injuste et de ceux qui croient qu'il
réside dans l'homme, M. SARTRE,
malgré les apparences, et
malgré l'accent qu'il met sur une satire de la société, sem-
ble être du second parti"(2)
Nous sommes loin des thèses de Rousseau selon qui "l'homme est né
bon, c'est la société qui l ' a corrompu"(3).
VIl
LA
STRUCTURE
DE
L'OEUVRE
a)
L'art
de
la
composition
Les cinq personnages s'influencent mutuellement.
Ils sont,
tout le
temps,
commandés,
tenus par le passé comme ils le sont les uns par les autres.
C'est à cause du passé,
du leur,
de celui de tous,
qu'ils agissent,
d'une
certaine façon,
comme dans la vie réelle.
On peut distinguer dans l'oeuvre trois sortes de couples.
WERNER
et JOHANNA forment le vrai couple:
c'est un ménage "en miettes".
FRANTZ et LENI constituent le faux couple incestueux.
Ils incarnent
un aspect du Mal.
(1) SARTRE, Les séquestrés d'Altona, op. cit. page 284
(2) Albérès,
SARTRE, op.
cit
page 84
(3) Jean-Jacques ROUSSEAU,L'Emile ou de l'Eucation,
Paris,
Larousse,
1938
Livre l,
page 43.
189
FRANTZ et HINDENBURG sont un couple tragique.
Ils ne se réconci-
lient pas avec eux-mêmes car les questions soulevées restent sans réponse.
La fin de la pière repose essentiellement sur la rencontre des deux person-
nages.
L'oeuvre se subdivise en trois mouvements.
Le premier,
avec ses cent quatre vingt sept pages,
est une scène
d'exposition. SARTRE y pose les éléments constitutifs de la tragédie.
Il y
justapose les prémisses.
Le deuxième mouvement,
avec ses cent soixante dix sept pages,
est un moment de duels,
de confrontations entre les personnages.
Il constitue
une recherche de solutions.
La troisième et dernière partie, avec ses trente-huit pages,
an-
nonce la rencontre explosive entre le père et FRANTZ.
Ils laissent,
leur sui-
cide l'atteste,
des interrogations entières sans réponse.
La deuxième partie commence par l'entrée en scène de JOHANNA.
La troisième par la confrontation entre FRANTZ et son père.
Les séquestrés d'Altona commence par l'annonce de la condamnation
de Hindenburg:
i l a un cancer,
un mal incurable.
Dans cet acte premier, scène
première,
nous avons:
LENI,
WERNER,
JOHANNA.
La pièce se termine par la mort annoncée du père qui entraîne
FRANTZ dans son suicide.
Nous avons en scène:
JOHANNA, LENI,
la voix de
FRANTZ sur enregistrement. Nous pouvons dire que l'oeuvre est circulaire.
Cinq monologues ou délires de FRANTZ, rigoureusement bien distri-
bués,
jalonnent l'oeuvre.
Dans le premier monologue, SARTRE décrit un siècle
obscur qui exige la vigilance.
Il y a "vingt ans qu'il est minuit dans le
siècle"(l).
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit. page 155.
190
Le second délire marque un progrès dans l'existence du Mal. En
effet,
"le Mal, c'était l'unique matériau"(l) pour l'époque.
Nous avons,
dans le troisième et quatrième monologues, une courbe
ascendante.
Comme une gangrène,
le Mal envahit notre temps et l'espèce hu-
maine se trouve menacée car "l'explosion de la planète est au programme"(2).
Le dernier monologue conduit leurs contradictions à leurs termes.
Le siècle accouche du Mal;
cependant,
l'homme est l'unique responsable de
cette situation.
Les prémisses posées au début,
dans le premier monologue,
se confirment progressivement au niveau des troisième et quatrième monolo-
gues,
puis se réalisent pleinement dans le dernier délire sans donner de
réponses définitives à toues les questions.
"J'ai été,
j'ai été"(3) conclut FRANTZ. Tout se réalise,
c'est
le
propre de la tragédie.
b)
La
distanciation
Les séquestrés d'Altona permet au public de voir du dehors notre
siècle, chose curieuse, en témoin.
Et en même temps,
il y participe, puis-
qu'il fait ce siècle. SARTRE met en scène des caractères mais suggère que
des circonstances objectives conditionnent la formation et le comportement
des individus à un moment donné.
SARTRE cherche, avant tout,
à provoquer;
cela suppose qu'il éton-
ne, à partir de la réalité 00 vit le spectateur.
Il la montre sous un jour
inattendu,
nouveau.
"Jai surpris la bête,
j'ai frappé,
un homme est tombé"(4),
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op.
cit.
page 160
(2) SARTRE,
ibidem,
page 253
(3) SARTRE,
ibidem,
page 282
(4) SARTRE,
ibidem, page 381.
191
s'écrie FRANTZ.
L'auteur crée une distance entre son regard quo-
tidien et notre regard de spectateur,
de lecteur, en nous racontant le
retour de FRANTZ. Ce souvenir aide à récupérer une liberté critique trop
souvent aliénée par la réalité quotidienne.
Le jugement porté sur les actes,
grâce au passé, est plus objectif.
SARTRE,
dans cette oeuvre, rejette la description comme la psycholo-
gie
: il nous montre,
à travers des personnages,
des situations historiques
et sociales.
La guerre d'Algérie est la source des Séquestrés d'Altona.
L'oeu-
vre consiste en la narration d'une phase de l'épopée humaine,
en la démontra-
tion des mécanismes d'une structure sociale.
Les personnages, objets composant
le décor,
ne sont que les signes avec lesquels SARTRE raconte son histoire.
Ils n'existent pas,
ils signifient. On ne doit pas s'atta4uer à eux mais au
réel qu'ils dénoncent et annoncent.
Ainsi le personnage de théâtre cesse d'être un personnage logiquement
construit dont les composantes seraient des éléments simples d'explication.
SARTRE rend compte d'un être humain;
c'est pourquoi il montre une succession
d'états contigus et non vraiment continus, sans lien causal en tout cas,
et
sans autre justification que cette succession même.
FRANTZ et tous les autres
personnages évoluent dans leurs manies humaines,
dans leurs contradictions
d'hommes.
L'enregistrement, ce miroir sonore,
permet de saisir les pulsions
contradictoires et de s'écouter.
c)
Les
artifices
boulevardiers
SARTRE,
dans Les séquestrés d'Altona,
s'ingénie à varier les combi-
naisons dont est susceptible le fameux "triangle" composé du mari,
de la
femme et de l'amant.
Le vieil Hindenburg veut connaître la nature des rap-
ports entre FRANTZ et JOHANNA.
Il s'interroge sur ce qu'ils font ensemble:
"Tout? Vous voulez dire . . . amants ?"(1).
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op. cit.
page 221.
192
Même WERNER,
jaloux,
déclare à sa femme
"Je t'aimerai quand je t'aurai conquise"(l)
Cette jalousie est un des moteurs de l'action. WERNER refuse de
quitter Altona :
"Jusqu'où faudra-t-il aller pour oublier mon frère? Jus-
qu'où fuirons~nous ? Des avions, des bâteaux ... Nous reste-
rons i c i ! Jusqu'à ce qu'un de nous trois crève: toi, mon
frère ou moi" (2) .
SARTRE prend aussi ses distances avec les moeurs qu'il décrit.
Son
oeuvre est une critique sociale, morale,
politique,
une contestation méta-
physique.
Il dénonce l'antisémitisme.
Le père a fait assassiner un Juif;
cela "ne l'empêche jamais de dormir"(3).
SARTHE "c:avec'
habileté 1 suggère son antimilitarisme.
En
effet,
il écrit:
"un soldat c'est un homme"(4) mais,
réplique FRANTZ
"c'est un soldat d'abord"(5).
Il dénonce
"la montée en flèche du chômage, de la tuberculose, la chute
verticale des naissances"(6).
d)
La
communication
à
distance
FRANTZ et HINDENBURG,
sans se voir,
communiquent à distance par
l'intermédiaire de LENI et de JOHANNA.
Ce mode de communication, au-delà du
compte rendu souvent peu fidèle,
ne crée pas une chaleur humaine,
laquelle
est parfois nécessaire pour convaincre.
Le contact direct est susceptible
de créer une atmosphère de compréhension mutuelle.
Mais les deux personnages,
contraints de vivre cette situation,
peuvent se juger de façon plus objec-
tive.
LENI et JOHANNA transmettent tous les messages
:
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
page 249
(2) SARTRE, ibidem,
page 249
(3) SARTRE,
ibidem,
page 89
(4) SARTRE,
ibidem,
page 301
(5) SARTRE,
ibidem,
page 301
(6) SARTRE,
ibidem,
page 184.
193
"Dites à mon père que je lui donne rendez-vous à sept heures
dans la salle des conseils"(l).
Ainsi,
la communication à distance est une dynamique de l'action
elle permet de situer l'autre.
e)
Le
rire
Le rire n'est pas un élément gratuit.
Il signifie.
Il enseigne et
renseigne sur l'évolution du drame.
Oans le cadre des Séquestrés d'Altona,
le rire,
de manière générale, assure trois fonctions essentielles:
la dénon-
ciation,
le jugement critique et le reflet de l'intériorité.
LENI,
avec calme,
annonce le décès de FRANTZ à JOHANNA qui lui rit
au nez pour dénoncer ce mensonge.
Elle sait qu'il se claustre au premier éta-
ge de la maison.
Lorsque JOHANNA souhaite que la demeure des Gerlach s'écroule,
LENI
éclate d'un rire moqueur qui est un jugement critique;
elle n'accorde aucune
valeur à la déclaration de sa belle-soeur. Sa réplique est éloquente
:
"Voulez-vous que j'y mette le feu?
Dans mon enfance, c'était un de mes rêves"(2).
Le point de vue critique se perçoit plus clairement dans l'affirma-
tion de JOHANNA :
"un instant, s ' i l vous plaît. Le serment de LENI, c'était une
farce:
tout le monde riait;
quand vient le tour de WERNER,
personne ne rit plus"(3).
Ce rire, au moment du serment de LENI,
a une valeur dépréciative.
Il ôte
toute .s i.grri.f i c at.i on réel).e,,_ toutpenq ,au se r-merrt..
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit. page 339
(2) SARTRE,
ibidem, page 42
(3) SARTRE,
ibidem, page 34 -
35.
194
D'autres rires traduisent des états d'âme qui correspondent à
l'atmosphère du contexte. Pour traduire son amertume et sa tristesse,
SARTRE
relève le rire du père. Son expérience de chef d'en-
treprise est décevante.
Il déclare en riant:
"un pot de fleur ? Que suis-je ?
Un chapeau au bout d'un mât"(l).
FRANTZ,
pour montrer son dégoût, son mépris,
éclate d'un rire sau-
vage et sec "Ha ! ça revient au même (2)
parce que
"le rire serait la seule réponse, sous forme de spasme, qui
soit adaptée à la contradiction entre l'intériorité et l'ex-
tériorité"(3).
f)
L'art
du
style
Le style obéit aux objectifs assignés à chaque personnage,
à l'at-
mosphère,
aux états d'âme et aux circonstances.
Parfois le père est impérieux et cassant
"Taisez-;"vous tous les trois"(4)
Il sait être définitif:
"Non,
•.. Ce ne sont pas des raisons sérieuses"(5).
"
S
-'
,
L'ironie légère fait partie de son registre quand le contexte l'au-
y.
:i
torise
"Eh bien, i l y a eu la guerre"(6)
.;
Il sait encore être aimable
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
page 32
(2) SARTRE,
ibidem, page 67
(3) Geneviève IDT "Le bouffon posthume" in Magazine littéraire nO 282
Novembre 1990 page 31
(4) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op. cit.
page 46
(5) SARTRE,
ibidem, pages 41-42.
(6) SARTRE,
ibidem,
page 62.
195
"Ecoutez, ma bru. S'il meurt, c'est le scandale du siècle,
JOHANNA" (1) .
Selon les circonstances,
i l est peiné ou stupéfait
"il faut m'excuser,
LENI , je suis injuste"(2)
Dans d'autres occasions,
i l laisse paraître une tendresse profonde
et sombre
"Mon pauvre petit !"(3)
s'exclame-t-il pour se montrer affectueux et bouleversé.
Froide,
brève et violente ou ironique,
JOHANNA s'adapte aisément au
contexte.
Cynique et dure, elle dit à son beau-frère parlant de FRANTZ
"Nous nous entendons. Comme larrons en foire"(4)
Ironique,
violente, courtoise,
LENI a les attitudes que les enjeux
exigent. Ses réflexes résument souvent ses pensées les plus profondes. D'une
moue
insultante,
elle parle de JOHANNA en ces termes:
"Son mari! Vous n'avez pas vu ses yeux"(5)
Doux,
affectueux et inquiet,
FRANTZ s'adresse ainsi à son père
"Père,
je voudrais vous parler"(6)
Il est parfois violent et cynique
"Quoi? Eh bien, oui -
Après ?"(7)
Mais i l est vite rasséréné
"Tout va bien -
Tout va très bien"(8)
Ses interrogations traduisent son inquiétude et sa nervosité
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op.
cit. page 52
(2) SARTRE,
ibidem, page 219
(3) SARTRE,
ibidem,
page 220
(4) SARTRE,
ibidem,
page 220
(5) SARTRE,
ibidem, page 214
(6) SARTRE,
ibidem,
page 74
(7) SARTRE,
ibidem, page 179
(8) SARTRE,
ibidem, page 261.
196
"Il nous quitte? Il vous emmène"(l)
WERNER est parfois sombre et troublé
:
"Je ferai ce que vous voudr-ezv Cê ) ,
répond-t-il à son père.
Quelquefois,
le personnage est désorienté
"Ah bon! bon !"(3)
se contente-t-il de dire en guise de réponse.
Mais il sait se montrer dur
"Hein? Vous avez bien d i t : pour les enfants WERNER? La
voilà, JOHANNA,
la voilà la fausse manoeuvre. WERNER et
ses enfants, père, vous vous en foutez. Vous vous en fou-
tez ! Vous vous en foutez !"(4).
La répétition systématique de l'expression "Vous vous
en foutez
!" à trois reprises,
la formulation,
le choix du verbe traduisent
bien son ton dur.
Amer il ajoute
:
"Pauvre père ! Quel gâchis
Les enfants de FRANTZ, i l les
aurai t
adorés" ( 5) •
KLAGES parfois accablé s'écrie
"quelle brute"(6)
Dans d'autres situations,
i l est piteux et sinistre.
Il avoue:
"FRANTZ, je suis dans le merdier.
les deux paysans,
i l s'est
mis en tête de les faire parler"(7)
Il est gêné par la proposition qu'il veut faire à FRANTZ
1
"si l'ordre venait de toi ••. FRANTZ" (8)
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona, op.
cit.
page 261
(2) SARTRE,
ibidem, page 28
(3) SARTRE,
ibidem,
page 46
(4) SARTRE;
ibidem, page 54
(5) SARTRE,
ibidem, page 54
(6) SARTRE,
ibidem, page 303
(7) SARTRE,
ibidem, page 304
(8) SARTRE,
ibidem, page 306.
197
Le style, dans Les séquestrés d'Altona est au service des inten-
tions,
des objectifs, du contexte et du tempérament propre à chaque person-
nage.
:t
,
198
CONCLUSION
PARTIELLE
LA
VISION
SARTRIENNE
DE
L'HISTOIRE
Il nous faut,
avant de conclure,
émettre un jugement sur SARTRE
et son oeuvre.
Ecrivain et philosophe au tempérament bouillant, polémiste,
homme des extrêmes, SARTRE, malgré quelques raisons d'espérer,
a une vision
pessimiste du monde.
Il y a eu certes des atrocités pendant la guerre d'Al-
gérie, pendant toutes les guerres, mais la vérité historique,
"l'histoire est une parole aacr-éevf L) ,
recommande que tout soit relativisé.
Le théâtre de SARTRE est un théâtre de situations, un thé~tre de
la liberté.
FRANTZ découvre que la volonté de changer à nous-mêmes et à
l'ordre du monde n'est qu'une illusion.
Il décide de renoncer à cet "illu-
sionnisme"(2) , parce qu'il ignore les conditions réelles de l'exercice de
la volonté.
Il voulait sauver le monde, mais il se rend compte que "le pou-
voir est un ab îmev{S) •
Finalement conscient de l'ambiguïté du monde qui se caractérise
par une opposition irréductible en "deux langages, deux vies, deux vérités"(4) ,
conscient enfin de son impuissance car il est "propre à rien"(5), FRANTZ
n'incarne pas un mythe de vie, mais un mythe de mort.
(1) SARTRE,
Les séquestrés d'Altona,
op.
cit.
page 138
(2) SARTRE, ibidem, page 281
(3) SARTRE,
ibidem, page 352
(4) SARTRE,
ibidem, page 227
(5) SARTRE,
ibidem, page 369
La guerre d'Algérie:
source des ~équestrés dl Altona.
199
CHAPITRE
VIII .
LE
PROBLEME
ISRAELO - ARABE
Le conflit israélo-arabe met SARTRE à rude épreuve.
Il le vit
de manière dramatique.
Il avoue qu'''il est déchiré par des amitiés et des
fidélités contradictoires"(l).
Cette situation devient un conflit intérieur pour SARTRE qui affir-
me son "déchirement entre des amitiés et des loyautés en conflit"(2)
entre son "admiration pour la lutte d'israë1 contre les Anglais et
sa solidarité avec le monde arabe dans sa quête de souveraineté et d'hwna"'~
ni té" (3) .
Malgré ses voyages et ses déclarations mesurées,
SARTRE n'a pas
avancé dans sa quête de solution, de vérité.
Il est resté sur "une position
prudente -
et peut-être timorée -
d'observateur qui se veut impartial"(4).
Cette "position prudente" s'explique parfaitement.
Le contexte
l'exige.
La situation de ses amis juifs, pendant l'occupation,
l'avait préoc-
cupé au plus haut point.
La résistance commune au nazisme est à l'origine de liens profonds.
Il dénonce les moments d'asthénie collective en rapport avec les persécutions
nazies,
les dénonciations,
les compromissions dans ses Réflexions sur la
question juive(5).
La guerre contre le colonialisme lui a permis de nouer de très
solides amitiés dans tous les pays arabes en raison de son soutien actif
aux combattants du Front de Libération Nationale F.L.N. par la signature
du ""Manifeste des 121", par des prises de position dans plusieurs articles.
Cette lutte de libération de l'Algérie a été à l'origine des Séquestrés
d'A1tona.
(1) SARTRE in les écrits de SARTRE de M. Contat et M. Rybalka,
op.cit.page 441
(2) SARTRE,
ibidem, page 533
(3) SARTRE,
ibidem, page 533
(4)
A. Cohen-Solal,
Jean-Paul Sartre 1905-1980 op.cit.
page 532
(5) SARTRE,
Réflexions sur la question juive, Paris, Gallimard,
. . . . . . ,
'"
1954.
200
Il précise donc les raisons qui l'ont poussé,
dans cette situa-
tion particulière, à prendre l'initiative d'un dialogue israélo-arabe
:
"Nous nous trouvons donc, aujourd'hui que le monde arabe et
Israël s'opposent, comme divisés en nous mêmes et nous vivons
cette opposition comme si c' étai t
notre tragédie person,.~.·
ne11e"(1).
Cette relation privilégiée avec les protagonistes,
loin d'être un
handicap,
est une position qui peut aider à faire triompher des principes.
SARTRE
préfère,
dans ce contexte,
garder une attitude de neutra-
lité.
Il le précise lui-même dans son article intitulé "Pour la vérité",
du
27 Mai
1967 avant le déclenchement de la "guerre des six jours".
Il écrit à
ce sujet :
"La neutralité que nous avons promise
ou si lion veut, notre
absence -
nous entendons la garder, en dépit des circonstan-
ces"(2) .
La neutralité n'est pas synonyme de silence coupable.
A. Cohen Solal
n'a pas compris cette attitude dictée par la délicate position de SARTRE,
quand elle soutient que
"SARTRE, comme au Caire, sauva les meubles en 10uvoyant"(3).
La lettre ouverte de Khalil Sawahreh,
jeune réfugié palestinien,
dans les colonnes du quotidien jordanien AI-Quds,
condamne la neutralité
sartrienne en ces termes :
"Pourquoi tant de concessions à toutes ces thèses sionistes ?
Avez-vous donc déjà oublié le souvenir douloureux de votre
visite aux déshérités des camps de réfugiés de Gaza"(4).
Les circonstances l'obligeront justement à dégager quelques prin-
cipes pour garantir la paix sans se départir de son impartialité.
(1) Jean-paul SARTRE in les écrits de Sartre de M. Contat et M. Rybalka,
op. cit. page 442
(2) Jean-Paul SARTRE cité par M. Conta et M. Rybalka,
Les écrits de SARTRE
op. cit. page 444
(3) A.
Cohen-Solal,
Jean Paus SARTRE 1905-1980, op.
cit. page 532
(4) Khalil Sawahreh cité par A.
Cohen-Solal, Jean Paul SARTRE 1905-1980,
op. cit. page 533.
201
Une coexistence pacifique,
dans la même zone géographique entre
Israéliens et Arabes,
découle de certaines exigences à satisfaire.
Il
LA NAISSANCE D'ETATS ISRAELIEN:
ET PALESTINIEN
SARTRE reconnaît à Israël et aux Palestiniens des droits impres-
criptibles.
Israël a droit à un Etat, les Palestiniens,
à une patrie. Il
le proclame de façon nette et pertinente
:
"Aucune évolution sociale ne peut éviter le staçle de l'indé-
pendance nationale, i l faut se réjouir qu'un Etat israélien
autonome vienne légitimer les espérances et les combats des
Juifs du monde entier. Et comme le problème juif est une ex-
pression particulièrement angoissante des contradictions qui
déchirent la société contemporaine, la formation de l'Etat
palestinien doit être considérée comme un des événements les
plus importants de notre époque,
un des seuls qui permettent
aujourd'hui de conserver l'espoir. Pour les juifs, i l est ~e
couronnement de leurs souffrances et de leur lutte héroïque"(l).
Cette reconnaissance des droits légitimes et sa matérialisation
sont un progrès significatif pour l'humanité.
Son analyse est très pertinente
car,
écrit-il,
"pour nous,
i l marque un progrès. concret vers une humanité
où l'homme sera l'avenir de l'homme"(2).
Cette philosophie existentielle est essentielle
; quand chaque homme
verra, à travers le Juif,
l'Arabe,
le Noir,
un frère,
nous aurons créé les
conditions d'une fraternité universelle où les races,
les religions de vi en-
drorlt des valeurs complémentaires.
L'humanité fera alors l'économie de divi-
sions et de souffrances inutiles.
j
1
III
,
LES>CONDITIONS D' mm COEXISTENCE PACIFIQUE
a)
Les
territoires occupés
L'intangibilité des frontières et les droits à deux Etats respec-
(1)
Jean Paul SARTRE cité par M. CONTAT et M. RYBALKA,
Les écrits de SARTRE
op.
cit. page 212
(2) Jean Paul: SARTRE 1
ibidem,
page 212.
,
1
202
tifs sont une nécessité.
SARTRE précise
"Un juif d'Israël a le droit de rester dans sa patrie"(l).
Cette sécurité des Israéliens est une donnée incontournable. Pour
les mêmes raisons,
il reconnaît les mêmes droits aux Palestiniens.
Il dé-
clare qu'
"en vertu du même principe, un Palestinien a le droit d'y
entrer" (2) •
Palestiniens et Israéliens doivent lutter ensemble pour le respect
mutuel des conditions qui garantissent des frontières sûres et reconnues aux
deux Etats. Donc
"la reconnaissance de la souveraineté d'Israël et le règlement
du problème des réfugiés palestiniens"(3) s'i~posent.
Pourtant les résolutions des Nations-Unies relatives aux territoires
occupés ne sont pas encore appliquées.
Elles sont restées lettres mortes pour l'instant.
Les différents
gouvernements israéliens, par leur politique,
n'ont réservé aucune suite
favorable aux résolutions déjà nombreuses sur le règlement du problème
israélo-arabe.
La guerre du Golfe pour des questions liées à la géopolitique,
a
prouvé que l'O.N.U., grâce à la volonté politique américaine, peut avoir les
moyens de faire respecter ses décisions.
Le règlement de ces questions fondamentales s'imposent à toutes
les bonnes volontés, mais d'abord et surtout aux deux belligérants.
Pour
y parvenir,
i l faut assurer
(1) SARTRE cité par M. CONTAT, M. RYBALKA,
Les écrits de SARTRE,
op.
cit. page 476
(2) SARTRE,
ibidem, page 476
(3) SARTRE,
ibidem, page 476.
203
"la sécurité et la souveraineté d'Israël, y compris évidem-
ment la libre navigation dans les eaux internationales"(l).
Un Etat israélien en sécurité,
une liberté de navigation pour tous
sont des éléments d'une paix durable.
Il faut également oeuvrer pour
"des négociations directes entre Etats souverains, dans l'in-
térêt réciproque des peuples"(2).
L'histoire,
après bien des années,
donne raison à SARTRE.
Nul ne
peut résoudre la crise israélo-arabe sans un dialogue direct entre les princi-
pau;~ intéressés, dialogue au cours duquel tous les éléments de la crise seront
discutés.
b)
Les
confusions
à
éviter
Il faut se garder de schématiser,
d'analyser le problème israélo-
arabe à grands traits.
La question est très complexe
pour cette raison,
elle mérite une attention toute particulière.
Certaines associations ne correspondent pas à la réalité des faits:
il faut éviter "l'identification d'Israël avec un camp impérialiste et agres-
sif" (3) .
L'avertissement est très sage surtout dans le contexte actuel où
Israël est soutenu par les Etats-Unis.
Dans le monde du 1er Juin 1967, SARTRE conseille de ne pas verser
non plus dans l'autre sens en identifiant
"des pays arabes avec un camp socialite et pacifique; que
l'on oublie du même coup qu'Israël est le seul pays dont
l'existence même est mise en cause"(4).
,
"
.,
(1) Jean-Paul SARTRE cité par M. CONTAT et M. RYBALKA,
Les écrits de SARTRE,
op.
cit.
page 444
(2) Jean-Paul SARTRE ibidem,
page 444
(3) Jean-Paul SARTRE,
ibidem,
page 444
(4) Jean-Paul SARTRE,
ibidem,
page 444.
1
204
Malgré ses sympathies pour le Président NASSER lié à l'U.R.S.S.
et le fait que le camp socialiste est soutenu par SARTRE,
cet appel montre
l'impartialité du philosophe. Une telle intelligence des enjeux contribue
à une analyse correcte de la réalité israélo-palestinienne.
c)
Les
difficultés
pour
aboutir
à
la
paix
Selon SARTRE,
l'attitude des deux camps est inconciliable. Et pour-
tant,
Israël manifeste son désir de paix.
Il affirme
:
"L'Etat d'Israël fait actuellement preuve d'une évidente vo-
lonté de paix et de sang-froid"(l).
Il sort ainsi de sa réserve.
Pour comprendre la pertinence de ce
jugement,
i l faut analyser le contexte historique.
Les principes finissent
par l'emporter sur les sentiments chez SARTRE.
Il caractérise avec justesse les positions des Etats arabes.
Il
constate leur hostilité.
Il note à ce propos
"que des proclamations menaçantes viennent chaque jour des
dirigeants arabes"(2).
En effet, pour le Président NASSER,
"l'existence de l'Etat d'israël constitue en soi une agres-
s i onf S},
L'attitude égyptienne est elle-même agressive. Elle est pourtant
la synthèse des positions des Etats arabes. Jacques DEROGY et Jean Noël
GURDANT constatent que
"le seul pays qui restait menacé de destruction physique
était en fait Israël, qui ne pouvait effectivement qu'es-
pérer "vendre son sang le plus cher possible""(4).
(1) Jean paul SARTRE cité par M. CONTAT et M. RYBALKA, Les Ecrits de SARTRE,
op. cit.
page 444
(2) Jean Paul SARTRE,
ibidem,
page 444
(3) G.A.NASSER cité par Jacques DEROGY, Jean Noël GURDANT, Israël la mort
- - - - - - - -
en face,
Paris,
Robert-LAFFONT 1975,
page 370
(4) Jacques DEROGY, Jean Noël GURDANT, ibidem, page 255.
205
D'autres analyses confirment cette insécurité, cette menace sur
l'Etat
hébreu
"Il s'agit, conformément aux avertissements de la tigue arabe,
de s'opposer par la force à la résolution de partage desNatlons-
. -Unies et d'étrangler, à sa naissance, l'Etat juif"(I).
Les Arabes cherchent la destruction d'Israël.
Et cela est perçu
comme une fatalité historique par les "faucons" israëliens.
Il est vrai que
"peu de nations ont jamais vécu une existence aussi précaire,
aussi désespérément dépendante du sort changeant des armes
et dont la légitimité soit autant remise en question, débat-
tue, soumise au gré des événements et de l'humeur versatile
des grands de ce monde"(2).
Dans ces conditions,
la sympathie de l'opinion publique occidentale
était acquise aux Israéliens surtout après la découverte horrifiée de l'ampleur
.c-r
du massacre· des Juifs
après la deuxième guerre mondiale et le constat des menaces
arabes promettant un nouvel holocauste aux rescapés.
Les deux déclarations de SARTRE rappelées deux pages plus haut con-
sidérées comme une prise de position ont suscité une grande satisfaction en
Israël, mais elles ont provoqué de très vives réactions dans les pays arabes.
Publiée le 1er Juin 1967,
la déclaration de SARTRE n'est pas une
approbation de la "guerre des six jours".
SARTRE a dit la vérité,
si dure soit-elle. Même si les choses ont
évolué aujourd'hui,
dans le contexte de l'époque,
les menaces provenaient
des Etats arabes qui se fiaient à leur nombre, à leur armement.
Ils n'avaient
pas tenu compte du soutien américain.
Actuellement,
les provocations sont
devenues le fait d'Israël.
L'opinion publique mondiale se trouve modifiée par le renverse-
ment de situation dû à la suprématie militaire d'Israël.
En effet,
(1) ELIE BARNAVI, Une histoire moderne d'Israël, Paris Flammarion,
1988,
page 194
(2) Elie BARNAVI, ibidem, page 173.
206
"le pauvre ramassis de rescapés des camps, sans cesse mena-
cés d'un second génocide, se métamorphose d'un coup en une
nation de supermen capable d'étonnantes prouesses mlitaires,
de conquêtes et de domination. L'ère du remords et de la pi-
tié s'achève"(I).
Les résolutions des Nations-Unies attestent la justesse des thèses
de SARTRE, militant d'un dialogue,
d'une négociation israélo-arabe.
Les négociations illustrées par les accords de Camp David, malgré
leurs insuffisances, constituent un progrès significatif dans la recherche
de la paix par la coexistence pacifique entre Arabes et Israéliens.
d)
Le
rôle
de
la
Gauche
SARTRE définit le rôle de la Gauche européenne qui doit contribuer
aux efforts de paix.
Il affirme
:
"L'avenir des Israëliens et des Arabes dépend de la Gauche.
La Gauche européenne se doit d'apporter sa confiance aux
forces de Gauche des deux parties pour renforcer de leurs
forces et de leur poids les chances d'ouverture"(2).
La Gauche avait un rôle historique à assumer dans la recherche des
solutions du problème. Sa vocation,
sa raison d'être sont de lutter pour fai-
re triompher ces principes.
SARTRE en profite pour dénoncer l'attitude du gouvernement fran-
çais de l'époque, surtout celle de de Gaulle.
Il écrit:
"Cette décision du Général de Gaulle n'aura aucune conséquence,
'.\\
absolument aucune. Tout ce que f a i t ·
. le Général de Gaul-
le depuis plusieurs années n'a jamais de conséquence, i l faut
bien le reconnaître. ça n'a jamais de conséquences, ou ça en
a de néfastes" (3) •
(1) Elie BARNAVI, Une histoire moderne d'Israël,
op.
cit.
page 310
(2) Jean-Paui SARTRE cité par M. CONTAT, M. RYBALKA,
Les Ecrits de SARTRE,
op.
cit.
page 445
(3) Jean-Paul SARTRE,
ibidem,
page 476.
207
Il n'approuve donc pas la politique du gouvernement français qui
a décidé un embargo;
i l a eu des positions éclairées tout au long du con-
flit.
Israël avait commandé et payé cinq vedettes rapides.
Par une décision
de de Gaulle,
elles ont été bloquées au port militaire de Cherbourg.
208
CONCLUSION
PARTIELLE
SARTRE,
dans sa quête de la vérité,
dans son souci de
trouver
des solutions justes, analyse le problème israélo-arabe de façon pertinente.
Les positions de SARTRE dessinent une carte pertinente du conflit
dans cette partie du monde.
Hier peuple menacé d'extermination,
Israël,
dans cette phase de
l'existence de l'Etat hébreu,
a bénéficié du soutien de l'opinion interna-
tionale.
Mais,
progressivement,
Israël s'est doté d'une armée de survie
d'abord,
puis d'agression,
et aujourd'hui d'occupation.
Cette évolution,
ce bouleversement des rapports de force expliquent l'isolement et la sanc-
tion désapprobatrice des Nations-Unies et de la communauté mondiale à
l'égard d'Israël.
Aucun homme ne sera libre tant qu'Israéliens et Palestiniens ne
jouiront pas,
dans deux Etats aux frontières sûres, garanties,
de la pléni-
tude de leurs droits.
Leur liberté et leur sécurité donnent un sens à celles
des autres.
La reconnaissance de l'autre,
qui est,
à la fois,
sujet, cons-
cience et liberté, s'impose à toute l'humanité.
L'ü.N.U., malgré les nombreuses et pertinentes résolutions rela-
tives à cette tragique situation, est incapable de faire respecter ses
décisions parce qu'elle n'est pas une organisation impartiale. Paralysée
hier par les rivalités entre les Etats-unis et l'U.R.S.S.,
elle demeure,
semble-t-il, avec la domination américaine consécutive à l'effondrement
du bloc communiste, partiale.
209
CONCLUSION GENERALE DE LA TROISIEME PARTIE
la décolonisation du Maghreb permet de comprendre la relation colo-
niale à partir de la situation coloniale.
Le colonisé et le colonisateur, à
travers leur portrait fait par SARTRE dans des textes volontairement polé~
mistes, nous révèlent, au-delà de la question de la fin et des moyens, une
vérité essentielle:
l'impossibilité d'aménager la situation coloniale.
Tout dévoilement,
dans cette perspective et ce contexte,
est effi-
cace.
Toute vérité,
apparemment à l'encontre des Maghrébins ou des colonisa-
teurs français,
est positive et utile.
La colonisation s'attaque,
matériellement,
spirituellement et hu-
mainement,
au colonisé.
Elle aliène colonisateur et colonisé confondus.
Le
premier,
par tous les moyens,
cherche à faire perdurer le système colonial
le second,
pour sa liberté,
la reconnaissance de son statut d'homme,
cherche
à le détruire.
Et dans cette dialectique de confrontation,
les relations
humaines ne sont pas saines.
En effet,
"la colonisation fausse les rapports humains, détruit et
sclérose les institutions, et corrompt les hommes, colonisa-
teurs et colonisés"(l).
Cette cruelle vérité se vérifie dans l'épisode de la décolonisation
et le drame franco-français à travers la guerre d'Algérie.
Le colonisé doit supprimer la colonisation,
mais aussi effacer
le colonisé qu'il est devenu.
Le colonisateur doit,
à son tour,
effectuer une véritable recon-
version des mentalités pour découvrir dans le regard de l'autre un homme
avec les mêmes devoirs et droits que lui-même"
(1) A. MEMMI,
Portrait du colonisé orprpdé du Portrait du colonisateur,
op. cit. page 152.
210
Le problème fondamental de toute philosophie existentialiste est,
par essence,
de proposer une morale qui peut être, avec une base concrète,
la solidarité,
l'union,
la communion d'intérêts et de destin. Mais les con-
tradictions de l'histoire peuvent briser ce lien pragmatique et rompre
l'équilibre et la base concrète existante. SARTRE lutte pour la liberté des
opprimés, colonisés, Balestiniens sans patrie car s'écrit-il "c'est leur
liberté enfin qui reconnaîtra ra (sienne)" (i) .
L'existence de l'Etat israélien justifie la reconnaissance d'un
Etat Palestinien souverain avec des frontières sûres et garanties où le
peuple errant de Palestine pourra vivre.
Menacé dans son existence, dans un passé récent,
Israël,
en raison
de la rupture de l'équilibre des forces militaires en sa faveur,
est aujour-
d'hui,
objectivement et réellement, une puissance d'occupation.
Hier armée
de survie d'un Etat et de tout un peuple,
l'armée israélienne est devenue
malheureusement,
on peut le craindre, une force de domination qui menace
la paix mondiale.
(1) SARTRE in Jean-paul SARTRE 1905-1980 de A.
Cohen-Solal op.
cit.
page 377.
211
CONCLUSION GENERALE
SARTRE ET L' AFRIQUE OU LA SYNTHSE REUSSIE DE L' HISTOIRE
ET DE L'INTERIORITE.
Au terme de cette lecture africaine de SARTRE,
i l convient de
faire la synthèse permettant d'en retenir les éléments les plus significa-
tifs.
La dialectique sartrienne révèle des contradictions intérieures en-
richissantes parce qu'elles nourrissent la réflexion. SARTRE et l'Afrique
dévoile,
au centre du projet sartrien,
deux thèmes,
deux passions:
le
monde et le moi.
Mais le moi sartrien n'est pas égocentrique.
Il est aussi
les autres.
SARTRE,
par ses interrogations,
ses questionnements,
son re-
gard critique,
de l'unviersel singulier "qui vaut tous les hommes et qui
vaut n'importe qui"(l) aux articles relatifs à notre thème,
mène la même
quête sans trêve
: la recherche d'un Absolu.
LE mondë , juscpe là l'éthr.rgiouè recevait
à travers les oeuvres,
les prises de position relatives aux événements qui
agitent notre temps,
une vérité interne,
depuis longtemps mOrie,
une évi-
dence sartrienne.
Le maître d'esclave,
le raciste et le colonisateur ont choisi
la haine parce que,
même négativment chargée,
elle est une foi.
Ils ont
fui,
face à l'histoire,
leur responsabilité et leur conscience.
Et pour-
tant la liberté de l'esclave,
du colonisé donne un sens à celle des autres
d'autant que "la liberté de l'un ne s'accomplit pas nécessairement dans
l'a.ssujettissement de l'autre, moins encore dans l'exclusion de tous"(2).
L'histoire singulière de l'Afrique et de l'homme noir,
à travers
les oeuvres de SARTRE,
"symbole vivant d'une libération étlmique" (3) qui
"représente le type d'un esprit merveilleusement en prise sur son époque
d'abord parce que son tempérament singulier est en accord intense avec les
mouvements àramatiques de la conscience contemporaine, ensuite parce qu'il
dispose d'admirables ressources de communication" (4). Le retentissement
d'l'orphée noirlt ,
confirfîle ce jugement.
(1) SARTRE cité par F.
JEANSON in SARTRE,
op.
cit.
page 65
(2) Pierre-Henri SIMON,
THEATRE DESTIN,
op. cit;
page 170
(3) A.
BOSCHETTI, SARTRE et "Les Temps modernes", op.
cit.
page 152
(4) P.
H.
SIMON,
L'homme en procès,
op.
cit.
page 53.
212
La reconnaissance de soi,
à travers la négritude,
le conscien-
cisme ou l'authenticité,
est la garantie d'une conscience lucide qui per-
çoit,
en chaque homme le représentant d'une race,
certes différente,
mais
finalement complémentaire.
Dans sa quête d'une identité noire,
dans la vulgarisation des
valeurs de civilisation du monde nègre,
le Noir trouve des thèmes féconds
puisés dans l'histoire de l'esclavage,
de la colonisation et de la décolo-
nisation,
même pacifique,
avec ses ruptures,
ses convulsions déchirantes.
L'effort de l'intellectuel noir,
dans ses créations littéraires
ou artistiques,
dans ses travaux scientifiques,
relève de cette mystique
de la conquête du statut d'homme.
~~me entreprise dans une langue étrangère,
sa démarche constitue le premier jalon d'une longue lutte qui passe néces-
sairement d'abord par la reconnaissance des cultures africaines.
Le choix de la langue imposée par le contexte historique importe
peu.
L'essentiel est de s'affirmer Noir et de défendre toutes les valeurs
qui font la spécificité de la race noire.
Ce cri nègre est celui du Noir qui cherche à réhabiliter sa race;
i l est certes,
dans toutes ses formes et manifestations,
une passion; mais
celle-ci est sélective dans la mesure où elle concerne exclusivement la
race noire,
seule victime de l'esclavage à grande échelle.
Opprimé en tant
qu'esclave ou colonisé,
le Noir subit la situation du seul fait de sa race.
Son combat,
dans cette perspective,
est double et singulier:
bousculer les
préjugés raciaux et,
c'est la seconde étape,
être un homme libre.
SARTRE,
solidaire des opprimés,
soutient:
"Je vois des opprimés. Je veux les délivrer de l'oppression.
Ce sont ces opprimés~là qui me touchent et c'est de leur op-
pression que je me sens complice"(l).
(1) SARTRE cité par A.
Cohen-Solal,
J.P.
SARTRE 1905-1980, op.
cit.
page 377.
,j
.j
il1
l.
213
La vision sartrienne de la décolonisation pacifique,
avec l'exem-
ple du Congo,
donne la clef de la préface à La pensée politique de Patrice
Lumumba et met à nu deux vérités décrites passionnément.
D'abord,
les indépendances octroyées,
conséquence de l'analyse
de l'échec en Indochine et des luttes de libération nationale,
relèvent d'une
haute stratégie consistant à mettre en place des hommes attachés aux intérêts
des anciennes métropoles,
parce que peu représentatifs,
et des institutions
qui sont une pâle copie des institutions occidentales,
inadaptées aux réalités
africaines.
Liés aux puissances financières,
aux hommes au pouvoir en Occi-
dent,
nourris d'idéologies décadentes,
les hommes d'Etat d'Afrique,
dans
cette période, ont été incapables de concevoir une politique nationale.
Coupés des masses africaines,
soucieux essentiellement de prébende, peu
respectueux des de~ ni ers publics,
ils ouvrent la voie au népotisme,
aux
coups d'Etat.
Le séparatisme,
le régionalisme,
les convulsions ethniques,
les contradictions religieuses sur un fond d'esprit enclin à cultiver le cul-
te de la personnalité alimentent les discours des politiciens.
Ensuite,
l'Afrique indépendante,
dans ces conditions,
est un volcan
qui sera en irruption dès les premières secousses sociales. Des Etats nains,
une politique de prestige personnel livrent le continent aux multinationales
qui pillent les richesses continentales.
La géopolitique internationale,
hier
à travers l'exemple congolais,
aujourd'hui à travers la crise du golfe, nous enseigne que le système des
Nations-Unies,
surtout avec l'éclatement du bloc de l'Est consécutif à l'ef-
fondrement du communisme, n'est pas une institution neutre.
L'Afrique l i t son histoire à travers l'expérience congolaise où
l'impérialisme,
grâce au mystérieux Kasavubu,
à Kalondji,
à Tschombé, à tous les
sécessionnistes,
et Mobutu,
trouve toujours des alliés locaux peu soucieux
des intérêts bien compris de l'Afrique.
Libérer l'Afrique,
c'est constuire
un Etat Fédéral où l'unité du continent bien mûrie,
lucidement acceptée,
libérera toutes les énergies pour le développement du continent.
Peu impor-
tent les voies:
conférences nationales ou élections libres et démocratiques,
la rupture s'impose.
214
LUMUMBA, martyr de l'indépendance congolaise,
NKRUMAH,
panafri-
caniste conséquent, éclairé, Cheikh Anta DIOP constituent l'engrais qui
prépare de meilleures semences;
ils sont le socle historique où l'Afrique
trouvera toute l'énergie nécessaire pour sa construction;
L'Unité Africaine
se fera grâce à des masses conscientes,
qui s'inspirent des doctrines de
LUMUMBA,
de NKRUMAH et de Cheikh Anta DIOP.
Le racisme aux Etats-Unis,
à travers les articles,
les conférences,
La putain respectueuse,
se manifeste dans la géométrie des habitations:
les
Noirs vivent dans des zones particulières qui leur sont réservées.
Les quar-
tiers noirs se distinguent par un dénuement total.
Cette sépar&~ion marque aussi le domaine de l'éducation. Les deux
communautés fréquentent des établissements scolaires et universitaires dif-
férents.
La condition de l'emploi,
dans tous les textes relatifs au racisme,
illustre parfaitement cette discrimination.
Les Noirs,
dans tous les cas,
occupent le bas de l'échelle sociale.
Leurs conditions sociales déterminent leurs statuts politique,
ju-
ridique.
Ils n'assument, selon SARTRE,
dans ce contexte, aucune responsabilité
politique importante.
Leurs droits sont bafoués.
L'analyse de la discrimination raciale nous révèle donc une volonté
et trois vérités.
Le Blanc est animé de la volonté farouche de maintenir des privi-
lèges fondés sur la supériorité de sa race.
Cette philosophie,
défendue et
mise en place par les hommes politiques, engendre des structures qui ins-
titutionalisent l'inégalité,
les pratiques discriminatoires et le refus de
l'autre.
Les préjugés raciaux dans tous les domaines de la vie déterminent
la nature des relations humaines,
définissent les droits et les devoirs.
Les
jugements demeurent fondamentalement des clichés que ne justifie aucune
étude objective.
215
Parqués dans les ghettos,
avec un système éducatif dévalorisé,
les Noirs,
dans l'atroce guerre du Vietnam,
fournissent la chair à canon.
La première vérité nous enseigne que la démocratie est tributaire
de la ségrégation raciale. Un système démocratique authentique reconnaît
les mêmes droits et les mêmes devoirs à tous les hommes qui forment la
Nation. Dans ce cas précis,
le mérite personnel,
l'égalité des chances
dans l'éducation,
dans la formation,
dans le travail,
sont les·princip~s fonda-
mentaux à sauvegarder.
Ensuite,
la puissante bourgeoisie vit dans de fausses valeurs.
Le
rang social,
la race autorisent et justifient toutes les pratiques discri-
minatoires.
Le fils de famille doit,
dans toutes les occasions,
être innocent
et le Noir doit contribuer à l'innocenter parce que
"le mal ne peut en effet venir de lui puisqu'il est toujours
localisé ailleurs, chez quelque Autre absolument autre (le
nègre, la prostituée)
; et si même i l lui ill'rive de mal agir,
ce sera par la faute du Mal, qui lui aura sauté dessus, qui
l'aura envoûté, contaminé"(l).
Enfin,
les conditions sociales,
politiques,
juridiques montrent que
les contradictions de la société ne sont pas à un stade permettant aux Noirs
de se révolter.
Les seules luttes menées par les hommes de couleur restent
des tentatives timides et prématurées qui rendent la répression plus féroce.
Les Noirs se heurtent à divers ostracismes.
Leur conscience, dans ce contex-
te historique, nous enseigne qu'ils n'étaient pas prêts à s'assumer, à se
hisser à la hauteur des événements, à être,
non plus objet de l'histoire,
mais le moteur de la marche,
de l'évolution des rapports humains sur tous
les plans.
Le phénomène noir ne doit plus être considéré comme un épiphé-
nomène noir mais comme l'épicentre de toutes les décisions éclairées.
Toute transformation excluant une minorité n'est pas porteuse de valeurs.
(1) F. JEANSON,
SARTRE par lui-même,
op.
cit.
page 36.
216
L'effet de choc des articles relatifs à la décolonisation au
Maghreb,le_n:ltentissementdes séquestrés d'Altona,
"l'intervention de SARTRE
au "procès Jeanson", en 1960, en faveur de la lutte clandestine" (1) , les
initiatives sur le conflit israélo-arabe illustrent parfaitement cette
thèse
:
"il faut montrer au théâtre des situations simples et humai-
nes et des libertés qui se choisissent dans ces situations(2).
Les oeuvres de SARTRE,
dans ce contexte,
sont des textes de "situa-
tions".
Une solidarité de haine,
un duel continu lient le colonisateur au
colonisé,
le tortionnaire à sa victime. la décolonisation au Maghreb et le
problème israélo-arabe, parfaite illustration de cette cruelle vérité,
dévoi-
lent trois vérités.
Premièrement,
le colonialiste secrète des institutions.fondées sur la
domination,
l'exploitation et l'humiliation du colonisé à travers d'insidieu-
ses pratiques discriminatoires.
Il révèle deux identités:
le colonisateur,
le colonisé.
Le colonialiste, avec sa langue,
son code pénal,
son organisation,
met en place un système qui remplace les structures traditionnelles et aliène
progressivement le colonisé.
Le racisme est inscrit dans le fait colonial à
travers l'emploi,
à travers l'existence des économies spéculative et de sub-
sistance qui créent une situation de sujétion des colonies.
Les préjugés
raciaux autorisent le colonialiste à fonder son action sur une exploitation
systématique.
Il est,
dès lors,
peu regardant sur les moyens.
L'essentiel
est d'atteindre les objectifs fixés.
En second lieu,
le colonisé dominé, exploité, confiné dans un présent
qui constitue son seul avenir,
finit par
p~endre conscience et par se révol-
ter.
Cette révolte peut prendre la forme de pressions populaires ou d'une
guerre de libération nationale.
(1) Anna Boschetti, SARTRE et "Les Temps modernes",
op.
cit.
page 305
(2) SARTRE cité par F.JEANSON in SARTRE par lui-même,
op.
cit.
PP 11-12.
217
L'identité du colonisé se précise. C'est un homme qui doit se
débarrasser,
de façon violente ou pacifique,
de la colonisation. Etre
colonisé est une condition et un état.
C'est une condition dans la mesure où il doit libérer sa patrie
et prendre en main son destin par la construction nationale.
C'est un état, car une fois l'indépendance obtenue,
il reste la
libération psychologique des ex-colonisés.
L'Islam non intégriste y contri-
bue.
Etre un homme libre, c'est réaliser cette double dimension.
La
colonisation prend fin à partir de la naissance d'une nouvelle mentalité
pour l'ex-colonialiste et pour l'ex-colonisé.
Enfin,
cet homme nouveau conduit à un dépassement des théories
fondées sur la supérioriété d'une race sur une autre, théories auxquelles
nous n'accordons aucu~ crédit.
SARTRE,
dans son analyse du problème israélo-arabe, malgré un cer-
tain équilibrisme dans l'agencement rhétorique,
apporte des réponses qui
dépassent le cadre de ce conflit.
La reconnaissance et l'existence de l'Etat d'Israël fondent un Etat
palestinien. Dans cette option,
Israéliens et Arabes doivent vivre en paix.
L'Etat d'Israël doit sa survie à la capacité de dissuasion de son
armée qui s'est transformée,
au fil des ans,
en une force de conquête et
de domination.
Toutes les menaces,
à la création de l'Etat hébreu,
venaient des
pays arabes.
Israël,
dans ce contexte,
a bénéficié de la sympathie et du
soutien de l'opinion internationale.
218
Aujourd'hui,
l'équilibre militaire est rompu au profit d'Israël
devenu conquérant. Cela justifie son isolement sur la scène internationale
malgré le soutien des Etats-Unis et les accords de Camp David.
En Mars 1979, un colloque organisé par Les Temps Modernes avec la
participation de SARTRE sur
"la paix maintenant?" réunissait intellectuels
palestiniens et inellectuels israéliens"(l).
La paix,
dans cette partie du monde,
passe par des préalabes incon-
tournables.
D'abord,
la reconnaissance et le respect d'Israël.
Les
Arabes doivent accepter et coopérer avec l'Etat hébreu.
Ensuite,
la reconnaissance d'un Etat palestinien souverain
dans les fronitères sOres,
garanties et respectées.
Enfin Israël doit,
sans condition,
libérer tous les terri-
toires occupés.
Les positions sartriennes, dans ce conflit israélo-arabe,
mesurées
en raison de son attitude d'impartialité, de neutralité, révèlent une autre
nature de l'homme.
Bouillant dans ses analyses du système colonial,
il est,
dans ses
articles et ses conférences,
prudent, mesuré dès qu'il aborde la coexistence
et la recherche de la paix dans cette région.
Solidaire des juifs après l'holocauste, sympathisant des Palestiniens
sans patrie errant dans le monde,
SARTRE est un militant des nobles causes et
de la justice dans un univers où tous les hommes devraient se réconcilier.
Le tragique du théâtre sartrien révèle aussi une dimension histo-
rique.
L'homme,
en situation dans l'histoire,
par l'action,
tente de modi-
fier des rapports antinomiques pour conquérir sa liberté. Mais la vision
sartrienne de l'histoire, malgré quelsques raisons d'espérer,
est pessimiste
.;
et tragique.
(1) A.
COnEN,Solal, J.P. SARTRE 1905-1980, op.
cit.
page 650.
219
En effet,
"Cette philosophie, désespérée, explique le pessimisme
sur le monde social exprimé dans les récits"(l).
L'histoire est constellée de rupture
de violence,
de malentendu,
i
de contingences.
Le théâtre sartrien historique révèle
"un sentiment dramatique du poids de l'histoire et des événe-
ments" (2) •
Les facteurs sociaux expliquent l'opposition entre les couches dé-
shéritées et le bourgeois,
"chef et salaud"(3).
Et le renversement idéologique est au coeur de la philosophie so-
ciale de SARTRE qui prend congé de l'univers bourgeois en ces termes
"Adieu beau lys, tout en finesse vos petits sanctuaires
peints, adieu, salauds" (4) •
SARTRE embrasse l'époque qui est la nôtre.
Il refuse de se réfugier
dans les fausses valeurs et dans l'éternel.
Il faut,
à travers l'histoire,
prendre parti.
L'art ne doit pas être un asservissement à l'actualité;
il
àoit permettre d'affronter directement les problèmes de son temps,
car
"l'esprit ne doit pas flotter au-dessus des événements, mais être engagé
en eux" ( 5) .
L'actualité donne donc aux ouvrages de SARTRE,
leur première va-
leur parce qu'
"il paraît que les bananes ont meilleur goût quand on vient
de les cueillir: les ouvrages de l'esprit, pareillement,
doivent se consommer sur place ll(6).
(1) Anna BOSCHETTI, JeanPaul SARTRE et "Les Temps Modernes",
op.
cit.
page 119
(2) Anna BOSCHETTI,
ibidem, page 149
(3) Anna BOSCHETTI,
ibidem, page 162
(4) ci té p ar- René-l'IIaril , Albérès in SARTRE pag;;e 124
.,-;
(5) Albérès,
SARTRE, op.
cit.
page 126
(6) SARTHE, "qu'est-ce la littérature ?" in Situations ,II, op. cit.
Pages 122-123.
220
A ce sujet,
Albérès précise les engagements politiques du direc-
teur des Temps Modernes.
Il écrit:
"l'écrivain n'a plus le droit de créer des oeuvres, convain-
cantes peut-être, mais qui ne représentent, par rapport à
la réalité, que des fictions symboliques. Son devoir est au
contraire d'analyser directement la réalité politique, se
faisant ainsi journaliste, polémiste, théoricien, analyste,
et non vendeur d'imaginations, de confessions, de débats
intimes If (1) .
Ainsi,
SARTRE est-il témoin de son Temps. Ses pièces La putain
respectueuse,
Les séquestrés d'AIton,
Les mains sales,
tous ses textes rela-
tifs au racisme aux Etats-Unis,
au problème israélo-arabe,
à la décolonisa-
tion pacifique ou violente,
à l'homme noir,
sont directement inspirés d'une
actualité parfois brûlante.
Il analyse les faits sociologiques. Observateur
lucide,
aux positions parfois partisanes,
mais d'une partialité constructive,
SARTRE nous propose une philosophie de vie.
Pour cette raisoni il est aussi
conscience de son époque dans son action.
SARTRE,
marqué,
compris par son époque,
conçoit l'engagement non
comme un devoir, mais comme un fait.
Il bouscule les dogmes,
dénonçant par-
tout l'injustice,
l'oppression.
Nous sommes dans l'atmosphère des Mains sales
où
SARTRE pose
le problème central de la liberté de conscience dans la prise
des décisions.
If Témoin
de la vérité"(2). SARTRE ne veut rien manquer de son
temps.
Les valeurs de civilisation de l'homme noir,
la décolonisation au
Congo,
au Maghreb,
le racisme aux Etats-Unis sont autant de thèmes et d'oc-
casions permettant de mettre en déroute les vérités préétablies.
Le refus des mots d'ordre,
des lignes immuables,
semble être le
seul principe guidant son action.
La peinture de l'Europe colonisatrice,
des Etats-Unis dominés par
le racisme,
de la révolution des opprimés,
ne tient pas compte des grilles
(1) Albérès, SARTRE, op. cit. page 128
(2) A. Boschetti, Sartre et "Les Temps modernes,
op.
cit"
page 314.
221
de lecture habituelles. Le tableau que présente SARTRE peint l'homme qui
conquiert toutes ses dimensions.
Cette démarche,
avec son seul Absolu,
l'homme,
explique les posi-
tions à l'égard du philosophe. Adulé par les uns,
haï par les autres,
i l
est la conscience de son époque,
qu'il embrasse étroitement.
La morale qu'il
nous propose et qu'il faut vivre déborde de toutes parts les clivages,
les
idées préconçues.
Blanc de qualité,
SARTRE a une intelligence lumineuse,
des problèmes de son époque,
la nôtre.
SARTRE et l'Afrique est une histoire d'Amour,
de Passion pour la
justice,
la fin de l'oppression,
de la liberté dans un monde où tous les
hommes communient dans la reconnaissance du caractère fécondant de leurs
différences et luttent pour la paix mondiale.
La singularité des problèmes de l'Afrique et de l'homme noir permet
à SARTRE d'aboutir, malgré tout,
à une philosophie existentielle universelle.
SARTRE e-t l'Afrique c'est la synthèse réussie de l' histoire et de
l'intériorité incarnée par un homme symbolisant la probité interllectuelle
et morale car
"l'écriture était chez lui une activité pulsionnelle dans
laquelle i l trouvait un véritable plaisir et probablement
aussi un fort soulagement à ses angoisses"(1).
Une âme noble est incompatible avec une conscience fuyante.
SARTRE,
par son action,
par son oeuvre,
nous l'enseigne.
222
CHRONOLOGIE
DES
EVENEMENTS
AU
CONGO-LEO
La chronologie des événements au Congo,
actuel Zaïre,
de 1956 à
1961 retrace la bouleversante histoire de ce pays livré aux enjeux des gran-
des puissances,
aux Nations-Unies qui alimentent les divisions ethniques,
religieuses,
et encouragent le séparatisme.
L'Occident a tôt compris la mort
du colonialisme classique après la désastreuse expérience indochinoise,
après le déclenchement de la guerre de libération en Algérie,
le Non Gui-
néen en 1958 et la conférence d'Accra de 1958. L'Occident met en place les
mécanismes du néo-colonialisme.
C'est dans ce contexte historique chargé de bouleversements que
l'impérialisme occidental, à cause des immenses richesses du Congo,
attise
avec ses alliés locaux les tragiques contradictions entre Congolais.
223
CHRONOLOGIE
SOMMAIRE
(1956 -
1961)
Février 1956
Publication en français du plan de trente ans pour l'émanci-
pation de l'Afrique belge du professeur Van Bilsen.
Juillet 1956
Publication dans Conscience Africaine à Léopoldville du mani-
feste de Joseph Iléo.
23 août 1956 : Publication des Commentaires de l'Abako au Manifeste Iléo.
Décembre 1957 : Premières élections au Congo belge,
pour des conseils munici-
paux dans quelques communes.
Succès de l'Abako dans les com-
munes africaines de Léopoldville.
26 août
1958
Démarche d'un groupe d'intellectuels congolais auprès du minis-
tère belge en vue de l'émancipation du Congo.
5 octobre 1958
Fondation du Mouvement National Congolais (M.N.C.)
dont Lumum-
ba est président.
25 octobre 1958 : Fondation de la Conakat à Elisabethville.
5-12 décembre 1958 : Conférence des peuples africains à Accra à laquelle parti-
cipent Lumumba,
Diomi et Adoula,
Kasavubu ayant été em-
pêché de quitter le Congo.
28 décembre 1958
Meeting public de Lumumba à Kalamu (Léopoldville).
Cris de
Indépendance
!
4-6 janvier 1959
Insurrection des communes africaines de Léopoldville à la
suite de l'interdiction d'une réunion de l'Abako.
Répres-
sion sanglante,
arrestation des dirigeants de l'Abako.
13 janvier 1959
Message du roi Baudouin sur l'avenir du Congo et déclaration
gouvernementale prévoyant un plan de passage graduel à l'au-
tonomie.
15 janvier-13 février 1959
1er voyage du nouveau ministre du Congo.
Van He-
melrijck au Congo.
11-13 mars 1959 : Second voyage de Van Hemelrijck à Léopolôville,
où i l fait
libérer les dirigeants de l'Abako qui seront envoyés à Bru-
xelles le 14 mars.
16-22 mars 1959
Lumumba au séminaire d'Ibadan (Nigéria),
7-12 avril 1959
1er congrès des partis politiques congolais à Luluabourg
ils demandent l'indépendance pour le 1er janvier 1961.
13-14 avril 1959
Le gouverneur général Cornélis est d'abord remplacé,
puis
maintenu en fonction après une rencontre entre le roi et
le Premier Ministre.
224
Début mai 1959 : Lumumba en Belgique.
13 mai 1959 : Retour à Léopoldville des dirigeants de l'Abako, Kasavubu,
D. Kanza et Nzeza-Landu.
Juin 1959
Troisième voyage de Van Hemelrijck au Congo.
L'Abako réclame
le fédéralisme.
9 juillet 1959
Divulgation du rapport Dequenne sur les rapports Luluabourg
Baluba au Kasal.
16-17 juillet 1959 : Scission du M.N.C.
qui va donner naissance au M.N.C./K.
4 août 1959
Emeutes sanglantes à Luluabour opposant Luluas et Balubas.
Autres massacres au cours du mois
.
29-30 août 1959 : Voyage éclair du Comte d'Aspremont Lynden au Congo.
2 septembre 1959
VAN Hemelrijck est obligé de démissionner.
3 septembre 1959
De Schrijver ministre du Congo belge et du Ruanda-Urundi.
23-28 octobre 1959
Congrès du M.N.C.
à Stanleyville.
29-31 octobre 1959
Congrès des partis nationalistes congolais à Stanleyville.
30-31 octobre 1959
Troubles et répression sanglante à Stanleyville ; au
moins 30 morts.
1er novembre 1959
Arrestation de Lumumba. Congrès du M.N.C./K.
à Elisabeth-
ville il réclame une Table Ronde en Belgique.
22-27 novembre 1959
Voyage de Schrijver au Congo.
15 décembre 1959 : La Table Ronde officiellement annoncée à la Chambre à
Bruxelles, et fixée à janvier 1960.
17-31 décembre 1959
Voyage du roi Baudouin au Congo.
24-27 décembre 1959
Congrès des partis fédéralistes congolais à Kisantu.
18-21 janvier 1960 : Procès et condamnation de Lumumba à Stanleyville.
19 janvier 1960 : A Bruxelles,
les délégués congolais à la Table Ronde cons-
tituent un Front Commun et demandent la libération et la
participation de Lumumba.
20 janvier 1960
Ouverture de la Table Ronde.
25 janvier 1960
Libération de Lumumba
i l arrive à Bruxelles le 26.
225
27 janvier 1960
Lumumba prend séance à la Table Ronde
; fixation de la
date de l'indépendance au 30 juin 1960.
20 février 1960
Séance
solennelle
de clôture de la Table Ronde.
11-25 mai 1960
Elections législatives et provinciales au Congo : le
M.N.C.
EST LE 1er parti avec 41 députés sur 137.
16 mai 1960
Ganshof van des Meersch nommé ministre des affaires générales
en Afrique; renforts de troupes métropolitaines pour les ba-
ses du Congo.
13 juin 1960
Lumumba chargé d'une "mission d'information" par le ministre
Ganshof van
des Meersch;
14 juin
Une première tentative pour proclamer l'indépendance du Katanga est
mise en échec.
16 juin 1960
Première réunion du parlement congolais.
17 juin 1960
Le ministre déclare la mission de Lumumba terminée et charge
Kasavubu de former le gouvernement.
21 juin
Election du bureau de la Chambre: victoire des candidats M.N.C.
Kasavubu renonce,
Lumumba chargé de former le gouvernement.
23 juin 1960 : Le gouvernement est formé et se présente devant la Chambre
qui vote l'investiture dans la nuit.
24 juin 1960
Le gouvernement investi au sénat, Kasavubu élu président de
la République.
29 juin 1960
Echec d'une 2e tentative de proclamation de l'indépendance du
Katanga;
30 juin 1960
Cérémonie officielle de la proclamation de l'indépendance du
Congo,
avec discours du roi Baudouin,
de Kasavubu et de Lumumba.
4 juillet 1960 : Première tension au Camp Léopold II à Léopoldville.
5-12 juillet 1960 : Les mutineries de la Force Publique.
7-8 juillet 1960 : Les soldats envahissent le centre de Léopoldville ; exode
massif des Belges,
et,
notamment,
des fonctionnaires.
8 juillet 1960
Décisions d'africanisation rapide de l'encadrement de la For-
ce Publique:
Lundula commandant en chef,
Mobutu chef
d'Etat-major.
10 juillet 1960
Intervention des forces métropolitaines de la base de
Kamina à Elisabethville '. puis à Luluabourg.
;.
.:
226
11 juillet 1960
Le matin,
intervention belge à Matadi,
et nouvelle
flambée de mutineries consécutive
j
le soir, procla-
mation de la sécession du Katanga.
12 juillet 1960
Kasavubu et Lumumba empêchés d'atterrir à Elisabeth-
ville;
appel à l'ONU.
13 juillet 1960
Intervention des troupes belges à l'aéroport de Ndjili
à Léopoldville, et afflux de troupes métropolitaines.
14 juillet 1960
Première résolution du Conseil de sécurité sur le Congo.
Rupture des relations diplomatiques du Congo avec la
Belgique.
15 juillet 1960
Arrivée des premières troupes de l'ONU,
tunisiennes et
ghanéennes.
Lumumba devant la Chambre.
21 juillet: 2e résolution du conseil de sécurité sur le Congo.
22 Juillet-8 août 1960 : Voyage de Lumumba aux Etats-Unis,
Canada,
Etats-
Unis de nouveau, Tunisie, Maroc,
Guinée et Ghana.
8 août : 3e résolution du conseil de sécurité sur le Congo.
9 août 1960 : Sécession du sud-Kasaï: avec Kalonji.
15 août 1960
Indépendance du Congo-Brazzaville,
en présence de Kasavubu.
24 août 1960
Début de l'offensive des forces armées du gouvernement cen-
tral contre la sécession du sud-Kasai.
25 août 1960
Conférence panafricaine de Léopoldville.
26 août 1960
Reprise de Bakwanga,
Kalonji s'enfuit à Elisabethville.
5 septembre, 1960 : Kasavubu révoque Lumumba et plusieurs ministres.
Lumumba déclare qu'il reste en fonction et révoque
le chef de l'Etat.
7 septembre 1960
La Chambre vote la confiance à Lumumba.
L'ONU lui in-
terdit la radio et ferme les aéroports.
8 septembre
L'armée nationale commence l'offensive dans le nord du
Katanga.
14 septembre 1960 : Kasavubu ajourne le parlement, Mobutu fait son premier
coup d'Etat,
Léopoldville de nouveau envahi par les
soldats.
14 octobre 1960 : Gisenga rejoint Stanleyville.
16-17 octobre 1960 : Mobutu à Elisabethville s'entretient avec Tschombé.
227
21 novembre 1960
l'armée de Mobutu donne l'assaut à l'ambassade du Ghana,
est repoussée par les Tunisiens de l'ONU.
23 novembre 1960
A Stanleyville, après quelques jours de combats, Gizenga
établit son gouvernement nationaliste.
27 novembre 1960
Lumumba s'enfuit de Léopoldville pour rejoindre Stanley-
ville.
1er décembre 1960
Lumumba rejoint et arrêté à Mweka près de Port-Francqui,
A Brazzaville, Kasavubu rencontre Tschombé.
2 décembre 1960
Lumumba,
ainsi que MPolo et Okito ramenés prisonniers à
Léopoldville, puis expédiés au camp de Thysville.
15-18 décembre 1960 : Conférence des Etats africains modérés à Brazzaville
nouvelle rencontre Kasavubu-Tschombé.
5-7 janvier 1961
Conférence des Etats africains dits "radicaux" à Casa-
blanca.
14 janvier 1961
Brève mutinerie au camp de Thysville
Lumumba un moment
libéré.
17 janvier 1961
Transfert de Lumumba,
Mpolo et Okito à Elisabethville où
ils sont mis à mort la nuit même.
9 février 1961
.. Annonce par Munongo de la soi-disant "évasion" de
Lumumba
et de ses compagnons.
14 février 1961
Annonce officielle par Munongo de la mort de Lumumba.
20 février 1961
Annonce des exécutions de lumumbistes à Bakwanga qui
datent du 13 février.
21 février 1961 : Nouvelle résolution du Conseil de sécurité sur le Congo.
Janvier 1963 : Fin de la sécession katangaise.
228
REMARQUES SUR LA CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS D'ALGERIE
Les deux rubriques,
événements et déclarations,
pendant la
guerre d'Algérie,
permettent, à la fois,
de suivre l'évolution du drame
algérien,
de comprendre les motivations diverses et profondes des pro-
tagonistes.
Toutes les réactions violentes ou mesurées des communautés al-
gérienne et française,
pendant cette cruelle épreuve,
obéissent à un puis-
sant sentiment d'attachement à l'Algérie. Cet Amour presque charnel de
la terre algérienne explique, mais ne justifie pas les violences,
les
exactions commises.
La chronologie du drame algérien suscite en nous quelques ré-
flextions qui éclairent notre connaissance de la réalité dans cette colonie.
D'une part,
un million de Français nés en Algérie et l'apparte-
nance de l'Algérie au bassin méditerranéen constituent une situation puis-
samment originale et saisissante de vérité.
Cinq générations d'Européens
ont construit l'Algérie.
D'autre part,
l'Islam est un obstacle à l'assimilation. Du soulève-
ment d'Abd el-·kader en 1832, deux ans après le début de la colonisation, à
l'insurrection du 1er Novembre 1954, nous remarquons l'existence d'
-
une conscience aiguë de la personnalité algérienne
-
une constance dans le refus de la domination
-
une volonté de lutte pour la dignité
Deux communautés déchirées à cause du même amour de l'Algérie,
deux vérités essentielles l'une par rapport à l'autre fournissent des occa-
sions à Jean-Paul SARTRE de préciser son point de vue sur le système colo-
nial,
sur les mouvements de libération nationale.
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1 -
La Chronologie de la guerre de libération nationale en Algérie
Les événements
Les déclarations
1954
7 mai
chute de Dien Bien PHU
18 juin
Pierre Mendès France devient
président du conseil.
en
1er novembre:
attentats dans toute l'Algérie.
Mendès France à l'Assemblée,
le 12
C\\J
C\\J
Les points les plus chauds sont
:
"On ne transige pas lorsqu'il s'agit de défendre
la Basse-Kabylie et les Aurès.
C'est le déclen-
la paix intérieure de la nation,
l'unité, l'inté-
chement de la guerre populaire de libération
grité de la République.
Les départements d'Algérie
nationale.
constituent une partie de la République française.
Ils sont français depuis longtemps et d'une manière:
irrévocable".
François Miterrand (membre du cabinet de Pierre
Mendès France).
"Tous les moyens seront réunis pour que la force
de la nation l'emporte,
quelles que puissent être
les difficultés et les cruautés de cette tâche".
- •. - --
- _. -~._._-------~.. _ - - - - --.-,--------.-.---.-~~-.~.-
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1955
Juin : Jacques soustelle nommé gouverneur général
le 26 janvier fait appel aux réservistes.
Les ef-
fectifs atteignent 120.000 hommes.
20/21 août : Des troubles éclatent dans le Nord-
Constantinois.
La répression confond la popula-
tion musulmane et les Combattants du Front de li-
bération nationale (F.L.N.)
Septembre : Le Parti communiste algérien est
dissout et la question algérienne inscrite à
l'O.N.V.
o
(l')
(\\J
1956
2 féVrier:
Jacques Soustelle est rappelé.
6 février:
Guy Mollet est en visite à Alger.
Lacoste remplace Catroux.
Il préconise la mo-
dernisation économique de l'Algérie;
i l
réclame 200.000 hommes et 200 milliards.
12 mars:
Guy Mollet (socialiste) obtient les
Habib Bourguiba déclare le 22 mars au "TIMES"
:
pouvoirs spéciaux. En Algérie c'est le massacre
"L'indépendance de l'Algérie est inévitable et,
de Palestro et la riposte des Européens.
s'ils refusent leur statut de minorité,
les
colons n'auront qu'à rentrer en France".
-
21 avril
Ferhat Abbas et FRANCIS
JEANSON rallient le F.L.N.
---------------------------,->--.~-~.__.>
-
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,",..""".,~
I·<on."" cs
J;::~.::' '\\I'.t;..._n":',i_ .. r~· 1,;':,: ·-:_~··.t'r\\' 't .."'''''''r;-.,
-...~
J
-. • ';.~'I'/' /.'-~',~~:-:'''''". \\ 1_;:.':;';'TYy~.,,-~'::.
-
13 novembre : Salan est nommé commandant en chef en
Algérie.
A la fin de 1956 : c'est la terrible bataille
d'Alger.
-
1957
7 janvier : Le Général Massu est nommé à la tête
Guy MOLLET réaffirme la position du
de la police et de l'armée à Alger.
Gouvernement : Cessez-le feu incon-
28/19 mai : Massacre de Mélouza par les combattants
distionnel,
élections libres dans
du F.L.N.
(300 morts recencésl
trois mois,
égalité des droits,
Juin:
Les attentats commis par le F.L.N.
se multi-
indissolubilité des liens entre la
plient à Alger.
France et l'Algérie.
Le F.L.N. réclame un réglement
M
(l')
-
24 septembre : Yacef Saadi est arrêté après la
préalable sous l'égide de l'O.N.U.
C\\J
bataille d'Alger.
avant tout cessez-le-feu.
1958
13 mai:
A Paris, Pflimlin demande l'investiture.
Le F.L.N.
commente la loi cadre en ces termes::
A Alger,
prise et mise à sac du Gouvernement général
"C'est une prétention ridicule au démembre-
par les émeutiers européens Massu prend la tête du
ment de l'Algérie".
Comité de Salut Public (c.s.p.l
.
De Gaulle déclare
: "je me tiens prêt à assumer les
pouvoirs de la République".
1er juin: De Gaulle est investi,
il a les pleins
Du 4 au 7 : De Gaulle
:
pouvoirs pour six mois.
"Je vous ai compris"
De Gaulle à MOSTAGANEM
"Vive l'Algérie française".
' " " ' _
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"'.~~.' __
19 septembre:
Constitution du G.P.R.A.
au Caire
présidé par Ferhat Abbas
28 septembre:
La constitution est adaptée à 96%
Ce vote "consacre" la naissance de la
de "Oui" en Algérie.
"Communauté".
La Guinée de Sékou Touré vote pour l'indépendance
totale.
23 octobre: De Gaulle propose "la paix des braves".
21 décembre
De Gaulle est élu président de la
République.
C\\I
CT')
1959
De Gaulle "La seule querelle qui vaille est
C\\I
celle de l'homme".
16 septembre : Les événements contraignent
"L'Algérie de papa est morte et, si on ne
De Gaulle à proposer l'autodétermination
le comprend pas, on mourra avec elle".
3 novembre:
Le P.C.F.
approuve l'autodétermination
qu'il avait d'abord rejetée.
1960
24 janvier 1er février:
C'est la semaine des barri-
Massu critique la politique algérienne et
cades,
qui est un échec.
affirme que l'armée est fidèle à l'Algérie
française.
Il est écarté.
13 février
: la première bombe française explose
à Reggane.
"Un mauvais coup porté à la France"
De Gaulle.
14 juin: De Gaulle offre la négociation au F.L.N.
Le G.P.R.A. accepte.
25-29 juin : les négociations échouent.
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.. ......
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w~:d;.~
' L
•
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6 septembre:
Le "Manifeste des 121" Intellectuels
français est publié.
Il réclame le droit à l'insoumis-:
sion. SARTRE est signataire du manifeste.
Novembre : Les accusés du procès des barricades sont
"Une République algérienne existera un
acquités par le tribunal militaire.
jour". G.P.H.A.
Du 9 au 13 : De Gaulle est en visite à Alger.
Des émeutes éclatent faisant 60 morts
C')
C')
N
1961
20 février : Georges Pompidou rencontre en Suisse
Boumendjel.
Février: Pierre Lagaillarde, réfugié en Espagne,
fonde l'organisation de l'Armée secrète"
(O.A.S.).
Avril:
L'indépendance de l'Algérie
est envisagée "avec le plus grand
Début Août:
L'O.N.V.
condamne la France après
sang-froid et un coeur parfaitement
Bizeste.
tranquille"
"La décolonisation est notre intérêt
et par conséquent notre politique"
De Gaulle.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - _ _ _ _ _._~
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....... ...;...~J".,J....
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1962
7 mars
Les négociations reprennent à Evian.
18 mars
Signature des accords d'Evian.
19 mars à midi:
C'est le cessez-le-jeu en Algérie.
26 mars: La fusillade de la rue d'Isly fait quatre
vingts morts européens.
'<t
8 avril:
Le référendum est approuvé à 90,7% par les
Cf)
C\\J
Français.
20 avril : Salan est arrêté
; on assiste à des
attentats en Algérie et en Métropole.
L'O.A.S.
est démantelée.
1er juillet: Le référendum sur l'indépendance
de l'Algérie est voté avec 99,72% de "Oui".
3 juillet: L'indépendance de l'Algérie est
"La France a épousé son siècle"
proclamée après 132 ans de présence française.
De Gaulle.
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235
185-187-188-219
ALBERES R.M.
: 2-77-92-96-123-125-165-167-168-169-181-182-183.
AMROUCHE J
139-142-143.
ANOUILH J.
108.
AMROUCHE
ARON R.
: lI.
ASSAN K.
: 53-71.
Algérie
: 41.
BARNAVI E : 205-206.
BEAUMARCHAIS J.P.
de
BEAUVOIR S. de
: 4.
Belgique
: 41-43.
BEN Jalloun
: 150.
BONN Ch : 35.
BONNEFOY C : 163
BOSCHETTI A : 1-2-5-6-10-11-211-216-219.
BOUDIAF M
146.
BOURDIEU P : 11.
BOURGUIBA H : 61.
BRUNEL P : 5.
CAMUS A : 136-150.
CAPITANT R : 161.
CARTANO T
163.
CESAIRE A
8-9-17-18-32-33-34-81-155
CHAUNU : 177-178.
CHEVRIER J.
: 25.
162-199-200-210-212-218.
COHEN-SOLAL A.
~7-40-97-111-126-127-128-129-136-137-156-158-160.
COLOMBEL J
: 99-100
CONTAT M
1-7-95-107-128-165-202-203-206.
CONTAT R
1-7-95-202-203-206.
CORDER S.P.
: 34.
236
CORNEVIN R : 15-55-56-57-58-63-68-70-71.
COULIBALY B : 60-62.
COUTY D
Christ : 14-35-36-37-40-74.
Congo : 14-41-43-49-51-54.
FLAMBERT G :
FANON F : 16-22-35-43-44-45-46-50-51-52-53-54-60-64-65-67-68-134-135-136-
137-141-154.
FAUCONNIER B : 32.
FERHAT A : 145.
DAMAS L. G : 20.
DEROGY J
204.
DIA M
59.
DIB M
144.
DIOP B.
20.
DIOP C. A : 20-34-43-44-50-55-56-74-214.
DROZ B : 131-132-133-134-135-136-137-138-140-141-142-143-144-146-148-149-150-
151-152-153-155-156-157-158.
DUMONT R : 14-45.
GANDHI
30-31-34 .
.GAULLE de
127-206-207.
Ghana : 41
GIDE A : 1-3-129.
GLIKSOHN
: 5.
Guinée:
41.
GURDANT J. N
204.
HAZOU]\\1E P : 20.
HEGEL : 23
HITLER A : 161-177-182.
HOVNANIAN J : 156-157.
237
IDT G : 194.
Israël
: 58.
JEANSON F
106-110-122-164-165-166-167-173-211-215-216.
KABA L : 4l.
KALONDJI A
14-54-55-63-64-69-72-75-213.
KASAVUBU J
53-54-57-63-64-67-68-69-72-75-213.
KATANGA : 15.
KESTELOOT L
8-20--22-23.
KHATIBI A -
139-176.
KING M.L : 78-83-85-86-87-88-89-90-124.
KITHIMA A : ~6-57-61.
KIZERBO
177-178.
KLEIN J
20.
KREA H : 35.
LADMIRAL J.
R
28-29.
LEFEVRE
28.
LEVER E
131-132-133-134-135-136-137-138-140-141-142-143-144-146-148-149-
150-151-152-153-155-156-157-158.
LUMUMBA P : 15-42-51-56-57-58-63-64-65-67-68-69-70-71-72-73-76-213-214.
MADELERAT 0
: 5.
MALRAUX A
129.
MARCET A : 177-178.
MARX K
102-107.
MASCOLO : 160.
MAULNIER T
162.
MAUMOURY B
158.
MEMMI A : 44-47-48-49-61-62-135-139-140-142-145-148-152-159-160-161-209.
MESSALI Hadji
: 61.
MOLLET Guy
: 156.
MUBUTU J
: 14-56-63-69-72-75-213.
238
NASSER G : 204.
NGAL : 26
NIZAN : 165.
NKRUMAH K : 41-47-48-55-58-70-72-214.
O.N.V.
: 10-15-56-202-205-208-213.
OSTER D : 163.
PERGNIER M : 29.
POZNER V
96.
RABEMANJARA J
: 30.
REMOND P : 177-178.
RIZK H
77.
ROUGEMONT D : 126.
ROUSSEAU J.J : 6-2-188.
RYBALKA M : 1-7.
SAKILIBA f.
D : 30.
SALMON A : 53.
SARTRE
1-2-3-5-6-7-10-11-13-14-16-17-18-19-20-21-22-23-24-25-26-27-28-29-30-
31-32-33-35-37-39-42-43-44-45-47-48-49-50-52-53-54-55-56-57-58-59-61-
62-63-64-65-67-68-70-71-72-73-77-80-81-82-83-84-85-86-87-88-90-91-94-
95-96-97-98-99-100-101-102-103-104-105-107-108-109-111-112-113-114-
115-117-118~119-120-121-122-123-124-126-127-128-129-130-131-~32-133
134-135-136-137-138-139-140-141-142-143-144-145-146-147-148-149-150-
151-152-153-154-155-156-157-158-159-160-161-162-163-164-165-166-167-
168-169-170-171-172-173·-174-175-176-177-178-179-180-181-182-183-184-
185-186-187-188-189-190-191-192-193-194-195-196-198-199-200-201-202-
203-204-206-210-211-212-216-219.
SAWAHRECH Kh : 200.
SCHUSTER J
SENGHOR L.
S : 16-20-22-24-25-26-27-28-33-39-50-51-52-68-159.
SIMON P -
H : 94-97-100-103-106-112-187-211.
239
TEMPELS R. P : 26.
TEITGENP : 157.
THEVOEDJRE H
47-74.
THIVOLLIER e
37.
TOURE S
9-10-34-35-41-54-68.
TROTSKI L : 68
TSCHOMBE M : 14-56-63-64-69-70-72-75-213.
VICTOR H
62-92.
VOLTAIRE
3-127.
WADE A
26-55.
WRIGHT R
80-84-85-88-89-111.
WAUTHIER C : 18-27-28-46-48-52-60.
YOULOU F
72.
ZOLA F
3.
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~....~-~--;....'~.~~
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240
Abolition:
22-37.
Absurde
: 31-35.
Acculturation:
13-74.
Accusation : 13.
Actualité
Administration
: 42-52.
Africain:
4-5-8-9-13-15-16-17-19-28-39-47-48.
Afrique
; 1-4-5-6-8-10-11-12-14-15-16-17-41-43-44-50-51-54-55-58-59-61-63-68-
69-70-71-72-73-76.
Agraire :
Agression:
47.
Algérie : 3-10-11.
Algérien : 35.
Aliénation
Allié : 15
Ambiguïté
6-32-59.
Ambigus
: 14-33-54.
âme:
6-18-19-21-22-26-28-29-33-74.
Aménagement
4
Antagonisme
13-14-17.
Arabe : 4-6-7-8-11-12.
Arme
: 9-33.
Armée
: 10-57-58.
Art : 3-5-34.
Artisan : 15.
Authenticité:
4-10-30-31-35.
Authentique
: 29-40-65.
Avenir : 24-62.
;
241
Abolition
Absolu : 77-110-112-127-163-211-221.
Abs~rde : 110-111.
Acculturation:
138.
Actualité:
Administration : 135.
Africain ; 86-89-211-212-213.
Afrique
79-80-88-92-133-135-141-147-151-153-154-156-159-211-213-221.
Agressé
125.
Agression
154-204-208.
Agriculture:
132-134.
Allié; 97-175-177-213.
Aliénation : 131-140-145-155-164-165-166-169.
Ambigu : 104-109-180-183.
Ambiguïté
: 114-158-159-162-181-182-183-198.
âme
: 80-92-119-140-172-194.
Aménagement
Angoisse
: 77-94-110-113-181-221.
Antagonisme
: 95-106-110-145.
Arabe : 126-127-129-136-137-199-200-201-203-205-206-208-216-217-218.
Arme
: 78-82-83-90-129-140-142-149-177-205.
Armée:
122-147-150-156-159-162-208-210-217.
Art : 81-99-115-116-117-118-119-127-163-172-188-194-219.
Artisan
Asservi:
142-151.
Assimilation:
81-134-138-140-141.
At~éisme : 112-169.
Authenticité: 81-155-212.
Authentique
: 78-90-116-125-168-180-215.
Avenir
: 77-78-96-105-129-132-139-165-166-170-171-201-206.
Balkanisation : 54-53.
Balkanisé : 73.
Blanc : 9-13-35-37-38-39-40-49-61-66-70-75-78-83-84-85-88-92-93-94-95-96-98-
102-106-107-108-115-117-120-124-141-214-221.
242
Bien : 105-106-122.
Bonheur :
Bouleversement : 13-17-73-103-161-166-208.
Bourgeoisie : 10-43-44-50-53-67-97-102-104-105-107-108-109-110-116-122~123
147-182-183-215.
Capitalisme: 43-47.
Chef : 5-15-41-52-54-64-67-68-69.
Chefferie : 52.
Christianisme :
Civilisation: 6-8-13-15-16-17-19-22-24-25-39-40-63.
Classe : 14-23-45-54-59-60-68-69.
Claustration
Crise : 2
Colonialisme
4-9-32-42-43-44-47-48.
Colonisation
4-8-9-10-12-13-14-15-16-17-18-32-38-44-48-58-74-75.
Colonial : 18-42-43-45-49-52-55-62-75.
Colonie:
41-42-47.
Colonisateur : 4-6-8-10-16-27-33-41-43-44-45-47-48-60-61.
Colonisé : 4-6~9-16-17-19-27-41-47-48-61-62.
Combat : 5-9-13-23-73.
Conflictuel
4-5-12-14-16-41-42-50-51-53-63-66.
Conformiste
2-44.
Conformisme
2-44.
Congolais
: 15.
Conscience : 1-2-10-14-21-22-32-33-37-43-48-51-54-60-61-64-68-70-75.
Consciencisme : 4.
Constitution
Contradictoire : 13-5~-56-59-61-67-70-75.
Contradiction : 13-55-56-59-61-67-70-75.
Corrompu : 15.
Crise : 42-43-44-64.
Culture (culturel)
: 2-4-5-7-8-9-12-13-16-17-19-20-24-27-29-30-32-35-39-44-48-
50-51-54-60-62-66-73-74-75.
Cynique
14.
243
Chef:
102-111-131-165-172-179-194-219.
Civilisation: 79-80-81~95-105-140-141-151-155-186-212-220.
Classe
: 88-102-107-108-110-112-117-123-125-135-147-158.
Claustration
Colonialisme
130-141-142-144-145-147-150-151-152-153-154-155-160-162-199.
Colonisation
77-79-82-129-133-135-138-140-141-142-144-145-148-151-152-155-
159-160-209-212-217.
Colonial
: 130-138-140-142-144-145-146-147-148-151-158-159-160-162-209-216-218.
Colonie
: 130-135-137-141-149-156.
Colonisateur
: 130-131-132-134-135-137-139-140-142-145-148-149-151-152-155-160-
161-209-211-216.
Colonisé
86-130-131-138-139-140-142-144-145-148-151-152-155-162-209-210-211-
212-216-217.
Combat : 92-124-125-143-144-147-160-182-201-212.
Complémentarité:
93-108.
Conflit (conflictuel)
: 79-94-106-109-126-129-139-144-163-169-186-199-208-217-
218.
Conformisme
: 168.
Conscience
: 77-78-83-90-94-96-102-103-106-107-108-109-110-113-114-128-130-142-
144-152-158-162-163-164-165-168-169-180-181-184-185-208-211-212-
215-220-221.
Consciencisme : 212.
Constitution :
Contradictoires
:
(contradiction)
: 77-92-94-102-104-107-114-115-127-128-138-
140-145-146-162-166-167-180-181-182-183-190-191-194-199-201-
210-211-213-215.
Convulsions
: 212-213.
Corrompu:
101.
Crise : 129-155-158-181-203-213.
Culture (culturel)
: 79-81-82-86-92-97-99-110-129-135-138-140-143-144-151-
169-170-182-212.
Cynisme
134.
Cynique
195.
2M
Déchiré : 13-78-138-149-162-199.
Décolonisation : 15-41-159-162-163-209-212-213-216-220.
Démocrate : 70-215.
Démocratique ~ 70-90-213-215.
Déporte'(tation)
: 8-9-19-86.
Déraciné:
16-80!139.
Déracinement : 140.
Désarticulé
: 52-134-135.
Désintégration : 15-51-65.
Destin : 11-62-74-75-77-78-92-94-109-113-152-164-166-167-170-173-174-181-
210-217.
Dialectique
: 22-94-97-98-110-115-116-128-141-209-211.
Diaspora: 4-6-8-10-17-74-77-79-80-88
Discrimination (discriminés)
: 2-47-79-83-84-87-88-92-96-107-124-125-214.
Diversité: 4.
Dbctrine : 53.
Domination
13-19-23-25-34-40-44-61-83-107-141-143-144-147-151-156-186-
205-208-210-216-217.
Dominé:
33-75-95-96-97-104-106-175-186-216-220.
Drame (atique)
: 10-12-17-18-55-56-64-68!73-74-79-118-131-149-150-155-
157-193-199-209-211-219.
Droit:
2.
Ecrivain
2-3-5-6-8-9-10-13-25-27-31-33-35-40-74.
Economie (économique)
: 4-9-31-42-43-45-47-48-49-50-51-54-55-61-66-73.
Egalité
Egocentrique
7.
Emancipation
51.
Engagement:
2-3-5-6-7.
Engagé:
2-3-5-6-7.
Enracinement : 8-10-15-26.
Emploi
: 41.
Esclavage: 4-6-7-8-9-10-12-13-15-17-18-30-37-38-74-75.
Esotérique
: 2.
Espace : 16.
245
Etat : 4-43-45-50-51-55-59.
Ethnique:
7.
Ethnie:
50-51-64-67.
Ethnique : 4-5-10-14-22-23-24-41-49-50-51-53-54-63-67-73.
Europe:
17-44.
Européen : 47-52.
Exil: 8-10-13-17-19.
EXilé
: 75.
Existentialisme
2-3.
Existence
: 19.
Existentiel
: 23-24-38.
Exploitation:
18-19-23-42-47-48.
Exploité
75.
Ecrivain
79-80-124-126-128-128-143-179-198-220.
Economie (économique)
: 87-92-106-107-124-129-130-131-133-135-141-145-159-
-,
.
"
201-216.
"
Egalité : 85-92-125-153-163-215.
Egocentrique
Emancipation : 94-106-142-144-151.
Engagé
: 97-128-219.
Engagement : 104-126-128-143-162-163-184-220.
Enracinement
Emigration : 133-151.
Emploi
: 85-89-92-124-133.
Esclavage : 77-82-124-152-212.
!j
~I
Estérique
,"
,"
:~
:t
Espace
"j
Etat:
138-160-201-203-204-205-208-210-213-217-218.
1
Ethique
: 92-126-153-162-163-211.
Ethnie
:
Ethnique
138-213.
Europe
:
Européen : 131-l33-134-149-206.
Exil : 78~79-80-124-139.
Existentialisme
:
,"
z
246
Existence : 187-190-203-205-210.
Existentiel:
201-210-221.
Exploitation : 82-88-95-98-125-130-131-143-147-148-151-156-159-216.
Exploité
: 88-97-134-142-216.
Fasciste : 9
Faute
: 92.
Fédéralisme
14-54-76
Fédéraliste
15-57
Fléau:
1Q-19-161.
Foi
: 110-115-167-168.
Fraternité: 125-147-152-153-154-163-177-186-201.
Français
: 18-19-20-27-28-29-31-33-40-74.
Géographie (géographique)
. 5.'13-50-86-92-94-122.
Grandeur
Gratuit:
111-148-193.
Gratuité : 1~77.
Gouvernement : G7-75-87-138-156-157-206-207.
Guerre
: 130-137-143-146-147-149-151-158-160-161-167-175-176-177-182-191-
194-198-199-200-202-209-215-216.
Haine:
50-150-153-175-176-184-186-211-215.
Héroisme
Histoire (historique)
: 2-4-6-7-8-9-10-11-12-15-18-19-21-24-28-31-37-39-40-
41-42-43-55-61-65-66-67-69-70-71-72-73-74-)5-76-80-81-86-95-96-
97-100-102-104-105-113-123-124-128-135-142-143-144-145-153-154-
162-164-165-166-167-175-177-178-183-184-185-186-191-198-203-204-
205-206-210-211-212-213-215-218-219-221.
Historien :: 20;
Homogénéité:
21.
Hostile : 31-52-69-78.
Hostili té
71-204.
Humanisme
2-110-154-176-180-186.
Humanité : 21-36-37-40-110-151-152-155-161-162-163-177-186-201-208.
247
Humiliation: 17-19-38-176-216.
Humilié
: 33-71-134-142.
Identité
4-7-10-12-16-17-20-25-33-63-74~80-81-90-91-109-121-124-138-143
151-165-180-212-217·,
Idéologie
5-47-48-58-86-88-107-108-154-186-213.
Idéologique
: 31-47-58-64-86-87-111-135-154~219.
Impérialisme
14-15-45-51-55-58-65-66-71-72-73-75-213.
Impérialiste
43-57-203.
Indépendance
4-6-8-14-41-43-44-52-53-54-55-56-60-61-62-63-64-65-66-67-
68-69-70-73-75-76-130-132-143-147-148-151-154-201-213-214-217.
Indépendant
41.
Infériorité
120.
information
131-156-157.
Institution (institutionaliser)
4-5-41-45-90-92-134-152-157~159-209-213-216.
Intégration
Intégrisme
Intellectuel
1-3-4-7-11-14-20-27-31-39-48-107-135-139-147-157-158-160-212-
218-221.
International
: 28.
Islam:
132-139.
Israël
: 199-200-201-202-203-204-205-207-208-210-217-218.
Iraélien :
(Israélo)
: 4-6-7-8-11-126-127-129-199-200-201-202-203-204-205-
206-208-210-216-217-218.
Juridique: 89-90-92-106-107-124-173-214-215.
Justice
: 30-102-103-104-122-123-135-136-137-153-154-160-221.
Langue
6-9-10-13-18-19-20-27-28-29-30-31-32-33-34-40-74~81-138-139-140-212
216.
Législation : 135.
Libérateur
33.
Libération
10-11-41-133-143-144~146-147-159-163-199-211-213-216.
Liberté : 1-3-4-5-10-13-15-32-40-42-59-67-73-77~85~108-109-110-123-125-126
128-129-143-144-147-152-154-162-163-166-168-169-170-179-182-183-
191-198-203-208-209-210-211-218-220-221.
248
Lieue: 33.
Linguistique : 8-13-18-30-31-33-40.
Littérature : 1-3-5-7-11-12-18-20-74-79-80-82-83-126-127-128-129.
Lutte : 5-10-11-12-13-15-17-23-35-41-51-59-62-65-71-73-76-78-83-90-91-92-
97-102-107-~25-127-130-144-146-147-150-159-160-162-163-199-201
212-213-215.
Mal: 105-111-117-161-163-175-177-187-188-189-190-215.
Malheur :
Manifestation : 22-168.
Manifeste : 158-159-160-199.
Massacre : 14-15-4].-42-45-52-53-63-64-65-67-68-
Masses : 147-213.
Métamorphose (sél
2-14-154-208.
Métissage : 22.
Mo de r-ni, sme
Morale: 2-4-11.
Musulman
130-131-132-134-135-139-148.
Mystique
13-127-212.
Naissance
Narcissique: 7.
Nation : 5-6-9-43-44-49-50-51-53-89-111-116-119-127-205-206-215.
Nationalisation : 133.
Nationalisme
71.
Nationaliste
52-53-57.
Négrisme
Négritude
4-7-8-13-15-16-17--18-19-20-21-22-24-26-32-33-35-36-39-79-
81-82-·212.
Néo-colonialisme
42..,.59-68-76.
Néo-colonialiste
43.
Noir : 4-6-7-S-9-10-12-13-14-16-17-18-22-23-24-26-27-29-31-35-37-38-39-40-
Ql-66-74-75-77-78-79-S0-81-82-83-84-85-86-87-88-89-90-91-92-93-94-95-
96-98-102-106-107-108-109-111-~17-120-124-125-201-212-214-215.
.-"
249
Occident:
13-15-17-43-58-213.
Occidental
31.
Oppression
7-18-23-38-43-74-78-83-86-89-90-97-105-107-109-149-212-220-221.
Opprimé:
5-6-22-23-72-92-127-129-130-155-158-160-162-171-210-212.
Organisation : 45.
Originel:
13-14-37-74-81-178.
Orphée
: 7-13-15-16-22-39-40-127-211.
Ostracisme
: 11-215.
Panafricanisme
55-70-72-76.
Panafricaniste
15-70-214.
Paix:
5-24-41-154-160-177-200-203-204-206-217-218-221.
Palestinien : 201-202-204-208-210-218.
Panshéisme
13-25-26.
Panthéiste
21.
Passé : 13-21-24-62-77-90-98-100-164-166-173-182-188-191-210.
Passion: 7-13-35-36-37-40-110-173-211-212-221.
Parti
: 14-50-53-54-59-63-64-65-67-75.
Patriotisme: 41.
Personnalité : 4-6-8-26-39-53-78-81-138-140-142-143-144-164-165-166-186-213.
Peuple : 5-6-15-20-35-36-40-45-47-59-60-61-64-67-68-69-70-72-74-97-127-129-
130-136-142-143-144-145-146-147-148-152-154-155-158-159--160-162-
163-175-177-208-210.
Philosophie
: 3-7-8-11-14-42-49-93-94-97-109-148-163-201-210-214-219-220-221.
Poème : 8-35-81-82.
Poésie: 12-17-18-19-32-35-82-90-91-103.
Poète:
9-17-20-32-79-150.
Polémique
Politique
1-2-3-5-7-8-9-10-11-14-28-32-41-42-44-47-48-50-53-55-63-65-66-67-
69-72-73-86-87-90-92-95-97-106-107-113-124-126-127-129-134-147-
148-150-159-192-202-207-213-214-215-220.
Population:
15-47.
Pcuvoir
15-43-45-55-57-58-59-64-65-66-68-72-73-90-94-95-122-156-163-198-213.
Préjugé
92-94-95-96-106-212-216.
Privilége : 23-24-35-41-49-59-107-130-138-140-141-214.
250
Prolétaire:
23-87.
Prophétisme (prophétique)
: 1-2.
Puissance
: 15-41-45-52-53-54-56-57-58-177-182-210-213.
Quête
17-21-39-40-75-79-81-124-180-199-212.
Race
4-7-12-13-17-18-19-22-23-24-25-28-35-36-37-39-48-49-68-74-75-79-85-86-
93-94-95-96-97-98-101-106-108-117-118-130-141-154-163-201-212-215-217.
Racine:
12-80!81-139-144.
Raciale
10-40-47-49-92-94-97~99-107-111-124-144-212-214-216~
Racisme
85-94-96-98-104-105-111-115-122-141-142-149-214-216-22O.
Raciste
22-23-47-74-78-84-95-97-98-108-120-137-211.
Réactionnaire
: 6-8-76.
Réenracinement
Religieux : 10-14-51-54-63-124-132-167-213.
Religion : 26-817167-168-169-201.
Régime
: 3.
Régionalisme
Répression : 105.
Responsabilité
: 77-108-110-125-126-136-152-158-167-168-169-177-184-211.
Restaurer : 13.
Retour:
7.
Revendication:
13-21.
Révolte:
92-145-146-148-216.
Révolution
: 35-41-67-68-103-148-154-220.
Révolutionnaire
: 35-44-67-68-71-90-128-147-162.
Salaud : 107-122-125-219.
Sartrien : 2--3-6-7-13-16-78-97-108-110-113-129-162-169-198-200-211-213-218-219.
Sécession (sécessioniste)
51-53-55-67.
Ségrégation
10-84-86-90-94-111-124-143-144-149.
Séparatisme
10-50-51-53-73-75-76-213.
Séparatiste
53-57-63-64.
Séquestration (sioniste):
166-167-168-179-183-191-192-201-213-214-215-219 ..
Social : 79-80-83-84-85-88-89-90-92-94-96-97-99-102-103-106-107-109-111-
113-120-122-123- 124-125-129-134-140-144-145-148-149-164.
251
Société
23-24-45-78-83-84-86-92-95-98-104-106-112-126-127-130-134-135-140-
145-149-156-159-160-164-165-169-177-180-187-188-201-215.
Solidarité: 113-129-131-146-159-160-199-210-216.
Solitude:
77-78-94-110-167.
Souffrance : 152-176-201.
Source : 7-8-16-17-18-19-26-48-79-80-81-90-91-107-108-152.
Structure : 5-14-41-51-78-86-90-106-107-115-130-134-148-188-191-216-
Supériorité: 93-98-141-217.
Survie : 4-208-210.
Souveraineté : 6-145-160-199-202-203.
Symbole : 94-104-105-148-163-181-211.
Symbolique : 2-7-17-127-220.
Syncrétisme
: 25.
Synthèse : 23-105.
Système : 42-49-58-95-110-124-130-132-138-141-144-145-152-153~158-162-169
176-209-213-215-216-218.
Temps
: 16-33.
Théâtre
7-94-100-108-109-110-111-113-164-170-172-191-198-215-218-219.
Théorie
(théoricien): 2-7.
Tradition:
79-81.
Traditionnel:
5-14-15-31-41-42-51-52-130-134-216.
Tragédie
70-71-79-127-186-189-190-200.
Tragique
8-10-12-14-58-64-78-103-108-110-150-175-177-186-187-189-208-218.
Traite:
Tribale
49-50-73-134-135.
Tribune
3-10.
Torture
151-153-156-157-161-163-176-177.
Unité : 4-5-10-13-14-15-41-49-50-53-55-56-59-64-69-71-73-76-126-143.
Univers
10-15-18-19-21-24-25-26-40-75-77-78-81-138-218.
Universel:
23-24-25-37-40-162-177-201-211-221.
252
Viol : 8-169.
Violation : 136.
Violé : 13.
Violence : 5-21-78-94-147-148-151-152-153-162-179-219.
253
B l B LlO G R A PHI E
r
OEUVRES DE SARTRE
Editions utilisées
Théâtre'
La putain respectueuse,
plece en un acte de deux tableaux,
Paris,
Gallimard Paris,
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Les
œquestrés d·' Al tona,
pièce en cinq actes
Paris,
Gallimard,
1960
Préfaces,
Textes,
Articles,
Récits
"Seuls quelques Noirs,
ici,
ont le temps de rêver",
article,
reportage
repris sous le titre "Villes d'Amérique" in Situations, III,
Paris,
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"Retour des Etats-unis,
ce que j'ai appris du problème noir",
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"Manhattan:
the great Américan désert (jugement porté sur le jazz),
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"Le Noir et le Blanc aux Etats-unis" fragment de la "Morale"
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"J'ai vu à Haïti un peuple noir fier de sa tradition de liberté",
ré-
cit,
in Franc-Tireur,
21 Octobre 19L\\9
"Ha t i
se jette avec passion sur tout ce qui évoque la culture françai-
î
se ... et parmi les riches Antilles,
cette République noire est la seu-
le à crever de faim",
récit,
in France-Tireur,
22-23 octobre 1949
"Réponse à Albert Camus", article in Situations, IV, Paris,
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"Vous êtes formidables",
article
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précédé du Portrait du colonisateur
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In Situations, V,
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1964
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article
in Situations, V,
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"La constitution du mépris"
in Situations,V,
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G11imard,
1964
Préface à Les damnés de la terre de Frantz Fanon
a) Paris,
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b)
in Situations, V,
Paris, Gallimard,
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"Les Somnambules" article,
a)
in Les Temps Modernes, nO 191, Avril 1962, P.
1397-1401
b)
in Situations, V,
Paris, Gallimard 1964
"Le prétendant
article in Situations,V,
Paris,
Gallimard,
1964
"Les grenouilles qui demandent un roi",
article,
in Situatiqns, V,
Paris, Gallimard,
1964
"L 1 analyse du référendum", article in Situations, V,
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Gallimard,
1964
Divers
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interventions lors des meetings,Conférences de presse
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interview,
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article-interview,
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"Jean-Paul SARTRE et Simone de BEAUVOIR en Israël",
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20
255
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préface,
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263
TABLE
DES
MATIERES
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
Chapitre premier
Sartre à la rencontre de l'homme noir et de sa
ci vilisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
12
1 0 /
Les causes
a)
L'esclavage et la colonisation.........
17
b)
Le décalage linguistique....
18
2 0 /
Sartre les diverses manifestations de la négritude
a)
L' nomogérié i té
.
21
b)
Le racisme
.
21
c ) Le panthéisme
~
.
25
d)
Le français:
une langue étrangère
:
.
27
e ) La s i auat.i on ambiguë des e c r i va i ns- . • . . . . . . . . • • . . . . . . . • . .
30
f) A~thenticité et problèmes linguistiques
.
33
3 0 /
Négritude et christianisme
a)
La négri tude
: une Passion
.
35
b )
La Faute
.
36
Conclusion partiell~
.
La àécolonisation
1 0 /
. Les
causes
40
2 0 /
Colonialisme et néo-colonialisme...
42
3 0 /
L'exploitation économique.....
46
4 0 /
Les difficultés pour l'édification de_ la_2~~:tion
congolaise
49
a)
Les divisions ethniques
,.
49
1
264
1
1
1
b ) Les chefferies
.
52
c)
La sécession
.
53
d)
Le fédéralisme
.
54
e)
Le système des Nations-Unies face
à l'histoire du Congo-Léo
.
57
5 0 /
L'élite congolaise
59
a)
L'ambiguité de la situation de l ' é l i t e :
59
b ) Le costume national
.
62
c ) Les partis poli tiques
.
63
6 0 /
Les obstacles à une indépendance authentique
65
a)
Le vide politique
.
65
b)
L'absence de révolution
.
66
c) Deux viages du Congo
: Joseph Kasavubu,
Patrice Lumumba
.
67
7 0 /
Pour une indépendance authentique
70
a)
Le pana f r i.c an i srne
.
70
b )
Le marché commun
.
7l
Conclusion partielle
.
73
Conclusi.on générale de la première partie
.
74
Chapitre trois
Sartre face aux Noirs de la diaspora
77
Tradition et réalités sociales
79
I
La négritude
.
79
.:
~~
1 0 /
Les causes
.
79
,
:~
2 0 /
La quête de l'identité
.
80
,
,.
{
265
3 0 /
Une littérature fonctionnelle.......
82
II
La société américaine
' . . . . . . . . .
82
a)
C o n s e r v a t r i c e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
82
b)
R a c i a l e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
84
c ) Le N è g r e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
88
10/ Le statut social.
..
. .
..
88
2 0 /
Le statut juridique.
..
..
..
89
3 0 /
Le statut politique.
..
. ..
90
Conclusion p a r t i e l l e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
92
Chapitre quatre
Le traitement du racisme à travers La_ putain
respectueuse
94
a)
Le cadre géographique............
94
h)
Le contexte historique....
95
l
Définition des personnages par socialisation
97
1 0 /
Les traits socio-culturels..
97
2 0 /
Les traits physiques.......
100
3 0 /
Etre,
p a r a î t r e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
103
4 ° /
Présentation des personnages par- c_~uples.........
104
II
Sociologie d'une société
105
1° /
Le BIEN,
le MAL
.
105
2 0 /
Les rapports de classes.....
106
3 D/La coexistence de deux c l a s s e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
108
266
III
Etude t h é m a t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
108
1°/ La l i b e r t é . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
108
2°/ L ' a b s u r d e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
111
3° /
Le communisme.....................................
111
4° /
L ' a t h é i s m e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
112
IV
Le théâtre sartrien....
113
V
Le dynamique interne de l'oeuvre......
113
1 0 /
Une conscience oscillante..
113
a)
La réalité est contradictoire.....
113
b)
Les changements de point de vue.......
~14
2° /
La structure interne du t e x t e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
115
a)
L'art de la composition.......
115
h)
L'art des contrastes....
116
c ) Les i m a g e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
117
d ) L'art du s t y l e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
118
Conclusion p a r t i e l l e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
122
Conclusion générale de la deuxieme partie.
124
Chapitre cinq
Sartre et le Maghreb
introduction
.
126
l
Le système c o l o n i a l . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
130
a)
L'exploitation économique............
130
b ) La société t r i b a l e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
134
c ) L' identi té cul t.ur-e I I.e . • • . . • . . • • • . • . • . • • • • • • • . . . • • . .
138
II
La prise de conscience....... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
142
267
III La lutte de libération nationale.......................
146
a)
La lutte a r m é e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
146
b ) Les v i o l e n c e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
147
c ) La t o r t u r e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
152
IV
La France face au Maghreb
153
a)
La bataille d ' o p i n i o n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
155
b)
Le rôle des intellectuels
157
Conclusion p a r t i e l l e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
162
Chapitre six
Les séquestrés d'Altona.:
un
théâtre de "situations"
16L,
l
Le chemin des aliénations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . ,
164
a)
La s o c i é t é , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
164
b ) La famille ... , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
165
c)
L'inauthenticité de la f o i . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
167
II
Définition des personnages par socialisation
169
a)
Les traits socio-culturels.............
169
b ) Les traits physiques................................
171
c ) Les traits m o r a u x . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
172
III
Le siècle o b s c u r . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
175
a)
Le génocide.............................
175
h)
Les camps de concentration.....
176
c ) La tortur"e...........................................................................
l'"7ü
d)
La responsabilité des vainqueurs.
177
IV
Les t h è r r ' e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17.']
a)
La g r a n d e u r . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
l'lE,
--1
268
b ) L'héroïsme m i l i t a i r e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
179
c ) Lafbliè-
180
,~.
i
~ ,.
.
d') 'Lé( [.çomedle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
181
V
L'homme face à son destin..
181
a)
Les contradictions de la v i e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
181
b) L'apparition d'une dualité.......
182
c ) L'ambiguité des a c t e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
183
d)
La l i b e r t é . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
184
e)
La naissance de la tragédie.......
186
f)
Le responsable du Mal....
187
VI
La structure de l'oeuvre....
188
a)
L'art de la composition......
188
b )
La d i s t a n c i a t i o n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
190
c)
Les artifices boulevardiers.........
191
d)
La communication à distance
,
192
e ) Le r i r e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
193
f)
Liart du s t y l e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
194
Conclusion partielle
La vision sartrienne de l'histoire
.
J.98
Chapitre sept
le problême israélo-arabe dans l'oeuvre de Sartre....
199
l
La naissance d'Etats israélien et palestinien... . . . . . ...
201
II
Les conditions d'une coexistence pacifique.
201
a)
Les territoires occupés
, .. , . . . . . . . . .
201
b)
Les confusions à éviter.
203
c) Les difficultés pour aboutir à la paix ..
204
d ) Le rôle de la Gauche
.
206
Conclusion partielle
Sartre,
Isra~l et les Etats arabes
.
208
:j
·1
-.
,r--..
269
l1:i!1~
1
Conclusion générale ,de la troisième partie
.
209
Conclusion générale
',
.
211
Documents annexes
'
.
222
Index des noms propres
.
235
Index des thèmes
.
240
Bibliographie
.
253
'.:'ables des matières
.
263
.
,
-!
)
)
. ','
......- .