UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
*t.'f*t.'f* .
FACULTE DES LETIRES ET SCIENCES HUMAINES
*t.'f*t.'f*
DEPARTEMENT DES LITTERATURES ET CIVILISATIONS
DES PAYS DE LANGUE ANGLAISE
THESE
1
1
Pour le doctorat de 3ème cycle
Présentée par
Gorgui DIENG
Sous la direction de
Monsieur Mamadou KANDJI, Professeur

-

REMERCIEMENTS
1
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INTRODUCTION

2
L'étude que nous entreprenons porte sur le traitement du pouvoir
et de la politique dans deux romans de George Orwell: Animal Farm (1945) et
Nineteen Eighty-Four (1949) et deux autres de Chinua Achebe: A Man of the
People (1966) et Anthillsof the Savannah (1987).
Notre choix se justifie d'abord par un souci d'équilibre, mais
surtout par le fait que les oeuvres choisies représentent, chez l'un comme chez
l'autre auteur, chronologiquement parlant, leur dernière génération d'écriture,
dont la thématique, le cadre, dépassent les limites d'une seule entité socio-
politique pour tendre vers l'universel.
Avant 1960, Chinua Achebe a consacré la presque totalité de son
oeuvre romanesque à une région bien précise du Nigéria : le pays Igbo, et à une
période de son histoire qui s'étend de la pénétration occidentale au début du
vingtième siècle. L'Afrique noire toute entière, par delà cette contrée, y a été
peinte sur le plan culturel et socio-politique, comme un continent dénudé,
auquel l'Europe avait, pour ainsi dire, l'obligation morale d'inoculer une bonne
dose de son trop plein de civilisation. Les caricaturistes de l'Afrique les plus
zélés furent des explorateurs, des intellectuels conservateurs, parmi lesquels
d'éminents écrivains comme Joseph Conrad, auteur du roman assez connu
Heart of Darkness (1902), et Joyce Cary qui a écrit Mister Johnson et The African
Witch.
Dans sa préface à The African Witch, Cary soutient:
"My book was meant to show certain men and their problems in the
tragic background ofa continent stilliittle advanced from the Stone Age, .
and therefore exposed, like no other, to the impact of modern turmoil. An
overcrowded raft manned by children who had neoer seen the sun would
have a better chance in a typhoon" 1.
Cary et Conrad avaient la fibre conservatrice à fleur de peau et partant,
partageaient certainement la même image négative du continent noir. Mais
Achebe choisit de répondre plus directement au premier parce que celui-ci n'a
pris aucune précaution. En fait, alors que Conrad a été plus subtil en
1 - Joyce Cary: The African Witch, (1936), London, Mach",droseph, Inc 2, (Carfax Edition), 1959,
p.12

3
,s'attaquant à l'Afrique et à la dignité de ses fils en écrivant un roman
allégorique, Cary, lui, entreprit une oeuvre qui se voulait explicitement
historique, sociale et psychologique; centrée sur les réalités de l'Afrique. Les
personnages dans The African Witch et Mister Johnson, clame-t-il haut, sont des
personnes réelles, vivant sur un continent bien précis, et non point des
personnages romanesques:
[My] characters were real people in a real world or they [were]
nothing 2.
Pour Chinua Achebe, ces pseudo-spécialistes de l'Afrique ne sont
que des vulgaires aventuriers, des marchands de sensationnel, remplis de
préjugés sur un continent qu'ils connaissent à peine. Il jugea l'affront trop
difficile à souffrir et entreprit alors de trouver Joyce Cary sur son propre
terrain, avec des arguments plus convaincants, parce que dénués de tout parti-
pris.
Aussi, dans son premier roman, Things FaU Apart (1958) et son
troisième, mais chronologiquement deuxième, Arrow of God (1964), Chinua
Achebe s'assigne-t-illa tâche de redresseur de torts pour le compte de l'Afrique,
et au nom de la Vérité historique. Pour ce faire, il plonge le lecteur au coeur
même du pays Igbo qui, pour lui, symbolise la société africaine tant bafouée.
De cette société se dégagent, pèle-mêle, une chaleureuse atmosphère humaine,
une structure socio-politique assez harmonieuse fondée sur le respect des
libertés individuelles et les vertus démocratiques; mais, également, des
insuffisances graves liées à l'imperfection de l'Homme, telle la vénération d'une
simple monticule par tout un peuple. Ainsi, alors que la peinture africaine de
Cary est "monologic", celle de Achebe est "dialogique", donc plus scientifique:
Whereas Mister Johnson shows only despotic and greedy native rulers
with Little concern for the welfare of the people they govern, Things FaU
Apart portrays a group of eiders sharing decision making, who are
trusted by the people, and whose primary concern is the maintenance ofa
peaceîul, prosperous and respected community for all. Moreover, iheir
decisions are neither arbitrary nor individualistic, as Cary's novel
2 -Idem, cité par Malcolm Foster : Joyce Cary: A Biography, London, Michael
Joseph, 1969, p.449

4
asserts, but grow out of a long tradition and a finely interwoven set of
beliefs- religious, social and political 3.
Achebe montrera plus tard, qu'il n'est nullement un défenseur
irréfléchi du monde noir. D'ailleurs, son appartenance au groupe d'intellectuels
africains qui animaient 1"'African Personality" 4 en est déjà une preuve éclatante.
Avec l'accession d'un grand nombre de pays africains à la souveraineté
nationale, Achebe change de camp: dans son collimateur, se trouvent
désormais les nouveaux dirigeants de l'Afrique.
Ainsi, A Man of the People et Anthills of the Savannah, sont-ils perçus
comme des attaques à peine voilées contre les politiques, civils et militaires, qui
ont plongé l'Afrique dans un chaos épouvantable après les lndépendancealvlais
déjà, avant ces deux romans, Achebe avait amorcé un changement dans sa
thématique par l'intermédiaire de son roman de transition, No Longer at Ease. TI
y fait le procès des nouvelles sociétés africaines façonnées par la civilisation
occidentale et dont la principale victime est Obi Okonkwo.
L'écriture romanesque de George Orwell, elle aussi, a connu une
certaine évolution thématique. En effet, avant Nineteen Eighty-Four et Animal
Farm, il a écrit une dizaine de romans qui ont tous une touche
autobiographique. Le premier, Doum and Out in Paris and London (1933) est
consacré à la vie de clochard, réelle ou feinte, que l'auteur mena à son retour
d'Asie. Mais au fond, il décrie la misère du monde ouvrier.
Burmese Days (1934) est assurément le fruit du séjour de Orwell en
Birmanie où il a été policier pendant sept ans (1921-27) ; et il y dénonce,
naturellement, l'ampleur du fossé qui sépare colonisateurs britanniques et'
colonisés asiatiques. Cependant, tout en condamnant la présence coloniale non
désirée, Orwell essaie tout de même de comprendre le colonisateur, ou du
moins, l'administrateur colonial.
3 - C. L. Innes: Chinua Achebe: (Cambridge Studies in African and Carribean
literature 1), CUP, 1990{First Pub. 1990, p. 24
4 - L'un des principaux animateurs de l' "African Personality" - qui étaient opposés à toute
idéalisation de l'Afrique (à la Négritude en particulier), le Sud-Africain Ezekiel MPhahlele
écrivit ~} feel insulted when sorne people imply that Africa is notalso a violent continentl-in
African Writing Today, Remark on Negritude, pp. 247-53, Penguin Books, 1967

5
The Life of the Anglo-Indian officiais is not ail jam. In comfortless camps,
in sweltering offices, in gloomy-dark bungalows smelling of dust and
earth-oil, they earn, perhaps, the right to be a Little disagreeable5.
Homage to Catolonia (1938), comme Burmese Days, est le produit du
séjour de l'auteur dans un milieu bien défini, en l'occurrence, l'Espagne
pendant la guerre civile (1934-39). Dans ce roman historique, Orwell essaie de
rétablir la vérité de faits historiques et de convaincre l'opinion publique
anglaise, généralement favorable à Franco, du danger réel que contenait son
idéologie fasciste pour le reste de l'Europe. Il y exprime également des états
d'âme qui vont de la délectation d'une atmosphère véritablement socialiste, au
dégoût suscité par la perversion du socialisme par des totalitaristes du camp
anti-fasciste.
Up there in Aragon one was among tens of thousands of people, mainly
though not entirely of working-class origin, ail Living at the same level
and mingLing on terms of equaLity. In theory it was perfect equaLiy and
even in practice il was not far from ii. There is a sense in which it would
be true to say that one was far from it. there is a sense in which it would
be true to say that one was experiencing a foretaste of socialism.

,
1
The change in the aspect of the crowds was startling. The militia uniform
and the blue overalls had almost disappeared ...
. . .
lt is not easy to convey the nightmare atmosphere of that time -the
pecuLiar uneasiness produced by rumous that were always changing, by
censored neuis-papers and the constant pressure of armed men ... lt was
as though some huge evil intelligence were brooding over the town 6.
The Road to Wigan Pier (1937), centré sur la vie des ouvriers de la
périphérie londonienne, mais dans lequel Orwell s'en prend ouvertement au
socialisme totalitaire, et Coming up for Air (1939), où il fustige l'enfer social issu
du capitalisme inhumain, sont sans nul doute les deux romans qui annoncent,
de façon claire, la naissance des romans à l'étude: Animal Farm et Nineteen
Eighty Four, bien que les autres romans y soient présents à l'exception peut-être
de A Clergyman's Daughter (1935) et Keep the Aspidistra Flying (1936). Ces deux
5 - George Orwell: Burmese Days, cité par George Woodcock, op.cit, p. 51
6 - George Orwell: Hamage ta Catolona, cité par Georges Woodcock: The Crystal Spirit; A Study
a/Gearge Orwell, (First Published 1967), reprinted 1984, London, pp. 138-41

6
romans sont en effet beaucoup moins engagés que tous les autres écrits par
Orwell: A Clergyman's Daughter ne tourne qu'autour de la foi et de sa perte et
Keep the Aspidistra Flying, de l'argent et de sa perte. Orwell a trouvé leur
thématique si anodine, qu'HIes a presque reniés avant sa mort en ordonnant à
ses éditeurs de ne plus les éditer.
La différence de taille entre les romans écrits par Orwell entre
1933 et 1939 et ceux produits pendant et après la Seconde Guerre Mondiale, est
que les premiers sont plutôt autobiographiques ou du moins issus
d'expériences personnelles vécues par l'auteur, alors que l'es deux derniers sont
allégoriques et centrés sur une thématique solide, plus "universelle". Sur ce plan
d'ailleurs, Coming Up for Air semble plus proche encore des romans à l'étude,
surtout de Nineteen Eighty-Four ainsi que le confirme George Woodcock.
The tunnel that leads to the nightmare world of Nineteen Eighty-Four
is open already in Orwell's mind. 7
Chez Achebe aussi, A Man of the People et Anthills of the Savannah
sont de loin plus allégoriques que Things Fall Apart, Arrow of God et même No
Longer at Ease.
Malgré tout, un essai de rapprochement de George Orwell et de
Chinua Achebe paraît, à première vue, quelque peu osé si l'on tient compte,
d'une part, de l'écart temporel qui les sépare -Orwell mourut en 1950, au
':
moment où Achebe, jeune adolescent de vingt ans, venait tout juste d'entrer à la
toute nouvelle université d'Ibadan; et d'autre part, des contextes socio-
politiques nigérians et britanniques divergents qui ont servi de cadres
respectifs à leurs oeuvres romanesques.
Cependant, après lecture des quatre oeuvres à l'étude, le lecteur
ne peut s'empêcher d'être frappé par une première similitude majeure: sur le
plan strictement thématique, Animal Farm, Nineteen Eighiv-Four, A Man of the
People et Anthills ofthe Savannah, sont tous taillés sur la même roche: ils portent,
en fait, sur le pouvoir politique sous un régime identique: le totalitarisme.
Ensuite, Orwell et Achebe abordent le traitement du thème presque de la
même manière. Voilà, en quelque sorte, les deux essentielles prémisses sur
lesquelles se fonde notre analyse.
7 - George Woodcock, Idem, p. 151

7
Notre étude s'attachera ainsi à démontrer, à partir des textes, que
les auteurs traitent du pouvoir et de la politique sous un même angle. Ensuite,
elle tentera de circonscrire les raisons fondamentales qui sont à la base de
l'intérêt commun que Orwell et Achebe accordent à un thème aussi crucial.
Dans cette entreprise, nous pensons que leurs expériences personnelles, de
même que les contextes et situations socio-politiques de leurs époques
respectives, sont déterminants.
En effet, Orwell semble avoir été fortement secoué par certains
évènements majeurs survenus en Europe entre 1917 et 1945 : le règne du
socialisme à visage inhumain en Russie et en Espagne, le fascisme en
Allemagne, en Italie et en Espagne, la Seconde Guerre Mondiale. Achebe, quant
à lui, donne l'impression d'avoir été marqué par l'échec retentissant et quelque
peu humiliant des indépendances africaines, échec ponctué par une série sans
fin de coups d'Etat et de contre-coups, la dictature et la corruption. Les victimes
désignés furent, naturellement, les masses populaires ainsi que quelques
bonnes volontés issues de l'intelligentsia qui ont tenté de redresser la barre.
Les expériences ci-dessus mentionnées sont certes différentes si
l'on considère qu'elles concernent deux entités géographiques distinctes:
l'Europe pour Orwell, et l'Afrique pour Achebe. Mais au fond, elles sont plutôt
similaires dans la mesure où toutes portent, en définitive, sur la condition
humaine, l'histoire trouble de l'Homme. Ainsi, un humanisme avéré des deux
auteurs pourrait être à l'origine de l'identité de leurs vues sur le pouvoir et la
politique.
Toujours est-il que, par-delà cet humanisme qui reste à vérifier,
Orwell et Achebe peuvent avoir été unis par le cordon ombilical de
l"'universel". En effet, comme le dit si bien Genette:
L'un des écueils de l'analyse thématique consiste dans la difficulté
qu'elle rencontre souvent à distinguer la part qui revient en propre à la
singularité irréductible d'une singularité créative, de celle qui appartient
plus généralement au goût,à la sensibilité, à l'idéologie d'une époque, ou
plus largement encore aux conventions et aux traditions permanentes
d'un genre ou d'une forme littéraire 8
8 - Gérard Genette: "Structuralisme et Critique littéraire" in Figures 1,Ed.
Seuil, 1966, pp. 145-70

8
Le second aspect significatif de notre présente étude consiste à
combler un vide involontairement laissé par la critique autorisée: Orwell et
Achebe sont deux écrivains que beaucoup lie et pourtant, à notre connaissance,
il n'existe aucune étude les rapprochant. En revanche, certains critiques se sont
évertués à établir des passerelles thématiques et narratologiques entre Achebe
et d'autres écrivains occidentaux comme Yeats (de façon opportune d'ailleurs).
Seulement, ces études comparatives, quel que soit leur mérite, nous paraissent
moins opportunes que celles entre Achebe et Orwell nous semble globales,
intégrales, ainsi que le montrera l'étude et Orwell.
Compte tenu de toutes ces considérations, notre plan s'ouvrira par
une partie réservée à l'analyse des premiers écrits des auteurs dans lesquels ces
derniers ont exprimé leur vision du monde, de la société humaine et de l'art.
Les influences
des différents milieux où ils ont évolué sur eux seront
également abordées dans cette première partie.
La deuxième partie porte sur l'analyse thématique des quatre
oeuvres à l'étude et constitue l'ossature de notre travail.
Quant à la troisième et dernière partie, elle traitera de l'écriture
des oeuvres, en particulier de la syntaxe et de la technique narratives utilisées
par Orwell et Achebe pour mieux communiquer avec leurs lecteurs car, ainsi
que le soutient Lucas, "Style... is a means by which a human being gains contact with
oihers.:" 9
Notre étude, comme suggéré plus haut, est un essai de
rapprochement et nous entendons la mener suivant une approche pragmatique.
Ainsi, nous éviterons de tomber dans les travers limitants des théories d'écoles.
En tout état de cause, pour ne pas ennuyer par des répétitions trop fréquentes,
nous mettrons l'accent, dans un premier temps, sur un roman ou un auteur
donné en exposant les évènements, actions, attitudes, etc..., relatifs à un thème
ou une idée soulevé. Ensuite, nous passerons à un autre roman pour établir des
parallélismes.
Néanmoins, chaque fois que cela s'avérera possible ou
souhaitable, nous aborderons l'analyse des oeuvres et des auteurs de manière
9 - F. L. Lucas: Style (With a foreword by Sir Bruce Fraser Second Edition
1974; First Pub. 1955) Cassell & Co ua, London, 1974, p. 49

9
groupée. Par conséquent, le lecteur doit s'attendre à au moins deux types de
paragraphes: ceux qui ne comportent que des idées relatives à un seul roman
ou un seul écrivain; et ceux formés d'idées centrées autour de deux ou
plusieurs romans.
Les divergences entre Orwell et Achebe ne sont certes pas
négligées, surtout quand celles-ci seront saillantes; mais notre souci premier
est de justifier, grâce à des des textes et de quelques réflexions émises par des
critiques sur les mêmes textes, notre hypothèse de départ: des rapports étroits
existent sur les plans thématique et technique, entre Orwell et Achebe.

10
PREMIERE PARTIE:
LES PREMIERES IMAGES

1 1
La première partie de notre étude a pour objet de nous familiariser
avec les auteurs et leurs milieux d'évolution avant leur consécration comme
écrivains de renom. Elle est d'importance dans l'étude des oeuvres choisies,
Animal Farm, Nineteen Eighty Four, a Man of the People et Anthills of the Savannah,
dans la mesure où la maîtrise de l'oeuvre d'un auteur quelconque suppose au
préalable, une connaissance du milieu de celui-ci, car l'homme, en écrivant, se
départ difficilement de sa personnalité profonde. Or, cette dernière est
largement tributaire de la somme d'expériences multiformes acquises au cours
de l'enfance et de l'adolescence, ainsi que le reconnaît George Orwell lui-même
...1do not think that one can assess a umier's
motives without knowing something ofhis early
deoelopmeni.ï''
En outre, nous espérons que l'analyse des écrits théoriques de Orwell
et de Achebe nous balisera, de manière décisive, le chemin qui conduit au coeur
de leur thématique romanesque. En fait, l'expérience a souvent prouvé que
l'oeuvre majeure d'un écrivain, comme le roman, constitue la somme de ses
idées exprimées de façon éparse dans des écrits mineurs comme l'essai, la lettre,
la nouvelle etc...
CHAPITRE PREMIER: LES AUTEURS ET LEURS MILIEUX
Par milieux, nous entendons les différents cadres dans lesquels les
auteurs, en l'occurrence Orwell et Achebe, ont eu à évoluer durant leur jeunesse
: la famille, l'école, entre autres, mais également les situations sociales et
politiques qui ont, directement ou indirectement, modelé leur vie affective
adulte et partant, influé sur leurs oeuvres littéraires.
10 - George Orwell: "Why 1 write" in Dedine of the English Murderand Oiher
Essays, Pinguin Books, 1978, p. 182

12
1.1. Le milieu social et culturel
La famille est, sous tous les cieux, la cellule central de la société
humaine. Ceci étant, nous essayerons, dans la présente section, de replacer les
auteurs au sein de leur famille respective, ensuite dans un milieu plus élargi: la
société. En dernier lieu, l'accent sera mis sur les particularités culturelles des
sociétés anglaise et nigériane -Igbo notamment.
George Orwell, de son vrai nom Éric Blair, vit le jour en 1903 à
Motihari en Inde britannique, dans une famille anglo-indienne dont le père
était fonctionnaire colonial moyen dans cette lointaine possession. Jusqu'à l'âge
de huit (8) ans, le jeune Eric séjourna dans un pays qui, bien qu'administré par
les Britanniques, avait tout de même des valeurs humaines et des conditions de
vie différentes de celles des Iles Britanniques. D'autre part, dans l'esprit du
colonisateur britannique -et de tous les autres colonisateurs européens en
général- les autochtones, qu'ils fussent d'Afrique ou d'Asie, étaient considérés,
dans le meilleur des cas, comme des êtres humains inférieurs. Ce passage de
Joseph Conrad sur les indigènes africains durant la pénétration européenne en
est une parfaite illustration:
(...) The reaches opened before us and closed behind, as if the forest had
stepped leisurely across the water to bar the way for our return. We
penetrated deeper and deeper into the heart ofdarkness. ft was very quiet
there. At night sometimes the roll of drums behind the curtain of trees

would run the rive/land remain sustained faintly, as if hovering in the
air high over our heads, till the first break of day. Whether il meant war,
peace, or prayer we could not tel~ ..)We were wanderers on prehistoric
earth, on an earth that wore the aspect ofan unknown planet 11.
11 - Joseph Conrad, Heart of Darkness, (pp. 45-162) in Youih, Heart of
Darkness and the End of the Tether, Introduction by ca Cox, Everyman's
Library, London, 1982, p. 95
"Même si le Conservatisme britannique était porteur d'un certain racisme à l'égard des peuples
des colonies, il n'en demeure pas moins vrai qu'il comportait des aspects largement
positifs: l'esprit démocratique ancré depuis 1215 (Magna Carta) et des vertus cardinales
comme la décence, le patriotisme.

13
En vérité, l'auteur de Heart of Darkness, façonné par le Conservatisme
britannique très vivace au début du 20ème siècle, n'est que le continuateur d'un
état d'esprit qui a pris forme depuis fort longtemps presque partout en Europe.
Leo Africanus n'écrivait-il pas déjà au 16ème siècle:
The Negrœs likewise leade a beastly kinde of life, being
utterly destitute of the useof reason, ofde~erity,
of toit, and of ail artes ? 12
Ainsi, les administrateurs coloniaux et leurs familles d'un côté, et les
autochtones de l'autres, vivaient dans deux mondes que toutes les barrières de
la terre séparaient. C'est dans cette atmosphère, faite de préjugés et de haine,
que Orwell vécut huit années durant avant de gagner l'Angleterre, son pays
d'origine. C'est dire donc qu'il est loin d'avoir connu la même expérience que la
plupart de ses futurs condisciples. Il eut cependant l'avantage, ou le
désavantage, d'être à cheval sur deux civilisations; car, même s'il vivait dans
un milieu européen à part, il lui était pratiquement difficile d'échapper
totalement à l'influence de l'environnement autochtone indien; d'autant plus
d'ailleurs que, de par le sang, il était lié au monde oriental.P
Quant à Achebe, il est bien né en 1930 dans son milieu social, en
plein pays Igbo, plus précisément dans le village de Ogidi, non loin de la ville
historique de Onitsha sur le fleuve Niger.
Les Igbos sont certainement parmi les peuples du Nigéria, ceux qui
sont le plus attachés aux valeurs traditionnelles; le tout centré sur un dieu
suprême dénommé Chukwu.
... The Igbo believe in a supreme God, who lives in the sky
from where hecon trois fertility and creation.ï»
,'. 12 - Leo Africanus : The His tory and Description of Africa, Translated by John
Pory, Edited by Robert Brown, London, Hackluyt Society', 1896; Vol. l,
p. 187
'
13 - Orwell: "1 was born at Motihari, Bengal, the 2nd childof an Anglo-Indian farnily"., cité in
Twenthieth Century Authors, A Biographical Dictionary ofModern Literature, edited by Stanley
J. Kunitz and Howard Haycraft, New York, 1950, p. 1058.
14 - David Carro} : Chinua Achebe: Novelist, Poet, Critic, The Macmillan Press
Ltd, Second Edition 1990 (First ed. 1980> London, p. 15

14
Suprême, certes, mais point absolu: il existe à côté de ce dieu d'autres divinités
plus ou moins importantes; la société Igbo ne pouvant concevoir l'idée
d'absolu en nulle chose et en nulle créature.
Whenever Something Stands Something Else will Stand
beside il. Nothing is absolute. 15
En outre, chaque individu possède -ou est possédé par- un dieu personnel
appelé chi 16. Une telle société a toujours reconnu à ses membres, et ce bien
avant l'avènement du concept moderne de démocratie "occidentale", certaines
libertés démocratiques et individuelles fondamentales et est farouchement
opposée à toute forme de tyrannie.
In the beginning Power rampaged through our world,naked. So
the Almighty, looking at his creation through the round undying eye of
the Sun, saw and pondered and finally decided to send his daughter,
Idemili, to bear wilness to the moral nature of authorily by wrapping
around Pouier's rude waist a loincloth of peace and modesty. 17
Ces libertés octroyées par la société -sans prince !- ne peuvent néanmoins, loin
s'en faut, s'exercer au détriment du palier supérieur que constitue la
communauté symbolisée par Chukwu et son représentant sur terre, le prêtre-
en-chef de la fédération villageoise. Chez les Igbo, plusieurs villages dont les
habitants sont liés par le sang, forment une fédération à la tête de laquelle se
trouve un prêtre qui dirige toutes les manifestations religieuses et culturelles.
No man however great can win judgement against his
people 18.

Cette vision du monde était à peu près celle qui prédominait en pays
Igbo durant l'enfance de Achebe et demeure encore vivace chez beaucoup de
Igbos. Mais il faut noter que ses parents s'étaient assez tôt démarqués de la
religion traditionnelle africaine pour embrasser la foi chrétienne. Son père fut
15 - Chinua Achebe: "Clai in Igbo Society" in Morning Yet on Creation Day, Heinemann
Educational Books, 1975,p. 61
16- Ibidem: "Ifa man agrees hischi agrees", autrement dit, l'homme est, dans une certaine
mesure, maître de son destin.
17- Conte Igbo repris par Achebe dans Anthillsof the Savannah,
op.cii, p. 102
18- Le grand prêtre Ezeulu l'aura appris à ses dépens dans Arrowof God

15
un des tout premiers convertis de son village et devint plus tard catéchiste et
enseignant dans le cycle élémentaire. Ainsi, le jeune Achebe, baptisé Albert
Chinualumogu, comme développé dans son essai "Named for Victoria..."19, eut,
à quelques nuances près, le même problème d'intégration sociale que Orwell.
En effet, être chrétien au début de l'évangélisation en Afrique n'était pas chose
aisée et pouvait facilement entraîner la quarantaine pour la famille-v,
Cependant, le jeune Albert eut le privilège d'être à la croisée des chemins de
deux civilisations, de deux visions du monde diamétralement opposées. Plus
tard, il reconnaîtra l'importance de l'influence de la culture Igbo sur sa
personnalité et son écriture.
Part of my artistic and intel1ectual inheritance
isderived from a cultural tradition 21,
Sur le plan social, le soutien des missionnaires blancs et la fonction
d'enseignant du père, conféraient à la famille de Achebe un statut de privilégié
par rapport à l'écrasante majorité des autres familles de Ogidi qui, en revanche,
étaient restées fidèles aux activités économiques traditionnelles, peu
génératrices de revenus.
Achebe:
On looking back, if 1 had an advantage, il was that my father was a
retired missionary when 1was growing up...22
En somme, en raison essentiellement du statut social de leurs
parents, Orwell et Achebe partagent une appartenance à un milieu familial plus
ou moins coupé de son environnement.
Cependant, si cette situation a dû être assez pénible pour Eric Blair et
Albert Chinualumogu, George Orwell et Chinua Achebe en ont, sans nul doute,
largement bénéficié: leur double culture a fait d'eux deux des hommes
19- Chinua Achebe; "Named for Victoria, Queen of England" (First published
in New Letiers vol 40, Kansas City, October 1973; subsequently in Morning
Yet on Creation Day) and in Hopes andImpediments selected Essays 1965-
87, Heinemann, 1988, pp. 14-26
20- Achebe: "... The line between Christian and non-Christian was much
more definite in my village forty years ago than it is today ". Idem, p. 20
21_ Achebe: "The Writer and his Community" (1984) in Hopes and
Impediments, op.cit., p. 32
22- Cité par G. D. Killarn in The Writings of Chin ua Achebe, Revised Edition,
1977,p.9

16
tolérants, plus ouverts aux autres cultures. Cette diversité a imprimé à leurs
différents écrits une certaine "universalité" qui trouve ses fondements dans le
souci permanent des auteurs de traiter des souffrances de l'homme, souffrances
engendrées, le plus souvent, par l'action négative des hommes politiques peu
soucieux du bien-être de ceux qu'ils gouvernent.
1.2. Le milieu académique et professionnel
Les institutions scolaires et universitaires fréquentées par les auteurs
d'une part, et d'autre part, leurs activités professionnelles antérieures, ont joué
un rôle plus que prépondérant dans l'émergence de Orwell et de Achebe
comme romanciers.
Dès son arrivée en Angleterre, à l'âge de huit ans, Eric Blair, le futur
George Orwell, est placé dans un internat ayant une réputation bien établie -
l'école St-Cyprian's- jusqu'à l'âge de douze ans. Cet établissement privé aura
marqué Orwell jusque dans sa chair. Son ouvrage Such, Such, Were the Joys
(1955) est centré sur ce séjour rempli d'infortunes et de vexations de toutes
sortes : punitions corporelles (il mouillait, paraît-il, son lit) ; mauvaise
alimentation, pour ne citer que ceux-là. Conséquence: très jeune, Eric devient
un rebelle, un véritable contestataire, devant la tyrannie de ses maîtres qui
avaient, assurément, une autre vision de la pédagogie.
Cependant, l'écrivain Cyril Connolly, qui fut son condisciple à St-
Cyprian's ou St-Wulfric's dans les écrits de Connolly et Crossgate dans ceux de
Orwell, en a gardé un bien meilleur souvenir: "Si-W"lfric did me a world of good
"'.. '
23. La propre soeur de Orwell, Avril Blair, confirme les propos de l'ami de son
frère.
lt has been said that Eric had an unhappy childhood.
1don't think this was the least true, although hedid
give the impression when he was growing up 24.
En dépit. de tous ces
témoignages, Orwell qui a vécu
personnellement l'expérience; a le dernier mot sur Connolly avec qui il
partageait la même école. En effet, tout reposait, à St-Cyprian's, sur une
23- Cité par George Woodcock : The Crystal Spirit: A StudyofGeorge Orwell,
First Published 1967, reprinted 1984, London, p. 161
24 -Idem

17
répartition rigoureuse de ses pensionnaires en classes sociales. Et Orwell n'était
que le fils brillant d'un fonctionnaire assez modeste et, partant, ne put accéder à
cet établissement de petits snobs qu'à la faveur d'un arrangement financier. Il
était, en quelque sorte, un cas social; ce qui constituait une autre humiliation.
D'ailleurs, Connolly, fils de riche, ne subissait point le même traitement de la
part des maîtres que celui, plus sévère, que ces derniers réservaient aux enfants
moins nantis comme Eric, qui n'avaient comme argument que leur bon niveau
scolaire. En clair, il n'est peut-être pas exagérer de dire qu'à chaque groupe
social correspondait un traitement affectif et un régime alimentaire particuliers.
L'école étant le prolongement de la société anglaise de l'époque qui était, et
demeure encore aujourd'hui, strictement hiérarchisée.
Mais, malgré les rigueurs de St-Cyprian's, Eric parvint à obtenir une
bourse d'étudespour entrer dans la prestigieuse public school de Eton où il ne
séjourna que jusqu'en 1921. D'études supérieures formelles solides, il n'en fit
point25. Ainsi, Orwell mit-il un terme à sa carrière universitaire pour embrasser
une carrière de policier en Birmanie britannique pour des raisons
essentiellement sociales et économiques.
Quant à Achebe, il fréquenta l'école de la mission chrétienne de son
village natal Ogidi et, contrairement à Orwell, fut placé dans d'excellentes
conditions affectives et matérielles: ses parents et les missionnaires expatriés
s'occupent correctement de lui. Néanmoins, il fut quelque peu victime d'une
certaine solitude à l'image de Eric d'ailleurs. Sa famille était trop mêlée à la
nouvelle religion exportée d'EUrope, religion qui commençait à menacer très
sérieusement l'équilibre pluriséculaire de la cosmogonie Igbo. A tort ou à
raison, les Achebe étaient considérés comme des pions entre les mains des
missionnaires et du colonisateur.
Le cycle élémentaire terminé, ce fut le collège de Umuahia qui
accueille Achebe jusqu'en 1948. Entré à l'Université d'Ibadan où il eut, entre
autres comme condisciples, Wole Soyinka, Cyprian Ekwensi, Gabriel Okara,
Christopher Okigbo, entre autres, il en sort en 1953 diplômé en littérature
anglaise, en théologie et en histoire religieuse. Les oeuvres dominantes au
25 - George Orwell: "... 1was educated at Eton, 1917-21, as 1had been lucky
enough to win a scholarship, but 1did no work there and learned very
little, and1don 't feel that Eton has been much offormative influence in
my life"...
Cité in Twentieth Century Authors : ~ Biographical Dictionary
ofModern Literature, edited by Stanley J. Kunitz and Howard Haycraft,
New York, 1950, p. 1058

18
programme de l'époque sont, Heart of Darkness de Joseph Conrad, Mister
Johnson de Joyce Cary et celles de Graham Greene. Ces trois auteurs vont
considérablement l'influencer sur les plans thématique et esthétique.
Ainsi, il est louable de constater que, au plan académique, beaucoup
sépare Orwell et Achebe. Si l'auteur anglais s'est arrêté au niveau secondaire,
son homologue nigérian a, par contre, acquis de très solides connaissances en
théologie, et surtout en littérature d'expression anglaise. A priori, ceci donne à
Achebe un préjugé plus favorable: ses écrits devraient être de meilleure qualité
que ceux de Orwell. Mais la valeur d'un écrivain dépend-elle exclusivement
d'un long séjour à l'université?
C'est plutôt dans le domaine professionnel que les deux auteurs se
retrouvent en parfaite harmonie. Comme déjà indiqué, Orwell servit pendant
quelques années en Birmanie comme policier, mais ne put longtemps souffrir
les exactions que ses collègues, ,imbus de leur supériorité culturelle et raciale,
faisaient subir aux autochtones, le plus clair du temps sans raison apparente.
Son essai "5hooting an Elephant" (1936) consacré à l'exécution d'un indigène dont
le crime commis ne nous a pas été livré, en témoigne largement. Aussi, décida-
t-il tout bonnement de quitter son poste pour errer en France avant de rentrer
en Angleterre où il se mit à donner des cours particuliers pour survivre. Ce fut
ensuite le Service Oriental de la B.B.C. radio lui ouvrit ses portes pendant la
Seconde Guerre Mondiale. Parallèlement, Orwell collabora à plusieurs
journaux et revues politiques et littéraires parmi lesquels The Tribune, The
Observer, The New English Weekly.
Après l'université d'Ibadan, Achebe travaille comme journaliste à la
Nigerian Broadcasting Corporation (N.B.C.). Il fut d'abord producteur avant de
devenir Directeur du Service Extérieur de la N.B.C. Il n'abandonne son poste
qu'avec l'éclatement de la guerre civile du Nigéria, communément appelée
Guerre du Biafra. Pratiquement. pour les mêmes raisons que celles invoquées
par Orwell pour justifier son départ de la B.B.C. en 1943 : tous deux en eurent
assez des méthodes peu orthodoxes utilisées par les responsables et qui
tendaient à faire jouer à la radio-télévision d'Etat un rôle de manipulateur de
consciences en période de guerre. Ce qui fera dire à Wookcock à propos de son
ami Orwell:

19
... his experience at the B.B.C. provided him with the basic raw maierial
that went into the portrayal of the Ministry of Truth and thedeoising of
the propaganda language of Newspeak in Nineteen Eighty-Four 26.
Ceci est également valable pour Achebe dont le long séjour à la N.B.C. (1954-66)
n'est pas étranger à la manière dont il a peint les médias d'Etat dans Anthills of
the Savannah et A Man of the People.
Après la Guerre du Biafra, Achebe a enseigné à l'Université
nigérianne de Nsukka à partir de 1970, puis à l'Université américaine du
Massachussetts. Ainsi, comme Orwell, il a été journaliste et enseignant. Mais
l'avantage non négligeable que l'anglais a sur lui est assurément que, de sa
carrière de policier colonial en Birmanie, Orwell a acquis une expérience des
brutalités policières, ce qui l'a beaucoup servi dans la description de la torture
dans les cellules du Minilux dans Nineieen Eighty-Four ; de même que dans la
peinture de la hargne des chiens dans Animal Farm.
D'une manière générale, Orwell et Achebe n'ont pu se départir de
leur expérience professionnelle en créant leurs personnages romanesques. En
effet, la plupart de leurs héros exercent curieusement les mêmes professions
que celles qu'ils ont chacun en ce qui le concerne, tour à tour exercées: Odili et
Nanga dans A Man of the People; Okong dans Anthills of the Savannah; Snowball
dans Animal Farm, sont des enseignants ; Ikem et Chris ; Winston,
respectivement dans Anthills et 1984, sont journalistes, et écrivains comme
Minimus dans Animal Farm.
1.3. Contexte politique et création littéraire
Les grands événements historiques et politiques qui ont marqué
l'Europe dans la première moitié du vingtième siècle: Guerre civile espagnole,
Seconde Guerre Mondiale, avènement du communisme totalitaire en Russie, en
ce qui concerne Orwell, et l'accession des nations africaines à l'indépendance, la
Guerre du Biafra, la cascade des coups d'Etat en Afrique Noire, pour Achebe,
sont au centre des quatre oeuvres à l'étude: Animal Farm, Nineteen Eighty Four,
A Man of thePeople et Anthills of the Savannah.
26 - George Woodcock, op.cit, p. 15

20
Orwell a personnellement pris part à la guerre en Espagne où il a été
grièvement blessé à la gorge aux côtés des Républicains et des Communistes,
au sein de l'entité anarchiste dénommée P.O.U.M.27 contre les fascistes dirigés
par le Général Franco. En fait, parti couvrir les hostilités en compagnie de sa
femme, le correspondant de guerre ne put résister longtemps à la tentation de
prêter main forte à ceux qu'il croyait défendre une cause noble et juste. D'autre
part, il a participé à la Deuxième Guerre Mondiale; mais simplement comme
"Home Guard", garde territorial affecté en Angleterre, parce que déclaré inapte
pour le front. Achebe, quant à lui, n'a pris part, directement, à aucune guerre;
cependant, lors de la Guerre du Biafra opposant sécessionnistes Igbo
commandés par le Général Ojukwu à la Fédératiçon du Nigéria, il prit
résolument fait et cause pour les officiers de son ethnie dont il se fit
l'ambassadeur itinérant. A ce titre, il sillonna l'Europe, l'Amérique et l'Afrique
avec ses "compatriotes", Cyprian Ekwensi, Gabriel Okara, Onuora Nzekuru,
Flora Nwapa... Achebe s'adressant en 1968 à son auditoire de Makarere
University en Ouganda:
.. Biafran writers are committed to the revolutionary struggle of their
people for justice and true independence 28.
Orwell a eu un égal engagement dans la lutte contre Hitler en s'en
prenant à tous les intellectuels de son pays qui se souciaient peu de la défense
de la patrie en péril. Son essai, "The Lion and the Unicorn " est une invite au
sursaut patriotique à l'endroit de tous les Britanniques.
Achebe, du reste, se repentira de son erreur sécessionniste plus tard.
At the end of the civil war in Nigeria (in which, you may
know, 1was on the wrong side)...29
Après l'épisode très douloureux du Biafra qui a occasionné des
millions de morts, surtout dans le camp des Igbos et l'exode massif de ceux-ci
27 - Kermode Frank :\\\\By January 1937 hewas fighting with POUM-an
anarchist unit supporting thelegal gouernmeni- in Spain~n The Oxford
Anthology of English Literature (vol lI), from 1800 to the Present, Oxford
University Press, 1973, George Orwell, p. 2140
28- C L. Innes: Cambridge Studies in African and Caribbean Literature 1 : citépar Chinua Achebe,
CU.P., 1990, p. 15
29- Chinua Achebe: "Thoughts on the African Novel" in Hopes and
lmpedimenis : selected Essays 1965-87, op.cii. p. 65

21
des autres régions nigérianes vers le Sud-Est, leur contrée d'origine, c'est à une
série de coups d'Etat militaires que le Nigéria fait face: deux en 1966; celui du
Igbo Ironsi, et le contre-coup des généraux nordistes ayant à leur tête le général
Yakubu Gowon; un en 1975 par Murtala Muhammed, assassiné en février 1976
; en 1979, retour des civils avec l'élection de l'homme d'affaires musulman
Shehu Shagari; un autre coup met fin au pouvoir du même Shagari qui venait
d'être réélu en 1983, et le dernier en date, celui de Ibrahim B. Babangida en
1985. Ces turbulences politiques, sont nées des rivalités ethniques, religieuses et
régionalistes, exacerbées par les 'luttes d'influences que se livrent les politiciens
du pays depuis la veille des indépendances. Les plus mémorables sont celles
qui ont mis aux prises le Président Namdi Azikiwe et le Premier ministre
Tafawa Balawa, les deux premiers dirigeants du pays.
Toutes ces péripéties, survenues après l'accession de la Fédération
du Nigéria à l'indépendance en 1960, ont amené Chinua Achebe à impulser une
nouvelle orientation thématique à sa production littéraire, à donner naissance,
pour ainsi dire, à sa seconde génération de romans. En effet, Things FaU Apart
(1958), Arrow of Cod (1964) et, dans une moindre mesure, No longer at Ease
(1960), avaient pour dessein majeur de révéler à la face du monde, de l'occident
en particulier, la richesse culturelle du monde négro-africain.
As far as 1am concerned the fundamental theme must first be disposed
of· This theme (...) is that African peoples did not hear of culture for the
first time from Europeans...30

Malheureusement, cette attitude optimiste qui vante comme
l'idéalisme de Senghor, mais de manière différente l'identité culturelle et la
personnalité de l'Africain, fera face à ce qu'il est convenu d'appeler "The failure .
of African lndependence". Alors, devant la montée de la dictature, de l'instabilité
politique et de la corruption sous toutes ses formes, Achebe se démarque
hardiment des politiciens qui ont conduit l'Afrique aux indépendances. La
trahison était devenue incommensurable à ses yeux:
1realized after independence that they and 1were now on different sides,
because they were not doing what we had agreed they should do. So 1
30 - Chinua Achebe: "The Role of the Writer in a New Nation", in Nigeria
Magazine, 81, 1964, p. 157

22
became a critic. l found myself on the side of the people against their
leaders -leaders this time being black peopleè)
Durant la campagne électorale de 1983, Achebe monte encore au créneau pour
pourfendre toute la classe politique nigériane et exhorter celle-ci avec
véhémence, au sursaut patriotique:
AlI those enlightening and thoughtful Nigerians who wring
their hands in daily anguish on account of our wretched performance as a
nation must bestir themselves to th.:Eatriotic action of proselytising for
decent and civilised political values ...
The trouble with Nigeria ls simply and squarely a failure of
leadership...32
Ainsi, comme le montrera la deuxième partie de cette étude, A Man
of the People et Anthills of the Savannah sont-ils tous deux centrés sur la
corruption, la violence politique, le pouvoirisme, le népotisme, qui gangrènent
le Nigéria depuis son accession à la souveraineté internationale.
Pour Orwell, l'après-Seconde Guerre Mondiale fut une source de très
grande préoccupation. Au juste, avant même la fin de celle-ci, des signes avant-
coureurs d'une extrême gravité annonçaient déjà la forte possibilité de
l'émergence, en Angleterre même, d'un pouvoir totalitaire à l'image de celui de
Hitler qui a entraîné l'humanité dans la confrontation la plus meurtrière de son
histoire: restriction de la Liberté de la Presse, accompagnée d'arrestations et de
condamnations arbitraires de vendeurs de journaux, notamment de l'organe
War Commentary, pour... entrave à la circulation; intolérance manifeste à l'égard
des minorités idéologiques comme les anarchistes qui appelaient de tous leurs
voeux une victoire allemande sur les Alliées et l'Angleterre, les Pacifistes
opposés à la poursuite ruineuse de la guerre, et les Communistes qui
soutenaient plutôt Moscou.
En plus, son séjour en Espagne aux côtés des Communistes aura
profondément déçu et marqué Orwell.
31 - Chin ua Achebe: Interwiew with Achebe by Bernth Lindfors,"Achebe
on Commitment and African Writers", Africa Report, Washington OC, 3 (March 1970), pp.
16-8.
32 - Chin ua Achebe :The Trouble With Nigeria (1983)cité par C.L.Innes,
op. cit., p. 118.

23
En effet, ceux-ci se livraient, dans les zones sous leur contrôle, à des
agissements anti-démocratiques que rien, pratiquement rien, ne différenciait de
ceux des fascistes. De même, les nouvelles alarmantes qui lui parvenaient de la
Russie par l'intermédiaire de la presse et de témoignages dignes de foi:
épurations sanglantes, viols organisés, intolérance idéologique, déification de
Staline..., finirent par convaincre Orwell que:
Almost certainly we.are moving into an age of totalitarian dictatoship
-an age in which freedom of thought will be at first a deadly sin and later
on a meaningless abstraction 33.

Touts ces faits sociaux et politiques graves, vécus de près ou de loin
par Orwell, sont au coeur de ses deux ouvrages à l'étude, Animal Farm et
Nineteen Eighty-Four.
(...) The writing of Nineteen Eighty-Four was a kind of cathartic
process, a purging of ail the apprehensions that had been haunting
[ Orwell] unendurably for many years 34.
lt is a mistake to consider Animal Farm as limited to being just a satire
on communism. Animalism would now be interchangeable with a whole
range of "isms" : fascism, socialism, conservatism...3S.
Ainsi donc, Achebe et Orwell, dans les quatre romans A man of the
People, Anthillsof the Savannah, Animal Farm et Nineteen Eighty-Four, réagissent à
des situations assez similaires: l'émergence de la dictature, respectivement, en
Afrique, notamment au Nigéria, et en Europe, principalement en Angleterre,
avec son cortège de violence et de corrupution morale.
Cette influence
remarquable que l'écrivain subit de son environnement socio-politique n'a
point échappé à Orwell:
[The umter'si subject matter will be determined by the
age helives in -at least 36.
33 - George Orwell, "Inside the Whale" (1940) cité par George Woodcock,
op. cit., p. XII
34 - Woodcock, Idem, p. 55
.
35 - John Mahoney : Guide ta Animal Farm, Charles Letts and Co Ltd,
London, 1987, p. 11
36 - George Orwell: "Why I Write" in Decline of the English Murderand Other
Essays, op.cii., p. 182

24
Ni àRenan d'ailleurs qui soutient:
La beauté d'une oeuvre ne doit jamais être envisagée abstraitement et
indépendamment du milieu où elle est niQ •
37.
Le critique marxiste George Lukàcs38 va d'ailleurs plus loin. Pour lui,
l'imagination occupe une place f~)ft négligeable dans la création littéraire. Toute
oeuvre littéraire n'est et ne doit être perçue que comme une représentation
fidèle du réel; ce réel étant exclusivement la lutte âpre, sans quartier, que se
livrent, perpétuellement, les forces capitalistes, rétrogrades, conservatrices,
d'un côté, et les forces de progrès qui cherchent à assurer à l'humanité exploitée
de meilleures conditions d'existence sur terre. D'où la réduction de son
approche descriptive à la méthode matérialiste d'analyse des conflits sociaux.
Mais est-il seulement possible d'envisager une oeuvre romanesque
qui ne serait qu'un simple conglomérat de faits socio-politiques palpables, sans
la moindre dose d'imagination? Une telle oeuvre, convenons-en, aurait pour
créateur, non un romancier, mais bien plutôt un simple historien chroniqueur.
Alors, l'oeuvre de Orwell et celle de Achebe doivent-elles être
abordées de façon prudente: bien qu'ayant leurs racines respectivement dans
les réalités européennes et africaines ci-dessus mentionnées, toutes leurs
branches ne partent pas d'un même et unique tronc. En effet, comme le dit si
bien Riffaterre :
Même la description la plus naturelle n'est pas un simple énoncé des
faits ; elle se présente comme un objet esthétique aux connotations
affectives39

En un mot, le roman doit nécessairement comporter au moins deux
types de narration: la narration empirique articulée autour de faits historiques
ou autobiographiques et la narration fictive sous-tendue par des faits qui, bien
que n'ayant pas une existence réelle, n'en demeurent pas moins vraisemblables.
37 - E. Renan, cité par A. Chassang in Les Textes Littéraires Généraux,
Hachette, Paris, 1958, p. 470
38 - George Lukàcs : La signification présente du réalisme critique, Trad. de
l'allemand par M. de Grandillac, Paris, Gallimard, 1960
39 - Michael Riffaterre : "L'illusion référentielle" in Littérature et Réalité,
Gérard Genette, Editions du Seuil, Paris, 1982, p. 91
Le troisième type de narration, la narration mythique, s'appuie sur des faits peu à la portée de
l'être humain et est surtout utilisée dans des genres comme la "Science Fiction", le conte de
fée etc...

25
CHAPITRE DEUXIEME : LES PREMIERES IMAGES
LITTERAIRES DES AUTEURS
Les premiers. écrits d'un auteur, quelle qu'en soit la nature, donnent
en général, un éclairage qui permet au critique littéraire de mieux saisir la
signification réelle de ses oeuvres majeures comme le roman.
Alors, à travers les premières publications de Orwell et celles de
Achebe, nous tenterons de cerner leurs idées sociales et politiques, ainsi que les
rôles qu'ils entendent faire jouer à l'art d'une manière générale et à la littérature
en particulier. En termes plus clairs, nous tenterons d'apporter des réponses à
la question suivante: les auteurs sont-ils des partisans déclarés de l'art pour
l'art; de l'art au service de l'individu comme le fut le roman à ses débuts ou
plutôt, de l'art au service de la communauté, de la société toute entière?
11.1. Nature et contenu thématique
Les premières productions littéraires de Orwell et de Achebe
touchent presque tous les genres littéraires: essais littéraires, polémiques ou
politiques; articles de journaux; lettres à des amis, à des éditeurs et à des
personnalités intellectuelles; poésie; romans. Elles embrassent des thèmes très
variés dont la plupart sont repris et développés dans les oeuvres à l'étude.
Achebe a commencé à écrire très jeune dans la revue des étudiants
de l'Université d'Ibadan, le University Herald. Un de ses premiers écrits, un essai
très polémique intitulé "Argument Against the Existence of Faculties" est un
véritable cri de révolte contre sa réorientation humiliante de la Faculté de
Médecine à la Faculté des Lettres, décidée par les autorités académiques:
Why should one not obtain a degree in religious studies, applied
mathematics and gynecology if he wishes to do 50 ? The reason is simple.
We live in an age that is in love with tags and labels 40.
Le ton volontairement sarcastique et polémique de cet essai -écrit
alors qu'il était à peine âgé de 21 ans- ne quittera jamais Achebe. Il est présent
dans la plupart de ses essais suivants, de même que dans ses oeuvres majeures.
40 - Chinua Achebe: in University Herald (vol.IV) n" Match-April, 1951,
pp. 12-3; cité par Thomas Mélone : Chin ua Achebe et la Tragédie de
l'Histoire, Présence Africaine, Paris, 1973, p. 38

26
En effet, ultérieurement, Achebe s'est battu de toutes ses forces intellectuelles et
morales contre le complexe de supériorité raciale et culturelle que traîne
l'homme blanc depuis la nuit des temps vis-à-vis des autres races, notamment
de la race noire.
"The African is indeed my brother, but my junior brother" 41.
Le combat de l'auteur nigérian est d'ailleurs double car non
seulement il doit affronter la désinvolture du blanc dominateur, mais
également, et surtout, la résignation coupable de l'homme noir qui a avalé la
pilule. C'est pour cela que Achebe s'assigne le devoir
de "décomplexer"
l'Africain, de l'amener à lever haut la tête pour regarder l'homme blanc dans les
yeux et lui dire, avec fierté: [I] didn't hear ofcioilization for thefirst time from [you]
42.
... 1would be quite satisfied if my novels (...) did no more than teach my
readers that their past -with ils imperfections- was not one long night of
savagery...43
Ce thème de la revalorisation, par le truchement de l'histoire, de la
dignité nègre bafouée par des siècles de domination blanche, est central dans
tous les écrits de Achebe consacrés à la période coloniale, Things Fall Apart et
Arrow of God, que nous désignons sous le nom de "première génération
d'écriture" .
La colonisation et les souffrances qui l'ont accompagnée ont aussi
attiré l'attention de Orwell qui, dès 1942, dans son essai politico-littéraire
"Rudyard Kipling" (1942), s'est vivement élevé contre le célèbre auteur anglais
pour les louanges chauvines dont il a couvert l'impérialisme britannique.
Kipling is a jingo imperialist, he is morally insensiiiue and aesthetically
disgusting 44.
41 - Albert Schweitzer: cité par Chinua Achebe "Colonialist Criticism"
in Hopes and Impediments ; op.cit., p. 46
42 - Chinua Achebe: "The Novelist as Teacher" in Hopes and Impediments ...,
op. cit., p. 30
43 - Ibidem
44- George Orwell: Decline of the English Murder and Other Essays, op.cit., pp. 45-6

27
Dans "A Hanging" (1931) où Orwell relate, de façon pathétique, la pendaison
d'un Birman par la police coloniale, "The Indian Imperial Police", pour des
raisons non élucidées, nous constatons à quel point l'auteur condamne,
implicitement, la violence aveugle dont furent victimes les peuples de toutes les
colonies.
1watched a man hanged oncet..)It seemed to meworse
than a thousand murders 45.
Ces peuples, Orwell fut un des très rares intellectuels européens à les
hisser au même niveau d'humanité que les peuples blancs d'Europe et
d'Amérique. Pour illustrer notre propos, regardons à la loupe cet extrait de la
lettre qu'il envoya à la Duchess of Antholl (1874-1960fde la "League of European
Freedom", une association qui dénonçait avec une rare détermination les
violations des Droits de l'Homme en Europe de l'Est, alors sous occupation
russe tout en fermant curieusement les yeux sur le sort des peuples colonisés.
..1 cannot associate myself with an essentially Conservative body which
daims to defend democracy in Europe but has nothing to say about
British Imperialism. Il seems to me that one can only denounce the
crimes now being committed in Poland, Yugoslavia, etc if one is equally
insistant on ending British unwanted rule in India 46.
C'est justement l'acceptation, sans condition, de cette stricte égalité
entre peuples, noir, blanc et jaune, que Achebe cherche depuis toujours à
incruster dans l'esprit de beaucoup de blancs par trop condescendants. Deux de
leurs porte-étendard, Philip M. Allen et John Buchan, affirment avec fatuité
dans Prester John:
"That is the difference between white and black, the gift of
responsibility"
47.
45 - George Orwell cité par Woodcock, op. cit., p. 66
46 - George Orwell: "Letters to the Duchess of Antholl" in The Collected Essays, ]ournalism and
Letters of George Orwell, ed. by Ian Angus, Sonia Orwell, vol IV, 1945-50, Penguin Books,
1986, p. 49
.. Elle fut député syndicaliste de 1923 à '1938 et devint, en 1924, l'une des deux premières
femmes ministres du Royaume Uni. A cause de sa farouche opposition à Franco, elle fut
surnommée "The Red Duchess".
47 - Philip M. Allen & John Buchan, cités par Achebe in Hopes Impediments,
op.cii., p. 53

28
De tels intellectuels, s'ils se livrent à la critique littéraire, ne peuvent
point reconnaître la moindre autorité à la production romanesque africaine
-encore moins aux critiques Africains. Dans une tentative de ruiner le crédit de
Arrow of God,l'Américain Mr. Christ, un anonyme, déclare:
Perhaps no Nigerian at the present state of his culture and ours
can tell us what we need to know about that country, in a way that is
available to our understanding... in the way W.H.Hudson made South
Africa real to us, or T.E. Lawrence brought Arabia to life 48.
Achebe polémique, refuse de reconnaître à ces critiques littéraires tout droit
d'évaluer la littérature africaine qui, comme l'indique bien son nom, doit en
priorité s'occuper de réalités socio-politiques, culturelles, psychologiques...
typiquement africaines et ne saurait être comprise et interprétée avec bonheur,
que par les africains eux-mêmes et à la. rigueur, par tout autre critique,
asiatique, européen, américain, aux vues moins étriquées que celles des tenants
du "Colonialist criticism". Or, cette catégorie, constate Achebe, est extrêmement
rare.
Because of the myths created by the white man to dehumanize
the Negro in the course of the last four hundred years -myths which have
yielded perhaps psychological, certainly, economie comfort to Europe- the
white man has been talking
(...) to a dumb beast. In the words of Steve
Biko during his last trial in the white, Christian and Western outpost of
South Africa : "The integration so achieved isa one-way course, with the
whites doing ail the talking and the blacks listenini'49.
Il convient de remarquer que dans presque tous ses romans, y
compris Anthills of the savannah et A Man of the People, Achebe, par ses
personnages africains interposés, se moque allègrement des expatriés
américains et européens qui, par ignorance, interprètent, de façon scandaleuse,
les attitudes et gestes des Africains.
Sur un autre plan qui justifie le rapprochement des deux auteurs,
Orwell et Achebe ont mis l'accent sur un thème qui sera central dans les
48 - Cité par C. Achebe in "Impediments to Dialogue Between North and
South"Hopes and Impediments op.cit., p.17.
49 - Chinua Achebe: "Impediments to Dialogue Between North and South"
in Hopes and Impediments, op.cii., pp. 15-6

29
oeuvres à l'étude. : la politique et son exercice par l'Homme. En 1940 déjà,
Orwell, dans son essai "Inside the Whale", lançait le cri d'alarme face à la
montée de la tyrannie en Angleterre sous le règne des travaillistes, et cinq
années plus tard, il critiquait sévèrement le socialisme à la soviétique et toutes
les révolutions dites populaires en général.
Throughout history, one revolution after another -although
usually producing a temporary relief, such as a sick man gets by turning
over in his bed -has sîmply led to a change of masters, because no serious
effort has been made to eliminate the power instinct 50.
La même année, Orwell s'en prit à l'intolérance du pouvoir britannique et de
certains intellectuels anglais.
The opinion that certain opinions cannot be safely allowed
a hearing is growing 51.
Le thème de la politique apparaît également très tôt chez Achebe.
"The Voter", écrit en 1965, est centré sur les élections nigérianes de 1965-1966
qui seront reprises dans A Man of the People où l'accent est mis sur la fraude à
grande échelle et sur la violence, qui ont effectivement émaillé lesdites
élections. Puis en 1983, avant d'écrire son dernier roman quatre années plus
tard, en l'occurrence, Anthillsof the Savannah, Achebe fustigeait, sans réserve, les
leaders nigérians pour leur incapacité à mettre en oeuvre des institutions
fondées sur une morale politique exempte de tout reproche.
The Nigerian problem is the unoillingness, or inability of ils
leaders to rise to the responsibility, to the challenge of personal example
which are the hallmark of true leadership 52.
Les écrits mineurs des auteurs sont très nombreux et ne sauraient
être tous compris dans cette section qui, pour des raisons de pertinence, se
veut volontairement brève. Aussi, nous sommes-nous contenté de quelques-
uns des plus significatifs pour étayer notre propos. En somme, ces articles,
lettres et essais pour la plupart, abordent déjà, mais de manière plus restreinte,
~o -Orwell: "Catastrophic Gradualisni, in Ian Angus and Sonia Orwell,
op.ciï, p. 36
51 - Orwell: "Freedom of the Park", Idem, p. 60
52 - Achebe: The Trouble With Nigeria, cité par CL. Innes, op.cit, p. 118

30
les thèmes majeurs que sont le totalitarisme, le respect de la dignité humaine, le
rôle de l'écrivain..., qui seront, comme notre étude va s'attacher à le démontrer,
au coeur des oeuvres à l'étude, notamment Animal Farm, Nineteen Eighty-Four, A
Man of the People, et Anthills of the Savannah. C'est dire, en d'autres termes, que
ces romans livreront au lecteur une vue macroscopique de la thématique déjà
esquissée par les auteurs dans leurs écrits précédents.
1-2. Les idées sociales et politiques des auteurs
Les idées sociales et politiques principales d'un auteur donné sont
essentielles pour pénétrer l'oeuvre de celui-ci. En effet, elles constituent le
noyau autour duquel s'agrègent les différentes parties de son expérience, noyau
qui leur confère leur homogénéité, leur "totalité".
Orwell et Achebe sont des humanistes confirmés qui ont très tôt
choisi leur camp dans la confrontation entre les dictateurs, les capitalistes, les
bourgeois, en un mot, les opportunistes et oppresseurs d'un côté, et les masses
populaires, éternelles opprimées, de l'autre.
Orwell:
...When 1 see an actual flesh -and- blood worker in conflict with his
natural enemy, the policeman, 1do not have to ask myselfwhich side 1am
on 53.
Ainsi Orwell prend-HIe parti assez nettement en faveur de l'ouvrier, le laissé
pour compte de la société capitaliste, dans l'éternel combat que ~e dernier livre
au policier, le défendeur zélé de la classe des exploiteurs.
Achebe, quant à lui, se fait le défendeur des pauvres paysans, petits marchands
ambulants et autres mendiants, qui ploient sous le poids du système politique
nigérian, inefficace et corrompu.
... The peasant scratching out a living in the deteriorating rural
enuironment, the petty trader with aIl his wares on his head, the beggar
under the fly-over and millions and millions that you cannoi even
53 - George Orwell: Hommage to Catalonia, cité par George Wookcock,
op. cit., p. 17

31
categorize... These are the real victims of our callous system, the
wretched of the earth ... They drink bad water and suifer from aIl kinds of
preventable diseases54.
Tous deux stigmatisent ainsi l'attitude des intellectuels qui ne jouent
. pas toujours honnêtement le jeu face à la tyrannie, s'ils ne se dérobent tout
bonnement. Achebe ne peut comprendre la démission coupable de
l'intelligentsia nigériane devant la corruption, la mauvaise gestion des affaires
publiques et
la violence qui. minent son pays depuis la veille de
l'indépendance, comme abordé dans la section précédente de ce travail. Quant
à Orwell, il est choqué par le manque de principes de certains intellectuels
britanniques qui ne se battent, en réalité, que pour leurs propres intérêts: pas
pour des principes.
The opinion that certain opinions cannot safely be allowed a
hearing is growing. lt is given currency by intellectuals who confuse the
issue by not distinguishing between democratie opposition and open
rebellion, and it is reflected in our growing indifference to tyranny and
injustice abroad. And even those who declare themselves to be in favour
of freedom of opinion generally drop their daim when it is their own
adversaries who are being persecuted 55.
Orwell fait allusion ici à la chasse aux sorcières lancée contre les
Anarchistes, les Communistes et les Pacifistes, chasse ouvertement soutenue
par certains intellectuels, même de gauche. A ces intellectuels dont l'honnêteté
est des plus douteuses, il montra la voie royale à suivre en défendant, sans
équivoque, un leader anarchiste auquel il était pourtant farouchement opposé.
Ainsi, avec quelques amis et intellectuels de gauche sincères comme E.M.
Forster, T.s. Eliot, Bertrand Russell, Cyril Connolly, Herbert Reed, Henry
Moore ..., Orwell mit sur pied, en 1945, un comité de défense des victimes de
l'intolérance naissante au plus haut niveau de l'Etat britannique: le Freedom
Defence Committee dont il fut le vice-président. Ce qui fera dire à son ami
George Wookcock :
54 - Chinua Achebe The Trouble With Nigeria cité par C. L. Innes,
op.cii, p.119
55 - George Orwell: "Freedom of the Park", in lan Angus, Sonia Orwell,
op. cit., p. 60

32
Orwell's natural place was among the English radical
dissenters, thefighters for rights, the defenders of minorities, the people
whose anger over injustices went beyong partisan boundariesé«
1 have always believed...that what Orwell wrote is less important than
what hewas.
...Others have taken the view that Orwell's ideas -his world-perspective-
were far more important than anything else about him 57.
L'humanisme et l'honnêteté intellectuelle de Orwell, ont fait
l'admiration de tous et lui ont procuré de la part de ses contemporains plus de
considération que n'a pu le faire, à elle seule, son oeuvre littéraire. Cette
dernière est généralement perçue par la critique, à tort ou à raison, comme un
poids très moyen, pour ainsi dire, face au super-lourd que fut sa valeur
intrinsèque d'humaniste. L'homme fut incapable d'éprouver de la haine, même
pour l'un des plus atroces dictateurs de notre siècle: Adolf Hitler.
1have never been able to dislike Hitler 58
Bien au contraire, Orwell éprouva de la pitié pour son infortuné prochain,
victime de ce que Thomas Melone appelle la "roue de l'histoire".
Onefeels, as with Napoleon, that he is fighting against
destiny and that he can't win 59.
Si Achebe écrivain est célébré de par le monde, il le doit surtout à sa
valeur intrinsèque d'écrivain. En effet, il est peut-être le premier écrivain
africain à avoir fait l'unanimité autour de sa maîtrise remarquable de l'art
d'écrire, non seulement d'écrire, mais d'écrire "africain". Il est d'ailleurs peut-
être le premier romancier connu de toute l'histoire de la littérature à avoir
réussi, avec maestria, l'introduction de l'anthropologie, de la sociologie, de
l'histoire, de la politique...dans le roman. A ce titre, Achebe a incontestablement
apporté une innovation de taille dans l'écriture romanesque. Le professeur 5.0.
Mezu dira de lui, à juste raison, que:
56 - George Woodcock, op.cit. p.22.
57_ Idem, p.229.
58_ George Orwell: In New English Weekly cité par George Woodcock,
Idem, p.52.
59_ George Orwell: in New English Weekly cité par George Woodcock, op. cit p. 52.

33
Achebe est un"promontoire sur un récif de corail""60.
Mais en vérité, quant au fond, ses solides qualités littéraires cachent
un humanisme et une honnêteté intellectuelle qui le rapprochent beaucoup de
Orwell. En réalité, c'est par pur humanisme- même si la critique autorisée
africaine et occidentale ne l'a jamais dit de façon nette et claire- que Achebe a
choisi d'amorcer un grand virage pour donner à son oeuvre une nouvelle
orientation. Celle-ci, sans ménagementmet, met au pilori l'Afrique et les
Africains, que l'auteur nigérian a commencé pourtant à .défendre- sans
chauvinisme: la nuance est d'importances! dans sa première génération
d'écriture. Si Achebe a fait ce choix douloureux, c'est parce qu'il a jugé,
objectivement, qu'il était plus responsable,
plus honnête, et partant plus
opportun, mais aussi plus aisé, de défendre le petit peuple africain face à ses
nouveaux oppresseurs que sont les dictateurs africains plutôt que de continuer

à faire le procès du blanc et à vanter l'identité culturelle africaine. D'autant plus,
d'ailleurs, que, sur ce front précis, il avait déja obtenu quelques résultats assez
probants.
D'autre part, la démarcation par Achebe de la vie politique active
nigériane, ou plutôt la neutralité politique observée depuis 1970, n'a été
interrompu qu'en 1983 pour travailler, non avec un leader de son ethnie, mais
bien avec un musulman du Nord, Alhaji Aminu Kano, chef du People's
Redemption Party(P.R.P), parti socialiste Il a été attiré vers cette formation
politique par son sens patriotique unanimement reconnu. Cette attitude se
justifie largement par le souci de l'écrivain de ne pas cautionner la sale
politique et la corruption qui étouffent son pays.
Within six years of independence, Nigeria was a cesspool
ofcorruption and misrule 62.
Cette particularité fait de Achebe un inteliectuel à part, qui n'affiche point
ouvertement une adhésion inconditionnelle à quelque idéologie que ce soit,
60_ s.a. Mezu : Journal ofNigerian Students in America, 1965, cité par T.
MeJone, op.cit, p.7.
6LChinua Achebe ".../t is noconcern offiction to please people about whom
it is written in an image of Africa : Racism in Conrad's Heart of
Darkness{l975) Hopes and Irnpedirnents op.cit, p.lO.--
61_Chin ua Achebe: Morning Yet On Creation Day, op.cit, p.82.

34
même si tout laisse croire qu'il est partisan d'un socialisme qui fait du
matérialisme scientifique non un dogme, mais tout simplement un instrument
au service du développement; un développement lui-même au service de
l'homme. Ce socialisme, Achebe veut qu'il repose sur un socle typiquement
africain, comme la révolution qu'il va engendrer, du reste .
...A revolution that aims towards true independence, that
moves toward thecreation of modern states in place of the newcolonial
enclaves we have today,a revolution that is informed with African
ideologies 63.
Orwell est resté lui, toute sa vie durant, un personnage énigmatique.
Ouvertement, par ses activités au sein d'organisations de gauche telles que le
Freedom Defence Committee, il fut un homme de la gauche "révolutionnaire". 64
Mais ceci n'en fit pas pourtant un homme totalement coupé du conservatisme
britannique dont il admirait certaines vertus remarquables et hautement
humaines comme la décence et le sens patriotique, entre autres vertus dont la
personnalité profonde de l'auteur anglais était fortement imprégnée. En outre,
Orwell avait quelque sympathie, mesurée il est vrai, pour le mouvement
anarchiste animé par Bakounine et le Parti Travailliste dont il fut p'm~ant un
court laps de temps, membre. Il quitta ce parti parce que ce dernier lui semblait
frileux face à l'expansionisme de Hitler, mais aussi parce que pour lui, l'écrivain
doit garder une certaine neutralité par rapport aux partis politiques. Ce que
Achebettéussi à faire dans le tumultueux contexte négérian.
"
.
En clair, toutes les grandes tendances idéologiques et sociales de
son époque avaient chacune, pour l'essenciel, envahi une parcelle de l'esprit de
cet intellectuel; mais aucune d'entre elles n'a jamais réussi à s'en emparer
totalement. De sorte qu'on peut dire que Orwell fut en quelque sorte la somme
de toutes les idées de la première moitié du vingtième siècle.
63- Chin ua Achebe: Interview with Achebe by Bernth Lindfors, "Achebe on
Commitment and African writers": Africa Report, op.cit. pp.16-18.
64- Orwell: "1 was for a while a member of the Independent Labour Party, but 1left them at the
beginning of the present war because 1 considered that they were talking nonsense and
proposing a line of policy that cou Id only make things easier for Hitler... 1believe that a
writer can remain honest only if he keeps free of party labels,lin Stanley J. Kunitz, op.cii, p.
1059

35
...The real conflict in Orwell is always betuieen the half-
Tory, halfSocialist, good citizen and the Anarchist even
suspicious that the good citizen may be trying to put
someihing over on him...65
Et si véritablement une chose le passionnait au point de le mettre hors de lui-
même, c'était sans nul doute la défense des libertés et de la dignité de l'homme.
Comme Achebe, Orwell est un socialiste à sa manière.
ln his oum way, hewas a man of the Left, but heattacked
its holy images asfervently as he did those of the Right 66.
En effet, malgré le statut de temple sacré qu'avait, aux yeux de tout
adepte de la théorie sociale marxiste, le régime "socialiste" mais totalitaire de
Staline, Orwell n'hésita point à en faire l'une des cibles privilégiées de ses
diatribes. A cause du non-respect par lui des Droits de l'Homme.
ln the nameof Socialism the Russian regime has
committed almost every crime that can be imagined 67•
.Cela fait certainement de l'éc~ivain et 'humaniste anglais le précurseur-
incompris- de la Perestroika, comme le suggère, dans une toute récente étude
consacrée à The Road to Wigan PierL Théodore BOUABRE 68.
Pour résumer, Orwell et Achebe partagent (équitablement ?) un
humanisme, une honnêteté intellectuelle et morale, qu'il est difficile de
rencontrer chez bon nombre de leurs contemporains. Ces qualités humaines
remarquables font d'eux des écrivains moralistes dont presque chaque passage, .
voire chaque ligne de leurs oeuvres, ambitionne de replacer l'Homme sur la
voie royale de la tolérance et de la mesure.
65_ George Woodcock, op.cit., p.114.
66_ Idem, p.ll.
67_ George Orwell, Cité par Ian Angus,·op.cil., p.33.
68 - Théodore Bouabre : "Les pauvres, un défi pour le socialisme: une étude de
The Road to Wigan Pier", in Bridges: A Senegalise Journal of English
Siudies, N° 4 Spécial ( Literature and the Dispossessed ), Institut Sénégalo-
Britannique, Publifan, Dakar, Dec. 1992, pp.57-67.

36
2.3. Conception de l'Art et de la Littérature.
La dernière section de cette partie se propose de mener le lecteur à la
substance des oeuvres à l'étude. Elle est axée sur la conception que Orwell et
Achebe ont de l'art en général, et de la littérature en particulier.
Comme nous venons de le dire dans la section qui précède, les deux
auteurs sont loin d'être des partisans de l'art pour l'art.
1will still insist that art is,and was always, in the service of man 69.
Tous les deux ont des préoccupations sociales qui leur tiennent à coeur, et qu'ils
cherchent à communiquer à leurs lecteurs afin que ces derniers en fassent leurs.
En clair, le rôle premier qu'ils assignent à la littérature est celui d'une courroie
de transmission de leur message respectif, d'un témoin, à leurs contemporains,
à leurs compatriotes d'abord.
My starting point is always a feeling of pariisanship, a sense of injustice.
When 1sit down to write a book, 1do
not say to myself, " 1 am going to produce a work of art". 1 write it
because there is some lie that 1want to expose, some fact to which 1want
to draw attention, and my initial concern is to get a hearing 70.
Achebe ne dit pas autre chose quand il écrit :
...1would be quite satisfied if my novels (...J did no more than teach my
readers that their past-with its imperfections- was not one long night of
savagery 71.
Ici Achebe fait allusion à ses premiers écrits romanesques, Things Fall Apart et
Arrow Of God, mais il pourrait aisément réactualiser son propos en substituant
au groupe complément "their past..." un autre commençant par... "their
present "
....
69 - Chin ua Achebe: "Africa and Her Writers" cité par G.D.KilIam in Studies
in African Liieraiure : The writingsof Chinua Achebe ( First Published
"1969) Revised Ed. 1977/ Heinemann, London, 1977/ p.VIII.
70- George Orwell: "Why 1 Write" in Decline of the English Murder
and oiher Essays, op.cit., p.186.
71 - Chinua Achebe: Hopes and lmpedimenis, op.cit., p.30.

37
Tous deux se veulent des moralistes, donc des éducateurs, des
informateurs, des éveilleurs de consciences. D'ailleurs Achebe ne s'en cache pas
: il affirme nettement dans un entretien avec Donatus Nwoga en 1964, à l'issue
d'une conférence tenue à l'Université de Leeds:
... 1ihink we might be neglecting our proper [unction if we take
anythingfor granted insiead of thinking what exactly is oursociety, what
are its needs, what can l do, what can 1 con tribu te ; this is what 1 was
trying to get at, and l think we have a very important [unction. In this
paper l saw my role, this is only one of the uiriter, as a teacher 72:.
Ce souci majeur de 'voir leurs messages parvenir à bon port, a
conduit Orwell et Achebe à opter, de façon résolue, pour la simplicité -la clarté
plutôt- de l'écriture romanesque. En effet, l'écrivain, qui ne veut pas courir le
risque d'être mal compris, doit éviter de plonger ses lecteurs dans des
labyrinthes linguistiques comme le font les politiciens. Sa prose doit être aussi
limpide que de l'eau de roche..., ou pour employer une autre métaphore, "like a
uiindotu-pane " 73.
Orwell :
If you simplify your English, yourare freed from the worst follies of
orthodoxy 74.
Orwell s'est toujours préocccupé de l'usage malsain que certaines personnes
malintentionnées font de la langue. Et c'est Achebe qui, dans ce que je
considère comme son unique allusion à Orwell, nous rappelle l'avertissement
de l'auteur anglais dans son essai "Language and the Destiny of Man" qui porte
incontestablement la marque de l'essai de Orwell intitulé "Polititics and the
English Language".
72- Chinua Achebe: Interwieved by Donatus Nwoga,1964, in African Writers
Talking in Studies in African Literature, Edited by Dennis Duerden and
Cosmo Pieterse, Heinemann, London, 1972, p.7.
73 - " Prose like a Window-Pane", essai consacré par G. Woodcock au style de
G. Orwell in The Crystal Spirit... op.cit., p.229.
74 - George Orwell cité par Woodcock, Idem, p.263.

38
Achebe:
ft has long been known that language, like any other human
inventions, can be abused, can be turned from ils original purpose into
something useless or even deadly. George Orwell who was very much
concerned in his writings with this modern menace, reminds us that
language can be used not only for expressing thought but for concealing
thought oreven preventing thought 75.
Mais accorder la primauté au message et à la clarté, ne signifie pas
automatiquement que Orwell et Achebe ne confèrent nullement à la forme, à
l'esthétique, la place qui lui revient de droit dans toute création artistique digne
de ce nom. Il s'est tout simplement posé aux auteurs un problème de choix
qu'ils ont résolu. WHAT 1S ABOVE ALL needed is to let the meaning choose the
word 76. Cependant, priorité ne veut point dire négligence de l'autre partie. Bien
au contraire... En réalité, malgré leur choix clair en faveur du fond, les deux
auteurs conçoivent difficilement son existence réelle sans la forme qui lui donne
toute la sève nourricière dont il a besoin .
... 1 could not do the work of writing a book, or even a long
magazine article, if it were not also an aesthetic experience 77.
Art must interpret ail human experience...78
Au vu du rôle qu'ils se proposent de faire jouer à la littérature,
Orwell et Achebe la mettent clairement au service de la communauté, donc
abordent forcément, des thèmes qui dépassent le cadre étroit des individus, des
personnages pris isolément. Ce faisant, ils transgressent ce que les critiques
conservateurs ou dogmatiques appellent les normes intangibles du roman.
Pour ces derniers, une oeuvre romanesque digne de ce nom doit
nécessairement contenir les caractéristiques suivantes: l'université, le divorce
d'avec la politique, la prépondérance du formalisme sur les préoccupations
sociales .... C'est justement sur cette conception réactionnaire de la littérature
romanesque que s'est appuyé un critique anonyme pour dénier toute
75 - Chinua Achebe: "Language and the Destiny of Man" (1972) in Hopes and
Impediments ..., op. cii., p. 91
76 - George Orwell: "Poli tics and the English Language" cité par Woodcock,
op. cit., p. 263
77 - George Orwell: "Why 1 write", Ibidem
78- Chinua Achebe: "The Igbo World and its Art" in Hopes and Impediments,
op. cit., p. 44

39
considération, toute valeur au roman africain qui, en général, se soucie peu des
normes édictées par la critique euro-centriste:
(...) too much on society and not sufficiently on indiuidual
characters; that failing to create "true" aesthetic proportions 79.
Mais Achebe lui a porté, avec intelligence, la réplique:
1uxmdered tohen this truth became so self-evident and
who decided that this one should apply to black literature
as weIl 80.
1have no doubt at aIl about the existence of the African
novel 81•
En fait, ce que la critique occidentale conservatrice entend par "universality" • ne
trompe personne; pas Achebe en tout cas:
1should like to see the word "uniuersal" banned altogether from
discussions of African literature until such a time as people cease to use
it as a synonym for the narroui, self-serving parochialism of Europe,
uniil their horizon extends to include aIl the world 82,
Par rapport à cette question, Orwell et Achebe parlent exactement le
même language. En réalité, bien avant l'auteur nigérian, l'anglais avait déjà
rejeté la théorie littéraire conservatrice.
[There are] no rules in novel-writing 83.
79- Cité par C. L. Innes in Chinua Achebe, op. cit., p. 103
80 - Chinua Achebe cité par C. L. Innes, Ibidem
81 _Chinua Achebe: "Thoughts on the African Novel" in Hopes and
lmpedimenis..., op. cit., p. 67
.. Parlant du livre de Lenrie Peters The Second Round, Charles Larson dit que c'est un roman
universel parce que si on remplaçait les noms des personnages par des noms italiens,
français, américains, l'histoire pourrait se dérouler en Italie, en France, aux Etats-Unis.
Larson tombe dans le piège de "l'universalité" et se pose brusquement cette question: "Or
am1deluding myselfin considering theword uniuersal ? Maybe what 1really mean is theSecond
Round
is toa great degree Western and therefore scarcely African at ail. The Emergence of African
Fiction,
Indiana Univ. Press, 1971,cité par Achebe in "Colonialist Criticism", H.I. op. cit., p.
238
82 - Chinua Achebe: "Colonialist Criticism" in Hopes andlmpediments...,
op.cii., p. 52
83 - George Orwell: "Charles Dickens" cité par Woodcock, op. cit., 236

40
1 often have the feeling that even at the best of times literary criticism is
fraudulent, since in the absence of any accepted standards... every
literary judgement consists in trumping up a set of rules to justify an
instinctive preference 84.
La première sentence lapidaire de Orwell sera reprise à son propre compte par
Achebe et de manière plus fleurie, plus imagée:
The world of the creative artist is (...) not[ like ] the world of the
taxonomist whose first impulse on seeing a new plant or animal is to define,

classify and file away 85.
Pour les deux auteurs, une oeuvre littéraire ne vaut, et ne peut être analysée de
façon objective, que par rapport aux réalités spécifiques dont elle se fait l'écho.
Ainsi, le roman africain ne trouve sa valeur que dans l'intérêt et la place, qu'il
accorde aux préoccupations propres à l'Afrique et aux Africains...
.. A novel qualifies as an African novel If il puts forward African
psychology and this is inherent in the novel whether it is set zn
lndependence Square in Dakar or in a village in Eastern Nigeria 86.
A la lumière de ce qui précède, les vues de Orwell et celles de
Achebe sur la fonction et la définition de la littérature sont pratiquement
identiques. Ces deux auteurs mettent l'écriture romanesque au service de la
communauté et rejettent avec Henry James87, toute idée de normalisation dans
ce domaine -les romans n'étant pas des pièces mécaniques interchangeables !...
84 - George Orwell: "Writers and Leviathan", Ibidem
85 - Chin ua Achebe: "Thoughts on the African Novel" in H. 1.,op. cit., p. 63
86 - Cyprian Ekwensi : "Interview with Lewis Nkosi" (August 1962 in Lagos)
cité in African Writers Talking, op. cit., p. 81
87 - H. James: thehouse offiction has "not one window, but a million"
The Art of theNovel (New York, 1949) p. 46

41
1.4. Pouvoir, politique et roman
De tous les genres littéraires connus, le roman est incontestablement
le plus récent. Parmi ceux qui l'ont précédé, la tragédie, la poésie lyrique,
l'épopée et le conte, peuvent être mentionnés. Dans les deux premiers genres, le
héros et son monde sont totalement coupés l'un de l'autre alors que c'est
pratiquement l'inverse dans le second couple.
Le roman se situe à mi-chemin entre les deux catégories et serait la
forme contemporaine de l'épopée (ou du conte) en ce sens que tous deux sont
des récits narratifs. En effet, l'épopée qui fut, à l'origine, un long poème à
l'écriture élevée, date de l'antiquité, au moins, comme le confirment les textes
classiques, l'Iliade, l'Odyssée, l'Eneide, produits par des auteurs de renom
comme Homère. Ce genre a évolué jusqu'au Moyen-âge avec la plus belle et la
plus célèbre des épopées de cette époque, La Chanson de Roland, et trouve sa
spécificité dans le fait que "le merveilleux s '[y] mêle au vrai, la légende à l'histoire
el{. ..~on but estde célébrer un héros ou un grand fait" 88.
D'un point de vue historique, l'épopée était le genre qui convenait
aux types de sociétés humaines et de rapports sociaux qui prévalaient aux
époques-cadres: l'Antiquité et le Moyen-âge. Les chefs politiques et militaires,
de même que certains individus isolés mais valeureux, représentaient, aux yeux
du peuple admiratif, les dépositaires de ce que René Girard appelle "La
transcendance verticale" 89. En d'autres termes, ces personnages-phares étaient
l'idéal parfait90 et partant, se détachaient du domaine de l'ordinaire pour entrer
dans le monde supérieur de la légende et du merveilleux. En outre, les valeurs
d'usage bénéficiaient d'un respect presque sacré de la part des individus que le
destin avait rassemblésau sein d'une même structure sociale.
88 - Petit Robert 1, p. 675
89 - Il l'appelle aussi "l'authenticité" ou encore "l'échelle implicite des valeurs" in Mensonge
romantique et vérité romanesque, Paris, Grasset, 1961, pp. 26 et suite
90 - Issagha Correra : ..... Les épopées pulaar sont à la fois le récit de la somme des exploits d'un
héros et un poème épique où le héros est l'incarnation de toutes les valeurs morales,
spirituelles et intellectuelles de la nation pulaar" in Samba Guelœâio, Epopée Peule du Fuuia
Tooro, Initiations et Etudes Africaines n°
36, Han Cheikh Anta Diop, Dakar, 1992, p. 6
NB : La plus célèbre épopée pulaar qui date du 18è siècle, celle de Samba Gueladio Diégui,
prince Degnanke, longue d'environ 2000 vers, a les mêmes caractéristiques que les épopées
européennes, ci-dessus mentionnées.

42
Le roman par contre, à l'exception peut-être de la science fiction, se
veut un récit narratif relatant les rapports conflictuels entre l'individu ordinaire
et son milieu sensible. Ainsi le merveilleux et la légende, directement liés à la
vie même du héros, n'y ont pas droit de cité. Ce genre !'n9derne est donc né,
pour ainsi dire, de l'incompatibilité d'humeurs entre l'individu et sa "société
individualiste née de la production pour le marché" 91, autrement dit, capitaliste.
C'est pourquoi le héros romanesque est un personnage critique qui monte au
créneau pour stigmatiser la dégradation morale dans laquelle s'est engouffrée
sa société dont l'écrasante majo~ité est acquise au conformisme qui y est érigé
en règle de conduite. Mais il convient de noter que la rupture entre le héros et
son milieu n'est pas aussi totale que celle qui existe dans la tragédie et la poésie
lyrique.
Cependant, le seul fait que le personnage central soit en déphasage
relativement significatif avec son environnement socio-politique montre que lui
aussi est plongé dans une sorte de dégradation individaelle par rapport à
1"échelle implicite des valeurs". En outre, le romancier lui-même, qui a créé le
héros "problématique" 92 peut être considéré comme un individu problématique
car il tente de se démarquer de l'échelle axiologique dégradée dans laquelle se
confinent ses concitoyens. C'est la raison pour laquelle certains écrivains
s'érigent en donneurs de leçons, en éducateurs ou moralistes, comme le font
Orwell et Achebe dans leurs différents écrits.
Si une société humaine donnée est dégradée, c'est-à-dire, si ses
valeurs dominantes sont assez sensiblement éloignées des valeurs cardinales
vers lesquelles doivent tendre tout groupe humain sain et équilibré (la décence,
l'intégrité, la tolérance, le pacifisme, la non-violence, entre autres), c'est sans nul
doute parce que, sur le plan de son organisation politique et économique, les
valeurs positives ont été vidées de leur quintessence pour ne devenir que des
coquilles dans lesquelles se trouvent logées des anti-vertus. Ainsi, pour
employer des expressions chères aux monétaristes anglo-saxonscomme Adam
Smith, les valeurs d'usage perdent du terrain au profit exclusif des valeurs
d'échanges qui dénaturent l'homme et le précipitent dans la dégradation.
91 - Lucien Goldmann: Pour unesociologie du roman, Gallimard, 1986, p. 36
92 - George Lukâcs qualifie ainsi le héros romanesque car selon lui, il n'est
pas un individu normal in La théorie du roman, traduit de l'allemand par Jean C1airevoye,
Paris Gonthier, 1971

43
Et comme toute structure sociale, tout rapport inter-humain, est
largement tributaire du système politique en place, on voit aisément
l'importance du pouvoir et de la politique dans le genre romanesque. En effet,
si le pouvoir se définit comme la "puissance politique à laquelle est soumis le
citoyen"
93, ce dernier ne peut être que forcément et très fortement influencé,
intellectuellement, psychologiquement, par cette force qui le gouverne. Ainsi,
avec l'avènement en Europe Occidentale de la société individualiste, les
rapports sociaux ont brusquement changé de nature pour adhérer aux
nouvelles réalités politico-économiques. Et l'épopée n'a fait que subir les
mêmes mutations pour engendrer le roman, d'où l'homologie rigoureuse, selon
Goldmann, entre cette forme littéraire et la forme des rapports entre les
hommes dans la société capitaliste.
La forme romanesque nous paraît être (...) la transformation sur le plan
littéraire de la vie quotidienne dans la société individualiste née de la
production pour le marché 94.
Dans cette société dégradée, les différentes figures publiques, qui
étaient glorifiées par l'épopée, perdent considérablement de leur charisme pour
devenir, le plus clair du temps, les cibles privilégiées de toute la légion des
individus problématiques constituée par les écrivains, les hommes d'action, les
intellectuels...
Ainsi, le roman qui n'était dans sa phase initiale qu'une
"biographie" ou une "chronique sociale", devient avec l'assise solide de la société
capitaliste, une recherche dégradée de valeurs authentiques par un héros (et un
auteur!) problématique. C'est pourquoi le roman et la politique sont très
étroitement liés car l'un est très largement dépendant de l'autre.
En fait, l'Homme est, en vérité, incapable d'établir un modèle
politique exempt de tout travers. Même la démocratie occidentale tant vantée
est loin de représenter la "Transcendance verticale", l'authenticité"- Ainsi les
différents systèmes politiques modernes, de la démocratie libérale à la
dictature, ont eu, dans la théorie comme dans la pratique, à heurter et heurtent
encore aujourd'hui, la conscience collective mais surtout individuelle des
personnages problématiques. L'objectif majeur de ces derniers est de propulser
93 - Petit Robert 1, 1987, p. 1505
94 - Lucien Goldmann, op. cit., p. 36

44
leur société dégradée vers les sommets de l'échelle implicite des valeurs. Ces
valeurs constituent en réalité un idéal, même si le romancier lui, dans sa quête
fougueuse de l'excellence humaine, les trouve plutôt abécédaires.
Rien d'étonnant alors que Orwell et Achebe, sans nul doute des
individus problématiques ainsi que le montrent leurs idées polémiques
exprimées dans leurs essais littéraires, politiques et culturels, fassent de la
politique et du pouvoir le noyau de leur thématique romanesque.
En effet, comme le prouvera le développement, Animal Farm,
Nineteen Eighty-Four, A Man of the People et Anthills of the Savannah, servent de
prétextes aux auteurs pour lancer leurs héros (Winston Smith, Odili Samalu,
Ikem Osodi, Christopher Oriko...) dans une recherche dégradée de valeurs
authentiques dans les sociétés anglaise (européenne) et nigériane (africaine)
dégradées.
a
o 0
Pour conclure, cette première partie nous aura permis de connaître les
auteurs sur les plans psychologique, philosophique, politique et social. Il en
ressort que, globalement, les ressemblances entre Orwell et Achebe sont assez
frappantes dans beaucoup de domaines même si des différences, somme toute
normales, existent.
Les informations précieuses que nous avons maintenant sur les deux
auteurs rendront plus aisée, espérons-nous, l'étude majeure: celle des quatre
romans choisis. Celle-ci devrait également être une confirmation de nos
conclusions partielles énoncées dans cette partie qui s'achève.

45
DEUXIEME PARTIE:
LE TRAITEMENT DU POUVOIR
ET DE LA POLITIQUE

i
1
46
PREAMBULE; DU POUVOIR POLITIOUE
Beaucoup de philosophes admettent, avec Aristote, que "l'homme
est un animal politique" 1 ; c'est à dire qu'il a une tendance naturelle à instituer
des formes d'organisations qui lui permettent de survivre et de s'épanouir sur
les plans social, psychologique, intellectuel et économique. C'est pour cette
raison que même les sociétés dites primitives, parce que dépourvues d'Etat,
avaient une certaine structure fondée essentiellement sur ce que Clastres
appelle le "prestige"95 du chef tribal, lequel n'avait que son influence morale
pour tenter de venir à bout des contradictions entre particuliers et groupes de
particuliers au sein d'une même communauté.
Mais l'autorité du chef n'était pas en soi suffisante pour garantir la
stabilité communautaire ainsi que la sécurité des différents individus. En effet,
malgré l'adhésion tacite à des 'valeurs morales sacrées qui conféraient une
certaine légitimité au patriarche, au ministre du culte etc., l'homme pouvait bel
et bien s'en écarter parce que les sanctions auxquelles il pouvait s'exposer
allaient de l'indignation généralisée à la mise en quarantaine "car la parole du
chef n'a pas force de loi" et n'est donc pas suffisamment coercitive.
Et l'évolution humaine de la vie communautaire à la vie sociale
avec l'émergence d'une division systématique du travail, a considérablement
exacerbé les contradictions entre les hommes parce que celles-ci ne sont plus
limitées à de simples considérations cryptopersonnelles. Elles reflètent aussi et
surtout de véritables luttes de classes pour le contrôle de l'appareil politico-
économique.
L 'histoire de toute la société jusqu'à nos jours s'est
déroulée un antagonisme de classes qui ont pris des formes différentes,
selon les époques.96

Ainsi, "l'insociabilité" dont parle Kant a-t-elle franchi des paliers non
négligeables sur l'échelle de la violence dans la mesure où l'homme tend
1 - Aristote, (384-322av. J.-c.), la Politique, L 2, traduction de J. Tricot, Ed. Vrin, 1962, p. 29
95 - Clastres, P., la Société contre l'Etat, Ed. de Minuit, 1974, pp. 175-81
96- Marx, K., leManifeste communiste (848), traduction de M. Rubel et L. Evrard, Bibliothèque
de la Pléiade, Ed Gallimard, 1965, p. 181

47
maintenant, plus que par le passé, à "se séparer" 97 et à être plus féroce envers
ses semblables.
La conséquence première de l'exacerbation des contradictions
sociales aura été l'inanité de la parole de l'autorité morale sous-tendue par le
sacré et le providentiel. De fait, l'efficacité relative que celle-ci avait dans la
tribu par exemple, s'est effondrée et l'Homme, pour ne pas compromettre son
existence en tant qu'être rationnel, dut inventer une. autre forme d'autorité
capable de réfréner l'étau des nouvelles ambitions individuelles et de classes;
au profit de l'intérêt de la majorité. C'est ainsi qu'est né l'Etat doté d'un pouvoir
qui est une puissance publique qui n'use plus de morale et d'éloquence, mais
plutôt de force (ou violence) qui se veut légitime parce qu'émanant de la
volonté générale. Mais en réalité, ce nouveau type de pouvoir tire toute sa
légitimité d'une simple tradition: après le dépérissement du pouvoir sœio-
providentiel des hommes se sont imposés, le plus souvent de manière violente,
comme dirigeants politiques au sein de leur société; et le bon sens de l'époque
voulut que la succession à la tête des Etats ainsi constitués se fît exclusivement
à l'intérieur des familles traditionnellement dirigeantes. Sans le consentement
du peuple ou l'établissement d'un quelconque contrat social.
S'il est admis que plusieurs penseurs reconnaissent la nécessité
d'un pouvoir public garant de la sécurité individuelle, collective et territoriale,
leurs vues sont assez partagées, dès que surgit la question de savoir ce que doit
être la nature foncière d'un tel pouvoir.
Les philosophes absolutistes comme Kant, Hobbes, Bossuet, entre
autres, pens.ent que "l'homme est un loup pour l'homme" 98 et que le seul moyen
de sauver la cité de sa gueule est le recours systématique à une force
transcendante qui serait confiée à un homme, un dieu mortel ou Léviathanî? et
qui n'aurait de compte à rendre à personne. Une telle analyse comporte en elle-
même une grosse contradiction étant donné que le soi-disant dieu mortel est
lui-même un loup. C'est pourquoi l'efficacité de ce despotisme éclairé nous
paraît une simple vue de l'esprit car, est-il seulement possible de concevoir un
97 - Kant, E., Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784), traduction de J.-M.
Muglioni, Ed. Bordas 1981, p. 15-16
98 - freud, S. "Homo homini lupus" in Malaise dans la civilisation (1930) traduction de C. et J.
Odier, Ed. PUF, 1975, p. 64
99 - Hobbes, T., Léviathan (1651), trad. de F. Tricaud, Ed. Sirey, 1971, p. 178

48
Léviathan qui se mettrait au-dessus de la mêlée et qui n'aurait pour seul objet
que d'assurer le règne de l'harmonie sociale?
Pour les anarchistes et les marxistes, la réponse est un non
catégorique, même si les uns et les autres ne donnent point à ce non un même
contenu sémantique.
-'> Les seconds affirment que l'Etat ne saurait éternellement jouer le rôle d'arbitre
des conflits sociaux pour la simple raison qu'il ne peut pas être transcendant à
la société comme le prétendent les défenseurs de l'absolutisme et de la
démocratie d'ailleurs. Au contraire, l'Etat est partie prenante dans lesdits
conflits et le pouvoir qu'il exerce n'est rien d'autre qu'un moyen de domination
qui lui permet, en toute "légitimité", de mettre au pas le prolétariat et ses alliés
pour préserver les intérêts d'une classe donnée:
L'Etat n'estf..)pas un pouvoir imposé du dehors à la
société; il n'est pas davantage "la réalité de l'idée morale", "l'image et
la réalité de la raison", comme le prétend Hegel ... il est, dans la règle,
l'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue
économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement
dominante...100

C'est ainsi que les marxistes ne conçoivent l"~at qu'en tant que
structure transitoire, entièrement contrôlée par les prolétaires, qui doit conduire
à une société égalitaire. Et l'avènement d'une telle entité devra sonner le glas de
l'Etat.
La perception des anarchistes à ce propos est tout autre. Ils
clament haut et fort que la dictature du prolétariat ainsi que la démocratie sont
de gigantesques pièges tendus aux masses populaires. Toutes deux ont pour
dessein majeur l'établissement d'une caste minoritaire au pouvoir politique et
économique et n'ont guère plus de légitimité que le pouvoir traditionnel, sacré
ou providentiel. A leurs yeux, l'altruisme de l'Homme ne fait l'objet d'aucun
doute; de même que l'impérieuse nécessité de lui assurer un épanouissement
intégral sur tous les plans. Un épanouissement synonyme de liberté totale; ce
100 - Engels, F. l'Origine de la famille, de la propriété privée et del'Etat (884), trad. de J. Stern, Ed.
Sociales, 1971, pp. 154-9

~.~
49
qui est irréalisable dans une société à Etat. Aussi prônent-ils purement et
simplement l'anéantissement de l'Etat, de tous les Etats.
Nous pensons que la politique, nécessairement révolutionnaire du
prolétariat, doit avoir pour objet immédiat et unique la destruction des
Etats101•
Une analyse objective de l'évolution politique de l'humanité
donne raison aux anarchistes, tout au moins dans leur manière de percevoir le
pouvoir. En réalité, la plupart des .détenteurs de la puissance publique qu'est
l'Etat l'ont le plus souvent mise à profit pour asservir ceux qu'ils sont censés
protéger. Et c'est précisément cette foule d'exemples qui a permis à Machiavel
de conclure que tout homme politique use de ruse et de violence pour accéder
au pouvoir et s'y maintenir. Cette conviction du politologue italien exprimée au
début du seizième siècle sera confirmée plus tard par d'autres spécialistes du
pouvoir d'Etat parmi lesquels Alain et Marx Weber.
J'ai appris que tout pouvoir pense continuellement à se
conserver, à s'affirmer, à s'étendre et que cette passion de gouverner est
sans doute la source de tous les maux humains102.
(...)La violence n'est évidemment pas l'unique moyen
normal de l'Etat, -cela ne fait aucun doute- mais elle est son moyen
spécifique 103.
Cependant, malgré ce constat plutôt amer, est-il sensé d'envisager
une seule fois une société humaine sans Etat? Une telle option pourrait avoir
des conséquences beaucoup plus dramatiques que celles engendrées par la
dictature sous toutes ses formes: l'Homme n'est pas si débonnaire que le croient
les anarchistes, même s'il n'est pas non plus aussi cruel que le soutiennent les
pessimistes. Nous pensons comme Hegel et beaucoup d'autres philosophes du
dix-huitième siècle (Siècle des Lumières), que l'appartenance à un Etat est le
reflet de la rationalité de l'homme. Autrement dit, tout individu doit volontiers
accepter de faire partie de l'Etat et d'y dissoudre sa parcelle de pouvoir, de
101 - Bakounine, "Lettre du 5 octobre 1872", in Marx-Bakounine, Socialisme autoritaire ou libertaire,
textes rassemblés et présentés par G. Ribeill, collection 10-18, Ed. U.G.E., 1975, tome l, p.
366
102 - Alain: Mars ou la guerre jugée, N.R.F., Librairie Gallimard, 1921, p. 123
103 - Weber, M. : le Savant et le politique (1919) "le Métier et la vocation de l'homme politique",
traduction de J. Freund, collection 10-8, Ed. Plon, 1959, p. 100

50
violence. Mais faudrait-il aussi, et c'est là que le bât blesse le plus, que ceux qui
sont investis de la somme des violences individuelles soient suffisamment
équilibrés.honnêtes et respectueux des lois découlant du contrat pour l'utiliser
pour le bien public et non contre le peuple comme le dit si bien Rousseau.
r.)le souverain(-)ne peut charger les sujets d'aucune
chaîne inutile à la communauté: il nedoit même pas le vouloir...l04
Un tel pouvoir qui jouit d'une légitimité contractuelle, ne peut se
trouver qu'à la tête d'une démocratiet'ê, ce système politique qui place la liberté
de l'Homme et sa sécurité au-dessus de toute autre considération. Elle se fait
pourtant toujours désirer par les humanistes de tous genres. Parmi ceux-ci des
philosophes comme Rousseau, Locke, Descartes, Alain; mais aussi des
écrivains qui ont utilisé la diégèse de leurs romans pour crier haro sur la
tyrannie de dirigeants politiques106 qui rêvent encore d'une légitimité
traditionnelle, voire sacrée et providentielle dans un monde dominé par une
aspiration populaire aux vertus démocratiques.
-ol.es voies empruntées par les philosophes et les romanciers sont certes
différentes mais l'arme est la même: l'écriture, qui représente une autre forme
de pouvoir ou contre-pouvoir dont le combat consiste à faire prendre
conscience aux hommes de la nécessité d'accorder à l'homme plus de dignité et
de liberté sans lesquelles ce dernier perd toute son "hominité" 107 pour
reprendre le mot de Jankélévitch.
104 - Rousseau, J.J. : Du contrat social (1762), Ed. Garnier-Flammarion, 1966, Livre II, ch. IV, p.
68
105 - De Tocqueville estime que la démocratie elle-même n'est pas exempte de tout reproche.
Pour lui, son expression en Occident n'est qu'une "servitude douce" : in De la démocratie
en Amérique (19840), Ed. Gallimard, 1968, p. 348
On pourrait lui rétorquer aisément qu'une "servitude douce" vaut tout de même mieux qu'une
"servitude amère"!
106 - Big Brother (198_4), Napoleon dans ~!1imal fal1!1..Sam dans Anthills of the Savannah, le
premier ministre nigérian dans A ~_n_~fJh~ Peop1.~), les principaux anti-héros des
romans de Orwell et de Achebe à l'étude sont de ceux-là.
107 - Jankélévitch, V. : l'Imprescriptible, Ed. du Seuil 1986, p. 21

51
CHAPITRE 1 : LA CONOUETE DU POUVOIR
La conquête du pouvoir politique est une constante dans les écrits
de Orwell et de Achebe. Ainsi, les quatre romans à l'étude, A Man of the People,
Anthills of the Savannah, Animal Farm et Nineteen Eighty-Four, présentent, soit des
scènes, soit des récits de prise du pouvoir politique.
Ce premier chapitre mettra en relief les circonstances et les
conditions dans lesquelles une composante sociale donnée évince une autre des
rênes du pouvoir pour l'accaparer.
1 -1. Les mobiles de la conquête du pouvoir
D'une manière générale, toute conquête du pouvoir politique est
sous-tendue par des mobiles avoués ou non qui
peuvent être de natures
diverses: politiques, sociales, économiques, voire psychologiques.
'" '"
Animal Farm s'ouvre par la gabégie qui est maintenant de mise
chez Mr. Jones, le propriétaire de la "Manor Farm". La déchéance financière qui
l'accable, subséquente à la perte de sa fortune dans un procès, l'a conduit à
chercher à noyer ses soucis dans l'alcool. Cette situation, dramatique pour le
capitaliste qu'il est, a doublé sa cruauté affirmée envers ses animaux, d'une
négligence qui a privé ces derniers de leur maigre pitance.
(...) On Midsummer's Eve, which was a Saturday, Mr. Jones went into
Willingdon and got so drunk at the Red Lion that he did not come back
till midday on Sunday. The men had milked the cows in the early
morning and then had gone out rabbiting, without bothering to feed the
animais. When Mr. Jones got back he immediately went to sleep on the
drawing-room sofa with the News of the World over his face, so that
when evening came, the animais were still unfed 108.
Ainsi, affamés deux jours durant par la négligence de leur
propriétaire conjuguée à l'indifférence coupable de ses gardiens, les animaux,
guidés par leur instinct naturel de survie, se ruent, tête baissée, sur les bacs à
108 - Animal Farm, op.ciï., p. 18

52
foin pour se servir eux-mêmes. Sur ces entrefaites, arrivent Jones et ses hommes
de main qui, sans nul doute irrités par l'audacieuse désinvolture des animaux,
se déchaînent sur les pauvres créatures, fouet à la main.
(...) One of the cows broke in the door of the store-shed with her horns
and ail the animais began to help themselves from the bins. It was just
then that Mr. Jones woke up. The next moment he and hisfour men were
in the store-shed with whips in their hands, lashing out in ail
directions 109.
Cette correction sévère qui est perçue par tous les animaux
comme une humiliation imméritée, les a poussés à agir, de façon spontanée et à
l'unisson, pour extirper de la Ferme l'espèce humaine dominatrice et arrogante:
(...) This was more than the hungry animais could bear. With one
accord, though nothing if the kind had been planned beforehand, they
flung themselves upon their tormentors 110.

Le vase de l'intolérable a, pour ainsi dire, toujours été rempli par
les humains de "Manor Farm" ; malgré tout, les animaux ont jusqu'ici baissé
l'échine et laissé faire. Mais cette fois-ci, en les affamant et en les battant de
surcroît, Mr. Jones a ajouté au vase la grosse goutte qui l'a fait déborder. Ainsi
donc, dans Animal Farm, les animaux opprimés par l'Homme se sont rebellés
contre l'ordre établi parce que l'oppresseur les a poussés jusque dans leurs
derniers retranchements.
Si dans Animal Farm, les mobiles qui sont à la base de la réaction
violente des animaux sont bien établis et vécus en direct, par le lecteur, en
revanche, dans Nineteen Eighty-Four, c'est laconiquement que le narrateur livre
les raisons profondes pour lesquelles le Parti de Big Brother, au pouvoir en
Angleterre (Airstrip 1), a chassé les capitalistes exploiteurs.
(.,,) The Party c1aimed, of course, to have liberated the proies from
bondage. Before the Revolution they had been hideously oppressed by the
capitalists, theyhad been starved and flogged 111 (. ..)
109 - Animal Farm, op. cit, p. 18
110 - Animal Farm, op. cit, pp. 18-9
111 - Nineteen Eighty-Four, op. cit., p. 61

53
Le passage montre clairement que les mobiles dans Animal Farm
sont exactement les mêmes que' ceux repris par Orwell dans Nineieen Eighty-
Four tout en dispensant le lecteur d'une narration plus dramatique, plus
détaillée. De fait, dans l'un et l'autre roman, il s'est agi de privation de
nourriture et de punitions corporelles infligées aux pauvres opprimés que sont
les animaux de "Manor Farm" et les prolétaires d'Angleterre, par des
oppresseurs capi talistes.
La situation qui a conduit à une rebellion-révolution dans les
oeuvres de Orwell rappelle étonnamment celle qui avait prévalu dans la Russie
Tsarienne au début du vingtième siècle. Les ouvriers et les paysans russes
étaient sujets à une telle pauvreté et à une famine si menaçante, le tout
engendré par la négligence du Tsar, qu'ils étaient, à l'instar des animaux de
"Manor Farm", acculés jusque dans leurs derniers retranchements. Il leur fallait
nécessairement se dresser comme un seul homme et chasser l'empereur, ou
signer leur propre arrêt de mort: Cette ressemblance frappante n'a pas échappé
à John Mahoney qui relève que: .
A knowledge of those events and characters from the Ruseian
Revolution on which George Orwell modelled much of Animal Farm
prouides a useful background 112.
Chez Achebe par contre, aucune trace, même en pointillés, de la
Révolution d'Octobre 1917 n'est décelable. Cependant ici comme chez Orwell,
existent des mobiles qui président au changement de régime politique. Les
mobiles sont pratiquement identiques de part et d'autre. Le gouvernement civil
auquel font partie les chefs Koko et Nanga (A Man of the People) est selon toute
vraisemblance, une peinture allégorique de l'un des tout premiers cabinets
civils nigérians formés au lendemain de l'accession de ce pays à la souveraineté
internationale en 1960, comme l'affirme avec plus d'autorité T. Melone :
(...)La période concernée [ dans A man of the People] se situe nettement
après 1960, date historique de l'accession de la plupart des Etats africains
à l'indépendance...
112 - John Mahoney : Guide to Animal Farm, Charles Letts and Co. Ltd,
London, 1987,p. Il

54
[Un] lien interne (...) existe entre A Man of the People et la situation
intérieure du Nigéria 113.
D'ailleurs, d'autres indications dans le roman, en particulier les
premières lignes du deuxième chapitre, confirment qu'il s'agit bien de la
période en question:
A common saying in the country after Independence was
that it didn't matter what you knew but who you kneuu: 114.
Nous savons, même si la narrateur s'est volontiers passé de nous
le rappeler, que les habitants du Nigéria viennent de se libérer du joug colonial
après des siècles de domination comme les animaux de "Animal Farm" viennent
de se défaire du joug de Mr. Jones.
En fait, le peuple nigérian, à l'instar de l'ensemble des peuples
africains, après avoir longtemps été soumis à la domination de l'Europe
-domination faite d'humiliations et de privations : les administrateurs
coloniaux ne sont-ils pas tristement célébres surtout pour leurs fouets et leur air
hautain ?- s'est levé pour conquérir sa liberté. Autrement dit, l'esclavage dont
ont été victimes les animaux de la Ferme de Mr. Jones fait pendant à la
servitude infligée aux colonisés africains. Comme les Britanniques au Nigéria,
Mr. Jones et ses hommes sont des colonisateurs à "Manor Farm".
La seconde prise du pouvoir intervenue dans A man of the People a
eu lieu dans des circonstances à peu près semblables à celles dans Animal Farm
et Nineteen Eighty-Four : populations laissées pour compte alors que les
dirigeants politiques, en l'occurrence les Chiefs Nanga, Koko, Suleiman
Wagada, vivent dans l'opulence. Mais la différence notoire entre Orwell et
Achebe est que, chez ce dernier, ceux qui sont les principales victimes des
exactions des policiers, ne jouent en réalité aucun rôle déterminant dans la prise
du pouvoir. Ce sont plutôt des jeunes officiers sortis de l'ombre qui prennent le
pouvoir. Néanmoins, les raisons que ceux-ci ont avancées pour justifier leur
geste (au-delà de la cause immédiate, à savoir la confusion généralisée née du
113 - Thomas Melone : Achebe et la Tragédie de l'Histoire, Présence Africaine,
Paris, 1973, p. 103
114 - A Man of the People, op. cit. p. 17
.

55
trucage des élections par le Parti au pouvoir) sont proches de celles invoquées
par le Parti anti-capitaliste de Airstrip 1 et les Animalistes de Animal Farm :
(...) They had at the same time announced the impending trial of aIl
public servants who had enriched themselves by defrauding the
state 115.
De même, la réaction populaire après le coup des jeunes officiers
montre que les populations du Nigéria ont été, jusque-là, privées de leur part
du "gateau national" par une poignée de dirigeants car elles reconnaissent, après
coup, l'ampleur de leur gourmandise et de leur cruauté:
Overnight everyone began to shake their heads at the
excesses of the last regime, at its graft, oppression and
corrupt government (...) 116.
Dans Anthills of the Savannah, Achebe a reconduit le même
scénario que celui déjà utilisé dans A Man of the People: un gouvernement en
place est renversé vers la fin du récit. Le premier régime dans le roman cité en
premier lieu, celui du militaire Sam, nous apprend le narrateur, a pris le
pouvoir des mains des civils parce que ces derniers étaient si corrompus qu'à
leur chute, les populations s'étaient réjouies comme les habitants du Nigéria
(A Man of the People) et ceux de la Ferme (Animal Farm).
(...) ourcivilian poliiicians got what they had coming to
them anâiandeâ unloved and unmourned on the rubbish heap (...)117
C'est dire donc que Sam a été désigné par les jeunes officiers
patriotes pour d'abord mettre un terme à la gabégie et ensuite instaurer un Etat
de droit. Malheureusement, il n'a pas été à la hauteur; et la grande fête
populaire improvisée sur la route de Abazon à l'annonce de sa déposition,
témoigne de l'impopularité de son règne. Mais ici aussi, comme cela s'est passé
dans A Man of the People, les victimes des exactions, les populations
Kanganoises, n'ont ni directement, ni indirectement, joué quelque rôle que ce
soit dans la chute de leur oppresseur. Il y a eu plutôt révolution de palais
fomentée par des proches collaborateurs du Chef de l'Etat.
115 - A Man of the People, op. cit., pp. 147-8 .
116 - Idem, p. 148
117 - Anthills of the Savannah, op.cii, p. 12

56
Cependant, contrairement à ce qui s'est produit dans tous les
autres romans, Nineteen Eighty-Four, Animal Farm, A Man of the People, les
tenants du nouveau pouvoir politique à Kangan n'ont, ni exprimé leurs
motivations, ni fait la moindre promesse au peuple. Est-ce là un signe distinctif
qui augure une nouvelle manière plus avenante de gérer le pouvoir conquis?
Ou cette attitude cache-t-elle un mépris profond pour le peuple? Autant de
questions auxquelles seul le prochain roman de Achebe nous permettra de
répondre...
Pour conclure, les mobiles de la prise de pouvoir politique sont
globalement les mêmes tant chez Orwell que chez Achebe : un régime
corrompu, autoritaire, négligent, est chassé du pouvoir et remplacé par un
nouveau régime qui prétend avoir agi dans l'intérêt supérieur des masses
exploitées.
1 - 2. Rôle de l'idéologie et de la·doctrine
L'idéologie et la doctrine jouent assez souvent un rôle déterminant
dans les événements impliquant les masses populaires; celles-ci étant en
général considérées, à tort ou à raison, comme plus perméables au discours
idéologique que les intellectuels qui en sont pourtant les concepteurs. La prise
du pouvoir chez Orwell et Achebe ne fait pas exception à la règle. Bien
qu'intervenant de façon plutôt spontanée, cet évènement politique et social est
toujours précédé par des tentatives plus ou moins heureuses, menées par des
théoriciens et visant à éveiller la conscience du peuple sur les véritables causes
de ses malheurs et sur les véritables enjeux.
La Révolution russe d'Octobre 1917, avons-nous déjà dit, a
beaucoup influencé Orwell dans Animal Farm et Nineteen Eighty-Four. Cette
révolution fut, pour l'essentiel, guidée par l'idéologie marxiste et sa doctrine
révolutionnaire et anti-capitaliste. Le père-fondateur du Communisme est Karl
Marx comme l'Animaliste dans la Ferme des animaux a pour père-fondateur
Old Major.

57
Animalism is based on Old Major's teachings in the same
way that communism is presumed ta be based on the teachings of Karl
Marx 118,
Ainsi que Marx a expliqué dans Le Capital (1867) et le Manifeste du
parti Communiste (1848) comment les prolétaires sont exploités par ceux qui
détiennent les moyens de production, Old Major a expliqué aux animaux, mais
de manière plus prosaïque, les causes profondes de leur vie misérable.
"Now, comrades, what is the nature of this life of ours? Let us face il :
our lives are miserable, laborious, and short. We are barn, we are given
just sa much food as will keep the breath in our bodies, and those of us
who are capable of it are forced ta work ta the last atom of our strength
( .. ./Jt19
En fait, Old Major n'a presque fait que paraphraser la théorie
marxiste selon laquelle les ouvriers, dans le système capitaliste, produisent
largement plus que ce qui est nécessaire pour leurs propres besoins; et le
surplus, la plus-value, est volé par les capitalistes exploiteurs.
Old Major a aussi des traits communs avec Lénine qui a simplifié
la théorie assez complexe de Marx pour la rendre plus accessible aux masses
populaires :
The Lenin trait of Old Major is expressed in the part of
Old Major's speech which reduces complex philosophy ta fundamental
propositions or maxims that ail can understand 120,
Old Major:
IL.) Man is the only real enemy we have. Remove Man from the scene
and the root cause ofhunger and overwork is abolished for ever 121.
(...) Only get rid of Man, and the produce of our labour would be our
oum. Almost overnight we could become rich and free
" 122,
118- John Mahoney, op.cii., p. Il
119 A'
1r:

8
-
ntma rarm, op.cii., p.
120- John Mahoney, op.cii., p. 67
121
A'
1r:

9
-
nima rarm, op.cii., p.
122- Idem, op.cit., p. 10

58
Sans afféterie, son message est clair et montre sans ambiguïté aux
animaux, qu'il leur suffit de se battre contre l'Homme pour être heureux et
maîtres chez eux.
Les héritiers de Old Major, Snowball, Napoléon, Squealer, ont,
comme Lénine, Léon Trotsky et Staline l'ont fait avec l'idéologie de Marx,
développé la pensée de leur maître en lui trouvant des règles et des principes
bien précis. Ces règles connues sous le nom de Commandements, bien qu'étant
au nombre de sept, peuvent être contenus dans les deux concepts d'égalité
entre animaux et d'assimilation de l'espèce humaine à un ennemi commun.
"(. ..)All men are enemies. All animais are comrades 123"
Après avoir élaboré l'Animalisme, les trois cochons organisent des
réunions secrètes avec les animaux, réunions au cours desquelles ils se livrent à
un intense travail d'information et d'éducation. Malgré tous ces efforts, la
révolte, qui est survenue plus tôt que prévu, n'est pas à mettre sur le compte
des cochons: Mr. Jones est tout simplement victime de sa propre négligence,
comme mentionné plus haut.
Nineteen Eighty-Four quant à lui, présente un scénario assez
différent. Alors que dans Animal Farm le narrateur s'est donné la peine de nous
montrer les péripéties de la chute de Mr. Jones, dans le dernier roman de
Orwell, le narrateur nous livre l'information selon laquelle l'idéologie du Parti
de Big Brother est "Ingsoc" (English Socialism).
Newspeak was the official language of Oceania and had
been devised to meet the ideological needs of Ingsoc, or English
Socialism...124
Cependant, au-delà de cette information lapidaire, le lecteur peut
comprendre que les théoriciens de cette idéologie l'ont utilisée dans leur lutte
contre les capitalistes bien que la manière dont ladite lutte a été menée nous
échappe.
123 - AnimalFarm, op.cii., p.ll
124 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p. 246

59
Chez Achebe, la référence à une idéologie dans le processus de
prise du pouvoir politique est moins catégorique que chez Orwell. Même si les
membres-fondateurs du nouveau parti politique, le C.P.c. (The Common
People's Convention) de Kulmax (Karl Marx ?) dans A Man of the People
peuvent être suspectés d'être des communistes qui ne veulent pas dire leur
nom,comme le reconnaît du reste Max, dans la mise en garde à l'intention de
ses camarades.
"(...) 1don't want anybody to say we are communists. We
can't afford the label.lt would simply finish us 125".
Max connaît fort bien la mentalité crédule des masses nigérianes
et l'agressivité mensongère de ses adversaires politiques, qui n'hésiteraient pas
à tout fourrer dans le vocable de "communiste" pour ridiculiser le CPC et ses
leaders aux yeux de l'opinion publique.
(...) Our opponents would point at us and say, "Look at
those crazy people who want to have everything in common including
their wives." 126

Deux autres éléments corroborent la thèse de l'appartenance du
CPC au mouvement communiste: d'abord, le financement secret du parti par
un pays étranger et ensuite la présence, lors de son assemblée constituante,
d'un blanc à l'anglais exotique. D'autre part, Max lui-même ne cache pas ses
positions anti-religieuses, pour ne pas dire athées.
(...) 1don't believe in Providence and ail that kind of
stuff (...) 127
Ce parti communiste tentera, en vain, de conscientiser les masses
car, ni Odili, ni Max, n'a réussi à emporter leur adhésion pendant la campagne
électorale pour les législatives. Par conséquent, le coup d'Etat militaire contre
les civils n'a rien à voir avec les efforts de Odili et de Max, sinon qu'ils ont
permis à des hordes de voyoux de semer la terreur dans le pays et d'inciter les
militaires à s'emparer du pouvoir.
125 - A Man of the People, op.cit., p.79
126 -Idem
127 - Idem, p. 82

60
A maints égards, Anthills of the Savannah est aux antipodes de A
Man of the People, Nineteen Eighty-Four et Animal Farm. Dans ce roman, le
théoricien qui entreprend d'éveiller les masses, Ikem Osodi, est un anti-
doctrinaire qui fait porter la responsabilité de la pérennité du pouvoir
autoritaire aux idéologies de tous bords, notamment le Communisme:
"Those who would see no blot of villainy in the beloved
oppressed nor grant the faintest glimmer of humanity to the hated
oppressor are partisans, patriots and party-liners. In the grand finale of

things there will be a mansion also for them where they will be received
and lodged in comjort by the single-minded demi-gods of their
devotion." 128.

Mais cette antipathie pour les idéologies et les doctrines prônée
par Ikem n'a pas réussi là où l'idéologie communiste de Marx a échoué. En
effet, ce ne sont pas ses actions, limitées d'ailleurs dans le temps et l'espace, qui
ont contraint les militaires à s'emparer du pouvoir de Son Excellence. Une autre
différence de taille existe cependant entre Anthills of the Savannah et les autres
romans à l'étude. Les tenants du nouveau pouvoir à Bassa sont restés muets sur
leurs motivations et leurs objectifs; un mutisme pour le moins insolite.
Pour conclure, il est établi que dans la plupart des cas étudiés, la
prise du pouvoir politique s'est effectuée de façon soudaine. Mais cette
soudaineté n'exclut nullement l'existence de raisons profondes qui ont joué des
rôles de premier plan dans les changements politiques intervenus au sein des
sociétés de la fiction Achebéenneet Orwellienne. Chez les deux auteurs, le
peuple est martyrisé par le comportement irresponsable de ses propres
dirigeants, et des sauveurs, souvent doublés de théoriciens abreuvés de
communisme, se lèvent pour mettre un terme à l'injustice. Ainsi, les
Animalistes dans Animal Farm et les socialistes anglais dans Nineteen Eighty-
Four parviennent à écarter les ennemis du peuple, alors que les "communistes"
dans A Man of the People et l'anti-communiste dans Anthills of the Savannah
butent sur des adversaires trop coriaces pour eux.
128 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 100-1

61
CHAPITRE II - L'EXERCICE DU POUVOIR
Après la
conquête
du
pouvoir
par
des
forces
dites
révolutionnaires, progressistes, voire populistes, arrive la phase cruciale de son
exercice. Ce chapitre jette un éclairage sur les personnages politiques qui sont
au coeur de la gestion des affaires de l'Etat, les intellectuels de tous bords ainsi
que sur le petit peuple. En clair, il s'agira de voir si les idéaux de changement
de politique économique et sociale programmés vont devoir être respectés par
les nouveaux dirigeants ou tout simplement bafoués souverainement, et quelle
est l'attitude des intellectuels et des masses populaires vis-à-vis de la nouvelle
situation politique. Autrement dit, existe-t-il réellement une différence notoire
entre les anciens dirigeants corrompus et les nouveaux?
II. 1. La période de transition
En général, dans les romans à l'étude, la période qui vient
immédiatement après la perte du pouvoir par les dictateurs plonge les
populations concernées dans une certaine euphorie tandis que la nouvelle
classe politique, par des mesures assez courageuses, donne l'impression d'être
décidée à tourner, pour de bon, la sombre page de la dictature pour instaurer
une démocratie véritable.
...
... ...
Après la chute dé Mr. Jones, tous les animaux, sans aucune
ségrégation, pénètrent dans les chambres des humains et y découvrent un luxe
et un confort de rêve.
(...) They tiptoed from room to room, afraid to speak above
a whisper and gazing with a kind of awe at the unbelievable luxury, at
the beds with their feather mattresses, the looking-glasses, the horsehair
sofa, the Brussels carpet, the lithograph of Queen Victoria over the
draunng-room mantlepiece 129.
Malgré tout l'attrait qu'un tel décor exerce sur eux, les animaux,
des chats aux chevaux en passant par les cochons, décident fermement et
129 - Animal Farm, op.cit., p.21

62
unanimement de ne point s'en servir par souci de respecter, à la lettre, leur
engagement d'éviter de tomber dans les travers humains. Plutôt, choisissent-ils
de transformer le château de leur ancien tortionnaire en musée qui sera, pour
eux et la postérité animale, le témoin perpétuel des sévices qu'ils ont subis de la
part de l'espèce humaine.
(...) A unanimous resolution was passed on the spot that
the farmhouse should be preserved as a museum. Ali were agreed that no
animal must ever live there130•
Sur le plan politique, du temps de Mr. Jones, les animaux étaient
tenus à l'écart au moment des prises de décisions; le seul droit reconnu pour
eux était le travail. Aujourd'hui qu'ils sont maîtres de leur destin, ils mangent
mieux et les cochons qui dirigent, les convoquent au moins pour les mettre au
courant des décisions arrêtées pour la bonne marche de la Ferme. Le premier
grand bouleversement positif, c'est le changement de nom de la ferme, de
"Manor Farm en "Animal Farm ". Cette nouvelle dénomination est chargée de
I l
symboles car elle marque la fin .définitive du règne humain sur l'animal, et le
début d'une nouvelle ère qui place les destinées de la Ferme entre les mains des
animaux qui en sont les authentiques propriétaires. La seconde décision, la
publication de la Loi fondamentale composée de sept Commandements, met
plutôt l'accent sur les nouveaux rapports de fraternité, de solidarité et d'égalité
qui doivent désormais régir les relations inter-animales.
• Whatever goes upon two legs is an enemy.
l Whatever goes upon four legs, or has wings, is a friend.
j No animal shall wear clothes.
l+ No animal shall sleep in a bed.
5 No animal shall drink alcohol.
, No animal shall kill any other animal.
l Ali animais are equal 131.
L'adoption de cette Loi fondamentale montre qu'il y a une volonté
manifeste de la part des cochons, qui ont la direction de la ferme entre leurs
mains, de conclure un marché, une sorte de pacte, avec le reste des animaux qui
forment le peuple.
130 - Animal Farm, op.cii.,p. 22
131 -Idem, op.cit., p. 23

63
Dans Nineteen Eighty-Four, l'euphorie de début de règne des
masses populaires est omise car les circonstances dans lesquelles Big Brother et
ses partisans ont accédé au pouvoir ne sont pas décrites. Aussi, sur ce point
précis, Animal Farm se rapproche-t-il plus de A Man of the People et de Anthillsof
the Savannah que de Nineteen Eighty:"Four.
En effet, dans A Man of the People, après le départ des colonisateurs
anglais, les populations locales étaient euphoriques, enthousiastes et croyaient
que leur part du "gateau national" ne tarderait pas à leur parvenir par le biais
de leurs élus locaux. Le discours du vieil homme lors de la rencontre entre les
dirigeants du CPC et les habitants du village natal de Odili, Drua, montre
nettement l'espoir suscité chez les villageois par l'arrivée de l'élite noire au
pouvoir.
(...) The village of Anata has already eaten, now they must make way for
us to reach the plate.l32.
De même la fin de ce gouvernement civil rapprochera davantage
les populations nigérianes de leurs nouveaux dirigeants militaires. Des mesures
populaires et progressistes sont entreprises: libération de Eunice, meurtrière de
Koko, membre du défunt régime corrompu; élévation de Kulmax, dirigeant de
l'opposition assassiné, au rang de héros national; et surtout la promesse de
condamner les fonctionnaires qui se sont illicitement enrichis sur le dos de
l'Etat et des masses populaires:
(...) They had at the same time announced the impending trial of aIl
public servants who had enriched themselves by defrauding the State.
The figure involved was said to be in the order of fifteen million pounds
133.
Ces mesures sont loin d'être gratuites; l'objectif des militaires est
de s'attirer le soutien et la sympathie des populations dans cette période assez
trouble d'après-coup. Celles-ci réagissent d'ailleurs dans le sens voulu par leurs
nouveaux alliés.
132 - A Man of the People, op.cii., p. 125
133 - Idem, pp. 147-8

64
Overnight everyone began to shake their heads at the
excesses of the last regime (...) 134
Les premiers jours du régime militaire dans A Man of the People
sont à peu près les mêmes que ceux qui prévalent dans la Ferme des Animaux
après le succès de la révolte et à Kangan, suite à l'arrivée de Sam au pouvoir. Le
peuple de Kangan a d'ailleurs plus d'atouts que les animaux de "Animal Farm"
et les populations du pays de Odili car, dans Anthills of the Savannah, le nouvel
homme fort du pays, Sam, a une peur bleue de ses concitoyens. Son souci
principal est de se montrer complaisant envers eux afin qu'ils ne descendent
pas dans la rue. En vérité, pour l'heure, les masses de Kangan sont les
véritables maîtres du jeu politique.
In his [Sam's] first days of power his constant nightmare was of the
people falling into disaffection and erupting into ugly demonstrations ail
over the place, and he drove himself crazy worrying how to prevent
if 135.
Cette position de force du peuple de Kangan découle, comme
dans A Man of the People, des circonstances nébuleuses dans lesquelles les
militaires ont pris le pouvoir. Kangan, secoué par des agissements populaires à
l'instar du Nigéria, est devenu difficile à gouverner et les dirigeants sont
convaincus que seul un pragmatisme très réfléchi peut les aider à gérer avec
bonheur la transition. Ainsi, scellent-ils avec les masses un pacte tacite qui
permet, aux uns, de diriger sans encombre, et aux autres, de bénéficier de
conditions de vie relativement meilleures.
Au total, dans A Man of the People, Anthills of the Savannah et
Animal Farm, la période transitoire est marquée par une certaine complicité
entre les pouvoirs politiques nouvellement investis et le peuple. Chacune des
deux parties croit y trouver son compte. Mais au juste, est-ce un véritable pacte
de solidarité ou tout simplement un marché de dupes? En tout état de cause,
les diverses initiatives prises par la nouvelle classe dirigeante dans le sens de
l'intérêt général, donnent de l'espoir au peuple.
*
* *
134 - A Man of the People, op.cil., p. 148
135 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 13

65
Le consensus n'est pas trouvé entre le peuple et les dirigeants
politiques exclusivement, mais également entre ces derniers eux-mêmes. Le
premier cabinet ministériel issu de l'indépendance du pays de Odili, dans A
Man of the People, a toutes les caractéristiques d'un gouvernement d'union
nationale. Toutes les régions, toutes les confessions du Nigéria, semblent être
représentées au niveau du Parlement et du gouvernement central à Bori. Alhaji
Doctor Mongo Sego et Alhaji Suleiman Wagada viennent du Nord musulman
et appartiennent probablement aux ethnies Foulbé et Haoussa; M. A. Nanga,
Chief Koko, sont du Sud-Est chrétien et, selon toute vraisemblance,
respectivement Igbo et Yorouba. Outre sa base nationale, le gouvernement de
Bori regroupe des ministres aux niveaux d'instruction très variés, allant des
populistes à peine instruits: Chief Nanga, Chief Koko, entre autres, aux
intellectuels nantis des diplômes les plus élevés obtenus dans les universités
anglaises et américaines telles que Cambridge, Oxford et Harvard. Par exemple,
le Docteur Makinde, ministre des Finances, qui est titulaire d'un doctorat ès
finances publiques de Harvard University.
Si l'assise nationale du régime civil dans A Man of the people est
plus large que celle du gouvernement militaire de Sam dans Anthills of the
Savannah il n'en demeure pas moins vrai que ce dernier roman aussi est bâti
sur une logique consensuelle. Au début de son règne, Sam ressemblait à un
aveugle à qui est confiée la conduite d'une procession, ainsi qu'en témoigne
cette question désespérée à l'adresse de ses amis Chris et Ikem :
"What shall 1do ? " 136
Convaincu de l'ampleur de la tâche qui l'attend mais aussi de ses
limites personnelles, Sam ne se fait pas prier pour s'en remettre à Ikem et Chris
afin qu'ils choisissent les membres civils de son cabinet. Les premiers moments
de ce gouvernement sont marqués par une collaboration étroite entre le Chef de
l'Etat et ses ministres. Une saine atmosphère, créée surtout par la bonne
humeur de Sam, prévaut à toutes les réunions ministérielles. Le seul titre que
porte alors le président de la République est celui très commun de "Head of
State" ; donc rien d'extraordinaire ne le sépare de ses ministres.
136 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 12

66
Les rapports entre les cochons de Animal Farm bien que n'étant
pas aussi sains que ceux entre Sam et ses ministres dans Anthills of the Savannah,
sont néanmoins fondés eux aussi sur un certain consensus. En réalité, Snowball
et Napoléon, après le départ forcé de Mr. Jones de "Manor Farm", sont obligés
de coopérer, même si c'est malgré eux, pour gérer ensemble la Ferme. Ainsi, les
cochons ont appris en cachette à lire et à écrire en se servant illicitement des
documents abandonnés par les humains. Ensemble également, les cochons,
taisant leurs divergences, ont élaboré les principes de l'Animalisme sans pour
autant avoir au préalable tenu compte de l'avis des autres animaux.
(...) They li.e. Snowball and Napoleon] explained that by their studies of
the past three months the pigs had succeeded in reducing the principles
ofAnimalism to Seven Commandments 137.
Ainsi donc, Napoleon et Snowball, les deux leaders de la
Révolution, de connivence, ont commencé à pervertir l'esprit des
enseignements de Old Major. Il est toutefois à noter que même quand
Napoleon a pris la décision de donner uniquement aux cochons tout le lait des
vaches, ce que Mr. Jones n'avait jamais fait, Snowball n'a élevé aucune
protestation, y apportant ainsi sa caution tacite. L'objectif des cochons est de
confisquer le pouvoir pour leur clan, mais pour y parvenir, ils sont obligés de
coopérer pour mieux écraser les autres animaux.
Dans Nineteen Eighty-Four, bien que la période de transition soit
négligée par Orwell, le fait que le Parti cherche, par tous les moyens, à faire
croire aux habitants d'Océanie que Big Brother fut le seul et unique initiateur de
la Révolution, permet au lecteur de lire entre les lignes et de comprendre tout le
contraire: Big Brother n'était pas, au début de la Révolution à Airstrip 1, seul à
la barre; il était bel et bien avec d'autres compagnons de lutte contre les
capitalistes, car aucune révolution, aussi simple soit-elle, ne saurait être
conduite par un seul individu.
(...) In the Party histories, of course, Big Brother figured
as the leader and guardian of the Revolution since its very earliest
days.l38
137 - Animal Farm, op.cit., p. 23
138 - Nineteen Eighty-Four, op.cit. p. 33

67
Cependant, comme d'autres détails ne sont pas disponibles dans
le livre, notre analyse ne peut dire si effectivement il y a eu consensus entre Big
Brother (il avait certainement un autre nom) et les autres dirigeants de la
Révolution, et pendant combien de temps ce consensus a duré.
En condusion, à part ce dernier point plutôt équivoque, il apparaît
assez nettement dans l'ensemble des oeuvres à l'étude, l'existence d'une période
de transition au cours de laquelle les nouveaux tenants du pouvoir politique
taisent leurs divergences pour gérer l'après-prise du pouvoir de façon pacifique
d'une part, et d'autre part ces mêmes tenants du pouvoir entretiennent avec les
autres couches de la population des relations plutôt conciliantes. Mais ces
pactes peuvent-ils durer longtemps, si l'on prend en considération les
contraintes de l'exercice même du pouvoir?
II.2. L'émergence de la dictature
Dans la section précédente, la réflexion a été axée sur le consensus
entre dirigeants politiques d'une part, et entre ceux-ci et la société civile en
général, de l'autre. En politique, le plus souvent, consensus signifie partage du
pouvoir; mais le pouvoir peut-il être sereinement partagé pendant longtemps?
Dans la section qui s'ouvre, la manière dont les différents pactes éclatent sera
abordée, de même que l'analyse caractérielle du type de dirigeant politique qui
est toujours à la base de ces édatements.
Comme notre analyse l'a montré plus haut, la collaboration entre
Snowball et Napoléon dans Animal Farm n'a jamais été franche notamment du
côté de Napoleon. Sous cette entente fragile, se cache un antagonisme à peine
voilé. Les "Réunions dominicales" qu'ils président leur procurent l'occasion
idéale d'étaler au grand jour leurs préoccupations antagonistes avec en toile de
fond le contrôle du pouvoir politique dans la Ferme.
Après avoir appris à lire et à écrire correctement, Snowball, dès
l'accession de la Ferme à l'autodétermination, organise des cours
d'alphabétisation à l'intention des autres animaux. Son objectif étant de relever
leur très bas niveau culturel: Sur le plan économique, il préconise un
programme visant à atteindre l'autosuffisance alimentaire par le biais d'une
intensification de la production "nationale".

68
Mais la pertinence de ses choix économiques et sociaux n'empêche
pas Napoleon de les trouver vains et de prendre ses distances:
Napoleon took no interest in Snowball 's committees. He
said that the education of the young was more important than anything
that could be done for those who were already grown up . 139
En qualifiant le programme d'alphabétisation de Snowball
d'inutile et d'inadéquat, Napoleon cherche, sans le dire ouvertement, à mettre
un terme à un processus qui peut s'avérer dangereux pour la fin inavouée qu'il
a en tête: devenir le seul et unique dirigeant de "Animal Farm". En effet,
éduquer les masses, comme le fait Snowball, c'est les hisser du niveau de
simple populace, à celui de véritable force politique incontournable: un peuple
éduqué, instruit, est beaucoup plus difficile à manier à sa guise qu'un peuple
analphabète et ignorant. Napoleon, en fin calculateur, veut maintenir les
animaux dans l'obscurantisme et l'analphabétisme afin de pouvoir accentuer
son ascendant sur eux sans accroc. L'exemple de Mr. Jones est là pour lui
montrer la voie à suivre.
La rivalité entre Snowball et Napoleon devient plus exacerbée
après l'échec de la tentative de Mr. Jones de récupérer "sa" ferme des griffes et
sabots des animaux.. Au cours de la bataille mémorable qui a mis aux prises
assaillants humains et animaux, déonommée "The Battle of the Cowshed",
Snowball s'est distingué par une bravoure digne d'un véritable général,
bravoure qui a largement contribué à la déroute de l'agresseur, ainsi qu'à la
sauvegarde de l'indépendance animale. Reconnaissants envers leur général, les
animaux ont tenu à le récompenser pour services rendus à la patrie en péril.
The animais decided unanimously to create a military
decoration, "Animal Hero, First Class", which was conferred there and
then on Snowball and Boxer. 140
Ce succès retentissant de Snowball auprès des masses animales est
un parfait camouflet pour son rival qui s'est signalé par sa couardise lors de
cette bataille décisive. Aussi rend-il encore plus jaloux Napoleon qui est
139 - Animal Farm, op.cit, p. 31
140 -Iâem, p. 40

69
conscient que son avenir en tant que leader est sérieusement compromis par la
projection de Snowball au devant de la scène politique dans la Ferme.
L'adoption d'une politique globale commune dont la première
phase a pourtant été abordée au lendemain de la révolte s'en trouve bloquée,
malgré les multiples réunions de concertations. Tout, pratiquement tout, bute
contre l'antagonisme entre Snowball et Napoleon.
(,..) These two disagreed at every point where disagreement was possible.
If one of them suggested sowing a bigger acreage with barley, the other
was certain to demand a bigger acreage of oats, and if one of them said
that such and such a field was just right for cabbages, the other would

declare that it was useless for anything except roots 141.
La rupture définitive intervient ,au sujet du projet de construction
d'un moulin à vent, initié par Snowball. Sa réalisation parachèverait la
Révolution car, avec un moulin, les animaux verraient leurs peines
quotidiennes très sensiblement atténuées, sinon supprimées purement et
simplement. Ce second succès de Snowball, qui se profile à l'horizon, sonnerait,
à coup sûr, le glas de l'avenir politique de son grand rival, Napoleon. Alors,
sentant le danger venir à grands pas, ce dernier passe rapidement à l'offensive
pour se défaire de Snowball. D'abord, il utilise la docilité des moutons pour
tenter de noyer toutes les voix favorables à l'adoption du projet de construction
d'un moulin; mais en vain, car, séduits par les nombreux avantages qu'offre le
projet, la majorité des animaux manifestent ouvertement leur adhésion. Mais il
n'empêche que le moulin ne verra jamais le jour. Dans le plus grand secret,
Napoleon a formé sa propre milice composée exclusivement de chiens qui,
rappelons-le pour mémoire, n'ont appris qu'à lire les Commandements.
Autrement dit, les chiens ont un véritable mental de soldats qui ne s'intéressent
qu'aux instructions, quelle que soit leur origine. C'est justement cette
obéissance stricte et aveugle des chiens que Napoleon a utilisée pour mettre fin
à la bicéphalie à "Animal Farm".
(...) Nine enormous dogs wearing brass-studded collars came bounding
into the barn. They dashed straight for Snowball, who only sprang from
his place just in time to escape their snapping jaws. In a moment he was
out of the door and they were after him. Too amazed and frightened to
141 - Idem, pp. 42-43

70
speak, aIl the animais crowded through the door to watch the chase.
Snowball was racing across the long pasture that led to the road. He was
running as only a pig can run, but the dogs were close on his heels.
Suddenly he slipped and it seemed certain that they had him. Then he
was up again, running faster than ever, then the dogs were gaining on
him again. One of themall but closed his jaws on Snowball '5 tail, but
SnowbaIl whisked il free just in iime. Then he put on an extra spurt and,
wilh a few inches to spare, slipped through a hole in the hedge and was
seen no more 142.

Ainsi donc, Napoleon a utilisé la manière forte pour chasser de la
Ferme des Animaux, comme un vulgaire cambrioleur, son adversaire politique.
Toute la scène, dramatique, s'est déroulée sous les yeux des animaux terrorisés
de voir un combattant aussi intrépide que Snowball, qui les a ravis par son
courage exemplaire au cours de la Bataille de l'Etable, courir, tel un lapin, pour
échapper à la hargne meurtrière des chiens sur lui lâchés par le machiavélique
Napoleon.
Silent and terrified, the animais crept back into the
barn 143.
S'étant si facilement débarrassé de son rival, Napoleon sait que le
moment est propice pour asseoir son autorité sur l'ensemble de la Ferme et
diriger seul. En fait, impressionnés par ce qu'ils viennent de voir, les animaux
sont loin d'être en mesure d'opposer la moindre résistance à la conduite
autoritariste de leur nouveau maître. La dictature qui a été astucieusement mais
timidement réintroduite, par Napoleon et Snowballlui-même, se radicalise:
séance tenante, Napoleon, ironie du sort, se tient là où Old Major s'était tenu
une nuit lors de son adresse historique au peuple animal, pour mettre un terme
au processus de démocratisation.
Napoleon, with the dogs following him, now mounted on
to the raised portion of the floor where Major had previously staad ta
deliver his speech. He announced that from now on the Sunday marning
Meetings would come to an end. They were unnecessary, he said, and
wasted time. In future all questions relating to the working of the farm

142 - AnimalFarm, op.ciï., pp. 47-8
143 -Iâem, p. 48

71
would be sttled by a special committee of pigs, presided over by
himself 144.
Avec cette décision unilatérale prise par Napoleon, c'est le clivage
entre les cochons et le reste des animaux qui se précise davantage. Ce clivage,
de fait depuis la Révolte, s'est mué maintenant en véritable clivage de jure. En
d'autres termes, la dictature porcine dirigée par le nouvel "homme fort du
pays" s'installe dans la Ferme; et aussitôt Squealer d'entrer en scène pour la
faire avaler aux animaux.
(...) No one believes more firmly than Comrade Napoleon
that aIl animaIs are equal. He would be only too happy to let you make
yourdecisions for yourselves. But sometimes you might make the wrong
decisions, comrades, and then where should we be ? 145
Si nous avons commencé le développement de cette section par
Animal Farm, c'est tout simplement parce que l'émergence de la dictature dans
ce roman, celle de Napoleon, est faite de façon claire, linéaire, peut-être plus
que dans tout autre roman à l'étude. Sur ce point précis Anthills of the Savannah
est très proche de Animal Farm. A la manière des cochons qui, dès le début de la
Révolte, ont commencé à imposer leur loi aux autres animaux, Sam et ses amis
-militaires puis civils- accaparent tout le pouvoir à Kangan. Ce qui fera dire à
Beatrice à propos du trio Sam-Chris-Ikem :
... The story of this country, asfar as you are concerned,
is the story of the three of you ...l46•
Cependant, une différence de taille existe entre la manière dont la
dictature a vu le jour à Kangan et celle dont Napoleon s'est imposé à"Animal
Farm". Contrairement à ce dernier qui a, dès le tout début de la Révolte, affiché
ses ambitions politiques et sa volonté de prendre les rênes du pouvoir, Sam n'a,
au commencement de son règne aucune ambition, même pas celle de
gouverner car, il s'est trouvé, du jour au lendemain, Chef de l'Etat, par la
volonté des jeunes officiers qui ont renversé le pouvoir civil. En vérité, Sam
n'est pas né dictateur comme Napoleon. S'il l'est devenu, son entourage y est
. pour quelque chose, de même que son caractère facilement influençable.
144 - AnimalFarm, op.cii., pp. 48-9
145 - Idem, p. 50
146 - Anthills of theSavannah, op.cit., p. 66

72
Conscients de la crédulité de leur président, certains de ses
ministres, Okong et l'Attorney-Général, entreprennent, l'un après l'autre, de
semer la zizanie entre Sam et ses amis d'enfance, Chris et Ikem, en lui faisant
croire que ceux-ci ne lui sont plus loyaux. Et l'Attorney-Général de donner au
président les raisons pour lesquelles Chris, en particulier, ne peut pas concevoir
d'être à ses ordres:
(...) Two of you were after ail classmates at Lord Lugard College. He
looks back to those days and sees you as the boy next door.

He lt.e. éhrisJ wants to knou: why you and not him should be His
Excellency.,.",1f1
Comme Sam sait qu'à Lord Lugard College, il n'était pas aussi
brillant que ses amis, il voit vite dans le prétendu manque de loyauté de ces
derniers, une façon voilée de lui dire que Ici place qu'il occupe aujourd'hui à la
tête de l'Etat de Kangan est usurpée, si l'on s'en tient strictement à sa valeur
intrinsèque. Blessé dans sa dignité, le Chef de l'Etat lâche ses amis qui sont
devenus naturellement, à ses yeux, ses pires ennemis. Dans sa prise de
décision, il est aidé par l'avertissement que lui a lancé le président Ngongo, un
des chefs de file des dictateurs africains, lors d'un sommet de l'Organisation de
l'Unité Africaine (OUA).
"Your greatest risk is your boyhood [riende, those who
grew up with you in your village. Keep them at arm's length and you
will/ivelong" 147.
C'est justement sa première participation à un sommet de l'OUA
qui a le plus profondément transformé Sam comme le dit Ikem :
1think that much of the change which has come over Sam
started after the first OAU meeting. Chris and 1and a few other friends
called at the Palace tosee him as we used todo quite often in those days. 1
noticed right away that il was not the same Sam who had left Bassa only

a week before (...) He spoke like an excited schoolboy about his heroes ;
147 - Idem, pp..23-4

73
about the old emperor who never smiled nor changed his expression no
matter what was going on around him 148.
Emerveillé par la grandeur presque irréelle de cet empereur modèle, le très
sociable président de Kangan décide alors de troquer son affabilité légendaire
contre la fermeté hautaine de l'empereur.
"1 wish 1could look like him" 149.
Donc, la grande différence entre Sam et Napoleon réside dans le
fait que ce dernier n'a subi l'influence de personne; il est resté égal à lui-même,
alors que Sam s'est complétement métamorphosé à cause de la pression active
de son entourage directe et celle,passive de ses pairs africains.
Mais s'il y a des ressemblances frappantes entre Sam et Napoleon,
c'est surtout dans leur manière d'imposer leur volonté à leurs adversaires
politiques après avoir accaparé tout le pouvoir. Autant Napoleon a utilisé, dans
Animal Farm, la fougue des chiens pour s'imposer à Snowball, autant dans
Anthills of the Savannah, Sam a eu recours à la hargne de jeunes officiers, le
Major Johnson Ossai, directeur de la police politique et le Chef d'Etat Major des
Armées, pour mettre au pas tous les militaires qui ont défavorablement
accueilli la décision du Président de les écarter du gouvernement au profit de
ministres civils.
(...) But His Excellency rode the storm quite comfortably
thanks to two keyappointments he had personally made - the Army Chief
of Staffand the Director of the State Research Council, the secret police
150.
Sam s'est ainsi, dans un premier temps, débarrassé de ces
potentiels adversaires -des militaires comme lui- en les limogeant tous du
gouvernement pour les remplacer par des civils ayant à leur tête son ami Chris.
Dans son entendement, les civils sont moins dangereux pour son autorité que
les militaires qui lui ont pourtant donné le pouvoir. Par ailleurs, la nomination
de ses amis de toujours, Chris et Ikem, respectivement au Ministère de
l'Information et à la Direction du Journal Gouvernemental (The National
148- Idem, p.~,
149 - Idem, p.52
150 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 14

74
Gazette), postes-clés dans toute dictature, montre la volonté manifeste du Chef
de l'Etat de Kangan de se servir d'eux comme piliers de sa politique. Et le rôle
joué par Chris aux premières heures de la dictature peut être rapproché à celui
joué par Squealer au profit de Napoleon dans Animal Farm.
Comment se présente la situation dans A Man of the People et
Nineteen Eighty-Four ?
Dans le premier roman, on se croirait, de prime abord, en
présence d'un système politique pluraliste et démocratique, parce qu'il existe
dans le pays de Odili deux vieux partis politiques, le People's Organization
Party (P.O.P.) et le People's Alliance Party (P.A.P.) en plus du nouveau parti
des jeunes intellectuels "communistes", le Common People's Convention
(C.P.c.). Mais à y regarder de près, c'est bel et bien la dictature qui prévaut au
Nigéria. Le parti au pouvoir, le POP et le soi-disant parti d'opposition, le PAP,
tous deux composés de médiocres et de corrompus, se sont ligués pour berner
le peuple et perpétuer leur main-mise sur le pouvoir et les richesses du pays.
Max Kalamo (Kul Max), dirigeant du CPC:
"Whether il is POP orPAP they are the same" 151.
Cette dictature des médiocres a adroitement réussi à écarter du
pouvoir l'ensemble des ministres compétents, intellectuels de solide formation
pour la plupart, telle Docteur Makinde Ministre des Finances, tout simplement
parce que le plan de sortie de crise n'arrangeait nullement les arrivistes. En
effet, le plan du Docteur Makinde, très draconien, comportait des dangers réels
pour le gouvernement car il reposait essentiellement sur l'augmentation des
prix des denrées de première nécessité. Cependan t, malgré son caractère
impopulaire, cette mesure économique constituait, aux yeux des technocrates,
la panacée dont l'application s'imposait parce que devant renflouer les caisses
de l'Etat désespérement vides, suite à la baisse vertigineuse sur le marché
mondial, du prix du cacao, principale richesse du pays. Pour eux, l'important
n'était pas la survie du gouvernement, mais plutôt le redressement économique
et financier du pays. Par contre, pour les ministres arrivistes du même acabit
que Nanga et Koko qui prennent leur poste pour une sinécure, le plus
important c'était de demeurer au pouvoir quoique cela pût coûter à la santé
151 - A Man of the People, op.cit., p. 124

75
financière et économique de leur pays. Ce qui a fait dire à N. Farah dans The
Guardian:
The African politician is a blind man: he moves only in
one direction -towards himself 152,

Alors, au cours d'une séance plénière du Parlement, le Premier
ministre, chef de file des médiocres, s'en prit violemment aux ministres
technocrates qu'il qualifia de "Gang de Mécréants" à la solde de l'ennemi
extérieur:
He (i.e. the Premier) said that the Miscreant Gang had
been caught red-handed in their nefarious plot to overthrow the
Government of the people, by the people and for the people with the help
ofenemies abroad 153.
L'assistance -députés, ministres, populations-, profondément
choquée par l'infamie des "traitres", vomit sur-le-champ ces derniers et porta
aux nues le Premier Ministre qui se débarrassa ainsi d'un double danger: non
seulement son gouvernement n'était plus menacé, mais également, les grands
intellectuels qui pouvaient contester son autorité étaient évincés, et du pouvoir
et du coeur des populations. Il s'ensuit qu'il est devenu par la suite le seul
maître à bord, comme le sont Napoleon et Sam, respectivement dans la ferme et
à Kangan:
(...) He was called the Tiger, the Lion, the One and Only, the 5ky, the
Ocean and many other names of praise.l54
Quant à Big Brother dans Nineteen Eighty-Four, son avènement au
pouvoir autoritaire est plutôt chichement développé par Orwell. Mais les bribes
d'information dont le lecteur dispose à ce sujet prouvent nettement qu'ici aussi
le dictateur s'est installé aux commandes après l'élimination de tous ses
compagnons dans la lutte révolutionnaire et populaire contre le système
capitaliste.
152 - Nuriddin Farah : "The Creative Writer and the African Politician" in The
Guardian, Lagos, 9 Septcmber, 1983, p. Il
153 - A Man of the People, op.cii., p. 5
154- A Man of the People, op. cit, p. 5

76
The story really began in the middle Sixiies, the period of
the great purges in which the original leaders of the Revolution were
wiped out once and for ail. By 1970 none of them was left except Big
Brother himself. Ali the rest had by that time been exposed as traitors
and counter-reooiuiionaries 155.
En dernière analyse, on constate qu'il y a une constante dans la
manière dont les nouveaux dictateurs se défont de leurs adversaires politiques
en général jugés plus aptes à diriger. Ces derniers sont accusés de rage, l'éternel
alibi de la haute trahison, et noyés. Ainsi, Napoleon dans Animal Farm, accuse
Snowball d'être le bras droit de l'ennemi des animaux, Mr. Jones.
(...) Snowball was in league with Jones from the very
start! 156
Le Premier Ministre du Nigéria dans A Man of the People, qualifie
le Docteur Makinde et ses collègues technocrates d'agents au service de
l'ennemi étranger; Sam dans Anthills of the Savannah tient Ikem et Chris pour
responsables de sa déconvenue électorale en même temps qu'il les soupçonne
d'être de connivence avec la province rebelle d'Abazon, qui a massivement voté
"non" au référendum destiné à faire du Chef de l'Etat un Président-à-vie. Voici
ses propres propos rapportés à Beatrice et à Ikem par Chris:
1 didn't, he said, and you know 1 didn't huant to be
eleeted President-jor-lijel but the moment it was decided upon
you had a clear responsibility, you and Ikem, to see it succeed.
You chose not to.157
Big Brother, lui aussi, accuse Goldstein et les autres dirigeants
historiques de la Révolution d'être les contre-révolutionnaires qui veulent saper
les acquis de la révolution sociale conduite sous la bannière du Parti et de
l'Ingsoc.
Ce procédé machiavélique par lequel les différents dictateurs dans
les oeuvres à l'étude éliminent physiquement, ou politiquement, si ce n'est les
155 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., pp. 64-5
156 - AnimalFarm, op.cit., p. 69
157 - Anthills of theSavannah, op.cii., p. 147

77
deux à la fois, leurs opposants, est-il entièrement de la pure fiction ou a-t-il chez
les auteurs un rapport avec des faits historiques connus?
Le premier chapitre de notre étude a montré que la Révolution
Russe de 1917 a été pour beaucoup dans l'écriture des deux romans les plus
connus de Orwell, Nineieen Eighty-Four et Animal Farm. La présente section a,
elle aussi, mis en évidence la référence de l'auteur anglais à cette révolution. En
fait, il est facile d'établir des points communs entre les purges en Union
Soviétique qui ont permis à Staline et aux durs du P.C.U.s. (parti Communiste
de l'Union Soviétique) de se débarrasser de plusieurs de leurs adversaires
politiques notamment Leon Trotsky, assassiné à l'étranger par les services
secrets soviétiques en 1941 et la mise à l'écart de Goldstein et des figures
historiques de la révolution Ingsoc par Big Brother d'une part, et d'autre part
entre les mêmes purges et l'expulsion orchestrée par Napoleon de Snowball de
la Ferme.
Chez Achebe, la mise à l'écart des adversaires politiques s'est faite
de manière beaucoup moins violente et rappelle plutôt les circonstances dans
lesquelles les dictatures africaines s'installent. Dans A Man of the People,
l'émergence de la dictature montre comment dans certains pays africains, en
particulier au Nigéria, les intellectuels de haut niveau ont été mis en rade par la
vieille élite nationale incompétente, rétrograde, très attachée aux titres
anachroniques: Chief Nanga, Chief Koko. Anthills of the Savannah évoque la
façon dont les dictatures militaires qui ont meublé le paysage politique africain
se sont progressivement débarrassées de leurs co-putschistes devenus
encombrants pour rester seuls à la barre.
II. 3. Forme et fonction du nouveau pouvoir
Dans la présente section, la manière dont les différents dictateurs
organisent le pouvoir politique afin d'être à même de l'exercer selon leurs
propres convenances, comme cela se passe dans toute dictature qui se respecte,
sera au centre de notre réflexion. En fait, un pouvoir conquis et imposé aux
populations par la force des armes, doit logiquement et nécessairement, trouver
les voies et moyens adéquats pour assurer son exercice dans les mêmes
conditionst-ê.
158 - Paul Valéry ne définit-il pas la politique comme "consistant dans la volonté deconquête et de
conservation du pouvoir?" cité in Le Petit Robert 1, 1987, p. 1476

78
Dans Anthills of the Savannah, le chef de l'Etat de Kangan, une
république localisée quelque part en Afrique de l'Ouest, est devenu le maître
absolu du jeu politique dans son pays. La parodie de conseil des ministres, sur
lequel s'ouvre le récit, donne une idée assez claire de la nature véritable des
rapports qui lient Sam à ses plus proches collaborateurs, en l'occurrence les
ministres. Ces derniers ne sont en vérité que de pitoyables valets; et à ce titre,
ils ont tous une peur bleue de leur employeur, en particulier le ministre de
l'Education:
On my right sat the Honourable Commissioner for
Education. He is by far the most frightened of the lot. As soon as he had
sniffed peril in the air he had begun to disappear into his hole, as some
animaIs and insects do, backwards 159.

Il est à noter que l'attitude craintive de ce ministre de Sam
ressemble, à s'y méprendre, à celle adoptée par les rats face aux chiens lors de
la première assemblée générale des animaux de la Ferme convoquée par le
doyen et visionnaire Old Major:
(...) While Major was speaking four rats crept out of their holes and were
sitting on their hindquarters listening to him. The dogs had suddenly
caught sight of them, and it was only by a swift dash for their holes that
the rats saved their lives. 160

Dans le même roman de Orwell également, le Chef de la Ferme
des Animaux, Napoleon, règne en maître incontesté. Après s'être défait de son
vieux rival Snowball, il annonce que, dorénavant, les décisions concernant la
gestion et l'administration de la Ferme seront prises par un comité restreint
composé exclusivement des cochons. Ce comité n'a jamais fonctionné, de même
que celui du même genre installé par Sam dans sa république de Kangan dans
Anthills of the Savannah. Bien au contraire, Napoleon confisque tout le pouvoir
exécutif et législatif et les autres cochons qui étaient censés gérer collégialement
la Ferme, sont réduits à jouer le rôle subalterne de simple véhicules des
instructions émanant de leur chef et destinées au reste des animaux qui
représentent le petit peuple.
159 - Anthills of the Savannah, op. cit. p. 2-3
160 - Animal Farm, op. cit., p. 11

79
(...) Frequently he [i.e. Napoleon] did not even appear on Sunday
mornings, but issued his orders through one of the other pigs, usually
Squealer 161.
Big Brother de son côté, dans Nineteen Eighty-four, tout en ayant
une existence pour le moins douteuse, n'en exerce pas moins une pression
permanente sur les populations d'Océanie. Le paradoxe dans ce roman précis
est que, bien que le pouvoir politique ne soit point effectivement centralisé... it
is not centralized in any way 162, dans la mesure où les autorités locales prennent
à leur niveau des décisions importantes, comme en atteste l'arrestation du
personnage central Winston et de sa fiancée Julia, Big Brother, sans détenir au
fond aucun pouvoir réel, n'en constitue pas moins une terrible épée de
Damoclès qui plane au-dessus de toutes les têtes océaniennes. Cela s'explique,
peut-être, par le fait que le Grand Parti qu'il incarne -ou plutôt qui l'incarne-est
le détenteur exclusif du pouvoir absolu: At aIl time the Party is in possession of
absolute truth... 163
Si dans Anthills of the Savannah, Nineteen Eighty-Four et Animal
Farm, Sam, Big Brother (ou le Parti) et Napoleon, gouvernent sans partage,
respectivement, la République de Kangan, l'Océanie et la Ferme des Animaux et
sèment la panique dans les rangs du peuple, dans A Man of the People par
contre, le Premier ministre du gouvernement civil, même s'il a accaparé la
totalité du pouvoir avec la complicité de ses ministres, ne donne pas pour
autant l'impression d'effaroucher outre mesure les populations nigérianes. En
effet, bien que leur présence soit plutôt négative, comme nous le verrons dans
la section suivante, les populations ont eu tout de même l'audace et
l'opportunité d'assister aux débats parlementaires qui sont maintenus par le
nouveau pouvoir autochtone qUI a pris la relève du colonisateur britannique.
*
* *
Les chefs suprêmes, malgré leur pouvoir excessif, font tout de
même partie d'une classe sociale bien déterminée; classe dont ils préservent
sciemment ou non, les intérêts et les privilèges acquis ou à conquérir. Ainsi, Big
161 - Idem, p. 66
162 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 172
163 - Idem, op. cit., p. 176

80
Brother,le chef de l'Etat de Airstrip One, une province de la grande Océanie,
est le chef de file des ultra-privilégiés du régime, les membres du Parti Intérieur
(Inner Party Members) qui représentent une infime partie de la population du
pays.
Cette classe sociale, véritable aristocratie bureaucratique, comme il
en a existé dans les pays communistes, contrôle le Parti unique et l'Etat, qui
forment, en vérité, une même et unique entité. Les classes moyennes ou "middle
classes" sont composées pour l'essentiel, de fonctionnaires subalternes (exemple
Winston et Julia) servant dans les quatre principaux ministères: le Miniplenty
(Ministère de l'Abondance), le Minipax (Ministère de la Paix), le Mini/uv
(Ministère de l'Amour) et le Minitrue (Ministère de la Vérité). Tout à fait en bas
de l'échelle sociale croupissent, tels des animaux, les prolétaires qui vivent dans
le dénuement le plus total.
Les prolétaires océaniens ont leurs correspondants sociaux dans
Animal Farm en la personne des moutons, des chevaux, des rats etc... comme
s'accordent à le reconnaître Mr. Pilkington et Napoleon lors de leur historique
échange de toasts.
Mr. Pilkington:
"If you have your Iower animale to contend with... we have our Iower
classes! " 164
Les "chiens" de Napoleon qui sont en quelque sorte des
fonctionnaires militaires et qui bénéficient de conditions de vie assez décentes
par rapport au reste des animaux de la Ferme, constituent la "middle class" dans
cette entité géographique. Et naturellement, sur l'ultime palier de l'édifice socio-
politique, trône la classe dirigeante, opulente et arrogante; celle des cochons
qui mangent bien: lait, oeufs, pomme... et occupent la résidence cossue
abandonnée par leur ancien maître, l'être humain Mr. Jones.
Chez Chinua Achebe, la référence à une stratification de la société
apparaît nettement. Elle est cependant moins prononcée que chez George
Orwell.
164 - AnimalFarm, op. cit., pp. 117-8

81
Dans A Man of the People, par exemple, les dignitaires, Chief
Nanga, Chief Koko, Chief Alhaji Suleiman Wagaba, forment la nouvelle classe
des africains privilégiés qui ont pris le relais des administrateurs coloniaux.
(..-)We had ull been inthe rain together until yesterday. Then a handful of
us -the smart and the lucky and hardly ever the best -had scrambled for
the one sheller our former rulers left, and had taken it over and
barricaded themselves inç..J65
C'est exactement ce que les cochons ont fait dans Animal Farm en
occupant seuls la maison de ML Jones. Aussi, comme ces derniers et O'Brien
dans Nineteen Eighty-Four, la nouvelle élite africaine a-t-elle tout le bien-être
social et tous les pouvoirs de décisions entre ses mains.
Odili Samalu et Max, respectivement enseignant et avocat, sont les
représentants de la classe moyenne au Nigéria, tandis que les villageois
d'Anata, ceux de Urua, les habitants des bidonvilles de Bori la capitale,
appartiennent aux "lower classes". De même, dans Anthills of the Savannah, les
prolétaires de Kangan, vivant pour la plupart dans les quartiers crasseux de
Bassa, ainsi que les villageois de la province rebelle de Abazon, partagent le
sort peu enviable de leurs cousins nigérians. Mais dans le dernier roman de
Achebe il n'y a pas à proprement parler une allusion claire à un ou plusieurs
membres de la "middle class ". Mais à priori, les policiers de Son Excellence
pourraient bien être considérés comme d'authentiques représentants des classes
moyennes, mais rien de consistant n'est dit sur leurs conditions d'existence
matérielles pour permettre au critique d'aller au-delà d'une simple supputation.
Cependant, un membre de la "upper class", Ikem Osodi, avec sa guimbarde
poussive et son salon presque nu, offre mieux que tout autre personnage du
roman en question, les caractéristiques essentielles du "Middle class citizen ". Par
contre, ses amis Beatrice et Christopher Oriko, haut fonctionnaire et ministre de
la république, vivent dans une décence matérielle incontestable, à l'instar des
cochons de Animal Farm, des "Inner Party Members" dans Nineteen Eighty-Four et
des "Chiefs" dans A Man of the People.
En conclusion, il ressort de l'analyse ci-dessus que la division de la
société en classes distinctes et aux intérêts contradictoires est une réalité
tangible dans l'oeuvre de George Orwell et celle de Chinua Achebe. Et cette
165 - A Man of the People, op. cii., p. 37

82
stratification sociale donne l'impression d'obéir à la méthode marxiste qui
définit la société capitaliste, donc individualiste, comme étant une
superposition, voulue, de trois principales classes: "the upper classes", "the
middle classes" et "the Iower classes", dans l'ordre décroissant. Goldstein, le
personnage mystérieux à qui le pouvoir et le Parti dans Nineteen Eighty-Four
attribuent la paternité des thèses communistes contenues dans un livre
subversif dénommé "the Book", ne parle-t-il pas lui-même de "hierarchical
structure 166 pour définir la structure de la société en Océanie?
*
* *
La situation de domination de tout un peuple par un seul individu
à la tête d'une classe sociale donnée ne saurait être possible que si elle est
appuyée par le rôle déterminant)oué par des forces physiques, psychologiques
et intellectuelles spéciales totalement acquises à la cause du système en place.
Dans Animal Farm, le respect de point en point des ordres donnés
par Napoleon, de même que la répression aveugle des animaux faibles qui
tentent de les transgresser, sont entièrement confiés aux chiens soldats.
(. ..)Thedogs saw to it thai these orders were carried out 167.
Ces redoutables cerbères du régime porcin en place dans la Ferme
des Animaux, constituent, pour ainsi dire, la Garde Présidentielle168 de
Napoleon. En effet, ils veillent étroitement sur leur président aussi bien dans
ses déplacements à l'intérieur de son palais qu'en dehors de celui-ci. Four dogs
guarded him al nighi, one al each corner ... 169. Ainsi, fort du soutien et de la
protection sans faille de ces gardes, l' "homme fort" de la Ferme n'en fait qu'à sa
tête, conscient qu'il est, qu'aucun animal n'ose désormais affronter la furie
meurtrière de ses soldats qui agissent machinalement dès que les ordres leur
tombent des cochons.
166- Nineieen Eighty-Four, op.cii., p. 172
167- Animal Farm, op.cii., p. 67
168- John, Mahoneyand Stewart Martin, Guide ta Animal Farm, Charles Letts and Co Ltd,
London, 1987 p. 66 : The dogs represent those secret organisations of police... Their purpose is ta
prop up theauthority of those in power and silence any opposition.

169 - Animal Farm, op.cii., p. 82

83
La même réalité politico-militaire prévaut dans les trois autres
romans à l'étude.
Les jeunes officiers putschistes, le Chef d'Etat Major des Armées
de Kangan et notamment le Directeur de la Police Politique, le Colonel Ossai
Johnson, dans Anthills of the Savannah, sont les principaux piliers de Son
Excellence, le Président Sam. La police secrète dénommée "The State Research
CounciI"" a pour mission première, voire exclusive, de traquer les adversaires
: du régime, de les arrêter, pour les jeter dans la sinistre B.M.s.P. (Bassa
Maximum Security Prison) qui rappelle, à bien des égards, d'autres maisons
d'arrêt dans maints pays africains. C'est justement dans cette prison que les
membres de la délégation de la contrée de Abazon seront incarnés, accusés
qu'ils sont, d'avoir ourdi un complot contre l'autorité de Son Excellence. La
réalité est que cette province a osé voté "non" au cours du référendum à l'issue
duquel le Président devait gravir des paliers pour être intronisé Président-à-vie
comme bon nombre de ses pairs africains. D'une manière générale, le "Staie
Research Council" ne se soucie guère du respect des Droits de l'Homme -même
ses propres agents sont traités par leurs chefs hiérarchiques comme de
vulgaires esclaves -et recourt, au besoin, aux exécutions sommaires. En vérité,
la mort de Ikem Osodi, le principal adversaire du régime, intervenue après son
arrestation en pleine nuit par les forces dites de sécurité, fait plutôt penser à
une liquidation physique effectuée dans les locaux de la police. La version
officielle, concoctée autour d'un accident provoqué par Ikem au cours de son
transfert, ne convainc personne. Pas son ami Chris en tout cas qui a tenu à le
préciser aux organes de presse étrangers accrédités dans son pays:
(...) 1 am saying that there is no shred of doubt that lkem Osodi was
brutally murdered in cold blood by the security officers of this
governemen t 170.
Ce triste sort réservé à Ikem Osodi, dont le seul tort aura été
d'avoir tenté d'insuffler une dynamique de progrès social et politique dans la
gestion des affaires publiques de Kangan est très souvent le même que
connaissent la plupart des oppo~ants africains qui osent lever le plus petit doigt
contre les régimes autocratiques encore nombreux sur le continent.
170 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 173

84
Mais malgré les rigueurs du régime militaire de Kangan, le "State
Research Council" et la "BMSP" sont des nains par rapport aux mastodontes que
sont la "Thought Police", la "Patrol Police" et le "Mini/uv" dans Nineteen Eighty-
Four. En fait, l'Etat de Big Brother et du Parti est de loin le plus policier de tous.
Pour faire respecter, à la lettre, sa ligne doctrinaire dont l'objectif primordial est
d'engendrer ses types idéaux de citoyen et de société humaine, le Parti-Etat de
Airstrip One, qui a la particularité insolite d'être sans lois, utilise, en
permanence, les précieux services de ces deux polices complémentaires. La
première, redoutable et redoutée, dispose, grâce à une technologie de pointe, de
moyens ultra-sophistiqués qui lui donnent la possibilité de contrôler, avec une
précision inouïe, les faits, gestes et intentions de chaque citoyen.
The Patrol [Police] did not matter... Only the Thought Police mattered.
(...) Any sound (...) above the level of a very low whisper, would be
picked up by [the telescreen]
(... ) There was of course no way of
knowing whether you were being watched at any given moment. How
oiien, or on what system, the Thought Police plugged in on any
individual wire was guesswork. If was even conceivable that they
watched everybody all the time 171.
Le rôle de la police en Océanie est non seulement de traquer tous
les citoyens sans exception, mais aussi de les réprimer de la manière la plus
cruelle. En effet, alors que dans les autres romans les autorités éliminent assez
rapidement tous les constestataires réels ou imaginaires, comme c'est le cas
dans Animal Farm avec les porcins rebelles et AnthiIls of the Savannah avec
l'éditorialiste Ikem, dans Nineteen Eighty-Four, l'élimination -si elle a lieu-
n'intervient qu'au bout d'un long, intense et féroce travail de rééducation de la
mentalité et des passions du prisonnier. Cette rééducation est menée par des
spécialistes comme O'Brien dans les locaux mêmes du Ministère de l'Amour!
O'Brien à sa victime Winston:
(...) we make the brain perfect before we blow it out 172.
La perfection dont parle le tortionnaire n'est rien d'autre qu'un lavage
systématique de cerveau, digne des camps "psychiatriques" de l'ex. U.R.S.s. où
171 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p. 6
172- Idem, p. 210

85
étaient "traités ". avec une rigueur d'enfer, tous les opposants au reglme
communiste qu'on accusait de folie pour mieux les contrôler et les anéantir sur
tous les plans.
Il est à noter que le progrès scientifique et technique n'est pas mis
au service du bonheur supérieur de l'humanité, mais au contraire, utilisé pour
briser les libertés individuelles et collectives, et humilier l'Homme. En vérité,
hormis son utilisation comme instrument de torture physique et
: psychologique, le progrès n'est utilisé ailleurs qu'à des fins bellicistes
-poursuivies paradoxalement par le Minipax qui est censé les réprimer. Et le but
ultime de la guerre contre les voisins est de pérenniser le statu quo, c'est-à-dire,
la main-mise du Parti sur les affaires publiques d'Océanie.
(...) the object of war is not to make or prevent conquests of territory, but
to keep the structure of society intact... 173,
Au fond, les guerres sans fin que l'Océanie livre alternativement à
l'Eurasie et à l'Eastasie sont identiques, dans leurs motivations et leur stratégie,
à celle que Napoleon de la Ferme des Animaux fait à ses voisins Frederick de
Pinchfield et à Pilkington de Foxwood. En effet, la xénophobie qui hante l'esprit
de tous les animaux et qui a été très adroitement cultivée par les services de
propagande du régime porcin, est un véritable ballon d'oxygène pour
Napoleon. En focalisant l'attention des animaux sur l'ennemi extérieur qui
déverse sur eux et leurs enfants des bombes de tous genres, le régime fait d'une
pierre plusieurs coups car, non seulement les animaux sont savamment
détournés de leurs souffrances quotidiennes, mais en plus, ils sont amenés à
saisir la nécessité d'un pouvoir fort, capable de les mettre sous son parapluie.
C'est là la technique du recours machiavélique à la fibre patriotique, très chère
aux régimes impopulaires...
L'arme maîtresse employée par les civils pour confisquer le
pouvoir politique au Nigéria dans A Man of the People est moins la puissance et
la férocité de la machine policière mise en branle dans Nineteen Eighty-Four,
Animal Farm et Anthills of the Savannah -même si celles-ci y sont réelles. L'arme
de prédilection des dirigeants nigérians est la corruption érigée en véritable
institution politico-sociale. Ainsi, pour écarter de la course électorale leurs
jeunes adversaires politiques, les Chiefs Koko et Nanga, figures de proue de la
173 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., 164

86
formation politique au pouvoir, offrent respectivement à Max et à Odili de
l'argent. Après avoir échoué dans leur tentative d'acheter le silence de
l'opposition crédible, les deux politiciens et leur parti recourent, de façon
systématique, à la fraude électorale, autre forme de corruption morale:
( ...)Chief Koko's resourceful wife was leading the Women 's Wing of the
POP in an operation.that one might describe as breast-feeding the ballot,
i.e. smuggling into polling booths wads of ballot paper concealed in their
brassières. 174
Cette particularité est spécifique à A Man of the People car, à
l'exception de ce roman, tous les autres mettent l'accent essentiellement sur le
rôle prépondérant des forces de répression dans la protection des dictateurs et
de leurs régimes respectifs. Tout laisse à croire que les auteurs ont été fortement
influencés par les différentes atmosphères extérieures prévalant au sein des
sociétés européennes et africaines au moment précis où ils écrivaient chacun
leurs romans. De 1940 à 1950, les polices politiques étaient à leur apogée en
Europe de l'Est et embryonnaires en Europe Occidentale avec les effets pervers
de la Seconde Guerre Mondiale; alors qu'en Afrique, les premières heures des
indépendances en 1960 étaient surtout marquées par des intrigues politiques
avec en toile de fond la corruption généralisée. Ce n'est que par la suite, avec le
succès des premiers coups d'Etat militaires, que la répression est venue
s'ajouter à la corruption pour donner naissance à la situation à laquelle Achebe
fait référence dans Anthills of the Savannah.
Mais il n'empêche que le régime civil nigérian est lui aussi très
policier comme l'atteste du reste l'attitude de la police face à l'agression
sauvage contre Odili, et à l'assassinat de Max déguisé en accident de la
circulation. Présente sur les lieux des faits, la police n'a esquissé le moindre
geste pour porter secours aux victimes. Pire, c'est elle qui soutient
sournoisement les hordes de nervis à la solde des hommes au pouvoir:
The police, most of whom turned out to bedisguised party
thugs, performed half-hearted motions to arrest the drioert, ..) 175
174 - A Man of the People, op.cit., p. 142
175 - Idem, p. 142

87
Et pendant que Odili, le crâne fracturé, lutte contre la mort dans
son lit d'hôpital, la police, comble de sadisme, se permet de le mettre en garde à
vue pour possession illégale d'armes à feu, au moment où ses vulgaires
agresseurs ne sont nullement inquiétés; à commencer par leur commanditaire,
le Chief N anga.
Il existe donc, dans les quatre romans à l'étude, une connivence
:éelle entre les dirigeants politiques et les forces de police dans leur lutte
commune pour le maintien d'une clique de parvenus à la tête de l'Etat; au
détriment de la majorité bâillonnée ou persécutée.
*
* *
En appoint à l'action répressive des forces de sécurité, le pouvoir
autoritaire chez Orwell et Achebe met à contribution la Communication pour
parvenir à ses fins.
Ainsi en Océanie, dans Nineteen Eighty-Four, tout un attirail de
moyens de communication audio-visuelle est mis en oeuvre par le Parti par
l'intermédiaire de spécialistes hautement compétents dans leurs domaines
respectifs. Toutes les informations susceptibles de donner aux populations
civiles une appréciation positive de la politique sociale et économique du
gouvernement, de même que celles pouvant galvaniser leur ardeur militante,
patriotique et nationaliste, sont collectées, falsifiées sur mesure, puis déversées
avec tact, sur toute l'Océanie, par le biais de la télévision qui tient tout le pays
en haleine permanente.
(...) For example, it appeared from the Times of the seventeenth of March
that Big Brother, in his speech of the previous day, had predicted that the
South Indian front would remain quiet but that a Eurasian offensive
would shortly be launched in North Africa. As il happened, the Eurasian
High Command had launched its offensive in South India and left North
Africa alone. Il was therefore necessary to rewrite a paragraph of Big
Brother's speech in such a wayas to make him predict the thing that had
actually happened 176.
176 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., P.15

88
La falsification dépasse largement le cadre étroit des discours de
Big Brother pour s'étendre, ainsi qu'il est suggéré plus haut, à tous les domaines
de la vie qui touchent, de près ou de loin, son régime et son Parti...to every kind
of literature ordocumentation which might conceivably hold any political or ideological
significance 177.
Ainsi, c'est sur l'écran géant de la télévision que tombent les
statistiques économiques dont les chiffres relatifs à la production industrielle et
agricole sont considérablement gonflés pour impressionner les populations par
trop crédules. Celles-ci applaudiront à tout rompre aux performances jamais
réalisées par le passé sous le régime capitaliste déchu.
Thefabulous statistics continued to pour out of the screen.
As compared with last year there was more food, more cloihes, more
furniture, more cooking pots, more fuel, more ships, more helicoptere,
more books, more babies -more of everything except dieease, crime and
insanity 178.
De son côté, le Ministère de la Vérité, Miniirue, en apportant sa
bénédiction à ces manoeuvres de falsification à grande échelle, joue un rôle
diamétralement opposé à celui qui devrait être le sien: dire la vérité en toute
objectivité.
Sous un autre rapport, ces falsifications des statistiques
économiques prouvent, s'il en était besoin, que le Miniplenty ou Ministère de
l'Abondance, gère, non pas l'opulence et le bien-être comme il le prétend, mais
bien plutôt la disette permanente à tous les niveaux.
La communication audio-visuelle joue aussi un grand rôle dans
Anthillsof the Savannah. Comme dans Nineteen Eighty-Four, le pouvoir a la haute
main sur toute la presse à Kangan. Et le Ministère de l'Information, qui est
censé oeuvrer pour l'épanouissement des communicateurs, a pour mission
essentielle, pour ne pas dire exclusive, de les museler, de les censurer.
177 - Idem, p. 36
178 - Idem, p. 52

89
C'est le titulaire du portefeuille lui-même qui l'affirme sans détours:
C.') My primary dutY as Commissioner for Information, you see, is to
decide what is inconvenient and inform Ikem who promptly rejects the
information .., 179
Il existe d'ailleurs, au sein de la corporation des journalistes, des
médiats d'Etat, un code secret pour écarter de la voie des ondes et des colonnes
du journal gouvernemental, The National Gazette, toute information jugée non
avenante par les autorités.
Anything inconvenient to those in government is NTBB (ie NOT Ta
BE BRAODCAST) 180.
Lors de la visite de la délégation d'Abazon à Bassa, c'est le Chef de
l'Etat en personne qui supplante son ministre de l'Information pour donner à
Okong des instructions très fermes sur la façon dont la presse écrite et filmée
-point de télévision!- doit couvrir l'événement de manière à en tirer le meilleur
parti possible:
(...) ask the Commissioner for Information to send a reporter across ; and
the Chief of Protocol to detail one of the State House photographers to
take your picture shaking hands with the leader of the delegation. 181
Outre la mise à l'écart pure et simple des informations
embarrassantes pour lui, le gouvernement de Son Excellence livre à la
population kanganoise des informations et des faits tordus en utilisant une
technique bien proche de celle utilisée par Big Brother et son Parti. Ainsi, c'est
la radio nationale, que le narrateur appelle avec une connotation péjorative,
"our national Crier" 182, qui a annoncé, avec fracas, l'arrestation des villageois
d'Abazon pour... sédition concertée alors qu'en vérité, ils se sont déplacés sur
Bassa, non pas pour marcher sur le Palais de Sam, mais uniquement pour faire
allégeance au Chef de l'Etat. C'est encore la même radio-télévision nationale qui
a, dans un communiqué rédigé par le Colonel Ossai, chef du "State Research
Council", présenté Ikem Osodi comme le cerveau du prétendu complot.
179 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 61
180 - Idem
181 - Anthills of the Savannah, op.cit. p. 18
182.A.J'1an oJfhe People
{;J.!34
l
'

90
Pourtant, le lecteur sait parfaitement que ce dernier n'a été que très tardivement
mis au courant de la présence dans la capitale, des habitants de sa contrée
d'origine, Abazon :
This dastarded plot was masier-minded by Mr Ikem Osodi until recently
Editor of thegouemment-cumed National Gazette 183.
Plus tard, la supercherie sur la mort de l'ex-patron de la National
Gazette parviendra aux populations par le canal des médiats d'Etat.
Le régime de Napoleon (Bonaparte ?), à l'instar de ceux de Son
Excellence et de Big Brother, met lui aussi la Communication à contribution
pour se rendre service. Dans ce roman de Orwell, Animal Farm, le poste de
ministre de l'Information -ou du moins ce qui en tient lieu- est confié à
Squealer. Mais contrairement à ce qui se passe dans les autres romans déjà
abordés dans cette section, les moyens modernes de communication audio-
visuelle et écrite, tels que la radio, la télévision et les journaux, sont absents du
paysage politico-social. Après tout, ne s'agit-il pas d'un monde essentiellement
animal ? ..
Le moyen de communication par excellence employé par Squealer
est le contact naturel, direct, avec les populations animales; contact au cours
duquel il leur fait part, quelquefois avec force charges émotionnelles, de la
magnanimité de Napoleon et des performances économiques très au-dessus de
tous les chiffres passés et ceux escomptés.
(...) Squealer (...) would read out to them lists of figures proving that the
production of every class of foodstuff had increased by 200 per cent, 300
per cent, or500 per cent, as the case might be,184
Evidemment, toutes ces données sont substantiellement falsifiées
à des fins purement propagandistes comme dans Nineieen Eighty-Four. La
réalité sur le terrain de la consommation et des besoins est tout autre dans la
mesure où les animaux crèvent de malnutrition et d'intempéries comme l'hiver
qu'ils passent à ciel ouvert.
183 _ Anthi/J.s o.{the 5~lI'Cl"n>ah, p. ,'8.
184 - Animal Farm, op.cit., p. 79

91
Par rapport aux trois romans, Animal Farm, Nineteen Eighty-Four et
Anthills of the Savannah, A Man of the People présente une situation assez
particulière. En effet, toute la presse nigériane n'est pas entièrement sous la
botte du pouvoir civil. Certains journalistes -surtout ceux des organes de la
presse écrite- font de leur plume une arme redoutable qu'ils brandissent pour
faire chanter les hommes politiques influents soucieux de leur honorabilité.
Ceux qui rechignent à se plier à leurs exigences financières sont tout
bonnement pourfendus et traités de tous les noms d'oiseaux devant une
opinion .publique trop ignorante pour faire la part des choses. C'est Nanga, le
démagogue le plus titré du Nigéria, qui s'en confie à son ancien élève et futur
rival, Odili Samalu :
If l don't give him [i.e. the journalist of the Daily Matchet something
noio, tomorrow he will go and write rubbish about me. They say it is the
freedom of the Press 185.
Mais une fois qu'une personnalité accepte, à l'instar de Nanga, d'y
mettre le prix, elle peut amener tout journaliste à écrire tout ce qu'elle désire.
C'est dire qu'au fond, la presse privée joue, à quelques nuances près, les mêmes
rôles de médium des informations livrées dans la forme, le contenu et sur le
ton, souhaités par les autorités que les médiats d'Etat dans les trois premiers
romans analysés. La nuance, c'est que les journalistes nigérians privés agissent
sous l'influence de l'argent et non sous celle de la raison d'Etat. D'ailleurs, la
presse d'Etat est une réalité palpable au Nigéria et elle est utilisée par le
système pour les mêmes fins que celles poursuivies en Océanie, dans Nineteen
Eighty-Four et à Kangan dans Anthills of the Savannah.
(...) 0 H M 5 - Our Home Made Stuf!- was the popular l'lame of the
gigantic campaign which the Government had mounted aIl over the
country to promote the consumption of locallv made products.
Newspapers, radio and television urged every patriot to support this
great national effort which, they said, held the key to economie
emancipation without which our hard won political freedom was a
mirage. Cars eqw'ppeJ with loudspeakers poured out new jingles up and
down the land as they sold their products in town and country ...186
185 - A Man of the People, op.cii., p. 66
186 - A Man of the People, op. cii., p. 35

92
En plus de la radio, de la télévision et des journaux, l'affichage
public des portraits grandeur nature des leaders politiques représente un autre
procédé efficient et commode par lequel la "marcha ndise" politique est
facilement vendue aux populations des sociétés romanesques dans les oeuvres
de Orwell et peut-être dans celles de Achebe.
Dans Animal Farm, pour rendre Napoleon omniprésent dans
l'esprit et le coeur de l'ensemble des animaux de la Ferme, Squealer dresse le
portrait du dictateur et l'accroche sur le mur du grenier principal, haut à côté
des Commandements. Cette proximité rappelle celle qui existe entre les Dix
Commandements et Dieu lui-même. Celui de Big Brother (Nineteen Eighty-
Four) aux traits particulièrement effarouchants, est rencontré à tout bout de
chemin dans le pays: il orne les première et dernière pages des manuels
scolaires et occupe, presque en permanence et en gros plan, le télécran. En
outre, son effigie est gravée sur toutes les pièces de monnaie. Le tapage
médiatique est si intense que les Océaniens ne trouvent nullement la moindre
occasion de se défaire de l'image envahissante de leur leader.
Even from the coin the eyes [i.e. of Big BrotherJ persuaded you. On coin,
on stamps, on the covers of books, on banners, on posters, and on the
wrapping of a cigarette packet -everywhere. Always the eyes watching
you and the voice enveloping you 187.
Dans les romans de Achebe à l'étude, il n'existe pas d'affichage
public systématique des portraits des leaders politiques; du moins, les
narrateurs ne nous en rendent pas compte. Néanmoins, on conçoit difficilement
la National Gazette, journal du gouvernement, paraissant tous les jours sans la
moindre image de Son Excellence sur la première page. Mais l'absence de
l'effigie de Sam du journal gouvernemental peut s'expliquer surtout par le fait
que son principal animateur, le Rédacteur-en-chef Ikem Osodi, est très loin de
jouer le rôle que son ami de président était en droit d'attendre de lui.
Pour ce qui concerne A Man of the People, malgré l'inexistence
d'affichage public de portraits inertes des personnalités publiques, nous
pouvons cependant noter, avec intérêt, que les politiciens démagogues comme
Nanga mettent adroitement à profit leur charme physique et leur coquetterie
187 - Nineieen Eighty-Four, op.cii., p. 26

93
vestimentaire pour s'attirer l'admiration et la sympathie des masses populaires
qui attachent une importance exagérée à de tels détails.
Sur un autre plan,' sachant que tout ce qui est rare devient, du
coup, très précieux, les dictateurs de Airstrip One, de la Ferme des Animaux,
du Nigéria et de Kangan, recourent à la claustration volontaire afin de devenir
une denrée rarissime aux yeux des populations.
Dans cette optique, Napoleon coupe tout contact avec l'ensemble
des animaux de la Ferme, y compris les cochons avec lesquels il forme pourtant
l'élité dirigeante. Alors, il se retire seigneurialement dans son appartement
personnel, d'où il ne sort que très rarement. Et à chaque fois qu'il daigne le
faire, il l'assortit d'un faste et d'une solennité dignes de grandissimes empires
d'un autre âge:
(~~.) Napoleon himselfwas not seen in public as often as once a
fortnight. When hedid appear, he was attended not only by his retinue of
dogs but by a black cockerel who marched in front of him and acted as a
kind of trumpeier; letting out a loud "cock-a-doodie-doo" beiore
Napoleon spoke 188.
Anthills of the Savannah présente une situation assez similaire à
celle qui prévaut dans Animal Farm. A l'issue de sa toute première participation
à un sommet de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) Sam, naguère
célèbre auprès de ses ministres pour sa sociabilité et son affabilité, change
radicalement du jour au lendemain. Il se cloître, comme Napoleon, dans son
palais présidentiel à Bassa ou mieux encore, dans sa retraite présidentielle
("Presidential Retreat ") à Abichi situé à quelques dizaines de kilomètres de la
capitale. Complètement détaché du monde extérieur, Son Excellence ferme sa
porte à tous ses compatriotes, au premier rang desquels ses amis de longue
date, Ikem et Chris. Seuls les occidentaux envers qui il nourrit un complexe
d'infériorité, ont leurs entrées chez le Chef de l'Etat de Kangan. Ikem Osodi à
qui veut l'entendre:
(...) l may be wrong but l felt that our welcome at the palace became
distinctly cooler from that time (... ) l set if down ta Sam's seeing for the
first iime the possibilities for his drama in the role of an African Head of
188 - Animal Farm, op.cit., p. 79

94
State and decided that he must withdraw inio seclusion to prepare his
own face and perfect his art 189.
La claustration la plus frappante pourtant, est sans nul doute celle
du maître de Airstrip One, Big Brother, dans Nineteen Eighty-Four. En effet,
contrairement à Son Excellence dans AnthiIIs of the Savannah et à Napoleon dans
Animal Farm, qui ont eux une existence réelle ainsi que des lieux d'habitation
connus de tous leurs concitoyens, Big Brother donne toute l'impression de se
détacher du monde sensible pour mener une existence plutôt platonique. En
fait, hormis son portrait géant envahissant et terrifiant -celui-ci représente-t-il
un personnage en chair et en os et doué d'une personnalité psychologique ou
est-il tout bonnement sorti de l'imagination fertile des génies plasticiens du
régime océanien? -la preuve irréfutable de son existence demeure un véritable
casse-tête pour le monde de la' critique. Aucun océanien, de quelque classe
sociale qu'il soit, n'a jamais vu son chef en dehors de l'écran de télévision, des
tableaux, des pièces de monnaie... Et l'affirmation de l'existence de Big Brother,
faite par O'Brien sur un ton volontairement péremptoire, est malheureusement
des moins convaincantes dans la mesure où, un peu pl us loin dans la
discussion qu'il a eue avec Winston, le même O'Brien soutient mordicus la
thèse de l'immortalité du leader océanien.
"Will Big Brother ever die?"
"Of course not. How could he die? "190
Vie et mort étant dialectiquement inséparables l'une de l'autre, la
seule conclusion à tirer de l'assertion de O'Brien est la suivante: soit Big
Brother n'existe pas du tout, soit il existe et dans ce cas il est nécessairement
Dieu lui-même. En vérité, quelle que soit l'alternative envisagée, O'Brien est
parfaitement logique avec lui-même quand il dit "How could he die?" Pour la
simple raison que celui qui n'existe pas ne saurait point mourir d'une part, et
d'autre part, Dieu est immortel. La difficulté majeure tient à l'interprétation du
discours ambigu du tortionnaire de Winston qui n'apporte, en définitive,
aucune lumière sur la connaissance du personnage énigmatique de Big Brother.
Ainsi donc, tout un mystère opaque enveloppe la vie du dictateur
d'Océanie, contribuant, ce faisant, à le faire percevoir par les populations
189 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 53
190 - Nineteen Eighty-Four, op. cit., p. 214

9S
comme un dieu qui voit tout, entend tout, sait tout. L'objectif visé par les
idéologues du régime est donc clair à ce sujet: amener les océaniens à vénérer
et à craincre leur leader comme tout bon croyant monothéiste vénère et craint
Dieu qu'il n'a pourtant jamais vu. Dieu n'aurait-il pas perdu de son aura s'il
avait commis l'imprudence de lever un coin de l'épaisse couche de mystère qui
l'entoure? L'homme ne craint en réalité que ce que son cerveau supérieur ne lui
permet pas de dompter, de saisir avec précision. Ce que les fins calculateurs de
Airstrip One on~ bien compris.
Dans A Man of the People, le Premier ministre du gouvernement
civil nigérian, tout en ayant une existence tangible à l'image de Napoleon et de
Son Excellence, se rapproche quelque peu de Big Brother, de par son
effacement quasi-total depuis qu'il a réussi à chasser les technocrates des postes
de responsabilité qu'ils détenaient dans son gouvernement formé juste après
l'accession de son pays à l'indépendance. Tout porte à croire que le Chef du
gouvernement, après avoir accompli sa sale besogne, s'est tout bonnement
barricadé dans une tour d'ivoire dans les arcanes du pouvoir, pour laisser ses
ministres arrivistes se démener comme ils peuvent
dans leurs différentes
circonscriptions électorales.
En clair, dans les quatre romans sur lesquels porte la présente
étude, les dictateurs imitent Dieu dans sa quête de claustration volontaire afin
de mieux imposer leur toute-puissance à leurs administrés.
*
* *
Chez Orwell et Achebe, les dictateurs, une fois au zénith de leur
pouvoir, voient subitement leur nom propre devenir un véritable fond de tiroir.
Leurs "apôtres" leur adjugent des surnoms flatteurs qui font d'eux des divinités
humaines ou à tout le moins, des êtres exceptionnels à qui une obéissance
absolue doit être vouée.
Ainsi, au fur et à mesure que le pouvoir politique de Napoleon se
consolide dans la Ferme des Animaux, son nom se voit de moins en moins usité
par ses administrés.
Napoleon was now never spoken of simply as "Napoleon". He was
always referred to in [ormal style as "our Leader, comrade Napoleon",

96
and the pigs liked ta invent for him such titles as Father of al! Animais,
Terror of Mankind, Protector of the Sheep-folk, Ducklings' Friend, and
the like 191.
Ainsi que le met en relief ce passage, ce sont les plus proches
collaborateurs des dictateurs qui se font un point d'honneur d'inventer pour
leurs chefs des noms élogieux.
Pour Sam dans Anthills of the Savannah, les ministres Okong et
l'Attorney-Général sont certainement à l'origine de la création du titre de "Son
(Votre) Excellence" par lequel le Chef de l'Etat de Kangan est apostrophé avec
déférence par le tout Kangan. Le ministre de l'Education, le professeur
d'université Okong, met une croix sur toutes ses connaissances acquises de
haute lutte pour retourner à l'école de son nouveau maître:
"Your Excellency is not only our Leader but also our
Teacher" 192.
Dans le Nigéria nouvellement indépendant dont il est question
dans A Man of the People, la mise à l'écart des ministres technocrates est rendue
possible grâce à l'intrigue des ministres et députés rétrogrades, qui ont
ovationné longuement le Premier ministre et déversé sur lui une kyrielle
d'appellations hyperboliques pendant son adresse:
The Prime Ministcr spoke for three hours and his t'very ether ward was
applauded. He was called the Tiger, the LiOIl, the Olle and Only, the Sky,
the Ocean and many other names of praise.193
En Océanie, le chef du Parti-Etat s'appelle Big Brother, Grand-
Frère. Tout un symbole... En effet, ce nom, bien qu'étant pratiquement le seul
attribué au leader d'Océanie, n'en renferme pas moins des connotations
multiples qui lui confèrent dans le contexte où il est employé une certaine
pertinence.
Sur ce point de la déification du leader politique, Orwell et
Achebe ont incontestablement fait preuve de beaucoup de réalisme littéraire.
191 - AnimalFarm, op. cit., p. 79-80
192 - AnthiIIs of the Savannah, op.cii., p. 18
193 - A Man of the People, op.cit., p.5

97
En fait, des titres aussi gradiloquents que ceux décernés aux personnages des
deux auteurs, tels le "Timonier", le "Rédempteur", le "Père de la Nation", la
"Lance", le "Guide", ont peuplé et peuplent encore, les discours flagonneurs de
maints hommes politiques, particulièrement en Afrique, en Amérique Latine,
en Asie, dans l'ancien bloc communiste de l'Europe de l'Est et les régimes
fascistes d'Europe occidentale.
*
* *
La machine de la propagande des reglmes dictatoriaux et
impopulaires pousse la mystification et la mythification jusqu'à attribuer toutes
les réalisations imaginables aux leaders politiques qui sont alors perçus par
l'opinion publique comme des guides éclairés, omnipotents et omniscients,
alors que lesdites réalisations sont en vérité sorties, pour la plupart, de l'esprit
créatif d'authentiques génies volontairement mis dans l'ombre:
(...) Every success, every achievement, every victory, every scientific
discovery, aIl knowledge, aIl wisdom, aIl happiness, aIl virtue, are held ta
issue directly from his [i.e. Big Brother'sl leadership and
inspiration 194.
La même atmosphère prévaut dans la société fictive de la Ferme
des Animaux dans Animal Farm où Napoleon apparaît comme l'auteur exclusif
de tous les succès militaires sur les ennemis et envahisseurs humains ainsi que
des performances réalisées dans les domaines sociaux et économiques depuis la
défaite mémorable de Mr. Jones, l'ancien colonisateur et tortionnaire, et
l'avènement historique de la Révolte et de l'indépendance.
(..,) ft had become usual ta give Napoleon the credit for every successful
achievement and everystroke of good fortune 195.
Les romans de Achebe ne font pas exception à la règle. Ainsi, dans
Anthills of the Savannah, lorsque son Excellence le président Sam oppose un
refus catégorique assorti d'une sévère mise en garde à l'idée d'envoyer une
équipe de télévision nationale faire un reportage sur la visite des notables de la
194 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 171
195 - Animal Farm, op.cii, p. 80

98
province d'Abazon, expliquant que cela leur ferait de la publicité gratuite, c'est
Reginald Okong qui saute sur l'occasion pour magnifier la clairvoyance,
l'omniscience de son maître:
"(... )lt is surprising how Your Excellency thinks about
everything" 196.
En revanche dans A Man of the People, il n'est fait mention d'aucun
passage où il est explicitement affirmé que le Premier ministre du Nigéria serait
à la base de toutes les réalisations grandioses dans son pays. Mais le seul fait
que ses proches et partisans voient en lui "The Only and One ", signifie,
implicitement, que le chef du gouvernement est purement et simplement
assimilé à un dieu omipotent ou, pour employer une autre métaphore, un
messie tant attendu qui va, sans tarder, trouver la solution miracle qui extirpera
à jamais la nation nègre des griffes du sous-développement et de l'humiliation
pluriséculaire.
*
* *
Ces dictateurs ont beau être présentés comme des dieux
omniscients et omniprésents, mais ils restent de simples mortels, capables, dans
la finitude de la raison humaine, de commettre des erreurs et de plonger leur
pays dans des situations économiques et sociales des plus délicates. Mais
chaque fois que de besoin, la machine de propagande et d'intoxication est
toujours là en temps voulu et à l'endroit indiqué pour voler à leur secours. La
technique est plus que simple: elle consiste à attribuer la paternité des déboires
aux ennemis intérieurs et extérieurs qui sont intelligemment mis, pour ainsi
dire, dans le même sac de la pourriture anti-populaire et anti-nationale.
Dans Animal Farm, c'est Snowball, l'ancien rival malheureux de
Napoleon, qui est ciblé par les manipulateurs de consciences du régime porcin:
.(...) Whenever anythingwent wrong it became usual to
attribute it to Snowball. 197
196 - Anthills of the savannah, op.cii., p. 19
197 - Animal Farm, op.cii., p. 68

99
L'exemple le plus écoeurant dans ce roman est certainement
l'attribution de la responsabilité de la démolition du moulin à vent à l'exilé
politique Snowball ; puisque le lecteur sait pertinemment que c'est la terrible
tornade ayant arraché sur son -passage quelques arbres, qui a eu raison du
fameux ouvrage. L'objectif de Napoleon dans cette affaire est double.
Premièrement, il veut faire passer son adversaire politique, qu'il craint toujours
malgré son exil forcé, pour un traitre à la nation animale à la solde, tour à tour,
de Pilkington et de Frederick, voisins et colonisateurs potentiels de la Ferme
des Animaux selon la version officielle. Ensuite, Napoleon cherche
astucieusement à masquer aux autres animaux et au peuple, la cause principale
de l'effondrement de leur patrimoine, à savoir son manque criard d'expertise en
matière de génie civil:
The first destruction of the windmill by the storm was a
representation of the collapse of the Fioe-Year Plan's aims and objectives
due to bad luck, lack of up-ie-date knowledge and deficient expertise 198.
Dans Anthills of the Savannah, le régime de Son Excellence, qui a
essuyé un cuisant revers électoral, la province d'Abazon ayant refusé de
plébisciter Sam Président-à-vie, fait porter toute la responsabilité à Ikem Osodi
et Christopher Oriko, tout simplement parce que ces derniers n'ont pas joué
franc jeu comme l'entendait leur ami de président: qu'ils fissent tout ce dont ils
étaient intellectuellement et moralement capables afin de convaincre toutes les
provinces de Kangan, sans exception, à dire massivement, à 99,99 % "Oui" au
projet de référendum.
Outre ses liens subversifs avec les Abazoniens, Ikem est reconnu
coupable de collusion honteuse avec l'ennemi extérieur dont l'objectif déclaré
est de conduire la République de Kangan à la ruine. Ce communiqué diffusé à
la télévision d'Etat après l'arrestation de l'ancien patron du journal
gouvernemental, la National Gazette, est une accusation de rage portée contre le
chien pour justifier sa mort prochaine:
In the"discharge of its dutY in safeguarding the freedom
and security of the State and every law -abiding citizen of Kangan the
State Research Council has uncovered a plot by unpatriotic elements in
198 - John, Mahoney, op.cit, p. 15

100
Kangan working in concert with certain foreign adventurers to
destabilize the lawful government of this country.
This dastardly plot was master-minded by Mr. Ikem Osodi until
recently Editor of the government -owned National Gazette.
He was the key link beetween the plotters in Kangan and their foreign
collaborators199•
En accusant Ikem de manquer de sens patriotique au point de
prêter main forte à la légion étrangère expansionniste, les autorités de Bassa
insinuent par là leur propre patriotisme, dont les limites sont connues du
lecteur. partout brandi, ce type de patriotisme est identique à celui affiché par
Napoleon et les siens dans Animal Farm et masque très mal le pouvoirisme
égoïste et mesquin de ceux qui s'en réclament.
C'est précisément ce même patriotisme rétrograde qui a conduit le
Premier ministre nigérian dans A Man of the People à taxer ses ministres les plus
compétents, mais dangereux pour sa propre survie politique, de vulgaires
agents de l'ennemi extérieur qui chercheraient à reconquérir l'Afrique qui vient
de sortir de l'ornière coloniale.
He [i.e. the Prime MinisterJ said that the Miscreant Gang had been
caught red-handed in iheir nefarious plot to overthrow the government of
the people by the people and for the people with the help of enemies
cbroad 200,
Goldstein, en Océanie, tout en étant aussi mystérieux que son
ennemi politique Big Brother, n'en est pas moins désigné comme le cerveau de
la contestation de l'autorité du Parti et le chef de file incontesté de rebelles
armés tapis dans l'ombre.
199- Anthills of the Savannah, op.cii., pp. 168-9
200- A Man of the Pople, op.cii., p. 5
NB : C'est à peu près le même discours servi, en janvier 1966, par le Président Maurice
Yaméogo de Haute-Volta contre les syndicalistes dirigés par Joseph Ouédraogo. II y
accusait ce dernier d'être à la solde
du Ghana qui lui-même travaillait pour le compte de la Chine de Mao Tse Toung.
CF Destinée: RFI22 sept. 1993 à 8 H

101
(...) He [i.e. Goldsteinl was the commander of a vast shadowy army, an
underground network of conspira tors dedicated to the overthrow of the
State. The Brotherhood, its name was supposed to he 201.
*
* *
Pour conclure cette partie, les caractéristiques intrinsèques des
régimes politiques peints dans l'oeuvre romanesque de Orwell et de Achebe
sont, dans leurs grandes lignes, les suivantes. D'abord, les sOcié,tés qui servent
de cadre aux romans à l'étude, Animal Farm, Nineteen Eighty-Four, A Man of the
People et Anthills of the Svannah, reposent sur une stricte stratification à trois
paliers distincts: d'abord l'élite dirigeante qui a fait main basse sur tout ce qui
devrait être équitablement partagé entre les citoyens: pouvoir et richesses... ;
viennent ensuite les classes moyennes et enfin les classes inférieures dont la
sueur et les larmes arrosent les pommiers et les orangers qui donnent les fruits
qui nourrissent le prince et sa cour.
Le pouvoir absolu que le chef politique exerce à la tête d'un Parti-
Etat est alors au service exclusif de sa caste. Et, pour préserver ses privilèges
sociaux, politiques et économiques, le système érige une administration qui met
l'accent essentiellement sur les forces de répression et une propagande
médiatique, tous azimuts : radio, télévision, journaux, affichage public,
harangue...
Bien structurée, cette propagande touche, pour ne citer que ces
éléments-là, à tous les domaines de la vie nationale: l'économique, le social, le
politique, le militaire, la science, etc.. Tout y trouve son champ d'application et
les régimes en place, surtout ceux dépeints dans la fiction orwellienne, sont
assez solides et leurs dirigeants omnipotents comme un dieu.
Pour ces types de leaders, la politique n'est pas un "art et une
pratique [sains] du gouvernement des sociétés humaines "202, mais plutôt "1 'art de
créer des faits, de dominer, en se jouant, les événements et les hommes" 203 et de rr•••
201 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 15
202 - Définition de la "Politique" par le Petit Robert I, 1987, p. 1476
203 - Définitions proposées respectivement par Beaumarchais, d'Alembert et
Paul Valery

102
tromper les hommes" 204. Ou mieux encore, comme le dit si bien Paul Valéry, une
"simple ...volonté de conquête et de conservation du pouvoir" 205.
II.4. Le petit peuple et le pouvoir politique
Comme nous venons de le voir dans la section ci-dessus, la
manière particulière dont l'Etat totalitaire est structuré place celui-ci entre les
mains d'une minorité très restreinte qui n'en laisse la moindre parcelle au
peuple. Dans cette section qui s'ouvre, l'attitude du peuple vis-à-vis de la
naissance et du développement de la dictature sera abordée dans le détail, de
même que le sort que le régime en place réserve à ce même peuple, dans
l'ensemble des oeuvres à l'étude.
D'une manière générale, l'avènement, au sein des différentes
sociétés de la fiction achebéenne et orwellienne, de la révol te ou de la
révolution, n'intervient pas à des moments historiques favorables au peuple;
exception faite, dans une certaine mesure, du cas de la république ouest-
africaine de Kangan. Cet état de fait découle, en partie, de l'incapacité des
masses populaires à mettre sur pied des organisations politiques ou syndicales
capables de leur conférer un rôle de challenger sérieux dans les luttes internes
pour le contrôle et l'exercice du pouvoir. Cette léthargie dans laquelle est
plongé le peuple ouvre la voie à des opportunistes mieux organisés, par
exemple les militaires dans Anthills of the Savannah, A man of the People ou tout
simplement plus rusés comme les "Inner Party Members" dans Nineteen Eighty-
Four, les "Chicis" dans A Man of the People, les porcs dans Animal Farm qui
s'engouffrent, sans coup férir, dans les brèches ouvertes par les populations.
L'incapacité du peuple à s'organiser pour faire face aux périls qui
le menacent tient, dans une très large mesure, à l'ignorance totale dans laquelle
il est confiné par les tenants du pouvoir.
L'explication d'un tel phénomène est relativement aisée si l'on se
réfère à la situation générale qui prévaut dans chacune des sociétés fictives
conçues par les auteurs. En effet, l'analphabétisme est incontestablement l'une
des denrées les plus abondantes dans lesdites sociétés.
204 -Idem
205- Celle de Paul Valéry, Idem

103
La Ferme des Animaux, dans Animal Farm, est une référence en la
manière. Dans cette société animale, parmi tous les animaux dits inférieurs,
seul Benjamin, l'âne, sait lire et écrire assez correctement; tous les autres, par
pur manque de volonté ou par déficience mentale évoluent dans un univers de
nuages parce que débarrassé de toute culture scientifique ou littéraire:
C..) Clover learnt the whole alphabet, but could not put words together.
Boxer could not get beyong the letter 0 C.') Mollie refused to learn any
but the six letters which spelt heroum name.
.
_ - - .... - - - ....
None of the other animais on the [arm could get further
ihan the letter A. lt was also [ound that the stupider animals such as the
sheep, hens, and ducks, were unable to iearn the Seven Commandments
by heart.206
De tels fainéants et tarés mentaux ne sauraient visiblement faire
le poids face aux cochons à l'intelligence alerte qui ont une maîtrise parfaite de
l'écriture et de la lecture de leur langue.
As for the pigs, they could already read and write perfectly 207.
Le petit peuple de Kangan dans AntJzills of the Savannah et celui du
Nigéria dans A Man of the People sont eux aussi de pitoyables illettrés qui ne
savent même pas s'exprimer dans la langue officielle de leur pays, l'anglais. Ils
ne comprennent que leurs langues maternelles qui ne jouent aucun rôle
déterminant dans les affaires publiques sérieuses, si ce n'est le pidgin, parler-
symbole, qui distingue en général, l'analphabète du lettré dans les anciennes
colonies britanniques d'Afrique. Conséquence: l'inculture occupe tout le
terrain social ainsi qu'en témoignent les propos humiliants mais tout empreints
de sincérité d'un vieil homme de Urua, village natal de Odili Samalu, héros du
roman:
(... ) We are ignorant people and we are like children 208.
Le sort des prolétaires d'Océanie dans Nineteen Eighty-Four n'est
pas moins dramatique que celui des habitants du Nigéria de Kangan et de la
206 - Animal Farm, op.cii., p. 30
207 - Idem, pp. 29-30
208 - A Man of the Peole, op. cit., p. 125-6

104
Ferme des Animaux. Alors qu'ils s'accrochent, comme à la prunelle de leurs
yeux, au Oldspeak, anglais standard dans la diégèse du récit, mais contre
lequel le Parti de Big Brother mène une croisade impitoyable, les membres du
Parti, l'élite, s'octroient eux, jalousement, la langue officielle, le Newspeak :
... all Party members [tendedl to use Newspeak words and grammatical
constructions more and more in their everyday speech2D9•
Ainsi donc, comme les animaux de la Ferme, les masses
populaires océaniennes refusent le progrès, le développement, pour
paraphraser Axelle Cabou-l", En revanche, dans A Man of the People et Anthills
of the Savannah, le peuple est' laissé à lui-même. C'est sans nul doute le
conservatisme britannique d'un côté, et de l'autre, la démission des dirigeants
africains devant leurs responsabilités en matière d'éducation et de formation de
leurs peuples que Orwell et Achebe tentent, chacun en ce qui le concerne
directement, de mettre à nu.
*
* *
L'ignorance qui voile l'esprit du peuple va déteindre de façon
inéluctable sur son attitude pendant les événements décisifs que connaissent
les différentes sociétés. Les exemples sont nombreux et frappants à la fois qui
démontrent qu'un peuple borné se fait toujours berner par ses propres
dirigeants parce qu'incapable de se prendre en charge.
Dans Anthills of the Savannah, la conduite adoptée par le petit
peuple à l'annonce, par la voie des ondes, de la déposition quelque peu
rocambolesque de Son Excellence, est bien révélatrice d'un manque notoire de
maturité politique et intellectuelle de ce dernier. Au lieu de prendre du recul et
ainsi
. garder la tête froide pour réfléchir sérieusement sur les tenants et les
aboutissants d'un événement aussi crucial, ainsi que sur les actions opportunes
à entreprendre sur l'heure, il cède plutôt à l'émotion et se rue, pour ainsi dire,
sur un camion gouvernemental rempli de boisson alcoolisée pour abreuver sa
soif. Ivre comme un polonais, le peuple danse à tout rompre... et permet aux
militaires putschistes hésitants d'affermir leur autorité sur la république.
209 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., pp. 246
210 - Auteur d'un livre très critique sur l'Afrique et les africains face au
développement, intitulé Et si l'Afrique refusait le développement?

\\
105
Le peuple nigérian présente un visage presque identique, dans A Man of the
People. Après les élections truquées, les milices politiciennes investissent tout le
pays, y installent le chaos et jettent le pouvoir civil dans la rue. Les militaires le
"ramassent", faute d'un autre preneur, consolident leurs positions et imposent
progressivement la dictature. Et pour seule réaction, le peuple se borne à
critiquer, après coup, les dirigeants civils qui viennent d'être déposés, et ce/au
détriment de questions essentielles telles, entre autres, les motivations
profondes des nouveaux dirigeants.
Overnight everyone began ta shake their heads at the excesses of the last
.
211
regzme ...
.
Le constat est le même dans les romans de Orwell.
Après avoir très largement contribué à la déroute spectaculaire
des humains et à l'indépendance tant rêvée de la Ferme, leur pays, les animaux
inférieurs, par ignorance doublée d'une naïveté inqualifiable, se laissent
facilement rouler dans la boue par la clique des cochons conduite par Snowball
et Napoleon. En vérité, c'est à cause de leur défaut de maîtrise effective des
termes de la Loi fondamentale en sept points qui régit la marche de la Ferme,
que les animaux n'ont pas pu légalement empêcher les cochons opportunistes
de leur voler leur victoire acquise de haute lutte sur le terrain. C'est une vérité
élémentaire que de dire que celui qui ignore la loi ne peut point s'en servir
pour faire valoir ses droits. C'est certainement pour les mêmes raisons que les
Océaniens n'ont pas su éviter d'être écartés du pouvoir et des centres de
décision par les membres du Parti Intérieur.
L'échec des révoltes et révolutions populaires dans les sociétés
décrites dans la diégèse des romans de Achebe et de Orwell vient s'ajouter à la
liste déjà longue des échecs accumulés par plusieurs peuples des sociétés
humaines réelles sur tous les continents. Et comme s'il était écrit dans l'ordre
naturel des choses, le scénario reste dramatiquement le même: le peuple qui
sue sang et eau, et au tournant de la roue, est renvoyé à la case départ et
délesté de toutes ses espérances par une poignée d'arrivistes. Cette amère
réalité a convaincu Nietsche que la révolution ne s'est jamais faite au profit du
peuple.
211 - A Man of the People, op. cii., p. 148

106
*
* *
Alors, ayant perdu tout contrôle sur le pouvoir et le savoir, les
peuples de Kangan, du Nigéria, d'Océanie et de la Ferme des Animaux, dans
Anthills of the Savannah, A Man of the People, Nineteen Eighty-four et Animal Farm,
respectivement, restent très vulnérables face aux manoeuvres subtiles et aux
exactions multiformes orchestrées par les tenants de l'autorité publique et du
savoir.
Voyons tout d'abord comment la frange au pouvoir considère,
dans ses rapports quotidiens, ceux qui sont au bas de l'échelle sociale.
Rappelons, pour mémoire que la Loi fondamentale dont il est fait
état dans Animal Farm, prônait, avant l'instauration de la suprématie porcine,
une stricte égalité entre toutes les espèces animales peuplant la Ferme des
Animaux: Ail animaIs are equal 212, mais cette maxime, centrale dans
l'organisation sociale et politique de la République des Animaux, se muera plus
tard en une sentence plutôt sélective: ALL ANIMALS ARE EQUALjBUT SOME
ANIMALS ARE MOREjEQUAL THAN OTHERS 213. En termes moins ambigus,
la nouvelle lecture est la suivante: les autres animaux sont classés inférieurs
aux cochons, qui sont alors égaux entre eux. Dans Nineteen Eighty-Four, cette
position régressive du peuple par rapport aux membres du Parti Intérieur qui
dirigent l'Océanie est bien mise en relief par Orwell. De fait, les prolétaires de
ce pays sont assimilés à de simples animaux, comme le clame haut et fort Syme,
le personnage qui symbolise de l'élite au pouvoir: "ProIes are not human beings /1
214
Les dirigeants politiques dans les romans de Achebe eux aussi,
ravalent leurs peuples au rang de créatures minables, dépourvues de toute
parcelle d'humanité. C'est ainsi que le chauffeur désinvolte d'un car de la police
kanganoise lance à un pauvre marchand ambulant qu'il a manqué d'écraser sur
une rue de Bassa: "If l kill you l kil! dog " 215. Cependant, A Man of the People
offre une nuance non négligeable. En effet, malgré tout le mépris ravageur que
les politiciens nigérians ont pour les populations, par démagogie -ils cherchent
212 _ Animal Farm, op. cit., p. 23
213 - Idem, p. 114
214 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p. 47
215 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 48

107
à les ménager afin de mieux s'attirer leur soutien politique-, ils se gardent de
l'exprimer de vive voix. C'est plutôt le narrateur qui, profondément dépité par
la puérilité des attitudes et réactions populaires dans les moments critiques de
l'histoire du Nigéria, permet au lecteur de mesurer toute l'insignifiance de
l'estime dont le peuple bénéficie auprès de la classe politique.
*
* *
Mises dans le même sac de la pourriture humaine que les
animaux, les populations chez Orwell et Achebe sont, le plus clair du temps,
placées dans des conditions d'existence matérielles très proches de celles de
véritables bêtes et sont littéralement ravalées à l'animalité, d'où la profusion
des symboles.
Ainsi, dans Nineieen Eighty-Four, les prolétaires sont abandonnés à
leur sort et parqués dans des quartiers-réserves dont l'accès est, par surcroît,
formellement interdit à tout membre du Parti. Leurs habitations sont d'une
autre époque: "(...) patched-up nineteenth-centurv houses..." 216. Par contre, les
privilégiés du régime, comme O'Brien, vivent dans un luxe insolent devant
lequel Winston, pourtant membre du Parti, est resté tout pantois:
(...) The iohole atmosphcre of the huge block of fiats, the richness and
spaciousness of everything,the uniamiliar smells of good food and good
tobacco, the silent and incredibly rapid lifts sliding up and down, the
white-jacketed servants hurrying to and fro-everything was intimidaiing
217
Le luxe et la superbe qui se dégagent des résidences des membres
du Parti Intérieur rappellent étrangement ceux des habitations des politiciens
du Nigéria comme Nanga et Koko dans A man of the people. En fait, autant
Winston est ahuri par ce qu'il a découvert chez son "ami" O'Brien, autant Odili
Samalu est interloqué d'admiration devant le spectacle qui s'offre à ses yeux
chez son "ami" Nanga:
216- Nineteen Eighty-Four, op. cit., p. 64
217- Idem, p. 139

108
(...) Ali l can say is that on that first night there was no room in my
mind for criticism. l uias simply hypnotized by the luxury of the great
suite assigned to me. When l lay down in the double bed that seemed to
ride on a cushion of air, and switched on that reading lamp and saw ail
the beautiful furniture anew from the lying down position and looked
beyong the door to the gleaming bathroom and the towels as large as a
lappa l had to confess that if l were at that moment made minister l
would be mostanxious to remain one for ever218.
Et Nanga n'est pas le seul dignitaire de l'Etat nigérian à vivre dans
un paradis terrestre sur le dos, toujours calleux, du peuple. Tous les ministres
et honorables députés, sans exception, possèdent de luxueuses voitures ainsi
qu'un grand nombre de villas et d'immeubles, qu'ils louent aux missions
étrangères:
"That row of ten houses belongs to the Minister of Construction (...)
They are let to different embassies at three thousand a year each " 219.
Toutes ces maisons appartenant à des personnalités de premier
plan sont si tuées dans une zone résidentielle spéciale, le "pleasant high-class
area" 220, alors que les pauvres s'entassent, par familles entières, dans des
chambres exiguës fourrées dans des quartiers sordides et mal éclairées.où il
n'existe ni latrines, ni canalisation, comme en témoigne cet arrêté municipal:
(i) Occupiers of al! premises shall provide pails for excrements ... The
public are toarned against unauthorized increases in the number of pails
already existing on their premises 221.
Les pauvres de Kangan sont logés à la même enseigne que ceux
du Nigéria. Dans Anthills of the Savannah, le quartier résidentiel chic,
exclusivement réservé aux ministres et aux hauts fonctionnaires, s'appelle
"Government Reserved Area" (G.R.A.) et fait pendant à la "pleasant high-class
area". C'est ici qu'habitent le ministre de l'Information, Christopher Oriko, et sa
fiancée, Beatrice
Okoh, cadre supérieur dans l'administration de Son
Excellence.
218 - A Man of the People, op.cii., pp. 36-37
219 _Idem, p. 54
220 - Ibidem
. _
221 - A Man ~f the People op.cii., p. 40

109
Pendant ce temps, ~es laissés pour compte du régime militaire: les
chauffeurs de taxi, par exemple Braimoh, les vendeuses comme Elewa et sa
mère, croupissent dans une promiscuité intenable, inhumaine, dans les
quartiers périphériques de Bassa. Le cas de la famille de Braimoh en est une
illustration poignante: celui-ci vit avec sa femme et ses cinq enfants, comme
dans une boîte de sardines, dans une chambrette dépourvue de fenêtre, ne
disposant que d'un vieux lit grinçant envahi de punaises. Et pour combler la
mesure, une dynamique armée de moustiques, avec leur fanfare et leurs
flèches, enlèvent toute stabilité au sommeil des pauvres locataires des lieux:
(...) As soon as the lone light-bulb in the room was turned off the
mosquitoes began to sing to the ear (...) 222
Le spectacle est relativement le même dans Animal Farm. Les
cochons qui président désormais aux destinées de la Ferme des Animaux ont
investi les très luxueux appartements abandonnés par les êtres humains tandis
que les animaux jugés inférieurs sont toujours parqués dans les étables où ils
vivaient sous le règne de Jones. Ils sont ainsi exposés à tous les périls et la nuit
tombée, ils sont engloutis dans les ténébres :
C.') they slept on straw, (...) in the winter they were troubled by the cold,
and in the summer by theflies 223.
En un mot, l'analyse révèle que dans les quatre romans à l'étude,
les dirigeants politiques vivent dans une opulence provocante alors que
l'écrasante majorité, le petit peuple, végète dans l'indigence la plus révoltante,
oubliée qu'elle est dans des quartiers populeux où le minimum fait cruellement
défaut: eau courante, électricité, habitat décent.
Même la nourriture laisse beaucoup à désirer. Dans la ferme, les
animaux inférieurs effectuent tous les travaux champêtres et la construction du
moulin à vent. Paradoxalement, leur alimentation est d'une pauvreté extrême.
Pire encore, leurs maigres rations sont régulièrement tronquées de façon
drastique, même si Squealer, lui, préfère parler de réajustement.
222_ Anthills of the Savannah, op.cii., pp. 198-9
223A'
IT"'
.
0
-
nzma rarm, op.cii., p. Il

110
Meanwhile life was hard (...) Once again aIl rations were reduced, except
those of the pigs and dogs 224.
Résultat: les animaux deviennent de plus en plus squelettiques.
Quant aux cochons, qui ont confisqué toute la bonne nourriture
pour leurs seules bouches tout en demeurant oisifs, ils sont démésurément gras
à l'image de leur chef Napoleon et de son porte-parole, Squealer :
C..) Napoleon was now a mature boar of twenty-four stone. Squealer was
so fat that he could with difficulty see out of his eyes 225.
Dans Nineteen Eighty-Four également, à chaque classe sociale
donnée, correspondent une nourriture et des denrées alimentaires spécifiques.
C'est ainsi que les membres du Parti Intérieur utilisent une marque de thé et du
"real sugar. Not saccharine" 226que Winston, le petit bourgeois, n'a jamais vus de
sa vie. Que prennent alors les pauvres pour leur thé? Rien d'autre que de
vulgaires "blackberry leaves" 227. En outre, la comparaison des odeurs de cuisine
qui émanent respectivement, des demeures des riches et des taudis des
prolétaires, jette toute la lumière sur les disparités nutritionnelles criardes entre
ces deux classes sociales :
C.') Uniamiiiar smells of good food and good tobacco-?", (.,.) nineteenth-
centuru bouses that smeli always of cabbage C.. ) 229.
D'autre part, pendant que les pénuries généralisées accablent les
prolétaires et entraînent leur émaciation qui s'accente de jour en jour.
C,') Actually, so far as he [i.e. Winston] could judge, the majority of
people in Airstrip One were smaIl, dark and ill-favored 230.
Par contre, l'élite a.u pouvoir, y compris les hauts fonctionnaires
qui travaillent dans les quatre ministères, a pratiquement tout à portée de
224 - Animal Farm, op.cii.,p. 95
225 -Idem, p. 108
226 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p. Hi
227 -Ldem, p. 117
228 - Nineteen Eighty-Four, op. cit , p. 139
229 -Idem, p. 64
230 -Idem, p. 53

1 1 1
main, comme le découvre, avec amertume, Winston Smith... "There's nothing
those swine don't have, nothing'' 231.
C'est pour cette raison que tous ces membres du Parti Intérieur
sont aussi potelés que Squealer et Napoleon, leurs compères de la Ferme des
Animaux:
(...) ft was curious how that beetlelike type proliferated in the Ministries
: little dumpy men, growing stout very early in life, with short legs,
swift scutting movements, and fat inscrutable faces with very iittle eyes
232
C'est à peu près les. mêmes réalités que Achebe dépeint. La scène
dans laquelle le ministre de la Formation Outre-mer, le Chief Koko, crie au
crime après avoir eu une petite gorgée du café local à la place de son Nescafé
habituel, donne toute la mesure du clivage entre riches et pauvres au Nigéria.
Alors que le gouvernement a fait du "consommer nigérian" son cheval de
bataille, en lançant une gigantesque campagne d'incitation à l'utilisation
exclusive des différents produits locaux ("patriotisme" oblige), Koko, éminent
membre dudit gouvernement, assimile le café nigérian, que boit son cuisinier, à
du poison concocté par ses ennemis pour la simple raison qu'il n'en a jamais
senti l'odeur, encore moins, la saveur...
"Who poisoned my colfee ?"
..
"'...
.
...
....
"Call the cook !" thundcred the Minister. "Call him here. 1 will kill him
before 1die.
.. '" ...........
(...) The tvïinister's usual Nescafé had run out at breakfast and he [i.e.
the cook] had not had time to get a new tin. 50 he had bretoed some of his
own locaüu processed colfee which he maintained he had bought from
OHM5 233.
Cet incident malheureux montre à quel point ceux qui sont à la
tête de ce pays sont hypocrites. Si le Chief Nanga, lui, dit à qui veut l'entendre,
qu'il raffole des mets locaux et refuse par conséquent les services d'un cuisinier
à l'occidentale, c'est selon toute vraisemblance, par pure démagogie.
231 - Idem, p. 117
232 - Idem, p. 53
233 - A Man of the People, op.cit., pp 33-4

112
Un petit tour dans un village ou un quartier populaire d'une ville
du Nigéria édifie l'observateur sur la dureté des conditions d'existence des
créatures qui y habitent.
Le plat de foofoo que Edna porte à sa mère malade à l'hôpital,
illustre parfaitement notre propos. D'ailleurs, même le père de Odili Samalu,
qui est un interprète colonial à la retraite, l'un des riches parmi les pauvres de
son village, se trouve obligé de se rabattre sur le plat populaire nigérian...
pounded yams and pepper soup...234. Par contre, Koko, qui a une meilleure
alimentation, a une corpulence qui rappelle celle des cochons de la Ferme et
des hauts fonctionnaires d'Océanie:
Chief Koko, a fat jovial man wearing an enormous home -knitted red-
and-yellow sweater was about to have coffee. He asked if we would join
him or have some alcohol 235.
Ironie du sort, dans Anthills of the Savannah, c'est Chris qui donne
l'occasion de constater la différence de qualités de vie entre nantis et indigents
dans la République de Kangan. Le repas très riche qu'il a pris chez sa fiancée
alors qu'il occupait encore le fauteuil juteux de Ministre de l'Information de
Son Excellence, contraste nettement avec celui qui lui est servi sur la route de
l'exil à Abazon en compagnie du chauffeur de taxi Braimoh et de l'étudiant
Emmanuel:
Beatrice preparcd a plate of green salad to augment the brown beans with
fried plantain and beef ste-c.V.236
( ...)they sat boldly at one table and ordered their food; rice for Chris, [ried
yam and goatmeat stew for Emmanuel and garri and bushmeat stew for
Braimoh 237.
Ces plats, pour le moins ordinaires, sont préparés dans des abris
de fortune destinés uniquement aux pauvres voyageurs en partance pour.rou
234 - A Man of the People, op.cii., p. 132
235 -Idem, p. 33
236 - AnthiIls of the Savannah, op.cii., p. 115
237 -Idem, p. 208

113
en provenance, de la capitale Bassa, le seul lieu où il leur est possible de glaner
quelques shillings en se mettant au service de la classe opulente.
>1-
>1-
>1-
Non seulement, les pauvres chez Orwell et Achebe sont très
médiocrement nourris, mais pire encore, ils n'ont nullement droit à des
conditions sanitaires décentes.
La mère de Edna dans A Man of the People a eu la chance de
trouver un lit à l'hôpital où elle est soignée, grâce à son beau-fils Nanga, mais
puisqu'aucune restauration n'est prévue par les services de santé, ce sont les
familles des malades hospitalisés qui s'en chargent, malgré l'étroitesse de leurs
moyens financiers. Les chaudes larmes versées par Edna après l'accident de
vélo qui a déversé son foofoo sur la piste, sont éloquentes: "My mother will die of
hunger today" 238.
Pourtant, malgré tout, ces défaillances en matière de santé
publique constatées au Nigéria sont moins dramatiques que celles dont sont
victimes les pauvres de Kangan... vingt et un an plus tard. En effet, dans cette
république qui représente l'Afrique de la fin de la décade 1980-90, la santé
publique donne l'impression d'être morte de sa belle mort puisque l'admission
à l'hôpital est non seulement payante, mais un véritable parcours du
combattant. Elewa à Beatrice qui lui suggère d'évacuer sa mère malade à
l'hôpital illustre bien cela par les propos qu'elle lui tient:
"Hospital ? Who get money for hospital ? And even if you find money,
the wahala wey de there... My sister, na chemist we small people de go n
239
En clair, l'hôpital n'est pas fait pour les pauvres qui n'ont plus
droit à la santé devenue beaucoup trop chère. L'Etat se désengage purement et
simplement du secteur vital de la santé, en particulier dans les zones démunies
de la capitale. Et ce n'est que grâce à la bienveillance de quelques sociétés
238 - A Man of the People, op.cii., p. 94
239 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 150

114
caritatives, que les rares formations sanitaires parviennent à fonctionner tant
bien que mal.
[The Bassa Rotary Club]... had just bought and donated a water-tanker
to a dispensary in one of the poorest districts o/North Bassa, an area that
has never had electricity or pipe-borne water. 240
Dans Animal Farm, la situation n'est point moins préoccupante.
Les animaux ordinaires boivent des eaux stagnantes "they drank from the pool..."
241 et ceux parmi eux qui tombent malades à force de travailler comme des
bagnards, sont totalement négligés par les cochons à qui incombe le devoir de
leur venir en aide. L'exemple le plus tragique est celui de Boxer 242 qui aura été,
incontestablement, le principal bâtisseur de la prospérité de la Ferme des
Animaux mais qui, lorsque l'âge et l'ardeur à la tâche l'ont subitement cloué au
sol, voit les autres animaux, notamment Benjamin et Clover, s'investir pour lui
prodiguer des soins. Et, ironie dramatique, c'est au même moment où ses
proches tentent de sauver leur vieux compagnon, que les sadiques cochons
font des tractations, non pas pour son transfert à l'hôpital, mais le brader aux
bouchers afin d'être jeté en pâture aux fauves domestiqués. Et c'est Benjamin
qui a découvert l'infamie en lisant l'enseigne sur le véhicule venu prendre leur
pauvre ami: "(...) They are taking Boxer to the knacker's" 243.
Le visage qu'offre les services de santé public dans Nineteen
Eighty-Four n'est pas plus reluisant non plus. Pour que le bien-être soit une
réalité, le recours préalable à la science doit être une condition sine qua non. Et si
l'on tient compte de la philosophie du Parti à propos du progrès, (Progress in
our world will be progress towards more pain) 244 l'on se rend vite compte qu'un tel
régime qui ne s'est fixé pour objectif que d'infliger de la douleur, et encore de la
douleur, à ses populations, n'oeuvrera jamais pour l'atténuer en construisant
par exemple des hôpitaux pour les malades. Mieux, l'acharnement du Parti à
démontrer, par de fausses statistiques, qu'il y a croissance dans tous les
domaines sauf ceux de la maladie et de la criminalité, prouve, au contraire, que
240 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 154
241 -Animal Farm, op.cii., p. 110
242 - "His life c1early highlights the insensitivity ta thetoorkers' needs fa those in power and responsible
for their welfare" John Mahoney, op.cit., p.66
243 - Idem, p. 104
An ,,-t'lCl 1 \\=a r (. i
244 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 220

115
ce sont là les seuls où il y a eu croissance exponentielle. Il suffit tout
simplement de remplacer "more" par "less" et le tour est joué...
(...) As compared with last year there was more food, more clothes, more
houses ... - more of everything except disease, crime and insanity 245.
Le personnage principal, Winston, qui traîne un ulcère variqueux
(son créateur a traîné une tuberculose durant une bonne partie de sa vie adulte)
sans pouvoir trouver où se faire soigner, en sait amplement quelque chose.
En définitive, il ressort de l'analyse ci-dessus que le petit peuple
est un paria politique et social dans son propre pays. Cette situation plus que
regrettable, lui ôte toute parcelle du bien-être sur l'étendue duquel se déploient
les mains tentaculaires de l'élite aux commandes des différentes sociétés
dépeintes dans les romans.
*
* *
L'ignorance qui caractérise le peuple dans les romans de Orwell et
ceux de Achebe n'explique pas, à elle seule, l'infortune qui lui tombe sur la tête.
Comme annoncé dans les lignes qui précèdent: l'intoxication, la
manipulation, la désinformation, en un mot, la propagande, et l'intimidation,
ont une forte prise sur la mentalité fragile des masses populaires. Ces
instruments politiques sont efficacement mis à profit par les dirigeants et leurs
agents pour mettre leurs troupeaux dans les directions qu'ils leur ont tracées.
Ainsi, dans Animal Farm, le lecteur n'ignore pas que les animaux
étaient beaucoup mieux entretenus, dans tous les domaines, sous le règne de
Jones, qu'ils ne le sont actuellement dans leur Etat souverain où ils travaillent
beaucoup plus, mangent moins, tant en quantité et qu'en qualité, et sont
faméliques. Malgré tout, l'astucieux Squealer parvient à leur faire accepter
l'inverse en débitant tous les dimanches, des chiffres records sur les différentes
productions de la Ferme:
245 - Idem, p. 52

116
(...) On Sunday mornings Souealer, holding down a long strip of paper
with his trotter, would read out to them lists of figures proving that the
production of every class of foodstuff had increased by 200 per cent, 300
per cent, or 500 per cent...246
A force de recevoir des chiffres d'une même et unique source, les
animaux finissent, naturellement, par admettre progressivement leur véracité
et par oublier, pour de bon, le passé sombre vécu sous la domination des
humains. Hitler ne disait-il pas que le mensonge devenait vérité, s'il était
souvent répété?
En plus, toutes les fois que se dessine une vélléité de contestation
des vérités trop suspectes de Napoleon, Squealer recourt, dans un premier
temps, au chantage en faisant planer le spectre du retour de Jones sur la tête
des animaux. Et étant donné qu'ils ne savent plus avec précision comment était
le règne humain
part qu'il était atroce, mais moins ou plus que celui des
- à
cochons, ils sont perdus et ils préfèrent alors demeurer dans une situation
connue parce que vécue, que de s'aventurer dans un passé aux contours flous.
"(...) Do you know what would happen if we pigs failed in our dutY ?
Jones would come back ! Yes, Jones would come back ! Surely comrades ",
criai Squeaier almost pleadingly C.')
C.') The importance of keeping the pigs in good health was all too oboious
247
C'est donc face à la menace d'un retour éventuel de jones dans la
Ferme des Animaux brandie par Squealer que les animaux acceptent le
principe de concéder aux seuls cochons toute la récolte de pomme, tout le lait
tiré des vaches et des moutons, afin que leurs dirigeants mangent bien pour
mieux résister aux futures assauts ennemis.
Un chantage autrement plus cruel est utilisé par les cochons pour
punir les récalcitrants. Ainsi, quand les poules se sont haut perchées pour
briser leurs oeufs en guise de protestation contre le détournement de leur
246 - Animal Farm, op.cii, p. 79
247- Animal Farm, op.ciï., pp. 36.-3

117
production au profit exclusif de la clique porcine, Napoleon met en branle le
chantage répressif :
(...) Napoelon acted swiftly and ruthlessly. He ordered the hens' rations
to be stopped, and decreed that any animal giving 50 much as a grain of
corn to a hen should be punished by death 248.
Le bilan de cette attitude musclée sera très lourd: neuf poules sont mortes de
,.
faim au bout de quelques jours de résistance héroïque et les autres, mesurant la
gravité du danger qui les guette, abandonnent la lutte et se remettent à pondre
pour les mêmes bénéficiaires:
(...) For five days the hens held out, then capitulated and went back to
their nesting boxes.249
Ce même genre de chantage cruel est présent dans les deux
romans de Achebe.
Dans A Man of the People, après que le père de Odili Samalu a eu
l'audace d'accueillir dans sa concession les membres du bureau exécutif du
nouveau parti d'opposition, le CPC, et de leur permettre d'y tenir meeting, les
politiciens au pouvoir ne se sont pas fait prier pour s'attaquer aux intérêts
vitaux de tout le village en mettant carrément un coup d'arrêt au programme
d'alimentation en eau courante de Urua.
. : The culmination came at the uieek-end iohen seven Public Works lorries
arrioed in the village and began to cart away the pipes they had deposited
several months earlier for our projected Rural Water Scheme 250.
Il aura fallu que le Crieur Public sorte pour dire à haute voix, au
nom des notables, que tout le village de Urua est dressé comme un seul homme
derrière un seul et unique candidat, le Chief Nanga qui veut rempiler, pour
qu'une partie du matériel emporté revienne:
(...) The eiders and the councellors of Urua and the whole people, he [i.e.
the village Crier] said, had decided that in the present political fight
248 - Idem, p. 67
249 - Idem, p. 67
250- A Man of the People, op.cit., p. 133

118
raging in the land they should make it known that they knew one man
and one man alone, Chief Nanga. Every man and every woman in Urua
and every child and every adult would throw his or her paper for him on
the day of election -as they had done in the past 251.
Sous la pression politicienne, les habitants de Urua enterrent ainsi
les ambitions politiques de leur propre fils, Odili Samalu, tout en ajoutant des
plumes aux ailes de son principal adversaire. Mais ce qui est plus dramatiqlf.e
dans cette affaire, c'est qu'ils ignorent la vanité de leur démarche puisq t1t l5
/'(
votent pour Nanga ou qu'ils soutiennent sans faille Odili, le résultat reste le
même: l'eau courante, qui leur fait tant perdre la tête, ne coulera pas de si tôt.
Et Hezekiah Samalu, l'homme par qui le malheur est arrivé, reçoit, comme
attendu, sa part du chantage: ses impôts sont tout simplement surévalués et il
est sommé par un receveur de taxes de s'exécuter dans les pl us brefs délais:
C.') The local council Tax Assessment Officer brought himlOdili's
father] a reassessed figure based not only on his known pension of
eighty-four pounds a year but on an al!eged income of five hundred
pounds derived from "business" . 252
Anthills of the Savannah reprend le scénario de A Man of the People
avec cependant quelques nuances différentielles. En effet, n'ayant pu se faire
plébisciter Président-à-vie du fait du refus catégorique de la province de
Abazon de lui accorder son suffrage à l'instar du reste du pays, Son Excellence
décide de punir le peuple de toute celte circonscription en faisant arrêter le
projet de forage de puits dans cette zone déja sévèrement agressée par une
sécheresse chronique:
l .. )Because you said no ta the Big Chief he is very angry and has
ordered al! the water bore-hales they are digging in your area ta be closed
sa that you will know what ii means ta offend the sun. You toill suffer sa
much that in your next reincarnation you will need no one ta tell you ta
say yes whether the matter is clear ta you or not "253
251 - Idem, p. 134
252 - A Man of the People, op.cit., p.132
253 - Anthills of the Savannah, op.cit., p.127

119
Confrontés, comme les poules de Animal Farm et les habitants de
Urua dans A Man of the People, à une sérieuse menace de génocide-par la soif et
la faim-les Abazoniens envoient leurs notables auprès de Son Excellence pour
qu'ils disent haut et fort leur "oui" et implorer le pardon du "Seigneur",
détenteur de l'eau si précieuse. Le porte-parole de la délégation va droit au but
en s'adressant au ministre que le Président a daigné désigner pour les recevoir:
(..,) We came ta Bassa ta say our own yes and perhaps the work on our
bore-hales will start again and we will not aIl perish from the anger of
thesun 254.
Malheureusement, le tort est irréparable. Pour Son Excellence, le
vote n'est pas pris pour ce qu'il doit être sous toutes les lattitudes : l'expression
libre d'une opinion personnelle. Il l'assimile plutôt à un défi lancé contre sa
dignité de chef et saisit l'occasion de la présence des dignitaires "rebelles" pour
leur asséner d'autres coups. Ainsi, non seulement les forages ne seront pas
réouverts, mais les porteurs du rameau d'olivier du peuple martyr de Abazon
sont du coup arrêtés pour sédition et mis en prison sans autre forme de procès.
Dans Nineteen Eighty-Four, le système de Big Brother domine le
peuple de Airstrip One à tel point qu'il n'a nullement cure de le faire chanter.
A priori, tout ce qui est énoncé par le Parti est admis comme vérité absolue et
ne souffre d'aucune contestation.
Mais il faut reconnaître, néanmoins, que si le peuple est dans cet
état de soumission totale à la volonté du pouvoir, c'est parce que la propagande
a atteint son but avec une efficacité déconcertante. Comme dans Animal Farm,
pour lequel la question a déjà été abordée plus haut, les faits et les chiffres sont
si accablants que les Océaniens en ont presque oublié le passé dont ils ne
gardent que des détails pour le moins ridicules:
(..,) the few scattered survivors from the ancient world
were incapable of camparing one age with another. They remembered a
million useless things, a quarrel with a work-mate, a hunt for a lost
bicycle pump, the expression of a long-dead sisier's face, the swirls of
dust on a windy morningseven years aga; but aIl the relevant facts were
254 - Anthills of the Savannah, op.cii., p.127

120
outside the range of their vision. They were like the ani, which can see
small abjects but not large ones 255.
Ces fourmis du Nord chez Orwell, ont-elles inspiré à Achebe les
fourmis tropicales de la savane africaine dont ils est question dans Anthills of
the Savannah?
Chez Orwell, la propagande et la répression aveugle ont très
.fortement contribué à
l'aliénation des populations au point d'en faire de
véritables gogos: certains animaux dans Animal Farm n'hésitent pas à conférer
à Napoleon des attributs de Dieu ou à se livrer à des "confessions" synonymes
d'arrêts de mort pour eux-mêmes. C'est ainsi qu'une poule dit:
"Ilnder the guidance of our Leader, Comrade Napoleon, l have laid five
eggs in six days"
Et deux vaches de renchérir:
"Thanks ta the leadership of Cam rade Napoleon how excellent this water
tastes!, . 256
De leur côté, les habitants d'Océanie entrent carrément en transe à la simple
vue de Big Brother sur le télécran et implorent sa grâce divine:
(...) The little sandv-haired W011lan had flung herselfforward ouer the
back of the chair in front of her. With iremulous murmur that soundcd
like "My Savior f" She exiended her arms touiard the screen. Then she
buried her face in her arms. ft was apparent that she was uttering a
prayer.
At thie moment the entire group of people broke into a
deep, slow, rhythmical chant of "BB f ...BB f... BB f..." over and over
again ...257
En revanche, dans les romans de Achebe à l'étude, il convient de
noter que même si la propagande et la répression, omniprésentes chez Orwell,
255 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 79
256 - AnimalFarm, op.cii., p. 80
257 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p.17

121
sont monnaie courante, elles ne sont vraiment pas les seuls éléments qui
expliquent l'état dans lequel sont empêtrées les populations nigérianes et
kanganoises. L'attachement presque viscéral de celles-ci à l'argent les a
détachéasde leur amarres pour les jeter dans la gueule des manipulateurs. Le
discours politique, dans A Man of the People, a toujours consisté à leur promettre
leur part du gâteau national, "The national cake". Le mal est si profond que
même les personnages qui devraient, la sagesse aidant, se mettre au-dessus de
la mêlée, sont malheureusement et fort paradoxalement, ceux qui chérissent
l'argent au plus haut point. Ainsi, le père de Edna a choisi de donner la main de
sa très jeune fille à Nanga, un homme entre deux âges, uniquement parce que
ce dernier est riche. Son objectif est des plus clairs, comme il le précise à Edna
même qui s'inquiète devant l'acharnement de son père sur les poches de son
mari:
(...) Leave me and my in-law. He will bring and bring and bring and l
will eat until l am tired 258.
Quand au père de Odili, il incite son fils à renoncer à la bataille
politique sans merci qu'il livre à Nanga, pour seulement quelques dizaines de
livres et une bourse d'études à l'étranger:
"C.') In spite of your behauiour Chief Nanga has continued to struggle
for you and lias now broug/zt you the scholarship ta your house. His
kinducss surprises me ; J couldn 't do if 1I1yself. On top of t/zat he has
Lwought you two hundred and flfty pounds if you will sign this paper...tt
2,')9
En conséquence, tout dans le Nigéria de Odili c'est-à-dire celui de
la première décennie des indépendances africaines, est tant régi par le dieu
argent que les populations en perdent toute notion de l'Etat et de la patrie: "you
chop, me self l chop, palaver finish" 260. On le voit, ce qui importe pour elles, c'est
l'intérêt particulier des individus ou tout au plus, celui d'une coterie ou d'un
village. C'est tout à l'opposé des animaux dans Animal Farm, excepté Mollie, et
des Océaniens dans Nineteen Eighty-Four, qui, eux, sont de véritables patriotes.
Lors du meeting politique du crc, dont l'animateur principal est Max, un vieil
homme du village de Urua prend la parole, vante le savoir des jeunes
258 - A Man of the People, op.cit., p. 9]
259 - Idem, p. ]]8
260 - A Man of the People, op.cit., p. 149

122
générations mais, à l'arrivée, il passe complètement à côté des attentes des
dirigeants.
(.. ,) The village of Anata has already eaten, now they must make way for
us ta reach the plate.261
Il ne s'est déplacé que pour réclamer sa part du gâteau. L'Etat n'est
alors perçu qu'en tant que mamelle providentielle ; et quiconque a
l'opportunité de se servir mais refuse de le faire, quel qu'en soit le motif, n'est
tout simplement pas sain d'esprit. C'est pour cette raison que la corruption
bénéficie de la bénédiction de tous et de chacun:
"Let them eat !" was the people's opinion. "After all when white men
used ta do the eating did we commit suicide?" Of course not. And where
is the all-powerful white man today? He came, he ate and he went. But
we are still around. The important ihing then is ta stay alive; if you do
you will outlive your present annouanceë«.
Ce passage met en contrepoint une difference de taille entre le
peuple chez Achebe et ce même peuple dans les romans de George Orwell. En
effet, si les animaux de la Ferme et les prolétaires de Airstrip One, tentent en
vain de se rappeler leurs conditions d'existence antérieures, les Kanganois et les
Nigérians maîtrisent parfaitement leur passé et leur présent. Ils savent bien
qu'il n'y a pas de rupture entre le colonisateur qui les a exploités des décennies
durant, et son substitut, le nouveau dirigeant africain: tous les deux ont profité
de leur position politique pour s'enrichir sans vergogne sur le dos du peuple.
Pour revenir à la puissance de l'argent dans les romans de
Achebe, un constat s'impose: l'auteur n'a pas aussi nettement mis à nu la
corruption des populations kanganoises qu'il l'a fait pour celles du Nigéria.
Cependant, certains faits à l'actif des Kanganois lèvent un coin de voile sur leur
amour sincère pour l'argent. Toutes les voies qui y mènent sont empruntées,
même le crime crapuleux trouve sa place dans cette fresque. C'est la raison
pour laquelle les rares honnêtes gens dans les quartiers pauvres voient en tout
passant un vulgaire briganddont ils se méfient comme de la peste. Elewa dit à
son fiancé Ikem Osodi, qui veut la mettre, seule, dans un taxi en pleine nuit :
261 _ Idem, p. 125
262 - A Man of the People, op.cii., p. 144

123
"Imagine ... Ta put a girl for taxi at midnight ta go and jam with arm
robbers in the road " 263
Autre fait mineur mais qui n'en manque pas pour autant de pertinence: le
poste de radio qui a permis aux voyageurs sur la route de Bassa-Abazon
d'apprendre la destitution de Son Excellence, est subtilisé par un voleur qui a
bien su profiter de l'euphorie collective pour commettre son forfait.
"Where is the radio?"
".""'-------
"They done thief-am. As we dey for road de drink a thiej-man go inside
carry the radio commot. This country na sa sa thiei-man full am."...264.
L'argent n'a point, dans la diégèse des récits orwelliens, la même
importance qu'il a chez Achebe. C'est pourquoi la déification de Napoleon dans
Nineteen Eighty-Four et celle de Big Brother dans Animal Farm, n'ont rien de
flagorneur de la part du petit peuple. Celui-ci croit dur comme fer à l'apothéose
divine de son chef d'Etat et ne met pas en avant ses intérêts personnels. Par
contre, les populations du Nigéria et de Kanga sont plus ou moins conscientes
de leurs actes. Et si le Premier ministre est appelé "the Sky" ou encore "the One
and Only", ce n'est pas par conviction profonde ou par naïveté, loin s'en faut.
Cela est dû en partie à un opportunisme ancré dans les moeurs: chacun
cherche à flatter le chef du gouvernement pour avoir sa part du gâteau
national.
*
* *
A ce niveau de notre analyse, la prudence doit être de mise
puisque l'égoïsme à lui seul n'explique pas tout. En fait, mis à part l'ignorance
et l'égoîsme, le cynisme (ou masochisme?) du petit peuple dans les romans de
Achebe constitue une donnée essentielle dont il faudra analyser les contours.
Dans A Man of the People, le peuple nigérian sait pleinement que
les politiciens au pouvoir comme Nanga, Koko, Sulaiman Wagada et leur
coterie, se servent de lui pour s'enrichirles immeubles de Koko en témoignent
263 - Anthills of the Savannah, op.cii., p.35
264 - Anthills of the Savannah, op.cit., pp. 212-3

124
largement; pourtant, leur parti politique continue d'attirer les grandes foules
au détriment du c.P.c. qui se bat pour l'intérêt général. Ainsi, lors d'un
meeting politique de Nanga dans sa localité d'Anata, les villageois se déplacent
en masse 'pour aller acceuillir leur idôle, dansent avec frénésie, gobent son
discours débile et rentrent chez eux, heureux comme de petits écoliers de
retour d'une kermesse.
As soon as the Minister's Cadillac arrived at the head of a long
motorcade the hunters dashed this way and that and let off their last
shois, throwing their guns about with frightening freedom. The dancers
capered and stamped, filling the dry-season air with dust. Not even
Crammar-phone 'e voice could now be heard over the tumult. The
Minister stepped out wearing damask and gold chains and
acknowledging cheers with his ever-present fan of animal skin 265 .
Comme les exécutions publiques le prouvent largement, les
Kanganois ne sont pas moins cyniques que les Nigérians.. les exécutions
publiques le prouvent largement. Ces exercices draînent des foules immenses,
d'hommes, de femmes et d'enfants, sur la plage de Bassa, et ressemblent à
d'authentiques fêtes foraines que personne ne veut se faire raconter. Sous un
soleil de plomb, les spectateurs se bousculent pour s'octroyer les positions qui
donnent une meilleure vue sur la parade macabre. Les pauvres suppliciés sont
l'objet d'invectives les plus haineuses, surtout de la part des femmes qui
devraient, en tant que mères, éprouver de la compassion pour eux. Une femme
déchaînée s'adressant à un supplicié qui clame haut et fort à ses bourreaux qu'il
va ressusciter:
"Na goat go born you nex iime, noto woman "266.
Ces populations savent que les pauvres, qu'on assassine sous
leurs yeux avides, ne sont que de tout menus fretins qui n'ont donc.au plus,
commis là que des larcins ou sont accusés, sans preuve, de meurtres, alors que
ceux qui les font massacrer publiquement, pour divertir et intimider les autres,
sont les plus grands voleurs et les criminels les plus horribles. La manière dont
Ikem et Chris ont été tués par la police en est une preuve irréfutable. Pourtant,
le peuple adule ces assassins-là, accepte leur forfaiture, sur une frange de ce
265 - A Man of the People, op.cit., p.7
266 - Anthills of the Savannah, op.cit., pA2

125
même peuple. Pire encore, ce sont ces grands criminels qui, dans des fauteuils
bourrés, président aux exécutions. Et parmi toute cette assistance survoltée,
une seule femme a vomi, peut-être par dégoût; en tout état de cause, dans la
vision achebéenne, cet acte de vomir est emblématique d'un dégoût généralisé.
( ..)the ordinary people of Kanga believed firmly in an eye for an eye and
that from ail accounts they enjoyed the spectacle[i.e. the execution]. ..267 .
Le peuple océanien dans Nineteen
Eighty-Four a le même
engouement pour les exécutions publiques dont sont victimes les prisonniers
de guerre accusés de crime contre l'humanité. L'accusation, on s'en doute bien,
est fomentée de toutes pièces dans le seul dessein de liquider physiquement
l'ennemi et d'offrir au peuple un divertissement qui le détourne de l'essentiel.
D'ailleurs, le bon sens ne saurait concevoir la possibilité, pour un pays donné,
de juger pour crimes de guerre, des prisonniers pris sur le camp adverse. Mais,
à celui qui est tenté de ne pas le croire, Nuremberg est là, =
' .. Le peuple, lui, ne cherche point à comprendre et raffole du beau
spectacle qu'on lui sert très fréquemment:
(.)This happened about once a mon th, and was a popular
spectacle 268.
Comme dans Antlzills of tlze Sauannah, toutes les couches de la
population sont présentes et les enfants sont aux premières loges. Et nous dit-
on, les deux enfants des Parsons, âgés respectivement de sept et onze ans, sont
fous de rage pour avoir m.anqué une scène de pendaisons. L'un donne à leur
voisin Winston, de passage chez eux, un violent coup à la nuque sans aucune
autre raison que la folie passagère qui l'étreint. Puis, ils s'en prennent tous les
deux à leur mère qu'ils accablent de questions et d'invectives:
"Wlzy can't we go and see the hangil1g? " dit le garçon.
"Want ta see the hanging! Want ta see the hal1ging!
dit
rr
la fille 269 .
Le comportement des animaux face aux exécutions publiques des
poules rebelles et des autres animaux qui ont avoué "leurs" crimes contre la
267 - Anthills of the Savannah, op.cit., p.39
268 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p.23 .
269 -Idem

126
patrie est totalement différent de celui adopté par le petit peuple de Kanga et
d'Océanie. Ils n'y prennent aucun goût. Par ailleurs, ils sont indignés, terrassés
et horrifiés.
When it was aIL over, the remaining animais, except for
the pigs and dogs, crept away in a body. They were shaken and
miserable...
. - .
_
..,
The animaIs huddled about Claver, not speaking 270 .
Le drame c'est qu'ils ne sont pas dans cet état exclusivement à
cause de la cruauté des cochons et des chiens, les bourreaux, comme le lecteur
s'y attendait. En vérité, les animaux restent partagés entre la réprobation du
crime commis par Napoleon, le commanditaire des exécutions, et la
condamnation de la prétendue traîtrise des suppliciés:
They did not know which was more shocking-the
treacherv of the animaIs who had leagued themselves unth Snowball, or
the cruel retribution they had just witnessed ...271 .
Ainsi que le montrent les lignes qui précèdent, sur ce point précis
des exécutions publiques, les dirigeants politiques présents dans Animal Farm,
Ninciecn Eighty-Four et AntliiIls of the Savannah, font de ces pratiques sanglantes
et indignes de tout être civilisé, une redoutable arme contre le petit peuple.
A Man of the People n'offre pas de scènes d'exécutions publiques. Il
n'empêche que c'est dans ce roman de Achebe que le cynisme du peuple, son
masochisme, est le plus frappant, de même que son goût pour la tragi-comédie.
L'exemple le plus illustra tif a lieu lors d'un meeting de l'opposant Odili Samalu
à Anata. Un nervi de son adversaire Nanga est venu l'humilier en lui envoyant
un coup de pied en pleines fesses, et qui l'a presque projeté par terre. Pour
toute réaction à cet acte pour le moins humiliant, les gens qui se sont déplacés
pour écouter son message politique ont éclaté de joie. Comme s'ils avaient
devant eux des comédiens.
270 - Animal Farm, op.cit., p.74-5
271 - Idem, p.74

127
(..yhe rascal kicked me behind-noi violently but enough to make me land
on my two hands, to avoid landing on my head. l was ready for a fight
then but the cowardly feilow had taken to his heels- to the applause of
most of the people around, the very people l had assumed came to hear
me. 272
Aussi, quand les jeunes politiciens à la tête du c.P.c. pourfendent
la corruption entretenue par les vieux renards au pouvoir, leur auditoire se
comporte-t-il comme s'il était au théâtre. Leur message, malgré sa gravité,
n'ébranle nullement ces hommes et ces femmes que pour leur arracher de
grands éclats de rire.
(..)AslMaKlgave instance after instance of how some of our leaders who
were ash-mouthed pau pers five years ago had become near- millionaires
under our very eyes, many in the audience laughed. But it was the
laughter of resignation to misiortune. No one among them swore
vengeance 273.
La résignation a eu raison des populations nigérianes qui vont même jusqu'à
prendre faits et causes pour les corrompus à l'instar de l'ancien policier Couple.
... "We know they are eating(fbut we are eating too. They
are bringing us water and the1J promise to bring in electricitu.;" 274
Couple, un conseiller local du parti au pouvoir, a peut-être des
raisons d'adopter pareille attitude, mais il n'en constitue pas moins un imbécile
satisfait sur qui comptent énormément ceux qui gouvernent, pour consolider
leurs positions au sommet de la pyramide sociale.
Piliers des régimes en place, les imbéciles heureux comme Couple,
sont présents dans les autres romans à l'étude. Boxer est l'idiot numéro un dans
Animal Farm. Cet énorme cheval prend pour vérités inamovibles toutes les
déclarations attribuées à Napoleon, l'un de ses deux slogans favoris est
"Napoleon is always right", Ainsi après avoir assisté à l'exécution barbare des
poules et d'autres animaux fébriles, Boxer, incontestablement le plus puissant
de tous les animaux de la Ferme-y compris les cochons qui dirigent- refuse de
272 - A Man of the People, op.cii., p.102
273 - Idem, pp.123-4
274 _ Idem, p. 124

128
réfléchir et d'adopter la solution qui s'impose: s'en prendre ouvertement à la
furie meurtrière des cochons et de leurs agents exécuteurs, les chiens. Pourtant,
il a administré aux chiens la preuve qu'il peut les battre tous car, ces derniers
ont tenté, sans succès, de le punir pour avoir réfuté la thèse de la trahison de
Snowball que Squealer voulait lui faire avaler. Mais malheureusement, là où la
détermination et la fougue des chiens ont ont été tenues en échec, la simple
référence à Napoleon aura suffi à Squealer :
"Ah, that is different!" said Boxer. "lf Comrade Napoleon says it, it
must he right" 275.
La cause du malheur qui s'abat sur les animaux vient d'eux même,
selon Boxer. Donc, pour éradiquer le mal, il préconise la solution qui consiste,
pour les siens, à faire preuve de plus d'abnégation dans le travail 276.
... The solution, as I see it, is to work harder. From now onwards l shall
get up a full hour earlier in the mornings 277.
Cette solution proposée est à la fois ridicule, inefficace et même dangereux
pour les animaux. En effet, elle contribue à aggraver le mal en ce qu'elle
renforce substantiellement la prospérité de la Ferme et par conséquent, le
pouvoir tyrannique des cochons.
Sous un autre rapport, cette attitude de Boxer a un effet
d'entraînement sur les autres animaux en raison du respect et de l'estime dont
il jouit auprès d'eux. C'est la raison pour laquelle toute velléité de révolte, toute
tentative de changer l'ordre des choses dans la Ferme, se trouve du coup
inhibée, hypothéquée et vouée à l'échec.
Hormis la naïveté de Boxer, la docilité des moutons 278 est un
autre atout de taille dont se sert admirablement Napoleon pour asseoir d'abord
et perpétuer ensuite son régime. Lors des meetings ou rassemblements
populaires, ce sont eux qui étouffent toute tentative de contradiction
275 _ Animal Farm, op.cii., p.71
276 - "[Boxers] philosophy is simpleand based on the vitality of labour":
John Mahoney, op.cit., p.
65
277 _ . An/mati
I-a.rm J p.15 ..
278 - "[The sheepl playa crucial role in Napoleon 's rise to power. Without the sheep, Napoleon wou Id
have had difficultyin rising to such heights of dictatorship... They represent the manipulation of
the masses, especially in situations such as mass meetings..."
, John Mahoney, op.cii., p.67

129
individuelle par leurs cris. Mais malgré l'importance de leur rôle, les moutons
ne sauraient prétendre à plus d'efficacité que Boxer parce qu'ils n'ont ni la force
de caractère, ni la puissance physique qui puissent leur permettre d'avoir
quelque ascendant que ce soit sur leurs compères. Ils ont tout simplement été
dressés par les cochons pour jouer la sale besogne qui leur est dévolue. Et ils
s'àèquittent machinalement. Pas plus.
Tom Parsons, dans Nineteen Eighty-Four, fait partie de cette
fameuse race d'imbéciles bien ciblée par Orwell et Achebe. Comme Boxer,
Parsons est un ardent travailleur, si l'on en croit sa propre femme:
"He loves everything like ihatii.e. harduiork].
He's ever sogood with his hands, Tom is " 279.
Cet idiot qui refuse ou qui est incapable, selon l'angle de perception du lecteur,
de mettre à contribution sa cervelle, est aux anges en avouant, dans une cellule
du Miniluv où il est détenu, qu'il a été arrêté par la Police sur dénonciation de
sa fillette de sept ans.
Winston lui demande:
"Who denounceâ you?"
"It uias II1Y little daugjucr" said Parsons unth a sort of doleful pride 280.
Si dans Animal Farm, Nineteen Eighty-Four et dans une moindre
mesure, A Mail of the People, les imbéciles, véritables piliers du pouvoir, sont
bien présents, il en est autrement dans Anthills of the Savannah. Dans ce roman,
Achebe n'a pas, semble-t-il, jugé opportun de mettre sur scène un idiot qui
serait tout acquis à la cause du régime de SOn Excellence. Peut-être parce que
les réalités ne s'y prêtent pas, en ce sens que les Kanganois agissent toujours
avec une certaine lucidité. En effet, la propagande n'a pas totalement réussi
chez Achebe à façonner de véritables robots humains comme cela s'est fait dans
les oeuvres de OrwelL Il s'agit là d'une divergence et non des moindres dont il
va falloir explorer les raisons profondes.
*
279 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p.22
280 - Idem, p.193

130
* *
Pourtant, dans l'oeuvre romanesque de Orwell et de Achebe, le
petit peuple, que manipule à sa guise le pouvoir, est une terrible force qui,
malheureusement, s'ignore. Certaines scènes laissent clairement entrevoir la
capacité plutôt physique que mentale qu'ont ces populations exploitées et
manipulées, de se débarrasser du joug de ceux qui, par le biais des rênes du
pouvoir, tiennent leur destin en main.
Le constat auquel aboutit immanquablement tout lecteur averti de
Animal Farm est le suivant: si la Ferme est devenue propriété des animaux,
c'est essentiellement grâce au courage et à l'esprit de corps dont font preuve les
animaux inférieurs avec, à leur tête, le fonceur Boxer. Un seul cochon,
Snowball, aura été aussi courageux et déterminé que ce cheval. C'est
principalement leur détermination sans faille qui leur a permis d'infliger aux
humains conduits par Mr. Jones, une sévère correction. D'abord, pour libérer
leur pays, la Ferme; ensuite, parce que ces intrus ont eu l'audace et la cruauté
de faire voler en éclats le moulin à vent, fruit de leur dur labeur.
/.. At this 5ight the animais' courage returneâ to them. The fear and
dispair they had feIt a moment earlier were drotoned in their rage against
this vile contemptible act. A 111igllty cry for vengeance went up and
unthout waiting for further orders tllcy cliargcd forth in a body and made
straight for the enemy. This iimc tlzey did Ilot heed the cruel pellets that
swept oiier thein like hail. ft uias a savage, bitter baffle. The men fired
again and again, and uihen the animais got to close quartevs, lashed out
with their sticks and their heavy boots. A cow, three sheep, and two geese
were killed, and nearly everyane was ioounded (...) But the men did not
go unscathed either. Three of them had their heads broken by blows from
Boxer's hoofs ; anoiher was gored in the belly bya coui's horn ; another
had his trousers nearly torn off by Jessie and Bluebell C.')
(..)The animais chased them right down to the bottom of the field, and got
in some last kicks at them as they forced their way through the thorn
eâge.
- y They had won, but they were weary and bleeding28 1
281 - Animal Farm, op.cii., pp. 88-9

131
La citation, certainement la deuxième de notre étude si l'on en
juge par sa longueur, donne
en contre-partie toute l'ampleur des
extraordinaires capacités de vengeance dont sont porteurs les animaux quand
ils en sentent réellement la nécessité. Comme un seul homme, méprisant la
peur et la mort, ils se sont déchaînés, tels des dopés, sur l'ennemi; et le résultat
est là palpable: ils ont contraint l'envahisseur à la débandade à l'issue d'une
bataille éclair. Ces animaux sont bien physiquement à même de supprimer
toute la clique des cochons. Malheureusement, ils n'en voient pas encore la
raison, malgré leur piteux état d'esclaves battus, torturés et massacrés... C'est là
où se situe tout le tragique dans Animal Farm et... dans beaucoup de pays réels
dominés par la dictature et toutes les autres formes de doctrine.
Dans Nineteen-Eighiu-Four, c'est le gigantesque vacarme provoqué
par un groupe de femmes qui s'arrachent impitoyablement des articles de
ménages dont un petit lot vient d'être mis sur le marché après une pénurie qui
a duré une éternité qui donne toute la mesure des potentialités que possède le
peuple océanien pour se libérer de l'étreinte et du Parti et de Big Brother. Il ne
fait l'objet d'aucun doute que si la hargne avec laquelle se battent ces braves
dames était utilisée contre le système qui domine leur pays, elle pourrait
sérieusement menacer son existence malgré l'armada dont il est doté. Winston
qui l'affirme, en est certain:
~ .. .)if they chose they could blow the Party ta pieces tomorroio tnorning
2R2
Mais, hélas, le réveil n'est pas pour demain car le système a
tellement réussi sa campagne de propagande et de désinformation qu'il n'a en
face de lui que des idiots et des robots, comme Tom Parsons, qui se croient au
paradis à Airstrip One.
Dans A Man of the People, la réaction populaire à la fois spontanée
et très violente à laquelle le véreux commerçant [osiah a eu à faire face pour
avoir osé transgresser les conventions sociales établies en subtilisant à un
aveugle sa canne pour en faire un juju susceptible de lui procurer une clientèle
"aveugle", prouve elle aussi, que le peuple du Nigéria détient les clés d'une
victoire sur les corrompus qui les trompent. Tous les villageois sont sortis de
282 - Nineteen Eighty-Four, op.ciï., p. 60

132
leurs maisons pour se masser devant sa boutique et le harceler. Ils ne s'arrêtent
pas à ce stade: ils boudent [osiah et sa boutique, et le coquin est contraint de
quitter le village faute d'acheteurs.
Josiah had apparently barricaded himself inside his shop,
from where, no doubt, he could hear the crowds outside pronouncing
deadly curses on him and his trades:
....
_.4.,.~
Within one week Josiah was ruined ; no man, woman or
child went near his shop. Even strangers and mammy-wagon passengers
making but a briefstop at the market were promptly warned off 283.
Le hic est que de telles réactions, malgré leur efficacité, restent très
localisées et ne sont dirigées que contre des lampistes.
La même capacité à renverser le régime en place sommeille dans
les entrailles du peuple exploité de Kangan dans Anthills of the savannah. En fait,
le grand nombre de kanganois qui se sont donné rendez-vous sur la plage de
Bassa pour être les témoins privilégiés des exécutions publiques de soi-disant
criminels, d'autres menus fretins ainsi que toutes les vociférations et injures
proférées contre les suppliciés, montrent qu'il existe aussi dans ce pays une
formidable force dormante ayant les moyens de mettre hors d'état de nuire le
régime sanguinaire et impopulaire de Son Excellence. Il est fort dommage de
constater que là égalemen t, comme partout ailleurs dans les romans étudiés, le
petit peuple se trompe d'ennemi en s'acharnant sur des individus qui lui sont
pourtant plus proches que les tenants du pouvoir qu'il ménage ou défend ou
craint tout bonnement.
*
* *
Curieusement, vu sous un autre angle, le petit peuple des sociétés
de la fiction orwellienne et achebéenne s'attire la sympathie du lecteur malgré
ses multiples tares et défauts. La raison est fort simple: c'est qu'il garde encore
une humanité qui fait cruellement défaut aux hommes au pouvoir.
283 - A Man of the People, op.cii., p. 85-6 .

133
Chez Achebe, Anthills of the Savannah et A Man of the People
présentent un ou plusieurs exemples qui mettent en relief l'attachement encore
vivace du peuple à certaines valeurs morales et humanistes.
Ainsi, la réprobation générale de l'attitude du commerçant [osiah
qui a abusé de la confiance de l'aveugle Azoge pour lui subtiliser sa canne,
illustre parfaitement le rejet par les villageois de Anata de certaines conduites
malsaines telles la duperie, l'avidité, l'exploitation des faibles par des hommes
puissants; en un mot, le manque de scrupule. Mais ce comportement digne
d'éloges possède l'inconvénient majeur de ne pouvoir être suscité que pour la
défense des intérêts d'un village ou de ses habitants, pas pour ceux, généraux,
de l'Etat ou de la Nation, notions totalement vagues si toutefois elles existent
dans l'univers mental de ces mêmes populations.
Dans A Man of the People, le père de Odili garde toujours un sens
très élevé de l'honneur et du respect de la parole donnée. Pourtant, l'analyse a
montré plus haut, qu'il est, comme tous ses concitoyens nigérians, sous
l'emprise corruptrice de l'argent. Il refuse catégoriquement de signer un papier
de son parti, le POP au pouvoir, l'enjoignant de nier avoir ouvert les portes de
sa concession aux dirigeants du jeune parti d'opposition, le CPC pour qu'ils y
tiennent un meeting. L'acte est très simple mais tout de même impensable de la
part du vieil homme, car cela lui ferait perdre son âme:
l·)our people sa id that a man of worth never gets up ta unsay tonat he
said ycstcrday. J recciocd your [nend: in my house and J am 710t going ta
dcny if n 2t'.J.
Anthills of the Savannah offre bien des exemples à ce propos. La
plaisanterie très spontanée qui s'est installée entre Elewa et le chauffeur de taxi
venu remercier Ikem pour services rendus à sa corporation illustre bel et bien
cela:
- "Ah, madam Ina know say l go find you here, self."
-"Why you no go find me here ? This man na your sister
husband ?"
- "No madam Ina mean am like thai."
284 - A Man of the People, op.cii., p.135

134
- "Don't warry. Na jake Ide jake..." 285
De même que l'hospitalité à très haut risque offerte au couple de
nantis, Chris et Beatrice, par le pauvre chauffeur de taxi Braimoh et sa femme
mettent l'accent sur le sens profond des rapports sociaux empreints de
solidarité et de civilité, des populations kanganoises.
Les romans de Orwell ne sont pas non plus en reste dans ce
domaine. En effet, l'attention toute particulière dont ont fait preuve l'ensemble
des animaux inférieurs, en particulier
Claver et Benjamen, envers Boxer
malade et alité, n'a rien à envier à celle de Braimoh dans Anthills of the
Savannah. Dès que Boxer s'est affaissé, Claver a immédiatement lancé un SOS :
"We must get help at once... Run, samebady, and tell
Squealer what has happened " 286.
Et ce sont tous les animaux qui se sont précipités chez Squealer, chacun voulant
montrer à quel point il est touché par le malheur qui est arrivé à leur doyen.
Ail the otlier animais immediatelv raced back ta the
[armhouse ta give Squealcr the news. Only Claver remained, and
Benjamin, who lay dawn at Boxer's side, and, without speaking, kept the
flics off him with lzis long tail...2H7
En vérité, le petit peuple de Animal Far111 a le coeur beaucoup plus
tendre que celui des Kanganois comme nous avons déjà pu le noter à propos de
leurs attitudes respectives face aux exécutions publiques.
Comment se présente la situation dans Nineteen Eighty-Faur?
Dans ce roman, les prolétaires sont aussi les seuls êtres humains dignes de ce
nom, bien que toute humanité leur soit déniée par le Parti. Au moment où tous
les membres du Parti, quel que soit leur rang, sont en tout lieu et à tout
moment, crispés et inquiets (on peut, à tout moment, être livré à la police,
même par ses propres enfants), les prolétaires quant à eux, conservent leur joie
de vivre, l'esprit grégaire de l'Homme, ainsi qu'un sens élevé de la famille en
285 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 135
286 - Animal Farm, op.cii., p. 101
287 -Ldem, p. 101-2

135
tant qu'unité sacrée. Ainsi les relations humaines sont également au centre de
leurs préoccupations premières:
(• ..)The train was full of proIes, in holiday mood because of the summs-
''1
weather. The wooden-seated carriage in which he [Wilson] traveled was
filled to overflowing by a single enormous family, ranging from a
toothless great-grandmother to a month-old baby, going out to spend an
afternoon with "in-laux", ...f88
Dans l'ensemble, le constat qui se dégage est que le petit peuple
chez Orwell garde une bonne partie de son humanité, tandis que chez Achebe,
cette humanité se trouve fortement entamée par la dimension matérielle
introduite par le colonisateur. En vérité, c'est la puissance corrosive de l'argent
qui a considérablement perverti les valeurs traditionnelles africaines, dont il ne
reste plus que quelques manifestations et une poignée de gardiens. Le
conservatisme (britannique?) qui habite encore l'âme des masses dans l'univers
romanesques de orwell, constitue, sans nul doute, la planche qui a préservé
l'essentiel des valeurs humaines.
*
* *
Pour conclure, mèrne si nous nous accordons à reconnaître
l'existence de certaines nuances dans leurs manières de traiter du sort du
peuple dans un contexte de tyrannie, globalement, les similitudes sont assez
frappantes chez Orwell et Achebe. Tous deux insistent sur le destin du peuple
qui est éternellement et impitoyablement manipulé, exploité, maltraité; mais
qui, malgré tout, demeure très souvent cynique et masochiste. Ce souci noble
des auteurs a été celui de deux autres écrivains qui ne les ont pas laissés
indifférents: T.s. Eliot et Yeats, comme le confirme, partiellement, Thomas
Melone:
... Entre le monde de Yeats ou de T.S. Eliot d'une part, et l'univers
d'Achebe d'autre part, il y a une commune préoccupation au sujet de la
destinée des sociétés humaines incapables de se soutenir par le fait du
déterminisme ou par leurs propres fautes et condamnées à la destruction
288 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p. 98

136
ou plutôt appelant la destruction comme si une certaine forme
d'annihilation signifiait aussi une certaine forme de salut 289.
En seconde analyse, en effet, tout se passe comme si le sort du
peuple échappe à tout contrôle pour suivre la roue de l'histoire dont le
mouvement a rarement profité à ce même peuple. Le peuple africain des trois
dernières décennies et celui de l'Europe (de l'Est en particulier) depuis
l'avènement du communisme et du fascisme, ont connu la même douloureuse
expérience. Ce que Orwell et Achebe n'ont pas pu passer sous silence en
écrivant, chacun, leur deux derniers romans.
II. 5 - Les intellectuels face au pouvoir tyrannique
Après le sort peu enviable du peuple dont il a été question dans la
section précédente, le développement de celle qui s'ouvre permettra au lecteur
de constater si les intellectuels dans Animal Farm, Nineteen Eighty-Four, A Man
of the People et Anthills of the savannah, connaissent un meilleur sort d'une part,
et d'autre part s'ils prennent les décisions idoines pour contrecarrer la
propagation de l'injustice qUI s'abat sur les couches sociales les plus
vulnérables.
Les intellectuels sont assez bien représentés chez Orwell et
Achebe et y jouent des rôles divers mais somme toute souvent contradictoires.
Ces personnages sont trouvés à l'intérieur comme à l'extérieur du système
politique. Mais au-delà de ce groupage qui ne livre, au fond, aucun éclairage
édifiant sur la personnalité profonde des uns et des autres, nous avons procédé
à une classification qui se fonde exclusivement sur leurs comportements
respectifs vis-à-vis des réalités politiques dans lesquelles ils sont impliqués.
Cette classification, qui se fonde essentiellement sur les types de
comportement, fait ressortir trois grandes catégories d'intellectuels : les
obséquieux et autres collaborateurs des tyrans; les indicis ou pragmatiques; et
enfin, les radicaux.
Dans Anthills of t~e Savannah la plupart des intellectuels sont
mêlés, de près ou de loin, à la politique du régime autoritaire de Son Excellence
Sam.
289- Thomas Melonc, op.cit., pp. 11-2

137
D'abord, le professeur d'université Reginald Okong, ministre de
l'Education nationale et son collègue l'Attorney Général, Gardes des Sceaux,
ministre de la Justice. Ces deux intellectuels de haut niveau sont les prototypes
mêmes du flagonneur et du corrompu moral. Ainsi, pendant le règne médiocre
des civils, le professeur Okong, titulaire de la chaire de science politique de la
grande université de Bassa et, de surcroît, ancien ministre baptiste, fut l'une des
vedettes de la National Gazette, le journal gouvernemental. En effet, avec sa
rubrique très populaire, "String Along with Reggie Okong", il enthousiasmait les
masses kanganoises avec des ~rticles vides de sens mais pleins de clichés
succulents et envoûtants. Grâce à cet amas de poncifs, il réussit adroitement à
détourner l'attention de ses lecteurs de l'essentiel: la nécessité de la lutte contre
les incapables et les corrompus au pouvoir à Bassa. Mais c'est le renversement
des civils par les militaires qui a permis de mettre définitivement à nu la
malhonnêteté intellectuelle qui caractérise cet homme. Dès l'avènement des
jeunes officiers de l'Armée, Okong, sans aucun scrupule, retourne sa veste et se
met à stigmatiser avec une rare violence, les exactions commises par le défunt
régime qu'il a pourtant, par le passé, défendu de toutes ses forces:
t...) But on the very next day after the politicians were
thrown Okong metamorphosed into a briîliant analyst of their many
excesses ... (and described) the overthrow of the ciuilian regime as "a
hisiorical fall from grace to grass !" 290
Devenu ministre de Sam grâce à son habileté à manipuler les
consciences, Okong sera, avec son collègue de la Justice, parmi les membres les
plus obséquieux du gouvernement militaro-civil. Le trait dominant chez ces
deux individus est leur propension à tout entreprendre pour entrer dans les
bonnes grâces de leur président. De fait, dans tous les entretiens que ce dernier
a eus avec ces deux ministres d'un genre particulier, ceux-ci se sont comportés
comme de véritables valets: leurs tons, leurs attitudes, de même que leurs
prises de position, varient à la caméléon selon les sautes d'humeurs de leur
maître. Et la bassesse se le dispute au ridicule. C'est ainsi de la page 18 à la
page 25, foisonnent des illustrations frappantes de leur obséquiosité sans
commune mesure. Pour titiller les fibres sentimentales de Son Excellence, l'un
utilise, rien que sur deux pages (pp. 18-9), seize fois "Your Excellency", tandis
que l'autre, pour les mêmes motifs, accepte, de bonne grâce, de se ravaler au
stade minable de cancre et de vulgaire broussard:
290 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 12

138
"As for those like me, Your Excellency, poor dullards who
went to bush grammar schools, we know our place... We have no problem
worshipping a man like you 291.
Par ailleurs, si Sam est devenu le dictateur borné qu'il est
présentement, l'action néfaste de Okong et de l'Attorney-Général y est pour
beaucoup. Venu informer le Président de l'arrivée imminente d'une délégation
de la contrée rebelle de Abazon, Okong qui constate que le Chef de l'Etat en
veut aux Abazoniens, en profite pour tenter de saper les bons rapports qui l'ont
toujours lié à Ikem Osodi et Christopher Oriko, pourtant ses amis de longue
date. Il met dans la balance psychologique l'appartenance de Ikem à ladite
contrée:
"... l don't want to be seen as a tribalist but Mr Ikem Osodi is causing
al! this troub1e ~ec~u~e ~eJs_a Jy/?ical Abazonian ..."
"WeII, Your Excellency, l have been debating within myseLf what my
path of dutY should be. Whether to alert you, l mean Your Excellency, on
your relationship with the Honourable Commisioner for Information and
also the Eqit~r_of t~~ ~~~et!e".
.".. l believe that if care is not taken those two friends of yours can be
capable of fomenting disaffection which unû make the Rebellion look like
child's play. And if my sixth sense is anything to go by they may be
causing a lot of haooc already" 292.
De prime abord, Son Excellence ne prend pas pour certains les
propos de son interlocuteur; néanmoins, sa confiance en Ikem et Chris s'en est
trouvée sérieusement entamée. Et voulant avoir le coeur net sur la question, le
Chef de l'Etat fait appel au témoignage du ministre de la Justice, l'Attorney-
Général. Lui aussi, ayant flairé les sentiments pour le moins ambigus que Son
Excellence a envers ses amis, s'y prend adroitement pour enfoncer
profondément le clou déjà planté ferme par son acolyte Okong. Dans un
premier temps, il avoue n'avoir constaté rien de suspect dans les agissements
de Chris; puis, fait part à Sam du manque d'enthousiasme évident du ministre
de l'Information en tout ce qui touche au gouvernement de la République.
Enfin, et c'est là que réside toute la gravité de sa démarche, l'Attorney-Général
291 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 24
292 - Idem, pp 18-9-20

139
explique interprête plutôt de façon tendancieuse, la raison principale qui a
cond ui t Chris à agir de la sorte: .
'~ ..)The reason is notfar to seek. Two of you were after al1 class-maies at
Lord Lugard Col1ege. He looks back to those days and sees you as the boy
next door. He cannot understand how this same boy with whom he
played al1 the boyish pranks, how he can today become this nation '5 Man
of Destiny. You know, Your Excel1ency ii was the same trouble Jesus
had to face with his own people..."
"... [Chris] w~n't; to' know why you and not him should be His
Excel1ency" 293.
Pour un individu aussi crédule que Sam (personnage qui
retiendra davantage l'attention de notre étude), les allégations montées par
l'Attorney-Général suffisent largement pour le convaincre définitivement du
double jeu auquel se livrent ses proches. En fait, en replaçant Sam dans son
enfance-adolescence avec ses limites intellectuelles face à un Ikem
particulièrement brillant, le ministre de la Justice, sans peut-être le savoir, a
sérieusement blessé le Chef de l'Etat dans son amour propre et renforcé,
sciemment sa haine naissante pour tous ses amis. Alors, convaincu par ses
l
ministres corrompus aux manoeuvres dignes d'un Iago que Chris et Ikem sont
en train d'ourdir un coup contre lui afin de lui arracher le poste de président
qui n'aurait jamais dû leur échapper en raison de leur plus grande aptitude
intellectuelle, Son Excellence décide, sans en souffler mot à l'Attorney-Général,
d'éliminer ses ambitieux amis.
Les manoeuvres de l'Attorney-Général et de Okong sont d'autant
plus répréhensibles que l'accusation contre Ikem et Chris n'est rien d'autre que
le produit de leur imagination fertile mais malsaine. Par ailleurs, le but visé est
de poignarder une double amitié vieille d'au moins deux décennies. Que des
intellectuels de leur trempe s'adonnent, sans aucune retenue, à de telles
pratiques, est plus qu'inquiétant, et pose l'épineuse question du rôle de
l'intelligentsia dans l'édification des nouvelles nations africaines dans les
périodes post-indépendances. En effet, au lieu de mettre leur intelligence,
quand bien même celle-ci serait douteuse, au service de la collectivité et du
développement harmonieux de leur pays, certains intellectuels africains
l'utilisent de façon diabolique, soit pour semer la méfiance et la défiance au
293 - Anthills of the Savannah, op.cil., pp. 23-24

140
sein du gouvernement, soit pour se rendre service eux-mêmes sur le dos du
contribuable, si ce n'est les deux à la fois. Cette bassesse des intellectuels du
continent n'a pas manqué de choquer Chinua Achebe pour qui l'éducation des
masses revient en priorité à l'élite africaine.
Dans les autres romans, il est difficile de trouver des pareils à
Okong et à l'Attorney-Général. .Tellement leur obséquiosité et leur satanisme
dépassent toutes proportions. Cependant, dans Animal Farm, Squealer, le plus
futé de la Ferme des Animaux après le départ forcé de Snowball, ne met point,
lui aussi, ses formidables capacités intellectuelles au service de la collectivité
animale. Au contraire, c'est lui que Napoleon et Snowball délèguent, aux
premières heures de l'indépendance, pour altérer294, à la faveur de la nuit,
l'esprit démocratique des différents Commandements initiés par le patriarche
Old Major avant de mourir. C'est également Squealer, le grand propagandiste
qui, depuis l'instauration du pouvoir porcin dans la Ferme, sert d'intermédiaire
entre les décideurs Snowball et Napoleon, et la masse des animaux. Il abuse de
la crédulité de celle-ci pour l'écarter du pouvoir et la maintenir dans des
conditions de vie misérables. Par exemple, quand les cochons se sont
appropriés toutes les productions garantes d'une bonne santé, c'est Squealer
qui explique aux animaux le pourquoi:
"Comrades ! tt He cried, 'Vou do not imagine, 1 hope, that we pigs are
doing this in a spirit of sc/fis/mess and prioiieg« ? Many of us actually
dislike milk and apples. 1 disiikc them mysclf. Our sole abject in taking
thcse things is ta preserve our hcalth. Milk and applcs (this lias been
proved by Science, comradcs) coniain substances absolutely necessary ta
the ioeil-being of a pig. Wc pigs are brain-toorkers, The whole
management and organization of this [arm depend on us. Day and night
we are uuuching over your welfare. lt is for YOUI' sake thai wc drink thaï
milk and eat those apples. Do you know what would heppen if wc pigs
failed in our dutY ? Jones would come back ! Yes, Jones ioould come back
! Surely, camrades ! 295
Dans ce passage de Squealer, mensonge éhonté, intimidation et
chantage se bousculent et ne tardent pas à porter leurs fruits. Les animaux
294 - Animal Farm, op.cii., pp. 32-3
295 - Animal Farm, op.cit, pp. 32-3

141
étant disposés à tout endurer sauf un retour de leur ancien tortionnaire et
colonisateur, Jones:
.., 50 ii was agreed without further argument that the milk and the
windfall apples (and also the main crop of apples when they ripeneâ
should be reserved for the pigsalone 296.
Aussi, quand les sept Commandements sont vidés, les uns après
les autres, de leur substance grâce à des rajouts d'expressions opérés de main
de maître, c'est Squealer toujours qui se bat pour convaincre les animaux. Les
exemples qui illustrent bien cela sont nombreux: reprise du commerce avec les
humains; emménagement des cochons dans la maison de Jones, assorti de
l'utilisation de tout le matériel trouvé sur place; restriction illégale de l'égalité
entre tous les animaux... Et chaque fois que ces derniers sont perplexes,
Squealer soutient avec vigueur qu'il n'y a jamais eu quelque prohibition que ce
soit et les enjoint de lui indiquer là où cela a été écrit. Requête impossible à
satisfaire parce que, d'une part les textes originels ont été défigurés, et d'autre
part la plupart des animaux ne savent ni lire, ni écrire. Confondus comme des
écoliers qui ont faussé un problème facile, les animaux baissent la tête et
avalent la pilule:
'(..) 'Are you certain that this is Ilot something ihat you have dreamed,
Cotnradcst.Is it uiritien doum anvtonere?" And since ii toas certainly
truc that notliing of the kind existed in uniting, the animais uicre
satisficd ihat they had been misiakcn 297.
Le moteur de la propagande des cochons se charge également de
vider, du coeur de tous les animaux, l'image glorieuse de l'adversaire défait du
maître de la Ferme. En effet, le courage dont a fait montre Snowballiors de la
décisive Bataille de l'Etable a été si exemplaire que l'ensemble des habitants de
cette république tiennent encore en haute estime leur héros. Cette situation
n'étant pas pour arranger Napoleon dont le souci souci premier est de
s'imposer comme seul et unique héros national de la Ferme, Squealer passe à
l'offensive pour discréditer celui qui, pour beaucoup, demeure le numéro un
malgré son absence. Et tous les expédients y passent:
296 -Ldem, p. 33
297 _ Animal Farm, op.cit., pp.57-8

142
"... Snowball was in league with Jones from the very start! He was
[ones'e secret agent ail the lime. ft has ail been proved by documents
which he left behind and which we have only just discovered. "
... "Did we not see for ourselves how he attempted-fortunately without
success- to get us defeated and destroyed at the Battle of the
Cowshed?
"298.
Devant la réticence de certains animaux, comme Boxer, à
concevoir l'idée saugrenue que Snowball a toujours été un agent secret de
Jones, Squealer décoche une autre flèche de son arc: celle de la menace :
... "I uiarn every animal on this farm to keep his eyes very
wide open. For we have reason to think that some of Snowball 's secret
agents are lurking among us at his moment !" 299,
Cette accusation de complot contre Napoleon, mon tée par
Squealer, rappelle, à bien des égards, celle portée par les ministres de Son
Excellence contre Ikem et Chris. Toutes deux visent à susciter la psychose du
complot chez le chef suprême.
Ainsi, grâce à une propagande neutralisante d'efficacité, Squealer
parvient à faire entrer Napoleon dans le coeur de tous les animaux. Le plus
grand bénéfice politique de cette réussite est la consolidation du pouvoir
autoritaire de Napoleon qui devient alors le tout puissant leader de la Ferme,
comme l'est devenu Son Excellence à Kanga.
Dans cette entreprise de destabilisation du moral des animaux,
Squealer bénéficie de l'appui d'un autre manipulateur de consceinces, le poète
Minimus dont les écrits plongent les habitants de la Ferme dans une ivresse
telle qu'ils ne pensent plus aux problèmes de l'heure qui les étreignent.
Dans Nineieen Eighty-Four, O'Brien joue, à peu près, la même
partie que Squealer dans Animal Farm et Okong et l'Attorney-Général dans
Anthills of the Savannah. Ce personnage négatif fait partie d'un groupe
d'intellectuels idéologues du Parti qui ont écrit, dans le noir, un livre
298 - Idem, p.69
299 - Animal [arm, op.cii., pp. 71-2

143
hautement séditieux, "The Book", et l'ont attribué à l'ennemi numéro un de Big
Brother et "traitre" à la nation océanienne. L'objectif d'une telle stratégie est de
contribuer à mieux noyer Goldstein. En plus, O'Brien se fait malicieusement
passer pour un irréductible adversaire du régime dans le dessein de pouvoir
plus aisément happer dans ses sinistres pièges, les authentiques opposants
comme Winston dont l'arrestation par la Police a été minutieusement préparée
par ce rusé agent secret.
O'Brien ne limite pas son action à aider le régime de Big Brother à
démasquer et à punir ses ennemis; c'est aussi un tortionnaire hors du commun
dans le coeur duquel il ne reste plus une seule parcelle d'humanité. Au fameux
ministère de l'Amour, qui ne l'est que de nom, c'est lui qui est préposé au
lavage de cerveaux des prisonniers politiques comme cela se faisait dans la
défunte URSS et dans beaucoup d'autres pays, où aspiration aux libertés
individuelles rimait et rime encore aujourd'hui, avec subversion et rebellion. En
se livrant à cette technique qui consiste laver le cerveau des contestataires pour
y incruster ensuite une nouvelle vision du monde, le Parti cherche à contrôler
toutes les consciences et à faire aimer Big Brother de tous. Comme Squealer,
Okong et l'Attorney ont réussi à le faire dans Animal Farm. et Anthills of the
Savannah. Cependant, les moyens mis en oeuvre pour parvenir aux mêmes fins
ne sont pas identiques. Alors que les manipulateurs dans la Ferme des
Animaux et à Kangan, recourent au mensonge et à la persuasion, aidés en cela
par un bagout certain, O'Brien, de son côté, jette son dévolu sur la pression
psychologique et la torture à l'aide de machines ultra-modernes. De ce point de
vue, une similitude existe néanmoins entre Animal Farin et Ninciccn Eighty-Four
: l'étape par laquelle passent les animaux de la Ferme pour ensuite aimer
Napoleon, est pareille à celle par laquelle transitent le mental des prisonniers
politiques océaniens avant que Big Brother ne leur devienne cher. En effet,
animaux et océaniens mettent une croix sur la réalité tangible, pour
s'accommoder des fausses vérités du genre: 2 + 2 = 5, imposées par les
propagandis tes.
Toujours dans Nineteen Eighty-Four, O'Brien et le linguiste Syme
s'avèrent être les défenseurs acharnés des thèses et objectifs du Parti. Lors de
l'interrogatoire musclé de Winston dans les bureaux du Miniluv, O'Brien
énumère, avec enthousiasme, les desseins inhumains que le Parti vise à
atteindre:

144
(...)Power is in inflicting pain and humiliation. Power is in
tearing human minds to pieces and putting them together again in new
shapes of your own choosing...
(...)Progress in our world will be progress towards more
pain. The old civilizations claimed that they were founded on love and
justice. Ours is founded upon hatred ...
(.•• )We shaH abolish the orgasm. Our neurologists are at work
upon it now 300.
Syme est membre d'une corporation de linguistes dont la tâche
consiste dans la réduction de la langue écrite et orale à sa plus simple portion.
L'objectif déclaré de ces linguistes d'un genre nouveau est de contribuer, à leur
manière, à perpétuer le règne de Big Brother et du Parti. Il ne fait pas de doute
que, le jour où ils auront terminé leurs travaux, la communication entre êtres
humains deviendra presque impossible et le tyran d'Océanie pourra enfin avoir
le loisir de régner sur des sujets dépourvus d'un attribut distinctif majeur: le
langage.
"Dont you see tlzat the whole aim of Newspeak is to
narroio the range of thought? ln the end we shal! make thoughtcrime
literaly impossible, bccause thcrc will be no uiords in iohich to express it
t t
.")()]
En outre. Syrne est doublé d'un sadique que tout rapproche des
populations de Bassa. Après avoir assisté à la pendaison des prisonniers de
guerre, il laisse libre court à sa joie puérile :
"li was a good hanging... 1 ihink it spoils it tohen they tie their feet
together. llike to see the kicking" 302.
Malgré tout, nous pouvons dire, à la décharge de Syme et à celle
de O'Brien, qu'ils ne sont pas foncièrement maîtres de leurs faits et gestes. Ils
sont au même titre que les Océaniens affiliés au Parti, victimes, plus que les
prolétaires, du système politique qui a fait d'eux de simples robots. Par
300 - Nineteen Eighty-four, op.cii., p. 220
301 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p.46
302 -Ldem, p.44

145
conséquent, ils sont dans l'obligation de mettre leurs connaissances, leur
savoir-faire, leur cruauté, au service exclusif du Parti et de son chef. En
revanche, Squealer, Okong et l'Attorney-General, sont beaucoup moins
excusables: ils ne sont, à l'origine, sujets à aucune contrainte, et agissent donc
sciemment pour des buts bassement égoïstes. Il est clair que derrière
l'entreprise de Okong et de l'Attorney-General de ternir les relations entre Sam
et ses deux amis Ikem et Chris, se cache leur volonté de supplanter ces derniers
dans le coeur du Président. Squealer, quant à lui, vise à sauvegarder la
prépondérance de son ethnie, celle des cochons, sur les autres qui forment la
population de la ferme.
Dans le quatrième roman, A Man of the People, les Chiefs Nanga,
Koko, aident le pouvoir à se servir des populations nigérianes; mais, à notre
humble avis, ces coquins sont d'un niveau intellectuel si médiocre, qu'il serait
peu décen t de leur faire l'honneur et le privilège de les ranger dans la catégorie
des intellectuels authentiques, d'où le parti que nous avons pris de les en
exclure.
En dernière analyse, nous constatons que d'une manière générale,
le propre des intellectuels corrompus chez Orwell et Achebe est d'aider le
système politique en place à mieux asseoir sa domination sur les autres
composantes politiques et sociales des différents pays-cadres. Même si certains,
surtout des personnages orwel1iens, prêchent aussi pour leur propre paroisse!
*
* *
Le second type d'intellectuels est aux antipodes des collaborateurs
des tyrans ci-dessus mentionnés. Ils sont d'un radicalisme certain.
Dans A Man of the People, les intellectuels radicaux sont Odili
Samalu, jeune enseignant de brousse, mais d'un niveau intellectuel supérieur à
celui de son ancien maître Nanga, il a obtenu un diplôme universitaire, et
l'avocat Max Kulamo. Tous les deux se sont connus à l'université et ils sont des
adversaires déclarés du régime civil. Le premier lutte directement contre Chief
Nanga, le second contre Chief Koko. Mais il serait intéressant de voir comment
les deux amis sont entrés dans l'opposition.

146
L'arrivée de Odili à la politique est étroitement liée à sa rencontre
à Anata avec son ancien maître d'école, M.A. Nanga. Ce dernier, bafouant
toutes les règles de courtoisie et de bienséance, couchera par la suite avec la
fiancée de son élève, dans sa propriété de Bori, la capitale. C'est cette
humiliation atroce qui a effectivement projeté Odili dans l'arène politique où il
ne semble avoir qu'un ennemi, Nanga. Il se porte alors candidat au poste de
député de la circonscription que Nanga détient jalousement depuis des années,
même s'il n'ignore pas qu'il ne possède pas la force politique nécessaire pour
ébranler son adversaire de son piédestal. Son objectif n'est point de gagner,
mais d'infliger une humiliation au maître des lieux qui cherche, par tous les
moyens, à être l'unique candidat à sa propre succession. Pour que l'humiliation
soit totale, Odili entreprend de ravir au député en place sa nouvelle et
ravissante jeune épouse, Edna. Et à un certain moment d'ailleurs, son amour
pour Edna devient si intense, si sincère, qu'il donne l'impression d'avoir pris le
pas sur sa conviction politique, comme, du reste, il le reconnaît lui-même:
(...)1 had started off teUing myself that 1 was going for her
in order to hurt Nanga; now 1 would gladly chop off Chief Nanga '5 head
50 as to get her. Funny, wasn '! it? Having got that far in my self-
analysis 1 had to ask myself one question. How important was my
political activity in its oum right? If was diffieu!t to say; thing» seemed
mixed up; illY revenge, illY new politiculantbiiion and the girl•.303 .
En vérité, il s'avère difficile, vers la fin du recit. de dire si Odili
lutte pour débarrasser le Nigéria de ses fossoyeurs ou tout simplement pour
obtenir la main de la belle Edna. Néanmoins, Odili est à créditer d'une certaine
probité morale puisqu'il a refusé, jusqu'au bout, d'être corrompu malgré les
offres faites par Nanga; en particulier celle d'une bourse d'études à l'étranger.
Mais le plus grave reproche que l'on peut faire à ce personnage central dans A
Man of the People, est que sa conviction politique et son engagement dans la
bataille contre les dirigeants corrompus de la première heure ont été purement
et simplement relégués au second plan par son amour égoïste pour la femme
d'autrui. Et que conclure de sa réaction après qu'il soit entré dans la luxieuse
villa de Nanga à Bori?
303 - A Man of the People, op.cii., p.l08

147
(...)All l can say is that on that first night there was no room in my mind
for criticism 304.
Est-ce qu'il se bat contre la corruption parce qu'il n'en bénéficie pas? De toute
façon, même si cette pensée est tout à fait intériorisée, elle constitue néanmoins
un indice qui indique au lecteur le chemin qui conduit au moi profond de celui
qui l'a exprimée. Et la tournure des événements montre bien que Odili a gagné
sa véritable bataille puisqu'il va se marier avec Edna après avoir perdu la
bataille politique: il n'a même pas réussi à se porter candidat contre Nanga
qu'il n'a jamais su ou voulu mener avec la même opiniâtreté.
Par contre, Max a le mérite d'être entré dans l'opposition dans
l'unique but de contrecarrer l'action négative de ceux qui gouvernent son pays
après le départ du colonisateur. Il ne cherche qu'à mettre un terme à la
corruption, au népotisme, au règne de l'incompétence, tous des maux qui
freinent sérieusement l'essor du Nigéria vers le développement et le bien-être.
C'est dire donc que ses convictions et son engagement politiques dans la
bataille pour un meilleur devenir du Nigéria sont plus conséquents. Il
n'empêche que Max aussi n'est point exempt de tout reproche. En acceptant de
se faire corrompre par son rival Chief Koko, alors que Odili a craché sur les
avances de Nanga, Max donne l'impression d'avoir administré la preuve qu'il
serait un Koko s'il était élu député. Mais ce n'est là qu'une simple impression
qui commande d'être prudent quant à la conclusion à tirer d'un tel agissement.
En effet, nous pouvons admettre, tout de mêm.e, que la raison qu'il a avancée
pour justifier son attitude est tout à fait recevable; même si Odili, lui, n'est pas
convaincu.
.,. ''Ii '5 as much your lIloney as his[i.e. Nanga '5] " 305.
En termes plus clairs, l'argent qu'utilisent les dirigeants de P.O.P. pour acheter
leur siège de député appartient à tous, au peuple; donc l'accepter n'est pas
forcément synonyme de corruption: c'est plutôt faire preuve de bon sens.
En dépit de son engagement sincère, Max ne verra pas celui-ci
couronné de succès: il sera lâchement assassiné par les hommes de main de
son adversaire politique avant même la fin du scrutin.
304 -Lâem, p.36
305 - A Man of the People, op.cii., p.127

148
L'échec politique de Odili et de Max est un sérieux camouflet
infligés à ces deux intellectuels et à leurs corporations: celle des enseignants et
des juristes, qui seraient perçus par l'auteur comme des gens incapables de
contribuer, de façon positive, à l'avènement d'une société égalitaire dans les
pays africains alors nouvellement indépendants. Les écrivains sont quelque
peu écorchés car Max, ne le perdons pas de vue, est un poète, mais à ses heures
perdues: la nuance est d'importance.
En vérité, ni Max, ni Odili, n'a pu rassembler les qualités requises
pour parvenir à impliquer les masses populaires dans leur action de rénovation
et d'instauration de ce que l'universitaire et homme politique sénégalais
Madior Diouf appelle une nouvelle "éthique de gestion" des affaires publiques
nigérianes. Les seuls individus qu'ils ont réussi à convaincre et à inclure dans
leur parti, ou plus précisément dans leur campagne électorale, sont de
vulgaires bandits, dont l'unique dessein est de se remplir les poches et de
semer la terreur. Absolument rien ne sépare les gardes du corps de Odili,
dirigés par Boniface, des bandes de jeunes gens comme Dogo, recrutés par
Koko, Nanga et les autres dignitaires du régime. Ce sont tous des nervis pour
qui les élections représentent une aubaine pour, enfin, se servir sur le dos du
peuple.
Les déboires de l'enseignant Odili et ceux du juriste Max dans A
Man of the People ont conduit Achebe à octroyer une nouvelle profession à son
intellectuel radical dans Anthill: of the Sarannah, Ikern Osod i est un poète (et
sans nul doute le meilleur de Kanga) et un journaliste de métier comme son
ami Chris qui a animé la National Gazette avant lui. Notons, au passage, que les
pires intellectuels dans le dernier roman de Achebe: Okong et l'Attorney-
Ceneral, sont respectivement enseignant et juriste, à l'instar de Odili et de
Max ...
Ce qui rapproche dans une certaine mesure Ikem de Odili, c'est
leur attachement à l'austérité. Mais celle de Ikem est de loin plus étendue et
plus conséquente 306. Cet intellectuel qui a une solide formation universitaire,
est l'une des personnalités les plus en vue du régime de Sam; même s'il a choisi
306 - Odili a déclaré avoir choisi un poste d'enseignant de brousse pour être indépendant; mais
la suite des évènements a prouvé le contraire: il a bel et bien accepté d'être aidé par Nanga
pour avoir une bourse d'études à l'étranger. C'est Nanga qui a bloqué le processus en
couchant avec la fiancée de son protégé.

149
de se mettre à la périphérie du monde politique. Tous ceux qui, comme lui,
occupent de hautes fonctions,' vivent dans la luxueuse zone résidentielle
dénommée G.R.A.(Government Reserved Area) au moment où lui est plongé
dans pérèphérie crasseuse d'un quartier populaire de Bassa. En tournant le dos
au luxe pour aller vivre parmi les pauvres, Ikem fait penser au héros du roman
de George Orwell, The Raad ta Wigan Pier, G. Bowling; un personnage aisé qui a
tenté de mener une vie de pauvre dans un quartier ouvrier de la banlieue
londonienne. Avec la différence notoire que George Bowling n'est pas parvenu
à souffrir les rigueurs de la pauvreté.
La simplicité de Ikem est partout mise en évidence. Même au
niveau de ses relations intimes. Alors que son ami Chris choisit pour fiancée
Béarice, l'intellectuelle la plus huppée de Kangan, lui raffole de Elewa, une
petite ignorante des quartiers populeux de Bassa qui s'exprime soit~pidginsoit
dans sa langue maternelle africaine.
Toutes ces attitudes révèlent au grand jour la formidable
personnalité de Ikem. En fait, s'étant émancipé du joug du matérialisme,
entreprise que ni Obi dans No Longer at Ease, ni Odili, ni Max, ni Beatrice, ni
Chris, ne réussiront autant que lui, le patron de la National Gazette se positionne
comme le personnage le plus pur, le plus incorruptible, et par conséquent, le
plus apte à mener la lutte contre les corrompus. Il est l'unique intellectuel
achebéen sorti de l'école occidentale à avoir réussi le tour de force qui consiste à
tourner le dos, de façon irréversible, aux biens matériels de ce monde. Ce
faisant, il a beaucoup contribué à démythifier le haut-fonctionnariat dans
l'Afrique post-coloniale.
Sur un autre plan, Ikem s'est montré digne du rôle que lui a confié
Achebe dans Anthills of the Savannah. En effet, ce haut fonctionnaire entre les
mains duquel est placée une arme redoutable: le quatrième pouvoir qu'est le
journal The National Gazette, journal gouvernemental, n'a pas fait usage de
l'arme, comme l'auraient souhaité ceux qui l'ont nommé à ce poste stratégique,
nommément, ses deux amis, Sam, le Président de la République et Chris, le
Commissaire à l'Information. A savoir faire du médium d'Etat un outil de
propagande au service des intérêts de ceux qui sont au pouvoir, comme c'est le
cas dans Nineieen Eighty-Four, A Man of the People et en Afrique... Au contraire
de cela, en véritable intellectuel, en humaniste tout court, soucieux du respect
strict de la dignité humaine qu'il voit quotidiennement bafouée dans son pays,
Ikem Osodi prend fait et cause, de façon courageuse, pour son peuple martyr.

150
Pour mener son combat, il sort des murs de la rédaction de son
journal pour descendre sur le terrain des réalités de son pays. Ses éditoriaux
incendiaires dirigés contre les exactions et les négligences coupables du régime
en place, mettent tout le gouvernement, son ami Chris en premier lieu, dans
l'embarras et produisent immédiatement quelques effets bénéfiques. A titre
d'exemple, l'abrogation de la sinistre loi sur les exécutions publiques a été
décrétée par Sam à la suite du premier éditorial, à la fois virulent et sublime de
Ikem:
The next day (after the executions) l wrote my first crusading editorial
calling on the President ta promulgate forthwith a decree abrogating the
law that permitted that outrageous and revolting performance. I wrote
the editorial with sa much passion that l found myself ending it with a
one verse hymn ta be sung ta the tune "Lord Thy Ward Abideth".
The worst threat from men of hell
May not be their actions cruel
Far toorse that we learn their way
And bchaoc more fierce than they 307
C'est dire donc, si l'on se réfère à une opinion déjà exprimée par
Achebe dès 1964, à savoir que la fonction première de l'écrivain est de
promouvoir les valeurs humaines, que son héros dans Anthills of the savannah
s'est bien acquitté de SJ mission:
1 belieoe that the writer sliould be concerned ioith the question of human
values 308.

Chez Orwell, les personnages qui se rapprochent le plus de Ikem
pour ce qui concerne la dénonciation des abus de l'Etat sont certainement les
porcins dans Animal Farm. Ces rejetons de la caste au pouvoir dans la Ferme
des Animaux ont vivement protesté après la promulgation de Napoleon
portant abolition unilatérale des' réunions plénières dominicales, baromètre de
leur démocratie embryonnaire. S'ils ont choisi de dénoncer la nouvelle
orientation donnée à la politique intérieure de la Ferme, c'est essentiellement
307- Anthills of the Savannah, op.cit., p. 43
308- Chinua Achebe: "TheRaieof the Writer in a New Nation ", cité par David
CarroI, op.cit., p. 128

151
parce que les porcins ont à coeur de défendre un certain idéal de démocratie,
celui de Old Major. Comme Ikem dans Anthills of the Savannah, Max, et dans
une moindre mesure Odili, dans A Man of the People. En vérité, le decret de
Napoleon n'est plus ni moins
qu'un Etat d'exception qui prive les
représentants du peuple de leur droit de regard sur les affaires de la
République, et confère les pleins pouvoirs à une clique, en l'occurrence, celle
des porcs, soutenue en cela par la soldatesque des chiens. Mais
malheureusement, la noblesse de la position des porcins ne les empêchera
nullement d'essuyer un redoutable revers; car non seulement l'entreprise n'est
pas couronnée de succès, mais pire encore, ils subissent la loi aveugle des
chiens lâchés sur eux par Napoleon et Squealer :
(...)The four pigs waited, trembiing, with guilt written on every line of
their countenances. Napoleon now called upon them to confess crimes.
They were the same four pigs as had protested when Napoleon abolished
the Sunday Meetings(...)When they had finished their confession, the
dogs promptly tore their throats out(.~09
Dans Nineteen Eighty-Four, c'est le héros du roman qui incarne
l'opposition radicale du régime sanguinaire de Big Brother. Comme Ikem
Osodi dans Anthills of the Savannah et les porcins dans Animal Farm, il travaille
pour le compte du système en place. Membre du Parti Extérieur, \\AJinston aide,
avec un zèle certain, à la falsification des documents officiels afin que leur
contenu reflète exactement les vues du moment du gouvernement. Mais ce zèle
est différent de ceux de Okong et de l'Attorney-Général dans Anthills of the
Savannah et de Squealer de la Ferme des Animaux. Le sien est dicté par la
crainte inspirée par la surveillance policière permanente dans le pays. Paraître
réticent dans l'éxécution des ordres donnés dans les quatre ministères, revient à
mettre en péril sa propore vie.
Winston est, malgré tout, un personnage méritant; et son mérite
réside surtout dans le fait qu'il est dans toute l'Océanie, la seule âme à lutter
contre le système de Big Brother et du Parti. C'est certainement cela qui
explique le titre éloquent de The Last Man in Europe, donné au manuscrit du
roman qui parviendra au lecteur, rebaptisé Nineieen Eighty-Four.
309 - Animal Farm, op.cit., p. 73

152
Cependant, force est d'admettre que la lutte de cet opposant aux
mains liées, reste très velléitaire et très parcellaire. En effet, l'efficacité des
méthodes de surveillance poli~ière l'empêche de mener la moindre action
politique digne de ce nom, et lui coupe également tout contact avec ses
citoyens. Aussi, le gros du combat contre Big Brother se déroule-t-il dans sa tête
(à part son amour pour sa fiancée Julia). Sachant que le Parti et sa doctrine
l'INGSOC, détestent et condamnent l'acte amoureux égoïste, Winston les
?ttaque sur ce front délicat à contrôler et remporte quelques batailles, avant de
perdre définitivement la guerre au moment où il s'y attendait le moins. La
police qui a été mise sur leurs traces depuis longtemps par O'Brien et l'agent
secret Charringdon, les a cueillis dans la chambre que vient de leur louer le
même Charrington qui s'est fait passer pour un monsieur tout à fait ordinaire et
sans aucun lien avec le Parti.
Si, dans A man of the People, Odili et Max atteignent bien les
masses, mais sans jamais avoir la baraka de faire passer leur message politique,
dans Nineieen Eighty-Four, Winston n'aura même pas le privilège d'un simple
contact digne d'intérêt avec les masses d'Océanie. Dans ce domaine précis des
rapports entre éveilleurs et masses endormies, Ikem est plus chanceux puisqu'il
est parvenu à établir la jonction avec les étudiants de l'Université de Bassa et
entamer avec eux un dialogue qui les a fortement intéressés. Sans perdre de
vue ses relations avec les chauffeurs de taxi qui ont commencé à s'organiser à
l'instar des étudiants déjà regroupés au sein d'un syndicat.
La rencontre fort réussie entre Ikcm et le syndicat des étudiants de
Bassa survenue après sa suspension de la National Gazette, offre au lecteur une
autre facette pittoresque du personnage de Ikem. Son objectif est double: dans
un premier temps, rétablir la vérité sur les circonstances de la sanction qui le
frappe, ensuite sensibiliser ses interlocuteurs sur la nécessité de faire face au
régime tyrannique de Son Excellence par des actions conséquentes. Mais, il ne
se fait point d'illusions parce que, en fin connaisseur de son peuple, Ikem sait
pertinemment que la constitution d'un front national pour le changement ne
peut être réalisée dans l'immédiat. Beaucoup d'obstacles doivent tomber; en
premier lieu, les tares qui inhibent l'action des différents groupes et
organisations corporatistes les empêchant ainsi de joindre leurs forces pour
l'assaut final. Par exemple, tout en critiquant les tenants du pouvoir et leur
désinvolture, les étudiants dédaignent systématiquement les postes
d'affectation éloignés de la capitale; tandis que les syndicalistes courent après
les perdiems et les voitures de luxe.

153
Le langage que Ikem a tenu aux étudiants sort le discours
politique et syndical des sentiers battus. En général, la conférence politique ou
idéologique s'est toujours évertuée à apportr des réponses toutes faites aux
préoccupations de l'auditoire.' Ikem innove et aborde sa conférence, son
dialogue plutôt, avec une nouvelle approche pédagogique qui met l'accent sur
la participation effective de ses "élèves" dans le processus d'acquisition des
différentes réalités qui prévalent à Kanga. En d'autres termes, l'ex-patron de la
Gazette limite son rôle à l'instauration d'une maïeutique socratique qui
permette à ses interlocuteurs de prendre eux-mêmes conscience des
connaissances qui sommeillent en eux.
"Writers don 't give prescriptions... They give headhaches l" 310
Par la clarté de ses propos et la technique de communication mise
en oeuvre, Ikem fait penser à Old Major dans AnimaL Farm lequel, dans une
langue dépouillée de tout pédantisme mais plus tranchant cependant, aide les
autres animaux moins expérimentés que lui à ouvrir les yeux sur les exactions
dont ils sont victimes de la part des humains. L'incitation à la bataille pour la
liberté est aussi très présente dans sa harangue qui s'étale sur près de six
pages3l 1.
"Man is the only creature tliat consumes unthout producing. He does
not give niiïk, he docs Ilot lay eggs, Ize is tao weak ta pull the pLough, he
ca nnot l'un fast enougn to catch ra bbits. Yet Ize is Lord of aIL the animais.
He sets tlictu to uork, Ize gioe: back. to them the barc minimum ihat will
preoent them [ro»: etaroing, and the l'est Ize keeps for himscl]...."
"1s ii not crystaL clcar, tlien, comrades, that aIL the eoils of this Life of
ours spring from the tyranllY of liuman beings ? GnLy get l'id of Man,
and the produce of our labour wouId he our own" 312.
Et si la campagne de sensibilisation menée par Old Major313 a
abouti à la révolte contre Jones après sa mort, celle conduite par Ikem n'a pas
310 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 161
311 - Animal Farm, op.cii., pp. 7-13
312 - Idem! pp. 9-10
313 - Notons l'échec tragique de ses héritiers, les porcins! dans leur tentative
de sortir les animaux de la dictature naissante, initiée par Napoleon.

154
encore connu le même succès. Mais qui sait ce que l'avenir réserve ? .. D'autant
plus d'ailleurs que la fin de Anthills of the Savannah est optimiste, comme nous
aurons l'occasion de le voir dans la dernière partie de cette étude.
Néanmoins, il est possible d'apprécier, dèsà présent, certains faits
positifs rendus possibles grâce à l'action de Ikem. Premièrement, c'est après la
rencontre de Ikem et des étudiants sur le campus de l'Université de Bassa que
Emmanuel, le Président du syndicat des étudiants, va entrer en lice pour jouer
un rôle déterminant dans l'organisation de la lutte clandestine contre Son
Excellence. Deuxièmement, l'enlèvement par les services de nettoiement de
Bassa d'un immense tas d'immondices qui a, des années durant, déversé son
odeur pestilentielle sur le parking des taxis, suite à un éditorial de Ikem, lui
vaudra la sympathie des chauffeurs de taxi. Un des leurs, Braimoh, a rallié le
cercle de la résistance formée autour de Chris et de Beatrice après la mort de
son précurseur.
Il est donc aisé de remarquer, qu'en dehors de quelques lueurs
d'espoirs suscitées par les démarches originales de Ikem Osodi dans Anthills of
the Savannah, Odili et Marx les deux intellectuels radicaux dans A Man of the
People n'ont pu que constater la vanité des actions qu'ils ont menées contre les
différentes dictatures. Parfois avec une détermination sans faille ...Les porcins
sont décapités par les chiens qui sont aux ordres de Napoleon; Max est
lâchement assassiné par des nervis à la solde de son adversaire politique, Koko.
Odili est dans un coma profond à l'hôpital, victime de la traîtrise des hommes
de Nanga; Winston aime Big Brother comme tous les habitants de Airstrip One
; en plus, son amour avec Julia est brisé...
*
* *
La troisième et dernière catégorie d'intellectuels regroupe ceux
qui, bien qu'étant des adversaires du régime tyrannique en place, évitent ou
s'abstiennent, de le combattre, pour diverses raisons.
Dans Anthills of the Savannah, l'image assez positive de Chris-le-
clandestin ne doit pas faire perdre au lecteur celle de Chris-le-ministre-de-
l'Information. En vérité, même s'il a pris le flambeau de la lutte contre Son
Excellence après la mort de son ami Ikem et tout tenté afin de dénoncer
l'odieux assassinat de celui-ci maquillé en vulgaire accident, il n'en reste pas

155
moins que Chris a aussi largement contribué à cet acte, ne serait-ce
qu'indirectement. En effet, ce personnage-clé dans le gouvernement mis en
place par Sam a été pour beaucoup dans la métamorphose plutôt négative de
son ami. Au lieu de jouer son rôle historique au profit de Sam à la personnali té
douteuse, Chris a plutôt laissé toute la latitude aux sataniques ministres Okong
et l'Attorney-Général de se livrer à leur ignoble oeuvre de destabilisation
psychologique et affective du Président. Et Ikem n'a jamais cessé d'attirer son
attention sur le danger qui guettait leur ami commun et sur la nécessité de lui
venir en aide. Pour le patron de la National Gazette, la planche de salut ne peut
venir que de lui et de Chris mais non pas d'individus aux desseins lugubres
comme l'Attorney-General:
[...] 1 am sure that Sam can still be saved if we put our minds to il. His
problem is that with so many petty interests salaaming around him ail
day, like that shyster of an Attorney-General, he has no chance of
knowing what is right.314
L'alerte a donc été donnée depuis longtemps par Ikem; et Chris
qui pouvait bien agir puisqu'il ne faut pas oublier que c'est lui qui a aidé Sam à
former son gouvernement en lui suggérant des noms,
s'est curieusement
abstenu de mettre leur ami commun sur la bonne voie.
Ainsi, alors que Ikem prend toutes ses responsabilités historiques
à l'instar de la tortue, dans le conte Igbo315, qui se soucie beaucoup de ce que
dira la postérité en pourfendant le régime autocratique de Son Excellence,
Chris se réfugie dans un pragmatisme qui cache mal sa lâcheté. D'abord, il
s'insurge contre la virulence des éditoriaux servis dans la Gazette par Ikem,
arguant leur caractère blessant pour le Président. Ensuite, il enjoint purement et
simplement leur auteur de réfréner son ardeur pour, dit-il, laisser passer
l'orage. Ce que ce dernier lui reproche ouvertement après l'annonce par la
télévision nationale de l'arrestation et de l'emprisonnement des dignitaires de
Abazon accusés d'avoir tenté de marcher sur le palais de Son Excellence :
"They can 'L do that ! Chris did you hear that ? And you say 1should lie
low." 316
314 - Anthills of the Savannah, op.cii., p.46
315 - Anthills of the Savannah, op.cii., p.I28
316 - Idem, p. 150

156
Mais jusqu'à quand? Est-ce cela la meilleure manière de rendre service à Sam?
Assurément pas...
Non content de contrarier la démarche de Ikem, Chris se permet
même de le ridiculiser après l'abrogation de la loi sur les exécutions publiques.
Pour le ministre de l'Information, l'éditorial contre cette pratique surannée n'a
rien à voir avec la décision de Son Excellence de bannir ce spectacle macabre.
L'explication est ailleurs selon Chris, dont les propos sont rapportés ci-dessous
par Ikem:
C.') My editorial suddently had nothing whatever to do with the new
decree. His Excellency had quite independently come to the conclusion
that he could earn a fCVJ credits by reversing ail the unpopular acts of the
civilian regime. And the Public Executions Amendment Decree was
only one of them 317.
Etant donné la popularité dont jouit Ikem à travers tout Kanga, il
ne serait pas exagéré d'interpréter l'attitude de Chris envers l'éditorialiste de la
Gazette comme de la pure jalousie. En fait, ce journaliste au verbe magique a
relégué au second plan les membres du cabinet de Son Excellence; ce qui ne
serait pas du goût du patron des médiats qui aurait dû être projeté au devant
de la scène. Ou est-ce dû à une survivance de la rivalité entre ces deux anciens
camarades de classe? Peut-être que oui.
En tout état de cause, les relations entre Ikern et Chris s'en sont
trouvées gâchées et la tentative de réconciliation longtemps entreprise par
Beatrice ne connaîtra un succès, mitigé du reste, que bien trop tard. La machine
répressive de Son Excellence est déjà mise en branle contre ... eux deux, grâce à
la machination éhontée orchestrée par Reginald Okong, le ministre de
l'Education et son collègue de la Justice, l'Attorney-Général. Et, ironie du sort,
c'est la "tempête" que Chris a toujours cherché à éviter qui l'emportera après
avoir eu raison de Ikem : ainsi il est froidement abattu par un sergent de police
en tentant de tirer des griffes de ce dernier, une fille qu'il s'apprêtait à violer.
L'ambiguïté de Chris est comparable à celle de Benjamin dans
Animal Farm. De tous les animaux inférieurs de la Ferme, cet âne est le seul à
avoir compris, dès le début de la Révolte, que celle-ci n'est rien d'autre qu'un
317 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 43

157
leurre: les porcs ne valent point et ne vaudront jamais mieux que l'ancien
dictateur, Jones. Fort de cette conviction, Benjamin s'est résolument abstenu de
prendre parti pour l'un ou l'autre candidat, lors de l'âpre lutte d'influence entre
Snowball et Napoleon pour le contrôle de la Ferme conquise. Quel que soit
l'élu, la situation n'en sera pas meilleure pour autant car, intrinséquement, il n'y
a aucune différence pertinente entre porcs, même si Snowball bénéficie d'un
préjugé plus favorable chez le lecteur:
(...) The animais formed themselves int;LYaOctions under the
slogans, "Vote for Snowball and the three-day week" and "Vote for
Napoleon and the full manger." Benjamin was the only animal who did
not side with either faction. 318
En outre, Benjamin est l'unique animal dans la Ferme à
comprendre toutes les manoeuvres de Squealer et à en saisir les buts visés.
Comme Ikem dans Anthills of the Savannah, il connaît à fond la mentalité des
masses de son pays. Mais ce qui est troublant chez lui, c'est que là où son
homologue kanganois tente d'éveiller la conscience collective en commençant
par les étudiants, Benjamin opte pour un mutisme à la limite du sadisme et de
la culpabilité.
(...) None of the annuels could [orni any idea as ta what
this meani, except old Benjamin, who nodded his muzzle with a knotoing
air, and seemed to understand, but ioould say nothing319.
A Yregarder de plus près, est-il objectivement concevable de taxer
Benjamin de traître à la Révolution animale ? Il est indéniable qu'il est cynique,
mais ce cynisme est davantage du réalisme, du pragmatisme, le même dont fait
étalage Chris dans Anthills of the savannah. Il convient de préciser que sans avoir
la hauteur de vue des cochons, Benjamin est quand même suffisamment
intelligent pour comprendre que quiconque essaie de se dresser sur le chemin
des dictateurs de la Ferme, perd son temps et creuse sa propre tombe. Il sait
également qu'il n'a aucune influence réelle sur les animaux, et le sort édifiant
de Snowball est là pour lui rappeler constamment que lui âne, esseulé, ne
pourrait jamais vaincre là où le valeureux cochon a lamentablement échoué.
Donc autant être réaliste320, garder le silence et sauver sa peau. ce n'est certes
318 - Animal Farm, op.cü., p. 45
319 A'
l F
.
9
-
nima
arm, op.cii., p. 3
320 - John Mahoney, op.cii., rt ... Benjamin is praciical and scepiical" p. 22

158
pas digne, ni responsable, mais Benjamin a au moins l'honnêteté d'avoir choisi,
dès le début, d'accorder plus de considération à sa propre vie qu'au bien-être
de ses concitoyens.
En dernière analyse, le lecteur qui a une autre vision du rôle de
l'intellectuel dans la société, sera toujours enclin à reprocher à Benjamin sa
dérobade devant ses responsabilités historiques; car le vrai révolutionnaire, à
l'instar de la tortue ou de Ikem, doit accepter de livrer des batailles, même s'il
. les sait perdues d'avance, pour la postérité et l'honneur.
La première fois que Benjamin a enfin rompu le silence, c'est
quand Napoleon a vendu Boxer agonisant, lessivé par le dur travail de la
Ferme. Choqué à l'excès par la cruauté des cochons et la stupidité des animaux
qui n'ont rien compris, il tance ces derniers qui croient que les dirigeants ont
enfin pris la décision de transférer leur pauvre doyen à l'hôpital:
"Fools ! Do you not see what is written on the side of that
van?
.. , ,
"Alfred Simmonds, Horse Slaughterer and Glue Boiler, Willingdon.
Dealer in Hides and Bone-Meal. Kennels Supplied ". Do you not
understand uûtat that means ? They are taking Boxer to the knacker's !"
321
Malheureusement, Benjamin, le lettré, a parlé trop tard, tout
comme Chris a trop tard commencé à suivre l'exemple de son ami Ikem dans la
lutte contre la dictature de Son Excellence dans Anthills of the Savannah.
La définition de l'intellectuel comme "celui dont la vie est consacrée
aux activités de l'esprit" 322, autorise à inclure dans la catégorie des intellectuels,
les notables de la contrée de Abazon, notamment leur porte-parole. Ce sont des
intellectuels formés à l'école de la vie et de la sagesse africaine et qui ont su
faire preuve de beaucoup de discernement à des moments cruciaux de l'histoire
de leur pays. D'abord, à l'occasion du référendum initié par Sam pour se faire
élire Président-à-vie, les notables de Abazon ont été les seuls à avoir la présence
d'esprit pour prendre le Président au mot et voter "non".
321 - AnimalFarm, op.cii., pp. 103-4
322 - Petit Robert 1, 1987,

159
F...] The people who were running in and out and telling
us ta say yes came oneday and told us that the Big Chiefhimselfdid not
want ta rulefor ever but that he was being forced. Who is forcing him ? l
asked. The people, they replied. That means us? Lasked, and their eyes
shifted from side ta side. And I kneto finally that cunning had entered the
matter. And l thanked them and they left. l called my people and said ta
them : The Big Chiefdoesn 't want ta rule for ever because he is sensible.
Even when a man marries a iooman he does not marry her for ever. One
day one of them will die and the marriage will end. Sa my people and I
said No 323.
Leur vote négatif très sensé pourtant leur coûtera très cher comme
nous l'avons déjà vu dans la section précédente; Son Excellence ayant bloqué
tous les forages de la contrée, ajoutant ainsi aux souffrances d'une population
déjà si rudement éprouvée par une longue et dure sécheresse. Et la décision
prise par les notables de revenir sur le "non" dénote aussi une maturité de
jugement certaine. En vérité, s'arc-bouter sur le "non" initial aurait été une
attitude irresponsable et à la limite suicidaire, qui aurait abouti à la décimation
ou, tout au moins, à l'exode massif vers d'autres régions. Par conséquent, il ne
serait pas honnête de reprocher aux Abazoniens de manquer d'esprit de
sacrifice. Le sacrifice digne d'être fait est celui qui serve à d'autres; donc le seul
sacrifice devant la détermination criminelle de Son Excellence, c'est le
reniement de la parole donnée. 'C'est là assurément le sacrifice suprême pour
qui connaît toute la considération que les anciens en Afrique attachent au
respect de la parole donnée. Même dans le pays de Odili ravagé par la
corruption, Hézekiah Samalu, son père, bien qu'ayant ouvertement placé
l'argent au rang de demi-dieu, refuse, sans ambages, de renier sa parole pour
en gagner.
Sur un autre plan, l'histoire de la tortue et du léopard, à laquelle
nous avons fait allusion plus haut, constitue un viatique de choix pour tous
ceux qui luttent pour une cause sacrée. Elle est axée sur l'impérieuse nécessité,
pour l'individu, de jouer pleinement le rôle que l'Histoire lui assigne, et est
racontée avec une maîtrise et une conviction extraordinaires, par le chef de
délégation des notables de Abazon :
323 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 126

160
\\\\ ... Once upon a time the Leopard who had been trying for a
Long time to catch the tortoise finally chanced upon him on a solitary
road. Aha, he said, at long last ! Prepare to die. And the tortoise said :
Can I ask one favour before you kill me ? The Leopard saw no harm
in that and agreed. Cive me a few moments to prepare my mind, the
tortoise said. Again the Leopard saw no harm in that and granted it. But
instead of standing still as the Leopard had expected the tortoise went into
strange action on the road, scratching with hands and feet and throwing
sand furiousLy in ail directions. Why are you doing that ? asked the
puzzLed Leopard. The tortoise repLied : Because even after I am dead I
would tuant anyone passing by this spot to say, yes, a fellow and
his match struggled here.
"My people, that is ail we are doing now. StruggLing. Perhaps to no
purpose except that ihose who come after us will be able to say. True, our
fathers were defeated but they tried" 324.
La moralité de ce conte, NKOLIKA (Recalling-Is-Greatest), a très
fortement aiguillonné Ikem dans son combat jusqu'au boutiste contre le
système dictatorial de Son Excellence. Il aura été l'un des destinataires
privilégiés du message du vieil homme livré dans la cour de Harmony Hotel
où séjourne la délégation Abazonienne.est.descendue.
Le message du sage de Abazon, de par son contenu d'appel à la
lutte et les circonstances qui ont présidé à son lancement -populations
confrontées à de sérieux problèmes de survie-, fait venir à l'esprit l'autre
message, celui de Old Major, adressé aux animaux de la Ferme au fort de la
dictature de Jones, dans Animal Farni.
*
* *
Les intellectuelles ne sont pas nombreuses dans les romans de
Orwell et de Achebe. Elles sont au nombre de trois et pourraient être classées, à
quelques nuances près, dans la catégorie des intellectuels ambigus.
La première, Eunice, est avocate mais elle s'est fait remarquer par
une seule action d'éclat qui ne nous autorise pas à lui assigner un statut
particulier. Somme toute, son action mérite réflexion. En effet, c'est elle qui a
324 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 128

161
pris la responsabilité historique d'abattre le Chief Koko, le commanditaire
présumé du meurtre de son fiancé Max. Cette action, bien que ponctuelle, a
une grande valeur symbolique: c'est grâce à ce geste isolé mais sincère que le
leader du CPC, l'unique parti de l'opposition radicale, a pu être vengé. Max est
certes mort pour rien, mais son assassin ne lui aura pas longtemps survécu. Et
il faut avouer que dans une société aussi pourrie que celle du Nigéria décrit
dans le roman, avoir quelqu'un qui se soucie de vous à ce point est un réel
privilège dont le narrateur a saisi toute la dimension:
- in such a regime, 1say you died a good death if your life
had inspired someone to come forward and shoot your murderer in the
chest without asking to he paid - 325.
En d'autres termes, Eunice incarne, dans la société nigériane, la sincérité dans
l'amour, point sur lequel nous nous appesantirons dans la section qui suit.
Les
deux
autres intellectuelles, Beatrice et Julia, sont
respectivement au service de Son Excellence dans Anthills of the Savannah et Big
Brother dans Nineteen Eighty-~our. Toutefois, elles sont opposées, mais de
manière différente, au régime de Bassa et à celui de Londres.
L'opposition de Julia au système du Parti est pour le moins
superficielle. En fait, convaincue de l'invincibilité de l'adversaire aux immenses
moyens, réaliste, elle trouve inutile de livrer un combat pour la galerie)puisque
la cause, estime-t-elle, est perdue d'avance.
l ... ] You can only rebel against (the Party) hy secret disobedience or, at
most, by isolated acts of violence such as killing somebody or hlowing
samething up 326.
Au fond, Julia est une simple égoïste qui mène une lutte singulière pour
l'avènement d'une société dans laquelle elle pourra, à satiété, se livrer à son
activité favorite: l'acte sexuel. Pire, elle n'a cure de l'intérêt des générations à
venir, et selon ses propres termes :
325 - A Man of the People, op.cit., p. 149
326 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p. 127

162
'Tm not interested in the next generation, dear. l'm
interesied in us" 327.
Cette confession grave de Julia fera dire à Winston la vérité toute
crue : sa nouvelle conquête n'est pas une opposante conséquente mais
simplement une épicurienne frustrée:
"You're only a rebel from waist downwards" ...328
Il n'est pas besoin de préciser que la lutte pour le triomphe de la
démocratie ne saurait passer par un épicurisme à la limite paralysant. Mais
étant donné que la suppression du plaisir sexuel fait partie des objectifs
majeurs du système autoritaire de Big Brother, on peut interpréter
positivement l'attitude de Julia en l'inscrivant dans la lutte contre une dictature
qui cherche à faire de l'être humain un robot parfait.
Béatrice, sans être trop débordante d'activité, est quand même
loin d'être résignée comme Julia. Elle est bien opposée au régime de Son
Excellence qu'elle ne ménage point. Ses critiques n'épargnent même pas son
propre fiancé, Chris, le Commissaire à l'Information, l'un des personnages
centraux du drame politique dont Bassa sert de cadre. Ni même Ikem qui est
pour elle un véritable frère. Pour cette intellectuelle de premier ordre, trois
individus ont fait main basse sur Kangan : Ikem, Chris et Sam.
(...) Wel/, YOll [cllou», (Il/ thrcc of you, arc incrcâiblv
conccited . The story of this country, (15 [ar (15 YOli (Ire concerned, is the
story of the three of you...329.
Mais il convient de noter qu'en dépit de ses attaques verbales
contre le régime de Bassa, toujours faites devant des proches et dans le confort
d'un salon, Béatrice a toujours accepté, à son corps défendant, d'être utilisée par
Son Excellence à des fins exhibitionnistes. Le cas le plus frappant est la
réception offerte à des Occidentaux par le Président et à laquelle il a tenu à
convier Beatrice pour qu'elle impressionne les invités par son excellent anglais
et sa grande culture. L'objectif visé par l'hôte étant visiblement de redorer son
blason politique terni par une gestion tâtillonne des affaires publiques.
327 - Idem p. 129
328 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p. l~
329 - Anthills of the Savannah, op.cit., p. 66

163
Cette intellectuelle a eu l'occasion de se mettre en vedette dans un
rôle beaucoup plus reluisant et digne d'éloges. L'histoire retiendra, en effet, que
Beatrice aura tout tenté pour accorder les violons aux sons discordants de son
fiancé et de son ami et presque frère, Ikem. Hélas, en vain, car même l'ultime
tentative, bien qu'elle ait permis de rétablir les ponts entre les deux amis, ne
s'est soldée, dans le fond, que par un échec: Ikem refusant catégoriquement
toute accalmie dans la lutte contre Son Excellence d'un côté, et de l'autre Chris
maintenant toujours son option tactique de modération de l'ardeur militante de
son ami. Cet échec constitue l'un des éléments déterminants dans l'intrigue de
Anthills of the Savannah: il a consacré le morcellement des forces de Ikem et de
Chris et permis à Sam de les mettre au pas, l'un après l'autre.
C'est surtout vers la fin du roman que Beatrice a commencé
véritablement à jouer de très grands rôles sur les plans politique et social. A la
mort de Chris, après celle de Ikem, elle devient le porte-drapeau de la lutte.
Non pas contre Son Excellence qui a rejoint ses deux amis d'enfance dans
l'autre monde, mais pour le véritable changement et l'instauration d'une société
plurielle mais unifiée. Le premier pas décisif dans ce sens est franchi avec le
baptême de la fille de Ikem et de Elewa dirigé par la marraine elle-même,
Beatrice. C'est une grande première parce que la tradition a toujours voulu
qu'une telle cérémonie soit chapeautée par un homme. Deuxième avancée
novatrice, c'est un nom de garçon, INKOLIKA, qui est donné au bébé. Ces deux
gestes parachèvent en quelque sorte l'égalité entre l'homme et la femme dans
une société qui a, jusque là, relégué la femme à des tâches subalternes. Par
ailleurs, la caution apportée par les parents de Elcwa, notamment son père, est
une illustration que des changements en profondeur sont en train de prendre
forme au sein de cette société naguère trop conservatrice et phallocratique.
Ainsi Beatrice semble porter plus loin le flambeau légué par Ikem
et Chris, les deux êtres les plus chers pour elle. Son action, il est permis de
penser, sera dans un avenir assez proche, couronnée par un succès encore plus
éclatant que celui réalisé par Ikem. Beaucoup de monde d'horizons très divers
s'est joint à elle et est prêt à aiguillonner le Nigéria sur les rails de la tolérance,
notion dont le pays est gravement déficitaire.
*
* *

164
Pour conclure cette section, hormis Beatrice Okoh, BB - à ne pas
confondre avec le dictateur Big Brother-. l'ensemble des intellectuels dans les
romans de Orwell et de Achebe à l'étude qui ont, d'une manière ou d'une autre,
lutté contre la tyrannie de leurs dirigeants, ont plus ou moins échoué dans leur
entreprise.
L'échec s'explique en partie par le fait que les intellectuels n'ont
jamais eu le tact nécessaire, la chance, l'opportunité, qui leur permettent
d'atteindre les masses de façon significative pour constituer avec elles une force
à même de faire face à la puissance des régimes dictatoriaux et incompétents.
Chez Achebe, le dialogue entre les intellectuels et les masses populaires est
hypothéqué par le haut degré de corruption sociale qui prévaut au Nigéria.
L'argent a supplanté la plupart des vertus cardinales dont l'Afrique pré-
coloniale était le réceptacle. Chez Orwell par contre, c'est surtout la peur et la
torture qui ont aliéné et les masses et les intellectuels.
Toutefois, le constat général qui se dégage comme une constante
est donc celui de l'échec des intellectuels mis en scène par Orwell et Achebe
dans Animal Farm, Nineieen Eighty-Four, A Man of the People, Anthills of the
Savannah. Dans le premier roman, les porcins rebelles sont sauvagement
éliminés sans que la dictature de Napoleon s'en soit trouvée ébranlée le mons
du monde; dans le deuxième, Winston et Julia sont torturés, humiliés,
emprisonnés: il n'empêche que la puissance et l'audience de Big Brother
gagnent toujours du terrain; Odili est grièvement blessé,. Max est tué, mais
l'avenir du Nigéria reste plus que jamais incertain dans le troisième roman avec
la prise du pouvoir par l'Armée; de même, dans le dernier roman, Ikem et
Chris sont assassinés, cependant, l'avenir de Kangan semble plus prometteur
que celui du Nigéria avec la nouvelle donne qui s'esquisse sous la houlette de
Beatrice.
II. 6 - L'amour et le rêve dans la tyrannie
L'amour et le rêve ou la vision corrollaire de ce dernier, meublent
la vie de la plupart des personnages centraux dans les quatre romans à l'étude.
Sur un plan général, il existe deux types d'amour qu'il nous paraît
nécessaire de différencier: l'amour en tant que sentiment altruiste, presque
platonique; par exemple, celui que Benjamin porte pour Boxer; Chris pour
Ikem; Beatrice pour Ikem ; Odili pour Max, etc. .. et d'autre part, l'amour mu

165
par des sentiments égoïstes, pour ne pas dire charnels: l'amour entre Winston
et Julia dans Nineteen Eighty-Four ; entre Ikem et Elewa, Beatrice et Chris dans
Anthills of the Savannah; ou de Odili et Edna dans A Man of the People; et enfin
de Boxer et Clover dans Animal Farm ...
Dans cette dernière section de notre étude thématique, nous
tenterons de mettre en exergue les différentes fonctions que remplissent les
deux types d'amour ci-dessus dégagés, ainsi que le rêve et la vision.
Dans Nineteen Eighty-Four , l'amour est très étroitement lié à la
politique. Cet état de fait résulte du statut particulier que les spécialistes du
régime de Big Brother confèrent à l'acte sexuel humain. En effet, celui-ci est
hissé au rang d'ennemi numéro un du pouvoir parce que, argumentent les
théoriciens du régime, il détourne l'individu de ce qui doit être son amour
primordial: l'amour pour Big Brother, le guide éclairé de Airstrip One. Ainsi,
l'accent est exclusivement mis sur le côté utilitaire de la rencontre
spermatozoïdes/ ovule, la procréation, qui pourvoit le Parti en hommes à sa
dévotion. c'est pourquoi les gynécologues de Big Brother ont mis au point une
technique d'insémination artificielle dénommée "Artsem ", plus folklorique que
scientifique, ayant pour objet unique l'élimination du plaisir et de
l'épanouissement harmonieux du corps et de l'esprit :
C.') AIl chiidren were ta be begotten by artificiai insemination (artsem,
it was cal!ed in Neiospeak) and brought up in public insfitZ/tions330...
The Party was trying ta kil! the sex instinct, or, If it could not be killcd,
then ta distort it and dirty it. 331

L'importance capitale de la sexualité dans la vie affective et
intellectuelle de l'individu, que les travaux du célèbre psychanaliste Sigmund
Freud ont mise en évidence au début du vingtième siècle a, sans nul doute,
convaincu les spécialistes du Parti que, qui veut maîtriser l'être humain, doit
d'abord contrôler sa vie sexuelle. Le meilleur moyen d'y parvenir étant
l'érection de l'acte sexuel amoureux en crime passible de la peine capitale.
Cette redoutable menace a longtemps empêché Julia et Winston
de se dévoiler leur amour réciproque. Et c'est la fille qui, prenant son courage à
330 - Les produits de l'insémination artificielle deviennent la propriété de l'Etat qui les
embrigade comme ce fut le cas en Allemagne hitlérienne avec les "Enfants de la Louve".
331 - Nineteen Eightyj"ouG op.-ciL, p. 57

166
deux mains, a trouvé l'astuce qui lui a permis de glisser à Winston une missive,
comme quoi, la femme a toujours plus d'un tour dans son sac ... D'autre part,
elle ose agir là où l'homme, en général, reste terrifié et cloué par des conjectures
par trop alarmistes.
Les relations intimes entre Winston et Julia se sont déroulées, au
début, dans des conditions extrêmement difficiles -derrière des buissons et à
même le sol. Et c'est au moment où ils allaient enfin goûter aux délices de
l'amour fait dans les règles de l'art, c'est-à-dire dans un lit et entre quatre murs,
que la police est venue les pincer tels de vulgaires gamins, pour les emmener
au Miniluv où ils doivent expier leur crime odieux. De la manière la plus
odieuse.
Cette lutte acharnée contre l'amour charnel n'existe dans aucun
des trois autres romans.
Dans A Man of the People et Anthills of the Savannah, les amoureux
donnent libre cours à leurs sentiments et passions et ne sont bloqués dans leur
allant par aucun pouvoir politique ou moral. Les amoureux de Achebe sont
d'ailleurs, d'une manière générale, de joyeux épicuriens. Même Ikem, l'un des
personnages achebéens les plus valorisés par l'auteur, ne fait pas exception à la
règle. Mais le plus perverti est, sans aucun doute, le politicien le plus en vue
dans A Man of tlze People, le Chief Nanga. A ses yeux, une femme n'est faite que
pour être utilisée à loisir par l'homme. C'est pour cette raison que, croyant que
Odili, son ancien élève et hôte, est trop exténué pour coucher avec sa fiancée
Elsie l'Africaine, à ne pas confondre avec son homonyme américaine, Nanga a,
le plus naturellement du monde, rejoint la fille de joie dans sa chambre pour
coucher avec elle. Sans aucun scrupule, ou un quelconque sentiment de
culpabilité:
"Wlzat...! Wonders will never end! What is wrong, Odili ?"
. - ..
"Wonders will never end! Is it about the girl? But you told me you are
not serious with her ; l asked you because I dont 't like any
misunderstanding... And I thought you were tired and had gone to sleep
" 332
332 - A Man of the People, op.cit., p. 72

167
La réaction violente de Odili à l'acte inqualifiable de son ancien
maître semble marquer une différence de vertus pertinente entre l'élève et le
maître. En fait, la grande déception du jeune homme, l'extrême humiliation
qu'il a ressentie, prouvent clairement qu'il ne s'attendait point à ce que Nanga,
vu tout ce qu'il représente pour lui, pût, un seul instant, songer à avoir des
contacts suspects avec sa fiancée sous quelque prétexte que ce fût. Le fait que le
député de Anata et environs ait décliné, à la toute dernière minute, l'invitation
de Jean, rien que pour aller cueillir à son hôtel sa petite amie avocate de
passage à Bori, est une preuve supplémentaire que Nanga, malgré ses
responsabilités politiques qui auraient dû faire de lui un homme respectable et
vertueux, ne serait-ce que pour donner le bon exemple, n'est qu'un vulgaire
dépravé. Il expédie femme et enfants à son village natal pour se donner assez
de champ pour se livrer à son passe-temps favori: courir après les femmes peu
recommandables. Il propose à Odili de lui fournir une multitude de femmes
afin que celui-ci lui pardonne...
Même Odili qui s'est tant offusqué de l'attitude malveillante de
Nanga à son égard et qui apparaît comme l'un des meilleurs personnages
nigérians sur le plan politique et moral, est lui aussi un véritable chasseur de
plaisirs sexuels. Sa fiancée Elsie est une demi-prostituée qui s'offre allègrement
au premier venu. Cette infirmière frivole, reconnaît Odili, est l'une des
principales raisons de son déplacement sur la capitale: 1... ] Elsie {...] was one of
my chief l'casons for going ta Bari 333.
Donc au fond, Odili ne vaut pas mieux que l'avocate de Nanga car
tous deux sont descendus sur Bori pour se soulager sexuellement en prétextant
affaires. Pire encore, il séduit une jeune femme américaine, au cours de la petite
réception que celle-ci et son mari John ont bien voulu lui offrir et... couche avec
elle. Si Odili avait objectivement réfléchi sur son propre acte, il n'en aurait pas
tant voulu à Nanga. Il est, en vérité, aussi condamnable, sinon plus
condamnable que son ancien maître, puisqu'il a abusé de la confiance d'un
bienfaiteur, son hôte John, pour lui voler sa femme Jean: acte ne peut être plus
exécrablesur le plan éthique.
L'incident survenu entre Odili et Nanga au sujet de Elsie est
capital dans l'intrigue de A Man of the People comme la rencontre de Winstonet
de Julia l'est dans celle de Nineieen Eighty-Foul'. En effet, il a servi de déclic à la
333 - A Man of the People, op. cit., p. 56

168
lutte politique que Odili livre à son ancien maître d'école et au régime
corrompu du Nigéria, en général. Après avoir subi ce revers affectif, le
personnage principal lance à Nanga cette menace qui pointe vers une
vengeance :
"You have won today, (...) but watch ii, 1will have the last laugh. 1 l'lever
forget. "334
Mais si Odili a effectivement ri le dernier en arrachant Edna à son
adversaire, sur le plan strictement politique, son combat a lamentablement
échoué, peut-être parce qu'il ne repose pas sur un fondement moral solide et
défendable.
La dépravation des moeurs est également très préoccupante dans
Nineieen Eighty-Four. La fiancée de Winston Smith, Julia, est avide de sexe et
admet avoir eu un chapelet de séances en dépit de l'étroite surveillance des
deux polices de Airstrip One.
[... l''Hundreds of times -ioell, scores of times, anyway "335.
Cependant, cet état de corruption des moeurs est répandu surtout
chez le petit peuple. Il est d'autant plus exposé à ce fléau que l'interdit sexuel ne
les concerne pas. Ainsi, laissés à eux-mêmes face aux problèmes socio-
économiques qui les ébranlent au plus haut point, les prolétaires vendent leur
chair à très vil prix pour survi vre :
(. ..)The poorer quartas swarmcd uiith uiomen who ioere ready to sell
themscioes. Some could even be purchased for a bottle of gin( ..J336.
La différence entre Orwell et Achebe est que chez l'un, l'argent sa
quête semble être la cause principale de la prostitution clandestine ou de
l'adultère, tandis chez l'autre, les prostituées officieuses ne sont pas toutes
obnubilées par le gain facile de l'argent.
Dans A Man of the People, par exemple, une avocate dans un pays
aussi corrompu que le Nigéria de Odili ne peut point être obligée de "vendre"
334 - A Man of the People, op.cit., p. 72
335 - Nineieen Eighty-Four, op.cit., p. 104
336 - Idem, p.56-7

169
son corps pour survivre. Si donc cette femme descend assez régulièrement à
Boro pour se livrer à des parties de plaisir sexuel avec le ministre Nanga, c'est
tout simplement parce qu'elle est vicieuse et dépravée. Le même jugement peut
être fait au sujet de la fiancée de Odili, Elsie, qui travaille à l'hôpital de Bori
comme infirmière et de Jean, l'américaine, dans le même roman. Mais peut-on
réellement mettre dans le même sac, les jeunes filles qui défilent chez Ikem,
dans Anthills of the Savannah? En tout cas, elles sont aussi indigentes que les
femmes prolétaires de Airstrip One.
En tout état de cause, l'amour frivole se rencontre aussi dans ce
roman de Achebe. Ici, c'est précisément le personnage principal, qui s'est
affirmé comme un opposant radical et conséquent au régime dictatorial de Son
Excellence, qui se trouve mêlé à des agissements dignes d'un épicurien (de
gauche ?). En fait, malgré son intransigeance exemplaire sur la défense de la
démocratie et des libertés, Ikem, tel Odili dans A Man of the People, ne donne
pas l'impression de tenir en haute estime la gent féminine.
D'abord, nous apprenons à travers sa conversation avec Mad
Medico (MM), qu'il a une légion de filles de joie qu'il jette aux orties les unes
après les autres, après en avoir eu son soûl. [oy, au nom symbolique, est la
dernière en date. Cependant, ses relations amoureuses avec Elewa, bien que
s'inscrivant dans le même sillage que celles, légères, avec les autres filles, ont
tout de même l'avantage de suivre une pente plus sérieuse, plus qualitative, ne
serait-ce que sur le plan de sa nouvelle perspective. Décidément, pour la
première fois, Ikem nourrit un amour sublime pour sa fiancée, qu'il emmène
avec lui partout où il est invité. Même aux cérémonies et invitations et autres
rendez-vous des hautes personnalités de l'Etat et des expatriés hôtes de l'Etat
de Kangan. Ainsi, à MM, cet assistant technique médical très influent dans les
affaires publiques qui l'a appelé au téléphone pour l'inviter à prendre un pot
chez lui, Ikem s'empresse de poser cette question révélatrice de son
attachement à sa petite illettrée:
"(. ..) Can l bring my girl-friend ? 337
Et dire pendant le pot, le patron de la Gazette doit rencontrer un
poète et un éditeur venus d'Angleterre rendre visite à leur ami John Kent, dit
Mad Medico pour ses collaborateurs à l'hôpital.; En outre, le ferme projet qu'a
337 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 133

170
Ikem d'épouser la jeune vendeuse a été révélé pour la première fois lors de
l'entrevue avec les étudiants de Bassa, même si cette révélation s'est faite dans
un climat humoristique particulier qui jette quelque discrédit sur le sérieux de
son auteur:
'F..)I will let you into a secret 1 have told nobody else. My prospective
mother-in-laui is a market woman". Laughter !
..
"A cash madam ?" , offered someone.
"No, not a cash madam. A simple market woman ... This is not a joke
now, 1am reaIly serious. My prospective mother-in-lau: seIls tie-die cloth
in Gelegele market. 5he is not a cash madam as 1have said ; she can carry
aIl her worldly wares in one head-loadi ..."] 338
Il ne fait aucun doute que Ikem Osodi aime sincèrement Elewa et
veut faire d'elle sa douce moitié.
Mais le problème est que, une fois l'acte sexuel terminé, il souffre
très mal sa présence encombrante:
C.') a man should wake in his own bed. A woman likewise... 1 simply
detest the very notion of waking up and finding beside you somebody
naked and unappetizing.
.
. . .
~
{...] l couldn 't tonte tomorroui's editorials with Elewa 's hand cradling
my âamp crotch 339,
Alors son refus de passer la nuit avec sa fiancée dans sa chambre
doit-il être compris non comme une manifestation de mépris pour la fille, mais
plutôt comme l'ultime solution qui lui permette de se consacrer à la rédaction
de ses éditoriaux dont l'importance échappe peut-être à Elewa, uniquement
parce qu'elle a une vision des choses plus égoïste. Et pour cause...
Cette attitude de Ikem, éditorialiste de la Gazette, est semblable à
celle de bon nombre d'intellectuels et de cadres qui ont une épouse et des
338 - Anthills of the Savannah, op.cit., pp. 156-7
339 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 37-8

171
enfants à élever. Le plus clair du temps, ceux-ci parviennent difficilement à
maintenir durablement un équilibre affectif entre l'amour pour les êtres chers
d'une part et l'amour de leur métier d'autre part. Et, dans cet équilibre précaire
sans cesse menacé de rupture, le plateau professionnel finit par s'enfoncer au
détriment de la famille.
Comme on le constate, l'amour entre Ikem et Elewa n'est pas, à
proprement parler, un amour vulgaire. Bien au contraire, il est très profond,
sublime même et impulse une dynamique positive à l'action politique du
rédacteur-en-chef du journal gouvernemental. Même s'il ne veut pas être
débordé et inhibé par la présence prolongée de sa fiancée, Ikem ne peut pas se
passer des relations sexuelles ponctuelles qu'elle lui procure. Ainsi, l'amour
entre Elewa et Ikem s'inscrit dans la même mouvance que celui qui lie Winston
à Julia et Odili à Edna.
L'acte sexuel, il convient de la mettre en contrepoint, est un
véritable sédatif. Un soulagement physique et mental couronne chacune des
rencontres entre amoureux et procure à l'homme la force nécessaire pour mieux
se donner à la lutte contre la tyrannie. Ceci est valable aussi bien pour les
relations entre Winston et Julia dans Nineteen Eighty-Four que pour celles entre
Chris et Beatrice dans Anthills of the Savannah:
Presently they fell asleepior a Little whill'I-fwinston] had
grown fatter, his varicose ulcer had subsidedt, ..) 340~
Just as he (i.e. Chris) was going to plead for mercy she (Beatrice)
screamed an order : "OK l" and he exploded into stars and floated
through fluffy white clouds and began a long and slow and weightless
falling and sinking into deep, bluesleep 341.
Si l'acte amoureux produit les mêmes effets bienfaiteurs chez
Achebe et chez Orwell, il n'en reste pas moins que ces deux romanciers le
décrivent différemment. Paradoxal que cela puisse paraître, l'auteur anglais est
de loin plus pudique que son homologue nigérian. En effet, alors que la
description de Achebe est pareille à une caméra qui balaie tout sur son passage,
jusqu'au plus petit détail, et fait défiler le tout sur un écran géant avec un
340 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 1'9
341)~Idem, p. 1~
341
(\\nihll\\s o~-Ihe S:I.vdn>l'IC1n '1 r 111.t

172
lyrisme emballant qui cache mal l'extrême sensualité de l'auteur, celle faite par
Orwell met pudiquement une croix sur le côté lascif pour n'insister que sur la
suite bénéfique pour l'être humain:
As their struggle intensified to get inside each other, to
melt and lose their separateness on that cramping sofa, she whispered,
her breathing coming fast and urgent: "Let's go inside. It's too
uncomfortable here".. And they (i.e. Chris and Beatrice) fairly scrambled
out of the sofa into the bedroom and peeled off their garments and cast
them away like things on fire, and fell in together into the toide, open
space of her bed and began to roll over and over until she could roll no
more and said : "Come in". And as he did she uttered a strangled cry
that was l'lot just a cry but also a command or a password into her
temple. From there she took charge of him leading him by the hand
silently through heaving groves mottled in subdued yellow sunlight,
treading dry leaves underfoot till they came to streams of clear blue
water. More ihan once he had slipped on the steep banks and she had
pulled him up and back with such power and authority as he had l'lever
seen her exercise before. Clearly this was her grove and these her own
peculiar rites over which she had absolute power. Priestess or goddess
herself? No matter. But would he be found worthy ? Would he survive?
This unending, excruciating joyfulness in the crossroads of laughter and
tears. Yes, I must, oh yes, l must, yes, oh yes yes, oh yeso l must, must,
must. Oh holy priestess, hold me now. l am slipping, slipping, slipping.
And now he was l'lot just slipping but falling, crumbling into himsel[342.
(.. .) Almost immediately they fell asleep and slept for about halfan hour
343
La retenue de Orwell pourrait avoir pour origine l'attachement de
l'auteur aux valeurs cardinales, encore perceptibles dans la péninsule
britannique au moment où il écrivait Nineteen Eighty-Four et qui faisaient du
sexe un sujet tabou.
342 - Anthills of theSavannah, op.cii., pp.·l13-4
343 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p. 105

173
Mais est-ce reconnaître pour autant que la société africaine qui sert
de référence à Achebe est une société licencieuse ?344 De toute façon, il est
indéniable que la société anglaise de la première moitié de notre siècle était
moins dégradée et plus puritaine que celle que décrit Achebe. Et comme
l'individu est fortement influencé par son milieu, on voit aisément pourquoi
l'approche achebéenne est plus osée que celle de son homologue anglais.
Comme nous l'avons annoncé plus haut au début de cette section,
sexualité et politique sont inextricablement liés chez Orwell, de même que chez
Achebe. L'acte sexuel constitue, dans Nineteen Eighty-Four l'unique moyen de
lutte dont disposent les opposants au régime sanguinaire de Big Brother.
Toutes les autres issues étant hermétiquement verrouillées par une police
omniprésente.
It was a blow struckagainst the Party. It was a political act 345
Dans A Man of thePeople aussi, l'amour entre Odili Samalu et Edna
a rencontré beaucoup d'obstacles et représente aux yeux du jeune enseignant
un moyen de lutte politique contre son adversaire (ennemi plutôt) Nanga. Le
père de la fille ainsi que son frère, l'ont rejeté ou tenu des propos malveillants à
son endroit. Même Edna a été réticente au début. Mais vers la fin du roman, la
patience et la persévérance ont fini par lui ouvrir la porte qui mène au coeur de
la fille.
Cet amourentre Odili et Edna a eu l'avantage d'être presque une
exception chez Achebe. En effet, c'est l'un des très rares dans les romans à
l'étude à être immaculé. Autrement dit, il aura été sublime de bout en bout et
exempt de toute souillure sexuelle.
Cependant, sans être aussi immaculé que celui entre Edna et
Odili, l'amour qui lie Max à Eunice dans le même roman est certainement le
plus sublime et peut-être le plus sincère dans l'ensemble des romans à l'étude.
344 - En tout cas c'est ce que soutient le professeur de philosophie Ousseynou Kane de l'UCAD
: "(... ) qu'on le veuille ou non, la cultureauthentiquement africaine, c'est-à-dire celle-là qui n'a pas
été défigurée par la bigoterie religieuse mal assimilée est totalement libertaire sur le plan de la
sexualité. Celle-ci est une composante des faits et gestes de tous les jours, de notre façon de parler
(...), de nous habiller, de danser, de cuisiner, de marcher. En un mot de notre façon d'être. Et au
risque de choquer, je soutiensqu'aucune culture n'a élevé plus haut l'érotisme, au niveau du vécu
quotidien ..."
"Le Tartufe et l'Amant," in Sud Quotiden n? 159, Dakar, 27 sept. 1993, p. 6
345 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 105

174
La fiancée du leader du CPC, qui a fait étalage de toute la fragilité liée à son
sexe, a quand même su puiser du tréfonds d'un amour ardent, une témérité qui
lui a permis d'abattre, à bout portant, le Chief Koko, le commanditaire de
l'assassinat de l'être qui lui est cher.
(...) Eunice had been missed by a few inches when Max
had been felled. She stood like a stone figure, l was told, for sorne minutes
more. Then she opened her handbag as if to take out a handkerchief, took
out a pistoi instead and fired two bullets intoChief Koko's chest. 346
Globalement, tous les types d'amour charnel qui sont directement
ou indirectement liés à la politique dans A Man of the People, Anthills of the
Savannah et Nineteen Eighty-Four sont assez profonds. Néanmoins, ils brillent
par leur caractère très tragique. Sur les cinq cas majeurs répertoriés, quatre ont
connu une fin particulièrement dramatique: Winston-Julia; Ikem-Elewa ;
Chris-Beatrice; Max-Eunice ; un seul, Odili-Edna, a pu survivre à la violence
aveugle du pouvoir tragique; d'extrême justesse...
*
* *
L'amour du prochain, plus communément l'amitié et le don de soi,
côtoie la première catégorie d'amour chez les populations des sociétés décrites
par Orwell et Achebe dans leurs quatre romans.
Si pour le premier type d'amour Animal Farrn est laissé pour
compte par Orwell, par contre l'amitié et l'amour altruiste font partie du
paysage affectif de ce roman. C'est ainsi que l'amitié que Benjamin voue à Boxer
est si exceptionnelle qu'elle a été la seule cause qui ait pu amener l'âne à se
départir du mutisme cynique et réaliste qu'il a adopté depuis l'instauration du
pouvoir animal dans la Ferme des Animaux. En effet, constatant que son vieil
ami va bientôt mourir, victime de la cruauté des cochons qui l'ont vendu, pour
être jeté en pâture aux fauves, Benjamin n'a pu s'empêcher d'exprimer tout son
mépris et d'informer tous les autres animaux. C'est là un risque très grand qu'il
a pris car, s'il parvenait à Napoleon que c'est Benjamin qui a vendu la mèche, il
serait tué sur l'heure.
346 - A Man of the People, op.cit., p. 143

175
Toujours dans Animal Farm, la jument Clover, manifeste beaucoup
de sympathie et de pitié à l'égard des faibles créatures de la Ferme en
particulier les canetons. Chaque fois que ces derniers sont terrifiés par les
attitudes des cochons, ils viennent spontanément s'entasser sous son aile
protectrice.
(,..) Clover made a sort of wall round [the brood of ducklingsl with her
great [oreleg, and the ducklings nestled doum inside ii, and promptly fell
asleep 347.

Ce rôle joué par Clover n'a pas laissé John Mahoney indifférent:
(...)Clover is a mother-figure in Animal Farm. More than any other
animal she represents sympathy and kindness. She is disturbed in a way
that the others are not by some terrible events on the [arm. For ail that,
she is a survivor and source of comfort and strengthfor ail 348.
La formidable solidarité qui existe entre tous les animaux faibles
est totalement absente dans Nineteen Eighty-Four, exception faite des prolétaires
qui ne sont pas considérés comme des êtres humains. L'amitié également. Celle
derrière laquelle s'époumonne Winston depuis le début du récit, aura été une
terrible illusion. Son supposé ami, O'Brien, n'est qu'un horrible agent secret au
service du Parti de Big Brother. Et vers la fin du roman, il lui fera subir les
tortures les plus atroces tout en continuant à se faire passer pour son ami
véritable:
l ... 0 'Briod was the tormentor, he was the protector, he was the
inquisitor, he was the friend 349.
Même l'amour naturel entre parents et enfants est étouffé ou
dénaturé par le système de Big Brother. Dès le très bas âge, l'enfant est arraché
à l'autorité parentale pour être placé sous ·celle de l'Etat au sein de cellules
militantes, les "Spies", qui rappellent admirablement les "Enfants de la Louve" de
Hitler. Ainsi, les enfants sont les premiers espions de leurs propres géniteurs,
qu'ils considèrent comme des ennemis:
347
A'
1 r
.
7
-
nima rarm, op.cii., p.
348 - John Mahoney, op.cii., p. 66
349 - Nineteen Eighty-Four, op.cit., p. 201

176
[...] Nearly all children nowadays were horrible. What was
worst of aIl was that by means of such organizaiions as the Spies they
were systematically turned into ungovernable liule savages (...) 350
Chez Achebe, le roman le plus proche de Animal Farm par
l'intensité de l'amitié et de la solidarité humaine et partant, le plus éloigné de
Nineieen Eighty-Four
par la sécheresse affective des personnages, c'est
certainement Anthills of the Savannah, dans lequel la double amitié: Ikem-Chris,
Ikem-Beatrice, fait figure de référence.
La première relation, il faut l'admettre, n'a pas marché comme sur
des roulettes dans les premières heures du pouvoir de Sam. C'est pour cette
raison qu'elle n'a pas été mise à profit pour venir en aide au dictateur en herbe.
Alors que Ikem, plus fougueux, a toujours voulu que son ami Chris se joigne à
lui pour qu'ils appliquent à leur ami commun la thérapeutique indiquée pour le
sauver dans l'intérêt national, Chris s'est toujours complu dans un attentisme
qui s'avérera lourd de conséquences, comme nous l'avons déjà développé plus
haut.
Malgré toute la différence d'appréciations quant à la conduite à
tenir envers la dictature naissante de Sam, ils acceptent de se retrouver chez
Beatrice pour une réconciliation. Et même si celle-ci n'a pas donné les résultats
escomptés par Beatrice, ils restent figés sur leurs principes, Ikem et Chris ont su
quand même, pour la première fois depuis longtemps, dompter leurs passions
négatives pour discuter sereinement sous les auspices de Beatrice et se quitter
la tête froide. L'amitié sincère qui les unit depuis les bancs de l'école est la seule
et unique force qui ait réussi à colmater les fissures faites dans leurs sentiments
réciproques par la politique totalitariste de Sam, devenu Son Excellence. En
clair, c'est leur amitié qui a sauvé et perpétué leur amitié...
Deux événements majeurs intervenus dans la vie politique de
kangan finiront par convaincre les sceptiques que Ikem et Chris sont des êtres
qui s'aiment sincèrement: la décision prise par Son Excellence de sanctionner
Ikem et la mort de ce dernier.
En fait, dès que Chris a pris toute la mesure de la sanction qui
pèse sur son ami Ikem, leur amitié s'en trouve, du coup, réchauffée et le
350 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 24

177
ministre de l'Information prend la ferme décision de défendre le rédacteur-en-
chef de la Gazette. Jusqu'au bout, préférant s'attirer les foudres de Son
Excellence plutôt que de suspendre injustement Ikem de ses fonctions:
"( ... ) l will not write a letter suspending the Editor of the National
Gazette simply because some zealous security officer has come up with a
story..." 351
Mieux encore, à l'annonce de la mort tragique de Ikem, Chris s'est
effondré, certes, mais pour retrouver très rapidement ses sens. Il a
présentement une seule idée en tête: comment faire pour contrecarrer les
mensonges dont le pouvoir de Son Excellence a enveloppé la mort de son ami
afin de préserver la pureté de sa mémoire.
(...)right now in his mind the overwhelming issue which had been
crystallizing even as the announcement was issuing from the box was
how to counter the hideous lie. Not tomorrow, it could be too late, but
now!
As soon as he got to his first hideoui he picked up the
telephone and summoned two foreign correspondents to meei with him at
eight o'clock that night. 352
Et Chris a eu gain de cause car les grandes stations de radio
comme la BBC ont largement diffusé la vérité des faits: il s'est bien agi d'un
assassinat politique plutôt que d'un accident provoqué par Ikem lui-même en
tentant d'arracher à un policier son pistolet; et l'honneur de Ikem est sauf,
alors que le pouvoir de Bassa est indexé par l'opinion nationale et
internationale.
Par ailleurs, le choix fait par Chris de s'exiler dans la province
d'origine de son défunt ami est tout un symbole; même s'il se peut qu'il ait opté
pour cette région pour des raisons stratégiques: les Abazoniens étant à l'avant-
garde du combat contre Son Excellence.
351 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 144
352 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 170

178
Achebe a certainement pensé à l'amitié entre Odili et Max dans A
Man of the People au moment où il dressait les contours de celle liant Ikem à
Chris dans Anthills of the Savannah. Comme les deux amis nigérians, leurs
pendants kanganois se sont connus à l'école, au sens large du terme, pour se
retrouver ensuite sur le terrain politique. Tous quatre peuvent être considérés
comme des intellectuels de gauche, engagés, à des degrés divers, dans la lutte
contre la tyrannie.
Mais l'amitié entre les deux jeunes mgenans, sans être
superficielle, ne donne pas l'impression de se situer au même niveau de
profondeur que celle qui existe entre Ikem et Chris. Cependant, Odili l'a sentie
suffisamment forte pour ne penser qu'à un être dans tout Bori, après la
cinglante humiliation que lui a infligée son hôte Nanga, en lui soutirant sa
fiancée Elsie. Alors que l'aube se fait toujours prier, Odili ramasse toutes ses
affaires et s'engouffre dans l'obscurité pour n'arriver chez son ami Max qu'au
moment où ce dernier s'apprête à aller au bureau. L'accueil est si émouvant
qu'il en oublie l'humiliation qu'il vient de subir:
Within minutes l was already feeling so relaxed and at
ease here that l wondered what piece of ill-fa te took me to ChiefNanga in
thefirst place 353.
Plus tard, Max s'appuiera beaucoup sur le soutien de Odili et de
sa famille pour faire la promotion du CPC, le nouveau parti politique dont il est
le principal animateur. A la mort de son ami, Odili est très bouleversé et quand
les militaires ont chassé les civils et honoré Max du titre élogieux de "héros
national", il a beaucoup apprécié le geste,
(...) their most touching gesture as far as l was concerned was to release
Eunice from jail and pronounce Max a Hero of the Revolution 354.
et décidé d'ériger une école à sa mémoire.
{(...) l propose to found a school (...) in my village to his memory ] 355
353 - A Man of the People, op.cit., p. 74
354-SA Man of the People, op.cii., p. 148

179
Si dans A Man of the People, l'amitié est presque exclusivement
unilatérale: Odili n'ayant qu'un ami, Max et vice versa, dans Anthills of the
Savannah, elle est multilatérale et chacun des quatre personnages centraux,
Ikem, Chris, Sam, Beatrice, entretient des relations amicales avec au moins deux
personnes.
Ainsi, Beatrice est liée à Ikem par une solide amitié qui a fait suite
à des sentiments d'amour charnels réfrénés. Leurs rapports sont si intenses
qu'ils se considèrent comme frère et soeur. C'est du moins le propre sentiment
de la femme, après la mort du jeune homme: "(...)the fellow was a brother to me !
" 356
C'est justement la sincérité de cette amitié pour Ikem qui a conduit
Beatrice à tout tenter pour réconcilier les deux pôles dominants mais
antagonistes, de son univers sentimental. Mais les revers qu'elle a toujours
essuyés ne lui ont jamais fait venir à l'esprit l'idée de trancher en faveur de son
amant Chris, avec qui elle passe pourtant les meilleurs moments de sa vie
affective: elle a su sagement rester fidèle à l'homme par le biais duquel il a
déniché l'oiseau de ses rêves.
Mieux, c'est Beatrice elle-même qui a fait venir chez elle la fiancée
de son ami assassiné afin de mieux la consoler et partager sa douleur. La
fiancée de Max n'a pas eu droit à une telle marque de sympathie: ce qui
explique, en partie, son recours à la violence contre Koko. Et l'enfant née de
l'amour entre son presque-frère et la vendeuse Elewa n'a certes pas trouvé sur
terre son père naturel, mais Beatrice a pleinement rempli son rôle de "père"
adoptif en s'acquittant de tous les devoirs dévolus à un père, en commençant
par le baptême qu'elle a dirigé en personne.
Ce faisant, Beatrice sacrifie à la belle tradition africaine qui veut
que l'amitié et les relations affectives entre deux individus survivent à la mort
de l'un. Au bénéfice des héritiers...
L'amitié et le sens de la solidarité humaine, malgré la corruption
extrême qui secoue le peuple de Kangan, demeurent des vertus toujours
vivaces dans l'esprit et le coeur de plus d'un kanganois. Voyant que ses
nouveaux amis Chris et Emmanuel sont menacés d'arrestation c'est-à-dire de
356 - Anthills of the Savannah, op;cit., p. 92

180
mort, par les autorités qui se sont lancées dans une vaste chasse aux sorcières,
Braimoh, le très pauvre chauffeur de taxi, prend tous les risques et périls et met
son unique chambre à leur disposition. Il mettra une nouvelle fois sa vie en
danger en organisant leur sortie de Bassa pour la province d'Abazon où les
deux opposants veulent chercher un refuge plus sécurisant.
Quel que soit le type d'amour considéré dans les romans étudiés,
celui-ci demeure étroitement lié à la vie politique qui prévaut dans chacune des
,
sociétés présentées par Orwell et Achebe. Ou bien il s'affirme comme un
moyen de lutte brandi par des opposants activistes, comme c'est le cas dans
Nineieen Eighty-Four avec Winston et Julia dans A Man of the People avec Odili et
Edna; ou bien il permet aux victimes de l'oppression tyrannique de reprendre
leur souffle de vie, ainsi qu'il apparaît dans presque toutes les quatre oeuvres.
*
* *
l'amour tout court, c'est-à-dire, sans épithète, ne suffit pas aux
personnages pour souffrir ou contrer les affres des régimes dictatoriaux. Le
rêve ou la vision d'un monde meilleur que celui dans lequel ils évoluent hante
leur conscience ou plutôt leur inconscient.
Dans Nincicen Eighty-Four, Winston Smith est totalement écarté
dans un univers à lui: il est, en effet, le seul habitant d'Océanie à croire à
l'inéluctabilité d'un changement dans son pays. Le jour où il pénétrera dans ce
monde qu'il sait radieux, il aura à ses côtés son ami O'Brien.
"We shall meet in the place iohere there is no darkness" 357
Il appelle naïvement cette terre promise "The Golden Country" et lui dédie le
journal qu'il est en train d'écrire. Elle est tantôt située dans le passé, tantôt dans
le futur:
To the future or the past, to a time when thought is
free, when men are different from one another and do not live
357 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 24

181
alone- to a time when truth. exists and uihat is done cannot be
undone 358.
Ainsi, chez Winston, seul le présent est honni: il peut vivre soit
dans le passé, le royaume d'enfance, avec ses valeurs et vertus cardinales qu'il
connaît par expérience ou par le biais de son éducation, soit dans un futur qui,
dans son entendement, ne pourrait jamais être aussi invivable que le maudit
présent.
~
,
Winston se bercera d'illusions jusqu'à son arrestation par la Police
€ol ::'00 InCaf"ce.'Cll-i'Otl do"~
; et)a cellule du Miniluv où il va bientôt être victime de la plus atroce des
tortures. Parallèlement, il considère tette cellule, en y débarquant, comme son
"Golden Country", vu la clarté éblouissante qui envahit tout l'intérieur du
bâtiment.
C,.)He was in the Golden CountrY(·Y59
Même après son séjour plus que difficile en prison, le
révolutionnaire d'Océanie ne désespère pas de voir son vieux rêve devenir
réalité. En effet, dans ce message à Julia: "We must meet again" 360, il garde
toujours l'espoir de voir son amour avec la jeune fille renaître de ses cendres
dans un monde splendide et radieux à venir.
Mais force est de reconnaître qu'un tel monde est une pure utopie
car celui dont dépend le changement, c'est-à-dire Winston, n'est plus qu'une
loque humaine, incapable de mener la moindre bataille génératrice de progrès
puisque l'alcool est devenu sa principale passion:
(...) From fifteen to closingtime he was a fixture in the Chestnut Tree 361.
Quant à Old Major dans Animal Farm, l'idéaliste, le théoricien et le
père spirituel de l'Animalisme militant, il a ouvert à la nation animale toute la
voie de l'espérance comme Karl Marx avait quelques décennies auparavant,
montré celle du salut aux prolétaires du monde des hommes. Alors que les
animaux, toutes espèces confondues, vivaient sous la botte infernale de Jones,
358 _Idem, pp. 26-7
359 _ Idem, p. 226
360 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 241
361 - Idem, p. 242

182
Old Major a eu la baraka de les réunir pour leur annoncer la fin inéluctable du
règne humain sur leur domaine.
(...) Rebellion! Ida not know when that Rebellion will come, it might be
in a week or in a hundred years, but l know, as surely as l see this straw
beneath my feet, that sooner or later justice will bedone...362
Cette certitude de Old Major est identique à celle de Winston:
(...) Winston did not- know what [the dream] meani, only that in some
way or another it would come true 363 (c'est nous qui soulignons).
Avec une différence cependant: Winston ne fait qu'exprimer un voeu pieux
sans donner les moyens de sa réalisation, alors que Old Major, lui, donne à ses
interlocuteurs l'arme qui leur ouvre les portes du paradis:
(...) And above all, pass on this message of mine ta those who come after
you, sa that future generations shall carry on the struggle until it is
victorious 364
Ce paradis de lumière, de liberté, d'égalité et d'abondance pour
tous, "the Golden future time" 365, est au centre de l'hymne "Beasts of England",
véritable viatique, laissé par Old Major aux autres animaux avant de disparaître
paisiblement. Pareil legs fait penser à celui de Marx aux classes prolétariennes:
le Capital, le Manifeste du Parti Communiste.
Il faut noter que le rêve d'un "Golden future time", annoncé par le
patriarche de la Ferme des Animaux, s'est effectivement réalisé tout comme
celui fait par Marx a vu le jour, non en Europe occidentale ainsi qu'il l'avait
prédit, mais en... Russie. Malheureusement pour les masses populaires de ces
deux entités géographiques, la Révolution a été hypotéquée par des égoïstes
c'est-à-dire les cochons de la Ferme dans Animal Farm et les dirigeants du Parti
Communiste de l'Union Soviétique (PCUS) qui ont accaparé et le pouvoir
politique et le bien-être social.
362 _Animal Farm, op.cii., p. 10
363 - Nineteen Eighty-Four, op.cii., p. 25
36L.Ani~C4' Far",,/ p.10
365 - Animal Farm, op.cit., p. 13

183
Cependant, en dépit de l'échec de leur révolution, les animaux
continuent toujours de rêver d'une autre vie, meilleure que celle offerte par
Jones et les cochons. Cet espoir est surtout entretenu par Moses, un
manipulateur, qui leur indique du doigt le merveilleux pays qu'il a lui-même
visité, "Sugarcandy Mountain" :
"(...) up there, just on the other side of that dark cloud that
you can see- there lies Sugarcandy Mountain, that happy country where
we poor animale shaH rest for ever from our labours!"
(...) Many of the animais believed him. Their lives now, they reasoned,
were hungry and laborious ; was it not right and just that a better world
should exist somewhere else ? 366
Le monde vers lequel Moses (Moïse ?) cherche à orienter les
animaux n'est qu'un leurre. En effet, il se positionne comme l'homme d'Eglise
de la Ferme, éternel collaborateur des régimes politiques impopulaires. Sa
tactique consiste à se faire passer pour le bienfaiteur du peuple animal, alors
qu'en réalité, il aide sournoisement les cochons à mieux l'exploiter en lui faisant
miroiter un paradis après la mort. Moses est fidèle à sa vocation, ayant lui-
même rendu exactement les mêmes services à Jones, du temps de Manor Farm.
Cette référence à la religion comme "opium du peuple" est faite,
mais de façon moins catégorique.et, partant, plus nuancée dans A Man of the
People et dans Anthills of the Savannah. Dans le premier roman, c'est le leader du
parti d'opposition, le CPC, Max, qui rejette toute dépendance aveugle de Dieu,
invitant ainsi ses amis à mettre l'accent sur l'action militante conséquente: "]
don ft believe in Providence (...) 367.
Dans l'autre, c'est Ikem Osodi qui fustige les oeuvres caritatives
du Rotary Club de Bassa qui aide à soulager les pauvres des quartiers
périphériques de la capitale. Il juge ces actions comme étant une dangereuse
entrave à la prise de conscience, par le peuple, de son véritable combat contre
l'injustice sociale:
Charity (...) is the opium of the privileged (...)
366 - Idem, pp. 99-100
367 - A Man of the People, op.cit., p. 82

184
While we do our good works let us not forget that the real solution lies in
a world in which charity will have become unnecessary 368
D'une manière générale, les personnages centraux de Achebe ne
se livrent pas trop au rêve d'un monde meilleur. Ceci montre quelque peu la
différence entre la crédulité qui caractérise les personnages de Orwell et le
scepticisme de leurs homologues achebéens. Odili, Ikem, intellectuels de
,gauche dans A Man of the People et Anthills of the Savannah, ne se font aucune
illusion quant à la possibilité ge l'instauration, à court terme, d'un régime
démocratique dans leurs pays respectifs. C'est pour cela que, voulant éviter
d'être ridicules, ils n'ont point rêvé. Cependant Max s'est livré à une véritable
prédiction qui est très proche tant dans la forme que dans le fond, de celle
formulée par Old Major dans Animal Farm : la révolution est entre les mains du
peuple; la seule donnée difficile à maîtriser avec précision c'est que:
C.') "What we must do is get something going", said Max, "however
small, and wait for the blow-up. Ifs bound ta come.I don 't know howor
when but ifs got to come (...) " 369
C'est peut-être chez le petit peuple qu'il est rencontré certains
propos qui font penser au rêve ou à la vision d'un monde de bonheur. En effet,
devant leur incapacité à mettre un terme au règne de l'égoïsme intauré par le
colonisateur et entretenu par le nouveau dirigeant africain, les populations
nigérianes se réfugient derrière l'espoir de survie qui leur permettra, un jour, de
mettre la main sur leur part du gâteau national.
(...) The important thing is to stay alive ; if you do you will outlive your
present annoyance 370.
Le seul personnage dans Anthills of the Savannah à avoir fait de
rêve relativement proche de ceux de Winston dans Nineteen Eighty-Four et de
Old Major dans Animal Farm, est l'un des pauvres suppliciés de la plage de
Bassa. Alors qu'on le traîne vers la potence, il lance, en désespoir de cause, un
cri de révolte et d'indignation à ses futurs bourreaux: "I shall be barn again !~'371
Cette sentence qui se veut aussi un défi et une résignation hautaine face à la
368 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 155
369 - A Man of the People, op.cii., p. 80
370 - A Man of the People, op.cit., p. 144
371 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 42

185
violence, n'a pu que provoquer l'hilarité.. générale chez les spectateurs et l'ire
des femmes qui se sentent par là complétement insultées. Et le lecteur ne
dispose pas d'éléments lui permettant de savoir à quel type de monde pense le
supplicié.
Pourtant, c'est dans Anthills of the Savannah que l'avenir se
présente sous de meilleurs auspices. Avec le baptême de la fille de Ikem,
l'espoir de voir les idéaux de son père triompher se dessine nettement: toutes
les ethnies, toutes les confessions, toutes les régions, toutes les couches sociales,
presque toutes les corporations que compte Kangan, se sont donné rendez-vous
chez Beatrice Okoh. Jamais auparavant, pareille retrouvaille ne s'est réalisée
dans les différentes sociétés achebéennes modernes.
Koko, Nanga, Wagada, dans A Man of the People, s'occupent,
chacun, de leur village, de leur contrée ou de leur ethnie. Maintenant, la fille de
Ikem se présente comme le ferment providentiel qui alimente la naissance d'un
véritable sens patriotique et national qui a jusque là cruellement fait défaut
chez la plupart des personnages des deux derniers romans de Achebe.
Les prières formulées par le grand-père maternel du bébé en
présence de musulmans, de chrétiens, de païens, de Sudistes, de Nordistes, de
Igbos, de Haussas, de Fulanis, d'intellectuels, de soldats, de chauffeurs de taxi,
d'hommes et de femmes de tous âges, qui, d'une seule voix, ont répondu "Ise" à
chacune d'elles, permettent d'affirmer que l'espoir de changement vers une
société africaine moderne et totérante, repose sur un socle bien ferme:
"Cnoner of the uiorld ! Man of countless names ! The church people calI
you three-in-one. ft is a good name. But it carries miserly anS
insuiiicieni praise. Four-hundred-in-one would seem more fitting in my
eyes(.'73ut we have no quarrel with masque people. Theil' intentions are
good, their mind on the right road C..)
. . .. .. . .. .. .
What brings us here is the child you sent us. May her path bestraight...
"Ise" replied aIl the company 372.
372 - Anthills of the Savannah, p. 227-8

186
En fait, l'ambiance fraternelle qui a présidé à ce baptême,
ambiance née du désir sincère et partagé de dépasser les clivages ethniques,
religieux et régionalistes, qui ont longtemps miné Kangan et le Nigéria -Kano a
connu de sanglants affrontements religieux en 1991 ; et le cycle ne s'est point
interrompu depuis des décennies- a abouti à la formation tacite de ce que
Abdul appelle, fort judicieusement et non sans joie, un "Mutual Admiration
Club" 373.
Dans nul autre roman à l'étude, l'espoir de changement n'est aussi
réel que dans Anthills of the Savannah. Tandis que dans les autres romans il s'est
surtout agi de simples rêves, dans celui-ci, le rêve commence à se réaliser
effectivement avec la formation spontanée, chez Beatrice, d'un embryon d'Etat
démocratique qui va bientôt dépasser les limites de la concession de la jeune
femme pour embrasser l'ensemble du territoire national de Kangan.
Pour conclure cette section, qu'il s'agisse de rêves, de prophéties,
de visions ou d'amour au sens large du terme, les personnages de la fiction
achebéenne et orwellienne y recourent pour mieux faire face aux atrocités
psychosomatiques des régimes dictatoriaux ou pour lutter contre ceux-ci.
Néanmoins, par-delà cette fonction politique très appréciable, la pratique
sexuelle met aussi en exergue le degré de corruption des moeurs qui est
relativement élevé tant dans les sociétés orwelliennes qu'achebéennes. Même si
le sublime arrive tant bien que mal, à se faire une petite place au soleil.
c
o
Ç!
Ainsi que l'aura montré l'analyse thématique qui précède, Animal Farm,
Nincieen Eiglzty-fOlll', A Man of the People et Anthills of the Savannah portent
essentiellement sur le pouvoir d'Etat et son exercice autoritariste par une clique
de parvenus, civils ou militaires.
Et chaque fois que le pouvoir change de mains, ses nouveaux détenteurs
prétendent toujours avoir agi au nom du peuple et dans son intérêt exclusif.
Mais la pratique révèle constamment que ce n'est là que pure phraséologie
destinée à la galerie. En fait, très vite, les nouveaux maîtres du jeu politique
deviennent pires que les anciens tortionnaires qu'ils ont déchus. Ainsi, dans A
Man of the People, chez Achebe, les civils qui ont occupé le fauteuil abandonné
par le colonisateur européen se sont mués en redoutables fossoyeurs des
373 - Anthills of the Savannah, p. 229

187
intérêts du peuple africain. Ensuite, les militaires qui ont chassé ces derniers ne
valent guère mieux qu'eux.
Le constat est le même dans la diégèse des romans de Orwell.
Dans Animal Farm, le remplacement de l'exploiteur humain, ML Jones, par
l'animal Napoleon, n'a fait que plonger la société des animaux dans la misère et
la répression aveugle. De même, l'avènement des socialistes de l'Ingsoc au
pouvoir à la place des capitalistes dans Nineteen Eighty-Four n'a profité qu'à
une coterie, celle des Membres du Parti Intérieur.
Cependant, il convient de remarquer que chez Orwell les
dictateurs donnent l'impression d'être nés tels, alors que ceux des romans de
Achebe ont été victimes et de leur faiblesse caractérielle, et de l'influence
négative de certains de leurs collaborateurs comme Okong et l'Attorney-
General qui, par exemple, ont largement contribué à faire de Sam le tyran qu'il
est devenu.
Pour imposer leur autorité qui ne bénéficie d'aucune légitimité
contractuelle, les .nouveaux dirigeants recourent à des moyens les plus variés,
parmi lesquels la communication, l'intimidation, le chantage, la falsification de
données statistiques, la répression, la diabolisation d'ennemis politiques réels
ou imaginaires.
Dans un tel contexte, trois catégories socio-politiques sont
particulièrement ciblées par les régimes dictatoriaux. D'abord, les anciens
compagnons de lutte pour la conquête du pouvoir qui ont été, pour des raisons
purement politiciennes, astucieusement ou violemment écartés de l'exercice de
celui-ci. C'est le cas, entre autres, de Snowball dans Animal Farm, de Goldstein
dans Nineieen Eighty-Four et du Dr. Makinde dans A Man of the People, qui sont
les boucs émissaires des carences des dirigeants ! Les deuxièmes victimes sont
les intellectuels qui, guidés par des considérations humanitaires, entendent
contrecarrer la machine répressive. Mais presque tous ont été victimes de la
répression qu'ils ont voulu combattre: Odili, Max, Ikem, Chris, les porcins,
Winston ... Seule Beatrice a réussi à tirer son épingle du jeu en parvenant à
réunir chez elle toutes les composantes de la société kanganoise.
La troisième cible de la furie dictatoriale chez Orwell et Achebe est
naturellement le petit peuple qui vit dans l'indigence et l'ignorance presque
absolues: point d'écoles, de centres de santé, d'habitat décent. Et la propagande
et la répression sont si efficaces que les animaux de la Ferme et les habitants de

188
Airstrip One en oublient le passé, pour s'accrocher à un présent plus que
mortel.
Devant l'énormité des malheurs qui les accablent, les intellectuels
et le petit peuple se réfugient derrière le rêve d'une monde meilleur à venir, ici-
bas ou après la mort. Grâce à ce rêve et à l'amour cultivé entre eux, les
opprimés se donnent une raison de vivre et un moyen de lutte politique.
,
Pour conclure, Orwell et Achebe ont une thématique basée sur la
conquête et l'exercice du pouvoir politique par des dictateurs peu cultivés. Le
premier a utilisé le cadre européen, le second le cadre africain. Mais au-delà de
ces spécificités, tous les deux auteurs ont pour dessein majeur de dénoncer la
dictature, cette forme archaïque de gouvernement dans laquelle le peuple,
l'humaniste et l'adversaire politique, sont vidés de toute leur humanité.

189
TROISIEME PARTIE:
L'ECRITURE DU POUVOIR
ET DE LA POLITIQUE

190
La dernière partie de notre étude sera consacrée à l'écriture du
pouvoir et de la politique dans les oeuvres à l'étude. L'analyse d'une oeuvre de
fiction ne saurait être exhaustive si elle se limitait exclusivement à ce que
Gérard Genette appelle la "description significative" 374, c'est-à-dire à l'analyse
thématique. La "description ornémentale" 375 est aussi d'importance puisque le
message de l'écrivain n'arrive pas au lecteur uniquement par le biais du signifié
; mais également par celui du signifiant sous toutes ses formes.
Par signifiant littéraire, nous entendons la forme de l'oeuvre, ainsi
que la manière propre à l'auteur de s'adresser à ses lecteurs. En effet, d'après
Kayser:
(...) Un roman n'est pas caractérisé uniquement par sa manière mais
aussi par cette propriété essentielle qu'est d'avoir une forme (Gestalt)
c'est-à-dire un commencement, un milieu et unefin 376.
Le chapitre premier traitera de la typologie des personnages et de
la syntaxe des oeuvres; tandis que dans le second chapitre nous essayerons de
mettre en relief les différentes techniques narratives utilisées par Orwell et
Achebe dans leur présentation et leur peinture du pouvoir et de la politique.
1 - LA SYNTAXE NARRATIVE DES OEUVRES
Le roman est une histoire plutôt fictive qu'un ou plusieurs
narrateurs livrent au lecteur ou narrataire. Mais raconter -mème dans le cas du
conte- n'est pas chose aisée: l'histoire racontée (fable), de même que les faits,
dires, gestes et attitudes des personnages (caractères) qui constituent l'intrigue,
doivent être consciemment ordonnés par l'auteur de manière à produire chez le
lecteur les effets recherchés .
... [literaiure] must always have a structure and an
aesthetic purpose, a total coherence and effect 377.
374- Gérard Genette: "Frontières du Récit" r in Figures II, Seuil, 1969.
375 - Idem
376- Wolfgang, Kayser: "Qui raconte le Roman ?, "in La Poétique du récit,
Editions du Seuil, 1977, p. 66
377- Austin, Warren: "TheNature and the Modes of Narrative Fiction" in
theory of Liierature, Harcoui, Brace and World, lnc., 1965, p. 73

19 1
Cependant, la structure narrative d'une oeuvre romanesque ne
saurait être perçue comme une simple structuration de l'intrigue:
(...)Structure involves plot, thematics, and form : it refers to our sense of a
novel's overall organization and patterning, the way in which its
component parts fit together to produce a totality, a satisfying whole or,
of course, the way in which theyfai! so to do 378.
C'est fort de ce constat que nous avons décidé d'aborder, dans ce
chapitre, l'étude des personnages car intrigue et personnage sont deux éléments
solidaires d'une même entité: la "totalité" de l'oeuvre.
Plot can bedefined as the dynamic, sequential element
in narrative literature. Insofar as character, or any otherelement in
narrative, becomes dynamic, it is a part of the plot 379.
I. 1. La typologie des personnages chez Orwell et Achebe
Le père de la critique littéraire, Aristote, donne au personnage une
position de second plan par rapport à l'histoire ou à l'intrigue; selon lui, il est
possible d'envisager l'existence de ces dernières sans le concours d'un
"caractère", alors que l'inverse est tout à fait inconcevable.
Les points de vue défendus par des critiques structuralistes ou
formalistes comme Greimas et Propp n'ont pratiquement aucune frontière
décelable avec celui d'Aristote. En effet, de l'avis de ces critiques, le personnage
n'est rien d'autre qu'un "agent", un "actant", voire un "participant" ; en un mot,
un simple exécutant des tâches que lui assigne son créateur, l'auteur.
Pour la critique moderne, le personnage doit être détaché de
l'action et cesser de n'être qu'un robot. Ainsi gravit-il des marches de l'échelle
caractérielle humaine pour devenir un être en chair et en os doté d'une
épaisseur psychologique, un double de l'Homme en quelque sorte puisqu'il :
378 - Jeremy Hawthorn : Studying the Novel: An Introduction, (First pub.
1985), Lond, N.Y., Melbourne, 1990, p. 56
379 - Robert Scholes and Robert Kellog : "Plot in Narration" in The Nature of
Narrative, Copyright (C), 1966, Oxford University Press, Inc., p. 277

192
a pris une conscience psychologique, il est devenu un individu, une
"personne", bref, un "être" pleinement constitué380.
Même si, a priori, nous trouvons, à l"instar de Barthes d'ailleurs,
gênante, l'assimilation d'un personnage romanesque à une personne douée de
tous les attributs de l'Homo Sapiens, nous tenterons, a posteriori, de voir si
Orwell et Achebe créent des personnages-êtres ou tout simplement des
personnages qui ne trouvent leur existence que dans l'intrigue de leurs oeuvres.
Quel que soit le genre littéraire considéré, la place du personnage
est essentielle. Dans le domaine précis de la narratologie qui nous intéresse, le
récit rend compte des tribulations des différents personnages qui ne bénéficient
pas cependant de la même considération de la part du romancier. Il existe, en
effet, dans la société fictive décrite, comme dans celle des hommes, une
stratif"c-ofrollqui repose, en l'occurrence, sur une distribution hiérarchisée des
"fonctions" surtout celles dites "charnières". Ainsi, au sommet de la pyramide, se
trouvent les "major characters" ou héros, dont l'histoire constitue, pour ainsi dire
la charpente dans laquelle viennent de se greffer, telles des "catalyses", celles
des autres personnages de moindre valeur (flat characters.
Chez Orwell et Achebe, les personnages centraux, Odili, Max,
, Nanga, dans A Man of the People; Ikem, Chris, Sam, Beatrice, dans Anthills of the
Savannah; Winston, Big Brother, Obrien dans 1984 ; Napoléon, Snowball,
Squealer, Old Major, dans Animal Fai'm, sont en général, soit des dirigeants
politiques, soit des intellectuels d'un niveau respectable.
Les personnages intermédiaires et mineurs, quant à eux,
représentent la classe sociale des "damnés de la terre" : les peuples du "Nigéria",
de Kangan, de AirStrip One et de la Ferme des Animaux. Ils sont, pour la
plupart, chauffeurs de taxi, vendeurs ou paysans chez Achebe; et petits
employés de l'administration ou ouvriers, chez Orwell.
D'autre part, les personnages de Orwell et de Achebe sont tous
anthropomorphes, à moins de considérer les systèmes politiques comme de
véritables personnages. Ils portent des noms de personne dont plusieurs sont
étroitement liés aux régions qui servent de cadre aux intrigues des romans;
380- Roland, Barthes: "Introduction à l'analyse structurale des récits in La
Poétique du récit," op. cit., p. 33

193
d'où un souci réel des auteurs de réalisme lié à la topicalité et à la patronymie.
Winston, le héros de 1984, porte le prénom de l'homme politique britannique
qui a marqué de sa très forte personnalité la terrible période de la guerre avec
l'Allemagne de Hitler: Winston Churchill; son nom de famille, Smith, est l'un
des plus répandus en Angleterre. Le choix fait par Orwell est loin d'être fortuit.
Il pourrait être guidé par une volonté manifeste de rendre hommage, à sa
façon, à un homme politique; à son patriotisme qu'il partageait, et à sa
clairvoyance. ·Par ailleurs, en donnant au tortionnaire de Winston un nom
typiquement irlandais, O'Brien, Orwell fait référence à l'imagerie populaire
anglaise qui associe, à tort ou à raison, la cruauté aux irlandais. Julia, Parsons,
etc, sont des noms britanniques ordinaires et participent d'un souci de réalisme.
-s.Achcbe, lui aussi, se soucie beaucoup de réalisme topique et patronymique. Les
noms de famille, Wagada, Samalu, Kulamo, Okoh, Koko, Nanga, etc, sont
nigérians ou tout au moins à consonnance Igbo, Yoruba, Haussa Orhobo etc.
Les prénoms chrétiens, Christopher, Beatrice, Eunice, Sam, ... sont ceux laissés
par le colon et le missionnaire britanniques en pays Igbo christiannisé.
Adamma, Ahmed, Braimoh, ... ceux de la communauté musulmane Haussa et
Fulani du Nord islamisé. Odili représente l'un des prénoms authentiquement
africains qui ont survécu à la pénétration chrétienne et occidentale en pays
Igbo.
-,;' Sur le plan de la description interne, les deux auteurs, surtout Achebe, dressent
toujours un portrait psychologique, moral, et intellectuel de leurs presonnages
centraux et ce, dès les premiers chapitres de leurs récits. Ces "indices" aident le
lecteur à saisir très vi te la personnali té profonde de chaque personnage; ce qui
le met à l'abri de toute surprise pouvant découler des attitudes et agissements
négatifs ou positifs de ce dernier, au milieu ou à la fin de la narration. A la
difference d'autres romanciers qui ne s'intéressent qu'à une étape
psychologique précise de leurs "actants", Orwell et Achebe font de leurs
personnages un portrait dynamique.
~7 Ainsi dans A Man of The People Achebe nous apprend que dès l'université,
Odili était tiraillé entre le matérialisme symbolisé par la voiture, et l'idéalisme
caractérisé par une âpre volonté de changer les mentalités de la classe politique
et des masses populaires. L'objectif visé etant de doter l'Afrique nouvellement
indépendante d'hommes capables de relever le défi de la gestion par des
nationaux.

194
Plus tard, dans la vie active, Odili se fera le champion de la lutte
contre les arrivistes corrompus symbolisés par Nanga et Koko; il ne résistera
pas à la tentation d'utiliser les fonds de son parti, le c.P.c., pour se payer une
voiture, à l'instar de tous les jeunes cadres, pour se faire respecter. ..
Toujours dans A Man of The People, le rôle que joue Max sur
l'échiquier politique de son pays est tout à fait logique et prévisible: étudiant, il
~tait déja à la tête de l'Association des étudiants de son université, association
qui peut être considérée comme l'embryon du futur c.P.C. dont il est
l'animateur principaL
Nanga lui-même, instituteur, était si prétentieux, si hautain, que
son entourage lui avait collé le sobriquet de "M.A. Minus Opportunity". Il se
comportait comme un Master of Arts sans en avoir le niveau académique. Cet
air démagogique, visible dès sa première rencontre avec les populations rurales
de Anata,le suivra comme son ombre tout au long du récit.
Les relations intimes entre Nanga et Elsie, l'africaine, sont elles
aussi tout à fait prévisibles. Ainsi, dès l'arrivée du trio (Nanga, Odili, Elsie)
dans le "château" du ministre, le lecteur présage ce qui va inéluctablement se
passer, dicté par l'expérience: Nanga aime bien les jeunes femmes tandis que
Elsie a déja été présentée comme une fille plutôt légère. En effet, la rapidité
avec laquelle Odili a couché avec elle pour la première fois, prouve qu'elle n'est
là que pour le premier ven u :
Elsie toas, and for that matter still is, the only girl 1 met and slept unth
the same day - in fact within an hour,381
Dans Anthills of The Savannah, le portrait psychologique et mental
des trois protagonistes est fait avant les grands événements engendrés par le
choc explosif des tempéraments contradictoires de Sam, Chris et Ikem.
Sur le plan intellectuel, depuis l'école, Ikem a été le meilleur des
trois camarades de classe qui seront au centre de la vie politique de Kangan 382.
C'est tout naturellement qu'il deviendra l'intellectuelle plus intransigeant, le
plus perspicace, celui qui a le plus mis à contribution sa matière grise pour
381 - Chinua, Achebe: A Man ofThe People, op.cit., p.24.
382 - Chris: "t..,) lkem was the brightest in theclass - first position every term for six years, can you
beat that?" p.65.

195
lutter contre le système impopulaire de son vieil ami Sam. Ses éditoriaux dans
la National gazette sont d'une extrême virulence et portent tous sur des thèmes
d'intérêt général. Mais malheureusement, son abord plutôt difficile,
l'empêchera d'établir un véritable contact avec les populations de son pays;
même si sa rencontre fort réussie avec les étudiants et les chauffeurs de taxi
aura permis de jeter les bases d'un possible rassemblement de tous les
"Nigerians" autour de l'essentiel.
Sam, quant à lui, a été à l'école un élève à l'intelligence moyenne,
doublé d'un homme qui a toujours envié à certaines gens ce qui fait leur
grandeur réelle ou imaginaire. Ainsi, sur inflexion de son ancien professeur
anglais, il entre à l'école militaire dans l'unique dessein d'être un "gentleman"
comme tout bon militaire. Devenu président par pur hasard, il cherchera à
rassembler vaille que vaille aux dictateurs africains dont les deux porte-
drapeaux sont un certain empereur et le président-à-vie, Ngongo, rencontrés à
un sommet de l'O.U.A. (pp.52-3).
Cependant, l'avantage que Sam a toujours eu sur ses deux amis, sa
sociabilité et son abord facile, il le mettra à profit, dans un premier temps, pour
s'attirer la sympathie des jeunes officiers qui lui remettent grâcieusement le
pouvoir qu'ils ont arraché aux civils corrompus. Ensuite, durant les premiers
mois de son règne, "the socialite" 383 entretient un climat très détendu lors des
conseils de ministres, grâce à son sens de l'humour hors du commun.
Malheureusement, c'est sa faiblesse caractérielle, reposant sur une
crédulité extrême, qui le transformera assez facilement en véritable assassin. En
effet, prenant pour vérités certaines l'avertissement du Président Ngongo 384
d'une part, et les accusations gratuites de Okong portées contre Ikem et Chris
de l'autre, Sam qui se croit menacé de mort, prend résolument les devants
avant qu'il ne soit trop tard. C'est tout le drame du récit: la paranoïa d'un
complot politique ourdi par des proches, voire des amis sincères; le tout
aggravé par un manque terrible de bon sens et de conseillers dignes de ce nom.
Chris qui se présente à Beatrice comme ayant toujours été à mi-
chemin entre Ikem et Sam(p.66), occupe exactement la même place dans la vie
383 - Beatrice à Chris: "OK,Ikem was the intellectua1. Sam the socialite, what
about you?, "p.66.
384 - "Your greatest risk is your boyhood [riends, those whogrew up with you in your village. Keep them
at arm's length and you will live long" p.23.

196
politique de Kangan. Tout en' désapprouvant en privé les méthodes anti-
démocratiques du Président, il essaie en même temps de le comprendre et
demande à Ikem de modérer le 'ton par trop acerbe de ses éditoriaux contre le
régime mili taire.
Dans Animal Farm, Orwell adopte à peu près la même méthode de
description dynamique que Achebe, avec moins de bonheur cependant.
Napoleon a toujours été obnubilé par le pouvoir et fait preuve de carence
intellectuelle et organisationnelle notoire. Il aura pourtant la même facilité à se
débarrasser de son adversaire Snowball en se montrant plus opportuniste, plus
machiavélique. En revanche, l'idéaliste Snowball, qui s'est fait remarquer dès le
lendemain de la révolte par ses qualités intellectuelles et son esprit d'initiative:
alphabétisation des masses animales, conception d'un plan idoine de relance
économique, subira le même sort que Ikem dans Anthills of the Savannah.
Mais c'est certainement avec le personnage de Squealer, le
propagandiste du régime porcin, dans Animal Farm, que Orwell a le mieux
utilisé la méthode de description dynamique. Bien avant l'avènement de la
révolte et l'arrivée au pouvoir de son employeur Napoleon, Squealer avait fait
l'unanimité sur son extrême duplicité: (...) he could turn black into white 385.
Et s'il y a chez Achebe un personnage qui ressemble à ce porc futé, c'est
sans nul doute le professeur Reginald Okong, avec sa volte-face spectaculaire
après la chute des civils.
(...) on the very next day aîter the politiciens uicre ooerihroum Okong
metamorphosed into a briiliani analyst of tlieir many excesses. 1 thought
he had finally
overreached himself changing
his tune sa
abruptly (...) 386
Si Orwell a quelque peu réussi ses portraits psychologiques dans
Animal Farm
avec Squealer, Snowball, Napoleon et même Boxer, Moses ..., il
n'a pas eu la même réussite dans Nineteen Eighty Four. Aucune description
intellectuelle, psychologique, morale, n'est faite du leader Big Brother. Rien
n'est dit sur ce personnage avant qu'il ne devienne un chef tout fait. Orwell
donne l'impression d'opter pour une méthode descriptive plutôt statique. Le
385 - George Orwell :AnimalFarm, op.cit, p.16.
386 - Anthills of the Savannah, op.cit., p.12.

197
personnage de Winston est cerné pratiquement avec la même approche: il nous
est présenté tout à fait accompli et nous ne savons pas grand'chose sur son
passé sur le plan psychologique. Cependant, son présent psychologique,
intensément décrit du reste, a connu une certaine évolution surtout à l'égard
des masses populaires sur lesquelles il finira par fonder tout son espoir pour
l'avènement de la Liberté et de la Démocratie, après les avoir méprisées. La
même remarque peut être faite pour Odili.
Ainsi, aucun indice ne permet au lecteur de savoir avec exactitude
ce que Winston va faire, ce qui lui est possible avec presque tous les personnage
de Achebe : Odili, Max, N anga, Ikem, Sam, Chris... et certains de Orwell :
Boxer, Squealer, Napoleon. La conséquence qui découle de cette situation est la
suivante: les personnages de Achebe sont plus crédibles, plus naturels, parce
qu'ils ont une personnalité psychologique qui les rend plus vraisemblables,
donc plus proches du lecteur. En revanche, certains personnages de Orwell
sortent tellement du commun et de l'ordinaire, que le lecteur a du mal à les
assimiler à des êtres humains. L'exemple le plus frappant étant, sans conteste,
Big Brother qui fait plutôt penser au diable, à un monstre humain...
*
* *
En plus du portrait psychologique, Achebe fait celui, physique, de
ses personnages-héros. Ainsi Sam est décrit comme un homme grand au
physique imposant (p.65) et Ikem un petit bout d'hommeêê/. Il adopte
l'imagerie populaire africaine- universelle?- qui voit en toute personne
démesurément grande et forte, un être mentalement petit, un idiot; tout en
faisant passer les petits de taille pour des forts sur le plan mental.
Techniquement, le quotient intellectuel est inversement proportionnel au poids
du corps. De toute façon, la théorie s'est avérée vérifiable par la suite. Sam n'a
jamais su faire usage que de sa force brutale incarnée par ses agents de sécurité
et son armée. Le même constat est valable pour Boxer et Napoleon dans Animal
Farm , alors que Ikem, Odili, Squealer, assez petits, baignent dans le monde des
idées.
387- Un notable de Abazon : "When you hear Ikem Osodi Ikem Osodieverywhere you think his head
will he touching the ceiling. But look at him, how simplehe is. l am even taller than himself, a
dunce likeme." Anthills
, op.cit., p.121.

198
Dans Nineteen Eighty Four, Big Brother est une énorme créature
dont la seule tête remplit tout l'écran de la télévision d'Etat. Les propagandistes
du régime ont certainement choisi de ne montrer que cette partie de son corps
en gros-plan, pour cacher sa petitesse par rapport au reste. Donc, bien que
Orwell passe et repasse cette terrifiante tête sur l'écran, le portrait du chef de
l'Etat de AirStrip One n'en demeure pas moins trop parcellaire et, partant,
incomplet.
Chez Orwell et chez Achebe, le portrait n' a qu'un seul et même
but: opposer l'intelligence créatrice, mais généralement improductive, des
petites personnes, à l'idiotie brutale mais efficace, parce que plus pratique, des
colosses. Que veulent insinuer. les auteurs par là? Que seuls les médiocres
réussissent en politique, et ce faisant perpétuent les malheurs de l'Homme sur
terre? ..
*
* *
Les personnages, avons-nous dit plus haut, agissent, prennent des
attitudes, parlent, donnent leurs points de vue sur des problèmes politiques,
philosophiques... de la vie humaine.
Le récit commence avec l'histoire même de l'humanité 388.
La question fondamentale qui se pose aux critiques est de saisir le
type de rapport qui existe entre l'auteur et le personnage qu'il a créé. En
d'autres termes, le personnage exprime-t-il souvent les pensées personnelles de
l'auteur? En tout cas, la grande faiblesse de Orwell semble être son incapacité à
créer des personnages réellement détachés, dotés d'une véritable personnalité
autonome. L'auteur anglais, selon certains critiques, commet toujours le péché
mignon d'identifier ses personnages à lui-même. Et tout laisse croire que ces
derniers sont ses porte-parole.
[Ortoell's] dlffieulties began with characterization, for, though he could
admirably sketch a person he had met in real life and observed from the
outside... he found it hard to create a fictional character, observed from
388- Rolland, Barthes: la Poétique du Récit .op.cii., p.7.

199
within, who was not filled with Orwellian attitudes, even to the point of
breaking at times into his creator's language and expressing his most
characteristic thoughts389.
En réalité, beaucoup d'idées exprimées par Winston dans Nineteen
Eighty Four sur la condition humaine, sur la dictature, etc, sont celles de
l'auteur lui-même; ces idées ayant été auparavant développées dans plusieurs
de ses essais comme développé dans la première partie de l'étude. Ainsi donc,
la distance entre Orwell et Winston et Old Major est relativement faible et leurs
points de vue souvent interchangeables comme nous le verrons plus
amplement dans le chapitre réservé au style respectif de chacun de ces auteurs.
Ikem donne dans Anthills of the Savannah l'impression d'être le
double de Achebe; de même que Odili dans A Man of the People dans une
moindre mesure. En fait, beaucoup de critiques faites par Ikem au monde
occidental et à sa condescendance sont incontestablement des opinions
personnelles que Achebe a clairement étalées au grand jour dans des essais:
"Colonialist Criticism" , "Where Angels Fear to Tread"", "Impedimentsto Dialogue
Between North and South" .... entre autres. Sur un autre plan, le personnage et
son créateur semblent avoir la même conviction politique et sociale c'est-à-dire
le rejet de toutes doctrines ou dogmes, vue comme une panacée pour sortir
l'Afrique du chaos politique, culturel, moral et des maux économiques. Mais
malgré tout, Achebe garde une certaine distance vis-à-vis de ses héros.
L'identification de Orwell à ses héros l'a amené à les idéaliser.
Aussi Winston et Snowball incarnent-f-ils la bonté face à Big Brother et
Napoleon qui représentent le diable en personne. Par contre, Ikem et Odili sont
loin d'être exempts de tout reproche. Ils ne sont point l'incarnation de la pureté
humaine en butte à la barbarie de Sam et de ses policiers. En un mot, tous les
héros de Achebe ont leurs forces mais également leurs faiblesses, à l'instar de
tout être humain. Odili et Max sont susceptibles d'être corrompus comme
Nanga et Koko. Ikem, bien qu'ayant beaucoup moins de tares morales, commet
néanmoins l'erreur assez grave de vouloir, à lui seul, venir à bout de tout un
système et règler une question nationale.
Achebe, formé à l'école de Conrad, n'idéalisera jamais
ses héros 390.
389 - George, Woodcock, op.cii., p.269.
390- Thomas, Melone, op..cit., p.23.

200
*
* *
L'autre plan sur lequel les personnages de Orwell et ceux de
Achebe peuvent être comparés est celui de "l'action". Les personnages de
l'auteur anglais brillent par leur passivité: les animaux de Animal Farm
subissent sans réagir l'arbitraire des cochons; ce qui fait que dans ce roman, il
.n'existe pas l'ombre d'un héros digne de ce nom: il n'y a que des an ti-héros,
même Snowball en fait partie. De même, dans Nineteen Eighty-Four, le peuple
est inactif et même Winston n'est devenu un héros aux yeux du lecteur que
grâce au martyre que lui a fait subir O'Brien d'une part, et d'autre part, à la
fidélité à ses opinions. Au fond, ce n'est pas un grand "actant" mais un
"participant", car ce qu'il appelle agir c'est-à-dire faire l'acte sexuel avec Julia, ne
l'est point dans la mesure où pareille "action" est sans effet sur l'efficacité du
régime: il n'a jamais pu ébranler une seule fois les fondements de la dictature
du Parti-Etat.
Il convient de préciser que les personnages populaires de Achebe
ceux issus du peuple du "Nigéria" et de celui de Kangan, sont eux aussi inactifs
mais moins que leurs homologues de AirStrip One et de la Ferme des Animaux.
A titre d'exemple, les chauffeurs de taxi et les étudiants de l'université de Bassa
ont mis sur pied des associations qui prônent la lutte contre l'injustice sociale;
et dans A Man of the People des gangs de pillards se sont formés spontanément
et leur violence a entraîné, indirectement, la chute du gouvernement civil.
Quant aux héros, Odili, Max, Ikem, Beatrice, Chris, ils sont de
véritables "actants", mais leurs actions restent aussi désespérément vaines, que
celles entreprises par Winston et Snowball. Autrement dit, la passivité des
personnages orwelliens ne vaut guère moins que l'activité, souvent débordante
d'intensité, des personnages achebéens : toutes deux aboutissent au même
résultat: l'échec quasi-total devant le pouvoir totalitaire et sa formidable
machine répressiveê?'.
391 - George Woodcock : "AlI IOnoetl's! heroes are failures ; indeed, he once said that every life, seen
from the inside, was a failure. In just thesame way the hero of every novelby Malraux and Camus
and Silone
is a fail ure, because thehuman condition condems aIl menOto deieat", op. cit., p. 180

201
II. 2 - La structure des intrigues et des histoires
La structure ou enchaînement des différentes séquences d'un
roman peut suivre un ordre chronologique ou obéir à une dynamique interne,
rationnelle, donc forcément logique. Le formaliste russe, Propp, "tient
absolument à l'irréductibilité de l'ordre chronologique" 392, tandis que Greimas,
Bremond, Todorow, Levi-Strauss, optent, à l'instar d'Aristote, pour la primauté
du logique sur le chronologique s'il est clair que les spécialistes reconnaissent
que ces cinq critiques parlent à peu près le même langage, il n'en demeure pas
moins vrai, également, qu'ils empruntent des directions de recherche
relativement différentes. Selon Barthes, Aristote oppose la (...) tragédie (définie
par l'unité d'actions) à l'histoire (définie par la pluralité des actions et l'unité du
ïempsu,..) 393 Bremond met l'accent sur la reconstitution de la "syntaxe des
comportements humains" 394 et Todorow sur les actions dominantes des
personnages. Les linguistes Levi-Strauss et Greimas eux, axent leur démarche
sur des oppositions paradigmatiques des fonctions cardinales du récit. Levi-
Strauss va d'ailleurs plus loin en reconnaissant l'existence d'un ordre
chronologique mais soutient que celui-ci (...) "se résorbe dans une structure
matricielle atemporelle" 395.
La tâche première du critique littéraire consiste alors à déceler
lequel, du "temps" ou de la "logique", l'auteur qu'il étudie privilégie. En effet,
sans ce préalable, il lui est pratiquement impossible de saisir la syntaxe
narrative du récit. Celle-ci peut être complexe ou simple, mais jamais triviale:
.(..)il Ya un abîme entre l'aléatoire le plus complexe et la combinatoire la
plus simple, et nul ne peut combiner (produire) un récit, sans se référer
à un système implicite d'unités et de règles 396.
Animal Farm et A Man of the People sont, de par leur longueur, des novellas ; en
plus, ils ont une structure relativement simple. Ces deux romans comptent
respectivement X et XIII chapitres; tous courts, que le lecteur lit sans se lasser,
en une, deux ou trois séances de deux à trois heures chacune.
392- Roland, Barthes, op.cit., p. 26
393_Idem
394- Claude.Bremond : cité par R. Barthes, op.cii., p. 26-29
395- Claude.Levi-strauss : cité par R. Barthes, idem
396- Roland, Barthes, op.cit., p.9.

202
La configuration de leurs paragraphes constituent néanmoins une
donnée technique essentielle qui n'assure pas au narrataire le même confort
d'écoute et de lecture. En fait le lecteur qui parcourt les deux romans ne peut
manquer d'être frappé par cette réalité flagrante; les pages de Animal Farm sont
débordantes de lignes alors quecelles de A Man of the People sont assez aérées.
Et ce qui est valable pour Animal Farm et A Man of the People, l'est
respectivement pour Nineieen Eighty Four et Anthills. La conclusion qui se
dégage d'un tel constat est que les paragraphes des romans de Achebe sont
moyennement plus courts que ceux des romans de Orwell. En plus, une étude
rapprochée montre également que l'auteur nigerian allie paragraphes courts,
moyens et longs et se soucie ainsi de variété alors que son homologue anglais
semble se complaire dans la monotonie des paragraphes longs même si assez
rarement-surtout dans Nineieen Eighty Four - il use de paragraphes assez
courts.
D'autre part, Animal Farm et A Man of the People sont bâtis suivant
un ordre linéaire, chronologique. L'intrigue du premier roman peut se résumer
en ces séquences majeures suivantes assez solidaires : rencontre Old
Major / animaux exploités de la Ferme; expulsion de Jones; rivalités entre
Napoleon et Snowball ; Snowball chassé de la Ferme; Napoleon seul maître à
bord ; tentative manquée de reconquête de la Ferme par les humains;
Snowball, bouc-émissaire; instauration de la dictature de Napoleon avec son
cortège de malheurs pour les animaux; rencontre entre porcs et êtres humains
sur un même pied d'égalité,
Concernant A Man of the People, l'intrigue est elle aussi facilement
démêlée: rencontre entre Nanga et son ancien élève Odili au meeting politique
de Anata ; les deux hommes se retrouvent chez le ministre à Bori ; Nanga lui
vole sa fiancée; Odili rencontre Max du c.r.c. ; campagne électorale pour les
législatives; Koko, Max, tués, Odili grièvement blessé; coup d'état militaire;
Nanga arrêté, les partis politiques suspendus.
-,)Le plan de Nineieen Eighty Four et celui de Anthills of the Savannah, sont, quant à
eux, beaucoup plus complexes .et de longueur plus importante. L'un compte
XVIII chapitres de taille moyenne, tandis que l'autre en a XXIV répartis en trois
grandes parties sensiblement égales. En outre, dans ces deux romans, les
différentes séquences sont, en partie, indépendantes les unes par rapport aux
autres. Par exemple, dans le roman de Achebe, le premier chapitre raconté par
Christopher Oriko, n'a pas pour suite nécessairement le deuxième chapitre. On

203
aurait bien pu faire venir le chapitre troisième immédiatement après le premier,
sans créer le moindre hiatus. narratologique.Jusqu'au chapitre huitième, la
technique de structuration utilisée par Achebe est celle dite du montage
cinématographique de séquences complémentaires qui composent le film
narratif mais dont les positions dans la trame narrative peuvent être perturbées,
à volonté, sans entraîner une conséquence dommageable à la totalité.
Mais il convient de préciser que, par-delà cet apparent désordre, il
existe, dans cette partie, une li~éarité tributaire des personnes centraux et de
leurs actions et attitudes. En effet, les six premiers chapitres du récit sont unis
autour du personnage de Sam; les chapitres VI, VII et VIII autour des relations
entre Beatrice Okoh et Christopher Oriko ; la séquence qui va du chapitre
neuvième au chapitre treizième trouve son unité dans la part belle qu'elle fait
au héros Ikem Osodi ; les chapitres quatorzième, quinzième, seizième et dix-
septième, sont centrés sur le personnage de Chris et sur la fin brutale de Son
Excellence. Quant au dix-huitième et dernier chapitre, il est celui de la réunion
de toutes les filles et de tous les fils du pays chez Beatrice, le rassembleur.
D'ailleurs, à partir du chapitre neuvième, Achebe abandonne
purement et simplement le 'montage' logique pour adopter une méthode
chronologique de cause à effet comme il l'a fait dans A Man of the People . De
fait, après la rencontre entre Ikem et les chauffeurs de taxi d'une part, et avec la
délégation abazonienne de l'autre, tout ce qui se passe est pratiquement
déterminé, étroitement, par ce qui procède: rencontre entre Ikem et le sage de
Abazon ; Ikem accusé de haute trahison par Sam; Ikem suspendu de ses
fonctions; Ikem rencontre les étudiants de l'université de Bassa pour les
"secouer" ; Ikem accusé d'incitation à la sédition; Ikem arrêté et sommairement
exécuté; son ami Chris prend le flambeau; Chris dans la clandestinité avec
Emmanuel; Chris en route pour IH~q::on. en compagnie de Emmanuel et de
Braimoh ; coup d'Etat contre Sam; Chris tué par un policier ivre; Beatrice
prend l'étendard à son tour et jette les bases d'une véritable unité nationale.
Cette succession chronologique d'événements cruciaux a pour
conséquence l'introduction, dans le roman, du suspense qui a jusque là fait
défaut.
Avec cette technique d'enchaînement chronologique, Achebe
attire l'attention du lecteur sur la formidable capacité des évènements à faire
s'accélérer le cours de l'histoire.. De fait, dans A Man of the People et Nineteen

204
Eighty Four, c'est en un rien de temps que les régimes politiques, pourtant
assez solidement assis, ont été emportés. A cause de certains évènements
graves. Ce constat est également valable pour Animal Farm , lui aussi
entièrement construit suivant un ordre de succession chronologique.
La technique du montage logique quant à elle, permet au lecteur
de se donner le temps nécessaire de s'attarder sur les idées ou attitudes
psychologiques, morales et intellectuelles, exprimées dans les différentes
séquences, afin de les analyser en profondeur: la personnalité de Sam, celle de
Ikem ; les conditions de vie des animaux de la Ferme; les caractéristiques du
régime militaire de Bassa, la psychologie de Winston, etc...
Par conséquent, qu'il s'agisse de A Man of the People ou de Anthills
of the Savannah, Achebe garde toute sa lucidité organisationnelle, ce qui permet
au lecteur de lire les oeuvres sans se perdre; en dépit de l'existence, regrettable,
d'un léger enchevêtrement de thèmes au sein d'une même partie, notamment
pour ce qui concerne la deuxième oeuvre.
Ces dons de grand architecte, l'auteur mgenan les avait déjà
dévoilés, à l'âge de vingt ans, dans sa toute première nouvelle "Polar
Undergraduate" 397; ce qui a fait dire à Thomas Melone que Achebe avait.
Des dons évidents de clarté ct d'organisation,
d'imagination créative et épique 398.
Le même critique accorde une importance primordiale à la
structure de Achebe par rapport à l'histoire que celle-ci raconte.
(,..) une étude de l'oeuure d'Achebe est d'abord celle d'une atmosphère,
d'un cadre, d'une structure, avant d'être celle du destin de l'homme 399.
Pour Orwell, il faut admettre que sur le plan de l'architecture de
ses oeuvres, il est beaucoup moins heureux que Achebe. Certains critiques
littéraires, comme Woodcock, affirment que Nineteen Eighty-Four est en quelque
sorte une jungle sur le plan organisationnel. Ce roman renferme, en effet,
beaucoup de répétitions et mélanges thématiques, de telle sorte qu'il est, à
397 - in The University Harold, V. III, Ibadan, Dcc. 1990
398 - Thomas Melone, op.cit., p. 37
399 - Idem p. 142

205
première vue, difficile de mettre un ordre cohérent dans la trame narrative: le
lecteur a l'impression de perdre le fil de la narration et se cramponner sur le
détail qu'il a sous les yeux. Ce qui a conduit Wookcock à affirmer que:
Orwell's fa ilures in characierization are cIosely connected
with the failures of general structure in his books. His concentration on
the word as the vital unit of literature made him neglect larger elements
of literary planning, so that -excepi in Burmese Days -he never worked
out an even approximately satisfactory form for a larger work of fiction
400
Comme nous l'avons souligné un peu plus haut, Nineteen Eighty-
Four est un montage de séquences plus ou moins autonomes; surtout dans la
première partie et une bonne partie de la deuxième. Mais comme dans Anthills
of the Savannah, cet apparent flou cache un certain ordre qui n'a pas
particulièrement retenu l'attention des critiques. Cet ordre est centré, et sur les
personnages, et sur les thèmes centraux.
C'est ainsi que la première partie du roman de Orwell trouve sa
cohésion interne dans le thème qui y domine: celui de l'intellectuel qui se pose
des questions sur le pourquoi des choses; en l'occurrence, la dictature. La
deuxième, de son côté, met l'accent essentiellement sur l'amour entre Julia et
Winston, bien que le premier thème y soit continué. Quand à la dernière partie,
elle est manifestement celle de la dictature physique, morale, psychologique,
qui s'abat sur l'intellectuel, et son incapacité d'y échapper.
C'est dire donc que l'échec architectural relatif de Orwell n'est pas
aussi total, aussi dramatique que le pense George woodcock. D'ailleurs, si
Orwell a choisi de mettre l'accent sur le détail, c'est certainement dans le souci
de permettre à son lecteur de s'y accrocher pour mieux mesurer l'ampleur de la
violence policière, entre autres, comme suggéré plus haut. C'est pour cette autre
raison que Nineteen Eighty-Four manque de suspense jusqu'à la rencontre entre
Winston et Julia avec l'introduction, par l'auteur, de la technique de la narration
chronologique.
Dans l'ensemble, il faut admettre que ce roman de Orwell n'est
pas écrit suivant une syntaxe palpable, convaincante et susceptible d'être
400 _ George, Woodcock, op.cit., p. 272

206
décrite de façon objective et cohérente. En dernière analyse, nous nous
trouvons alors dans l'obligation de reonnaître avec Wookcock l'évidence: le
manque de système de signes et de règles d'écriture romanesque chez Orwell :
It seems that just as Orwell was not interested in creating
a system for this thought, sa he was not interested in creating an overall
structure with which ta write 401.
Cependant, l'avis de Wookcock ici encore est à prendre avec
prudence car, connaissant bien le grand souci que Orwell avait pour la clarté
-clarté n'est pas seulement celle de la langue, mais aussi celle de l'organisation
des idées - nous osons croire que c'est plutôt par incapacité, et non par principe,
qu'il a produit cette architecture quelque peu maladroite. Orwell ne disait-il pas
dans une lettre à Julian Symons :
"l'm nota real nove1ist..402
En réalité, il accordait aussi plus d'importance au contenu de ses
romans qu'à la forme dans laquelle il entendait livrer ce même contenu à ses
lecteurs. La mauvaise architecture de Nineteen Eighty-Four proviendrait donc
surtout de sa volonté d'y mettre toute une kyrielle d'idées qui se bousculaient
dans sa tête.
The Obscurity of overcrowding arises from trying ta say many things at
once. It may come [nmt having tao many ideas... and tao little sense of
l'devance. 403
Pour conclure, Achebe et Orwell, qui mettent l'accent sur le
message destiné à leurs lecteurs, optent globalement pour une structure assez
complexe, fondée sur une juxtaposition des différentes fonctions noyau tiques et
séquences de leurs oeuvres. Evitant ainsi tout sensationnel et tout suspense, qui
peuvent entraîner le lecteur à se projeter précipitamment sur la suite des
événements, les auteurs les "fixent" plutôt sur les détails. Cela s'explique
aisément par le fait que les romans de Orwell et de Achebe, en praticulier
Nineteen Eighty Four et Anthills of the Savannah, se veulent résolument
intellectuels et non évènementiels et sensationnels.
401 - George, Woodcock, op.cii., p. 274
402 - George, Orwell: Cité par Woodcock, idem p. VIII
403 - L., Lucas~ op. cit. p. 69

207
L'évènement en soi ne signifie pas grand chose pour les auteurs;
son importance réside dans sa capacité à conduire le lecteur à s'interroger sur
ses tenants et ses aboutissants. Autrement dit, ce qui arrive dans l'oeuvre doit
donner des leçons au narratairepuisque nous ne devons jamais perdre de vue
que Orwell et Achebe sont avant tout des éducateurs, des moralistes, des
éveilleurs de consciences...
*
* *
L'intrigue d'une oeuvre littéraire bien qu'indispensable, a
néanmoins une portée limitée dans la mesure où elle ne nous permet d'avoir
qu'une certaine idée des tribulations, du bonheur ou de l'infortune d'un ou de
plusieurs personnages fictifs. Au-delà de la fiction et des capacités
d'imagination créatrice, qui donnent naissance à l'intrigue, à la tragédie, dirait
Aristote, nous devons mesurer l'importance capitale de la mère de l'intrigue,
l'histoire réelle, vécue, sentie ou remémorée, point de départ de toute création
romanesque.
Le roman est une épopée subjective dans laquelle l'auteur
demande la permission de traiter l'univers à sa manière 404.
Le romancier moderne a toujours une histoire -lia story"- qu'il
cherche à livrer à son lecteur. Chez Peter Abraham et Richard Rivel par
exemple, cette histoire est celle du noir sus-africain martyrisé par le régime de
l'Apartheid. Elle peut donc être celle d'un individu, d'une entité socio-culturelle
ou de l'Homme tout court, comme l'a suggèré Goethe ci-dessus.
Dans notre analyse consacrée à la personnalité des auteurs, nous
avons dit que Orwell et Achebe sont des humanistes; et l'étude thématique a
suffisamment corroboré nos hypothèses avancées, en ce sens que l'homme est
incontestablement au centre de leurs préoccupations littéraires: l'Homme face à
son destin, face à des puissances plus fortes que lui et qui le contraignent à
afficher son impuissance malgré une ardente volonté de changer le cours de
l'histoire collective ou individuelle...
404 - W. Goethe cité par Wolfgang, Kayser: "Qui raconte le roman 7" in La
Poétique du récit, op.cit., p. 71

208
Les personnages de Orwell sont en général des gens de la classe
moyenne, de la "landless gentry",
des "middlcs-of-the-road" personnages
comme dirait Lukàcs, qui essaient d'échapper à leur milieu naturel pour se
réfugier dans les profondeurs de la société pauvre. Dorothy Hare : A
Clergyman's Daughter, Gordon Comstock dans Keep the Aspidistra Flying, Flory
dans Burmese Days et Bowling dans The Raad ta Wigan Pier, sont tous tentés par
l'évasion. Malheureusement pour eux, toujours la force des choses les renvoie,
,
la mort dans l'âme, à la case de départ, comme le constate avec amertume
Gordon lui-même :The glow of renunciation never lasts405.
Les héros des deux derniers romans de Orwell subissent à peu
près le même sort. Winston a tenté, en vain, de s'identifier aux prolétaires des
quartiers de "Londres" comme Bowling l'a fait avant lui. Mais au-delà de
Orwell, l'échec politique et social qui hypothèque, presque à jamais, l'avenir des
personnages de 1984 et de Animal Farm, mérite plus de considération de notre
part. En effet, aucune de leurs actions n'aboutit réellement.
Dans 1984, Winston et Julia sont brusquement arrêtés, séparés et
jetés en prison pour y être torturés, après avoir goûté, pendant un court laps de
temps, aux délices de l'amour charnel intensément vécu. De même, le peuple
océanien retourne à une situation pire après l'accaparement par B.B. du pouvoir
conquis sur les capitalistes exploiteurs. Les animaux de la Ferme connaissent
exactement la même mésaventure avec Napoleon qui, à la fin du récit, offre une
réception mondaine aux humains venus lui rendre visite pour sceller avec lui et
sa clique de porcs une nouvelle alliance an ti-prolétarienne.
... The creatures outside looked from pig ta man, and[rom man ta pig and
fram pig ta man again ; but already
it was impossible ta say which was which 406.
L'oeuvre de Achebe présente un scénario pratiquement identique:
le peuple nigérian dans A Man of the People et kanganais dans Anthills of the
Savannah; le peuple noir en un mot, puisque ces deux peuples en sont les
emblèmes, à chaque changement de dirigeants politiques: colonisateurs
européens par les nationalistes africains, les civils par les militaires, poussent
405 - Keep the Aspidistra Flying, op.cit., p.
406 A'
lfi
.
-
nima arm, op.cii., p. 120

209
un soupir de soulagement. Illusion! Il ne s'agit en vérité que de changement
d 'hommes-dans-la-continu! té-de-la-dictature.
D'autre part, Sam, Ikem, Chris, Nanga, Koko, Odili, Max, tous
dégringolent de leur piédestal, après avoir accompli quelques avancées plus ou
moins décisives dans la direction qu'ils se sont tracée. Ils suivent ainsi les traces
de Okonkwo dans Things Fall Apart de Ezeulu dans Arrow of Cod et de Obi
dans No Longer At Ease. Ainsi, chez Orwell et Achebe, c'est l'échec de la
collectivité et celui des individus pris isolément. La roue implacable de
l'histoire les entraîne de force, dans la direction de son choix, humiliant, ce
faisant l'Homme, en lui rappelant, s'il était tenté de le perdre de vue, qu'il est à
sa merci; qu'il n'est pas maître de son propre destin. Dure réalité... Et c'est là
l'un des côtés les plus tragiques et prométhéens des oeuvres: l'homme en butte
contre des forces adverses plus puissantes et impitoyables.
Cette perception de la vie sur terre est assez proche des points de
vues des tenants de l'absurde et de l'existentiel, très nombreux sur le Continent
du temps de Orwell: Camus, Sartre, Malraux, entre autres. Cependant, bien
avant ces derniers, Dorothy Hare était déjà là avec ses tribulations. C'est dire
donc que l'influence viendrait peut-être d'ailleurs, de Yeats notamment. Pour
Achebe, Yeats peut aussi être invoqué mais surtout la cosmogonie igbo comme
l'affirme Th. Melone:
La structure du cercIe en tant que représentation de l'univers dans la
cosmogonie traditionnelle se trouve nettement privilégiée dans l'oeuvre
d'Achebe 407.
Dans la cosmogonie traditionnelle des igbo d'une part, et
l'obscurantisme irlandais dont s'inspire Yeats, de l'autre, le destin circulaire de
l'Homme obéit au déterminisme de forces obscures, surnaturelles; et l'Homme
est perçu comme une victime aux mains liées, une victime malgré elle.
Pour Achebe et Orwell par contre, il y a une certaine prudence qui
met dans la balance la responsabilité de l'Homme dans ce qui s'abat contre lui:
il est certes victime, mais également coupable dans une large mesure. Les
animaux de Animal Farm, les peuples d'Océanie, du Nigéria, de Kangan, restent
curieusement ciniques, inactifs et à la limite masochistes, les politiciens dits
407- Thomas Melone, op.cit., p. 202

210
révolutionnaires, Winston, Odili, Ikem, Max, Snowball, sont sujets à quelques
défauts puisqu'ils préconisent souvent des solutions de sortie de crise qui ne
tiennent pas toujours compte de l'environnement psychologique, social,
politique, ambiant. Les collaborateurs des dirigeants politiques, Squealer,
Nanga, Okong, l'Attorney Général, O'Brien, jouent la carte du blocage de toute
avancée positive pour l'intérêt général. Quant aux dirigeants eux-mêmes: Sam,
Napoleon, Big Brother, le Premier ministre de Bori, ce sont de véritables tarés
do.n",
mentaux qui font de l'absolu un idéal alors que cet absolu trouve son substrat
I'absurde même.
En définitive, dans Animal Farm, 1984, A Man of the People et
Anthills of the Savannah, la qualité de l'Homme et sa responsabilité historique
demeurent des thèmes qui viennent se greffer au thème déjà fondamental du
destin circulaire de l'Homme. Ce triste destin, l'Homme le trouve ici-bas; mais
ne l'a-t-il pas créé lui-même depuis la nuit des temps? C'est là, pensons-nous,
la réflexion à laquelle nous convient Orwell et Achebe... En fait, Napoleon, Big
Brother, Sam et les autres dirigeants "africains", ont bel et bien eu les moyens, la
possibilité, d'apporter le bonheur à leur peuple; mais, par la médiocrité
inhérente à l'espèce humaine, par manque de volonté politique ou simplement
par pur égoïsme, ils passent tous à côté de leur devoir historique. La Ferme, par
exemple, est devenue franchement très prospère; mais Napoleon choisit
délibérément d'affamer les animaux dans le seul dessein de se pérenniser au
pouvoir. Pareil pour les autres dirigeants.
Cependant, le prochain développement de la roue ne s'annonce
pas de la même manière dans les quatre romans. Si dans Animal [arm, A Man of
the People, le récit se termine au moment où un nouveau tour de cercle
identique à celui qui vient de s'achever s'amorce, dans Anthills of the Savannah et
dans une moindre mesure Nineteen Eighty-Four, le tour de cercle donne
l'impression d'avoir de petits ratés annonciateurs d'une esquisse de
changement. En fait, à la fin des deux premiers romans, la dictature semble
plus forte que jamais même si A Man est moins pessimiste avec la décision des
nouveaux dirigeants militaires d'élever Max au rang de héros national. Pour
Anthills et 1984, les retrouvailles chez Beatrice et l'adhésion de Winston à
certains de ses principes, donnent à ces deux romans une allure plutôt
optimiste, un optimisme mesuré tout de même, puisque les dictateurs restent
toujours en place.

211
CHAPITRE DEUXIEME: LA TECHNIQUE NARRATIVE
Les personnages, leur histoire personnelle ou plus généralement
celle de l'humanité qu'ils incarnent le plus souvent, constituent pour la plupart
des critiques les éléments-clés de toute oeuvre romanesque. Goethe lui,
considère que le sujet abordé par le romancier ne doit pas être la préoccupation
principale du critique littéraire car, quel que soit l'auteur considéré, l'histoire de
son oeuvre ne peut point sortir du cadre de la vie humaine sur terre. En
conséquence, le souci majeur du critique doit plutôt consister à (...) "savoir si
[l'auteur] a une manière;{car] le reste sera donné par surcroît" 408.
En effet, si le récit ou narration a besoin d'une forme, c'est-à-dire,
d'avoir (...) "un commencement, un milieu et une fin "409, comme nous venons de le
démontrer dans le chapitre premier de cette partie, son auteur en personne doit
avoir une manière à lui de livrer son message à ses lecteurs. La même histoire
peut faire des effets sensiblement différents selon qu'elle est narrée par telle ou
telle autre personne; d'où la nécessité pour tout romancier d'avoir "a way of
writing" 410 ou mieux, fla good way of writing". 411
Pour mettre en relief l'importance du style dans l'expression orale
et écrite, Lucas fait remarquer que c'est bien le style de Hitler qui a changé le
cours de l'histoire de l'humanité par son impact irrésistible, envoûtant même
sur les Allemands de l'époque du IIIè Reich, toutes couches sociales
confondues.
(...) the rhetoric of the Führer had already reduceâ the scientists of the
Third Reich inio docile slaves, who demonsiraied at his bidding the
virtues ofa non- existent Aryan race 412.
Ce chapitre consacré à la manière de Orwell et de Achebe d'écrire
et de transmettre à leurs lecteurs leurs récits, nous permettra de mettre en
408 - Wolfgang, Goethe, cité par W. Kayscr, op.cii., p.71.
409 - W. Kayser, Idem, p.66.
410 - F. L. Lucas: Style, op.cii., p.16.
411 - Idem.
412-Idem,p.19.


212
lumière les repères décisifs de leur technique narrative. Celle-ci est inséparable,
à notre avis, de la typologie du narrateur et de la narration.
Dans "Mixed and Uniform Styles in the Novel", Leonard Lutwack
nous rappelle que trois genres littéraires composent la fiction: la narrative, le
théâtre et l'essai. Mais dès le dix-huitième siècle déja, Fielding, en utilisant le
dialogue dans Joseph Andrews (1742), prouvait que le style narratif n'est pas
exclusivement celui dont doit se servir le romancier. Nous verrons alors si
Orwell et Achebe se limitent à ce style classique ou s'ils sont plus audacieux
que Fielding lui-même.
II. 1- La perspective narrative
Selon l'Oxford English Dictionnaru, le roman est défini comme étant:
A fictitious prose narrative or tale of considerable length
(now usually one long enough to fill one or more volumes) in which
characiers and actions representative of the real life of past or present
times are portraved in a plot of more or less complexity.413
Cette définition du roman met d'abord l'accent sur un point
essentiel: c'est une histoire racontée. Forcément donc, tout romancier utilise les
services d'un ou de plusieurs narrateurs qui se chargent de transmettre au
narra taire le message contenu dans la narrative. Les narrateurs, suivant leurs
rapports personnels avec leur commanditaire-l'auteur- d'une part, ceux entre la
narration elle-même et le narra taire de l'autre, peuvent être omniscients et
omniprésents: ils savent tout et sont témoins de tout; détachés: ils observent
une certaine neutralité par rapport aux évènement narrés- ; ou impliqués.
Certains narrateurs peuvent avoir un nom propre, être à la première ou à la
troisième personne.
En fait, la narration proprement dite (ou code du
narrateur) ne connaît, comme d'ailleurs dans la langue, que deux
systèmes de signe: personnel et a- personnel 414.
413 - Oxford English Dictionary
414 - Roland, Barthes, op.cit., pAO.

213
Le narrateur de Animal Farm par exemple, est impersonnel et du
début à la fin de la narration, il nous rend compte de tous les évènements
jusqu'au moindre détail. Il entre même dans la pensée des personnages et nous
livre leurs sentiments et leurs états d'âme les plus intimes. Ce narrateur doué
de presque tous les attributs de Dieu, est aussi détaché que le maître des cieux
et nous donne en toute objectivité, ce qu'il a vu et entendu à l'intérieur de la
Ferme des Animaux.
Ainsi, quoique les personnages de Orwell dans Animal Farm soient
dans leur écrasante majorité des animaux, donc peu susceptibles d'être les
auteurs des actions que leur attribue l'auteur, le détachement, l'objectivité, du
narrateur permet au lecteur d'ajouter foi à la narration plutôt fabuleuse.
Dans Nineteen Eighty Four également, Orwell s'est payé les services
d'un narrateur unique qui voit tout, jusqu'aux relations intimes entre Julia et
Winston, relations pourtant eues dans le plus grand secret. Cependant ce
narrateur, bien qu'omniscient et omnipotent comme celui de Animal Farm,
ignore pratiquement tout sur Big Brother, le Parti et Goldstein. Il est détaché
des évènements dramatiques qui se déroulent en Océanie. Neanmoins, l'intéret
qu'il attache à nous raconter les horreurs du système de Big Brother, à tel point
que le lecteur a l'impression qu'il n'y a de la place que pour l'infamie dans ce
pays, n'est-il pas une façon à lui de dénoncer le martyre que subissent
l'individu et la société dans la dictature?
Malgré tout, le narrateur de Animal Farm et celui de Ninet ecn
Eighty Four bénéficient auprès du narra taire d'un préjugé assez favorable; ce
qui donne à leur narration une vraisemblance qui, a priori, est dangereusement
compromise par la nature même des récits.
Chez Achebe la réalité est tout autre. La plupart des narrateurs
dans A Man of the People et Anthills of the Savannah sont ce que J. Hawthorn
appelle "intradiegetic narra tors" 415, autrement dit, des narrateurs à la fois
personnifiés et impliqués dans les histoires et situations narrées. Ainsi, Odili
qui raconte les évènements survenus dans son pays, le Nigéria, est l'un des
protagonistes de premier plan des dits événements: ses démêlés avec Nanga,
son rival politique et affectif; ses relations avec son père, avec Edna et les
populations locales en témoignent.
415 - Geremy, Hawthom, op.cit., pAO.

214
Anthills of the Savannah a la particularité d'avoir plusieurs
narrateurs qui sont tous "intradiegetic", comme Odili. En effet, Chris, Ikem,
Beatrice, sont impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans la vie politique de
la république de Kangan. Le premier est ministre de l'Information; second
rédacteur-en-chef du quotidien gouvernemental The National Gazette et
opposant numéro un au régime de Son Excellence; et Beatrice est haut
fonctionnaire et proche, à la fois, du chef de l'Etat, de Ikem et de Chris.
Cependant, à partir du chapitre huitième, la narration s'effectue à la troisième
personne et le narrateur devient "extradiegetic" 416, c'est-à-dire non impliqué
mais omniscient et omniprésent.
En choisissant délibérement des narrateurs-protagonistes, Achebe
met quelque peu le narra taire en garde contre ce qu'ils racontent. Malgré une
base irréfutable des faits narrés, le narrateur, imitant le journaliste partial, peut
adopter une façon tendancieuse de les commenter dans le but de s'attirer la
sympathie du lecteur, ou de nuire à l'ennemi. Le témoignage d'un tel narrateur
ne saurait être irréfragable. Et parmi les narrateurs de Achebe, Odili est sans
nul doute le moins crédible: Chris, Ikem, Beatrice, ont l'avantage d'avoir été
relayés par un narrateur non-impliqué, et celui-ci ne les a jamais contredits
dans sa narration; il a au contraire confirmé tout ce qu'ils ont déja avancé sur
Son Excellence et son régime. Même si,
(...) In «cnera! wc cau SalI tliat a sinv!«, consistent,
()
"
ô
unpereoniîicd roicc is 1II0re likcly to be ossociam: toith authorial beliefs
ihan a pcrsonificd narrator in a noocl ioith mail!! narrators-altflOugh of
course in boili cases this depends upon the attitudes expressed in and
revealed by the narra iioe 417.
Certains narrateurs de Achebe, il faut le noter, n'inspirent pas
confiance au lecteur du fait qu'ils ne restent pas toujours constants dans leurs
attitudes ou discours; et leurs comportements ultérieurs ne sont pas souvent en
conformité avec leurs déclarations antérieures. Odili, Max, Chris, n'adoptent
pas la même ligne de conduite du début à la fin de la narration. Odili a soutenu
au début du récit de A Man of the People qu'il avait choisi un poste d'enseignant
en brousse pour être indépendant par rapport aux politiciens corrompus; par
416- Cererny, Hawthorn, op.cit., p.40.
417 -Ldem, p.38.

215
la suite, il accepte le coup de piston de Nanga pour obtenir une bourse
étrangère, et utilise les fonds de son parti pour se payer une voiture. Max de
son côté, a mis sur pied le c.P.c. pour combattre la corruption au Nigéria :
paradoxal que cela puisse paraître, il fait de la corruption une arme contre la
corruption, en acceptant de l'argent sale de son adversaire Koko, qui veut le
pousser au désistement en sa faveur. Chris quant à lui, commence par s'élever
contre Ikem et ses éditoriaux, puis devient son défenseur le plus acharné;
l'amitié, on a beau dire, n'explique pas tout! Chris n'est pas cohérent dans son
approche des problèmes politico-sociaux qui secouent son pays. Il est, avec
Odili et Max, inconstant, fluctuant comme Gulliver dans Gulliver's Travels 418.
En définitive, Achebe donne l'impression de dire à ses lecteurs
que le politicien, quelle que soit la noblesse de son combat, n'est jamais tout à
fait sincère.
Seul Ikem bénéficie de la considération de Achebe et du lecteur. li
demeure un narrateur conséquent et constant dans sa dénonciation des
exactions du régime de son ami d'enfance Sam. Rien, jamais rien, ni personne,
n'aura réussi à le détourner de sa ligne originelle qu'il s'est tracée dès le début
du récit: radical, il l'aura été jusqu'à son assassinat par la police de Son
Excellence.
A la lumière de ce qui précède, le constat qui s'impose est le
suivant: les narrateurs de Orwell sont assez nettement différents de ceux
mandatés par Achebe. Les premiers sont détachés, anonymes, omniscients et
omniprésents ; les seconds, impliqués, disposent d'une personnalité
psychologique propre, et ne savent, pour certains, qu'une partie des faits
racontés.
Comme le montre l'analyse ci-dessus, les choix opérés par les
auteurs sont loin d'être gratuits. Loin s'en faut ... Orwell veut de la crédibilité
pour ses récits, tandis que Achebe semble conseiller la prudence à ses lecteurs
devant les récits de ses narrateurs.
Dès lors, la question essentielle que nous nous posons est celle de
savoir les types de narration qui se cachent derrière les genres de narrateurs
créés par les auteurs.
418_ Jonathan, Swift: Gullioer's Travels(726)

216
Achebe recourt à deux perspectives. D'abord celle de la première
personne utilisée dans les deux romans à l'étude. Grace à ce procédé, l'auteur
s'implique lui-même dans la narration et prend parti, d'une manière ou d'une
autre. Barthes dit dans un autre contexte qu'avec ce type de narration,
... le récit est émis par une personne (au sens
psychologique du terme) ; cette personne a un nom, c'est l'auteur, en
qui s'échangent sans arrêt la "personnalité" et l'art d'un individu
parfaitement identifié, qui prend périodiquement la plume pour écrire
une histoire; le récit (notamment le roman) n'est alors que l'expression
d'un je qui lui est exiérieurï'".
Ensuite, en donnant dans Anthills of the Savannah la parole tour à
tour à Chris, Ikem et Beatrice, l'auteur nigerian use d'une technique déja utilisée
par des écrivains de renom comme Henry James et Jean Paul Sartre entre
autres, la mise en abîme. Elle peut contribuer à discréditer le récit global si les
récits partiels sont contradictoires, ou renforcer sa crédibilité si ceux-ci sont
concordants comme dans le cas de Anthills of the Savannah.
Quant à Orwell, sa technique est empruntée au Flaubert de
M~_q_~})Je de Bovary. Elle se caractérise par un recours systématique à un
narrateur absolument détaché, neutre et impersonnel. Conséquence:
La narration est une sorte de conscience totale,
appurcnnncnt
impersonnelle qui emet l'histoire d'un point de vue supérieur, celui de
Dieu ...420
Par ce type de narration qui exclut toute subjectivité et toute volonté de
persuasion de la part du narrateur, l'auteur cherche délibérement à convaincre
ses lecteurs de la gravité de la détérioration de la condition humaine dans la
dictature en leur disant: "C'est Dieu qui vous raconte ce qu'Il a vu, pas moi, ni
personne d'autre".
Pour conclure, l'analyse a suffisamment montré que les objectifs
de l'écrivain restent étroitement tributaires de la typologie du narrateur et de la
419 - Roland, Barthes, op. cit., p.39.
420 - Roland, Barthes, idem

21.7
narration. Bien que différentes, celles utilisées par Orwell et Achebe
parviennent toutes à aider les auteurs à atteindre leurs objectifs: la lecture de
Animal Farm, Nineteen Eighty Four, A Man of the People et Anthills of the Savannah,
provoque toujours une vive impression chez le lecteur eh secouant rudement sa
conscience.
II. 2. La dramatisation
The novel is a narrative: in other words it is in some sense a "telling''
rather than an "enaciing", and this distinguishes it in an important
sense from the drama 421,
A notre avis, cette définition de Jeremy Hawthorn n'a pour
objectif que d'amener le lecteur à mieux faire le départ entre le roman qui est
normalement raconté -et le théâtre qui est joué. Mais comme nous l'avons dit
plus haut, un récit romanesque peut bel et bien incorporer des éléments
dramatiques et rester tel. Mieux, selon Percy Lubbock, lia novel should be made
dramatic" 422. En effet, le narrateur peut livrer directement l'histoire comme
dans un conte ("recol1ective narrative") 423 ou recréer les événements et laisser le
narrateur-spectateur face à face avec les personnages ("dramatic narrative")424.
La seconde technique narrative à l'avantage d'être plus proche de la vie réelle
en éliminant tout intermédiaire entre les événements et leur destinataire, le
lecteur. De l'avis de W. Booth, elle confère aussi "neutrality", "detachmeni,"
"impersonaliiu," "objcctivity" 425.
Dans le récit orwellien, c'est la "recollective narration" qui est
largement privilégiée; mais la dramatisation n'en est pas pour autant négligée.
Ainsi, dans la deuxième moitié de Nineieen Eighty-Four existent beaucoup de
scènes: Winston/Julia ; Winston/policiers; Winston/ co-détenus; surtout
Winston/O'Brien dans les cellules du Miniluv lors de l'interrogatoire musclé du
personnage principal du roman. Animal Farm est certainement le roman le plus
raconté; il n'empêche que les scènes n'y manquent pas: Old Major/animaux
421 - Jeremy Hawthorn, op.cit., p. 2
422 - Percy Lubbock : repris par W.c. Booth: The Rhetoric of Fiction, The
University of chicago Press, Lond. and Chicago, 1961, p. 24
423 - J. Hawthorn, op.cii., p. 40
424 - Idem
425 - Wayne C. Booth: op. cit. pp.8-20

218
exploités par Jones; confessions et exécutions des animaux faibles en présence
de Napoleon; Squealer/animaux.
Dans A Man of the People et Anthills of the Savannah, plus de la
moitié 426 du récit est racontée sous forme dialoguée; la narration classique
servant le plus souvent à introduire ou à conclure des scènes montées par le
narrateur. Le nombre trop élevé de scènes, en particulier dans Anthills, donne
au lecteur l'impression d'être au théâtre, au cinéma, ou devant son petit écran:
rencontres, Okong/Sam ; Sam/ Attorney-General; Beatrice/Chis; Elewa/lkem
;
Elewa/Ikem/John
Kent
; Sam/Beatrice/ Américains
à
Abichi
;
Ikem/Elewa/ chauffeurs de taxi; Ikem/ étudiants à l'université de Bassa;
Ikem/ délégation
d'Abazon
à
l'hôtel
Harmony
; Ikem/Policiers
;
Beatrice/Agatha; Beatrice/Elewa/Parents de Elewa/ Adamma/ Emmanuel!
/ Ahmed... chez Beatrice... Concernant A Man, bien que moins longue, la liste
est, elle aussi, impressionnante: rencontres, Nanga/principal de l'école de
Anata/Odili à un meeting politique audit village; Nanga/Odili à Bori ;
Odili/Max à Bori; Odili/Edna à plusieurs reprises; Odili/Hezekiah, son père;
Odili/Père de Edna ; Odili/Madame Nanga ; meetings politiques :
Odili/Hezekiah/Edna à l'hôpital etc. ..
Les narrateurs de Orwell et ceux de Achebe ne donnent pas au
lecteur une autonomie entière. Ils se mettent tranquillement à ses côtés comme
Homère l'a fait dans l'Odyssée et l'Wade, et lui fournissent les informations et
détails nécessaires à sa compréhension globale des évènements. Ces intrusions
du narrateur (de l'auteur) dans la dramatisation sont inévitables, voire
indispensables: ce sont elles qui rappellent au lecteur qui serait tenté de
sombrer dans le genre théâtral intégral, qu'il a sous les yeux ... une oeuvre
romanesque.
De plus, avec la mise en scène de certains événements cruciaux
tels les manipulations des animaux de la Ferme par Squealer et leur exécution
par les chiens, dans Animal Farm, l'interrogatoire de Winston conduit par
O'Brien, pendaison des prisonniers de guerre, dans Nineteen Eighty-Four; les
meetings de Nanga à Anata, dans A Mail of the People; exécutions publiques de
malfaiteurs dans Anthills of the Savannah, Orwell et Achebe cherchent
délibérément à ébranler la conscience individuelle et collective de leurs lecteurs
426 - A Farnily and a Fortune (939) de Ivy Compton-Burnett comporte 75 % de
récit dialogué.

219
afin de les sensibiliser à la nécessité historique, impérieuse, de faire quelque
chose pour mettre un terme aux règles arbitraires des dirigeants civils et
militaires illustrant ainsi l'idée que:
(...) Literary style is simply a means by whiéh one persona lit y moves
others 427.
*
* *
L'utilisation de la narration dramatique aura aussi permis aux auteurs de
confirmer leur souci de réalisme linguistique.
.. il n'est plus guère possible de concevoir la littérature comme un art qui
se désintéresserait de tout rapport avec la langue, dès qu'il en aurait usé
comme d'un instrument pour exprimer l'idée, la passion ou la beauté: le
langage ne cesse d'accompagner le discours en lui tenda nt le miroir de sa
propre structure...428
Ainsi, dans Nineteen Eighty-Four, Orwell a clairement distingué
entre la langue assez relevée, métaphorique, utilisée par les membres du Party
de l'Intérieur et de l'Extérieur -illustrée par les conversations de O'Brien et
Winston d'une part et la langue relâchée, populaire, voire vulgaire, des
prolétaires que Winston a rencontrés dans un bar des quartiers populeux de
"Londres" d'autre part comme c'est le cas dans cette altercation entre deux
parieurs:
"Can 'tyou bleeding weIl listen to what 1 say? J tell you no number
ending in seven ain't. won for over [ourteen 111011th5 !"
'''Yes it'as, then !"
"No, it 'as not ! Back'ome J got the "ole of em for over two years wrote
down on a piece of paper. J takes 'em down reg'lar as the clock. An'! tell
you, no number ending in seuen-"
"Yes, a seven 'as won t l could pretty near tell you the bleeding number.
Four oh seven, it ended in. Il were in February ..."
"February your grandmother t... " 429
427 - F. L. Lucas, op.cii., p. 48
428 - Roland Barthes, op. cit., p. 13
429 - Nineteen Eighty-Four, op. cit., p. 72-73

220
Cette différence de niveaux de langue reflète le clivage social
opéré dans la société d'Océanie: les dirigeants du Parti tels O'Brien et même
leurs subalternes comme Winston, accaparent la crème de la crème dans cette
société; et la langue raffinée, dépouillée de toute maladresse de style ainsi que
de toute vulgarité, constitue, de par le monde, le référent des privilégiés. Les
pauvres qui, eux, n'ont qu'une éducation au rabais, si toufefois celle-ci existe, se
trouvent dans l'incapacité de se hisser au niveau de la langue académique.
Dans les deux romans de Achebe également, les dialogues ont
donné l'opportunité à l'auteur de mettre à nu, le fossé linguistique qui sépare
les intellectuels et les dirigeants d'un côté, des pauvres habitan ts des quartiers
sordides de Bassa dans Anthills of the Savannah et de Bori dans A Man of the
People, de l'autre.
Les entretiens de Son Excellence Sam avec chacun de ses ministres
qu'il a eu à rencontrer: Okong, l'Attorney-Général, Chris; ceux des dirigeants
africains et expatriés anglais et américains; entre Chris, Beatrice et Ikem, Ikem
et les étudiants, sont d'un niveau de langue sinon relevé, tout au moins
acceptable, alors que ceux impliquant des personnages de second ordre comme
Elewa, les chauffeurs de taxi et les policiers, sont réalisés en pidgin, l'anglais
trop fautif et assez vulgaire, des masses analphabètes et laissées pour compte
des anciennes colonies britanniques. Elewa à Ikem :
"Anodcr tinte you uian' poke make you go cal! daï sister of YOlirs, you
heur? "430
Un chauffeur de taxi à Ikem qui cherche à l'identifier dans le noir à l'aide d'une
lampe torche:
l beg make you no flash light for my eye. Wayting ? tt
Na him make l no de gree come for dis una bigman quarter. Na sa sa
toahala'' 431
La situation est presque identique dans A Man of the People. Les
intellectuels, Odili, Max, les expatriés européens Elsie et Mark, s'expriment
430 - Anthills of the Savannah, op. cit., p. 36
431 - Idem, p. 36-37

221
dans un anglais académique. Par contre Mrs Nanga, qui n'a pas fait des études
poussées, les nervis, Dogo, Boniface, recrutés par les différentes formations
politiques, le vigile de Nanga à Bori, etc, utilisent exactement le même pidgin
que Elewa et les chauffeurs de taxi dans Anthills of the Savannah.
L'emploi du parlé populaire chez Achebe pose un assez serieux
piège au lecteur non averti. En effet, comme nous le constatons par endroits, cet
emploi n'est pas l'apanage des populations pauvres et analphabètes. Par
exemple, Beatrice et Ikem en usent souvent pour converser avec Agatha et
Elewa, respectivement domestique de l'un et fiancée de l'autre. Odili y fait
recours pour s'entretenir avec son garde du corps Boniface. Son adversaire
Nanga lui, en abuse.
Les motivations ne sont pas les mêmes non plus chez ces quatre
personnages. Alors que Beatrice, Ikem et Odili se servent du pidgin pour
faciliter tout naturellement la communication avec leurs différents
interlocuteurs qui ne maîtrisent que ce dialecte, Nanga, lui, en fait une arme
politique pour se faire passer, de façon démagogique pour un véritable homme
du peuple. Mais cette utilisation n'est qu'un trompe-l'oeil.
Dans Animal Farm Orwell a plutôt uniformisé le niveau de langue.
Ainsi, l'anglais de Boxer, l'idiot par excellenve, est aussi net et bien structuré
que celui de Squealer, le rusé cochon. C'est certainement l'une des faiblesses
majeures de ce roman; car attribuer le même niveau à des lettrés et à des
analphabètes est tout de même peu réaliste. Toujours est-il que pareille attitude
pourrait aussi participer du souci majeur de clarté auquel Orwell tenait
énormément. Tout compte fait, un recours abusif au pidgin et à la langue trop
relâchée peut nuire à la limpidité du message. Et il faut reconnaître que
beaucoup de propos tenus par Elewa et les chauffeurs de taxi dans Anthills of
the Savannah sont extrêmement difficiles à déchiffrer, surtout par le lecteur non
africain, qui n'y voit que ce que F.L.Lucas appelle du charlatanisme, même si
Achebe a des ambitions hautement plus nobles que celles d'indisposer ses
lecteurs. Heureusement d'ailleurs que ces propos ne renferment pas des
fonctions cardinales déterminantes qui puissent empêcher le lecteur de saisir
l'essentiel.
*
* *

222
Par ailleurs, le parler populaire qui est par essence comique aux
yeux de l'intellectuel, et d'une manière générale, la dramatisation, ont été mis à
profit par les auteurs pour donner à leurs récits une atmosphère
volontairement choisie. Celle-ci pouvant varier de la folle gaieté à la sombre
tristesse.
-sl,a bonne humeur et la gaîté sont aussi essentielles dans la vie de tous les jours
que dans le domaine de la littérature. Elles rendent l'écrivain, l'individu en
,
général, plus responsable, plus digne de confiance; car tout ce qui est fait ou dit
dans la virulente crue est en réalité petit et ne grandit point son auteur.
(...) Imagine the greatest man you can think Of, in a bad temper-does he
still, at that moment, seem great? No. Not even were he Alexander. (...)
Real greatness implies balance and control 432.
Dans Animal Farm et en particulier dans Nineteen Eighty Four,
Orwell manque désespérément de bonne humeur à l'instar de Swift et de J.J.
Rousseau. Pire, il communique sa mine triste à ses lecteurs. Ces derniers sont
sevrés de toute occasion réelle de briser l'atmosphère, apocalyptique, tendue,
lourde, étouffante, qui traverse les deux romans de part en part. Heureusement
pour Animal Farm la brièveté, une qualité essentielle, constitue la planche de
salut pour le lecteur, ce qui n'est pas le cas pour Nineieen Eighty Four qui est
assez long.
Pour tout ce qui précède, il ne serait pas exagéré d'attribuer à
Orwell ces mols adressés par Faguet à Calvin:
"Une qualité manque à cegrand style sévère, c'est la grâce,
le sourire, tous les sourires ..." 433.
A l'inverse, ce que F.L. Lucas a dit de Desmond Mac Carthy convient à
merveille pour qualifier le style de Achebe:
... his writing was not only wittY and amusing, but also wise and
good 434.
432- F.L. Lucas, op.cii., p.133.
433- Faguet, cité par EL. Lucas, op.cii., p.140.
434 _ F.L. Lucas, Idem p.59.

223
En effet, Achebe allie, avec un rare bonheur, sérieux et détente.
Bien que dans A Man of the People et Anthills of the Savannah, l'histoire est
tragique, il n'empêche que l'axe de la narration est jalonné de scènes
succulentes, d'expressions caustiques, de proverbes savoureux, qui sont de
véritables bouffées d'oxygène et conduisent quelquefois le lecteur à oublier que
le but premier de l'auteur est de l'inciter à se pencher sur la situation politique
exceptionnellement grave que vit l'Afrique indépendante.
Sous ce rapport, l'auteur nigérian est plus proche de Sterne et de
Voltaire que de son homologue Orwell. La question qui surgit alors est celle de
savoir pourquoi Orwell n'est pas parvenu à imprimer à son oeuvre un cachet
de bonne humeur, de gaîté, de joie de vivre. Sa grande préoccupation face à la
terrible menace qui pesait sur l'Angleterre et l'Europe au cours et après la
Seconde Guerre mondiale? Sa tuberculose qui lui aurait ôté tout sens de
l'humour? ..
Si l'on considère, à juste raison, que son thème dominant n'est pas
relativement plus préoccupant que celui de Achebe, l'on peut conclure qu'il
s'agirait surtout d'une question de personnalité, de tempérament, peut-être
accentué par un état de santé assez médiocre.
Style... is a persona lity clothed in toords, characier
embodied in speech 435.
Ainsi, Achebe serait alors plus maître de lui-même et de ses émotions que ne
l'est Orwell.
II. 3- Le style de l'essai dans le récit
La première partie de notre étude nous a permis de mesurer
l'importance qu'occupe l'essai dans l'oeuvre littéraire de Orwell et de Achebe.
Leurs essais sont consacrés à des domaines aussi divers et variés que la critique
et la métacritique littéraires, la condition humaine, le dialogue des cultures, la
politique, les mécanismes de la prise du pouvoir, les antécédents et succédanés
de la gestion du pouvoir et tant d'autres thèmes.
435 _ Idem, p.49.

224
Ce genre, comme la dramatisation, est bien présent dans Nineteen
Eighty Four, A Man of the People, Anthills of the Savannah et Animal Farm, et
permet aux auteurs de donner l'occasion aux personnages-embrayeurs ou aux
narrateurs, l'occasion de livrer au lecteur leurs pensées personnelles sur des
questions fondamentales de la vie, même si Benveniste soutient lui, par ailleurs
et de façon péremptoire, que Dans le récit (... ) personne ne parle 436.
La première équivoque à lever est celle de savoir le rapport, la
distance qui existe réellement entre, d'une part, le narrateur et le point de vue
exprimé, et de l'autre, entre le narrateur et l'auteur lui-même. En définitive, cela
revient à vérifier si le narrateur s'identifie à l'auteur et si les opinions et pensées
exprimées sont celles du narrateur, du personnage ou de l'auteur.
A Man of the People s'ouvre sur un énoncé du narrateur, qui a toute
l'allure d'un essai car il exprime un point de vue personnel qui peut être
légitimement contesté comme toute assertion polémique:
No one can deny that Chief the Honourable M. A. Nanga, M.P., was the
most approachable politician in the country.437
D'ailleurs près de la moitié des chapitres sont entamés sur ce
même ton péremptoire, ce qui assure à A Man of the People toute sa spécificité
par rapport aux trois autres romans. Ainsi, tout au long de la narration, Odili, le
narra tcur-personnage-embrayeur, donne son point de vue sur d'autres
questions d'importance variable. Quelques exemples choisis au hasard
illustrant notre propos:
A common sayillg in the country after Independence was
that it didn't matter what you kneio but who you knew. And, believe
me, it was no idle ta lk...438.
Ici, Odili déplie sous les yeux du narra taire la situation grave de corruption
généralisée qui sévit dans son pays, le Nigéria ; ensuite il donne la raison
principale qui est à la base de cette corruption:
436 - E. Benveniste: Problèmes de Linguistique Générale, Gallimard, 1966, p.35
437- A Man of the People, op.cit., p.l.
.
438- A Man of the People, op.cii., p.17.

225
A man who has just come in from the rain and dried his
body and put on dry clothes is more reluctant to go out again than
another who has been indoors aU the time. The trouble with our new
nation (...) was that none of us had been indoors long enough to be able
to say: "to heU with
ii", We had been in the rain together until
yesterday. Then a handful of us-the smart and the lucky and hardlyever
the best- had scrambled for the one shelter our former rulers left, and had
taken it over and barricaded themselves in .439
-)La fonction première de ces énonciations dont le lecteur n'a aucun moyen de
vérifier le bien-fondé, est d'installer le destin, peu reluisant, et du personnage et
de la société africaine dépein te.
-sl.es propos de Odili ont toute l'allure de ceux de Achebe dans la mesure où vu
qu'ils reflètent la situation réelle de beaucoup de pays africains nouvellement
indépendants, en particulier le Nigéria que l'auteur connaît probablement
mieux. En vérité, les peuples africains colonisés, toutes classes sociales
confondues, ont été privés de bonheur matériel pendant des décennies, voire
des siècles, par le colonisateur qui avait tout accaparé pour son profit exclusif.
Et Achebe essaie de comprendre les nouveaux dirigeants qui viennent de
découvrir les avantages "paradisiaques" des rênes du pouvoir. Cet Achebe est
précisément celui qui, dans une interview avec Robert Serumaga en 1967,
gardait encore un grand espoir et considérait les coups d'Etat comme un mal
nécessaire, une maladie de croissance de l'Afrique.
C.') Every society has ta Iearn its OWIl iesson, sa 1don 't dcspai». A Mun
of the People is a rather scrious
indictment-if you like- of post-
independence Africa. But l don 't give up because 1 think this is a
necessary stage in our grounh 440.
Plus tard, dans Anthills of the Savannah, avec la désillusion causée
par les péripéties douloureuses qu'ont connues le Nigéria et le reste de
l'Afrique, Achebe sera plus sévère à l'égard des dirigeants politiques africains.
Une telle sévérité se voit dans lemanque total de pitié et de compassion envers
les civils qui viennent d'être brutalement détrônés par les militaires.
439 -Ldem, p.37.
440 - Chinua Achebe in African Writers Ta/king, Ed. Dennis Duerden and
Cosma Pieters, Heinemann, London, 1972, p.13.

226
(...)Sandhurst after aIl did not set about training officers
ta take over her Majesty's throne but rather in the high tradition of
proud aloofness from politics and public affairs. Therefore when our
civiIian politicians finaIly got what they had coming ta them and landed
unloueâ and unmourned on the rubbish heap and the young Army
Commander was invited by the even younger coup-makers ta become His
ExceIlency the Head of State he had pretty few ideas about what ta do 441.
Sur le plan culturel, l'interprétation erronée, par un anglais du
geste d'une vieille darne africaine qui a vigoureusement brandi le poing en
direction d'une statue dressée dans un lieu public a soulevé l'indignation de
Odili. Très initié à la culture africaine, Odili sait que le geste en question signifie
vénération d'un dieu et non dégoût:
"Did you say she was shaking her [ist" ... In that case you got her
meaning aIl wrong. Shaking the fist in our society is a sign of great
honour and respect; it means that you attribute power ta the persan or
abject". (...) l have, since this incident, come up againsi anotlter criiic
who committed a crime in my view because he transïcrred to an alicn
culture the satne mcanings and interpretation that his oum people aitach
ta certain gestures and facial expression. This critic, a French-man
writing in a glossy magazine on African art said of a fa mous religious
mask from this countru : "Note the half-closed eyes, sharply draum and
tense eyebrow, the ecstatic and passionate mouth...1/
ft was simply scandalous. AlI that the mask said, all it felt
for mankind was a certain superb, divine detachment and distain. If 1
met a uioman in thestreet and she looked at me with theface of that mask
that wouId be its meaning 442.
Le ton polémique de Odili ressemble beaucoup à Achebe. En
réalité, dans plusieurs de ses essais et articles, l'auteur de A Man of the People
élève une voix stridente contre les critiques occidentaux qui s'érigent en
critiques de la culture africaine, de sa littérature en particulier, en utilisant des
normes et repères typiquement occidentaux.
441 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 1'2
442 - A Man of the People, op.cit., p. 50

227
In 1962 l published an essay "Where AngeIs Fear ta Tread", in which l
suggested that the European critic of African literature must cultivate
the habit of humility appropria te ta his limited experience of the African
world and be purged of the superiority and arrogance which history sa
insidiously makes him heir ta 443.
Ce même thème Achebe le reprendra dans ses conférences en
Afrique, aux Etats-Unis d'Amérique et en Europe, Comme en témoignent ses
~écits tels que "Impediments ta Dialogue Between North and South" (1980),
"Colonialist Criticism (1974) ; The Writer And His Community" (1984)...
Dans Anthills of the Savannah, Achebe porte encore plus loin sa
conviction de l'existence d'une bonne littérature africaine. En effet, la manière
dont il s'y prend dans ce roman est tout simplement remarquable. Alors que
dans A Man of the People
et dans ses essais, il a donné la parole à des
personnages-narrateurs africains ou à lui-même, ce qui revient au même, pour
plaider la cause des lettres africaines, dans Anthills ... Achebe adopte une
technique plus convaincante parce que plus détachée: il fait dire sa propre
conviction par la bouche des Européens tels M.M. et Dick, qui font l'éloge du
poète Ikem Osodi, le porte-étendard de la littérature africaine d'expression
anglaise.
'" "What l want ta say really is that [lkem] is an even
finer poet, zn my opinion one of the finest in the entire English
language".
. .. . ..... ..
... That doesn 't surprise me in the least. l understand that the best
English these days is written either by Africans or Indians. And that the
]apanese and the Chinese may not be tao far behind.444
C'est assurément la consécration tant attendue après des
décennies de préjugés bâtis de toutes pièces par des critiques conservateurs
occidentaux, plus soucieux de la défense de leur culture que de la rigueur
scientifiq ue.
443 - Chinua Achebe: "Impediments to Dialogue between North and South",
in Hopes and Impediments, op.cii., p. 49
444 - Antills of theSavannah, op.cit., p. 62

228
Sur un autre plan, le narrateur et héros de A Man of the People,
Odili, n'a pas une attitude nette et claire par rapport aux idéologies, et en
particulier au Communisme, contrairement à Max qui se déclare ouvertement
athée et implicitement communiste. Il est assez ambigu même si la remarque
faite aux dirigeants du CPC semble pointer vers la dénonciation de la
démagogie des intellectuels de gauche qui affirment haut et fort travailler pour
les masses alors qu'au fond, ils les méprisent.
"c..) l must say that l find it someiohai odd that a party calling itself the
Common People's Convention should be made up of only professional
men and women ..."445.
Dans Anthills of the Savannah, la voix narratrice adopte une
attitude plus tranchée envers les tenants du marxisme en Afrique. L'expérience
de beaucoup de pays africains dirigés par des régimes marxistes ou plus
généralement de gauche, a permis à Achebe de constater, de visu, que les
marxistes africains ne sont que de vulgaires tyrans.
Chris:
(...) Our present rulers in Africa are in every sense late
flowering medieval monarchs, even the Marxists among them. Do you
remember Mazrui cailing NKrumah a Stalinist Czar? ...446
Ikem qui a toujours plaidé la cause de la révolution comme
Achebe, reconnaîtra avec l'expérence, que celle-ci n'est point une panacée. La
nature de l'homme est d'une complexité telle qu'il serait insensé, inintelligent,
et à la limite insensé de penser une seule fois qu'un monde meilleur peut surgir
du jour au lendemain du fait d'une baguette magique, par le biais de la
révolution populaire prônée par les communistes. C'est un leurre, dit Ikem. La
nouvelle méthode qu'il croit être la meilleure pour sortir les "damnés de la terre Il
des griffes des exploiteurs, des tyrans politiques, c'est le changement graduel, la
réforme, non le chamboulement brutal aux vertus thérapeutiques pour le moins
douteuses, à ses yeux.
445 - A Man of the People, op.cit., p. 78
446 - Anthills of the Savannah, op.cii., p. 74

229
"The sweeping, majestic visions of people rising victorious
like a tidal wave against their oppressors and transforming their world
with theories and slogans into a new heaven and a new earth of
brotherhood, justice and freedom are at best grand illusions. The rising,
conquering tide, yes ; but the millennium afterwards, no ! New
oppressors will have been readying themselves secretly in the undertow
long before the tidal wavehave got really going.
Experience and intelligence warn us that man's progress
in freedom will be piecemeal, slow and undramaiic. Revolution may be
necessary for taking a society out of an intractable stretch of quagmire
but it does not conierjreedom, and may indeed hinder it,
Society is an extension of the individual. The most we
I l
can hope to do with a problematic individual psyche is to re-form it. No
responsible psychoanalyst would aim to do more, for to do more to
overthrow the psyche itself, would be to unleash insaniiu", 447
Il est à noter que les points de vue sont très variés dans les deux
romans de Achebe à l'étude et par souci d'équilibre, nous nous sommes arrêté
sur ceux-là qui nous paraissent le mieux traduire les préoccupations
personnelles de l'auteur et qui sont à même de mieux rendre compte de
l'écriture du pouvoir ou de la politique.
*
* *
Maints thèmes soulevés par l'auteur nigérian l'ont déjà été par son
homologue anglais même si le style de l'essai est moins présent chez ce dernier.
Avec Animal Farm, la narration est presque ouverte sur une longue
adresse de Old Major aux animaux opprimés de la Ferme. Le sage porc y
explique à ses "compatriotes" les raisons profondes de leurs misérables
conditions de vie: l'accaparation par l'homme de toutes les richesses de leur
"pays", comme Odili a essayé d'expliquer dans A Man of the People, les causes de
la misère chez les populations africaines.
447 - Ibidem, pp. 99-100

230
Old Major:
(...) Why then do we continue in this miserable condition ? Because
nearly the whole of the produce of our labour is stolen from us by human
beings 448.
C'est sans nul doute Orwell qui incite ici les prolétaires de tous les
pays capitalistes à s'unir pour se soulever contre les régimes qui les asservissent
comme le montrera l'analyse un peu plus loin.
Mais à part l'intervention de Old Major, il n'y a pas à proprement
parler, de points de vue dignes d'intérêt, c'est-à-dire, susceptibles de lever un
coin du voile sur les opinions et sentiments personnels de l'auteur. La narration
est de ce fait tout à fait équivoque.
En fait, toutes les autres opmIOns, de Boxer, Clover ou de
Squealer, expriment des vues diamétralement opposées à celles que défendrait
Orwell lui-même. A titre d'exemple, après l'exécution des animaux sur l'ordre
de Napoleon, Boxer, guidé par une idiotie légendaire, préconise une solution
absurde et donne des raisons erronées du malheur qui s'abat sur la gente
animale:
"l do not undersiand il. l would not have bclieved that
such things could happen on our [arm. Il must be due to some fault in
oursclves. The solution, as] see ii, is to work harder. From now omoards
l shal! gel up a full hour earlier in the mornings" 449.
C'est assurément l'ironie dramatique dont raffole Orwell, qui
affleure dans le texte car Boxer n'est nullement conscient de son ignorance et
mérite une raclée de bois vert! Ce dont le lecteur a une claire perception. En
revanche, Clover quant à elle, ~ des idées peut-être meilleures mais elle est,
hélas, incapable de les exprimer alors que celles de Squealer ne sont que
mensonges et propagandes destinés à tromper les animaux aux fin de mieux les
exploiter et faire perdurer la domination porcine.
448 - AnimalFarm, op.cii., pp. 8-9
449 - AnimalFarm, op.cii., pp.74-5

231
Winston dans Nineteen Eighty-Four, est un essayiste qui s'intéresse
à la condition humaine sur terre, à l'instar de Ikem dans Anthills of the Savannah
et des deux auteurs à l'étude.
If there is hope. {...J it lies in the proles 450.
Toujours selon Winston, un processus de prise de conscience s'avère
indispensable avant l'avènement de la justice sociale. Par ce biais, les opprimés
'prendront nécessairement une claire conscience de façon nette
de leur
condition d'esclavage car, pour paraphraser Marx:
Untiltheu become conscious they will never rebel,
and until after they have rebelled they cannot become conscious
451
En clair, le réveil du peuple est extrêmement difficile à réaliser.
Winston, comme Ikem, Odili et Old Major, peut être considéré
comme un personnage-embrayeur : ses vues sur les questions politiques et
sociales fondamentales peuvent être prises comme étant assez proches de celles
de Orwell lui-même. En effet, si dans Animal Farm et Nineteen Eighty-Four
Orwell fait planer le doute en se servant de Old Major et de Winston, dans The
Road to Wigan Pier c'est Orwell en personne qui brave toutes les règles de
bienséance romanesque, monte au créneau et de sa propre plume, s'adresse
directement et ouvertement à ses compatriotes:
The oilly possible course for any decent person ... is to
work for the establishment of socialism. Nothing else can save us from
the misery of the present or the nightmare of the future. To oppose
socialism now, wlzen twenty
million Englishmen are underfed and
fascism has conquered half Europe is suicidaI 452.
The world is a raft sailing through space with potentially
plenty of provisions for everybody ; the idea that we must aIl cooperate
and see to it that everyone does his fair share of the workand gets hisfair
450 - Nineteen Eighty Four, op.cii., p.6ü
451 - Nineteen EightyFour, op.cii., p. 61
452 - George Orwell: The Raad ta Wigan Pier, cité par Th. Bouabre in Bridges: Revue Sénégalaise
d'Etudes anglaises op.cii., p.6ü

232
share of the provisions seems so biatantIy obvious that one wouid say
that no one couid possibly fail to accept it uniess he had some corrupt
motive for clinging to the present system 453.
Les deux extraits ci-dessus sont de la même vaine que les essais
politiques et littéraires écrits p~r Orwell, écrivain anglais ou l'auteur concret
desdites oeuvres. Ce Orwell n'est pas tout à fait le même que l'autreur abstrait
qui a écrit Nineteen Eighty-Four et Animal Farm, même si les deux personnages
portent le même patronyme. D'ailleurs, le recours à un pseudonyme ou à un
nom de plume sert souvent de ligne de démarcation entre l'auteur concret et
l'auteur abstrait.
Même si les tenants de la critique moderne sont des adversaires
déclarés de toute édiction de normes en matière d'écriture romanesque, l'abus
de Orwell à travers une intrusion trop personnelle dans le récit de The Road to
Wigan Pier constitue une véritable faiblesse dont l'auteur lui-même fut
conscient par la suite. Selon Ford Madox Ford:
The noveIist must not by taking sides exhibit his
preferences... He has to render and not to teIl ...454.
Le même procédé n'a été utilisé ni dans Animal Farm, ni dans
Nineteen Eighty-Four, bien que le lecteur averti sente du Orwell dans les propos
de Old Major et ceux de Winston comme c'est le cas pour Achebe avec Odili,
Max et surtout Ikem. C'est dire donc en dernière analyse que Orwell et Achebe
ont mandaté des personnages-embrayeurs pour livrer à leurs lecteurs, sur un
ton polémique parfois idéologiquement chargé, leurs propres points de vue sur
des questions qui leur tiennent à coeur, sans pour autant littéralement tomber
dans les travers de l'intrusion abusive dans le récit romanesque. Selon Beach
d'ailleurs, l'intrusion en soi n'est pas une mauvaise chose dès lors que le
romancier sauve son art.
If the author succeeds in presenting his theme effectiveIy...
we shat! not quarrei with his personal appearences ... Our main quarrei is
with the author who makes his appearences a substitute for the artistic
453 -Idem
454 - Ford Madox Ford: The English Novel: From the Earliest Days to the Death of J. Conrad,
London, 1930, p.121

233
presentation of his subject, thinking that ta/king about a subject is
equiva/ent ta presenting it. 455
Ce que les auteurs, en particulier Achebe, ont réussi à faire. En
plus, au moyen de cette technique narrative spéciale, Orwell et Achebe sont
parvenus à imprimer à leurs récits un ton polémique, satirique et allégorique.
En réalité, les émotions émises par les personnages sur un ton de défiance sont
des attaques à peine voilées contre des systèmes politiques oppresseurs et des
convictions sociales, littéraires ou politiques que les auteurs ne cautionnent
guère. La dictature imposée à leurs peuples par les dirigeants africains, la
condescendance de l'Occidental qui a une image très déformée et négative de
l'Afrique, pour Achebe. Et pour Orwell, la dictature naissante en Angleterre et
en Europe, le nazisme et le socialisme anti-populaire et autoritariste.
Le recours à l'essai dans le récit aura ainsi très largement
contribué à conférer aux oeuvres à l'étude, une forte dose de romans à thèse.
*
* *
-s Cette partie sur l'étude aura permis de montrer que Orwell et Achebe, ce
dernier notamment, ont bien su mettre à profit la forme de leurs récits ainsi que
leur manière d'écrire pour mieux communiquer à leurs lecteurs leurs "stories''
et pour camper le destin du personnage dans la diégèse des romans, une
diégèse dominée par la puissance du pouvoir politique autoritaire.
455 - Joseph Warren Beach: The Twentieth-Century Novel; Siuâiesin Technique, New York, 1932,
p.468

23L1
CONCLUSION
1

235
L'objet de l'étude que nous venons de tenter dans la perspective
d'un rapprochement de deux auteurs assez bien connus, tant par les thèmes, la
vision et l'écriture, dans le milieu littéraire mondial: George Orwell et Chinua
Achebe.
Achebe est sans conteste, avec son compatriote Wole Soyinka,
'parmi les écrivains les plus célèbres du continent africain. Sans être un ténor
comme D. H. Lawrence ou E.M. Forster ou un Joseph Conrad, entre autres,
Orwell n'en occupe pas moins une place de choix au sein de la littérature
britannique, grâce, surtout, à la puissance remarquable de ses convictions
sociales.
L'étude, bien que centrée sur quatre romans, les deux derniers de
chaque écrivain: A Man of the People, Anthills of the Savannah, pour Achebe; et
Animal Farm et Nineteen Eighty-Four, pour Orwell, a eu également pour
ambition de montrer que les similitudes entre ces deux auteurs ne se limitent
pas uniquement aux seuls aspects thématiques et esthétiques, mais intégrent
dans le même temps, leurs personnalités profondes respectives.
Les différentes conclusions partielles auxquelles ont conduit nos
recherches tendent toutes à prouver un rapprochement très riche en
significations. En effet, des ressemblances frappantes sont établies entre Orwell
et Achebe dans la quasi-totalité des domaines sur lesquels ont porté nos
hypothèses de travail; même si des divergences de taille, normales du reste,
n'ont pas été exclues de notre champ d'investigation.
D'abord, sur le plan social et professionnel, les deux auteurs ont
grandi dans une atmosphère culturelle hybride. Ce qui leur a permis d'acquérir
une expérience que bon nombre d'autres écrivains attachés à une culture
monolithique n'ont pas eue. Orwell qui est métis biologique et culturel pour
être né de parents anglo-indiens et avoir grandi en Inde jusqu'à l'âge de huit
ans et servi en Birmanie comme policier colonial pendant une dizaine d'années,
est un homme bien au fait des réalités dramatiques qui prévalaient dans les
colonies britanniques d'Asie. En outre, son milieu familial et son contact avec
l'Angleterre où il a fait ses études à une époque marquée par une montée du
nationalisme britannique, ont façonné en lui un citoyen modèle. Ainsi donc, ses
liens étroits tant avec les pauvres d'Asie d'une part, et de l'autre, sa mère patrie,

236
ont fait de Orwell un intellectuel d'un genre particulier, à cheval sur deux types
de sensibilités idéologiques: d'une part le cri de détresse des colonisés et des
exploités en général, et la fierté découlant de l'appartenance à une puissance
coloniale comme la Grande Bretagne, de l'autre.
(...) The real conflict in Orwell is always between the hall Tory, hall
Socialist good citizen and the Anarchist (...) 456
Achebe partage cette double culture car, bien que né au coeur
même du pays igbo caractérisé par un fervent attachement aux valeurs
animistes africaines, l'auteur nigérian reçut sa part de l'influence de la société
britannique par le truchement de la religion chrétienne adoptée par ses parents,
et plus tard par sa formation scolaire et universitaire marquée par la présence
d'auteurs comme Conrad, Cary, Yeats, etc...
D'autre part, au plan professionnel, Orwell et Achebe sont encore
plus proches l'un de l'autre qu'on ne serait tenté de le penser de prime abord.
De retour d'Asie en 1927, Orwell, après quelques années d'errance, se lance
dans l'enseignement privé pour pouvoir joindre les deux bouts avant
d'embrasser une carrière de journaliste qui lui valut un succès de vaste
audience grâce à ses articles littéraires et polémiques dans des revues et
journaux de pointe tels The Observer, The Tribune etc. Pendant la Deuxième
Guerre Mondiale, il s'occupe un instant des émissions en direction de l'Asie.
Achebe débuta sa carrière professionnelle en 1954 à la Nigerian
Broadcasting Corporation (NBC) à sa sortie de l'Université d'Ibadan et devint
un des hauts responsables de la même station avant de la quitter, comme
orwell l'a déjà fait de la BBC, pour protester contre la propagande dont les
médiats d'Etat sont les vecteurs et qui ne cadrait pas avec la réalité.
Les premières images littéraires livrées par les deux auteurs sont
essentiellement constituées d'articles de journaux et d'essais aux thèmes variés,
et donnent au lecteur une idée de leur thématique romanesque et de la diversité
de celle-ci. Le tout premier essai de Orwell liA Hanging" consacré à un fait
réellement vécu en Inde britannique, c'est-à-dire la pendaison d'autochtones
pour des délits obscurs, marque le début d'une lutte acharnée de l'auteur contre
456 - George Woodcock, cp.cii., p. 114

237
l'injustice et la violation des droits de l'Homme, thème central à Animal Farm et
Nineteen Eighty-Four.
Pour ce qui concerne Achebe, l'un de ses premiers essais publiés
dans la revue des étudiants de l'Université d'Ibadan The University Herald,
s'insurge contre les autorités académiques qui ont mis fin aux études médicales
dans lesquelles il s'était engagé pour l'orienter malgré lui à la Faculté des
Lettres et Sciences Humaines. Ses autres oeuvres, tout en adoptant le même ton
polémique, sont centrées sur des thèmes variés, dont la défense du petit peuple
africain victime de l'inconscience de ses nouveaux dirigeants. A Man of the
People et Anthills of the Savannah ne s'écartent pas de cette voie.
Une précision s'impose cependant: les quatre oeuvres à l'étude
n'ont pas la même thématique que les première oeuvres romanesques des
auteurs. Les romans de Orwell antérieurs à Animal Farm et Nineteen Eighty-Four
ont presque tous une touche autobiographique ou une thématique plutôt
anodine457. Ainsi Burmese Days et Hamage ta Catalonia sont respectivement
centrés sur le séjour de Orwell en Inde britannique et en Espagne pendant la
guerre civile. Keep the Espidestra Flying et A Clergyman's Daughter sur l'argent
pour l'un, et l'amour pour l'autre. The Raad ta Wigan Pier et Coming Up for Air,
sans être tout à fait détachés de l'expérience personnelle de l'auteur, sont
néanmoins plus proches des deux romans à l'étude car leur thématique est plus
"universelle". George Bowling de Coming Up for Air est le personnage qui
annonce Winston de Nineieen Eighty-Four .
Chez Achebe, nous n'avons pas la même évolution, car les
premiers romans de l'auteur nigérian Things FaIl Apart et Arrow of Gad, ne
tournent pas autour de la vie de leur auteur mais autour des réalités socio-
politiques et culturelles du monde igbo et africain en général, depuis l'arrivée
des missionnaires sur le continent jusqu'à l'implantation des administrateurs
coloniaux. Dans ces deux romans, l'objet de Achebe a été une bataille de
communiqués intelligente contre les détracteurs de la civilisation traditionnelle
africaine et un message de lumière à l'adresse des Africains victimes de
l'intoxication occidentale avilissante.
457 - George Orwell: ... Animal Farm was the first book inwhich l iried, with full consciousness of
whatl was doing, to fuse political purpose and artistic purpose into one whole. in "Why l Write"
in Decline of the English Murderand Other Essays, op.cit., p. 187

238
Mais devant les importantes mutations connues par leurs sociétés
européenne et africaine, Orwell et Achebe amorcent une nouvelle orientation
idéologique qui donne naissance à des thématiques romanesques convergentes
à plus d'un titre.
En effet, la Guerre du Biaffra qui a considérablement éprouvé la
société igbo et où le poète Christopher Okigbo, ami personnel de Achebe, a
perdu la vie ainsi que l'échec des indépendances africaines dont le cas du
Nigéria est l'exemple typique, ont contraint Achebe à tempérer son ardeur à la
fois anti-occidentale et pro-africaine, pour s'intéresser aux nouveaux dirigeants
africains. C'est ainsi que A Man qf the People et Anthills of the Savannah sont tous
deux axés sur l'exercice du pouvoir politique en Afrique au Sud du Sahara:
(...) The access to Independence of the majority of African countries and
the inevitable dramatic socio-political upheavals brought about by this
historical development has had its influence on the thematic evolution of
the novel [in Africa]
458.
De son côté, Orwell a écrit Animal Farm et Nineteen Eighty-Four à
une période très cruciale de l'histoire de toute l'Europe. 1945 marque, en effet,
la fin de la Deuxième Guerre Mondiale qui, elle-même, a été engendrée par le
fascisme qui a envahi l'Italie de Mussolini et l'Allemagne hitlérienne. Fascisme
qui n'a pas épargné l'Espagne qui a basculé dans une terrible guerre civile,
guerre dans laquelle Orwell a été impliqué. Ce qui lui a permis de côtoyer des
socialistes qui lui ont laissé une image très négative de l'exercice du pouvoir
politique par un parti communiste. En plus, le stalinisme, sous prétexte
d'appliquer la théorie sociale de Karl Marx et de Lenine, a fait souffrir le
martyre et à tous ses adversaires politiques et au peuple russe. Plus directement
encore, ce sont les intolérances notoires nées en Angleterre même, suite aux
déclenchement de la Deuxième Guerre Mondiale qui ont conduit Orwell à
prendre la plume pour mettre en garde ses concitoyens contre ces dérives
graves qui commençaient à hypothéquer sérieusement la démocratie dont
l'Angleterre revendique la paternité. La question qu'il s'est posée dans
"England Your England" et la réponse à ladite question, illustrent bien notre
propos:
Do l mean byaIl this that England is a genuine democracy ?
458- Abderrahmane, Arab, op.cit., p. 239

239
No, not even a reader of the Daily Telegraph could quite swalIow that
459
Ainsi, Animal Farm et Nineteen Eighty-Four sont-ils tous consacrés
à cette période incertaine où politique, dictature et droits de l'Homme étaient
inextricablement liés.
C'est conclure donc que Orwell et Achebe réagissent à des
,
situations dans lesquelles le sort du peuple, des intellectuels et des libertés
individuelles et collectives sont gravement en jeu.
Pourtant, le prétexte avancé par ceux qui usurpent le pouvoir
populaire est immanquablement le suivant: sauver le peuple opprimé. Mais
une fois le pouvoir arraché aux anciens dictateurs, les nouveaux, dans un
premier temps, donnent l'impression d'orienter leur pays vers le progrès social
et la démocratie véritable. Pourle peuple crédule, une nouvelle page vient de
s'ouvrir pour lui.
En effet, le cercle restreint de "sauveurs" dirige le pays dans une
sorte de consensus. C'est ainsi que la Ferme des Animaux, après la fuite de
Jones qui les a terrorisés pendant des décennies de domination, l'ensemble des
animaux sont sur un même pied d'égalité avec une règle d'or: "AlI Animal are
Equal". Dans A Man of the People, quand le colonisateur britannique a enfin
quitté le Nigéria, le gouvernement civil qui est formé regroupe tous les fils du
pays sans exclusive: s'y trouvent des individus obscurs et arrivistes, de même
que des technocrates formés à la bonne école, comme le Dr. Makinde. La
situation est la même dans Anthills of the Savannah où après avoir
grâcieusement reçu le pouvoir des mains des jeunes officiers putschistes, le
nouveau chef de l'Etat, Sam, forme un cabinet militaro-civil sous la houlette de
son ami et conseiller, Chris. Le Président entretient d'excellentes relations avec
ses ministres, qu'il gave de son humour exceptionnel, et craint son peuple qu'il
ménage à tous points de vue. Dans Nineteen Eighty-Four, le narrateur nous
apprend également que Big Brother n'a pas été, à l'origine, le seul dirigeant de
Airstrip One: tout laisse croire qu'il a exercé le pouvoir pendant un laps de
temps, non précisé cependant, avec ses amis socialistes avec qui il a mené et
réussi la lutte contre les capitalistes.
459 - George Orwell: "England your England" in The Oxford Anthology of
English Liierature, (Vol. 11), op.cit., p. 2151

240
Mais en réalité ce consensus n'en est pas un. En fait, tout en faisant
mine d'être embarqués dans le même navire pour la même croisade contre la
pauvreté, l'injustice et l'intolérance, sous lesquelles ploie le peuple, les
nouveaux dirigeants se regardent en chiens de faïence et guettent l'occasion
idéale pour anéantir leur rivaux afin de réaliser leurs ambitions politiques :
devenir le maître absolu de leur pays.
Ainsi, Napoleon dans Animal Farm se défait de façon spectaculaire
de son rival de toujours, Snowball ; Big Brother de Airstrip One élimine tous
ses camarades d'arme pour ne composer qu'avec des civils jugés moins
dangereux; le Premier ministre dans A Man of the People se débarrasse de ses
ministres compétents susceptibles de remettre en question son leadership qui
ne s'appuie sur aucune expertise fiable.
Pour parvenir à leurs fins, les dirigeants politiques bouillonnants
d'ambition personnelle usent de tous les expédients. D'abord, ils recourent aux
services d'inconditionnels. C'est ainsi que dans Animal Farm ce sont les chiens
spécialement dressés à cet effet, qui attaquent Snowball et le balaient de la
scène politique active de la Ferme; dans Anthills of the Savannah, Son Excellence
utilise les services de son Chef d'Etat major et ceux du chef de la Police
politique, "The State Research Council". Dans A Man of the People, ce sont les
foules crédules et les députés démagogues comme Nanga, qui se sont dressés
derrière le Premier ministre pour l'aider à extirper de son cabinet ses
adversaires potentiels. Et pour ce qui concerne Nineteen Eighty-Four, même si le
narrateur n'a pas insisté sur cet aspect, nous pouvons imaginer que Goldstein et
ses amis ont été vidés du pouvoir par des forces spéciales à la dévotion de Big
Brother.
Une fois le pas décisif de l'usurpation du pouvoir franchi avec la
complicité de forces militaires organisées, les leaders font appel à des individus
spécialisés dans la Communication, ce quatrième pouvoir. Leur tâche:
convaincre les populations à tous prix et les amener à accepter le statu quo.
Squealer s'occupe dans la Ferme des Animaux de ce poste stratégique de porte-
parole de Napoleon, et manipulateur de la conscience des animaux. Sa mission
est axée autour de trois domaines essentiels: discréditer Snowball en le faisant
passer pour un lugubre traitre à la nation animale ; falsifier toutes les
statistiques socio-économiques; intimider les contestataires. Mais l'objectif
majeur visé est de pérenniser le système despotique et népotique instauré par la

241
clique des cochons. Dans Anthills of the Savannah, l'adversaire numéro un du
régime de Son Excellence Ikem Osodi, l'éditorialiste du journal gouvernemental
la National Gazette, est accusé d'être un agent à la solde de l'ennemi extérieur
du peuple kanganois. C'est la même accusation qui est portée contre les
technocrates dans A Man of the People alors que Goldstein est accusé d'être à la
tête d'une organisation subversive secrète, la "Fraternity".
La vision kaléidoscopique qui se dégage de la saisie du pouvoir et
de la gestion de celui-ci par les hommes politiques est le suivant: le petit
peuple est la première victime du régime tyrannique chez Orwell et Achebe.
D'abord, sur le plan strict de l'exercice du pouvoir politique, il en est totalement
exclu au profit d'une clique. La conséquence sur le plan social en est que le
peuple est confiné dans des conditions de vie inhumaines qui font de lui un
véritable troupeau d'animaux: tout lui fait cruellement défaut: habitat décent,
couverture médicale adéquate, eau potable, nourriture appropriée... ce qui n'est
nullement le cas de ceux qui exercent le pouvoir.
En dépit de ce calvaire qui est son lot quotidien, le peuple reste
désespérément cynique en faisant le plus clair du temps le jeu des gouvernants.
Ainsi, les masses nigérianes dans A Man of the People trouvent normal le recours
des nouveaux responsables africains aux méthodes égoïstes naguère utilisées
par le colonisateur: exercer le pouvoir en tournant le dos aux intérêts de la
majorité. Les kanganois de Anthills of the Savannah et les Océaniens de Nineieen
Eighty-Four, se délectent des exécutions publiques d'innocents citoyens, que
leur servent leurs dirigeants. Dans Animal Farm, Boxer, l'énorme cheval, et ses
amis animaux inférieurs, croient à l'ardeur au travail comme seul remède à la
cruauté des porcs.
Si le peuple adopte cette attitude qui lui est préjudiciable, c'est
assurément avant tout parce qu'il est tout à fait ignorant et sans éducation. Mais
par-delà cette ignorance entretenue par le système, le peuple est mis au pas par
des manipulateurs d'une expertise hors du commun; surtout chez Orwell ;
tandis que chez Achebe, c'est l'argent qui a perverti presque toutes les valeurs
traditionnelles.
Malgré tout, et de façon fort paradoxale, c'est ce même petit
peuple qui dans les romans de Orwell et Achebe demeure le dernier bastion
des vertus hautement humaines. Ainsi, cette frange de la population qui est

242
reléguée au rang d'animal, est pourtant la seule qui soit authentiquement
nourrie du lait de l'humaine tendresse...
Les prolétaires océaniens gardent intact le sens de la famille et des
relations humaines qui sous-tendent une joie de vivre toute naturelle. Les
animaux dans Animal Farm ont prouvé à maintes occasions, surtout avec la
maladie subite de Boxer, qu'ils ont un humanisme extraordinaire, qui contraste
avec le sadisme des chiens et des cochons au pouvoir. Les pauvres chauffeurs
de taxi dans Anthills of the Savannah sont porteurs du même humanisme alors
que dans A Man of the People, c'est le père de Odili et les villageois qui s'en sont
violemment pris à [osiah, le véreux boutiquier, qui permettent au lecteur de
découvrir sous le lit de corruption généralisée au Nigéria quelques survivances
des valeurs cardinales africaines' dont le sens de l'honneur et la compassion.
En résumé, le petit peuple chez Orwell et Achebe est tout à fait
marginalisé, exploité, humilié... Il n'empêche qu'il ne sente pas trop la nécessité
historique de se soulever pour l'établissement d'un nouvel ordre national qui
lui garantisse une part respectable du gâteau national, entièrement entre les
mains de ceux qui sont au pouvoir. Ainsi, tout en se préoccupant au plus haut
point du sort du peuple dans la tyrannie, les deux romanciers leur réserve
implicitement une grande part de responsabilité dans ce qui leur arrive. D'où
leur pessimisme vis-à-vis de la nature humaine ainsi que le reconnaît A. Arab
pour le compte de Achebe:
C.') Achebe's criticism is essentially moralisiic, stecped 111 a rather
pcssiniistic oieto of huntan nature...460
Les intellectuels radicaux qui ont inscrit leur action dans le cadre
du changement -qu'elle soit timide ou vigoureuse-, ne sont pas mieux lotis que
le petit peuple. Ils ont presque tous échoué: Max, Ikem, Chris, les porcins, sont
tués; Winston et Julia sont défaits et admirent Big Brother ; Odili a la tête
fracturée. Pourtant, le pouvoir politique établi dans chacune des entités-cadres
reste plus fort que jamais ou est supplanté par un autre qui n'augure rien de
meilleur. Seule Beatrice donne l'impression d'avoir plus de chance en
réussissant l'extraordinaire prouesse de réunir autour d'elle toutes les
composantes, ethniques, confessionnelles, professionnelles,... de son pays. Gage
460 - Abderrahrnane Arab, op.cit, p. 274

243
d'un nouveau départ vers l'unité nationale derrière laquelle courent la quasi-
totalité des pays africains depuis des décennies.
Quelques intellectuels des romans à l'étude ont choisi de suivre
une autre pente, celle de manipulateurs éhontés du peuple ou de leurs propres
dirigeants. Squealer dans Animal Farm ; Syme, O'Brien... dans Nineteen Eighty-
Four; Okong et l'Attorney-General dans A Man of the People. D'autres encore,
sans être totalement négatifs tout au long de la narration, ont brillé par
moments par leur manque de volonté: Chris a longtemps hésité avant de
s'opposer de façon résolue à Son Excellence; Benjamin a choisi de croiser les
bras et de fermer la bouche devant la tyrannie des cochons ; mais a-t-il
seulement le choix vu sa faiblesse? ; Beatrice, bien qu'opposée à Son Excellence,
joue souvent son jeu, malgré elle, il est vrai; Julia, elle, sachant son incapacité
devant la puissance de Big Brother, choisit de ne point lutter.
*
* *
Devant l'ampleur du malheur qui les accable, le peuple et les
intellectuels n'ont pas manqué de recourir à l'amour charnel ou altruiste de
même qu'au rêve comme panacée pour mieux le souffrir.
En fait, Ikem, Winston, Chris, Odili, Max, Julia, trouvent en l'acte
sexuel un véritable sédatif qui permet aux uns, de mieux se donner corps et
âme à leur métier, et aux autres, de lutter contre la tyrannie, comme c'est le cas
dans Nineicen Eiglzty-Four. Les relations amoureuses sont décrites de manières
différentes par Orwell et Achebe. Alors que la description achebéenne est trop
osée, celle de Orwell est plutôt châtiée et n'insiste que sur les effets positifs sur
le corps et l'esprit de l'être humain.
L'amitié également, joue un grand rôle dans l'équilibre
psychologique de tous ceux qui. sont impliqués dans la lutte contre le pouvoir
autoritaire ou qui en sont victimes. Sauf dans Nineteen Eighty-Four où l'amitié
que Winston a longtemps caressée entre lui et O'Brien s'est révélée fausse,
dangereuse et partant, trompeuse. C'est de cette amitié que O'Brien s'est servi
pour le livrer à la police.

244
*
* *
Ce n'est pas uniquement au plan thématique que Orwell et
Achebe accordent leurs violons, mais également au niveau esthétique dans la
mesure où entre le fond et la forme il existe une dialectique incontournable qui
s'impose à tout romancier digne de ce nom.
Les personnages. de Orwell et ceux de Achebe sont tous
anthropomorphes et les héros sont en général issus de la "middle class". Odili
est enseignant ; Max, avocat ; Ikem, journaliste ; Winston, agent
d'administration. Ils sont étroitement liés à leurs milieux social, culturel et
géographique, car sur le plan du réalisme patronymique et topique, ces héros
portent des noms bien propres aux cadres des récits: Odili Samalu, Max
Kulamo, Beatrice Okoh, Christopher Oriko, Ikem Osodi, Adamma, Braimoh,
Suleiman Wagada, sont parfaitement nigérian au sens large du terme. En effet
s'y reconnaissent les Igbos, les Fulanis, les Yorubas, les Urhobo d'une part, les
Chrétiens et les musulmans, les Nordistes et les Sudistes d'autre part... du
Nigéria. Chez Orwell, Winston, Smith, Julia, O'Brien, Pilkingdon, Benjamin,
Major, Parsons, sont angle-saxons.
Les auteurs s'évertuent aussi à dresser le protrait physique, moral
et même intellectuel, de leurs personnages principaux. Les dirigeants
politiques, Big Brother, Son Excellence, Napoleon, sont des personnages au
physique impressionnant; mais leur efficacité intellectuelle laisse beaucoup à
désirer. Sous l'angle strictement politique cependant, ils se présentent comme
d'excellents joueurs de poker: ils remportent avec une facilité déconcertante la
bataille décisive pour le contrôle du pouvoir, qui les met aux prises avec les
intellectuels comme Ikem Osodi, les porcins, Winston, Max... Ceux-ci sont
généralement petits ou de taille moyenne. Les auteurs semblent faire
remarquer, par là, que la place des doués est ailleurs que dans la politique, qui
serait la chasse gardée des déficients mentaux; le constat est patent quand bien
même son contenu serait fort discutable.
Le portrait que les auteurs font du petit peuple est essentiellement
moral et intellectuel. Les animaux de la Ferme sont ainsi décrits comme des
tarés mentaux à l'image de leur doyen Boxer qui, à lui seul, peut faire changer
l'ordre établi sur la ferme, mais n'en est pas intellectuellement capable. Les
autres animaux sont comme lui, soit incapables d'améliorer leur niveau de

245
connaissance, soit manquent tout court de volonté. Le petit peuple dans
Anthills of the Savannah et dans A Man of the People est aussi crédule et cinique
que son homologue de la Ferme des Animaux avec en plus le fait qu'il est
totalement corrompu par l'argent et n'a aucun sens de la Patrie. Les prolétaires
de Nineteen Eighty-Four, bien qu'étant le peuple le plus méprisé par ses
dirigeants dans les quatre romans à l'étude, inspire plus d'espoir à Winston qui,
lui, croit dur comme fer, que tout changement qualitatif passera nécessairement
par eux.
La description que fait Achebe de ses personnages est dite
dynamique parce que didactique: dès le début de la narration, il brosse leur
personnalité de manière à permettre au lecteur de ne pas être pris au dépourvu
par leurs attitudes. Ainsi, dès l'université, en donnant à Max la direction du
syndicat des étudiants, Achebe emploie une prolipse ou technique
d'anticipation qui prépare déjà le lecteur au rôle ultérieur que ce personnage va
jouer dans la vie politique de son pays en tant que chef du c.P.c., le parti de
l'opposition radicale. Ikem Osodi a été à l'école le meilleur élève, suivi de Chris
et enfin Sam. Nous avons la même stratification quand ils occupent, à trois, les
devants de la scène politique à Kangan : avec ses éditoriaux sensés et son
engagement dans la bataille pour le progrès dans son pays, Ikem est
l'intellectuelle plus en vue. Chris, au début du récit, n'est ni du côté de Ikem ni
de celui de Son Excellence; il essaie de jouer à l'équilibriste, alors que Sam fait
étalage de toute sa médiocrité et de toute sa faiblesse de caractère; ce dont
profiteront les manipulateurs Okong et l'Attorney-General. Les cas sont
nombreux: Odili, Elsie, Okong et tant d'autres en sont des illustrations.
Chez Orwell, Squealer a déjà été présenté comme un personnage
capable de changer radicalement de couleur: c'est exactement le rôle qu'il a
assumé pour le compte de Napoleon en falsifiant par exemple les données
statistiques. Les animaux de la Ferme qui n'ont pas pu, ou voulu, apprendre à
lire l'alphabet, ont eu les mêmes attitudes quand il s'est agi de lutter pour
améliorer leur sort. Moses a été au service de Jones contre les animaux; il
travaille par la suite pour les nouveaux dirigeants: les porcs. Les chiens n'ont
pu apprendre que les Commandements au cours des séances d'alphabétisation;
ils sont devenus des commandos prêts à exécuter les ordres de leurs
supérieurs ... Seul Winston donne l'impression d'avoir fait l'objet d'une
description quelque peu statique de la part de Orwell. Ce qui fait de lui un
personnage type, partant moins complexe.

246
Les personnages achebéens sont, en règle générale, plus actifs que
leurs homologues orwelliens. Ikem, Odili, chris, Max et même Beatrice, sont
très dynamiques dans leur combat contre la dictature, alors que dans Nineteen
Eighty-Four, tous les personnages sont dociles à l'exception de Winston, par
excellence un prototype dont toute l'action se limite à l'acte sexuel. Dans Animal
Farm, seuls les porcins et les poules ont mené des actions dignes d'éloges en
contestant ouvertement l'accaparement du pouvoir et des biens de la Ferme par
les porcs adultes.
Mais qu'il s'agisse d'actions intenses, comme c'est le cas chez
Achebe, ou timorées, dans les romans de Orwell, toutes sont vaines, hormis
peut-être celles menées par Beatrice Okoh, comme annoncé plus haut.
Si Orwell idéalise quelque peu les porcins et même Winston, qui
sont en face de diables comme Napoleon et Big Brother, Achebe, s'inspirant de
l'exemple de Conrad, se garde de diaboliser ou de porter aux nues tel ou tel
personnage. Ses héros, Odili, Max, Ikem, Chris, ne sont pas exempts de tout
reproche. Max a administré la preuve qu'il emploie les mêmes méthodes que
ces adversaires corrompus; Odili a plus de considération pour la ravissante
Edna que pour le sort du peuple nigérian. Chris est à la fois un réactionnaire et
un radical; Ikem, lui, est un forcéné qui veut, à lui seul, venir à bout du régime
de Son Excellence: ne peut-on pas lui faire le reproche d'avoir trop longtemps
opéré en solitaire? Il n'en demeure pas moins le meilleur héros orwellien de
tous les temps...
Il résulte des considérations ci-dessus que la distance entre Orwell
et ses héros est plus ténue que celle entre Achebe et les siens. En n'idéalisant
pas ses héros, l'auteur nigérian réussit à les détacher de sa propre personne, ce
que Orwell n'a pas réussi comme l'a admis George Woodcock.
L'action des personnages est saisie à travers leurs tribulations,
faits et gestes, qui constituent l'intrigue romanesque. La structure des romans
de Orwell et de Achebe sont le. plus souvent relativement complexe, surtout
pour Nineteen Eighty-Four et Anthills of the Savannah et à un degré moindre, A
Man of the People; Animal Farm étant certainement celui dont l'écheveau est le
plus simple à démêler. Ce roman est bâti suivant un ordre chronologique et
linéaire de bout en bout. Pour les trois premiers romans, les auteurs ont utilisé
une approche éclectique. Le montage cinématographique de séquences
autonomes est largement usité dans la structuration de Anthills of the Savannah,

247
Nineieen Eighty-Four et A Man of the People. Mais vers la fin du récit, la
narration prend des allures chronologiques. La première technique permet
d'insister sur le détail et d'attirer ainsi l'attention du lecteur sur des attitudes et
faits saillants: personnalité spécifique d'un personnage; cruauté du système
tyrannique; activité intense du héros; opinion ou idée force exprimée, etc ... La
deuxième, quant à elle, introduit le suspense et projette le lecteur en avant en le
tenant en haleine: il a hâte de
voir ce qui adviendra de Ikem après sa
suspension de la Gazette; de Julia et Winston, après leur arrestation; de Odili et
'de Max, dans la campagne électorale nigériane...
Ce faisant, les auteurs sont parvenus à introduire dans leurs récits
la variété qui est une qualité essentielle de la narration. Cette qualité, il l'ont
également obtenue, Achebe en particulier, en alternant admirablement,
paragraphes courts, moyens et longs d'une part, scènes et sommaires d'autre
part.
En gros, Achebe a des dons d'architecte plus confirmés que Orwell
qui a reconnu en personne qu'il n'est pas un grand romancier manque relatif
que comblent du coup la richesse, la rigueur et la pertinence des essais.
Les narrateurs de Orwell sont généralement détachés des histoires
narrées et leur narration se fait, par conséquent, à la troisième personne. Ils sont
omniprésents et omniscients car ils voient tout dans la Ferme des Animaux et
en Océanie, jusqu'aux relations les plus intimes entre Julia et Winston. Ce
détachement leur confère une grande crédibilité. Par contre, ceux de Achebe
ont l'inconvénient d'être impliqués, jusqu'au cou, dans les événements et
attitudes qu'ils racontent: Odili qui livre au lecteur l'histoire de A Man of the
People est au coeur de l'intrigue, de même que son ennemi déclaré, Nanga.
Peut-on seulement être bon juge et partie ? .. Dans Anthills of the Savannah, les
trois narrateurs, Ikem Osodi, Christopher Oriko, Beatrice Okoh, sont eux aussi
au centre de la vie politique de kangan. Mais leur crédibilité découle du fait que
le narrateur anonyme qui les a relayés ne les a pas récusés. C'est dire donc que
même chez Achebe, la narration à la troisième personne est aussi utilisée par
endroits.
La narration traditionnelle n'est pas la seule technique employée
par les auteurs: la dramatisation et la polémique ont été largement mises à
contribution par Orwell et Achebe. Animal Farm, tout en ayant quelques scènes,
est néanmoins le roman le plus raconté; suivi de Nineieen Eighty-Four surtout
dans sa première moitié; sa fin, c'est-à-dire les scènes de torture dans les locaux
du Miniluv, est plu,s proche des romans de Achebe. En effet, Anthills of the
Savannah et Nineteen Eighty-Four sont dramatisés à plus de 50% . La narration

248
dialoguée rend le récit plus vivant, plus naturel, introduit la bonne humeur,
tout en donnant l'occasion à l'auteur d'introduire plusieurs niveaux de langue:
celui relevé des dirigeants et des intellectuels, et celui relâché des pauvres.
Animal Farm constitue cependant une exception: la langue est uniformisée car
les porcs alphabètes et les animaux inférieurs analphabètes ont le même degré
de maîtrise de l'anglais: peut-être une faiblesse ...
Compte tenu de tout ce qui précède, il est aisé de saisir les raisons
pour lesquelles l'atmosphère des récits de Achebe est de loin plus gaie que
celle, étouffante, des récits orwelliens.
Les dialogues ont donné l'occasion aux héros d'exprimer leurs
opmIOns personnelles sur des questions sociales majeures dont certaines
recoupent souvent celles déjà exprimées par Orwell et Achebe dans leurs essais.
Par cette techniquewl, les auteurs ont instauré dans leurs narrations un ton
polémique, propre aux grands intellectuels et autres héros problématiques,
contestataires. Ses opinions sont centrées, pour l'essentiel, sur la politique et le
sort de l'humanité. En réalité, la thématique des deux auteurs, quelle que soit sa
diversité, repose particulièrement sur ces deux aspects incontournables.
Ainsi, qu'il s'agisse du fond ou de la forme de leurs récits
romanesques, des passerelles peuvent objectivement être établies entre Orwell
et Achebe. Leur thématique et leur esthétique contribuent, de façon
significative, à mettre en relief le destin de l'Homme dans la dictature, destin
qui obéit à une roue dont le mouvement dépend d'une force extérieure à
l'Homme...
C'est dire, en dernière analyse, que Orwell et Achebe sont des
écrivains dont le dessein majeur n'est pas d'écrire pour plaire mais plutôt de
s'attaquer aux tares de l'Homme, qu'il soit dirigeant politique ou membre du
petit peuple. Ce choix fait d'eux deux des humanistes au vrai sens du terme car
leur action s'inscrit dans le combat pour l'amélioration des conditions
d'existence matérielles et morales de toute l'humanité.
Cet humanisme semble être, au-delà de toute autre considération,
l'élément fondamental qui a contribué à rendre leurs thématiques romanesques
sensiblement proches l'une de l'autre.
461 - Thomas Melone : "Support indispensable d'une humanitéqui se sacralise sans cesse, le style
apparaît ainsi comme l'élément déterminant de l'oeuvre de Achebe", op.cii., p. 23

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- MARITAIN, Jacques: L'Homme et l'Etat, P.U.F.,1953
- MARX, K. : Le Manifeste communiste (1848), trad. de M. Rubel et L.
Evrard, Bibliothèque de la Pléiade, Ed. Gallimard, 1965
- MILGRAM, Stanley: Obedience to Authority (New-York: Harper and
Row, 1974)
- NISBET, Robert: Twilight of Authority (New-York: Exford Univ. Press,
1975)
- PARMER, R.R. : The Age of the Democratie Revolution: A Political
History of Europe and America, 1760-1800, Volume I, The Challenge, 2 vols
(princeton Univ. Press, 1959)
- PARODI, Dominique: Le Problème politique et la démocratie,
P.U.F. 1945
- ROUSSEAU, J.J.: Du contrat social (1762), Ed. Garnier-Flammarion, 1966,
Livre II, Livre 1
- SPINOZA: Traité théologico-politique, trad. de C. Appuhn, Ed. Garnier-
Flammarion, 1965; pp. 329-330
- WEBER, Max: The Theory of Social and Economie Organizaiion, trans.
A.M. Henderson and Talcott Parsons (1947 ; rpt. New York: Free Press, 1964)
- WEBER, Max: Le Savant et le Politique (1919), "Le Métier et la vocation de
l'homme politique", trad. de J. Freund, collection10-18, Ed. Plon, 1959,
pp. 100-101

266
INDEX
INDEX DES AUTEURS ET DE LEURS ROMANS
Animal Farm 4; 5; 6; Il; 19; 23; 30; 44; 51; 52; 53; 54; 55; 56; 58; 60; 62; 63; 64; 66;
67- 68
1- 69 -
1 71'
173 - 7
1 4 ' 7
16 - 77
1 - 79
1 - 8 0 -
1 8 1 '
182 ' 8
1 4 - 8
1 5 ' 90
1
- 91
1 ' 9
, 2 ' 9
" 3 ' 9
" 4 -
, 97 ' 9
1
8' 1
1 00 ' 1
1
01-
1
102; 103; 106; 109; 114; 115; 119; 120; 121; 123; 126; 127; 129; 130; 131; 134; 136;
140; 142; 143; 150; 151; 153; 156; 160; 164; 165; 174; 175; 176; 181; 182; 184; 186;
187; 192; 196; 197; 200; 201; 202; 204; 208; 209; 210; 213; 217; 218; 221; 222; 224;
229;231;232;235;237;238;239;240;241;242;243;246;247;249
A Clergyman's Daughter 6; 208; 237
A Man of the People 4; 6; Il; 19; 22; 23; 28; 29; 30; 44; 51; 53; 54; 55; 56; 59; 60;
63; 64; 65; 74; 76; 77; 79; 81; 85; 86; 91; 92; 95; 96; 98; 100; 101; 102; 103; 104; 105;
106; 107; 113; 117; 118; 119; 121; 123; 126; 129; 131; 133; 136; 145; 146; 148; 149;
151; 152; 154; 164; 165; 166; 167; 168; 169; 173; 174; 178; 179; 180; 183; 184; 185;
186; 187; 192; 193; 194; 199; 200; 201; 202; 203; 204; 208; 210; 213; 214; 217; 218;
220; 223; 224; 225; 226; 227; 228; 229; 235; 237; 238; 239; 240; 241; 242; 243; 245;
246;247
A Man of the People 4; 6; 11; 19; 22; 23; 28; 29; 30; 44; 51; 53; 54; 55; 56; 59; 60;
63; 64; 65; 74; 76; 77; 79; 81; 85; 86; 91; 92; 95; 96; 98; 100; 101; 102; 103; 104; 105;
106; 107; 113; 117; 118; 119; 121; 123; 126; 129; 131; 133; 136; 145; 146; 148; 149;
151; 152; 154; 164; 165; 166; 167; 168; 169; 173; 174; 178; 179; 180; 183; 184; 185;
186; 187; 192; 193; 194; 199; 200; 201; 202; 203; 204; 208; 210; 213; 214; 217; 218;
220; 223; 224; 225; 226; 227; 228; 229; 235; 237; 238; 239; 240; 241; 242; 243; 245;
246;247
Achebe 2; 3; 4; 6; 7; 8; 9; Il; 13; 14; 15; 16; 17; 18; 19; 20; 21; 22; 23; 24; 25; 26; 27;
28; 29; 30; 31; 32; 33; 34; 35; 36; 37; 38; 39; 40; 42; 44; 51; 53; 54; 55; 56; 59; 77; 80;
81; 86; 87; 92; 95; 96; 97; 101; 104; 105; 106; 107; 111; 113; 115; 117; 120; 122; 123;
126; 129; 130; 133; 135; 136; 140; 145; 148; 149; 150; 160; 164; 166; 168; 169; 171;
173; 174; 176; 178; 180; 184; 185; 186; 187; 188; 190; 191; 192; 193; 196; 197; 198;
199; 200; 202; 203; 204; 206; 207; 208; 209; 210; 211; 212; 213; 214; 215; 216; 217;
218; 220; 221; 222; 223; 225; 226; 227; 228; 229; 232; 233; 235; 236; 237; 238; 239;
241;242;243;244;245;246;247;249;250
Arrow of God 3
Arrow of God 6; 21; 26; 28; 36; 209; 237
Burmese Days 4
Coming up for Air 5

267
Coming up for Air 6; 237
Homage to Catalonia 237
Keep the Aspidistra Flying 5
Nineteen Eighty-Four 4; 6; 19; 23; 30; 44; 51; 52; 53; 54; 56; 58; 60; 63; 66; 74; 75;
77; 79; 81; 82; 84; 85; 87; 88; 90; 91; 92; 94; 101; 102; 103; 106; 107; 110; 114; 119;
121; 123; 125; 126; 129; 134; 136; 142; 143; 149; 151; 152; 161; 164; 165; 167; 168;
171; 172; 173; 174; 175; 176; 180; 184; 186; 187; 200; 204; 205; 206; 210; 217; 218;
219;231;232;235;237;238;239;240;241;243;245;246;247;248
No Longer at Ease 4
No Longer at Ease 6; 21; 149; 209
Orwell 4; 5; 6; 7; 8; 9; 11; 12; 13; 15; 16; 17; 18; 19; 20; 22; 23; 24; 25; 26; 27; 28; 29;
30; 31; 32; 33; 34; 35; 36; 37; 38; 39; 40; 42; 44; 51; 53; 54; 56; 58; 59; 60; 66; 75; 77;
78; 80; 81; 87; 90; 92; 95; 96; 101; 102; 104; 105; 106; 107; 113; 115; 120; 122; 123;
125; 129; 130; 132; 134; 135; 136; 145; 149; 150; 160; 164; 168; 171; 172; 173; 174;
180; 184; 186; 187; 188; 190; 191; 192; 193; 196; 197; 198; 199; 200; 202; 204; 205;
206; 207; 208; 209; 210; 211; 212; 213; 215; 216; 217; 218; 219; 221; 222; 223; 230;
231; 232; 233;235; 236; 237; 238; 239; 241; 242; 243; 244; 245; 246; 247; 249; 250
The Road to Wigan Pier 5
The Road to Wigan Pier 35; 149; 208; 231; 232; 237
Things Fall Apart 3
Things FaU Apart 3; 6; 21; 26; 36; 209; 237
INDEX DES AUTEURS CITÉS
CarroI 13
Farah 75
Goldman 42,43
Hobles 47
Innes4,31,29,22
kane (0) 173
Scholes 191
Tocqueille 50
Valery (p.) 77,102
Beach 233
Arab 238,242
James 40
Alain 50; 251

268
Aristote 46; 191; 201; 207; 251
Bakounine 34; 251
Barthes 192; 201; 216; 251
Beach 232; 251
Benveniste 224
booth 86; 217
BOUABRE 35
Bremond 201; 251
Cary 2; 3; 18; 236; 252
Clastres 46
Clastres 251
Coming up for Air 6; 237
Conrad 2; 12; 18; 199; 235; 236; 246; 252
Farah 75; 251
Ford 59; 65; 212; 232; 251
Forster 235; 251
Freud 165
Genette 7; 190; 251
Goethe 207; 211; 251
Greimas 191; 201; 251
Hawthorn 213; 217; 251
Hegel 48; 49; 251
James 216; 251
Jankélévitch 50; 251
Kant 46; 7; 251
Kayser 190; 251
Locke 50; 252
Lucas 8; 211; 221; 222; 252
Lutwack 212; 252
Machiavel 49; 53; 252
Mahoney 175; 252
Marx 49; 56; 57; 59; 60; 154; 181; 182; 231; 238; 252
Melone 32; 53; 135; 204; 209; 252
Mezu 32
Propp 191; 201; 252
Rousseau 50
Rousseau 50; 222; 252
Weber 49; 252

269
Woodcock 6; 204; 205; 246; 252
INDEX DES PERSONNAGES
animaux 51
Abazon 55; 76; 81; 83; 89; 90; 98; 99; 112; 118; 119; 123; 138; 155; 158; 159; 160;
177;180;203;218
Abichi 93; 218
africains 4; 12; 28; 33; 40; 53; 54; 72; 73; 77; 81; 83; 104; 139; 148; 193; 195; 208;
210;220;225;227;228;233;237;238;241;243
Afrique 2; 3; 4; 7; 12; 15; 19; 20; 21; 23; 33; 40; 78; 86; 97; 100; 103; 113; 149; 159;
164;193;199;223;225;227;228;233;238
Airstrip One 84; 93; 94; 95; 110; 119; 122; 131; 154; 165; 168; 169; 187; 192; 198;
200;239;240
Anata 63; 81; 122; 124; 126; 133; 146; 167; 194; 202; 218
Angleterre 13; 16; 18; 20; 22; 23; 29; 52; 53; 169; 193; 223; 233; 235; 238
Animalisme 58; 66; 181
animaux 51; 52; 53; 54; 56; 57; 58; 61; 62; 64; 66; 67; 68; 69; 70; 71; 76; 78; 79; 80;
82;85;90;92;93;95;9~9~ 103; 104; 105; 10~ 107; 10~ 11~ 111; 114; 115; 11~
120; 121; 122; 125; 126; 127; 128; 130; 131; 134; 140; 141; 142; 143; 150; 151; 153;
156; 157; 158; 160; 174; 175; 181; 182; 183; 187; 192; 200; 202; 204; 208; 209; 210;
213;217;218;229;230;239;240;241;242;244;245;247;249
Attorney-Général 72; 96; 138; 139; 140; 142; 151; 155; 156; 220
B.M.S.P.83
Bassa 72; 81; 89; 93; 100; 106; 109; 113; 114; 119; 123; 124; 132; 137; 144; 149; 152;
154;161; 162; 170; 177; 180; 183;184;200;203;204;218;220
Beatrice 71; 76; 81; 108; 112; 113; 134; 149; 154; 156; 161; 162; 163; 164; 165; 171;
172; 174; 176; 179; 185; 186; 187; 192; 193; 195; 200; 203; 210; 214; 216; 218; 220;
221;242;243;244;246;247
Benjamin 103
Big Brother 52; 58; 63; 66; 67; 75; 76; 77; 79; 84; 87; 88; 89; 90; 92; 94; 95; 96; 97;
100; 104; 119; 120; 123; 131; 143; 144; 151; 152; 154; 161; 162; 164; 165; 173; 175;
192;196;197;198;199;210;213;239;240;242;243;244;246
Bori65;81;146; 167;169; 178;202;210;218;220;221
Boxer 68;103; 114; 127; 128; 129; 130; 134; 142; 158; 164; 165; 174; 196; 197; 221;
230;241;242;244
Braimoh 109; 112; 134; 154; 180; 193; 203; 244
Brotherhood 101; 229
c.r.c. 59; 74; 124; 127; 194; 202; 215; 245

270
chiens 19;69;70;73;78;80;82; 126;128;151;154;218;240;242;245
Chris 19; 65; 72; 73; 74; 76; 83; 112; 124; 134; 138; 139; 148; 149; 150; 154; 155; 156;
157; 158; 162; 163; 164; 165; 171; 172; 176; 177; 178; 179; 194; 195; 203; 215; 220;
228;243;245;246
Clover103; 114; 126; 134; 165;175;230
cochons 58; 61; 62; 66; 71; 78; 80; 81; 82; 93; 103; 105; 106; 109; 110; 112; 114; 116;
126; 127; 128; 129; 131; 140; 141; 145; 157; 158; 174; 175; 182; 183; 200; 241; 242;
243
couple 41; 127; 134
Edna 113; 121; 146; 147; 165; 168; 171; 173; 174; 180; 213; 218; 246
Elewa 113; 122; 133; 149; 163; 165; 169; 170; 171; 174; 179; 218; 220; 221
Emmanuel 112; 154; 179; 203; 218
étudiants 25; 152; 153; 154; 157; 170; 194; 195; 200; 203; 218; 220; 237; 245
Eurasia 87
Eurasia 87
Ikem 19
Ikem 44; 60; 65; 71; 72; 73; 76; 81; 83; 84; 89; 90; 92; 93; 99; 100; 122; 124; 133; 138;
13~ 142; 14~ 14~ 149; 15~ 151; 15~ 15~ 154; 155; 15~ 157; 158; 16~ 162; 163;
164; 165; 166; 169; 170; 171; 174; 176; 177; 178; 179; 183; 184; 185; 187; 192; 194;
195; 196; 197; 199; 200; 203; 204; 209; 210; 214; 215; 216; 218; 220; 221; 227; 228;
231;232;241;242;243;244;245;246;247
Ingsoc 58; 76; 77; 152; 187
Inner .i.Party 80
Julia 80; 152; 154; 161; 162; 164; 165; 166; 167; 168; 171; 174; 180; 181; 193; 200;
205;206;208;213;217;242;243;244;247
Kangan 1; 64; 71; 72; 73; 74; 75; 78; 83; 91; 96; 99; 100; 103; 108; 132; 162; 164; 176;
186; 194;203;245
Koko 54; 63; 65; 74; 77; 81; 85; 86; 107; 111; 112; 123; 145; 147; 148; 154; 161; 174;
179;185;193; 194;199;202;209;215
Londres 208; 219
Makinde 74; 76; 187; 239
Manor Farm 4; 52; 53; 54; 62; 66; 183
Max 74; 86; 127; 145; 147; 148; 152; 154; 161; 164; 173; 174; 178; 179; 184; 194; 199;
202;210;215;228;232;244;245;246
Ministère 5; 80; 84; 88; 110; 143; 151
Moses 6; 183; 196; 245
Mr. Jones 7; 51; 52; 54; 58; 61; 62; 66; 68; 76; 80; 81; 97; 130; 187

271
Nanga 8; 3; 54; 65; 74; 77; 81; 85; 87; 91; 92; 107; 108; 111; 113; 117; 118; 121; 123;
124; 126; 145; 146; 147; 148; 154; 166; 167; 168; 169; 173; 178; 185; 192; 193; 194;
197;199;202;209;210;213;215;218;221;224;240;247
Napoleon 9; 66; 67; 68; 69; 70; 71; 73; 74; 75; 76; 77; 78; 79; 80; 82; 85; 90; 92; 93;
94; 95; 97; 98; 99; 100; 105; 110; 111; 116; 117; 120; 123; 126; 127; 128; 140; 141; 142;
143; 150; 151; 154; 157; 158; 164; 174; 187; 196; 197; 199; 202; 208; 210; 218; 230;
240;244;245;246
National Gazette 10; 92; 99; 137; 149; 152; 155; 241
,.
Newspeak Il; 58; 104; 144; 165
Old Major 56; 57; 58; 66; 70; 78; 140; 151; 153; 160; 181; 182; 184; 192; 199; 202;
217;229;230;231;232
P.A.P. 13; 74
Parsons 14; 129; 131; 193; 244
Party 15; 52; 60; 66; 74; 79; 86; 104; 131; 161; 165; 173; 219; 228
Pilkington 16; 80; 85; 99
POP 1; 74; 86; 133
porcins 2; 150; 151; 154; 164; 187; 242; 244; 246
Premier ministre 3; 75; 76; 79; 95; 96; 98; 100; 123; 210; 240
Sam 4; 64; 65; 66; 71;72;73;76;78;92;96;97;99; 137; 138; 139;145;148; 150; 155;
156;158;163;187;195;197;199;203;210;218;220;245
Snowball 15; 58; 66; 67; 68; 69; 70; 73; 76; 77; 78; 98; 99; 105; 126; 128; 130; 140;
141; 142; 157; 187; 192; 196; 199; 200; 202; 210; 240
Sugarcandy Mountain 6; 183
Syme 7; 143; 144; 243
Thought Police 84
VVinston 419; 4; 79;80;84;94; 107; 110; 111; 115; 125; 129; 131; 143; 151; 152; 154;
162; 164; 165; 166; 167; 16~ 171; 174; 175; 180; 181; 18~ 184; 18~ 19~ 193; 19~
199; 200; 204; 205; 208; 210; 213; 217; 218; 219; 220; 231; 232; 237; 242; 243; 244;
245;246;247
INDEX DES TERMES LIES AU POUVOIR
Alain 49
Amour 80
Amour 84; 122; 139; 143; 146; 152; 154; 161; 164; 165; 166; 169; 171; 173; 174; 175;
179;180;181;186;188;206;209;238;244
Angleterre 16; 18; 20; 22; 23; 29; 52; 53; 169; 193; 224; 234; 236; 239
Armée 73
Armée 83; 109; 137; 164; 197

272
arrestation 22
arrestation 79; 83; 89; 99; 143; 155; 179; 181; 248
autoritaire 56
autoritaire 60; 75; 87; 136; 142; 162; 234; 244
autorité 25
autorité 28; 46; 47; 53; 70; 73; 75; 79; 83; 84; 89; 91; 100; 104; 106; 175; 180; 187;
238
avènement 14
avènement 19; 43; 48; 75; 97; 102; 136; 137; 148; 161; 187; 196; 197; 232
bataille 68
bataille 68; 70; 111; 121; 131; 141; 146; 147; 152; 153; 158; 181; 238; 245; 246
capitaliste 30; 42; 43; 51; 52; 53; 55; 56; 57; 58; 66; 75; 82; 88; 187; 209; 231; 240
Chef de l'Etat 55
Chef de l'Etat 65; 71; 72; 74; 76; 78; 80; 89; 93; 96; 138; 139; 198; 215; 240
civil 20
civil 53; 63; 65; 86; 95; 99; 105; 240
classes sociales 17
classes sociales 110; 226
colonisa teur 4
colonisateur 4; 12; 17; 54; 63; 79; 97; 99; 122; 135; 141; 147; 184; 186; 209; 226; 240;
242
Communication 87; 88; 90; 144; 153; 187; 222; 241
corruption 7; 21; 22; 31; 33; 85; 86; 122; 127; 147; 159; 164; 168; 179; 186; 216; 225;
243
coups d'Etat 7; 19; 21; 226
coups d'Etat 86
dictature 7· 21·
1
23·
1 1 43·
1
48· 49·
J
61·
I
67-
l l
70·1 71· 74·
I
77·
l
102-
, '
105-
,
131·
1
154-l 158·, 160·1
162;164;176;188;199;200;202;206;210;211;214;217;234;240;247;251
dirigeants 4; 21; 47; 50; 54; 55; 60; 61; 63; 64; 65; 67; 76; 85; 87; 101; 104; 105; 106;
109; 115; 116; 122; 126; 133; 146; 147; 158; 164; 182; 187; 192; 209; 211; 220; 221;
226;229;234;238;239;241;242;244;245;246;250
Droits 27; 5; 83; 105; 222; 238; 240; 248
élections 29; 55; 105; 148
exécutions 84; 124; 125; 126; 132; 134; 150; 156; 219; 242
exercice du .i.pouvoir 61; 188; 239; 242
exploiteur 30; 52; 57; 187; 209; 229
falsification 88; 151; 187

273
Garde Présidentielle 82
gouvernement 53; 55; 63; 65; 73; 74; 75; 79; 87; 89; 92; 95; 98; 99; 101; 104; 111;
123;137;138;140;149;150; 151;155;171;188;200;215;240;242
guerre 5; 6; 7; 18; 19;20;22;85;86; 125;144;152;193;219;224;237;238;239
indépendance 4; 7; 19;21; 31;53;65;68; 86;95; 97;105; 121; 139; 140;239
l'Homme 3
la police 27; 73; 83; 84; 86; 87; 106; 124; 129; 134; 143; 152; 166; 181; 216; 241; 244
le peuple 50; 54; 56; 60; 62; 64; 65; 74; 102; 104; 105; 107; 115; 118; 119; 122; 123;
-124;125;131;136;179;183;188;200;209;240;241;242;244;246
légitime 47; 225
légitimité 46; 7; 48; 50; 187
les masses 7; 30; 56; 59; 60; 64; 68; 104; 137; 148; 152; 164; 182; 229; 242
militaire 4; 21; 41; 55; 59; 60; 63; 64; 65; 71; 73; 77; 80; 83; 84; 86; 97; 101; 102; 104;
105;109;137;178;186;195;196;202;204;209;211;220;226;241
Ministère 73; 80; 84; 88; 110; 143; 151
palais 55
pendaison 27
pendaison 144; 219; 237
perte du .i.pouvoir 61
politique 2; 3; 4; 6; 7; 11; 16; 18; 19; 21; 22; 23; 24; 25; 28; 29; 30; 32; 33; 34; 38; 41;
42;43;44;45;46;47;48;49;50;51;53;54;56;59;60;61;62;64;65;67;68;69;70;
71;73;74;76;77;78;79;80;83;85;86;87;91;92;95;96;97;99; 100; 101; 102; 104;
106; 107; 109; 115; 118; 121; 122; 124; 126; 136; 137; 142; 143; 144; 145; 146; 147;
148; 149; 150; 152; 153; 154; 162; 163; 165; 166; 167; 168; 171; 173; 174; 176; 177;
178; 180; 182; 183; 186; 187; 188; 189; 190; 192; 193; 194; 195; 196; 198; 199; 202;
204; 209; 211; 214; 215; 219; 222; 224; 226; 229; 230; 232; 233; 234; 238; 239; 240;
241;242;243;245;246;248;251;252
POP 74; 86; 133
pouvoir 2
pouvoir 6; 7; 21; 22; 29; 41; 43; 44; 45; 46; 47; 48; 49; 50; 51; 52; 54; 55; 56; 59; 60;
61; 63; 64; 66; 67; 68; 71; 73; 74; 75; 77; 78; 79; 81; 82; 85; 86; 87; 88; 91; 95; 100; 101;
102; 105; 106; 110; 115; 117; 119; 123; 127; 128; 129; 130; 132; 133; 136; 137; 140;
142; 143; 145; 149; 150; 151; 152; 165; 166; 174; 176; 177; 182; 186; 187; 189; 190;
195;196;200;209;211;224;226;230;234;237;240;241;242;243;244;245;247
Premier ministre 75; 76; 79; 95; 96; 98; 100; 123; 211; 241
prise du .i.pouvoir 51
prise du .i.pouvoir 54; 56; 59; 60; 67; 164; 224
Prison 83

275
dramatisation 219; 223; 225; 248
essai 4; 5; 6; 8; Il; 15; 18; 20; 24; 25; 26; 29; 37; 38; 44; 49; 53; 57; 77; 94; 146; 157;
164; 171; 178; 196; 199; 202; 204; 209; 213; 219; 224; 225; 226; 227; 228; 230; 232;
233;234;237;238;246;248;250
héros 19; 41; 42; 43; 44; 63; 103; 141; 149; 150; 151; 178; 192; 193; 197; 199; 200;
203;209;211;229;245;247;248;250
histoire 2; 7; 17; 22; 26; 32; 41; 46; 107; 136; 158; 159; 163; 190; 191; 192; 198; 201;
203;204;208;210;212;213;214;217;218;224;239;248
.critique 8
..extradiegetic 215
intrigue 86; 96; 163; 167; 190; 191; 192; 201; 202; 208; 247; 248
ironie 112; 114; 156; 231
langue 37; 103; 222
linéarité 203
logique 65
narrateur 52; 54; 55; 58; 89; 92; 107; 161; 190; 213; 214; 215; 216; 217; 218; 219;
225;228;229;240;241;248
narratif 41; 2; 203; 213
narration 24; 53; 193; 206; 212; 213; 214; 215; 216; 217; 218; 219; 220; 224; 225;
230;231;244;246;248;249;250
personnages 3; 19; 28; 38; 41; 43; 61; 97; 121; 136; 145; 150; 162; 164; 166; 167; 176;
179; 180; 184; 185; 186; 190; 191; 192; 193; 197; 198; 200; 201; 206; 208; 209; 212;
214;218;221;222;225;228;233;234;245;246;247
perspective 32; 169; 213; 217; 236
psychologique 3; 28; 43; 44; 46; 51; 82; 85; 94; 138; 143; 155; 191; 192; 193; 194;
196; 197;204;206;211;216;217;244
réalisme 96; 157; 193; 220; 245
récit 41; 42; 51; 55; 78; 104; 123; 146; 175; 192; 193; 194; 195; 198; 201; 203; 209;
211; 212; 214; 215; 216; 217; 218; 219; 223; 224; 225; 228; 233; 234; 245; 246; 248;
250
répression 82
roman 2; 3; 4; 6; Il; 16; 19; 24; 28; 32; 36; 37; 38; 40; 42; 43; 44; 50; 92; 101; 130;
135; 171; 191; 192; 193; 207; 208; 212; 218; 219; 232; 233; 237; 238; 239; 243; 247;
250
scènes 51; 126; 130; 218; 219; 224; 248
Style 8; 95; 199; 212; 213; 220; 221; 223; 224; 230
syntaxe 190; 201; 206
technique 9; 85; 89; 98; 143; 153; 165; 169; 190; 197; 202; 203; 204; 206; 212; 213;
217;218;228;234;246;248;250

274
Prison 83; 84; 119; 125; 143; 144; 155; 164; 181; 209; 219
propagande 97; 98; 101; 115; 119;120; 129; 131;141;142; 149;187;231;237
Propp 201
puissance 43
puissance 47; 49; 85; 95; 122; 129; 135; 164; 208; 234; 236; 237; 244
radio 18; 89; 90; 91; 92; 101; 123; 177
rebellion 31
rébellion 53; 138; 143; 182
répression 82
révolte 25
révolte 58; 64; 69; 71; 97; 102; 105; 128; 153; 156; 184; 196
révolution 29
société 3; 4; 8; 12; 14; 17; 25; 30; 41; 42; 43; 44; 46; 47; 48; 49; 60; 67; 80; 81; 82; 84;
86; 92; 97; 101; 102; 103; 104; 105; 113; 115; 132; 135; 148; 158; 161; 163; 173; 174;
180;185;186;187;192;209;214;221;226;237;239
stratification 80
stratification 82; 101; 246
Syme 143; 144; 244
télévision 18
télévision 87; 88; 89; 90; 92; 94; 97; 99; 101; 155; 198
torture 19
torture 85; 143; 164; 175; 181; 248
totali tarisme 6
totalitarisme 30
tyrannie 14
tyrannie 16; 29; 31; 50; 135; 164; 171; 178; 243; 244
violence 22
violence 23; 27; 29; 31; 42; 46; 47; 49; 50; 137; 161; 174; 179; 185; 200; 206
INDEX DES TERMES TECHNIQUES
analyse 6; 7; 8; 11; 24; 47; 49; 67; 76; 81; 109; 115; 123; 133; 136; 145; 158; 186; 190;
204; 207; 208; 216; 217; 231; 233; 250
description 19; 24; 171; 190; 193; 196; 244; 246
diégèse 50; 104; 105; 123; 187; 234
dramatique 49; 51; 53; 70; 103; 105; 113; 114; 118; 174; 206; 214; 218; 220; 231; 236
dramatisation 218

276
temps 34; 43; 67; 73; 107; 109; 116; 138; 152; 171; 176; 195; 209; 236; 240
théâtre 213; 218; 219
thématique 4; 6; 7; 8; 9; 11; 18; 21; 25; 30; 44; 165; 186; 188; 190; 205; 208; 236;
237;238;239;245;250
thème 7; 8; 25; 26;28;29;30;38; 195;204;206;211;224;228;230;236;237;238
tragique 131; 174; 177; 210; 224
trame 203; 206
typologie 190; 191; 213; 217

277
TABLE DES MATIERES
1
INTRODUCION
1
PREMIERE PARTIE: LES PREMIERES IMAGES
10
CHAPITRE PREMIER: LES AUTEURS ET LEURS MIUEUX
11
LI. Le milieu social ct culturel
12
1.2. Le milieu académique ct pr-ofessionnel.
16
1.3. Contexte politique et création littéraire
19
CHAPITRE DEUXJEME : LES PREMIERES IMAGES
LITTERAIRES DES AUTEURS
25
II.1. Nature et contenu thématique
25
11.2. Les idées sociales et politiques des auteurs
30
11.3. Conception de I'a rt et de la littérature
,
, 36
l T.4. Pouvoir, politique et roman
41
DEUXIEME PARTIE: LE TRAITEIUENT DU POUVOIR ET DE LA
POLITIQUE
45
P,.(:alllhu]c : du POUVOil' Politique
46
CIIAPITHE PHEYIIEH : LA COI\\OUETE DU POlJVOIIL.
51
1.]. Les mobiles de la conquête du pouvoir
51
1.2. Rôle de l'idéologie et de la doetl'Îne
56
CIJAPITHE DEUXIEME : L'EXERCICE DU POUVOIR
61
2.1. La période de transition
61
2.2. L'émergence de la dictature
67
2.3. Nature et forme du nouveau pouvoir
77
2.4. Le petit peuple et le pouvoir politique
102
2.5. Les intellectuels et le pouvoir tyrannique
136
2.6. L'amour et le rêve dans la tyrannie
'"
165

278
TROISIEME PARTIE: L'ECRITURE DU POUVOIR ET DE LA
POLITIQUE
189
CHAPITRE PREMIER: LA SY1'\\TAXE NARRATIVE DES OEUVRES
190
1.1. La typologie des personnages chez Orwell et Achebe
191
1.2. La structuration des intrigues et des histoires
201
CHAPITRE DEUXIEME : LA TECHNIQUE NARRATiVE
211
1.1. La perspective narrative
212
1.2. La dramatisation
217
1.3. Le style de l'essai dans le récit.
223
CONCLUSION
~
234
BIBLIOG RAPHIE
:. . . . . . . . . . . .. . .. 21·9
INDEX
268
TABLE DES MATIERES
277

266
INDEX
INDEX DES AUTEURS ET DE LEURS ROMANS
Animal Farm 4; 5; 6; 11; 19; 23; 30; 44; 51; 52; 53; 54; 55; 56; 58; 60; 62; 63; 64; 66;
67'" 68' 69'" 71' 73' 74
1 ' 76
1 ' 77
1 ' 79
1 ' 80
1
' 81
1
' 82
1
' 84
1
' 85
1
' 90
1
' 91
1
' 92
1
'
' 93 ' 9
I 4 '
l 97 '
1 98 ' 10
I 0 ' 1
I 01 '
I
102; 103; 106; 109; 114; 115; 119; 120; 121; 123; 126; 127; 129; 130; 131; 134; 136;
140; 142; 143; 150; 151; 153; 156; 160; 164; 165; 174; 175; 176; 181; 182; 184; 186;
187; 192; 196; 197; 200; 201; 202; 204; 208; 209; 210; 213; 217; 218; 221; 222; 224;
229;231;232;235;237;238;239;240;241;242;243;246;247;249
A Clergyman's Daughter 6; 208; 237
A Man of the People 4; 6; 11; 19; 22; 23; 28; 29; 30; 44; 51; 53; 54; 55; 56; 59; 60;
63; 64; 65; 74; 76; 77; 79; 81; 85; 86; 91; 92; 95; 96; 98; 100; 101; 102; 103; 104; 105;
10~ 107; 113; 11~ 118; 119; 121; 123; 12~ 129; 131; 133; 136; 145; 146; 148; 14~
151; 152; 154; 164; 165; 166; 167; 168; 169; 173; 174; 178; 179; 180; 183; 184; 185;
186; 187; 192; 193; 194; 199; 200; 201; 202; 203; 204; 208; 210; 213; 214; 217; 218;
220; 223; 224; 225; 226; 227; 228; 229; 235; 237; 238; 239; 240; 241; 242; 243; 245;
246;247
A Man of the People 4; 6; 11; 19; 22; 23; 28; 29; 30; 44; 51; 53; 54; 55; 56; 59; 60;
63; 64; 65; 74; 76; 77; 79; 81; 85; 86; 91; 92; 95; 96; 98; 100; 101; 102; 103; 104; 105;
106; 107; 113; 117; 118; 119; 121; 123; 126; 129; 131; 133; 136; 145; 146; 148; 149;
151; 152; 154; 164; 165; 166; 167; 168; 169; 173; 174; 178; 179; 180; 183; 184; 185;
186; 187; 192; 193; 194; 199; 200; 201; 202; 203; 204; 208; 210; 213; 214; 217; 218;
220; 223; 224; 225; 226; 227; 228; 229; 235; 237; 238; 239; 240; 241; 242; 243; 245;
246;247
Achebe 2; 3; 4; 6; 7; 8; 9; 11; 13; 14; 15; 16; 17; 18; 19; 20; 21; 22; 23; 24; 25; 26; 27;
28; 29; 30; 31; 32; 33; 34; 35; 36; 37; 38; 39; 40; 42; 44; 51; 53; 54; 55; 56; 59; 77; 80;
81; 86; 87; 92; 95; 96; 97; 101; 104; 105; 106; 107; 111; 113; 115; 117; 120; 122; 123;
126; 129; 130; 133; 135; 136; 140; 145; 148; 149; 150; 160; 164; 166; 168; 169; 171;
173; 174; 176; 178; 180; 184; 185; 186; 187; 188; 190; 191; 192; 193; 196; 197; 198;
199; 200; 202; 203; 204; 206; 207; 208; 209; 210; 211; 212; 213; 214; 215; 216; 217;
218; 220; 221; 222; 223; 225; 226; 227; 228; 229; 232; 233; 235; 236; 237; 238; 239;
241;242;243;244;245;246;247;249;250
Arrow of Cod 3
Arrow of Cod 6; 21; 26; 28; 36; 209; 237
Burmese Days 4
Coming u p for Air 5

267
Coming up for Air 6; 237
Homage to Catalonia 237
Keep the Aspidistra Flying 5
Nineteen Eighty-Four 4; 6; 19; 23; 30; 44; 51; 52; 53; 54; 56; 58; 60; 63; 66; 74; 75;
77; 79; 81; 82; 84; 85; 87; 88; 90; 91; 92; 94; 101; 102; 103; 106; 107; 110; 114; 119;
121; 123; 125; 126; 129; 134; 136; 142; 143; 149; 151; 152; 161; 164; 165; 167; 168;
171; 172; 173; 174; 175; 176; 180; 184; 186; 187; 200; 204; 205; 206; 210; 217; 218;
219;231;232;235;237;238;239;240;241;243;245;246;247;248
,
No Longer at Ease 4
No Longer at Ease 6; 21; 149; 209
Orwell 4; 5; 6; 7; 8; 9; 11; 12; 13; 15; 16; 17; 18; 19; 20; 22; 23; 24; 25; 26; 27; 28; 29;
30; 31; 32; 33; 34; 35; 36; 37; 38; 39; 40; 42; 44; 51; 53; 54; 56; 58; 59; 60; 66; 75; 77;
78; 80; 81; 87; 90; 92; 95; 96; 101; 102; 104; 105; 106; 107; 113; 115; 120; 122; 123;
125; 129; 130; 132; 134; 135; 136; 145; 149; 150; 160; 164; 168; 171; 172; 173; 174;
180; 184; 186; 187; 188; 190; 191; 192; 193; 196; 197; 198; 199; 200; 202; 204; 205;
206; 207; 208; 209; 210; 211; 212; 213; 215; 216; 217; 218; 219; 221; 222; 223; 230;
231;232;233;235;236;237;238;239;241;242;243;244;245;246;247;249;250
The Road to Wigan Pier 5
The Road to Wigan Pier 35; 149; 208; 231; 232; 237
Things FaU Apart 3
Things FaU Apart 3; 6; 21; 26; 36; 209; 237
INDEX DES AUTEURS CITÉS
Carrol13
Farah 75
Goldman 42,43
Hobles 47
Innes4,31,29,22
kane (0) 173
Scholes 191
Tocqueille 50
Valery (p.) 77,102
Beach 233
Arab 238,242
James 40
Alain 50; 251

268
Aristote 46; 191; 201; 207; 251
Bakounine 34; 251
Barthes 192; 201; 216; 251
Beach 232; 251
Benveniste 224
booth 86; 217
BOUABRE 35
Bremond 201; 251
Cary 2; 3; 18; 236; 252
Clastres 46
Clastres 251
Coming up for Air 6; 237
Conrad 2; 12; 18; 199; 235; 236; 246; 252
Farah 75; 251
Ford 59; 65; 212; 232; 251
Forster 235; 251
Freud 165
Genette 7; 190; 251
Goethe 207; 211; 251
Greimas 191; 201; 251
Hawthorn 213; 217; 251
Hegel 48; 49; 251
James 216; 251
Jankélévitch 50; 251
Kant 46; 7; 251
Kayser 190; 251
Locke 50; 252
Lucas 8; 211; 221; 222; 252
Lutwack 212; 252
Machiavel 49; 53; 252
Mahoney 175; 252
Marx 49; 56; 57; 59; 60; 154; 181; 182; 231; 238; 252
Melone 32; 53; 135; 204; 209; 252
Mezu 32
Propp 191; 201; 252
Rousseau 50
Rousseau 50; 222; 252
Weber 49; 252

269
Woodcock 6; 204; 205; 246; 252
INDEX DES PERSONNAGES
animaux 51
Abazon 55; 76; 81; 83; 89; 90; 98; 99; 112; 118; 119; 123; 138; 155; 158; 159; 160;
177;180;203;218
Abichi 93; 218
africains 4; 12; 28; 33; 40; 53; 54; 72; 73; 77; 81; 83; 104; 139; 148; 193; 195; 208;
210;220;225;227;228;233;237;238;241;243
Afrique 2; 3; 4; 7; 12; 15; 19; 20; 21; 23; 33; 40; 78; 86; 97; 100; 103; 113; 149; 159;
164;193;199;223;225;227;228;233;238
Airstrip One 84; 93; 94; 95; 110; 119; 122; 131; 154; 165; 168; 169; 187; 192; 198;
200; 239; 240
Anata 63; 81; 122; 124; 126; 133; 146; 167; 194; 202; 218
Angleterre 13; 16; 18; 20; 22; 23; 29; 52; 53; 169; 193; 223; 233; 235; 238
Animalisme 58; 66; 181
animaux 51; 52; 53; 54; 56; 57; 58; 61; 62; 64; 66; 67; 68; 69; 70; 71; 76; 78; 79; 80;
82;85;90; 92; 93; 95; 97; 9~ 103; 104; 105; 106; 107; 109; 11~ 111; 114; 115; 116;
120; 121; 122; 125; 126; 127; 128; 130; 131; 134; 140; 141; 142; 143; 150; 151; 153;
156; 157; 158; 160; 174; 175; 181; 182; 183; 187; 192; 200; 202; 204; 208; 209; 210;
213;217;218;229;230;239;240;241;242;244;245;247;249
Attorney-Général 72; 96; 138; 139; 140; 142; 151; 155; 156; 220
B.M.5.P.83
Bassa 72; 81; 89; 93; 100; 106; 109; 113; 114; 119; 123; 124; 132; 137; 144; 149; 152;
154;161; 162; 170;177; 180;183;184;200;203;204;218;220
Beatrice 71; 76; 81; 108; 112; 113; 134; 149; 154; 156; 161; 162; 163; 164; 165; 171;
172; 174; 176; 179; 185; 186; 187; 192; 193; 195; 200; 203; 210; 214; 216; 218; 220;
221;242;243;244;246;247
Benjamin 103
Big Brother 52; 58; 63; 66; 67; 75; 76; 77; 79; 84; 87; 88; 89; 90; 92; 94; 95; 96; 97;
100; 104; 119; 120; 123; 131; 143; 144; 151; 152; 154; 161; 162; 164; 165; 173; 175;
192; 196; 197; 198; 199; 210; 213; 239; 240; 242; 243; 244; 246
Bori65;81; 146;167;169; 178;202;210;218;220;221
Boxer 68;103; 114; 127; 128; 129; 130; 134; 142; 158; 164; 165; 174; 196; 197; 221;
230;241;242;244
Braimoh 109; 112; 134; 154; 180; 193; 203; 244
Brotherhood 101; 229
c.r.c, 59; 74; 124; 127; 194; 202; 215; 245

270
chiens 19;69;70;73;78;80;82; 126;128; 151; 154;218;240;242;245
Chris 19; 65; 72; 73; 74; 76; 83; 112; 124; 134; 138; 139; 148; 149; 150; 154; 155; 156;
157; 158; 162; 163; 164; 165; 171; 172; 176; 177; 178; 179; 194; 195; 203; 215; 220;
228;243;245;246
Clover 103;114; 126;134; 165; 175;230
cochons 58; 61; 62; 66; 71; 78; 80; 81; 82; 93; 103; 105; 106; 109; 110; 112; 114; 116;
126; 127; 128; 129; 131; 140; 141; 145; 157; 158; 174; 175; 182; 183; 200; 241; 242;
243
couple 41; 127; 134
Edna 113; 121; 146; 147; 165; 168; 171; 173; 174; 180; 213; 218; 246
Elewa 113; 122; 133; 149; 163; 165; 169; 170; 171; 174; 179; 218; 220; 221
Emmanuel 112; 154; 179; 203; 218
étudiants 25; 152; 153; 154; 157; 170; 194; 195; 200; 203; 218; 220; 237; 245
Eurasia 87
Eurasia 87
Ikem 19
Ikem 44; 60; 65; 71; 72; 73; 76; 81; 83; 84; 89; 90; 92; 93; 99; 100; 122; 124; 133; 138;
139; 142; 145; 148; 149; 150; 151; 152; 153; 154; 155; 156; 157; 158; 160; 162; 163;
164; 165; 166; 169; 170; 171; 174; 176; 177; 178; 179; 183; 184; 185; 187; 192; 194;
195; 196; 197; 199; 200; 203; 204; 209; 210; 214; 215; 216; 218; 220; 221; 227; 228;
231;232;241;242;243;244;245;246;247
Ingsoc 58; 76; 77; 152; 187
Inner .i.Party 80
Julia 80; 152; 154; 161; 162; 164; 165; 166; 167; 168; 171; 174; 180; 181; 193; 200;
205;206;208;213;217;242;243;244;247
Kangan 1; 64; 71; 72; 73; 74; 75; 78; 83; 91; 96; 99; 100; 103; 108; 132; 162; 164; 176;
186;194;203;245
Koko 54; 63; 65; 74; 77; 81; 85; 86; 107; 111; 112; 123; 145; 147; 148; 154; 161; 174;
179;185;193; 194; 199;202;209;215
Londres 208; 219
Makinde 74; 76; 187; 239
Manor Farm 4; 52; 53; 54; 62; 66; 183
Max 74; 86; 127; 145; 147; 148; 152; 154; 161; 164; 173; 174; 178; 179; 184; 194; 199;
202;210;215;228;232;244;245;246
Ministère 5; 80; 84; 88; 110; 143; 151
Moses 6; 183; 196; 245
Mr. Jones 7; 51; 52; 54; 58; 61; 62; 66; 68; 76; 80; 81; 97; 130; 187

271
Nanga 8; 3; 54; 65; 74; 77; 81; 85; 87; 91; 92; 107; 108; 111; 113; 117; 118; 121; 123;
124; 126; 145; 146; 147; 148; 154; 166; 167; 168; 169; 173; 178; 185; 192; 193; 194;
197;199;202;209;210;213;215;218;221;224;240;247
Napoleon 9; 66; 67; 68; 69; 70; 71; 73; 74; 75; 76; 77; 78; 79; 80; 82; 85; 90; 92; 93;
94;95;97;98;99;100;105;110;111;116;117;120;123;126; 127; 128; 140; 141; 142;
143; 150; 151; 154; 157; 158; 164; 174; 187; 196; 197; 199; 202; 208; 210; 218; 230;
240;244;245;246
National Gazette 10; 92; 99; 137; 149; 152; 155; 241
Newspeak Il; 58; 104; 144; 165
Old Major 56; 57; 58; 66; 70; 78; 140; 151; 153; 160; 181; 182; 184; 192; 199; 202;
217;229;230;231;232
P.A.P. 13; 74
Parsons 14; 129; 131; 193; 244
Party 15; 52; 60; 66; 74; 79; 86; 104; 131; 161; 165; 173; 219; 228
Pilkington 16; 80; 85; 99
POP 1; 74; 86; 133
porcins 2; 150; 151; 154; 164; 187; 242; 244; 246
Premier ministre 3; 75; 76; 79; 95; 96; 98; 100; 123; 210; 240
Sam 4; 64; 65; 66; 71; 72; 73; 76; 78; 92; 96; 97; 99; 137; 138; 139; 145; 148; 150; 155;
156;158;163;187; 195;197;199;203;210;218;220;245
Snowball 15; 58; 66; 67; 68; 69; 70; 73; 76; 77; 78; 98; 99; 105; 126; 128; 130; 140;
141;142;157;187;192;196; 199;200;202;210;240
Sugarcandy Mountain 6; 183
Syrne 7; 143; 144; 243
Thought Police 84
Winston 419; 4; 79; 80; 84; 94; 107; 110; 111; 115; 125; 129; 131; 143; 151; 152; 154;
162; 164; 165; 166; 167; 168; 171; 174; 175; 180; 181; 182; 184; 187; 192; 193; 197;
199; 200; 204; 205; 208; 210; 213; 217; 218; 219; 220; 231; 232; 237; 242; 243; 244;
245;246;247
INDEX DES TERMES LIES AU POUVOIR
Alain 49
Amour 80
Amour 84; 122; 139; 143; 146; 152; 154; 161; 164; 165; 166; 169; 171; 173; 174; 175;
179;180;181;186;188;206;209;238;244
Angleterre 16; 18; 20; 22; 23; 29; 52; 53; 169; 193; 224; 234; 236; 239
Armée 73
Armée 83; 109; 137; 164; 197

272
arrestation 22
arrestation 79; 83; 89; 99; 143; 155; 179; 181; 248
autoritaire 56
autoritaire 60; 75; 87; 136; 142; 162; 234; 244
autorité 25
autorité 28; 46; 47; 53; 70; 73; 75; 79; 83; 84; 89; 91; 100; 104; 106; 175; 180; 187;
238
avènement 14
avènement 19;43; 48;75; 97; 102; 136;137; 148; 161; 187; 196; 197;232
bataille 68
bataille 68; 70; 111; 121; 131; 141; 146; 147; 152; 153; 158; 181; 238; 245; 246
capitaliste 30; 42; 43; 51; 52; 53; 55; 56; 57; 58; 66; 75; 82; 88; 187; 209; 231; 240
Chef de l'Etat 55
Chef de l'Etat 65; 71; 72; 74; 76; 78; 80; 89; 93; 96; 138; 139; 198; 215; 240
civil 20
civil 53; 63; 65; 86; 95; 99; 105; 240
classes sociales 17
classes sociales 110; 226
colonisateur 4
colonisateur 4; 12; 17; 54; 63; 79; 97; 99; 122; 135; 141; 147; 184; 186; 209; 226; 240;
242
Communication 87; 88; 90; 144; 153; 187; 222; 241
corruption 7; 21; 22; 31; 33; 85; 86; 122; 127; 147; 159; 164; 168; 179; 186; 216; 225;
243
coups d'Etat 7; 19; 21; 226
coups d'Etat 86
dictature 7' 21'
1
23'
1
43'
1
48'
1
49'
1 1 61'
1 67'
70'
J
71'
I
74'
l l
77' 102'
1
105'
1
131'
1 1 154'
J
158'1 160'1
162;164;176;188;199;200;202;206;210;211;214;217;234;240;247;251
dirigeants 4; 21; 47; 50; 54; 55; 60; 61; 63; 64; 65; 67; 76; 85; 87; 101; 104; 105; 106;
109; 115; 116; 122; 126; 133; 146; 147; 158; 164; 182; 187; 192; 209; 211; 220; 221;
226;229;234;238;239;241;242;244;245;246;250
Droits 27; 5; 83; 105; 222; 238; 240; 248
élections 29; 55; 105; 148
exécutions 84; 124; 125; 126; 132; 134; 150; 156; 219; 242
exercice du .i.pouvoir 61; 188; 239; 242
exploiteur 30; 52; 57; 187; 209; 229
falsification 88; 151; 187

273
Garde Présidentielle 82
gouvernement 53; 55; 63; 65; 73; 74; 75; 79; 87; 89; 92; 95; 98; 99; 101; 104; 111;
123;137;138;140;149;150;151;155;171;188;200;215;240;242
guerre 5; 6; 7; 18;19; 20;22;85;86; 125;144;152;193;219;224;237;238;239
indépendance 4; 7; 19;21;31;53;65;68;86;95;97; 105; 121; 139; 140;239
l'Homme 3
la police 27; 73; 83; 84; 86; 87; 106; 124; 129; 134; 143; 152; 166; 181; 216; 241; 244
le peuple 50; 54; 56; 60; 62; 64; 65; 74; 102; 104; 105; 107; 115; 118; 119; 122; 123;
:124;125;131;136;179;183;188;200;209;240;241;242;244;246
légitime 47; 225
légitimité 46; 7; 48; 50; 187
les masses 7; 30; 56; 59; 60; 64; 68; 104; 137; 148; 152; 164; 182; 229; 242
militaire 4; 21; 41; 55; 59; 60; 63; 64; 65; 71; 73; 77; 80; 83; 84; 86; 97; 101; 102; 104;
105;109;137;178;186;195;196;202;204;209;211;220;226;241
Ministère 73; 80; 84; 88; 110; 143; 151
palais 55
pendaison 27
pendaison 144; 219; 237
perte du .i.pouvoir 61
politique 2; 3; 4; 6; 7; 11; 16; 18; 19; 21; 22; 23; 24; 25; 28; 29; 30; 32; 33; 34; 38; 41;
42;43;44;45;46;47;48;49;50;51;53;54;56;59;60;61;62;64;65;6~68;69;70;
71; 73; 74; 76; 77; 78; 79; 80; 83; 85; 86; 87; 91; 92; 95; 96; 97; 99; 100; 101; 102; 104;
106; 107; 109; 115; 118; 121; 122; 124; 126; 136; 137; 142; 143; 144; 145; 146; 147;
148; 149; 150; 152; 153; 154; 162; 163; 165; 166; 167; 168; 171; 173; 174; 176; 177;
17~ 180; 18~ 183; 186; 18~ 18~ 189; 19~ 192; 193; 194; 195; 196; 19~ 199; 20~
204; 209;211; 214; 215; 219; 222; 224; 226; 229; 230; 232; 233; 234; 238; 239; 240;
241;242;243;245;246;248;251;252
POP 74; 86; 133
pouvoir 2
pouvoir 6; 7; 21; 22; 29; 41; 43; 44; 45; 46; 47; 48; 49; 50; 51; 52; 54; 55; 56; 59; 60;
61; 63; 64; 66; 67; 68; 71; 73; 74; 75; 77; 78; 79; 81; 82; 85; 86; 87; 88; 91; 95; 100; 101;
102; 105; 106; 110; 115; 117; 119; 123; 127; 128; 129; 130; 132; 133; 136; 137; 140;
142; 143; 145; 149; 150; 151; 152; 165; 166; 174; 176; 177; 182; 186; 187; 189; 190;
195;196;200;209;211;224;226;230;234;237;240;241;242;243;244;245;247
Premier ministre 75; 76; 79; 95; 96; 98; 100; 123; 211; 241
prise du .i.pouvoir 51
prise du .i.pouvoir 54; 56; 59; 60; 67; 164; 224
Prison 83

275
dramatisation 219; 223; 225; 248
essai 4; 5; 6; 8; Il; 15; 18; 20; 24; 25; 26; 29; 37; 38; 44; 49; 53; 57; 77; 94; 146; 157;
164; 171; 178; 196; 199;202; 204; 209;213; 219; 224; 225; 226; 227; 228; 230; 232;
233;234;237;238;246;248;250
héros 19; 41; 42; 43; 44; 63; 103; 141; 149; 150; 151; 178; 192; 193; 197; 199; 200;
203;209;211;229;245;247;248;250
histoire 2; 7; 17; 22; 26; 32; 41; 46; 107; 136; 158; 159; 163; 190; 191; 192; 198; 201;
203;204;208;210;212;213;214;217;218;224;239;248
.critique 8
.extradiegetic 215
intrigue 86; 96; 163; 167; 190; 191; 192; 201; 202; 208; 247; 248
ironie 112; 114; 156; 231
langue 37; 103; 222
linéarité 203
logique 65
narrateur 52; 54; 55; 58; 89; 92; 107; 161; 190; 213; 214; 215; 216; 217; 218; 219;
225;228;229;240;241;248
narratif 41; 2; 203; 213
narration 24; 53; 193; 206; 212; 213; 214; 215; 216; 217; 218; 219; 220; 224; 225;
230;231;244;246;248;249;250
personnages 3; 19; 28; 38; 41; 43; 61; 97; 121; 136; 145; 150; 162; 164; 166; 167; 176;
179; 180; 184; 185; 186; 190; 191; 192; 193; 197; 198; 200; 201; 206; 208; 209; 212;
214;218;221;222;225;228;233;234;245;246;247
perspective 32; 169; 213; 217; 236
psychologique 3; 28; 43; 44; 46; 51; 82; 85; 94; 138; 143; 155; 191; 192; 193; 194;
196;197;204;206;211;216;217;244
réalisme 96; 157; 193; 220; 245
récit 41; 42; 51; 55; 78; 104; 123; 146; 175; 192; 193; 194; 195; 198; 201; 203; 209;
211; 212; 214; 215; 216; 217; 218; 219; 223; 224; 225; 228; 233; 234; 245; 246; 248;
250
répression 82
roman 2; 3; 4; 6; Il; 16; 19; 24; 28; 32; 36; 37; 38; 40; 42; 43; 44; 50; 92; 101; 130;
135; 171; 191; 192; 193; 207; 208; 212; 218; 219; 232; 233; 237; 238; 239; 243; 247;
250
scènes 51; 126; 130;218;219;224;248
Style 8; 95; 199; 212; 213; 220; 221; 223; 224; 230
syntaxe 190; 201; 206
technique 9; 85; 89; 98; 143; 153; 165; 169; 190; 197; 202; 203; 204; 206; 212; 213;
217;218;228;234;246;248;250

274
Prison 83; 84; 119; 125; 143; 144; 155; 164; 181; 209; 219
propagande 97; 98; 101; 115; 119;120;129; 131;141;142;149;187;231;237
Propp 201
puissance 43
puissance 47; 49; 85; 95; 122; 129; 135; 164; 208; 234; 236; 237; 244
radio 18; 89; 90; 91; 92; 101; 123; 177
rebellion 31
rebellion 53; 138; 143; 182
répression 82
révolte 25
révolte 58; 64; 69; 71; 97; 102; 105; 128; 153; 156; 184; 196
révolution 29
société 3; 4; 8; 12; 14; 17; 25; 30; 41; 42; 43; 44; 46; 47; 48; 49; 60; 67; 80; 81; 82; 84;
86; 92; 97; 101; 102; 103; 104; 105; 113; 115; 132; 135; 148; 158; 161; 163; 173; 174;
180;185;186;187; 192;209;214;221;226;23~239
stratification 80
stratification 82; 101; 246
Syme 143; 144; 244
télévision 18
télévision 87; 88; 89; 90; 92; 94; 97; 99; 101; 155; 198
torture 19
torture 85; 143; 164; 175; 181; 248
totalitarisme 6
totalitarisme 30
tyrannie 14
tyrannie 16; 29; 31; 50; 135; 164; 171; 178; 243; 244
violence 22
violence 23; 27; 29; 31; 42; 46; 47; 49; 50; 137; 161; 174; 179; 185; 200; 206
INDEX DES TERMES TECHNIQUES
analyse 6; 7; 8; 11; 24; 47; 49; 67; 76; 81; 109; 115; 123; 133; 136; 145; 158; 186; 190;
204;207;208;216;217;231;233;250
description 19; 24; 171; 190; 193; 196; 244; 246
diégèse 50; 104; 105; 123; 187; 234
dramatique 49; 51; 53; 70; 103; 105; 113; 114; 118; 174; 206; 214; 218; 220; 231; 236
dramatisation 218

275
dramatisation 219; 223; 225; 248
essai 4; 5; 6; 8; 11; 15; 18; 20; 24; 25; 26; 29; 37; 38; 44; 49; 53; 57; 77; 94; 146; 157;
164; 171; 178; 196; 199; 202; 204; 209; 213; 219; 224; 225; 226; 227; 228; 230; 232;
233;234;237;238;246;248;250
héros 1~ 41;4~43;44; 63; 10~ 141; 14~ 150; 151; 178; 19~ 19~ 19~ 199; 20~
203;209;211;229;245;247;248;250
histoire 2; 7; 17; 22; 26; 32; 41; 46; 107; 136; 158; 159; 163; 190; 191; 192; 198; 201;
203;204;208;210;212;213;214;217;218;224;239;248
.critique 8
.extradiegetic 215
intrigue 86; 96; 163; 167; 190; 191; 192; 201; 202; 208; 247; 248
ironie 112; 114; 156; 231
langue 37; 103; 222
linéarité 203
logique 65
narrateur 52; 54; 55; 58; 89; 92; 107; 161; 190; 213; 214; 215; 216; 217; 218; 219;
225;228;229;240;241;248
narratif 41; 2; 203; 213
narration 24; 53; 193; 206; 212; 213; 214; 215; 216; 217; 218; 219; 220; 224; 225;
230;231;244;246;248;249;250
personnages 3; 19; 28; 38; 41; 43; 61; 97; 121; 136; 145; 150; 162; 164; 166; 167; 176;
179; 180; 184; 185; 186; 190; 191; 192; 193; 197; 198; 200; 201; 206; 208; 209; 212;
214;218;221;222;225;228;233;234;245;246;247
perspective 32; 169; 213; 217; 236
psychologique 3; 28; 43; 44; 46; 51; 82; 85; 94; 138; 143; 155; 191; 192; 193; 194;
196;197;204;206;211;216;217;244
réalisme 96; 157; 193; 220; 245
récit 41; 42; 51; 55; 78; 104; 123; 146; 175; 192; 193; 194; 195; 198; 201; 203; 209;
211; 212; 214; 215; 216; 217; 218; 219; 223; 224; 225; 228; 233; 234; 245; 246; 248;
250
répression 82
roman 2; 3; 4; 6; 11; 16; 19; 24; 2~; 32; 36; 37; 38; 40; 42; 43; 44; 50; 92; 101; 130;
135; 171; 191; 192; 193; 207; 208; 212; 218; 219; 232; 233; 237; 238; 239; 243; 247;
250
scènes 51; 126; 130; 218; 219; 224; 248
Style 8; 95; 199; 212; 213; 220; 221; 223; 224; 230
syntaxe 190; 201; 206
technique 9; 85; 89; 98; 143; 153; 165; 169; 190; 197; 202; 203; 204; 206; 212; 213;
217;218;228;234;246;248;250

276
temps 34; 43; 67; 73; 107; 109; 116; 138; 152; 171; 176; 195; 209; 236; 240
théâtre 213; 218; 219
thématique 4; 6; 7; 8; 9; Il; 18; 21; 25; 30; 44; 165; 186; 188; 190; 205; 208; 236;
237;238;239;245;250
thème 7; 8;25;26;28;29;30;38; 195;204;206;211;224;228;230;236;237;238
tragique 131; 174; 177; 210; 224
trame 203; 206 .
typologie 190; 191; 213; 217

277
TABLE DES MATIERES
1
INTRODUCION
1
PREMIERE PARTIE: LES PREMIERES IMAGES
10
CHAPITRE PREMIER: LES AUTEURS ET LEURS MILIEUX
11
1.1. Le milieu social et eulturel..
12
1.2. Le milieu académique et professionnel..
16
1.3. Contexte politique et création littéraire
19
CHAPITRE DEUXIEME : LES PREMIERES IMAGES
LITTERAIHES DES AUTEURS
25
ILL Nature ct eontenu thématique
25
1I.2. Les idées sociales et politiques des auteurs
30
11.3. Conception de I'a rt et de la littér aturc
36
11.4. Pouvoir, politique et roman
41
DEUXIEME PARTIE: LE TRAITEMENT DU POUVOIR ET DE LA
POL.ITIQ1JE
IL)
Prcamhu!c : du Pouvoir Politique
16
CIIAPITI{E PHE:\\IIEH : LA COI\\OUETE DU POCVOIH
51
] .1. Les mobiles de la conquête du pouvoir
51
1.2. Hôlc de l'idéologie et de la doctrine
56
CHAPITI{E DEUXIEME : L'EXERCICE nu POUVOIR
61
2.1. La période de transition
61
2.2. L'émergence de la dietature
67
2.3. Nature et forme du nouveau pouvoir'
77
2.4. Le petit peuple et le pouvoir politique
102
2.5. Les intellectuels et le pouvoir tyrannique
136
2.6. L'amour et le rêve dans la tyrannie
165

278
TROISIEME PARTIE: L'ECRITURE DU POUVOIR ET DE LA
POLITIQUE
189
CHAPITRE PREMIER: LA SYNTAXE NARRATIVE DES OEUVRES
190
1.1. La typologie des personnages chez Orwell et Achebe
191
1.2. La structuration des intrigues et des histoires
201
CHAPITRE DEUXTEME : LA TECHNIQUE 1\\'AHRATIVE
211
1.1. La perspective narrative
212
1.2. La dr-amatisation
217
1.3. Le style de J'essai dans Je récit.
223
CONCLUSION
234
BIBLIOGRAPHIE
21·9
INDEX
268
TABLE DES MATIERES
277