UNIVERSITÉ DE FRANCHE-COMTÉ
Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Besançon
Institut Félix-Gaffiot
L'ÉDUCATION CHEZ PLATON
ET EN AFRIQUE NOIRE TRADITIONNELLE :
ÉTUDE COMPARATIVE
Thèse présentée en vue de l'obtention du
Doctorat ès Lettres Classiques
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par Djibril AGNE
sous la direction de
Monsieur Michel WORONOFF, Professeur
Mai 1989
Tome 1
A la mémoire de mon père Bocar Agne
et à celle de mon cousin et ami Mamadou Agne
A ma mère pour sa compréhension et ses encouragements
A mon épouse Binta,
et à mes enfants Mamadou et Oumou
dont la compagnie m'a été d'un grand soutien psychologique
tout au long de ce travail
v
A mes frères et sœurs, particulièrement à Amadou et à Sira qui ont su
très tôt prendre la place de nos parents, et cela dans tous les domaines
TOME 1
1
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1
CHAPITRE 1 : PRINCIPES, STRUCTURES ET MOYENS
PÉDAGOGIQUES
7
1. 1. L'ÉDUCATION : SA DÉFINITION
8
1. 1. 1. Fondements historiques et originalité de l'éducation platonicienne
8
1. 1. 2. La diversité à la base de l'éducation négro-africaine
41
1. 2. LES CADRES TEMPOREL ET SPATIAL
62
1. 2. 1. Rigueur dans l'aménagement du temps et de l'espace pédagogique
chez Platon
62
1. 2. 2. La liberté de fixation des temps d'initiation et mobilité de l'espace
pédagogique
en
Afrique
76
1. 3. LE CHOIX DES ENCADREURS DANS LEURS RESPONSABILITÉS.'iç,~~!..?-~~r
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87
1. 3. 1. L'expérience et le vote chez Platon
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1. 3.2. Les éducateurs: le mérite et l'expérience en Afriqu -!! ..1!1.!3.~J~:J.O.ll.E\\j::8 ..n.. \\~
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Centre
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1. 4. LES MOYENS D EXPRESSION ET D ACTION
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1. 4. 1. Oralité, écriture et objets chez Platon
,
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1. 4. 2. Signes et Objets: supports de l'oralité en Afrique
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CHAPITRE II: LE FAÇONNE~·'1ENT DU CARACTÈRE ET DE LA
PERSONNALITÉ
DE
L'ENFANT
111
II. 1. L'ENFANT ET L'ENVIRONNEMENT FAMILIAL.
.114
II. 1. 1. Strict contrôle de l'Etat sur l'éducation familiale chez Platon
114
II. 1. 2. Souple intervention de la société dans l'éducation familiale en
Afrique
121
II. 2.
MORALE
ET
CARACTÈRE
131
II. 2. 1. Le mythe et la formation morale chez Platon
131
II. 2. 2. Contes, fables et formation en Afrique
143
II. 3. ACQUISITIONS INTELLECTUELLES ET TECHNIQUES
159
II. 3. 1. Diversité et méthode chez Platon
159
II. 3. 2. Acquisitions non systématisées en Afrique
169
II. 4. Musique et Caractère
181
II. 4. 1. Musique: tradition et formation chez Platon
,
181
II. 4. 2. Musique: discipline récréative et formatrice en Afrique
197
TOME II
II
CHAPITRE III : ÉDUCATION ET GYMNASTIQUE : Hygiène
physique et mentale
211
III. 1. PRESCRIPTIONS MÉDICALES CONCERNANT L'ACTIVITÉ DE LA FUTURE
MÈRE
214
III. 1. 1. Femme enceinte chez Platon: mouvements et promenades
obligatoires
,
214
III. 1. 2. Femme enceinte en Afrique: activités habituelles et respect des
coutumes relatives à la grossesse
221
III. 2. L'ALIMENTATION ET LA CONSTITUTION PHySIQUE
231
III. 2. 1. Prescriptions rigoureuses chez Platon
231
III. 2. 2. Absence de rigueur dans le régime alimentaire des athlètes en
Afrique .. ,
,
,
,
240
III. 3. LES EXERCICES PHYSIQUES ET LEURS FINALITÉS
245
III. 3. 1. La gymnastique et la santé chez Platon
245
III. 3. 2. La place des exercices physiques dans la fonnation corporelle de
l'enfant
en
Afrique
258
III. 4. LA COMPÉTITION DANS L'INTÉRÊT DE LA SANTÉ PHYSIQUE
269
III. 4. 1. Concours gymniques et utilité guerrière chez Platon
,
269
III. 4. 2. Absence de professionnalisme dans les compétitions en Afrique
276
CHAPITRE IV : JEU ET ÉDUCATION
286
IV. 1. LA NOTION DU JEU ÉDUCATIF
289
IV. 1. 1. L'approche platonicienne: le plaisir (i]8ov~) et le sérieux (crT1ou8~)
289
IV. 1.2. L'approche négro-africaine: réjouissance et fonnation
308
IV. 2. JEU: IDENTIFICATION DES OBJETS ET RECONNAISSA.!'J'CE DES RÈGLES
ET LOIS
316
IV. 2. 1. L'univers du jeu: découverte organisée et dirigée chez Platon
316
IV. 2. 2. L'univers du jeu: découverte libre en Afrique
324
IV. 3. JEU ET CRÉATIVITÉ
329
IV. 3. 1. Création ludique contrôlée chez Platon
329
IV. 3. 2. L'enfant et le jeu: liberté créative en Afrique
332
IV. 4. JEU: ORIENTATION RELIGIEUSE ET ARTISTIQUE
335
rv. 4. 1. Régularité du calendrier et invariabilité du contenu des jeux chez
Platon
335
IV. 4. 2. Le caractère rituel et laïque des jeux en Afrique
341
III
CHAPITRE V : ÉDUCATION ET PÉDAGOGIE
349
V. 1. MÉTHODOLOGIE DANS LE PROCESSUS D'ACQUISITION DES
CONN AISSANCES
350
V. 1. 1. Acquisition selon l'âge et l'aptitude chez Platon
350
V. 1. 2. L'apprentissage fondé sur le système des classes d'âge en Afrique
360
V. 2. LES PRINCIPES DE SÉLECTION
366
V. 2. 1. La sélection collective (initiatique) chez Platon
366
V. 2. 2. Sélection initiatique en Afrique: les rites de passage
370
V. 3. LA PUNITION ET SA PORTÉE PÉDAGOGIQUE
377
V. 3. 1. La punition dans l'éducation de base chez Platon
377
V. 3. 2. La variabilité de la punition dans l'éducation des enfants en Afrique
381
V. 4. LA LIBERTÉ DE CRÉATION ET D'APPRENTISSAGE CHEZ L'ENFANT
386
V. 4. 1. Liberté limitée chez Platon
"
386
V. 4. 2. Liberté créatrice en Afrique
"
,
392
CHAPITRE VI : ÉDUCATION ET UNITÉ
398
VI. 1. EFFACEMENT DE L'INDIVIDU DEVANT LE GROUPE
.400
VI. 1. 1. La soumission totale du citoyen à l'Etat chez Platon
, .. .400
VI. 1. 2. Assujettissement de l'individu au groupe en Afrique
.404
VI. 2. MÉTHODES COMMUNES D'ACQUISITION DU SAVOIR ET DES
TECHNIQUES
409
VI. 2. 1. Enseignement commun aux deux sexes chez Platon
.409
VI. 2. 2. Éducation identique des sexes mais séparée enAfrique
"
.415
VI. 3. FORMATION, UNITÉ SOCIALE ET POLITIQUE
.419
VI. 3. 1. Société: unité intellectuelle et politique chez Platon
.419
VI. 3.2. Société: sauvegarde des coutumes et unité politique en Afrique
.423
VI. 4. MYTHOLOGIE UNIFICATRICE
.427
VI. 4. 1. Dieux et héros: modèles chez Platon
,
.427
VI. 4. 2. Les récits mythiques et l'imitation enfantine en Afrique
.430
CONCLUSION GÉNÉRALE
436
BIBLIOGRAPHIE
443
INDEX
461
AVANT-PROPOS
Le travail que je présente ici relève d'abord de ma double culture, avant d'être
le résultat d'un sujet de recherche. L'histoire a fait de nous autres intellectuels
négro-africains les fidèles représentants de l'ambiguïté culturelle. Partagés entre
une culture négro-africaine qui se veut traditionnelle, et une culture occidentale qui
se veut moderne, nous vivons ce mariage voire cette symbiose comme une
richesse. La recherche de l'équilibre en~tre ces deux pôles donne souvent naissance
à des études comparées.
Le choix du sujet a lui-même son histoire. C'est au Lycée Abdoulaye Sadji de
Rufisque et au Département de Langues Anciennes de l'université de Dakar que j'ai
appris à aimer les poètes, les philosophes, les orateurs grecs et latins; et cela sous
l'impulsion d'éminents maîtres dont le professeur Michel Woronoff. La chaleur de
ses cours, l'étendue et la richesse de sa culture, son éloquence, son esprit
d'ouverture font de lui un maître qui ne cesse d'attiser cette étincelle d'espoir
illuminant la vie de chaque étudiant.
C'est sous sa direction que je préparai mon D.E.A.dont le mémoire portait sur
l'éducation des gardes dans La République de Platon. A peine sorti de l'École
Normale Supérieure de Dakar et affecté au Prytanée Militaire de Saint-Louis en
octobre 1982, je lui demandai de diriger des recherches dont je ne soupçonnais pas
l'ampleur. Deux ans de vie active auprès des élèves ne m'ont pas permis de
"m'attaquer" comme il convient à un sujet précis. C'est au début de l'année
universitaire 84/85 que je pus circonscrire ma recherche autour de l'Éducation chez
Platon et en Afrique noire traditionnelle, étude comparative. Depuis cette date (mon
arrivée à Besançon), je n'ai cessé de bénéficier de ses conseils et de son aide active.
Ce travail doit beaucoup à sa profonde connaissance du monde grec et du monde
négro-africain, à ses remarques précises et enrichissantes. On reconnaîtra, dans
cette étude, la rigueur de sa méthode de recherche et de composition. Aussi ai-je
bénéficié, auprès de lui, du bonheur et du réconfort que procure non seulement un
maître, mais aussi un père. Qu'il me soit permis d'exprimer ici ma reconnaissance
et de l'en remercier sincèrement.
Je ne puis passer sous silence les e~couragements fructueux de mes jeunes
maîtres de l'université de Dakar, Mesdemoiselles Marne Sow, Oumar Bâ,
Messieurs Etienne Texeira, Boubacar Diop, Madior Diouf... Nous n'oublions pas
Monsieur Marcel Chiappore, ancien chef de Département de Langues Anciennes
qui m'apprit à maîtriser la fougue de la jeunesse et à Mademoiselle JacquelIne
Samuel qui m'initia aux études classiques.
Mes remerciements vont aussi aux Professeurs de l'Institut Félix-Gaffiot, en
particulier à Monsieur Etienne Bemand, Jean-Claude Carrière, Pierre Monat qui ne
manquèrent pas de m'encourager à chacune de nos rencontres à la Bibliothèque
Universitaire'ou à celle de l'institut.
- à Monsieur Jean-Philippe Massonie, Directeur du Laboratoire de
Mathématique,
Informatique et Statistiques (M.I.S.) pour toute l'aide matérielle
qu'il m'a accordée pour la saisie et l'impression de mon texte. Je profite de
l'occasion pour exprimer ma reconnaissance à tous les chercheurs et au personnel
du laboratoire dont la disponibilité, la sympathie et les qualités humaines ont rendu
claire et précise la présentation de ce travail.
- à l'ensemble du personnel de l'Université ouverte, Mesdames Muriel Carboni,
Nicole, Maryse dont la compréhension et l'amitié m'ont permis de travailler à ma
guise avec le matériel de l'établissement.
- à l'ensemble du personnel du CR.Û.U.S. de Besançon et à sa direction pour
l'aide matérielle qu'ils m'ont apportée durant mon séjour à Besançon.
- aux étudiants et aux ressortissants Sénégalais de Besançon, particulièrement à
El Hadj Moustapha Diallo et Ousmane Bâ, grands frères et amis.
- aux familles Michel Woronoff, Bernard Meyer de Morre, Crabbe de
Besançon, Solange Hadorn de Pontarlier, Ousmane Bâ, Babou NDiokh,
Souleymane Ly, Babou Faye pour leur soutien moral et matériel à ma famille.
- à "ma sérère" Haby Faye, à "mon Lébou" Malick Ndoye et à ma '''toubab''
Marie Crabbe qui n'ont cessé de m'encourager tout au long de ce travail.
- à mon frère et amI Docteur Aboubakry J:~ Sy envers qui ma dette est
inestimable. Qu'il trouve ici l'expression de ma fraternité, de mon amitié et de ma
reconnaissance infaillibles.
- à mes amis d'enfance, Aw, Ly, Niang, Bâ, SalI, Diallo, Ndongo, Dia, Guissé
etc ... qui n'ont jamais ménagé leurs efforts et leurs services pour me remplacer
auprès de mes parents et de ma jeune famille.
- à mes frères et cousins Oumar Agne (mon frère jumeau), El Hadj Djigo, Djibril
Goloco qui m'ont soutenu moralement et matériellement pendant toutes mes études.
Nous transcrirons les noms communs Wolof et pular selon
l'alphabet officiel du Sénégal.
1. Les lettres suivantes ont la même valeur phonétique que dans l'alphabet latin utilisé
pour la langue française.
1.1.
Consonnes
Wolof
Français
Pular
Français
b - Bakkan
nez
b - baaba
père
d -daw
counr
d - debbo
femme
f - for
ramasser
f - fahde
haleter
m-mar
avoir soif
m - maayo
fleuve
p - paaka
couteau
p - paho
sourd
n - nelaw
dormir
n - nagge
vache (terme
génétique)
l-lam
bracelet
l-lahal
calebasse en bois
g - garab
arbre
g - gorko
homme (par op. à
femme)
r - rafet
être joli
r - rawaandu
chien
s - suuf
sol
s - sawru
bâton
1.2.
Voyelles
1- cm
marmite
i - dam
inondation
e - sér
pagne
e - neene
mère
Extrait du décret n° 68-871 du 24 juillet 1968 relatif à la transcription des langues
nationales du Sénégal; Cf. M. Ndoye, l'idée de travail... pp. 9-11.
II. Les lettres suivantes empruntées à l'alphabet latin ont dans l'alphabet officiel du
Sénégal la valeur phonétique suivante.
II. 1. Consonnes
c - approximativement ce qu'on entend français dans tiens.
Wolof: caabi : clé : Pular: caali: abri, auvent.
j - approximativement ce qu'on entend en français dans gieu.
Wolof: jabar : épouse; Pular : jaarde : remercier.
n-existe en français dans agneau.
Wolof: fiaw : coudre; Pular : fiiire : dent.
x - approximativement ce qu'on entend en français dans cherche (en français
standard). Ce son existe en espagnol (jota) et en allemand (acWaut).
Wolof: xalam : guitare: Pular : n'existe pas.
q - n'existe pas en français; le son le plus approchant est k réalisé très
guttural, au niveau de la luette; ce son existe en arabe (qrib "proche").
Wolof: fïaq : sueur: Pular :== qabri : tombe.
w - existe en français dans oui.
Wolof: woo : appeler; Pular : waare : barbe, menton.
n - (n) ce qu'on entend en français dans les mots empruntés à l'anglais
parking.
Wolof: naam (naam) : mâchoire: Pular : nabbude : monter.
II. 2. Voyelles
a - ce son est plus fermé qu'un a français mais plus ouvert que ë.
Wolof: lal : lit ; Pular : 'aade : roter.
à - c'est le son a du français.
Wolof: làkk : parler une langue étrangère; Pular : 'arde : venir.
e - c'est le son è ou ê du français père, tête, il n'est jamais prononcé central
comme dans p~tit.
Wolof: set: propre; Pular : neene : mère.
ë - c'est le son e du français comme dans demain.
Wolof: bët : œil ; Pular : ce son n'existe pas.
o - c'est le 0 ouvert de pomme.
Wolof: gor : abattre un arbre; Pular : 'ommbude : couvrir.
ô - c'est le 0 fermé de beau, chose.
Wolof: jog : se lever; Pular : ce son n'existe pas.
u - c'est le son du français trou.
Wolof: bukki : hyène; Pular : 'unde : piler.
~
N.B. Les doubles consonnes transcrivent des consonnes fortes
Wolof: bakkan : nez; Pular: debbo: femme.
Les doubles voyelles transcrivent des voyelles longues.
Wolof: suu!: sol; Pular : caali : abri, auvent.
TOMEI
I
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1
CHAPITRE 1 : PRINCIPES, STRUCTURES ET MOYENS
PÉDAGOGIQUES
7
1. 1. L'ÉDUCATION : SA DÉFINITION
8
1. 1. 1. Fondements historiques et originalité de l'éducation platonicienne
, .. 8
1. 1. 2. La diversité à la base de l'éducation négro-africaine
41
1. 2. LES CADRES TEMPOREL ET SPATIAL
62
1. 2. 1. Rigueur dans l'aménagement du temps et de l'espace pédagogique
chez Platon
62
1. 2. 2. La liberté de fixation des temps d'initiation et mobilité de l'espace
pédagogique
en
Afrique
76
1. 3. LE CHOIX DES ENCADREURS DANS LEURS RESPONSABILITÉS
87
1. 3. 1. L'expérience et le vote chez Platon
87
1. 3. 2. Les éducateurs: le mérite et l'expérience en Afrique
97
1. 4. LES MOYENS D'EXPRESSION ET D'ACTION
103
1. 4. 1. Oralité, écriture et objets chez Platon
,
"
,
103
1. 4. 2. Signes et Objets: supports de l'oralité en Afrique
106
CHAPITRE II : LE FAÇONNEIVIENT DU CARACTÈRE ET DE LA
PERSON~ALITÉ DE L'ENFANT
111
II. 1. L'ENFANT ET L'ENVIRONNEMENT FAMILIAL.
114
II. 1. 1. Strict contrôle de l'Etat sur l'éducation familiale chez Platon
114
II. 1. 2. Souple intervention de la société dans l'éducation familiale en
Afrique
121
II. 2. .\\10RALE ET CARACTÈRE
131
II. 2. 1. Le mythe et la formation morale chez Platon
131
II. 2. 2. Contes, fables et formation en Afrique
.l43
II. 3. ACQUISITIONS INTELLECTUELLES ET TECHNIQUES
159
II. 3. 1. Diversité et méthode chez Platon
:'
159
II. 3. 2. Acquisitions non systématisées en Afrique
169
II. 4. Musique et Caractère
181
II. 4. 1. Musique: tradition et formation chez Platon
00.00
00181
II. 4. 2. Musique: discipline récréative et fonnatrice en Afrique
197
TOME II
II
CHAPITRE III : ÉDUCATION ET GYMNASTIQUE: Hygiène
physique et mentale
211
III. 1. PRESCRIPTIONS MÉDICALES CONCERNANT L'ACTIVITÉ DE LA FUTURE
MÈRE
214
III. 1. 1. Femme enceinte chez Platon: mouvements et promenades
obligatoires
"
,
-:
,
214
III. 1. 2. Femme enceinte en Afrique: activités habituelles et respect des
coutumes relatives à la grossesse
.221
III. 2. L'ALIMENTATION ET LA CONSTITUTION PHYSIQUE
231
III. 2. 1. Prescriptions rigoureuses chez Platon
231
III. 2. 2. Absence de rigueur dans le régime alimentaire des atWètes en
Afrique
,
'."
240
III. 3. LES EXERCICES PHYSIQUES ET LEURS FINALITÉS
245
III. 3. 1. La gymnastique et la santé chez Platon
245
III. 3. 2. La place des exercices physiques dans la formation corporelle de
l'enfant
en
Afrique
258
III. 4. LA COMPÉTITION DANS L'INTÉRÊT DE LA SANTÉ PHYSIQUE
269
Ill. 4. 1. Concours gymniques et utilité guerrière chez Platon
,
269
III. 4. 2. Absence de professionnalisme dans les compétitions en Afrique
276
CHAPITRE IV : JEU ET ÉDUCATION
286
IV. 1. LA NOTION DU JEU ÉDUCATIF
289
IV. 1. 1. L'approche platonicienne: le plaisir (TlôOV~) et le sérieux (crnouô~)
289
IV. 1. 2. L'approche négro-africaine: réjouissance et formation
308
IV. 2. JEU: IDENTIFICATION DES OBJETS ET RECONNAISSANCE DES RÈGLES
ET LOIS
316
IV. 2. 1. L'univers du jeu: découverte organisée et dirigée chez Platon
316
IV. 2. 2. L'univers du jeu: découverte libre en Afrique
324
IV. 3. JEU ET CRÉATIVITÉ
329
IV. 3. 1. Création ludique contrôlée chez Platon
329
IV. 3. 2. L'enfant et le jeu: liberté créative en Afrique
332
IV. 4. JEU : ORIENTATION RELIGIEUSE ET ARTISTIQUE
335
IV. 4. 1. Régularité du calendrier et invariabilité du contenu des jeux chez
Platon
335
IV. 4. 2. Le caractère rituel et laïque des jeux en Afrique
341
III
CHAPITRE V : ÉDUCATION ET PÉDAGOGIE
349
V. 1. MÉTHODOLOGIE DANS LE PROCESSUS D'ACQUISITION DES
CONNAIS SANCES
350
V. 1. 1. Acquisition selon l'âge et l'aptitude chez Platon
350
V. 1. 2. L'apprentissage fondé sur le système des classes d'âge ~n Afrique
360
V. 2. LES PRINCIPES DE SÉLECTION
366
V.2. 1. La sélection collective(initiatique) chez Platon
366
V. 2. 2. Sélection initiatique en Afrique: les rites de passage
370
V. 3. LA PUNITION ET SA PORTÉE PÉDAGOGIQUE
377
V. 3. 1. La punition dans l'éducation de base chez Platon
377
V. 3. 2. La variabilité de la punition dans l'éducation des enfants en Afrique
381
V. 4. LA LIBERTÉ DE CRÉATION ET D'APPRENTISSAGE CHEZ L'ENFANT
386
V. 4. 1. Liberté limitée chez Platon
386
V. 4. 2. Liberté créatrice en Afrique
392
CHAPITRE VI : ÉDUCATION ET UNITÉ
398
VI. 1. EFFACEMENT DE L'INDIVIDU DEVANT LE GROUPE
.400
VI. 1. 1. La soumission totale du citoyen à l'Etat chez Platon
.400
VI. 1. 2. Assujettissement de l'individu au groupe en Afrique
: . .404
VI. 2. MÉTHODES COMMUNES D'ACQUISITION DU SAVOIR ET DES
TEC HNI Q UES
409
VI. 2. 1. Enseignement commun aux deux sexes chez Platon
.409
VI. 2. 2. Éducation identique des sexes mais séparée enAfrique
.415
VI. 3. FORMATION, UNITÉ SOCIALE ET POLITIQUE
.419
VI. 3. 1. Société: unité intellectuelle et politique chez Platon
.419
VI. 3.2. Société: sauvegarde des coutumes et unité politique en Afrique
423
VI. 4. MYTHOLOGIE UNIFICATRICE
.427
VI. 4. 1. Dieux et héros: modèles chez Platon
"
.427
VI. 4. 2. Les récits mythiques et l'imitation enfantine en Afrique
.430
CONCLUSION GÉNÉRALE
436
BIBLIOGRAPHIE
443
INDEX
461
PREMIERE PARTIE
INTRODUCTION GÉNÉRALE
2
Depuis les années 30 1, voire avant2, jusqu'à nos jours, des parallélismes ont
été établis dans plusieurs domaines entre la civilisation grecque et les civilisations
négro-africaines. La nature et la fonction des rites initiatiques3, la religion4 , le
travaiIS sont autant de sujets qui ont été l'objet de recherches savantes et
fructueuses. Les historiens sont convaincus de l'inexistence d'une linéarité dans
l'évolution historique de l'humanité6. Ainsi les chercheurs ont-ils, dans leurs
contributions, respecté jusque-là l'évolution, dans l'espace et dans le temps, de
l'histoire du monde grec et de celle du monde négro-africain.
C'est dans le même esprit que nous tentons d'éclairer réciproquement, l'une
par l'autre, l'éducation platonicienne et l'éducation négro-africaine? Nous sommes
conscient des interrogations que susciterait une étude parallèle entre un système
pédagogique théoriquement conçu pour une société "atemporelle" et des systèmes
éducatifs qui ont réellement existé dans l'histoire de l'Afrique noire. Nous nous
emploierons à montrer que la pensée de Platon puise ses ressources dans l'histoire
de la paideia, et cela depuis Homère jusqu'aux Sophistes, d'autant plus que la
pensée platonicienne "( ... ) pousse dans le fond très archaïque des conceptions et
des institutions sur lesquelles s'est édifié l'hellénisme"8. C'est pour cela, affirme
Werner Jaeger, qu'on ne peut détacher Platon de la civilisation grecque et que cette
dernière ne saurait être sans lui9. Nous nous appuyerons sur les textes de Platon, en
J. Avec JEANMAIRE (Henri), Couroi et Courètes, essai sur l'éducation spartiate et sur les
rites d'adolescence dans l'Antiquité hellénique. Lille, 1939. Ch. 3. pp. 144-223.
2. Dans le livre de VAN GENNEP (Arnold), Rites de Passage, Paris, 1909, germait déjà
cette idée de parallèlisme entre la Grèce et l'Afrique.
3. Cf. LÉVEQUE (Pierre), Religions africaines et religions grecques in Afrique noire monde
méditerranéen dans l'antiquité, Colloque de Dakar 19-24 janvier 1976.- Dakar-Abdjan,
N.E.A., 1978.- pp.196-236 (pp.2ü9-236). Cf. WORONOFF (Michel), "Structures
parallèles de l'initiation des jeunes gens en Afrique noire et dans la tradition grecque" in
Afrique noire et monde méditerranéen dans l'Antiquité, Colloque de Dakar, (1976) pp.
237-266.
4. Cf. LÉVEQUE (Pierre), Religions africaines... Colloque de Dakar, (1976). pp.196-236.
5. Cf. NDOYE (Malick), L'Idée de travail: étude comparée (Grèce archaïque / Afrique
subsaharienne), Besançon, 1985. (thèse ).
6. Cf. LONIS (Raoul), Introduction: Afrique noire et monde méditerranéen, Colloque de
Dakar(1976), 1978. p. Il.
7. Nous regroupons sous cette appellation (éducation négro-africaine) les traits commmuns à
tous les systèmes éducatifs traditionnels des diverses sociétés négro-africaines.
8. JEANMAlRE (Henri), Couroi et Courètes ... , p. 459.
9. Cf. JAEGER (Werner), Paideia : la formation de l'homme grec, Paris, 1964. (tome D, p.
142.
3
particulier sur La République et sur Les Lois, pour découvrir les sources
historiques et saisir l'originalité du système pédagogique platonicien.
En ce qui concerne l'Afrique, nous limitons notre étude à des systèmes
pédagogiques traditionnels qui ont existé avant le contact des Négro-africains avec
l'Islam et la Civilisation Occidentale. Autant nous fondons cette étude sur
l'homogénéité de la civilisation négro-africaine, autant nous sommes conscient de
la diversité des sociétés qui la composent, de la différence des populations et de
leurs institutions. Par conséquent, nous nous efforcerons de rester sur des traits
communs aux différents systèmes pédagogiques négro-africains tout en sachant
que la généralisation ou la particularisation dans ce domaine pourraient conduire
respectivement à des abus et à des lacunes. Dans cette partie de notre dissertation,
nous ferons appel à notre expérience personnelle et nous nous reporterons à des
recherches sociologiques, ethnologiques etc ... sur l'Afrique noire traditionnelle,
plus particulièrement sur les civilisations soudanaises (Afrique Occidentale).
L'idée de na lOe: la chez Platon est née de la nécessité de fonder une cité
idéale préservée de tous les maux qui usent les cités de l'époque classique. Conçue
de manière utopique dans La République. la cité idéale 1 aura une allure plus ou
moins réaliste dans Les Lois. Dans l'une comme dans l'autre œuvre, la natoe:la
est à la base de l'existence de la cité, de l'unité de ses habitants et de la pérennité de
ses institutions. Dès lors, il importe de savoir comment, sur quoi et pour qui la
natoe:la y est conçue, quels sont les enseignements et les disciplines qu'elle
propose, quelles méthodes pédagogiques elle nécessite et quelles sont ses finalités.
Nous accordons à ces questions et à leurs réponses le même intérêt en ce qui
concerne l'éducation traditionnelle négro-africaine.
Dans la cité platonicienne des espaces aménagés et des édifices fixes servent
de cadres pédagogiques. Leur découverte par l'enfant se fait progressivement par
ordre de grandeur au fur à mesure que ce dernier avance en âge. Nous insisterons
sur cette interdépendance entre la découverte des espaces pédagogiques et
l'évolution biologique de l'individu pour montrer que le système éducatif de Platon
est fondé sur les notions de groupe (àye:ÀTl) et de classe d'âge. Henri Jeanmaire y
1. Nous distinguerons dans nos analyses la cité idéale de La République de la cité idéale des
Lois.
4
.~
fait allusion dans Couroi et Courètes 1. C'est une évidence qu'il y a là des points
comparables entre l'éducation platonicienne et l'éducation traditionnelle négro-
africaine. Nous nous interrogerons par la suite sur l'expérience des formateurs, sur
la place de l'oralité, de l'écriture et des signes, et des objets dans les deux systèmes
éducatifs considérés.
La faITÙlle, la mythologie, les enseignements intellectuels et scientifiques, la
musique ont une grande place dans le façonnement de la personnalit§ et du caractère
de l'enfant. L'approche platonicienne de la mythologie et de la musique relève de
l'idéal de perfection du philosophe. Dans les deux sociétés sera évaluée la place de
la gymnastique dans la santé physique et mentale de l'individu.
Ce serait une lacune si l'importance du jeu n'était pas soulignée dans
l'éducation platonicienne et négro-africaine. Les centres d'intérêt de cette partie
seront le plaisir et le sérieux ludiques, l'identification des objets-jouets dans les
espaces pédagogiques, la créativité enfantine et l'orientation religieuse et artistique
des jeux.
Il importe, après ces analyses, de cerner et de clarifier les pédagogies
platonicienne et négro-africaine. Notre objet sera de montrer que leur conception se
fonde sur l'évolution biologique, sur les efforts intellectuels, psychologiques et
physiques de l'individu.
La dernière partie de cette étude parallèle est consacrée à la place de
l'éducation dans l'unité sociale et politique. Nous examinerons, pour souligner cet
aspect, le processus pédagogique qui conduit à l'effacement de l'individu devant les
groupes familiaux, les groupes d'âge et les groupes communautaires. Pour éviter
tout abus dans les parallélismes et par souci de clarificatioh notre démarche
s'établira comme suit: nous commenterons les théories platoniciennes sans faire
trop allusion à l'Afrique; et c'est dans celles qui sont consacrées à l'Afrique que
nous établirons les similitudes entre les deux institutions pédagogiques. Du
1. Cf. JEANMAIRE (Henri), COl/roi et Courètes ... , p. 537; Chrysis PELEKIDIS, Histoire
de l'Ephébie attique, des origines à 31 avant J. Christ, Paris, 1962. pp. 19-79 ; VIDAL-
NAQUET (Pierre), Le chasseur noir: formes de pensée et formes de société dans le monde
grec, Paris, 1981.
5
>
reste, la démarche consiste à comparer des thèmes et des points que nous relevons
dans l'éducation négro-africaine avec ceux déjà notés et analysés dans l'éducation
platonicienne. Mieux, nous tenterons d'éclairer réciproquement les uns par les
autres. Cette démarche justifie la disposition juxtaposée des rubriques des différents
sous-chapitres de notre plan.
6
CHAPITRE 1
PRINCIPES, STRUCTURES ET MOYENS
PÉDAGOGIQUES
7
La conception platonicienne de l'éducation est intimement liée à l'histoire de
la paideia. C'est la raison pour laquelle nous tenons à retracer l'évolution historique
et sémantique du terme de Tlatoda depuis son apparition dansîes textes littéraires
jusqu'à l'époque classique. Cette approche historique qui tient compte à la fois des
idéaux homériques et sophistiques a pour objet de circonscrire les réformes
pédagogiques de Platon et de saisir les grands axes de son originalité par rapport à
ses prédécesseurs.
L'éducation négro-africaine a elle aussi son histoire. Elle se définit comme un
processus continu d'intégration de l'individu dans la société.
Pour cerner les orientations pédagogiques nous tiendrons compte, dans les
deux sociétés, des facteurs humains et culturels qui sont à la base de la réalisation
des objectifs établis suivant les idéaux des populations concernées.
C'est dans ce contexte que nous posons le problème des encadreurs et des
moyens qui sont mis à leur disposition pour mener à bien leurs tâches
pédagogiques.
8
..~
I. 1. L'ÉDUCATION
SA DÉFINITION
1.1.1 Fondements historiques et originalité de l'éducation
platonicienne
L'incertitude qui marqua, à la fin du 5° et pendant presque tout le 4° siècle, le
cours politique des principales cités grecques déchirées par des guerres fratricides
eut des retombées sur la pensée philosophique de l'époque classique. Athènes,
"l'école de la Grèce" 1, fut la principale victime de cette instabilité, conséquence
immédiate d'une crise à la fois structurelle2 et conjecturelle. De même que les
stratèges contractaient des alliances soit pour soumettre l'adversaire soit pour
recouvrer l'autonomie, de même les théoriciens et les philosophes cherchaient et
proposaient diverses voies conduisant à l'homonoia3 au sein de la cité. Pour saisir
et situer les principales causes de l'instabilité, il est nécessaire de jeter un regard
critique sur le passé et le présent de la cité.
De l'interrogation sur la possibilité de sauvegarder les acquis de la cité-Etat
naissait une nouvelle orientation de la pensée grecque. Ce mouvement de
renouveau était ressenti à tous les niveaux de la société. Cependant, toutes les
couches de la population n'avaient pas la même appréciation de la situation; et par
conséquent, elles n'appréhendaient pas de la même manière les mêmes questions.
Cette diversité contribua fortement à la richesse de la pensée philosophique de
l'époque classique.
La prétention de chaque cité à l'autonomie, malgré sa vivacité, ne submergea
pas le panhellénisme4 . L'appel à l'unité du monde grec reposa sur deux thèmes:
l'unité territoriale et l'unité culturelle. Si la première revient aux hommes d'action,
la deuxième devait être l'œuvre des théoriciens et philosophes grecs, sans toutefois
que les deux objectifs soient conçus et réalisés indépendamment l'un de l'autre.
1. ISOCRATE, Ant., 295-297; THUCYDlDE, II, 41.
2. LEVY (Edmond) l'a clairement démontré dans son ouvrage: Athènes devant la défaite de
404. Paris, 1976.
3. Cf. LEVY (Edmond), Athènes . .. , ch. VIII.
4. Thème fréquemment défendu par Platon, Isocrate et Démosthène.
9
~
Jouir de toutes ses libertés dans une cité indépendante, quelle que soit son
étendue, fut un idéal cher à tout Grec. Dans son esprit une chose était claire: son
adversaire grec n'est pas un ennemi, mais un simple rival jaloux de son autonomie.
C'est pourquoi, à chaque fois que la Grèce a été menacée de l'extérieur ou qu'on a
porté atteinte à son honneur, les rivalités entre Hellènes ont disparu à la faveur de la
fraternité, au nom de laquelle ils se réunissent et s'unissent en un seul peuple. Dès
lors le Grec a, pour se définir, deux références: sa cité, et la race hellène à laquelle
il appartient génétiquement. Mieux, il se distingue de tous ceux qu'il appelle
Barbares par son éducation et par sa culture dont seul le terme de Tlatoda arrive à
rendre pleinement le sens et la portée. Du coup, on entrevoit pourquoi tous les
idéaux de l'homme grec trouvent leurs fondements dans le concept même de
Tlatoda .
La Tlatoda eut, d'Homère (bien que ce dernier n'ait pas employé le terme
pour la simple raison qu'il n'existait pas alors dans le vocabulaire grecque) à
Platon, en passant bien sûr par les Sophistes, une riche histoire. En effet, elle
acquit à chacune de ces étapes de nouve:lUX éléments qui contribuèrent à l'enrichir.
Dans notre étude nous nous limiterons à l'époque platonicienne; toutefois,
les autres étapes nous serviront de références et de base de discussion, afin que
nous puissions circonscrire et apprécier convenablement la notion platonicienne de
la Tlatoe:la.
Platon n'a pas hésité, dans son projet de cité idéale, à subordonner toutes les
prescriptions qui intéressent la vie sociale, politique et religieuse à l'éducation 1.
C'est pourquoi toute approche de la société platonicienne s'éclaire nécessairement
par la compréhension de la théorie éducative proposée par le philosophe.
Cependant, il est impossible de saisir et de définir la Tla loda dans l'idéal
platonicien, si on ne cerne pas ce que Platon trouve de positif et de négatif, et dans
l'œuvre d'Homère et dans le courant de la pensée sophistique2.
Il faut reconnaître que jusqu'à la fin du 5°siècle aucune œuvte littéraire,
philosophique ou historique ne put se défaire de l'influence homérique. C'est à ce
1. Cf. Rép ., 423e; 424 a b.
2. Nous nous limitons dans ces cas aux aspects pédagogiques des œuvres.
10
~
titre que Platon fut un héritier incontestable d'Homère; il n'approuve pas pour-
autant toutes les données pédagogiques de l'œuvre homérique.
L'Iliade et l'Odyssée furent les premiers manuels pédagogiques du monde
grec. La question est de savoir si Homère s'est fixé un objectif pédagogique en
donnant corps à ses textes poétiques. Manifestement, le tableau de toutes les scènes
de l'Iliade et de l'Odyssée concourt à informer l'auditeur ou le lecteur de la vie
quotidienne de l'homme grec pendant la période archaïque.
Dès lors, se pose le problème de l'influence éducative des poèmes
homériques. Et dans ce cas précis, il importe de souligner que "la poésie ne peut
être vraiment éducative que si elle s'enracine profondément dans l'âme de
l'homme, que si elle incarne une croyance morale, un idéal humain large et
dynamique et les aspirations les plus hautes de l'esprit" 1. Il se trouve que les
poèmes d'Homère remplissent toutes ces fonctions. Sans doute était-il conscient de
la valeur éducative de son œuvre, en ce sens que son rôle fut de "préserver dans
ses vers le souvenir" du passé glorieux des héros de l'époque archaJ"que.
Les héros homériques sont tous issus d'une aristocratie dont le mérite fut
d'avoir proposé à ses membres un idéal commun auquel ces derniers ont le devoir
de se conformer. En effet, la noblesse de l'époque archaïque se reconnaissait dans
une areté que Werner Jaeger identifie à "un mélange de fierté, de moralité courtoise
et de valeur guerrière"2. C'est par référence à cette areté que les personnages
homériques décident d'exister et d'agir. Si dans l'Wade il a particulièrement décrit
la vie des héros pendant la guerre, dans l'Odyssée, en revanche, le poète dépeint
les scènes de la vie paisible3 des familles aristocratiques. Dans les deux situations,
les héros se meuvent comme des hommes modèles prêts à défendre leur honneur, à
exhiber leurs qualités intellectuelles et à persévérer dans leurs efforts quotidiens.
Aussi l'art d'Homère rend-il ces tableaux plus vivaces. Werner Jaeger eut raison
d'écrire que "c'est grâce à l'art d'Homère que les idé~s acquirent une
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valeur universelle et permanente, et qu'elles exereè~nt une influen <9~.. ulturelle bien
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2. JAEGER (Werner), Paideia , (T. l ). p. 3 1 . ' ; ' 0
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3. Le voyage de Télémaque (peut-être initiatique) et t€~ ,P '~ns"d'Y1ysse font partie
intégrante de la vie aventurière des Aristocrates de ce~'éfu?gue\\"~,~ntures donnent ici
plus d'intensité au drame qui se noue et se dénoue dans la maison d'Ulysse lui-même.
11
plus considérable et plus durable que les valeurs de n'importe quelle époque" 1.
Ainsi donne-t-il plus d'envergure à l'acte héroïque. Le héros vit, en effet, pour son
honneur; il doit se fier à son talent pour se défendre. De cette manière il forge et
fortifie sa propre renommée. Et c'est à ce titre que l'acte héroïque devient symbole
de référence et modèle d'imitation; d'où procède sa valeur éducative.
Il est nécessaire alors de savoir comment les générations postérieures à celles
de l'époque archaïque ont réussi à maintenir l'acte héroïque comme une référence
pédagogique et à l'adapter à leurs systèmes éducatifs. L'examen de l'apport de
Platon dans ce domaine nous aidera à cette question.
Platon s'est intéressé dans son système pédagogique à la valeur éducative
qu'inspire un acte héroïque. Mais il ne le conçoit que dans un cadre collectif. Le
citoyen ne doit exister et agir que pour la communauté. C'est dans cette perspective
qu'on comprend dans quel sens Platon, tout en fondant ses idéaux sur la morale
noble de la Grèce archaïque, enrichit la valeur éducative de l'acte héroïque. Par la
même occasion, il reconsidère la portée pédagogjque des textes homériques et il se
propose de l'améliorer et de la réadapter à son idéal voire à celui de toute l'époque
classique.
Les fréquentes références 2 de Platon aux poèmes homériques (àl'Iliade
surtout) sont une preuve manifeste que le philosophe n'a pu se défaire de
l'influence d'Homère. Ces références ont leurs moments forts et leurs moments
faibles dans l'œuvre de Platon; Jules Labarbe explique les raisons de ces phases
comme suit: "avant d'affirmer saWeltanschauung philosophique, avant d'étouffer
en lui le poète, Platon a dû tâtonner. Hésitant à sacrifier l'un de ses dons les plus
précieux, s'interrogeant sur sa mission, il a passé par une crise qui, à l'époque où il
écrit La République, atteint une phase particulièrement aiguë. Dans sa maturité, il
finit de dialoguer intérieurement et de faire le compte des différences fondamentales
qui existent entre le monde d'Homère, poétique par excellence, et celui-là, fruit de
la raison, qu'il sent s'agiter en lui"3. D'aucuns se sont interrogés sur la sincérité et
le bien-fondé des critiques de Platon, lui qui avait reçu une éducation dont la source
1. JAEGER (Werner), Paideia . (T. l ). p. 67.
2. LABARBE (Jules), L'Homère de Platon. Liège. 1949, compte en gros "cent cinquante
citations ou allusions, éparpillées dans une vingtaine de dialogues". p. 12.
3. LABARBE (Jules), Homère ... , pp. 403-404.
12
:~
se trouve être l'œuvre homérique. Pour y répondre il est nécessaire de distinguer le
niveau et le sens des différentes références et ce dont Platon a voulu les charger. J.
Labarbe note que dans certaines œuvres de Platon (Hippias mineur, Ion et La
République) "l'épopée est ordinairement traitée comme un fonds, non point
d'ornements ou de témoignages accidentels, mais de thèmes convenant à des
discussions suivies sur l'esthétique ou sur la morale" '. Ainsi Platon ne se servit de
ces thèmes que pour enrichir la discussion pédagogique dans ses dialogues.
Les poèmes homériques constituent un patrimoine culturel commun à
l'ensemble des Grecs. Pour Platon, la mission d'Homère n'aura été que de
préserver les traits vivaces de la société grecque de l'époque archaïque. Tel fut l'un
des aspects de la compréhension que Platon eut de la mission d'Homère. C'est la
raison pour laquelle il arrive qu'il juge Homère2 indépendamment de ses poèmes.
Si il s'est intéressé à "l'éducation de l'homme" (naloElaç nEpl civ8pWnou)",
écrit Platon, "rien ne montre qu'Homère lui-même ait éduqué un homme ou ait
réorganisé des régimes politiques". Pour mettre en évidence son assertion, Platon
oppose Homère aux législateurs comme Lycurgue, Solon, Charondas et aux
détenteurs d'une TÉXVT] comme Pythagore3. Sans doute Platon est-il conscient des
écarts qui existent entre l'objet d'un poète et celui d'un législateur ou d'un
mathématicien, mais il voulut expliquer qu'Homère, privé de son titre d'auteur des
faits décrits dans ses poèmes, n'est qu'un "simple imitateur". C'est par là-même
qu'on découvre le côté humoristique de la critique platonicienne à l'égard
d'Homère. En effet, Platon sait sans doute que relativement à l'art poétique ceux
dont il glorifie les œuvres (législateurs et scientifiques) ne sauraient être comparés à
Homère. Ainsi il enseigne indirectement que l'homme ne doit être jugé qu'à travers
son oeuvre; sa notoriété en dépend. Homère n'y fait pas exception.
C'est cette intimité entre le poète et ses textes qui fit qu'on appela Homère
"éducateur de la Grèce" (T~V' Enâoa nEna{OEulŒv)4, éloge que Platon met au
1. LABARBE (Jules), Homère ... , p. 402.
2. Rép. 595 c ; pour légitimer ses critiques Platon dut considérer Homère comme un homme
ordinaire: " cin' où yàp np6 YE TT]Ç ciÀT]8EÎaç Ttf.lT]TÉOÇ civTÎp, cin', 0 ÀÈyw,
pT]TEOV" ("mais il ne faut pas témoigner à un homme plus d'égard qu'à la vérité, et,
comme je viens de le dire, c'est un devoir de parler").
3. Rép., 599 c d e.
4. Rép., 602 e.
13
compte de~ admirateurs du poète. Aussi est-il inexact de considérer Platon comme
l'auteur et le défenseur de cette assertion, comme l'a fait Henri Irénée Marrou 1. En
effet l'emploi de TlalÔEUElV au parfait ne fait qu'accentuer l'humour de Platon dans
ce passage. ""T~v 'Enaôa TlETla{ôEUl<EV" signifierait que l'éducation de la Grèce a
été achevée sous, et par Homère. Même si cette affirmation s'explique par
l'influence homérique sur l'éducation grecque, Platon, partisan d'une éducation
étatique, ne saurait l'accepter du coup.
On a encore cru qu'en faisant dire à Protagoras2 qu'une partie importante de
la paideia grecque fut la poésie, Platon considère Homère comme le principal
éducateur de l'Hellade. Dans ce passage on fausse la pensée du philosophe quand
on fait uniquement référence à Homère; en ce sens qu'il est question de toute la
poèsie. Il est vrai que les textes homériques furent les principales sources de
références de Platon, mais les diverses allusions de ce dernier aux autres poètes
(Hésiode, Simonide etc ... ) pourraient expliquer ce qu'il fit dire à Protagoras, à
savoir que "la poésie est lune partie importante de l'éducation".
Ainsi Platon accepte la poésie comme base pédagogique sans toutefois mettre
à l'actif d'Homère l'éducation de la Grèce. L'explication de ce refus viendrait de la
conception que Platon se fait de l'éducation: pour lui elle est œuvre commune et
elle ne doit être que sous la responsabilité de tous les citoyens. Il est inconcevable
d'affirmer, dans la logique platonicienne, qu'un seul Grec a eu à éduquer toute
l'Hellade. Là Platon se démarque par principe d'une tradition populaire fondée sur
l'idée qu'Homère fut l'éducateur des Grecs de tous les temps. Lorsqu'il prône une
relecture des poèmes homériques, Platon délimite déjà les contours de son idéal
éducatif dont l'originalité se précise davantage à travers sa critique contre
l'enseignement des Sophistes.
Platon eut l'avantage de bénéficier de l'apport positif des courants littéraires et
philosophiques des époques précédentes. En effet, "la base de la pensée de Platon",
écrit Werner Jaeger, "est une réincarnation de l'esprit religieux qui, d'Homère aux
tragiques, anima l'éducation grecque antérieure: en remontant au-delà de l'idéal des
1. Cf. MARROU (Henri Irénée), L'histoire de l'éducation dans l'Antiquité.- Paris, 1965.- p.
39.
2. Protag.. 339 a.
14
)
Sophistes, elle finit par le dépasser" 1. Ainsi l'essentiel de la pensée platonicienne se
ramène à la question religieuse.
Platon hérite de la polémique qui opposa son maître Socrate aux Sophistes.
L'un comme les autres s'intéressaient à l'éducation. Il y eut cependant une nette
différences au niveau de leur vision des choses; par transposition, le relativisme
des Sophistes ne concordait pas avec l'absolutisme de Platon. Protagoras affirme,
en effet, que "l'homme est la mesure de toute chose"2, alors que Platon s'y oppose
fermement en écrivant dans Les Lois :"6 ô~ 8Eàç hf-llV nâvTCùv xprlf-lâTCùv f-lÉTPOV
av t{f( f-lâÀlO"Ta, Kat noÀu f-laUov ~ nou nç, wç <j>ao"lY, èiv8pwnoç"3. Toute activité
humaine est ainsi subordonnée à la volonté divine.
En effet, depuis Homère jusqu'aux Sophistes, l'éducation grecque eut une
orientation purement religieuse4. Tout en étant les héritiers directs de cette tradition,
les Sophistes refusèrent de s'y soumettre. Ce refus fut à l'origine de la principale
divergence entre les Sophistes et Platon. Ils firent une distinction entre "culture" et
"religion"; mais il ne rejetèrent pas pour autant l'œuvre homérique. En effet "ils
regardèrent", écrit Werner Jaeger, "Homère comme une encyclopédie de toutes les
connaissances humaines, depuis l'art de la carrosserie jusqu'à la stratégie, et
comme une mine de préceptes prudents et sages pour le comportement dans la vie.
L'épopée et la poésie tragique, qui éduquent par le spectacle d'actes héroïques
furent envisagées par eux d'un point de vue franchement pragmatique"5. Ainsi les
Sophistes ont puisé dans les poèmes homériques6 les éléments de base de leur
théorie éducative. Mais la question est de savoir si Platon et les Sophistes se sont
servis de la même manière de ces matériaux.
L'enseignement sophistique n'intéressait qu'une partie des citoyens,
particulièrement les jeunes gens et les adultes, alors que celui conçu par Platon tient
compte de toutes les classes d'âge7 . Néanmoins, les Sophistes jouèrent sur
1. JAEGER (Werner), Paideia ,p. 351.
2. PROTOGORAS. frag. l, DIELS.
3. Lois, 716 c : "Or, pour nous. la divinité doit être la mesure de toutes choses, au degré
suprême. et beaucoup plus, je pense, que ne l'est, prétend-on, l'homme".
4. Cf. JAEGER (Werner), Paideia , p. 350.
5. JAEGER (Werner), Paideia , p. 344.
6. Cf. JAEGER (Werner), Paideia, p. 341.
7. Le problème des classes et groupes d'âge sera posé dans le sous-chapitre du cadre temporel.
15
~
l'évolution concrète du sens de natôe:ue:lV qui "ne se limita plus à la formation des
enfants (nuïôe:ç) mais désigna particulièrement celle du jeune homme comme si on
avait voulu indiquer par là que l'éducation était susceptible d'être donnée tout au
long de l'existence" 1. En effet, ils ne s'occupèrent pas du nuïç, mais ils destinèrent
leur enseignement aux seuls VÉOl dont la vocation est de devenir de bons orateurs.
Ils se trouvent ainsi face à des natures déjà "défrichées" par une éducation dont
l'essentiel demeure la morale religieuse. Il ne leur reste, dès lors, qu'à inculquer à
leurs disciples de nouvelles connaissances susceptibles d'aider ces derniers à
assumer leurs fonctions politiques ou d'orateur. Pour les Sophistes "l'éthique et la
politique "furent" les caractères principaux de la vraie paideia"2. Leur enseignement
en fin de compte, malgré sa portée universelle, ne s'adressait qu'à une minorité
appelée à gouverner l'Etat.
Ainsi l'objectif des Sophistes aura été de mettre l'accent sur les qualités
intellectuelles en reléguant au second plan les qualités morales et religieuses de
l'individu. La réussite dans les affaires politiques fut presque le seul but de leur
enseignement. Là encore leurs idées ne concordaient pas avec la vision
platonicienne de l'éducation dont la religion et la morale sont les principales
composantes. C'est certainement le caractère pratique et lucratif de leurs cours qui
explique la négligence notoire de la morale dans leur enseignement. Werner Jaeger
eut raison d'écrire que "( ... ) leur œuvre éducative la plus sérieuse s'adressa à des
individus vivants, non à des lecteurs futurs"3. Platon, lui, se réfugie, durant
presque toute sa vie. dans un idéal qu'il voulut éternel. Il est vrai qu'il ne négligea
pas l'apport des Sophistes dans le domaines des connaissances intellectuelles, mais
il combattit leurs méthodes d'approche en pédagogie.
Deux divergences apparaissent entre les Sophistes et Platon: les premiers, en
effet, s'adressent à un public restreint malgré leur conviction d'être des éducateurs
au service de la communauté; le second ouvrit son système éducatif à tous les
hommes libres, et cela de l'enfance à la vieillesse. La deuxième divergence est
d'ordre utilitaire: les Sophistes forment leurs disciples en vue d'une utilité
immédiate sans se soucier de la moralité de l'individu, tandis que Platon cherche à
1. JAEGER (Werner), Paideia , 351.
2. JAEGER (Werner), Paideia, p. 348.
3. JAEGER (Werner), Paideia , p. 353.
16
obtenir, dans son projet pédagogique, "une personne complète" sachant modérer
ses comportements dans toutes les activités humaines. Inculquer le sens du civisme
à tout membre libre de la communauté fut l'un des objectifs politiques et
pédagogiques chers à Platon. Les Sophistes, bien qu'ils aient vécu dans les Cités-
Etats, se soucièrent moins de l'intérêt de la communauté que de celui des
particuliers qui assistaient à leurs cours.
Il découle de l'enseignement sophistique un individualisme qui refuse de
s'enfermer dans le terme de "citoyenneté". Les Sophistes illustraient eux-mêmes
cette liberté individuelle, quand on sait qu'ils n'eurent presque jamais une résidence
fixe. Dans leur logique, la valeur de l'individu ne peut être appréciée que par
rapport à ses capacités intellectuelles et à son habileté à convaincre. Cet
individualisme fondé sur les qualités intellectuelles explique certainement pourquoi
les Sophistes n'étaient pas d'accord tous sur les mêmes sujets l . Platon était à coup
sûr conscient de l'existence de cet individualisme dans l'enseignement des
Sophistes. Et il s'opposa vigoureusement à tout discours allant dans ce sens. Du
reste, ses conceptions politiques et pédagogiques ne laissent pas émerger
l'individualisme dans son système.
Les Sophistes prétendaient être en possession de toutes les sciences et
excitaient l'admiration de leur auditoire. C'est pourquoi Platon les qualifie de
"charlatans et d'imitateurs"2. Il apprécie néanmoins leur génie dans la psychologie
des foules 3, mais il nie toute idée d'éducation (fl.r, ...TtalOEUE1V)4 dans un discours
adressé à une foule. Au passage, nous retrouvons l'hostilité de Platon à l'égard des
grands rassemblements publics. C'est l'une des explications de son absence du
monde bruyant de la politique athénienne. Les disciples des Sophistes, nourris de la
science de la parole (Tà E3 ÀÉ"{E1V), haranguèrent des foules S plus que leurs maîtres.
Pour Platon, leur prétendue paideia est loin d'être vraie. En effet, ils se limitaient à
des sujets à utilité éphémère. C'est ce qui explique l'absence d'une méthode
préétablie dans l'enseignement sophistique. "C'est sur ce point", écrit Werner
Jaeger, que "plus tard, Platon et Aristote combattront l'ensemble du système de la
1. Cf. JAEGER (Werner), Paideia , 348.
2. Rép., 598 d.
3. Rép., 493 abc.
4. Rép., 493 a.
5. Cf. JAEGER (Werner), Paideia , p. 341.
17
.~
culture sophistique et qu'ils ébranleront jusqu'en ses fondements" 1.
Ainsi donc l'éclat et l'ampleur du courant sophistique de la fin du 4°siècle
n'eurent pas d'influence durable sur la pensée philosophique et pédagogique de
Platon. Sa formation traditionnelle et aristocratique ne lui pennit pas de dissocier
l'éducation de la religion ; mieux, cette dernière fut au centre de sa pensée
pédagogique et sociale. Il se donne la mission de former, dans son projet
pédagogique, un citoyen dont l'unique référence est la divinité. Alors que les
Sophistes subordonnent tout aux possibilités humaines, Platon trouve logique de
faire dépendre les activités humaines de la volonté divine. Il prône une symbiose
entre le monde des vivants et celui des dieux, tout en exigeant le juste milieu dans
toute entreprise humaine. C'est ainsi qu'on comprend sa réfutation des propos du
célèbre Protagoras sur la possibilité d'enseigner la vertu.
Certes chaque chose a sa vertu 2, mais celle qui rassemble en elle seule les
qualités de toutes les autres ne peut être qu'UNE. On essaie seulement de l'imiter,
mais on ne peut jamais l'égaler. Aussi est-il absurde voire utopique de vouloir
enseigner la vertu. La position de Protagoras ne concorde en aucun cas avec la
logique platonicienne. Toutefois, la vertu, d'après Platon, doit être la principale
préoccupation de tout éducateur. Ce n'est pas à l'âge adulte qu'elle s'acquiert
comme le prétendaient les Sophistes, mais dès la petite enfance3,
Il faut remarquer au passage que les Sophistes et Platon s'accordent sur la
nécessité d'être "vertueux". Mais là encore ils divergent sur les modes d'approche
de la question. Les Sophistes, en effet, semblent arrêter leur vision d'àpET~ à la
politique et à la rhétorique, alors que Platon reconduit presque les mêmes idées que
son maître Socrate sur l'àpn~, idées que Henri Irénée Marrou résume en ces
termes: "c'est par la Vérité, non plus par la technique de la puissance qu'il veut
former son élève à l'àpnf), à la perfection spirituelle, à la "vertu" : la finalité
humaine de l'éducation s'accomplit dans la soumission aux exigences de
l'Absolu"4. Ainsi Platon rejette "l'amoralisme cynique" des Sophistes au nom de
l'éducation traditionnelle à laquelle il emprunte les principaux traits de-son système
1. JAEGER (Werner), Paideia , p. 341.
2. Cf. Ménon pour une étude détaillée sur cette question.
3. Cf. Lois, 789 b-792 e.
4. MARROU (Henri Irénée). Histoire de l'éducation .... p.103.
18
,
éducatif, et fustige leur ambition de limiter tout à la nature humaine pour ne pas dire
à la 110À lTtXT] TixvTl l . "Posséder la vérité", selon l'heureuse formule de Henri-
Irénée Marrou, "importe moins que de réussir à faire admettre, hic et nunc, à tel
public déterminé telle thèse comme vraisemblable"2. Cet humanisme à hauteur
d'homme, prôné par les Sophistes, privilégie la "culture"·intellectuelle au détriment
de celle du corps. L'àpET~ militaire chère à Tyrtée3 et à l'admirateur de la Sparte
archaïque que fut Platon est reléguée au second plan voire négligée dans la culture
sophistique.
Relever le défi fut, pour Platon, réhabiliter dans la pensée de l'homme du
4°siècle, les valeurs fondamentales de l'éducation aristocratique. Nous tenterons,
après une esquisse historique des termes de 11atôEÎa et de TpO<l>~, d'éclairer ce qui
fait l'originalité de Platon dans son héritage culturel et pédagogique.
Dans son avant-propos de l'édition de 1933 de Paideia, Werner Jaeger note
que le terme de 11atÔEla se refuse à "se laisser enfermer en une formule abstraite" et
qu"'il est impossible d'éviter l'emploi d'expressions actuelles comme civilisation,
culture, tradition, littérature ou éducation"4. En remarquant que chacune de ces
traductions correspond à un "aspect" de 11alôEÎa, Werner Jaeger met en garde
contre les difficultés apparentes d'approche du terme. Dans l'intervalle de temps
qui va des premières mentions5 du mot jusqu'à l'époque classique, l'acception de
11atôEÎa semble avoir suivi l'évolution sociale et politique de la Cité-Etat. De l'idée
de "puériculture" (car il se confondait encore dans Les Sept contre Thèbes
d'Eschyle avec Tp04>~), 11atôEÎa acquit le sens de "culture" à la fin du 5°siècle avec
l'emploi qu'en firent les Sophistes. Mais l'aspect culturel du terme apparaissait déjà
dans l'emploi du verbe 11alÔgÛgl v chez Pindare: "m'hol Ilg E,ivov ollô' àôa~1l0lla
MOlcrav È11atÔgucrav )(ÀUTat eTi~at"6. "L'illustre Thèbes n'a pas nourri en moi un
homme étranger aux Muses, un homme qui les ignore".
Platon hérite du terme au moment où on "l'emploie pour parler de l'ensemble
de toutes les perfections idéales du corps et de l'esprit (une kalokagathia totale),
c'est-à-dire un concept dans lequel on inclut désormais consciemment une véritable
1. Protog., 319 a.
2. MARROU (Henri Irénée), Histoire de l'éducation ... , p. 93.
3. Cf. TYRTÉE,jrag. 12, l-l0.
4. JAEGER (Werner), Paideia . p. 1.
5. Cf. PINDARE,jrag. 198 ; ESCHYLE, Les Sept ... , 18.
6. PINDARE. frag. 198.
19
~
culture intellectuelle et spirituelle" 1. L'étape classique fut décisive dans l'évolution
sémantique de nalOEla dont le sens s'applique à la fois au contenu du tenne lui-
même et à des méthodes pédagogiques. Aussi le tenne de nalOEla dépasse-t-il son
sens actif pour atteindre un sens perfectif, c'est-à-dire "l'état d'un esprit pleinement
développé, ayant épanoui toutes les virtualités, celui de l'homme devenu vraiment
homme"2. Henri Irénée Marrou distingue ainsi deux étapes voire deux approches
historique et sémantique, parallèles et complémentaires de nalOEla. La première est
rendue par cette fonnule :"j'entends bien que dans nalOEla il y a naïç, mais il faut
traduire "le traitement qu'il convient d'appliquer à l'enfant", -pour en faire un
homme"3; la deuxième se résumerait en l'idée de culture, "ensemble de l'univers
culturel et spirituel révélé par l'éducation"4. Lé concept de natoda recouvre d'une
manière générale les mêmes champs sémantiques dans l'œuvre de Platon.
Seulement ce dernier, en s'appuyant sur un idéal philosophique, donne au tenne de
natoda une empreinte à la fois tyrtéenne et classique. La République et Les Lois,
malgré leur écart chronologique, attestent fidèlement cette symbiose du passé et du
présent glorieux de la cité, et de ses hommes dans la vision éducative de Platon.
Dans de nombreux passages de ses œuvres nalO€la
s'emploie soit avec des
noms communs tels que TpO<j>~, àp€T~, naïç, vÉoç, <j>ucnç, èivop€ç, soit avec des
adjectifs tels que àpe6ç, à'{ae6ç. La fréquence du couple nalOElafTpo<j>fJ nous
amène à faire une distinction dans l'emploi de ces deux tennes chez Platon. Cette
distinction permettra, sans doute, d'éclairer les nuances qu'on rencontre souvent
dans l'acception des deux termes.
Dans l'usage, na lOg la servit, à l'origine, à rendre "le fait de nourrir un
enfant"5, et il ne se distingua pas de TpO<j>fJ dont l'acception (élevage des enfants)
était déjà connue d'Hérodote. Cette rencontre des sens de nalOEla et de TPO<j>lÎ ne
peut être expliquée que par l'origine des deux tennes. En effet, l'apparition du
tenne de na lOEla issu de nalO€U€l
v dont l'étymologie se rattache à celle de naïç
dénote un long processus dans l'acquisition de son sens classique.
1. JAEGER (Werner), Paideia , p. 333.
2. MARROU (Henri Irénée), Histoire de l'éducation , p. 156.
3. MARROU (Henri Irénée), Histoire de l'éducation
, p. 325.
4. JAEGER (Werner), Paideia, pp.351-352.
5. ESCHYLE, Sept, 18.
20
De l'époque homérique à celle des Tragiques, la tradition populaire ne semble
pas avoir encore opéré une distinction entre "éducation" tout court et "instruction".
Sans doute cet état de fait reflète-t-il l'idée qu'on se faisait de l'éducation elle-
même. En réalité, on ne distingue pas encore dans l'idée de "faire grandir un
enfant" (TpÉ<j>EtV) l'aspect physique de l'aspect moral et spirituel de l'opération. On
ne saurait nourrir un enfant jusqu'à la septième année sans lui apprendre à parler ni
à observer son entourage. Pour traduire ces différentes opérations, on employa
TpÉ<j>EtV. Plus tard le terme de natoEla héritera du sens de "nourrir" avant d'avoir
son acception la plus complète et la plus large (éducation et culture). Les deux
termes traduisaient ainsi l'état d'esprit de toute une époque.
D'ailleurs les expressions "faire grandir" ou "élever" qui sont traduites par
TpÉ<j>Et v signifia "éduquer". Peut-être TpO<j>n a-t-elle exprimé d'abord "l'éducation
toute entière" avant de se voir "concurrencer" par natOEta qui fut employée surtout
pour l'étape qui va de la septième année à l'âge adulte. Homère usait déjà du terme
de naïç 1 sans toutefois employer na toEta. Aucun terme précis n'apparaît dans
l'œuvre homérique pour exprimer pleinement le concept d'éducation. Toutefois, le
poète connaissait le terme de Tpo<j>6ç qu'il employa 17 fois 2 dans l'Odyssée. Le
rôle de la Tpo<j>6ç de cette époque fut de "prendre soin" du naïç, de l'élever selon
l'idéal de la famille concernée. Elle est à la base de toute l'éducation morale et
religieuse des enfants. S'occuper de l'éducation d'un enfant revient alors à dire le
"nourrir" ou l'''intégrer'' dans la,vie ,soc~ale. Les ~eux{~~~"co\\~nde~~~n
une seule phase que seule TpO<j>n arrIve a rendre sem4tiqq~went. D~~~s SOCIetes
africaines, "être éduqué" signifie avant tout "avoir lr/ndi'\\s.a~~D.tsousf'lautOrité
1'"
0
. -le
' , 6 .
j3
de ses parents ou celle de ses tuteurs. Autrement dit l'éa'tl~a.!e~ra simultrément
Q
11/'1:
/"
"nourri" et "éduqué" l'enfant. C'est cette idée qu tfe ferme le 'fèrm~C'<àe TpO<j>n
lorsqu'on le traduit par "faire grandir"3 un naïç.
l'tT/Boeil 81
~~ ,,\\.
Dans ce contexte, l'apprentissage d'une TÉXVn, en tant que "habileté à faire
quelque chose", s'effectue au fur et à mesure que l'enfant grandit; mais ce dernier
imite plus qu'il n'apprend. Aussi était-il encore difficile, à l'époque archaïque, de
déterminer à quel âge un enfant (naïç) est capable d'assimiler une "technique" au
1. Son acception la plus répandue chez Homère est "fils". mais il se traduit aussi par "enfant".
2. Cf. NDOYE (Malick), L'idée de travail: étude comparée (Grèce archaïque et Afrique
Subsaharienne). p. 182.
3. CHANTRAINE (Pierre), Dictionnaire étymologique.- Paris, 1968.
21
sens premier du terme. Il a fallu attendre l'époque classique, avec Platon, pour
qu'on se rende compte que le naïç peut par le jeu (nalôla), acquérir certaines
notions d'une TÉXVT'J. L'enfant aura déjà assimilé à travers le jeu quelques
connaissances pratiques avant d'accompagner son père à la guerre ou de le
remplacer dans son travail. Grandir dans la domaine familial signifierait chez Platon
"être nourri" et "être éduqué" par ses parents. La tradition grecque n'eut
certainement pas, au début de son histoire, à distinguer entre "nourrir" et "éduquer"
un enfant.
La TpO<j>~, au fur et à mesure que la civilisation de la Cité-Etat se consolide,
perd quelques aspects de son champ sémantique; elle ne recouvre plus que la
période allant de a à la 7°annéede l'existence de l'enfant. Peut-être cette
"régression" sémantique commence-t-elle au moment où les Grecs se posèrent la
question de savoir à quel âge l'enfant doit aller à l'école. Il fallut, dès lors, trouver
des termes appropriés qui s'accordent avec les différentes étapes du processus
éducatifl .
C'est à partir de la 7°année que l'enfant reçoit le nom de naïç ; cette
appellation se précisa surtout au moment où la cité s'intéressa à la vie et à
l'instruction des l'enfants. Les rôles furent pour ainsi dire partagés entre la famille
qui s'occupe de la TpO<j>~ et l'Etat qui se charge de la nalÔEla. Cette division était le
propre de la constitution spartiate. A Athènes cette politique était moins apparente;
les particuliers s'occupaient eux-mêmes de l'éducation de leurs enfants
conformément aux prescriptions de l'Etat. En effet, confier son enfant à un maître
devient implicitement une obligation morale vis-à-vis de l'Etat, en ce sens que
l'éducation est l'un des premiers critères de citoyenneté. Le caractère privé de
certains enseignements à Athènes n'entrava en rien l'idéal communautaire. En fin
de compte deux zones d'influence, celle de la famille et celle de l'Etat, se partagent
la vie éducative de l'enfant.
Après avoir hérité de cette tradition, Platon bénéficie d'une terminologie dont
il néglige délibérément la portée dans La République. Dans de nombréux passages
de cette œuvre, il joint nalÔEla à TpO<j>~, sans toutefois donner un rôle pédagogique
à la famille, d'ailleurs inexistante. Aussitôt après sa naissance, l'enfant se trouve
1. Cf. MARROU (Henri Irénée), Histoire de l'éducation ... , p. 53.
22
'.9
sous la protection de l'Etat. Pourtant, Platon connaît la différence des termes de
nau5da et de Tpo<j>Tl dans leur signification première. Glaucon prie Socrate, dans
La République, d'exposer à son auditoire ses idées "( ... ) sur l'élevage des enfants
encore tendres (nalOwv TE nÉpl. .. Tpo<PTiÇ vœv ETl lSVTWV), pendant cette période
intermédiaire qui va de la naissance à l'éducation proprement dite, (TTiÇ Èv Té;)
flETa~ù Xpôvy ytyvOflÉvnç YEVÉOEWÇ TE )(at nau5daç), tâche (cet élevage) qui
paraît assurément la plus pénible de toutes" 1. Même si il a trouvé cette première
période difficile à régir, Platon ne néglige pas pour autant l'unité organique de
TpO<P~ et de natôda. Il ne respecte pas toujours l'ordre "chronologique"2 dans
l'emploi des deux termes, c'est-à-dire TpO<P~ avant natÔE la. Néanmoins, on
rencontre dans Les Lois despassages 3 où il respecte l'ordre logique des deux
termes: naiôwv ôÈ ôh yÉVEOtV flETà TOÙÇ yaflouç 8wflEV, xa1 flETà yÉVEOtv
Tpo<phv xa l natôdav : pour en revenir à la procréation des enfants, plaçons-la
après le mariage, puis, après la naissance, l'allaitement et éducation"4. Il s'abstient
souvent de cette construction lorsqu'il joint à TpO<P~ le terme de natç5, ce qui ne
concorde pas sémantiquement ; car c'est natôda qui, au lieu de Tpo<ph, devrait
accompagner naie; pour traduire "éducation" ou "instruction". Pour déguiser cette
discordance, Platon a recours à des précisions sur l'âge du natç (par exemple nEpt
Thv TWV o<pôôpa vÉwv nalOwv TpO<P~v)6. Cette construction peut être liée à la
confusion des sens respectifs de TpO<P~ et de natôda dans la littérature classique;
aussi fut-il nécessaire de recourir à des repères précis pour replacer chaque mot
dans son contexte. Cela traduit une tendance qui se préoccupe plus de la pensée en
soi que de la précision des termes qui l'expriment. Ainsi le mot devient secondaire
par rapport à ce qu'il traduit.
Quand au terme de nate;, son emploi dans ces passages codifie une acception
admise depuis Homère.
Platon use des termes de TpO<P~ et de natôda dans leur nouvelle acception de
l'époque classique. Il s'en sert pour traduire le contenu concret de l'éducation et
l'aspect spirituel de cette institution. C'est ainsi qu'il fit une distinction entre "la
1. Rép., 450 c.
2. Rép., 412 b : 423 b ; 423 a 5 : 424 a 7 ; 450 c 3 : 451 e 4.
3. Lois, 631 ct 1 : 740 a 2 ; 776 a 1,3 ; 842 e 2 ; 920 a 8.
4. Lois, 783 b 2.
5. Lois, 766 a 5 ; 809 a 4 ; 927 ct 6.
6. Lois, 822 e 2.
23
~
"nourriture" et l'éducation de l'âme pendant la vie" 1 (Tà fû;V TO{V~V m;pt TpO<l>~v
TE: çwcrTlÇ ljJuxiiç )(at nalodav) d'une part, et la "nourriture du corps et de son
éducation2 (Tà oÈ TtE:pt T~V Tiiv crWf.lC1TWV TpO<l>~v f.lÈv )(at natoElav) d'autre part.
Ce parallélisme voulu et établi entre l'âme (ljJuX~) et le corps (crwf.la) montre l'intérêt
que Platon attache aux valeurs morales et physiques, plus précisément, à la
psychologie et à la santé physique du citoyen. L'unité qu'il cherche à obtenir au
sein de la cité voit sa première réalisation dans l'épanouissement psychologique et
dans la croissance physique du citoyen, en tant que âme et corps. L'obstination de
Platon à trouver un équilibre entre ces deux pôles implique une insuffisance dans le
système éducatif existant.
Bien qu'elle s'intéressât à la formation complète de l'homme, la cité
athénienne eut un goût particulier pour les études intellectuelles. A Sparte on insiste
surtout sur la formation physique du citoyen. Pour Platon le manquement à l'un de
ces aspects de l'éducation ne fait que nuire à l'harmonie entre l'âme et le corps.
L'idéal platonicien serait de trouver un juste milieu entre le système athénien
et celui de Sparte tout en débarrassant les deux systèmes de leurs tares. C'est la
raison pour laquelle nous userons du terme de Tp0<l>n dans son sens large, et de
na Ioda dans l'idée de culture intellectuelle, scientifique et philosophique. Platon
les emploie le plus souvent dans ces significations respectives3.
Quand il donne à Tp0<l>n et à na IOE: {a un sens à la fois concret et abstrait,
Platon s'engage à marier dans sa vision éducative le matériel et le spirituel. C'est
cette option qui explique le parallèlisme entre "Tiiç ljJuxiiç TpO<l>~ )(at natoda", et
"crWf.laToç natoda" : "nourrir" et éduquer l'âme reviendrait à habituer l'âme à la
vérité conformément à la justice ; alors que "nourrir et éduquer le corps"
consisterait à prendre soin du corps au moyen des exercices physiques et d'un
régime alimentaire appropriés.
1. Lois. 874 d 2.
2. Lois, 874 d 5.
3. Rép., 412 b 2 ; 423 e 5 ; 424 a 7 ; 450 c 3 ; 451 e 4 ; Lois. 788 al; 854 e 5 ; 927 c 5 ;
969 a 3 ; 952 b 8. Epin. ; 989 c 4.
24
La question est de savoir pourquoi Platon s'engage à retrouver cet équilibre
dans l'éducation et comment il s'y prend.
Il est fréquent de rencontrer dans des passages de La République ou des Lois
TpO<j>~ et nau)da accompagnés des adjectifs àyaSaç, àpSaç, )(aÀaç, )(a)(aç ou
novT]paç 1.
Les verbes TpÉ<j>E1V et nalôEuE1V sont souvent précédés au passif par les
adverbes E6 et àpSwç, construction suivie immédiatement par des formules telles
que "avôpEç àyaSo{"2, ''l-LÉTplOl avôpEç"3, "SElaTaTov ...Cëpv"4. Les substantifs
semblent symboliser dans l'absolu et dans les expressions telles que "T~V àpS~v
nUlôdav"s, "m:pt nalôe:taç àpSTjç"6, nau)e:taç àpST)ç"7, "rf)v àpS~v TpO<j>~v"8,
une antithèse par laquelle Platon s'oppose à l'éducation existant à son époque. En
effet, il n'hésite pas à utiliser des formules négatives comme ")(a)(1)v ...TpO<j>~v"9,
"novT]pà
TpO<j>~"lO, "nalôda TE: où ôlaTpu<\\Jwcrl) " 1 l, "ôlE<\\JSapIlÉvT]v ôè
nalôdav"12, "Èv )(a)(~ TpO<j>Tj" 13, "unà )(a)(Tjç TP0<\\JTiç"14, ")(a)(~v TpO<p~v"IS, "Èv
YE T~ napoucrl) nalôdaç ànop{c;z"16, "vaSl) nalôdc;z"17, "crlll)(pÇi nalôdc;z"18,
1. Pour àyaS6ç voir Rép. : 423. 5 (E6), 424 a ; 456 d 10 ; Lois: 641 b ; 643 b ; 644 ab;
pour àpSaç : Lois, 644 a : 653 a l ; 659 d ; 765 e-766 a ; 670 e 2 (à)(plI3ÉcrTEpav
nalôe:tav) ; 654e6 ; 694 c 6 ; 965 b 1 ; 695 c 7 (où ÔtaTPU<j>Wcry); 920 a 8 (EÙ .. ) ; 735
C 1 (novT]pà TPO<\\Jrl) ; 643 d 1 (... àpS~v TpO<j>~V) ; 694 d 8 ()(À~v TpO<j>~V) ; 788 C 7
(TT)V àpST)v TpO<j>rlV); 934 d 7 (l<a)(~V TpO<j>rlV); 695 b 2 (TpO<j>Tj àvnmÀrl)(n~);
695 d 6 (... rpu<j>Wcrl) ...nalôdc;z) ; 695 a (nau)dav ôtE<j>SapIlÉvT]v).
2. Lois, 641 b.
3. Rép., 423 e 5.
4. Lois, 765 e-766 a.
5. Lois, 653 a 1.
6. Lois, 654 e 6.
7. Lois, 694 C 6 ; 765 e-766 a.
8. Lois, 643 dl; 788 e 7.
9. Lois, 934 d 7.
10. Lois, 735 c 1.
Il. Lois, 695 C 7.
12. Lois, 695 a.
13. Rép., 495 a 6.
14. Rép., 441 a 3.
15. Rép., 552 e 5.
16. Lois, 754 b 4.
17. Lois, 741 a 3.
18. Lois, 735 a 4.
25
Ces différentes expressions supposent que Platon avait défini, avant de
proposer son projet pédagogique, ce qu'il appelle "bonne et juste éducation" ou
"mauvaise éducation". L'emploi des adjectifs tels que v68oç, XQx6ç, Of.Llxp6ç etc ...
laisse croire qu'il fait allusion au système éducatif athénien perméable aux
changements anarchiques. Ainsi tout indique que Platon a cherché à se démarquer
de ces prédécesseurs en matière d'éducation, bien qu'il ait conservé les grandes
lignes de l'enseignement aristocratique.
La critique a très souvent voulu dissocier l'idéal platonicien de la réalité
historique pour l'enfermer dans un cercle infranchissable. Certes, Platon accepta
moins qu'Aristote l'étreinte des structures institutionnelles contraignantes d'alors ;
mais il conçut tout de même sa constitution à partir d'une analyse de l'évolution
historique et politique des régimes qui ont existé avant et pendant l'époque
classique. Le semi-réalisme des Lois va renverser l'utopie des idées défendues
dans La République. Dans le livre l des Lois, Platon a mis à nu les faiblesses et les
défauts des constitutions crétoise et spartiate en les comparant à sa conception
politique; et par la même occasion, il défend et explique implicitement son attitude
"neutre"dans la vie politique athénienne.
Les guerres, qu'elles fussent civiles ou non, préoccupèrent Platon plus que
tout autre philosophe. Les Grecs sont, selon lui, une famille indivisible3 à
l'intérieur comme à l'extérieur de la cité. Aussi Platon stigmatise-t-illa guerre civile
; cette dernière, écrit-il, c'est "celle surtout qu'un chacun voudrait ne voir jamais
naître dans sa propre cité, ou si elle y était née, voir disparaître au plus vite"4. TI
développe cette idée dans son projet de société dont l'objet est l'unité totale des
citoyens. Cela est à rattacher à son souhait de réconcilier toute la famille hellénique.
Il se définit comme un "juge qui prendrait en main une famille divisée, et, sans
mettre personne à mort, après en avoir réconcilié les membres, leur donnerait des
lois pour l'avenir et ainsi pourrait assurer entre eux une amitié durable"5. Ce
1. Lois, 695 d 7.
2. Rép., 431 a 7.
3. Rép., 441 a 3.
4. Lois, 628 b.
5. Lois, 627 e-628 a.
26
, -
besoin d'unité apparait davantage dans cette déclaration solennelle de Platon: -" le
plus grand bien (Tà éiplCHOV), ce n'est ni la guerre (6 nÜÀEfloç), ni la révolution (i)
cH<Îcnç) et il faut repousser de nos vœux l'obligation d'y recourir; c'est à la fois la
paix et la bienveillance mutuelles; (...)" 1. Dans ces passages, les guerres, bien
qu'elles soient légitimées par la constitution, sont vues par Platon comme sources
de désordre et d'inimitié. Toutefois, la guerre civile2 est pire que la guerre dite
"étrangère"; elle sème non seulement la désunion au sein de la cité, mais aussi la
haine qu'elle entretient ne facilite pas la réconciliation et l'unité dans la cité.
Cette vision réconciliatrice ne permit certainement pas à Platon de jouer un
rôle politique dans une cité athénienne déchirée entre des factions rivales. Alors
fallait-il se refugier dans l'abstrait, plus précisément dans la théorie ou se
manifester publiquement et concrètement pour exhiber son patriotisme? Platon crut
en ces deux formes d'action, mais il préféra la première à la seconde. Les
déceptions politiques et sociales3 contribuèrent à détenniner ce choix chez Platon. il
va adopter une résignation active.
Il crut sans doute en l'homme et en ses capacités intellectuelles; c'est ce dont
il hérita d'ailleurs de ses prédécesseurs les Sophistes. Dans la situation trouble de
son époque, Platon sut rester "homme", c'est-à-dire "vertueux". En effet "on ne
saurait", écrit-il, "dans une révolution, rester loyal et intègre sans une vertu
totale"4, Sa vie elle-même fut une véritable "CH<ÎCHÇ". La nacra àpET~ est absente
chez bon nombre de ses concitoyens et de ses contemporains. Il impute cette
absence de vertu aux constitutions existantes. Dès lors, il fallut se demander à quel
niveau se situe le mal.
Parmi toutes les institutions de l'Etat l'éducation est, pour Platon, la plus
atteinte par les troubles sociaux et politiques de l'époque classique. C'est la raison
pour laquelle illa qualifie souvent de "pauvre", de "pourrie" ou de "mauvaise". Le
terme de TpOQ>~ est fréquemment employé avec l'adjectif )(a)(ôç ; ce qui laisse croire
que Platon porte d'abord ses critiques sur les insuffisances de l'éducation de base
de l'époque.
1. Lois. 628 c d.
2. Lois. 629 d.
3. Gouvernement des Trente, la mort de Socrate: Cf. Lettre VII, 324 b-326 b.
4. Lois, 630 b.
27
,'1
Platon dénonce, dans l'étude qu'il fit des constitutions au début du livre ID
des Lois, le despotisme perse et le désordre de la démocratie athénienne; ce sont là
des maux qui, selon lui, ont perdu respectivement la Perse de Cyrus et l'Etat
athénien.
Cyrus, malgré son patriotisme et sa vaillance "n'eut aucune idée de ce qu'est
une bonne éducation (natodaç oÈ; op8nç OÙX ~1j>8at Tà napânav), ni a~cun souci
de gestion domestique" 1. Platon reconnaît tout de même les vertus et les qualités de
Cyrus (oTparrl'yàç à'(a8àç Kat <!>tÀ6noÀtç) dont le véritable éloge se trouve dans la
Cyropédie 2 de Xénophon. Il ne met pas en doute la "bonne éducation" qu'a reçue
Cyrus lui-même. Remarquons au passage que Platon, pour ne pas nommer
Xénophon, emploie sciemment "fl.avnuof!a t" et "[Otl<E:V" 3. Mais il reproche à
Cyrus d'avoir laissé "élever ses enfants par des femmes (Taïç yuvat~tv napaôoùç
TOÙÇ naïôaç Tp81j>E:tv)4 Il regrette ainsi la véritable éducation perse, "éducation
austère, propre à former des pâtres bien robustes et capables de vivre au grand air,
de veiller, et s'il faut porter les armes, de les porter"5. Dans ce passage illimite la
"bonne ou juste éducation" à la formation physique et guerrière. L'éducation qu'ont
reçue dans le sérail les enfants de Cyrus est loin d'être celle des guerriers perses.
La première est synonyme de mollesse, alors que la deuxième se caractérise par sa
rudesse.
Ainsi Platon arnve à distinguer la natoda Tpulj>won de la natoda où
ÔtaTpu<!>won6. Dans le cas précis des Perses, Cyrus et Darius représentent la juste
éducation, alors que leurs fils respectifs, Cambyse et Xerxès, symbolisent, d'après
le philosophe, la mollesse voire la mauvaise éducation. Là encore, il met en relief
une idée qui lui est chère, à savoir que les grands hommes ne lèguent pas
génétiquement leurs vertus à leurs enfants; tout dépendrait à la fois de la nature
(<!>UOtç) et de l'éducation de l'intéressé. Platon croit que c'est cette éducation
amollissante des princes qui fut à l'origine de la dislocation de l'empire perse.
C'est l'une des raisons pour lesquelles il bannit la mollesse de l'éducation conçue
1. Lois. 694 b.
2. Cf. XÉNOPHON. Cyr., Ch.II. III, IV. (G. FLAMMARION).
3. Lois, 694 c.
4. Lois, 694 d.
5. Lois, 695 a.
6. Nous ne respectons pas ici la place des mots.
28
pour les gardes-citoyens.
Malgré son opposition à l'éducation donnée dans le sérail, Platon ne sous-
estime pas après tout une formation dirigée par des femmes. Sa position est claire:
la femme inactive du sérail diffère totalement de la citoyenne vouée à l'action
guerrière. Par conséquent, ces deux genres de femmes auront à donner à leurs
enfants une éducation différente sur le plan des principes.
Peut-être Platon emprunte-t-il ces données historiques pour dire qu'il est
nécessaire que le législateur lui-même s'occupe de l'éducation familiale dite de
base. Dans cette perspective il fut le premier, dans l'antiquité hellénique, à cerner
correctement les retombées d'une mauvaise éducation de base dans la vie de
l'adulte. Pour ce faire, il s'intéressa à la psychologie de l'enfant en bas âge. Aussi
sut-il mesurer la responsabilité de la famille dans l'éducation des enfants, et cela par
rapport à celle de l'Etat.
Le recours à l'éducation perse autorise à croire que Platon, malgré son
attachement à l'identité grecque, ne limite pas la notion de paideia au seules
populations hellènes. Pour le philosophe toutes les éducations se valent, dès lors
qu'elles mettent l'homme au centre de leurs préoccupations.
Cette référence historique à un autre peuple ne détourne pas Platon de la
réalité dont il hérita, et qu'il vivait alors. En effet, si d'un côté il reproche aux
dirigeants perses leur despotisme et le manque de contrôle sur l'éducation de base
de leurs enfants, de l'autre il s'attaque "au manque d'instruction, à la mauvaise
éducation et à la forme du gouvernement" des pays grecs (ot'anatOEUOlav l<al
l<al<T]v TpO«l~v l<a t l<aTcZCHaOtv TTlÇ T10À tTe:laç) J. La critique contre les régimes
devient secondaire devant une àT1atOe:uO la et une l<al<T] TpO«l~, dans la mesure où
leurs influences marquent le caractère et les comportements de l'homme dans la
société.
A Athènes, bien qu'il n'ait pas une seule fois qualifié la f.l.OUOtl<f) de novllpa
ou de l(al<~, Platon lie la l<al<T] TpO«lf) au renoncement à l'orthodoxie musicale
(àp8oTllTa f.l.0UOtl<~). Il déplore le manque de contrôle sur les créations et les
représentations musicales. C'est à la suite de cette liberté incontrôlée, écrit Platon,
1. Rép., 552 e.
29
que "vient celle qui refuse de se soumettre aux autorités, puis on se dérobe à la
servitude et aux avertissements d'un père, d'une mère, des gens d'âge (...)"1. La
première conséquence de cette anarchie est le dédain des règles élémentaires de
l'éducation coutumière (de base). Les autorités politiques, les parents et les
vieillards sont, pour Platon, les principaux artisans de la TpO<j)~. Le seul oubli de
leur autorité et de leur devoir peut porter préjudice à l'éducation tout entière.
Dans le cas des Perses, comme dans celui des Athéniens, Platon montre
l'interdépendance de la politique et de l'éducation; la réussite de la première dépend
de la bonne organisation de la seconde, et vice versa. C'est ainsi que s'explique
son acharnement à ramener toutes les insuffisances constitutionnelles (des régimes
politiques) à une mauvaise orientation pédagogique.
En dépit de son admiration pour Sparte, Platon a analysé avec esprit critique
les différentes phases du système éducatif spartiate.
La rigueur des institutions lacédémoniennes traduit les difficultés2 et les
peines qu'endurent les jeunes Spartiates durant leur formation. Les différents
exercices d'endurance dont Platon loue l'importance dans la formation physique et
psychologique ont aussi pour but d'exciter le courage. Or cette vertu guerrière ne
consiste pas seulement à tenir ferme devant l'ennemi ou devant l'adversaire en
armes, comme le chantait et le réclamait le poète Tyrtée; mais elle est et doit être
aussi une force qui s'oppose au plaisir excessif.
Les banquets doivent être, selon Platon, des cadres privilégiés de formation et
d'endurance contre le plaisir excessif. li constate que le plaisir3 réglé et contrôlé est
absent des beuveries chez les Crétois et chez les Spartiates.
Platon met encore l'accent sur la perversion "des plaisirs de l'amour (Tàç
KUTà <j)ucr1Y m;pi ù<j)POÔtcrta Movaç)4. Dans ce domaine, il redoute surtout les
conséquences désastreuses pour la morale publique. Ainsi tout abus dans les
plaisirs charnels témoigne-t-il du manque de formation et d'endurance contre
1. Lois, 701 b.
2. Lois. 633 b.
3. Lois, 636 b. Nous étudierons la place du plaisir dans le cadre pédagogique au Ch. V.
4. Lois, 636 b.
30
.;
l'i)oov~ excessive. C'est certainement l'une des raisons qui amènent Platon à
adopter l'éducation mixte pour les habitants de la cité idéale. Dans les Syssities
comme dans les places publiques, femmes et hommes se côtoient quotidiennement,
mais ils doivent respecter strictement la réglementation instaurée dans le domaine de
l'amour chamel.
Cependant, "un exposé de la réglementation que comporte la beuverie", écrit
Platon, "ne saurait être clair et complet sans une réglementation de la musique, ni
une réglementation sans celle de l'éducation tout entière" 1. Ainsi tous les défauts et
les faiblesses morales des adultes s'expliquent par une mauvaise éducation de base
et par1e manque d'une bonne réglementation des plaisirs.
L'éducation et le plaisir, l'éducation et l'endurance à douleur sont des
thèmes2 qui occupent une bonne place dans l'éducation de base conçue par Platon.
La maîtrise du plaisir et de la douleur par le biais de l'éducation soustrait l'individu
à tout excès dans les réjouissances et dans les souffrances.
Ce sont là quelques principes dont Platon reproche aux Crétois et aux
Spartiates de n'avoir pas tenu compte au moment où ils élaborèrent leurs
constitutions respectives.
Ainsi donc nous avons voulu montrer, par cette étude historique, les
insuffisances pédagogiques que Platon impute aux constitutions crétoise, spartiate
et athénienne. Sans doute ne minimise-t-il pas les apports positifs de l'histoire de
ces Etats ; mais il s'en tient seulement à l'aspect pédagogique de la question.
Lorsqu'il analyse des situations historiques devant ses interlocuteurs Spartiates et
Crétois, le vieil Athénien desLois ne prétend pas leur enseigner de l'histoire ; il
essaie plutôt de leur faire comprendre l'idée que la véritable dominante de toute
constitution est l'éducation. L'unité de la cité et le bonheur du citoyen dépendent de
la justesse de l'éducation; une mauvaise éducation fait sombrer l'homme et l'Etat
dans une vie anarchique.
La question est de savoir pourquoi Platon insiste plus sur les faiblesses des
1. Lois, 642 a.
2. Lois, 653 a.
31
constitutions crétoises et grecques que su:: leurs réussites. Vraisemblablement il use
de ce procédé pour légitimer la constitution qu'il propose et dans La République et
dans Les Lois. Encore croit-il prouver par là que l'homme de l'époque classique a
besoin d'un nouveau mode de vie, par conséquent d'une éducation adaptée à sa
situation.
C'est ainsi que Platon s'interroge à nouveau sur la nature de l'homme, sur
l'unité du corps et de l'âme. Pour le philosophe, seule l'éducation peut orienter ou
changer la <j>UOtç humaine; et c'est d'elle que dépend l'harmonie entre le corps et
l'âme.
Il est vrai que la nature humaine s'améliore ou se détériore respectivement à la
faveur d'une juste ou d'une mauvaise éducation. Mais il existe aussi des facteurs
extra-pédagogiques (contextes historiques et politiques) qui ont des effets similaires
sur la nature humaine. Des expressions déjà citées telles que "KaKT]V ...TpO<j>~v·l,
"novllpà
TpO<j>~"2, "Èv TT) napOUOT) natodaç ànopl<;z"3, "v08TJ4 natod<;z
m;natOEuflÉVouç"5, "Èv l<aKT) TPO<j>T)"6, "unà KaKTjç TPO<j>Tjç"7, "unà TpO<j>TjÇ
xal<Tjç"8, insistent sur l'influence d'une mauvaise éducation sur la nature humaine.
Les diverses fonctions de ces expressions dans les différentes phrases montrent
que si on ne vit pas l'éducation, on la subit. C'est avec les effets d'une KaKT] TpO<P~
qu'on voit apparaître le déséquilibre psychique9 chez l'homme. Le seul remède
contre ce mal serait une 6p8T] naloda. La folie est, selon Platon, une manifestation
violente dont l'origine est la mauvaise éducation. La tempérance 10 dans les propos
se définit, en dehors du débat moral, comme le fruit d'une juste éducation. Ainsi
toute attitude contraire à celle qui engendre l'harmonie ne peut être que la
conséquence d'une mauvaise éducation; et l'équilibre tient de la juste éducation.
1. Rép.. 552 e 5 ; Lois. 934 d 7.
2. Lois, 735 c 1.
3. Lois. 754 b.
4. En employant vo8oç dans ce passage. Platon entend se démarquer des institutions
pédagogiques de son époque, et qu'il qualifie d'ailleurs de "corrompues et d'altérées.
5. Lois. 741 a 3.
6. Rép., 495 a 6.
7. Rép.. 441 a 3.
8. Rép., 431 a 7.
9. Cf. Lois. 934 d.
la. Cf. Lois, 934 e.
32
Pour atteindre un idéal de perfection, Platon croit aux bienfaits de l'éducation.
Car "l'élan qui vient de l'éducation (nau5da) imprime sa direction au reste de
l'existence" 1. C'est pourquoi cette dernière n'a de sens que si elle est guidée par
une juste éducation. Si les formules telles que "di natoEuoflEVOt "l"flÉTptOt èiVOpEÇ
y iyvwVTat"2, "natOEuSÉvnç
E~/"avopEç
àyaSoi"3, "01
YE
èpSwç
nmatoEuflEvot"l"à'(aSol '(t'(vwvTat"4 illustrent l'influence de l'éducation sur
l'existence et la nature humaines, elles préfigurent aussi l'acception que Platon
donne aux termes de naloe:la et de TpO<j>~. Il ne suffit pas en effet de solliciter une
OpST] natoe:la pour obtenir "des hommes bons" (èiVOpEÇ à'(aSot ), encore faudrait-
il définir les modalités pratiques de sa réalisation.
De son premier sens, à savoir l'unité entre tous les éléments de l'univers, la
<j>ucnç fut transmise à l'espèce humaine; et elle "signifia dès lors l'homme tout
entier, composé à la fois d'un corps et d'une âme, et, plus particulièrement, la
nature spirituelle de l'homme"5. C'est dans ce contexte que Platon reconnut,
contrairement aux Sophistes, que l'éducation peut changer la "-<j>ucnç". En effet, les
Sophistes admettent seulement la possibilité d'éduquer la <j>ucrtç, mais ils nient toute
éventualité de semer une graine de bonté dans une nature née mauvaise. Cependant,
pour Platon, une juste éducation a le pouvoir d'amener une mauvaise nature à la
perfection6,
Quand il distingue TpO<j>~ de na tOE ta dans certains passages et les assimile
dans d'autres, Platon donne l'impression de vouloir semer la confusion dans
l'esprit du lecteur. Il est probable qu'il a voulu, par rigueur de style, intervertir çà et
là les termes dans leur acception respective; mais son souci majeur aura été de
souligner surtout l'uniformité de l'institution pédagogique. Les différentes phases
du processus éducatif interfèrent intimement les unes avec les autres, de telle sorte
que l'éducateur ne peut s'occuper de l'une sans avoir recours aux autres.
L'éducation se définit comme une transmission des mœurs et des techniques d'une
génération à une autre. Il revient à Platon l'honneur d'avoir montré le premier, dans
l.Rép., 425 b 10.
2.Rép.. 423 e.
3.Rép" 641 b.
4.Lois, 644 ab.
5. JAEGER (Werner), Paideia , p. 355.
6. Rép., 424 a.
33
l'antiquité grecque, l'importance du fondement sociologique de l'éducation. Cette
dernière est humaine avant d'être politique.
Au début du livre III des Lois, Platon a dressé un tableau de la vie sociale
d'une communauté sans organisation politique préconçue; il lui reconnaît tout de
même une forme de culture. Ces groupes humains, écrit-il, "vivent selon des
coutumes et ce qu'on appelle des lois traditionnelles" 1 Il est clair que les sociétés
soumises à ce genre de vie sauvegardent des mœurs et des techniques
indispensables à leur survie culturelle. C'est pourquoi les membres de chaque
communauté sont tenus de les assimiler et de les transmettre aux nouvelles
générations. Platon est convaincu que ce fonds culturel des sociétés traditionnelles
a encore sa place dans les sociétés de l'époque classique. D'où son attachement à la
morale traditionnelle et au respect des hiérarchies sociales. C'est dans cette
perspective que nous évoquerons plus loin les points communs entre l'éducation
platonicienne et les systèmes pédagogiques négro-africains.
Les premières phases de l'éducation platonicienne se fondent sur la tradition
aristocratique. Platon adopte pour son système éducatif ce qui lui paraît conforme à
son idéal. Plus méthodique qu'anarchique, plus réaliste qu'utopique, il cherche à
imposer à l'homme de l'époque classique son passé et à lui faire vivre son présent.
C'est par le biais de l'éducation qu'il pense y arriver. L'éducation devient dès lors
un processus d'adaptation du mode de vie et des mœurs des générations
précédentes. Les adultes doivent transmettre aux nouvelles générations l'art de
vivre en communauté.
Prendre conscience de son existence et de celle des autres à travers l'Etat lui-
même est un principe que Platon entend inculquer à tout citoyen. L'individu vit
pour la cité et cette dernière existe pour lui. L'éducation doit aider l'enfant à devenir
un citoyen à part entière. C'est là qu'apparaît le premier aspect politique de
l'éducation. En effet, pour définir cette dernière, Platon écrit qu'''il appelle de ce
nom la formation qui, dès l'enfance, entraîne un sujet à la vertu et lui inspire un
désir passionné de devenir citoyen accompli, sachant commander et obéir selon la
justice". L'éducation se veut ainsi unificatrice des valeurs humaines et politiques
dans la cité. Elle aide le jeune citoyen à retrouver son identité, à découvrir la justice
1. Lois, 680 a.
34
..~
et à être vertueux.
Dans la philosophie platonicienne, l'homme est défini selon ses aptitudes et
ses faiblesses. C'est ainsi que l'homme et la femme bénéficient, chez Platon, de la
même formation. Comme ils présentent la même nature humaine, écrit Platon, ils
doivent recevoir la même éducation l . Il y a là une volonté nette de supprimer les
inégalités sociales et politiques entre hommes et femmes. Platon se désolidarise
ainsi de l'éducation athénienne qui maintenait encore la femme dans le gynécée; et
il s'écarte de la pratique spartiate qui consistait à retenir la citoyenne dans les
exercices gymniques tout en l'éloignant de l'entraînement à la guerre.
De ces insuffisances Platon déduit que la seule formation viable est celle qui
ne fait pas de distinction entre hommes et femmes. Il comprit que l'homme n'est
pas seulement chair et os, mais surtout âme et esprit. La nature et l'aptitude
humaines sont les seules références qui permettent de savoir si un citoyen ou une
citoyenne est apte à commander ou à obéir2. Là encore le philosophe dépasse
l'idéal des Sophistes dont l'objectif pédagogique était de former "une élite
d'orateurs". Leur tort n'a pas été seulement d'avoir refusé au peuple uneareté
politique, mais aussi et surtout de lui avoir ôté toute possibilité d'acquérir la notion
de justice. L'action d'obéir ne saurait être complète et bénéfique pour quiconque
n'aurait pas, par le biais de l'éducation, appris à commander et à obéir selon la
justice. Certainement le sentiment d'appartenir à une cité est,pour un Grec, aussi
vieux que la notion historique même de la nOÀ tç, cadre à la fois spatial et socio-
politique ; mais entretenir ce sentiment, de l'enfance à la vieillesse, relève des
vertus de l'éducation.
Gustave Dantu eut raison d'écrire que Platon "entreprit de tout concilier"3
dans son système éducatif. Mais cet auteur limite sa formule au seul aspect du
"développement parallèle de l'âme et du corps". Platon tente plutôt de concilier cet
aspect de l'éducation avec le monde socio-politique. Aussi le philosophe pense-t-il
former un citoyen à la fois humain et politique, un "zoon politikon ". C'est à ce
dernier que reviennent les bienfaits de la vraie paideia .
1. Rép., 451d e.
2. Rép., 456 c.
3. DANTU (Gustave), L'éducation d'après Platon. Paris, 1907. p. 5.
35
La bonne et juste éducatio~t (il àp8r, nau5da) s'identifie en premier lieu à
l'harmonie du monde trouble de l'âme où le plaisir et la douleur s'affrontent en
permanence. Au-delà de cette lutte des contraires apparaît celle du vice et de la
vertu. Peut-être est-il impropre de parler d'harmonie quand on se réfère à cette autre
définition de l'éducation : "j'entends par éducation", écrit Platon, "la première
acquisition qu'un enfant fait de la vertu" 1. On y entrevoit la disparition complète du
vice, le vice étant synonyme d'une )(a)(r, natôda. C'est par ce procédé de définition
partielle que Platon cherche à circonscrire l'objet de l'éducation.
Cependant, l'harmonie entre les diverses manifestations de l'âme ne peut être
l'objet.final de l'éducation. La véritable areté sera atteinte lorsqu'il se sera produit
une harmonie entre la raison et l'ensemble des manifestations de l'âme. C'est ainsi
que Platon considère le stade d'avant l'acquisition de la raison comme une étape où
le contact répété de l'enfant avec la réalité constitue une forme privilégiée de la
maîtrise (voire de l'éducation) des sentiments. Les sens prennent alors le pas sur la
raison. C'est l'un des attributs de l'éducation; car "la partie qui nous forme à user
comme il faut du plaisir et de la douleur", écrit Platon, "qui nous fait haïr ce qu'il
faut haïr depuis le début jusqu'à la tin, et de même aimer ce qu'il faut aimer, cette
partie est celle que la raison isolera pour la dénommer éducation (nalôda)"2. Cette
définition de l'éducation ne se limite pas à la formation des goûts et des
répugnances ; elle implique aussi une influence des parties musicales sur l'âme3.
Ce que Platon appelle "gV floucrt)(~ ~ TPO<jlll"4 (l'éducation par la musique) joue sur
l'âme. L'emploi du tenne de TPO<jlll dans cette formule indique que les bénéficiaires
de cette éducation sont encore dépourvus de tout esprit de raisonnement. A ce stade
Platon semble compter sur la bonne habitude pour asseoir dans l'âme de l'enfant
une harmonie appropriée. Datôda (tenne traduisant une fonne consciente de
l'éducation) ne s'emploierait pas à la place de Tpo<l>n tant que le sujet se résigne à
une imitation "inconsciente".
Ainsi donc Platon voit deux niveaux dans l'éducation des sentiments, celui de
l'inconscient où toute répugnance et tout goût s'acquièrent par habitude; et celui du
conscient où la natôda joue un double rôle: maintenir les acquis de, l'opération
1. Lois, 653 b.
2. Lois, 653 b
3. Cf. Rép., 366 c; 401 c-402 a; Lois, 653 b c; 654 b; 656 b; 660; 689 a; 751 d-752 c.
4. Rép., 402 a.
36
précédente et aider le sujet à maîtriser ses sentiments.
L'interférence des deux principales disciplines! (la musique et la
gymnastique) du système éducatif platonicien ne permet pas d'opérer une
dichotomie entre la formation psychologique (l'âme) et celle du corps. Toutefois,
Platon semble donner priorité à l'âme dans cet ensemble. En effet, " ce n'est pas, je
crois", écrit-il, "le corps si bien constitué qu'il soit, qui, par la vertu, rend l'âme
bonne; au contraire, c'est l'âme qui, lorsqu'elle est bonne, donne au corps, par la
vertu qui lui est propre, toute la perfection dont il est capable"2. La beauté du corps
dépend de celle de l'âme dans la mesure où la deuxième donne son image au
prerruer.
L'éducation platonicienne peut être, dans son aspect pratique, assimilée au
processus pédagogique qui conduit à la compétence dans un métier. Certes les
occupations sont différentes d'une catégorie de citoyens à une autre, mais "je
déclare", écrit Platon, "que quiconque veut exceller un jour en quoi que ce soit, doit
s'appliquer à cet objet dès l'enfance, en trouvant à la fois son amusement et son
occupation dans tout ce qui s'y rapporte". Cette approche de la natoda privilégie
surtout le professionnalisme. Et c'est à travers cet apprentissage que Platon donne
au jeu une utilité pédagogique. Avec lui, le jeu (natota) va enrichir la natoda.
Depuis l'avènement des Sophistes, il est attesté que le sens de natoda s'est
renforcé et s'est élargi pour traduire la culture. Le citoyen peut prétendre, avec son
nouveau statut, à toutes les charges de l'Etat. Dès lors, il tenu aussi d'acquérir une
culture à la hauteur de ses charges. Toutefois, l'emploi du terme de nato€{a
au
sens de "culture" a une connotation différente chez les Sophistes et chez Platon. En
effet, l'humanisme sophistique se définit comme une somme de connaissances
approfondies, élaborées uniquement pour composer un discours politique cohérent.
La volonté de convaincre pour gagner" hic et nunc" conditionne tout dans cette
forme d'humanisme culturel. Ce fut là un des aspects importants de la culture
grecque que les Sophistes développèrent dans leur enseignement.
1. Nous reviendrons sur la musique et la gymnastique dans nos chap. II et III.
2. Rép., 403 d.
37
Platon distingue deux sortes de cultures, celle qui s'adresse aux gens sans
formation et celle qui est propre aux citoyens bien éduqués. En effet, "( ... ) arrivés
à ce degré de formation", écrit Platon au sujet des chanteurs, "possédant
parfaitement les techniques du rythme et des airs, ils se seraient rendus maîtres
d'une culture plus précise que celle qui s'adresse à la multitude et que celle des
compositeurs eux-mêmes"l. Ces différences sont le reflet logique des niveaux
d'instruction des citoyens dans la société platonicienne. Sans doute la différence
des fonctions et des métiers exige-t-elle des formation différentes. Mais, par
ailleurs, Platon explique cette variété de "cultures" par la variété des "natures" chez
les hommes. Les meilleures natures se manifestent rarement; cependant, "si elles
se présentent et reçoivent l'éducation et la culture convenables (TpOlJ>T)Ç Kat
l1atodaç)", écrit-il, "elles pourront parfaitement dominer la multitude de ceux qui
ne les valent pas (... )"2.
C'est peut-être au moment des grands rassemblements que Platon parle de
"foule sans culture" (tnt Tàv am:tpov l1atûdaç 0XÀov). Dans le sens où il entend
"culture", c'es t-à-dire l'aboutissement logique d'un processus éducatif, le
philosophe ne pouvait pas refuser à la foule une forme de culture. En effet, une
foule se compose d'artisans, d'hommes politiques cultivés et d'autres qui se
rassemblent et se côtoient au théâtre ou dans des réunions publiques. A ces
occasions, l'état euphorique de la foule met en veilleuse toute forme de culture pour
n'y laisser apparaître que le côté sauvage de l'homme. C'est dans ce contexte que
Platon parle d'absence de culture dans ces genres de rassemblements.
Platon a développé une forme de culture qui convient et revient surtout à
l'intelligentsia aristocratique. De La République aux Lois, il ne change pas
d'objectif quant à la finalité de l'éducation. Les diverse vertus du garde de La
République devinrent des critères de citoyenneté dans Les Lois. Le philosophe reste
cependant, par sa fonction, au dessus de tous les citoyens. Ainsi chez Platon la
culture se définit comme la somme des connaissances acquises par le biais d'une
formation continue. L'homme cultivé est celui qui a réussi dans les études
théoriques et pratiques. Une politique culturelle est mise sur pied 'pour mener
1. Lois, 670 a.
2. Epin., 989 c.
38
.~
l'enfant à des sphères de connaissances plus vastes. Pour marquer sa différence
avec les Sophistes, Platon exige des citoyens l'approfondissement des érudes dans
chaque discipline. Il donne une nouvelle orientation à la culture qu'il hérita des
Sophistes.
L'humanisme des Sophistes acquit avec Platon une dimension divine. Certes,
l'homme cultivé c'est celui qui est en possession des connaissances culturelles
assez vastes, mais c'est surtout celui qui s'est attaché à jamais à la divinité.
L'hostilité de Platon à séparer les affaires humaines de la volonté di vine le conduit à
élaborer une culture purement théocratique. Toutefois, il laisse à l'homme la
possibilité de construire et de sauvegarder son identité culturelle au sein de la
société.
C'est au stade de la vieillesse que l'homme atteint le sommet de la culture. TI
acquiert ainsi la sagesse l, C'est une minorité de citoyens qui arrive, au bout de la
formation, à découvrir ce bonheur2.
Dans la société platonicienne la citoyenneté s'obtient à travers l'éducation et
l'obéissance aux lois civiques. Il ne suffit pas de naître de parents vivant dans la
cité pour devenir officiellement citoyen, encore faut-il respecter et suivre le
processus éducatif établi par le législateur. Et c'est là l'origine du caractère
obligatoire de l'enseignement dans la cité platonicienne. En effet, "nous
n'accepterons pas", écrit Platon. "que celui-là fréquente l'école parce que son père
le veut et que cet autre, non contraint, la délaisse: non, c'est, comme on dit, "tout
homme et tout garçon" que, dans toute la mesure possible, parce qu'ils
appartiennent à la cité plus qu'à leurs parents, nous contraindrons à se faire
instruire "3. Ainsi l'éducation doit aider le citoyen à découvrir ses possibilités
intellectuelles et à prendre conscience de l'unité culturelle de la cité.
Pour enrichir la formation des citoyens, Platon ne néglige pas l'apport
fructueux des autres civilisations, telle que celle de l'Egypte Ancienne. Pour ce
faire, le législateur prend la précaution d'envoyer des arnbassadeurs4 s'enquérir des
1. Epin., 991 b c-992 abc.
2. Epin., 992 c.
3. Lois, 804 d.
4. Cf. Lois, 951d e; 952 abc.
39
.~
méthodes et des techniques des cultures étrangères. La belle fonnule de Léopold
Sédar Senghor, à savoir "enracinement et ouverture" trouve son répondant dans
cette mesure préconisée par Platon.
C'est à travers cette identité culturelle diversifiée que se définit la citoyenneté
dans la nOÀ lÇ platonicienne.
Il ne suffit pas, pour mieux cerner l'originalité de la pensée pédagogique de
Platon, d'établir une simple comparaison entre l'éducation grecque traditionnelle et
celle que propose le philosophe. Gustave Dantu note que "la pédagogie de Platon,
quant à son programme, n'est donc pas révolutionnaire; elle est progressiste, et
scientifiquement ordonnée" 1. Pour l'auteur, Platon n'aura fait qu'un arrangement
scientifique des disciplines du programme traditionnel de l'éducation grecque. Et il
renchérit qu'''il faut lui reconnaître l'indiscutable mérite d'avoir créé un système,
inauguré une tradition "2. Tout en reconnaissant cette révolution pédagogique
Gustave Dantu néglige, comme tant d'autres, l'importance de la finalité des
réformes platoniciennes. Certes, il est difficile de saisir les différences entre le
système traditionnel grec et celui que préconise Platon en matière d'éducation; mais
il clair que les idéaux ne furent pas. de part et d'autre, les mêmes. Et c'est à ce
niveau qu'on découvre l'originalité de Platon par rapport au système spartiate,
modèle vivant de l'éducation traditionnelle grecque. L'idéal spartiate fut en effet de
fonner un citoyen prêt à défendre la cité avec ses armes; tout le programme de sa
formation est axé là-dessus. Ce fut aussi l'un des aspects de l'éducation
platonicienne: le citoyen doit apprendre à vivre pour et avec la cité. Platon élargit
cet idéal à une vision plus vaste. Derrière l'image du citoyen on découvre celle de
l'Homme, avec ses qualités et ses défauts. Ce dernier ne peut exister sans
éducation; c'est pourquoi "faute d'une éducation suffisante et bien conduite", écrit
Platon, "c'est le plus sauvage de tous ceux que la terre produit"3.
L'éducation est ainsi à la base de toutes les qualités humaines. L'animalité
s'efface au contact de l'éducation bien conduite pour laisser la place aux qualités
humaines. Mais ces dernières ne vont pas sans la justice et la sagesse. L'éducation
1. DANTU (Gustave), Edue
, p. 6.
2. DANTU (Gustave), Edue
p. 6.
3. Lois, 765 e ; 766 a.
40
"qui se propose la richesse ou peut-être la rigueur ou encore une habileté
quelconque en dehors de la sagesse et de la justice", écrit le philosophe, "n'est que
grossière, servile et indigne absolument d'être appelée éducation" 1.
L'autre dimension de l'éducation est celle qui se définit dans l'équilibre entre
l'âme et le corps, entre l'Homme et ses qualités, entre l'Homme et son milieu.
L'éducation demeure ainsi la seule institution dont tous les êtres humains en société
ressentent la nécessité. La finalité de l'éducation est, en effet, de rendre l'homme
bon et vertueux, c'est-à-dire apte à vivre en société. Pour y arriver, tout dépend,
selon Platon, de la manière dont on éduque. C'est ainsi qu'il écrit que "( ... ) les
hommes élevés comme il faut deviennent ordinairement bons (... )"2. Dans cette
optique, toutes les éducations se valent, malgré la différence des méthodes
d'approche. Du reste, tout consiste, pour Platon, à élaborer une éducation dont la
portée universelle résiderait dans le respect des traditions, des dieux et des
hommes. Telle semble être l'orientation que le philosophe donne à la rtatoda
énoncée dans son œuvre.
1. Lois, 644 a.
2. Lois, 644 a.
41
I. 1. 2. La diversité à la base de l'éducation négro-africaine
Quand on tient compte du grand nombre des groupes sociaux l (ethnies,
tribus, clans et familles) se déplaçant périodiquement2 d'une aire géographique à
une autre, définir une notion d'éducation à laquelle s'identifient toutes les
populations noires du continent africain paraîtrait, au premier abord, une tâche
difficile à remplir; aussi cette dernière devient-elle plus complexe dans les rapports
de collectivités à collectivités, de personnes au groupe, et même de personnes à
personnes. Ce phénomène d'hétérogénéité, qui est à l'origine de la richesse de la
culture négro-africaine, caractérise les grandes civilisations dans leur ensemble. La
civilisation grecque en est l'exemple le plus édifiant: en effet la diversité de ses
composantes sociales et politiques, culturelles et économiques n'empêche pas de
parler de culture grecque: cette diversité contribue plutôt à la pérennité de cette
dernière. C'est dans le même esprit que nous emploierons les termes d'''éducation''
et de "culture" dans la partie africaine.
C'est au cours de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et au début du
vingtième que des ethnologues et des anthropologues tentèrent d'analyser la réalité
socio-culturelle de l'Afrique noire et de décrire les traits spécifiques à la race noire.
Malheureusement, dans cette période bien précise, les chercheurs n'arrivèrent pas à
1. Il Y eut, dès 1947. avec BAUMANN (H.) et WESTERMANN (D.) : Les peuples et les
civilisations de l'Afrique
suivi de Les langues et l'éducation. Paris. 1948, une première
tentative de classification des populations noires de l'Afrique en ethnies et en tribus sur la base
de critères historiques, géographiques, linguistiques. et des caractéristiques des individus.
Quelques années plus tard ( 1953) PAULME (Denise) résume les travaux de BAUMAt'lN (H.)
dans Les Civilisations africaines. Paris, 1953, tout en y montrant la complexité de la question:
"sur cet immense domaine qui est le leur, les MéJano-africains se divisent en un certain nombre
de sous-races auxquelles on donne des appellations géographiques: soudanaise, guinéenne,
congolaise, nilotique. sud-africaine. Le domaine de chaque sous-race correspond plus ou moins à
une aire de civilisation particulière. dont les frontières seraient, elles aussi, fixées par la
géographie et par le climat. Mentionnons toutefois que si dans l'ensemble critères
anthropologiques, ethnographiques et linguistiques coincident, il n'en demeure moins
indépendants: les frontières dont l'anthropologue constate l'existence ne correspondent pas
exactement avec celles que décèle le linguiste; les unes pas plus que les autres ne recouvrent
exactement les divisions ethnographiques". p. 18.
2. Nous faisons allusion aux mouvements migratoires de populations nomades et de populations
sédentaires obligées, soit par l'épuisement des pâturages ou des terres arables, soit par des
guerres intestines, de se déplacer d'une région à une autre. Ces populations ne sont pas à l'abri
de changements de mode de vie; et cela entraîne toujours une nouvelle approche de l'éducation
et de la formation des jeunes générations.
42
p
appréhender "cette communauté de culture" négro-africaine. Ainsi toute étude sur
un groupe social donné se voulut-elle un tout définitif que le chercheur se hâtait
d'enfermer dans des formules plus subjectives qu'objectives.
C'est "après un siècle d'études africaines" 1 que H. Baumann et D.
Westermann firent une synthèse des recherches et des travaux divers sur la
civilisation négra-africaine. Ils vont tenir compte des "cercles de civilisations" dans
des zones géographiques bien détenrunées pour décrire les caractères physiques2 et
culturels des populations. En préfaçant le travail des deux ethnographes, Théodore
Monod note qu'à travers une "riche diversité de milieux physiques ( ... ), bien loin
d'être partout identique", le Négra-africain "présente des types très variés- quoi de
commun entre un Négrille et un Peul, entre un Bushman et un Ouolof?- parle
d'innombrables langues compliquées, au vocabulaire souvent exubérant, et loin de
présenter une civilisation, révèle aujourd'hui à l'ethnologue l'existence de toute une
série de cycles culturels ayant chacun leurs caractères, leur aire de distribution et,
bien entendu leur histoire"3. Il divise ainsi l'Afrique subsaharienne en "pravinces
ethnographiques" qui se distinguent les uns des autres non seulement par les
milieux géographiques, mais aussi par les caractères physiques, linguistiques, bref
par la culture de leurs habitants. Malgré son caractère aléatoire, cette approche ne
nie pas l'existence d'une civilisation commune à tous les Négra-africains; et elle a
contribué à une recherche apprafondie sur les di vers modes de vie des populations
africaines.
Chaque groupe de populations distingue manifestement ses membres de ceux
des autres communautés, sans toutefois casser ce qui le lie aux autres. Ce désir du
Négro-africain d'être à la fois soi et autre trauve son répondant dans l'éducation
traditionnelle qui réunit "un certain nombre de traits généraux et communs,
manifestement incontestable d'une communauté de culture chez les peuples
africains"4. Curieusement d'une région à une autre les gens se sentent différents les
uns des autres, la seule référence apparente de leur parenté étant la couleur de la
1. MONOD (Théodore). Préface Les peuples et les civilisations d'Afrique ... ( 1948 ), p. 3.
2. BAUMANN (H.) et WESTERMANN (O.) ont. pour classer les Noirs, donné des descriptions
qui ne sont fondées sur aucune objectivité: "parmi les éléments de cette civilisation ( Tikars et
Bamoums = Semi-Bantous ). on peut énumérer: la déformation cranienne, la coloration des
ongles des doigts et des orteils, l'extraction des sourcils parmi les femmes des classes nobles
( ... )".p.4.
3. MONOD (Théodore), Préface Les peuples et les Civilisations d'Afrique .... ( 1948 ). p.3.
4. MOUMOUNI (Abdou). L'éducation en Afrique. Paris, 1964. p.13.
43
peau. Cette attin?de relèverait de l'absence de contacts entre les différentes ethnies et
tribus. Ce qui ne fut pas toujours le cas en Afrique de l'Ouest où il y eut un contact
permanent entre les populations des diverses ethnies. Aussi l'organisation socio-
politique de ces dernières contribua-t-il au rapprochement des populations.
Cependant, il est difficile de saisir ce qui fait que les populations noires de l'Ouest
s'identifient aussi bien avec celles de l'Est qu'avec des Noirs Sud-africains.
Néanmoins, on s'accorde sur l'existence d'une identité culturelle, identité qui a été
affirmée dans des "perspectives et à des niveaux somme toute très différents". Or,
continue Pierre Erny, "s'il y a un domaine où elle éclate avec une particulière
évidence, c'est bien celui de l'éducation et de la socialisation enfantines, et ce
d'autant plus à mesure que l'on remonte vers la petite enfance" 1.
La question est de savoir sur quels critères il faudrait se fonder pour
regrouper les diverses traditions pédagogiques africaines. Quelle que soit la
réponse, il paraît plus plausible de se limiter à la référence générale de culture, à
l'instar de Pierre Erny qui eut raison d'écrire que "le critère qui nous permet de
regrouper les diverses traditions éducatives de l'Afrique noire n'est pas
essentiellement géographique, ni essentiellement racial: il est d'ordre culturel"2.
Cette assertion résume ce qui ressort des phases des différentes recherches sur le
thème de l'éducation négro-africaine.
En effet, le thème de l'éducation eut, dès les premiers moments de la
colonisation, une grande place dans les recherches anthropologiques,
ethnologiques, sociologiques consacrées à l'Afrique noire. Ce thème ne fut pas
traité de la même manière par tous les chercheurs. Toutefois, on peut distinguer,
d'une manière générale, deux phases dans le cheminement de leurs études et de
leurs idées sur la question pédagogique.
La première phase découle du refus du chercheur (explorateur, missionnaire,
le colon), d'admettre une éducation propre aux populations noires. Cela s'explique
d'abord par le manque de contact entre les autochtones et les étrangers, et ensuite
par l'impuissance de ces derniers à se détacher des principes de l'éducation
européenne, qu'ils prenaient d'ailleurs comme le seul modèle pouvant exister. Sans
1. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu en Afrique noire, Paris, 1972. p. 9.
2. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , p. 29.
44
)
doute ce fut là une des premières justifications de la mission civilisatrice des
premiers Européens en Afrique. Aussi est-il évident que les conquérants de l'Islam l
eurent le même jugement envers les populations animistes.
D'autres chercheurs vont s'opposer à ces idées et rappeler leurs homologues
à la raison. Et c'est ainsi que Théodore Monod écrit que "L'Afrique existe donc,
très concrètement. Il serait absurde de continuer à la regarder comme une table rase,
à la surface de laquelle on prétend bâtir, a nihilo, n'importe quoi, comme une
substance informe à laquelle on puisse infliger, au gré de l'opérateur, n'importe
quel moule"2. On peut noter ce genre de propos dans de nombreuses publications3
(relatives à l'Afrique) des chercheurs européens de la deuxième moitié du 20osiècle.
Ils se démarquèrent de leurs prédécesseurs et ils ouvrirent ainsi une nouvelle phase
dans la recherche relative à la civilisation négra-africaine.
La deuxième phase fut marquée par une reconnaissance d'J,lne culture propre
aux Négro-africains. Par la force des choses, on reconnut les systèmes
pédagogiques des sociétés "primitives" de l'Afrique subsaharienne. Il y eut là
encore une négligence dans les recherches savantes. En effet, la phase initiatique,
étape très importante dans la vie individuelle et collective du Négro-africain, fut
confondue avec toute l'éducation traditionnelle; de telle sorte que les autres phases,
si elles ne furent pas jugées inexistantes, ne figurèrent que sommairement dans les
travaux des chercheurs. Ainsi eut-on assez de détails sur les cérémonies initiatiques
de nombreux groupes de populations. Et on doit reconnaître aujourd'hui que ces
chercheurs européens ont réussi à rassembler des éléments épars de la culture
négro-africaine. Il leur revient l'honneur d'avoir conservé par écrit certains traits
caractéristiques de l'éducation traditionnelle disparue aujourd'hui sous le poids de
l'Islam et du modernisme occidental.
1. Dans La société wolof. Paris, 1981, Abdoulaye-Bara DIOP analyse (dans la 3°partie) les
différentes phases de la pénétration de l'Islam chez les Wolof; et il y souligne la désagrégation
progressive des coutumes causée par l'Islam.
2. MONOD (Théodore), Préface Les peuples et les civilisations d'Afrique ... , p. 4.
3. Dans Les Civilisations ... Denise PAUL ME écrit: "selon un préjugé tenace, les Africains
n'auraient eu aucune part dans l'œuvre générale de la Civilisation: l'Afrique serait sans histoire
(... ). En fait, la barbarie présumée des Africains résultait surtout du mépris avec lequel les
Européens de la tïn du XIX o siècle ont abordé des populations vivant depuis plusieurs
générations dans un état de guerre et d'insécurité perpétuel". p. 5.
45
>
Théodore Monod reconnaissait déjà que les chercheurs européens se sont
débarrassés de leur "( ... ) sotte -paresseuse- passion de la généralisation abstraite
( ... )"1 des réalités propres à toute l'Afrique noire. Les savants axèrent leurs travaux
(suivant souvent leur pays d'origine) sur les régions du Sud, du Centre et de
l'Ouest de l'Afrique subsaharienne. Dans ces grands ensembles géographiques, on
trouve des groupes et sous-groupes de populations présentant des traits originaux
selon qu'ils vivent soit au bord de la mer ou des fleuves, soit dans la savane, dans
la steppe ou dans la forêt.
A chaque région et à chaque groupe de populations qui l'occupent
correspondent une forme d'initiation et des méthodes pédagogiques adaptées à leurs
réalités. Germaine Dieterlen écrit que "l'initiation prend des formes différentes dans
chaque ethnie; elle varie selon qu'il s'agit d'agriculteurs ou de pasteurs"2.
L'éducation confondue ici avec l'initiation paraît sous un aspect multiforme;
d'autant plus qu'il est question de sociétés stratifiées en castes, "reposant (... ) sur
un système de parenté basé sur le lignage, la famille étendue et le ménage qui créent
et entretiennent entre leurs membres des obligations et des droits sociaux"3, ou bien
du système "anarchique" des sociétés segmentaires. De même qu'il serait absurde
d'affirmer que toutes les cités grecques conçurent de la même façon leurs systèmes
éducatifs, de même il serait utopique de voir une uniformité dans la réalisation des
projets pédagogiques des diverses tribus et ethnies africaines. Chacun de ces
groupes sociaux garde ses traditions dans l'art d'éduquer ses membres. Mais on
peut affirmer que toutes les populations ont la volonté commune de transmettre aux
jeunes générations des connaissances intellectuelles et techniques.
L'éducation et l'obéissance inconditionnelle aux règles coutumières
demeurent les critères d'appartenance à une société. L'idéal négro-africain se
confond avec celui de Platon dans la mesure où les deux projets privilégient
l'éducation dans le statut social et politique de l'individu. Ainsi de part et d'autre
l'éducation s'avère nécessaire voire obligatoire pour l'obtention du statut de citoyen
ou de membre d'un groupe social.
1. MONOD (Théodore), Préface Les peuples et les civilsations ... , p. 4.
2. DIETERLEN (Gennaine), Textes sacrés d'Afrique noire, Paris, 1965. p. 19.
3. DIOP (Abdoulaye-Bara), Société toucouleur et migration, Dakar, 1965. p. 19.
46
..~
Cependant, la question est de savoir comment le Négro-africain définit
l'éducation et quelle place il lui assigne dans sa vie quotidienne.
Nous avons déjà noté un passage l où Pierre Erny confirme, après tant
d'autres, l'existence d'une éducation dite "africaine". Là, le sens. de l'éducation
traduirait celui de "socialisation" quand on se limite à la définition classique et
ramassée, à savoir que "l'éducation est un transfert de mœurs et de techniques
d'une génération à une autre".
Dans les sociétés structurées en castes, telles les ethnies soudano-sahéliennes:
les Bambara, les Wolofs, les Toucouleurs, les Peuls, les Sérères, les Soninkés, les
Mandings etc. chaque groupe voudra donner à ses membres une éducation propre à
sa culture. Cela est vrai aussi pour les sociétés dites "anarchiques" où chaque clan,
chaque famille perpétue, de génération en génération, des coutumes et des
techniques
"améliorées"2 ancestrales. Ainsi, qu'il soit issu d'une société
hiérarchisée ou d'une société
"anarchique", le Négro-africain se trouve dans
l'obligation de transmettre ses coutumes et ses techniques à ses descendants, si
toutefois il tient à la survie et à la consolidation de son groupe social et de son idéal
communautaire. A un niveau supérieur cette obligation incombe à l'ensemble du
groupe, de l'ethnie ou de la tribu.
Prenons en exemple les sociétés soudano-sahéliennes. Dans cette région,
chaque ethnie s'occupe de préserver son identité vis-à-vis de celle des autres,
malgré leur parenté manifeste. En effet, à un premier niveau, les enfants sont élevés
selon les principes pédagogiques des ethnies auxquelles ils appartiennent.
Bambara, Toucouleurs, Wolofs, Sérères et d'autres ethnies adoptent le même
principe. Cependant, à un deuxième niveau, l'artisan (forgeron, agriculteur,
bûcheron etc.) initie son fils à son métier selon les règles qui régissent son statut
dans la société où il vit.
1. Cf.ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... p. 43.
2. Contrairement à ce qu'avançait WESTERMANN (D.), à savoir que "l'éducation nouvelle
qu'apporte l'Européen a pour but conscient une transformation radicale de la civilisation, alors
que l'ancienne éducation indigène se propose comme objet la conservation de ce qui existe et sa
transformation intacte aux générations à venir" (Les peuples et les civilisations... , p. 507.),
l'éducation traditionnelle négra-africaine est une institution qui évolue avec toutes
transformations sociales, phénomènes qui ne manquèrent certainement pas en Afrique.
47
~Chaque caste (ou sous-caste) tente de préserver son identité au sein d'un
groupe ethnique. Chez les Toucouleurs on évoque l'éducation du Torodo" (Noble)
ou "Dimo"
(homme libre)l, des gens de métiers: Baylo (forgeron),Sake
(cordonnier), Maabo (tisserand), Labo (bûcheron) etc. Dans ces sociétés, il est
facile de déterminer la caste de l'individu à travers son mode de vie, son
habillement, sa façon de parler etc. Le Torodo (Noble) par exemple doit se montrer
toujours calme, chevaleresque devant les autres membres de la société; le Gal·do
(Griot) doit soigner son langage pour divertir ses compagnons d'âge. Du reste,
chaque caste a ses propres valeurs morales et coutumières dont seuls ses membres
sont porteurs et défenseurs.
Dans ces cas, l'éducation s'identifie, excepté chez les gens libres (rimbe), à
une formation morale et technique au sens concret du terme. Certains passages de
La République (II, 370 cd; III, 394 e.) et des Lois (VIII, 846 d.), relatifs à la
division des métiers et à la formation des artisans2, pourraient être expliqués par
l'étude de la formation des membres de chaque caste en Afrique. Letorodo
toucouleur ou le gër wolof reçoivent une éducation et une instruction comparables
à celles dont bénéficie le "citoyen" platonicien. Comme ce dernier, le torodo et les
gens libres "ne peuvent en aucun cas être artisans"3.
Toutefois, chaque caste, tout en gardant intactes ses valeurs, conserve son
identité ethnique. Il est vrai que tous les forgerons travaillent le fer, mais le Baylo
toucouleur diffère du tëgg wolof, et cela dans sa manière de concevoir les objets et
les parures qu'il confectionne dans le respect strict des coutumes ethniques. Le
hotonde (boucle d'oreille) toucouleur est conçu d'une façon autre que ne l'est le
dyaro (boucle d'oreille ou bracelet wolof). Certainement, dans ce cas précis, tout
dépend du goût de l'acquéreur; mais l'aspect culturel n'en existe pas moins dans le
choix d'une parure ou de tout autre objet.
1. WANE (Yaya) les range dans la catégorie des personnes "définies par l'intelligence, le savoir, la
possession des biens et l'autorité, mais également l'orgueil, l'honneur et la générosité", in Les
ToucouLeurs du Fouta Tooro, Dakar, 1969. p. 32.
.
2. VIDAL-NAQUET (Pierre) analyse, dans Le Chasseur Noir. Paris, 1981. pp. 289-315,
l'ambiguité du statut des artisans dans l'œuvre de Platon. Sans doute une allusion à leur
formation aurait-elle apporté un poids non négligeable dans sa démonstration, d'autant plus qu'il
s'interrogeait sur la mêtis (f.LTinç : ici habileté).
3. VIDAL-NAQUET (Pierre), Le Chasseur."", p. 290 ; Abdoulaye-Bara DIOP note que les "RimfJe
( ... ) ne peuvent pratiquer l'artisanat" chez les Toucouleur. in Les Toue .... , p. 23.
48
;
Ainsi, dans les sociétés négro-africaines, appartenir à une caste ou à un
groupe revient à obéir à des règles de conduite et à honorer la place qu'on occupe
dans l'échelle sociale. Dès lors, une initiation aux valeurs inhérentes aux castes
s'impose; c'est par référence à cette formation restreinte que l'on parle de needi
torodo (éducation de Noble), de needi baylo (éducation de forgeron) etc. Cette
éducation intra-caste constitue la première composante de l'éducation ethnique.
Dans les sociétés dites "anarchiques" l'éducation intra-clanique ou intra-familiale est
moins rigoureuse que celle que l'on observe au sein des groupes et sous-groupes
des sociétés hiérarchisées. Dans les deux cas, malgré leur appartenance à un
ensemble plus vaste, les castes et les groupes préservent leur identité par rapport à
celle de l'ethnie ou de la tribu.
La notion africaine de l'éducation devient moins complexe lorsqu'on
l'examine sous son aspect ethnique ou tribal. Tout de même il serait faux de la
considérer comme la somme de ce que nous avons appelé "éducation" de caste ou
de groupe. Cette dernière tout en étant l'un des fondements de l'éducation ethnique
ne peut et ne doit survivre qu'à travers les valeurs culturelles de l'ensemble de la
communauté. Quand on parle de "culture laobe " ou de "culture baylo ", par
exemple, on fait certainement référence à leurs activités professionnelles. Mais cela
ne suffit pas pour qu'un Baylo se définisse comme un Toucouleur à part entière. A
la question de savoir qui vous êtes, il n'est pas rare d'entendre la personne, qu'elle
soit Noble ou Artisan, répondre: je suis Wolof, Toucouleur, Bambara, Diola etc.
L'interlocuteur ne fait allusion à son statut social ou à son métier que lorsqu'on lui
demande à quelle caste ou à quel sous-groupe il appartient.
Dans ce contexte, on donne priorité à l'éducation voire à la culture ethnique.
Le pulagu, par exemple, n'est pas une notion vague chez les Peuis : il englobe
l'ensemble des valeurs et des traits caractéristiques d'un Peul, quel que soit son
rang social, et cela dans sa vie spirituelle et matérielle. Il en est de même chez le
Wolof, le Bambara, le Soninké etc. L'organisation sociale de ces ethnies est telle
que toute activité, qu'elle relève de l'intérêt particulier ou général, s'inscrit toujours
dans le maintien de la dynamique culturelle. Et cette dernière dépend de l'éducation
familiale et communautaire que tout membre du groupe doit recevoir.
49
?
Il est vrai que la tradition négra-africaine ne cultive pas l'individualisme, mais
elle reconnait à l'individu des valeurs inhérentes à sa manière de vivre, à son
éducation. Le nedaagal (ou le nedaagu ) par exemple traduit en pular (langue
parlée par les Peuls et les Toucouleurs) la personnalité de l'individu par référence à
son éducation et à ses rapports avec son entourage proche ou éloigné. Aussi ce
terme qui traduit les valeurs morales et spirituelles, ne convient-il qu'à une
personne "de bonne éducation" (nehido ). Celui qui a reçu une "bonne éducation"
(needi mojiri ) se distingue de celui qui est tributaire d'une "mauvaise éducation"
(needi bondi ); car la "mauvaise éducation" a pour conséquence le manque de
nedaagal ou de nedaagu (personnalité individuelle). Notons que ces deux termes
sont formés à partir de la racine ned- de neddo (une personne) (nit en wolof) ;
ainsi tout ce qui ne concorde pas avec les vertus humaines qui font que l'homme
reste neddo est du domaine de la sauvagerie, au vrai sens du terme. C'est la raison
pour laquelle on doit aider la personne humaine, dès son plus jeune âge, à se munir
des qualités requises pour être un neddo
(une personne) et pour parfaire son
nedaagal (ou son nedaagu ) (la personnalité).
La tradition toucouleur ramène toute considération à l'éducation (needi ) ;
remarquons aussi que needi a la même racine que neddo : ned- . Mieux qu'en
wolof où yar 1 (éducation) ne se distingue pas du verbe yar (éduquer), needi
(éduquer en pular) a donné le verbe neede (éduquer). Mais Needi (éducation) est
complétée par diâgde (instruction) dont l'équivalent en grec serait natoda au sens
où ce dernier terme signifie "instruction" ou "culture". Le wolof emploie, à une
différence près, le même terme qu'en pular pour traduire "instruction" : diâg . Dans
cette logique needi et yar correspondraient à l'éducation morale et spirituelle, alors
que diâgde et diâg traduiraient l'apprentissage d'un métier, l'acquisition des
connaissances scientifiques, d'une culture diversifiée. Cette distinction linguistique
apparaît nettement dans les expressions telles que neede cukalel (éduquer ou élever
un enfant) 1 diâginde cukalel (instruire un enfant) en pular ; yar .mlel (éduquer ou
élever un enfant) 1diâgal xalel (instruire un enfant) en wolof.
Ainsi l'éducation (needi) morale et spirituelle se distingue de -l'instruction
(diâgde et diâg). Ces deux aspects de la formation des enfants se rencontrent aussi
bien dans les sociétés hiérarchisées que dans les sociétés dites "anarchiques".
1. yar peut signifier aussi le bâton.
50
Cette perspective pédagogique commune à ces sociétés à structures
différentes tient de la conception que le Négro-africain a de l'éducation, à savoir
l'intégration progressive et complète de l'enfant dans la communauté. Cette
intégration se fait successi vement dans le cadre familial où on insis_te sur l'aspect
moral et spirituel de l'éducation, et dans le cadre communautaire où l'enfant
apprend à vivre avec les autres membres de la société, à être sociable. En effet,
needi (ou yar) (éducation) ne peut et ne doit pas être à la charge des seuls parents
géniteurs; cette éducation incombe à tous les membres de la société. Et c'est dans
cette option que la pensée pédagogique négro-africaine et la conception
platonicienne de l'éducation s'éclairent mutuellement. De part et d'autre, les
responsabilités pédagogiques sont partagées: needi gale (éducation familiale)
indique à elle seule qu'elle se donne dans la concession familiale (gale: concession
en pular ; kër =concession en wolof: yar kër : éducation familiale), alors que needi
lenyol (éducation concernant toute une communauté) se donne en commun sans
distinction de statut social. Nous reviendrons sur ces étapes de l'éducation.
Au sein de chaque société à castes ou "anarchique" chaque groupe social a, à
la fois, la volonté d'être soi-même à travers l'éducation,et de vivre avec les autres.
Le cousinage et la parenté à plaisanteries en sont des exemples vivants. Yaya Wane
les décrit ainsi: "on a néanmoins l'habitude, écrit-il, de distinguer deux catégories
principales à l'intérieur du denDiraagal njongu (parenté à plaisanteries) : la première
qui sera pour ainsi dire intra-ethnique ou relation entre certains patronymes des
Toucouleurs, et la seconde définie comme inter-ethnique, à savoir affinité entre
Haalpulaaren , d'une part, et SereraaBe (Serer), d'autre part, considérés comme
deux entités sociales. En d'autres termes, si son patronyme donne à un quelconque
Haalpulaar un nombre déterminé de denDiraaBe njongu parmi les Haapulaaren, en
revanche son appartenance ethnique toucouleur en fait le denDiraaDo de n'importe
quel Serer, et réciproquement" 1. Ce dernier cas s'observe entre Diola et Serer,
Lébou et Serer etc. Ces pactes sont facilités non seulement par le voisinage
géographique et par une parenté linguistique manifeste des ethnies, mais aussi, et
surtout, par leur commune approche de l'éducation et par le respect de la hiérarchie
sociale fondée sur l'âge. Même si les guerres intestines ont détérioré certains de ces
1. WANE (Yaya), Les Toucouleurs .... , p. 133.
51
~ rapports, il n'en demeure pas moins vrai que chaque groupe a gardé les traits qui
l'identifient aux autres.
La sphère d'évolution du Négro-africain demeure le village où tout est conçu
et réalisé au nom de la collectivité. Les structures de ce cadre sont telles qu'aucun
membre de la communauté ne peut évoluer sans les autres. Dès l'enfance le Négro-
africain subit le poids et les pressions de la collectivité dont la famille est la première
composante. Cette dernière est demeurée jusqu'à nos jours l'unité de base de la
société traditionnelle africaine. Il n'est pas rare de voir tout un village peuplé par
une seule branche généalogique 1. D'ailleurs la plupart des villages portent le nom
de leurs fondateurs dont les descendants perpétuent la mémoire en restant au même
endroit. Ainsi toute initiative individuelle s'amorce et s'effectue selon l'idéal
commun à toute la société. Cet élan de tout faire ensemble nécessite une formation
commune.
L'idéal communautaire doit être la référence pour chaque action individuelle et
collective. Le membre de chaque société existe et agit par référence à cet idéal, et il
est tenu de participer à la réalisation et à la consolidation de ce dernier. C'est
pourquoi tout homme a le devoir d'accepter et d'assimiler les lois et règles qui
régissent la vie communautaire. Certainement l'idée que le Négro-africain se fait de
l'éducation relève-t-elle de cet idéal. Mais on est souvent tenté de se demander s'il
est conscient du processus éducatif qui intéresse tous les secteurs de la société. En
réalité, il ne fait pas de distinction entre la vie et l'éducation : en effet, selon
l'heureuse formule de Moumouni, "l'école et la vie font un"2.
Les chercheurs ont été souvent frappés par l'indifférence qu'affichent les
adultes devant la mauvaise conduite des enfants de bas âge. Et certains d'entre eux
vont jusqu'à qualifier l'éducation traditionnelle négro-africaine de peu exigeante.
Malheureusement ils oublient que la pédagogie africaine accorde une grande
importance à l'initiative personnelle. Le visiteur européen est souvent surpris voire
exaspéré par la présence des bandes d'enfants dans les rues et dans les places
publiques. Malgré les interventions répétées de son entourage, l'enfant a des
1. C'est ainsi qu'au Sénégal nous trouvons des villages du nom de Ndiayen (Ndiaye), de DioBen
(Diop), Fallen (Fal!) (... ) MBoumba (Wane), Gaol (Agne), Medina DiathBe (Diath) etc. Les
autres familles s'y sont installées tardivement. Cf. Wane (Yaya), Les Toucou .... , p. 158.
2. MOUMOUNI (Abdou), L'éducation... , p. 2.
52
moments de liberté à lui. Certes, loin des adultes, il est stjet à tous les caprices
d'une "bête" non surveillée. Mais cette liberté (très importante dans l'approche
africaine de l'éducation) traduit la volonté de l'éducateur d'aider l'enfant à
s'épanouir dans son propre milieu et à le connaître. Cette souplesse pédagogique
s'explique par le fait que l'éducation est perçue comme l'''affaire'' de tous les
membres de la société.
La naissance d'un enfant rassemble et réjouit tous les membres du groupe
social ; de même, son "élevage" et son instruction préoccupent toute la
communauté. C'est pour cette raison que les parents ne se soucient pas trop de
l'absence de l'enfant, attendu qu'un autre membre de la collectivité est prêt à
remplir, en cas de nécessité, leur rôle d'éducateurs. En effet, la surveillance des
enfants incombe à tout le monde dans le village. Platon propose une pratique
similaire lorsqu'il formule que les citoyens libres sont tenus de corriger! les enfants
qui se conduiraient mal au sein de la cité. Dans cette perspective, tout adulte libre
participe à la bonne formation des enfants. Seulement la surveillance que réclame
Platon est plus stricte que celle des Négro-africains sur leurs enfants.
Ainsi l'éducation se définit, dans la tradition négro-africaine, comme un
projet d'ensemble qui touche l'homme et son milieu et dont la réalisation revient à
tous les membres de la société.
Naître, grandir et vivre dans une société sont, dans la pensée traditionnelle
négro-africaine, des moments qui relèvent d'un privilège que les dieux accordent à
l'homme sur terre. Ces différentes phases de la vie nécessitent une attention
particulière dans la formation de l'enfant. C'est la raison pour laquelle "à chaque
étape de développement", écrit Pierre Erny, "signe que l'enfant s'éloigne du monde
d'où il vient, à chacun de ces moments où il affirme sur un mode nouveau sa
volonté de vivre et de grandir, le groupe humain fait donc un geste d'accueil et
procède, grâce au rite, à une intégration correspondante dans le monde des
vivants"2. L'intégration sociale liée ici à la croissance biologique, à la psychologie
1. Cf. Lois, 794 b c d.
2. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , p. 37.
53
et à l'âge des enfants se confond avec tout un processus éducatf. L'exemple des
Didinga 1 nilohamétiques en est très éloquent.
En effet à huit ans, l'enfant est soustrait à l'éducation maternelle pour une
formation morale et spirituelle, à treize ans il reçoit un enseignement théorique et
pratique, à dix-huit ans il apprend la justice tribale avant de passer quinze ans dans
le maniement des armes. Là nous sommes en présence d'un système éducatif
similaire, dans son organisation, à celui de Platon: plus l'enfant avance en âge,
plus il rencontre des disciplines complexes et importantes. La rigueur du système
éducatif des Didinga peut être observée dans toutes les sociétés guerrières africaines
qui soustraient, de bonne heure, l'enfant à la surveillance familiale. Toutefois, elles
ne négligent pas l'apport positif de l'éducation parentale dans la formation de la
personnalité de l'enfant.
C'est sous cette double dimension familiale et communautaire que nous
essayerons de saisir les divers aspects de la notion négro-africaine de l'éducation.
Ainsi pensons-nous pouvoir cerner sa finalité principale, à savoir rendre l'homme
sociable et vertueux, et cela de sa naissance à sa mort. D'ailleurs, dans la tradition
négra-africaine, l'homme est avant tout éducation (neddo ko needi ).
La complexité de la structure familiale africaine (bandiraagal en pular ; mbox
en wolof )2 ne reste pas sans influence sur ce qu'on entend par "éducation
familiale" ou de base (needi derr galle en pular ; yar biir kër en wolof) en Afrique
noire. Le galle, comme le kër d'ailleurs, se prête à un double sens. Dans son
acception restreinte le terme de galle (ou kër) désigne la concession où vivent
parents et enfants (jooyre) ; dans son sens large il se confond avec le lenyol qui
désigne famille "au sens global du terme, à savoir les vivants comme les morts,
tous les descendants de l'ancêtre le plus reculé, d'où le mot galle
suivi
généralement du nom de cet ancêtre souche"3.
C'est par rapport à cette division qu'on fait une distinction entre l'éducation
assurée par les parents eux-mêmes (needi jinnaaBe) et celle à laquelle participent
1. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , p. 129. Cf. E. SMITH, lndigenous education in
Africa et DRIBERG (J. H.), At home with the Savage, 1932.
2. Cf. WANE(Yaya), Les Toucouleurs .... p. 83; Cf. DIOP (Abdoulaye- Bara), Famille wolof. .. ,
p.32.
3. WANE (Yaya), Les Toucouleurs ... , p. 83.
54
tous les membres vivants du groupe, aussi bien du côté paternel que du côté
maternel (needi bandiraaBe). Toutefois, une bonne ou une mauvaise éducation des
enfants (needi mojiri ou needi bondi) relève naturellement de la responsabilité des
parents géniteurs (primaires) (jinnaaBe) avant celle des proches (banndiraaBe). En
effet, l'éducation d'un enfant (needi cukalel) doit toujours débuter dans la
concession familiale (galle au sens spatial et restreint du tenne) 1. C'est ce qui fait
dire aux Toucouleurs que celui qui n'a pas reçu une bonne éducation familiale
(entendez dans le galle) ne pourra jamais se bien conduire ailleurs (mo neehaki e
galle mumeen, neehotako cagal galle).
Cette responsabilité, partagée entre les parents géniteurs et leurs proches, fait
que les grands-parents, les tantes et les oncles peuvent prendre en charge
l'éducation respective de leurs petits-fils et de leurs neveux. C'est dans ce cadre que
les Toucouleurs parlent, comme d'ailleurs chez toutes les autres ethnies,
d'éducation maternelle (needi yuma ou needi neenirado), d'éducation paternelle
(needi baaba), d'éducation donnée par les grands-parents (needi maama), par la
tante (needi gorgol), par l'oncle (needi kaaw) etc. Cela est vrai pour toutes les
familles, quelle que soit leur caste d'origine. Ces différentes appellations trouvent
leur raison d'être dans la notion d'éducation familiale. Elles sont les différentes
composantes de cette dernière. C'est à travers cette diversité qu'on qualifie
l'éducation familiale de juste ou de mauvaise, de souple ou de rigoureuse. Tout cela
relève du caractère de l'éducateur concerné et des principes pédagogiques qu'il
applique à l'égard des enfants.
On a coutume de V01r en l'éducation donnée par les grands-parents
(taaniraaBe) une sorte de laisser-aller; car l'enfant est à l'aise avec ces derniers qui
"ne représentent pas l'autorité directe, la leur est morale (ils ont rarement aussi la
responsabilité économique effective). Ils peuvent se permettre de gâter leurs petits-
enfants et de s'amuser librement avec eux. Souvent, ces derniers les désignent par
le terme de maam-booy (bon papa-bonne maman). Un des signes de cette
responsabilité, dans le domaine éducatif, est qu'ils font mutuellement semblant de
se gronder ou de se corriger et qu'ils jouent à s'éduquer"2. Ces rapports empreints
de tendresse et d'indulgence réciproques supposent l'absence de châtiments
1. Le galle peut signifier aussi cet espace entouré d'un gallol (clôture) et où résident des familles
issues d'un même ancêtre (pooye = pluiriel defoyre).
2. DIOP (Abdoulaye-Bara), Lafamille wolof. .. , p. 59.
55
susceptibles de redresser l'enfant dans sa conduite. Dans la société toucouleur,
Yaya Wane remarque que" le grand-parent ne lève pour ainsi dire jamais la main sur
le plus insupportable de ses petits-enfants, dont il tolère difficilement la correction
par quiconque, lui-même se bornant parfois à porter ces kelle taaniraaDo (gifles
des grands-parents), connues pour faire plus de bruit que de mal"!. Dans ces
conditions, l'apport moral des grands-parents ne concorde pas avec les principes
qui régissent l'éducation familiale, attendu que cette dernière se définit comme un
ensemble de préceptes et d'interdits que les membres de chaque famille doivent
faire connaître à l'enfant.
Naturellement tout se ramène à "ceci est bon" (dum ne moji) et à "ceci n'est
pas bon" (dum mojaani). A ce niveau l'irresponsabilité des grands-parents
s'identifie au manque de correction corporelle, par le simple fait que l'éducation
(needi) signifie ici châtiment (fiide). L'enfant de bas âge ne redoute que le bâton
(looso{) (cukalel andi ko loosol). Le recours au bâton s'explique par l'ignorance et
l'insouciance de l'enfant (cukalel anda haidara ou xalel xamul dara). C'est aussi à
cause de leur négligence vis-à-vis des principes pédagogiques déjà établis que les
grands-parents sont jugés, en Afrique, comme de mauvais éducateurs (needi
maama mojaani). Même si elle ne constitue pas une déviation totale, l'éducation
assurée par les grands-parents a toujours eu des retombées négatives sur la
personnalité de l'enfant.
La tante (gorgol) et l'oncle (kaaw) sont les proches parents (bandiraaBe ou
jinnaaBe badiiBe) les plus sollicités dans l'éducation de base des enfants. Leur
intervention dans ce domaine relève du consentement des parents géniteurs ou est
causée par l'absence ou le décès de l'un de ces derniers. Dans les deux cas, ils sont
tenus de respecter les principes pédagogiques que se seraient fixés les vrais parents
pour élever leurs enfants.
Si la grand-mère prend en charge ses petits-enfants sans distinction de sexe,
la tante quant à elle ne s'occupe que de ses nièces, laissant le soin des neveux à
leurs oncles. L'éducation donnée par la tante elle-même est détemtinée par la nature
de ses rapports avec ses nièces 2 (gorgol-BiDDo). Son intervention dans la
1. WANE (Yaya), Les Toucouleurs ... , p. 94.
2. DIOP (Abdoulaye Bara), Famille wolof... , pp. 49-53.
56
-,
fonnation de ces dernières est symbolisée à la fois par la sévérité et la tendresse. En
effet, "( ... ) à l'égard des enfants de son frère", écrit Yaya Wane, "la gorgol perd la
féminité, synonyme d'irresponsabilité sociale, pour se voir attribuer une parcelle de
cette masculinité qui gouverne sans partage la communauté à tous ses niveaux
( ... )" 1. Cela n'est vrai que lors des visites de la tante dans la concession de son
frère où l'enfant, en l'absence de son père, se prête aux caprices.
La tante maternelle, quant à elle, incarne la tendresse. Les attributs de mère
secondaire (yuma tokosso) ne lui permettent pas d'être sévère à l'égard des filles de
sa sœur. Elle remplace cette dernière dans tous ses rôles de mère; d'autant plus que
"dans la tradition, elle pourrait épouser le veuf de sa sœur aînée et s'occuper de ses
enfants"2. La tante est, dans ce cas précis, moins exigeante que d'habitude. Elle est
tenue, toutefois, d'inculquer à ses neveux et nièces le sens de la bonne conduite.
Les rapports oncle-neveu (kaaw-BaadiraaDo) sont de nature à protéger le
second de toutes les menaces venant des parents ou d'autres personnes. Bien qu'il
ait une autorité paternelle au sein de sa famille, l'oncle "choisit habituellement le
rôle le plus attractif de la bonté et de la complaisance, rôle bien connu des neveux
qui ne se font jamais la faute d'en profiter. L'oncle dispense les gâteries, et
demeure un refuge permanent et sûr contre la sévérité du père ou de la mère et leur
punition imminente, voire plus tard contre la tyrannie domestique d'un mari
-probablement fils ou gendre- trop conscient de ses droits"3. Ce rôle revient
traditionnellement à l'oncle maternel. Ces actes de bonté sont absents des rapports
entre neveux et oncle paternel (baaba tokosso ) qui, lui, tient le rôle de véritable
père.
Ainsi l'éducation assurée par les parents secondaires (jinnaaBe BaDiiBe) ne
peut être envisagée que dans le respect des principes qui régissent l'éducation
familiale. Que les neveux soient à la charge de l'oncle et que les nièces restent avec
leur tante, on s'occupe aussi bien de leur éducation morale que de leur formation
pratique. Il n'existe pas de différence notable entre les responsabilités pédagogiques
des parents secondaires et celles des parents géniteurs.
1. WANE (Yaya), Les Toucouleurs ... , p. 107.
2. DIOP (Abdoulaye Bara), Famille wolof... , p. 53.
3. WANE (Yaya), Les Toucouleurs ... , p. 110.
57
La responsabilité des parents géniteurs dans l'éduc?ation de base (de leurs
enfants) semble minime, quand on fait référence à toutes les autres interventions.
Mais ils sont conscients de leurs rôles de premiers éducateurs (jinnaado nehat BiiBe
mum). Il est vrai qu'à partir de de la sixième année l'éducation des filles est
distincte de celle des garçons, mais il n'en demeure pas moins que le couple
géniteur veille à ce que les uns et les autres assimilent les principes de la sociabilité.
On doit, en effet, libérer l'enfant de son égoïsme congénital. Les parents n'hésitent
pas, à chaque fois que l'occasion se présente, à rappeler à l'enfant ses liens de
parenté avec les autres. Par conséquent, tout ce qui appartient à l'un doit servir à
l'autre (needo rendatt e bandum). Ainsi l'enfant accepte dans son petit univers non
seulement ses frères et sœurs, mais aussi, et plus tard, ses compagnons d'âge. Cet
esprit de solidarité que les parents inculquent à leurs enfants obéit aux principes des
relations humaines au sein des sociétés négro-africaines. Cela explique l'adage
wolof qui dit que "l'homme est le remède de l'homme" (nit, nit a garabam).
Et c'est par la même occasion que le couple géniteur explique le principe du
respect de la hiérarchie familiale et sociale. En dehors de la déférence qu'ils
témoignent à leurs parents, les enfants sont tenus d'obéir à l'aîné, quel que soit son
sexe. Dans la tradition africaine, à chaque fois qu'il se dispute avec son aîné, le
cadet a tort. La vie de famille devient, pour ainsi dire, un modèle pour tout enfant
appelé à vivre dans une société hiérarchisée (en fonction de l'âge de ses membres).
Si d'un côté le cadet doit respect à son aîné, de l'autre ce dernier lui doit protection.
Et c'est par transposition que l'enfant se représente la responsabilité de ses parents
vis-à-vis de lui.
Dans le cadre familial, le père est le responsable direct de l'éducation des
enfants. Il incarne l'autorité virile; il est craint par ses enfants, malgré son affection
pour ces derniers. Il suffit souvent d'évoquer le nom ou d'annoncer l'arrivée de
son père pour qu'un enfant fougueux et récalcitrant se calme (a mayi baama arn).
Le père s'intéresse naturellement plus à l'éducation des garçons qu'à celle des filles
revenant traditionnellement à la mère. Cela tient du fait qu'on est en présence des
sociétés guerrières et que "les garçons devaient recevoir une éducation virile.
Chargés d'assurer la protection et la subsistance de la famille, ils devaient être
58
courageux et travailleurs. C'était au père à leur inculquer ces qualités, par son
exemple et son éducation" 1.
En effet, appelé à succèder à son père dans ses fonctions familiales et à
fonder lui-même un foyer (joyre), le garçon apprend à être homme (gorko). Il doit,
une fois adulte, supporter toutes les peines inhérentes à la place qu'il occupera au
sein de la famille et de la société. Pour ce faire, il effectue en compagnie de son père
de petits travaux; aussi leurs relations se transforment-elles en rapports de maître à
apprenti. Il n'est pas rare qu'un garçon se demande, devant l'attitude sévère de son
père, s'il n'est pas en face d'un étranger. Il s'ensuit un dévouement aveugle vis-à-
vis de son père par qui il jure devant ses détracteurs (e wonki baabam)2. Il écoute
moins les conseils de sa mère que ceux donnés par son père; il prouve par là son
engagement à préserver sa masculinité (gorkaagal). C'est ainsi qu'on se demande
quelle est la part de responsabilité de la mère dans l'éducation de ses enfants.
Dans la tradition africaine, on qualifie l'éducation maternelle de "libérale"
voire légère (yumma nehata BiDDo, bonnat)3, La nature des rapports entre mère et
enfants (yumma-BiDDo) nourrit cette version populaire. Au demeurant, la mère
protège beaucoup plus qu'elle n'éduque. Jusqu'au-delà de leur sixième année
garçons et filles sont sous sa protection. C'est à partir de cette période qu'il lui
revient le devoir exclusif d'inculquer à ses filles les qualités requises pour une
femme. Elle doit "les initier aux travaux ménagers, à leur rôle de futures épouses.
Elle leur apprend les bonnes mœurs, l'obéissance et la patience devant les hommes,
dans cette société fortement dominée par eux"4. Elle est tenue d'être elle-même le
modèle de mère courageuse, soumise à l'autorité maritale. Ce qui ne l'empêche pas
de garder sa fierté et sa dignité devant les hommes. L'éducation morale va de pair
ici avec l'enseignement pratique. Son influence sera encore plus grande sur la
stabilité des ménages de ses filles5.
Tout laisse voir que dans la tradition négro-africaine la mère a un grand rôle à
jouer dans l'éducation de base de ses filles, voire de tous ses enfants. Cependant,
"malgré sa fonction d'éducatrice", écrit Abdoulaye Bara Diop, "la figure de mère
1. DIOP (Abdoulaye Bara), Famille wolof .. , p. 45.
2. WANE (Yaya), Les Toucouleurs
, p. 10 1.
3. WANE (Yaya), Les Toucouleurs
, p. 102.
4. DIOP (Abdoulaye Bara), Famille wolof .. , p. 51.
5. WANE (Yaya), Les Toucouleurs ... , p. 104.
59
exprime moins d'autoNté que la tendresse, et le respect que lui manifestent ses
enfants est dû moins à la crainte qu'à un sentiment profond d'affection "l. Ce
sentiment est propre aussi bien aux filles qu'aux garçons qui, une fois adolescents,
n'hésitent pas à chercher refuge2 auprès de leur mère.
Ainsi l'éducation familiale repose sur la complémentarité des rôles des parents
géniteurs et ceux des proches. Le manquement à ce devoir affecte toujours la
personnalité de l'enfant.
Les liens de la parenté
(jiidigal ou jiidigu) et les relations amicales
(cehilaagal) autorisent les membres de la communauté à intervenir dans l'éducation
de tout enfant. C'est pourquoi il est difficile de saisir la dimension communautaire
de l'éducation traditionnelle en Afrique noire, sans avoir au préalable cerné la place
de la famille dans la société. Dans son sens restreint comme dans son sens large, la
famille se constitue et subsiste grâce aux liens de parenté conservés depuis des
générations (bandiraagal reenete). Ainsi trouve-t-on un seul ancêtre pour tous les
membres d'un village (yimBe woro go fo jiidi). Mais dans les sociétés à castes le
fait qu'un fieeno porte le même patronyme3 qu'un gër ne change en rien la nature
de leurs relations; et, dans leurs arbres généalogiques respectifs, rien ne rapproche
l'un de l'autre. Néanmoins, dans le cadre communautaire, chacun d'eux peut
intervenir4 librement dans l'éducation des enfants de l'autre.
C'est dans cette perspective que l'on parle d'éducation communautaire.
Cependant, il ne faut pas opérer une dichotomie entre cette dernière et l'éducation
familiale; car elles se complètent et elles présentent des interférences intimes.
Traditionnellement, les proches parents (bandiraaBe
BaDDiBe), les
compagnons d'âge (gijiraaBe worBe e rewBe), hommes et femmes de toutes les
castes sont présents à chaque baptême dans le village. Ils réaffirment ainsi leur lien
de parenté et d'amitié; mais ils scellent aussi un contrat avec le nouveau-né, en
jurant d'être responsables de son élevage et de son éducation.
l. DIOP (Abdoulaye Bara), Famille Wolof... , p. 52.
2. DIOP (Abdoulaye Bara), Famille wolof .. , p. 52.
3. Dans les sociétés à castes les esclaves empruntent presque toujours le nom de "leurs
propriétaires". Peut-être les tïeenBe adoptèrent-ils le même principe pour des raisons de sécurité.
4. Dans ce contexte seule l'expérience est prise en considération.
60
,~
Jusqu'à l'âge où l'enfant acquiert la raison, ses fautes sont imputables à son
jeune esprit (hagile cukale{) et à son ignorance des principes et règles de conduite
(cukalel anda hai dam). Dès lors qu'ils lui reconnaissent cette insuffisance, les
adultes ont le devoir de le redresser. Dans ce cas il peut s'agir d'une correction
corporelle ou de conseils susceptibles d'inciter l'enfant à la réflexion.
Au sortir de l'adolescence l'enfant est considéré comme capable de mémoriser
et de garder tout ce qu'on lui enseigne oralement. Dans ce contexte, l'intervention
de l'adulte est rendue moins difficile par le regroupement des enfants en bandes de
compagnons d'âge et de jeu. C'est sur cet acquis social que repose le système des
initiations pubertaires.
A ce stade, l'éducation se confond avec les initiations. Mais dans ces
dernières, il faut distinguer les aspects culturels et les aspects pédagogiques. Les
fondements culturels des initiations demeurent immuables, alors que le contenu des
enseignements initiatiques subit des changements à tous les cycles. Les Sérères, par
exemple, initient encore aujourd'hui leurs enfants à la vie coutumière ; mais
l'enseignement qu'ils leur donnent ne peut être identique à celui qui fut
communiqué aux générations précédentes. Seulement, des concepts fossilisés se
trouvent à la base de ces enseignements. Hormis ces aspects, l'initiation vise à
inculquer à l'adolescent une nouvelle vision de la société.
Durant les initiations pubertaires, les différences sociales n'existent pas. Le
jeune esclave reçoit le même enseignement et subit le même traitement que le jeune
noble. Le fait de raser ou de dénuder les adolescents est une façon entre autres
d'effacer leur différence de statut pendant les initiations. On fortifie cette idée
lorsqu'on les convainc qu'ils sont issus d'un même ancêtre (Maam). Ainsi, à
l'intérieur des camps d'initiation, les adolescents apprennent le sens de la solidarité,
de l'amitié et de l'unité, et consolident leur parenté.
La période de réclusion est "consacrée à une sorte d'éducation intensive:
physique, civique, religieuse, technique" l. Aucune spécialisation ne peut être
envisagée dans le cadre de l'initiation pubertaire. D'ailleurs, la durée de cette
dernière, variable suivant les ethnies et les régions, ne se prête pas à cette fin. La
1. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , p. 170.
61
priorité est donnée à la culture physique et intellectuelle, à une culture qui obéit à
une morale plus ou moins rigide. L'inexistence des distinctions sociales pendant
cette période de réclusion montre le caractère humain de la formation initiatique. Et
symboliquement les initiés sortent comme des hommes jouissant de toutes leurs
qualités humaines.
Ainsi l'éducation négro-africaine se définit dans les cadres familial et
communautaire. Dans son premier aspect elle est une défense et une conservation
des valeurs familiales et celles de caste. Telle semble être l'explication de l'existence
de l'éducation de forgeron (needi baylo ), de griot (needi gawlo ) etc. Là on insiste
sur les valeurs qui distinguent la famille ou la caste des autres sous-groupes. Peut-
être est-on en présence, dans ce domaine, de la réalisation de l'idéal platonicien, à
savoir que chaque catégorie d'hommes assume et assure la formation de ses jeunes
membres conformément à son statut dans la communauté. Dans le cas de l'Afrique
noire traditionnelle, l'éducation familiale ou de caste ne peut et ne doit pas se faire
en dehors de l'idéal communautaire. De leur interdépendance naît le second aspect
de la notion africaine de l'éducation.
Les initiations pubertaires ont l'objet de préserver l'identité culturelle de la
communauté. La pédagogie initiatique se fonde sur un idéal plus large que ceux de
la famille et des castes. C'est dans les camps d'initiation que l'éducation négro-
africaine acquiert son caractère communautaire le plus large.
L'éducation platonicienne et l'éducation négro-africaine se recoupent dans
leurs dimensions familiales et communautaires. Au centre de l'une comme de
l'autre la formation morale, physique, intellectuelle, scientifique, religieuse et
philosophique de l'homme. Chez Platon comme en Afrique noire traditionnelle,
l'éducation se fait de manière collective et vise l'unité des membres de la société.
62
J. 2. LES CADRES TEMPOREL ET SPATIAL
Les notions de temps et d'espace ont une place importante dans l'approche
platonicienne de l'éducation. La problématique des enseignements se pose d'abord
en termes d'emplacement des écoles et des terrains d'exercices. L'approche
africaine de l'éducation se plie aussi aux exigences du cadre temporel et spatial ;
mais elle laisse apparaître une souplesse dans la fixation du temps et dans
l'emplacement des écoles d'initiation par exemple.
J. 2. 1. Rigueur dans l'aménagement du temps et de l'espace
pédagogique chez Platon.
a ) Le cadre temporel.
Relativement aux quatre opérations de l'esprit vis-à-vis des quatre objets de la
connaissance regroupés en OpaTa et en VOllTa, l'allégorie de la caverne! symbolise
à elle seule, dans le temps et dans l'espace, la montée de l'âme du monde sensible
au monde intelligible. En effet "il faut assimiler", explique Platon, "le monde
visible au séjour de la prison, et la lumière du feu dont elle est éclairée à l'effet du
soleil; quant à la montée de l'âme dans le monde supérieur et à la contemplation de
ses merveilles, vois-y la montée de l'âme dans le monde intelligible et tu ne
tromperas pas sur ma pensée, puisque tu désires la connaître"2. Dans cette
ascension, non sans difficultés, l'âme traverse deux mondes qui s'opposent: le
monde de l'obscurité et celui de la lumière. Sortir l'âme du premier pour lui faire
contempler le second, tel est l'objectif symbolique de l'éducation platonicienne.
Cette opération ne consiste pas, selon Platon, à mettre la science dans l'âme qui est
elle-même porteuse de connaissances, mais il s'agit plutôt d'orienter cette dernière
vers le monde de la lumière, vers le monde intelligible.
La traversée ne s'effectue pas d'une manière unilatérale et douce quand on fait
allusion à l'emploi des expressions comme "d rrpàç Tà <j>Wç àvaYXa(Ol alJTàv
~ÀÉrrElv", ou "d (... ) gVTEU8EV ËÀXOl TlÇ athàv ~{q Tpaxdaç TTiÇ àva~acrEWç xat
1. Rép., 514 a-519 c.
2. Rép., 514 a-519 c.
63
àvâvTOU'~ (...)" 1. Le prisonnier libéré de ses chaînes et devant parcourir le chemin
menant à la lumière subit toujours une pression pour sortir de l'illusion venue des
opoTâ. Il s'habitue, le temps que dure une étape, aux opoTâ qui se présentent à lui
comme de véritables êtres. Mais il est désillusionné au fur et à mesure qu'il monte
vers le monde de la lumière, celui des vüTlTâ. A chacune des étapes de la montée, il
faut faire correspondre une période de l'évolution biologique de l'homme sur
laquelle Platon se fonde pour diviser son cursus éducatif en cycles.
La durée du cursus "scolaire et universitaire" platonicien est planifiée suivant
l'évolution biologique de l'homme. Dans l'antiquité hellénique, personne plus que
Platon, n'a pris en considération l'âge comme critère et repère en pédagogie.
L'aspect militaire de la question est relégué au second plan. Platon répartit
scientifiquement les différentes formations suivant les âges et les aptitudes des
bénéficiaires.
Dans le système éducatif platonicien le cadre temporel couvre l'intervalle qui
va de la période prénatale à l'âge de soixante-dix ans.
La période prénatale est à la fois sous la surveillance du législateur et sous
celle de la femme enceinte. Cette dernière aura non seulement à respecter les
prescriptions étatiques, mais elle doit aussi se promener quotidiennement pour
modeler le corps de son futur bébé.
La naissance de l'enfant ouvre une nouvelle période dans son éducation. De
zéro à deux2 ans l'essentiel de la formation incombe à la mère et aux nourrices; de
trois à six ans l'accent est mis sur la conduite des enfants rassemblés en un seul
lieu3. Les critères de délimitation de ces étapes temporelles sont aussi divers que les
interventions des adultes dans la vie des enfants de cet âge.
C'est au terme de la sixième année que commence la troisième étape dans la
formation des enfants. Jusque-là Platon ne fait pas de distinction entre filles et
1. Rép., 515 e.
2. Cf. Lois, 789 c.
3. Cf. Lois, 793 e ; 794 a.
64
)
garçons. Leur séparation 1 se fait à cet âge, et cela pour des raisons d'aptitudes
physiques.
L'intervalle compris entre la septième et la dix-huitième année est divisé en
plusieurs cycles. En effet de sept à dix ans, l'apprentissage oral des textes sans
musique et de petits exercices de guerre. L'accent est mis, durant ces trois ans, sur
la mémorisation des textes poétiques, et sur l'agilité, la rapidité et la vigueur dans
les gestes.
De dix à treize ans, l'enfant apprend les '(paflflGTG. L'apprentissage tardif des
lettres ne facilite pas l'enseignement de la musique qui, dans une certaine mesure,
dépend de la lecture et des commentaires de textes. Mais le philosophe aura voulu
privilégier l'enseignement oral dans cette période.
De la treizième à la seizième année, l'adolescent apprend à manier les
instruments2 de musique. Cette mesure est logique, en ce sens que l'intéressé sait
déjà lire,.écrire et réciter ses textes. La régularité de ces étapes temporelles n'est pas
perturbée jusqu'à la seizième année. En effet, le chiffre 3 divise en cinq intervalles
égaux les quinze (15) ans du cursus; la seizième année serait, comme dans l'à'(w'(TÎ
spartiate dont le chiffre diviseur est 4, comprise dans les cinq (5) années d'irénat3.
On atteste que l'irénat (éphébie) commence à l'âge de seize ou dix-sept ans.
L'imprécision de Platon dans la fixation du nombre d'années relatif à l'irénat
viendrait de son hésitation à faire un choix entre les traditions athéniennes et celles
de Sparte. A athènes l'éphébie est placée à la fin de la dix-huitième année, alors
qu'à Sparte l'irénat débute à la seizième pour ne s'achever qu'à la vingtième année.
De la vingtième à la trentième année, on présente aux jeunes gens
sélectionnés4, "( ... ) dans leur coordination les sciences qui leur ont été enseignées
pèle-mèle dans leur enfance"5. De la trente-unième6 à la trente cinquième7 année
incluse, ils s'adonnent à la dialectique dont la durée d'enseignement est de cinq ans;
1. Cf. Lois, 794c ct ; 772 ct e ; Rép., 460 ct e.
2. Cf. Lois, 809 e.
3. Cf. MARROU (Henri Irénée), L'éducation.._, p. 53.
4. Cf. Rép., 537 a.
5. Rép., 537 c.
6. Cf. Rép., 537 ct.
7. Cf. Rép., 539 e.
65
et enfin, de la trente cinquième à la cinquantième année (15 ans durant), ils mettror$
en pratique tout ce qu'ils avaient appris depuis leur enfance. Et à "l'âge de
cinquante ans", écrit Platon, "ceux qui survivront et se seront distingués en tout
point et en toute manière à la fois dans les travaux et dans les sciences devront être
poussés au terme et contraints d'ouvrir l'œil de l'âme et d'élever leurs regards vers
l'être qui donne la lumière à toutes choses" [. Ainsi donc le moment où le prisonnier
est libéré et est contraint de s'accommoder à la lumière correspondrait à la période
comprise entre la cinquantième et la soixante-dixième année 2 (20ans). Platon
emploie le même verbe pour exprimer les difficultés que rencontre le prisonnier
durant son escalade vers la lumière et pOUT nommer celles que subissent les
hommes d'âge avancé allant vers "l'être qui donne la lumière à toutes choses".
Le temps que le prisonnier met pour s'accommoder à la lumière
(pour
observer le Bien en soi3) est égal à la durée de la charge d'un v0fl.0<l)\\JÀa~. En effet,
"on n'exercera pas plus de vingt ans la charge de gardien des lois, et on n'y sera
pas avant cinquante ans; si l'on y est nommé à soixante ans, on ne l'exercera que
pendant dix ans, et ainsi proportionnellement"4. Cette variabilité de la durée de la
charge du v0fl.0<l>uÀa~ s'explique par le fait que les citoyens parvenus à l'âge
d'occuper cette fonction ne peuvent accéder tous aux postes disponibles; ce qui fait
que parmi les hommes du même groupe d'âge, celui qui occupe cette fonction à
soixante ans aura moins d'années de charge que son compagnon qui aura débuté à
cinquante ans, attendu que l'âge de la retraite obligatoire est fixé à soixante-dix
ans 5 .
Ainsi le citoyen aura appris pendant trente ans (entre la vingtième et la
cinquantième année), pour pouvoir s'accommoder à la lumière et accéder à la
connaissance du Bien en soi. Durant les dix premières années (de 20 à 30 ans) de
cet intervalle de temps, l'étudiant apprend à faire des synthèses et à affermir son
l'esprit critique. Du reste, c'est une préparation à l'étude de la dialectique.
Platon fixe l'enseignement de la dialectique à la trentième année pour la
simple raison que les adolescents "qui ont une fois goûté à la dialectique en abusent
1. Rép., 540 a.
2. Cf. Lois, 755 a.
3. Cf. Rép., 540 a.
4. Lois, 755 a.
5. Cf. Rép., 540 b.
66
et s'en font un jeu (... ) ; ils ne s'en servent que pour contredire "1. C'est pourquoi,
d'après le philosophe, on ne doit pas permettre aux adolescents et aux jeunes gens
de moins de trente ans d'apprendre la dialectique. Mais "arrivé à un âge mûr (... )",
croit Platon, "on ne voudra pas donner dans cette manie"2, c'est-à-dire "contredire
pour contredire".
Au terme de la formation scientifique et philosophique
Platon voit la
nécessité de replonger l'adulte de trente-cinq ans dans la vie active. Ainsi ce dernier
mettra ses connaissances théoriques en pratique. Le retour simulé du prisonnier au
fond de la caverne lui permet non seulement de découvrir et de comparer les àpaTCI
aux VOTlTa inférieurs, mais le prépare aussi à accéder aux VOTlTa supérieurs. Platon
considère ainsi l'expérience comme un des fondements de la sagesse. En effet,
l'expérience acquise durant les quinze ans de vie active est l'un des critères d'accès
aux charges supérieures de l'Etat. Cette mesure platonicienne est restée gravée dans
l'esprit de toutes les constitutions modernes: l'expérience et le mérite demeurent
jusqu'à nos jours les critères fondamentaux pour le choix d'un fonctionnaire
supérieur.
Il Ya deux constations à faire dans cette schématisation du cadre temporel du
système pédagogique platonicien.
Premièrement, à travers le schéma, la vie d'un citoyen prend progressivement
son sens de la petite enfance à la vieillesse. La notion du citoyen parfait se définit
par rapport au temps qu'il a vécu activement. Il est impossible de dissocier les
vertus du citoyen de son expérience individuelle et collective. L'expérience n'est
évaluée qu'à la fin de la formation. De ce point de vue, seuls ceux qui réussissent
aux sélections et qui arrivent à contempler le bien en soi peuvent prétendre avoir
acquis de l'expérience. Par contre, ceux qui n'arrivent pas au terme de leur
formation, bien qu'ils aient une expérience, ne sont pas jugés capables d'occuper
des fonctions importantes dans la cité. La vraie expérience n'est acquise qu'à âge de
cinquante ans.
1. Rép., 539 b.
2. Rép., 539 c.
67
:9
Deuxièment, on peut remarquer que Platon procède par étapes dans le
processus d'acquisition des connaissances et des techniques. Il ne fut certes pas le
premier à trouver ce principe; mais sa manière de l'appréhender nous éclaire sur le
réalisme historique de sa pensée. Il serait inexact d'identifier tout le système de
classification de Platon à celui de l'à'(w'(~ spartiate, quand on sait que cette dernière
s'arrête à la vingtième année. L'à'(w'(~ platonicienne est limitée à cinquante ans.
Jusqu'à la vingtième année, Platon semble avoir repris la tradition spartiate en
divisant cette étape en trois cycles de durée inégale; de la vingt et unième à la
cinquantième année, l'intervalle de trente ans se subdivise aussi en trois cycles de
durée inégale. Remarquons au passage que les trois premiers cycles (avant la
vingtième année) sont scindés en "sous-cycles" de deux à trois ans. La question est
de savoir pourquoi Platon continue à diviser l'à'(w'(~ en cycles jusqu'à la
cinquantième année. A-t-il voulu mettre en relief, dans ce cas précis, l'existence des
classes d'âge dans son système éducatif?
En effet, il y fait allusion en employant le terme d'à'(ÉÀn dans certains
passages des Lois. Henri Jeanmaire place la formation des à'(ÉÀat à l'âge de seize
ou dix-sept ans l (éphébie) en Crète. Platon propose d'instituer des regroupements
dès l'âge de trois ans; la proposition est claire dans ce passage des Lois: "il faudra
réunir", écrit-il, "dans les temples de chaque bourgade, tous les enfants de cet âge,
de trois à six ans (navTa ~ôn Tà TnÀtl<aÜTa natôta, ànà TptETOÜÇ f.lÉXpt TWV f:f.
ÈTWV), tous ceux de chaque bourgade ensemble (... ) ; quant aux nourrices elles-
mêmes et à l'ensemble du troupeau (Tnç à'(ÉÀnç cruf.lnacrnç ), douze femmes, une
par bourgade, seront préposées au bon ordre, élues, pour l'année, parmi les
nourrices qu'auront, nous l'avons dit, instituées les gardiens des 10is"2.
Manifestement le regroupement des enfants commence beaucoup plus tôt dans le
système platonicien que dans celui de Sparte dont le début de rassemblement des
enfants (na {ÔEÇ) se situe à la septième année. Dans ce passage des Lois, deux
remarques s'imposent: la première est de reconnaître l'existence du regroupement
des enfants de même âge dans un même lieu ; la deuxième est que Platon fait une
référence historique lorsqu'il emploie l'expression "~ à'(ÉÀn cruf.lnacra" pour
désigner l'ensemble des enfants (le troupeau).
1. JEANMAlRE (Henri), Couroi et CouTètes ... , p. 425.
2. Lois, 794 a b.
68
A noter qu'à ce stade des regro'upements, il n'existe pas encore une
distinction entre les sexes ; ce qui donne une certaine originalité (dans son
acception) au terme de àyÉÀTl qui, à l'origine, signifia une "bande de garçons de
même âge" 1. C'est à partir de là que l'orientation platonicienne de l'éducation
diffère de celles des époques précédentes dont les institutions plaçaient le sexe
féminin au second plan dans l'éducation. Certes chez Platon, à la fin de la sixième
année, le groupe mixte est scindé en deux suivant les sexes; mais les deux groupes
issus de cette séparation évoluent parallèlement dans leur formation. La désignation
de ces groupes par le terme d'àyiÀal ne viendrait pas seulement de leur
rassemblement en un lieu, mais elle s'explique aussi par le fait que tous les enfants
de cet ensemble ont un âge compris dans l'intervalle allant de la deuxième à la
sixième année. Ici Platon prend l'âge en considération plus que le regroupement lui-
même, d'autant plus qu'il critique les méthodes crétoises dans ce domaine.
En s'adressant à Clinias le Crétois, l'Athénien des Lois s'emporte en disant
que "vous gardez vos jeunes gens au vert comme des bandes de poulains qui
paissent par troupes (oTov
à8pôouç
llwÀouç
tv
àyiÀ~ vEf.l.of.l.ivouç
<!>op~âôaç TOÙÇ viouç 1(f:){T~0"8E)"2. Peut-être, par là-même, Platon rappellet-il
l'organisation des àyÉÀal crétoises connues de la tradition grecque. Toutefois, il
confirme la thèse de Henri Jeanmaire qui voit dans les àyÉÀal des formations
libres3 vis-à-vis de l'autorité parentale. Lorsqu'il emploie VÉOl pour désigner les
"agelatai", Platon donne l'impression de connaître plus ou moins l'âge requis pour
la constitution des àyÉÀal crétoises. Aussi Henri Jeanmaire précise-t-il que "l'entrée
dans "l'agelé " est encore conçue comme se produisant normalement vers dix-sept
ans, puisque, jusqu'à cet âge le jeune garçon est appelé "apagelos ""4. Le sens
d'àyÉÀ Tl est ainsi moins restreint chez Platon que dans les traditions crétoise et
spartiates. Dans la vision platonicienne, le terme d'àyiÀTl peut signifier non
seulement la "bande de garçons" ou de "filles", mais aussi cet intervalle de temps
qui existe entre les différents groupes d'âge. Dès lors le terme d'àyiÀTl ne
s'applique plus uniquement à des bandes constituées à partir de la dix-septième
année, mais il s'emploie aussi pour désigner les groupes d'enfants de trois, de six
ans, ainsi de suite.
1. JEANMAlRE (Henri), Couroi et Courètes ... , p. 425.
2. Lois. 666 e.
3. JEANMAlRE (Henri), Couroi et Courètes
, p. 425.
4. JEANMAIRE (Henri), Couroi et Courètes
, p. 426.
69
L'âge devient ainsi un élément important dans le système~édagogique
platonicien. Le philosophe se demande: "où cette élite de la cité, dont l'âge et aussi
la sagesse font les plus persuasifs des citoyens, chantera-t-elle ce qu'il y a de plus
beau, de façon à faire le plus de bien"J? Ici, l'âge et la sagesse vont de pair. Mais
l'âge confère autant de respect et de distinction aux vieillards que la belle et bonne
chanson leur appartient.
Pour le chant choral, Platon a proposé trois groupes de chœurs dont la
composition obéit au critère de l'âge. De la septième à la trentième année existent
deux chœurs: le premier est composé de natOEç et le second de vÉol2 ; de la trente
et unième à la soixantième année, adultes et vieillards forment un seul chœur. Pour
des raisons techniques, Platon propose la refonte des différentes classes d'âge en
groupes plus ou moins homogènes. Pour ce faire, il a recours au critère d'âge.
Notons au passage qu'il respecte le même principe lorsqu'il édicte
l'abstention totale du vin pour les enfants et adolescents de moins de dix-huit ans,
la modération jusqu'à la trentième année, la liberté au-delà de la trentième3.
Cette rigueur platonicienne apparaît aussi dans l'emploi de certains termes
comme naTç, vÉoç, àv~p et même yÉpwv ou leurs équivalents. Platon est dans
l'oblgation de les préciser souvent par un qualificatif pour les adapter au contexte
dans lequel il les place. Dans le cas précis des chœurs, le philosophe use des
expressions telles que "6 Mouawv xopàç 6 nalolxàç", "6 flÉXpl TPluxovTa ÈTWV",
expressions précisées respectivement par "( ... ) TOlÇ VÉOlÇ ( ... )" et "(... ) TOÙÇ
unÈp TptaXOvTa Enl flÉXpl É~~xovTa YEyovôTaç"4. Là encore Platon précise sa
pensée en faisant allusion à l'âge. Il est manifeste que la première expression
correspond aux natOEç, la deuxième aux VÉOl et la troisième aux avopEç et aux
yÉPOVTEÇ. D'autant plus que d'autres références éclairent les premières. En effet,
Platon emploie des termes dont la signification concorde avec les intervalles d'âge
indiqués. C'est ainsi qu'il met "TOÙÇ naToaç"5 pour ceux qui ont moins de dix-huit
1. Lois, 665 d.
2. Lois, 664 c.
3. Lois, 666 a.
4. Lois, 664 ab: "le chœur des enfants consacré aux Muses", "celui de ceux qui ont moind de
trente ans", et enfin "celui des hommes de trente à quarante ans".
5. Lois, 666 a.3
70
ans, "Tàv vÉov"l et "Tolç VÉOlÇ"2 pour ceux qui se situent entre la dix-huitième et
la trentième année, et enfin "npEcr~uTwv xopaç"3 pour les hommes mûrs. Le
vocabulaire employé dans ces passages est intimement lié à l'âge des concernés.
Les sélections "scolaires et universitaires" reposent sur l'âge des élèves et étudiants.
Platon emploie communément le terme de na{ôEç4 pour désigner ceux qui
sont âgés de un à vingt ans. Aussi insiste-t-il sur cet emploi lorsqu'il rappelle
qu'aux jeunes gens de vingt ans "on présentera, dans leur coordination, les
sciences qui leur ont été enseignées pêle-mêle dans leur enfance (Tà XUÔT]V
flae~flaTa nalcrlv Év T~ nalôEl~ YEvaflEVa TOÙTOlÇ)"5. Il désigne ainsi du nom de
natÔEç tous ceux qui n'ont pas encore atteint l'âge de vingt ans. Pour ceux qui se
trouvent dans l'intervalle de la vingtième à la trentième année, il emploie, pour les
nommer, le terme de vÉol6. C'est une manière de préciser l'âge de ceux qui vont
s'adonner à la dialectique. L'éducation doit, selon notre philosophe, apparaître à
l'enfant comme un jeu (na{ÇovTaç TpÉcj>E)7.
Mais, il trouve que si on le laisse faire, le vÉoç confondrait la dialectique avec
le jeu (wç nalôl~ aùTolç xaTaxpwYTal"8 ; "Tàv nalôlaç xaplv na(ovTa xal
àVTlÀÉyovTa)"9. C'est la raison pour laquelle le législateur fixe l'enseignement de
la dialectique à la fin de la trentième année, âge qui annonce l'ère du
"npEcr~lhEpOÇ"10. En effet à ce stade de l'existence, les jeunes gens ne sont plus en
proie aux discussions inutiles. A trente-cinq ans, le citoyen est obligé de "remplir
des emplois militaires et toutes les fonctions propres aux jeunes gens (xa t
àvayxacrTÉOl àPXElV Tà TE nEpl Tàv naÀEflOV xal ocral vÉwv àpxat (... »)"11.
Malgré cette réconversion, il ne perd pas son épithète de "npEcr~uTEpoÇ", qualificatif
qui indique sa véritable classe d'âge.
1. Lois, 666 b. 2
2. Lois, 664 c. 8
3. Lois, 665 b. 3
4. Rép., 536 c 6 ; 537 a. 5.
5. Rép.• 537 c.
6. Rép., 539 b.
7. Rép., 536 e.6.
8. Rép., 539 b.
9. Rép., 539 c.
10. Rép., 539 c.5.
Il. Rép.. 539 e.
71
..~
Lorsqu'il subdivise l'évolution biologique de l'homme en enfance, jeunesse,
âge mûr et vieillesse, Platon ne s'écarte pas de la tradition grecque. li met en relief
l'importance des groupes et des classes d'âge dans le cadre temporel de son
système pédagogique. Aussi fut-il obligé de recourir à des termes propres qui
servaient à désigner les groupes d'âge dans les traditions crétoise et spartiate. Avec
Platon, le terme d'àyÉÀl1 prit un sens large sans perdre pour autant sa première
signification, à savoir "une troupe" ou une "bande" de garçons de même âge. En
effet, dans les textes des Lois, àyÉÀT] désigne les groupes d'enfants sans distinction
de sexe. Par conséquent, il est logique que le même terme puisse désigner tout
groupe d'âge qui se forme, suivant le sexe, à partir de la sixième année. C'est ainsi
que, contrairement à ce qui existait chez les Crètois et chez les Spartiates, Platon
institue la formation des groupes d'âge composés uniquement de jeunes filles
comme on les trouve en Afrique noire traditionnelle.
Cette étude nous aura surtout permis de saisir l'importance et la place de l'âge
dans le système platonicien. Pas une seule discipline n'est enseignée à des enfants
de groupes d'âge différents ; à chaque âge correspond un programme précis,
dispensé lui-même dans des lieux précis.
b ) Le cadre spatial
Ce serait une erreur que de vouloir dissocier l'éducation platonicienne du
cadre spatial: d'autant plus que toute l'étendue de la nÔÀtç (nôÀtç et xwpa) est
l'objet d'une exploration munitieuse de la part des jeunes gens désignés pour la
garde du territoire 1. Dans ce sous-chapitre nous nous limiterons au monde visible
que Platon assimile à la partie interne de la caverne2. Dans La République comme
dans Les Lois, il essaie de résoudre le problème de l'unité sociale et politique par
l'unité territoriale de la cité.
Platon sait que bon nombre de critères entrent dans la fondation d'une
nouvelle cité. Et il le prouve en exhortant ainsi: "ne tombons pas non ,plus" , écrit-
il, "à propos des sites (m:pt TOnWY) dans l'erreur de croire qu'il n'yen ait pas de
1. Lois, 760 b c.
2. Rép., 517 b.
72
;
plus aptes que d'autres à faire des nommes meilleurs ou moins bons (Tà YEvviiv
av9pwT1oUÇ af.LElvouç Kat Xdpouç)" 1. Dans ce passage Platon subordonne les
vertus éducatives à celles du milieu. En réalité, l'influence du site sur la formation
des enfants est d'autant plus diverse qu'elle s'identifie aux effets des vents, des
eaux, des produits de la terre sur la croissance et la santé du corps, et sur l'âme2.
L'emplacement de la cité (située non loin de la mer: 80 stades) procure aux
citoyens un équilibre climatique assorti de la rencontre des vents continentaux et
maritimes. Plus on est près de la mer, plus on est exposé à des changements
brusques de temps qui entraînent des perturbations dans l'équilibre physique de
l'homme.
La situation de la cité à quatre-vingts stades de la mer obéit aussi à des
considérations morales. Même à cette distance, Platon demeure intransigeant dans
la fréquentation des ports par les marins étrangers. En effet, "elle est, sans doute",
écrit-il, "un peu trop près de la mer, d'autant plus que tu la dis pourvue de bons
ports ; mais enfin il faut se contenter même de cela"3. Ainsi se méfie-t-il
indirectement des marins étrangers de "mœurs instables et malhonnêtes"4.
Certainement le Pirée lui sert de référence dans cette attitude de répugnance. La
légendaire légereté des marins qui sont le plus souvent d'origine étrangère, la
cupidité des commerçants dont le gain est le seul souci, sont peut-être les
principales causes du refus de Platon de voir ces catégories d'hommes dans la cité
idéale des Lois. Excepté dans le domaine des connaissances, la cité platonicienne
des Lois est fermée à toute influence extérieure. C'est la raison pour laquelle
l'Athénien est satisfait d'entendre le Crétois Clinias dire que dans le voisinage de la
nouvelle cité il n'y avait aucune autre agglomérations.
La topographie de la cité idéale des Lois convient presque à tous les exercices
physiques et guerriers que Platon prévoit dans la formation des citoyens. Mieux, il
préconise l'adaptation de ces excercices à la nature du terrain6. C'est dans ce cadre
que le législateur instaure la garde du territoire. Cette exploration qui dure deux ans
1. Lois, 747 d.
2. Lois, 747 d.
3. Lois, 704 d-705 a.
4. Lois, 705 a.
5. Lois, 704 c.
6. Lois, 625 d.
73
pour les ViOl aboutit à la "connaissance du territoire tout enti'~r"l. Le programme
est très varié pendant cet intervalle de temps, d'autant plus que les ViOl auront à
respecter un emploi de temps établi selon les mois et les saisons de l'année. En
effet, ils doivent connaître, outre la "topographie", les "conditions de chaque
contrée à chacune des saisons". Pour ce faire, les ViOl procédent par la droite pour
explorer durant un mois chaque région; et ils feront un an (12 mois) pour visiter
l'ensemble des contrées (au nombre de 12) ; et par la gauche en suivant la
circonférence avec le même emploi de temps, afin de compléter leurs connaissances
géographiques par des leçons sur les différents climats du pays.
Ainsi donc par son climat, ses produits, son ouverture contrôlée au monde
extérieur et par sa topographie le site de la cité idéale des Lois contribue à la
formation physiqque et morale des citoyens.
Hormis ces considérations, le site de la Cité idéale a été choisi pour ses
capacités d'abriter des édifices, et des structures scolaires et d'entraînement à la
guerre. Platon prend soin de bien situer, par rapport au centre de l'acrTu, des
structures d'accueil adaptées à toutes les disciplines. Toutefois, ces disciplines
peuvent, suivant les circonstances, être enseignées ailleurs dans l'aire de la nô). lÇ.
L'espace familial est le premier cadre pédagogique du système éducatif
platonicien. Il est difficile de la délimiter dans l'espace2. L'attribution des parcelles
aux citoyens permet à chaque famille d'assumer l'éducation de ses jeunes
membres 3. C'est principalement dans cette aire que débute l'éducation (assurée à ce
stade par les femmes). Bien qu'elle soit restreinte et qu'elle soit limitée dans son
action pédagogique, la famille chez Platon a les mêmes rôles que la famille riégro-
africaine. Pour l'enfant, l'espace familial est la première structure d'accueil qui
s'identifie à un univers riche en objets et où tout lui appartient.
C'est par étapes successives que l'enfant découvre le territoire de la nÔÀtç.
Platon attache une grande importance au regroupement des enfants de bas âge. Par
conséquent, l'aménagement des lieux d'accueil fut l'une de ses premières
1. Lois, 760 c.
2. Les promenades qu'on fait faire aux poupons, de la maison à la campagne, rendent difficile la
délimitation de l'espace familial.
3. Lois, 739 e; 740 a.
74
préoccupations pédagogiques. Dans la cité idéale de La République, Platon ne fut
pas très précis dans l'emplacement des édifices et des terrains d'entraînements: "Ev
TtVt
IlÉpEt TTiÇ n6ÀEwç" 1. En effet,
il ne fait qu'une
allusion à un lieu de
rassemblement lorsqu'il propose que les femmes, chargées de la surveillance des
poupons, "portent au bercail (dç Tàv crr]J<év) les enfants des citoyens d'élite"2. Le
terme de crr])<éç désignerait ici "une enceinte d'un sanctuaire"3. Cette mesure
platonicienne est assez précise dans Les Lois où le philosophe préconise de
rassembler les enfants de trois à six ans dans des temples de chaque bourgade
(cruvtÉvat oÈ dç Tà xaTà xWllaç iEpà OEl nclvTa ~OTl Tà TTlÀtXaÜTa natOla ... )4.
Le temple correspond ici au deuxième cadre pédagogique que l'enfant
découvre dans l'espace de la néÀtç. Il constitue un symbole de l'éducation
religieuse chez Platon. On pourrait y voir aussi un symbole de la tranquillité, vu le
caractère sacré du temple. Au demeurant, il est une sorte de jardin d'enfants dont
Platon fut le premier à jeter les bases dans l'antiquité hellénique. Ainsi le temple
prend le relais de l'espace familial dans l'éducation des enfants, à la seule différence
que les femmes qui surveillent les poupons sont nommées par le législateur. Leur
présence rend ce lieu encore plus serein.
A l'âge de six ans, en quittant les temples transformés quotidiennemnet en
jardins pédagogiques, les enfants découvrent d'autres structures d'accueil plus
vastes et adaptées à leur programme de formation. En effet, "nous avions prescrit",
écrit Platon, "de construire des gymnases aussi bien que des écoles en trois endroits
dans le centre de la cité, et, de même, pour l'équitation, au dehors, en trois endroits
autour de la cité, des gymnases et des terrains d'exercices que l'on recommanderait
pour le tir à l'arc et autres tirs à longue distance, à la fois pour instruire et pour
entraîner la jeunesse"5. Dans ce passage, on distingue des lieux destinés à
l'enseignement théorique et des terrains appelés à accueillir ceux qui s'adonnent aux
excercices physiques et guerriers.
Remarquons au passage que Platon emploie dans la même phrase néÀ tç et
acrTu pour donner la situation exacte des écoles et des terrains d'exercices.
1. Rép., 460 c.2.
2. Rép., 460 c.
3. CHANTRAINE (pierre), Dictionnaire étymologique de la langue grecque, p. 997.
4. Lois, 794 a.
5. Lois, 804 c.
75
Lorsqu'il écrit ")(aTà f-liOTlv T~V nÛÀ tv" l, Platon se situe par rapport à l'ensemble
du territoire de la nOÀ tç. Cependant, le centre de la nOÀ tç ne peut être autre que le
centre de l'èicrTu, agglomération principale de la nOÀ tç des Lois. En effet, la nOÀ tç
c'est l'ensemble constitué par l'èicrTu et les régions (xwpat). Mieux, l'expression
"m;pt Tà èicrTU" donne des précisions sur la situation géographique de l'èicrTu : ici, il
faut voir l'èicrTU comme une agglomération dont la forme circulaire (mise en relief
par m;pt) constitue un cercle au milieu du grand cercle de la n6À tç 2. Cette
précisition sur la situation géographique de l'èicrTu permet de repérer l'emplacement
les écoles et des lieux d'exercices.
L'aire de la n6Àtç est, en effet, divisée en douze parties suivant les douze
tribus, et l'èicrTu est scindée en douze quartiers. L'emplacement en trois endroits, à
l'intérieur et à l'extérieur de l'èicrTU, des espaces pédagogiques, fait que les douze
quartiers se regroupent en quatre grands ensembles. Platon ne précise pas du tout le
nombre d'écoles et de gymnases aux endroits indiqués. Ce qui laisse croire que
l'on peut édifier, autant que possible, des structures d'accueil en un même endroit.
L'emplacement des écoles publiques au centre de l'èicrTu où l'on donne
certainement l'enseignement musical, littéraire et artistique, facilite aux enfants le
déplacement vers ces lieux. Car"dès que revient la lumière du jour", écrit Platon,
"il faut que les enfants se rendent à l'école (npàç ôtôacr)(aÀouç)"3. Les trois endroits
où sont aménagées les écoles deviennent des points de convergence pour les
enfants de l'èicrTu. La principale innovation platonicienne dans ce domaine est
d'avoir assigné trois parties du centre de l'èicrTu aux besoins pédagogiques.
Platon propose que des terrains d'équitation et d'exercices gymniques soient
aménagés en trois endroits en dehors et autour de l'èicrTu. Ces emplacements ont
l'avantage de permettre aux athlètes de s'exercer librement. A la différence des
écoles du centre de la cité, les terrains d'entraînements ne sont pratiquement pas
délimités dans leur surface. En effet, l'emploi du terme de EÙpuXWpta (espace
ouvert) est édifiant. L'équitation, le tir à l'arc et d'autres exercices ne peuvent, vu
leurs caractères violents, s'effectuer à l'intérieur de l'èicrTU. Ainsi la fixation de la
durée des cycles d'études repose sur les groupes et les classes d'âge des citoyens,
alors que l'emplacement des écoles, des gymnases et des terrains d'exercices
militaires obéit à la structure architecturale de la nOÀtç et de l'èicrTu.
1. Lois, 804 c.
2. Cf. WORONOFF (Michel), "Ville, cité, pays dans les Lois" in Ktéma n° 10. (1985). pp. 71-
74.
3. Lois, 808 d.
76
)
I. 2. 2. La liberté de
fixation
des
temps
d'initiation
et
mobilité de l'espace pédagogique en Afrique.
a ) La liberté de fixation des temps d'initiation.
Dans la tradition négro-africaine les principaux repères de la durée de
l'évolution et de la croissance biologiques d'un individu sont l'enfance (cukaku), la
jeunesse (cagataagal), l'âge mûr (mângu) et la vieillesse (naewu). La notion de
temps est indissociable de l'évolution bilogique de l'homme. Et en Afrique noire,
. on tient compte de tout cela pour établir son emploi de temps au rythme des jours,
des nuits et des saisons.
Que ce soit dans les sociétés hiérarchisées ou sans castes, l'intégration sociale
des enfants obéit toujours à leur évolution biologique. En Afrique noire, on veille,
comme cela se passe dans la cité platonicienne, sur la formation physique de
l'enfant et sur sa santé dès sa conception. Le Négro-africain cherche par tous les
moyens à préserver la vie du futur bébé et de la femme enceinte. Pendant cette
période, les intéressés ont recours à la religion qui "veille sur lui (l'enfant) durant
les neuf mois de sa formation physique dans l'obscurité du sein maternel, car la
femme en état de grossesse est soumise à des rites prescrits par la croyance"l.
S'ajoutent à cette couverture religieuse bon nombre de pratiques et de précautions
allant dans le sens de la bonne formation physique du futur bébé.
De la naissance à l'âge de SIX ou sept ans, l'enfant demeure sous la
surveillance de sa mère et de ses proches. Cet intervalle de temps correspond à un
bon nombres de rites2 ; et c'est une étape qui nécessite une surveillance permanente
de la part de l'adulte.
1. HAM PATE BA (Amadou), Préface Textes sacrés d'Afrique noire. ( GermaineDIETERLEN),
Paris, 1965. p. 11.
2. Parmi les plus connus on peut citer les cérémonies de la section du cordon ombilical, de la
coupe des cheveux, de l'exposition au soleil. au clair de lune etc.
77
.~
De la septième à la douzième (ou treizième) année, l'enfant est laissé en
liberté. C'est durant cette période que filles et garçons, déjà séparés 1, s'adonnent
aux petits travaux relatifs à leurs futurs métiers et se regroupent pour jouer.
Néanmoins, l'enfant reste encore sous la surveillance de ses parents. C'est à partir
de la treizième année que ses occupations deviennent plus précises dans la vie de
tous les jours.
La quatrième étape va de la treizième à la vingt-cinquième année, en ce sens
que le mariage se célèbre très souvent entre vingt et vingt-cinq ans pour les jeunes
gens, et entre dix-huit et vingt ans pour les filles. Il est possible de diviser cette
étape en deux périodes: la première irait de la treizième à la dix-septième année,
intervalle de temps où l'on fixe en général la circoncision et l'excision, et où l'on
place l'initiation aux techniques et sciences coutumières ; la deuxième
s'échelonnerait sur huit ans, de la dix-huitième à la vingtième année Incluse,
période où les jeunes filles et les jeunes gens se préparent à foncier des foyers
(joyre). L'interférence entre la puberté sociale et la puberté physique rend difficile
la délimitation des attributs et des occupations des filles et des garçons de cet âge.
De la vingtième à la cinquantième année, hommes et femmes assument leurs
responsabilités respectives dans les foyers. Mais leurs expériences relèvent à la fois
de leurs places au sein de la famille et au sein de la société. Plus ils avancent en âge,
plus on tient compte de leur expérience personnelle. C'est à l'âge de cinquante ans
au moins qu'hommes et femmes sont qualifiés de vieux ou de sages. A ce stade de
la vie, ils ont une grande place dans l'éducation morale des enfants auxquels ils
servent de bibliothèques vivantes et mobiles.
La dernière étape commence à cinquante ans et se termine avec la mort
physique de l'individu.
La division de l'évolution biologique de l'homme en cinq séquences
temporelles a son importance dans l'éducation négro-africaine. En effet, dans les
toutes les langues d'Afrique existent des termes avec lesquels on désigne ces
différentes étapes. D'ailleurs, dans certaines langues, les précisions sont telles que
1. ERNY (Pierre) remarque quOI' à partir de six ans, garçons et filles se séparent nettement; les
intérêts et les occupations diffèrent. les uns devenant de petits bergers, les autres s'adonnant aux
travaux de ménage", L'enfant et son milieu ... , p. 40.
78
chaque membre de la société se reconnaît et se situe dans le temps par rapport à
l'âge de ses aînés ou de ses cadets. Dans son étude sur la société Dogon, Denise
Paulme écrit, en faisant référence à la langue dogon, que "de l'initiation à la
vieillesse, l'individu passe par quatre stades: à l'adolescent, i dele , succède bientôt
l'homme jeune, sagadara ; celui-ci avance en âge et devient lui-même un homme
mûr, inne dele, auquel fait enfin suite le vieillard, inne pey "homme vieux", ou
inne na, "homme grand" '. L'auteur fait omission du stade de l'enfance dont le sens
se reflète dans le groupe nominal qui désigne l'enfant lui-même : i dagi .
Apparemment, cette terminologie se rapporte au sexe masculin, mais le sexe
féminin y retrouve sa classification à une différence près : ya dele
(une
adolescente), ya gule "une jeune femme", yana dele (femme mûre: adulte) yana
pey ou yana na (femme vieille). Le groupe nominal i dagi désigne l'''enfance'' pour
les deux sexes.
La distinction de ces différentes phases de l'évolution biologique de l'homme
est très claire en Pular : l'enfance et l'adolescence (cukaku), la jeunesse
(cagataagu), l'âge mûr (mâgu) et la vieillesse (naewu). Chez les Toucouleurs on
aime à se rappeler souvent les exploits de sa jeunesse (e cagataagalam ... ) ; mais on
emploie surtout la formule e cagataagalamen (pendant notre jeunesse) afin de
respecter l'esprit de son groupe d'âge et celui de tous ceux qui ont eu à vivre leur
jeunesse à la même période. Aussi reste-t-il à savoir pourquoi la même formule (e
cagataagalamen) permet de faire référence à deux catégories de groupes
nommément différents.
Michel Woronoff a souligné l'existence, dans les sociétés agraires, de "deux
grandes structures, à la fois complémentaires et opposées. L'une verticale, c'est le
système bien connu des lignages, l'autre est l'organisation horizontale des classes
d'âge qui reproduit le rythme biologique de la vie humaine"2. Dans le cadre des
classes d'âge, Denise Paulme note la présence, en Afrique subsaharienne, de "deux
grands types possibles de systèmes de classes d'âge (... ) : systèmes "linéaires" et
systèmes "cycliques"3. Mieux, elle précise qu' "en régime cyclique le nombre des
promotions est invariable et les noms qui les désignent immuables (... )" et qu' "en
1. PAULME (Denise), Organisation sociale des Dogon, Paris, 1940. p. 243.
2. WORONOFF (Michel). "Structures parallèles de J'initiation des jeunes gens en Afrique noire et
dans la tradition grecque", in Afrique noire et Monde méditerranéen dans l'Antiquité (Dakar-
Abidjan, J978). pp. 237-238.
3. PAULME (Denise), Classes et Associations d'âge en Afrique de l'Ouest, Paris, 1971. p. 14.
79
régime linéaire les classes successives très souvent demeurent anonymes et ne se
distinguent que par le degré qu'elles ont atteint dans l'échelle des grades"l. La
différence des deux régimes relève non seulement de leur organisation, mais aussi
de l'acception qu'on se fait de la "classe d'âge".
Dans le régime "cyclique" une "promotion" regroupe toujours les enfants des
membres d'une "promotion" plus ancienne. Ainsi le tenne de classe d'âge soulève
ici une équivoque, en ce sens que le recrutement obéit à un principe qui n'est pas
celui de l'âge physique: la classe d'âge de l'enfant est toujours fixée en fonction de
celles de ses parents. Dans ce cas, 1'âge pris en considération est donc un âge
"social"2. Bien qu'elle ait préféré le tenne de "promotion" à celui de "génération",
Denise Paulme reconnaît que les Africains emploient ce dernier pour traduire
"classe d'âge". Le terme de "génération" semble assez convenable, dans la mesure
où "les membres d'une promotion quelconque connaissent successivement le statut
"d'enfants" (jeunes gens), celui de "guerriers", puis "d'hommes mûrs", enfin de
"vieillards""3. Manifestement ce que Denise Paulme apelle ici "promotion" ou
"classe d'âge" s'identifie à un stade de l'évolution biologique de l'individu. En
Afrique, on considère moins l'âge individuel des membres d'une classe d'âge que
celui de la génération dont ils font partie.
Dans le régime "cyclique" comme dans le régime "linéaire", Denise Paulme
trouve que "chaque promotion, formée durant l'adolescence, doit au cours de son
existence suivre un même parcours, franchir les échelons successifs"4. Là, elle met
l'évolution des classes et celle des groupes d'âge sur le même plan; ce qui est
contraire à la réalité.
Le groupe d'âge, plus indépendant dans le régime "linéaire" que dans le
régime "cyclique", est un rassemblement de compagnons de jeux nés tous à la
même période ou à un an d'écart entre les uns et les autres. Pour évoquer son
groupe d'âge, le Toucouleur dira feddam (mon groupe d'âge), en ce sens qu'il
forme avec ses compagnons un fedde
(un groupe d'âge). Yaya Wane5 et
l. PAULME (Denise), Classes et Associations d'âge
, p. 14.
2. PAULME (Denise), Classes et Associations d'âge
, p. 204.
3. PAULME (Denise), Classes et Associations d'âge
, p. 208.
4. PAULME (Denise), Classes et Associations d'âge
, p. 14.
5. WANE (Yaya), Les Toucouleurs ... , pp. 27-29.
80
,~
Abdoulaye-Bara' Diopi donnent indistinctement àfedde le double sens de classe et
de groupe d'âge. Dans son étude sur les classes d'âge chez les Malinké de
Kédougou, Paul Charest dénombre "8 groupes d'âge masculins ou boro-lu (sing.:
boro) englobant tous les individus mâles de leur naissance à leur décès. Mais,
seulement 4 de ces groupes fonctionnent véritablement comme des classes d'âge"2.
L'auteur subdivise ces 8 groupes en 3 pré-classes et en 5 classes proprement dites.
Les "pré-classes" se présentent ainsi: le groupe susula boro (garçons âgés de 1 à 5
ans environ), le mankara boro (garçons de 5 à 10 ans) et le kuntan boro (de 10 à
15 ans). Les 5 "classes d'âge" se composent des soliman-lu (groupe de 15 à 20
ans environ), des kamarin-olu (de 20 à 28 ans), des gulu tala (de 25 à 35 ans), des
bantanba tiro-lu ( de 30 à 35 ans) et du groupe terminal sukeba (de 35 ou 40 à la
mort ). Paul Charest décrit manifestement, par ce qu'il appelle pré-classes et classes
d'âge, des groupes d'âge qu'on pourrait facilement répartir à travers les stades de
l'évolution biologique de l'homme.
Prenons un autre exemple d'étude pour illustrer cette thèse. Monique Gessain
a trouvé que chez les Bassari "les hommes appartiennent successivement aux
groupe de ringeta (A), lemeta (B), lug (C), falug (D), Dyar (E), eketok (F),
epidor (G), enyepaleng (H) et epeshbinyan
(1), après quoi ils ne sont plus
désignés que sous le nom de "vieux" 3" et que les femmes appartiennentdès
l'adolescence à des groupes d'âge: endolug (C), endopalug (D'), endodyar (E'),
endobetya (F), endozebekebetya
(G'), endokored
(H'), endokeing
(l'),
endopeka (J'), endezebekepeka (K')4. Là, l'auteur indique la possibilité de les
regrouper, et cela de la manière suivante: "les groupes d'âge dont nous venons de
décrire le fonctionnement", continue Monique Gessain, " se laissent facilement
regrouper en groupes d'enfants (A et B chez les garçons, C et les plus jeunes D'
chez les filles), des jeunes gens (C et D, D' les plus âgées, E' et F n'ayant pas
accompli dyalinemo), d'adultes (des Eaux l et des F' ayant accompli dyalinemo
jusqu'aux K') et enfin de vieillards (sans désignation propre)"5.
1. DIOP (Abdoulaye Bara), Société toucouleur... , pp. 27-34.
2. CHAREST (Paul), Les classe d'âge chez les Malinkés animistes de Kédougou (Sénégal
Oriental) in Classes et Associations d'âge ... , p. 134.
3. GESSAIN (Monique), Les classes d'âge chez les Bassari d'Etyolo (Sénégal oriental), in Classes
et Associations d'âge ... , p. 160.
4. GESSAIN (Monique), ibidem, p. 166.
5. GESSAIN (Monique), ibidem ... , p. 177.
81
L'ensemble des groupes d'âge allant je zéro à quinze ans constitue la classe
d'âge des enfants (enfance), celui de quinze à trente ans forme la classe des jeunes
gens Ueunesse) ; la classe des adultes (maturité) est composée de groupes dont
l'âge moyenne se situe entre trente et cinquante ans, alors que celle des vieillards
termine la pyramide avec des groupes d'âge informels. Parallèlement à la
classification des individus mâles existe celle des femmes 1. Cependant, ces
dernières sont de quelques années plus jeunes que les membres de la classe
masculine correspondante. Yaya Wane rappelle avec précision que "chaque classe
d'âge masculine (jedde 2worde) aura pour complèment une classe féminine (jedde
rewre). Et toute classe considérée formera avec celle qui précède (jedde dow) et
celle qui suit (jedde les), la trinité de la génération sociale au sens large. Génération
sextuplement composée, au reste, puisque les trois classes masculines
correspondent à trois classes féminines qui les complètent"3. Dans ce passage,
Yaya Wane évoque l'organisation des groupes d'âge (pelle: pluriel defedde) en
classes d'âge (yontande) dont le sens orrespond à celui de "génération" en français.
Le groupe d'âge formel ou informel se définit comme un rassemblement
restreint de compagnons ayant à peu près le même âge, nés dans un même lieu.
C'est cette cellule qui est à base de la formation d'une classe d'âge.
La définition (souvent confuse) de ces deux institutions a ses répercussions
dans les études relatives aux rites d'initiation et de passage.
En effet, le groupe et la classe d'âge sont intimement liés à certains rites de
passage et d'initiation. Il est vrai que "le groupe d'âge accède d'une classe à l'autre,
en affrontant des rites de passage"4. Mais il y a nuance.
Comme dans une classe d'âge existent plusieurs groupes d'âge qui se
succèdent dans un intervalle de deux ans environ, il est évident que des rites de
passage célébrés par les groupes cadets de la classe ne permettent pas à ces derniers
1. GESSAIN (Monique) : ils se composent ainsi: -susula boro ; -mankara boro ; (A) soliman
sunkutu : "futures excisées" ; "épouses" des soliman-lu; (B) nyama boro : "épouses" des
kamarin-olu ; (C) kumba boro : "épouses" des gulu tala; (D) sira boro : "épouses" des
bantamba tirolu .. (Z) sorundin mllsolu : "épouses" des sukeba .
2. Nous ne cautionnons pas ce terme pour traduire classe d'âge en français. En effet, le fedde qui
réunit des compagnons d'âge ne peut désigner que le groupe d'âge.
3. WANE (Yaya), Les Toucouleurs ... , p. 18.
4. WORONOFF (Michel), "Structures parallèles ... , p. 238.
82
}
d'accéder automatiquement à la classe d'âge supérieure. Prenons l'exemple d'uri
groupe formé d'adolescents dont la moyenne d'âge est de quatorze ans. Ils
subissent tous, à cet âge, le rite de circoncision. Dans la pensée négro-africaine, ils
sont virtuellement "adultes", mais ils ne font pas encore partie intégrante de la
classe d'âge des adultes (maturité). Ainsi l'adolescent circoncis fait-il encore partie
de la classe d'âge des adolescents. Dans son étude sur les Bassari d'Etyolo,
Monique Gessain concluait que "si le système de classe, dans la société bassari,
semble teinter la plupart des activités sociologiques, économiques et religieuses, il
ne faut cependant pas oublier que ni la circoncision, ni l'excision, ni dans certains
cas l'initiation, ni le mariage (auquel les Bassari reconnaissent pour les femmes le
rôle qu'a l'initiation pour les hommes) ne sont rites de passage de classe et que
l'entrée aux ambolor des garçons (et dans une certaine mesure des filles) et
l'initiation sont fonction de maturité individuelle plus que d'âge, de classe ou de
date" 1. Ainsi l'initiation ne correspond pas forcément à un âge fixe et immuable.
Dans son ouvrage Les Rites de passage, Arnold Van Gennep a contribué à la
confusion à travers sa schématisation des rites. En effet, dans le chapitre II qu'il
intitule "passage matériel", il se propose de "nommer rites préliminaires les rites de
séparation du monde antérieur, rites liminaires les rites exécutés pendant le stade de
marge, et rites postliminaires les rites d'agrégation au monde nouveau"2. Ce
schéma, précise-t-il, intéresse "toutes les cérémonies qui accompagnent le passage
d'une situation magico-religieuse ou sociale à une autre "3. Ces trois phases, il faut
le reconnaître, sont les moments symboliques de la célébration du rite lui-même.
L'initiation, dont la durée se limite à ces trois phases, symbolise en apparence
le passage d'un stade biologique à un autre, sans que cela se passe réellement dans
les faits. Les mariages qui, par exemple, se contractent dès l'enfance et qui sont
l'occasion de cérémonies dignes de l'événement sont des rites de passage. Mais
leur célébration ne permet pas aux époux-symboles de se considérer comme des
adultes. Et dans ce contexte, on doit "distinguer la puberté physique de la puberté
sociale"4. Ainsi Arnold Vann Gennep reconnaît implicitement que la célébration
d'un rite ne correspond pas toujours à un âge précis et fixe. "Qu'il existe cependant
1. GESSAIN (Monique), Classes d'âge chez les Bassari ... , p. 181.
2. VAN GENNEP (Arnold), Les Rites de passages. Paris, 1909. p. 27.
3. VAN GENNEP (Arnold), Rites
, p. 24.
4. VAN GENNEP (Arnold), Rites
, p. 97.
83
des rites de la puberté physiologique", continue-t-il, "lesquels dans quelques rares
cas coincident avec les rites d'initiation, c'est ce que je suis loin de nier" 1.
Les rites et leur célébration pennettent au néophyte de poser symboliquement
sa candidature au grade de la classe supérieure. Dans cette perspective, les rites
d'initiation ont le rôle de préparer l'initié à ses futures fonctions sociales, mais non
pas comme on l'a imaginé jusqu'à nos jours : à savoir dès qu'il sort d'un camp
d'initiation l'adolescent est automatiquement membre de la classe des adultes.
L'initiation ne fait que poser sa candidature dont on est sûr de la bonne issue.
C'est en considérant toutes ces données que l'on comprend le problème qui
se pose à tous les éducateurs en Afrique noire traditionnelle, à savoir la fixation du
temps dans le cadre pédagogique.
La première difficulté émane de la composition du groupe d'âge dont les
membres n'ont pas toujours le même âge. Cela fait que ceux qui sont plus âgés sont
souvent initiés avec les membres du groupe d'âge précédent. Du reste, les écarts
d'âge influencent toujours l'éducateur dans la fixation des dates et de la durée des
initiations.
Les saisons et leur succession sont d'une grande importance dans la fixation
des temps d'initiation. Malgré quelques exceptions, les initiations sociales sont
généralement fixées après les récoltes. Il est vrai que le choix de cette période a une
justification économique, mais il relève aussi des considérations magico-
religieuses. Autrement, dans certaines sociétés africaines, l'intervalle de vingt ans
entre les initiations serait inexplicable. En effet, cet intervalle de temps obéit aux
traditions préétablies pour des raisons diverses par les Ancêtres. Ainsi la thèse de
l'économie ne peut être retenue comme une explication globale de la question; elle
éclaire sur un seul aspect. La présence des hommes ou des femme dans les camps
d'initiation relève d'un pur formalisme. Son explication viendrait du fait qu'au
moment de la précédente initiation ces adultes n'avaient pas encore atteint l'âge
requis, et à la date où l'on célèbre la suivante ils ont dépassé l'âge limite. Ce
phénomène est inhérent au régime "cycliques" des classes d'âge.
1. V AN GENNEP (Arnold), Rites ... , p. 96.
84
)
Le même problème se pose dans la fixation de la durée de l'initiation. Là
aussi tout dépend de ce qui est entrepris durant l'initiation; la durée de réclusion
peut varier entre 3 mois et 7 ans!. Les activités des initiés tiennent de celles que l'on
trouve dans leur société d'origine. En effet, d'une région à une autre les conditions
climatiques ne sont pas les mêmes et nécessitent des techniques plus ou moins
distinctes, selon qu'on vit dans la forêt dense, dans la savane ou même dans les
steppes. Rien de plus normal alors que de voir la durée des initiations variée d'une
société à une autre, et cela en fonction des sciences et des techniques à apprendre à
l'intérieur des camps.
Ainsi entrent dans la fixation des temps d'initiation non seulement "le rythme
biologique de la vie humaine", mais aussi des facteurs sociologiques, économiques
et même climatiques. C'est ce qui fait que l'éducateur fixe les temps d'initiation
sans critères très précis.
C'est durant leur réclusion que les initiés approfondissent certaines
techniques de guerre, de chasse, et apprennent à connaître la géographie et l'histoire
de leur territoire. L'étendue de certaines contrées nécessitent plusieurs mois voire
plusieurs années pour que les initiés arrivent à les explorer. La question est de
savoir quelle importance on accorde au cadre spatial dans les systèmes éducatifs
traditionnels de l'Afrique noire.
b ) La "mobilité" de l'espace pédagogique en Afrique noire.
En Afrique nOIre traditionnelle, l'espace pédagogique se confond avec
l'ensemble du territoire considéré. Le village constitue l'unité territoriale et
politique2 dans la tradition négro-africaine. L'espace restreint de la concession
familiale qui fait aire unique avec le village est le premier cadre pédagogique que
découvre l'enfant. C'est au cours de l'initiation pubertaire qu'il se familiarise avec
la topographie et la géographie de son pays.
En Afrique noire, le cadre familial ne peut être défini comme un milieu fermé
au monde extérieur. Son unité avec l'aire du village s'explique par les liens de
1. Cf. MENGRELIS (Th.), "L'initiation chez les Guerzés", in Notes africaines, n029, Janv.,
1946. pp.22-25.
2. Cf. CHAREST (Paul), "Classes d'âge ... , p. 132.
85
parenté et d'amitié qui existent 2ntre les habitants. C'est à ce titre que l'enfant passe
de concession en concession sous la surveillances des adultes. Ainsi la zone
d'évolution de l'enfant paraît changeante (mobile) à l'intérieur même du village. n
joue et évolue librement dans les différentes concessions du village. P~ut-être,
dans ce cas précis, ne distingue-t-il pas le milieu familial de celui des autres. Mais
on peut dire que la concession familiale est le premier espace pédagogique que
découvre l'enfant.
Il n'est pas de village où il n'existe pas d'espace ludique public. La plupart du
temps cet espace est aménagé au milieu du village. Et c'est là que des bandes
d'enfants et d'adolescents se rencontrent quotidiennement ou à l'occasion des fêtes.
Certes, il est difficile d'identifier cette place publique à un espace pédagogique, vu
ses diverses fonctions ludiques, politiques et religieuses. Mais par la nature des
exercices et des jeux qu'on pratique en ce lieu, il serait illogique de lui refuser des
attributs pédagogiques. Au demeurant, tous les espaces libres à l'intérieur et au
dehors du village sont susceptibles d'être transformés, à tout moment, en terrains
de jeux et d'exercices. Ce phénomène est certainement lié à la liberté ludique
accordée aux enfants en Afrique. C'est de cette liberté que vient la "mobilité"
apparente de l'espace pédagogique.
Le véritable espace pédagogique, en Afrique, est le lieu d'initiation (baara).
Que ce soit celle des filles ou celle des garçons, l'initiation se passe toujours au
dehors du village. Son caractère magico-religieux exige qu'elle se déroule loin du
regard des non initiés et celui du sexe opposé.
Le choix de l'emplacement du camp d'initiation porte, là où ils existent, sur
les bois sacrés qui "sont de grands fourrés presque impénétrables, où les anciens
chefs ont été enterrés (... ). Ces forêts sont tabou. Il n'est pas permis d'y chercher
du bois mort, ni d'y couper un arbre, ni de laisser le feu de brousse y pénétrer" 1.
Le caractère sacré de ces lieux contribue au secret de ce qui s'y passe pendant les
initiations. Là il n'est pas besoin de fixer des palissades autour du campement des
initiés. Sans doute d'une initiation à une autre déplace-t-on le campement, mais cela
se passe toujours dans les limites du bois sacré.
l. JUNOD (Henri A.), Mœurs et coutumes des Bantous, (tome II), Paris 1936. p. 332.
86
il
Le choix peut porter aussi sur un lieu situé près du village,au cas où la
tradition interdirait l'édification d'un campement dans les bois sacrés. Dès lors, il
revient aux formateurs, en accord avec les autorités spirituelles et temporelles du
village, de situer et de délimiter le lieu exact. Pour ce faire, ils doivent choisir et
aménager un lieu couvert pouvant abriter des cérémonies initiatiques loin des
regards curieux. Il est attesté que, dès la fin des cérémonies initiatiques, ces
campements sont toujours détruits par feu 1. Ainsi est-il difficile de situer
définitivement l'empacement exact des camps d'initiation en Afrique. L'autre
difficulté est de connaître la surface du cadre pédagogique. Rien de définitif ne
peut, comme chez Platon, être avancé à ce sujet. Tout dépend des coutumes et des
mœurs des populations concernées.
L'espace initiatique ne se limite pas uniquement à l'aire qu'occupe le
campement. Des sorties sont effectuées de jour comme de nuit dans tout le
territoire. C'est durant ces dernières que les initiés reçoivent un enseignement
pratique sur la géographie, la topographie, sur les différents animaux de la région,
sur les plantes médicinales et leur utilité etc. On leur apprend à s'orienter le jour
comme la nuit à l'aide des repères naturels. Là, il Y a similitude entre ces initiations
et le service militaire qu'effectuent les VÉOl chez Platon. D'autant plus que de part et
d'autre ces initiations sont sous la responsabilités des guides et des maîtres avertis
et expérimentés ; et que l'exploration du territoire entre dans la formation des
initiés.
Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur des agglomérations, l'espace
pédagogique, en Afrique noire, n'est pas une place fixe. Il est choisi et délimité au
gré des enfants et de leurs formateurs. D'où sa "mobilité" apparente.
L'âge est pris. chez Platon et en Afrique, comme un repère naturel pour la
conception des enseignements et pour le découpage des programmes en cycles
d'études. Le système éducatif platonicien et ceux d'Afrique noire reposent ainsi sur
le système de groupes et de classes d'âge. Toutefois, la fixation de la durée des
enseignements est moins rigide en Afrique que chez Platon. On observe le même
phénomène dans l'emplacement des espaces pédagogiques, fixe chez Platon et
"changeant" en Afrique.
1. Cf. MENGRELIS (Th.), Initiations .. " p. 25,
87
I. 3. LE CHOIX DES ENCADREURS DANS LEURS RESPONSABILITÉS
L'encadrement des enfants, des adolescents, des jeunes gens et des jeunes
filles au cours de leur formation nécessite toujours la mobilisation d'un bon nombre
de personnes. Les critères portant sur le choix de ces encadreurs sont, dans la
société platonicienne comme dans les communautés négra-africaines, l'expérience,
le mérite, la transmission hériditaire ou le vote.
I. 3. 1. L'expérience et le vote chez Platon
La responsabilisation d'un citoyen dans le système éducatif platonicien est
fondée sur les critères d'âge et de mérite l . En effet, seuls les citoyens (hommes et
femmes) ayant fait un parcours sans faute jusqu'à l'âge de cinquante ans peuvent
prétendre à des fonctions relevant de la magistrature suprême. Toutefois, le
législateur ne tient pas toujours compte de cette limite d'âge pour confier des
responsabilités à un citoyen dans la formation des enfants. Aussi fait-il appel aux
maîtres étrangers dont le mérite est de bien connaître leurs disciplines et de respecter
les lois de la cité. Les encadreurs, citoyens et étrangers confondus, sont sous
l'autorité des magistrats qui supervisent les affaires culturelles et pédagogiques. On
est pour ainsi dire en présence de deux graupes d'encadreurs différents par le rang
qu'ils occupent dans la hiérarchie, et semblables par la nature et l'objet de leurs
fonctions. Le groupe des magistrats supervise la réalisation des programmes
scolaires et universitaires, et celui des encadreurs se charge de l'enseignement lui-
même.
Même s'il n'a fait que se conformer au modèle grec en général et athénien en
particulier pour instituer les magistratures de la cité idéale des Lois, Platon a été à
l'origine de l'élection des responsables suprêmes de l'éducation. La structure des
instances est telle que chaque responsable s'occupe, selon son mérite et suivant le
sort, d'un secteur pédagogique bien déterminé.
1. Lois. 754 c.
88
La plus importante fonction pédagogique revient au "directeur de toute
l'éducation féminine et masculine (6 TTjÇ nalôdaç ÈTtlflEÀTJTT]Ç TtCIOT)Ç STJÀE1WV TE
Ka i àppÉvwv)" '. Il est membre à part entière du conseil des trente sept gardiens des
lois (nomophylaques) ; ces derniers sont tous choisis en fonction de leur expérience
et de leur mérite, et cela "depuis leur enfance jusqu'à l'élection"2. On appréhende
ainsi l'importance qu'on accorde à l'expérience dans le choix des magistrats
s'occupant de la fonnation des enfants, et le regard pesant de l'Etat sur la vie des
citoyens. Cependant le "ministre de l'éducation" est soumis à des critères très
précis 3. Platon le décrit comme "un homme à commander, âgé d'au moins
cinquante ans, père d'enfants légitimes, autant que possible de garçons et de filles à
la fois, sinon l'un ou l'autre (na{ôwv ôt YVTJo{wv naTllP, flclÀloTa fltv uÉwv Kai
SuyaTÉpwv, d
ôÈ flTl, SaTEpa)"4. Telle est l'image idéale d'un ministre de
l'éducation.
Avec ses cinquante ans, le candidat remplit la première condition, assimilée
ici à l'expérience et au mérite. La deuxième condition marque l'originalité de Platon
dans ce passage. En effet, la condition sine qua non d'avoir des enfants, filles ou
garçons ou les deux à la fois, pour accèder à la direction générale de l'éducation
prouve une fois de plus que Platon attache beaucoup d'intérêt au cadre familial.
L'idée est qu'on ne peut assumer cette responsabilité sans avoir eu au préalable des
enfants en charge. Le meilleur "ministre de l'éducation" serait alors celui qui a fait
ses preuves dans l'éducation de ses propres enfants. Car, c'est dans le cadre
familial qu'on se forge des armes pour pOUVOIr assumer des fonctions
pédagogiques dans la société. Les exigences du législateur dans ce domaine
s'expliquent par la nature et la complexité de cette fonction "ministrielle". C'est la
raison pour laquelle il convient de faire appel à un père ou à une mère dont
l'expérience pédagogique est confonne aux exigences de la fonction.
Cependant, il ne suffit pas seulement d'avoir des enfants pour prétendre à ce
poste, mais encore faudrait-il prouver qu'on est un bon éducateur. De là, tous les
citoyens considérés comme de bons éducateurs pourraient prétendre à ce poste.
Mais, Platon précise que le choix portera sur le meilleur parmi les meilleurs.
1. Lois, 765 d.
2. Lois, 751 c.
3. Lois, 766 a.
4. Lois, 765 d.
89
Platon comprit qu'un'~omme sans enfants ne peut et ne doit pas assumer des
fonctions de directeur de toute l'éducation. Le manque d'expérience dans ce
domaine serait en contradiction avec la tâche qu'on lui confie, à savoir superviser
toutes les activités pédagogiques de l'Etat.
Dans un premier groupe, Platon distingue deux catégories de magistrats,
selon que les uns s'occupent du fonctionnement des écoles, et que les autres se
chargent de l'organisation des enseignements. En procédant de cette manière, le
philosophe a le souci de redistribuer les rôles pédagogiques qui, jusque-là, se
confondaient les uns avec les autres.
La première catégorie se compose "d'intendants des gymnases et des écoles,
chargés de l'ordre, de l'instruction des mesures à prendre en pareille matière, ainsi
que des allées et venues de la résidence des garçons et des filles"l. A la lumière des
rôles évoqués dans ce passage, on peut dire que cette fonction consiste à organiser
les cours et à résoudre les problèmes pédagogiques. Il n'y a aucune précision
cependant sur le nombre exact de ceux qui sont préposés à ces postes; mais on peut
supposer, vu le nombre des disciplines enseignées, qu'ils sont assez nombreux.
Ces directeurs d'écoles sont peut-être les représentants politiques du législateur
dans ces lieux. L'âge et l'expérience doivent être les critères de leur élection, bien
que Platon ne les ait pas mentionnés.
La deuxième catégorie compte autant de membres que le nombre des
compétitions organisées dans le cadre pédagogique. Toutefois, Platon a préféré
mettre sous la responsabilité de trois (3) juges:! "les compétitions humaines et les
concours hippiques"3. Ce choix tient certainement de son souci d'alléger la
lourdeur de l'organisation des fêtes. Aussi le "préposé" à la lutte aura-t-il moins de
peine à présider aux compétitions gymniques que son collègue qui veille sur la
monodie. En effet, la musique est plus complexe que la gymnastique. Les trois
juges sont élus parmi vingt candidats; Platon ne nous renseigne pas sur l'âge de
1. Lois, 764 d.
2. Lois, 765 c.
3. Lois, 764 d.
90
ces derniers. Il se contente d'écrire seulement qu'ils sont issus de îa deuxième et de
la troisième classes 1.
Le deuxième sous-groupe de magistrats élus pour les compétitions musicales
a ses membres présents dans toutes les manifestations artistiques. En effet, "en
musique, écrit Platon, "une première catégorie s'occupera des monodies imitatives,
comme il convient que rapsodes, citharèdes, flûtistes et autres artistes de ce genre
aient leurs juges à eux; une autre surveillera le chant choral "2. Dans la première
catégorie de ce sous-groupe, le choix des juges obéit à deux formes musicales. Il
s'agit d'élire d'abord des juges pour les chants sans accompagnement musical,
ensuite ceux qui s'occupent de la musique instrumentale. Il est vrai que les deux
espèces de magistrats peuvent aller ensemble, mais Platon a préféré les séparer pour
mettre en relief les vertus de chaque discipline et pour un souci d'ordre.
Le chant choral présente à lui seul presque tous les éléments musicaux et
artistiques. C'est ainsi qu'il suffit, pour les chœurs, "d'un magistrat, âgé d'au
moins quarante ans"3 et qui possède une expérience en musique. Il est sous
l'autorité du magistrat général chargé de toute l'éducation. Dans le cas précis des
représentations chorales, un seul juge est nommé par le législateur. A ce dernier on
réclame une compétence égale à celle du magistrat "âgé d'au moins trente ans" qui
s'occupe de la monodie dans les représentations chorales. Là, le législateur fait une
différence entre ce que Platon appelle "monodie imitative (f!0vCùÔ{a f!tf!T]Ttl<T1 ) et
"monodie" tout court. Le juge qui se charge de cette dernière aura à choisir "les
concurrents et à rendre le verdict avec compétence"4. C'est ainsi que, pour
l'organisation de ces manifestations culturelles et artistiques, le législateur accorde
une grande liberté à ce magistrat. Même s'il n'est pas encore arrivé au terme de sa
formation, le magistrat (âgé de trente ans) affecté à la monodie est en mesure de
présider à ces concours. Car, à cet âge il a déjà acquis une expérience en musique,
discipline enseignée dans les cycles secondaires et universitaires.
Les modalités et les critères de l'élection du "magistrat-intendant des chœurs"
éclairent le principe qui guide le législateur dans son choix. Le jour de l'élection de
1. Lois, 765 c.
2. Lois, 764 cl e.
3. Lois, 764 e.
4. Lois, 765 a.
91
ces magistrats, "tous les amateurs de cet art se rendront à la réunion (... ). lis
proposeront leurs candidats parmi les experts, et l'examen ne comportera pas
d'autres motifs d'admission ou d'exclusion que ceux-ci: pour les uns, l'élu sera
incompétent, pour les autres, il sera compétent" 1. Platon aura voulu, dans cette
mesure, éviter un choix aveugle semblable à celui des foules incontrôlables. Ainsi
seuls les experts sont conviés à ces élections.
De même que les électeurs doivent avoir le minimum de connaissances pour
choisir et élire, de même les candidats sont tenus d'être experts en la matière. C'est
selon leur âge et leur compétence qu'on élit les juges durant les représentations
artistiques et culturelles.
La présence des magistrats-surveillants lors des concours de musique ou
gymniques est conforme à la logique platonicienne. Il s'est toujours opposé aux
cris et à tout ce qui empêche les experts de juger avec sérénité; ainsi condarnne-t-il
toute représentation artistique anarchique.
Pour la surveillance et l'aménagement du territoire de la n6/dç, Platon
propose une forme d'organisation qui ne va pas sans rappeler les "crypties"
spartiates et les initiations pubertaires en Afrique noire traditionnelle. En effet,
chacune des douze tribus de la n6/dç doit fournir cinq membres qu'on appelle
"agronomes" ou "phrourarques", " à qui il appartiendra de recruter chacun, dans
leur propre tribu, douze des jeunes hommes entrés depuis cinq ans parmi les VÉOl,
c'est-à-dire âgés de d'au moins vingt-cinq ans et de trente ans au plus"2. L'un des
rôles de ces "phrourarques" est de conduire les jeunes gens à travers tout le
territoire divisé en douze contrées. C'est au cours de leurs tournées que les VÉOl
s'adonnent à des travaux de fortification et d'irrigation des terres, aménagent et
entretiennent des gymnases qu'ils équipent de bains chauds pour eux-mêmes et
pour les personnes âgées. Tous ces travaux sont effectués sous la responsabilité
des soixante3 "phrourarques".
Ces derniers qu'on appelle aussi "agronomes" siègent en juges pour les
litiges dans le monde rural. Platon a certainement voulu traduire, en employant
1. Lois, 765 a b.
2. Lois. 760 b c.
3. Nous comptons 12 phrourarques x 5 = 60.
92
"àyp6vof.Loç" et "lj>pouapxoç", les rôles de ces apxovn;ç. En effet, ils rendent
justice au fur et à mesure qu'ils se déplacent dans le territoire, et qu'ils séjournent
dans les sections qu'ils traversent. Les V~Ot assistent, aux côtés des agronomes,
aux jugements des cas graves 1. La surveillance du chef par les initiés ou entre chefs
eux-mêmes est telle que la corruption et la séduction sont aussitôt découvertes et
sanctionnées au prix du déshonneur. C'est au nom de leür participation permanente
aux procès que les jeunes gens reçoivent le titre "d'agronomes"2. Le terme de
"phrourarques" s'adapte sans nuances aux rôles joués par les soixantes chefs
durant les deux ans d'initiation. En effet, ils initient les V~Ot à tous les travaux et les
aident à connaître le territoire; et ils président aussi aux repas communs. Au cours
de ces derniers les V~Ot sont tenus de se servir eux-mêmes3.
C'est ainsi que, durant les deux ans4 de leur mandat, les soixante surveillants
jouent le rôle d'instructeurs et de guides. Afin qu'ils assument convenablement
leurs responsabilités, ces "phrourarques" ne sont pas à l'abri des sanctions, au cas
où ils se détouneraient de leurs fonctions. Leurs rôles sont nombreux, vu les
diverses occupations des V~Ot qui sont sous leur surveillance. La répartition des
charges répond à cette diversité. En effet, chacun des cinq "phrourarques" ne
s'occupe que de douze V~Ot ; ce qui fait que chacun d'eux a une grande marge de
manœuvre sur la bande de V~Ot qu'on lui a confiée. Précisons que les "agronomes"
sont de loin plus âgés que les viol.
Sur ce point, on peut établir un parallèlisme voire une similitude entre les
"phrourarques" et les guides instructeurs africains dans les camps d'initiation.
Seulement les "phrourarques" et les V~Ot ont la possibilité d'avoir des contacts avec
la population; ce qui n'est pas le cas pour les initiés en Afrique noire traditionnelle.
Hormis cette différence de principe, due au double rôle des "phrourarques", à la
fois juges et encadreurs, il n'y a pas de grande différence entre les rôles de
l'instructeur africain et ceux de l'instructeur des v~ot. Avant d'être pris en charge
par les "phrourarques", les V~Ot ont été, pendant leur enfance, sous la surveillance
des encadreurs plus ou moins familiers.
1. Cf. Lois, 761 e.
2. Lois. 762 b. 6
3. Lois, 763 a.
4. Lois, 760 e.
93
L'ambgu~~é du rôle des parents autorise à les ranger parmi les encadreurs.
L'Etat met à leur disposition une équipe de femmes dont la principale occupation est
de surveiller la première enfance. Les rôles des parents et ceux des nourrices se
confondent l très souvent. Si dans La République ils ont eu un rôle minime dans
l'éducation de leurs enfants, les parents auront le privilège, dans la cité des Lois, de
prendre en charge leurs poupons jusqu'à l'âge de trois ans. C'est à partir de là que
les enfants sont rassemblés dans des temples jusqu'à la sixième année. Et ils y sont
sous la surveillance des gardiennes2 qui sont vraisemblablement des nourrices
privées3. En ce qui concerne leur élection, le législateur se fonde sûrement sur le
physique, l'âge et l'expérience des candidates. En effet, dans le domaine de la
formation physique des gardiennes, l'idéal platonicien tient de la tradition
aristocratique athénienne qui est de rechercher des nourrices spartiates pour leur
sévérité et leur force. Quand il prescrit qu'il faut "des nourrices fortes autant que
possible et pas une nourrice unique "4, Platon fait allusion surtout à leur rôles de
"porteuses" d'enfants. Car elles auront à porter et à promener des enfants sur de
longues distances.
Plus on avance en âge, moins on a des forces physiques; peut-être est-il
paradoxal de mettre le critère d'âge et le critère physique ensemble, quand on sait
que les nourrices ont l'âge des inspectrices des mariages"5. Mais on est en mesure
de préciser l'âge (malgré le mutisme de Platon là-dessus) de ces dernières par
rapport à leurs occupations6. Les rôles respectifs des inspectrices et des "nourrices"
se complètent: les unes se chargent de la réglementation de la procréation et les
autres s'occupent de la formation des poupons. Leur âge ne peut être que celui des
femmes ayant atteint le stade de la ménopause. A ce moment, la femme a
certainement acquis une expérience qui lui permet de s'adonner à de telles
occupations.
Les nourrices doivent en plus avoir des notions sur la psychologie des
enfants. C'est la raison pour laquelle le législateur laisse, jusqu'à l'âge de dix ans,
les enfants sous la direction des nourrices. Dans ce contexte, leurs occupations
1. Lois, Cf. Rép. , 377 c ; 460 cd; Lois. 789 e.
2. Lois, 794 a.
3. Lois, 789 c.
4. Lois, 789 e.
5. Lois, 794 b.
6. Lois, 784 ab c.
94
demeurent "la surveillance de la bonne ou de la mauv~ise tenue" des enfants dont
elles se chargent durant toute la journée. Par la même occasion, elles sont chargées
de châtier les enfants en faute; mais la plupart du temps elles disent des fables dans
le cadre de la formation morale des enfants. Dans ce domaine, la seule fausse note
est la sévérité que Platon prête à ces vieilles femmes reconverties légalement en
nourrices. Peut-être la rigidité de la formation nécessite-t-elle un attitude sévère,
mais la sévérité ne va pas de pair avec la douceur des grands-mères..
Les inspectrices de mariage sont chargées aussi de la formation; seulement
leurs conseils ne s'adressent qu'à des femmes en âge de procréer. Elles ont un
statut supérieur à celui des nourrices dont le nombre reste indéterminé. Néanmoins,
on peut supposer la présence d'un nombre suffisant de gardiennes dans les "jardins
d'enfants". Sans cette présence, on ne voit pas comment une femme par bourgade
arriverait à contrôler les enfants des différents temples.
Les douze femmes, élues par les inspectrices, assurent le service de
surveillance sur les femmes nourrices et les enfants eux-mêmes. Elles appliquent
leurs punitions par l'intermédiaire d'un employé l de l'Etat. Ce qui laisse croire
qu'elles n'interviennent pas directement dans la correction des enfants, tâche laissée
aux gardiennes. Ainsi on distingue deux groupes de femmes dont l'un s'occupe de
la "bonne ou mauvaise conduite" des enfants, et l'autre organise et supervise la vie
interne des "jardins d'enfants". C'est à l'âge de sept ans que l'enfant tombe entre
les mains de nouveaux encadreurs.
Le caractère continu et obligatoire de l'éducation chez Platon nécessite la
présence des encadreurs dans les écoles et lieux de formation. Mieux, "dans tous
ces bâtiments résideront, comme maîtres pour chaque discipline, des étrangers
gagnés à prix d'argent; ils enseignent à leurs élèves tout ce qui est utile à la guerre
et tout ce qui concerne la musique"2. La question est de savoir pourquoi Platon ne
charge de cette fonction que les étrangers.
La première explication viendrait de la tradition aristocratique qui fait souvent
appel aux maîtres étrangers pour la formation des enfants. Mieux, Platon propose
un statut de résident pour les maîtres étrangers.
1. Lois, 794 b.
2. Lois, 804 c d.
95
La deuxième explication découle du processus d'installation des premiers
citoyens de la cité. La nouvelle n'accueille que certains colons issus des populations
crétoises et grecques dont les caractéristiques moraux et physiques s'accordent avec
les idéaux de Platon. Pour le fonctionnement des nouvelles institutions
pédagogiques, les populations ont certainement besoin d'une assistance étrangère.
Dans ce cas, la présence de ces maîtres n'est nécessaire que pour un temps
déterminé. Notons que cette assistance n'est envisagée qu'en musique et en
gymnastique. La réglementation de ces disciplines est immuable dans la conception
platonicienne. C'est ce qui fait que le philosophe ne craint pas, pour ces matières, la
moindre transgression de la part des maîtres étrangers. En effet, le maître
influencerait moins ses élèves en musique et en gymnastique qu'en philosophie ou
en dialectique. Platon prend ainsi la précaution de ne confier aux maîtres étrangers
que des disciplines immuables quant à leurs principes..
La présence des maîtres étrangers s'expliquerait aussi par le panhellénisme de
Platon. Car l'étranger, dans ce domaine, n'est
pas un
Barbare mais un Grec
originaire d'une autre cité.
Il existe, entre les directeurs d'écoles et les maîtres eux-mêmes, une catégorie
intermédiaire d'encadreurs. Il s'agit de pédagogues au sens propre du terme; ces
guides sont issus de la population servile de la cité. Leur occupation quotidienne
consiste à conduire l'enfant au gymnase et à l'école. Tout en décrivant l'enfant
comme "une bête rusée, astucieuse, la plus insolente de toutes" l, Platon trouve bon
de le mettre sous la surveillance des pédagogues qui, après la mère et les nourrices,
"régentent la puérilité de son bas-âge"2. L'encadrement de l'enfant à la maison
revient de fait au pédagogue qui lui apprend à lire, à écrire et à se servir de ses
instruments de musique. Le pédagogue est très souvent un homme avancé en âge et
qui a des expériences sur toutes les matières enseignées à l'école. Cependant, pour
1. Lois, 808 d.
2. Lois, 808 e.
96
les désigner on ne peut pas parler d'élection. En effet, ils ne font qu'obéir au
législateur qui répartit les tâches dans la cité.
Qu'il soit esclave de maison ou d'Etat, le pédagogue respecte les principes
pédagogiques. Il joue surtout un rôle psychologique auprès de l'enfant, en ce sens
que seuls les maîtres sont habilités à instruire les enfants "en toutes sortes de
disciplines et de sciences"l. Le pédagogue dit des contes aussi pour les enfants; ce
qui facilite à l'enfant la compréhension, plus tard, le commentaire des textes
poétiques et littéraires. Aussi, pour confier cette responsabilité à l'esclave, Platon
envisage-t-illa formation2 de la population servile de la cité idéale.
L'éducation sexuelle a une bonne place dans le système pédagogique
platonicien. Il y a des personnes chargées de son application. Le véritable rôle de
ces dernières est l'encadrement des jeunes ménages en vue de la procréation. Platon
précise que ces femmes "entreront chez les jeunes ménages, tantôt avec des
avertissements, tantôt avec des menaces, pour les tirer de culpabilité ou
d'ignorance". Elles obligent les conjoints à "procréer" et leur prodiguent des
conseils allant dans le sens de l'éducation sexuelle. Ces mesures obéissent à la
politique d'eugénisme prônée par Platon.
Ainsi seuls le mérite et l'expérience, liés à l'âge, sont pris en considération
dans l'élection des magistrats de l'éducation et dans le choix des maîtres et
formateurs.
1. Lois, 808 e.
2. Lois, "wç o'a~ ooüÀov, naç npooTuyXclVWV TWV tÀw8Épwv èivopwv KOÀaCÉTW
TOV n; naïoa miTov Kat TOV natoaywyov Kat otOclO1<aÀov, Éàv È~af.LapTclVT) T{Ç
,
"
Tl TOUTWV
97
I. 3. 2. Les éducateurs : le mérite et l'expérience en Afrique
La structure sociale du monde négra-africain est telle que toute personne qui y
vit se reconnaît dans une responsabilité pédagogique inhérente à son statut et à son
expérience. La formation des jeunes générations incombe à toutes les couches
sociales sans distinction aucune. Seulement parmi ces dernières, on distingue deux
catégories d'éducateurs, selon qu'ils assument leurs responsabilités en privé ou en
public, plus précisément en milieu familial ou dans le cadre communautaire.
En Afrique noire traditionnelle, comme en Grèce d'ailleurs, l'enfant évolue
dans le cadre familial au moins pendant les six premières années. Sa croissance
physique et son développement mental ne vont pas sans les soins des parents et des
proches. En effet, la mère et les vieilles femmes se chargent de la formation morale
de l'enfant de bas âge. La responsabilité de la mère se limite souvent à l'allaitement
et à des soins secondaires, la formation morale de l'enfant étant confiée aux
personnes âgées (femmes).
Bien que leurs interventions soient occasionnelles, les vieilles femmes posent
les premières bases de l'éducation morale de l'enfant. En effet, filles et garçons se
pressent pour se réunir, pendant la nuit, autour d'une grand-mère contant des
histoires. A ce stade, tout conte est porteur de leçon de morale. Surveillante le jour
et conteuse d'histoires la nuit, une grand-mère assume pleinement ce rôle
d'encadreur dans la société traditionnelle africaine. Aussi n'est-il pas rare de trouver
la surveillance des enfants organisée autour d'une ou de plusieurs vieilles femmes l .
Certes on est encore loin de l'idéal platonicien, mais on y entrevoit déjà une forme
d'organisation structurée.
Les critères portant sur le choix des vieilles femmes pour cette tâche reposent
sur leurs expériences, et sur la confiance dont leur témoigne l'ensemble de la
société. Il est vrai qu'une mère de famille a plus d'expérience en puériculture que
celle qui n'ajamais eu d'enfants, mais, une fois la vieillesse atteinte, l~rs rôles se·
confondent. C'est parmi la première catégorie de femmes que l'on trouve des
matrones et des guérisseuses. Sans doute seule l'expérience est-elle à la base de ces
1. Cf. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , pp. 82-83.
98
occupations. Toutefois, une femme peut tenir ce'~ rôles d'une femme magicienne.
Le pouvoir magique et l'expérience se confondent souvent dans la pensée négro-
africaine. L'expérience est le seul critère qui donne à son bénéficiaire le titre
d'expert ou de magicien dans toutes ses actions. Ainsi le choix des vieilles femmes
dans leurs rôles d'éducateurs se pose en termes d'expérience.
Il faut lier cette expérience à lâ place que la tradition assigne à la femme dès
son plus jeune âge. Ces petites "nurses" dont parle Pierre Emy jouent déjà les rôles
de mères, en ce sens qu'elles s'occupent quotidiennement de leurs frères et sœurs
en l'absence des adultes. De là à l'âge adulte, elles auront accumulé assez
d'expérience pour élever leurs futurs enfants. Aussi est-illogique de faire bénéficier
ses petits-fils et petites filles de son expérience. Platon le réclame aux vieilles
femmes de la cité des Lois. Les différences d'approche de la question dans les deux
sociétés ne changent en rien la similitude de leurs objectifs.
A six ans, les enfants reçoivent une formation en fonction de leur sexe l .
C'est ainsi que les jeunes filles demeurent très souvent auprès de leur mère ou de
leurs proches pour apprendre leurs métiers de femme; alors que les jeunes garçons
suivent et aident leur père dans ses travaux. Il est vrai que les deux formes
d'éducation se distinguent; mais il faut avoir à l'esprit que "la question d'une
position "supérieure" ou "inférieure" ne se pose guère comme distinction entre
hommes et femmes ; on dira simplement que la position des femmes est une
position différente, correspondant à de tâches, ainsi qu'à des forces différentes "2.
Ainsi on ne doit parler que du partage des responsabilités entre homme et femme.
Dans son rôle pédagogique, la mère e:lt tenue de respecter la tradition. C'est
sur des principes prédéfinis qu'elle doit éduquer sa fille. Elle s'emploie alors à
inculquer à cette dernière les qualités de la femme au foyer. Le volet pratique de
cette éducation s'organise autour des travaux ménagers. La jeune fille suit toujours
sa mère au marigot ou au puits; elle l'aide à préparer le repas. Il est vrai qu'avant
tout elle y trouve du plaisir, mais elle se plie à l'autorité combien pesante de sa
mère. Toute mère sait au départ que sa fille sera évaluée, suivant sa formation, par
la société. Son physique, son sa voir- faire, son courage à entreprendre les tâches
1. Cf. ERNY (Pierre) ibidem. p. 40.
2. PAULME (Denise), Organisation sociale des Dogon ... , p. 259.
99
féminines sont à la base de ce jugement. Ainsi la force invisible des coutume~ et du
regard des autres pèse-t-elle sur la conscience d'une mère. Prise entre la tradition et
l'amour maternel, elle s'engage naturellement à respecter l'idéal communautaire.
Elle est relayée dans ce rôle par les vieilles femmes l au moment où sa fille arrive-à
l'âge d'être initiée publiquement aux coutumes tribales ou ethniques ..
Le jeune garçon, dès qu'il atteint six ans, tombe sous la responsabilité directe
de son père. Le rôle de ce dernier est d'initier son fils aux occupations communes et
à son propre métier. En effet, cultiver (remde), construire (maade), chasser
(raddude) etc ... sont des occupations ouvertes à tout le monde. Et le père est tenu
d'initier son fils à toutes ces tâches ; il lui révèle l'utilité et la finalité de ces
dernières. En réalité, la véritable responsabilité du père apparaît dans la formation
aux métiers "fixes ".
Un père ressent toujours de la fierté et du plaisir en formant son fils à un
métier qu'il a lui-même appris de son père. Il tient à être fidèle à la tradition en
guidant son fils dans les différentes phases
de cet apprentissage. En effet, il
s'attache à effacer les insuffisances de son fils; et il l'encourage à persévérer dans
le bon sens. Il lui révèle aussi certains secrets mystiques liés à son métier. Ainsi,
avant de pénétrer dans l'eau, de traverser la foêt, de couper un arbre ou de bander
un arc et de tirer ses flèches, le père lui apprend-il des versets protecteurs.
Dans son rôle d'éducateur, le père est aidé par le grand-père qui s'occupe de
transmettre à ses petits-fils les exploits guerriers de leurs ancêtres, et cela à travers
des légendes bien précises. Parallèlement au père, le grand-père s'occupe de la
formation morale du garçon, tâche déjà entamée par les femmes (mères et grandes-
mères). Le père lui-même ne manque pas d'agrémenter ses enseignements pratiques
par des récits glorifant ses ancêtres.
C'est ainsi que le père et le grand-père s'occupent des jeunes garçons, alors
que la mère et la grand-mère se chargent de la formation des filles. Tout est
organisé dans le cadre familial; mais la communauté pèse sur la conscience des -
1. Le rôle de vieilles femmes lors des initiations est très précis, contrairement à ce qu'elles font
avec les enfants de moins de six ans.
100
parents. Plus l'enfant avance en âge, plus il aura besoin de l'apport des autres
membres de la société.
La véritable intervention de la société dans la formation des enfants se voit au
cours des initiations pubertaires. En effet, le Conseil des Anciens à le privilège de
fixer la date des initiations et la prérogative de désigner en son sein ou parmi les
autres membres de la société, celui ou ceux qui s'occupent de l'encadrement des
initiés. Dans certaines sociétés, ce rôle revient à des familles désignées
traditionnellement pour ces tâches ; tandis que dans d'autres l'expérience et le
mérite déterminent le choix du Conseil des Anciens. A ces encadreurs officiels se
j oignent des encadreurs secondaires (guides) chargés de la surveillance des
néophytes.
Il est fréquent de trouver des initiations réservées séparément aux filles et aux
garçons. Dans certaines régions, cependant, les filles subissent individuellement les
rites d'initiation. C'est à cette occasion que les vieilles femmes interviennent en
privé.
Les adolescents subissent en commun des épreuves initiatiques dont le but est
l'assimilation des valeurs morales et culturelles de leur société. Que ce soit au cours
d'une cérémonie de mutilation (circoncision, excision etc.) ou d'une quelconque
épreuve initiatique la présence des encadreurs est toujours nécessaire et obligatoire.
Dans le cas précis de l'initiation des garçons, on fait appel au féticheur de la tribu
ou du village. Il peut avoir deux fonctions, l'une consistant à protéger les initiés
contre les mauvais esprits, l'autre l'autorisant à révéler aux adolescents tous les
secrets de l'initiation. Toutefois, s'il se trouve qu'il n'assure que le rôle de
guérisseur, l'encadrement moral des initiés est parallèlement confié à un homme
d'expérience.
Il est difficile d'affirmer qu'on tient compte de la stature physique des
encadreurs ; mais le travail qui les attend à l'intérieur des camps d'initiation
nécessite une grande endurance physique. En effet, ils ont un programme à la fois
théorique et pratique. Ils doivent connaître toutes les données culturelles de la vie
communautaire; par conséquent on les considère comme des maîtres polyvalents.
Les formateurs sont tenus d'expliquer tout ce qu'ils ordonnent de faire à l'intérieur
du camp. Ce sont eux qui programment les sorties en brousse ou dans la forêt, et
décident des leçons à donner. C'est au cours de ces randonnées que les initiés,
101
sou~la direction de leur maître, s'adonnent à l'étude des plantes, des arbres, des
signes et des traces laissés par les animaux, de la géographie et des repères
topographiques.
Parallèlement, à l'intérieur du camp, s'organise l'enseignement de l'histoire,
de la justice et de la morale coutumière. Cet enseignement est symbolique pour les
personnes âgées qui viennent célébrer pour la première fois les rites initiatiques de
ce genre. Dans tous les cas, elles sont tenues de respecter la personne morale des
encadreurs. C'est à ces derniers de rendre justice et de distribuer les peines. Ce qui
leur donne, aux yeux des novices, l'image des hommes à double caractère : doux
au moment des leçons, sévères dans les punitions. La plupart du temps la tâche
punitive est laissée aux encadreurs secondaires.
Ces encadreurs qu'on appelle communément surveillants (selBe ) sont choisis
parmi les jeunes gens qui ont subi les épreuves de la précédente initiation. Là, le
choix est fondé sur l'expérience et le droit d'aînesse. Leur rôle consiste à organiser
des exercices d'endurance physique et des compétitions de tous genres. C'est sous
leur surveillance que les initiés entretiennent la propreté de leur camp et purgent
leurs punitions. La sévérité de ces jeunes formateurs est légendaire; cela tient du
fait que toute correction coprporelle qu'ils int1igent à un novice est à la hauteur de
celles qu'ils avaient eux-mêmes encourues lors de leur initiation. En compensation,
ils rythment ces moments douleureux par des chants dont seuls les initiés détiennent
le secret. La musique et la danse atténuent toute cette peur qu'il créent
volontairement chez l'initié. Les jeunes surveillants (selBe) sont là pour exécuter
les ordres de l'encadreur principal. Ils lui doivent respect; en effet, la vie du camp
doit être le reflet de la vie sociétaire de tous les jours en société.
Parallèlement aux garçons, les filles sont, dans certaines régions d'Afrique,
admises dans des camps d'initiation. Mais la durée de leur réclusion n'atteint pas
celle de la retraite des garçons. Cela est certainement dû à l'absence
d'enseignements techniques et des secrets de la société durant leur retraite. En
général, elles n'apprennent que les sciences relatives au ménage et à la,procréation.
En effet, l'initiation des filles est avant tout éducation sexuelle approfondie. C'est
pourquoi la société désigne à cette tâche une femme dont l'expérience en la matière
ne fait pas de doute. On décrit cette femme comme une "prêtresse, pédagogue,
102
magicienne du village" 1. On peut faire appêl aussi à un féticheur mâle qui, sans
participer aux cérémonies, réside à l'entrée du campement pour protéger les initiés
contre les mauvais esprits. L'éducation sexuelle incombe à la "pédagogue". Le sens
des rapports sexuels, les périodes fastes et néfastes, les signes de grossesse et tant
d'autres conseils pratiquent chargent le programme des retraites féminines.
Que ce soit avec les garçons ou avec les filles, les formateurs s'arrangent
pour que les novices, aguerris et purifiés, sortent avec de nouvelles connaissances,
. D'ailleurs les cérémonies de réjouissance, au moment de la sortie des initiés,
sanctionnent toujours la réussite de l'initiation.
Ainsi en Afrique et chez Platon, la confiance qu'on accorde aux divers
formateurs de l'enfant relève de leur expérience et de leur mérite.
1. MENGRELIS (Th.), "Fête de sortie de ['excision chez les Mano", in Notes africaines, n049,
Janvier 1951. p. 12.
103
I. 4. LES MOYENS D'EXPRESSION ET D'ACTION
Pour cerner les possibilités offertes à l'éducateur dans sa mission
pédagogique, il ne suffit pas de s'en tenir seulement au cadre spatial. Il convient
aussi d'évaluer ses responsabilités par rapport aux moyens qui sont mis à sa
disposition, parole, signes, objets et autres supports pédagogiques.
1. 4. 1.
Oralité, écriture et objets chez Platon
Les Grecs ne négligèrent pas, malgré le développement de l'écriture, les
vertus de l'oralité dans l'éducation des enfants. Cette tendance apparaît clairement
dans le projet platonicien de l'éducation.
Platon accorde une grande importance à l'éducation familiale, en sachant bien
que la parole demeure le moyen de communication le plus usité au sein des
familles. A ce stade, l'éducation consiste à donner des conseils à l'enfant et à lui
conter des histoires. Les critiques platoniciennes à l'encontre des "anciens" récits
mythiques portent aussi sur la manière de les conter aux enfants. En effet, la façon
de conter ou de dire des histoires peut susciter la peur ou la joie chez l'enfant.
Ainsi, bien qu'elle soit un moyen d'expression indispensable, l'oralité est souvent à
l'origine des déviations morales dans le discours.
L'enfant, à force d'écouter des "fables les mieux imaginées pour le porter à la
vertu" l, retient le contenu et s'habitue aux diverses formes du discours oral.
L'emploi du verbe àl<ouf:t v dans ce passage montre l'intérêt que Platon accorde à
l'oralité dans son enseignement. Ainsi l'enfant arrive-t-il à cultiver toutes ses
facultés de mémorisation. C'est à l'aide de sa mémoire qu'il assimile "ce que le
vulgaire appelle les coutumes non écrites"2. L'enseignement oral est do.nné souvent
sous forme de maximes; mais Platon souhaite la mémorisation de celles qui sont
vertueuses et que les "vieillards des deux sexes doivent répéter aux enfans, et
quand les enfants deviennent grands les poètes aussi ne devront composer pour eux
1. Rép .• 378 e.
2. Lois. 793 a ; 841 b. 4
104
que des fables conformes à ces maximes" 1. Seulement, Platon s'oppose à toute
altération du discours oral. C'est pourquoi ces mêmes vieillards "doivent éviter",
écrit-il, "des actions et des paroles honteuses devant les enfants. Ces derniers
risqueraient de les imiter"2. La règle est simple: l'enseignement oral doit être aussi
rigoureux que la composition des poèmes et des discours écrits pour des enfants.
Platon donne ainsi à l'oralité une vraie place dans la formation morale des enfants
de bas âge.
Platon écrit que "sur les lettres, il faut peiner juste assez pour savoir écrire et
lire"3. Il ne prône que l'utile et l'essentiel dans l'utilisation de l'écriture. En effet,
l'enfant n'apprend à écrire que pour communiquer avec ses formateurs et à lire des
œuvres écrites.
La peinture n'est pas négligeable dans l'instruction des enfants. Bien qu'elles
soient imitatives, les images picturales sont porteuses de messages culturels et
historiques. C'est pourquoi il est nécessaire de "contrôler aussi les autres artistes et
les empêcher d'imiter le vice, l'intempérance, la bassesse, l'indécence soit dans la
peinture des êtres vivants, soit dans l'architecture, soit dans tout autre genre
d'image ( ... )"4. La peinture est identifiée ici à un moyen d'expression pouvant
revaloriser ou dénaturer les vertus morales et coutumières. Les effets de la peinture
et de l'art architectural sont ressentis par l'âme elle-même d'après Platon. Dès lors,
"ne faut-il pas craindre que nos gardes ne grandissent au milieu des images du vice,
comme dans un mauvais pâturage, qu'ils n'y cueillent et n'y paissent tous les jours,
à doses légères, mais répétées, le poison de mainte herbe vénéneuse, et n'amassent
ainsi, sans s'en apercevoir, une grande corruption de leur âme?"5. Cette question-
réponse qui est une sorte de mise en garde contre les méfaits d'une peinture mal
conçue montre l'intérêt que Platon accorde à l'image comme moyen d'expression et
de communication dans l'éducation des enfants. Ces derniers ne doivent imiter que
les œuvres des artistes doués6. L'image devient ainsi gardienne d'une culture que
l'écriture n'arrive pas à elle seule à transmettre.
1. Rép., 378 c d.
2. Lois, 729 c.
3. Lois, 810 b.
4. Rép., 401 b.
5. Rép., 401 b c.
6. Rép., 401 c.
105
.;
Les objets sont des supports pédagogiques très importants dans l'éducation
platonicienne. Qu'elle soit d'origine grecque ou égyptienne, l'idée de l'utilisation de
l'objet comme support pédagogique s'est surtout développée avec Platon. En effet,
il fut le premier dans l'antiquité classique à donner à l'objet sa véritable place dans
l'éducation des enfants. Peut-être la nature de l'objet a-t-elle eu quelque influence
sur la classification de Platon; mais ce qui importe ici c'est l'illustration des leçons
par des objets. Leur distribution se fait sous forme de jeu. Qu'il soit en or, en
argent, en fer ou en bois, l'objet usité à cette occasion a toujou'rs une utilité
pédagogique.
On peut ranger aussi parmi les moyens pédagogiques les outils et les armes
confectionnés et mis à la disposition de l'enfant par l'adulte. Platon souhaite voir
les enfants s'habituer très tôt à leurs futurs métiers. Pour ce faire, il propose
d'introduire dans leurs jeux des outils inhérents à leurs futures occupations. C'est
pour les mêmes finalités que les enfants apprennent à manier les instruments de
musique; mais on doit ranger ces derniers parmi les moyens d'expression.
Ainsi il sont mis à la disposition des formateurs tous les moyens et tous les
supports pédagogiques, pour faire passer facilement leur enseignement.
106
J. 4. 2. Signes et Objets
supports de l'oralité en Afrique
En Afrique noire traditionnelle tout entretien pédagogique commence par cette
formule ramassée que prononce le formateur: "écoute et retiens (heddo e moffia e
hagilema). La parole est ainsi un moyen de communication qui demande attention et
mémoire de la part de l'auditoire.
Dans la tradition négro-africaine on fait une nette distinction entre parler tout
court et l'art de parler. Parler est, en effet, une fonction propre à tous les hommes;
mais savoir communiquer oralement est une autre qualité propre à quelques
individus. Si l'art oratoire revient traditionnellement au griot, la parole porteuse
d'histoire et de mythe trouve son sens dans la bouche des vieillards et des conteurs.
Jusqu'à une date récente l'histoire des populations négro-africaines n'a été
transmise que par voie orale; l'écriture, même si elle a existé dans certaines
sociétés, ne se prêtait pas à cette fonction. Tout enseignement reposait sur l'oralité.
Dès le bas âge, l'enfant fréquente les cercles qui se forment autour des
personnes âgées et des conteurs professionnels. Dans ces circonstances, la parole
est le moyen de communication le plus usité. A chaque âge correspond un niveau
de langue et de langage. Le conteur doit à tout moment se soumettre à ce principe
pour transmettre son message. Ainsi l'oralité est à la fois gardienne des traditions et
moyen pédagogique.
La parole a besoin de supports pour être mémorisée par l'enfant. Le signe en
est un. Mais faut-il appeler les signes africains "écriture" ou simplement "signes
graphiques" ? La dernière appellation semble résumer l'essentiel. Tous les signes
graphiques ne se prêtent pas, pour des raisons mystiques, à une interprétation
publique. Nous ne nous intéressons ici qu'à ceux qui servent de supports
pédagogiques dans l'enseignement oral.
Dans une de ses études sur l'Afrique Arnold Van Gennep évoque l'écriture
Bamum "créée" sous l'impulsion d'un jeune roi du Cameroun du nom de Njoya.
Arnold Van Gennep est persuadé "qu'en cherchant on finisse par constater qu'un
107
~
certain nombre de signes reproduits par les soldats de Njoya étaient déjà
antérieurement d'un usage courant comme motifs d'ornementation "1. Notre
chercheur atteste ainsi que ces signes ne proviennent pas d'une simple invention.
Seulement, les soldats ont voulu donner aux signes déjà existants un nouveau sens.
Dans la vie de tous les jours, ces mêmes signes sont usités comme "ornements ou
symboles d'une certaine valeur magico-religieuse". Dans ce cadre, les signes sont
porteurs de messages culturels. C'est le cas des signes que l'on trouve sur les
façades des autels, des maisons ou sur des objets sculptés. Arnold Van Gennep fait
remarquer que "des dessins de ce genre, présentant parfois une certaine
ressemblance avec des idéogrammes bamum, se rencontrent au Dahomey, au
Bénin, au Louango et en d'autres régions guinéennes"2.
De ce passage, il ressort qu'il existe une parenté manifeste entre les différents
signes qu'on rencontre dans toute l'Afrique noire. Certes les signes ne se
présentent pas sous des formes identiques, mais ils transmettent le même message.
C'est sous forme de scarification que l'on retrouve ces signes sur des personnes et,
sous un autre aspect, sur les arbres, dans les cavernes, bref dans tout ce qui
participe à la vie quotidienne du Négro-africain. Aussi Marcel Griaule a-t-il raison
d'écrire que "le signe est plus encore qu'une marque: iL est aussi le précipité d'un
mythe"3. C'est avec des signes qu'on explique aux initiés la genèse de la structure
du monde. Les "Bambara notamment", continue Marcel Griaule, "utilisent ( ... ) des
séries de signes affectés à des usages divers, à des circonstances, à des institutions,
à des fonctions "4. Tout laisse voir qu'il y a une phase d'interprétation des signes
dans l'éducation négro-africaine.
Si le langage des signes passe pour être souvent difficile à déchiffrer, le
message sonorisé semble être à la portée de tout le monde. C'est dans les camps
d'initiation que les adolescents apprennent à déchiffrer les messages tambourinés.
Ils sont employés pour annoncer, de près ou de loin, toutes sortes de nouvelles.
L'apprentissage des notes tambourinées entre dans l'enseignement initiatique. Et il
est en même temps support pédagogique, en ce sens que les formateurs convoquent
LV AN GENNEP (Arnold), "Une nouvelle écriture nègre: sa portée théorique", in Revue des
Etudes Ethnologiques et Sociologiques, Mars 1908. p. 138.
2. V AN GENNEP (Arnold), Ecriture nègre ... , p. 138.
3. GRIAULE (Marcel), "Signes graphiques soudanais", in L'Homme, n03,Paris. 1951.
4. GRIAULE (Marcel), "Signes graphiques soudanais". p. 5 ; voir aussi "Signes graphiques de la
circoncision Bambara", in L'Homme, Mars 1951. p. 66.
108
ou reherchent des initiés dans la forêt à l'aide des messages tambourinés. Pierre
Alexandre a eu raison d'écrire que "tout ce qui se rapporte au contexte vécu,
quotidien, culturel aussi bien que matériel, peut (ou pourrait) être exprimé au
tambour" 1. Ce langage s'adapte à toutes les situations.
La place de l'objet est très importante dans l'éducation négro-africaine. En
Afrique, l'enfant trouve lui-même ses objets ludiques. Ceux qui sont confectionnés
par les adultes servent à le préparer à ses futures occupations. C'est une méthode
similaire à celle que projette Platon dans l'apprentisage des métiers.
L'usage de l'objet doit être lié aussi à la pédagogie initiatique. Dans le camp
des initiés, tous les enseignements théoriques sont illustrés par des objets. Les
masques et d'autres objets sont utilisés souvent à cette fin. C'est durant les
initiations que les novices se confectionnent des arcs, des armes et d'autres outils
de guerre pour s'entraîner aux combats. Tout est mis à leur disposition pour allier la
théorie à la pratique.
Ainsi, pour son intégration complète, l'enfant doit connaître la signification et
la portée du langage parlé et sonorisé, des signes et des objets. En Afrique, le
premier critère d'appartenance à une société est de savoir communiquer avec les
membres de sa communauté.
Toutefois, cet apprentissage montre aussi que les formateurs n'ont que ces
moyens pédagogiques pour donner et illustrer leurs enseignements. Ce qui fait que
l'oralité, les signes graphiques et, les objets et les messages sonorisés sont à la fois
moyens pédagogiques, et objet de l'enseignement.
Ainsi chez Platon et en Afrique, on accorde une égale importance à l'oralité et
à l'objet comme supports pédagogiques dans l'éducation des enfants. Les
formateurs se servent tardivement de l'écriture et du signe. En effet, dans le
système éducatif platonicien c'est à dix ans que l'enfant commence à lire et à écrire,
et en Afrique le sens des signes ne lui est révélé que durant les initiations
pubertaires.
1. ALEXANDRE (Pierre), "Langages tambourinés: une écriture sonore?" in Semiotica, l, The
Hague. 1969.
109
Conclusion
Les conceptions platonicienne et négro-africaine de l'éducation trouvent leurs
fondements dans l'histoire respective de la Grèce et de l'Afrique noire. Leur
pérennité relève de la diversité et de la richesse des apports culturels et humains.
Cela est d'autant plus vrai que "l'éducation marche de pair avec la vie et la
croissance de la communauté: elle se voit modifiée par les transformations qui se
produisent dans la structure interne et le développement intellectuel de cette
communauté, en même temps que les changements extrinsèques"!.
Si en Afrique noire l'éducation ne fut pas marquée par des mouvements et des
courants littéraires connus, en Grèce la natôda a joui, avant Platon, des apports
homériques et sophistiques. En effet, la paideia marquée par Homère et par les
Sophistes, a trouvé une nouvelle dimension avec Platon. Avec ce dernier elle
devient une des conditions d'appartenance à une cité. Dans le monde africain
traditionnel ce principe est plus que vivant: être membre d'une communauté revient
à dire avoir été initié à toutes ses coutumes et avoir acquis des connaissances usitées
par la dite société.
Dans la société platonicienne et dans le milieu négro-africain, l'éducation est
dominée par la religion. Chez Platon, l'homme n'est plus la mesure de l'homme
lui-même; il cherche plutôt, par le biais de l'éducation, à ressembler à la divinité et
à acquérir une parcelle de perfection.
C'est ainsi que chez Platon et en Afrique, l'éducation se définit comme un
projet d'ensemble qui vise à la réalisation d'un idéal partagé par tous les membres
d'une société.
Cette identité conceptuelle réapparaît dans le processus de réalisation des
idéaux pédagogiques des deux sociétés.
La socialisation de l'individu passe, dans la cité platonicienne et dans les
sociétés africaines, par deux phases, celle de l'éducation familiale et celle de la
1. JAEGER (Werner), Paideia, p.12
110
')
formation communautaire. Dans les deux càs, on procède par étapes pour inculquer
aux enfants et aux adolescents les coutumes, et les techniques familiales et
communautaires. L'éducation familiale se réserve particulièrement le volet moral
dans la formation de l'enfant. Il n'y a pas, cependant, de discontinuité entre les
deux phases.
Dans la fixation des dates et de la durée des cycles d'études, Platon fait
allusion aux groupes et classes d'âge. L'emploi du terme d'àysÀTJ par Platon
autorise à comparer sa classification des citoyens suivant leur âge avec les traditions
crétoise et spartiate. Dans ce domaine, la similitude est manifeste entre la
classification platonicienne et celle de l'Afrique noire ; d'autant plus que
l'organisation pédagogique négro-africaine repose sur un système de groupes et de
classes d'âge.
Qu'il soit fixe chez Platon et "changeant" en Afrique, l'espace pédagogique
est pris en considération dans la formation des jeunes générations. C'est dans ces
cadres que la communauté détache, pour un temps limité,.certains de ses membres
pour l'encadrement des enfants. Ici et là, on se fonde sur l'expérience et le mérite
pour confier à un homme ou à une femme une fonction pédagogique.
Platon a donné à l'oralité une place prédominante dans la formation morale et
religieuse des enfants de bas âge. En Afrique noire traditionnelle, l'oralité pour ne
pas dire la parole remplit presque toutes les fonctions de communication dans
l'éducation. Toutefois, dans les deux cadres communautaires, les objets restent des
supports pédagogiques très usités dans l'éducation. Leur emploi a une valeur
pédagogique considérable. La première fonction de l'objet est d'aider l'enfant à
comprendre ce qu'on lui enseigne théoriquement ; sa deuxième fonction est
d'illustrer les enseignements. Si l'utilisation de l'objet est plus rigoureuse chez
Platon qu'en Afrique, il n'en demeure pas moins qu'elle garde son caractère
pédagogique dans la tradition négro-africaine.
Il ressort de cette étude que les orientations pédagogiques que préconise
Platon sont similaires à plus d'un titre à celles conçues dans les sociétés
tradionnelles négro-africaines. Nous tenterons de le démontrer tout au long de notre
étude comparative.
CHAPITRE II
LE FAÇONNEl\\''1ENT DU CARACTÈRE ET DE LA
PERSONNALITÉ DE L'ENFANT
112
La délimitation des structures spatiales et temporelles dans l'éducation a été
l'objet de notre chapitre premier. Il en est ressorti que dans les orientations
platonicienne et négro-africaine il faut tenir compte, d'une part du développement
physique et mental de l'enfant, et d'autre part des caractéristiques pédagogiques de
l'aire familiale et de l'espace public. C'est à travers ces mêmes structures que nous
tentons de circonscrire, dans ce chapitre, le façonnement du caractère et de la
personnalité de l'enfant
La famille demeure la première structure sociale et traditionnelle où débute
l'éducation sous toutes ses formes. Aussi l'influence de son environnement est.:.il
déterminant dans la personnalité de l'enfant. Dans les deux sociétés comparées,
bien que le fond de l'éducation familiale reste le même, il existe des différences
d'approche dans leurs procédés pédagogiques. Chez Platon la famille est presque
totalement soumise au contrôle de l'Etat qui n'hésite pas à s'immiscer dans
l'éducation familiale. Alors qu'en Afrique noire traditionnelle une large liberté
d'action est laissée à la famille.
La principale occupation de la famille dans les deux cas consiste à inculquer à
l'enfant la morale coutumière. Pour ce faire, dans les deux sociétés, les parents
mettent l'accent sur la littérature orale. Car jusqu'à l'âge de treize ans (chez Platon),
et pendant toute son enfance et son adolescence (en Afrique), le jeune enfant ne lit
pas et n'écrit pas. Ainsi l'éducation familiale repose, en quelque sorte, sur l'oralité.
L'influence psychologique des récits mythiques et des contes est l'originalité de
cette étape de l'éducation.
Le processus de l'intégration sociale de l'enfant débute avec cet enseignement
oral de la morale coutumière. Mais déjà, à ce stade, le conte, la fable et le mythe
remplissent des fonctions littéraires, au point qu'il n'est
pas exagéré de les
identifier aux premières acquisitions intellectuelles
de l'enfant. La formation
intellectuelle et technique est continue pour ne pas dire permanente dans les deux
sociétés. Seulement, l'organisation des disciplines est plus méthodique chez Platon
qu'en Afrique. Dans l'une et l'autre société, l'instruction et l'apprentissage des
métiers sont intimement liés à l'âge de leurs bénéficiaires.
113
Il nous a paru logique d'introduire la musique dans ce chapitre pour deux
raisons. La première est que dans les deux sociétés la musique se définit comme un
ensemble cohérent composé de discours dits, écrits et chantés, de danses et
d'instruments. Et c'est relativement à ses liens intimes avec le discours et l'art
chorégraphique que la musique est importante dans la formation du caractère de
l'enfant. La deuxième raison tient du caractère sociologique de la musique. En effet.
par ce qu'elle réunit et par son effet sur la psychologie individuelle et collective, la
musique est indissociable de la sociologie. Outre la réjouissance et le plaisir qu'elle
procure, elle est la manifestation complète des sentiments et des préoccupations
intimes d'un groupe social voire de la communauté tout entière. Et c'est par
participation active que l'enfant se projette dans cette manifestation, et s'identifie à
la personnalité collective du groupe.
L'étude de ces différents axes pédagogiques permet de voir comment et par
quels moyens les sociétés platonicienne et négra-africaines façonnent la personnalité
et le caractère de l'enfant.
114
ILl L'ENFANT ET L'ENVIRONNEMENT FAMILIAL
II.1.1 Strict contrôle de l'Etat sur l'éducation familiale chez
Platon
Dans la cité des Lois Platon accorde à la famille une grande place dans
l'éducation des enfants. Ce qui n'est pas le cas dans la cité de la République. La
famille est définie dans Les Lois comme un ensemble limité aux parents géniteurs, à
leurs enfants et à leurs domestiques. Sa structure et son organisation sont telles que
ses membres entretiennent des rapports hiérarchiques identiques à ceux qu'on
observe à une échelle plus grande, entre gouvernants et gouvernés. C'est un fait
que l'Etat platonicien supervise la vie familiale, mais "( ... ) si la vie individuelle à
l'intérieur des cités n'arrive pas à s'organiser comme il faut, il est vain de compter
que la vie commune puisse jamais avoir des lois solidement établies" 1. L'intimité
organique est évidente entre l'Etat et la famille; Platon fait dépendre la rigueur et la
sauvegarde des lois communautaires de la bonne organisation familiale. Toutefois,
chaque initiative familiale obéit aux prescriptions formulées par l'Etat. C'est dans ce
contexte contraignant que les parents se chargent de l'éducation de leurs enfants.
La question est de savoir pourquoi Platon adopte une attitude de surveillance
et de contrôle vis-à-vis des parents. Dans la cité idéale des Lois son souci majeur
est de redéfinir la place des idéaux aristocratiques dans la structure familiale. li a
toujours reproché aux régimes existants certains abus. Dans la démocratie, il
dénonce la liberté excessive laissée aux particuliers. Pour lui, l'une des principales
conséquences de la liberté démesurée est la détérioration des rapports entre parents
et enfants, entre personnes âgées et jeunes générations. Le philosophe constate
qu'en démocratie" (... ) le père s'accoutume à traiter son fils en égal et à craindre
ses enfants, que le fils se mesure à son père et n'a plus ni respect ni crainte pour ses
parents, parce qu'il veut être libre"2. Il se trouve que Platon est moins préoccupé
par cette anarchie dans les rapports familiaux que par les retombées sur l'éducation
1. Lois, 790 b.
2. Rép., 562 e.
115
des enfants. Aussi ce désordre entraîne-t-il une absence de morale voirJ d'éducation
au sein de la famille, attendu que le père n'a plus d'influence sur son rejeton. Platon
note aussi que les enfants sont tiraillés entre deux lignes de conduite différentes,
celle de la mère et celle du père. Qu'il soit plus ou moins influencé par l'un 0l! par
l'autre, l'enfant ne peut en aucun cas bénéficier d'une bonne éducation.
Il est vrai que Platon s'en prend à la liberté démocratique pour dénoncer la
cassure familiale. Mais sa véritable intention n'est pas de discréditer la démocratie;
il cherche plutôt à légitimer les prescriptions qu'il formule pour l'éducation
familiale. Face à l'autonomie des particuliers et au laisser-aller dans l'éducation des
enfants, il propose un strict contrôle de l'Etat. Si l'Etat démocratique est
indirectement impliqué dans la vie familiale, chez Platon l'Etat s'impose
ouvertement. L'avantage des rapports Etat-famille est la coordination entre la vie
communautaire et celle de la famille.
Dans les deux structures, le façonnement de la personnalité de l'enfant
demeure le principal objectif de toutes les prescriptions pédagogiques. C'est la
raison pour laquelle la cellule familiale. en accord avec l'Etat, doit imprimer à
l'enfant une vision conforme à l'idéal communautaire. Pour y arriver, il faut s'y
prendre très tôt. En effet, "C .. ) en toutes choses" écrit Platon, "la grande affaire est
le commencement, principalement pour tout être jeune et tendre, parce que c'est à ce
moment qu'on façonne et qu'on enfonce le mieux l'empreinte dont on veut marquer
l'individu" 1. Fort de cet enseignement, Platon fait intervenir tous les membres de la
famille dans l'éducation des enfants. Mais à chaque fois qu'ils accomplissent des
tâches pédagogiques, parents et nourrices doivent faire référence aux prescriptions
étatiques. Le message catégorique de ces dernières est illustré très souvent par
l'emploi des verbes tels que ùvayxâÇEl v2, oEïv 3 ou simplement par un adjectif
verbal. Toutefois, on doit tenir compte des limites que Platon donne à ces verbes.
C'est dans une idée de juste mesure qu'il préconise l'application des prescriptions
pédagogiques par les parents. Une éducation ne doit être dominée ni par la mollesse
ni par la contrainte4 .
1. Rép., 377 a b. Cf Lois, 792 e
2. Lois, 792 e 4.
3. Lois, 792 e 3.
4. Cf. Lois, 791 d : Ce passage sera commenté dans la troisième partie du Ch. V.
116
En modérant l'intervention de l'Etat dans la structure familiale Platon a voulu
corriger ses positions extrêmes formulées dans La République 1. Peut-être, à la fm
de sa vie, s'est-il rendu compte de l'aberration de la mesure qui consistait à rendre
les enfants communs à tous les citoyens2. Cette prescription n'est pas de nature à
faciliter l'éducation de base des enfants, dans la mesure où juridiquement les
parents géniteurs n'existent plus. Ainsi, en voulant corriger les imperfections de la
démocratie en matière de pédagogie, Platon est tombé dans le piège de la révolte.
En effet il est absurde de confier à l'Etat l'éducation des enfants tout en niant le rôle
pédagogique des parents géniteurs.
C'est en vue de donner une responsabilité à la cellule familiale que Platon
revient, dans Les Lois, sur les prescriptions de La République. Malgré cela, l'Etat a
toujours le privilège de contrôler l'éducation familiale. Seule la recherche de l'unité
sociale et politique au sein de la cité explique l'intervention permanente de l'Etat.
Pour arriver à donner la même éducation à tout le monde, l'Etat est seul habilité à
tout coordonner dans ce domaine. Certes, tout ne peut être identique d'une famille à
une autre, mais les grands principes de l'idéal pédagogique sont respectés. C'est
dans ce contexte que parents et domestiques se relayent quotidiennement dans
l'éducation des enfants de moins de sept ans.
L'objet de l'éducation familiale est d'inculquer à l'enfant des valeurs bafouées
dans les régimes existants. Aussi est-il urgent de redonner sa juste valeur au respect
dû aux parents. C'est la raison pour laquelle Platon met l'autorité des parents en
tête de ce qu'il appelle "les titres à commander ou à obéir (a~lwf!aTa ôÈ ôn TOU TE
apXElV Kat aPXEcr8at)3. Pour donner plus de respect à cette autorité, il attribue aux
parents un pouvoir plus divin qu'humain. Dieu exhausse toujours, selon Platon, les
prières des parents4 . A ce pouvoir magico-religieux s'ajoutent les prescriptions que
l'Etat formule pour protéger l'autorité parentale.
Filles et garçons sont tenus de respecter leurs parents en prenant soin d'eux5.
Le recours à la religion et à la loi signifie manifestement que l'obéissance aux
1. Rép., 460 c.
2. Rép., 457 c d.
3. Lois, 690 a.
4. Lois, 931 b c.
5. Lois, 932 b c.
117
parents ne va pas sans contrainte. Par conséquent elle perd son fondement naturel;
et elle devient un objet de l'enseignement. Mais les parents et leurs proches sont
dans l'obligation d'inculquer aux enfants ses différentes valeurs. C'est dans
J'environnement familial que l'enfant apprend à respecter les personnes âgées. TI
faut noter que l'une des finalités des fables est de ménager l'image des parents. TI
est vrai que ces derniers sont respectés sans critère d'âge, mais une fois devenus
vieux ils ont droit à des soins plus poussés!. C'est en adoptant une attitude
convenable envers ses parents qu'un enfant arrive à respecter les personnes âgées
de la cité. Aussi les parents et les autres citoyens âgés sont-ils protégés par la loi qui
punit tout acte de violence commis à leur encontre2. Le deuxième aspect de cette
obéissance est relatif aux dieux. Du respect dû aux parents on cherche à atteindre et
à circonscrire l'obéissance aux lois divines. Là aussi, l'Etat se manifeste par une
orientation religieuse imposée aux particuliers, bien qu'il soit donné aux familles la
possibilité de faire des sacrifices3 en privé.
Ces valeurs à la fois religieuses et morales facilitent en fin de compte
l'intégration sociale de ['enfant au sein même de sa famille. Dans la cité des Lois
l'enfant distingue ses frères et soeurs des autres; ce qui n'est pas le cas dans la cité
de La République. La famille en tant qu'ensemble organisé de personnes devient
une référence dont les valeurs déterminent la personnalité de l'enfant. La
sacralisation de la famille ne doit pas cependant pousser l'enfant à croire que cette
structure sociale lui suffit pour s'épanouir. D'autant plus que la famille n'existe que
pour obéir aux prescriptions de l'Etat. C'est pour cette raison que l'enfant doit avoir
dès le bas-âge le sentiment d'appartenir non seulement à sa famille, mais aussi, et
surtout, à la cité. Les parents et leurs proches ont le devoir de cultiver ce sentiment
chez l'enfant. Aussi sont-ils aidés en cela par le législateurs qui recommande le
regroupement quotidien des enfants de moins de sept ans4 . Surveillés par des
nourrices les enfants se découvrent et cultivent l'amitié entre eux. De cette manière,
le législateur espère semer en eux le sentiment de leur nécessaire solidarité.
1. Lois, 931 d.
2. Lois, 879 b c-881 e.
3. Nous verrons plus loin que la morale religieuse a un grand impact sur la personnalité de
l'enfant.
4. Nous analyserons l'importance pédagogique du regroupement des enfants au Ch. V. Cf. Lois,
794 a...
118
C'est dans le cadre de la léalisation de ces idéaux que les parents se chargent
d'élever leurs rejetons suivant leur sexe. Devant la "suprématie" de l'Etat, le rôle
éducatif des parents est très réduit. Dans La République comme dans Les Lois la
mère cède très souvent sa place à une nourrice. Dans la cité de La République, elle
se contente d'allaiter "son" enfant sous l'ordre des nourrices. D'ailleurs, ses
dernières font en sorte qu'elle ne reconnaisse pas son bébé 1. Malgré la restriction
de son rôle, elle garde tout de même son titre de mère, mère de tous les enfants qui
ont l'âge d'être ses filles ou fils. C'est à ce titre que les mères se chargent de
l'éducation coutumière2. En apparence il y a contradiction; mais au fond Platon
croit que même avec "la communauté des enfants "les femmes arrivent à remplir
leurs rôles de mères. Dans Les Lois la mère assume pleinement son rôle.
La mère doit s'occuper à la fois de la formation physique et morale des
enfants. Pour Platon, il faut chercher très tôt l'équilibre physique et mental chez
l'enfant. C'est la raison pour laquelle une femme enceinte reste strictement
surveillée dans l'Etat platonicien. Ainsi "il faut, parmi toutes les femmes, veiller
particulièrement pendant leur période sur celles qui portent leur fruit dans leur sein,
pour que la femme enceinte ne se livre ni à des plaisirs ni à des chagrins nombreux
et déréglés, mais vive, tout le temps d'alors, occupée à conserver l'humeur sereine,
facile et douce"3. Aussi l'oblige-t-on à se promener pour modeler (rrÀénTEtv)4
l'enfant dans son sein. Ces prescriptions relèvent non seulement d'un souci
d'équilibre dans la croissance physique de l'enfant, mais aussi de la recherche d'un
type de personne correspondant à l'idéal platonicien. Plus tard la mère s'occupe de
contes, de fables destinés aux enfants. En réalité, son rôle pédagogique est très
réduit, pour la simple raison qu'elle participe, comme l'homme, à la vie active de la
cité sans abandonner ses" (...) services domestiques, l'intendance de la maison et
l'élevage des enfants (rratÔEuTpO<j> {a)"5. La vie de gynécée n'y existe pas6. A y
regarder de près, on se rend compte que dans la société platonicienne la femme
mère ne peut, avec toutes ses tâches, se charger à elle seule de l'éducation de ses
1. Cf. Rép., 460 c.
2. Cf. Rép., 381 e.
3. Lois, 792 e.
4. Lois, 789 e.
5. Lois, 806 a.
6. Par ces mesures Platon tente de briser les chaînes du gynécée athénien où les femmes sont
réduites au travail de la laine et à "intendance de l'économie familiale.
119
.~
enfants. C'est ce qui justifie et explique certainement la présence des nourrices
dans la cité des Lois.
Platon distingue la nourrice (T1T8T'j) de la gouvernante (Tpo<j>6ç). La première
s'occupe plutôt de l'allaitement, alors que la seconde s'intéresse à la fois à la
nourriture et à la formation morale des enfants. Dans leurs fonctions, elles
respectent et suivent les prescriptions de l'Etat. Les TpO<j>O{ prennent soin des
poupons de la naissance à l'âge de six ans, âge où les enfants sont regroupés sous
la responsabilité de nouveaux maîtres. Les TLT8al surveillent surtout l'équilibre
entre la formation physique et morale de l'enfant. Elles portent l'enfant jusqu'à
l'âge de trois ans, afin de lui éviter toute déformation physique 1. Ainsi la
gouvernante prolonge-t-elle les soins maternels prescrits pour les périodes
prénatales et postnatales jusqu'à deux ans 2. Une nourrice est aussi une fine
psychologue qui comprend à tout instant les besoins de l'enfant3.
Mère et nourrices s'occupent de la formation morale des enfants. Elles s'y
prennent dès l'instant que l'enfant est en âge d'écouter et de comprendre les
fables 4 . Dans la Cité de La République comme dans celle des Lois il n'est plus
question de laisser la femme orienter, selon ses désirs, l'éducation de ses enfants.
L'Etat y veille sévèrement. La "surveillance de la bonne ou mauvaise tenue"S de
l'enfant de zéro à six ans est assurée par des nourrices élues par l'Etat. L'influence
maternelle est ainsi réduite par le simple fait que l'enfant se rend quotidiennement
au "temple"6 auprès des nourrices. C'est dans cette sorte de jardin d'enfants et à la
maison que débute la formation morale des enfants. Les gardiennes "mères" sont
censées corriger ceux qui se conduisent mal au "temple"; mais elles ont aussi le
devoir de leur inculquer les idéaux de la société.
Jusqu'à l'âge de six ans tout paraît théorique dans cette formation. A bien
noter que seuls les enfants des citoyens non artisans sont admis dans ces écoles. Au
fur et à mesure qu'ils accèdent à de nouvelles classes d'âge, ils apprennent l'art de
la guerre et d'autres disciplines dignes de leur rang. A l'âge de six ans déjà filles et
1. Lois, 789 e.
2. Lois, 789 e.
3. Lois, 791 e-792 a.
4. Rép., 325 c d.
5. Lois, 794 a.
6. Nous reviendrons sur les jardins d'enfants au Ch. V.
120
garçons sont séparés suivant des critères d'aptitude. Il faut noter aussi que dans la
cité platonicienne coexistent deux formes d'éducation, celle des gens dits libres et
celle des artisans. Les premiers bénéficient d'une éducation morale, intellectuelle et
politique, alors que les seconds se contentent d'apprendre les techniques et les
métiers hérités de leurs parents. Platon, malgré les allusions faites à cette dernière
forme, s'est surtout consacré à l'étude de la première. C'est ainsi qu'il fait une
description assez complète de l'éducation de base des citoyens dits libres. Pour la
catégorie des artisans il n'y a que l'apprentissage des métiers. Si le fils d'un citoyen
libre manie des armes en miniature, le rejeton de l'artisan doit s'habituer très tôt aux
objets ressemblant à ceux de son futur métier. Le seul métier digne des citoyens
libres est la guerre; hommes et femmes y sont conviés. Et c'est pourquoi les filles
et les garçons reçoivent la même formation. Seulement leurs aptitudes font la
différence. L'intervention du père dans l'éducation des enfants se précise surtout à
partir de la septième année.
Le père est tenu d'initier ses enfants à son métier, selon qu'il est guerrier ou
artisan. Dans la catégorie des citoyens libres les enfants accompagnent et sui vent
leurs pères dans certaines expéditions guerrières 1. Mais avant cette pratique filles et
garçons se familiarisent avec des techniques inhérentes à leur métier2.
Le pédagogue joue à côté du père le même rôle qu'a la nourrice auprès de la
mère. Il a une très grande responsabilité dans la formation de la personnalité de
l'enfant3. Son rôle ne se limite pas seulement à conduire l'enfant à l'école ou à le
ramener à la maison. Il tient la place du père occupé par son métier: par conséquent
il assure la formation théorique des enfants.
Ainsi l'intervention des parents et des domestiques dans l'éducation de base
des enfants obéit à un idéal étatique. Ils ont le lourd devoir d'intégrer l'enfant non
seulement dans la famille, mais aussi dans les différentes sphères de la société. Ils
doivent le rendre sociable. Cependant l'éducation telle qu'elle est conçue par Platon
demeure une institution par laquelle l'Etat s'impose aux familles. C'est dans le
même sens que l'Etat oriente, conformément à l'idéal de la collectivité, la formation
morale du futur citoyen
1. Cf. Rép., 466 e ; 467 abc d e.
2. Cf. Lois, 794 c d.
3. Cf. Lois, 808 d.
121
II.1.2
Souple
intervention
de
la société dans
l'éducation
familiale en Afrique
La structure sociale du monde négro-africain trouve son fondement et son
reflet dans l'organisation de la famille. C'est la coutume en Afrique que de faire
référence aux familles, aux classes et aux groupes d'âge plus qu'à des personnes;
même si ces dernières ont marqué l'histoire de leurs groupes. Car leur gloire est
celle des autres, de leurs familles, de leurs compagnons d'âge, de la société toute
entière, sans lesquelles les héros n'auraient pu jouer pleinement leurs rôles. Dans
cette perspective il est évident que le Négro-africain façonne sa personnalité par
rapport à l'idéal de son groupe et de sa communauté qui lui imposent l'orientation
de sa vie et de sa destinée. Dès lors qu'il accepte toutes les prescriptions établies
pour la formation de sa personnalité, il se soumet aux coutumes et aux lois qui
régissent sa communauté.
Bien qu'il appartienne, dès sa naissance, à l'ensemble de la société, le Négro-
africain s'identifie avant tout à une famille. Cette dernière a la lourde responsabilité
et la noble mission d'élever l'enfant selon l'idéal de la société. Comme chez Platon
la communauté négro-africaine est une grande famille qui s'impose et qui impose
une manière de vivre à ses membres. Cela est facilité par le fait que toutes les
composantes sociales se tiennent intimement. Aussi cette intimité est-elle favorisée
par une solidarité interfamiliale qui relève non seulement de l'histoire, mais qui tient
aussi d'une sorte d'idéal, dont le fort est d'amener tout le monde à chercher et à
trouver le même modèle de personne, la même conduite dans la vie de tous les
jours. L'unité politique et sociale trouve justement son répondant spirituel dans un
modèle idéalisé auquel chaque individu cherche à ressembler. Toutefois, dans la
tradition négro-africaine atteindre cet idéal correspond à la perfection dans
l'éducation. Ici, idéal et éducation sont mis en parallèle. Et la famille devient la
première structure où commence, en vue de cet idéal, le façonnement de la
personnalité de l'enfant.
La cellule familiale étendue aux parents géniteurs et à leurs proches assume sa
tâche éducative selon les normes établies par l'ensemble de la communauté. Si chez
Platon l'Etat marque sa présence dans les familles par un contrôle strict de ce qui
122
)
s'y passe, en Afrique le poids de la société se fait ressentir spirituellement dans le
milieu familial. Cela est si manifeste qu'il n'est pas nécessaire d'affecter
officiellement des surveillants aux familles pour faire respecter et appliquer les
prescriptions communautaires. La notion de communauté est tellement forte que
chaque membre d'un groupe social réalise ses projets en tenant compte du jugement
des autres. Néanmoins, les familles ont une marge de liberté qui leur permet de
mener à bien leurs projets pédagogiques.
Dans la tradition négro-africaine, il est établi que l'enfant naît avec certains
signes qui laissent entrevoir son caractère. Pleure-t-il sans cesse ou remue-t-il
nerveusement ses membres, le bébé est décrit comme un être à caractère difficile.
Ou bien passe-t-il tout son temps à rire et à sourire aux gens, ne pleurant que pour
réclamer une tétée, l'enfant est qualifié de gentil et de familier, par conséquent de
caractère doux. Aussi tous ces signes sont-ils intimement liés au caractère des
parents géniteurs. En effet, ':le côté maternel transmet non seulement le sang
(derat), la chair (soox), mais aussi le caractère Uiko) et l'intelligence (xe!)"l, alors
que "de la branche agnatique, l'enfant reçoit les os (yax), les nerfs (siddit), le
courage (fit) "2. Ainsi, comme chez Platon, il y a des dispositions naturelles que
l'hérédité ou la nature affectent à chaque nouveau-né.
Notons qu'en Afrique l'idée est plus explicite, en ce sens que ces dispositions
ont une origine plus ou moins connue voire vérifiables. L'enfant hérite de
l'intelligence de sa mère, du courage de son père. Toutefois, cet héritage ne se fixe
pas tout seul. Il suppose une éducation (needi en pular, yar en wolof) dont l'objet
est de faire éclore ces divers aspects. C'est dire que l'éducation est indispensable
dans ce cas. Les parents sont conscients que c'est dès la naissance que l'enfant a
besoin de leurs soins. Ce qui n'empêche qu'ils empruntent les voies les plus dures
pour imprimer à leurs enfants une personnalité conforme à l'idéal communautaire.
1. DIOP (Abdoulaye Bara), La famille wolof Paris, 1985. p. 19. L'auteur note que" les Wolof
disent "xel danu koy namp = "l'intelligence s'acquiert par le sein maternel" ". LesToucouleurs
et les Peuls diront" hagille muynele".
2. DIOP (Abdoulaye Bara), La Famille... , p. 20. Remarquons que le courage et l'intelligence sont
considérés comme des vertus immortelles qui se transmettent de père en fils ou de mère à
enfant. Le courage tenu du père est de caractère masculin, alors que l'intelligence transmise par
la mère est féminine.
123
.~
Il n'est pas rare d'entendre les parents, exaspérés par les pleurs ou les cris
d'un enfant, s'exclamer: quel mauvais caractère! (0 boni jiku en pular ou mo bon
jikku en wolof). Ce qui signifie clairement que l'éducation d'un tel enfant demande
un suivi strict. Abdoulaye Bara Diop note avec raison que "le bon vouloir ne saurait
être respecté, dès qu'il est en mesure de comprendre : vers cinq ou six ans ;
l'épanouissement de la personnalité ne pouvant se réaliser hors du cadre strict des
traditions. Si l'enfant ne naît pas mauvais, il est ignorant de tout (xalel xamul
da ra)" '. L'ignorance traduit un manque de connaissances à la fois intellectuelles et
techniques. Sans ces connaissances l'homme reste vide de substance et demeure
sans personnalité. Dès lors, il revient à la société et aux parents de trouver des
fonnules confonnes à la nature de l'enfant.
Le Négro-africain tient toujours compte, dans l'éducation, du sexe de
l'enfant. Selon qu'il est garçon ou fille, l'enfant s'identifie à une personnalité que la
société a assignée à son sexe. Les parents le guident vers la découverte de cette
identité. C'est par son habillement et ses parures qu'une fille se distingue du
garçon. Dès sa naissance, elle reçoit de sa mère ou de ses proches parentes des
parures de différentes couleurs et de valeurs. Ce sont des bijoux (en bois, en os, en
métal etc ... ), des bracelets, des anneaux que la jeune fille entoure de ses membres
encore fragiles. Alors que le jeune garçon est plus marqué par la nudité que par des
parures. Adolescents, filles et garçons confectionnent eux-mêmes leurs parures.
Par ce procédé, les parents font découvrir aux enfants quelques signes matériels qui
caractérisent chaque sexe. On les pousse à se reconnaître dans un canevas de
signes.
L'enfant de moms de six ans est submergé de jouets qUI, a eux seuls,
déterminent le sexe de leur utilisateur. Que ce soit sous l'arbre (less lekki), devant
une case (yesso sudu), ou dans un espace libre (karawal), filles et garçons sont côte
à côte; mais ils ne confondent jamais leurs jouets et leurs occupations ludiques. Les
filles ont toujours tendance à jouer. à préparer le repas, à puiser de l'eau, à laver et
à habiller un bébé, bref à imiter les travaux quotidiens de leurs mères. Les garçons,
quant à eux, simulent la chasse, le repos du père après une dure labeur, crient,
injurient ceux qui dans le groupe représentent les enfants et imitent toutes les
1. DIOP (Abdoulaye Bara), La Famille... , p. 44. En pular l'expression "l'enfant est ignorant de
tout" se traduit par cukalel andan hai dara. Le wolof et le pular emploient à peu près les mêmes
tennes dans ces expressions: xalel / (cu)kalel ; dara / dara .
124
activités et attitudes masculines. Ces scènes qui se déroulent quotidiennement sous
le regard des adultes sont aussi naturelles et spontanées que riches en
enseignements sur le caractère des enfants. Il arrive qu'une fillette ou un garçonnet
se mêlent aux jeux du sexe opposé; l'intrus est aussitôt traité d'efféminé, s'il s'agit
d'un garçon, de sans gêne et de masculine quand c'est une fille.
Aussi, dans leurs regroupements ludiques, les enfants s'adjugent-ils de
valeurs suivant leur mode de jeu. A ce stade les parents n'imposent pas des jouets à
leurs enfants. Ces derniers les trouvent ou les confectionnent eux-mêmes. Mais leur
conduite laisse entrevoir une complicité des parents qui se réjouissent à les voir
jouer. D'autant plus qu'ils profitent de ces dispositions naturelles pour accentuer la
différence entre garçons et filles. La nature aidant, chaque sexe s'identifie à un
groupe de jeu, à une personnalité commune. Le regard des parents, dans ce cas,
n'est pas toujours admiratif ; c'est plutôt une observation profonde des
comportements ludiques de l'enfant. Ils prédisent la santé physique de l'enfant en
appréciant la vigueur de ses
gestes et son agilité dans les petits exercices
gymniques. Ce qui leur donne une idée sur la personnalité de l'enfant. Les qualités
physiques sont, comme chez Platon, le reflet de la force morale. Une faible
constitution physique présage un manque de courage, par conséquent une absence
de force morale. Ainsi le Négro-africain laisse une liberté à l'enfant de moins de six
ans, pour que ce dernier laisse entrevoir sa personnalité, à travers son jeu.
La tâche des parents devient précise lorsque l'enfant atteint l'âge de
comprendre les ordres. Dans une famille traditionnelle, au sens restreint du terme il
existe une hiérarchie fondée non seulement sur l'âge, mais aussi sur le sexe. Le
pouvoir de décision revient le plus souvent au sexe masculin (même dans un régime
matrimonial), bien que les conseils prodigués par les femmes soient d'un apport
positif. C'est dans ce cadre hiérarchisé que se meut l'enfant. S'il a déjà pris
conscience de l'existence du sexe opposé, dans un second temps l'enfant est
confronté à une autre loi, à savoir la soumission à ses parents et à ses aînés. Il n'est
pas exagéré de parler de "soumission", attendu que l'aîné a toujours raison sur son
cadet; et ce dernier doit se soumettre aux décisions du premier. Tout semble naturel
aux adultes; en effet, ils sont tellement émerveillés par le côté affectif des enfants
qu'ils oublient souvent d'observer cette "guerre" qui se déroule entre aînés et
cadets. Cette "lutte" est souvent plus aiguë entre frères et sœurs. Mais la querelle
125
entre enfants vient de l'autorité exagérée des aînés ou de l'insoumission des cadets.
Le garçon voudra toujours montrer à sa soeur aînée ou cadette son autorité fondée
sur sa force physique et sa virilité.
On observe ainsi dans le comportement des enfants une lutte autour de la
notion de respect. Ce sont les prémices du poids de la masculinité sur la féminité,
du droit d'aînesse sur le droit du cadet. Les parents n'interviennent que pour
signifier à chaque enfant sa place dans la famille, son rang par rapport à ses frères
et ses soeurs. Dans la tradition négra-africaine l'autorité des parents avoisine celle
des dieux comme chez Platon. Le bonheur et la longévité d'un enfant "dépendent"
du respect accordé aux parents. Le respect est envisagé ici du point de vue
unilatéral, attendu que c'est à l'enfant de rechercher la bénédiction de ses parents.
C'est un respect qui relève d'un pouvoir magico-religieux qu'on attribue au couple
géniteur. Les parents en profitent pour initier leurs enfants à l'obéissance. Bien qu'
elle dépende du droit naturel l'obéissance est assimilée par les enfants sous la
contrainte des adultes. En effet parents et proches ne manquent pas à ce devoir à
chaque fois que l'occasion se présente.
Au cours des trois repas de la journée, l'enfant apprend à se tenir
convenablement devant les adultes. Ainsi les enfants ont-ils "un comportement
strictement réglementé: ils doivent tenir le bord du plat commun - pour l'empêcher
de bouger - avoir le regard baissé, garder le silence et manger devant eux" 1. Mais
s'il mange uniquement avec ses compagnons d'âge l'enfant se libère de toutes ces
prescriptions. En présence des adultes ou de ses aînés, il se garde d'injurier ses
compagnons d'âge, d'interrompre un adulte dans sa conversation; il ne répond et
ne parle que lorsqu'on le lui autorise. II n'appelle jamais ses parents, ses aînés ou
d'autres adultes par leur nom ou prénom; il a plutôt recours aux termes d'usage
courant et euphémiques2 tels que baba (père), neene (mère), kaw (oncle), gorgol
(tante), dede (grand frère ou grande soeur) etc .... Ces termes sont employés par
rapport à l'âge et à la parenté. Cependant, l'enfant est tenu d'user des mêmes
termes à l'égard de tous ceux qui ont l'âge d'être ses parents, ses oncles, ses aînés
etc ....
1. DIOP (Abdoulaye Bara), Lafamille.... p. 45.
2. Cf. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole chez les Dogon. Paris, 1965. Ch. III où elle
traite "la parole dans la vie sociale".
126
;
Ces prescriptions sont très ancrées dans les sociétés à castes. En effet, ceux
qui sont de castes inférieures doivent obéissance à ceux qui sont de castes
supérieures. C'est un principe qu'on transpose au sein des familles. Là, le père a le
pouvoir de décision; femmes et enfants sont soumis à l'autorité paternelle. L'enfant
en bas-âge, quel que soit son sexe, reconnaît l'autorité paternelle à travers la
soumission de la mère au père. La mère doit apparaître à ses enfants comme un
symbole de respect. Aussi a-t-elle les mêmes attitudes de respect vis-à vis de son
mari qu'envers les compagnons d'âge de ce dernier. La tradition explique ces
rapports par le fait que le mari est de loin l'aîné de son épouse. C'est dans ce
contexte social que l'enfant appréhende les notions de respect et d'obéissance. Le
respect dû à la mère, aux grands-parents ou aux aînés est moins rigoureux que celui
que l'on doit au père. La mère est respectée par ses enfants non seulement pour son
autorité (d'ailleurs contestée), mais aussi à cause du caractère de sa personne. Son
pouvoir magico-religieux est déterminant dans l'avenir de ses enfants. C'est par
référence à cette idée que la tradition négro-africaine oblige les enfants à se
soumettre à leur mère, seule source de leur bonheur futur.
Le respect dû aux sœurs et aux frères aînés est observé par les cadets plus
par crainte que par simple droit d'aînesse. Les corrections corporelles infligées à un
enfant par ses aînés sont aussi fréquentes que leurs rencontres quotidiennes. Dans
ces rapports de force, le cadet arrive à respecter son aîné et à lui reconnaître la
supériorité physique. Aussi réclame-t-ille concours de l'aîné, dès qu'il se sent en
difficulté devant un de ses compagnons d'âge ou un autre adversaire. L'aîné
devient ainsi une référence et un symbole. Pour le cadet, il est force physique ,
symbole de la virilité et de l'autorité. Cependant, l'aîné n'intervient que sur la
demande de son frère ou de sa soeur, attendu que leurs aires de jeu sont séparées et
distinctes. L'enfant apprend ainsi dans l'environnement familial l'art de vivre en
société tout en respectant la hiérarchie établie. Le respect et l'obéissance qu'il voue
à ses parents et à ses aînés manifestent le premier aspect de la personnalité de
l'enfant. C'est par son refus ou par son désir de se soumettre à l'autorité de ses
supérieurs hiérarchiques (parents, aînés, chefs etc .... ) que l'enfant estjugé par la
société. Encore doit-il plus de respect aux personnes âgées qui ont besoin
d'assistance.
Dans la tradition africaine, cette assistance est assurée par les enfants qui ne
manquent pas de réclamer, en guise de récompense, un conte ou une fable. Au
127
cours des veillées chaque enfant apporte6n petit fagot de bois mort pour alimenter
le feu qui réchauffe les vieux membres du conteur sollicité. Il est vrai que dans
leurs rapports intimes enfants et vieillards ont le sentiment d'appartenir à une même
génération. En réalité, l'enfant est impressionné par les connaissances étendues du
vieillard. Aussi voit-il les adultes apporter fréquemment des cadeaux aux vieillards,
dans le seul but de bénéficier de l'expérience et des connaissances de ces derniers.
Au vu de tout cela l'enfant appréhende l'importance de l'âge dans la tradition et il
découvre les valeurs du respect dû aux personnes âgées. C'est ainsi que les parents
géniteurs et les proches inculquent à l'enfant les valeurs éthiques jugées conformes
à l'idéal familial et à celui de la communauté.
Il est encore prématuré de parler d'une éducation de caste; mais comme les
parents sont les premiers qu'il imite, l'enfant découvre et assimile peu à peu leur
identité. Toutefois, la première préoccupation des parents est de le préparer pour
son intégration sociale. C'est ainsi que l'enfant apprend très tôt à observer et à
respecter, dans l'aire familiale même, les coutumes communautaires. Dans la
pensée négra-africaine les coutumes constituent le fondement socio-culturel pour
toute appartenance à une communauté. Comme l'enfant a déjà appris à respecter les
membres de sa famille, les parents doivent l'aider à observer les mêmes règles dans
la vie communautaire.
Dès lors, le respect n'est plus envisagé pour un seul individu. mais pour toute
une société. L'enfant découvre aussi que sa vie et celle de ses parents dépendent du
rythme imposé par la société. La joie ou la douleur des uns, le bonheur ou le
malheur des autres touchent et affectent toute la communauté. Dans ce contexte, la
société apparaît à l'enfant comme une grande famille où compte beaucoup la
solidarité. Il aura le sentiment d'appartenir à cette collectivité, d'autant plus que sa
prapre famille est l'une des composantes de cette dernière. Il pressent implicitement
que l'épanouissement de son moi est intimement lié à celui de la société tout entière.
L'enfant en bas-âge se limite aux rapprochements et aux comparaisons des
comportements des adultes pour asseoir sa propre conduite. Ainsi l'image d'une
société solidaire s'impose-t-elle toute seule à l'enfant, et cela à travt:1rs ce qu'il a
vécu dans sa famille. La solidarité c'est celle qu'il tisse d'abord avec ses frères et
sœurs avant celle qu'il noue avec ses compagnons d'âge. 11 s'habitue très tôt à cette
valeur qui fait le poids de la vie communautaire.
128
J
Dans l'environnement, familial l'enfant apprend à distinguer les journées
fastes et néfastes, les divinités et leurs fonctions; car il est tenu de participer aux
cérémonies rituelles des sacrifices domestiques. Son innocence fait que. l'enfant
exécute toutes les tâches inhérentes à ces cérémonies. A vrai dire cela tient moins de
la pureté que de la naïveté; en effet, l'enfant non circoncis est impur de nature. Il
appréhende à travers ces sacrifices et prières
l'existence des êtres invisibles
auxquels ses parents attachent une grande importance et vouent un respect
irréprochable. L'environnement familial aura ainsi contribué au contact de l'enfant
avec le sacré et à sa soumission aux exigences de la religion.
Ces diverses valeurs tenues pour les premiers fondements de la personnalité
du Négro-africain ne sont envisagées, comme chez Platon, que sous une juste
éducation. Bien que dans la concession familiale tout se passe sous le "regard" de la
société, les parents inculquent à leurs enfants leur propre identité relative à leur
statut. Dans les sociétés hiérarchisées en castes les parents concourent, suivant
leurs métiers, à conserver dans l'éducation des enfants leur propre identité sociale.
C'est ainsi que l'enfant, dès l'âge de sept ans, commence à suivre ses parents dans
leurs activités respectives.
Le forgeron (baÎ/o) garde son fils dans son atelier, le griot (gawlo) promène
son rejeton de concession en concession pour lui apprendre à parler et à connaître
les autres membres de la société, le pêcheur (cubbalo) embarque son enfant dans sa
pirogue ... Les femmes, si toutefois elles ont un métier particulier, n'hésitent pas à
initier leurs filles à la poterie (maade loode), au tissage (motude), à faire du savon
(sumde cabune ba cekiri). Ce sont des métiers réservés à certaines castes qui les
conservent jalousement, et dont les membres se les transmettent de génération en
génération. Dans ces cas, la formation de l'enfant n'est confiée qu'à ses parents et à
ses proches qui détiennent non seulement les techniques, mais aussi les secrets
magico-religieux de leurs métiers. Là, la société ne joue plus le rôle de superviseur
dans la formation de l'enfant. L'initiative est laissée aux parents.
Notons que, durant les rencontres entre compagnons d'âge, chaque enfant
cherche à prouver à ses pairs qu'il a reçu une bonne formation de ses parents. Ainsi
le jeune griot accompagne-t-il de sa voix et de son instrument de musique ses
129
compagnons au travail, le bûcheron confectionne-t-il le manche qui porte la houe
fabriquée par le jeune forgeron. Bref, chacun d'eux doit montrer à ses
compagnons qu'il est digne non seulement de faire partie de son groupe d'âge,
mais aussi et surtout d'être un valeureux représentant de sa famille et de sa caste.
Un groupe d'âge compte autant de représentants des castes que la société en est
composée. L'hétérogénéité est l'un des principaux aspects positifs des groupes
d'âge. La richesse des échanges interhumains à intérieur de ces groupes tient des
différentes et diverses personnalités de leurs membres.
Même si l'intégration d'un enfant dans un groupe d'âge est naturellement
admise par la tradition négro-africaine, les parents savent qu'elle nécessite, pour
être complète, un grand effort dans la formation à la vertu. Dans la société
traditionnelle africaine l'homme acquiert son rang social par le travail. Le guerrier
(ceddo) se distingue par ses actions héroïques, le griot par l'art de la parole et par sa
mémoire. On peut se demander pourquoi le guerrier ou un homme d'une autre
profession aime à écouter toujours ses propres éloges. Peut-être le Négro-africain,
comme l'aristocrate grec au temps d'Homère, se plaît-il dans ce genre de
cérémonies. Mais la raison principale viendrait certainement de la valeur que le
Négro-africain donne à son métier. En effet, il apprend à conserver cette noblesse et
cette dignité que lui confère sa profession. C'est dès l'enfance qu'il s'initie au
respect des valeurs du travail.
Au demeurant, la société africaine traditionnelle n'accepte pas un homme sans
métier, d'autant que c'est le métier qui fait la dignité de l'homme (gorko ko ligey ).
Par conséquent, tout individu qui remplit convenablement sa fonction mérite éloge.
Le cordonnier (sakke) qui, par exemple, ne sait pas tanner son cuir ni y tailler des
chaussures ne mérite pas son nom, comme tout artisan qui ne maîtrise pas son art.
L'enfant apprend ainsi auprès de ses parents que le second fondement de sa
personnalité est la connaissance profonde de son métier. Ce sont là des valeurs que
Platon prône dans la cité. Ce qui concorde parfaitement avec les valeurs
communautaires. D'autant plus que les membres de chaque caste savent qu'ils sont
destinés à vivre en commun avec les autres, l'individualisme étant banni et
condamnable dans une société négro-africaine
130
) Ainsi la personnalité de l'enfant est façonnée sous le double aspect familial et
communautaire. Qu'elle soit sous le contrôle strict de l'Etat chez Platon ou sous
l'intervention souple de la société en Afrique, l'éducation familiale a pour but
d'inculquer à l'enfant les valeurs familiales conformément à l'idéal communautaire.
131
,
II.2 MORALE ET CARACTÈRE
II.2.1 Le mythe et la formation morale chez Platon
L'éducation platonicienne est intimement liée à la mythologie, d'autant plus
que cette dernière est à la base de la fonnation psychologique du citoyen. Rien n'est
moins fondé que de dire de façon catégorique que "Platon n'aimait pas Homère"l,
et que par conséquent il condamne "l'interprétation allégorique d'Homère pour la
seule raison qu'elle ne saurait découvrir dans ses poèmes un message doctrinal qui
en est absent par définition"2. Il est vrai que Platon a interprété à sa manière et selon
les exigences de son idéal pédagogique certains passages des textes homériques,
mais il n'a nié en aucun cas les valeurs éthiques que recouvre la mythologie chez
Homère. Mieux, il fait référence aux poèmes homériques pour appuyer et étayer ses
thèses mythologiques. En réalité, c'est pour des raisons plus philosophiques
qu'éthiques que Platon propose la censure de certains passages des poèmes
homériques.
A l'instar de Pythagore, de Xénophane et de Héraclite3 Platon condamne
l'immoralité des mythes qui sont livrés au monde des enfants. Cependant, il va
beaucoup plus loin dans sa critique que ces philosophes anté-socratiques. Sa
critique dépasse le simple constat; elle répond à un besoin de réajustement du
mythe au mode de pensée de l'époque classique. La mythologie doit contribuer non
seulement au respect des dieux, mais aussi à l'unité de la cité4. C'est par rapport à
ces objectifs que Platon propose une nouvelle interprétation du mythe.
Dans son ouvrage, Platon, les mots et les mythes 5, Luc Brisson analyse
comment Platon assimile le mûthos au logos. Il ramène la critique platonicienne à
une volonté de développer le discours philosophique pour briser le monopole du
1. PEPIN (Jean), Mythe et allégorie, les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes.
Paris, 1958. p. 112.
2. PEPIN (Jean), Mythe et allégoie... , p. 120.
3.Cf. BUFFIERE (Félix), Les mythes d'Homère et la pensée grecque. Paris, Les Belles
Lenres, 1956. Ch. I. pp. 13-25.
4. Cf. Rép. , 386 a.
5. BRISSON (Luc), Platon, les mots et les mythes. Paris. Maspero,1982.
132
mythe. Pour ce faire, Platon réorganise le vocabulaire de la "parole". Car)si mûthos
peut être assimilé à logos, défini comme "discours", l'inverse ne peut se faire avec
logos pris dans le sens de "discours vérifiable" et de "discours argumentatif'l.
Platon reconnaît, au-delà de toute interprétation allégorique, l'utilité du mythe2. li y-
a dans cette utilité un aspect éthique et politique que Platon n'ignore pas. Sa
réforme du mythe s'adresse à une conscience collective. Croire que l'utilité éthique
du mythe chez Platon est d'ordre individuel revient à négliger les vrais rapports
entre paideia et muthos. Luc Brisson a écrit lui-même que "le mythe est alors
apparu comme ce discours par lequel est communiqué toute information sur le
passé lointain, conservée dans la mémoire d'une collectivité donnée qui la transmet·
oralement d'une génération à l'autre, que ce discours ait été élaboré par un
technicien de la communication comme le poète, ou non"3. Il se trouve que
l'éducation est un transfert de coutumes et de techniques conservées de génération
en génération avec toutes les modifications que réclament le milieu et l'époque.
Ainsi le mythe actualise des faits qui ont sillonné la vie des générations disparues.
Et c'est par là qu'apparaît son intérêt pédagogique.
Platon n'a pas mis directement en parallèle le mythe et le discours (f!üeoç Kat
À6yoç) comme le fait penser l'analyse4 de Luc Brisson. Dans La République le
philosophe est précis; l'éducation (natoda) comprend d'abord des disciplines
intellectuelles (f!OUcrtK~) qui comportent deux genres de discours5, le vrai et le faux.
C'est par la suite que Platon qualifie de faux quelques éléments du mythe6. Ce qui
n'empêche que le mythe fait partie de la natoda. Car il est un élément de la
musique (disciplines intellectuelles), principale composante de l'éducation. Le
caractère philosophique du mythe vient en second lieu devant son aspect
pédagogique.
Le mythe est un "outil" pédagogique composé pour être dit et pour être
écouté. Il s'adresse en premier lieu au monde des enfants par le biais des fables. En
effet, "on se sert de ces fables pour l'instruction des enfants avant de les envoyer au
L BRISSON (Luc). Platon
p. 110.
2. BRISSON (Luc), Platon
p. 144.
3. BRISSON (Luc), Platon .. , p. 109.
4. BRISSON (Luc), Platon ... , p. Ill.
5. Cf. Rép., 376 e.
6. Cf. Rép., 377 a.
133
gymnase" 1. C'est à partir de dix ans que l'enfant s'initie, chez Platon, aux
techniques 2 de lecture et d'écriture. Avant cette limite d'âge, l'enfant ne fait
qu'écouter (UXOUElY) ce qu'on lui dit (Tà ÀOyÔflEYOY). Platon, conscient de ce fait,
emploie parallèlement les deux verbes 3.
Bien qu'il préconise une formation physique très tôt chez l'enfant, le
philosophe n'a jamais douté de l'intérêt de la formation psychologique d'un
na lÔ {OY. Les diseurs de fables doivent mesurer la naïveté d'un na lMoy face aux
récits, d'autant plus qu' "il n'est pas en état de discerner ce qui est allégorique de ce
qui ne l'est pas, et les impressions qu'il reçoit à cet âge sont, d'ordinaire,
indélébiles et inébranlables"4. Cela tient du fait qu'à cet âge les mœurs s'implantent
par habitudes. Tout indique, en effet, que les adultes procèdent par répétition pour
faire mémoriser les fables par les enfants. Ce procédé repose sur les qualités du
conteur. Dans son discours, il doit faire apparaître le mythe comme une sorte
d'incantation de l'âmé, attendu que le récit mythique procure aux enfants tous les
plaisirs comparables à ceux que donne une Èn~ôrl.
Chez Platon, "['effet" du mythe sur ['âme est rendu par le verbe nÀcITTE l Y.
Pratiquement ce verbe signifie "modeler" une matière. Platon l'emploie pour
traduire le modelage du corps et celui de l'âme: "nÀcITTEl y Tàç 8uXàç aÙTWY Toïç
flu80lç nOÀù flaHoy, il Tà crwflaTa Taïç XEpcr{Y ( .... )"7. Même si on arrive à
traduire nÀcITTEl y Tàç 8uXcIç par "façonner les âmes" sa vraie signification dans ce
contexte est "orienter les âmes" vers un modèle, d'autant plus que dans son sens
abstrait, comme dans son sens concret. nÀcITTElY ne traduit pas un achèvement ni la
perfection. Dans les deux cas, l'action de modelage se passe au début de
l'éducation: les mères modèlent le corps de leurs bébés à l'aide de leurs mains8,
l'âme par le biais des fables.
1. Rép., 377 a. (npÔTEpOY ôÈ flu80lç Tà nalô{a il YUflyacr{OlÇ XpWflE8a).
2. Cf. Lois, 809 e.
3. Cf. Rép., (ÀÉYE l y) : 377 c2 : (UXOUE l y) : 377 b4.
4. Rép.. 378 e.
5. Cf. Lois, 792 e.
6. Cf. Cha rm ide , 156 d 3 - 156 c 6.
7. Rép., 377 c.
8. Cf. Lois, 789 e.
134
Le récit fait intervenir plusieurs éléments; c'est un discours qui se définit par
son contenu et par la manière dont il est exposé. Il est aussi imitation. Le conteur
aussi bien que l'enfant sont imitateurs dans le récit. Mais l'enfant a tendance à tout
imiter dans une fable. Aussi est-il nécessaire d'orienter cette imitation vers
l'essentiel. Car cette imitation peut devenir, selon Platon, une habitude voire une
naturel. Dans un discours oral l'auditoire ne fournit pas d'efforts pour distinguer ce
qui est allégorique de ce qui ne l'est pas. Par contre, le texte écrit .pousse à la
réflexion. On y relève facilement ce qu'il faut ou ce qu'il ne faut pas imiter. Platon
reconnaît tout de même l'existence d'une bonne ou mauvaise imitation face à un
discours oral ou écrit. Sa méfiance vis-à-vis de l'imitation est surtout d'ordre
moral.
Chez le garde, les qualités physiques vont de pair avec les vertus morales. La
gymnastique et la musique qui se tempèrent l'une
l'autre apportent un juste
équilibre dans l'éducation du garde. Le courage, la tempérance, la justice et la
sagesse sont, outre les dispositions naturelles, les principales vertus du garde
parfait. Ainsi la mythologie doit être orientée vers ces repères éthiques.
L'importance que Platon accorde à la mythologie dans la formation des
enfants relève de la richesse des images dont les mythes eux-mêmes sont porteurs.
Les textes poétiques décri vent des mythes; et c'est la raison pour laquelle Platon
tient à ce que la création poétique soit conforme aux normes de la morale. Ce qui ne
signifie pas que Platon confonde ici la poésie avec la mythologie. Luc Brisson voit
en la poésie "une fabrication qui porte non seulement sur le contenu, mais aussi sur
la forme du discours", alors que la mythologie reprend "cette idée de fabrication
dans l'ordre du discours, mais sur le plan du contenu seulement, tout en exprimant
une idée nouvelle, celle de la narration"2. Défini comme un contenu narratif, le
mythe est ouvert aux variations et aux changements. Et c'est pour cette raison que
Platon préconise un contrôle permanent du contenu du mythe dans la formation
psychologique de l'enfant.
Le monde des dieux est identique il celui des hommes. Les dieux y évoluent
comme des hommes, avec leurs qualités et leurs défauts. Telle apparaît l'image des
dieux dans la mythologie grecque. Mais comme les mortels sont tenus d'imiter les
1. Cf. Rép., 395 b c d.
2. BRISSON (Luc), Platon ... , p. 194.
135
~
dieux, il revient à l'éducateur de soigner l'image de ces derniers dans les récits
mythiques. La mythologie s'oriente ainsi vers la perfection. Pour ce faire, Platon
propose la "relecture" des textes poétiques tels que ceux d'Homère, d'Hésiode
etc ... Cette relecture paraît d'autant plus indispensable qu'elle permet une nouvelle
interprétation du mythe. Platon désapprouve la manière dont Homère, Hésiode et
d'autres poètes ont entretenu le mythe dans leurs récits l . Ces compositeurs et
conteurs à la fois ont peint les dieux et les héros avec les vices propres aux
hommes. Leur "crime" n'est pas d'avoir donné une fausse image aux dieux, mais
surtout d'avoir ignoré les dispositions intellectuelles de ceux à qui ces mythes sont
destinés. Les dieux et les héros servent de modèles aux hommes. Encore faut-il que
les dieux et les héros soient bons modèles. C'est dire que Platon entend donner au
mythe un caractère purement pédagogique. Et le mythe doit être une référence dans
la formation psychologique de l'enfant. La réforme platonicienne dans ce domaine
aura ainsi une orientation plus éthique que religieux.
Dans le cadre de la formation psychologique des enfants, Platon propose la
suppression, dans les textes poétiques classiques, des séquences qui suscitent la
peur chez l'enfant. Il trouve que la peur est liée à une certaine faiblesse de l'âme. Et
cela s'observe dès les premiers jours (après la naissance) de l'enfant. La peur se
manifeste chez le nouveau-né par des agitations émotives. Pour guérir l'enfant de
ces maux, Platon envisage d'abord le mouvement : ~ l<{VllOtÇ. En effet, " quand on
oppose à de telles agitations, une secousse extérieure, le mouvement qui vient du
dehors maîtrise le mouvement interne de frayeur et frénésie, et le maîtrisant, se
trouve avoir ramené dans l'âme le calme et la tranquillité que troublaient, chez les
uns comme chez les autres, les pénibles sursauts du coeur"2. En ce procédé, on
reconnaît une approche médicale du mouvement3. Cependant, le mouvement n'est
envisageable que pour la guérison; il ne fortifie pas le courage, mais lui prépare de
la place dans l'âme de l'enfant. Il atteint l'âme de l'enfant par son rythme.
La seconde façon de guérir l'enfant des troubles est liée à la mythologie.
L'enfant est naturellement attiré par le merveilleux. Dans les récits fabuleux, son
admiration se transforme très souvent en étonnement, puis en peur et en crainte. Et
1. Rép., 377 d. Cf. BRISSON (Luc), Platon .. , Ch. III. P. 50.
2. Lois, 791 a; Cf. Banquet, 215 e ; Ion, 533 cd, 536 c.
3. Nous reviendrons sur le mouvement au Ch. III.
136
:?
c'est pourquoi nous devons savoir" (... ) que toute âme qui, dès la jeunesse, est
hantée de telles craintes, deviendra de plus en plus la proie de ces terreurs
paniques" 1. Cette mise en garde mène à la censure de tout ce qui suscite la peur
dans les compositions poétiques. Il est vrai que le premier rôle, dans ce domaine,
revient aux poètes compositeurs, mais la place des mères et des nourrices n'est pas
la moins importante. Dans le respect des prescriptions relatives aux mythes, elles
n'iront pas "( ... ) sur la foi des poètes effrayer leurs jeunes enfants en leur contant
mal à propos que les dieux circulent pendant la nuit, déguisés en étrangers sous
mille formes diverses, et qu'ainsi elles évitent à la fois de blasphémer contre les
dieux et de rendre leurs enfants les plus peureux"2. Dans ce passage, Platon semble
vouloir ébranler toute une tradition.
En effet, le Grec arrive à faire intervenir les dieux là, et au moment où
l'homme se voit incapable de trouver ou de résoudre certaines énigmes. Le parfait
déguisement reste le côté fort des dieux grecs; leur supériorité sur les hommes leur
autorise toute métamorphose. Peut-être Platon a-t-il pressenti que le raisonnement
du Grec du IVosiècle ne concordait plus avec cette façon de peindre les dieux. C'est
une représentation qu'il qualifie d'ailleurs de fausse. Ainsi luLsemble-t-il nécessaire
de former les nouvelles générations sur de nouvelles bases mythologiques.
L'aspect religieux de cette représentation est secondaire par rapport à son aspect
pédagogique. Le blasphème est chose pardonnable; mais les craintes que suscitent
ces peintures chez l'enfant hanteraient à jamais son âme, si l'éducateur n'y prend
garde. D'ailleurs, le déguisement des dieux n'est effectif que la nuit ; ce qui
contribue fortement à l'implantation de la peur chez l'enfant. Ainsi Platon propose
la suppression des fausses et effrayantes images des dieux décrits dans certains
passages des textes poétiques. A l'idée de l'obscurité dans les fables correspond
inévitablement l'Hadès, le monde des morts.
Le thème de la mort occupe une grande place dans la mythologie grecque.
Seulement, son interprétation diffère selon qu'on est paix ou qu'on est en guerre.
Dans l'Iliade Achille est sûr d'aller vers une mort certaine, qui ne l'inquiète pas
d'ailleurs. Sa seule crainte est de mourir sans gloire, attendu qu'il combat pour cet
idéal. Et s'il ne craint pas la mort, c'est qu'il ne doute pas de ce qui l'attend après
1. Lois, 791 b.
2. Rép., 381 e.
137
cette dernière. Telle est la philosophie que Platon cherche à inculquer aux gardes
dont le métier est la guerre. Le courage est l'une des principales vertus du guerrier
et il est nécessaire de la cultiver très tôt chez le jeune garde. D'autant plus qu'ils
seront exposés, dès qu'ils auront atteint l'âge de combattre, aux multiples dangers
de la guerre. Pour les y préparer, rien ne doit rendre la mort effrayante. C'est la
raison pour laquelle les compositeurs et les conteurs sont contraints de "peindre de
belles couleurs le monde de l'Hadès. au lieu de le noircir niaisement comme il le
font, attendu que leurs récits ne sont ni vrais ni utiles à des gens appelés au métier
de la guerre" 1. Contrairement à ce que note Emile Chambry à propos de ce passage,
Platon n'envisage pas que le côté utilitaire de la mythologie. Tout dépend de
l'interprétation qu'on donne à "àÀT]8~" et à "w<j>ÉÀqw" dans le texte . L'emploi du
premier terme relève du caractère théologique du mythe, alors que le second atteste
l'utilité du récit dans la formation psychologique des enfants. Rien ne sépare le
pédagogique de ces deux aspects du mythe.
L'idée de ne pas rendre l'Hadès effrayant obéit à la belle image que le garde
doit avoir du monde des morts. Une représentation effrayante de l'Hadès ne
favorise pas l'amour du combat. car le garde s'affolera à l'idée qu'il ne retrouvera
ni le bonheur ni la paix après la mort. On cherche ainsi à tuer chez l'enfant
l'angoisse liée à la mort. Cette dernière doit lui apparaître comme un phénomène
naturel, plus précisément comme une transition entre deux mondes. C'est pourquoi
l'éducateur est tenu de décrire l'Hadès comme un milieu accueillant, attendu que
c'est un procédé pédagogique qui favorise l'implantation du courage dans l'âme de
l'enfant.
Si l'au-delà est conçu comme un monde hospitalier, la mort qui y conduit ne
doit pas causer de crainte aux gardes. Ainsi ne leur appartient-il pas de se lamenter
ni de se plaindre devant la mort d'un proche parent ou d'un ami; cela témoignerait
de la faiblesse de leur caractère2. C'est pour cette raison qu'il faut "retrancher les
plaintes et les lamentations qu'on met dans la bouche des grands hommes3. Là,
Platon redoute l'imitation aveugle, par les jeunes enfants, des vices que les poètes
ont attribués aux dieux et aux héros. Dans cette perspective, le philosophe envisage
d'enrayer toute faiblesse sentimentale chez le futur guerrier. Aucune atrocité ne doit
1. Rép., 386 b.
2. Cf. Rép., 387 c ; 388 a.
3. Rép.. 387 d.
138
l'émouvoir au point qu'il arrive aux plaintes et aux lamentations. La même fermeté
lui est recommandée devant la joie extrême. Le garde doit s'abstenir de rires
violents '. En réalité, dans le premier cas comme dans le second, le garde n'est pas
le responsable de ses actes. La seule façon de le prémunir contre ces emportements
est de soustraire de la mythologie les plaintes, les lamentations et les rires violents
mis au compte des dieux et des héros dans les récits. Platon espère ainsi fortifier la
fermeté du garde devant toutes les situations extrêmes.
Ces prescriptions relatives à la formation au courage mènent à la tempérance.
Le courage préfigure une décence dans les comportements du garde vis-à-vis de lui-
même et des autres citoyens. Platon constate que la mythologie, telle qu'elle a été
jusqu'à présent, ne favorise pas la formation à la décence. Elle renferme plutôt des
récits qui entretiennent l'intempérance. L'obéissance aux supérieurs, rappelle
Platon, est la première forme de tempérance. C'est là l'un des principaux principes
qui fondent l'unité au sein de la cité. La vertu ne s'acquiert que dans un Etat bien
géré et bien ordonné. Platon désapprouve toute idée de désobéissance dans les
récits mythiques. Le respect de la hiérarchie sociale dans la cité relève de la
tempérance et de la justice.
La mythologie forme aussi à la modération. Platon propose la suppression
des scènes qui montrent des dieux et des héros pressés par la faim et charmés par
des tables couvertes de nourritures2. Il cherche ainsi à étouffer les désirs excessifs
chez le garde. La condamnation des désirs violents obéit à une recherche
d'équilibre entre l'âme et le corps, bien que le corporel soit, chez Platon,
subordonné au mental. Dès lors, rien d'étonnant de voir le philosophe s'insurger
contre les plaisirs violents de l'amour. Il prétend qu'il est immoral voire contraire à
l'esprit pédagogique de représenter des dieux pressés de s'unir sans discrétion3. Ce
sont des images qu'il faut bannir de l'éducation des enfants appelés à être décents.
L'amour charnel n'est envisagé que pour la procréation.
L'avidité est un vice qui avoisine l'intempérance. Le garde doit faire montre
de modération face aux richesses. Là aussi Platon veut couper d'avec la tradition.
La guerre n'est plus une source d'enrichissement individuel. Platon condamne
1. Cf. Rép., 388 e.
2. Cf. Rép., 390 a b.
3. Cf. Rép., 390 b c.
139
'9
implicitement le partage des biens après les victoires guerrières. Le combat est avant
tout un devoir envers la cité. Achille n'hésite pas à cesser de combattre pour la
simple raison que le chef des armées Agamemnon lui a ravi son "dû" et refuse de le
lui rendre. Quel jugement porterait un jeune enfant devant la position d'Achille?
Telle est la question que s'est certainement posée Platon. Pour lui, l'enfant,
dépourvu de raisonnement, qualifierait le héros d'avide. Il ne saura pas toujours
comprendre que dans ce refus Achille cherche à préserver son honneur et sa
dignité. Et c'est pour cette raison que Platon propose la censure des passages qui
décrivent l'avidité supposée d'Achille, La question que nous nous posons est de
savoir comment concevoir le texte de l'Iliade "privé" de ces passages. Le recueil
des textes de l'œuvre ne saurait être la meilleure solution pour résoudre le
problème. Ainsi la réforme platonicienne des textes homériques se [raduit-elle par
une incohérence dans la pensée du philosophe. Attaché à son idéal, Platon oublie
souvent que l'Wade constitue un tout inviolable. Du reste, la mythologie doit aider
le citoyen à se départir de tout désir passionné des biens matériels.
La colère ne doit pas conduire au mépris de la personne humaine. Platon écrit
qu'Achille n'a pas hésité à traîner Hector autour du monument de Patrocle!. Cette
scène de l'Wade signifierait que le héros méprise les dieux et les hommes. Dans Les
Mythes d'Homère et la pensée grecque, Félix Buffière fonde la psychologie
platonicienne sur celle d'Homère 2. La division de l'âme en trois parties (raison,
colère, désir) existe déjà dans les textes homériques. Chez Homère la colère (le
thymos) est tantôt soumise à la raison, tantôt en révolte contre elle3 . Platon
reconduit le même raisonnement; mais il va plus loin en condamnant ce qu'il
appelle "la colère déraisonnable (T~ àÀoy{crTwÇ 8UflouflÉv~)4.
La colère d'Achille, après la mort de Patrocle, a poussé le héros au combat.
Platon la cautionne, en ce sens qu'elle est conforme à la justice et qu'elle engendre
le courage; c'est une colère raisonnable. Cependant, elle ne doit pas conduire au
mépris de la personne humaine. C'est ce qui arrive à Achille lorsqu'il traîne le
cadavre d'Hector autour du bûcher de Patrocle. Ce n'est plus un acte de vengeance
mais une furie, une absence de maîtrise de soi. Il ne faut non plus "abuser de sa
1. Cf. Rép,. 391 b.
2. BUFFIERE (Félix), Mythes d'Homère
pp. 265-272.
3. BUFFIERE (Félix), Mythes d'Homère
, p. 270.
4. Rép., 441 c.
140
)
force et de son courage pour s'imposer avec une telle cruauté. Dès lors, il doit être
interdit de présenter aux enfants un Achille dont les actes témoigneraient du mépris
de la personne humaine. En revanche, il faut susciter chez l'enfant un sentiment de
respect vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres.
Dans ses dialogues, Platon ne cesse de chercher la vraie nature de certaines
vertus (le courage, la sagesse, la tempérance etc ...). La première question a été,
dans ce domaine, de savoir comment s'acquiert la vertu. Dans le Protagoras Socrate
allègue qu'elle ne s'enseigne pas. Pourtant Platon semble chercher la solution dans
la mimésis. Pour rendre le fait d'acquérir le courage, la tempérance, la sagesse ou
tout autre vertu, Platon emploie le verbe fllflElo8at à la place de TlatOEUElyl. Peut-
être fllflElo8at rend-elle plus que TlU10EUE1Y l'influence insensible du récit sur le
caractère de l'enfant. D'ailleurs la fllflrl01Ç n'est conçue ici que dans son aspect
pédagogique. Alors que TlatOEUE1Y implique un raisonnement, fllflElo8at repose
sur l'esprit encore jeune de l'enfant.
Pour Luc Brisson l'imitation a deux niveaux: "alors que l'imitation qui
intervient au niveau du logos "ce qui est exprimé dans le discours" implique un
rapport entre un objet-copie et un objet-modèle, l'imitation qui intervient au niveau
de la lexis "la façon d'exprimer le contenu de ce discours" concerne le rapport
qu'entretient un sujet, le poète en l'occurrence, avec l'objet dont il fabrique la
copie"2. Ce commentaire de l'imitation chez Platon montre que ce dernier n'ignore
pas les valeurs éthiques et esthétiques qui se juxtaposent dans tout mythe envisagé
sous forme de logos (discours). Sans cette juxtaposition, voire ce mariage entre
l'éthique et l'esthétique, on ne saurait parler de théorie platonicienne de l'art.
Henri Joly remarque que cette dernière "se compose de deux attitudes
distinctes: une attitude qui, d'un point de vue idéal, réserve une fonction éducative
et moralisante à un art qui serait désormais soustrait aux fantaisies de la
"mythopoièse" et soumis au contrôle d'une véritable "logopoièse"; une attitude par
ailleurs critique, qui impose souvent censure et prohibition à tout ce que les arts
peuvent produire de scandaleux et de hideux, mais aussi de plaisant et de
1. Cf. Rép., 365 c.
2. BRISSON (Luc), Platon ... , p. 85.
141
réjouissant"l, L'auteur reprend ici la critique aristotélicienne. De même que les
peintures produisent des "images" et des "formes" qui sont belles par mimesis et
indépendamment de la beauté et de la laideur attachée à leur réalité, de même les
mythes et les récits qui produisent des "imitations d'action" autorisent,
indépendamment de leur moralité ou de leur immoralité, une réjouissance légitime
parce que simplement formelle2.
Platon ne minimise pas le plaisir, la réjouissance ou même la répugnance que
suscite une image ou un récit. Mais, dans les livres l et II de La République, il se
limite, dans une certaine mesure, aux aspects pédagogiques de l'art. Il paraît
exagéré de ramener ces textes à une illustration de l'opposition entre mythe et raison
ou entre poésie et philosophie. Sous cet angle, " à la question (... ) posée de savoir
s'il fallait raconter Homère aux enfants, le philosophe ne pouvait que répondre
négativement"3. Platon qui ne dissocie pas "narration" et "éducation" n'exclut pas
Homère de son programme pédagogique. Il cherche plutôt à réadapter l'esprit des
textes homériques aux réalités de l'époque classique. Si Platon a remis en cause la
forme picturale ou celle du discours, c'est que son art s'adresse avant tout aux
jeunes enfants. C'est par rapport à cette orientation de l'art qu'il faut apprécier la
critique platonicienne. Si les textes homériques continuent à alimenter la paideia de
l'époque classique, il n'en demeure pas moins vrai que sur certains aspects ils ne
concordent plus avec les nouvelles valeurs de la cité.
L'individu n'est plus une référence avec ses qualités particulières. Il existe
pour la cité et pour les valeurs de cette dernière. On le juge comme un citoyen et
non plus comme un individu isolé. Il est sociable ou asocial. Ainsi il y a bien une
volonté chez Platon de faire correspondre l'ordre du discours (logos) à un ordre du
récit (lexis). Le contenu et la forme du mythe dont rêve Platon sont très proches de
la réalité. Et la question qui se pose est de savoir si ce genre de mythe aurait un
caractère merveilleux. Les réformes que propose Platon au sujet du mythe
répondent aux exigences morales de ses principes pédagogiques. Que les enfants
les assimilent par habitude en les écoutant ou par l'écrit et la lecture, les récits
mythiques porteurs de préceptes de justice, de sagesse, de courage, de tempérance
1. JüL y (Henri), "Faut-il raconter Homère aux enfants" in Annuaire de fa Société Suisse de
Philosophie = Studia Philosophica. 1984. T. XLIII. pp. 71-92.
2. JOL Y (Henri), ibidem, p. 90.
3. JOLY (Henri), ibidem, p. 91.
142
et de piété apparaissent comme des outils pédagogiques privilégiés dans la
formation du garde. Le mythe est ainsi la première source qui forme et entretient la
personnalité de l'enfant. Si le mythe contribue à la naissance et au développement
de la personnalité, les disciplines intellectuelles et techniques, quant à elles,
participent à sa consolidation.
143
II.2.2 Contes, fables et formation en Afrique
La notion de morale et celle d'éducation se confondent dans la pensée négro-
africaine. Cette confusion est relative à la place qu'occupe la morale dans la
formation du Négro-africain, d'autant plus que le terme d'éducation (yar en wolof,
needi en pular) désigne dans ces langues un ensemble de règles de conduite et de
mœurs auxquelles tout membre de la société est tenu de se soumettre. Dans needi et
yar la tradition néglige les aspects pratiques de l'apprentissage des métiers par
exemple. La raison en est qu'il n'existe pas dans ces langues de termes précis pour
traduire l'apprentissage pratique. Dans les expressions une "juste éducation ou
mauvaise éducation" (needi mojiri / needi bondi en pular, yar bu bax / yar bu bon
en wolof) l'élément principal de référence est la morale. Son enseignement est
difficile à circonscrire dans le temps et dans l'espace; elle ne s'enferme pas dans
des prescriptions figées. Toutes les occasions sont bonnes pour donner une leçon
de morale à ceux qui en ressentent le besoin.
Dans les sociétés à castes comme dans les sociétés' dites "anarchiques",
l'enseignement de la morale repose sur la tradition. C'est une sorte de transmission
de préceptes que les Anciens ont jugés conformes à l'idéal communautaire. Dès lors
qu'elle puise son contenu de la tradition, la morale se développe, et se confond
avec le mythe.
Si dans la cité platonicienne le discours oral et le discours écrit entrent dans
l'enseignement de la morale, dans les sociétés négro-africaines on se limite aux
vertus de l'oralité. L'absence du discours écrit a contribué à l'amélioration des
techniques du discours oral. En Afrique noire traditionnelle, l'éducateur doit
maîtriser l'art oratoire, d'autant plus que la parole, en tant qu'art, s'apprend (hala
jangete en pular, wax denu koy Jang ) comme toutes les autres sciences. Dans ce
cas précis, l'art oratoire n'est pas la chasse gardée des griots qui sont plutôt orientés
vers le discours élogieux. Certes, leur métier leur donne toutes les qualités 1 de bons
orateurs, mais ils ne sont pas les seuls à posséder les techniques du discours oral.
Si d'un côté ses techniques s'apprennent, de l'autre la gaieté Ou la morosité du
1. Cf. CALAME-GRIAULE (Geneviève), Parole ... , pp. 485-491.
144
)
discours oral dépendent de l'orateur. Toutefois, savoir parler ne suffit pas pour être
un bon éducateur.
En effet, à chaque âge et à chaque circonstance correspond un type de
discours. Et l'éducateur est tenu d'être à la hauteur de son auditoire. Dans une
civilisation de tradition orale comme celle de l'Afrique noire l'éducateur doit adapter
son enseignement oral à l'esprit de ses jeunes interlocuteurs. C'est pourquoi
enseignement de la morale obéit aux exigences de la tradition orale. Après tout, la
morale n'est pas une discipline dont les contours sont définis d'avance. Elle est
formulée dans la quotidienneté des rapports entre adultes et jeunes générations. Il y
a des règles de morale qui s'assimilent toutes seules; et il n'est pas besoin
d'apprentissage pour les acquérir. Néanmoins, cette assimilation tacite doit être
soutenue et accompagnée par un effort de compréhension des préceptes moraux.
C'est dans ce cadre que les adultes font intervenir la mythologie dans
l'enseignement de la morale. Les contes, les légendes et les récits ordinaires sont la
matière de cet enseignement.
La place du conte dans la formation morale des enfants se mesure à sa
fréquence dans la vie du Négro-africain. On distingue différentes catégories de
contes dont la classification repose sur de nombreux critères j. Mohamadou Kane
constate que "ce problème de classification est étranger à la littérature traditionnelle
où un conte, quels que soient son thème, sa finalité ou sa caractéristique technique,
reste un conte. L'Africain ne va pas plus loin"2. C'est un phénomène propre à
toutes les traditions orales où la littérature n'est pas encore fixée par écrit. Dès lors,
le système de classification ne peut se fonder que sur les thèmes de la littérature
orale. Pourtant Mohamadou Kane précise qu'''il ne viendrait (... ) à l'esprit de
personne de confondre un conte et un chant sacré, un conte merveilleux religieux
qui plonge aux sources même des croyances du groupe"3. Il n'en demeure pas
moins vrai que le Négro-africain est conscient des similitudes entre les contes voire
entre les divers genres littéraires de la tradition orale. C'est à cause de la finalité
globale qu'il donne au conte que le Négro-africain néglige cette classification dont
parle M.Kane. Quelles que soient ses caractéristiques, le conte entre dans un
1. Cf. KANE (Mohamadou), "Les contes d'Amadou Coumba" in Langues et Littérature, nO 16.
Dakar, 1968. pp. 23-28.
2. KANE (Mohamadou), "Contes
, p. 23.
3. KANE (Mohamadou), "Contes
, p. 23.
145
l)
système de culture où sa premlere finalité est d'éduquer par son contenu, de
perpétuer et de consolider la tradition par sa permanence dans la vie de tous les
jours. Notre étude s'articule plus précisément autour des contes à finalité morale,
attendu qu'ils sont à la base de la formation psychologie des enfants.
La diversité des aires géographiques a marqué les cycles l des contes qu'on
rencontre dans la tradition négro-africaine. En effet, "il existe donc", écrit
Mohamadou Kane, "une géographie du conte liée à la nécessité pour le conteur de
choisir ses personnages et la matière de son conte dans le milieu environnant"2. Le
conte est ainsi adapté aux exigences de la vie du groupe qui l'exploite à des fins
culturelles et pédagogiques. Ce n'est pas parce que l'enfant de la savane ne connaît
pas l'araignée ou la tortue que le conteur lui propose le lièvre et l'hyène. La
fréquence de ces bêtes dans la savane n'est pas la seule explication de ce choix. li
se trouve que le lièvre symbolise, par son innocence et par sa douceur, la paix et la
ruse, l'agilité et la souplesse, tandis que l'hyène évoque dans tous les esprits la
couardise, la méchanceté et surtout la maladresse. Autour de ces deux bêtes se
meuvent d'autres personnages dont la fonction est d'étayer l'histoire racontée. Le
monde du conte est le reflet de la vie communautaire. Dans le même univers se
superposent toutes les occupations. D'un cycle à un autre ou bien d'un thème à un
autre le même personnage change de fonctions sans pour autant perdre ses qualités
et ses défauts. C'est pour ces multiples aspects que le conte est au service de la
société. Il signifie ainsi instruction et réjouissance. Il est pour les enfants une sorte
de jeu récréatif. Mais le conte survit dans une civilisation orale grâce à la mémoire et
aux talents des conteurs.
Il y a deux sortes de conteurs: ceux qu'on appelle les conteurs-diseurs et
ceux désignés sous le nom de conteurs-acteurs. Les premiers "allient la sagesse la
plus profonde à la connaissance la plus étendue des hommes et des choses. Ils ne
disent que des contes sérieux, profonds, d'une grande portée morale,voire
philosophique", tandis que les seconds, tout en disant les contes, "les miment et les
1. Cf. DERIVE (Jean), "La pluralité des versions et l'analyse des œuvres du genre narratif oral" in
Langage et Cultures africaines: essais d'ethnolinguistique ( réunis et présentés par G.
CALAME-GRIAULE ). Paris, Maspero, 1977. p. 265 : "toute littérature est évidemment
tributaire de son environnement sociologique. et révélatrice d'une manière ou d'une autre de
certai ns de ses as pec ts( ... )" .
2. KANE (Mohamadou), "Contes ... , p. 70.
146
dansent" '. Les conteurs-diseurs ont un auditoire plus mûr d'esprit, alors que les
conteurs-acteurs réunissent autour d'eux la population jeune, facilement émerveillée
par leurs danses et leurs mimes. Certes, les enfants n'hésitent pas à suivre les
mbandekatt, les acteurs clowns, les batteurs de tam-tam, des diseurs de contes,
mais, à travers leur admiration, ils n'y trouvent que du plaisir. Nul con!eur ne
prétend enseigner la morale dans ces circonstances.
La qualité du conteur-acteur2, c'est sa capacité d'imiter les voix, les tons, les
gestes des personnages mis en relief dans le conte. Il recrée lui-même l'univers
féerique du conte. Au début de chaque séance, le conteur établit un dialogue entre
lui et son auditoire. Ainsi attire-t-il l'attention de l'assistance par des formules
institutionnalisées3 ou improvisées. Un conteur doit toujours soigner sa parole. Les
enfants ne pardonnent pas à un conteur qui hésite ou qui se perd dans le cours de
son histoire. Ainsi est-il dans l'obligation de connaître l'histoire ou le récit, autant
que les circonstances lui imposent des modifications nécessaires à la
compréhension des enfants. Mohamadou Kane remarque que "la marge laissée à
son esprit d'initiative reste singulièrement grande, puisqu'il peut dire le même conte
de la manière la plus diverse. Il peut lui conférer une résonance différente selon la
compréhension de son auditoire et son humeur propre"4. La qualité première du
conteur est sa capacité de faire ressentir à l'assistance ce que lui-même ressent en
contant son histoire. Mais les apports circonstanciels et personnels du conteur
n'enlèvent en rien à la portée du conte qui demeure un substrat de la tradition.
Les diverses formules qui ouvrent et ferment le dialogue entre le conteur et
son auditoire montrent, à travers leur signification obscure, que les contes dits
existent depuis les temps immémoriaux. A côté du mythe, le conte œuvre dans le
sens de la pérennité de la tradition. Il traduit le désir des populations de revivre
incessamment leur passé. C'est en exaltant ce passé merveilleux que le conteur
"maintient" l'enfant dans les traditions, sans pour autant le détourner du présent et
de l'avenir. Le problème de changement et du renouveau se pose dans l'éducation
négro-africaine traditionnelle comme dans l'éducation platonicienne. Tout ce qui
1. KANE (Mohamadou), "Contes ... , p. 47.
2. Cf. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe chez les Bambara. Dijon, 1963. p. 100.
3. Cf. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe.... , p. 100: "le conteur bambara (le n'daJa
dala) se présente par des chants comme celui-ci: "moi, le petit oiseau, je suis arrivé, foule".
Chez les Toucouleurs: "enna wonrlOO do; chez les Wolofs: amonafi ".
4. KANE (Mohamadou), "Contes... , p. 50.
147
~
suscite perturbation de l'ordre établi est rejeté de l'enseignement traditionnel.
L'enfant doit être dans l'impossibilité intellectuelle de se détacher du passé de sa
communauté. C'est pourquoi, "il faut dès lors tuer en lui toute velléité de
changement, toute recherche de nouveauté" 1. L'une des fonctions du conte est de
faire prendre conscience à l'enfant de son identité culturelle, de le maintenir dans le
mode de vie de ses ancêtres. Peut-être cette orientation du conte a-t-elle contribué à
la pérennité de la culture négro-africaine. Mais ce qui est sûr, c'est que le conte est
arrivé à coexister avec des éléments étrangers à la civilisation négro-africaine, sans
pour autant perdre sa mission traditionnelle.
En effet, le conte favorise et suscite l'unité et l'harmonie au sein de la
population des enfants. Le seul fait de les réunir autour d'un feu de campement
d'un conteur constitue déjà une recherche d'unité. D'autant plus que les séances de
contes réunissent des enfants de familles et de castes différentes. Le fils du noble
aura à "tendre l'oreille" Cudit noppi ma ) et à "prêter attention" Cudit hagille ma )
comme les enfants des autres castes. Ils sauront tous, vu les diverses allusions au
passé, qu'ils sont de même origine et qu'ils doivent par conséquent s'unir dans la
vie. Aussi la sauvegarde de l'unité sociale demeure-t-elle la principale
préoccupation du conteur. Il charge ses histoires de valeurs jugées conformes à
l'idéal communautaire. C'est au nom de ces valeurs que le conte est lié à la morale,
à la politique et à la religion. Et c'est avec ces institutions que le conte s'impose
dans la tradition populaire, d'autant plus que "les vertus qu'il exalte sont l'ardeur au
travail, la soumission à une hiérarchie sociale sans laquelle toute la vie en commun
serait rendue impossible, et aux chefs temporels et spirituels; il prêche le respect
des Anciens, gardiens de la sagesse traditionnelle, l'attachement à la terre, au mode
de vie et aux croyances des ancêtres"2. Ainsi l'enfant s'imprégne de tous les idéaux
qui ont marqué l'histoire de sa communauté.
Le procédé aurait été simple, si on disait les contes par thème. Mais, au cours
d'une veillée de contes des thèmes se recoupent, attendu que le conteur-diseur se
plaît à diversifier son enseignement, et surtout son répertoire. Il tient compte à la
/
fois des exigences de la tradition et de l'esprit encore jeune de son auditoire. S'il
cherche souvent à frapper l'imagination et à exciter la réflexion des enfants par des
1. KANE (Mohamadou), "Contes
, p. 34.
2. KANE (Mohamadou), "Contes , p. 12.
148
:,
détails plaisants ou déplaisants, ii n'en demeure pas moins que le conteur donne
une leçon sérieuse de morale à la fin de chaque conte 1. Il faut remarquer avec
Dominique Zahan que "chaque récit et chaque chant contiennent un symbole faisant
allusion soit à la morale individuelle et sociale, soit à la connaissance tout c-ourt"2.
Jusqu'à un certain âge (sept ou huit ans) les enfants écoutent sans distinction de
sexe les contes dispensés à leur intention. Après cette période, filles et garçons
écoutent séparément dire les contes. En effet, les filles sont reçues par des vieilles
femmes qui évoquent et exaltent les valeurs féminines à travers leurs contes, alors
que les garçons s'accroupissent autour de leurs grands-pères pour prendre
connaissance des valeurs viriles. Dans les cas où les deux sexes se retrouvent
autour d'un conteur (femme ou homme), ce dernier n'évoque que des valeurs
coutumières communes à tous. Par exemple le travail est quelque chose de commun
à tous les sexes, et par conséquent ses vertus intéressent femmes et hommes. La
dignité de la femme est liée à son travail domestique. Il est vrai que dans les contes
on peut faire porter à la femme toutes les valeurs, mais son ardeur au travail
domestique et sa soumission à son époux sont les principaux critères de sa dignité.
Dans ce cas précis, la fonction du conte est de mettre en relief ce que la tradition a
défini de juste et de bon dans les occupations féminines.
Parallèlement à l'image parfaite de la femme, dans les contes existent les
portraits de l'homme ardent, capable de décider et de raisonner, de montrer son
ardeur au travail. Le garçon apprend comme la fille à connaître ces valeurs dans son
entourage.
L'illustration des vertus du travail dans le conte découle de l'importance
qu'on accorde au travail dans la tradition négra-africaine. Un membre d'une
communauté ne doit pas rester sans activité sociale. L'activité s'identifie ici à
l'occupation réservée à chaque "catégorie" sociale. C'est dire que le terme de
"travail" ne se limite pas, dans sa signification élargie, à une activité artisanale ou
manuelle. La notion de travail couvre dans la pensée négro-africaine toutes les
activités intellectuelles et pratiques. Par exemple, le griot3 retrouve sa personnalité
1. Cf. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole... , p. 458 : "tous les récits sont prétexte à
une leçon de morale sociale". Elle précise qu'elle ne parle pas de contes et de fables.
2. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe .. , p. 100.
3. Cf. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole... , pp. 486-491 : elle y décrit le rôle du griot
dans la société dogon. Cf. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe ... , pp. 125-148. Une
149
et sa dignité dans l'art de la parole. Il est jugé par rapport à cett.'? activité; Aucune
autre occupation ne peut lui valoir la formule élogieuse: "il maîtrise son travail" 1 (0
mo waavi ligey makko). D'une manière générale, le conte illustre le travail comme
un ensemble de vertus qui président à la dignité humaine.
Dans l'univers du conte, les personnages ne se privent pas de voyages et de
longs séjours dans des régions autres que les leurs. Cependant, ces mêmes
personnages, bien qu'ils soient souvent fascinés par leurs découvertes, préfèrent
aller vivre dans leurs contrées d'origine. Pour se justifier, ils trouvent des qualités à
leurs pays d'origine que ceux de leurs hôtes ne possèdent pas. Aussi se plaisent-ils
à rappeler, sans pouvoir le prouver d'ailleurs, les avantages qu'offre leur vie
coutumière par rapport à celle des autres. Pour inculquer cette idée aux enfants, on
exalte, dans le conte, les valeurs mythiques du terroir des ancêtres et la protection
de leur pays par les dieux. La vie de l'enfant repose désormais sur un espoir. On lui
fait croire que la merveilleuse vie que décrivent les contes n'est accessible qu'à ceux
qui respectent les anciens et leurs croyances, bref à ceux qui se plient
aux
exigences de la tradition.
..
Le conte est un genre où le Négra-africain exhibe facilement son mode de vie.
L'univers du conte est celui où se croisent dieux et ancêtres, dieux et vivants,
adultes et jeunes gens, femmes et hommes, parents et enfants, bêtes et humains.
Dans son ensemble, c'est un monde organisé et structuré. Les dieux et les Ancêtres
disparus sont mis au-dessus des vivants divisés eux-mêmes en chefs et en membres
ordinaires de la société, en castes supérieures et inférieures, en chefs de famille et
en membres de foyer. Ce sont des hiérarchies que tout enfant qui vit dans une
communauté est appelé à respecter. Geneviève Calame-Griaule note que chez les
Dogons "les enfants sont soumis à leurs parents, ceux-ci respectent les avis du
patriarche de la famille, l'ensemble des hommes les plus âgés du village s'occupe
des affaires intéressant la communauté (... ). Chaque génération obéit aux
générations supérieures, et la faute la plus grave contre l'ordre social consiste à se
rebeller contre l'autorité de plus âgé que soi"2. Dans les contes à caractère mythique
belle description du griot bambara, "le narrateur de l'histoire du monde, le détenteur des récits
relatifs aux fondations, aux généalogies, aux faits et aux gestes des hommes et des êtres".
1. Cf. NDOYE (Malick), L'idée de travail.... Ch. l et II.
2. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole... , p. 382.
150
les malheurs des premiers hommes sont la conséquence de la désobéissance à leur
Dieu.
En effet, un jour, Dieu qui vivait harmonieusement avec les hommes "réunit
ses enfants: - je pars en voyage, leur dit-il. Si jamais il vous arrivait quelque
événement extraordinaire pendant mon absence : ne prenez aucune décision.
Attendez mon retour" 1. Mais pendant son absence la mort emporta un des hommes
; les autres, malgré leur volonté de ne pas transgresser les ordres de Dieu, prirent la
décision d'enterrer le cadavre qui commençait à se décomposer. A son retour Dieu
apprit ce qui s'est passé, et indigné il dit" puisque vous n'avez pas respecté ma
parole, eh bien! je ne m'occuperai plus de vous. Vous continuerez à traiter vos
morts comme vous l'avez commencé""2. Sur ces paroles Dieu-créateur disparut
derrière les nuages et on ne le revit plus. Outre l'information qu'il donne sur
l'enterrement, ce passage du conte a pour finalité première d'expliquer aux enfants
les origines de la mort et de leur clarifier les causes qui ont poussé les dieux à
devenir invisibles. Il existe d'autres versions selon qu'on passe du centre à l'Ouest,
à l'Est ou au Sud de l'Afrique subsaharienne.
Il arnve que les enfants demandent au conteur pourquoi les morts ne
retrouvent pas la vie. Là aussi la tradition exploite les contes mythiques pour
donner une réponse aux enfants. A l'origine Dieu donna à l'homme l'ordre de ne
pas s'éloigner de leur commune demeure sans le prévenir. Mais "un jour, il
s'échappa sans dire au-revoir à Dieu-Créateur. Dieu vint chercher l'homme: il ne le
vit pas de ses yeux. Il comprit que l'homme avait passé par-dessus sa parole"3.
Dieu ne tarda pas d'envoyer chercher l'homme insubordonné. Il chargea le lézard
de dire à l'homme, dès qu'il le trouverait, qu'à cause de sa désobéissance "les
hommes mourront et s'en iront sans retour"; le deuxième messager fut le caméléon
à qui le Dieu ordonna de dire à l'homme insoumis que "les hommes mourront, puis
s'éveilleront". Le lézard fut le premier à découvrir l'homme insoumis
à qui il
transmit le message : "les hommes mourront et s'en iront sans retour".
L'intervention du caméléon (arrivé en retard) ne changea pas le sort de l'homme,
puisque "ce qui, une fois est entré au creux de l'oreille, n'en ressort plus jamais.
1. MFOMO (Gabriel E.), Au pays des initiés: soirée au village (T II). Paris, Krthala, 1982. p.
147.
2. MFOMO (Gabriel E.), Aux pays des initiés
, p. 148.
3. MFOMO (Gabriel E.), Au pays des initiés , p. 149.
151
"Les hommes mourront et iront sans retour" 1. L'intérêt de ce passage n'est pas
seulement de procurer à l'enfant que du merveilleux; il lui révèle aussi que Dieu
est le "chef suprême" des hommes et que ces derniers lui doivent respect. Le lézard
et le caméléon ont accompli leur mission en respectant l'ordre divin et ils n'ont subi
aucune punition; alors que l'homme "porteur de bras" (mod-binama) en refusant
d'obéir aux ordres du Dieu est puni: sa faute coûtera à sa descendance la mort sans
retour à la vie.
Comme dans la société platonicienne, en Afrique l'enfant se familiarise très
tôt, par le biais des contes, avec la religion. On lui enseigne que Dieu est au dessus
de tout et qu'on doit aux divinités respect et obéissance. En Afrique noire, l'idée de
Dieu unique qu'on trouve dans les contes d'aujourd'hui reflète l'influence des
religions monothéistes (l'Islam et le Christianisme). Certes, dans l'animisme il
existe un Dieu qui règne sur les autres divinités, mais il n'empêche que dans les
fables et les contes il est question de nombreux dieux et de leur monde changeant.
Ils y évoluent avec leurs qualités et leurs défauts, suivant leurs fonctions et leur
place dans la hiérarchie divine. Les dieux secondaires respectent le Dieu suprême et
obéissent à ses ordres. A celui qui conteste son autor.ité il inflige une sévère
punition. C'est par référence à la société des dieux et à son organisation que le
Négra-africain (traditionnel) cherche à inculquer aux jeunes générations les règles
de la vie communautaire.
Si ce n'est pas au chef que le sujet obéit. c'est aux parents que revient le
premier respect. En effet les parents sont, après les dieux. les seuls à pouvoir
changer le cours de la vie. C'est la raison pour laquelle l'enfant s'applique très tôt à
leur demander des bénédictions. Par l'entremise du conte le Négro-africain fait
comprendre à l'enfant que la bénédiction des parents ou celle du chef spirituel
s'acquiert dans le respect et dans l'obéissance. Cette bénédiction est symbolisée par
la réussite, la chance, la richesse dans plusieurs domaines de la vie. Si le bonheur
est aux côtés des hommes obéissants, le malheur accompagne toujours les
insoumis. Les deux cas sont mis en relief dans les contes où on oppose le bon au
méchant, le modeste à l'orgueilleux, le docile au désobéissant etc ... Le conte exalte
toujours la réussite liée à la docilité et montre le mauvais sort réservé aux indociles.
Toutes les techniques du conte concourent à intensifier ces idées de récompense et
1. MFOMO (Gabriel E.), Au pays des initiés... , p. 150.
152
,~
de punitiàn. Le conteur en profite pour tirer une leçon de la vie à la fin de chaque
récit, telle cette conclusion: " ainsi le benjamin de la famille - par son obéissance -
devint l'homme le plus riche du pays. C'est pourquoi je vous dis que tout enfant
dans la famille a son importance. Il obtient le bonheur de ses parents si, pendant
que tu le nourris, il se montre obéissant; car dit un proverbe: "la désobéissance au
père apporte malheur"" 1. Rien de plus fascinant pour un enfant que de voir un
personnage du conte devenir, en un temps record, très riche, du seul fait de n'avoir
pas désobéi à ses parents. Si, dans ces cas l'objectif, particulier du conteur a été
d'attirer l'attention de l'enfant sur les vertus de l'obéissance, il n'en demeure pas
moins qu'il lui inculque aussi l'idée d'une hiérarchie inviolable.
L'enfant doit respect et obéissance à tous ses supérieurs et à tous ses aînés.
La tradition négra-africaine lui facilite la tâche par le maintien des liens de parenté
entre les différents membres de la communauté. Il "appartient" à toute la société. Et
c'est pour cette raison qu'il appelle "pères" ceux qui ont l'âge de son père, "mères"
celles qui ont le même âge que sa mère, et ainsi de suite2. Dans un conte il arrive
que tout un village soit mis en scène pour montrer l'unité de ses habitants dans le
bonheur comme dans le malheur. Au-delà de cette unité se dessine une parenté
inviolable.
Le personnage du vieillard dans les contes est celui qui trouve la clé des
énigmes, prévoit l'avenir et incarne la sagesse. Ce sont ces qualités qui font de lui
un devin et le "représentant" des divinités auprès des jeunes générations. Aussi ces
attributs lui valent-ils tout le respect que lui accordent les autres catégories
d'hommes qui ne sont pas de son âge. Il s'exprime très souvent par énigmes que le
conteur explique lui-même aux enfants. C'est un des procédés du conteur que de
mettre dans la bouche d'un vieillard des proverbes et des maximes qui entrent à leur
tour dans la formation intellectuelle et psychologique des enfants.
L'enfant doit respect aussi aux chefs spirituels et temporels. Représenté dans
les contes par le Roi ou par le guide, le chef temporel incarne sagesse et générosité
envers ses subordonnés. Il représente souvent, dans cette fonction, la divinité; ce
qui lui donne le titre de chef spirituel. Les deux fonctions vont de pair dans la
1. MFOMO (Gabriel E.). Au pays des initiés .... p. 105.
2. C'est ce que prône Platon dans la Cité idéale de La République.
153
tradition négro-africaine. Le lion, roi de la forêt,> symbolise dans les contes
sahéliens la sagesse et la générosité, et la force qui s'impose. Son titre de Roi de la
forêt ne lui vient pas seulement de sa force physique, mais aussi et surtout de sa
patience légendaire. Toutefois, blessé dans son amour propre, il n'hésite pas à
attaquer et à exhiber sa force. Dans les assemblées qu'il préside le lion condamne
les fautifs et acquitte les innocents. Si dans certaines régions le monde des
animaux 1 sert de matière aux fables, dans d'autres ce sont les hommes eux-mêmes
qui peuplent l'univers des contes. On s'emploie à décrire le roi et sa famille, son
territoire illimité, à dénombrer ses troupeaux et ses richesses incalculables, à
cultiver l'image d'un homme heureux au milieu de toutes ses possessions. Aussi le
conteur doit-il faire apparaître la justesse de ses propos et l'équité de ses jugements.
On incite ainsi l'enfant à se soumettre aux chefs spirituels et temporels, et à obéir à
leurs ordres. Le conte favorise, parallèlement aux prescriptions relatives aux
parents, aux vieillards et aux divers chefs, le respect mutuel entre compagnons
d'âge, la sauvegarde du bon voisinage, la soumission des cadets aux aînés.
La fonction du conte ne consiste pas seulement à montrer à l'enfant sa place
dans la hiérarchie sociale, mais aussi il sert à lui assurer une formation
psychologique conforme à l'idéal de la communauté. C'est la raison pour laquelle,
à la fin de chaque séance, le conteur commente en louant ou en blâmant les
différentes attitudes des personnages de son récit. Il en déduit des leçons de morale.
La conclusion peut apparaître sous forme de proverbes ou de sentences. On y
glorifie la bravoure, le courage des ancêtres en les citant comme modèles à imiter.
Dans ce cas précis, le conte (tindol) et la légende (daral) se recoupent.
Le conte contribue, moins que la légende, à tuer toute idée de peur chez les
enfants appelés plus tard à affronter les dangers de la guerre et de la nature~ C'est
dans les contes dits initiatiques où le merveilleux est prédominant que l'enfant
découvre le monde des génies et leur "supériorité" sur les vivants. La densité et
l'opacité des forêts où vivent les génies et où s'aventurent seuls les initiés
renforcent le mystère de cet univers. Aussi tout animal, tout arbre. toute chose qui
vit possède-t-il son génie protecteur. Dès lors, pour traverser cette nature jalouse de
ses secrets, une préparation psychologique s'avère nécessaire pour les enfants non
1. Cf. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole ... , p. 450 ; ZAHAN (Dominique), La
dialectique du verbe... , pp. 110-116.
154
initiés. Et c'est pourquoi on fait intervenir les génies dans les voyages initiatiques
au cours desquels l'initié use de toutes ses qualités d'homme pour échapper aux
pièges tendus par les "invisibles" (suddibe). Le conteur, sans négliger les moments
forts du récit, insiste surtout sur la fin où il fait l'éloge de la ténacité, de la patience
et du courage de l'initié devant toutes les difficultés rencontrées. Autant l'enfant est
effrayé au début et au milieu du récit, autant il est émerveillé à la fin par le courage
du héros triomphateur. Au fond de lui-même, il se substitue et s'identifie au héros,
il se fait la promesse de l'imiter plus tard. Ainsi prépare-t-on l'enfant à démythifier
la forêt avec laquelle il est appelé à vivre.
Par la même occasion, le monde des animaux réapparaît. sous sa forme
sauvage. Le conteur profite de la situation de ses personnages pour affecter à telle
ou telle bête un caractère sympathique ou antipathique; de cette façon, non
seulement il cultive la curiosité de l'enfant, mais aussi il le prépare aux rencontres
fortuites avec des bêtes méchantes. Et l'enfant saura prendre ses dispositions. Pour
ce faire, le conteur multiplie des exemples où le héros arrive par la ruse et par son
courage à vaincre les bêtes féroces. Là, il montre la supériorité de l'intelligence et
du raisonnement sur la force physique aveugle des fauves. En d'autres termes,
c'est le triomphe de la sagesse contre la brutalité.
Dans la savane, le lièvre l symbolise la sagesse face à l'hyène qui incarne,
elle, la brutalité. Dans la zone forestière, la tortue est élue la bête la plus rusée. Ces
petites bêtes s'arment de patience à chaque fois qu'elles affrontent des fauves de
grande taille. Au-delà du merveilleux des combats entre géants et petits, c'est la
célébration de la sagesse, de la patience, de la ruse et de la réflexion.
On pourrait se demander, après tout, pourquoi le lièvre ou la tortue
symbolisent ces vertus et non pas d'autres bêtes. Gabriel E. Mfomo répond: "sans
doute sa configuration originale, la curiosité qu'inspire sa maison roulante, la
faiblesse de ses moyens physiques et la lenteur de sa démarche ont impressionné
l'imagination des paysans observateurs au point qu'ils ont vu dans cette modeste
bête l'incarnation même de la sagesse, de la ruse et de la réflexion: c'est un animal
aux-cent-solutions, doué d'un pouvoir intellectuel exceptionnel"2. Des jugements
1. Cf. KANE (Mohamadou), "Contes... , p. 30.
2. MFOMO (Gabriel E.), Au pays des initiés... , p. 14.
155
malveillants sont portés par exemple sur l'hyène, bête sans scrupules. Devant les
maladresses de cette dernière, la ruse et l'intelligence du lièvre triomphent au grand
jour.
Le courage de ces petites bêtes rusées ne correspond pas au courage tyrtéen.
Platon lui-même loue le héros qui réfléchit avant de combattre et d'affronter
l'ennemi. En effet, le héros platonicien se bat sans se départir de ses qualités
intellectuelles et de sa tempérance, qui font de lui un combattant éclairé, et non
aveuglé par la passion. C'est un héros pensant et un combattant réfléchi. Cene
fonne de courage est celle que cultive la tradition négro-africaine. Bien qu'il soit un
genre où il est possible de glorifier toutes les vertus, le conte est moins ancré à
exprimer cet aspect du courage que ne le rend la légende.
En effet, la légende a des formules plus preCIses dans le domaine de
l'éducation. Elle est porteuse de quelques vestiges d'histoire; et c'est au nom de
cette fonction qu'elle met en scène la vie des ancêtres. Par exemple, chez les
Toucouleurs du Sénégal, les légendes sont réparties suivant les différentes castes
composant cette éthnie. C'est ainsi que les légendes de Samba Guéladio Diégui sont
conçues pour la caste des Sebe (pluriel de Ceddo), guerriers redoutables du Fouta-
Toro, celles de Ségou Balli pour les Sllbalbe (pluriel de Cllbbalo) et d'autres pour
des héros particuliers 1 etc ... Ces récits légendaires sont chantés au rythme de la
musique du "hoddu " ou sont dites sans musique. Le "gumbala " est un air imaginé
pour accompagner la légende des Sebbe : il est l'orgueil de tout individu qui se
réclame de cette caste. Marquée par ces airs, la légende demeure un genre propre à
soulever les passions et à cultiver le courage chez les jeunes gens. Par sa matière,
elle fascine l'auditoire.
Le héros légendaire est celui qui sait tout faire. celui qui n'hésite pas à mourir
pour sauver son honneur et celui de sa communauté; c'est aussi celui qui fait des
razzias et ramène troupeaux et biens, qui s'attribue les plus belles femmes de sa
région. L'amplification de ces scènes donne encore plus de poids à l'effet recherché
chez les jeunes gens, à savoir l'imitation et l'assimilation. Lors des cérémonies ou
des rencontres organisées dans le cadre des légendes, il n'est pas rare de voir des
1. Cf. SEYDOU (Christiane), "La devise dans la culture peule : évocation et invocation de la
personne" in Langage et Cultures africaines ...(réunis et présentés par Gcne\\"iève CAL~\\Œ
GRIAULE).
156
jeunes gens tratuire leur joie et leur fierté par des coups de couteaux, de coupe-
coupe qu'ils portent directement à leur corps nu. C'est dire combien l'influence du
récit légendaire est forte sur la vie des jeunes auditeurs. Le conteur peut être, dans
ce cas précis, un généalogiste ou un spécialiste de l'histoire d'une famille ou d'un
clan.
La légende de Samba Guéladio Djiégui et d'autres de même genre sont
chantées devant des guerriers prêts à combattre. Ainsi leur rappelle-t-on les hauts
faits de leurs ancêtres disparus dans telle ou telle bataille historique. Les Sebbe
aiment écouter leurs légendes en temps de paix comme en temps de guerre. Ce
procédé n'est pas fortuit; comme ils sont à la solde des chefs les plus offrants, les
Sebbe ont besoin d'être glorifiés pour affermir leur courage pendant les combats,
et pour meubler et égayer leur repos pendant la paix. L'honneur et la gloire restent
leurs principales raisons de vivre. L'influence psychologique de ces légendes est
très significative dans la formation du caractère du Ceddo.
Parallèlement aux légendes relatives au Ceddo existent celles qui glorifient les
autres castes. Le Torrodo (noble) se contente des légendes peuls. Même les gens
de maison (ma cube) ont eu droit à un air (makari) qu'une de leurs Ancêtres avait
chèrement acheté en se jetant dans un puits débordant de flammes. C'est dire que
même dans la caste des esclaves domestiques (macllbe gallinkobe), il y a un besoin
de repères mythologiques pour se donner une identité. Leurs enfanrs bénéficient
aussi de l'éducation communautaire comme tOLlS les autres enfants de la société.
Malgré les amplifications qui la caractérisent, la légende reste un genre dont la
mission est de former les enfants au courage. Au demeurant, les jeunes gens s'y
rapportent pour mener leurs actions quotidiennes. Aussi la légende apparaît-elle
comme une référence pour la formation psychologique de l'individu. L'enfant qui a
assimilé la morale des contes découvre avec la légende qu'il est capable de choisir
un idéal de vie. La tradition l'oblige même à rester sur les traces de ces Ancêtres.
Ce qui d'ailleurs ne gêne en rien l'évolution psychologique des jeunes gens.
Seulement, tout apport extérieur est d'abord pesé et apprécié avant d'être adopté par
les membres de la communauté. Car, à chaque fois que quelque chose est modifié
dans l'éducation voire dans le mode de vie. la personnalité des individus n'en
demeure pas moins touchée. C'est la raison pour laquelle la société négra-africaine
157
~
traditionnelle accepte difficilement et rarement des nouveautés dans le mode de vie
de ses membres. Et cela se traduit dans l'orientation du conte. Ainsi, comme le note
Mohamadou Kane, "les plus clairs des contes sont-ils tournés vers le passé qu'ils
exaltent si bien que, dans une société traditionnelle toute nouveauté est accueillie
avec suspicion. Cette orientation du conte constitue comme un moyen de défense de
cette société dont il décrit l'harmonie dans l'univers et l'équilibre interne. Tout
élément de perturbation, de désordre est condamné et rejeté" 1.
C'est le même principe que pose Platon dans la réforme des contes et
légendes au sein de la cité. Il déplore en effet la perte de l'identité grecque face aux
nouveautés que les jeunes générations du IVosiècle adoptent dans leur manière de
vivre. Il y eut des milliers de Platon en Afrique noire traditionnelle au lendemain
des contacts de la civilisation négro-africaine avec celles de l'Orient et de
l'Occident. Ils ont recours aux contes et aux légendes pour atténuer les méfaits du
nouveau dans la mentalité des enfants. Mieux, la morale y est conçue de manière à
perpétuer la tradition.
En effet, la morale que contient le conte négro-africain est marquée au sceau
de la tradition. Elle n'est pas spéculative, elle est pratique; elle ne demande que son
application. Le caractère populaire du conte a fait que ce genre s'est limité à
l'illustration morale des actions individuelles et quotidiennes. Ce qui donne à la
morale des contes une essence purement sociale. L'enfant apprend ainsi à vivre
convenablement avec les membres de la société. Pour y arriver on l'aide, par le
biais du conte, à se défaire des tares humaines tels que l'égoïsme, la vanité, la
,·
')
paresse, l 19norance- etc ...
Les proverbes cités le plus souvent à la fin d'un conte constituent à eux seuls
les fossiles de la morale des Ancêtres enseignée à "l'école du clair de lune". Mieux,
le proverbe est "de toutes les parties, iJ sert en toutes circonstances. Il rassure,
console, intimide, menace, il véhicule la louange comme l'injure (... J. Il divertit, il
surprend. C'est dire qu'il est partie intégrante de la vie africaine où on J'utilise à
toutes les fins"3. Outre son apport intellectuel dans la formation des enfants, le
1. KANE (Mohamadou), "Contes ... , p. 35.
2. Cf. KANE (Mohamadou), "Les contes.. .. p. 39.
3. KANE (Mohamadou), "Les contes... , p. 41 ; Cf Domique ZAHAN. La dialectique du verbe ... ,
p. 105;
CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole.... p. 456.
158
>
proverbe marque de son sceau la morale et la sagesse africaine. C'est à l'aide des .
proverbes que les vieillards illustrent leurs discours. La spontanéité des proverbes
illustre la vaste culture de ses détenteurs. Celui qui les détient doit être en mesure de
les restituer à chaque fois que cela est nécessaire. La singularité du proverbe, c'est
qu'il est dit pour tout le monde. La morale et la sagesse qu'il transmet concerne
toutes les catégories d'âge. Mais, par ses liens étroits avec le conte, il est utilisé
pour la formation intellectuelle et morale des enfants. Il arrive aussi que les
proverbes "engendrent le respect des institutions sacrées et assurent leur
conservation"l. Toutefois, dans ce domaine, la légende est la plus usitée.
La morale des légendes est purement religieuse; elle compense ainsi le vide
laissé par le conte et la fable dans la formation psychologique de l'enfant. La
soumission aux dieux y est célébrée comme une condition de toute existence
individuelle et collective. Il est interdit, voire impie de contester les orientations et
les principes religieux. Tout doit être assimilé comme l'ont transmis les Ancêtres
dont la surveillance sur les vivants est permanente. L'enfant baigne, dès son plus
jeune âge, dans un monde où les hommes et les dieux (représentés par des
masques) se côtoient quotidiennement. La légende mythique participe à une sorte de
consolidation spirituelle des rapports entre les dieux et les hommes. Le respect dû
aux premiers ne vient pas seulement de la peur qu'ils suscitent souvent chez les
seconds, mais il relève aussi et surtout de leur bonté. Les chefs spirituels et
temporels s'en servent pour asseoir leur autorité. Aussi est-il difficile de distinguer,
dans les sociétés négro-africaines traditionnelles, la vie religieuse de la vie
politique. Cette ambiguïté montre que la morale des contes, celle des légendes et
des proverbes participent pleinement à la formation psychologique des enfants, au
façonnement de leur caractère et de leur personnalité conformément à l'idéal
communautaire.
C'est en suivant ces axes que les contes, les légendes et autres récits entrent
dans la formation morale et religieuse des enfants, et chez Platon et en Afrique noire
traditionnelle.
1. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe .... p. l06.
159
II.3.AcQUISITIONS INTELLECTUELLES ET TECHNIQUES
11.3.1. Diversité et méthode chez Platon
Dans son système éducatif, Platon accorde un intérêt particulier à l'âge
comme repère pédagogique. Chez lui chaque âge correspond. dans l'évolution
biologique, à une croissance physique et à un développement mental de l'individu.
C'est sur cette base que le philosophe reconnaît et décrit les aptitudes de ceux à qui
sont destinés les différents enseignements de son système éducatif. La répartition
des disciplines selon l'âge des gardes est l'une des originalités pédagogiques du
philosophe.
L'âme et le corps sont les principales composantes de la personne humaine.
lis constituent les deux pôles de l'éducation grecque. La paideia~l accès à l'âme par
la musique, au corps par la gymnastique. L'âme est, par nature, impérissable pour
ne pas dire immortelle. Sa nature s'améliore ou se détériore respectivement au
contact d'une juste ou d'une mauvaise éducation. C'est dire que dans sa nature,
l'âme peut subir des changements. Elle doit s'accommoder à la croissance
biologique de l'individu, plus précisément au corps qui a un début et une fin. Le
corps croît et périt; c'est pourquoi chaque étape de sa croissance est adaptée à une
forme de gymnastique dont le but est de le maintenir dans sa beauté naturelle. La
<!>ucrtç humaine concorde ici avec éducation qui est synonyme de changement et
d'évolution.
Les dispositions naturelles aident à déterminer les diverses aptitudes de
l'individu. Autrement dit, l'aptitude est subordonnée à la nature de l'homme. Or
dans la pensée platonicienne cette même nature peut être améliorée par l'éducation.
Du coup, il devient possible de faire un choix d'aptitudes pour un individu en
appréhendant ses dispositions naturelles. Ainsi l'aptitude est-elle prise en compte
dans la croissance physique et le développement mental de l'homme. On n'a
recours à l'éducation que pour changer le cours de l'évolution de b <!>ûcrtç.
160
)
Les enfants sont regroupés en fonction de leur âge. Mais l'Cige individuel ne
constitue pas une référence de base pour Platon. C'est la moyenne d'âge du groupe
ou de la classe qu'il prend en considération dans sa classification des citoyens. Dès
lors, les repères pédagogiques sont assimilés et identifiés à l'enfance, à
l'adolescence, à la jeunesse, à la maturité et à la vieillesse. C'est parallèlement à leur
âge que se mesure l'expérience et la sagesse des citoyens.
C'est sur cette base que Platon établit le programme scolaire et acadéIIÙque de
son système éducatif. Le philosophe reconnaît tout de même qu"'il est difficile, en
matière d'éducation, d'en trouver une meilleure que celle qui s'est établie au cours
des âges, je veux dire la gymnastique pour le corps et la musique pour l'âme"l. Ces
deux disciplines traditionnelles ne suffisent pas à la formation des gardes
philosophes. Attendu qu'elles ont surtout la vertu de former le caractère et de
développer les parties physiques de l'individu. Ainsi Platon juge-t-il nécessaire
d'introduire des disciplines dont le but est de former l'intellect. Ce qui n'entraîne
pas toutefois une dichotoIIÙe entre les matières de l'enseignement. Non seulement il
y a une interdépendance entre les différentes disciplines, mais aussi elles sont
enseignées simultanément toutes dès l'enfance. La question est de savoir comment
Platon entend procéder pour leur enseignement.
La première période de l'existence humaine est marquée par l'absence de
raisonnement et de rôle physique. A ce stade, la musique est apprise sous sa forme
de discours oral et de chants rythmés 2, et la gymnastique est pratiquée sous sa
forme la plus douce, à savoir les mouvements produits par la m~re ou par les
nourrices 3. Le calcul s'apprend sous des formes ludiques4 . Platon recommande
d'éviter, pendant cette période, les images mensongères des fables, l'excès dans les
mouvements physiques et les exercices arithmétiques complexes. Si, dans La
République, il proclame que la paideia traditionnell(0 commence par la musique,
dans Les Lois la gymnastique semble débuter avant toutes les autres disciplines; en
ce sens que le fœtus est soumis dès sa conception à des mouvements externes que
toute femme enceinte doit produire. C'est un exercice plus hygiénique que
physique. L'antériorité prétendue de la musique par rapport à la gymnastique dans
1. Rép., 376 e.
2. Cf. Lois, 790 d e.
3. Cf. Lois, 789 a-79ü e.
4. Cf. Lois, 819 b c.
161
.~
la paideia grecque repose sur le fait que les enfants sont d'abord formés par des
fables (première forme musicale), avant d'aller officiellement au gymnase 1. Dans
La République, Platon fait référence à l'éducation athénienne, alors que dans Les
Lois il décrit sa propre conception pédagogique. En effet, dans Les Lois, la
gymnastique apparaît comme une discipline qui touche à la formation physique et à
l'hygiène2. C'est en vue du premier aspect que les femmes enceintes modèlent leurs
"fruits dans leur sein".
Dans le domaine des sciences, c'est avec des objets naturels fabriqués ou
fournis par les adultes que les enfants apprennent à compter, à diviser ou à
multiplier. Leur enseignement, préconisé dès l'enfance, s'échelonne suivant les
âges. Jusqu'à l'âge de vingt ans, le jeune citoyen aura à les apprendre
sommairement; c'est une sorte d'initiation aux sciences.
Dans Les Lois, Platon résume le programme de son enseignement en ces
termes: "en fait de préparation à la guerre, il est vrai, tu sais par notre exposé quels
préceptes ils doivent apprendre et quels exercices pratiquer; mais les lettres, la lyre,
le calcul dont, nous l'avions dit, chacun d'eux doit apprendre tout ce qui est utile
pour la guerre, l'économie domestique. l'administration de la cité, aussi bien que
tout ce qui peut servir à la même fin dans la connaissance des révolutions du cours
des astres, du soleil et de la lune (... )"3. Outre les exercices au gymnase, les
enfants accompagnent leurs parents dans différentes expéditions guerrières. Là
aussi Platon tient compte de l'âge des enfants. Leurs entraînements s'organisent
comme des jeux, et la phase d'accompagnement des parents au combat est une
pratique contrôlée. L'apprentissage des techniques guerrières est envisagé dans
d'autres exercices gymniques tels que la danse, le pugilat. la course, la lutte, la
chasse etc ... D'ailleurs leur finalité n'est pas de former des professionnels, mais
des athlètes capables de manifester leur contrôle des techniques guerrières à chaque
fois que cela est nécessaire. Ces activités physiques débutent à l'âge de sept ans.
L'apprentissage des lettres (gramma) intervient à l'âge de dix ans et il dure
trois ans4 . Pendant cet intervalle de temps. l'accent est mis sur la lecture et
1. Cf. Rép., 377 a.
2. Ces deux aspects seront l'objet du Ch. III.
3. Lois, 809 c.
4. Cf. Lois, 809 e.
162
l'écriture. Notons que le retard dans l'apprentissage des lettres s'explique ici par le
fait que les enfants n'usent des textes écrits qu'à partir de la treizième année.
Jusqu'à cet âge l'accent est mis sur le discours oral. Les diverses activités ludiques
de l'enfant de moins de dix ans ne lui auraient pas permis d'étudier sérieusement à
la fois des discours oraux et des discours écrits. L'enseignement des lettres précède
celui du maniement des instruments de musique l . C'est en trois ans, entre la
treizième et la seizième année, que l'enfant doit pouvoir user des instruments de
musique en chantant ou en récitant. En effet la musique doit être adaptée aux textes.
Ainsi donc Platon procède par cycles de trois ans pour la formation musicale.
L'enfant aura d'abord appris à écrire et à lire, avant de s'initier à la musique
instrumentale dont l'apprentissage permet de mettre les textes en musique.
En ce qui concerne la science des nombres, jusqu'à sa vingtième année, le
garde se limite à l'apprentissage des opérations simples. C'est le stade du
ÀOYlO'!-lÔÇ. Le garde philosophe apprend la ÀoYtO'TlJ<rl pour pouvoir organiser des
armées ; et c'est pour des raisons théoriques et philosophiques qu'il apprend
l'àple!-lTlTlJ<rl. La première le guide dans sa vie pratique, alors que la seconde
l'aide à atteindre l'essence des choses et celle de l'Etre, et à sortir de la sphère
de la génération (YEVÉO'tÇ) ; sans quoi il ne pourra jamais être un "véritable
arithméticien"2. On peut se demander pourquoi l'arithmétique est enseignée
avant toutes les autres sciences. La réponse est que, selon Platon, cette science
"sert à tous les arts, à toutes les opérations intellectuelles, à toutes les sciences
et que chacun doit apprendre parmi les premières (... )"3. Outre ses vertus
utilitaires, l'arithmétique a la qualité "d'éveiller un esprit naturellement assoupi
et sans curiosité et de lui donner ouverture, mémoire. sagacité, le faisant
progresser jusqu'à se dépasser lui-même grâce à une méthode divine"4.
L'arithmétique est ainsi une discipline de base pour toutes les sciences qui
mènent à la connaissance du bien. En même temps, Platon reconnaît que
ces sciences ne sont envisageables qu'après l'âge de vingt ans. Et c'est pour
cette raison que la première sélection s'effectue à cet âge. Dans cette première
sélection, le philosophe se fonde sur l'endurance physique des candidats et
sur leur "pénétration pour les études" et leur "facilité à apprendre"5. Ces critères
1. Cf. Lois, 810 a.
2. Rép., 525 b.
3. Rép., 522 c.
4. Lois. 747 b.
5. Rép.• 535 b.
163
ne sont valables que pour l'étude de l'arithmétique. Du reste, tout le système
d'enseignement platonicien repose sur la sélection.
Pendant dix ans, de la vingtième à la trentième année, les jeunes gens étudient
et approfondissent les sciences classées préliminaires par rapport à la dialectique.
L'enseignement devient, durant cette période, plus théorique que pratique.
Cependant il importe de "présenter aux jeunes gens dans leur coordination les
sciences qui leur ont été enseignées pêle-mêle dans leur enfance; ainsi embrassent-
ils d'un coup d'œil à la fois les rapports que les sciences ont entre elles, et la nature
de l'être (Ji TOU OVTOÇ q)l)O'lÇ)" 1. Dans leur énumération apparaît une classification
nette: "les calculs et l'étude des nombres en sont une; la mesure des longueurs,
celle des surfaces et des solides en font ensemble une seconde; la troisième est
l'étude du cours des astres et de leurs relations mutuelles dans cette révolution"2.
Ainsi se succèdent dans le temps l'arithmétique, la géométrie, l'astrologie et la
stéréométrie. La science de l'harmonie n'y apparaît pas. Même dans cet ordre le
problème de méthode se pose; et Platon de se demander "lesquelles en paniculier il
faut apprendre, et combien et quand, et quelle avec quelle, et quelle séparément; et
toutes les façons de les combiner, voilà ce qu'il faut commencer par bien
comprendre et retenir, pour s'acheminer, guidé par elles, vers la connaissance du
reste"3. Il est manifeste que le problème de méthode pédagogique a été l'une des
premières préoccupations de Platon dans son système d'enseignement.
A chaque discipline correspond un genre de vertus, attendu que chacune des
sciences à apprendre purifie un organe de l'âme gâté et aveuglé par d'autres
occupations4 . Dès lors, chacune d'elles mérite une attention particulière dans la
formation des viOL L'arithmétique conduit à la pure intelligenceS. Il convient, écrit
Platon, de "rendre cette science obligatoire et de persuader à ceux qui sont destinés
à remplir les plus hautes fonctions de l'Etat d'en entreprendre l'étude et de s'y
appliquer, non pas superficiellement. mais jusqu'j ce qu'ils arrivent par la pure
intelligence à pénétrer la nature des nombres, non point pour la faire servir, comme
les négociants et les marchands, aux ventes et aux achats, mais pour en faire des
1. Rép., 537 c.
2. Lois, 817 e.
3. Lois, 818 d.
4. Cf. Rép., 527 e.
5. Cf. Rép., 523 a.
164
}
applications à la guerre et pour faciliter à l'âme elle-même le passage du monde
sensible à la vérité et à l'essence"!. Il est manifeste que le nombre et son étude
acquièrent un caractère philosophique avant l'étude de la philosophie elle-même.
Dans ce contexte, le nombre ne s'identifie ni aux objets sensibles ni aux Idées. La
question est de savoir quels sont les avantages de l'enseignements de ces sciences
par rapport aux précédents acquis et aux études supérieures. C'est en vue du
développement progressif de l'esprit critique des VÉOl que Platon a choisi de ranger
les sciences dans leur ordre de complexité croiss::mte. Il est convaincu que c'est
après leur étude qu'il est possible de s'initier à la dialectique. Ainsi les ViOl se
servent de l'arithmétique et des autres sciences pour aiguiser leur esprit critique.
La géométrie est la seconde discipline scientifique à entrer dans la formation
des viol. Elle est utile aux hommes de guerre pour "édifier un camp, pour prendre
des places fortes, resserrer ou étendre une armée et lui faire exécuter toutes les
évolutions qui sont d'usage, soit dans les batailles même, soit dans les marches"2.
Hormis cet aspect utilitaire, la géométrie exerce l'esprit à poser et à résoudre
certaines questions théoriques. Malgré les doutes qu'on porte sur le caractère
pratique de ses méthodes d'enseignement, Platon a su allier. dans son Ecole, la
théorie et la pratique3. C'est ce qui réapparaît dans son projet d'enseignement
scientifique. Néanmoins, la théorie prédomine encore sur la pratique; d'ailleurs,
l'enseignement scientifique préconisé dans le livre VII de La République est axé sur
la pure théorie. Le philosophe s'en prend à ceux qui parlent de la géométrie "en
termes ridicules et mesquins; car c'est toujours en praticiens et en vue de la
pratique qu'ils s'expriment, et qu'ils parlent de carrer, de construire sur une ligne
donnée, d'ajouter d'autres termes semblables qu'ils font sonner"4. Platon ne rejette
pas toute idée de pratique dans l'étude de la géométrie, mais c'est un aspect moins
important que la contribution de cette science à la connaissance purement
intellectuelle. Il perçoit la géométrie comme un "moyen" d'atteindre les Idées, tout
en la détachant des objets sensibles. Cette finalité de la géométrie lui convient pour
des raisons purement philosophiques. Ainsi les ViOl l'étudient pour une facile
approche de la dialectique.
1. Rép., 525 b c.
2. Rép., 526 d.
3. Cf. BACCOU (Robert), Notes Rép.. p. 454.
4. Rép.• 527 a b.
165
;
L'enseignement de la stéréométrie vient justement après celui de la géométrie,
et parfois les deux vont de pair. Platon déplore le faible niveau de recherche dans
cette discipline 1. Il impute cette négligence au peu de considération que les gens de
son époque affichent à l'égard de la stéréométrie. Aussi reconnaît-il qu'il y a une
certaine difficulté à circonscrire cette science; mais le manque de directeur capable
de diriger les chercheurs et de canaliser leurs efforts est la principale cause du
délaissement de la stéréométrie. Cette insuffisance explique et justifie l'introduction
des études stéréométriques dans le programme pédagogique platonicien.
En quatrième rang, Platon propose l'enseignement de l'astronomie. Dans ce
domaine, il se démarque de l'esprit contemporain. En effet il ne suffit pas, selon le
philosophe, de lever la tête et de regarder les choses d'en haut pour parler de
connaissance. Certes, s'y rattache une certaine utilité inhérente au travail du
laboureur, du navigateur ou du général d'armée; mais cette utilité là est éphémère et
périssable. Les viol choisis pour ces études doivent savoir qu'il n'existe pas autre
"science qui fasse regarder l'âme en haut que celle qui a pour objet l'être et
l'invisible"2. Tournée vers cet objet, l'astronomie prend une allure philosophique.
Elle n'est plus considérée et exploitée dans un monde sensible, mais dans un
monde imaginé et imaginaire. En fin de compte, tout ce qui est sensible n'est que la
copie du non sensible. C'est pourquoi, "si quelqu'un tente d'étudier une chose
sensible en regardant en haut, bouche béante, ou en bas bouche close, j'affirme
qu'il n'apprendra jamais car la science ne comporte rien de sensible et que son âme
ne regarde pas en haut mais en bas, étudiât-il couché à la renverse sur terre ou
flottant sur le dos en mer!"3 L'astronomie est ainsi perçue comme un pur
raisonnement philosophique. C'est avec cette orientation que l'astronomie entre
dans la formation des VÉOl pour les aider à accéder à la vraie connaissance.
L'astronomie et la musique sont considérées par Platon comme des sciences
de l'harmonie. Si l'une s'étudie à travers la vue des yeux et de l'âme, l'autre est
conçue à travers l'ouïe. Là aussi Platon trouve deux dimensions. Il y a celle qui est
perçue par les oreilles et celle que ces dernières ne peuvent entendre, et que seul
l'esprit est capable de percevoir. La finalité de l'Harmonique n'est; pas l'étude
simple des sons qu'émettent les instruments de musique. mais elle consiste à "se
1. Cf. Rép .• 528 b.
2. Rép .. 529 b.
3. Rép .• 529 b c (trad. Robert BACCOU).
166
')
demander quels sont les nombres harmoniques et ceux qui ne le sont pas (. ..)" 1.
Platon assimile sans aucun doute sa théorie à celle des Pythagoriciens. Dans les
deux écoles, l'orientation de l'Harmonique est plus mathématique que musicale.
C'est pour cette raison certainement que Platon la classe (au livre VII de La
République) dans la rubrique des sciences du mouvement, d'autant plus qu'il est
"persuadé que l'âme humaine et l'âme de l'univers sont réglées selon les mêmes
accords"2. C'est en mesurant cette deuxième dimension de l'Harmonique que les
VÉOl feront une nette distinction entre les sons entendus par l'oreille et les sons
perçus par l'âme. Ils doivent ainsi savoir saisir les rapports entre les différents sons
perçus par l'âme avant qu'ils ne s'initient à la dialectique.
Cette étude des disciplines scientifiques rangées dans leur ordre de complexité
croissante n'est qu'un prélude à la dialectique. Pendant dix ans, les VÉOl s'attachent
non seulement à saisir ce qui fait la spécificité de chaque science, mais ils
découvrent aussi le rapport des différentes disciplines scientifiques. Il est
impossible, selon Platon, d'isoler l'une de l'autre. Dans leur ensemble, ces
sciences, si elles sont bien menées, orientent l'œil de l'âme vers la vraie
connaissance, c'est-à-dire vers l'intelligible3. Ainsi, durant ces dix ans d'études
scientifiques, les VÉOl s'initient à la vraie connaissance. Ils parfont leur démarche
scientifique en adaptant leur esprit au raisonnement scientifique. Et c'est sur cette
base qu'ils sont choisis pour étudier la dialectique.
C'est à l'âge de trente ans que les VÉOl choisis parmi les candidats s'initient à
la dialectique. Le choix de cette limite d'âge n'est pas un fait du hasard. Platon a, en
effet, remarqué que "les adolescents qui ont une fois goûté à la dialectique en
abusent et s'en font un jeu, qu'ils ne s'en servent que pour contredire qu'à
l'exemple de ceux qui les confondent, ils confondent les autres à leur tour, et que,
semblables à de jeunes chiens, ils prennent plaisir à tirailler et à déchirer avec le
raisonnement tous ceux qui les approchent"4. Le philosophe rattache ainsi ces
défauts à leur jeune âge. L'adolescent n'a pas encore acquis un niveau de
raisonnement lui permettant d'étudier la dialectique. Ceux, parmi les adolescents,
qui s'adonnent à la dialectique s'abandonnent à des discussions inutiles voire
1. Rép., 531 c.
2. Note n0501, Rép. (Trad. Robert BACCOU) p. 459.
3. Cf. Rép. , 532 c.
4. Rép., 539 b.
167
stériles. Leur fort est de contredire pour leur plaisir et pour leur amusement. Ce
sont ces conduites qui, d'après Platon, ont perdu la philosophie. Pour y remédier,
il faut écarter les adolescents de la dialectique, de peur qu'ils ne la dénaturent et ne
la tournent en dérision. C'est en prenant ces précautions qu'on rendra service à la
philosophie.
A l'âge de trente ans, écrit Platon, "on imitera plutôt celui qui veut discuter
pour rechercher la vérité que celui par plaisir s'amuse à contredire, et, se montrant
soi-même plus mesuré, on fera respecter la profession du philosophe, au lieu de
l'exposer au mépris" 1. La dialectique ne convient pas en fin de compte aux jeunes
gens de moins de trente ans. Elle ne se prête pas à un jeu non sérieux et elle ne
s'accorde pas avec ce qui est contraire à la vérité. Dans la recherche de la
connaissance et de la vérité, la dialectique va plus loin que tous les autres arts et
toutes les sciences déjà étudiées. En effet, les n:xvat "ne s'occupent que des
opinions et des goûts des hommes (... )"2 et les sciences (arithmétique, géométrie,
astronomie etc ... ) ne saisissent que "quelque chose de l'essence"3. Seulement, le
futur philosophe a besoin de ces connaissances pour étudier la dialectique. La
singularité de la méthode dialectique (~ olaÀEJ<1"tl<l) j.lÉ90ooç) est qu'''elle s'élève
jusqu'au principe même pour assurer solidement ses conclusions, la seule dont il
est vrai de dire qu'elle tire peu à peu l'œil de l'âme du grossier bourbier où il est
enfoui et l'élève en haut en prenant à son service et utilisant pour cette conversion
les arts que nous avons énumérés"4. L'objet de la dialectique consiste dans cet
acheminement à saisir ce que les autres sciences n'ont pu atteindre. La dialectique
apparaît comme le couronnement et le faîte des sciences5. C'est au terme des cinq
années d'étude de la dialectique que les vÉot s'élèvent "par la force de la vérité
jusqu'à l'Etre même"6.
Platon propose de recycler pendant quinze ans tous ceux qui viennent, à l'âge
de trente-cinq ans, d'achever avec succès leurs études dialectiques. L'objet de cette
proposition est double, en ce sens qu'ils reprennent leurs anciennes activités, "afin
que même pour l'expérience ils ne soient pas en retard sur les autres"; et c'est une
1. Rép., 539 b.
2. Rép., 533 b c.
3. Rép., 533 b.
4. Rép.• 533 d.
5. Cf. Rép . • 534 e.
6. Rép., 537 d.
168
occasion qui permet de vérifier "s'ils restent fermes contre toutes les tentations qui
les attirent de tous côtés, ou s'ils se laissent entraîner" 1. On remarque ainsi que la
rééducation pratique des dialecticiens dure plus que les cycles précédents. Aussi
Platon n'envisage-t-il pas l'éducation sur un plan purement théorique.
La formation scientifique et intellectuelle ne prévaut pas sur la formation
pratique. Platon cherche à trouver un équilibre entre le système théorique et le
système pratique de son enseignement. Durant quinze ans de recyclage dans les
travaux pratiques et techniques, les candidats auront acquis toutes expériences.
C'est pourquoi, "à l'âge de cinquante ans, ceux qui survivront et se seront
distingués en tout point et en toute manière dans les travaux et dans les sciences
devront être poussés au terme et contraints d'ouvrir l'œil de l'âme et d'élever leurs
regards vers l'être qui donne la lumière à toutes choses" 2 . A cinquante ans le
citoyen-garde a suffisamment d'expérience pour tenir les affaires de la cité en main.
Toutefois, avant de s'adonner, et même après, à la politique, ceux qui ont atteint cet
âge s'emploieront à défendre et à enrichir la philosophie. Pour Platon, le manque de
rigueur et de dynamisme en philosophie est dû au manque de formation. Car si la
rtau)da est boiteuse, la philosophie est forcément pauvre et défectueuse. Ainsi,
pour devenir un bon philosophe, il est nécessaire sinon obligatoire de passer par
tous les cycles de la formation théorique et pratique. C'est la seul façon de devenir
et de rester un vrai philosophe. Jusque-là, Platon s'est fondé sur l'âge et l'aptitude
(expérience) pour décerner au garde le titre de philosophe.
1. Rép., 539 e-540 a.
2. Rép., 540 a.
169
.~
II. 3. 2. Acquisitions non systématisées en Afrique
La diversité des systèmes pédagogiques des sociétés négro-africaines est la
conséquence même de l'hétérogénéité des populations et de la mobilité de leurs
aires de vie. Les contacts intercommunautaires ont certainement eu des
répercussions sur les systèmes pédagogiques élaborés par les uns et les autres,
mais ils ne sont pas de nature à annihiler l'identité de chaque groupe de
populations. La résistance de ces îlots culturels s'explique par le conservatisme de
ces communautés hostiles à toute influence extérieure. Seulement, il faut limiter
leurs différences aux seules formes organisationnelles de leurs systèmes
pédagogiques respectifs. Pour mener à bien l'éducation des jeunes générations,
chaque groupe de populations est obligé de s'adapter aux caractéristiques du milieu
géographique où il évolue. Le Bantu de l'Afrique centrale et le Serer du Sénégal
s'appliquent tous deux à circoncire leurs enfants afin de leur ôter toute marque de
féminité; mais ils ne procèdent pas de la même manière pour célébrer ce rite. Bien
que chacune d'elles conserve ses coutumes et ses méthodes pédagogiques, ces
communautés ont la même conception de l'homme.
Dans la pensée négro-africaine l'être humain naît "vierge" de toutes
connaissances. A sa naissance, il n'est que corps et âme 1. Parfois les devins
s'aventurent à dévoiler les signes congénitaux de l'enfant, mais ils disent jamais
qu'il est venu au monde avec des connaissances. Au demeurant, il aura tout à
apprendre. Bien qu'il prenne en considération la santé et la beauté du corps, le
Négro-africain définit l'homme par son âme et son esprit (nedda ka haggile). Dans
tout ce qu'il entreprend l'homme doit avoir une âme pure. Le corps ne sert au fond
qu'à loger et à transmettre les ordres de l'âme, bien qu'ils entrent tous deux dans
l'éducation négro-africaine. C'est dire que les deux constituants de l'homme ont
besoin de formation.
Il est vrai qu'en Afrique noire traditionnelle les membres d'un groupe social
sont classés selon leur âge. Mais contrairement à ce qui se passe dans la société
platonicienne, l'apprentissage de certaines techniques ne correspond pas forcément
1. Cf. ZAHAN (Dominique), Sociétés d'Initiation bambara: Le N'domo et Le Korè.
Dijon, 1960. p. 61.
170
;
à un âge precIs. Peut-être pourrait-on lier ce phé"nomène à l'insuffisance
organisationnelle des systèmes pédagogiques africains par rapport à la structuration
du système platonicien. Il n'y a pas de plan pédagogique préétabli; c'est là l'origine
de la souplesse de la pédagogie négro-africaine. Jusqu'à l'âge de sept ans, l'enfant
évolue librement dans l'aire familiale et communautaire.
C'est à partir de la septième année qu'on s'occupe vraiment de l'instruction
(diâgde) de l'enfant dans la société négro-africaine. A ce stade, l'organisation de
l'enseignement n'est pas telle que l'enfant sache, à son réveil, ce qui lui attend ou
ce qu'il doit faire. C'est au gré des parents que sont fixées ses activités sérieuses.
Si aujourd'hui il est envoyé faire paître les troupeaux, demain le jeune garçon peut
se retrouver auprès de son père dans les champs ou à la chasse. La jeune fille de
son côté obéit de la même manière aux ordres de sa mère qui s'emploie à la guider
dans les activités réservées aux femmes. C'est autour de ses parents que l'enfant
commence à acquérir des connaissances intellectuelles et à apprendre les techniques
relatives aux métiers.
La théorie et la pratique vont de pair dans l'enseignement familial. Le garçon
comme la jeune fIlle apprennent à compter et à calculer. L'enfant doit être en mesure
de dénombrer son troupeau, de connaître le nombre exact des femelles et des mâles
etc ... Aussi lui faut-il retenir le nombre de jours dans la semaine et leurs noms
respectifs, savoir combien de mois compte l'année, situer et dater les événements.
S'il ne sait ni lire ni écrire dans un alphabet précis, l'enfant apprend à lire, auprès
de ses parents, les signes et les traces laissées sur le sol par des animaux. La nature
est un ensemble de signes que l'homme tente de découvrir et d'interpréter. C'est
ainsi que le Négro-africain se fonde sur la couleur des feuilles des arbres, sur celle
des herbes et du sol pour semer telle céréale, sur la teinte de l'eau pour pêcher, sur
le cours du vent pour chasser etc. C'est un langage symbolique que J'enfant
apprend à déchiffrer. Cependant, certains signes ne lui sont enseignés que durant et
après l'initiation.
Il est établi que le garçon suit son père, alors que la fille se retrouve avec sa
mère pour les travaux domestiques. Ces moments sont bien exploités par les
parents pour la formation théorique de leurs enfants. Nous avons déjà évoqué
l'apport du conte dans le domaine psychologique. Parallèlement à ses vertus
171
éthiques, le conte a la qualité de développer les capacités intellectuelles des enfants.
En effet, le conte comporte plusieurs niveaux de significations; il peut "distraire par
son intérêt dramatique, dispenser un enseignement pratique, dispenser un
enseignement moral, un enseignement ésotérique par la symbolisation des
personnages et des événements" '. Le conte est en lui-même un exercice intellectuel.
Ses richesses sont les proverbes, et des informations sur la vie des personnages et
de leur univers. Le conte et le mythe constituent le fondement de la littérature
populaire. Les fonctions multiples du conte s'articulent et se recoupent, au point
qu'il est hasardeux d'y séparer le social du politique, le moral du sacré. Le niveau
pédagogique de chaque conte correspond au niveau intellectuel et de compréhension
de l'auditoire. C'est au cours des veillées de contes que l'enfant se familiarise avec
les techniques du discours oral. Du fait même qu'il amuse et instruit, le conte -se
prête à des tons sérieux et à des tons comiques. L'enfant qui écoute attentivement se
plaît à reprendre des formules et à imiter les différents accents du conteur. Rien ne
lui fait perdre le sens et la cohérence du récit. Il y puise des informations littéraires,
philosophiques, religieuses et historiques.
Le conteur a la possibilité de citer au cours de son récit des anecdotes pour
expliciter l'histoire contée. Le caractère populaire et la spontanéité du conte (qui
d'ailleurs lui ôtent toute forme fixe) ne facilitent pas la mémorisation de tous ces
éléments. C'est pour cette raison que le narrateur fait de gros efforts sur le plan
stylistique. En effet, "les qualités conférées au texte, note Geneviève Calame-
Griaule, dépendent naturellement beaucoup de la personnalité du narrateur. Le style
vise surtout à la clarté et à la vivacité. Le choix des mots montre un souci de
propriété et d'expressivité à la fois. La langue se veut correcte, voire élégante
(emploi du style indirect)"2. Ces procédés stylistiques facilitent non seulement la
mémorisation, mais ils aident aussi les enfants à connaître le vocabulaire des contes
et à soigner leur discours oral. Mieux. les conteurs les habituent à toutes les formes
de discours. C'est ainsi que dans les contes "les dialogues sont rapides, ponctués
d'expressions, de cris variés ; on imite la voix et le ton des personnages (voix
nasillarde de l'hyène)''3. Le même auteur montre dans une autre étude4 l'intérêt
1. DERIVE (Jean), La pluralité... , p. 266.
2. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole
; p. 449.
3. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole
; p.449.
4. CALAME-GRIAULE (Geneviève), Pour une étude des gestes narratifs in Langage et
cultures africaines, Paris, 1977. p. 303.
172
qu'il faut accorder aux gestes narratifs du conteur pour la compréhension de son
texte. Elle note que, "comme tous les gestes accompagnant la parole, ceux du
conteur sont associés aux expressions du visage et aux intonations de la voix, ainsi
qu'à divers autres procédés paralinguistiques. Cet ensemble de procédés expressifs
constitue le style oral; il est nécessaire, pour l'analyse, de le distinguer du style
littéraire, qui se situe au niveau de la langue (... )"1. Ces niveaux de langue et de
discours sont nécessaires à la compréhension du récit et à la formation des enfants à
l'art de la parole. Aussi par sa matière le conte est-il un genre privilégié pour une
formation intellectuelle des enfants.
Les contes reflètent eux-mêmes le savoir du monde négro-africain. Ils
constituent à eux seuls un enseignement intégral qui est à la portée de tous, et ils
permettent aux enfants de se familiariser avec les premières notions du savoir.
L'univers du conte est celui des hommes et des animaux, des végétaux et des
objets. La pensée négro-africaine est moulée dans son milieu environnant. Elle
puise sa matière dans le monde vivant des hommes et des animaux, dans celui de la
faune et de la flore. Dominique Zahan remarque que le Bambara arrive dans le conte
"à extérioriser les concepts lui permettant de communiquer avec les autres. Tel arbre
(gwele) lui fournit l'occasion de traduire l'idée de solidité; tel autre (le mpeku) lui
fournit le prétexte d'illustrer les notions de plénitude. d'exubérance, de richesse"2.
Parallèlement à celui de la flore, le monde des animaux dans les contes aide le
conteur à illustrer d'autres notions. En effet, continue Dominique Zahan, "le lièvre,
la chèvre, le poulet, l'aident à décrire respectivement la ruse, le social, le temps
( ... ). Le cheval, par exemple, est susceptible de répondre aux notions de vitesse,
d'imagination, d'immortalité, alors que la notion d'homme trouvera des supports
valables dans les cauris, la mouvette, le masque du N'domo, l'abeille, la gousse
d'ail etc"3. Les veillées de contes sont ainsi des occasions où l'enfant se familiarise
avec des notions intellectuelles symbolisées par le monde qui l'entoure. Le conteur
se sert d'un objet ou d'un animal pour commenter ou illustrer une notion. C'est un
symbolisme qui se définit "comme un système de correspondances entre réalités
sensibles ou entre concepts et les objets matériels, établi en fonction d'analogies
naturelles associant les attributs et les qualités des termes corrélatifs"4.
1. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole ... , p. 449.
2. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe, p. 114.
3. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe, p. 114.
4. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe, p. 115.
173
L'e~fant est ainsi initié très tôt à l'interprétation symbolique de l'univers réel
par le biais de l'univers féerique des contes et légendes. Chaque élément du conte
lui paraît comme un symbole de la réalité et lui suggère une notion dans sa vie
intellectuelle et sociale. Dans les récits mythiques, l'enfant se familiarise avec des
notions abstraites liées à un univers invisible. Ici et là, le symbolisme est d'un
grand apport dans la formation intellectuelle et psychologique de l'enfant.
Les proverbes contenus dans les contes sont utilisés à des fins à la fois
morales et intellectuelles. A cause de sa signification profonde et ambiguë, le
proverbe nécessite toujours une explication. Aussi se caractérise-t-il par sa brièveté
et par la recherche des termes significatifs l qui le composent. L'agencement des
termes employés est tel que les vérités qu'exprime le proverbe apparaissent sous
forme de messages imagés. L'exercice intellectuel consiste alors à chercher le sens
premier des termes, à les rapprocher pour appréhender approximativement la
signification du proverbe. Les circonstances et le contexte qui l'ont suscité aident
dans certains cas à dévoiler la vérité cachée des proverbes. C'est un exercice qui
aiguise la réflexion intellectuelle.
Dominique Zahan écrit avec raison que le proverbe "est un instrument de
perfectionnement intellectuel en même temps qu'un dire d'à-propos. Il met en
évidence les relations et les analogies entre les choses. Il expose la connaissance"2.
Dès lors qu'il montre son éloquence et sa sagesse en citant des proverbes dans son
discours, le conteur doit être en mesure d'expliciter les divers éléments de la
sentence. Les enfants ont droit à des commentaires et à des analyses3. Ce sont des
exercices qui visent à la compréhension du message caché des proverbes. Ainsi
assiste-t-on à des cours magistraux. Celui qui use des proverbes dans ses discours
se définit comme un sage, c'est-à-dire lin homme d'expérience. Le message de ces
paroles est à assimiler et à mémoriser. Et il faut reconnaître, écrit Mohamadou
Kane, que "le laconisme des proverbes a l'avantage d'aider la mémoire, de
favoriser la conservation de la sagesse, de faciliter sa transmission à la postérité"4.
l. Cf. KANE (Mohamadou), Les contes .... pA3.
2. ZAHAN (Dominique), La. dialectique du verbe... , p.IOS.
3. Cf. ZAHAN (Dominique), La. dialectique du verbe .... p. 104.
4. KANE (Mohamadou), Les contes... , p. 104.
174
,;
Dans ces commentaires, l'agrément cède la place à la culture générale qui est l'un
des fondements de la personnalité du Négro-africain traditionnel.
Entrent aussi dans la formation intellectuelle des enfants les devinettes.
Parallèlement aux contes et aux proverbes, la tradition négro-africaine a conservé la
devinette comme un exercice de réflexion et de mémorisation. Les circonstances qui
le suscitent sont difficiles à déterminer, attendu que le jeu de devinette, qui se
déroule surtout la nuit, réunit des enfants entre eux-mêmes ou avec les grands-
parents 1. Vu son caractère énigmatique, la devinette est un moyen idéal d'inculquer
à l'enfant des connaissances intellectuelles. Elle aide l'enfant à "( ... ) reconnaître
non plus des analogies immédiates entre les choses mais des analogies
détournées"2. C'est une sorte de jeu récréatif et instructif à la fois. Au cours des
veillées, jeunes filles et jeunes gens se confient au moyen des devinettes, les uns
cherchant à coller les autres, et vice versa. Ainsi durant ces retrouvailles
nocturnes,les compagnons de jeu montrent leur culture générale et leur éloquence,
et ils mettent à l'épreuve leur élégance intérieure. Participer à ce jeu sérieux suppose
une connaissance profonde des énigmes posées, én igmes dont le sens est transmis
de génération en génération. Les jeunes gens découvrent leur sens secret auprès des
adultes (aînés et parents) qui les forment à ce jeu intellectuel. Le jeu de devinettes
permet ainsi aux jeunes filles et aux jeunes gens d'exercer leur mémoire et
d'acquérir la rapidité dans la réflexion.
Il faut noter que cette formation intellectuelle va de pair avec la formation aux
métiers. C'est durant la période de l'initiation que le Négro-africain accède à des
cycles supérieurs de l'enseignement. En ces moments précis, il se livre à des
commentaires philosophiques au sujet de l'existence humaine et à l'interprétation
approfondie du monde sensible et du monde intelligible.
Jusqu'à présent il a été question des connaissances intellectuelles contractées
au sein des groupes. Mais il arrive que les parents eux-mêmes forment leurs
enfants. Cette tendance est manifeste dans les sociétés à castes où chaque famille
cherche à orienter ses descendants vers l'idéal tracé par les ascendants. C'est par la
même occasion que les enfants sont initiés aux techniques des métiers. Le père et la
1. Cf. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe ... , p. 106. Elle Yexplique pouquoi ce
jeu s'accomplit entre grands-parents et leurs petits-enfants.
2. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe ... , p. 106.
175
~
mère s'occupent respectivement, et selon la tradition, des garçons et des filles.
Cependant, cette séparation des rôles n'entraîne pas une différence énorme dans la
formation de base des enfants. Le père comme la mère ont le droit d'intervenir à
tout moment dans l'éducation de la fille ou dans celle du garçon; et ils coordonnent
leurs interventions pédagogiques. C'est dès son jeune âge que l'enfant s'intéresse
aux occupations des adultes, et cela est manifeste dans ses jeux. L'esprit mystique
du Négro-africain traditionnel va jusqu'à pressentir dans les occupations ludiques
de l'enfant les préférences futures de ce dernier. Généralement, l'enfant imite, dans
ses jeux, le métier qu'exercent ses parents. Il est possible que ces derniers le
confient à un autre membre de la communauté: mais il ne peut s'agir que d'un
individu issu de la même caste que les parents géniteurs.
Dans les sociétés dites "anarchiques" l'enfant a accès à tous les métiers. Leurs
populations s'adonnent, selon les saisons et l'aire géographique, à la pêche, à
l'agriculture, à la chasse etc. Il n'y a pas de spécialisation par caste. La survivance
de cette anarchie s'observe dans les sociétés hiérarchisées en castes. Chez les
Toucouleurs, la tradition permet au tisserand (maabo canowo) d'exercer le métier
de guitariste (kodowo), au guerrier (ceddo) de se transformer en pêcheur (cubbalo)
en temps de paix etc. Dans les deux formes de sociétés filles et garçons sont
éduqués et formés suivant leur âge et leurs aptitudes.
Le garçon s'approprie, dès l'âge de sept ans. des outils confectionnés à sa
mesure et suit son père pendant les heures de travail. Le jeune forgeron, par
exemple, se plaît à plier et à redresser un fer entre l'enclume et le marteau dont il
dispose au coin de l'atelier de son père. Il doit activer le feu de la forge à l'aide des
soufflets et aider son père à battre le fer. Ce travail est souvent assuré par les petits
apprentis que son père accueille dans son atelier. Le père commence à imposer à
son fils des menus travaux (battre le fer. souder des marmites, confectionner des
petits outils pour ses propres compagnons d'âge). Le travail de l'or et de l'argent
revient à cette caste; mais il est réservé aux plus âgés et aux plus habiles de ses
membres. Son apprentissage s'effectue selon les mêmes modalités; il demande
plus de soins que le travail du fer "noir" (jamdi baleri). On cherche, d~ns les deux
cas, à intéresser l'enfant à son métier. Son habileté et son ingéniosité à effectuer
son métier lui valent des jugements sur sa personnalité. Jusqu'au mariage, le jeune
forgeron reste dans l'atelier de son père. Aussi ce dernier ne manque-t-il pas de
176
l'initier au pouvoir mystique lié à la protection et à la survie de leur métier ancestral.
Ces connaissances mystiques ne sont pas divulguées pendant les initiations en
groupe. L'apprentissage des métiers se déroule selon les mêmes modalités dans les
autres castes. Ici et là, on cherche à garder son identité dans l'enseignement
dispensé aux jeunes générations.
La jeune fille peut être initiée à certains métiers, tels le tissage, la poterie etc.
Dans les sociétés hiérarchisées ces métiers sont réservés aux femmes des forgerons
ou des tisserands. Mais cela n'empêche que les occupations des femmes ne varient
pas d'une société à une autre, ou d'une famille à une autre. Elles s'occupent
toujours des travaux domestiques. C'est ainsi que la femme est dans l'obligation
d'initier sa fille à toutes ses occupations. Aussi la personnalité de la jeune fille
dépend-elle de cette formation. Elle est jugée par rapport à ce qu'elle sait faire en
ménage, à sa soumission aux ordres de sa mère. C'est à cette dernière de lui
inculquer le sens du devoir et de son rôle au sein de la société. Dès l'aube, la fille
suit sa mère au puits, fait la vaisselle, berce son jeune frère ou sa petite sœur, pile
le milou vanne le riz. Ces travaux affectés à la jeune fille s'effectuent
quotidiennement et en toutes saisons, alors que les garçons et leurs pères
s'octroient très souvent des congés. C'est au prix de ces souffrances que la fille
apprend ses petits métiers et forge son image personnelle. Derrière cette image doit
défiler une personnalité conforme à l'idéal familial et communautaire. La fOrI,!1ation
pratique s'accompagne toujours de conseils qui entrent dans l'enseignement
familial. Les filles ne découvrent, contrairement aux garçons. rien de nouveau dans
les camps d'initiation, en dehors de l'éducation sexuelle donnée par les vieilles
femmes.
Il faut attendre l'initiation sociale pour voir les jeunes gens apprendre leur
histoire et exploiter certaines connaissances. Dans leur définition de l'initiation
Louis- Vincent Thomas et René Luneau remarquent que la personne et la société
sont inséparables, bien qu'elles soient distinctes l'une de l'autre. Ils précisent
qu'''au niveau individuel:
le rite initiatique est un ensemble complexe de
techniques visant à humaniser (culturaliser et socialiser) l'être humain par le biais
de la connaissance libératrice et des épreuves bienfaisantes afin c1'orienter vers ses
responsabilités d'adulte, de spécifier son statut et ses rôles qu'un tel "passage" ne
manque pas de provoquer (sécuriser) ; il permet. le cas échéant, au sujet qui le subit
(sens passif) d'accéder aux formes les plus hautes de la spiritualité créatrice (sens
177
~
actif)" 1. Le processus d 'humanisation
n'est peut-être pas si tardif, attendu que
l'intégration de l'adolescent commence dès sa jeune enfance. Seulement, cette
humanisation prend des formes plus symboliques pendant l'initiation pubertaire.
Aussi la société cherche-t-elle à pérenniser, à travers l'initiation, son identité
culturelle en confiant son destin et son unité aux jeunes générations. C'est ainsi que
l'initiation constitue un ensemble de données politiques, économiques, culturelles,
sociales etc. Chaque aspect de l'initiation entre dans la formation de la personnalité
de l'adolescent.
Il faut préciser que l'initiation est une phase durant laquelle "l'enseignement
prodigué par les initiateurs porte plus spécialement sur le corps de l'homme (ou de
la femme), la structure du monde, l'organisation du groupe (ses mythes, ses lois)
sans oublier mille et une recettes pratiques indispensables pour, et dans la vie
courante"2. Pour être plus précis disons que le programme initiatique est constitué
de disciplines comme la géographie, l'histoire, l'astronomie, les sciences inhérentes
à l'homme, aux plantes, à la faune etc. Il est établi que les initiateurs ont le devoir
de faire visiter le territoire aux initiés. Ces derniers apprennent à mieux connaître les
limites de leur pays, les cours d'eau qui le sillonnent, les plantes et leurs propriétés.
De même. chez Platon, les vÉa 1 visitent le territoire de la cité de long en large.
L'initié ne se contente pas de constater: mieux. il se met en contact direct avec la
réalité enseignée.
Sous l'initiative des guides. les initiés vérifient la combustibilité des herbes et
des plantes, traversent les cours d'eau à la nage et sillonnent tout le territoire. Le
cours d'histoire peut être illustré par des masques représentant les Ancêtres et les
Dieux qui président aux destins de la communauté. L'astronomie est dispensée
surtout la nuit, moment où l'on distingue facilement les étoiles qui servent de
repères aux chasseurs et aux bergers. Les positions des étoiles par rapport à la lune
et leurs significations mystiques sont révélées aux initiés. Ils assistent aussi à des
reconstitutions de scènes de jugements où l'on applique le droit coutumier. C'est
dans l'enclos sacré que les initiés apprennent à déchiffrer les langages jusque là
inconnus d'eux. C'est une sorte de littérature orale fossilisée dans les camps
d'initiation. Le non-initié n'a pas accès à ces connaissances. Des leçons sur
1. THOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU (R.), La terre africaine et ses re!igions :
traditions et changements, Paris, 1975. p. 214.
2. ruOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU (R.) La terre africaine ... , p. 222.
178
~
l'éducation sexuelle sont données aux filles et aux garçons; mais cet enseignement
est plus important chez les filles que chez les garçons. Cela tient au fait que la
tradition fait reposer le poids de la prolifération de la famille et de la société sur la
femme.
L'initiation pubertaire ouvre une nouvelle ère de connaissances à l'adolescent.
Elle lui confère le sens de la vie en groupe et, par la même occasion, elle lui révèle
que sa survie et son épanouissement dépendent de ceux des autres membres de la
société.
Les initiateurs ont la lourde tâche aussi de préparer les adolescents aux
combats et de leur faire apprendre toutes les techniques de guerre. Le campement
des initiés, dans certaines régions, se transforme quotidiennement en aire
d'entraînement militaire. C'est ainsi que les initiés apprennent à manier les armes
(flèches, arcs, sagaies, lances etc), à se défendre et à attaquer individuellement ou
collectivement. Les sorties nocturnes comme celles effectuées pendant la journée
entrent dans la formation à l'endurance guerrière. Chez les populations bien
organisées (comme les Masaï), les entraînements sont programmés suivant les
classes d'âge. Certains initiés bénéficient, dans ces cas, de l'enseignement des
sciences occultes: ils sont informés alors des secrets des armes empoisonnées; ils
apprennent les chants de guerre et des versets sacrés jalousement gardés jusque-là
par les initiateurs.
A la sortie des camps d'initiation, l'adolescent entre symboliquement dans la
vie des adultes. De l'initiation à la période du mariage, on lui demande de justifier
sa place au sein de la société. Ainsi doit-il s'appliquer à mener sa vie selon les
prescriptions familiales et communautaires. C'est seulement en prouvant aux yeux
de tout le monde qu'il est digne d'appartenir à son groupe que le jeune homme aura
la permission de fonder un foyer. Un couple doit pouvoir transmettre à ses
descendants les connaissances et les techniques apprises au cours de l'enfance et de
l'adolescence.
De l'âge de sept ans à son initiation, le jeune Négro-africain aura reçu une
formation théorique et pratique; mais cette dernière est encore incomplète. Pendant
cet intervalle de temps, l'enseignement traditionnel utilise l'image et l'allégorie, plus
179
,}
précisément des "symboles puisés par l'homme dans le milieu familier" 1. Les
adultes s'appliquent à illustrer leur enseignement par des objets et des éléments du
monde sensible. A chaque élément correspond une idée ou une notion abstraite. Ce
qui facilite d'ailleurs l'assimilation des concepts et commentaires de cet
enseignement. Cependant, cette formation qui correspond aux choses périssables
ouvre, comme chez Platon, le chemin aux connaissances intelligibles.
Après la circoncision et les cérémonies qui l'accompagnent, les jeunes gens
passent par différentes phases et étapes d'initiation pour acquérir des connaissances
philosophiques, religieuses et politiques. C'est ainsi que chez les Bambara, pour ne
citer que cette ethnie, existent (après la circoncision) des initiations, tels le komo, le
nama, le tyiwara et le kore. Dominique Zahan, après de nombreuses études sur ces
sociétés initiatiques, relève que "l'homme est présenté par le n'domo; le komo
dépeint l'essence du savoir; le kono s'intéresse aux rapports entre l'âme et le corps;
le nama décrit l'union et la société; le tyiwara se consacre au travail; le korè à la
fusion avec Dieu"2. Il y a à travers ces différentes phases initiatiques un besoin de
dépassement; ici le Bambara cherche la perfection, et à ressembler aux divins. Et il
se crée des structures pour accéder à la vraie connaissance, celle qUI représente la
sagesse divine. Dans son livre, Sociétés d'initiation Bambara, Dominique Zahan
résume le sens du passage du monde sensible au monde intelligible dans la pensée
bambara. Elle explique que le n 'domo et le korè "ont pour objet l'homme mâle et
femelle. Mais, tandis que la première (société) se borne à le décrire tel qu'il est sorti
des mains du Créateur, la seconde le reconstitue sur un plan plus élevé ( ... ).
L'homme du n 'domo est, suivant l'expression bambara, le double de l'homme du
korè , à cela près que l'un est, par essence, périssable, tandis que l'autre accède à la
condition d'immortel "3. Dans le korè, l'homme se débarrasse de son image de
mortel. Pour ce faire, il se soumet à toutes les prescriptions relatives à cette
institution. Il y acquiert la sagesse. Car le "korè délie l'homme de toute convention
et de toute contrainte susceptibles d'entraver l'élan de l'esprit et du développement
de la personnalité vouée à la recherche de la sagesse"4.
1. ZAHAN (Dominique), La dialectique du verbe .. " p. 121.
2. ZAHAN (Dominique), La dialectique du FeriN .... pp. 122-123.
3. ZAHAN (Dominique), Sociétés d'initiation bamiJara : le n'domo et le korè.
Dijon.
1960. p. 128.
4. ZAHAN (Dominique), Les sociétés d'initiation ... , p. 140.
180
Cette négation du monde sensible et matériel de la part du Bambara passe
nécessairement par la souffrance et la libération de l'esprit. Le sage du korè,
parvenu au sommet de la formation intellectuelle et philosophique, incarne lui-
même la divinité. Aussi est-il plus près de l'Etre supérieur, de l'Intelligible que tout
membre de la société. Il n'est pas abusif de le comparer au sage platonicien. L'un et
l'autre atteignent la réalité intelligible après avoir traversé les différentes étapes de la
connaissance. Si d'un côté il est permis au sage platonicien de diriger les affaires
publiques et domestiques, de l'autre le sage du korè "vaque à ses occupations
habituelles, le chemin mystique qu'il parcourt traverse son champ, sa maison, ses
sacrifices, l'espace et le milieu environnants" 1. Dans les sociétés négro-africaines et
platonicienne, ces sages sont présentés comme des guides spirituels. Leur sagesse
se mesure à travers leur expérience personnelle et le niveau de leur formation.
Ainsi donc dans les sociétés négro-africaines, l'enseignement traditionnel est
axé sur le monde sensible et le monde intelligible. Le passage du premier au second
devient effectif à la vieillesse, étape où l'homme, au sortir de l'école d~ la sagesse et
du savoir pur, découvre la réalité intelligible, ultime but de sa formation. C'est le
même parcours qu'emprunte le citoyen platonicien pour acquérir, à l'âge de
cinquante ans, la sagesse.
1. ZAHAN (Dominique), Sociétés d'initiation .... p. 373.
181
II. 4. MUSIQUE ET CARACTÈRE
II. 4. 1. Musique
tradition et formation chez Platon
Quelles que fussent les péripéties de son évolution historique, la floucrtJ<TÎ a eu
une grande place dans l'éducation grecque. Les principales disciplines de la paideia
furent la mousiké et la gymnastique. Platon rappelle que c'est une tradition établie
au cours des âges l . Le philosophe et ses contemporains ont hérité de cette tradition.
De sa mission populaire la "musique" est passée à une fonction de classe avant
d'être officialisée à Sparte comme une discipline pédagogique accessible à tous les
citoyens. Aussi l'organisation politique et sociale de la cité aura-t-elle permis la
stabilité d'une forme musicale à laquelle se conforment tous les Grecs. La musique
vient en second lieu par rapport à la gymnastique qui se confond déjà, à l'époque
homérique, avec des disciplines guerrières. Elle existait sous une forme plus ou
moins organisée avant la formation de la cité grecque classique. Pendant l'époque
classique, la musique et la gymnastique constituent les principales disciplines de la
formation individuelle et collective des citoyens. Au demeurant. l'interférence de
certaines de leurs composantes fait qu'il est impossible de dissocier l'une de l'autre.
François Lasserre écrit que l'importance qu'on accorde à "la culture de l'esprit et du
goût (... ), autant qu'à la culture du corps revient donc apparemment à une éthique
préhomérique ( ... )"2. Platon s'aligne en effet sur cette tradition qui trouve
l'équilibre de l'éducation dans la jonction harmonieuse de la "musique" et de la
gymnastique. Dans ce sous-chapitre, nous nous intéressons uniquement à la
musique et à son influence sur la personnalité du garde.
Pendant l'époque classique, la spéculation sur la musique est d'ordre
philosophique et pédagogique. L'œuvre de Platon en révèle quelques aspects. Le
philosophe développa et fit siennes aussi bien les idées de Socrate que celles des
Pythagoriciens sur la musique. Pour le Socrate de La République, la musique mène
l. Cf. Rép., 376 e.
2.LASSERRE
(François):
PLUTARQUE.
De la musiqlle. Précédé d'une étude
surL'Education musicale dans la grèce antiqlle. Lausanne. 1954. p. 13. La phfJse se
termine par " dont l'Wade elle-même, en privilégiant les disciplines guerrières, ne
produit plus qu'une image incomplète".
182
,~
l'âme au royaume de la lumière. Le rhème pédagogique lui sert de fondement à
toute discussion philosophique inhérente à la 1l0UOï)(~. Aussi Evanghelos
Moutsopoulos remarque-t-il que les positions de Platon en matière de musique sont
influencées "par sa prise de contact aussi bien avec l'acoustique pythagoricienne
qu'avec l'éthique damonienne ( ... r 1. Mais ces positions gardent l'empreinte du
philosophe.
Dans La République comme dans Les Lois, l'éducation
musicale
platonicienne concilie dans le fond et dans la forme les thèses damoniennes et
l'acoustique pythagoricienne. Autrement dit, Platon trouve l'harmonie de
l'éducation musicale dans le mariage du sensible et de l'intelligible. C'est cette
tentative philosophique qui, mêlée à son refus à toute innovation dans la
composition musicale, confère à la position de Platon toute son originalité. Bien
qu'il soit fervent défenseur des thèses damoniennes, il ne garda pas ce qui lui
semble contraire à sa philosophie de l'éducation. On a toujours voulu ramener
l'intransigeance de Platon à une approbation aveugle des thèses damoniennes ; mais
en réalité, elle naquit de sa révolte contre les innovations musicales de son époque.
Peut-être convient-il de tout imputer à sa culture aristocratique qui ne lui permit pas
d'apprécier du premier coup ce qu'il appelle lui-même "la culture populaire", Cette
dernière est, selon lui, responsable des troubles socio-politiques de l'époque
classique.
C'est pour cette raison qu'il s'empresse d'écrire que "1'iIHroduction d'un
nouveau genre de musique est une chose dont il faut se garder: ce serait tout
compromettre, s'il est vrai, comme le prétend Damon et comme je le crois, qu'on
ne peut changer les modes de la musique, sans bouleverser les lois fondamentales
de l'Etat"2. Si la stabilité des lois de l'Etat dépend de celle de la musique, le
dynamisme et la survie de cette dernière sont liés à la stabilité et à la nature des
mœurs. Le conservatisme platonicien s'oppose à toute idée de dégradaüon et de
négligence des mœurs. Platon le manifeste lors qu'il déclare qu'''on ne cesse
d'inventer du nouveau en matière de danses et dans le domaine de la musique, et ce
ne sont pas les lois qui demandent les changements, ce sont des passions déréglées
qui, bien loin d'être les mêmes et de même nature ( ... ) ne sont jamais les mêmes"3.
1. MOUTSOPOULOS (Evanghelos), La Musique dans l'oeuvre de Platon. - Paris. 1959.-
p.5.
2. Rép., 424 c.
3. Lois, 660 b.
183
,~
Bien qu'elle s'oppose à toute évolution esthétique et historique de l'art, cette
déclaration reflète le souci d'ordre et d'unité auxquels le philosophe attache une
grande importance. Il réclame plus l'assainissement des mœurs de son époque
qu'un retour pur et simple à la tradition. C'est la raison pour laquelle on est tenu
d'être prudent lorsqu'on interprète "l'opposition" de Platon au renouveau dans la
musIque.
Le terme de f10U(Hl(~ a son plein sens chez Platon. fI englobe dans sa
signification première les discours (oral et écrit), l'harmonique. la rythmique,
l'organique, le chant et la danse. Toutes ses parties se recoupent dans un sens ou
dans un autre; mais chacune d'elles a ses vertus et ses attributs dans l'éducation
musicale. L'élargissement du sens de f10Ucrll(~ a permis à Platon d'introduire des
discours oraux et écrits dans un ensemble plus soudé et plus homogène. Lorsqu'il
écrit que l'éducation commence par la musique et que cette dernière comporte des
"discours" "vrais et mensongers", Platon laisse croire à l'existence d'une juste et
d'une mauvaise éducation musicale. Par la même occasion, il fait pressentir
l'éternelle opposition entre le bon et le mauvais, entre le juste et l'injuste, le beau et
le laid, le bien et le mal. Nous avons déjJ. noté dans le précédent sous-chapitre que
Platon exclut tout discours "mensonger" de son enseignement pour n'adopter que
les discours "vrais". C'est à l'âge de treize ans que les enfants commencent à
étudier les textes. Ce sont là des compositions qui se prêtent au chant: et elles sont
soumises à toutes les règles établies pour une finalité éducative du chant. Aussi
convient-il, selon Platon, de "traiter du caractère du chant et de la mélodie" 1.
En même temps, il précise que les règles qui régissent les paroles mises en
musique et celles qui sont simplement parlées sont les mêmes. Par IJ., le philosophe
recherche une homogénéité entre les règles de morale que contiennent les textes et la
manière dont ces derniers sont conçus et dits. Pour ce faire. "l'harmonie et le
rythme doivent s'accommoder aux paroles"2. Du reste, le souhait de Platon
s'éclaircit: les bonnes harmonies et les bons rythmes vont avec les "discours
vrais", alors que les mauvaises harmonies et les mauvais rythmes accompagnent les
"discours mensongers". L'éthique musicale n'est pas liée au contenu seul, mais
1. Rép., 398 c.
2. Rép., 398 d.
184
p
aussi aux tonalités jugées convenables" au sujet du chant, aux circonstances de
son audition, à la composition du chœur" 1.
Lasos d'Hermione relativisait ces circonstances: mais ces dernières devinrent
"( ... ) absolues bientôt; telle tonalité est convenable parce que le chant, la danse, la
fête, les exécutants qui lui correspondent sont décents"2. Si Lasos d'Hermione
s'est intéressé à l'énumération des harmonies, Platon compare, à l'instar de
Damon, les différentes tonalités, les unes avec les autres pour choisir à la fin celles
qui conviennent à son idéal musical. Chaque harmonie a ses valeurs éthiques chez
Platon. Evanghelos Moutsopoulos écrit que "définir les valeurs morales exprimées
par la musique, ses formes les plus vertueuses, tel est le problème de l'ethos des
harmonies qui se ramène au problème plus général de la formation du caractère chez
l'adolescent"3. Damon a distingué quatre sons: te, ta, te, to, auxquels il attribue
une signification morale4. Il résume toutes ces gammes en quatre modes: le lydien,
l'iastien, le phrygien et le dorien. Platon n'hésite pas à reprendre et à faire siennes
les thèses damoniennes. Mais, si Damon a eu le privilège de mettre à jour la
signification morale des modes, Platon, quant à lui, tente de prouver le bon et le
mauvais côté des uns et des autres.
Dans son système éducatif, il élargit les thèses damoniennes à un projet
pédagogique plus vaste et plus élaboré. Le mode acquiert un caractère socio-
politique. Rappelons que les plaintes et les lamentations sont exclues de la vie du
garde. Ainsi les harmonies plaintives n'ont-elles pas leur place dans un cadre où
elles ne s'accommodent à aucun élément. C'est pourquoi Platon rejette "la lydienne
mixte, la lydienne aiguë, et quelques autres semblables"5. La lydienne convient,
avec son caractère plaintif, au thrène. Elle est donc impropre par nature à
l'éducation des gardes appelés à ne jamais se lamenter. Plutarque indique, dans
nEpl flOUcrll<~C;6, que "la lydienne aiguë" s'identifie avec la lydienne proprement
dite. Aristote trouve, après Platon, la lydienne mixte "attristante"7 et Plutarque la
1. LASSERRE( François), Educ. musicale
p. 43.
2. LASSERRE (François), Educ. musicale
p. 43.
3. MOUTSOPOULOS (Evanghelos), Edilc.Musicale ... , p. 71.
4. Cf. MOUTSOPOULOS (Evanghelos). Edilc.Musicale ... , pp. 73_74.
5. Rép., 398 e.
6. Cf. BACCOU (Robert) La Rép.. note 166: ntl.âTCvV Èv TW TplTCv T~C; nOÀtn:lac;
oucrXEpalvElv Tîj TOlaUTf] floucrtl<~, TllV youv !\\ûOlav éIpflovlav
TlapatTEÏTat, ÈTlEOll ot;Ela l<al ÈrtlT~ÔElOC; rtpàC; ep~(,)ov.
7. ARISTOTE, Polit., y, 5. 1340 b.
185
décrit comme un mode pathétique J. Platon fait correspondre l'ionienne (iastienne
ou hypophrygienne) et l'hypolydienne qualifiées de lâches 2 à la mollesse et à
l'ivresse. Aussi ne doivent-elles pas figurer sur la liste des modes propres à fonner
le caractère des gardes, attendu qu'elles attendrissent leur âme.
Bien qu'ils aient dit tous deux que "l'âme s'attriste et se resserre 3" sous
l'influence de ces modes, Platon et Aristote divergent quant à l'utilité de ces
derniers dans la cité. Platon est catégorique: ces modes n'ont pas leur place dans la
cité idéale; autrement dit, ils sont impropres à l'éducation. Dans ce cas précis,
Aristote est plus souple voire plus réaliste que Platon. Si ces modes ne conviennent
pas, selon Aristote, à la nature de la classe "cultivée, les classes moyennes peu
cultivées, ouvriers et mercenaires" y trouvent leurs plaisirs, parce que ces
harmonies sont conformes à leur nature4 . Il faut rappeler qu'il n'est pas question,
chez Platon, de supprimer ces modes de la vie musicale des Grecs, mais il juge
qu'ils ne cadrent pas avec la formation des gardes. C'est pourquoi. il n'exclut pas
leur usage par les habitants de la cité, excepté les citoyens libres. C'est là une
évidence, attendu que tout ce qui ne convient pas aux gardes est réservé aux autres
catégories sociales.
Aristote écrit que le mode lydien relâché pourrait convenir aux vieillards et
aux enfants, parce que la nature, à ces âges. inspire "des modulations molles et
douces"s. Là. Aristote ne se préoccupe sans cloute que du plaisir en soi, en dehors
de toute considération pédagogique. Dans le système platonicien. on cherche plutôt
à ôter à l'enfant cette nature qui lui inspire mollesse et douceur; le jeune garde doit
acquérir une nature excluant mollesse et douceur. Ainsi un garde arrivé à la
vieillesse ne s'émerveille-t-il pas sous l'influence du mode lydien relâché. La
divergence entre Platon et Aristote sur cette question se situe au niveau des
principes. Et elle est plus aiguë en ce qui concerne le mode phrygien.
Le choix de Platon porte sur les harmonies dorienne et phrygienne, et cela
pour plusieurs raisons. Ces harmonies qu'il qualifie respectivement de "violentes et
1. PLUTARQUE, De Mtlsica, éd. cilée, ch. XV!. p. 153 çl suiv,
2. Rép., 398 e.
3. ARISTOTE, Polit., a, 5. 1340 b I.
4. ARISTOTE, Polit., a, 7. 1342 b. 25 et suiv,
5. ARISTOTE. Polit, a, 7. 1342 b, 21-22.
186
de volontaires (~{aov, È)(ouowv) sont celles qui "sont les mieux faites pour imiter
les accents du malheur, du bonheur, de la sagesse, de la bravoure (... )"1. Le
caractère moral de ces harmonies explique le choix du philosophe. Sur le mode
dorien, Platon et Aristote eurent les mêmes appréciations et les mêmes jugements de
valeur.
Déjà dans le Lachès, Platon soutenait que l'harmonie dorienne est compatible
avec "le musicien accompli qui règle sa vie sur le ton le plus pur"2. Le même
musicien arrive aisément à équilibrer ses actions et ses discours sur le mode dorien.
Aristote reconnaît le caractère viriP de cette harmonie et il lui rajoute même la vertu
de procurer à "l'âme un calme parfait"4. Platon ne s'est pas attardé sur cet aspect.
L'explication viendrait du fait que le philosophe accepte le raisonnement de Damon
sans chercher à disserter sur les autres vertus de la dorienne. Le caractère viril de
cette dernière prédomine sur ses autres qualités. François Lasserre résume assez
clairement le raisonnement de Damon : "l'harmonie dorienne", écrit-il, "parce
qu'elle imite le comportement de l'homme courageux dans les différentes situations
d'une action guerrière donne à l'âme la connaissance du danger et la prépare à lui
faire face; elle l'éduque donc au courage, forme particulière de la sagesse"s. Les
Spartiates l'ont introduite dans des chants militaires. Ce qui ne manqua pas
d'influencer les thèses platoniciennes.
Dans La République, Platon adopte. relativement à la définition du mode
dorien, un raisonnement plus tyrtéen que damonien. En effet, il décrit l'harmonie
dorienne comme "celle qui sait imiter comme il convient les tons et les accents d'un
brave engagé dans une action guerrière ou dans quelque travail violent, et qui, trahi
par le sort, court au devant des blessures et de la mort ou tombe dans quelque autre
disgrâce, mais qui, en toutes ces occasions, repousse sans lâcher pied et sans
perdre courage les assauts de la fortune"6. La témérité aveugle cie cet homme ne
concorde pas avec le calme parfait dont parle Aristote. Une différence apparaît dans
l'appréciation des deux philosophes. Peut-être vient-die du fait que Platon adopte le
mode phrygien qui réunit toutes les vertus que le mode dorien ne possède pas.
1. Rép., 399 c.
2. Lachès, 188 d.
3. Cf. ARISTOTE, Polit., e, 7. 1343 b II.
4. ARISTOTE, Polit., e, 7. 1340 b 3-4.
5. LASSERRE (François), L'éducation musicale ... , p. 61.
6. Rép., 399 a b.
187
.,
L'harmonie phrygienne est celle qui sait "imiter un homme engagé dans une
action pacifique, non violente mais volontaire, qui, pour arriver à son but, cherche
à gagner un dieu par la prière ou à persuader un homme par ses leçons et ses
conseils, ou qui au contraire se montre sensible aux prières, aux leçons ou aux
remontrances de son semblable, et qui, ayant par ces moyens réussi suivant ses
désirs, n'en conçoit pas d'orgueil, mais se conduit en toutes circonstances avec
sagesse et modération, et s'accommode des événements" 1. Ainsi Platon essaie de
modérer la dorienne par la phrygienne en attribuant à cette dernière toutes les
qualités inhérentes à la modération et à la sagesse. Aristote écrit, contrairement à
Platon, que la phrygienne est propre à créer la )(ciTapcrlç des passions2 qui troublent
l'âme. Il est vrai que cette harmonie est qualifiée de dionysiaque par les Grecs;
mais, l'âme saisie par l'harmonie phrygienne "acquiert", selon François Lasserre,
"les vertus divines et surtout elle accède à cet état irénique que les Anciens placent à
l'opposé du trouble des passions et qui réside dans un mouvement modéré des
sentiments"3. Platon n'ignore certainement pas le caractère dionysiaque de ce
mode. Mais il trouve son action sur l'ame si modérée qu'il la juge propre à doser
les effets de la dorienne sur l'ame du garde. Ce qui revient à dire que la dorienne et
la phrygienne se tempèrent l'une par l'autre, comme le sont la gymnastique et la
musique.
A la notion d'harmonie Platon ajoute celle du rythme. Sur ce point aussi il
épouse les thèses damoniennes, attendu qu'il divise le rythme en trois espèces "qui
servent à construire les mesures"4. CependanL il "néglige manifestement de
préciser l'ethos de chacun des rythmes: ce qui fait qUIlles ramène tous à la notion
générale de Rythme"5. Parmi ces rythmes, le philosophe choisit celles qui
expriment "une vie réglée et courageuse"6. Le rythme qui se définit dans la marche
ou dans la danse comme un rapport qui s'établît entre la durée de la pose du pied et
celle de son mouvement au dessus du sol. et qui clans le chant ou la récitation
correspond à la pose et à l'élevation du pied7. procure la grâce (f:ùcrXTlf!0crUYTlç) ou
1. Rép., 399 b c.
2. Cf. ARISTOTE, Polit., e, 5, 1340 b 5.
3. LASSERRE (François), L'éduc. music..... p. 62.
4. Rép., 400 a.
5. MOUTSOPOULOS (Evanghelos), Musique .... p. 78.
6. Rép., 401 a.
7. Cf. LASSERRE (François), Educ. musicale ... , p. 69.
188
.'
le manque de grâce (àcrXTlf1ocrUYTlç), selon qu'il e·st bon ou mauvais. Ainsi la qualité
du rythme dépend-elle de celle du style O..É~ lÇ). Les vertus pédagogiques des
rythmes choisis par Platon s'alignent certainement sur celles des harmonies
dorienne et phrygienne. Le philosophe a toujours mis en parallèle l'harmonie et le
rythme; non seulement parce qu'ils "se règlent sur les paroles"', mais aussi parce
que leur rendement et celui du discours lui-même relèvent de la simplicité de
l'âme 2. Platon prétend que l'harmonie et le rythme ont le pouvoir de pénétrer l'âme,
de l'embellir par la beauté qui les suit. Ainsi l'âme bénéficie des vertus de
l'harmonie et du rythme, bien que la survie de ces derniers dépendent de sa
simplicité et de sa pureté. Toutefois, cette interdépendance mesurée ne peut exister
qu'avec une éducation musicale juste, et hostile à la laideur.
Le rejet de certaines harmonies par le philosophe explique le bannissement
des instruments de musique à cordes nombreuses de son programme musical.
L'enseignement de l'au/os que Platon condamne particulièrement était facultatif à
Athènes 3. L'origine thébaine de cet instrument a contribué à son rejet par les
Athéniens. C'est parce qu'elle ne sert qu'aux bergers que Platon condamne
l'utilisation de la syrinx (flûte) par les citoyens libres. Ainsi n'aura-t-elle aucune
influence dans la formation des gardes. De manière générale, les instruments à
cordes entrent de façon limitée dans l'éducation musicale platonicienne. Si d'un
côté certains de ces instruments sont acceptés dans la la cité, de l'autre leur
utilisation demande un contrôle précoce.
Platon demande la simplicité et la concision dans leur enseignement, attendu
que la formation musicale des gardes ne dure que trois ans4. C'est pour des raisons
pédagogiques que le philosophe proscrit toutes complications dans l'enseignement
musical. En effet l'enfant doit, écrit-il, apprendre sans peineS. Le rejet des sons
multiples et compliqués explique manifestement le bannissement etes instruments à
cordes nombreuses. Les vertus pédagogiques et éthiques de la lyre et de la cithare
ne se manifestent et ne se vérifient que dans le cadre du chant. Faire chanter une
1. Rép., 400 ct.
2. Rép., 400 e.
3. Cf. PLATON, Alcib. ; ARISTOTE, Polit.. VII, 6, 1341 a.
4. Lois, 812 ct e.
5. Cf. Lois, 812 e.
189
?
cithare à part est chose interdite; elle doit plutôt accompagner un texte chanté. C'est
ainsi que l'instrument est soumis, chez Platon, aux exigences de la composition.
La chorée (xopda) est un sous-ensemble de la musique. Platon la définit
comme "l'ensemble de la danse et du chant" '. Il trouve que cette unité musicale est
un acquis .naturel pour l'homme. En effet ce dernier possède, selon le philosophe,
"un sens du rythme qui lui fait engendrer et produire la danse, et lorsque le chant
suggère et réveille le rythme, l'union de ces deux éléments produit la chorée et ses
fêtes"2. Platon essaie de sacraliser la chorée pour y écarter toute formé
d'innovation, car "cette institution artistique de son temps tendait à perdre son unité
et à se diviser en éléments indépendants"3 Aussi rejette-t-il toute anarchie qui
dénature l'art musical4 . C'est l'une des raisons qui ont amené Platon à faire
référence au calendrier des fêtes en Egypte. Au caractère rigoureux de ce calendrier
s'ajoute la rigueur: "ordonner d'avance. pour l'année, quelles fêtes on devra
célébrer, à quelles époques, en l'honneur de quels dieux ou enfants des dieux;
ensuite, quel hymne on devra chanter en sacrifiant aux dieux et de quelles danses
honorer tel et tel sacrifice (.00)"5. Ainsi fait-il dépendre la stabilité de la chorée de
l'aménagement du cadre temporel: c'est une mesure qui n'est pas inconnue des
cités grecques. Mais Platon devient plus intransigeant quant au contenu des
composantes de la chorée.
Il souhaite que "les airs populaires. les chants sacrés et l'ensemble des danses
de la jeunesse soient, au même titre que toute autre norme. des lois qu'on ne puisse
transgresser ni d'un son de voix ni d'un pas de danse"6. Il serait absurde de
protéger la chorée par la loi et le sacré, si les compositeurs eux-mêmes outrepassent
les recommandations du législateur. C'est aussi pour cette raison que les poètes
compositeurs sont priés de n'écrire "rien qui puisse être contraire à ce que la cité
regarde comme légal, comme juste, comme beau ou bon (00 .)"7. L'application et le
respect de cette réglementation de la chorée relèvent de la volonté des gardiens8 des
1. Lois, 654 b.
2. Lois. 673 d.
3. MOUTSOPOULOS (Evanghelos), Edile. Il/Ils/cole .... p. 112.
4. Cf. Lois, 800 c d e.
5. Lois. 799 a b.
6. Lois. 800 a.
7. Lois, 80\\ cd.
8. Cf. Lois. 802 b. note.
190
lois. Ainsi donc Platon soumet la chorée aux eXIgences de sa pensée SOClO-
politique, avant de circonscrire son importance dans l'éducation musicale.
Platon observe que les premières sensations des enfants sont le plaisir et la
douleur. Ils le manifestent à travers mouvements et cris. Les enfants "sont
incapables de tenir en repos leur corps et leur voix ; ils cherchent sans cesse à
remuer et à parler, les uns en sautant et bondissant, comme s'ils dansaient de plaisir
et jouaient entre eux, les autres en émettant tous les sons de voix possible" 1. Platon
rattache ces manifestations aux dons que les dieux ont accordés aux êtres humains.
En effet, rappelons-le, ces derniers sont les seuls à avoir le sens du rythme et de
l'harmonie. Toutefois, Platon avance que ces dons naturels ont besoin de formation
pour leur épanouissement. Mieux, l'éducation doit aider à la maîtrise de ces
sensations. Notre philosophe écrit que "la partie qui forme à user comme il faut du
plaisir et de la douleur qui nous fait haïr ce qu'il faut haïr depuis le début jusqu'à la
fin, et de même aimer ce qu'il faut aimer, cette partie est celle que la raison isolera
pour dénommer éducation"2. La formation des goûts et des répugnances est l'objet
de cette éducation. L'enfant habitué à éprouver convenablement le plaisir et la
douleur, le beau et le laid saura, une fois adulte, transformer ces sensations en
opinions vraies3.
Ainsi les chœurs, sources de plaisirs et de joies. doivent être des cadres
pédagogiques pour la formation des goüts. Aussi Platon considère-t-il "sans
éducation (ànalOEuToç)" celui qui est "sans pratique de chœurs (àXOpEUTOÇ)"4. Il
cherche à justifier par là-même l'importance pédagogique qu'il attribue à la chorée.
Cette dernière procure à l'âme le plaisir nécessaire à la formation des goûts. Les
trois chœurs institués suivant les classes d'âge des citoyens s'attachent à "purifier"
l'âme des enfants5. Outre leurs rôles d'attirer la bienveillance des dieux sur la cité,
les chœurs sont voués à la formation de l'âme. Cependant, il ne suffit pas, écrit
Platon, de savoir chanter et danser, ou de le faire bien, pour être bien éduqué,
encore faudrait-il chanter de beaux chants et de danser de belles danses6.
1. Lois, 653 ct e.
2. Lois, 653 b c.
3. Cf. MOUTSOPOULOS (Evanghelos). Edllc.lJll/sica/e .... p. 114.
4. Lois, 654 a.
5. Cf. Lois, 654 b.
6. Cf. Lois, 654 b.
191
?
L'esthétique mêlée ici à l'édonique demeure l'une des principales finalités de
l'éducation musicale platonicienne. Cette dernière est conçue aussi pour "la beauté
des attitudes, des airs, du chant, de la danse ( ... )"'. C'est une esthétique qui relève
de la composition musicale.
Pour rester dans la tradition, Platon porte son choix sur les compositions des
Anciens; mais il s'empresse de préciser qu'il faut élire des hommes de moins de
cinquante ans qui, avec l'aide des poètes et des musiciens de talent, trient et
adoptent ce qui leur semble conforme et convenable à la constitution2. Dans ce cas
précis, le conservatisme platonicien paraît souple, en ce sens qu'il choisit dans la
tradition musicale que ce qui convient à sa pensée et ce qui s'adapte à son époque.
Pourtant l'adoption des œuvres sélectionnées n'est pas une fin en soi; elles servent
seulement de modèles à la création musicale dans la cité platonicienne. Peut-être le
refus du renouveau ne concerne-t-il que l'œuvre musicale des Anciens, dans la
mesure où Platon accepte toute création nouvelle conforme à ses principes
artistiques. Aussi toute composition musicale doit-elle être adaptée à la nature de ses
bénéficiaires.
Bien qu'il les juge égaux devant l'éduc:ltion, Platon a toujours su distinguer
ce qui convient à l'homme et à la femme. A chaque nature correspond un genre de
chants. La composition musicale n'y perd en aucun cas ses valeurs esthétiques et
pédagogiques. Seulement, "nous devons reconnaître", écrit Platon, "que le
penchant à la générosité et à la bravoure est du mâle: au contraire. une inclination
plus prononcée à la modestie et à la réserve devra être acceptée ( ... ) comme
appartenant plutôt à la femme"3. Dans cette logique, le philosophe respecte une
règle supposée naturelle. La sélection des chants selon le sexe n'implique pas
forcément une divergence dans leurs tïnalités. Hommes et femmes bénéficient de la
même éducation, sans toutefois qu'ils subissent les mêmes difficultés dans leur
formation respective. La valeur des acquis pédagogiques ne se mesure que sur
l'expérience. Certes, un citoyen platonicien "bien éduqué" possède toutes les
vertus, mais, privé d'expérience il est sans valeur. Dans le domaine de la musique,
celui qui n'aura pas "pratiqué" les chœurs, qu'il soit homme ou femme, sera
qualifié de "sans éducation" par Platon.
1. Lois. 654 e.
2. Cf. Lois, 802 b.
3. Lois, 802 e.
192
}
Parallèlement au chant s'organise la danse. Elle se divise en deux espèces,
l'une qui imite les mouvements des plus beaux corps, l'autre ceux des plus laids l .
Au préalable, Platon décrit l'origine de la danse comme suit: "( ... ) soit qu'il chante
ou qu'il parle", écrit-il, "nul n'est capable, en donnant de la voix, de garder son
corps en repos. Aussi est-ce de l'imitation des paroles par les gestes qu'est né tout
l'art de la danse"2. Platon définit ainsi la danse comme un mouvement. comme une
image reflétant un état d'âme ; les mouvements et les gestes, mesurés ou
désordonnés, sont révélateurs des sentiments clu danseur. D'emblée, Platon met en
parallèle la danse, le corps, les paroles et les gestes. En effet, tous ces éléments se
tiennent: les paroles dépendent du caractère de l'âme 3, les gestes qui sont liés au
corps imitent les paroles4 . Ici l'aspect gymniqueS de la danse se voit au grand jour.
Cela viendrait aussi de la conception traditionnelle qui fait de la danse une discipline
gymnique. La beauté et la laideur clu corps dont parle Platon sont à la fois
expression et résultat respectifs d'une danse belle ou cI'une clanse laide. L'objet de
la danse gymnique consiste à donner au corps une belle stature et une beauté
physique. Parallèlement à cette conception apparJît une autre plus complexe et plus
diversifiée.
La danse est assujettie aux paroles sous forme de gestes et de mouvements,
alors que les paroles elles-mêmes dépendent cie la nJture de l'ftme. La transition est
ainsi simplifiée : la danse est l'expression d'un étJt cI'âme. Evanghelos
Moutsopoulos définit et résume les deux conceptions "dont l'une fait de la danse un
artifice aux possibilités illimités, et l'autre, issue cie la trJdition, une simple ancilla
gymnasticae"6. Ces deux conceptions se superposent. et elles sont indissociables
en théorie comme en pratique. Platon leur accorde une égale importJnce, d'autant
plus que la partie gymnique et la partie musicale de la danse concourent à l'éclosion
et à l'épanouissement de la personnalité du citoyen. Au demeurant, cette dernière
reste l'objet de la coordination harmonique entre la formation de l'ftme et celle du
corps.
1. Cf. Lois, 814 e.
2. Lois, 816 a ; Cf. Lois. 795 c.
3. Cf. Rép.• 400 d.
4. Cf. Lois, 814 e.
5. Nous y reviendrons au chapitre III.
6. MOUTSOPOULOS (Evanghe1os), Educ.musicale .... p. 132.
193
,.
La classification l des danses aide à saisir l'orientation platonicie~ne de
l'orchestique. Le philosophe prône le retour aux danses traditionnelles. Pour ce
faire, il n'hésite pas à citer les danses des Courètes, des Dioscures 2 , danses
auxquelles il convie les jeunes gens de la Cité Idéale des Lois. Ce recours à la
mythologie voire à l'histoire permet à Platon d'asseoir une pensée qui se veut à la
fois traditionnelle et contemporaine. Il procède de telle sorte que le soubassement
religieux de ces danses lui facilite l'exploitation pédagogique de l'orchestique. C'est
dans cet esprit qu'il prescrit que "les enfants, dès la première année, et tant qu'ils ne
vont pas encore à la guerre, devraient toujours, en armes et ~1 cheval, rehausser
toutes processions et tous cortèges en l'honneur cles dieux, scandant, au rythme
plus ou moins vif de leur danse ou de leur' marche, les supplications qu'ils
adressent aux dieux et aux fils de dieux"3. Cette danse à la fois religieuse et
guerrière ne s'adresse qu'aux jeunes gens. Ils y apprennent à respecter les divinités
et à s'exercer aux combats de guerre. Aussi Platon prône-t-iJ ici le retour aux
danses initiatiques qui ont servi à des fins pédagogiques dans les traditions
crétoises et grecques. Bien qu'elles soient d'origine divine, les danses bachiques et
d'autres qui s'y rattachent sont exclues du programme orchestique de Platon. Elles
ne fournissent, selon le philosophe, aucun apport pédagogique dans la formation
des enfants.
Le geste et le mouvement donnent à la danse toute sa beauté. Le geste est
mimesis; aussi est-il une "interprétation imagée" du moncle intérieur cie l'homme.
Un "lien étroit unissait les gestes et les mouvements du danseur au sens
fondamental de l'idée que la danse représentait"4. C'est par le geste que le danseur
communique avec les spectateurs. Hormis le chant et les paroles, le danseur
exprime par le geste son espoir ou son désespoir, la beauté ou la laideur de son
corps, l'équilibre ou le déséquilibre psychique, bre f sa vie cie tou:, les jours. Platon
rejette toute valeur esthétique inhérente ~1 la clan se non conforme :1 la formation du
caractère du jeune citoyen. Le geste domine les quatre types de danses que nous
rencontrons chez Platon (processionneL mimétique, cinétique èt acrobatique)5.
Pour résumer les caractéristiques de la danse, Evanghelos Moutsopoulos écrit que
1. Cf. Lois, 816 d. Cette classification sera étudiée au c!/(/pirre III.
2. Cf. Lois, 796 b.
3. Lois, 796 c.
4. MOUTSOPOULOS (Evanghelos), EdllC.II111siUl/e .... p. 134.
5. Cf. MOUTSOPOULOS (Evanghelos), Edllc.n/llsica/e ... . p. 136.
194
"par son caractère divin et son origine, la danse constitue un lien entre l'individu et
la divinité; par son caractère humain, elle acquiert une valeur éducative et
correspond directement à l'idée du bien, confondue avec l'idée du beau, le
gracieux, l'élégant et toute autre notion comme celle d'équilibre ou d'ordre, propre
à sa valeur curative"l. Ainsi la danse, en tant que partie intégr::mte de la f1oucrt)(~,
porte en elle toutes les valeurs religieuses et pédagogiques susceptibles de meubler
la personnalité de l'enfant.
La conception platonicienne de la musique repose d'une manière générale sur
les thèses damoniennes. Dans ses diverses orientations, la musique se pose en
termes de plaisir et de rectitude. Pour Platon, le premier acte est le choix et
l'acquisition de la meilleure musique; c'est à la suite de ces opérations qu'il cherche
à adapter cette dernière à son idéal. A la question de savoir si la musique ne procure
que du plaisir Platon apporte une réponse à la fois philosophique et réaliste. Il
prétend que le plaisir et la douleur sont, rappelons-le, les premières sensations de
l'enfant, et que c'est sous cette forme qu'apparaissent la vertu et le vice 2. Dès lors,
pour faire éclore la vertu, il est nécessaire de présenter la musique sous sa forme la
plus agréable. Encore faudrait-il former correctement ce plaisir3 prodult sous l'effet
de la musique. L'éducation musicale consiste J rendre un enfant vertueux par le
biais du plaisir. Ainsi le plaisir musical devient-il utile à la pédagogie.
Platon distingue le plaisir éphémère de celui qu'il quali Cie d'utile et de
durable. Il certifie tout de même que l'agréable et l'utile peuvent ct doivent aller de
pair dans la formation des enfants. La rigueur platonicienne dans l'appréciation du
plaisir musical a permis au philosophe de limiter sa définition de l'utilité (dans ce
domaine). Il s'oppose au courant populaire qui laisse croire que "la justesse de la
musique consiste en la faculté de procurer le plaisir à l'ftl11e"4. Le plaisir peut
apparaître aussi comme une sensation relative. agréable ou désagréable selon qu'il
convient ou non à celui qui le ressent. L'appréciation du plaisir musical dépend de
la nature et de l'éducation des intéressés. Ll musique devient ici une étiquette de
classe. Comme la musique est le reflet des caractères de ceux qui l'émettent, il est
logique que les jugements de la foule sur le plaisir musical ne puissent concorder
1. MOUTSOPOULOS (Evanghelos), EdllC.lJlllsicale... . p. 121.
2. Cf. Lois, 653 a.
3. Cf. Lois, 653 c.
4. Lois, 655 d.
195
}
avec ceux des gens "bien éduqués" et "cultivés". C'est par rapport à cette analyse
de Platon qu'Evanghelos Moutsopoulos remarque que la mil7lesis musicale est "un
trait d'union assurant la continuité du courant allant de l'objet au sujet, de l'ethos
"convenable" à l'homme à qui il convient" '.
Dans une autre dimension, le plaisir musical dépend des compositions elles~
mêmes. Mais dans tous les cas, le vrai plaisir est ressenti par ceux qui ont reçu une
bonne fonnation en musique. Pour lever toute équivoque, Platon écrit que "je vais
jusqu'à faire moi-même cette concession à la multitude que la musique doit se juger
d'après le plaisir, mais non pas, toutefois. d'après celui des premiçrs venus: cet
art, dirons-nous, sera le plus beau qui charme les meilleurs. après une fonnation
suffisante, et surtout celui qui plaît à un homme distingué entre tous par la vertu et
l'éducation (... )"2. Par la même occasion. il établit un lien entre le plaisir musical et
le beau musical.
A cette étape de son raisonnement. Platon définit une autre forme de plaisir
qui n'est pas une "sensation agréable" mais une "jouissance raisonnée"3. La
discussion atteint ici une dimension philosophique. Le plaisir fait pour la
réjouissance est en lui-même un agrément "qui ne produit et ne montre ni utilité ni
vérité ni ressemblance"4. Cette incertitude dans la définition du plaisir ne saurait
être une base pour apprécier la meilleure musique. Et c'est pourquoi Platon cherche
à adjoindre au plaisir la rectitude en musique. Comme cette dernière est elle-même
un art d'imitation, il convient d'adopter "celle qui atteint la ressemblance avec le
modèle du beau"5 pour découvrir le vrai plaisir. Ce lien entre le plaisir et
l'esthétique autorise Platon à ramener l'utilité de la musique au bien moral. En effet,
ceux qui "cherchent le plus beau chant doivent aussi chercher. sel11bk-t-il, non la
musique agréable, mais celle qui est correcte"6. La rectitude reste liée à l'essence
même de l'œuvre musicale. Seuls les gens bien éduqués et avancés cn ~lge arrivent
à éprouver et à saisir cette rectitude au contact de la belle musique.
1. MOUTSOPOULOS (Evanghelos), Edue.musicole ... p. 251.
2. Lois, 658 e ; 659 a.
3. MOUTSOPOULOS (Evanghelos). Edlle.mllsicale .... p. 232.
4. Lois, 667 d.
5. Lois, 668 d.
6. Lois, 668 b.
196
)
Platon est donc partisan d'un plaisir fondé sur des connaissances sûres. Il se
pose la question de savoir quelle orientation doit avoir la musique pour adultes et
vieillards l . Les quinquagénaires "doivent avoir le sens et la science des rythmes et
des harmonies"2. A ce niveau des connaissances musicales, ils sont censés être
plus "cultivés" et plus vertueux que ceux de moins de trente ans. Parmi les sciences
qui préparent à la dialectique, Platon cite la science de l'Harmonie et vante ses
vertus dans la découverte du beau3. Dans ce cas précis, il est en accord parfait avec
les Pythagoriciens qui fondent leur théorie sur des spéculations numériques. En
effet, ces derniers se fient à la finesse de l'oreille pour traduire les intervalles en
rapport de fractions. L'orientation mathématique de la musique conduit
certainement à des spéculations plus philosophiques que scientifiques4 . La musique
devient ainsi la chasse gardée des philosophes qui prétendent
2:lre les seuls
détenteurs de la science harmonique. Par conséquent, ils sont capables de découvrir
le vrai plaisir musical.
Ainsi donc la finalité de la musique ne peut être détachée de l'objet global de
l'éducations. La musique est conçue comme un art, une T~XVT]. C'est un "savoir"
qui s'apprend et se transmet de génération en génération. Cet an exclut toute
anarchie dans la composition et dans la représentation des œuvres musicales. La
vraie musique reste inaltérable; c'est ainsi qu'elle garantit la stabilil~ de l'Etat. La
musique est le contraire de la brutalité; en effet. sa finalité est de modérer les âmes:
c'est là le côté pédagogique de la musique.
Dans son aspect philosophique elle aide, par sa beauté, à découvrir la vérité.
C'est dans ce sens qu'elle "aboutit à l'amour du beau" et qu'elle est à l'origine de
"la beauté morale" du citoyen bien formé. Platon élève de cette manière la musique
à un niveau métaphysique. Du monde sensible il la transpose dans le monde
intelligible. Ainsi le philosophe équilibre toute l'éducation musicale dans ce mariage
du sensible et de l'intelligible, idée vivante de la pensée platonicienne.
1. Cf. Lois, 670 a.
2. Lois, 670 b.
3. Cf. Rép., 531 c.
4. Cf. CHALLEY (J.), La musique grecque antiqlle.- Paris. Les Belles Lettres. Illil ). [1.46.
5. Cf. Lois, 802 c d.
197
II. 4. 2. Musique
discipline récréative et formatrice en
Afrique
Dans la pensée négra-africaine la musique ne se définit pas comme une
discipline isolée et autonome. Elle intègre harmonieusement les atli vités sociales
tout en demeurant fidèle aux valeurs littéraires et artistiques de la cul ture africaine.
C'est peut-être vrai pour toutes les civilisations, mais en Afrique noire traditionnelle
la musique appartient au quotidien comme toutes les autres activil~s sociales. Elle
existe pour et par les autres composantes .de ces mêmes activités. Léopold Sédar
Senghor a bien souligné la solennité et la permanence de ces dernières dans la vie
joyeuse du Négra-africain; en effet, écrit-il, "elles n'occupent pas :.;culement "le
dimanche" et les "soirées théâtrales", mais, pour prendre l'exemple de la zone
soudanienne, les huit mois de la saison sèche . On est alors tout occupé à ses
relations avec les autres: génies, ancêtres. membres de la famille, cie la tribu, du
rayaume, voire étrangers. Ce ne sont que fêtes, et la Mort elle-même est occasion
de fête, de la fête par excellence : fête des moissons et fête des semailles ;
naissances, initiations, mariages, funérailles: fêtes des corporations et fêtes des
confréries. Et tous les soirs, ce sont les contes des veillées autour clu foyer, les
danses et les chants, les jeux gymniques, les drames et les comédies qLl'~clairent de
hau tes flammes" 1.
Cette longue citation pleine de poésie permet de voir que la musique est, en
tant qu'activité culturelle, partie intégrante de la vie du Négra-afncain, attendu
qu'elle est présente par le chant, les instruments de musique et la danse, dans toutes
les fêtes. Mieux, le poète ajoute, pour résumer sa pensée, que "le tra\\~lij LJ.ui célèbre
les noces de l'homme et de la Terre, est encore relation et poésie ..-\\ insi les chants
de travail: chant du paysan, du piraguier, du pâtre"2. Notre prapos ;1~ sera pas de
prouver l'existence de l'esthétique négra-africaine (d'éminents écrivains et
chercheurs l'ont déjà fait). Nous nous emploierans plutôt il étudier l'inrluence de la
musique dans l'éducation négra-africaine.
1. SENGHOR (Léopold Sédar). "Esthétique négro-africaine in Diogène nC 56. Octobre.
1956. pp. 47-48.
2. SENGHOR (Léopold Sédar). "Esthétique ... , p. 48.
198
Prise dans son sens générique la musique est en quelque sone discours ou
parole dira le Dogon l, et mouvements, sans parler des instruments liés à sa
composition. Elle n'est pas désignée par un terme précis dans ce naines langues
négra-africaines; il est fait allusion à son existence par d'autres termes. C'est ainsi
que "dans les langues du Sénégal, le même motwai en Wolof, killl en Sérère,
yimre en peul- désigne le chant et le poème par excellence: l'oele"2. On sous-
entend par l'ensemble de ces termes la musique elle-même. Dès lors qu'elle est
impliquée dans les activités sociales et qu'elle est "exprimable" dans les langues
négra-africaines, la musique pose le problème d'apprentissage et cie conservation.
D'autant plus qu'elle baigne ici dans une civilisation orale. Et son exislence dépend,
pour cette raison, de sa transmission et de sa conservation de génération en
génération.
Au demeurant, elle a une histoire qui se confond avec celle des populations.
Mais dans cette perspective historique se posent le problème d'organisation de son
transfert, d'autant plus qu'elle est faite par et pour tous 3. Ce caractère populaire de
la musique prime sur son caractère professionnel. entretenu par certaines catégories
sociales. Toutefois, les activités de ces dernières prennent leur signification dans la
dynamique populaire. Il faut reconnaître seulement que ces professionnels de la
littérature et de l'art musical ont une emprise sur l'éducation de leurs enfants; et
c'est ce qui les autorise à leur donner une éducation musicale privée conforme à leur
statut dans la société. Cependant, "( ... ) à côté de ces professionnels". écrit Léopold
Sédar Senghor, "il yale peuple, la foule anonyme qui chante, danse. sculpte et
peint"4. Aussi le cadre de l'enseignement est-il difficile à cerner dans ce contexte.
Par conséquent, un problème de méthodologie se pose.
li n'est pas rare de lire dans des ouvrages spécialisés que l'initi~\\lion constitue
"une école où l'homme, au sortir de l'enfance. s'assimile, avec les sciences de la
tribu, les techniques de la littérature el de l'art"5. Certes, l'initiation favorise tous
les enseignements, mais elle est loin d'être le cadre où commence et 0Ù se termine
l'éducation musicale par exemple. Dans les pays sahéliens, le griot n'attend pas
1. Cf. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole .... p. 527. Elle Y :malyse le, r:lfiports
entre la parole et l'expression musicale.
2. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique
p. 49.
3. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique
p. 49.
4. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique
p. 49.
5. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique
, p. 49.
199
l'initiation pubertaire pour fonner son enfant en matière cie musique, D'ailleurs les
techniques littéraires et artistiques enseignées pe ndan t l' initiation pl! he rtaire sont
accessibles à toutes les catégories sociales. Il n'existe pas d'écoles spécialisées dans
l'enseignement musical. Il est dispensé dans la maison comme dans la place
publique. Mais il arrive que les grands maîtres transforment leur concession
familiale en une école où convergent les jeunes gens désireux d'améliorer leurs
connaissances musicales. C'est le cas des griots ou des Wambabe qui n'hésitent
pas à se déplacer de région en région pour apprendre des techniques et des airs
musicaux auprès d'éminents maîtres, A cette catégorie d'apprentis professionnels
on peut ajouter ceux qui suivent des conteurs ou des musiciens lk village en
village. Outre la "mobilité" du cadre où on enseigne la musique, ks structures
temporelles ne facilitent pas la conservation des techniques musicales,
Aujourd'hui, il est difficile de savoir à quels moments de l'histoire négro-
africaine tel ou tel air a été composé, d'autant plus que les principaks sources de
références demeurent des récits légendaires, La progression ou la régression des
techniques artistiques sont restées imperceptibles clans leur évolutioll. C'est l'une
des raisons qui font que certains chercheurs et écrivains se sont souvent fondés sur
la "sensibilité du Nègre" pour appréhender l'esthétique négro-africaine, A l'instar
du Père Tempels, Léopold Sédar Senghor avance que c'est "la physiopsychologie
du Nègre qui explique sa métaphysique, partant sa vie sociale, dont la littérature et
l'art ne sont qu'un aspect"'. Peut-être arrive-t-on avec ce procédé à donner plus de
poids à son argumentation, mais il ne saurait. en aUClln cas, éclairer SUL' les facultés
créatives des populations négro-africaines. Il est possible de retrOll\\'el', dans des
civilisations écrite et orale, les mêmes techniques artistiques: seukment ici elles
sont développées et bien ordonnées, là elles sont fragmentaires et désordonnées.
Dans les sociétés africaines, l'instabilité spatiak d temporelk Ile r'a\\'orise pas
l'élaboration des méthodes pour un enseignement cohérent de la musique. C'est ce
qui explique la négligence fonnelle des normes musicales. Ces dernière.s . au cas où
elles existeraient, ne suscitent pas l'attention du Négro-africain. Peut-~tre cette
attitude est-elle la conséquence du caractère populaire cie la littél'arure et de l'art
nègres; aussi est-il juste de la rattacher à la quasi-permanence des cérémonies dont
la musique est la principale composante. La musique s'est adaptée aux exigences du
1. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique .. " p, 44.
200
?
religieux, du politique et du ludique, au risque de perdre routes ses valeurs
premières. Pourtant, c'est dans ces fonctions sociales, religieuses et ludiques que la
musique se transmet pour ne pas dire s'apprend. Aussi est-il pressant cie savoir qui,
dans ces circonstances, sont maîtres, à qui sont destinés leurs enseignements, et
enfin par quel processus les uns et les autres assimilent les techniques musicales.
Dans les sociétés hiérarchisées, la répartition des fonctions suivant les castes
ne permet pas toujours d'exercer deux métiers à la fois. Rappelons que la diversité
des castes ne perturbe pas la cohérence communautaire, attendu que chaque caste
est tenue de respecter la tradition et
d'honorer sa place dans la société. On
rappellera que c'est aussi l'une des principales caract~ristiques cie la société
platonicienne: la diversité dans l'unité sociale et politique. Les professionnels de la
littérature orale et de l'art sont connus sous les noms communs de griots (gawlo),
d'artistes (fieno) chez les Wolofs, les Toucouleurs, les Bambara, les Sérères, les
Mandings etc. Les griots sont à la fois généalogistes. poètes, conteurs et historiens,
tandis que les seconds (fiefio) n'entrent pas forcément dans ces catégories; mais ils
peuvent être des conteurs d'occasion ou de simples muslciens. Que ce ,-ùit le dieyli
bambara, le gawlo
toucouleur, le gewel wolof. koriste
mancling, tous
s'accompagnent dans leurs chants de divers instruments de musique. L'artiste
complet doit être en mesure de rythmer ses paroles et ses chants avec un lllstrument
de musique. Il a le devoir aussi d'initier ses enfants ~l l'art de la pawlè et à l'art
musical. Ainsi, pour cerner l'éducation musicale dans les sociét~s négro-africaines,
il nous paraît important de parler de la formation des jeunes Griots en celle matière.
c
Dans la tradition toucouleur, c'est avec de l'eau recueillie chez des familles
nobles que le nouveau-né griot reçoit son premier bain. Autrement dit, cette eau a le
pouvoir de sceller un pacte symbolique entre le Noble et le Griot. Mieux, il y a là
une interdépendance. Si le Griot fait et défait l'histoire des familles, entretient· la
renommée des Nobles et galvanise leur âme, en contrepartie ces derniers sont tenus
de lui procurer sa nourriture et de satisfaire ses besoins matériels. Dès l'âge de sept
ans, l'enfant griot commence à réciter quelques noms de Nobles el apprend à
chanter leurs louanges. Il apprend simultanément à manier des instruments de
musique. L'imitation et la mémorisation sont les premières "qualités" CJu'on cultive
chez le jeune artiste.
201
Au demeurant, ce dernier doit mémoriser toutt:.~ les conn~l,?'iS~nces que ses
parents lui transmettent oralement. On s'étonne souvent de leur capacité ~ citer et à
retenir noms et prénoms des différents membres (J'une famille cie cinq à six
générations. Le procédé consiste à faire débuter l'enrant par les membres vivants
qu'il voit et côtoie tous les jours. C'est ainsi que l'enfant ~pprend de son p~re (car
les femmes n'ont pas accès à la généalogie des f:.lmilles nobles) [e~ différents
descendants d'une famille. Au fur et à mesure qu'il apprend à raisonner, le jeune
griot remonte les générations, famille p:.lr famille. L'enranr mrive ainsi à connaître la
généalogie de nombreuses f~milles nobles. Il :.lLlf:.lit été :l 1'~lÎse. si son aliprenrissage
se limitait à citer seulement des membres d'une famüle : m:.lis il doit apjxendre :.lussi
leur "histoire" : d'où viennent-ils? Avec qui sont-ils ~lIlés? A quelle époque .~e sont-
ils installés dans tel ou tel village? etc. Ce sont là des points que ses pare nts ont le
devoir de lui éclaircir. C'est l'une des raisons qui font que le Griot géné~logiste est
redouté des Nobles; car il est en mesure de divulguer des secrets "généalogiques"
susceptibles de ternir la renommée de toute une famille. C'est l'un des aspects de sa
fonction sociale.
La généalogie se récite et se ch~nte. Aussi le jeune griot doit-il :lpprendre à
danser et à chanter. Lors des cérémonies de m:.lri:l~e ou de naissance chez les
Griots, ce sont les enfants qui ouvrent les festivités en se disputant lt t:.llent du
meilleur chanteur ou du meilleur d~nseur. Par imiution. i[ acquiert très tôt les
techniques chorégraphiques inhérentes à b danse de sa c~ste. Seub ks C;riors ont le
droit d'apprendre et de danser cette danse. C'esl :lU ["ytl1l11t: de" killlzbaU
(instruments de musique: calebasses évidées et séchées) et du \\e/l1 .. cch:l11t des
Griots toucouleurs) que le Gawlo exprime. dans s~ cbnse. à LI rois son dégance et
sa personnalité.
S'il ne trouve l'occasion de danser que [ors des cérémonies de f~tes, en
revanche, le Griot se déplace toujours ~vec son instrument de musique. Chez les
Griots toucouleurs et wolofs on confectionne pour les enfants des instruments de
musique à cordes (hoddu et xalam ), b korcz chez les B:.lmbara ou les Mandings.
L'enfant doit apprendre à manier les qU:.ltre cordes du /zoddu ou les \\ingt et une
cordes de la kora, et à assimiler progressivement !Lurs différentes !'totes. Très
souvent, les jeunes griots sont envoyés chez des m:lîtres réputés Lonn:.lître la
musique. C'est le cas des jeunes musiciens WClIlI!Ju!Je dont les parents ne
202
s'occupent que des leçons élémentaires dans leur éducation musicale. Aussi la
fréquentation d'un maître célèbre rehausse-t-elle la personnalité du dis,-'ipk auprès
des siens. Dans sa quête de connaissances, le jeune musicien a le temp:-, de cultiver
son talent; il assiste à toutes les cérémonies et anime des veillées lju'il célèbre
souvent avec ses compagnons d'âge. Ces derniers le sollicitent souvent dans leurs
randonnées amoureuses. Ce qui lui permet d'améliorer ses techniques musicales.
Le maître en Kara sillonne tous les villages en comp~lgniè de ses enfants et
de ses disciples qui l'aident dans ses tJ.ches d'artiste, C'est p~1r la mème occasion
que le maître corrige les erreurs que commettent souvent SèS jeunes aplJrentis, On
peut dire qu'il y a deux objectifs dans ces voyages Initiatiques: apprendre et
améliorer des techniques musicales, et décou vrir et connaît re des fam i Il es nobles.
Le jeune musicien aura, après tout, écouté les légendes et les généalogies que son
maître a débitées durant les veillées. Pour vérifier ses connaissances, le jeune
apprenti précède toujours son maître sur scène.
Quand aux jeunes, filles leur rôle est d'accompagner de leurs chants leurs
frères ou leur père tirant des sons d'un instrument ck musique. Lem éducation
musicale consiste à apprendre à chanter, et par conséquent :l perfeclionner leur
voix. Le yella par exemple est chanté uniquement par les femmes; c'est dire qu'à
chaque air que jouent les hommes correspond un chant que les jeunes filles doivent
apprendre. Là, il Y a formation parallèle entre les garçons et les filles, Seulement
aux premiers sont réservés les légendes, les chants, les histoires et les instruments
de musique, alors qu'aux secondes reviennent des Ch~lI1lS.
Ainsi donc le rôle des Griots, musiciens généalogistes. est de lr~tnSmettre
l'histoire des familles nobles, de jouer certains instrumel1ls cie musique. ck chanter,
d'une manière générale d'être les gardiens ete la culture du groupe communautaire.
Par conséquent, Griots et Musiciens professionnels reçoivent une éducation
conforme à leur statut et à leurs fonctions sociales. Néanmoins. ils sont :ldmis dans
les camps d'initiation au même titre que les autres membres de la société; car ils
doivent bénéficier aussi de l'éducation communautaire. Aussi faut-il reconnaître que
ces castes ne sont pas les détentrices exclusi ves de la musique négra-africaine dans
son sens le plus large. La musique est exprimée ici pour et par tout le monde. Elle
prend forme dans les festivités et dans le travail où l'on "chante, danse, sculpte et
203
peint". Poser le problème de j'éducation musicale dans ces cadres revient à
s'interroger sur l'esthétique négro-africaine et son impact sur [a personnalité
individuelle et collective des populations.
Le caractère populaire de la musique tient de LI spécificité de l'art négro-
africain qui "se révèle doublement collectif: c'est la société qui lui donne vie et
pleine existence; c'est à la société qu'il s'adresse. qu'il s'agisse de jeux, de
divertissements ou de liturgie initiatique" 1. La question est de savoir quel est le
processus qui conduit à l'assimilation des techniques musicales et artistiques. A
vrai dire, il n'existe pas d'écoles où l'on dispense el commente l'enseignement
musical. La musique négro-africaine participe. dans :'lln sens le plus large, de la
réalisation de toute occupation sociale. Toute activité qui nécessite effort physique
s'accompagne de musique ou de chant. Le Négro-afrIcain le fait moins pour se
divertir que pour réaliser pleinement ce qu'il entreprend. C'est dans les diverses
activités sociales que "l'art, en Afrique noire. apporte uri. enseignement permanent
où chacun prend ce qu'il est capable d'appréhender selon ses aptitudes innées et le
degré atteint dans l'acquisition de la connaissance; celle-ci cloit se mériter, par un
effet sur soi qui dure autant que l'existence"2. Ainsi [':l:,similation progressive par
imitation prévaut dans l'apprentissage de la musique.
La permanence des fêtes dans la vie du Négro-aflïGlÏn favorise cette imitation
qui concerne à la fois les spectateurs et les acteurs. L. V. Thomas et R. Luneau
notent qu"'il faut admettre le caractère éminemment social de l'art négro-africain
pour qui la séparation acteur-spectateur n'existe pas fondamentalement: tout
spectateur -s'il s'agit de danses, de chants- étant en PI'il1cipe un particip~lI1t"3. C'est
dire que le spectateur a les mêmes sentiments que l'aclL'ur qui chante et danse. L'un
et l'autre vivent la même réalité, éprouvent la mênlL'll)ie ct exprimenl la même
douleur. Ainsi pour l'enfant-spectateur la compréhensil111 el l'assimilation des notes
musicales, des airs ou des pas de danse devie!illcilt plus naturelles que
synthétiques. Cette relation intime entre acteurs et speclateurs reflète la cohérence
entre le chants, la musique. la danse et le instruments utilisés. Aussi toutes ces
parties sont-elles interdépendantes dans la tradition artistique négra-africaine.
1. THOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU (René). La terre u/i·iu/llle .... p. 197.
2. Cf. ROUSSEAU (M.), L'art ancien de l'Afrique noire in·I'I, ,!.\\ ,il' la Culture lIoire.
Paris, 1958. Cité par .THOMAS (L.V.) el LUNEAU (1\\.)
3. THOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU (R.), La terre aji,cuillc .. , p. 197.
204
)
L'éducation musicale prénd son sens dans les fonctions même de l'art au sein
de la société. Il y a une place prépondérante du ch:lIlt clans la vie quotidienne
africaine. Léopold Sédar Senghor évoque les "chants du paysan, du piroguier, du
pâtre"l. Rien de plus naturel que d'entendre le culti vall",!r chanter en accompagnant
les va-et-vient de la houe et de la hache, le balancemcnt des tiges de milou le
bruissement des feuilles sèches au moment où il se SL'!ît intimement appartenir et
même faire partie de ces choses. Au fond de lui-même. il s'harmonise avec cette
nature qui l'entoure et qui ne cesse de chanter. Le pirn:;uieL quant à lui, chante au
rythme de sa pagaie et du balancement de sa pirogue. !1c"prime par là sa joie et sa
volonté de surpasser tous les obstacles qu'il pourr:l!l rencontrer dans l'eau. De
même le pâtre qui suit son troupeau chante pour trol11lJLr sa solitude. Mais dans ces
différents cas les chants ne sont pas identiques.
En effet, le cultivateur fait l'éloge de son outil. des jeunes pousses ou même
de la fertilité de ses terres; le piroguier chante l'eau et ses exploits, alors que le
pâtre magnifie son plus beau taureau. Le chant leur apporte une satisfaction
psychologique, en ce sens qu'il aide il faire oublier la btigue. Dans d'autres métiers
on chante, on danse et on joue de la musiquc. C'cst le cas clu chasseur
professionnel qui chante pendant ses préparatifs et ljUI danse autour d'une bête
abattue. Il rythme ses pas de danse 2 aux sons cie la fi CI iL' ;lU du cor qu'il ne manque
jamais d'amener avec lui. Cette satisfaction psychuk;glCjUC n'est partagée avec
personne d'autre; seul le chasseur y trouve et manik'lC sa joie. Et c'est la raison
pour laquelle ces genres de chants contribuent faiblement à la formation musicale.
lis sont appris lors d'une cérémonie initiatique il laquelle seuls quelques chasseurs
de talent ont accès.
Dans une perspective plus générale. le chant du tr:\\vailleur est surtout prière.
Au demeurant, "cette prière ", écrit Léopold Séclar Sel1:;l1oL "plutôt le poème qu'il
récite, l'éloge que chante le griot tandis qu'il travaille 1\\)1', la danse du forgeron à la
fin de l'opération, c'est tout cela -poème-chant. danse qui, au-delà des gestes de
1. SENGHOR (Léopold Sédar), Esthétique ... p, 48.
2. Cf. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole .. " . "La d:lI1'i:~ du masque "cha,seur"
est également d'une interprétation directe et I"aci le : il mime I~I c:llassc. l'affût et le tir. Le
tremblement rapide des bras tendus en avant évoque "le vent (lui agite les feuilles". c'est
à dire la mort". p. 525.
205
')
l'artisan, accomplit l'œuvre et en fait un chef-d'œuvre" '. Le poète fait référence ici
à la prière du père de Camara Laye dans L'EnfanT noir. Mais cette harmonie
musicale où tous les éléments se complètent se limitè :l un monde restreint. Ce qui
fait que son impact n'est durable que pour ceux qui assIStent ~l la cérémonie.
La fonction de la musique est apparente dans les manifestations culturelles qui
sont l'occasion de grands rassemblements populaire" 'vfJ.is il faut distinguer les
cérémonies ludiques et les fêtes sacrées. Les deu.\\ genres de cérémonies ont
presque la même influence sur le caractère des acteurs l't des spectateurs: ce sont là
des manifestations qui participent à la cohésion spiri 1uelle et psychologique des
populations. Elles permettent "au groupe de prendre C()llscienCè de soi, de son unité
et de sa spécificité; grâce au rythme scandé par les Lll11bours, elle aboutit à des
phénomènes d'exaltation collective où chaque individu a l'impression d'appartenir
au tout social et de participer aux valeurs essentielles el impérissables de la
communauté"2. Ainsi, qu'elles relèvent du ludique l'LI du sacré, ces cérémonies
contribuent fortement à la formation d'une psychologie collecti ve.
La danse sacrée, comme le chant se chante cLJilleurs, se danse dans des
cérémonies initiatiques où se retrouve tou t le moncle. C'est une danse ini tiatique,
une danse qui parle. Elle s'accomplir sous des masques incarnant des divinités
évoquées. Tout concorde dans cette imitation scénilille el orchestique: "voyez
l'homme qui incarne Nyamié, le Génie Soleil du Baoule. sous le masque du Bélier.
Le voilà qui danse les gestes du béliel' au l'yrhme cie 1\\)ILhestre. tandis que le chœur
chante le poème de la geste du Génie"]. La danse. le rythme et le chant sont
inséparables du nom du Génie évoqué dans cette cérémonie. Au-delà de son
caractère fonctionnel, cette symbiose artistique rassure acteurs et spectateurs dans
leurs relations avec le Génie. Dans ce cas précis. les p:tnlcipants ne doivent être que
des initiés. Il n'est pas permis à un non-initié d'y prel1\\.ire pan. Bien qu'elles soient
d'essence populaire, les cérémonies sacrées sont re"I,:lilles par rapport aux fêtes
ordinaires. Aussi la même danse peur-elle prendre cie, ~tllures différenres , selon
que les acteurs et spectateurs célèbrent un dieu paci IÏlJLlI,: UU LIn dieu violent.
1. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique .... p. 48.
2. THOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU CR.), La terre of/lcui/ii ... p. 1<)8.
3. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique ... , pp. 48_49.
206
En effet, la danse guerrière célébrant les dieux ck la guerre est l'une des plus
violentes. Le guerrier tient à y exhiber ses qual ités physiques. Pour ce faire, il se
munit de ses armes et imite dans sa danse les di ver" gestes et mouvements d'un
guerrier en plein combat. Les danses qui précèdent ei l'clles de l'après ba'taille ne
sont pas identiques. Les premières galvanisent le guciTier. alors que les secondes,
celles de la victoire, sont plus sereines et plus g:liL"
Dans les deux cas, il est
possible de lire, à travers leurs gestes et J'expressiolî de leur visage, l'état d'âme
des guerriers. C'est par là-même que la danse guerrière Icmeure communicative; et
elle parle au public, tout comme la danse des masques,
Geneviève Calame-Griaule décrit avec clarté 1:1 danse gestuelle du masque
"maison à étages" (sirege) chez les Dogon: cette scènl' l'clate la descente de l'arche.
En effet, écrit-elle, "la danse de ce masque exprime ','es idées par une technique
gestuelle: lorsque le porteur saute, il exprime 1;1 "ck',cente": lorsqu'il croise les
pieds en sautillant, il "tresse la chaîne" ; lorsqu'il tOUlliC sur lui-même en tenant le
masque à l'horizontale, il fait le tour du monde co 111 111,' !':ll'che qui est descendu en
tournant sur elle-même en spirale; lorsqu'il salue les quatre points c:lrdinaux, il
prend possession de l'univers et évoque la marche du soleil ( ... )"'. Cette danse
sacrée, mythique mais populaire n'est pas déchiffrable par tout le monde.:Ce qui ne
diminue en rien son impact et son importance sur la PS\\L'llOlogie des foules.
D'une manière générale, "les masques par km ,:::nse parlent aussi un autre
"langage", plus accessible au public moyen qui y l1'llLi IC des symboles en rapport
avec ses préoccupations cour:lntes. sa psychologie Ci j'univers de tous les jours".
C'est dire que la danse des masques est un domaine \\lLI sont étalées et critiquées
toutes les tares, et où sont exaltées toutes les qualités humaines. C'est avec la danse
des masques que la société critiquent l'homme et la femme. interprètent leurs
occupations de tous les jours. Au demeur~ll1t. la cl:lllSC. quelle que soit sa nature, est
une sorte de communication entre acteurs et spectaleul'. C'est par la voix, le geste
et les instruments de musique que l'assist:lnce tient k d::llseur en haleine.
1. CALAME--GRIAULE (Geneviève)), La parole .. " pp, 523_.~2-+,
207
En évoquant les instruments' de musique, nous posons par la même occasion
le problème du rythme. Léopold Sédar Senghor répond lui-même à la question de
savoir ce que c'est le rythme pour le Négro-africain: "c'est l'architecture de l'être",
écrit-il, "le dynamisme interne qui lui donne forme, k système d'ondes qu'il émet à
l'adresse des Autres, l'expression pure de la force vitale. Le rythme, c'est le choc
vibratoire, la force qui, à travers les sens, nous s~lisit à la racine de l'être. Il
s'exprime par les moyens les plus matériels, les plus sensuels: lignes, surfaces,
couleurs, volumes en architecture, sculpture et peinture; accents en poésie et
musique; mouvement dans la danse"2. Le rythme apparaît d'abord comme une
harmonie interne au sein de l'homme lui-même, entre ['homme et lui-même, avant
d'être une image cohérente des ensembles homme-objet. homme-action, homme-
vision etc.
Le discours en tant que paroles agencées el ordonnées est architecture
d'images. "Rythme de la parole" devient. comme l'e'\\prime l'heureuse formule de
Geneviève Calame-Griaule, "parole du rythme". Le terme abstrait se rencontre
rarement dans ce contexte3. Pour qu'il y ait rythme il faut, selon les Dogon, "que
les coups ne soient pas pareils, c'est-à-dire que les sons émis par les battements
soient différenciés par l'oreille. De plus, il faut qu'ils..;oient frappés sur une surface
plane et résonnante. Donner des coups réguliers avec la main à plat,c'est "frapper",
laga ; mais frapper les mêmes coups avec la main légl'l'ement incurvée de manière à
créer une résonance de l'air, c'est bà "battre" (un rytll:l1e)"4
Bien qu'elle ait son propre rythme, la parole a hesoin d'être rythmée. C'est la
raison pour laquelle le Négro-africain a recours am instruments de musique les
plus divers lors des cérémonies de danse et de chants. Aussi le danseur et le batteur
de tarn-tarn communiquent-ils dans une belle symbio:-oe orchestique. Répétons avec
Senghor que "( ... ) le poème n'est pas accompli s'il n'est pas chanté, du moins
rythmé par un instrument de musique"5 En effet. tous les éléments se tiennent et
s'harmonisent dans l'art musical. La production de l'un n'est effective qu'avec celle
1. Cf. ZEMP (Hugo), Musique Dan: la musique dans la [Jelhéc et la vie socia~ d'une
société africaine. Paris, 1971 : Ch. VI ; pp. 93-145 où il démontre que la musique et
les instruments sont d'origine non humaine; Aussi l'homme n'est-il pas le propriétaire
exclusif des instruments et de la musique ellc même.
2. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique ... , p. 55.
3. Cf. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique
p. 53.
4. CALAME-GRIAULE (Geneviève). La parole
, p. 531.
5. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique ... , p. 57.
208
')
des autres. Toutefois, dans ces manifestations culturelles l'aspect social de la
musique l'emporte sur son caractère ludique. au point que la mélodie 1 est plus ou
moins absente de cet art.
Privée de son caractère social, la musique ne peut, dans la société négro-
africaine, remplir des fonctions pédagogiques. Collectif et fonctionnel, l'art musical
entre dans la formation psychologique de l'enfant et contribue fortement à la
cohésion sociale, d'autant plus qu'il est conçu pour réunir dans le bonheur comme
dans le malheur l'ensemble de la communauté. L'i mage musicale, à travers les
personnes, les allusions verbales des contes, est un autre langage où "l'objet ne
signifie pas ce qu'il représente, mais ce qu'il suggère. ce qu'il crée"2. C'est au nom
de cette double représentation que la musique négro-africaine participe d'une
esthétique vivante. La beauté de l'œuvre est ainsi re~sentie par tous les sens de la
personne humaine3. Du reste, cette esthétique ne se cléfinit et ne se comprend que
dans la dimension sociologique de la musique, en t~1I1l qu'art populaire. Ainsi, c'est
par ses fonctions éthiques, religieuses et artistiques que la musique apparaît
importante dans l'éducation platonicienne et l'éducalil1J1 négro-africaine.
1. Cf. CALAME-GRIAULE, La paroLe ... , p. 537.
2. SENGHOR (Léopold Sédar), "Esthétique ... , p. 53.
3. Cf. THOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU (R.), La terre ajiïcaÎlle ... , p. 198.
209
Conclusion
L'influence de la famille sur la personnalité de l'en Fant tradui t la volonté de
ses membres et celle de la société d'imposer à leurs descendants leur façon de
vivre. En Afrique noire traditionnelle, comme dans la Lité platonicienne, l'éducation
familiale reste subordonnée à l'éducation communauuire. Ainsi toute intervention
pédagogique des parents dans la formation de l'enfan: ne va-t-elle que dans le sens
de l'intégration de ce dernier dans la société. C'est ce qui explique le contrôle strict
de l'éducation familiale par l'Etat chez Platon. Peut-c?lIC l'~valuation négative, par le
philosophe, des mœurs dans les familles athéniennes de l'époque explique-t-elle
cette volonté de tout faire contrôler par l'Etat dans ce domaine. Mais, outre les
prescriptions, l'intervention de l'Etat est sensible dans les contes, les fables et les
récits mythiques. En effet, ceux que les parents sont lenus de dire à leurs enfants
sont composés et présentés selon l'idéal communaut:.lile.
Platon a voulu réadapter à son idéal éthique el social tout ce que le monde
grec a conservé jusqu'alors comme mythe. Dans Li lradition négro-africaine, la
société intervient souplement dans l'éducation famili;lie. En ce sens qu'elle adrorise
les parents à donner leur identité (inhérente à leur .,tatut social) ~l leurs jeunes
descendants. Ce qui n'empêche pas de célébrer, pendant les veillées de contes ou
durant des cérémonies ludiques, les valeurs commun~lutaires. De mc?l11e Platon fait
allusion à ce système lorsqu'il parle de la formation c1e~ hommes de métiers.
Le processus d'intégration sociale commence avec l'enfance et continue
jusqu'à l'âge mûr. Si dans les deux sociétés cOI1lI'arées les disciplines et les
sciences enseignées diffèrent formellement. elles présentent néanmoins sur le plan
des principes les mêmes valeurs.
La formation théorique va de pair avec la forrn~\\lion pratique. Dans les deux
sociétés on tient compte des aptitudes intellectuelles ct rhysiques des bénéficiaires
de l'enseignement. Seulement, il ressort de cellc étude que l'organisation
pédagogique est plus méthodique chez Platon que dan, les sociétés négra-africaines
traditionnelles. Dans ces dernières en effet. outre cc Iles qu'on apprend dans les
écoles d'initiation, les disciplines intellectuelles et techniques sont enseignées par
210
des maîtres professionnels, et cela avec des méthock" différentes. Ce qui entraîne
une certaine anarchie dans l'acquisition des connaissances intellectuelles et
pratiques; Néanmoins, ces différentes procédlli':' pédagogiques mènent à
l'intégration sociale et à la sagesse. Sans formation théorique et pratique, et sans
expérience une personne âgée ne peut et ne doit pas .'C c!nnner le titre de sage.
La musique entre aussi dans la formation clu caractère de l'enfant. Elle
apparaît comme une discipline indispensable à l'épanouissement de la personnalité
de l'enfant. En ce sens, chez Platon, la musique né <identifie pas ù une simple
réjouissance, mais elle se présente comme une cli,;c!pline voire une science qui
existe au nom et au service de l'éthique. L'adhésion ii1ll1l1ditionnelle cie Platon aux
thèses damoniennes explique l'orientation de sa théorie musicale. De même en
Afrique noire traditionnelle la musique demeure COnfU!l11è à l'éthique sociale et reste
attachée à sa pérennité. En effet, là encore, elle n'est pas seulement réjouissance, -
attendu qu'elle est présente dans les cérémonies de funérailles, moments de tristesse
au sein de la société. Que ce soit dans une cérémonie sacrée ou ludique la musique
demeure, en Afrique, une manifestation sociologlLiue. Ainsi elle ne peut que
contribuer au façonnement du caractère de l'enfant. ù 1;1 fois acteur et spectateur.
Du reste, l'enfant reçoit une formation ilHeilectuelle et technique
conformément à son statut social et à l'idéal comrnllll~Lulaire. C'esten quelque sorte
une socialisation qui passe par une préparation psychologique et intellectuelle, avant
qu'elle ne soit effective dans la vie de tous les jours. C'est là le processus que
suivent, de manière plus ou moins similaire, les soc (étés platonicienne et négro-
africaines dans la formation des jeunes générations.
UNIVERSITÉ DE FRANCHE-COMTÉ
Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Besançon
Institut Félix-Gaffiot
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L'ÉDUCATION CHEZ PLAT8' J Té"
ET EN AFRIQUE NOIRE TRADITIONNELLE :
ÉTUDE COMPARATIVE
Thèse présentée en vue de l'obtention du
Doctorat ès Lettres Classiques
par Djibril AGNE
sous la direction de
Monsieur Michel WORONOFF, Professeur
Mai 1989
Tome II
TOMEI
I
SOMMAIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1
CHAPITRE 1 : PRINCIPES, STRUCTURES ET MOYENS
PÉDAGOGIQUES
7
1. 1. L'ÉDUCATION : SA DÉFINITION
8
1. 1. 1. Fondements historiques et originalité de l'éducation platonicienne
8
1. 1. 2. La diversité à la base de l'éducation négra-africaine
41
1. 2. LES CADRES TEMPOREL ET SPATIAL
62
1. 2. 1. Rigueur dans l'aménagement du temps et de l'espace pédagogique
chez Platon
62
1. 2. 2. La liberté de fixation des temps d'initiation et mobilité de l'espace
pédagogique
en
Afrique
76
1. 3. LE CHOIX DES ENCADREURS DANS LEURS RESPONSABILITÉS
87
1. 3. 1. L'expérience et le vote chez Platon
87
1. 3. 2. Les éducateurs: le mérite et l'expérience en Afrique
97
1. 4. LES MOYENS D'EXPRESSION ET D'ACTION
103
1. 4. 1. Oralité, écriture et objets chez Platon
103
1. 4. 2. Signes et Objets: supports de l'oralité en Afrique
106
CHAPITRE II: LE FAÇONNEMENT DU CARACTÈRE ET DE LA
PERSONNALITÉ
DE
L'ENFANT
111
II. 1. L'ENFANT ET L'ENVIRONNEMENT FAMILIAL.
114
II. 1. 1. Strict contrôle de l'Etat sur l'éducation familiale chez Platon
114
II. 1. 2. Souple intervention de la société dans l'éducation familiale en
Afrique
121
II. 2.
MORALE
ET
CARACTÈRE
131
II. 2. 1. Le mythe et la formation morale chez Platon
131
II. 2. 2. Contes, fables et formation en Afrique
143
II. 3. ACQUISITIONS INTELLECTUELLES ET TECHNIQUES
159
II. 3. 1. Diversité et méthode chez Platon
159
II. 3. 2. Acquisitions non systématisées en Afrique
169
II. 4. Musique et Caractère
181
II. 4. 1. Musique: tradition et formation chez Platon
,
181
II. 4. 2. Musique: discipline récréative et formatrice en Afrique
197
TOME II
II
CHAPITRE III
ÉDUCATION ET GYMNASTIQUE: Hygiène
physique et mentale
211
III. 1. PRESCRIPTIONS MÉDICALES CONCERNANT L'ACTIVITÉ DE LA FUTURE
MÈRE
21"+
III. 1. 1. Femme enceinte chez Platon: mouvements et promenades
obligatoires
214
III. 1. 2. Femme enceinte en Afrique: activités habituelles et respect des
coutumes relatives à la grossesse
221
III. 2. L'ALIMENTATION ET LA CONSTITUTION PHySIQUE
131
III. 2. 1. Prescriptions rigoureuses chez Platon
231
III. 2. 2. Absence de rigueur dans le régime alimentaire des athlètes en
Afrique
,
240
III. 3. LES EXERCICES PHYSIQUES ET LEURS FINALITÉS
245
III. 3. 1. La gymnastique et la santé chez P1aton
2..+5
III. 3. 2. La place des exercices physiques dans la formation corporelle de
l'enfant
en
Afrique
258
III. 4. LA COMPÉTITION DANS L'INTÉRÊT DE LA SANTÉ PHySIQUE
269
III. 4. 1. Concours gymniques et utilité guerrière chez Platon
269
III. 4. 2. Absence de professionnalisme dans les compétitions en Afrique
276
CHAPITRE IV : JEU ET ÉDUCATION
286
IV. 1. LA NOTION DU JEU ÉDUCATIF
289
IV. 1. 1. L'approche platonicienne: le plaisir (MoY~) et le sérieux (crT[ouo~)
289
IV. 1. 2. L'approche négro-africaine: réjouissance et formation
308
IV. 2. JEU: IDENTIFICATION DES OBJETS ET RECONNAISSANCE DES RÈGLES
ET LOIS
316
IV. 2. 1. L'univers du jeu: découverte organisée et dirigée chez Platon
316
IV. 2. 2. L'univers du jeu: découverte libre en Afrique
324
IV. 3. JEU ET CRÉATIVITÉ
329
IV. 3. 1. Création ludique contrôlée chez Platon
329
IV. 3. 2. L'enfant et le jeu: liberté créative en Afrique
332
IV. 4. JEU: ORIENTATION RELIGIEUSE ET ARTISTIQUE
.335
IV. 4. 1. Régularité du calendrier et invariabilité du contenu des jeux chez
Platon
335
IV. 4. 2. Le caractère rituel et laïque des jeux en Afrique
341
}
III
CHAPITRE V : ÉDUCATION ET PÉDAGOGIE
349
V. 1. MÉTHODOLOGIE DANS LE PROCESSUS D'ACQUISITION DES
CONNAISSANCES
350
V. 1. 1. Acquisition selon l'âge et l'aptitude chez Platon
350
V. 1. 2. L'apprentissage fondé sur le système des classes d'âge en Afrique
360
V. 2. LES PRINCIPES DE SÉLECTION
366
V. 2. 1. La sélection collective (initiatique) chez Platon
366
V. 2. 2. Sélection initiatique en Afrique: les rites de passage
370
V. 3. LA PUNITION ET SA PORTÉE PÉDAGOGIQUE
377
V. 3.1. La punition dans l'éducation de base chez Platon
377
V. 3. 2. La variabilité de la punition dans l'éducation des enfants en Afrique
381
V. 4. LA LIBERTÉ DE CRÉATION ET D'APPRENTISSAGE CHEZ L'ENFANT
386
V. 4. 1. Liberté limitée chez Platon
,
,
386
V. 4. 2. Liberté créatrice en Afrique
392
CHAPITRE VI : ÉDUCATION ET UNITÉ
:
398
VI. 1. EFFACEMENT DE L'INDIVIDU DEVANT LE GROUPE
.400
VI. 1. 1. La soumission totale du citoyen à l'Etat chez Platon
.400
VI. 1. 2. Assujettissement de l'individu au groupe en Afrique
.404
VI. 2. MÉTHODES COMMUNES D'ACQUISITION DU SAVOIR ET DES
TECHNIQUES
409
VI. 2. 1. Enseignement commun aux deux sexes chez Platon
.409
VI. 2. 2. Éducation identique des sexes mais séparée enAfrique
.415
VI. 3. FORMATION, UNITÉ SOCIALE ET POLITIQUE
.419
VI. 3. 1. Société: unité intellectuelle et politique chez Platon
.419
VI. 3. 2. Société: sauvegarde des coutumes et unité politique en Afrique
.423
VI. 4. MYTHOLOGIE UNIFICATRICE
,
.427
VI. 4. 1. Dieux et héros: modèles chez Platon
.427
VI. 4. 2. Les récits mythiques et l'imitation enfantine en Afrique
.430
CONCLUSION GÉNÉRALE
.436
BIBLIOGRAPHIE
443
INDEX
461
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE III
ÉDUCATION ET GYlVINASTIQUE :
Hygiène physique et mentale
212
?
L'élargissement de la notion de natoda s'est opéré avec la musique et la
gymnastique. L'évolution de ces deux disciplines est inséparable aussi bien de
l'histoire politique que de l'histoire culturelle du monde grec. Les théoriciens de
l'époque classique les enrichirent, chacun selon sa vision. Parmi eux Platon. La
particularité de sa vision fut sa volonté d'approfondir les concepts. et de tout
repenser selon son idéal philosophique et politique. Il n'hésite pas à ouvrir la
musique et la gymnastique aux horizons de la pensée philosophique.
Soumise à la discussion philosophique, la gymnastique s'apparente à la
psychologie et à la médecine. Plus pratique que théorique elle couvre les mêmes
dimensions en Afrique noire traditionnelle.
Les orientations platoniciennes en matière de gymnastique sont dictées par
l'eugénisme du philosophe. En effeL la formation physique débute dans la période
prénatale, période durant laquelle toutes les activités de la femme enceinte
concourent au meilleur "modelage" (nr-aTTf:lv) du COI1J" de l'enfant. Ces pratiques
qui sont admises par la tradition négra-africaine ont Line incidence hygiénique et
psychologique sur le futur bébé.
Platon s'est demandé queUe alimentation conviendrait au type cl'homme qu'il
souhaite voir vivre dans la cité idble. Il ne s'étend pas~lIr le régime alImentaire du
nouveau-né; il s'est intéressé plutôt à celui des athlètes guerriers. L'alimentation
de base de ces derniers n'est autre que la viande grIllée. nourriture [m:?férée des
valeureux guerriers homériques comme le rappelle PI;1tl)n. Le phi losophe érige ces
habitudes alimentaires en prescriptions rigoureuses. Ell Afrique. les populations
guerrières suivent le même régime alimentaire; mais elles n'observent pas de
manière rigoureuse toutes les prescriptions. Chez Pbtoll. comme en Afrique, il y a
une volonté d'instituer une éducation alimentaire pOli l' ceux qui sont appelés à
devenir guerriers.
Pour le maintien de leur bonne forme et pour l'acquisition des valeurs et des
techniques guerrières, les jeunes athlètes sont soumis périodiquement à des
exercices d'entraînement. Tout est mis en œuvre pour une mobilisation permanente
des combattants. Cette vision platonicienne des choses est une rblité en Afrique
noire.
213
La similitude des idé)s platoniciennes avec les réalités négro-africaines
apparaît surtout dans les orientations des concours gymniques. En effet l'une et
l'autre société bannissent de leur tradition respective l'idée de professionnalisme.
La compétition est au service de l'éducation; elle n'est envisagée que pour
contribuer à la cohésion et à l'unité des citoyens et pour pousser les concurrents au
dépassement et à l'effort physique. Le prix de la victoire ne doit aller que dans ce
sens. Ainsi l'individualisme et le professionnalisme disp:1raissent pour laisser place
respectivement à l'idée de groupe et à l'idée d'une formation physique utilitaire et
durable.
214
»
III . 1 . PRESCRIPTIONS MÉDICALES CONCER~ANT L'ACTIVITÉ DE
LA FUTURE MÈR E
III. 1. 1 . Femme enceinte chez Platon
mouvements et
promenades obligatoires
L'eugénisme compte
parmi les principaux objectifs de l'éducation
platonicienne. Platon le fait apparaître clans tous les projets socio-politiques qu'il
expose dans La République et Les Lois. L'éducation, partagée entre la musique et
la gymnastique, rend l'homme sociable et favorise l'ép~ll1ouissementde ses qualités
humaines. La reprise des thèmes traditionnels de l'éducation grecque n'a pas
empêché Platon de soutenir, dans sa conception pédagogique, des thèses nouvelles.
Il approfondit ses réformes en matière d'éducation rhysique en donnant à la
gymnastique une orientation à la fois guerrière et sanitaire. Aussi la llle?c!ecine et la
gymnastique restent-elles inséparables dans la pr~ltiqlle. Dans cette perspective,
Platon préconise, pour la femme enceinte. un strict sui'.: l11e?dicli \\lL11". dans leur
finalité, les prescriptions qu'il propose concernent plu, le futur Iwuveau-né que la
future mère.
Le mariage est le premier fondement de l'eugénisme plato111cien. Platon voit
dans le mariage une union entre des citoyens sains d'es['!'it et de corps: il néglige et
déconseille l'union entre citoyens bien nés ou entre i~dllvres CLl\\-Illl:l11es. D'une
manière générale, il pense que "chacun doit prétendre ~\\ celui qui ~ert la cité, non à
celui qui lui plaît le mieux à lui-même" 1. La cité devient L1ne référe!lce pour le choix
d'une épouse ou d'un époux. Cependant. Platon clunne priorité ~ll1X vertus
humaines face à la division des citoyens en catégories de riches et de pauvres, de
gardes et de non gardes. Un mariage est contracté en vue de la procréation. En
effet, un couple qui n'arrive pas à avoir d'enfants au huut de dix ans 2 cie mariage
est appelé à se disloquer. Les époux ont la possiblité cie demander conseils à leurs
parents et aux vieilles femmes J chargées des mari~l:::'> dans LI "ite? Platon juge
certainement ce temps suffisant pour qu'un couple j1 11isse aVilir des enfants,
d'autant plus qu'il se fonde sur les limites d'âge fixées l'our le mari~lge. La fille est
1. Lois, 773 b.
2. Cf. Lois, 784 b.
3. Cf. Lois, 784 bcd.
215
autorisée à se marier entre seize et vingt ans, alors que le jeune homme se marie
entre trente et trente-cinq ans l .
Toutes ces prescriptions qui entourent et garantissent la vie du couple visent à
la préservation d'une race de "qualité" à travers les nouveaux-nés. C'est dans cette
perspective que "l'épouse et l'époux doivent avoir en vue de donner à la cité les
enfants les plus beaux et les meilleurs possibles"2. Les superlatifs KaU lcrTouç et
àplcrTouç s'appliquent respectivement au corps et à l'âme (ici nature: <j>UcrlÇ) de
l'enfant. Le corps est très beau lorsqu'il est bien bâti et sans diffonnité ; la nature
est la meilleure lorsqu'elle relève d'un caractère sociable. Ces qualités sont d'abord
liées à l'état physique et mental du couple, avant qu'elles ne soient éventuellement
influencées par les activités de la future mère. En effet, on donne aux époux le
privilège de vivre dans une maison à eux3 et d'y mener une vie juste et louable.
Leur âge laisse entrevoir leur constitution physique.
L'enfant né de ces couples hérite forcément de leurs qualités. Hippocrate
signalait déjà avant Platon l'influence de l'état de santé et des conditions de vie des
parents sur le futur bébé. Il prétend que "l'enfant vit de la mère dans la matrice et
son état dépend de l'état de santé de la mère"4. Par conséquent, une femme enceinte
doit être entourée de grands soins. Ainsi est globalement défini le sens des
prescriptions relatives il la vie active de la future mère dans la société platonicienne.
L'activité de la femme enceinte ne doit ni s'incliner vers l'insuffisance ni aller
à l'excès. Elle doit s'inscrire dans un juste milieu; et il en va de l'équilibre
psychologique de la future mère. C'est pourquoi "il faut", écrit Platon, "parmi
toutes les femmes, veiller particulièrement pendant leur période sur celles qui
portent leur fruit dans leur sein, pour que la femme enceinte ne se livre pas à des
plaisirs ni à des chagrins nombreux et déréglés, mais vive, tout le temps d'alors,
occupée à conserver l'humeur sereine, facile et douce"5. C'est un régime de vie qui
procure la tranquillité à la mère mais aussi au futur bébé. En ce sens que Platon
1. Cf. Lois, 785 b. Edouard DES PLACES montre clairement, dans une note (784 a) qu'il y a
une imprécision dans la fixation de l'âge des mariés. C'est une "inadvertance" qui "aurait sans
doute disparu lors d'une révision". Nous avons quant à nous, adopté l'âge minimal et maximal
des différentes limites.
2. Lois, 783 d.
3. Cf. Lois, 775 e - 776 a.
4. HIPPOCRATE, De la nature de l'enfant, XXVII, 1.
5. Lois, 792 e.
216
soutient, comme Hippocrate, que l'état de santé (bon ou mauvais) de la mère est
celui de son fruit. Aussi est-il possible de protéger l'enfant par l'entremise de la
mère. Pour ce faire, l'évidence est d'éliminer tout mouvement de frayeur et de
frénésie chez la femme enceinte.
Platon propose des mouvements contraires qui peuvent ramener "dans l'âme
le calme et la tranquillité que troublaient, chez les uns comme chez les autres, les
pénibles sursauts du coeur" 1. Certes, les vertus de ces mouvements sont ici d'ordre
psychologique, dans la mesure où ils procurent à la mère et à l'enfant un équilibre
psychologique. Mais, durant la période prénatale, le mouvement concourt surtout à
la formation physique du futur bébé. La beauté du corps s'acquiert, selon Platon,
au moment où il prend plus d'accroissement2. Dès lors qu'il est géniteur de la
beauté corporelle, le mouvement doit être imposé très tôt au corps lui-même. C'est
dans cet esprit que Platon souhaite qu'on impose une somme de fatigues "à ceux
qui s'élèvent dans le sein même de leurs mères"3. Devant l'étonnement et
l'inquiétude de Clinias, l'Athénien des Lois se plaint de l'ignorance de son
interlocuteur dans ce domaine. Tout de même, il entend lui expliquer la
gymnastique propre à la période prénatale.
Ainsi, pendant les périodes prénatales et postanales, le terme de gymnastique
se réduit, aux mouvements susceptibles d'intluer sur la constitution physique de
l'enfant. Durant les deux périodes l'enfant subit des mouvements et ressent, par
contrecoup, des fatigues physiques. Les bienfaits de ces dernières ont amené Platon
à proposer des prescriptions précises concernant l'activité physique de la future
mère. Ainsi la "femme enceinte se promènera; elle modelera (TtÀ(lTTE:t v) son
nouveau-né, comme une cire tant qu'il est tendre et, jusqu'à l'âge de deux ans,
l'emmaillotera"4. C'est une prescription qui couvre la période prénatale et
postnatale. Les propriétés des promenades sont aussi diverses que les genres des
déplacements effectués à des moments différents de la journée. Hippocrate constate
que les promenades sont naturelles et de caractère violent. Aussi trouve-t-il que
celles qui sont faites après le dîner et au matin sont très favorables à la constitution
physique du promeneur. Les premières permettent d'éviter l'accumulation de la
graisse dans le ventre et dans le corps; et celles qui se font le matin dégagent non
I. Lois, 791 a.
2. Cf. Lois, 789 a.
3. Lois. 789 a.
4. Lois. 789 e.
217
seulement le corps, m:-js elles favorisent aussi l'épanouissement des sens, telles
que l'oüie et la vue 1. En ces promenades (m;p{naTOt), Hippocrate voit des
déplacements hygiéniques. Toutefois, il faut rappeler que pour Hippocrate lui-
même, la santé d'une mère influence celle de l'enfant qu'elle garde en son sein. Il
est à supposer qu'elle protège et améliore, en se promenant, sa santé et celle de son
futur bébé. Platon s'intéresse dans ce cas à la promenade pour son "action" violente
sur le corps (en croissance) de l'enfant.
En effet, le verbe m;ptnan;lY a une acception assez large dans le passage2
précité des Lois. Platon n'a pas jugé bon de préciser ni le moment ni les moyens de
ces promenades; il avait juste auparavant qualifié de bénéfiques pour les corps
tous les genres de mouvements. Et il affirme avec conviction que "( ... ) tous les
corps gagnent à être mûs, sans fatigues, de toutes sortes de secousses et de
mouvements soit qu'ils se les donnent eux-mêmes ou qu'ils reçoivent d'un
transport en voiture, sur mer, à cheval, ou de toute autre autre motion
communiquée (... )"3. La mère peut bénéficier d'un moyen de locomotion pour se
promener, mais elle est aussi un moyen de locomotion pour son futur bébé. Platon
épouse les thèses hippocratiques4 en écrivant que les corps en mouvement
"... s'assimilent les aliments et les boissons et deviennent capables de nous
transmettre à nous-mêmes la santé. la beauté, la vigueur sous toutes ses formes"5.
Ainsi le philosophe n'a pas perdu de vue les premières propriétés des
promenades relevées par les médecins hippocratiques. Seulement, il fonde ses
thèses sur un idéal plus philosophique que scientifique. Il ne recherche la santé, la
beauté et la vigueur du futur bébé que dans le cadre de l'eugénisme. Cette
orientation se précise davantage après la naissance de l'enfant.
Il n'y a pas de véritable coupure entre les prescriptions relatives aux périodes
prénatales et postnatales. D'autant plus que Platon privilégie la formation physique
du nouveau-né jusqu'à l'âge de trois ans. Au préalable, il établit des critères de
sélection des nouveaux-nés portant sur leur état physique. En effet, dans La
République Platon préconise de cacher dans un endroit secret ceux qui naissent
1. HIPPOCRATE, Du Régime II. LXVI. 1,2,3,4.
2. Cf. Lois, 789 e.
3. Lois, 789 c d.
4. Cf. HIPPOCRATE, Du régime II, LXII, 1.
5. Lois, 789 d.
218
avec une difformité 1. Il est attesté que cette pr'tique était courante chez les
Spartiates2 . Par cette mesure atroce, Platon espère "conserver pure la race des
gardes (xaeapày Tà yÉYOç <!>UÀQXUlY) "3. Il défend dans Les Lois les mêmes idées
de race pure4 ; mais là les méthodes préconisées sont plus subtiles. Platon n'a pas,
comme Hippocrate, recherché les causes des difformités lors des naissances. Ce
qui l'intéresse comme tout bon théoricien inspiré des pratiques spartiates c'est la
constitution physique du nouveau-né. Ce qui a été entrepris pendant la période de
grossesse doit continuer après la naissance. C'est dans cette perspective que Platon
emploie le verbe rlÀanEtv.
L'acception de rlÀanE1Y dans le passage déjà cité des Lois (789 d) se limite
à un aspect concret, voire matériel du verbe "modeler". Platon le précise lui-même
en comparant le corps tendre de l'enfant à la cire (orOY X~plYOY). Ainsi l'action de
modeler s'applique à une matière tendre (uypÔY) susceptible de prendre la forme
qu'on lui impose. Dans le même passage des Lois, Platon fait abstraction totale de
l'effet du "modelage" sur l'âme de l'enfant, bien qu'il ait donné à rlÀanE1Y une
acceptionS dans ce sens. Si dans la République, elle n'est autorisée qu'à donner son
sein
gonflé de lait à son bébé, dans Les Lois, par contre la mère a une pan:
importante dans la formation physique de son poupon. Aussi, bien que tout se
déroule sous le poids des prescriptions, la mère a-t-elle le privilège de "donner une
forme" à son bébé, de le "modeler". Cette pratique très vivace dans les sociétés
traditionnelles africaines ne s'effectue certainement pas d'une manière brutale et
anarchique. Elle consiste à frotter les membres de l'enfant avec une onction
huileuse et à tirer tendrement les articulations à l'aide des mains.
Dans ces gestes, il y a une intention de donner une forme aux membres
encore repliés sur eux-mêmes. Et c'est cette image qui pousserait Platon à proposer
l'emmaillotement du nouveau-né afin que les membres de ce dernier soient tendus.
Il va ainsi à l'encontre des traditions athéniennes et spartiates6. La thèse soutenue
dans ces traditions est résumée en une phrase par Jean Ithurriague : "Le corps libre
de tout lien qui l'enserre, se développe en force et en souplesse"?
Peut-être
1. Cf. La République, 460 e.
2. Cf. PLUTARQUE, Lye., 16.1.
3. La République, 460 e.
4. Cf. Lois. 735 a b - 736 c.
5. Cf. République, 377 e ; Protag. 326 ab.
6. Cf. PLUTARQUE, Lye., 16.
7. ITHURRIAGUE (Jean), Les idées de Platon, p. 40.
219
l'emmaillotement est-il une autre forme de protection du corps encore tendre, contre
)
tout ce qui déformerait la beauté corporelle. Autrement l'emmaillotement de l'enfant
jusqu'à l'âge de deux ans paraîtrait exagéré, d'autant plus que l'intéressé est privé
de gestes naturels.
Comme l'enfant passe des mains de la mère à celles des nourrices, Platon
envisage la contrainte pour que ces dernières portent lors de leurs déplacements les
poupons jusqu'à l'âge de trois ans l . Il coordonne et harmonise ainsi les actions des
mères et des nourrices. La nourrice est tenue de se déplacer avec l'enfant tous les
jours. C'est à cause du nombre de ces déplacements quotidiens et de la peine qu'ils
suscitent que Platon a certainement réclamé des nourrices fortes 2. Elles se déplacent
en campagne comme en ville en portant des enfants de zéro à trois ans. Là, l'image
nourrices-enfants, concorde parfaitement avec celle des éleveurs de coqs qui se
promènent avec à la main ou sous l'aisselle leurs petites bêtes3. C'est ainsi que ces
éleveurs "parcourent force stades pour garder en bonne forme non leurs propres
corps à eux, mais ceux de leurs élèves"4. Il est clair que jusqu'à l'âge de trois ans
l'enfant ne fournit, dans ces conditions, aucun effort physique. Les précautions
platoniciennes semblent aller à l'encontre de l'agilité recherchée pour les membres
inférieurs, supports des courses et d'autres exercices physiques. C'est à partir de la
troisième année que les enfants doivent marcher sans être transportés ; encore
faudrait-il prendre garde qu'ils "ne se tournent pas les jambes en s'appuyant avec
trop d'efforts"5.
Jusque-là les SOInS apportés à l'enfant sont d'ordre corporel. Les
prescriptions ont par là-même une portée hygiènique. De zéro à trois ans l'enfant
est protégé de toute souillure non seulement par l'emmaillotement, mais aussi par le
fait qu'il ne s'amuse pas par terre,
attendu qu'il est toujours porté par les
nourrices. Platon envisage implicitement la propreté comme une des conditions
nécessaires à la santé physique de l'enfant.
Ainsi nous avons inclus dans l'activité de la femme enceinte tout ce qui
semblait compléter "l'entreprise" de la future mère. La mère et des nourrices ont la
1. Cf. Lois, 789 e.
2. Cf. Lois,789 e.
3. Cf. Lois 789 b c.
4. Cf. Lois. 789 c.
5. Cf. Lois,789 e.
220
volonté de donner une forme physique idéale à l'enfant, et cela de sa conception à
l'âge de trois ans. C'est à partir de ce moment que commence une nouvelle étape
dans la formation physique de l'enfant.
221
iu. 1.2. Femme enceinte en Afrique : activités habituelles et
respect des coutumes relatives à la grossesse
La tradition négro-africaine fait de la femme la source de la vie humaine.
Autrement dit, c'est à travers la femme que se "matérialise" la vie humaine. A ce
titre, elle est au centre de la formation "matérielle" de cette vie. Aussi cette digne
mission lui vaut-elle différentes et diverses prescriptions relatives à son existence au
sein de la société.
Qu'elle soit de type hierarchisée ou "anarchique", la société traditionnelle
négro-africaine se perpétue à travers les familles qui la composent. Elle organise
elle-même sa conservation et sa perpétuation. Toutefois, elle ne permet pas
l'anarchie dans ce domaine. C'est ainsi que toute procréation est préalablement liée
au mariage. En effet, outre ses attributions socio-économiques, le mariage ne
trouve sa raison d'être que dans la procréation. Denise Paulme remarque que "le
mariage ne correspond pas seulement à l'apparition d'un foyer nouveau dans le
village: c'est aussi l'unique moyen pour le lignage de se perpétuer. Seule, l'union
officielle permettra d'engendrer des enfants ayant un statut légitime qui pourront
nourrir les parents trop âgés, leur assurer des funérailles décentes et les honorer
après leur mort; ces enfants donneront eux-mêmes naissance à des petits-enfants
dont le premier recevra le nom du grand-père, ainsi prolongé par-delà la tombe et
assuré de survie" 1.
Comme dans la société platonicienne on cherche, en Afrique nOIre
traditionnelle, à légitimer la procréation à travers des mariages autorisés et
contrôlés. L'âge de se marier se situe après les initiations pubertaires, entre dix-huit
et vingt ans pour les filles, et vingt et vingt-cinq ans pour les garçons. Cependant il
serait arbitraire de généraliser ces intervalles quand on tient compte de la diversité
des sociétés africaines. Chaque ilôt de culture a ses propres prescriptions inhérentes
à la vie conjugale. il est certain que dans la plupart des sociétés négro-africaines les
jeunes gens se marient entre dix-huit et vingt ans. Aussi une idée d'eugénisme
fonde-t-il toute la philosophie de la procréation.
1. PAULME (Denise), Les gens du riz: Kissi de Haute-Guinéefrançaise, Paris, 1940.
222
li existe dans toutes les sociét;s négro-africaines traditionnelles des critères
auxquels on se réfère pour choisir son épouse. C'est dire combien la femme est
observée et surveillée depuis sa plus jeune enfance. Outre son comportement
quotidien dans le foyer parental, ce sont les traits physiques de la fille que les futurs
maris apprécient le plus. D'une manière générale, les jeunes gens consultent devins
et adultes pour faire leur choix parmi les filles dont la classe d'âge correspond à la
leur. Cette consultation tourne autour de la "pureté" de la lignée familiale; il Ya une
enquête sur la santé mentale et physique des ascendants de la fille. Par ce procédé le
futur mari se rassure pour sa propre descendance en sachant qu'aucune maladie
mentale ou physique (lèpre ...) ne poursuit pas sa future belle-famille. Le devin
quant à lui, censé connaître la passé spirituel de toutes les familles de la
communauté et pouvoir prédire le futur, conseille ou déconseille le choix du jeune
prétendant. Les proches, les amis et le prétendant lui-même axent leurs observatons
sur le caractère et sur les traits physiques.
Pour sa beauté physique, la jeune fille se donne la peine de respecter des
principes ordinaires. C'est pourquoi, note Sarah Kala-Iobe, "elle ne portait pas de
hotte mais plutôt des charges sur la tête pour donner au corps un port droit, une
poitrine bien ressortie, une démarche équilibrée et gracieuse, les hanches bien
dégagées afin de préparer le bassin aux futures maternités" 1. La grâce physique de
la fille demeure un signe révélateur des aptitudes à enfanter. La fille revêtue d'un
cache-sexe exhibe son ventre prêt à "couver" des enfants sains et robustes, ses
seins nus susceptibles de fournir tout le lait nécessaire à l'alimentation d'un
nouveau-né. Certaines parties du corps (fesses, hanches ...) sont dégagées pour
exciter l'amour des jeunes gens. Aux considérations physiques s'ajoutent celles qui
se fondent sur le caractère de la fille.
En effet, "le comportement de la jeune fille, voire son caractère, étaient
passés au microscope puisque le souci majeur de sa formation visait à son mariage
futur "2. L'entourage du prétendant observe et mesure la bonne tenue, la conduite,
l'honnêteté, la probité de la future épouse. C'est la belle-famille même qui est jugée
à travers le comportement de sa fille. Au-delà de la cellule familiale, ce sont la
sociabilité et la solidarité de la future épouse vis-à-vis de ses compagnes d'âge, de
1. KALA-LOBE (Sarah). "Situation de la femme dans la société traditionnelle" in Colloque:
La Civilisation de la femme dans la tradition africaine, Abidjan (3-8 juillet 1972), Paris,
Présence Africaine, 1975. p.99.
2. KALA-LOBE (Sarah), "Situation de la femme dans la société traditionnelle", p. 100.
223
veillées et de toute la communauté qui sont observées et jugées. Aussi t~~nt-on
compte du courage, de la morale, du sens d'honneur et de la dignité de la fille. Rien
de plus critique que la voix populaire dans la tradition négro-africaine. Elle fait et
défait la destinée des gens. Elle est la troisième source d'information pour le
prétendant.
Sarah Kala-Lobe note avec raison qu'on peut lire dans la "presse locale"
"telle fille est paresseuse, telle autre insolente, fainéante, telle autre n'est pas
sérieuse, va en compagnie des garçons. Et leur nom était chanté dans des chants
humoristiques et folkloriques" 1. Dans certaines sociétés comme celle des Bassari
(du Sénégal) où les rapports sexuels sont libres entre jeunes filles et jeunes gens, le
critère de chasteté n'entre pas en ligne de compte dans le choix de la mariée. Les
jaloux y sont considérés comme des idiots. Il faut reconnaître que l'endogamie
facilite encore les différentes enquêtes, et sur la jeune fille et sur le jeune homme.
Dans un régime d'endogamie l'accord des parents demeure le plus important. On y
fait abstraction de tous les problèmes que posent un mariage. La réalisation de ce
dernier suppose que la jeune fille est en bonne santé.
D'autre part, le jeune homme ne reste pas, à vrai dire, en dehors des
appréciations. Sa future belle-famille juge de son éducation et de ses rapports avec
la communauté. Dans les sociétés guerrières le jeune homme est d'abord apprécié
par son physique, sa vigueur, son agilité, son courage ; toutes ces qualités
dépendent de sa santé physique et mentale. Ainsi est-il certain que dans la société
africaine traditionnelle, comme dans celle qu'a conçue Platon, le critère de santé
fonde tout choix de lien conjugal entre jeune fille et jeune homme, avec la
complicité de la famille et celle de la société.
En somme, en établissant des prescriptions qui régissent la vie conjugale, les
communautés négro-africaines traditionnelles prônent l'eugénisme. Mieux, le
mariage n'est envisagé que pour la procréation de l'homme idéal, sain d'esprit et de
corps. Peut-être chaque ilôt culturel en Afrique noire souligne-t-elle, dans ce
domaine, ses différences vis-à-vis des autres en insistant sur tel ou tel autre trait
physique ou psychologique de ses membres. Mais toutes les communautés
envisagent de réaliser le même idéal, à savoir n'être composées que d'hommes et de
1. KALA-LOBE (Sarah), "Situation de la femme dans la société traditionnelle", p. 100.
224
femmes sains d'esprit et de corps.
Le statut de la femme enceinte relève fondamentalement de cet idéal
d'eugénisme. Dans la pensée négro-africaine la mère et son bébé sont, de la
conception à la naissance de l'enfant jusqu'à l'âge de deux à trois ans, sous la
surveillance des dieux et des ancêtres. Là aussi l'évocation des dieux est liée à
l'eugénisme, en ce sens qu'elle demande la protection divine qui procurent à la
femme et surtout à l'enfant la santé nécessaire à leur survie. Le premier souhait des
époux est d'avoir des enfants; et ils prient dieux et ancêtres de faciliter "C ... ) le
voyage de l'étincelle vitale qui va descendre pour animer la matière et devenir un
"tiéblénin", "petit homme rouge". La raison en est que "le trajet qui va de
l'inconnu, dit "grenier des semences" de la vie, à la matrice vivant sur la Terre
"mère", appelée aussi "champ de l'incantation" est fait de méandres dangereux
plongées dans des ténèbres épaisses" 1.
L'intervention des forces surnaturelles exige de la femme enceinte et de ceux
qui l'entourent une certaine philosophie. Ils savent que les dieux peu\\'ent être
atteints et persuadés par la parole humaine. Ce qui implique, dans les paroles,
beaucoup de soins de la part de ceux qui sollicitent l'aide et la protection des
dieux. Harnpate Ba écrit que seule la parole "peut tléchir les dieux. Elle les pousse à
manœuvrer l'appareil commandant l'écoulement de la force qui véhicule le germe
vital des êtres"2. Dans la pensée négro-africaine, les dieux et les ancêtres sont
sollicités pour la protection de ['enfant contre les "mauvais esprits", ennemis de la
vie humaine. En dehors de la protection divine et celle des ancêtres, la future mère
est tenue d'observer certaines prescriptions pour la santé de son enfant.
Bien que son état lui assigne un statut particulier, la femme enceinte poursuit
ses activités quotidiennes. A cause de la nouvelle vie qui germe en son sein, elle se
soumet à des exigences coutumières: exigences de pureté physique, morale et
religieuse. Dans tout cela la future mère doit être discrète 3. Car "la sobriété dans le
langage évite de blesser les forces méchantes et de provoquer leur agressivité"~. La
femme enceinte contribue de cette manière à la protection du germe vital. En suivant
1. HAMPATE BA (Amadou) (Préface de) Textes sacrés d'Afrique noire, Choisis et présentés
par Germaine DIETERLEN. Paris, Gallimard. 1965, p. 9
2. RAMPATE BA (Amadou) (Préface de) Textes sacrés d'Afrique noire, p.9
3. PAULME (Denise), Les gens du riz : Kissi de Haute-Guinée française, Ch. III, p. 109.
4. AKA-ANGHUI, "La femme et j'éducation... , p. 190.
225
s;)n rythme (habituel) de tous les jours, la future mère détourne à la fois le regard
invisible des forces maléfiques et l'attention des gens curieux. Dans la pensée
négro-africaine, l'envie elle-même est une force du mal qui peut transformer le bien
en mal, le bon sujet en méchant.
Toutes ces précautions, écrit Aka-Anghui, "sont nécessaires pour la
sauvegarde, l'intégrité, la croissance sans péril et le développement sans accroc de
l'enfant" 1. Ces aspects surnaturels de la protection de l'enfant nous edifient sur la
place de la religion dans la période de grossesse d'une femme. Au demeurant, "la
religion s'occupe de l'enfant avant et pendant son état fœtal. Elle lui a donné, alors
qu'il n'était qu'une étincelle de vie, l'appui et le guide qu'il lui fallait". Elle doit
veiller "sur lui durant les neuf mois de sa formation physique dans l'obscurité du
sein maternel, car la fenune en état de grossesse est soumise à des rites prescrits par
la croyance"2. C'est dans la même perspective que la femme enceinte se plie aux
prescriptions médicales, des guérisseuses et des prêtresses.
La future mère, en dehors des amulettes qu'elle porte autour des reins ou des
bras, est constamment soumise au lavement et à la purgation à l'aide des plantes
médicinales, à l'onction avec de l'huile végétale. Comme chez Platon, en Afrique
noire traditionnelle "toute l'attention est portée au corps dans son aspect physique,
esthétique, car il faut assurer force et vigueur à ce corps porteur qui est le véritable
bouclier protecteur de l'enbryon. Cet être à venir qu'il faut ainsi protéger par tant
de précautions apparaît comme très fragile, délicat, très sensible, un être qui,
progressivement, par un mécanisme naturel, acquerra force, beauté et vigueur"3.
Ainsi la protection physique et les soins donnés au corps de la future mère ne sont-
ils envisagés qu'en vue de la croissance et la beauté du corps de l'enfant qu'elle
porte en son sein. Comme chez Hippocrate et chez Platon, la santé corporelle du
futur bébé est intimement liée à celle de la fenune enceinte. De telle sorte qu'il est
formellement interdit au mari de porter des coups sur son épouse enceinte, sévices
corporels préjudiciables à la santé et de la mère et du futur bébé.
Au demeurant, ces précautions vont dans le sens d'éviter des difformités
physiques à l'enfant. Les chercheurs ont constaté que jusqu'à sa délivrance la
1. AKA-ANGHUI, "La femme et l'éducation... , p.191.
2. HAMPATE BA (Amadou) (Préface de) Textes sacrés d'Afrique noire, p.ll.
3. AKA-ANGHUI, "La femme et l'éducation ... , p.191.
226
femme enceinte continue ses corvées d'eau et de bois, de manière générale tous les
}
travaux qui lui incombent dans son ménage. Il faut reconnaître que les
infrastructures de la société négro-africaine traditionnelle ne lui facilitent pas la tâche
et ne la poussent pas au repos. Encore les guérisseuses et les spécialistes en la
matière lui recommandent-ils de poursuivre le rythme habituel d'avant la grossesse.
Puiser de l'eau, piler les graines, balayer la cour, etc ... sont des activités qui
nécessitent des efforts physiques. La femme enceinte les répète plusieurs fois par
jour; il lui est interdit de demeurer inactive. Attendu qu'elle peut rendre, par son
inactivité, son enfant paresseux et amorphe. Aussi lui est-il signifié que le bon
déroulement de l'accouchement est lié à ses activités physiques. C'est une sorte de
gymnastique que la femme enceinte pratique quotidiennement sans qu'elle soit
totalement consciente des effets de ses mouvements sur la croissance physique de
l'enfant. Peut-être est-elle empiriquement informée de leurs bienfaits, mais faire une
liaison scientifique entre ses activités et la formation physique de l'enfant lui est
impossible. Peut-être aussi la citoyenne platonicienne en état de grossesse se
trouve-t-elle dans la même situation, bien qu'elle ait reçu une instruction suffisante
en cette matière. Mais c'est surtout pour lutter contre l'oisiveté traditionnelle des
femmes athéniennes, enfermées quotidiennement dans le gynécée que Platon a
certainement jugé bon de prescrire la promenade obligatoire à toutes les femmes
enceintes. Cette question ne se pose pas à la femme africaine traditionnelle, appelée
chaque jour à faire de longs trajets pour chercher de l'eau ou ramasser du bois
morts etc ...
La promenade fait partie de leurs activités quotidiennes. Mieux, les
guérisseuses recommandent aux femmes enceintes de faire de longues promenades
au milieu de la journée, moment de chaleur intense. C'est dire que les guérisseuses
africaines prennent en considération les effets du mouvement et de la fatigue sur la
formation physique du futur bébé. Aussi faut-il tout de même remarquer que la
promenade n'est pas vue comme une pratique qui intervient directement à la
formation physique d'un futur bébé. Elle est considérée plutôt comme un bienfait
pour celle qui la pratique. Peut-être dans ce cas se limite-t-on seulement aux effets
externes que produit une promenade chez la femme enceinte. Retenons aussi que
les guérisseuses n'envisagent ces genres de promenades que pendant l'état de
grossesse. En fin de compte, le mouvement, assimilé aux activités quotidiennes de
la femme enceinte, apparaît comme une opération hygiénique et physique.
227
Chez les Dogon, la femme enceinte "cesse vers le huitième mois de piler le
.,
grain, mais continue jusqu'à sa délivrance les corvées d'eau et' de bois"l.
L'interdiction de piler le mil au huitième mois ne tient pas du fait qu'elle ne peut pas
le faire, mais qu'elle ne doit plus le faire pour préserver sa santé et celle de son
futur bébé. On trouve ainsi des limites dans les activités physiques de la femme
enceinte. Pour les guérisseuses, le mouvement a ses avantages et ses inconvénients
dans la constitution physique du futur bébé. Toutefois, c'est après la naissance de
l'enfant que se précise l'intérêt qu'on porte aux mouvements dans la formation
physique du nouveau-né.
La naissance est le terme de neuf mois de surveillance; par conséquent, elle
est la première occasion pour la société de porter des jugements sur le nouveau-né.
La plupart du temps ce sont les vieilles femmes qui, seules autorisées à assister à un
accouchement, ont le rôle d'apprécier les signes qui caractérisent l'enfant. Outre les
appréciations mystiques, ce sont les traits physiques qui préoccupent l'entourage du
nouveau-né. Tous les critères de l'eugénisme sont observées à la naissance.
Cependant, si en Afrique noire traditionnelle il existe des sociétés qui tiennent
compte des traits physiques du bébé, d'autres, en revanche, les trouvent
secondaires, en ce sens que toute naissance est don de Dieu. En effet, qu'il soit
bien ou mal formé physiquement, l'enfant doit être accueilli comme un membre de
la famille. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas de modèle d'homme idéal en
Afrique noire traditionnelle.
Chez les Agni de Côte- d'Ivoire, l'enfant est confronté dès sa naissance "au
modèle que la société a canonisé. L'examen minutieux du bébé sous le regard
anxieux de la mère ne doit révéler aucune imperfection; l'enfant doit être intégré
(... ). Toute anomalie, halo, entraîne la suppression de l'enfant"2. Les moyens et
les méthodes de suppression ne sont pas très connus, du fait que seules les vieilles
femmes connaissent ces secrets. Toutes ces précautions se fondent sur un idéal de
beauté et de vigueur corporelles. En effet, "l'être incomplet ne peut être admis dans
la communauté. Si d'aventure on l'accepte, la communauté est infirme, elle n'est
pas renforcée" 3. La suppression des enfants qui naissent infirmes est une pratique
1. PA ULME (Denise), Les gens du riz: Kissi de Haute-Guinée française, Ch. III, p.1 09.
2. AKA-ANGHUI, "La femme et l'éducation , p.192.
3. AKA-ANGHUI, "La femme et l'éducation
, p.l92.
228
que Platon cautionne et qu'il suggère aux habitants de la Cité Idéale de la
République.
Dans les sociétés négro-africaines, la constitution physique du nouveau-né
permet surtout d'évaluer son futur état de santé. Aussi faut-il toujours conserver la
bonne constitution physique du nouveau-né. C'est ainsi que la préoccupation
principale de la nouvelle mère devient la croissance de son enfant. Chez les Dogon,
après un accouchement, le placenta pilé avec de la terre est mis dans un petit
récipient qu'on dépose au fond d'un trou derrière l'habitation. En effet, "si, pendant
ces premiers jours, l'enfant pleure, ne se développe pas, la mère plonge ses mains
dans le récipient et pétrit vigoureusement le mélange, croyant ainsi donner des
forces à son bébé" 1. S'il est difficile d'expliquer la pratique elle-même, il est ajsé
cependant de comprendre que la croissance de l'enfant est strictement liée à la force
conservée dans le mélange placenta et terre, symbole des forces internes et externes.
Chez les Akan et les Krou de Côte-d'Ivoire, la mère, pendant les toilettes de
son bébé, attache Llne grande importance aux soins corporels. En effet, "dans l'eau
du nouveau-né, la présence d'os de chimpanzé doit donner force et vigueur
(symbole). La toison des membres, l'onction avec des arômes assurent souplesse
et beauté"2. Il y a ici recherche de beauté corporelle symbolisée par la présence des
os des anjmaux connus pour leurs forces (chimpanzé, lion, éléphant, panthère etc.)
Tout en croyant à ces forces surnaturelles, la mère ne néglige pas l'apport
positif de ses propres soins dans la formation physique de l'enfant. Denise Paulme
décrit la journée d'une mère avec son enfant et remarque que "le bébé, Tualagbo,
est pris en charge par sa mère, dont il dépend entièrement jusqu'au sevrage. Le
jour, il ballotte dans le dos maternel, dort au rythme du pilon qui écrase le grain; la
nuit, il repose près de sa mère. Elle le lave à l'eau tiède matin et soir, le frotte
parfois à l'huile de palme; mais laisse le petit corps sécher à l'air. ce qui ne va pas
sans cris: l'enfant à froid"3. L'auteur ne fait que relever et regrouper les soins
qu'une mère apporte quotidiennement à son bébé. La raison en est qu'il est difficile
de classer ces soins par ordre de sucession ; mais il est possible de les décrire en
suivant les différents moments de la journée.
1. PAULME (Denise), Les gens du riz: Kissi de Haute-Guinée française, p.ll O.
2. AKA-ANGHUI, "La femme et J'éducation ... in Colloque d'Abidjan .... , p.193.
3. PAULME (Denise), Les gens du riz.' Kissi de Haute-Guinée française. p. 113.
229
Pendant la période de réclusion (7 jours), le bébé est soumis à des séances de
massage. La mère ou la guérisseuse frottent les petits membres d'onctions
huileuses en étirant les articulations et les muscles encore tendres. C'est une
pratique qui demande une grande adresse; et c'est pour cette raison que les mères
sollicitent l'aide des vieilles femmes. Le massage est conçu pour modeler le corps
de l'enfant; il l'aide à se mouvoir facilement. Il faut noter qu'aussitôt après le
massage l'enfant est recouvert de langes, bien qu'il soit encore à l'intérieur de
l'habitation maternelle. Cette pratique continue jusqu'à peu près l'âge d'un an.
En effet, jusqu'à cette limite, la mère et son entourage doivent éviter la
difformité des membres de l'enfant. Aussi s'emploient-ils à masser tout le soir les
jeunes enfants fatigués par les distances parcourues dans la concession familiale.
L'emmaillotement se fait seulement pendant quelques mois après la naissance.
L'enfant, avant qu'il ne commence à marcher, est couché ou assis à même le sol sur
un pagne ou une natte de fortune. Ce qui lui permet de bouger et de se mouvoir, à
son gré et à l'aise. Jusqu'au-delà d'un an, l'enfant passe les deux-tiers de la journée
sur le dos de sa mère, ou sur celui d'une de ses sœurs ou de ses proches (tantes,
cousines etc.). Outre les apports psychologiques du contact permanent de l'enfant
avec sa mère, le port de ce dernier est d'une grande importance dans le modelage de
son petit corps.
Platon a particulièrement insisté sur cette pratique qui, selon lui, préserve
l'enfant de diverses difformités, surtout lorsque ses membres sont encore tendres.
En Afrique noire traditionnelle, s'il n'est pas sur le dos de sa mère, le bébé est entre
les douces mains d'une grand-mère. Dans presque la totalité de ses activités, la
mère garde son bébé au dos; elle n'hésite pas à le porter pour de longues distances
sous le soleil ou sous la pluie. Epuisé par la fatigue des mouvements, l'enfant
s'endort tranquillement sur le dos de sa mère. Les raisons du port du bébé sont
multiples; mais il faut en retenir celles qui symbolisent la formation physique du
jeune enfant. Platon ne précise pas la ou les manières de porter l'enfant de moins de
trois ans. Par contre en Afrique noire traditionnelle, l'enfant est serré contre le dos
de sa porteuse au moyen d'une bande d'étoffe; ce qui compresse non seulement les
muscles de l'abdomen et du dos, mais aussi favorise le maintien de la colonne
vertébrale (encore fragile) en une ligne droite. Par la même occasion, l'enfant arrive
à découvrir très tot le monde qui l'entoure, en ce sens qu'il voit tout les paysages
230
que traverse sa mère. Àinsi son corps reste prisonnier d'une bande d'étoffe, mais
sa tête et son cou sont en perpétuel mouvement.
C'est dire que, de la période prénatale à la période post-natale, le nouveau-né
a vécu et vit sur un rythme mouvementé. Qu'il soit ballotté au sein ou sur le dos de
sa mère, le bébé négro-africain s'en sort physiquement fortifié.
231
~
III . 2. L'ALIMENTATION ET LA CONSTITUTION PHYSIQUE
III . 2 . 1. Prescriptions rigoureuses chez Platon
Les mouvements physiques auxquels sont soumis l'enfant ne suffisent pas
pour conserver à eux seuls sa bonne constitution physique. Aux prescriptions
relatives aux mouvements et à leurs rôles dans la formation physique du nouveau-
né s'ajoutent celles qui règlementent le régime alimentaire.
Platon n'ignore certainement pas les thèses hippocratiques concernant
l'alimentation de l'enfant au sein de sa mère. En effet, Hippocrate compare la mère
à la terre, l'enfant à la plante qui y pousse. Néanmoins, il précise en dehors de cette
métaphore, que "la nutrition (n TpO<j>~) et la croissance {n aü(ncrtç) de l'enfant (ont
lieu) lorsque se trouve dans la matrice ce qui provient de la mère"l. Ainsi, le régime
qu'on prescrit à une femme enceinte doit convenir à la croissance et à la santé de
l'enfant. Platon n'a pas insisté sur le régime alimentaire de la femme enceinte; sans
doute pense-t-il que toutes les autres prescriptions régissant la formation physique
impliquent un régime alimentaire particulier. C'est dans la période postnatale que le
philosophe devient précis dans ce domaine.
Dans La République, le nouveau-né est séparé de sa mère pour être interné
dans un "bercail". Mais cette séparation n'est pas totale; puisque les fonctionnaires
"(... ) conduiront les mères au bercail, quand leurs seins seront gonflés (... )"2. A
défaut, ils "amèneront d'autres femmes ayant du lait"3. Ainsi le seul contact
autorisé entre mère et enfant s'inscrit dans le cadre de l'alimentation de ce dernier.
Dans Les Lois, le rôle de la mère devient plus important. Mais Platon ne fait
allusion, à aucun moment, à la nourriture du nouveau-né autre que le lait provenant
de la mère ou des nourrices. C'est dire que Platon doit juger suffisamment
nourrissant le lait maternel au moment où le corps prend plus de croissance. Car le
lait humain a toutes les propriétés nutritionnelles pour maintenir l'enfant en bonne
santé. Il est possible que l'enfant continue de téter jusqu'à l'âge de deux ans, temps
1. HIPPOCRATE, De la nature de l'enfant, XXII,!.
2. Rép., 460 c.
3. Rép., 460 d.
231
où on le débarrasse de ses langes!. Au-dessus de cet âge, Platon n'évoque pas une
nourriture spéciale pour l'enfant. Ce qui laisse croire que le dernier s'habitue, au
fur et à mesure qu'il grandit, à l'alimentation des adultes.
Dans le livre ITI de La République (de 403 c à 412 c), Platon expose les traits
généraux de l'éducation physique. Sans doute, dans cette perspective, ne s'écarte-t-
il pas de l'esprit de son temps. Mais dans sa conception, la gymnastique, outre son
aspect pratique, apparaît comme un ensemble de règles que les pratiquants sont
tenus d'observer dans la vie de tous les jours. Progressivement ces règles
s'assimilent et entrent dans leur mode de vie. La gymnastique elle-même suit le
cours de la vie2 et son bon déroulement dépend, dans une large mesure, de la santé
physique des athlètes. Or, il est impossible de dissocier constitution physique et
régime alimentaire, le corps et la nourriture. Mieux, en prescrivant un régime
alimentaire aux gardes, Platon cherche à trouver un équilibre physique et
hygiénique pour leur corps soumis quotidiennement aux exercices physiques 3.
Même lorsqu'il évoque le problème de l'alimentation dans la cité, Platon ne
perd pas de vue l'unité des citoyens. Dans La République comme dans Les Lois, il
est toujours question de repas en commun. Il prescrit que les citoyens gardes
"viendront régulièrement aux repas publics et vivront en communauté comme des
soldats en campagne"4. L'esprit des repas demeure unitaire en temps de paix
comme en temps de guerre. Manifestement plus explicite dans Les Lois, Platon
écrit que "si donc en temps de guerre, il faut, par mesure de sécurité, prendre
ensemble les repas, en établissant un tour de garde pour les chefs et les
subordonnés, cette précaution s'impose jusque dans la paix"5. Hormis la sécurité
militaire envisagée dans leur organisation collective, les syssities ont le but de
consolider l'unité6 et de tisser l'amitié entre les convives. C'est dans le même esprit
que Platon attribue aux banquets "une grande portée éducative, si elles se passent
correctement"? Toutes les réunions liées à la nourriture des citoyens ont une utilité
éducative, attendu qu'elles renforcent la cohésion entre les différents convives. TI
reste à savoir ce que Platon propose comme aliments dans ces différentes réurlions.
1. Cf. Lois, 789 e.
2. Cf. Rép .. 403 c.
3. Cf. Rép .. 403 e.
4. Rép., 416 e.
5. Lois, 625 e, 626 a.
6. Nous y reviendrons au chapitre VI.
7. Lois, 641 cd.
233
La composition des repas est plus ou moins différente en temps de paix et en
temps de guerre. Dans les deux cas, Platon part du fait qu'il existe une alimentation
correcte et saine, et une nourriture inadaptée aux athlètes guerriers. Pour bien
asseoir son argumentation, il n'hésite pas à critiquer le régime alimentaire des
athlètes de son époque. Il constate, en effet, que leur régime est "somnolent et
dangereux à la santé" 1. Pour preuve, ces mêmes athlètes passent leur temps à
dormir et "pour peu qu'ils s'écartent du régime qui leur est prescrit, ils_ sont sujets à
de graves et violentes maladies"2. Il est clair que Platon attend d'un régime
alimentaire des résultats durables, d'autant plus que les bénéficiaires sont mobilisés
en permanence pour défendre la cité. Un régime doit, pour ainsi dire, permettre
aux atWètes guerriers de résister à la faim en tout lieu et en tout temps.
Telle est la finalité du régime alimentaire que Platon a prescrit aux gardes qui
"comme des chiens, doivent toujours être en éveil, avoir l'ouïe et la vue la plus
aiguë possible, et tout en changeant souvent en campagne d'eaux et d'aliments, en
s'exposant tour à tour aux soleils brûlants et au froid des hivers, conserver une
santé inaltérable"3. Il fait la différence entre le garde tel qu'il le conçoit et l'athlète
de son temps; implicitement, il marque la différence de leurs régimes alimentaires.
Platon prône la simplicité dans le régime alimentaire des gardes. Il juge
nécessaire la suppression pure et simple des assaisonnements de leurs habitudes
alimentaires. Devant la surprise qu'il croit susciter chez les Athéniens à travers cette
mesure, Platon fait appel et référence à Homère qui, selon lui, n'a jamais mentionné
les assaisonnements dans la nourriture de ses héros. Cette référence est peu solide
car, les héros homériques, constamment mobilisés, n'avaient pas le temps matériel
de se consacrer aux assaisonnements. Mais notre philosophe ne l'utilise que pour
fonder son argumentation sur la santé physique des vainqueurs de Troie qui se sont
abstenus durant toute leur campagne de ce qu'il appelle les "superfluités". C'est une
belle image à méditer pour les atWètes guerriers appelés à combattre durant les trois-
quarts de leur vie. Cette abstinence alimentaire érigée en prescription pose le
problème d'équilibre nutritionnel. Mais Platon pense pouvoir maintenir cet équilibre
alimentaire en privant le corps d'assaisonnements. Pour ce faire, il envisage pour le
1. Rép., 404 a.
2. Rép., 404 a.
3. Rép., 404 a b.
234
garde at:)~ète, un régime composé d'aliments très riches.
Pour les services qu'ils rendent à l'État, les gardes athlètes ont pour gain la
nourriture fournie par les citoyens 1. Cette mesure aurait été en opposition avec les
prescriptions relatives au régime alimentaire simple, si Platon n'avait pas précisé
que la fourniture des denrées se limite à ce qui est nécessaire et utile à la nourriture
des athlètes. Cette précision s'impose, d'autant plus que tous les citoyens sont
censés donner leur contribution suivant ce qu'ils produisent ou possèdent.
Toujours dans un souci de simplicité, Platon s'oppose à la variété des repas et des
aliments. C'est la raison pour laquelle il lève toute équivoque en condamnant le
"régime syracusain et les ragoûts variés des Siciliens (... )"2. Platon compare
l'alimentation variée "à la mélodie et au chant où entrent tous les tons et tous les
rythmes"3. Partisan de la musique traditionnelle, il a toujours rejeté les nouveautés
et tout ce qui dénature l'orthodoxie musicale. Fidèle à cette idée, il assimile la
composition d'un régime alimentaire à celle de la musique. Ce qui lui permet de
soutenir qu'en musique la variété produit le dérèglement (àxoÀacrlav) et qu'en
régime alimentaire elle engendre la maladie (vocrov)4.
A l'instar d'Hippocrates . Platon considère le régime non contrôlé voire
variable comme une des
principales causes des maladies. En effet, il prône
l'équilibre entre la nourriture et les exercices physiques, respectivement fournie et
appliqués au corps humain. Hippocrate est catégorique: "les maladies proviennent
de la prédominance de l'un de ces facteurs, quel qu'il soit, et la santé provient de
l'équilibre entre eux"6. Ainsi, de part et d'autre, cet équilibre se matérialise dans la
simplicité du régime alimentaire et celle de la gymnastique. Sur ce point Platon est
sûr du résultat, car "la simplicité dans la musique, écrit-il, rend l'âme tempérante et
la simplicité dans la gymnastique rend le corps sain ( ... )7. Toutes ces
considérations l'amènent à porter son choix sur la qualité plus que sur la quantité
des aliments composant le régime des athlètes.
1. Cf. Rép., 416 de; 420 a.
2. Rép .. 404 d ; Cf. Lettre. VII 326 B.
3. Rép., 404 d.
4. Cf. Rép., 404 e.
5. HIPPOCRATE Régime III, LXIX. 2 ; LXX - LXXVIII; Nature de l'homme, 9 ; Ancienne
Médecine, 22 ; Humeurs, 12; Affections, 1 ; Maladies. l, 2 ; IV, 50 ; ART 5-6; Lielu
dans l'homme, 42.
6. HIPPOCRATE, Régime, LXIX, 2.
7. Rép., 404 e.
235
Platon privilégie les viandes rôties dans)a composition alimentaire des
athlètes. Là aussi il ne manque pas de donner en exemple les héros homériques. En
effet, "quand Homère fait manger ses héros en campagne, il ne les nourrit ni de
poisson, ni de viandes bouillies (È<\\>8ol'ç XpÉUcrlV), mais seulement de viandes rôties
(6nToïç XpÉUcrlV) qui sont justement les plus faciles à apprêter pour des soldats"!.
Faciles à préparer, les viandes rôties constituent, pour les gardes athlètes, une
nourriture de qualité. L'influence hippocratique sur les thèses platoniciennes est
manifeste. Dans Régime II
Hippocrate a analysé les aliments et leurs qualités
nutritionnelles 2 ; et il constate qu"'en bouillant et en refroidissant (Ël\\JElV et
OlUl\\JûXElY) à maintes reprises les aliments forts, on leur enlève leur qualité (Thv
OÛVUf.Ll v)" et qu "en grillant et rôtissant (nupouvTU xu l <\\>WCOVTU) les aliments
humides, on leur enlève leur humidité (Thv uypucrlllV)"3. L'action de bouillir
(Platon emploie le même verbe que Hippocrate (Ël\\JElV) ) est opposée à l'action de
griller et de rôtir. Platon et Hippocrate préfèrent la deuxième à la première pratique,
pour la simple raison que "tout ce qui est grillé et rôti resserre plus que ce qui est
cru, parce que le feu enlève l'humide, le jus, le gras"4. Ainsi l'allusion de Platon
aux viandes rôties servies aux soldats homériques en campagne lui sert seulement à
fixer ses préférences. Sa proposition serait de rôtir toutes les viandes que les gardes
ont droit de consommer, car cela va de leur santé. Et comme les gardes guerriers
sont toujours mobilisés. "( ... ) il est plus aisé de se servir simplement du feu que de
porter des ustensiles avec soi"s.
Platon ne semble pas apprécier les poissons dans le régime alimentaire des
gardes athlètes. Aussi est-il évident que la situation géographique de la cité Idéale
des Lois ne favorise pas la consommation du poisson. Les soldats d'Homère
bénéficient à la fois des eaux de fleuve et des eaux de mer. Ce rappel de Platon
pourrait trouver son explication chez Hippocrate. Ce dernier constate que les
poissons qui trouvent leur nourriture dans des endroits vaseux ou marécageux6 sont
très lourds à consommer et il rajoute que "les poissons de fleuves et de lacs sont
encore plus lourds que les précédents"7. Apparemment, Hippocrate ne conseille pas
1. Rép. 404, c.
2. Cf. Régime n, XXXIX - LVI
3. HIPPOCRATE, Régime II, LVI, 2.
4. HIPPOCRATE, Régime II , 3.
5. Rép., 404, c.
6. Cf. HIPPOCRATE. Rég. II, XL VIII, 2.
7. HIPPOCRATE, Rég. II, XL VIII. 3.
236
leur consommation par des athlètes mobilisés. Platon rejette le poisson du réiirne
des gardes moins par son origine écologique que par sa qualité et sa consistance par
rapport aux viandes rôties. Il lève toute équivoque sur la consommation du poisson
en écrivant que "c'est et de la terre et de la mer que la plupart des cités grecques
tirent leur subsistance et la nôtre seulement de la terre" 1. Ce qui signifie en clair que
les produits de la mer n'entrent pas dans le régime alimentaire des athlètes
guerriers.
Parmi les ressources indispensables aux athlètes guerners, les céréales
viennent en second lieu après les viandes. Platon les mentionne comme des
produits de la terre qui composent les repas quotidiens des citoyens. Dans la Cité
Idéale, toutes les récoltes sont partagées 2. Bien qu'il ait accepté leur préparation
dans la cité, Platon n'admet pas certains mets à base de farine dans le régime
alimentaire des gardes. C'est pour cette raison qu'il décommande "les délices
renommées de la pâtisserie attique"3 dont la variété ne correspond pas à l'idéal d'un
aliment simple et consistant. Il était facile, pour Platon, d'observer l'état physique
de ceux qui se régalaient de ces délices à Athènes. De là, peut-être, lui est venu
l'idée d'exclure la pâtisserie de la nourriture des gardes athlètes.
Au regard du passage des Lois, (844 d-845 d), il est aisé de mesurer
l'importance que Platon attache à la consommation des fruits. Il prescrit qu'il est
interdit de toucher aux fruits non mûrs, au risque d'être condamné à de lourdes
peines. Mais les lois qu'il propose dans ce cadre protègent moins les fruits comme
les poires, les pommes ou les grenades que les raisins et les tïgues. Ces fruits
champêtres sont formellement interdits aux étrangers. La raison en est que la bonne
récolte est conservée pour faire le vin ou des figues sèches. Nous savons combien
le vin est important dans l'éducation des gardes. Aussi sa production et sa
conservation demandent-elles beaucoup de soins. Platon bannit l'ivresse qui
conduit à l'inconscience et à l'absence de contrôle de soi-même. Ainsi il est interdit
aux enfants et aux adolescents de moins de dix-huit ans de goûter aux vins; et on
leur autorise de les prendre modérément de dix-huit à trente ans. Il ajoute en guise
de prescription : "les jeunes gens s'abstiennent absolument de l'excès et de
l'ivresse"4.
1. Lois, 842 c.
2. Cf. Lois, 847 e, 848 a.
3. Rép. 404 d.
4. Lois, 666 a. b.
237
C'est seulement à la quarantaine qu'on leur permet de festoyer en buvant le
vin pendant les repas en commun l, de sorte que leur âme "vienne à mollir comme le
fer plongé dans le feu et ainsi devienne plus malléable"2. Mais ces résultats ne
seront effectifs que lorsque des lois auront régi les beuveries. C'est de cette sorte
que ces dernières se transforment en réunions éducatives. D'autant plus que le vin
est "un remède qui facilite à l'âme l'acquisition de la pudeur et au corps celle de la
santé et de la force" 3. Les vertus du vin sont à la fois d'ordre éthique et sanitaire.
Ce sont deux aspects à inclure dans la diététique platonicienne qui, d'une manière
générale,
repose sur des principes d'équilibre et de juste milieu. Le vin en
conduisant l'âme à la pudeur et en donnant au corps la santé s'identifie à un
pharmacon d'équilibre. En effet, la gaieté ôte aux gardes la honte et leur procure
force et santé.
Contrairement à celle du vin, l'importance de l'eau n'a pas été évoquée dans
le cadre du régime alimentaire. Platon prône seulement sa pureté dans les sources et
dans les citernes4 . Car c'est la première boisson naturelle des citoyens gardes.
Peut-être les propriétés évidentes de l'eau ne nécessitent-elles pas, aux yeux de
Platon une recherche particulière. Mais l'eau doit être propre et pure pour entrer
dans le régime alimentaire des gardes athlètes.
La question est de savoir si une éducation alimentaire ne se dissimule pas
derrière toutes ces prescriptions concernant la diététique platonicienne. Si du point
de vue des principes Platon a été influencé, en diététique, par la philosophie
pythagoriciennes, il n'en demeure pas moins qu'il l'a enrichie sous plusieurs
aspects.
Le projet platonicien embrasse un ensemble socio-politique dont
l'organisation interne est l'une des plus complexes. Par contre, le projet diététique
des Pythagoriciens s'adresse à un nombre restreint de personnes et d'adeptes
convaincus de ses bienfaits et de ses finalités. Ainsi par le nombre de ceux qui s'en
réclament, les deux philosophies diffèrent largement. La diététique sort du cadre de
secte (chez les Pythagoriciens) pour s'étendre au domaine public (chez Platon). Dès
1. Cf. Lois, 666 b.
2. Lois, 666 c.
3. Lois, 672 d.
4. Cf. Lois, 845 d., e.
5. Cf. HIPPOCRATE, Régime II, Notice de Robert JOLY, XI.
238
lors, dans ce transfert, chaque concept acquiert un sens plus large voire nouveau.
La juste mesure et l'équilibre sont appliqués, chez Platon, à l'homme et à la
politique sociale. L'équilibre entre la santé de l'âme et celle du corps est identique à
l'harmonie entre les gouvernants et les gouvernés. Cette notion d'équilibre
remonterait à Hérodicos 1 qui s'occupa surtout de l'équilibre entre l'alimentation et
les exercices physiques. Bien qu'il soit adepte de la doctrine de juste mesure dans
ce domaine, Platon ne pardonne pas à Hérodicos d'avoir prôné une mort lente à
l'aide d'un régime. Cela s'explique par le fait que le citoyen garde ne doit pas
traîner avec lui une maladie, au risque de ne plus jouer son rôle au sein de la
société. Ainsi Platon lie le régime alimentaire à l'équilibre socio-politique de la cité.
A vec ces principes, Platon envisage un régime alimentaire stable et durable.
Pour y arriver, il couvre son projet de prescriptions susceptibles de garantir le
respect du régime. La loi est le recours suprême du philosophe pour imposer ce qui
paraît inacceptable par une simple persuasion. 11 s'est surtout attaqué aux régimes
alimentaires athéniens et syracusains. Pour lui, ces régimes, par leur variété, ne
garantissent pas la santé des citoyens. Sans doute la raison est-elle le manque
d'éducation alimentaire. Dès lors il est urgent, selon Platon, de tracer les grandes
lignes d'une éducation alimentaire susceptible de contribuer à la santé des gardes
athlètes. Les prescriptions relatives à l'absorption du vin par les gardes nous
édifient sur cette forme d'éducation alimentaire.
Platon conseille l'abstention totale du vin pour les enfants et les adolescents,
la modération de dix-huit à quarante ans, intervalle d'âge où il est permis de
s'enivrer2 . Cette idée de ne pas faire goûter d'abord et de faire goûter modérément
ensuite, et enfin
de boire le vin pour se récréer s'inscrit dans un processus
d'éducation alimentaire. Aussi de cette façon pense-t-il faire entrer dans les
habitudes alimentaires une consommation modérée du vin. Et Platon insiste sur les
circonstances de son utilisation. Il n'est permis de le boire qu'en réunions d'amis
loin de l'œil curieux de l'étranger; et c'est
selon l'âge des convives qu'est
déterminée la quantité de vin à boire. Cette habitude contribue, selon Platon, à
instaurer une diététique dont le principe est de préserver la santé des athlètes gardes.
Il n'est pas "permis", répétons-le, d'être malade dans la cité platonicienne. Platon
sait très bien que les hippocratiques et les pythagoriciens ont disserté sur la
1. Cf. Rep. 406, a.
2. Cf. Lois, 666 b.
239
diététique. Mais il a cru nécessaire de reposer le problème de la diététique en terme
d'éducation alimentaire durable. Pour lui, l'équilibre alimentaire implique un
équilibre entre l'âme et le corps, attendu que la nourriture a une influence sur les
constituants de la personne humaine.
Ainsi donc la diététique platonicienne apparaît sous deux aspects: médical et
pédagogique. Le mérite de Platon a été d'avoir donné une nouvelle orientation aux
théories de ces prédécesseurs hippocratiques et pythagoriciens. Il est arrivé à
inclure la diététique dans sa philosophie socio-politique. Aussi affirme-t-il que la
santé est la plus importante l parmi les biens humains. Le garde athlète doit, dans
son intérêt et dans celui de la cité, recevoir une éducation alimentaire. Telle est
l'idée que recouvre le thème de la diététique chez Platon.
1. JAEGER (Werner) s'attache à montrer dans Paideia mque la médecine elle-même est
impliquée dans la natôda. La contribution de Platon, note-t-il, est très importante dans ce
domaine.
240
III. 2. 2. Absence de rigueur dans le régime 9alimentaire des
athlètes en Afrique
Il est admis dans la pensée négro-africaine que le fœtus puise sa nourriture
dans celle que consomme et absorbe la femme enceinte. Jusqu'à son sevrage
l'enfant dépend étroitement de sa mère. Amadou Hampate Ba décrit cette
dépendance comme suit: "le premier lien (le cordon ombilical) a été coupé à la
neuvième lune, c'est-à-dire le jour de la naissance. Le sevrage a lieu après la vingt-
quatrième lune. On constate ainsi que le nouveau-né puise sa nourriture dans le
corps de sa mère pendant trente trois lunes. Après ce temps, il la puisera
directement dans la nature, car les trente-trois os de sa colonne vertébrale sont
formés" 1. La dépendance alimentaire de l'enfant vis-à-vis de sa mère est
symbolisée avant sa naissance par le cordon ombilical, pris ici comme le canal par
lequel s'approvisionne le fœtus en
puisant dans les ressources maternelles.
L'image est peut-être simpliste, mais il ressort que le négro-africain est conscient de
cette relation nutritionnelle entre femme enceinte et son fruit. De là s'expliquent les
prescriptions réglementant son régime alimentaire.
Toutefois, la future mère ne s'isole pas pour un régime alimentaire particulier;
elle continue, en effet. de prendre les trois repas quotidiens aux heures habituelles.
Ce qui ne signifie pas qu'elle peut consommer toute sorte d'alimentation. Elle est
tenue de respecter certains interdits alimentaires. Ainsi ne doit-elle pas manger la
tête de poisson2, de viande de tel ou tel autre animal, de peur que son futur bébé ne
prenne les traits physiques de ces bêtes. Tous ces interdits alimentaires montrent
que ce que consomme la future mère est considérée comme la nourriture essentielle
du fœtus. Aussi recommande-t-on à la femme enceinte de manger du lion, du
bœuf, afin que le futur nouveau-né bénéficie des forces physiques de ces animaux.
En dehors des croyances magico-religieuses attachées à ces prescriptions,
l'alimentation de la future mère n'est pas soumise à un contrôle strict. Sachant
qu'elle est la seule source nourricière de son futur bébé, elle prépare pour elle-
même, en dehors des repas communs, des plats à base de viande ou de céréales
(bouillie de mil, de maïs etc ... ). Avec cette nourriture, elle maintient à un rythme
1. HAMPATE BA (Amadou) (Préface de) Textes sacrés d'Afrique noire, p.11.
2. Cf. AMON D'ABY cité par AKA-ANGHUI : Lafemme et l'éducation... p. 192.
241
normal, la croissance physique de son enfant. Durant les neuf mois de grossesse,
on recommande à une femme enceinte de consommer ou de mâcher certaines
plantes médicinales dont les propriétés favorisent l'abondance du lait. Aussi se
soucie-t-on de la période postnatale où le lait maternel sera, pour un an au moins, la
principale nourriture du jeune enfant.
Le premier souci des vieilles femmes, après la naissance d'un enfant, est
d'aider ce dernier à reconnaître le sein maternel et à s'y habituer. Denise Paulme
note que chez les Kissi de Guinée "la première nourriture doit être amère: avant de
mettre l'enfant au sein, la sage-femme lui frotte les lèvres de jus de piment et de
cola; le même remède sera appliqué par la suite à l'enfant qui refuse de prendre le
sein" 1. Les vertus de ces plantes amères sont, dans ce cas précis, leur aptitude à
pousser l'enfant à rechercher ce qui le soulage de leurs effets sur sa langue et sur
ses lèvres. Dès lors, il a recours au lait maternel, seule alimentation accessible à ses
lèvres et à sa bouche. Ainsi ces remèdes poussent-ils l'enfant à s'alimenter par
force au sein maternel, et par conséquent ils excitent sa gourmandise.
Chez les Peuls et les Toucouleurs du Sénégal le bébé est nourri, entre les
différentes tétées, de beurre frais obtenu en barattant du lait caillé. Avant sa
consommation. le beurre est pressé dans une gaze pour éliminer tous résidus
difficiles à avaler et à digérer par le nouveau-né. Cette alimentation particulière
aiderait l'enfant à évacuer les déchets et renforcerait sa constitution physique.
Jusqu'à l'âge d'un an environ l'enfant se contente du lait maternel. Mais au cas où
la mère manquerait de lait, l'enfant est nourri plus par le lait de chèvre, que par
celui de vache ou de brebis. Aussi seules les femmes proches par "le sang" de la
mère sont-elles acceptées pour l'allaitement de l'enfant, pour la simple raison que
seul le lait de la lignée doit circuler dans le petit corps du nouveau membre de la
famille. C'est pourquoi le bébé orphelin (de mère) survit difficilement dans le
milieu négro-africain. La solution platonicienne, à savoir mettre à la disposition du
bébé des femmes autres que la mère, est conforme à la tradition hellénique.
Seulement, Platon fausse la note par des prescriptions rigoureuses et autoritaires.
Dans la tradition négro-africaine, le consentement des parents est teinté de rigueur
dans ce domaine.
1. PAULME (Denise), Les gens du riz: Kissi de Haute-Guinée française, p. llO.
242
Toutes ces précautions alimentaires n'empêchent qu'à l'âge d'un an l'enfant
commence à prendre de la bouillie de mil, de maïs etc ... Graduellement, l'enfant
s'éloigne de ses habitudes alimentaires premières pour tendre vers la nourriture des
adultes. Ce sont là les signes de son sevrage prochain. Aussi y-a-t-il une éducation
alimentaire qui consiste à amener l'enfant à consommer progressivement des
aliments et des plats traditionnels.
Après la cérémonie de sevrage, le jeune enfant est implicitement admis au
régime alimentaire des adultes. A partir de cette étape, il est difficile sinon
impossible de parler d'un suivi alimentaire du jeune enfant. En effet, toutes sortes
d'aliments servent de nourriture quotidienne aux enfants et aux adultes. C'est dire
que, comme dans la société platonicienne, la régime alimentaire n'est mis en
vigueur que pour une catégorie détenninée de la population.
En Afrique noire traditionnelle, le rythme de vie des guerriers impose un
régime alimentaire approprié. Avant même leur regroupement dans les camps
d'initiation, les divers groupes d'âge s'organisent, de telle sorte qu'ils se procurent
par la chasse leur nourriture quotidienne. C'est ce qui fait que les jeunes garçons
s'habituent très tôt aux viandes grillées, en ce sens que tout gibier est consommé
sur place (à chaque fois que la faim les y contraint). Cependant, ils ne se privent pas
des repas en famille; seulement ces repas, bien qu'ils soient importants pour leur
santé physique, sont moins attrayants que leurs propres butins de chasse. Ainsi les
jeunes guerriers penchent naturellement pour la viande dans leur régime alimentaire.
C'est un début de processus qui conduit à une habitude alimentaire, à un régime de
guerriers. La volonté d'imposer un régime alimentaire aux jeunes guerriers est
manifeste lors de leurs séjours d'initiation dans la forêt ou dans la brousse.
Dans les camps d'initiation où les adolescents sont regroupés pour une
formation morale, culturelle et militaire, l'éducation alimentaire se précise
davantage. Si d'un côté il leur est interdit d'apporter des denrées alimentaires à
l'intérieur du camp, de l'autre on leur signifie qu'ils doivent se procurer eux-mêmes
leur propre nourriture. Aussi envisage-t-on, par ce procédé, une formation à
l'endurance. Outre le ramassage des racines et des plantes comestibles, les jeunes
initiés, pour se nourrir, apprennent à pièger et à capturer du gibier, Que le butin de
chasse soit ramené au camp ou consommé sur place lors des longs séjours dans le
territoire, il est toujours grillé à la sauvette sous la surveillance des guides. ils
243
s'habituent ainsi à des viandesiaignantes, cuites à moitié.
Les initiés se contentent très souvent d'un seul repas de ce genre pendant
toute une journée; aussi les guides entendent-ils leur apprendre à se limiter au strict
nécessaire et à aiguiser leur appétit devant les aliments dont la rareté est voulue.
C'est une leçon à la fois d'endurance et de maîtrise de soi. Il faut remarquer que les
guides reposent cette privation alimentaire sur les qualités de la viande grillée,
censée être une nourriture consistante. Peut-être ne l'auraient-ils pas permise avec
une alimentation à base de céréales.
Toutes les viandes font l'objet d'une leçon sur leurs propriétés respectives.
Les guides instructeurs insistent sur les diverses et différentes propriétés des
viandes. La viande de lion par exemple est plus consistante que celle de lièvre, la
viande de biche est plus comestible que celle d'un chacal etc ... Les jeunes initiés
apprennent ainsi à distinguer les diverses viandes et à connaître leurs qualités
respectives.
Parallèlement à ces leçons, les initiés découvrent les plantes pouvant ou
devant accompagner les viandes. Cette plante aiderait à la digestion, cette autre
fournirait sa sève à la place de l'eau après les repas. Certes. l'eau potable est de loin
la meilleure boisson désaltérante : mais au cas où elle lui manquerait, le jeune
guerrier doit se contenter de ce que lui offre la nature. Il se contente, en effet, de la
gamme de produits naturels censés satisfaire aux besoins alimentaires du guerrier
en campagne. Ainsi l'éducation alimentaire reçue avant et pendant l'initiation servira
aux guerriers dans toutes les situations.
En Afrique noire traditionnelle, lorsqu'une communauté entre en guerre
contre une autre, la première phase consiste dans la préparation psychologique et
physique des guerriers. C'est le but des cérémonies de sacrifices que président
guérisseurs, sorciers et gens âgés. Cependant, dans cette étape, le plus urgent est la
nourriture des guerriers.
Traditionnellement, il est offert aux dieux, aux esprits et aux ancêtres des
sacrifices allant de taureaux aux moutons, de chèvres aux poulets. Et ce sont ces
animaux et volailles qui servent de nourriture aux guerriers. Il est certain qu'une
partie de la viande sacrifiée passe dans les marmites, mais l'autre est grillée au feu.
244
Ainsi assiste-t-on à une sorte de festin où les aspects psycrfologiques et alimentaires
sont privilégiés. C'est un phénomène propre à toutes les sociétés guerrières se
préparant au combat ou à une expédition. On pourrait se demander pourquoi la
viande est privilégiée par rapport aux céréales, au point que des plats à base de ces
dernières sont souvent inexistantes dans ces genres de festins. Cela tient d'abord à
la complexité des mets et de leur préparation, et ensuite au fait que les céréales
digèrent vite. La viande grillée, par la simplicité de sa cuisson et par ses propriétés,
apparaît comme l'aliment principal des guerriers prêts à aller au combat. Elle tient
assez longtemps à l'estomac. En Afrique noire traditionnelle, les chefs de guerre
sont si conscients du rendement de la viande qu'ils ne réclament aux membres de la
communauté que du bétail au lieu des céréales pour nourrir les guerriers. Le même
régime alimentaire est respecté durant les campagnes militaires.
Les jeunes guerriers sont appelés à chasser et à se nourrir du produit de leur
chasse. C'est une occasion de mettre en pratique ce qu'ils ont appris comme
techniques de chasse dans les camps d'initiation. Après les victoires, ils s'emparent
du bétail des malheureux vaincus. Une grande partie de ce butin de guerre sert de
nourriture aux combattants.
Leur retour victorieux est célébré avec bombance; là encore la viande domine
les plats. En temps de paix, l'image de la guerre est toujours présente dans la vie
quotidienne des combattants. Elle se manifeste, en effet, non seulement par la
diététique, mais aussi et surtout par les divers exercices physiques et guerriers
qu'ils pratiquent suivant les circonstances. Toutefois, le bon déroulement des
exercices dépend avant tout de la qualité du régime alimentaire. Les principales
forces de l'homme, selon la pensée traditionnelle africaine, lui viennent de son
alimentation. Cette dernière devient ainsi le point de départ de toute considération
sur la santé physique des guerriers. Les exercices ne sont prévus que pour rendre
cette force plus rentable en vigueur, en agilité et en rapidité.
Comparé à celui que préconise Platon, le régime des guerriers en Afrique
noire traditionnelle n'offre pas une grande rigueur et un suivi sérieux. En ce sens
que des prescriptions précises n'imposent pas aux athlètes guerriers une liste
d'aliments censés être les seuls indispensables à leur santé. Hormis cette différence
organisationnelle, il est clair que de part et d'autre, les viandes priment sur les
autres aliments dans le régime des athlètes guerriers.
245
III . 3 . LES EXERCICES PHYSIQUES ET LEURS FINALITÉS
III.3. 1. La gymnastique et la santé chez Platon
Dans une première approche la gymnastique se définit comme l'art de faire
des exercices physiques. Traditionnellement, les Grecs la considèrent comme une
discipline qui ne s'applique qu'au corps. Platon s'en réclame lorsqu'il écrit que "la
gymnastique s'applique à ce qui naît et meurt; car c'est de la croissance et du
dépérissement du corps qu'elle s'occupe" 1. Mais, bien qu'il ait hérité de cette idée,
Platon ne conçoit pas la gymnastique sans la musique. Il se trouve que ces deux
disciplines étaient déjà, avant Platon, les principales composantes de la paideia.
Tout de même, il constate que dans les systèmes traditionnels l'une est toujours
pratiquée à l'excès au détriment de l'autre. Il en fait reproche surtout aux Crétois et
aux Spartiates dont les constitutions ont privilégié la gymnastique2 par rapport à la
musique.
Dès lors, il va falloir, pour Platon, éviter de telles erreurs dans son projet de
constitution. En termes plus précis, le garde "n'imitera pas les autres atWètes dont
le régime et les travaux n'ont en vue que la vigueur du corps3". D'ailleurs, ceux qui
ne s'adonnent qu'à la gymnastique sont d'une brutalité excessive et ceux qui ne
cultivent exclusivement que la musique sont d'une mollesse dégradante4. Or l'un
des objectifs principaux de l'éducation platonicienne est la juste mesure entre la
douceur et la brutalité, la sensibilité et le courage, l'activité intellectuelle et la force
morales. C'est pour cette raison que l'enseignement de la musique et la formation
en gymnastique doivent aller de pair dans une égale proportion. Leurs diverses
interférences font dire à Platon que la gymnastique et la musique ont été
principalement établies pour l'âme6.
Il fallut à Platon lever une autre équivoque relative à la pratique des exercices
physiques par les femmes. Dans la République comme dans Les Lois, il a défendu
1. Rép., 521 e
2. Cf. Lois, 636 bc
3. Rép., 4LO b
4. Cf. Rép., 410 d ; Timée, 88 ab
5. Cf. note CHAMBRY (Emile) 4LO e et Rép., 375 c.
6. Cf. Rép., 410 c
246
l'égalité des sexes en tenant compte des aptitudes des uns et des autres. C'est dans
cet esprit que filles et garçons reçoivent une éducation commune. Seulement, le
philosophe redoute l'opinion publique à l'idée que la femme s'exerce nue dans les
palestres avec les hommes 1. Pour justifier cette mesure, Platon rappelle que les
Grecs avaient trouvé, avant de l'admettre, honteuse et ridicule la nudité des
hommes eux-mêmes dans les palestres. Les Crétois et les Lacédémoniens ont
certainement eu à faire face à ceux qui s'opposaient à cette pratique. Mais la raison
emporta sur l'aveuglement; car par la suite, tout le monde s'habitua à la nudité de
ceux qui s'exercent dans les palestres2. La nudité des femmes aura tôt ou tard
l'approbation de ceux qui s'y opposent présentement. Ainsi la femme a le devoir de
pratiquer la gymnastique comme l'homme, afin qu'elle assume convenablement sa
place dans la cité.
Platon a eu aussi besoin de marquer sa différence d'avec le passé en prônant
"une gymnastique simple et mesurée3". Néanmoins, il n'oublie pas qu'elle est,
avant tout, orientée vers la guerre. Cette orientation est manifeste dans
l'organisation des exercices physiques, car "nous établissons des gymnases et tous
les exercices qui préparent à la guerre, tirs à l'arc, armes de jet de toutes sortes,
emploi du bouclier léger ou de toute espèce d'arme lourde; évolutions tactiques,
camps et campements et toute la tactique d'entraînement à la cavalerie"4. Ces
exercices conçus pour les deux sexes sont sous la direction des maîtres communs5.
Cet enseignement gymnique nécessite l'organisation des concours de course,
de lutte et des compétitions dans d'autres disciplines à l'occasion des fêtes 6 de la
cité. C'est dire que les séances de compétition sont des cadres d'enseignement au
même titre que les séances d'entraînement. Ainsi la compétition gymnique a-t-elle
une autre finalité chez Platon par rapport à ce qu'elle a été avant et pendant
l'époque classique. C'est pendant la période de paix que les athlètes guerriers sont
entraînés aux exercices et aux techniques de combats. Il n'est pas moins vrai qu'ils
constituent des moments de divertissement pendant les trêves au cours de longues
guerres. La guerre de Troie en est une illustration frappante. Mais Platon demeure
I. Cf. Rép., 452 a b.
2. Cf. Rép., 452 c d.
3. Cf. Rép., 404 b
4. Lois. 813 d e.
5. Cf. Lois, 813 e
6. Cf. Lois, 828 c d
247
vigilant sur ce po~nt : "ce n'est pas en pleine guerre", écrit-il, "que les citoyens
doivent s'exercer à la guerre, c'est alors même qu'ils vivent dans la paix 1". C'est
dans cette perspective qu'un calendrier est institué, pour un entraînement qui
regrouperait toutes les catégories d'âge en dehors des cours gymniques proprement
dits.
Pour plus d'efficacité, les autorités organisent soit des sorties en masse soit
des sorties par section2. Ainsi tous les citoyens auront-ils à "réviser" les techniques
de combat déjà apprises. Mais la présence des enfants fait penser que les exercices,
durant les sorties, sont pratiquées modérément sans efforts. Parallèlement à ces
sorties en masse, les mêmes autorités sont tenus "d'arranger en même temps que
les sacrifices de beaux divertissements qui puissent donner lieu à des combats
solennels imitant les combats de la guerre avec toute la vérité possible"3. Sans
l'idée des prix qui les couronnent, ces combats ne sauraient être des concours
gymniques. Encore les prix ne sont-ils conçus, nous le verrons, que pour
encourager les athlètes à persévérer dans leurs efforts physiques.
Déjà, dans La République, Platon faisait allusion à l'importance des exercices
et concours physiques dans la formation des gardes4. Mais c'est dans Les Lois
qu'il disserte sur leur place et leurs finalités dans l'éducation en général. Nous ne
suivrons pas, dans notre étude, un ordre préétabli des exercices gymniques; aucun
critère ne permet de dire que tel exercice vient avant ou après tel autre. Us sont tous
d'égale importance dans le cadre de la formation physique. Il faut noter que les
exercices qu'Hippocrate qualifie de naturels, "les exercices de la vue, de l'ouïe, de
la voix, de la pensées" n'entrent pas directement dans la formation platonicienne.
Pour le médecin, ces exercices ont une forte int1uence sur l'âme. Ainsi fait-il
dépendre la gymnastique de l'âme des fonctions de la vision, de l'audition, de la
parole et de la pensée. Il faut faire abstraction, comme le note Robert Joly, de toute
conception spiritualiste pour saisir la "psychologie" de l'auteur, purement
matérialiste6. L'âme "hippocratique" ne se distingue pas totalement du corps qu'elle
anIme.
1. Lois, 829 a
2. Cf. Lois, 829 b
3. Lois, 829 b c
4. Cf. Rép., 412 b
5. HIPPOCRATE, Régime l, LXI, 1,2.
6. JOLY (Robert), note, Rég ime l, p. 61. Littré.
248
Chez Platon, il n'y a pas de mouvement!conçus par nature uniquement pour
l'âme. Cependant, "tout mouvement spontané de l'âme peut donc, en même temps,
être dit mouvement spontané du corps. Mais la motion du corps par une âme se
déterminant d'après son essence définit des mouvements naturels. C'est pourquoi
un mouvement spontané du corps est aussi un mouvement naturel"l. Ainsi il
apparaît que les exercices gymniques, en tant que mouvements, ont une double
finalité mentale et corporelle, souvent indistinctes l'une de l'autre.
A la pratique des exercices physiques Platon a intimement lié l'usage des
deux mains. Il faut, selon lui, supprimer de l'esprit des gens le préjugé qui consiste
à croire "qu'il y a, pour toutes nos actions, une différence naturelle d'aptitude entre
la droite et la gauche2". Le philosophe soutient que l'inégalité entre la main droite et
la main gauche vient de la manière dont on s'en sert. Aussi impute-t-il cette
insuffisance à la formation que mères et nourrices ont donné aux enfants. Par
conséquent, il est possible de supprimer l'inégalité entre les deux mains. Il est vrai
que l'aptitude à se servir des deux mains est moins importante dans certains travaux
que dans d'autres. Mais, pour ceux qui sont appelés à faire la guerre, c'est une
qualité capitale. Car, ce soit pour l'entraînement ou pour la guerre elle-même, il faut
apprendre à se servir des deux mains. Et il faut reconnaître que "la différence est
grande entre avoir appris et n'avoir pas appris. entre s'être entraîné et manquer
d'entraînement 3 ". Ainsi apprendre et s'entraîner sont les seules conditions de
réussite dans le domaine des exercices gymniques. L'usage des deux mains relève
directement de cette philosophie: et c'est à des fins guerrières qu'il faut l'envisager,
En effet. "un athlète parfaitement exercé au pancrace. au pugilat. à la lutte corps à
corps, capable qu'il est de combattre de la main gauche évite ainsi de n'avoir
qu'une riposte boiteuse, traînante et maladroite, quand l'adversaire le force à se
retourner pour parer une attaque à revers4". Cette aptitude à combattre avec la main
droite autant qu'avec la main gauche doit prévaloir dès l'enfance chez les gardes
atWètes.
Tous leurs membres actifs doivent être exercés de la même manière et pour
les mêmes finalités. Platon impute l'inégalité entre les membres à l'insuffisance de
la formation physique et à l'habitude qui en découle. C'est la raison pour laquelle il
1. ULMANN (Jacques), De la g:'.'I7l1lasrique aux Sports l1lodernes.- Paris, 1965, p. 45.
2. Lois. 794 d e.
3. Lois, 795 b.
4. Lois. 795 b c.
249
faut solliciter la vigilance des hommes et des femmes, "celles-ci surveillant la façon
.~
dont on amuse ou dont on éduque les enfants, ceux-là l'instruction qu'on leur
donne, pour que tous et toutes, usant librement de leurs deux mains comme de
leurs deux pieds évitent autant que possible de gâter leurs natures par les habitudes,
qu'ils contractent 1". Là, Platon insiste sur la nécessité d'user des deux mains,
d'autant plus que les citoyens sont en permanence mobilisés soit pour s'entraîner
soit pour défendre la Cité.
Nous avons déjà noté l'absence de critères solides pour classer les exercices
physiques selon un ordre scientifique. Toutefois, il nous paraît logique de voir en
premier lieu la danse, en ce sens qu'elle participe et à la musique et à la
gymnastique. Le texte des Lois est très clair quant à cette dualité. En effet, Platon
écrit que "la danse (... ) ou bien mime les paroles de la Muse et veille à exprimer
fidèlement ce qu'elles ont de noble et de libre; ou bien vise à entretenir la vigueur,
l'agilité, la beauté dans les membres et autres parties du corps en leur donnant le
degré de flexion et d'extension voulu, en les mouvant chacun selon le rythme qui
lui est propre et qui se distribue sur toute la danse en l'accompagnant exactement2".
Cette double fonction musicale et gymnique se retrouve dans toutes les espèces de
danses admises dans la cité platonicienne.
Le philosophe divise ces dernières en deux catégories: "l'une imite en ce
qu'ils ont de noble, les mouvements des plus beaux corps, l'autre dans un dessein
frivole, ceux des plus laids3". D'emblée. Platon exclut la deuxième catégorie de
danses de celles qui sont admises dans son programme chorégraphique et éducatif.
Il la qualifie de frivole par rapport à l'espèce de danse sérieuse. Platon ne nie pas
leur origine divine, mais il conseille de se garder de "toute danse bachique et autres
danses qui s'y rattachent (... )4". Le philosophe évite le désordre en excluant les
danses où on mime "des gens ivres et l'on célèbre certaines purifications et
initiations( ... )5". Après avoir condamné l'ivresse, Platon se serait contredit en
instituant dans la cité la danse des gens ivres. Aussi, par la variété des mouvements
et gestes incontrôlés dont elles sont l'occasion, ces danses ne peuvent-elles pas être
1. Lois. 795 d.
2. Lois. 795 e
3. Lois. 814 e
4. Lois. 815 e
S. Lois. 815 c
250
classées ; et elles ne particiç ~nt en aucun cas à la bonne formation des jeunes
atWètes.
C'est pour cette raison que Platon s'intéresse à l'espèce sérieuse à laquelle
"appartiennent, d'une part, la danse guerrière et, dans les mouvements violents où
ils sont engagés, celle des beaux corps qu'anime une âme virile (ljJUxTjç a'
àVapll<Tjç), d'autre part, les mouvements d'une âme tempérée (ljJUXTjç <Jw<jlpovoç)
dans la prospérité et les plaisirs modérés; cette dernière danse, l'appeler pacifique
serait la nommer suivant sa naturel". Aussi Platon appelle-t-il danse guerrière la
pyrrhique et la danse pacifique l'emmelie (ÈfLfLEÀEta).
Au demeurant, ce sont des citoyens qui ont reçu une même formation qui
devront danser la danse guerrière et la danse pacifique. Mieux, leurs
comportements psychologiques doivent être conformes, à l'occasion, à chaque
espèce de danse. Le corps doit être aussi en accord parfait avec les mouvements et
gestes chorégraphiques. C'est pourquoi à iSpxncrtç I<aTà T16ÀEfLoV Platon fait
correspondre <JLùfL<:lTWV fL8V I<aÀWV (les beaux corps), à Èv ~ta{olç ... T16votç
("mouvements violents"), ljJuxTjç o'àvaptl<nç (une âme virile). Autrement dit, une
âme virile anime un beau corps qui est lui-même engagé dans des mouvements
violents. Et ces derniers constituent l'expression originale de toute danse guerrière.
Ainsi il est aisé d'imaginer, à travers les qualificatifs àvaptl<nç, l<aÀwv et ~tatOlÇ, le
profil physique et l'état psychologique de celui qui est apte à danser la danse
pyrrhique. C'est cette image harmonieuse entre l'âme et le corps que Platon
voudrait fixer par la danse guerrière.
Cette même danse est qualifiée de pyrrhique en ce sens qu'elle "imite, d'une
part, les mouvements qu'on fait pour éviter tous les coups portés de près ou de
loin, se jeter de côté, reculer, sauter en hauteur, se baisser; et d'autre part, les
mouvements contraires, ceux qui portent aux attitudes offensives et essaient
d'imiter le jeu de l'arc ou du javelot, ou le geste d'asséner de près n'importe quel
coup2". Manifestement, la première caractéristique de cette danse est sa nature
imitative. Dans ce passage Platon ne mentionne pas le port d'armes; mais il insiste
sur l'importance des mouvements et gestes imitant ceux d'un guerrier en plein
combat.
1. Lois, 814 e
2. Lois, 815 a
251
Parallèlement à cette danse sans armes, il recommande de ne pas "négliger
tout ce qu'offrent les chœurs de danse comme sujets d'imitation décente, telles ici
les danses armées des Courètes et, à Lacédemone, celles des Dioscures. Chez
nous, de même la vierge notre souveraine se plaisant aux jeux choriques, ne crut
point devoir les jouer les mains vides, mais s'arma de pied en cap, et c'est ainsi
parée qu'elle dansa toute sa danse l ". L'apparition des Courètes, des Dioscures et
d'Athéna n'est pas gratuite dans ce passage. En effet, l'évocation des Dioscures
rappelle que ces derniers (qui président aux jeux de guerre et qui ont appris aux
Spartiates la danse armée) sont considérés comme les protecteurs de la musique, de
la danse et de la poésie. Les Courètes, pour couvrir la voix de Zeus bébé pleurant
dans l'antre où l'avait caché sa mère loin de son cruel père Cronos, dansèrent
autour du berceau du Dieu en faisant du bruit avec des armes qu'ils portaient à
l'occasion. A Athènes, on attribue à Athéna l'invention de la danse armée qu'elle
dansa après sa victoire sur les Géants. Ces références mythologiques sont des
symboles qui portent toutes sur la danse armée. Platon s'appuie ainsi sur les
divinités et la mythologie pour donner plus de crédibilité à ses prescriptions
chorégraphiques. Aussi, dans cette atmosphère, le danseur pense-t-il imiter, sans
intermédiaire aucun, les mouvements de ces divinités. Ce qui lui donne, sur le plan
psychologique, assez de force pour danser toute sa danse.
Il ressort, de manière générale, que la danse guerrière se danse avec armes ou
sans armes. Qu'il les envisage dans le cadre des fêtes ou dans le cadre de
l'enseignement, Platon voit en ces espèces de danses guerrières un entraînement
aux combats offensifs et défensifs. La danse guerrière apparaît indispensable à la
formation des jeunes gardes. C'est la raison pour laquelle à chaque fois que
l'occasion se présente l'enfant est invité à participer à cette danse.
Les enfants, écrit Platon, "( ... ) tant qu'ils ne vont pas à la guerre, devraient
toujours en armes et à cheval, rehausser toutes processions et tous cortèges en
l'honneur des dieux, scandant, au rythme plus ou moins vif de leur danse ou de
leur marche, les supplications qu'ils adressent aux dieux et fils de dieux2". Ainsi
les fêtes religieuses sont elles-mêmes des occasions pour former les enfants aux
exercices guerriers. L'enfant s'y exerce à monter à cheval et à manier des armes,
1. Lois, 796 b c
2. Lois, 796 c
252
pratiques auxquelles il est initié à l'âge de six ans 1. Il faut rappeler que les enfants
s'entraînent avec des armes conçues pour les jeux, donc inoffensives pour leur vie.
Platon ne manque pas de faire la différence entre les fêtes où l'on danse avec des
armes réelles et celles où on utilise des armes factices. En effet, lorsqu'il rappelle
les danses années des Courètes, des Dioscures ou d'Athéna, Platon évoque la
danse avec des annes réelles. Et c'est la raison pour laquelle seuls sont conviés à
ces danses armées les jeunes filles et les jeunes gens en âge de combattreZ.
Très soucieux de l'ordre et de la stabilité de la cité, Platon propose un
calendrier rigoureux pour la répartition des danses entre toutes les fêtes et
recommande de ne plus y toucher3 . En effet, lorsqu'il condamne l'anarchie qui
règne dans la danse bachique et celles qui s'y rattachent4, Platon se soucie plus de
l'ordre que des espèces chorégraphiques. La preuve en est qu'il ne demande pas la
suppression de ces danses; il soutient seulement qu'elles ne conviennent pas à son
idéal. Dès lors, toute danse admise dans la formation doit être soumise à des
normes rigoureuses. C'est ainsi qu'il écrit
que "ce qu'il y a dans les danses
guerrières, de droit et de bien tendu, il l'imitation de beaux corps et de belles âmes,
se réalise quand l'ensemble des membres du corps garde la rectitude des lignes5 ".
Cette rectitude se retrouve dans la danse qui imite l'offensive et la défensive.
Les mouvements et les gestes du danseur imitant la défensive se succèdent
comme suit: se jeter de côté, reculer, sauter en hauteur, se baisser, tandis que celui
qui exécute la danse imitant l'offensive doit simuler le jet de l'arc ou du javelot, ou
le geste d'asséner de près n'importe quel coup6. Dans les deux cas, le danseur obéit
à la succession logique des mouvements et gestes. Mais le danseur saura lui-même
choisir les mouvements qui conviennent à sa danse. C'est dire que les techniques
de l'offensive peuvent se mêler à celles de la défensive. On serait tenté de croire que
Platon n'envisage la danse guerrière que pour la souplesse, pour l'agilité et la
beauté du corps, si on néglige l'intérêt psychologique que suscitent ces danses.
1. Cf. Lois, 794 c d
2. Cf. Lois, 830 de; 931 ab; 796 c
3. Cf. Lois 816 c
4. Cf. Lois, 815 c
5. Lois, 815 ab
6. Lois, 815 a
253
Qu'il soit homme ou fedme, celui ou celle qui exécute la danse guerrière est
animé d'une âme virile (ljJuxn àyopu<Tl). Autrement dit, le danseur est inspiré, en
pleine action, par un sentiment de bravoure et de courage. C'est seulement par cette
inspiration qu'il arrive à mouvoir son corps suivant les exigences de la danse
guerrière. Ainsi réalise-t-il une harmonie entre son âme et son corps, entre les
mouvements et ce qu'il ressent en lui-même. C'est par son caractère violent que la
danse guerrière est différente de la danse pacifique.
Dans l'espèce pacifique, Platon range "toute danse inspirée par un sentiment
de bien-être. Ce genre lui-même peut se diviser en deux: celui où, quitte de
certaines fatigues et de certains dangers, on se trouve passé à un état de félicité, est
marqué de plaisirs plus vifs; l'autre, qui ne fait que conserver et accroître un bien-
être antérieur, a des plaisirs plus modérés 1". La danse pacifique (EÙpnYt}(~)
différente de la danse guerrière par son appellation même est admise dans la
formation chorégraphique comme un exercice récréatif. Les vertus de cette danse
tiennent de la nature de l'éducation et des sentiments du danseur. Ainsi les
mouvements sont-ils plus vifs si les plaisirs sont plus grands, moins vifs si les
plaisirs sont moindres; d'autre part, ils sont moindres si le danseur est modéré et
exercé au courage, plus instables s'il est lâche et sans maîtrise 2. Entre l'un et l'autre
aspect, Platon prône la juste mesure.
Il ressort de toutes ces considérations que la danse partIcIpe à
l'épanouissement psychologique et à la formation physique des athlètes danseurs.
Aussi, la danse se définit-elle comme une }(lyncrlç, un mouvement. Dès lors, elle
acquiert toutes les propriétés du mouvement, et elle a une incidence sur la santé
corporelle et mentale de l'individu.
Le mouvement et le geste sont considérés comme chorégraphiques lorsqu'ils
sont ordonnés et faits au rythme de la musique ou d'un chant; ils sont qualifiés de
gymniques, quand ils favorisent le perfectionnement de l'agilité et le maintien de la
vigueur de l'athlète; ils sont d'ordre sanitaire, lorsqu'ils dégagent le corps de tout
élément nuisible à sa croissance. La danse, en tant que mouvements et gestes
ordonnés, entre dans le modelage du corps; non seulement il le débarrasse des
déchets comme la graisse, mais l'adapte aussi aux exigences de l'effort physique.
1. Lois,815 d e
2. Cf. Lois, 816 a
254
Pourtant, cette santé physique serait sar," efficacité si elle ne va pas de pair avec la
santé mentale.
La danse participe aussi à la tranquillité 1 de l'âme. Platon a illustré cet aspect
par l'exemple de la berceuse et les mouvements avec lesquels une mère endort son
bébé, et par sa référence à la guérison des gens atteints du mal des Corybantes2 .
Ces attributs de la danse ne vont pas sans nous rappeler le deup au Sénégal. De part
et d'autre, le mouvement chorégraphique apporte la tranquillité à l'âme3. A l'enfant
il procure le sommeil, et il ramène les malades mentaux de la frénésie au bon sens.
Toutefois, Platon ne considère pas cette méthode comme définitive. Car la
tranquillité qu'elle procure n'est que ponctuelle et éphémère.
Or, les troubles affectent les malades dès leur jeune âge, et ils sont à l'origine
de la terreur et des frayeurs. Le manque de courage peut être lié à cet état de fait. Et
c'est pour cette raison que Platon préconise d'imposer le mouvement aux tout petits
enfants (TWV navTEÀwç na {8wv)4 pour surmonter radicalement et de manière
durable "les craintes et les terreurs qui nous assaillent5". De cette manière, le
mouvement entre dans la dynamique de l'éducation psychologique, en ce sens qu'il
aide à "l'implantation" du courage dans l'âme du futur guerrier. C'est dans ce cadre
que la danse peut être aussi considérée, en tant que mouvement, à côté de ses
vertus gymniques, comme une préparation psychologique. Ainsi on doit, selon
Platon, intégrer la danse comme une discipline à part entière dans le programme
éducatif de la cité.
Platon divise la gymnastique en deux parties: la danse et la lutte (naÀT]).
C'est certainement l'importance de ces deux disciplines qui l'ont contraint à faire
cette division, attendu que d'autres disciplines et exercices entrent aussi dans la
gymnastique. La lutte proprement dite est à la fois l'objet d'enseignement et de
compétition. Aussi Platon fait-il dépendre la compétition de l'enseignement même.
Car il faut apprendre et s'entraîner avant de compétir6 ou de combattre à la guerre.
C'est dans cette perspective que la lutte est enseignée avec sérieux7. Il faut préciser
1. Cf. Lois. 790 d e
2. Cf. Lois.790 d
3. Cf. Lois. 791 a; Banquet, 215 e, Ion, 533 cd - 536 c
4. Cf. Lois, 791 c
5. Lois. 791 c
6. Cf. Lois, 830 a b - c cl
7. Cf. Lois, 796 b
255
que cet apprentissage est tourné vers l'utilité guerrière. C'est la raison pour laquelle
"(... ) les secrets de la lutte droite (Tà of; an:' op8Tjç n:aÀT]ç), l'adresse à garer son
cou, ses mains, ses flancs, tout ce qu'on acquiert en peinant non seulement pour la
victoire, mais pour la fermeté et la décence de l'allure, pour la force et pour la santé,
cela utile à toutes fins, ne saurait être négligé 1". Ainsi la lutte contribue à la vigueur,
à l'agilité et à la santé de l'athlète. Par ses finalités, la lutte a pratiquement le même
rendement que la danse dans la formation physique. Seulement, les techniques
employées dans l'une et dans l'autre sont différentes: la lutte appelle le corps à
corps, alors que dans la danse l'athlète mime l'offensive et la défensive sans Contact
violent. A ces deux exercices s'ajoute la course à pieds.
Dans le cadre de la préparation à la guerre, la formation physique concerne
aussi les membres inférieurs, plus précisément leur agilité et leur mobilité. Sans
doute la danse et la lutte contribuent-elles au développement de ces qualités: la
danse intéresse tous les membres et la lutte développe surtout l'agilité des mains.
Mais la course est plus apte à donner et à entretenir l'agilité et la mobilité des
membres inférieurs. Platon voit dans l'agilité la qualité première pour un athlète
guerrier. En effet, "ce qu'il y a, assurément de plus utile que tout à la guerre, c'est
sans contredit, l'agilité soit des pieds, soit aussi des mains; pour fuir ou pour
capturer celle des pieds; l'autre pour le combat de pied ferme et le corps à corps où
il faut force et vigueur2". La première forme d'agilité est liée à la course, tandis que
la deuxième est le fruit de la lutte. Mais ce sont là les préparatifs à la course à pieds.
li est vrai que Platon ne mentionne pas l'apprentissage de la course à pieds, mais en
tant qu'exercice préparant à la guerre la course entre forcément dans l'apprentissage
des techniques de combat]. C'est ce qui explique sa présence parmi les exercices de
compétition lors des fêtes.
L'athlète guerrier aurait eu un handicap dans sa formation de combattant, s'il
n'était pas entraîné à devenir un bon cavalier. C'est dans La République que Platon
évoque l'importance de cet exercice en recommandant de "faire monter les enfants à
cheval le plus tôt possible, et quand on leur aura appris l'équitation, les mener voir
la guerre non sur des chevaux ardents et belliqueux mais sur les plus rapides et les
plus doux à la main qu'on pourra trouver". L'initiation à l'équitation se fait de
1. Lois, 796 a
2. Lois, 832 e ; 833 a
3. Cf. Lois, 813 e
4. Rép., 467 e
256
manière progressive. Aussi les enfants ne sont-ils autorisés à monter que sur des
chevaux doux, et à assister aux combats non périlleux1. Dans les Lois, l'équitation
n'est mentionnée que dans le cadre des compétitions2• Ce qui suppose que les
concurrents ont appris auparavant à monter à cheval. Cet exercice importe beaucoup
à la chasse.
Entre aussi parmi les exercices de combat la chasse. Il existe, selon Platon,
une variété de chasses3. Mais il faut choisir, dans le cadre de la formation, celles
qui conviennent aux athlètes guerriers. Ainsi Platon ne manque-t-il pas d'affirmer
que "seule demeure donc la plus excellente, celle que l'on fait aux quadrupèdes, en
s'aidant de chevaux et de chiens et de son propre corps; toutes les proies, soit
qu'on les coure ou qu'on les frappe de près ou de loin, on ne les capture que de ses
propres mains, si l'on est de ceux qui cultivent la divine bravoure4". La chasse
s'inscrit ici comme une entreprise de courage ; et elle contribue surtout aux
développement de la vigueur et de la santé des chasseurs. En effet, ils s'aident des
mains et des pieds pour capturer le gibier.
Il est évident que tous les exercices énumérés entrent individuellement dans la
formation guerrière. Platon ne se contente pas seulement de leur simple
apprentissage. Il préconise que les athlètes, voire toute la cité, s'exercent pour le
maintien de leur forme une fois par jour aux combats sans armes et une fois par
mois aux combats avec armes 5. Quand on ajoute à ces entraînements les différents
concours gymniques qui sont organisés pendant les diverses fêtes de la cité, on est
tenté de croire que la cité platonicienne est quotidiennement mobilisée. En effet, en
ce qui concerne l'entraînement mensuel, Platon propose "qu'on se livre entre soi
des combats dans tout le pays, qu'on lutte à se prendre les postes, à se tendre des
embuscades et, mimant la guerre sous toutes ses formes, qu'on se batte réellement
avec gantelets et des traits aussi proches du vrai que possible, tout en rendant ceux-
ci moins dangereux, de façon que le jeu d'un bord à l'autre ne soit pas totalement
inoffensif ( ... )6".
1. Cf. Rép .. 467 ct
2. Cf. Lois, 834 b
3. Cf. Lois, 823 b
4. Lois, 824 a
5. Cf. Lois, 830 ct
6. Lois, 830 e
257
Malgré les dange:~ qui pourraient découler de ces exercices, Platon considère
ces derniers comme des jeux où tout acte violent voire mortel n'est jugé
qu'in volon taire '. Conscient des critiques que susciteraient ses orientations
concernant l'entraînement à la guerre, Platon se presse de se justifier. Il met en
cause les richesses qui empêchent aux citoyens de s'entraîner ensemble pour la
défense de la Cité. Car chacun d'eux ne se préoccupe que de son gain journalier
dont la conséquence principale est la corruption des mœurs2. Ensuite Platon
incrimine les constitutions contemporaines, en ce sens qu'elles n'ont pas- pu
combiner harmonieusement l'éducation militaire et l'entraînement par les jeux3.
Au demeurant, c'est là l'un des points originaux de l'éducation platonicienne.
La compétition gymnique a une orientation sanitaire et pédagogique plus qu'une
simple recherche d'honneur et de gloire.
1. Cf. Lois 831 a
2. Cf. lois, 831 c
3. Cf. Lois, 832 ct
258
III. 3. 2. La place' des exercices physiques dans la formation
corporelle de l'enfant en Afrique
La notion de gymnastique, comme celle de musique, est pratiquement
inexprimable dans certaines langues négro-africaines. Cela s'explique par le fait que
la gymnastique, en tant qu'ensemble d'exercices physiques et de pratiques
hygiéniques, se confond avec la notion de jeu. Les Toucouleurs emploient, pour
traduire gymnastique, l'expression "activer le corps" (softinde bandu), les Wolof
"réchauffer le corps" (tangal yaram) etc. Ces expressions traduisent le désir d'aller
lutter, courir, sauter, danser, etc ... Il est vrai que dans la pensée négro-africaine, il
n'existe pas de frontière entre la musique, les jeux et la notion de gymnastique,
mais il va de soi qu'en pratique, il est possible de les distinguer séparément. Platon
s'oppose théoriquement à la pratique de la musique sans la gymnastique et vice
versa; et le même principe est observé dans la tradition négra-africaine qui n'admet
pas la musique sans la danse, les exercices physiques sans la musique. Cette
conception commune à la pensée platonicienne et négro-africaine relève du caractère
populaire et communautaire des activités ludiques.
L'organisation des jeux gymniques est intimement liée aux manifestations
culturelles "officielles" et à des rassemblements occasionnels. Comme chez Platon,
dans la tradition négro-africaine le sacré et le profane vont de pair dans le domaine
culturel. En effet, les cérémonies de sacrifices comme celles de mariages, de
récoltes sont toujours l'occasion des exercices physiques. des concours
gymniques, musicaux et chorégraphiques etc. Toute société négro-africaine se fixe
un calendrier des fêtes sacrées pour honorer ses dieux et ses ancêtres fondateurs, et
des cérémonies ordinaires marquant chaque événement social. En dehors de ces
circonstances, les exercices gymniques sont programmés lors des rencontres
organisées occasionnellement par les jeunes gens et les jeunes filles, à la place
publique ou dans un espace aménagé. En liant ces exercices physiques aux
manifestations culturelles, nous ne perdons pas de vue l'apprentissage des
techniques gymniques en dehors de ces événements.
Dans les sociétés négro-africaines, il existe bel et bien des séances
d'entraînement à ces exercices (lutte, course ... ) en vue des combats futurs ou des
rencontres amicales entre communautés. Mais dans la tradition négro-africaine cette
instruction est moins contraignante que celle qu'a conçue Platon dans le domaine de
259
la gymnastique. Chez Platon, en effet, le lieu où se fait cet enseignement ( l e ?
gymnase) est fixé d'avance, alors qu'en Afrique l'instruction gymnique peut être
dispensée dans toute l'aire du territoire d'une communauté donnée. Tout dépend
ainsi des circonstances qui suscitent et "conditionnent" la durée et l'importance de
l'instruction. Cette dernière porte, pendant les initiations, plus sur le sens
symbolique des différents exercices physiques que sur leur sens pratique. Bien
qu'elle soit moins visible et moins stable en Afrique noire traditionnelle que chez
Platon, l'organisation de l'enseignement de la gymnastique s'ordonne tacitement
dans les manifestations sacrées et profanes, et ouvertement dans des lieux destinés
à cette fin. Aussi cette caractéristique ambivalente et populaire de la fonnation
physique suppose-t-elle la participation de tous les membres de la communauté, à la
fois acteurs et spectateurs, maîtres et disciples.
La séparation des sexes comporte une connotation spécifique dans la tradition
négro-africaine. Tout de même elle n'entraîne pas une dichotomie entre
l'enseignement, et l'entraînement des hommes et des femmes. Comme chez Platon
on y tient compte de l'aptitude des femmes à remplir telle fonction, à résister à telles
ou telles autres peines. On leur permet de s'entraîner aux techniques de combat et
de pratiquer des exercices gymniques, lorsqu'elles se trouvent dans des sociétés
guerrières. On note la présence des femmes dans diverses années traditionnelles de
l'Afrique noire; elles sont recrutées soit pour diriger des expéditions soit pour
combattre auprès des hommes. Les fameuses "Amazones" du Dahomey fonnaient
une aile de l'armée royale ; elles recevaient en matière de guerre les mêmes
instructions que les hommes. C'était pour elles l'occasion de s'entraîner au
maniement des annes, de s'adonner aux exercices d'endurance, etc. Elles côtoient
hardiment les hommes dans les danses guerrières et dans les exercices de
démonstration.
Et, ensemble, hommes et femmes sont
présents dans l'aire de jeu et
d'entraînement. Ces endroits ont pratiquement un double emploi. Tout terrain de
jeux peut se transformer en aire d'enseignement. La nuit jeunes filles et jeunes gens
se retrouvent pour jouer là où ils se sont entraînés à la guerre pendant le jour.
L'important est de noter que femmes et hommes sont communément impliqués
dans toutes les activités physiques et gymniques reconnues comme telles par la
communauté dans son ensemble. Les finalités de ces activités sont orientées vers le
développement hannonieux de l'âme et du corps.
260
Il serait tendancieux de vouloir énumérer tous les exercices gymniques qui
entrent dans la formation physique du jeune négra-africain. La variété des
techniques gymniques est à rattacher à l'esprit créatif et imaginatif du Négra-
africain. Toutefois, il est possible de les classer dans des disciplines classiques.
La danse négra-africaine qui participe et à la musique et à la gymnastique est
très variée. Peut-être cela tient-il à la diversité des foyers culturels du continent noir.
Mais dans toute communauté négra-africaine, la danse se définit comme une
manifestation culturelle à fonctions multiples. En effet, elle touche au sacré et au
profane; sa fonction socio-culturelle est, pour ainsi dire, dynamique. Les diverses
manifestations chorégraphiques ont fait croire à certains chercheurs que le négra-
africain ne vit qu'en dansant et par conséquent n'est qu'un être "dansant".
Lorsqu'on comptabilise, dans la société platonicienne, le nombre de fêtes et de
cérémonies où il est question de danse, on est tenté de la comparer à une société
négra-africaine. Le projet platonicien est proche de la réalité de l'Afrique noire
traditionnelle.
Dans cette tradition. les premiers mouvements de l'enfant sont définis comme
une danse; et on les lui fait vivre dès son plus jeune âge. Hugo Zem·p constate que
"l'enfant ne sait pas encore marcher que ses parents le tiennent déjà sous les bras
pour lui faire ses premiers pas de danse. Lorsqu'il arrive à se tenir debout sur ses
jambes vacillantes, on bat rythmiquement des mains pour le faire danser, au grand
amusement des parents 1". Par ce processus, les parents donnent à l'enfant
l'habitude de certains mouvements. Il est vrai que l'effet recherché dans cette
pratique c'est l'amusement et la réjouissance de l'enfant, mais le résultat effectif de
ces mouvements est sensible dans le moule physique de l'enfant. On y entrevoit
déjà un équilibre entre le psychologique et le physiologique, entre le mental et le
corporel.
C'est durant leur enfance et leur adolescence que filles et garçons apprennent,
auprès des adultes, les danses sacrées; dans les mêmes périodes, ils assistent à
toutes les cérémonies musicales et chorégraphiques. C'est l'une des premières
formes d'apprentissage adaptées à leur âge. Les places publiques se transforment en
1. ZEMP (Hugo), Musique Dan: la musique dans la pensée et la vie sociale d'une société
africaine, Paris, 1971, p. 267.
261
des sortes de gjmnase où se rassemblent adultes et jeunes gens, instructeurs et
disciples d'occasion. L'esprit d'imitation est si dense et si fructueux à cet âge que
toute nouvelle technique chorégraphique est aussitôt connue et exécutée par les
enfants et les adolescents. Pourvu que le rythme lui convienne, l'enfant danse au
son d'un tam-tam ou d'un autre instrument de musique. Il sait imiter, au pas de
danse, les animaux sauvages que décrivent les conteurs ou qu'il a rencontrés au
cours d'une chasse. C'est un jeu qui se passe très souvent sous le regard complice
de ses compagnons d'âge.
Dans le domaine du sacré, il participe aux défilés dansants que forment
parents et proches autour d'une chambre mortuaire. Seulement, dans cette
circonstance, il n'a ni le droit ni la liberté de danser à sa guise. En effet, ses pas de
danse et ses mouvements restent conformes aux modèles définis par la tradition. Au
demeurant, l'enfant et l'adolescent apprennent naturellement les techniques
chorégraphiques à travers des cérémonies profanes et sacrées. Aussi est-il prudent
de qualifier ces danses de profanes ou de sacrées, attendu que l'enfant ne fait pas
encore la différence entre les espèces de danses. Il distingue seulement les fêtes
profanes où l'on danse à sa guise et les cérémonies où l'on se plie à des obligations
sacrées.
Mais de part et d'autre, l'enfant retrouve son équilibre physique et mental.
Physique, parce qu'il s'auto-forme à travers les déplacements, les mouvements
qu'il fait subir à ses membres et à tout son corps. Mental, parce qu'il y trouve une
joie qui le distrait et qui lui permet de s'épanouir. C'est dans ces premiers moments
que l'enfant, laissé à lui-même, s'imprègne sans s'en rendre compte des valeurs
culturelles de son groupe. Aussi, comme chez Platon, en Afrique noire
traditionnelle, se fonde-t-on beaucoup sur leur génie pour laisser l'enfant et
l'adolescent imiter en toute liberté gestes et techniques chorégraphiques.
Toutefois, en Afrique noire traditionnelle, c'est pendant l'initiation pubertaire
que l'adolescent commence à distinguer les différentes espèces de danses. Leurs
significations lui sont exposées par les adultes. Après coup, il se rend compte que
chaque espèce de danse a ses propres fonctions socio-culturelles et s'exécute
suivant sa nature et les événements. Il réalise que les danses guerrières organisées à
la veille d'une expédition militaire ou dans le cadre d'un entraînement ordinaire ne
sont dansées qu'en vue d'une préparation psychologique et physique des guerriers.
262
Aussi comprend-il racilement pourquoi cette même danse est exécutée durant les
funérailles d'un combattant. C'est ce qui donne un aspect particulier à cette espèce
de danse. La danse pacifique, par contre, se prête à toutes les espèces existantes. Le
profane et le sacré s'y côtoient sans perdre leurs valeurs respectives, et sans
déséquilibrer l'harmonie de leur coexistence et celle des autres forces.
La danse guerrière peut être envisagée sous forme d'entraînement; et, dans
ce cas précis, on la qualifie d'imitative.
Dans leurs gestes et mouvements, les
danseurs se munissent d'armes confectionnées au cours de telles circonstances. Les
jeunes gens participent comme les adultes à la danse armée.
Tout acteur doit avoir appris le maniement des armes et avoir atteint un certain
âge. Et on voit pourquoi les jeunes gens ne sont autorisés à danser la danse
guerrière qu'après leur initiation aux armes. L'acquisition des techniques guerrières
est très souvent symbolisée par le port d'une arme par les initiés au moment de leur
sortie. C'est une des valeurs symboliques de leur titre d'hommes complets. Car
tenir une arme à la sortie d'un camp d'initiation signifie d'abord que Unitié sait la
manier donc est capable de guerroyer. ensuite qu'il a acquis le courage, vertu
première de tout bon guerrier. Ainsi est-il prêt à participer dignement à toute danse
armée.
Il faut noter que cette dernière n'est pas entièrement guerrière, en ce sens
qu'elle retrace aussi des séquences mythologiques. Dès lors la danse armée apparaît
avec une double fonction: réactualiser les mythes et préparer le combattant aux
épreuves physiques. Dans sa danse, l'athlète guerrier imite tous les gestes et
mouvements qui composent l'offensive et la défensive ou les deux à la fois. Il met
tout son corps en accord avec le rythme et le son des instruments ou avec le
claquement des mains. Les gestes et les mouvements qu'effectue un athlète-
guerrier, jeune ou adulte, pendant la danse armée, sont violents. Cette danse
incarne la puissance physique de l'athlète qui, en avançant ou en reculant, en
sautant ou en mimant l'esquive, s'entraîne aux techniques de combat. Par la même
occasion, il habitue son corps à la fatigue et cherche à l'adapter à toute. épreuve de
force. La nudité partielle de son corps, ses pieds nus, la lourdeur de ses armes et de
ses masques renforcent l'endurance du guerrier. Il danse sa danse sans se soucier
des épines, de la chaleur ou du froid, ensorcelé qu'il est par le rythme.
263
li faut remarquer aussi que la danse armée se passe loin des habitations. Câa
tient au fait que certains préparatifs dits sacrés ne peuvent et ne doivent être vus par
certaines catégories sociales, et que le maniement des armes pourraient être
l'occasion d'accidents à l'intérieur des habitations. Platon obéit au même principe
quant à l'aménagement des terrains d'entraînement aux combats guerriers. Toutes
les conditions sont réunies pour la formation du guerrier. Nous verrons plus loin
que la danse guerrière, en dehors de son rendement physique, participe à
l'épanouissement psychologique du combattant.
A la danse "pacifique" correspondent les danses sacrées et profanes, tournées
respectivement vers le recueillement et le divertissement. De manière générale, elles
constituent la base de la formation artistique dans les sociétés négro-africaines
traditionnelles. Non seulement elles réactualisent toute l'histoire mythologique,
mais aussi elles favorisent la cohésion et l'unité au sein du groupe. Au-delà de
toutes ces considérations, ces diverses danses ont une incidence certaine sur la
formation physique des athlètes. Il faut reconnaître que celles qui sont les plus
importantes sont fixées d'avance et nécessitent des préparatifs très "coûteux". C'est
le cas des danses en l'honneur des dieux et des ancêtres, des danses initiatiques,
des danses funéraires etc. Leur solennité est rehaussée par le port des masques.
Ces derniers sont importants autant par leur nombre que par leur
symbolisme. Le poids de ces objets-symboles réclame, de la part du danseur, un
effort physique considérable. C'est la raison pour laquelle les porteurs de masques
se déplacent et gesticulent lourdement. Quelle que soit la circonstance qui la suscite,
la danse masquée incarne à la fois la force physique et spirituelle que le danseur est
censé exprimer devant les spectateurs.
Lors des cérémonies funéraires sont arrangées des danses masquées
accompagnées de lamentations. Comme chez Platon, ces dernières n'ont aucun
apport dans l'éducation négro-africaine. La composition des chœurs ne nécessite
pas de sélection: enfants, adolescents, filles et jeunes gens, hommes et femmes de
tous les âges y sont conviés. Peut-être ces rassemblements renforcent-ils la
cohésion du groupe, mais leur véritable objet est de manifester la douleur et la
tristesse devant la disparition physique d'un proche. La douleur et la peine
n'engendrent, selon la pensée négro-africaine, que désordre dans l'âme. Aussi
l'aveuglement de l'âme se manifeste-t-il par le déséquilibre physique voire le
264
désordre dans les mouvements chorégraphiques. A l'opposé de cette danse, qui
exprime la douleur et les peines à travers le désordre des mouvements, existent des
danses récréatives.
En effet, le calendrier des fêtes en Afrique noire traditionnelle occupe presque
tout moment libre de la vie quotidienne des Négro-africains. Outre les fêtes
organisées à l'occasion des grands événements (récoltes, initiations, etc.), toute
circonstance heureuse est célébrée. S'agit-il d'un retour à la chasse, d'un
rassemblement ou d'une rencontre de jeunes filles et de jeunes hommes, il est
toujours bon de manifester sa joie par la musique, le chant et la danse. Dans ces
circonstances, la danse peut être qualifiée de "pacifique", en ce sens qu'elle exprime
la joie et l'épanouissement des acteurs. La régularité et la noblesse des mouvements
exigent surtout un équilibre parfait du corps. C'est dire que la danse définie ici
comme mouvements et gestes réguliers constitue, en elle seule, un moyen de
communication. Elle exprime les sentiments du danseur et elle est son moyen de
communication avec l'assistance. Dès lors. l'expression se confond avec le
mouvement, avec le geste et le pas que le corps exécute harmonieusement.
Encouragés par l'assistance qui ne cesse de chanter, de claquer des mains, soutenus
par une musique aussi forte que variée, les jeunes danseurs sautent et gesticulent
puissamment pour montrer leur vigueur physique: alors que les adultes se
dandinent au milieu de la scène exprimant à la fois leur joie, et la maîtrise de leurs
sentiments et de leur corps. Pour les uns et pour les autres, le corps reste le support
principal et de l'effort physique et de l'expression mimée. L'expression de la danse
est intimement liée à la vigueur du corps. Ainsi les mouvements diffèrent-ils selon
qu'ils sont exécutés par les enfants ou par les hommes âgés.
Simultanément au pas rapide et ferme du jeune homme ou de la jeune fille, le
pas souple et lent du vieillard rythme la danse. L'un et l'autre cherchent pourtant à
rendre le même effet et à exprimer la même joie, mais le vieillard abandonné par ses
forces physiques se contente d'un pas lent, reflet logique d'un corps faible, alors
que le jeune homme manifeste sa vigueur physique par un pas rapide et ferme.
C'est l'une des raisons qui expliquent l'entrée des adultes et des vieillards les
premiers sur scène pour laisser, à la fin, la place aux jeunes filles et aux jeunes
gens, prêts à exhiber leur souplesse et leur agilité.
Ces réunions sont souvent l'occasion, pour les jeunes danseurs, de rivaliser
265
d'adre:te sur leur manière de "bouger" le ventre, les fesses, la tête, le cou, les bras,
etc. Ce sont là des exercices qui nécessitent un entraînement et une endurance
physique considérables. L'effort est si important que tout geste ou mouvement raté
constitue un déshonneur pour le danseur et sa propre équipe. Aussi cette rivalité à la
hauteur de l'événement amène-t-elle les groupes d'âge et les individualités à
chercher à améliorer constamment la souplesse de leur corps pour atteindre la
perfection dans la danse.
Le Négro-africain, jeune ou vieux, ne danse pas seulement pour montrer sa
vigueur corporelle ou d'acquérir l'adresse, l'agilité ou la rapidité dans ses
mouvements chorégraphiques; il s'y adonne surtout parce qu'il y trouve son
épanouissement psychologique. Il ne danse pas pour danser, il danse pour recréer
ce qui se cache en lui, pour faire revivre la mythologie dans les esprits, pour se
marier avec les forces terrestres et cosmiques et pour raviver sa vie. La danse l'aide
à oublier les peines quotidiennes, à s'évader, à sortir de lui-même. Elle apaise l'âme
parce qu'elle est un message, un lien entre les vivants et les morts, entre les forces
terrestres et le pied qui les célèbre, entre les forces cosrIÙques et le bras et la main
qui les supplient et qui les rassemblent au milieu du cercle des danseurs.
Le danseur est persuadé d'être soutenu à la fois par les vivants et par les
forces invisibles. De là un épanouissement psychologique certain. Le Négro-
africain ne sépare pas du tout la force physique et le bonheur psychologique. Il
observe que la danse ne s'exécute pas sans efforts physiques. C'est pour cette
raison que les danses du deup au Sénégal, conçues pour guérir les malades
mentaux, sont dansées avec des mouvements très violents. De telle sorte que les
malades tombent en transes au moment où ils n'arrivent plus à contrôler leur corps
et leurs mouvements. C'est au réveil qu'ils retrouvent la sérénité dont parle tant
Platon. Cette guérison est un apport de la danse.
Ainsi par le mouvement, le guerrier apprend à se maîtriser et à atténuer les
troubles de son âme. Il voit enfin naître en lui et en son cœur un courage
indéfectible. Par le mouvement, l'athlète danseur apprend à être calme, doux et
humain en étouffant toute violence vis-à-vis de ses proches. Par le mouvement, le
malade retrouve ses esprits et la joie de vivre. Les danses sacrées et profanes se
définissent ainsi comme un ensemble de mouvements relevant des forces
spirituelles et corporelles auxquelles croient fortement les Négro-Africains.
266
La dam:? est une sorte de transition à la lutte, exercice physique le plus
pratiqué en Afrique noire traditionnelle. C'est dès leur très jeune âge que les
garçons commencent à imiter les lutteurs adultes. Il est vrai que la lutte met en prise
des individus de même âge et de même poids; mais le premier critère de sélection.
c'est avant tout la bonne santé physique du lutteur. C'est un exercice qui demande à
la fois agilité et puissance physique.
Les lutteurs n'arborent qu'une étoffe autour des rems, s'ils ne sont pas
complètement nus. Ils se réchauffent à la danse avant d'entamer un combat. Cette
danse (bax chez les Wolof, gewade chez les Toucouleurs) est un exercice qui
consiste non seulement à préparer le lutteur, mais qui lui permet aussi d'exhiber son
élégance physique. Cette préparation est marquée par les acrobaties de toute sorte;
ainsi se prépare-t-il à toute éventualité face aux prises de l'adversaire. Certaines
positions, le genou ou le coude par terre, par exemple, marquent la défaite; le dos
par terre est la position incontestable de vaincu. C'est dire que toutes les techniques
sont bonnes pour terrasser son adversaire. Aussi le lutteur doit-il travailler à
l'adresse de ses mains. à l'agilité de ses jambes. et à la souplesse de son corps.
C'est dans cette perspective que les jeunes garçons organisent quotidiennement des
combats de lutte où ils se mesurent les uns avec les autres. Cette école de la place
publique et de la rue offre aux jeunes enfants toutes les possibilités d'entraînement.
Et c'est là où ils s'initient à toutes les techniques de lutte avant de prétendre livrer
des combats lors des compétitions intercommunautaires.
Il faut noter que ces entraînements de jeunesse sont de véritables combats.
Les jeunes lutteurs sont disposés par rangées de six à dix. chacun face à un
adversaire de combat. C'est une disposition qui rappelle celle des guerriers face à
l'ennemi. Chez les Diola. les Serères du Sénégal, chez les Nouba du Soudan,
plusieurs combats singuliers sont organisés dans une même arène ; mais, en
revanche, chez les Wolof et les Toucouleur un seul combat est envisageable dans
une aire de lutte compétitive. De part et d'autre, les différentes dispositions
symbolisent les combats corps à corps pendant la guerre.
Ainsi la lutte entre forcément dans la préparation des jeunes guerriers aux
combats, d'autant plus qu'elle contribue fortement à la souplesse, à l'adresse et à
l'agilité de l'athlète guerrier.
267
Parallèlement à la lutte, les jeunes enfants organisent des séances de course à
}
pieds. C'est un exercice limité aux jeunes générations, compte tenu de leur âge et de
leurs capacités physiques. L'organisation de ces courses est aussi spontanée que
fréquente. Il s'agit très souvent de jeunes enfants qui se mesurent en vitesse; il leur
suffit seulement de se fixer un repère de départ et d'arrivée. Comme ici l'idée de
temps ne se voit pas au chronomètre, les jeunes concurrents évoluent en masse et
s'évaluent par le rang qu'ils occupent dans l'ordre d'arrivée. Autant le premier rang
constitue un honneur et une démonstration de l'agilité et de la souplesse du
vainqueur, autant le dernier se voit déshonoré par la place qu'il occupe. C'est une
preuve que ce dernier doit encore faire de grands efforts. L'utilité de cet exercice est
manifeste aussi bien pour la guerre que pour la chasse.
C'est parce qu'elle constitue l'une des principales sources d'alimentation des
populations négro-africaines que la chasse est traditionnellement admise comme un
exercice à la fois agréable et pénible. Dans certaines sociétés négro-africaines, la
chasse fait partie des disciplines qu'il faut enseigner aux jeunes générations.
Pour ce faire, dès l'âge de sept ans, le garçon commence à accompagner son
père ou ses proches à la chasse. Il est vrai que son rôle, à cet âge, consiste à porter
les armes, mais on lui demande surtout de bien suivre ce que font les adultes. C'est
ainsi qu'il apprend à poser ou à démonter les pièges, à connaître les techniques
inhérentes à la poursuite et à la capture des bêtes sauvages. Durant ces randonnées
diurnes et nocturnes, l'enfant s'endurcit au contact du soleil et du froid; il doit
presser le pas, courir pour suivre son guide-maître, exécuter tout ce qu'on lui
demande de faire. Il arrive même que l'enfant porte à lui seul tout le produit de la
chasse, et cela pendant toute une journée. On voit que durant cette phase
d'exploration, l'accent est mis sur l'endurance physique de l'enfant. En effet, il doit
être en mesure de parcourir de longues distances, marcher pieds nus sur le sol
réchauffé par le soleil ou refroidi par la rosée, supporter les piqûres d'insectes, la
soif et la faim. On cherche ainsi à adapter son corps aux difficultés de la chasse.
C'est après leur initiation et après avoir acquis toutes les techniques que les jeunes
gens vont seuls à la chasse.
Le jeune chasseur doit être en mesure de poursuivre tout seul, l'arme à la
main, le gibier déniché par ses chiens ou apeuré par ses pas. C'est une épreuve dont
Platon apprécie la valeur formative, en ce sens que le chasseur utilise sa force et sa
268
ruse pour rattraper et terrasser l'animal. C'est une preuve de courage et une faton
d'exhiber son agilité, sa rapidité et sa souplesse physique. Dans la tradition négro-
africaine, le chasseur cultive sa renommée par des exploits individuels. Ramener
l'oreille ou la queue d'un fauve est à la fois honneur et signe de santé physique. En
effet, sans le courage et la santé physique, ce genre d'exploit est impossible.
La chasse demeure, pour cette raison, une discipline qui prépare les jeunes
gens à certaines éventualités de la guerre. Ne jamais hésiter à poursuivre l'ennemi
en fuite, ne jamais refuser le combat corps à corps, ne jamais manquer sa cible, tels
sont les quelques principes que le jeune négro-africain doit appliquer face à l'animal
pendant la chasse et face à l'ennemi pendant la guerre.
Ces divers exercices physiques ont certes pour objet la bonne santé corporelle
des athlètes, mais ils apportent aussi à ces derniers un certain épanouissement
psychologique. Il n'est pas un seul parmi ces exercices qui se pratique sans que les
acteurs fassent appel à la mythologie, fondement de toute activité dans la tradition
négro-africaine. On danse pour guérir. on lutte pour honorer, on chasse pour offrir
un sacrifice; aucune discipline n'éloigne le négro-africain de ses dieux et de ses
origines. Il les vit au fond de lui-même: et ils constituent sa première force. A
chaque fois qu'il se sent perdu, il fait appel à eux. Pour parer à toutes ces
éventualités, il refuse de dissocier la vie active et la vie spirituelle. Qu'il s'apprête à
entrer dans le cercle de danse, dans l'arène de lutte, dans une zone de chasse, le
négro-africain traditionnel évoque toujours ses ancêtres et ses dieux et sollicite leur
aide pour mener à bien ce qu'il entreprend. Ainsi entame-t-il sa danse ou tout
exercice physique, convaincu intérieurement qu'il est sous la surveillance de ses
protecteurs invisibles.
A cela s'ajoute lajoie d'exhiber son talent devant l'assistance. D'ailleurs il est
en dialogue permanent avec les spectateurs. C'est par les chants et les claquements
de mains de ces derniers que les lutteurs ou les danseurs sont soutenus et
encouragés. Ce support psychologique leur permet d'atteindre la perfection dans
leurs efforts. Le danseur comme le lutteur quittent le cercle ou l'arène physiquement
lassés, mais psychologiquement épanouis devant les encouragements de
l'assistance. Ce soutien psychologique trouve son vrai rendement dans les
compétitions gymniques.
269
III. 4. LA COMPÉTITION DANS L'INTÉRÊT DE LA SANTÉ PHYSIQUE
III. 4. 1. Concours gymniques et utilité guerrière chez Platon
Dans la recherche de la santé corporelle et mentale entre aussi le concept de
compétition (àywv). L'idée n'est pas à proprement parler platonicienne. Seulement,
Platon réactualise l'àywv selon sa philosophie éducative en ne tenant compte que de
l'aspect utilitaire des concours gymniques.
Fidèle à sa logique de théoricien, Platon tente de saisir dans l'histoire de la
compétition, en Grèce, ce qui lui paraît positif, autrement dit ce qui convient à son
idéal politique et pédagogique. Des références plus ou moins regroupées lui
permettent soit de rejeter une idée soit de l'accepter, en citant, comme preuves dans
les deux cas, des exemples concrets de l'histoire de l'athlétisme grec. Dans son
discours, Platon ne dissocie pas fêtes en l'honneur des dieux, et les concours de
musique et de gymnastique: les fêtes n'ont de sens que dans la coordination
harmonieuse du sacré et du ludique. Aussi ne trahit-il pas la tradition hellénique
lorsqu'il propose d'instituer "( ... ) douze fêtes en l'honneur des douze dieux qui
donnent leur nom à chaque tribu; à chacun d'eux, continue-t-il, on fera chaque
mois des sacrifices avec des chœurs et des concours de musique et de gymnastique
(... )1". Rien de plus africain que cette conception de la fête et des sacrifices, et des
jeux qui l'accompagnent dans la gaieté.
Cependant, soucieux toujours de la stabilité de l'ordre établi, Platon divise les
fêtes selon qu'elles célèbrent les dieux chtoniens, les dieux célestes ou simplement
les rites qui s'y rattachent. Le sacré est si fortement implanté dans ces fêtes que
pour certains concours les temples servent de repères aux juges et concurrents. En
ce qui concerne leur contenu, Platon ne se démarque pas de la tradition hellénique et
reconduit la même politique dans le cadre religieux des concours gymniques.
Toutefois, ces concours gymniques ne sont conçus que dans le cadre de
l'éducation. Outre leurs caractéristiques religieuses, ils intéressent Platon pour leurs
apports et sur l'âme et sur le corps. C'est pour contribuer à la formation du corps et
1. Lois, 828 b c ; 829 b.
270
dtfl'âme que Platon a instauré la compétition dans la cité.
Dès lors, il est facile de comprendre pourquoi le philosophe bannit l'idée de
gloire "personnalisée" de la compétition gymnique et musicale. Pour donner plus de
poids et de fiabilité à la compétition éducative, Platon a surtout cherché à se départir
du professionnalisme. Le rejet de ce dernier est avant tout la condamnation de
l'individualisme. Car la compétition n'est pas conçue, dans la cité platonicienne
comme un acte individuel: elle concerne tous les citoyens. A chaque fois que
l'occasion se présente, c'est la Cité qui se divise en groupes de concurrents loyaux
dont la seule préoccupation est l'entraînement à la guerre. D'ailleurs, hommes et
femmes séparés souvent pour des raisons d'aptitude, sont tenus de compétir dans
les mêmes conditions. Aussi les femmes ont-elles, contrairement à la tradition, la
possibilité de se mesurer entre elles, et d'évaluer ainsi leurs qualités physiques. La
volonté platonicienne de réunir et de mobiliser toute la cité exclut implicitement de
ces concours toute idée de gloire personnelle.
Néanmoins. Platon maintient la récompense pour les meilleurs: le prix doit,
selon lui, pousser l'athlète à l'effort. Mieux, dans la compétition, il- transforme
l'éloge et le blâme en formules pédagogiques . Ainsi, "en chacune de ces
occasions, il faudra distribuer des prix et des récompenses, faire faire, des uns aux
autres, l'éloge ou la critique, selon que chacun se comportera tant dans ces
compétitions que dans le reste de sa vie, donner des distinctions à ceux qui se
montrent les meilleurs et les blâmes aux autres "1. La compétition entre ainsi dans le
façonnement de la personnalité, à la fois individuelle et collective des citoyens, en
ce sens qu'elle est réunion de critiques et d'autocritiques qui aident les concurrents
à se corriger et à adopter les meilleures méthodes. C'est dans cette perspective que
la compétition se définit comme une dynamique pédagogique. Par la même
occasion, on comprend pourquoi Platon condamne toutes les nouveautés en
gymnastique qui vont dans l'unique sens de la gloire2 . Pour le philosophe, la
recherche de la gloriole ne doit pas être l'objectif principal de la compétition; elle
doit plutôt participer à la réalisation des objectifs pédagogiques.
C'est au cours des fêtes et sacrifices que sont organisés "de beaux
divertissements qui donnent lieu à des combats solennels imitant les combats de la
1. Cf. Lois, 829 c.
2. Cf. Lois, 795 e ; 796 a.
271
guerre avec toute la vérité possible l ". Implicitement le verbe ;'ÙflE08at révèle le
désir du philosophe de transformer ces jeux en des séances d'entraînement à la
guerre. La récréation ludique n'exclut pas, chez Platon, l'apprentissage dans la
mesure où le jeu lui-même est considéré comme une discipline pédagogique. Fidèle
à ce principe, Platon ne conçoit pas l'àywy sans armes. C'est pourquoi toutes les
disciplines gymniques sont des épreuves où le port d'arme est obligatoire. Le
philosophe soutient que l'agilité, la vigueur et la force, finalités de ces épreuves ne
seraient d'aucune utilité, si le concurrent ne porte pas d'armes2.
L'épreuve de la course vient en premier lieu dans l'énumération3 de Platon.
Son organisation dépend de celle des catégories d'âge des concurrents. En effet, les
hommes de tous les âges participent à cette épreuve; les femmes n'y sont admises
qu'entre treize et dix-huit ans4 . La course se fait en trois sections: l'une réservée
aux enfants, l'autre aux adolescents et la troisième aux hommes mûrs5. En dehors
du rang inhérent à l'âge, Platon a toujours tenu compte de l'aptitude de la classe
d'âge quant à l'accomplissement d'une tâche. Dans l'épreuve de la course, la
distance à parcourir est déterminée par l'âge et l'aptitude des concurrents. C'est
ainsi que cette distance diminue à chaque fois qu'on passe d'une classe d'âge à celle
qui vient immédiatement après. En effet, "aux adolescents", écrit-il, "nous
imposerons les deux tiers de l'espace à parcourir; aux enfants la moitié, soit qu'ils
concourent comme archers ou comme hoplites6... ". La présence des enfants dans
cette épreuve prouve, une fois de plus, que Platon consacre la compétition à la
formation.
L'espace à parcourir est au moins un stade et au plus cent stades. Il les
répartit harmonieusement de cette manière: "entrera le premier, celui qui doit
parcourir tout armé le stade; second, le stade double; troisième, le stade à cheval :
quatrième, le long stade, et cinquième, d'abord celui que nous lancerons tout armé
sur une longueur de soixante stades jusqu'au temple d'Ares et retour; à cause de
ses armes lourdes, nous l'appellerons hoplite, mais le ferons courir sur un chemin
plus uni; alors que son adversaire, archer, couvert de tout son équipement, courra
1. Lois, 829 b.
2. Cf. Lois. 833 a.
3. Cf. Lois, 832 a.
4. Cf. Lois, 833 d.
5. Cf. Lois, 833 c.
6. Lois, 833 c.
272
cent stades jusqu'au temple d'Apollon et d'Artémis, à travers les mC;ltagnes et les
terrains de toute sorte 1". Il faut signaler la présence des chevaux dans la troisième
catégorie de concurrents (TptTOÇ 6 Tàv i<j>tJ1Jltov). Elle est moins significative que
figurative, quand on sait que Platon privilégie dans cette épreuve le port des armes.
Autant la distance est longue et difficile à pratiquer, autant l'armement est lourd.
Jusqu'à la cinquième épreuve, le concurrent, vu son armement lég~r, travaille
surtout la vitesse sur un parcours sans embûches. Les difficultés commencent à se
sentir à la cinquième étape où Platon insiste sur la lourdeur des armes. C'est pour
cette raison que les concurrents, appelés à juste titre hoplites, effectuent leur
parcours sur un terrain plat et uni. Le poids des armes ne facilite pas la vitesse mais
permet à l'hoplite d'acquérir force et vigueur au bout des efforts qu'il fournit tout
au long des soixante stades.
Pour les concurrents des cent stades, les difficultés portent sur l'état du
parcours et la lourdeur de leur armure. D'ailleurs, le terme d'archer qui leur est
attribué revèle l'état et le poids de leur équipement moins encombrants que celui de
l'hoplite.
En dehors des temples qui servent de bornes sacrées, l'espace à parcourir
n'est ni plat ni uni: il présente une topographie qui demande effort et endurance,
vertus nécessaires à l'athlète guerrier. Ces exercices sont moins difficiles à endurer
pour les adultes habitués à la compétition gymnique que pour les enfants. Et c'est
pourquoi Platon opte pour une proportionnalisation du parcours suivant les
différentes classes d'âge. C'est l'une des phases marquantes de l'orientation
platonicienne de la compétition gymnique.
A travers ces exercices échelonnés selon leur ordre de difficultés croissantes,
le jeune athlète cultive diverses qualités physiques: endurance, vitesse, agilité,
vigueur et force. Aussi s'habitue-t-il progressivement aux difficultés susceptibles
d'être rencontrées au cours de ces épreuves.
Les jeunes filles se limitent, quant à elles, au stade double, au stade à cheval
et au long stade; elles restent sur une piste aménagée. Mais elles subissent la même
épreuve d'endurance que les jeunes hommes. D'une manîère générale, par la
1. Lois. 833 b.
273
fréquence des épreuves et concours gymniques, les athlètes, filles et garçons,
s'habituent à la fatigue. Dans ces courses leurs efforts portent sur la vitesse et
l'endurance physique.
Platon propose de remplacer les épreuves de force (xaT' icrxuv) "par le
combat en armes un contre un et deux contre deux, et même des batailles jusqu'à
dix contre dix 1". L'effet recherché dans cette compétition est la tension que
suscitent les combats corps à corps, individuels ou collectifs. Ces derniers sont
institués pour éprouver la force et l'endurance des athlètes. L'icrxuç exprime ici
force physique et la volonté de résister à l'adversaire. Dans ces épreuves qui
correspondent à la lutte simple on privilégie la puissance et la rapidité des membres
supérieurs et inférieurs. Il faut en effet tenir ferme sur pieds pour attaquer
rapidement avec les mains. Seulement, dans ces compétitions gymniques, les mains
sont munies d'armes, et c'est ce qui augmente la difficulté de ces épreuves. La
puissance et le nombre des coups portés à l'adversaire déterminent la force et la
vigueur du concurrent. Et c'est sur cette base que les juges désignent le vainqueur.
A cette épreuve participent aussi les filles au-dessus de l'âge nubile2. Elles
concourent selon la réglementation établie pour les concurrents mâles.
Dans le cadre de cette épreuve. Platon remplace la lutte du pancrace par des
"( ... ) exercices des peltastes, combats à l'arc, à la pique, au javelot, à coups de
pierres lancées à la main ou avec la fronde( ... )"3. L'adresse et la vigueur sont
privilégiées dans ces exercices, en ce sens que le contact s'effectue par jet ou par
projection des armes légères. Le corps à corps n'est pas envisagé; la force des
mains détermine à elle seule les qualités des concurrents. En effet, toutes les armes
doivent être lancées avec adresse et précision pour immobiliser l'adversaire et éviter
le corps à corps. Cette "technique" doit être nécessairement maîtrisée par l'athlète
guerrier. Car, avec un seul coup, l'adversaire doit succomber sous la rapidité et la
puissance du jet. C'est là la seule preuve de la force et de la vigueur du guerrier
dans ces genres de combats. Ainsi cette compétition contribue au développement de
la vigueur et à l'acquisition de l'adresse et de la rapidité dans des combats à
distance.
1. Lois, 833 de; Cf. Lach. 181 d et sui vant.
2. Cf. Lois. 834 a.
3. Lois, 834 a
274
L'athlète guemier est aussi un bon cavalier; très jeune, il s'entraîne à monter
à cheval, à porter des armes et à accompagner les adultes à la guerre. Toutefois,
Platon reconnaît que l'utilité des chevaux est moindre dans un pays accidenté
comme la Crète, lieu de fondation de la future Cité. Mais ce serait une défaillance
majeure dans la formation guerrière que de supprimer l'entraînement aux techniques
de la cavalerie. C'est pourquoi Platon propose des concours hippiques avec
armes 1. Il précise que "comme archer monté ou comme lanceur de javelot, le
Crétois n'est pas sans valeur; on entretiendra donc là aussi, à titre de jeu,
l'émulation et les compétitions2". Nous retiendrons dans ce passage le terme d't'ptç
(émulation) appliquée à cette épreuve hippique, mais propre à toutes les autres. Ce
qui suppose que Platon attend de ces jeux un grand apport psychologique dans la
formation des jeunes concurrents. Du reste, les compétitions répétitives
maintiennent les concurrents dans une psychose de guerre continue. Le caractère
populaire de ces rassemblements contribue à créer chez les uns et chez les autres un
esprit de cohésion et d'amitié, et surtout un désir et une volonté permanente
d'affronter l'ennemi à tout moment et en tout lieu.
Le succès de ces compétitions dépend surtout de l'état physique des
concurrents. Et c'est la raison pour laquelle Platon propose aux athlètes de
s'abstenir des plaisirs de l'amour charnel durant les entraînements et les
compétitions. Il rappelle qu'Iccos de Tarente, pour être vainqueur au concours
olympique, "lui qui possédait en son âme et la technique et la force, avec la
tempérance ne toucha jamais, on nous l'atteste, ni à une femme ni à un jeune garçon
tant qu'il fut dans le feu de son entraînement (... )3". Platon ramène cette abstinence
à une question psychologique, en ce sens que l'intéressé possédait une âme
tempérante et non inculte. Cet athlète offre certainement un bon exemple, mais il ne
peut pas, selon Platon, se mesurer avec les athlètes de la Cité idéale. Ces derniers
ont, en effet, l'éducation la meilleure; et ils doivent faire mieux que les anciens
athlètes. Aussi, pour remporter des victoires plus belles, doivent-ils s'imposer une
conduite modérée en ce qui concerne les plaisirs sexuels. Car "la victoire sur les
plaisirs, si on la remporte, on vit dans le bonheur; si on se laisse vaincrë, c'est tout
le contraire4 ". D'ailleurs, l'Etat vante la chasteté aux citoyens dès leur
1. Cf. Lois, 834 b c.
2. Lois, 834 d.
3. Lois, 840 a.
4. Lois, 840 c.
275
enfance, et cela dans le seul cadre des entjaînements et des compétitions
gymniques. Les théoriciens modernes de la gymnastique ne contrediront pas Platon
sur cette mesure sanitaire.
Ainsi la compétition gymnique (à'(wv) joue à la fois un rôle de récréation et
d'entraînement à la guerre. Cependant, la compétition, malgré le sérieux qui
l'accompagne, n'est qu'un support secondaire à la formation physique proprement
dite. En effet, dans les compétitions, les maîtres sont absents des concours; à leur
place, ce sont des spécialistes qui jugent et attribuent des titres. Leur rôle n'est ni de
conseiller ni de faire des démonstrations aux concurrents. Ils s'arment de l'éloge
(É'(l<wf! lOV) et de la critique (6 tjJo'(oç) 1. La portée de ces termes demeure
fondamentalement inchangée lorsqu'ils sont employés par les concurrents entre
eux-mêmes. C'est avec ce genre de critique et d'autocritique que Platon envisage de
combler les insuffisances dans les techniques gymniques et guerrières.
Adroitement orientée vers des objectifs pédagogiques, la compétition
gymnique se définit comme une institution destinée à aider les athlètes à entretenir
leur bonne forme physique et à améliorer leur santé. C'est pour ces fins que la
compétition gymnique demeure, chez Platon, moins honorifique qu'utilitaire. Aussi
pour la même raison, change-t-elle de statut: elle acquiert un caractère collectif.
populaire et pédagogique. Seule la cité doit organiser une compétition dans le cadre
d'un programme scolaire collectif. Autrement dit, Platon ne conçoit la compétition
que dans le cadre de la Cité et pour un intérêt purement pédagogique.
1. Cf. Lois, 829 C 2?
276
IlIA. 2. Absence de professionnalisme dans les c0mpétitions
en Afrique
La compétition (Kawgu en pular) est une notion qui va de pair avec celle de la
fête. Mieux, par les préparatifs qu'elle nécessite elle se confond avec cette dernière.
Le terme veyto (la joie fêtée) en pular a une connotation avecfijirde (jeu) dont le
sens recoupe celui de kawgu (compétition). Dans cette langue, la fête (veyto), la
compétition (kawgu) et le jeu (jijirde) s'articulent comme un tout, comme un
ensemble cohérent. Cette cohérence des termes relève de ce qui se passe dans la vie
pratique de tous les jours.
Dans cet ensemble, la compétition se distingue par des caractéristiques
propres à elle. En effet, elle est incitative aussi bien sur le plan individuel que
collectif. L'effort physique et psychologique qu'elle nécessite l'apparente
directement à la gymnastique. C'est pour cette raison qu'elle ne s'adresse pas à
toutes les catégories de personnes. Elle est le domaine des enfants, des adolescents
et des jeunes gens. Ces trois classes d'age se retrouvent toujours côte à côte durant
les fêtes pour compétir dans différentes disciplines physiques. C'est par ces
caractéristiques que la compétition entre dans la dynamique de l'éducation négro-
africaine.
L'organisation des concours gymniques demeure, en Afrique noue
traditionnelle, intimement liée à celle des fêtes profanes et sacrées. L'importance de
ces concours peut être estimée par le nombre des participants et celui des épreuves
prévues pour ces circonstances. Mais à côté de ces cérémonies officielles existent
celles que des enfants et des adolescents, jeunes filles et jeunes garçons organisent
occasionnellement. Ce sont des concours gymniques entre compagnons d'âge de
quartier ou de village.
En effet, la structuration des jeunes générations en classes et groupes d'âge
facilite le rassemblement et les contacts au ni veau des quartiers et du village lui-
même. Les rencontres se situent à la tombée de la nuit. Les jours fériés sont aussi
l'occasion de ces genres de rencontres. Les intéressés ont le privilège de se mesurer
dans une place publique ou dans une cour de concession. Il n'est pas rare de
trouver, non loin des enfants qui jouent, des adultes en palabre. Les uns et les
277
autres s'activent sans se préoccuper de ce qui se passe à côté. Les concours
gymniques confondus ici avec les jeux, se résument en courses, en lutte et en
d'autres exercices de souplesse, d'agilité comme se déplacer sur ses mains, sauter,
franchir des obstacles naturels etc. Les jeunes concurrents se mesurent
individuellement ou par équipe.
Chez les Toucouleur, par exemple, le caaka consiste à ranger, face à face,
cinq à dix concurrents de groupes d'âge différents. Chacun d'eux tente de toucher
le dos de son vis-à-vis en perçant la ligne adverse. Cet exercice demande à la fois
vitesse et agilité, et surtout la puissance physique. En effet, le jeune concurrent doit
toucher le dos nu de son adversaire sans être pris par ce dernier. Ce qui nécessite
des sauts périlleux, mais pleins de souplesse. Ce concours gymnique organisé
presque toutes les nuits symbolise la bataille rangée et le corps à corps dans le
combat.
La lutte (sippiro en pular, bare en Wolof) met en prise de jeunes lutteurs de
groupes d'âge parallèles ou différents. Elle met le cadet à l'épreuve face à son aîné.
L'essentiel est que le cadet arri ve à supporter le poids physique et à contrecarrer les
techniques de son aîné en ne misant que sur son propre effort. Soutenus par leurs
compagnons d'âge. ['un et l'autre cherchent la gloire. L'aîné est tenu de sauver son
honneur et celui de son groupe, le cadet s'efforce d'acquérir du prestige et de
rehausser sa gloire. Ils sont tous motivés par l'idée de représenter un groupe
solidaire qui met toute sa confiance en eux. Dans ce contexte, la victoire est jugée
comme une finalité honorifique intéressant tout le groupe. L'honneur individuel n'a
pas de sens devant celui du groupe d'âge. Mieux, la victoire individuelle entre dans
un idéal de cohésion et d'unité au sein du groupe.
Ces rencontres permettent aux cadets d'acquérir des techniques que les aînés
possèdent déjà. L'apprentissage se limite ici à l'imitation. En décrivant devant ses
compagnons d'âge les gestes et les techniques de son aîné, le cadet ne s'arrête pas à
une simple louange; il essaie lui-même de l'imiter dans la pratique. Aussi reproduit-
il le geste-symbole de son aîné. Par la fréquence de ces concours gymniques qui
sont quotidiennement au programme de leurs jeux, enfants et adolescents
concourent à leur propre formation physique. C'est lors de ces rassemblements que
sont choisis les futurs champions de lutte ou de course. La rue et la place publique
demeurent aussi les lieux privilégiés où enfants et adolescents s'adonnent à des
278
exercices dont le rendement technique est très important pour leur endurance et leur
)
croissance physique.
li y a des rencontres intercommunautaires non officielles que les jeunes gens
de groupes d'âge parallèles organisent à l'invitation des uns ou des autres. Dans ces
rencontres, ce sont les champions des différents groupes d'âge qui se mesurent
pour défendre l'honneur de leur communauté respective. Certes le groupe ou la
classe d'âge sont directement concernés, mais c'est surtout l'honneur du village qui
est mis en jeu pendant ces séances. C'est la raison pour laquelle adolescents et
jeunes gens restent unis pour supporter et soutenir massivement leurs différents
champions.
Les enfants sont exclus de ces manifestations, pour la simple raison qu'ils ne
sont pas encore prêts à endurer ces genres d'épreuves. En effet, ces dernières se
limitent souvent à la lutte qui est un exercice physique très éprouvant. Le vrai rôle
des enfants est d'égayer l'assistance en se mesurant les uns avec les autres, et cela
avant l'arrivée des champions. Ainsi initie-t-on les enfants à ces genres de
manifestations.
Outre leur apport à la cohésion et à la paix entre communautés, ces
compétitions favorisent surtout la formation physique des jeunes gens. Ce n'est pas
un simple désir d'aller de village en village pour lutter, mais c'est plutôt la volonté
d'évaluer ses forces physiques, son agilité. sa souplesse. sa vigueur face à celles
des jeunes gens des autres contrées. Chaque concurrent s'évertue à aller encore
plus loin dans ses œuvres et à améliorer ses performances ; et c'est une autre
dimension de la formation physique des jeunes gens. Peut-être ces rencontres
entrent-elles de manière irrégulière dans la formation permanente des adolescents et
des jeunes gens, mais elles contribuent considérablement à l'accroissement de leur
corps et à la célébration de ses valeurs. Car, à chaque rencontre, le corps est admiré
et fêté à travers sa beauté physique et sa facilité à se mouvoir.
Le calendrier des fêtes officielles est meublé surtout par des concours
gymniques auxquels sont conviés les jeunes gens des communautés voisines. C'est
un cadre plus solennel que les précédents, en ce sens que les autorités temporelles
et spirituelles du village organisateur président au déroulement des épreuves. Là
aussi l'honneur du groupe prime sur celui de l'individu. Ce qui caractérise ces
279
compétitions, c'est l'existence des prix et des récC';'1penses en forme d'objets
symboliques.
Chez les Nouba du Soudan dont le principal concours gymnique est la lutte,
la récompense consiste en une petite branche d'un arbuste. La valeur de ce prix est
liée aux vertus de la cendre de cet arbuste dont se servent les lutteurs pour s'enduire
le corps. A cette cendre ils attribuent toutes les forces qui protègent l'homme et qui
l'aident dans toutes ses entreprises physiques. Ainsi, à l'instar de toutes les sociétés
négro-africaines, les Nouba arrivent à mobiliser des lutteurs autour d'une
récompense aussi simple que naturelle.
Jusque-là, l'idée du professionnalisme (individuel) est absente de la tradition
négro-africaine. Les concurrents éprouvent le plaisir de concourir, de gagner un
prix, mais aussi et surtout, le plaisir de sauver l'honneur de leur groupe d'âge ou de
leur village. Le prix est vu ici comme un symbole de la force et de l'endurance du
vainqueur. D'ailleurs, après ces épreuves, chaque champion vaque à ses
occupations quotidiennes. Une discipline comme la lutte ne peut être considérée
comme un métier. Elle permet seulement d'évaluer l'expérience et les valeurs
indi viduelles.
Toute épreuve gymnique se déroule dans un esprit à la fois de tension et de
solidarité. Chaque camp possède ses supporters qui ne sont autres que des jeunes
filles et jeunes gens non sélectionnés pour la circonstance. L'organisation de ces
concours est telle que les groupes d'âge des cadets ouvrent les séances les premiers.
La durée des combats dépend surtout de l'endurance et de la combativité des
deux lutteurs. Le nombre de concurrents choisis par groupe d'âge entre aussi dans
le facteur temps des compétitions. Les jeunes gens pénètrent dans l'arène après que
les adolescents ont terminé leurs combats.
Avant que ne débutent les épreuves, les athlètes exécutent quelques
mouvements acrobatiques pour réchauffer leurs muscles. Sous le rythme des tam-
tams et des claquements de mains des jeunes filles, les concurrents s'exhibent et
cherchent à plaire en exécutant des sauts périlleux. Il arrive que deux amis
s'entrelacent et se projettent en l'air, à la fois pour célébrer leur lien d'amitié et pour
montrer leur souplesse. La danse y figure comme un exercice physique. Le Serer
280
imite dans sa danse le lion qui guette une proie: le ventn?collé au sol, les bras se
balançant en avant et en arrière, les jambes pliées sur elles-mêmes, le lutteur danse
son bax en mugissant. L'athlète wolof, quant à lui, s'exhibe en pivotant sur lui-
même à chaque fois qu'il se déplace; et il montre ainsi sa force d'équilibre. Aussi
marque-t-il sa danse par des arrêts durant lesquels il lève le poing en l'air pour que
l'assistance admire la puissance de ses muscles. Le lutteur diola, peul ou toucouleur
s'applique surtout à des acrobaties de souplesse et d'agilité. Ces préparatifs
individuels n'altèrent en rien l'esprit de groupe dans l'arène de lutte. En effet, les
jeunes gens tournent par groupes pour ne pas dire par équipes dans le cercle que
forme l'assistance. Il faut noter que les combats ne sont pas déterminés d'avance:
tout cela pour annihiler l'esprit de professionnalisme chez les concurrents.
Chaque athlète est libre de choisir son adversaire dans le camp adverse.
Seulement, ce choix nécessite une longue observation, afin que chacun d'eux
détermine les qualités physiques de son adversaire. Dans tous les cas les deux
protagonistes doivent s'estimer égaux sur le plan physique et posséder des
techniques de lutte similaires. Les autorités interviennent au cas où les lutteurs
seraient de force inégale. Désigner son adversaire dans le lot ne consiste pas en un
simple geste. C'est une provocation plus qu'une invitation à la lutte. En effet, c'èst
en tapotant ou en d~signant son adversaire du doigt de manière provocatrice que le
lutteur incite un autre athlète au combat. Refuser le combat dans ces circonstances
constitue un déshonneur pour l'adversaire. Ainsi les préparatifs aux combats
s'identifient à une phase d'entraînement psychologique et physique.
La phase du combat lui-même met à jour toutes les techniques de lutte. En
dehors du bare Wolof (lutte wolof) où des coups de poings sont permis, le combat
de lutte consiste en un corps à corps. Aucun objet n'est utilisé pour aider à
assommer ou à terrasser son adversaire. La force et la souplesse physiques sont les
atouts de chacun des protagonistes. Beaucoup de prises y sont permises.
Charles Béart, en décrivant la brutalité de la lutte lébou, évoque diverses
prises que l'on retrouve dans toutes les sociétés négro-africaines., Il remarque
qu"'avant chaque prise, les deux adversaires se chargent, repoussant
réciproquement leurs mains qu'ils cherchent à saisir'''. Durant le combat, diverses
1. BEART (Charles), Jeux et jouets de l'Ouest africain, T. 1. Dakar, 1955, p. 301.
281
prises sont admises: boti : pied contre pied de l'adversaire, on le saisit, mains au
niveau de la ceinture, on tâche de l'emprisonner et on tire ou on l'ébranle de côté;
galgal : on prend l'adversaire par le cou, et on lui fait en même temps un croc-en-
jambe; henu : on soulève l'adversaire en joignant les mains entre ses jambes;
hattarbi : de côté on prend l'adversaire par le cou pour essayer de le jeter à terre en
tournant autour de lui; ngadda : prise à la nuque; hunan : on prend l'adversaire par
les deux jambes pour le jeter d'un coup à terre; pél : coup de pied; lewato: saisir
la main de l'adversaire ; mbas : de la main, rabattre le bras de l'adversaire pour lui
enlever la possibilité de vous saisir ; tyaka : presser les doigts sur les yeux de
l'adversaire l.
Ces différentes prises demandent nécessairement une préparation physique
suffisante. Le cou, les bras, les mains, les jambes et les pieds, chacun de ces
membres sert d'appui et de défense aux concurrents. Le cou doit être robuste et
puissant, les mains solides et agiles, les bras mobiles, les jambes bien assises sur
des pieds fermes. On retrouve ici tout ce que Platon souhaite voir chez un athlète
lutteur, apte à garer son cou et à mettre en pratique toutes les prises. Ainsi ne suffit-
il pas seulement d'avoir une bonne constitution physique, mais il faut être aussi un
fin technicien pour mériter le titre de lutteur. En effet, pour déséquilibrer son
adversaire, tout lutteur est tenu d'évaluer d'abord les forces et les faiblesses de son
adversaire, avant de déterminer quelle prise ferait basculer ce dernier. C'est par ces
diverses caractéristiques que la lutte compétitive entre dans la formation physique
des adolescents et jeunes gens. Car la lutte est une discipline qui sollicite à la fois
intelligence et force physique
D'autres concours gymniques, tels les jeux d'adresse (tir à l'arc, le jet de
javelots, etc ... ), les courses (à cheval, de pirogues, etc ... ) sont moins solennels
que la lutte. Mais ils sont conçus aussi bien pour la culture du corps que pour
l'entraînement à la guerre. Ces compétitions varient d'une région à une autre.
Dans les régions forestières où les chevaux sont rares, les courses hippiques
sont presque absentes des concours gymniques. Mais, dans les pays limitrophes du
Sahara, le cheval sert aux travaux domestiques et à la guerre. Les concours
hippiques y ont lieu à la fin de la saison des pluies, et surtout après les récoltes. Les
1. BEART (Charles), Jeux et JOllets ... , p. 301.
282
concurrents, habillés en guerriers, prennent départ tous ensemble et rivalisent de
vitesse. En d'autres circonstances, le concours peut consister en acrobaties que le
cavalier entreprend sur sa monture. Il imite toutes les positions d'un cavalier devant
l'ennemi. L'agilité et la souplesse sont indispensables pour participer à ces
concours hippiques. Cette compétition est réservée aux guerriers adultes ayant
acquis toutes les techniques de la cavalerie. Aux adolescents et aux jeunes gens
reviennent des courses simples où l'on ne demande aux concurrents que de bien se
tenir sur le dos de leurs montures. Dans les deux espèces de courses, les
compétiteurs parodient les grands moments de la guerre où la cavalerie joue le rôle
principal.
Les compétitions regroupées de tirs à l'arc et de jets de javelots sont aussi
fréquentes que l'utilisation de ces armes par les populations. A chaque fois qu'il va
à la chasse, au champ, dans la forêt, le Négro-africain juge toujours nécessaire de
porter en bandoulière son arc et ses flèches. Charles Béart note qu"un Lobi, un
Dangali, un Birifor (Haute-Volta) ne se conçoivent pas sans leur arc, et toutes leurs
fêtes comportent des tirs à l'arc 1". On retrouve les mêmes coutumes dans toutes les
sociétés négro-africaines. La t1èche et l'arc servent en temps de_paix comme en
temps de guerre. La lourdeur du javelot rend cette arme difficile à manier.
Le tir à l'arc est un exercice qui consiste à placer un objet à une distance
respectable, et chaque concurrent est tenu de le toucher. La cible est reculée après
chaque tir, "les seuls tireurs qui l'ont atteints sont admis à continuer2". Aussi
Charles Béart rapporte-t-il que chez les Malinké, le Kô est un exercice de tir à l'arc
"mené par un chasseur renommé qui tire de sa gibecière une cible d'écorce
spécialement préparée. Le vainqueur quitte la place, les vaincus s'alignent, arcs et
flèches sur la tête, une jambe levée, le bras tendu, et assistent dans cette position à
une danse guerrière de sabres (... ). Le vainqueur reparaît ( ... ). Il sera le maître des
jeux jusqu'à la prochaine rencontre 3". Ainsi on recrée, en pleine compétition, une
atmosphère de guerre où les vaincus sont à la merci du vainqueur. On célèbre
l'adresse, la puissance physique et l'agilité du vainqueur. Mais par la même
occasion, les vaincus exhibent leur endurance physique en restant debout "arcs et
flèches sur la tête, une jambe levée, le bras tendu ... ". C'est une sorte de punition
l. BEART (Charles), Jeux et Jouets
, p. 336.
2. BEART (Charles), Jeux et Jouets , p. 338.
3. BEART (Charles), Jeux et Jouets
, p. 338.
283
guerrière tendant à améliorer leur conditic~ physique.
La cible volante fait partie de la même catégorie de compétition. Chez les
Cognaki, écrit Charles Béart, "le disque large, comme une grande assiette est lancée
en l'air, il faut l'atteindre cinq fois de suite pour être bon tireur. Roulé, les tireurs
agenouillés doivent l'atteindre neuf fois sur dix 1". La cible est mobile en l'air et sur
le sol; tout dépend alors de la rapidité du tireur. C'est l'une des qualités que doit
posséder un athlète guerrier. Les cibles fixes et mobiles mettent à l'épreuve la
sérénité, l'agilité et la rapidité du compétiteur. Ce sont des qualités utiles et à la
chasse et à la guerre.
On aura ainsi démontré que la compétition est éducative par les
rassemblements dont elle est l'occasion et formative par sa matière. En effet, elle
n'est envisagée que sur le plan collectif, l'individualisme étant exclu de toutes les
activités. On y cultive l'esprit de solidarité et de groupe.
Outre ces aspects sociaux, la compétition est conçue pour la culture du corps.
On y insiste aussi sur l'amélioration des techniques de guerre liées à la souplesse, à
l'agilité et à la rapidité de l'athlète concurrent. C'est avec cette orientation que la
compétition gymnique prend un sens dans l'éducation négra-africaine, attendu
qu'elle contribue à l'épanouissement psychologique et physique des atWètes.
1. BEART (Charles) Jeux et Jouets .... , p. 340.
284
CONCLU&ION
Le contrôle des activités de la fermme enceinte n'est envisagé que dans le
cadre de la formation physique de l'enfant à naître. Rien n'y est négligé, le mariage
comme les promenades de la future mère. Tout doit concourir à la formation
physique et psychologique de l'enfant idéal.
En Afrique noire traditionnelle, comme chez Platon, le mariage se contracte
en vue de la procréation, condition sine qua non pour la survie du village ou de la
Cité. C'est pourquoi il doit se faire entre femmes et hommes sains d'esprit et de
corps. L'eugénisme oblige.
Dans la société platonicienne, les activités de la femme enceinte s'effectuent
suivant des prescriptions rigoureuses, tandis qu'en Afrique noire traditionnelle,
elles se confondent avec les occupations quotidiennes même de la femme. D'où leur
souplesse. Mais dans les deux sociétés, les effets des mouvements (activités)
maternels sont considérés comme bénéfiques et à la mère et à son futur bébé.
L'alimentation de la femme enceinte influe considérablement sur la santé
physique de son fruit. Platon n'évoque pas directement cette question. Sans doute
parce qu'elle est implicitement posée dans le régime alimentaire des guerriers,
d'autant plus que tous les futurs athlètes guerriers reçoivent la même éducation
alimentaire. Cette dernière repose sur des prescriptions moins rigoureuses en
Afrique noire traditionnelle que dans la cité platonicienne. En Afrique, hormis les
"quelques petits plats" recommandés par les vieilles femmes, la future mère suit le
régime alimentaire de tous les jours.
Les exercices physiques dont l'organisation dépend de l'Etat chez Platon, de
la communauté et des groupes ou des classes d'âge en Afrique noire traditionnelle,
ont une double portée sur l'éducation des enfants. Par leur caractère collectif, les
entraînements aux divers exercices constituent de vrais supports psychologiques:
par les efforts qu'ils demandent, ils favorisent le développement et la croissance
physique. Les athlètes s'exercent pour améliorer leur agilité, leur rapidité, leur
souplesse, bref pour avoir toutes les vertus d'un bel homme. Les deux sociétés y
cultivent aussi l'esprit de solidarité.
285
Ce sont les mêmes finalités qui animent les autorités de la cité ou du village
dans
l'organisation
des
concours
gymniques.
L'individualisme
et le
professionnalisme y sont bannis à jamais pour que n'y vivent que la solidarité et
l'unité ; et le prix et les récompenses n'y sont attribués que pour pousser les
concurrents à fournir plus d'efforts physiques. La gloire d'un athlète revient à toute
son équipe et rehausse l'honneur de toute la communauté. Par ces traits, la
compétition paraît moins professionnelle que formative dans les sociétés négro-
africaines et platonicienne.
CHAPITRE IV
JEU ET ÉDUCATION
287
}
Les approches plator1icienne et négro-africaine du jeu sont fondées, d'une
manière générale, sur des thèmes du plaisir et du sérieux.
Platon définit le jeu comme une activité récréative et formatrice. La Tlaloe:{a
et l'àywv sont, dans l'approche platonicienne, conçus de telle sorte que tout plaisir
qu'ils procurent est utile à l'éducation. Le philosophe condamne le plaisir excessif
pour n'accorder d'importance et de valeur pédagogiques qu'au plaisir modéré.
Cette orientation pédagogique du plaisir ludique fait du jeu une activité sérieuse
chez Platon.
Dans la pensée négro-africaine le jeu et le plaisir sont indissociables. Le jeu
y est défini comme une activité à la fois récréative et formatrice. Le Négro-africain
attribue au plaisir ludique des vertus pédagogiques considérables. Si Platon
propose de limiter et de contrôler l'influence du plaisir sur la formation des enfants,
en Afrique noire elle est sans restriction. Toutefois, cela n'ôte en rien au caractère
sérieux du jeu éducatif, d'autant plus que le jeu et l'éducation vont de pair dans la
tradition négro-africaine.
Chez Platon les espaces ludiques s'identifient avec des endroits précis de la
TlÛÀlÇ , alors qu'en Afrique toute l'aire du territoire (ou celui du village) peut abriter
les jeux des enfants comme ceux des adultes. Dans les deux sociétés, la découverte
de ces lieux par l'enfants se fait progressivement, au fur et à mesure que ce dernier
avance en âge et s'éloigne de la concession familiale.
La fixité de l'aire de jeu chez Platon fait que l'enfant explore successivement
dans l'ordre le domaine familial, les temples transformés en jardins
"pédagogiques", les écoles, les gymnases, les terrains d'entraînements et
l'ensemble du territoire. Aussi aura-t-on l'occasion d'identifier et de connaître la
nature et la fonction des objets qui meublent ces différents endroits.
L'instabilité de l'aire de jeu en Afrique noire permet à l'enfant de découvrir
rapidement l'étendue du village et celle du territoire. Il existe bel et bien, comme
chez Platon, des endroits aménagés pour les jeux et les entraînements; mais aucun
de ces espaces n'a une fonction précise comme le gymnase ou l'école dans la cité
platonicienne. Tout endroit libre du village (ou du territoire) est susceptible d'abriter
288
des activités ludiques de nature difL~:ente. Cette fonction indécise des aires de jeu
est certainement liée à une insuffisance organisationnelle et à la trop grande liberté
laissée aux enfants. De la maison familiale à la place publique, l'enfant a le temps
d'identifier des objets et des jouets, et de connaître leur nature et leurs fonctions.
Les jeux qui provoquent et accompagnent ces découvertes sont envisagés et
réglementés de telle sorte que les enfants s'y initient au commandement, au respect
des lois, des coutumes et de l'ordre hiérarchique. Cette fonction est notable dans
les deux sociétés.
Chez Platon la fixité de l'espace et la rigueur des prescriptions ludiques
pèsent lourd sur la créativité de l'enfant. La stabilité et le souci de l'ordre dans les
jeux ont fait de Platon l'adversaire du renouveau artistique. La création se confond
ici avec l'imitation. Seul le modèle admis par l'Etat est à imiter. Le génie créateur de
l'enfant se limite à ce modèle, et perd par là-même sa vitalité. En Afrique noire, la
"mobilité" et l'instabilité de l'emplacement des aires de jeu et la liberté ludique
permettent à l'enfant de créer et d'imiter comme bon lui semble. Sa créativité s'en
sort renforcée.
La présence de l'enfant dans les cérémonies sacrées et sa participation aux
activités ludiques qui les accompagnent obéissent, chez Platon et en Afrique, à des
principes pédagogiques. Ces manifestations culturelles contribuent, par leur
contenu et par leur forme à la formation psychologique. religieuse et artistique des
enfants.
289
IV. 1. LA NOTION DU JEU ÉDUCATIF
IV.1.1.
L'approche platonicienne
le plaisir (n6ov~) et
le sérieux (O'rtou6~)
La notion platonicienne du jeu couvre ce qu'expriment séparément et
communément les termes de rtalÔlCI et d'àywv. Le plaisir (~ôov~) et le sérieux
(crrtouô~) sont les premiers apports que doivent, selon Platon, offrir les jeux
(rtatôtal) du premier âge et ceux (aywvEç) organisés par et pour tous les citoyens.
Ils font du ludique une vraie activité pédagogique. Platon fonde son approche du
jeu éducatif sur le plaisir, le sérieux et le psychologique.
La notion de jeu renferme en elle-même une notion de plaisir. Dans les
textes 1 de Platon la première signification de l'Mov~ est philosophique. Mais ici
notre objet est de circonscrire ses aspects ludiques et son influence sur l'éducation
des enfants.
Pour faire connaître son sentiment sur ce que les poètes appellent "le seuil de
la vieillesse"2 le vieux Céphale s'adresse ainsi à Socrate: "la plupart d'entre nous,
dit-il, dans ces rencontres (de vieillards), se lamentent, regrettent les plaisirs de la
jeunesse (Tàç Èv TTj VEOTTlTl Movàç rt080ÜVTEÇ) et, se rappelant ceux de l'amour,
du vin, de la bonne chère et les autres semblables, ils s'affligent comme des gens
privés de biens considérables, qui alors vivaient bien et maintenant ne vivent même
plus"3. Contrairement à l'opinion de Céphale sur les plaisirs que Platon appelle
appétitifs" à cause de la violence des désirs relatifs au manger, au boire, à l'amour
et aux autres plaisirs semblables"4, le vieil Athénien des Lois et ses compagnons de
route, Megille et Clinas, déplorent, en se figurant des jeunes gens en pleine danse,
leur incapacité à se déplacer; mais le seul fait de regarder leurs descendants jouer
leur procure un vif plaisir. Le regret des vieillards est le manque de souplesse (TD
1. Lois, 667 b c et sui v, ; Cf. Philèbe .
2. "Èrtt y~paoç où8y", expression empruntée à HOMERE (liade. XXII, 60, XXIV, 487) et à
HESIODE (Les travau.x: et les jours, 331) in Rép., trad. et notes de Robert BACCOU.- Paris,
Les Belles Lettres, 1966.- Notes nOS. Li vre l, p. 387).
3. Rép., 329 a.
4. Rép., 580 e.
290
napTHltV ÈÀa<j>pév) 1. En effet, "c'est elle que nous saluons de nos regrets quand
nous instituons ainsi des concours pour ceux qui peuvent le mieux secouer notre
torpeur en réveillant le souvenir de notre jeunesse"2.
Ces deux passages éclairent deux aspects du plaisir. Ainsi suffit-il de faire un
parallélisme entre "Tàç Èv TT) VEÔTTlTl Movàç no8oüvTEÇ" propos de Céphale, et
"TC
( ... )
ÈÀa<j>pôv ... O no8ouvTEÇ" de l'Athénien des Lois pour découvrir la
différence de leurs regrets respectifs. C'est dans une perspective éthique que
Céphale condamne les plaisirs appétitifs, regrets des vieillards dont la "jeunesse a
été fâcheuse"3 (vEéTllÇ xaÀETl~). Sans doute Platon dénonce-t-il ici le manque de
contrôle sur les différents plaisirs dont ont déjà largement joui les compagnons de
Céphale. Mais, en réalité, c'est un rejet pur et simple des plaisirs corruptibles de
l'éducation du <j>ûÀa~ de La République.
De son côté, l'Athénien des Lois évoque un souvenir positif des plaisirs en
se figurant des jeunes gens en mouvement de danse. En effet, au seul souvenir de
leur souplesse (TC üa</lpév), les vieillards s'unissent avec les jeunes danseurs dans
le même plaisir. Telle paraît l'image de la bonne maîtrise des plaisirs par
l'éducation. Cette réjouissance acquise à la suite d'un souvenir et de contemplation
est inhérente à la stabilité des jeux. Le plaisir ludique se définit ainsi dans la stabilité
des jeux. Au demeurant, les hoova ( éphémères évoqués par Céphale
s'évanouissent pendant la vieillesse, tandis que ceux liés
au souvenir de TC
ÈÀa<j>pév continuent à rehausser le zèle de leurs dépositaires. Là le plaisir est
durable.
Le plaisir et la douleur (MovT, Ka i Àûml) naissent très tôt chez l'être humain;
en effet Platon prétend que "pour les enfants les premières sensations de leur âge
sont le plaisir et la douleur (... )"4. Cette assertion concerne les nalolâ, c'est-à-dire
les jeunes enfants dépourvus de tout raisonnement. Bien avant la naissance de
l'enfant, Platon prescrit de "veiller particulièrement pendant leur période sur celles
qui portent leur fruit dans leur sein, pour que la femme enceinte se livre ni à des
plaisirs ni à des chagrins nombreux et déréglés, mais vivre, tout le temps d'alors
1. Lois, 657 d.
2. Lois, 657 d.
3. Rép., 329 d.
4. Lois, 653 a ; Cf. Georgette PAPACOSTOULA : Les conceptions d'Aristote sur la famille et
l'éducation morale, Athènes, 1956.
291
,
occupée à conserver l'humeur sereine, facile et douce" '. La mère tenue de garder
une certaine modération doit être la première à procurer du plaisir à l'enfant. li faut
reconnaître que ces observations sont fondées sur les mouvements de l'embryon
lors d'une surexcitation ou d'un bruit quelconque. Aussi toute sensation violente de
la femme enceinte suscite-t-elle les mêmes réactions chez le futur bébé.
li convient alors de veiller sur la mère afin de contrôler les effets du plaisir sur
le "fruit" qu'elle porte dans son sein. Dorénavant, une surveillance stricte et
permanente des plaisirs va peser sur la vie de la future mère. La fonction de
l'éducateur est ainsi de rendre utiles tous les plaisirs susceptibles d'être ressentis
par le futur bébé.
Il importe d'essayer par "l'usage des jeux" (olà n:alolwv) "de tourner les
goûts et les désirs (Tàç Movàç Kai Èn:t8ufl{aç) des enfants vers le but qu'ils doivent
avoir atteint à l'âge adulte"2. Le jeu devient ainsi une source de plaisirs utiles à
l'éducation. Malgré la rigueur qui accompagne cette prescription platonicienne, on
perçoit dans le jeu une certaine liberté de l'enfant. Johan Huizinga n'hésite pas à
écrire que "l'enfant et l'animal jouent, parce qu'ils trouvent du plaisir à jouer et leur
liberté réside là"3. Platon restreint apparemment la liberté ludique de l'enfant. Cette
restriction sera analysée plus loin lorsque nous étudieront la créativité chez l'enfant.
L'hoov~ acquiert ses qualités pédagogiques dans la modération et la surveillance.
La question est de savoir comment intéresser l'enfant à ce qu'il est en train
d'apprendre. Dans cette perspective pédagogique, Platon fait appel à une civilisation
étrangère, celle de l'Egypte. Cette dernière aurait réussi, avec des méthodes
précises, à procurer du plaisir aux enfants à qui on dispensait des cours de calcul.
"D'abord, en calcul", écrit Platon à ce propos, "encore tout enfants, on a inventé
des méthodes pour leur faire apprendre, en se jouant et avec plaisir (flETà n:alOlaç
TE Kai hoov~ç), soit à partager des fruits ou des couronnes de façon qu'un même
nombre total se distribue tour à tour entre un plus grand et un plus petit groupe"4.
Ainsi en Egypte l'apprentissage s'accompagne d'un plaisir ludique nécessaire à la
motivation des petits écoliers. Se partager des objets, se les distribuer en let par
1. Lois, 792 e.
2. Lois, 643 c.
3. HUIZINGA (Johan), Homo ludens : Essai sur la fonction sociale du jeu.- Paris, 1951. p. 26.
4. Lois, 819 b.
292
?
groupes, les recevoir individuellement en double ou en triplet sont là des opérations
qui, non seulement activent l'esprit et le corps, mais ausssi comblent l'enfant de
plaisir. Bien qu'il soit sous la surveillance stricte des maîtres, l'enfant oublie tout
autour de lui pendant le jeu. Car "dans la sphère du jeu", écrit Johan Huizinga, "les
lois et les coutumes de la vie courante n'ont pas de valeur. Nous sommes et nous
agissons "autrement" ; cette abolition temporaire du "monde habituel" est déjà tout à
fait manifeste dans la vie enfantine" 1. Cette évasion est due au plaisir que l'enfant
tire du jeu de distribution et de partage et qui lui apporte lajoie de vivre. Tout enfant
se sentirait certainement plus motivé dans toute forme d'apprentissage similaire à la
méthode égyptienne.
En insistant sur la pédagogie égyptienne, nous n'altérons en rien la pensée
platonicienne. Platon est favorable à l'enrichissement des connaissances par
référence à d'autres civilisations. Il propose d'envoyer, dans le cadre de la Cité
idéale des Lois, des observateurs (8E:wpo{) à l'étranger pour une durée de dix ans 2
au moins. A son retour, tout observateur doit rendre compte de son séjour à un
Conseil composé de jeunes gens et de vieillards, et présidé par "le ministre général
de l'éducation"3. "A ce Conseil donc se présentera, sitôt arrivé, l'observateur qui
vient d'étudier les institutions étrangères. S'il a rencontré des gens qui avaient
quelque chose à dire touchant la législation, l'enseignement, l'éducation, ou s'il
revient lui-même enrichi de conceptions personnelles, il en fera part à tout le
ConseiI"4. Dans ce contexte, Platon s'intéresse plus aux connaissances qu'à la
supériorité d'une civilisation sur une autre. C'est ce qui explique, dans une certaine
mesure, sa sympathie pour l'Egypte. En faisant référence à cette civilisation, le
souci de Platon est d'abord de convaincre ses concitoyens de la justesse de ses
thèses, et ensuite de faire adopter, avec un regard neuf des Grecs, la méthode dite
égyptienne. Auguste Diès note qu"'il est probable que les petits garçons d'Athènes
pratiquaient les mêmes exercices"5. Rappelons seulement avec Johan Huizinga que
"l'existence du jeu n'est liée à aucun degré de civilisation, à aucune forme de
conception de l'univers"6. Toutefois, l'utilité du jeu varie selon les civilisations et
suivant leur degré d'évolution.
1. HUlZINGA (Johan), Homo Ludens ... , p. 34.
2. Lois. 951 abc d.
3. Lois, 951 e, !.
4. Lois, 952 b, 4.
5. Lois, VII, 812 b: note nO!. Trad. A. DIES.
6. HUIZINGA (Johan), Homo ludens ... , p.19.
293
La question est de savoir quelles sont la nature et la portée du plaisir ludique
dans l'éducation platonicienne. Platon prône le maintien des activités ludiques de
l'enfance à l'âge adulte. Les jeux sont des sources de plaisirs excessifs et de plaisirs
modérés. En matière d'éducation, seul le juste milieu doit, selon Platon, être
recommandé.
Dès les premiers jours après sa naissance, un enfant manifeste ses plaisirs par
des sourires, et ses douleurs par des grimaces et des pleurs. Les observations de
Platon dans ce domaine sont très riches d'enseignements. Il qualifie les premiers
gestes de l'enfant de désordonnés mais révélateurs d'une gaieté intime: "( ... ) tous
les êtres jeunes, ou à peu près", écrit-il, "sont incapables de tenir en repos leur
corps et leur voix; ils cherchent sans cesse à remuer et à parler, les uns en sautant
et bondissant, comme s'ils dansaient de plaisir et jouaient entre eux (0 Tov
6px0\\5fiEva fiES' i)ôovnç J<al npoona{Çov'ta), les autres en émettant tous les sons de
voix possibles" '. L'intention du philosophe est de révéler les premiers signes
apparents de la danse et des chants chez l'enfant; mais, par la même occasion, il
laisse entrevoir le plaisir que les activités ludiques procurent à l'enfant. Quelle force
interne ou externe fait-elle bouger, crier, sauter et bondir l'enfant, si ce n'est le
plaisir de se sentir libre dans ses jeux? L'enfant est lui-même mouvement; et son
plaisir change selon les circonstances.
Dans le passage précédent des Lois, Platon emploie l'expression "1"6 viov
anav" à la place de nmô{ov dont il est question ici. A ce stade de l'enfance (0 à 3
ans), les adultes sont tenus de contrôler les plaisirs ludiques chez le jeune enfant.
Aussi mères et gardiennes doivent-elles essayer de comprendre les besoins des
poupons 2. Car leur intervention consiste à procurer aux enfants des plaisirs
ludiques. Pour ce faire, l'adulte "emploie" "non pas le silence, mais quelque
chantonnement ()(al Ol'{T]V àÀÀét nva f1EÀwô{av)"3. Le plaisir excessif des
Corybantes dépasse en intensité, malgré le rapprochement qu'en fait Platon, le
plaisir inhérent au jeu de l'enfant.
1. Lois, 653 cl e.
2. Lois, 792 a.
3. Lois, 790 a.
294
Le mouvement et les chants que mères et gardiennes font écouter l'enfant lui
procurent des plaisirs modérés. Ce qui implique une participation corporelle et
psychologique de l'enfant aux gestes maternels. Le mouvement et les chants
deviennent ainsi des actes magiques: car ils aident l'enfant à retrouver son équilibre
dans le sommeil. Mais ces opérations ne suffisent pas à elles seules pour apporter
cet équilibre à l'enfant. En effet ce dernier a besoin aussi de participer à ce jeu
intimement élaboré par les adultes.
C'est au moment où une mère joue avec son enfant que naissent les
sentiments d'amour les plus intimes entre les deux. Platon accorde une telle
importance à ces relations qu'il souhaite voir les tout petits (VEWTuTOt) "vivre sans
cesse bercés comme dans un navire" 1. Il est vrai que dans toutes les civilisations on
utilise les mêmes procédés pour consoler les enfants en bas âge. Mais, à notre
connaissance, Platon fut le seul dans l'Antiquité classique à insister sur le contact
mère-enfant dans le cadre du plaisir ludique. Il sut très tôt que l'enfant a besoin de
cette affection, et que seuls ses proches (en l'occurrence sa mère et ses servantes)
peuvent la lui procurer dans la joie.
Dans la cité platonicienne. l'enfant est toujours en compagnie des surveillants
ou des pédagogues:2. Ces derniers se préoccupent, il est vrai, de la bonne conduite
des enfants, mais ils leur arrangent aussi des distractions orientées vers
l'épanouissement des sens.
Dès l'âge de trois ans, l'enfant quitte le cercle familiaP pour retrouver ses
compagnons d'âge. Avec ces derniers, le jeu devient sa principale occupation.
C'est cela qui explique cette célèbre phrase de Platon: "à trois, quatre, cinq et
même six ans, une âme d'enfant a besoin d'amusements"4. L'assertion du
philosophe se fonde sur une observation minutieuse et objective de l'enfant. Aussi
est-il manifeste que le philosophe procède, dans son observation, suivant l'âge des
enfants. C'est ainsi qu'à chaque stade de la vie, il préconise une espèce de plaisir
ludique.
1. Lois, 790 d.
2. Cf. Rép. , 460 b c ; Lois, 794 a.
3. Cela se passe à l'âge de trois ans (Cf. Lois VU, 794 a.)
4. Lois. 793 e.
295
;
Dans' la période qui va de la troisième à la sixième année, la nau)da se
confond avec l'amusement. Cet intervalle d'âge est l'étape des premiers
regroupements des jeunes compagnons. Ce qui donne à l'enfant l'occasion de se
livrer à ses propres inventions ludiques. Il les crée et les défait pour s'affirmer
devant ses pairs. Ce sont là des rassemblements qui favorisent l'épanouissement
des sens de l'enfant. C'est la raison pour laquelle Platon institue le regroupement
des poupons de moins de six ans dans les temples 1.
Cette pratique a probablement existé à Athènes2 ; mais avec Platon elle accède
à une nouvelle ère dans l'éducation des na 10 {a. Il élabore les premières
prescriptions relatives aux jardins pédagogiques. Dans ces cadres, il accorde aux
jeunes enfants (TOl'Ç Vf:W(Hl TPf:Q>ol.U:VOlÇ) la libre création dans le jeu; il donne
ainsi une grande importance au plaisir ludique, première finalité des amusements de
cet âge. Aussi Platon y cherche-t-ill'éclosion de la personnalité de l'enfant. Dans
La République l'éducateur surveille les jeunes enfants pour voir surtout s'ils
couvent en eux les qualités de futur garde. Dans Les Lois, l'objectif de Platon est
plus ou moins différent. Néanmoins, il préconise des épreu ves dont la finalité est
de mesurer la résistance des jeunes devant di vers plaisirs3. Notons que le plaisir
ludique est vécu ici sous la contrainte des règlements et des prescriptions. Outre ce
plaisir, les enfants deviennent familiers les uns avec les autres.
Dans ce genre de regroupements, l'enfant agit d'habitude selon son instinct.
Mais ici les surveillants doivent l'en empêcher par des brimades et des châtiments.
A ce stade de l'enfance, il impropre de traduire
"Tàv
à01KoÙVTa "4 par le
"délinquant" ; il convient de le rendre plutôt par "enfant indocile" ou "insoumis".
Car il ne transgresse les règles de conduite que dans un temps limité, au moment où
il se sent en liberté (Tàv à01KoùvTa est un participe présent =au moment où ... ). Le
rassemblement des enfants de moins de six ans au bercail (dç Tàv CH1KÔV) ou aux
temples (dç Tà iEpâ) est conçu aussi en vu de leur plaisir. Ainsi est-il absurde de
vouloir tenir des enfants dans un endroit clos où les seules occupations seraient de
manger et de dormir.
1. Cf. Lois, 794 a.
2. Cette pratique existait déjà à Sparte.
3. Lois, 637 b c de; 671 a b-672 d.
4. Lois, 794 b.
296
,
Pour lever toute équivoque, Platon précise que les jeunes enfants sont des
êtres dont la seule activité désirée et souhaitée est le jeu. "0 utilité de l'inutile ~ ..
s'exclamait Hugo devant "l'éléphant" abandonné au milieu de Paris, et qui servait
de maison à Gavroche et à ses frères. De même ce qui avait paru inutile aux yeux de
ses prédécesseurs devint utile dans le système éducatif de Platon. Ainsi le plaisir
ludique peut être considéré comme un "outil" pédagogique dans l'éducation
platonicienne.
Dès l'âge de six ans, l'enfant change de mode de jeu. En effet, le jeu devient
une discipline organisée. Ce qui ne lui ôte pas pour autant son caractère plaisant.
Quand il prône la séparation des sexes à l'âge de six ans 1, Platon entrevoit des
plaisirs propres à chaque catégorie. Certes, filles et garçons ont presque les mêmes
occupations dans la cité platonicienne, mais le seul fait de se retrouver entre sexes
semblables encourage l'enfant dans ses jeux. Platon a certainement remarqué qu'à
ce stade de la vie les enfants ont tendance à se rassembler selon leur sexe et à jouer
aux occupations quotidiennes des adultes. Cette intimité est la source de grands
plaisirs ludiques. C'est une atmosphère familière qui favorise la liberté et
l'épanouissement de l'enfant. L'action ludique résulte ici des mêmes désirs, des
mêmes aptitudes et des mêmes faiblesses. Toutefois, malgré la séparation des
sexes, le plaisir ne varie pas dans les jeux réglés et organisés.
Il est vrai que, dès l'âge de trois ans. l'enfant devient plus ou moins
autonome, mais c'est à l'âge de sept ans que cette autonomie prend une nouvelle
dimension. C'est le moment où le natô{ov devient naî.'c;. Le premier se contente
d'un plaisir ludique passif, c'est-à-dire provoqué par l'intermédiaire d'une tierce
personne, alors que le second est l'agent de son propre plaisir: il joue en étant sûr
d'y trouver du plaisir. Aussi l'éducateur se doit-il d'exploiter ces acquis. L'enfant
puise ses plaisirs dans toutes les sources. Dans La République et dans Les Lois tout
est appris sous forme de jeu; le seul fait d'écouter un adulte ou un vieillard dire des
fables constitue pour l'enfant un jeu. Et il prend plaisir à écouter sagement l'histoire
qu'on lui raconte. Le rappel des exploits de ses ancêtres le pousse à les imiter et lui
procure du plaisir. C'est pour les mêmes raisons qu'on lui autorise à participer à
toutes les manifestations ludiques de la cité.
1. Lois, 794 c.
297
L'instauration d'un chœur qui n'est composé que d'enfants a la d~uble
finalité d'éduquer et de donner plaisir. En effet, l'enfant ressent intimement les
effets du plaisir dans le jeu musical et choral. C'est pourquoi Platon prétend que
"tous les chœurs, au nombre de trois, doivent adresser leur incantation aux âmes
des enfants, tandis qu'elles sont jeunes et tendres (... )" 1. La décision de tourner
tous les chœurs vers la formation psychologique de l'enfant mesure toute l'ampleur
que Platon espère trouver dans le plaisir ludique. L'enfant lui-même participe, en
tant que acteur, à la genèse de ce plaisir. Aussi s'enchante-t-il en communion avec
toute la cité. Cela relève du "devoir qui s'impose à tous, adultes et enfants, gens
libres et esclaves, hommes et femmes, en fait à toute la cité de s'enchanter sans
cesse elle-même, tout entière, des principes que nous avons exposés2, en les
variant constamment par tous les moyens pour que l'abondante diversité qu'ils
offriront rende les chanteurs insatiables d'hymnes et leur y fasse trouver du
plaisir"3. Dans ce passage, on constate que le plaisir est entretenu en permanence
dans la cité; enfants et adultes se le partagent.
En effet. l'existence d'un chœur des hommes de trente à soixante ans4 a pour
but de faire revivre à ces derniers des plaisirs de leur enfance. Le vieilfâi-d n'est pas
un spectateur inactif et passif; par participation visuelle, il devient actif et savoure le
plaisir ludique. Ce même plaisir maintient la cité dans une atmosphère de gaieté qui
ne dépasse jamais les limites établies par le législateur. Dans ce domaine, l'excès ne
peut que nuire à l'éducation. En réalité, les plaisirss et les douleurs correctement
formés sont matière à éducation6.
Pour éviter tout relâchement, le législateur institue des fêtes (aywvEç) durant
lesquelles tous les citoyens jouissent d'un plaisir saint et formateur. A ces moments
solennels, les jeux guerriers et gymniques s'accompagnent de danses et de chants.
Ils procurent aux uns et aux autres du plaisir. L'enfant ne sent pas la diversité des
jeux; pour lui tous les jeux se célèbrent dans le même esprit. Tout lui est présenté
sous forme de jeu.
1. Lois, 664 b.
2. Cf. Lois, 659 e ; 664 b.
3. Lois, 665 c.
4. Lois, 665 b.
5. Cf. Lois, 653 a.
6. Cf. Lois, 653 c.
298
~
La question est de savoir si l'enfant ressent le même plaisir dans les exercices
gymniques que dans les chœurs. Les enfants de six ans manient des armes légères
confectionnées par les adultes. La nouveauté de ces objets, leur ressemblance avec
ceux de leurs parents, sont à elles seules sources de plaisir pour les enfants. Dans
une cité où les exercices militaires dominent toutes les autres activités, l'éducateur
est tenu d'y apporter du plaisir pour y maintenir l'enfant.
Dans La République, les enfants sont conduits sur champ de bataille l pour
qu'ils s'habituent à la guerre. Cette activité sérieuse procure à l'enfant du plaisir. TI
retrouve le même plaisir dans les entraînements. En temps de paix, jeunes et
adultes, tous sexes confondus, s'entraînent aux combats guerriers sous la direction
des "maîtres salariés"2. Ces entraînements plongent la cité dans une atmosphère de
guerre permanente3. Que ce soit au pugilat4 , à la course ou au combat à cheval,
institués comme des compétitions préparant à la guerre, l'enfant trouve du plaisir.
En effet, il jouira de ce plaisir en montant à cheva15, en se tenant face à un
adversaire, en courant avec d'autres compagnons, en prenant par surprise des
postes de combats et en préparant des embuscades6 . Tout cela rehausse sa
détermination et lui assure endurance, force et souplesse.
Ces entraînements recouvrent une double signification. D'abord ils ont lieu
lors des sacrifices et des fêtes de la cité; ce qui leur donne un caractère rituel que
nous étudierons au cinquième chapitre. Ensuite, ils intéressent l'éducateur par le
plaisir ludique qui les accompagne. Le seul fait de lier ces exercices aux fêtes
montre l'importance que Platon accorde au plaisir dans l'éducation. Qui dit fête, dit
plaisir; et pour l'intensifier et pour le rendre permanent et utile, notre philosophe
institua 365 fêtes 7 dans l'année. C'est pour cette raison que Platon n'a pas limité la
notion de jeu à l'enfant. Comme l'affirme Johan Huizinga, "la nUloul pouvait
difficilement servir à caractériser les formes ludiques supérieures; l'idée d'enfant y
était associée de façon indissoluble".
1. Cf. Rép .. 466 e ; 467 abc d.
2. Lois. 813 e.
3. Lois, 830 c de; 831 ab.
4. Lois, 829 e ; 830 abc.
5. Lois, 834 b cd; Cf. Rép., 467 e.
6. Lois, 830 e.
7. Sans parler des douze (12) fêtes en ['honneur des douze Dieux.
299
"Par conséquent, ces formes ludiques supérieures trouvèrent leur expression
dans des termes de portée restreinte, tels agôn (àywv)l, compétition, scholazein
(crxoÀa(e;w) - passer son loisir, diagôgè (B1aywy~)2 -littéralement: dissipation"3.
Il est vrai que la notion de natôtâ prend tout un autre aspect en y associant adultes
et vieillards, mais Platon n'hésite pas à employer4 ce tenne pour désigner ces jeux,
jeux où enfants et adultes se côtoient intimement. Jean Chate-àu semble situer la
différence entre les jeux des adultes et ceux des enfants au niveau de leurs
fonctions. En effet, il affinne que "le jeu adulte est une distraction, alors que le jeu
enfantin est l'activité essentielle de l'enfant"5. Le jeu en tant que discipline
formatrice est à la fois "distraction" et "activité" dans le système pédagogique
platonicien. Là, distraction et activité sont synonymes de plaisirs ludiques.
On pourrait prétendre que nous avons forcé certains passages des textes de
Platon pour exposer la nature du plaisir ludique. En réalité, à cause de la complexité
de sa pensée, on a souvent l'impression qu'il exclut tout plaisir humain de sa
philosophie. Loin de là. Seulement, dans La République comme dans Les Lois,
Platon rejette une certaine conception du plaisir. Pour ce faire, il se réfère à
l'histoire politique de la Crète et de Sparte.
En effet, il déplore la négligence et l'ignorance des vrais plaisirs6 par les
Crétois, et il blâme les Spartiates pour l'excès de leurs plaisirs7 . Megille, le
Lacédémonien, tente devant l'Athénien des Lois de défendre la tradition spartiate
en matière de plaisir; et il s'écrie que "la législation de Sparte en ce qui concerne les
plaisirs me semble la plus belle du monde"8. Mais l'Athénien lui montre la relativité
de ses arguments. Aussi est-il attesté que la Sparte archaïque vivait en permanence
en fête 9 . En instituant trois cent soixante fêtes dans la cité, Platon copie
manifestement la tradition spartiate, d'autant plus qu'à Sparte, affinne Henri-Irénée
Marrou, "nous sommes loin, en particulier, de l'éducation sévère, sauvage, d'un
1. C'est nous qui transcrivons en grec.
2. "amusements".
3. HUIZINGA (Johan), Homo ludens ... , p. 259.
4. Cf. Lois, 829 b.
5. CHATEAU Jean, Lejeu de l'enfant après trois ans: sa nature, sa discipline.- Paris, 1946. p.
43.
6. Lois. 635 b c
7. Lois, 636 a b.
8. Lois, 636 e ; 637 a.
9. Cf. Henri Irénée MARROU, Education. ... , p. 50 qui renvoie à Calendrier des fêtes spartiates
(Ziehen, P. WISSOWA, 1t R, III, e )( 1508-1520, sv SPARTA).
300
)
utilitarisme barbare qui est celle de la tradition courante sur Sparte" 1. Les multiples
fêtes entretiennent, par le biais du plaisir qu'elles procurent, un dynamisme civique
et religieux de tous les citoyens. Platon ne s'est jamais opposé à ce genre de plaisir
récréatif. Néanmoins, en fin observateur d'une société en décomposition et en
témoin de l'histoire politique de l'Athènes du IVosiècle, Platon n'hésite pas à
condamner toutes les manifestations culturelles tirant vers l'anarchie.
Le philosophe déplore ici la dépravation voire l'inexistence du rôle éducatif
du plaisir ludique. Il impute cette insuffisance au public athénien qui est devenu
inculte 2. Sa réaction a été de proposer une réorientation, plus précisément une
utilisation du plaisir ludique à des fins pédagogiques. Tout jeu doit être conçu, écrit
Platon à l'instar de Damon3 , en vue de l'éducation. Si on se reporte à une des
définitions de l'éducation dans l'œuvre de Platon, on découvre que le plaisir va de
pair avec la formation des goûts, même dans les jeux. En effet, il entend par
éducation "la partie qui nous forme à user comme il faut du plaisir et de la douleur,
qui nous fait haïr ce qu'il faut haïr, depuis le début jusqu'à la fin, et de même aimer
ce qu'il faut aimer (... )"4. Ainsi, pour Platon, le plaisir doit être éduqué et faire
partie des finalités de l'éducation. Il doit être aussi un agrémen~ de l'éducation.
C'est dans ce contexte qu'on peut qualifier le plaisir d'utile. R. Schaerer a eu
raison d'écrire qu'Olen posant comme critère le plaisir sans arrière-pensée de
l'homme de goût, Platon établit deux vérités complémentaires; c'est que la beauté
est inséparable d'une âme qui la goûte. mais que le plaisir seul ne fait pas l'artiste.
Il y a de faux plaisirs et des enthousiasmes factices"5. Le plaisir rend l'éducation
plus attrayante et plus rentable. L'existence, en esthétique, de la complémentarité
entre le plaisir ludique et la beauté artistique relève surtout de la juste éducation.
La beauté et l'utilité de l'art, et le plaisir qu'on y puise ont dicté à Platon son
orientation artistique. Car, "l'art, dirons-nous, sera le plus beau qui charme les
meilleurs après une formation suffisante, et surtout celui qui plaît à un homme
1. MARROU Henri Irenée . Educarion .... p. 51.
2. Lois, 659 c.
3. Cf. Rép. , 424 c.
4. Lois, 653 b.
5. SCHAERER (R.) Dieu, l'homme et vie d'après Platon, Neuch., 1944. p. 95. Cité par
Georgette PAPACOSTOULA : Les conceplions d'Aristote ... , p. 124.
301
)
distingué entre tous par la vertu et l'éducation" 1. On voit bien que pour Platon le
plaisir ne doit et ne peut être apprécié à juste titre par des hommes sans formation.
C'est pourquoi il exige que le citoyen soit bien éduqué et bien formé pour pouvoir
jouir du véritable et éternel plaisir.
Nous pouvons ainsi conclure avec Georgette Papacostoula que "Platon
reconnaît donc le rôle éducatif du plaisir, bien qu'il ne fasse pas figurer le plaisir au
nombre des biens 2, car il n'a pas le caractère spécifique du bien, qui doit se suffire
à lui-même, et il n'est pas désirable par lui-même"3. Telle est l'une des réponses à
la question que s'est posée Platon dans Le Philèbe, à savoir si le plaisir est un bien.
Dans cette étude, notre objet a été d'analyser la nature du plaisir ludique chez
Platon. Dans un premier temps, nous avons essayé de comprendre comment ce
plaisir est vécu et ressenti par les citoyens, de leur enfance à l'âge mûr. Les jeux
enfantins (et souvent ceux des adultes) ont été à la base de nos discussions. En
effet, "comme les jeunes âmes ne peuvent supporter le labeur, on parle et on
s'occupe de jeux et de chants (natOla{ TE: Kat ~oa{)"4. A travers le chantonnement
de la mère, les bruyantes fêtes de la cité et les exercices qui les accompagnent, nous
avons voulu saisir la véritable portée du plaisir chez l'enfant.
Dans un deuxième temps, il nous a paru nécessaire de connaître la conception
platonicienne du plaisir lui-même. La natota et l'~oov~ ont pris une nouvelle
dimension dans le système pédagogique platonicien. Seuls les citoyens cultivés
sont censés jouir d'un plaisir ludique réel, et l'apprécier correctement. Car c'est un
plaisir modéré et sans dommages. Par sa nature même, il relève du jeu sérieux.
La discussion sur le plaisir ludique a fait entrevoir plus ou moins les premiers
aspects du sérieux dans les jeux de l'enfant. Le thème du sérieux dans le jeu chez
Platon
a été déjà traité par certains chercheurs. C'est ainsi que R. G. Bury a
consacré, dans un article intitulé The theory of education in Plato's Laws "6, trois
1. Lois, 658 e ; 659 a.
2. Cf. Phil., 28 a ; 32 d ; 53 c.
3. PAPACOSTOULA (Georgette) Les conceptions d'Aristote ... , p. 125; cf Phil. ,21 d c ; 33bc;
52a
b-55 a.
4. Lois, 659 e.
5. Cf. Phil., 33 b ; Lois, 792 c de: 794 e.
6. BURY (R. G.), Theory of education in Plato's Laws in Etudes grecques, T. L, 1937. Nous
traduisons nous-même le texte anglais.pp.304-320.
302
chapitres de cinq pages à l'éducation et au jeu. Il se fonde sur les recherches de
Ritter portant sur rwtôda - rratôul - crrrouô~ dans Les Lois. Ce dernier voulait
montrer, d'après Bury, l'inconsistance de l'antithèse rra tÔta 1 crnouô~ dans l'œuvre
de Platon. Pour Ritter, "quelquefois Platon impose à cette antithèse une
signification spéciale propre à lui, tandis qu'à d'autres moments il revient à l'usage
courant" 1. Cette conclusion ne permit pas à son auteur d'aller plus loin. Bury va
résumer le résultat de ces recherches comme suit: "Ritter, écrit-il, "montre que
rratÔta fait contraste avec crrrouôn en deux points: 1°) par son rendement en plaisir,
par son sens opposé à l'effort et au labeur; 2°) par son manque de valeur en dehors
de lui-même et il n'a vraiment pas de moyen d'arriver à une autre fin, lui-même
étant sa propre fin (alors que crrrouôaïov est quelque chose de concret (sérieux)
dans sa signification et dans ses résultats)"2. On constate avec Bury que Ritter
s'était arrêté sur des constats apparents et superficiels pour avoir limité le jeu chez
Platon au plaisir simple et fini.
Après avoir approuvé quelques résultats de Ritter, Bury partit du rapport
entre rratôEta/rratôteI pour éclairer celui qui existe entre rratôteI et crrrouô~. Il note à
la fin de son étude que "sa conclusion dans l'argumentation est, en termes brefs,
que rra tÔ teI est un élément essentiel dans rra tôda (car une éducation réussie dépend
du concours autonome de l'instruction et du plaisir qui sont ses dérivés, et qui le
font natôta) ; et de là, rratôda devient, pour l'Etat, tout à fait importante
(crrrouôaïov) comme étant le moyen d'implanter la vertu civique, et rratôta aussi (au
lieu d'être un futile passe-temps ou une plaisanterie) est d'une sérieuse
importance"3. Malgré cette vue d'ensemble pénétrante, Bury se contenta de résumer
lui aussi la question en ses grandes lignes sans faire référence aux textes.
Au demeurant, Platon n'innove en rien l'emploi du terme crnouô~ qui "est un
nom verbal de type archa'ique à vocalisme 0 signifiant "hâte, effort, zèle", dérivé
lui-même de crm:uôE tv "se hâter, s'efforcer de, faire des efforts"4. En attique, le
terme de crnouôn prit des développements remarquables et finit par signifier
"estime", et surtout sérieux opposé à jeu (rratôta)5 non sérieux. Dans Les Lois
OTlOUÔn reflète les divers sens précisés ici par Chantraine.
1. BURY (R. G.), "Education
, p. 311.
2. BURY (R.G.), "Education
, p.311.
3. BURY (R. G.), "Education
p. 312.
4. Cf. CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique ... , p. 1037.
5. Cf. CHANTRAINE, op. cit., p. 208.
303
, Ainsi comme l'antithèse naloul 1 crnouof], nous avons aussi crnouOâCf:1V 1
na îCf:1V, <JT[OUOâÇOv,a 1 na {ÇoVla l, wç crnouoâCwv 1 wç naiCwv2. L'adjectif
crnouoaïoç est fréquemment employé comme substantif3 ; et il s'applique à des
termes comme nalolâ4 et nOl~crlç50 Quant à crnouof], il est mis très souvent en
opposition à na {yv lOV 6 , à na 10 l â 7 et à y gÀwç 08 On voit ainsi que crnouo ~,
crnouoaïoç et crnouoâçe: lv9 ont plusieurs emplois dans les textes de Platon. La
subtilité de la pensée platonicienne apparaît souvent dans ces phrases complexes.
Ainsi a-t-il la possibilité de mettre en valeur des antithèses qui s'auto-détruisent
pour donner un sens à ce qui ne l'avait paso
Ce procédé s'illustre dans le passage suivant des Lois: "Assurément les
affaires humaines ne valent pas qu'on les prenne au grand sérieux; cependant nous
sommes forcés de les prendre au sérieux et c'est là notre infortune" 10. L'avayxaïov
Yf: f.t.T]V crnouoâCe:tv remet en valeur le constat négatif fait sur Tà TWV avepWnwv
npâYflamo Il va user du même procédé pour montrer le sérieux dans nalolâ, terme
auquel il applique rarement crnouoaïa 11. Pour expliciter l'idée du passage précédent
l'Athénien des Lois renchérit: "</>llfll xpnVal Tà fl8V crnouoaïov crTt~UOâÇf:lv, là
Og flT1 crnouoaïov flrl ('0')" 12. Pour Platon, il était facile d'appliquer à nalolâ le
qualificatif crnouoaïoç pour lever toute équivoque, mais il préfère faire un jeu de
mots. Par là même, il se fonde sur le sérieux des affaires humaines pour légitimer
toutes les activités humaines de la cité. Aussi introduit-il et explique-t-il tout le
sérieux qu'il accorde au jeu. "Voilà donc", écrit-iL "à quel rôle doit, tout au long de
sa vie, se conformer tout homme et toute femme, en jouant aux plus beaux jeux qui
soient (natçovm on J<aUtcr-raç nalotâç), mais dans de tout autres pensées qu'ils
n'ont aujourd'hui"13 0
1. Lois, 636 c, 2 ; 643 b ;
2. Lois. 688 b. 6.
3. Lois, 814 e. 5.
4. Epino. 975 d, 3.
50 Rép., 608 ao
6. Lois, 644 do 9
7. Lois, 732 do 6 ; 796 d. 4 ; 887 d. 4.
80 Lois, 810 e. 8 ; 839 c. 4.
9. On trouve les mêmes emplois chez Xénophon. Convo,l. 1 ; l, 13; Cyr. 6, 1,6
;ARISTOTE.
Rhét., 3. 18. 3 .
10. Lois. 803 b.
11. Epino. 975 d ;
12. Lois. 803 c : "je veux dire qu'il faut s'appliquer sérieusement à ce qui est sérieux, non à ce
qui ne l'est pas".
130 Lois, 803 co
304
»
Platon conteste l'existence du sérieux dans les activités ludiques de son
époque. Dès lors, il entreprend lui-même de donner à celles-là tout le sérieux
qu'elles méritent. Il va donner au jeu un fondement archaïque et stable. Il le
considère comme l'une des composantes principales de l'éducation. Le jeu enfantin
(na 10 l éz) acquiert de cette manière une dimension à la fois sociologique,
psychologique et pédagogique. Comme l'a écrit Bury, "ce n'est pas seulement sa
relation avec la formation de l'enfant que Platon attache une si grande importance au
jeu et le considère comme un labeur méritant le sérieux (crnouo~). Il appliquerait aux
hommes de tous âges et à toutes les sphères de l'activité humaine son paradoxe, à
savoir que le jeu est une entreprise sérieuse" 1. Cette remarque est fondée sur le
texte des Lois, mais elle peut être ramenée au seul passage où Platon met en
évidence l'aspect du non sérieux du jeu dans la manière dont on l'imagine à son
époque: "vüv flÉv nou crnouôàç oïOVTa odv ËVExa TWV natÔ1Wv Y{yvEcrTal "2.
Cette analyse écarte tout compromis de Platon avec le jeu non sérieux.
Le jeu authentique (nEcj>uxuïa nalôul) et l'éducation (nalôEÎa) sont la "chose
sérieuse par excellence
(crnouoalôTaTov)"3. Après avoir rejeté les pratiques
ludiques contemporaines, Platon s'interroge: TlÇ o6v àp8ÔTTlÇ 4; La réponse est à
la fois belle et pleine de signification: "vivre en jouant, et jouant des jeux tels que
les sacrifices, les chants, les danses, qui nous feront capables et de gagner la faveur
des dieux et de repousser les attaques des ennemis et de les vaincre dans les
combats"5.
Ainsi le thème ludique a une telle importance chez Platon qu'il semble couvrir
toutes les activités de la cité. L'exigence est grande pour le citoyen quand on se
refère à l'emploi de l'adjectif verbal (d'obligation) Ôta~lWTtov devant nal~ovTa
Tlvàç ô~ nalôlaç, et plus profonde encore quand on sait qu'avec le jeu on arrive "à
gagner la faveur des dieux" et à améliorer des techniques guerrières.
1. BURY (R. G.), "Edile . .... p. 3i2.
2. Lois, 803 d : Aujourd'hui on s'imagine, en somme, que les choses sérieuses doivent se faire
en vue des jeux".
3. Lois, 803 d. 5 et 7.
4. "Où est donc la voie droite?".
5. Lois, 803 e.
305
,
Le sérieux doit être la référence dans le jeu éducatif. C'est pourquoi il faut
"assujettir dès le début les jeux de nos enfants à une discipline plus rigoureuse,
parce que si le jeu et les enfants échappent à la règle, il est impossible qu'en
grandissant les enfants deviennent des hommes de devoir et de vertu solide" 1.
L'éducation des enfants et le jeu vont de pair; et c'est pourquoi Platon cherche à
mettre en relief tout le sérieux qu'on doit attacher à leur intimité. On aboutit à un
parallélisme très significatif, éducation/jeu et vertu.
L'objet du jeu éducatif n'est pas seulement de procurer du simple plaisir à
l'enfant, mais aussi de l'orienter vers une voie de justice et d'obéissance. Ainsi le
sérieux du jeu se trouve être un objectif pédagogique recherché par Platon lui-même
; et l'approche platonicienne du jeu devient de plus en plus précise.
Il est impossible de dissocier le jeu de la psychologie. Les rapports de
l'enfant avec ses jouets, avec son milieu naturel contribuent à la formation de sa
personnalité. C'est au contact de l'autre, c'est-à-dire de l'objet et du milieu, que le
moi de l'enfant
s'extériorise et se donne une identité. C'est le stade de la
découverte et de l'imitation. Dès ses premiers jours au monde l'enfant joue avec
son corps, avec sa mère et avec tout son entourage affectif; il se reconnaît en même
temps une force propre à lui. Le jeu sérieux doit contribuer à l'éclosion de cette
personnalité naissante. D'où l'intérêt que Platon attache aux jeux éducatifs de cet
âge. Le plaisir et le sérieux sont d'un grand apport dans la formation psychologique
de l'enfant. On ne joue pas pour jouer; toute activité ludique doit fournir un apport
positif à la formation du citoyen. C'est pourquoi il prend des précautions dans la
sélection des jeux.
Conscient de leurs fonctions éducatives, Platon dispose les activités ludiques
selon la succession des classes d'âge. On sait qu'il n'attache pas d'importance à la
psychologie individuelle, du moins dans La République et dans Les Lois. Le "moi"
isolé ne peut s'épanouir dans la cité platonicienne. Platon s'intéresse plus à la
psychologie collective qu'à celle de l'individu tout seul. Dès les premières années
de la vie, le "moi" de l'enfant doit s'effacer devant celui du groupe. A ce moment,
l'intérêt du jeu ne réside plus dans le simple plaisir, mais dans la formation d'une
personnalité de groupe. Que ce soit durant les exercices guerriers ou pendant les
1. Rép., 424 e ; 425 a ; Lois, 797 ab.
306
cérémonies ludiques, l'atmosphère est telle que le "moi" individualisé n'existe pItt.
La tendance générale est d'imiter ceux d'en face et d'acquérir leurs qualités
humaines. C'est l'une des raisons qui expliquent et fondent la classification des
jeux en fonction de l'âge des participants. Là aussi Platon marque de son empreinte
toute la psychologie de son époque. En classant les jeux suivant les âges, Platon
agit en psychologue, attendu qu'il fait en sorte que le contenu de ces jeux ne soit
jamais en rupture avec le reste du programme "scolaire, secondaire et universitaire".
Platon sait que le combat de guerre n'intéresse pas directement un enfant de
six ans ; mais pour l'y pousser le philosophe lui propose un jeu simulant des
combats. L'enfant se contente d'une simple observation; il agit en jouant au métier
de ses parents. C'est pour cette raison que Platon propose de laisser les enfants
imiter, dans leurs jeux, les métiers qu'ils occuperont une fois devenus adultes.
Dans la psychologie du jeu, il y a une grande différence entre le vieillard et l'enfant.
Un vieillard qui regarde les chœurs évoluer sur scène, selon Platon, ressent un
plaisir dont la seule source est le souvenir des moments joyeux de sa jeunesse.
C'est la seule manière pour un homme âgé de communier avec l'activité ludique.
L'enfant a besoin, quant à lui, de participer activement au jeu pour s'épanouir
psychologiquement. Mais l'un et l'autre se conforment aux normes des jeux
collectifs. De la course des enfants à celle des adultes, l'objectif de l'éducateur
demeure le même: faire en sorte que tous agissent comme une seule personne, dans
la pensée et dans l'action.
Chez Platon les jeux consolident l'unité de la cité. Toutes les catégories d'âge
y participent 1. Platon évite d'employer un vocabulaire qui refléterait
l'individualisme dans le jeu. Il use des procédés comme "il faut", "on" ou "toute la
cité".
Cependant, dans La République, un certain individualisme est cultivé à
travers les concours ouvrant la voie à la classe des gardes philosophes. Le futur
garde est, en effet, obligé de faire prévaloir individuellement ses capacités
physiques, morales et intellectuelles pour accéder à la classe supérieure. Il n'est
jugé qu'à travers ses qualités personnelles.
l. Lois, 800 a.
307
Cette nuance d'individualisme a été corrigé dans la cité des Lois où les jeunes
citoyens de même âge accèdent ensemble aux mêmes jeux et aux mêmes activités.
Mais, même si elle compte toujours, la valeur individuelle n'a de sens, ici, que dans
l'action commune.
Pour mieux contribuer à l'unité de la cité, les activités ludiques ne doivent
pas être l'objet de changements. De là la négation de toute création personnelle.
C'est le même principe qui exclut tout individualisme dans l'action ludique. Jouer
aux mêmes jeux revient à dire jouer comme une seule personne, et cela dans la
pensée et dans l'action. Tels semblent être les différents aspects du sérieux de la
nalouÎ chez Platon.
308
IV . 1. 2. L'approche négro-africaine
réjouissance et
formation
Dans la pensée négro-africaine, la notion de jeu (jijirde 1) traduit au premier
abord un état de joie, de gaieté et de plaisir. Et c'est pour cette raison que le jeu est
perçu comme une récréation. Il est possible de suivre l'évolution des jeux selon que
l'on va de l'enfance à la vieillesse. A chacune des étapes de l'existence humaine, le
jeu est ressenti comme un plaisir; et les éducateurs font en sorte que le plaisir
ludique soit d'un apport positif dans l'éducation des enfants. C'est dire que
l'éducation du jeune négra-africain ne se conçoit pas sans l'apport du jeu. Mais la
question est de savoir si le jeu commence avec l'éducation ou si l'une précède
l'autre.
La notion d'éducation implique la notion de plaisir. Dans la tradition négro-
africaine l'éducation débute, comme chez Platon, dès les premiers mois de
conception de l'enfant. Il est admis que les plaisirs et les douleurs ressentis par la
femme enceinte produisent les mêmes effets chez le futur bébé. Après sa naissance,
l'enfant n'a pas toujours besoin de sa mère pour avoir du plaisir. Ille cherche lui-
même. Et cela est vrai pour tous les nouveaux-nés. Platon ramène ce phénomène à
une simple opposition entre le plaisir et la douleur. Cette dernière n'est autre qu'une
souffrance physique ou un désir non satisfait, alors que le plaisir est quelque chose
que le nourrisson cherche et trouve en jouant avec son corps. Le principe des
"gigotements du bébé, de ses gazouillis ( ... ) est dans la recherche du plaisir né
d'une excitation ( ... )2". L'auteur rappelle que Jean Chateau distingue les "jeux
hédonistes" des "jeux fonctionnels qu'il qualifie d'''impulsifs'', "parce qu'ils sont
simple exercice gratuit des fonctions"3. Les jeux dits "fonctionnels" ne vont pas
sans ceux dits "hédonistes", et vice versa. Le plaisir du bébé ne peut être complet
sans l'harmonie de ses jeux. Et c'est pour cette raison que la nudité de l'enfant
prend toute son importance dans la tradition négro-africaine. Elle facilite à l'enfant
l'exploration de ses membres; c'est une découverte qui lui permet de se comparer à
ses semblables.
1. En pularfijirde signifie de manière générale jeu (ve/to = plaisir); en woloffo se traduit par
Jeu.
2. BEART (Charles), Jeux et jouets de l'Ouest africain, Dakar, 1955. p. 25.
3. BEART (Charles), Jeux et jouets ... , p. 26.
309
,
Jusqu'à la fin de la deuxième année, le jeune enfant trouve son plaisir ludique
à travers son corps, celui de sa mère et de ses proches. Il prend plaisir au contact du
corps nu de sa mère, de ses mains, de ses mouvements, de ses pas de danse, de ses
chants, de ses rires etc. De jour comme de nuit, l'enfant joue avec ce corps toujours
présent comme celui d'une poupée avec laquelle on vérifie les fonctions de ses
doigts, de ses dents, de ses pieds, de son sens du toucher, de l'odorat. La mère
participe volontiers à ce jeu d'exploration et égaye l'atmosphère par des
chantonnements. Dans Les Lois, Platon encourage le port de l'enfant pour qu'il y
ait plus de contact humain entre lui et sa gardienne. En Afrique Noire traditionnelle,
c'est une pratique qui est naturellement contractée ; mieux, elle fait partie des
coutumes. On y cherche un attachement psychologique de l'enfant à la mère qui est
d'ailleurs la première source de ses plaisirs ludiques. Aussi les jeunes filles et les
vieilles femmes jouent-elles, dans ce domaine, le même rôle que les mères. En
Afrique noire, moins que chez Platon, le port de l'enfant relève de l'hygiène.
L'enfant est quand même laissé en liberté pour exploiter toutes les fonctions de son
jeune corps quasiment nu. Et tout son plaisir réside dans cette liberté de se mouvoir
(ramper) et d'émettre des sons, des cris à son aise. Là aussi deyrait résider le plaisir
dont Platon a privé l'enfant pour des raisons hygiéniques. Mais l'enfant bénéficie,
comme en Afrique, du contact avec la gardienne qui le porte durant les promenades
jusqu'à l'âge de trois ans (bien qu'il soit emmailloté jusqu'à l'âge de deux ans).
C'est aux environs de trois ans que l'enfant négro-africain trouve ses
premiers compagnons d'âge et de jeu. A ce stade de l'enfance il n'y a pas encore de
distinction de sexe dans les groupes ; et tout se passe dans les concessions
familiales. De même, de trois à six ans, l'enfant a besoin, selon Platon,
d'amusements.
Dans certaines régions d'Afrique, les enfants de cet âge sont rassemblés dans
une maison sous la surveillance de vieilles femmes et de fillettes. En effet, écrit
Pierre Erny, "parfois s'organisent, comme chez les Ngogni, de véritables garderies
au niveau du village, sous la surveillance de vieilles femmes qui ont pour mission
de superviser toutes ces petites "nurses" plus ou moins attirées" 1. Le premier
objectif de ces garderies est de créer, comme dans les jardins pédagogiques de
1. ERNY (Pierre) , L'enfant et son milieu en Afrique noire: essai sur l'éducation traditionnelle,
Paris, 1972. pp. 82 - 83 ; cf H. Jeanmaire, Couroi et Courètes ... , pp.215-216.
310
Platon, un esprit de groupe, c'est-à-dire de solidarité, et cela dès l/bas âge. Le
second objectif est l'épanouissement psychologique de l'enfant à travers les jeux de
groupe. Ici et là, le rôle des vieilles femmes est de surveiller les jeunes enfants. La
fonction de cette catégorie de femmes est plus précise chez Platon qu'en Afrique
noire traditionnelle. Peut-être les enfants restent-ils nus à l'intérieur des temples
transformés en jardins d'enfants. A cet âge (3 à 6 ans), l'enfant négro-africain
exhibe encore sa nudité au grand jour.
Mais l'intérêt de ces rassemblements se trouve être la liberté laissée aux
jeunes enfants. Le corps nu n'est pas encore oublié et il est l'objet de comparaison
avec celui des autres, d'autant plus que filles et garçons de cet âge jouent ensemble.
Aussi ne font-ils pas de distinction de jouets; ils s'amusent avec les mêmes objets
rassemblés ça et là par les parents ou par les surveillantes. A ce stade, les adultes ne
confectionnent pas de jouets pour les jeunes enfants, comme le propose Platon. Les
enfants se contentent plus souvent de ce qui leur tombe entre les mains. Ils jouent à
ranger dans l'ordre et le désordre des objets multiformes et multicolores.
L'intervention de l'adulte est rare voire inexistante dans ces cas. En effet, tant que
les jeunes enfants ne se querellent pas, les parents restent toujours à l'écart. Dans
cette liberté ludique, l'enfant trouve son plaisir en jouant avec les autres, et il fait
tout pour s'affirmer devant ses compagnes et compagnons de jeu. C'est le stade des
comparaisons.
A l'âge de six ans, l'enfant commence à prendre conscience de son sexe, et
cela à travers sa nudité. C'est l'une des raisons de la séparation des filles et des
garçons de cet âge. Mais la raison principale est que les les occupations des uns et
des autres diffèrent selon qu'on est du sexe masculin ou du sexe féminin. Pierre
Emy remarque qu'''à partir de six ans garçons et filles se séparent nettement; les
intérêts et les occupations diffèrent, les uns devenant de petits bergers, les autres
s'adonnant aux travaux du ménage" 1. De même, c'est à cet âge
que Platon
souhaite, presque pour les mêmes raisons, la séparation des filles et des garçons.
Les uns et les autres auront des activités similaires mais proportionnelles à leurs
aptitudes respectives. L'emprise de la société sur les enfants n'empêche pas ces
derniers de jouer.
1. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu . .. , p. 90.
311
En Afrique noire, les filles se plaisent déjà à jouer à la ménagère, alors que les
garçons imitent les adultes mâles dans leurs occupations de tous les jours. Cette
séparation ne diminue en rien le plaisir ludique des enfants. Mieux, il devient plus
fort du fait qu'il est partagé par et avec des compagnons de même sexe. Les filles
comme le garçons jouent avec des objets qu'ils se confectionnent eux-mêmes 1 ou
qui sont faits par les adultes. Il apparaître ainsi une concordance entre le sexe et la
nature des jouets. En effet, les filles jouent avec des ustensiles de ménage en
miniature, alors que les garçons imitent leur père avec des outils fabriqués à leur
taille.
L'homogénéité du groupe traduit les premiers désirs des enfants de rester
ensemble. Et c'est la naissance des amitiés plus solides entre les compagnons d'âge
et de jeu. Le plaisir ludique se définit ici comme le fondement même du groupe
d'âge. On peut dire aussi que c'est pour des raisons d'unité, comme chez Platon.
que l'on encourage ces genres de regroupements en Afrique noire traditionnelle.
Par la même occasion, les enfants affichent leur personnalité d'homme ou de
femme. L'épanouissement de cette personnalité suppose la diversification des
activités ludiques de cet âge. Et c'est pourquoi les enfants sont laissés à eux-mêmes
et vaquent librement à leurs jeux collectifs.
Les jeux de groupe continuent au-delà de la sixième année avec tout ce qu'ils
comportent de plaisant et de sérieux. Mais l'enfant cherche et trouve aussi son
plaisir auprès des adultes. Ce qui se traduit par le rassemblement des enfants autour
de personnes âgées qui content et disent des fables. Le dialogue qui s'établit entre le
conteur et son jeune auditoire est la première source de plaisir pour l'enfant. Dans
cette relation le jeune auditeur devient actif, en ce sens qu'il s'identifie à l'animal ou
au héros des contes. Tellement il se crée intérieurement un monde de plaisirs. En
s'identifiant au héros, l'enfant se donne une force magique et en profite pour
affinner sa personnalité. C'est un autre plaisir que de se faire et de se découvrir
héros. Platon use du même procédé pour l'épanouissement psychologique des
enfants. Bien qu'en Afrique noire l'objectif de ces contacts (pendant les veillées de
l. Cf. GRIAULE (Marcel), Jeux Dogons.- Paris, 1938 : "Les jouets, généralement inanimés
avec lesquels s'amusent les enfants, sont confectionnés par eux ou leur sont donnés par la société
ou la nature. Dans le premier cas, la fabrication est une activité aussi importante pour l'enfant que
l'usage même du jouet, elle lui prend plus de temps et lui procure une distraction plus grande du
fait qu'elle constitue souvent un exercice technique difficile". p. 29. De la page 29 à la page 100
Marcel GRIAULE montre, avec des figures à l'appui, l'ingéniosité des enfants Dogons.
312
..~
contes) entre enfants et adultes soit d'ordre moral et psychologique, les jeunes
auditeurs n'y voient que le côté ludique. Pour eux, c'est une sorte de jeu que les
adultes leur proposent à la place de leurs propres activités ludiques.
Le champ ludique s'élargit lorsque l'enfant est admis à participer aux fêtes
sacrées et profanes. Là aussi son appréciation des choses ne se fonde que sur le
plaisir qu'il ressent. Le changement de décor, de compagnons de jeu suscite chez
lui un plaisir encore plus grand. Ici le nouveau c'est l'ouverture à un monde où tous
les âges se mêlent et qui est plus solennel que celui de son groupe d'âge, en ce sens
qu'il côtoie des hommes et des femmes de tous les âges. Le plaisir, c'est aussi de
danser, de chanter et de jouer avec toutes les catégories d'hommes. Aussi l'enfant
ressent-il dans ces moments un plaisir dont l'adulte et le vieillard n'arrivent plus à
jouir, bien qu'ils trouvent encore du plaisir à jouer.
Lors des cérémonies ludiques. l'enfant est celui qui entre le premier sur
scène, qui porte les masques d'ouverture taillés à sa mesure, qui bat le tam-tam. Et
il est le plus agile dans les danses acrobatiques. La participation des enfants à de
telles fêtes est plus organisée chez Platon qu'en Afrique noire traditionnelle. Mais il
n'en demeure pas moins que, dans les deux cas, la finalité de cette participation
reste pédagogique.
La fête est exploitée ici pour l'épanouissement psychologique de l'enfant,
aspect premier de son éducation. Le plaisir dont l'enfant jouit durant ces fêtes joue
un grand rôle dans son éducation culturelle, car il ne manque pas d'imiter les gestes
et de mémoriser les paroles chantées. C'est de cette manière qu'il acquiert la
personnalité du groupe social. Rien n'est gratuit dans ces fêtes; c'est durant ces
cérémonies que tout jeune enfant apprend à danser et à chanter en imitant ses aînés,
à se maîtriser, à exprimer ses joies et à refouler peines et douleurs. D'autant plus
que ces activités ludiques sont l'occasion des exercices gymniques et guerriers
auxquels prennent part enfants et adolescents.
Le sérieux de ces exercices n'atténue en rIen le plaisir ludique. La
participation de l'enfant et de l'adolescent à ces jeux se limite souvent à la simple
observation. Dans certaines traditions négro-africaines, ces exercices sont réservés
aux jeunes gens et aux adultes, du fait que les enfants et les adolescents ne sont pas
313
,
encore initiés à certaines techniques de guerre. Ce qui n'empêche que ces derniers
jouent occasionnellement à la guerre. Pour eux, c'est toujours plaisant de mener la
défensive ou l'offensive, de s'entraîner au tir à l'arc ou aux jets de javelots, de
sauter ou de courir, de s'affronter corps à corps ou de se mesurer à distance. Mais
durant les fêtes, ils ont seulement le temps d'apprécier la prestance de leurs aînés
qui rivalisent d'agilité, de souplesse et de finesse durant les compétitions
gymniques. Ils auront tiré leur plaisir de la simple contemplation de ce qu'ils sont
appelés à faire plus tard.
Chez Platon, les enfants participent activement, suivant leurs aptitudes, à ces
genres de compétitions. Cela s'explique par l'orientation presque guerrière de
l'éducation platonicienne. En Afrique noire traditionnelle, la formation guerrière
débute avec les initiations. Et les compétitions sont instituées pour mettre à
l'épreuve les valeurs guerrières et gymniques des jeunes gens. Le plaisir qu'elles
donnent aux concurrents et aux spectateurs n'est pas des moindres dans leur
formation psychologique. C'est là l'une des bases de l'éducation négro-africaine.
Le plaisir ludique serait sans importance dans l'éducation de l'enfant, s'il ne
relevait pas de la philosophie négra-africaine. En effet, à l'ennui le Négra-africain
oppose le plaisir ludique. Si le premier freine tout dynamisme humain, le second
contribue à la détente, à la récréation et à l'épanouissement psychologique de
l'individu. Dès lors, pour le Négra-africain, toute existence doit goûter aux plaisirs.
Aussi paraît-il logique que la notion de plaisir ait une grande place dans les
systèmes pédagogiques négra-africains.
La liberté accordée à l'enfant dès l'âge de trais ans traduit dans une certaine
mesure la volonté de l'éducateur de lui faire profiter du plaisir ludique. Peut-être le
plaisir est-il difficilement soumis au contrôle des adultes, mais son objet
pédagogique est de fixer l'enfant à son jeu. Mieux, il ôte à l'enfant toute forme
d'ennui durant ses activités ludiques.
Au demeurant, de l'enfance à la vieillesse, le Négro-africain "chasse" l'ennui
de son existence. Et c'est pour cette raison que la tradition institue des fêtes et des
veillées qui se superposent et se succèdent quotidiennement. Même la mort est une
314
occasion de fête. Si l'on danse et chante pendant les fè,lérailles, ce n'est pas
seulement pour implorer la clémence des dieux pour le repos de l'âme du défunt,
mais c'est aussi pour chasser la douleur et la peine des vivants. La mort n'arrête
pas la joie de vivre. Faut-il, pour cela, réduire la vie du Négro-africain à une
recherche permanente du plaisir? Quelle que soit la réponse, la place du plaisir dans
son existence exige du sérieux dans les jeux enfantins et adultes. Il faut reconnaître
que les occupations quotidiennes et les activités ludiques vont de pair dans la
tradition négro-africaine. Et c'est de leur harmonie que dépend l'épanouissement du
Négro-africain. Ainsi le plaisir ludique ne peut être négligé dans son éducation.
Cependant, tous les plaisirs n'entrent pas en compte dans cette dynamique
pédagogique. Le jeu entre dans l'éducation à la fois pour son sérieux et pour le
plaisir qu'il procure. Mais précisons que tout plaisir nuisible est exclu de
l'éducation des enfants. C'est ce qui donne au jeu enfantin tout son sérieux. Tout
cela implique aussi que le Négro-africain sait faire une distinction entre le sérieux
ludique et le non sérieux dans lc?s jeux. Le jeu sérieux serait pour lui celui qui
s'applique à ce qui est sérieux. c'c?st-à-dire à l'éducation. Le plaisir qu'il procure
aux enfants ou adultes même dépasse pour ainsi dire le plaisir pour le plaisir. Le jeu
doit viser une fin sérieuse et significative dans l'éducation. Dans la tradition négro-
africaine on n'accorde pas trop de sérieux à certains jeux, pour la simple raison
qu'ils procurent un plaisir éphémère sans apport durable dans l'éducation des
enfants. Le calendrier des jeux officiels est établi en vue des objectifs
pédagogiques. Dans ces circonstances, chaque cérémonie ludique correspond à une
séquence de l'histoire ou de la mythologie du groupe social intéressé. Les jeux
initiatiques sont qualifiés de sérieux pour leurs fonctions éducatives; et ils ont
toujours signifié le passage d'un monde à un autre. C'est un rappel permanent de
l'existence humaine qui est un perpétuel passage du jour à la nuit, de la vie à la
mort, du plaisir à l'ennui, et vice versa.
Ainsi le sérieux des jeux sacrés et profanes réside dans ce qu'ils ont à
actualiser la mythologie. Ils tiennent en permanence le Négro-africain dans le
souvenir de son passé. L'enfant et l'adulte s'y adonnent pour leur plaisir et pour
leur formation artistique et psychologique.
315
C'est sous ces différents angles que Platon qualifie les jeux de sérieux. Aussi
cette approche du jeu s'accorde-t-elle parfaitement avec celle qu'on trouve dans la
tradition africaine. C'est seulement en raison de ces aspects que le jeu est considéré,
de part et d'autre, comme une activité voire comme une discipline éducative.
316
IV. 2. JEU: IDENTIFICATION DES OBJETS ET RECONNAISSANCE DES
RÈGLES ET LOIS.
IV. 2. 1. L'univers du jeu
découverte organisée et dirigée
chez Platon.
L'identification et la reconnaissance par le jeu ont plusieurs dimensions
matérielle, morale, sociale et même politique. Elles se définissent comme des
opérations à travers lesquelles l'enfant et l'adolescent apprennent à imiter et à
connaître les activités des adultes. Aussi l'identification se confond-elle avec la
familiarisation théorique et pratique de l'enfant avec l'objet et l'outil de travail; la
reconnaissance quant à elle s'assimile à la découverte des lois et des règles sociales.
Ce sont là deux opérations auxquelles l'enfant s'habitue dans ses diverses activités
ludiques.
Les structures spatiales de la cité idéale de La République et celle des Lois
sont conçues de telle sone qu'une familiarisation avec les lieux s'impose à celui qui
est appelé à y vivre. Cette nécessité devenue un devoir chez Platon s'applique en
premier lieu aux enfants. Cela est propre à toutes les civilisations. La mère est la
première partenaire de jeu de l'enfant. Elle est toujours la première découverte de ce
dernier. A force d'entendre sa voix. de suivre ses gestes, l'enfant s'habitue à sa
mère avec qui il découvre ses premiers plaisirs ludiques. Platon néglige cet aspect
dans La République où la mère ne joue aucun rôle dans le domaine éducatif.
Après leur naissance, les enfants choisis pour être gardes sont rassemblés au
bercail (O'T]l< aç), lieu où ils reçoivent les soins des servantes 1. C'est là une
prescription qui contribue à l'effacement de la cellule familiale. Il est manifeste que
Platon a péché dans cette prescription en oubliant que l'enfant a besoin du secours
et du contact maternels. C'est seulement de cette manière que l'enfant arriverait à
identifier les gestes maternels et à s'habituer à sa mère. Il découvre par la suite
l'espace familial et ses objets. Courir autour de lui, claquer des mains, exhiber des
objets en guise de jouets, tels sont les quelques contacts qu'un enfant cherche à
avoir avec sa mère et avec toute autre personne familière. En dehors du sommeil et
1. Cf. Rép., 460 e.
317
de la nourriture, l'enfant a plutôt besoin d'amusements. L'inexistence de l'espace
familial dans La République est corrigée dans Les Lois.
Dans la cité des Lois, l'enfant a la possibilité de rester avec ses parents, le
temps de découvrir l'espace familial. Là, pendant les trois premières années,
l'enfant est sous la surveillance de sa mère et de ses servantes l . Il n'est plus
enfermé dans un lieu clos et il a la possibilité de se déplacer entre la maison
familiale et l'ensemble de la cité; et cela en compagnie de sa nourrice ou de son
pédagogue. Ces balades constituent pour l'enfant des promenades ludiques. Car il
peut s'amuser à sa guise avec des objets ramassés, découvrir les lieux, entendre les
bruits et sentir les odeurs etc. De même l'enfant négro-africain découvre de la même
façon l'espace villageois et ses réalités quotidiennes. L'enfant de cet âge n'hésite
pas à ramasser un objet, à l'ausculter et le tâter jusqu'à le lécher, uniquement pour
l'identifier. Mais l'objet est immédiatement abandonné dès que l'enfant se trouve en
présence d'un autre plus attrayant. C'est l'interrogation et en même temps
l'identification. Pour l'enfant la diversité de ces objets implique un jeu qui change
de règlements à tout moments.
Platon souhaite voir l'enfant porté jusqu'à l'âge de trois ans 2, même lors des
promenades. Ainsi le prive-t-il d'un contact permanent avec son jouet familier, le
sol. Certes, cette prescription platonicienne obéit à des règles sanitaires; mais dans
son principe et dans sa réalisation elle péche dans le domaine ludique. Dans la cité
des Lois, l'enfant ne peut faire ses découvertes qu'entre les mains de ses gardiens.
Seuls son odorat, sa vue et son ouïe restent en contact avec le monde qui l'entoure.
La rigueur hygiénique rompt ici avec l'éthique du plaisir ludique.
En somme, l'enfant a besoin de ramper, de se rouler par terre, de tâter les
objets etc. Le jeu n'a rien de plaisant pour l'enfant, s'il n'est perçu qu'à travers
l'autre. C'est au nom de l'utilité que Platon néglige la liberté ludique à cet âge. Rien
ne vaut le jeu libre à l'âge de trois ans; et c'est lui seul qui permet à l'enfant de
découvrir et d'explorer l'espace familial et communautaire. Toutefois, Platon
reconnaît l'importance de l'identification du milieu par le jeu, d'autant plus qu'il
1. Cf. Lois. 789 ct e.
2. Cf. Lois, 789 e.
318
~
institue des promenades obligatoires pour les enfants et pour celles qui les
transportent.
S'il a négligé l'identification du milieu par le jeu chez les enfants de trois ans,
Platon a reconsidéré son approche ludique vis-à-vis de ceux qui sont âgés de quatre
à sept ans. Les enfants compris dans cet intervalle découvrent un lieu à double
signification, le temple. Edifiant symbole de la religion, le temple devient dans Les
Lois un centre d'accueil} pour les enfants. Ce lieu sacré transformé en jardin
d'enfants ouvre à ces derniers une nouvelle aire de jeu où ils se rencontrent par
groupe d'âge. On peut se demander pourquoi Platon accorde tant d'attention à la
correction des enfants à l'intérieur du temple2. Peut-être le sacré et la liberté sont-ils
à l'origine des précautions punitives dans ce lieu. Cependant, il difficile d'affirmer
que le jeu s'organise autour des objets; mais il est probable qu'il se déroule de cette
manière là. L'enfant identifie le temple à un monde organisé où des surveillantes
font régner leur autorité. L'autre n'est plus la mère ou la nourrice, mais le
compagnon de jeu. Ainsi l'enfant commence à découvrir un espace autre que celui
où vit sa famille.
Les références de Platon à l'Egypte dont il recommande les méthodes
pédagogiques laissent croire qu'Athènes n'avait pas encore exploité ces procédés3.
Ce qui ne signifie pas l'inexistence de jouets. D'après Platon, ce sont des enfants à
l'âge d'apprendre l'arithmétique qui faisaient usage de ces jouets en Egypte : ce qui
laisse penser que c'est une pratique acquise avant l'âge de sept ans. Aussi le jeu
permet-il à l'enfant de redécouvrir des objets, déjà connus, dans un nouveau mode
d'utilisation. Rien ne montre que Platon ait envisagé d'introduire des objets
ludiques à l'intérieur des temples. C'est au-delà de la sixième année qu'il préconise
l'identification des objets, des outils et des instruments par les enfants.
Après les temples, ces derniers sont orientés vers les gymnases, cadres
encore plus complexes et plus vastes que les premiers. L'organisation structurale
des gymnases se complique pour l'enfant dans la mesure où il y découvre de
nombreuses disciplines. Ces cadres sont aménagés pour tous les citoyens. De
l. Cf Lois, 794 a.
2. Cf. Lois, 794 b c.
3. Cf. Lois, 819 c.
319
même que le temple de chaque bourgade (au nombre de douze)1 abritent les enfants
du même district, de même les gymnases accueillent les jeunes gens et les enfants
de toute la cité "en trois endroits". Platon propose la construction "des gymnases
aussi bien que des écoles en trois endroits dans le centre de la cité, et de même,
pour l'équitation, au dehors, en trois endroits autour de la cité, des gymnases et des
terrains d'exercices que l'on accommoderait pour le tir à l'arc et autre tir à longue
distance, à la fois pour instruire et entraîner la jeunesse "2. Dans une certaine
mesure, le philosophe copie les institutions athéniennes et spartiates. Mais, quand
on suit son raisonnement pédagogique, on se rend compte que Platon envisage la
découverte progressive de l'ensemble du territoire de la n6Àlç.
De la maison familiale l'enfant arrive au temple avec son groupe d'âge de la
bourgade concernée; du lieu sacré il aboutit au gymnase et aux terrains d'exercices
où il rencontre les enfants des douze bourgades. Du milieu familial au gymnase,
l'enfant aura découvert un monde de plus en plus uni. En fréquentant les terrains
d'équitation, le jeune enfant se familiarise avec les faubourgs de la cité (aoTu). Ce
qui l'amène à découvrir aussi de nouveaux espaces au dehors de l' aon. C'est dans
la même perspective que les jeunes gens s'aventurent, après avoir acquis une solide
expérience, dans les champs de bataille ou, plus tard, dans la garde du pays3 pour
remplir leur service militaire. L'exploration procure aux enfants et aux jeunes gens
un plaisir ludique intense4. C'est seulement après ces gardes et cette familiarisation
avec les divers endroits de l'aoTu et du reste du territoire que les jeunes citoyens
pourraient prétendre avoir découvert et connu l'espace de la n6Àlç5.
L'identification de l'espace ludique va de pair avec celle de l'objet utilisé
comme jouet. C'est à partir de six ans que l'enfant commence à manier des armes
confectionnées uniquement pour le jeu6. Comme l'utilité prédomine sur le plaisir
ludique, la liberté de l'enfant devient restreinte dans le jeu. Car l'identification
s'oriente selon les prescriptions du législateur.
1. Cf. Lois, 760 b.
2. Lois, 804 c ; Cf. ARISTOTE, Polit. , VII, Il, 2 ; 1. DELORME, Gymnasion , étude sur
les monuments consacrés à l'éducation en Grèce, Paris, 1960. Cet auteur retrace, au chapitre XVII
l'histoire de l'emplacement des gymnases en dehors et à l'intérieur de la ville. jusqu'à la fin de
l'époque classique, note-t-il, les gymnases sont installés dans les faubourgs. pp,441-458.
3. Cf. Lois, 760 b c d e.
4. Cf. Lois, 760 d.
5. Cf. WORONOFF (Michel), "Ville, cité, pays dans les Lois" in Ktéma, Civilisations de
l'Orient, de la Grèce et de Rome antiques, nO 10, 1985.- pp. 67-75.
6. Cf. Lois, 794, c d.
320
Platon résume avec précision toute sa théorie de l'identification dans ce long
passage: "je dis donc, et je déclare", écrit-il, "que quiconque veut exceller un jour
en quoi ce soit doit s'appliquer à cet objet dès l'enfance, en trouvant à la fois son
amusement et son occupation dans tout ce qui s'y rapporte. Par exemple", continue
Platon, "ceux qui veulent devenir de bons agriculteurs ou encore architectes doivent
s'amuser soit à bâtir quelqu'une de ces maisons que construisent les enfants, soit à
travailler la terre, et leur éducateur à tous deux doit fournir à chacun de petits outils
qui imitent les vrais; ils doivent faire l'apprentissage de toutes les sciences dont
l'étude préalable leur sera nécessaire, comme le charpentier s'exercer à se servir du
mètre ou du cordeau, l'homme de guerre à monter à cheval en jouant et aussi du
reste" 1. Platon semble mettre ici l'apprentissage des métiers par le jeu au même pied
d'égalité. Le procédé revient à user du jeu pour familiariser les enfants avec les
outils et les techniques de leurs futurs métiers. Platon n'ignore pas la différence des
techniques des divers métiers cités. Seulement à ce stade ludique et d'imitation tous
les métiers se valent.
Dans La Répll!J/iqlle. le philosophe propose la suppression de tous les
aspects négatifs dans l'imitation éducative; et il envisage dans Les Lois des formes
plus concrètes de l'imitation. Là, il va préciser l'intérêt psychologique de l'objet
dans le jeu. Intéresser un enfant en bas âge à son futur métier par utilisation des
outils miniaturisés Gouets) revient à adapter sa personnalité à cette fin. En lui
imposant des jouets, on tue, par la même occasion. toute créativité chez l'enfant. A-
t-on le droit de choisir des jouets pour l'enfant? La question reste posée de nos
jours!
L'intimité entre l'objet et l'enfant nous intéresse ici plus que le principe même
du "choix" des objets-jouets. En effet, un véritable amour unit l'enfant à ses jouets.
En les maniant il fait éclater toute sa personnalité. Et à force de jouer au même jeu et
avec les mêmes objets-jouets, l'enfant finit dans l'automatisme. Il ne se rend
certainement pas compte qu'il acquiert une personnalité qu'on lui impose à travers
ses jeux.
D'autre part, Platon pose déjà les bases de l'enseignement pratique.
L'éducateur confectionne et choisit les jouets à la place de l'enfant. Aucune libené
1. Lois, 643 b c.
321
~
de choix n'est laissée à l'enfant, malgré l'atmosphère ludique qui entoure
l'apprentissage des métiers. Cette identification des outils et objets s'effectue de
manière forcée. Mais quand un enfant apprend à manier une arme miniaturisée, il
n'est pas intéressé seulement par l'objet, mais aussi par le plaisir qu'il en tire. La
tendance enfantine est de recommencer toujours ce qui amuse.
Ainsi, dans la cité des Lois, l'enfant se familiarise dès le bas âge avec son
milieu, avec les outils et les techniques inhérentes aux métiers que lui destine la
société. En cela, la notion négro-africaine du jeu peut aider à éclairer celle de
Platon. La véritable découverte du monde commence à trois ans pour l'enfant de la
cité des Lois. Il s'habitue très tôt à l'espace familial et au temple avant de découvrir
les gymnases, les terrains d'exercices et le territoire. Le procédé de familiarisation
avec les objets, peut-on le constater, n'est pas du tout naturel. En ce sens que les
outils et les jouets sont confectionnés par les adultes à la place des enfants.
Néanmoins, Platon jette les premières bases de l'enseignement pratique. Du reste,
le jeu ne manque pas d'imposer à l'enfant le respect des règlements.
Le jeu platonicien ne se déroule pas dans le désordre. Tout est soumis à des
règlements. La classification des citoyens par groupes d'âge est une image familière
de La République et des Lois. Pour le cas précis des jeux, Platon a recours aux
aptitudes selon les sexes. Dès l'âge de six ans, il préconise la séparation des sexes
dans le cadre du jeu. Quelle peut être la raison, si ce n'est pour faire comprendre
aux enfants leur différence naturelle? En effet, à cet âge, l'enfant commençe à se
situer par rapport au sexe opposé. On fait en sorte qu'il découvre que cette
différence n'est pas seulement le sexe, mais qu'elle se situe au niveau des aptitudes.
On ['amène à faire désormais une distinction nette entre l'homme et la femme.
Dans les groupes formés suivant le même sexe, Platon propose de rassembler
les enfants de même âge. Là l'enfant apprend à connaître l'ordre hiérarchique et à
obéir aux ordres. Les jeunes citoyens doivent respect aux anciens. C'est ce qui fait
l'intérêt de la reconnaissance des hiérarchies sociales au sein de la cité. Le jeu y
soumet l'enfant. La succession des chœurs d'enfants suivis par ceux des hommes
de moins et de plus de trente ans en est une illustration. Dans les représentations, la
faveur est donnée aux plus expérimentés de jouer les derniers. L'enfant aura ainsi
322
,
l'occasion de voir et de sentir la différence entre la prestance des deux catégories
d'âge. C'est aussi une reconnaissance de l'ordre hiérarchique par le jeu.
Platon note qu'en Egypte "C ... ) en jouant encore, les maîtres assemblent des
fioles en or, en bronze, en argent et autres matières, et d'autres, C... ), les
distribuent en séries d'une même matière" 1. Ce passage est très significatif dans la
pensée platonicienne. Il reflète une classification sociale et une pratique
mathématique des ensembles à travers la distribution des objets. Ces derniers sont
qualitativement différents: or, argent, bronze etc. L'or représenterait le garde
philosophe, l'argent le garde guerrier, le bronze les autres catégories sociales. Tout
est agencé dans ce jeu de distribution pour faire voir à l'enfant la différence des
objets-jouets selon leurs qualités. Ainsi la différence entre les diverses catégories
sociales lui est expliquée.
Toujours par référence à l'Egypte Platon écrit qu' "c ... )en calcul, encore tout
enfants, on a inventé des méthodes pour leur faire apprendre, en se jouant et avec
plaisir, soit à partager des fruits ou des couronnes de façon qu'un même nombre
total se distribue tour à tour en un plus grand et en un plus petit groupe; soit au jeu
de boxe ou de lutte. à faire se succéder. en alternance ou à la file, dans leur ordre
naturel, les rôles impairs et les rôles pairs"2. L'ordre et l'égalité sont les principaux
principes recherchés dans ce procédé pédagogique. Le partage des objets entre les
différents groupes initie l'enfant à la distribution égalitaire des biens entre les
citoyens. Ce qui lui sera d'un grand apport une fois devenu adulte.
L'exemple de la boxe édifie sur un autre type d'ordre. Ce jeu fait découvrir à
l'enfant l'image de l'ordre dans l'armée. Platon le précise lui-même: "les Egyptiens
habillent ainsi en jeu les applications de l'arithmétique élémentaire pour rendre plus
aptes leurs élèves à ranger et conduire des années et commander des expéditions,
administrer une maison, pour les mieux préparer à se tirer d'affaire eux-mêmes en
toutes rencontres et en faire des hommes éveillés"3. De ce passage, il apparaît que
le but recherché par l'éducateur est d'aiguiser l'esprit des enfants, de les familiariser
avec certaines lois naturelles et de faire respecter la régularité du jeu. On habitue
ainsi l'enfant aux règles de commandement et d'obéissance. Il n'est plus question
1. Lois, 819 b c.
2. Lois, 819 b.
3. Lois, 819 c.
323
de hiérarchie entre jeunes et vieilles personnes, mais de celle qui existe entre un
chef et ses subordonnés. Il s'initie à l'obéissance dans l'armée et dans la vie de tous
les jours. L'une des finalités de ce jeu de reconnaissance reste l'acquisition des
notions d'économie familiale. En effet, l'enfant joue ici le rôle d'une mère ou celui
d'un père de famille. Il apprend, par le biais de ce jeu, à gérer les affaires
familiales.
Ainsi le jeu chez Platon contribue fortement à la reconnaissance des lois par
l'enfant. Outre le règlement interne propre à chaque jeu, le activités ludiques le
préparent au commandement, à l'obéissance et au respect des lois. Le jeu aura ainsi
permis à l'enfant d'entrevoir l'objet et l'utilité des lois, symboles de l'unité de la
cité.
324
IV 2. 2. L'univers du jeu
découverte libre en Afrique
L'espace ludique en Afrique noire traditionnelle n'est pas une surface fixe ni
un enclos fermé. Il s'identifie à la fois à la cour d'une concession familiale et à la
place publique. La découverte de ces espaces et des objets qui les meublent suit un
processus lié à l'âge et aux jeux de l'enfant.
Libre de ses gestes et mouvements, le jeune enfant joue avec son corps et
avec celui de sa mère. Ce sont là en quelque sorte les premiers "objets" qu'il
découvre dans son espace ludique. Dès lors, son bras ou sa jambe, ses doigts ou
ses orteils lui servent de jouets. Cette occasion n'est pas donnée aux nourrissons de
la cité platonicienne dont le corps est emmailloté jusqu'à l'âge de deux ans. Mais
portés par leurs mères ou leurs nourrices, ils découvrent du regard tout ce qui se
trouve dans la parcelle familiale. Au fur et à mesure que l'enfant grandit son objet
de jeu change.
Après le corps, ce sont ses propres parures, celles de sa mère et de ses
proches servantes qui constituent ses nouvelles découvertes. En effet, c'est
quelques jours après sa naissance que le bébé négro-africain reçoit, autour de ses
membres, parures et gris-gris. Ce sont grelots, cauris, pierres, étoffes et fils de
couleurs différentes, osselets qui sont pendus à ses bras, à ses chevilles, à son cou
et autour des reins. Hormis la finalité mystique qu'on y attache, ces objets servent
de jouets à l'enfant. Ce dernier apprend à y distinguer les couleurs et les différents
sons. Pour jouer avec lui, sa mère exhibe son mouchoir de tête multicolore ou lui
fait écouter le tintamarre de ses bracelets. Dans ce jeu, le nourrisson ne distingue
que la couleur et le bruit. A ce stade. ses découvertes se font dans la position
couchée. C'est avec la position assise que l'enfant commence à explorer et à jouer
avec tous ces objets. Même avec cette dernière, il est encore incapable de jeter son
regard au loin ni de se retourner.
L'espace ludique s'élargit lorsque le poupon commence à ramper et à
marcher. Tout nu, il affronte sans hésiter le sol réchauffé par le soleil ou refroidi par
la nuit et la rosée. Il se familiarise avec le sol qui devient ainsi son objet ludique le
plus familier. il joue avec des objets qu'il ramasse en faisant des va-et-vient dans la
325
.~
cour familiale. Il faut dire que ces objets ne constituent pas encore une collection
propre à l'enfant. Il joue avec le pilon ou le mortier rangés ou abandonnés au milieu
de la concession, ou avec une poule qui cherche sa nourriture quotidienne au coin
du foyer, ou avec le chien qui dort à l'ombre d'une case, avec des margouillats qui
sèchent leur peau au soleil, avec tout ce qui existe dans la maison familiale. Outre
l'ouïe et la vue, l'odorat, le toucher et le goût aident l'enfant à identifier les objets.
Il arrive ainsi à distinguer le dur et le mou, l'amer et le doux, le chaud et le froid.
Ce sont tous ses sens qui s'éveillent au contact des différents objets. Mais il ne
connaît pas encore leur utilité.
Jusqu'à l'âge de deux voire même trois ans, l'enfant ballotte encore sur le dos
de sa mère. Cette dernière n'hésite pas à le porter partout où la conduisent ses
occupations quotidiennes. Pendant les travaux champêtres comme durant le
ramassage du bois ou lors des simples déplacements, l'enfant de cet âge ne se
sépare pas de sa mère ou de sa surveillante. Mais la question est de savoir si ces
moments peuvent être considérés comme des "séances ludiques" pour l'enfant.
D'habitude, s'il ne dort pas, l'enfant ne reste pas passif sur le dos de sa mère.
Platon recommande de faire porter les enfants âgés de un à trois ans par leurs
servantes et de les promener. En Afrique noire traditionnelle, c'est une pratique qui
existe dans les coutumes. A la hauteur des épaules de sa mère l'enfant a le loisir et
la liberté de découvrir tout autour de lui par le biais du regard qui ne cesse
d'explorer la nature. Il voit, à partir du dos de sa mère, tout ce qu'il touchait par
terre. Il saisit et arrache tout ce qui est à sa hauteur et à sa portée. Il voit, entend et
sent respectivement couleurs, bruits et odeurs au rythme des mouvements
maternels. Mais il ne va pas au-delà de la simple découverte, source de tous ses
plaisirs du moment. Il découvre un monde qui lui est jusque-là inconnu et avec
lequel il a le plaisir de jouer. Et c'est là l'explication de ses excitations et de ses
mouvements sur le dos de sa mère. Son sourire va à l'arbre, à l'oiseau volant; il
s'égaye avec les animaux, écoute le gazouillement des oiseaux etc. Tout est jeu
pour lui.
De la concession familiale à la campagne, en passant par la place publique,
l'enfant aura ainsi découvert, à partir du dos de sa mère, ses futurs espaces
326
~
ludiques. La découverte de ces objets et de ces milieux ne sera effective que
lorsqu'il aura rejoint ses compagnons d'âge du quartier et du vi11age.
De trois à sept ans, c'est l'âge des col1ections. Fil1es et garçons se
rassemblent pour comparer leurs jouets. C'est une manière de découvrir les secrets
de l'autre. Les comparaisons corporel1es s'imposent. Le corps encore nu de
l'enfant reste le jouet le plus fidèle, et il est l'objet d'une nouvel1e exploration.
Charles Béart note que "ce corps de surcroît, l'enfant est d'autant plus amené à y
penser qu'il sera l'objet de tatouages, de scarifications, de mutilations rituel1es :
circoncision, excision, dents limées, ablation du phalange, oreil1es, nez, lèvres
percées, tatouages etc C... )" qu"'il sera peint rituellement pour certaine fête où le rite
et le jeu coexisteront" 1. C'est toujours le jeu avec le corps et avec des parures. A
travers cette célébration et la décoration de son corps, l'enfant perçoit de manière
encore superficiel1e les caractéristiques de sa culture. D'autant plus que le corps est
désormais soumis aux jeux de déguisements et de parures.
Les groupes se forment à partir de la septième année, et cela selon les sexes.
Paral1èlement, les jouets changent de nature et de fonction. En effet, filles et
garçons se donnent respectivement dans leurs jeux les rôles de mère et de père. Par
conséquent, les enfants se confectionnent eux-mêmes des outils ludiques imitant
ceux qu'emploient leurs parents. Dès qu'ils se libèrent de l'étreinte familiale, ils ont
tendance à reproduire dans leurs jeux tout ce qu'ils viennent de voir et faire avec les
adultes. Ils ne se contentent pas seulement des outils que leurs parents utilisent,
mais ils fabriquent eux-mêmes leurs objets-outils. Le plaisir qu'ils ressentent dans
cette imitation les aident à mieux se familiariser avec leurs futurs outils de travai1.
Platon évoque l'intérêt de ce genre d'imitation. Seulement, pour lui, le rejeton
du charpentier par exemple ne peut et ne doit pas être intéressé par un métier autre
que celui de son père. II est interdit à l'enfant de jouer avec des outils différents de
ceux de ses parents. D'ailleurs, la réglementation des jeux l'y contraint; et c'est ce
qui va maintenir le clivage en classes. En Afrique noire traditionnel1e, il est permis à
l'enfant de jouer comme bon lui semble. L'éducation consiste à donner à chacun les
chances d'avoir sa place au sein de la société. C'est pourquoi les parents
encouragent leurs enfants à jouer pleinement leurs jeux respectifs. Platon prône le
1. BEART (Charles), Jeux et jouets .... (tome 1) p. 41.
327
>
même principe, mais il se fie plus aux aptitudes qu'au sexe de l'enfant. De part"et
d'autre, on cherche à donner à l'enfant une idée de ses futures occupations. Ainsi le
jeu aide filles et garçons à découvrir la vie sociale et leurs fonctions respectives.
Jusqu'à l'âge d'être initiés, les enfants continuent, à travers leurs activités
ludiques, à explorer et à découvrir leur milieu. Mais le jeu devient plus précis
pendant la période pubertaire. C'est le moment de la seconde exploration
corporelle. Filles et garçons essaient dans la mesure du possible à ressembler aux
adultes.
C'est le temps des jeux de mariages, de rapports sexuels mimés, de
parures etc. Pour plaire au sexe opposé, l'adolescent pare son corps de multiples
bijoux et de dessins. Avec de l'argile et de la cendre l'enfant se taoue pour
ressembler au guerrier, aux animaux ou à tout ce qui vit dans son entourage. Là, il
ne fait que jouer. La scarification relève surtout de l'autorité des adultes, en ce sens
qu'elle n'est gravée que pour disparaître avec le corps. Sa résistance au temps
s'oppose à la durée éphémère du tatouage des enfants. Jouer avec son corps, c'est
se découvrir soi-même; c'est une habitude qui s'atténue après les initiations et elle
ne réapparaît que lors des fêtes traditionnelles.
C'est pendant la période pubertaire que filles et garçons s'exercent à l'art
oratoire. Les contes, les fables, les devinettes et les proverbes sont à la base de ces
jeux du verbe. C'est pendant ces rencontres nocturnes, mixtes ou non, que les
adolescents mettent à l'épreuve leur éloquence et leurs connaissances de la langue.
Ils jouent avec des mots pour trouver leurs diverses significations. Ainsi
apprennent-ils à mémoriser les techniques de l'oralité. Là aussi l'adolescent ne fait
qu'imiter l'adulte, attendu qu'il est censé avoir appris à bien parler auprès des
personnes âgées. C'est par la même occasion qu'il explore sa voix en jouant aux
chants.
Le chant est un jeu que l'adolescent pratique seul ou en compagnie de ses
camarades. Us se confectionnent eux-mêmes les instruments de musique dont ils se
servent à tout moment de la journée. Ils animent leurs rencontres avec les mêmes
instruments. Cette éducation musicale libre aura des répercussions sur leur réelle
formation artistique. Et ceux qui sont appelés à être musiciens y trouvent leur
compte. Car dans les sociétés hiérarchisées la musique est réservée à quelques
castes. Et c'est pourquoi, à la fin de la puberté, disparaît chez les jeunes gens des
328
autres castes toute imitation musicale. Tout de même, les uns et les autres auront
goûté pendant leur enfance aux délices du chant, de la danse et de la musique.
Aussi ces expériences ludiques les auront-ils conduits à des endroits différents du
village et de la région, d'autant plus que l'espace ludique en Afrique noire est
toujours "mobile".
Ces différents jeux conduisent l'enfant et l'adolescent à travers toute l'aire du
territoire. Tout en poursuivant leurs activités ludiques ils repèrent des espaces où ils
peuvent jouer librement. C'est ainsi qu'ils vont de découverte en découverte,
attendu que chaque jeu demande une aire adaptée à son déroulement. Si d'une part
la petite chasse par exemple les aide à explorer la forêt, d'autre part une partie de
pêche leur fait découvrir le fleuve, la rivière ou la mer. Ainsi, avant les initiations
pubertaires, ils auront identifié une grande partie du territoire communautaire.
Au premier abord, ces activités ludiques laissent apparaître une sone
d'anarchie dans leur organistion et dans leur forme. Mais dans la tradition négro-
africaine, les jeux sont classés par th~mes qui correspondent, comme chez Platon,
aux différentes classes d'âge. Un cadet ne doit jamais perturber le cours du jeu de
ses aînés. D'ailleurs, il est toujours en compagnie de ses compagnons d'âge et de
jeu. Il y a pour ainsi dire une sorte d'hiérarchie que les enfants et les adolescents
respectent dans leurs jeux, et cela sans l'intervention des adultes. C'est un principe
que l'enfant intériorise sans contrainte. Il ne se permet pas de se mêler aux jeux du
sexe opposé. Le jeune garçon aura honte d'être traité d'efféminé et la fille d'être
traitée de masculine. Chacun d'eux cherche à créer ses jeux par rapport à son statut
de femme ou d'homme.
Ainsi dans ses activités ludiques, l'enfant apprend à respecter la structure
traditionnelle. La société lui impose par là-même le respect des règles et des lois, et
lui inculque cette idée d'ordre dans ses jeux. En effet, tout jeu obéit à un règlement
forgé par les enfants eux-mêmes ou par les adultes. Si avant six ans sa collection
d'objets paraît désordonnée, à sept ans l'enfant commence à ranger ses jouets selon
leur nature et leurs fonctions. Désormais, la notion d'ordre et de loi va s'imposer
dans sa vie.
329
IV. 3 JEU ET CRÉATIVITÉ
IV. 3. 1. Création ludique contrôlée chez Platon
Il est difficile, voire impossible de concilier l'idée de stabilité des jeux avec la
créativité enfantine. Platon prône la stabilité dans les activités ludiques, condamnant
ainsi tout changement de conception et de pratique des jeux dans la cité. La
créativité n'en sort pas moins limitée.
Il est des jeux communs à toute l'humanité; mais il en existe d'autres propres
à des civilisations. L'environnement naturel et les activités sociales constituent
toujours les grands tableaux où l'enfant puise certaines formes de ses jeux. il ne
saurait sortir de cette réalité sans risque de tomber dans la pure créativité de l'esprit.
L'enfant a une ingéniosité telle qu'il arrive à donner une forme et une vie à un objet.
Et l'image de son aire de vie se reflète dans toutes ses créations.
Platon accorde une liberté créative aux enfants de trois ans, sans pour autant
la donner à l'ensemble de la jeunesse. En effet, "quant aux amusements de cet âge",
écrit-il, "il y en a qui naissent tout seuls, et que les enfants trouvent d'eux-mêmes
sitôt qu'ils sont ensemble" '. Là la créativité n'est pas individuelle mais collective.
Dans cette opération, Platon privilégie l'intérêt général qui exclut tout
individualisme. Le rassemblement des enfants de moins de sept ans dans les
temples leur permet de s'adonner à des jeux collectifs. Il est manifeste que les
enfants jouent dans ce cas en petits groupes régis par des règlements stricts. D'où
viendrait la créativité individuelle, si tout est décidé en commun par le groupe?
Prenons, comme Platon, l'exemple des enfants maçons, habitués à voir leurs
parents à l'œuvre. Réunis, ils décident de jouer à la construction de maisons. Le
principe de construire une maison est acquis par tous. Cependant, chacun d'eux
cherche à réaliser, dans son petit coin, sa maison idéale. A ce stade, le génie
individuel éclate au grand jour; chacun va donner une marque personnelle à son
modèle. Leurs différences résideraient dans le style et dans la décoration de la
1. Lois, 794 a.
330
~
maison avec des objets trouvés et sélectionnés. Mais dans ce jeu imitatif, ils ne
sauront dépasser l'image concrète des maisons de la cité.
Mettez ensemble des enfants de campagne et des jeunes citadins au bord de la
mer, et demandez qu'ils jouent à la construction des maisons. La différence entre
les deux groupes se fera sentir dans l'approche architecturale des maisons issues de
leur création. Certainement, des habitations en bois ou en argile naîtront-elles des
mains des petits
campagnards, alors que des immeubles et des terrasses
émergeront de la création des citadins. C'est dire qu'aucune création de l'enfant ne
peut dépasser la réalité naturelle et sociale de son environnement immédiat.
Créativité s'assimile ici à imitation. Mais dans cette dernière l'enfant modifie, et
donne à chaque objet une nouvelle forme de vie. C'est à cet aspect de l'imitation
que Platon limite la créativité de l'enfant dans le jeu.
Dans La République comme dans Les Lois, Platon n'a pas accordé grand
intérêt à la créati vité ludique. En effet. les contraintes pédagogiques n'auront pas
laissé l'enfant jouer en liberté. C'est il six ans que ce dernier ressent plus cette
restriction. L'orientation est telle qu'il ne lui est donnée aucune possibilité de
choisir lui-même son jeu. Cette insuffisance institutionnelle va se répercuter sur les
jeux de l'adolescent et sur ceux des jeunes gens.
Platon préfère l'effort il la créativité dans le jeu. La compétition ludique est
conçue comme une émulation 1. Mais en musique, le philosophe rejette tout
changement2. Au demeurant. le rigorisme platonicien dans ce domaine fait que les
concours relatifs il cette discipline n'enrichissent en rien les techniques chorales. La
créativité est à un degré zéro.
Pourtant, Platon ne définit pas la competltlon comme une simple
manifestation ludique destinée il réjouir les spectateurs. Son intention est plutôt de
faire de la compétition une cérémonie pédagogique. Aussi institue-t-ille prix (ou la
récompense) comme une simple émulation.
Il pense ainsi pousser les jeunes
concurrents à fournir plus d'efforts durant les épreuves compétitives. C'est ce qui
lui fait écrire que "pour le coureur sans armes nous ne mettrons pas de prix"3.
1. Lois, 834 d.
2. Lois, 800 a b.
3. Lois, 833 a.
331
~
L'idée est d'encourager les jeunes gens à porter des armes, à cultiver leur
endurance. Car une course avec armes exige plus d'efforts qu'une course sans
armes. Les jeunes concurrents armés fourniront ainsi plus d'efforts dans leur
course.
Platon organise ces concours suivant les classes d'âge des citoyens. L'un,
écrit-il, doit être consacré aux enfants, l'autre aux adolescents, et le troisième aux
hommes mûrs. Aux seconds il impose les deux tiers de l'espace à parcourir par les
adultes, aux premiers la moitié des deux tiers '. En prenant comme repère la classe
d'âge, le philosophe tient compte de l'effort que chaque concurrent est capable de
fournir devant ses adversaires. L'égalité d'âge implique dans ce cas les mêmes
possibilités physiques et psychologiques chez tous les concurrents de la même
catégorie. L'intérêt de cette répartition (suivant l'âge) réside dans la tentative des
concurrents d'atteindre la catégorie supérieure en efforts; et cela dans un esprit tout
à fait individuel.
L'effort devient collectif dans les épreuves de lutte et de force où les
concurrents sont rangés face à face, un contre un, deux contre deux, dix contre dix2
etc. Là, Platon montre la supériorité de l'effort collectif sur l'effort individuel. Dans
les deux cas, les concurrents se surpassent pour se maintenir dans le groupe et pour
préparer leur accession à la catégorie supérieure.
Contrairement à ce qui se passe dans les concours gymniques, dans les
compétitions musicales on ne cherche pas le dépassement. Il n'y a pas de
compositions autres que celles qui sont définies dans la constitution. On est porté à
croire que la récompense reviendrait à celui qui fait l'effort de se limiter aux
recommandations du législateur. Tout effort de création y est banni. Ainsi dans la
nau)da et dans l'àywv, Platon laisse peu de liberté créative à l'enfant et à
l'adolescent voire à l'adulte. A ces derniers, on demande de se conformer aux
normes ludiques et de fournir l'effort que dans ce cadre. Et c'est la conséquence
logique des jeux réglés: les acteurs sont privés de toute créativité.
1. Lois, 833 c.
2. Lois, 833 d e.
332
IV. 3. 2. L'enfant et le jeu : liberté créative en Afrique
Dans le jeu, l'enfant imite et invente. Il est difficile de marquer une frontière
entre l'imitation et l'invention ludiques, d'autant plus que ces opérations dépendent
de l'environnement social et naturel de l'enfant. En effet, il imite ce qu'il voit et
ressent ; et il crée à partir de ce qu'il a vu et ressenti. En Afrique noire
traditionnelle, comme dans la société platonicienne, le jeu est collectif. Mais, s'il est
collectif et plus ou moins fermé chez Platon, en Afrique le jeu est collectif et ouvert.
Cette différence viendrait du fait que les enfants de la cité platonicienne sont limités
à ce que les éducateurs leur proposent comme jouets dans des surfaces closes,
alors qu'en Afrique noire traditionnelle l'enfant a accès à tout ce qui traîne dans les
différentes concessions familiales et places publiques. Presque seule la nature lui
fournit ses jouets, et le reste relève de son ingéniosité.
L'imitation ludique est en principe le premier aspect de la créativité de
l'enfant. Les contacts de l'Afrique noire avec l'Occident ont marqué un grand
tournant dans les créations ludiques des enfants noirs. Sans abandonner leurs jeux
traditionnels, ces derniers se mirent à imiter et à reproduire ce qui faisait la fierté du
colonisateur. Ainsi le fusil, la voiture. la bicyclette taillés dans du bois ou fabriqués
à l'aide des tiges de mil et de paille, avec des écorces ou de l'argile, devinrent les
jouets favoris des enfants. Pierre Erny remarque justement que "dans la région
soudanaise les enfants font des merveilles avec la moelle des tiges de mil qui
constitue pour eux l'équivalent d'un "mécano". L'osier, le bois, des morceaux de
calebasse, des lianes, du fil et des boîtes de conserves s'y ajoutent pour la
fabrication des jouets divers, de figurines, de pièges, de bracelets, de corbeilles, de
chapeaux, d'instruments de musique, et aujourd'hui de voitures, d'avions, de
trains, de grues, de bulldozers, d'engins pourvus de système de guidage parfois
étonnamment perfectionnés" 1. La créativité enfantine était aussi riche avant
qu'après l'arrivée des Européens.
L'enfant se contentait d'imiter, dans ses créations ludiques, son milieu et son
entourage symbolisés le plus souvent par l'homme et ses outils de travail, par les
mondes végétaux et des animaux. Il trouve même plus de plaisir dans la création
des jouets que dans leur utilisation. C'est à ce moment là qu'il exhibe son
1. ERNY (Pierre), L'enfant et SOlI milieu ... , p. 146.
333
ingéniosité en donnant à ses créations des statures originales. Et c'est ainsi qu'il
ajoute une troisième corne ou une cinquième patte à un taureau fait de glaise,
seulement pour montrer la force et la beauté de cet animal; qu'il met de nombreuses
mamelles à une vache pour la faire suivre par un grand nombre de veaux, donne au
fusil plusieurs canons pour célébrer la puissance de son tir, et à son dessin plus de
ramifications pour se vanter devant ses compagnons de jeu etc. Il ne s'arrête pas
par exemple à une simple reproduction d'une case ou d'un objet quelconque, mais
il essaie de les rendre extraordinaires en rajoutant au modèle existant ses propres
décorations. Sa représentation des objets n'est pas une imitation fidèle ; elle
avoisine plutôt l'invention. Par exemple, pour l'enfant, le taureau garni de trois
cornes ne cesse d'être taureau, attendu que la troisième ne symbolise qu'une force
nouvelle. Et cette dernière est la propre création de l'enfant.
A partir de ces créations ludiques, les enfants arrivent à trouver et à inventer
d'autres jeux. L'activité ludique est un enchaînement heureux d'objets et d'idées
que les enfants exploitent à leur guise. Reprenons l'exemple des taureaux. Après
qu'ils ont donné, chacun de son côté, une image parfaite à leurs bêtes, les enfants
inventent de nouveaux jeux avec les mêmes jouets. Ainsi organisent-ils la course
des bovins montés par leurs bergers, et qu'ils déplacent à l'aide des ficelles à
travers fleuves et rivières, plaines et montagnes (reliefs symbolisés par des traits au
sol, des tas de sable etc.), le combat entre taureaux dont le vainqueur est celui qui
reste avec ses cornes jusqu'à la fin de la compétition. C'est cette espèce
d'enchaînement des activités ludiques qui permet à l'enfant de créer de jeux
nouveaux susceptibles d'attirer l'attention des adultes. Ainsi son esprit et sa
réflexion restent-ils toujours éveillés.
En Afrique noire traditionnelle, les créations techniques et artistiques
procèdent de l'imitation et de l'invention ludiques. C'est dans la reproduction des
outils de ses parents que l'enfant améliore les techniques de fabrication. Une fois
adulte, il confectionnera à sa manière ses armes, ses outils etc. Mais il garde en
modèles les armes et les outils de ses parents, de sorte que tous les thèmes ludiques
sont hérités des ancêtres et améliorés par les générations suivantes. La stabilité des
principes ludiques ne gêne pas la créativité enfantine et ne freine pas l'amélioration
des techniques et règles de jeu. En fin de compte, la créativité de l'enfant dans le jeu
est liée à son degré de liberté dans la société.
334
Platon néglige cette vérité au non de la stabilité de l'Etat. Et cela ôte au jeu un
aspect de sa portée pédagogique, alors qu'en Afrique la création ludique intègre
l'enfant dans le monde des adultes, le pousse à réfléchir et lui apprend à se servir
des objets naturels et à les transformer en jouets. Ainsi, pour citer Jean Chateau,
"l'enfant est dépendant dès qu'il parvient à s'intéresser à une société,_qu'il s'agisse
de la société de ses pairs ou celle des adultes" 1. Mais cette dépendance
sociologique, aussi bien chez Platon qu'en Afrique noire traditionnellë, ne peut
gêner l'enfant dans ses créations ludiques. L'éducateur doit, pour leur faciliter
l'intégration, laisser aux enfants la liberté d'imiter, de créer et d'inventer dans leurs
jeux. C'est là l'une des compréhensions que le Négro-africain a de la liberté
ludique. Tandis que chez Platon cette dernière est limitée à l'imitation pure et simple
du modèle existant. Pourtant, de part et d'autre, le souci de l'éducateur est de
permettre à l'enfant, à travers ses différents jeux, de s'imprégner de la réalité
sociale et de faire éclore lui-même ses qualités humaines.
1. CHATEAU (Jean.) . Le réel et l'imaginaire dans le jeu de l'enfant, Paris, 1949. p. 85.
335
,
IV. 4. JEU: ORIENTATION RELIGIEUSE ET ARTISTIQUE
IV. 4. 1. Régularité du calendrier et invariabilité du contenu
des jeux chez Platon
La pennanence de l'idée de dieu dans son œuvre donne l'impression que
Platon a vécu uniquement pour la religion. A l'instar de ses prédécesseurs, tel que
Xénophane, il s'attaque à certains dogmes de la mythologie, et trace par la même
occasion les grandes lignes de la nouvelle religion de la cité idéale. Le jeu est l'une
des activités qui aident à mieux propager les idées religieuses. Et Platon va s'en
servir pour donner une éducation religieuse solide à la jeunesse de la cité.
De la jeune enfance à la fin de la puberté, l'être humain est attiré par le
merveilleux. L'éducation religieuse commence avec le merveilleux des fables et des
récits mythiques. En effet, tous ces récits sont dits sous des fonnes ludiques.
L'enfant trouve plaisir à les écouter et à les dire lui-même; et il apprend en
même temps à honorer les dieux évoqués dans ces récits. Platon exclut toute idée de
voir des enfants nourris de ces fables nier l'existence des dieux. Car "dès leur
prime enfance", écrit-il, "nourrissons encore au lait, ils entendirent conter à leurs
servantes et à leur mères, ces récits dont on les enchantait, pour ainsi dire, tour à
tour plaisants ou graves et qui se renouvelaient pour eux dans les prières des
sacrifices" 1. Les contes et les cérémonies de sacrifices les plongent dans une
atmosphère religieuse. Mais c'est plutôt l'aspect ludique qui les mobilise davantage.
En effet dans les contes l'enfant a comme partenaires de jeu sa mère, la servante, le
pédagogue, les grands-parents. Ils se communiquent soit avec des paroles chantées
soit avec des gestes imitant ceux des personnages divins des récits.
Durant les cérémonies et les sacrifices, l'enfant appréhende l'image de dieu; il
est attiré par le plaisir que sont censés donner ces genres de rassemblements. Aussi
à force d'assister à la célébration des sacrifices l'enfant finit-il par saisir le sens des
prières et des jeux qui les accompagnent. Il apprend ainsi à connaître la religion
dans ce qu'il considère comme un jeu, à savoir les prières et les sacrifices. Il
1. Lois, 887 d e.
336
,
s'imprègne très tôt de l'idée de dieu, et cela à travers les fables et des spectacles.
C'est sous des formes ludiques que le naïç est amené à la religion. L'éducation
religieuse dissimulée dans les récits mythiques et dans les cérémonies sacrées
devient moins voilée dans les activités ludiques du vÉoç.
En effet, le vÉoç connaît aussi bien les gymnases que les lieux de cultes, alors
que le naïç se fait une idée vague de ces structures d'accueil. Le vÉoç est au courant
de toutes les fêtes religieuses et il sait quels dieux elles célèbrent. Mais la
propagation et la transmission religieuses sont plus intenses dans les jeux que dans
les cérémonies sacrées. Les VÉOl doivent imiter les dieux et les héros dans toutes les
cérémonies ludiques organisées à leur intention. Cela encouragerait le vÉoç dans ses
mouvements et gestes et le maintiendrait en permanence dans une atmosphère
religieuse. Ce besoin de recourir aux jeux pour rehausser la religion chez les VÉOl
est manifeste.
Et "quant aux enfants", écrit Platon, "dès la première année et tant qu'ils ne
vont pas encore à la guerre ils devraient toujours, en armes et à cheval, rehausser
toutes processions et tous cortèges en l'honneur des dieux, scandant au rythme plus
ou moins vif de leur danse ou de leur marche, les supplications qu'ils adressent au.x
dieux et fils de dieux. Telle est la fin et l'unique fin qu'on doive poursuivre en se
livrant aux combats gymniques et engagements qui les préparent" 1. Deux objectifs
sous-tendent ces cérémonies: la formation physique et guerrière d'une part, et la
formation religieuse d'autre part. Il s'agit d'orienter les jeux vers une finalité
religieuse et de faire passer l'idée que les dieux sont toujours aux côtés des vivants.
L'aspect sérieux du jeu réapparaît ici sous un fonds religieux.
Platon profite toujours de ces cérémonies ludiques pour rappeler aux jeunes
gens en formation l'existence des dieux. Cette subtilité platonicienne se voit
clairement dans les courses dont les relais, durant les compétitions, sont des
temples. Ces derniers se trouvent tout au long du parcours des hoplites et archers.
Et "( ... ) cinquième", écrit Platon, "d'abord celui que nous lancerons tout armé sur
une longueur de soixante stades jusqu'au temple d'Arès et retour; à cause de ses
armes lourdes nous appellerons hoplite, mais le ferons courir sur un chemin plus
uni; alors que son adversaire. archer couvert de tout son équipement, courra cent
1. Lois, 796 c d.
337
stades jusqu'au temple d'Apollon et d'Artemis, à travers les montagnes et des
terrains de toute sorte" 1. L'image des relais est significative, d'autant plus qu'elle
représente des lieux sacrés vénérés par tous. Peut-être que ces temples symbolisent
ils le rôle de chacun des dieux cités dans les activités ludiques, mais dans ce cas
précis leur rôle est de rappeler la religion aux concurrents. Les chœurs de danse
n'échappent pas à cette règle.
Ainsi le chœur des enfants est consacré aux Muses, celui de ceux qui ont
moins de trente ans à Apollon Péan, et celui des hommes de trente à soixante ans à
Dionysos2. Les intéressés sont tenus, avant de monter sur scène et pendant leur
production, d'invoquer ces dieux. On signifie aux aux enfants, aux adolescents et
aux jeunes gens que toute activité humaine dépend de la volonté divine.
Les activités ludiques initient enfants et adolescents à la religion. Pour Platon
le jeu n'aurait de sens que dans cette orientation. Car, "( ... ) dans leur pitié pour
notre race naturellement vouée à la peine, les dieux ont institué, comme des haltes
au milieu de nos travaux, l'alternance des fêtes qui se célèbrent en leur honneur; ils
nous ont donné pour célébrer avec nous ces fêtes et les régler, les Muses, Apollon
Musagète, Dionysos, et nous leur donnons le réconfort que les dieux font de ces
fêtes"3. Non seulement les dieux sont à l'origine des fêtes, mais aussi ils président
à toutes les activités ludiques de la jeunesse. Ce qui accentue le caractère sacré des
jeux dans la cité platonicienne. Et c'est ainsi que les activités ludiques jouent le
premier rôle dans l'éducation religieuse. C'est en cela que l'activité ludique chez
Platon et la notion africaine du jeu se recoupent sans ambiguïté.
Parmi les fonctions du jeu chez Platon, celle d'inculquer à la jeunesse les
notions de beauté et de finesse reste non moins importante. Quelle que soit sa
forme, le jeu de conception platonicienne ne manque pas de beauté. Rigueur et
finesse dans le jeu, telles sont les valeurs ludiques qu'il oppose-à l'anarchie relative
aux arts de son époque. Pour ce faire, il cherche un véritable équilibre entre le
contenu et la forme des jeux.
1. Lois, 833 b.
2. Cf. note Auguste DIES qui écrit que "le choix des temples qui serviront de but a une valeur
symbolique: Arès est la force guerrière, Apollon et Artémis protègent les voyages". Lois, 833
b. (Coll. Budé).
3. Lois, 653 d.
338
C'est par l'organisation des jeux égyptiens plus que par leur contenu que
Platon fut attiré. Le calendrier de ces jeux est, à lui seul, une œuvre d'art. La beauté
et la rigueur s'y conjuguent et s'y confondent harmonieusement. Le chiffre 365
(nombre de jours dans l'année) correspond au nombre de fêtes de la cité des Lois.
Jour après jour la cité est en liesse. Chaque fête est l'occasion des activités
ludiques. En effet, "la loi fixera", écrit Platon, "douze fêtes en l'honneur des douze
dieux qui donnent leur nom à chaque tribu ; à chacun d'eux on fera chaque mois
des sacrifices avec des chœurs et des concours de musique et de gymnastique, tels
que les veulent et les dieux et les différentes saisons" 1. Ainsi les douze -mois de
l'année, les douze bourgades de la cité, les douze fêtes consacrées aux douze dieux
s'harmonisent parfaitement avec les 365 jours de l'année. Ce calendrier ludique (vu
en figure géométrique) est une sorte de pyramide dont le sommet est occupé par les
douze dieux régnant sur les douze mois de l'année et les douze bourgades. La
beauté de cet édifice s'identifie en grande partie à la stabilité de la pyramide elle-
même. Le caractère durable voire éternel du calendrier demeure ainsi un critère de
beauté dans le jeu chez Platon.
Le même sérieux s'observe dans les jeux accompagnés de musique. Leur
beauté se trouve dans le chant et dans la danse. En effet, "il chante bien", disons-
nous, "il danse bien". Aussi devons-nous nous demander "s'il chante de beaux
chants (xaÀà aOEt), "s'il danse de belles danses (xaÀà 0pXElCHat), ou non"2. Il ne
suffit donc pas de "bien danser" ni de "bien chanter", encore faut-il que l'acte lui-
même soit beau. Ici on se limite à la beauté matérielle de l'acte loin de la beauté
spirituelle chère à Platon. La beauté se découvre ici dans son caractère vivant: la
note musicale et le pas de danse s'accordent avec l'harmonie et le rythme. La voix
et le geste mesuré du pied s'accompagnent et offrent une harmonie d'ensemble qui
constitue toute la beauté de l'art choral.
Une certaine beauté apparaît aussi dans la succession des chœurs sur scène.
La pyramide des âges est respectée. Dans l'ordre d'entrée arrivent les enfants,
suivis des adolescents avant les jeunes gens et les adultes. Ainsi Platon tient à la
beauté artistique jusque dans la succession des chœurs sur scène. Mais par
principe, le tout dépend de la formation musicale des citoyens. Ces derniers doivent
l. Lois. 828 b c.
2. Lois, 654 b c.
339
p
pouvoir reconnaître "la beauté des attitudes, des aIrs, du chant, de la danse (... )"1.
C'est pourquoi la beauté ludique doit faire partie des objectifs pédagogiques de
l'éducateur. Dansera cette danse, chantera ce chant, seuls les citoyens ayant reçu
une bonne fonnation musicale. Platon subordonne la beauté des jeux à la bonne
éducation. En effet, seul "l'homme bien élevé (6 l<uÀwç m:nutOEuflÉvoÇ) sera
capable de chanter et de danser en beauté (àpXEïcr8ut OUVUTOÇ av dT] l<UÀWç)"2.
Les enfants appelés à danser et à chanter découvriront la beauté de leurs
mouvements et de leurs voix dans leurs propres jeux. Le jeu musical est arrangé de
sorte que toutes ses composantes produisent l'idéal de beauté au nom duquel
rythme et harmonie, airs et attitudes se marient avec les beaux gestes du corps,
esclave de l'âme envoûtée par le plaisir. La beauté du pas de la danse s'apparente à
la finesse et à la souplesse du geste lui-même, et de tout le corps en mouvement.
Toutes les valeurs esthétiques et artistiques de la musique et de la
gymnastique concordent avec l'idéal du juste milieu. En effet, en matière de
musique, Platon exige une beauté saine et en gymnastique et il privilégie le beau
geste.
Dans tous les exercices physiques propres à la fonnation guerrière, l'objectif
de Platon est de façonner un beau corps. Cependant, le bel athlète est celui qui
réunit en lui les qualités physiques et celles d'un bon musicien. Cela va de la nature
de la danse guerrière qui "imite, d'une part, les mouvements qu'on fait pour éviter
tous les coups portés de près ou de loin, se jeter de côté, reculer, sauter en hauteur,
se baisser; et d'autre part, les mouvements contraires, ceux qui portent aux
attitudes offensives et essaient d'imiter le jeu de l'arc ou de javelot ou le geste
d'asséner de près n'importe quels coups"3. Hormis l'intérêt et l'aspect physique de
ces gestes, leur beauté (dans le tableau scénique) est plus que remarquable. La
finesse et la souplesse adhèrent harmonieusement aux mouvements de danse. En
effet, "se jeter de côté, reculer", "sauter en hauteur, se baisser, ce sont là des
actions qui nécessitent souplesse. La ligne de déplacement du danseur suit des
hauts et des bas, suivant qu'il saute, qu'il s'abaisse ou qu'il recule. Le tout est
couronné par l'hannonie musicale.
1. Lois, 654 e.
2. Lois, 654 b.
3. Lois, 815 a.
340
~
C'est une sorte de représentation cinématographique où l'image et le son
s'accordent pour donner au danseur toute sa finesse et toute sa souplesse
physiques. Représentons-nous un danseur qui imite le jet de l'arc ou du javelot,
nous y verrons une véritable finesse du geste. Armer, bander, ajuster nécessitent
des gestes lents et précis. La souplesse aidant, le corps fait des flexions en avant et
en arrière pour suivre le trajet du projectile. C'est un exercice ludique qui met en
mouvement toute la stature du danseur; et c'est pourquoi Platon précise que "ce
qu'il y a dans ces danses de droit et de bien tendu, à l'imitation des beaux corps et
belles âmes, se réalise quand l'ensemble des membres du corps garde la rectitude
des lignes; voilà ce qui est droit, et rien de contraire à ces attitudes ne peut être
accepté comme droit" 1. Ainsi la beauté chorégraphique réside dans la finesse, la
souplesse et la rectitude du corps dansant.
Dans ce sous-chapitre, nous avons considéré la danse comme un jeu auquel
participent l'enfant et l'adolescent. Aussi importait-il de faire une approche de la
beauté que Platon a voulu donner au jeu. L'enfant comme l'adolescent "en jouant
aux beaux divertissements" se familiarisent avec la beauté artistique, d'autant plus
que cette dernière réside dans le chant, dans le pas de danse et dans le mouvement
du jeune athlète. Ainsi le jeu enfantin est d'abord beau par son organisation, avant
toute considération pédagogique de son contenu. L'analyse du caractère rituel et
laïque des jeux en Afrique noire nous aidera certainement à clarifier l'approche
platonicienne dans ce domaine.
1. Lois, 815 ab.
341
IV. 4. 2. Le caractère rituel et laïque des jeux en Afrique
Dans ses activités de tous les jours, le Négro-africain célèbre le mariage de
l'homme et de la nature, évoque les dieux, les ancêtres et les forces surnaturelles.
Pour solliciter les bienfaits des uns et des autres, l'homme noir passe par la prière et
les sacrifices. Et il se trouve que ni la prière ni le sacrifice n'excluent de leur
déroulement les activités ludiques. Ces dernières ont une structure à la fois rituelle
et laïque. Et elles constituent de véritables références dans l'éducation religieuse des
enfants.
La religion est présente dans toutes les cérémonies marquant la vie du Négro-
africain. Amadou Hampaté Bâ note que "la vie mystique complète d'un homme est
de sept cent cinquante six lunes, soit soixante-trois années lunaires, subdivisées en
neuf degrés de douze lunes. La sept cent cinquante-sixième lune est mystiquement
considéré comme marquant la fin des activités obligatoires de l'homme. Il est
symboliquement mort ( ... ). Les cérémonies des funérailles sont les dernières
pratiques religieuses exécutées à son intention" '. Auparavant, il aura indiqué que la
religion intervient avant et pendant l'état fœtal, qu'elle est présente aussi le jour de
la naissance de l'homme (9 0 lune), le jour de son sevrage (24 0 lune), et c'est à partir
de la soixante sixième lune qu'il pratique, pour initiation, la religion pendant au
moins dix-huit lunes; et "dès que les quatre-vingt quatre lunes qui forment le
premier septennat seront révolues, le petit garçon deviendra "bilokoro", terme qui
signifie mot à mot: "laissé à vieillir", c'est-à-dire "en voie de maturité"2. Il faut dire
que toutes ces étapes de la vie humaines sont célébrées par des rites. Leur
célébration ne va pas sans activités ludiques. La naissance, le sevrage, la mort sont
l'occasion de grandes cérémonies ludiques. Leurs apports ne sont pas les moindres
dans la formation religieuse et artistique des enfants.
Dans la tradition africaine, on permet aux enfants de parodier, dans leurs
activités ludiques, les jeux rituels des adultes. Ils s'imaginent en effet une
naissance, un mariage ou un décès pour qu'ensuite ils imitent les adultes. Charles
Béart remarque que "( ... )l'enterrement du chat est presque un rite, et même
probablement en certains pays tout à fait un rite, l'enterrement figuré d'un homme
1. HAMPATE BA (Amadou), Préface, Textes sacrés ...• p. Il.
2. HAMPATE BA (Amadou), Préface, Textes sacrés .... p. Il.
342
est une parodie, mais par le fait que certaines cérémonies sont les rites la limite
devient très flottante entre le jeu et le rite, sans que ni les enfants qui jouent, ni les
adultes qui assistent fassent toujours très clairement le départ" 1. L'enfant wolof
joue par exemple au seto set pour célébrer un mariage scellé entre filles et garçons,
entre garçon et poupée, ou il joue au dedelu pour imiter les enterrements.
Le jeu du mariage consiste à conduire la mariée auprès de son époux tout en
respectant les différents aspects du rite original. Selon qu'on passe d'une ethnie à
une autre voire d'une caste à une autre, la célébration du mariage diffère. Mais,
l'enfant, quant à lui, s'attache à respecter surtout les traits communs de ces rites.
Charles Béart relate le déroulement d'un jeu d'enterrement à Saint-Louis du
Sénégal: personnages du dedelu : le père, la mère, la fille, le chef des guerriers.
"Le père prépare sa tombe", écrit-il, "des aliments auprès, et dit qu'il va mourir;
puis c'est la nuit, et le matin la femme ne peut pas réveiller son mari. Elle crie:
"mon mari est mort". On le transporte à son tombeau en simulant un enterrement
réel ( ... ). La fille passe près de l::t tombe de son père. Elle chante des mots
intraduisibles; son père lui répond. La fille s'enfuit et revient avec le chef des
guerriers et sa mère qui pleure. La fille chante, le père répond. Les guerriers
démolissent la tombe et la femme ( ... ) injurie son mari"2. Dans cette parodie
ludique, le dialogue entre la fille et son défunt père symbolise le contact permanent
entre les vivants et les morts; la violence des guerriers et les injures de la mère
traduisent les douleurs de la séparation physique de la femme et de son mari, des
combattants et de leur compagnon.
Le même auteur rapporte les funérailles du chat "célébrées souvent par les
enfants, à l'imitation des funérailles humaines". Il résume manifestement un
passage3 des Jeux Dogons de Marcel Griaule. Il écrit que "le cadavre est porté
avant la nuit dans un arbre creux, dans un cimetière de chats. Si c'est une femelle,
les aînés des garçons jouent du tambour; si c'est un mâle, ils brandissent des
1. BEART (Charles), Jeux et jouets ... , (tome II ), p. 571. Ce jeu pourrait rappeler la mort et
l'enterrement des chats en Égypte ancienne; Cf. HEROOOTE, Hist. II, 66,67 : "Quand, dans
une maison, un chat meurt de mort naturelle, tous les habitants de la maison se rasent les
sourcils, les sourcils seulement (...). Les chats morts sont portés dans des locaux sacrés où ils
reçoivent la sépulture après qu'on les a embaumés, à Boubastis".
2. BEART (Charles), Jeu et jouets ... , p. 572.
3. Cf. GRIAULE (Marcel), Je/cr: Dogons, Paris, 1938. pp. 257-58.
343
}
javelots de mil. Garçons et filles dansent avec accompagnement, soit d'instruments
de musique jouets, boy danule ou kunu, soit avec des tambours d'adultes"!. Pour
une femelle on joue du tambour, symbole de la fertilité disparue (peau sèche sur du
bois mort), pour le mâle on exhibe des javelots de mil, symboles des armes et des
outils de l'agriculteur.
A ces jeux rituels s'ajoutent des veillées de contes et de fables. Avec cet
enseignement oral, les adultes arrivent à inculquer à l'enfant des croyances
religieuses.
Les enfants sont admis, et cela avant sept ans, à participer aux rites célébrés
par leurs propres parents. Même à cette échelle des sacrifices et des prières, les rites
sont vécus par l'enfant comme des jeux. Ainsi les jeunes africains (comme le noî'ç
chez Platon) vont s'habituer à la religion, à l'image symbolique des ancêtres, des
esprits dans leurs parodies et dans les cérémonies rituelles. De l'âge de sept ans à la
fin des initiations pubertaires, enfants, adolescents et jeunes gens ont la possibilité
de célébrer les rites et de les parodier dans leurs jeux.
L'enfant est considéré dans la tradition négro-africaine co~e le symbole de
la pureté. En effet, "il existe un signe, l'amma hun, puissance de Dieu, qui ne
s'exécute jamais en public, sauf pourtant au cours des fêtes du sigi , où il est
exécuté en cuir et cousu sur la face externe, des sacoches que portent les enfants,
les enfants sont tout désignés pour porter ce signe qui rappelle la naissance du
monde"2. Pour l'enfant, cette fonction que lui confient les adultes est ludique à ses
yeux. Aussi participe-t-il aux jeux rituels destinés à attirer la pluie, à faire pousser
les semences, à célébrer les dieux.
Mieux, il recrée dans son propre jeu toutes les cér.émonies rituelles. Marcel
Griaule note que "l'efficacité de ces pratiques, en tous cas, est infiniment moins
sentie que celle des cérémonies religieuses accomplies par les adultes ; c'est
précisément ainsi qu'elles entrent insensiblement dans les régions des jeux"3. Ces
parodies ludiques sont si nombreuses et si fréquentes que l'enfant finit par
s'habituer à la forme et au contenu religieux des rites. Il y découvre les interdits et y
1. BEART (Charles), JelLt et jouets
, p. 573.
2. BEART (Charles), Jeux et jouets
, p. 574.
3. GRIAULE (Marce!), Jeux Dogons. p. 257.
344
~
fait la différence entre le sacré et le profane. Il va déchiffrer ainsi la structure de la
nature, de ses vertus et de ses hannonies. Les jeux rituels célèbrent la vie et la mort,
ou le passage de l'un à l'autre 1.
C'est avec les jeux initiatiques que l'adolescent découvre le secret des
masques; par la suite, il va confectionner lui-même des masques 2 qu'il portera en
jouant. Même dans cette parodie, il doit taire le secret des masques. Ses propres
jeux comme ceux des adultes lui rappellent, par le biais des masques, la présence
des dieux et des Ancêtres parmi les vivants. Dans le jeu, le rôle des masques est de
faire régner la paix et la justice entre acteurs. Car ils représentent la puissance des
dieux et des esprits.
Tous les objets utilisés par les enfants et les adultes réapparaissent dans les
jeux d'art plastique. Marcel Griaule constate, en effet, que les jeunes Dogons
connaissent l'art plastique, la peinture, le modelage, et que le masque est la
principale figure de cet art. C'est ainsi qu"'ils y songent durant leurs longues
stations en brousse, lorsqu'ils gardent les troupeaux, comme en témoignent les
parois des auvents et les cavernes où ils se reposent. Mais c'est surtout au moment
le plus critique de leur jeune existence. la circoncision, qu'ils mettent une grande
ardeur à représenter les masques dans les abris rocheux où ils font leur retraite"3.
Ce sont des représentations des masques réels que portent les adultes lors des
cérémonies rituelles. Et les jeunes enfants respectent dans leurs œuvres toutes les
lignes et toutes les couleurs des objets reproduits ou gravés sur les rochers. Il faut
dire que cette imitation artistique n'est pas limitée à tel ou à tel objet. Elle reproduit
tout ce que l'enfant peut voir et même imaginer. Ces œuvres enfantines sont
visibles sur les murs des habitations, des autels, sur des troncs d'arbres etc.
L'enfant saura ainsi plus tard décorer lui-même ses ustensiles, ses outils ou sa
propre habitation. Ce sont là quelques aspects pédagogiques de l'art populaire
négro-africain.
Dans les représentations théâtrales comme dans d'autres cérémonies ludiques,
l'expression artistique des gestes et des mouvements ne demeure pas' insensible à
l'enfant. Que ce soit lors des danses funéraires ou de purs divertissements ou au
1. Cf. BEART (Charles),Jeux etjollets
p. 576.
2. Cf. GRIAULE (Marcel), Jeux Dogons
pp. 269-274.
3. GRIAULE (Marcel), Jeux Dogons, p.181.
345
cours des entraînements aux combats, chaque mouvement collectif ou individuel est
exécuté en conformité avec le rythme et le chant.
L'intérêt de ces danses ne se situe pas seulement dans leur signification
première, mais aussi dans la beauté de leur représentation. En effet les pas de
danse, le mouvement d'ensemble des danseurs suivent un tracé imaginaire que
seule l'assistance reconnaît et voit. Aussi cette beauté chorégraphique n'échappe-t-
elle pas à l'enfant, le plus fidèle spectateur des danses adultes. Il s'en imprègne et
essaie et de la reproduire dans sa danse. L'enfant est ainsi amené à chercher la
beauté dans tous ses mouvements chorégraphiques, d'autant plus qu'il doit imiter
les adultes dans leurs œuvres. Dans la cité platonicienne, l'enfant a les mêmes
atouts que le jeune africain. Ils ont tous deux le privilège d'assister et même de
participer à toutes les cérémonies ludiques des adultes. Cette initiation publique et
populaire reste conforme aux principes de l'éducation communautaire.
Ainsi donc c'est à travers les jeux rituels des adultes ou à travers les parodies
ludiques que l'enfant saura nommer les dieux, les ancêtres, aura apprécié leur bonté
et leur puissance, aura compris le sens de tel ou tel rite, aura saisi leurs liens et
découvert le secret des masques, et aura enfin mesuré l'intérêt que les vivants
accordent à ces croyances. De même Platon se rendit compte que c'est de cette
manière que l'enfant a plus de chance de découvrir et de comprendre les réalités
religieuses familiales et communautaires. De là vient l'explication de la présence des
enfants dans presque toutes les cérémonies ludiques de la cité. En Afrique noire
traditionnelle, c'est une réalité qui fait partie de la vie quotidienne de l'enfant; ce
qui facilite la tâche à l'éducateur.
La forme et l'organisation de ces cérémonies ludiques sont en elles-mêmes
une beauté artistique que l'enfant ne manque de découvrir. Mieux, il est tenté
d'imiter les mouvements de danse, le rythme et le chant tout en respectant les traits
esthétiques et artistiques de chaque partie. Là aussi la pratique négro-africaine est
similaire au projet de formation artistique que Platon a élaboré. De part et d'autre,
on compte sur l'esprit créatif et imitatif de l'enfant pour perpétuer l'art populaire.
346
Conclusion
Platon fait la différence entre le plaisir durable et le plaisir éphémère. Le
premier qui est modéré et sans dommage ne peut être ressenti que par des gens bien
éduqués, alors que le second est le propre des gens sans éducation. Il stipule par là
même que le plaisir sans dommage ne peut exister en dehors de la juste éducation,
et que cette dernière doit s'accompagner de ce plaisir.
En Afrique noire traditionnelle, le plaisir est indissociable de l'éducation,
d'autant plus que cette dernière ne se conçoit pas (dans la pensée négro-africaine)
sans le plaisir ludique. C'est ainsi que chez Platon comme en Afrique, le jeu est au
centre de l'éducation des enfants.
Il ressort, de part et d'autre, que du début à la fin de la formation, les
enseignements sont dispensés sous des formes ludiques. Aussi est-il admis dans
les deux sociétés comparées que le plaisir ludique facilite la compréhension et
l'assimilation des leçons par l'enfant. D'où le sérieux qu'on accorde, chez Platon et
en Afrique, au jeu dans l'éducation des enfants en bas âge.
La découverte de l'espace ludique par l'enfant se fait étape par étape dans la
cité platonicienne. C'est sous la conduite et la surveillance des adultes que les
enfants découvrent les écoles, les gymnases, les terrains d'entraînement et tout le
territoire. Là aussi la rigueur des prescriptions platoniciennes limite la liberté de
l'enfant isolé ou en groupe. En Afrique noire, cette pratique n'existe pas à cause de
la "mobilité" de l'espace et de la liberté accordée à l'enfant. En effet, tout endroit
libre peut abriter des jeux.
Toutefois, dans ces espaces fixes et mobiles, l'identification des objets, des
jouets et certaines formes ludiques et l'acquisition des règles qui régissent leurs
jeux permettent aux enfants de s'initier au respect des lois familiales et
communautaires et à l'obéissance.
Les prescriptions et la réglementation interne des jeux restreignent la liberté
dans le système éducatif platonicien. L'absence de liberté réduit la créativité
347
?
enfantine. Platon limite l'imitation et la création au modèle existant, alors qu'en
Afrique noire l'enfant jouit d'une liberté ludique presque excessive. Ce qui donne à
ses imitations et à ses créations ludiques des dimensions souvent extravagantes.
Dans les sociétés platonicienne et négro-africaines, les jeux ont une grande
place dans l'initiation de l'enfant à la religion et dans sa formation psychologique et
artistique. C'est pourquoi les deux traditions souhaitent et légitiment la présence des
enfants dans les cérémonies profanes et sacrées. La richesse culturelle de ces
manifestations n'est pas sans influence sur la créativité enfantine. En Afrique plus
que chez Platon, on permet à l'enfant d'imiter dans ses jeux les cérémonies
funéraires et sacrées. Et cela contribue fortement à sa formation religieuse.
Ainsi le jeu qui renferme à la fois la notion de plaisir modéré et celle du
sérieux se définit, dans les deux sociétés comparées, comme une activité
pédagogique. Ici et là, la notion d'éducation est indissociable de la notion de jeu.
)
CHAPITRE V
ÉDUCATION ET PÉDAGOGIE
349
La pédagogie platonicienne et celle de l'Afrique noire traditionnelle reposent
sur des critères d'âge et d'aptitudes. Dans les deux systèmes pédagogiques, la
division des études en cycles obéit à l'évolution biologique et au développement
mental des individus. Le programme de la formation est établi dans le système
éducatif platonicien de manière à ce que le bénéficiaire passe progressivement du
simple au complexe, du sensible à l'intelligible. La tradition pédagogique négro-
africaine suit les mêmes principes dans le processus d'acquisition des
connaissances.
La sélection dans le système éducatif platonicien apparaît à la fois comme
un examen et une stimulation à l'effort. Les initiations et les rites de passage en
Afrique sont de même nature et ont à peu près les mêmes fonctions que la sélection
chez Platon. Dans les deux cadres, la sélection et le rite de passage se font de
manière collective, bien qu'il y ait des exclus chez Platon. La question est de savoir
si la sélection platonicienne repose sur des anciens rites de passage et initiatiques,
tels qu'on les vit en Afrique noire traditionnelle.
La punition entre aussi, comme un moyen pédagogique, dans les systèmes
éducatifs platonicien et négra-africain. Elle y est appliquée pour redresser et aider
l'enfant dans sa conduite et dans son apprentissage d'une part, et pour faciliter à
l'éducateur sa tâche d'autre part.
Chez Platon, au manque de liberté ludique s'ajoute le manque de liberté
dans l'apprentissage. Les structures pédagogiques sont telles que les enfants sont
quotidiennement occupés à apprendre. Cette lourdeur est absente des systèmes
éducatifs négra-africains.
350
v. 1 . ~IÉTHODOLOGIE DANS LE PROCESSUS D'ACQUISITION
DES
CONNAISSANCES
V. 1. 1 Acquisition selon l'âge et l'aptitude chez Platon
La conception platonicienne de l'éducation a un fondement à la fois politique
et philosophique. L'interférence de la philosophie et de la politique est telle, chez
Platon, que toutes les institutions relevant de l'une et de l'autre sont intimement
liées. L'éducation qui touche à tous ces domaines suscite de nombreuses questions
dans l'œuvre de Platon. Panni les plus importantes, celle de savoir si le philosophe
a su distinguer la pédagogie de l'éducation. Peut-être les Sophistes avaient-ils déjà
posé et étudié cette question, mais la pédagogie, au sens où on l'entend
aujourd'hui, prit forme avec Platon.
C'est plus tard qu'Emile Durkheim atteste que la pédagogie et l'éducation
sont deux choses distinctes; la pédagogie réfléchit aux choses de l'éducation. Aussi
précise-t-il que le but de la pédagogie "( ... ) n'est pas de subsister à la pratique,
mais de la guider, de l'éclairer, de l'aider, au besoin à combler les lacunes qui
viennent à s'y produire, à remédier aux insuffisances qui y sont constatées" 1. La
pédagogie se définit, ainsi, comme une méthode dont le but est de mener à bien
l'éd.ucation. Dès lors. elle ne saurait se confondre avec l'éducation. La première est
méthode, tandis que la seconde se définit comme une institution. Ce qui donne à
l'éducation une dimension historique qui repose sur le passé des hommes et des
sociétés.
Déjà dans La République, Platon s'oppose à l'idée que l'éducation est un
simple transfert de connaissances dans l'âme. Pour lui, "l'éducation (... ) est l'art de
tourner cet organe même et de trouver pour cela la méthode la plus facile et la plus
efficace; elle ne consiste pas à mettre la vue dans l'organe, puisqu'il la possède
déjà; mais comme il est mal tourné et regarde ailleurs qu'il ne faudrait, elle en
ménage la conversion"2. Dans cette définition philosophique, l'éducation avoisine
1. DURKHEll'vI (Emile), cité par SAUNES (Michel), Pédagogie et éducation: évolution des idées
et des pratiques contemporaines. Paris. 1972. p. 61.
2. Rép., 518 d.
351
,.~
la méthode, en ce sens qu'elle facilite la réminiscence et aide à contempler le vrai.
Elle est une méthode d'accès aux idées que l'esprit a dû épouser dans un monde
antérieur. En cela, l'éducation :lide l'homme à retrouver ces connaissances. Mais
redécouvrir suppose aussi une méthode. Si elle est aussi un art (n::xvll) de "tourner
l'âme", l'éducation est aussi un art de "trouver pour cela la méthode (Tpônoç) la
plus facile et la plus efficace". Ainsi l'éducation a besoin elle-même d'une méthode
pour qu'elle atteigne ses buts.
C'est dans Les Lois que Platon apporte plus de précisions sur l'importance de
la méthode dans le processus d'acquisition des connaissances. Il écrit que
"l'ignorance même totale et profonde, en quelque matière que ce soit, n'est ni si
dangereuse ni si grandement funeste ; bien plus dommageable au contraire est
d'avoir beaucoup appris et de beaucoup savoir, sans une méthode (00')'"
Littéralement fU;Tà IW)(TiÇ àywyTiç se traduit par "avec une mauvaise méthode
(àywy~)"l. Ce qui suppose l'existence d'une bonne méthode. Ce passage des Lois
édifie clairement la distinction que Platon fait entre apprendre et la manière
d'apprendre. Aussi comprend-on pourquoi Platon s'attache à élaborer une méthode
pédagogique dans son système éducatif. d'autant plus qu'il prend et choisit la
méthode égyptienne comme exemple à suivre.
Il est évident que c'est par rapport au système d'apprentissage déjà existant
que Platon pose le problème de méthodologie dans l'éducation. Il serait toujours
faux de nier l'apport des Sophistes dans ce domaine, mais le grand mérite revient à
Platon qui a su :lpprécier b péd:lgogie dans sa globalité. En effet, pour la première
fois, le problème de la péd:lgogie fut clairement posé dans ses différents aspects. il
porte sur le rapport entre ceux qui apprennent et ce qu'ils apprennent d'une part, et
les possibilités offertes à la réalisation des objectifs que se sont fixés les éducateurs
d'autre part. Platon a non seulement pu étudier chaque élément de cet ensemble,
mais il a aussi su saisir leur interférence et leur inter-dépendance. Comme théoricien
de l'éducation, il s'imagina un type d'homme et un programme pédagogique
conforme à cet idéal. Il n'en demeure pas moins que les principes pédagogiques
qu'il en tire gardent un caractère universel.
1. Lois, 819 a.
352
La réalisation du projet platonicien de société repose sur celle du projet
éducatif. Le programme "scolaire et universitaire" est établi en fonction de l'âge des
bénéficiaires dont Platon privilègie l'aptitude intellectuelle et physique. Les cycles
d'études se succèdent suivant les classes d'âge, de l'enfance à l'âge adulte. Ainsi la
notion de pédagogie ne concerne pas seulement le monde des enfants, mais elle est
aussi, chez Platon, une méthode susceptible d'être adaptée à tous les âges. Elle est
indispensable à tous les niveaux de l'enseignement.
Au départ Platon remarque que "la nature n'a pas précisément donné à chacun
de nous les mêmes dispositions, mais qu'elle a différencié les caractères et faitJ'un
pour une chose, l'autre pour une autre" 1. De là, il essaie de poser et d'expliquer
qu'à chaque catégorie d'hommes (de dispositions naturelles) correspondent une
forme d'éducation et une occupation. Les gardes sont "( ... ) ceux qui par la nature et
le genre de leurs aptitudes sont propres à garder l'Etat"2. La question est de savoir
si la pédagogie platonicienne varie selon les types de formation au sein de la cité-
Etat, ou non.
Il est vrai que Platon préconise la formation selon les métiers ou les
occupations. mais le fonds pédagogique reste identique dans tous les cas.
Seulement, il est indispensable de tenir compte, en pédagogie, des différences
d'aptitudes. Platon affirme que ['homme et la femme sont de même nature, mais
diffèrent par leurs aptitudes. En effet, sur le plan physique, la femme est moins apte
que l'homme, alors que sur le plan intellectuel il ont le même rendement. Platon
ajoute que "( ... ) le penchant à la générosité et à la bravoure est du mâle; au
contraire, une inclination plus prononcée à la modestie et à la réserve devra être
acceptée, (... ), comme appartenant plutôt à la femme"3. Toutes ces caractéristiques
conduiront Platon à asseoir une pédagogie conforme aux aptitudes des uns et des
autres.
De zéro à l'âge de sept ans, Platon met en relief la place de la
psychologie dans l'éducation des enfants. Aussi montre-t-il l'importance du rôle
des parents et des nourrices pendant cette période. Outre l'espace de la parcelle
familiale (dans Les Lois) et de la cité, Platon
propose un nouveau cadre
pédagogique, les jardins d'enfants.
1. Rép., 370 a b.
2. Rép., 374 e.
3. Lois. 802 e.
353
Dans La République, c'est dès leur naissance, et dans Les Lois, dès l'âge de
trois ans, que les enfants sont regroupés sous la surveillance des nourrices. La
pédagogie platonicienne cherche à enrayer chez l'enfant de cet âge toute tendance
individualiste; et, pour ce faire, on le met constamment avec ceux de son âge. Le
regroupement des enfants de cet âge relève de l'idéal d'unité chez Platon. La vie des
jardins permet aux encadreurs d'inculquer très tôt aux poupons quelques valeurs
d'unité. Aussi ces mêmes formateurs sont-ils tenus d'étudier et de comprendre la
psychologie enfantine.
Au demeurant, ils doivent avoir une méthode d'approche qui permette non
seulement de saisir et de comprendre les désirs de l'enfant, mais aussi de les
satisfaire. Mais l'important est de savoir quels désirs satisfaire, et quels autres
réprimer et étouffer chez l'enfant. Pour l'épanouissement psychologique de
l'enfant, Platon envisage le jeu collectif. Auparavant, il privilégie les rapports entre
enfant et sa mère ou sa nourrice. En effet, à chaque fois que le nouveau-né
manifeste sa douleur, mère et nourrice usent de chansons et de mouvements pour le
calmer. Elles sont ses premiers partenaires de jeu. Plus tard, des jouets sont
distribués aux enfants suivant leur niveau de formation.
La pédagogie pèche ici. en ce sens qu'elle l'iITÙte l'éventail des objets servant
de jouets aux enfants. Ce qui n'est pas le cas en Afrique noire traditionnelle où le
poupon de moins de sept ans a accès à tout objet qui traîne dans l'espace faITÙlial.
L'utilité du jouet à cet âge est de permettre à l'enfant d'acquérir des notions de
couleurs, de matières, de distribution, d'alignement etc.
Jusqu'à l'âge de six ans, la pédagogie platonicienne ne joue pas sur la
différence des sexes et des aptitudes. Elle vise plutôt l'épanouissement de l'enfant
dont la seule occupation à cet âge est le jeu. Dès lors, parents et encadreurs sont
tenus de privilégier l'aspect ludique dans la formation de l'enfant. C'est ce que
Platon envisage de faire dans les jardins pédagogiques.
De six à dix ans, on cherche à donner à l'enfant une identité culturelle. On lui
inculque une morale et les parents et les encadreurs sont chargés de la transITÙssion.
Le programme de cette étape se résume en musique, en gymnastique et en quelques
354
?
notions de calcul dissimulées dans des jeux de distribution. C'est aussi la période
où les enfants sont séparés selon leurs sexes, bien que l'éducation soit commune
aux filles et aux garçons. Cette séparation s'explique surtout par le programme
gymnique de la lourdeur de laquelle les garçons ont moins à souffrir que les filles.
Dans l'enseignement oral limité aux contes et aux récits mythiques, il n'existe
pas de distinction de sexes. Seulement, l'éducateur doit savoir qu'à cet âge l'enfant
ne distingue pas encore le vrai du faux. Dès lors, sa démarche pédagogique
consiste à trier les contes et fables appropriés avant de les dire aux enfants. On
cherche ainsi un certain équilibre entre les aptitudes mentales et le programme
théorique. Ici Platon donne le rôle pédagogique le plus important à l'éducateur pour
la simple raison que ce dernier est en contact direct avec les enfants. C'est ainsi que
les adultes doivent éviter de conter des fables effrayantes et mensongères à leur
jeune auditoire. Car l'enfant y puise non seulement les premiers principes de la
morale coutumière, mais il y acquiert aussi son caractère.
La pédagogie platonicienne privilégie, de même dans la tradition négro-
africaine, la morale dans l'audition des contes et des fables. C'est la forme
d'enseignement adaptée à cet age. Dans les deux sociétés, l'oralité sert de moyen de
communication aux éducateurs.
La séparation des sexes s'explique aussi par la volonté de l'éducateur de fixer
à chaque catégorie d'hommes sa fonction dans la société. Filles et garçons reçoivent
les mêmes instructions militaires, mais ils s'exercent à un rythme différent. La
pédagogie platonicienne se révèle novatrice dans ce domaine, en ce sens qu'elle
tient compte de l'aptitude des uns et des autres sans pour autant remettre en cause
les objectifs de l'éducation commune. Le regroupement par sexe permet, dans cette
optique, d'harmoniser les efforts des filles et ceux des garçons.
Les supports pédagogiques et les outils dont Platon préconise l'emploi
pendant cette période sont conçus selon qu'ils servent aux filles ou aux garçons. En
effet l'arc, le javelot ou la fronde que les jeunes filles emploient à l'entraînement ou
dans leurs jeux sont moins longs que ceux utilisés par les garçons dans les
gymnases et terrains. Là, le cadre pédagogique devient le gymnase et s'identifie
parfois à toute l'aire de la nÔÀ lÇ. La pédagogie platonicienne ne néglige pas le cadre
355
dont l'influence est grande dans la formation de l'enfant. bu jardin (le temple) au
gymnase l'enfant doit se sentir en liberté dans ses jeux et ses entraînements.
La pédagogie pousse les encadreurs à articuler les divers et différents aspects
de la formation des enfants de moins de dix ans. Pour ce faire, ils doivent tenir
compte de l'aptitude des filles et des garçons, du contenu et de la finalité des contes
et des récits mythiques, et enfin des outils et supports pédagogiques, d'autant plus
que le jeu et la formation sont difficiles à dissocier pendant cette période.
De dix à dix-sept ans, les adolescents entament la formation secondaire
répartie en plusieurs cycles. De dix à treize ans, s'effectuent les études littéraires, de
treize à seize ans les études musicales, la dix-septième année est consacrée aux
études mathématiques; et de dix-huit à vingt ans, les jeunes filles et les jeunes gens
reçoivent, comme à Athènes d'ailleurs, une formation militaire intense.
La pédagogie platonicienne consiste, durant les études "secondaires", à faire
"goûter" l'adolescent à toutes les sciences sans pour autant chercher à privilégier ou
à approfondir les unes au détriment des autres. Mais le mérite de Platon est d'avoir
préconisé l'organisation des études "secondaires" en cycles; et cela en fonction de
l'âge des bénéficiaires et selon un ordre croissant de difficultés.
Comme les études littéraires sont pour lui d'une utilité première (écriture,
lecture), Platon a préféré les placer au début des études secondaires. Ces techniques
sont, d'après lui, envisagées surtout pour étudier la musique et les mathématiques.
Et c'est une nécessité pédagogique que de se consacrer d'abord à ces techniques
littéraires avant d'entreprendre des études musicales et mathématiques.
Au demeurant, les études musicales de ce cycle s'articulent autour de la
musique instrumentale, et autour des textes chantés et commentés 1. L'enfant est
obligé de connaître le rythme et les autres éléments du texte poétique, pour qu'il
puisse le mettre en musique. Notons qu'entre six et dix ans l'enfant ne sachant pas
encore ni lire ni écrire apprend oralement ces textes. Par conséquent, entre dix et
treize ans, l'adolescent entreprend avec plus de facilité la lecture et le commentaire
d'un texte déjà appris. Son véritable travail intellectuel consiste à faire un lien entre
1. Cf. Lois. 811 a.
356
ce qu'il a déjà appris et ce qu'il est en train d'apprendre. C'est ainsi qu'il peut saisir._
et apprécier l'intérêt des études musicales. Aussi saura-t-il mesurer l'harmonie dans
les rapports entre la musique, le contenu et la forme des textes poétiques. Le
procédé est fait en sorte que tout ce que l'adolescent a déjà appris lui serve de
support pédagogique et de référence pour comprendre plus facilement le
programme des cycles suivants. C'est ce qui prouve que Platon n'a pas élaboré
arbitrairement les programmes des différents cycles de son système éducatif.
Pour le maniement des instruments de musique et le déchiffrage des notes,
Platon propose d'allier les éléments les plus simples aux plus complexes; et il
demande à l'encadreur de donner à son disciple toutes les chances de connaître et de
comprendre les uns et les autres. En effet, l'encadreur est dans une large mesure le
responsable spirituel de ses disciples, bien qu'il doive respecter les normes établies
au nom de l'Etat. Aussi doit-il éviter tout ce qui complique l'apprentissage de la
musique. La discordance entre les diff~rentes parties de la musique empêche "( ... )
d'apprendre aisément, alors que les jeunes gens (et adolescents) devraient, autant
que possible. apprendre sans peine: car les sciences qui s'imposent à leur étude ne
sont ni peu étendues ni peu nombreuses" 1. Ainsi la pédagogie platonicienne rejette-
t-elle toute complication dans l'apprentissage. Elle cherche à alléger le programme
scolaire en le limitant à l'utile et à l'agréable.
Platon place l'étude des mathématiques (surtout le calcul) à la fin du cursus
secondaire. Elle est une transition entre les cycles secondaires et les cycles des
études supérieures. L'arithmétique, l'astronomie, la géométrie (etc.) sont les
principales disciplines mathématiques. Là aussi la pédagogie platonicienne est
claire. Platon se demande justement" lesquelles en particulier il faut apprendre, et
combien et quand, et quelle avec quelle, et quelle séparément; et toutes les façons
de les combiner; voilà, continue-t-iL ce qu'il faut commencer par bien comprendre
et retenir, pour s'acheminer, guidé par elles, vers la connaissance du reste"2. li est
évident que le philosophe évoque ici les différents procédés pédagogiques qui
aident à leur assimilation, mais aussi à découvrir l'utilité de chaque discipline par
rapport à celle des autres. Cette méthode pédagogique consiste àI éviter aux
1. Lois, 812 e.
2. Lois, 818 d.
357
adolescents les difficultés de compréhension des connaissances mathématiques,
d'autant plus que ces dernières sont les clés des études "supérieures".
Entre les cycles "secondaires" et les études "supérieures", Platon suit la
tradition athénienne en imposant aux jeunes gens (VÉ01) deux ans de formation
militaire. De dix-huit à vingt ans, les VÉOl s'adonnent aux exercices physiques et
militaires les plus harassants. Toute étude intellectuelle est interrompue durant cette
période. Platon explique que durant "tout ce temps ( ... ) il est impossible aux jeunes
gens de faire autre chose, parce que la fatigue et le sommeil sont ennemis de
l'étude" 1. Outre cette justification pédagogique, Platon a su placer cette formation
militaire à l'âge où les jeunes gens ont atteint le maximum de leur croissance
physique. Ainsi ces VÉOl sauront-ils supporter efforts et souffrances qu'exigent les
exercices militaires.
L'aire de la no,,- lÇ leur est ouverte pour les entraînements. Dans la mème
perspective, Platon propose l'aménagement des terrains d'entraînements en trois
endroits autour de l'UCHU. Les jeunes gens pourront ainsi s'entraîner en liberté avec
des armes dont l'utilisation serait incommode en pleine ville (ucrTU). A ce niveau
de la formation, le javelot l'arc ou toute autre arme de jet ne sont plus des jouets ni
des armes en miniature ; ce sont de véritables armes qui sont distribuées aux
intéressés. L'encadreur intervient rarement à ce stade; l'initiative est laissée aux
jeunes gens. C'est l'une des raisons qui amènent Platon à instituer des
entraînements hors de la ville.
De la vingtième à la trentième année. les jeunes gens sont sélectionnés pour
leur aptitudes à recevoir un enseignement "supérieur". Dans cet intervalle de temps,
"( ... ) on leur présentera dans leur coordination les sciences qui leur ont été
enseignées pèle-mèle dans leur enfance, afin qu'ils embrassent d'un seul coup
d'œil à la fois les rapports que les sciences ont entre elles, et la nature de l'être "2.
Les études secondaires (arithmétique, géométrie, astronomie) sont reprises d'une
manière plus approfondies 3. Platon envisage les études secondaires pour leur utilité
dans le monde sensible: et l'enseignement supérieur qu'il a conçu prépare l'esprit
à contempler le monde de l'intelligible. Sa pédagogie est fondée ici sur les rapports
1. Rép., 537 b.
2. Rép., 537 c.
3. Cf. Rép., 522 e-531 e.
358
entre les sciences elles-mêmes et sur la nature de leur objet. Ainsi l'étude des
surfaces serait-elle incomplète si elle ne s'accompagne pas de l'étude des volumes
et des masses. Platon ne perd pas de vue l'importance de la méthode pédagogique,
même s'il est question d'adultes.
La nouveauté dans le cycle "supérieur" n'est pas les matières elles-mêmes,
mais les nouvelles dimensions qu'elles revêtent sur le plan philosophique. Ici, la
difficulté pédagogique réside dans la délimitation entre le sensible et l'intelligible. Et
Platon a bien choisi la tranche d'âge où leur raisonnement permet aux jeunes gens
de
faire la part des choses. C'est après une formation intense du corps à
l'endurance que Platon fait placer les études purement intellectuelles. Ces dernières
sont conçues et dispensées sous forme de débats ou de discussions scientifiques
durant lesquels chacun expose son point de vue. La synthèse fait avancer la
discussion sur des questions de plus en plus complexes. Par ces procédés
pédagogiques, Platon entend former les VÉOl à la discussion philosophique.
D'ailleurs. ces débats réclament avant tout une aptitude intellectuelle. C'est une
phase où l'étudiant exploite des connaissances acquises durant les cycles
précédents. Ainsi les études supérieures permettent à ceux qui ont côtoyé le sensible
d'atteindre, par le raisonnement. l'essence de chaque chose. avant qu'ils ne
prétendent découvrir l'essence du Bien par la pure intelligence.
De trente à trente-cinq ans. ceux qui sont arrivés au terme des études
scientifiques (fondées jusque-là sur des hypothèses) se consacrent. pendant cinq
ans, à la dialectique. Pour Platon, la méthode dialectique est celle qui rejette
successivement les hypothèses et qui "s'élève jusqu'au principe même pour assurer
solidement ses conclusions". Le philosophe montre aussi que les études
dialectiques ne vont pas sans utiliser les sciences déjà apprises. La pédagogie
platonicienne refuse toute coupure entre les divers cycles d'enseignement. C'est un
principe que Platon respecte tout au long de la formation des citoyens. Le choix de
l'intervalle de temps trente / trente-cinq ans pour les études dialectiques s'explique
aussi par le degré de raisonnement qu'atteindraient les jeunes gens de cet âge. Ces
derniers n'imiteront, selon Platon, que ceux qui discutent pour rechercher la vérité l .
1. Cf. Rép., 539 abc.
359
)
En matière de pédagogie, l'innovation de Platon aura été la rééducation des
adultes âgés de trente-cinq à cinquante ans. Cette mesure se fonde sur l'idée que,
pendant leurs études" supérieures", ils ont perdu certaines règles et habitudes de la
vie pratique de tous les jours. C'est pourquoi, écrit Platon, il est nécessaire de les
faire "remplir les emplois militaires et toutes les fonctions propres aux jeunes gens,
afin que même pour l'expérience ils ne soient pas en retard sur les autres" 1. Cette
rééducation a l'avantage d'armer l'adulte contre toute tentative qui le pousserait à se
détourner des idéaux communautaires, et elle est une occasion pour réviser tout ce
qu'il avait appris jusqu'à ses trente-cinq ans. L'adulte remplit parallèlement à cette
formation ses fonctions familiales; les fonctions politiques ne lui sont ouvertes
qu'à l'âge de cinquante ans.
Cette rééducation est la seule façon de concilier les études théoriques et les
études pratiques. En effet, la formation n'est complète qu'une fois que l'ascension
est accomplie et que le retour est effectué. La formation théorique ne peut ainsi à
elle seule conduire un citoyen aux fonctions politiques ou militaires. L'éducation
d'un citoyen n'est complète que lorsqu'il arrive à lier théorie et pratique dans sa vie
de tous les jours. Rien ne vaut l'expérience; et Platon fonde sa pédagogie sur
l'expérience des parents et sur celle des instructeurs.
Les à'(8ÀUl constituent les noyaux de base de l'enseignement platonicien. Par
exemple, les études littéraires sont réservées aux groupes d'enfants âgés de dix à
treize ans etc. Toutefois, ces à'(~ÀUl (groupes d'âge) font partie de la classe d'âge
des adolescents. Le système pédagogique platonicien est conçu suivant
l'échelonnement des groupes, et cela jusqu'à l'âge de trente-cinq ans, moment où
enfants, adolescents, jeunes gens et jeunes filles, et adultes se retrouvent dans la vie
pratique de tous les jours.
Ce procédé pédagogique platonicien aura servi à l'unité et à une assimilation
commune et collective des connaissances intellectuelles, scientifiques et pratiques.
Ce sont des buts que vise la pédagogie dans les sociétés négro-africaines.
1. Rép., 539 e.
360
~
v. 1. 2. L'apprentissage fondé sur le système des classes
d'âge en Afrique
Le grand nombre des foyers culturels en Afrique noue traditionnelle
réapparaît dans ce que nous avons considéré jusqu'à présent comme système
pédagogique négro-africain. Sans doute cette diversité culturelle conduit-elle à une
diversité pédagogique, selon qu'on passe d'une société à une autre. Toutefois, il y
a des critères et des repères qui permettent de parler de méthodes pédagogiques
communes à toutes l'Afrique noire. Les techniques, les sciences, les connaissances
intellectuelles et pratiques ne sont pas enseignées dans le désordre. L'âge et les
aptitudes intellectuelles et physiques servent de repères dans l'éducation négro-
africaine traditionnelle. Le développement mental et la croissance physique
déterminent la nature et la finalité des connaissances dispensées dans les différents
cycles de l'enseignement. On tient compte aussi des qualités
individuelles et
collectives de ceux qui bénéficient de ces formations. Disposée et progressant en
fonction de l'évolution biologique des individus, l'éducation est continue en
Afrique noire.
Dans la pensée négro-africaine, l'enfant vient au monde avec des signes
révélateurs de son caractère et m~me de ses aptitudes. En effet, "pour ceux qui
l'accueillent, écrit Pierre Erny, le nouveau-né est réellement déjà quelqu'un que
l'on peut identifier dans le visage duquel on peut reconnaître les traits, tantôt d'êtres
familiers et chers, tantôt de puissances mystérieuses et redoutées" 1. Les signes
révélateurs ont leur importance dans l'éducation de l'enfant. Ses différents
éducateurs en tiendront compte dans leurs interventions pédagogiques. D'autant
plus qu'ils sont convaincus, reconnaît Pierre Emy, que "l'enfant vient au monde
avec sa personnalité, une personnalité même amplifiée, régénérée, revivifiée par
son contact avec le monde divin, doté d'une connaissance et d'une volonté
supérieures"2. Toutefois, cette personnalité ne s'éclore pas toute seule. Elle a
besoin de souffle pour s'extérioriser et s'épanouir. Dans cette perspective la
pédagogie négro-africaine est, selon l'heureuse formule de Pierre Erny,
essentiellement "une maïeutique, un art d'accoucher"3. Chez Platon comme en
l. ERNY (Pierre) L'enfant et son milieu
, p. 34.
2. ERNY (Pierre) L'enfant et son milieu
, p. 34.
3. ERNY (Pierre) L'enfant et son milieu
p. 34.
361
Afrique noire, cet art est méthodique et procède par étapes dans l'existence des
individus.
L'intégration sociale des enfants obéit à un ensemble de règles et de
prescriptions pédagogiques. La premières phase de cette socialisation va de zéro à
sept ans, période durant laquelle l'enfant demeure sous la surveillance de ses
parents géniteurs et de ses proches. C'est une étape marquée par la présence
féminine dans la formation de l'enfant. La jeune fille comme le jeune garçon se
voient accorder toute la liberté nécessaire à leurs activités ludiques. C'est une
période où l'enfant jouit de la vraie liberté, en ce sens qu'il ne se soucie de rien
d'autre que de ses jeux. La vraie finalité de cette liberté est d'aider les parents à
appréhender le caractère et les aptitudes de l'enfant, afin qu'il puissent prévoir
quelles méthodes pédagogiques employer pour son cas. Cette phase n'est qu'une
étape d'observation où le père n'apparaît à ses enfants que comme un personnage
lointain.
La deuxième phase qui débute à sept ans et qui se termine avec l'adolescence
est marquée par la socialisation intensive des enfants, et cela suivant leur sexe
respectif. La fille est amenée il s'intéresser aux occupations féminines, alors que le
garçon s'adonne à celles des hommes. Il y a un équilibre entre la formation aux
métiers et la formation psychologique et intellectuelle. Si le jour filles et garçons
suivent respectivement leurs mères et leurs pères, la nuit ils vont tous écOuter les
personnes dire des contes et des fables pleines de morale. Il existe ainsi un équilibre
dans l'emploi du temps des enfants.
C'est au début de cette phase que se constituent les groupes d'âges et de jeu.
Par la suite, ces derniers se consolident en rassemblements homogènes. Leur
existence joue un grand rôle dans la cohésion sociale et politique de la communauté.
C'est une phase aussi où l'intégration horizontale s'entrecroise avec l'intégration
verticale. D'où la difficile situation où se trouve l'adolescent durant cette période.
Tiraillé entre les prescriptions familiales et celles du groupe d'âge, il doit savoir les
distinguer et les respecter simultanément. Aussi l'adulte est-il tenu de l'aider à
concilier la vie des deux cadres familial et du groupe d'âge. Pour ce faire, les
éducateurs usent des fables, des contes et des récits historiques qui exaltent les
362
~
valeurs de la famille et les bienfaits de la solidarité entre compagnons d'âge, voire
entre membres d'une communauté.
La troisième phase de l'éducation négro-africaine se confond avec
l'initiation aux valeurs sociales et religieuses encore inconnues des adolescents. Le
caractère rituel de cette phase marque une évolution du raisonnement des initiés.
Ces derniers sont censés pouvoir tenir secret ce qui leur a été caché jusqu'à présent.
C'est durant leur réclusion que les initiés découvrent le secret des camps. Pierre
Erny note que ce secret "recouvre l'ensemble de ce qui se passe dans le camp de
brousse, (... ). Il se concrétise en des formules, des codes, des mots de passe, des
noms et surtout un langage appris durant le stage et qui unira désormais les
initiés" 1. Ainsi en dehors de toute autre considération, les néophytes sont jugés
aptes à supporter psychologiquement cette découverte et à garder le secret devant
les non-initiés et le sexe opposé. L'initiation est une reconversion presque totale du
sujet. En effet. elle apparaît comme "une modification radicale, une mutation
ontologique du statut religieux. social et existentiel du sujet. Elle l'introduit dans le
monde des valeurs spirituels d lui confàe une nouvelle place dans la communauté
humaine"2. Les adultes sont conscients de la réceptivité de cet âge; et c'est
pourquoi ils situent les initiations sociales à cette période. Tout cela entre dans une
philosophie pédagogique qui rient compte et de la croissance biologique et du
développement mental des néophytes. Nous reviendrons sur la pédagogie
initiatique proprement dite.
Au sortir de l'initiation, les adolescents ont virtuellement acquis leurs statuts
d'homme. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ont tout appris et découvert durant leur
réclusion. Seulement, par cette renaissance symbolique, ils s'ouvrent au monde des
adultes, pour ne pas dire à toutes les connaissances intellectuelles, scientifiques et
religieuses de ces derniers.
Le Kore bambara, par exemple, est une structure d'approfondissement des
connaissances acquises sommairement pendant l'initiation pubertaire (le ndomo ).
A l'intérieur de ces institutions les hommes sont classés en fonction de leur âge et
de leur savoir. Le titre de sage n'est attribué qu'à ceux qui ont réussi comme le
l. ERNY (Pierre) L'enfant et son milieu .... p. 237.
2. ELIADE (M.), cité par Pierre ERNY, op. ciro • p. 237.
363
,
philosophe platonicien, "(à) entrer en contact avec dieu, (à) s'unir à lui, (à) se
laisser "déflorer" par lui, (à) devenir sa "chose", (à) ne faire qu'un avec lui"!. Cette
union avec l'être suprême donne à ces hommes un statut de divin. En ce sens qu'ils
ont, comme le philosophe platonicien, vu l'être suprême et ont participé à son
essence. Dans le kore bambara. c'est un petit nombre d'initiés qui parviennent à
communier avec la divinité. Avant d'arriver là, ils auront échappé à toutes les
difficultés des différentes sélections correspondant à l'organisation des huit (8)
catégories (grades) du kore. Dominique Zahan rapporte que "les karaw, lesdyaraw,
les kurumaw et leskore dugmv représentent la sagesse d'en haut et correspondent
respectivement au feu. à l'eau, à la terre et à l'air célestes; les tatugulaw , les
surukaw , les bisa tylaw et les sltlaw figurent la sagesse humaine et les éléments
terrestres"2. De la catégorie des sulaw à celle des karaw, l'initié effectue une
ascension à la fois intellectuelle et spirituelle. A chaque étape qui le mène vers la
divinité, l'initié se détache de sa condition humaine. Dans cette traversée on aura
tenu compte surtout de ['âge et du degré des connaissances de l'initié. Ce dernier
n'accède jamais au grade supérieur sans avoir rempli des conditions requises. Ces
écoles ont leur propre pédagogie.
Mais la structure du kore. il ['instar de toutes les sociétés d'initiation, obéit à
l'évolution biologique et au développement mental de l'homme. La formation
intellectuelle, scientifique, spirituelle et philosophique est approfondie au fur et à
mesure que l'initié tend vers la vieillesse. Car c'est dans le kore que les candidats à
la sagesse étudient les rapports entre les différentes sciences. Au fur et à mesure
qu'il tend vers cette sagesse. l'homme se détache petit à petit des biens terrestres.
Aussi cette ascension progressive vers l'être suprême correspond-elle tout
simplement au mûrissement continu de l'esprit humain et de son raisonnement.
A chacune de ces phases existentielles correspondent des enseignements et
des méthodes pédagogiques. C'est dès son plus jeune âge que l'enfant reçoit de ses
parents et de ses proches les premiers enseignements.
Dès l'âge de cinq ans, il commence à écouter contes et fables. La tradition est
de tenir compte de l'âge de l'enfant durant ces séances. Par conséquent, les contes
1. ZAHAN (Dominique) Sociétés d'initiation bambara: Le Ndomo et le Kore.- Dijon, 1960.
p.370.
2. ZAHAN (Dominique), Les Sociétés d'initiation ... , p. 143.
364
'1
et les fables sont dits selon la moyenne d'âge de l'auditoire. Dire un conte devant
des enfants de sept ans ne s'effectue pas de la même manière devant des
adolescents. A chaque âge correspondent des procédures pédagogiques que le
conteur utilise à sa manière. C'est ainsi que ce dernier arrive à capter l'attention des
enfants par de simples formules ou par des termes fossilisés par la tradition. Le
conte lui-même est dit avec différents tons correspondants aux états d'âme des
personnages ou à la gravité du sujet. Le conteur doit sortir aussi toutes les astuces
pour que l'enfant se sente dans le récit voire dans le jeu.
Parallèlement à cette formation théorique, l'enfant reçoit un enseignement
pratique. Là aussi les adultes en l'occurrence les parents eux-mêmes organisent cet
apprentissage en fonction de l'âge et des aptitudes de l'enfant. La formation aux
métiers est progressive; elle procède par étape. Avant de leur confier de grands
travaux, les parents occupent leurs enfants à de petites tâches domestiques. Ils les
incitent à observer et à imiter ce qu'ils font eux-mêmes. C'est une pédagogie qui
laisse une large liberté à l'enfant afin qu'il observe et imite à son tour les
occupations adultes. C'est un processus qui conduit l'enfant à une._autonomie
réelle. Aucun métier n'est appris sous la contrainte. Comme le recommande Platon,
le Négro-africain fait en sorte que l'éducation ressemble à un jeu sérieux.
L'enseignement initiatique n'est pas dispensé de manière anarchique à
l'intérieur des camps. Il y a bel et bien une pédagogie initiatique. Dès les premiers
jours, les néophytes sont "guéris" de leur doute et de leur inquiétude vis-à-vis des
masques et des secrets initiatiques. C'est une sorte de préparation psychologique
aux enseignements que les initiés reçoivent pendant leur réclusion. Les cours
théoriques et pratiques y sont organisés de manière méthodique. La nuit est
réservée le plus souvent à l'enseignement théorique et à des commentaires des
leçons de choses (données pendant le jour).
La fréquence des châtiments et l'ampleur des punitions donnent à la
pédagogie initiatique une nature contraignante. Le recours à la contrainte s'explique
par la durée limitée des initiations et par les mauvaises habitudes que l"adolescent a
contractées avant son séjour initiatique. Aucune liberté n'est accordée à
l'adolescent. Il n'est là que pour obéir aux ordres des instructeurs.
365
Les leçons de géographie, d'histoire, de SCIences naturelles etc ... sont
expliquées de manière "dogmatique". De telle sorte que la remise en question de
l'enseignement n'est jamais envisagée, et que les initiés ne sont pas autorisés à
interroger l'instructeur sur certains points. On ne peut remettre en cause la tradition
; et la pédagogie initiatique reste la même sur ses grandes lignes. C'est au sortir des
camps d'initiation que les jeunes gens ont accès à certaines connaissances
religieuses et familiales. La généalogie, les secrets de famille ne sont révélés et
confiés qu'à ceux qui ont acquis les sens du secret.
Dans cet enseignement "privé" comme dans l'enseignement communautaire,
le processus pédagogique repose sur l'âge et les aptitudes physiques et
intellectuelles des bénéficiaires. Dans les systèmes éducatifs négro-africains, il
existe un parfait équilibre entre la théorie et la pratique soudée autour d'une
pédagogie souple et vivante.
366
V.2
LES PRINCIPES DE SÉLECTION
V.2.1.
La sélection collective (initiatique) chez Platon
Les principes de sélection que Platon expose dans La République et dans Les
Lois sont d'ordre politique et pédagogique. Le citoyen n'est jugé et évalué que
selon son dévouement à l'Etat et par le degré et la qualité de sa formation. Mais
cette évaluation ne peut s'effectuer qu'en fonction de l'âge et de l'expérience du
citoyen lui-même. En effet, jusqu'à l'âge de cinquante ans, ce dernier doit fournir
efforts physiques et intellectuels avant de prétendre à une charge suprême de l'Etat.
Platon est très précis sur ce point: "nous établirons, écrit-il, chef et gardien de la cité
celui qui, ayant subi toutes les épreuves successives de l'enfance, de la jeunesse et
de l'âge mûr (... )"1. Cette condition n'est posée qu'en vue de l'intérêt de la cité;
par la même occasion, elle expose le citoyen aux difficultés des divers examens.
Pour les sélectionner, Platon propose de suivre les citoyens "dans les différents
âges pour s'assurer s'ils observent bien cette maxime, si aucune fascination,
aucune violence ne leur fait abandonner et oublier la pensée qu'il faut faire ce qui
est le plus avantageux à l'Etat"2. Ainsi le citoyen est pris entre cette institution
permanente qu'est l'Etat et l'effort personnel qu'il doit fournir pour parfaire son
statut social et politique.
Platon institue la sélection dès l'enfance. N'accèdent au grade des catégories
supérieures que ceux qui ont rempli toutes les conditions de sélection. De sept à
vingt ans, les critères sélectifs reposent sur l'effort physique et de vingt à cinquante
ans, sur l'effort intellectuel.
Platon soutient qu'il faut initier modérément et progressivement les jeunes
enfants aux exercices gymniques et guerriers. Pour ce faire les enfants et les
adolescents s'entraînent suivant leurs aptitudes physiques; et ils vont même jusqu'à
participer aux combats3 . C'est dans "tous ces travaux ( ... ), dans tous ces
enseignements et ces périls (...)" que les adultes choisiront les plus agiles. A ce
1. Rép., 413 e.
2. Rép., 412 e.
3. Rép., 537 a.
367
')
stade déjà, les sélectionneurs fondent leur jugement sur l'effort physique pour
choisir les meilleurs athlètes. Vraisemblablement cette première sélection dépend de
la volonté des formateurs. En effet, enfants et adolescents ne sont pas encore
conscients de leurs responsabilités. Jusqu'à l'âge de dix-huit ans, l'émulation des
adolescents reste le plaisir de s'exercer, de jouer, d'étudier. Chacun fournit des
efforts pour égaler ses compagnons d'âge.
C'est dans l'intervalle de dix-sept à vingt ans que les VÉOl reçoivent une
formation obligatoire en gymnastique 1. Aussi Platon précise-t-il que ce cours est
d'ailleurs une épreuve des plus importantes pour savoir la valeur de chacun d'eux
dans les travaux gymniques"2. Le philosophe résume ici les exercices susceptibles
de mettre à l'épreuve l'endurance des jeunes gens. Il est question d'enseignement;
ce qui exclut toute idée de concurrence entre vÉOl. Mais le choix des formateurs
repose certainement sur les valeurs physiques et techniques des jeunes athlètes, sur
leurs efforts et leur capacité d'endurer les intempéries climatiques (froid, chaleur
etc.). Ainsi le mérite est-il à la base de toute la sélection. C'est pourquoi les vÉOt
sont poussés à fournir davantage d'efforts physiques et psychologiques.
Apparemment, durant cette période, les VÉOl sont suivis à la loupe. Les
performances des uns et la faiblesse des autres sont relevées dans leurs détails. Le
passage au cycle "supérieur" dépend en grande partie de cette évaluation
pédagogique. Mais c'est le résultat de trois ans d'efforts physiques qui détermine le
choix des sélectionneurs. Les critères de sélection dans le cycle suivant seront
purement intellectuels.
La période qui va de vingt à trente ans est divisée en cycles d'études
scientifiques. Le passage d'un cycle à un cycle supérieur nécessite toujours un
examen sélectif. Platon ne mentionne pas nommément ces examens. Il y fait
seulement allusion. Ainsi écrit-il qu'''il serait difficile de trouver beaucoup de
sciences qui coûtent plus d'efforts à apprendre et à pratiquer que celle des
nombres"3. L'accent est mis sur les difficultés que suscite l'étude de l'arithmétique.
L'effort que doit fournir l'étudiant ne peut être séparé de la finalité de cette
discipline elle-même. Les jeunes gens entreprennent cette étude "non pas
superficiellement mais jusqu'à ce qu'ils arrivent par la pure intelligence à pénétrer la
1. Rép., 537 b.
2. Rép.• 537 b.
3. Rép., 526 c.
368
'J
nature des nombres (... ) pour en faire des applications à la guerre et pour faciliter à
l'âme elle-même le passage du monde sensible à la vérité et à l'essence"l.
L'arithméticien réunit en lui un homme de guerre et un philosophe. De même, le
géomètre, l'astronome, le musicien ont en eux cette dualité. Du reste, le citoyen
platonicien doit embrasser toutes ces sciences entre sa vingtième et sa trentième
année. Son effort consiste à trouver les rapports et l'équilibre entre la partie
philosophique et la partie pratique de ces études. L'idée de Platon est de les pousser
à la réflexion scientifique et philosophique, sans pour autant qu'ils abandonnent ou
négligent l'orientation pratique de ces sciences.
Ainsi après la stimulation à l'effort physiqUe, Platon a jugé bon de pousser
les VÉOl à l'effort intellectuel. Cette dernière opération est, selon lui, "la meilleure
épreuve pour distinguer les esprits propres à la dialectique de ceux qui ne le sont
pas"2. Il est évident que durant ces dix ans d'études scientifiques les VÉOl ont
acquis un esprit critique et de jugement remarquable; et ils ont dû donner le
meilleur d'eux-mêmes. C'est pourquoi on sélectionne, pour le cycle suivant, "ceux
qui, avec les meilleures dispositions pour la dialectique. sont solides dans les
sciences et solides à la guerre et dans les Jutres exercices prescrits par la loi ( ...r 3.
Ainsi les sélectionneurs prennent en compte tout le passé "scolaire et universitaire"
du vÉoç avant de lui permettre d'étudier la dialectique.
Durant les cinq ans d'études dialectiques, l'accent est mis sur le raisonnement
des étudiants. A vrai dire, ces derniers ont été, dans les cycles précédents, initiés à
la discussion philosophique. Et cela favorise et facilite l'éclosion des qualités
individuelles. L'effort revient ici à défendre intellectuellement ses idées devant ses
interlocuteurs. Toutefois, l'étudiant doit respecter les idées d'autrui, accepter les
critiques, en ce sens qu'ils cherchent tous à trouver la vérité. Cette confrontation
philosophique est elle-même une émulation. C'est lin cadre de réflexion
philosophique où on défend la vérité et l'honneur individuel. L'étudiant est
constamment invité à la discussion. Son vrai effort consiste à convaincre et à rester
dans les limites du raisonnement philosophique. Ce qui fait que les uns et les autres
s'efforcent toujours d'atteindre la vérité.
1. Rép., 525 c.
2. Rép., 537 c.
3. Rép., 537 c.
369
La rééducation que nous avons déjà évoquée nécessite de la part des adultes
des efforts physiques et intellectuels. Les fonctions qu'ils assument durant les
quinze ans de rééducation "permettront de vérifier une fois de plus s'ils restent
fermes contre les tentations qui les attirent de tous côtés, ou s'ils se laissent
entraîner" 1. Par cette mesure, on met à l'épreuve leurs vertus intellectuelles et
physiques acquises durant les trente cinq ans de formation continue. Les intéressés
sont suivis et observés durant cette période. Leurs comportements serviront de
critères de sélection à l'âge de cinquante ans. Leur demander de vivre comme des
jeunes gens est une sorte d'incitation à la bonne conduite et à la sagesse. A l'issue
de ce cycle de quinze ans, "ceux qui survivront et se seront distingués en tout point
et en toute manière à la fois dans les travaux et dans les sciences devront être
poussés au terme et contraints d'ouvrir l'œil de l'âme et d'élever leurs regards vers
l'être qui donne la lumière à toutes choses"2. C'est sous la contrainte que les
quinquagénaires font l'ultime effort intellectuel pour atteindre le Bien en soi.
Jusqu'à la fin de leur vie les citoyens platoniciens auront à faire des efforts, soit
pour rester dans un cycle d'études soit pour atteindre un grade supérieur dans le
système pédagogique.
C'est en vue d'une formation de qualité que Platon a dû instituer la sélection
dans son système éducatif. Toutefois, le contenu de l'enseignement n'est pas renùs
en question. C'est au bénéficiaire de s'adapter; mieux, il est tenu de faire
constamment des efforts pour avoir le niveau requis. L'intérêt pédagogique de cette
démarche réside dans l'esprit de concurrence qui est une sorte de stimulant au sein
de chaque groupe d'étudiants. Il faut tout de même préciser que le but de la
sélection est, dans La République, de choisir les futurs philosophes-rois. Aussi
l'importance de la charge demande-t-elle de vraies qualités intellectuelles et
physiques. Telle semble être l'explication de la rigueur de la sélection dans le
système éducatif platonicien.
1. Rép.• 539 e ; 540 u.
2. Rép., 540 u.
370
V. 2. 2.
Sélection initiatique en Afrique : les rites de passage
Il n'existe pas à proprement parler de sélection dans l'éducation traditionnelle
négro-africaine. Seulement, elle admet et reconnaît l'effort pour l'évaluation des
aptitudes. Ce qui ne signifie pas exclusion. L'effort doit aider à la cohésion du
groupe. Le passage d'un cycle d'études à un autre se fait par groupe, sans qu'il y
ait d'exclus. Les efforts individuels sont censés renforcer le mouvement collectif.
C'est ce que vise la pédagogie platonicienne, mais avec des méthodes sélectives.
Dès son plus jeune âge, l'enfant découvre un monde où il faut se battre pour
exister. En effet,il y demeure grâce à son physique, à son intelligence et à son esprit
créatif. L'enfant connaît très tôt la vie de groupe, d'abord en compagnie de ses
frères et sœurs, ensuite avec ses compagnons d'âge et de jeu. Qu'il soit avec les
preffilers ou avec les les seconds. l'enfant doit s'affirmer et faire valoir sa
personnalité.
L'éducateur conscient de ['esprit de concurrence qui y règne encourage le
regroupement des enfants issus de la même famille. Ce sont des rassemblements de
filles et de garçons. Des rivalités opposent souvent les deux sexes et chaque
catégorie cherche à préserver son identité. Dans ces conflits, les parents constatent
eux-mêmes que les garçons s'imposent toujours devant les filles. Pour marquer sa
supériorité, le garçon est prêt à LIser de sa force physique et de son autorité. En tant
que complices, les parents les observent pour cerner les différentes personnalités.
Aussi sont-ils contents de voir le garçon s'imposer et la fille se soumettre à
l'autorité de son frère. Les parents n'interviennent dans ces cas que lorsqu'il s'agit
de sauver l'honneur de la grande sœur et de rappeler son droit d'aînesse. Ainsi,
cautionner le regroupement des frères et sœurs dans la même aire de jeu, c'est
encourager les garçons à manifester leur masculinité et leur autorité, qualités qu'ils
auront à consolider et à défendre durant toute leur existence. De même, les jeunes
filles auront à reconnaître leur féminité et leur place, sans se soucier d'une
infériorité quelconque.
Dans les rassemblements entre frères et sœurs, la concurrence peut se situer
au niveau de la création individuelle. La confection d'un jouet, l'embellissement
d'une œuvre ludique constituent autant de joie, d'efforts et de difficultés pour les
371
;
filles que pour les garçons. La fille qUI fabrique une poupée, qui lui fait sa toilette et
l'habille à la manière des adultes, prête toujours attention à la poupée de sa sœur.
Le garçon fait de même face à l'œuvre de son frère. Les rivalités se réveillent ainsi
entre les filles elles-mêmes et les garçons eux-mêmes. On retrouve là le même désir
et la même volonté de dépassement dans tous les jeux et dans toutes les activités
que frères et sœurs se partagent dans la concession familiale. Ce sont des
rassemblements qui favorisent l'effort individuel. En Afrique, les parents arrivent,
par cette procédure pédagogique, à connaître les caractéristiques psychologiques et
physiques de leurs enf::mts. En dehors de cette stimulation à l'effort individuel, il se
produit un début de cohésion du petit groupe de frères et sœurs.
En effet, à chaque fois que le groupe est menacé de l'extérieur, toutes les
rivalités internes sont oubliées; la solidarité et l'unité s'affichent aussitôt. La notion
de frère et sœur devient l'élément stimulateur au sein du groupe. Car le sentiment
fraternel est toujours présent: la moindre menace contre le groupe lui redonne vie et
vigueur. La défense de cette unité familiale correspond à la sauvegarde d'une valeur
chère à toute la communauté: la cohésion sociale. Ainsi le. regroupement entre
frères et sœurs favorise et stimule à la fois l'effort individuel et collectif. Les
mêmes buts sont visés dans les différents rassemblements des compagnons d'âge.
Les groupes d'âge se constituent au hasard des rencontres entre enfants de
même quartier voire même de tout un village. Parallèlement à l'intégration dite
verticale s'opère l'intégration horizontale. L'enfant est ainsi tiraillé entre l'éducation
familiale et les prescriptions de son âge. Les deux institutions participent à
l'éclosion et à la formation de sa personnalité. Toutefois, chacune d'elle élabore son
programme que l'enfant est tenu de suivre. Ce dernier cherche quotidiennement à
concilier et à respecter les principes des deux cadres pédagogiques. Peut-être l'un
prédornine-t-il un moment (un jour, un mois etc ... ) sur l'autre, et vice versa, mais
l'enfant est toujours dans l'obligation de satisfaire aux exigences familiales et à
celles de son groupe d'âge. La tradition montre ainsi à l'enfant que sa vie sera
partagée entre sa famille et le groupe d'âge, symbole de la communauté publique.
Le passage de l'un à l'autre nécessite des efforts pour l'enfant. Mais le
passage du groupe familial au groupe d'âge est psychologiquement le plus
douloureux. En ce sens que l'enfant est appelé à se passer de l'amour et de
372
,
l'intervention des siens. Pierre Emy note avec raison que "pour se faire accepter
intégrer, pour gagner la sympathie et l'estime des autres, l'enfant doit apprendre à
faire des concessions et abandonner certaines conduites qu'il pouvait se permettre
avec sa mère, mais qui lui causent du préjudice face aux semblables"!. La
complicité des parents est évidente, dans la mesure où ce sont eux mêmes qui
l'incitent à rejoindre ses compagnons d'âge. Ils n'ignorent en aucun cas, ce qui se
passe dans le cadre du groupe d'âge. C'est une volonté de leur part de mettre
l'enfant devant ses responsabilités. Ce dernier doit, en effet, assumer son
existence, sans l'aide des parents, au sein du groupe d'âge. C'est ainsi que l'enfant
s'éloigne progressivement de sa famille, au point qu'il ne se rend chez ses parents
qu'au moment où ces derniers ont besoin de ses petits services. Cet éloignement
éprouve l'enfant et l'oblige à fournir assez d'efforts pour subsister et s'affirmer au
sein du groupe.
En tant qu'institution éducative. le groupe d'âge a ses propres loi§ auxquelles
ses membres sont tenus de se référer. Le non respect des règlements entraîne
toujours des amendes, des punitions voire même une exclusion. Chaque grouPç
d'âge juge ses propres membres. L'intervention des adultes y est rare.
L'organisation politique de cette institution reflète celle de la société.
Le "meneur" est choisi selon ses qualités individuelles par ses pairs. Mais, du
jour au lendemain, il peut devenir simple membre, dans la mesure où son autorité
est à tout instant remise en question. C'est un principe qui stimule les effons
individuels dans le cadre du groupe même, d'autant plus que chaque membre a le
désir et la volonté de devenir" meneur" de ses compagnons. C'est dans ces cadres
que les enfants "( ... ) apprennent l'endurance", écrit Pierre Erny, "l'art de
commander, le sens de la responsabilité et le respect pour l'autorité"2. L'intérêt
pédagogique de ce principe réside dans la volonté de maintenir l'enfant sous
l'autorité d'un "meneur", symbole vivant du chef de la communauté tout entière.
Dès lors, il importe d'inciter les enfants à jouer le jeu du chef et de ses
subordonnés, image de la hiérarchie sociale.
l. ERNY (Pierre), L'enfant et son lIlilieu
, p. 83.
2. ERNY (Pierre), L'enfant et son lILilieu
, p. 88.
373
Les groupes d'âge se chargent de subvenir eux-mêmes à leurs besoins
alimentaires. Leurs membres s'adonnent, en effet, à la culture, à la chasse, à la
pêche, à la cueillette, à tout ce qui est susceptible de leur fournir de la nourriture.
Aussi, dans chacune de ces activités, les compagnons d'âge rivalisent-ils d'adresse,
d'endurance et de rapidité. Chez les Ngoni du Nyassa, rapporte Pierre Erny, les
enfants "poussés par la faim boivent du lait soutiré aux bêtes, chassent oiseaux et
lézards et vont marauder dans le village à la recherche de maïs ou de noix, au risque
de se faire punir sévèrement"l. Privés de nourriture par leurs aînés, les jeunes
enfants sont obligés de faire d'énormes efforts pour se procurer de quoi manger. Ils
sont ainsi amenés à résoudre eux-mêmes leurs problèmes. Il n'y pas une seule
activité dans le groupe qui ne nécessite pas d'efforts. Plus ancrés aux jeux qu'aux
occupations utilitaires, les enfants rivalisent d'ardeur, de souplesse et de génie.
Toutes leurs activités s'effectuent sous forme de compétition; et elles les préparent
à la vie active des adultes.
Les parents confient des travaux à leurs enfants en fonction de leur sexe de
leur âge et de leurs aptitudes. La fille à qui on confie des petits travaux domestiques
doit par ses efforts prouver qu'elle mérite sa place au sein de la famille. C'est à
l'aide des conseils répétés que la mère encourage sa fille à persévérer dans l'effort
et à bien faire ce qu'on lui confie. Car son statut de femme ne prend de valeur qu'à
travers son courage et son attachement au travail. Quant au garçon, il suit son père
qui l'initie aux métiers des hommes. Il y a ici aussi une stimulation permanente au
travail.
On laisse à l'enfant la liberté d'observer, d'imiter, et même de concurrencer
les adultes. S'il est souvent blâmé et châtié, l'enfant a aussi droit aux félicitations
après accomplissement d'une tâche. Toutes ces activités lui apparaissent sous une
forme ludique, par conséquent joyeuse.
Le principe de ces apprentissages est de tenir l'enfant en permanence actif. Ce
qui permet aussi à l'adulte d'évaluer à tout moment les aptitudes et les faiblesses de
l'enfant. Ainsi, il leur est plus facile de mettre en place des procédés pédagogiques
conformes à toutes les situations. Les parents ont la lourde tâche d'habituer leurs
1. ERNY (Pierre) L'enfant et son milieu ... , p. 88.
374
enfants à l'effort dans le travail. Et c'est là une préparation psychologique et
physique des enfants pour la vie.
La première "sélection" initiatique ou symbolique se trouve être la
circoncision pour les garçons et l'excision pour les filles. Ces rites de passage
célébrés à la fin de l'adolescence, donnent aux initiés un nouveau statut. Mais le rite
en lui-même constitue une rude épreuve de patience et de courage. Les préparatifs
psychologiques et matériels (nourriture, les danses etc ... ) qui précèdent ces
cérémonies sont à même de montrer aux adolescents l'importance que la tradition
attache à leur passage de l'état hybride à l'état normal. Le garçon aura le statut
symbolique d'homme lorsqu'il aura été séparé de son prépuce, symbole de féminité
; et la fille aura son statut de femme au moment où on lui aura ôté le clitoris,
symbole de masculinité. Il importe de se demander en quoi ces événements
stimulent les adolescents.
Il faut dire que ce sont des épreuves où les initiés doivent se montrer
courageux, au risque de se Jéshonorer dèvant leurs compagnons d'âge. La moindre
larme ou le moindre cri font une tache ineffaçable dans l'existence de l'individu.
C'est pourquoi les parents préparent psychologiquement leur rejeton avant qu'il
n'affronte l'une de ces épreuves. Pour ce faire, ils lui vantent le courage de ses
ascendants. Dans les sociétés soudanaises, le griot est chargé de ces éloges et
encouragements. Le néophyte se sent dans ces conditions le représentant d'une
lignée sans reproches. Aussi se doit-il de s'efforcer de défendre l'honneur de toute
sa famille. Cet "héritage" constitue, au moment de la cérémonie, un poids
psychologique pour l'enfant.
Il faut noter qu'il y a moins de discrétion lors de la circoncision que lors de
l'excision. La cérémonie d'excision est très restreinte, d'autant plus qu'elle ne
nécessite pas de grands préparatifs. Son déroulement est moins long que celui des
cérémonies de circoncision. Toutefois, la fille est tenue de préserver son honneur et
celui de sa famille devant ses compagnes de circonstance. La mère œuvre
patiemment dans ce sens. De part et d'autre, il y a une sorte de stimulation à l'égard
des adolescents et adolescentes avant qu'ils ne subissent ces rites.
375
»
Du fait même que ces rites se font en groupe, l'adolescent est encore plus
motivé que s'il les célébrait tout seul. C'est l'un des sens des regroupements de ce
genre. Ces rites permettent, après tout, de sélectionner toute une classe d'âge pour
un nouveau statut dans la société. C'est ainsi que leur acte final est une ouverture à
une autre forme de vie. Il est en réalité un engagement de la part des initiés à
assumer leur nouveau statut social et politique. Pour cela, il leur faut fournir
davantage d'efforts. Cet acte final est, en effet, une stimulation psychologique, dès
lors qu'il signifie pour l'adolescent un passage à un grade supérieur. Le principe de
ces rites est de responsabiliser davantage l'adolescent et de lui réclamer plus
d'efforts, afin qu'il participe pleinement à sa propre socialisation. Ce sont des rites
qui se célèbrent très souvent au début des initiations pubertaires.
Ces dernières confèrent aux jeunes gens leur statut d'hommes faits. Elles sont
importantes par les préparatifs qu'elles nécessitent et par leur place dans la
socialisation des initiés. L'âge est le principal critère de sélection, bien qu'on tienne
compte aussi des aptitudes physiques et psychologiques des candidats. L'initiation
pubertaire est une phase symbolique dans la vie des jeunes gens. C'est la
célébration et la consécration des qualités inhérentes à l'homme. Ainsi" avant de
conférer aux néophytes le statut d'hommes faits", écrit Pierre Emy, "la société se
doit de contrôler leur maturité, de compléter et de confirmer les qualités qui sont
inhérentes à l'exercice de leurs nouvelles fonctions( ...)"l. Cette évaluation interne
ne peut que stimuler les jeunes gens à persévérer dans leurs efforts, d'autant plus
qu'ils sont appelés à transmettre les mêmes valeurs à leurs cadets.
L'initiation signifie aussi l'isolement et la rupture avec tout ce qu'on a aimé
jusqu'à présent. En effet "l'ensemble du rituel", note Pierre Erny, "veut opérer une
rupture avec le village, la maison, la mère, le passé, la vie habituelle, facile, libre et
béate, le connu, le naturel, l'enfantin et le ludique, l'ignorance et l'irresponsabilité
pour projeter violemment la personne dans l'inconnu, dans un monde sérieux,
séparé, clos, artificiel, réglé, truffé d'interdits, dur, et qui pour faire choc, prend en
tout le contre-pied de l'existence ancienne"2. La société met ainsi l'initié devant ses
responsabilités et l'oblige à les assumer pleinement. Il est plongé dans une
atmosphère d'extase, d'envoùtement, d'angoisse et d'épuisement. C'est là le
1. ERNY (pierre), L'enfant et son lIIilieu
p. 224.
2. ERNY (Pierre), L'enfant et son lIIilieu
, p. 225.
376
moyen d'exciter et d'éveiller en lui toutes les qualités humaines. Il est soumis à un
effort constant. Comme il a été sélectionné pour subir toutes les épreuves
initiatiques, le néophyte doit sortir des camps avec une vision et une personnalité
nouvelles. Et, c'est là la preuve qu'il s'est efforcé de se débarrasser de ses
anciennes habitudes.
La pédagogie initiatique tient compte à la fois des valeurs individuelles et
collectives. Mais elle fait éclater les limites de l'individualité, selon la formule de
Pierre Erny, pour la fondre dans la collectivité. Aussi ne se réfère-t-elle pas à la
catégorie sociale, car elle prône l'égalité dans l'enseignement. L'initiation est une
sélection qui mène un groupe entier à une nouvelle vie. Le projet pédagogique que
commandent les initiations pubertaires s'applique à d'autres formes d'initiations. Le
NKama et le Kare bambara en sont une illustration frappante.
Il importe de savoir ce que ces initiations ont de commun avec les sélections
pédagogiques chez Platon. Ce dernier fonde la sélection sur l'âge et, sur l'aptitude
physique et intellectuelle des candidats. En cela, la tradition négro-africaine est très
proche du projet pédagogique platonicien. Toutefois, l'enseignement collectif chez
Platon ne signifie plus un passage collectif des intéressés à une classe supérieure.
On y entrevoit seulement quelques principes derrière la sélection des candidats. Ce
que la tradition négro-africaine a conservé dans ce domaine a certainement disparu,
au IVe siècle, de la tradition hellène. Platon a voulu garder et rappeler le riche passé
de la Grèce. Aussi les examens platoniciens sont-ils certainement copiés sur les
anciens rites de passage, et rappellent ainsi la sévérité de la sélection collective, telle
qu'on la retrouve en Afrique noire traditionnelle.
En Afrique, de même chez Platon, ce sont quelques membres d'une classe
d'âge qui accèdent au grade de sage au terme d'une formation sélective. Qu'elle soit
identifiée à l'examen chez Platon et au rite de passage en Afrique noire
traditionnelle, la sélection est conçue comme une stimulation pédagogique. Elle
suscite chez les uns et les autres l'esprit de concurrence et le sens de l'effort. En
cela, le système sélectif platonicien est comparable à ceux de l'Afrique noire
traditionnelle.
377
V. 3. LA PUNITION ET SA PORTÉE PÉDAGOGIQuE
V. 3. 1. La punition dans l'éducation de base chez Platon
Poser le problème de la punition dans l'éducation revient à s'interroger sur les
rapports
entre éducateurs et enfants. Dans sa critique contre le régime
démocratique, Platon évoque l'absence de punition et ses conséquences sur les
rapports entre adultes et enfants. En effet "dans un pareil Etat, le maître
(otoaoxaÀoc;) craint et flatte ses élèves, et les élèves se moquent de leurs maîtres,
comme aussi de leurs gouverneurs" 1. Pour ne pas en arriver là dans la Cité idéale,
Platon institue la punition comme "moyen" pédagogique. Cependant, même en
mettant l'éducateur devant ses responsabilités, le philosophe ne lui donne pas
l'occasion d'abuser de son autorité. Dans la pédagogie platonicienne le châtiment
est un moyen, et par conséquent il ne doit pas apparaître à l'enfant comme une
contrainte. Les moyens employés pour punir un enfant demeurent plus ou moins
obscurs dans les textes de Platon.
La punition relève elle-même, d'après Platon, de la nature de l'enfant.
Comparable à une "bête", ce dernier reste difficilement maniable. En effet, "( ... ) par
l'excellence même de cette source de raison qui est en lui, non encore disciplinée,
c'est une bête rusée, astucieuse. la plus insolente de toutes"2. Par ces qualificatifs,
l'enfant apparaît comme un être indéfinissable et insaisissable dans sa nature. D'une
part, en le comparant à une bête Platon légitime et cautionne certaines formes de
punitions qu'ils prône à l'égard de l'enfant; d'autre part en le qualifiant de rusé
(Èn{~ouÀoc;) et d'astucieux (OptflÛC;) le philosophe pense à des formes de punition
plus fines et moins contraignantes. Ainsi devant le caractère fougueux (U~ptOT1ÎC;) de
l'enfant Platon adopte la punition comme moyen de retour à la docilité. C'est à ce
titre qu'il juge la punition nécessaire dans un système pédagogique. Aussi
reconnaît-il que la punition demande des précautions de la part de l'éducateur. Pour
lui, la punition doit être adaptée à chaque situation et à la nature de l'enfant. D'où
l'impossibilité de classer les différentes formes de punitions dans les textes de
1. Rép., 563 a.
2. Lois, 808 d.
378
Platon. Il se contente seulement de la formule "corriger sans humilier" (f!~ èIT1/Uùç
)(oÀa(,e t v) 1.
La punition débute dès l'âge de trois ans; car le raisonnement est encore non
existant chez les enfants de trois à six ans. Il faut, écrit Platon "supprimer en
l'enfant toute mollesse, en le corrigeant sans toutefois l'humilier (... )"2. La
punition doit le guérir et de sa mollesse et de sa fougue (ü~ptç). Elle- aide ainsi à
imposer un juste milieu dans le tempérament de l'enfant. C'est pourquoi elle ne doit
pas être injurieuse pour exciter la colère et non plus caressante pour encourager la
mollesse chez l'enfant. Dans ce contexte, le jeune esclave et l'enfant libre sont mis
sur le même pied d'égalité. Mais Platon n'emploie pas f!~ èITlf!wç à l'égard des
esclaves. Mieux, il écrit "qu'il faut pourtant, quand la justice le demande, châtier les
esclaves, sans les gâter en les avertissant comme des hommes libres; en règle
générale, toute parole adressée à un esclave doit être un ordre (... )"3. Ainsi
l'humiliation n'est à éviter que chez l'enfant des citoyens libres. Est porteuse
d'humiliation toute punition violente. Jusqu'à l'âge de six ans, la punition n'est
décidée que par rapport aux comportements individuels des enfants. En effet, filles
et garçons de cet âge ne discernent pas encore ce qui est juste de ce qui ne l'est pas.
Ils s'adonnent surtout aux activités ludiques. Pour punir un enfant, l'éducateur peut
user du bâton et de la parole.
Les moyens employés pour punir (J<oÀâ(,etv) les enfants fougueux ne sont
certainement pas les mêmes que ceux utilisés à l'égard des enfants de caractère
mou. Mais Platon est moins précis là-dessus, surtout quand il recommande de lier
l'enfant de multiples mors (XaÀ t Val). Dans les jardins pédagogiques, les nourrices
sont chargées de la surveillance de la bonne ou de la mauvaise conduite des enfants.
Elles sont autorisées à punir les enfants des citoyens libres, si seulement l'intéressé
reconnaît sa faure. Là aussi la punition est atténuée selon la volonté et le désir même
de celui qui la subit. Platon ne parle pas des moyens employés par les gardiennes.
Mais il est possible que ce soit des verges, dans la mesure où les remontrances
verbales n'ont aucun effet sur l'enfant de cet âge. Les enfants des esclaves et ceux
des étrangers sont corrigés, sous l'ordre des gardiennes, par un employé de l'Etat.
1. Lois, 793 e.
2. Lois, 793 e ; 794 a.
3. Lois, 777 e ; 778 a.
379
"
C'est dire combien est importante la notion de punition dans la pédagogie
platonicienne. Aucun enfant n'est épargné dans la cité.
Platon condamne la violence dans la punition. Ce qui fait croire que les
verges (ou autres objets) employés pour châtier ne sont pas conçus de façon à faire
très mal à l'enfant. L'éducateur lui-même n'a pas le droit de frapper avec violence.
Platon est catégorique sur ce point: "n'use pas de violence avec les enfants", écrit-
il,"fais que l'éducation soit un jeu pour eux: tu seras par là mieux à même de
découvrir les dispositions naturelles de chacun" 1. L'explication de la condamnation
de la violence et de l'humiliation dans la punition est d'ordre psychologique et
pédagogique. En effet Platon pense que la violence et l'humiliation tuent le génie de
l'enfant. Les réactions de ce dernier le prouvent, à chaque fois qu'il est violemment
puni. Avec la violence c'est l'abrutissement, ou le retranchement, et le refus de
s'ouvrir à l'adulte. L'éducateur doit faire en sorte que l'enfant reste actif pendant sa
formation. La punition des enfants au-dessus de six ans se résume en remontrances
verbales. Là aussi Platon condamne la violence verbale à l'égard de l'enfant.
C'est à l'âge de sept :lns que l'enfant commence à apprendre ses leçons; c'est
le début de certaines difficultés pour l'éducateur. Les enfants sont tiraillés entre ce
que leur imposent les adultes et leurs jeux. Leurs occupations ludiques ont tendance
à surclasser les leçons à apprendre. Pour supprimer cette tendance, Platon juge
qu"'il faut donner à ces leçons une forme qui ne sente pas la contrainte"2. Par la
même occasion, le philosophe prend en exemple la méthode égyptienne qui consiste
à donner des leçons sous forme de jeu. Et c'est seulement sous cette forme,
reconnaît Platon, qu'une leçon demeure dans l'âme de l'enfant. Aussi précise-t-il
que "si les travaux corporels pratiqués par force ne font aucun mal au corps, les
leçons qu'on fait entrer de force dans l'âme n'y demeurent pas"3.
Dans cette étape, la nature de la punition ne dépend pas entièrement des
comportements de l'enfant ni de sa nature. Elle relève surtout des vertus
pédagogiques de l'éducateur. L'enfant qui comprend difficilement une leçon sentira
en cette dernière une charge voire une contrainte. C'est à l'éducateur de faire en
sorte que l'apprentissage ne se transforme en contrainte pour l'enfant. L'autre
l. Rép., 536 e ; 537 a.
2. Rép., 536 d.
3. Rép., 536 e.
380
aspect de la contrainte viendrait de la correction corporelle et des remontrances
verbales. Pour Platon, l'enfant ne commet pas de faute en n'assimilant pas une
leçon. Ce sont plutôt ses dispositions naturelles qui ne s'y prêtent pas. La
correction corporelle ou des remontrances verbales ne serviraient à rien dans ce cas.
Aussi l'intention de l'éducateur n'est-elle pas de punir, mais de chercher à
comprendre l'enfant et à découvrir les vraies raisons de ses défaillances
intellectuelles. Platon condamne ainsi la violence corporelle et verbale dans
l'apprentissage. Toutefois, il ne mélange pas les fautes de conduite punissables à
tout moment et les difficultés que pourraient rencontrer les enfants dans leurs
apprentissages. La mauvaise conduite n'est autre que le mépris des règles morales!
et coutumières.
De la troisième à la sixième année, la punition a une prédominance éthique. A
cet âge l'enfant ne comprend que le langage du bâton pour respecter les règles
morales et coutumières. Il rénéchit sans doute déjà aux raisons de la punition qu'il
reçoit de son éducateur.
L'enfant de sept ans est puni pour apprendre et comprendre ses leçons, pour
un meilleur rendement SLlr le plan intellectuel. Ce qui diffère du châtiment dont le
but est de supprimer ou de freiner les mauvaises habitudes chez l'enfant de moins
de sept ans.
Cette double finalité donne à la punition une place importante dans la
pédagogie platonicienne. Au demeurant. Platon a voulu rendre la punition moins
contraignante en la soumettant au contrôle de la loi. Elle n'est pas conçue pour
abrutir les enfants, mais pour les amener à se conduire et à apprendre comme il
convient. Peut-être le philosophe condamne-t-il ici les formes punitives déjà
existantes. Mais, même s'il prône moins de contrainte dans l'apprentissage et s'il
censure la punition violente de sa pédagogie, Platon est convaincu que l'impunité
gâte l'éducation des enfants.
1. Cf. Rép., 425 b.
381
v. 3. 2. La variabilité de la punition dans l'éducation des
enfants en Afrique.
La place de la punition dans l'éducation négro-africaine varie d'importance
selon les sociétés et leurs idéaux dans ce domaine. Mais dans tous les cas la
punition garde une fonction pédagogique.
Dans la tradition négro-africaine tout adulte a le droit de punir un enfant.
Platon cautionne le même principe. Pendant les initiations pubertaires, seuls les
instructeurs sont autorisés à châtier les néophytes. Ce qui donne à la punition un
caractère officiel comme dans la cité platonicienne. Toutefois, dans le domaine de la
punition, le premier rôle revient aux parents géniteurs.
En effet les parents, la mère plus que le père, ont une emprise certaine sur
leurs enfants jusqu'à l'âge de sept ans. Ils s'emploient à les redresser à chaque fois
qu'ils transgressent les règles de la morale coutumière. L'enfant de cet âge est
encore privé de raisonnement. Il ne comprend pas toujours le sens d'une punition.
C'est l'une des justifications de la liberté accordée aux enfants en bas âge en
Afrique noire. Cependant cette attitude n'exclut pas l'intervention punitive d'un
parent ou d'un proche devant la mauvaise conduite de l'enfant. Pour ce faire, ils ont
recours au châtiment corporel.
L'intervention de la mère est souvent brutale, mais elle est toujours suivie
d'une consolation. Le père, quant à lui, brille par son absence dans l'éducation de
cette période. Par conséquent, il intervient seulement pour signaler à la mère le
mauvais comportement de "son enfant". Il importe de noter que la relation mère-
enfant est si importante à cet âge que le père lui-même se décharge de sa paternité
pour tout laisser à son épouse. D'où l'explication de "ton fils", de "ta fille", au lieu
de "notre fils", "notre fille", lorsque le père s'adresse à la mère au sujet de la
mauvaise conduite de leur rejeton. C'est une réalité qui reflète l'importance du rôle
de la femme dans l'éducation familiale en Afrique noire. C'est à l'âge de sept ans
où filles et garçons sont séparés pour leur formation respective que les punitions
entrent vraiment dans la dynamique pédagogique.
Les groupes de jeu et d'âge sont les premières structures qui s'offrent à
l'enfant au sortir de sa famille. La conduite à l'intérieur de ces institutions est régie
382
par des règlements. Tout manquement au normes imposées par la tradition et par
tous conduit à des sanctions et à des punitions. Les compagnons d'âge sont eux-
mêmes garants de lajustice interne. En dehors de ces cadres, l'enfant peut être puni
par tout le monde. Seulement, par politesse, l'adulte donne toujours des
explications aux parents géniteurs.
Les instructeurs aussi sont autorisés à punir les initiés durant les périodes de
réclusion. Les initiés sont soumis à un mode de vie pénible. Ils subissent tous les
sévices corporels imaginables. Cela entre dans leur formation à l'endurance. La
pédagogie initiatique cherche à responsabiliser l'adolescent, à le couper du monde
des facilités. Les sévices corporels peuvent aller jusqu'à la mort de l'initié. Dans ce
cas la tradition négro-africaine l, comme chez Platon d'ailleurs2, ne considère pas
cette mort comme un crime, mais comme une mort naturelle. Les jeunes guides sont
plus sévères que les formateurs eux-mêmes. Les uns et les autres tentent de donner
aux initiés une nouvelle personnalité h travers les punitions.
.-
Dans l'apprentissage des métiers. ['enfant est l'objet de punitions pénibles.
S'il ne trouve pas en son père son formateur, l'enfant est confié à un maître à la
matière. Apprendre h pêcher, ;l forger ou à tailler du bois (etc.) sont des opérations
contraignantes pour l'enfant, d'autant plus qu'il est sévèrement puni à chaque fois
qu'il se soustrait aux recommandations du formateur. Là aussi la punition a sa
portée pédagogique.
Il est certain que les formes de punitions sont aussi diverses que les raisons
qui les suscitent. Il est possible, cependant, de les regrouper en châtiments
corporels et en punitions verbales (réprimandes, blâmes, malédiction, menaces,
etc.). Ce sont des espèces de punitions accessibles à tous les formateurs adultes. Il
est inutile de se demander la place du verbe (parole) dans une civilisation à tradition
orale. En effet, "dans une civilisation de la parole", écrit Pierre Erny,"celle-ci n'est
pas utilisée inutilement, pour ne rien dire, n'est pas déversée à flots au point de ne
plus être perçue et donc de devenir insignifiante. Qui parle est écouté. Le verbe est
tel une graine: une fois déposé il germe, il agit, il envahit, il travaille etconvertit"3.
1. Cf. MENGHRELIS (Th.), "L'initiation chez les Guerzés". in Notes Africaines. n° 29. Janvier.
1964. p. 25.
2. Cf. Lois, 831 a : "quelqu'un vient-il à être tué. le meurtre sera tenu pour involontaire et le
meurtrier. une fois puritïé selon les rites légaux, sera déclaré avoir les mains pures".
3. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , p. 210.
383
,
Les parents et les formateurs usent de la parole dans le châtiment, selon que
l'enfant est en âge de comprendre ou non. La mère peut blâmer, réprimander et
même menacer verbalement son enfant, mais elle le maudit rarement, d'autant plus
qu'une malédiction proférée par une mère est censée se produire. C'est ce qui
empêche une mère de maudire son enfant. Certes, dans le langage courant une mère
emploie des termes de malédiction à l'égard de ses rejetons, mais, comme ils ne
sont pas lancés avec du sérieux, ils n'ont aucune portée sur la destinée des enfants.
Le père est plus attaché aux choses concrètes qu'à la simple parole. Il profère
surtout menaces et avertissements. Aussi l'enfant tient-il compte plus des propos de
son père que ceux de sa mère. Au demeurant, la familiarité entre mère et enfant ne
manque pas d'émousser l'autorité maternelle. Pierre Erny remarque que "( ... ) la
parole maternelle, plus usée par suite de sa fréquence, ne portera pas de la même
manière que celle du père ou éventuellement de l'oncle maternel, plus distante, plus
réservée, plus grave" 1.
Dans les sociétés aristocratiques négro-africaines, pour punir un enfant, la
parole est plus usitée que le châtiment corporel. On y considère la correction
corporelle comme une injure à la personnalité de l'enfant. Ce sont là des principes
et valeurs que Platon défend théoriquement. Il s'oppose à tout châtiment corporel à
l'égard des enfants libres, avançant par là-même que ce genre de punitions gâte la
nature de l'enfant.
En Afrique noire les parents n'observent pas toujours ces prescriptions. Mais
la punition corporelle s'efface naturellement devant le blâme dès que l'enfant est en
mesure de comprendre le sens des paroles qui lui sont adressées. C'est la parole qui
pousse l'adolescent à la réflexion. Elle ne prive pas et n'isole pas, mais elle juge
sévèrement la mauvaise conduite de l'intéressé. On cherche par la parole à le
toucher au plus profond de lui-même. Parents, formateurs et adultes privilégient les
vertus du verbe par rapport à celles du bâton. Si la parole le réveille, le bâton abrutit
l'enfant. C'est cette philosophie qui fait atténuer la punition violente dans la
pédagogie négro-africaine.
1. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , p. 210.
384
,1'
Le Négra-africain n'a recours à la punition corporelle qu'aux cas extrêmes.
Même s'ils vont jusqu'à sanctionner corporellement leurs enfants pour des raisons
de conduite, les parents font tout pour ne pas les enfermer dans une attitude de
faiblesse. Mais la mère n'hésite pas à administrer une correction corporelle à sa fille
qui refuse de piler le mil, le manioc ou de faire une commission. Le père, quant à
lui, a recours au châtiment corporel quand ses enfants, filles et garçons,
désobéissent à ces ordres. Aussi le garçon est-il puni corporellement lorsqu'il
néglige les tâches que lui confie son père. Bien que les parents soient amenés à én
user, la punition corporelle entre faiblement dans l'éducation familiale.
Les guides formateurs des camps d'initiation sont plus ont plus facilement
recours aux punitions violentes. La punition la plus usitée en pédagogie initiatique
reste la contrainte. Il arrive que les initiés, outre les sévices que leur infligent les
formateurs, se flagellent eux-mêmes pour se punir. Dominique Zahan remarque
avec raison que "ce chemin est celui de l'indifférence à la douleur, car c'est à ceci
que revient, en dernière analyse. la leçon de la flagellation. Quiconque est
insensible à la souffrance est clpable de commander à sa bouche et à soi-même" 1.
Ainsi se justifie et s'explique la violence physique dans la pédagogie initiatique.
Dans la vie courante. les finalités de la punition corporelle sont non moins
apparentes.
Quelle que soit sa nature la punition traduit toujours une volonté pédagogique
de redresser la conduite de l'enfant. Une société peut cautionner telles formes de
punitions et refuser telles autres. Le choix viendrait de l'idéal que chaque
communauté se fait de la personnalité humaine. Une société guerrière cherchera,
par des punitions sévères, à rendre ses jeunes membres plus combatifs et plus
résistants à la douleur, alors que les communautés aristocratiques "estiment que la
punition corporelle est une injure à la personnalité"2. La nature de la punition est
ainsi fondées sur des valeurs sociales et politiques. Parents et adultes ont le devoir
de punir l'enfant pour le ramener sur le "drait chemin". Dès lors, il est impossible
de croire, comme Pierre Erny, que "la punition ne poursuit donc pas un but
disciplinaire et ne s'insère pas dans un projet éducatif cohérent, mais elle apparaît
davantage comme une simple réaction vindicative ou de décharge nerveuse"3.
1. ZAHAN (Dominique), Sociétés d'initiation bambara ... , p. 199.
2. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu
, p. 201.
3. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu
, p. 204.
385
)
L'auteur part du fait que "la personnalité est acceptée telle qu'elle est, de sorte que
l'on ne vise pas systématiquement à la corriger ou l'amender" 1.
S'il est vrai que la tradition négro-africaine croit aux dispositions naturelles, il
n'en demeure pas moins vrai qu'elle croit aussi à la formation de la personnalité de
l'enfant. Tout ce qui entrave cette formation mérite d'être banni à jamais par le biais
de la punition. Cette dernière ne doit pas viser un but éphémère. Car sa portée
pédagogique est plus que que significative dans une civilisation où l'enfant a
tendance à oublier ses devoirs et sa place, tellement il est libre. C'est dire aussi que
la punition n'est pas administrée et distribuée à l'aveuglette: elle suit des règles.
Comme dans la pédagogie platonicienne, l'idéal du juste milieu est respecté dans la
pédagogie négro-africaine. La liberté et la punition relèvent de cet idéal.
Chez Platon comme Afrique noire, la punition n'est envisagée que dans le
cadre pédagogique. Elle a la vertu d'aider l'éducateur dans sa tâche et de séparer
l'enfant de ses défauts.
1. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu... , p. 204.
386
v. 4. LA LIBERTÉ DE CRÉATION ET D'APPRENTISSAGE CHEZ
L'ENFANT
V. 4. 1. Liberté limitée chez Platon
Apparemment, le problème de liberté ne se pose pas dans la création et dans
l'apprentissage de l'enfant quand on se réfère à ce passage (déjà cité)
de La
République: "( ... ) il faut, écrit Platon, donner à ces leçons une forme qui ne sente
pas la contrainte"l. Mais cette déclaration n'implique pas pour autant le
desserrement de l'étau autour de l'enfant. La conception platonicienne de
l'éducation ne laisse pas une grande place à l'initiative personnelle. La liberté est
presque absente dans toutes les structures du système pédagogique platonicien.
Platon a, en fait, conçu une éducation communautaire qui exclut toute initiative
privée dans la cité et dans ce domaine. Ce qui explique le nombre important de lois
et de prescriptions qui régissent la bonne organisation de l'enseignement. Toute
réforme pédagogique ne peut provenir que de l'Etat.
Dans la cité de La République, les parents inconnus de leurs enfants se
confondent avec les autres citoyens. Là, Platon fait disparaître la structure familiale
pour laisser la place à la structure étatique. Ce vide est comblé dans Les Lois sans
pour autant que le philosophe accorde. dans l'éducation, une grande liberté à la
famille. Ainsi ce que nous avons déjà appelé éducation familiale, à juste titre
d'ailleurs, reste-t-il sous la dynamique de l'Etat. Cette implication de l'Etat dans
l'éducation familiale réapparaît dans les rapports entre parents et enfants.
Psychologiquement, l'enfant ressent plus que les parents cette absence de liberté
dans ses activités ludiques et dans son apprentissage.
Le poids de l'Etat est ressenti aussi par les différents formateurs de l'enfant.
Les parents, les nourrices, les pédagogues et les instructeurs se succèdent dans la
formation de l'enfant. Les nourrices s'occupent des poupons à la maison et dans les
temples transformés quotidiennement en jardins d'enfants. Dans ces institutions
publiques, les gardiennes régentent la conduite des enfants. Elles n'agissent que
conformément à la loi. Et l'enfant y ressent la pression et le manque de liberté à
1. Rép.. 536 d.
387
,
travers les réactions même de ses surveillantes. Peut-être trouve-t-on moins de
liberté avec une nourrice qu'avec un pédagogue qui n'est autre qu'un esclave
domestique. Mais il est certain qu'avec ce dernier l'enfant ne jouit pas d'une liberté
complète, d'autant plus que le pédagogue est plus soumis aux lois étatiques et
familiales que quiconque intervient dans la formation des enfants. Les maîtres qui
"instruisent ce dernier en toutes sortes de disciplines et de sciences"l sont soumis
aux lois de l'Etat.
Au demeurant, pas une technique, pas une science n'est enseignée en dehors
des normes établies par l'Etat. Cette absence de liberté dans les méthodes
pédagogiques conduit à un déséquilibre psychologique chez l'enfant. La complexité
et la lourdeur des programmes pèsent non seulement sur l'initiative des formateurs,
mais elles jouent aussi sur la liberté de création des enfants et des adolescents.
Dès sa naissance, l'enfant est pris en charge par les parents (particulièrement
par la mère) et par les nourrices. Par l'emmaillotement et le port permanent, l'enfant
est presque privé de ses mouvements. C'est dire que jusqu'à l'âge de trois ans ses
gestes et ses mouvemems sont contrôlés et orientés par la mère et les nourrices. En
effet, le système de l'emmaillotement ne donne pas à l'enfant entière liberté dans
ses mouvements; et par le port permanent, il n'a pas de contact avec le sol. Sans
doute les précautions hygiéniques prévalent-elles ici sur la liberté ludique. Mais sur
le plan pédagogique c'est une insuffisance dans l'approche platonicienne de
l'éducation des enfants en bas âge.
C'est en quittant mères et nourrices que les enfants sont quotidiennement
rassemblés dans des temples jusqu'à l'âge de six ans. Dans La République, les
poupons sont accueillis dès leur naissance dans un local clos. L'intérêt de ces
rassemblements est multiple, en ce sens que les enfants ont la possibilité d'exprimer
leur génie, malgré le contrôle permanent de leurs jeux par les surveillantes. Platon
reconnaît lui-même que "quant aux amusements de cet âge, il y en a qui naissent
tout seuls, et que les enfants trouvent d'eux-mêmes sitôt qu'ils sont ensemble"2.
On voit bien que Platon n'ignore pas et ne néglige pas l'intérêt psychologique et
pédagogique de ces rassemblements, pour peu qu'on y laisse les enfants en liberté.
1. Lois, 808 e.
2. Lois, 794 a.
388
,
La surveillance ne va pas sans gêner le poupon dans ses jeux. TI est admis, en effet,
que l'enfant se désintéresse de son jeu, dès qu'il sent ou sait qu'il est observé de
près ou de loin par l'adulte. Platon n'ignore pas ces genres de réactions chez
l'enfant. Sa farouche opposition à tout changement dans les jeux ne lui permet
certainement pas de laisser libre cours à la création enfantine, d'autant plus que les
jouets dont se servent les poupons sont confectionnés et distribués par les adultes.
Principe observé jusqu'à nos jours dans les garderies d'enfants. L'étincelle de
liberté qui jaillit des jardins devient moins brillante, dès que l'enfant entre dans sa
septième année.
L'heureuse fonnule de Platon à savoir "fais que l'éducation soit un jeu pour
les enfants" marque incontestablement une nouveauté dans la pensée pédagogique
de l'époque classique. Conscient de la lourdeur] de son programme, Platon essaie
de le rendre plus gai sous des formes ludiques. Dès lors, l'enseignement teinté de
jeu ne constitue plus une contrainte ou un moment désagréable pour l'enfant. En
dehors de la formation morale fondée sur les contes et les fables, le programme
"scolaire et universitaire" porte sur lès techniques guerrières, les sciences musicales
et mathématiques.
Dès qu'ils quittent les garderies à l'âge six ans, les enfants sont admis à
l'entrainement gymnique et guerrier~. Dans cette formation, l'enfant se trouve sous
les ordres des adultes et les armes qu'il manie sont confectionnées selon la volonté
de l'éducateur. Finalement, l'enfant se contente de la création des adultes, là où il
devait lui-même fabriquer ou créer ses propres jouets. C'est un procédé
pédagogique qui tue en l'enfant toute création ludique. Cette insuffisance
pédagogique apparaît partout où l'enfant est confronté à l'apprentissage. Que ce soit
chez l'agriculteur, chez l'architecte ou chez tout autre artisan, le formateur "doit
fournir à chaque enfant de peti ts outils qui imitent les vrais "3. On impose ainsi aux
bénéficiaires de ces formations un métier. C'est sur le temps et l'imitation que
compte Platon pour imposer à l'enfant sa future occupation sociale. L'apprentissage
des métiers ne s'effectue pas pour ainsi dire dans une atmosphère de liberté pour
l'enfant, en ce sens que l'instructeur étouffe en son élève tout désir cre choisir un
1. Rép., 535 b c.
2. Cf. Lois, 794 c d.
3. Lois, 643 c.
389
.9
autre métier. Cette volonté d'imposer à l'enfant tout ce qu'il aura à faire est encore
manifeste dans l'enseignement du calcul.
En calcul, Platon adopte pratiquement la méthode (dite égyptienne) qui
consiste à distribuer et à partager des objets rassemblés par les instructeurs. En elle-
même cette méthode est utile dans ce genre d'apprentissage. Mais l'inconvénient est
que l'adulte choisit à la place de l'enfant. Peut-être la spécificité du calcul explique-
t-elle ce procédé pédagogique. Cependant, l'enfant ne crée pas lui-même son propre
jeu de distribution et de partage. Le dirigisme des adultes n'est pas absent encore de
cette méthode d'apprentissage, d'autant plus qu'elle vise à rendre les enfants aptes
"à ranger et à conduire des armées, et commander des expéditions, administrer une
maison ( ... )"1. C'est au nom de l'utilité que l'enfant est privé de sa liberté ludique.
Il ne lui est jamais laissé la liberté de manier lui-même les instruments de
musique ni de chanter à sa guise sans qu'il ne soit sous le contrôle de l'adulte. Il est
tenu de respecter les normes poétiques et musicales telles qu'elles sont définies par
l'Etat. S'il est vrai que l'éducation doit être perçue par l'enfant comme un jeu, il
n'est pas moins vrai que le jeu n'est réel pour lui que lorsque le jeu est sa propre
création ou sa propre découverte.
On ne lui permet pas de jouer son propre jeu, de se confectionner des jouets,
de composer son univers ludique. C'est au nom de la stabilité des prescriptions
étatiques que l'enfant est privé de la liberté de création. Platon envisage que "les
mêmes âges jouent toujours les mêmes jeux suivant les mêmes principes et de la
même façon se plaisent aux mêmes amusements"2. En Afrique noire traditionnelle,
ce principe est respecté mais sans le contrôle de la collectivité. La tradition permet
aux jeunes générations d'apporter du nouveau dans les jeux, et cela dans les respect
strict des coutumes. Pour Platon, l'instabilité des jeux "transforme insensiblement
les mœurs de la jeunesse et l'amène à mépriser tout ce qui est ancien, à n'estimer
que ce qui est nouveau"3. Ainsi le conservatisme platonicien exclut toute liberté
dans la création ludique, de peur que les valeurs traditionnelles ne s'effondrent.
Mais le philosophe oublie que c'est dans le jeu que la jeunesse s'épanouit, se recrée
et se plaît. Tout frein à ces élans nuit indubitablement à l'épanouissement
1. Lois, 819 c.
2. Lois, 797 b.
3. Lois, 797 c.
390
psychologique de l'enfant. La recherche de l'unité de la cité a souvent caché à
Platon certaines insuffisances de son système pédagogique.
L'agencement des disciplines scolaires et universitaires ne facilite pas la
liberté de création et d'apprentissage. De la troisième à la cinquantième année, le
citoyen platonicien est intensément soumis à des formations éthiques,
intellectuelles, scientifiques, physiques et guerrières. La formation psychologique
par les récits s'arrête à l'âge de dix ans, moment où l'enfant rejoint l'école
publique. Les fables et les contes étant choisis selon la réglementation de l'Etat,
dans ce domaine, ne suscitent pas toujours la joie chez les enfants. Ces derniers
auraient besoin à ce stade de se créer un monde de rêves qui leur appartiendrait et
qui différerait de ceux que leur impose l'Etat.
C'est à partir de la dixième année que l'emploi de temps de l'enfant devient
très chargé. Le résultat est qu'il ne peut plus exprimer son génie créateur. Platon
propose que "dès que revient la lumière du jour, il faut que les enfants se rendent à
l'école" 1. Ces "bonnes habitudes" ne vont pas sans atténuer la créativité des
enfants. Aussi le programme est-il si chargé qu'ils n'ont aucun moment à eux.
Platon reconnaît lui-même que durant les deux ans de formation militaire les jeunes
gens sont épuisés de fatigue, de telle sorte qu'ils se trouvent dans l'impossibilité
d'apprendre. C'est une reconnaissance implicite des effets négatifs de la lourdeur
du programme sur le rendement intellectuel des jeunes étudiants.
La rigidité de l'enseignement supérieur n'est pas sans influence sur la liberté
des étudiants. Cette dernière n'est effective que dans les études de la dialectique,
moment où ils ont la possibilité de discuter, de se contredire, et de se critiquer
librement. Platon juge qu'à leur âge (trente, trente-cinq ans) les esprits sont assez
mûrs pour distinguer ce qui est utile et avantageux à l'Etat de ce qui ne l'est pas.
Ainsi la complexité des structures pédagogiques, la lourdeur des programmes
et la rigidité des prescriptions relatives aux enseignements aliènent et freinent la
liberté de l'enfant, de l'adolescent et celle des vÉOl. C'est dès trois ans que le jeune
citoyen se voit dirigé dans ses jeux et apprentissages. On lui accorde la permission
de jouer, mais on ne lui permet pas de créer en dehors des nonnes établies par
1. Lois, 808 d.
391
)
l'Etat. Il subit la même pression dans l'apprentissage "scolaire et universitaire". Le
manque de liberté est l'une des insuffisances du système pédagogique platonicien.
Le citoyen est éduqué et formé aux métiers selon les idéaux de l'Etat. Il apprend
sans créer, il assimile sans distinguer. C'est pour cela que nous avons évoqué les
limites de la liberté de création et d'apprentissage dans le système éducatif
platonicien.
392 ..
V. 4. 2. "
Liberté créatrice en Afrique
Les structures de la famille et de la société négro-africaine sont moins
contraignantes que celles que Platon a définies dans La République et dans Les
Lois. La rigueur platonicienne dans ce cadre a des incidences sur la liberté
individuelle. L'enfant ressent dès les premiers mois de son existence ce manque de
liberté. Sans doute la volonté de sauvegarder la tradition dans ses réformes
politiques a-t-elle valu à Platon cette rigueur pédagogique. Néanmoins, il préserve
la notion de liberté dans le jeu et dans certains apprentissages, bien qu'elle soit
limitée par l'Etat. Dans la tradition négro-africaine, la contrainte n'exclut pas la
liberté pour l'enfant. Là aussi existe le contrôle des adultes. Et l'enfant voit, au fur
et mesure qu'il prend de l'âge, sa liberté diminuée. Cela s'expliquerait pai les
tâches de plus en plus nombreuses que les adultes lui confient quotidiennement.
Toutefois, dans ses activités ludiques (et sérieuses) l'enfant ne manque pas de faire
montre de son esprit créatif.
Les parents sont les premiers à mettre l'enfant dans une atmosphère de
liberté. En effet, "durant la période d'allaitement", écrit Pierre Erny, "l'enfant noir
est normalement amené à réaliser. grâce à la relation de symbiose qui l'unit à sa
mère, l'expérience d'un monde hautement indulgent, bienveillant, proche et chaud,
sur lequel il a étonnamment prise et qu'il peut manipuler au gré de ses désirs"I,
Chez Platon, le nouveau-né est soumis à des prescriptions que mères et nourrices
appliquent strictement. Même dans ces circonstances, l'enfant ne perd pas le goût
de la liberté. En Afrique noire une mère, occupée par les travaux domestiques,
n'hésite pas à laisser son enfant jouer au milieu de la concession ou à l'ombre d'un
arbre. Si la mère ne lui fournit pas des jouets, le jeune enfant s'en charge lui-même
en rassemblant tout ce qui traîne autour de lui. Néanmoins, la mère prend la
précaution de déplacer tout ce qui est susceptible de la blesser. Ce sont là ses
premiers contacts avec le sol.
La nudité de l'enfant est quasi totale pendant cette période. Les marques et les
déchirures visibles sur ses genoux montrent la fréquence de ses déplacements dans·
la cours familiale et son manque de protection vestimentaire. Sans doute le
problème d'hygiène se pose-t-il dans ces circonstances, mais l'enfant de cet âge
1. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , p. 198.
393
n'est libre que dans sa nudité. Platon résout ce problème par l'emmaillotement
quotidien et le port de l'enfant de moins de trois ans. Nous avons déjà montré que
c'est là une pratique qui prive l'enfant de ses gestes et mouvements. Et c'est juste à
la fin de la troisième année que filles et garçons se retrouvent avec ceux de leur âge.
De trois à six ans l'enfant a, comme l'écrit Platon, besoin d'amusements. La
tradition négro-africaine satisfait ce désir en accordant à l'enfant la liberté de jouer et
de créer ses propres jeux.
Qu'ils soient réunis dans des garderies ou qu'ils se regroupent eux-mêmes,
les enfants de cet âge trouvent tout seuls leurs amusements. Elevés dans un milieu
naturel et ouvert, ils ont le génie de transformer tout objet en jouet. La tige de mil
lui servirait de monture comme elle lui aurait servi de fusil, de javelot etc. Dans son
imagination, il peut donner à un seul objet plusieurs fonctions. Absorbés par leurs
jeux, les jeunes enfants oublient le monde qui les entoure; ils vivent dans un monde
qu'eux seuls sont censés connaître. A ces moments précis, toute intervention de
l'adulte gênerait l'enfant qui joue isolé ou en compagnie de ses camarades. C'est
l'une des principales raisons qui font que les adultes restent loin de l'aire de jeu des
enfants. Ainsi on voit que "dès le début l'enfant est habitué à ce que l'adulte le
laisse exprimer ses désirs sans chercher à les régler et à les contrôler, et qu'il s'y
adapte au mieux" '. Filles et garçons jouent ensemble durant cette période. Seul le
jeu compte, d'autant plus qu'ils ne sont pas encore conscients des rôles respectifs
qui leur incombent dans la société. C'est après six ans que les enfants se
rassemblent suivant leur sexe et se mettent à imiter les adultes et leurs occupations.
La socialisation de l'enfant débute réellement à l'âge de sept ans. C'est le
moment où il intègre son groupe d'âge, où il commence à apprendre des techniques
et à écouter dire des contes. Sa journée se partage entre les petits travaux que lui
confient les adultes et ses activités ludiques. Mais jusqu'à son initiation, il passe les
trois quarts de la journée à jouer. Sa liberté est moins restreinte, et ces moments
libres lui donnent l'occasion d'étaler tout son génie créateur. L'adulte, pourtant
complice de cette liberté, ne semble pas être concerné par les enfants. Cette
indifférence a été relevée maintes fois par les sociologues et ethnologues qui ont eu
l'occasion d'étudier les sociétés négro-africaines. C'est par rapport aux
prescriptions des pédagogies européennes que ces chercheurs ont souvent mesuré
1. ERNY (Pierre) L'enfant et son milieu ... , p. 199.
394
cette indifférence. Cette démarche fausse toute la question. Car dans la tradition
négro-africaine l'enfant se confectionne lui-même ses jouets; et il joue plus souvent
en groupe, il n'est jamais soumis à un horaire, et il se sent autorisé à tout faire. La
tradition veut que pendant ce temps l'adulte soit indulgent avec les enfants.
D'autre part, ces derniers jouent à l'adulte et se montrent imitateurs.
L'imitation est certes le propre de tout enfant, mais en Afrique noire traditionnelle
c'est la manière d'imiter qui vaut la peine d'être connue. Platon fixe l'imitation dans
des principes éthiques figés. L'univers de la cité est conçu de telle manière que
l'imagination de l'enfant reste bloquée et limitée. En Afrique, plus que chez Platon,
le monde est ouvert à l'enfant et à ses créations.
En effet, l'enfant et l'adolescent apprennent à vivre avec la nature en la
transformant à leur guise. Dans leurs rassemblements ludiques les enfants rivalisent
de création. Au début du conClct ;lveC b Civilisation occidentale on s'est étonné de
la rapidité avec laquelle les enfants noirs ont réussi à imiter dans leurs créations
ludiques l'homme bbnc et ses techniques. Cette capacité d'adaptation de l'enfant ne
s'explique que par la liberté dont il jouit dans son milieu.
Les adolescents ne ressentent pas toujours des heures passées avec les adultes
comme des moments désagréables. Accompagner sa mère au marigot, suivre son
père à la chasse ou à la pêche sont des occupations qui constituent des moments de
joie et de liberté pour l'enfant. Ce dernier déteste être enfermé dans un espace tel
que l'atelier. Il y voit la restriction de sa liberté. En Afrique noire traditionnelle,
comme chez Platon d'ailleurs. l'instruction se passe en plein air. L'adulte intervient
méthodiquement dans les tâches que doit accomplir l'enfant. Pour ce faire, "( ... ) il
utilise des moyens à peine perceptibles", écrit Pierre Emy, "qui n'émergent guère
de la conversation ordinaire, mettent en route les sentiments sociaux de l'enfant,
stimulent ses motivations au travail et son désir de participer aux tâches communes:
exhortations, encouragements, témoignages de reconnaissance et d'approbation,
recommandations, conseils, rappels, renvoi à des modèles à imiter" 1.
Ces interventions verbales aident l'enfant à apprendre et à comprendre
librement. Apprendre un métier dans la société platonicienne revient à respecter des
1. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , p. 205.
395
normes qui étouffent toute liberté d'apprentissage. On y exhorte certes, mais
l'enfant manque de liberté pour se perfectionner tout seul. En Afrique, l'enfant
ressent le même manque de liberté dans une forge. Mais dès qu'il s'échappe de
cette "prison", il jouit de sa liberté ludique. Ainsi il va lui-même réaliser librement
ses expériences. Cette liberté devient effective au sein des groupes d'âge.
En effet les enfants se perfectionnent au sein des groupes d'âge où ils utilisent
leur temps à chasser, à pêcher, bref à imiter les adultes dans leurs occupations.
L'absence de ces adultes favorise l'éclosion du génie créateur de l'enfant.
Cette approche de la liberté fonde toute la pédagogie négro-africaine. L'enfant
doit se sentir partout libre pour faire valoir ses talents d'irrùtateur et de créateur. Tel
est le sens de la liberté ludique et d'apprentissage dans la pédagogie négro-
africaine.
396
Conclusion
Platon définit la pédagogie comme une méthode dont l'objectif est de mener à
bien l'éducation. Elle est méthode, en ce sens qu'elle pose et définit les rapports
entre les différents éléments de la formation. Dans la formation des citoyens, elle
maintient l'équilibre entre la théorie et la pratique. La pédagogie négro-africaine
joue les mêmes rôles; seulement dans le découpage des âges, dans l'évaluation des
aptitudes, et dans la mise en équilibre entre l'enseignement théorique et pratique,
elle ne possède pas la rigueur platonicienne.
Le système éducatif platonicien est purement sélectif. Le philosophe organise
la sélection, de telle sorte que les candidats sont tenus de faire des efforts
psychologiques, intellectuels et physiques. Il conçoit la sélection comme une
stimulation individuelle et collective. Le même intérêt pédagogique se note dans les
rites de passage et dans les initiations pubertaires en Afrique noire. Mais là, la
sélection n'implique pas exclusion. Elle symbolise le passagë d'un statut social à un
autre ou d'une vie à une autre. Il est fort probable que la sélection platonicienne est
le résultat de multiples transformations des rites de passage des époques antérieures
à la période classique. D'autant plus que la sélection, malgré les exclusions dont
elle est l'occasion, se fait encore chez Platon par groupes d'âge comme en Afrique
noire traditionnelle. De part et d'autre, le candidat fournit d'énormes efforts pour
rester dans la dynamique du groupe.
Platon voit en la punition un moyen pédagogique qui s'adapte à toutes les
circonstances. Il justifie l'existence de la punition par la nature insaisissable de
l'enfant. Le philosophe propose la punition corporelle pour dompter le caractère
fougueux de l'enfant de moins de sept ans, et la "punition" verbale pour les
périodes suivantes. Dans les deux formes punitives, Platon condamne la violence et
préconise la modération. L'orientation pédagogique de la punition est plus ou
moins similaire en Afrique.
En effet, dans la tradition négro-africaine, elle apparaît sous des formes
violentes et douces. Le bâton et la parole sont les moyens que l'éducateur emploie
pour châtier ou réprimander un enfant. Chez Platon comme en Afrique, la forme
397
~
punItI ve vane suivant les idéaux des classes et des populations et selon les
conceptions qu'elles se font de la punition.
La lourdeur du programme scolaire et universitaire platonicien étouffe le génie
créateur et diminue les capacités physiques et intellectuelles de l'enfant. Le
dirigisme dans l'apprentissage ne laisse aucune liberté à l'enfant. Alors qu'en
Afrique la liberté de création et d'apprentissage accordée à l'enfant avoisine l'excès.
En dehors du temps passé avec ses formateurs, l'enfant a la liberté et le loisir
d'apprendre et de jouer avec ses compagnons d'âge. Pour le Négro-africain,
l'enfant doit se sentir libre pendant l'apprentissage. C'est ainsi, pense-t-on, que
vont briller ses talents de créateur et d'imitateur.
CHAPITRE SIXIÈME
ÉDUCATION ET UNITÉ
399
L'objectif principal de l'éducation platonicienne et négro-africaine est
d'intégrer culturellement l'individu au sein de la société. De leur enfance à leur
vieillesse, les individus sont, dans les deux systèmes communautaires, formés en
groupe, et vivent en groupe et pour le groupe.
C'est peut-être pour la même idée d'unité et de groupe que Platon prône
l'égalité de la femme et de l'homme devant l'éducation. En Afrique, cette égalité est
d'ordre conceptuel; et sa réalisation est problématique.
L'uniformité du contenu de la formation scientifique, intellectuelle,
psychologique et philosophique contribue à la cohésion sociale et à l'unité politique
chez Platon, alors qu'en Afrique la sauvegarde des coutumes communautaires
semble exiger la cohérence du contenu des enseignements. La stabilité coutumière
est à la base de l'unité sociale et politique.
Dans la cité platonicienne et dans les sociétés négro-africaines, la mythologie
est respectivement réformée et conçue pour faire éclore et affermir l'idée d'unité, de
solidarité et d'amitié chez les enfants.
400
VI. 1. EFFACEMENT DE L'INDIVIDU DEVANT LE GROUPE
V. 1. 1. La soumission totale du citoyen à l'Etat chez Platon
La finalité du projet pédagogique platonicien est l'intégration de l'individu
dans la société. Les structures pédagogiques sont conçues de telle sorte que tout
bénéficiaire de l'éducation ne doit et ne peut exister qu'avec les autres. L'individu,
écrit Platon, ne se suffit pas à lui-même, d'où la nécessité de s'associer à plusieurs
pour s'entraider l . Si Platon explique la formation des sociétés par les besoins
matériels (Xpdo) et par instinct sociaI2, Aristote d'accord3 avec la première analyse
soutient, en revanche, que la société est fondée en vue de l'honnêteté et du bien (Ta
XOÀÔv)4. Il n'en demeure pas moins vrai qu'ils sont tous deux d'accord sur les
avantages de la vie en groupe. Mais le rassemblement naturel des hommes en
société ne se suffit pas de lui-même. Ils ont besoin d'être éduqués5-pour vivre
harmonieusement les uns à côté des autres. Pour ce faire, le groupe devient le
dénominateur commun d'une éducation unitaire. Ainsi l'individu est-il obligé
d'intégrer le groupe et de se soumettre aux valeurs communes. Sa vie n'a de valeur
et de sens que le groupe.
Dans La République et Les Lois, Platon préconise le rassemblement des
enfants. Nous avons déjà relevé et analysé le terme d'à'(ÉÀT] auquel nous avons
donné le sens de "groupe d'âge". En effet ce sont des enfants âgés de trois à six ans
qui sont regroupés par bourgade. Le seul critère de ces rassemblements reste l'âge.
Mais ils s'expliquent par la volonté du législateur de donner une éducation
commune aux jeunes enfants. Aussi croit-on pouvoir les amener à acquérir ainsi
l'esprit de solidarité dans le groupe. Dans la même perspective, les enfants
s'habituent très tôt à vivre ensemble et à recevoir une formation commune. Le jardin
d'enfants (temple chez Platon) marque ainsi le début de l'effacement de l'individu
1. Cf. Rép .. 369 b c d.
2. Cf. Lois, 676 a
3. Cf. Polit., 1252 b, 2-9.
4. Cf. ARISTOTE, Polit .. 1291 J. 10-19
5. Cf. Polit., 1263 b. 15
401
devant le groupe, d'autant plus qu'aucun
"
enfant ne bénéficie individuellement de
privilèges par rapport aux autres.
A sept ans, filles et garçons sont séparés pour des raisons d'aptitudes.
L'instruction qui débute à cet âge se fait par groupes. Que ce soit en équitation, en
maniement d'armes ou en d'autres exercices, filles et garçons s'entraînent
respectivement par groupe d'âge. L'intégration se fait ici selon le sexe et l'âge des
intéressés. Le même principe est valable pour l'apprentissage de la musique et des
autres sciences. On peut imaginer que les récits et les fables sont dits, comme en
Afrique noire, devant des groupes d'enfants, les filles auprès des vieilles femmes,
les garçons avec les vieillards. La formation des enfants de sept à dix ans se passe
dans des lieux communs où les maîtres reçoivent leurs disciples par groupe d'âge,
d'autant plus que les écoles et les gymnases sont accessibles à toutes et à tous 1.
Mais c'est à partir de la dixième année que Platon tient vraiment compte du groupe
d'âge dans la formation des enfants. De 10 à 13 ans, ces derniers étudient les
lettres, de 13 à 16 ans, ils s'adonnent à l'étude des instruments de musique etc ...
Ce sont des intervalles de trois ans qui séparent un cycle d'un autre. Platon obéit
ainsi à un découpage fondé sur les écarts entre les différents groupes d'âge (de
l'enfance et de l'adolescence). C'est un principe qui va dans le _sens de la solidarité
entre compagnons d'âge.
De la dix-septième à la vingtième année, les jeunes gens, après une première
sélection font leur service militaire en groupe 2. Ils séjournent dans toutes régions de
la Tt 611. tç en effectuant tous ensemble des corvées. Ce qui ne manque pas de
renforcer leur esprit de cohésion au sein même du groupe. L'intégration de
l'individu dans le groupe est l'un des objectifs de ces services militaires. C'est dans
le même esprit que se déroule l'entraînement aux combats pendant les initiations en
Afrique noire traditionnelle. Chez Platon, jusqu'à l'âge de trente-cinq ans, la
disposition des cycles d'études reflète celle des groupes et classes d'âge. Outre les
connaissances qu'ils acquièrent, les bénéficiaires de cet enseignement auront à la fin
perçu le sens de l'unité. Tellement ils ont senti et compris que leur avenir n'est
viable que dans celui du groupe. Chez Platon comme en Afrique, ce long processus
conduit à la soumission de l'individu à la société. En effet, la vie de groupe avec
1. Cf. Lois, 804 c ct e
2. Cf. Rép., 537 a
402
toute sa cohorte de lois et règlements prépare l'individu au respec(~de la -vie
communautaire. Cela facilite son intégration sociale et même politique. A la fin
l'individu voit partout l'autorité de la société ou de l'Etat, et tend à remplacer le
groupe par l'un ou l'autre. Et dans sa vie quotidienne, il agit au nom de la société.
La victoire et l'honneur dans les concours ludiques, appartiennent à l'équipe
et à l'Etat tout entier. Tout est y envisagé pour maintenir l'esprit du groupe.
L'effacement de l'individu devant le groupe s'opère aussi avec la formation
intellectuelle, philosophique et religieuse. Le programme "scolaire et universitaire"
est conçu pour une soumission complète de l'individu à l'Etat.
En effet, contes et fables exaltent dieux et héros dont les enfants sont invités à
chercher à acquérir les vertus. C'est dans cette perspective que Platon tente de
préserver l'unité du mythe, de ses personnages et de leurs actions. Les divinités
domestiques n'ont pas d'influence sur les individus. Les citoyens ont le devoir de
respecter, avant tout, les dieux publics. L'idéologie religieuse œuvre pour la
négation de l'autorité individuelle devant celle des dieux et celle de l'Etat. Elle est à
la base de l'unité intellectuelle des citoyens. En Afrique noire traditionnelle, la
religion reste le dénominateur commun de l'unité. Toute existence s'y exprime au
nom des principes religieux.
Dans la société platonicienne, la formation intellectuelle n'est envisagée qu'au
nom de l'unité. Le citoyen sait d'avance qu'il est formé pour servir l'Etat et pour
être sous son autorité spirituelle. Cette idée prévaut dans tout ce qu'il apprend et
entreprend lui-même. Il s'exerce aux combats, à la course, à la lutte etc ... pour
défendre l'honneur de l'Etat. On lui signifie qu'en défendant l'honneur de l'Etat, il
sauvegarde son propre honneur. Ainsi le citoyen est formé par et pour l'Etat.
L'éducation platonicienne inclut ainsi, parmi ces objectifs, l'effacement du
citoyen devant l'Etat. Très tôt. l'enfant connaît la vie du groupe et reçoit un
enseignement conçu par les autorités de l'Etat. Ses jeux corrune ses apprentissages
s'effectuent collectivement avec ses compagnons d'âge. Il est fait en sorte que sa
propre personnalité se confonde avec celle du groupe. Aussi le moi individuel
disparaît-il dans le moi collectif. Dans la même logique, le "moi" du groupe d'âge
n'est qu'une partie du tout qu'est l'ensemble des différentes classes d'âge des
403
citoyens. Mais ce tout lui-même est sous l'égide de l'Etat, institution suprême de la
Cité. Cette soumission en série (groupe et classe d'âge, Etat) amène l'individu à
comprendre que son existence n'a de sens que dans celle du groupe. D'où la
négation de son individualité.
404
)
VI. 1. 2.
Assujettissement de l'individu au groupe en
Afrique
L'éducation négro-africaine est fondée sur la notion de groupe. L'enfant est
élevé de manière à intégrer le groupe familial et communautaire. il est pris en charge
par sa famille dès sa naissance. Le baptême et l'attribution d'un patronyme sont les
premiers signes de son appartenance à un groupe. A cette cérémonie de baptême
sont invités à la fois les proches et les compagnons d'âge des parents géniteurs. Us
représentent respectivement le groupe familial et le groupe d'âge; ils sont tous
conviés à l'éducation du nouveau-né. Aussi proches et compagnons de ses parents
d'-âge sont-ils tenus de lui inculquer les valeurs qui symbolisent la notion de
groupe.
Le but de l'éducation familiale est surtout d'imprimer à l'enfant une
personnalité conforme à son statut au sein de la société. Chaque famille a, en tant
que groupe social organisé. une identité qui la différencie des autres. Cette
différence est moins visible clans les sociétés dites "anarchiques" que dans les
sociétés à castes. Dans ces dernières, chaque groupe familial se réfère à sa caste et à
ses valeurs pour organiser l'éducation de ses enfants. Chaque individu est fier
d'appartenir à son groupe.
Dès qu'il commence à voir et à sentir, l'enfant découvre autour de lui parents,
frères et sœurs qui s'occupent de lui et qui l'aident à s'épanouir dans son univers.
L'enfant est sensible à cette solidarité. d'autant plus qu'il est devant un groupe
solidaire. Dans la cité des Lois, l'enfant vit cette solidarité avec ses parents et avec
ses nourrices. C'est dès son jeune âge que le Négro-africain est en contact avec les
parents du côté paternel et maternel. On lui répète quotidiennement que "celui-ci est
ton oncle, celui-là ton cousin, telle est ta tante, telle autre ta cousine" etc. L'enfant
doit retenir cette généalogie pour préserver en lui l'esprit de groupe. Il lui dit encore
que rien ne se fait dans sa famille sans le consentement et la présence des parents
proches. Ses premières sorties le conduisent chez un oncle, une tante, ou chez
d'autres proches, où il va évoluer et jouer comme dans la concession de ses parents
géniteurs. Mieux, il peut passer des jours voire des semaines et des mois chez un
proche sans opposition de ses parents. Cette intégration verticale de l'enfant
comporte un aspect pratique et un aspect théorique. L'idéal est de voir l'enfant avoir
405
de bons rapports avec tous ses parents proches ou lointains. Aussi doit-on être en
mesure de sauvegarder ce qui fait la fierté de son groupe familial.
L'enfant apprend auprès de son père ou de ses oncles les notions mythiques
qui fondent l'existence du groupe et de son ancêtre fondateur. Des récits
légendaires viennent souder la solidarité familiale qui devient manifeste pendant les
cérémonies de mariages, culturelles etc. En ces circonstances, les membres de la
famille se mobilisent comme une seule personne, hommes et femmes confondus.
Elevé dans ce cadre et pour ce cadre, l'enfant finit par intégrer le groupe et par
comprendre la notion de famille. Cette intégration est dans une certaine mesure
l'acquisition d'une personnalité et d'une identité propres au groupe familial. Tel est
l'un des objectifs de l'éducation familiale. L'intégration au groupe d'âge se fait
simultanément avec l'intégration horizontale.
L'enfant s'ouvre au monde extérieur dès l'âge de trois ans. C'est la rencontre
avec ses premiers compagnons de jeu. Et il va s'éloigner progressivement de ses
parents pour rejoindre ses compagnons d'âge. Ce sont ces petits rassemblements
d'enfants qui seront plus tard à l'origine des groupes d'âge bien structurés. Ils
marquent les premiers pas vers une solidarité de groupe. Toutefois, les groupes de
jeux sont moins organisés que les groupes d'âge. En effet, parmi les premiers on
retrouve des enfants de diftërents âges. L'individualisme y apparaît la plupart du
temps. C'est là une tendance qui n'existe pas dans les groupes d'âge, institutions
où les enfants sont soumis à des règlements. L'esprit de solidarité et de groupe y
règne.
Dans les sociétés hiérarchisées en castes, le groupe d'âge n'est qu'un
rassemblement d'enfants de même âge mais de familles différentes. Les castes y
sont proportionnellement représentées. Mais la notion de caste n'a pas une grande
influence sur les rapports entre les membres du groupe. Seulement il arrive que
chaque membre joue le rôle social de sa caste au sein du groupe. Ainsi le jeune
forgeron s'occupera-t-il des outils en fer, le griot des instruments de musique, le
cordonnier des chaussures de ses compagnons etc. Les décisions prises à l'intérieur
du groupe concernent tous ses membres sans distinction de statut social. Les
sanctions sont prononcées par l'ensemble du groupe et elles vont toujours dans le
406
sens de la cohésion. L'exclusion d'un membre sanctionne le caractère asocial de ce
dernier. Les groupes d'âges se procurent eux-mêmes de leurs nourriture. Pour ce
faire, leurs membres, une fois circoncis, cultivent, chassent, pêchent, mangent et
dorment ensemble. Cette solidarité devient pour l'adolescent plus exigeante que
celle de la famille. L'esprit de groupe et les prescriptions qui l'accompagnent tuent
tout individualisme chez l'adolescent. Ce dernier se rend compte que son existence
n'a de sens qu'avec celle des autres, celle de ses compagnons. Jusqu'au-delà de
son mariage, l'individu ne vit qu'en groupe et il est tenu de respecter les principes
de solidarité.
Même s'ils ne se regroupent plus comme durant leur jeunesse, les
compagnons d'âge demeurent toujours solidaires pendant leur vieillesse. Un père
de famille fait toujours appel à ses compagnons d'âge lors des baptêmes, des
mariages de ses enfants ou pour d'autres cérémonies. Les dernières fonctions des
membres d'un groupe d'âge sont socio-politiques. C'est toujours aux personnes
âgées que reviennent les tâches politiques. sociales, religieuses et d/autres décisions
concernant la communaut~ dans son ensemble. Les groupes et les classes d'âge
chez Platon obéissent aux memes principes: l'individualisme y est exclu. Dans les
écoles, dans les gymnases comme dans la vie de tous les jours, la solidarité reste au
premier plan.
En Afrique comme chez Platon, l'enfant est éduqué pour être solidaire avec
ses compagnons d'âge et avec toute la communauté. Les thèmes des contes et des
récits mythiques célèbrent sans ambiguïté l'esprit de solidarité. Toute action non
conforme à la morale et à la solidarité coutumières est stigmatisée par le conteur, de
telle sorte que le jeune auditoire bannit à jamais de sa vie l'individualisme.
C'est en rejoignant ses compagnons d'âge que l'enfant perd des habitudes
contractées auprès de ses parents. Il se sent plus responsable avec son groupe d'âge
qu'avec sa mère ou son père. Il est ainsi plus près de ses compagnons et il se
soumet plus facilement aux règlements qui soudent cette société d'enfants.
L'initiation pubertaire légitime et symbolise l'intégration sociale des
adolescents et leur place dans la communauté. L'initiation est instituée pour leur
révéler les valeurs de la vie en groupe et communautaire. C'est un univers
407
pédagogique qui exclut l'individualisme sous toutes ses formes. L'égalité et la
solidarité hantent la vie des initiés. Fils de chef et fils de simples artisans obéissent
aux mêmes règlements internes, ils sont sanctionnés de la même manière, reçoivent
le même enseignement, ils ont les mêmes avantages et ils subissent les mêmes
sanctions. Cette école de solidarité et d'égalité qu'est l'initiation pubertaire
symbolise elle-même la vie de tous les jours. Une fois sortis de leur réclusion, les
initiés se considèrent comme des frères tenus de tout faire en commun. Aussi sont-
ils accueillis par et dans une société solidaire.
Les sociétés négro-africaines organisent des travaux et des cérémonies
auxquels tous les groupes d';lge des enfants, des adolescents et des jeunes gens
sont conviés sans exception. C'est le cas avec le défrichement des champs
collectifs, avec les semences, les récoltes, la clôture des lieux sacrés (cimetières,
autels, etc.). Tout est occasion pour montrer aux jeunes générations que la
solidarité est à la base de la survie d'une société.
A travers le groupe d'âge et de jeu l'enfant apprend à s'oublier, à se définir
comme les autres, à vivre en groupe. L'autre n'est pas adversaire, mais un
compagnon indispensable. En fin de compte, tous deviennent frères et sœurs, unis
au sein d'une famille plus large, le village. La parenté et la solidarité des habitants
d'un même village sont rendues effectives par le sang et par les alliances. Habiter le
même village signifie avoir les mêmes origines ou avoir contracté des alliances
avec certains de ses habitants; cela traduit aussi cette autre solidarité tissée au sein
des groupes de jeu, d'âge et d'initiation. L'enfant est élevé dans cet esprit
communautaire et de camaraderie. L'éducation coutumière invite au respect de la
hiérarchie sociale, des lois divines et ancestrales, prépare l'individu à la vie
communautaire.
A la fin de sa formation l'individu doit comprendre que seule la société
compte et que sans elle son existence est sans valeur. De même le citoyen
platonicien est formé pour vivre en communauté. Il vit pour la sauvegarde des
valeurs civiques. L'individualisme est chose bannie en Afrique noire traditionnelle,
d'autant plus que "l'éducation coummière façonne une personnalité qui a besoin du
groupe, un moi qui n'arrive pas à émerger de son état de cellule, d'un organisme, à
408
>
exister par lui-même et à faire l'épreuve de solidarité"!. Dans la vie de tous les jours
l'individu asocial est qualifié de malade mental, victime de l'individualisme et de
l'égoïsme. L'individu n'existe que par et pour le groupe et la communauté toute
entière.
1. ERNY (pierre), L'enfant et son milieu ... , p.lO?
409
VI. 2. MÉTHODES COMMUNES D'ACQUISITIONS DU SAVOIR
ET DES TECHNIQUES
VI. 2. 1 Enseignement commun aux deux sexes chez Platon
Le système éducatif platonicien trouve une de ses originalités dans l'égalité de
l'homme et de la femme devant l'éducation. Platon n'a pas une seule fois dans son
œuvre rejeté ce principe. Il rappelle même que ses positions dans ce domaine
suscitent des réactions et des critiques.
Dans La République et dans Les Lois, il passe en revue toutes les institutions
politiques existantes et il constate l'absence ou l'insuffisance d'une réelle formation
des femmes. En effet, à Athènes on confie à la femme l'intendance des biens
domestiques et elle n'apprend qu'à tisser dans le gynécée; à Sparte, bien qu'elle
participe aux entraînements gymniques et qu'elle ait accès à l'enseignement
musical, la citoyenne ne s'exerce pas assez pour défendre la cité en cas d'attaque
ennemie 1. Pour effacer ces tares, Platon a jugé nécessaire, dans son Etat idéal, de
donner à la femme une formation complète, pour qu'elle puisse, comme l'homme,
accomplir tous ses devoirs de citoyen. Dès lors, "ne craignons pas les plaisanteries
des rieurs", écrit Platon, "quoi qu'ils puissent dire d'une innovation (flETa~oÀ7Î) qui
appliquerait les femmes à la gymnastique et à la musique, et surtout au maniement
des armes et à l'équitation"2. Lever cette équivoque revient à poser le problème de
l'égalité de l'homme et de la femme devant l'éducation. Il fonde son argumentation
sur la nature humaine (<!>Ucrlc; àv8pwT1lvll). Ainsi le philosophe se demande si la
nature humaine chez la femme est capable de partager tous les travaux du sexe
mâle, ou si elle n'est capable d'aucun, ou si elle est capable des uns, incapable des
autres (... )"3. il reconnaît implicitement à la femme une nature moins forte que celle
de l'homme. Mais il soutient qu'''à ces natures différentes il faut donner les mêmes
occupations"4.
1. Cf. Lois, SOS e : S06 a.
2. Rép., 452 b c.
3. Rép., 452 e ; 453 a.
4. Rép., 453 c.
410
Le premier passage pose le problème des aptitudes de la femme par rapport à
l'homme. La <j>ucrtç est considérée ici sous l'angle des aptitudes physiques. Le
deuxième passage révèle que femmes et hommes doivent avoir malgré tout les
mêmes fonctions l . Dans toutes ces considérations Platon fait allusion à la formation
militaire et politique de la femme. Du coup, il néglige l'importance des travaux
domestiques et des tâches de ce genre, pour la simple raison qu'ils n'entrent pas
dans la formation du citoyen. Même si l'homme et la femme reçoivent la même
éducation2 et la même fonnation, on doit tenir compte des faiblesses physiques3 du
sexe féminin dans certaines occupations.
Cette idée d'égalité devant la formation existe dans la tradition négro-
africaine, mais il est rare que cette dernière aille jusqu'à confier à une femme les
hautes fonctions de la communauté. Dans certaines sociétés guerrières, les femmes
occuperaient des fonctions de Reine ou de chef militaire. Les femmes étaient
préparées et formées pour ces fonctions. Mais il serait faux de généraliser ces cas.
Jusqu'à l'âge de six ans. filles et garçons sont réunis ensemble dans les
jardins pédagogiques. Ce projet platonicien innove en lui-même la pensée
pédagogique de l'époque classique. En ce sens qu'il tait la différence sexuelle des
enfants pour ne tenir compte que de l'intérêt pédagogique de leur regroupement.
Déjà l'idée de jardins d'enfants dénote la volonté du philosophe de donner la même
éducation aux filles et aux garçons, et cela dans les mêmes structures d'accueil.
Platon sait bien qu'à cet âge les enfants, quel que soit leur sexe, ne sont intéressés
que par les jeux. Ainsi filles et garçons vont jouer aux mêmes jeux sous la
surveillance de leurs gardiennes. C'est à la fin de la sixième année que filles et
garçons sont séparés pour des raisons d'aptitudes physiques4. Mais cette séparation
ne signifie pas du tout que l'enseignement dispensé aux uns et aux autres n'a pas le
même contenu; loin de là : les enfants des deux sexes se retrouvent côte à côte dans
les écoles, dans les gymnases et dans les terrains d'entraînement aux combats, et
même lors des compétitions gymniques.
1. Cf. Rép., 455 d e.
2. Cf. Lois, 805 c ; 814 c.
3. Cf. Rép., 455 de; 456 a.
4. Cf. Lois, 794 c d.
411
Dans la perspective de formation commune des deux sexes, il parut
nécessaire à Platon de lever l'équivoque sur la nudité des femmes dans les stades.
Pour ses accusateurs le ridicule viendrait du fait qu'il prône que les femmes
s'exercent "( ... ) toutes nues dans les palestres avec les hommes, et non seulement
les jeunes, mais encore les femmes déjà avancées en âge, à l'exemple des vieillards
qui se plaisent encore aux exercices du gymnase, alors qu'ils sont ridés et
désagréables à voir" 1. Platon rappelle que cette attitude est identique à celle que les
anciens Grecs avaient eue devant la nudité des hommes dans les gymnases2. Mais
ils l'acceptèrent à la fin comme une nécessité lors des compétitions gymniques.
Ainsi Platon se donne-t-il l'assurance qu'avec le temps ses contradicteurs
accepteront naturellement la présence des femmes nues s'exerçant à côté des
hommes dans les gymnases. D'autant plus que les terrains d'entraînement et les
écoles sont aménagés pour accueillir tous les citoyens sans distinction de sexe.
Nous sommes revenu sur ce point déjà évoqué dans nos chapitres précédents pour
montrer que Platon va jusqu'au bout dans son projet de donner les mêmes chances
à l'homme et à la femme. D'où sa volonté de voir la femme s'entraîner nue comme
l'homme dans les gymnases.
Il faut noter un écart entre l'appréciation de la nature de la femme dans La
République et dans Les Lois. En effet, tout au long du VO livre de La République
Platon a jugé la femme physiquement moins forte que l'homme, alors qu'il semble
écrire le contraire dans ce passage des Lois. "Pour les femmes elles-mêmes", écrit-
il, "la loi que je veux en dira tout autant que pour les mâles, à savoir que les
femmes doivent s'entraîner d'égale façon: et je dirais sans me laisser effrayer le
moins du monde par l'objection que ni l'équitation ni la gymnastique, décentes
pour les hommes, ne sont décentes pour les femmes "3. Ici la femme possède la
même endurance physique que l'homme. Platon se fonde sur ce qu'il sait lui-même
(oIoa)4 pour réfuter ce qu'il avait entendu dire (ézXOUEtV)5 et ce qui l'avait poussé à
défendre la thèse de La République (livre V). En effet, avant il prétend s'être fié
aux récits antiques dans son argumentation. Maintenant, écrit-il, "je sais (oIoa)
qu'il y a, autour du Pont, on peut dire des milliers et milliers de femmes, appelées
1. Rép., 452 a b.
2. Cf. Rép., 453 c d.
3. Lois, 804 d e.
4. Lois, 804 e, 5.
5. Lois, 804 e, 4.
412
;
Sauromatides, à qui l'on impose, au même titre qu'aux hommes, et qui pratiquent,
autant que les hommes, non seulement le cheval, mais aussi l'arc et les autres
armes" 1. Il est clair que Platon se réfère ici aux récits d'Hérodote 2 . On voit
combien le philosophe est exaspéré par la place assignée à la femme dans la société
grecque et combien il souhaite voir cette inégalité disparaître par le biais d'une
éducation commune aux deux sexes.
De La République aux Lois, cette idée d'égalité des hommes et des femmes
devant l'éducation ne se fait que se renforcer, d'autant plus qu'il tient toujours
compte des aptitudes physiques des uns et des autres dans les entraînements. Au
demeurant, c'est le résultat de la formation qui intéresse Platon. Qu'elle soit moins
rapide ou moins forte que l'homme, la femme aura toujours, à la fin de sa
formation, les mêmes qualités et les mêmes droits que le citoyen mâle. Car le même
enseignement est dispensé aux uns et aux autres par les mêmes maîtres et aux
mêmes endroits.
Pour filles et garçons, l'apprentissage du maniement des armes débute à sept
ans. Mais à cet âge, les filles se limitent à la théorie. C'est un peu plus tard qu'elles
s'adonneront à la pratique. La formation guerrière se fait d'égale façon chez les
femmes et chez les hommes.
En effet, les maîtres communs (OlOaO)(clÀO 1 )(0\\ VO l) "auront pour élèves les
jeunes gens et les hommes de la cité, les jeunes filles et les femmes versées en ces
disciplines: entraînées dans toute la danse en armes et dans le combat tant qu'elles
seront encore jeunes filles, et, une fois femmes, participant aux évolutions, aux
mises en ordre de bataille, apprenant à reposer les armes et à les reprendre ( ... )" 3.
Ainsi jeunes filles et jeunes gens suivent la même formation pour devenir de
courageux guerriers. Les maîtres usent des mêmes méthodes pour les deux sexes.
Seulement, ils sont obligés de tenir compte des capacités physique du sexe féminin.
C'est ce qui apparaît à travers les diverses compétitions gymniques. D'ailleurs,
elles sont présentes dans des entraînements que les autorités de la cité imposent
quotidiennement aux citoyens4.
1. Lois, 804 e.
2. Cf. HERODOTE, Hist., IV, 116.
3. Lois, 813 e.
4. Cf. Lois. 829 b.
413
)
Au concours de course Platon prône et exige la participation de toutes les
classes d'âge, sexes confondus. Les filles non pubères (}(OPUl aVT]~Ol) qui
s'exercent nues font "le stade double, le stade à cheval et le long stade courus sur la
piste même; de treize ans jusqu'à leur mariage, elles continueront de prendre part
aux concours, pas au-delà de vingt ans, mais au moins jusqu'à dix-huit ( ... )"1.
Notons qu'à partir de dix-huit ans ces filles concourent avec un costume décent. Le
stade double, le long stade et le stade à cheval sont courus par des concurrents
armés2. Ce qui suppose que les filles et les garçons qui y participent ont suivi une
même formation dans ce domaine. Dans les épreuves de lutte et dans d'autres les
filles sont présentes3 aux côtés des garçons. Elles ne prennent part au combat à
cheval que si, jeunes filles, elles ont suivi un entraînement à ces genres
d'exercices4. C'est au nom de la formation et des exercices communs que Platon
écrit que "( ... ) soit pour l'admission aux exercices militaires ou pour la liberté
d'expression poétique, les femmes devront avoir les mêmes droits que les
hommes"5.
La danse qui se rattache à la fois à la gymnastique et à la musique est
communément6 apprise par les jeunes filles et les jeunes gens. D'ailleurs, ils se
retrouvent dans les danses armées7. La présence des femmes dans les concours de
rhapsodie et de musique8 est logiquement justifiée, d'autant plus qu'elles reçoivent
la même formation que les hommes dans ce domaine. La participation effective de
la femme à tous ces concours à côté de l'homme prouve une fois de plus que les
uns et les autres ont suivi les mêmes entraînements et les mêmes formations en
matière de gymnastique et de musique, et cela selon les mêmes méthodes.
On sait que la femme est capable d'occuper toutes les fonctions dans
l'administration9 de l'Etat platonicien. Par là-même, Platon célèbre les possibilités
intellectuelles de la femme. En effet, elle est capable, comme l'homme, d'atteindre
1. Lois, 833 c.
2. Cf. Lois, 833 a b.
3. Cf. Lois, 834 a.
4. Cf. Lois. 834 ct.
5. Lois. 829 e.
6. Cf. Lois, 802 e.
7. Cf. Lois, 796 c.
8. Cf. Lois, 834 a.
9. Cf. Rép., 455 ct e.
414
la fin de la formation et de résister aux divers pièges des sélections pédagogiques.
Aussi a-t-elle les capacités d'acquérir cette sagesse qui conduit à la magistrature
suprême de l'Etat. En Afrique noire traditionnelle, la femme acquiert le titre de sage
à travers son expérience et son âge. Là, l'expérience et l'éducation ne font qu'un.
Mais si elle a la possibilité d'être à la tête de certaines sociétés initiatiques
(religieuses), la femme n'a aucune chance, en revanche, de prendre des décisions
politiques au sein du conseil des sages de sa communauté. L'innovation
platonicienne dans ce domaine ne touche pas la tradition négra-africaine.
Ainsi il n'a pas suffi à Platon de déclarer l'égalité des deux sexes pour s'en
convaincre. Bien qu'il fût inspiré par la constitution spartiate, il alla, dans ses
réformes, plus loin que les Spartiates eux-mêmes. Son mérite n'est pas seulement
d'avoir posé cette égalité comme principe, mais d'avoir aussi tenu compte de la
faiblesse physique de la femme tout en la jugeant apte à occuper les mêmes
fonctions que l'homme. Là aussi le monde moderne doit beaucoup à Platon!
L'image de la femme que cultive Platon correspond à celle de la femme qui tient "la
moyenne entre les services domestiques. l'intendance de la maison et l'élevage des
enfants" l, et les exercices guerriers. A cela il faut ajouter une formation scientifique
et intellectuelle qu'elle reçoit en même temps que l'homme. Jusqu'à l'âge de
cinquante ans, hommes et femmes se côtoient dans les mêmes écoles et dans les
mêmes gymnases, et ils y reçoivent les mêmes enseignements
suivant des
méthodes communes pour des objectifs communs. C'est là une manière d'édifier et
de préserver l'unité intellectuelle, politique et sociale au sein de la cité.
1. Lois, 806 a.
415
VI. 2. 2. Éducation identique des sexes mais séparée en
Afrique
L'éducation négro-africaine a pour principal objectif d'intégrer socialement et
la femme et l'homme au sein de la communauté. Qu'il soit de sexe féminin ou
masculin l'enfant est éduqué pour une vie en société. Toutefois filles et garçons
sont formés dans des structures séparées mais parallèles et souvent identiques.
Dans le milieu familial, les parents se partagent les tâches selon le sexe et les
aptitudes de leurs enfants. Mais c'est à la mère que reviennent les premiers rôles.
En effet, elle prend filles et garçons à sa charge jusqu'à l'âge de sept ans. C'est à
partir de cette limite que le garçon suit son père et que la fille reste avec sa mère.
Les parents s'emploient chacun de son côté à parfaire la conduite et la personnalité
de sa fille ou de son fils. L'acquisition des techniques et du savoir pratique est
l'objet de cette formation de base. Le père initie son fils aux métiers d'homme,
tandis que la mère forme sa fille aux occupations féminines. De part et d'autre, les
méthodes pédagogiques employées sont identiques. Qu'il soit homme ou femme,
l"'adulte", écrit Pierre Erny, "montre, incite à l'imitation, aide quand l'enfant
n'arrive pas à dominer sa tâche, mais sans l'accomplir à sa place" 1. Père et mère
procèdent de la même manière pour amener filles et garçons à jouer leurs rôles
respectifs et dans la famille et dans la société.
C'est ainsi que le garçon accompagne et aide son père dans de différentes
tâches. Ce dernier est tenu de lui apprendre à fabriquer ses outils, à déchiffrer le
langage de la nature2 etc. La mère, quant à elle, impose à sa fille une vie de femme;
elle lui recommande d'accomplir des tâches à la hauteur de ses aptitudes et de son
âge. En effet, Geneviève Griaule-Calame note que la fille reçoit de sa mère "( ... ) un
enseignement d'abord pratique (techniques ménagères et agricoles féminines), des
connaissances plus secrètes concernant la physiologie de la femme, le mariage, la
maternité"3. Il est clair que les enfants apprennent des techniques et des
connaissances dont ils se serviront une fois devenus adultes. Les méthodes
1. ERNY (Pierre), L'enfant et son milieu ... , p. 145 ; Cf. Denise PAULME, Organisation sociale
des Dogons ... , p. 473.
2. Cf. PAULME (Denise), Organisation sociale des Dogons ... , p. 473. ; Les gens du riz ... , p.
114 ; CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole chez les Dogons, p. 390.
3. CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole chez les Dogons, p. 391 ; Cf. Pierre ERNY,
"Travail et éducation forme ainsi un tout unitaire ... ", in Enfant et son milieu ... , p. 145.
416
'>
adoptées par le père et par la mère sont parallèles et similaires. Ils intéressent
l'enfant à cet apprentissage en lui laissant une certaine marge de liberté. Les parents
font en sorte que les occupations apparaissent comme un jeu à l'enfant. Piler le mil,
cultiver, forger avec des outils confectionnés à leur taille, sont des tâches d'abord
ludiques pour l'enfant, avant qu'elles ne prennent un aspect plus sérieux.
Ainsi il Y a une volonté commune des parents de donner à leurs enfants une
fonnation en fonction de leur sexe et à leurs aptitudes. C'est l'un des aspects de
l'éducation platonicienne. Mais en Afrique noire, lorsqu'à six ans le garçon
apprend à cultiver le mil, la fille ,elle, apprend à le piler; quand le garçon apprend à
pêcher ou à chasser, la fille apprend à cuire le produit etc. Il y a ici une
complémentarité entre le sexe féminin et le sexe masculin. Ce qui ne signifie pas
que chaque sexe soit assigné à des occupations fixes.
L'homme et la femme accomplissent souvent les mêmes tâches malS
d'ampleur différente. Chez Platon comme en Afrique noire, la femme va à la chasse
et participe aux combats et à la guerre à côté des hommes. Dans l'une et les autres
sociétés on tient compre des capacités physiques de la femme. La même règle est
observée dans les structures iniriatiques où filles et garçons sont séparément
accueillis.
La fin de la période pubertaire est marquée par des rites d'initiations qui
ouvrent à la société et à ses valeurs. La circoncision et l'excision constituent une
étape décisive dans la vie et la fonnation des adolescents. Ce sont des rites qui
demandent une réclusion dont la durée varie selon les régions et les sociétés. Filles
et garçons, débarrassés respectivement de leur masculinité et de leur féminité, ont
accès aux nouvelles connaissances et techniques tenues jusque-là secrètes. Pour ce
faire, après ces rites de passage, les adolescents sont admis dans les camps
d'initiation. La fonnation y est confiée à des personnes âgées censées avoir acquis
de solides expériences durant leur vie active. En ce qui concerne les filles, ces
institutions coincident avec la période des excisions et leur réclusion dure le temps
qu'elles mettent pour être initiées à la vie active. Elles y reçoivent une fonnation
complète sur la sexualité, la grossesse et ses problèmes, les plantes médicinales qui
soignent telle ou telle autre maladie de femme etc. Elles apprennent à se faire
respecter des hommes et elles sont fonnées pour ne pas déshonorer leur place dans
417
)
la société. L'initiation des filles et des garçons diffère par la séparation de leurs
campement et de la durée de leur réclusion.
Mais, dans les deux cadres, on célèbre les valeurs de la personne humaine,
de son travail. Pendant leur séjour dans les camps d'initiation, les adolescents
acquièrent de nombreuses connaissances intellectuelles et techniques inhérentes à
leurs occupations futures. Peut-être les garçons ont-ils accès, plus que les filles,
aux secrets de la communauté (secrets des masques etc), mais l'objet des initiations
féminines et masculines est de donner une place aux "nouveaux" membres de la
société. Filles et garçons sortent de leurs campements convaincus d'avoir une
nouvelle personnalité et un nouveau statut.
Dans certaines régions d'Afrique subsaharienne, la fille est nourrie et gavée
pendant la période de réclusion pour sortir toute ronde et pour plaire aux jeunes
gens, tandis que l'adolescent mâle s'adonne, durant son initiation, aux exercices
physiques et d'endurance pénibles pour plaire, à sa sortie, aux filles par sa
souplesse, son agilité et par la beauté de son corps. C'est pourquoi g.arçons et filles
sont réunis, à leur sortie, dans des habitations communes où ils ils s'observent
librement. C'est la période des jeux d'amour.
Des cercles qualifiés maladroitement de "privés" se forment autour d'un dieu
vénéré par des femmes ou par des hommes. Ce sont plutôt des structures de
connaissances supérieures pour ne pas dire d'enseignement supérieur. Les adultes
s'y retrouvent pour approfondir leurs connaissances religieuses, politiques,
scientifiques etc. Dans la pensée négra-africaine, ce savoir n'est accessible qu'à une
petite partie des membres de la société. Les différents sociétaires de ces cercles se
relayent dans différentes fonctions, et cela suivant leur âge et le niveau de leur
expérience. Les femmes comme les hommes sont appelées à diriger certaines
charges religieuses et politiques à l'intérieur de ces cercles. Diriger un cercle
culturel revient à dire avoir des connaissances socio-politiques suffisantes pour
convaincre
ses co-sociétaires. Aussi la femme a-t-elle les mêmes rôles que
l'homme qui préside aux destinées d'un cercle politique ou religieux.
Jusqu'à la vieillesse, symbole de sagesse, hommes et femmes ont une
formation commune malgré la séparation des structures d'accueil. En Afrique noire
418
?
traditionnelle, le conseil des vieillards préside aux affaires politiques et religieuses
de la société, alors que celui des vieilles femmes s'occupe des cultes de la
procréation, relatifs à la terre et à la production, et à tout ce qui intéresse la
génération. Femmes et hommes de cet âge symbolisent, comme les vieillards chez
Platon, l'homme qui a atteint et acquis toutes les capacités, l'expérience et la
sagesse.
Ainsi il n'existe pas, chez Platon de même qu'en Afrique, une distinction
entre un homme et une femme sages. On tient plutôt compte de leurs connaissances
et de leurs expériences. A ce stade de la formation, la tradition ne célèbre plus les
valeurs du sexe, mais celles de l'homme tout court. En cela l'éducation négro-
africaine s'éclaire mutuellement avec celle qu'a conçue Platon dans les cités de La
République et des Lois.
419
VI. 3. FORMATION, UNITÉ SOCIALE ET POLITIQUE
VI. 3. 1. Société : unité intellectuelle et politique chez Platon
Platon voit dans l'éducation l'institution à laquelle il faut se fier pour atteindre
ses objectifs politiques. L'unité sociale n'est réalisable qu'avec des citoyens qui ont
reçu une formation militaire, intellectuelle, religieuse et politique complète.
Les principes de la formation
de la société chez Platon reposent, nous
l'avons vu, sur les besoins matériels (Tà avayxat'a xpdat) et sur l'instinct social
des hommes. Rappelons qu'Aristote les fonde sur l'honnêteté et le bien (Tà xaÀ6v).
Le raisonnement platonicien ne se limite pas à cet argument. Le philosophe est, en
effet, convaincu que pour s'associer sur la base des besoins matériels les hommes
ont besoin avant tout d'une juste éducation. Et c'est la raison pour laquelle Platon
aborde dans Les Lois, immédiatement après le long développement sur la formation
des sociétés 1, le problème de l'éducation. Au demeurant, le l<aÀ6v dont parle
Aristote n'est envisageable chez Platon qu'à la fin de la formation des philosophes-
rois, "symboles" de la sagesse. Ainsi le projet de société n'est réalisable que sur
l'honnêteté des citoyens bien éduqués. Rien ne peut être fait avec des hommes
désunis et sans éducation.
Platon ne manque pas de déplorer dans son œuvre la division des Grecs
pendant et même après les guerres médiques 2. Division dont les conséquences
furent désastreuses pour l'unité territoriale et politique de la Grèce tout entière. La
multitude de régimes politiques3, les querelles intemes4 n'aidèrent pas à retrouver
l'unité tant désirée. Pour Platon, " ( ... ) il ne faut pas instituer de pouvoir trop grand
ou sans contrôle, mais garder l'idée qu'une cité doit être libre, raisonnable, unie, et
que le législateur doit viser à ce résultat quand il fait des lois"5. La division des
Grecs viendrait, semble dire Platon, du non respect des lois dans les différents
1. Cf. Lois, 676 a-68ü e ; voir aussi Rép., 369 c et suiv.
2. Cf. Lois, 692 ct e : 693 a b.
3. Lois, 693 ct e; 831 c ct.
4. Cf. Lois, 715 a b.
5. Lois, 693 b.
420
~
régimes 1. L'abandon des lois signifie la fin de l'unité. Pour se différencier des
bêtes, les hommes doivent, d'après le philosophe, vivre selon les lois 2. Mais le
plus important est qu"'il ne faut pas, en effet, qu'un citoyen ait des droits spéciaux
parce qu'il se distingue par la richesse, ni davantage, d'ailleurs, parce qu'il est bon
coureur ou beau ou fort sans quelqu'une des vertus, ou vertueux, mais d'une vertu
où la tempérance fait défaut"3. La loi doit ainsi atténuer les inégalités sociales et
assurer le bonheur à tous pour que règne l'unité au sein de la cité. Mais sans
éducation les citoyens ne sauraient respecter les lois, garantes de l'unité sociale.
Pour faciliter la tâche du législateur, Platon propose un régime de la
communauté pour les biens qui sont, d'après lui, les principales sources de division
des citoyens4 . Ainsi doit-on éviter l'enrichissement excessif des particuliers. La
communauté des biens touche à toutS et aboutit à la suppression de la propriété
privée6 au sein de la cité de La République. Rectification sera faite dans Les Lois
avec la division du territoire en parcelles attribuées aux particuliers. Platon bannit de
la cité (n:6Àlç) le double métier7, symbole de la diversité. ToUtes ces mesures
amènent Platon à écrire que "l'arr politique véritable ne doit pas se soucier du bien
particulier, mais du bien général. car le bien commun assemble, le bien particulier
déchire les cités ( ... )"8. Ainsi donc toure la condamnation de l'excès de richesse
chez les particuliers s'explique par le désir du législateur de préserver l'unité
sociale. Les lois, et l'éducation qui s'inspire d'ailleurs de ces dernières, conduisent
au même but9.
L'unité des citoyens vient aussi de la limitation de leur nombre [0 et du partage
du sol 11. En effet, pour y arriver, Platon prône la limitation des naissances et la
formation de nouvelles colonies: et cela à chaque fois que le chiffre de la population
dépasse 5040 12 . Le philosophe croit que les discordes viennent du nombre
1. Cf. Rép., 543 e et suiv ..
2. Cf. Lois, 874 e.
3. Lois, 696 a b.
4. Cf. Rép., 417 ab.
5. Cf. Rép., 457c de et suiv. ; Lois, 739 c d.
6. Cf. Lois. 807 b.
7. Cf. Rép.. 434 a ; Lois, 845 a : 846 e.
8. Lois, 875 a.
9. Cf. Lois. 836 a.
10. Cf. Lois, 737 e-741 a.
Il. Cf. Lois, 740 a.
12. Cf Lois. 735 ct e ; 740 ct e.
421
)
incontrôlable des citoyens. En le limitant à 5040, Platon pense pouvoir ainsi
préserver l'unité politique au sein de la cité. Ces mêmes citoyens auront à défendre
l'unité territoriale 1. Toutefois, Platon ne croit pas à cette unité sans une juste
éducation. Au demeurant, le but de l'éducation platonicienne est d'adapter le
citoyen à cette unité socio-politique. Tous les enseignements vont dans ce sens.
Même si toutes les catégories de citoyens ne bénéficient pas de la même
éducation, elles adoptent néanmoins la même attitude pour défendre et conserver les
mêmes valeurs coutumières. Les citoyens sont invités à respecter les valeurs
traditionnelles. En effet, dans la cité platonicienne, les enfants doivent respect aux
personnes âgées, à leurs parents, à leurs maîtres etc. L'enfant doit savoir que
l'unité vient certainement du respect de la hiérarchie sociale et politique. Cependant,
pour se faire respecter les vieillards ne doivent pas abuser de leur autorité et de leur
rang. Pour Platon, le respect doit être réciproque. Mais plus grand encore est le
respect que les citoyens accordent aux divinités. Nous reviendrons sur ce point au
sous-chapitre suivant.
Les sélections effectuées à la fin de chaque cycle d'études ne permettent pas à
tout le monde d'acquérir les connaissances exigées; mais cela n'empêche pas que
les études "primaires, secondaires et universitaires" soient disposées en vue de
l'unité intellectuelle, scientifique et philosophique. Aux qualités corporelles le
citoyens platonicien doit rajouter les qualités intellectuelles.
Dans la période qui va de six à dix-sept ans, l'enfant est nourri de formules
orales, de textes littéraires, de calcul, de musique etc. A ce stade de leur formation,
enfants et adolescents ne connaissent pas encore les différents rapports qui existent
entre les sciences étudiées. Ce qui ne signifie pas que le programme scolaire soit
flou. Seulement, les jeunes gens s'attachent, jusqu'à leur vingtième année, à ne
connaître que le côté pratique de ces études. L'approfondissement de ces dernières
aura pour but de cultiver la pure intelligence (~ VOT]OlÇ) chez les jeunes étudiants.
De vingt à trente cinq ans, Platon insiste sur les rapports qui existent entre
l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie, la stéréométrie et la science de
1. Cf. Rép., 414 e.
422
l'Harmonie 1. Les étudiants acquerront dans ces études un solide rais'tnnement et
des connaissances scientifiques sûres. Le bon étudiant sera celui qui pense bien et
raisonne bien. Mais les diverses sélections à ce stade montrent que l'unité
intellectuelle n'est pas encore atteinte.
C'est après cinq ans d'études dialectiques et quinze ans de vie pratique que le
citoyen platonicien arrive à la fin de sa formation intellectuelle. Aussi le petit
nombre de citoyens qui réussit à toutes les sélections symbolise-t-il l'unité
intellectuelle. A l'âge de cinquante ans ces hommes et ces femmes auront, selon
Platon, les mêmes qualités humaines et intellectuelles. Pratiquement, il n'existe plus
de divergence de pensée entre eux. L'absence de contradictions intellectuelles
contribuerait ainsi à réaliser totalement l'unité socio-politique.
En fin de compte, l'unité politique dépendrait de l'unité intellectuelle
(symbolisée par cette masse d'hommes et de femmes arrivés au terme de leur
formation). Ainsi la cité ne sera exempte de révoltes que lorsqu'elle ne sera
composée que de citoyens bien éduqués et respectueux des lois et de la vie en
commun. Ce rêve platonicien d'unité n'est réalisable qu'avec une- éducation
conforme à cet idéal.
1. Cf. Rép., 522 c-531 c.
423
VI. 3. 2. Société : sauvegarde des coutumes et unité politique
en Afrique
L'unité politique et sociale dans la philosophie platonicienne repose, en
réalité, sur une idée de sauvegarde des coutumes dans la cité en décomposition.
Platon pense que c'est du retour aux sources aristocratiques et traditionnelles que
dépend l'unité de la cité classique. D'où son attachement aux valeurs coutumières
dans l'éducation des enfants. En Afrique noire traditionnelle, l'éducation est conçue
pour la survie des coutumes, sans pour autant ignorer l'évolution sociale et
politique. Aussi faut-il exclure toute idée d'immobilisme dans l'éducation négro-
africaine, d'autant plus qu'elle s'adapte aisément à l'évolution des hommes, du
temps et de l'espace.
La coutume demeure, dans la tradition africaine, une référence aux valeurs
familiales et communautaires. Tout le monde s'y reconnaît. La formation des jeunes
générations est fondamentalement axée sur ces valeurs coutumières. li faut préciser
aussi que ces dernières correspondent à un mode de vie. Chaque génération les vit à
sa façon en s'efforçant d'allier le "nouveau" et l"'ancien". Ce qui fait que
l'éducateur remet fréquemment en question ses méthodes pédagogiques. Non
seulement le temps et l'espace l'y contraignent. mais aussi l'esprit de jugement de
son jeune auditoire. Tout formateur négro-africain tente, dans son travail
pédagogique, de préserver et de garantir l'identité culturelle. C'est de la survie de
cette dernière que dépendent la sauvegarde des coutumes et l'unité politique au sein
de la communauté.
Il Y a des règles communautaires qui, selon Platon, n'ont pas besoin d'être
enseignées. Car elles naissent toutes seules chez les hommes en société. En Afrique
subsaharienne, le transfert des coutumes se fait de manière passive et active. Le
transfert passif consiste à laisser l'enfant devant la société et à l'obliger, à travers sa
liberté, à tirer profit de ses observations personnelles. Conscients des déviations
que la passivité pourrait entraîner, les adultes donnent plus d'importance à la forme
active dans leurs enseignements. Les structures familiales sont conçues pour
sauvegarder l'identité de la cellule pour ne pas dire les coutumes de la famille. Des
comportements liés aux cultes, à la vie de tous les jours, sont des références qui
éclairent autant sur les coutumes familiales que celles de la société tout entière. Par
exemple, une famille de guérisseurs garde des coutumes qu'une famille ordinaire ne
424
?
possède pas. Mais, de part et d'autre, les coutumes sont transmises dans le cadre de
l'intégration sociale. Quand il apprend à respecter les coutumes familiales, l'enfant
est tenu de respecter parallèlement celles des autres. Cette dualité correspond à une
vision élargie des coutumes.
Pendant son enfance et son adolescence, le Négro-africain s'ouvre à la société
tout en restant enraciné dans les valeurs familiales. Il trouve en tout adulte un maître
potentiel. Les uns et les autres lui font observer l'intérêt des coutumes
communautaires. Il est vrai que que d'une société à une autre les règles coutumières
diffèrent, mais la volonté de sauvegarder une identité culturelle reste la même dans
toutes les communautés. Les fables, les contes, les légendes et les récits historiques
sont autant d'œuvres littéraires que de "réserves" de règles morales et coutumières.
L'enfant reçoit, en effet, à la fin de chaque récit une leçon de morale qui l'aide à
avoir une conduite meilleure. Il doit imiter les personnages dans leurs bonnes
actions. C'est là une façon de transférer et de conserver les traditions coutumières.
L'autre façon de les sauvegarder consiste à placer l'enfant devant les faits.
L'enfant respecte quotidiennement des règles de conduite. Il doit respect aux
adultes et à ses aînés, cela au travail et dans les jeux. L'enfant ressent le poids des
coutumes dans toutes les structures pédagogiques. A chaque étape de leur
formation, les jeunes génération découvrent d'autres aspects des coutumes. C'est
durant les initiations pubertaires que certaines coutumes sont dévoilées aux initiés.
Ainsi au sortir de ces initiations l'adolescent adapte sa conduite à ses nouvelles
formes de vie, à son statut d'homme. Nous y reviendrons.
Dans les rassemblements ludiques, les enfants règlent leurs activités sur les
habitudes et selon des règles coutumières, d'autant plus qu'en Afrique noire les
jeux eux-mêmes sont de véritables activités coutumières. Il est sans doute possible
d'étudier l'histoire cultureJJe d'une société négra-africaine à travers l'évolution de
tel ou tel autre jeu. Aussi les jeux conservent-ils des coutumes communautaires.
L'initiation pubertaire demeure le creuset traditionnel des coutumes fossilisées
dans le secret des campements. C'est durant leur réclusion que les initiés (fiJJes ou
garçons) découvrent l'autre face des traditions. En effet, l'enseignement initiatique
n'est autre qu'une explication des coutumes tenues jusque-là cachées aux
425
néophytes. Le contact avec ?~s masques, la nature et ses secrets, avec
l'apprentissage des chants et des versets sacrés (etc.) va faire d'eux de nouveaux
détenteurs des coutumes secrètes de la communauté. Aussi leur ordonne-t-on de ne
jamais divulguer les secrets des camps d'initiation. La principale explication donnée
aux initiés est que le dévoilement des secrets coutumiers reviendrait à meI}acer
l'existence de la société et de leur propre vie. C'est une façon entre autres de
sauvegarder les coutumes initiatiques. Les initiés sortent toujours convaincus de la
véridicité de ces interdits. Ils sont persuadés que l'initiation est la clé de leur
existence matérielle et spirituelle. L'homme non initié reste toujours enfant. Sa
parole n'a pas de poids dans les réunions publiques, il n'a pas accès aux fonctions
politiques et religieuses de sa communauté. C'est une preuve que les coutumes
pèsent lourdement sur la vie des hommes en Afrique noire. La durée d'une
civilisation et l'existence de ses membres dépendent en grande partie du transfert
méthodique des coutumes et de leur sauvegarde.
Après les initiations, jeunes filles et jeunes gens vont découvrir le sens
profond des cérémonies de mariage, de baptême, de cultes etc. Chacun de ces
événements est célébré selon la tradition coutumière. Le mariage demeure le rite le
moins évolutif des traditions négro-africaines. Il est la célébration de la vie et de
tout ce qui donne vie. C'est ta raison pour laquelle toutes les cérémonies de mariage
sont organisées et célébrées pendant la saison des pluies, moment où le ciel et la
terre se marient, où la nature devient verdoyante et rayonnante de fleurs, où les
animaux domestiques et sauvages revêtent de leur nouveau pelage, où les récoltes
sont prometteuses. Les jeunes mariés découvrent dans ce rite de passage une série
de coutumes spécifiques à leur union, à leur chambre, à leur lit, à leurs bains, à leur
nourriture etc. Là ils sont formés pour le respect de la vie à deux. Le maintien de
certains rites de mariages entre sans aucun doute dans la sauvegarde des coutumes
communautaires.
Les grandes étapes de l'éducation négro-africaine symbolisent les grands
moments de l'évolution biologique de l'homme. A chacune de ces étapes, les
négro-africains prennent connaissance de nouvelles règles de vie. Et ils sont tenus
de les observer strictement durant toute leur existence. L'acquisition et la
sauvegarde de ces coutumes constituent la base de l'unité politique et sociale en
Afrique noire traditionnelle. La philosophie négro-africaine puise ses forces dans
426
~
les coutumes. Ainsi la pensée politique et religieuse ne peut et ne doit pas être
importée ni exportée. Il y a pour ainsi dire un circuit fermé dans lequel se trouvent
prisonniers tous les membres d'une société. Quand on fait allusion à ce cercle
fermé, on a l'impression que la pensée négro-africaine n'évolue pas. C'est la même
impression qu'on pourrait avoir devant l'opposition de Platon à tout changement
des traditions aristocratiques. Mais toutes ces mesures vont dans le sens de l'unité
sociale et politique.
Platon croit, comme le Négro-africain, que la stabilité de la communauté
dépend du maintien et du respect des coutumes dans la vie de tous les jours. Le
désordre viendrait de l'abandon des règles de conduite héritées des Ancêtres. De
part et d'autre, l'éducation est orientée vers le respect et la sauvegarde des coutumes
qui sont à la base de l'unité politique et sociale de toutes ces communautés
traditionnelles.
427
VI.4. lVIYTHOLOGIE UNIFICATRICE
VI. 4. 1. Dieux et héros
modèles chez Platon
La mythologie a toujours été à la base de l'éducation grecque. Platon ne s'en
démarque pas dans son projet éducatif. Seulement, il envisage de réécrire la
mythologie conformément à son idéal et pour la rendre plus plausible et plus
véridique. Pour ce faire, il entend supprimer tout ce qui est contraire à la vérité
philosophique et dont la plupart des œuvres poétiques, des fables, des contes et des
récits historiques sont remplis. Le principal but de ces réformes est sans doute
d'ordre moral, mais il est évident que derrière tout cela Platon prône une
mythologie au service de l'unité sociale. Elle est réformée de telle sorte qu'elle
exclut toute idée de révolte ou de changement chez l'enfant. Dans les récits, le
monde des dieux et des héros (principaux personnages des récits) est conçu comme
celui des hommes. Ces derniers sont tenus d'imiter tout ce que font ces êtres
supérieurs. Pour Platon, il n'y a pas de mensonge ni de faux dans ce que disent et
font dieux et héros. Mais il constate que c'est ce qu'on laisse croire dans les récits
contés aux enfants jusqu'à présent. Or les enfants ne discernent pas ce qui est
"allégorique de ce qui ne l'est pas" l, et ils sont très influençables de nature. C'est
pourquoi il est souhaitable, d'après Platon, de leur présenter une image parfaite des
dieux et des héros exempts de vices et de défauts.
Dès l'âge de six ans et peut-être même avant, les enfants sont nourris de récits
mythologiques. Dans une perspective d'unité, le monde des personnages divins et
héroïques doit apparaître aux enfants comme un univers tranquille, sans querelles,
sans révoltes. Dès lors, il est nécessaire de supprimer du mythe toute idée de
désunion et de mésentente chez les dieux.
Les querelles, les divisions sont les conséquences immédiates de la désunion.
Dans un passage2 de La République, Platon fait allusion aux conséquences des
rivalités et de la querelle des trois déesses (Héra. Athéna, Aphrodite). Aussitôt
après, il recommande de bannir ce genre de scènes des récits destinés aux enfants.
l. Rép., 378 d.
2. Cf. Rép., 380 a.
428
!l
Le philosophe cherche à étouffer toute apparition de jalousie et d'envie chez les
enfants en bas âge. Ce sont là, en effet, des vices qui conduisent à la désunion des
citoyens. L'instabilité est liée ici aux faiblesses de l'homme, à sa jalousie. Le tenne
d'EplÇ 1 exprime et traduit dans ce passage une querelle autour des valeurs
esthétiques. En effet, la rivalité entre les trois déesses est axée sur la beauté, qualité
à la fois divine et humaine. Le bon éducateur doit éviter de' cultiver la jalousie chez
les enfants. Pour ce faire, il ne doit pas décrire des dieux jaloux.
Dans le même ordre d'idée, "il ne faut absolument pas dire que les dieux font
la guerre aux dieux, qu'ils se tendent des pièges et se battent entre eux ( ... )"2. Le
monde divin doit apparaître à l'enfant comme celui où règne la fraternité, sans clans
ni factions. Le but de cette réforme du mythe serait d'effacer à jamais de la vie
sociale les guerres civiles. Les enfants de la cité idéale, appelés à se considérer
comme frères et sœurs, ne doivent pas être nourris de récits relatant des guerres
fratricides. La politique d'unité est fondée ici sur les bons rapports entre les
différentes classes de la cité, entre jeunes et vieilles générations, entre parents et
enfants. entre ainés et cadets. entre gouvernants et gouvernés. L'unité s'instaure
dès lors que chacun tisse de bons rapports avec les autres. Ainsi est-il utiJe de tuer
en l'enfant toute idée de parti. Car la cité doit être le "parti" de tous les citoyens.
L'intérêt particulier ne doit pas prévaloir devant l'intérêt général de la cité. C'est
pourquoi le monde des dieux ne doit pas être présenté aux enfants comme un
univers divisé à cause des intérêts privés. Les enfants pourraient s'y référer pour
justifier et expliquer plus tard des guerres fratricides.
Platon ira jusqu'à imaginer un mythe qui fait croire aux gardes qu'ils sont
tous issus de la même souche et qu'ils sont frères et sœurs3. La révolte contre les
parents est à bannir des récits mythiques. Platon prend l'exemple de Zeus face à
son père Kronos. La famille en tant que cellule de base de la cité (des Lois) verrait
son unité brisée avec les querelles entre parents et enfants. La vie de la cité n'est
viable qu'avec une organisation solide de la cellule familiale. L'unité de cette
dernière dépend de l'entente entre parents et enfants. D'où la nécessité de supprimer
de tous les textes et récits mythiques des passages qui pourraient pousser les
enfants à se révolter contre leurs parents.
1. Cf. Rép.,380 a
2. Rép.. 378 b c.
3. Cf. Rép., 414 d e.
429
'>
Le projet de suppression de ces différents passages de la mythologie grecque
montre combien Platon accorde d'importance à la notion d'unité au sein de la cité. TI
propose aussi le rejet des passages qui terniraient la morale coutumière. Les actions
des dieux et des héros sont des modèles d'imitation pour les hommes. C'est
pourquoi Platon fait tout pour donner aux dieux et aux héros une image parfaite. A
la fin de sa formation, le citoyen platonicien avoisine le divin. La découverte du
Bien en soi fait de lui un citoyen parfait de corps et d'esprit. Bien qu'il ne puisse
égaler dieux et héros, le citoyen est éduqué et formé pour devenir parfait. D'où la
nécessité de concevoir une mythologie proche de la vérité. Dans la réforme du
mythe, Platon ne cherche pas seulement une vérité philosophique, mais aussi une
leçon pédagogique.
C'est pourquoi la mythologie est devenue avec Platon un système de valeurs
philosophiques et pédagogiques. Le mythe est conçu pour parfaire ceux qui s'en
servent. Pour atteindre cet objectif, Platon supprime du mythe "ancien" toute idée
de désunion et de changement. Ainsi on a raison de croire que la "mythologie"
conçue par Platon est d'un grand apport dans la réalisation de l'unité des citoyens.
430
,
VI. 4. 2. Les récits mythiques et l'imitation enfantine en
Afrique.
De nombreux chercheurs se sont penchés sur la mythologie négro-africaine.
Mais ils n'ont pas tous le même avis sur l'approche du mythe en Afrique noire.
Louis- Vincent Thomas, par exemple, reproche à Marcel Griaule et à son école de
"faire au mythe la part trop belle et réduire la pensée du Noir à la pensée même
exaltée, voire idéalisée (... )" 1. L'autre approche qu'il faut bannir. continue Louis-
Vincent Thomas, c'est le fait de voir dans le mythe l'équivalent de l'instinct:
l'autorité de la tradition figeant la communauté africaine dans un immobilisme fait
de comportements répétitifs aurait valeur d'instinct social sublimé". Il conclut avec
G. Gusdorf que "la conduite se déploie dans un cadre unitaire et monolithique" et
par conséquent que le primitif "s'englue dans une suite de stéréotypes (... )"2. Une
ébauche de réponse à ces critiques se trouve dans la Préface du classique livre de
M. Griaule, Dieu d'eau. L'ethnologue y traite la question (qu'avait suscitée et
posée le livre de R. P.Tempels. La philosophie bantoue, 1945) de savoir si l'on
doit "prêter à la pensée bantoue un système philosophique" ; et il répond en écrivant
que les Dogons" (... ) vivent sur une cosmogonie, une métaphysique, une religion
qui les mettent à la hauteur des peuples antiques"3. Marcel Griaule se défend
d'avoir qualifié cette doctrine d'ésotérique comme l'en accusent certains critiques4 .
Aussi se presse-t-il de préciser que "bien qu'elle ne soit connue, dans son
ensemble, que des anciens et de certains initiés, cette doctrine n'est pas ésotérique
puisque chaque homme parvenu à la vieillesse peut la posséder"5.
Hormis ces divergences d'approche et d'analyse, les africanistes sont
d'accord sur un point: l'existence d'une mythologie négro-africaine cohérente et
"intégrée dans le rythme social"6. Et Geneviève Calame-Griaule d'affinner que
"quelle que soit la place que l'on veut lui (mythe) accorder dans la culture, on ne
peut plus ignorer le mythe africain ni le réduire à des fragments dérisoires"? Tout
vieillard a la chance, écrit Marcel Griaule, de posséder les connaissances
1. THOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU (R.), Ln terre africaine
pp. 149-148.
2. THOMAS (Louis- Vincent) et LUNEAU (R.), Ln terre africaine
, p. 149.
3. GRIAULE (Marcel), Dieu d'eau: entretiens avec Ogotemmêli. Paris. 1966. p. 2.
4. Cf. GRIAULE (Marcel), Dieu d'eau ... , p. 12.
5. GRIAULE (Marcel)Dieu d'eau .... p. 13.
6. THOMAS (Louis-Vincent), Ln terre africaine ... , p. 148.(p. 13 à citer en note).
7. CALAME-GRIAULE (Geneviève), Avant-propos Dieu d'eau ... , p. 8.
431
d'Ogotemmêli. Ainsi le célèbre ethnologue touchait-il le problème de l'éducation et
de la formation sans aller au fond des choses. Quant à Louis-Vincent Thomas, il ne
développe pas les questions portant sur la forme du mythe, de son contenu, de
l'usage qu'on en fait, de ses significations ludiques et éducatives. Il appréhende
plutôt le mythe "en tant qu'il exprime l'ordre du monde et se situe dans la
perspective du sacré sans oublier son éventuelle historicité". Il rejette aussi l'idée
que le mythe se réduit à une simple allégorie l .
Il semble que les uns et les autres ont souvent négligé l'importance de
l'éducation dans la sauvegarde du mythe. Ogotemmêli a hérité ses connaissances
de ses ascendants 2. Ce transfert pour ne pas dire sa formation a duré vingt ans, à
partir de sa quinzième année. Ajoutés à ses quinze ans, les vingt ans
d'apprentissage lui donnent trente-cinq ans au moment où il acquiert définitivement
toutes les connaissances. L'essentiel de la formation platonicienne s'achève à
trente-cinq ans, âge qui correspond à la fin des études dialectiques. Ogotemmêli
s'est, comme le sage platonicien, versé dans la pratique de tous les jours, c'est-à-
dire la chasse et les autres occupations masculines. Et c'est tout cela qui fait son
intelligence exceptionnelle, son habileté physique et sa grande sagesse3. Dès lors, il
importait de connaître et d'explorer l'éducation coutumière et philosophique
d'Ogotemmêli pour comprendre le comment et le pourquoi de la survie du mythe au
sein de la société des Dogons. L'ésotérisme écarté, il restait à expliquer et à
comprendre ce qui fait l'unité de ces mythes dans la mémoire du temps.
Nous avons déjà étudié l'apport du mythe dans l'éducation psychologique
des enfants. Mais, au-delà de cet aspect, le mythe sert de référence à tous les
membres d'une société. En effet, ces derniers se reconnaissent être de même
origine, vénèrent les mêmes dieux et les mêmes ancêtres. L'éducation coutumière
est la seule institution susceptible de leur inculquer cette idée de parenté mythique,
telle qu'on la trouve chez les Dogons du Mali.
Comme dans la société platonicienne, la structure du monde des hommes est,
chez les Dogons, calquée sur celle du monde des dieux. Indiscutablement, il y a là
une espèce d'ordre dont les hommes pensent trouver le modèle chez les dieux et
1. Cf. THOMAS (Louis-Vincent), La terre africaine ... , p. 149.
2. Cf. GRIAULE (Marcel), Dieu d'eau ... , p. 22.
3. Cf. GRIAULE (Marcel), Dieu d'eau .. ", p. 12.
432
chez les êtres supérieurs. Le désordre que l'on peut remarquer au début de la
genèse du monde, conté dans les mythologies cosmiques, est toujours suivi d'une
période de tranquillité et d'ordre. Marcel Griaule avait noté que dans le discours du
vieil Ogotemmêli " il n'apparut jamais clairement pourquoi le monde céleste s'agita
jusqu'à rupture, ni pourquoi ces désordres entraînèrent une réorganisation du
monde humain qui n'était pour rien dans ces querelles"l. Tout au long de leurs
entretiens Ogotemmêli s'est refusé de parler à haute voix (ou ouvertement) des
accouplements2 entre les dieux et les déesses. Ce que Platon demande de taire dans
les récits mythiques ne se dit pas au grand jour dans la tradition négro-africaine. On
ne révèle pas tout de la vie des dieux. Aux yeux du Négro-africain, les êtres
mythiques sont toujours parfaits. Le mortel est tenu d'imiter l'immortel dans ses
actions, bien qu'il soit conscient qu'il n'égalerait jamais le dieu ou le héros.
En Afrique noire, les dieux sont moins cités que les héros mythiques
peuplant les récits légendaires. En effet, "ces héros", écrit Louis- Vincent Thomas.
"peuvent être mythiques (Démiurges, Héros-civilisateurs qui apparaissent dans de
nombreux mythes) ou mythifiés (sujets historiques idéalisés, parfois élevés au rang
de divinité)"J. Et il les classe en trois catégories: les héros fondateurs, les héros
moniteurs et les héros défenseurs4 . Le premier symbolise la médiation entre le Dieu
créateur et son peuple, le second l'intelligence et les techniques, et le troisième
défend l'unité en écartant toutes les forces du mal qui perturberaient la vie paisible
des populations. Ces trois types de héros servent de modèles dans l'éducation des
enfants. Ces derniers sont appelés à respecter le pacte contracté entre le Dieu et
l'Ancêtre fondateur, à apprendre les techniques et le savoir que le héros prométhéen
a transmis aux hommes, à imiter la conduite courageuse du héros défenseur. Il y a
là un schéma de l'unité sociale et politique; et cela à travers le respect de la religion,
à travers la recherche des connaissances techniques et intellectuelles, et la paix
politique.
La mythologie livre aux enfants un monde cohérent, un monde où chaque
personnage joue pleinement son rôle. Les récits légendaires et historiques contés
1. GRIAULE (Marcel), Dieu d'eau ... , p. 36.
2. Cf. GRIAULE (Marcel), Dieu d'eau ... , p. 32 : " le Nommo, à la place d'Am ma, travaillait le
travail d'Amma" disait le vieil homme pour ne pas outrager les Dieux.
3. THOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU (R.), La terre africaine
, p. 18I.
4. THOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU (R.), La terre africaine
, pp. 181-182.
433
'>
aux enfants et aux adolescents présentent des modèles d'hommes dont la perfection
se rapproche de celle des dieux. Le héros est un personnage invincible 1 dans les
domaines physique, intellectuel, moral et même philosophique. Le conteur lui
attribue toutes les qualités humaines. Le héros peut se métamorphoser à sa guise.
Aussi combat-il pour la justice, pour la victoire du bien contre le mal, et enfin pour
sa propre gloire. Mais un héros ne peut accomplir une action sans la complicité des
dieux ou des personnages intermédiaires.
L'intervention di vine est symbolisée soit par la puissance soit par le génie
d'un héros. C'est d'un "seul coup de fusil", "d'une seule flèche" qu'il abat toute
une armée. Ce sont là des "faits réels" pour l'enfant qui ne sait pas encore
distinguer entre le vrai du merveilleux. L'affrontement entre héros eux-mêmes
symbolise la bataille entre les forces du bien et celles du mal. Et dans les récits
mythiques, les dieux sont toujours du côté des héros qui combattent pour le bien et
pour le bonheur de leurs peuples. Dans ces circonstances, la mythologie exalte la
justice divine et celle des héros.
Le héros fondateur dont parle Louis-Vincent Thomas est considéré comme un
"demi-dieu", mais surtout, comme le guide et le pasteur des populations. Il est le
personnage principal des récits initiatiques qui font découvrir aux enfants et aux
adolescents les origines mythiques de leur communauté. Le mythe ne sert ici qu'à
tisser davantage l'unité entre les enfants. Dans les camps d'initiation, la mise à mort
et la renaissance 2 sont symbolisées par le séjour et la sortie des néophytes d'un
gouffre construit pour la circonstance. C'est une manière de dire aux initiés qu'ils
sont nés de la même mère et que leur unité est plus que nécessaire. Jusque dans les
cercles religieux, le mythe joue le rôle d'unité et de solidarité. Le Kama bambara
en est une illustration.
Le mythe est né avec l'éducation et ne peut survivre qu'à travers l'éducation.
Cette dernière n'aurait pas de sens sans la mythologie, comme la mythologie elle-
même n'aurait pas existé et ne serait pas transmise sans l'éducation. Ainsi les êtres
1. Cf. LEVEQUE (Pierre) Bêtes, dieux et hommes, l'imaginaire ... , p. 201.
2. Cf LÉVEQUE (Pierre), Bêtes, dieux et hommes, l'imaginaire ... , p. 69 ; Cf. WORONOFF
(Michel) "Structures parallèles de l'initiation des jeunes gens en Afrique et dans la tradition
grecque" in Afrique noire et Monde méditerranéen dans l'Antiquité, Colloque de Dakar (19-24
Janvier 1976).- Dakar-Abidjan, 1978.- pp. 237-266.
L
441
,
La punition est définie chez Platon et en Afrique comme un moyen
pédagogique dont on se sert de manière violente ou douce. Dans les deux systèmes
éducatifs, il est admis que la punition a des vertus pour parfaire la conduite -de
l'enfant, pour l'intéresser à son travail et à son apprentissage.
Le lourd programme éducatif platonicien s'oppose au programme moins
encombrant des systèmes éducatifs négro-africains. Là aussi, Platon a privé
l'enfant de la liberté d'apprendre, et cela vient de son désir (souvent aveugle) de
former un citoyen complet et parfait.
Au demeurant, le processus pédagogique dans les traditions platonicienne et
africaine mène à l'effacement de l'individu devant le groupe et la société. En effet,
c'est dans les groupes d'âge et de jeu que l'enfant tisse l'amitié, la solidarité et
l'unité avec ses compagnons. Dans la même perspective d'unité, les hommes et les
femmes sont déclarés égaux devant l'éducation. Mais, si dans la société
platonicienne ils évoluent dans les mêmes structures pédagogiques avec des maîtres
communs et pour le même programme, en Afrique filles et garçons obéissent aux
mêmes principes pédagogiques mais ils sont formés séparément dans l'espace et
souvent dans le temps. Dans ces deux aspects de l'égalité de la femme et de
l'homme devant l'éducation, c'est l'esprit de groupe qui doit prévaloir.
Les mêmes buts de solidarité et d'unité sont associés au contenu des
enseignements et à celui du mythe. Les dieux, les héros et les ancêtres (principaux
personnages des récits mythiques) doivent apparaître parfaits dans un monde
cohérent et sans révoltes. La perfection de ces personnages et la cohérence de leur
monde servent de modèles d'imitation dans l'éducation des enfants. C'est là un
aspect pédagogique du mythe auquel on accorde d'égale importance dans
l'éducation platonicienne et dans l'éducation négro-africaine.
Ainsi diverses similitudes ont été notées entre l'éducations platonicienne et
l'éducation négro-africaine. La structure des systèmes pédagogiques, la forme et le .
contenu des enseignements sont conçus, chez Platon et en Afrique noire
traditionnelle, de manière à préparer l'homme à vivre en société. Ce comparatisme a
affermi l'idée que le découpage des enseignements en cycles, les sélections, la
durée du service militaire des VÉOl (etc.) rappellent, chez Platon, le système des
442
~
groupes et des classes d'âge, des retraites et des épreuves initiatiques qui ont existé
dans la Grèce archaïque. Ces survivances rituelles se retrouvent dans leur intégrité
en Afrique noire, et cela avant le contact du continent noir avec l'Islam et la
Civilisation occidentale. C'est là une preuve qu'il n'y a rien d'inconvenant ni de
contraire à l'histoire à comparer l'éducation platonicienne et l'éducation négro-
africaine traditionnelle.
BIBLIOGRAPHIE
444
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II. ÉTUDES COMPARÉES
1. Ouvrages
- Afrique noire et Monde méditerranéen dans l'Antiquité, Colloque de Dakar (19-24
Janvier 1976).- Dakar-Abidjan, 1978.
- JEANMAlRE (H.), Couroi et Courètes. Essai sur l'éducation spartiate et sur les
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- NDOYE (M.), L'idée de travail: étude comparée (Grèce archaïque / Afrique-
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- VAN GENNEP (A.), Les rites de passage.- Paris, 1909.
2. Articles
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méditerranéen dans l'antiquité, Colloque de Dakar (19-24 janvier 1976).- pp. 9-
13.
- LONIS (R.), Introduction Afrique noire et Monde méditerranéen dans l'Antiquité,
Colloque de Dakar (19-24 janvierl976).- Dakar-Abidjan, 1978.
- TEXIER (J. G.), «Sparte et l'Afrique. Réflexions à propos d'un thème
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- WORONOFF (M.), «Structures parallèles de l'initiation des jeunes gens en
Afrique noire et dans la tradition grecque», in Afrique noire et Monde
méditerranéen dans l'Antiquité, Colloque de Dakar (19-24 janvier 1976).- pp.
237-266.
446
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III. LA GRÈCE ET PLATON
III. 1. Textes et traductions
- ARISTOTE, La Politique (établi et trad. J. AUBONNET ).- Paris, 1960- , 3 vol.
1. Livres I-II, 1960.
2. Livres III-IV, 1971.
3. Livres V-VI, 1973.
- HIPPOCRATE, Du Régime (établi et trad. R. JOLY), Paris, 1967- ,2 vol.
VI. 1. Du Régime, 1967.
2. Du Régime des maladies aiguës. Appendice. De l'aliment. De l'usage
des liquides.
- HOMÈRE, Iliade (établi et trad. P. MAZON).- Paris, 1959-,4 vol.
1. CRI-VI, 1961.
2. CH. VII-XII, 1961.
3. CH. XIII-XVIII, 1961.
4. CH. XIX-XXIX, 1963.
Odyssée (établi et trad. V. BÉRARD).- Paris, 1962-63.,3 vol.
- PLATON, Le Banquet (établi et trad. L. ROBIN).- Paris, 1965.
Gorgias (établi et trad. A. CROISET).- Paris, 1965.
Le Lachès (établi et trad. A. CROISET).- Paris, 1965.
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Livre I-II, 1976.
Livre III-VI, 1975.
Livre VII-X, 1976, suivi de Épinomis (établi et trad. Éd. des Places).-
Paris, 1976.
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Pannénide (établi et trad. A. Dies).- Paris, 1965.
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111.4. Études sur l'éducation dans l'œuvre de Platon
1. Ouvrages
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Archives de Philosophie et du Droit, 1939.
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- USCATESCU (G.), «Les fondements éthiques de l'État platonicien» in Diotima,
II. 1974.- pp. 19-25.
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.. =' ..
456
IV.
Études
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et
l'éducation
traditionnelle
négro-africaine
1. Ouvrages
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- CLASSES ET ASSOCIATIONS D'AGE EN AFRIQUE DE L'OUEST (LES)
(Textes réunis et présentés par D. Pau1me ).- Paris, 1971.
- DIETERLEN (G.), Textes sacrés d'Afrique noire.- Paris. 1965.
- DIOP (AB.), Société toucouleur et migration.- Dakar, 1965.
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Paris, 1981.
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1968.
- ERNY (P.), L'enfant et son milieu en Afrique noire. Essai sur l'éducation
traditionnelle.- Paris, 1972.
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(1900-1975).- (thèse de lettres) Lille, 1981.
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1983.
- GRIAULE (M.), Masques Dogons.- Paris, 1938.
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1951.
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- KWABENA NKETIA (J.H.), African music in Ghana.- London, 1963.
- LAYE (C.), Le maître de la parole. Kouma lafô1ô kouma.- Paris, 1978.
- LANGAGE ET CULTURES AFRICAINES. ESSAIS D'ETHNOLINGUISTIQUE. (textes
réunis et présentés par G. Calame-Griaule).- Paris, 1977.
- LOMBARD (1.), Structures de type "féodal" en Afrique noire.- Paris, 1965.
- MARIKO (Dr.K.A.), Sur les rives du Fleuve Niger: Contes.- Paris, 1984.
- MFOMO (G.E.), Au pays des Initiés. Contes Ewondo du Cameroun.- Tome 1.-
Paris, 1982.
- MONOD (TH.), Préface Les peuples et les civilisations de l'Afrique, suivi de Les
langues et l'éducation.- Paris, 1948.
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- TRAORE (B.), Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales.- Paris, 1958.
- TRAVELE (M.), Proverbes et contes Bambara.- Paris, 1923.
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- BEKOMBO-PRISO (M.), «Les classes d'âge chez les Dwala (Cameroun)>> in
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- CALA1\\1E-GRIAULE (G.), «Ésotérisme et fabulation au Soudan» in Bulletin de
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- CHAREST (P.), «Les échelons d'âge chez les Malinké de Kédougou (Sénégal-
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pp.131-156.
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Langage et cultures africaines. Essais d'ethnolinguistique (textes réunis et
présentés par G. Calame-Griaule).- Paris, 1977.- pp. 265-302.
- GANAY (S.de), «Graphies bambara des nombres» in Journal de la Société des
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- GESSAIN (M.), «Les classes d'âge chez les Bassari d'Etyolo (Sénégal-
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présentés par D. Paulme).- Paris, 1971.- pp. 157-184.
- GRIAULE (M.), «Une mythologie soudanaise» in Annales de l'Université de
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- HOLAS (B.), «Labile Zogbilagbe raconte son initiation» in Notes Africaines, n°
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n° 54, 1952.- pp. 44-47.
- HURAULT (J.), «Les classes d'âge dans le système social des Bamiléké
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- KALA-LOBE (S.), «Situation de la femme dans la société traditionnelle» in La
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- KULASELI, «Une phase de l'initiation à un «poro forgeron sénoufo» in Notes
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Associations d'âge en Afrique noire (textes réunis et présentés par D. Paulme).-
Paris, 1971.- pp. 114-130.
- MATHON (C.), «Pour une sémiologie du geste en Afrique Occidentale» in
Semiotica, l, 1969.- pp. 244-255.
- MENGRELIS (TH.), «L'initiation chez les Guerzés» in Notes Africaines, n° 29,
Janvier 1946.- pp. 22-25.
- MENGRELIS (TH.), «Fête de sortie de l'excision en pays Mano (Guinée
Française)>> in Notes Africaines, n° 49, Janvier 1951.- pp. 11-13.
- MENGRELIS (TH.), «La sortie des initiés en pays Guerzé (Haute-Guinée)>> in
Notes Africaines, n° 50, Avril 1951.- pp. 44-46.
- MERCIER (P.), «Les classes d'âge chez les "Somba" (Dahomey)>> in Classes et
Associations d'âge en Afrique de l'Ouest (textes réunis et présentés par
D.Paulme).- Paris, 1971.- pp. 91-113.
- PAULME (D.), «Pacte de sang, classes d'âge et castes en Afrique noire» in
Archives Européennes de Sociologie, IX, 1968.- pp. 12-33.
- PAULME (D.), «Les classes d'âge dans le Sud-Est de la Côte-d'Ivoire» in
Classes et Associations d'âge en Afrique de l'Ouest (textes réunis et présentés par
D. Paulme).- Paris, 1971.- pp. 205-285.
460
~
- RAULIN (H.), «Sociétés sans classes d'âge au Niger» in Classes et Associations
d'âge en Afrique de l'Ouest (textes réunis et présentés par D.Paulme).- Paris,
1971.- pp. 320-340.
- ROUSSEAU (M.), «L'art ancien de l'Afique noire» in Aspects de la Culture
noire, 1958.
- SENGHOR (L.S.), «Esthétique négro-africaine» in Diogène, n° 56, Octobre
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- SEYDOU (CR), «La devise dans la culture peule : évocation et invocation de la
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Calame-Griaule).- Paris, 1977.- pp. 187-264.
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- SMITH (E.W.), «Indigenous education in Africa» in Essays presented to c.G.
SELIGMAN.- London, 1934.- pp. 319-334.
- SMITH (P.), «Les échelons d'âge dans l'organisation sociale et rituelle des
Bedick (Sénégal-Oriental)>> in Classes et Associations d'âge en Afrique de l'Ouest
(textes réunis et présentés par D.Paulme).- Paris, 1971.- pp. 185-204.
- THOMAS (L. V.), «Réflexions sur quelques aspects de la moralité diola» in
Bulletin de 1'l.F.A.N., XX, série B, 1958.- pp. 247-290.
- VAN GEN,NEP (A.), «Une nouvelle écriture nègre: sa portée théorique» in
Revue des Etudes Ethnologiques et Sociologiques, Mars 1908.- pp~ 129-139.
UNIVERSITÉ DE FRANCHE-COMTÉ
Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Besançon
Institut Félix-Gaffjot
L'ÉDUCATION CHEZ PLATON
ET EN AFRIQUE NOIRE TRADITIONNELLE :
ÉTUDE COMPARATIVE
INDEX
par
Djibril AGNE
Mai 1989
INDEX
462
,
INDEX DES MOTS GRECS
uyÉÀUt 68; 69
VÉOt
13; 15; 69; 70; 71; 74; 89; 94;
ayÉÀut crétoises 69
95; 96; 163; 164; 165; 166; 167;177;
ayÉÀTI 68; 69; 70; 72; 70; 115
357;358;367;368
ayÉÀTI O'ufln<lO'u 69
vÉoc;
17; 19; 70; 72
aypôvofloe; 95
vôeoc; 23; 25
aywYll platonicienne 68
VÔel) natôe:tq 22; 24
aywYll spartiate 65; 68
VOTlT<l 63; 67
axouE:tv 107
vOfl0cjluÀu( 66
avllp 70
6p9ÔTTJTU floUO'tXll 28
avuyxulov ye: fll,v O'nouBâCe:tv 303
6p9We; 24
anutôe:uO'tU 26
nutôe:e; 69; 70; 71
aptO'TOUe; 215
nutyvtov 303
èivôpe:e; 71
nutO{u 68
aPXOYTe:e; 95
natO{ov 133; 293; 296
aO'Tu 75; 76
nUlôdu 3; 9; 18; 19; 20; 21; 22; 23;
6PUT<l 63; 64; 67
24;49; 114; 132;287;295;302
~tUOV 186
nutôdu ou ÔlUTPUepWO'U 27
yÉÀwe; 303
nUlôdu TPUepWO'U 27
yÉpOVTe:e; 71
natôe:tU/natÔl<l 302
yÉpwv 70
nUlôe:{ue; 22
YP<lflflUTU 65
nUlôe: tUe; 6peile; 24
ôe:ïv
115
nUlôe:ue:lV 13; 15; 18; 19; 24;140
ô te:cjleuPflÉvTlv ôÈ nu tôduv 22
nUtôe:uTpocjltU 118
e:ùpuXWptU 77
natÔl<l 1 anouôll 302
e:UO'XTlfl0O'uvTle; 188
nUlÔl<l 21; 290; 301; 302; 303
di 22
nUle; 70: 15; 19; 20; 21; 22; 296
iJÔOVUt 290
niiO'u àpe:TJl 26
iJôovll 291
ne:pi Tà aO'TU 76
T1ÔOVl, xu i ÀunTi 290
ne:pi TÔnwv 73
ee:tÔTUTOV .. Ci;)v 24
ne:ptnaTOl 217
X<lTUpO'te; 187
ne:pmuTE:Ïv (se promener) 217
XUXl, Tpocjlll 26
nÀ<lTTe:lV 118; 133; 216; 218; 439
xuxl,v ..rpocjlllv 22
nÀ<lTTe:lv Tàe; euxâe; 133
xuxôe; 22; 23; 24
nOlllO'le; 303
xuxli Tpocjlli 22
nôÀe:floe; 26
xUÀôe; 22
nÔÀle; 73; 76
XuÀÀ taTOUe; 215
nOÀlTlXl, TÉXVTJ 18
xtVTlO' te;
135
novTlpà Tpocjlll 24
Àôyoe; 132
novTlPôc; 24
ÀoytO'flÔe; (l'art de calculer) 162
npe:O'~ûTe:pOe; 72
ÀoytO'TtXll (le calcul) 162
O'T1XÔV 75
flUVTe:UOflUt 25; 27
O'TJXÔe; 75
f.lE:Tà xuxTje; aywyTje; 351
O'fllXPÔC; 25
flÉTptot avôpe:e; 22; 24
O'fllXpq natôdq 25
fll, ciTtf1We; 378
O'nouô<lCe:1v 303
fl tflll °'te; 140
O'nouôâCe:lV 1 nUlte:lv 303
fltflEla9Ut
140
O'nouôâCoYTu 1 nUltovTU 303
flov'IlO{u fllflTlTtXll 93
anouôll 302; 303
floUO'lxll 26; 28; 132; 181; 182; 194
O'nouôulu 303
flûeoc; 132
anouôuïov 302
463
crnouôalov 1 crnouôOCElV 303
crnouôaloç 303
crnlcr u; 26
crw«jlpcruvTj 138
crwf.La 23
Tà crwf.LaTa
133
TÉXVat
167
TÉXVTj 12;20;21
Ti) napOUcrT] natÔElaç ànoplQ 24
TTjv 6pSTjv nalôdav 24
TTjv 6peTjv TpO«jlrlV 24
TlTSal
119
TlTSTj 119
Tà ÀEy0f.LEVOV 133
Tà vÉov anav 293
Tà ÈÀa«jlpov 290
Tàv àÔlxoùvTa 295
TOlç f.LuSmç
133
TpɫjlElv 20; 24
TpO«jlrl 18; 19; 20; 21;22; 23; 24;26;
29
TpO«jlOÇ 20; 119
Tpo«jlol
119
TPU<j>WcrT) natôdQ 25
T(\\> àÀoYlcrTwç SUf.LOUf.LÉv~
139
TWV àvSpWnwv npâYf.LaTa 303
«jllÀonoÀlç 25
«jlpoupâpxoç 95
«jlUcrlÇ 17; 25; 159; 410
l/IUXrl 20
ljluxTiç 20
xwpa 73
xwpal 76
464
INDEX DES NOMS PROPRES
ACHILLE 137; 139; 140
Dahomey III
Afrique 371; 376; 394; 397
DAMON 182; 184; 186; 300
Afrique 399; 401; 406; 407; 416;
Darius 25
418;432;435;439;440
Didinga 53
Afrique de l'Ouest 43
DlÈs Auguste 292
Afrique noire traditionnelle 45; 59;
DIETERLEN Germaine 45
61; 62; 72; 78; 85; 87; 89; 94; 96;
Dieu 150; 151
101; 110; Ill; 112; 114; 115;143;
Dieu et l'Ancêtre fondateur 432
144; 151; 360; 361; 381; 383; 385;
Dieu suprême 151
392; 157; 158; 170; 225; 227; 230;
Dieu-créateur 150
243; 244; 245; 346; 353; 360; 376;
DIOP Abdoulaye Bara 82; 123
402;414;417;
Dogon 199; 209
Afrique subsaharienne 42; 44; 45; 80;
Dogon 227; 228; 149
150;423
Dogons du Mali 430; 431
AGAMEMNON 139
DURKHEIM Emile 350
Agni de Côte- d'Ivoire 228
Egypte 291
Aka-Anghui 225
ERNY Pierre 43; 46; 53; 102; 360;
ALEXANDRE Pierre 112
362; 372; 373; 375; 376; 382; 383;
Ancêtres 178
384;392; 394
Antiquité classique 294
ESCHYLE 16
ARISTOTE 15; 23; 185; 186; 187;
Etat démocratique 115
400;419
Etre supérieur 180
Athènes 7; 19; 26
Fouta-Toro 155
Athènes 295
Gawlo 203
Athènes 409
Gawlo toucouleur 201
Athénien des Lois 69
Génie 207
Athénien des Lois 290
Génie Soleil du Baoulé 207
BA Hampate 224; 241
GESSAIN Monique 82; 84
Bambara 46; 48; Ill; 172; 179; 180;
Gewel wolof 20 1
201
Grec 23; 136
Bantu 169
Grèce 8; 10; Il; 12
Bassari (du Sénégal) 223; 82; 84
GRIAULE Marcel Ill; 430; 432
BAUMANN42
Griot généalogiste 202
Bénin III
GUSDORF G. 430
BRISSON Luc 131; 132; 134; 140
Hadès 136
BUFFIÈRE Félix 139
Hadès effrayant 137
BURY R. G. 302; 304
HECTOR 139
BUSHMAN42
HÉRACLITE 13 1
CALAME-GRIAULE
Geneviève
HÉROmCOs 238
149; 171;207;209;415;430
HÉRODOTE 17
CAMBYSE 25
HÉSIODE 135
CÉPHALE 289
HIPPOCRATE 215; 216; 217; 218;
CHAMBRY Emile 137
226;231;234;235;236
CHANTRAINE 303
HOMÈRE 2; 8; 9; 10; Il; 12; 13; 18;
CHAREST Paul 82
20;114; 131; 135; 139; 141; 233; 235
CHATEAU Jean 299
HUIZINGA Johan 291; 292; 298
CLINIAS le Crétois 69; 289
Islam 2; 44; 45
Crète 68
ITHURRlAGUE Jean 219
Crétois 27; 299
JAEGER Werner 10; 13; 14; 15; 16:
CYRUS 24; 25
18
465
,
JEANMAIRE Henri 68; 69; 437
39;40;46;52;53;62;63;64;65;66;
JOLY Henri 141
67;68;69;70;71;72;73;74;75;76:
KANE Mohamadou 144; 145; 146;
77;88;89;90;91;92;93;94;95;96;
157; 174
97; 98; 99; 102; 106; 107; 108; 109;
Kissi de Guinée 242
112; 113; 114; 115; 114; 115; 116;
Krou de Côte-d'Ivoire 228
118; 119; 120; 121; 122; 124; 125;
LABARBE Jules 10
128; 130; 131; 132; 133; 134; 135;
LAsos d'Hermione 184
136; 137; 138; 139;140; 141; 142;
LASSERRE François 181; 186; 187
155; 157; 158; 159; 160; 161; 162;
Louango 111
163; 164; 165; 166; 167; 168; 181:
LUNEAU René 177
182; 183; 184; 185; 186; 187; 188:
Maam61
189; 190; 191; 192; 193; 194; 195:
Malinké 82
196; 197; 211; 212; 212; 214; 215:
Mandings 46; 201
216; 217; 218; 219; 220; 223; 225;
MARROU Henri Irénée Il; 15; 17;
226; 228; 230; 231; 232; 233; 234;
300
235; 236; 237; 238; 239; 242; 246;
Masaï 178
287; 288; 289; 290; 291; 292; 293;
MEGIllE 289
294; 295; 296; 297; 298; 299; 300;
MFOMO Gabriel E. 154
301; 302; 303; 304; 305; 306; 307;
MONOD Théodore 42; 44; 45
308; 309; 310; 311; 312; 313; 315;
MOUMOUNI51
316; 317; 318; 319; 320; 321; 322:
MOUTSOPOULOS Evanghelos 182;
323; 325; 326; 327; 328; 329; 330;
184;
331; 332; 334; 335; 336; 337; 338:
193; 194; 195
339; 340; 343; 345; 346; 347; 349;
Musique 181; 182; 183; 184; 187;
350; 351; 352; 353; 354; 355; 356;
188; 189; 192; 194; 195; 196; 197;
357; 358; 359; 360; 364; 366; 367;
198; 199; 200; 201; 202; 203; 204;
368; 369; 376; 377; 378; 379; 380;
205; 206;208; 209;210; 212
381; 382; 383; 385; 386; 387; 388:
Négrille 42
389; 390; 392; 393; 394; 396; 400;
Négra-africain 121; 123; 124; 128;
401; 402; 406; 409; 410; 411; 412;
129; 143; 144; 149; 151
413; 414; 416; 418; 419; 420; 421:
Négra-africain 169; 170; 174; 175;
422; 423; 426; 427; 428; 429; 432;
179; 198;201;204;205;208;209
434;435;437;438;439;440;441
Ngoni du Nyassa 373
PLUTARQUE 185
Njoya 110
PROTAGORAS 17
NKomo 376
PYTHAGORE 131
Nobles 202
Pythagoriciens 166
Noirs Sud-africains 43
RITTER 302
Nyamié 207
Roi de la forêt 153
Odyssée 10; 20
Samba Guéladio Diégui 155; 156
Ogoternrnêli 431; 432
SARAH KALA -LOBE 222; 223
Ouolof 42
SCHAERER R. 300
PAPACOSTOULA Georgette 301
Sebbe 155; 156
PAULME Denise 80; 81; 221; 229;
Ségou Balli 155
242
SENGHOR Léopold Sédar 198; 199;
Père TEMPELS 200; 430
200;205;206;208;209
Perses 29
Sérères 46
Peuls 46; 48; 49
Sérères 201
Pirée 74
Siciliens 234
PLATON 9; Il; 12; 13; 14; 15; 16; 17;
Signes et Objets 110
18; 19; 21; 22; 23; 24; 25; 26; 27; 28;
SOCRATE 14; 17; 22; 140; 181; 289
29;30;31;32;33;34;35;36;37;38;
SOCRATE de La République 182
466
,
Soninkés 46
Sophistes 2; 9; 13; 14; 15; 16; 17; 18;
26; 32; 34; 36; 38; 114
Sparte 23; 29; 181; 300
Sparte archaïque 299
Spartiates 29; 186;299;414
Subalbe 155
THOMAS Louis Vincent 177; 205;
430;431;432;433
Torodo 47; 156
Toucouleurs 46; 47; 49; 50; 54; 80;
155; 175;201;242
Tragiques 20
Tualagbo 229
TYRTÉE 29
VAN GENNEP Arnold 84; 85; 110; 111
Warnbabe 200
W ANE Yaya 50; 55; 56; 82; 83
WESTERMANN 42
Wolofs 46; 201
WORONOFF Michel 80
XÉNOPHANE 131
XÉNOPHON 27
XERXÈS 27
ZAHAN Dominique 148; 172; 173;
179;363;384
467
INDEX DES NOMS COMMUNS
a
activités ludiques 288; 293; 361; 378;
393
abandon des lois 420
activités ludiques de l'enfant 162
abondance du lait 242
activités physiques 226
abrutissement 379
activités professionnelles 48
absence de contradictions intellec-
activités réservées aux femmes 170
tuelles 422
activités sociologiques 84
absence de force morale 124
adjectif ( TO crnou6aïov) 303
absence de liberté dans les méthodes
administration de la cité 161
pédagogiques 387
adolescence 160
absence de liberté dans ses activités
Adolescents 123; 166; 167
ludiques 386
adolescent 80; 167; 361
absence de maîtrise de soi 140
adolescent circoncis 84
absence de morale 115
adolescents 61; 67; 70; 84; 90; 104;
absolutisme 12
112; 115; 243; 362; 394
absorption du vin 239
adultes 125; 369
abstention totale du vin 70; 239
africanistes 430
abstinence alimentaire 234
agelé 69
accents du conteur 171
agencement des disciplines scolaires
acception de plreattein 218
et universitaires 390
accompagner sa mère au marigot 394
âge 69
accouchement 227; 228
âge des inspectrices des mariages 96
accouplements entre les dieux et
âge et l'expérience 92
les déesses 432
âge fixe 84
acoustique pythagoricienne 182
âge individuel 81
acquis pédagogiques 192
âge mûr 78·
acquisition d'une personnalité et
âge physique 81
d'une identité 405
âge "social" 81
acquisition des techniques et du
agglomération 76
savoir pratique 415
agilité 65; 223
acquisition selon l'âge et l'aptitude
agitations émotives 135
350
agôn (aywv) 299
acquisitions intellectuelles 159
agrément de l'éducation 300
acte de vengeance 140
agronomes 94; 95
acte héroïque 9; 10
aînés 80
acteur-spectateur 205
aînés 124
action de modelage 133
aire d'entraînement militaire 178
action ludique 296
aire de jeu des enfants 393
actions des mères et des nourrices
aire de la n6À\\ç 75; 76; 355; 357
219
aire du territoire 287
actions héroïques 129
aire familiale 112; 127; 170
activité artisanale ou manuelle 148
aire géographique 41
activité de la future mère 214
aires de jeu 288
activité physique de la future mère
airs musicaux 200
216
airs populaires 190
activité sociale 148
alimentation 439
activités de la femme enceinte 212
alimentation à base de céréales 244
activités intellectuelles et pratiques
alimentation variée 234
148
aliments 217
aliments forts 235
468
aliments humides 235
apprentissage du maniement des
allaitement 20
armes 412
allaitement 10 1; 119; 242
apprentissage en fonction de l'âge et
allégorie de la caverne 63
des aptitudes 364
altération du discours oral 108
apprentissage fondé sur le système
aménagement du cadre temporel 189
des classes 360
amendes 372
approche de la liberté 395
amour charnel 139
approche du mythe en Afrique noire
amour du combat 137
430
ampleur des punitions 364
approche médicale du mouvement
amusement 295; 393
135
analogies naturelles 173
approche platonicienne de l'éducation
anarchie dans les rapports familiaux
des enfants en bas âge 387
114
approches platonicienne et négro-
ancêtre fondateur 405
africaine de l'éducation 437
ancêtres 86;153; 156; 158; 245
approches platonicienne et négro-
ancêtres disparus 149
africaine du jeu 287
anciens rites de passage 376
après cinq ans d'études dialectiques
ancilla gymnasticae 193
422
angoisse 137
aptitude 168
animisme 151
aptitude intellectuelle 358
anneaux 123
aptitude intellectuelle et physique
antiquité hellénique 76
352
antithèse nmôl(l / (mouô~ 303
aptitudes à enfanter 222
apagelos 70
aptitudes de l'individu 159
apparition de jalousie et d'envie
aptitudes et les faiblesses de l'enfant
chez les enfants en bas âge 428
373
appartenance à un groupe 404
aptitudes mentales 354
appartenance à une communauté 127
aptitudes physiques 65; 366; 410
applications à la guerre 367
aptitudes physiques et intellectuelles
apport des Sophistes 351
des bénéficiaires 365
apport du conte 171
aptitudes
physiques
et
psycho-
apport extérieur 156
logiques des candidats 375
apports culturels et humains 114
arbres généalogiques 60
apports homériques et sophistiques
areté 9; 31; 32
114
argumentation sur la nature humaine
apprendre des techniques 393
(4)1501(; àv9pWnlvTl) 409
apprendre un métier dans la société
aristocratie 9
platonicienne 395
arithméticien 368
apprentis professionnels 200
arithmétique 162; 163; 167; 421
apprentisage des métiers 112
art (tÉXVTl) de "tourner l'âme" 351
apprentissage 379; 388
art architectural 108
apprentissage de la "musique" 356;
art chorégraphique 113
401
art d'imitation 196
apprentissage des lettres 161
art de la guerre 119
apprentissage des métiers 112; 120;
art de la parole 129; 149; 201
143; 382;388
art de parler 110
apprentissage des opérations simples
art de vivre en société 126
162
art musical 189; 201; 209
apprentissage des techniques guer-
art négro-africain 205
rières 161
art oratoire 143
articulations 218
469
artiste complet 201
bande de nreeoi 95banquets 27; 233
artistes 108
bantanba tiro-lu 82
ascension à la fois intellectuelle et
baptême et l'attribution d'un patro-
spirituelle 363
nyme 404
aspect du non sérieux du jeu 304
bases mythologiques 136
aspects pédagogiques de l'art. 141
bassesse 108
aspects surnaturels de la protection de
bâton 383
l'enfant 225
bâton et la parole 396
assainissement des mœurs 183
Baylo toucou1eur 47
assaisonnements 233; 234
beau musical 196
assimilation commune et collective
beauté 194
des connaissance 359
beauté artistique 300
assimilation des notes musicales 205
beauté corporelle 216; 219; 228
assimilation des valeurs morales 104
beauté de l'œuvre 210
assimilation progressive par imitation
beauté de son corps 417
204
beauté des attitudes 191
assistance étrangère 98
beauté du corps 216; 226
assujettissement de l'individu au
beauté et l'utilité de l'art 301
groupe en Afrique 404
beauté morale 197
astrologie 163
beauté physique 193; 222
astronome 368; 165; 167; 421
bébé 122
astu 76; 77
bébé négro-africain 230
astucieux (BplfL1Jç) 377
bébé orphelin 242
athlètes 233
belle-famille 222
athlètes guerriers 212; 233; 234; 236;
bercail (dç Tàv crTlKOV) 75; 295; 316
246
besoin d'amusements 393
atmosphère de gaieté 297
besoins alimentaires du guerrier en
atmosphère de guerre permanente
campagne 244; 373
298
besoins de l'enfant 119
atmosphère de liberté 392
besoins des poupons 293
attitude de faiblesse 384
besoins matériels (i] i]fLETépa xpda
attitudes masculines 124
Tà clvaYKaia xpelal) 419
attributs pédagogiques 87
besoins pédagogiques 77
autochtones 43
bêtes féroces 154
autonomie 7
bêtes méchantes 154
autorité 372
beurre frais 242
autorité de la société 402
beuverie 27; 237
autorité de la tradition 430
bibliothèques vivantes 79
autorité parentale 69; 116
bien (tà KaÀ.ov) 400; 419
autorité paternelle 126
biens matériels 139
autorité spirituelle 402
biens terrestres 363
autorités spirituelles et temporelles
bijoux 123
88
blâme 383
avantages de la vie en groupe 400
blasphème 136
avidité 139
bois sacré 88
avidité supposée d'Achille 139
boissons 217
adolescence 60; 80
bonheur 137
boro-lu 82
b
bouclier protecteur de l'embryon 225
bouillie de mil 243
baba (père) 125
bourgade 68
bande de garçons 70
bracelets 123
470
bravoure 192
de l'art nègre 201
brimades 295
caractère rituel 298
bûcheron 129
caractère théologique du mythe 137
but de l'éducation familiale 404
cassure familiale 115
but de l'éducation platonicienne 421
caste 129
but de la sélection 369
caste des esclaves 156
butins de chasse 243
castes 46; 48; 50; 59; 60; 62; 78; 201;
buts de solidarité et d'unité 441
204
bien en soi 66; 67
castes inférieures 126; 126
castes supérieures et inférieures 149
c
catégorie sociale 376
catégories d'éducateurs 101
cadavre d'Hector 140
catégories de citoyens 421
cadet 80; 125; 126
catégories de magistrats 92
cadre communautaire 50; 60; 101
Ceddo 156
cadre de réflexion philosophique 368
célébration d'un rite 85
cadre du groupe d'âge 372
cellule familiale IlS; 116; 122
cadre familial 50; 58; 87; 91; 101;
censure et prohibition 141
104
centre de la cité 76
cadre pédagogique 75; 85; 87; 88; 92;
centre de la nOÀlç 76
354
cercle familial 294
cadre spatial 73; 87
cercle politique ou religieux 417
cadre temporel 64; 67; 72
cérémonie de sevrage 243
cadres 90; 98; IlS; 118
cérémonies de mariage 202; 405; 425
cadres pédagogiques 191
cérémonies de sacrifices 244
cadres temporel et spatial 63
cérémonies initiatiques 44; 88; 206;
cagataaga 78
207
calcul 161; 389
cérémonies ludiques 206; 312; 336:
calendrier des fêtes 189
341;344;345
calme et la tranquillité 135
cérémonies rituelles 128
camp d'initiation 85; 88
cérémonies sacrées 207; 288
campement des initiés 178
champ de bataille 298
camps d'initiation 61; 62; 86; 88; 96;
changement dans les jeux 3; 88; 196:
104; 105; Ill; 118
198; 199;203;204;205;206;207
camps d'initiation 176; 178; 204; 243;
chant 183; 184; 188; 189; 191; 192:
365;384;417;433
194; 192; 198; 201; 203; 204; 205:
capacité d'adaptation de l'enfant 394
206;209;294
capacités intellectuelles des enfants
chant choral 93
171
chant sacré 144; 190
caractère 181
chantonnement de la mère 301
caractère de l'âme 192
chants de guerre 178
caractère de l'enfant 124; 140
chants militaires 186
caractère des acteurs 206
chants rythmés 160
caractère des gardes 185
chants sans accompagnement musical
caractère et les aptitudes de l'enfant
93
361
chasse 124; 161; 373
caractère fougueux (ullplaT~ç) de
châtier les néophytes 381
l'enfant 377
châtiment 295; 377; 380; 383; 384;
caractère ludique 209
381
caractère pédagogique 115
châtiments corporels 382
caractère populaire de la musique 204
chef spirituel 151; 152
caractère populaire de la littérature et
chef temporel 152
471
chefs spirituels et temporels 152;
classification des danses 193
153; 158
climat 74
chercheurs européens 44
clitoris 374
chœur 70; 93; 191; 192;298;297
codes 362
chœur des hommes de trente à
cohérence communautaire 201
soixante ans 297
cohésion du groupe 370
choix de la mariée 223
cohésion du petit groupe de frères et
choix des formateurs 367
sœurs 371
choix des magistrats 91
cohésion sociale 209; 371; 399
choix des maîtres 100
cohésion sociale et politique de la
chorée 189; 190; 191
communauté 361
chorée (danse et chant, Lois, 654
cohésion spirituelle et psychologique
b)(xapE:Îa) 189
des populations 206
cinq ans d'études dialectiques 368
colère 139; 140; 378
circoncision 79; 84; 104; 179; 374;
colonisation 43
416
combat à cheval 298; 413
cire (orav l<nplvav) 218
combats guerriers 298
Cité-Etat 19
commentaires des leçons de choses
cité 35
364
cité des Lois 96
commentaires philosophiques 175
cité idéale 3; 8; 27; 74; 75; 90; 99;
communauté 14; 30
185
communauté de culture 42
cité idéale des Lois 292
communauté des enfants 118
cité platonicienne 3; 115; 120; 143;
communautés négra-africaines
239;294
traditionnelles 121; 223
cités grecques 45
compagnes d'âge 223
cithare 189
compagnons d'âge 47; 57; 60; 121:
citharèdes 93
125; 126; 128; 129; 1-53; 203; 294;
citoyen 366; 402
372;373;374;382;402;405;406
citoyen platonicien 192; 368; 429
compagnons de jeu 81; 174; 405
citoyen-garde 168
compétitions 92; 93; 105
citoyens libres 120
compétitions gymniques 410; 411;
citoyens platoniciens 369
412
Civilisation occidentale 442
complexité et la lourdeur des pro-
civilisation à tradition orale 144; 382
grammes 387
civilisation grecque 2; 41
complication dans l'apprentissage 356
civilisation négro-africaine 3; 42; 44;
complicité des parents 372
147; 157
comportement de l'enfants 125; 379
civilisation orale 145; 199
comportements des adultes 128
civilisations écrite et orale 200
comportements du garde 138
civilisations négra-africaines 2
comportements ludiques de l'enfant
civilisations soudanaises 3
124
civisme 14
composantes sociales 121
clans 41; 86; 89; 115
compositeurs 137
classe d'âge 68; 70; 72; 77; 80; 82;
compositeurs et conteurs 135
83; 72; 81; 83; 84; 375; 376; 119;
composition des poèmes 108
178; 191; 352
composition des repas 233
classe d'âge des adolescents 359
composition musicale 182; 191; 192
classe des adultes 83; 85
compositions des Anciens 191
classes masculines 83
compositions poétiques 136
classification 80
comprendre le sens des paroles 383
classification des citoyens 115
conception du plaisir 299
472
conception platonicienne de l'édu-
constitution 23; 24; 28
cation 350; 386
constitution physique 124; 231; 242
conception
platonicienne de
la
constitution physique de l'enfant 216
musique 194
constitution physique du futur bébé
concepts fossilisés 61
227
concession familiale 50; 54; 87; 200;
constitution physique du nouveau-né
371
218;228
concours 93
constitution physique du promeneur
concours de course 413
217
concours de musique 94
constitution spartiate 414
concours gymniques 213
constitutions modernes 67
concours hippiques 92
contact avec les masques 425
condamnation de l'excès de richesse
contacts intercommunautaires 169;
420
148; 149; 151; 152; 153; 156; 157;
condamnation de la violence 379
158; 149; 150; 151; 152; 153; 155;
condamnation des désirs violents 138
157; 158; 171; 172
conditions climatiques 86
conte 99; 112; 118; 143; 144; 145;
conditions de sélection 366
146; 147; 112; 127; 144; 145; 146;
conduite des enfants 378; 386
147; 148; 354; 390 172; 173; 174;
confection d'un jouet 370
198;209;211
confrontation philosophique 368
contenu des l'enseignements 369; 441
connaissances d'Ogotemmêli 430
contenu et la forme des textes
connaissances géographiques 74
poétiques 356
connaissances intellectuelles 170;
contenu narratif 134
174; 175; 362
contes et des fables pleines de morale
connaissances intellectuelles et pra-
361
tiques 360
contes et fables 354; 363 402
connaissances intellectuelles et tech-
conteur 134; 145; 146; 147; 148; 150;
niques 417
152; 153; 154; 156; 171; 172; 173;
connaissances intelligibles 179
364; 433; 110; 137; 145; 146; 17
connaissances musicales 200
conteurs d'occasion 201
connaissances mystiques 176
conteurs professionnels 110
connaissances philosophiques 179
contrainte 115; 379; 392
connaissances religieuses 417
contrainte des règlements 295
connaissances religieuses et fami-
contrôle de l'adulte 389
liales 365
contrôle de la collectivité 389
connaissances scientifiques 49
contrôle permanent des jeux
connaissances socio-politiques suf-
par les surveillantes 387
fisantes 417
contrôle strict de l'Etat 130
conscience collective 132
cordon ombilical 241
Conseil des Anciens 104
cordonnier (sakke) 129
conseil des sages 414
corps (en croissance) de l'enfant 217
conseils répétés 373
corps 159; 192; 215; 229
conservatisme de ces communautés
corps et âme 169
169
corps tendre de l'enfant 218
conservatisme platonicien 182; 191;
correction coprporelle 105; 380; 383;
389
384
considérations magico-religieuses 86
correction des enfants 97
consolation 381
corrections corporelles 126
consommation des fruits 237
corruption 95
consommation du poisson 236
corvées d'eau et de bois 226
consommation modérée du vin 239
costume décent 413
473
côté affectif des enfants 125
croissance physique 101; 118; 159;
couleur de la peau 43
226; 357; 360;
couple géniteur 57; 125
croyance morale 9
courage 27; 134; 135; 137; 138; 140;
croyances des ancêtres 147
142; 153; 154; 155; 156; 223
croyances magico-religieuses 241
cours de calcul 291
"crypties" spartiates 94
cours des astres 163
cukaku 78; 80
cours théoriques et pratiques 364
cueillette 373
course 161; 298
culture 8; 12; 16; 17; 18; 21; 30; 33;
coutume 46; 88; 103; 107; 114; 115;
34;35
169;288;423
culture aristocratique 182
coutumes communautaires 127
culture baylo 48
coutumes ethniques 47
culture ethnique 48
coutumes familiales 424
culture générale 174
coutumes fossilisées dans le secret
culture laobe 48
des campements 424
culture négro-africaine 41; 44
coutumes initiatiques 425
culture physique 61
création 288
culture populaire 182
création dans le jeu 295
culture sophistique 15
création des adultes 388
cupidité des commerçants 74
création dans l'apprentissage de
curiosité de l'enfant 154
l'enfant 386
cursus "scolaire et universitaire 64;
création individuelle 370
65
création ludique 388
cycle de quinze ans 369
création musicale 191
cycles d'études 65; 77; 89; 352; 367
création poétique 134
cycles de la formation théorique et
créations ludiques 394
pratique 168
créativité de l'enfant 288; 330; 332;
cycles secondaires et universitaires
333
94
créativité des enfants 390
cycles supérieurs de l'enseignement
cris d'un enfant 123
174
critère de chasteté 223
critère de l'âge 70
d
critère de santé 223
critère de sélection 375
dagi80
critères d'âge et d'aptitudes 349
dangers de la guerre 137
critères d'aptitude 120
dangers de la guerre et de la nature
critères d'eugénisme 227
153
critères de sélection 367
danse 105; 161; 183; 182; 184; 188;
critères de sélection à l'âge de
189; 190; 191; 192; 193; 194; 198;
cinquante ans 369
199; 202; 203; 204; 205; 206; 207;
critères de sélection des nouveaux-
208;209;413
nés 218
danses bachiques 194
critères sélectifs 366
danses des Courètes 193
critique
aristotélicienne 141; 107;
danses et chants 297
131
danses initiatiques 194
critiques 368
danses traditionnelles 193
croissance (~ aù(rI111ç) 231
danseur 194; 202; 208; 209
croissance biologique de l'individu
darol153
53; 362; 159
de zéro à l'âge de sept ans 352
croissance de l'enfant 228
début du contact avec la Civilisation
occidentale 394
474
déchiffrage des notes 356
développement mental des néophytes
dede (grand frère ou grande soeur)
362
126
développement physique et mental de
défaillances intellectuelles 380
l'enfant 112
défonnation physique 119
développement progressif de l'esprit
dégradation et de négligence
164
des mœurs 182
déviations morales dans le discours
degré de raisonnement 358
107
degré des connaissances de l'initié
devinette 174
363
devoir de respecter 402
délaissement de la stéréométrie 165
diagôgè (diagvgreh) 299
dele 80
diâg49
délimitation des structures spatiales
diâgal xalel 50
112
diâgde 49
délimitation entre le sensible et
dialectique 66; 67; 71; 72; 98; 163;
l'intelligible 358
164; 165; 166; 167; 358
délinquant 295
diététique 238; 239; 245
démarche scientifique 166
diététique platonicienne 237; 238;
démocratie 114; 115; 116
239
démocratie athénienne 24
dieux 134; 136; 138; 139; 149; 150;
dénominateur commun d'une éduca-
151; 158; 178; 193; 441
tion unitaire 400
dieux de la guerre 207
dénominateur commun de l'unité 402
dieux et des héros exempts de vices
denrées alimentaires 243
et de défauts 427
dépendance alimentaire de l'enfant
dieux et héros 135; 427
241
dieux jaloux 428
déplacements hygiéniques 217
dieyli bambara 201
dérèglement (cll<oÀaalav) 234
différence des sexes et des aptitudes
dernières fonctions des membres d'un
353
groupe d'âge 406
différence sexuelle des enfants 410
déroulement de l'accouchement 226
différences d'aptitudes 352
déséquilibre psychologique chez
difficultés de compréhension des
l'enfant 387
connaissances mathématiques 357
déshonneur 95
difficultés des divers examens 366
désir de choisir un autre métier 388
difficultés pour l'éducateur 379
désirs de l'enfant 353
difformité 218
désirs relatifs au manger 289
difformité des membres de l'enfant
désobéissance 138; 152
229
désordre 432
difformités lors des naissances 218
despotisme perse 24
difformités physiques 226
détenteurs des coutumes secrètes
dignité 129
de la communauté 425
dignité de la femme 148
détérioration des rapports entre
dire d'à-propos 173
parents et enfants 114
dire un conte 364
deux ans d'initiation 95
directeur de toute l'éducation 91
deux cadres pédagogiques 371
directeurs d'écoles 92; 99
deux fonnes d'éducation 120
direction générale de l'éducation 91
deux lignes de conduite différentes
dirigisme dans l'apprentissage 397
115
dirigisme des adultes 389
développement mental 101; 159; 159;
disciples par groupe d'âge 401
349;360;363
disciplines 75; 90; 92; 98; 99
disciplines de la paideia 181
475
disciplines guerrières 181
docilité 151
disciplines intellectuelles 132
domaine familial 287
disciplines intellectuelles et tech-
dorien 184
niques 142
douceur 185; 191; 195; 205; 290
disciplines mathématiques 356
douleurs 297
disciplines scientifiques rangées 166
douze fenunes 97
disciplines selon l'âge 159
douze VÉOl 95
disciplines traditionnelles 160
douze quartiers 76
discordes 420
droit coutumier 178
discours argumentatif 132
droit d'aînesse 105; 125; 370
discours dits 113
droit du cadet 125
discours du vieil Ogotenunêli 432
durée de l'initiation 86
discours écrit 143; 162
durée de la pose du pied 188
discours élogieux 143
durée de leur réclusion 105
discours "mensonger" 183
durée de réclusion 86
discours oral 134; 143; 144; 160;
durée limitée des initiations 364
162; 171
dyar 82
discours oraux et écrits 183
dynamisme civique et religieux 300
discours philosophique 131
discours vérifiable 132
e
discussion pédagogique 10
discussion philosophique 182 358;
eaux 73
368
écarts d'âge 85
discussions scientifiques 358
écoles 63; 76; 77; 92; 98
diseurs de fables 133
écriture 107; 110
disposition des cycles d'études 401
écriture Bamum 110
dispositions intellectuelles 135
édifices 74; 75
dispositions naturelles 122; 124; 134;
éducateur 85; 91
159;380;385
éducation 43; 45; 46; 52; 59;46; 47;
distinction de sexes 354
48; 49; 50; 53; 54; 57; 58; 60; 102;
distraction et activité 299
123; 132; 133; 134; 146; 155; 156;
diversité culturelle 360
159; 168
diversité des aires géographiques 145
éducation conununautaire 60
diversité des jeux 297
éducation de base 57
diversité des sociétés africaines 221
éducation des enfants 115; 116; 120
diversité des systèmes pédagogiques
éducation du Torodo" 47
169
éducation ethnique 48
diversité pédagogique 360
éducation européenne 44
divinités 194; 421
éducation familiale 49; 54; 55; 57;
divinités domestiques 402
59; 60; 61; 107; 115; 112; 114; 115;
divinités et leurs fonctions 128
116; 121
division de l'âme 139
éducation intra-clanique 48
division des études en cycles 349
éducation maternelle 54; 58
division des Grecs 419
éducation morale 49; 59; 79
divisions 427
éducation négro-africaine 41; 43; 79;
dix ans d'études scientifiques 368
111; 112
dix à dix-sept ans 355
éducation parentale 53
dix à treize ans 355
éducation platonicienne 63; 109
dix-sept à vingt ans 367
éducation religieuse 75
dix-septième à la vingtième année
éducation sexuelle 99; 106
401
éducation traditionnelle 42; 44
dixième année 390
éductaeurs 90; 92; 10 1
476
effets du plaisir 291
enfant griot 202
effort 367; 370; 367
enfant non circoncis 128
effort dans le travail 374
enfant-spectateur 205
effort individuel 371
enfants de six ans 298
effort individuel et collectif 371
enfants des citoyens non artisans 119
effort intellectuel 366; 368
enrichissement des connaissances
effort personnel 366
292
effort physique 366
enseignement 163
efforts individuels 370; 372
enseignement aristocratique 23
efforts physiques et intellectuels 366;
enseignement de l'astronomie 165
369
enseignement de l'aulos 188
efforts psychologiques 396
enseignement de l'histoire 105
eketok 82
enseignement de la morale 143; 144
électeurs 94
enseignement de la stéréométrie 165
élection 96
enseignement des lettres 162
élection des magistrats de l'éducation
enseignement des sciences occultes
100
178
éléments musicaux 93
enseignement ésotérique 171
élevage 60
enseignement familial 170; 176
embellissement d'une œuvre ludique
enseignement initiatique 112
370
enseignement moral 171
emmaillotement 229
enseignement musical 200; 204
emmaillotement de l'enfant 219
enseignement oral 65: 107; 108; 110:
emmaillotement du nouveau-né 219
112; 144
emmaillotement et le port permanent
enseignement pratique 59; 88; 171
387
enseignement scientifique 164
emplacement de la cité 73
enseignement sophistique 13; 14;
emploi du terme crnouor\\ 302
enseignement théorique 76
employé de l'Etat 97
enseignement traditionnel 147; 179:
encadrement des enfants 115
180
encadrement des initiés 104
enseignements initiatiques 60
encadrement des jeunes ménages 99
enseignements pratiques 103
encadrement moral des initiés 104
enseignements théoriques 112
encadreurs 96; 104
ensemble des contrées (de la polis)
encadreurs secondaires 104; 105
74
enclos sacré 178
ensembles géographiques 45
endezebekepeka 82
entourage du nouveau-né 227
endobetya 82
entraînements 161; 178; 287; 298;
endogamie 223
287; 298
endokeing 82
environnement familial 117; 128
endokored 82
enyepaleng 82
endolug 82
epeshbinyan 82
endopalug 82
éphébie 65
endopeka 82
epidor 82
endozebekebetya 82
époux-symboles 85
endroits précis de la nOÀ Il; 287
épreuves initiatiques 104
endurance physique des candidats
équilibre physique et mental 118
162
équipe de femmes 96
enfance 72; 78; 80; 91; 96
équitation 76; 77
enfance 160
espace de la nOÀIl; 75
enfant de la savane 145
espace familial 75; 76
enfant en bas âge 25
espace initiatique 88
477
espace ludique public 87
132; 133; 136; 143; 151; 153; 161;
espace pédagogique 63; 87; 88; 115
211; 390
espace pédagogique 89
fables effrayantes et mensongères
espace public 112
354
espaces libres 87
fabriquer ses outils 415
espaces ludiques 287
facilité à apprendre 163
espaces pédagogiques 77; 89
façonnement de la personnalité de
esprit mystique 175
l'enfant 438
esprit pédagogique 138
façonnement du caractère 112
esprits 245
façonner les âmes 133
essence du savoir 179
facteurs sociologiques 86
esthétique 191
factions rivales 24
esthétique négra-africaine 198; 200;
facultés de mémorisation 107
204
faiblesse de l'âme 135
étapes temporelles 64
faiblesse physique de la femme 410;
Etat 19
414
ethnies 41; 43; 45; 46; 49; 51; 54; 61
faiblesse sentimentale 138
ethnologues 41
falug 82
étrangers 43
famille 19; 23; 25; 59; 61; 62; 75; 79;
étude des plantes 105
101;112; 114; 115; 116; 117; 41; 54;
eugénisme 212; 214; 217; 223; 212;
104; 107; 120; 121; 124; 125; 127;
214;217;223
128; 129; 149; 152; 153; 156; 428
évolution biologique 64; 72; 78; 79;
familles différentes 405
80;81;82
fatigues physiques 216
exaltation collective 206
fautes de conduite punissables 380
examen minutieux du bébé 228
feddam 82
excercices physiques et guerriers 76
fedde 82
excision 79; 84; 104
fedde dow 83
exercice intellectuel 171; 173
fedde les 83
exercices d'endurance 27
fedde rewre 83
exercices gymniques 124
fedde worde 83
exercices gymniques 298
félicitations 373
exercices militaires 298
féminité 370; 416
exercices physiques 232
femme 25; 31; 413
exigences coutumières 225
femme africaine traditionnelle 226
exigences de la tradition 147; 149
femme enceinte 64; 78; 118; 160
exigences morales 142
femme enceinte 214; 215; 216; 220;
existence du sérieux 304
224;225;226;227;231;241;242
expéditions guerrières 120; 161
femme enceinte en Afrique 221
expérience 67; 68; 79; 90; 91; 93; 94;
femme magicienne 102
97; 101; 102; 106; 120
femmes en âge de procréer 97
expérience en Afrique 10 1
femmes enceintes 161; 226
expérience pédagogique 91
femmes nourrices 97
expérience personnelle 180
fermeté du garde 138
expériences 79; 99; 101
fête des moissons 198
exploits guerriers 103
fête des semailles 198
exploration du territoire 89
fêtes (aywvEC;) 297
expressions du visage 172
fêtes 87; 92; 189
fêtes de la cité 298
f
fêtes profanes et sacrées en Afrique
440
fable 107; 112; 127; 134; 158; 118;
féticheur de la tribu 104
478
,
féticheur mâle 106
formateur 88; 89; 90; 96; 98; 99; 100;
fille 79; 82; 84; 88; 90; 91; 92; 10 1;
104; 105; 106; 108; 109; 112; 113;
102; 104; 105; 106; 123; 124; 128;
120;382;383;384
148; 171; 175; 176; 215; 370
formateur négro-africain 423
filles et garçons 401; 410
formateur principal 105
filles non pubères (xôpal èivTl~Ol) 413
formateurs adultes 382
fils de dieux 193
formation 93; 419
fin de la formation des
formation morale 144
philosophes-rois 419
formation aux métiers 361; 364
fin de la période pubertaire 416
formation à l'endurance 243; 382
finalité de l'Harmonique 166
formation à l'endurance guerrière 178
finalité de la musique 197
formation à la vertu 129
finalité des connaissances 360
formation communautaire 115
finalité des contes 355
formation commune 411; 417
finalité du projet pédagogique plato-
formation complète sur la sexualité
nicien 400
416
finalité éducative du .i.chant 183
formation de base des enfants 175
finalités de l'éducation musicale
formation de l'âme 191; 193
platonicienne 191
formation de l'enfant 128
finalités des fables 117
formation de la personnalité de l'ado-
finalités des groupes d'apprentissage
lescent 177
et de jeu 435
formation de la personnalité de l'en-
finesse de l'oreille 197
fant 385
fixation des temps d'initiation 78; 86
formation de qualité 369
fixité de l'aire de jeu 287
formation des artisans 47
fixité de l'espace 288
formation des citoyens 396
fixité de l'espace pédagogique
formation des enfants 98; 104; 134;
chez Platon 437
194; 195; 287
flûtistes 93
formation des enfants de moins de
fœtus 160; 241
dix ans 355
fonction de l'éducateur 291
formation des enfants de sept à dix
fonction de la .i.musique 206
ans 401
fonction des objets 287
formation des gardes 160; 185
fonction "ministérielle" 91
formation des goûts 191; 300
fonction pédagogique 115
formation des goûts et des répu-
fonctionnaires 231
gnances 190
fonctions de communication 115
formation des initiés 89
fonctions de la communauté 410
formation des jeunes générations
fonctions familiales 359
101; 423
fonctions littéraires 112
formation des jeunes griots 201
fonctions ludiques 87
formation des VÉOl 165
fonctions pédagogiques 91; 209
formation des sociétés 400
fonctions politiques 359
formation du caractère de l'enfant 212
fondement de l'eugénisme platonicien
formation du caractère
214
du jeune citoyen 194
fondement de la littérature populaire
formation du garde 142
171
formation en Afrique 143
fondements de la personnalité 128
formation et des exercices communs
force morale 124
413
forces de l'homme 245
formation guerrière 412
forces surnaturelles 229
formation initiatique 61
forgeron (haîlo) 128
479
formation intellectuelle 174; 363;
fonnes de discours 171
402;422
fonnes de punitions 377; 382
fonnation intellectuelle des enfants
fonnes du discours oral 107
172; 174
fonnes ludiques 160; 388
fonnation intellectuelle et
fonnes ludiques supérieures 299
philosophique 180
fonnules 362
fonnation intellectuelle et psycho-
fonnules orales 421
logique des enfants 152; 173
fougue (Ü~plÇ) 378
fonnation intellectuelle et technique
foyers culturels 360
112
frapper avec violence 379
fonnation intense du corps à l'endu-
fraternité 8
rance 358
frénésie 135
formation militaire des enfants 355;
fréquence des châtiments 364
357;390
frères aînés 126
fonnation morale 53; 62; 97; 101;
funérailles 198
103; 108; 115
futur bébé 78
formation morale de l'enfant 119;
future mère 215; 220; 224; 225; 241
121; 131; 243
fonnation morale fondée 388
g
fonnation musicale des gardes 189;
162;206
galle 50; 54
fonnation obligatoire en gymnastique
garçon 58; 70; 79; 82; 84; 88; 91; 92;
367
101; 102; 103; 104; 105; 106;123;
fonnation parallèle 203
124; 148; 170; 171; 175; 370
fonnation physique 27; 78; 96; 133;
garderies d'enfants 388; 393
161; 212; 213; 216; 218; 220; 225;
gardes atWètes 234; 235
226;227;229;230;231
gardes-citoyens 25
formation physique et morale de
Gawlo47
l'enfant 118; 119
généalogie des familles nobles 202;
fonnation pratique 176
203
fonnation psychologique des enfants
généalogiste 156; 201
131; 133; 134; 135; 137; 145; 153;
génération 81
156; 158;209;288;297
générations supérieures 149
fonnation psychologique et intellec-
générosité 192
tuelle 361
genèse de la structure du monde III
formation psychologique par les
genèse du monde 432
récits 390
génie créateur 390; 393
fonnation scientifique 67
génie créateur de l'enfant 288
formation
scientifique
et
génie protecteur 153
intellectuelle 168
génies 198
fonnation secondaire 355
genres li ttéraires 144
fonnation sélective 376
géographie 87; 88
fonnation selon les métiers 352
géomètre 368
formation théorique 120; 171; 211;
géométrie 163; 164; 165; 167; 421
359;364
geste 192; 193; 194; 206; 207; 194;
fonnation théorique et pratique 179
207;208;219
fonnations éthiques 390
gestes narratifs 172
fonnations libres 69
gorgol (tante) 125
fonne d'initiation 45
gorgol55
fonne de compétition 373
gounnandise 242
fonne ludique 373
goûts et désirs (tàç f]8ovàç
xai
fonne picturale 141
imeUfLtaç) des enfants 291
480
gouvernante 119
habillement 123
grâce physique de la fille 222
habitudes alimentaires 233; 239; 243
grand-mère 56
hagile cukalel 60
grands-parents 54; 55; 174
harmonie 188; 190
grands-père 148
harmonie de l'éducation musicale 182
griot 110; 128; 129; 143; 148; 200;
harmonie dorienne 186
201;202;374
harmonie musicale 206
griots et musiciens professionnels
harmonie phrygienne 187
204
harmonies dorienne et phrygienne
griots toucouleurs et wolofs 203
186; 188
groupe d'âge 70; 72; 81; 82; 83; 84
harmonies plaintives 184
groupe d'âge 81; 82; 83; 84; 85
harmonique 183
groupes d'âge 121; 129; 243; 361;
hellénisme 2; 7
371; 372; 373; 395; 396; ;405; 406;
héros 9; 121; 138; 139; 140; 154;
407;438
155;433;441
groupe d'âge groupe de jeu 124
héros défenseurs 432
groupe de populations 169
héros fondateur 432; 433
groupe familial 371
héros homériques 234; 235
groupe familial et communautaire
héros moniteurs 432
404
héros mythiques 432
groupe nominal 80
héros prométhéen 432
groupe social 170
hétérogénéité des populations 41:
groupes d'enfants 82
129; 169
groupes de jeu et d'âge 381
hiérarchie sociale 138; 147; 153
groupes et classes d'âge 406
histoire culturelle d'une
soc iété
guérisseurs 244
négro-africaine 424
guérisseuses 225; 226
histoire de la Grèce et dans de
guérisseuses africaines 226
l'Afrique noire 437
guerre 23; 24; 31; 139
histoire des familles nobles 204
guerre civile 23
histoire des populations
guerres fratricides 428
négro-africaines 110
guerres médiques 419
histoire politique de l'Athènes du
guerrier (ceddo) 129; 175
IVosiècle 300
guerrier en plein combat 207
histoire politique de la Crète et de
guide et le pasteur des populations
Sparte 299
433
hoddu 203
guides 89
hoddu et xalam 203
guides formateurs 384
Hommes et femmes 192
guides instructeurs 244
homme sans métier 129
guides spirituels 180
hommes dans les gymnases 411
gulu tala 82
hommes sans formation 301
gymnase 76; 77; 92; 95; 99; 133;
homonoia 7
161;287;354;406
honneur 8; 9; 30; 155
gymnastique 93; 134; 159; 160; 161;
honneur de l'Etat 402
181; 187
honneur de toute sa famille 374
gymnastique 212; 214; 216; 226;
humidité (t~v ùypaa{T]v) 235
232; 235; 353; 413; 439
hyène 154
gynécée 226; 409
hypolydienne 185
hypothèses 358
h
Haalpulaaren 50
481
image de la guerre 245
image de la hiérarchie sociale 372
iastien 184
image musicale 209
idéal communautaire 46; 51; 115;
images du vice 108
123; 130; 147; 158; 211
images mensongères des fables 160
idéal d'eugénisme 224
images picturales 108
idéal de beauté et de vigueur corpo-
imagination de l'enfant 394
relles 228
imaginer un mythe 428
idéal de la collectivité 121
imitateurs 134
idéal de la communauté 153
imitation 134; 140; 202; 205; 207;
idéal de la société 121
288;394
idéal et éducation 121
imitation des paroles par les gestes
idéal étatique 120
192
idéal éthique et social 211
imitation et la mémorisation 202
idéal familial 127
immobilisme 430
idéal musical 184
immoralité 141
idéal négro-africain 45
immoralité des mythes 131
idéal pédagogique 116; 131
implantation de la peur 136
idéal platonicien 8
importance de l'eau 237
idéaux aristocratiques 114
importance de l'éducation dans la
idéaux communautaires 359
sauvegarde du mythe 431
idéaux de l'Etat 391
impossibilité d'apprendre 390
idéaux de la société 119
impunité 380
idéaux pédagogiques 114
incidences sur la liberté individuelle
idée d'égalité des hommes et des
392
femmes devant l'éducation 412
incitation à la bonne conduite et à la
idée d'eugénisme 221
sagesse 369
idée d'immobilisme dans l'éducation
individu 400; 440
négro-africaine 423
individu asocial 408
idée d'unité et de groupe 399
individualisme 14;
49; 130; 405;
idée de concurrence entre vÉO\\ 367
406;407
idée de désunion et de mésentente
inégalités sociales 420
chez les dieux 427
influence hippocratique sur les thèses
idée de Dieu unique 151
platoniciennes 235
idée de parti 428
influence maternelle 119
idées 164
influence psychologique 156
identification des objets-jouets 440
informations littéraires 171
identité 123
infrastructures de la société négro-
identité conceptuelle 114
africaine traditionnelle 226
identité culturelle 43; 62; 147; 177;
initiateurs 177; 178
353
initiation aux sciences 161
identité ethnique 47
initiation aux valeurs sociales et
identité grecque 157
religieuses 362
identi té sociale 128
initiation des filles 106; 417
idéogrammes bamum 111
initiation pubertaire (ndomo) 362;
idéologie religieuse 402
61; 87; 177; 178; 200;
375;
406;
ignorance 157
407;424
ignorance des vrais plaisirs 299
initiation sociale 177
illustration des leçons 109
initiations 45; 48; 60; 61; 62; 80; 84;
ilôt culturel en Afrique noire 223
85; 86; 88; 89; 94;
104;
105;
ilôt de culture 221
112;113;170; 177; 179; 198; 200;
image de la femme 414
244;362;375;376;393;417;425
482
initiations et
rites de passage en
intégration sociale 127; 402
Afrique 349
intégration sociale des enfants 78:
initiations pubertaires 60; 61; 221;
112; 117; 361; 406
376;381;396;424
intégration verticale de l'enfant 361:
initiations sociales 362
404
initiative des fonnateurs 387
intelligence et techniques 432
initiative familiale 114
intempérance 108; 138; 139
initiative personnelle 386
intendants 92
initiés 87; 88; 96; 104; 105; 106; Ill;
interdits alimentaires 241
112; 120; 121; 153; 177; 178; 207;
intérêt des coutumes communautaires
244; 362; 364; 365; 368; 374; 375;
424
382; 384;424;363;425;433
intérêt des exercices physiques 439
inne dele 80
intérêt général de la cité 428
inne na 80
intérêt pédagogique 396
inne pe 80
intérêt pédagogique du regroupement
innovations musicales 182
410
inquiétude vis-à-vis des masques et
intérêt psychologique et pédagogique
des secrets initiatiques 364
de ces rassemblements 387
insoumission des cadets 125
intérieur de l'alITu 77
inspectrices de mariage 97
interprétation allégorique d'Homère
instabilité de l'aire de jeu en Afrique
131; 132
287
interprétation symbolique de l'univers
instabilité de l'emplacement des aires
173
de jeu 288
intervention de l'Etat 116; 211
instabilité des jeux 389
intervention de la mère 381
instabilité spatiale et temporelle 201
intervention des adultes 372
instinct social des hommes 419
intervention des forces surnaturelles
institution éducative 372
224
institution Il 1
intervention divine 433
institutions lacédémoniennes 27
intervention du père 120
institutions publiques 386
intervention punitive d'un parent ou
institutions sacrées 158
d'un proche 381
instructeur africain 96
interventions pédagogiques 360
instructeur des VÉOl 96
interventions verbales 395
instructeurs 381; 382
intonations de la voix 172
instruction (diâgde) 170
inventions ludiques 295
instruction 18; 20; 47; 49; 50; 52; 92;
ionienne (iastienne ou hypophry-
108; 401
gienne) 185
instruction des enfants 132
irénat 65
instructions militaires 354
instruments à cordes 188
J
instruments à cordes nombreuses 189
instruments de musique 65; 109; 162;
jardin d'enfants 76; 119;
97; 352:
166;202;203
355; 386; 410
insuffisance organisationnelle 170
jardins pédagogiques 76; 287; 295:
insuffisance pédagogique 388
353; 378; 410
intégration 401
jeu 4; 13; 18; 30; 31; 33; 124; 287:
intégration au groupe d'âge 405
288; 291; 296; 304; 373; 389; 390:
intégration de l'individu au groupe
393;407;410;424;439
401;435
jeu authentique (m;lj>uJ(uïu nU1Ôlâ)
intégration dite verticale 371
304
intégration horizontale 361; 371
483
jeu collectif 353
k
jeu de devinette 174
jeu de distribution et de partage 292
kaa 55
jeu du chef et de ses subordonnés 372
kaaw (oncle) 125
jeu éducatif 287
kalokagathia 17
jeu enfantin 304
kamarin-olu 82
jeu et éducation 287
karaw 363
jeu et la fonnation 355
kër50
jeu intellectuel 174
kim 199
jeu musical et choral 297
Komo bambara 433
jeu non sérieux 304
komo 179
jeu récréatif 174
kono 179
jeu sérieux 301; 364
kora chez les Bambara 203
jeune artiste 202
Kore bambara 362
jeune fille 170
kore 179; 363
jeune forgeron 129; 175; 405
kore bambara 363; 376
jeune garçon 170
koriste manding 201
jeune griot 129; 202
kumbali 202
jeunes enfants 373
kuntan boro 82
jeunes générations 114
jeunes gens 69; 71; 72; 73; 79; 82;
83; 90; 94; 95; 105
jeunes gens de moins de trente ans
laideur 194
167
lait caillé 242
jeunes gens en pleine danse 289
lait de la lignée 242
jeunes griots 203
lait maternel 232; 242
jeunes guides 382
lait provenant de la mère 231
jeunes Spartiates 27
lamentations 138; 184
jeunes surveillants (selbe) 105
langage du bâton 380
jeunesse 72; 76; 78; 80; 83; 160
langage parlé et sonorisé 112
jeux (paidiarei) du premier âge 289
langage symbolique 170
jeux de distribution 354
langue dogon 80
jeux des enfants 287
langues d'Afrique 79
jeux du sexe opposé 124
large liberté à l'enfant 364
jeux enfantins 301
leçon 379
jeux et chants (nalthai TE xat <iJ8ai)
leçon de morale 424
301
leçons à apprendre 379
jeux guerriers et gymniques 297
leçons de géographie 365
jeux réglés et organisés 296
leçons sous fonne de jeu 379
jiidigal59
leçons sur l'éducation sexuelle 178
jinnaaBe badiiBe 55
lecture 161
jouer au milieu de la concession 392
légendes 153; 155; 156; 158; 203
jouets 123; 124
législateurs Il
journées fastes et néfastes 128
lemeta 82
juste milieu 293
lenyol54
juste milieu dans le tempérament de
lettres 161
l'enfant 378
lexis 140; 142
justice 21; 31; 36; 134; 138; 140; 142
Liberté créatrice en Afrique 392
justice divine 433
Liberté limitée chez .i.Platon 386
justice tribale 53
liberté 87
484
liberté 364; 393
lourdeur des programmes scolaire et
liberté accordée aux enfants 381
universitaire platonicien 390; 397
liberté avec une nourrice 387
lug 82
liberté à la famille 386
lutte 161
liberté complète 387
lydien 184
liberté d'action 112
lydienne aiguë 184
liberté d'observer 373
lydienne mixte 184
liberté dans la création ludique 389
lyre 161
liberté de création 389
liberté de création des enfants et des
m
adolescents 387
liberté de création et
macube 156
d'apprentissage 386; 390; 397
macube galunkobe 156
liberté de jouer et de créer 393
magistrat 93
liberté de l'enfant 291
magistrat général 93
liberté de manier lui-même
magistrats 93
les instruments de "musique" 389
magistrats-surveillants 94
liberté démesurée 114
maintien des activités ludiques 293
liberté démocratique 115
maître (8IBaoKa).oç) 377
liberté des étudiants 390
maître en Kora 203
liberté diminuée 392
maîtres
communs
(818aoKâ).0\\
liberté et l'épanouissement de l'enfant
KOlVO{) 412
296
maîtres étrangers 90; 98
liberté excessive 114
maîtres polyvalents 105
liberté incontrôlée 26
maîtres professionnels 212
liberté ludique 87; 288; 291; 310;
maîtrise des plaisirs 290
317;334;347;349;387;389;395
makari 156
liberté pour l'enfant 392
maladie (véoov) 234
libre cours à la création enfantine 388
maladies 235
liens de parenté 59; 152
mângu 78
lieux d'accueil 75
maniement
des
instruments
de
lieux d'exercices 76
"musique" 356
lièvre 154
manifestations artistiques 93
lignage 45; 80; 221
manifestations culturelles 206; 209:
limites d'âge 215
288;300
limites de l'individualité 376
manifestations
culturelles
et
limites de la liberté de création 391
artistiques 93
lion 153
manifestations ludiques de la cité 297
liste d'aliments 246
mankara boro 82
litiges 95
manque d'éducation alimentaire 238
littérature classique 20
manque de connaissances 123
littérature orale 112; 144
manque de formation 168
littérature orale fossilisée 178
manque de liberté 386; 391
littérature traditionnelle 144
manque de protection vestimentaire
logopoièse 141
392
logos (discours) 140
mariage 79; 84; 85;178; 198; 214:
logos 131; 140
215;221;222;223;406;425
lois communautaires 114
mariage du sensible et de l'intelligible
lois étatiques et familiales 387
182
longévité 125
mariages autorisés et contrôlés 221
lourd programme éducatif platonicien
marins étrangers 73
441
marque de féminité 169
485
masculinité 370; 416
méthodes pédagogiques communes à
masque du N'domo 172
toute l'Afrique noire 360
masques 112; 158; 178; 207; 208
méthodes sélectives 370
massage 229
méthodologie dans l'éducation 351
matière à l'éducation 297
métiers 128; 129; 137; 143; 170; 174;
matière tendre (uyp6v) 218
175; 176; 201; 205; 211
maturité 83; 160
métiers de femme 102
maturité individuelle 84
métiers des hommes 373
mauvaise conduite 380; 381
métiers réservés 128
mauvaises habitudes 380
mets à base de farine 236
maximes 152
milieu familial 101; 122
médecine 212; 214
milieu naturel et ouvert 393
médecins hippocratiques 217
milieu négro-africain 114
médiation entre le Dieu créateur et
milieux géographiques, 42
son peuple 432
mimesis 141; 194
mélange placenta et terre 228
mimesis musicale 195
mélodie 183
ministre de l'éducation 91
membres d'une communauté 362
ministre général de l'éducation 292
membres de l'enfant 218
miroir de la vie 434
membres de la communauté 112; 152
mission civilisatrice 44
mémorisation 171
mobilité" de l'espace pédagogique 78;
menaces et avertissements 383
87
meneur" 372
mode 184
mépris de la personne humaine 139;
mode de jeu 124; 296
140
mode de vie pénible 382
mépris
des
règles
morales
et
mode dorien 186; 187
coutumières 380
mode lydien 185
mère 58; 59; 64; 78; 91; 99; 101;
mode phrygien 186; 187
102; 103; 104; 118; 120; 122; 123;
modelage du corps et celui de l'âme
125; 126; 136; 152; 160; 217; 218;
133
242; 291; 294; 373; 384; 392; 415;
modération 138; 239; 396
416;433;439
modération face aux richesses 139
mère et son entourage 229
modes 185
mérite 67; 90; 91; 100; 101; 104;
modestie 192
106; 115; 367
mœurs 133; 182
message sonorisé 111
moi individuel 402
messages culturels 108; 111
mollesse 25; 27; 28; 115; 185
messages imagés 173
monde (grec et africain) 2
messages tambourinés 112
monde cohérent 432
mesure des longueurs 163
monde de l'Hadès 137
métamorphose 136
monde de l'intelligible 357
méthode 351; 352; 356; 358; 389;
monde de rêves 390
396
monde des adultes 362
méthode dite égyptienne 292
monde des animaux 153; 154; 172
méthodes 14; 17; 35; 37;15; 19; 39;
monde des dieux et des héros 134;
40
428;427
méthodes communes d'acquisition du
monde des enfants 132
savoir 409
monde des facilités 382
méthodes crétoises 69
monde des génies 153
méthodes d'enseignement 164
monde des morts 136; 137
méthodes pédagogiques 45; 169; 363;
monde des personnages divins et
423
héroïques 427
486
monde divin 428
musiciens 191; 200; 201; 203; 204;
monde grec 7; 8; 10
368
monde intelligible 63; 175; 179; 197
musique 93; 105; 113; 129; 132; 134;
monde rural 95
155; 159; 162; 165; 212; 214; 234;
monde sensible 63; 165; 175; 179;
235;355;439
197;357
musique instrumentale 93; 355
monde sensible et matériel 180
mûthos 131
monodie 93
mythe 112; 131; 132; 133; 134; 135;
monodie imitative 93
137;
monument de Patrocle 139
140; 141; 142; 143; 146
morale 13; 18; 19; 27; 30; 15; 20; 21;
mythes 134; 135; 141; 171; 211; 429;
29; 33; 143; 144; 145; 146; 147; 148;
430;431;432;433;434;441
153; 156; 157; 158; 223; 353
mythologie 3; 4; 131; 135; 193; 399;
morale coutumière 105; 112
427;429;432;433
morale dans l'audition des contes et
mythologie unificatrice 427
des fables 354
mythopoièse 141
morale et caractère 131
morale noble 10; Il
n
morale religieuse 13; 15
morales et physiques 20; 23
n'domo 179
moralité 141
naewu 78
mors (XaÀlvol) 378
naissance 19; 20; 22;33; 34; 35; 36;
mort 137; 150; 151
37;38;78;227;293;387
mort de l'initié 382
naissance et développement de la
mort naturelle 382
personnalité 142
mort physique 79
naïveté d'un na lMov 133
motifs d'ornementation III
nama 179
motivation des petits écoliers 292
narration 141
mots de passe 362
nature de l'enfant 25; 27 ; 28; 29; 31;
mouvement collectif 370
32;34;37; 123;377
mouvement de frayeur et de frénésie
nature de l'être (~ TOÜ DVTOÇ ljlUcrlÇ)
216
163
mouvements 135; 194; 190; 192;
nature de l'objet 109
193; 194; 199; 207; ; 226; 231; 208;
nature de la punition 384
216;217;227;230;294;387
nature de la femme 411
mouvements d'une femme enceinte
nature des nombres 164
439
nature et fonctions du groupe et
mouvements de l'embryon 291
celles des classes d'âge 438
mouvements externes 160
nedaagal49
mouvements physiques 231
nedaagu 49
moyen d'expression et de
neede 49; 50
communication 108
needi 49;50; 53; 54;55; 61; 143
moyen de communication 110
needi bondi 49
moyen pédagogique 110; 349; 396
needi mojiri 49
moyens d'expression 107; 109
needi torodo 48
moyens pédagogiques 109
neene 125
multiples transformations
négation de l'autorité individuelle 402
des rites de passage 396
négra-africain 42; 44; 46; 50; 51; 52;
multitude de régimes politiques 419
78; 111;384;397;404;424;426;432
mûrissement continu de l'esprit
nehido 49
humain 363
néophyte 85; 374
néophytes 362; 364
487
neuf mois de grossesse 242
nourriture consistante 244
neuf mois de surveillance 227
nourriture des adultes 243
nit, nit a garabam 57
nourriture des athlètes 234
niveau de langue et de langage 110
nourriture des guerriers 244
niveau intellectuel 171
nourriture du jeune enfant 242
niveau requis 369
nourriture du nouveau-né 231
niveaux de langue et de discours 172
nourriture essentielle du fœtus 241
noblesse 129
nouveau dans les jeux 389
nombre 164
nouveau statut social et politique 375
nombre d'écoles 77
nouveau-né 122; 135; 227; 231; 360:
nombres harmoniques 166
392
nomophylaques 91
nouveau-né griot 202
non respect des lois 419
nouveauté dans la pensée pédago-
non-initié 178
gique de l'époque classique 388
normes de la morale 134
nouveauté dans le cycle "supérieur"
normes établies par l'Etat 387
358
normes imposées par la tradition 382
nouveauté de ces objets 298
normes musicales 201
nouveaux-nés 215
normes poétiques et musicales 389
nouvelle personnalité à travers les
notes tambourinées 112
punitions 382
notion abstraite 179
nouvelles générations 136
notion d'équilibre 238
nouvelles institutions pédagogiques
notion d'harmonie 188
98
notion d'unité au sein de la cité 429
nouvelles valeurs de la cité 141
notion de pédagogie 352
noyaux de base de l'enseignement
notion de caste 405
platonicien 359
notion de communauté 122
nudité 123; 393
notion de famille 405
nudité de l'enfant 392
notion de frère et sœur 371
nudité des femmes dans les stades
notion de groupe 404
411
notion de jeu 289; 298
nutrition (~ TPOq>l1) 231
notion de liberté dans le jeu 392
notion de morale 143
o
notion de nutBe;{u 212; 299
notion de plaisir 289
obéissance 45; 116; 125; 126; 151;
notion de respect 125
152
notion de travail 148
obéissance aux lois divines 117
notion du jeu éducatif 289
obéissance aux supérieurs 138
notion générale de Rythme 188
objectif principal de l'éducation
notion platonicienne du jeu 289
platonicienne et négro-africaine 399
notions abstraites 173
objectifs politiques 419
notions de calcul 354
objet des initiations féminines et
notions de couleurs 353
masculines 417
notions de respect et d'obéissance 126
objet en jouet 393
notions mythiques 405
objet global de l'éducation 197
nourrices 119; 120; 64; 68; 96; 97;
objet plusieurs fonctions 393
97; 115; 117; 118; 119; 136; 160;
objet-copie 140
219;219;378;386;387
objet-modèle 140
nourrices fortes 96; 219
objets 107; 109; 112; 179
nourrices privées 96
objets ludiques 112
nourrices spartiates 96
objets naturels 161
nourriture 373
488
,
objets rassemblés par les instructeurs
orientation platonicienne de l'orches-
389
tique 193
objets sculptés III
orientation religieuse 117
objets sensibles 164
orientations pédagogiques 115
observateurs (yevrorei) 292
origine des groupes d'âge bien struc-
occupation sociale 388
turés 405
occupations des adultes 175; 364
ormation de l'enfant 304
occupations des femmes 176
ormation pratique 168
occupations des VEOl 95
orthodoxie musicale 28; 234
occupations féminines 361
outils pédagogiques 142; 296
occupations ludiques de l'enfantl23;
175; 379
p
occupations utilitaires 373
œuvres des artistes doués 109
pacte symbolique entre le Noble et le
œuvres écrites 108
Griot 202
onception platonicienne du plaisir
paideia 2; 7; 13; 15; 16; 18; 28; 35;
301
114; 141; 159
oncle 55; 404
paideia et muthos 132
oncle maternel 57
paideia grecque 161
oncle paternel 57
paideia traditionnelle 160
onction avec de l'huile végétale 225
paix 137
opération hygiénique et physique 227
parallélisme 2; 23; 96
opérations
contraignantes
pour
parcelles 75
l'enfant 382
parenté à plaisanteries 50
opérations intellectuelles 162
parenté et la solidarité des habitants
opographie 88
407
Oralité 107; 108; 110; 112; 354
parenté linguistique 51
oralité et les objets 438
parents 21; 29; 38
orateurs 15; 34
parents 79; 114; 115; 116; 117; 118;
ordre croissant de difficultés 355
120; 122; 123; 124; 125; 126; 127;
ordre dans les jeux 288
128; 129; 149; 151; 152; 153; 161;
ordre hiérarchique 288
171; 370; 373; 374; 381; 383; 384:
ordres des adultes 388
386;387; 392; 381
ordres des instructeurs 364
parents géniteurs 50; 54; 56: 57; 59:
organique 183
114; 175
organisation de l'enseignement 92;
parents secondaires 57
170; 386
parole 209; 383
organisation des disciplines 112
parole maternelle 383
organisation du groupe (ses mythes,
parole porteuse d'histoire 110
ses lois) 177
paroles 192; 193; 194; 201; 209
organisation familiale 114
paroles honteuses 108
organisation horizontale 80
partage des biens 139
organisation pédagogique 211
partage du sol 420
organisation pédagogique
participation effective de la femme
négro-africaine 115
413
organisation politique 372
participation visuelle 297
organisation socio-politique 43
parures 47
orientation de l'art 141; 301
parures de différentes couleurs et de
orientation de l'Harmonique 166
valeurs 123
orientation mathématique de la
passage d'un cycle d'études à un autre
musique 197
370
orientation pédagogique 29
passage matériel 84
489
passé de la Grèce 376
personnalité collective du groupe 113
passé des hommes et des sociétés 350
personnalité commune 124
passé "scolaire et universitaire" du
personnalité de l'enfant 53; 55; 59;
viaç 368
III; 112; 115; 117; 120; 121; 124;
passions déréglées 183
126; 130; 142
patriotisme 26; 27
personnalité de l'enfant 194; 211
patronyme 50; 60
personnalité du disciple 203
pêche 373
personnalité du garde 181
pêcheur (cubbalo) 128; 175
personnalité du narrateur 171
pédagogie 15; 39; 350; 351; 352;
personnes âgées 114; 117; 127
353; 355; 357; 359; 362; 363; 364;
petite enfance 43; 67
365;380;384;385;395;396
petites tâches domestiques 364
pédagogie africaine 52
petits rassemblements d'enfants 405
pédagogie égyptienne 292
petits travaux domestiques 373
pédagogie initiatique 62; 112
petits-fils 102
pédagogie négro-africaine 170
Peuls 242
pédagogie platonicienne 349; 440
peur 135; 136; 153; 158; 167
pédagogue 99; 106; 120; 294; 386;
pharrnacon d'équilibre 237
387
phases et étapes d'initiation 179
peintures 108; 136
phases initiatiques 179
pensée bambara 179
philosophe platonicien 363
pensée négro-africaine 84; 102; 127;
philosophes 8
143; 148; 169; 172; 198; 224; 225;
philosophes an té-socratiques 131
241;287;360;417
philosophes-rois 369
pensée pédagogique de l'époque
philosophie 137; 141; 164; 167; 168
classique 410
philosophie négro-africaine 425
pensée platonicienne 2; 14; 292
philosophie pédagogique 362
pensée politique et religieuse 426
phrourarques 94
pensée socio-politique 190
phrourarques" 94; 95; 96
pensée sophistique 9
phrygien 184
pensée traditionnelle négro-africaine
physiopsychologie du Nègre 200
52
place de l'objet 112
pérennité
de
la culture
négro-
place publique 87
africaine 147
placenta pilé 228
père 58; 126; 152; 381; 383; 384
plaintes 138
période archaïque 10
plaintes 184
période de grossesse 218
plaisir (Jiôov~) 289
période de l'initiation 174
plaisir 113; 141; 146; 166; 167; 191;
période de réclusion (7 jours) 229
194; 195; 196; 197; 290; 296; 297;
période de réclusion 417
300
période de tranquillité et d'ordre 432
plaisir chez l'enfant 301
période des excisions 416
plaisir dans l'éducation 298
période des jeux d'amour 417
plaisir en soi 185
période post-natale 230; 231; 242
plaisir excessif 287
période prénatale 64; 212; 216; 230
plaisir excessif des Corybantes 293
périodes de réclusion 382
plaisir ludique 287; 290; 291; 293;
périodes prénatales et postanales 119;
294; 295; 296; 297; 298; 299; 300;
216
301; 302; 308; 309; 311; 312; 313;
personnage principal des récits initia-
314; 317; 319; 346
tiques 433
plaisir récréatif 300
personnages 154
plaisir saint et fonnateur 297
personnalité 124; 129; 360; 370
plaisir simple et fmi 302
490
plaisirs appétitifs 290
précipité d'un mythe III
plaisirs corruptibles 290
prédominance éthique 380
plaisirs de l'amour 29
première enfance 96
plaisirs de la jeunesse 289
première sélection 162; 367; 401
plaisirs ludiques 293; 296; 299; 309;
première "sélection" initiatique 374
316
premières acquisitions intellectuelles
plaisirs modérés 294
112
plaisirs violents de l'amour 138
premières sensations de l'enfant 195;
plan pédagogique préétabli 170
290
plantes amères 242
premiers enseignements 363
plantes médicinales 88; 225; 242; 416
préparatifs psychologiques et maté-
poèmes 12;131
riels (nourriture, les danses etc.) 374
poèmes homériques 10; II; 12; 13
préparation à la guerre 161
poésie 10; 13; 14; 134
préparation psychologique 244
poètes 136; 138;191; 201
préparation psychologique aux ensei-
poètes compositeurs 136; 190
gnements 364
poids de l'Etat 386
préparation psychologique et intel-
poids de la masculinité sur la
lectuelle 212
féminité 125
préparation psychologique et physi-
poids de la société 122
que des enfants 374
poids des coutumes 424
prépuce 374
poids des prescriptions 218
prescriptions communautaires 122
poids psychologique pour l'enfant
prescriptions de l'Etat 117; 119
374
prescriptions de son âge 371
poisson 235; 236
prescriptions des pédagogies euro-
politique 15; 16; 17; 18; 21; 25; 26;
péennes 394
29; 31; 33; 34; 36; 37; 147
prescriptions et la restriction de la
politique d'eugénisme 99
liberté ludique 440
population des enfants 147
prescriptions étatiques 115
population servile 99
prescriptions familiales et commu-
populations animistes 44
nautaires 179; 361
port de l'enfant 393
prescriptions médicales 225
portée hygiènique 220
prescriptions pédagogiques 115
portée pédagogique Il; 382
prescriptions relatives aux mythes
porteuses" d'enfants 96
136
ports 73
présence des femmes dans les con-
position des femmes 102
cours de rhapsodie 413
positions des étoiles 178
présence féminine dans la formation
poterie (maade [oode) 128
de l'enfant 361
poupée 371
préserver l'unité sociale 420
poupon de moins de sept ans 353
prêtresses 225
poupons 75; 76; 96; 97; 119; 218;
principales vertus du garde 134
219;387
principe de ces apprentissages 373
pouvoir de décision 124; 126
principe de ces rites 375
pouvoir magico-religieux 125; 126
principes artistiques 192
pouvoir magique 102
principes d'équilibre et de juste
pouvoir mystique 176
milieu 237
pratiques spartiates 218
principes de la formation de la
pré-elasses 82
société 419
précautions alimentaires 243
principes de la morale coutumière
précautions hygiéniques 387
354
préceptes moraux 144
principes de sélection 366
491
principes de solidarité 406
programme scolaire et académique
principes pédagogiques 56; 99; 142;
160;352;402
288;351
programme théorique 354
principes religieux 402
programmes éducatifs 440
privation alimentaire 244
projet d'enseignement scientifique
probité de la future épouse 222
164
problème d'hygiène 392
projet diététique des Pythagoriciens
problème de l'éducation et de la
238
fonnation 431
projet éducatif 352
problème de l'égalité de l'homme et
projet pédagogique platonicien 376
de la femme devant l'éducation 409
projet platonicien de l'éducation 107
problème de la liberté 386
projet platonicien de société 352
problème de méthode pédagogique
projets pédagogiques 45; 122
163
promenade obligatoire 226
problème des aptitudes de la femme
promenades 217; 226; 227
410
promotion 81
problèmes pédagogiques 92
propre création 389
procédés expressifs 172
propriétés des promenades 216
procédés paralinguistiques 172
propriétés des viandes 244
procédés pédagogiques 112; 137;
propriétés nutritionnelles 232
373;388;389
Protagoras 140
procédés stylistiques 171
protection de l'enfant 224
procédures pédagogiques 371; 364
protection divine 224
processions 193
protection du genne vital 225
processus d'acquisition
protection physique 225
des connaissances 349; 351
protection religieuse 78
processus d'humanisation 177
proverbes 152; 153; 157; 158; 157;
processus d'intégration sociale 211
158; 171; 173; 174; 173
processus pédagogique dans les
provinces ethnographiques 42
traditions platonicienne et africaine
psychologie 28; 212
441
psychologie collective 206
proches parentes 123
psychologie des enfants 97
proches parents 55; 60
psychologie des foules 208
procréation 99; 106; 139; 214; 221;
psychologie platonicienne 139
223
puberté physique 79; 85
profession du philosophe 167
puberté sociale 79; 85
professionnalisme 213
puériculture 18; 101
professionnels de la littérature et de
puérilité 99
l'art musical 199
pugilat 161; 298
professionnels de la littérature orale
pulaar49
et de l'art 201
punir (kolreazein) 378
profil des maîtres et fonnateurs dans
punitions 97; 105; 349; 377; 378;
la société platonicienne et dans les
379; 380; 381; 382; 383; 384; 385;
sociétés négro-africaines 438
396;397; 381;382;441
programme de fonnation 76; 349
punitions pénibles 382
programme initiatique 177
punitions sévères 384
programme musical 188
punitions verbales 382
programme orchestique 194
punitions violentes 384
programme pédagogique 351
pure intelligence (fJ VOTJO"lÇ) 421; 163
programme scolaire 421
pureté physique 225
492
purgation 225
réalité enseignée 177
Pythagoriciens 182; 197
recherche de l'unité de la cité 390
recherche de la connaissance et de la
q
vérité 167
recherches anthropologiques 43
qualité (Ti]v ôUVU/l-IV) 235
récit 134; 137; 140; 141; 142; 146;
qualités de la femme au foyer 102
148; 152; 153; 154; 156
qualités individuelles et collectives
récit mythique 133
360;372
récits 133; 135; 136; 137; 138; 141;
qualités intellectuelles 15;155; 421
144; 155; 158; 171; 364; 427
qualités physiques 124; 134; 207
récits d'Hérodote 412
quantité des aliments 235
récits historiques 361
qualités du conteur 133
récits légendaires 200; 405; 432
querelles 427
récits mythiques 107; 112; 173; 211;
quinquagénaires 196; 369
354;432;433
récits mythiques et l'imitation enfan-
r
tine 430
recommandations du formateur 382
raisonnement des étudiants 368
reconstitutions de scènes de juge-
raisonnement du Grec du IVosiècle
ments 178
136
recours à la contrainte 364
raisonnement platonicien 419
rectitude 196
raisonnement scientifique 166
rééducation 359; 369
raisons d'aptitudes physiques 410
rééducation des adultes ages de
raisons de conduite 384
trente-cinq à cinquante ans 359
ramassage des racines et des plantes
rééducation pratique des dialecticiens
comestibles 243
168
randonnées amoureuses 203
réflexion intellectuelle 173
rang social 129
réflexion scientifique et philoso-
rapidité 65; 373
phique 368
rapidité dans la réflexion 174
réforme du mythe 429
rapports de force 126
réforme pédagogique 386
rapports entre éducateurs 377
réforme platonicienne des textes
rapports entre.parents 386
homériques 139
rapports entre enfant et sa mère 353
regard baissé 125
rapports entre l'âme et le corp 179
régime alimentaire 212; 231; 232;
rapports entre les sciences elles-
233; 234; 235; 236; 237; 238; 241;
mêmes 357
243;245
rapports hiérarchiques 114
régime alimentaire du nouveau-né
rapports sexuels 106; 223
212
rapsodes 93
régime "cyclique" 81
rassemblement des enfants 295; 400
régime de guerriers 243
rassemblement naturel des hommes
régime de la communauté 420
400
régime des guerriers en Afrique 246
rassemblements de filles et de gar-
régime "linéaire" 81
çons 370
régimes alimentaires 233
rassemblements des compagnons
régimes alimentaires athéniens et
d'âge 371
syracusains 238
rassemblements de frères et sœurs
régions d'Afrique subsaharienne 417
370
réglementation de l'Etat 390
rassemblements ludiques 394; 424
réglementation de la procréation 97
razzias 155
règles communautaires 423
493
J
règles coutumières 45
respect 126; 127; 128; 129; 131; 136;
règles de conduite 424
138; 140; 147; 151; 152; 153; 158
règles morales et coutumières 380;
respect de la hiérarchie sociale et
381
politique 421
regroupement 75
respect de la vie communautaire 402
regroupement des enfants 295; 353;
respect strict des coutumes 389
370
responsabilité 90; 91; 92; 95; 99;
regroupement des frères et sœurs
101; 103
370;371
responsabilité de nouveaux maîtres
regroupement par sexe 354
119
regroupement quotidien des enfants
responsabilités 90; 95; 101; 102
117
responsabilités d'adulte 177
regroupements des jeunes compa-
responsable spirituel 356
gnons 295
ressources maternelles 241
regroupements ludiques 124
restriction de sa liberté 394
rejet des sons multiples 189
retard dans l'apprentissage des lettres
rejet et l'inexistence du profession-
162
nalisme dans les sociétés platoni-
retrait des textes 139
cienne et négro-africaine 439
retraites féminines 106
réjouissance 113; 141; 145
retrouvailles nocturnes 174
relation nutritionnelle 241
réunions éducatives 237
relations amicales 59
rêve platonicien d'unité 422
religion 15; 17; 128; 147; 225
révolution 26
religions monothéistes 151
révolution pédagogique 435
remèdes 242
rhétorique 17
remise en question de l'enseignement
riches apports homériques et
365
sophistiques 437
remontrances verbales 378; 379; 380
richesse des images 134
renaissance symbolique 362
rigidité de l'enseignement supérieur
rencontres entre enfants 371
390
répartition des charges 95
rigidité de la formation 97
repas communs 95
rigidité des prescriptions 390
repas de la journée 125
rigueur de la sélection 369
repas en commun 232; 237
rigueur des prescriptions ludiques
repas en famille 243
288
repères dans l'éducation négro-
rigueur platonicienne 70; 392
africaine traditionnelle 360
ringeta 82
repères éthiques 134
rires violents 138
repères mythologiques 156
rite initiatique 177
repères pédagogiques 160
rites 78; 84; 375
repères topographiques 105
rites d'agrégation 84
représentants des castes 129
rites d'initiation 83; 85; 104; 416
représentants politiques 92
rites de la puberté physiologique 85
représentation artistique anarchique
rites de mariages 425
94
rites de passage 84; 85; 370; 374;
représentation effrayante de l'Hadès
396;416
137
rites de séparation 84
représentations artistiques et cultu-
rites initiatiques 2; 105
relIes 94
rites liminaires 84
représentations chorales 93
rites postliminaires 84
représentations musicales 29
rites préliminaires 84
réserve 192
rivalités 370; 371
494
rôle de guérisseur 104
savane 154
rôle de la femme dans l'éducation
scarification III
familiale 381
scholazein (crxOÀlÎ<;EIV) 299
rôle des Griots 204
science de l'Harmonie 196; 421; 163
rôle des parents et des nourrices 352
sciences 66; 71; 79; 86; 99; 106; 166:
rôle éducatif du plaisir 301
196
rôle pédagogique 92; 102; 118
sciences classées préliminaires 163
rudesse 27
sciences dans leur ordre de com-
rupture 375
plexité croissante 164
ruse 154
sciences de l'harmonie 165
rusé (&nÎ~ouÀoç) 377
sciences du mouvement 166
rythme 135; 188; 189; 190; 193; 196;
sciences musicales et mathématiques
202;205;206;207;208;209; 355
388
rythme biologique de la vie humaine
séances de massage 229
80;86
secret des camps 362
rythme de vie des guerriers 243
secrets de famille 365
rythmique 183
secrets de l'initiation 104
secrets des armes empoisonnées 178
s
secrets "généalogiques" 202
secrets magico-religieux 128
sacrifices 245; 298
secrets mystiques 103
sacrifices domestiques 128
secteur pédagogique 90
sacrifices en privé 117
sécurité militaire 232
sagadara 80
séduction 95
sage du kore 180
sein maternel 242
sage platonicien 180; 431
séjour et la sortie des néophytes d'un
sages 79
gouffre 433
sagesse 70; 134; 140; 142; 145; 152;
séjours initiatique dans la forêt 243:
153; 154; 158; 160;147; 180
364
sagesse divine 179
selbe 105
sanctions 95; 382; 405; 75
sélection 68; 71; 163; 349; 363; 396:
sanctuaires (eùiB tlEa %ienea) 295;
440
96;97; 295;386;387
sélection collective (initiatique) 366
santé 217; 239
sélection dans son système éducatif
santé corporelle du futur bébé 226
369
santé des athlètes gardes 239
sélection des candidats 376
santé des gardes athlètes 239
sélection dès l'enfance 366
santé et la beauté du corps 169
sélection et le rite de passage 349
santé physique 243
sélection initiatique en Afrique 370
santé physique de l'enfant 124; 220
sélection platonicienne 396
santé physique des athlètes 232
sélection selon l'âge 376
santé physique des guerriers 245
sélectionneurs 368
santé physique et mentale 223; 439
sélections effectuées à la fin de
satisfaction psychologique 205
chaque cycle d'études 421
sauvegarde de l'unité sociale 147
sélections pédagogiques 376; 414
sauvegarde des coutumes communau-
sens d'honneur et de la dignité de la
taires 399; 425
fille 223
sauvegarde des coutumes dans la cité
sens du secret 365
en décomposition 423
sensation violente de la femme
sauvegarde des coutumes et unité
enceinte 291
poli-tique en Afrique 423
sensations des enfants 190
sauvegarde des valeurs civiques 407
sentences 153
495
sentiment fraternel 371
sociétés d'initiation 363
sentiments du danseur 192
sociétés dites "anarchiques" 143; 175;
séparation des rôles 175
404
séparation des sexes 296; 354
sociétés guerrières 53; 58; 223; 410
séparation des structures d'accueil
sociétés hiérarchisées 78; 176; 201
417
sociétés hiérarchisées en castes 128;
septième année 170
175;405
sérieux (anou6~) 289; 304; 304
sociétés initiatiques 179
sérieux dans les jeux de l'enfant 302
sociétés "primitives" 44
services domestiques 118
sociétés segmentaires 45
sévérité de la sélection collective 97;
sociétés soudanaises 374
376
sociétés soudano-sahéliennes 46
sévices corporels 382
sociologues et ethnologues 393
sevrage 241; 243
soins corporels 228
sexe de l'enfant 123
soins maternels 119
sexe féminin 80
soixante surveillants 95
sexe masculin 80; 124
soldats d'Homère 236
sexe respectif 361
soldats de Njoya 111
sexe 69; 80; 108; 373
solidarité 127; 128; 404; 407
signe 110
solidarité de groupe 405
signes apparents de la danse 293
solidarité entre compagnons d'âge
signes congénitaux de l'enfant 169
362;401
signes de grossesse 106
solidarité et l'unité 371
signes matériels 123
solidarité familiale 405
signes révélateurs du caractère 360
solidarité interfamiliale 121
signification morale des modes 184
soliman-lu 82
similitudes 96; 437; 441
sorties nocturnes 178
simplicité de l'âme 188
soubassement religieux des danses
sites 73; 74
193
situation géographique de l'èiaTU 76
soumission de l'individu à la société
situation magico-religieuse 84
124; 126; 128; 147; 148; 153; 158;
six à dix ans 353
401
sociabilité 57
soumission totale du citoyen à l'Etat
socialisation de l'enfant 43; 46; 115;
chez Platon 400
361; 375;393
souplesse (Ta Èlacjlpov) 290; 298
socialisation intensive des enfants
souplesse pédagogique 52
361
source de plaisirs utiles à l'éducation
société 375
291
société d'enfants 406
souvenir positif des plaisirs 290
société Dogon 80; 431
spécificité de l'art négro-africain 204
société guerrière 384
spécificité du calcul 389
sociétés négro-africaines tradition-
spectateurs 194; 205; 206; 207; 208
nelles 48; 57; 115; 129; 130; 143;
spéculations numériques 197
157; 158; 169; 170; 180; 201; 211;
sphère de la génération (y&VÉO'tç) 162
218;221;222;223;228;393;407;
stabilité 288
société platonicienne 114; 151; 201;
stabilité de l'Etat 197
402
stabilité des jeux 290
société solidaire 407
stabilité des lois de l'Etat 182
sociétés agraires 80
stabilité des prescriptions étatiques
sociétés aristocratiques négro-afri-
389
caines 383
stade biologique 85
sociétés à castes 126; 143; 175;404
stade de la formation 418
496
1
stade de la ménopause 97
support pédagogique 109; 112
stade double 413
support pédagogique et de référence
stature physique des encadreurs 104
356
statut "d'enfants" 81
supports de l'oralité en Afrique 110
statut d'hommes faits 375
supports pédagogiques 354; 355
statut de citoyen 46
suppression de l'enfant 228
statut de divin 363
suppression de la propriété privée
statut de femme 373
420
statut social et politique 366
suppression des enfants 228
statut symbolique d'homme 374
surveillance 95; 388
statuts d'homme 362
surveillance des enfants 101
stéréométrie 163; 421
surveillance des guides 244
stimulation 349; 368; 371; 373; 374;
surveillance des néophytes 104
375
surveillance des nourrices 353
structuration du système platonicien
surveillance permanente 78
170
surveillance stricte des maîtres 292
structure architecturale de la n6Àu; 77
surveillance stricte et permanente des
structure d'accueil 75
plaisirs 291
structure des systèmes pédagogiques
surveillants 294
441
survie d'une société 407
structure du kore 363
survie des coutumes 423
structure étatique 386
survivances rituelles 442
structure familiale 114; 116; 386
susula boro 82
structure familiale africaine 53
symbiose artistique 207
structure pédagogique 435
symbiose orchestique 209
structure sociale 117
symbole de féminité 374
structure sociale du monde
symbole de la virilité 126
négro-africain 121
symbole de masculinité 374
structures d'accueil 75; 76; 77
symbole de respect 126
structures de connaissances
symbolisation des personnages 171
supérieures 417
symbolisme 173
structures de la famille et de la
sympathie pour l'Egypte 292
société négro-africaine 392
syssities 30; 232
structures familiales 423
système "anarchique" 45
structures pédagogiques 349; 390;
système de l'emmaillotement 387
400
système de parenté 45
structures scolaires 74
système éducatif 68; 75; 89; 90; 113;
structures séparées mais parallèles
184
415
système éducatif platonicien 296;
style littéraire 172
349;369;391;396;409;435
style oral 172
système pédagogique 169; 170; 349:
subtilité de la pensée platonicienne
369
303
système pédagogique négro-africain
suivi alimentaire du jeune enfant 243
360
suivi médical 214
système pédagogique platonicien 67:
suivre son père à la chasse ou à la
70;99;301
pêche 394
système sélectif platonicien 376
sukeba 82
système théorique et le système
supérieurs hiérarchiques 127
pratique 168
supériorité physique 126
systèmes "cycliques" 80
supplications 193
systèmes "linéaires" 80
497
tradition spartiate en matière de
plaisir 299
tâche du législateur 420
traditions athéniennes et spartiates
tâches politiques 406
219
tâches selon le sexe et les aptitudes
traits physiques 227
415
traits physiques de la fille 222
techniques 360
traits physiques du bébé 227
techniques littéraires 355
tares humaines 157
temps et l'imitation 388
techniques artistiques 200
terme d'àY&ÀfJ 400
techniques chorégraphiques 202
terme d'Epie; 428
techniques de guerre 161; 178
termes fossilisés par la tradition 364
techniques de lecture et d'écriture 133
terrains d'entraînement aux combats
techniques du conte 151
410
techniques du discours oral 171
terrains d'entraînement et les écoles
techniques littéraires et artistiques
411
200
thèmes des contes et des récits
techniques musicales 201; 203; 204
mythiques 406
tempérance 134; 138; 140; 142; 155
titre de sage 362
temps immémoriaux 146
tradition 374; 389
terme de fLOUO'IX~ 183
tradition athénienne 357
tétée 122
tradition hellène 376
texte chanté 189
tradition négro-africaine 376; 382;
textes écrits 162
385;392;394;396;410;414;432
textes homériques 131; 141; 139
tradition pédagogique négro-africaine
textes poétiques 134; 135; 136
349
textes poétiques classiques 135
traditions aristocratiques 426
thème de la mort 136
transfert de connaissances dans l'âme
thèses damoniennes 182; 184; 194;
350
212
transfert méthodique des coutumes et
thèses mythologiques 131
de leur sauvegarde 425
thrène 184
travaux domestiques 392
tindol153
trente à trente-cinq ans 358
tissage (motude) 128
trente cinq ans de formation continue
tisserand (maabo canowo) 175
369
titre de philosophe 168
trois types de héros 432
tortue 154
troisième phase de l'éducation négro-
tradition 126; 136; 139; 143; 157
africaine 362
tradition africaine 127
techniques de chasse 245
tradition artistique négro-africaine
terme de <mouô~ 303
205
termes de paidirea et d'àywv 289
tradition musicale 191
terrains d'entraînements 287
tradition négro-africaine 121; 122;
thème du sérieux 302
125; 126; 129; 145; 148; 152; 153;
thèmes du plaisir 287
155; 174; 211
thèmes traditionnels de l'éducation
tradition orale 144
grecque 214
tradition populaire 147
théoriciens de l'époque classique 212
tradition toucouleur 202
thèses hippocratiques 217; 231
traditions crétoise et spartiate 115
tradition hellénique 242
traditions crétoises et grecques 194
tradition négro-africaine 212; 221;
traditions orales 144
242
travaux domestiques 171; 176
tradition spartiate 300
tribu 198; 200
498
tyiwara 179
unité politique et sociale 121; 116:
types de danses 194
423;419;426
table rase 44
unité territoriale 73
tante 55; 56
univers féerique des contes 173
techniques 46; 68; 70; 79; 86; 106;
univers ludique 389
115
usage de l'objet 112
tëgg wolof 47
usage des jeux (olà nalolwv) 291
temps d'initiation 78
user du bâton et de la parole 378
tenninologie 80
utilisation de l'écriture 108
terrains d'entraînements 77
utilisation de l'objet 109; 115
terrains d'équitation 77
utilisation de la syrinx (flûte) 188
terrains d'exercices 76; 77
utilité 389
terrains de jeux et d'exercices 87
utilité du mythe 132
territoire de la n6Àlç 75; 76; 94
utilité du jeu 293
textes homériques 13
utilité du jouet 353
textes poétiques 65; 99
utilité éthique 132
tir à l'arc 76; 77
utilité pédagogique 109
titre "d'agronomes" 95
topographie 74; 87
v
tradition 102
tradition aristocratique 98
valeurs communautaires 130; 211
tradi tion grecque 21
valeurs coutumières 148
tradition négro-africaine 49: 52: 53:
valeurs coutumières dans l'éducation
59:78;87; 110: ILS
des enfants 423
tradition spartiate 68
valeurs de la personne humaine 417
tradition toucouleur 49
valeurs du sexe 418
traditions pédagogiques africaines 43
valeurs du travail 129
tradi tions préétablies 86
valeurs et des techniques guerrières
transmission hériditaire 90
212
travaux de fortification 94
valeurs éthiques 127; 131
tribus 41: 43; 45: 76: 94
valeurs éthiques et esthétiques 140
trinité de la génération sociale 83
valeurs familiales 130
valeurs familiales et communautaires
u
423
valeurs individuelles et collectives
uniformité
du
contenu
de
la
376
formation 399
valeurs littéraires et artistiques de la
unité 8: 22; 23; 25; 26; 30: 31: 32;
culture africaine 198
38:432
valeurs morales 184
unité au sein de la société 434
valeurs mythiques 149
unité brisée 428
valeurs physiques et techniques des
unité de la cité 13 1
jeunes athlètes 367
unité des citoyens 232: 420
valeurs sociales et politiques 384
unité du groupe 435
valeurs traditionnelles 389
unité du mythe 402
valeurs viriles 148
unité familiale 371
variété des repas et des aliments 234
unité intellectuelle 414; 421; 422
veillées 127
unité intellectuelle et politique chez
veillées de contes 172; 211; 171
Platon 419
vents 73
unité musicale 189
verbe (parole) 382
unité politique 422
verges (ou autres objets) 379
unité politique chez Platon 399
véridicité de ces interdits 425
499
véritables armes 357
vigueur du futur bébé 217
vérité 368
village 87; 88; 104; 106
versets protecteurs 103
ville (1tastu) 357***
versets sacrés 178
vin 237
vertu 17; 27; 138; 140; 160; 195; 196
vingt à trente ans 367
vertu et éducation 301
vingt à trente cinq ans 421
vertu guerrière 29
vingtième à la trentième année 357
vertus de l'obéissance 152
violence 396
vertus de l'oralité 143
violence corporelle et verbale
vertus de l'oralité dans l'éducation
dans l'apprentissage 380
107
violence dans la j.punition 379
vertus du verbe 383
violence et l'humiliation 379
vertus du vin 237
violence verbale 379
vertus éthiques 171
vision platonicienne 70
vertus intellectuelles et physiques
vocabulaire de la "parole" 132
369
vocabulaire des contes 171
vertus morales 134
voie orale 110
vertus pédagogiques de l'éducateur
volet moral 115
379
volonté commune des parents 416
vertus pédagogiques des rythmes 188
volonté de l'éducateur 388
vertus pédagogiques et éthiques de la
volonté de maintenir l'enfant sous
lyre 189
l'autorité d'un "meneur" 372
viande de lion 244
volonté divine 14; 17; 38
viande grillée 243; 244; 245
vote 90
viandes bouillies (éljl8ote; l<pÉacH v)
voyages initiatiques 154203
235
vue des yeux et de l'âme 165
viandes rôties 235; 236
viandes rôties dans la composition
y
alimentaire des athlètes 235
viandes rôties (anTOte; l<pÉacrlv) 235
ya dele 80
viandes saignantes 244
ya gule 80
vice 108; 195
yana dele 80
vices propres aux hommes 135
yana na 80
victoire
et
l'honneur
dans
les
yanapey 80
concours ludiques 402
yar (éducation) 50
victoires guerrières 139
yar 49; 143
vie active des adultes 373
yar biir kër (en wolof) 53
vie communautaire 115; 127; 128;
yar kër 50
145; 151
yar .mlel50
vie conjugale 221; 223
yella 203
vie coutumière 61; 149
yimre 199
vie de groupe 370
yontande 83
vie de gynécée 118
woi 199
vie du couple 215
vie familiale 114; 115
vie individuelle 114
vieillard 83; 127; 152; 297; 430
vieilles femmes 97; 101; 102; 103:
104;418
vieillesse 67; 72; 78; 80: 101; 160;
180;363
vigueur 217; 223
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