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CONSEIL AFRICAIN·ft MAl:
POUR,. L'EN$'~IGN,EMENT sup' ':. "
1C. A. It\\. E.~. -' QLJAQAOO
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1Arrivée. 24. OGJ:~_luuJ. ..':.' /'>'!
1:.Enregistré sous n° -.Ste· 2'5' '1~'4,l
Ibrahima
SOW
Fonctions symboliques et significations symboliques
à faire à partir des mythologèmcs, rites et coutumes
,", ......
rlç plusieurs ethnies du Sénégal
/
~ ...
......
THÈSE
DE
DOCTORAT
3e cycle
Î"
;j~·;~~;.:i)
Académie de Lyon - Université Jean-Moulin.
., .4kf~11>
• • J~
."'.
.. ~ i.
"L'homme debout sur la terre dans l'exclamation de sa vertica-
l ité est exposé à
l'espace enveloppant:dressé sur
le sol et investi
sous le ciel.Mais appelé par l'horizon même à unir terre et ciel,et
déjà ici penché vers un là, i 1 est en même temps
le point d'inte~ro
gation de tout. Tout en lui et hors de lui est motif à se mouvoir.Or
('homme se mouvant a son appui
sur le sol fixe et son engagement
sous l'horizon(aérien)qui change avec son ici.De cette situation
duel le procède
la dualité de ses motivations."
HENRI Ml\\lDINEY
Regard
Parole
Espace
Ed.L'Age d'Homme 1973
p.194
AI iNTRODUCTION METHODOLOGIQUE
3
. Deux tendances majeures se dégagent à travers 1e fa! aon-.
"":"-
.
.
nement des ouvrages ~thnologiques consacrés aOx traditions re··
1 igieuses, spirituel les et c~lturelles de l'AfR'CUE no.re o La
première pourraJt ~tre qualifiée de wdescriptive W ;
la seconde
de "synthétique," au sens
large de ce s termes o La première plus
modérée dân~ sa méthode, comme dans sa finalité est avant.
tout sou~i~~5~ de collecter, de réunir; afin d'exposer des
documents oraux, des rituels, des cérémonies, des mythes et
des
légen~es d'où sont exprimées la sin9ulari~fi et la vision'
qu.'ont
les Africains du Monde. La seconde plus ambitieuse
quant à sés buts, quant à soh projet d'unificatioh des diver~
ses manifestations cherche à
les éclairer en eri fixant
les
signifieàtions et
les foncb'ions circonse~ites à cet effet
dans des synthèses total isantes:
La première devait fatalement convé~ir~ vu le vèste do-
maine de 50n exploeation,du caractère limité de ses résultats
et par d~hs'quéht de~es conclusions. Aux limites de la pre-
mière tendance correspond
la vision réductrice de
la seconde
à vouloir annexer dans une m~me vision des réalités souvent
si différentes et si diverses. Il est nécessaire d'opérer un
choix non seulement des problèmes envisagés, mais aussi du
champ opératoire en ce que ces problèmes ont une valeur diffé-
rente suivant
le cadre,
les éthnies ••• ,
et surtout à vouloir
circonscrire toutes ces réalités dans un carcan de systèmes
rat~onalistes, ces grandes synthèses les subordonnent à des
vues qui, pour commodes qu'el les soient
leur demeurent
le plus
souvent étrangères. WC'est ainsi que naquirent
le fétichisme
et
l'animisme, mais c'était
là moins une tentative réel le de
compréhension du phénomène religieux qu'une satisfaction
in-
tel lectuel le du rational isme occidental", cherchant "à modeler
le visage spirituel du continent noir afin de
lui donner une
expression unique" écrit Dominique ZAHAN (1).
Autrement dit, no~s pensons que ~uelque valeur qu'aient pu
présenter
les diverses tentatives de conceptualisations des con~'
(1) Dominique Zahan
Rel igion, Spiritualité et pensée africaineso
Paris Editions Payot 1970 p. 8
4
tenus et des formes du phénomène religieux de l'Afrique noire
pou; ie faire sti~gi~ ~lci~~ i~û~~e, fOt-el le le totémisme, l'a~
n!miSme,
le fétichisme,
le naturalisme etc ••• , aucune de ces
d:mensions n'est, en soi, adéquate car el les la projettent sur
des plans d'expérimentations analytiques qui
ne parviennent ni
à
I!épuiser dans sa total ité, ni à en éclairer la compléxité.
Parler d'une multipl icité de "rel igions" c'est avouer éga-
iement son ignorance, du moins dans le domaine traditionMel.
Ce qui
importe c'est de bien saisir l'unité spirituelle non pas
tant à tra~ers des éléments qu'à travers l'attitude de l'homme
vis à vis de Ges éléments, attitude structurant l'image qu'il
se fait de lui-même et du monde. ctestdiBe que ces éléments
d~ la vie rel igieuse que sont les mythologèmes, les rites et
les cultes sont fondamentalement vécus parce qu'exprimant Uhe
symbol ique existentiel le dans laquel le est privi légiée I~ re-
lation de l'homme et de l'Univers, de l'homme et du Sacré.
La dimension des mythes et des rites ouvre à
l'exr~hce
un horizon dans lequel el le se réalise. Cette dimension ri'est
pas seulement là production d'un horizon intellectuel mais el le
produit aUssi un fond à partir dJquel
l'existence se manifeste
comme tel; symbolique existentiel le manifestée et vécue à tra-
vers toute une somme d'attitudes organisées.le monde est un
complexe de signes, de symboles et de forc~; c'est non seule-
ment à
les percevoir, à
les traduire, que l'homme participe
et qu'i 1 est en relation avec le monde mais c'est aussi à créer
des formes verbales, matériel les, conformes à
la vision qu'i 1
se ,fa i t
du monde, en intégrant ces symbo 1es et signes, que con-
si~te l'attitude religieuse. Ces formes cependant ne sont pas
à considérer comme une simple illustration qui
viendrait s'a-
jouter, de surcroît, à
la vie religieuse; au contraire elles
la déterminent elle-même et, en l'instaurant, el les instaurent
le monde où elles ont sens, car elles produisent ainsi
le jour
à
la
lumière duquel el les se manifestent.
L'affirmation de
l'unité profonde de l'homme et du monde
est une des conditions essentielles de la vie religieuse. Oès
lors le défaut majeur con~isteraft à briser cette unité au sein
5
de laquel le le~ dialogue.-homme/monde est imm~diatement v~cu
comme sentiment religieux.
Il faut
laisser à la spirltualit~
nOire dire le langage qui est le sien "et à partir de son sol
natal et de sa racine" (1) et non pas lui substituer des mo-
yens d'expression se r~v~lant comme des prjseB secondes, qui
par cons~quent ne sauraient ni exprimér le contenu de son In-
tuition originale, ni eneore moins rendre l'ouvert de la di-
~
. ,
rection originel le de soh regard.
1 l 'convient d'orienter la
recherche là où
la m~dlation des concepts ne cache pas en la
~éduisant, la richesse de son apparaître imm~diat dans son pur
pr~sênt.Car le langage que parlent les grands mythologèmes,
les
~ites et les coutumes se fond avec S@n~~~e
contenu et c'est
à y parler, à y ~tre, que l'homme s'y épuise dans sa total ité
imm~diate et sa présence r~el le. Dès lors aucun cl ivage, aucu-
ne ten~ion entre le langage des mythol09~mes et le d~sir fonda-
mental de l'homme, entre les formes vitales et le eontenu reli-
gieux; mais s'établissent des rapports d'identité) de coinci-
dence complète en une unit~ indissoluble. L'êt~e du Monde et
l'être de l'Homme s'~pousèntà travers une même p~role. Là est
le dialogue authentique du Monde et de l'Homme.
Parlant de l'essence d~ la parole po~~ique, à partir de r~
flexions sur la po~sie de Halderl in, Heidegger ~crit : "C'est
p~~cisément dans la nomination des dieux et dans le fait que le
monde devienne parole que consiste le dialogue authentique que
nous sommes nous-mêmes".(2)
Cette r~flexion vaut ~galement pour la parole des mytholo-
gème~ et des rites, car c'est en parlant la parole qui est la
leur:qu'i Is sont dialogue dans lequel
les dieux,
le monde et
l'homme parlent c'est-à-dire s'ouvrent à l'ad-venance. Ces
r~al ~t~s dans le là imm~diat du langage qui est le leur ne sont
pas encore th~matis~es dans des significations fixes et objecti-
v~es ; nous verrons pourquoi quand nous parlerons de la parole
po~tique et de la parole mythique qui toutes deux s'articulent
dans le non-thématique d'où el les sont parlantes comme expres-
sion du fond en se manifestant comme prise sur la réal ité ori-
ginaire de la langue qui est aussi cel le du monde.
(1) K.O. Mul 1er cit~par CH. Kerényi : la rel igion antique
ses 1 iqnes fondamentales
traduction de Yves Le Lay
Georg éditeurs Genève 1957
p. 34
(2) Heidegger
Conférence sur Halderl in.
6
Le dit du mythe coïncide avec le dit monde. Le langage des
mythologèmes ne parle qu'à être en prise sur les dieux,
le mon-
de et l'homme, mais ceux-ci ne parlent pour autant qu'à être en
p~lse sur le langage des mythologèmes. L'articulation de la
réalité et de la parole du monde se manifeste dans les mythes
,
comme ex-pression du fond pour ce qu'el le montre précisément
que l'homme le monde et les dieux - l à est le dialogue authen-
tique-- s'offrent dans
la même proximité essentiel le. Ce dont il
s'agit pour le chercheur, pgor employer une métaphore, c'est de
se mettre dans une situation comparable à cel le du porteur de
masque: "être-I ieu" là où
la rencont~e du monde, des hommes et
des dieux, dans"I'Ouvert" d'une même parole, se donne non com-
me un ensemble de structures déterminées de façgn analytique
objective, mais bien comme la direction originel le d'un même
regard.
Combiefi juste à cet égard la remarque de Ch. K'~'hyi
·Celui qui veût propager la connaissance de la mythologIe ne
dévrait à-priori se référer à aucune considération théorique, à
aucun jugement •••
il devrait non plus être beaucoup question de
sources.
Il faudràit y recourir soi-même, puiser l'eau frafche
qui en coule et la boire afin qu'elle se répande en nous et fas-
se vibrer nos dons secrets de sentir I~ mythologie." (1)
"Faire vibrer nos dons secrets de sentir la mythologie" n'est
Ce-pas là se mettre dans la dire~ion originel le du regard des
mythoJogèmes, cultes ••• comme foyer et source en même temps, com-
parable en cela au porteur de masque être-soi et hors-soi,
là
OÙ
le surgissement du dieu qu'i 1 porte en lui,
le transcendant de
toute; part,
le rend contemporain à l'avènement même du masque?
car gubmergé par le dieu en
instance, celui-ci ne se dévoi le
cependant qu'en lui, dans la configuration rythmique de la danse
et de l'espace sacré, à l'horizon de laquel le le dieu et le mas-
que émergent de 1eur présence profonde ;
1a rencontre 1 cise
fait présence comme la présence se fait rencontre et avènement
dans une 1 iaison indissoluble débordant toute analyse, tout thè-
me.
C'est dans cette unité non thématique aux frontières de
(1) Kéréhyi
:
Introduction à l'essence de la mythologie
C. G. Jung
l'Enfant divin
la jeune fi 1 le divine
Petite bibliothèque Payot 124
1968
p.
11
-,
7
toutp.s significations données particulières,
irradiant de sa
presehce l'ombre et la
lumière
la vie et
la mort,
le proche
l
et
le lointain, que se meut
la direction oriqinelte du reQard.
Pour retrouver
l'unité originel le du regard de
I~ mytholo~ie,
il faut tel
le poète "homme parlant dans
l'équivoque" (1). êtee
à "1' écoute du sil ence rythmé de son chant" (Senghor) "se fa i re
source pour s'écouler", pure rencontre dà'hs l'en-face irrévocable
d/une même paro~edis~nt ie monde et nous-mêmes.
Cette voie de "l'écoute du si lence rythmé" qui
se veut mode
d'être-à-Ia-présence-de-I~-p§role-mythologique est aussi mode
d'être-au-monde. C'est dire que
la position du chercheur est d'ê-
,
tre dans
l'ambiguité où il
se trouve de révéler ce qui
l'enveloppe
en ce qu'i 1 est à
j'horizon de toute parole mythique, de tout cuI-
te, de tout rite, semblable en cela précisément au porteur de mas-
Que.Toute
l'amblgu1té est
là : ~tre lie~ dans la source commune
q~i remonte au. fond primordial des origi~es : o~igihe du Monde,
de
lihomme et des dieux. C'est
là un trait de base de tous
les
mythologèmes, rites et cu~tes que d'avoir leur demeure d~ns le
plus lointain passé où ces réal ités se trouvent conf;ondUG8, s'in-
terpénétrant
les unes
les autres dans une unité où el les s/épui-
sent el les-mêmes. Même si nous sommes encl ins à
leur reconnaître
des modes d'être autonomes constituant
leur' propre possibi 1 ité
du point de vue purement analytiaue, el les ne trouvent
leur
fon-
dement que dans
I/habiter originel où el les ont
leur propre orl-
9 i ne.
Leurs contenus,
1eurs si gn if i cat ions,' leurs formes et 1eurs
fonctions ne sont pas donnés d/emblée comme des configurations
séparées/ mais sont taus originairement
1 iés au sein de cette
unité .f'on demerrt e le i de cette unité,' do~t' Cassirer dit "Qu'on
ne pe~t trouver qu'en la cherchant dans uhecertaine maniène ~'ap
préhe~der les choses, et non dans un contenu déterminé. Ce n'est
pas le"quoi?" mais le "comment?" Qui est décisif,
ce n'est pas
tant
le genre de ce qui est remarqué que
le manière de remarquer,
sa direction et sa nature qui
importent" (2), dit Cassirer mettant
l'accent sur ce que nous nommpns "Ia rencontre"
laquel le est voie
d'où notre surgissement aux étants est contemporain à
leur appa-
(1) Saint-John Perse cité par H. MaJdiney
Regard- Parole- Espace
p.
71
Edition L'Age d'homme
1973
(2) Ernest Cassirer
Langage et mythe
A propos des noms de dieux
p.
85
Les Editions de minuit
1973
8
raTtre. "Rencontre d que noue aurons~ parce-que dimmension
cen~
traie de notre thèEte, a expliciter sans cesse, tout au long de.s
diverses manifestations que nous auro"e à caractériser.
La rencontre, si el le n'est pasle seule façôh d'aboutir,
est la voie qui nous ouvre en tant que foyer et source, à la di-
rection originel le du reQard des mythologèmes, rites et cultes;
el le est la voie à partir de laquel le une nouvel le prise en char-
ge des "interprétations", "expl ications", "traductions", doit
être faite en ce qui concerne les fonctions et les significations
de ces grandes formations. "Regarder c'est se con~tltuer en foyer
du monde" écrit Maldiney qui, parlant du peintre ajoute ~ "II (le)
peintre) ne voit pas d'abord ce qui est devant lui, mais la manlè
dont les choses lui sont présentes et dont il est présent aux cho-
ses.
Il ne communique avec le quoi des choses qu'à travers le com~
ment". (1) Le regard est essentiellement rencontre. Ainsi que le
peintre le "mythologue" doit s'abandonner à
la profondeur du monde
qu Ile réqu i s i t i onne,
abandon dans 1e ctre Ile monde est en na i ssan-
ce dans la pureté de soh regard. La rencontre est
là dans cette
commune irruption du Monde et de nous-mêmes.
L'expression culturel le et mythique dès lors qu'el le sourd
des profondeurs du non-thématique doit être mise en rapport avec
l'ex-pression même de la puissance du fond;
si bien Qu'i 1 yau-
rait une décomposition schématique de la total ité de
I~ vision
mythioue et culturel le oue de vouloir en faire une préoccupation
purement finaliste, téléologique aui réduirait les my~hes èt
Jesd;:uJ.t~6:en ' 9~ux; F9" ~t i tU9nt#S me je uns. i~.~ er,em i er, ~ 1e réç i t,
l'~ \\Q~:~~.. ~~ç.r9!.t, .:~Qmoyen ..lma1~ et ~ymQQ 1iq\\-l~ ,.q~ 1 \\'l~r~ l.t yne / 9,?C
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t!QIl.t,~presen.t~.t,ve,uf'lpo~voir ,'qe dé'termi:nat.ione~ de.i r-évél et ion i ;
fê 'second consti tuan~re' contenu-sera i t ;1 e'but, v i s~ Un produ i t
en quelque sorte expl icatif que le moyen d'expresaion symbol ique
s'attachera~t à ~estituer.
Cette façoo de résoudre la question des mythologèmes (dès
fonctions et des significations) répond en
l'ho~me à un besoin
impl icite de sécurité car sa raison et sa réflexion trouvent dans
(1) ~. Maldiney Regard- Parole- Espace
p.
14
\\
9
la caractérisation qui
les détermine une exigence à s'aménager
un habiter qui
le rassure: un monde-pour-Ioi. le monde cesse
en que loue sorte d'~tre menaçant, Jnquiétant. Mais ce n'est pas
ainsi, pour autant qu'i 1 croit décoUvrir des fonctions et des
significations "expl icatives", qu"
1 pou~ra éclairer l'essence
de la mythoJogie. Du reste, saurait_Qn jamais dire si
1~8 fonc-
tions et significations "expl icatives" des mythologèmes, tc.~es
qu" on cro i t ·1 fée Elécouvr i r:,. ex id;tenf en tant que te Iles avant 1a
parole des mythofogèmes, avant l'acte du récit --récit en tant
qu'ecte- ou si ces fonctions et significations expd icatives ne
sont pas plutAt el les-mêmes appréhendées dans la parole même des
mythologèmes ?
la question trouve sa réponse dès qu'oh a compris que ce
qui unifie le récit des mythologèmes et ses contehus en les éclai-
rant de tel le.manière que stru~~ure et sens coTncident, trouve
dans le symbole l'opérateur qui fait éclater leurs 1 imites pro
pres en ce qu'i 1 introduit toujours une direction de sens qui
ne saurait jamais ~tre aussi déterminée qu'on puisse la limiter
dans le sens de concepts ou de modes expl icatifs.
~a direction de $ens qu'inaugure le sy~bole permet d'arti.
culer la direction originel le du regard des mythologèmes et
d'appréhender une infinité d'approches de la réalité mytholoqi-
que, et il faut dès lors dire avec Kérényi
: "la mythologie s'ex-
plique el le-m~me, et explique tout ce qui est au monde, non parce
ou'el le aurait été inventée pour fournir des expl ications mais
pare~ qu'el le possède aussi la quai ité d'~tre expl icative", (1)
soul ignant ce qu'i 1 appel le "~n aspect paradoxal du pl.us haut
poin~";aspect paradoxal montrant précisément que la d~iimitation
entr~ "fonctions" et "significations" en ce Qui concern~ les
prod~ctions mythiques n'est pas si évidente quiel le paraît. la
réal ité que le mythe produit, au sens éminent du terme, ne peut
~tre considérée en dehors du dit des mythes, de son expression;
ce qUI revient à soul i9ner que ce que l'on appel le Wfonction du
rllyt~e" et"signification du mythe" demeurent fondamentalement
(1) kérényi
Introduction à J'essence de la mythologie
p. 16
"indéterminées" dans
la parole constituante qu'est
"ex-pr~6sion
mythique; sa manifestation'est une avec son ex-presslon.
le paradoxe est de
la nature même du mythe et du symbole qui
y
trouve sa plastique unifiante,
il est non seulement la voie qui
permet au~ mythes et aux symboles de "parler dans I?équivoque"
mais il est aussi
la condition même de
leur possibi 1ité = con-
denser en une exp~e5sion unique toute la totalité de l'expérience.
Oês lo~s comment stétonner, selon le mot de Gurvitch, tIque les
symboles révêlent en voi lant et voi lent en révélant". C'est en
ce sens que dans la
légende peule de Kaydara,
IJexpression
la
plus achevée du dieu repose sur l'ambiguïté originel le de son
être, car le secret du dieu est de cacher en une figure deux
visages contradictoires:
l'or et le savoir,
le proche et
le
lointain,
le nocturne et le diurne, qui trouvent en
la figure
du dieu toujours fuyante;
leur expression la plus achevée. Ne
dit-i 1 pas de
I~i-même = "je suis l'embusqué"?
Cette référence à Kaydara nous permet d'affirmer que la
fonction et la signification du dieu comme toute fonction et
signification, doivent être cherchées dans la série toujours
fuyante des "apparitions-disparitions", pour employer une expres~
sion de Maldiney, dans "l'embusquer", autrement dit dans
la
direction de sens o~ le dieu tout en se voi tant se dévoi le.
C'est en somme poser le problème de l'expression et de la mani-
festation,
de la signification et de la fonction qui, tout en
nous amenant à nous interroger sur la dynamiqué du symbole, et
sur la motivation fondamentale qUI est en oeuvre dans
les gran-
des productions, nous déterminera dans la dernière partie de
notre;travai 1 à nous préoccuper essentiellement de
l'articula-
tion âe la parole poétique, de
la parole mythIque
avec l'ex-
pression même du fond,
articulation en
laauel le est fondamenta-
lement engagée l'Ethique dans le sens d'Ethos.
Ce n'est pas 1e hasard s i l es héros myth i 'lues évo 1uent dans
une mouvance perpétuel le d'apparitione-di9paritions, se déployant
infiniment dans d'infinies indentités : nous parlons des méta-~
11
morphoses qui, dans
les mythologèmes jouissent d'un SI grand
int~rêt, car au-delà d'el les-mêmes, el les r~vèlent toujours ·Ie
même, car ce qu'el les' indiquent à travers des formes perp~tuel
lement changeantes, c'est une mouvance, une direction de sens.
C'est pourquoi à
la question du postulant qui a franchi toutes
les ~tapes de l'initiation,
le dieu a cette r~ponse
"Tu me demandes qui
je suis
Il
est temps que tu le saches
••• Je SUIS l'embusqu~". (1)
Ce concept "d'embusqu~" en d~pit de son appel lat ion n~ga
tlve montre que l'essence du dieu n'est jamai~ SI
1 imit~e qu'el le ~
s'épuise dans le ici et maintenant d'une forme donn~e Quand
bien m~me cette forme~entendons ici mode d/apparition) le mani-
feste : car si
le dieu est là, son essence est d'être: HIe loin-
tain ét le bien proche", absence et pr~sence en même temps. Ce
que le dieJ est,
l'ex-pression mythique dans sa parole parlante
le manifeste mais le manifeste de tel le manière que l'on
ne saurait ici d~cidér entre ce qui est proprement manifesté
comme hsignification" et ce qui est manifest~ comme fonction.
L'expression mythique est parlante d'el le-même
La perspective dans
laquel le s'inscrit l'étude d~ problème,
voire la probl~matique des fonctions symboliques et des signifi-
cations symbol iques que nous envisageons de faire à partir des
mythologèmes, rites et coutumes d'un certain nombre d'éthnies
du Sénégal sera ax~e essentiellement sur des éthnies dont les
principales activit~s sont assez différentes~pour nous permet-
tre une ~pproche plus large et espérons-nous plus riche, plus
foui I)ée.
Les éthnies dont nous nous occupons ICI nous préoccu-
.
peront seulement par leurs conditions singulières d'exister et
d'agir, sans aucune considération de
leur importance numérique
et du rôle social et pol itique Qu'el les peuvent avoir, sauf dans
la mesure où ces éléments nous éclairent sur une question ou une
situation donnée. Malgré les particularismes que peuvent présen-
(1) A. Hampate A.Bâ
Kaydara
p. 175
Récit initiatique
peul
Edité par A.H. Bâ et Li 1 ian Kesteloot
Classiques africains 7 Juil iard MCMLXIX
Imprimerie ST. Catherine S.A. A Bruges Belgique
12
ter ces différentes éthnies,
on retrouve partout une constante
fondamentale enracinée dans
les couches
les plus profond~s e~ la
pensée et de
la mental ité de ces éthnies :
la présence d'un uni-
vers symbolique en prise non seulement sur
les moments forts de
l'existence (fêtes,
cultes,
rites) mais sur
les gestes,
le
lan-
gage,
les êtres animés,
les objets •••
L'homme vit,
agit,
pense
dans un monde de symboles:
l'opacité du monde n'a pas de prise
dans un tel
contexte;
l'homme n'existe qu'à exister-avec •••
Pour
le pasteur peul
comme pour
le paysan serer et
le pêcheur
lébou
:
la vache,
la terre et
la pirogue ne sont pas que des
moyens de production,
mais bien plus,
el les sont
leur manière
d'être en prise sur
le monde,
el les sont des organes dè percep-
tion,
des modes d'habiter.
Le Monde n'est
là qu'à travers el les,
surgissant comme
1 ieu de signifiance à traQers
le comment dês
identités,
des rapports et des relations ambiguës qUI
se tissent
entre eux.
l'ambiguité des rapppots cessera d'étonner dès qu'on
a conscience du fait que
la"vache",
"la terre",
"la pirogue"
représentent
la total ité vécue de
l'expérience du Monde du pas-
teur peul, du paysan serer et du pêcheur
lébou.
La double articulation de
l'être-pour ••• (qui
se traduit par
un souci
pratique de final ité,
d'exploitatiàn) et de
l'être-avec •••
(monde de
la rencontre, des rapports) aboutit (met à
jour)
l'ex-
pression d'un monde dont
les seuls mots que nous trouvons pour
le qualifier sont
"dense" "plein" -dans
le sens où ces mots
manifestent toute une somme de virtual ités condensées, mots
sourds de possibi 1 ités en devenir.
L'expression d'un tel
Monde,
parle ~ans les mythologèmes,
les rites et
les coutumes. Dès
lors
Que
I~homme trouve dans l'Autre la motivation et le fondement
de son agir et de son exister,
il
l'annonce comme Monde et en
parle'en paroles originel les par
lesquel les tout
l'être du
monde parle. C'est pourouoi
pour
le Peul,
la Vache est Monde
naissant, mort et devenir n'ont de signification et de justifi-
cation Qu'en el le ;
un chant peul
l'affirme qui
dit
13
"
La terre bouge par petits bonds
et
les omb res se déplacent.
Mes boeufs font
1e va et' vient.
Ils foulent
tes ombres rampantes
Qui
bougent.
Qu'est-ce Qui
peut m'empêcher
d'~1 1er avec eux?
S'i ls sont rassasiés
Je n" ai
plus faim •••
Je conduis
Je pousse mes taureaux beuglants.
Pendant ce temps,
La terre se déchire.
Une
immense excavation
ouvre une bouche comme une pIrogue.
Je d i s :
tu n'avaleras pas
le troupeau du frère de Oummou
Avale donc
le çiel
si
tu peux;
avale
les vents qui
suivent
leur chemin dans
l'espace.
Si
je recule,
ce n'est point peur
C'est pour protéger mes boeufs
et me protéger moi-même.
"
(
1 )
C'est-s+re
la di ff i cu 1té"où on se trouve dans
l ' étude des
mythologèmes,
du point de vue purement méthodoloQiaue,
de
"ren~re-compte", "traduire", "décrire" ( autant de concepts
oui
demanderaient peut-être à être justifiés)
la rencontre
de
l'homme avec
l'Autre ou'i 1 soit appelé Monde,
Divin ou
Présence,
el le (
la rencontre)
laisse à penser d'autant qu'
el le se fait
jour toujours à travers
te
lanQa'1e chiffré d'une
symbol ioue,
"comme si
l'homme n'accédait à sa propre profondeur
oye par
la voie royale de
l'analo'1ie,
et comme SI
la co n s c r enc e
ce soi ne pouvait s'exprimer finalement qu'en éniqme et requer-
rait à titre essentiel
et non accidentel
une herméneutique."(2)
( 1) KA YDA RA :
Loc.
cit.
P.
133
(2)
P.
RICOEUR
Finitude et culpabi 1 ité
1 L'Homme Faillible
AUBIER
Edition Montaigne
1960 P.I 1
14
Il apparaît dès lors une seconde difficulté inhérente à
la
première, mettre en oeuvre urte exégèse du symbole, constituer
une herméneutique qui mette à découvert ce Que nous appelons
"la symbol ique de
la rencontre qui est essentiellement une
symbolique
existentiel le qui, parce que afférent à
l'ensemble du
15
langage chiffré des mythologèmes, rites et cultes, en demeure la
préoccupation fondamentale,
sinon pour reprendre le mot forgé
par Francis Ponge, "l'objeu" de
l'homme et de l'Autre, " de tel le
façon aue par la multipl ication intérieure des rapports ••• soit
crée ce fonctionnement qui seul peut rendre compte de
la profon-
deur substantiel le de
la variété et de la vigoureuse harmonie
du Monde" (1) Nous aurons à monter comment, dans l'exemple thé-
rapeutique du NDOP lébou par exemple la symbol ique existentiel leest
est
vécue dans me rehcontre effective à partir de laquel le se pro-
duisant dans
la proximité de l'Autre et d'Autrui,
l'existant se
réalise comme t e l : comme être - avec •••
Or l'exigence d'un dépassement des mytholoqèmes, rites et cultes
renvoyant au langage fondamental d'une symbol ique de
la rencontre
doit d'abord nous obI iger à pàsser ( en y recourant) à un élar-
gissement et à une réeffectuation constante des notions de base en
particul ier cel les de symbole et de symbol ique, ce qui devrait
nous permettre de dégager les directions significatives mises;
en jeu dans
le canevas complexe des formes et deY symboles qù; se
tissent dans ces rites, mythologèmes et cultes. S'i 1 apparaît que
ces productions he peuvent être comprises
qu'à être intégrées au
sein de ~a symbol ique de la rencontre,
leurs "signification: et
leurs "fbnctions' ne peuvent être saisies qu'à
la
lumière de ce lan-
gage à partir duquel ces réalités ont 1 ieu. Cependant auoiqu'étant
au centre de tous
les rites, cultes et mythes, cette symbol ique de
la rencontre emprunte diverses voies. El le a une manière différente-
de se figurer qui
n'est pas la même pour chaque production. Chaque
mythe et chaque culte poesède sa manière spécifique d'articuler
cette symbol ique de
la rencontre. C'est-dire qu'à travers le même
langage différents styles parlant chacun à sa manière, disent cette
même rencontre qui
leu~est commune:
la rencontre de
l'homme et du
(1) F. PONGE
Pièce p.
137
Poésies Gallimard 1962
15
divin. Quand on 8ait~ue c'est à partir de la sym6~1 ique de la
rencontre que s'éclaire l'essence du monde mythique et cultuel
on aura compris qu'el le est fondamentalement voie motivante parce-
qu'el le en informe la vision. Un tel monde s'annonce et s'éclaire
dans la
lumière,
la voix, de cette rencontre. Ainsi
SI
la manière
de traduire cette rencontre chez les Serer, dans le culte des Pangols
(8mes des ancAtres) "dont le plus important n'a 1ieu ~u'une fois
l'an ••• et Qui symbol ise le renouvellement de l'alliance de chaque
fami 1 le avec l'esprit fondateur
et l'esprit de tous ceux qui nnt
habité autrefois le vi liage ••• " (1) emprunte ICI
la voie de la ~om
muoion collective des vi 1 laqeois à
la nourriture - tous
les plats
de couscous de mi 1 mélangés en un plat unique et pour tous - pour
manifester la présence du divin, à travers
les relations communau-
taires d'o~ est sign·ifi~e la présence de l'Autre,
il faut vOir
aussi, dans la c'r~~a~~e peul du "Iotori" ( bain général) "qui a
1 ieu à
la fin de la 28e séquence (2) au cours de laquel le les pas-
teurs se baigoent et o~ on procède à une lustration des animaux",
le m~me langage fondamental
lequel
ici, ne parle de la rencontre
de lihomme, du monde et des dieux que par la voie de l'èau.
Par ces exemples s i nous sommes enmesure d'affit'lner. qu' ils
nous intoduisent dans un univers symbolique parce Que tout s)y
exp~ime en une langue de symbole pour parler de cette rencontre
es-sértt i~fl e de l' homme et du div i n, nous pressentons 1a di ff i-
cuité, au point de vue de la représentation, de déterminer les mo-
tivations fondamentales auxquel les
le culte sérère et la cérémo-
nie peul obéissent. Autrement dit à Quoi
répondent-i Is? S'agit-i 1
pour en comprendre l'essence et pour en saisir toute la portée
des sy~boles d'attacher son attention sur les intentions motivantes
les fonctions -
ou simplement sur
la nécessité o~ le culte
et la oérémonie se trouvent de parler, en tant que ~e parler est
parlant en lui-mArne, se justifiant de lui-mArne? ou bien faut -il
que ée parler pour être signifiant soit nécessairement un révéla-
teur d'un contenu,
r·,unquoi qui en serait la motivation profonde,
serait-ce cette nécessité el le-même déterminant
le culte et la
cérémonie? la cérémonie peul est sans doute significative du désir
(1) J.C. REVERDY
Une soc i été rura 1e au Sénéga li
1es st ructures
foncières,
fami 1iales et vi 1 lageoises des Serer
C.AS.H.A. Novembre - Décembre 1963
(2) HAMPATE Bâ et DIETERlEN G.
KOUMEN
p. 22
Texte initiatique des pasteurs
Peul
Cahiers de l'Homme, nouvelle série,
1,
Paris la Haye,
Mouton & Co 1961.
16
fondamental
de tout culte:
la présentation de
l'homme devant la
divinité,
ce que nous nommons rencontre. Mais cel le-ci
n'est ma-
nifestée qu'à travers un acte en
lui-même essentiellement
ex-pres-
sif parce que parole parlante en el le-même manifestant toute la plé-
nitude de son symbol isme dans l'expressioh même de son dire
le
"Iotori" • Que
le peul y découvre à
la fois non seulement
le plus
pur
moment de
la présence comme tout aussi bien la purification
comme la régénération
(parce que 1 ié au nouvel an ) et de
I~i
même et des bovidés et du monde,
n'en épuise pas pour autant ni
la richesse ni
la profondeur de
l'ex-pression qui
sourd en deça
de tout signe comme de toute signification thématisable. Ainsi, se
dcmande~ si
la cérémonie du "Iotori" a pour fonction de réveler
ce que le peul a de plus désirable revient en somme à s'interroger
sur la signification même du culte, en se gardant de réduire
l'ex-pression qui
s'y manifeste en une donnée seconde Qui
serait
à saisir "derrière" le culte et toute sa figuration symbolique.
L'objet de
l'étude que nous entreprenons ici nous aménera succes-
~;sivement dans une première partie, à envisager une appnche dyna-
mique du symbole en relation avec un travai 1 d'approche ètymolo~
gique axé sur
la désignation de certains récits peul accordant
à
la réal ité symbol ique une part essentiel le;
ce qui
nous permettra
dans une deuxième partie de fixer
l'unité centrale des mythes, des
rites et des cultes à travers des moments forts de
l'existence
fêtes,
initiation, et danses ••• et dans une troisième partie nous
nous attacherons au problème des fonctions et des significations
symboliquesafin de dégager, dans une quatrième partie la motiva-
tion centrale informant.
lesproductions mythiques et rituel les;
motiv~tion que nous nommons symbolique de la rencontre, symbol ique
existentiel le qUI nous permettra de fixer à travers une cérémonie
thérapeutique des Lebou du Sénégal,
la structure de
l'existant
en relation avec
la dimension de
l'Autre et d'Autrui. Nous serons
ainSI à même dans une cinquième partie de dégager
la réal ité du
sacré à travers
la symbol ique des nombres et des couleurs en
tant que dynam~que existentiel le dans laquel le l'homme est resti-
tué à sa propre profondeur Qui
est d'être dans
la proximité
17 )(
essentiel le de
l'Autre,
et enfin pour finir dans une sixième partie,
nous
interrpgerpns en direction de
l'expression du fond à partir de
la parole poétique et de
la parole mythique afin de caractériser
l'Ethos négro-africain et partant
l'existant tel Qu'j J se manifeste
dans
le monde néqro-africain. Ainsi,
espér~ns nous pouvoir éclairer
en ~rande partie, non seulement
la motivation centrale mise en jeu
dans
le canevas complexe des formes et des productions symboliques
maIs en même temps,
en révelant
la dimension fondam~ntale de l'exis-
tence ethique,
la vision que
les négro-africains se font
du Monde.
17
~/ APPROCHE DYNAMlQUE DU SYMBOLE
NCelui
qui
est pr'par' par
les termes mêmes de son enquête ~ ne
trouver chez un peup le que des, brutes aveuq les 'ne j:)~lrt nature t lement
retenir de son enquête Que
les f~its qui confirment ses préjuqés.
Quel le plus sOre barrière à
la compréhension d'une culture QUe ce
vocabulaire qui
transforme
les dieux en
idoles,
les
i-mages natives
en fétiches ?W (1) écrit J. Jahn qui s'inqui~te de ce que la possi-·
bi lité d'~cc~s à
la compréhension des c~l~ures ait pour écran un
certain vocabulaire peu soucieux de rendre compte de
la richesse,
de
l'importance des grandes images qu'une culture peut. se faire
d'elle même. Mais
il faut convenir que
la véritable barrière dans
ce domaine résidc dans
l'expression même des cultures, de façon
intérieure et
immanente; autrement dit,
la voie d'accès aux cultures
doit passer par
la saisie d'urr style, de sa manière d'~nformer- l'en-
semble des élements et du système global en forcescréatrrces et
vivantes. De ce fait
le style est
d'~utant plus vivant, d'autant
plus "paideumatique"(pour employer une expression de Frobenius et
que Kérényi définit comme •
URe pousse spirituelle
livrée à elle
même ••• en tant qu'cilie est une faculté de réagir ••• bien que
cette réaction puisse se manifester par des' actes, des créations,
oeuvres d'une cu l t ur-e "} que tous ceux qu i part ici perrt à
1a même cu 1-
ture n'ont précisement
d'autre possibilité de réagir et de traduire
leur situation d'être au monde,
" que par ce seul style vital
,,-- (2)
Si
le style vital nous est dfficil-ement accessible pour le mo-
ment en ce Qui
concerne
les éthnies dont nous nous occupons
ici,
les formations culturel les nous en revèlent
la direction,. en ce
que sés formes d'ex-pression,
parce Que déterminant un sentir
spécitique et s'articulant dans
le jeu du monde, manifestent
le
comment de notre commun i cat i on avec 1u i
( 1e monde ). De te Iles
formes hantent
les mythes, cultes, rites,
o~ dans le m@me jai 1 lis-
sement ont
1i eu
le monde et nou s'-mêmes, C'est en ce 1a qu' elles
sont dévoilantes de notre façon d'habiter et des voies de manifes-
tation de
la Présence. Pénttrer
les mythes,
rites et cultes d'un
peuple ou d'une 'thnie, c'est par conséquent s'inserer dans ses
plus profondes réal ités,
rester ouvert et vibrer aux mêmœ résonances~
(1) J. JAHN / Muntu
L'homme africain et
le culture néo-africaine
Ed i t i on du Seu i 1
1958
P.
17
(2) CH. kERENYI
IntroductÎon à
l'essence de
la mythologie p. 37
18
Seulement
les mythes, rites et cultes ne se laissent pas si faci-
lement peri~t~è~ étant profondément intégrés dans une dimension
vécue hic et nunc qui en garantisse la vision spécifiq~~. C'est
pourq~oi il s'avère important quertouteapproche terminologique
tienne compte
quand il s'agit de tel lœproductions de leur mi 1ièu
culturel, sans quoi on se perd dans des général isations et des
abstractions vides de sens et de contenu. Si
les mêm~ symboles
apparaissent dans des cultes différents,
ils n'opt pas nécessaire-
ment ni
le même sens ni·: les mêmes fonctions.
L'eau comme symbole
a un sens différent suivant qu'on se place dans la pensée bantou,
la symbol ique chrétienne,
la vision peul ow serer. Car si dans la
pensée bantou,
l'eau est aussi
la lumière,
la parole et' le verbe
gé~érateur (Nommo) pour le peul el le représente la source de vie
d'où est sorti Tyanaba le serpent mythique" gardien des troupeaux"
de Gueno sur terre, accompagné des vingt deux bovidés, alors Que
le serer y voit une semence Qui vient féconder
la terre ( eau de
pluie ), et pour
les Chrétiens tout en symbol isant l'origine de
toute création el le possède en plus de sa vertu purificatrice, un
pouvoir sotériologique (
le baptême par exemple d'où naîtra l'homme
nouveau)
• le même symbole recoupe, on
le voit, une infinité de
sens. C'est pourquoi on s'efforcera dans l'interprétation du symbole
de chercher les nuances,
le chiffre propre en même temps que le déno-
minateur commun, du moins
la vision unitaire, total isant
les diffé-
rents sens. Définir le symbole, en SOI de façon objective et abstrai~
comme s'i 1 s'agissait d'un concept qui se situerait sur le plan de
la pure intell~tualité, n'est pas la mei 1 leure vOie ni pour en en-
richir la compréhension ni pour nous enrichir, ce qui ne veut pas
dire.qu'on ne puisse tenter d'en saisir" la nature" en une approche
dynamique des oeuvres, actes et manifestations dans lesquels il
est opérant, agissant, rayonnant de toute la plénitude de sa charge
affective.
Une tel le approche essai e de saisir la nature du symbole de
l'intérieur, à
l'intérieur même du monde
inauguré par lui, en
le Questionnant dans sa présence constituante et a~issante. le
f9
s ymbo 1e n 'ap~at"àt:t .corfl,me pr-é s e noe ai gn if i cat i ve et si 'ln if icat'j ~e
de
1a présence que dan s 1e 'monde" qu 'i 1 i nauqure 1u i -même. Monde
et symbole sont originairement 1iés participant d'une commuhe genèse,
le monde n'apparaît pas après le symbole ni
le symbole n'est anté-
rieur au monde, en ce qu'ici expression et . contenu si nous enten-
dons par expression la présence significative du symbole en tant
qu'acte inaugurant, et contenu !-.r e ud i rect i on si qn i f i cat i ve de 1a
présence inaugurante, ne font qu'un. Cette ouverture réciproque
au sein d'une même intériorité ( de l'expression et du contenu)
le poète
SAINT-JOHN PERSE nous en donee une saisie profonde
quand parlant de la mer, comme langage de nous m~mes, il écrit
" Et mots po~r nous ils ne sont plus, n'étant plus signes
ni
pat"ures.
Mais la chose m~me qu'i ls figurent et la chose m~me qu'i 15
para l'ent . ;
Ou mieux; te récitant toi-m~me, le récit, voici que nous te
devenans toi-même,
le t"écit
Et toi-même sommes nous, qui
nous étais
l'lnconci 1iable :
le texte même et sa substan~e et son
mouvement de mer,
Et la grande robe prosodique dont nous nous rev~tons •••
En toi, mouvante, nous mouvant en toi,
1
vivants, nous taisant, nous te vivons enfin ... " (1)
lIen est du symbole comme de la parole poétique de s'inaugu-
rer dans
l'expé~ience même de sa propre donation, dans 1 'habiter
orig~naire qu'i 1 fonde en avénement et présence en une unité p~imor
dialé débordant, pour reprendre l'expression du poète, "
l'éclat
inso~tenable du langage" (2). Cet habiter originaire qui est ce~ui
dela Poésie nous y reviendrons plus loin en examinant l'at''ticula-
tion du fond, de l'exitence et de la parole à travers un mythe
dogon qui
nous permettra d'interroger en direction de l'expression
même du fond.
Pour en revenir au symbole, ce qu'atteste le sens pt"emier
du mot, ~ savoir" signe de reconnaissance formé par les deux
(1) SAINT-JOHN PERSE
Amers
p. 195/196
Edition Poésies Gallimard
1970
(2)
Ibid.
p.194
20
moi~i~s d'un objet bris~ que l'on rapproche ", cres~ doublement
pour le symbole
lui-m~me de res~i~uer l'uni~é d'une percep~ion pri-
mitive et pour la conscience, " une exigence désespérée comme dit
)
Alquié, de symba')s~e ou de r~conci liation";
le symbol~sme doit
li
res~i~uer le moment privi I~gié de non-rupture. En ce sens l'exigence
1
1
symbol ique est la m~me que cel le de la conscience: ré-unir ce qui
demeure séparé.
Il n'est pas de
la nature du symbole de s~parer,
mais i 1 es~ le "signe" de ce qui est séparé, d'une unité bris~e
et paradoxalement il est en m~me temps cette ~nité Qui
pose en-
semble en rassemblant, ce que l'étymol08ie du mot peul "cumoJal"
que l'on ~raduit par signe ( cf Kaydara p.ll ) mais qui en déborde
larqement
le sens,confirme!"Cumogal" vient de la racine verbale de
"cumde"("humde" ou encore de "kumde")qui veut dire 1 ier,attacher;
de la m~me racine dérive aussi
le terme "kumal"~i9nifiant mariage
et dont on sait que la principale fonction est de 1 ier ensemble
de façon à constituer une unité, parei Ile "à ce~te plante synthèse,
Qui, autour d'une tiqe unique, assemble feui 1les" rameaux etfleurs" t
don~ parle Koumen, et Qui es~ symbole de vie triomphant de la mor~.
A cet é1ard, il est int~ressant de noter Que dans le planth~on peul~
Kumbasara, dérivé de la même racine Que "cumde" dont nous verrons
l'importance dans
la pensée peul à travers le symbol isme noeuds
comme à travers l'étymologie du dieu pasteur Koumen, est le lare
(eepri~ gardien des troupeaux), féminin de la résurrec~ion~ Noter
dé m~me que, second dans le système de nom6na~ion des Toucouleur
Koumba,
nom féminin, signifie "cel le qui attache"~ Il est dit dans
Koumen, "Kumbasara naf~ dans un cime~ière apris ~rois jours de
travai I.de l'accouchemen~••• vêtue d'un fourreau abandonné par un
serpen~· lors d'une mue (2). Le fait qu'el le soit née dans un cIme-
tière signifie qu'el le est une victoire sur la mort, car "sa naIs-
sance e~t en relation avec le sacrifice effectué par un défunt le
troisième jour après sa mort e~ qui consacre la sépara~ion du corps
et de 1'8me immortel le" (3) et par le symbole des mues de serpen~,
Koumbasara es~ pr~sentée comme la figure qui
1 ie,
com~e symbole de la
vie infinie universel le, assemblan~ en un cycle perpétuel vfe, m0rt
e~ renaissance,
lesquel les, "à
la f~is se séparen~ e~ ~'identifient
comme momen~s d'une ~ême forme dans le qes~e autocr6ateur de laqu~lle
(1)
KOUMEN
lac. ci~.
p.
47
(2)
Ibid.
"
p. 77
(3)
Ibid.
"
"
21
involution et évolution échangent leursdimensio~s cont~ai~es et
appanemment finies, dans la m~me et infinie croissance", (.1)
La nature émi'nemment profonde
de symbo 1e trouve j c i son. expr-es -
sion la plus essentielle, non comme un simple "signe de re~connais
sance", .: ma i s bien plus, comme moment fondamenta 1 de 1a rencontre ~
La vie,
la nais~anee- et la mort mènent leurs rondes contraires a~
sein d'une commune 9~nèse Que parce que. le symbole est une possibi-
1 ité-ouverte,
la se trouve sa Quel ité de rassemblant, o~ les élément:
le constituant tout en sry résorbant y conservent leu~ individua[ité
c'est à dire que les diff~rences, au sei~ du symbole~ ne soh~ pas'
abolies, mais reposent sur une liaison plus originaire de l'appa-
raître et du sens,
liaison de ce Que nous nommons plus haut expres-
sion (comme pr~sence si~nificative de symbole en tant Qu'acte inau-
gurant) et contenu ( comme direction de sens en tant q~e signifiea .
tive de cette ~résence).
L'apparaître d'un symbole est son acte même en ce que sa cons-
titution est iAsépar~ble dé la donati6n si9nificati~e dans laquel le
il s'inaugure et qui
I)inaugur.e ; c'est a dire que la réal ité "sym-
bolisée" par le symbole n'est d;nnie co~me ~ode d'apparaTtre ni
avant ni après le symbole, mais enn;ême te!'lps. Le jai Ilissement de
la réalit~ est u~ avecl'a~par~Ttr~ du ~ymbole. le symbole et le
monde;.senu_originairement liés. Quand les Ouolof disent par exem-
pie: "gudi gu magat" (2) ce qui veut .dire lit~~ralement "nuit qu;
a vieilli"~
la ~éal ité symbolique s'annonce d~ns une liaison ori-
ginaire que le Ouolof découvre entre l'assombrissement,
la chute
du jour et la naissance (croissance) et
le viei 11 issement (mort).
"Mag~ est l'appel 1at i on que l' 011 réserve chez 1es Ouo (of aux pe r-son-
nes ~g~es. le verbe "magga" signifi~ croître et mag celui qui a
fini de croTtre. Pae extension mag indique avec l'idée de super-
latif comparatif "celui Qui est plus âgé que ••• /I. Nous sommes là
en présence d'un vocable qui
introduit une comparaison. Le verbe
maqqa ~voQue la croissance progressive de l'être (3). Ma~qa est
à rapprocher du concept bantou "maqqara", tous deux ayant
la même
racine; ce concept maqgara signifie force vitale, principe actif
dei l'être et de l'étant.
( 1 )
H. MA LD 1NEY
Regard Parole Espace
p. 83
(2)
Oumar Marone
Essai sur les fondements de l'éducation
SéoéQ~lais~ à la lumière de~ métaphores
aqueuses de Ya"ranguè Wolof.
:
Bulletin de
l't.F.A.N. S~rie B Tcime XXXI
Jui 1let 1969 n~ 3 Dakar
p. 806
(3)
Ibid.
"
p.
821
22
Nous découvrons donc dans le terme de ma~ à la fois l'idée qe
croissance achevée, de force,
de grandeur tant du point:de vue physi
Que, mora 1,
i nte Il ectue 1 que métaphys iqu.§. Ce terme caractér'i + l' é 1~ 1
vation et introduit I~ dimension de la verticalité; quand le ~uolof
dit, e~ parlant de quelque chose "ma~9al len ka", cela siq~ifre
qu'i 1 lé place dans la catéqorie de la hauteur, de la transcendance r
en tant que quelque chose digne d'~tre honoré,
loué, vénéré.
Dans le terme "magat" :
le suffixe "at" indiquant un état,
signifie en ouolof: âge. Aat veut dire le statut qui clôt la pério-
de de l'enfance et amorce cel le de l'adolescence. "Magat" voudrait
donc dire grand âge qui a atteint la 1 imite de sa croIssance. A
reconsidérer 1'2xpression ouolof "gudi gu magat" à
la
lumière de cet
éclairage étymologique, nous constatons qu'el le signifie plus que
le fait de caractériser l'état de "viei 11issement" de la nuit,
il
faut y voir au contraire le souci de l'homme, de traduire par l'ex-
pression symbolique, une 1 iaison obscurément préssentie débordant
toute signification fixée,
entre les structures de
l'existence hu-
maine et
les structures cosmiques. Ce que l'expression symbol ique
dévoi le ici c'est une situation cosmologique en termes humains et
une situation humaine en termes cosmologiques en ce que l'expression
symbol ique fait éclater le cadre limité de l'exp.érience.
Il faut
reconna1tre avec M. El iade, qu'avec le symbole, "l'homme ne se sent
'pas isolé dans le cosmos, qu'i 1 est Pouvert" à un monde "fami 1 ier" ;
la valence cosmologique du symbole lui permet de sortir d'une situa~
tian subjective, de reconnaître l'objectivité de ses expériences per
sonne! les." (J).
l'apparaître du symbole, disions nous, est son act(
m@me,:c'est-à-dire cette possibi 1 it~ ouverte Qui fait ici que la réa-
lité d'un phénomène naturel tel que coucher du solei 1, sait égal et
réciproque-au viei Il issement (mort) d'un @tre humain.
La nature pro-
fonde du symbole réside daosccette possibi lité d'être ouverte "si-
multanément" à des perspectives multiples et compl~mentaires sur le
monde et
l'existence". (2) Coucher du solei 1 et viei 11 issement de
l'homme, ne se donnent pas dans la réal ité symbol ique comme des phé-
nomènes isolés ni
détachables
l'un de l'autre, mais par eux et à
(1)
Mircéa El iade
Pôlarité du symbole
in"les études carmél itai-
nes"
chez Desclée de Brouwer
Juin 1960
p. 27
(2)
Ibid.
"
p.
26
23
travers eux,
le monde parle de naissance, de viei liesse originaires.
Une tel le parole,
les Dogons
la nomment "à duno so:",
"parole du
monde" (1) en ce qu'i Is y voient
le symbole
lui-même. Ce terme de
"
à duno" emprunté de
l'arabe "addunya" (Monde) noua
le retrouvons c
chez
I~s Toucouleu~~, les Peul et les Ouolof. "Dans le monde ainsi
crée, tout est "signe" et rien n'e~ gratuit, c'est·à-dire Que chaQue
parcel le de matière renfèrme un message destiné à
l'homme.
La créatu-
re hum~ine'est en situation dans un univers à son
i~age, dont tous
les éléments snnt en rapport avec une certaine vision qu'el le a d'el-:
le-même et de ~es problèmes ••• chaque brin d'herbe, chaque moucheron
est porteur d'une "parole",
(2) cette parole est
le symbole. Chacun
des éléments du monde,
même
le plus
infime est sol idaire du tout et
le reflète;
le monde est symbole parce que parole chiffrée
la na~
ture profonde du symbole apparaît dans
le contexte ouest-africain
comme
une parole essentiellement secrète qu'i 1 faut déchiffrer.
Il
est significatif,
qu'à
la fin d'un conte Wolof mettant en
relation deux héros dont
l'un se distingue par son pouvoir de ré-
véler
le sens caché des symboles qu'on
lui
soumet et
I~autre d'en
former,
que
le narrateur demande à
l'assistance
lequel
des deux
"connaît
le mieux
le monde 7" (3) Celui
qui
noue ou ~elui qui dé-
noue 7 Nouer et dénouer c'est
la même chose.'
Dans ce même conte relaté par Sauvageot,
l'héroine Fatou Len
pour épouser Tagga,
envoie à ce dernier "une calebasse,
y dépose
du couscous, prend de
la viande crue,
l'y place dessus,
prend un
van,
ferme
le tout
elle saisit un os,
le place sur
le van,
el le
prend de
l'excrément de chèvre,
le dépose sur
le van;
el le prend
quatre ,bâtonnets,
1es place sur 1e van.
Elle prend un fru i t
de ca-
lebasster et
le dépose sur
le van.
El le prend une graine de cotbn
et
la dépose sur
le van.
El le prend un
1 inge et recouvre
la cale-
basse et
la donne à
l'ami
de Tagga en
I~i disant: "donne le bon-
Jour
à Tagga de ma part." Quand
le paquet arriva,
Tagga appela sa
mère,
son père et tous ses parents.
"Tous s'aperçoivent de
la viande
crue sur
le couscous et s'exclament:
"elde est fol le". Tagga
leur
dit "non ne vous hâtez pas"
:
"Ii
ai
uax
le!"
: ce sont
là des
paroles." (4)
Il
est significatif que
les symboles apparaissent
(1)
Geneviève Calame-Griaule
:
Ethnolo~ie et langaqe
La parole chez
les Doqon
Editions Gallimard
1965
p.
27
Ibid.
p.
27
S. Sauvageot
:
Description synchronique d'un dialecte Wolof
le parler du Dyolof
Mémo i res de
l' 1 • F • A• N.
1965
p.
79
Ibid.
p.
223
24
pour- 1agga et 'so i ent nommés (per-. 1u i ] comme étar.tt"· des per-o 1es s r >
gnliigatives dont il faJt d~~~iIJ~ là èubstari~e profonde.
La parole symbolique dans l'ouest africain est assimi I~e à un
noeud; cele ressort particulièrement dans la pensée peul q~i fait
du dénouement des noeuds la connaissance initiatique pal'" excellence.
A la base de la pensée symbol ique on trouve ce trait fondamental
Que toute parole essentiel le revêt un chiffre propre que le néophy-
te a à découvrir si bien que l'initiation apparait comme un déchif-
frement. Dans la tradition ésotérique du monde peul,
la nature du
symbole s'inscrit de façon profonde dans l'essence de
/a parole.
Un aperçu étymologique de la 1 ittérature pèul nous permettra d'al-
ler au fond de cette affirmation. Ce que les Peul nomment" jan-
toi", "taolol", "tinndol", " mal 101" sont des récits o~ la part
du symbole tient la place centrale. QUe nous apportent ces récits
quant à
l'esse'~ce même du symbole'? Lnterroger l'étymologie nous
l'apprendra.
Un "jantol~ est "un récit dont les personnages eontihomains
ou divins. Son sujet peut être une aventure mytb~que, une histoire
exemplaire didèctique ou édifiante, une allégorie initiatique." (1)
"Jantol" du pluriel "janti" est un substantif qui dérive du verbe
peul "janngude" ~ étudier,
lire dont
il es~ intéressant de noter
qu'i 1 a
la même racine ('and) Que "'andude" signifiant savoir,
conna?tre, de la même racine est dérivé le nom verbal "gandal"
(connaissance) C.UI
se dit dans "les dialectes orientaux 'andal".- (2)
En intercalant entre le radical du verbe
primitif ('and) et la
désinence de
l'infinitif du verbe (ude)
la syllabe "in" Qui est
le r~dical désignant la nomination, on obtient "andinde" : faire
conn~itre, expl iqUerL...
avec l'introduction de cette syllabe
(in) on obtient l'idée de "faire" suivi d'un infinitif comme dans
les expressions faire parler quelqu'un: "woul inde" ; faire con-
na?tre : "andinde" ;"nantinde" : faire entendre, traduire; de
la m~me façon est formé le terme verbal "tindinde" (3) : dire un
conte, verbe dérivé du radical "tin" qui signifierait selon
H. Labouret (p. 81) "percevoir" et qui donne le substantif "tindol"
(pluriel tindi) qui veut dire conte, récit. "Tindinde" est formé
( 1)
Hampaté Bâ
Kaydara
p. 7
(2.)
H.
Laboucet
La langue des Peuls ou Foulbé
p. 81
Lexique Français-Peul
Mémo ires de l' 1• F .A • N•
N°41
1955 Dakar
lb id.
p.81
25
du radical "tin" et de : "'inde" lequel signifie nommer; citer
le nom de quelqu'un se dit "'innude", ainsi de même caractérise-t-
on, chez les Toucouleur,
le baptême dont la signification essentkl-
le est l'attribution du nom pour manifester la naissance de l'être
nouveau.
Il est
intéressant de noter que ce radical signifie aussi
"savoir", ce qui rapprocherait du point de vue sémantique les ra-
cines "'and" et "tin" et par conséquent les substantifs jantol et
tindol qui se sont forgés à partir d'el les. On dit indifféremment
et couramment pour faire savoir à quAlqu'un quelque chose,
lui ap-
prendre une nouvel le par exemple: "tin" ou ~andu" (impératif)
c'est-à-dire "soche que ••• H et on répond selon le cas: "mi tini"
(je sais) ou "mi tinani" (je ne savais pas). Le radical tin contrai_
rement à ce qu'en dit Labouret signifierait plutôt"avoir connais-
sance de •• a" Un exemple nous
le prouvera. Reconnaître en toucou-
leur et en peul se dit "heptinde" ou "hebtinde" formé du radical
heb suivi de "tin" et de la ,désinence verbale "de" ;
le radical
heb SUIVI des désinences verbales "ude" (hebude), "d~", (hebde)
pour les toucouleur, veut dire "avoir", dans
le sens quelque chose
que l'on reçoit;
(obtenir)
• Le verbe semblant introduire une
idée de passivité: "mi
hebi" (j'ai reçu), heb (tiens!).
On trouve la définition suivante dans le lexique de Labouret
heptude : recouvrer après avoir obtenu et perdu" (p.138) ce qUI
autorise à penser que la signification de ce radical
recouvre
l'idée que ce qUI
est reçu était antérieurement possédé par le
sujet;
l'objet n'introduisant aucune surprise parce que déjà con-
nu, dônc reconnu;
chez les toucouleur le terme hebtinde signifie
du reste:
reconnaître; avec le verbe hebtinde (radical heb
suivi'de tin et de
la désinence verbale de)
le sens du radical se
trouve plus renforcé dans la connaissance de ce que l'on retrouve
en ce que
le déterminatif verbal ••• tinde introduit une prise de
conscience (connaissance) beaucoup plus large. Ce que tindol
(con-
te, récit) veut dire alors est avant tout appréhendé et désigné,
sous l'angle de la connaissance, du savoir.
26
Quant aux récits humoristiques ou caustiques et aux fables
animales i Is retè~ent du domaine du "taalol" déri~é du verbe peul
"taalude" qui signifie citer, dire ~n conte; "taalol" (pluriel
taali) désigne le récit conté ou conte. "Taalol" a pour~radical
tal qui signifierait selon Labouret relater, que nous rapprocberions
de "halde" (racine hal) signifiant parler, dire: "mi
hali" j'ai
parlé; "hal" : parle! en toucouleur. Le "taalol a pour fonction es~
sentiel le de "relater" des paroles (halad'i) relevant d'une connais-
sance secrète et cachée; c'est ainsi que le taalol
ne doit être
raconté que la nuit,cadre propice aux paroles secrètes qui
y trouvent
leurs dimensions
les plus profondes. "Raconté le jour,
le jantol
ceste jantol, alors que la nuit il devient taalol comme toutes les
aùtreiwhisto ires qu i se disent 1a nu i t",
(1) ce qu i montre 1a parenté
d'essence existant entre les différentes formes de récit • .
Quant au "mal 101" (pluriel "mail i) c'est le terme qui désigne
les ~allusions par proverbes pour parler à quelqu~ûn" peut-on lire
dans le lexique de Labouret (p.66) dérivé du verbe "mal lude" ;
l'allusion faite,
précise l'auteur, est dite "t'arwol" (pluriel
t'arvi)
la racine étant "wal" : "par~er par allusion et proverbe".
Qu'en conclure? On retiendra que "taalol" que nous avons déjà vu
se dit aussi en dialectes orientaux "talawol" et des contes à mo-
ra.1 ité", "kissawol" ; or on a vu que tal signifie "relater", "dire
des paroles", et "wol" (wal) "parler par proverbes", donc de façon
symbolique; on en conclura sans peine que "talawol" serait le do-
maine du dit des symboles. Le rapport de sens existant entre les
deux racines verbales "tal" et "wal" réside dans
l'être même de la
parole en tant que connaissance dissimulée. Nous touchons
là à
1' e s se nc e même du symbo 1e qu i se cl i t
en peu 1 "maeu e", terme dér i v é
précisé~ent du pouvoir de la parole de se dissimuler au 'sein d'~I
le-mtme par proverbes, allusions, symboles: "mal'ude". Le "mal 101"
est le contenu,
le récit symbol ique. "Maa le" (symbole). a pour racine
disions nous "wol", or parler se dit "woulude", sa racine étant 'w
"wolw"
la simi 1 itude étant trop frappante pour être gratuite;
i 1 est intéressant de noter que, dés igné par ce terme,
1e fa i t
de
parler est ainsi caractérisé dans son acception la plus essentiel le
(1)
Hampaté Bâ
Kaydara
p.
9
27
car en dehors de ce sens fondamental,
la parole cesse en quelque
sorte d'être essentiel le et porte sur
l'accessoire, tel
est
le sens
des termes "hebbitade" : prendre
la parole en
interrompant quel-
qu'un brusquement;
"kongude" : parler de façon désobl igeante
"Iebde", "Iemsude" : parler sans cesse
"nabbitade": parler haut
et beaucoup.
L'analyse étymologique des différentes formes d'appellation
des récits chez
les peul, "Jantol", "tindol",
"taalol", "Mal loi",
utilisant
le symbole comme moyen d'expression nous aura révélé des
faits
intéressants Quant à
la façon dont
les peul
conçoivent
l'ex-
pression symbol iQue et partant
la nature même du symbole. Nous
avons caractérisé au cours de notre analyse deux notions fondamen-
tales, en tant Que noyaux significatifs de base des différents
termes peul pour désinner
le récit à structure symbol ique : "con-
naissance" et "parole". Parce oue constituant
le centre même de
la
pensée symbol ioue, ces deux "notions" sont à
la base de toute
initia-
tion. C'est ainsi
que dans
l'i~~tiation peul, "le pasteur appel le
son successeur et
lui
fait sucer sa
langue car
la sai ive est
le
support de
la parole c'est-à-dire de
la connaissance" •••
(1)
C'est pourquoI
il
est dit dans Koumen "Je su~s Koumen, je fais
sucer ma langue à mon pupi 1 le.
Je
lui communique au moyen de ma
9ativede charme fécondant
la vache" (2) qui
est de
lui
c~mmuni-
quer
le nom secret du bovidé, connaissance suprême de
l'initiation
et du pastorat.
La relation étroite de
la connaissance, de
la
parole et du nom tel le qu'el le se dégage dans cette parole de
Koumen,
nous aurons
l'occasion plus
loin d'en montrer toute
la
profond~ur.
o~ ne saurait montrer ICI
de façon plus éloquente les rapports
sInon
là parfaite
identité de
la connaissance et de
la parole.
C'est
I~ propre de l'initiation comme du symbole ~'ouvrir le pos-
tulant au monde du
savoIr et de
la connaissance.
Le postulant n'au-
ra acaUls
la parole de
la connaissance, toute
la signification et
la portée des symboles rencontrés durant
l'initiation et
le sens
de
l'initiation e l l e-emême ,
au'à avoir,
au terme de
l'initiation,
(l)
Hampe t é--Bê
Koumen
p.
19
(2)
Ibid.
p.
33
28
la connaissance de
la parole, autrement dit
la connaissance profon-
de des symboles en tant que paroles signifiantes. C'est dire Que
la parole de
la connaissance,
les symboles eux-mêmes comme signifi-
ants, et
la connaissance de
la parole ne font qu'une seule et mê-
me chose.
D'où
la question du conteur, "qui des deux connait
le mieux
le monde ?" Celui
qui
parle en paroles du monde? ou celui en qUI
le monde parle ? ~ y re0arder de plus près il
n'y a pas de différen~
ce, car c'est
la Parole qui parle et parlant el le est en même
temps c~nnaissance. La parole,
la connaissance et
le symbole par-
ticipent de
la même essence. C'est pourquoi
à
l'étonnement de ses
parents qui
quai ifiaient Fatou Len de fol le, TaQ~a leur d i t : "ne
vous hâtez pas:
1 i ai
uax
la
: ce sont
là des paroles" parce que
les ,ymboles ne se révèlent comme des paroles que pour celui qui
voit en eux la voie même de
la cQnnaissance, mais
ils n'apparais-
sent comme connaissance qu'à être des paroles. Si
bien que Tagga
pourra e~·révèler le sens profond à ses parents qui
n'ont pas su
cs
entendre la VOIX vive du monde. Tagga
leur d i t :
"Cet signifie que
1à-bas dans
1eur carré i 1 y a un ch i.e n méchant...
l' e x ce émerrt de
chèvre signifie ••• un troupe&u de chèvres •••
le baton fourchu •••
si gn i fie que
1e chem i n b i f ur-que , , ,
1a viande' rouge qu' elle à ses
règles ••• etc ••• "
(1) La connaissance apparait de ce fait comme
l'acte même du symbole dans
la primauté de sa fonction de signI-
fiant.
La fonction essentiel le du symbole étant de vé~iculer des
signifiants,
la connaissance iapparait au niveau symbol ioue comme
un déchJffrement à savoir une tentative de mise à découvert du
"chiff~e" qui à l'intérieur du symb~le en excé~e tous les sens
parce q~e 1 ieu ouvert de rencontre.
Le symbole
instaure un monde
•
où il est signifié en
le sionifiant. Nous avons vu que ce oue les
symboles dans
leur fonction d'être rassemblant,
1 iant,
nous font
entrevoir, c'est une
1 iaison oriqinaire de
l'apparaitre et du sens,
en tant que
l'acte par
1e qu e 1 ils se donnent
1es con s t i tue.
Là où
1e SI qne ne fa i t
Que montrer des
1 i ens en rassemb 1ant,
1e s ymbo 1e
InaUQure en s'y dévoi lant,
la dimension fondamentale de
la renc~n-
(1)
S. Sauvageot
Loc. ci t ,
p.
223
----------~,'.-" .....
tre,
lieu de
la parole et du savoir. Ce que
le mot d~ Koumen at-
teste,
"Si lé m'a cherché, Si lé m'a trouvé
J'ai
cherché Si I~, Si lé m'a trouv~" (t)
c'est au-delà de
la volonté de pénétrer
la parnle du "maître qUI
sait et qui
connaît
les signes", que
le savoir véritable naît de
la rencontre
la rencontre el le-même apparâît comme saVOir, con-
naissance de
la parole dévoi lée. Un des symbol ismes les plus carac-
téristiques pour dire dans la pensée peul, cette rencontre de
la
përole et de
la connaissance, trouve son eMpression
la plus profonde
dans
le symbol isme du "noeud",
lequel est à
la fois symbole, con-
naissance et parole.
Si
le symbole apparaît comme parole chiffrée et secrète, et
la
connaissance comme 'un déchiffrement, quel le caractérisation plus
saisissante que.de présenterl le noeud comme l'essence même du sym-
bole en tant que parole, et le "dénouement" des noeuds comme la
connaissance suprême de
la parole symbol ique. C'est ainsi que dans
Koumen,
la connaissance suprême, sommet de
l'initiation, qui
fera
du postulant
le détenteurude tous
les attributs pastoraux, avant
l'épreuve finale (lutte avec
le
1 ion) après
laquel le
le noM secret
du boeuf sacré
lui
sera communiqué, est
l'épreuve du dénouement des
noeuds
"Ouvrir ce qUI est clos c'est dévoi 1er l'invisible et
l'a-
ven i r" écr i t
\\AJa 1te r Ot t o (2),
1es noeuds forment une tata 1 i té au
sein de laquel le
la connaissance,
la vie,
le secret ésotérique trou-
vent
l'expre9~ion la plus condensée de leur symbol isme. Le noeud,
vOie de
l'invisible, condense
le secret du savoir essentiel.
Forofo~ondou, l'ép~use de Koumen, gardienne du boeuf sacré lui
dit :"Puisque tu désires connaître le nom secret du boeuf sacré,
di s-mo i que 1s sont parm i
1es noeuds de cette corde,
1es noeuds vi-
des,
les mystérieux et
les chargés et quel est
le nom de ces der-
niers ?" (3) Ces noeuds ~ -au noMbre de vingt-huit représentent les
vingt-huit "Iared' i" (esprits gardiens dont dépendent
le statut et
la fécondité du troupeau) et n'gainirki
(1 ittéralement qui favorise
la force fécondante du troupeau) correspondants, en même temps que
les jours du mois
lunaire" (4) La corde sur
laquel le s~nt noués les
(1 )
Hampaté Bâ
Koumen
p. 49
(2)
Walter Otto
DION YSOS
p.
104
Le mythe et
le culte traduit de
l'alle-
mand par Patrick Lévy
Mercure de France MCMLXIX
Hampaté Bâ
Koumen
p. 71
1b i d , ,
p.
29
30
noeuds est faite d'écorces de baobab, arbre symbol isant
la
Ibngé-
vité et S0US un autre aspect qui
rejoint
le premier,
la pérennité
de
la 1trdditioo en tant que source de communication entre
les dé-
funts et
les vivants,
car
il:
représente "la parole des anc~t~es".
Le symbol isme~des noeuds introduit à l'ésotérisme, parce que l e ,
noeud préfigure
la connaissance des paroles secrètes;
nouer,
au-delà de toutes significations qu'un tel
acte est susceptible
de rev~tir, conduit à cette constante: dissimuler un savoir. Ain-
SI,
il
n'est pas étonnant que
les noeuds soient souvent employés
pour prévenic ou attacher un charme.
L'habitude q~i consiste à
.nouer son mouchoir est significatif du pouvoir du noeud comme gar-
dien de
la parole,
en tant que mémoire du temps.
L'initiateur peul
Kaidara se définissant
lui-m~me comme "l'em-
busqué~ pour se faire reconnaftre du postulant, s'exprime par le
symbol isme du noeud domaine du savoir initiatique par excellence
"le petit vieux dessa besace tira et sortit une ficel le en fibres
de baobab nouée en sept points ••• "
(1) lequel devient tour à tour par
la puissance de son verb~ serpent "puis se durcit, jaunit et devient
bSton".
Il
n'était plus possible au postulant de douter.
Il
est
significatif que
le ~~Leu du savoir" Kaidara,
celui-là m~me qui
s'embusque derrière
le masque du "dieu de
l'or" pour se faire re-
connaftre,
se révél§t à travers
le symbolisme du noeud;
un tel
choix ne procède pas du hasard et se justifie en ce que
le noeud
tout en
le dévoi lant
le
laisse ~tre dans sa situation cl'@tre "em-
busqué",
car
là-m~me est le pouvoir du noeud Qui tout en fixant
et concentrant toutes
les forces autour d'un centre,
établ it,
ce
qui
est figuré par son symbol isme,
au coeur de ces forces,
faisant
croftré ainsi
sa vital ité,
c'est-à-dire en ce qui
concerne Kaidara,
le car~ctère secret de son ~tre. Nouer et dénouer, tel le est l'es-
sence du dieu
Kaydara qui
se manifeste fondamentalement comme "com-
bat",
pour parler comme Héracl ite.
L'essence de se qui
constitue
le
fond de son ~tre se découvre et se dissimule en m~me temps dans
les formes et
les expressions
les plus diverses,
à travers d'in .•
nombrables métamorphoses.
Le dieu
Kaydara,
"le
lointain et
le bien
proche" dont
l'~tre est à l'affût dans ce QUI s'offre à la rencon-
tre des postulants:
"l'or",
est en m~me temps
le maître du savoir
(1)
Hampaté BS
Kaydara
p.
167
31
ce 1u i par qu i
1a
1um i ère ad-v i errt ,
En
1u i
1es arrt e oo n i sme s ont \\ eur
recuei 1 ;
il
recuei 1 le uni
"ce qui
s'efforce hors de
l'autre et
contre
l'autre" (1)
: c'est pourquo i 1e noeud est son express i on
par excellence parce que pouvoir de dé-couvrir en couvrant et en
dissimulant tout en manifestant uni
ce qui
s'oppose dans
l'extrè-
me acuité de
leur tension.
Le
noeud rassemble;
mais rassemblant
il
maintient
les contrastes en
leur tension.
C'est ce Qui
est signi~
fié dans
la figure du dieu de
l'~r et du savoir lesquels en for-
mant un noeud dans
lequel
le dieu à
la fois se manifeste et se
couvre témoignent cependant toujours d'une ~rebherche"qui détermine
le postulant à aller au-delà de ce qwilest à prime abord montré.
Le noeud manifeste en cachant et cache en manifestant.
Kayrada dieu dursavoir,
apparaît essentiellement comme
le dieu
qUI
noue,
en cela aussI
nous reconnaissons Koumen,
l'initiateur
OUI enseigne
la -parole des noeuds,
le grand déchiffreur des signes
parce que
l'un comme
l'autre parle par
les noeuds,
et
l'un comme
l'autre caohe
le savoir dans
les noeuds.
Le sens du mot noeud en
peu 1;
l' t ymo 109 i e
nous
l'apprend
:
Noeud se dit "wadaande" (1 i t-
é
téralement
:
faire savoir) de "wadde" (faire) et de "andude" (sa-
voir,
connaître). C'est dire que
la fonction essentiel le du noeud
est d'enseigner,
de dispenser un savoir,
considéré sous un autre
angle, de tenir dissimulé un savoir.
Le rapport du savoir et du
noeud apparaît de façon très précise encore chez
les
Peul
pour
quai ifier
le fait de dé-nouer,
défaire ce qui
est noué;
dénouer
ce dit en toucouleur et en peul:
"firtude" ce qui
veut dire aussi
signifier, dévoi 1er
le sens,
la signification;
le terme "firtude"
vient ~'une autre désignation (toucouleur et peul) du noeud: pib-
bol
(o~ fibbol) terme qui sert généralement à désigner les amulet-
tes qu j, protègent
l ' homme contre
1es dangers,
1e mauva i s
oe il,
1a
mauvaise parole ••• -une tel le opération a
recours à
la connaissance
des paroles magiques;
les noeuds sont ainsi
chargés de forces
protectrices (paroles).
"Firtude"
(dénouer-signifier) ou "fibtude" (dénouer pour par-
Ier d'une chose concrète,
matériel le) participe donc au même savoir,
celui
que recèle
le noeud,
gardien de
la parole.
De même qu'en
(1)
Martin Heidegger
Introduction à
la métaphysique
Editions Gallimard 1967
p.
142
32
Ouolof nouer se d i t : "takk" qUI a aussI
le sens de conclure un
mari~ge~ se marier, et "tekki" veut dire aussi bien dénouer que
signifier, traduire, dévoi 1er le sens de ce qui est dit. Poun'di~
vorcer ~es·tToucouleur emploient l'expression: "je te rends ta
parole" pJus précisément ton- "cou" ce qui veut dire rompre
le
lien que le mariage avait conclu comme parole qui attache: car
la coutume voulait que la jeune fi 1 le promise à quelqu'un depuis
sa plus tendre enfance, pour le mariage ait attachée à son poignet
ou à son cou, une bandelette d'étoffe ou une ficel le, garant d'un
pacte qui
la 1ie à son futur époux.
Il
n'est pas étonnant dès lo~s
que dans le panthéon peul,
le terrible "lare" Pel lel-=à rapprocher
de pibbol
noeuG--représente le dieu au verdict irrémédiable.
"Pel lei
habi 1 lé de blanc est ••• ce dieu cha~gé d'une foudre occul·
te qui dirigée sur un homme pulvérise son âme et réduit ses os
en poussière ••• ~uand Pel leI noue, personne ne peut dénouer." (1)
Ses attibuts donC font de lui
le dieu de la mort et du destin,
dont on ne peut pénétrer la nature profonde, et c'est en cela que
ses "noeuds" sont
impénétrables comme ses paroles irrévocables;
l'esprit de l'homme he peut saisir la signification profonde et
secrète ni de la mort ni
du destin, qui demeurent pour
lui ce Qui
est noué à tout jamars. Dénouer un noeud est 'connaissance de ce Qui
est caché, ce~qui apparaît de façon très précise quand le postu-
lant nous révèle:
"Je suis voyant pour avoIr aperçu Foroforndou dénouer sa
coiffure •••
(qui) m'a donné sans que je l'aie. demeridée la pro-
priété de n'dett ••• cette attribution m'affranchit ••• je n'ai plus
de jug~ Que ma conscience qui ne me quitte jamais, même quand Je
ferme
I~s yeux durant mon sommei 1." (21
En dénouant sa coiffure devant Si lé,
l'initiatrice
lui a ré-
vélé le fond de soh être et de son savoir. Si lé est désormais
voyant aussi peut-i 1 perce~ le secret des êtres, car le dénoue-
ment qui est connaissance des choses cachées est en son fond mê-
me voyance
le 1 ien avec le "lare n'dett", "lare chthonien",
esprit des nuits,
"se désaltérant du sang qu'on tire d'un camé-
léon en lui coupant la queue", dont on dit "qu'i 1 préside
les
(1)
Hampaté B~
Koumen
P. 77
(2)
Ibid.
P. 41
•
33
nuits ••• et ne voit jamais le solei 1" (1) est particul ièrement
significatif et révélateur. Ce rapport signifie,parce que Foro-
forondou a dénoué ses cheveux devant Si lé, que l'oDscurité est à
jamais dévoi lée pour lui,
le royaume de "n'dett" n'est plus désor~.
ma i s un secret pour 1u i ;
i 1 a acqu i sai ns i
1a
1um i ère qu i perce 1es
ténèbres de l'ignorance, p~isqu'i 1 a reçu de Foroforondou le pou-
voir de saisir le chiffre des choses.
lien parle en termes de
consc i en ce et d' i nconsc i ence,
1e somme i 1 n' éta nt Qu'une catégor i e
pour caractériser l'ignorance, mais il est affranchi en ce qu'i 1
est voyant désormais et possède la lumière intérieure (conscience).
On pourrait étudier toute la spiritual ité peul à pariir de ce seul
symbolisme du noeud; jusqu'à l'ésotérisme même des nombres, car
ne dit-on pas du nombre qu'i 1 est le ~noeud du mystère" car "s'i 1
y a l e signe (ou "cumogal") et la parole (ou "wolude"),
le nombre
(ou "1 imngo") est le produit de la parole et d~ signe, donc plus
?
essentiel et plus mystérieux;" (2)
l'importance symbol ique du noeud est fondamentale dans la visior
peul
l'étymologie du dieu Koumen lui-même s'éclaire à partir
d'el le"
Koumen dériverait du verbe peul "kumde" ou (humde) qui
si gn i fie ni i er", "nouer" ; ce qu i fa i t de 1u i
1e dieu qu i
1i e et
qui délie,
le dieu de la connaissance, maître du savoir ésotérique"
la symbolique des pasteursest fondamentalement axée sur le noeud
dont
l'importance au-delà de la signification existentiel le 1 i~nt
les peul et
les bovidés est caractéristique de
la relation avec
l'~utre. "Le noeud dans la pensée bantou traduit la puissance qUÎ
1ie et qui dél ie,
le"bumwe", ou union vitale" ;
(3) il est intéres-
sant de:rappro~her la racine de "kumde" et de "bumwe" (um) : 1 ier.
Toute la vision du monde des Pasteurs est fortement structurée à
partir de;ce symbolisme du noeud. M~me la vision temporel le peul
est sus~eptible de se r~v~~en"à"partir de ce symbol isme : ainsi
Si lé évoquera
le "lare" le plus important du panthéon peul, "d'a-
lan" "patron des pâturages dont l'autel ne doit jamais être en
contact avec la terre, mais avec les végétaux" pour acquérir la
connaissance qui fera de lui
un voyant:
la connaissance de ce qUI
fut, de ce qui est et de ce qUI advient: "Maître, ayant
la facul-
Hampaté B§
Koumen
p.
77 / 79
Ibid.
p.
11
Lou i s -v i ncent Thomas : les religions d'Afrique noire
Textes et traditions sacrés
Ed. Fayard - Denoël
1969
p.
82
34
té d'agir par dix sept cordelettes de mouvement ayant chacune
sept noeuds et un tendon humain ••• noué en trois points~ Quand
je presserai sur le noeud droit du tendon, ouvre le lieu où est
enroulé le passé et que le ciadavre dans la tombe me révèle le rév0~~
lu.Quand je presserai sur
le noeud gauche du tendon, ouvre le 1 ieu
où est enroulé
le futur et que celui qui va naître me prédise
l'avenir. Quand je presserai sur le noeud médian, a .d'alan ! en-
tre en moi et moi en t o i : que le voi le tombe, que
l'obscurité se
dissipe, que je voie les formes, que j'entende les sons, que je
discerne la parole." (1) Sur le plan de la figuration symbol ique
le~voi le joue la mAme fonction que le noeud, bien que les diver-
ses significations qu'i Is sont susceptibles d'introduire ne soient
pas tout à fait
les mêmes. Si
le noeud tout en dissimulant révèle
en ce que forme et acte se donnent originairement dans la mAme pa-
role qui
les as~ume et qui se trouve el le-même au sein du noeud,
assumée,
le voi le quant à
lui dissimule;
il
lui· manque la prise en
charge de l'acte par
lequel
la parole voi lante se révèle.
Alo~s que le voi le ne fait que
nous faire entrevoir ce qUI
est dissimulé dans une opacité signifiante,
le noeud figure en même
temps ce qui dissimule et ce qui est dissimulé
le noeud, plus
essentiel, est à la fois savoir secret et parole essentiel le. Dans
le domaine magico-reliqieux on trouve
l'ut; 1 isation fréquente de
noeuds, appelés ici "amulettes"et Qui auraient
le pouvoir de réal i~.
ser ce qu'el les symbol isent, en établ issant une relation particu-
lière entre celui qui:·/es porte et les forces qu'el les représentent r
alors que les voi les eux joueraient "plutôt un rôle d'écrans qui
font opstacle à
la diffusion du "mana" c'est-à-dire de la puissance
magic~-rel igieuse" affirme Przyluski, qui poursuit: "C'est ainsi
qu'on :Ies uti 1 ise' dans tous les rituels". (2) La nudité en ~ant
qu'absence
de voi les des statuettes, dans l'esprit de Przyluski
équivaudrait à
la volonté de libération de la puissance vitale
afin de permettre ,Ieray~nnement du "mana".
Ce à quoi
le symbol isme du noeud comme celui du voi le, comme
de tout symbolisme, nous renvoie, c'est à poursuivre au-delà des
significations particul ières constituées, cette profondeur
iné-
Hampaté Bâ
koumen
p.85
Jean Przyluski
la grande déesse
Introduction à l'étude comparative des
rel igions
Payot Paris
1950
p. 47
35
puisable du symbole
lui-même, à
l'intérieur de
laquel le toutes
les\\possibi 1 ités, en convergeant dans une directioh,de sens qui
les excède, s'annoncent dans
l'ouverture d'un monde de signifiants._
Quand Cassirer écrit Que
le symbole se rapporte sur
le plan ~h~
main de
la signification" entendant par
là que
l'homme pourrait
se définir "comme un animal capable de créer des symboles ••• " (1)
il assigne à
l'activité de symbol isation
le pouvoir par
leauel
l'homme tout en se projetant,
re.te ouvert au monde des Sl~nl
fiants.
C'~st dans la mesure o~ etfee ·sont en prise sur ce monde
des siqnifiants que
les formations mythiaues et cultuel les nUI
s'expriment en
le symbole, sont révélatrices pour autant qu'el les
fixent, pour parler comme M. El iade,"les modèles exemplaires de
toutes
les actions humaines sign;fica~ives." (2)
Il faut voir en
la symbol isation, dans
le pouvoir de créer
des symboles,
l'expression même de
l'homme, de ses manifestations,
de ses coutumes, de ses moeurs, de sa destinée, du sens de
la vie.
l'histoire des rel i~ions montre que la vie culturel le de tous
les peuples commence par la création des mythes, source commune
de
la rel igion, de
l'art, de
la phi losophie •••. Selon Walter Otto
"quand Wi lamowitz réclame et réclame à juste titre que soit re-
connue pour prémisse: "les dieux sont
là" cela signifie à y re-
garder de plus près: "le mythe est
là" car avec ceux-ci
nous
sommes déjà dans
le monde du mythe." (3) parce que précisement
la ~I
symbol isation mythique à travers
la figuration des dieux ne par-
Ie pas d'autre
langage que celui de
la rencontre de
l'homme et des
dieux ; d'o~ le statut particul ier eont jouissent ces êtres fabu-
leux qu~ l'on retrouve au centre de tous les mythes:
les héros
civi lisàteurs qui,
parce au'à
~mi-chemin entre 1'homme et
les,
dieux, représentent
l'idéal de toute symbol ieation mythique: é-
lever
l'homme au ran~ des divinités et d~nner aux dieux des figu-
res d'homme.
Ici
se pose
le problème central dont
la formulation
el le-même parce Que pouvant décider du sens ~e 80n orientation
est de ce fait rendue extrèmement dél icate.
1 1 s'a~it de dé~aqer à travers
les thèmes,
les motivations
(1)
Cité par Jolande Jacobi
Complexe Archétype Symbole
Delachaux et Niestlé Neuchatel
1961
p.
70
(2)
Mircéa Eli~de
Traité d'histoire des rel iqions
Paris 1949
p~ 345
(3)
Walter Otto
Dionysos
p. 20
36
secondaires,
les directions significatives des symbol isations
mythiques, cultuelles, rituelles,
le fondement de base,
le noyau
central que l'on retrouve dans toutes les figurations.
Cette pré-
occupation fondamentale de toute symbol isation n'est pas une don-
née immédiate. Au contraire, el le est infuse dans
les profondeurs
siqnificatives des
lan~aqes symbol ioues, gestuels, rituels. Si
bien ou'i 1 est nécessaire de résoudre ae nouveau problème qui
est de saisir à travers
le sens caché des symboles, des gestes,
des rites, les directions significatives oui
les motivent afin
de mettre à jour 1a préoccupat i on fondamenta 1e qu Iles informe.
Dès lors,
l'analyse des fonctions symbol ioues
et des significa-
tions symboliques mises en jeu dans
les rites, mythes,
coutumes,
doit passer par le développement et
l'interprétation des symboles
fondamentaux susceptibles de nous révéler la vision primitive
o~ l'ensemble des éféments se trouvant coordonnés et unifiés se
justifient. Mais avant d'entreprendre la recherche de
la moti-
vation fondamentale,
il faudrait d'abord une réeffectuation ana-
lytique des concepts de base afin de dégager
l'essentiel et, tout
en fixant
1es différences, montrer
l'un ité fondamenta 1e qu i 1es
rel ie ; aInSI
seulement on pourra pénétrer cette motivation uni-
taire à partir de
laauel le
le mythe,
le rite,
I~ culte parlant
chacun à sa manière
le langage Qui
est le sien, convergent au-de-
là de
leur mode d'être particul ier en s'y excédant.
cl UNITE DU MYTHE ET DU CULTE: DE LA REALITE DU SACRE
Il est évident que ce que nous appelons mythe,
rite, culte
et de façon plus générale cérémonies, s'entend encore d'une ma-
ni~re trop uniformisante pour désiriner les formes les plus diver-
ses de
la vie humaine;
cette uniformisation du p~int de 'vue ana-
lytique ne rend justice ni
à
leur signification propre ni
aux.
réalités qui
sont
les
leurs et ou'j Is sont appelés à servir cha~lu
cun à
la mani~re qui est la sIenne propre, ce qui témoigne d'une
assimi lat ion arbitraire de formes diverses. Cette assimi lat ion
pour total isante qu'el le semble,
n'en est pas moins réductrice.
La relation étroite Qui
existe entre ces différentes créations,
formations, dont nous pensons qu'el le est aussi essentiel le sinon
plus que ce qUI
les distingue, pour comprendre et pénétrer
l'at-
titude de
l'homme devant le divin,
le sacré n'est révélatrice
qu'à délimitsr
leurs différences. Autrement dit, c'est à carac-
.tériser leurs différences que se dévoi le ce qUI
les unifie. Ce-
pendant notre probl~me n'étant pas ici d'entreprendre une étude
exhaustive de
la spécificité de ces créations, mais d'en dégager,
ce qui ea demeure
la sève perpétuel le,
la direction significative
révélatrice de
leur ~vision" originel le ; on comprendra alors
Que nous insistions mOins sur
les différences' Que ce par Quoi
el les se rejoignent.
Uné des définitions
les plus intéressantes que
l'on pUisse
trouver sur
les mythes tant du point de vue de
la caractérisation
essentiel le de
la réal ité mythique que du point de vue dynamique
et créatrice, ce Qui répand à
la rais0n d'être fondamentale de
l'objet ·décrit, nous
la devons à Kérényi auand il écrit: "Le
mythe ••• est un art adhérent et
inhérent à
la poésie (les domai-
nes des deux se recoupent), un art avec des données matériel les
particulj~res. Car il existe une mati~re spéciale qui condition-
ne
l'art de
la mythologie: c'est une somme d'éléments anciens,
transmis par
la t~adition traitant des dieux et~êtres divins,
de combats, de héros et de descentes aux enfers, éléments conte~
nus dans des récits connus mais qui
n'excluent cependant pas
tout modelage plus poussé.
Le mei 1 leur terme pour désigner ces
éléments serait
le grec mytholoqème.
La mytholoqie est
le mou-
vement de cette matière Quelque chose de ferme et de mobi le en
même temps, de matériel
bien que non statique, sujet à
trans-
formations •••
il s'agit
là d'un art qui
se manifeste par son
modelage même et d'une matière spéciale se modelant el le-même,
les deux indissolublement unis dans une seule et même manifesta-
tion~" (1) L'importance d'une tel le définition du mythe qUI nous
renvoie à des sources où
la poésie aussi a
les Siennes,
nous au-
rons
l'occasion de
l'approfondir plus
loin Quand nous parlerons
..
de
l'ex-pression du fond.
L'une des caractéristiques majeures du mythe repose sur
l'an-
cienneté d"éléments particul iers consignés dans des récits spé-
cifiques. Déterminer
la nature de ces "éléments",
la nature de
ces "récits" et surtout
la manière dont ces éléments informent
le récit et
le ~écit .~es éléments en une mise à découvert réci-
proque -- ce Que ~érényi appel le "modelage" -- à
l'intérieur du
dire des mythes ainsi
ouvert à
l'horizon des possibi 1 ités (signi-
fications);
là est
la condition de dévoi lement de
l'essence mê-
me de
la mythologie. C'est à avoir
1 ieu aux origines
insondables
du Monde, de
l'homme et des dieux que
les mythologèmes fondent
l'existence comme présence à •••
L'irruption de ces trois réa-
lités fondamentales est contemporaine à
l'Origine el le-même c'est-
à-dire à
l'acte du mythe comme pouvoir de révéler
l'advenance
"non pas, comme dit Walter Otto, de ce qui
fut mais de ce QUI
toujours demeure" reprenant
les mots de Sai luste à propos des
mythes d!Attis : "cela ne se produisit jamais, mais c'est tou-
jours" •."( 2) C'est préc i sément
1à où i 1 fonde
l'avènement pr i mor-- i
dial
(des dieux des hommes et du monde) en présence que
le mythe
parlant ~'origines, de
l'Origine,'provoque
l'apparition de ce que
Kérényi
appel le "les matières originel les" qui
restent
inviei 1 1 i~
sab 1es,
i népu i sab 1es,
i nsurmontab 1es. •• en dehors des
1 i mites
du temps".
(3) Le mythe est l'expression de l'appartenance mutuel-
le, de
la co-présence, des dieux et des hommes, du Ciel
et de
la
Ter r e.
Ils son t
dan s i e myt he 0 r i q i ne Ile men t
pro che s ,
c ' est clans
CH. " Kérény i ;
Introduction à
l'essence de
la mythol0gie p. I l
~!a 1ter Otto
Dionysos
p. 82
CH. Kérényi
Int. à
l'essence de
la mythologie
p. 82
39
ce sens oue Maldiney écrit :"Ie mythe est
le mémorial de
la pro-
ximité de l'Autre en
l'homme, si
proche qu'impossible à énoncer
et Qu'i 1 ne peut être approché ou'éloigné par projection dans
une forme plastiQue'4
indiquant ainsi
une caractérisation exis-
tentiale du mythe comme mode d'être é-Ioiqnant pour ce qu'i 1 ma-
nifeste une tendance essentielle à la proximité.
La dimension my~',:
thique se révèle dans ce Que les Aborigènes d'Austral ie nomment
1e "Temps de Rêve",
1e temps sacré p e r-oe xce 1 1ence parce que con"C
)
temporain à
la Création, à
l'Origine, car
les dieux en créant
les
différentes réal ités fondaient également
le Temps sacré ••• Ainsi
prend naissance
l'expérience rel igieuse primordiale,
co-répondant
à
l'expérience primordiale de
la sacral ité du Temps.
Les mythes
en racontant
l'activité créatrice et en dévoi lant la sacral ité
des héros surnaturels se révèlent eux-mêmes essentiellement comme
des récits sacrés.-
Mais il convient de fixer son attention sur la particularité
de
la nature du récit dans le cas précis des mythes.
La distinc-
tion analytique entre forme (récit) et contenu (le dit des réc1ts,
sens) est un peu superficiel le et ne rend pas c0mpte de
la réali-
té du mythe et surtout n'envisage la sacral ité que comme une don-
née seconde que
le récit a p0ur t§che de révèlèr.
Il
faut conce-
voir au contraire "Ie récit mythiaue" non seulement comme une
forme de structuration des données significatives fondamentales,
mais aussi bien de ce qUI rassemblé dans
la forme tient,1 ieu de
sens (du mythe),
à savoir l'irruption du sacré, naissance des
dieux, combat.·des héros, en un mot toute
là thématique des mythes.
De ce po~nt de vue,
le récit mythique est
le mythe lui-même, que
l'analys~ structural iste définit comme "un système d'architectu-
res formel les significatives" (1) ;
dire un mythe est un atte
aussi sacré que ce que
le dit du mythe
lui-même inaugure ou ré-
vèle : ce qu'i 1 est convenu d'appeler contenu. Mais un tel
conte-
nu n'est signifiant que parce Qu'en oeuvre dans
l'auto-fonction-
nement du mythe.
le mythe est expression. Dans son dit qui
est
avènement des choses à
1a
1 utni ère,
se pr-op o s e
l'or i 9 i ne Ile p r-ox I-
mité des hommes et des dieux.
L'essence du mythe est aussi
son
existence; son ex-press;an,(son dit) est une avec sa manifesta-
Claude lévi-Strauss : cité par L. V. Thomas
Les rel igions d'Afrique nOIre
p.
73
(2)
H.Maldiney
Aîtres de
la
langue et demeures de
la pensée
p.230
40
tian.
Le récit mythique a sa racine dans une source dtoù
la pa-
role est génératrice de son prop~e langage; cette source est
aussI
le fond dans
lequel
la parole poati.que est parlante, c'est
pourauoi
les images mythiques que
le récit articule, sou-jacentes
à toute volonté de
les toématiser, en manifestant
le monde qu(è.~
les instaurent, manifestent aussi en même temps
la puissance oriti~e
ginel le du fond. Maldiney écrit à cet égard: ''l'articulation des
images mythiqueg est
la même que cel le du monde mythique au'el les
instaurent. El les unissent en une seule direction de sens, cons-'
tituée par un mythologème qui
ne cesse de se transformer en
lui-
même,
le pathos d'une ima~e originel le et l'activité "poiétique"
génératrice de formes.
L'acte fondateur d'un mythologème à tra-
vers la diversité des mythes où
il
se produit, ne cesse de re-
prendre en sous-oeuvre, pour
lui ouvrir à chaque fois un nouvel
horizon de sens,
l'image primordiale intemporel le qui
en est
le
fond.
La genèse de
l'expression et delBensée mythiques impl ique
donc, comme celle de l'étant où de l'existant qu'el le signifie,.
la différence et
l'inséparabi 1 ité du fond et du fondement."(l)
Ce que
le mythe traduit c'est
la proximité immédiate du devin,
d'où son essence rel igieuse.
Cette présence domine et submerge non seulemept
la vIe re-
l igieuse, mais toute activité aussI bien technique que sociale.
Ainsi
la femme diola chante pendant des heures, durant
la cérémo.
nie pour avoir de
la pluie: "Ata Emit (Dieu) épargne nous!
regarde nous !" (2) Ce n'est pas une coincidence si
la pluie
porte
le même nom que Dieu chez les DiolasQui pratiquent
la rizi-
culture, inondée.
Le mythe paele de primordial ités et de naissan-
ces originel les;
dès
lors pour réintégrer
l'origine, pour par-
ticiper:à
la création par excellence
l'homme rel igieux dans tous
ses actes essayera de vivre dans
la proximité du mythe qui est
cel le du monde. C'est ainsi
que chez
les Serer,
le huitième jour
après
la naissance, de petits enfants récitent à
l'intention du
nouveau-né :
"Qu'i 1 vivi, au'i 1 vIve
(Mumi, mumi) Sois muet, sois muet!"
(1)
H. Maldiney : A1tres de
la lan0ue et demeures de la pensée
Editions
l'Age d'Homme (Suisse) 1975
(2)
p.
232
L. V. Thomas:
Les rel iqions d'Afrique noire
p.
28
41
L'express i on "mum i, mum i" est à mettre en 1 i a i son avec un
rite du matin du huitième jour: "fo fi
fo mul" (l'eau du mutis-
me,
ou plutôt
l'eau de
I~apaisement). "II s'agit des eaux prImor-
diales source de Vie, et de
la cr~ation par excellence. "Le sou-
hait porte sur des eaux apaisées, une vie de paix"i Muni signi-
fierait donc plut6t "sois calme et apais~" (l),~e qui revient à
placer le nouveau-n~ dans la proximit~ de l'Origine et du mythe c
-~
de la cr~ation, car là sont les dieux. On comprend dès lors que
Walter Otto exige que soit reconnue comme pr~misse, non pas comme
Wi lamowitz : "Les dieux sont
là", mais "le mythe est
là", car
avec les dieux "nous sommes d~jà dans le monde du mythe".
lien
est de même du culte. Car
la même'dimension rel igieuse
leur est
commune: tendre à rendre
l'homme conscient de son origine divi-
ne ou SI
l'on veut
la p r-é s e nce du divin en
l'homme.
Le dieu s'of-
fre dans
le culte.où
il est appel~ à se manifester.
Alors que
les mythes traduisent
la pr~sence du divin par des
moyens narratifs fondant ainsi
la parole dans sa dimension cr~a
trice,
le culte y a recours grâce à
la figuration gestuelle.
Le ';J
culte se situe davantage sur
le plan de
l'expression que sur ~e
lui de
la re-pr~sentation ;
il a cours là où
l'homme submer3~ par
la sacral it~, par la pr~sence du divin, n'a d'autre Jangage pour
en manifester la proximit~ que celui des gestes, des positions,
des attitudes ••• cette proximit~ du divin est inscrite dans l'ex-
position même des formes que tisse dans
l'espace
le corps de
l'hom-
me à
la fois dans sa r~al ité propre et symbal ique. Le culte parle
à partir de
la double articulation du corps propre, foyer de
la
mise en v,ue des formes,
et de
la réal it~ symbol ique, constitutive
des dire~tions significatives de l'habiter. Ainsi
les formes du
culte ne ~ont en prise sur la sacral ité qu'à être des figures
(du corps) structu rées et srtucturant
l'espace cu 1tue 1. \\'./a 1ter
Otto a eu connaissance de cette sacral ité du corps dans
le culte
quand il écrit: "Le culte" atteste une proximit~ du subi ime tel-
le que
l'homme devait faire
l'offrande de sa propre personne pour
•
devenir aussI
lui-même immédiatement
la forme dans
laquel le s'ex-
primait cette proximité." (2) Cette proximité s'inscrit
ici dans
L. V. Thomas
:
Loc~ cit.
p.
190
Walter Otto:
Dionysos
p.
22
42
la donation des figures,
autrement dit dans
les attitudes gestuel-
les constitutives de
l'émergence des formes.
C'est dire que dans
le culte
l'auto-déploiement des formes croissant à
l'intérieur
d'el les-mêmes conspire vers
la donation de figures c0nstitutives
de
la dimension spatiale sacrée du culte.
Le système figurai
du
culte est en oeuvre dans
l'auto-fonctionnement des formes et c'est
à
les vivre et à
les faire vivre Que
les corps sont ex-pressifs.
Si
le corps est
le foyer de tout culte,
son expression
la plus
pure trouve en
la danse
l'un des
langages
les plus originaires
de
l' homme en face du sacré.
1c i l ' express ion s'or i 9 i née dans
1a
dimension pathique de
l'Informulé qui
est précisement".la puissance
du fond.
"La danse nous révèle que
le sacré est aussi
charnel
et que
le corps peut enseigner ce qu'un esprit qui
se veut désincarné ne
connaît pas
la beauté et
la grandeur de
l'acte
lorsque
l'hom-
me n'est pas divisé avec
lui-même mais tout entier présent à ce
qu'i 1 fait"
(1) La danse à cet égard, rejoint l'essence même du
culte,
ce qu'exprime Maurice Béjart quand
il
é c r i t :
"L'homme
est seul
en face de
l'Incompréhensible: angoisse,
peur,
attiran-
ce, mystère.
Les mots ne servent à rien. A quoI
bon nommer cela
Dieu,
Absolu,
Nature,Hâsard ?
••• Ce qu'i 1 faut c'est entrer en
contact. Ce Que
l'Homme recherche au-delà de
la compréhension,
c'est
la communication.
La danse naît de ce besoin de dire
l'in-
dicible,
de connaître ~'inconnu, d'être en rapport avec
l'autre •••
c'est
le geste omœ"va donner existence à cette union.
Les mains
se joignent,
le rythme unit
les souffles".
(2)
Par
la danse,
l'un
des plus, purs moments de
la Présence,
l'homme vit sa rencontre
avec
le.divin ;
et
i 1 n~ serait pas impossible d'y voir
la forme
la plus "origina~re du culte et du mythe; car partout o~ il y a
culte,
~J y a danse, à partir de laquel le l'homme s'aménageant un
habiter s'y outrepasse
lui-même dans
la dimension d'un espace
sacré et d'une durée atempore Ile qu i
1e
rendent contempora i n à
cette origine dont parlent
les mythes et
les cultes.
Les formes du culte et
les paroles mythiques --les f0rmes
du divin -- fureot
à
l'origine,
sans nul
doute,
des formes dansées.
(1)
Roger Garaudy
: Danser sa vie
Edition du Seui 1 1973
p.
16
(2)
Maurice Béjar~ :cf Préface de"danser sa vieu
p.
8
43
Le Koumpo,
une société de masques d'origine bainouk,
nous appor-
tera a cët égard è' ih~é~es~ahtës revelations. L'activité agricole,
technique essentiel lement vit~le et sacréé, connaît d'innombra-
-e ct èr-e
bles cultes qui
témoignent duvcréateur de
l'ex-pression gestuel-
le. Car
le geste du
laboureur participe et s'integre à
la sacra-
I ité du ta3terre,
et des cultures
lesquel les plus souvent appa-
raissent dans
les contes et
les mythes comme don des~~ieux. Son
travai 1 et son geste s'accompl issent à
l'intérieur d'un cycle cos-
mique.
La sacral ité du geste participe au rythme cosmique de
la
Vie i
c'est pourquoi
le travai 1 agricoÎe,
geste rel igieux,
s'épa-
nouit dans
la dimension fondamentale du chant et de
la danse.
Le
corps,
créateur de formes sacrées,est
le foyer de tout culte,
VOI-
là ce qui
donne sens et vie à tous
les gestes profonds que
l'hom-
me
inlassablement répète alors que même
la grande réal ité qu'i ls
exprimaient
leur est devenue étrangère.
Là où
depuis
longtemps
le mythe est tombé dans
l'oubl i,
il
arrive que
le geste
le porte
encore et
l'ex-prime.
Le mythe et
le culte,
au-d~Ià de leurs
caractéristiques propres,
reposent cependant sur une unité beau-
coup plus profonde.
Tous deux se fondent
sur
le même aspect du monde
: ex-poser
la Réal ité où
ils s'outrepassent eux-mêmes.qu'el le s'appel le
le
Sacré,
la Présence,
ou
le Divin,
el le n'en demeure pas mo r n s
l'essence de ce que
le mythe présente et de ce que
le culte re-
présente. C'est dire ou'entre
la narration mythique qui
assigne
à
la parole sa fonction
la plus élevée de pouvoir de fondation,
et
l'ex-pression cultuel le,
qUI
est une mise à vue des formes
en représentation figura le,
réside une parfaite
identité d'essence.
Ce qire Mr Maldiney dit de
l'Abstractï"on,
qu'el le "consiste .3
transformer à transposer des f~rmes qui racontent en formes qui
disent ••• "
(1) est aussi vrai du culte en ce que ses "formes di-
sent" par
la représentation figura le,
ce que cel les du mythe
"racontent". Mais
il
faut porter son attention sur ceci
le seul
fait de raconter un mythe est parfois un acte cultuel
véritable-,
èe qui
revient à soul igner
l'unité fondamentale du geste et de
la
parole,
surtout dans
les civi' isations dites "sans écriture" pour
(1)
H.
Maldiney
Re~ard Parole Espace
p.
19
44
lesquel les l'expression orale se manifeste de façon constante,
en s'y accampl issant, dans une gestuel le globale. Dans le
lan-
gage transparaissent partout
les gestes;
et ce n'est pas un ha-
sard si en Afrique noire occidentale,
les détenteurs de
la tradi~, l
tien, de
la mémoire des hauts faits des héros (
les dyal i et
les
qriats) sont aQant tout des musiciens des poètes et des conteurs
i
i·
:
en ce que
l'art de
la parole ne s'y présente authentifié dans son
pouvoir créateur et de communication que dans
l'accompl issement
du geste.
Lors de certaines ~randes cérémonies (initiation -
in-
tronisation -
naissance - mort)
la prépondérence des ~estes sur
les paroles
laisse à penser comme
le soul i~ne He1deqger que· "
1es gestes •••
transpara i ssent partout dans
1e
1angage,
et ce 1a 'J
avec
la plus grande pureté
lorsque
l'homme parle en se taisant."
(;t)
La parenté essentiel le du geste et du
langage Louis Massignon
la découvre dans' se qu'i 1 appel le : "le rite de salutatio~" en
ce qu'i 1 y voit "le commencement du
langage". Prenant
l'exemple
des
langues sud-américaines, où
l'on"cesse de parler quand il
ne
fait plus clair parce que tout
le
langage est incorporé au geste,
et
le geste de
I(orateur est une chose essentiel le :
la parole
se tend vers
l' obj et par
1e
geste" ;
i 1 p o ur-s u i t
"dans
1a
sa 1y_
tation c'est
la première chose: nous saluons l'étranger,
l'au-
tre,
ce qui est une chose énorme. C'est tout
le problème de
l'hos-
oital ité. Ce rite de salutation est
le plus humble des rites •••
ce n'est pas encore
la parole, ce n'est pas encore
le
lan9aqe,
mais cela détermine
le
1 ieu
de
la parole;
el le vise essentiel-
lement sur notre seui 1 un étranger,
l'autre,
la troisième persan-
ne 0U discours, cel le qui est absente mais dont on parle.
Le lan-
dage
l ',évoque parm i nous ;
1e geste situe
1a vis i te cl' un hôte ••• "
(2)
1 1 est
aussi
un autre domaine où la parenté de la parole et
de
la salutation apparaît dans la signifiance d'une C1estuel le
. ,
sacrée
la prlere. Et i 1 faut dire avec 1~la 1ter Otto aue SI "la
prière est une salutation" ••• ,
"la position de celui
qUI
prie,
sa contenance est sans doute plus ancienne que ses mots;
el le
(1)
M. He rdegger
Qu'appel le-t-on penser?
P. U. F. 1961' 2 e d ,
(2)
L. Massign«»n
Involution sémantique du Symbole
p. 90
cf. Etudes carmél itaines
1960
p.
207 - 208
45
est
une expression plus oriqinaire du sentiment de présence di-
vine".
(1) C'est pourquoi devant
le sentiment de Présence qui
le
submerge,
le Serer face au Solei 1 levant,
ne peut que répéter
. intassablement
la prière suivante oui tire toute sa puissance
et toute sa force dans
l'ex-pression combien profonde des paroles
qu i ont
j c i l a
di mens i on même du geste
=
1a
para 1e est toute. en-
gagée dans
le geste:
~
"Gulohar ! Gulohar
!
Tu,
Dunaré ! Dunaré
~Ye dun
Me dun
Toi
qUI
ne renonces pas! toi
qUI
ne renonces pas
Tu
l'illuminé!
l'illuminé
Tu es dans la
lumière!
Je.suis devant ta
lumière 1" (2)
Nous devons ce texte à Mr Thomas Qui
pr~cise : "dun" Qualifie
l'éclat de
la fumière du disque solaire, •••. ~xprime la ~umi~re
é c 1a tan te. "Dun a ré" est cel u i qui est
l' i 1 1umi né ••.• If " 'A!e du n !
Me dun ! toi dans
la clarté, moi
dans
la clarté". ~i "Ies qestes
apparaissent partout dans
le
langage ••• avec
la plus 1rande pu-
reté
lorsque
l'homme parle en se tai~a"t", ils apparaissent enco-
re, devant
la présence solennel le du S~cré, .avec la plus lrande
profondeur
lorsque
l'homme éprouve que
l'espace vécu du corps,
qui
est
ICI
cette parole si lencieuse du geste de celui
qui
prie,
peut en dire plus que les mots ne sauraient jamaia le faire.
~
Les poètes ne s'y1rnMpent pas et reconnaissent au geste le
m~me ~ouvoir que la par~le ; "Ie langage poétique a la puissance
même du geste" dira René Meni 1 (3) car
le ~este est aussi appel
et convie
les choses en une mise à découvert. Césaire retrouve
toute
la puissance de
la "parole" du geste quand il
écrit:
''l'obscurité fragi le de ma voix craque de cités
flamboyantes
et
la 'pureté irrésistible de ma maIn appel le
W. Otto: Dionysos
Le culte et
le mythe
p.
24-
L. V. Thomas:
Les rel igions d'Afrique noire
p.
135
R.
Meni 1 cité par L.
Kesteloot
=
_ Anthologie
né']ro-afri-
caine
D.
46
de
loiA de très
loin •••
le zèle victorieux de l'acise dans la chair
de
la vie" (1)
montrant ainsi
~ue dans l'ouverbure du geste se tient la parole;
à convier
les choses à
la parole,
le poète
les découvre ici sous
la protection même du geste, autrement dit dansl~ouverture de
son appel. Appel qui est aussi
celui du culte dans
lequel à tra-
vers la dynamique gestuel le des officiants le dieu est en venue.
Au 1 ieu du culte ce qui est offert, écrit M~ldiney, c'est: "1a
réciprocité des regards de l'homme et du dieu.
le culte appel le
re dieu pour qu'i 1 se montre et pour qu'i 1 le voie. l'homme re-
garde le dieu et il est par lui
regardé.f La situation centrale
du culte pour ce Qu'el le manifeste, comme mise à la
lumière,
la
proximité de
l'homme et du dieu, se produit comme le pathos d'une
expression ori·ginelle puisant sa source dans un fond
immémorial.
antérieur
à toute signification comme à toute fonction thémati-
sable; fond dans
leque. s'investit et parle dans toute sa pureté
et dans toute sa puissance génératrice et créatrice
la primordia~i
lité du geste~ Nous sommes ici aussi aux origines même de la pa-
role rpoiétique",
comme expression d'un fond originel où ont leur
source commune la poésie,
le mythe et le rite. Expression de la
parole et puissance du geste ont
le même fond.
les représentations
gestuel les dont nous· attestons
l'importance au niveau des cultes,
des rites, des cérémonies et des jeux, par leur valeur symbolique,
doivent être saisies comme des "paroles".
Il s'agit donc propre-
m~fi~tpour les gestes de rel,résenter des "paroles", notion dont le
sens ~ecouvre, a~ n,veau symbol ique, non seulement l'expression
orale, mais aussi toutes
les formesl,d'expressions signifiantes et
significatives des divers modes de communiquer. C'est pourquoi
il
faut v~ir en la dynamique signifiante des ~estes l'expression d'un
langage t~ès élaboré au niveau duauel se situe non seulement la
danse mais aussi
l'ensemble des cérémonies sacrées, des techniques r
des jeux, de certaines activités (manger
acte sexuel ••• ) etc •••
r
Il
ne faut pas seulement concevoir
les gestes comme des accompa-
gnateurs qui
soutendent ou Qident à
la formu~ation de la parole;
les Dogon disant à cet égard: "Ies paroles simples "étant" à base
(1)
Aimé Césaire
Les armes miraculeuses
Edition poésie Gallimard
1970
p. 21
(2)
H. Maldiney
Aîtres de
la
langue et demeures de
la pensée
p.
245
47
d'eau,
fai~e des geste~ les lubrifie, les rend plus "coulantes",
plus faci les à comprendre; on dit que parler en faisant des ges-
tes de
la m~in fait se rencontrer l'eau et l'hui le". (1) la fonc-
tion de certains gestes rejoint
la fonction même de
la narration
mythique, et montre
l'unité indivisible du mythe et du culte.
Nous avons vu que
la dimension essentiel le du myhhe comme
cel le du culte est d'être relative au Sacré et que
là où
le mythe
"raconte" des formes originel les,
le culte re-présente,
ex-pose
en une mise à vue des figures originel les.
la mise à vue a
ICI
dans
le culte,
le sens d'un spectacle, mais d'un spectacle spé-
cial. Cette mise à vwe a
1 Îeu partout où
la dynamique des gestes
est opérante, agissante. "Que la mythologie soit vécue avant tout
dans
le culte" comme
le veulent Kérény~; et Jensen, n'enl~ve rien
à
l'original ité propre du monde cultue~ qui témoigne que la pré-
sence du divin peut aussi bien se révéler dans
l'expression d'une
gestuelle sacrée. Avec
la notion de gestes sacrés, nous dépassons
largement
le cadre proprement cultuel en ce que ceux-cI
sont en
fonctionnement dans
le vaste domaine des expressions rel igieuses
dont
le rite fait partie.
Ensemble de gestes, de paroles et d'actions canonisés par
la c~utume, le rite intrmduit l'individu dans
l'atmosph~re gran-
diose des commencements relatifs aux haùts faits des héros, à
leurs gest~~. le rite apparaît ainsi comme une dramatisation
solennel le qui permet à
l'individu de" réitérer comme dit Mircéa
El iade : "le temps primordial,
le Temps "pur", celui qUI
existait
au moment de
la Création",
(2) car avec
le rite, opérant un pas-
sage;du profane au sacré, l'individu, ~e la "satisfaction idéale"
exige, "l'identification réelle,
la satisfaction de fait" (3) ......
c'est~à-dire rendre effective sa participation au divin par la
réactual isation de
l'Espace et du Temps sacrés. Cette dramatisa-
tion solennel le trouve en
la fête son expression
la plus achevée.
Par
la fête s'opère
l'éclatement des cloisons individuel-
les,
de
la durée temporel le, débordement de
la vie ordinaire, en
ce qu'el le place
l'individu au-dessus des contraintes, des dual is~
mes, des antagonismes; el le est
libération du geste et de
la pa-
(1~ G. C. Griaule : Ethnologie et langage
p.
73
(2
;,:M. El i ade : Le sacré et le profane
Editions Ga Iii mard 1965
p. 68
(3)
R. Ca i 1 loi s : Le mythe et l' homme
Editions Gall imard 1972
p. 26
48
role, "synthèse à propos de
laquel le JOie, vie et force créatri-
ce ne font plus qu'un".
(1) Nous sommes ici dans
la trame de
la
durée, qui
est aussi cel le des commençemèBts que
l'individu revit
comme s'i 1 était subitement replacé au premier jour du monde.
La
dimension des rites qui
est aussi
celle de
la fête,
articule une
symbol ique existentiel le dans
laquel le
Ilhorizon de
l'existence
humaine est manifesté au-delà d'el le. La présence est réquisition-_
née au sommet d'un monde dans
la proximité essentiel le des choses
et des dieux;
sommet qui
est aussi
son commencement. Cela trans-
paraît Qva~ la plus grande clarté dans la 1 iaison qui existe en-
tre
la fête et
la danse tel le qu'el le apparaît dans
les cérémo-
nies septennales du dioro
lobi-birifor "réunissant plusieurs mi I-
I iers de jeunes individus coiffés de plumes d(out~rde~et parés
de caur i s. ••
Les c ér-émoné-e s sont placées dans
1e
con:t':xte du rite
agra i re ;
1e so 1 ••• et
l'eau ••• figurant
1es symbo 1es autour des-
quels évolue
le programme des
1 iturgies.
Les séquences du prOQram-
me débutent aUx~G~~trons de Nako, par une hiérogamie avec un Jeu-
ne descendant des premiers occupants et une jeune fi Ile sélection-
née •••
Lorsque cette dernière,
fécondée,
~ccouche, on annonce que
"le fleuve a fait un petit" et dès cet instant,
s'ouvre une pé-
riode de
1 icence
pour
le~ futurs initiés qui profèrent impuné-
ment de ~raves insultes, molestent la population et à coups de
bâton tuent
les animaux de
la basse-cour (2) au mi 1 ieu de chants
et de danse5 qui
durent toute
la nuit.
Dans
la fête,
l'individu est élévé, contemporain aux dieux,
il
vit comme au premier jour du monde.
Il devient
lui-même créa-
teur. Pour reprendre
l'expression de Frobeniu9,
l'homme est "sai-
si
p~r la nature des choses". ~a fête unit en une relation pro-
fonde et essent i e Ile
1e
profane et
1e
sacré, et plane entre 1e
"sérjeux et
le jeu, entre
le rigoureusement fixe et
le capricieu-
~eme~t 1 ibre". (3) C'est dire que l'essence de la fête réside
dans une atmosphère solennel le
:
les
individus qui
y participent,
1es gestes,
1e temps et
l'espace dev i ennent auss i so 1enne 1s.
Le
sentiment de solennité est à
la base de toute cérémnnie, sa di-
mension est purement rel i q i eu s e , C'est ainsi
que
la prière,
l'ex-
L. V~ fhomas : Les rel i1ions d'Afrique noire
P.
153
B. Holas
: Organisations sacia-rel iQieuses en Afrique nOI~e
Bulletin de
1'1.
F. A.
N..
T. XXVI
s ér-,
B
Janv. avr.
1964 nO i-2
p. 50
Kérényi cité par A. E.
Jensen:
Mythes et cules chez
les~
peup 1es p r- im i tifs
-
Payot
Paris 1954
p.66
49
pression rel igieuse par excellence, puisque communion avec le
divin, vit toute entière, et s'y achève, dans
l'élément de solen~"
nité,
là où
l'individu, à
la fois grave et serein, trouve dans
le
prpfond recuei 1 lement de
l'adoration l'élévation de
l'âme vers
le Sacré. A la fête,
à
la prière, au mythe comme au culte est com-
mune cette même dimension du sacré qu'est
le solennel.
Avec le sentiment de solennité, ce que
l'individu éprouve
-
iest selon
le terme de Frobenius "un saisissement"
le sentiment
de
la créature qui,
à
la fois s'abîme dans son propre néant de-
vant
la présence du numen et s'élève au-dessus de
la vie Journa-
l ière. "Etre saisi",(au double sens "de le prendre et de
le cons-
tituer"(l) comme l'indique B.
Rordorf) par
la nature des choses
veut dire que
l'individu dans
la dimension de solennité ludique
qu'estp.la Fête, est élevé hors de soi dans une communication pa--
thique découv~ant l'expérience d'une total ité dans laquel le l'or-
dre du monde est vécu à même le surgissement extatique de
l'in-
dividu. Dans le tumulte des mouvements expressifs des cérémonies
solennel les, entre-eux communiquent, contemporains au même sur-
gissement,
l'existence humaine
les choses et
les dieux en une
p~oximité irrécusable.
D~ns le culte et les rites,
le solennèl
s'exprime dans une
mise à vue gestuel le qui a
le sens d'une dramatisation sacrée.
le caractère théâtral de ces manifestations rel igieuses prend
ainsi
la forme d'un spectacle, d'une figuration. Avec cette no-
tion de spectacle,
le solennel apparaît en dépit de
la gravité
qu I l e caractér i se, se greffer dans une di mens i on
1ud i que;;
ou
plus .exactement
la dime~sion ludique des figurations sacrées n'ex-
clut.pas le solennel.
:C'est ainsi qu'~ l'occasion de la sortie du ~ankouran, mas-
que Mand i ngue jouant un r-ô 1e
important dans
1a ci rconc i sion,
1e
caractère sacré de
la cérémonie ne saurait être eissocié ni
du
ludique,
ni
du solennel, tellement tows ces éléments, parce que
demeurant profondement 1 iés, constituent
l'essence même de
la
cérémonie. En effet, à
la sortie du masque
les circoncis vont
à sa rencontre dans
la forêt sacrée, et
la troupe tout en chan-
Bc Rordorf
L'essence. de
1a re 1i g i on dans
1es discours
de Friedrich Daniel Schleiermacher
cf.
Présent à H, Maldiney
Ed.
L'àge d'Homme S.A.
Lausanne 1973
pp.20S-229
50
r
tant et tout en dansant se dirige vers
le vi liage pour en faire
1e tour des hab i ta tons.
"Au signa 1 donné par Kankouran,
1es j eu-
nes se couchent à plat ventre sur le sol et
le masque poussant
son cr i, monte sur
1eur dos, s eu't.e rrt cde l'un à
l'autre en 1es
lardant de coups de pointe. A un autre commandement l'escorte se
relève et se remet à danser •••
le tour du vi liage achevé,
le
Kankouran revient vers le forêt sacrée ••• ordonne aux vieux et
aux pères de fami 1 le de se coucher.~t et devant les fi Is stupé-
faits
les frappe durement •••
les blesse de son épée tout en
les
piétinant ••• ordonnant aux enfants de chanter gaiement, tandis
que dansent
les suivants du masque ••• Ceci fait,
Kankouran re-
tourne au vi liage ••• sur son passage accourent des foules d'hom-
mes, de femmes et d'enfants.
Il multipl ie les vexations tandis
que couverts de sueur et de poussière,
les jeunes gens agitent
leurs rameaUH de branchage dansent et chantent jusqu'aux 1 imites
de l'épuisement".
(1)
les cultes,
les mythes comme le jeu rélè~ent donc de la même
sphère.
la sérénité empreinte de gravité caractér·isant
l'individu
jouant qui n'obéit à aucun autre fondement que celui où il
se
trouve de jouer, rejoint
les caractéristiques fondamentales des
actes cultuels. De même que
les actes cultuels sont déterminés
par la proximité du sacré, de même l'essence du jeu s'apparente
au solennel. De même du jeu, on peut dire ce que CH. Kérényi dit
du solennel "qu'i 1 ne se confond pas avec le joyeux", car ••• "dans
la grande profondeur du solennel
il y a quelque chose qui
s'ap-
parente plus à
la sérénité qu'à
la tristesse. Bien plus, même
dans !a tristesse, quand el le est solennel le,
nous trouvons --a-
joute'Kérényi ~ quelque chose que Holderl in sentait intensifié
à
l'extrême dans
la tragédie grecque quand il écrivait
les vers
suivants au sujet d'Antigone
"Plus d'un tenta en vain de dire avec Jale sa très
grande joie,
Et voi là qu'ici enfin el le s'exprime à mal
dans
la
tristesse". (2)
(1)
J. Girard
Diffusion en mi 1 ieu diola de
l'association
du Koumpo bainouk
Bulletin de
l' l.f.A.N.
T. XXVII
Janv. ev r , 1965
p.
65
(2)
aülderl in cité par CH. Kérényi
: La rel igion antique
Ses
J igues
foncamentales
Geor~ éciteurs Genève 1957
p. 53
e .
-
51
les cérémonies sa~es se présentént comme des figurations
ludiques où se confondent
l'espace sacré et
l'espace ludique,
le
temps sacré et
le temps
ludique;
car
là où
la dimension rel igieu-
se du solennel s, cours,
la sacral ité du culte s'opère sous
la
forme d'une dramatisation ludique, de tel le façon que
le jeu n'ap-
paraisse lui-même que dan~ le cérémoniel. l'étroite relation eXIs-
tant entre
le jeu et le solennel dans leur dimension rel igieuse
voire théâtrale, sinon dramatique se dégage de
la manière
la plus
profonde et
la plus significative dans
la danse.
Une tel le relation apparaÎ~ de façon très claire chez les
Bainouk et
les Diola à
l'occasion de
la sortie du Koumpo, une
société de masques, dont nous essayerons ici de dégager
les di~
rections significatives mises en jeu.
Ici nos références porte-
ront essentiellement sur l'étude faite par Monsieur Jean Girard
intitulée: "Diffusion en mi 1 ieu diola de
l'association du Koumpo
baTnouk".
(1~
liserait intéressant de dégager
l'étymologie du Koumpo, du
terme peul et toucouleur de : "Kumde" signifiant attacher,
1 ier,
ce que
la fonction du masque, parce que garant de
l'ordre s~cial,
de
la cohésion spirituel le et matériel le de
la collectivité par
le souci d'intégrer
l'individu aux valeurs ~outumières d~ groupe,
laisserait assez présager.
le Koumpo est un
1 ien qui assure
la
continuité et
la permanence du phylum ethnique et socio-cultuel
des diola et des bainouk Qui
uti 1 isent le masque.
On pourrait de
même rapprocher ce terme peul et Koumpo, du terme Ouolof:
"Kum-
pa", -dérivé de "Umpa" qui veut dire"secret, mystère, ce que
l'on
connatt ni
ne comprend"(2) De quelqu'un qui est mystérieux,
les
Ouo 1o frd i sent : "Bare na kumpa" marquant a ir.t-s~r r eur i mpu i ssance
à en pénétrer
le secret.
De ces deux étymo 103 i es é loi gnées apparemlflebt 1f (lùne~e , 1',éJl:t-
tre se dégagent deux caractéristiques fondamentales ayant trait
à
la signification de la cérémonie du Koumpo
la notion de "Iien"
(cohésion sociale que le Koumpo est appelé à garantir) et
la no-
t i on de "secret" ma 1 s en retenant que 1e sens du terme Ouo l o f,'
"kumpa" est plus précis en ce qu'i 1 suggère ce devant quoi
la
J. Girard:
loc. c i t ,
A. Kobès et O. Abiven
Dictionnaire Volof - Français
Mission catholique Dakar -Sénégal
p.
167
1922
52
6urioeité intellectuel le se heurte comme faisant problème. A
montrer le bien fondé de ces deux étymologies se justifiant par
le r~le même que joue le Koumpo dans la vie sociale, nous serions
à même de dégager leur rapport,
l'union de sens qUI existe entre
el les. Mais seulement on ne saurait sais~r toute la signification
de
la société de~masques du Koumpo sans la remplacer, du moins
chez les baTnouk, dans
la pensée cosmogonique. la cosmogonie
baïnouk est à
structure dualiste: tout ce qui est perc~ptible
émane des deux p~les de puissances opposées mais complémentaires
Dino et Oukassela
- Dino préfigure "le pôle céleste, dieu ouranien suprême,
principe d'ordre, de lumière, d'unité ,~ d'éternité et ce puis-
sance fécondante".
- Ouant à Oukassela il préfigure le pôle opposé: "pale
terrestre", génie chtonien et nocturne de la forêt originel le
cha0tique et monstrueuse; principe de la transformation et de
renouvellement cyclique de la matière, de la pluralité et multi-
pl ication des formes
individoel les, des apparences tro~peuses
et provisoires"(l)
Mais il faudrait peut-être insister davantage que ne
le fait
~;'Oirard sur la complémentarité des deux puissances et à la 1i~ t
mite même montrer, au-delà des oppositions parcellaires l'unité
fondamentale qui unit
les trois figures: Dino, Oukassela et
Kou~po.
Cette unité fondamentale se manifeste dans l'ambiguïté mê-
me du Masque qui participant à la fois des deux puissances est
à
la:fois lumineuse et nocturne. Bien que luttant contre la
sorcellerie laquel le participe du domaine d'Oukassela,
Koumpo
est un être essentiellement nocturoe dont
l'apparition dans la
forêt,
1 ieu privi légié d'Oukassela, en produisant une transfor-
mation panIque dans
le vi liage s'apparente plus aux puissances
chtoniennes et aux démons archaïques du monde souterrain qu'à
la puissance lumineuse de Dino. Cette particularité du masque
qui en fait un être essentiellement terrestre s'exprime dans le
fait qu'i 1 apparatt comme l'expression même du principe vital
(1)
J. Girard
loc. cit.
p. 48
53
et g~n~r~teur de l'instinct sexuel, ~du d~sir de vie qUI court
le monde, poussant hommes et femmes à s'unir.
Il
est
le princi-
pe de
la transformation et du renouvellement perpétuel des for-
ces vives de
la nat~re. A l'arrière plan du Koumpo,
il
y a toujours
comme l'envers de celui-ci,l'idée du chaos monstrueux des origi-
nes et cel le du renoGvellement cycl ique de
la matière jusqu'à
usure complète de son potentiel le énergétique."(l) la "matière"
que repr~sente Oukassela constitutive du fond du Koumpa est donc
l'~nergie vitale qui sourd à travers le monde; mais cette éner-
gie est paradoxalement ressentie comme puissance dangereuse noc-
turne contre
laquel le il fawt
lutter. Cette
lutte contre les ins-
tincts s'exprime par
la
lutte que mène Koumpo contre
l'Ouké~o~
le sorcier -- mot qui a
la même étymologie que Oukassela -'-" être
essentiellement nocturne, puissance terrestre.
l'ambigu1té du
Masque, traduit. l'ambiguïté de
l'homme devant
l'irruption des
puissances archaiques -- "la matière".
les contradictions du
masque traduisent
le confl it fondamental
de
liordre et du désir,
conflit osci liant entre deux attitudes contracdictoires bienfai-
santes et cruel les; di lemne que les Bainouk surmontent par la
valorisation de
l'Ethique.
Ces deux principes,Dino et Oukassela~pr~figureraientselon
Girard te conflit cosmique qui
est à
la base du dual isme origi-
naire :
le Bien et
le Mal,
l'Esprit et
la Matière,
le Chaos et
la Création. Oukassela subit cependant
la loi de Dina mais en
secret use
l'énergie vitale du monde ••• pour que
le retour du c~' r
originel assure son triomphe sur
la terre avant qu'un nouveau cycle
cosmlq~e ne recomme~ce. Sur terre Dino se m~nifeste sous l'appa-
rence ~e Koumpo "descendu du ciel, instal lé en une forêt sac~ée,
i/
raY9nne sur le clan vi 1 lageois et son territoire, de toute sa
pUissance ••• protectrice et fécondante".
le respect que
l'on doit
à Dino passe par le respect de
la
loi du bois sacré c'est-à-dire
du Koumpo du clan,
lequel
respect consiste en
l 'observation dcs-',:;
obI igations et des
interdits que
la collectivité se coit de suj~
vre et que
le Koumpo se doit de faire garantir. Cependant
les
individus sont plus sensibles à
la
loi d'Oukassela,
d'où
la ten-
(1)
J. Girard
lac. ci t ..
p.
50
54
dance à s'éloigner de
la
loi du Koumpo, de Dino. Le dual isme cos-
mique entre Dino et Oukassela se traduit sur
le plan individuel
en un confl it perpétuel que se 1 ivrent daex puissances opposées
mais complémentaires entre lesquel les l'homme pense-t-on doit
choisir et non obéir simultanément. En effet en chaque homme,
formé d'un esprit participant de Dino et d'un corps participant
de la matière, d'Oukassela,son~ en lutte les forces d'intégra-
tion sociale (ouroudion1i"n :
le b o nvc i s côté des êtres) ; Lt
les
forces antisociales (ouroudiondon :
le mauvais cRt6 ~as êtrc~).
signifiant au s s t
le conflit et l',:dliance des pu l s i o.v.s
1:.
....
tUel les et des manifestations éthic.~2s. La si~nificatjon fonda-
mentale du Koumpo est oU centre de ce dualisme 0riqinaire dont
il manifeste aussi
l'unité.
La figure c~ntradictoire du Masque
n'est surmontée qu'à s'affirmer dans la manifestation d'une fonc-
tion éthique erigée en valeur absolue canal isant ainsi
l'instinct
sexuel en le réduisant et en le légitimant dans une fonction de
reproduction bannissant
l'i.rruption de l'individuel et des puis-
sances obscures au profit des forces sociales et des relations
communautaires.
Donc ce Que le Koumpo assure, c'est l'équi 1 ibre tant cosmI-
que qui fasse que
l'ordre du monde soit r~gi so~s la
loi de Dino,
que social, en vei lIant à ce que
l'§me collective du clan -- le
respect des traditions,
la 1 iaison spirituei le ,entre les vivants
et les morts,
l'abondance,
la prospérité -
soit respectée afin
que l'esprit du clan
lui-même soit le reflet social de l'Ordre
cosmique. On comprend dès lors que présider la circoncision et
lutter contre la sorcel I~rie soient ses fonctions
les plus élévées.
Circoncision et sorcel lerfê participent sur le plan social
de
la
lutte des deux pôles antagonistes que se 1 ivrent sur le
plan ~osmiQue Dino et Oukassela, et sur le plan individuel,
les
forces d'intégration sociale (ouroudioni) et
les forces antiso-
ciales (0uroudiondon).
Il est hautement significatif que les
3ainouk uti 1 isent
le même terme pour caractériser à
la fois
le
confl it
résidant à
l'intérieur de chaque être, et l'épreuve qui
permet de découvrir un homme accusé ~.sorcel lerie. Cette éoreuve
55
consiste en
l'absorption d'uh breuvage fait de
la décoction de
feui 1 les de
I~arbre appelé "sidohgone" -- la lutte entre ourou-
dioni et ouroudiondon se nomme également sidohgone -- à celui
qui
est accusé de sorcel le~ie, s'i 1 vomit le breuvage, son in-
nocence est reconnue dans
le cas contraire
il est reconnu cou-
pable. L'uti 1 isation ~u même terme désignant à la fois la lutte
seQète entre Ouroudioni et Ouroudiondon et
l'épreuve de sorcel le-
rie,montre
l'étroite relation entre les forces antisociales et
la sorcellerie en ce aue
le sorcier participe avant tout de
la
loi d'Oukassela, secréte et nocturne,
ressentie comme malfaisan-
te et pertubatrice. Camme Oukassela sur
le plan cosmIque,
l'Ou-
kero -- le sorcier --
sur le plan social ,introduit un déséqui-
1 ibre, t.ou-; un ensemble de situations confl ictuelles et de ten~
slons.
Le sorcier apparaît et se présente comme une déviation de
l' i déa 1 soc i a l ;
i 1 pr-é f i gure
l' i r-r-upt i on de
l' i ndi v i due 1,
du
singul ier au sein de
la cohésion sociale, car il
est tentative
comme dit J. Girard "d'émancipation, de marginal isme" ce qui est
considéré comme l'attitude anti-sociale par excellence. C'est
la
peur en fait des
instincts nocturnes en
l'homme, de
l'irruption
des pUissances archaïques;
si
bien que
la
lutte que mène
le Mas-
que traduit en fait
la peur devant ces manifestations
instinctuel--
les qui
ne peuvent/pour
le 8aïnouk,être surmontées que par
l'af-
firmation de
l'Ethique. En luttant contre
la s o r-ce l Ler-i .o,
le
Koumpo rétabl it
l'ordre sur trois plans;
il
rétabl it non seule-
ment
l'ordre social, mais aussi
bien l'ordre cosmique, Que
l'é-
qui 1 ibre individuel qui
n'existe qu'à participer à
la
loi de Dino,
équi li~re qui fait défaut au sorcier, parce que créature incomplè-
te : c!est ainsi
que
le Koumpo chante en condamnant
le sorcier
"Sorcier tu te crois caché en faisant
le mal, mais
Je vaIs découvrir ton secret ••• ta vie s'arrête-là
au nom de Dina" (1)
8~ ~~uci de cohésion sociale que le masque doit assurer et
garantir à travers
la
lutte contre
I~sorcel lerie comme on le voit
justifie donc pleinement
l'étymologie du
Koumpo que nous ratta-
(1 )
J. Gi ra rd
l o c ,
c i t ,
p.
56
56
chions au terme peul et toucouleur "kumde". signifiant
lier, at-
tacher,
1 ien dans
lequel est manifestée l'u~lté même qui réunit
les puissances contraires symbol isées par Dina et Oukassela ;
mais ce terme ne suffit pas à éclairer l'aspect secret de
la na-
ture du Koumpo tel
que le fait suggérer la deuxième étymolo~ie
d'oriqine Wolof.
Là où
le caractère secret du koumpo trouve tout
son sens nous
le découvrons dans
le rapport existant entre le
masque et
la circoncision, eh même temps que nous apparaîtee:l'u-
nité sématique des deux étym6Io~;es.
La circoncision, parce que
1 iée au koumpo,apparaît bien plus
qu~fiimple confirmation de l'individu d~ns son sexe. La quai ité
d'"homme", de vi ri 1 ité que confère la circoncision est
1 iée à
la
connaissance du secret du
Koumpo •. Mais la circoncision est infi-
niment plus que cela
el le est en même temps acceptation des
puissances obscures, affirmatioR.lde la féminité en
l'homme et
confIrmation de la masculinité
la relation qui
unit
le Masque'~~
aux circoncis eàtff.oridamentale et significative à plus d'un ti-
tre. La cérémonie de la circoncision, en ayant 1 ieu dans
la fo-
rêt sacrée,
là où
le dieu Dino
lui-même est apparu aux homm~s
sous
la forme du Koumpo, et
là où est
le domaine d'Oukassela,
permet de dégager
l'identité d'essence entre les circoncis et le
Hasque lui-même,partant avec Oukassela,
le Seigneur des pUissan-
ce du fond; ce qui permet de soul igner non seulement
le caractè-
re sacré de
la circoncision, mais
le caractère ambival.mt de cel-
le-ci.
La circoncision est
l'acceptation de
l'unité des contrai-
res, et apparâît de ce fait comme l'intégration Qui, permettant
la tr~nsformation non d'un avoir mais d'un être, assume la di-
mension nocturne et féminine en
l'homme, c'est-à-dire
l'accepta-
,
tion desson contraire, comme l'est
l'être du
Koumpo lui-même.
L'ambfguTté originel le Comme
l'indétermination des sexes n'est
pas du tout niée dans
la circoncision au profit d'un principe
viri 1 et d'ordre représenté par Dino, mais est
inté9rêe~t ceci
se manifeste dans
le fait que
les circoncis ont
le droit d'entre-
tenir des relations sexuel les,
ce q~~~eut dire en d'autres ter-
mes, que
la circoncision est
l'expression de
la participation au
57
domaine d'Oukassel~ aux pulsions sexuel les, puissances nocturnes
et terrestres -- au fond de l'homme,
la féminité. Que cel les-ci
soient ici encore cana~i~~es, parce que redo~tées, dans une dyna-
mique soci laie à parfrr de laquel le el les sont subi imées dans leur
valeur éthique de reproduction, montre bien, non pas comme l'af-
firment J. Girard et D. Zahan, que soit retranchée aux circoncis
toute féminité (1) mais montre au contraire la tentative de la
société de se prévenir, sans pouvoir le nier, de Ge qu'el le con-
sidère comme un danger
les puissances pulsionnel les 1 ivrées en
el les-m~mes ressenties comme, en l'iadividu, l'expression d'un
fond archaïque. La circoncision apparaît de ce fait fondamentale-
ment comme une initiation, comma la connaissance secrète que l'i-
nitiateur -- le Koumpo -- par
l'intermédiaire de la société quï
le représente, se charge d'enseigner: ainsi
les circoncis appren-
nent non seulemènt
la structure du dual isme cosmique représenté
par Dino et Oukassela, mais aussi bien la lutte que se 1 ivrent
Ouroudioni et Ouroudiondon, que du choix qu'i Is ont à faire entre
eux-m~mes et la collectivité. Le secret du Koumpo apparaît de ce
fait comme une initiation sur un triple plan, comme le faisait
ressortir la
lutte contre la sorcellerie -
,sur le plan cosmique,
social et individuel. De ce fait si
le sorcier apparaît comme le
grand pertubateur, à un degré moindre il en est de m~me de l'in-
circoncis Qui
parce Que non initié, c'est-à-dire en qUI sommei l-
Ient et s'expriment les puissances nocturnes et
les instincts
sexuels, a un statut négatif, entendez sur le plan éthique.
Les incirconcis ne peuvent ni procréer, ni se marier et les
danses;de Koumpo leur sont interdites parce que ignorants "la dis-
tinctiqn entre le bien et le mal,
le social et
l'antisocial"~ C'est
cette innocence,significative de l'expression de
la participation
au domé'ine de la Nuit,qui est
Ignorance, qui expl ique
leur choix d
dans
la lutte
contre la sorcellerie car ce sont eux "qui prépa-
rent
la potion ordal ique et
la font
ingurgiter" à ceux qui sont
soupçonnés; et parce que non-initiés au secret de
la fôrêt sacrée,
leur innocence est supposée être "g~ante de l'impartial ité de leur
jugement". Ainsi avec la circoncision,
la fonction sociale du
(1)
D. Zahan
cf.
10C.
ci t •
p.
208
58
Koumpo se découvre dans sa dimension initiatique, ce qui fait ap-
paraître l'intégration de
l'individu au sein de
la société comme
un apprentissage auquel
il doit ~tre initié. Le Koumpo a précis6.
ment pour rôle, en" luttant contre la sorcellerie et en initiant
les circoncis au secret ~t à la loi du bois sacré, d'enseigner la p
profondeur des significations cachées des valeurs socio-culturel-
les
des rites des coutumes, des traditions~Privilégier la dimen-
f
sion de
l'~thique comme lieu même de la révélation de l'Autre, des
principes dual istes et du confl it cosmique,
là est la fonction
profonde du
Koumpo car au-delà et à travers le secret initiatique
qu'i J révèle et dont
il est
le gardien,ce qui est signifié c'est
l'unité du groupe; ainsi se recoupent
les sens de ~ "kumde" ;
1 ier, et de i "kumpa" : secret
pour caractériser la signification
r
fondamentale du ~~sque.
Que la natu~e du Koumpo réside dans la dimension initiatique
de la circoncision s'éclairant sur
le triple plan que nous avons
dit et qu'el le consiste en
le maintien d'une plus grande cohésion
des membres du clan 1 iée aux valeurs socio-culturelles, transparaît
aisément dans 1es 'daeses et dans 1e symbo 1 i sme du Koumpo et de sa
fami 1 le de masques. Seulement on ne peut dévoi.ler toute la valeur
des fonctions et toute la profondeur des significations du masque;
sinon de tout masque, qu'à saisir la dimension respiratoire par
quoI
il est présence et communication immédiate:
la danse. Donc
ici qu'est-ce-qqe
la fonction? Qu'est-ce-que la signification du
masque dès
Jors que ce~ui-ci lui-même ne surgit à
la rencontre
du dieu qui
l'habite, en un mot n'ex-iste, Qu'à avoir 1 ieu à
la
danse, q~'à se donner immédiatement comme présence, sinon. précise-
ment cette donation el le-même o~ ont 1ieu originairement le masque
et~la danse? Que
la réalité dont
le masque est le 1 ieu et que la
nature du masque.el le-même ne puissent s'éclairer et être dévoi lées
que dans et par
l'expérience de
la danse,
un chant du
Koumpo l'at-
teste clairement:
"Mamadou Coly,
écoute
le bruit du tam-tam
QUe se passe-t-i 1 ?
?
59
T
Abdou Sodian répond :
J'entends Gomme un bruit •••
lime semble qu'un Koumpo arrive •••
Mamadou Coly répond:
Ah ! Nous al Ions donc danse~ aujourd'hui?
Abdou Sodian s'élance auprès des jeunes:
Voi là
la danse!
" (1)
L'être du masque et "l'être de
la danse demeurent confondus
participant d'un rythme unÎque en s'achevant dans un
ici et main-
tenant qui
n'est autre que
le moment aparitionnel du dieu;
SI
bien que ce serait trop 'peu de dire que la fonction du masque
est de danser
le dieu, en ce qu'ici
les notions de proche et de
lointain s'aboi ~ent d'el les-mêmes suivant la formule de Maldiney
"dans le sans-distance ••• sous
l'horizon d'une plénitude."(Z)
Le sans-distance ne renvoie à aucun autre moment que c~lui
de
la rencontre,
rencontre du dieu du masque et du danseur. C'est
dans cette plénitude de
la rencontre où hors d'eux-mêmes
le mas-
que,
le dieu et
le danseur sur-o i s s e nt; en eux-mêmes, qu'est préci-
ment
la Présence. Walter Otto
le dit de façon très forte quand
parlant de Dionysos "représenté dans
le masque parce.que ••• con-
nu comme le dieu qui
regarde",
il
écrit
"Le masque ••• agit comme
le plus fort symbole de
la
présençe.
Ici
il
n'y a que rencontre sans échappatoire pos-
si b 1e ;
1a fi x i té d' un-en-face qu i vous e nv oû t e ,
Le masque est tout entier rencontre,
raën que ren-
contre, pur-en-face.
Il
n'y a pas d'envers •••
Il
n'y a fYen qui
puisse transcender le puissant
moment de ta rencontre.
Donc il
n~ a pas une existence pleine. Il est le
symbole et
la manifestation de ce oui est simulta-
nément présent et absent; présence
la plus absolue,
absence absolue: deux en un." (3)
J. Gi ra :~d
1
oc. ·
C t
I .
p. 85
H.
MaJ2iney
Regard Parole Espace
p.
121
W. Otto: Dionysos
p.
98
60
upré~ence absolue ••• ab~e~~e apsolue'~, Ce paradoxe du masque
est celui de
I~ danse ël le~m~~~: c~r ayec I~ dan~e n'ont ~Ius
cours Le$ distinctions haut/bas,
lointain/proche f gauche/droite
qui
s~~bol i~~ent d'el les-mêmes s~articula~t dans la proximité
d'un
!ei~Maintenant qui est c~1 le même de laPr'~ence : et c'est
là Que réside
la plénit~de d~ masq~~ KQ~mpo leQ4el séparé de
la
danse perd tout son sens jusau'à la signification de ses "multi-
pies fO,rmes fantômatiqu~~, t~ntôt ~éantes, tantôt naines, tantôt
défai' lantes, tantôt renaissantes et canau6rantes ••• "(1) c'est-à-'
dire
Ite~senc~ paradoxale de son être, Ces multiples métamorphoses
du ma&qu~ K04mpo bieo que c0nç~étisées Pa~ une société de masques
hiérarchisés dans
leur pu!~~~nce et da~s leurs traits chez
les
Diola , ~n I~s masque~ (Gnasse, Samar, Gnaqarasse, Faraho) ne re-
prése~tapt rien d'autre que le Koumpo lui-même, témoignent au-delà
des c~angements, de la permanence de l'identité du Koumpo à lui-
mêne per-ce que s' expr- i mant dans
lé
ja i IIi ssement d'un présent ab-
solu q4i n'a deplénit~de qu~à s'assumer aussi et en même temps
comme pqssé apsolu et avenir,
L~ caractère paradoxal~du Koumpo comme nous avons pu le
voir, co~me celui des dieux et des héros mythiques, révèle à tra-
vers I~s innombrables métamorphoses Que l'antagonisme véritable
montre de prime abord ce qui demeure cac~é, ~t "ne se révèle com-
me unité, c'est-à-dire en manifestant
le fond même de
l'être
._. ..
.
,"
du Ma~aue des dieux et des héros
qu'à "recuei 11ir", qu'à
rassembler les contraires, qu'à les 0utrepasser tout en
les main-
tenant en ~3me temps; "le recuei 1 lement ne dissout pas dans le
vide d,'une absence de contrastes ce Qu'i 1 pe r dom i ne ,
il
le main-
tient .par I~unification des efforts antagonistes, dans la plus
haute acuité de sa tension." (2) Le caractère paradoxal appar-
tient ~ l'essence même du dieu, comme à l'essence même du Masque.
Là est
1 e
sens des métamorphoses. Vo Il à pour-oué i auss i
1 a
répétition des acter(}ultuels dont on sait 1 'impartance en tant
que principe même de
l'expérience rel iqieuse, et qui est récupé-
ration du Temps d'origine demeure essentiellement créatrice, en
ce que Id Ternps vy ,est: Indéf in i ment récupérab 1e si bien que 1es fêtes
.t •. Girard
1oc. ci t.
p.
50
M: -Heor degger
Introduction à
la métaphysique
p.
142
01
et
les rites parce qu'actes esse~tiel lement r~actual ~s~s se don-
riest to~jours d~Hs la mouvari~e d'~ri Prèserit absol~; Pass~ absolu
et pr~sent absolu demeurent 1 i~s sinon, dans leur essence,
identi-
ques. Bachelard ~crit : "Ie masque devient un centre de condensation
où les possibi 1 it~s de l'être tr~vent une coh~rence. On comprend
que
le masque suqqère des temporal it~s sp~ciales". (1) Le maSQue
n'existe qu'à~tre dansé. De
. même la divination qUI est voyance,
en
laquel le
l'homme du pr~sent ne s'interroqe sur l'avenir qu'à
être en prise sur
le pass~(nalssBnce, vie et mort de celui à qui
on veut prédire
l'avenir est mise en relation avec
les Dieux,
les
astres,
les points cardinaux,
la cosmogonie ••• ) participe elle aussi
de cette pl~nitude du Temps dont nous avons ~u que le masque et la
danse n' ava i ent de sens qu'à s' y mouvo 1 r
:
1e Présent abso 1u , C'est
ainsi qu'i 1 faut comprendre
le fait que
la danse duKoumpo et la
plupart des danses solennel les s'expriment en
la fiJuration d'un
~ercle.
"Samai dont ~'apparition est toujour~ soudaine
surgit en
bondissant dans fe cercle où ••• sont r~unis des jeunes hommes et
des Jeunes fi 1 les"(2) chantant et dansa~t•••• Le symbol isme du cer-
cie est en rapport direct avec
le m~sque comme avec la danse
la
sol idit~ de la coiffure du Koumpo lui-même est renforc~e par des
"cercles concentriques".
Entrer dans
le cercle signifie entrer dans
la danse. Entrer
dans le cercie c'est vivre
l'exp~rience de la plénitude et de la
Totalité indivise du Monde et du Temps.
"La soci~té des masques
c'est le monde entier. Et lorsqu'el le s'ébranle en place publ ioue,
el le danse la marche du Monde, el le danse
le système du Monde" (3)
écrit Griaule,
par
la voix d'Ogotommel i
le Saqe Dogon.
Le pouvoir
du danseur qui
entre dans
I~ cercle se conforme avec celui de l'~
ternité l
des perpétuels recommencements d'instants tous
identiques
les uns aux autres.
Le cercle traduit
le cycle i~fini de la vie
universel le : vie,
mort et renaissance dans "Ieur entrelacs" que
le danseur ne ~it que vivre par sa danse, en faisant l'expérience
du monde circulaire
là où étant partout à
l'ori')ine,
il
vit
l'in:..
tense profondeur de
la Présence absolue. Une telle o r t o r ne ne peut
Bachelard
le droit de rêver
P, U. F.
1970
p.
213
J. Girard
1oc.
ci t.
rti.
p .74
Griaule
cité par J. Baptiste Obama
p.
219
cf. Col loque sur
l'art nègre
Rapports Tome 1
S. A" C.
Ed.
Présence Afric.
1967
b
62
.
t '
t
. "l'
être vécue que par un saut, un surglssemen
c es
pourquoI
ap-
parition du Samar est toujours soudaine", comme cel le du Gnasse
qui ne rentre "dans le cercle des danseurs surpris" qu'en surgis~
sant "en bondissant au mi 1 ieu d'eux. Quand au mi 1 ieu des danseurs,
le dieu Masque surgit comme sorti du néant, fixant
les specta-
teurs de ses "deux orbites vides et creuses" pour reprendre l'ex-
pression de W. Otto, qui
les saisissent'.dans "cette fixité incon-
tournable du sans distance" (1), c'est comme SI "rien ne pouvait
transcender
le puissant moment de la rencontre" (2),
rencontre
à
laquelle
les spectateurs qui
sont ICI
les participants, des
fidèles, s'abîment, surgissant hors d'eux-mêmes à
la présence du
dieu, présence ressentie en même temps comme absence. Sous la
fascination du regard du Masque,' fascination de
la puissance du
monde nocturne, répond" l'i 1 lumination" des participants;
i I-
I um i nat i on qu i .est \\lécue comme une i ntér i or i sat i on de cette fasc i -
nation du regard du Masque. Car dans leur manière de se tenir
les participants deviennent en quelque sorte un reqard où l'être
du Masque s'éclaire, s'ex-prime à travers le mode d'être pathi-
que par lequel ces participants se réquisitionnent hors d'eux-
mêmes pour devenir
la forme de manifestaion même du Masque: "am-
biguité de
la proximité et de
l'éloignement" comme dit W. Otto.
Que le mouvoir des danseurs en l'expression du mouvement
circulaire, exprIme l'infinitude et la plénitude cycl ique de
la
vie universel le, son inaccessibi lité en tant que 1 imite infran-
chissable, trouve sa signification la plus profonde dans le fait
que la danse n'a d'autre fin que l'extase sinon l'épuisement par-
ce qu~ précisemment ceux-là n'ont d'autre final ité qu'en eux-mê-
mes ef possèdent en eux-mêmes leur propre 1 imite.
Ils sont ici
et maintenant;
leur temporal ité est cel le d'un pur p~és~nt. Ici
i 1 n'~,a pas de 1 imite dans l'espace et dans le temps puisque
danse s'y déploie indéfiniment
le danseur;
l'espace et le temps
étant comme le symbole même de cette richesse inépuisable et de
cette plénitude que suggère le cercle.
Il est hautement significatif que l'expérience de
la pléni-
tude symbol isée par le cercle ne puisse s'éprouver précisement
(1)
H. Maldiney : Aîtres de
la
langue et demeures de la pensée
p.
254
(2)
w. Otto: Dionysos
p. 98
63
que par ces moments expressifs que sont
l'extase et
l'épuisement
~oments dont E.St~au9 dit qu'i Is "appartiennent justement à l'é-
tat du vécu
le plus originaire" (1).
Le"vivre"du danseur "est un
~tre présent qui ne renvoie à aucune conclusion dans l'avenir et
n'est par conséquent pas
1 imité dans
l'espace et dans
le temps.
Son mouvement est une mouvance non dirigée en réson~nce avec le
mouvement propre de
l'espace par
lequel
efle est
induite pathique-
ment." (2) Ainsi
à
la sortie du Kankouran,
masque spécial isé con-
tre
la
lutte des sorciers chez
les Diola "le masque se présente
escorté par tous
les jeunes hommes ••• Tous chantent et dansent
autour du Kankoura n , ••
couverts de sueur et de pouss i ère,
1es jeu-
nes gens agitent
leurs rameaux de feui liages,
dansent et chantent
jusqu'aux
limites de
l'épuisement".
l i e n est de m~me aussi,
sinon
de manière beaucoup plus forte encore,
de
la cérémonie
lébou du
"N'Doep" où durant
la danse de posseSSion,
est nommé
le rab --
l'esprit qui
possède et hàbite
la malade
la malade est couver-
te'~de"percale blanche et de protections magiques" ainsi que l'a-
nimai
sacrificiel
à côté duquel
el le est étendue.
"A ce moment
les tar
tam-tams entonnent
les nouveaux appels aux ancètres •••
puis brus-
quement
la malade surgit et se met debout po~r danser;
les parents
et
les
initiés
l'encadrent et dansent avec el le ••• el le dansera
jusqu'à sa chute,
jusqu'à son épuisement." (3)
De m~me qu'on ne rentre dans
le cercle que par un "saut",
un "surgissement",
de m@me qu'on~' sort qu'en s'y abandonnant,
qu'en devenant d'une certaine manière "cercle" soi-m@me,
qu'en
étant hors-soi
autrement dit,
entrer dans
le cercle et en sor-
t i r --;danser en un mot,
c'est toujours un dépassement en ce que
le danseur ne connaît de
1 imite qu'à
la franchir,
outrepassement
dans
lequel
il
surgit dans
la proximité de
la Présence.
Il
y a
un déséqui 1 ibre constant qui
peut être définitif et avoir
le sens
d'un non-retour car bien qu'entrer dans
le cercle manifeste
la
plénitude de
la Vie,
il
peut tout aussi
bien se traduire en son
contraire
la mart pour celui
qui
ne peut en s o r t i r :
un chant
du Samai
l'exprime ainsi
en des paroles aui
ont
la valeur d'une
mise en garde:
(1)
E. Str.aus cité par H.
Maldiney cf.
Regard Parole Espace p.137
(2)
E. Straus:
Die Formen des Râuml ichen- (p.
176)
cité par H.
Maldiney
Ibid.
p.139
(3)
Ousmane Si 1 la
:
Langage et technique thérapeutiques des cultes
de possession des
lébou du Sénégal
p.
219-220
Bulletin de
l'I.F.A.N.
T.
XXXI
Janv.
1969
Série B
.64
"Etranger te voi là fier et Joyeux dans notre vii1age,
Sur notre grande place.
Montre-nous toutes tes façons de danser.
Oh ! en cette première visite,
je ne peux rien vous
dire
Vous souhaitez m'acceui 1 lir bien:
Q'avance Je vous remercie de tout
Pourtant ne vous
lassez pas de ma présence,
Car je suis dangereux.
Le premier Que mon arme touchera
~~urra de douleur
Prenez donc garde à mOI
! " (1)
De même
le chant du masque Gnagarasse dit
"Donnez en notre nom
le bonjour au K6urnpo~ Votre
chef,
Le maÎtre des masques, . fui
qu In'ous surveille en
votre demeure dangereuse.
"
(2)
De même
le chant du masque Faraho:
"Oh! toi quef'ondévine si
j~1 i,
Montre-nous ton visage caché.
Faraho
!
Montr'e;"nous quel
beau coupe-coupe est
le tien"!
(3)
On ne saurait appréhender ces mouvements ex-pressifs dont nous
parlons à propos du danseur qu'à
l'intérieur ce
leur propre mou-
'vance qui
a
ICI
le sens d'un auto-dépassement perpétue' pari eque 1
le danseur,s'éprouvant comme "déséqui 1 ibre créateur"suivant
l'ex-
pression de Maldiney,vit
l'intense profondeur de
la plénitud~ du
cercle.
la danse qUI
épouse
le cycle vital
du cercle ne connaitd'-
autre fin qu'à exprimer
la dimenson pathique qui
fait surgir
le danseur
~II
hors de soi.Dans
le cercle
le danseur est toujours à
l'origjne.1 1
est toujours au centre; i 1 est
lui-même
le centre, 1 ieu et foyer du
surgissement de
la Présence.Le mouvoir du danseur y rejoint
le
lljJ..Girard
loc.cit.,
p.75
2 lbid.
P.76
3 l b i d ,
p.76
65
mouvoir du {emps et du Monde. Parlant du
labyrinthe Maldiney é-
crit : "Qu'est-ce-Que le
labyrinthe? Le symbole du mondé souter-
ra 1 n...
lorsque vous entrez dans 1es sp ires d'un
1abyr i nthe, par
exemple constitué par quatre spirales enlacées, vous entrez dans
l'une à mesure Que
l'espace autour de vous se rétrécit,
vous pé-
nétrez vers un centre où vous êtes de nlus en plus enfermé, mais
duque 1 en cont i nuant votre mouvement par un no uve 1 essor- vous
.
.
ressortez à
l'air
libre, pour entrer dans une no uv e 1 1e:-~': ._~. ~
dans un no~veau rétrécissement, vers un centre. Ouel le est cette
direction vers
le centre, c'es~adirection vers la mort et la sor-
tie est sortie de
/armort ••• Ce côté souterrain ••• apparaît tou~,
jours là où
la vie se manifeste sur fond de mort." (1)
Tout au contraire dans
l'expérience du mon~e circulaire,
le
danseur n'éprouve pas le sentiment d'enfoncement,
ni de "rétré-
ci ssement" de
l'espace,
nid' empr i sonnement ;
i 1 ne va pas d'es-
·de plus en plus "concentrationnaire", mais il est
pace en espace
à
l'horizon de tout
l'espace, où qu'i 1 soit
il est toujours au
centre, si bien que pour vivre
la plénitude symbol isée par
le
cercle il
n'y a pas d'issue possible,
sinon
l'anéantissement de
sorte que
le danseur est pris d'une sorte de vertige devant
la
profondeur à vouloir
l'épuiser:
le renoncement au pouvoir-vivre
la plénitude de
la vie -- n'est-ca-pas
là dans une certaine me-
sure
le Nirvâna boudhique ? -- marauant
l'impuissance du danseur
devant ce qu i
1e transcende 1 montre que ce 1u i -c i a son
issue hors
de soi.
Là où apparaît
le cercle,
là est
la Vie dans sa plénitu-
de et sa total ité
indivise dans son entrelacs avec
le Temps -
la
~ort -
la Renaissance -
le Monde.
le symbole qui
exp~tme le ~ieux cet entrelacs, on le trouve
en
la figure Qui
réunit
le cercle au carré et que
l'on nomme en
viei 1 indien : mandala: "cercle" ou "anneau" cont
la pr0fonde
siqnification nous apparaît dans
l'analyse aue nous communi~ue
Kérényi
à propos d'un type de "ce symbole en usage au Tibet chez
les adeptes du bouddhisme Mahâyâna" : "On trouve chez eux un carré
inscrit dans un cercle, muni
aux Quatre.lcôtés d'un appendice en
forme de T. Ce carré, à son tour,
renferme des cercles concentri-
(1) H. Maldiney
cf. Polycopie cours d'esthétique (sans date ?)
66
Ques •••
l'adente de ce mystère bouddhique développe dans
la réa-
I ité consciente du Mandala -- en soi et autour de soi -- l'imaqe
du monde, avec au centre,
'a montagne des dieux Sumeru. C'est elle
Qui est pour lui
l'axe de
l'oeuf mondial et "son corps quadran-
gulaire couvert
de joyaux, aux surfaces de cristal d'or, de ru-
bis, d'émeraude, scinti 1 le aux couleurs des auatre réqions de
l'u-
nivers. Un Hindou croyant verrait à son sommet
le monde palatin
du roi des dieux
Indra et de ses Bienheureux ••• f\\ sa place,
l'a-
depte du Mandala bouddhique développe un temple monastiaue, com-
me étant
le seul emplaa:émerÎltfldiqne de Bouddha ••• A l'intérieur
de son symbole, on trouve,au centre, un cercle avec une fleur de
lotus épanouie dont
les huit pétales s'étendent dans toutes
les
directions de
la rose des vents:
les quatre points cardinaux de
l'horizon et
les quatre directions intermédiaires. C'est sur cet-
te fleur que
le fidèle se voit
lui-même, debout,
sous
les traits
du Mahâsukha (un des avatars du grand dieu Shiva), tenant enlacé
la figure féminine. Comme "subi ime félicité des cercles" il
se
voit muni
de quatre têtes et de huit bras, et par la contempla-
tion il devient conscient de ~a nature. Les quatre têtes désignent
les quatre éléments -- la terre,
l'eau,
le feu,
l'air
dans
leur
état
immatériel, supra-sensoriel. En même temps el les son~ les
quatre sentiments
infinis;
s'efforcer de
les nénétrec par un
exercice constant si~nifie préparer sa maturation pour le Nirvâna."
L'aspect unifiant du cercle ou plutôt
la profondeur dans
la-
auel le
la rencontre de
l'homme avec lui-même, avec
les ~ieux, le
Monde.et
le Temps en un centre où tout s'excède parce que fiîu-
rant je centre des centres,
le nombri 1 à partir duquel tout a
jai 1 Il, est clairement manifesté ici. la fiqure du mandala qUI
a un profond retentissement
dans
les couches abyssales de
la
psyché est
l'un des symboles
les plus siqnificatifs par lesquels
1 'homme traduit
le Devenir-Conscient (le Devenir-Soi). Jung con-
sidère le mandala comme le symbole de ''l'ordre orimordial
de
la
psyché" c'est pourquoi
selon lui, écrit Jacobi: "créer des man-
•
dalas, se plonger dans deur médiat~on cela est de nature à provo-
(1) CH. Kérényi
Introduction à
l'essence de
la Mythologie
p.
26-27
67
il,'
quer en l'auteur aussi
bien que dans
le contemplateur,
l'évei 1 et
l'expression de cet ordre primordial
qui
existe en puissance dans
chaque psyché ••• "
(1) Dans le langage jungien le mandala préfigure
l'un des symboles
les plus significatifs de "la voie de
l'indivi-
duation",
laQuel le est un processus de développement de
la person-
nal ité,
la réal isation de son Soi;
cela n'est pas contradictoire
au fait que
la création des mandalas détermine I~omme à s'épuiser
dans une cohésion collective plus
intense et plus universel le.
la nature profonde du symbole trouve
ici dans
la conception
Jungienne de
l'individuation, à travers
le mandala, un nouvel
éclâ~
rage:
le symbole devient ainsi
-l'expression suprême de ce qui
est pressanti, mais non encore reconnu".
(2)
Il
n'est signifiant
et significatif qu'à être vécu;
ce qUI dans
le
langage des alchi-
mistes sélon Jung est désigné "de façon très expressive comme une
"conjonction", un "mariage", à condition toutefois de considérer
ce mariage comme une union parfaite, où
les deux éléments se sont
fondus
l'un dans
l'autre, en une unité et une total ité insépara-
bles, pour constituer déjà, à proprement parler un véritable "her-
maphrodite".
(3) On comprend dès lors que le symbole du mandala,
da"s sa dimension
la plus essentiel le soit
l'expression vécue de
la Rencontre fondamentale ou'i 1 lustre "le fid~le debout sur le
lotus enlaçant une figure féminine".
Il est significatif de noter
que chez les Bambara aussi nous trouvons une conception sembla-
ble de cette rencontre fondamentale en
la fi~ure de"l'homme de-
bout
près du
lac",
lequel est né de
la synthèse primordiale des
"quatre signes (les quatre éléments) qUI
"couchés aux quatre
points cardinaux se sont dressés pour le former".
(4) Nous tou-
chons ici à
l'essence même de
la notion de centre, de point nodal,
en tant Que
1 ié à
la création dans son acception originel le ; "Ie
commencement de toute génération sensible", a son origine dans
"le feu
incorporé dans
la pierre" qui
"se trouvait au mi 1 ieu du
lac" disent
les Bambara et le danseur diola debout
lui aussi
au
mi 1 ieu du cercle
inaugure aussi
avant tout
le commencement du
monde.
le symbol isme du cercle 1 ié à
la notion de centre trouve aln-
Jacobi
J.
lac.
m
cit.
p.
Jacobi
J.
loc.cit. citant
l~j
Jlln3
p.
Ibid.
p., .
82
Pâques V.
Bouffons sacrés du cercle de BouQouni
p.75
(Soudan français)
68
si dans le mandala,
la figure qui
lui confère la plénitude de son
sens.
Il est significattffde noter que chez les Peul, dans "la
lé9~nde de Kaydara", l'apparition du dieu aux postulants, après
qu'i Is aient rencontré "le dernier symbole" durant
leur voyage
initiatique, concorde de façon étrange à la description d~ man-
dala, si nous entendons par là, suivant Kérényi "la figure qui
réunit le cercle au carré" : ce qUI apparut aux voyageurs c'est
"Un siège en or pur
Sur
lequel trônait un être humain
A sept têtes, douze bras, en outre pourvu de
Trente pieds dénombrables.
Qu'était-ce? Kaidara
le Surnaturel
Qui
change de forme à volonté et dont chaque forme
est unIque •••
Le'trône sur lequel
Kaidara était assis
Tournoyait sans arrêt,
il
illuminait KaTdara
Dont
la splendeur Solei 1 était in descriptible.
Les pieds-symboles du trône parlaient tournant en
rand :
Le premier d'entre-eux disait :, Grand vent
Le deuxième d'entre-eux disait: Tremblement de
Terre
Quant au troisième il
invoquait
Inondations
Le quatrième invoquait, quant à
lui,
Incendie" (1)
Tel qu'i 1 apparaît dans son tournoiement incessant, Kaidara
symbol ise la structure même du monde et du temps avec
les sept
jours d~ la semaine,
les douze mOIs et
le~ tcente jours du mois
il préfigure le mouvement perpétuel de la terre comme l'affirme J
une chanson peul
"La terre bouge par petits bonds
et
les ombres se déplacent
mes boeufs font
le va-et-vient~"
C'est pourquoi
il tourne sans arrêt sur son trône et "qu'i 1
fait
le Solei 1" car les Peul disent que "c'est le solei 1 qui com-
-:..t 'U':>:!i 1
(1)
Hampaté Bâ
Kaidara
p.79-83
•
69
mande au temps". Kaidara est auss I l e maître des éléments ;
1e sym-
bole de
la quaternité tel
qu'i 1 apparaît dans
le mandala sous
la
forme d'un carré inscrit dans un cercle, se dégage ici
dans la con-
cept i on des Quatre é létnents fondamentaux
l'a il",
1a terre,
l'eau,
le feu qui, comme receptable du "tr8ne",
l'Univers,
s'inscrivent
eux aussI dans
le mouvement perpétuel du temps, du devenir cosmi-
que.
La VISion du dieu ~ du mouvement perpétuel, est éclaiN&~ à
partir d'un centre cosmique structurant un éQui libre fondamental
qui est symbol isé
ici par le trône de Kaipara. C'est cette notion
de centre cosmique, que
l'on retrouve da~s tout symbol isme du cer-
cie, qui
en tant qu'il est
la VOie, fonde
l'unité primordiale: "le
Monde est dans
le Temps et
le Temps est dans
le Monde".
(1) Même
le cycle de
l'éternel le répétition du Même suppose ce centre, cet
équi libre cosmique
lieu du mouvement cycl ique ;
là est
la diffé~
rence fondaméntaie du Cosmos et du Chaos. Ce que"le centre" traduit
c'est
le jai 1 lissement même de
la Vie universel le,
le Principe ab~J
solu, et organisateur en tant qu'i 1 structure
la dimension fonda-
mentale 'de l'unité. C'est ainsi
qu'i 1 est frappant de voir, dans
les statuettes africaines,
l'importance et
la dimension données
au nombril, foyer dynamique et
lieu de convergences des formes
des forces: car c'est du centre que vi~nt et que part la vie.
Un rite de semai 1 les chez
les Serer est, à cet égard signi-
ficatif :
"le chef du groupe domestique s#achem~~e vers son grand champ
demil~ précédé d'un être pur, un jeune enfant et suivi de tous les
habitants de son "m'bind" (carré fami 1 ial).
j 1 porte
une calebas-
se cont~nant les semences posées sur une feui 1 le d'arbre. Entrant
dans
le'champ le chef de fami 1 le trace un cercle avec son i 1er,
creuse un trou en son centre et aprês avoir humecté de sa sai ive •••
1a or-em i êre IJraeJ ne,
i 1 l' enfou i t , Pu i s i l
se recue i Ile s' e dr-e s s an t
aux panQols du champ qu'i 1 supplie de fai~e fructuer cette ~raine
en nombre
infini. Chacun de se~ fi Is répête le m~me ~este et redit
la même priêre,. Puis on commence à creuser, en partant du trou
dans
lequel a été enfouie
la première ~raine." (2)
(1)
H4 Maldiney : Regard Parole Espace
P.
161
(2)
J. C~ Reverdy
Une société rurale au Sénégal
C.A.S.H.A. Novem. Décem. 1963
70
Sans nous attarder ~ur ~a si~nification particul ière des di-
vers ~ymboles mis en jeu dans le rite
l' apparaft que tous con-
f
.
,
courent en s'y excépant vers ~ne direction ~,g~ificative qui
les
éclai~e et donne sena à leurs significations par~icul ières (in-
divid~el les)! Cette direction significative beaucoup plus ori~i
naire dit Infiniement plus que ne saurait le faire
l'assemblage
des sens des symboles; et pourtant à réaliser l'accompl issement
des sens des symboles,
il aurait fal lu qu'elle soit infuse -- en
s'y profi lant'~ dans chaque symbole. Quel le est cette direction?
... .
-
. ~ ..
Si notis appelons
l 'accompl issement de sens qu~,'rassemblant les t:
diver~~sens des symboles (~~tre pur", qcalebasse v , "semence",
.
..
. .....
_ .
etc •• ,) dans
I~~r usage particul 1er le~ déborde, direction signi-
ficative,
nous v.oyons ici qu'el le fonde -.-. à travers
le symbolis-
me du centre ~ le rite. Cette direction de sens se confond avec
ce lieu à parti~ duquel tout s'ordonne. ç~ Qui donne son sens a~x
symboles et à quoi tout se rapP0nte et d'o~ tout part, c'est bien
ICI
le 'or-Lnc i oe f~condant :
le"'~trou" vital ~ LÇJ vie naît de la vie
c'est pourquoi
la première graine est enfouie au centre du cercle,
là o~ la conden~ation et la concentration du principe vital sont
absolues, et ç~est pou~Quoi aussi c'est à partir de ce "trou" que
.
.
la semence commençe. Cependant ce que I~ex~pression rituel le si-
gnifie ici déborde infiniement
le souci du paysan serer, à sa-
.voir la fruç~iflcation des graines,
la per.spective d'une bonne
récol~e, Ce qeste est parlant Ici dans l'expre~sion même d'un
fond dé.bqrdant tout signe, tout thème. Ce que le sens du rite
traduit s'excède, s'épuise dans la profondeur oriqinaire des sym-
boles ~ dans la direction significative o~ se fait Jour la ren-
contrecfondamentale du cultivateur, de la graine et du cercle la-
que LLevdépe s s e infiniement
la préaccupation matérielle aussi légi-
time Qu'el le puisse être, de s'assurer une bonne récolte. Ne par-
Ier que de cette préoccupation Comme fonction majeure du rite,
laisserait inexpliqué le fondamental
qui est précisement cette
rencontre de la graine du cercle et du cultivateur o~ le destin
de la récolte se décide.
C'est dans
la profondeur de
la gestuel le dU.cultiv.ateur "ac-
. . . . 0.-
•
t
br
71
cord~e à la premi~re esquIsse du monde "à l'horizon de laouel le
~tait le cercle, en raison d'une symbol ique oriqinaire que sa
gestuel le anime, que
le jai 11 issement de
la Vie ~pouse dans un
même mouvement cosmique la graine,
le cultivateur et le cercle.·
là est la rencontre, c'est dire
ici que l'expression est au fon-
dement.
l'acte de naissance du cercle est celui du monde et
le
devenir de la graine y puise ses sources.
le geste du cultivateur
se retrouve, se trouve "plac~ subitement, sans d~tours et sans
avoir ~rr~, sans recherches et sans efforts" (1) en plein dans
l'~poqie originel le, dans "cet abTme du noyau" selon l'expression
de Goethe, et "c'est
là qu'i 1 faut suppose~ pour parler comme
Kérényi
le point central autour duquel tout notre être et notre
essence s'organisent~" (2)
Dans
la dimension symbol ique du geste,
le cultivateur renaTt
à sa propre origine, à
l'origine par excellence. Une tel le naissan-
ce est sur-gissement. A répéter chaque ann~e le même geste n'en
épuise ni
la primordial ité ni
la spontanéité car il tend à se
porter, à se reporter toujours au-delà de
lui-même vers
l'Origine
où est sa propre origine, en raison d'une auto-gén~se perpétuel le.
Si
l'on doit parler de
l'essence du rite,
ce n'est donc pas clans
1
Y
1a né cess ité ut il i ta i re du geste
saura i t- i-l en être ai ns i ? -
qu'i 1 faut
la chercher; elle est ai lieurs,
là où
le aeste lui-
même en se perdant, a
1 ieu.
l'essence du rite n'est Jamais SI
1 imitée qu'el le se
laisse saisir à partir d'un quoi déterminé.
le
mouvement ut i 1 i ta i .re du qe e t e -"semerl'das t;jrB.i r\\es~',
n' épu i se pas
la dynamique symbol ique du geste -
"tracer un cercle", dont pour
reprendre une expression de Mr Maldiney "le flux est en distance
et en é~ergence perpétuel les." (3) Ce qui revient à dire que la
fonction et la signification du rite répondent à une nécessit~
fondamentale à
la mesure de
la résonance et du retentissement
originaires du symbole -d'une dynamique vitale --
lequel
inau-
gure toujours un monde avec
lequel
nous naissons.
lien est ainsi
du geste du cultivateur, comme du masque, de
la oanse comme du
cercle, parce que formes d'expression originaire d'habiter
le
monde.
l'expérience vécue du symbole est voie de notre surgisse-
CH. Kérény i
Introduction à
l'essence de
la mythologie p. 20
Ibid.
p.
21
H. Maldiney
Regard Parole Espace
p.139
72
ment au monde, c'est à se dévoi 1er comme être-avec Qu'el le se
réal ise. le mQnde dont
i 1 s~a~it ici est le Monde de la renCOQ-
tre.
l'être-au-monde apparaft originairement comme une co-nais-
sance, une co-existence avec le monde; dès
lors comment conce-
voir
la nécessité f~ndamentale des mythologèmes des rites et des
cultes? A quoi
répondent-i Is ? Autrement dit qu'en est-i 1 de
leur
motivation profonde? Ce qui
revient à poser le problème de ce
OUI,
è l'intérieur d'eux-mêmes,
les anime,
le problème des s i qn i «
cations et des fonctions symboliaues.
13
DI fONCTIONS SYMBOLIQUES ~ SIGNIFICATIONS SYMBOLIQUES
Si
l'expérience v~cue du symbole, disions nous, est vOie de
surgissement au monder c'est à se dévoi 1er comme rencontre qu'el-
le se réalise. C'est ainsi que le porteur de masque
diola, fai-
sant l'expérience de la plénitude du monde cyclique par le mou-
.
0-'
• • .
vorr circulaire de sa danse, que le fidèle bouddhique dans la
figuration du mandala, debout sur le lotus enlaçant une figure
fémi"ij"e~ que le cultivateur serer replacé subitement sans avoir
erré dans 1~ or i g~ ne i nsondab 1et 'du monde, de l' homme et de 1a cré-
atign p~r la pureté de sa gestuel le, transcendent leur individua- ~
lité partic~! ière~ leurs limites individuel les parce qu'ouver~F
à une existence supérieure, un monde originaire jai 1 li du sur~
gissement des symboles. Un monde naft,
l'origine surgit immer~
geant l'homme et donne sens à son action, à son geste. C'est di-
re que l'homme co-naft et co-existe originairement avec le .onde
se débordant ensemble comme monde de sens. Ce monde de sens est
précistment celui de la rencontre,
lequel est plus que la sim-
ple réunion du monde de l'homme et de celui du symbole;
il ne
s'agit point d'un monde additifr
en ce que la rencontre de
r~hom-
m~ et du monde,l iéU de sens est/or~ginaireme~t inscrite dans te
fonctionnement même.1des symboles r
lesquels disions nous,
Inaugu-
rent un mode d'habiter transformant profondément l'homme dans
son être au monde en faisant éclater ses dimensions quotidren-
nes et part i cu 1 i ères, pour ce qu' i 1 l'ex-pose dans l'ouvert d'une
relation plus fondamentale avec le Monde. Ainsi
l'être au monde
prend sens
en s~y accompl issant -- comme être avec le monde.
La 1 iaJson de l'homme et du Monde pour qui habite
le monde par
le sym9ole, se dévoile dans
une 1 iaison plus originaire du sym-
bole et du sens, mais le sens dont il s'agit ici ne se donne pas
à
la manière d'un contenu que l'on appréhenderait de derrière le
\\
symbole: si celèœtalt le·,symbole ne serait que lettee morte
au contraire le sens est indistinct du symbole en ce que l'ap-
parattre du symbole est l'apparaître même du sens lequel pour-
tant demeure ;népuisable,
irréductible à une valeur particulière,
74
fixer parce que s'exédant perpétuellement comme multipl icité de
sens possibles croissant à l'intérieùr du symbole. Ce que Mr Mal-
diney dit de la forme s'entend aussi bien du symbole: "Sa cons-
titution -- cel le de la forme -- est inséparable de sa manifes~
tation et sa signification est un~ avec son apparaftre. Entre
.
el le et nous aucune interprétation. L'acte par lequel une forme
(\\.
se forme est aussiœ~~r lequel el le nous informe ••• une forme s'ex-
plique el le-m~me en s'impliquant el le-même." (1)
L'auto-ex-pression de la forme est originaire de l'irruption
de la forme elle~même en ce que sens et forme coincident. De mê-
me l'irruption de sens,originaire de
la donation du symbole lui-:
même , articule à même la possibi 1ité ouverte du symbole en s'y
excédant. Voi là pourquoi
il est rare qu'un symbole n'ait qu'un
sens et pourquoi
il est diffici le d'expl iquer un symbole à vou-
loir épuiser la total ité
et la profondeur de son sens dès lors
que toute signification,à le fixerrreste en-deça ou du moins ap-
paraît comme un possible s'articulant dans un horizon de possi-
bles,de sens.Est-i 1 de mei 1 leure preuve Que les symboles,par
conséquent les mytholoqèmes,les cultes, les rites suggèrent infi-
niment plus Que leur sens immédiat,que ouantités d'interprétations
les plus diversesrde doctrines
les plus opposées expérimentées
sur des registres des plus différents arrivent chacune à y ~ou
ver --dans l'expression symbol ique -- sa matière propre, l'i Ilus-
tration chiffrée d'un monde propre1De ce fait
le monde symbol ique
sur lequel sont en prise
les mythologèmes rites et cultes se
présente comme s'i 1 s'agissait d'une taverne espagnole où on ne
trouve que ce que
l'on y apporte. Dans la préface de l'ouvrage
de Paul Diel "Symbol isme dans
la mythologie grecque~ Bachelard
le résume ainsi:
"Etes-vous historien rational iste ? Vous trouverez dans le
mythe
le récit encombré des dynasties célèbres ••• Etes-vous lin-
guiste,
les mo t s disent tout,
les
légendes se forment autour d'une
locution. Un mot déformé, voi là un dieu de plus ••• Etes-vous so-
ciologue ? Alors dans
le mythe apparaît
un mi 1 ieu social, un mi-
lieu moitié réel, moitié idéal isé, un mi 1 ieu primitif où
le chef
(1)
H. Maldiney
Regard Parole Espace
p.
160 -161
75
est r . tout de su i te, un cli eu. •• " (l)
Le psycholoque aussi peut s'y nourrir pour peu Qu'i 1 recon-
naisse avec Paul Diel oue "Ia symbol isation mythique est un cal-
cul psychologique exprimé en
langage imagé" (2) en ce Que "Ies
mythes parlent de
la destinée humaine sous son aspect essentiel,
destinée consécutive au fonctionnement sain oU malsain (évolutif,
ou Invorutif~ du psychisme." (3) Que tant d'expl ications, d'inter-
prétations, voire de traductions puissent être données est
la
mei Ileure preuve de
la multivalence c/est-à-dire de
la multipl i~'
cité de sens du symbole et des 3randes productions Qui s'expri-
ment par
lui.
Cependant ce nlest pas tant parce Que plusieurs expl ications
peuvent à
la fois en être données Que
le symbole tient sa dynami-~
que significative que par sa nature même qui est d'être une pos-
sibi lité ouverte "aux sources profondes de la vie".
(4) Le sym-
bole dévoi le non seulement les structures du Réel, mais engaqe
aussi directement
l'existence humaine pour les exprimer dans
leur
so 1i dar i té essent i e Ile.
Le rée 1 dans
Il expre8s'Î-on symbo 1 i que où
il se p~oduit serévêle dans l'avênement d'une expérience dans
laquel le son surgissement à notre proximité est aussi
notre nais-
sance à
lui. Que "Ie Réel
soit ce Que l'on n'attendait pas", com-
me dit Maldiney, montre que sa manifestation est contemporaine
de
Ilexpression par
laauel le
le symbole inaugure
le monde dans
lequel
il
se pro-duit.
L'aspect paradoxal du symbole est d'ex-
primer simultanément des aspects contradictoires de
la réal ité,
mais là est également son pouvoir signifiant sinon sa fonction
fondamentale car, les exprimant, il en montre la sol idarité essen~
tielle c sans pour autant les réduire. Dès lors,
le mêrnè<'Ço:ulte, .le
m@me ~yth0logème peuvent revêtir plusieurs fonctions et plusieurs
significations aussi
justifiées les unes que
les autres comme
autant de facettes d'une même source 1um i neuse.
Si
dans
la
légende peul de Kaydara,
l'or et
le savoir mal-
gré leurs aspects contradictoires, participent du même dieu, C'~5t
parce que comme symbo 1es, j 1s expr i ment avec 1api us grande profon~.
deur le caractère paradoxal du dieu
lui-même. Cet aspect contra-
(1)
G. Bachelard
cf. Préface (Le Symbol isme dans
la mythologie
or-e coue ]
p.
5
Edition Petite bibl iothèque Payot 87 2 ed.
Paul Diel
Le symbol isme dans la mytholo~ie qrecque
P.
20
Ibid.
"
p.
9
M.Eliade
Polarité du symbole
in études carmél itaines
p.
17
76
dictoire des symboles est surmonté dans
la~ direction significa-
tive Qui
les excède eux-m~mes : Kaydara.
En effet dieu de
l'or,
Kaydara se trouve comme
l'or sous
la
terre i
c'est pourquoi
dans
le récit
initiatique, tout
le voya-
ge des postulants a
1 ieu,
avant
l'octroi
de
l'or,
dans
le monde
souterrain.
Il
leur faudra traverser onze couches correspondant
aux onze symboles rencontrés avant de se trouver devant Kaydara
QUI
leur donnera
le métal
sacré;
selon
le mythe "l'or se trouve
sous onze couches de terre et de minéraux différents".
L'or et
le
savoir dont
la possession est toujours voyaqe souterrain, et par-
ce Qu~i 1 lustrant le dual isme oriqinel de l'apparaître et de l'être,
de
l'iqnorance et du savoir,
du proche et du
lointain,
trouvent
en Kaydara,
"l'embusqué",
leur unité profonde,
la fi~ure Qui sur-
montant
leurs contradictions
les assemble. C'est dire que
la SI-
gnification et ,la fonction dans
le sens d'accompl issement
du
symbole -- ne sont
jamais si
1 imitées qu'el les puissent être ré-
duites à des données
locales en ce au'el les se décident dans une
dialectique des symboles et du système constitué auquel
partici r-
pent ces symboles.
A~nsi le symbole de l'or ICI, permet de saisir
la nature du savoir dont
il
est question et
lui
donne tout son
sens ésotérique,
comme
le savoir
l'éclaire d'un sens nouveau en
relation avec
l'initiation sans pour autant
lever son ambiguïté
fondamentale.
L'or et
le savoir trouvent toute
la profondeur de
leur expression symbol ique dans
le système global
constitué par
l'initiation,
le voyage au pays de
la vraie connaissance, et
l'in-
formant comme monde ésotérique par excellence,
ils s'y trouvent
eux-m~mes informés en s'y accompl issant comme symboles de ce mon-
de,
~ns toute la plénitude de leur sens. Les symboles décident
du sens du contexte constitué (récit, mythologèmes,
cultes ••• )
comme
le contexte décide du sens des symboles.
Il
n'y a
ici
ce-
pendant de primauté siqnifiante ni
du contexte~ ni des symboles,
sinon une
information réciproque du contexte et 0es symboles
les-
auels s'excèdent en une direction de sens originaire.
Oe ce fait
ce n'est pas parce Que Kaydara est
le dieu du savoir et de
l'or ,
que
l'or et
le savoir apparaissent comme symbole de
l'initiation,
77
mais parce que
leur expression même est cel le de Kaydara, maître
de
l'initiation en vertu préci~ment de leur commune genèse, de
leur in-formation récipraque.
La direction de sens est dans cette in-formation réciproque
dans 1'0uverture de
laquel le s'éclairent
les significations des
symboles, à mêmes
leurs dimensions spécifiques
qui, s'y excédant,
canservent
leurs valences propres. C'est pourquoi
bien que sym-
bol isant
la profondeur de
la connaissance initiatique et
le dieu
Kaydara
lui-même,
l'ar n'en demeure pas moins signifiant dans son
ambiguïté fondamentale;
en ce qu'i 1 préfigure aussI
l'aspect can-
tra i re du s avo i r v r-e i,
l' i 11us i on, en tant que conna 1 ssance su-
perficiel le.
L'or comme symbole de
l'i 1 lusion se justifie aussi
pleinement dès qu' i 1 est articulé dans
la direction de sens où
il est engagé: ainSI, dans
la .mesure où
la connaissance initia-
tique porte à dépasser
la surface,
l'apparence des choses pour en
pénétrer le secret profond,
la signification fondamentale du sym-
bole de
l'or ici renvoie au-delà de son expression et de son sens
immédiat d'où
la parole de Kaydara aux postulants:
"L'or que je viens de vous donner employez-le bien
Vous y trouverez tout •••
Même
l'échel le Qui
conduit jusqu'aux cieux
Et les escal iers Qui
mènent au sein de
la terre." (1)
Parce que principe de
la dual ité, coexistent en le symbole
de
l'or, d~ux pâles contraires:
la
lumière et
l'ombre,
le savoir
et l' i qnorance (1' i 1 1us i on),
1esque 1s sont non seu 1ement si qn i-
fiés dans
l'ouverture de
la direction significative du récit, mais
s'y ou~repassent au profit de la signification fondamentale. Car
cômme disent
les peul: "L'or est
le socle du s e v o r r , mais SI
vous
confondez
le savoir et
le socle,
1 tombe sur vous et vous écrase;"
(2) même le dieu Kaydara porte en
lui, dans ses métamorphoses,
l'ambiguTté de l ' o r :
le postulant s'adressant au dieu
lui dit
"Sur cette terre qui
bouge et change
Instruits-moi, ô toi qui es de
l'or pur
Enveloppé sous gueni 1 les et jeté en ordures
Hampaté Bâ
Kaydara
p.
79
Ibid.
"
p.
14:
78
Entassées sur
la route pour mieux cacher
Ta quai ité de maTtre qui
reste ainsi
voi lée." (1)
Ce qUI,
ramené sur
le plan de
l'analyse,
montre que
le sym-
bole est toujours en dépassement vers un sens;
dès
lors
la dif-
ficulté est de circonscrire exactement
le champ signifiant dans
lequel
les sens des symboles sont en fonctionnement c'est-à-dire
la direction générale significative où
le mythe,
le culte,
le
rite,
engagés s'explicitent, et se dévoi lent d'eux-mêmes.
La signification fondamentale est en oeuvre dans
l'autofonc-
tionnement réciproqwe des symboles et du contexte global,
il
s'a-
git chaque fois pour
la découvrir de pénétrer à travers
les mul-
tiples sens thématisés,
la direction .motivante qui
les
informe
c'est-à-dire qui
les réal isant comme expression globale signi-
fiante en est
l'accompl issement. Ce que
l'on appel le dès
lors
"fonction" d'un mythologème,
d'un culte,
d'un rite pour désigner
la préoccupation uti 1 itaire ou téléologique que
l'on croit dis-
cerner dans
les fiqurations symbol iQues,
ne se justifie qu'à ren-
dre compte préci~ment de cette direction motivante en oeuvre
dans
les mythoJogèmes,
cultes et rites.
En effet par fonction
on entend généralement ·circonscrire
l'expression symbol ique à
des actjons orientées vers un but qui
en serait
la motivation
fondamentale.
Tout se passe,
crQit-on, comme SI
les figurations
symbol iques n'avaient de raison d'être qu'à restituer,
à travers
des signifiants qu'i 1 faut découvrir,
des significatifs
lesquels
apparaissent toujours
1 iés à une attitude d'uti 1 isation,
soit à
la recherche d'un avantage soit à
la crainte d'un châtiment. Seu-
lement tout porte ainsi
à prendre des quois déterminés,
-- ce que
nous appelons "des significatifs"
: ferti lité d'un champ par exem-
ple,
fécondité d'un troupeau,
etc ••• -- pour
la motivation fon-
damentale autrement dit
la direction significative qui
réquisi-
tionnant
l'ensemble des symboles en est
l'unité expressive. C'est
dire que
la motivation fondamentale dûc "itœ~ou)du culte est toute
entière
inscrite dans
la qénèse même des symboles et dans
l'in-
formation
réciDrooue des sens des symboles et du système ~Iobal
(1)
Hampaté Bâ
Kayoara
P.
133
79
danslequel
ils ont cours. Or nous avons vu que
là étaib, préci-,
sément dans le dialogue s'auto-dépassant vers une direction de
sens,
la signification fondamentale. De ce fait
la motivation pour
être signifiante est à même de s'articuler dans cette direction de
sens parce que débordant
les sens particuliers des symboles. Au-
trement dit
la fonction ne saurait être séparée de sa significai
tion. Chercher
la fonction d'une cérémonie derrière
le sens caché
des symboles, dévoi 1er l'intention mise en oeuvre dans
les fiqu-
th
rations symbol ioues, n'est pas
là se préoccuper du sens même de
èette cérémonie?
La caractéristioue propre de
la fonction symbol ioue est d'ê-
tre en fonctionnement, si bien que
la considérer comme une résul-
tante, un contenu détermin~ Que des fiqurations ont Dour but d'~x
primer, n'en éclaire pas l'aspect motivant. En effet
la fonction
peut être appréhendée de deux manières, soit en tant que motiva-
tion, et dans ce cas elle renvoie à
la raison d'être, à
la signi-
cat ion fondamenta 1e du mythe ou
du, ,', cu 1te dont i 1 est quest ion ;
soit en tant que produit, auquel cas elle tend comme mode expli-
catif à se placer au-delà du mythe ou du culte;
la fonction se-
rait
ici préoccupation téléologique,
recherche à travers des "pour-
quoi", des "quois" que les symboles exprimeraient; c'est dire
que la fonction est ici appréhendé~ Comme quai ité explicative ou
du moins justificative de
l'intention prêtée à
l'expression sym-
boliQue; c'est ainsI
que toute31~ gestuel I~ du cultivateur, tra-
çant un cercle, creusant un trou pour y enfouir
la graine arrès
l'avoir humectée de sa sai ive, serait justifiable d'une fonction
exp '1 i cat ,i ve qu i y verra i tune préoccupat i on ut i 1 i ta ire,
1e souc 1
de ferti~lité, de productivité; ce qui ne 6ou8'apprendrait rIen
sur la m6tivation profonde qui
conduit "le tracé du cercle",
le
lit rou "," 1
. a qra .1 ne hum e c t ' . J
ee oe sa 1
1
'
ve' ' '
a se d'
ecouvr .1 r- ,
clans 1eur-
mutuel sur~issement à cette ~estuel le dans l'esquisse de laquel le
le Monde est en accord.
Cette façon d'envisaqer
la fonction revient en fait à consI-
dérer
les mythes et
les cultes comme mode expl icatif,
inventés
dans un but bien p~écis de révéler "quelque chose ayant trait au
79
danslequel
ils ont cours. Or nous avons vu que
là était, préci-.
s~ment dans le dialogue s'auto-dépassant vers une direction de
sens,
la signification fondamentale. De ce fait
la motivation pour
être signifiante est à même de s'articuler dans cette direction de
sens parce que d~bordant les sens particuliers des symboles. Au-
trement dit
la fonction ne saurait ~tre séparée de sa significai
tion. Chercher la fonction d'une cérémonie derrière
le sens caché
des symboles, dévoi 1er J'intention mise en oeuvre dans
les fiqu-
~
rations symbol ioues, n'est pas là se préoccuper du sens m~me de
éette cérémonie?
La caractéristique propre de
la fonction symbol ique est d'ê-
tre en fonctionnement, si bien que
la considérer comme une résul-
tante, un contenu déterminé que des fiqurations ont Dour but d'éx-
primer, n'en éclaire pas l'aspect motivant. En effet
la fonction
peut être appréhendée de deux manières, soit en tant Que motiva-
tion, et dans ce cas el le renvoie à
la raison d'être, à
la signi-
cat ion fondamenta 1e du mythe ou
du·:; cu 1te dont i 1 est quest ion ;
soit en tant Que produit, auquel
cas el le tend comme mode expl i-
cat i f à se placer au-de 1à du mythe ou du cu 1te ;
1a fonct ion se-
ra~t ici préoccupation téléologique, recherche à travers des "pour-
quoi", des "quais" que les symboles exprimeraient;
c'est dire
que la fonction est ici appréhendéç comme quai ité expl icative ou
du moins justificative de
l'intention prêtée à
l'expression sym-
boliQue; c'est ainSI que touteal~ gestuell~ du cultivateur, tra-
çant un cercle, creusant un trou pour y enfouir la graine arrès
l'avoir humectée de sa sai ive, serait justifiable d'une fonction
e xpl i ceti ve qu i y verra i tune préoccupat i on ut j 1 i ta ire,
1e s ouc 1
de ferti'iité,
de productivité; ce qui
ne BouB'apprendrait rIen
sur la motivation profonde Qui conduit "Ie tracé du cercle",
le
"trou","1a graine humectée de sai ive" à se d6couvrir, dans
leur
mutuel sur~issement à cette ~estuel le dans l'esquisse de laquel le
le Mon0e est en accord.
Cette façon d'envisa~er la fonction revient en fait à consI-
dérer les mythes et
les cultes comme mode explicatif,
inventés
dans un but bien p~écis de révéler "quelque chose ayant trait au
.:
li
81
et de ses apparitions, est de révéler la présence d'une tel le
profondeur, d'une tel le "mouvance" qui en Dionysos trouve le plusi
pur symbole de son accomplissement. La fonction symbol ique est
d'ouvrir une direction de sens Qui
conduit le symbole à son ac-
compl issement,
là où la plénitude de sa signification se révèle
motivante de la vision fondamentale du monde qu'i 1 exprime. Mais
à s'accompl ir comme monde signifiant à
l'intérieur duquel el le
est en fonctionnement,
la motivation apparaît comme pure rencon-
tre.
C'est dire que la fonction essentiel le du symbole-Dionysos,
est, pour parler comme
Walter Otto "la vérité du monde de Dio-
nysos,
le phénomène originaire de
la dual ité du lointain corporel_~
lement présent, de
la commotionnante rencontre avec l'irrévocable,
de la fraternisation de la vie et de la mort".
(1) Tout est ici
rencontre au sei~ de laquelle les différentes composantes,
les
antagonismes s'abîment et s'épuisent; si nous nommons fonction
essentiel le-motivation, cette rencontre, nous voyons aussi qu'el-
le constitue la direction de sens qui fonde en
les surmontant les
différentes apparitions du dieu et
le caractère contradictoire de ,_
son être, en ce que la rencontre est voie d'une donation authen-
tique de la Présence. Ainsi dans la légende peul de Kaydara, de-
vant "une pierre plate ••• triangulaire de neuf coudées de pour~~r
tour dont une face était peinte en noir,
l'autre en blanc" (2)
le postulant de demander: "Comment dois-je passer du sombre au
clair sans retourner la pierre ?""Tu dois te transformer en hui le
de crapaud répond
le maître". En dehors même de la représentation
du monde (pays de clarté, de l'obscurité et de
la pénombre) axée
sur là· triade, et de la dual ité originel le (savoir-ignorance,
clair-obscur, etc ••• )
il est signifié ici au disciple de se fai-
re voie de
la restauration de
l'unité fondamentale du monde, d'ê-
tre
le
1 ieu ce
la rencontre et en ce mode d'habiter, de surqir
dans cette proximité de
la "pierre".
Il n'y a qu'une voie possible pour passer du "clair à
l'obs-
cur", c'est-à-dire pour pénétrer en une saiSIe total isante
les
différentes composantes de
la structure du monde que représente
w. Otto: Dionysos
p.218
Hampaté Bâ :
Kaydara
p.24
1
81
~
et de ses apparitions, est de révéler la présence d'une tel le
profondeur, d'une tel le "mouvance" qui en Dionysos trouve le plusi
pur symbole de son accomplissement. La fonction symbol ique est
d'ouvrir une direction de sens Qui conduit le symbole à son ac-
campi issement,
là où
la plénitude de sa signification se révèle
motivante de
la vision fondamentale du monde qu'i 1 exprime. Mais
à s'accompl ir comme monde signifiant à l'intérieur duquel el le
est en fonctionnement,
la motivation apparaît comme pure rencon-
tre.
C'est dire que
la fonction essentiel le du symbole-Dionysos,
est, pour parler comme
~alter Otto "la vérité du monde de Dio-
nysos,
le phénomène originaire de la dual ité du
lointain corporel_~
lement présent, de
la commotionnante rencontre avec l'irrévocable,
de la fraternisation de
la vie et de la mort". (1) Tout est ici
rencontre au sein de laquel le les différentes composantes,
les
antagonismes s'abîment et s'épuisent; si nous nommons fonction
essentiel le-motivation, cette rencontre, nous voyons aussi qu'el-
le constitue la direction de sens qui fonde en les surmontant les
différentes apparitions du dieu et le caractère contradictoire de ,_
son être, en ce que la rencontre est voie d'une donation authen-
tique de la Présence. Ainsi dans la légende peul de Kaydara, de-
vant "une pierre plate ••• triangulaire de neuf coudées de pour-~r
tour dont une face était peinte en noir,
l'autre en blanc" (2)
le postulant de demander: "Comment dois-je passer du sombre au
clair sans retourner la pierre ?""Tu dois te transformer en hui le
de crapaud répond le maître". En dehors même de la représentation
du monde (pays de clarté, de
l'obscurité et de la pénombre) axée
sur là-triade, et de la dual ité originel le (savoir-ignorance,
clair-obscur, etc ••• ) il est signifié ici au disciple de se fai-
re voie de
la restauration de
l'unité fondamentale du monde, d'ê-
tre
le lieu ce la rencontre et en ce mode d'habiter, de surqir
dans cette proximité de la "pierre".
Il n'y a Qu'une voie possible pour passer du "clair à
l'obs-
cur", c'est-à-dire pour pénétrer en une saiSie total isante les
différentes composantes de
la structure du monde que représente
w. Otto : Dionysos
p.218
Hampaté Bâ : Kaydara
p.24
l
83
car c'est là qu'est sa signification. C'est dire qu'à chercher
~
la signification nous sommes renvoyés au fondement même du monde.
La voie qui
conduit à
l'origine trouve donc ici
son ouverture
en 1a présence de
l' é 1émenta 1 ;
1e crapaud,
an i ma 1 qu i vit dans
l'ombre humide, joue un rôle important dans certaines tribus a-
fricaines,
1 ié au
mythe de
la création;
il est souyent aux ori-
gines du Monde. C'est ainsi que dans
le mythe de
la création chez
les Fal i
"à l'origine du Monde se trouve un oeuf de tortue et
un oeuf de crapaud ••• doués chacun de deux mouvements giratoires
opposés correspondants à deux de
leurs composants internes et de
leur enveloppe externe ••• Tournant dans
l'atmosphère, sous
la ca-
'otte hémisphérique du ciel,
ils se heurtent, et de leurs coqui I-
les brisées sortent quatre couples d'animaux ••• " d'o~ surgiront
la création du monde et
l'origine du peuple fal i.(1) De même"chez
les Bamoum, du nom de Tito le crapaud est
la synthèse des horizon-
tales et des verticales.
Il évoque la si Ihouette d'un personnage
assis ou d'un porteur;
il
joue un rôle très
important dans
les
légendes des origines ••• "(2)
Il est significatif dès
lors que
la
connaissance du Monde dans sa pureté originel le tel le que
le pos-
tulant veut en avoir
l'expérience à travers
le symbol isme de
la
"pierre" soit 1 iée au crapaud, animal de
l'humide participapt des
eaux primordiales.
La signification fondamentale de
la parole du
Maître trouve donc ICI
la direction à partir de
laquelle elle s'é-
cl aire ;
surtout s i l ' on pénètre ce que 1e symbo 1e de ta: pi;ert'!l9~e
présente. En effet avec ses neuf coudées, ses deux faces peintes
en noi~ et en blanc,
la pierre triangulaire que
les postulants
trouvèrent entre le monde des hommes (le pays de la clarté) et
le monde des génies nains, riyaume de Kaydara (le monde souter-
ra in) représente non seu 1ement
1a dua 1 i té or i 9 i ne Ile,
1a tr i ade
peul de base,
les neuf ouvertures du corps de
l'homme, mais aussi
et surtout la vision du monde peul dans sa forme
la plus achevée.
Il est significatif de noter que chez les Bambara qui ont beaucoup
d' aff in i tés avec 1es peu 1,
on découvre auss i
1a re tat i on du cra-
paud avec le nombre neuf envisagé "comme nombre complet". Ainsi,
écrit G. Calamé Griaule: "le crapaud dit "neuf, neuf !" .•• ami
(1)
L.V. Thomas:
Les rel igions d'Afrique nOIre
p.90
(2)
E.
Mven~ : L'art de l'Afrique noire
Paris 1964
cf.
: Dictionnaire des symboles (che à g)
Ea. Seghers 1973
p.128
car c'est
là qu'est sa signification. C'est dire qu'à chercher
~
la signification nous sommes renvoyés au fondement même du monde.
La voie qui
conduit à l'origine trouve donc ici
son ouverture
en 1a présence de
l' é 1émenta 1 ;
1e crapaud, an i ma 1 qu i vit dans
l'ombre humide,
joue un rôle
important dans certaines tribus a-
fricaines,
1 ié au mythe de
la création
il est souuent aux ori-
gines du Monde. C'est ainsi
que dans
le mythe de
la création chez
les Fal i
"à
l'origine du Monde se trouve un oeuf de tortue et
un oeuf de crapaud ••• doués chacun de deux mouvements giratoires
opposés correspondants à deux de
leurs composants internes et de
leur enveloppe externe ••• Tournant dans
l'atmosphère, sous
la ca-
lotte hémisphérique du ciel,
ils se heurtent, et de
leurs coqui I-
les brisées sortent quatre couples d'animaux ••• " d'où surgiront
la création du monde et
l'origine du peuple fal i .(1) De même"chez
les Bamoum, du nom de Tito
le crapaud est
la synthèse des horizon-
tales et des verticales.
Il évoque
la si Ihouette d'un personnage
assIs ou d'un porteur;
il
joue un rôle très
important dans
les
légendes des origines ••• "(2)
Il est significatif dès
lors que
la
connaissance du Monde dans sa pureté originel le tel le que
le pos-
tulant veut en avoir
l'expérience à travers
le symbol isme de
la
"pierre" soit
1 iée au crapaud, animal de
l'humide participapt des
eaux primordiales.
La signification fondamentale de
la parole du
Maître trouve donc
ICI
la direction à partir de
laquelle elle s'é-
cl aire ; surtout s i l ' on pénètre ce que 1e symbo 1e de ta: pier-ne ~e
présente. En effet avec ses neuf coudées, ses deux faces peintes
en noi~ et en blanc,
la pierre triangulaire que
les postulants
trouvèrent entre le monde des hommes (le pays de
la clarté) et
le monde des génies nains,
r~yaume de Kaydara (le monde souter-
ra in) ~eprésente non seu 1ement 1a dua 1i té or i 9 i ne Ile,
1a tr i ade
peul de base,
les neuf ouvertures du corps de
l'homme, mais aussi
et surtout
la vision du monde peul dans sa forme
la plus achevée.
Il est significatif de noter que chez les Bambara qui ont beaucoup
d' aff in i tés avec 1es peu 1, on découvre auss i
1a re tat i on du cra-
paud avec
le nombre neuf envisagé "comme nombre complet". A'iosi,
écrit G. Calamé Griaule: "le crapaud dit "neuf,neuf !" .•. ami
(1)
L.V. Thomas:
Les rel igions d'Afrique nOIre
p.90
(2)
E.
Mven~ : L'art de l'Afrique noire
Paris 1964
cf.
: Dictionnaire des symboles (che à g)
Ed. Seghers 1973
p.128
85
de
lui-m~me, en, ce qu'i 1 permet d'articuler et de réal iser une
existence qui
n'égale pas l'horizon v.ers
lequel el le est ouverte,
nous comprendrons ainsi
que
l'origine soit
ici
l'ouverture de
la
direction de sens où s'outrepasse la parole du Maître. "Que le
monde parle d'origine, de naissance et d'enfance,
il parle lui-
m~me une langue faite de symboles" écrit Kérényi ; mais il fau-
drait ajouter Que
l'origine el le-même est symbole. Et en ce qui
concerne l'aspect mythologique de
l'enfant originel
qui
préoccu-
pe Kérényi,
l'origine demeure
le plus pur symbole de naissance et
d'enfance mêmes du Monde. Avec
l'origine, c'est
le Monde qui
par-
Iant de sa propre errfan~, nous renvoie aux sources m~mes de no-
tre être, dans la profondeur du germe vivant de notre entité.
L'o~
rlglne correspondrait à cette "aube première"
dont parlent
les
poètes et
les mythologèmes -- de nous-m~me et du monde que l'on
ne saurait pénétrer plus avant.
Les figures mythologiques
les plus
typiques (serpent; enfant
originel, monstre, mère etc ••• )
les
éléments originels (terre, eau, feu, air) demeurent ainsi
les for-
mes les plus profondes que l'§me humaine a pu trouver pour évoquer
la présence immédiate des origines et pour vIvre
intensément cette
proximité.
C'est pourquoi
l'eau comme image réellement mythologique de
base, tout en figurant "le corps maternel,
le sein maternel,
le
berceau maternel",
(1) évoque, en même temps que l'image de ma-
ternité, de na i s s a nce ,
l'infinité des possibles en
instances,
Ile
vi rtue 1,
l' informe l , l e germe des germes.
L'eau est une mat i ère
originel le
le monde comme nous-mêmes y avons notre source.
L'o-
rigine:est significative par el le-m~me et ne saurait qu'être vé-
cue ;
t'est ce Qu'affirme Kérényi quand il 6crit "qu'el le provoque
l'apparition des "matières originel les" que
l'homme peut attein-
dre sous forme d~images originel les de mytholo~èmes originels, de
cérémonies ori)inel les.
Les trois formes de manifestations peu-
vent être les façons de se manifester d'une même matière à portée
humaine, d'une m~me idée mythologique". (2) Beaucoup ce cérémo~
nies, de pratiques, de manifestations s'éclairent dès
lors qu'on
les rattache à
l'origine comme désir d'en vivre
la présence
im-
CH.
Kérény i
Introduction à
l'essence de
la mythologie p.72
Ibid.
"
p.28
85
de
fui-m~me, en. ce qu'i 1 permet d'articuler et de r~al iser une
existence qui
n'~gale pas l'horizon v.ers lequel el le est ouverte,
nous comprendrons ainsi Que
l'origine soit
ici
l'ouvertur~ de la
direction de sens o~ s'outrepasse la parole du Maitre. "Que le
monde parle d'origine, de naissance et d'enfance,
il parle
lui-
m~me une langue faite de symboles" ~crit K~r~nyi ; mais il fau-
drait ajouter que
l'origine el le-m~me est symbole. Et en ce qui
concerne l'aspect mythologique de
l'enfant originel
qui pr~occu
pe K~r~nyi, l'origine demeure le plus pur symbole de naissance et
d'enfance m~mes du Monde. Avec l'ori~ine, c'est le Monde qui par-
Iant de sa propre arfance,
nous renvoie aux sources m~mes de no-
tre ~tre, dans la profondeur du germe vivant de notre entit~. L'o-
rigine correspondrait â cette "aube premiêre"
dont parlent
les
poètes et les mythologèmes -- de nous-m~me et du monde que
l'on
ne saurait p~n~trer plus avant. Les figures mythologiques les plus
typiques (serpent; enfant
originel, monstre, mère etc ••• )
les
~I~ments originels (terre, eau, feu, air) demeurent ainsi les for-
mes
les plus profondes que
l'§me humaine a pu trouver pour évoquer
la pr~sence immédiate des origines et pour vivre intens~ment cette
proximit~.
C'est pourquoI
l'eau comme image r~el lement mythologique de
base, tout en figurant "le corps maternel,
le sein met er-ne l ;
le
berceau maternel",
(1) évoque, en même temps que l'image de ma-
ternité, de ne i s s e noe ,
l'infinité des possibles en
instances,
I.e
vi rtue 1,
l' informe l , l e germe ces germes.
L'eau est une mat i ère
originel le
le monde comme nous-m~mes y avons notre source. L'o-
rigine:est significative par el le-même et ne saurait qu'être vé-
eue;
c'est ce Qu'affirme K~r~nyi quand i 1 ~crit "qu'el le provoque
l'appa~ition des "matières originel les" que l'homme peut attein-
dre sous forme d~images originel les de mytholoQèmes originels, de
cér~monies oriJinel les. Les trois formes de manifestations peu-
vent être
les façons de se manifester d'une même matière â portée
humaine, d'une même idée mythologique".
(2) Beaucoup ce cérémo~
nies, de pratiques, de manifestations s'éclairent dês
lors qu'on
les rattache à
l'origine comme désir d'en vivre
la présence im-
CH. K~rényi
Introduction â
l'essence de
la mythologie p.12
Ibid.
"
p.28
87
c'est introduire en SOl
la Vie!
la Vie
la Vie !" dit K0umen (1).
Cette coutume à traversla signification mythique qUI
l'éclaire,
tout en soulignant
la parenté fondamentale qui
lié
l'eau,. le
lait,
le serpent,
le bovidé, se réquisitionne donc dans
la proximité
essent i elle de
l'or i 9 i ne et de 1a na i s s a e ce même du mnnde~, pro-
ximité dans
laquelle elle a son sens d'être.
Pour le peul,
"Ie Monde 'créé par Guéno est sorti
"d'une 10ut t e
de
lait", contenant "Ies quatre éléments" et qui
a formé ensuite
"Ie bovidé hermaphrodite, symbole de
l'univers".
(2) Les peul
affirment aussi
sur
le plan de
l'initiation Que "Ie
lait a neuf
noms dont on d i t :
"Ie
lait est une eau éternel le, trois QUI
ren-
dent malase, trois aUI
guérissent, trois qui
nourrissent." (3)
C'est parce qu'i 1 est
l'élément sacramental de base de
la sym-
bol i cue peul Que nombre d'interdits
lui
sont attachés. Ainsi
le
peu 1 ne deva i t ,jama i s vendre son
1ait,
ni
1e
verser vo 1onta i re-
ment sur
le sol;
et "lorsQu'une 0ffrande oe
lait doit être faite,
l'officiant rempl it une calebasse d'eau en citant
le n0m de
la
mare ou du cours d'eau où
l'on effectue ~énéralement' I~:I ibation
j 1 crache ensuite
dans
la calebasse, puis y verse
le
lait et ver-
se
le tout sur
le toit de chaume pour que
le
1 iquide ne risque
pas de couler sur
le s01. Ce geste c6nstitue éqalement une resti-
tution au végétal,
car toutes
les plantes sont en rapport avec
les bovidés." (4) "Eau", "serpent", "bovidé" constituent une tri-
logie mythologique de base dont
l'unité significative informe
l'en-
semble de
la symbol ique peul.
Il est une autre coutume peu 1 qu I i i ée au marquage du béta il
atteste cette unité significative du
lait, de
l'eau et de
la va-
che ;. chez les Woddabe du Bournou, au cours d'un rite d'incision
,
du bétai l, ''l'opérateur ••• s'enroule de feui 1 les de barkehi au-
tour d6 poignet (l'arbre barkehi
gr§ce à
la magie du nom donne de
la barka c'est-à-dire Ge la chance) et coupe un Marceau d'orei 1 le
avec un couteau qu' i 1 tient de
1a
ma 1 n dro i te.
1 l i a i sse a lors
",H'1
t omber-
1 e
mo r ce eu
cl' ore i Ile al ns 1 détaché {~ans une ca 1ebasse qu i
contient du
lait et~de l'eau et il passe au veau suivant et ainsi
de suite jusqu'au bout ce
la
1 i <in e ,
L'"rsau' il
a terminé,
le con-
Hampaté B§
Koumen
p.
85
Ibid.
"
p.
29
Ibid.
"
p.
14
Ibic'.
"
p.
1~
87
c'est introduire en SOl
la Vie!
la Vie
la Vie !" dit K,:wmen (1).
Cette coutume à traversla signification mythique qUI
l'éclaire,
tout en soulignant
la parenté fondamentale qui
lié
l'eau,
le
lait,
le serpent,
le bovidé,
se réquisitionne donc dans
la proximité
essentielle de
l'origine et de
la na i s s e ac e même du mnndè~, pro-
ximité dans
laquelle elle a son sens d'être.
Pour le peul,
"Ie Monde 'créé par Guéno est sorti
"d'une 10 ut t e
de
lait", contenant "Ies quatre éléments" et qui a formé ensuite
"Ie bovidé hermaphrodite,
symbole de
l'univers".
(2) Les peul
affirment aussI
sur
le plan de
l'initiation que "Ie
lait a neuf
noms dont on d i t :
"Ie
lait est une eau éternel le,
trois aUI
ren-
dent malase,
trois aUI
guérissent, trois qui
nourrissent." (3)
C'est parce qu'i 1 est
l'élément sacramental de base de
la sym-
bol ique oeul que nombre d'interdits
lui
sont attachés. Ainsi
le
peul
ne devait .jamais vendre son
lait,
ni
le verser volontaire-
ment sur
le sol;
et "Iorsau'une ~ffrande rle
lait doit être faite,
l'officiant rempl it une calebasse d'eau en citant
le nom de
la
mare ou du cours d'eau où
l'on effectue ~énéralemQnt' la:1 ibation
il
crache ensuite dans
la calebasse,
puis y verse
le
lait et ver-
se
le tout sur
le toit de chaume pour que
le
1 iquide ne risque
pas de couler sur
le sol. Ce geste constitue éqalement une resti-
tution au végétal,
car toutes
les plantes sont en rapport avec
les bovidés." (4) "Eau", "serpent", "bovidé" constituent une tri-
logie mythologique de base dont
l'unité significative
informe
l'en-
semble de
la symbol ique peul.
Il est une autre coutume peu 1 qu I i i ée au marquage du béta il
atteste cette unité significative du
lait, de
l'eau et de
la va-
che ;. chez
les Woddabe du 8ournou, au cours d'un rite d'incision
du bétai l, ''l'opérateur ••• s'enroule de feui 1 les de barkehi au-
tour d6 poignet (l'arbre barkehi
gr§ce à
la magie du nom donne rle
la barka c'est-à-dire de
la chance) et coupe un morceau d'orei 1 le
avec un couteau au' i 1 tient de
1a ma 1 n clr-o i te.
1 l i a i sse a lors '·.'Ill
t.ombe r-
1e rnor ce au
cl' ore il! e al ns 1 détaché {Jans une ca 1ebasse qu i
contient du
lait et~de l'eau et il passe nU veau suivant et ainsi
rle suite jusqu'au bout de
la
1 i on e ,
L'0rsau' il
a terminé,
le con-
Hampaté Bâ
Koumen
1'1'
85
Ibid.
"
p.
29
Ibid.
"
p.
14
Ibid.
"
p.
1t1
89
"1'Océanos grec est censé avo JI'" une tête de taureau. (1) On pour ...
..
~
-
1
J
J, \\
-c r
r r"\\
,
•
. . . . .
rait al lon3er
les exemples,
de Poseldon a Dionysos.
Ce QUI
est
illustré c'est
la parenté essentiel le qui
1 ie
les eaux originel-
1es à
1a pu i ssance fécondat 1'" i ce que symbo 1 i se
Je taureau.
A cet
1"' •..
égérd
le mythe de Tyanaba,
le serpent surgissant des eaux accom-
pagné des vingt-deux p~emiers bovidés est significatif,
"Pour
le sens mythique,
écrit W. Otto,
l'eau est
l'élément
où réside
le secret originel
de toute vie,; naissance,
mort,
passé,
présent et avenir y mêlent
leurs rondes.
Là où
le devenir a ses
sources,
là est aussi
la prophétie.
C'est p o u r-quo r
les esprits
des eaux sont orophétiques."
(2)
Dans
l' j nit i at i on pastora 1e peu "
réc i t
de
Koumen -
"1 es
quatre premi~res clairi~res" mettent
le postulant successivement
en rapport avec
les quatre premiers éléments,
base de
la création
et
il
est significatif de constater que ces éléments sont ~ardés
"par un serpent".
Tel
qu'i 1 apparait en tant que total ité des é-
léments fondamentaux,
le serrent n'est autre chose que Tyanaba
lui-même,
à
savoir
le serpent mythique
"Si lé Sadio perçut une
lumiêre (feu)
sortant du fond d'une
poterie (terre)
rempl ie d'eau
(eau).
Un serpent,
face à
la pote-
rie jouait des airs mélancol iques au moyen p'une flûte
(air) creu-
sée dans une tige de sor~ho et percée de sept trous pour varier
les sons.
" 0 feu!
dit
le repti le,
pourquoi
ne t'éteins-tu pas sur
l'eau? Est-ce-queles sons que je tire de
la flûte
ne produisant
pas une brise qui
diminue
la force du feu et
le tue?
"Serpent couche-to i
!" ordonna Koumen ..,
Si lé Sadio franchit
la s~ation du serpent avec une peur refoulée
dans )e fond du coeur".
(3)
Oe même que
le serpent réal ise
la synthêse fondamentale des
éléments,
de même
il
représente
la t0tal ité de
la structure même
du mOhde.
Les sept trous de
la flûte symbolisent
la complétude,
en ce que
1e
nombre sept réun i t
1es contra ires,
1e
p r- i nc ip e mâ 1e
et
le principe femel le.
C'est, en ayant"pénétrer
les éléments et
étant pénétré par eux" Gue
le rostulant se réal ise devon~nt "ned-
A.
H.
Krappe
:
La qenèse des mythes
Payot Paris 1952
0.202
Walter Otto:
Dionysos
p.170
Hampaté Bâ
:
Koumen
p.37
-
89
"l'Océanos grec est censé avo Ir une tête de taureau. (1) On pour-«
. '
-'l'I-cr
r'"'
rait al longer
les exemples,
de Poséidon à Dionysos. Ce qUI est
illustré c'est
la parenté essentiel le qui
1 Îe
les eaux originel-
1es à
1a pu i ssance fécondatr i ce que symbo 1 i se
1e taureau. A cet
(',_
égArd
le mythe de Tyanaba,
le serpent surgissant des eaux accom-
pagné des vingt-deux premiers bovidés est significatif,
"Pour
le sens myt.h j que ,
écrit W. Otto,
l'eau est
l'élément
où réside
le secret originel de toute vie,; naissance, mort, passé,
présent et avenir y mêlent
leurs rondes.
Là où
le devenir a ses
sources,
là est aussi
la prophétie. C'est p o ur-qu o r
les esprits
des eaux sont Drophétiques." (2)
Dans
l' in i t i at i on pastora 1e peu "
réc i t
rie Koumen -
"1 es
quatre premières clairières" mettent
le postulant successivement
en rapport avec
les Quatre oremiers éléments, base oe
la création
et
il est significatif de constater que ces éléments sont ~ardés
"par un serpent". Tel
qu'i 1 apparait en tant que total ité des é-
léments fondamentaux,
le sernent n'est autre chose que Tyanaba
lui-même,
à savoir
le serpent mythique
"Si lé Sadio perçut une
lumière (feu) sortant du fond d'une
poterie (terre) rempl ie d'eau (eau). Un serpent,
face à
la pote-
rie jouait des airs mélancol iques au moyen d'une flûte (air) creu-
sée dans une tige de sor~ho et percée de sept trous p0ur varier
les sons.
" 0 feu! dit
le repti le, pourquoI
ne t'éteins-tu pas sur
l'eau? Est-ce-que
les sons que je tire de
la flûte ne produisent
pas une brise qui
diminue
la force du feu et
le tue?
"Serpent couche-toi
!" ordonna Koumen~
Si lé Sadio franchit
la station du serpent avec une peur refoulée
dans ", e fond du coeur". (3)
De même que
le serpent réalise
la synthèse fondamentale des
éléments, de même il
représente
la total ité de
la structure même
du monde.
Les sept trous de
la flûte symbolisent
la complétude,
en ce que
le nombre sept réunit
les contraires,
le principe m~le
et
le principe femel le. C'est, en ayant"pénétrer
les éléments et
étant pénétré par eux" que
le rostulant se réal ise devon~nt "ned-
A. H. Krappe : La qenèse des mythes
Payot Paris 1952
p.202
Walter Otto:
Dionysos
p.170
Hampaté Bâ :
Koumen
p.37
91
à cheval
sur un taureau, pour recuei 1 1 ir
les messages et
les or-
dres du dieu,
pendant que
les fid~les dansaient sur le rivage."(l)
Pour
les Shi Iluk, c'est
la Vache primordiale sortie du fleuve Qui
a engendré
le Monde.
Pour que
l'origine dans sa forme
la plus créatrice se mani-
fest§t en cette tri ~~Qi'~~de base, fal lait-i 1 sans doute oue cel-
le-ci
réal is§t tant par sa fonction que par sa signification,
sinon
l'image fondamentale que
l'homme se fait de
la Vie,
du moins
son désir essentiel
I~quel se résume en ces mots: force - créa~nn
tion - puissance? La s~Jnification essentiel le de
la tri lo~ie
symbol ique eau - serpent - bovidé se concentre autour de ce désir
fondamental. D~s lors
la configuration symbol ique qui prévaut
ici
se réf~re à ce que Przyluski
nomme "le culte de
la ~rande
Déesse", si bien que eau - serpent et bovidé n'en sont que
les
1
1
avatars. C'est aInSI
que
la symbol ique des peuples pasteurs consi-
d~re la Grande Déesse comme une Vache d'abondance où les te~mes
"vache - m~re - eau" sont équi~alents parce que,écrit J. Przyluski,
"l'eau ferti 1 isante et
la vache d'abondance sont deux aspects de
la Fécondité, deux équivalents de
la M~re Divine",
(2) si bien
que "vache - m~re - eau" sont trois traductions d'une même notion
mythique.
lien est de ~ême pour le serpent qùi passe dans toute
l'Afrioue de
l'Ouest pour être une force élémentaire de
la terre,
Qui dans sa fonction et dans ~a représentation ~hal 1 jque est cen-
sé féconder
les femmes.
On 0~t au Sénéqal oue rêver e'un serpent
pour une femme siqnifie qu'el le est enceinte ou
le sera et pour
un homme,
le présage d'une procréation. C'est pourquoi
dans nom-
bre de
I~gendes afr.icaines, le serpent assure la fécondité et la
prospérité que dans
la mesure où on
lui
sacrifie périodiquement
des jeunes fi 1 les vier~es, symbol isant la fécondité en instance.
Dans ces I€qendes,
ces serpents ont
le plus souvent
leur demeu-
re au fond d'un pui~ ou clans les entrai 1 les de la terre ou de la
mer, si bien que
le caract~re procréateur et fécondant ~e leur
être demeure fondamentalement
lié à
l'humide et à
l'ardr6'type du
1~1
"materne 1" • Cette fonction ém i n:~ment vivificatrice, fécondatrice
de
l'élément aqueux est attestée par
la
langue, par
les croyances
G. Parrinder
La rel Îgion en Afrique occidentale
p.67
J. Przyluski
La Grande Déesse
p.113
91
à cheval sur un taureau, pour recuei Il ir les messa~es et les or-
dres du dieu,
pendant que
les fid~les dansaient sur I~ rivage."(l)
Pour
les Shi 1 luk, c'est
la Vache primordiale sortie du fleuve Qui
a engendré
le Monde.
Pour que
l'origine dans sa forme
la plus créatrice se manl-
fest8t en cette tri ~~Qi'~~de base, fal lait-i 1 sans doute eue cel-
le-ci
réal isât tant par sa fonction que par sa si~nification,
sInon
l'imaqe fondamentale que
l'homme se fait de
la Vie, du moins
son dés i ressent i e 1 1 que 1 se résume en ces mot s
: force - créa;' o n
è
tion - puissance? La s~Jnification essentiel le de
la tri logie
symbol ique eau - serpent - bovidé se concentre autour de ce désir
fondamental. Dès
lors
la confi~uration symbol ique qui prévaut
ici se réf~re à ce que Przyluski
nomme "le culte de
la ~rande
Déesse",
si bien que eau - serpent et bovidé n'en sont que
les
1
avatars. C'est ainsi
que la symbol ique des peuples pasteurs consi-
1
d~re la Grande Déesse comme une Vache d'abondance où
les termes
"vache - mère - eau" sont équiqalents parce que,écrit J. Przyluski,
"l'eau ferti 1 isante et
la vache d'abondance sont deux aspects de
la Fécondité, deux équivalents de
la M~re Divine", (2) si bien
que "vache - mère -
eau" sont trois traductions d'une m@me notion
myth i que.
lien est de même pour
1e serpent qu i passe dans toute
l'Afriaue de
l'Ouest pour être une force élémentaire de
la terre,
oui dans sa fonction et dans sa représentation ~hal lique est cen-
sé féconder
les femmes. On 0~t au Sénéqal Gue rêver c'un serpent
pour une femme signifie qu'el le est enceinte ou
le sera et pour
un homme,
le présa8e d'une procréation. C'est pourquoi
dans nom-
bre de
lé qe n de s e f r-i ca i nes,
1e serpent assure
1a fécond i té et 1a
prospéri~é Que dans la mesure où on lui sacrifie périodiquement
des jeunes fi 1 les vier~es, symbol isant la fécondité en instance.
Dans ces I€qendes,
ces serpents ont
le plus souvent
leur demeu-
re au fond d'un pui~ ou dans
les entrai 1 les de
la terre ou de
la
mer, si
bien que
le caract~re procréateur et fécondant de leur
être demeure fondamenta 1ement
r i é
à
l' hum i de et à
l' arch'ét YDe du
1/ i
"materne 1" • Cette fonct i on ém i n~~ment v i vif i catr i ce, fécondatr i ce
de
l'élément aqueux est attestée par
la
langue, par
les croyances
G.
Parr i nder
La rel igion en Afrique occidentale
p.67
J. Przyluski
La Grande Déesse
p.113
92
Il
et
les pratiques coutumi~res en pays Wolof; Jusau'à
l'essence
de
l'homme qui trouve dans
la
1 iquidité originel le son fondement.
Ici
nous nous
inspir0ns
largement de
la th~se de Oumar Maro-
ne : "Essai
sur
les fondements de
l'éducation sénégalaise à
la
lumi~re des métaphores acueuses ce la langue Wolof"; On parle
en pays Wolof ~e "nitu ndox" ce qUI veut dire 1 ittéralement "hom-
me d'eau" ;
c'est
le statut d'un être maladif, émotif,
fra~i le ;
"l'homme d'eau" ne fait pas part~e ce l'espèce humaine véritable,
car son être paur
les ~olof serait plus proche de l'espèce mari-
ne, aquatique ét
ne doit sa survie qu'à
l'apport en coulées
vitales obtenues en échan~e
d'offrandes faites à
l'eau: merl
rivière, fleuve ou
lac.
Les expressions de
la
langue sont aU~G'
significatives de
la présence de
l'humide,
SI
bien que d'un enfant
nouveau-né on dit "1 iir bu tooy" (1 ittéralement : nouveau-né hu-
mide, moui lié) caractérisant ainsi
la
1 i qu i d i t
o r-i q i ne l l e OUI
é
informe
l'humain non seulement dans sa forme premi~re mais bien
auss i dans son dest i n fi na l i a mort. C'est pour-quo i l ' expres-
sion "Vax yu seey" (os fondu) pour désigner
la décomposition des
ossements du cadavre,
indique
la voie du retour vers
les eaux
primordiales qu'emprunte
l'homme après sa mort;
car "seey" (fon-
dre) ne s'uti 1 ise que pour désigner
le processus de
1 iquéfactian
d'un corps sol ide
introduit dans un corps
1 iquide comme dans
le
cas du sucre ou du sel. Dans Dieu D'Eau M. Griaule écrit: "les
Morts eux,meurent de soif". C~est ~ire que
la mort comme
la vie
ont
leurs sources
les plus profondes en
l'élément aqueux qui
est
la materia prima
"tout était eau" disent
les te~tes hindou~;
"les va~tes eaux n'avaient pas rie rives"
de même que "Ies possi-
bi 1 ités informel les sont représentées en
Inde par
les Aspara
(de Ap '; eau ) (1) de même que, dans
1a qe nè s e ,
1e Souff 1e créateu r
ou
l'esprit de Dleu planait sur
les eaux;
de même l'omniprésence
rle
l'eau est patente en pays "/0 lof pour caractér i ser
1es a s o e c t s
f'oncemen t eux c1e .!' essence même rle
l'être huma in:
1a o e r-o 1e et
1r i nte Iii gence.
Il
y a chez
les Wolof un même terme pour d~signer la parole,
la sai ive et
la mort: ce terme est "Ior".
L'eff~cacité de la
(1)
Cf. Dictionnaire des Symboles che à g
p.222
_ _ _ _ _ _iiiiiiiiiiiiiiiiiii;;;;;;===~...-
0 _ 0 _ _
7'>
parole nocIve se traduit par un mot dont
la racine est "Ior" et
.
.
. f .
.
" 1
"E~
l '
~
"1
"
.
. f .
qUI slgnl
le mourir:
oru.
~ymo oglquemen~
oru
slgnl
le
ayant reçu
la parole (meurtri~re). Il n'est pas ~tonnant d~s· lors
que
la naissance soit accompa~née de rites où
l'eau tient une gran-
de place. Chez les Dogon, un rite est, à cet é~ard, significatif.
"Apr~s la sortie du placenta~ •• , une des femmes oui ont assisté
à
l'accouchement prend de
l'eau dans sa bouche et crache s~r l'en-
f5nt par aspersion
lég~re
la fraîcheur de
l'eau
le fait crier:
il a reçu officiellement
la parole •••
le crachement progressif et
ré~lé impl ique que l'apprentissage du langage le sera éqalement."(l)
Le rite symbolise
l'unité primordiale de
l'eau~ de la vie et de
la parole (du verbe).
Il est également significatif que
les ~olof
qui voient en l'intelligence ("xel") "la clé du destin de
l'hom-
me" ••• élaborent "toute
leur terminologie dans ce domaine tant
par la description que par appréciation de tout ce qUI s'y réf~re •••
avec un vocabulaire caractérisé par l'élément eau" (2)
En effet poursuit Marone "xel" lui-même prête sa racine au
verbe "xel li" qui
se traduit par déverser un
1 iquide, à "xe"eku",
acte autonome et spontané de déversement d'un corps 1 iquide.
La
nature
1 iquide de
l'intelligence ne faisant aucun doute ••• même
le mot "yoor" uti 1 isé pour désigner le cerveau rec~le cette 1 iqui~·
dité qui se constate avec
le verbe auquel
il a donné naissance
"yureeku"~;; résonnance (~ caractère d'onomatopée) que produit
un corps aqueux, gluant,
qui s'écoule. C'est cette viscosité que
le cerveau "yoor" prête à
la
langue pour formuler
les
incantations
cultuel les qui demandent au Ciel
une pluie bienfaitrice
"~aam yalaa
Dieu-Ie-grand-P~re
~aynyu ndox
Donne nous de
l'eau·
Yuri bambaa yureet
(onom~topée reproduisant le
bruit de
l'eau qui
se déverse
Youri-yourett,
et
le bruit du
tonnerre : bambaa)
Goorgi teugeul tamadji
Grand prêtre bat
le tam-tam
Gaynde gi soti 1 mbusmi
lion verse
l'outre d'eau."
G. C. Griaule: Ethnologie et langage
p.254
Gumar Marone
Essai sur
les fondements de ':éducation séné-
galaise à
la
lumière des métaphores aqueuses
de
!a
langue ~olof
Bu 1 1et inde l' 1• F • A• N•
Tome XXXI
Jui 1 let 1969 n~3 Série B
p. 8~.o
9~-
l'essence fondamentalemen't humide du "xel" apparaît dans
ce~t~i~~s expre~sions consacrées par le langage et la tradition
Wolof: tel les que
"sotlnte xel"
("sotinte~ dont la raCine est "sotti" (verser),
"xel"(matière,
intelligence), "inte" introduisant
l'idée de réci-
procité : mot à mot, "se déverser
la nature intelligente", ce qui
signifie se concerter, dans
le sens clesse donner consei 1 c'est-à-
dire échanger des
idées. Donner consei 1 se d i t : "Sol xel"
: "ver-
ser
la matière intelligente dans".,. "rempl ir" •••
; une intel 1 i~
gence vive et
impétueuse se dira: "Xel mudi
naca" ;
"naca" veut
d~~e
: saigner, donc une
intelligence saignante; "naca" signifie
ici comme dans
le cas de U teen buddi
nacca" sourd~e, sortir de
terre en parlant des eaux, De l'ivrogne qui boit plus que de rai-
son on dira: "naan ba naan xelam" : boire jusqu'à boire son In-
tell igence". Q4antitè d'autres expressIons témoignent de
la pré-
pondérance de
l'élém~nt aqueux quant à la nature de l'intelligen-
ce : tel les que:
Dire de quelqu'un "qu'i t n'a rIen oans
la tête", de quelqu'un
qu,ni 1 estif\\ise:11 igent" on dira: "sa bopa feesul" ("ta tête n'est
pas pleine") ; de même que "sa~bopa WGgul" (ta matière intel 1 i-
gente n'est pas coaqulée)
indiqu~nt le manque de consistance de
l'intell igence, de même qu'on dira de quelqu'un qui
cherche à
acqu~rir des connaissances: "de fay ~uy xam-xam" (qu'i 1 puise
la connaissance) "duy" é~ant exclusivement réservé pour dire
l'action de tirer
l'eau d'un puits. On pourrait al longer indé-
fininer.t
la
1 iste des métaphores, des expressions, des maxImes
Qu'informe l'eau en tant qu'élément~fondamental et dont le sym-
bol is~e dans la pensée Wolof témoigne de son importance et de
sa fonction ~utement productive tant sur le plan de la réal isa-
tian individuel le, éthique, communautaire que sur
le plan pure-
ment spirituel.
La présence de
l'eau dans
la pensée Wolof traduit
l'accom-
pl issement de
l'énerJie vitale du M0pde qui
sourd à travers
les
êtres et l'étant.
L'eau est
la source
l éme nt e i r-e ,
le support
é
vital de
l'Etre. E-::: co n'est pas par hasard si
le dieu des Diola
95
Ata Emit (emit : pluie) portant
le même nom que
la pluie est en
rapport direct avec
l'élément aqueux, comme en témoi8ne cette pri-
ère sacrificiel le :
"Ata Emit tu es
la force
Tu es
le ciel, et tu es
la pluie
••• Nous sommes
là pour te demander
de rendre féconde
la terre comme le ventre de nos fem-
mes
de
la rendre riche pour rempl ir nos greniers
Que
la paix nous soit assurée. Et
la richesse et
la
force." (1)
Nous retrouvons
ici à travers
la vertu fécondante de
l'eau
":3 culte de la grande Déesse~, car la présence de l'eau apparaît
comme la condition nécessaire de
l'abondance, de
la prospérité.
"A cette cond~tion, écrit Przyluski sont subordonnées la croissance
des végétaux et par suite
la subsistance des humains, et des ani-
maux domestiques,
ainsi que la continuité des
1 ignées assurée par
la fécondité des femel les. Toutes ces notions trouvent dans
le
1 ieu
saint leur e~~ression synthétique et concrète:
les eaux,
le
so l , l a végétat ion Jios an i maux y forment un tout
i nd i vis i b 1e,
grou-
pé autour d'un
idéal d'abondance et de prospérité collectives".
(2)
Cet idéal
repose sur
l'image de
la Genitrix Qui
en tant que figu-
rant
l'unité fondamentale des manifestations vitales
informant
la
symbol ique rel igieuse,
"devient, écrit Przyluski,
le collecteur
o~ finissent par confluer tous les courants du mana, toutes les
modal ités de
la force magico-rel igieuse : fécondité et ferti 1 ité
naissanc~ et croissance, mort et renaissance, ces procés, ces mé-
tamorpho~es "attestent" parai lélement la puissance et la diver-
sité du dynamisme dont
le 1 ieu saint est
la manifestation perma-
nente." (r)
Les fleuves,
1es ri v i ères lle s berges possèdent en Afr i que
noire des significations
le plus souvent en 1 iaison avec
la fé-
conuité,
la vie,
la renaissance;
si bien que quantités de rites
y ~~rt accompl is parce qu'i Is préfigurent par excellence l'empla-
L. V. Thomas
Les rel igions d'Afrique nOIre
p"28:i.
J. Przyluski
La Grande Déesse
p.63
yo
cement sacré qui garantit
le mieux leur efficienoe. C'est ainsi
que chez les Wolof lors de
l'intronisation du Brak,
(roi du ~alô)
le peuple s'assemblait SUr
les bords de la rive gauche du fleuve,
tandis que
le chef du vi liage de 889ama qui avait
la prérogative
de faire passer le f1euve au Brak venait lui offrir sa pirogue
qu'i 1 dirigeait
lui-même quand le souverain était à bord. La fou-
Ie traversait
le fleuve à sa suite et se répandait dans une vas-
te plaine inculte où on élève un monticule de ter~e à côté d'autres
monticules de terre élevés lors des sacre ces divers Brak qui se
sont succédés. Le roi s'asseyait sur celui qui avait été préparé
pour
lui; ensuite
les dignitaires lui présentaient en offrande
un vase contenant
les diverses graines cultivées au WalB ; apr~s
quoI
il était porté en triomphe par quatre cap.tifs jusqu'au ma-
rigot (de Kamm) où certains hommes désignés l'y o l onoes
-tjus--
qu'à ce qu'i 1 y eGt saisi un poisson. Alors,
reporté sur son ter-
tre, et revêtu d'habits secs,
le Diawdine (chef de vi liage? prê-
tre ?)
lui mettait sur la tête un bonnet,
le turban rouge des
divers s6uverains Qui
se sont succédés.
Le nouveau roi
repassait
le fleuve et était conduit dans une case isolée construite pour
la circonstance et où il devait passer huit jours
loin des yeux
des profanes, et où il devait choisir parmi toutes
les femmes
et 1es fil 1e svdu Wa 1ô réun i es près de cette case, ce Ile qu i de-
vait paSger une semaine en tête à tête avec lui. Cette fi 1 le ou
femme était dès
lors affranchie de tout
lien.
Les huit Jours é-
coulés el le se retirait dans son vi liage nourrie,
logée et entre-
tenue;
il
lui était interdit de se marier tant que le Brak vivait
ou du moins régnait o fI)
Les différents symboles mis en Jeu dans ce rite d'introni-
sa~ion ~évèlent au-delà de la sacral ité solennel le de la cérémo-
nie une signification fondamentalement
1 iée à une "reproduction"
à une p~oductivité : en effet malgré le polymorphisme symbol ique
des éléments: "eau" "tertre" "sraines" "épouse" -
ceux-ci dé-
signent non seulement
la permanence mais l'unité vitale de
la
Genitrix~ de la Grance Déesse tel le cu'el le est vécue par la cons-
cience religieuse.
La traversée du fleuve évoque
les rap~orts
(1)
cf. Or L. J. Bero~qgr - FerrauG : Les peuplades de la Séné-
gambie : Histoires, eth··
no 1og i e, moeurs, coutumes,
légendes etc .•.
Paris Leroux Chal lamel 1879
~I
déjà mentionnés plus haut de
l'eau, de
la vie, et de
la réinté-
.
.
.
9ratioh ~tl~ sources ~itales de l'existence en ce que le~5ymbol is-
me traduit à
la fois
la ferti 1 ité,
la vie,
la mort et
la rehais-
sance.
Le symbol isme de la traversée du fleuve revêtait aussi dans
la Chine ancienne,
une grande
importance. "les couples de jeunes
gens l'accompl issaient à
l'équinoxe du printemps:
c'était une
véritable traversée de l'année,
le Dassage des saisons, celui du
"Yin" au "Yang" ; c'était aussi
la purification préparatoire à
la fécondité,
el le-même consécutive à
la restauration du "Yan0"
et c'était encore un appel à
la pluie, el le-même fécondation de
la terre par
l'activité céleste; (1) de même,le monticule de ter-
re érigé dans
la plaine inculte est en rapport avec
la ferti 1 ité.
Dom.inique Zahan écrit: "Leur valorisation (rochers, pierres, mon-
ticules) semble correspondre, towt d'abord aux idées de force,
de
stabilité, de pérènnité.C'est pourquoi ces lieux de culte sont
souvent en étroite relation avec la chefferie. Par exemple chez
les Mossi, de
la haute Volta,
le nouveau rOI,
lors de son sacre,
doit s'asseô+r à plusieurs reprises sur des pierres situées en-
tre la capitale et
la vi 1le o~ s'opère l'intronisation." (2)
~lrès souvent en Afrique, le cérémonial d'intronisation du roi
comporte une visite" à une élévation détermihée o~ sont offerts
des sacrifices." La montagne,
le monticule sont en rapport avec
le ciel, par conséquent tout
indiqué pour constituer des temples
dans
lesquels
les demandes de
la venue de
la pluie bienfaitrice
sont susceptibles d'être prises en considération par
la divinité.
"C'est pourquoi chez
les Zaghawa on gravit la montagne non seu-
lement ~our introniser un chef mais aussi pour sol 1 icite~ la
pluie.~ (3) Si les monticules symbol isent la ~érennité et la force,
fune m;ntagne disent
les Bambara ne s'affaisse jamais")
ils traduis
sent aussI
la fécondité même de
la terre, puissance nourricière
comme le montrent ces invocations serer faites ~ar les parents
de la mariée
lors du cérémonial
de départ de
la mari~e à sa nou-
vel le demeure :
"Que Rog (dieu) et
la terre sur laquel le tu es aSSIse,
cf. Dictionnaire des symboles che à 9
p.332
D. Zahan : Rel igion spir~tual ité et pen~ée africaines p.43
Ibid.
p.45
l
98
soient
tes compagnons et tes c0hebitants
Gue tu mettes au monde un roi
eb une
linguère (noble)
1
" . cl"
,
l '
1
Que tu vives auss i
longtemos que
es
sin -
SE'CU
aires.
( tas de détritus fami 1 iaux)
•
Et nue tu croisses comme
J'herbe du t0rrent (t0ujours
verte).
Que
la bénédiction de ton père et ne ta mère te SUI-
vent.
Tous ceux Qu'i Is s'entendent comme
le ventre et
le
mi 1." $1)
Nous devons ce texte à Monsieur L.
V. Thomas qUI
précÎse
que
"Ia terre dont
il est question est en fait un petit monti-
cule" et que "lorsQue
la mariée est assise sur ce dernier tour-
née vers
l'est, elle'semble vouloir réaliser un ultime contact
avec cette terre fécondée par ·1 a vie de ses ancêtres et
1a pré-
sence des Pangols (génie-ancêtre).
L'emplacement sacré èu rite d'intronisation se décomposant
en
les éléments principaux "eau" "monticule" "case", possède en
1u i -même une dynam i que un i ta i re qu i coordonne, 1es éléments en
une signification d'ensemble; mais
il est une autre dynamique
dans
l'expérience rel i0ieuse de
la sacral ité qui
fait que
les
parties sont susceptibles de se révéler en tant Que sacral ibé du
cosmique;
c'est dire
ici Que chacun des éléments oeut symboJ i-
ser J'emplacement sacré.
La signification symbol ioue des éléments
s'inscrit dès
lors dans
l'unité vécue par
la conscience rel i~ieuse
de
J'ex~~rience de l'espace sacré.
Les divers symboles mis en jeu dans
le rite formant un tout
indivisi'ble centré autour d'un
idéal
de féconrlit~ et d'abondance,
attestent
le pouvoir dynamique et si~nifiant de
l'espace sacré
comme révélation d'une réal ité abs01ue s'opposant à
la nan réa-
I i té de
l'étendue env i ronnante.
1 1 y a donc
ici
rupture par 1[\\ m a-
nifestation du sacré, de
l'homa~énéité de l'espace. Que les ci-
vers symboles vécus par
la conscience rel i3ieuse comme réal ité
absolue,
attestant
la dynamique si~nificatige de
l'espace sacré,
L. V. Thomas
Les rel igions d'Afrique nOire
p. 209
99
d~voi lent des orientations centr~es autour de la Genitrix, ~on
tre que
la signification fondamentale du rite proc~dant de la
constitution d'un espace sacr~ se d~couvre comme r~ceptacle sym~
bo l i que d'une renc'ontre
essentielle:
l'homme religieux s'~tablis
sant au centre même du Monde. Seulement cette exp~rience rel igieu-
se de
la sacral ité'Homdo~aDI~!' à une fondation dù Monde" ne procè-
de pas hd'une sp~culation th~orique", mais bien comme l'~crit
M. El iade hd'une exp~rience rel igieuse primaire ant~rieure à tou-
te r~flexion sur le Monde. C'est la rupture op~r~e dans l'espace
qui permet
la constitution du monde, car c'est elle qui
dé co uvr-e
"le point fi~e" l'axe centra~ de toute orientation future". (1)
C'est à ce niveau de
l'acquisition d'un point fixe supposant
la fondation du Monde à partir de
laquel le le rite est signifiant
comme exp~rience rel igieuse que se situe la dynamique de l'espace
sacré. Mircea El i"ade ~crit : "rien ne peut commencer, se faire,
sans une orientation pr~alable, et toute orie~tation implique
l'acquisition d'un point fixe ••• Pour vivre dans
le Monde,
il
faut
le fonder".
(2)
Il apparait alors que pour être essentiel
le sens du rite outrepasse infiniment plus, pour capitale qu'el le
soit,
la simple id~e de Genitrix même si paraJ 1~lement la plura-
l ité d~s symboles atteste
la permanence de 1 'orientation f~con-
datrice,
rep~oductrice. C'est dire que l'expérience de la sacra
1 it~ de
l'espace rituel est au fondement même du sens de
la céré-
monie en tant que pr~sence d'un "centre" vécu précisément comme
Monde absolu, comme monde de sens et de rencontre.
la significa-
tion fondamentale du rite se présente à
la conscience rel igieuse
comme mqde de pr~sence avec le Monde. Ce que
le 1 ieu du culte
homolog~ble à une fondation du Monde d~-couvre (d~voi le) c'est
l'expression d'une rencontre saisie en la rupture de
l'homogénéi-
té de
l'espace qui
se traduit au ~iveau de la conscience rel igieu-
se par un mode particul ier d'être au monde.
'1 s~a0it ici essen-
t i e 1 1ement d' hab i ter un monde par 1eque I l e Monde se r-é vè 1e com-
me expérience
immédiate et totale
l'habiter équivaut ici pourt
l'homme rel igieux à une fondation du Monde originaire 0'une ex-
périence fondamentale de
la pr~sence comme ouverture à la réal ité
(1)
Mi rcea E 1 i ade
Le profane et le sacré
(2)
1b id.
"
l
100
absolue qu'est
le sacré. Une tel le expérience déterminant notre
mode d'habitation ("techniques de construction rituel le de
la
demeure humaine"),
d'être-au-monde est au fondement de toute si-
gnification, puisqu'el le fonde
la possibi 1 ité de
l'existence comme
total ité objective (centre) vécue en faisant surgir
le Mande de
la signification.
C'est po ur-quo 1
i 1 n'est pas étonnant que
l'espace ri tue 1
corresponde à
la réal ité par excellence, à
la fois puissance, ef-
ficience,source de vie et de fécondité.
Cette
immé~iatit~'oe l'ex-
périence de
la Sacral ité n'est pas cependant cel le qu'une r~flexion
sur le Monde aurait élevée jusqu'à
la prise de conscience, mais
bien cel le d'une rupture en ceux modes d'être au monce à oartir
ri'un Monde qui
était déjà
là.
L'expérience dont
il
s'a9it conduit
ainsi à déterminer
le monde comme mode d'être authentique par
lequel
l'existençe s'annonce dans
le fondement de
la manifestation
du Sacré.
Le sacré appara1t comme
l'expression et
la manifestation
la
~, plus authentique de l'existence en tant qu'i 1 f0nde l'essen-
ce même du Monde i
ce qUI fait écrire à M. El iade "le désir de
l'homme rel igieux de vivre dans
le sacré équivaut, en fait,
à sbn
désir de se situer dans
la réel ité objective, de ne pas se
laisser
paralyser par
la relativité sans fin des expériences parement sub-
jective~, de vivre dans un monde réel et efficient, et non pas dans
une illusion. Ce comportement se vérifie dans tous
les plans de
son existence, mais
il est surtout évident dans
le désir de
l'hom-
me rel igieux de se mouvoir dans un monde sanctifié, c'est-à-dire
dans un espace sacré." (1) Pour
1a
consc i ence re 1 i 9 i euse
1a
con sj- .',
tructio~ de l'espace sacré" qui est ouverture de l'existence au sens
de
l'êt~e équivaut à une orientation de l'existence vers le monde
de
la signification dans
lequel
s'inscrit
l'action humaine dans
sa vérité authentique;
si bien que
le m0de d'être au monrle qu'i-
naugure
la présence rle
l'es~ace sacré s'annonce essentiellement
comme modal ité de
la rencontre,
laquelle.se situe au niveau de
la
dimension essentiel le de
l'être avec le monde (action humaine)
qu'est
la communication avec
la r~al ité.
C'est donc comme rencontre eue
l'exp~rience immédiate du sacré
(1) Mircea El iade
Le sacré et
le profane
p.28
101
+-
se réalise essentiellement comme sens de
l'être et comme mode au-
thentique d'habiter, ce qui fait écrire à Maldiney : "la rencon-
tre primaire avec
la réalité de Quelque chose n'est ••• pas ~u tout'
de
l'ordre de la représentation,
ni
de
la perception reDrésenta-
tive à
laouel le on réduit tra~itionnel lement notre rencontre ave~
1es choses ;
1es choses ne sont rée Iles, ne sont données phénomé-
nalement (dans le sens antique, non rlans le sens kantien) que
dans une rencontre. C'est
la rencontre qui
est
l'acte crucial de
la rlimension réal ité. Toute rencontre est à cet é~ard communica-
tive.
Il
ne s'agit plus d'objectivité, mais ~e réal ité.
Ici
se
trouve en jeu
la question de
l'étant comme tel, de sa dimension
d'être. Toute expérience ontique est an réal ité ontolo~ico-onti
Que,
el le n'est tel le que dans la mesure ~Ù je touche à l'être de
la chose." (1) Ainsi donc quand dans
le rite de
l'intronisation
l'hornme"crée" u~ monticule érigé en temple et se dél imite un es-
pace (éprouvé) dans
la pratique de
lacmanifestation rituel le (tra-
versée du fleuve,
création d'une case isolée etc •••
)non seule-
ment à partir de ces 1 ieux d'émergence valorisés comme source de
fécondité, de prospérité •••
il fonde
le monde comme réal ité abso-
lue,
sur le fond dB cette situation, mais crée ainsi même les
conditions de possibi lités d'une symbol ique de la rencontre.
L'es-
pace sacré,
l'étant, est saisi dans sa dimension vécue comme la
réa 1 i té fondamenta 1e,
l'express i on même de
l'être. C'est di r-e Que
c'est l'expérience vécue Je
la dimension ontique (l'étant) à savoir
l'espace sacré qUI
est ~i"u fondement même de l'être apDréhend~
comme présence
donnant sens à notre mode d'habiter
le Monce. Cet-
te ouve~ture de
l'existence en nrlse sur
le sens de
l'être à tra-
vers
l'éspace sacré révèle que pour
la conscience rel igieuse i 1 ~
n'y a de mode fondamental et si~nifiant d'habiter, d'être au mon-
0e, qu'à se donner comme rencontre. Car c'est par
la rencontre
qu'est
la condition de possibi lité de transcender
l'expérience
immédiate en existence authentique.
Ex-ister dès
lors c'est sur~ir, à partir d'un ~épassement de
l'étant vers
l'être,
au monde de la signification, ce qui est vécu
ici au niveau de
la conscience rel iqieuse en tant Que pouvoir d'é-
H. Maldiney :cf. polycopie de phi losophie générale C.L.
cours,du 20 janvier 1972 (la différence ento-
logique)
-
102
prouver en sa propre
1 imite (qui
est cel le de
la dimension de
l'es_
pace sacré)
la possibi 1 ité même de dépassement,
d'outrepassement
de sa si tuat i on d 4'être _ enfermé" à un
1à, vers
l'ouverture au
sens de
l'être,
Qui
se donne dans cette possibi 1 ité d'être-avec.
là est, à partir de
la saisie de
l'existence aU i se transcende,
la rencontre fondamentale avec
la réal ité du Sacré C0mme sens de
l'Itre.
C'est pourquoi
Heidegger oui
voit ''l'av~nement du ~acré
en
la parole pOQtique" (1) parce que modal ité J'approche de
la
vérité de
I#être conçoit
la poésie comme fondation de
l'être par
I~ parole. Si n p a r
le
langage comme
l'écrit Heidegger "nous en-
trons
immédiatement en relation avec
l'être qwi
nous constitue
comme
1 ieu de sa manifestation ••• "
(2)
le rite apparaît comme
l'une des fermes
les plus pures de
l'avènement du
langage.
"Et
ce 1a
à te 1 po i nt; prec 1 se He·' de qqe r ,
que c'est préc i sé-ment dans
la nomination des dieux et dans
le fait que
le monde devienne
parole,
que consiste
le dialogue authentioue Que nous sammes
nous-mêmes." (3) Cette communication essentiel le des choses et de
nœus-mêmes,
à partir d'un espace du monde où surgit,
-- et se fon-
de --
la conation du sens de
l'être,
est à proprement p~rler ce
Que nous nomm~ns rencontre. C'est par la rencontre précisément
1
que n~tre communication est essentiel le comme mode d'habiter la
présence des dieux et
la proximité des choses,
en ce Que nous
sommes un séjour c'est-à-dire camme écrit Mr Maldiney parlant de
l'esthétique:
"un espace où nous avons
1 ieu,
un temps où nous
sommes présents -- et à partir desquels effectuant notre présence
à tout, ,.'nous commun i quons avec
1es choses,
1es êtres et
nous-mêmes
dans un-jno nde ,
ce qui
s'appelle habiter." (4) Ainsi
nous voyons
que
la signification fondamentale du rite d'intronisation dont
l'analyse nous a permis de dégager
le
mo~e
d'habiter par
lequel
la conscience rel igieuse éprouve
le sens de
l'être,
est à saiSir
à partir d'une dynamique de
l'espace,
mais d'un espace vécu en
l'expérience
immédiate de ce que nous appelons symbol ique de
la
rencontre que
nous avons maintenant à préFTser et à déterminer à
travers
les expressions symbol isantes des ethnies dont nous nous
occupons
ici.
(1)
M. He I"degger
Approches de Ho1der 1in
Fragment n010
IV 2~·4
Ga Il i mard
p.
96-98
(2)
M. He (degger
l'Etre et
le Temps
Co, 1ect ion P.U.F.
p.62
(3) nM. Hetdegger
"Qu'est-ce que
la Hétaphysique" ?
Collection
les Essais VIl Ga 11 irnar-d 10è Edition
p ';' 2t!.2
(4)
H. Maldiney
Reqard Parole Esoace
.n_l/t~
El SYMBOLIQUE DE LA RENCONTRE
Au cours des analyses précédentes nous avons été amené à
constater que toute la grande ~ichesse expressive du symbole trent
du fait que celui-ci ne poss~de pas de contenu fi~e et détermin',
de signification figée immanente parce que sanS cesse s'y reflète
une réalit~ qui le dépasse et qui ne pe~t ~tre fix'e de façon
adéquate. Sur le symbole pèse pour reprendre l'expressÎon de
Ernest Gassirer "la malédiction de la médiateté :
il doit voi 1er,
là où il voudrait révéler" ; c'est pourquoi tout contenu qui vou-
drait le rédüire en une signification ultime se heurte à la mul-
tiplicité et à la totalité des possibi lités ouvertes (offertes)
en la dynamique ex-pressive du symbole. lequel sourd des profondeurs
du non-œhémet i que. C'est sans doute, pourquo i 1a forme symbo 1i que
apparatt pour l'homme comme la voie la pl~s profonde que I~ cons-
cience rel igieuse puisse "~ev~tir" pour manifester en s'y in-for-
mant, ce qui
infiniment le dépasse:
la vision (intuition) obs-
curément ressentie de là.présence du num,neux. Dès lors il est
permis de voir en le symbole une modal ité d'~pproche de l'expéri~
ence fondamentale de l'homme en tant qu'i 1 est en prise su;::
la
question même de la signification de l'~tre ;·c~r si pour Jung
"le symbole est •••
l'expression su"r~me de ce qui est pressenti
et non encore reconnu" (1),è'est parce qu'j'I est vote de notre
rencontre avec la réalité de ce qui ne se réduit pas seulement
"à la représentation ni à la perception représentative" ; en'ce
sens l'expression symbolique apparaît pour la conscience reli-
gieuse comme la modalité d'approche par excellence de l'ouvertu-
re de l'~tre à partir de
laquelle peut ~tre vécue l'essence du
Sacré. C'est dire que le symbole apparaît comme l'une des voies
dlac~~•. à la présence du divin, ce que les productions mythiques,
cultuelles, ~ituel les Qui s'expriment en lui
tendent à signifier
d'une.manière expressive à travers leurs langages lesquels ren-
voient,(en t~nt que représentant non seulement un élargissement
mais l'accomplissement de l'univers du discours symbolique),à
ce que nous appelons symbolique de la rencontre laquel le doit
(1)
C.G.Jung
Types psychologiques
Librairie de
l'Université
Genève Buchet-Chastel
Paris 1950
2è édition 1958
p.494
=
104
être ,envisagée comme une dimension fondamentale
infor~ant et accom-
pl issant l'ensemble de la vision ou'exprime l'univers des mythes,
des cultes et des rites
les productions de l'expression de la
conscience rel igieuse.
Cependant c'est de deux manières que cette symbol ique de la
rencontre peut ~tre appréhendée. D'une part du point de vue du
c~ntenu, el le apparaft comme une destination vers laquel le s'o-
rientent les productions du monde symbol ique ; comme 1 ieu d'ac-
c~mplissement de réalisation de leur fonction expressive en une
unité motivante, entendons qu" manifeste la raison d'être (qui
est au centre) de
l'ensemble des récits et des expressions cul-
tuel les, rituel les. La symbol ique de la rencontre se révèle donc
ici comme un produit, une donation laquel le pourtant se révèle
significative de l'ensemble de ces productions elles-m~mes.·D'autre
part du point de vue ,de
la forme el le apparaît en tenP que struc-
turation, voie d'émergence, d'un langage essentiel dans le fonction-
nement duquel
les diverses expressions symboliques trouvent leur
fondement; c'est-à-dire que cel les-ci n'accèdent à leur propre
profondeur qu'à s'informer, en s'y épuisant, dans l'acte d'un
langage plus fondamental en prise sur les r~al ites primordiales
de l'expériences: monde
monde de 1'homme ...-··monde des dieux.
Nous sommes ici renvoyés à une dimension plus originaire,' à
l'ex-pression même du fond à partir de laquel le la parole parlan-
te des mythes se produit en produisant
le .monde qui est
le sien,
monde qui est aussi
le n~tre. Expressions s'informant à partir
d'un langage originaire ayant sa source dans le non-thématique
dont L'Is manifestent l'avènement dans leuhs prtiductions,
les my-
thes èultes~êtr~ttes sont des paroles constituantes d'où s'articu-
le la réssurgence m~me d'un fond primordial. Les symboles du mon-
de mythique nous restituent la dimension d'une narché n primitive;
c'est pourquoi dans ces productions ni 1 ne s'agit pas de retrou-
ver le sens constitué le plus ancien, mais ~e retrouver en-deçà
de tous les sens constitués, thématisés par leur usage local et:,
objectivant, une signification bon-tb~matique qui déborde tous
les thèmes, une direction de sens qui à l'intérieur du sens même
105
excède ce sens -- et OUI en est la sève perpétuel le." (1)
Il apparaît Que les mythes, cultesxet rites ne pouvaient
être compris Qu'à titres d'élaborations secondaires renvoyant à
un
lanqa~e plus essentiel, (symbolioue de la rencontre) en tant
Qu'i 1 est au fondement. Mais Que la symbolique de
la rencontre
soit appréhendée comme contenu (aboutissement expressif unifiant)1
en tant Que total ité significative
de l'ensemble des productions
cultuel les, mythiques rituel les la constituant comme tel le10u
comme l'expression révélante d'un lan~age symbol iQue dans le fon-
dement duquel
les diverses productions signifiées se ~i9bif,entf
el le constitue la motivation fondamentale conditionnant le fonc-
tionnement même de ces productions dont chaque forme particul ière
d'expression apparaft à cet égard comme une 1 imitation.
Pour la conscience rel igieuse la motivation fondamentale est
de vivre à travers l'expérience mythique, cultuel le, rituel le dans
la présence des dieux et à la proximité essentiel le des choses les-
quel les ont leur donation dans l'univers symbolique. C'est dire
que la motivation religieuse ne se dévoi le qu'à saisir la motiva-
tion qui à travers cet univers symbolique, parle en termes voi lés
et figurés de naissance
de mort, de lutte e~tre les puissances,
l
de renaissance, de pureté, de voyage, de faute, de chaos, de monstres,
d'enfance ••• autan~ de figures du monde mythologique qui renvoient
non seulement aux orioines, aux âges premiers du monde mais qui
renferment en el les-mêmes une certaine manière d'être de l'hom-
me en face de l'Autre. Car si "l'homme ne vit avec les choses
oue parce Que et dans le mesure où il vit parmI ces fiQures ••• "
et s'i I;ne "s'apprOPrie la réal ité et ne s'ouvre à el le que dans
la mesure où il
laisse le monde et lui-même se fondre dans ce mI-
lieu imaginaire permettant ainsi non seulement leur contact, mais
leur interp'nétration réciproque n,
(2) c'est parce qu'un tel
uni-
vers dans lequel
l'homme s'excède infiniment dans la profondeur
de sa propre expérience estfondameetolement vOIe de rencontre.
C'est ce qui fait écrire à Kérényi
: "on doit pouvoir parler au
figuré d'une sorte de plongeon en nous-mêmes qui conduit au ger-
H. M~ldiney
Regard P~role Espoce
p.l01
t
E. Cassirer
Langage et mythe
p.18
tl
106
me vivant de notre entité". !1) la recherche de la motivation de
la conscience rel igieuse en oeuvre dans les symboles et
les fi-
gures des grandes productions conduit à un élargissement de l'u-
nivers mythique, cultuel, rituel aux dimensions d'une symbolique
de la rencontre. Cela nou~ amène à retrouver à travers les divers
motifs mis en jeu dans les mythes, cultes, rites le point central
vers lequel àt à partir duquel toutes les figures et les images
jaiJI issantes du monde symbol ique puisent leur source et s'orga-
nisent :
là où
l'expérience religieuse est à même, "en nous per-
mettant de refaire avec les grandes images originel les la route
qUI conduit à leur développement," (2) de communiquer leur rai-
son d'être, à savoir la motivation fondamentale qui est à
la sour-
ce du mode d'être mythologique.
la motivation est la même qui conduit les images du monde
symbolique à traduire en langage originel
l'expérience rel igieuse
de l'homme, Que cel le qui fait d'el les l'expression même des for-
mes du divin. C'est dire que la source du divin et la connaissance
originel le dans les grandes productions coincident.en ce que la
motivation fondamentale de l'expérience r~li9ieuse apparaît non
seulement comme manifestation véaue, présent~tion de l'homme"de-
vant la divinité, mais aussi comme fondation même de la présence
du divin. la motivation dès lors est essentiellement action qui
place l'homme en un centre, ce point central dont nous parlions
et où il est saisi comme "être attentif et dél icat" selon les
termes de Kérényi Qui caractérise ainsi
le sens fondamental du
mot religieux. (3) A~cet égard tout centre est en même temps comM
mencem~nt et aboutissement. Cela apparaît de façon très signifi-
cative'~ans les traditions de fondation des vi 1les, dans les rites
et les cérémonies où le Temps originel et le Monde originel sont
réactual isés et réorganisés à partir d'un espace sacré.
la constitution d'un tel centre résulte de toutU~nsemble de
relations, d'expressions, d'images de formes encore indécises se
débordant en l'expérience de la dimension vécue de ce que nous
appelons symbol ique de la rencontre,
laquel le constituant l'obs-
cure direction significative dans le fonctionnement de laque! le
)
CH. Kérényi
Essence de la mythologie
p.21
" d.
"
p.21
CH. Kérényi
Re! igion antique
p.l!
107
l'ensemble de ces relations et de ces formes du monde symbol ique
s'articulant en expérience, fonde l'unité motivante où précisé-
ment elles
"--4::,' 1eu r
direct i on et 1eur or i g i ne •
Nous avons déjà vu à propos du rite d'intronisation du Brak,
que c'est à ps l~ir d'un espace sacré coordonnant en une dynamique
unit~lre les divers éléments mis en jeu dans le rite ("eau", "mon-
ticule", "case") que procède la fondation même du monde, condition
de possibi lité de l'être-là à avoir lieu à la présence des dieux
et à la proximité essentiel le des choses. Nous avons là, dans la
construction de l'espace oui se confond avec le moment (la durée)
de la cérémonie rituel le,
la manière dont l'homme s'aménage un
habiter où il ne s'outrepasse lui-même Qu'à s'exposer dans l'acte
même de cette construction de l'espace sacré,
lequel acte s'ins-
crit dans le fonctionnement des différents symboles, à se réaliser
au-delà et par la divergence des directions de sens qu'i Is intro-
duisent, en une symbolique constituant non seulement la dimen-
sion de son mode d'habiter mais se révèle comme l'expression si-
gnifiante du rite
lui-m~me. La voie qui conduit à la motivation
informant les différentes significations s'inscrit
donc ici dans
le dépassement perpétuel d'une symbolique s'articulant en tant
.
qu'ensemble de significations en fonctionnement. Autrement dit
c'est bien dans l'articulation d'une symbol ique apparaissant com-
me une direction significative dans l'horizon de laquel le les
divers symboles ont leur sens et leur fon~ ~ent, qu'est en oeuvre
la motivation fondamentale du rite. En tant que configuration
signifiante envisagée non comme système résultant, mais comme
acte d'un chemi~ement obscur qui absorbe et accomplit les diffé-
rents sens constitués des symboles en jeu,
la symbol ique est à
.
même de s'annoncer et de se révèler comme la réal isation qUI per-
met au langage chiffré des mythes,rites et cules d'accéder à sa
propre profondeur, de restituer aInsI
la motivation qui
l'anime
etc
parle en lui. A parler de significations éparses, étrangères
les unes les autres, on ne peut trouver une unité qu'en la cher-
chant dans une certaine manière d'appréhender les choses. Cette
unité signifiante trouve en la symbol ique de la rencontre son
108
exp~ession la plus profonde, son effectuation.
Que l'univers mythique cultuel, rituel soit l'expression de
l'émergence de la conscie~ce à l'avénement du Sacré fait qu'en
la symbolique religieuse en tant que mode d'être; manière d'ha-
biter, nous sommes:~ même de découvrir la voie royale qui mène à
la motivation fondamentale du monde des grandes productions. A
ceG grandes productions la même attitude est commune, ouvrir l'hom-
me à la dimension rel igieuse, c'est-à-dire la présentation du
dieu; c'est pourquoi tout symbol isme véritable, au niveau des
cultures dominées par la pensée mythique? cultuel le ••• , est plus
ou mo 1 ns un symbo 1 i sme re 1i 9 i eux. Par coris équerrt dans
l' hor i zo n
spirituel de l'homme écrit M. Eliade: "Le réel se confond avec
.,
le sacré r et le Monde est consid'ré la créati~n des dieux; tou-
te ~évétation portant sur la structure de l'Univers ou sur les
différents modes "d'existence dans le Monde et spécialement sur
l'existence humaine est en même temps une révélation de nature
religieuse;
la hiérophanie est en même temps une on~ophanie, la
manifestation du sacré équivaut à un dévoi lement de I~être et
vice-versa." (1) C'est ainsi que s'établit une structure qui s'in--
formant
sur la base de la sacralité, révèle en iime temps une
manière d'être de l'homme, une modal ité d'approche du sacré par
laquel le ILhomme vit sa rencontre avec le divin. Si bien que c'èst
à constituer, c'est à s'articuler en une symbol ique de la rencont~e
qui traduit non seulemept l'avénement du sacré, mais aussi
les
différentes manières dé vivre cette proximité du divin, que réside
l'unité profonde des grandes productions.
Au~sià l'unité motivante préfigurant la totalité signifian-
te de
l~énsemble des symboles rel igieux dont la fonction révéla-
trice et médiatrice est de nous mettre en prise sur un monde
transparent dans l'ouverture de
laquelle notre destination s'ac-
complit à nous exposer à la présence divine, préférons-nous par-
Ier de symbol ique de la rencontre annonçant
le comment d'un rap-
port de communication. L'expérience religieuse n'est vécue et fondée
en~tant que tel le qu'à partir d'une rencontre, voi là ce que disent
les myth~s, les rites les cultes à travers leurs diverses expres-
/
(1) M. Efiad~: Polarité du symbole
p.iS
109
sions ; voi là pourquoi aussI
la présence divine n'est sa propre
..
t '
n'
., '
-
1~mièr~ et n'accède à a~ propre profondeur qui est son apparaî-
tre en nous, que dans l'effectivité,concrète d'une rencontre vé-
cue et fdl"dée.;. en 1a dynam i Que d'une symbo 1 i Que en fonct i onnement •
.'
Effectivité concrète d'une rencontre déterminant la dimension
même de l'Ethique; nous verrons plus loin comment. L'ouverture
à une présence plus originaire détermine pour ainSI
dire,
la né~*'
cessité de toute symbol isation religieuse~ ce qui nous conduit
à saisir dans
l'obscur fonctionnement des symboles, des attitudes,
des gestes constituant les structures fondamentales de l'expé-
rience, un
langage au sein duquel est signifiée
l'articulation
de notre rencontre avec la Présence. Car s'i 1 est vrai que nous
nous dépassons infiniment dans l'acte auto-créateur de nos qes-
tes, et s'i 1 est vra~ Que nos paroles nous signifient dans l'ou-.
verture du mondè qu'el les inau~urent, c'est parce qu'en eux, s'ar-
ticulent, voie de notre habiter, un mode authentique de la'pré-
sence, et notre possibi lité d'être ouvert à
la rencontre
laquel le
est à l'horizon de toute expérience rel iqieuse. Que les diverses
manières d'habiter, au niveau des mythes, rites et cultes, rév~-
1ent 1a réa 1 i té premt k . de toute rencontre :', 1e comment de notre
être au monde, c'est seulement à s'exposer et à. s'inscrire dans
l'ouverture d'une Présence originaire qui est au fondement de toute
expérience, qu'el les s'accompl issent •. Il
n'y a de rencontre qu'à
s'ouvrir à une présence laquel le ne sur-git, ne s~x-pose qu'en
elle.
Il y a
là une dialecti Que que nous pourrions nommer dia-
Jectique de l'expérience rel igieuse en~ageant la total ité indivise
de notre existence en prise dans l'articulation d'une présence
et d'u~e rencontre, qui contitutives de tout fondement rel igieux,
demeurent à la fois
l'origine et la destination de notre existen-
ce. La voie est la même qui expose l'existence à la rencontre;
efle se fonde sur notre mode de communiquer et d'habiter
le mon-
de Qui n'est à même de révéler
la présence divine,
__ puisque
c'est de cel le-là qu'i 1 s'agit dans l'expérience rel igieuse
qu/à révéler notre être-au-monde,
la dimension existentiale de
notre présence. Un poète le dit en paroles cosmiques où
la res-
110
piration du poète,
la respiration du Monde et
la respiration du
poème, contemporaines communiquent au sein d'une même rencontr~
ou pour employer
le
langage de Mr Maldiney dans ff'Ouvert du
Respir"
"Respirer, ô invisible poème
Echange pur et Qui
jamais ne cesse entre notre être
propre
et
les espaces du monde •••
Vague unique,
dont
Je suis
la mer successive
Toi,
la plus économe de toutes
les mers p0ssibles,
Gain d'espace.
Combjen parmi
ces places des espaces furAnt d~jà
•
à
l'intérieur de moi-même.
Plus d'un vent
est comme mon fi Is." (1)
C'est peu de dire que
l'avénement du poème est une respira-
tion cosmique si
l'existence en tant que mode~être dans
lequel
les
étants -- poème, poète, monde -- "s'existent" à
l'être du
Respir,
n'était pas originairement
inscrite dans
la Présence
même.
l'être du Poème,
le Respir,
n'est dès
lors qu'une autre ma-
nière de dire
le surgissement de
la Présence.
La pr~sence dont
l'expérience po~tique en est ICI
l'avénement,
(le Poème),
n~ést
cependant v~cue à même cpmme irruption originaire que dans une
rencontre;
irruption du fond dont
l'ex-pression se manifeste
comme r~ncontre du Monde, du Poète et du Poème,
laquel le rencon-
tre est, constitutive de ce que
l'on pourrait nommer
l'être de
la
Présence ne voyant en celui-ci
que
la condition de possibi 1 ité
de
l'apparaître de
la Présence au sein Me l'expérience;
en tant
que te 1, If être de
1a présence s'art i cu 1e et se fonde sur l'ex i 5.: .
tence et
la rencontre el les-mêmes.
Que
la Présence ne se découvre que dans
l'expérience de
l'e~
~istence c'est parce que l'h0mme rel iqieux, le poète, la fondent
en' suraissant c_~est à dire en existant. C'est dire qu'en raison
du mode de surgissement Qui
ne se donne
ici
qu'à être pure ren-
( 1)
R. M. Ri 1ke
les élégies de Duino.
Les sonnets à Orphée
cité par Bachelard
:
Po~tique de la rêverie
P.U.F.
1974
p.155
......--.~.~'"
111
contre;' la présence n'apparaft elle-même co~me tel le qu'en s'y
ex-posant (à cette rencontre). Bernard Rordorf écrit dans "Pré-
sent à Maldiney": "Seul
l'apparaître nous fait,être présents, car
il n'est rien que rencontre. La respiration du Monde dans la dias-
tole de iaquel le s'ouvre l'~tre de toutes choses, se recuei 1 le
da~s l'instant qui est sa systole où, immergés en lui, nous émer-
geons à no~mêmes, naissant avec le monde." (1)
Ainsi
il convient de répéter qu'au niveau de l'expérience
religieuse tel le qu'el le est vécue à travers les mythes,
les rites
et les cultes, c'est en la symbolique de la rencontre que la Pré-
sence réalise son apparaître lequel en est la motivation profonde
oui détermine l'expérience de toutes les rencontres avec les choses
les êtres et soi. C'est pourquoi bien qu'originaire,
la Présence
suppose toujours un acte existential -- ici
l'expérience par la-
quelle nous habitons -- 'qui n'en est le jai 1 lissement qu'à s'im-
merger en el le,
laquel le s'informe dans la profondeur. et la to-
talité du Monde qu'il annonce. 'Une tel le articulation du mode d'ha-
biter et de la présence constitutive de la rencontre apparaît dans
la symbolique du masque.
le masque,
l'une des expressions religfeuses les plus pro-
fondes du monde africain, demeure la voie privilégiée de la rencon-
tre de l'homme et du divin. Car le masque est essentiellement
appel, dans le sens d'origine du mot -- pour parler le langage de
Heidegger, ce qui ·signifie qu-en lançant un tel appel on permet
l'accès dans l'advenir et dans l'être présent". (2) C'est dire
qu'en ~on simple appa~attre le masque est présence; parce que
son ap~arattre n'a d'accès à l'advenir que par la danse. gour
que le-'masque manifestAt toute l'authenticité de son être il a
fallu qu'i 1 soit dans~ ; ainsi
la présence suppose toujours l'e~
Histence. la danse est l'apparaître du masque. Pour qu'i 1 fOt
voie de la présence,
il a fallu qu'en lui une voix de l'existen-
ce parlAt et el le perle ici sous forme de danse. Car si
le por-
teur de masque peut dire avec Nietzsche"maintenant un dieu danse
en moi" c'est parce que la danse est ~ppel du dieu et le rend
présent, c'est pourquoi
il est juste de dire Que tous les moments
(1)
Bernard Rordorf : l'essence de la rel igion dans le discours
de Friedrich
Daniel Schleiermacher
p.222
in Présent à H. Maldiney l'Age d'homme 1973
(2)
M. Heidegger 1 QU'appel le-t-on penser?
p.133
112
forts de l'existence sont des moments dansés: "à la pleine lu-
ne toute l'Afrique danse" écrit Léo Frobenius. De m~me Senghor
peut écrire :
Ils nous disent les hommes du coton du café de
l'huile
Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds
reprennent vigueur en frappant
le sol dur. (1)
En Afrique noire tout y participe et en est l'occasion
la nals-
sance,le mariage,
le nouvel an,
la circonscision,
la mort •••
jusqu'à la prière qui s'apparente essentiellement
à
la danse
dans la mesure où dans le mode d'habiter et d'être, de celui qui
dei
.
"
prie,
le dieu n'est
là dans cet appel
a prIère qu à s outrepas-
ser infiniment dans une rencontre où ont lieu le dieu et celui
qui prie. N'est-ce pas cette articulation qui appara1t dans la
prière, dans le sens qu'indique W. Otto quand il écrit: "La
prière est une salutation une glorification, une requête. Mais
la position de celui qui prie, sa contenance est sans doute plus
ancienne que ses mots; elle est une expression plus originaire
du sentiment de présence divine" . (2)
La symbolique de la danse et du masque renvoie à l'effectivité
la plus concrète d'une rencontre où l'homme s'ab1me à la Pré.ence
du Dieu; une telle symbolique atteste pour parler la lanque de
W. Otto "une proximité du sublime telle que l'homme devrait fai-
re l'offrande de sa propre personne pour devenir aussi
lui-même
immédiatement la forme dans laquel le s'exprimait cette proximi~
té." (~) C'est à même au moyen de tout le cnrps, en le masque et
la dan~e, que la symbolique de la rencontre a prise pour esquis-
ser l' o'uverture à 1a Présence div i ne, en ce que l'Apparaître de
celle-ci s'inscrit dans une modalité spécifique d'être, d'habi-
er. Mr MaJdiney écrit : "~ux sttluctures de la présence -
qui
expriment toutes l'existential de cette présence en tant qu'être
au monde -
correspondent différentes manières d'habiter le monde
qui
le caractérisent (à même les compDrtements quotidiens) comme
monde propre ••• monde environnant ••• , ou monde de la rencontre.
L. S. Senghor : Chants d'ombre
Edition Du Seui 1 1964
w.
p.24
Otto : Dionysos
p.24
Ibid.
p.22
113
l'Etre-au-monde s~y dévoi le sous la triple forme de l'être-soi,
l'être présent à, de l'être avec dont les foyers sont le corps
propre,
la chose, et 1·'Autre. Mais i' ne s'agit nullement de
termes séparésPi (1) Tout au contraire! C'est à "rassembler"
dans le même jet, dans le même surgissement que la danse unit
et les exprime à la présence qui
les assemble
HI 'être-soi ,
l'être présent à et l'être-avec i car pour le porteur de masque
comme pour le danseur "exister son corps", "réal iser sa présen-
ce aux choses", "communiquer avec les autres" ne sauraient être
séparés. le porteur de masque diola danse non seulement son corps
-- se danse
mais danse en même temps sa tribu, sa coutume,
ses dieux,
les grands rythmes du monde i en lui
la Présence est
là dans son jaillissement, ou pour parler comme B.Rordorf : "La
pensée divine n'est sa propre lumière et sa réal ité Que dans une
rencontre où nous découvrons notre destination dans l'ouverture
du monde à son propre fond ••• Parce Que Dieu n'est que
.l'~c-
te de 8a révélation,
il ne se révèle aussi bien Que dans "l'ins-
tant où
l'homme s'abandonne au monde entier." (2) Ainsi s'affir-
me Que l'Apparaître de la Présence, à travers la danse, est non
acte même. Si
le danseur s'actualise dans to~tes ses modal ités
d'être' "sous la triple forme de l'être-soi,
l'être présent à,
l'être-avec", c'est à même d'être le carrefour d'une rencontre
essentiel le en laquelle le dieu qu'i 1 porte en lui et qui pour-
tant l'habite,
le submerge de toutes parts. Le danseur est l'ex-
istant par excellence, celui qui n'est qu'à rencontrer.
Il est intéressant de noter à travers
le ndôp, cérémonie
thérap~utique de la possession, ayant cours chez les Lébou, !'ar-
ticula~ion fondamentale de la danse, de l'Autre et de la Pré-
sence en tant que cette articulation engage toutes nos modal i-
tés d'être au monde. La restructuration de la personnal ité de la
malade, ce qui correspond à
la démarche thérapeutique du ndôp,
nous le verrons, n'a son accès et son issue oue dans cette arti-
culation fondamentale qui est à saisir au niveau de la dynami-
que d'un registre symbol ique. Avant d'en venir à
l'analyse, une
description s'impose qui fixe
l'environnement,
les structures
H. Maldiney : Regard eBrole Espace
p.76
B. Rordorf : cf. "Présent à Maldiney"
p.224
114
dans lesquelles le réalité symbol ique est en jeu. On a recours·
au guérisseur, au "ndSpkat~ Quand un individu présentant certains
troubles de comportements (désordres psychomoteurs, hystérie, cata-
lepsie ••• ) a le sentiment qu'une présence étrangère habite son
corps, envahit entièrement toute sa personnal ité jusqu'à hanter
tous ses r~ves ; en un mot
le possède. Un tel
individu maigrit de
jour en jour, s'isole des autres en s'enfermant dans un mutisme
Quasi total et de temps en temps est secoué par de violentes crises
d'agitation. Voyant cela l'entouraqe met en cause les R~b. la
."~:
fonction du "NdSpkat" (l'officiant qui préside, diri1e la céré-
monie) est dès lors de faire,
sous la demande de la fami 1 le de
la malade, un Ndôp, rituel au cours duquel
le rab Qui
l'habite
sera identifié, nommé et enfin "ex-tirpé" du corps de la malade.
Avant d'aborder la description du rituel, certaines présisions
s'imposent QUI nous permettront avant tout de cerner le système
symbolique du monde lébou.
Oans le panthéon lébou,
les anc~tres spiritualisés, divini-
sés
__ les "Tuur",sont considérés comme "les maîtres de la na-
ture, des eaux de
la terre.
Ils auraient conclu une alliance trans-
missible de génération en génération avec I~anc~tre d'un lignage
'utérin aux termes de laquel le l'offrande de nourriture et la re-
connaissance sociale leur sont assurés contre la ferti lité,
la
fécondité,
la richesse et le savoir. leur nom et leurs attibuts
sont connus par un grpupe de personnes (généralement"; de femmes)
qui forment un clergé et qui
lui rendent un culte régulier et pé-
riodique en des 1ieux bien déterminés (site naturel ou autel do-
mestiq~e). Il existe des tuur de vi 1les, de vi lIages, de Quar-
tiers;,de clans,de 1ignages". (1) l'étymologie du mot tuur per-
met de"bien déterminer et de bien pénétrer les soubassements
structurant la réal ité d'un tel monde symbol ique.
En effet différents sens sont attachés à ce terme. On trou-
ve
à côté de tOr
: si~nifiant en Ouolof: verser, répandre (un
1 iquide) une autre acception du terme tOr signifiant selon le
dictionnaire "Wolof-Français" de Kobès : "fétiche, pierre, ser-
pent, arbre, monticule, ••• où
l'on rend un culte aux serpents:
(1)
Ousmane Si 1 la
langage et techniques thérapeutiques des
cultes de possession des lébou du Sénégal.
Bulletin de l'I.F.A.N. Tome XXXI Janvier 1969
n Ol série B
p.215-216
115
"TOr ma oyuwul tey":
le serpent n'a pas répondu aujourd'hui". (l)
Assimi 1er TOr et se~pe~t nous semble trè~ significatif; ces deux
sens du mot trouvent
leur synthèse dans le sena que lui donne
Cheich Anta Diop et qui corrobore~nous semble-t-i 1,
la réal ité
du culte: ••• "Le fOr
est la plupart du temps, un serpent non
venimeux, habitant les lieux réservés aux libations et circulant
librement dans la maison. C'est ce qui explique que TOr signifie
"libation" en valaf et sérère ; tOru : faire des 1 ibations. Ces
dernières sont réservées au~ seuls ressortissants de la fami 1 le
issue du même anc~tre ••• " (2) Il est un autre sens qui nous sem-
ble le plus probable à décider de l'origine du culte tel que les
lébou le pratiquent: TOr signifie alors nom, prénpm et renom,
renommée par extension.
Il n'y a de nom véritable dans la pensée
lébou qu'à faire "revivre" un anc~tre, ce qui est: assurer la
permanence de l'essence vitale. C'est par le nom que
l'identifi~
cation avec l'Anc~tre est maintenue; c'est pourquoi TOur est pré-
cédé de "maam" qui
signifie anc~tre. L*importance du nom dans la
pensée lébou, africaine d'une manière générale, est 1iée à
la
force vitale. Condensateur d'énergie il est l'expression totale
de la personnalité,
il révèle l'être. Thomas écrit: "le nom•••
représ~~~ le corps quand il en traduit la force,
l'allure généra-
le du geste ou de l'attitude,
l'uti 1 isation du membre ;
l'~me
quand il en dessine les Qualités,
les travers ou
les défauts
le totem quand il connote les participations entre le moi et le
reste des choses. Mais avant tout il place l'homme dans le grou-
pe : il est alors
l'étiquette qui permet de
le reconnattre,
le
tableau ~UI
le gratifie,
le signe de sa situation, de son origine,
de son a~tivité, de ses rapports avec les autres." (3) On comprend
dès lors l'importance de la nomination ~t~des rituels; de même
/
que les interdits qui
lui sont consacrés.
Le nom est un acte qui est ~i lier à une fondation éthique
le prononcer, c'est agir sur l'âme de l'individu. On peut dire
que l'homme est constitué, dans la pensée africaine de trois par-
ties : son corps, son âme et son nom. Cassirer écrit: "Pour la
pensée mythique le moi de l'homme, son soi et sa personnalité sont
(1)
A. Kobès et O. Abiven : Dictionnaire Volof-Français Dakar
.
_
p.330
(2)
Cheikh Anta D,op: l'unité culturelle de l'Afrique noire
Collection Présence Africaine 1959
p.179
(3)
l.V. Thomas : les religions d'Afrique noire
p.29
\\
116
indissolublement mêlés à son nom" ;
(1) Si
bien que "d'une façon
générale, l'être et
la vie de
l'homme sont si étroitemènt associés
à son nom qu'aussi
longtemps que ce dernier existe encore et qu'on
le prononce,
l'homme est pensé
dans sa présence et ressenti
com-
me un être agissant. A chaque instant,
la mort peut être "invoquée"
au sens propre, d ,es qu '"1
1
est
é
nomm
par 1es survl"vants," (2) d'ou'
l'·invocation des ancêtres pour en avoir
les bienfaits revient-elle
à énumérer
leurs noms: comme en témoigne cette prière Serer
"Par Dieu,
notre maître, et Harvak,
le Tiofan
Et Laga Ndong,
le roi
des Pangol,
Et Diomay Niane, de SanghaTe,
avec Sigg Yek Vam,
Et Fi 1 is, de Maroute"
et tous
les Pangol
du Sine." (3)
Ainsi
l'étymologie de "Tuur" nous aura perm·is de caractéri-
ser à travers
l'articulation fondamentale "serpent-eau (1 ibation)
nom~" la puissance, la fécondité,
la force,
la vie;
c'est ce
qu'attestent
les termes "dar" qUI
signifie engendrer (donner
la
vie) et "durit" (placenta) et qui
ont
la même rac~ne que tuur :
(ur). On retrouve également
la même racine chez
les Toucouleur(~r)
et
les Peul: vivre se ditwur..Je-Si
les tuur sont
1 iés au culte
de
la fécondité et à celui des ancêtres, et servent. à caractéri.
ser des rapprochements communautaires, éthiques,
les Rab sont
plus personna 1 i sés en un sens bien que
1a di st j nct i on reste assez
Il
mouvante.
"ies Rab" peuvent par
la fréquence des cultes qui
leur
sont r-endus être hissés au rang de "tuur" •. les Rab,
doub 1e de
. toute personne humaine, protègent contre
le mauvais sort, mais
exigent offrandes et sacr~fices. Le Rab aime les hommes et dési-
re vivre.auprès d'eux;
il aspire à un
1 ieu d'habitation: "L'é-
lection d'vn Rab se manifeste par une maladie (fol ie momentanée,
maladies psycho-somatiques, stéri 1 ité,impuissance.'! (4)
Il
appa-
raît sous forme animale ou sous
les traits d'un ancêtre, ~u "com-
më il est coutume de dire sous son ombre qui
parle".
(5) Tous les
traits et
les caractéristiques de
la société humaine se retrou-
E. Cassirer :
langage et mythe
p.66
E. Cassirer:
"
p.69
L.V.Thomas
:
les religions dfAfrique noire
p.30
O. Si lia
langage et techniques thérapeutiques des cultes
de possession des lébou du Sénégal
p.216
(5)
Ibid.
p.216
117
vent chez eux: en effet,
la croyance veut que les Rab aient un
nom, un sexe, une éthnie, des traits de caractère, une person--
nalité ••• C'est pourquoi du reste est-i 1 permis au Ndapkat de
l'identifier et de
le nommer.
le monde des tuur et le monde des
Rab nous font pénétrer à travers leur symbol isme la conception
m~me de la structure de la personne lébou et aussi
l'aspect zool~
trique qui débouche au totémisme, ce qui fait que l'animal est
considéré comme le double de l'homme: ainsi en est-i 1 du Rab,
car l'étymologie du mot signifie, avant d'avoir le sens d'un "e5~
prit supérieur", un animal. C'est ensuite seulement qu'i 1 a pris
le sens d'un esprit attaché à un
lieu, à un arbre, qui est le pl4s
souvent son lieu d'él~ction
(arbre se dit en V6rof et
lébou :
"garap") ;
il serait juste d'évoquer ici - le parai tél isme symbolique
de 1'Anc~tre et de
l'Arbre, tous deux symbol isant la péréllnité,
la vie,
la fécondité,
la naissance;
il n'est pas étonnant dès
lors ~ue l'autel domestique soit toujours autour ou auprès d'un
arbre sacré. la parenté qui existe entre"I'Arbre" et le "Rab" nous
est accessible dans le domaine symbol ique ; et i r faut
la- cher-
cher a~ssi dans le fait de sit~~r la construction des autels
la plupart du temps auprès des arbres. Nombre de légendes et de
contes font des arbres des lieux d'émergence, d'épiphanie, des
"génies". l'Arbre est considéré comme étant le carrefour par
exce 11en ce
de toute rencontre : "l'Arbre est 1e chem i n,de r' 1n-
visible" dit un poète haitien parce qu'au carrefour de Ciel et
de la Terre; c'est pourquoi
il est le 'ieu de la manifestation
du Sacré. l'Arbre est l'Anc~tre lui-m~me et un des aspects de
son symbolisme est d'être comme l'écrit Dominique Zahan : "en
rapport. direct avec la durée •••
la marche et le retour périodi-
que des'différentes phases du temps".(l) On peut affirmer ~ans
risque d'erreur qu'au Sénégal
il
n'y a de cultes des Ancêtres qu'8
graviter autour de
l'Arbre.
A la mythologie de l'Arbre est en relation la regénération
de l'Ancêtre; "Sous le règne de l'arbre, d'après
les Bambara,
les femmes avaient
l'initiâtive du culte. Les humains se trou~
vaient dans un état très indifférencié: sans langage, sans
(1)
D. Zahan ~ Rel igion spiritual ité et pensées africaines
p.49
118
v~tement ••• sans membres articulés pour le travai 1, sans ~ela
tions sexuel les car des femmes directement fécondées par l'ar-
b~e naissaient indistinctème~t~~es plantes, des animaux ou .des
humains •••
l'arbre se nourrissait du
1 iquide séminal
des fem~es.
L'arbre se nourrissait également du sang des hommes ••• en absor-
bant le sang de s vieillards,
l'arbre les rajeunissait,
il
i nver--
sait le cycle du temps en les faisant redevenir enfants,
leur
conférait ainsi une espèce d'immortal ité ~égressive évoquée par
un rite bambara, encore pratiqué aujourd!hui pa~ les vieux Serer,
qui consiste à frotter le poignet contre les rugosités de
l'écorce
jusqu'à faire couler le sang sur l'arbre." (l)
En rapport avec le culte des Ancêtres pour que les rab et
les tuur se manifestent au cours des cérémonies cultuelles,
il est
des chants par lesquels ils sont invoqué~ pour venir se réconci lier
avec les personnes possédées ou pour les délivr~r :' ces chants
sont appelés "bakk". Les "bakk" sont des chants sacrés ou dévises,
par eux les ancêtres mythiques sont présents ••• et ces chants
répondent à une certaine manière d'ordonner le rituel.
Ils sont
dits dans un ordre donné •••
Il vont tout d'abord à une farn,il le
d'ancêtres mythiques généraux,
les tuur, forces de la nature, de
la mer, de
la terre, du sol, puis à des divinités de vi liages,
de clans, de 1 ignages et pour finir aux esprits part;cul iers qui
possèdent les individus." {2) Les "bakk" sont dits en fonction
de la hiérarchie des forces, dans le rituel thérapeutique.
Il
est à noter aue "bakk" substantif verbal dérive du verbe "bak"
qui signifie battre "le tam-tam à
la louange de quelqu'un"~ (3)
Il y a tl à une fonction essentiel le de la parole et du son en vue
de créer un enthousiasme, une détermination propice aux exploits.
C'est ainsi ~e les "bakk" sont aussi des chants de lutte Qui,
dans l'arêne, évoquant la généalogie glorieuse des lutteurs,
leur
donnent force et confiance en eux.
Les "bakk" apparaissent ainsi
pour être des paroles exhortantes, une sorte de NémJire dans le
sens o~ l'entend Hetdegger "en tant que recuei Ilement auprès
de ••• " (4) les "bakk" renferment en eux-mêmes comme l'écrit Thomas
"la plupart du temps des interprétations ou des expl ications de
(1)
M.C. etEd. Ortigues : Oedipe africain
Collection 10/18
746 Plon 1973
p.139
JO. Sil. a
:
: Op.
ci t •
p.218
Dictionnaire Volof-Français de A. Kobès
p.14
Hefdegger : Qu'appelle-t-on Penser?
p.146
119
l'existence des anc@tres." (1), en ce 8ens
il est permis
d'y vOir
un condensé m@me du mythe ce oui expl jque ou'j Is donnent souvent
"l'impression ••• d'une
lanque secrète et archaïque." (1)
Tels ou'i Is apparaissent dans
le rite,
les "bakk" préfigurent à
la fois
l'Etre,
la Force et
le Verbe, parce QU'expression des
anc@tres,
ils sont contemporains de
la Création el le-même, c'est
pourquoi
le pouvoir de
la parole (des bakk ) se réfère ici aux
dimensions m@mes du verbe.
Tuur, rab et bakk constituent la supersrtucture symbol ique
et existentiel le en
la dynamique de
laquel le le rituel thérapeu-
tique pcend son assise fondamentale.
La cérémonie dure 3é~érale
ment une semaine et comporte différents moments ainsi découpés
const i tuant
1a c'(:;"1ùrch~ t~érapeut ~ q~~: ~
-- le "saj" (commencement au maternage de
la malade) Ge ter-
me est à rapprocher de "sah" : pousser; germer, prendre racine,
sortir de terre, ~t de "sahet" : enclos, entoura1e. Cette première
phase correspond au retour de
l'initiée au statut de
l'enfance;
des "bakk" sont chantés par l'ensemble de
la fami 1 le,
réuni J
dans
le domici le de
la malade, p0ur demander la permission aux qrands
"tuur", et une
invitation aux cérémonies
leur est ainsi adresséé,.
Le pr@tre essayera alors en appelant
le Rab oui
habite
la malade
de l'identifier ~râce aux mimes et comportements de cel le-ci.
Le " s a j " atteste
le contact avec
la terre: mère universel le,
Image de
l'archetype du maternel. Aorès cette première phase suit
ce Ile des
-- "Natt" (signifiant en Wolof: mesures) qui est le moment
où
le Rab est nommé et "descendu", de
la tête où
il est censé être,
aux pie~s de la malade, à l'aide de racines et d'incantations.
A ces deux phases strictement fami 1 iales, et qui
doivent @_
tre rattachées à
la volonté d'établ ir un contact
intense de
la
malade avec sa fami 1 le, ses ancêtres:
les tuur,
son Rab, et aussi
avec la terre en tant que force élémentaire,
suit ce que O· Si 1 la
nomme
"la communion" et le professeur H. Col 10mb "bukotu" (tour-
ner autour). Un animal ou des animaux sacrificiels sont attachés
(1)
:L.V. Thomas
Reliqio~d'Afrique noire
p.1S0
120
dans la cour de
la maison fami 1 iale et choisis selon
la volonté
duR ab.
1 s'a 9 i t
g é né rai è men~ ': d' un b 0 eu f dan s 1a t rad i t ion ;
suit une
longue procession oui conduit
l'animal,
la malade,
les
guérisseurs et
la fami 1 le vers
la mer pour présenter
le boeuf au
grand Rab de Dakar LakDaur qui
y habite. On
immerge
l'animal, acte
rituel que les Ndôpkat désignent par !'expression:"le cavalier
est monté". Des 1 ibations de
lait sont aussi faites.
Il
est ~ ~
remarquEr ici
1a
1 i a i son que nous avons déjà rencontrée boeuf-eau-.
lait qui
symbolise
la vie et
la fécondité;
cet acte est à mettre
sur le plan thérapeutique au désir de transcender
le statut de
la
" ".,
malade en en faisant un être nouveau, fécond. Que
le cavaI ier
soit monté siqnifie que
le Rab y consent. Au retour de
la mer,
on commence les préparatifs de
l'ensevel issement eymbol ioue de
la
ma 1ade et de
l'an i ma 1 sacr i fic i e 1
l'an i ma 1 est amené et étendu
sur une couver-t ur-e ;
1a ma Jade se couche à ses côtés pu 1 s tous
deux sont couverts de percale blanche, et de~ paqnes dont cer-
tains sont apportés par des parents de
la malade pour manifester
leur solidarité. les pannes sont
le 1 inceul de l'initiéG.C'est la
mort initiatique de
la màlade et de
l'animal.
La malade serrée
contre l'animal
lui transmet
le Rab qUI
l'habite. A ce moment,
le ndôpkat chante
les "bs,'-:x" des sept rab les plus importants
que reprend en choeur l'assistance qui esquisse des pas de danse
au hu i t i ème bakk l i a ma 1ade commence à trésa i Iii r sous 1es pa-
aneS, puis brusquement se dresse,et se met à danser. C'est
la
renaIssance, el le s'est désormais réconci liée avec son rab.
Les
parents,
les ndôpkat et
le~congrétation des anciens possédés
l'encad~ent et dansent avec el le ; el le dansera jusqu'à sa chute~
jusQu'à'~otal épuisement. Suit ensuite le rituel du
l ' Rey"
(t uer e n ~~0 lof), dus a cri fic e , au cou r s du que Ile s
anImaux ~ont tués par les batteurs de tam-tam;
l'initiée doit
sentir les sursauts ce l'animal mourant, afin de faire descendre
le rab s'i 1 ne l'était pas avant;
c'est pourquoi
on enduit
le
corps de
la malade de san~ sacrificiel ou'el le conservera vin~t
Quatre heures ~urant nour le laver ensuite avec l'eau des nou-!
veaux au t e l s , Après
le sacrifice,
le rituel
se pousuit avec
121
__ le Samp : (littéralement ficher en terre) ou fondation
de l'a~t~1 domestique;
le m~me terme est uti 1isé che~ les Serer,
durant lè~ cérémonies de circoncision, et de cérémonies analogues
pour désigher "
l'érection
de I~autel (Iup) qui est ici aussi
précédé d'un rite initiatique (ensevelissement sous un pagne: mort
symbolique suivie de résurection)"(1'.(1) L'autel érigé autour
d'un arbre sacré, comprend deux grandes poterie~ un pi Ion en bois,
des barres de fer,
et un ~alet provenant de la mer. Sept racines
d'arbres différentes macérant dans l'une des poteries vont ~tre
fichées dans des trous dans lesauels sont introduits des os, de
la viande, des boyaux, et où sont posés des pots et des pilons
enduits de lait, de boui 11ie de mi 1 et de sanq sacrificiel
: pour
attirer et retenir le rab par l'appât de la nourriture. La cons-
truction de l'autel. répond sur le plan foctionnel à
la domesti-
cation du rab, mais en même temps sa nécessité fondamentale est
d'assurer aussi
l'union avec les ancêtres. Les offrandes ont pour
but de nourrir l'âme de l'ancêtre et du rab. Au renforcement de
la puissance vitale de l'offrande ainsi sacral isée, correspond
l'accroissement de
la puissance et dela valeur religieuse de la
malade. L'outel est un carrefour de la rencontre,
lieu d'émergen-
ce du sacré. Au symbol isme m~~e (des pi Ions) et femel le (des trous,
des poteries)
il faut voir une valeur fécondatrice et régénératri-
ce 1iée à
la fonctionsde l'autel même, assurant une communication
plus étroite entre les ancêtres divinisés (les tuur) et la malade,
partant avec tout son groupe fami liai et ~ique. Cette phase du
"samp" forme en el le-même un tout complet indépendant du ndôp et
peut êt\\e accompl i sans aucune danse. El le possède donc en el le-
même sa propre valeur thérapeutique, autonome ce quë confirme son
équivalent serer qui s'appel le "Iup" forme plus archaïque ne néces-
sitant
pas le ndôp. Comportant trois éléments principaux: con-
sultation divinatoire, sacrifice, construction d'un autel,
le "samp"
en tant Que rite de fondation "opère une double transformation"
écrit Orti1ues qui précise: "Le "samp" aqit à
la fois sur (être
surnaturel et sur l'homme. En donnant un nom à
l'être surnaturel,
l'homme rend la puissance surnaturel le apte à recevoir un culte;
(1)
L.V. Thomas
Reliqionsd'Afrioue nOIre
p.201
122
en choisissant de posséder qui el le veut pour en extraire son
propre nom,
la puissance surnaturel le fait participer l'indiv~du
à
l'acte qui fonde
la vie religieuse de tout
le ~roupe2 C'est en
somme l'acte fondateur de la religion,
l'instauration du culte,
qui se renouv~Fle dans l'élection d'un individu, de tout individu
possédé par l'esprit. n (1) Après la fondation de l'autel suit
__ le rituel
de possession et des danses: en un mot
le ndôp
lui-même. Cette cérémonie se déroule dans
la rue et réunit tout
le
monde pendant huit jours chaque après-midi d~Yant la maison de
la malade. Au préalable le Ndôpkat (l'officient) aura tracé un
cercle dél imitant
l'espace rituel que personne ne doit franchir
les pieds chaussés. Danses, mImes, rituel des rab incarnés, cri-
ses de possession, alterneront au mi lieu du battement des tam-
bours et des chants. La malade, n~ftnt plus le centre autour du-
quel tout gravite est devenue un simple membre de la congrégation
des possédés qui se fond el le-même dans
la collectivité qui par~i~it'0
ticipe à
la cérémonie. La possédée libérée retrouve son équi 1 ibre,
définitivement réconci 1 iée avec son rab et ses ancêtres.
Le culte que nous venons de décrire, repose sur trois nnotions n
fondamentales s'articulant dans la superstrucutre symbol ique décri-
te plus haute: d'une part la notion de thérapeutique collective,
axée sur une dynamique existentiel le affirmant la dimension de
l'Ethique, d'autre part le pouvoir de
la parole,et enfin, les tech-
niques du corps. Ainsi
le processus de
la structuration de la per~
sonnai ité de
la malade s'inscrit fondam~ntalement dans ce que
l'on pou~rait appeler une dynamique du Rythme. La démarche théra-
peutique du Ndôp n'a pas seulement pour fonction de restituer à
la malade son identité individuel le, mais de façon plus profonde,
de l'insérer dans un temps de Présence vécu à même en la dynami-
que du corps, dans
l'espace rituel, comme temps de rencontre. Re-
trouver son identité propre revient pour
la malade à vivre ce
temps de rencontre en existant son corps. Tel le est la signifi-
cation fondamentale qui se dénonce dans
la dynamique du Ndôp.
Mais ici exister son corp~ ce qui est à proprement parler
habiter le monde en vivant son corps, se présente en une dynamique
(1)
M.C. et Ed. Ortigues
Oed~pe africain
p.152-153
123
du Rythme qui
est à même
la voie Qui
ouvre
l'être soi
du malade
auprès des autres.
La ~evalorisation des relations communautaires,
éthiques procède
ici
d'un pathos à travers
lequel
la malade réa-.
lise d'abord sa présence vécue comme expérience du corps propre
habitant
le monde.
La dimension rythmique dans
la thérapeutique
du Ndôp demeure centrale en ce Que
l'~tre au monde de la malade
avant toute médiation est vécu comme être avec
le monde, c'est
dire que par
le rythme et en
le Rythme
le temps de présence -- ê~
tre soi
à soir-est en son fond même temps de rencontre --\\être SOI
auprès des autres et de
l'Autre.
"Le Négro-Africain est conscient
qu'on est d'abord plusieurs ensemble
il
se sait homme-avec,. hom-
me de série, membre d'une fami 1 lei d'une tribu,
d'un cla~ ••• " (1)
La ma 1ade en ex i stant son corps,
en:,pr i se sur
1e rythme,
hab i te
le monde, et habite
le monde en existant son corps.
La possession
qui
apparatt comme destruction: de
I~être-soi, apparatt aussI comme
destructuration des relations et de
la communication
inter-humaine,
et du même coup comme perturbation de
l'être-au-monde de
la malade
qui
ne peut dès
lors retrouver. son
identi,té Qu'à s'exister, en
s'ouvrant à
l'Autre et au monde.
"Se réconci 1 ier son rabu
signifie
donc à y regarder de plus près
l'art i cu 1at i.on de
1a présence et
de
la r-erx:ontre,
c'est-à-dire pour
la malade être-soi-avec •.•• en
tant que cette articulation désigne originai~ement les relations
corporel les,
sociales, verbales,
spirituel les~ Dans
la préface
de
l'analyse existentielle de L.
Binswanger,
R.
Kuhn et H. Maldiney
écrivent:
"Etre avec
l'autre,
être au monde, exister son corps
comme
lieu d'une finitude ouverte,
sont des formes de présence
oriQinai~ement contemporaines, dont aucune ne peut défaillir sans
la défail lance de toutes ••• "
(2) C'est pourquoI
la cérémonie thé-
rapeutique du Ndôp est essentiellement une dynamique de communi-
cation,
Qui
dans sa démarche,
a pour fonction fondamentale de ras-
sembler et d'exprimer
l'indéfectible unité du "monde propre v,
"du monde environnant" et "du monde communautaire".
La réconciJia-
tion de
l'homme avec son rab -- son "ombre",
"son génie",
son""dou-
ble"~ autant de figures qui désignent la singularité de l'être-soi
en prise sur
le monde -- s'inscrit dans
l'articulation fondamentale
Basile Julia
Fonda
cf ColoQue sur
l'art nègre
Rapport tome 1
Présence africaine 1967
p.285
(2)
R;
Kuhn et H.
Maldiney
cf Préface de
:
Introduction à
l'ana 1yse ex i stent i elle de _
~:'
Ludwig Binswanger
p.22
Les éditions de minuit 1971
de cette unité. "Toute psychothérapie bien comprise, écrit
l
BinswanQer
est réconci 1 iation'de l'homme avec
lul-m~me et,
.
.
,
partant, avec le monde, el le est métamorphose de
\\'hosti 1 ité en-
b
vers soi-m~me en amitié avec soi-m~me et, partant avec le monde. ( 1)
C'est à ce niveau-là précisément que ce Que nous avons appelé la
dynamique du Rythme,
à savoir to~te la superstructure des modes
de relation existentiel le : chants, danses, formes d'expression
corporel le,
rituels (sacrifices, procession) expressions verbales,
Joue un rôle déterminant dans
la restructuration de
la personna-
lité de la malade.
La réconci 1 iation de
la malade avec son rab "partant avec
le monde", passe dans une démarche communicative qui est à m~me
éprouvée dans et en les divers modes d'expressions corporel les,
verbales,
rituel les comme expérience vécue du Souffle vital qui
les unifie; or c'est par
le Rythme que se réal ise le Souffle
vital dans son articulation concr~te. La malade ne s'ouvre à erle
et au monde Qu'à s'ouvrir au Rythme et ne s'ouvre au Rythme qu'à
s'ouvrir à el le, à exister son corps. Que
la malade ne s'étabfi~se,
à travers 1es diverses express ions mises en j'eu dans +e Ndôp, da'O's
la rêal ité d'un monde désormais sécurisant Qu'à ~tre en prrse
sur 1es autres et 1e monde, montre Que 1a d imen.s i:oA- du Rée l, s' ins-
crit elle-même ici, dans
la dimensian communicati;ve de
l'expérience
du Rythme. "Espace et temps n'existent comme vécus que dans la~
mesure o~ ils sont matérial isés dans une enveloppe rythmique. Les
rythmes sont encore cr~ateurs de formes" (2) écrit A,. Leroi-Gourhan,
formulant
le pouvoir créateur du Rythme
lequel est au fond de tou-
tes 1es ,formes const i tut ives de
l'express i on v i ta 1e , Dans l'a sot'-'
ciété initiatique
~ Bambara du Koré, il est une parole qui dit,
exprimant: "Ie peradoxe que constitue la révélation tardive aux
humains de
la connaissance des dieux ••• alors Qu'elle a toujours
ex i stée : "Etonnement ! ce qué on apprend (ma i ntenant) ex is-t a i t
auparavant, ce qui arrive (maintenant) existait déjA ~ le Rythmef(j)
car au commencement de tout commencement est
le Rythme.
Le rythme est un existential qui articule toutes
les moda-
l ités d'être de l'Africain: travai 1, technique, chants, danses •• r
l.dB~n~wange~G : Introduction à l'analy~e existentiel le
p.14
An re lerol- ourhan : Le geste et la parole. La mémoire ~t .Ies
rythmes
. ~ditions AJbin-Miçhel 1965
L.V. Thomas: Les religions d'Afrique noire
125
si bien qu'i 1 n'est pas 'tonnant que dans les civi 1 isat~ons ora+~
les qui font de la matière mouvante qu'est la parole,
l'expres-
sion privi légiée de la force vitale, et lieu de rencontre, Que
le rythme n'apparaisse pas comme "forme de la présence", suivant
l'expression de Mr Maldiney. (1) Et c~est à être par conséouent
au Rythme èttP- 1a ma l ade !;' outrepftSsant au mi Li eu du cerc 1e des
danseurs s'ouvre en el le à eux à
la possibi lité de la rencontre,
en ce oue le rythme n'existe qu'à
lier le fond des êtres en co-
présence. Dans"E~~hno1og i e et langaqe~ G. C. Gr i au 1e par 1ant de
la danse,éc~it : "Cette parole s'exprime au moyen de tout le
corps ; co~me toute parole, el le prend sa substance aux Quatre
éléments oui. composent l'être humain: el le lui prend beaucoup
de son eau et de son feu, car il a chaud et transpire;
el le
tire sa signification de la ter~e sur laquel le le danseur prend
appui, el le dépl~ce beaucoup de vent et de poussière. l'hui le
fournirl par l'homme
lui confère son plus ou moins de jystesoe,
d'élégance, d'expressivité.
le danseur qui "parle" avec tout son
corps dépanse une énergie considérable au bénéfice des specta-
teurs qui en ressentent plaisir et excitation; à
leur tour,
ils
lui dispensent
leu~s encourageme~ts de la voix et du geste, qui
contribuent a~ même temps que les rythmes et les chants, à lui
redonner les forces Qu'i 1 perd.
lise crée donc entre spectateurs
et danseur, un circuit d'échange comparable à celui de la paro~>.
le." (2) G. C. Griaule met ici en rel ief de façon très precIse :.
fa relotion qui, sur le mode communicatif, articule dans une même
dimension rythmique l'être-soi,
l'être présent à, et l'être-avec;
c'est précisément cette triple forme de
l'être-au-monde 0U danseur
laquel ~e est défiêiinte chez l'être malade pour oui
l'unité du
monde n'est plus vécue Que comme fai 1 le attestée par l'existence
autonome de l'Autre en el le, d'un autre-moi
(Rab-double-Ombre),
Que l'exoérience thérapeuti~ue du Ndôp a pour fonction essentiel-
le de restructurer, et cela fondamentalement à deux niveaux oue
nous avons soulignés: au niveau du corps vécu d'une part et
d'autre part au niveau d'un reqistre symbol ioue, en un mot au
niveau d'une dynamique du Rythme, comme poosibi 1 ité éthique, dans
H. Maldiney : Re~ard Parole Espace
G.e. Griaule: Ethnologie et langage
126
[e sens prmier d'éthos, de séjour,d'habiter auprès de •••
La re-
lation de cette triple forme de
l'être-au-monde est vécue et se
développe dans une polarité essentielle entre le plan symbolique
(ail iance avec les ancêtres: Tuur et Bakk) et
le plan du réel
(technique du corps, réintégration dans
l'environnement fQmi 1 ial,
social , échanqes
.
interpersonnels).
La thérapie se ramène ainsi
à une exiqence ontoloqlque fondamentale Qui
met I~être malade en
demeure d'être ce par QUOI essentiellement
j 1 est en tant
Que cet
être soi-même "se développe" comme présent à ••• et présence avec
ce qui exclut et rejette t~ute fragmentation de l'homme en âme,
esprit et corps.
1'1 s'agit à proprement parler dans
la thérapie
du Ndôp d'appréhender la maladie comme fait éthique et ontologique
SI
bien que la démarche thérapeutique est non seulement une tenta-
tive d'intégration de
l'individu dans la société et dans la fami I-
le, mais s'assume comme prise en char1e de
l'homme même. Autre-
ment dit
la thérapie en cours ici "oppose",
l'être-malade (l'être
"habité") à
l'être-homme (l'être habitant) non en vertu d'une
distinction manichéiste du normal et du pathologique -- i Inexiste
d'ai 1 leurs pas d'hôpital psychiatrique dans
la tradition,
leur
champ d'évolution est celui de la société él le-même -- mais sim-
plement selon
la situation de l'homme comme être-au-monde eu é-
gard que la"maladie" y est appréhendée comme un mode de présence
non seulement. déficient mais perturbateur.
La notion rie maladie
mentale dans
la société traditionnel le sénéqalaise voire chez
les
Néqro-Africains, a~ant d'être un fait
individuel, social, est In-
téqrée à un"système de représentations qui~en fait une réal ité
ontoloqique néfaste à
l'équi 1 ibre des forces vitales, par consé-
quent à.l'ordre même du Monde.
La maladie mentale est considérée
comme un amoindrissement de
la force vitale ce qui
a pour consé-
quence d'altérer
la personnal ité de l'être malade en en faisant
un être diminué. Celui qui est habité perd sa force d'habitant.
Ceci expl ique qu'el le résulte
le plus souvent dans
la conception
négro-africaine de
la privation d'une partie essentiel le de
la
personne,
supposée être son principe vital
esprit double, âme,
ombre, nom,
si bien que
la conception de
la maladie est insépara-
127
ble de
l'être-homme,
en ce qu'el le suppose pour citer ~homas :
"une parfaite c0nnaissance des éléments constitutifs du moi
(plu-
ral ité des âmes,
des principes vitaux,
rôle
important
laissé aux
noms) et plu~ encore de leur relation, de leur équi libre, sans
oubl ier
les
1 iaisons éfroites Que
les malades e~tretiennent avec
certaines puissances surhumaines".(1)
C'est
la connaissance de ces
interrelations et de ces
inter-
actions s'inscrivant dans
le système ontologique de
la hiérarchie
des forces,
Qui
seule permet au guérisseur une action efficace.
Sans cette connaissance de
la structure ontologique de
l'être-hQM-
me,
en tant qu"'3t~e-for~e" habitant un monde de forces,
l'action
maléfique des sorciers "mangeurs d'~mes", comme cel le des "exor-
cistes",
reste
inefficace.
la possibi 1ité de
l'action thérapeu-
tique se fonde donc sur
la double saisie des structures de
l'être-
homme,
et de
l'être qUI
sont
indissolublesj ainsi
"la maladie"
est-el le envisagée, dans sa signification comme consubstantiel le-
ment
inhérente à ces deux forces.
La compréhension de
l'être-ma-
lade s'inscrit dans
la compréhension même des structures fonda~ il~'
mentalesae ces deux forces qui
sont au fondement de tout acte
thérapeutique. Oe même dans
la conception négro-africaine on peut
dire avec Ludwiq Binswanger,
"la possibi 1 ité de
la psychothérapie
ne repose donc pas sur un secret ou un mystère,
comme on pouvait
l'entendre, en somme sur rien de nouveau ou d'inhabituel,
mais
au contraire sur un trait fondamental
de
la s~ructure de
l'être-
homme en tant Qu'être-dans-Ie-monde •••
l'être-avec et pour
l'Au-
tre ••• C'est da~s la mesure o~ ce trait fondamental
demeure "re-
tenu" dans
la structure de
l'être-homme que
la psychothérapie est
possible" (2)
;
mais en ayant bien en vue,
comme
le précise
Binswanger
lui-mœme que "la psychothérapie •••
peut
isoler,
con-
centrer et diriger
les "forces" qui
règnent dans
le cosmos de
l'être en tant que prochain,
de
l'être humain avec et pour un
prochain.
Nous prions
le
lecteur,
poursuit Binswanger,
de ~arder
bien clairement à
l'esprit que ces deux sphères de
l'être,
(cos-
mos organique et anorganique) et (cosmos de
l'être avec et pour
un prochain) sont toutes deux primordiales et que toutes deux
L.V •. Thomas
:Les religions d'Afrique noire
p.314
L. Blnswanger : Introduction à l'analyse existentiel le p.122
128
sont des "forces ~I~mehtaires.n (1) Pour le n~qro-africain, ces
deux sphères de
l'être constituent à proprement parler
la dimen-
sion essentiel le de
l'existence pour ce qu'el le suppose
la com-
munication et
l'intersubjectiQ~t~. Et dans la mesure où exister,
suivant ~'expression 'de Mr Maldiney "C'est @tre s6i hors de soi"(2)
la structure de
l'@tre_homme s'~puise et s'exprime en la dimensIon
constitutive de
l'@tre-au-monde, en tant que
la communication avec
les autres et
le rapport à soi
articulent tous
l'existential
de
ses modes d'être.
Que
la th~rapie du Ndôp se d~veloppe à travers
une dynamique du Rythme,
dans
laquel le
1 'homme
est "dans un état
d'origine perp~tuel", montre que c'est hors de
lui-même oue
le
mode de pr~sence de
l'@tre malade se d~voi le dans sa relation au
monde,
sur un mode de communication,
comme être-avec-Ie-monde.
C'est dire que
l'@tre malade
n'a d'autre possibilit~ de vivre
son rapport avec ~oi-m@me et avec le monde qu'en sur~issant à
la
pr~sence du Rythme, en ex-istant, c'est-à-dire en naissant à mê-
me
la proximit~ essentiel le des pr~sences vitales qui
n'ont d'au-
tres structures oue cette mouvance rythmique,
1 ieu de "toutes
ses rencontres avec
1es
choses,
1 es
t r-e s et so i
ê
«"
(3J Les sphè-
res du r~el (Monde environnant, fami 1 le, corps propre ••• ) et les
sphères de
l'@tre
(ancêtres divinisés
tuur -- bakk,
~nergie
vitale) constitutives de
la dimension de
l'@tre-au-monde du Ndôp,
s'annoncent dans
la primordial ité d'une co-existence originaire
que
\\'@tre malade n'habite qu'à @tre en r~sonnance avec
le Rythme.
Le r~el
et
le sacr~ sont sans distance, dans
l'ouverture de
la rrr.scr
pr~sence rythmique où l'être-malade est mis en demeure d'être
sans autre fondement qu'à s'~panouir pr~cis~ment dans
l'existen-
tial
di cette pr~sence rythmique el le-m@me en tant que mode de
rencontrer essentiel le de
l'@tre soi
avec
les autres. C'est ainsi
que
la th~rapie du Ndôp conduit à une dynamique de
la communica-
tian,
commun i cat i on au sens où
l ' homme est d~s i gn~ dans sa con F t i ',1
cition essentielle d'être,
suivant
la saisissante formule de
Bi nswanger
:
" l ' homme de
l'avec,
l' homme qu i ex i ste à rencontrer': (4)
"Car,
~crit Maldiney, ''l'homme est le là ••• où tout a"l ieu" dans
une situation,
un comprendre,
une parole,
une qestuel le,
un Sl-
l. Bi nswanger
Introduction à
l'analyse existentiel le
p.122
H.
Maldiney
Re~ard Parole Espace
p.88
1b i d , ,
p.182
1b i d.,
P;209
129
lence mais toujours une rencontre --fOt-el le
interdite -- cel~
s'appel le exister." (1)
La communication fOt-el le rencontre,
ne
suffit pas pour autant à épuiser
la profondeur de cette formule
de Blnswangen,
en ce que"l'homme de
l'avec",
exprime non seule-
ment
l'être au monde de
l'homme dans
la dimension concrète de
J'existence Quotidienne,
tel le qu'i 1 en fait
l'expérience à tra-
vers sa corporélté, parole,
3estuel le,
mais aussi
et surtout,
et cela est frappant dans
la thérapie du Ndôp,
la dimension on-
tolo~ique de l'être-homme, en ce que son essence consiste préGi-
sément,
dans cette conception négro-africaine à ex-ister-avec ••• ,
autrement dit à réal iser sa force vitale qui
participe à
la fois
à
l'énergie vitale des vivants,
des morts,
et de
l'Etre.
Ici
prend
son sens
la parole qui
affirme que "nit nit ai garabam" (1 ittéra-
lement "l'homme est
le remède de
l'homme") comme disent
les Wo-
lof soul ignant ainsi
la nécessité vitale pour
l'homme de ce que
Binswanger appel le ;
"cosmos de
l'être avec et pour un prochain."
Que
la structure de
l'être-homme se réalise dans
l'accompl isse-
ment de
l'homme de
l'avec,
montre que· la communication est une
dimension fonda~ntale de l'existant et il suffit que cel le-ci
soit déficiente pour que
l'être au monde de
l'homme en soit af-
fecté.
Dominique Zahan,
parlant de
la structure du moi
africain,
é c r i t :
"la personne humaine •••
ne constitue pas \\~ s~stèmec'~s
s'opposant au monde extérieur pour mieux acquerlr sa consistance
et ses
1 imites.
El le s'introduit, au contraire, dans
le mi 1 ieu
ambiant,
et celui-ci
la pénètre.
Il
existe entre
les deux une
communication constante,
une sorte d'échange osmotique gr§ce au-
quel
l'être humain se trouve d'une façon permanente à
l'écoute
pour ainsi
dire,
des pulsations du monde."(2)
L'existant dans
cette optique,
n'existe en tant que tel,
qu'à être avec •••
qu'à
rencontrer,
d'o~ les innombrables rites de passage, consacrant
sur
le plan symbol ique,
la naissance de
l'être humain à
l'existence.
C'est ainsi
que
les rites de circoncision et d'excision relèvent
pratiquement dans
l'ensemble du continent nOir,
de
I Q même signi-
fication et de
la même fonction
pour ce qu'i 1 s'agit d'intro-
duire
l'homme,
non seulement dans
la société,
mais de
le réal iser
H. Maldiney : .R~gard Parole Espace
p.209
D.
Zahan
:Rel '910n Spiritual ité et pensée africaines p.20
130
sur le plan individuel et ontologiaue en tant qu'existant pouvant
accompl ir son pouvoir être dans le système des forc~s. Les enfants
non-circâmcis, à savoir 1 'homme avant sa social isatïon, portent
en eux-mêmes l'ambiQuïté fondamentale, car en eux,
restent
indif-
férenciées
la masculinité et
la féminjté ;
i~nbrShts du bien et
du mal,
ils demeurent socialement et individuellement
incomplets
et ne peuvent ni se marier,
ni
participer aux cultes et aux rites
réservés aux adultes. Avec la circoncision s'opère en somme
un
passa~e fondamental qui est' 'affirmation d'une confirmation de
l'h0mme dans son être éthique, ontolo~jque et individuel. El le
est initiation qui
conduit l'individu à
la transformation de son
être; transformation qui
est manifestée comme acceptation de
/'y-
nité des contraires. le sens de
la circoncision est de réal iser
l'inté1ration de
la mascul inité et de
la féminité comme nous avons
pu
le voir à propos du Koum~o, masque de la forêt nocturne et
originel le Qui préside la cérémonie de circoncision chez les Ba~
nouk.
l'ambivalence du tout y est vécue par l'individu dans une
dynamique sociale.
loin de nier
la partie nocturne et féminine
de l'homme participant des ~uissances archaiques en J'homme, ce
que symbol ise
la retraite dans
la forêt,
la circoncision permet
une réal isation de
l'individu reconci 1 iant et inté9rant
les pUIS-
sances contraires Qui se jouent en
lui.
la circoncision est la re-
connaissance de J'Autre en lui. Qu'el le se joue surtout comm€
expression de
la réal isation de
l'homme éthique, n'en épuise pas
la profondeur. Son horizon est au-delà de la simple a~firmation
de la v:ri 1 ité visant
le caractère confirmatif de
la puissance
mascul ine.
le caractère initiatique montre au contraire de
la
simple affirmation du primat viril
l'exi,,ence d'actualiser en les
e s aue e.rrt ': 'les puissance de
la "nature",
les pulsions souterraines,
'lI
terrestes,. nocturnes en nous ; caractère 1arqement sou 1 i Jné par
C.G. Jung dans ses analyses portant sur l'anima et
l'animus.
Que le non-circoncis soit considéré comme asocial, comme
un être indéterminé montre non seulement Qu'i 1 est relé]ué au
stade de
l'animal ité, mais montre surtout la peur de
l'homme et
des sociétés en face des puissances archaïques du fond,
puissances
131
projet~es dans "l'animal" et "la femme H • Ce c8t~ nocturne et f~
minin
la c~r~monie initiatique de la circoncision pour en rendre
inefficace la proximité dangereuse
le social ise en
le canal isant
dans des relations communautaires, ~thiaues : reproduction, ma-
riage •••
L'être cœrconcis en devenant un être humain est en même
temps celui qui
reconnaît en lui
l'animalité acceptée et
i rrt or-ée ,
é
C'est cela que le Masque Koumpo,
participant du fond nocturne de
la Forêt oriqinel le qui est le fond nocturne en nous, annonce
comme la grande v~rit~ Qui proclame l'intégration en l'homme des
puissances archaïques lesquel les sont social is~es dans une pers-
pective ~thique pour en surmonter le proximité dangereuse.
L'existant est celui qui porte en lui fondamentalement
l'Au-
tr.e c'est ce que
la circoncision a pour fonction d'enseigner.
Que le rapport avec l'Autre soit déficient et le monde vaci 1 le,
et la structure même de
l'être homme en tant qu'être avec, s'en
trouve affecté!
l'importance de
l'Autre, fOt-il
l'"ombre'',
l'''âme''
ou le "double" pour ce qu'i Is désignent dans
les conceptions sym-
bol iques la composante fon~amentale de l'être -- montre que la
maladie mentale est un déséqui 1 ibre de
l'homme de
l'avec, par
conséquent une perturbation de
la communication dans la dimension
de
laquel le l'Autre n'est plus inté~ré comme partie essentiel le
du moi. C'est ainSI Que
les "poss~d~s" sont ceux-là même Qui ont
été 'f-av i s" de 1eur "ombre" par 1es sore i ers et de ce fa i t
1a rup:"
ture avec ce qu i est cons i déré comme un a 1ter e~ est en même
et
essentiellement une rupture de la communication, dans
le sens
d'être ed relation avec. La rupture avec
les puissances du fond
archaïqu~ en l'homme est toujours une rupture de l'être-au-monde
comme de' l'être avec,
un dés~qui 1ibre qUI affecte les relations
avec soi et partant avec
le monde et avec Autrui. Non seulement
la maladie mentale apparaît comme une déficience de
la communica_
t ion,
un dé s qu i 1i bre de 1a structure de
l' homme de l'avec,
é
mais la sorcellerie el le-même s'expl ique ainsi.
Pour les Toucouleur "namnêdo -
sorcIers -
nom verbal qUI,
e ve c j en fictif et:lc~ caractéristique de la voix passive, signifie
étymologiquement "celui qui est, par nature ,forcé de manger,"
132
sou 1i gnant al ns I l e caractère fondamenta 1 de 1a sorce 11er i e en
tant que cel le-ci
se rapporte à la structure même de l'être homme.
le sorcier est censé selon les croyances toucouleur être habité
par une pu i ssance
noc 1 ve qu I l e force à "manger".
1 1 sera i t
intéressant de rapprocher ce concept de "namnêdo"
1ittéralement "
"manger homme" du concept dogon de "nama" emprunté aux Bambara,
signifiant la force vitale, en tant"qu'énergie en
instance,
Im-
personnel le,
inconsciente, repartie dans tous
les animaux"vé~étaux,
dans les êtres surnaturels, dans
les choses de
la nature, et qui
tend à faire préserver dans son être le support auquel el le est
affectœtemoorairement,
(être mortel) ou éternellement (être im-
mortel)". (1) Que
la "nourriture" soit étymologiquement mi~en ra
rapport avec la force vitale vai là ce oui est éclairant de
la
manière par laquel le les sorciers entendent cpmbler le manque
ontoloqique de
leur être.
C'est ainsi que pour
les Bambara
le sorcier apparaît comme
une créature incomplète, étant "Ie seul être de
la création à ne
pas posséder son dya,
c'est-à-dire son double". Cette particula-
~ité est expl iquée par le mythe de la création de "Ia mère des
sorciers" Nyale, ancêtre de ce que Zahan appel le les "nyctosophes".
A en croire
le mythe, "cel le-ci, dont
l'un des noms est Mouso
Kortni Koundge,
naquit de l'arbre Balanza, avatar végétal du dieu
créateur, symbo 1 i sant 1a Vie,
1a mort et 1a re-na i s s an ce ,
L'arbre
s'étant désséché, tomba, et il
n'en resta qu'une sorte de madrier
appelé Pémbélé. Pour ne pas rester seul sur terre et avoir une
épouse,
le Pémbélé pétrit avec sa salive le bois pourrissant
émané de
lui.
Il
y incorporait ainsi, tout en
lui donnant forme,
son âm~~souffle (ni) ; cet être féminin fût aussi doté d'un dou-
ble imm~tériel (dya). Mais pour 1 imiter le mal que rourrait fai-
re cette créature dont il se défiait,
le Pémbélé confia ce dya
au maître du ciel
et des eaux,
Faro, qui devint ~ardien de tous
les dya. ~insi Nyale la première sorcière fut privée de son double,
d'où la auête
incessante ••• pour retrouver son dya. C'est donc
pour combler
le vi~e de son imperfection ou'i 1 poursuit le double
des l.ume i ns ••• " (2) Nous rejrnu'9'ons ici
1a ""l'éCe<flS.j t6-'; d' i rrt éor-e r-
(l)
M. Griaule cité par G.C. Griaule : Eth no 1
.
o~le
e t
Langage
p. 35
(2)
D • Za h an : Rel iqion spiritualité et pensée africaines
p.1S!
133
la partie "fêminine" nocturne et archaique en nous.
La même
idée a
cours chez
les toucouleur~Qui expl iquent que
les sorçiers profitent des "promenades" qu'i 1 arrive à "l'ombre"
de faire pendant
le sommei 1 des
individus,
pour s'en empare~,
en
l'attachant et
l'enfermant pour qu'el le ne pUisse retrouver
son maître,
si
bien que Quelques fois dans
la -brousse,'saux abord~
des vi liages,
selon ces croyances,
on entend dans
la nuit comme
le bêlement d'un chevreau;
c'est une ombre qui
Qêmit en se dêbat-
tant dans
les efforts qu'el le ~ait pour s'êchapper de l'étreinte
des sorciers;
les mêmes croyances sont à
l'origine des supers-
titions Wolof qui
veulent que
l'on ne marche pas sur
l'ombre de
qu~ 1 qu'un sous peine de le voir trépasser.
le mythe bambara "expl ique"
l'origine de
la sorcellerie
comme une
imperfection structurel le de
l'être-homme dont
la natu-
re fondamentale est d'être essentiellement en communication avec
l'ênergie vitale de
l'être et des humains;
car c'est grâce à ce
principe vital
qu'est "le double" en
lequel
il
faut voir une for-
me essentiel le qui
touche à
l'être du nom,
que
l'être est en com-
munication constante dans
le perpêtuel
êchange osmotique qu'i 1
entretient avec
le flux énérgêtique do monde et des êtres. C'est
la dêfai Ilance d'une tel le communication qu~ la sorcellerie veut
combler en s'emparant du double des autres.
le sorcier,
disent
les Wolof,
n'a pas d'ombre entendant que
la sinqularitê structu-
rel le de son être-là se présentant comme une dêviation de
l'être-
homme fait de
lui
un destructeur de
la cohêsion sociale par ses
agissements en vue desquels
il
veut combler son
imperfection.
La maladie mentale comme
la sorcellerie restent donc
insépara~
bles de
la strucutre ontoloQique de
l'être-homme dont el les sont
des fo~mes déficientes.
Alors aue
la maladie mentale apparaît comme une déficience
(fa i Ile) de
l'être homme dans ce qui
constitue
l'essence même
de son mode d'être-au-monde
:
la dimension existentiel le de
l'~_
tre-avec pour ce qu'el le suppose
Ja communication et
le rapport
à soi
la sorcellerie el le,
apparaît comme une déviation,
et
une
inversion qui
affectent
l'homme
de
l'avec en ce que
le moi
134
àu 1 ieu de réal iser son être-avec,
l'al ièhe au contraire au dé-
triment du développement exclusif de
l'être SOI;
si bien que
I~
sorcier se présentant comme l'irruption dé
l'individuel et comme
la déviation de
li idéal
social, apparatt comme la contrepartie
négative de
l'homme de
l'avec, c'est pourquoi
le sorcier est si
persécuté dans 1es soc i étés afr i ca i nes. Jung écr i t
dans "D i al ec·-
tique du moi et de
l'inconscient" : "En réal ité c'est
l'image du
sore i er -
pour dés i gner d'un mot cette image -
qu i att i re b II! i
le potentiel mana c'est-à-dire
la valeur autonome qui
carac~ériJe
l'anima. Ce n'est que dans
la mesure où
le sujet s'identifiera
inconsciemment avec
l'aspect sorcier de sa personnal ité incons-
ciente qu'i 1 pourra s'ima~iner posséder lui-même le mana de l'ani-
ma." (1) Mais bien Que relevant d'une dynamique
inconsciente r
qui serait
la projection de
l'anima mascul in,
la s o r-ce Ll e r-i e no ur-
l'Africain, reste fondamentalement une al iènation du moi qui
dé-
tru i t
en
1u i
l ' homme de l'avec ; donc on ne peut Qu'adhérer à
cette réflexion de Jung quand il écrit
"tout empiètement du
MOi
se trouve immanquablement suivi et contrebalancé par un empiè-
tement corollaire de
l'inconscient sur le Moi
le "sorcier"
s'emparait du Moi
et, en le grisant,
le perdait,
l'al iènait à
lui-même ..
"Sous une forme changeante
J'exerce un pouvoir cruel." (2)
Nous avons cru pouvoIr montrer que
la maladie mentale et
la
sorcellerie tel les qu'el les sont appréhendées dans
les sociétés
africaines en général, et les éthnies sénégalaises en parti cul ier,
révèlent
la situation fondamentale de
l'être au monde de
l'être
homme --' dont el les sont des formes déficientes -- en tant qu'ê-
tre de
l'avec danslrie désignation
t h i oue
é
s Y
Le folie,
écrit
Mr Maldi~ey, est une possibi 1 ité de l'homme sans laquel le
1 ne
serait pas ce qu'i! est: une présence dont
l'essence est d'ex-
ister, ce QUI
veut dire être sa propre nossibi 1 ité" (3), mais
précisement parce Que
l'existence el le-même,
dans
le sens où
exist,~ c'est être-soi-avec •.• est essentiel lemont en situation
C.G. Jung
Dialectique du moi et de l'inconscient traduit
de
l'al lemend préfacé et anoté D""
le
Dr ~oland Cahen
Les Essais CXI Il Edition Ga Iii ma rd 2 0 1964 p.273
Ibid.,
citant Goethe
(Faust)
p.277
H; Maldiney : Regard Parole Espace
p.210
135
dans la fol ie. C'e~t dÎ~e qUe ra structu~e del'€tre
malade n'est
comprise et saisie qu'à partir de
l'être-homme dont
l'homme de
l'avec, celui-là même qui est au centre et le
lieu. de
lathéra-
pie du Nd8p, constitue
la dimension existenti~I le. Que l'inté-
gration du malade à
l'~tre-soj et au monde environnant 0ans le
Ndôp s'ihscrive dans
la nécessité de s'a~ticuler non seulement
dans l'espace communautaire de
la fami 1 le et du ~roupe,' mais
aussI
dans 1a dynamioue d'une superstructure symbolique, consti-
tuant
le champ de
1 'expérience thérapeuti~~e, voi là ce qui
est
éclairant quant à
la manière dont est développée la "normal isa-
tioh# par laquel le sera sorfuontée
la singularité structurel le de
l'être malade.
le champ de
l'expérience thérapeutique. est identique av,
champ de
l'existence que l'être malade épro~ve dans la dynamique
du corps vécu et dans la dynamique d'un registre symbol ique qui
sont au fondement -- pour ce qu'el les suppoéent
la présence sous
la triple forme de
l'être SOI,
l'être présent à et de
l'être
avec
de
la restructuration de
l'être malade en tant qu'el les
sont en prIse sur
l'être même de 1 'homme de
l'avec, "Toute rencon-
tre est suspendue hors de soi" commme
l'écrit Mr Maldiney.(l)
l'expérience du Nd8p articule précisément une tel le rencontre
par laquel le la prise en charge de l'authenticité perdue de
l'hom-
me malade s'assume dans
l'essence même de
l'être-homme dont
la
forme ~ondamentale est d'ex-ister en tant qu'homme de l'avec.
C'est
cet
homme dont
l'existence est de rencontrer et dont
l'être malade constitue une forme déficiente,
un échec pour ainsi
dire de ,l'authentique rencontre, que la symbol ique mythique,
cul-
tuel le ~égro-africaine a pour centre et foyer essentiels.
C'est dire qu'au niveau des mythes, des rites et cultes,
l'homme est saisi
"au double sens qu'indique B. Rordorf,
(de
le
prendre et de
le constituer) à partir de ce qui
le fait homme,
--ce que nous appellerons produire quand nous verrons
la puis-
sance du fond -- à partir d'unenécessité." (2) Cette nécessité
en même temps qu'elle demeure
la motivaion fondamentale du mon-
de myt~iQue et cultuel~l constitue l'essence en tant qu'en
la
(1)
H. Maldiney cité par Gisela Pankow: La dynamique de l'es-
pace et
le te~ps vécu.
cf. "Présent à Henri Maldiney
p.188
(2)
S. Rordorf
cf. "Présent à Henri Maldiney
p.217
136
rencontre il se réalise et ne se réal ise que ce par quoI
il s'ou-
trepasse infiniment, comme être avec. N'est-ce pas là le sens
même de
l'homme rel igieux celui-là qui n'est qu'à rencontrer;
ce que le mot religion (re-I igare : réunir~) indique, c'est la
possibi 1 ité même de toute repcontre. C'est ainsi
que durant l'ini-
tiation bambara du Kore; Dieu par la bouche de
l'initiateur, pro-
clame: " ••• Je suis l'espace de
la rencontre." (1)
Que l'homme ne puÎsse habiter qu'en s'ouvrant hors de SOI
c'est-à-dire en s'exposant à
la rencontre à
laquel le précisément
le monde a son habiter en nous et nous en lui, montre que l'exis-
tant est d'être précisément un être habitant. C'est par la ren-
contre que l'homme s'amèna~e un séjour auprès des choses ~ auprès
de l'être, et dans cet accuei 1 du Monde
l'homme a son propre sé-
jour. HeideQger écrit -- cité par R.
Kuhn ---: "le ~apport de
l'homme à des lieux et, par ces 1 ieux, à des espaces, réside dans
l'habiter. Le rapport de l'homme et de l'espace.n'est rien d'au-
tre que l'habiter pensé dans son être. Les morteLs doivent toujours
à nouveau chercher l'être de
l'habiter et d'abord apprendre à
habiter." (2) Le rapport de
l'homme et de l'habiter, voi là ce
qui articule la coutume qui
veut que
les pasteurs peul chaque
fois qu'i Is se retrouvent dans une clairière de
la baptiser "car-
refour de la rencontre" (hodorde :
I~eu d'habitation, de "hodde":
habiter) et
le
1 ieu devient
sacré à
la suite d'un rite précis qu'
qu'opère
le si latigi -- "celui qui a
la connaissance initiatique
des choses pastorales et des mystères de la brousse" -- en ren-
trant en rapport avec les esprits du
lieu; ce qUI
impl ique que
le "carrefour" renvoie, en tant que symbole, à
la relation de
l'homme.au monde.
Il convient de saiSir cette relation étroite et fondamen-
tale entre l'ordre des choses dans
le monde et
la structure in-
térieure de cet ordre correspondant à notre manière d'habiter,
dans une dynamique existentiel le qui
se traduit
ici
en une sym-
bolique de
la rencontre. C'est précisément la restructuration
d'une tel le relation,
l'équi 1 ibre d'un tel ordre que
la thérapie
du Ndôp avait pour fonction 0e restaurer afin que
l'être malade
L.V. Thomas:
Les religions d'Afrique nOire
p.124
Heldegqer cité par R.
Kuhn :
in "Présent à H. Maldiney"o.117
137
réal is§t sa présence auprès des choses ou, ce Qui revient au
même pour. ~a malade: être soi-avec ••• en tant Qu'en cette struc-
ture de
la présence
le monde,
les choses et soi s'articulent dans
l'ouverture d'une même communication. C'est pourquoi avec
le sym-
bol isme de carrefour nous sommes ici au coeur même du problème
de la relation de
l'existant et de l'habiter: parce que fonda-
mentalement lié à
la symbolique de la rencontre.
Ce symbole r~nvoyant au sens même de l'habiter s'inscrit
dans
la structure de
la présence de
l'homme de
l'avec.
La signi-
fication symbol iQue du carrefour s'inscrit avant tout dans une
dynamique de la rencontre c'est pourquoi
les carrefours sont es-
sentiel lement des
1 ieux d'émer~ences; il est le 1 ieu où l'on
trouve aussi bien
les autres autant qu'i 1 est
la voie où l'on se
retrouve avec soi-même,
serait-i 1 la rencontre avec
~Ol ---, comme
d'un ennemi" -- le destin, comme il en est dans le mythe d'Oedipe.
"C'est
~
un carrefour qu'Oedipe rencontre et tue son père,
laios, et Que sa tragédie commence. C'est au tèrme d'un
long
voyage Qu'i 1 n'avait entrepris que pour fuir son destin que pré-
cisément, à un carrefour, ce destin s'impose à
lui." (1) le car-
refour est
le 1 ieu au
large duquel tout est ouvert à toutes
les
possibi 1 ités
là où
l'être est mis en demeure de s'outrepasser
en être-avec dans
le surgissement de l'Autre, voire de
l'étran-
ger sinon de
l'étrange;
là s'articule l'ouverture à
la présence,
là est aussi
le carrefour de toutes ses rencontres. "Tous se croi-
sent au carrefour du présent." (2) C'est aussi
à un carrefour dans
la
légende peul de Kaydara, que
la voix du Dieu se fit entendre
aux tro~s postulants, car le carrefour est la vOIe de la rencon-
tre par. laquelle s'offre à eux la possibi 1 ité de rlépasser
leur
individual ité close. Ce n'est pas par hasard si Edschou (Eshu
oU Lêgba) divinité Yorouba du Ni~éria est appelé "l'homme des
carrefours" au Brési 1 sous le nom d'Exu :
il est dit Que "là où
se croisent deux rues,
là se trouve Exu." (3)
En pays Yorouba,
on trouve Eshu, selon G. Parrincer; non
pas "à
l'intérieur des maisons", mais à
la porte, "face à
l'ex-
térieur" (4), s~ bien que nous sommes ici en présence d'un dieu
Cf. Dictionnaire des symboles de A à CHE
p.276
Dictionnaire des symboles de A à CHE Seghers
p.276
G.
Parrinder : la rel igion en Afrique occidentale
pe80
-
138
qui préfigure l'aspiration des êtres à réaliser l'accomplissement
de leurs formes. Edschou n'est-i 1 pas, selon le mythe rapDorté
par l. Frobenius.
le dieu qui enseigna aux autres dieux et aux
hommes l'art de
la divination aux moyens de noyaux de palmiers 7
Parce qu'i 1 lustrant parfaitement
la "double fonction de bienfai~
teur et de fripon" comme l'écrit P. Radin dans
le Fripon divin,
en tant que "trait sai liant de
la plupart des héros fripons",
(1)
"un peu comme le dieu Mani en Polynésie" (2), Edschou représente
essentiellement l'union des contraires. N'est-i 1 pas à
la fois
destructeur, par les broui 1 les et
les querelles qu'i 1 occasion-
rte-?et protecteur -
figuré sous 1a forme de ch i en Gard i en -
des
maisons? Edschou est
le dieu des ;carrefours ; autrement dit
il
représente l'homme tel qu'en
lui-même habitent divers aspects de
la dual ité desquels il est en mesure d'être sa propre possibi 1i-
té
il assume ainsi en somme un équi 1 ibre, toutes
les dimensions
contraires Qui
le constituent.
Une 1 itanie chantée en son honneur proclame:
"Accroupi,
il atteint de sa tête le toit de la maison.
Debouti 1 n'est pas assez grand pour atteindre le
foyer" (3)
sou 1 i gnant al ns I l e tra i t
et 1e paradoxe que const i tue l'essence
du Dieu, et partant cel le de l'homme, ce qui est proche de la
vIsIon pascalienne de
l'homme "infiniment ~rand et infiniment
petit" et dont l~ Sinswan~er voit une forme de symétrie dont
"1 e renoncement est comparab 1e à
1a pertee~u monde et du so i ." (4)
Eshu est représenté sous la forme d'un homme accr~upi
parce que
traduisant et réal isant
l'équi 1 ibre de
la tension fondamentale de
1a stcuèture ~ r i z orrt a 1 i té-vert i cal i té : structure dans 1a eue Ile
est désigné
le mode d'être de
l'ex-istant.
Le sens
du
"carrefour" répond donc à
la structure même de
l'homme.
L'homme est le carrefour par excellence parce qu'essentiel-
lement être de rencontre,. i 1 est
la médiation par
laquel le les
lointains sont rendus proches comme le proche participe des
loin-
tains. "L'homme est
l'~t~e des lointains" écrit Heidegger, ce
P. Radin,.CH.
Kérényi et C.G.
Jung:Le Fripon Divin
Traduction de Arthur Reiss
Coll. Analyse et synthèse
Suchet-Chastel
Paris 1954
p.103
L. Frobenius:
mythologie d~ l'Atlantide
p.228
Recuei l l I par P. Verge cf:
L.V. Thomas:
QY},.
c i t ,
p.145
L. Binswan~er : L'analyse existentiel le
[).236
139
qui
s'inscrit parfaitement dans
la structure de
l'homme de
l'avec,
si
bien qu'i 1 n'est pas étonnant que ce soit aux carrefours que
les Grecs dressent
la statue d'Hermès
le psychopompe,
-- n'est-i 1
pas auss I l e dieu qu i sce Ile
1es rencontres en tant que messager
et en tant que
1 ié à Aphrodite? -- symbol isant selon Jung,
la
fonction médiatrice du dieu entre
les univers différents,
en ce
qu'i 1 lui
appartient de guider
les âmes à
travers
les routes
souterraines du monde obscur des Enfers. Cette fonction de "1 ieu
de passage" d'un monde à un autre,
d'ouverturesvers
les
lointains
est attestéedans certaines croyances africaines en général
et
sénégalaises en particul ier Qui
veulent que
les carrefours soient
des endroits d'où
l'on se débarrasse des forces résiduel les,
né-
gatives et dangereusœpour
la communauté Que "les génies" neutra-
1 iseront pour
les transmuter en forces positives rendues aux
hommes sous forme de dons débarrassés de toute soui liure.
(1)
Ainsi
il
est permis de penser,
qu'à travers ces croyances,
ce QUI
est!~ig~1jié, c'est le danger nocif de 1'8tre repl ié sur soi-m8me,
1 ivré à une passivité uni latérale, alors que c'est à s'ouvrir à
Autrui
et à
l'Autre,
comme 8tre avec,
que participant des
lointains,
il
réal ise son essence d'homme comme étant au carrefour de toute
communication. Que
l'essence de
l'homme s'articule dans
la pos-
sibi 1 ité d'8tre avec
l'Autre sur
le mode de
la rencontre où
la
commùnication avec soi-m8me est un acte aussi
primitif que
la
communication avec
les autres,
là est
le sens du symbol isme du
carrefour qu'éclaire
la dimension de
la rencontre.
Dire que
l'homme est
1'8tre"des carrefours" ou que
le carre-
four est une certaine
image de
1'8tre de
l'homme c'est appréhender
l'essence de
l'homme dans
l'articulation du proche et du
loin-
tain. Si
selon
le mot de Nietzsche,
cité par M. Scheler (formes
de
la sympathie)
"chacun est pour
lui-m8me
l '8tre
le plus dis-
tant",
ce n'est pas seulement parce que selon Scheler "au point
de vue pratique
il
est pour
lui-m8me
1'8tre
le plus proche," (2)
mais parce que précisément son essence est d'8tre ouvert ce vers
quoi
il
est en demeure d'8tre
:
l'homme de
l'avec,
celui-là m8-
me qui
n'existe qu'à rencontrer.
"Car ce qui
est existentiel le-
\\ .
(
.::0 i ot.i;nnnD i r(.; . ,~os s yrnbo l-es t de A à CHE
~ ~
p.275
(2
Max Schel 1er: Nature et formes de
la sympathie.
(Contribu-
tion à
l'étude des
lois de
la vie affective)
Payot 2° ed. 1971
p.341
?
140
ment pour nous
le plus Drache c'est-a-dire nous-mêmes et notre
...
- ... "" .
,
,
l '
C
p J ) j
,
'<;,
.
' ..... .1;:
hé
'
,
re 1at.on avec nos ~r~chalns, nous appQral~ t
or.quement toujours
en dernier
1 ieu seulement."(l) De même Maldiney peut écrire:
"Tout est impossible et d'abord d'exister, pour celui qui est
seulement
là.
Il
faut partir pour avoir 1 ieu." (2) C'est cet
être-hors-de-soi-avec, qui constitue le trait fondamental
de la
structure de
l'être-homme. Et s'i 1 est vrai que
les dieux mytho-
I09 iques sont l'expression de l'accomplissement de l'essence de
l'homme,
Kaydara
le dieu de
l'or
et du saVOir,
dans
la légende
peul, exprime de façon très profon~e ce trait fondamental de
l'être-homme, quand il écrit: "Je suis
lé lointain,
le bien
proche ~aydara ; Je suis le lointain parce que Je SUIS sans for-
me et
le monde n'a pas
le don de me deviner ••• Je SUIS Kaydara
le bien proche parce qu~i 1 n'existe ni obstacle ni distance en-
tre
les autres et moi ••• (3) Avec l'être malade nous avons pu
constater justement que
le "lointain" est essentiel dans
l'arti-
c~lation qu'i 1 forme avec le proche quant à la restructuration
de
l'être-homme.
En effet avec
l'être malade, tel
que nous
l'avons vu dans
le Ndôp,
le sentiment que le moi propre est habité par un mol
d'autrui, morcelé, al iéné à un moi étranger (Rab), ce qui
cons-
titue une fai 1 lé~une déficience de la sphère du proche, ce sen-
timent s'accompagne de
la perte des
lointains.
La restructuration
de
l'être malade correspondant à
la démarche thérapeutioue est
auss i
1a restructurat i on de l'être des
loi nta i ns pour ce que
cette restructuration suppose la communication non seulement
de
l'ê~re malade avec SOI mais avec les autres d'où toute la
supers~ructure symbol ique et la dynamique rythmique mises en
oeuvre pour articuler,
non pas "le pr~sent fermé" dont parle
Maldiney à propos du schizophrène, mais un présent ouvert. "La
perte du
lointain et du proche écrit Maldiney, comme celle du
"à travers", si gn if i e qu'à toutes 1es autres sir uctures d'espace,
s'est substituée une structure unique
intégralement spatialisée,
la distance; et avec elle,
l'En-Face •••
Le monde du schizophrè-
ne est limité par une frontière uni latérale c'est-à-dire sans
L. Binswanger : L'analyse existentiel le
p.122
H. Maldiney : Regard Parole Espace
p.123
Hampaté Bâ :
Kaydara
p.177
7
141
au-delà avec lequel, à travers el le, on nUlsse communiauer.
La
fermeture est complète. Au-delà c'est
le no ~an's land ••• Con-
duite ~'exclusion du dehors qui, en soustrayant le dedans à tou-
te possibi 1 ité de transcendance, thématise
l'intériorité en CI-
tadel le asi laire." (1)
L'ouverture à
l'Autre est une dimension
existentiale fondamentale sans .Iaquel le
l'homme est tenu dans
l'impossibi 1 ité d'être sa propre possibi 1 ité : être-soi-avec,
d'o~ "l'existence en échec" selon l'expression de Maldiney, de
l'être malade.
Que
la restructuration de
l'être-malade à s'ouvrir aux
loin-
tains s'inscrive dans une s~mbol ique de la rencontre dont la dan-
se~e rythme, constitue un mode privi légié, indiaue oue l'essence
de l'existant est à même "saisie" (dans le sens de
le prendre et
de le constituer) dans
le perpétuel suraissement o~ s'exposant
de toutes parts et à toute rencontre,
i 1 émerge dans
l' "",..; i roll de
ses "proches", te 1 1e danseur qu i n ' est
1à que pour en surs i r,
s'abîmant au
lar~e de tout Ici, ouvert à tous les ai 1 leurs. Au
carrefour de
la danse o
l'existant a
ù
1 ieu à
la rencontre,
le
proche se donne dans
le sur~issement des lointains comme les loin-
tains dans
le sur~issement du proche. "Une chose n'est proche
que sous
l'horizon de notre
ici. Or il
n'y a d'ici que pour un
être des
lointains." (2) Si
la cle ns e est
l'une des e xp r-es s r o ns
rel igieuses fondamentales de
la culture africaine, c'est parce
qu'el le est à même de révéler jusqu'à son comble
l'essence de
l'être-homme oui est d'ex-ister avec,
car par elle, en elle,
le
geste
le plus quatidien,
le travail
le plus habituel,
la parole
la plus ,banale, permettent à
l'homme de retrouver dans
le mystè-
re vital.' qui
le transcende,
l'accomplissement et
la signification
de son être-là, en tant que celui-!~ qui habite en el le (par el le)
ne désigne rien d'autre que
I~homme de l'avec.
Avec 1a s ymbo 1 i que de 1a rencontre
l' homme est appréhendé '-1'
précisément dans son essence d'"habitant" en t~nt Q~e l'habiter
désigne
la structure fonGamentale de
l'homme de
l'avec qui
Rn'est
à soi
qu'à sortir, pour revenir à SOI
à partir de
l'autre" (3),
si bien qu'on peut écrire avec M. Scheler "la métaphysique de
la
(1)
H; Maldiney : Re~ard Parole Espace
p.79
(2)
1b i d , ,
p.118
(3) B. Rordorf : cf. "Présent à Malrliney"
p.212
,;
-
142
-'"
connaissance de l'homme par l'homme, de la "possession" de
l'hom-
me par l'homme, c'est-à-dire la question de savoir quel le place
dans
,
.
1
.
occupent l'ense~ble de 1 univers les rapports onto oglques, prb-
fondément cachés,
qui existent d'homme à homme et quel le est exac-
tement
la "communication" qui
s'établ it d'homme à homme par
l'in-
termédiaire et à travers l'Univers: voi là ce qui
décide en aer-
nIer 1 ieu ce que
l'homme est et ce qu'i 1 signifie pour
l'homme."(l)
Dans la mesure où
le 1 ieu originaire où
l'homme d son avènement
s'articule dans une symbol ique de
la rencontre,
expression mot;·-
vante de s rites, mythes et cu 1tes,
1e sens cl' être de
l ' homme est
à même d'être dans
le surgissement de
l'ex-istence comme présence
avec pour ce qu'elle aupp o s e
1'0uverture de
la singularité propre
de l'être soi
à comm~niquer avec d'autres formes de la présence.
A cet éqard. la dimension rl'être de tout existant est d'être h0rs
de soi à même dans
l'articulation d'une communication Qui
fonde
toutes ses recontres comme de sa structure fondamentale.
"Aussi,
écrit Maldiney,tout comportement et jusqu'à la moindre sensation,
inclut en soi
le moment de la communication QUI est
l'hypothèque
universel le de
l'être avec sur
l'être à ••• Et
il s'aqit d'abord
d'un être-avec-soi-même. En tous ses comportements envers
le mon-
de,
la présence humaine est en relation avec·soi. C'est
là
le
propre de
l'homme,
ce schi~ophrène-né, dont toutes les discordan-
ces avec le monde
impliquent un trouble du rapport avec soi."(2)
La dimension de
l'Autre est une dimension fondamentale de
SOI;
représentant par conséquent un trait fondamental
de
la struc-
ture de
l'être-homme, d'où
l'importance fondamentale,
à travers
les cér~monies initiatiques des sociétés orales, des mystères de
1a méta~tll;pl)o.~t'>.
L'èssence et
le sens de
la métamorphose indiquent qu'au-delà
des apparences sensibles passa3ères, se dégage
l'affirmati0n de
l'unitél$oncamentale de l'être si bien que
le oieu ou
l'homme se
métam0rphosant tout en devenant
l'autre, ne cesse pas p0ur autant
d'être soi-même.
L'être se métamorphosant se per0 soi-même pour
se retrouver dans
l'autre. N'est-ce-pas là un trait essentiel
de
l'existant ~ de
1 'homm~e de
l'avec, que o'être-soi-hors-de-soi
~~x Scheler
Nature et formes de
la sympathie
p.292
/1. Maldiney
Re~ard Parole Espace
p.96
143
avec ••• ? "Je SUIS Koumen aux formes multiples" s'écria le dieu
à
IJad~esse du postulant; car s'i 1 est une caractéristique fon-
damentale des êtres divins de conci 1 ier l'inconci 1 iable, a~-delà
du paradoxe que soul igne
l'ex~ression la plus achevée de la di-
vinité, se révèle avant tout
l'affirmation de
la permanence de
l'être. Car à travers
le duel
de
l'aDpara1tre (symbole de
l'or)
et de
l'être (symbole du savoir) nous sommes renvoyés au même
(à Kaydara).
Il
n'y a pas d'autre~voie pour l'existant rl'être
sai-même et l'autre oue l'ambiguïté, ce qUI est à pr0prement par-
Ier se tenir et se maintenir dans
la proximité essentiel le de
l'un, de
l'autre,
et du même, en ce qu'à
l'horiz6n du proche nous
sommes aux lointains comme nous sommes au proche à être aux loin-
tains.
Ce que
les métamorphoses ont de paradoxal c'est qu'el les
révèlent toujours
le même, comme hes successives apparitions du
dieu conci 1 iant
l'un et l'autre dans
le même permettent de mieux
saisir l'essence du dieu;
et de même l'être-soi-hors-de-soi
détermine la strucutre fondamentale et
l'essence de
l'être homme.
"0, Maître! qui es-tu? demanda le postulant à Kaydara
Je SUIS le lointain •••
Je SUIS Kaydara
le bien proche parce qu'i 1 n'existe
ni
obstacle ni
distance entre
les êtres et mOI.
Je prends la forme voulue et fais tomber
les voi les
comme je veux je supprime les distances".
(1)
L'être du dieu est d'articuler l'unité essentiel le des con-
traires : or et saVOir, proche et
lointain, présence et absence
en ce au'i 1 est
le
1 ieu ouvert de
leur rencontre.
Le monde mythi-
oue cul~uel et rituel apparait dès lors comme J ieu des possibi 1i-
tés ouvertes, "l'aqora" ori~inaire qui fonde,
à travers
le jeu
des métamorphoses et nos d.iverses manières d'habiter
le monde,
toutes nos rencontres. C'est en ce sens que la "dimension" d'un
tel monde s'articule en une symbol iaue de
la rencontre, pour ce
qu'el le est, en son essence même,
une dynamique de
l'habiter.
uh Etbns~e~lpour parler ~e langage de HeYde~qer "un sétiour o~
(1) Hampaté Bâ
Kaydara
p.177
144
~.
nous sommes",
"à~partir duquel effectuant notre présence à tout,
nous communiquons avec
les choses,
les êtres et nous mêmes dans
un monde." (1) Mais un tel monde ne se donne à être un séjour
Que pour
l'existant,cap n'habite fondamentalement en tant qu'en
ce séjour il est en demeure d'être que celui qui
est ouvert à
la
possibi 1 ité même de toute rencontre.
Ainsi avec
la symbolique de
la rencontre,
est en prise! en
tant qu' i 1 en est
1e
1 i eu,
<l" homme de
l'avec,
l'être-avec ; car
toute dynamique de
l'habiter ren~oie essentiellement à
l'existant
comme l'existant détermine la possibi 1 ité d'être de tout habiter.
Là où
l' homme et
1e monde ont
1eur sens d'être,
1à est
l' hab i ter.
Ce Que
la symbol ique de
la rencontre a pour signification fonda-
mentale, pour ce qu'el le renvoie à
la relation de l'homme au monde,
se dévoi le donc dans
la structure même de la présence, autrement
dit à
l'être même de
l'habiter et de
l'exista~t comme présence
à ••. et présence avec.Partout où dans
les mythologèmes
l'articu~
tation~~e l'habiter et de l'existant -- du séjour de l'homme au-
près des choses et à soi -- apparaît, el le s'inscrit fondamenta-
lement dans une symbol ique de
la rencontre,
une dynamique où
l'hom-
me est à même de se révéler précisément dans
l'éclatement de ses
frontières individuel les, comme être ouvert. Cette structure de
l'existant "à surgir entre Ciel et Terre" (2) n'est-ce pas là
la signification profonde de
l'être avec ••• tel
qu'i 1 apparaît
dans
le motif mythologique du héros?
Le héros en tant qu'imaqe
idéal isée de
l'homme dont
il pré-
figure
l'essence, est un être qui
s'est élevé jusqu'à la
1 imite
du divin, mais en aUI
l'humanité réside encore. Homme habitant
la divinité ou dieu habitant
1 'humanité,
l'essence du héros est
d'être ouvert à
l'une et à
l'autre en tant qu'en ce rapport demeu~'
re S~n être. Dans
la symbolique mythique
l'homme ne fait que pro-
jeter sur le héros en tant au'i 1 traduit
la structure de
l'être
homme,
la Qualité d'être de
l'existant à être-soi-hors-de-soi-avec •• ,
Si
les dieux sont SI
lointains dans
la rel i q i o n africaine c'est
parce qué
l'homme n'accède à
la divinité dont
l'avènement ne se
révèle que dans une rencontre,
que
là où
l'homme se découvre dans
H. Maldiney
Regard Parole Espace
p .148
'lE> i'g.,
p.118
7
145
l'ouverture de sa propre humanité. C'est pourquoi par
le héros,
l'homme a accés à
la divinité en ce qu'i 1 est un "pont" entre
Ciel et Terre, dieu et homme à
la fois
'parce qu'i 1 est essentiel-
lement un @tre présent à ••• et présent avec ce qUI
le traverse.
"le dieu est un @tre surnaturel pur" écrit Jun~ dans
"Intro-
duction à l'essence de la mythologie", et il poursuit
"le héris
possêde une nature humaine poussée jusqu'à la 1 imite du surnaturel
(i 1 est un wdemi-dieu"). Poursuivant son analyse en termes de cons-
cience,
Jung écrit: "alors que
le dieu personnifie
l'inconscient
collectif, non encore
intégré en essence h~~ain@,
notamment
dans sa relation intime avec l'animal
symbol ique,
le héros
comprend dans son aspect surnaturel
l'essence humaine et représen-
te donc une synthêse de
l'inconscient "divin" (c'est~à-dire non
encore humanisé) et du conscient huam3in.
JI
signifie conséauem-
ment une anticipat.ion potentiel le d'une "individuation" Qui ap-
proche du iJut." (1) Que
le héros soit
1ié à ce que Junq appel le
"le devenir-conscient" et Paul Diel, "l'élan évolutif" (le désir
essentiel) -- "la situation confl ictuel le de la psyché humaine,
par les monstres du pervertissement" -- (2) sa signification es-
sentiel le tombe sous
le desttn de
l'homme Qui
n'existe au'à @tre
avec. C'est pourquoi, parce que symbol isant
l'union des forces
terrestres et célestes,
l'Anc@tre représente cans
la rel igion
africaine
le Héros par excellence pour ce Qu'i 1 préfigure l'élan
vital et créateur partici~ant ainsi aux profondeurs m@mes de l'exis-
tence.
En ce sens les Anc~tres divinieés représentent la projection
de l'homm~ ouvert à l'ex-istence, à la Signification que consti-
tue l'émergence de
la conscience qui
sur3it de
la pénombre pré-
temporel le, de
la Nuit de
l'inconscient. "Le devenir-conscient,
écrit Jung, est peut-@tre
l'expérience vécue
la plus puissante des
époques originel les, car par lui
le monde, dont personne ne savait
rien auparavant, est entré dans
l'existence." (3) La symbol ique
de l'Anc~tre comme cel le du Héros, au-delà de la signification cré-
atrice du surgissement de
la conscience, contemporaine en cela de
l'émergence du monde et rie
l'humanité comme le révêle la psycholo-
Jung :. Introduction à. I!essence de
la mythologie
p.le4-125
Paul Dlel.:
Le symbolisme dans
la mythologie grecque
p.40
Jung
Ibid.
p.126
146
9 1e des profondeurs, s'inscrit dans le fon~ement structurel de
le présence au monde
laquel le désigne
l'existant dans son pouvOir
d'habiter;
c'est dire que l'articulation de f'habiter et de
l'ex-
ister constituant
la dimension de
la Présence en tant qu'~tre au
monde structure, en donnant à
la symbolique tout son sens,
les
archétypes immémoriaux de
l'Anc~tre et du Héros, foyers de mytho-
logèmes.
là où cette symbolique apparaît, el le a accés sur un
mode d'être au monde et donne accés à
l'ex-is~ant pour autant
qu'el le articule
la dramatique humaine dans un Sens, dans un mon-
de sur
lequel
l'existant est en prise en tant qu'être habitant.
A cet égard les contes,
les coutumes et
les rites sont nombreux
oui déterminent
l'essence de l'homme à s'assumer comme pouvoir
d'habiter, ce Qui
s'appel le ex-ister.
l'initiation de même n'a
pas d'autre fonction que cel le d/assurer
la réalisation de
l'hom-
me -
né de ns un état d'animal ité -
en ex-istant.
L'initiation est pour reprendre la définition qu'en donne
Jean Reyor : "essentiellement la transmission par des rites ap-
propriés, d'une
influence spirituel le de~tinée à permettre à
l'être Qui est aujourd'hui
un homme d'atteindre
l'état spirituel •••
puis de s'élever aux états supérieurs de
l'être et enfin d'obte-
nIr ce qu'on peut appeler indifféremment"
la Dél ivrance" ou
l'état d,n1dentité suprême".
(1) C'est dire qu'el le est la voie
de la réal isation de l'homme; c'est le voyage de
l'homme au-delà
de lui-même, et en cela
il
n'est pas égal à son horizon. "l'ini-
tiation est
l'entrée sur le chemin; mais le mot Si8~ifie aussi
ce Chemin
lui-même et
le voyage" (2).
Il est à constater que cette articulation fondamentale de
1lex-ister et de 1 /habJter en tant que structurant 1a dimension
existentJale de
l'être-avec, a cours partout où l'essence de
l'hom-
me est engagée au-delà d'el le-même, hors de soi, ce qui
ressort
de façon très significative dans la symbol iQue de
la c0nstruction
de
la rlemeure humaine où
le monde,
la divinité et
la personne
humaine en prise fondamentalément,
participent dans
l'être de
l'habiter. C'est ainsi que, note l.V. Thomas,
"la struct~~é qéné-
raie de
l'habitat diola reste sous
la dépenrlance du mi 1 ieu géo-
(1)
Jean Reyor
Ave rrt-ipr-opo s à R.• Guénon,
1nit i at i on et réa 1 i -
sation spirituel le. Cf.
Préface ~e "Le symbo/ is-
me de
la CroixM R.
Guénon
p.37
(2)
Préface "Symbo 1 i sme de 1a Cro i x"
')
P-v 7
147
graphique, en relation étroite avec l'action de
l'homme, ses
besoins, ses techniques, ses conceptions de
['espace social et
~es croyances m~taphysiQues" (1), si bien que l'on ne peut s~
parer dans
l'analyse de l'habitat diola,
la structure de celui-ci
à
1a structure même de l' homme ;
car s i l ' homme se d~f in i t avant
tout comme être social on retrouve dans l'ornanisation et la struc-
ture de
l'habitat,diola en
l'occurence, un pale d'~dentification
qu i
1ai sse penser que 1a demeure huma i ne est a s s i mil ée à un être
vital. Analysant
l'habitat chez
les Fali du Cameroun septentrio-
nal, D. Zahan ~crit : Que celui-ci est conçu et "r~al is~ sur la
base d'un symbol isme à la fois cosmique, anthropomorphique,
zoo-
morphique et dendromorphique.
Le système de pens~e aui préside
à son ~rection est dualiste et statique ••• Par sa partie droite,
en rapport avec l'Est,
la maison correspond à
la terre et à
l'hom-
me, au monde connu et à la tortue (animal
représentatif d'une
·fraction des fal il, par sa section 3auche,
1 iée au Couchant,
el le correspond à
l'eau et à
la femme, au monde inconnu et au
crapaud (animal
représentatif de
l'autre fraction des Fal i)".(2)
On voit donc comment dans
la dynamique de
l'habitat se re~
produit
le mythe d'origine, et comment
l'articulation du proche
et du
lointain, axée
sur un rythme binaire, structure ici une
temporal ité et un espace fondamental,
"un centre de condensation
où les possibi 1 ités de l'être trouvent une cohérence." (3) Nous
sommes ici en présence d'un mIcrocosme. "Une fois habitée et ter-
minée, poursuit 2ahan, el le (la maison) est parei 1 le à
l'humanité
apte à procréer; el le es~ semblable aussi au monde fini.
Lieu
d'existence de
la fami 1 le dont el le constitue
les points ne dé-
part e~ d'aboutissement entre lesquels s'écoule l'existence hu-
maine,
la maison constitue une représentation totale de
la vie
de
l'Univers. Ecr0ulée el le est comparable à
['extinction des
humains et du M0nde." (4)
l'importance de
la demeure humaine OUvre avant tout à l'être
même de
l'habiter,
et pose le sens même de
l'homme en tant qu'ê-
tre-au-monde ; et en noUS déterminant à des
1 ieux et à des es-
paces, elle montre ai ns i
1e Séjour que nous Sommes -
a'c';H'ès des
(1)
L.V. Thomas: cf. Bulletin de
l'r.F.A.N. Série B N° 1/2
Jan v. Av r-, 1 964
p • 93
D. 2ahan : Rel i9ion, Spiritual ité et Pensée Africaines p.112
Bachelard: "le droit de rêver" P.U.F. 1970
p.213
D. Zahan
Ibid.
p.112
148
choses -- comme dit He.'deqqer. la Présence de
l'être au monde pour
fondamentale qu'el le soit pour dési~ner l'existant n'exprime celui-
CI
qu'en tant qu'être habitant. Si selon Heidegger "Ie rapport
de l'homme et ce l'espace n'est rien d'awtre que
l'habiter pensé
dans son être" (1), c'est parce que
l'être de l'existant réside
essentiellement dans
l'habiter.
Nous
le verrons à travers
l'arti-
culation du fond,
de la parole poétique et de la parole mythique
dans
leur expressIon non-thématique.
Il est significatif à cet
é9ard que pour dévoi 1er la structure de
l'âme humaine la psycholo-
gie des profondeurs, en Jung, ne trouvât d'autre manière de nous
la rendre accessible qu'en posant son analyse en fonction et en
termes mêmes d'hab~ter. Ainsi, Jung d'écrire: "Nous avons à dé-
couvrir un bâtiment et à
l'expl iquer : son étage supérieur a été
construit au XIX siècle,
le rez de chaussée date du XVI siècle et
l'examen minutieux de la construction montre qu'el le a été faite
sur une tour du
l ,esiècle. Dans la cave se trouve une grotte com-
blée sur le sol de
laquel le on découvre dans
la couctie supérieure
des outi Is de si lex et, dans les couches
les plus profondes, des
restes de faune glaciaire. Tel le serait à peü près
la structure
de notre âme." (2)
Il est significatif,
que
l'âme humaine,
jusque
dans ses profondeurs, soit ici dans
l'analyse de Jung, détermi-
née oans le sens d'être de l'habiter.
Que cette comparaison ait sens pour nous veut dire Qu'en
la demeure humaine s'instaure une "dialectique" de
l'exister et
de l'habiter. Habiter et exister sont consubtantiel lement
1 iés.
Exister et habiter n'existent et ne se conçoivent, dans
la sphè-
re de
la ~résence humaine, que l'un à l'autre;
l'un sans
l'autre
n'est ~ien d'autre que le Néant,
le Chaos dont parlent
les mytho-
logèmes, car c'est par l'articulation et
la conjonction de
l'un
et de
l'autre que se manifeste le surgissement de
l'Ouvert --vIe
Cosmos. l'existant n'a de prise qu'à habiter, et c'est ce par
quoI
se refère
l'existential de tous ses modes d'être. C'est ce
que fait remarquer Bachelard, dans"la Poétique de
l'espace",
quand
analysant à propos de
l'habiter "Ia dialectique du dehors et du
dedansr, de ''l'ouvert et du fermé"
il
indique Que l'essence "de
M. Heldegger cité par R. Kuhn cf "Présent à H. Maldiney" p.117
Jung: Essas de psychologie analytique cité par Bachelard
fIla poétique de l'espace" P.U.F. 1974
p.18
149
J'homme est d'~tre entr'ouvert" (1) pour ce que précisément, dans
cette ouverture au monde est
le sens de
l'habiter du séjour que
nous sommes; si bien qu~ dans la symbolique de l'habitat r nous
.sommes renvoyés à
l'existant
lui-même comme "paradigme de ce qui
le transcende" (2) suivant l'expression de _L.:,~n.
l'habitat est conçu à
la mesur~ de
l'homme. C'est ainsI
que
chez les Diola s'établ issent des pôles d'identÎfication entre
les structbres soci~les de l'habitat,
identification qui montre
que ce que nous appelons l'être habitant est une dimension exis-
tentiale fondamentale de J'être social pour ce qu'i 1 suppose, parce
qu'être ouvert,
1a commun i cat i on avec
1es autres.
l i n ' est pas
étonnant dès
lors de constater, chez les Diola, qu'à
l'organisation
de l'infrastructure spatiale répond une structure sociale cor-
respondante. Thomas écrit à cet égard: "la structure sociale
du Diola pourrait se symbol iser par un cône dont
la base serait
le qroupe éthniaue occupant un territoire fixé par
I~ coutume
et le sommet,
l'individu avec, dans l'interval le et de
la base
au sommet, un certain nombre de sections droites représentant
les clans nominaux (vi liages apparentés),
les hükin ou 1 ignages
étendus (v i liages ou quart i ers),
1es hâk ou
1 i gnages restre i nts
(concessions),
les butôg (case réservée à
lafami 1 le conjugale)
les individus (inséparables de
la chambre-grenier). Avec la per-
sonne triomphe
le souci de
1 iberté,
de
richesse et de primauté
au niveau de
la surface éco-morphologique (base du cône) s'im-
posent les exigences géographiques et technologiques; c'est
dans
les pâl iers intermédiaires que jouent les diverses struc-
tures sociales •••
les r-e l e t èo ns entre les micro-groupes étant •••
compéti~ives••• chaque vi liage ou quartier est resté ••• profon-
dément repl ié sur soi-même: d'où
la plural ité des sous-groupes
non unifiés ••• d'où
la variété des 0ialectes ••• d'où •••
les par-
ticularismes socio-culturels. Tous ces faits se retrouvent dans
l'habitat: formes, répartitions et structures du vi liage,
varié-
tés dans
le plan des cases, aspect défensif des hâk ou oes Im-
p 1uv i um •• ~' (3)
Ce dont
il
s'agit, dans
les mythologèmes, à travers le Qes-
Bachelard:
la poétique de
l'espace
p.200
D. Zahan : Rel igion spiritual ité et pens~ africaines p.113
L, V. Thomas : cf. Bu 1 1et inde
l' 1• f • A• N.
Janv. Avr.
N°1/2 1964
p.98-99
150
te des héros, et dans
les rites, à travers
la fondation des au-
tels et dans
la construction de la demeure humaine, c'est fonda-
mentalement la saisie de
la fonction premi~re de l'@tre de l'ha-
biter pour ce qu'il
f"'év~Ie un cosmos de l'être avec. C'est dire,
que l'habiter originaire qui
fait de
l'homme un Séjour auprès
de ••• est comtemporaine à
l'émergence même de
l'existence. Habi-
ter, exister renQoient aux structures de
la Présence en tant qu'@-
tre-~u-monde ; et à
la dimension existentiale de
l'habiter cor-
respondent différents modes d'être existentiels lesquels "se dé-
voi lent sous
la triple forme de l'être s o i , dei';, .. ..:;,3Gl-·rd)ésent à,
et de l'être-avec" (1)
Ainsi donc,
le fondement des mytholoh~mes, des rites et des
cultes repose essentiellement sur
l'articulation de
l'habiter et
de
l'exister parce que déterminant
la possibi 1 ité d'être de toute
rencontre. Que survienne une défai 1 lance d'une tel le conjonction
comme nous avons pu
le constater lans
le Ndôp où
l'être mala-
de avait le sentiment de ne plus habiter et son corps et
le monde,
comme simplement d'exister pour ce que cela suppose
la possibi-
1 ité d'être SOI avec ••• --
pour que
la présence au monde en soit
boulversée, partant pour que
l'être-homme en soit affecté.
L'ex-
istant tel qu'i 1 apparait à travers le symbol'isme du carrefour
dont nous avons vu qu'i 1 en est
le symbole par excellence, et tel
qu'i 1 apparaît à travers
l'image du héros mythique en tant que
celui-ci retient unis dans "[a simpl icité de
leur Carré
la Terre
et le Ciel,
les Divins it
les Mortels" (2) se donne avant tout
comme être-avec dont
la possibi 1 ité est de rencontrer. Ainsi,
aux arché-ty;- o e i mmémor i aux -- 1uttes contre 1es monstres, voya-
ges aux. enfers etc ••• -- foyers de mytholo~èmes, s'exprime ce
que nous avons appelé symbol ique de la rencontre
laquel le ayant
pour centre l'homme de
l'avec, constitue
la dimension fondamentale
de
l'articulation de
l'habiter et de
l'existen. Habiter comme
exister renvoie à
la structure de
l'être-homme dont
l'essence
est précisément d'être un surgissement qui
le porte hors de
lui
dans
la proximité de
l'Autre,
ce qui veut dire aussi bien, être-
avec ••• qu'habiter.
Il
ressort donc qu'avec les mytholoJèmes
H. Maldiney
Regard Parole Espace
1b i d , ,
151
rites, et cultes tels qu'en
la symbolique de
la rencontré,
ils
aient leur motivation fondamentale, que l'homme est appréhendé
dans son essence d'habitant pour ce que l'habiter désigne
la
structure de l'&tre au mo~de qui n'est soi qu'à sortir hors de
soi ouvert à toutes
les rencontres. Voi là pourquoi
l'imale du
danseur qui n'est
là que pour en sur1ir, permet-el le, mieux que
toute autre, de caractériser l'essence de
l'être habitant, à tra-
vers
ra symbol ique de
la rencontre motivation profonde de tou-
te danse.
Parce qu'ayant 1 ieu en un "point central
(o~) toutes les
distinctions inhérentes au point de vue extérieures sont dépas-
sées,
(où) toutes
les oppositions ont disparu et sont résolues
dans un parfait équi 1 ibre" (1)
le danseur est à même,
en ce mode
d'&tre, d'être essentiellement hors de SOI pour ce qu'i 1 n'est
pour soi-même qu'à être en relation et en communication avec
l'Autre; et parce Que caractérisant l'ex-istant ce mode d'être
existential du danseur est précisément au fondement même de
la
symbol ique de
la rencontre
laquel le est le 1 ieu de
l'homme de
l'avec.
En ce mode d'&tre prend tout son sens
I~ parole proverbiale
peul qui
affirme que: "aaden ko yimbe" :
l'homme c'est les au-
tres" ; transposé dans
le domaine de
l'intersubjectivité, on
retrouve, variante du premier le proverbe qui d i t : "neddo waawa
wurde ca~gal yimbe" autrement dit "personne ne peut vivre sans les
autres".
les mythologèmes, rites et cultes pour autant qu'en la
symbol ique de
la rencontre se découvre la motivation fondamentale
qUI
lei informe,
n'ont de signification et de fonction essentiel-
les qu~à révéler l'homme de l'avec,
l'ex-istant
lequel, parce
qu'ayant
lieudens une dynamique de communications, s'inscrit dans
tout un réseau, tout un système de forces, de formes,
de croyances,
d'attitudes, de relations qui
articulent la rel igion négra-afri-
caine structurent une vision du monde ésotérique et
initiatique
dont nous avons maintenant à envisager l'approche à partir des
nombres et des couleurs sacrée~parmi les plus importants qu'i 1
nous a été donné de rencontrer.
(1)
René Gaeoon:
le symbol isme de
la êroix
p.125
152
FI OE LA SYMBQ~lQUE DES Nq~BRES ET OES COULEURS
Partant d'une apprQc~e du "sxmbole~ qUe n04~ avons défini
.
~
. .
.. "
.
comme p~rQI~ chfffrée et s~crète ouvrant simultanément des pers-
pect i ve~"mu 11::! P i ~s:' ~t com~1 ém~nta ires sur 1e monde et sur l' ex-
istence, no~s'en som~es .~~~~.~. ~~r~ctérise~'les~éalités mythiques.
cultu~lle~ .et ritu~llesqui-s'e~~~i~~~i~nlui comme voie fonda-
mentale de rencontre de l'homme et de
l'Autre~-Autrui, Monde,
Divin. Une
tel le voie qui
n'existe qu'à présenter l'existant et
l'Autre à la même proximité essentiel le de tel le sorte qu'en cet-
te relation ils se donnent dans le mutuel sur-gissement d'eux-mê-
mes, nous l'avons appelée symbol ique
de la rencontre laquel le
constitue la motivation fondamentale mise en oeuvre dans
les my_
thologèmes, rites et cultes. Ouvrir l'homme à
l'Univers et l'Uni-
vers à
l'homme à
la profondeur d'une co-existence en tant qu'émer-
gence d'un Séjour originaire où ils ont
leur habiter voi là
le sens
d'être qui
informe essentiellement la vision symbolique des mytho-
logèmes.
.
Tout symbol isme, à cet égard, est d'essence un symbol isme
religieux pour ce au'i 1 articule une conjonction ori1inaire (re-
l igare) de l'existant et de
l'Autre. Mircéa El iade écrit: "les
symboles révèlent une modal ité du réel ou une structure prœfonde
du Monde, et dans
l'horizon spirituel de
l'homme primitif,
le
réel se confond avec le sacré, et
le Monde est considéré
la Créa-
tion des dieux, Par conséquent toute révélation portant sur la
structure de l'Univers ou sur les différents modes d'existence
dans le Monde et spécialement sur l'existence humaine est en même
temps une révélation de nature religieuse. Au niveau de~ cultures
archai que s
1a hi érophan i e est en même temps une ontophan i e,
1a
manifestation du sacré équivaut à un dévoi lement de l'être et vice
versa •••
Il s'ensuit, poursuit Mircéa El iade, que le symbol isme
religieux est sol idaire d'une ontologie."(l)
Le texte de Mircéa El iade montre qu'au niveau de
la VISIon
symbol ique du monde mythique, rituel, cultuel -- parce qu'i 1 ne
s'agit ici que des s~mboles qui y sont afférents -- l'articulation
(1)
Mircéa El iade
Polarité du symbole
p.15
153
indissoluble de
la réal ité et de
la sacral ité, oui en est un des
traits constitutifs, est au fondement des données de
l'expérien-
ce rel igieuse pour ce C]u'elle
~rime notre rapport au monde,
notre co-existence avec lui,
su~ le mode pathique d'une commu-
nicatiom où
l'homme est ouvert à un monde en résonances avec son
8tre profond. "Le monde sonne".
L'homme rel igieux s'accorde à
l'unisson du Rythme cosmique en ce qu'i 1 est convenu d'appelep
un Sejour dont
le po~te R.M. Ri Ike "a donné une formule inoubl ia-
ble dans
le Sonnet "Atmen" ; à Orpheus :
Resp i rer, to i
i nv i s i b 1e po ème
Contre mon 8tre propre
pur échange perpétue 1 de 'l'espace du monde. Contrepesée
dans
laquel le je SUIS moi-m8me rythmiquement mon
e vè neme rrt ,
(1)
A l'articulation du Sacré et du Réel
structurant
la VISIon
mythique se dénonce
la transparence du Monde pour ce ou'el le ex-
prime
la révélation d'une sol idarité essentiel le entre
les dif-
férents niveaax de
l'expérience.
Parler de
la sacral isation du
Réel comme il est cours dans une vision de
l'ordre rel i~ieux qui
rév~le par là m8me Que le Réel se confond avec le Sacré, c'est
admettre que
le Monde est animé, vibrant de siqnifications, chal~
gé de rythmes,
de présences. Tout participe à tout comme de tout.
Le Monde est un eB~emble or0anisé, un 8tre vital structuré comme
un or~anisme, en un mot un Cosmos dans lequel
l'homme mythique
est en résonances avec les moindres flux rythmiques. "En d'autres
termes, pour ceux qu i ont une expér i ence re 1 i Qi euse,
1a Nature
toute enti~re est susceptible de se révéler en tant que sacral ité
cosmique.
Le Cosmos dans sa total ité peut devenir une hi~ropha
nie:' (2)
Dans un tel
contexte où apparaît de façon essentiel le
la
sol idarité entre
les structures de
l'existence humaine et
les
structures cosmIques,
la partie rév~le le tout pour cela même
qu'en elle c'est
la plénitude de
la totalité du Monde -
de 1'8-
tre
oui
s'articule.
L'Autel,
la Case,
l'Arbre (l'espace sacré)
dès
lors symbol isent
le Monde;
et
le circoncis diola, au mi 1 ieu
(1)
Raioer-Maria Ri Ike cité par Maldiney
Re~arrl Parole Espa~e
p.71
(2)
M.
El iarie
: Le Sacré et
le Profane
p.16
154
de sa case de retraite, est debout au mi 1 ieu mArne du Monde.
la
situation d'être-enfermé dans un espace sécré équivaut ainsi
à
une transcendance vers
le monde; transcendance en laouel le
Mircéa El iade voit ce qu'il appel le "la valence cosmologique du
s~mbole" pour ce qu'el le permet de sortir "d'une situation subjec~
tive, de reconnaître
l'objectivité de ses expé~iences personnel les.
Il
ne s'agit pas,
bien entendu, de réflexions, précise
l'auteur,
mais des intuitions, des saisies imméniates de
la réal ité.
(1)
la dimension de
la symbol iQue négro-africaine oui a accès
sur 1es nombres,
1es cou 1eurs, sur l' in i t i at i on ésotér i Que c'e s
rapports fondamentaux, est précisément -- là est sa fonction --
de s'ouvrir et d'ouvrir
l'homme, au-delà des situations particu-
1ières et subjectives, vers le monde objectif et ~e dévoi 1er en
même temps
la sol idarité fondamentale e~tre les structures de .
l'existence humaine et
les structures cosmiques. A cet é~ard le
sens d'être de tout symbole est de poser ensemble, de rassemble~
en une structure qui
les déborde vers une direction significative,
un horizon de sens où ils ont 1 ieu,
le monde subjectif et
le mon-
de objectif. Ce sens d'être constitue la symbol ique et, en tant
que tel le, el le est
l'unité signifiante de
la "relation étroite
entre l'ordre des choses dans le monde où nous vivons et
la struc-
ture
intérieure de cet ordre" (2) pour employer une formule de
Roland Kuhn, mais de tel le sorte Qu~en cette relation se dénoncent
la prise de
l'homme sur le monde et la prise du monde sur l'homme.
l'unité de tels rapports Gue structure
la symbol ioue nous
la décelons chez les Peul dans
la parenté au'j Is établ issent non
seulement avec les grandes fami 1 le peul et
les bovidés mais aussi
avec 1es' cou 1eurs,
l'espace,
1es éléments. En effet aux quatre
qrandes fami 1 les sont "associés
les Quatre robes ~es bovinés
les
Quatre éléments, et
les ouatre directions ~e l'espace:
"Dya 1
robe jaune -feu -
est
Ba
robe rou~e
air
ouest
Sa
robe nOire
eau
suri
Bari -
robe blanche -
terre -
norrl."
M. El iade : Polarité du symbole Cf Etudes carmélitaines
p.27
R.
Kuhn : cf.
"Présent à Maldiney"
p.116
155
La structuration de tel les relations aboutissant à une dynamique
synthétiaue globale au sein oe
laquel le
le Peul
s'établ it, trans-
cendant ainsi
ses expériences personnel les et situations subjec-
~
~
on~e AbJ"ectif,· si ce mot
tives vers un monve l~e sens, vers un m
(1
~
a encore ici
sens, décide jusqu'à l'ordonnance de
la vie pastora-
le, et à même les comportements ouotidiens.
La dynamique symboli-
que est donc avant tout vécue, c'est une dynamiaue existentiel le.
HLes quatre robes principales des bovidés, en rapport direct
avec les clans,
se divisent chacune en seize classes, selon
la
couleur
la position, et
la forme de
leurs taches.
Par exemple Hia
fadaletodde H est une vache noire et blanche (elle a une tache,.
blanche en forme de sel le sur
le dos) et Joue un rôle particulier
dans
le troupeau. Chacune de ces robes a un nom,
et correspond
à une fami 1 le relevant d'un clan.
L'interprétation des robes --.
en tout quatre-vingt-seize combinaisons -- intervient constamment
dans la vie pastorale: el les se
1 isent comme un thème qéomantique.
C'est ainsi
qu'au moment de
la transhumance, à
la sortie du parc,
la couleur de
l'animal placé près de
la porte, détermine en fonc-
tion des correspondances •••
la fami 1 le dont
le troupeau doit mar-
cher en tête et
la direction à prendre. Ce rite une fois observé ••.
les animaux prennent
la direction du
1 ieu de transhumance et se
placent selon
l'ordre traditionnel des clans: en tête ceux des
Oyais.
puis ceux des Ba, et des Sa, ceux des Bari fermant
la
marche. H (1)
La vision symbol ique du monde peul en ce qui
concerne
hes
correspondances établ ies
ici, développées à partir de
la structure
éthnique de base peul, s'inscrit dans un système n,uaternaire dont
l'unité signifiante revêt une ~rande importance en tant que prin-
cipe d'ordre, d'or~anisation, d'unité par quoI
la diversité et
le
désordre s~équi 1 ibrent en une total ité o~ ils s'excèdent.
Les fais-
ceaux de relations en oeuvre dans une tel le dynamique structurant
la vision du Monde, peuvent donc être saisis au niveau d'une sym-
bol ique des nombres pour ce que ceux-ci figurent
l'expression con-
densée à
l'extrème de
l'harmonie cosmique et
intérieure,
du monde
objectif et du monde subjectif; et en tant que tels
ils expriment
(1)
Hampaté Bâ
Koumen
p.f2
156
pour la mentalit~ reliQieuse plus Que des Quantit~s des forces
qui font d'eux
l'essence non seulement de
l'harmonie macro-micro-
cosmique mais des rythmes mêmes qui animent
l'Univers.
le nombre est, à cet éqard,
l'être même.
"Tout est arrangé
d'après le nombre" dit Pytha~ore
et suivant la tradition peul
ne dit-on pas que: "le nombre est
le noeud du mystère et que s'i
y a l e signe (cumogal) et
la parole (wolüde),
le nombre (1 iningo)
est le produit de
la parole et du siQne donc plus essentiel et
plus mystérieux" ? (1) Aussi n'est-i 1 pas étonnant que dans tout
le Sénégal ait cours
la coutume qui
veut que
l'on ne dise ni
le
nombre de ses enfants,
ni
de ses boeufs,
ni de ses femmes,
pas
plus que son ~ge, ni que l'on compte un groupe de personnes, pas
plus Que
les étai les, car à chaque étoi le correspond un homme, et
en les comptant, si
on tombait sur
la sienne propre on en mourrait.
les nombres sont des forces exactement comme l'acte de nommer.
Ce sont tous deux des actes qui, quand on
les énonce, déplacent
des forces i et
l'énoncé du nombre oU du nom vous concernant don-
ne prise sur vous;
ce Qui est illustré par le bel exemple trouvé
dans "Kaidara" : "Si tu entends un
inconnu qui
prononce ton nom
en appelant quelqu'un d'autre,
un homonyme, pourquoi es-tu
inquiet 7
Quel le partie de ton carps a-t-i 1 touché? C'est cela
le courant.
La parole a toujours eu une influence sur les hommes. Mais SI
l'ef-
ficacité du verbe est grande, cel le du nombre
la dépasse;
SI
la
parole est
l'expl ication du signe,
le nombre en est la racine se-
crète." (2)
Le terme peul
désignant
le nombre est
intéressant à étudier
pour ce ~u'i 1 a
la même racine que
le nom:
' i n ; citer
le nom
de qu~lq~'un se dit: 'innude ; de même que la première coupe de
cheveux du nouveau-né, donc avant
l'imposition du nom,
se ~it
.'innugol;
le baptème se dit chez
les Toucouleur:
'indal, jour
de l'imposition du nom ;et il semblerait que ce terme de
1 ini~o
appartienne à
la même classe (nqe)
(3) que cel le que forment le
nom du feu ('îte ou yîte), celui du solei 1 (naange) et celui de
la vache (na9ge) ce qui
soul ignerait
la parenté essentiel le du
nombre, du nom,
du
solei 1, du feu, et de
la vache qui
chez
les
Hampaté 88
:
Kaydara
p.ll
Ibid. , cf. notes
p.135
cf Dictionnaire Peul-Français fascicule 1 de H. Gaden
l.f.A. catalogues et cocuments nOXXI 1 Dakar 1969
157
Peul tiennent une place importante dans
la VISion qu'i Is se font
du monde. Dans 1e pa nthéon peu r,
l'être suprême, Dieu, est nommé
~uénot terme qui vient de yendude signifiant: "être éternel",
de
la même racine dérive Ngenndi
(la Vi fIe éternel le) ainsi
que
Yene,
1a Vache-mère,
1a Vache or i 9 i ne Ile, ancêtre de toutes 1es
vaches.
L'importance du solei 1 est attestée par
la tradition qui
veut qu'au début des temps "le Soleil fOt
l'oei 1 même de Guéno",
pUIS lorsque la création fut achevée, Guéno
le sortit de son ar-
bitre pour en faire' "le monarque borgne" comme le nomme l'initia-
teur kaydara, car son oei 1 unique suffit à voir tout ce qUI se
passe sur
la terre,
à
la réchauffer et à
l'éclairer.
La parenté
étymologique du "nombre" et du "feu" s'éclaire par
leur apparteG~
nance à
la même classe (ngol) dans
les désignations toucouleur
"Iininqol
(compter avec soin, dél imiter le nombre exact) et
"deingol" (le feu)
; mais ce terme si~nifiant le feu introduit
en même temps
la notion de propriété d'une façon Qénérale décou-
lant du droit coutumier que conférait
la donation des terres par
la technique des brOI is et dési~ne en particul ier la marque de
propriété faite sur
le bétai 1.
"Cette marque appelée dye~ol, d'une racine qUI signifie
strictement: "entai 11er la marque de propriété" se pratique
aux orei 1 les tant du petit béta; 1 que du gros bétai 1, ovins, ca-
prins, bovins" (1) écrit M. Dupire.
Il faut savoir que "dyede"
signifie: avoir et "ngol" désigne la classe du feu,
si bien que
la propriété dont
il s'agit est en relation directe avec le feu.
De même pour 1es Tou cou 1eur,
1e nom du feu est formé avec 1a
même r~cine "die" qui exprime
la relation de propriété. C'est
lui
qUI exerce en premier 1 ieu et confère le droit de propriété d'où
son nom: "déingol" écrit H. Gaden.
(2)
Il faut voir aussi dans
la formule hermétique que
les Forge-
rons uti 1 isent pour désigner
le Peul, une saisie profonde qui
VIse à
l'essence d'une anpartenance mutuel le de
l'être du feu ,
de la vache et du
Peul, car
les Forgerons disent du Peul ou'i 1
est "le feu" en plus des autres expressions équivalentes: "or
rouge",
"Peul
rouge",
"cuivre rouge".
(3)
(1)
Marquerite Dupire : Contribution à
l'étude des marques de
propriété du bétai 1 chez les Pasteurs Peuls
cf Journal de
la Société des Africanistes
T. XXIV 195~
p.125
Henri Gaden : Proverbes et maximes peuls et toucouleurs
Paris
Institut d'ethnmlogie 1931
p.16
;Hampaté Bâ :
Koumen
p.ll
158
L'étude de
la symbol ique des nombres comme cel le de
la sym-
bolique des couleurs,
nous
la dél imiterons,
afin de ne pas nous
perdre dans des cohsidérations exhaustives et général isantes,
dans
la vision peul
du monde,
en nous référant si
besoin est à
des éléments extérieurs qui
puissent nous éclairer sur
les aspects
de cette culture sans délaisser
l'ambition pour autant,
non seu-
lement d'éclairer
l'ésotérie des éthnies séné~alaises, mais d'une
manière générale
la symbolique ésotérique africaine el le-même.
La symbol ique des nombres ne se
justifie que dans
la concep-
tion d'un monde structuré et ordonné -- dans un Cosmos;
et dans
1a pensée peu Iles
nombres sont censés reprodu i re sous
1a
forme
1
la plus condensée et
la plus succinte
la structure
interne du
monde pour ce qu'i Is en expriment
l'ordre même
et celui
des êtres.
La signification des nombres est à cet égard manifeste
il
nous
suffit de nous souvenir de
l'apparition de Kaydara aux postulants
"sous
la forme d'un être humain,
assIs sur un trône d'or qUI
tournoyait sans arrêt,
avec ses
sept têtes,
douze bras,
et trente
pieds représentant successivement
les sept jours de
la semaine,
les sept étoiles du grand et du petit Chariots,
les sept ouvertu-
res p hy s i ques de
1a t~te ••• ,
1es douze mo i s
de
l'année et
1es
trente jours du mois
lunaire." (1)
La signification symbol ique des
nombres telle qu'en
Kaydara el le apparaît
ici,
préfigurant
fa 1'-.
. ,
représentation du Cosmos,
renvoie à
la structure même du Temps
c'est pourquoi
Kaydara est assimi lé au Solei l,
en qui
les Peul
voient "le Maître du Temps" car pour eux,
c'est
le solei 1 OUI
commande
le Temps.
Pour nous en tenir à
la fonction de prInCipe
ordonnat~ur et d'ordre oue jouent les nombres, nous en trouvons
ici
un ~xemple éclairant dans la signification et dans
la fonc-
tion du ~ombre quatre.
En effet,
il
est dit que
le trône de
Kaydara,
"le Maître
du Temps,
repose sur quatre pieds dont
le premier disait "Grand
Vent",
1e second "Tremb 1ement de terre",
1e tro i si ème "1 nonda-
tions",
et
le quatrième "Incendie".
(2)
Le nombre quatre sert
ici
à désigner
le support du trône c'est-à-dire du Monde
lui-même
sa signification symbol ique traduit
l'équi 1 ibre,
et se révèle
Hampaté B~
Kaydara
p.77
1b i d , ,
p.13
159
comme un principe d'ordre, d'oroanisation, et c'est bien ainSI
. 'i
qu'i 1 apparatt dans
la figure du mandala tel le que
la révèle
l'analyse jungienne.
La présence de
la quaternité en rapport avec
le cercle ins-
pire
la sérénité,
le sentiment que la vie a retrouvé son sens et
son ordre et permet ainsi au r~veur de conserver l'ordre psychique
ou de
le rétablir s'il
l'a perdu.
(1) Principe d'ordre,
le nom-
bre quatre symbo 1 i se auss Iles quatre forces "é 1émenta 1es" cons-
tituant
la structure
de
l'Univers,
les quatre éléments à
la base
du tr8ne de Kaydara : air,(Vent), terre (Tremblement de terre),
eau (Inondations), feu (Incendies)
: lice sont
les quatre forces-
mères qui font vivre et mourir
les fi la d'Adam et Qui détruiront
chacune
l'Univers" selon la prédiction de Kaydara. A cette dou-
ble signification. créatrice et eschatologioue est 1 iée la fonc-
tion éminemment synthétique du nombre quatre dont
l'un des aspects
les plus constants et les plus fondamentaux en fait
le symbole
de l'un i fi cat i on des contra ires ;
1e haut et
1e bas,
1a gauche
et la droite comme l'est et
l'ouest,
le nord et
le sud se retrou-
vent, dans la perspective rel iqieuse rl'une saisie symbol ique,
unis dans
la simpl icité du "quatre" pour ce ~u'i 1 est un symbole
tota 1 i sant.
Le symbol isme de
la Croix atteste cette signification fon-
damentale "de
la résolution des oppositions" ; en
la Croix, axée
sur la quaternité "se conci 1 ient et se résolvent toutes
les op-
positions" ••• s'établ it
la synthèse de tous
les termes contrai-
res" et en "son point central •••
il faut voir
le
1 ieu de
l'équi-
1 i bre p,.B rfa i t ." (2)
le, nombre quatre suggère
la pe~fection ; c'est pourquoi
les
Peul
reconnaissent chez la femme quatre quai ités fondamentales
qUI expliqueraient
leur coutume polygame
laquel le fixaht
le nom-
bre des épouses à quatre leur fait rechercher en chacune d'el le
une de.'ces quai ités. La femme
idéale est cel le qui
réunit toutes
ces quai ités : bonté, beauté, fécondité,
amour. Quatre en une.
~Pourquoi les quatre femmes de notre coutume" ? demanda le pos-
tulant à
l'initiateur.
Jung:
l'homme et ses symboles
Paris 1964
p.213-215-227
René Guénon:
Le symbol isme de la Croix
p.117-118
160
__ Boûtoring (l'ancêtre des Peul
symbol isant
la rel igion
et
les coutumes traditionnel les) a dit à Hel leré son fj Is
Tu épouseras exactement q~atre femmes
oU une seule égale à quatre;
épouse une bonne femme,
une femme belle
une femme génitrice pour accroTtre ta fami 1 le
et puis une femme d'amour.
la première sera
de ton foyer
la fortune
inestimable,
la seconde une parure •••
la troisième deviendra un bon champ soigné
où tu mettras ta semence,
l'enfouieras et
la fera
pousser
la quatrième se justifie par dessein du coeur •••
parce que tu
l'aimes
et q~e
l'amour domine tout et s'impose.
o mon fi Is ! si en une femme unique tu trouves
les quatre ••• contente-toi
d'une femme •••
sinon apprête-toi
à subir
dix fois
dix plus onze soucis
qui ••• t'interdiront tout repos.
(1)
Car
il
y a
interdiction formel le de "doubler" une fem~e pos-
sédant
les quatre quai ités
lesquel les s"inscrivent essentiel le-
ment dans
le système quaternaire de base structurant
le monde
peul. Symbole de
la totalité,
le nombre quatre est surtout
lié
chez eux à tout ce qui
touche à un état de plénitude et de réal i-
s e tuon •. J 1 est
1e
substrat au seu i 1 duque 1 l'essence des choses
et des ~tres se révèle~ C'est ainsi qu'après avoir pénétré et
traversé
les quatre "clairières" mises en rapport avec
les qua-
tre éléments,
que
le postulant dans
l'initiation est seulement
à même de réal iser son état définitif qui
fait de
lui
une person-
ne complèté
:
"neddo kibbo",
état
indispensable pour connaître
plus tard,
le nom
secret de
la Vache sacrée. Oe même
c'est en
franch j ssant quatre degrés à
1a fo i s qu i
1e font passer par neuf
états que
le postulant doit progresser dans
l'initiation. De mê-
•.• ~
,
.. 1 i 1
y G
- :.~ ~~ t: 1•. ~
(1)
Hampaté B~
Kaydara
p.149'••• 151
161
me qu'i 1 y a quatre personnes à qui
le Peul ne doit pas dire
le roi et l'étranger ; de
non :
1e procréateur,
l' in i t i ateur,
même il existe quatre degrés, quatre sciences cachées :
m bi leejo (le prestidigitateur, celui qui transforme les
choses)
si latigi (le connaisseur des choses pastorales et des mys-
tères de la brousse)
corinkeejo (est un physionomiste)
et le da9gadaajo (est un magicien)". (1)
Tout permet de supposer que la fon~tion et la signification
essentiel les du nombre quatre symbolisBot la Création dans sa
tota 1ité,
l' harmon je; mieux, c'est comme s i l ' équ i 1 i bre même
de l'Univers,de sa permanence comme sa stabi lit~ semblait emprun-
ter à ce nombre un support cosmique comme il en est de
la concep--
tion pythagoricienne de la tétrakys. C'est ainsi que pour les
Peul
la Création,
le lait, et le b~vidé "hermaphrodite",.·participent
à
l'essence même du nombre quatre lequel
les unit. En effet pour
eux "le Monde est sorti d'une goutte de lait contenant les qua-
tre éléments ••• goutte qui a formé ensuite le Bovidé hermaphro-
dite" (2)~ A cet élément sacramental de base est lié fondamenta-
lement le quatre. le lait apparaît essentiellement comme une uni-
té quadruple; si bien qu'au fouet à
lait qu'uti lisent les Peul
sirgal -- constitué par une baguette, sont fixées quatre bran-
ches de bois; on s'en sert pour séparer le lait et le beurre;
alors que "le burgal", mouvette en bois à deux branches ne doit
jamais ~tre introduite dans le J*it, car el le est considérée com-
me étant. incomplète. De même est axé
sur la tétrade,
le matériel
du pastorat intervenant dans l'initiation
les bâtons de kel 1 i
(Graewi~'betulifol ia Jussieu) et de nelbi (Diospyros mespi lifor-
mis Hochst),
le "dangul" (cordelette servant à attacher s t.rvi ce eme rrt
les trois catégories d'animaux que sont les ovidés,
les bovidés
et les capridés) et le "dadol", cordelette uti 1 isée que pour at-
tacher le veau à sa mère. Le serpent mythique Tyanaba
lui-m~me,
représentant de Guéno sur terre, accompagnant
les vingt-deux
bëvidés primordiaux, "était nourri chaque jour de quatre cale-
Hampaté Ba
Kaydara
p.125
Hampaté Bt!
Koumen
p.19
162
basses de lait." (1)
Dans une perspectfve sexuel le d'une symbol ique des nombres
le quatre représente la féminité, voire la ,création,
la fécondité
quoiaue Léo Frobenius relève, comme formant un des traits spéci-
fiaues de ce Qu'i 1 appelle la Civi lisation de l'Atlantique, une
sexual isation différente
faisant du quatre un symbole mascul in
et du trois un symbole féminin.
(2)
liserait inutile ici de
prolonger les exemples et de chercher la motivation de tel les
différences,
l'important étant de nous placer à
la proxim~té
essentiel le de l'homme Qui trouve en le nombre la forme
la plus
dense et la plus profondepa~dire, sinon pour figurer l'indicible,
l'inexprimable autrement qu'i 1 n'aurait jamais pu
le faire sans
lui. Que l'on se souvienne à cet égard de la doctrine typol~gi
que de Jung, de la théorie des quatre fonctions par lesquel les
"i 1 a pu éclaircir un
grand nombre de rapports et rendre mani-
feste le contenu des symboles importants grâce à sa découverte
du rôle considérable joué par la quaternité dans la psyché humaine
dont el le est pour
lui
le fondement archétypique." (3)
C'est la quaternité de la plupart des mandalas qui accentue
encore l'intérêt que Jung porte à ces figures. Voyant en le qua-
tre un des archétypes primordiaux ayant son séjour aux tréfonds
des abysses les plus souterraines de l'inconscient collectif, et
voyant en les symboles qu'i 1 informe,
le mandala en particul ier,
"une sorte d'atome-noyau sur la structure et
la signification
finale duquel nous ne savons rien~4), Jung conclut à l'existen-
ce d'un élément psychique exprimé par le quatre. Ce ne sont ni
en la conception d'une division quadripartite de l'univers rat-
tachée aux quatre points cardinaux et mise en relation avec les qu
quatre é1éments, ni en la théorie des quatre fonctions se parta-
geant l'actt~~i,~ &0 l'âme: sensation, pensée, sentiment et in-
tuition, ni même en la quadrivalence chimique du carbone pour
principal élément constitutif de l'organisme qu'i 1 soit, qu'i 1
faut chercher l'origine et la fascination qu'exercent
le "qua-
tre" et
les figures Qu'i 1 informe
mais il faudrait plutôt dire
Hampaté Bâ : Koumen
p.27
~~~ f.~~R~~iH§ ; :~~yt.~~!~qj~ ~e I:Atl~Rt~rlP.~
p.2Q
J. Jaco~1 : ~Compt~xes, archétype~, sy~Boles"
6:tj9
Kérényi
: "Introduction à
l'essenee de la Mythologie p.28
163
avec Jung, commentant le livre chinois "le secret du bourgeon
d'or" : "de tel les choses ne doivent pas être pensées, mais doi-
vent cro1tre de nouyeau, en partant des sombres profondeurs de
1'oubl i, afin d'exprimer l'extrême pressenttment de
la conscience
et l'intuition la plus élevée de
l'esprit; de cette manière el-
les peuvent amener
la fusion entre
la sin~ularité de la conscien-
ce d'actualité et
le passé
le plus ancien de
la vie." (1)
le problème de la symbol ique des nombres ne doit donc pas
~tre fondé sur le rapport qu'i 1 y aurait à établ ir avec des cor-
respondants réels. Sa signification comme sa motivation f~nda
mentale qui eA inspire
l'irruption dans
le champ de
la présence
humaine dépasse infiniment
la simple identité que
l'on pourrait
établ ir avec la réalité. la motivation fondamentale qui détermine
l'homme à saisir dans les nombres
la stabi 1 ité et
la perméabi lité
de l'Un i vers,
1'harmon i e du Cosmo sy, correspond à un abandon de '.-
soi à l'Univers pour ce qu'i Is permettent d'exprimer leub';essen-
tiel te rencontre. Tout nombre demeure à cet é~ard le centre,
la
concrétisation symbolique d'une union et d'une rencontre tel les
Que l'on ne saurait
les exprimer autrement que par
le nombre.
La propension quasi générale Qui
conduit à vOir -- comme le font
les pythagoriciens -
en la triade une signification mascul ine
et en
la tétrade une signification féminine,
fait des nomb"es~
pour reprendre
l'opinion de Junq, "des atomes nucléaires sur la
structure interne et l'ultime signification cleQuels nous ne
savons rien" ;
ce que Frobenius nomme,
parce Que ces éléments ne
pouvant ~tre analysés plus loin, "des Monades" et voit en el les
"les pr~ncipes constructifs des différentes figurations du monde
dans
le~ diverses civi 1isations." (2) la motivation --- la raison
d'être fondamentale --- de
la "monade" au sens frobeniu9ien du
terme, en laquel le nous saisissons l'essence même de
la symbol i-
que des nombres, c'sst Kérényi qui
nous
la
1 ivre:
"si nous vou-
Ions déterminer •••
l'ultime raison d'être de
la monade ••
nous
L
devons dire qu'el le correspond, dans l'homme à une
impériosité qUI
le contraint à produire des formations -- des formations de
l'es-
prit, --- tout comme le corps ne produit Que des formations maté-
riel les. Cette impériosité est
ici
"cause première et premier pas.
(1) C.G. Jung cité par Kérényi
Introduction à
l'essence de
la Mythologie
p.28
(2) Kérényi : Introduction à l'essence de la My~hologie
p.36
164
Mais dès le deuxième pas,
le plan spirituel -- la~"lIlo"'ade -
se
présente déjà à 1'esprit.
Il est la première chose spirituetle
sa i si s'S'&o-:6~le', en 1u i, l'or i g i ne 1 vécu dans l' i mméd i ateté de l'o-
rigine, s~ manifeste uni à un aspect du monde extérieur, est per-
çu franchement et spontanément. Si
l'on prend le mot Kosmos, pour-
suit KéréMyi, dans son sens qrecJ c'est-à-dire si
lion entend
qu'i 1 eno l obe au s s t
le sp l r-i t ue l et
l'impériosité du spirituel,
la rencontre du Kosmos aVec lui-même doit se produire dans
la
monade." (1)
liserait vain de vouloir épuiser la signification
ultime d'un nombre, parce qu'en lui
l'homme se perd -- abandonné
à ses propres origines, " à la limite du prémonadique" selon
l'expression de Kérényi --, dans les sombres profondeurs d'un
monde où
i 1 est en r-eeon.errces- ..
l'être abandonné à la 1 imite de soi-même se meut essentiel-
lement dans la sphère du sacré; c'est pouquoi ce que
les nombres
disent et enseignent c'est l'expression même de cette 1 imite.
Il
n'est pas étonnant dès lors, que le dieu de la connaissance et
de l'initiation,peul, Kaydara, porte en son nOm même,
la carac-
téristique fondamentale du nombre:
l'insondable. En effet à
analyser l'étymologie, on découvre que "dara" ,signifie arrête
ou arrête-toi
(c'est l'impératif du verbe peul daraade) ; et
Gay:
ici
(Kay serait une corruption euphonique de Gay). Donc
Kaydara pourrait signifier: ar-r-ê t e i c i : but,
limite, borne,
fin (2). Nous serions enclins à faire dériver l'étymologie de
Kaydara, des termes peul: "Kaidinidum,
Kaidendam signifiant:
l'étonnement,
l' ét range ;
1e s oue 1s termes rlér i vent de
1a rac i ne
'hayd" :.,' être étonné, être étrange. Une merve i Ile étonnante,('sè
dit ke ye fi";
(3) Kaydara s i qn i f i er-e i f
:
1imite de l'étrange,
ce Qui ferait de lui
l'être en QUI
l'étran'le a sa limite parce
Qu'i 1 est son expression la plus profonde. Kaydara est
l'être
qUI étonne parce que fiaurant
la 1imite au-delà de
laquelle i l , ,
n'y a plus rien c'étrange ni d'étonnant.
Que Kaydara s'appel le "1 imite" est signifié dans: le symbol ~s
me fondamental et ésotérique du nombre onze, clef de voûte de C .u~
toute
l'ésotérie peul -- et bambara -- dont il est le symbole
Kérényi
:
Introduction à
l'essence de
la Mythologie
p.36-37
Hampaté Bâ :
Kaydara
p.3
H. labouret :
La langue des Peul
p.97
165
par excellence. Dieu de l'or,
Kaydara demeure dans le monde sou-
terrain, symbolisant le domaine ésotérique, si bien qu'au terme
du voyaqe des postulants,
la rencontre de Kaydara revêt
la même
siqnification que
la possession de l'or. Comme l'or,
Kaydara se
trouve sous la terre, et il a fal lu aux trois voyageurs traverser
onze cou che s ":corre'Sporidatl-ts à onze symbo 1es et onze épreuves
pour que l'apparition du dieu soit en même temps le moment de
l' octro i de l'or aux postu 1ants. Se Ion 1e mythe,
l'or se trouve
sous onze couches de terre et minéraux.
Le rapport du dieu et de
l'or tels qu'i Is apparaissent assemblés en s'y épuisant dans
la
symbol iQue du;nombre onze,
le dieu
lui-même en donne la révélation
Quand répondant au postulant,
il se désigne dans
l'énumération
qui constitue lee différents éléments qu'i 1 faut traverser pour
1
atte i ndre l'or
"Tu me demandes aUI
Je SUIS
il est temps que tu
le saches •••
Je SUIS cerui aui se cachait dans la poussi.ère
J'étais debout sur
la pierre •••
Je m'ébattais sur
le sable très blanc •••
J'étais dressé sur
l'éminence de ,la latérite
Je pétrissais la vase •••
Je comptais les boulettes de pierres
J'examinais du sable noir
et me trouvais dans une couche d'or ••• etc" (1)
Nombre essentiel de l'initiation peul, onze, symbolise, comme il
en est ~u sens profond du dieu,
la limite
infranchissable de
l'ê-
tre et de
la connaissance. Comme disent
les Peul eux-mêmes, "tout
ne se s~it pas, on ne sait seulement Qu'une partie du tout". A
cet égard la nature profonde du dieu et du nombre sont en parfaite
concordance. "Je suis l'embusqué" s'ex~lame Kaydara qui porte en
lui
l'ambiguité fondamentale de
l'or qui
figure aussi
bien "l'é-
cher le qui conduit jusqu'aux cieux que les escal iers qui mènent
au sein de la terr8"~ (2) Commencement et fin à la fois
l'or
.
,
quand on s'arrète à son "reflet" détermine et se satisfait au
Hampaté B§ :
Kaydara
p.175
1b i d , ,
p.13
166
pouvoir du monde matériel, comme il peut, Quand on en dépasse
le reflet, conduire à
la connaissance: "l'or est
le socle du
savoir".
le nombre onze symbol ise
la "1 imite" que
l'on ne pose
qu'à vouloir franchir~ C'est pourquoi onze désigne le nombre de
jOUffi que mettra
le sperme pour arriver à destination selon les
peul,
laquel le destination s'accompl it dans un nouveau commence-
ment:
la maternité. Pour les peul "la femme-mère" a onze ouver-
tures physiques, deux de plus Que
l'homme,
lesquel les correspon-
dent à onze forces divines. De même la pensée peul
fortement axée
sur
le dualisme, voit
l'entre-dévorement universel par l'anéantis-
sement "de onze forces
l'une contre
l'autre:
la Dierre fendue
par le fer, fondu par
le feu, éteÎ:nt par l'eau, asséchée par
le
vent,
1'homme triomphe du vent,
l'ivresse anéantit 1'homme,
le
sommei 1 tue l'ivresse,
la mort tue
le sommei 1, mais
la survie de
l'â~e anéantit la mort". (1)
Onze est de même le symbole de Koumen,
le Ber~er céleste
qUI peut prendre
la forme d'un enfant de trois, sept, neuf ans
sans Jamais dépasser onze ans. Que Kaydara symbol ise "la 1 imite",
est attesté encore par
le fait qu'i 1 a fal lu à
l'un des postulants
pour traverser le fleuve et Qui
ne voulait pas s'acquitter envers
le dieu du droit de passage, "onze pas pour s~ nouer". la signi-
fication fondamentale du nombre onze n'est "1 imite" qu'à figurer
les profondeurs insondables dans
l'ouverture desquel les tout s'é-
puise et a
1 i eu , Ainsi
il est
le symbole du "renouvellement des
cycles vitaux" et de communication avec les forces vitales, quoi-
que son rapport avec
l'or, en fasse auss i
1e symbo 1e de 1a dua-
l ité ce ~ui
le met par conséquent en rapport fondamental
avec
la
loi et
fa structure même du monde, c'estœ qui est éclairé à
travers l'ambiguité de
l'or, avec son côté positif et négatif
dont il est
le nombre par excellence. Mais ce dual isme originel
que préfigure l'or est essentiel lemnt signifié dans
la symbol i-
que du nombre deux.
Avec le nombre deux nous sommes en présence ~'un motif sym-
bol ique à silnification constante et universellement répandue
pour désigner
la du.c l i t
le conflit,
l'opposition,
l'ambivalence.
é
,
(1)
Hampaté Bâ
Kaydara
cf. notes
p .163
167
Symbole des ambivalences, des
luttes, des dédoublements,
le nom-
bre deux nous introduit "à la sour-ce commune de
la psychologie
de la grammaire et des mathématiques;
la racine d. la dualité
retourne à ce dual isme originel qui est à
la base de toutes les
possibi 1 ités du
langage et de la pensée"? (1) Toute la pensée
africaine et cel le des Peul en particulier, reposent sur un dua-
l isme fondamental,
axé sUr le nombre deux, considéré comme la loi
cosmique par excellence; que l'on se souvienne de la
lutte que
se livrent dans la pensée bainouk, Dino et Oukassela et que la
loi du Koumpo concrétisait sur le plan social. Dans la pensée
peul,
le dual isme oriqinel apparaît comme une loi cosmique de . J
l'entre-dévorement des êtres et des éléments: "la vie a promis
une existence perpétuel le et la mort a bien juré d'y mettre un
terme. La lumière dissipe la nuit, cel le-ci
l'enveloppe. Qui des
,.
deux finira par l'emporter sur l'autre" ? (2) "Deux! Deux! 0
rival ité réciproque" proclame
le dieu;
laquelle rival ité conduit
dans la pensée peul, à
la mort,~sinon à la fin du monde. La signi'
fication du nombre deux est fondamentalement
1 iée à une vision
eschatologique du monde.
"Ainsi donc tous
les être sont prisonniers
à
la merci d'une mort implacable.
La mort qui enfi le, déroule, é~rène les Jours,
J'instant noie cette mort,
l'avale.
Leve nt qui sou f fie a t t i sel e feu,
l' a v 1VIii:! •••
La vie et
la mort mises en nous demeurent
torse contre torse, el les s'y trouvent, el les y lut-
tent
comme l'eau contre
la pierre, el les y luttent sans
répit
Chaque victoire ~agnée sur la droite
sur
la gauche est défaite.
Tout ~ain acquis à l'Est,
à
l'ouest devient perte ••• " (3)
Le deux symbol ise
la
loi du désordre cosmique, de l'anéantissement
Endres cité par Or.
L. Paneth : La symbolique des nombres
dans l'inconscient.
Paris Pay~t 1953
p.123
Hampaté Bâ :
Kaydara
p .155
l b i d , ,
p.73
168
des êtres par d'autres êtres,
la
loi
de
la vie sociale et des mé-
canismes psycholoqiques,
voÎ là pourquoi
chaque symbole rencontré
"au pays de Kaydara" renferme à
la fois un côté positif (diurne)
ri
et un côté négatif
(nocturne).
Le symbole de
la "pierre
repré-
sentant
l'univers avec ses deux faces,
l'une peinte en noire
l'au_
tre peinte en blanc est significatif à cet égard. A ce dual isme
cosmique est
liée
l'opposition fondamentale de
la gauche et de
la droite,
de
l'est et de
l'ouest,
du nord et du sud,
du
haut et
du bas,
du jour et de
la nuit,
de
la femme et de
l'homme •••
jus-
q~'à la condition humaine pour autant qu'en ces deux questions
ci-dessous g'articulent non seulement
le destin de
l'homme mais
son être profond
"D'où venez-vous?
De
la goutte de sperme tombée au creux du sexe féminin
(creux,
ferti le,
voÎ lée et cachée)
répondit Hammadi
au dieu.
Où ail ez-vous ?
Vers
1a
di s jonct ion,
1a
putréfact ion,
1e
retour à
1a
source •••
à
la terre-mère d'où
l'homme est v~nu." (2)
Toute
la pensée peul
est donc fortement axée sur cette structure
dual iste de
l'Etre ;
l'ambiguïté fondamentale du dieu Kaydara
n'est-el le pas de cacher en une figure deux visages contradictoi-
res (nocturne et diurne) tel
Janus au double visa~e ? Dieu de
l'or et du savoir,
"le
lointain et bien proche Kaydara",
le dieu
lui-même ppparaît comme
le symbole
le plus profond de
la dual ité,
mais en m~me temps, et nous y reviend~ons,
il
apparaît comme
l'uni-
té
la plus profonde par
laquel le
le confl it surmonté devient créa-
teur de poss i b i 1 i tés nouve Iles.
Pour
1es Bambara
1e
deux représen-
te
le symbole de
la gémel l i t é ;
il
est
le chiffre "de
la parole
des renards jumeaux" chez
les Dogon.
La gémellité apparaît
le plus ~
souvent chargée d'une pui~sance destructive dans beaucoup de ci-
vi 1 isations
: "on craint
leur apparition (qui) provoque une vérita-
ble catastrophe. Souvent on tue
les deux enfants,
parfois un seul
d'entre eux." (3)
Hampaté Bâ
Kaydara
p.73
l b i d , ,
p.71
D. Zahan : Rel iqion Spiritualité et Pensée Africaines
p.24-25
169
Leur apparition est 1 iée
au désordre et à
la dual1té destructive
qu'i Is sont censés symbol iser. André Virel voit dans
les Images
gémellaires nia peur de
la vue eKt'~~iu"e~(pour l'homme) de son
ambivalence,
la peur de
l'objectivat.ion des analogies et des dif-
férences,
la peur de
la prise de conscience individuatrice •••
la peur de
l'individuation,
la peur de la rupture, de
l' indiffé·-
rentiation collective ••• d'une contradiction non résolue." (1)
le symbole "deux" représente donc, non seulement
la vision
f'ondemerrt s l e de 1a dua 1 i té ma I,S en même temps 1a condensat i on c'e
possibi lités en instances. Nous verrons comment à cet é1ard le
deux tout en conduisant au nombre trois, à
l'équi 1 ibre cosmique,
apparaît avant tout comme la concrétisation même de
l'Un, comme
c'est le cas dans
la figure de
l'Andro~yne par exemple. Mais re-
venons au deux
lui-même considéré sur le plan d·une sexual isa-
tian des nombres.S'i 1 est vrai que de tout temps,
les nombres
pairs ont représenté "le féminin" et les nombres
impairs "le
mascul in", nous ne pensons pas qu'i 1 fai 1 le en chercher l'expl i-
cation exclusive dans
l'indication Que suggère le Docteur Paneth
dans ; I:a:tsymbo 1 i Que des nombres de
l' i nconsc i ent", exp ljcet ion
selon laquel le "les nombres pairs sont jf~ plus ronds, plus calmes
que
les
impairs, toujours asymétriques et incommodes •••
les nom-
bres premiers, ces fauteurs de trouble du monde numérique sont ~
tous des nombres impairs ••• éléments de désordre et d'insoumission,
ce que
l'on n'aura jamais à craindre d'un nombre pair, si élevé
qu'i 1 soit." (2)
Il faudrait donc ici
rattacher à
la "femme" la
symétrie,
l'ordre,
l'équilibre,
la stabilité,
la permanence, et
à" 1' homme"
1e pô 1e opposé :
1e désordre,
l' a s ymét r- i e,
1a pertur-
bation,
('obscurité,
l'insécurité. Ce schéma ne cor-r-e apondr-e i t
pas à une vision mythologiquement répandue et tendrait même à
fiqurer
l'inverse.
Il faudrait plutôt nous orienter dans
la direc-
tion 0bscurément ressentie de
la relation étroite qui
existe
entre la féminité et
le caractère troublant et
inquiètant -- par-
ce qu'essentiellement créateur -- du deux en particul ier et des
nombres pairs en général, non en vertu d'une stabi 1 ité sécurisan-
te, mais d'un pouvoir fécondant et créateur qu'on
leur attribue
André Virel
Histoire de notre image
Genève 1965
p.67
Dr.
le Panet h f la symbol ique des n~mbres dans l'incons-
cient
p. 12'
L••
Payot Par i s 1953
170
tout en reconnaissant et en répétant avec force que nous sommes
là en présence, de symboles, "d'éléments sur la structure inter-
ne et sur l'ultime signification desquels nous ne savons rien":
A
"Deux! Deux! 0 rival ité réciproque
antagonisme complémentaire des deux sexes
qUI
se rapprochent pour engendrer.". (1)
Symbole du devenir et des possibi 1 ités en instances,
le deux
comme la femme traduit dans une perspective mythologique aussi
bien de redoutables ambivalences que des germes fécondes, tout
un monde en latence au sein même de ces oppositions.
La femme est
intimement en rapport avec la dual ité,
l'obscurité; créature
mystérieuse et insondable,
liée à
la lune et à
la terre,
la fem-
me avec son caractère énigmatique et inquiétant, sa constitution
psychologique, en relation avec les rythmes et cycles cosmiques,
apparaît dans les motifs mythologiques, comme l'image la plus
profonde de la dual ité surmontée en fécondité. A cet égard la
symbol ique du deux, dans laquel le la femme est inscrite, renvoie
à "l'archétype du matér ne 1" riche de tous 1es aspects et de toutes
les modal ités que
la maternel peut revêtir en matière
de symbo-
les ••• " (2) Si
le deux comme nous l'avons vu .s ymbo l ise la dual i-
té,
l'opposition des contraires, on serait tenté de dire avec
Paneth" que le trois rétabl it ce que
le deux a troublé", si "la
triade ne conduisait pas" à une nouvel le intégration ne niant
pas la dU31 ité qui
la précèdait, mais la dominant. Elle est com-
me toute vraie synthèse, non pas un retour mais un dépassement"(3)
Chez les Peul,
le trois équivaut à
la rival ité surmontée à
l'unit~ des principes contraires. Nombre fondamental universel-
1ement ~épandu, 1e tro i s demeure un symbo 1e essent i e 1 dans l' éso-
térie peul. Les exemples ne manquent pas qui
le mettent en r~la
tion directe avec
l'initiation
c'est aInSI
que pour
les peul
il existe trois sortes de pays
(pays de la clarté, de la pénom-
bre et de la mort) ; trois sortes de pasteurs pour trois catégo-
ries d'animaux: "les ovins,
les caprins et les bovins". Dans
l'initiation on relève trois catégories de plantes:
les plantes
Hampaté Ba : Kaydara
p.161
C.G. Jung
cf. Jacobi
:Complexe Archetype Symbole
p.90
Dr. L. Paneth : La symbolique des nombres dans l'incons-
cient
p. 28
Payot Paris 1953
171
à tronc vertical,
les plantes grimpantes,
les plantes rampantes~(1)
Les légendes peul parlent de trois héros correspondants à
trois types de femmes, ainSI dans le récit Kaydara est-i 1 ques-
tion de trois voyageurs dont
le "voyage initiatique" se déroule
en trois phases.
Il y est question aussi de trois charges d'or,
de trois consei Is, de trois pierres du sacrifice, de trois rou-
tes, de trois sortes de massage; de m~me l'initiation peul com-
porte trois phases de vingt et un ans chacune: (une phase d'ap-
prentissage, une phase de pratiquep une phase d'enseignement),
de même qu'aux trente trois degrés de l'initiation correspondant
aux trente trois phonèmes de
la lan~ue peul s'ajoutent trois de-
grés supérieurs "acquis automatiquement après le trente-troisième,
qui sont dits les trois obscurités de la matrice" (2) ; de même
qu'il existe neuf noms pour le lait, "eau éternel le", dont "trois
rendent malade, trois guérissent, trois nourrissent". (3)
la signification fondamentale de la symbolique du nombre
trois est d'exprimer l'accomplissement d'une dual ité surmontée
tout en gardant une valeur et une signification symbol iques pro-
pres et autonomes. A cet égard le trois apparatt comme la pléni-
tude de l'unité réal isée : pour les peuls "le, trois est le pro-
du i t
de l' inceste de Lu i et de sa cha i r ;
l'un i té capu 1ant avec
el le-même se réal ise dans le trois pour se reproduire" (4). L'Un
n'est Deux qu'à devenir Trois. L'addition arithmétique qui veut
que le nombre un ajouté à lui-même donne le deux, devient, dans
une 'perspective de symbolique religieuse, un blasphème en ce que
l'Un rajouté à
lui-m~me se transcende non pas dans le deux ni mê-
me dans' le trois mais dans l'Un, si
l'on peut dire, triple, tout
en conservant son inépuisable profondeur de valeur nouvel le.
Le
mystère de
la trinité chrétienne n'a pas d'autre signification:
la triade chrétienne du Père, du Fi Is et du Saint-Esprit renvoie
essentiellemnt à l'Un-triple. "la phi losoph~~ copte Maria Prophè-
tissa aurait professé: "l'Un devient Deux,
le Deux devient le
Tro i s et 1e Tro i s w'ev i en t l'Un en temps que quatr i ème ;
(5) for-
mule mystérieuse s'il en fat Qui non seulement recouvre "le sens
Hampaté Bâ
Koumen
p.23
m[bid,,
p.20
l b i d , ,
p.1L;
Aampaté Bâ :
Kaydara
cf. notes
p.25
(5)
J. Jacobi
: Complexe Archetype Symbole
cf. notes
p.141
172
profond de l'union du quatre pour former
l'unité", mais aussi
bien pour soul igner le caractère dirions-nous unitaire du Trois.
les Peul désignent
la totalité synthétisante du Trois dans ce
qu'i Is nomment: "figure du Yoobodu", en tant que caractérisant
tout se qui se passe par trois: nl'homme et la femme sont en
Yoobodu et se rencontrent dans l'enfant sommet du Yoobodu ; de
m~me que l'eau tiède indique les extrémités que sont l'eau chaude
et l'eau froide". (1) C'est par la figure du Yoobodu que Kaydara
enseigne à l'initié la signification essentiel le du trois:
"Quand on défait le noeud de trois
que deJ:'rêfHd:3s~en ja i Iii sent !
tu VOIS :Ié·.bien et le mal se disputer le coeur,
le père et la mère s'opposer pour l'enfant,
tu vpis le forgeron d'un côté et ses outi Is de l'autre.
Mais il faut qu'i ls s'unissent pour transformer le
fer ;
comme pour engendrer,
la femme et l'homme s'unissebt.
l'eau du ciel et de la terre s'unissent pour que
les ~tres soient crées,
comme alternent
les deux pieds pour que srift la mar-
che." (2)
la symbolique du nombre trois apparaît cependant dans la
pensée peul
infiniment plus qu'une synthèse, qu'une conjonction
du un et du deux, el le signifie au-delà de la réal isation d'une
dual ité surmontée,
l'essentiel rayonnement autonome de ce que
l'on p~~rrait appeler l'unité-triple -- la tri-unité. C'est
pourquoi
Kaydara :
.
nie Ma'ître
qui connaît le sens caché des secrets ternaires
et qui sait que toujours le troisième terme enseigne
et fait connaître les deux pôles d'une chose",
(3)
pour montrer le mystère fondamental de l'Un en tant qu'Androgyne,
enveloppant les deux sexes, dit à trois reprises:
Hampaté 83
Kaydara
cf. notes
p.159
l b i d , ,
p.161
Ibid.,
p.159
173
"Un
Un ! Un
o source ~ternel le, Inconnue 1 " (1)
dévoilant ainsi
le sens profond de l'Un en trois et du trois en
Un comme l'exprime
la ~igure mIme du triangle, forme parfaite de
l'unit~ du principe actif, passif et de leur conjonction.L'ltre
du trianglees1t de s'~riger un, en l'~qui libre triple; c'est ce
que manifest~ aussi à la fois la puissance souterraine, verticale
horizontale de l'Arbre qui r~quisitionnant dans le rythme tension-
nel de son ascension verticale
les branches,
le tronc,
les rac~
nes,
les assemble unis dans la simpl icité de leur "triade". Le
trianqle comme l'Arbre sont des êtres propres avec
leur fonction-
nement autonome
"Les racines recherchent sous terre
ce que
les branches cherchent dans les airs
ces deux ~Iéments sur le tronc se retrouvent
et s'assemblent pour constituer l'Arbre".
(2)
Parlant de l'arbre dans le symbolismeiëh.;n<'is, R•.,··O\\l~n6~ré~rft
"c'est le processus de la manifestation universel le : tout part
de l'unit~ et revient à l'unit~ ; dans l'interval le se produit la
dual ité, division ou différenciation d'où résulte la phase d'exis-
tence manifest~e•••
il s'agit de deux principes compl~mentaires
et du produit de
leur union,
Issue de l'union du "Ciel et de
la
Terre" qui
sont
les équivalents ••• de l'action et de la r~action
r~ciproqwes du Yang et du Yin, ~Iéments masculin et f~minin dont
procèdent et participent tous les êtres, et dont
la réunion en
équi 1ibre parfait constitue (ou reconstitue)
l'Androgyne$" (3)
D~ns cette articulation avec l'Arbre, comme avec l'homme
dont
il .est le symbole par excellence dans
la pens~e peul en par-
ticul ier et africaine en q~néral, le trois apparaît comme le prin-
cipe mIme du Cosmos vivant. A la symbol iQue du trois participent
1e Monde et 1e Vivant dans 1e ur- i rrupt i on or i '1 i na i re,
de v-même
qu'en elle est si gn i fié
1e processus éva 1ut i f de
l' hommeémer-
1eant cle la p~nombre, de la Nuit cosmiaue pré-formel le, à la clarté
lumineuse du Jour. A cet égard, au sens profond ~u nombre, est
1 i~e l'irruption à la vertical ité d'où les innombrables mythes qui
Hampaté B§ : Kaydara
p.161
Ibid.
p.161
Rene Guénon:
op.. cit.
p.149-150
174
disent
la parenté essentiel le de
l'homme et de
l'Arbre. l'ascen-
sion vers
la vertical ité, un des thèmes fondamentaux des mytholo-
gèmes, sinon
le thème fondamental, tel le au'el le ressort dans l'a-
nalyse de
la psychologie des profondeurs, est essentiellement axée
sur un processus évolutif à structure ternaire;
les mytholo~èmes
en effet seraient
le processus d'une motivation fondamentale qui
exprimerait I:i~ruption Qui ferait surgir des ténèbres de l'incons-
cient,
la conscience laquel le tend vers
la subi imation,
l'indivi-
duation.
Ce schéma revêt une infinité de motifs qUI, de
la chute à
l'ascension traduisent en images mythologiques sous-jacentes au
processus psychique,
la loi ternaire du rythme cosmique:
la Vie,
la mort et la renaissance. Que
l'on se rappel le le mythologème
de Perséphone, de même que "les trois soeurs de Zeus" (Hestia,
Déméter, Héra) iymbol isant selon Paul Diel
successivement "la for-
mation du désir,
la satisfaction active et sa subi imation". (1)
le même motif apparaît dans
le récit de Kaydara sous
la forme
d'un voyage qui
conduira successivement les néophytes dans
le
.~
monde souterrain des nains, archétypes primaires remontant aux bal-
butiements de
l'humanité et assimi lés aux fo~ces obscures de l'in-
conscient; ensuite
le récit décrira
le retour des voya~eurs vers
la surface de la terre, ce qui
nous montre
les trois héros en
prise avec eux-mêmes et de
leur pouvoir
l'or acouls dans
le pays
des nains;
cette phase correspon~ à la conscience en émer~ence,
en Quête d'el le-même, alors que
la troisième phase Qui
aboutit
à
la rencontre avec Kaydara dévoi lant à
l'élève le secret des
s ymbo 1es , si gn i fie
l' é 1évat i on de
1a consc i ence vers sa féconda-
tion subi ime, expression de l'individuation.
Le destin de
l'or en tant que symbole du monde souterrain,
du monde des hommes et du monde
initiatique, ésotérique,
revêt
donc ici
une triple signification correspon~ant à la triple SI-
gnification du voyage des héros:
là est
le sens profond de
l'ini-
tiation. De même qu'i 1 faut voir en le Maître de
l'or,
Kaydara,
un dieu triple. N'est-i 1 pas à
la fois dieu du monde souterrain,
(1)
P. Diel
le symbol isme dans
la mythologie ~recque
p.123
175
dieu des éléments, et dieu de la connaissance? Mais en
l'essen-
ce parad0xale cu dieu,
l'expression la plus achevée de la divinité,
ce triple aspect s'ouvre Un, dans le m~me, pour ce ou~i 1 est le
recuei 1 à partir duquel
s'éclaire leur aspect contraire bien que
maintenant tous ces aspects dans la plus grande acuité de leur
tension:
le lointain et
le proche,
l'or et le saV0lr,
le noctur-
ne et 1e diurne, trouvent en Kaydara 1a figure qu i 1es assemb 1e.
Le secret du dieu est de cacher en une fi1ure deux visa1es contra-
dictoires figurant ainsi
l'unité profonde du dual isme surmonté,
si bien que l'être du dieu demeure fondamentalement axé dans la
symbol ique du trois. Aux initiés il donne trois charges d'or,
trois consei Is, et c'est de trois pas au'i 1 recule à
la fin du
récit pour signifier la distance que l'on ne peut franchir parce
qu'i 1 est l'@tre de la "1 imite". Ce qui dès lors permet
le mieux
d'éclairer la figure du dieu qui noue et dénoue est
le symbole
même du masque expression vitale de
l'unité du duel de l'apparaî-
tre et de l'être; "je suis l'embusqué", dit Kaydara en ce que
" l'embusquer' er-t 1e mode d'être par exce 1 1en ce de l'être masqué,
du masque lui-m@me".
là où le trois ap~araÎt, il s'accompl it.dans la symbol ioue
fondamentale de l'Un. "Tout procède nécessairement par trois Qui
ne font Qu'un. En tout acte Un par lui-même, se distinguent en
effet :
1°)
le prInCipe agissant, cause ou sujet de l'action
2°) -
l'action de ce sujet, son verbe;
3°) - l'objet de cette action, son effet ou son résultat."(l)
Toute triade à cet égard -- pr0cède
débouche dans l'ultime
accomp I"i ssement de 1a man i festat i on de l'Un. "Cet Un en tant
que somme" non seulement "de la quaternité", comme l'écrit Jac0bi;
mais aussi de la trinité, "s'est concrétisé dans nombres d'ima~es,
de paraboles et de métaphores, de l'humanité ••• " en tant que
motif archétypique extrêmement répandu. (2) Nous rencontrons
dans
le texte initiatique de Koumen ce motif de la triade en
relation avec le Bovidé hermaphrodite, symbole du monde pour les
Cf. dictionnaire des symboles Pie à Z
p.337
J. Jacobi: Complexe Archétype Symbole
p.141
176
Peul, dispensateur de
l'élément fondamental
te
lait qUI chez
les Peul ne se boit pas mais se "man~e" (n'amde kossam). Dans
l'univers symbolique du monde peul
la fécondité dérive d'un seul
principe considéré comme mode de
la puissance génératrice,
le 8J-
vidé hermaphrodite, "à l'unique exutoire
vulve-anus" (1), "unis-
sant en Un
les multipl icités bovines, bigaré de toutes
les C0U-
leurs bovines" (2).
l'accompl issement de ce principe fécondant nous
intro~uit
dans
le cycle même du devenir, par la triade "de la tradition du
Taureau sacré, de
la Vache mère, de l'Agneau céleste",
ima g e my-
thologique renvoyant aux archétypes immémoriaux traduisant
le De-
venir c0smique. Cette triade trouve en
le B0Vidé hermaphrodite
l'unité Qui
les réunit. Que cette triade s'inscrive ici dans un
cycle de re9~r~t~on et de fécondation cosmiques, voilà ce qui est
siqnificatif pour traduire l'aspect essentiellement créateur de
la symbol ique du trois.
Foroforondou, femme de Koumen, "la déesse
~u lait" en rappelant à l'initié que le foyer de cette triade est
"la dixième clairière dont le rayon oran~é ••• est une flamme"
montre ainsi, à travers
la parenté essentiel le 1 iant
la Vache et
le Feu(ce qui confirme chez les Peul
leur appartenance à
la même
classe linguistique nge~ le caractère~;n~ment
créateur du feu,
symbole des bovidés et du Peul. le rapport du
lait et du feu mon-
tre de façon plus précise l'aspect fécondant du feu.
la relation
de la triade et du feu,
c'est à dire de la Vache mère, du Taureau
sacré et de l'Agneau céleste, symbol isée dans l'initiation par
une flamme éclaire
la signification créatrice du nombre trois.
Agoi,
le dieu du feu,
"dans certains hymnes du Rig-Veda oui
lui sont consacrés, selon J. R. Conrad, est identifié "avec le
taureau ••• Sa couleur de feu est comparée au beurre, ayant un
visage de beurre,
une échine de beurre ••• des yeux de beurre".(3)
On ne peut s'empêcher de rapprocher cette ima~e, au mythe ~énési
Que peul qui veut au'à
l'origine "les montagnes furent tenrlres
comme du beurre végétal ••• avant que
le Roi
bor1ne"
le Solei 1, sous
sous
t'intensité de son re~arrl ne les durcisse". (~) Taureau sacré,
Hampaté S§ : Koumen
p.73
Ibid.
p.69
JL R. Conrad: le culte du Taureau
Payot Péris 1961
p.59-60
Hampaté Bâ : KayJara cf. notes
p.~3
177
Vache mère, Anneau céleste sont trois traductions d'une même
image mythologique
le Bovidé hermaphrodite consubstantiel le-
ment 1 ié au feu et au
lait principe ne vie et d'abondance.
la
triade' ex~rime donc la perpétuel le jeunesse du Monde~ les ima-
ges originel les de "mère" et "'enfant", sont mytholoqiquement
réciproques et égales, car ce qu'el les expriment c'~st cette
même Jeunesse, et un cycle vital que
la symbol ique peut saisit
dans la "triade".
le mythe de Tyanaba,
le serpent mythique, qUI en épousant
le cours du fleuve fit sur~ir les vin~t deux premIers bovidés,
exprIme
l'unité fondamentale de
la triade: eau - serpent - va-
chç
en ima~es ori1inel les indissolubles et insurmontables de
Mère divine, Abondance, Enfance.
les ima1es Ce serpent, eau et
vache (lait) correspondent essentiellement aux motifs de la tria-
de Taureau sacré~ Vache mère et Agneau céleste. La signification
fondamentale
qui.~1 ie les différents motifs mythologiques en une
unité indissoluble où
ils s'outrepassent, nous ne saUt'lons en
épuiser la profondeur qu'à nous placer dans la proximité -- qui
nous est devenue étrangère -- de
l'homme qui, à
l'aube de son
enfance ne se distingue pas de
la jeunesse même du Monde.
Péné-
trer l'ultime signification de tel les images, c'est surqir donc
à cette proximité essentiel le où
l'homme parle en
le Monèe de
sa propre enfance, et
le Monde en l'homme de sa prODre jeunesse.
Kérényi
parlant de "l'eau originel le, en tant que corps maternel,
sein maternel et berceau", y v~it une imaqe réellement mytholo-
giaue, une unité significative et représentative qui
ne peut
être dé~omposée olus avant" (1). En l'ultime si1nification de
l'élémental,
riche de toutes
les mo~al ités et 0e toutes les pos-
sibil ités, nous sommes convoqués à
la source même de toute ori-
1 l ne ,
I~ où l'homme et le Monde ont précisément leur Séjour.
C'est cette rencontre fon0amentale qui est (en ce séjour) signi-
fiée dans la symbol ique même des nombres, pour ce qu'i Is noUs
replongent, en-deçà de
leurs diverses significations thématisées,
au seui 1 de cette proximité primordiale, que
l'on ne peut saisir
(1)
Kérényi
Introduction à
l'essence de
la mytholo3ie
p.72
178
à nouveau Qu'à habiter de nouveau cette proximité de l'élémen-
tal
: ainsi en est-i 1 de
l'absorption par
le postulant, de
l'é-
lément fondamental
dans le récit de Koumen,
leouel peut dire:
"Maintenant que j'ai bu
le
lait apr~s avoir manlé
les jujubes, je suis consacré. Aucun noeud ne me sera énigmatique,
aucune émanation ne sera danlereuse pour moi.
Je saurai tout et
spontanément comme
le nouveau-né sait têter au premier mouvement
des
I~vres." (1) le postulant est "voy~nt" parce que son pouvoIr
est parlant à partir d'une essence qui est purement "paTétique".
En se produisant ainsi dans
la proximité de
l'origine,
l'homme
manifeste un fond dans
lequel
"la création" (dans
le sens GU fai-
re) ~t la "voyance" sont égales. Pouvoir de mettre en vue et pou-
voir poiétique.sont originairement contemporains parce quTen
ITex_
pression du fond
l'un est tout et tout est un.
l'image de
l'enfant en tant que symbole est une donnée mytho-
logique irréductible qui, parlant d'origine et de naissance tra-
•
duit aussi bien l'enfance même du monde que le commencement QUI
continue toujo~rs d'avoir 1 ieu, en la présence du symbole,
1 ieu
de
l'intemporel.
Dans le récit
initiatioue de Koumen,
la ~ision du monde est
sa i sie à travers" des no euds " const ituant une s ymbo 1 i que ésotér i ... q.;
que,
lesquels noeucs sont mis en relation étroite avec
la sym-
bol ique peul des nombres. Car en les nombres comme en
les noeuds
les peul
voient
l'expression la plus profonde du symbole, enten-
dons ICI de la parole secr~te ésotérique qui renferme en el le
tout un. monde de p o s s i b i 1 i tés en instances. C'est po ur-quo i
1e
noeud comme le nombre dési1ne,
pour ce qu'i 1 est son eXpression
condensée,
le delré supérieur de la connaissance: dans
le con-
texte de
l'initiation "Ie dénouement des noeuds" constitue une
phase capitale.
la "corde" nouée de vinlt huit noeuds que
l'ini-
tié a à déchiffrer symbol ise non seulement
les vingt huit
lared'i
(gardiens du troupeau constituant
le panthéon peul) et "ngainir-
k i" correspondants (charmes pastonaux) ma i s auss i
1es jours du
(1)
Hampaté Bâ
Koumen
p.73
179
du mOIs
lunaire. A chaque noeud s'associe un nombre.
Le symbol isme
de
la corde,
image de l'unité
liant
les êtres et
le monde, est
ici axé essentiellement sur une structure ternaire
laquel le dé-
signerait trois formes fondamentales structu~ant l'ontologie peul,
"formes" que
l'on pourrait nommer: 1°) -
le néant en tant que
non-advenance à
l'existence, 2°) Dieu (l'être suprême) 3°)
l'é-
tant;
ce qUI
se traduirait sur
le plan de
la connaissance
par
ce qui
n'est pas,
ce qui
est mystérieux (le mystère suprême) et
ce qUI est connu ou connaissable.
(Puisque tu désires connaître
le nom secret du boeuf sacré, dis-moi
quels sont parmi
les noeuds
de cette corde,
1es 'Iweuds vicies,
1es mystér i eux et 1es ohe r-qé s
et 01el est
le nom de ces derniers) ? (1) dit
l'initiatrice pour
désigner
les troxs aspects fondamentaux de
l'Etre.
Au premier ~t au dernier noeud (le vingt huitième) est as-
socié dieu (Doundari),
l'Etre suprême: "nul
ne pourra connaître
le secret de ces noeuds "avant
la mort" ••• ces deux noeuds sont
les secrets de
la douzième clairière." (2) Ces noeuds préfiqur~nt
l'Un éternel et immuable,
la cause universel le et
la connaissance
dernière de toute chose,
le commencement et
la fin comme la vie
et
le mort. Qu'i l s symbol isent
la douzième cLairière,
là où "Ies
deux solei Is mêlent,
l'un ses trois rayons aux quatre de
l'autre",
réunissant toutes
les couleuns de
l'arc-en-ciel et symbol isant
1a comp 1étude (car sept réun i t
1e pr- i nc i p e mâ.he
tro i s _. et
le principe femelle-qnatreh~elaest signifié dans le fait que cette
clairière est le 1 ieu même du Bovidé hermaphrodite, symbole de
l'Un i vers.
Le Bovidé hermaphrodite est
l'expression
la plus achevée de
l'unité' des contraires,
car en
lui
la vie et
la mort,
le féminin
comme le masculin participent au sein d'une total ité indissoluble
c'est pourquoi, expression même de
la divinité -- que symbol isent
ICI
l'arc-en-ciel
et
le chiffre sept -- pour ce qu'i 1 réunit
les
contraires, au Bovidé hermaphrodite est associé Doundari, Comme
le premier "noeud" et
le "dernier noeud" : commencement et fin
de toute chose. De cette conception de
l'Un trouvant en
la fiqure
Hampaté Bâ
Koumen
p.71
'Fbid.
p.71
180
du Bovidé hermaphrodite sa forme
la plus parfaitè comme l'expres~
sion la plus profomde du mystère divin et de
l'être, se dégage
la
vision androgyne de
l'Univers peul.
La symbol ique de
l'Un se con-
cr~tise dans la symbol ique du nombre sept laquel le est significa-
tive de
la réalisation spécifique de
l'Andro1yne pour ce qu'el le
réunit
le mascul in et
le féminin.
Que la douzième clairière symbol ise la complétude,
l'Univers!
ressort qu'à
la symbol ioue du nombre douze est
1 i& la total ité du
panthéon peul;
douze réunit
les sept dieux et
les cinq déesses
lesquels déterminent
le code de nomination ésotérique et rel iqieu-
se des nouveaux-nés.
La fami 1 le idéale peul est cel le OUI a un
nor. ... ~ de larçons éqal à sept, sui~ant les sept dieux (Ham, S2m~
Dem, Ver,
Pat, Ndioo,et Del) et de fi 1 les égal à cinq correspon-
dant aux G~nq déesses (Dikko, PeRda, Dado, Takko,Koumba.)
Le rapport des deux nombres Un et sept est fondamental
car ~I
SI
l'Un symbol ise essentiellement l'unité indifférenciée des sexes,
le germe de toutes
les possibi 1 ités en devenir, c'est dans
la
symbol ique du nombre sept qu'i 1 est signifié dans sa complétude
comme réal isation du cycle vital par l'unification des prInCIpes
contrairesJdonc principe d'unité synthétique.·Chez les Dogon
le
nombre Un apparaît comme l'insigne du Maitre de
la Parole,
figu-
rant
l'expression de
la création aboutie.
L'articulation de If Un,
nombre de
l'Etre suprême Doundari, et du nombre sept, apparait
ainsi dans
le symbol isme des noeuds dit "mystérieux", consubstan-
tiel le aux "noeuds noués à vide" par lesquels est désigné ce que 1.
nous avons appelé
le néant.
"L~ rremier et le dernier noeud exclus, j'offre, dit
le pos-
tulant,
les sept suivants aux sept solei ts qui m'ont éclairés •••
Ces enlacements sont noués à vide, c'est-à-dire sans
le souffle
d/aucune parole vortueuse.
Ils sont donc les vides.
Les sept
avant-derniers,
je
les voue aux esprits des nuits.
Ils ne contien-
nent rien,
ils sont vides et sans
le souffle".
(1) Au nombre sept
s'associent
les sept solei Is et
les sert couleurs de
l'are-en-ciel,
les sept Mon~es d'en haut,
les sept~Mondes d/en bas symbol isant
(1)
Hampaté Bâ
Koumen
p.73
181
l'image de l'infini de l'Univers au-delà même de la conception
dual iste de l'Etre. Au monde d'en haut que préside le solei 1,
le Peul associe
la
lumière,
le jour,
l'homme,
le ciel et àUx
mondes d'en bas,
la lune,
l'obscurité,
la nuit,
la femme et la
terre. la métaphysique peul à structure dual iste voit en chaque
être un côté lumineux, ouranien et un côté nocturne, chthonien
ce qui renvoie au manichéisme très aigu qui veut Que le Mal com-
me le Bien viennent de Guéno. Une prière l'affirme qui dit = "don-
ne-moi
Ton bien, non Ton mal, et si tu me le donnes, donne-moi
la force de le supporter". (1)
En Dieu expression de l'Etre,
le néant demeure consubstantief
et leur relation apparaît, dans l'ontologie peul fondamentalement
fiée à
l'Acte, au pouvoir créateur du Verbe.
le néant, n'étant
pas convié à l'appel de la parole à être, apparatt, si
l'on peut
dire, comme "l'expression" la plus profonde de l'Innommé. Adve-
nir à
l'existence, ~tre, supposent "le souffle de la parole ver-
tueuse", du pouvoir créateur du Verbe. Dans l'ontologie peul,
nommer~ appeler à la Parole, ex-ister et ~tre sont équivalents
et signifient la même chose. l'Etre est l'Acte même. De même que
l'homme ne saurait pénétrer la Parole,
le Verbe créateur, ~'est
à-di re
l' Etre suprême,de même se no 1e dans 1es pr-o f onde ur-e ode
l'Innommé, ou néant,
le regard le plus aigu. De même que Dieu ne
saurait être corn-prIS,
il en est ainsi de même de l'Innommé, du
Verbe qui
ne soit pas Acte.
le néant n'est pas,
i 1 n'est 'pas, parce que sans nom ;
l'ê-
tre et 1e nom sont
1 i és ;
l'acte de nom i nat i on est un acte es-
sentiel ~e fondation; et il ne serait pas superflu de le 1 ier
à
l'orig~ne des dieux eux-mêmes. la nomination fait surgir à
l'être et l'expression ce l'Etre est d'être; disant cela l'onto
logie africaine ne signifie rien d'autre que l'acte de nomina-
tion lui-même. Et si
le néant n'est pas,parce que sans nom,
il
en va tout autrement des dieux constituant le panthéon peul,
les-
quels sont signifiés dans
le symbol isme des noeuds dits "chargés".
Aux douze noeuds dont
il est dit qu'i Is sont "chargés", re-
présentant les douze lared'i, correspondent les douze mois de
(1)
Hampaté B§
Kaydara
p.ll
182
l'année lesauels sont dans
l'initiation "les douze clairières"
que le postulant doit pénétrer successivement symbol isant ainsi
son "enseignement progressif à
la structure des éléments de
l'es-
pace et du temps".
(1) A ces douze noeuds correspondent aussi
les
douze dieux du panthéon peul. Oouze est un nombre complet, d'où
les douze enfants de
la fami 1 le
idéale peul. Ces noeuds sont
"chargés" parce que conduisant à une profondeur signifiante dans
laquel le la vision du monde peul
révèle (et saisit à travers
la sy
symbol ique du nombre douze)
la complétude.
La fonction et
la signification essentiel les de
l'initiation
du pasteur peul
se présentant comme
la connaissance relative à
la structure du monde renvoient à une systématique de correspon-
dances cosmobiologiques entre
les différents éléments qUI
compo-
sent l'Univers.
La vision du monde s'articule dans une dynamique
symbol ique ;
l'Univers apparaît comme un noeud complexe dont cha-
que élément le plus
infime soit-i 1,
renvoie à
la total ité comme
la totalité reflète chaque élément. C'est cette unité structurée
comme un organisme qui constitue l'essence m@me de
la symbolique
pour ce qu'el le articule la rencontre fondamentale de
l'Univers
dans sa total ité (macrocosme) et de
l'homme dans son rapport avec
lui
(microcosme). Oans cette communication à l'Ouvert de
laquelle
l'homme s'accorde avec
l'@tre profond du monde s'inscrit aussI
bien la vIsion symbol ique des nombres que cel les des couleurs.
Jouant un rôle
important dans
les cérémonies,
les cultes, dans
la
1 iturgie négro-africaine
Les couleurs rev@tent une valeur
émi-
nemment religieuse.
La couleur est un @tre chargé de sens, une
force qui agit et sur
laquel le on agit.
Pour l'homme religieux
autant
la parole est fondamentale,
autant
il y a un pouvoir de
la couleur qui
nous permet d'accéder à cette rencontre essentiel le
avec l'Autre parce qu'en el le nous communiquons
avec
les ryth-
mes vitaux. Rendant "visible l'invisible" pour reprendre une expres-
sion de Paul
Klee,
la couleur dans u~e perspective symbol ique uu
monde, traduit
la sacralité,
la co-respondance essentiel le de
l'homme et du monde. De m~me que les nombres,
les couleurs sont
(1)
H:'lIlpaté B€i
Koumen·
p.28
183
des paroles fondamentales qui
relevant de
l'ésotérie, disent
l'es-
sentiel le rencontre.
On retrouve dans
la ~el iJion négro-africaine,
trois couleurs de base
informant
les rituels et
les cérémonies:
le r~uge,
le blanc et
le noir.
C'est ainsi
que
Koumen eAtpr~8én
té "noir
lorsqu'i 1 s'occupe des minéraux,
blanc
lorsqu'i 1 est au
service des puissances responsables des herbivores sauva]es,
rou~e
lorsqu'i 1 est au serv i ce des Tyanaba et,' responsab 1e des an 1 maux
domestiques,
spécialement des bovidés" (1). A ces trois couleurs
fondamentales s'ajoute chez
les peul
une quatrième
inscrite dans
la structure quaternaire de base
du monde peul,
s'articulant sur
les correspondances entre
les fami 1 les,
les robes des bovidés,
les ,'déments et
l e s poi n t s cardinaux; cette couleur est celle de
l'or et du feu:
le jaune. Ce sont ces quatre couleurs que nous
examinerons
ici. Oans
la dimensÎ0n religieuse de
la couleur ce
0ui est annoncé c'est
la naissance du monde dont
le jail 1 isse-
ment est contemporain à
l'éclatement des sonorités
intérieures
que sont
les couleurs.
La couleur,
créatrice d'émotions,
réqui-
sitionne daps
le rythme centrifuge de sa donation,
la respiration
même du monde. A travers
1a cou 1eur,
1e monde par 1e de son émergence
avant toute al iénation,
de cette aube premièr~, 1 ieu de l'expé-
rience du Sacré.
Dans
la parole de
Koumen
:
"1'Est bri 1 le de
lu-
mière,
l'Ouest se tord dans
le sang,
le Sud est voi lé par
la
forêt
noire et
le Nord se peuple de terres,
de beaux paturages
et d'hommes blanc~", (2)
la couleur est parlante,
sa parole est
cel le du Monde.
El le nous restitue pour reprendre
l'expression'
de, E.
Fromm un "Iangage oubl ié" dans
lequel
,''l'expérience
inté-
rieure".est vécue "comme s'i 1 s'agissait d'une expérience exté-
rieure"~ "Le langage symbolique écrit Fromm est un langage dans
lequel
fe monde extérieur est
le symbole du monde
intérieur".(3)
Dans
la symbolique de
la couleur est affirmée
leur unité vécue
en
l' expér i ence de
1a Sacra 1 i té.
Si
~vec les nombres était appréhendé, dans la VISion pewl,
un certain ordre renvoyant à
l'unité harmonieuse d'un Cosmos,
avec
les couleurs,
s'exprime non
l'objectivité du Cosmos rlans son
Hampaté B§ :
Koumen
p.28
I!--id.
p.45
Erich Fromm:
Le
langage oubl ié
Payot
Paris 1953
p.15
1~
immuable équi libre, mais
l'émergence d'un monde hanté de présences
impalpables et d'ombres
inextricables. A travers
la couleu~, ~e
monde s'ouvre à ses plus profondes résonances.
Le nombre est à
la couleur ce que
le Cosmos est à un monde.
Là,
l'ordre,
la per-
manence,. l'équi 1 ibre
ICI
des formes en fonctionnement,
rythmant
une mouvance perpétuel le~
la symbolique de
la couleur annonce
l'expérience Ge la sacra-
I ité vécue comme co-existence originaire de
l'homme et du monde.
Dans cette parole de Koumen c'est un monde qui se dévoi le tel
que
nous pouvons communiquer avec
lui à travers
la couleur dans une
dimension pathique. Avec la couleur l'espace se charge de signi-
ficrl~ions nouvel les structurant un Univers aux profondeurs ouquel,
l'homme est réquisitionné à
la proximité essentiel le d'une réal i-
té qui
le transcende. Cette réal ité qu'articule
la couleur, s'ir-
radiant à
l'espace même du monde, est ouverture au Sacré.
Par-
Iant de "la virginité du monde" que Cézanne voulait peindre et
qui
ne se donnait à
lui
"qu'à travers
la sensation singul iàre de
bleu" (1), Maldiney écrit: " pour que ce monde encore virtuel
qui est
le p81e de ces sensations confüses et qui
s'annonce en
el les comme style,
puisse s'expliciter en univers,
il
faut que
ce style, donné à
l'état instable dans
le moment pathique de ces
sensations mêmes, prenne corps dans un espace y
Et cet espace sty-
listique ne saurait être l'espace vide et homogène de l'action
ou so~ image plane, ni
les formes qui
se nouent en
lui être des-
criptives des objets de cet espace. Ainsi, poursuit Maldiney,
le
peintre. est un homme qui
n'est pas devant
les choses, mais commu-
nIque e~ el les avec une réalité. Cette réalité n'est pas un objet.
Pas plus que n'est un objet
l'être humain avec
lequel on commu-
nique vraiment, à qui
on dit Toi et non pas de QUI on dit Lui."(2)
L'espace du peintre surgit à même dans
l'avènement ce
la couleur,
pour autant qu'en el le
la rencontre de
l'homme et ou monde se réa-
lise en
l'expér~ence du Sacré o~ ils s'outrepassent. lien est
ainsi de
la réalité OU! est en fonctionnement dans
la symbol joue
H. Maldiney
Regard Parole Espace
p.17
'bid\\
p.t7
185
de
la couleur, en ce qu'el le désinne non un objet, mais
le
1 leu
ouvert de notre rapport au monde, de notre coexiGtence avec
lui.
Dans
l' t nit i at i on peu l , l e postu 1ant pénètrant douze cl a i-
rières
illuminées par autant de rayons de seot solei Is aux C0U-
leurs de
l'arc-en-ciel
symbole de
l'alliance des dieux et des
hommes, du ciel et de
la terre,
n'a d'autre rencontre que cel le
ou l i a 1 i e à cette sub 1 i me réa 1 i té au seu i 1 de
1aoue Ile
l'âme
transportée dans
le numineux reçoit,
selon
les paroles de Koumen,
"les lumières de
l'initiation".
(1)
Chargée de sens, parce ou'expression de farce vitale,
la
couleur est, surtout en Afrique noire,
un symb~le rel iqieux d'où
son "ale fondamental
dans
l'initiation et
le rituel. C'est ainsi,
rapp0rte Frobenius, que
les "prêtres qui célèbrent
le culte •••
du dieu Oschal la portent ••• ~n collier de perles blanches; ceux
de Schango un ensemble de perles blanches et rouges ••• comme
le
bandeau de perles de cinq couleurs différentes fiqure
l'insi~ne
de Jemojas
et des "bracelets de cuivre jaune fondu" ••• celui
d'Osoun. (2)
Les couleurs désiqnent, dans une perspective mythi-
co-rel i~ieuse, l'être même du dieu; à cha~ue dieu comme à chaaue
couleur est
1 iée une sphère d'activité, de p~issance personnel le.
Lfée au ~ieu,
la couleur est dès
lors susceÇ)tible non seulement
de le représenter, mais d'exprimer toute une constellation de
si0nifications
inhérentes au dieu
lui-même;
car si au blanc,
la symbol ique Yorouba
1 ie le dieu du ciel
(Oschal la), aux blanc
et rouge,
le puissant dieu du tonnerre et de
la foudre
(Schan~o)
à Jémoja, mère de toute hum i cl i té,
1a déesse aux cinq noms,
cinq
cou l eur-s ,
c'est précisément parce ou'en
la couleur,
le Yorouba
peut ma~ifester sa rencontre avec le divin vécu et uni à un as-
pect du monde extérieur en raIson d'une vision essentiellement
rel igieuse qui,
saisissant
la transparence de
l'Univers, décou-
vre à
l'homme un monde Je correspondances à travers
lesouel les
il est à même ce s'aménager un habiter dans
l'Ouvert d'une coex-
istance originaire avec le monde,
c'e~à-dire, là où il est re-
01 acé sur ses bases l'e s plus pr"ofonJeB.
'Hampaté Bâ :
Koumen
~.30
Léo Frobenius:
~.
cit.
p.129
186
La symbol ique est avant tout
l'expression d~ cette co-exIs-
tence, de cette dynamique signifiante tel le qu'en
la couleur où
sourd tout un monde de résonances, de présences,
l'h0mme découvre
un foyer à partir duquel
la profondeur de sa commune réal ité avec
le monde puisse être vécue de façon
immédiate et absolue.
La sym~
bol iQue de la couleur pour ce qu'el le s'articule dans l'expérience
de la Sacralité, nous introduit ainsi aux sources même de la Vie.
En faisant éclater le cadre même de
l'expérience personnel le et
subjective,
la couleur permet véritablement d'accéder à une réa-
lité cosmique.
La couleur n'est pas seulement
l'expression drune
sonorité intérieure, mais véritablement un mode d'être et d'ha-
bitp~, une manière ~'être en prise sur la réalité même nu Sacré.
C'e~v ainsi qu'à travers les infinies interprétations que le blanc
peut revêtir, sa valence c0smoloqique et céleste, en fait
le plus
souvent un des symboles de la divinité.
L'étymologie du dieu du
ciel, chez les Yorouba, Obatala est si~nificative à cet éqard : ~
"Oba désiqne roi et Ala un vêtement blanc ••• c'est pourquoi "les
fidèles de ce dieu s'hab; 1 lent de b~ànc et consomment des vian-
des blanches" (1) ; de même que "tout ce Qui est blanc appartient
à Amma ••• son coeur est blanc" disent
les Do~àn (2).
Dans la vision peul du monde
la symbol ique du "blanc" appa-
raît dans son articulation avec le lait et les Bovidés dans une
présence magnifiée: "la vache sacrée nourrit de son lait béni
les
esprits purs et ••• blanchit tout ce qui est blanc." (3) Symbol i-
sant la pureté,
le blanc 1 ié au
lait,
l'al iment sacramental par
excellence, source de toute création ~ans la vision peul, expri-
me te 1 l" élément v i ta 1 et nour-r- i ci er, tout un monde de po s s i b i _
1 ités, de vir.tualités. En le blanc comme en
le lait, est symbo-
1 isée
la plénitude prometteuse de richesses enfouies
et porteu-
se de nouvel les aurores. C'est pourquoi
la mariée chez les peul
est habi liée en blanc au m01ns pendant huit jours.
L'invocation
du néophyte à d'àlàn,
le làre le olus important du panthéon peu!
"oui chez les hommes se manifeste sous la forme ~'un dieu herma-.
phrodite"(4) est sionificative à cet é<ïard : "je t'inv0Que nans
G. Parrinder : La rel iQion en Afrique Occidentale
p • .16
G. C. Griaule: op. c i t ,
p.121
Hampaté B~ : Koumen
p.55
Ibid.
p.75-85
187
le blanc en vertu de
la formule
: h~ra c'est la paIx. La souve~
'raine c'est
l'eau"(l).. La relation du blanc et de "l'eau"
l émerrt
é
originel d'où ont surgit les vingt deux premiers bovid~s mythi-
ques, montre au-delà de
la valence cosmologique et primordiale du
blanc, une signifi~ation positive et hautement cr~ative. Le son-
ge que fit
le postulant avant que ne
lui
soit r~v~l~ le nom secret
de +nc~eche lui fit entrevoir, sortant "d'une vaste ~tendue d'éau.~.
un troupeau compos~ uniauement de b~tes blanches" (2) ; de m~me
Qu'une chanson de circoncis pendant
la retraite parle oe "boeufs
blancs" traversant
les eaux. Seulement à symbol iser
le ~erme de
toutes
les possibi lit~s, la symbol ioue dU blanc recouvre aussi
bien la vie Que
la mort dans
leur conspiration au sein de
laoucl-
lé "involution et ~volution ~chanqent leurs dimensions contraires
et apparemment finies,- dans la m~me et infinie croissance"~_ (3)
Couleur de
la vie
le blanc est aussI
couleur de
la mort, de
la mort en instance d'où sa relation avec la clart~ lunaire de
l'astre nocturne symbole du virtuel, de passage, du reflux cycl i-
que de
la vie à
la mort, de
la mort à
la vie; à cet ~gard le
blanc symbol ise
la
latence,
l'incliff~renci~, c'est pourquoI
il
est la couleur des circoncis, durant
leur retraite
il
symbol ise
t
•
h
f
ces ni
omme,- ni
emme~ ni mort, ni vivant. Le statut indiff~ren-
ci~ du circoncis en fait un ~tre sans d~fense, expos~ à tous les
risques, si bien que
l'initiation rituel le qui consiste à enduire
son corps d'argi le blanche, ob~i~ à une motivation plus profonde,
1i ~e à
1a mort symbo 1 i que du n éoph yt e
:- 1e blanc cou leur de
1a
mort s er-t; au s s t
à
l o i qne r- la mort •. Au-delà de sa signification
é
initiairice qUI
fait du bla~c la couleur de la r~v~lation, de la
lumièr~, sa relation avec la mort apparaft de façon très signi-
ficative dans
l'articulation qui
le
1 ie 0ans
le o arrt h éon peul
au
dieu à
la parole irr~vocable : Pel lei, dieu ~ont ~n dit "habi 1 lé
de blanc qu'i 1 est chargé ~'une foudre occulte oui dirig6e sur
un homme,
pulv~rise son 8me et r6duit ses os en poussi~re. Quand
Pel lei
noue personne ne peut d~nouer"~(4) Le blanc comme couleur
de
la mort est attesté dans nombre de fi~urations rituel les et
Hampat~ B§ : Koumen
p.75-85
Ibid.
p.89
H. Maldiney : op. cit.
p •.83
Hampat~ B~ : Koumen
p.77
r
188
,
c~r~moniel les du monde nOIr en relation avec le deui 1 : du 1 in-
ceul dont on recouvre
les morts jusqu'au sacrifice de
la poule
blanche, servant à communi~uer avec les défunts et avec les an-
cêtres attestent son rôle de ~sychop0mpej le symbol isme du blanc
apparaît dans sa signification funéraire et néfaste.
Couleur de
la mort, couleur ce la vie,
le blanc exprime en
son symbol isme même le principe de
la dual ité ori~inel le, prin-
cipe de base oe
l'ontoloqie né~ro-africaine. La mort n'est pas
pour les n~qro-africains, la négation de la vie
el le se définit
comme une transition et comme un passage, si bien qu'en son sein
même,
la Vie est en instance. Symbole de
la vie et de
la mort,
il est significatif que
le blanc soit à cet é~ard la couleur du
dieu suprême, principe fondamental
de toute dual ité. Chez
les
Serer,
la prière qui accompagne
la mariée drapée "d'un pa~ne blanc
comme si el le était ensevel ie et al lait revenir à
la vie" (1),
est la même que celle qui accompa3ne les défunts "durant leur y
voyage au pays des ancêtres" : à
1a mar i ée c:·)nt· on d;.lé :
" que Dieu et la petite poule blanche te précèdent
Que tu sois absente
longtem~ mais dans la paix 1" •••
répond cette prière qui s'adresse en ces termes au défunt:
"Qu'une petite poule blanche te précède au ciel •••
Qu'il
(le défunt) arrive en paix
qu'i 1 soit
long à revenir ici." (2)
Ainsi à travers la symbol ioue de
la couleur -- du blanc -- on
r-e t r-ou ve
1" amb i va 1ence i ntr i nsèque r1e
l'être,
1e ref 1et ,.Jes op-
positio~s, des conflits de forces qui se manifestent à tous les
nIveaux 'd'existence, du monde cosmique au monde
le plus intime"
;
Dans 1a représentation symbo 1 i que tout se passe comme s i l e r~on-
de à travers
la couleur restituait sa propre
image:
le blanc
peut à cet é~ard en symb61 iser tantôt le commencement tantRt l'a-
boutissement. Dans
le couple d'opposition qu'i 1 forme avec
le noir,
il
n'est retenu
le plus souvent oue la valeur positive du premier
la V. Thomas
op. ci t.
p.210
Ibid ..
p.242
189
et négative du second, ce qui est une VISIon relativiste et ré-
ductrice dans laquel le la valeur absolue de
l'un comme ce l'autre
est absorbée, et partant
le monde ou'i Is éclairent. Comme
le blanc,
le noir pourtant "peut se situer aux deux extrémités de la gamme
chromatique, en tant que 1 imite des couleurs •• ~" et peut aussi
figurer "l'absen&e de
la somme des couleurs,
leurs né~ations ou
leur synthèse". (1)
De toutes les couleurs,
le noir est certainement cel le qUI
est 1api us chargée de sens occu 1te, ce Ile en qu i
1es résonances
les plus profondes de l'humanité se sont ancrées~.Associœaux
ténêbres primo~dia~es, au gouffre, au chaos r à l'abime, au néant,
à
la nuit cosmique, à
l'indifférencié ori3inel, aux profondeurs
abyssales de
l'inconscient, aux prétemps du monde, on a vu en
ra dimension du noir, une oouleur fondamentalement
inquiétante
dont
l'opacité dépasse
l'humain. "Comme un "rien" sans possibi li-
tés, mort aprês Ja Ibort eu sc\\Iei 1, comme un si lence éternel, sans
avenir, sans l'espérance même d'un avenir résonne intérieurement
le noir" (2) écrit Kandinsky.
Le noir appe r-e î t; ainsi comme le
1 ieu de toute négation, un trou sans fone incaDable de toute pos-
sibi 1 ité.
Il
n'est pas étonnant dès lors ou'il soit
le symbole
de la mort, du deui l, du néant éternel. Cette vision négative
n'épuise pas, à notre sens,la si?nificationr profonde de
la sym-
bol ioue du nOIr tel le qu'elle se dégage dans
l'expérience rel i.
gie~se des cultures négra-africaines. ri faudrait s'orienter dans
la direction qu'indique Jung Quand il soul igne que
le noir est
"le 1 ieu des germinations: c'est la couleur des origines, des
commencements, des
imprégnations, des occultat,hons, à leur phase
germinative, avant
l'explosion
lumineuse de la naissance". (3)
Une nouvel le valeur du Noir est
ici signifiée cel le de
la
latence,
de la pessibi 1 ité. Au commencement était
le chaos!
La Vie sur-
git des Ténêbres.
"Au début,
il
n'y a rien"d~~ mythe Kano (Guinée)
"Seu 1s dans l'obscur i té de l'Un i vers, vécurent Hâ,
1a mort, avec
sa femme et sa fi 1le ••• "(4) lequel Ha, en qui coexistent les deux
principes contraires de
la vie et de
la mort, apparaît dans
le
Cf. Dict. des symboles H à Pie
p.272
Kandinsky: Du spirituel dans l'art
Paris 1954
Denoël/Gonthier 1969
p.129
Jung Cf. Dict. des symboles Che à G.
p.l06
L. V. Thomas
: op. cit.
p.l07
~90
rôle du Démiurge parachevant la Création.
Expression des germinations, riche de toutes les virtual ités
de l'existence, et d'explosions de formes en pUissance,
le noir
symbolise l'initiation dans son sens le plus fondamental pour œ
que cel le-ci est
le mystère d'un monde en devenir. C'est ainsi que
le voyage des trois héros est-i
dans Kaydara
la traversée du mon-
de souterrain,
1 ieu du dieu de la connaissance. A cet égard le noir
représente ce qui
est ésotérique caché et mystér~euK ; parce que
symbole de la nuit, de l'épreuve et de la souffrance. C'est pour-
quoi
les circoncis peul, toucouleur, serer et diola doivent, du-
rant toute
la durée de l'initiation, vivre à l'écart du vi liage,
vivre dans la forêt en laquel le il faut voir le symbole de la ré-
intégration à
l'état foetal, de
la grande obscurité gestatrice ;
leurs chants sacrés n'ont 1 ieu que durant la nuit. De même,
les
rois du Cayor et du Walo devaient durant leur intbnisation se
retirer dans une case isolée. Pour les Bambara, "plus aue toute
autre créature, c'est la femme ••• qui est le plus intimement en
rapport avec "l'obscurité" et
la "Nuit", car el le est· la créa-
ture la plus mystérieuse et la plus insondable". (1)
Initiée par excellence,
la femme est un jtre terrestre: "el-
le est la terre c'est-à-dire la matière inerte qui
renferme la
vie dans son sein" (2). Liée à
la Nuit et à le Terre, tout en
el le, traduit les profondeurs insondables du mystère de la mater-
nité et de la transformation considérées comme des concepts "fer-
més" à cause de leur inaccessibi 1 ité pour l'esprit: son sexe, .
son utérus traduisant les aspects réceptifs et germinatifs de
la
glèbe, ses seins,
le pouvoir nourricier. De même que la femme,
il Y a un être fondamentalement en rapport avec la Nuit
le sor-
Cier, que les Bambara appel lent "Suba" (su: nuit, et ba : ~rand)
"grande nuit"(3) et dont les Wolof et les Toucouleur disent "qu'i 1
n'a pas d'ombre", car il est
l'être de la nuit, et de
l'obscurité.
Certains même considèrent son savoir "comme
le suprême delrélde
toute sagesse" (~)? Ainsi à travers l'initiation,
la symbol ique
du Noir acouiert une dimension nouvel le riche en possibi 1 ités.
lil D. Zahan op. cit.
p.147
Ibid.
P.147
Ibid.
p.146
Ibid.
p.146
191
Homère voit
l'Océan nOir et
l'appel le dans 1'111 iade : Père des
dieux et même Père de tout, parce qu'en
les eaux profondes, ca-
pital de vie latente, est
le grand réservoir de toutes choses,
comme l'est
1a nu i t, mère des dieux et des hommes. S i l e no i r-
èst le symbole de
la mort,
il
fawt que dans l'initiation, Que
cette mort el le-même ait un sens nouveau.
la mort dont
il slaqit est considérée, comme une sortie,
donnant accès ai 1 leurs. la mort est en rlépassement de
la candi-
t i on du profane.
la mort init iet i Que
condu i sant à une rena i ssance
est comparable à une ré~ression du néophyte à l'état foetal, et
pour parler comme les mytholo1èmes, à
la Nuit cosmique.
le Noir
est fondamentalement 1 ié à
l'archétype du maternel, riche en
potentialités,d'où sa relation avec la femme,
la terre,
les ~ran
des déesses de la Ferti 1 ité Qui sont souvent nOires en vertu de
lar or i 9 i ne chthon Lenne, te Iles 1sis, Déméter. Au moment de
l'un i on
des conjoints royaux, en Igypte, rapporte Conrad,
le prêtre de
Min renforçait l'action ma~iQue du rite ainsi
"Salut à toi,
...o ~in, Qui féconde ta mère! Combien mystérieux ce Que tu as
fait dans
l'obscurité" ! (1)
C'est aussi en rapport avec la Ferti lité que
les D010n font
du "noir" le symbole de
la pluie, parce que 1 ié à
l'arc-en-ciel,
Que
les peul appel lent "buveur de tornade" : Yarotobo. Avec la
symbol ique du noir est "signifiée, pour parler comme P. Diel,
la déroute de l'esprit humain, devant
le mystère de
l'existence •••
devant
la création.
le chaos que
l'esprit humain rencontre,
lors-
qu'i 1 cherche à expl iquer
l'origine du monde" (2) est exprimé
dans 1a dimension insondable du Noir.
Il est si~nificatif à cet
égard- de noter le rapport de certains masques diola, aui compo-
sent, par exemple,
ln fami Ile Koumpo, avec le symbol i sme clu
noir: c'est en secret, clnns
la brousse "au'Abdou Bodian cuei I-
I it de jol ies 1 ianes fines et nOires et en confectionna un mas-
que".
(3) La profonde réal ité que le masque est censé représen-
ter, trouve dans la symbol ique du noir la nrésence d'un monrle
impénétrable "qui dépasse
l'humain" en ce que
le porteur de mas-
J. R. Conrad: Culte du Taureau
p.97
P. Diel
le symbol isme dans
la mythologie grecque
p~110
J. Girard: op. cit.
p.70
192
que subjugé, s'abîme dans
le fond d'une réalité Qui n'est plus
la sienne propre.
La symbol ique du noir, prend toute sa signifi-
cation dans
l'expressi0n, pourrait-on dire, dronysiaaue de
la vie,
tel le ou'en
la parole de Walter Otto, el le se révèle, car en
la
profondeur insondable du nOir, ce nUI est
inscrit, c'est
la dua-
l ité m~me du masaue,c'est:
"La vérité du monde de Dionysos,
le phénom~ne orlql-
nel
de
la dual ité, du
lointain corporellement pré-
sent,
de
la commotionnante rencontre avec l'irrévo-
cable,
de
la fraternisation de
la vie et de
la mort.
Cette dualité a son symbole dans
le masque ••• Tou-
te
la splendeur de ce qui
a été englouti entre dans
une proximité subjugante, au moment même où pourtant
elle se perd dans l'infini.
le porteur de masque est
sais~par la hauteur et la dignité de ceux qUI ne
sont plus.
Il est lui-même, et pourtant il est un
autre." (1)
Que Dionysos soit le dieu de
l'extase, de
la fol ie, de
l'i-
vresse orgiaque, montre Gue
le côté nocturne de son être est 1 ié
à des situations-I imites préludes à des événements décisifs i
ainsI en est-i 1 dans une certaine mesure da Kankouran mandin~ue.
Cet aspect chthonien n'est plus uniquement pour parler le
lan-
gage de Kérényi
"1 'équi 1ibre flottant entre les deux directions
d'un même état
labi le -- le flottement entre être et non être
mais le ren~ersement certain vers le haut de la direction qui
point~ vers le bas: le déploiement en ce qu'; 1 y a de plus haut
le summum de force sortant du summUm de faiblesse".
(2)
11 convient donc de répéter avec force,
non ras comme
Kandinsky que
le nOir est "un rien sans possibi 1 it6s", mais plu-
t5t un
insondable abime en lestations tel le
la toi le (de fond)
du peintre promise à
l'irruption des formes.
Dans
l'expérience
rel i1ieuse,
l'inquiétude devant
le noir, bien que vécue comme
abîme dépassant
l'humain, quand el le est solennel 1 le, s'abîme
w. Otto
op. cit.
p.218/219
Kérényi
op. cit.
p.l03
193
dans
la grande profondeur du Sacré. Oans une tel le profondeur,
la symbolique du noir avoisine et
's'apparente plus à un fond
en instance qu'à une fin complèteet'.m'ênr,. s'il est vrai au'il
y a "un si lence éternel du noir",
sa dimension rel igieuse avoi-
sine
l'expression
la plus primitive de
l'obscurité:
le subi ime
-
tel qu'i 1 est vécu comme terreur sacrée. "A l'obscurité; écrit
Rudo 1f Otto, correspond clans
1e
1angage des sons,
1e
sil ence" (1)
"Haute majesté qui demeure subi ime,
dans un éterne 1 s (1 ence, dans un obscur sanctua i re"(}~)
Oans
l'obscurité comme dans
le si lence est exclue toute concré-
tisation pour ce que nous sommes dans
le 1 ieu sacré des graui 1-
lements d'ombres
imperceptibles et de présences impalpables ;
c'esL ainsi
qu'en
la Nuit
le poète retrouvant
la sérénité pro-
fon~~ de l'obbcurité et du si lence peut écrire ~
"Nuits chères ~~;ts amiœet Nuits d'enfance, parmI
les tanns parm~
les bois
Nuits palpitantes de présences, et de paupières~ SI
peuplées d'ai les et de souffles
De si lence vivant, dites combien de fois vous al-Je
lamentées au mitan de mon âge 7
Le poàme se fâne au solei 1 de mi~i1 il se nourrit.
de
1a rosée du so i r ••• " (2)
Cette sublimation de
la Nuit
le poète l'emprunte ~ fa profondeur
mystér i euse du "no i r",
1 i eu d' éme r-qe n ce s , Dans
1a perspect i ve
. J
d'~ne sexual isation des couleurs, nous n'hésiterions pas à con-
clure~~masculinité du blanc rayonnant de toute sa splendeur so-
laire et à
féminité du noir en relation avec l'obscur travai 1
des gestat i ons, de
1a matern i té,
ce qu i
1e
1 i e à
l'astre 1una i re
dont
l'incessant cycle périodique est censé ~ense-t-on comMan-
der
lamenstruetion des femmes comme la fécondité de
la terre,
terre que GU reste pour des raisons obscures qui tiendraient de
la maqie sympathique,
les femmes enceintes chez les Wolof et
les
Toucouleur,
n'hésitent pas à "manger" ; ceci aurait
la vertu de
(1)
Rudolf Otto:
Le sacré
p.I07
(2)
Senghor : Nocturne
Co 1 l ,
Po i rrt s
Edit. du Seui 1 1973
p.200
190-
les rendre fécondes et parce que pense-t-on "manger de
la terre"
est un retour à
l'archétype du maternel. Dans
le récit peul de
Kaydara,
l'initiateur de m~me "pétrit de 'a vase noire, avala
une douzaine de boulettes ••• Son ventre alors devient proémir.ent
comme abscès mOr".
(1) Dans la symbol ique Dogon "la rarole de
nuit" et du mariage, figurée sur la maison des femmes menstruées,
est représentée par un couple nu dont on exhibe les organes sexu-
els, articulations en évidence.
Les rapports conjugaux étant im-
possibles durant
les mer.,:·"':;, il existe une parole de remplace-
ment qui maintient
le 1 ien affectif et verbal durant
la réclusion
de l'épouse: chaque soir,
le mari
vient bavarder avec el le en
dehors de l'édifice." (2) Ceci est à mettre en rapport comme nous
eHt>ï.c'· 1 e' ·mont~r·eri' avec la parole si fencieuse et informulée
d'Amma, parole qui est le 1 ieu même de la poésie. Le poète est
ce 1u i qu i se nour-r- i t
de cette para 1e de nu i t
pour pouvo 1 r exposer
en p l e i ne 1um i ère
1e fond J11~me. Dans cette re 1at i on du Ho i r r
de
la Terre et de la Fécondité réside
l'essentiel 0.e ce qui
contitue
la signification de la symbol ique du noir dont nous avons dit
qu'i 1 était ~ne des couleurs fondamentales de la spiritualité du
monde néqro-africain,
la plus profondément charjée de résonances
rel igieuses parce que participan~tau mystère m~me de la Vie la-
quelle est au~rement symbolisée p'une manière beaucoup plus POSI-
tive par "Ie rouge".
Avec le rouge
l'une des trois couleurs fondamentales du mon-
de no 1 r,
1a di mens ion re 1i 9 i euse toute ent i ère' est en pr i se dans
une dimension vitale qui commande tout le système du monde négro-
africain~L'univers rel igieux à
la fois prend assise, fondamenta-
lement, 'et débouche sur une célébration de
la Vie sacral isée par
diverses attitudes dont
la plus profonde expression demeure le
sacrifice,
la mise à mort symbol ique.
La fonction essentiel le ou
culte est, par le canal de
la victime et de l'autel où réside le
génie ou le dieu,
de déclencher un processus dynamique de parti-
cipation de l'homme à
la vie universel le tout en renforçant
la
pUissance vitale des participants. Toute l'ontologie négro-afri-
Hampaté B~ : Kaydara
p .117
G. C"- Griaule: op. c i t ,
p.24·2-2;1,3
195
caine repose sur une conception vitaliste de l'être qui coordon-
ne tout le système relationnel. l'~tre dans la vision religieuse,
cimme c'est le cas ici, se définit avant tout comme l'être su-
prême, expression numineuse de la force vitale,
laquel le anime
tout ce qui est) des ancêtres morts à
la pierre. C'est seulement
cette force, principe dynamique qui permet de les hiérarchiser.
la vie est au-dessus detOut ~m tout. Le renforcement du princi-
pe vital que traduit la recherche de la rencontre avec la divi-
nité, voi là ce qui décide du sens des manifestations sacrées et
de la motivation de la symbol iQue négro-africaine. C'est dans une
telle perspective que prend son sens toute la signification sym-
bolique du "Rouge".
Parce que 1 iée au principe m~me de la Vie,
la couleur rou-
ge représente à cet é1ard la première des couleurs sacrées. C'est
pourquoi à
la symbolique générale du rouge participent,
le sacri-
fice et le~sapg considéré~ comme si~ge de l'ame,
le canal des
transmissions des forces vitales. le rouge est la couleur du
sang, symbole de la vie, et principe actif de l'être.
Innombra-
bles sont les légendes et les contes Qui font du san3 la source
même de la vie; ainsi dans un conte Wolof relaté par Sirago Diop,
c'est du sang recuei Iii dans une marmite que la m~re du héros fit
jai Il ir la vie des quatre chiens égorgés.(1) De m~me tous les
rituels de mise à mort axés sur la triple opération qu'exprime
le jeu symbolique: séparation, transformation ••• réintégration,
valorisent la signification du sang comme, principe dynamique.
Dans la symbolique du rouge est signifié tout ce qui est adja-
cent à la vie et à
la procréation. C'est pourquoi
il est normal
d'exa~~ner ce symbole à la suite des grands th~mes liés à la
fécondité, et à
la puissance phallique, source et canal de la
semence Qéné~a*~ice,à l'image de l'énergie cosmique et c'est
pourquoi
il n'est pas étonnant que dans la plus grande partie
de l'Afrique-noire,
le rouge soit la couleur du Roi, de la puis-
sance r.oyale.
Chez les Wolof durant l'intronisation du Damel et du Brak,
(1)
Cf. B. Diop
les contes d'Amadou
Coumba Fasquel le Paris 1947
p.143-151
196
l'attribut royal est symbolisé par un turban rouge que ~'on met
sur la t~te du roi.; de même rapporte Viviana Paques, "Ie cada-
vre du Maître du feu, dans le culte Bambara du Djo, était cousu
dans une peau de taureau rouge de sept ans". (1)
Dans 1a symbo 1 i Que de cette cou 1eur-, ressort un des mot i fs
les plus constants de la mythologie:
l'articulation de
la royau-
té, de la puissance, de l'énergie sexuelleEt;de la mort, unies
ICI
en l'image archétypale du Taureau.
Le roi comme le taureau
est considéré le 1rand fécondateur dont
la puissance sexuelle
est à la mesure de son pouvoir qui fait de lui
le maître de la
vie et de la mort: c'est pourquoi
il est intimement 1ié au cui-
te des semences et au pouvoir producteur de la terre. Dans les
rites d'intronisation du Dame 1 du Cayor et du 6rak du Walo,
les
fidèles leur p~ésentent comme attributs, dans un vase, toutes
les variétés de graines cultivées dans ces deux ré3ions.
les
images du roi et du taureau reposent essentiellement sur le mê-
me motif archétypal
: celui de la viri lité fécondatrice. Dans
. >
les croyances égyptiennes, rapporte Conrad dans le "culte du
Taureau", "Ià où il y avait naissance ou renaissance il y ava~t
conceptfon. Et le fécondateur par excellence,
le proptotype de
la fertilité viri le ne pouvait être que
le Taureau ••• le roi
était lui-aussi engendré par un taureau et lui-même taureau,
possédait le pouvoir de se reproduire indéfiniment". (2) Appa-
renté au roi et au taureau,
le rouge apparaît comme la
couleur
du désir, de la viri 1 ité féconde, et des puissances élémentaires
du san~. Analysant le conte du Petit Chaperon Rou~e, E. Fromm
écrit ~ "Ie petit chaperon de velours rouge est le symbole de
1a mens'truat ion ;
1a pet i te fille dont on nous conte 1es aventu-
res, d~venue une femme, doit maintenant faire face aux problèmes
du sexe ••• aux dangers de la tentation sexuel le". (3) la signi-
fication sexuel le et érotique du rouge apparaît dans sa relation
avec la femme et le feu, symbole du désir et de l'acte sexuel.
Un proverbe toucouleur d i t : "Debbo ka Déingol ; sa nokkat dum,
,
mv. P~ques : les bouffons sacrés du cercle de Bougouni p.82
.J. R. eonrad : op. ci t •
p. 96
E. Fromm:
le
langage oublié
p.191-192
197
nokku hen sêda" : "la femme est feu si tu dois en prendre, prends
en un peu". le rouge est essentiellement une couleur pulsionnel-
le. A la symbol ique du rouge est afférente une dimension sexuel-
le, sinon érotique; Que l'on se rappelle le mot de Baudelaire
à
l'amante: "n'oubl ie pas de mettre ton "fichu" rouge". Dans
une perspective religieuse la dimension érotique s'inscrit et
est toute entière orientée dans la dimension de la fécondité,
de la reproduction
laquel le est essentiellement liée à la mort,
à
la ~ise à mort rituel le qui sanctifiant le sang en fait un
élément fondamental. Cette relation du sacrifice et de l'érotis-
me, par cons~quent de la mort, du sang et de la reproduction en
tant que déterminant la sphère rituelle, s'inscrit dans la for-
me de ce que G. Batai Ile appel le "l'érotisme sacré", dont "le
sens dernier est la mort", mais de tel le sorte que quand la victi-
me sacrificielle meurt "les assistants participent d'un élément
que révèle sa mort. Cet élément est ce qu'i 1 est possible de
nommer avec les historiens des religions,
le Sacré".(l) D'an-
ciennescoutumes en cours au Sénégal
lient le rouge avec le sang
de la défloration. la cérémonie Que les Wolof appel lent "Lab~ne"
probablement du toucouleur lab : pur; purifier -- attesté
chez les peul comme chez les toucouleur, consiste à aller le
matin de bonne heure chercher dans la chambre nuptiale le pagne
blanc maculé du sang de la défloration et de l'exhiber aux par-
ticipants sous l'accompagnement de chants et de danses procla-
mant la virginité de l'épouse et la viri 1 ité de l'époux. La mê-
me cérémonie, rapportée par Frobenius, a 1 ieu chez les Yorouba.
la virg~nité apparaît comme la condition du don de la vie;
la
femme vierge est cel le qui est pr~te à recevoir la semence, c'est
ce qui signifie l'adjonction des deux couleurs "pagne blanc"
(pureté,
lieu de possibi lités en instances) et "sang rouge"
(concrétisation des possibi 1 ités, symbole de vie).
Dans la vision du monde peul, à
la symbolique du rouge est
essentiellement lié le feu;
ce qUI permet d'expl iquer peut-être
les rapports particuliers 1 iant les Peul aux forgerons,
les MaÎ-
G. Batai 1le : l'érotisme
p.92
Union Générale d'Editions
Coll.10/18
n0221
1957 Ed.de Minuit
198
tres du feu et de la foudre. Pour les forgerons les Peul qu'i Is
nomment
indifféremment "le feu", "le Rouge" -- "or rouge, cuivre
rouge, Peul rouge"
sont les symboles du feu. Dans "Moeurs et
histoire des Peul" de Louis Tauxier, on peut 1 ire que suivant
Crozals, Peul signifierait "brun-clair, rouge". La parenté, par
le feu,
liant les Peul aux forgerons,
leur impose de nombreux
interdits:
les Peul ne devaient jamais vendre leur lait aux for-
gerons, ni se marier avec eux, et les forgerons devaient travai l-
Ier pour eux sans aucune contrepartie. La question du postulant
"comment le fi Is atné du forgeron devient pasteur et comment le
pasteur redevient forgeron" (1), de quelque manière qu'on l'ap-
préhende a une relation certaine avec le feu, donc avec la sym-
bolique générale du rouge.
Il est tout aussi significatif que
l'interdit du Serpent mythique Tyanaba soit "une femme dont le
corps serait jaune et ocre,
les yeux rouges ••• " (2) Dans cet in-
terdit se révèle la symbolique générale du monde peul qui
1ie le
"feu", "l'or", et
les "bovidés" dont Tyanaba est le représentant.
A la parenté essentiel le de l'or et du feu, que symbol isent à la
fois
les Peul et les Forgerons, répond la parenté du "jaune" et
du "rouge". Les peul eux-mêmes sont sméralement vêtus de blanc
ou d'habits teints en jaune (rouge-ocre).
Pour le monde peul
le üaune constitue l'une des quatre cou-
leurs fondamentales. Mis en rapport avec l'or et avec le feu,
le
jaune est associé ê
la première des quatre grandes fami 1 les peul.
Sa dimension essentiellement solaire en fait chez les Peul
la
couleur de "l'Est bri lIant de lumière". Dans le récit initiatique
de Kaydara le rayon
du "Soleil quatrième" qui est Jaune,
luit
dans la neu~ième "clairière" dont l'animal gardien est une tortue
de terre: "kuru kara". Associé à
la tortue,
le jaune se révàle
dans le deuxième aspect symbolique de sa signification, son as-
pect terrestre? Animal de la terre, de l'humide,
la tortue est
connue pour sa longévité; c'est pourquoi nombre de mythologèmes
font remonter sa naissance aux origines même des temps.
"Kuru kara, renfermée dans une carapace osseuse, édentée,
Hampaté B~
Kaydara
p.163
Hampaté BS
Koumen
p.27
199
allant lentement ••• quand pourras-tu sucer les tétines de la
Brebis sacrée" ? (1) l'interrogation de Koumen met la tortue en
rapport avec la BrebJs sacrée, symbole de l'éternelle Jeunesse
et de la spiritual ité sublimée. A travers cet aspect terrestre,
symbole de la tortue,
la symbol ique du jaune renvoie à l'éterni-
té, à
la jeunesse dans sa forme
la plus pure, toujours égale à
el le-même. Cette ambivalence qui fait du jaune à
la fois,
la cou-
leur du monde solaire et cel le du monde terrestre, est cel le de
l'or lui-même tel le qu'apparaît sa signification dans le récit
de Kaydara par exemple. Dans cette articulation de l'or, de la
tortue, et de la Brebis sacrée,
la symbol ique du jaune est liée
au renouveau, au bonheur terrestre qUI est lui-même le principe
symbol ique de la richesse spirituelle, mais sa signification
recouvre surtout, l'idée d'une jeunesse perpétuel le.
Dans le récit de Koumen,
le postulant parle de teindre "les
yeux de l'ennemi et qu'ils jaunissent tel du doko écrasé ••• "(2)
le doko substance jaune, est obtenu en
écrasant le fruit du doki
(Combretum ghasalense Engl. et Oiel).(3) les peul Gisent du doki
et d'un autre végétal
le"ngeI8ki"(Guiera senegalensis) qu'i 1 est
susceptible de lutter contre la mort et parfois même de triom-
pher d'el le. "Une légende peul relate la révélation aux hommes
de ce pouvoir: un tout petit enfant peul fut momentanément dé-
posé sous un arbre par sa mère qui
le croyait malade et qui cher-
chait aux alentours des plantes pour le soigner, accompagnée d'u-
ne viei Ile femme.
l'enfant resté seul, parla en disant "Voici
les rem~des contre la mort,
le doki et le ngeloki". Avant qu'i 1
ait fi~i
la femme agée l'entendit et l'interrompit ••• et le bébé
s'est tu. On n'a ainsi connu que les deux premières plantes, él ixir
de vie et la
liste est incomplète". (4) Il est intéressant aussi
de soul igner que l'insigne fondamental du Peul est incontestable-
ment lè bâton pastoral
: ~on Jure sur son bâton, comme sur le
lait et la vache. C'est avec les bâtons du netbi et du ket 1 i, que
le héros mythique 1110 fit surqir les vingt deux premiers Bovidés
Hampaté B~ : Koumen
p.S9
Ibid.
p.97
Ibid.
p.1S
Ibid.
p.46
200
en "tapant" sur Tyanaba. le bâton du Kel li, en rapport avec le
lait,
les activités féminines et les autels, est fait avec les
branches de l'arbre du même nom et porte de qpetites fleurs jau-
nes et dont les feui 1 les sont uti 1isées pour panser les blessu-
res". (1)
Ainsi
il ressort à travers l'expérience rel iqieuse de la
couleur que notre communication avec la réal ité est vécue sans
rupture; cette réal ité n'est pas un objet ex-posé devant nous
pas plus que n'est un objet,
le Sacré par lequel a 1 ieu notre
rencontre avec le divin. la couleur est ce 1ieu où
la réal ité
est parlante d'el le-même pour ce qu'en el le se reflète la présen-
ce du divin. Si
la signification fondamentale de la couleur se
réalise dans l'articulation d'une co-existence au sein de laquel-
le l'homme et le divin,
le monde
subjectif et le monde objectif
s'épuisent dans 'l'unité originel le qUI
les lie, c'est parce nue
la couleur a lieu hors de soi. "la couleur est le 1 ieu où notre
cerveau et l'univers se rencontrent, c'est pourquoi el le appa-
raît toute dramatique" écrit, citant, Gasquet, Maldiney oui pour-
suit, el le est dramatique parce qu'el le est rencontre, comme
l'est le phénomène. Tout phénomènerqu'i 1 soit,cosmiaue ou pic-
tural, est un événement ••• "(2). la couleur dans la symbolique
rel;qieuse, n'a d'autre fieu Que l'ouvert d'un monde par lenuel
nous communiquons dans "Ie~a~§ distance" avec la plénitude de
la réalité du Sacré. le sens profond motivant la symbol ique des
couleurs est d'ex-poser, en leur irruption conjointe cette plé-
nitude du Sacré et
la présence humaine tel le qu'el le s'exprime
dans la. parole de Koumen : "l'Est bri 1 le de
lumière
l'Ouest
se tor~ dans le sang,
le Sud est voi lé par la forêt noire et
le Nord se peuple de terres, de beaux pâturages et d'hommes blancs".
l'espace est ainsi
restitué à sa réalité qui est ici, dans la
plénitude de la couleur,parlante. la couleur a
la nécessité in-
térieure d'un monde. Quand en el le est en fonctionnement,
la
dynamique du Sacré, comme dans
la parole de Koumen,
l'espace re-
vêt la dimension d'un monde comme le monde lui-même co-naît à
H. labouré: Cf. Dict. Langue des Peul
P.S?
H. Maldiney : op. cita
p.248
201
la présence humaine dans
l'expérience rel i~ieuse. C'est dire
qu'en
la dynamique de la couleur qu'informe
la profondeur et
la
plénitude du Sacré est en prise l'articulation d'une rencontre
et d'une présence. Dans une perspective symbol ique où
l'être au
monde est signifié fondamentalement dans
l'être avec
le monde
pour ce que chaque chose tient èa réal ité de
l'ordre même de
la
communication,
la couleur n'est 1 ieu de rencontre que parce qu!en
el le, est en fonctionnement une réalité qui est cel le éu Sacré
dans
l'ouverture duquel el le ne se réal ise pleinement qu'à s'ex-
poser comme présence. Et si
la couleur est hors de soi, c'est
parce qu'el le est essentiellement rencontre. Dans
la réal ité in-
térieure de
la couleur l'apparaître du divin est un avec
l'irrup-
tion de l'homme à
la sacral ité. "Quand la eouleur est à sa ri-
chesse, écrit Maldiney,
la forme est à sa plénitude ••• parce Que
l'espace est à sa réal ité". (1)
la motivation fonda~entale QUI
informe
la symbol ique des
couleurs tel le au'el le ressort dans
la vision rel i~ieuse des
éthnies considér~ est de tenir l'être de la présence des choses,
du monde, des dieux et de
l'homme dans
la même proximité.
La
couleur,
1 ieu du Sacré, par
le mode de com-munication qu'el le
articule est vécue et ressentie comme ouverture au monde selon
la dimension pathique de
l'expérience de tel le sorte que
l'être
à ••• qu'exprime notre prise sur
le monde s'outrepasse ici dans
une forme plus originaire de rencontre comme être-avec.
La mo-
tivation fondamentale d'une tel le vision rel igieuse dont
la cou-
leur exprime l'un des moments les plus certains s'énonce donc
essent i,'e 11ement da ns une di mens i on symbo 1 i que or i ') i na i re QU i se
décide.~ans la Rencontre. La symbol ique des couleurs se déborde
et s~(J-ède dans une s ymbo 1 i que de 1a rencontre,
1à est
1e fon2
originaire d'où
la réal ité qu'el le ex-prime tient son sens d'ê-
tre..
(1)
H. Maldiney
op. ci t ,
p.247
202
Il
1 PAROLE POESIE MYTHE: EXPRESSION DU FOND
1:
l'appel adressé aux dieux et
la présence des dieux consti-
1
,\\
tuant l'être même du rite et du culte, fondent
la motivation
Il
centrale à partir de laquel le, dans une proximité irrécusable
les hommes et les dieux se montrent. Cette manifestation des
dieux et des hommes ouverts dans
le même "recuei I~ lequel est
absolu de toutes autres possibi 1 ités que cel les Qui
fondent
leur
essentiel le rencontre d'où s'investit leur être propre, se Joue
et se détermine à partir d'un fond originel en oeuvre d~ns la
Poésie, dans
l'élaboration rituel le, cultuel le et mythioue que
nous situons chez
les Négro-africains.
Qu'est-ce qui
canstitue ce fond? Autrement dit qu'en est-i 1
de la spécificité de ce fond qui est ici en oeuvre? la question
interroge non seulement en direction de ce qui a sens en tant
que mode d'être-au-monde, mais s'inquiert aussi d'un rapport
infiniment plus originaire Qui met en jeu la sphère de l'exis-
tence et la sphère de l'être.
~ ,
les mythes,
les rites et les cultes apparaissent comme l'ex-
position d'un fond dont
la motivation en s'exerçant non seule-
ment les informe en les modulant dans une structure signifiante,
mais les produit; au double sens d'une monstration et d'un lais-
ser-être, à
la lumière ququel ce qui est manifesté s'éclaire
de sa propre lumière dans le sens qu'indique Maldiney Quand il
écrit: "S'i 1 produit ce quiest en l'amenant au Jour,
l'art crée
aussI
le jour à
la
lumière duquel
il
le produit.
Il est une mise
en vue en tant que mise en oeuvre et l'oeuvre existe" (1) si
bien,
il. serait "vain
de vouloir éclairer le sens de ce qu'est
.
produire Que de l'interpréter comme une simple mise en montre".
C'est à se frayer sa voie en raison de cette existence Que la
parole du poète se fait poème, Que le discours "rel i~ieux" se
fait mythe,
les expressions gestuel les rites en 'ce que -les hom-
mes ••• (y) o"t~de9 r@qards qUI les débordent" (2) comme dit Césaire.
Ces productions parce que formes d'une manière d'être spécifique
Maldiney : Regard Parole Espace
p.211
A. Césaire: Cadastre
Editions du Seui 1 1961
p.61
l
203
sont en elles-m~mes dévoi lantes pour ce qu'el les sont l'ex-pres-
"
"
sion du fond.C'est cette manière de pro-duire d'où est mis au
Jour
l'apparaître du fond que vise
la parole" du poète qui
veut
manifester par
là
l'essence même de
la poésie
"nommer une
1 itur~ie sauvage
pour nos chairs -- notre mort
dans
le poème juste et sans
limites
franchir
les frayeurs d'en face."
(1)
les paroles du poète -- et
lui
avec el les -- se révèlent dans
le
poème à
la
lumière duquel
eltes ~nt ·6eur avènement. Ce qui est
ainSI
produit, au double sens
indiqué,
ce n'est pas seulement
ici
le poème -- l'oeuvre -- mais aussi,
dans
Ja mise au Jour du poè-
m~, la mise au jour du poète lui-m~me Jequet est ex-posé en Don
fond propre dans
liavènement du poème.
Le poète parle dans
la paro-
le du poème et est mis en situation dans ses paroles,
même SI
à
~ravers el lesi 1 se déborde, s'outrepasse dans les événements
qu'il
raconte comme
le fait
le poète Edouard Maunick à travers
cette situation à structure onirique à
la fois décrite et écrite
"J'ai
rêvé que j'investissais
une ville que Je
he èonna$s§~is pas, mais que j'aurais
le
devoir de reconnaître plus tard •••
Il m1était facile d'apprendre à
iden-
tifier cette vi 1 le,
à cause des horlogest
dont
tous
les cadrans étaient brûlés.
Je savais que c'était moi
qui
parcourais ce
lieu étrange, mais en m~me temps,
je res-
tais perplexe à
la vue de mon visage reflété
dans mes mains.
Il
n'était pas
le mien:
ce-
lui
de maintenant.
Je
le répète,
c'était pour-
tant bien moi.
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
Je me SOUViens,
en ce temps-là,
je parlais déjà
de
la mer.
l'exi 1 avait déjà convaincu
l'espritn
(1)
Eqouard Maunick
MASCARET ou fe 1ivre de la mer et de
la mort
Présence Africaine 1966
p.S7
(Poèmes)
204
Mais dans mon rêve,
l'exi 1 conduisait et
l'esprit et
le corps.
J'étais occupé à tuer toutes les interrogations,
à voir comme derrière la mort. Rien
n'était allégorie. les choses continuaient
dans leur matière fami lière,
les bêtes aussi,
et suc tout NEIGE•••
el le gardait
le même visage inexact d'avant
A
mon reve •••
El le 1 isait les poèmes de l'Originel,
m'assurait Que je les avais écrits un
jour de terrible cyclone,
là-bas, sur mon
Iienatale •••
Je les rel isais pour croire. Et Je croyais •••
sonc-ce ces pd~mes quë Je ~eproduis ici. Je
ne sais •••
Mais une chose m'est restée, claire,
intel-
1 i o i b l e
: un cri •••
Mais il faut Que Je l'avoue
ce cri, Je le connaissais
d'avant mon rêve •..
un cri pour franchir
les frayeurs d'en face •••
un crI
pour crier pour annoncer
l'§qe."(l)
Sans procéder à une analyse en profondeur du poème, ce qUI
nous
ferait déborder le cadre de notre propos,
il est permis de sou-
ligner ICI
l'ambigutté qUI est au centre d'une situation qui
ne
se déciqe pas entre ce qui est rêvé et ce qui est créé, entre ce
qUI est-i 1 lusoire et ce Qui
est réel;
le monde investi, habité
par le puète lui
semble "étranger" et il est dans ce monde comme
étranger à soi
"Ie poète est le seul étranger de
la terre"2 ~it
Maunick; or dans ce monde où
il se prend pour un autre,
l'alté-
rité du "je" du poète est suspendue immédiatement,sitôt qu'el le
est,énoncée.
le dépassement de l'altérité, du moi
qui se surprend
ici étranger à soi
comme mis en face d'un autre moi
qui
n'est pas
Edouard J. Maunick :op. cita
PP.33-34-35·<i6
Ibid.
p.75
205
r le Sien, se pro~d.it dans l'habiter qu'instaure le Poème, c'est
à-dire dans la façon même qu'a le poète d'être chez soi, à s'i-
dentifier. La fami 1 iarité tant par rapport à soi que par rapport
au monde -- qui, de "lieu étrange" se fait Séjour
s'accompli~
dans la production même du poème dont
la façon de se tenir,d'ha-
biter s'annonce dans le Cri
"un cri pour franchir
les frayeurs d'en face
réduire
l'errance cent fois déguisée •••
un cri
pour crier pour annoncer
l'âge.
Sans peine ce cri que nous avons voulu
sorti des choses-pas'oj~nes sans vanit~
••• nous venait de chaque risque
la vi 1 le par lui brOlait tous ses cadrans. (1)
Le roème, un
immense cri, est le mode d'êt~e du po~te.
Le
poème est la production par excellence du poète. "Le terme de
production, écrit Lévinas indique et l'effectuation de l'être,.o.
et sa mise en lumière ou son exposition.
L'ambiguïté de ce verbe
(produire) traduit
l'ambiguïté essentiel le de l'opération par
laquel le, à la fois s'évertue l'être d'une entité et par
laquel-
le il se révèle".
(2) Ce qui nous amène à dire que la mise en
lumière du fond propre du poète ne peut être séparée de la pro-
duction du poème car c'est en el le que se fait cette révélation
qui trouve son express~on la plus juste dans ces paroles du poè-
te :
"Dans le poème juste et sans limites
franchir
les frayeurs d'~n face"(3)
faisant "qu'un homme
"s'invente plus fort que lui-même ••• " (1)
le dépassement de ses propres 1 imites apparaît au poèt~ contem-
porain à l'avènement du poème.
Le débordement du poète, de
l'hom-
me saisi en son fond propre, n'est pas donné d'abord pour se
révéler ensuite incidemment dans le poème, comme de surcroît,
(1)
E. Maunick : op. cit.
p.36
(2)
Emmanuel
Lévinas
Total ité et
Infini
Essai sur l'extériorité 4ème édition
Ed. Martinus Njjhoff La Haye 1974 p.X!V
E. Maunick
op. cit.
p.57
Ibid.
p.81
206
"II
1
mais est en oeuvre et ne se sépare pas de la venue à
la
lumière
du poème lui-mIme.
L'apparaftre du fond se produit dans l'appa-
raftre mIme du poème. Ce que l'ambiguTté de ce verbe "produire"
met en jeu c'est en somme la mise en lumière réciproque de l'ar-
ticulation du find et de la forme, d'une manière d'~tre et de
sa révélation. En toute production -- et le poème que nous venons
de voir le montre--est en oeuvre un dépassement, un débordement.
C'est dans ce sens, -- à travers "la production de l'entité in-
finie" et de "l'idée de l'infini" -- qwe Lévinas s'oriente quand,
pour écf a i ... ér~:"" amb i gu Tté de ce terme de produ i re,
i 1 écr i t
:
"l'idée de l'infini n'est pas une notion qui se forge
inci-
demment,une subjectivité pour refléter une entité ne rencontrant
hors d'el le rien qui
la limite, débordant toute 1 imite et, par
là infinie. La production de
l'entité infinie ne peut Itre sépa-
rée de l'idée de l'infini, car c'est précisément dans la dispro-
portion entre l'idée de l'infini et l'infini dont el le est
l'idée
que se produit
ce dépassement des limites. L'idée de
l'infi-
ni est'temode'd'Itre ......i 'l'infinition de l'infini. l'infini n'est
pas d'abord pour se révéler ensuite. Son infinition se produit
comme révélation, comme une mise en moi de son idée. El le se pro-
duit dans le fait
invraisemblable où un Itre séparé fixé dans
son identité,
le MIme,
le Moi contient cependant en SOI -- ce
qu'i 1 ne peut ni contenir, ni
recevoir par la seule vertu de son
identité. La subjectivité réal ise ces exigences impos~ibles :
le
fait étonnant de contenir plus qu'i 1 n'est possible de conten~r:(l)
L'apparattre du poème met au Jour une coTncidence de l'ex-
primé et ~e celui qui exprime;
le dépassement de ses propres li-
mites qu~, fait dire au poète que "l'homme peut s'inventer plus
fort que 'lui-mIme" dans le poème, par le poème, n'est conceva-
ble que pàrce qu'en la manifestation de celui-ci, ce qui est aussi
annoncé, ex-posé, c'est la venue à
la lumière du poète
lui-mIme
ce dépassement se produit précisément comme ce qui, à
la fois,
annonce le poète et comme ce qui est expr.imé, manifesté dans la
r
moise au jour du poème, c'est dire que ce qui est ainsi pro-duit
(1)
E. Lévine s
op.é i t .•
p.XIV-XV
207
c'est
l'ex-position du fond tel
ou'i 1 se pro-pose.
Le fond ne se manifeste et ne transparalt qu'à s'articuler
dans sa volonté de fonder,
c'est-à-dire à ~tre-h~rs-de-soi dans
des productions~ ce qu'est ex-ister, en ce que l'oriqinel surgir
du fond s'ex-posant dans
les productions qui
en sont
issuesrse
détermine -- détermine -- dans une manière d'~tre spécifique et
originaire au monde.
ç'est ainsi
que dans
les oeuvres mythiques;
rituelles,
cultuelles ce qui
est en oeuvre,
ce qui
s'ex-prime,
comme un surgir originaire, c'est un rapport fondamental
de
l'ex_
istence et du fond,
rapport structurant toutes
les rencontres
de
1/ homme avec
1es choses,
1es ~tres et so i;, Rapport de
l' ex-
istence et du fond se produisant pour
le poète comme Séjour dans
un monde habité,
monde dans
lequel
il
s'outrepasse en tant aU'~
tre-avec ••• ,
Le'mondeou'il
investit;
fOt-il
étranqer,
il
y est
chez soi dans
le"mesure où
le poète est
l'Accuei liant par excel-
lence,
celui
par Qui
tout se produit,
une fois
investi,
dans
la
familiarrté d'un monde en tant ou'i 1 y a son séjour;
tel le est
la manière de
l'existant.
L' ~tre-au-monr:fe dont 1e fond informe ici
1es mythes est ce-
lui
de
l'~tre-au-mo~de négro-africain. L'existant né0,ro-africain
se dévoi le pour autant qu~i 1 est
le surgissement de ce fond qui
s'exprime dans
les productions,
dans
le comment de sa présence
avec
les choses,
les
t
ê
r-e s et soi,
dans sa manière d'articuler
le fond à travers ses rencontres.
Ce fond dans
l'expression duquel
se manifeste
le mythe
comme
la poésie,repose,
s'articule plut5t, dans
le non~thémati
que d'où ceux-ci
- - mythe et poésie -- parlent parce du'en pri-
t
se sur .Ia réal ité originaire de
la
langue qui
est aussi
celle
\\
du monde.
Leur parole est cel le de
l'expérience oriqinaire et
authenti.que ;
parole dans
laquelle est manifesté
le fond~ Le
mythe comme
la poésie est en oeuvre dans
le non-thématiaue au'j Is
doivent tous
les deux dire;
la marne source
leur est commune.
Le mythe et
la poésie avant de renvoyer à des signes,
à des
ima-
ges,
à des figurations objectivées comme contitutives ce
leur
208
1
sens thématique, se dévoi lent,
s'ex-priment dans
la parole par-
1
lante, cel le-là seule qui est constituante parce qu'en deçà de
tout signeJsous-jacent à tout signe
le non-thématique sur le-
Quel s'articule, et qui
Je déborde,
le champ s éme rrt i oue ,
Le my-
the et
la poésie dans
l'inintentionnal ité de cette soucce Commu-
ne d'où ils reposent et sont en oeuvre, parlent à partir de
la
même parole essentiel le.; Inventeurs tous
les deux de
leur propre
langage, tous deux manifestent
la même indépendance Qui
est cel le
du fond,
visàvis de
la
langue de communication, vis à vis du
monde parlé des hommes. Cette manifestation du fond comme ex-pres-
sion originaire du~ mythe~et de la poésie est l'irruption même
du non-thématique Qu'aucune représentation ne saorait. ni_~puisef
ni
dél imitér en si~nifications fixes parce Qu'i 1 est toujours en
dépassement, parce ou'i 1 est toujours en-deçà de tout thème~ com-
me de tout si~ne•.
le récit mythiaue,
le poème,
le masque s'éclairent à partir
d'un tel mode d'ex-pression.
Le récit,
les mots de
la poésie et
le masque ne sont pas d'abord articulés comme si~nifiants -- la
visée d'une intention qui ait sens en tant que fonction -- mais
la signification el Je-même est immanente à
l'ex-pression sans
Que cel le-ci soit visée à travers un signe; s'i Is sont parlants
dans un sens, c'est-à-dire s'i Is sont signifiants en tant ~ue
"communication avec le réel dans un sens" comme dit Maldiney,
c'est précisément "parce Que
le thématique est soutendo 'par le
non-thématique comme
la
langue contituée par la parole consti-
tuante." (1)
Autrement dit en ce Qui concerne
la poésie par exemple,
la
dimension sémantique est essentiellement subordonnée dans
le
rythme dans
leauel
est désinné
le moment pathique qui
est "la
ri imens i on.osmur niœ tive,
de:
l'expérience" et par lequel
nous habi-
tons au monde avant toute référence objectivée, avant toute objec-
tivité eontituée,
avant toute ~eprésentation fi1urative.
la pa-
role poétique n'a d'autre "existence" que d'être une expression
constituante de sa propre parole, mais
la constituant el le ré-
quisitionne dans son dire
la réal ité du mon0e vécue des hommes
( 1)
H. Ma 1cl i ney
Re~ard Parole Espace
p.100
209
dévoi lée en el le. le non-thématique d'où
la poésie est parlante
engage donc essentiellement la manière qu'à
l'homme de se tenir,
son existence effective, c'est-à-dire l'éthique,
la dimension
de l'~tre-avec structurant notre communication avec les choses,
les ~tres et hous~m~mes dans un monde. Est donc essentiellement
en prise sur la poésie dans l'ouverture de laquel le s'ex-prime
le non-thématique,
l'Ethos rlans le sens au' indique Maldiney,
quand il écrit: "Ethos ••• ne veut pas dire seulement manière
d'~tre, mais séjour. L'art ménage à l'homme un s8jour c'est-à-dire
li,
1
un espace où nous avons 1 ieu, un temps où nous sommes présents."(l)
"C'est poétiquement Que
l'homme habite" selon la parole de Holderl in.
,
la réal ité est en prise dans la lan1ue originaire.
Le moment pa-
thique est celui d'une expérience originaire dans
laquel le nous
sommes mis en demeure d'exister, d'habiter dans
la proximité ir-
récusable de l'origine, comme quand parle le poète faisant re-
surgir le champ rythmique originaire dans l'espace de son cri,
comme quand s'ex-prime
le récit mythique pro-duisant le conteur
de mythes et son récit vivant et vécu, "aux époques premières •••
subitement, sans détours ••• sans recherches et sans efforts, en
plein dans cette époque originel le
qui
le concerne (et) dont il
parle," (2) et comme Quand surgit l'apparaître d~ masque réqui-
sitionnant les êtres dans "l'incontournabi 1 ité" de sa présence.
L'étant mythique et
l'étant poétique en produisant la
lu-
mière dans laquel le
ils viennent à
leur propre jour,manifestent
par cette venue à
la
lumière l'habiter originel, un séjour, ce
qui signifie, pour parler comme Heideqger, "se tenir en la pré-
sence des dieux et être atteint par la proximité essentiel le des
choses".
(3) le poétiaue par lequel
nous habitons le monrle en
deçà de tout signe comme de toute référence thématique consti-
tue l'expression ori~inaire de
l'Ethos.
" ... A traver nous s'envolent
, r
Les oiseaux en si lence. 0 moi, oui veux ~randir,
Je regarde au dehors, et
l'arbre en moi ~randit." (4)
,!
H. Maldiney : Regard Parole Espace
p.148
~J
C~. Kérényi : Introduction à l'essence de la mythologie
p.20
Mp Heidegger: Approche de Hôlderl in
)
Editions Gallimard 1973
p.54
R.M. Ri lke : cité par Bachelard in La poétique
,1
de l'espace
p.182
1
,
210
f
Paroles parlantes
la poésie et
le mythe manifestent l'expression
,
.
mëme du fond qui prend son sens extrême dans la parole des divi-
nités masquées. Estr~~vélatrice à cet égard la paro~e dea Masques'
tel le qu'el le est
1iée à la lan3ue du siqi(cérémonle~soixante
naire des Dogon) qui révèle une essence fondam~ntalemènt poéti-
que dont
l'articulation avec la mort, ave6 la nuit t avec la renais-
sance en rapport direct avec la mort et la ressurection de l'An-
cêtre Dyongou Sérou,
indique l'émergence d'un fond dont la mahi-
festation n'est rien d'autre que
l'expression même du non-théma-
tique à partir duquel parlent précisément
la réal ité des masques,
la parole mythique comme la parole poétique.
Il est intéressant
de voir chez les Dogon apparenté au fond, c'est-à-dire au surgIs-
sement de ce non-thématique comme expression de la parole du
S19 i ,
l'état d'un pathos dans
lequel
la réalité humaine rendue
à sa forme primitive
la plus expressive se donne dans
la mani-
festation même de son plus profond contenu
l'ivresse. "Cette
parole (la parole du sigi) est semblable à
la parole des morts,
mais des morts qui auraient beaucoup bu". (1) Au non-thématique
est lié le moment pathique de
l'expression du fond manifestant
dans I#unité de son '0ire" comme l'exprime I~ masque Donon que
nous allons voir,
la vie et
la mort dans 1eur entrelacs.
l'Ancêtre dogon Dyonqou Sérou le chef des masques associé
au Renard, apparaît en même temps comme donneur de vie par la
médecine parce que
le descendant et le représentant des quéris-
seurs,et il apparaît comme 1 ié à
la mort car il fut
le premier
Ancêtre à mourir pour avoirJ"étant transformé en serpent comme
le faisaient
les viei 1 lards à
la fin de
leur vie,
nompu
l'in-
terdit "Jinguistique et parlé en
langage courant sous
l'effet
de la rColè·~·." (2) L'ambivalence fondamentale assumée en Dyongou
Sérou en qui parlent à /a fois
les paroles des morts comme en qui
s'exprime la vie,
manifeste dans sa forme
la plus pure la puis-
sance même du fond que
les masques serpentiformes
en apparais-
sant dans
le vi liage, surgis du monde nocturne, "de la caverne
primordiale" d'où
ils viennent, articulent sous forme de "cris
G. C. Griaule
Ethnologie et Lanqage
p.440
Ibid.
p.443
211
étranges et prolongés, une sorte de hennissement ou de rIcane-
ment." (1) Quand ils dansent
ils n'ont d'autre moyen d'expression
verbale que le cri
qui est à 1 ier au fait qu'à partir du moment
où les hommes revêtent
les costumes (les masques),
ils perdent
toute individual ité, de même que
leurs noms, puisque personne
n'a plus
le droit de les reconnaître, car ils ont ainsi changé
de monde en s'identifiant aux morts.
La dimension pathique du
cri des masaues oui confère à
la parole son sens extr~me et ori-
qlnalre exprime la nostalqie du fon0 00nt
l'émergence
la plus
profonde est vécue à travers le tumulte des mouvements expres-
sifs sans but et sans
1 imite qui
r8Quisitionne à
la même prOXImi-
té l'infini et Je fini,
la parole des morts et
la parole des vi-
vants,
les masques -- les morts -- dans le monde des humains,
et les humains dans le monde ~es morts. A travers le cri,
la pa-
role dans sa forme
la plus exprsslve se fait si lence, si lence
oui est manifesté du reste durant
le calcul de la date de
la cé-
rémonie du sigi ;
calcul qui doit rester une parole confidentiel-
le ; durant cette période écrit G. C. Griaule,"le Renard -- as-
socié aux masques et aux morts et à Dyonqou Sérou -- s'abstient
de venir à
la table de divination parce que célébrant le si~i."(2)
Le cr i est pathos.
1 1 sa lr cl d'un fond qu i 'est en-deçà de tou-
te signification thématisable, si bien qu'i 1 faut vOir en ces~c~is
par
le~QuQI~ les ma~Q~es surgissent, l'expression du fond 1 ié au
si lence de la parole des morts en ce qu'i ls rappel lent, écrit
G.Griaule que "le Renard,
leur maître (puisqu'il est responsable
de
la mort) a été privé de
la parole humaine et ne peut qu'émet-
tre un cri d'animal" (3). Mais ce si lence n'est pas un manque.
Les Bamb~ra disent du si lence : "qu'i 1 se place avant et après
le verbe~ Il engendre ce dernier qui, pourtant est sa mère." (4)
La mère naissant ce l'enfant.
Le cri manifestant
l'émer~ence du
fond. Ce qu'i 1 faut voir ici c'estVaffirmation d'une proximité
Clue 1e riJasque révè 1e ;
1e que 1 est ,comme
l' écr i t
Ma 1(1 i ney : "un
moyen de se rendre présentes en leur donnant visa~e, les puissances
archaiques, efficaces et danqereuses ressenties comme proches."(S)
G.C. Griaule
Ethnolo~ie et Lanna~e
p.442
Ibid.
p.143
1b i d.
)
p.442
O. Zahan : op. cit.
p .181
H. Maldiney : Aitres de
la
langue et demeure~lde ~a
pensée
p.261
212
Il
n'est pas
indifférent de savoir Gue
le Rehard,
dont Dy~n
gou Sérou est
le représentant,
est
lié aux grands serpents (py-
thoŒen
i'occurence) Que
les Doqon appel lent
:
"~uérisseurs des
animaux" et oui
comme
les masoues du sini
ont
leur demeure et
sortent des trous profonds des cavernes où
l'on enterre
les morts.
Or
les serpents par
leur faculté de muer symbol isent
le cycle de
la vie et de
la mort comme ce cycle mort-résu~ection est aussi
celui
de
la Terre,
mourant après
la récolte et ressucitant avec
la semai 1le et
la pluie, avec
la moisson. A la première manifes~
tation de
la mort originel le symbol isée par
la pourriture du
placenta du Renard après ses agissements
incestueux est non seu-
lement
1 iée "la pourriture" des cadavres sous terre,
"comparée
à cel le du fumier qui
ferti 1 i~e les champs" (1) mais aussi à cel-
le du grain promis à une résurre~tion future.~Le Renard manif~s
te donc
l'exprèssion m@me du fond d'où
la vie et
la mort sont
m@lées,
d'où "tout est un",
fond dans
lequel
toute contradiction'
s'aboi it, car comme dit Héracl ite
: "le Chemin vers
le haut et
le Chemin vers
le bas,
c'est
le m@me chemin." Une tel le expres-
sion ,la parole parlante du mythe,
poétique en son essence,
sur-
gissant dans
l'épiphanie pathique des masques,
nnus
la manifeste
dans son dire qui
veut que
le Renard apparaisse "le premier dans
le monde,
sortant du placenta originel
sans
la permissi6n d'Amma,
son père, et emportant avec
lui
dans
l'obscurité primordiale (dont
il
ne sortira jamais) un morceau de ce placenta Gui
deviendra
notre terre •••
Il
s'appel le m@me "le riche" comme s'i 1 avait reçu
plus que
les autres ••• Sur
le morceau de ce placenta ou'i 1 avait
emporté se trouvaient des symboles graphiques,
c'est~à-dire des
paroles ~n puissance; c'est pourquoi
l'on dit communément ou'i 1
a "volé": la parole à Amma."(2)
11 est intéressant de montrer comment chez 1es Dooon ,
1e
dévoi lement de
la parole dans
le mythe,
qu'exprime
la technique
du tissage est
1 ié au surgissement de
l'homme à
l'existence et
au surgissement du fond.· Le mythe dogon qui
décrit
le développe-
ment de
l'homme hors de
l'animal ité pour
le révéler en son fond
G.C. Griaule
op. ci t.
p.445
Ibid.
p.lOl
213
propre, est au s s i
le même que celui qUI, découvrant
la parole
au jour, découvre aussI
le jour à
la lumière duquel
se produit
l'existant.
Le mythe
insiste sur
le fait que "l'homme a été créé
sans paro 1e" (1) ;
1es prem i ers êtres avant elle, éta i ent "des
poissons".
Le passage de l'état de "poissons" à celui d'êtres
humains, -- ce que s~mbol ise la descente du ciel avec l'êrche
révèle que c'est avec le dévoi lement,
la mise au jour de
la parole
sortie du Verbe
informulé d'Amma,
"maître absolu des êtres et
des choses",
(2) parole que Nommo est chargé "de faire sortir",
comme disent
les Dogon, d'enseigner et de formuler d'une maniè-
re humaine, que
l'existant appara1t, se produisant essentiel le-
ment comme un être qui peut et comme être-avec •••
Le pouvoir
par lequel
l'existant opèf~' par la parole,
le comment de sa
présence au monde,
le mythe
l'exprime ainsi: "semblables à de
petits enfants, ou à des sourds-muets,
les premiers hommes s'ex-
primaient par gestes, sons inarticulés et 0roqnements ••• ne pos-
sédant pas
les technioues et se nourrissa~ent ce fruits et de
viande crue •••
1eurs corps éta i ent
inachevés.
Ils contena i ent
tous
1es organes internes, ma i s "secs" ;
1es poumons penda i ent
comme des éponges désséchées
le
long de
la colonne vertébrale,
attendant
l'eau et
le souffle du verbe à venir".
(3) C'est seu-
lement avec "la sortie de
la parole" comme disent
les D080n, sa
venue au jour, que
l'homme devient non seulement un être complet
dont
les organes se sont durcis, et se sont mis à mieux fonction-
ner, mais il devient aussi
créateur i
le mythe montre que de
"cuei lieurs de fruits sauvages,
ils sont devenus cultivateurs.
C'est
I~ parole qui
leur a permis de développer
les techniques,
qUI
les "a rendus attentifs aux phénomènes atmosphériques et
leur
a permi~ de régler
leur calendrier agricole d'après
leur cycle
annuel" (4).
Le mythe de
la parole articule le dévoi lement de cel le-ci,
comme 1e fond à pa rt i r duque 1 l'ex i stant se pr-o du i t.
Le mythe
montre Nommo, tissant soit dans"la première mare prim0rciale",
soit dans"Ia caverne primordiale" (première habitation des hommes)
G.e. Griaule
op ,
ci t.
0.96
Ibid.
p.95
Ibid.
p.96
Ibid.
p.98
214
et
les fi Is de chaîne sortant de
la caverne vers
l'extérieur.
"Nomma dans
la mare tissa et ce fut
la première parole".
(1)
le mythe
insiste sur
le fait qu'avant sa manifestation sonore,
la parole était à
l'état de pensée
informulée,
si lencieuse,
(nous
verrons plus
loin
l'importance d'une tel le"parole" Quant à
l'ar-
ticulation du fond,de
la poésie,
du mythe et de
la musique).
Parol~ dont nous dirons qu'el le est nocturne et voi lée, étant
la propriété exclusive d'Amma créateur,
lequel
formant
le placen-
ta originel,
le féconde par
le verbe,
"parole
intérieure",
pre-
nant corps dans
la matière Qu'el le
invente.
De même,
"Ia parole
de
la terre" également
inf0rmulée se trouvait sous
formes de
symboles graphiques dans
le placenta-mère';
c'est elle qui
fait
sortir du sol
la végétation. Son dévoi lement,
ce que
les DO'Jon
expriment en disant d'el le,
"la faire sortir",
apparaît aux hom-
mes par
la technique du tissage.
"Au temps du t~9u,
les hommes
ne parlaient pas
la parole, au temps du t'oy
les hommes ont com-
mencé à parler;
le temps,
c'est celui
où
l'on a commencé
le
tissage" (2) disent
les D090n avec
insistance;
qui
ajoutent que
Nomma,
avant de tisser,
ava i t
pe i nt des t~ru : ce 1u i 'PE5pré~ent(;".t
Amma,
et celui
de ses propres paroles;
et ce n'est qu'apl--ès a-
voir tissé qu'i 1 ajouta des formes complètes t'~y. (le tbnu Que
l'on peut traduire par "schéma" représente
la figure,
le dessin
l'écriture dans ses grandes
lignes,
mais sans
les détai Is.
Le
t'~y est le "dessin" proprement dit, complet, clair et détai 1 lé,
correspondant à
la création achevée.)
"le tàpu existait au moment où il n'y avait pas la parole
dans
le monde;
le t'~y existe dans
le m0nde où est
la parole."
Cette conception reposant sur
l'antériorité d'une représentation
graphiqu~ par rapport à l'expression verbale sonore, indique que
"la sortie de
la parole" ex-prime essentiellement
la mise au jour
d'un fond oriqinaire à partir duouel
l'existant se produit comme
habitant,
séjour dans
le monde.
L'extéri~risation de la parole
de
l'état de pensée si lencieuse d'où elle se trouvait,
à sa for-
me sonore répercut~e par"le prmier tambour", montre que "cette
G.
C.
Griaule
op.
ci t.
p.97
Ibid.
p .515
215
sortie" correspond ici à un avènement et à une révélati0n : sortie
qui, retirant de
l'obscurité·-- "la première mare", "la prmière
caverne" -- la parole,
la fait voir,
la dé-couvre à
la
lumière
d'un monde habité;
avènement du surgissement de
l'existant com-
me pouvoir créateu~, car en même temps oue Nommo tissait,
il
mont~ait aux hommes qu'i 1 fallait sortir des càvernes et bâtir
des maisons i
la parole est aussi
révélation d'un fond originel.
la relation de ce que "les Dogon nomment tàru et t'oy --de
l'idée
d'une chose, sa réal isation, de sa représentation et de son ef-
fectuation, son achèvement -- autorise à
interpréter le dévoi le-
ment, "la sortie de la parole", tel que nous l'entendons tër,
au double sens de révélation et de production qui découvrant ce
qUI est~le laisse être en tant que mise en lumière d'un apparaî-
tre s'ex-posant de
lui-même tel
qu'i 1 se propose.
Cette double articulation de révélation et de production
est suggérée par le symbolisme dogon de "la parole de
la nais-
sance des enfants" : "la théorie dogon de
la procréation suppo-
se ••• qu'existent à
l'état virtuel dans
le corps de l'homme les
éléments d'une sorte de "schéma" de l'enfant, qUI se transfor-
ment en "~essin· dans la matrice de la femme •. Ces dessins virtuels
sont mn~"~~ial i3és en si~nes
graphiques réels •••
le tàpu est
le
dessin représentant une femme enceinte (l'enfant étant visible
à
l'intérieur de son corps) que
l'on exécute sur
la maison des
femm~s menstruées ••• le t'~y enfin n'est autre oue l'enfant lui-
même,
créature humaine complète manouant
l'aboutissement de ces
différentes étapes". (1)
le mythe d080n ex-pose la parole dans un monde en
le produi-
sant comme Séjour, c'est-à-dire précisément comme monde habité,
un
1 ieu dans
lequel
l'existant se découvre tel au'i 1 se pro-pose i
c'est dire que ce que
le mythe montre c'est
l'articulation fon-
damentale de
l'existence,de la parole et du fond. C'est pourquoi
il est intéressant de souligner ici
le rôle fondamental
de Binou
Sérou :I~hncêtre dogon par qui s'annonce aux hommes la révélation
de la parole.
(1)
G.C. Griaule: op. cita
p.233-234
216
Pourquoi Binou Sérou était-i 1 de tous les Ancêtres mythiques
le seul à"comprendre
la première parole" ? C'est-à-dire le seul
à ex-primer, à pouvoir produire le fond m~me dans sa profondeur
la plus •••
intime
que le mythe nomme "la parole à
l'état de
pensée i nformu 1 e et sil enc i euse" -
en pie i ne
1um i ère ? L'art i
é
0.:\\
culation fondamentale du fond, de l'existence et de l'habiter
qui est manifestée dans ce mythe à travers
l'Ancêtre Binou Sérou,
apparaît essentiellement comme le 1 ieu même de la Poésie, Je la
parole poétique. Binou Sérou est poète. Par lui,
le seul de tous
les Ancêtres, et en lui,
le fond se réal ise. Le 1 ieu de
la Poésie
s'inscrit dans
l'état originaire du
langage à partir duquel se
produit, par le poète la communication avec le monde et avec les
autres. L'instauration du monde se produit dans la première com-
munication du poète qui est aussi
la première parole du monde •
•
La première parole, parce que poétique, en réal isant le fond
originaire, est à
l'origine même de la parole fondatrice de tou-
tes les langues, ainsi que l'indique le mythe lui-m~me : "la
première parole de Binou Sérou "sb: parle" contenait en puissan-
ce tout
le vocabulaire futur, tous
les dialectes d010n et toutes
les langues étrangères ••• également toutes les modal ités de
la
parole individuel le". (1)
Par la première parole parce que poétique,
l'homme se pro-
duit essentiellement comme être habitant dont
l'ex-ister en s'ar-
ticulant dans le fond originaire "de la parole informulée et si-
lencieuse", s'ex-prime fmdament-abn~ntooret nv e c. le faire, dési-
gnant non seulement
la création,
l'acte de fabrication visant
un produit fini, mais aussi et essentiellement l'habiter de l'ex-
istant lui-même,
la production de l'homme dans un séjour; cette
façon de "faire",
le mythe l'indique sans aucun doute possible
par l'acquisition des techniques par l'homme, par la fabrication
des outi ls, par la construction de
la demeure humaine (b§tir
des maisons), par
le passage de
l'état de cuei 1 lette à celui de
l'agriculture. Cette façon de "faire" signifie essentiellement
habiter;
le faire art .ici en. son fond essentiellement poiétique
(1)
G.C. Griaule: op. c i t ,
p.98
217
que Binou Sérou soit poète, montre justement que
la langue pri-
mitive apparaissant comme lieu de la Poésie, ex-prime le fond
sur lequel
l'humanité produit sa demeure.
Ce Que Binou Sérou réal ise dans le mythe c'est, en somme,
le fond
lui-m~me. Il apparaît non seulement comme poète, maïs
aussI
comme prophète, comme d~in. La paroleidit le mythe,
lui
a été donnée comme "un don u ,
en ajoutant qu'i 1 est
1'"élu".~11
fut
le seul à
la percevoir et à en comprendre
l'importance~ Ses
frères n'y pr~tèrent pas attention, car ils n'avaient pas comme
lui
l'intuition des choses divines. Binou Sérou en fut si frappé
qu'i 1 subit la première crise, analogue à cel les cui aujourd'hui
encore font "trembler" tous
les pr8tres frappés d'inspiration".(l)
Quand il est en état de crise disent
les D010n, "i 1 est sous
l'effet d'une inspiration qui
lui fait tout comprendre intuiti-
vement", si bien qu'en ce moment-là,
il surpasse m8me en
intel-
1 igence
le premier Anc8tre,
le chef de fami 1 le, Amma Sérou, bien
que normalement, celui-ci soit plus intelligent que lui. Binou
Sérou est 2~ ,in. La première table de divination dont il est dit
qu'el le est "parole muette", "intérieure", fut tracée par
lui.
Au poète est donc
lié le prophète,
le devin en ce que celui-ci
habite -- aussi --
le fond dans
la puissance "informulée" duquel
demeurent à
l'état enveloppé
les choses passées, présentes et
futures. Avec cette puissance du fond est mise en articulation,
dans
le mythe,
la fondation m8me du temps:
les dogon disent à
cet égard: "le temps, c'est celui où l'on a commencé le tissa-:
ge".
{2~ L'essence du temps, seul l'homme parlant dans la pro-
ximité originel le du fond peut
l'ex-primer; ce qui e s t : réal i-
ser par ~Ia parole d'où les choses "muettes" s'expriment, advien-
nent à
la
lumière,
le fond même dans sa puissance ori1inel le.
les DOlon en nomment
la divination "parole muette", "intérieure",
so~ligne bien précisément, l'articulation fondamentale du fond,
de la puissance "informulée", et de la création premlere comme •••
fondation du temps. Demeurer ainsi
à
la manière cu devin, c'est
en somme -- et encore -- habiter comme poète,
c'est révèler la
G.C. Griaule
op. cit.
p.97
Ibid.
p.SlS
218
langue primitive dans sa pUJssance ori~inel le -- "0bscure", "in-
f o r-mu 1ée", if i ntér i eure" -- en tant oue fondat i on de toute cho s e ,
Dans le surqissement ori~inel GU fond a sa source, de même Que
la Poésie, de même oue
la Prophétie,
la musique.
A la première parole de Binou Sérou répond en ~cho le pre-
mier tambour; ce oui veut ~ire oue la mUSIQue participe essen-
tiel lement de la parole poétiQue et se réal ise comme tel le (pa-
role rythmique, rythme comme par~le poètioue) en ce qu'el le a
1 ieu dans la profondeur même du fond ori,inel
que non seulement
elle ex-pl" i me en 1e fà i sant r-e s ur-q i r, ma i s I ' e xp r- i mant -
s' ex-
primant -
el le est d'avance "recouverte" dans ce fond antérieur
à tout dire. C'est ainsi qu'i 1 faut comprendre oue
les différen-
tes sortes de rhombes des D030n dont, fait silnificatif, celui
Qui est attribué à BÎnou Sérou lui-même "est le plus léger et
a
la voix la plus claire", ne "sortent oue
la nuit ••• sévèrement
dérobés aux regards des femmes et des non-initiés,
(1) et jouent
un rôle rituel
important en rapport avec
les forces de~ mort.
Ainsi donc à la pUissance du fond tel le Qu'el le est articu-
lée ici à travers
la parole Tà l'état de pensée informulée et
si lencieuse"J reposent en leur S0urce originel le d'o~ le mythe
voit la production de
l'homme comme Séjour dans un manrle habit6,
la Poésie,
la Pro~hétfe et la Musique réalisées en l'Ancêtre
Binou Sérou.
"Demeurer dans le propre, c'est être en marche vers [a sour-
ce. Cel le-ci est l 'oriqine d'o~ naft toute possibi 1 ité d'habiter
oour
les fi Is de
la terre. Demeurer, c'est aller dans
la proxI-
mité d~ l'ori~ine. Celui Qui habite ~ans cette proximité demeu-
re ple~rement et essentiellement, écrit Heide0~er s'inspirant
de Hôlderl in :
"Diffici lement Quitte son 1 ieu
Ce qui
habite à proximité de
l'ori~ine."(2)
A~e~ le mythe do~on que nous venons de voir à travers l'ar-
ticulation du fond, de la parole poétique, de
la parole mythique
de [a prophétie et de
la musique,
l'existant nous est révélé,
(1)
G. C. Griaule: op. cit.
p.538
(2)
M;
Heideqger : Approche de Holderlin
p.186
219
à partir du suroissement du fond à
la lumière duquel i l est pro-
duit comme être-dans-Ie monde, dans sa constitution essentiel le
d'habitant. Avec 1 'acauisition de la parole est fonœ l'avènement
constitutif du sUr~issement de l'homme à l'existencé et au mon-
de : "de cuei 1 leurs de fruits sauvaqes,
il est devenu cultivateur
eh même temps qu'i 1 développait les techniques" et Nomma en tis-
sant montrait aux hommes qu'i 1 fal lait quitter les cavernes pour
bâtir des maisons. C'est dire que la détermination de l'être-au-
monde cQnstitutif de l'existant se produit comme séjour dans un
monde où
l'existant exerçant son pouvoir-faire non se~lement "se
tient, mais peut", ce Qui sLappel le habiter; c'est ainsi que
lévinas écrit: "habiter est la façon même de se tenir, non pas
comme le fameux serpent qui se saisit en se mordant la Queue, mais
comme le corps aUI, sur la terre, à
lui extérieure, se tient et
peut. le "chez-soi" n'est pas un contenant, mais un 1 ieu où je
peux, où, déoendant d'une réal ité autre, je SUIS malGré cette dé-
pendance
ou nrace à elle,
libre.
Il suffit ce marcher, de faire
pour se saisir, de toute chose pour rrendre. Tout dans un certain
sens est dans le 1 ieu, tout est à ma disposition en fin de com-
pte ••• Le 1 ieu, mi 1 ieu ~ffre des moyens". (1),
Que l'existant tienne sa constitution essentiel le d'être
"d'un phénomène unitaire" oue vise l'expression être-au-monde,
inclut précisément et ~écessairement que J'existant soit "dans"
le monde. Certes, dans cette expression "être-dans-Ie monde", ce
qui est visé ce n'est point comme Heidel1er J'a montré une "su~is
.tance" ~ la manière des choses survenant à l'intérieur du monde,
bien QU~ l'existant soit, tout de même, aussi "subsistant" dans
le monde~ même ai pour Heide3ger cela impl ique que ne hsoient pas
saisies 'les structures spécifiques de l'être-là et en particul ier
"la constitution existentiale de l'être-à ••• " (2) La forme de "sub-
sistance" de l'existant, sa manière d'être "dans" le monde est
autre èt spécifique, en ce que l'existant au monde, se produit
comme séjour. Pour l'existant le monde n'est pas un contenant,
mais"un lieu où tout est offert" à son pouvoir-faire, à son pou-
voir-être.
E.
Lévinas : Total ité et
Infini
~.7-8
Mi Heide~ger
: cf. L'être et le Temps
ED.Gal 1imar~ 1964
p.77
220
L'existant est dans le monde sur le mode de l'habiter, SI
bien que sa manière de subsister doit être mise en rapport avec
cette structure de
l'habiter dont
le pouvoir-faire,
le savoir,
l'avoir, enfin tous les modes relatifs à ce que Heide~~er nomme
"l'être-à ••• " sont des moments constitutifs. Mais que veut dire
"être-à •.•.• " ? Heidegger écrit: " ••• en complétant
l'être-à •••
par être-au-monde, nous sommes prêts à~cevoir cet être-à •••
.
.
comme être-dans ••• " (1'S-a3issant de la "subsist!n-ce" de
l'existant,
Heidegger remarque à son propos que l'on ne peut la penser comme
on le ferait d'une chose corporell~ qui se trouverait "dans" un
étant subsistant, en ce que cette préposition indique ICI non,
concernant l'existant, "une inhérence ~patiale", mais la manière
d'être de l'existant en tant qu'habitant qui, "dans" le monde
trouve un Séjour,
lieu de son pouvoir, d'où il entretient un com-
merce fami lier avec ce Qui y est offert. La manière d'être "dans"
le monde revient donc pour l'existant à être-au -monde sur le
mode d'être-à ••• Qui
dans sa désignation originel le caractérise
un Séjour.
"l'être-à~•• vise aussi peu ''l'inhérence'' spatiale d'étants
subsistants que la préposition al lemsnde in ne désigne ori~inel
lement une relation spatiale du type indiqué, écrit Hei~eQqer,
qui poursuit: "la préposition al lemende in dérive de
l'ancien
verbe innan qui ~i9nifie "habiter", habitare, séjourner, an veut
dire: je suis habitu~,je suis fami 1 ier 0e •• ~, j'ai coutume de ••• ,
il faut
le comprendre comme colo au sens de habito et di 1 igo.
L'étant auquel appartient l'être-à ••• ainsi déterminé a été carac-
térisé comme l'étant Que je suis moi-même •••
ich bin (je suis)
s i qn i f ie donc ••• j'habite, jeséjourl'\\&aM.I.,monde tel
qu'i 1 m'est
fami 1ie~". (1)
QUe l'être-à ••• détermine un mode fondamental de
l'être-au-
monde, relève de ce que Heidegger nomme le souci, montre a~Aei
Que le souci en tant que tel n'est oriqinairement constitutif de
l'existant que parce qu'i 1 le désigne comme l'habitant qu'i 1 est,
entretenant un rapport de fami 1 iarité avec ce qui, à
l'intérieur
(1)
M. Heidegger
L'être et le Temps
p.76
221
du monde habitê, s'offre à
lui
et à son pouvoir. Comme SOUCI,
certes,
l'existant est toujours dêjà auprès d'un êtant rencontrê
même si cela n'est possible Que parce que fondê sur
l'ê-Ioi~nement,
en tant que caractère constitutif de
l'être-à •••
L'êtant est tou-
jours là,
qu'i 1 soit rencontrê sur
le mode de
la prêoccupation
en tant qu'êtant disponible à
l'intêrieur du monde ambiant, 011I
e~tant'~u~~tant· subs'stant~ 6u simplement en tant qu'êtant qui
est selon
le mode de
l'être-là.
L'êtant est toujours dêjà
là veut
dire. en plus de son
irrêductibi 1 itê. Que
l'existant en tant_
qU'être-au-monde est essent i e 1 1ement être-au-monde avec .... pr'ê-
c lsêment parce que
le monde auque 1 i 1 est,. est dé jè un monde dans
lequel
IEêtant est toujours dêjà offert à sa rencontre;
rencontre
de
l'êtant disponible dans un monde ambiant, et rencontre des
autres dans un monde.commun.
Affirmer
l'irrêductibi litê de
l'êtant
lequel
dans
l'ontologie
heideggerienne se profi le à
l'horizon, subordonnê
à
la relation
avec
l'être, c'est opêrer ce que Lêvinas appel le ;
"une mise en
question du Même -- qui
ne peut se faire dans
la spontanêitê
égoiste du Même -
se fait par
l'Autre. On appel le cette mise
en question de ma spontanêitê par
la prêsence d'Autrui, êthiQue.
L'êtrangetê d'Autrui
-
son irréductibi litê à Moi
-
à mes pensées
et A mes possessions, s'accompl it prêcisément comme une mise en
question de ma spontanêité, comme êthique.
La métaphysique,
la
transcendance,I'accuei 1 de
l'Autre par
le Même, d'Autrui
par Moi
se produit concrètement comme
la mise en question du Même par
l'Autre, c'est-à-dire comme
l'éthique qui
accompl it
l'essence
critiqu~ du savoir. Et comme la critique précède 1. dogmatisme,
la mêtàphysique précède
l'ontologie."(t)
('êthique négro-africaire produit
l'Etranger,
l'Autre du
dêsir métaphysique non pas vers un "ai 1 leurs", vers TI'absolu-
ment autre" "en un pays où nous ne naquîmes point" pour repren-
dre
les termes de
Lévinas, mais dans
l'enracinement même du sol,
c'est-à-dire du
1 ieu Qui porte rassemblés, chez"les peuples culti-
vateurs et batisseursn,l'unité des choses, des mortels et des
divins -
la terre.
Les peuples sédentaires manifestent
l'Autre
( 1 )
E.. Lév i nas
op. ci t .
p •.13
et
222
dans l'intimit~ du
lieu d'o~ ils l'exposent à proximit~ dans ce
que Heidegger nomme l'Ouvert. l'Autre est ~~v~l~ à p~rtir de
l'habitation d'o~ il est fond~p L'Ouvert nomme le 1 ieu d'où les
dieux se montrent d: peuvent ven i r à l' abr i auprès de 1a demeure
des hommes, comme leur. Ainsi
l'habitation ne consacre pas seu-
lement le pouvoir technique de l'homme, mais plutôt instaure,
comme 1ieu de fondation de la venue des dieux l'avènement m~ta
physique, c'est-à-dire la rtlation avec l'Autre investi dans
une proximit~ Qui
le d~couvre à la compagnie des mortels. L'at-
titude n~gro-africaine en face des dieux -- de l'Autre -- qu'el-
le tient à distance,
les pro-duit cependant essentiellement com-
me rapproch~s (~-Ioign~s) auprès de la demeure d'où ils se mani-
festent à
la présence des ~ommes. C'est ainsi qu'i 1 faut compren-
dre la signification fondamentale qui est r~serv~e aux AncAtres,
• .t"'t
.-
-
.
..
~......
~t~~e dlvlnisé~ le~~uels s'offrent comme mi 1ieu entre Terre et
Ciel, entre les hommes et les dieux. Ce n'est pas un hasard SI
les Ancêtres apparaissent
comme les fondateurs même de la de-
meure humaine faite ainsi à
l'image du monde; c'est parce qu'i 15
habitent auprès de l'origine. L'exemple du mythe dogon{ à tra~
vers l'articulation de la parole, montre pr~cis~ment le fond
sur quoI
la demeure humaine comme la possession technique per~
mettant de cultiver la terre,
repOSfi.~ l'~ab~tation comme fondae
tion de la r~v~lation des rapports ~thiques.
Le rôle de l'Ancêtre s'investit tout entier dans I~habi
ter, cela tous les rites de construction l'attestent~ l'habita~
tio~ dans sa conception même, en Afrique, fait l'enjeu d'un
t
.
symQol isme complexe dans lequel
la divinit~ le monde et la per-
son~ humaine sont ~troitement associés. Dès lors l'enclos Ini-
tiatique, comme le bois sacré abritant la retraite des néophytes,
comme la forêt,
réservée entre autres aux masques se révélant
la nuit chez les Bainouk, consacrent la terre comme pouvoir de
manifestation du sacré.
la fondation du 1 ieu aména~e un fond dans leauel la présen-
ce humaine se maintient pour demeurer dans la proximité de l'ori-
223
gine : ce qui est convier en un lieu -- où
la terre se manifeste
elle-même comme "terre du ciel qui
lui-même n'est ciel qu~en
oeuvrant vers le basl sur la terre" (1) -- la venue des dieux
chez les mortels. C'est cette façon de manifestation de la ter-
re, du 1ieu qui donne sa signification à tous les sanctuaires
comme à tous les autels dont la principale fonction est comme
l'écrit D. Zahan : "d'obi iger ••• Dieu à revenir sur terre, à
se rapprocher à nouveau de (l'homme) à descendre sur lui pour
le diviniser. Ainsi
le 1 ieu favori de la vision béatifiaue du
Noir# conclut Zahan, rest bien la terre". Habiter vraiment c'est
donc demeurer dans
la proximité du fond à l'exemple
de l'Ancê-
tre Binou Sérou dans le mythe dogon si bien que :. "l'habitation
comme fondation est l'habit.ation originel le des fi Is de la ter-
re qui sont en mIme temps les enfants du ciel. Ce sont les po~
tes, car ils "consacrent le sol", éc~it Heidegger. (2)
la relation avec l'étant que celui-ci s'offre, dans la con-
ception ontologique, comme th~me ou objet, ou Qu'i 1 se refuse
à la possession qui tend à le réduire en l'annexant comme il en
est de l'Autre dans la métaphysique et d' /\\\\itrui .lans, l ' éthl ~
que, est déjà invoquée dans toute question fondamentale, en ce
que l'étant dont on ne peut s'arracher est déjà toujours suppo-
sé. L'irr'ductibi 1 ité de l'étant dit l'impossibi lité où
l'onto-
logie se irouve de s'en arracher't donc l'~névitable recours qui
consite à toujours
le supposer. l'ontologie affirmant non seule-
ment la primauté de l'être par rapport à l'~tant, mais subordon-
nant la. relation avec celui-ci à la relation avec l'être, "con-
siste à' neutraliser l'étant pour le comprendre ou pour le sai-
sir, éc~it lévinas. El le n'est donc pas en relation avec l'Au-
tre comme tel mais
la réduction de l'Autre au Même".
(3)
l'impossibi lité même où
l'ontoloqie se trouve d'opérer une
"négati on" rad i ca 1e de l'étant
l'Autre, Autu i -- se r-év 1e
è
Jusque dans la constitution de la structure fondamentale de l'ex~s
istant
l'être-au-monde dont un des modes constitutifs,
l'être-
à ••• en désignant un rapport de fami liarité, d'habitude et d'ha-
M. Heidegger: Approche de Holderl in
p.208
Ibid.
p .. 190
lévinas : op. cit.
p.16
224
bitation, fonde
1-"JA<I~~î~t à travers la maniAr-e d'être dans le
~o~~e: a I~ foi~ d~ns s6~ ~i~~o~f jvec ie~ ~~t~es ~tants, dans
la sollicitude qui
le lie aux autres existants et e~fin dans le
souci même de sa propre existence.
l'~tre~u-monde, fOt-i 1 essentiellement soucÎ,
laisse in-
surmontable l'étant auquel
l'existant, de par sa "faeticlt~",
sa situation d'~tre "dans" un monde qui ~tait d~jà là, est ren-
voyé par le moyen de la praxis, et des rapports qu'il entretient
avec les autres. On peut dire de l'étant, de son irréductibi tité,
ce que ~~vinas dit en parlant de la relation avec un ~tre infi-
niment distant, "i 1 fait toujours face", en ce que "son autorité
d'~tant" est toujours invoquée dès qu'i t ~~t question de ·Ia·.i~
gnification de son ~tre." (1)
Que la relation avec l'être, se jouant comme ontologie, ne
puisse surmonter,
incontourner l'irr~ductibi1 ité de la relation
a~ec l'étant, duquel el le se produit comme compréhension ~el'~
tre,
i nc 1ut que 1a re 1at i on de l'ex i stant à l'étant, ;.... à l 'Autre
et à Autrui -
est une manifestation fondamentale. Voilà bien
pour-quo i
l'être-avec ••• nommant 1 'irréductibi l'it~de la relation
avec l'étant, dans sa ~ignification métaphysique comme être-avec
l'Autre, et éthique, comme être-avec-Autrui, détermine la cons-
titution fondamental~ de l'existant comme être-au-monde-comme
,
habitant. Parce qu'incluant un rapport, une relation d'habitation,
de famil iarit~ dans laquel le l'existant se produit comme s~jour
au monde ,la structure fondamentale de l'être-au-monde par laquel-
le l'existant est d~sign~, relève avant tout de la constitution
de l'"avè'c",
laquelle dit pr-é c i s émerrt; l'impossibilité pour l'ex-
istant d~ s'arracher à l'irréductible rencontre avec l'étant c'est-
à-dire avec l'Autre et avec Autrui. l'être-avec- l'Autre et 8vec-
Autrui constituant le fond de la relation métaphysique et éthique
dans l'ouverture duquel
l'existant se produit comme celui qui
n'existe qu'à rencontrer, doit être considéré cjmme une structure
privi l'giée d'où sont motivés tous les rapports de l'homme avec
les choses,
les êtres et soi. "Si
l'ontologie ••• est impossible,
(1)
lévinas
op. Cita
p.18
225
ce n'est pas parce que toute définition de l'être suppose déjà
la connaissance de
l'~tre ••• c'est parce que la compréhension de
l'être en général
ne peut,dominer la relation avec Autrui. Cel-
le-ci commande cel le-là. Je ne peux m'arracher à
la société avec
Autrui, même quand je considère l'être de l'étant qu'j 1 est. La
compréhension de l'être déjà se dit à 'l''étant qui ":-~~G·-u:r7.1:it derriè-
re 1 ethème où
il
s'offre. Ce "dire à Autrui" --cette relation
~vec Autrui, comme interlocuteur, cette relation avec un étant
précède toute ontologie. El le est la relation ultime dans
l'être.
L'ontologie suppose la métaphysique," (lJ ~erit Lévinas.
La proximité de l'Autre dont l'irréductible altérité est
signifiée et vécue dans le mythe et le culte, et la proximité
d'Autrui telle qu'el le s'orfre et se joue dans la relation éthi-
que, constituent le fond à partir duquel se produit concrètement
l'existant dans
sa quai ité d'Accuei liant. La modal ité de la ren~
contre caractérisant l'être-avec?. plus qu'el le ne manifeste
l'existant comme tel
(comme l'Accuei liant) l'investit dans sa
constitution fondamentale d'habitant. En tant que Séjour dans
le monde,
l'être-avec ••• est essentiellement articulé à partir
de l'irréductible rencontre qui a pour fond l'Autre et ~utnui~
La rencontre est un mode constitutif de l'être-avec ••• et avant
de s'imposer comme "fait", fonction empirique, el le est origi-
nairement conditionnée au fond de toute relation. Elle s'inves-
tit dans la structure de l'être-au-monde qui a pour constitution
fondame~tale "l'é-Ioignement" pour reprendre un concept de Hei-
degger, 'visant l'essentielle tendance à la proximité que mani-
feste I~existant. A l'être-au-monde est co-originaire la struc-
ture fondamentale de l'être-avec-Ie monde dont
le fond, parce
que constitutif de toute expérience, articule sur le mode de la
communication, toutes nos rencontres avec les choses,
les êtres
et so 1.
La constitution de l'être-avec ••• sur laquel le se fonde
l'originel le relation 1iant l'homme et le monde, structure la
(1)
Lévinas
op. cit.
p.18
226
motivation centrale des cultes et des cérémonies solennel les;
rencontrer l'Autre, voi là ce que visent toutes ces productions.
La communication primordialè qui, sur le mode pathique est au
centre de tout culte, apparatt dans sa forme
la plus pure quand,
dans la danse par exemple,
le fidèle hors de soi est comme réqui-
sitionné dans"le sans-distance", dans la proximité irrécusable
de
l'Autre. Dans l'expérience de
la réal ité du Sacré,
l'ébranle-
ment de l'être-au-monde ne se produit comme Accuei 1 de l'Autre,
Rencontre,que parce que dans sa constitution -- cel le de
l'exis-
tant -- dont la communication est une dimension centrale, appa-
raît, ( est signifiée) comme fond -- la présence irréductible
de l'Autre laquelle ne peut être séparée comme le souligne lévinas
de la relation avec les ho~mes, avec Autrui qui est au fondement
de l'Ethique.
Privi lé8ier, dans la constitution de l'être-au-monde,
la
relation avec Autrui, c'est-à-dire affirmer le primat de l'Ethi-
que en tant que structurant une relation irréductible à laquel-
le se rapportent toutes les autres, c'est reconnaître et affirmer
la constitution fondamentale d'une structure âU fondement de la-
quel le toutes nos rencontres sont déterminées en ce qu'el le con-
ditionne toute relation:
la structure de l'être-avec •••
Chez les Négro-africains pour qui
la conception du monde
est fortement axée sur un vital isme rigoureux qu'établ it l'inter-
action des forces hiérarchi~6es, la structure de l'être-avec •••
revêt une importance primordiale pour la détermination de
l'ex~
istant car c'est en el le que s'articule la communication entre
les êtrès et
les forces en interaction au sein de l'ontologie
comme au sein de l'éthique africaines. Tout est force, tel le est
l'affirmation ce base qui conduit l'Africain à fonder une ontolo-
gie essentiellement dynamique, énerqétique, renvoyant à une sour-
ce unique de
la réal ité dont chaque forme de l'étant est une 1i-
mitation. A cette sow~ unique, considérée à la fois comme la
Force par excellence, en tant qu'expression privi légiée de
l'ê-
tre, et comme un étant nécessaire, cause suprême de 501,
l'ex-
227
istant est séparé par toute une série d'intermédiaires grAce
auxquels il peut cependant entrer en communication avec l'Etre
suprême~ afin de devenir plus "fort" ce qui,pour l'Africain, re-
vient à dire ex-ister, surgir à la proximité de l'~tre. Cette
proximité dont dépend la réalisation du "renforcement" vital de
l'homme se produit essentiellement dans sa forme la plus profon-
de dans le pouvoin créateur du Verbe, de la parole.
Provoquer, orienter, se concil ier, neutral iser, util iser
les forces selon des processas appnopriés pour se réaliser, toutes
ees diverses modal ités de la structure de l'~tre-avec~•• , parce
qu'indiquant un rapport,
l'existant les découvre dans l'exercice
et dans la fonction de la parole. La profondeur du geste qui est
au fond des rites,
ne se concrétise que parce Qu'el le s'investit
dans la profondeur éminente de la parole.
Parce que pouvoir d'interpellation de l'Autre -- et d'Autrui
à proximité,
la parole est non seulement pour le néqro-africain
au fondement de toute relation essentiel le, mais en el le s'in-
vestit et s'ex-plique la possibi lité m~me de la technique, du
sacrifice, de
la thérapie, de la danse, de l'art ••• tous les mo-
ments en somme de
la révélation de
l'Autre et'd'Autrui. La paro-
le dans l'efficience de laquel le l'étant est "mis en branle" est
essentiellement force, pouvoir
d'instauration, cela apparaît
clairement dans l'acte de
la nomination d'où le nommé en ~uelque
sorte se produit, confirmé en son être: "je nommerai
les cho-
ses futi les qui fleuri~ont de ma nomination", (1) dit le poète.
de même .:
"Sail
je proclame ton nom Sai 1 ! ce fut
un grand déchirement des apparences et les
hommes ~estitués à leur noblesse,
les choses à
leur vérité." (2)
Par la nomination le poète dévoi le l'être de la chose nom-
mée en
la forçant à ad-venir par delà le déchirement des apparen-
ces qui est ouverture à
la présence; c'est ainsi que le poète
l. S. Senghor : Ethiopiques
P.ll"
Ibid.
P.l08-109
228
appel le. la nomination pose l'être de la chose nommée dans
la
présence: c'est un appel, Qui
fait surgir l'essence profonde de
la chose appelée. C'est dire que dans la nomination l'ad-venance
à la présence de
la chose nommée
loin d'être une conséquence de
la nomination,
lui est contemporaine, ce que
les Yoruba expr~ment
ainsi
"i 1 n'y a rIen là où n'est rIen, cela est pour lequel
nous avons un nom." (1)
les rites sont innombrables qui témoignent Que
l'enfant n'est
véritablement homme différent de
l'animal dont
il a
le statut à
la naissance qu'avec l'impos~tion d'un nom. Le fait de la nais-
sance n'est pas
l'acte essentiel, mais la nomination el le-même
qui a
le pouvoir d'engendrer parce que place l'enfant dans
la
société des hommes. Aux yeux des Négro-africains
la force que
confère le nom à
l'homme le produit essentiellement dans
les re-
lations sociales.
Le nom d'un
individu apparaissant comme une
définition sociale permet à
la société de communiquer avec lui;
il permet d'établ ir une relation avec les autres.
Prononcer un
nom, c'est toujours découvrir
le nommé dans une situation où
il
est en relation avec Autrui, situation dans
I~Quel le la force
vitale est en3a~ée. La plural ité nes noms, allant du sobriquet,
du nom courant au nom secret, correspond en somme à des attitudes
différentes des hommes selon les relations Qu'i Is entretiennent
a.vec Autru i •.
Tout se passe comme SI
nommer, en visant
la promotion,.
la
réalisation de
l'homme, ne produisait
l'accroissement de
la force
vitale de celui-ci
qu'à travers
la relation éthique par laquelle
passe la',possibi 1 ité de
l'harmonie avec le Cosmos, c'est-à-dire
l'unité oe l'homme et du monde -- de
l'Autre constituant
la rela-
t i on mét aphy s j que. Nommer est un acte essent j el. Vo il à pour-quo i
nommer est un acte grave qu in" est pas dépourvu, potr 1es Négro-a-
fr i ca i ns,d~ c()nsc\\.Qucn C'~3 eor i OU5'-':9 ,:.. ) !"ù l'es i nnœrbr- cAh..l..e<i ~ irrt e r d.i ts
cl,,-j' sont rattachés aux noms.
les dogons disent, partageant cette opinion avec
la plupart
des sociétés africaines, que mal
nommer quelqu'un équivaut à
le
(1)
J. Jaheinz
Muntu .1 'homme africain et la culture
négro africaine
Ed , Seui 1 1958
p.149
229
diminuer tant sur
le plan social que -- dans la hiérarchie des
forces -- sur le plan de l'Etre ; alors que bien le nommer, ''l'ac-
croÎt ff •
De même:
"si j'appel le quelqu'un pour lui d~re de bonnes paroles,
lui donner à manger,
lui donner à boire c'est
la même
chose"
"la mauvaise parole fait mourir mon corps" disent
les Do-
gon. (1)
la force vitale (nama) signifiée ici dans cette comparaison
nutritive est un principe de base inhérent à tous les êtres, mais
susceptible de s'accroître et de diminuer. le nom est l'expres-
sion par excellence des puissances vitales et de
leur cohésion;
la relation avec Autrui, comme la relation métaphysique consti-
tuant
la structure de
l'é~re-avec••• trouve dans l'acte de la
nomination un révélateur essentiel assi~nant à la communication,
sinon à
la communauté Qu'instaure la parole, une dimension prl-
vi léqiée pour la constitution de
l'existant. Ceci expl ioue
la
coutume qui veut Que "lorsqu'une personne se trou~e en état d'im-
pureté, el le perd non seulement ses noms et ses paroles, maiS
en même temps son nama, ce qui signifie clairement qu'on ne
lui
adresse plus la parole, et qu'on ne l'appel le plus par aucun de
ses noms, qui participent de l'impureté de
l'être: certaines
catégories d'individus, qUI se trouvent en état momentané mais
régul ier d'impureté, se voient dans ces moments appelés d'un
nom commun qui désigne
la catégorie à
laquel le ils appartien-
nent" (2). aÜRsi en est-i 1 des enfants circoncis, des initiés
t
pendant ~a retr~ite, des femmes menstruées.
la d)mension de
la puissance vitale,
le nama, en laquel le
l'homme est désigné dans sa relation avec l'Autre en tant que
celui-ci est le principe par excellence et p.~t le dispensateur
de cette force, trouve sa détermination concrète dans
la nomina_
tion dont
la signification, nous venons de
le voir, s'articule
dans les relations sociales,dans le monde éthique.
Il est permis
G.C. Griaule
op. cit.
p.350
Ibid.
p.350-51
230
dè
r:-e avec lévinas que: "la métaphysique se joue là où se
joue la relation sociale ~ dans nos rapports avec les hommes.
Il ne peut y avoir, séparée de la relation avec les hommes, au-
cune "connaissance" avec Dieu. Autrui est le
lieu même de la vérité
métaphysique et indispensable à mon rapport avec Dieu ••• Autrui
n'est pas l'incarnation de Dieu, mais •••
la manifestation de
la
hauteur où Dieu se révèle." (1)
Nommer,
c'est, au-delà de toutes significations concrètes
que l'on peut assigner à cette fonction,
établ ir une relation
essentiel le d'où est circoncrit
l'être de l'homme. Cette relation
est cel le d'une structure fondamentale dans
laquel le s'ex-pose
comme fond irréductible de l'existant, Autrui,
1 ieu de la mani-
festation de l'être, de la force. Se situant dans
la perspeetive
de la structure de
l'être-avec ••• ayant Autrui
comme fond cons-
titutif,
la nomination accomplissant "la mise en commun originel-
le du
langage" (2) offre, pro-pose l'homme aux autres comme son
unique possibilité d'ex-ister, car à
l'essence du
langage par
quoi
l'homme, comme nous l'avons déjà vu à propos du mythe de la
révélation de la parole chez les Dogon, se produit comme séjour
au monde exerçant ainsi son pouvoir sur les choses, est essentiel-
lement articulée l'offre même du monde, d'un "chez soi". la pa-
role instaure. El le effectue l'entrée des choses dans un monde
habité, c'estpr":'tluoi elle apparaît pour les Négro-africains
comme l'ex-pression par excellence de"l'être-force". C'est
la
parole qui fait de
l'existant,
l'habitant qu'i 1 est,c'est-à-dire
c'est elle qui
lui confère la pessibiJité, d'où il s'ex-pose, de
rencontrer à proximité l'étant, spécialement Autrui.
la pèrole nous introduisant dans la dimension d'Autrui est
,
.
au fondem~nt structurel des formes d'existence de l'être-homme
tel Que celui-ci apparaît dans
la culture et la rel igion négro-
africain~ Nombreux sont les mythes et les rites qui axent le
développement de
l'humanité hors de l'animalité, à partir de
l'acquisition de
la parole, mode fondamental de l'être-dans-Ie
monde. La structure de l'être-homme dans l'essence du
langage à
E.
lév i nas
Totalité et Infini
p.51
Ibid.
p.148
231
partir de Quoi
l'existant se produit concrètement comme être-~
Autrui tbU\\e,
une forme d'approche privi Jégiée qui en permet
la
compréhension.
l'éthique néQro-africaine structure
l'homme
la
présence humaine -- dans la communauté des vivants et des morts,
des Ancêtres et des dieux: el le consiste pour
l'homme à se réa-
I iser, à reconnaître
l'unité du monde vivant en le ramenant à
l'unité de son propre fond.
L'homme se produit concrètement com-
me être-dans-le monde en se réal isant dans
le fond éthique d'où
se "co-répondent"
l'harmonie avec le cosmos et
l'harmonie avec
le monde social.
la possibi 1ité de
l'éthique s'investit toute
entière dans le langage, et dans son pouvoir de formation et de
manifestation. le
langage, tel
que nous
l'avons déjà soul igné à
propos de la nomination désignant
l'homme en son essence m~M~,
extériorise en une format.on concrète et en un monde de figures
objectives grace auxquel les :~eu~ < ~tre vécu~
le fond éthique.
le nom QUI puise ses racines dans
les sources
les prus profon-
des de l'ame humaine et de l'inconscient collectif est signifié
dans les mythologèmes comme une sorte de pUissance originel le
d'où procède tout être et tout avènement.
Il ex-pose l'homme à
la proximité des autres, articule
la présence humaine si
bien
qu'il apparaît comme
le fond à partir duquel
l'existant se pro-
duit hors-de-soi-avec ••• Le pouvoir du nom qui est celui
de
la
parole dans sa désignation éthique, est à
l'origine dans de nom-
breuses civi 1 isations, de la production et de tout Be q~i eiist~,:
de tout étant, et el le permet m6me de tout dominer. nC~est pour-
quo t
le pl u s sou\\lent c'est le nom du dieu
lui-même qui apparaît
comme le véritable moment fort".
(1) Connaître le nom de auel-
qu'un c'~st avoir pouvoir sur lui. La détermination du nom chez
les Négro~africains est SI
intimement
liée à
la structure de
l'être-homme qu'i 1 fait partie inté3rante autant que
le corps
et
l'âme, de
l'être même de
l'homme;
car en deça d'une signifi-
cation plus ou moins accessoire de propriété,
il permet de déter-
miner un fond à partir duquel
la présence humaine s'ex-pose comme
être-dans-Ie monde à
la rencontre de
('Autre ~d~utrui. Le nom
(1)
E.
Cassirer
langage et Mythe
p.65
232
par lequel un être existe pour un autre est un mode fondamental
de la structure de liêtre-homme laquel le se réfère à la sphère
de l'Ethique.
la structure de la présence humaine est s.
intimement 1 iée
au nom que chaque fois que l'homme entre dans une phase décisive
de sa VIe,
la transformation de son statut s'accompagne de
la
transformation de son nom ou de
l'acquisition d'un au'tt"e nom.•
loutes les cérémoni~d'initiationattestent ce fait. la mort et
la renaissance symbol iques évoquent un cycle dans lequel
l'hom-
me, à travers un nouveau statut s'accompagnant d'un nouveau nom,
s'investit dans la proximité de l'Autre, et c'est bien pourquoi
le nom relève-t-i 1 avant tout de la structure de l'être-avec •••
là où cet.t e con st i tut i on fa i t défaut ~ à supposer qu 1 i 1 y ait un
homme qui ne puisse avoir aucun rapport de quelque ~enre qu'i 1
soit-fait défaut également la qualité d'existence, c'est-i't~ùire
I~tre-au-monde lui même. Ainsi le "possédé" dont on dit en Afrique,
qu'il a été ravi, "dépossÉdé", de son nom par la pratique de la
Sorcellerie, est-i 1 considéré comme n'ayant plus d'ex-istence
authentique, parce que la perte du nom -- "du.double" __ équivaut
à la perturbation même de
la structure éthique d'où l'homme se
produit dans la communication Qu'i 1 entretient non seulament avec
les autres, mais partant avec SOI.
la conception négro-africaine de l'homme s'inscrit fondamen-
talement dans une dynamique vitale constitutive de l'unité du
monde cosmique et du monde social, unité dans laquel le la structure
même de 'l'être-homme,
la présence humaine se produisant dans un
t
monde ha?ité, est en9a9ée~ Cel le-ci, pour eux, n'est définissable
qu'en fonction du devenir: N'étant pas irrémédiablement déterminé,
l'existaht ne devie~t tel qu'après certaines transformations
physiques,
l'accompl issement de certains rites destinés à
l'intro-
duire dans la société,
le produisant comme séjour dans.le-monde.
Habiter Je monde revient à désigner une structure dans laquel le
la constitution de l'être-homme
se joue dans las ~elations qu'en-
tretient l'existant avec les autres et avec l'Autre, déterminant
233
toutes ses rencontres.
la structure de
l'être-homme par exemple
chez
les Bambara,
se circonscrit non seulement dans
la relation
éthique en tant que fond d'où s'accompl it
la nomination,
mais cet-
te structure dépend aussi
du métie~ exercé et des matières mani-
pulées~ c'est-à-dire des modes d'~tres à t~avers lesquels s~ex
prime
la présence humaine.
Ainsi, dans cette population comme chez
la plupart des popu-
lations africaines a cours tout un système de représentations at-
tachées à
l'agriculture,
à
la forge,
au travai 1 du bois,
au tra-
vai 1 du CUir,
à l'art de
la parole. Chaque activité produisa~t un
type d'homme,
de mode d'être,
bien définis,
si9nif~és par rapport
aux systèmes de valeurs. aux systèmes de forces suivant
la pla~e
qU'occupe, sur
le plan mythiaue et social, ~Ia matière" avec
la~
Quel le
l'existant .est en rapport.
L'exemple de
l'aariculteor, est révélateur.
la struc~bre de
I~être-h()mme se Joue
ici
fondamentalement dans
le" destin de
la
terre, de la pluie, cu vent, de la séche~esse, ~es éléments con-
jugués de
la vie et de
la mort,
du cycle des saisons, des rapports
rituel~ de l'homme et de la terre, SI bien que ce Que l'homme est
ici
se détermine à travers toutes ces rencontrés auxquelles
il
s'ex-pose."Sa noblesse,
selon
la parole du poète, est de vivre
cette terre,.~. selon cette terre". (1) l'ê~re-homme du cultiva-
teur s'ex-pose non seulement dans
l'être-pour.~~ qui visé, à tra-
vers ses techniques " l a production de
la récoltenourridi~re dont
la terre est dispensatrice, mais
il
se produit essenti~1 I"ement
comme êtr~~avec-Ia terre, en participant à
la fécondité de
la ter-
re, aux mYstères de
la germination de
la graine
il
découvre son
être profond en rapport avec
la Terre, dans une communication ori-
ginaire Q~'i 1 manifeste à travers ses rites, ses cultes, à trave~s
ses gestes réitérés s'accompl issant à
l'intérieur d'un cycl~ cos-
ml que.>
A là structure de
l'être-homme est co-substantiel le
la sphè-
re de
l'être-avec ••• structurant
la dimension de
la communication,
dans
laQuel le 0nt sens
les rencontres d'où se détermine
la pré-
sence humaine.
la communication a surtout
lieu ~ans l'expression
(1)
i..s. Sen ohor-
Ethi~piaues
Ed.
Points
1
"~
234
de
la parole qui est à l'origine de toute signification ainsi
que le montre le mythe Dogon:.à l'Ancêtre Binou Sérou recevant
la première parole, "50 : parle" parole contenant"en puissance
tout
le vocabulaire futur, tous
les 0ialectes dogon et toutes
les langues 6trangères", r6pond en 6cho "le premier tambour" Qui
re~voie "la première parole aux autres ancêtres dont les orei 1 les
et
I~s esprits s'ouvrent alors et qui à leur tour, parlent
"~o : êga : pu : "on a entendu (ou compris) la pe r-o le "; et enfin
sb:pu" on parle." (1) Ceci pour dire Que la parole est non seule-
ment au fondement ce toutes les oeuvres humaines, mais instaure
le monde même de la signification et de
la communication s'accom-
plissant dans la vie éthique a'où précisément el le s'investit.
La structure de l'être-avec ••• ~ssigne donc une structure
où se joue, à partir de la communication avec les autres circons-
crivant le domaine éthique, et à partir de
la parole constitu-
tive du monde de
la signification,
la structure même de l'être-
homme. Les modifications de cette structure dans
les maladies de
l'esprit ne peuvent se dissocier des modifications de
la com-
munication avec les autres, du monde de la signification qu'in-
troduit la parole, et des modifications enfin du domaine propre
l'être-soi. De même, que le monde de
la signification et de
la
communication avec les autres se perturbent, pour que se trou-
ve modifiée
la structure de l'être-homme. La technique thérapeu-
tique du ndap chez les Lébou du S6né~al, Qui, pour restructurer
l'existence de
l'être-malade dont
la relation a~ec les autres
est affectée, déficiente, articule toute une symbolique axée sur
le pouvoir de
la parole -- de
la nomination -- et sur les tech-
niaues'~u corps, danses chants, visant à insérer le malace dans
.
un mond~ communautaire, fait précisément de l'Ethique le 1 ieu
d'où concrètement s'accompl it la présence humaine.
La maladie tel le ou'el le est appréhendée dans cette cérémo-
n r e , en tant que dé fi-r-" ~ ncc fondamenta 1e de 1a re 1at i on avec
Autrui et avec le Monde, partant avec SOI,
est vécue comme une
possibi 1 ité humaine dont ''l'existence est en échec" précisément
(1)
G.C. Griaule
Ethnologie et Lan3age
p.98-99
235
parce que la sphère de l'Ethique est une sphère constitutive de
l'homme de l'avec,
c'est-à-dire de la structure de l'être-homme.
l'existence en échec nomme la déficience qui est vécue dans la
pathologie comme étant
la .~éficience d'un rapport en déséqui li-
bre entre les structures de l'être-dans-Ie monde constitutif des
modes d'habiter le monde et la structure de l'être-avec ••• qui
est de l'ordre de
la communication et de
la relation éthique.
Car à travers la déficience et
la perturbation des rapports avec
Autrui, ce n'est pas seulement les modes d'existence de
la mala-
de, ses expériences vécues qui sont troublées, mais en même temps
la dimension fondamentale de l'être-soi qui sous-tend la C0mmu-
nication avec le monde et avec les autres~
A travers
les productions mythiques comme à travers
les ~itesi
à
l'exempte de la cérémonie thérapeutique du ndop lébou,
l'exis-
tant se man i feste essent Î e 1 1ement comme ex-press i on même de '''r'':ex-
tériorité", pour employer un concept de lévinas, d'o~ i 1 s'~-ver
tueL Extériorité qui a'accomplit dans
l'Ethique parce Que constf-
tutive du fond de toutes
les rencontres de l'existence humaine.'
"l'extériorité comme essence de l'être" désigne à travers
la pro-
duction de la parole, d~ la communication et de la présence ir-:
réductible d'Autrui,. d'o~ el le s'exerce et se déploie,
l'expres-
s ion par exce 1 1ence de l'ex':' i stant comme être-hors-de ..soi ..;avec •.•.•.
l'extériorité de l'être appara7trait ainsi "non pas comme une
forme que l'être revêtirait éventuellement ou provisoirement dans
la dispersion ou dans sa déchéance, mais comme son exister mê-
me••• Une,tel le extériorit' i~Duvre en Autrui ••• se refUSe à
la
thématisation parce que positivement, el le se produit dans un
être qui s'exprime". (1) Déterminer l'existant comme extériori-
té d'où son être se produit, c'est reconnaftre en somme l'être~
avec •••. structurant la sphère de la communication et de
la rela-
tion avec les autres, comme fond constitutif à partir duquel est
signifiée l'essence même de l'existant. l'être-avec •••. est exté-
riorité c'estdirè que pa-- la parole -
le langage -
la communication,
et la relation avec l'Autre et Autrui d'où procède toute signi-
(1)
E.. lévinas
Totalité et Infini
p.272·
236
fication,
s'investit fa possibi 1 ité même de la présence humaine.
Privi légier
la structure de l'~tre-avec••• dans la consti-
tution de l'essence de l'existant, c'est non seulement signifier
l'importance fondamentale~de la communication, mais c'est faire
de la relation éthrque d'où cel le-ci s'accompl it,
le lieu même
de l'ext6riorité, c'est-à-dire le I~eu d~où ~B ~oéè~nte J~~6dDO~
tible d'Autrui s'ex-pose à l'horizon de toutes les rencontres de
l'existant. la Rencontre de l'Autre et d'Autrui, comme fond irré-
ductible de l'existant qu'articule la motivation centrale des
mythes et des cultes, s'annonce essentiellement dans
la consti-
tution même de l'être-avec •••
laauel le détermine toute extério-
rité. C'est précisément cette constitution que la· parole du poè-
te révèle pour signifier le fond de
I~ présence humaine, dans
sa rencontre avec l'Autre à travers Autrui comme son unique pos-
sibi lité d'exister:
"Ma noblesse est de vIvre cette terre,
Princesse selon
cette terre
Comme le riz
l'igname la palme et
le palétuvier,
l'an-
cêtre lamantin l'ancêtre Crocodi le
Et li langa ma soeur. El le danse el le vit.
Car comment vivre sinon dans
l'Autre au fi 1 de l'Au-
tre, comme l'arbre déraciné par la tornade et
les
rêves des îles flottantes?
Il:
Et pourquoi vivre ~i
l'on ne danse l'Autre? " (1)
la p~ésence humaine ne se produit pas en dehors du monde;
maIs el le 'l'investit comme monde habité, comme séjour en s'eK-
posant dan~ les relations métaphysiaue et éthique. l'exemple
.
.
de la rév~lation mythique de la parole que nous avons déjà ren-
contré chez les Dogon est significatif à cet égard, en ce que
la parole n'a ~u instaurer le monde de la signification, n'a pu
effectuer concrètement l'entrée des choses dans un monde habité,
qu'à produire en même temps l'existant dans son irréductible
relation avec l'Autre et avec Autrui.
l'extériorité dont nous
(1)
l.S. Senghor
Ethiopiques
Ed. Points
p.141-142
'i
dll
III. .
237
nous servons ici pour nommer
le surgissement de
l'existant hors-
de-soi, -- ce q~i est signifié dans la constitution de l'être-
avec ••• ~ s'irréal ise pourrait-on dire, dans le fond même de
la parole d'où procèdent toute communication et toute significa-
tion. Cette prééminence de
la parole se produit concrètement dans
l'éthique au 1 ieu de laQuel le l'existant comme être qui s'expri-
me,
s'exp0se comme séjour dans un monde habité. "Au dévoi lement
de l'être en général, comme base de la connaissance et comme sens
de l'être, écrit lévinas, préexiste la relation avec l'étant
QUI
s'exprime; au plan de' l.toni(j~6~ie, _~e<l/')Iah ~tl1Ï"~ue:n (1)
Dans la communication ~riginaire où
l'existant se découvre
avec les êtres et avec SQI, dans un monde,
l'être est ••• (offert)
"comme mis en branle", pour reprendre une expression de Ma/di-
ney (2) dans le surgissement de
l'existant, de
l'existant QUI
s'exprime. Dès lors la manifestation de
l'être ne saurait être
séparée de l'effectuation de
la parole -- du
langage, effectua-
tian par laquel le s'instaure le monde de la signification qu'ha-
bite l'existant, que produit
l'existant qUI s'exprime. Nous pou-
vons donc dire avec lévinas que "l'être est un monde où
l'on
parle et dont on parle.
la société est la présence de l'être •••
la vérité de
la chose en soi
ne se dévoi le pas.
la chose en
SOI
s'exprime. l'expression manifeste la présence de
l'être ••• "(3)
le monde dans
la parole se produit dans
la signification,
la parole le signifie comme monde c'est-à-dire comme Séjour d'où
l'existant est aux autres. Dire que l'être se présente dans
la
parole"comme 1 ieu même de sa manifestation, c'est décider, an-
noncer ~e sens de
l'être dans
l'ex-position par
laquelle la pa k
role dans son pouvoir de rassemblement, met en lumière, mani-
feste en un recuei 1 ce qui demeure caché, enfoui mais qUI ap-
partient en même temps à ce Qui
se montre. C'est dire que la
parole ex-pose un recuei 1 comme mise en lumière d'où s'annonce
l'être des choses tel qu'i 1 se pro-pe8e~ ~r ce pouvoir de mani-
festation de
la parole dans sa fonction
la plus éminente est
exprimé chez
les Peul par
le "noeud", d'où sont signifiés non
E.
Lévinas : Total ité et Infini
p .175
H. Maldincy : Regard Parole Espace
p.71
E. lévinas : op. cita
p.156-157
238
seulement le recuei 1 1 iant ensemble,
l'être et
la parole, me i s
l'actual isation aussi de la relation homme/monde.
Il est significatif dès
lors de voir que
le dieu dont
le
nom même
Koumen -
est signifié dans
le "noeud" -
"koumde"
nouer en peul et toucouleur -
soit en même temps désigné dans
son pouvoIr de rassemblement autant qu'i 1 est connu comme celui
dont l'être est de-set,..nr.lspoformer
en de mu 1t i pies figures. Ma i s œ-
là même est une des fonctions essentielles de la parole: rassem-
bler le divers en un recuei 1 et s'y dissimuler en même temps,
sinon comment autrement conci 1ier l'unité do dieu ét cette affir-
mation où il dit de lui-même: "Je suis Koumen aux formes multi-
ples~' (1) "Le noeud" dans sa fonction qui est de rassemblement
n'ex-pose-t-i 1 pas ici
l'être m~me du dieu tel qu'en lui-même
il se montre? C'est-à-dire en tant que recueil d'où il se pro-
pose à
la fois un et multiple? Le noeud dans la symbolique e~
la pensée peul, articulant
la parole et l'être, se détermine es-
sentiel lement comme recuei "
comme mise en
lumière d'un fond qUI
à la fois
indique un pouvoir de manifestation et de dissimulation.
"Je suis le lointain et bien proche" affirme ·Ie dieu Kaydara,
s'explicitant ainsi comme Koumen pour reprendre
les termes de
Heidegger "dans l'appartenance réciproque des efforts antagonis-
tes",
(2) sinon apparaissant comme cette appartenance elle~~ême,
c'est-à-dire comme "un rassemblant","un~recuei1", "de ce qUI
s'efforce hors de l'autre contre l'autre". (3) Oe quo t
le dieu
est-i 1 le rassemblant? Oe ce qui s'offre et de ce oui fuit,
de
ce QUI ~st couvert et découvert à la fois, pour autant Que cela
manifest~ la détermination fondamentale du dieu qui se nomme
lui-même' : ''l'embusqué''.
Kaydara est le dieu qui manifeste son être en le dissimulant,
dissimulation qui appartient à
l'être même du dieu.
l'être du
dieu est à la fois enfoui
(symbole de l'or) et présenté comme
pUIssance, force qui noue et dénoue, force dont
l'être du dieu
est le recuei l, tel qu'i 1 se pro-pose à travers
l'initiation.1 1
est à
la fois présenté
dans
le récit comme le maître absolu des
Hampaté B~ : Koumen
p.33
Heidegger
Introduction à
la métaphysique
p.146
Ibid.
p.142
239
pUissances obscures de ia Terre et il est en m@me temps celui
qUI donne la
lumière, celui par qui
la lumière arrive: car il
est
l'Initiateur qui a pour but de donner "le savoir vrai parei 1
à une
lumière". (1) flle noeud" par lequel
les Peù l signifient
1a paro 1e dans son essent i a 1i té ainsi Q.Je F essence cachée des êtres
et des choses, est surtout "connaissance profonde" qui
s'investit
dans l'initiation dont il relève. "l'initiation est connaissance.
Connaissance de Dieu et des règles qu'i 1 a
instaurées; connais-
sance de soi, aussi, car elle se présente comme une éthique;
connaissance éga.fement de tout ce qui
n'est pas l'homme,
"puis-
qu'i 1 lui a été donné de connaître ce qui
n'est pas
lui." Et cet-
te science doit atteindre l'universél, chacun de ses éléments
et de ses aspects faisant partie d'un tout;
les Peul disent:
"Tout ne se sait pas. Tout ce qu'on sait, c'est une partie du
tout". (2)
Parce que
l'Initiateu~ par excellence, Kaydara
est essen-
tiel lement un "être-embusqué". Ce que
le dieu est, se dérobe sans
cesse dans "l'entrelacs de l'être, du non-être et de
l'apparence"(3)
il s'offre dans ce qui
fuit et fuit dans ce qui
s'offre. Quand
il apparatt,
il demeure en m@me temps absent, ·proche et
lointain
à
la fois
...
" ••• 0 toi
qui est de
l'or pur
enveloppé sous gueni 1 les et jeté en or~ures
entassées sur la route pour mieux cacher
ta quaI ité de maÎtre qui reste ainsi voi lée."(4)
Il est à: la fois le dieu de l'or dont il est le symbole partici-
pant du ~onde souterrain, et celui du saVOIr qu'i 1 enseigne com-
me vOie à la lumière; paradoxe dont
le fondement s'articule
dans l'e~sence même du dieu,
le dieu de
la"1 imite" comme son nom
"Kaydara" permet de
le suggérer. Son nom ne saurait @tre disso-
cler de son être.
Il est son nom.
"Gay? veut dire ~ci"; dont Kay serait une corruption eupho-
(1)
Hampaté B~ : Kaydara
p.153
mHampaté 8~ : Koumen
p.93
Heidegger:
Introduction à
la métaphysique
p.11?
Hampaté 3~ : Kaydara
p.133
\\
240
nique
Hdara H sign~fie arr~te au arr~te-toi (c'est l'imp6retff
du peul daraade lequel signifie aussI
la surrection,
leHse-dres-
ser H, ~tre ou rester debout).
Il est "la 1 imite" veut dire qu'i 1 est
le
1 ieu auquel
ont
leur recuei 1 l'être et
le non-être dans leur appartenance anta-
goniste. Kaydara est
le dieu des contraires et de
leur accompl is-
sement ; c'est pourouoi sans doute
à travers
les appositions
l
fonrlamenta 1es
l'or et 1e savo i r,
l'ombre et
1a
1um i ère,
l'être
et le n~n-être, proche et
lointain, est-i 1 avant tout
le dieu
ce l'initiation, c'est-à-dire le dieu qui ayant assumé toutes
les contradictions essentiel les en est
l'unité et
l'ensei~ne
comme suprême voie de l'existant.
La voie oue fraye
le dieu est
~~tl~'~ue l'existant, dans l'initiation, a à aSSUmer pour se
produire tel
ou'il
est, c'est-à-dire au fond,à exprimer le m~me
paradoxe -- à s'y manifester -- que celui du dieu: "se tenir
debout (Hdaraade") dans HI'entre/acs de l'être, du non-être, et
de l'apparence H• Ce Que nous voulons indiquer par-là c'est
l'ex-
pression d'un fond dans
lequel
les oppositions sont surmontées
quoique demeure
l'extrème acuité de leur tension.
C'est cette façon de se tenir, qu'indioue sans aucun dou-
te possible, dans
le réGit de Kaydara,
le symbol isme des trois
mondes -- Hie pays de la clarté", "le pays de
la pénombre",
et celui de "la nuit profonde H• L'initiation el le-même dans
le
récit, s'inscrit dans ce triple c.hem-l r-te-s..~,nt symbolique qui con-
duira
les postulants, de
l'espace aérien, céleste, au monde sou-
terrain des "génies-nains" où
leur sera"octroyé
l'or et Aon le
savoir H ~ans une première phase, et puis la deuxième phase du
,
récit, montre
leur retour vers la surface de
la terre Havee l'or
et non le savoir",
et enfin avec la troisième phase s'achève
le
récit, avec la Rencontre du (Heu
de
l'Autre,
qui dévoi le~ens
caché èes symboles, don du savoir; ce 1ui est
l'i 1 lumination
"ces noeuds", donc
la manifestation 0e
la parole comme instau-
ration du monde rle
la 5i~nification.
La si~nification ce ce récit r6vè~e oue l'être est essen-
241
tiel lement dissim~lé là même où pourtant il est à découvert. Ce
que
le récit met à découvert, c'est une des manières d'être fon-
damentales de
l'existant ainsi qu'en témoigne la parole de Hei~
degger pour ce qu'i 1 est permis d'y voir la fonction essentiel-
le
(comme fond) de toute initiation: "un homme qUI sait vrai-
ment n'est pas un homme Qui poursuit aveuglément une vérité, mais
celui-là Qui sait constamment les trois chemin8~.ce1u~ de l'être,
celui du non-être et celui de l'apparence. Le savoir supérieur
-- mais tout savoir est supériorité
n'est accordé Qu'à celui
qui a connu sur le chemin de l'être la tempête qui soulève tout,
à Qui
l'effroi
sur
I~ deuxième voie vers l'abîme du néant n'est
pas resté étranQer, et aui cepen~ant a assumé comme manière cons-
tante
le troisième chemin
celui de
l'apparence". (1)
La quête
des postulants dans
le récit de Kaydara comme dans celui de Kou-
men, traduit bien cette parole de Heide1qer.
Se tenir dans
l'entrelacs de ce "tri-monde" comme manière
spécifique d'êt~e, là est non seulement l'être même de"f'embus-
qué" --de l'être -- Que symbol ise Kaydara, mais
là s'inscrit fon-
damentalement la manifestation même du fond o~iginel de l'exis-
tant tel qu'i 1 se pro-pose.
(1)
Heidegger
Introduction à
la métaphysique
D.122
242
HI CONCLUSION
Sans doute pourrait-on re~retter, au terme de notre analy-
se, oue certains aspects de
la reli~ion et de la spiritual ité
négra-africaines ne soient pas abordée et Que d'autres ne furent
pas plus développés. Mais il
nous a semblé plus impartant pour
cerner
la réal ité globale cu numineux, moins d'être complet et
de tout vouloir embrasser à
la fois,
Que d'aller à
l'essentiel
de son mode d'~tre et de manifestation particuliers. C'est pour-
Quoi
à travers
les divers aspects que nous avons évoqués au cours
de cette analyse concernant un certain nombre de formes et de
rapports caractérisant l'instance
rel igieuse
rite, culte,
mythe, solennel, masque, danse, couleur, nombre,
initiation etc •• --
avons-nous cherché avant tout à poursuivre jusqu'à sa
1 imité
dernière
la réalité du symbole qui
l'informe et à déterminer
ainsi~au-delà des significations particulières une direction SI-
gnificative qUI
les excédant toutes,
les accompl it, c'est dire
finalement, dégager
la motivation fondamentale
informant
leur
raison d'être,
(de
la symbolique religieuse) et par conséouent
déterminer
le mode d'être de I!éxistant qui en est
te
1 ieu.
L'approche de
l'expérience du Sacré est ici
conjointement
menée, parce que fondamentalement axée sur les mythes,
les rites
et le culte~ l'approc~e même du symbole et de la réalité sym-
boliQue; car
la matière de base qui
informe et modèle
les my-
tholoqèmes, cultes et rites n'est rien d'autre que la réal ité
mouvante et ~ynamique du symbole lui-même leQuel appara1t comme
l'expre~sion la plus condensée et la plus succinte de la parole
dans sa primauté de si~nifiant et de rassemblant. Aussi
n'est-i 1
\\
pas étonnant de voir éh
le "noeud" comme le conçoivent
les peul
eux-mêm~s,rexpression la plus profonde du symbole, de la parole,
parce que
le noeud préfigure non seulement ce qUI, tout en se
révèlant,
reste dissimulé, mais il est en même temps
l'expression
de ce qui est uni.,de ce qui
rassembl~forme un tout. C'est di-
re que
le symbole es~ 'une possibi 1 ité ouverte à
l'horizon de
laquel le est affirmé avant tout un monde de sens. Nous sommes
343
avec le symbole dans
le domaine de
la sj~nification.
la réalité du Sacré qui
est au fondement de
la symbolique
rel i~ieuse est avant tout vécue dans une dynamique Que nous avons
nommée svmbolique de
la rencontre.les symbol isations mythiques,
cultuelles,rituel les,n'ont de raison d'être Qu'à exprimer
la ren-
contre fondamentale de l'homme et du divin,sî
bien Due
la Sl~nl
fication de
la symboliaue rel i~ieuse est d'articuler,à travers
des formes,des attitudes,des actions,une pro~imité du divin tel-
le que "l'homme devait faire
l'offrande de sa propre personne
pour devenir aussi
lui-même immédiatement
la forme dans
laquel le
s'exprimait cette proximité",comme
l'écrit Walter Otto.C'est cet~
te proximité essentielle du divin au
1 ieu de
laquel le
l'homme
Ae réalise pleinemen~ sa présence aux choses,son être-au-monde,
qu'à y avoir
lieu
lui-même (qu'~ y être)Qui détermine la~I~~a
religieuse et
les formes du Sacré.
Autrement dit,la motivation fondamentale qui
s'énonce et se
dénonce dans de tel les formations axées sur
le Sacré,est préci~
sément d'aménager une telle proximité où
l'hommc,communiquant
avec soi, les ohoeee,et l'Autre--le divÎn--dahs une rencontre,
s'outrepasse comme être-avec.Ce Qui
est donc siqnifié dans
la
dimension fondamentale de la symbol ique de
la rencontre c'est
l'être oui n'est qu'à être-hors-de-soi-avec ••• ,ce qui
s'appel le
ex-ister.
l'existant dans
l'horizon du monde né0ro-africain est celui
qUI n'est soi au'à être auprès des autres,Qu'à être soi-avec ••• en
tant Qu'être-soi, le rapport à soi,s'inscrit dans une dimension
\\
oriQina.ire de
la communication avec
les autres,avec Autrui.L'ex-
istant est désigné dans sa condition essentiel le d'être celui
qui n'e*iste qu'~ êt~e-avec••• ,si bien qu'être-h0mme c'est avant
tout et fondamentalement
l'homme de
l'avec "celui qui
n'existe
qu'à rencontrer.Cette dimenston de
l'éthique est à envIsager en
relation avec ce que nous nommons
l'ex-pression du fond à par~
tir de laQuel le parlent non seulement
la parole mythique mais
aussI
la parole poétique; les deux étant ici caractéristiques du
Séjour que nous sommes auprès de ••• l'existant de ce fait est ce-
lui qui, parce que
I~ est son unique possibi 1 ité d'ex-ister,porte
244
fondamentalement en SOI
l'Autre et vit dans
la proximité essentiel-
le de l'Autre qui est une dimension constitutive de son être-là.
Que la communication avec l'Autre soit rompue p0ur qu'un déséqui-
libre s'instaure qui affecte tous les modes de relations de l'ex-
istant et d'abord la communication de soi à soi. Nous avons vu
à propos du Nèôo comment
la perturbation de
la communication dans
la dimension de
laquelle l'Autre n'étant plus intégré comme par-
tie constitutive du moi, aboutit à
l'instauration d'un dés~Qui-
1 ibre qui affecte essentiellement l'homme de
l'avec, et comment
la thérapie avait pour fonction principale d'articuler, à tra-
vers une dynamique symbol ique, dans une proximité, une rencontre
qui mette l'être-malade en demeure d'être avec
les autres et a-
vec soi-même, relation dans
laquel le l'existant est signifié et
se réalise.
Dans la dimension existentiale de l'être-au-monde du Séné-
galais que nous étudions, cette relation avec les autres, qu'i 1
s'agisse des vivants ou des morts, est un facteur d'équi libre
qui,sur le plan de
l'inter-subjectivité, comme sur celui du con-
flit "oedipien", "désamorce ou repousse à
l'arriêre plan les
fantasmes
latents"selon Ortigues. Etudiant la situation oedipien-
ne en Afrique à travers ses consultations psychiatriques p~ati
quées à Dakar, Ortigues écrit dans "Oedipe Africain" : " A moins
qü'i Is ne recherchent
la solitude pour se protéger Jes contacts
devenus trop anxiogènes,
les jeunes gens décrivent tous comment
ils Bart poussés irrésistiblement à aller avec les amis, comment
pour eux ,être "bien" (heureux, dynamique) c'est être partie d'un
groupe d~une foule". (1) Ortigues voit en "cet idéal conscient
d'être •• .' avec les autres" une maniêre de désarmer, de nier l'hos-
ti lité, d'éviter, "les manifestations d'aqressivité".(2) Ce QUI
est ICI valorisé c'est l'éthique.
l'être de
l'existant suppose donc non seulement la reconnais-
sance de l'Autre, mais il
ne se réal ise pleinement qu'en étant
hors de soi pour ce que la dimension des autres est une dimension
essentiel le de
la constitution de soi. J. Hyppol ite, écrit dans
(1)
M.C. et Ed. Ortigues
Oedipe Africain
Plon 1973
p.114
(2)
Ibid.
p.13l
245
"Gen~se et structure de la ph~noménologie de l'esprit de Hegel"
"la conscience de soi
ne parvient •••
à exister,
au sens où ex-
ister n'est pas seulement être-là à
la manière des choses,
Que
par une "op~rationH QUI
la pose dans
l'être comme elle est pour
soi-même;
et cette op~rat.ion est essentiellement une op~ration
sur et par une autre conscience de soi.
Je ne suis une conscien-
ce de soi
oue s.
je me fais reconnaître par une autre conscience
de soi, et si
Je reconnais
l'autre de
la même façon.
Cette re-
connaissance mutuel le,
paursuit J.
Hypporite, telle que
les
in-
dividus se reconnaissent comme se reconnaissant mutuellement,
cr~e 1'~I~ment de la vie spirituel le,
le mi 1 ieu où
le sujet est
à soi-même objet,
se retrouvant parfaitement dans
l'autre,
sans
toutefois faire disparaître une altérit~ qui est essentiel le à
la conscience de soi." (1)
Que
la rechercho d'une reconnajssance de soi
par
les autres
détermine à même
les comportements quotidiens de
l'existant jus-
qu'à son "affirmatbon vi ri le" selon Ortigues,
montre Que
l'al-
térit~ se jouant essentiellement dans la sph~re de l'éthique,
est un constituant d~terminant pour signifier
l'ex-istant. "Le
voeu d'affirmation viri le exprim~, exprimable n'a ni
la même
forme ni
le même contenu Que ceux que nous
lui
connaissons en
Europe.
En Europe,
le voeu du jeune Oedipe est de rival iser dans
des tâches,
des actions,
des r~al isations.
la rivalité se cher~
che une sanction objective, el le se pense médiatisée.
Ici
l'accent
est d!avantage mis sur
l'affirmation d'un statu~, d'un prestige.
Il
s'agit plut8t de montrer aux autres,
aux "fr~res", une cer-
taine
imaqe de soi-même, de faire qu'i Is y croient pour pouvoir
soi-même\\y adh~rer. On se cherche dans
l'ima~e Que les autres (
ont de v~us même ••• comme s.
l'hom~g~néit~ int~rieure devait se
faire à travers
les autres" (2). C'est ce qui
explique pourquoi
la rivalité oedipienne est d~placée et se résorbe à travers --
et au-rlelà --
l'affrontement à
l'image du père,
"sur d'autres
.mages pour que
lui
soit trouvée une
issue viable" (3)
: l'ima-
ge des autres
(des frères,
des oncles et des ancêtres). C'est
l 'li
Jean Hyppolite
.
Jeunesse des structures de
la phénoménolo-
gie de
l'esprit de Hegel
Aubier ed. Montaigne Paris 1946
p~160
Ortigues
op. cit.
p.122-123
Ibid.
p.ll0
il. ;
•
247
munautaires, de l'unité vitale de l'harmonie clanique et du qroupe
contre
l'irruption de
l'individuel, du marginal isme ? la struc~
turation d'une dynamique de
la communication dans
laquel le
l'in-
dividuest assumé voi là ce qui décide encore de
la fonction et
de la signification de toute initiation.
lien est de même dans
le rituel, c'est pourquoi
la possession de
l'individu par le Rab
est articulée dans
le Ndôp,
dans une intense participation du
groupe à une dynamique symbol ique dane
laquel le
l'individu fon-
damentalement en prise, est à même d'extérioriser ses propres
phantasmes pour ce Que comme l'écrit Ortigues "l'es~entiel du
rite est d'extraire du corps ce Qui
vous possède pour le faire
passer dans l'autel, dans les paroles qui
nomment
l'objet du cuI-
te, et de rendre ainsi au corps sa fonction humaine primordiale
qui est de produire des symboles, détachables de soi et recon-
naissables par la communauté ••• C'est une seule et même chose
qui,
lorsqu'el le resie cachée innœmmable au fond du corps est
une menace de mort, et oui extériorisée dans le rituel, déposée
sur l' aute l, reconnue parm i
1es symbo 1es communs de v i ent gaqe
d'élection et de vie".
(1) la motivation fondamentale que dénonce
la dynamique symbolique constitutive des rites et des cultes
est d'articuler au sein d'une relation, un mode d'être par
lequel
l'individu est à même de s'outrepasser dans la proximité de
l'Au-
tre -
serait-ce l'Ancêtre,
les Autres, Autrui,
le Divin
ce
qUI s'appel le ex-jster. Dans
la dimension rel igieuse à
l'horizon
de laquel le
l'existant à lieu hors ce soi avec l'Autre,
il
ne
faut pe s i con cevo i r- cependant
l'Ancêtre,
les Autres et
le Divin
comme de~ termes séparés; car comme il apparaît dans le culte,
l'expéri~nce rel igieuse véritable inhérente à la vie sociale
est non seulement d'intégrer dans
la société
la présence des
ancêtres, êtres divinisés, mais de maintenir
les 1 iens communau~
taires entre
les morts et
les vivants,
les génies et
les hommes.
Réactualiser ces 1 iens sans
lesquels s'instauren~ un déséqui li-
bre~une dé f i c i e nc e du mode d'être -.-le l'existant dans. sa quali-
té d'être avec ••• , est une des fonctions fondamentales de tout
Ct)
Ort igues
0").
c i t ,
246
dire aue l'intériorisation de
l'agressivité est déplacée, comme
c'est le cas dans
le culte du Ndôp et se résorbe dans le drame
d~ lignage et du destin fami liai, facteurs sécurisants et d'in-
tégrations.
L'ouverture à soi s'inscrit fondamentalement dans l'ouver_
ture à l'Autre sans
laquel le l'existant est tenu dans l'impossi-
bi lité d'être sa propre possibi l i t é : être-soi-avec ••• , d'où
l'existence en échec du "fou", de
l'impuissant "de l'agressif",
"du lépreux" précisément parce qu'i Is sont "voués à être seuls
éternellement", c'est-à-dire "à n'être personne" (1) •. "L'existant
c'est les autres" dit un dicton peul
(aaden Ko yimbe) ; de même
que le dicton wolof: "nit nit aT garabam" (1 ittéralement : "1'
homme est le "remède" de l'homme) recouvre la même signification
fondamentale qu~ fonde la possibi lité d'être de l'existant hors
de soi. Dans la d.ime~sion existentiale,
la singularité du moi,
de l'individu, est al iénée à l'autorité collective. "Je" est un
autre est-on tenté de dire et s'accompl it dans le "nous".
Il n'y
a communication aue
là où le je singulier est entendu par un
autre (serait-ce l'autre en moi)", écrit Malcliney (2)~ C'est
pourauoi
les tensions psychologiques individuel les comme c'est
le cas dans la possession par les "Rab",
les déviations in0ivi-
duel les conduisant au refus de
l'idéal social comme la sorcel-
lerie, ~e même oue les confi Its rlérivant de "la situation oedi-
pienne", sont assum~~; par une prise en charqe oe la communau-
té toute ent i ère, d' oùi! /!s
sont essent i el 1ement dépotent i al i -
sé 8
de' 1eur charqe i no; v i dua 1 i sante dans 1e ri tue 1/
1e cu 1te
t
et les cérémonies d'initiation lesouels
en les fixont sur l'au-
\\
tel et ~n les extériorisant dans les formes corporel les et dans
les for~es verbales les transportent,
les actual isent dans une
dynamique symbol ique collective où l'individu s'excède dans un
drame qui
le dépasse.
Il est en deça oc l'horizon aue la sym-
bolique existentiel le
lui ouvre.
L'essentiel de la
lutte contre
la pratique de la sorcel-
lerie n'est-i 1 pas de sauvegarder la cohésion des relations com-
(1)
Ortigues : op. cit.
p.IIS
(2)
H~ Maldiney : op. cit.
p.284
248
rituel, et de tout culte comme'IlOU9'av.ons pu le constater à pro-
pos de la dynamique thérapeutique du Nd8p. Structurer une dynami~,
que de
la communication dont
l'existant est le 1 ieu, voi là donc
qUI décide en dernier 1 ieu et
informe la direction motivante de
la symbol ique négro-africaine dont
la signification s'accompl it
dans ce que nous avons appelé symbolique de
la rencontre.
la présence irréductible de
l'Autre se manifestant dans les
productions mythiques et cultuel les ne peut être séparée de la
relation existentielle structurant les rapports éthiques dont
Autrui est le fond.
L/ex~;8tant en se produisant concrètement com-
me être-avec-Autrui s'in~estit dans l'extériorité d'où il est
mis en demeure de rencontrer. C'est dire que
la rencontre tel le
qu'elle s'articule 0.ans les productions mythiques, dont el le est
la motivation fondamentale, s'accompl it dans l'Ethique, consti-
tutive du fond même de l'existence négro-africaine.
L'existence
éthique tel le Qu'el le se manifeste cans la symbol iQue existentiel-
le qui est ICI en oeuvre dans
les ex-pressions mythioues et cul-
tuel les ne tend donc pas seulement à caractériser la simple visée
des relations communautaires se jouant entre 'les hommes mais dési-
gne auss l i a product i on d'un séjour d'où l' ex- i stant s' i nvest i t
dans sa quaI ité d'habitant. C'est bien ce que montrait
le mythe
dogon de la parole que nous avons rencontré, mythe dans
lequel
à
l'articulation du fond, de l'existence et de
la parole est fon-
damentalement 1 ié
l'être-avec dans sa désignation originaire, dans
sa désignation "poiétique".
L'~nstauration du monde en se produisant dans le mythe se
pr-odu i t r.de ns
la p e r-o-l e pié t i que ,
c'est-à-dire dans
la parole qui
fonde
I~être des choses en les amenant à la lumière. La parole
mythiqu~est en son essence même poétique. El le parle à Dartir
d'un fond qui
en el le se produit à son propre jour, c'est pour-
quoI ce Qu'el le annonce en s'y énonçant n'est rien d'autre que
ce fond où
i 1 a son p r-opr-e jour qu i est aus s i
1e nô t r-e , Va i 1à
bien pourquoi ce que nous appelons "fonctions" et "significations"
en ce qui concerne
les productions mythiques comme les paroles
249
poématiques, tombent toujours en deça de
l'ex-pression originai-
re du fond à partir duquel tout notre être est en jeu parce que
ces productions dans
lesquel les nous sommes "signifiés" comme
Séjour, c'est-à-dire dans
lesQu~~ est exprimé l 'Ethos originai-
re, parlent el les-mêmes à partir de ce fond.
La parole mythique est poiétique parce qu'en elle l'existant
s'établ it dans un habiter originaire où
il a sa demeure. "Ce qUi
demeure les poètes
le fondent" ; cet habiter où
l'existant a son
Séjour est
le fond dans
lequel s'ex-prime
la parole mythique que
l'on ne peut fixer dans un thème parce qu'el le est en-deça de
toute signification et de toute fonction thématisables.
La parole
poétique comme la parole mythique en se manifestant comme l'ex-
pression d'un fond antérieur à tout dire autre que le sien mani-
feste aussi
le dire à
la lumière èuquel
nous nous pro-duisons.
Nous sommes en el les instaurés dans un monde, c'est-à-dire que
par el les, comme nous l'a montré le mythe dogon de la parole,
non seulement l'ex-istant comme être-hors-de soi, réal ise son
pouvo i r~fa ire,. ma i s ~on pouvo ir-être, en un mot se pro-du i t es-
sentiel lement comme être-avec ••• , structure désignant aussI bien
son pouvoir poiétique que son existence éthique.·
Au vu du fond, à la parole mythique et à la parole poétique
l'existant~st ex-posé essentiellement comme séjour auprès-de •••
Autrement dit c'est tout un et c'est tout ensemble à
la fois que
l'homme manifestant
le fond
comme l'Ancêtre Binou Sérou du
mythe dogon,
habite comme séjour auprès de ••• et crée. Mythos,
Poiesis ~t Ethos sont originairement contemporains si bien que
ce Que I~existant est demeure inséparable de ce fond originaire
lequel,sous-jacent et outre-passant tout signe, tout thème cons-
titué et~objectivé en "significations" et "fonctions" déterminées,
est parlant précisément comme langage de nous-mêmes dans
le nit
du mythe et dans celui de
la poésie. Voi là bien pourquoI,
le my-
the comme
"Ie poème est
lourd de
lait et
le coeur du Poète brOIe
un fieu sans poussière".(l)
(1)
L.S. Senghor
Ethiopiques
Ed. Points
p.l13
250
La v~rit~ po~tique de ces vers nomme le fond sur lequel
l'huma-
nit~ "se nourrit", c'est-A-dire le fond nourrICIer,
la source
à partir de
laquel le el le ad-vient à
la
lumière de son propre
jour dont
le poète est
le dispensateur,
le r~v~lateur, parce qu'i
est celui qUI demeure dans la proximit~ "du feu", donc celui par
qui
la clarté se pro-duit car
le poète habite dans le plus ferme
-- la proximité de
l'origine -- qui est sa demeure que nous ne
faisons nôtre que ••• poétiquement; c'est-à-dire en habitant
comme séjour auprès de •••
(Ethos). Nous sommes donc essentiel le-
ment en venue dans
le Dit des paroles poétique et mythique pour
ce qu'en el les est "parlante" l'ex-pression même du fond.
251
.- ~.~
1/ BI BU OGRAPH 1E
BA (Amadou Hampaté)·
Koumen
Texte initi~tique des Pasteurs Peul
Cahiers de
l'homme. Paris Mouton & Co
La Haye MCMLXI
Kaidara
Récit initiatique Peul
Julliard MCMlXIX
Classiques africains 7
Bruges Belgique
BACHELARD (Gaston)
La poétique de la rêverie
P.U.F. 1974
Le droit de rêver
P.U.F. 1970
La poétique de l'espace
P.U.F. 1974
cf. Préface (le symbol Îsme dans la mythologie grec-
que de Paul Diel)
BERENGER-FERAUD (L.J~B.)
Les peuplades de la Sénégambie
Histoire, ethnologie, moeurs, coutumes et légendes.
Paris Leroux Chal lamel 1879
BINSWANGER (Ludwig)
Introduction à l'analyse existentielle
Traduction de J. Verdeaux et R. Kuhn
Préface de R. Kuhn et de H. Maldiney
Editions de Minuit 1971
CA ILLO IS (:Roger')
le mythe et l'homme
Collection Idées Gallimard 2ème edit ion 1953
CASSIRER (Ernest)
langage et mythe
A propos des noms des dieux
Les éditions de Minuit 1973
CESAIRE (Aimé)
Les armes miraculeuses
Poèmes
Collection Poésie Gall imard 1970
COLLOQUE SUR L'ART NEGRE
Rapports Tome 1 du premier festival mondial des Arts
nègres.
Dakar
Ed. Présence africaine 1967
CONRAD (J.R.)
Le culte du taureau
De la préhistoire aux corridas espagnoles
Payot Paris 1961
DICTIONNAIRE DES SYMBOLES
Quatre volumes
Editions Seghers et ed. Jupiter
1973-1974
DIEL (Paul)
Le symbolisme dans la mythologie grecque
Petite bibliothèque Payot 1966
La divinité
Le symbole et sa signification
Petite bibliothèque Payot 1971
DIOP (Birago)
Les contes d'Amadou Coumba
Fasquel le Paris 1947
DIOP (Cheich Anta)
L'unité culturel le de
l'Afrique noire
Présence africaine 1959
DUPIRE (Marguerite)
Contribution à l'étude des marques de propriété du
bétai 1 chez les Pasteurs Peuls
Journal de la Société des Africanistes
Tome XX 1V
1954
Les Peuls nomades
Institut d'ethnologie Paris 1962
ELIADE (M i rcéa)
,
Le Sacré et 1e Profane
Collection Idées Gallimard 1965
Aspects du mythe
Cdllection Idées Gallimard 1963
Le mythe de
l'éternel retour
Archétypes et répétition~
Gallimard les Essais XXXIV 1949
Traité d'histoire des rel igions
Paris 1949
Polarité du symbole
in les Etudes Carmélitaines
DejFlée de Brouwer
Juin 1960
FROBENIUS (Léo)
~ythol0qiede l'Atlantide
253
FROMM (Erich)
Le langage oublié
Introduction à
la compréhension des rêves, des
contes et des mythes
Payot 1953
GADEN (Henr i )
Proverbes et maximes Peuls et Toucouleurs
Traduits expl ;Qués et annotés
Paris Institut d'ethnologie 1931
Dictionnaire Peul-Français fascicules 1 et Il
catalogues et documents 4° XXII
Dakar 1969 et 1972
Institut fondamental d'Afrique nOIre
GARAUDY (Roger)
Danser sa vie
Pr~f3é~('~~')~a~Pi ce Béjart
Seu il 1973
GIRARD (Jean)Diffu~ion en mi 1ieu 0iola de l'ass0ciation cu Koump0
bainouk
Bulletin de
l' l.f.A.N. tome XXVII série B
nO 1-2
janvier Bvri 1 1965
ce la pa~e 42 à 98
GRIAULE ( Geneviève-Calamé)
Eth no log i e et 1an qa 'Je
La parole chez les Do~on$
Editions Gallimard 1965
GUENON (René)
Le symbol isme de la croIx
Collection 10/18 edit ions Véga 1957
HEIDEGGER (Martin)
L'être et le temps
9ème édition Gallimard 1964
Introduction à la métaphysique
Ga Il imard 1967
Approche de Hëlderl in
nouvel le édition augmentée Gallimard 1973
Qu'appel le-t-on penser?
2ème édition P.U.F. 1967
HYPPOLITE (Jean)
Genèse et structure de
la phénoménolo~ie de l'Esprit
de He~el
T.1 et 2
Aubier Ed. ~ontaiqn0 Paris 1946
254
JACOBI (Jolande)
Complexe, Archétype, Symbole
Delachaux et Ni~~tLé
Neuchatel (Suisse)
1961
JAHN (Janheinz)
Muntu
L'homme africain et
la culture négro-afrieaine
Seuil 1958
JENSEN ( Adolphe E.)
Mythes et cultes chez les peuples primitifs
Payot Paris 1954
JUNG (C.G.)
Dialectique du moi et de
l'inconscient
Gallimard les Essais CXI 11 1966
Problêmes de l'âme moderne
2ème éd. Suchet/Chastel 1960
Types psycholoQiques
Buchet/Chastel Paris 1951
2ème éd. 1963
Le fripon divin
(en collaboration avec Kérényi et P. Radin)
Collection Analyse et Synthèse
Librairie de l'Université, Genève
Suchet/Chastel Paris 1958
Introduction à l'essence de
la mythologie
(avec CH. Kérényi)
Payot Paris 1968
KANDINSKY (Vassi 1i)
Ou spirituel dans l'Art
et dans la peinture en particul ier
Deno~I/Gonthier Coll. Média*ions Paris 1954
\\
KERENEY l, (Char 1es)
La rel igi0n antique
Ses 1iqnes fondamentales
Geor~ éoiteurs Genève 1957
Introduction à l'essence de
la mytholo~ie
(avec Jung)
Pavot Paris 1968
~e fripon divin
(avec CG.Jun~
P. Radin)
195~
KOBES (A.) et Abiven (O.)
Dictionnaire Volof-Français
Mission cathol ique Dakar Sénégal 1923
255
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La Genèse des mythes
Payot Paris 1952
KUHN (Roland)
L'errance comme problème psychopathologique ou déménager
cf. Présent à Maldiney
Ed.
l'Age d'homme Lausanne Suisse 1973
cf. Préface: Analyse existentiel le de L. 8inswanger
LABOURET (H.)
La langue des Peuls ou Foulbé
Lexique Français-Peul
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Le legs des choses dans l'oeuvre de Francis Ponge
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Aîtres de la langue et demeures de
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Présent à Maldiney
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Préface de "l'analyse existentiel le" (8inswan~er)
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Bouffons sacrés du cercle de Bouqouni
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Le fripon divin
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Une société rurale au Sénéqal
Les structures foncières fami 1 iales et vil la~eoises
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