UNIVERSITE
DE
PARIS-SORBONNE
(PARIS
IV)
UER
DE
PHILOSOPHiE
CENTRE DE
PROSPECTIVE
SOCIALE
ET
POLITIQUE
1,
RUE
COUSiN
75005
PARIS
1
.-- -
_o.
--.--
-
+
- - -
-
-+._~-
• . -
1
! CONSEil AFRICAIN ET MALGACHE 1
.. 1 POUR l'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
/! C. A. M. E. S. -
OUAGADOUGOU
IL~~~::i:":~~~~:~~~~:~:~
THESE
POUR
LE
DOCTORAT
TROISIEME
CYCLE DE
PHILOSOPHIE
PRESENTEE PAR KOUVOUAMA ABEL
.,
L'UTOPIE CHEZ
MORELLY
ET
CHEZ
J.J.
ROUSSEAU
SOUS
LA
DIRECTION
DE
MONSiEUR
LE
PROFESSEUR
POLIN
CLAUDE
ANNEE
UNIVERSITAIRE
1981 - 1982

~ ....= r
--~-~---
, .
'".
'"
"
A mon fils Yann-Destin~
A mon épouse Célestine Milandou,
pour un second souffle philOsophique ..
:,
l'
"i
","
" ,
~" ',~ ".

.,.r
..
"
,
.,,
" 000 La richesse d'un con6ept $cientifique se mesure à sa
puissance dé déforma~ion (000)0 Potir englober des preuves
expérimentales nouvelles,il faudr~ alors déformer les
'"
concepts primitifs,~tudier les con~itionsd'applicationdE
.
'
,
."
,.
c~s'oconcepts'et' surtout incorporer.)e~ conditions d' applica-
-, ' l '
'," _.~. "
.'.
l,
tions d'unconce:pt d,ans le sens même du concept"o
(*)

'.,'
* Bachelard G. : La ,formation de l'esprit scientifigue, Vrin,
Par i s
197 2,
po 6 1 0
.~ .; .
'00
,/: '
~ "
i,
"
"

l
TABLE DES MATIERES"
,"",1
.
l,
'" ~:
p. '1
p.
7
p.
7,
b) Des utopies
p.
14
CHAPITRE l
De l'utopie en g~n~ral •••••••••• oo •••••••• p. 19
1) Utop'ie,~t~ictA9n.~
.•• o •• oo,,!c,,.,.o,.o •• 'o ••••••• o •••• p.
19
2} Utopte, mythe et . d' l
.'
).. eo ogleo·o.. o.ooo~o,ooooooooooCloo
p. 23'
1)1 1
~
/1' "
"
','
,
a) Du point de vue
p.
25:'':
d~ la forme·o 0'0 Cl Cl Cl 0 Cl Cl Cl Cl Cl Cl Cl Cl
b) Du point de vue du contenuooooooooooooocoo p. 28,
::':.
3 ) Utopie et millénarismeooooooooooooooooooooooooo p. 41
4) Des caractéristiques principales de l'utopie ••• p. 44
a) Les conflits dtinterpr~tation•••••••• oo ••• p. 44'
b) Les caractères de la pens~e \\,ltopique •••••• p • 52
.. '
,
l'
!',
l " "
"i

II
,,'
CHAPITRE II
". De' l'Utopie chez Morellyet chez
"
,
' .
f ' H
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',.' -'"..
J o - J o
ROUSSAaUa.oo·o"oo'oo'ooooolClooooooooooo
po
60
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l"~
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",'
'i
,
Ji.
1
En quoi le "Code de la nature 'i est-'-il une
ut op i e ?
p
62
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0
l
/ Des principes philosophiques de Morelly ••••• p. 64,
1) Du principe de la sàc'iabili té naturelle. p. 67
2 ) De la communauté des, bien,s
p. 78
CI
CI
0
0
ICI
CI
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ICI
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0
0
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0
CI
",
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. ~ 1 .
3)
Du pr.incipe de la bonté ,natUrelle ........ p • 90
,l '1 •
I I / D u -systemepq.litique de,'Morel1y.' ••••••
p. 100
0 0 0
• • •
1) De 1-' organisation
politique de la citéo p.
103'-,,,
','
2) De l'organisation sociale de la cité
idéale. o.
o.
po 115:
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B /
Le "Projet. de constitution pour la Corse" est-il
une utopie?
po
125.
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,',
l
/ Des principes philosophiguesoo.o~o.oo~•• oo •• p. 129
1) La liberté comme prinçipe de sociétéooo, p. 130
",
\\ ' .,:
,
2) Le principe d'une société agraire.oo ••• o p. 135 '
l'
,.r '"
.
,'.': '
"
)) De ,l'égalité comme principe
d~mocratiqueooooo.oooo'oo~ooo.ooooooooooooopo 143 '.':

1,,'
......
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'
11
l,
,
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:'.:::.,
II/Du système politique et social d~ la Corse •• p. 150
l)'De l'~qtiilibre d~mographique•••••••••••• p. 156
"
"
2) De l'organisation sociale de la Corse ••• p. 162
-
De la divi~ion tripartite de la cit~ •• p.' 165
3) De la communaut~ desbiens ••• ~ ••• ~ •••••• p. 173
CHAPITRE III.
..Mor'elly et Rousseau :.. uni t~, ou
.'"
,.,:
~ .... }"L'
.:.. '.:--"'": ,,,
•..
.
.:,1'
contra~~ctionau ni~e~~ de leur
'pensee utopique ?~."."~ ..•..••.•...•.• p. 178",
1) De la réhabilitation de l'homme naturel. p. 179
::",'
2 ) De la critique de la propri~té pri v~e ••• p. 191
a) Le point de vue de Morelly ••••••••••• p. 191
b) Le point de vue de Rousseau •••••••••• p. 197
CONCLUSION
a
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205
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DoJO
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Bilan d'uné' r,echerche, •••' ••,'~' •• '.. u .'.;. •••••••••• p.; 205
:II /
De la_contrad~!=t.i.on indiyidu/communaut~••••• p. 211
(3:)' De la nature du pouvoir ,politique dans
la cit~ morellienne •••','
~ •••• ,
p.
212
",'
b) Dela nature .du pouvoir politique dans
..
,la toise id~alede Rousseau ••• ,••••••.••• ~. 221
'..
1.'
"
;,

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".
. ','" ' ',',.
L1 UTOPIECHEZ MORELLY ET J;J, ROUS~EAU.
. ,
.' ~ '.' '
,
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.'/

~"
-
1 -
AVANT-PROPOS
S ' . i l f a u t l a prendre à lë;1"lettre"l'utopie n'est
d'aucun lieu ,d'.auclm~~rnI?S, ni d'aucune époque. Pourtant,
. cette région cl~ "nulle part" dé'crite .le plus souvent minu-
1
tieusement dans un discoursapparern±nent neutre n'est pas sans·,
signification sociale~ p~ilosophiq~~ et politique. Bien que
se situant "n~lle part", en dehors. de. tout espace géographi-
que habité,
l'utopie porte -
ne serait-ce qu'à tr&ver~ son
type de discours normatif -
la marque de son temps et de son
époque.
Qu'il .s'agis~ede philosophes~ de littéraires, de
psychologues ou de "pOlitoIogues",.fous en savent quelque
1

,

cho~e : l'utopie opère ..à contre-tewps, met le rêve en avant
. .
,'
.... _..... "' ~..
",
':
"
.
et scrute l'e' futur au moyen de lara'ison et de l'imagination.
1
Si de nombreux travaux ont été consacrés au thème de l'ütopie'7
témoin de l'intérêt qu'on' lui a~cord~ - i l n'en demeure pas
moins vrai que les multiples controverses qu'elle a suscitées
et qu'elle~bntinue de .susciterrendent souvent aléatoires
les méthodes de son étude. Ces cont-!,=,overses portent aussi bien
sur le principe de construction de l'utopie que sur sa struc-
ture et sa démarche de pensée.
"

-
2 -
A ces problèmes d'ordre.méthodologique s'?-joutent
l,es .problèmes axiologiques : si l ~,:utopie . préconise l ~éJrdre
tel qu'il doit ~tre dans' un monde. r~tionnellement organi$é,
elle exprime en fait les r~ves sociaux individuels ou collec-:.
tifs de tel'ou tel auteur. D'o~ la multiplicité de sens donné
aujourd'hui à l'utopie.
D'une manière générale, l'Utopie signifie chimère,
quelque chose d'irréalisal:>leo On doit ce néologisme à Thomas
More qui en 151,6 pubiiait un ouvr?-gedu m~me nom, " D",:, optimo
r~.ipublicae statu 'de que nova insula. Utopia " • .s'agissait-il
dans l'esprit de More d'un Eu-t9P()s,"c'est-à-dire d'une cité
de,ponheur et·deperfection, ou bien'd'un Ou-topos, d'une
cité de nulle part '} Dans sa lettre. à Erasme du 3 Septembre
1517, More précisait que son île s'appelle. "Nusquama", soit
en latin nusquam, c'est-à-dire "nulle part". Quoique se si-
tuant dans le champ de la spéculation, More, précédé en cela
par Platon, inaugurait là Don seule~ent une démarche je pensée,
un mode de réflexion, mais également un genre dont le procédé
a fini par ~tre repris par d'autres auteurs, à °savoir
substituer au mondeconnu.et criti9uable, un monde inconnu et.
rrteilleur
Et le "monde inconnu, sauv:egardépar son isolement,'
0
.'
1
..
'
son '. insulël):'ité le pl\\~'s-~~'uvent (fifle : lieu d'élection de
.
.
~'utopie), s~distihgue par son alté~~té et sert comme de

-
3 -
mir',oir au monde. connu 'd_llsl:épart" •
(.1)
"~ ..
C'est en quelque sorte c'e' Inode utopique,
cette
~,
"
"
.....
démarche de peris~e criti~ue et anti~ipatri~e que nous voulons~
;
','
étudier chez Rousseau et c~ez Morelly à travers les textes
comme le "Projet de Constitution pour la Corse" et le "~
de la nature". Dès lors se pose
.. la question de sa~oir,
comment artiçùler et justifier le passage de l'utopie comme
chimère ou fiction à l'utopie comme pensée critique et anti-
cipatrice 1
.,
,"
Si.l'utopie .est fiction, c'est bien parce qu'elle
... \\ ..... ,!..' .
.', . _. -
. ,,~
"
,
propose unmod~le d~ législation parfà.iteen le dissociant
du réel. Or,
"toUte construction utopique,
souligne C. G.
Dub,ois,
suppose une dissociation d e l 'idéel et du réel,
et
c'est préCisément la con.science de 6ette dissociation qui
fait l'unité de l'écriture et de la lecture".
(2)
(1) Hartig (Ir.),
Soboul
(A.)
: Po~r une histoire de l'utopie
en France,
au XVIIIe siècle, Société cies Etudes Robespie~ris-
tes,' Paris, '1977,. p. 9.
~
1" 1
(2)
Dubois (C.G .. )
: Uni:-archi tecture' fixionelle in Revue des
Sciences Humai.nes., .. 1974 N° 3, p.
46i~

';1,
- 4 -
'j'
"
','
,
'1
.
1\\ '
'"
'
Chez Jean-Jacques Rousseau et chez Morelly les
préoccupations politiques et sociales répondent moins à une
volonté affirmée de leur part d'agir en tant que politiq~es
que de porter un jugement de valeur sur les institutions et
" r '
l~s normes prés~ntes~L'on comprendra aisément que dans la
"
présentatioriôunproJet de Constitution po.ur la Corse" et le
"C~~.e de la nâturei'" Rouss'eau' et M6i:'elly font simultanément
q,
usagé d~ la ~éthodeexplicative, ~nalytique et de la méthode
normative 0 Autrement dit,
c'est en partant de leur s tr;':~ories
sur la meilleure forme de gouvernement et sur l'organisation
sociale la pl,us conforme à la nature origin~lle.de l'homme
qu'ils analysent les institution s politiques présentes de leu,r:
société dans le but de modifier la 'conduite réelle des indi-
v~dus, c'est~à-dire aussi bien des gouvernants que des gou-
vernéso
M~me si ena~patence le~deux textes de Rousseau
et'cte Morellyfont prédominer des ,aspects: juridiques,
ils
..
font en fait ~éférence à des prin~~pes métaphysiques établis
nèlle de l 'hommenaturelo 'C'est surtout à des fins morales
',.
,,',
que Jean-Jacques Rousseau et Morelly veulent ici faire chan-
ger les institutions,
lesquelles ont été élaborées soit en
violation des prin~ipes métaphysiques suscités,
soit au simple
mépris de ces principeso L'on comprendra aisément -
lorsque
, .
""~: :
r
' "
,
"

'l'
'
',:",1
5
"
"
"
nous analyserons le "Code de la nature" ,de Morelly -
que la
r~f~~ation ~e la morale vulgaire'n'~st nul~èment fortuite,
".h,
ni une simple digression; bien a:.u,fontraire,
elle laisse
tr~n:sparaît~éùrie,1d~e èhère à MO~'el~y, 'qu~ la morale est au
,,1'\\
Il
,
10ndement de l;~ct{ori ~~;~iale et~~i{tique et c'est par elle
q,u' il faut d"abord" s._, attaquer pour, ,comprendre le compurte-
','
ment politique des hommepo La dém~rche de, Rousseau sera plus "
subtile dans le "Projet de Constitution'pour la Corse", même,
si le pro~lè~e moral reste
sous-jacent dans sa th~orie poli-
tique contractuelle appliquée à l ' î l e de Corse.
',"
Enfin sur les "raisons historiques et les conditions
socio-politiques de production du texte par Rousseau retenons
, '
;;,1"
simplement qùe c'est en 1764, à la' d.emande de Mathieu.
..
','
Butt~fo~o, aristocraie Corse, capitain~aide-major au Régiment
"
"
,
Roy~,l ItalienqlJ.e H.ous'·seé3.ü acceptâ"~e rédiger ce "Projet de
:,1'
r",
Con stitution"', et ç~.., au moment oÙ "L'Emile" et le "Contrat
'1",
"
,.,
,l'
"
Social" venaient d' être ~ondamnés'.
Mê~~ si Roùsseau n'ignorait pas les idées politiques,
de Buttafoco qui étaient oppos~es aux siennes, il trouvait là
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,
1
1
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:1'1
,1:
1
",:
,l,.
i

-
6 -
Par contre,
en ce qui concerne le "Code de la
nature" les faits sont plus compli~u~s. Publi~ da~s l'anony-
mat complet, en pleine bataille encyclop~d~que~ l'ouvrage
;:1.'
,'.l',
"
•.0: .•
tut d'abord attribu~ ~ Di~erot, puis tantôt ~ M. Toussaint,
~~> :
.<1:'
':-,
tant'ôt à M. dèla13eaumelle. D'autres aute,urs comme
'r"

l ' " '
,.. ~ ,
,.;,r,-"
.
[, '
A. L'ichtenlJ~rger a";anc~ plutôt l 'idée, de deux Morelly, par
. .
"
r,~fêrence aux premiers ~crits qui fùrent sign~s du même nom (J;
D'autres encore comme G., Chinard, q~i, sans rejeter entière- "
ment l'hypothèse de 'deux Morelly, parle ~u contraire d'une
~volution de'ses id~es du despotisme ~clair~ au socialisme
r~volutionnaire. Sans entrer dans tous ces conflits d'inter-"
pr~tation qui relèvent plus de l'histoire des id~es, nous
~tayerons plus loin les id~es principales d~velopp~es par
Morelly dar~ le Code de la nature. '
Nous ne ,saurions terminer cet avant;...propossans
..'\\ .
!
' , • .
dire humblement que', ce'~travail ne prétend nullement ~ l' ex-
haustivit~.Ilna se_bornera pourl~èssentiel qu'~ exprimer
d'une autre manière ce qui a sans d'oute ~t~dit sur l'utopie,
chez Rousseau et Mo=elly.
(3) Lichtenberger (A.)
: Le socialisme au XVIIIe sièCle,
Etude sur les id~es socialistes dans les ~crivains français dti
xVIIJesiècle ava.nt la R~volution, Paris, 1895c•
",1

-
7 -
l N T R 0 DUC T I. 0 N
a) JUSTIFICATION DE LA THESE
Cé tréruail de recherche répond à deux préoccupa-
",, ,
~
' l '
,
','
'.
tiens principales qui sont à la fois d'ordre théorique et
~'otdre personnel.
Sur le plan th~orique, notre travail consiste à
circonscrire le champ philosophique et idéologique couvert
par le concept d'utopie. Plus qu'au concapt lui-même, c'est
une tendance que nous voulons analyser et comprendre t;hez
l'être humain; cette tendance essentielle qui consiste à
'.
.,'
imaginer le meil1e':lr des m(,~des possibles; à faire entretenir
'1.
en lui ce que EImst, Bloch appelle le ,j'principe espoir", par
, '
"
.)1,:
unE., ,con:::;tru..::ti,J(:; :tw&glnaire et 'fictiv.e de l'avenir. Or,
cette
'Ir',
'"
démarche intellectuelle de construction d'un monde imaginaire"
se veut aussi critique vis~à-vis du présent, précisément dans
ce qui le rend insupportable pour l'être humain. L'évocation
d'un passé historiquement absent vient ainsi servir de para-
digme pour l'établissement d'un monde à venir. Par quelle
méthode de pensée,
l'utopiste scrute-t-il le futur au moyen
de la raison et de l'imagination ?Qu'e5~-ce qui justifie en
lui le recours a la fiction'? Nous tenterons, à travers des
"
"

-
8 -
interrogations de ce type, de cerner les caractères de la
pensée utopique afin d'en dégager la structure fondamentale.
l'l'
.
l'
Les.
;:':1., .
,r?-isons,c!~o;t'dre per~pnnel s ',expliquent en fait
.
. ,
'
,
,
dans,notre~olonté intellectuelle~deprendre part au large
.-
'1.
et, profond débat contradictoire s~ l.'interprétation de la
'",
pensée politique et philosophique d~ Jean~Jacques Rousseau
et de Morelly. En effet,
chez ces deux auteurs,
on décèle un
incessant mouvement de pensée qui fait alterner l'irréel et
le réel.
Eri somme,
les raisons d'ordre. personnel tiennent
,
-
'. '
."
surtout à la conjonction de ces deux facteurs. D'une part,
.. ,"
[.1'
.',/:.
à cette curiosité scientifique dedevoiler de fond en comble
le ',concept d ',ll~?pi~. E:J1__ e.f.t:et, p1:u.:t,ôt: qùe de nous contenter
de cette définition, péjorative· de l"utopie comme chimère,
::,1 1"
comme quelque chose d'irréalisable,. nous voulons savoir sur-,
"
tout pourquoi derrière cette fiction,
il'1 a ce "principe
espoir",
cette activité intentionnelie de la conscience anti-
cipante. Autrement dit,
à côté d'un sens dépréciatif de
l'utopie,
il existe un sens plus cac~é, celui de l'anticipa-
tion et du dépassement.
Ce qui explique,
d'autre'part, le ch6ix de Rousseau
et de Morelly comme 'deux philosophes qui,
à travers leurs
1,.
'/1
'
._.1·'
l'l'
",1
&LM.:a.5tlU&iA. ....c

-
9 -
,-
utopies sociales,
incarnent parfaitement cette consclence
anticipante sur l'avenir.
, . /
'"
A-travers: leur s écrits politiques tran sparais'sent
non seulement leur théorie sur.la meilleure forme de gouver-
nement des hommes, mais également leUrs frustrations,
leurs
rêves sociaux collectifs.
A telle enseigne que l'on a quelquefois sinon sou-
vent classé Rousseau et Morelli pa~mi les utopistes du dix-
huiti~me si~cle ; si, pour Morelly,' l'unanimité semble ac-
quise sur le caractère utopique de ses principales oeuvres
politiques,
cel?- n'est pas le casde.Jean~Jacques Rousseau
q~i:':d'ailleurs,'sedéfèndlui-mêmed'être un utopiste. "Si je
n'av.ais fait ,qu' un syst~me, dit-il' d,an s lès "Lettres écrites
~
de la Montagne" , vous êtes bien sûr ,qu'on aurait rien dit.
"
.'
On se fut contente de relégùer le Contrat Social avec: la
République de Platon,
l'Utopie et les Sévarambes dans le pays
des chimères. Mais je peignais un objet existant".
(1 )
(1) Rousseau (J.-J.)
: Lettres écrites de'la Montagne, VI,
,
1
La Pléiade,
Oeuvres Complètes, Tome.:III, p. 310.
,.r '"

-
10 -
:i'( "
1,1",
fl'I
. .
. ' . " .
Pourtant'notre traval1 conslste a falre ressortir
:\\::JI".
1
",1
l'
chez Rousseau et chez Morelly ies caractères utopiques d~ la
,1,(,
cité parfaite en ana,lysant le "Projet de Constitution pour
"
~"
la Corse" et le "Code de la nature".
En effet,
si chez Rousseau,
le projet de Constitu-
tian concerne le pays de' Corse,
c'est en fait à une Corse
irréelle,
c'est-à-dire telle qu'elle devait êtr~ dans son
idéalité mythique, qu'il consacre ce projet de Constitution.
Autrement dit,
les idées émises dan's le Discours sur l ' inéga-
,
,
, "
_.-~
.
",
lité et le Contrat Social,
Rousseau ,tente de les appliquer
"i,'
i
',';:,
à la Corse idéale de- son rêve leq~e,
l' ',"n.;~~e,'s.t, plus l'indice
" w-PL
'\\',1'
"
~où
"
l\\~ ,
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d'une fuite
(000)
mais bien la C·N'à1.tion'd' ~\\ autre regard
,
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~I~\\
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'3.10
'"
sur le réel lui-même"o
(2)
c.,,,, lia'Iii
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rn'7I'I'
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K'
•.~.
A la question de saVOlr q,~~,~Ll~~__~s~e~rlt la meilleure
~
forme de gouvernement pour la Corse, Jean-Jacques Rousseau
avance un certain nombre d'idées maîtresses qui,
selon nous,
sont caractéristiques de la pensée ,utopiqueo En e effet,
s'ap-
puyant sur des considérations histor;-iques propres à l ' î l e de
(2) Chirpaz(Fo)
: Plaidoyer pour l'Utopie in Revue Esprit
N? 4,
1974,
p. 572.;
"
,
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-
11 -
1
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1

l,
Corse"
Jean-Jacques Rousseau recommande : une autarcie totale,
:1 1:'
'.'. .
seule mani~rè'de pr~server l'enti~re ind~pendance de la Corse
Il,
,'"
'1
"
l'abolition de la propri~t~ priv~e et du tommerce ; ure auto-
\\1;,
~,I
suffisance alimentaire grâce ~ une ~conomie agricole ferm~e ;
une fixité absolue des institutions;un renforcement de l'éga-,
litarisme social , enfin. un contrôle rigoureux du volume de la:
dans
population, etc ••• Le tout baignantAun parfait fonctionnement
des institutions -
Ce sont l~ autant de thèmes rousseaui'stes
que nous analyserons plus en d~tail ,dans le second chapitre
qui sera sonsacré ~ l'~tude comparée du "Projet de Constitu-
ti'on de la Corse" e,t: du "Code de la nature" de Môrelly •
..• 1

l,
.,1'
Les ·traits y topiques que ri6us analyserons dans le
1~ l ,
',' ,
' i
"Code de la nature" se dégagent nettement' des id~es principale~:,
comme : la critique de la justification de la propriét~ par
la morale vulgaire,
l'évocati6n du paradis perdu, point de
d~part d'une véritable base de la sociabilité, etc •••
Morelly prône alors l'id~ed'une organisation commu-
nautaire de sa cit~ laquelle doit être régie sur le même prin-
cipe que les lois de la nature - La fi~ité des institutions
qu" il recommande pour sa R~publique idéale sera garantie par
des "lois fondamentales: et "sacr~es"~'''La phrase suivante résume
11'1'
bien la pensée., utopique du "Code de la nature" : "Je donne cet
esquisse de loix par forme d'Appendi~, et comme un hors-d'oeuv~~

'\\!,:
,..
-
12 -
,',
.,'
""
",'
1\\
puisqu'il n'est malheureusement que trop vrai qu'il serait
comme impossibl~ de nos jours, de fo~mer une pareille
République"
(3)
0 '
~"
.':
Pour une meilleure présentation de ce travail de
.
.,.'
recherche, i l convient de procédeb'~ar ordre et méthode en
',',
indiquant les ,trois grands chapitres 'du corpus. Le premier
"
chapitre sera consacré à l'analyse du concept d'utopie, à
':1 ..
"
'
la' saisie de ses rapports avec lemythe~'t l ' idéologie d 'une :/
p'art,
et avec les messianismes etmillénarismes d'autre parto'
Il s'agira pçmr nous d' arriv.er à cerner les éléments de ré-
flexion théorique sur l'essence de l'utopie,
sa fonction
réelle dans le champ concret du savoir scientifique et de la
théorie politiqueo
/'
Le second chapitre partira de ces considérations
Qénérales sur l'utopie pour tent~rde déceler une pensée
:"1 .
uto'pique chez Jean,",:,Jac,ql,le$ Rousseau, et, chez Morelly. Autrement
",
dit,
l'étude comparée du "Projet qe constitution pour la
'.'1 1
\\' J '
.:
Corse" et du "Code de la nature" doit nous amener à répondre
','
à, cette double interroga~ion philosophique, à savoir :
.,:.1
r
""

-
13
-
premièrement,
comment par la démarche utopique,
c'est-~-dire par la figuration discursive d'une société autre,
J.-J. Rousseau et Morelly posent les problèmes réels de la
c
nature du pouvoir politique et du fondement du corps social ?
'.1.
'l,",
~..
'l"
il"
~ Deuxièmemeflt, comment'Ies idées émises par ces
.'1 ,
'"
deux philo~ophes - ~dées résul~an~d~ l'~rticulation entre
:?",'
ieu.ts principes philosophiques et' l.eurs systèmes politiques-
1:
"
'"
sont contemporaines de la problématique individu /
communauté?
'1'\\\\
,.,
Telles sont les hypothèses fondamentales qui guide~ ,
ront notre travail dans la mesure où elles en appellent d'au-
, ,
t.res qui seront complémentaires des .. premières. Enfin,
le
"
troisième chapitre sera une réflexion critique sur les idées
',.
émises par Rousseau et Morelly ;
i l s'agira surtout de démon-
trer,
en quoi i l y a uhité et contradiction au sein de leur
,
.
p~n$ée utopique ~
.,,!
"
'r,'
Mais le choix arbitraire de deux textes philosophi-
gues de ces auteurs du dix-huitième siècle soulève un aut,re
problème d'ordre historique. En effet,
le foisonnement des
idées joint avec les pr~occupations politiques de Rousseau
et Morelly les ont amenés à élaborer leurs systèmes politiques
en puisant dans l'histoire où d~autres philosophes avaient
,
.;: .
. ,
'"{,,'

i',
-
14
déjà réfléchi sur l'état misérable de l'espèce humaine et
imaginé une ère de bonheur et de félicité commu~e. Donc, nous
ne pouvons pas étudier et analyser le concept d'utopie sans
le replacer à chaque fois dans un cadre historique déterminé
"
'
fait de discontinuité et-de rupturê: ér~ec l'ordre social an-
cien,
en prévision d~ l'instauration ,d'un nouvel ordre social.
On peut penser que depuis l'antiquité, des utopies
pratiquées à -l'intérieur des communautés à échelle réduite
ont servi et servent encore de référence historique à des
utopies écrites.
b) DES UTOPIES PRATIQUEES A DES UTOPIES ECRITES
:'1'"
Il n'est pa$~de ·philosoph~s utopistes qui, depuis
r.,
l'ant~quité jusqu'à hoS jours n'aient~ cru en l'existence d'un
il,'
"Age d'Or". Cette sorte de progression rétrospective s'inscrit"
dans une tradition très anc~enne constituée sur la base,
tantôt d'une interprétation de l'Eden biblique, tantôt d'une
hypothèse de l'existence d'un état primitif avant toute orga-
nisation sociale.
Les descriptions poétique~ d'une ère de liberté' et
d.'opulence dans les "Métamorphoses" d'Ovide ou dans les
""l,',
\\'1"

",'r'

15
"Géorgiques" de Virgile ne peuvent pas être seulement les
fruits de l'imagination; elles con~tituent aussi les derni~­
,',
res'"réminiscences de meilleures lég:tslations et institutions
"
",
l'l'
sociales qU~ ont ,existé.
\\''"1 .
','
'!
','
Ainsi, de no~breux é~rits ont fait référence au
syst~me d'organisation politico-religieuse des sociétés
pythagoriciennes dans lesquelles,
les "initiés partageaient
en commun tous lesbiens matériels et menaient une vie paisi-
ble et harmonieuse hors de tout vice et de toute dépendaçce.(4)
", ,
Il en est de même des Esséniens, qui vlvaient har-
'"
\\
l"
1-,
monieusement en petites communautés "sociales bien organisées.
, \\' '.
Dès:philosoph~s comme Flavius Jos~I?[)e; Philon d'Alexandrie,
î;:
ou Pline l'Ancien ont su décrire le 'mode de vie à l'intér,ieur
,l,'
l '
','
de,ces communatitésdont le nombre ne dépassait gu~re celui de
"
,
quatre mille personnes.
"Fuyant les villes,
ils formaient
dans les campagnes de petites communautés agraires. L'ugricul~"
ture,
la fabrication des objets de premières nécessités
constituaient leur principale occupat~on, le commerce étant
inexistant. Ils niavaientpas d'esclaves,
condamnaient même
(4)
Delatte (A.)
Essai sur la politique' pythagoricienne,
P~r:i.s, '1922.
"
1'1
\\'
"
, , 1
' "
l,
"I l '
,
~,
"
"J,

- 16 -
l'esclavage, ne rec6nnaissaient au~4ne diff~rence entre les
hommes qu' ils
.
"
cons'id~raient,
,-.
'.'.
.:. .. _:..."'
~gaux,.'~t ,frère's. Ils
'
.
m~prisaient
,les richesses, 'le gain injuste; vivaient de peu et portaient
de, simples vêb~J1\\ënfs--blancs ( ••• ). Les Esseniens ~taient
voués pour la plupart au'c~libat, mais lacommunaut~ élevait
les enfants qu'on lui confiait, et après un noviciat de trois:
ans, ces enfants ~taient admis dans la soci~té à laquelle ils
abandonnaient leur .patrimoine. La vie ~tait simple et uni-
forme".(S)
Les pratiques utopiques des communautés pythagori-
ciennes eurent ainsi beaucoup d'influence, depuis l'Orient
~
.
,
1.\\. ,
jus~u'en Asie! en passant par l'Eu~Qp~. Elles suscitèrent en
Grèce,
l'admiration de dirigeants ,politiques comme Minos ou
Lycurgue et dePhîlosophes comme Platon,Aristote. Ces der-
niers tentèrent d'appliquer à la Grèce,entière, d~cadente sur
le plan moral et politique, les m@mes pri~cipes philosophique~:
qui étaient jusque-là l'apanage de cbmmunaut~s sociales plus
petites.
Ainsi,
les utopies pratiquées devaient donner nais-
sance à des utopies écrites. Les principes ~non~~s seront
(S):Rihs (C.) ,: Les philosophes utopiètes~ Marcel Rivière
l'
et Cie, Paris, 1970, po
252.
"
j.".
\\,

-
17 -
.'1.,
~1 " ••
"
identiques: la recherchediune viê'aûtarcique, la refonte de
"
'
la motaie,
le,goQt prononc~ pour l'agriculture; le refus du
,
II'.
commerce, la condamnation de la p~opr~~t~ priv~e, l'affirma-
tion de l'~galit~ de,tous devant la loi civileo
Cependant,
il s'opèrera un renversement dans ce
,
passage de la pratique à l'~crit ; renversement contradictoire
dirions-nous,'par le travail de d~construction critique qui
sp~cifie la distance, l'~cart entr~ le ~~cu et le lisible;
~c:art que n~cessite :'1 'activit~ de ,fiction qui se marque ou
s~inscrit dans l'espace d'un disco~~s qui a trait à l'organi-
\\' .
sat±on de l ' espacelto
(,6}-Et l ' organ'isation de l'espace englobe
r,'
alors toute un~ vision du monde qui met en relation l'espace
,"
g~o'graphique et l'espace social et'politiqUeo
','
La finalit~à laquelle conduit la ,fiction, c'est la
production et la conception d'un nouveau système d'organisa-
tionde ce que doit être une cit~ juste situ~e dans l'Age
d'Oro Toutefois,
celui-ci n'est pas seulement le modèle du
paradis perdu dans un pass~ loint~~n, mais il est ~galement
le paradigme d'une soci~t~ autre qu'il faut r~aliser en avant;'
\\ '.
'
','"
(6) 'Marin
(Lo)
: Utopiques'
jeuxd"espace, Edo de Minuit,
1."
Paris,
1973, po
27 0
':1,
i'"
' !
,
'/
.

- 18 -
.... ' '"
.
la ,nostalgie des temps primordiaux et du paradis perdu fait
ainsi place au temps de l'esp~rance,,'au non-encore-devenu~
" '
L'utopie comme genre philosophique ~crit devait,
avec Platon, naltre avant la lettre ; en quoi consiste-t-il
exactement ? Quel est son ~~ritable sens philosophique ?
' l ,
",'
l '
'l', .
;,
!'
.'.h
!: ~,
';',;.,
II'
li'i
"1 1
,'
\\:~,1.'
~.
l'
11\\ ~, 1
".:.
",
"
"

-
19 -
.'.
·:;1,
.,"
'J
','
CHA P I T R E I
DE L'UTOPIE EN GENERAL
; .
:--', '
Il ri'est pas,à notre avis,
de concept philosophique
aussi riche et ambigü parce que déformant que cE~lui d' "utopie",
P9prpeu que l'ori se réf~re au jugemept, de G. Bachelard P9ur
\\.<"~',:'
: ,1:,
qui,. "la richesse d,'un concept sci~n.tifique'se mesure à sa
puiss?-nce de déforma·tioI'Y" 0'(1)
Il','
",,
A ce titre,
l~idée m~me dJune réflexion sur ce
qu'est véritablement une utopie pose d'emblée un problème
fondamental qu'elle rend manifeste par sa seule finalité. Ceux'
qui ont écrit des utopies sont-ils réellement de simples rê-
veurs ? Sinon alors pour quel but les ont-ils écrits ? Et que
visaient-ils dans leur démarche utopique,
fictive ?
1) Utopie et ,fiction
';',;
.
','
Si l'Orl se situe ·dans le cadre d'une philosophie
pratique~ on peut alors s'interioger ~ur les rapports qu'il
",
(1) Bachelard (Go)
: La formation de l ' esprit scientifi.9_~,
Vrin,
paris,
1972, po 610
"
"
>',
",.

. "
,- 20 -
l'
1' (,
"'\\
,
.,
, "
"
\\1"
':.'
y a entre la.d~marche utopiqpe,
le sa~oir scientifique et la
th~orie politique? Car, les faiseurs d'utopies, dans l~
mesure où il y a chez eux une prise de conscience du r~el,
.'
partent n~cessairement de l'observat~on d~s faits sociaux et
du v~cu quotidien pour formuler des principes philosophiques
",
et ~laborer des· systèin~s politiques qui correspondent à leur
,
' t "
d
d"
1"
" "
1 b
~~ "'t'
c,oncep J.on
u mon e,
a
eur vJ.sJ.on g o~a,.~e U'e-.LO: S"~~CJ.e e
\\., .. ,
,
$
~
:
1\\"
tel'le qu' elle d~vait
ê"tFe,o,
, ,
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IJI 8P
"
:
1J.; 0
~
,..,
C ~
"
llilp,1'J
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l'
,
.
A regarder de près,
on
~~ u "'"e- 'J ~
'"
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TrI,
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Q .
'1'0
r:: 1
,
1
'"
,
peut, s~~mg'te que la""
'
,
, " , ' u "
'lt/
.d~marche utopique n'est que l' expression d"t"\\;lii~ertaine pra-
\\I!,
',',
tique utopique qui ,est une libert~ cr~atrice, c'est-à-dire,
"l'action par laquelle l'homme manifeste s,a libert~ dans une
situation historique donnée et se ,fait lui-mêmeooo"o
(2)
Or la pratique utopique ne se r~vèle au grand jour
",
qu'à travers le discours fictif duneutrequ'eile produit
dans son ambivalence th~orique/pratiqueo En effet, l'utopie
est" le lieu d'expression du neutr~",9at:'lS son travail critique, ..
,
..
'"
~~est-à~dire, ie lieu de contradicti~~ entre le possible,
';1,
l','
l~' envisageable ou fe'- non-encore-r~alis~ et le d~jà-r~alis~..
','
'l,'
, '
'l',
(2) Polin
(R~) : Ethique et politique, Ed, Sirey, Paris,
Coll .. philosophie politique,
1968, p .. 5 ..
" ,
." . .'
,r
"
,

-
21 -
L'utopie est une construction fictive qui "renvoie donc à une' ,
r~a1ité qui n'est pas dite, dans la fi~ure, qui n'est pas re-
prise dans le discours comme son signifié -
ou qui l'est mar-
ginaiement sous la forme d'un terme,'de comparaison et non
d",unréférent"..
(3,)ç:ar,
l ' utopie se caract~rise par une ab-
sence deréf'érence,dans, le ree1, dans la me'sure où la fiction"
.
,
. ,
. qui 'caractérise 'te dis20üis utopiqliei'~remp1it aussi cette
fonction d'occù.1t~tio.p des'significations'historiqueso
',1"
,',
C'est sans doute cette abs~nce de reférence dans le
ree1 qui a amené Ro Ruyer à v'oir dan s l'utopie, 'une simple
représentation d'un mdnde abstrait,
organisé à partir du réel',
,;',"
et modifié par la specu1ationo CepèndantRo Ruyer introduit
une distincti6n entre le mode utopique et le genre utopique.
Ainsi,
le mode utopiq~e, est une ac~ivite de l'i~agination qui
c0nsiste à modiiier 1eree1 par l'hypoth~se ; c'est l'esprit
inverttifque l'on retrouve chez la plupart des savants avant
tout~ experimentation :'Le'mode utop'iqu'~ est donc pour lui,
Il,
0
"un exercice mental, sur les possibles' 1 ateraux "
Le genre
0
l
,
",1
utopique est par contre ce qui definit veritablement l'esprit
uto~ique dans sa representafion d'un monde abstrait, fictif.(4),,
~,', ,
( 3)
Mar in
(L 0 )
Utopiques
Jeux d'espacesi Edo de Minuit,
Paris,
1973, po
251 0
(4)
Ruyer
(Ro)
L'utopie et les utopies,
PoUoFo Paris,
1950;
ppo
37-500
."
,,'

.~,\\•
-
22 -
La fiction est bien ce procédé rationnel qui sert
à neutraliser le discours utopique ert provoquant un décalage
entre l'imagé qu'il 'prétend décrire,
qu'il est censé repré-
'.',.'
senter et la réalité proprement diteo Autrement dit,
la fic-
"', ..
tion interv~ent dir~ctement en urip6int de rupture qui est un
11e~ critique. ~ .. la limiJ::e"de l ',imël,gfnairé et du réel ; elle
explique , d ë façon ambiguë ~ "pourquoi' le, discour s utopique se: ...,
donne toujours comme une descript;Lon, constitutive d'une re-
",'.
présentation dans le tex~e et pourqtioi' l~ pratique utopique
'\\
signifiante peut construire un tel produit à partir d~ la
multiplicité des différences et des contrariétés"o
(5)
Mais ce quiparàît encore plus significatif dans
le discours utopique,
c'est que le .. travail du négatif (qui est
le signifié abs~,nt) crée la contradiction en s'-opposant ficti":"'.
v~ment au présent, mais sans qu'il y ait un véritable
"dépassement" au sens hégélien du~~r~e ; la pensée antithé-
"
-';l"L"
,"
' "
..
'
tique qU'il-mef en re~ief débouche ~~fait sur un certain
manichéisme où;
à la-dénonciation du.présent s'opposent le
rêv~ et l'anticipation du futur, une "anticipation de type
'1."
semi-rationnel dirait Go Duveauo
(6)
(5) Marin
(Lo)
: -Ibido po 800
(6)
Duveau (G,o)
: Sociologie de l'utopie et autres essais,
PoUoFo Paris,
1961 0
"
/.
.r '.
Il'.'

-
23 -
De ,là on, serait tenté de dire que la pensée,utopique
.' '1
che~che à figer l 'histoire' dans sa:'~r~tention faussement tota-"
'", .,
lisatrice. Bien a'l;l,C::Qntraire -
et ç'est d'ailleurs ce qui
)1',
,,,
,'. ,
"
"
j~stifie tout son sens philosophi~~e,- Ifutopie exprime de
façon permanente cette interrogation de l'homme sur sa propre
condition et sur son univers social,
c'est~à-dire sur son
'devenir historique. Cette interrogation s'effectue alors~sous
la forme discursive d'une énonciat~on rationnelle du pouvoir-
être et du devoir-être.
Et c'est· ce pouvoir de connaissance qui per~et à
l ' horilme d' allertouj our s de l ' avan't ~ , de dévoiler, c' est-à-dir~
\\' ,
d ..' interprêterl€!-
sens cl~" T'histoirê':':'h~mai~e qùi est en train
" l'
1
de se d~rouler,
~out en portant un' jugement de valeur. Dans
'"
ce cas, quelle serait donc la val~u.t du mythe et de l'idéolo-
gie,
lorsque l'ori sait lei rapports qu'ils entretiennent ;avec
l'utopie?
2) Utopie, mythe et idéologie
,
Il nous reste à expliquei' -
avant d'aborder le point
J
"
central de la th~se -
la nature desrappor~s qui existent
entre l'utopi.e", lé ,mythe et l'idéologie.
" , "1
"
"
, ~"'."'\\,',
: •• f · " ' "
,
" :
"/

.,:-
-24 -
"
Un6 telle tentative peut en soi paraitre suspecte,
si tant est- que l'on ne saurait toujours étudi~r par exemple
l'idéologie en fais~nt abstraction de se~propres convictions"
de ses propres croyances. Mais ces ,convictions et ces croyance;
, "
loii1.d 'êtred'es'données--itnm'édiates'de' la conscience,
se situe-
Il,
raie~t plutô~~à tin degré supérieur de la pensée réflexiv~ ~ui :
e~ige, comme le d·it Co Polin, t.'un' r'e,tournernent sur soi comme·"
-iim~le intelligence d'une situation, par lequel elle devient
pour elle-même sa propre image"o
(7)
Et ce n'est pas un hasard si la réflexion s~r l'uto-
, '
pie nous amèn'e à nous interroger aussi sur ce que c' e::;·t qu'un'
.'J.
mythe et sur ce que c'est q'.l'une idéologie; caF tout discours
inythiq;ue comme tout discours utopique a nécessairement un
contenu idéÇ)l()giqüê.Si nous ne pouvons traiter entièrement de
la-~1:lestion ici',' n6tr~~réflexion dditnous permettre de répon-
dre à ces pré,Qccupat:ions principales,,: quel est le statut
p~!l~sophique du mythe et de l'utdpie? Quelle fonction idéoloL
gique remplissent-ils dans l'ensemble de la vie collective?
Enfin, qu'est-:-ce qUi les différencie de tous les faitE: de
tradition orale ou écrite ?
(7) Polin
(Co)
:
L'esprit totalitaire,
Edo Sirey, Coll. philo-
sophie politique, Paris 1977, po
3550
, ,
,
"
!
, , 1

. .;,'

-
25 -
;,,-
Comme on le voit, ces questions intéressent aussi
,
'
bien la ~hilos6phié que les autres discipllne~ telles'que la'
, '.
'"
scleh~e po~~tique e~.li~~thropologi~sociale. Cependant, nous
n<;>us' pencher6risdav,antag~
sur la formé et .le contenu du mythe
",'
et de l'utopie.
s) bu point de vue de la forme
De nombreux auteurs en Occident qui se sont appli-
qués à l'étude du mythe et de l'utopie, en tant que forme de
récit discursif,
n'ont pas manqué d.e situer cette manière
1
"

,
, , " ,
'

dlaborder le problem~ dans la traditiori occidentale héritée
,
' . .
'1..
desphllosopnes-grecs.
(8)
, '.
JI',
LemuthO$,c.omme parole formulée,
comme forme parti-
cùlière de récit ordinaire ou de récit sacré,
était oppoié
(, .
au logos, au savoir prop.t"ement dit et ..dans lequel nous pou-
vons ranger les fictioris littéraires et philosophiques comme
1':
l'utopie.
l.',
..
(8) Vernant (Jo-P.)
: Mythe et société en Grèce ,ancienne,
Maspe~o, Paris, 1974, po 196 ; Detienrie (Mo) : L'invention
mythologlgae,Gall$mard, Paris, 1981.
,1
\\ .
1
.•• t
',.

-
26
;1 1',
:,,..,
~,. ,-
.i';'
1
1: , ,
Pluss'ignificéltive encore:'fut cette rupture entre
III
muthos èt logo,s,
lor sque l'on passa ,de la tradition orale à
~
t

' "

"
,
" l~~c~lt. Le muthos en tant que r~ci~ se caract~risait surtout:!
',1'1\\
p~r'sa texture narrative et ses techni~ues persuasives de
",
1>
l'arg~entatipn rh~torique ;il suscitait le plaisir de ceux
qui l'~coutait ; mais il n'ob~issait pas aux rigueurs et aux
proc~dures de rationalit~ d~monstra·tive d'un logos qui mettait
l' '
par contre les d~duction~ math~~atiquès ati' centre de ses réf~-\\
rences au vrai.
Le mythe ~tait donc assiI1\\i.lé,' à l'illusion, au
mut:h8des,
c' est~ê.-d~re_au "merveill'el.l:>C~: ,Le "récit mythique est
',tl'I' ,
ain si, oppos'~, au récit v~ridique' qui procède de la raison 0
C',ést dans un tel esprit que Platon, dans le "Gorgias",
assi-.'i
mile le récit mythique à un·conte de vieille femme
: "Mais
peut-être tie~s-tu tout ce que je dis là pour une fable,
ainsi qu'en conterait une vieille,
et tu n'en fais point cas
Et,
qu'on n'en fit aucun cas, ~l n'y aurait à cela rien de
surprenant,
si notre recherche nous avait mis,
de quelque
façon que ce fOt,
à même de trouver quelque chose qui valOt
/;,
"
,",: ,
mieux que cela et qui:fOt vrai."
(9)
,'.,,' '"
(9) Platon
Gorgias,
6euvres Compl~tes, G~llimard, Paris 1950:
l',' •
l,l,"'
.

-
27 -
,
"
,~ :~ ..
Dans l'ordre de la raison démonstrative,
le mythe
l",
se situerait donc en dehors du savoir, rationnel, même si
Platon ne ledit: pas expressément. Or,
l'utopie, elle;est
profondément rationnelle dans son discours, de telle sort~
1
,,'
g~2 l'opposition du mythe et de l'utopie est, dy point de vue
~ :,
, } ,
~:.:",:
formel,
assimilable '~, celle qui existé 'entre la connaissance
sen~±bleet la,çonnaissance ration~elle de~ choses •
.,.' .
';h'l\\ .
Mai~ il' demeure que le mythe est l'une des formes
de di~cours qui prétend énoncer la vérité et le sens caché
des 'chosés. C'est ce qui explique qu~ le ~ythe ~fini par
prendre valeur de paradigme. Il constitue "le modèle de réfé-
l
'
,"
rence qui permet de situer, de comprendre et de juger l'ex-
!
p10it célébré da~s le chant. C'est en se réfractant à tra~ers
\\~,l,' •
,',1
les aventures'légendaires des héros .ou des dieux que les
actes humains, pensés dans la catég6rie de l'im;tation, peu-
, '
"
vent révélér leu~ sens et se situer dans l'échelle des
valeurs".
(la)
.. ' .
';I!','
"'~ ':',1"
,,\\;.;"
Cetté valeur du mythe, c'est précisément celle d'un
!;~~:;,
' :fl : "
enseignement obscur et secret livré~travers son texte narra-,'::
1
tif 'sous forme d i allégorie~ Et l'ambiguïté de la tradition
grecque par rapport au mythe que l'Occident gardera d'ailieurs
,1, ,
:"
.
(la) Vernant (J.-P.)
Ibid, p. 205,.
,'" '
"
,"
,:,
,!'
. f
"
, " '
;,: ':-:.':' ", ~ ",

-
29 -
chose sur quelq~e ,chosé ; et ce n'~stdon2pas le mythe qui
·",'
se pense en tant que telle , mais c', ~'st . bel et bien la société
tou~ entière' q.ui se pense elle-même ,à, travers les mythes dont ..
: " , _ ..; ,
• " ,
'
, ," l
'"
"
',,',
,
",
"~,l,'
l~ r~~it sert dqexD~nsion figurativ~'~treprésentativede la
..
l""
1.
n"
'".
réq,lité socialeo' ...
",1
C'est en ce sens que nouspbuvons voir quelle"fonc-;:
tion idéologique,
le mythe remplit-il dans la vie collectiveo
, ,
A cette question,
la philosophie politique offre de nombreux
exemples de philosophes qui ont tenté d'apporter une réponse
qui se veut convainc.ante de l'interdépendance du mythe et de
.,
d '
l'idéologieo
1:;:;',;,
C'estai~si que Platon a analysé dans la démocratie:
in,\\
\\' .',','
r
' "
1:11'.'
grecque de la persuasion,
la fo.nction'idéologique du myth\\e à
l!~mage de cetle que-le mythe d'ori,gine rémplissait dans la
socié~é homériqueo En effet, il a constaté que le mythe,
d'origine,do~~~it l'illusion aux hommes qu'ils avaient tous
: '
entre eux des liens de fraternité
; de ce fait,
il favorfsait
une bonne cohésion et une meilleure intégration sociale indis~'
pensable à la bonne marche de la citéo
,,1'
" "
'~ '.'
".:,
.,'"
Même si Platbn a quelquefois rej~té le mythe de la
,l'"
,
"
;'"
j
~'"
cité comme dans la "République" parce qu'étant l'affairepes
me~~eurs, des poètes, il ne l'a pas P9ur autant rangé
" . f '

.,p
; . ' ,
.
,',
,
" l
, . f
"
l~ ; l' 1 •
-
30 -
~I>r,!,:
t,II';,. '
,!::~:i:,
;:11: ",
",'
"
d~finitivement dan~ les t~n~bres de l'irrationnel ou de la
:,'
d~raison ; il a cess~ de prendre le mythe à la lettre po0r
ne retenir que ~a valeur d'enseignèmènt sous forme a11ég6rique
On 'reconnaît la valeur et l'importance de l ' a11~go­
rie de la cavertlé'dans· l'~ducation des, gardiens de la cit~
'::1\\;.::',
p1a,tonicienneo. La figure descriptive et ,narrative qui est
r:::;·';·· ':
~"', \\
. ',·'1
ut'i\\'l,is~e contiefltdes :-.~l~ments qu,i·'traduisent en un langage
';11'1'
~ ~'~
:1 ',:"
l,Il';" '
, d" images,~-~e .. ,vérité ph:L1o.sophiquè ~,trang~re au monde se'nsible
. '
."
,
~ii::i,:',
ma1.squi appartient au monde inteliigibl~'o
",1
Platon reprend ~gale~ent, sans le mentionner e~pii-
citement,
le mythe h~siodique des races vivant dans un éter-
nel pr~sent mythîque, pour en faire le pivot central dans
, '
l'~dification d'une idéologie ~galitairebasée sur l'harmonie~
",,:
" ' , '
a~solue et l~ complémentarit~ des f6nctions entre les trois
.","','
classes de la cité,
à savoir celles des', a'rtisans, des guer-
t:ier s e t des philosophes-rois °
,.,",,"
Parai:l..leurs, 'nous pouvons également nous poser la
ques'tion de savoir ,quelle est l 'o'rigine grecque de la divi;...
,
,
sion tripartite de la cité qu'emprunte' ici Platon? Il est
vraisemb1ab1~ que cette trad~tion de la division en trois
classes, utilisée auparavant par le philosophe et urbaniste
, '"
, '
"
',1'
'.' ,
.
,'1.
':'.. '
.' \\
"
' :
" , ' L : .
'"

.,,
J
C
",'
-
31 -
. '
'
,"
Hippodamos de Milet et les sociét~s'phytagoriciennes, repose
, '
"
sur le mythe de cr~ation dont le chiffre 3 serait celui de
la p~rfaite'manifeitationde l'or~re cosmique. Nous pouvons
~, , ,
,
.
pousser la r~flexion.sur cette divi1?ion en .trois classes de
'. .
.
.
la cité jusqU'au problème de la di~lect.ique h~gélienne pour
.'
1
1
' , . ' _._
, . '
." /
" .
. ,
se rendre cgmpte que, c'est toujours ,le même principe qui est
. aboid~ sous dffféients asp~cts ; l~~~riabilit~ joue alors
,
, ' , ,.
'
.
"/
sur la complémentarité 01.). l'opposition des'~léments de cette
triade qui a pris valeur de mythe.
;i.:
Ainsi, par l'explication des choses q~~il donne,
le mYth.::: ne sert pas seulement à relater les actions accom-
~', ,
. l , l "
piies par les dieux et les héros, mais il sert ~galemen~
d ,'instrument d'influence et de contrôle social des individus
dans des actions col~e~t~ves. Comment s'actomplit;~lors ce
ptoc~ssus d'influence et de canalisati0nde~ énergies indivi-,
1
' "
dtieiies ?
'1:',):'.
"Ii_", •
'1·
"
':!~::/,l .:
i'\\:"
A cet effet,
la réflexion 'd'Aristote dans sa
"Rhétorique" (Liv. I
et II) sur l'emp+:ise du discours politi-
que et sur ses'techniques persuasives,
procède d'une même
préoccupation. Il s'agit, pour lui, de déceler comment l'ora-' :
teur politique arrive à convaincre. leS gens et à combattre
' , I I
efficacement ies arguments adverses,
tbut en rationalisant
"
.
.r: '
'l,",
", .
.. ;
l '
··.·'1.
.~ .
"
.
~ li l' •

l,','
-
32
"
"
les identit~s et les rôles ~ travers des normeg et des va-
~" ,
leurs implicites. De même" Machia\\l'~I'dans le "Prince", ana-
lY,~~les fonct-ions" sociales remplie's: par:les mythes religieux
f
'"
"
'
;'1,'
et s'interroge ensuite sur l 'u~ag~que peut en faire le
p~i~ce dans-l~s conflits" pOlitique1.II constate lue seule
.
!
'
.

une manipulation efficace du pouvoi~ symbolique conte~u dans
'1
l"
"
les mythes peut permettre au prince de ~aintenir une meilleur~,
1:~ .
l
'
l"
coh~sion sociale et la disqualification de ses opposants,
pourvu qu'il en use intelligemment.
A .partir de ces quelques exemples, nous remarquons
que la réflexion sur lés rapports entre mythe e-t idéologie
d\\an~ le champ de la philosophie po1itiqu~ s'est faite dans
.
' . '
.
.>,\\'.
'1':';\\ ' "'
de~, contextes historiques spécifiqu~~; il s'agissait pour
U\\I
',' "'1
l '
,". "":'1'
~
,
, . ' . . '. .
. '
,
.
,
,
.
JI''' .
.
eux de repon.dre aux besoins urgents ,de la societe de leur
,
'
-
le
t~m~s aux pri;esav~G la réalit~ s~ciale et politique tr~s
mduvementée. Ils avaientplein~me~t:saisicettedonnée fonda-'
mentale - que les dix-septi~me, dix-huiti~me et dix-neu';"i~me
.\\.
si~c1es d~velopperont par la suite - selon laquelle, "les
l
,
"
luttes politiques sont simultanément des luttes d'id~es et
que Iti~tensité des affrontements donne lieu ~ une inten~ifi-
III

,,1' .
"
'
,"
cation des affrontements symboliques".
(11)
(11) Ansart (P.)
: Idéo16gies, contiits èt pouvoir, P.U.F.
p~ri~,1977,p.51_

-
33 -
1
"
!
"".f
'"
Il resterait alors à expliquer, ,à l'appui de ces
con~id~rations historiques, pourquoi' le discours mythique et
le discour s ui:opiq~e s'in sèrent au niveau social et pol i tique ,:
dans un ensemble coordonn~ de repr~sentations qui sont carac-
t~ristiques de la l~gitimation id~ologique ?
' :
'
Jusqu' à pr,ésent, nous n0tls, sommes abstenu' de cerner
de près la notion d'id~ologie afin de cpmprendr~ le long
cheminement souterrain et diffus suivi dans le travail de
c6nceptualisatibn ~t de rationalis~t~on des id~es politiques
e't des comportements 'sociaux,
i,ndividtiel s ou coliectifs 0
Et lorsque,aud~but du dix-neuvième sièCle,
1\\., "
Ao Destutt de Tracy invente le concept d'id~ologie, c'ept
dans le but d'instituer UD2 science particulière qui s'appli-
querait à tll'~tude des i'd~es, au sens' g~n~ral de faits de
l,l,
conscience, de leurs caractères, de leurs ,lois, de leur rap-
, .'
"
port avec les signes qui les repr~sentent et surtout de leur
,.
',(.
,
,
origine ii o (12)
. ' .,' ~.I
~, j
,: '1
Selon Co Polin,
l'id~ologue,tl~tait donc invit~ à
.... r '"
(12) Lalande (Ao)
Vocabulaire te'dmique et critique de l a '
philosophie, P~UoFo,~aris,~diti6n19~i,po 4580
. , j '
',' 1:

'1 •. '\\',
i~,
.....
- 34,-
,,' ..
,,'
','
,
','
j '
'.
considérer le~ idées comme des syét~mes devant @tre rapportés:
,1:: ..
l"~
à une cause'" (13) C'est dans ce sens premier que Destutt de
Tracy entendait utiliser le concept d'idéologie pour souli-
gner les relations de causalité qui existent entre la produc-
tion des idées et leur origine soci~le. Mais une telle concep~
tion de l'fd~ologiene devait pas résister à la pression des
,Ill
De concept, neutre, l'idéplogle. devient,cr~tique
avec une conhotation nettement péjorative. Ainsi,
la réinter-
prétation politique du concept dlidéologi~ va, à travers la
perspective historique, mettredavan~age en relief, le rapport
de détermination entre le groupe social et le discours idéolo~
, 1
gique ; cette hypothèse sera plussystématiséecpar Proudhon
dont'l'analyse sociologique s'inscrit'''dans une perspective
"
: " ' ,
",'
~ouvriériste!"de la gen~se des id~ologi~s ~t op~re une criti~
',1:'1' ,
qu~ de toute appropriatlon des bié'h:sldéologiques pa.t~ des
org~nisations'ou . del?_ intellectuels spécialisés ". (14)
".,
",'
(13) Polin (C.)
L.' esprit totalitaire,
Ed. Sirey, Paris,
~.'
1977, p. 134~
1:' '.
(14) Ansart (P.)
: Id~oloqies, Conflits et pouvoir, P.U.F.
Paris, 1977, p~ 54.
l'
.
l,'
,
'".'
" .

~.
:.
"/
~ :: "
\\',
Et c'est à partir de cette hypothèse formulé~,'pui~'
théorisée par Proudhon que vont semultiplièr ultérieurement
des interprétations tantôt divergentes,
tantôt complémentai-.
,"'.
res du problème idéo~ogiqueo Les plus pertinentes selon nous,
.', .
' , ' 1
~' r
en raison,
non seulement de leur.formtlla.tion et de leur por-'
~é~.:théoriquei;~m~rs~galement de i~ur valeur épisté~ologiqu~,
•• '
1
..
'
,',
'
11",'
sont les interprétati6ris de Marx, Max Weber et Durkheim ~ui
é!-naiyseront tour -à t-our,
l ' origin~.ét la ctéterminatior.: des;)
'.
,
.
,'/
discour s idéologiques, dégageront l.eurs fonction s histor:d..ques'
..','
et montreront leurs corrélations avec les. structures sociaies~
i",i'
Cependant~ pour Marx comme pour Engels,l'idéologie'
est assimilable à une conscience fausse
; plus exactement,
elle est "un processus. que le soi~Ciisant penseur accomplit
sans doute consciemment, mais avec,une conscience fausse.
i>' '
~' "
Les forces motrices,vér{tables qui ~e mettent en mouvement
tui restent inconnues,
sinon ce nese~ait point un processus
',If,'
idé'Ologique 0 •• ,,' (15)
.De m~me Ko Mah~heim faii, dans sa typologie, une
distinction entre le concept particulier de l'idéologi~ et
(15) Marx (Ko),
Engel s ( F 0)
:
Etudes philosophiques ,
Edo
Sociales, Paris,
1974, po
~49o
."
.,/'
t;::,.,; .
• ~' r .
.,' "

36 -
'1
son concept total. ~outefois, il oppose l'id~ologie à l'utopie,
m@me si les ~eux concepts sont pour lu~ cdrollaires de
';-
<
conscience fausse. Ainsi,
l'utopie "en tant qu t elle constitue
• :-
1
le lieu ..commun d.enégation des rapports. sociaux anciens,
appa~'
rait comme la valorisation d 'unecoiiscience. historique port~e '
ver~un d~sirr:~dical dec:.hangemen1;;,·gpcial,; alors que l' id~o­
logie qui est un sys,tème gJ.obal dé .v~ieurs et d' id~es, traduit'
.".
..
en,f~it les d~j6r~~ilons et les 14mifati0ri~ de la conscience}
soc;i.ale m2.rqu~e flôr la teqdancé à mystifier la r~alit~ et
l t histoire.
(16)
i· .
De toutes les d~finition~ actuelles de l'id~ologie,
nous retiendrons cellé qui, dans son acception courante,
la
d~finit comme un ensemble d'id~es,~e croyances et dep~ati-
ques à coh~rence relative. Plus exp1icite encore est l'inter-
1
~",
::,.
pr~tation de C. Polin pour qui, une· idéologie "est une repr~­
sentation collective de la collectivit~elle-m@me, mais d~ter~
l '
.,,1
"
,
. ,
", ..._---'
"'.
min~e dans . son contenu par la f.oi en. des idéaux d~clar~s
...,
s~pr~mes ; ell~ cbri~fste donc plus rigoureusement dans une
,.
.
"i
trül!sfïg'uration de la r~alit~ sociale ,d~sormais v~cue à la
lumière de cesid~aux••• Cette transfiguration consiste dans
une r~interpr~tation du pass~ et du pr~sent de la collectivité
','
1.\\. '.
(16) .Mannheim (K.)
: Id~oloqie et utopie, Marcel Rivière et C~
"
.
, .
Paris,
1958, pp. 225-229.
'.',",
. t '"
...
. ,
-.1.&4.4. Q"

l ' "
-
37 -
1: ,
',l"
qui rende pensabie et possible sa conformation ~ l'id~al'
choisi,
et par cons~quentdéterminè une action"transforma-
~, " "
trice,
c'est-~-dire'essentielleme.nt>politique"o(17)
" ' ,
t
.,.t.,.",,'
Si l'idéologie consiste,' '<:brimie le résume C.
Polin,
,
. , . , , ' ,
dans une "tri:lnsfortna-tion de la réalfté sociale", c'est parce ",'
'".,
"
que,
dans son mouvement ·int.erne, la', pensée, réalise un décol-
lement par ra~port. au réel, c'est-~~dire provoque un ~cart
,
'. '
entre l!id~al e~ =e qui offre prise à l'action transformatrice
Et c'est dans la mesure où cet idéal, envisagé apparaît comme'
une contre-image de la réalitépréiente que l'idéologie op~re
',1 ;
i:;oujours ce "renversement" de l'ordre du monde; renversement
,.':,":,
qui ne peut s'accomplir que par refoulement en;attend~nt le
~Omènt propice de son actualisation~
.. '
'~ Il , '
,L'idéalis'ati6n et la r.atlbnalisation de cette
a,ttènte créent· l "image de ce que no,us appelons le "monde ren- ",,
versé",
et qui n'est rien d'autre qu'une représentation in-
,,','
versée du monde réel investi en un monde imaginaire. Et ~'es.t<:,\\
","
précis~mentdans cette représentation inversée de la réalité
que se constitue le mythe sous forme de ré~it qui institue
un mode derelatioh des individus 'à eux-mêmes,
au monde et à
(17) Polin
(C.)
Ibid~ p. 138.

-
38-
',;.
aut.L",ui ;:
c'est:
en somme,
le réei't,mythiqUe qui "apporte le
réseau de significations ,par 1eque'1's',explique et se pense
l'ordre du monde dans sa totalité".
(18)
Par contre,
c'est par le je~ de l'imaginaire que
','.'
\\ '.
nous pouvons,
au niveau de la pensée,
comprendre ce rôle
alternatif àu mythe et de l'idéologie,
puisque l'imaginaire -
en tant qu'
"en semble d'images et, de', relation s d'images for-
mant un capital pensé" (19) -
crée un ensemble coordonné de
' , I I
représentations collectives. Si le discours mythique doit
'"
,',.
"
,
;:;ervir de paradigme à,.l 'histoire humaine;,' le discours utopi-
qu~ ~oit au contraire interpréter',i~ sens de l'histoire,
cOnvaincre et.=,?i~o.nn~r-.1"es indivic;l.:üs' pai 'la "perfection même
,
'
qU'elle at'·Eiibue, à
sa conceptibn de' l ' homme et de la société
humaine". ( 2 0 ) , , '
,l,"',
Ma~s cette interprétation du sens de l'histoire ne
1.;, '.
peut se faire qu'en dehors de l'histoire reniée,
en ;,J) lieu
( 18) An s ar t
(P.)
opo cit.,
p.
230
( 19) Dur an ct ( G. )
structures anthropologiques de l'imaginairE
(20), Polin
(Co)
L'esprit tota1i1:~ir~, Edo Sirey, Paris 1977,
po' :1470
..• f " '
.
':'.1 1'
-),.:
'" '..

-
39 -
,'\\1
, '
','. _._.
..'.
.....r,"
.
, " .
in-situableréellem~nt, tout simp~ernentparce que le discours.'
utopique n'est'que l'expression d~':la~ré~ision imagée du
,sujet de connaissance qul spécule .~~. thécirise sur les possi-
f",
1
:","
bilités virtuelles de réalisation d'un nouveau progrès humain~
:.",.',.
j."
C'est surtout au niveau çie.l'imagination utopique,
,
'
.
en' tant qu'activité ihteliectuelle qui ét~blit la distance
par rapport au principe de réalité, que nous pouvons déceler
le déploiement de cettè activité i~tentio~~ell~ de la cons-
cience anticipante ; à travers le. principe "espoir" secté-
.
, .
vb,i<)..e cette ~xtrê~~ tens:Lon subjective e~:tre le'virtuel ~t
l
,.":
• .., " . :
"
"
: " . _ :.•. ' " • '.
'
, ., . . ' : " , . '
'.,'.

.
le r'éel"
entre le Ii(:>n-ericore-réa'li~é'èt le déjà-réaliséo ri
y. a donc à
saisir','1"a corrélation qui existe entre le sujet
de connaissance qui est ici l'être en moUvement,
l'être dans
son deven~r et l'objet à connaitre,~ais qui est enccre
1 ~' . ,
insaisissable parce qu'in-situableo
'l'
1.~' ,
On se trouve ainsi traniporté dans le domaine sp~­
culatif d'une philosophie de l'espérance qui fait apparaitre
l'utopiste comme une sorte de visi6nnaire~ un prédicateur des
vérités, des "vérités ,prématurées','dirait Lamartineo Pourtant',
l'a,;vérité de' l'utopie, n'est pas daI")s'l 'utopie elle-même, mais'
l"~
r ' "
.
: ' . .
.
plut6t dans-ce qu'elledésigneoudé~titparsa raret~ et son
ab?ence,
à savoir-, "la cité idéale qui est' le négatif ou l ' en-
"',1
"
vers de la réalité sociale préienteo'
';1( •...
.'/,1,,1\\",
""',1
;<~:: "
".'

- 40 -
'\\:;,,1:'-
.. ,', .
'. :',,:"
~}; ...
,'1,1
.,'\\
,
"
",r,:'
;11','
C'est ici que se justifient également les remarques ":
,
de L. Marin,
lorsqu'il affirme que "le discours utopique
"
,
.l',
accompagne le discours idéologique comme son envers et dési-
gne à vide,
le lieu de la théorie scientifique de la socié-
"
té ( ••• )0 L'utopie est alors,
" ...... une' construction fictive,
i '
"
la figure d'un discours q~i la produit par des opérations
discùrsives déterminées (rhétoriqu~s ~ poétiques) et qui joue
d~ns'ce discours a.ffabulateur comme une représentation indé-
penàante et ,re,l~tivement libre (notion de scène
topique) où
,1
'1
;11','
app~:taît, mais "'iigurat±vement, l' atH:rê ou le négatif de la
réalité' soci~le historiquecon~em~o~aine"" (21) La pensée
utopique ne peut donc
",,
le transcender par la suite,
de
valeurs doublement 'orientées
et en un sens
négatif ..
l'
l,
En définitive,
si
parler
d'un genre utopique en tant que tel,
celui-ci doit être
,"
,"
d:abord cherché-~u niveau de cette forme rationnelle de pen-
,
"
.. "
s€e
log:Lqueet dis,cursive qui est 'V:,~ritablement une logique
'.
,
, ,
de la dissimulation .. Et--c '-est à tr,a,v"ers elle que nous pour-
':lfl
rons sans douté voir comment sieffecitue ce décollement par
'(~1') Marin (L.) : uto~iques'
jeu~'d'espaces,
Ed. de Minuit,
"" .. , '.
,1"'
-Paris,
1973, ,pp.
251-254.
'"
l,
f.o'
,"
..'"

'l,'
41 -
l,",
','
rapport aur~el qui sert ~e cl~de voate dans l'~laboration
d" un système: 'clûs d' id~es qui est i'e propre, même de l'utopie.
",
1 ~'I
C'est d'ailleurs cette am~igu!t~qui a ~t~ relev~e
par Bo Baczko, qui Dote que "1 'utopl~, veuti:nstaller la, raison
da~~" l'imaginaire (~o o)~1ïn~is eli~:::ê~taussi ce lieu où
s'~laborent des "~cf1~nges incessants 'entre 'les rêves sociaùx
et la r~flexion critique, th~oriqué" n'ormative, etc, sur la
vie sociale"o
(22) S'il Y a des utopies UÙ, cet ~change entre
les rêves sociaux et les repr~sentations collectives est
11.·'"
intense,
c'~st bien ,dans les mouvements mill~nar~stes.
3) Utopie et mill~narisme
On a souvent distingu~ dans le mill~narisme, à côt~
de son, sens t.héologique, normatif, 'un second sens plus socio-
logïque qui cëLra:ct~risé~lesdoctrin'e'~politico-religieuses;
elles reposent sur l~ promesse de r~alisa:tion du bonheur col-
lectif sur terre,après destruction de l'ancien monde fait
de souffrance et de misère~
(22) Baczko (B.) .. Lumière de l'utopie, Payot, Paris,
1978;
1
p.
32.
,1

-
42
"
'"
A l'origine,
le millénar~sme s'est caractérisé par
la croyance au Millénium,
c'est-à~dAre, en l'av~nement d'une
période de mille ans durant laquel~e le Christ r~gnera en
personne sur te~reo Et ce que le Înillénarisme rCec~le en lui
"
'
"
:
d"utopique , c'est cette aspiration '~ un monde meilleur, un
Age, d'Or, plus 'supportable que le monde 'présento L'espoi~ de
l"

r
"
• •
1~ r~génération du monde ne peut ~~r~~ait que par une inter-,'
veDtion divine~
",'
':::',
'Cette intervention peut se faire,
tantôt sous la
formE:: d;un royaume (c'est le millénarisme),
tantôt sur l'in-
tervention d'un héros ou d'un messie,
(on l'appelle alors
messianisme) affilié nativement o~ ~lective~ent à ce Dieuo
",'
Et c'est la raison pdur laquelle,
~~ messianisme, priF dans
son, sens historico-sociologique, représente "leJ fonds commun
des,doctrines qui promettent le bçriheur parfait sur terre,
. .
. , .
s6us la direction d~une personne, d'~n peuple, d'un parti,
,
,
"'."
, ~' .' '
de mouvements collectifs, au sein de~quéls les réformes tant
,
.'
ec~lésiastiqU:es que politiques, éCQri'6miques ou sociales sont
'""
"
.
' , "
' " .
"
t '
,
,
presp.n ees sous la forme·d'ordres ou de normes identifies a
des "missions"voire à des "émissions divines"o
(23)
\\,
(23) Desroche
(Ho): Le messianis~e et la catégorie de
,
'
l'échec,
in Cahiers Internationaux de-Sociologie, Volo XXXV,
Paris,
1963,po 650
. .',..

-
43 -
, '
\\.",
\\,1' ..
",,1
De plUS, Ho Desroche constate que utopie et mill~­
, ,
" 1 '
narisme sont du m~me ordre, car ils' remplissent> une fonction
iden~ique qui est celle drune im~g~nation constituant0. L'uto~,
"', '"
pie, ," serait en quelque sorte un pro,jet imaginaire d' urie r~ali";
o,
, " '"
',"
_."..
>,! .,:.".; ..
t~ autre" ,.(.24)' De son côt~,
0
J •. Seri.r'iernote également des
traits communsentre-l 'utopie et le'~lll~n~risme ; l'utopie
qui est un mill~narisme l,aïr:isé', exprimerait un espoir de
transformation du ~~~l et que le mill~narisme utopique serait '
"I~ ,
donc débô.rrassé dec so, fonction religieuse.
(25)
','
,. ,
Toutefois,
le mill~narism~ n'a pas seulemen~ une
' , I I
vis~e utopique, mais ~galement unectimension mythique dans sa
repr~sentation de l'Age d'Or, dont ,la.finalit~ ;supr~me r~side
!",'
d~nsl'~laboration d'une sociét~-~odèle~ Le sentiment de
1
• ,
• ", •
'
dé~espoir etdèfrustration par rapp~x;t à,la société pr~sente,
.... r <' .
pass~ tr~s,vite à lapr6testation ~tilénariste, laquell~ finit
tqujours
!
pard~bO'l:lcher sur le rêve'~~ticipateur d'une
.
.
humanit~
id~ale. Ici aussi se produit c~ reniersem~~t du monde qui,
(24) Desroche (Hu)
voir l'article stir l'utopie,
in Encyclo-
pedia Universalis, Vol. 16, Paris,)980, p. 558.
,'"
d, . .'
'"",
."
"
l ' , '
,
l " ,
"
1 ~'I •
....,., .
"",i
,,'

- 44 -'
loin d'inaugurer une pratique des rE:!tournements constants,
se,
.
,
,
~,
.
,
fige au contraire dans un espace d~:référe~ce établi une fois
','
.,1
\\
."
1(,'
pour toute..( 26)0 si d 'tin 'côté, tOtlt';':ie monde s'accorde à
reconnaître queie.système utopique'.'est url . système clos, d'un'
,.... ,. '.
.
','
autre côté,. les controve~ses rèstèntouvertes sur la fonction
pratique de l~utopie et sur ses caractéristiques structurales.
4) De~ caractéristiques ,principales de l'utopie
a) Les conflits d'interprétation
Les travaux sur l'utopiê;entant qu'objet d'étude,
~ .. ,\\.
..
"
,.
li,
ont pour lapluparf décji:ùje deux attptudes divergentes .. La
première attitude., çopsiste à déva16i:iser le concept, à
condamner sévèrement tous les faiséurs d'utopie c'Jmme des
rêveurs impénitents, des insatisfaits sociauxo Tout au plus,
~ :: .
l'utopiste ferait bien preuv~ d'intelligibilité dans son
entreprise rigoureuse, mais i l est incapable d'agencer l'ordrE
d(~ .la raison avec l'ordre, du désir,~. Certains auteurs comme
"
.
(26) Rau1et (Go)
: L'utopie comme~fexte et structure proces-
",
suelle,
in stratégies de l'utopie"Ed .. Galilée, Paris,
1979,
.... ,
rl,
:~ i.· '.
,"

-
45 -
",.
l,',
t: 1~.I '.
.
, '/:'
.
.
.
Cio~an et Lapougevont plus loin dans la critique et voient
." ', .....n.:
.... _._ . . .' '.
,",n.': ~";'.
en ces constructions utopiques.l'exemple même des sociétés
,
" ,
' .
'
totalitaireso
(2T) Nôus reviendroris, plus loin sur cette
-','
question 0
Une autre attitude cherche par çontre à revaloriser
1,.'
le concept d'utopie tout en se voulant aussi critique. Ellfl
l,','
an'alyse le contenu des textes utop'iqu,es en les confrontant
à la réalité sociale dont ils constituent des antith~ses
dans leur forme descriptive et figurati~ed'un 'lieu autre.
Ainsi,
F.Chirpaz q\\li plaide en f~veur de l'utopie, reconnaît',
d"apord à tràvers 'celle-ci, une tr:~~,:ition déjà longue d 'oeu-
. , ··'·'''l...
"o, _ . _ ,
...
","
"
.'
vres qui se.. réclame d" une inspj,.rai:ion 'commune et const':"pte ;
"
,
~
elle constitue "une certaine approch'~ de la réalité humaine,
'"
"
sociale et politique qui,ne saur~it:être désignée sous le
seul sceau de la disqualification
,I"f
11
(28).
.p
(27) -
Cioran
:·Histoire et civilisation, Gallimard, Paris
1960.
Lapotige
Utopies et civilisations,
Flammarion, Paris
,1.'
'"
.
19780
"
""0'
l".
(~S),Chirpaz (Fo) :Pl~idoyer pout",l'utopie in Revue Esprit
,
0" '1

1
L...!, Avr1.1 ...974,p"
571.
;1(,'
l ' '
".

-
46 -
1
,
,
'l"
,
, '
;.. - ..
"'1'
,"
')1,
C'est aU' r-egard de ces deuxatti tudes divergentes"
1,
','
que; le concept d'utopie 'a. connu des distorsions de tout genre,..,
du fait des muitipl~s interpr~tation~. En effet, apr~s Thomas
More,
le fondateur du concept, Rabelais l'emploiera dans le
même sens pour décrire un pays imaginaire dont,
selon
Gargantua,
les Dipsodes auraient saccag~ le pays d'utopie
et assi~g~ la ville de~ Amaurotes(Cf~Gargantua, Liv. II,
chap. 23).
~.
'r'r'
Au (Îix-s~ptième siècle, onpr~;f~rait pl :,ltôt parler
l'
...... \\ -: "'.
Il','
de "voyagesimaginaire~" ou biend~'''romans pol {tiques " tels,
chez un Naude ou 'un Lenglet-Dufresnoy. Le, concept commencera
,
,
,
à être vulgaris~ au d~but du dix-huiti~me siècle ; dans la
préface à l ' -::n:l'vl:'age de More, Gueudeville emploiera même le
1 ~. "
verbe "utopier" dans un sens ironique: ainsi, dit-il,
"des
millions de têtes trouvant leur compte dans l'ancien train,
l,' ,
le monde ne s' utopiera jamais".,
Plus tard dans l'~dition de 1,752 du Dîctionnaire
de ~h~voux, le mot tifopie apparattra~pus cette d~finition
,',
"'R.~~ion qui n'a point.~~ lieu, un~~ysimaginaire ; c'était
,'\\,'
1(,'
le, rc:iyaumed,e Grangbusier ou de Gargantua". Une autre édition'
de 1777 vient compléter cette premièie d~f,inition en spéci-
fiant
"Le mot d'utopie, (titrè d'un ouvrage) se dit
, '
"
"
."

,
-
47 -
,
;\\ .,",
":". '
' , " - ' - "
"'.
'l,
,:,1,"
1·;,:·
l,
' .
..,,
quelq~efois figurément du'plan d'un go~v~rnement imaginaire
1'1.
à l'exemple de la R~publique de Plato~, l'utopie de Thomas
Morus".
,',,'
Le ,Dictionnaire de l'Aca~~~ie d6nne, dans son édi-
tion de 1798, cette autre d~finition de liutopie : "se dit
~n gén~ral d'un plan de gouvernementîrnaginaire où tout est
par:f~dtement r~glé pour le bonheur '(:ommun, ,comme dans le pays
fa:bpleux d 'utppJe d,ans-:~I11ivre d~'Thomas Morus qui porte ce
'l'.,'
"
titre. ChaqUe rêveur imagine son utopie".
'L)."
J.
-1.
','
"
D'autres d~riv~s comme ut6pique,utopiste sont!
créés au dix-neuvième siècle donnant encore plus à l'utopie
\\:
un caractère péjoratif. Aussi, A. Lalande définit~il l'utopie
1'"
comme "un idéal politique ou social séduisant, mais irréali-
sable, dans l,equel on ne ti.ent pas compte des faits n:~els,
de la nature de l'homme et des conditions de la vie".
(29)
Cette approche du concept,"d' titopi,e comme id~al
, ,~,,:,
,:';,(.; ..
~' \\
p61~'tlque parL~la~de
\\
,était déjà fëJ.:i;.t~ par Marx et Engels
,'.
'
,III
qui l'ont oppoiée à la science~ L'~€o~iereprésente alors la
(29) Lalande (A.)
: Vocabulaire technique" et cri tigue _~e la
\\,'
philosophie, poU.Fo Paris,
10ème édition,
1968, p. 1179.

.",' ..
i,
- ·48 -
,
';",
.,
l,l'
,,
"
"i
,
l';
''''',
manifestation spontan~~ d'un sentiment de r~voltes sociales
des classes domin~es qui aspirent ~ un id~al de vie commun au-
taire. Comme ~elle,
Itutopie antieip~ le savoir qui n'attein-
dra son statut scientifique qu'avec le marxisme.
(30)
Bien que d~veloppant,son,::id~e dans un sens pol~miste
.p~tl~~pportau~ar~ismeG~ Sorel d~~in~tl'utopie par opposi-
\\'
,-"
, ;:1 J.'..
\\'
: .~_.,_...
..
" '," ,l, " ,'. . '
."
." ,
tion au, mythe. En effet,
selon .lui, 'l'utopie, produit d'un
,"
trav.ail intellectuel -et sp~culatif;"est le modèle chim~rique
d'uDe soci~t~ id~ale pr~~ept~e aux 'eiasses d~sh~rit~es comme
le lieu ultime de réalisation de le~~~ aspirations sociales
et politiques ; alors que le mythe apparai,t plutôt comme ,un
produit de l'activit~ spontan~e des, masses et traduit la
': .
volont~ d'un groupe qui se pr~pareau combat pour d~truire ce
qui existe.
~" " '
.''..
Pour J.M. Domenach l'utop~~, qui est ~ la fois,
"un ,genre litt~raire particulier et"un jeu ,de l' imaginati;on
_.~,
1

• •
• •
, ••• ,
'
" " . ' ,
: '
. '
'
'"
p6~s~dant ses règles ~ropres, pr~~e~~e cette double face :
satir,e r~v~latricë dU- pr~sent-image"anticipatrice
de l'avenir 0,,'
l
'
(30) Engels (F~) ~ Socialisme utopique et socialisme scientifique;
"
Ed. Sociales, Paris 1973~ pp. 58-77.
l'.' ,
1..
','.1'.
':', '
" .;,
"
_ , o f '
.-:,i"'

49 -
l
,
" ,1"
c:ôtés
Ainsi l'utopie qui,
par certains~rel~ve du r~ve et du délire,
exerce aussi une fonction expériment~le à l'égard des insti-
tutions soc'iales"o
(31)
l'
. ' "
,1 co,
Soucieüxdé faire garde~'à: t'utopie son sens et au
.'" .
genre l i ttérairë sa spécificité , L . ,Gi'ard refuse de dés'igner
par' utopie au'tre ..cho.se "qu'un pro Jet's~ciétaire global 'd' oppo-"
. ,"
.
"t'
si tion radicale à 1 ',ordre régnant~I'o'",,(32 )C~ependant 1 'utopie
"
n'a pas pour seule fonction d "invalider' le présent ou dei
jeter l'anat~~me sur ce qui se fait en ce moment; elle pré-
figure également l'avenir,
traçant le "schéma d'une société
"".
,
. ',"
idéale très perfectionniste"o
(33)
l;.~l' ".
, .• ,1,
C'est ce goQt du perfectionnism~d'uThunivers ima-
"
,
1,'/"
1':', .
,,' :;1.
g,inaire qui,
chez Cattarinussi,
fai:t considérer l'utopie comme,
"une' description d,es mondes imagin'aires qui possèdent des
-' "
_,.r '"
"
.
,
(~1) Domenach' (J oM .. )- : L'utopie ou: ,iaraison dans l'imagi.naire
.
!
.
iri ~evue Esprit N° 4, Avril 1914, pp~ 546-547 0
(32) Giard (Lo)
: Voyageuse raison,
in RevUe Esprit N° 4,
Avril 1974,po 5600
(33 ) Leduc-Fayette (Do )
: Jean-Jacgue's Rousseau et le mythe
de, l ' antigui t·é, Par~.s, 1974, po 148 ~
."

- 50 -
institutions diff~r~ntes et meilleùresque celles existant
, 1
dans la r~alit~'et in~pir~es par des principes ~thiques et
s,0ciaux ,cru; on croit normalement iir~al:isables". (34)
,.' .
11'1'
Il
'"
On voit ici que l'utopie incarne aussi un système
i"
de valeurs positives dont leurs r~aiisations d~pendent en
,
'
'
gtand~ partie de la force et de là~~aiit~ de l'alternance
sociale que ~elle-ci suppute. C'est pourquoi, l'utopie ne
saurait,
selon R. Trousson,
"se concevoir, ni en dehors de
l'histoire, ni iSol~e dans telle ou telle~poque privil~gi~e,
parce qu'~troitement li~e à la si~uation historique,sociale,
politique, ~conomique qui la secrète".
(35)
En effet, R. Trousson s'e~t livr~ à une ~tude his-
tori'que de l'utopie dal1S 'J.ne perspeç~:ivediachronique~ dans
fi,
l'espoir de'la restituer dans ~es m~tations et sa permanence,
(34) Cattarinussi (B.)
: L'Organisation sociale en utopie,
in Archives Internationales de Sociologie de la Coop~ration
\\ '
et du d~veloppement / Communaut~s, Vol. 37, Paris 1975, p. 27.,
(35) Trousson (R.)
: Voyages aux pays de nulle part: Histoire
litt~raire de la pens~a utopique, Edo de l'Universit~ de
Bruxelles,
1975, ppo 9-10 0
,;. :"1
1 ~. ,.
" r
.
.. "
'
,
'
l\\2WZiltbUUittEi.?, ~
;;.t:_·"~n'Ù2$j(lt€,,*!@ifW%12Z .;;::.~

-
51 -
ains'i pour lui,
"les utopies attestent la perma,nence d'un
grarid r~ve humain: une sorte de r~volte,~bstraite et une
. t
.
impu~sion jetée dans 'larecherched,'unesoci~t~meilleure" 0 (36
Ce~~quelques définit{on~ ~9ntrènt à l'~vidence les
n~oinbreuses diffic,ultés que l tOI') ren',çontre ·dan s les recherches 'i
sur' l'utopie. En effet,
l'utopie a,
sans conteste, un carac-
' . .."
tère polys~mique, qui fait qu'ellen',est nullement à l'abJri
.,"t'
, ,
de toute classification qui la valorise ou la dévalorise.
"
Elle est donc détermin~e par les conditions sociales, politi- 1
ques et id~ologiques de sa production, scientifique
En d~fi-
:'
" , 1
0
nitive,
si l'on peut parler d'une'pens~e utopique, c'est celle
qui porte aussi 'sur le monde réel, ,un regard "~thique:', selon'
1,emot de P. Chirpaz.C'est cette'p,ens~e qui se constitue
, "
'
"dans et par un ,~cart'à--Irendroit,cle',ceréel (000)", puisque
,1(1
._-,"
dans sa logique ititerne,
",o.
la réa;Li t~ de l ' histoire et de
0
la' p'oli tique ne peut, être comprise' 'que rê3:pport~e à un certain ,... 1
",
1~ "
'r
'
mbdèle idéal de~ rapports ,interhumains, dans le monde social,
1.'~lt,\\
,\\\\.:1"
et que l'histoire ne peut être comprise qu~à partir d'une
'1'
"
confrontation à un certain modèle de ce qu'elle pourrait être
;-1"
si elle ~tait intégralement humaine"~ (37) Il nous reste
(36) Troussori (R.)
Ibid, po 16.
(37)'Chirpaz (P.)
Plaidoyer pour 1'uto~ie, in Revue Esprit
N° 4, Avril 1974, po 5750
. t
"
l',l'

-
52 -
"
alors à voir qûelles en sont les priri~ipales caract~ristiques'
structurales,
b) Les caractères de la pensée utopique
On sait 1 à partir de nombreux travaux effecb.lés
durant ces vingt dern~ères années nbtamment, que la pensée
, . "
,
"
utopique fonctionne,
selon ses propres regles. Frecisons tout
, .':
de ~~me qu'il né s'agit ici que de l'utopie occidentale, dont
les deux mille ouvrages environ recénsés,ont permis de déga-,
"
'r'i
"
ger "des var iabies ass~z~-représenta:t'tfS. (38) Pl ~s récènte
"
" "
encore est la.,.tentative faite p'ar' Cattarinussi qui a consisté
·"1'
'\\1
ii/,'
"
i:
à'ét~blir un échantillon de trente~hGit textes donnant dans
Il,1:,
un tableau synoptique,
les éléments constitutifs de l'llto-
" '.
pie.
(39)
(38) Desroche (H.)
: Voyages en ucoopies,
in Revue Esprit
l'
"
!
'
N° 34,
1966 -
Voir également le premier travail de
~" ,
R. Messac qui a 567 t i t r e s :
Esquisse d'un~ chr6nobibliogra-

·"1
~, ,
phie des utopies,
Club Eutopia Lausan~e, 1962.
(39), Cattarinussi tB.),
L' Organisél..tic:>,D sociale ·en utopie,
in
11','
Ar,chives Int'ernationales de_Sociologïe de, la Coopérat5.onet
du Développement /ê::ommunautés, VoiD
37, 1975, pp. 29-41.
',1 '

-
53
,.
,lI

"
.
Ce qtii caract'rise d'abo~d l'utbpie sociale~ c'est
1,1
'
son organisation spatiale particulière ; en effet dans leur
fiction,
les utopistes pr'fèrent e~ g~n'ral un~ Ile avec des
r:,.epr~sentations bien sym'triques
Ce goûtprononc' pour la
G
sym',trie fait des utopistes les m~flleurs planificateurs
ui'bains. Cependanf ,c~ ::plan de lacit'~'utop'ique est donn' une,
fcispdur tQ~t~ dans sa fixit' absblue ;de telle sorte que
,
l
,
,
'
le' changement n'existe pas ou bien':s' i l existe,
cela ne peut
@tre accompli que par la nàture elle-m@me sans l'intervention~
humaine. Nous pouvons parler ici d'une harmonie spatiale
pr'-établie en utopie qui doit avoir des réperc~ssions sur
la forme d'organisation sociale.
' . '."
"
\\
La seconde caract'ristiqtie d~ l'utopi~, c'est la
i
,.'
"1
description d'une vie communautaire ,dans laquelle,
les habi-
j ' p ,
t~nfs isol'sdu monde extérieu~, ~i~ent en:autarcie. De ~ette,
vie','communautair,e d~coule,le pluS,S,b1.lVent un refus catégori-
que. ,de pratiqu:erle commerce,
s'our'ce" de corruption et de
",
conflits et une préférence pour l "agriculture. Une telle acti~'
vité 'conomique et sociale suppose én ~roisième point, une
fixit~ de~ in~titutions qui per~ettent à chaque citoyen d'ac-
\\..
,',1
complir son travail conform~ment à son aptitude naturelle et
à sa catégorie sociale. D'autres utopistes qui veulent suppri-
, '".
mer la propriété priv'e recommandent par contre l'égalité de
"
".'
.,:.,',
"" .\\

- 54 -
. 1.
~OUg ,les citoyètis.
', ..
Autre".carac;t:~istique de ',:Üf' p~nseeutopiquE::::, c'est
l t espri't tot~litaire "non pas cians ·j ..'.actuel sens politique,' du '
terme,
comme l e d i t R . Trousson,rnaiscelui d'une aspirkti~n"
·à· la synthèse, à
l'harmonie".
(40)
Mais pour plus de clarté et de précision,
nous fe-
rons ici une digression pour analY~er plus en profondeuF.le
concept de totalitarisme. Nous nous: inspirerons des travau~
de C. Polin dont le mérite réside,entre' autre, dans '\\_a ma-
nière. originale de dévoiler le concept de totalitarisme,
c,'èst.;..à-dire de le mettre à nu,
a:u:~'~elà de·toute préocc~p,a­
tiÔh essentiellement "idéo.logistc,'Î'et.'partisane. C'est sans
dout,e la raisçm pour laquelle,
C. Polin part de ce qu'est
"l'esprit totalitaire" pour en dég'a9ér les. valeurs principiel';;i
les'qui le fon~ agir comme tel.
(41)
(40) Trousson
CR.)
: Voyages aux pays, den~lle part : Histoir~
littéraire de la pensée utopiquè,
Ed. de l'Université de
.'
Bruxelles, 1975, p. 25.
(41) Polin (C.)
: L'esprit totali~a~re, Sirey, Paris, 1977,
p~. 103-115 et pp. 203-207.

- 55 -
La rremi~reconstatatio~,9u'il:fait,c'est que la
' "
'
"
~otion detotalïtarisme a jusqu'à prés'ent été employée par
t
certains aut~urs-di::Hi-s le seul but:'de' désigner la forme exten-,'.
, sive que prend le pouvoir politique' 'sans 'que la relation soit,.
faite avec la matière sociale elle-inêmeo Pour eux,
le totali-:
tarisme "est une forme de société dans laquelle le pouvoir
politique est devenu total,
c'est~~-~ire o~ aucune forme
d ' activité humaine n'échappe à son' 'cont,rôle"
(42) A"~;:rement
0
dit, ce qui est davantage mis en ~elief, c'est l'effet de
"politisation intégrale de la société,
ou la penétration de
part en part de cette sociétépar,un pouvoir étatique"o
(Çfb
Polin C.
" , . ! ' ,
. • ,
".
Mais'la ca-tégorie de totalité ~,souligne C. Polin-'
"
,ne s' applique pas uniquement au domaine politique ; elle con s'::'"
t i tue d'abord une dimen sion de l ' existence social,:~, avant de ::'
désigner ~es exc~s d'ambitions du pouvoir politique. Et cette
dimension totali~aire de l'existence 'sociale est à rechercher
dans l'antinomie économique de l'Octide~t chrétien qui, de~
puis le Moyen-Age,
a cherché à bâtir une société purement
économique.
';.'
": '. ~
'."
,.. _.-
(-42)"Polin (C.)
:
Ibid. po 7.

-
56 -
, / ' ,
.
. .. ,:.
Toutefois precise-t-il," si les 'phénomènes totali~
",,
{aires trouvent leur origine dans une certaine pratique éco-
"
.
nomique,
l'économi~me, ils ne sont qu'une déformation patho-
lugiqu2 d'un fait exceptionnel étranger à la nature profonde
du milieu où il 'se développe.
(43)'Dè plus,
C. Polin apporte
une clarification par rapport à la notion de totalité quiren~ ,
férme trois sens di~férents.Par totalité, on ~eut désigner
.
. , .
de manière quantitative ~rie simple so~~a~ion exhaustive d'élé~
ment,s identiques, mais celle-ci rèste, selon lui,
indéterminée
en :compréhens.ionet en,_extension.,'··"·
Une autre définition en· r'etient ,l'aspect qUè:itat.if':'
. par le fait de discerner le- "rôle de chaque élément du. ,tou~
considéré co~me moyen de finalité globale, et de concevoir
l'ensemble des moyens nécessaires à l'achèvement de cette
fin".
(44)
Une troisième défin~tionde la notion de totalité
conçoit le corps social sur le modèle de la forme organique
bien, que la caractéristique majeure.' reste J,a même ; en ce
, .
. ~ . '.' .'
(43) Pol :1.r- (C~ )
L.'esprit totalita1:re, Sirey, Paris,
1977,
1
p.
206.
.
(44) Polin (C .) .. Ibid • p • 105.

-
57 -
, , "
sens que le."toutest posé comme la fin,
la rais0n d ~ ;~tre et'
d'exister des p3.rties,
et donc supérieure à elle".
(45)
Si, l 'on réfléchit bien,
on voit'que l'analogie qui
est souvent faite entre les lois de la 'nature et les lois
sociales laisse, quelquefois la porte oUvèrte à une conceptiori
mécaniste de l ' homme considéré aVq.nt tout ,comme un atome so-
ciê1:1. Et si (I~"",son ,côt~, ,la socioJ.~,~i~ comtienne, puis
~tirkheimienn~ re~om~ande de traiter les ,faits sociaux ~omme
, ,,~,
,.
,
des: choses et de considérer ces f~it~ sociaux comme des
",'
".phénomènes totaux",
il est dès lor's compréhensible que la
'"
"
totalité devient un principe de société, un principe abstrait
dit C. Polin. La totalité apparalt alors comme "l'aspect' d'un,
corps social dont les éléments composants seraient uniformes
et homogènes ;
le totalitarism~ comme la forme que prend
l'idée de totalité lorsqu'elle devient un objectif social ou
que prend la société qui se fixe comme idéal de former. une
~otalité ; de la soite la volonté ~è conformité est apparue
com~e le ressbit ~ssentiel et vér~t~blemen~ le principe de ce
.:- -"'.' ..
type ,de société~ en termes de comportement sociologique".
(46)'
i
(45)
Polin (C .. )
L'esprit totalita:lre,
Ed. Sirey,
Paris,
1977~::
p. 107.
( 46)
Pol in ( C. )
Ibid. p. 115.
"
'
" , " ' - ' - " " ""'.
, '"
,f ~ ~' '.'
" .

-
58 -
"
""
'
C'est justement cette vo10nt~ de conformit~ sociale
que l'on d~c~le toujours dans la pens~~ utopique avec son
,
.',
mode de .juge~ent ~thique ; puisqu'elle pose le Drob1~me de
l';organisation sociale 'et politique' en terme de fina1it~.
Cependant cett~ :,fina1ité reposant sÛr le principe de tota1it~"
ne' ,~6nsistepas'·à.ana1Ysèr; puisà:'~Ë~,g'ager les lois h5.stori-
ques' de d~ve1oppe~e,nt_de la soci~té;':maise11e pose d~s le
,
,':"
',;"
d~part le prob1~me du but de l'org~n~s~ti~~dansun discours
fictif sur l'av~nemerit d'u~ monde ~~illeur.
;',
En r~alité,
c'est le principe du ,jeu social qui est,
pos~ dans la pensée utopique, dans la mesure où celui-ci sert
à'jeter les b~ses ~thiques d'un~ e~pérance de transformation
de l ' homme dan s sa nature e11e-même~, C'est ce q':li expl ique
par ailleurs que'la peris~e'utopique manifeste aussi un certain
,
,1'
l , ' ,
hurnanîsme,
c"est-à~dire qu 'e11~ "s'é:veut création humaine,
~•• 1
r~al~sée sansàppei ,à ,une ·transcen'd·~nèe extérieure ( ••• ). En
définitive,
l,',utopiste t~moigne d'un"indéhiab1e optimisme
,"
anthropologique qui met l'homme, aticentre du monde et le fait '1,', ,;.':
maître de son destin".
(47')
(47) Trousson (R.)
: VoyagesHaux Eays, de nulle part: Histoire:
littéraire de la pensée utopigue, Ed. de l~Université de
Bruxelles,
1975, p.
25.
',.
....
.:,'
. " ,,';,
-','

-
59 -
"
,',
'.,',
:
Apar.tir,de la, nous pouvons comprendre pourquoi
1 '~~ilisatiori: dtr r~ves:ert "d' insttÜ~ènt de réveil histori-
,'., .
que"; pour r~pretidre l'expression de:,M. Maffesoli ; autrement ':.';"
dH: " le "rêve est' 1/ indicateurdyn~~ique'.du réel puisque ( •.•. j:(,
,
!,l-,'
il permet l'unification sociale autour d'un projet collec-
tif".
(48)
Toutefois, nous ne prétendons pas ici avoir él~cidé
enti~rement les caractéristiques d~l~ pensée utopique ;
néammoins, cet effort théorique nous aura permis de constater
1,' ambiguïté du dis.cours utopique qui est de reléver à la fois 1
d e i ' ordre du rêve, du désir et dêi, ordre ,de la raison
; ou
pl~~exactement"encore.:de,-releverde;l'ordrede l'imaginaire
et de l'ordre du -réel. E t l 'analyse .des textes de Morelly e t · ,
d~'R6usseau que nous allons faire,d~sà présent, devra mettre~
en reiief le décalage entre ces deux oràres actifs aL niveau
de leur pensée ut~~ique.
(48) : Maffesdli (M. )
: Logique de ladominat'ion, P.U.F.: Paris
, "
..
1~76,p.
'
79.
".f
. • .
"
,
,';'
",1
"

-
60 -
C H A P I T R E
, '"
DE L'UTOPIE CHEZ MORELLY ET,''cl·IEZ J .. -J ..
ROUSSEAU
L'intérêt d'une étude comparée, c'est d'examiner,
au moyen de l'analyse,
les procédés d'argumentation et les
idées qui permet-tent d'établir des' rapports de ressemblance
et de différence entre des productions philosophiques réali-
sées dans des conditions morales,
sociales et politiques
spécifiques~
VouloirqécE!ler,_une pen~~,e :utopique chez J .. -J ..
Rousseau et c~ez Morelly,c' est' aussi s'offrir le difficile'
p'ari de la disjoindre du savoir e{'de, la" théorie politique..
".'",
,', .
,Pourtant, i l est nécessaire que nous trouvions un po"', ;t de
rupture, ~'e~t-à-dire un lieu critique qui nous aiderait à
mieux discerner cette apparente homogénéité entre les prin-
c{pes philosophiques et les syst~mespoiitiques élaborés par
ces deux philosophes.
Ainsi;
san~ vouloir reformtiler ici les deux hypo-
th~ses fondam,entales mentionnées toùtau début de notre tra-
vail et relat,i~E!s à la, na,ture du p()uy,'qirpolitique, au
",1

- 61 -
:,
"
"
'
..... "
'" ..
fondement du corps social et à
la "problématique individu /
".'
communauté,
nous partirons de cellès~ci pour affirmer la
thèse suivante.
D'une part,
la démarche de Morelly dans le "Code
de la nature" relève d'une utopie communautaire et qui pré-
conise,
selon un modèle mécanique " l a reaiisation d'une
humanité idéale.
;,
.".'
D'autre P "'-";';'
la démarch,~,,,p,J:1il6:sophico-poli tique
Cu.....::'_,
'
.
l'.,"
qu'utiliseJ.-J. ,Ro~sseau, dans le~~~6jet de c6nstitution
' " "
pO\\,lr la '::':orse",
a' toutes les cara<;:téristiques d'une utopie
sociale prospe~tive. Par 'utopie prospectiVe,
nous désignon~
,
"
toute pensée critique qui,
p~r médiation de la raison et de
l'imaginaire,
postule une meilleure forme ,d'organisation du
monde social par ,opposition à la réafité présente.
Chez l'un ,cbmme chez l'autre,
hous pouvons relever
déjà cette préoccupation commune sVr la, manière' d'organiser
:,
lë c;:orps social,
de résoudre le pr,oblèmede la propri.été pri.·'
,,','.
v~~,et d0 corice~oit la place et le r~le de l'individu dans la
",.r
"
.
cqmmtinauté.,.A l'inverse,
les pr,inc.ipesqui les commandent,
demeurent tou~ à fait opposés jusque dans la construction de
leurs systèmes politiques respectifs.

-
61 -
,
, ,,
."t
'"
....,
",'
"
'::
fondement àuccrps social et à la pr.oblérnatique indi'Jidu' 1
"
'
communauté, ,nous partirons de celles~ci pour affirmer la
l"~,
thèse suivë.nteo
D'une part,
la démarche de Morelly dans le "Code
de la nature" relève d'une utopie communautaire et qui pré-
conise,
selon un modèle mécanique,
la réalisation d'une
,',
,':
humar1ité idéale ..
....'.:." .... ,'
D'aû:çre. part,
lé3. démarchephilosophico-poli tique
qu'utilise Jo -:J
'Rousseau,
dans le "Pro j et de constitution
0
,,':
pOUl."
la Corse"7
a toutes les caractéristiques d'une utopie
"
'
sociale prospectiveo Par utopie prospective, nous désignons
toute pensée critique qui,
par médiation de la raison et de
,
l'imaginaire,
postule une, meilleur,e forme d'organisation du
rntinde social par opposition à la réalité présenteo
Chez l'un comme chez lfautre,
nous pouvons relever
déjà' cette préoçcupation commune ~ui, lama~ière d'organiser
'.
.
.
1~' ~9rps sociàr-; de, O~S-6Udre le p.to~~:ème çle la propriété pri-,
vèe"et '.je conèev6ir~a place et le rôle de l'individu dans la
",'
cbmmunautéo A l'inverse,
les print~p~squi les commandent,
demeurent tout, à fait opposés jusque dans la construction de
leurs systèmes politiques respectifso

-
62 -
" ' \\
A /
En guoi le "Cocie de la nature".est-il une utopie?
Publié en 1755,
le "Code de la naturJ~ ou le véri-
table Esprit de ses Loix, de tout·tems négligé ou méconnu"
est' l'un des ouvrpcges de philosophie soclale les plu,.' célè-
pre$de MOJ:'elry. La lo<;rlgue de d·i:sstrtiùl~tion qui transpara.ît
à ~iavers les'é~rits a été poussée par i'auteur jusqu'à son
î
paroxysme.
Dissimulàtlon non'seul~mentparrapportà l'auteur
de l ' ow/rage resté dans l'anonymat, mais également, dissimu-,,'
lation par rapport au contenu même d'utexte,
par le déploie-
ment de cette pensée rationnelle,' discursive à travp.'· s la-
quelle des principes philosophiques sont énoncés de façon
méthodique.
,1
'!
La 'd'ifficul té· historique, 66nsisteprécisément ,à
Moielly.
En effet,
en douze années,d'est-à-dire entre 1743
et'1755, Morelly publiera ~ept otivrages dont seuls les trois
premier s seront signés par Morelly. De toutes set· oel~vres
pédagogiques, deux peuvent être mises à part, dans la mesure.
o~ elles constituent bien des oeuVre~ de philosophie sociale •
. "

-
63
Il s'agit de la "Basiliade" (1753) et du "Code de la nature",)
:
'
..:.~:.
"
'
(175'5) dont lèsprin~ipes philosophiques, exposés de manière
f,.::' .
cr.ue' dans lc~i'~mi~r'Otivr~ge, sont' mieux ordonnés et bien
.
, .. -- ..
"
Il S êlpparaissent tous deux, comme le lieu de produt-"
tion d'une fi~ure repr~sentative d'un 'autre monde, d'une
autre réalifé sociale masquée derri~re tin discours m~tapho-
rique. A l'évidence,
le discours utopique de Morelly n'em-
prunte pas le "chemin agréable" d'un simple procédé litté-
raire à la mani~re de More, dans un cadre narratif. Ce dis-
cours s'élabore par contre dans un.,,~tyle tr~s contradictoire"
oùl'embnde social idéal est imagfn'~et pensé de mani~re
, "
,,'
tota,lisante.
,:,'
Empruntant ce que Pierr~~~r~nç6is Moreau appelle
le "'..-ocabulaire de la divergence" (1), Mor-elly va porter
la contradiction jusq~'au fondement m~me du corps social. Il
,
,
~:'
réfute peint pa= point tous les principes sur lesquels s'est
bâtie la morale vulgaire dont l'etfet nocif principal a été
.,
(1) Moreau (P.-F~) : Utopie et sociabilité dans le Code de
la nature,
in Revue Internationale ,de, :philosophie, Vol.
29
N° }, Bruxelle;,1~75,p.333o
"
"

. -;""
~ 64-
,1
"i
, , , ~
".'
de provoquer uri ~cart sans cesse grandissant entre le fait
, , "
naturel et le fait culturel. Le probl~me qui se pose est
albrs celui de l~ r~con~iliation d~l'homm~ avec la nature
qui est sa matrice originelle. ~t l~ refonte morale est potir
Morelly la voie roya~e gui doit conduire à la constitution
d'une humanit~ id~ale, à la formation ,d'un nouvel homme
'mbral.
l, ',:
,:' . ,
l ' "
'/
Ce qui caract~rise aussi l~ discours utopique en
tant que fiction,
c'est bien sa potentialif~ ind~finie d'éri-'
ger ~n normè toute pratique socfalequi rend compte des
conduites individuelles et collectives.
Par la socialisa"t7ion utop:L,que d,es valeurs,
l'uto-
"
, '
pi~~e fait oeti~r~d~r~forma~eur s~~~al,propose des solutions
.. ~ ~".... ,"l'
.. ',,",
"
morales et.p'()lf..tiquès aux '~ttentes humaines et un mode de
résolution dèsconfli.ts r~els ou potêhtiels. Il fournit des
':'
l '
, " ,
r~ponses ~thiques'~rig~es,
"
en ahsol'u sur les contraintes quo-
tidiennes ,de la soci~t~ lorsque celle~ci, dans ses valeurs
,","""
fondamentales,
s'~carte de l'idéal d~ justice et de libert~.
,,",'
.
;)RM

65 -
,
Il est vrai qu'à l'~poqu~des Lumières ces notions
de justice et de libert~, fondées sur l'affirmation de l'~ga~
Lit~' civile' entre les hommes, servëüent, de thèmces de rr.uoili-
sation de certai~s philosophes dans la critique de l' absolu-
tisme et des privilèges 0 Mais il s'agissait en fait pour eux
d~ prot~gerlà']kbpr,iétep'ar des 16is" justes et durables 0
..
"
~
,
. ",':,'
Morelly,
tout en participarfà,~e combat d'id~es
contre l'absolutisme, nouirissait d'autres id~es plus radi-
cales, d'autres esp~rances sociales par une mise en accusa-
,
tion de tous les princ1.pes moraux en cours devant le t,'ibunal
de la raison éthiquèo La m~thode "aDalytique" que Morelly
entend utiliser pour développer "des v~rit~s qui, malgr~ lt:ur',
simplicité et leur évidence,
sont presque de tous tems demeu-
,
1
rées dans l'oubli, ou environn~es des tenèbres des pr~jugés"(2~;
""
,
,J
"
marque, la dift:é,rence vis-à-vis de ses int,erlocuteurs qu'il
" . J
1

veut', ,r~futero"" . 'l
,
'
Cependant, aussi différent~quJelle soit, cette
m?thode n'est, pas pour aut~ht originale, elle est la tendance'.,
(2) Morelly
Le Code de la nature, Go Chinard Paris 1950,
po 1530
:'.
' 1 .
1

"
'
-
66 -
générale du dix-huiti.ème siècle itendance anal-y tique et
emp~rique qui cherché à expliquer 1,~sîdees complexes par
" l ,
",
d'es ,idees simples' 'en partant essent'i~llemeDt des faitso
.. '
1,
.. , -..' ..
~
',.' '" .. ,
Cettemethode rationalist~"et experimentale qui
','
,
s'efforce de decrire les,faits ree~s' dans un langage mathe-
matique trouve sasubstancè doctrinale~d'une part dans la
physique new~onienne qui â d~tr8ne celle de' Descarte~ i
d'autre part,
dans la methode de Locke qui mit verit~blement
au point une "science de l'esprit humain"o Une autre influence
~lus naturaliste vient de Spinoza qui, après avoir fait du
desir le moteur de tous les êtres affirme que même l'homme,
un mode fini de l~ 3ubst~nce infini~, est 1ui aussi regi par
l~sioi~ de· labatureo
• • • 1 . ,
Et ·si de Descartes, MoreilY ne retiendra dp sa
metaphysique que son approche rationalis~e, il restera tout
de rn&~e très influencé par celui-ci" eri adoptant la methode
rationaliste d1application des lois de la physique aux phe-
r.omènes Goc:l.auxo
Ainsi le "Code de la nature 'ou le veritable esprit
de ses Loixooo",
au titre provocateur a pu être" interpreté
p~r sès contemporains comme une critique indirecte de

'0",,, ~ ,
" , ". "'v..
'.,.r "
.1··..
. Mont~squi~~~ comme nous le constaterons plusloin~ Morelly
' 1 1 " " ' "
ori'entera sa réflexion sur des pr.6blèmes ·fondamentam( ayant
;", .
trait à l a morale sociale,
à la nab~re' de l'homme et à la
réalisation ~u méilleur gouvernement des hommes dans une cité'"~
idéaleo Les principes qu'il énonce engloberont par con~équent,'
ces trois thèmes que Morelly répartit en quatre parties qui
se recoupent, se.ns ces se les, unes les 'autres
C'est surtout
0
dans la quatrième partie du tlCode de la nature" que Morelly
exposera son véritabl~ système politiqueoLes trois premières'
parties seront consacrées à la réfutation ~t à la cr:' tique
1

!
"
d'u,rie part, des'L"Défau:t_s. principa:y/C,,',de, la: Politique et de la
Morale ll et d'autre part des IlDéfa~ts,particuliers de la Poli:-
- '• • , p • • _
.
"
,
t'ique ll ,
puis des IlDéfauts particu~i'ers de la Morale vulgaire"o"
",';
Mais de l'affirmation des principes philosophiques
à la constitution de son système politique, Morelly fait
figure de précurseur dans sa transformation essentiellement
éthique de l'homme social.
1) Du principe de la, sociabilité n~turellé
' 1 .
'
"
'1
La mé~ho~e rationaliste jont, s'~nspire Morelly pour
~ifi~mer c~principe, consiste.dans'~ri pr~mier temps, à inva-
,"
lider tous le~pi~ri~lpes antérieurs' relégués au rang des
" 1 '
',1 . .
."pr,éj ugés Il
La: métaphore' des Ilténèbr~sn vient ici renforcer
0

;... 68 -
,
1
,r '"
c~ jugement de,,'a-leur émis dans un"s'Eyle ,cartésien" 8:l ce
'"
,'!")
.' ,",1
qu'il oppose les "ténèbres des préjugés " au non-dit contenu
',.
dans l'évidence de la réalité,
à savo'ir,
les "lumières de
la raison"o
En
effet Descartes av~it,déjà usé de la même méthode'j
en faisant table ra~e de toutes les opinions reçues antérieu-
rement
"Comme un homme, dit-il ,qui mar,che seul et dans les
0
ténèbres,
je ne résolus d'aller si ,ientement et d'user de
"
,,'
1.' .~
,
..
.
~
,
ta~~-.de 'circonspection en toutes cho,ses ,que si je n' avan-
l'
~ .
çais que f()J:'t' p~u , j e me g'arderais :bien ,au moins de tomber 0
M~me je ne voulus. point coinmenceràreje'ter tout à fait
, :',,'
.
"
,
aùcune des opinions qui s' étaien"tpugliiser autrefois en
ma créance sans y avoir été introduites par la raison,
que
je n'eusse auparavant employé assez de temps à faire le pro-
jet de l'ouvrage que j'entreprenais~ et à chercher la vraie
méthode pour parvenir" à la connaissance de toutes les choses
d'ont mon esprit serait capable"
(3)
0
La métaphore de la lumière et de l'aveuglement per~,
met aussi à Morellyde proclamer s~ns crainte, 1 'originalité '
... r·· .. ··
'"
(3) "Descartes':, nis"cQursde la méth6d'e,
La Pleiade Oeuvres
....../
Complètes Paris 1953, po 1360

-69 -
.. .. .
,
1
, "
de sa méthode de dévoilement des véri,tés "confondues dans
un si grand hombre de fauss~s opinions,
ou' si faiblement
énoncées". Méthode d'autant plus originale que le travail de'
déconstruction critique qu'il entreprend contre la politique
et la morale' vulgaire l'oblige à faire preuve de ruse; il
fait usage de quelque ,stt'atagème, en revêtissan:t ces '~vérités
de ~butes les g~§ces del'Epopée(.o.) pour déchirer l~
',')
,,'
bande~u qui ,1' avel,lgle [la raisotÎlet 'lui faire tourner les
y~~x vers les vrais intérêts de l"hu~anité : c'est le but
,
"
. .'
Or"
quels sont ces principE;!s erronés contre les-
quels s'él~ie ici Morelly ?
D'abord les moralistes anciens ont affirmé le prin-
cipe selon lequel "l'homlT1e naît vicieux et méchant". Ainsi
le problème qui le préoccupe est celui des rapports entr,e
l'individu et la société. En somme,. peut-on affirmer comme
les :moralistesan~iensque la con~ition de l'individu tient
à Ilü-même,
c" e'st-à-dire;" à sa nat'u~è' originelle ou bien
,
'
,
alor~ ~lle e~~a~ ~bntraire un fai~"de sbciété ?
..'1'
(4) Morelly :Le Code de la nature, G. Chinard Paris 1950,
pp. 153-154.'

-
70 -
,,,"

' , :
Constatant comme ses pré~écesseurs que la morale
était la "partie la plus imparfaite' de la' philosophi'ê:'1,
,
"
.
Morelly essaie alor's' de "découvrir:',' ce premier chaînon de
l'erreur,
et de.,rendre sensible ce'premier Point divergent,
qui, a
toujours éloigné nos Moralistes et nos Législateurs
de,,la vérité". (5)
J.:
,
1
.',':.'
"
'
.,I!
C'est poUrquoi, Morelly:pOsera le problème"de
l'hOmme mOral dans son fondement;
fI remOnte alors jusqu'à
l'origine pour décrire l'homme dans ion antériorité so6iale.
Il s'agit en somme de "trouver une situation dans laquelle
i l soit presqu'itTIPossible que l'homme soit dépravé,
ou iné-
('
,
chant ou du moins,
minima 'de malis'". ,(6)
Ce principe, de lB. sociabilité nàturelCle étant
afftrmé, Morelly s'emploie à déteiminer quélle est la véri-
ta~le nature de l'homme. Par cette~émarche, cette qu~te de
:.,1
..
1~h6~me originel, ii d~couvre que ,~eitii~ci, ne connaît ~ la
,
,'l'
,
.,
.
.
nçi~$ance qu "une existence sensuelle'et végétative. "L' homme '" ,"
dit-il,
n'a ni idées ni panchans inh~s. Le premier instant
de sa vie, le trouve enveloppé d 'uneind:Lfférence totale, même "
(5) Morelly
Le Code d~ la nature,
Ed. G. Chinard Paris 1950,
p.
159.
(6) Morelly
Ibid. p.
160.
, _ , f .
. ' ,

-
71
.
'
pour sa propre existence. Un senti~ent
aveugle,
qui ne diff~r~~
p()in'tdè celui des animaux,
est le'p'r~mier moteur qui fait
,",,"
cesser cette indiffére'nce,j
(Cf. c.ii.pp. 164-165).
1 ""
,
'
"
"
,",
",' . '
Nous pouvons noter un parallélis~e avec Rousse~u
dan::; la deuxième pa.:ctie du second "Discour s" où la même idée
,,'
est exprimée 'en des termes presque identiques
"Le premier
sentiment de lihomme,
dit Rousseau,
fut celui de son exis-
tence
;
son premier soin celui de sa conservation. Les ,pro-
.•. '1
ductions de la terre lui fournissaient tous les secours
nécessaires;
l'instinct le porta à en faire usage. L~ faim,
d'autres appeti ts lui faisant éprouver tour à tour d:,; -}erses
.
:
, , " ' , '
: '
~ani~res d'ex~ste~~ il y en eut u~~ qui l'invita à perpétuer
s6n'esp~ce ;e'{ ce 'pen~}iarlt:';aveugi~:~dépourvude tout senti-
... meht:du coéur~ n~ P~9dui~ait qu'u~'a~te purement animal ( ••• )~
Telle fut la condition de l'homme' haissant ; telle fut la vie"
d~Ul'; animal borné d'àbord aux puresseilsations, et profitant
à peine des dons que lui offrait la Nature,
loin de songer
à lui rien arracher".
(7)
\\
... ,',
(7) Rousseau (J.-J.)
: Discours sur l'origine de l'inégalité,
La Pleiade,
Oeuvres Compl~tes,
T. III, Paris 1964, pp. 164-
1,65 ~ ,
",r "

-
72 -
.'
,,
r
"

"
.c;:qmmë ROl':'S,seàu, Mor€:lly
revendique l'innocence de

l '
',. -
, .
"
,
. "
' , " , ' , . ' ,
. '
,
'
,
l, 'homme originel -e:trend la societ~responsable de sa depra-,
vation moral~~ Le discours utopiqu~'d~ Morelly va trouver
son équivalent critique dans la condamnation,
la négation de
la société p~ésente et dans la représentation d'une société
')
autre meilleure, dans laquelle l'homme retrouverait son
bonheur perdue
Si Morelly énonce le prin'cipe de la ~ociabilité
riaturelle, celle-ci n'estnullem~rit~~hé idée innée en l'homme,
quin'acqui~rtses'premièresidée~,qu'aucontact des objets
,
l
'
.
. ~ "
extérieurse Cet~e ~oc{~~iiité nat~f~ile e~t plutat le résul-
~at' d'une "attractioI"L morale"régie par les lois de la nature
,"
.
..'
,
.
qui sont d'essence divin,ee
"Elle ria Sagesse suprême] voulait"::'"
faire de l~esp~ce humaine un Tout intelligent qui s'arran-
'
geât lui-mêm~ par un m~chanisme aussi simple que merv~illeux;
ses parties étaient préparées, et pour ainsi dire,
taillées
pour former le plus bel assemblage; quelques légers obsta-
cles devaient moins s'opposer à leur ~eridance, que les exci-
ter fortement à l'union:
séparémeDt faibles,
délicates et
'r. ",
~ensibles,
des désirs des inquiétudescau~és par la distance
mome'ntanée d'un obj et propre à les' satisfaire, devaient
augmenter cette espècé d'àttracti()~'morale"e (8)
...,
(8')' Morelly : Le Code de la nature,., Edo Go Chinard,P"l."is 1950:;
p"
'166 n

-
73 -
.. ' .'
1
. / , '
:,
"
',' _.-.
. , ' "
. ,.
"".
,.
:-',
" , '
.1'
"
L.'on 'voit que pour More~ly, '1' homme est d'abord
'.
.
un,s~mple au~omate'-social mu par l,~{~satièf~ction de ses
\\",:"
. ,l,
':/ . '~'
besoins et par l'effort pour surmonter. les obstacles rencon-
trés à cette insatisfaction. Et c'est,de l'i~teraction, mieux:: ..;.
de la tension entre le désir et la satisfaction de ses be-
soins que l'homme se transforme en même temps que se trans-
forme son environnement naturel~ Le~ cons~quences qui en
résultent seront d'une part l'acqu~~itionprogressived'une
'..
. ".
"affection bienfaisante" et d'autre part "le dé-veloppement
' 1 '
de la raison" seuls "motifs de la sociabilité".
,', .
"o, _."••
Aj,..-;zi,
le principe de cettesocië3.bilité naturelle
.
,
' .
.
e~t la réalis'ation ,du bonheur cornrnuI1 "à tous les hommes ; ' "
bonheur commun imposé par l'ordre divin à tous, puisque, en
l
' , '
effet,
"tout est compassé,
tout eèt 'pesé,tout est prévu
dans le merveilleux automate de la société ;
ses engrainures,
ses contrepoids,
ses ressorts,
ses effets:
si l'on y voit
contrariété des forces,
c'est vacillation sans secousse ou
équilibre sans violence,
tout y est entrainé, tout y est
porté vers un seul but .commun".
(9)
l,"
. ',',
r '"
, ,.
(9) Morelly: Ibid. p. 169.
',.,;,
": .
, ',':

-
74 -
,
l , ' .
'1,1.
Ce que Morelli d~crit ic~, c.'est le paradigme de
cette totalité harmonieuse et mécanique d6nt le p~incipe de
,':..
la sociabllité constitue le point d'ancrage de deux ordres
,
. "
complémentaires:
l'ordre naturel et l'ordre social. Les
bases sur lesquelles se fonde cette sociabilité sont déter-
minées par l'usage commun des productions, variées et abon-
• 1
dantes;
].! égaLL,té
des conditiqns ét des dr'oits; la variété
:,
l'"
',:
des'besoins,
la néc~ssité"du travaii~le' sentiment de l'af-
featioIJ et de l 'entraide réciproqu~s" la disparité des désirs
'
, ,
\\ '
',". -,._,
.'~
,
" ,
."
,....
A'
'
.'
et desgoQts, des talents et de l'age •
..,
"i "
"
Telie serait, 'se;Lon Morel.ly , l a situation d,,::
l'homme évoluant dans un milieu adé~~a~ au sortir des mains
, , '
de la Nattire et que la morale vulgaire D'a pas su restituer
dans sa vérité.
Autrement dit,
le p~incipe de la sociabilité natu-
relle reconnu par Morelly ne joue ~ue si l'on ~dmet un cer-
,,;
('
.
t~in nombre de posttilats qtii le justifient : Premi~rement,
les lois qui régiisent la société humaine sont avant tout
, •
": '._ ~
.. "
r ~.' l
'
d'ordre moral
~ celles-ci obéissent~~~'même principe que les
,
,
"
"
"
,:,'
l,o;is physiques" dè" la'- nature
Ces lois . sont établies une fois
0
"1""
, ',:
pour toutes,
dans leur fixité et leur perfection absolues
""
'."
par le Grand Architecte de l'Univers~u'est Dieu.
,
1

"
75:;'" ,
',,,
L'immutabilité des lois de la nature a ,pour corollaire, i l ' i'~- ",:,,,'
variabilité duco~portemeni::, moral de l'homme, en dépit d~~/ ,. ,...'~
in~~alités phy~iquês~ntre les ind~~idui.'
".' .
:.'.'
,'"
..
i
A cet état pré-social,Morelly, présup~ose une~~~'
,
'
"
. ,.,
p,'
société' "naturelle" sans conflits du fait du caractère i~ndi-' :"
.."
visible de la,propriété qui n'appartient qu'à la Nature.
1: ;'
.:.~
"Le monde,
dit Morelly,
est une table suffisamment gârnie
, "
pour tous les convives,
dont tous le~ m~ts appartiennent,
-,"
l
;..)
tantôt à tous,
parce que ,las autres sont rassasiés
; ainsr
.... ,
, . , . .
1 .. ·.•
personne n'en est absolument le maître," ni n'a droit ,dé pre-
: 1.,:
tendre Ifêtre".
(le)
. '.",
- ;
Ce qui est dGnc.remarqua'ble<dans, cet univers' pari1- . ,'., ,
disiaqùe que ,décr i t:Morelly,
c', est '(:,etteabsence de propriété,,:"
• ;. ~I
" ' ,
pe'rsonnelle. Ce fait indique bien la définition de l ' homme
":
.,1.,'
,,'
par Morelly,
comme un être de besoin. 'Or,
en même temps,
Morelly reconnaît que la propriété"naturelle" est placée
l',','
sous l'autorité de Dieu. Alors n'y a-t-il pas là une contra-
diction quant à affirmer l'absence'de toutê propriété person~
nelle et l'existence d'une propriété 'divine? C'est l'une
, \\
(10) Morel:!..y : Le, Codé de la natur'e,Ed. G. Chinard, Paris
· ,,/
.... '
1950, po
167.
....r ',,'.
.
"
l· ','

-
'76 -'1"
:1

l, "..
•.• 1
' "
de's contradictions de la pensée utopique de Morelly que' hoUs ''"'::'
.r ~
d~velopperons dans la troisième parti~ de notre travail.
Ce qu'il faut cependant ajouter c'est que,
le
paradigme d'une 'sotiété sans confiit~, fonctionnant avec une
admirable perfection mécanique est urie société static,ue et
quit bien que anhistorique,
~ntretient tout de m~me des rap-
ports avec l ' histoireo Ne :fut-ce qu'àvec:;' l ' histoire d'une
:
1
;
''''
',,'
Rer'version progressive de l 'homme.~bcial par les institutions'
mo:.jales e~ polJ.'i:iql.les.:qui, auraient, 'dû ,travailler à seconder
.
1:",'
"
la Nature par l'art. Or,
le mobile principal de cette défè~~
~~ori morale a été l'introduttion d~u~ seul vice
l'Avari~e
f
,qui a engendré cette "peste universelle" dit Morelly,
cette
"
'
"fièvre lente,
cette éthisie ,de toute' société" qu' ~st :i' inté- ",'
r~t particulier.
Ainsi,
pour Morelly,
c'est l'~nstitution de la
propriété privée par la morale et la politique vulgaires
qui a rompu la ~ociabilité naturelle et tout sentiment fondé
sur l'amour de soio Le discours ùt6~ique d~ Morelly consiste
al~rs ~ opérer par,laE~~~on criti~~e et l'imagination, ce
renversement du monde social,
dece'tte "Morale vulgaire"
.
~.
''',
.....
"'"
af,in d'in sti tuer,
sur le mode d'uri ''jùgemerit éthique,
une
" I I " , .
nouvelle morale sur le m'~me principe que lés lois de la
",. '.
",
-.'.1
UM..bP

- 77
....
" , ' ,
l'
' .
.':, ,-
...".
,~
.~.
natureo 'Cell,e~ci se fonde sur la condamnation de la pro~r'ieté,';:,:
priv~e et l'exaltation de la communaut~ des bienso
: ','
En même temps qu' il d~norice la 'Morale vulgair~,'--':i
Morelly se d~voile comme ~tant l' ~uteur de la "Basiliadè"::
"C',est en cons~quence de ces bevues de nos premiers maîtres
Il,
'

,'),
de ~orale, que celle de la Basilifl;'de pa'raît absolument' impra-(
.-
,1
,.,
"
,
"'i'
ticable aux sav:ans, Aut~l.p;-_S de la ,Bibliothèque impartiale"
"
. • ' '~'I'
. ' , . '\\'
,
• ,.~
l ' "'. :.,'
èt. de la "f\\JouvelleBigarrure"
J'en . conviens avec eux et avec'",
0-
tous ceux gui l
~bj ~cteront (soulign~p~:r'
i
nous)
; maiE: c' '~~)t
seulement de nos jours qu~un aussi~X~èllent L~gislate~i que,
"
le H~ros de ~e Poême, ne serait point ~c6uté, efit-il l~ forc~:!
et l'autorité d'un Pierre Alexio.wits dans ses Etats,
tant--
,
l'absurdité inv~térée de nos préjugés est tenaceo De plus,
comme je pr~tens que la Morale. vul~aire ~'est ~tablie sur
les ruines des loix de la Nature,il faudrait entièrement
renverser celle-là pour rétablir celles-ciooo" (11)
" . .
", .,1"

1.
'.
A ~ravers ce passage, Morèlly confirme et justifie
.
l
\\
',' .,_ ..~ .
"''',
' ',".'
" .
.
l ' actuali té de la "Basiliade" -et la v'àleur des principes
:.,'
,',
",
philosophiques qu'elle contiento Il n'empêche que cette
"
,',
:'/ '
--'-------------......-'-'---------~---------------. -':
,";
(11)
MorelJ-Y'
Ibià~ po 1800
"
"'\\
",
."
' , '
'1 1
.
. i,··.
". "

·"
-
78 -
oeuvre est le produit d'une fiction utopique; fiction qui,
à travers le roman,décrit un continent ri~he et fertile sur
lequel vit un peuple vertueux et heureux dans üne parfaite
communauté des bien s. Le philosoPt1~ indien P ilpaï, derr ière
:',1
lequel se cach~ Morelly est le porte-parole, le seul témoi~
de ce continent bie::lheureux... Le "Codèdè l.a nature" qui
'\\.
réaffirme les principes de la "Basiliade" démontre ju.~:\\tement
en quoi cettecommunauté,des biens serait ~onforme à la l
,': ',:,'
nature originelle de l'homme.
2) De la communauté des biens
Les problèmes afférents à l'étude de cla perversion
' 1 .
:
~ar,la morale et la politique vulga~res d~ l'excellenre des
"
,,'
,
,
loi,s de la nature sont posés et analysés par Morelly sur des
bases historiques. Plut8t que d'exp6ser d'emblée les vrais
p;rincipes de "toute·M0rale et de t0tlfe législation, Morelly
procède par réfutation graduelle; réfutàtion qui repose sur
"
un postulat de méthode qui consist~dans une démonstration
analytique de l'origine et des progrès des erreurs des mora-
listes et des législateurs.

79
Le raisonnement de Morelly part d~ l'~ffi~~ation
du principe de fixité des lois de la nature: pour déc~uv~ir
,',
'i
l'illusion des moralis~~s et des 1~9islateurs sur la fa2~i­
.'
'1
,
, ' r
cité de l'homme social qu'ils ont ch'e'rchéà peindre com~~'Jn
1
véritable homme f6~~€ par la NaturewLe syst~me de percephiJn
'.
"i
.1
varie selon que l'on observe les "hommes tels qu'ils sont""
l',
.
'ou "tels qu'ils sont formés par la Nature"e
Les principes élaborés par les moralistes et les
législateurs sont donc erronés à la base, puisque ceux-ci"
ont transporté dans l'état de nature des idées sur l 'ho~~~';~'
qu'ils avaient dans la société; dé' plus ils ont attribué
à l'homme formé par la Nature,
les vices contractés au ~eiA0,~
des ,sociétés. C'est: à partir de cette erreur de jugement·~~~-
t · ..
,
des principes cbntre-nature ont, serv1 à ~riger des syst~m~s
politiques qui ori~ 'légitimé la prop~i~té et la domination
... .;
des faibles par les forts'e
, ','
Le postulat de méthode utilisé par Morelly ne de-
"
viendrait qu'une simple pétition de principe,
s ' i l ne venait
à prouver de mani~re antithétique,
l'existence d'une vie
communautaire originelle fondée sur la sociabilité naturellee
Comme la plupart des utopies sociales du dix-huiti~me si~cle,
le mythe de l'Age d'Or se fonde sur ,le récit historique de
.. or "
l'"

-
80 -
l'existence des peuples 'exotiques d' Amér ique
"Si vous prenez "
0
les hommes tels quVils sont dans l'état de nature,
dit-il,
passons en Amérique,
nous y trouverons plusieurs Peuplades
dont les membres observent très-rel,igieusement,
au moins _
entre eux,
les loix,précieuses de ce~te'mère commune en fa-
veur desquelles je r.éclame de toutes mes forces"o
(12)
;".
"
,
"
1
Lé discours utopique ~st,ici rationnellement expli-
i '
,,":
... cite et proclame la possibilité aut:rede fonder de nouveaux'
,
"1
: .
.
.
liens sociaux sur l'affe~tion de corisanguinité existant entre
les Indiens d'Amérique. Cette vie haimonieuse des Indiens,
Morelly ne~6uvait la concevoir qu'en éludant à la fois le
probl~me de la violence et tout caractère conflictuel de la
vie sociale. De plus,
Morelly,
en désignant comme vertu
supr~me , le sacrifice de l'individu pour le bien public,
codifie de façon rigoureuse les relations interindividuelleso "
"
Dès lor s,
le choix de l ' a,ctivi'lé ,économique orien-
.'1 ,
tée essentiellement vers la chasse,
lap~che, l'agriculture
,
'
et l'élevage ne trouve sa justification so,ciale que dans la
pratique dtune vie communautaire excluant 'toute forme de
. , t '
. ,
prcprle_~ prlvee.
(12) Morelly
Le Code de la nature,
Edo G.Chinard,
Paris
1950,
p~ 184.
•·... f
' ..
h,

-
81'-
Ce n'est qu~ dans cette existence communautaire
":1',
"
,',
: .. :.
que' les individus, v~vant pr~s de'l~ nat~r~ à l,image de c~s "
I~diens d'Amé~ique"ma~~f~steront~ètte adhésion valorisan~e
dont seul Te sage législateur, 'selo~.Morelly, pourra en ga-
" '
"',
..,
r~ntir la permanence. Législateur,q~asi divin en qui serait
'1
."
conférée la totalité des pouvoirs~ 'tant pour la répartitirin
et la réglémentation du telhps de travail que pour le main-
tien de l'ordre que le seul pouvoir patriarcal au niveau'des
familles rJe saurait préserver de façon durable. C'est pour-
quoi Morelly pense que,
"il
(le Législateur) pourra distri-
buer les travaux,
les emplois entre les membres de la société1'
fixer les, tems de,s diverses occupations' générales ou parti-
culi~res ; combiner les secours ;'càlculer les différens
deg~és d'utilit~ de telles ou tell~sprofessions ; marquer
':'~. .
ce qu'il est nécessaire que chacune'd,'elles rapporte en co~­
,.
'C
,',
\\,
mun à la Répubiiq~~ ~our suffire aux besoins de tous ses
l
'
mempres. Sur tout ceci et ,sur le nombre des agens,
le Légis-
lateur établira les proportions du travail
; i l préposera
l'âge le plus prudent au maintien de l'ordre et de l'économie,
et le plus robuste ,sera occupé de l'exécution.
Enfin,
il
r~glera les rangs de chaque particulier, non sur des dignités
chimériques, mais sur l'autorité natur~lle qu'acquiert le
bienfaiteur,
sur celui qui reçoit le bienfait, ~ur cette
',.1
~ . "
~/. :
autorité douce de la parenté,
de l'amitié, de l'expérience,
.'t'"
:,.
.
,',
.,.1
,
j.;,
.
",1

'~"
82
de l'adresse. de l'J:i.ndustrie et de l'activité".
(,13)
Comme on le voit,
le discours utopiqqé de Morelly
,
. .,
se construit sur lanégaticn de la morale et de la politique
vulg'aires et sur la condamnation de la propriété privée.
Tou~ en op~rahtunéc~ft éntre la~~~~~ité et la fiction,
entre ~e qu'il1ê9~t_~meet ce qu' il. Cond~mne, ,.Morelly se
définit lui-même dans cette négation,. De fait,
son entreprise'::,
de disqualification ,de la' morale etde la politique vulgaires'"
se valor ise par la recon struction du monde ,social
; ell e
consiste à réaliser la synthèse de la perfection virt~elle
des Indiens d'Amérique et des bienf~its d'une législation
conçue par un homme providentiel.
Il Y a donc dans ce discours utopique de Morelly,
unè démarche rationnelle de structu~ation totalisante des
'l"'
,
"'.'
l
,
..:
"
:
~appor-t5 éconolidqueset--sociaux qui'se délimitent sur la
disjonction4u n~turel et de l'artificiel" du légitime et de
~"
l~iilégitime. Le légitime pour leph:Llosophe utopiste,
",'
c'est "
cet' instinct de conservation ou cette disposition naturelle
qu'est l'amour-pro~re et qui est le fondement de la moralité.
(13)
Morelly
Ibid. p.
187.
);, ,",
"
, "
It','

'.......
83
,,'
;,
C'est dans la ~esure où l'homme marifeste pour ;ui-même cet
"
amoU:r~propre qu~il peut éprouver un sentiment de fraternité
1::1':'
..
'
,~\\ .. ,
pour'les autreso P~rcontre, l'illégitime c'est cette dévia-
i'
.'
1
,
tior;', subie par l" a~our;;;';pr6"pre etl'ambur des autres du fait
"
"I!,:
,., ",,
de i' insti tut ion '9e..:~a propriété pr ivée o La. conséquence est
I;!I
.,
\\ " /
"
i:
la 'transformation de l'amour-propre:~ri ég~ïsme, puis à
,.\\1;, ,
l'amour des autres et la fraternit~se so~t substituées
":1'.
..
l'avarice et ~a haineo
r '.
Autrement dit, Morelly voit dans l'institution d~
la propriété privée,
la cause principale du désordre "cono-
mique et social
; alors que la communauté des b}ens pratiquée
:,'",
conformément aux' lois. de le:>. nature est· restauratrice non
seulement de.l~9rd~emoral, mais ég~lemen~.de l'ordre social
~;~~ ...:
"
.' ,
et ?oU.tiqu.ec!J. accG.rd'e'par conséquent,
un primat à l'acti-
",
vité 'économiq:ue c'omm'è lieu explicatif.' du'comportement moral
de~ individus scciauxo Par ailleurs~il a~parait que la com-
~unàuté des biens est partie intégrante d~ cette communauté
'1,."
mécanique naturelli qui est inscrite dans cette sorte d'har-
monie pré-établie Nature- Providenceo
Si l'on réfléchit bien~ on constate que Morelly
;"."
,
prend ici le contre-pied de l'argu~~nt classiqueo En effet,
"
,.
l '
1.' hypothèse de Morelly' con siste à dire que· l ' avar ice et le
"
,1
"
"

-
84
vice résultent de l'introduction de la propriété privée dans ,.,
".
le corps social, parce que justement, cette propriété privée
",',
~st ~onfrairé~l~ nature humaine. De ce fait, la volonté
,",,"
d'uniformiser' leshoni~'~-~ ~'apparaft. plus ici comme l 'effet
j"
"
d,e la tyrannie, mais- plutô't comme~,e'rétablissementde l'or-
~' ...
'"
"
dre naturel .des choses
L'ordre naturel èt l'ordre de la
0
C'est ce principe de laco~munauté naturelle des,
biens qui amène Morelly à réfuter catégoriquement le ;)rincip,~
de la nécessit~ de l'harmonie sociale par ,l'inigalité de
fortune entre les hommes riches et les hommes pauvres'. Et
, " "
'
Morellyde nous· ,rappeler ici le rai:soimement de la Morale
l '
. ,
vulgaire
"Comine diser1~t-ils, ilést, moralement impossible
,"~ :.
qué 'dans auctiriè, ~9çi~té, iés biens physiques de cette vie
",'
soient ou demeurent également partagé~, tl est absolument
nécessaire qu'il y ait des richeset.des pauvres. Or, quand
cette inégalité de fottune est une fois réglée et compensée
par de sages loix,
il doit en résulter une très-belle harmo-
nie. La crainte et l'espérance occupent presque également
t/ous les hommes,
et les rendent presque également industrieux'
et actifs. Les riches sont attentifs à conserve~ des biens,
qui peuvent à chaque instant leur échàpper~ et dont, dans le
:
.
'
'"
l ' ,
-
,::'
, , 1
"
JI,
" 1'

-
85 -
. , [
.
.' .\\
vrai;
ils ne, sont que comme les d~~~~itair~s èt Igs gardiens,~;
"
ces passions excitent et encouragent le p~uvre à un travail
.. ,
qui' peut le tirer de sa mis~re : outre la'vari~t~ presque
"
infinie de bons eftets que produisent ces deux mobiles,
ils
disposent la partie des hommes la moins bien partag~e, à
l'ob~issance et à la soumission qu'exige d'eux, tant leur
i'nt~rêt particulier, que celui de 'lasoci~t~ : ces deux pivots,
qui en sont l'appui, retiennent ceui d6nt les besoins semblent'
, "
c;,roître comme le's richesses, dans une p'~cessit~ de recourir
a:d~ssecours. qui les' rendent
'"
. "
. , . . . , .
-
m~dê~és et bienfaisans Ainsi
0
, ",
',',
':. '
deux, 'parties in~gatesci€ l'humani:té':':~s:~ fr'ouvent"par l-èur état
l ,
'1:
'l'
" '
"" .
<',
d~m s,' un'e mut~~lle, d~pendance qùi l.es,;:,~galise, et les porte à'
';1 , .
'J'
,
','
l '
agir de concert, Ne poussons pointplu~ loin un raisonnement ::"
'sur' lequel se fonde notre morale vulgaire,
et dont elle rend
les conséquenc.es fa!"ili~res"
(14)
0
;"."
En sui~arit la logique de'Morelly dans la critique
(:,
4e la morale vulgaire, nous notons que c~ qu'il soul~ve ici
comme probl~me, c'est moins celui de l'origine de la proprié-
;';,
.,,'
l '
.'1,
t~ priv~e que cel~i d~ sa justificati6n' théorique au fonde-
~, r
~~nt,de la sociabilitéo Leraiso~ne~ent de ,la morale ~ulgaire '
'; '.
i~\\. :
,'\\,
.':, '
.... '
... '
'"
(14) Morelly. .: LeCdde de la nature;.'EdoGo Chinard Paris
19~O, ppo 189-190~
'i'
,\\,
::.'
: '
.....
.,li "
l'.',

.:,' ..
-
86 -
,1
"
..... ' ',.
"i',.
'"
'
part,
selon Morelly,
de l'affirmation:de la nature éq;,iste
"
de l'homme pour chercher un expédient en' l'occu~nce, la
propriété privée,
afin de J,~ rendre sociable. Un tel raisori-
nement fait de la société civil~, une unité artificielle 1
réalisée par des individus vivant dtabord isolés dan~ l'état
de nature'.
, 1
Ce q~' il'faut mettre en relief" dans les prises de
.' '1
'
,
l,.
.".
','- _. -.... ".
' ~':' .,'" ~." ,
pô's'~
l'
tion s de, ,Morel iy é:' est surt,out, l',t'invalidation des princi",,:
"l,..,:,
pes, ,philosophiques 'd'ë l'individualisme en ,cours 'au dix-hui-
tième ,siècle ; principes 'philosophiques iss,us du nominali'sme
d'Ockham,
repris par Hobbes et qui affirmaient la primauté
de l'individu par son activité isolée et sa volonté sur la·
co~munauté ; alo~s que jusque-là, la théorie communautaire
prédominante se référait à la maxi~~, d'Aristote qui spéci-
,"
fiait liidéeselc>n laquelle,
"le tout est nécessairement
l '
avant ,la partie".
"",
"
':.1".'
',':;.
·f:", ,"
"II
"
P.-Fr. Moreau notait à
ju~~~ titre, les schémas
L'.
'," _._ . . . . '.
"
"
'"
t~éoriques ~lab~rés 'parl'individu~li~~~ classique pour ré-
~:I ,
'\\
, i'
1
soudre le probl~më 'de- l'unité des ,col1e'cti~ns de sujets,; les-
,
"1
l',
quels schémas devraient à' l'époque ,dé Moréily,
susciter des
.I~I;,
'l,';1
~>
" ,
.
"
"
, "
',:'
"
....>
, "r::/,';.
"","',.
l":"'"
c,
. ","
~\\;;'l:~~' ,

-
87 -
,.
l,
l"
.'
i
,', ,
proforides divergentes en partant d~,t~6ish~poth~ses. (1~)"
- La premi~re hypoth~se consiste à abandonner toute
id~e de totalit~-spontan~e en excluant entre autres, le mo-
dèle biologique ainsi que la r~f~rerice ~ l'histoire qui fonde
les institutionso
.. '
;;;. .La seconde hypoth~sees'f tciut ,à fait contraire
à 'la préc~dente,., Elle ,S9n~iste à s,~,donne~: au d~part U1"'!e
"
" i'
.
c'~llection'de suj,et~s~parés, ayant ',~ha~tln un certain nombre
;1'1
~"
"
de· pouvoirs et de besoins'; des p<;mvoirs,pratlques dans la
,force 'de coreb~ttre ou de'travaillei'~t'de~'pouvoirs th~ori-
/',,,.
ques par l'action de la raison et de'la v6Iont~.
",'
- La' troisi~me hypoth~se ,ch'erche plutôt à recons-
tituer par la suite lés totalit~s politiques ou économiques,
à partir seulement àes traits propr,es à ]. 'iridividu. Peu
impo,rte si l ' inc:l,ividu connaît une perte rè'lativ'e,
puisque
",.
cettè totalit~ politique oli ~conomi~uene lui est impos~e
que'"p'ar un trait de son individual~:t:é:~,
'.-' -,-.
."
(iS)'Moreau (P.-Fr.)
: Utopie et i~~labilit~ dans le Code
·dé la nature in,
Revue. Internationale de philosophie, Vol.
29~,
N° 3,
Bruxelles 1975, pp.
338-339.

- 88 -
, ....
C'est à partir de ces trois hypothèses, que seront
élaborées des théories sociales individualistes que P.-Fr.
Moreau a regroupé en deux grandes ten~anc~s, suivant que
l'expédient que nécessite la construction du tout,
est fourni
par un modèle juridique ou un mOdele physique. La théori'~
sociale quise fonde sur l~ modèle. Juridique adoptera la
l '
1

solution du ccmtrat, c:'.~~t.~à-dire""gUi=. les· individus accep-
l'
~ .,
tent volontàirement, de remettre tout ou une partie de leurs.
d~0its individuels inaliénables à.lIEtàt~ ·Par contre, la
j
s~conde théorie individu~liste part'du'mo~~le physique, méca-
nique pour, non plus faire appel à l~volonté consciente des
individus, mais chercher en eux, dans leurs besoin~, quelque
chose qui les contraigne à recourir aux autres. La société
apparait alors comme ûne résultante des intér~ts individuels
et chacun contribue ainsi au bien commun malgré lui, en
croY,Çlt1t poursuivre son intér~t propre. En :somme, c'est l'é-
.Of"
","
1;·1
goïsme qui organise la sociabilité.·
.1',
. ,
.... ' ,.
f,'I'
Malgré les différences de'~o~~les, les deux théo-
,""
,II
\\' ,
\\.
ries . sociales partè'nt d' un m~me présupposé philosophique qui
",'
i
.'.•
ill'
, .
1 •


con~iste à affirmer A llcirigine~ le~aractère irréductible
'.
,,, .
de l'individu égoïste,
au sens juridique du terme.
't;;,':',:'
"'"

-
89' -
""
Ainsi,
l'individualisme ,contre lequel Morelly
s'insurge,
c'est celui qui,
conçu sur le modèle mécanique,
pensé fonder le. corps social par l'interaction -des be,,:.oins
":,.
et d,es passionso Autrement dit,
C'éstl 'ég.()ïsme qui pousse-
.
,
ra'i',t chaque ind~vi~u ~:-~c!:anger av,:!=,c':l' aut~re, ~en:-maintenant
. "
"
.
.
,
'
,
.
ai'nsi la société en ,équilibre permÇl.nent ; puisque,
c'est
cette "insociablë 'sociabilité", pour'reprendre l'expression
'.,' ..
.
"
, "
,de Mandeville; qui serait, i.'élément"d'harmonie entre les
individui vivant en communautéo
Que CB détour ait été ut~le pour rendre plus expli-'
cite la pensée antithétique de Morelly dans sa crltique de
la morale et,de la politique vulga:i.res,
il nous a permis
également de nous rendre à l'éviderice -
surtouf en ce qui
,
,.
c'oncerne la -théorie 'mécaniste- que,>le philosophe utopiste
, '.
, .
, .
"
ut~lise le même sçhema theorlque pour énoncer ses principes
,:'-.'
philosophiqueso En effet si chez Morelly, .on retrouve l ' indi- ',' ,
v·içi.u comme point-de' aépart et laèommunaut~ comme résultante '1
mé~~nique, notis notons que l'individ~ est 'doté d'un principe' '
:,,'
actif qui l'attire. moralement vers i "autre, sans toutes sortes',
de calcul ségoïstes.
parce que ne disposant d'aucune proprié- "
té privéeo
,.
,'.
1
"
,
.'
",
l'I
, "
"
::~',i
1:;",,:
\\;1 1
l,'
, '
"
,

-
90 -
Nous voyons bien que - ~elon la bell~ formule de
P,o-Fro Moreau,
"à l 'harmonie sociale fondée sur l'égoïsme
',,"
propr iétairè , i l (r1orelly) répond par la même harmonie fondée,
sJ,lrl'égoïsmenon prop:rTétaire"oCi.~>, t'est dire que,dans
la pensée phil()soP0igue de' Morell~/, ,la communauté des biens
",'
ihstaurée sur le principe de la so~~abilité naturelle est la
seule forme d'institution 'qui soi~ l~plus légitime parce
que conforme 'aux lois de la natureo
Mais d'o~ viennent alors,les causes de la corrup-
tibn des sentiments d~ sociabilité ~hèz l'homme? Ces causes
sdnt~elles inhérentes à sa nature ou bien dérivent-elles des
i~s~itutions sociales ? Les réponses à cei questions permet-
tront à Morelly de poser les vérit'àble's bases de son système "
'r'·
i'
politiqueo
3) Du principe de la bo~té ,naturelle,
C'est dans la troisième partie du "Code de la
nature" consacrée aux "Défauts particuliers de la Morale
vulgaire ll qUE: Morelly, énonce de manîère implicite ce principe
(16) Moreau (Po-Fro
)
Ibido po 3440
",

- 91-
,
1
,,or ' ' ' '
"
.
.
"',
de la bonté' ria:t;ur_e:i,1.~ de 1" homme, "à' 't·ravers le problème du
'"
'
C'est dire que le problème de la ·corruption des
sentiments de sociabilité abordé aup~ravant dans la seconde
partie ne peut ~tre bien compris $ans cette troisième partie.
Dans notre compréhension logique de la progression du raison-
n~meht de Morelly, cette troisième.partie.doit fttre lue avant
l~ seconde qui analyse. les "Défauts. particuliers de la poli-
.,
'.",
t'ique".
,. ·1
.. i·-
..
,.. r,"
.
'-
~ "
"
En .. ef.f~_t~_:~orelly,
ainsi que nous l'avions dit
i ,
i'
"l
pl~~haut, croit à l'existence d'~ne~armonie pré-établie
;
, '.
1;,
,.
Nat~re - Providence. Il y a donc pout lui" une analogie uni-
verselle entre l'ordre moral' et l'ordre phy.sique qui fait
que l'homme n'est bon naturellement 9ue par~e que sociable,
et que cette sociabilité n'est qu'~nch~!non de cette attraC-
i.' .
tion universelle qui lie et enchaine tous les ~tres moraux.
(
,-
Ce q~i nous pe=met d'avancer cette .idée q~e le& systèmes
c,
~olitiques tirent leur substance de;la per~ection morale des
i'ndi"idus et que L'on 'ne peut comp':t~ndre la. corruption des
"'II'
mor'ëülX.
l'j
"
.
'l' "
'!
, .
::,,"

,. ' ...
-
92 -
.... ,.
Aussi,
proc1ame..:.t:"'i1 que,' "Dieu à l'~gard des
actions des hommes~ comme dans l'ordre. physique du monde, a
~tab1i une loi g~n~ra1e, un principe infaillible de tout mou-
vement
; et toutes choses une foi~'dispers~ès selon un plan
aussi admirable par sa simp1icit~,qu~ par l'~tendue et la
f~condit~ de ses cons~quences, tout mat~he, tout va avec un
, ,
Gonc~rt mervei11e~x ; il semble que la, ~oute-puissance ait
,::.
1,ivr~les caUses se~ondes et les effets particuliers à eux-
mê'm:~,s, ou, siv0us,vqu,l:ez'ri1 enc6n:s'ervele cours et l'en-
,
..
" '.
'chalnerrient (~,~.) ~ D~ . même, Die~, qui, est " toujours semblable
",
à: lÛi-même, a aussi ~tab1i dans l"ordre l11ora1 un principe
" , 1 . ,
infaillible d'innocence
pour les c~~atures qu'il voulait
douer d'une facul t~ qui les mît en ~tat "de se conserver mu-
tue11ement elles-mêmes. Comme i l a 1ivr~ les Etres inanim~s
à un mouvement aveugle et m~chanique; il a de même 1ivr~ les
hommes à un guide qui les p~n~trei pour ainsi dire, et les
poss~de tout entiers. C'est le sentiment de l'amour de nous-
:r·
~êmes,
impuissant sans se~ours, qui nous ~et dans l'heureuse "
n~cessit~ d'être biènfaisans.Not.r~'fa:ibie~seest en nous
',,\\
" r '
com~e une esp~c:e d',ine,r_tie ; e11eD,6üs, dispose comme celle
rl'I' .
'.
des,~orps,"1 subir une loi g~n~ra1equi lie et enchaîne tous
1:1,
'j'
'
'1
le's Etres moraux. La raiso~, quand ,'rien ,ne l'offusque, vient :':'
·encore augmenter la force de cetteesp'~ce de gravitat:Lon".(17)
::1,'
-_._~--~-~.-...~...,-----_
........_--------------_........--.,;.;;'..
"',:
(17) More11y : Le Code de la nature,
Ed. G. Chinard, Paris
1950, pp.
244-245.
,r,
""'1,'
"
'
.',

-
93 -
Donc si Morelly reconnaît la bienfaisance comme
étant la première de toutes nos idées morales,
il en décrète
également l'essence divine en tant qu'elle fait partie des
causes premières~ c'est-à-dire de la substance divine.
De plus,
l'on comprend pourquoi Morelly range le
bien
la bont~ parm~ les causes premières, parce qu1ils
sont de l'ordre divin et qu'il attribue au mal,les causes
secpndes en tant qU'il~e~ève de l~dysharmonie des choses
"
".
due au mauVàis usage de la raison par l'homme. Autrement dit,
.,
....
.,
~.
.'
le,mal résulte du non-respect par l'homme.de l'ordre de la
" , 1 '
nature,
d'une défaillance de l'homme dans t'usage de cette
faculté qu'est la raison.
C'est par le moyen de la raison que l'homme cons-
truit son univers moral. Mais cet univers moral progresse
toujours selon un ordre universel et spiralique vers la per-
fection absolue.
"Tout prouve,
dit"':il,dans la N-ature COmme
dans l'Art, dans le ~hysique comme dans l'Intellectuel et le
:,',
Mor~l, qu'il est établi un point fixe d'intégrité auquel les
Etres montent par desrés
( ••. )." Je puis donc dire avec fonde-
"'
ment,
que par une ànalogie merveilleuse , i l est dans le moral"
"
des accroissements favor3bles,
et que les loix de la Nature,
malgré leurs forces et leur douceur,
n'acquièrent que par

-
94 -
degrés,
une autorité enti~re sur l'humanité: de sorte que
d'abord les Nations qui s'assemblent,
sentent plutôt l'uti-
lité d'une s0ci~té en général, qu'elle;ne comprennent nette-
ment quelle .doit ~tre la meilleure. Ce n'est que par une
longue suite d'erreurs morales,
par mille épreuves que la
raison humaine découvre enfin,
que ~ulle situation ne peut
. ê~re plus heureuse que l'état de simple Nature.; mais comment'
les Nations pourraient-elles l'apprendre,
si elles ne pas-
s~ient par plusieur,s-formes de gouvernement,
par plusieurs
-','
syst~meE;, dont. les défauts dûssent tôt ou tard réunir tous
les suffrq.ges en faveur de la nature ?"
(18)
Ce passage est riche d'idées qui dévoilent au grand'
jour toute la conception téléolcigique de l'histoire chez
Morelly. Le discours utopique s'inscrit bien dans une marche
mécanique et dialectique de l'histoire vers un sommet lumi-
neux qui ne peut &tre qu'un lieu paradisiaque,
l'Age d'Or .
.,
.,

telle sorte que cet Age d'Or ne se trouve pas en arri~re,
il n'est pas le paradis perdu qu'il faut retrouver,
mais il
serait le "paradis tr.puvé" •
.\\:,i
(18) Morelly
Ibid.
pp.
251-252.
:,' ,

-
91)
-
Si
l'on r~il~chit bien on se rend compte de la
duplicité du discours utopique de Morelly sur le problème de
la corruption des sentiments de sociabilit~. En effet,
tout
indique que par labont-~ et la sociabilit~ naturelle,
les
hommes sont destinés à vivre dans une communaut~ sociale
harmonieuse. (vja:Ls par J. 'usage de la raison,
'"
l'homme?: provo-
qu~ un écart entre l'ordre naturel et l'ordre moral. Cet
écart s'est accentué avec l'institution de la propriété pri-
v~e et des lois qui la garantissent.
S'il Y a ici une déviation du cours de la nat1.lre
et une dépravation de l'homme,
comment ne peuvent-elles pas
ê.tre inscrites dans ce même cours 'J.niforme de la nature?
....
pui sque pour Morelly,
c' e3 t
un mal llnéces saire",
\\..ine : ·ise en
épreuve de la rai~on humaine, pour 'lui faire découvrir le
,:
'J',
vrai côté des choses qui sont pourtant inscrites dans la
On peut dès à présent affirmer que la finalité
morale et physiCj1..le (:=st inscrite dans le système morellien;
dans la mesure 00 la corruption des Sentiments de sociabilité
si mauvaise soit-elle,
ne fait que retarder momentanément
cette marche de l'univers vers sa plus parfaite manifestation;
en aucun cas,
e21e en subit une déviation irrémédiable.
:,'
","',', .
'"
'i

-
96 -
Co~me la-~lupart des utopi~tes, Morelly abor~e le
-',1
.
probl~me du fondement du,corps socia~ en térme de finalit~ ;
que ce fondement soit d' ordre m~can ique ou moral, peu impol-te: '.
puisque tout ceci est d~jà inscrit dans le plan divin. La
perfection morale tout comme la perfection des syst~mes poli~"
tiques nA peut provenir que de l'~puration progressive de la
raison humaine vers cet Age d'Or. Clest pourquoi, dit MorellYl
"parvenue à ce t.erme heureux l
la cr~ature raiscnnable aura
~cquis toute la bont~, ou l'int~grit~ morale dont elle est
iusceptible : c'e~t vraisemblablement par ces degr~s ~ue la
f
'"
',"
_..
Providence y co~duit le genre
humain".
(19)
i,
" ,
,
En défini~ive,
si la morale est au fondement du
corps social, elle est ~galement celle qui, par le sentiment
int~rieur de bienfaisance nous rend compte de l'existence
divine. L'id~e d'un Dieu bon est inh~rente au sentiment de
bienfaisance de l'homme; donc plus l'homme perd ce senti-
ment de bienfaisance,
plus il s'~loigne ~galement de
'id~e
d'un Dieu bon. Morelly conçoit aussi une perfection qu'a
l'homme sur l'id~e de Dieu: " •.• l'homme, dit-il, aquerra
'.,
'.'.,',
. ,
,
,
,
l'idee d'uneDivin.it~ bienfaisante par les'mêmes degr~s que
l'"
, , 1

. j.'
.,.
<,1~) Morelly' :Le Code de la nature, Edo G. Chinard, Paris
1950, .p.
253.

-
97 -
"
, "
dans l'hypoth~se pr~c~dente ; mais cependant avec cette dif-
"
f~rence que les accidens fâcheux auxquels la Cause premi~re
l'aura laissé sujet,
l'avertiront que les intentions de la
Providence sont que la cr~ature soit elle-m~me bienfaisant~
avec cette différence encore que dans la supposition pr~cé-
dente,
l'homme n'aurait presque qu'une id~e pu~ement uassive
de bont~ ; et dans celle-ci, outre ,l'idée du bienfait reçu,
"
1
il apprendrait à c6nnaitre par lui~m~me ce que c'est qu'~tre
bienfaisant. Alors la cr~ature .au~aitquelque id~e de ressem-
"
",
,,,~, ,
bl~nce entre ell€'èt-la
Divinit~; et COffime ses qualit~s la
J'
"
,
disposeraient à s'estimer la plus parfaite,
la plus aimable
de toutes les créatures,
elles la porteraient à croire que
la Cause premi~re est autant au-dessus de l'humanit~, que
celle-ci s'estime au-dessus des autres Etres
: dore pJ~s
.
,
elle concevrait une haute id~e de la bienfaisance en gén~ràl,
et plus elle aurait une id~e sublime de la Divinit~ ; plus
encore l ' indust:;:-ie,
la prudence qui aider<3.:ient -la cr~atlJre
à se garantir des accidens passagers d~ cette vie, et plus
aus?i le plaisir de s'en ~tre pr~servé, ajouteraient à l'idée'
"
'
, .• f
"
~. l '
,',
d'un Etre i~,finiment bon. Par-dessus tout cela,
l'idée d'une
"
ipfinie sagesse serait une conséquence de celle des
Mortels"n
(20)
(20) Morelly
Ibid. pp.
269-270.

- 98 -
Donc,
s i d'un côté, Morelly affirme que la "bien-
faisance perfectionne les facultés de l'esprit par les seriti-
mE:n t s du coeur 1;, ct \\ un autre côté,
il reconnaît que 3.: l.dée
de Dieu peut se perfectionner davantage thez l~homme vivant
dans une cité communautaire ; ma~s,~elle se corrompt, ensuite
s'étiole l~ o~ r~~nent la propriété privée et tous ses vices~
.,
Nous pouvons d~s à présent, à partir du probl~me
",'
de la bonté naturelle,
comprendre tout le développement fait, ,
par Morelly dans la seconde partie du "Code" sur l'origine
et la corruption des nations
La raison principa~~e aura donc
0
été l'abandon de l'esprit communauta~re au sein de ces soci€~
tés patriarcales,
agricoles, puis l'introduction de la pro-
priété privée,
par la multiplication des familles,
les nom-
breuses migrations et les difficultés de réorganiser les
soçiétés humaines sur de nouvelles",bases moraleso
l\\
".
,'.
Et ce sont,
par conséquent~ les lois établies par
les législateurs- qui pervertiront davantage les sentiments
'!
de sociabilité de l'homme,
ainsi que le degré de bienfaisanc~.
qu'il avait en lui déjà dans l'état de natureo
Il en sera de,.
m~me des premières communautés chrétienne~ dont la perversion,
morale s'est accélérée sous le partage des productions des
biens de la nature et l'instauration du "tien et du mien" .
......
• 1,.1
....
, ,
:,
.
1'1'
" .
.,',
l"
"'''.

-
99
,'1 J
Nous pouvons ici parler de conformisme moral,
puis~
't'"
,:'.
, "
que ~es situation~ historiques protivent qué l'id~al de vie
cCim[rn,ma~xtaire est insCr~it"dans la{inalit~ de la nature hu-
,·c...
maine ; et que le rêve de Morelly de, r~conciliation de
'"
l'homme avec la nature dojt ~tre r~alis~par le biai~ de la
",
morale sociale bâtie sur la bienfais~nce. Ce n'est que par
la r~alisation d'une unit~ des passions et des volont~s que
Morelly esp~re former ce tout parfait collectif, c'est-à-dire;
"trouver UTle situation dans laquelle l 'homme soit aussi heu-
reux et aussi bienfaisant qu'il le peut être en cette vie"o(21)
En d~finitive,
le discours utopique prolif~rant
de Morelly contre les d~fauts de la politique et de la morale
vulgaires postule unes-ocialit~ partii:::uli~re tout comme il
"
," "
participe au renver~ement des valeürs sociales ; un tel ren-
versement ne peut être dans son principe ~ue cette invite
paradoxale d'une transcendance à rechercher dans l'immanence
sous la forme imm~diate du devoir -être. C'est pourquoi,
nous nous accordons à dire que le discours utopique de Morel~~'
dans J.e !!Code (:2 :Ld nature" est la condition de possibilité
d'un regard éthique,
diff~rentiel du r~el, sous l~ forme de
:.' .
(21) Morelly : Le Code de la nature,
Edo Go
Chinard, Paris
1,950,
p.
283 0
,
..
,
i'
i,
," "
d,l',',," ,

-
100 -
cétte conscience anticipante. Aussi,~lab6re-t-il son système
politique en maintenant cet ~c·art...., dont nous avons ·_,éj à
~entionné plus haut - par rapport ~la r~alit~ sociale de
',,1
son temps.
II /
Du système politique de Morelly
C'est en fin de compte dans la quatrième p~rtie
du '''Code de la nature" que Moreliypropose sa cit~ id~ale
"
.
comme le "Modèle de légis).ation con.forme aux intentions de
la nFltucR".
'C
,',
l"
"
Et dès
l'introduction,
Morelly comme s ' i l voulait"
, "
devancer ses critiques et ses détracteurs,
soumet le contenu
à
sa propre critique
; i l montre déjà tout le côt~ chimérique
de la nouvelle République qu'il propose,
en disant
",Je donne
cet esquisse de Loix par forme d'Appendix,
et comme un hors
d'oei.n!l-~·, ptd.~:;;:~\\.l;:i.J. n1cst malheureusement que trop vrai qu'il
serait comme impossible,
de nos
jours,
de former une pareille,'
République".
(22)
"
(22) Morelly
Ibid.
p.
285.
:1, .
',' '

-
101 _.
.,.1
,
Mais en m~me temps,
il auréole son syst~me politi-
que d'une mission J.ib~ratrice au niveau de l'humanité, puis-", "
que "ces Loix délivreraient les hommés des mis~res" présentes;'"
Par un rega~d critique jeté sur les conditions vécues,
sur
les erreurs de la politique et de la morale vulgaires,
le
discours utopique de Morelly propose une totalité de réformes
politiques, morales,
sociales et é~onomiques par la raison
d'une re-signifiance du monde.
En ~omme,
cette République
, 1
idéale morellienne viserait à instaurer '.:.lne nouvelle pléni-.
tude'au niveau de l'individu morale~ent épuré. C'est bien le
sen~ du discours atop{~~e'que de réaliser dans lé même mou-
vement la négation de la réali~é sociale présente et le
'Il
J
"
p1:"üi'iOSt.1.C de construction d'une humanité ,idéale.
C'e,st ce qui amènera Morell y à codifier le schéma
de la République id~ale 00 chaque individu,
comblé dl~n
équitable bonheur matériel,
mettrait son bonheur moral au
!
i,
service de la communauté enti~re. Pour cela, Morelly formule
les trois "Loix fondamentales et sacrées" qui constituent
, 1
la substance même de son syst~me politique et dont le prin-
c~pe est la suppression définitive de la propriété privée :
\\ '
Il','
1 -
"Rien dans l,a Sociét~ ,n'appartiendra singuli~­
", '~, .'
r~ment ni en propriété à personne,quele~ choses dont il
",'

.....
-
102 -
'
, '.
l'
",
l '
'.
'"
"
fera un usage actuel,
soit pour ses besoins,
ses plaisirs,
2 -
~~Tout Citoyen sera homme publ ic sus'-.ent p } entre-
tenu et occup~ aux d~pens du public~ •.
3 -
lIToùt Citoyen contr ibuera pour sa part à l' uti- 1
lit~ publique selon ses forces, ses talenset son âge; c'est
sur' cela que seront rég~~sses deveirs, cohform~ment aux Loix
dis tr i bu t ive s 11.
(23)
Il n'est pas ~tonnant de voir d,ans ces lois &onda-
m~nt21~s et sacr~es, l'apologie de la propri~t~ publique. Elle
est pour Morelly,
la condition essentielle de constitution
d'une totalit~ harmonieuse dont le principe d'organisation
naturelle de l'ordre social,
politique et ~conomique demeure
l'égalisation des conditions économiques des individus.
Ceux-ci n'ont d'identit~socialequedans leur
rapport au corps social_,
ç' est-à-diredans leur contribution
personnelle au tout ,collectif ,sur la base de la
.,,
--~--_"--~-----------_""'-'_------------"_-
(23) Morelly : Le Code de la nature,
Edo Go Chinard,
Paris
1950, ppo
286-287.

-
103 - '
diff~renciation des aptitudes physiques, i~tellectuelles et
de l'assiduité au travail. Le discours utopique de ]Yj)relly
est ici inducteur d'une socialité originale totalisante qui
l
.,
,
..
" ' d
'
p~cc, ame ~'anterlorlte
e la communaute sur l'individu en
même temps qu'il imprime un code uniforme à des consciences
individuelles facile~ent malléables. Et c'est cette malléa-
,
,
bilit6 des cbnsci,cnccs individuell~~ ~ui,recbmmande ~ Morelly
.-
l'otganisation soci~Je et politique de sa cit~ sur des Jois
~oi~s rigides et.plus adaptées à c~àque situation concr~te
particulière et. qu'il appelle "Loix distributives ou~cono-
.
"
mlques
0
1
,1
De l ' organis.;)tion pülit:ique dela cité
Le syst~me complexe dlotganisation politique et
sociale qu'adopte Morelly va
jusqu'à établir dans ses moin-
dre,s détails,
la manière de concevoir ce~te totalité ilarmo-
... ' ..
l'
nieuse dont le danger principal reète celui d'une introduc-
"
t,i?n éventueile dei'a proprjété pi."1véeo
Il n'est pas étonnant",
de constater dans l'établissement des lois de sa cité idéale l ,
que Morelly ait,ainsi que l'a souligné ~
juste titre G.
Chinard dans la présentation du "Code",
eu recours à Thomas
More pour son "Utopie" et à Garcilasso de la Vega pour son
•... r
"
11'1'

-
104
ouvrage "Les Commentaires royaux ou Histoire des Incas".
Ainsi,
c'est dans les cinq premiers articles des
,,-
.
, _'~OlX
distributives ou économiques" que Morelly donne le
schéma politique de sa cité idéale. Il est complété par d'aU-
tres articles mentionnés plus loin',' d"abord dans la partie
concernant les "Loix Ediles"
(po 29}), ensuite, dans Les
"L'oix de la forme du gouvernement-"
(p.
302)
et les "Loix de
l'administration du gouvernement"
(p.
306)
; enfin dans les
"Loix pénales"
(po
323).
Son schéma politique se fonde sur le paradigme
d'une nation bien ordonnée,
c'est~à-dire uniforme, sans
conflits 00 tout fonctionne à la perfection. Aussi prévoit-il
de dénombrer et de diviser toute la Nation par Fa;nil1 "s,
par
Tri'bus et par Cités
;
si la Nation'devient plus grande,
il
conçoit également une ,division par, Provinces. Le chiffre dix
et ~es multiples ordonneront llespace politique 00 tout sera
augmenté à, proportion san s qU'il Y en ait de trop ni de moins:~
"Chaque Tribu, dit-il,
sera composée d'un nombre égal de
Familles,
chaqu~ Cité d'un n~mbre égal de Tribus, ainsi du
reste".
Mais ce qui ordonne aussi la Nation morellj.enne,
'.,'.
,"
-,,',,

-
105 -
",'
c'est l'organisation rigoureuse,
symétrique de l'espace
urbain corrélativement aux différentes fonctions sociales et
politiques. Cet espace urbain, défini par son unité topogra-
phique,
comprend quatre niveaux de référence tous déterminés
par le centre de la ville.
, . 1
,
L'un i té du preinier niveau es t
l ' espace ,'~concin"ic;ue
'\\'.
e~'politique, sorte de grande place de figure réguli~re et
destructurE' unlfor:7'e.
Cet espace est le lieu commun à tous
les habitants et o~ sont érigés,
les "maga~ins publics de
toutes provisions et les salles d'assemblées publiques".
Autrement dit;
ce lieu comn:un se caractérise par cette double
activité: d'une part,
i l est le lieu des échanges simples
et r~ciproques entre concitoyens, donc lieu d'abondance"
de
satisfaction des besoins alimentaires
; en un mot ~
il ,~;st le
.1'"
lieu de consommation alimentaire pUblique. Comme le dit
MOr',elly :
"Rien,
selon les Loix saçrées,ne se vendra,
ni ne
.'
..... _.-'.
,.-..
" . . .
s'échangera entre Concitoyens, ·d~ sorte, par exemple, que
10,.,'
c'elui qui aura besoin de quelques herbes,
légumes,
ou fruits",
ira en prendre ce qu'il lui en faut pour tin
jour seulement
à la Place publique,
o~ ces choses seront apportées par ceux :
qui les c~ltivent. Si quelqu'un a besoin de pain,
il ira s'eti
fourn ir pour un t~ms m,arqué,
chez celui qui l e fait et cellJ i-
ci trouvera dans le magazin public,
la quantité de farine
,.
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" ,
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l'
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d'-l ICQJ.:) cz.
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-
106 -
pour celle ~u pain qu'il doit préparer,
soit p~ur un jour ou
plusieurs. Celui à qui il faudra un~v~tement, le rece;ra de
c~lui qui le co~pose, celui-ci en piendr~ l'~toffe chez celui'
1
qui la fabr:igue,
et ce derrlier en tirera la matière du maga-
zin 00 elle ~ura ~t~-apport~e par ceux qui la recueillent :
ainsi de toutes autres choses qui se' disfribueront à chaque
P~re de Famille, pour son usage et celui de ses Enfans "~(24)
D'autre part,
ce lieu commun est aussi celui rie la
cr~ativit~ politique, par l'intensit~ des ~changes ve1,baux
entre les diff~rentsrepr~sentantsdu pouvoir l~gislatif
r~unis dans les assembl~es. Lieu d'affrontements symboliques
entre les citoyens, ,il est ~galeme~~ l~ l~eu 00 se maintient
et se perp~tue l'ubité de la Nation dans son uniformit~ poli-,
tique.
"
"
'"
L'unit.é du second niveau est l'ensemble des quar-
tiers de la Cit~ tous ~gaux, de m~me figure et r~0uli~:ement
divis~s par rues. Chaque Tribu occupe un quartier et chaque
Famille, un logement spacieux et commode. Les quartiers,
dis~
pos~s selon un ordre r~gulier, reproduisent en quelque sorte
toute la Nation dans sa forme;
en ce sens"
qu'ils d~limitent
(24 ) Morelly
Ibid.
po
2910
.. 1 ·

-
107 -
et cl8turent un espace économi~ueetpolitique non plus de
"/,
c'onsommation,
mais bien de production des ,biens alimentaires'!,
et d'exercice du pouvoir politique de type patriarcal.
En
effet.
c'est chaç~p FamilJe de chaque Tribu qui dunne à son
tour un Chef à la Tribu. Celui-ci le sera pendant toute sa
vle.
De m~me les Chefs de Tribu seront tour à tour élus Chefs
de Cités pour un an,
tout comme chaqUe Cité donnera à son
tour,
pour un an,
un Chef à sa Province,
lequel sera choisi
par les Chefs des Tribus de cette Cité. L'organisation de
~'e~pace politique est fondée sui'l~ d~légation rotative de
pouvoirs représentés o~~gtnairement,'p~r lé P~re de Famille
qui,
à l'âge de cinquante an s, ." sera Sénateur, et aura voix
1
d~libérative et d~cisive sur tout ~~glement à faire, relati-
vement aux intentions des Loix,
dont le Sénat sera Conserva-
Et c'est en définitive de chaque Province que sera
désigné tour
d i~our un "Chef perpétuel à tout l'Etat". Morelly
serait-il partisan d'une s6lution Fédérative? Tout porte à
le croire,
au vu des lois qu'il promulgue pour l'pxerclce et
la séparation des pouvoirs exécutif
législatif et judiciaire~
"
(25) Morelly : Le Code de la nature"Ed.G~ Chinard, Paris
"
1
1950.
pp.
302-303.

-
108 -.
".,
voirs ~ caract~re tribal qui s'int~grent harmonieusement aux
pouvoirs centraux. Nous pouvons par ailleurs comprendre la
recherche perp~tuelle de l'~galité par Morelly, dans l'orga-
nisation du corps politique,
puisque celle-ci devient un prin-
le
c5.pe de totalité par lequel se maintient indéfiniment .•corps
politique dans son homogénéité résultant de l'indifférencia-
tion de tous les ind~vidus.
C'est c~ qui -explique aUssi l'autre fonction que
remplit le quartier 9ui est égale~ent l'espace social du
.,1.
'"
travail mécrlnique ; en effët,
liA quelque distance,
autour
des Quartiers de la Cité,
seront bâtis,
en galeries,
les
at~eiiers de toutes Professions méchaniques pour tous les
Corps d'Ouvriers dont le nombre exc~dera
dix;
car il a été
dit,
Loi V distributive,
qu1iln'y aura par chaque Cité qu'un
nombre suffisant d'Ouvriers pour chaque Profession méchani-
que".
( 26)
L'unité du troisième niveau englobe,
à la fois
deux activ i tés du même-espace socii:il ':
comme lieu d' habi ta-
tion,
il sert. de demeure aux personn~s e~ployées dans
" .
"
(26) i\\1orelly
Ibid.
p.
2950

'/.
-
109 -
','
, "
l ' Agr icul ture,
et aux profes sions qui en dép..t).ndent ; comme
lieu de t~2vaill iJ, contient des édifices qui servent
"d'atteliers à ces Professions, de Granges, de celiers, de
Retraite aux Bestiaux~ et de Magazin d'ustenciles,
tOLjours
proportionnellement au service de chaque cité". L'agriculture
est au centre m~me des activitésé~onomiques de la Nation
m9rellienne.
Elle cont~ibue à la satisfaction des besoins
~iimentaire~ des habitants, donc pai, là,elle procure du tra-,
,
".....
"
1
vail à tous,
puisque "tout Citoyen; "sàns exception,
depuis
il'
l'âge de ving.t ans, jusqu'à vingt cinq,
sera obligé d'exercer
l'Agriculture,
~ moins que quelqué infirmité ne"l'en dispense Œ,
(Cf~ Le "Code.o." po 292).
Dans la disposition topographique de la ville,
cett~
unité du troisième niveau marque atissi la clôture avec l'unité
du quatri~me niveau qui va suivre. Elle indique clairement
que là s'arr~te cette homogénéité sociale et politique entre
l,'unité de consommation,
les magasins et les assemblées pu-
bliques et llunité ~e production et de travail,
l'artisanat
!
et l'agriculture. Le discours de M6relly révèle bien c~tte
Il,'
marginalisati.Qr1, 'cet isolement 'desb~timents qui forment
il,
\\1'1
~)' "
il,'
l~~nité du quatri~me niveau. En ef~~t, c~ux-ci ne sont pas
",'
sitùés "à l'extérieur" des autres enceintes, mais bien "Hors
de toutes ces enceintes"o
:"
'."
.
::tt;;;;;;u4';.J';;~

-
110 -
. ,,'
Cette unité du quatri~me niveau regroupe donc tous
les bâtiments destinés successivem~nt aux malades, aux inva-
lides de travail,
aux vieillards,
à tous les déclassés so-
ciaux devenus nuisibles à la Nation et a~x morts. Les arti-
cles ,
huit,
neuf,
dix et on ze des ~",L()ix Ediles" expr iment
d~~antage cette pènsée de Morelly
•." r · "
.
1(1'
tance,
ment spacieux et commode,
pour y loger et ,soigner tout Ci-
toyen malade.
9 -
"D'un autre côté sera' bâtie une retrai t.e com-
mode pour tous Citoyen s in,firmes et décrépits.
10 -
"D'un autre côté,
dans l'endroit le moins
~g~~able et le plu~ désert sera con~truit un bâtimen~ envi-
',', .
....r, "
",
ronné de hautes murailies,
divisé èn plusieurs petits loge-
~en s, fermés' de gril-les de fer, oS ,seront ,enfermés ceux qui'
.~
"/
aüront m~rité dl~tre séparés de la, Société pour un tems. Voyet
les Loix pénales.
'"
11 -
"Près delà sera le champ de sépulture,
envi-
ronn~ de murailles, dans lequel seront séparément bâties de
',- '
, , '
,
:",::!,.
'Ilh,
'\\1.
"
aCZZZZL
. ·..é ....:z::MM\\k&li1Zl&t!&S?J&&&2•."",S5lS2_ &.9!!"~

-
111 -
très-forte maçonnerie, des espèces de cave~nes -assez spacieu-
ses,
et fortemen~ o~illées, pour y ,enfermer à perpétuité, et"
servir ensuite de tombeaux aux Citoyens qui auront mé~ité de
,i
mourir civ~lement, c'est-à-dire, di~tte pour toujours sépar~s
J .~ ••
.;
dei la Société .Voyez:-- les Loix péna,les".
(27)
l'
"
",'
.\\
Cependant le paradoxe veut que dans cette Républi-
l ,
que idéale,harmonieuse que souhaite Morelly,
la violence
qui est élud~e dans le quotidien, da~s le corps social, est
présente dans les "Loix pénales" dont les quatorze articles
en dénotent le caractère pr~ventif et r~prèssifo Cett2 vio-
lence latente à l'égard des citoyens,
inscrite -dans les lois,
r~pond antitéthiquement à une éventuelle violence des cito~
yeri,s "~gar~s" contre l'ordre social naturel de la République
".,' ..
l ' , '
rrlorellienne.
",,
Mais comment se fait-il que,
dans une République
aussi parfaite, Morelly fasse de la violence virtuelle, un
instrument de pouvoir, une sorte d'''ép~e de Damoclès? :ette
violence serait-elle un ~l~ment indispensable à l'exercice
et au maintien d'un pouvoir politique indirect? Dans la
(27) Morelly : Le Code de la naturè,
Ed. G. Ch{nard, Paris
1950, pp.
295-296.
.' "
Il','
'1

-, 112 -
riles,ure où,
il apparait que,
"ce n',~s~, pas l 'homme en lui-même
qui dét;j,ent la capacité de oommander,
mais seulement les lois,
'1
l
,
,.
,~
,
et .les règlements que sa personn~incarne~ •• " (28)
/,
Dans la cité morellienne,
c'est l'homme public et
non privé q~i incarne le pouvoir politique. Celui-ci est
organisé de telle sorte qu'il est identifié au pouvoir fami-
liaI détenu par le père. Ainsi,
le fondement du corps social
ne réside principalement que dans ç.ette "affection de conS'in-
guinité l1 ,
comme l'avait déjà soulignéJ.
Ehrard.
(29) Cela
expliqlJe anssi po',u~q~,!oi les "Loix, pénales'" prévoient des
\\. "
sanctions sévères pour tout acte individuel contraire à l'es-
"
. .
-
',"
.
",. ~ '"
. ".
( , '
p:cit de sociabilité,
le crime,. la désobéissance aux autorités,
l',.
~.
l ' ,adul tère. Ces sa'ric'lion s peuvent varier " en proportion deI a",
gr~vité de la faute, d'une réclusion tempdraire à la réclu-
sion ~ vie. La peine de mort est par contre exclu~ du système
social et politique morellien.
(28) Polin
CC.)
L'esprit totalitaire,
Ed. Sirey,
Paris 1977,
p.
177.
"
( 29)
Enra:cd
(,J.)
:
L'idée de na ture>en France dan s la 1ère
l,',.
,~,> .
partie du XVIIIe s'iècle,
Ed.
Sevpen,
Paris 1963,
pp. 538-540.
"
,,,r "
.,,1'
.. '
!'I,r.·
\\'1
'

-
113 -
De plus,
dans cette id~e jùsteid~ale, tous les
',"
individus quels que soient leur rang social,
sont soumis à
llautorité de la loio
"Tout Citoyen,
dit Morelly,
sans excep-
tion de rang ni de dignjt~, fat-ce mgme le Chef g~n~r~l de
la Nation, qui serait ce qu'on n'ose penser,
assez dénaturé
pour ôter la vie,
ou blesser mortellement quelqu'un,
qui
aurait tent~ par" cabale ou autrement, d'abolir les Loix sa-
cr~es, pour introduire la d~testable p~opri~t~, après avoir
~té convaincu et jug~ par le S~nat~up~gme, sera enfermé
pour toute sa ,vie,comm.e"fol furieux et ennemi de l'humanité,"
," "
dans une caverne bâtie,
comme il a ~t~ dit, Loi ~dile XI
t,
d~ns le lieu des s~pultures publiq0~s': son nom sera pdur
",,
J, .
toujoùrs effacé du dénombrement des Citoyens,
ses Enfants et
toute sa Famille quitteront ce nom,
et seront s~parément
incorpor~s dans d'autres Tribus, Cit~s ou Provinces, sans
qu'il soit permis à personne de les m~priser ni de leur re-
procher la faute de leurs parens,sous pèine d'~tre deux ans
retranchés de la Société"0
(30)
Par a~Ll1eHrs,
si d'un côté ,seul, l e Sénat de chaque
cit~ aura le pouvoir d'_~n~liger les p,eines, de privation de la
l,'
il ..
v;,
il,'
(30) Morelly : Le Code de la nature,
Edo G. Chinard, Paris

-
114 -
"
,l'
'
société sur la d~Dbsition des Chefs de Tribus, dE Fa~llies
ou de corps de profession,
d'un autre côté,
ces juges seront
soumis à une étroite surveillance.
"Les personnes en dignité,
dit-il,
seront obligées de veiller par elles-mêmes Stlr les
personnes qui leur seront sUbordonn~es,de les réprimander
ou punir pour les cas laièsésà leur pouvoir, de les déférer
à un ordre supérieur pour des fautés plus considérables,
s~~s aucune indulgenc~~_,~,peine d!êfie pi~vées, ou pour un
,,'
tem~, ou pour toujours,
de leut Charge suivant l'impo~tance
de cette omis-sion".
(31)
'li
"
, '
Ce,que le système d'organisation politique de la
cité id~ale morellienne met en relief, c'est le prinçipe
d'une vie communautaire basée sur l'autorité et le respect
des lois. En même temps,
ces lois c6~fèr~nt à sa conception
démocratique,
une dimension ~étaphysique et téléologique du
pouvoir. Ce qui n'est pas sans conséquen~e sur l'argatisation,
,- ,
,,'
'.,'
soc~~le de cette cité idéale.
"
1
"
,',
",,',
l'!' .
','
(31) Morelly
Ibid. p.
328.
","
l , '
."
..

-
115. -
",'
Partant de l'organisation. politique de la cit~
id~ale telle que l'imagine Morelly,pous pouvons ~tre à m~me
.1'·'
,'.
de.. saisir l'im~oitance que le philo~dphe utopiste accorde à
,:
1
, .
;
'c

•.... ,,_ . •
la l~gislatton qui r~glemente l'a~ti~ité ~conomique, garantit
"
"'1" •
.,
la p~ret~ des·~oeurs·~t pl~nifie de façori rigoureuse l'~duc3-
,
tion des citoyenso
Si,
ccnfo'::ïliément aux "Loix fondamentales et sacrées",
la République morellienne trouverait son harmonie naturelle
grâce à la suppression de la propri~té privée, celle-ci ne
réaliserait son uniformité sociale qu'à travers le principe
d'une société agraire à l'intérieUr.de laquellecsubsisteraient
des circonscriptions agricoleso C'es~donc par le biais àe J.a
,, .
..
régle'mentation rationnelle dans la distribution des produc-
",
.
.
11"1'
tions de la nature etdê- l'Art,
c' e's~.-à-Ciire, en distinguant
".
cellès qui son~d~uD ~sage durabled~celles qui sont d'un
,',
l'j'
..
I(
, .
',,'
usage journalier et passager, que la' société arriverait à
satisfaire tous les besoins des individuso
Morelly est convaincu que c'est de la non-s~tisfac-
tion des besoins que nait le désir .de poss~der, et par là
.... /
'"
.,,

-
116 -'
~g~leme~t, tous les vices qui cond~isent,à la perversion des',
"
1
.,
'1
'
"
"
individus. Le 'principe est que l'abondance alimentaire doit
.,
At
d
' ' ' ' . - l
~
re
e reg~euùns chaque cité afip' que,
par le système des
l,
réserves,
une cité peut contribuer au manquement d'une autre,:
le tout dans une égale satisfaction ,des individus considérés 1
comme un tout organique. C'est ce que stipulent les articles
huit,
neuf et dix des "Loix distributives ou économinues":
8 -
"Ces productions de toute e,spèce seront dénom-
brées,
et leur quantité sera proportionnée,
soit au nombre
~esCitoyens de chaque Cité, soit au nombre de ceux qui en
0sent : celles de ces productionsqbi se conservent,
seront,
I r l '
selbn les~êmes règlei;~~blique~~~t approvisionnées et leur
sur~bondance~ise~n réserve.
9 -
"Les provisions d'agrément seulement, d'un
usage un~versel 0~ particul{er, venant à défaillir au poiDt
qU'il ne s'en trouvât pas assez,
de sorte qu'il pat arriver
qu'un seul Citcyen en fat privé; alors toute distribution
~era suspendue, ou bien ces choses ne' seront fournies qu'en
,
m6indre quantité,
jusqu'à ce qu'il ait été pou~vu à ce défaut
'"
~ais on prendra garde, avec soin, que ces accidens n'arrivent,
:\\ .
pas 'à l'égard des,choses universellement nécessaires.
,,,
.,.r "
JI,
',,1

;' ~'
., ".......
~ l. ,/
de chaque' PrOvince, 'ré-flueront· sur celles oui seraient en
danger d' erJ,manquer,
ou ,séront réservées poUr des besoin s
futu~s".
(32)
L'organisation du monde social n'est donc pas
';',\\! {,:' ..
comprise pour elle-même;
elle ne peut l'être qu'à partir de
.• l'

cette référence à un modèle de société purement économique
,',j;"
. ·ll:,.~>
dans laquelle,
l'agriculture et l'artisanat sont les seules::,>:;:;:::"
activités économiques pratiquées. Quoique cela puisse parai-~~~p~
"
,
,1,1 .. ->
/' i'll,l'
tre 'p,aradoxal,
le but pour suivi par Morel~y, est d,'affranchir. :',:1,,::,.:,;1"
" . '
\\
\\-
11\\,',1'1 1 1'
. . .'"
.
-
,.....
.,'
• •
'" .~.II';I ~:t,\\\\:I.~I,
l 'homme de,' t.out, assUj ettis'sement' moral et 'physique,
de parveS::!~,::':'/,,:
, , '
'
. ..
,:I"l,~~:/~'i~:;','
nir, ,par-ùz:l'e~,'organisat±on rigoureuse,
à abolir le besoin par, ',;,,',r,
\\\\/~ I!:'>'~
.
l,l' l''fl,
l'abondance alimentaire.
',,::.;'(}\\;\\
,'.:-:'::;.:"'\\;
C'est donc ce qui
justifie dans la, cité rnorellienne,~,.,I'~J:;
la création ,des "corps d'Agricoles",
"soi t
pour tirer tout,),~/:;(
cequ~il ~era ~ossible de
son territoire,
soit pour aider à
,,'
"
la culture des Terres des cités voisines".
Par ailleurs,
Morelly rend obligatoire le travail agricole pour
tous les
(32)
Morelly
Le Code de_la .,na.ture,
Ed. G.' Chinai'd,
Paris
1950, po. 290.
,
/
.
,-
'"I

-
'118 ,;..
•.•• f
"
'",1
'Ii'
habitants àe la cité quj~ ont entre 'vingt' et vingt.-cinq ans.
, ,
L'on comprend ainsi,
avec la suppression de la propriété pri-"
vée,
l'intérêt d'ure société stratifiée à, partir de l ' acti-
vité économique agricole. La cité idéale morellienne sera,
pour la circonstance, divisée en çouches'sociales comprenant
les agriculteurs,
les artisans,
le$ architectes. Du reste,
cette division sociale n'a cependant rien d'arbitraire dans
l'id~e de MorellYI puisque tous le~citoyens de la République
idéale sont censés exercer tous l~,s,m,étiers manuels. De plus,
"
,
.
"
.
.
1'..
," "
si son schéma social 'interdit tout~ 'a~iivité économique sus~
""
..
"
oeptible d' introdUii-e la propriét,é, ,privée,;
c'est-à-dire de
"
l
",
prqvoquer une situation ~onflictuelie permanente qui serait
\\1:,
,:",'
née des opposition$ d'intérêts spécifiques',
il encourage par
contre le travail agricole comme activité, essentielle de toute
vie en commun. Le but visé,
c'est bien le maintien de l'uni-
formité sociale et de l'ordre publi~, puisque, d'apr~s
Morelly,
"la formule de tout commandement public sera.
la
Raison veut,
la Loi ordonne".
(33)
~'
l'l"
C' est pourquoi,
la pres-::r iption des "Loix de pol ice'"
, '"
Il ,
et des "Loix somptuaires" cont.çihuera à préserver l'homogé-
,
'
.
\\ .
1,1t'1
~
né~té social.i par 12.'- régl ementation.ctu travail et la
'"
l
,,
,
1\\)"
'.,',
(33)
Morelly
Ibid. p.
310.
"

hiérarchisation des fonctions industrielles destinées essen-
tiellement à l'agriculture.
La cité harmonieuse sera ordonnée également à
l'image de"re. pureté mora}~que garantisse~t 'les {iLoix conj
gales" établies pour prév,enir toute' débauche~, Le Etaricge
rendu: obligatoire à partir de quinze ou s'eiie ans,
le célibat
ne ~eraitp~rmis qu'apr~s l'âge de quaran~e ans. Ainsi, si
la possibilité d'un divor'ce paT consentement en présencê des
Chefs de Familles de la tribu est envisagée apr~s dix ans de
mariage,
par contre,
les adult~res sont sév~rement punis.
,
,~
Mais pour une plus grande efficacité et un meilleur résultat
dans la quête de la transparence morale, Morelly lie le pro-
bl~me de la moralité publique à ,celui de l'éducation.
C'est ici que se manifeste l'une des plüs grandes
exigences dl~ne'République id~ale parfaite d~ Morelly.
Eheff~t, le philosophe justifie la diversité des
c
sujet's ~ociaux par l'organisation particuli~re de l'environ-
nement social et politique. Aussi l'éducation apparaît pour
lui COmme un art fondamental dont la tâche consiste principa-,:,\\(;;'
lement à créer un environnemeht adéquat à la nature origi-
nell~ de l'individu. Le but poursuivi par Morelly dans le
,..

domaine·~ducatif est de r~aliser la propre finalité de tous
les hommes grâce à une meiJ.leure ~ducation f6nd~e sur les
mêmes principes.
Le premier caractère de l'~ducation, c'est
tution ~'une~ducation commune dès l'âge de cinq an~.
.:i"II,I,,!,·
"00 o tous les Enfans dans chaque Tribu,
seroIlt ra~semblés, e~'i:::',\\!ii'
les deux sexes s~par~ment log~s et nourris' dans une Maison
ij~(
',Il ',/1,1 1,[,
destin~e 'à'e:ela ; leüfs:ëi.l l'mens ,leur s vêt~men s et leurs ore...;';>'!>
\\;~:"/,~'i\\'i;:'~
1.
mières instructions seront par-tout unifoim~ment les mêmes ,,:.~i::':?!,{,
sans aucune distinction,
selo~· J es règles qui seront pres-
critespar le S~nat"o (34)
Le second caractère de l'~ducation est de former
avec une morale saine tous les enfants,
grâce à une rotation
des pères et mères de familles
sous l'inspection àu Chef de
la tribuo
Ceux-ci enseigneront la modération .et la docilité
dans ,l'~gaii'té de tous les enfants sans dist;ipcti~n aucuneo:::,,;':(:'ii'i
Mais i l s "6pére~a une sélee:tion n~cessaireavec. le développe..:..:",;~,,'(':
.
',""'\\);;"-.:'
ment progr,essif de la r-a'ison.o LI ,in struction,cïv ique con Sl stera:,';;,
: \\~~::r::t:~:i:
',:,',~!,"\\:
,','·1,';'.
----......,....---'---------'-----------......,....--------~,.-.',.,.
- (34}Morell~ : Le Code de la nature.
Ed. Go
Chinard,
Paris
1950,
ppo
314-3150
,
l','
" "

-
121
à instruire les enfants des "Loix de la Patrie" ; de même
l'6béissance et le respect des parents,
des Chefs et des
personnes âgées cultiveront en eux le sentiment d'égalité,
',';
<,.'",
d'amitié ainsi que le gont pour la vérité. La pratique des
.
,,,:
,1
"
jeux indispensable dans la formation
corps,
!:=,;~,fp(;:ce.ca les
'1
,'~'
',':1
enfan,ts ~u travail agricole.
~
,C'est pourquoi,
letrois-ième caractère de l' éduca-,
tion c6n~istera à initier l~s enfants les81us robustes au

" ,
j
"".
travail artisanal avan,t l ' âg'e de dix ans. ,Puis suivra à par-
tir de dix ans,
une initiation des enfants aux travaux d'at-
teliérs
: c~ux-ci quitteront la maison pa~ernelle pour être
pris entièrement en charge par la société à l'intérieur de
chaque profession sous la direction dc::~ J"la.îtres et: Chefs
"
'"
assermentés.
Le quatrième caractère de i'éducation morellienne
touche à l" ~nseignemerit de la mécanique, de la métaphysique
,
~
et d~ la morale. A c~ stad~; les ,enfants devront acquérir la,
connaissance rationnelle de l'existence d'une Div in i té comme '"
la lICause première et bienfaisante de tout ce qu'ils admirent
• •
• •
L
'
ou trouvent' aimable et bon ll •
Loin d'en avoir une idée pure-
cment'abstraite
les enf~nts auront une conriaissance pratique
j
de l ' Etre suprême à travers ses "ouvrages",
c' est-2i-clire ses

,\\,
réalfsation,s dans la ,natur"è~'" C' est· à ce moment seulement
qu'ils, auront l'idée ,d'.':.lf,lEtre Suprême infiniment bon et
sag~oIls cOll)prendront par suite que les s~ntiments de socia-,
bilité mani~este chez ~'h6~me sont un exemple"même de cette
rsage~seet de ,cette bonté divines. Et c'est de l'observa~ion
de ces sentiments de sociabilité que les enfants pourront
avoir pleinement connaissance de ce que c'est
qu'un Dieu.
Il leur sera enseigné comment perfectionner ces
sentlmen ts de soc iabil i té par le s
lois qui sont là pour appl i7':'
quer avec ,ordre tout ce qui parti.cipe 21":
,
,
'
la soci ét~ ~ "Tous l es préceptes, di t-i l, toutes le~ maximes,
toutes les réflexions mqrales seront àéduitsdes Loix fonda-
mentales et sacrées,
et toujGl.lrs relativeme~t,à l'union et
,
,
'
,
à laténdresse sociale:
lés motifs d'exhortation seront le
-bonhé0r particulier,
in~éparablement attaché au bien commun,
et les considérations encourageantes auront pour objet l'es-
time et l'amitié des Proches,
des Concitoyens et des
Chefsll
(35)
0
Par ailleurs,
More11y prévoit les "Loix des Etudes",
dont le cin9ui~me caractère de l'éducation est l'interdiction'
1
",:11: ,;' !,',
~
. ,1/1',:'1,;(\\1'
- - - - - - - : - :
-:-:
- - - - - - - -
-.;.":'),::'i,:;::?'
(35) Mot~ÙlY
Ibid .. Po_J17~,I,!I·:·,I;I\\i
. '
"..1 ' .
r'
\\ ~
l
. ',:,i,:/:,,:'
, :'::: '::,:'i~\\
l'" '. ,~r"/,i
"

-
1:'3 -
de toute spéculation méta~hysique n'ayant aucune finalité
pràt,ique'o Ainsi ,comme chez Platon,
l ' instr,uctioIj fait oarti

\\
\\
.1.

de l',édu61,tion
"Inséparable d e I ' accomplissement de l'homme
0,
et de la ~ité, l'éducation'est donc consfant~o Elle accompa~
"
' . .
j. ,"
gne et forme, l ' homme tout au long de sa vie" ~
(36)
Si chez Morelly,
le bonheur de l'homme ne consiste
pas comme ~hez Platon,
à contempler le Bien,il n'en demeure,
pas moins vrai que le philosophe Morelly assigne à l'éduca-
tion un caractère hautement utilitaire,
celui de réaliser
pleinement l'essence réelle de la natuze humaine Jans son
unité cosmique.
,,',,:t}',i;:
:"'" I.'d\\:/'
'L'éducation conç;ue par 'Morelly aura,
dans le dO-:;;"/\\,,::;
mainede.l ',instruction,
un ,caractère particulièrement sélec- ,',j,,,.l(;r
"
j
l
"
~ ~~' ,l'
.
',1' :,1 \\'1
tif" iPuisque,
ne seront initiés aux sciences et aux arts que':;'::,,;,:
," '''l'n;1
ceux des citoyens qui aurbnt le plus de disp6sition,
c'est-à-,
dire~ ceux ~es citoyens qui auront- le plus fait preuve de
"sagacité,de pénétration,
d'adresse,
d'industrie,
et de
talens que de force de corpsoon"o
Eie" entendu,
ces sciences
, ",.
"
i
-------"",:;
,.",'1"
'l
,
1."',
(36)
Chanteur (Jo)
Platon)
le d~sir et la cité, Edo Sirey,
Paris 1980,
po
155 0
'1
"
.
""
,"
'1,
>",d
.,'1,\\
.'
12==._ ".~.,!@4 :W_:~_:;;(. .9.~,coe~A&t\\&fJ ...Q'W. .ttc.. 1.

~
-
124/
,et arts nè dispenser6nt aucunement ces citoyens du travail
agricole. Ainsi, Morelly n'accordera droit de cité à la phi-
losophie morale que lorsque celle-ci se réf~rera ~u syst~me
des lois établies.
Elle montrera l'utilité et la sagesse de
ces lois,
enseignera les ".0. douceurs des liens du sang et
de l'amitié, des services ef de la ~econnaissance qui unis-
sent les' Concitoyens, ,( ••• ) l'amour et l'utilîté du travail
(.o.),
toutes les r~gles 9-én.érales et particüli~rés du bon
ordre et.d 'wie parfaite concorde ••• ".
(37)

j ' "
Doria,
sans rien ajouter à la métaphysique et à la
morale dont i l vient de poser les bases de leur enseignement,:;
Morelly prévoit en plus une "espèce de ::ode pub:'ic de toutes
. ,"' ~
, ,.,.. ",
les sciences'"
couronné par les découvertes des sciences phy-
"1
Il
. siques, des mathématiques ou cie la mécanique "confirmées par
l'expérience et le raisonnement H • Qu'en est-il cependant chez
Rousseau ?
.(37) Morelly : Le Code de la nature,
Ed. G. Chinard,
Paris
1950,
p.
320.
"" ,
,l,::.!
"
i . '

B /
Le "Projet de Constitution pour, la Corse" est-il une
. utopi.e ?
.11 nous se~~tt'dtff~cile de répondre d'emblée à
' , j ' "
. '
une question aussi capitale que celle-ci,
sans avoir au
lable analysé plus en détail l'ensemble des idées
par Jo-Jo Rousseau dans ce "Projet"o
Dès l'avant-propos du If Projet de constit!,~tion pour
la Corse", Rousseau,
tout en faisant preuve de juridisme
annonce l'exclusiono Il laisse apercevoir la possibilité à
la fois théorique et praxéologique d'un rapport différencié
entre,d'une part,
"des peuples qui de quelque manière qu'on
,
t.
s'y prenne ne sauraient ê-tre" bien gouvernés par ce que chez
eux la loi :manque de prise et qu'un gouvernemer:t san s loi
.
.
'"'
. . .- ..'.
. \\
nep~ut être un bon gouvernement" ; d~autrepart, le peuple-
Corse qui,' tout au contraire,
"0.0 paraît le.plus heureuse-
ment- dispos'é par la natUre pour recevoir une bonne adminis-
tration"o
(1)
(1) Rousseau (J.-Jo)
: ~et d~ constitution pour la Corse,
La Pleiade Oeuvres Complètes, To
III,
Paris 1964,
po 901.
...;
ri"'1
1.
l ,

l ' ,
d '
,.,

-
126
, ~ JI li
Cette disposition de la nature dont parle ici:"!-:;::!
Rousseau,
c '.est d'abord la fonction législatrice que celle-cl"":/::;
" ,\\'1;\\',:/">:
r~mplit, n6n séulement en prescrivant des ~~gle~ qui - avec
n.'
l'uniformité du cours de la nature -
maintiennent l'indépen- :,,' ',1
dance naturelle entre tous les êtres vivants,
mais assurent
un certain ordre quasi permanent:
"C'est toujours le même
mêmesréyo:L].ltions"~(2).
De plus, reprenant ici l'idée qu'il. a déjà déve-
loppee dans le "Contrat SociaJ"
(Live
II,
Chapo
:1:,
Po
368
O.Co) - que'~e souve~ain qui n'est qu'un être collectif, ne
peut être ~eprésenté que p:::.r Jui.-même" -- Rousseau tente de
l'appliquer à l ' î l e de Corseo La référence à un passé para-
digmatique,
à savoir l'institution primitive, vise à donner
à son ptoj~t un caract~re'n6rmatif, car le peuple ~orse
,. l"
"plein de 'yigueur et de santé peut se donner au gouvernement. 'i;',:!::
,1
"1.1,1
.t.
' '111.'v'::,i\\fr.
qui le maintienne vigoureiix' et sain" 0
Et c'est .aux préjugésj00
';,i':':>!,',
Il,,,I'r/''
moraux <;lés.S:0rses hé+"ités des autres nations 'd'Europe que
.",:~:i:,/.\\,ll;
---~-----_'...,..::,i:::~)\\;
.1\\,'
(2).Rousseau (Jo-Jo)
: Discours sur l'origine de l'inégalité.;:,<:,
OeuvresCompl~tes, T. III,. Paris 1964.

,,'
Rous~eau s'~ttaque en premier lieu. Autrement dit, la cité
idéale telle qu,rI l'en~i~age pour l'lIe de Corse doit avant
tout être d'Une pureté morale.
Cette exigence morale est d'autant plus nécessaire
. .\\,''l'·!'
qu'elle coïncide parfai teme~t avec la localisation géograPhi-';""'I'{,~',::1
que de l '.lle limitée par son insularité et "1' heure~x naturel.')!:;~:1
de ses habit~nts". Les Cor-:8es; aj.oute RousE;e'a~, Il~nt beaucoup:::'!:\\/~;,::I:'
"'I."\\I:!;I\\(
;1
~ \\ "1'.
gagnédepufsqu' i l s sont, libres,
ils ont joint la prudence
,1
1 1,'.)1'11:
j ' . . •
"
~._'. _>
.1
",
.
:
••••
, ' , .
1
au courage,
~ls ont appris à'obéir à leurs, ég?-ux, ils ont
:;;'i~~
acqui~ des ~e~tus et des moeurs, et ils n'avadent point de
-loix ••• ".(3)
Cependant,
c'est seulement contre un ennemi exté-d~{
rieur qu'ils ont pu conquérir leur liberté,
après quarante
ans de guerres continuelles. Pour l'établissement de son pro-:
jet de cité idéale appliquée à la Corse,
Rousseau devra tenir.,
de précatitions d'autant plus subtil~~ qu'ellès
"
l "
donner plus de consistance à,son projet:
"
La pauvreté
Projet de constitution pour la Corse,
o.c. T. IIIi p. 903.

-
128
pr~sent~ ~~ leur Isle etl~~tat de d~popula~ion et de·d~vas~.'1,.'
tation oùell~ est ne le:urpermettent pas de, se donner sitôt
.
"
uneadmin'ist~ation dispendieuse telle qu'il la faudrait pour
les 'policer dan s
cet obj et Il
(4)
0
C'est pourquoi,
la Corseid~ale telle que l'envi-
sage Rousseau ne saurait être parfaite dans l'immédiat;
c'est aussi la raison pour laquelle,
il ~nonce les principes ""
fondamentaux qui,
bien appliqués, restitueront progressive-
ment à la torse,
sa p~ret~ originelle perdue, du fait des
convbitis~s'et de la d~pendance ~trang~res.


, ' .
j
. '
Mais,
en même temps,
Rousseauactopte une attitude
,
'
qui,
si elle traduit son humiltt~ philosophique n'en consti-
tue pas moins une clause de style dans le discours :
je sache que la nation Corse a des pr~jug~s tr~s contrai.t:'es
à me's prin'cipes, mon intention n'est pointd 'employer l'art
",\\',;
de persuader pour les leur faire adoptero Je veux leur dire
au contraire mon avis et mes raisons avec une telle simpli-
cit~ qu'il n'y ait rien qui puisse les séduire, parce qu'il
estt~~~ possible que'je me trompe et que je serais bien
fâch~qu'ils adoptassent mon sentiment à leur pr~Judice".
Ibidopo 902.
(5) Rousseau (Jo~J.)
Projet de constitution pour la Corse,
O.C~~ T. III, po 947.

-
1?9 -
.,
"
\\
~eci dit, voyons mair:tenant en quoi consistent ses
principe,~ph:Ùosophiqùes:,?
I-Des principes philosophigues
'oi ri.
.'!
Pour l'exposition de ses principes,
J.-J.
Rousseau
recourt à la m~thode normative. Celle-ci se fonde sur la
pr~servation d'un certain nombre de valeurs fondamentales
sans lesquelles le système politique qu'il envisage pour la
Corse ne së3.urait durer ni dans l'espace et ,ni dans -le tempso
Më3.ïs le "Projet" n'est que le moule favorable pour
'If' 1
l'applicafi0I1 des principes .philosophiquesqui,
pour l ' essen-<:,;":
tiel, ont ~t~ formul~s et syst~matis~s da~s d'autres textes
poli~iques~ En effet, faut-il rappeler que c'~st dans ses
"
,,;1.
, "
"Dialogues"., que Rousseau ~nonce le "cv:'and ?ril"')c5 ~efl sur le-
quel se trouve bâtie toute son argumentation philosophique,
à savoir,. "la nature a fait J..'homme heureux et bon, mais la
soci~t~ le d~praverro
,"
.r,';
\\.1
Ainsi l'id~e de bont~ naturelle de l'homme et cell~M\\
".il.'1
de cotrupt{on de la soci~t~ seront sous-jacentes ~ans le
'.
.
,
,.
"Pro jet" •. P0tlrtant dans l'énonciation des principe s,
la pen-
s~e ,philosophique de'Rousseau suit un encha,inement logique.
l,; r

-
130 -
, ',,',
1) La: liberté comme principe de société
Le.,regard éthj,qùe que livre Rousseau dans la réor- .
.. "
.:...- ..:-
. \\
. '
.
.
ganis'Cl.tion ,sociale de la Ccrse telle qU'e~I'~doit ëtre, part
d'uri~résub~osé économiqu~ et historique de la notion de
liberté. Mais le philosophe fait aussi appel à son imagina-
tion créatrice et à son expérience personnelle de' la COmmu-
nauté~ Aussi énonce-t-il au début du "Proj et", ce principe "\\:
indispensable selon lequel
:
"La première chose qu 1 elle (la
"
nation Corse) doit faire est de se donner par elle-même toute",
i
la consistance qu'elle peut avoir. Quiconque dépend d' autrui
"
'1\\1",1,
"
et h' a pas ses ressources en lui-même ne saurait être libre" (6,::;
:(.
"
Autrement dit pour Rousseau,
l'autosuffisance ali-
'1"
mentaire a~surerait l'indépendance économiquède la nation
Corse,
laquelle garantirait à son tour la, lib~rtéo C'est dire.
l"
"
: '
1
,/,.
'que l'organisation de l'espace social et politique est insé-
parablede la gestion économique de l'espace naturel et de
toute ·forme de production des biens alimentaires 0
",:
:::..'
\\,i','
.' ,
" ,1
(6) Rousseau (JoJo)
: Projet de constitution pour la Corse,
,
"
,!,1I'r
"

~.':; 1
,.
,
.

-
131
, '"
Si" Rousseau parle ici des ressources de l'lIe,
il
faut bien y voir l'ensemble des produits d~ sol et .du sous- ,"
sol qui servent à préserver la liberté économique et politi- ':1';",
,
.
'
~1-
,
\\
:
,: Il1;\\~,:;\\111
que.' ~llesservent aussi à,"iorgerdan s l'esprit des habitants,~'},i,
de la Co~s~'"une base éthique ~galitaire.r"a première leçon
qu'il faut tirer ici dans la démar~hede Rousseau, est que
la notion de liberté a d'abord une valeur utilitaire,
prag-
·'I,r.
matique et économique. Ensuite,
cette Liberté est davantage
un principe de société qu'un principe individ,uel. Le princip~"
d ,'autarcie économique a pour finalité la sauvegarde de la
liberté collective de la nation Corse.
Maintenant,
il s'agit de voir comment Rousseau
passe de ,la l~berté c~llective à la liberté individuelle
Leph~losophe va pour cela.:l:-ecourir aux données historiques
, '
valeur de la liberté que par des expériences négatives et ce"
à une période oG ils n'avaient pas de lois instituées.
"
Cependant,
Rous~eau introduit un paradoxe entre
"
l'"
l'exigence de liberté et l'assujettissement aux lois; para- ',1
doxe dont il use volontairement comme pour dépasser cette
,,,,,'
antinomie fondamentale à savoir :,"Par quel art inconcevable ':
a-t-on pu trouver le moyen d'assujettir les hommes pour les
,l,'",.

rendre libres j
d'employer a~ service de l'Etat les biens,
."
· '.
','
les .bras et la vie m~me de tous ses membres sans les contrairi~
,"::}'
"
dre et sans les consulter ? d'enchaîner leur volonté de leur','.':
,':;::'1:;,:,
propreave.u ? de faire valoir leur consentement cOFltre leur
'r',",,;I;'
·;:,:".·,
refU~, et ~e les forcer à se punir eux-m~mes, qu~nd ils font~~
, ~
'1(',,:, 1
ce qu'il s'n'ont pas voulu:? Comm~nt se. petit-il faire qu'il s:,';\\'/;I
,",'.:,':(
obéissent .et que personne commande,
qu'ils., servent et n' ayent:;;
'(,1. ]1
poiriide ~a~tre ; d'autant plus libres en effet que sous une'·':,':
apparente sujétion,
nul ne perd de sa liberté que ce qui peu~:
., "
,/:
nuire à celle des Ftutres ? "0(7)
.... l'
l '
Ainsi,
la liberté à laquelle Rousseau fait allusion,.
dans ce texte peut ~tre mis en équivalence avec celle qu'il
,0,'
· ,,',
, '~
.'1
mentionne dans le "Projet" o. Ce n'est plus la liberté absolue, ',:
de l.'hormne vivant dans la nature,
en dehor? de toute
sation sociale ; elle est bel et bien une libert~ convention7~
~
.I.:/i:i.\\
neile,
rela.tive,quiest au principe de la 'stabil i té et de la:'!'""
régular1t(,.de l'union .civile.
..,'
Cette liberté conventionnelle est aussi celle que
,;~
garantissent la permanence des institutions .et le bon
.(.'
----~------------------------~-..;....--------.;.;,
",'.
.ù\\
(7) Rousse~~ (Jo-Jo)
Sur l'économie politique,
O.Co T.
III,
Paris 1964,
po
2480
.,,)
· ...ï.'11
l " "
\\\\ti/,
·,.. ,.l:,~
'. ,','::;i!
····.. "r',,\\
l
'
".',
' . , " ,
'
"
j

,'~::"~I\\J/,I
- 133 ?:,':':
1
r'".
, ,
fonctionnement des lois civiles.
"e' est à la loi seule, dit
Rotisseau que les hommes doivent la justice et la liberté.
.'
,1
C'est cet organe salutaire de la volonté de tous, qui réta-
.
'
"
":'
blit dans le droit l'égalit.é liâturelle entre les hommes.
C'est cette voix céleste qui dicte à chaque citoyen les pré-
ceptes de la raison publique,
et lui apprend à agir. selon lei3:;,'\\\\,
, ;1.'1'
maximes d~ s9n propre jugement, et à niêtre pas en contradic~
~
tion avec lui-même. C'est-~lie seUle que les chefs doivent
faire parler. quand ils._command<=ot ; car si"'7'tôt qu' indépen-
,
' H ,
j ' "
;
,
dam.J:Tlent des lois, un homm.e en prétendsoûmettre un autre à
,
,~,'
,
sa volonté pr i vée,
il sort à l'in stant de l ' état ci v il, et se,,,,
met~is-à-vis de lui dans le pur état de nature o~ l'obéis-
sance n'est jamais prescrite que par la néces:sité",
(8)
",
"
::,\\'
'l"
Cette longue citation vient éclairer la compréhen-".
: .:.1
sion du passage du "Projet" politiql..lê dans h:q']f=3_,
.L~ philo-
sophe préconise de "bonnes lois et une institution pour réta"'::':,';,i
," i!~
blir. la concorde dont la tyrannie a détruit jusqu'au désir" (9,~1',
t
:l'(~/i':'
, ,'1 1 ;,'
' j
" ,
(8 )R:ousseau (J. -J • )
Ibid pp. 248-249.
(9) Rousseau (J.-J.)
Prolet de constitution pour la Corse,
O.C.T. III, Paris 1964, pp. 903-904.
"'"
'1
"
"
.',1'

-
134 -
'III
, ", ,~
, ~ ""
Roussèau veut réaliser l'unité politique de,la :nation Corse; : ~
mais celle~ci doit se faire de ,la mani~re la plus rationnelle, l,; ,
1,
,1
,
.1'
c 'est-à-direla' mieux ordonnée selon la raison "raisonnée"
. ( , )
,,'
qui a, de façon paradoxale,
permis à l'homme "de se faire
, "
• • •
1
être lui-même par son effort contre les ténèbres de la na-
t ur e 0 0, • ".
(10 )
. "'.
,"
..,!(
',.:\\
"
,
'.
,l
Et c'est pour cela que Rousseau fait jouer la
figure de 1~ Eeprésentation parfaite ; il retient volontiers
,
_..
\\,
le mythe d'~ne Corse unie, f6rte et isolée de son environne-
ment politique internati.onale et bâtie sur une solide iden-
tité:natiori~leo Le mod~le so~ial et politique qu'il offre
ici apparaît comme l'indication d'une possibilité autre pour
, ,
"
,1
le peuple Co~se de vivre en pleine liberté dans un monde de
valeurs institutionaliséeso En adoptant comme principes de
base,
l'ind~pendance de l'Ile à l'égard de toute puissance
étrang~re et la réconciliation des Corses avec eux-mêmes,
:,y
par' le rassemblement de leu.rs feTees,
Rousse3U veut conjurer
l'insé~uriié et le désordre social en proposant une finalité
autre~
(10)
Bur,ge']An (Po)
: "HQ~s des ténèbres de la nature, in
i
~ousseauet'la philosophie politique, Annales de philosophie: "/!
polit±gue N° 5, PoU.Fo Paris 1965, po
24.
" ~.:
" ,

''1
\\1,',1 1
--
135.-
", r~'.
• 1 ~

Ce qu'il vise donc,
c'est la réalisation d'une
totalité harmonieuse dans laquelle,
la transformation de
',',.
l'individu ne peut provenir que du, changement de cadre social;
mais ce changement de cadre presuppose une transformation des'
institutions. Le pri~çipe en est ai~si posé dans la' mani~re
de concevoir, un projet étl:igu.e global et une ,orgarllisation
>.,"1'
rationnelle du monde socialo
2) Lé pr~nc{pe d'une société agraire
,'-
1
Nous ne saurions comprendre-: réeLi.emen r~ le choix de "
Rousseau. en matière de société,
si nous ne prenons pas en
',1!
"i
considération les raisons éthiques qui la fondent et les
conséquences politiques qui en découlento Le raisonnement de
,
, ,
Rousseau semble obéir à cette logique : pour établir une
citéharrnônieuse prop~e à l'île de Corse,
il faut organiser
ratiorinelle~ent le monde social et les instit~tio~s. Mais
cela, sUppose aussi une transformat~on des habitants ; et
,',II,:,
transformer 'l'es habi tan-ts de la Corse, c' es,t, les instituer
autrement, ,en garantissant .d' a}:)ord la paix civile .
ensuite
en sa~isfaisant leurs besoins.
Premièrement, garantir la paix civile,
c'est pour
Rousseau ~réserver la liberté collective à l'extérieur contre
.,r,'
la dépendance étrangère,
et la liberté individuelle à
,
~ 1
l'"
. ",'/.".
' .. : ,',

,<r
,1;1
.,
""' f"~
"
L
-
1.':'0
-
!.:
, ,
l ' intér ieur contre la domination des individus sur d'autres,:"
'.1\\ ,1' ~r;:,
source de,discorde et de tyrannie. Deuxièmement,
quant à la
.~
l' :1/:'<
satisfaction des besoins individu81s,
Rouss~àu ne!. la conçoit',','r;iil1
pas a~trem~~'t qùe par la ,production des richesses. !Vlais ces':i,:(:::i;
.
, ..,
. _._, '.
,,' 1',',
richesses :s' acquièrent principalement par lëtravail, lequel: ":~,/,'~
' . '
1_"
résulte de la maitrise par l'homme de ses rapports avec la
'"
,1·
, . . ,1
terré.
l',';
Partant de cette logique,
Rousseau élimine de fait ~l~
l'argent qui encouragerait la propriété privée,
favoriserait
,;
. ,1',
.., '/
les inégalités sociales entre les individus:
"il
(l'argent)
'.., '\\)1'
"
."~
s'écoule et se fond dans des destinations particulières; on ,y
l'amasse pour une fin,
ort le répand pour une "autre ; le peu-
pIe ~aye ~our qu'on le prQtège et ce qu'il donne ~ert à
l'opprimer','<Cf"."Projet ••• " o.c. po '1C;4).
'.'j":"
,', l"~.
A la richesse en a~gent, source de plusieurs maux
et dé vi~es, Rousseau oppose la richesse en population,car
elle seOle ferait la puissance réelle d'une nation. L'argu-
l',"
ment démographique sert ici à étayer sa thèse d'une nation
.', l,'·
puissante'par le nombre de ses habitants:
"la puissance,
dit-il, qui vient de la population,~st plus réelle que celle
qui vient des finances et produit plus sûrement son effet"
;
plus encore,
elle séit davantage à faire vàlider l'idée selori~]
.........

, ,'.
, \\ ~
-
137 - , '
laquelle"
l'intérêt génÉral ,?Z imeen valeur' et en droit sur
l'intérêt:ï~dividuèl tout csmme le tout l'emporte nécessai-
re~entsur,'~'es parties.
' . ri
"
.. '
',",;
Cette prépondérance du général sur le particulier,
du public sur le privé ne peut durer que si la collectivité
arrive à satisfaire et à garantir les besoins des individus
qui doivent concourir au tout parfaito Le seul moyen que
,
,
prévoit Rousseau,
c'est de ~ultiplier leur subsistance par
le biais de l'agrictiltur.eo
"Jp. n'entends pas par ce' mot,
dit" ..
Rousseau~ 'Vart de rafiner sur l' agriculture,' d'établir des .:'):\\:
",
'1·
. ""j"i
acadé~ies qui enparlent,~e f&ire des 'livres qui en traiten~~
J'entendsüne constitution qui porte un peuple à s'étendre
,
'.
.
sur toute la' surface de son territoire, à s'y fixer, à le
cul t iver dan s tous ses points,
6. aimer la v ie champêtre, les :',';,':
, '
travaux'qu~s'y rapportent, à y trouver si bien le nécessaire n
et les a~réménts de la vie qu'il ne désire point d'en sor-
tir'!
(11)
0
" l '
"
,
Ce passage appelle de notre part deux remarques.
La première,remarque est que Rousseau préconise le
'l','
'l.rl:'\\
'",
' \\ .
(11) Rousseau (J.-Jo)
Proj et de con st'i tut ion pour la Cor se ,',;:,.!:.
' I j '
"
'1
OoC •.T.
ITT';paris1964~,>p.' 9040
i':'

-
138 _.
développemeri't de l ' agricu_l ~urepour rejeter tout l,développe- '::::;iii:
ment du cO,mmerce. Mais cette 'a.::tivité économique n'a été au :';:~::,~\\I
~
1.1 j , .il
départ qu~':>'i~ produff'2J.:'i une "grànde révolution" que Rousseau';,::"',
,"
,
'
,
'~'(~
dans le se,cond "Discours·j a attribué au "funeste hasard"
" r:
dans la mesure où il produit un état de déséquilibre tel que
seule,
une véritable constitution peut y remédier.
La seconde remarque est que l f agricul ture,
en tant' ',:
qu'activité sociale,
fournirait aux habitants de la Corse,
non seuleme~t les' moyens de subsistance, mais également une
abondance et une autosuffisance alimentaires. Mais "la prati-
que d'e l",agr:icul ture ne répond pas uniquement à la satisfac~ :',:,1,1':::
.
. .
...}:
'::y-;
'.. ,l,.
"":;',,1,
tion des besoins nutritifs: jellepermetaussi d'acquérir
',Ir,', ~II
"
, ',I,i :1/
des vert~sinërales iïidispensables au corps', de la nation Cors~':,.;:':,
L'uniformité sociale que recommande Rousseau' aboutit finale...;"
'1
ri
"
,,1
ment àun conformisme des goûts champêtres. Son moralisme
, ."'
, i ' l
,,'
,
, . . .
• •
·,,··..:•.1
intransigeant l'amène à faire de la vertu;
tant::,:: le prl!lClpe','
d'explication du peuplement des campagnes,
" par la simpli-
cité de la vie' rustique qui ferme des corps mieux con sti tués ni':
"
tantôt le principe d'uniformisation des comportements indivi~ \\
duels, que ce soit dans l'assiduité au travail ou dans la
tempérance des esprits laborieux.
Par là,
i l est aisé de constater que le projet
.11'
. ;
1
1.
"

,
'
"
'\\
"",l'l
",1.',
,'"
.' ~ ~ :
",
'"
"'\\1
:. .'\\.1 '1
",, .}
rousseauis,te sur la Corse offre bien la condition d 'un autre::':,:i:,:'~'
''l'II'i'/1
regardsu-I,:",le réel
; mais ce rtgard,
i l ne peut se l'offrir ',,!:,!,:
1'.1 11
.111!·!'1
que,:par un effort de distanciation par rapport al.r. réel, par":'::;,:;:';
l
"l'li'lll
rapport à c~ qtii est, da~s une opposition, non seulement des~S
.,
_.- ,.',.
"
..
j .••.•
li~ux, viiles / campagnes~ mais aussi des tempéraments,
oisifs 'J tra.'vailleurs, vicieux /
vertueux.
',i':\\,'
,\\1:
Ainsi,
la pleine satisfaction de sa condition pay-, ~',
,,,,,!
sanne,
selon Rousseau,
pousserait le peuple, Corse à recher-
'::',ï,',
,'.,
"
cher la paix dans l'amour de la patrie,
et les vertus mili-
, '
,"F ..
taires doivent leur origine au travail agricole.
"La culture ,::"i
'. ':,i:,
de la te~re, dit-il,
forme 'des hommes patiens et robustes;i:",:
tel~-quJil, les faut pour devenir bons sold~ts. Ceux qu'on
I:I,.!":
tire des' villes sont mutins et mous ,
ils ne' peuvelnt supportei':~';:'::
·..,·':1\\'1
, "!'lll l
j l
les t'ati.gu~'s de- la guerre,' il's sefond~nt' dans les marches,
)',>:;
'(ll;
les inaladi~s les consument, ils se battent' entre eux et"'.,':;',
• :,.~;;;!;~.
fuyen:tdev.ànt l'ennemi
Les milices e:i:~,rcées sc:;~:
0
t
1-23
troupes'::;,!:,',
".'
'.,',!
les <plus sures et les meilleUres;
la véritable éducation du::,'::':':
soldat est ,ct' être laboureur".
(12)
Autrement dit,
le travail de la terre aurait aussi
,':
une fin éducative,
celle de former de bons soldats. En cela,
',\\,1
". ;,
,,1'1
1'1.
,'.'""
"l\\td,
(12)
Rousèeau (Jo-Jo)
Ibid
po 9050
"
Il
0
"',11\\':
,I;\\I/,I
':':':::t:,
".i,',,':I: t
,.
•.
,'.lI!·1
~
.~. - ..>
'.
'.
" . ' j "
',",J'
.', '.

'1••
-
140
Rousseau se montre partisan d'une éducation ,rigoureuse et
bien plan~fiée. Cette éducati0~ veut, qu'en temps de paix,
,
"
la nation Corse puisse former de vrais soldats qui ne seront~j~
1
,':1;1 \\\\:,
pas de sim~les oisifs à la charge de la nation ; en somme,
, 1
, 'J'"!/
l'individu ,Il'est utile au_corps s8cial que lOrsqu' i l produit~:,'::\\:\\;':,
,
,
';" ;~I>t
lorsqu'il appar~it comme un véritable agent économique.
:'ji."'>i
'l""}
\\:' :1:,'
"
'~I
\\ '1 " ,~ .;
I:\\l~!
C'est dans la mesure où li individu pa!..-ticiperait
au bQnheur collectif de la cité qu'il pourra connaître à son ','
tour un bonheur individuel. En privilégiant,
d'une part,
.1
l'intér~t général sur l'intér~t particulier, d'autre part
,',"
l'agricul:ture par rapport au commerce,
Rousseau veut avant
tout établir les solides fondations sur lesquelles reposera
l'édific~,social qu'il proj~tte de bâtir. Son souhait c'est
de ·faire de la Corse, ,comme il le dit,
une 'nation qui "ne
;r'/
,1
sera point 'illustre, mais_..,elle sera heureuse.' On rle parlera'-:t;:;
'.' '<,\\~'~}/
pas d'ell~.; 'elle aura peu de' considéJ'-"~.'ti(."!'! .2.u. de)-,ors ; m3.is/':::1
.,
','..1":1:'
elle:aur~i'abondance, la. paix et la liberté dans f,on sein" (1$'.:1
",
"; /
L~ conviction qu'il ~et dans l'instauration d'une
,
l'
1
0
, ' / :
',.,' 1
société agraire n'a de signification que par rapport à la
'!\\,
",
(13) Rousseau (J .-J.)
:
Projet de constitution pour la Corse, :',:
, ' .~~
O.C.
To III, Paris 1964, p. 947.
, ,\\,1
, ',l' ~
',",
'
.. ""
"
.• ;,1 I,:~:,:

,:;1" ~.r~r;
~'.I.j :II~
,
..
-
141
• ,
j ' "
.', ":
\\',*, ~ 1
'.,1::,I,l
;''.,
·...>:,:·t\\:::,
, "
,
"
.,,1
" ,
fi~alité pblitique du corps social qui doit~tre un tout
parfait à l'image cie l'individu vivant encore près de la
.,,'
natureo
"Les Corses , dit-il,
sont presque encore dans l'état :"\\
",.:.1
naturel et sain, mais il faut beaucoup d'art pour les y main~~~
" "."1>.
tenir parce que leu~s préjugés les en éloignent, ils ont
cisément,~e'qui leur convient mais ils veulent ce oui ne
, .
leur:<;
~
',','r;\\,':;,
est pas bOn
;
leurs sentimént.s so'nt droits,
ce sont leurs
"<;\\,1,1
"
:i "',,'
fausses ).. ~'.:j.ères (qui).lestrompent. Ilsvoyent le faux écla,f',;::,
.
l
,",
~ " " " 1
des, nation~voisinès et braIent d'@tre comme'elles,parce
qu'ils ne sentent pas leur misère et ne voyent pas qu'ils
"; t
,
',1'
. ( "
sont' infiniment
miAux"o
(14)
Nous retrouvons ici la même exigence de pureté
morale qui conditionne le Choix de l'activité économique.
"
"
.LI
Donc si l ' agricul ture peut maintenir la Corse dans l ' indepen-','
dance vii~à~~is des autres nations, c'est parce qu'elle
corromptrrioins les esprits et qu i en plus un~ ,teil~ activité
l',
..
économique' est génératrice. des vertus pacifiques et patrioti:;';":I'"
.
~'il:,.>:
ques exempla~reso On"po.urrait parler d 'une ,v~ri·table catharsi'$,:(
.
, .
".'
.
'\\ \\.,' ~
des individus par le travail'dt la terre.
.:~:::
Eri m@me temps,
Rousseau reconnalt autre part,
que
l'agriculture a pour originA principale l'imitation de la
.' :r i
Ibido p. 9500
,
"
",'
'II

',.'~ ;
1:~;:,' ., 1
,
1,.•
"',~..'-~::~,:,i~l'
.,
natu~eo. Autrement dit,
le "principe en fut connu longtems
"; ri,.
avant que la pratiq~e en fut ~tablie, et il n'est guères
poss~bleque les hommes sans cesse occupés à ~irer leur sub-
sistance des arbres et des plantes n'eussent assés prompte-
ment l'idée des voyes,
que la Nature employe pour la généra-
tion des végétaux"o
(15)
Dans le même second "Di scour Sil,
Rous sea\\~ proclame,:iI'/
'ant~riori
t~re
l
té des autres arts sur l ' agricul
:" Il l ' inven- ':,':;;?:
.'l'r.'.:I.I'
.',
'if
1
tiondes,a1,ltres arts" fUt donc nécessaire pour forcer le genrè,:':';
l
'.
"..' ~ 1
humain dé s'appliquer à celui de l'agricultur'e"
(Cfo
2d
IIDis'~\\~::';::,
cours",
OoCo
po
173)
mais en.même temps"
i l affirme le
caractèr,e dynamique de cette activité qui a favorisé
le pas-"',
sage de l ' homme de l'état '::2 l;2":ure à la civi,lisation a Il
.\\':;
"
:;,
",
s'agit incontestablement d'un progrès du genre humain,
mais
.:;
d'un progrès qui s'est accompli par dénaturation de l'indi-
viduo
. Cette dénaturation du genre humair: ,au,ra, pour fina-":I:'/';
'1.l1;'\\:'1
lité, .. la "transformation de l'homme en laboureur qui est le',,;~,,1
signe le ,plus sensihle--de la civilisation~t de la
\\ '..~ l '~.:;
"
":
, '1 " ~'I
. \\::::' ;~,
(15) Rousseau (Jo-Jo)
: Discours sur l'originè de llinéqalité~0
OoCo
T o III,
Paris 1964,
pa
1720
l ' j '
:'F.
. 1,\\',

1.'.
,
socialisation : le p"â-rt"a'ge' des terres et l ",établissement
"prèmières,r'ègles d~ justice!! en sont les 'con'séquences né-
,
,"
,
,,' "
,,~
1
ces s air,e s "0 (16 )
l,
"
,',1'
1"
.','
,',
3) De l'égalité comme principe démocratique
','
Si dans le projet rousseauiste d'élabo~~tj,on d'une
nation Corse,
la liberté constitue l,'un des principes fonda-';~
mentaUx de' la société,. celle~·\\:4. ne saur ai1: cependant se conce"';',
• ,"
',', "
. . '
, ; ;
.
~
. .
,:'1,:(';/
VOlr sans) 'egall te
Et de', quelle, e spece d' egallte
0
SI aglt-ll..?.,\\
"
"":"1'
Car Rousseau ne la pren~ pas ici comme une valeur absolue,
~ais biut6icomme une valeur relativeo
,
,'!
Cette égalité niest réellement "valorisée qu'en
proportion directe de la valorisation de l'activité économi-
ni,'
que"( 17 )', ,en l ' üccu~nce ici, l'activité agricole ; puisque
;,i~
dans la logique de Rousseau,
"le commerce produit la richesse
mais l'agriculture assure la. li.berté"~ (18)
--------....,.,..~-----------------------------
..,...,...'\\'.
\\\\1)"'/
Anthr0J2.01oqie et politique,
les prin"':),:
cipes'dusyst'ème
de Rous seau J, Vr in, Par is 1914, go 4840
(17) Po.lin ,(Co)
L'esprit totalita'ire,
Edo Sirey, Paris 1977,.'
,
,lf'l
,"
,
'
po 351 0
","
,'"
, .' ... ~:::.~
(18)
Rousseau (Jo-Jo)
Projet de constitution pour la Corse,
'Oeuvres Complètes, T o III, po 9050
,.1.
" '1
.'

.... ,
;.
-
144
'",
~ ;~'\\l
,1,\\
, ,
.,'
Le souci de Roü~seau, ,c'est de substituer
lité natur,~~le qui ç;(jI:Lt.Jen:tn~,çessairemen.t,des inégalités de '.:";,:'1

" .
j '
'.
.
,
, '1 : ~ '1
\\~,.: ,Il
fait· entre, les individus, une égal i té· civ,ile: par con séquent ~ .".
artificielle
parce que cette égalité civile n'est que la
conformité'à la raison d'une égalité morale légitime où les
hommes,
selon le philosophe,
"pouvant être i.négaux en force
ou en génie (000), deviennent tous éCi'iélX rar crY'i'v"ert,ion et
de droit"o
(19)
L'exigence philosophique de Rousseau,
qu~ consiste'.;,;;,.;:,:
.'
1)
~ il :,i:
à éta,blir '1 'égalit~ civile en fonction de la liberté, confèr~':,';i

'~~., 1:,l:\\:;::;
r
au choix .. de .1' agr iClllture- ,comme acti vi té économique pr inci- ..,:",':,')
,
,
:'"
1
pale dela Corse,
un caractère hautement rationnel.
~."
_.- ~ .':
,
" .
j " "
.,'
~utrement dit, l'auteur veut montrer dans son pro-"
jet, qùe 1 "acte politique d'instituer une Corse libre et
.;
~ '.
indépendante, relèverait plus d'un art que de la simple né-
, ;I,II!
cess'ité des ,chQses déterminée par l'enchaînement naturel des
,',
causeso
"Je n'examine pas ici, dit-il,
ce qui se fait par la
nécessité des choses, mais ce qui L'ésul te de l'espèce du
' i '
:.::;\\11:
1
\\11 '1'1.
-------:-----------------'---------~------'-'."
/1',
'"
,.:il.:I.,
: Du contrat social, Li,v.
I;l
chap. IX,.' <1::,':
00 Co" T 0
ï l l, P Ç3.r i s 1964, P .; 367 0
,
;
.:,
;'11
.i'·
, :1

-
145 -",'
· " ,II'"
, ,
Gouverne~ént et de l,'esprit général de la nation".
(20)
,':""
\\1,1','/.
, " M'l;'!
"1>
, .,
, ,I,:(J:,,:
L
' :I:\\;:,ll~l
1
'D~nc, si la néceS'sité des choses implique une cer-:",-";',,,':,',
.:i·r:'~.:,'./:
taine causa,li té de la_l!ë:ttur,e, determinante dan s le progrès
,0,,,:,/1
\\.
, ' j '
. '
"
.
!
.•..
,'
~\\,\\:;JI
du genre hu'~ain, elle en dénote également le ,caractère pure..; 'i::;;;
ment hasardeux. Alors que,
dans l'optique de Rousseau,
le
vrai choix politique suppose à la base.
l'existence de prin-
cipes philosophi~ues, lesquels combinés avec ,art - art qui,
selon lui,vient "au' secours de la na,tu.r.e" ... permettent de
.',
",',
discerner dans la"nature et le sol de chaque pays desquali- ..
,
/',
.1'\\
tés qui lui rendent un Gouvernement plus propre qu'un
::.~
'. ·,.1
autre ••• ".«21)
,
,
1-
Li~riginalité de~e nouvel idéal d'égalité
à fairec~ïnc:ider indépendance et ïiberté et à valoriser
'11 " 1
' " , ',\\:,
,
. ' , , ' . ' j ....
,
. . . . .,
_. __ . , ' ;
. \\
"
"1
,
l'ac~ivité ,~conomique agricole comme condition de po S s ibi l i t:é"\\'i::
, '.,"
';'"
de réaU,:sat'ion d' une cité réellement démocratique et ver-
tueuse. Ainsi dit-il,
"la forme de gouvernement que nous avons:::
à choisir est d'un côté la moins coûteuse parce que la Corse
est pauvre, et ,de l'autre la plus favorable à l'agriculture
....,..
,'f".
(20) Rousseau (J.-J.)
:
Projet de constitution pour la Corse,:~
OeuVres Complètes, T.
III,
p,.
905.
(21), ~ousseau (J.-J.)
Ibid.
p.
906.
\\ ' .:.' ,:: ~
" ,
j "
'l,',.
: '\\~:: .
"
".
"."
',;
1.,
.
,':',
, •.1
",

-
1/.16 -
,',t
parc~ que l'agriculture est quant à présent la seule occupa-
tion qUl puisse conserver au peùple Corse l'indépendance
qu'il ~'est acquise ~t lui donner la consistance dont il a
besoin".,
..
(Cf';,
"Projet ••• ",
O.C. p. 906)
"
."
Ce qu'envisage, ici Rousseau,
c'est bien la prévi-
sion idéèii~~e d'un nouvea~ fype de soçialit~ fondée à la
-'1
ri-
fois sur l'homogénéisètion des valeurs morale~ égalitaires
, "
et des pratiq~es écono~i~u~s démocratiquesu Il n'est plus
d~s lors étonnant que Rousseau fasse de l'ég~lité un princip~'~
, ,\\\\l
fondamentalement démocratique dont la valeur réside dans la
compensation des inégalités naturelles,
individuelles par
'1".,
",'.1,.'\\
:
'"1 ~,
une égalité civile.
"
L'exaltation de cette égalité civ~le, juridique
I~
;
~
'<l~\\;:i
dans une société agraire doit, dans la log,ique rousseauiste, ",:;::,\\:,'
.,'i"1:, il i~
permettre 'néC'essairemen~t·Un'renforcement, tout aus si bien de ",',,''::;\\
l'autonomi~-morale et matérielle des Corses, que leur esprit
de ,discernement, mais sans pour autant renoncer, aux vertus
essentielles,
telles la justi.ce et la bonté. "Je ne leur
" ,
prêcherai pas la morale , d it-il ,
je ne leur ordonnerai pas
",':
d'avoir des ,vertus, mais je les mettrai dans une position
telle qu'ils auront des vertus sa~s en connaitre le mot
,
,1
"
, .':1
et qu'ils seront bons et justes sans trop savoir ce que c'est\\,
, "
"\\,,1
·'
,
"-,
.•
1
,1. ""
';,

' .
j
. . . .
-
147
.~ ~
'.,
que 'justice.et bonté".
(Cf.
"Projet ••• " O.C~ p. 948).
.', <'
."
A regarder de pràs, on peut noter ici chez Rousseau0
,"l,:
un certa~n naturalisme qui le pousse à éluder le probl~me de,
l'origine de la justice. Certes,
le concept de bonté chez
Rousseau parait plus aisé_o. à.. manier que celui' de justice,
dans la mesure où il constitue unargur.1ent de :-2\\il -:.2 et l.me
.',1 1 ',,:
.
,
_.- :.
piàce malti~sse dans la conétruction de son"système.
Comme disposition innée chez l'homme analysé du
point dé vuè moral,
la bonté apparaît en dernière analyse
comme une "vertu" en puissance,
(même si,
dans l'état de
nature,
l'homme ne connaît "ni vices, ni vertus"). Mais cette:::
."(
disposition innée plutôt que "vertu",
(pour s'en tenir à
l'esprit de Rousseau), requiert au sein de la société civile,
le concours de' la faison et de l'expérienc~.Et ce ~ui est
sous~jacènt.à la revendication du principe d~égallté pour la
.
.
Corse~ c'e~~"l'affirmation' de l'existerice d'une essence de
,
.
, .II ~I
l ' homme co~rile modèle 'par'fait dans une ci té 'j~st'e et indépen-
dante.
Ainsi donc,
en éludant le problème'de l'origine de
la justice pour la Corse,
Rousseau évite du même coup de
~
reposer le problème de la propriété privée,
et partant, de
''..::
'.\\'
"
1
"
I l j '

~~.
.-
148 -
" .
j ' "
la société ~nti~re dans son existence présen~e. Il formule
d'ailleursh:i.en l,e probl~rne dans ses "Fragments politiques"
" ••• 'Tous les droits civils étant fondés sur celui de pro-
priété"
sit8~ que ce dernier est aboli aucun autre ne peut
subsister., •• ".
(22)
Le probl~me dè l'origine de ia ju~tice renvoie
précisément:. ,'à la question pz::i!}cipale de l 'origine:de la so-
ciétécivil~qui a vu éti,:bl:5.!:"} éS "premières r~gles de jus-
tice" .. Celle's-ci ont été la conséquence d'Une situation de
fait,(Cf."Deuxi~me ::)iscours i ', a.c. T. III, 'p. 165), où la
' r
,l
just~ceèst énontée par Roussèau dans son acception tradition~~
.,'
,: '"
nelle,' commè l'acte de "rendre à chacun le sien".
'"
\\ '
':
A ce propos,
V
Goldschmidt nous montre bien comment,<
0
Grotius avait déjà,
dans le "Droit de la guerre et de la
';
;.\\
paix"
(Liv. I,
Chap.
l,
parag.
5),
interprété la notion de
' l ,
"
justice dans lè sens ~e ce qu'on n'appelait pas encdre le
droi t:.' ,subJectif, en soul ignant le suum : "Les, Jur ÏJ:sconsul tes
expriment la'facul té par le mo't de:;ien,
ou de ce qui appar-
Iii'
"
tient:à chacun. pour'nous,
nous l'appellerons désormais
(22) Rousseau
(J.-J.)
Frëlsme:1t~ politigues,
ch.
III,
para-
graphe 5,
a.c.
T.
III,
p.
4830
, ,
:,(,1

'.\\
, "
-}49
--
. i
"Droitpr'oprement airÏsi--~om~é" ou "Droit rigoureux". Ce
renferme l~,,' ,iPouvoir, la Propr iété et la facui té dl exiger ce'
qui est dû".
(23)
Dem~me, Pufendorf avait, de son côté, critiqué la
formule romaine qui appliquait l'~pith~te de juste aussi bien
aux personnes qu'aux actions des personnes.
Et il est remar-
quable,
poursuit V. Goldschmidt, que dans ses tex~es politi-
ques
(il en va autrem~nt dans l'
"Emile"), Housseau- ne
conserve.,
de'cette formule que la lexis,
si l'on peut dire,
,
..
..
c'est~à-diie,
précisément,
ce qui concerne les actions (et
quine concétne les per-sonnes qu"en tant qu'elles ont,
pour
reprendre la·,formule de Grotius,
"la faculté ct' exiger ce qui. '"
est d.û "..
(24 )
:,; t'
. Par la recherche de l'égal i té civil e,
l' entreprise : .',
repose en somme sur le désir de dépa:-:<.;-:::.:..- 12. cûnd:~.tic'j) présente"
de légitimer sur le plan juridique, un état hypothétique
fondé sur la-rationalisation des pratiques écon?miques. On
"I·'t,'!,
---'---:--:----::-~-----------------------------_
.. ;,:.
"
(23) Grotius; cité par V. Goldschmidt in, An~hrop~logie et
politique~, Les-principes ~u ~yst~me de Rousseau, Vrin, Paris,"
.'1
,
"
1974"
pa487~
(24) Goldschmidt (Va)
Ibid,
p.
487.
',':1:':. (:
l','
4.%;;;;;&;;;
" ; 1 ,..3;

"/,1
"
" t::
-
"'1.50 -
t 1',,\\1
,
""'1
, ~ 1.'1 '
, ,
. ,~'
, ,
,1 :l~:!/
i'~
" J~:,'\\
comprendal'ors l ' intention,'démocr.atique d~ Rousseau dans la :"':',;,ï\\~
,
.
"
. :' ') ~ Il J~
,
,
. ~ir: .
recherChe c~ni~ante d~ni~ellement~~ar le haut de la vie SO-,',II
"
j " -
ciale ; nivellement que conditionne le choix de l '
"adminis- ',',,',,:
,
l ,••
tration la>'moins coûteuse If,
c'est-à-dire,
"celle qui pas se
par le moins de degrés et demande le moins de différens or-
dres",
et qui est,
selonl'e philosophe,
la caractéristique
',,:,'
génér'alede , !
,'"
"état républicain et en particuliE,r le démo-
cratique",o
Nous pouvons ainsi voir se dessiner,
à travers les
principesphilosoph5.quesde ROusseau,
les grands traits du
systême politique idéal qu ,'il préconise pour 'la C6r se 0
."
. _.- ..':
II_Du système politique idéal pour la Corse
A présent que nous avons circonscrit les principes .~
philosophiques contenus dans lf~ "Projet de constitution pour
,,,".
la Corse", voyons maintenant comment ceux-ci s'articulent
, . .~.
avec le sy~t~me politique ef social que Rousseau préconise
pour la Corseo
. "
1.
",';(1:\\:':;
.. '1
.,
'1·
. "" ~ '"
, , 1\\ ~ (
Cependant,
il est déjà un épineux problème qui est i".
,I,ll:1

151 -
",;!
, . ':
de savoi~ si la pensée de RoUsseau forme ou non un ~ystème ?
Par systÈmie.,
i.l faut attendre, d'après Lalande,
"un
1-
d'idées s6ientifiques ou pt\\l.ïosophiques logiquement
res,
rrtàis~h .tant qu'. 9n1'e$, considère dans leur cohérence
"
' , " , •....
.
.
'
plutôt que dan's leur iér±t'é ."
(25)
Si un système se caractérise davantage par la cohé-"
rence des idées qu'il renferme que par les vé!ités qu'il
1;':
exprime,
la question paraî+: encor.e pl'JS ,:omplexe dans le
cadre d'une théorie sociale et politique; car le but pour-
.. ~'"
~
1 :
\\
suivi,
c'est l'élab·')ration d' urle doctrine qui nécessite non
A"
seulement l'accord de la pensée avec elle-même, mais égale-
quoi nous ,primons nos act±on~~
.
....
",
Pqurtant,
chez' Rousseau,
sa pen ~ée ,est touj our s
int~rpré~é~d~ diff~rente~manièreso Ainsi, ce jugement que
" 1
r
,
.'
. ,.
- Ro Labrousse' -porte sur la pensée du philosophe,
et sur toute
,,1
son oeuvre, ne mànque pas de piquant:
"Il
s'agit indubito.-
blem~nt d'une p~nsée difficile dans laquelle le droit naturel
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - " , .
(25) Lalande (Ao)
: VocabUlaire t~chnique et critigue de la.
philosophie, P.U.F ... Paris '968, po,097
,Il'
",' .

-
152 -
~ " 1
,',1
de Pufendorf et de Locke se combine à l'absolutisme de Hobbes'
pOtIT donner naissance à une conception de la démocratie,
ratiQnaliste dans son essence et romantique dans se.s résul-
tatso C'est l'oeuvre autoritaire d'un philos,.ophe qui,
1.
instincts. fondamentaux et par son' comportement personnel est
.
.
.
avant toutpn anarchiste. Ces contrastes è~piiquent lès di-
"
":
vergences traditionnelles des critiques de Rousseau".
(26)
Ro Dérathé note de sen c8t~ qUe,
"
si neufs que, 1
".
".
soient ses principes,
si radicale que soit sa doctrine,
,",
.: :1,\\1
Rousseau cependant n'aurait pu la formuler sans l'oeuvre de
ses prédécesseurs,
ni celle des jurisconsultes en particulier~,
Ceux-ci ont en quelque sorte déblayé le terrain et lui ont
fourni les cadres dans lesquels sa pensée s'est dé~elopp~e(.~~
.
'1
i!:1
,
'1'
Les. thèmes' p~incipaux de sa propre doctrine, état àe nature ,il.,
' t
",.~~:;
pacte social,
souveraineté:,' forme'nt les éléments de la théor{~,
ii "~,I
politique: ~~seignée.dansles divers trâi tés de Droit naturel ,II':
et on les retrouve tous chei Pufendorf par exemple. Sur cha-:
cunde ces thèmes classiques, [(ousseau apporte .des solutions
",
',:1
nouvelles et directement opposées aux vues de Pufendorf (.ou)~:
...
.,
(26) Labrousse (R.)
: Introduction à la philosophie politique;
Marcel Rivière et Cie, Paris,
1959. p. 178.
.,".
,'.11',
. . ,',
'
.. :j', ..
.:,'

\\
."',
, o' ~. ~~" 1
:.:
, ,i·
-
ï~) -.\\
-
0,
,0
, '1'"
Sa dette envers les juristes de l'école du Droit naturel est
",
'1,,1,
, ',:'; ;\\'~,:
considérable, mais ( ••• ),
i l leur doit plus par ce qu'il
" ','~
::\\'",:
"
rejette que,par ce,qu'il retient de leur enseignement".
Dérathé R.' :,Jean-Jacgues Rousseau et la science politique
~
de son te~~s, Vrin, Paris, 1970, pp. 51-52 •
..
j ' "
'Or, en laissant, même de côté les' attaqués ou l<::s
éloges systématiques gui ne manquent pas,
E;.Bréll:i.t'r:
fait
", r
, • • ,1
li,
remarquer que,
"on est fort loi.n è'être d'accord sur l'in-
.,:,1
'J:
"'.
terprétation de sa pensée
; y a-t-il une doctrine de Rousseau",
" 'ï'
l
I ,1
ayant suite et cohérence logiques? ou bien l'assurance pas- , id'
sionnée avec laquelle i l aborde chaque sujet nouveau qu'il
_'1:
traite ne cacherait-elle pas des contradictions insolubles,
, "
'~,:-~'I
à qui s'efforce de voir IJensemble ? Rousseau est-~l partisa~0
,
.
\\l
'?;'
de la supéri()rité de l'état de nature,
COmmE: i l pa::.:aît
t
d'après I.e. "Discour s sur ï :'iriégalité", ou croit-il à la su-
prématie,d~:.) 'état social', ,comme le laisse cOnclure le
"Coptrat social
" ?
(27)'
..' .
'"
'..'
,..
Toutes ces interrogations,
loin .d'être sans intérêt
ici pour notre travail,
témoignent au contraire de la
(27) Bréhier (E.)
: Histoire de la philosophie, P.U.F. T. II,
fas~. 2,
"'1
Paris 1968, p. 415~
',:'1'
"
0 '
.'
.
,I.\\j'I
.... ' •....
,"
.

-
154 -
complexit~ qu'il y a à bien comprendre lapens~e de Rousseau:,~
qui 's' est syst~matis~e prog!:'es:;ivenlent sur ce style nara-
do~al de la transparence et de l'obstacle, pour reprendre le,
mot de Jw Starobinski. Cette pens~e contradictoire, c'est
,'"
aussi celle que d~veloppe ROUS';2a~ dans le "Projet de consti-:>
'"
."1
" ,1.\\'
tution pour la Corse" et qui estpr~cis~ment un des lieux
, ,
d'expression de son syst~me, mais accentué d'une v~sion
digmatique,d~ la Corse~
'~~intenant,~que,la pensée de Rousseau forme un
1'1,',1'1
sys:t~me ne devrait pas faire l'objet de controverses, puisque",':':,:
l'auteur l'~ affirm~ lui-~ême depuis un écrit destiné ~
Bordes (175'3-1754)
jusque dans le troisi~me "Dialogue l1 • On
peut sans doute juger q~'iJ s'est tromp~ sur lui-même, mais
,
'"
.' :i\\i
l'on n'administrera pas la preuve de ce sentiment en jouant
,'1
, '
les ~crits autobiographiques contre les ~crits philosophiques:,:'"
mais seulement par l'~chec manifest~ dCune t~nt~tiv~ de res-:~
saisir le 'syst~me dans ceux-ci. Or cette tentative même n'a
guère, encore ~t~ faite".
(28)
------'-~----'---------------'------'--------------.."it:.~,
.
.,
,"
1'1.','
(28) Goldschmidt (v.)
Anthropoloqieet Politique,
Les prin~~
cires du syst~me 'de Rousseau, Vrin, Paris 1974, p. 8.
, ·f
", .\\
." ~:
. "\\'

- 155
La construction du système politique idéal que
Rousseau envisage pour la Corse repose d'emblée sur la re-
, '1 '
, d l '
cherche d~une forme rationnelle d'organisation sociale qui
.,:':.(:
soit la plus conforme à la nature originelle de l'homme.
Il
,"
':',~
,
s'emploie alors à élucider théoriquement à partir de ses Drin*~
...
';..:;.\\~,.:,
cipes,
ce qui est indispensable au fondement ,du corps social ,':r~i:\\
l'évitemen~'des conflits et une solide cohésion sÇ)ciale.
1 :i"I/
i
.':;:\\,::":,
'" . ~ l' 1:0'
;'1'.">/
,
,II
" .1.",1::'
On 'peut certe~, iCi jouer sur ce~~e différence
, "1
1) ..',11
/'\\'
" '::':~ ::.
entre la ct'érnC!-rche utopique de More et celle d'e Rousseau.
More se livre dans son ouvrage, "utopia"
à une présentation
détaillée de ~a cité idéale sous une forme narrative. Mais,
Rous seau,
par contre,
procède autrement
Il échafaude sa ci té, ",
0
idéale sur un lieu localisé géographiq\\.::.ement P<:i:( ~,;orJ i.nsula-
rité,
en ayant une vision globale analytique et prospective.
,
,
Il ~'applique à faire ressortir les valeurs essentielles et
"
les principes qui doivent sous-tendre son système.
,\\,.1,:
~
,,':\\ii;
',Ainsi,
l'une des:premiè~ès condition s' d ' élaboration':',;;.>
'i"'.',1
,
,:.11"1
de son système pour la-Corse est la localisation et la
1
reg le":",',: ;'
1
:'
\\1,:,
,
,
.
\\~;:i ;
méntation du volume de la,populationo
,
"

-
"156 -
"~
1) De, l. 'égÙilibre démograph:igue
" ';.,
L"'argument 'démographique permet 'à Rousseau de re-
csoudre cette contradiction in~érente à la situation histori-
que de la Corse. En effet,
i l s'agit de faire de la Corse
une n~tion r~che, mais indépendante.
Le philosophe suit en cela son "grand et premier
principe qui est non seulement d'étendre et multiplier la
population~ méis de'l'égaliser dans toute lilsle autant qu'il~
est possible":.
(29)
~._ ..'.
'~Gf~ement dit, pour Rousseau, une 'cité démocratiqu~
pour la Corse doit ~tre une, cité agraire dont la réglementa-
·'tion du volume de la population éviterait un déséquilibre
démographique et une saturation d1habitants,
nuisible à la
',::
nature et 'au bon fonctionnement du système choisi ; puisque
,\\
dans une telie situation de saturation,
"on n'en peut plus
employer l'excédent à la culture,
il faut occuper cet excé-
dent à l'industrie,
au commerce,
aux Arts,
et ce nouveau
.. :. "
\\11"1'1
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _~
"1,1,1
,1,,'
:,'!\\::.:,
(29) Rouss~~ti (J.-J.)
::'Jnstituti~n' pout la Corse,::,::i
"f'jl'I
,.1':'1
a.c.
T. III,
p.928.
li"t
1,,'''.,
"\\
1'\\

syst~~edemande une autre admini$tration"~ (30)
1-
. Le Contrôle stric~. du ~olume de là population tout
comméla fé~iementa~ion-de 1~acti7ité écono~ique agricole
s'in scr i t bien. dan s cette démarche utopique' qui vise un eudé-.·, '.;
.moni5~e 'collectif, selon le mot de Do Leduc-Fayette. Puisque
de par son càract~re dynafuique,
liactivité agricole produit
, ,',"
néces,sairement des inégal i tés,
lor squ' elle est laissée à
'. ,;t,
elle-mêmeo L)individu étant,
dans la logique de Rousseau,
:'1,
principalement un être de besoi[)s~ il en conclut que l'inéga-::',:
',,'\\l
lité économique serait largement favorisée par l'inégalité
. ;:i:.,~
::"0'
dans .ladensité d'i~plantation de la population Corieo
JJ' OÙ sa recherche constante de "l'administration
qui soit l~~lus fav~rab1e ~ l'agriculture,:c'est-à-dire,
celle dont .la' force n'étant point réuni.e en Quelque point
n'emporte p'as l'inégale distribUtion du peuple mais le laisse ::';':
,
"
,
également dispersé sur le territoireooolî.(J'l)
Par conséquent,
l'image idéale que Rousseau se fait
de la Corse trouve sa justification et sa projection sur la
"
:;
l',
',' .. "
(30). Rousseau (Jo-Jo)
Ibid. 0 P 0 907 0
(31) Rousseau (Jo-Jo)
Ibid.o.p 0 9060
;','
",

,",
'158
"
:' ~.
Sui~se de son temps et de son époque ; en effet, celle-ci se
distingUe'par son éc~nomie a~raire fortement planif~ée ~râce
à une,admirii~tration décentralis~e, régie par des moeurs
simples de's~n Etat mixte-ei iépublicain.
,
j ' "
Cependant,
la Suisse est un pay~ pauvre et contrai~
remerit à la Corse qui bénéficie d'un climat doux et d'un sol
- fertile.
Il y a donc un avantage naturel caractérisé par la
clémence de la nature. Toutefois,
la Cor se, restée longtemps
,"
, '
; '1'
asservie, doit rétablir son identité nationale. Il s'agit en'"
somme pour Rousseau,
de provoquer une dynamique sociale à
partir des vertus patriotiques Corses, dont le principe est
la réalisation de "cette tai:.:aliti sph'érique,
symbiotique,
autarcique,(u •• ) sort~ de petite c6m~unauté organisée pour
I~
subvenir à, ses propres beSbins," et menant une' exi;tence sim-"!::,!i
·'.'!i'i
'll:,..ri
pIe et ret'irée du monde corrompu"
(32)
0
Le perfectionnisme du système social envisagé pour
",
':, .
-la Corse pousse Rousseau à se méfier d'un gouvernement pure- ':::'.
ment démocratique qui "convient à une petite ville plutôt
1
. ' ,
qu'à une na,tion" comme la Corse,
dont la grandeur de l'île
,---------------;,""
(32) Leduc-Fayette, (D.)
: Jean-Jacques Rousseau et le mythe
de l'antiquité, Vrin Paris 1974, po
151.
,""
,II
;',;
' . '
','
:' .

peut déjà constituer un obstacle au bon fonctionnement du
systèmeo
Ce. raisonnement d~ phil6sophe semble à première vue
curieux, ·voire contraèidtoireo Sa méfiance à l'égard diun
gouvernement purement démocratique traduit,
outre son souci
de perfectio~, une crainte légitime d'une perVersion du pou-
voir conféré. au peuple ; perversion qui provoquerait inévita-
blement un état de guerre.
,.,i"
,..'

1
,,,
":.\\,.,I
de retrouver une situation diAé,j"~ d'Or analogue à celle des
l
"'.
!',.. ' '1
temps originels,
Rousseau cherche alors à codifier les riormes'
morales de la raison,
en imaginant des individus agissant
--
.. librement et vertueusement pans une cité Corse,
avec le
concours de90lides institutions pol i tiqueso,
Par ce biais,
le principe d'organisâtion d'une vie
harm6~ieuse ~e société vise la réalisation: non 'pas d'une
communauté fausse,
parce que fondée sur l'injustice et l'immo~.\\
. 'I"!';'l
ral~té, mais bel et bien d'une communauté d'hommes réconciliés
avec leur propre nature dans un ordre civilo Et c'est cela,
qui est la condition du bonheur collectif au sein de la Corse,:
puisque le résultat de cette tra~sformation souhaitée est la
'"'r
r'''
..
.".'
",,:'"
!Il&2I2!Ji14'•..•.,·s··J.OO.., .~4àliIJ&2.&.JZ!!ii!L.J!ru"'i\\\\\\!i&lii!t4.w~~t--'""BM
;~i8

-
160
".~" 1
,
"
,
"
.j(~
formation. d~sindividus~~6ralementsains dans une cit~ agralr~~\\
Ce qui préoccupe donc Rousseau à travers le pro-
ill~:\\
L' '~ , ,'1 \\' '~J
blème démographique,
c'est la volonté de bâtir une ci té idéar:~:,:1
': j'r\\'1
sur le principe des institutions justes, durables et la pos- ,il
sibilité d~ réaliser un fuoi collectif, un moi commun par
l'incorporation des individus au tout qui importe seul à ses",,',
, '{?::
yeux. Et c'est aussi ce qui explique son attitude politique
~!,:<\\
":I,:"Î!
. ',I:'\\\\',i'
fondée sur une démarche normative qui consiste à dire que,
.
""'1""
'i'/"r;Il":';!'"
\\'!,\\!:lj ,:,;
, , ' !
","1 1
"on ne saurait assembler tout le peuple d'un pays comme celu:!.;;":!J
d'une cité et quand, l'autor.:ité suprême est confié~\\e à des:';:;,~:iji!\\::,
,~GN
députés le,9ouvernement change et devient Aristocratique( o. ~.)/'!~'W'"
",:~'\\':';'!:;:,1'
... ', ,,' ':.,' ,
Dnns le souci de maintenir la permanence des insti.i.:,';")
_,II'
tuti~ns poiitiques dans un état de perfection absolue,
Roùsseau conclut que le gouvernement "qui convient à la Cors~:,
est un gou~ernement mixte 00 le peuple ne s'assemble que par
parties et où les dépositaires de son pouvoir sont souvent
':,))',1
l" 'd
changés ( ••
De cette forme bien établ ie il résul tera deux;:::';,::,
0
)
0
',;'i,"I':lî;
grands a~antages
L'un,
de ne confier l'administration qu' au":,:,::/i,;;'
0
"
.
,
"
), 'i;!,iij'.
petit nOmbre,
ce qui permet le choix des gens eclaires. L 'au"';,.',.,,,' 1
;
~ .',' "i ~lr:/I:.,t~
tre,
de faire concourir toUs 'lés membres de l'Etat à l ' auto-:/';:,Y'~t
rité suprêm~, ce qui, rn_~1:tant tout le peuple dacls un niveau.":'::/i)::
parfait,
lui permet de s'épandre sur toute la surface de
, ':
'.1","
,;.

---~:I:!
,
t
~P,.I'
,1
1 ,1
-
161 -
.,
,'.
l'Isle et de la peupler partout é9alement. C'est ici la
fondamentale de notre institution. R~ndons-Ia telle qu'elle
maihtierinela population partout en équilibre et par cela
,
seul nous )iaurons rendue-9-us-si parfaite qu'elle puisse être.,
Si cettemaxinie est bonne,
nos règlës deviennent claires et
notre ouvrage se simplifie à. un. point étonnant".
(33)
Les dernières phrases de ce pasSage montrent bien
comment dans la pensée de Rousseau,
la démarche utopique est
étroitement liée aux préoccupations morales et politiques.
L'attachement qu'il met à la pratique et à l'institutionali-
sation d'une démocratie directe au sein de la communauté
agraire Corse ne se justifie que par référence à cette idée
rationnelle qu'il se fait de l'individu socialisé. L'impor-
tant, c'est· de fonder une ~ie-morale collec~i~e sJr des prin~
.
. .
cipesmétaphysi~ues et da~s laquelle les Corses connaitront
l
un o~~is de bonheur et de li~erté.
J, ri'.d
Et cette image de ia Corse libre et heureuse,
Roussenu la représente selon un procédé du discours qui
tantôt la forme narrative, directe vis-à-vis des Corses
,',,,
(33) Rousseau (J.-J.)
: Projet de constitution pour la Corse,
O.C.
T. III, pp. 907-908.
.,".

--~---~----~
"
,,1·'

-- -.162 -
"Les Génois eux-mêmes ont préparé votre in st:Ltut ion et par
un soin di~ri~ de la pr~~ide~ce, en croyant ~ffermir la ty-
ran~ie ils ,bnt fondé la libert~. Ils vous ont ôté presque
tout commerce et en effet ce n'est pas maintenant le tems
d'en avoir"
; tantôt la forme impersonnelle par laquelle,
la
figuration d~ l'autre social aboutit en fait à une figuration',
"
,1
de l'autre humain vivant dans une cité rigoureusement ordonnée.
Et cette recherche de l'ordre et de l'uniformité
ne transpar~it pas uniquement dans J.'équilibre démo~raphique,
mais égalemen't dan s la man ière d'organ iser et, de l:;\\estructu-
rer l'Etato
2) De, l'organisation sociale de la Corse
Nous ne pourrons pas, dans le cadre de cette recher-
..,":'
che,
insister longuement sur la conception rousseauiste de
l'Etat,
tant le thème est vaste; mais les références fréquen~
tes que nous utiliserons,
aideront surtout à mieux expliciter'
commè~t, po0r la Corse idfale, Rousseau conçoit-il la nature
du pouvoir, politique et le--,fondem:ent du corps' soci"al ?
De nombreux auteurs n'ont pas manqué dans leurs
,
'
",
~.,I
",,1

--
",63
.' .
'.
l '
l"
: .;~ ,','l,;
écrits, de souligner la conception organiciste de la société ,','i,
chez Rousseau. L'analogie qu'il a souvent faite entre un
organisme vivant et l'organisme social,
ou plus exactement,
entre le corps politique et le corps humain,
a fait dire à
C. -E. Vaughan que Rousseau . était partisan d! un pouvoir tvran"'::,,:
~
~. :',\\:',"{'::
nique.
"L'idée de l'Etat,
écrit-il,
conçu comme un organisme
domine tout le traité du "Contrat social'; ma,is lq mot lui-
mêmen'est jamais prononcé,
et leanalogie entre l'Etat et
un cqrps organisé n'est jamais présentée d,e façon explicite.,
Cette doublè omission est réparée dans l'Ec6~omie politique":
o~ l'analogie est poussée j US Cj'.le dan s ses moindre s détail s. : • ','J
,,: .
tage. A moins de l'utiliser avec la plus grande circonspec-
:
tion,
elle sugg~re inévitablement leabsorption des individus',
dans la vie collective du corps dont ils sont membres,
par
co~séquent, la négation de leur existence propre et séparée,
de leur pouvoir d'agir avec une certaine indépendance,
ce qu'Î")}~'
," ,'1
est rions~ulement contraire aux faits, mais en qutre ne peut~i
' . .
'1.11":1';:1/,\\\\
si on le met en pratique aboutir à la tyrannie. et à l' asser"';j::'::::S
v issement " •. ( 34)
"
',.'
. ;.,::
------.,...-------------------------------.-,.:......",.,:';1.
(34) Vaughan
(C.E.),
cité par Derathé (R.)
in,
Jean-Jacques
Rousseau et la science politique de son tetnp;,;,
Vrln Paris,
• '1
1970, p.
140.
,'"

", r
'1
-
.. O··,
_..
M~me si Rousseau justifie lfutilisatio~ d'une tel~
\\
,'.
comparaison "commune et peu exacte" comme pour "se faire
mieux enteridre";
il-~s~~toût de m~me rema~g~able ainsi que
le;souligne Ro Derathé, que le mécanisme 'sociologique et
l'organicisme existent bien dans la pensée de Rousseauo
La conception de la soc~2té comme un être de
et la conception de la société comme un organisme,
pour re-
prendre les termes de Durkheim,
exprime en fait chez Rousseari~
cette dualité de fonction que remplit l'Etat considéré avant'
toutcomfue une personne morale,
abstraiteo
I l n'est donc pas étonhant que ce langage imagé,
métaphorique, se retrouve également dans le projet politique
pour la Corse:
"Toute la nation,
dit-il,
se'réunira par un
serment solennel en un seul corps politique dont tant les
, '
corps qui doivent la composer que les individus seront désor-;
mais les membres"o
(35)
,
"
"
Ainsi,
à travers le problème de la réunion des
individus en un seul corps,
Rousseau pose clairement le
;',"
-------'-----------------------------~
~".':::::I;,,::"I
( 35 )
, :{I,,~ ,
Rousseau (Jo-Jo)
Projet de constitutiQn po~r la Cor se,,\\,;;'i~
. 11<\\,1,,1 1
11
.
'l,t,1
OoCo '. ToIII, po 943.
,::'::::i,!
"
,,"\\\\,'1.::,:,,11,\\
.',,',l;,;
',.l':.',i,I:\\
"\\<,~',:,i"~
,,' .l",'
'"
t,'.,'
"
, ..",
, ..

problème de la ~ature du contrat ; .le principe est en fait
celui de la 'fusion de tous en un' seul corps· politique, en un
moicollect:ifo Autrement dit,
il s'agit pour le philosophe
d'appliquer aux donnés naturels de l'île,
les princinesdu
contractualismeo
-
De la division tripartite de la cité
Partant des principes de libèrté et d'égalité qui
sont lés seuls biens communs pour lui,
Roussep.u eI1yisage
alors de diviser l ' î l e de Corse en douze juridictions égales
les unes les' autres
Le' monOpole de la domination de l'Etat
0
ne se comPrend et ne s'explique que par rapport à l'égalité
qui est la seule valeur fondatrice de la liberté chez le
philosopheo
Comme l'applicabilité du système démocratique dé-
pend principalement de la taille de l'Etat et du nombre
d'habitants,
Rousseau recourt alors à la constitution de
districts,
de pièves et de juridictions,
afin de maintenir
une égalité entre eux :
"Tout doit s'y rapporter ':2i t-il,
jusqu'à liàutorité même,
qui n'est établie que pour la défen-
dre,
tout doit être égaJ:par droit de naissanceo L'Etat ne
'. l,.:,
"
ri',d
.'
,,'-.
..
iGL.!!fI!PEi.

-
166
'"
;"...
\\.
,>'
, ,'l'
doit accorder des distinctian2 q\\l'aU mérite.
aux vertus,
aux
services rendus à la patrie et ces distinctions ne doivent
pas plus êtr.e hérédH:aires que ne le sont les qualités sur
lesquelles. elles sont fondéE;!s·II·o
(36)
Et c'est toujours au nom d'une exi~ence de pureté
,
,:,:'\\":'11,
morale et dé condamnation des inégalités sociales que Rousseau;·,:::>l
':1;1
• '\\
I~.,l
. ' / ,
pr~voit la nécessit~ de limiter les droits municipaux des
villes qui elles-mêmes,
seront limitées voire réduites en
nombre.
On voit bien que le schéma idéal défini par les prin- ',,;,;.
cipes d)affectation et d'usage des terres toutes communales,
:'1'
s'accompagne d'une réglementation stricte de l'urbanisme.
L~ capitale del'ile sera le poinf d'attache de
toutes les .jUr idictions
;
située nU centre de· l 'i1'1e à Corte,
et sur la parti~ la plus ~levée, cette ~apitale de la Corse
sera ~loignée des mers. Lieu. stratégique à 'la fois par sa
situation .. géographique et: la fértilitÉ: de .::;or; 2.0J.,
Corte
. sera ,le . chef-lieu du gouvernement et l'exemple même d'une
capitale vertueuse,
riche et fermée sur liextérieur.
Ibid. p.
910.
,,: ..

-
167 -
En somme,
il s'agit pour Rousseau de restaurer la
pureté de l ' î l e toujours à l'image de la description idylli-
que qu'il se fait de la Suisse d'autrefois ..
liCe peuple pauvre
mais sans besoins dans la plus parfaite indépendance multi-
pliait ain~i dans une union que =ien ne pouvait alèérer ; il
n'avait pas de vertus puisque n'ayant point de vices à vain-
cre,bien f~ire ne lui cofitait rien, et il était bon et juste,
sans savoir même ce que c'était que justice et que vertu ..
De la force avec laquelle cette vie laborieuse et indépendante
attachait les Suisses à leur patrie résultaient deux plus
grands moyens de la défendre,
savoir le concert dans les
résolutions et le courage dans les combats .. Quand on consi-
d~re l'union constante qui régnait entre des hommes sans maî-
tres,
presque sans loix et que les Princes qui les entouraient
s'efforçaient de diviser par toutes les manoeuvres de la po-
l i tique
Cor ses,
voilà. le mod~le que vous de~;ez suivre
( 0
0
0
)
D
pour revenir à: votre état primit.if ll ..
(37)
Cette référence de Rousseau è
la Suisse du passé
pour l'image qu'il veut donner à la Corse reste tout de même
(37) Rousseau (Jo-Jo)
:
Projet de constitution pour la Corse,
ODC
T o III,
ppo 913-9140
O
,,'''.'
'i'
,,-
. ' ,
j . "

~l68
ambiguë: croyait-il à un Age d'Or situé dans le passé? Ou
bien voulait-il retrouver dans le futur cet Age d'Or perdu
par la dénaturation de l'homme social?
,Quoi qu'on en dise,
il est assez significatif de
voir comment la pensée utopique de Rousseau se nourrit des
,,~.
fruits du passé et de l'imagination d 'unE~ exj~stenêe de
l ' homme à ,peine sorti de ,1 ' état de n a'ture
Far aill eur s,
le
0
tableau sévère qu'il peint par la suite de la Suisse déca-
dente,
tant a~ niveau des moeurs qu'au niveau de l'esprit
,
,
public,
l'amène à prévoir de façon minutieuse,
de quell~ ma- ';
nièrè les habitants de Corse devront-ils organiser harmonieu-
semeht l~ur vie collectiveo
Ce qu'il envisage donc pour la Corse,
c'est le mo-
d~le d'une société agraire régie sous l'autorité du p~re de
familleo
En effet, pour Rousseau,
la famille est le oremier
modèle de la société politique,
car elle ne~e malntient par'
la suite que pat conventions. Il ya à la base de sonargu-
" ,
men~ation, te principe tant ~ffirmé et déf~ridu par le philo-,
sophe (Cfo':"Contrat Social", L o l,
chap o 1) et selon lequel',
_ tous les hommes naissent libres et égaux
; par conséquent,
ils ne peuvent aliéner leur liberté que pour leurs droits
légitimeso
't.
~
.

-
169
", ,,"
Autrement dit,
le corps social que Rousseau veut
former aura pour fondement la famille,
si celle-ci
sa légitimit~ que par conventions. C'est la raison pour la-
quelle,
RO~$~eau part de la loi fondamentale qui maintient
" ".
." .
. ,'1
l'égalité et la liberté entre lèS individus à l'intérieur àe
la société civile pour diviser la Corse en trois classes :
celle des ~itoyens, celle des patriotes et enfin ce)le des
':";,\\:::,;
,1' ïl!
artisans.
.' ~lr!/ '!I
'1\\.
,'i\\,:,'\\,!\\i
Il';';·!tl\\;:,
Ç~pendant que~s sont les critères de distinction
;",:11\\
de ces trois. classes ? En ré'alité 1 ces critères d' ()rdre éco- ,';~':'<)'
. Il';:'''J'\\
"
"'1
'
nomiqueet juridique obéissent au principe de conformité
.I\\~ i
" "','.t!
1 • •'
.. ',
.. 1,
sociàle dont le mode de classification est, avant tout d' ordre.<'i'::;
"J"
.+'
.1,
r, ! ~
éthique.
'.,','
.".,
Ainsi,
la première classe formée des Citoyens,
désigne l~ensembl~ des Corses qui,auront, d~3 l'âge de vingt
ans, pr~téun serment solennel envers la nation. FeEont par-
tie d~ la. ~econde classe des P3triotes,
"tout aspirant mar ié ';l'',.'.!
l
' ',~:,q
~
:l'~l\\'
• ,
1 1 \\
1.
selon la loi. qui aura quel-que-
fonds en propre independamment,;~,I,,'(,
:; l'" ',1 ,1 :~ i
de la dot d~ sa femm~.• '.'~Enf;in,
la troisième classe,
celle des "'/!:
,.'
,
'. ~ l'
aspi,rans, regroupera après la prestation de serment,
"tous
'I\\J.:'i:
. ".~ ..
ceux qui n~~ ~ans l'Isle n'auraient pas atteint l'âge ( ••. )
- jusqu'à ce qu'aux conditions suivantes ils puissent monter
aux' deux autres classes".
,
':l'!,'

Comme nous pouvons le constater,
cette division
tripartite de la cité ne se fait qu'au regard de la finalité"
politique du corps social considéré comme une totalité par-
faitementrégléeo
De la sortE:,
le système social n'admettra
aucune forme d~ refus individuel des normes et lois élaborées
par l e corps tout entier
:
"Tout Corse qui à quarante ans
actomplis ne sera pas marié et ne liaura point été sera
excluds du droit de cité"
(Cfo
"Projet ••• ",
p.
941)0
1.
D~ même, le déplacemeni des habitants sera soumis
à un strict, contrôle :.. "Tout particulier q';li changeant de
domicile passera d'une piève à l'autré,
perdra son droit de
cité pour trois ans et au bout de ce tems sera inscrit dans
La contrainte morale qu'impose l'engagement pris
par le serment solennel demande à tout Corse de s'unir "de
corps~ de bi~ns, de volonté et de toute sa ~uissarce à la
.
~\\.
nation Corse pour lui appa~teniren toute propriété ( ••. ) de
Ibid
p. 941
0
0
'. r: .•1
.
" ,"
. ,",
,",'0
,1
.
,Ii'
1,"
, "

-
17'1-
jurer de vivre et de mourir pour elle, d'observer toutes ses
loixet Cl iübéir à ses chefs ,et magistrats légitimes en tout
ce qui sera' conforme
aux loix ••• "
(Cf"
Itprojet. . . . It , O.C.
T.
III,
p.
943L
Rousseau accorde ainsi un pouvoir absolu à l'auto-
rité souveraine,
car il croit en l'existence d'un pouvoir
des lois susceptible de transformer la nature des
i~dividus.
Pour faire respecter les lois,
l'autorité souveraine doit
savoir faire usage de la crainte et de l'e~poir ; ~~r ce son
dit Rousseau,
"les deux instrumens avec lesquels ()n gouverne
les hbmme~, rmais au lieu ~'e~ployer l'~n et l'autre
remment il'faut en user selon Jeux: nature
Co •• )".
En définitive, ,la stabilité du corps social dépend
,.-"
en premier lieu de la manière avec laquelle 1; au '~~)cit~~ souve-',II"
raine applique et fait respecter les lois par' les membres.
C'est pourquoi dans le schéma idéal de Rousseau,
"la personne
, "
des gardes des Loix sera sacrée et inviolable et il n'y aura
personne dans l'Isle qui ait la puissance de les arrêter.
Chaque Piève aura le droit de révoquer les siens et de leur
en substituer d'autres toutes les fois qu'il ,lui 11laira mais"
, .
. :,\\1
:':'/
,l',
;.\\

"
'
", .""
à moins ~u'ils ne soient rappelés expressement~ils seront
à vie"
""':f!,
0
::\\.'~Y)
".'if;
:,;1,:,:,:,
,En reconnaissântd ~ Ull~ part, une manière particu- '.. ,,)\\.
, ':r\\t,;I;;I,,'~
lièred'egouverner les hommes et' en ,recourant 9' autre part, '",1);",:'
,:iI"i,.!.
à l'~utorité saci:'éed' une- person~e pour ga:r'cter le's lois,
':::::':i:~:I~;
Rotia~e~,q,~e'fait~querenouer avec la tradl,'tipn des PhilOSO->~~
'II' lll'
'"
',1 ~i'1\\,1
ph~s:potit'i~ueso Premièremet:'lt, il demande à chéj.que Corse de:::',.:i:',g
prononcer ,le' serment sacré avec la main sur la Bible et au
":';'.';[i
;\\'
i '1 r\\,I'
"nom de Dieu tout pUissant et sur les Saints E~angileS"'o Il ':;::'\\i:
pa~tage ainsi le point de 'vue de Platon dans les "Lois" (40) ,:,I:d
,
"
,
'
: l'" !~:i
et de Machiavel dans le "Prince",
que la vraie république ne' :,\\,",;;
,
,
'
'1
"~
",' ,
'1""
peutre'poser durablement que sur la religiono Mais en même
, ',.
,,,',~::'I;},!
la,,'(,i:
temps,
i l en affirme le caractère ,hautement pr~gmatique de
',,', ,:\\,'\\:\\,:,
religion qui remplirait une fonction.politique~
:,;:i::,':~:!\\
".,'
':1\\ t,; ~ ~/:I
, ",;1/:'1
,
,1\\\\1
" .
:,I;\\,:I.....!
Deuxièmement,
c.9l1'\\.m,~ Platon, Rousseau dO\\llne au gar-.o""I;;:),l
. 1,1',-1 ~:.t,\\I:,
dien'des"~p'is ,'la t~ute puissance nécessaire', par là il
";2/i:i
rec~rinat~;i~~licit~~~nt que le législateur 'a, q~elque chose '0~
',::/;:~~:[;
(39), Rousseau (J o-J 0)
Projet de constitution~pour l~
~r'o I~I, po 9440
(40)Platori
Les Lois,
La Pléiade Oeuvres Complètes, T.
II,
PariS 1950, po 11260
"
.. ,', ....
'

de~ublim~ et de s~~ré dans sa fonction politique. Cependant
en dbnnant~ux lois un ca~i~fère~'sacré~ Rousseau ne confie-
rait-dl pas, au légis,Ja.teur,la :tâçhe de tran s'former la nature'.'''
.
p."
hum?line .1(41) En somme que"l' individu qui est un tout par-
fait solitai.re puisse,renier sa situation intrinsèque pour
r
s' intégrer Cians un tout parfait collectif?
En réalité,
c'est là l'un des problèmes majeurs
de la contradiction individu /
communauté que Rousseau a cru
parfaitem~nt résoudre. Et nous montrerons dans le troisième
chapitr~que cela constitue bie~une antinomie. Cependant,
i l e~t un a~tre probl~me important et préoccupant chez
Rousseau, ..c'est celu,i de I:'él'iù.:'r.:l::,ion de la propriété
" , ".;'.
par la, pra,t:~cI'.ie de la communauté des biens •
.,,'
'.,
l'i:'1
':
"~
. ' . .
r3) Dè la ~ommunauté des biens
La logique à laquelle conduit la concèption d'une
société agraire, autarcique,
indépendante et démocratique est
la systématisation de l'activité ~cbnomique comme activité
(41). Polin" (R.;)
:La politigue de la solitude',
Essai sur
Rouss'eau, ,Ed • Sirey"
Paris 1971 , p. 228 ~
' l ,
"
.' ,
,
,~.' .'

-
174
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déterminante dans l'harmonisation et la rationalisation des :;::;:i~~
.
~
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comp',qrte,m,',e, n"t,s individuelso
,':il '/:!(
!·(r~I.I,(;\\!\\l:,
~.II'~1 \\:)l.!~rf
...
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"
':;;::.;,,;);(;
,.",,' Cette harrnbIi1s,ation'des t:omporteI;O~nts individuels, <:,,::,:::!\\I;;
. '
: \\t::~t}:):
dan's lad~.n:tarche de "Roussea~', ne peut' se réaliser que dans
....;,:\\\\)
. ' .
.',
'
Il,,>'',:,.,?:.,,
unesoçiété égalitaire où la ,propriété privé~ est sinon abo- "".<'/
lie, du ,moins réduite au maximum. Il s'en suit de ce fait,
:,~,:'::ir:;;
une, exaltation de la' propriété collective par la réglementa-, . "i/;
'. ,'1 \\~.'i/i
tionstrict~ de la production des biens économiques et la
,,');;!
. .' ~' ,',;i,
lirili,tation des biens i n d i v i d u e l s o · · · . . ; i i ; I
.. 1.\\
,f
";:,:::::;:,;1
"
• ',l.
C'est ce .q:ui am'ène Ruus seau à dire que "le projet
'1Iillldll.~:r
"·~.Mt:!~',lt
d'une' ég,a,le .population demande une circulat,i'on des denrées ,
.. ,:!:';Y\\'!
:'
,1 ~'; 'Ii:
. ' '.:1 ;~~!A\\':'I~
un . versem'èr1:t: :facile 'd'une ;'juridi"ction dans une autre et par",;;;;,'::'!,!:;
; ,,' ,"
,',II:)li1,'.!
con?équent,:::U:rl commerce~'intérieur"
(42 )
..'
0
"\\l)i
.,..... '
.\\i;~~
".:,~:;,:::,~?\\:
L~on peut. ainsi comprendre que l' iri:stitutiono.lisa- ....:.::,:,:~:
tion de, ,la ,pratique des' échangesG'D nature, la constitution
des màgasiIis dans chaque juridiction pour le ,contrôle et la
répartition,: du surpl us de produits agricoles ne vise qu'à
maintenir les individus dans une dépendance égale pour tous
en~ers ûniquement· l'Etato
(42), Rousseau (Jo~Jo)
Ibid. p. 9220
'.
".
" . ' j ' . '. •

.\\.
-
175 -
Le principe de l'ascétisme qui est à la base de
cette conception d'une "démocratie frugale", selon le mot de
C. P6lin~ çonsiste po~r Rousseau, à concevoir' une communauté
par.fa1.tement:intégrée, "viya,nt d,ans l'abondance sans jamais
"
,
manier \\lnsoUi";' car, le triomphe et la 'réussite du bonheur
individtiei~~6n~'cbn~itionhésp~~ia réussit~ ,du bonheur col-
, .....
, .
,.
"
.
lectifoII.tatit, dit'Rousse;'lu)
V/que tout l~'monde vive et que<
rpers6~né ne ,s'enrichiSseo -c'est là le print~~e fondamental
deia pr6'sp~rité de la nation". (Cf. "Projet.o." a.c. p. 924).
c~ souci permanent de Rousseau pour le bonheur
collectif l'amène pour ainsi dire, à réaliser l'uniformité
sociale par "l'égalisation des conditions" j uniformité qui
ne peut se ,faire que 'par la contrainte des lois librement
acc~ptées,par chaque indiv_i<?-.u, qui doit s'identifier au tout. ,',
. ~~ ..,'
".',
'.'
,

' ;
"
j' "
,
"
"
. . . -
••' .
M~is en même temp~, l~individu: n~doit nullement
,
'"
.. "
"
manquer à' sori, devoir de citoyen SOtÀs p~ine ,de' sanctions.
c'~est: l~ra:i.sori~our'
r
laqtielle ,dans l" organis~t.ion de cette
comîriunauté des biens, Rousseau met. davantage l'accent sur la
contributioh indiv:lduelle, puisCl'.1e "chacun (ni'a) sa part au
biën commun'qu'en proportion de ses services".
Par ailleurs, l'organisation raticnnelle a~
"
"
.
.
"
l, .•
,.J,., 1(',01
1:. '/J.I"

,
'1.1 Ir:
-
17 6 ~,'(:~'::';;H,:
.' '11~\\)/1~,:,~1
:::;if~i
'1. "
. l,'!
,~\\i'
.",'::.l', .:'
j ,
l.• l'~ '"r
/'~~
des ,finances publiques, dans la mul tiplica'tiori des impôts
.' .
.
:,,:'/l':}
en nature et "en çorvées sur les terres de la" communauté,
,"1'
,
l ' ' :! \\~.~
traduit chez Rousseau cette prépondérance ac~ordée aux inté- :,~0
rêts de ~'Efat. Il apparalt donc que, dans le système quO il":::~
préconise pour la Corse,
la propri~~é, au sens politique du
mot, n'appartient qu'à l'Etat; autrement dit,
il n'y a de
propriété que publiqu~. Le problème fondamental qui ressort
mentlég~ti~er cett~ propriété publ~que.~olle6tivedans un
Etatdém66r'a.tique où" pr ime l ' acti:v i té éco,nomique'?
Comment Rousseau entend-il préserver indéfiniment
l'égalité et la liberté de~ant l'inéluctable' restauration
permanen'te, des inégalités, du f.::::"t même de cette activité
l
'
économique fut-elle exclusivement agricole ?
Ci c:hèrché à instituer pour la Corse,
aussi parfait soit-il
, .'
' .
en th~orte~~t' dans sa logique, ne peut manquer ~eposer des
",
. . ". '
"
',',", ," " ,
problem~s'~ans, son applicatioh. Cet:i" pour',eies.raisons te-
.
'"
.

-
177
"
j"'"
1
"
'totaiemen-t. harmonieuse, sans heurts, sans "cônflits dans un
système défu~èratique où domine l'activité écçmomique.
Comme nous pouvons déjà. le voir, il y a à la fois
unite et contradiction au sein de sa pensée, tout comme dans
celle de Morelly que nous avions analysé auparavant dans
le "Code·delanature".

-
178 -
. , ' ,''o,,,
. ,." ~.._,.>
,", :,'1':'"
'1. "
MORELLY ET ROUSSEAU :' UNITE OU CONTRADICTION AU NIVEAU DE
LEUR PENSEE UTOPIQUE ?
Llanalyse du "Code de la nature" de Morelly et du
"Proj~t de constitution pour la Corse" de Rousseau nous a
permis. de. mettre en relief le déploiement de cette pensée
utopiquethez' les deux philosopheso La valeur dlune telle
pensée~Uto~i~~~ sociale -communaut~ire chez'Morelly et pros-
,"
"
pe~tivechez'R6u~~eau- réside dans sa fonctioh anticipatrice
... ' ~. ,;' .
d lun nduvelordre social meill~Ui', ,fonctio~'ari,ticipatrice
,dont 11 indice'de la critique' du présent est la 'projection
.
,
'
hprs d~;un lie,u historiquement déterminé dans un espace autre,
u-topique~ 9~ie savoir scie~tifique et la théorie sociale
etpolitiqu~ se combinent pour donner un sens à l'action
tranifor~~trl~~ de la réalité pr~senteo
Or, dans le cas de,Morelly et'de Rousseau,
cette
combinaison dti ~~voir scientifique et de la ~héorie sociale
et polit~~uel~s a condUits à~maginer le mod~le de la cité
.. .
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juste et\\ d~, son' organisation, spatiale';"'à désigner' les
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179
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détenteurs légitimes de, l i ~~t.:.:cité pcliti.qu€.
En voulant
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ainsi :ret,otaliser l 'expérience social~ et reconstruire le
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monde, à :partir de Leurs principes philosophiques et de leurs',':,::i'~'I'
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derecoÛr'ip.à des' ar,tif;ice's hi,storique,
jÙFidique et moral
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pourvalid~r
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leur.s analys<!s
• "1 ;!,:~;}l
De ce fait,
leur entreprise de légitimation d 'un'."::j:~,:
schéma parfait d'organisation sociale, quoique obéissant à
urie logique',interne propre, n'en contient pas moins des
contradictions inhérentes au syst~me politique qu'ils préco~:
n1sent tous aeux.
1)' De la:r,éhabilitation cfe'l-qivmlil':~ "naturel"
....
"
-.~.'
': ,,:.,;,
Ce,que le, discours utopique de ~oièl1y et de
Rou$seauaura mis en exergue p'our valoris,er 'leur regard
que ,sur' le monde social)
c ~ 2E~: cette desc.;: iption singul i~re
de l'homme dans son a.ntériorité sociale. Un homme "naturel"
vivant danS'un monde indifférencié comparable à celui de
l'animal.
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l,'.::","

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-
180-
gence des points de vue qui consiste-A fonder le paradigme
de lacitéid~ale en partan~ .de l'hypothèse philosophique
de l'exi~tenc$ d'un·~tat de nature A partir duquel ils ten-
.
,
'.
'.
"
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' .
tent .de decrire 1 'homme uni'!er-sel .. abstrait, A peine "sorti
points ..
'AinSi donc, dans la démarche utopique de Morelly
et de Rousseau, l'entreprise deréhabilitatioh de l'homme,
répond d'abord à un schéma théorique, précis .. Celui-ci consiste
A agencer l' orc::lre naturel et l' ordre cul turel par une réfé-
fenceméta:ph~(sique A 'ùri~ cer-c.aine finalité de lanatureo Le
besoin d'e' ,cro~.;"e ~ la même n_a1;.u~e ..humaine daris ses diversités
histo~icb-9é~gr,a?hiquessomme touteE'5eèQ~dë;lires~' r.épo!ldait
,
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A cettevolontê d'appréhender rationnellement'l'idée de
nature;';>puisque "dans le corn}')'? t que lilJ;centie~,philosophes,
l' idée.dena,tUre est leur arme la plus efficace, à la fois·
:,'1'
.,
contre la tyrannie du $urnaturel et contre l'artifice -je
.
,.','
, '
certaines conventions sociales"o
(1)
" ~'
(1) Ehrqrd (Jo) : L'idée de nat.ure en France à l'aube des
lumières, Edo Flammarion, Paris 1970, po,1560
. ~,,- .-:-
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" ' 1
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-
181
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Or,
dans la tradition philosophique,
l'idée de
'
.
.
nature rec~le un doubl~ seds, po~itif et n~g~tif. Dans son
,"'.'}",
sensnég~tii, élIe signifié, c0mme-Ie note V. Goldschmidt (2) f,':,:::
'",::',:,.i,'
absence de "l'industrie et du commerce des hommes". Dans son .//,",
,l').l',
..
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sens positif,
i l ,se con·fond avec, la raison. Celle-ci qualifie: ':,,::",
.
':;,.~:~
l '.étatd~nature daqs son' ùpP8zit:i..on à la condition animale.'"".',);!:,
. ~1:~~;;!\\:'iY:';
Et C"estiaréison q~i nous ren6 aptes à. rece~oir la loi
,Il II, \\,I~
.
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naturellé,'parce que',
elle: àussi 'fait part.ie de la nature
humaine .,',;'."
l , "
.En sorrune,
ce qui est affirmé derrière l'idée de
,~ '.
,,'" .:\\<t
nature, c'est "l'existence d'un ordre univer sel,
néces saire "\\..:i;':/
e~ ~pontàné, un ordre o~ l'homme a sa place 9armi les pro-
'r1:,ir!':;',
l
,',' ,~,;•. ~
duct~ons s~ns 'cesse' renouvelées de la toute puissance di-
" :I,\\'!,'(:,'
vinell •
(3) L'idée de natur.e implique, par conséquent, une
..,'
cipe's' du 'système de R.0uss'eau, \\Trin. Paris 1974, p.
226.
(3JEhrard: (J. )
(4) Polin, (Ro)
: Poli tlqueet· philosophie chez Thomas Hobbes;".,','
"
Vfin,Paris1977,
po 181.
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182
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par ré.férence à l'idée d '.un e nature un i-:;"j{li
,forme,
législa,trice que: Morelly et Rousseàu conçoivent l ' exi~7:::,::::'
" 'i;,
',,1
r
ten6~de c~thomme h~storique qui n'a d'abord qu'une exis-
tencebiolo~ique. Chez Morelly, l'homme de l~ nature, masse
d'indifféren<::è,être sans désir,
sans sentiment et sans rai-
son, vit dans son innocence et son immédiateté naturelle
fondées sur le principe d'une "élttraction morale"o Mais loin
,:i/{;?
de pousser à la solitude,
la nature, 'selon Morelly, nous
..
, .
':':";:,':,:</,:
,
,'Il ïlili
fait". au contraire,
sentir la nécessi·té d8 rect;'.lt";i.r
, 'll'I/:r
," t:I,~~l:I\\~('
secours. Et le "mécanisme- simple., et merveilleux" de la
, " 1i"'~1 \\: l~?,~\\:lr
,:':,,:1:'::.'.:,
nature, est' ré9lé à la p~.t'fec::i:)tJ di:';ine, de tei le sorte qu' aU."':!II,,'
Û; toujour~unexcédent
b~so~ns
for-';';~~:
dép«rt,
a
de.s
sur les
ces~ Cependant le mécanisme naturel est faitge telle manièr~,
l,
"
r
qU'~l ne foUrnit à l'homme que des ,manques pour le contrain-
dre à s'unir avec autrui; et c'es~ la variété des désirs,
des besoin s e t ,des talents qui obligerait en quelque sorte
': "\\',(
les hommes dans l'état de nature à conjuguer leurs différen-
ces danti un l,)t:t COnllllUll,
,
....
,
',
"
"
"
rel,
tel que le decrit Moreily,-~s~ d'abord un être de be-
soins, ,une" sorte d' :lutomate social' p'rédisposé par la nature
i
' ~ ••::
"
~.,_ .•':-'
• \\
à une vie 'communautaire.
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,~

-183 -
tion"morale it '(principe qui régit la nature, physique et tous
les êtres) et l'assouvissement de ses besoins"
donc de ce
manque inscrit ,originairement dans son existence biologique.
I l Y ~ déjà inscrit dans la nature~ une lég~re
oppo~itioh'non-conflictuel~edes 'désirs individuels du bon-
l'haimonie ~ucorps social.
Eri somme,
l'individu n'est pas chez Morelly carac-
térisé par sa complétude, mais bel et bien par son incomplé-
tude, par sa di~position naturel1e~ satisfaire pleinement
ses 'besoins en communauté., La valeur ~aradigmatique qui,
résid'~dan$ 'la réhabilitation histcrique de l'homme naturel
"
ton~iste '~~~~ Morelly, à dir~qu~,le principe de l'harmonie
,
,
"
sociale 'bas~e. sur la vie communautà:Lre est ,inscrit dan,s la
j'O"
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184
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marche de" l'univers
Nature et culture participent ainsi
1.\\' ,111
0
,;,.' .. ,.I,I':{'::I:I'II
. ':lil~,;II'i~)' 1
d 'un même principe' actif, celui.. d'une totalité en mouvement',,':'i;:;,'?'i::~
. dontseùle}a corrv.ption _humaine peut en provoquer l'écart,' ,':I:~;il',~~,:;,'
, ",;:,i(':;1;[;:,
entre le fait, naturel et le fa.:i-t -=:ûlturelo çet écart peut
1 1r f,~ hl (.,,0,
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'1:"II,~11
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ré~ulte~ dèla corruption d~ssentiments,~e la morale quiV1~~
. . .
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.,':' .~... ,. ' .
, ..... ",~ "
entJ::'aîne la 'corruption des systèmes politiques par l ' institu~,:,'~:,I~:
tion de la,propriété priv4.e\\;:!.'~'; sa critique rigoureuse
dans le "Code de la nature" comme obstacle principal à la
constitution d'une société communautaire véritableo
" .\\.1(.;/.
:
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,",,). "
.."""
,
,,~
"
Rousseau,
tout en concevant l 'homme au "sortir des ',':;,f::1
,
Il \\":"1
mains de ,la nature" affirme C:' emblée, sa totale complétude.
;. ;~':';';-I
":;::'\\;,:{;i':';
LaI1pture ,tout en 'pr~scrivant les règles, 'commande à tous
à-vis' desautreso Il y a a u départ", une égalité biologique
.~ ..~.'
entreles~t~eset quf:"i=a:tt' qt:ïel 'homme de', la nature vit
. ,
nat'llrel en parfait accord avec ses besoinso Ce qui le carac-:->,,":,
térisedoncdans, sa nature,
c:est sa libe~té abscluR o Si
son,schémàthéorique, Rousseau part de l'exi~tence d'une
finalité de la nature,
i l n;c~ iait pas, comme Morelly,
le
pivot central de son éd~fice socialo En effet, si la nature
est uniforme dans son cours,
c'est parce qu'elle obéit à un
ordr'e,divino Mais l'homme ne jouit d'une liberté et d'un
, ",'
.MZLbllM
•.~'.

-
185 -
bonheur réels dans lrétat de nature, que parce que Dieu l'a
conçu ~ .son image 0
·C'estpourq~oi, Rousseau n'a crainte d'affirmer
que Il un être vraiment heureuxest,un être'solitaireo Dieu
seul jouit d '~n bonheur,. absolu" 0(5)
C'est .~ juste titre
.
.
'
.\\
1
que Raymond, Polin fait cette' .c:0i"Jscatation que : "A travers
le bonh~'ur:~v6qué de la solitude, Rousseau ap~rçoit avec
rnostalgie l'essence primitive de l'homme,
fondamentalement
solitaire, à
l'image .de Dieuo Si paradoxal q~e cela puisse
paraître,
en affirmant,
~ travers la perfection solitaire de
la divinité,
la solitude fondar.lentale de 1 'homme, Rousseau
a fourni le principe d'interprétation décisif'de sa poli-
tiqUe i ' ~
(6.)
Si': 1 'homme natUE-el-vit, ,dans la solitude absolue,
c'est '. bien 'du:hl.it de l ' ap(md~nCe alime~tairé qui exclut
"", ,
. ""','
d'em'bléec:ette. situation de manqu~ que More'fly a inscrite
---......,.,.......,.,.-----------------------~._---------
,- (5 ) Rousseau (J o-J 0)
:
Emile Lo
IV,
Oeuvres Complètes
La
Pleiéde To II,
Paris 1969, po 5030
(6)
Polin (Ro)
: La politique de la solitude, Essai sur Jo-Jo"
Rousseau,
Ed~ Sirey, Par~s 1971, po 1 0
.. '-':','

"
t .
dans son schéma théorique.
Cependant,
comme Morelly, Rousseau d~clare l'inno-
cence de l'homme naturel caractérisée essentiellement par sa
vie solitaire; mais il n'est pas naturellement insociable.
C'est d'ailleurs l'un des paradoxes de la conception rous-
seauiste de l'homme naturel~ Mais si Rousseau reconnaît que
"l'homme du fait de sa solitude, n'est pas social par nature,
il constate qu'il y a en lui des mouvements du coeur, comme
la pitié, ou un usage intelligent de la liberté naturelle à
,
l'égard des autres, qui peuvent donner lieu à des passions
~
1
sociales,
à des vertus sociales, qui se trouvaient donc en
l'homme en puissance, même si elles sont le produit d'une
transformation de ses Imoeurs que 1 'homme a lui-même librement'
.~'
î
imposée".
(7)
"
Toutefois,pour Rousseau,
le sentiment de sociabi-
lité de l'homme résulte de sa faiblesse due à son inadapta-
tion à la situation de manque des besoins naturels qui s'est
produite par la suite dans l'~tat de nature. C'est par le
biais du principe de perfectibilit~ que l'homme. prend
l,
(7)
Polin (R.)
Ibid. p. 23.

,..
-
187
;,1;!.'{'
conscience et réalise la poss:tbilité de constituer une commu-'~.·I
: ':,: ."',~1
. .! •• '~,
nauté d'intérêts ~ partir de C~t~2 double identité spécifi-
," ,~;:.:}":~.~
.' ·:C~l·';'
que, à savoir, celle d'appartenir' à une même espèce et celle ...,..·.:·,.•.::,•.:,::.,:,·,''l',.,:,:::,;,,,','.i,.:.',:,'.,:.',',:.',
de p~rta~~~. l~s mê~esm±s~res, et les mêmes souffrancès.
'""):11 1
C' estd~nc, "une mise en commun de souffranç;es et de misères .',:;'::';\\';:.
i, -';,
1 :
~11t.1
se~blable5',··.·u~e sympathie qui. entraîne .un· ~ffort commun pour:,:;:,~,,',::ç'
:'; 1., ::".1 1; ~, \\~
se conserversoi-mêmeeri participant à la conservation des
, '.lf ',:/nl~;,
.'~iii}::'I:,
autrescornrrie. à une cause' commune" ~ .. (8)'
::.:,,:.::?~~~'
1\\',Î\\
.~~·
," "
•.,d ' / l'
\\'\\~;:.i::
Il apparaît donc,
que la sociabilité chez Rousseau
, ,,",:~:r
est avant tout fondé~ sur l'intérêt individuel. C'est ce
vers quoi. no~sconduit la réhabilitation de l'homme naturel,
dont. le but est de découvrir l'homme vrai, un atome mu par
. '
.
, " ,
l'insatisfaction et arrêté par la' sëlt..:~f:fa\\.-:ticn~ C ~ e~t sur
pouvoir' .4,es, lois.
!. ,'.
Rousseau la réhabilitation de l ' homme naturel,
c' estson)::,':i;(.;
.:,>I!~/
- - - - - - - - - , - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . . . . ; . . . ; . . . : . - -
-".

, "1'1 1~ ~
' •• 1,1,'11
(8)
Polin' (R.)
:
La politique _de la S(-,;l.itucL~... F.ssni sur Jo-J~"!'
Rousseau,
Ed. Sirey, Paris 1971, p. 46.
,~. '.-

-
188

' , .
'
" ,
l " "

l
"
caractère paradigmatique par rapport à l'homme socialo C'est
dire' que l'homme naturel et l'homme culturel ne s'opposent
-,'
,',
,l'l:'
pas radicalèment,
bien au contraire,
l 'homme naturel contient':'}
. ".,';,
,,'. ~
,
en lui les ,potel1tialités nécessaires mais pas suffisantes
',:-;i:~
pour la compréhension de l ' hOlTlme culturel
Si l'homme cul tu-,:,':\\l!:,
0
rel est u~être déria~uré, c'est parce que ~ette dénaturation '~]~
•. ï l·1/.'
.' :il:,I/ ,,1,';',
estelle':'rilêm~ inscrite dal2s,.. s,a nature d 'être perfectibleo
, ,.,\\,:,1\\1,
1 Il,11' J ~Il~fi
,,;,/~::,:',:~?:
La tâ6he ~~. ~ousseau consi~te aldrsà p~é~erver un écart
Il,'r,,v
... ~,._~.'. ,
" ,', l ,'~ 1:;';\\ ,~I ;
rais'onnabië;'" entre nature et' culture dan s l"a communauté
"I~~}JJ\\/
d'iridi~iduspar
. :.' ~" :l,{
'le fait contractuelo D'où
sa critique perma~;'::I,<:'!;I,,1
'Il:.,.
"'"
netit~ de'la,propriétépriv~ad~~~ ~es écrits politiques tout
comme "ici dans le "Projet de constitution pour la Corse"o
Si nous avons longuement illsisté chez l-ÏOl:elly et
chez'Rousseau sur l'impOrtance de l'état de nature et de
l ' homme naturel,
c'est parce que cett,e hypothèse méthodolo-
giqu~permetdeco~ptendrepar la suite, le~ ~éveloppements
qu'ils font" dans leur vision idéale de la société sur le
problèined'~'ta" propr'iété privée,' leur conception du rôle de
. .
' . '
,
,Mais ce qui nous a l e plus orienté dans cette direc~',:i'/
:,·:;:'."i\\~:?
tion,c' est 'cette, réinterprétatioll paz ~lorelly et par RousseaU!i:,;
,
',';;'1,
. , ,~: ;/
...
du schémà théorique de la pensée hobbienne sur l'état de
natureo

189
est avant totit u~ ~tre dedésj~s et d~,passibns, un animal
égo~~te vi~ant instantanément dans la crainte. (9 )
;..\\:,'i/-'
Ce qui caractérise l'état d(: nai::.1J.re,
c' 2St:,
selon
,Hobbes,
son caractère d'état de guerre perpétuelle de tous"\\~i\\
contre tous qui résulte de l'équilibre des forces naturelle-',:',::,::':::
" ',Lt'i\\'"'
ment égaîes. D'où sa fameuse phrase "l' homme est un lOU P
,"::::),i!,:1:':\\
, .'
"
,'lld III
pour! 'hornfTI~~'qui fait qu'il est en puissance l'ennemi de 5011:1</,1::
".'A'i:\\\\"
.Ii, 1L! .111~ Il
congel1 ère,o, En somme "dan sï:i"'iclée ,de Hobbes", l' homme de la',:;:;":,,~::',::i'::
:1, l '1 "ll'Y:;
nature' e~t, ainsi q~eJ..~.abien;,souligné Ra~~ond Polin, un
,,~,:;;;jj'
....
nh6~rrie ci'~jOUiSsance, défini par son natu~alisme majeur, sa: ,":::;i!:;/l,
""
" " , '
','::'::i~:}\\î'
sub~:rdiriât.i()n à toute réalité, en particulier,: à la réalité",",,:",;;:,
_,",\\1
, ,":J':'
de ~onmoL.' Vainement et indéfiniment: il tente de sauvegar-
':I~:\\
der son attitude' égocentrique dans l'incompréhension des va- .',
leurs et ,la crainte des hOr71ir.",,~" ~
('lO)
pp.'46~128.
( 10)' Poîin, (R.) ,
Ed. ,'Vrin",paris 1977, p.
" " ' , "
",
"
.. :
j , ••.•
,"1. ,,'

-
190 -
','
.. ;
:' .;"I~}~ /,1
,,'If:':
Donc contrai.L'emefJ't 2: ~'Iorelly et Rousseau, Hobbes
':::,.:~::'~:ti
oppo~el'état d~ nature à l'état c:lvil comme ce qui est infé-".">U\\r:,
Partant de la'·;,:ri::,':!(:;::
rieUr' par ~apport à ce qùiest supérieur 0
,1 :11:1/ ,!,::
' . '
. '.' ."0' , '
' ;
.....,~i,',\\l','
natu,re.fon,ciereinent egoïst-e--de l'~,homme, il conçoit alors un
,"",!'I,!':'?
l
, .
'.".'',l'Il''i,'':'':
état de na~~~e ';'isérabl e qui poussërait les, hommes à en sor_'}\\iit:
tir 0
Il j\\ist:itie cet .état de, guerr.e perpétù'elle par la ll.ber-:-'::':"I:'.":
té etl' .ind'ép~ndance absolues dont ils j ouîs sent sans bornes ~::~:,i::;t{
",., ,~//:
,Ce serait par nécessité vitale que les hommes de la nature
ont~ so~~~i~~i'ét~blisseme~tde la société civile avec une
autoii~é ~6uveraineo ,Il y a comme une relation de cause à
effet dans le passage de l'état de nature à l'état civil,
ce
, """,,
.,~.
l,
','\\f>
que .. Morelly et Rousseau n'admettent pas dans son principeo
.... :.I,I!,:'/;
',:;;,)/;
Cep~ndant, tous les trois partent ctel'individu
,
. ' 1\\ ,1 l~'
1 1 1'1/ •!,~
1
cornrneêt~e,d.e besoins, pour ..-co!l(:e-~·oir la cc>rnmunauté socialeo ,:,I:~ii"\\~~'~:'1
,Si Hobbes ,p~it: de l' individu int~insèqueme,nt-,'~goiste par
. ',;;t::'?;(,:'
, ',li ~1 i,~li I~;'
", ~. ,,' : / .::
. "' .. : :,')-!)',
_natUr~';pb1Jr constituer une totalité harmonï'emse sur la somm~.',:'"f',\\i,
."',''''''
math~'rnatiqüe'des intérêts individuels, l''1orelJ_.y et. Rousseau .',:::':':-:';?'~t
". ,1'. d' (
.'
/1\\
,partent' au contraire d'un individu naturellement ou virtuel- "','"
./ ·:I~};\\.
lementsociable
quoique mécaniquement ~goïste pour MoreIl y ,',,',:;I:;~:
et,parfaitement solitaire pour Rousseau -
pour postuler une
l '
",
communauté parfaitement intégréeo Autrement dit,
on passe
d'uri égoïsme pr9priétaire profondément antagoniste chez
Hobbesà~n égoïsme propri~taire, compétitif chez Rousseau,

j
•••••
1. ,'.
,
.""

-
191 _:'.
puis à un égoisme compétitif non-pr9priétaire chez Morelly.
D'oàéga~~ment des contradictions chez Morelly et chez
Rotisseau, ,dans la ciitique de la propriété privée.
". '.
p'artant de la def.inition de 1.' individu comme un
~tt~ dè,be~oins,' il parait à prem{~re vue contradictoire de
cdnstater qûe, 'Morelly et Rousseau qui déf~nissent l'indi-
-
. : '
.
"
.,,'-. !
. "n','l
" .,",
.••.
l ' ,
vidu comcie tel,
sont les premiers à se livrer, dans leur
. ;," :,' .~ .
."l{i<:
schéma de république idéale,
à une critique véhémente de la
',;1:,,;'::
,:~'~'t,~~,
.:',
"'1' , I l l
propriéte <privée. Al,Ors n'y a-i-.i.:i. pas déjà là une contradic::", "T('
tio~~ans'leur
".':':;:;}}I:::I:'::I
pensée' utopique 7
,Ill' ',II
:' '<'V::I\\i:
'.'l"l'j ~llt.il
'.. ~.":";\\\\il\\}?,,r
'ïr:,':')i;\\
~)Le point de,vue de Morelly
,",,'::i:'i'r:;,
, " ,< ','
, \\~,.'iJ:J;
·::i1orelly dit. que la politique ou la',morale qui rep;s,;,l!~
sur la distinction de la propriété privée est vouée à l'échec'::!."!
, , 1,,'1'
.' ;','"
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parc'e 'que instauratrice de désordre.
"Tous phénomènes politi':' "':'::;:}
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l'"
. ' , '
"
. ·~I··J
ques ,'ou moraux, sont, dit~il, des effets de cette cause perni~J\\~
.',
'i~
• '.': ,'l' ~
cieuse ; 'c'est par elle qu'on peut expliquer et résoudre
"
'
théorèmes ,ou problèmes sur l'originè et les progrès,
" "
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, • 1,/; Il ~\\f'
dé-/"~j':
l ' enchaln emen t • l 0 aH in ité des vertus ou de sv ices , des
sordres et des crimes
; sur les vrais motifs. des actions
:.','.'.:",::.,.','.',::'.:.';:,":.;'.•.:.'.,
bonnes ou mauvaises ; sur toutes les détermi~ations ou les
perplexités" de' la volonté humaine : sur la dépravation des
passions ; sur l'inefficacité,
l'impuissance des préceptes
",""iY\\i
et des loix pour les contenir ; sur les défauts même tecni- .,.::,i:it:
ques de, ces' leçons' ; enfin,
sur toutes les monstrueuses pro-". i,!,::;I:':
.
",';ï,'0'
.
' . " ,
'"
"
l'l,' ,".
duction~ d~~' egaremens de l'esprit et du c~e~ro La raison,
"11'1\\'(1 1
.'
,i ~:l l'~~,
.'1.r'.ï·:A~;,!1
dis~j'e,
"::,.,,/..'\\1(':1::
de'fous cei effet~.beutse_.tiretde l'obstination
:'i<~":';V>
,
,',II :I/~II;;:
généra.le' dè'S; LégislàEetfrs " à. .i'~rhpre ou lai$ser rompre le
: ',,·~.~'~.....•,:,.,.:..i:;:~:::,:.f.,:,:,:,I:\\'~:·I:.I"
préniér .li~ri: de. toute soci~b~::".Ù:é pa.r· des' pdssessions usur-
,
.,
,1;1'::
pée~ . sur, le fonds qui devait indivisiblement'appartenir à
.:'.',:':'/:,
l'humanitéentièrel:o
(11)
, ,'1 Y,';;",
"
Interprétant ce passage, nous dirons que l'intro- "': ,:,:r~'I);
duction de la propriété paz' les Législateurs est la cause
véritable de la rupture du
,
"
,..
relle.Autre~ent dit, pour
du mfen"~st:un principe contre-nature, en, :tant qu'il est
essen:tielÎelT\\ent: i e f a i t de l'a so'ciété
,Donc,
lp. perfection
0
,',.' ,
mécaniq\\ieducorps social préconisé par M~reily dans le
',1
.'
(11.)M6f.elly
Le code de l~ nature, Edo 'Go thinard,
Paris~ ~950~ p. 2070
", .., "

,
,,' .l":'
com~tlnaut~iIe ne saurait s.e .,maintenir indéfiniment sans
'.':, ",,'
'"
~,'
,', """',1"
:
'.,rI;1
On passe ainsi d'une question métaphysique par son."""
:' ~; l ,~) ,1 :~::
',l'~' ',l,
caractère téléologique à une question juridique et morale,
,",,}i~i:
'''. t <,~,~,:
," .,~ (,,-,
puisque, après tout dit Morelly,. "il étai t
facile aux premie~s':':f':(
"I\\I~\\'I)I/:,\\,- 1
Légi~lateu.ts de re~onnaitre (souJignéoar n'o1.~s) les intention:s::,\\t:;\\,:
.
"
-

,:',:I,';:::,~;',:
de la Naturè,
et d" y conformer leurs in stftution s".
(12 ):~,:~,'ii/,!i,;,?,
'. ',i;'::~}:()1
, ",1".);11,;'1
••
~._ ..'.
l"
,1
If
'M6ie Ily justifie c,et te" facil i t é Il' 'dans l' a pplic a _ ":.:,~;.:;",'.,:,~f,;:.;,';,,:.,,,
tion des.pL'emièresl'ois,
par le nombre réduit des hommes sur
"
'" ,; ,;,..'r'i~;
la t~rr~ et,par la r~lative ~ureté morale 'des individus.' Ce
, "
l' J ' ';~
\\,'~~}:
quï,au.iait, par conséquerit~ manqué aux premiers légiSlateurs,:,,:::'~,,:
c'éstcette rigueur mathématique,
cet esprit cartésien qui
";',i;','(
,.\\"
"
,,,"
1
corisist~ à ~ller du simple àu ~omplexe ; ceci du fait que la
reconnaissance morale des "intentio;')s de la Nature" impli-
quait également une connais~ance, rationnelle de~ lois mathé-
matiqùes,lèsquelle's 'auraien't- r:()Dstib.:.é pour l 'harmonie du
'. '
Ibid. p.
208."
'. '".:~,
, ',,'\\
,," ..',

:
"
. .'
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, ;1 \\!,'r'-'
, 9
"~'\\I"
-
-1
4 -'.. ,'.1
• ,.,.1;1
,....,
c'orps" soclal"
"une simple_ël:ffaire, de dénombrement de choses
.
.'
.
et d~'pe~~o~n~s;Unesimple0p~ration de c~lt~l et de ~om­
bina1i3on·,... ··~·{·~ar co'~séquent" s~··~ceptible d'tù1 très-bel
ordre"· ~
(13)
, r l,
': "",\\;;
."~:,,:i/~;.
sf," pour Morelly, la perversité de l'homme n'est
''''.
:
,
,:~,::'.::
\\','
pas dans l 'homme, mais dans les lois qui ont institué la pro-··\\\\!·:i··
,
..,'~, "
priété prlv~e, la suppression et l'élimination de celle-ci
. .:"i:
.. 1.,· "
, ,,'.;,,':!;,
ne tdnsistent n~llement à transformer directement la nature
,.~~
::\\}i:;',
des individus, mais plutôt à modifier· radicalement les IOis,.., ...;·(
"I\\I~,'1 '11~ I~ 1
sociales' q'li contribueront. per 1. (} sllite \\
~_;;J. transformation ",,;':'!.:,!)j""
.. :il:'.,;'!:;',
.
. .' il"; ,'\\1 i
des individus.
. ',i, ';li1'!1
I
:··;:(t\\'~;r::
,
II"
,IIi l,;
:" L"·'·.'idee pr i~;.:ip'~le qui. ressort dela. critique morel~":::i:})~J;
..:..~liè~~~.·c ':ésfgue . lapropr ié~~' ne co'n stitue ~u~,lement un droi t·,:':/:::!:~t
'.
. . . , '
.
,:" ,;1"/,(
et qu;'elle n'existe pas a~ niveau individuel. Cependant cette',,,'
,
'.
_
.:;.:.r~:·;iI.
propriétée~tbien comprise à l'intérieur d'un univers concep:~~
,
, '
. '
"
','~.,:,
tuel .ordonné. par une .fin collective qui est celle de la commu":' '.".'
naùté agraire. Autrement dit, pour Morelly il n'y a de pro-
priété que publique imposée à tOu.s l~s individus.
(13) ,'More:lly' : Le Code de la nature,
Ed. G. Chinard, Paris
1950, p. 209.'
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1 9 5
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La' contradiction que nous voulons faire ressortir:<,i';,::r:!i
.
". 1"""'1',"1
de la conception morellienne, c'est que la:p~opriété cOllec-:~~~~1
,tive 'fondârrieJ;'ltale pour l ' harmo!1ie du corps social repose en ',:';::::t;:{
:' :' ,~;''','\\I','
Il ,1., ~lllr,il
1 ,:
fait surd~i individus méë:a'ni,ques'~ abstraits, dont les l , "....;,...··'·1\\'1,'1',"
ege ',",';1""'1,",':
:li,,':'"';1,1\\1
1
res oppo~i~~ons contr,ibuentuniq\\,lement à s~mfonctionnement "'I::/HI;i';
parfàit, et jamais à sa rupture. Est-ce POIl1o. ,;cette raison
',:":DiJf
"
',' ~',,,\\-;~,:::,');'(,l;:
que'M~relly utilise cette'curieuse formule d ',Uinégalité har- '" ;":,);
h ..•
' : , ; , " ; ;
r
monique" pour justifier l 'harmonie. du corps social par la
:',:','}>
résul tante ·d 'int~rêts légèrement opposés ?Le principe dU:,',,)::{
,", .
jeu social ~ffirmé par Morelly est celui de poser d~s le
,
"",'
dépa~t l~ variété des besoins et des désirs parfaitementré~ :~~
,'ô:'::
glés au niveau des individus C{..:il. "ccmC0'ûr€rJt
à la réalisation':':,·::':
. ">i:,,t:::,::~
de la co~~unauté agraire. Et que,
le problème de la proprlete~~
,.:l.j,t!)~:r,
privées~r~9uit finalement à un problème moral et juridique. ,:,:;,,1',1:-
" ; ,
" :',",';,\\il',
de :perversi'~n de laraison,-'parleslois. L,e tout est donc.,<~)::,~ti:il,
... ~ ,:",'
',;,,'\\, I!i !I
d 'eliminér,::~ie~ lois s().~.~ale.s. e.~ juridiques le principe de la ",',,','}!,i)
,\\,,; ,~\\!r~
,\\~/;~
,'. l
,
'/;;'1;
prOpriétépr,:ivée", en prenant. de 'sages ,pré<;:aut;ions pour ré-
. "',,, ,
duire "tous les petits différends qui auràien.t pu naître à
',\\:'::j'I!
"
.'
r
de légères,émutions, à de légères inégalités d'humeur,
telle:~<:':;i::)
.
::":i,:'j;',;
qu "on en voit s'élever entre gens qu'unissent la familiarité,:,,/}
l'am':Ltié ou'le, sang,
sa.ns que ces querelles passagères les
portent à une entière ~pturert. (14)
(14)' Morelly
Ibido p.
213.
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-
196
Si Morelly adopte une attitude rad~cale dans la
condamnation de la propriété privée,
la solution ql.l' il préco~
nise,reste ambigu~, parce que dominée par sa conception
téléologique de 1 'hisi;:oireo En eff.::t,
i l récuse dans sa c i t é '
,
'
com~u~autai~~ l'institution, de la propriété'privéeo Mais
s'il, àrrivait que celle-ci' apparaisse dans le corps social,
elle 'sera'blen
la marçhe du genre
hum~in veri:; le bonheur commun 0
En définitive,
l~apparition ce l~ prcp~~~ti privée
dans,le corps social ne serait qu'un "accident' de parcours"
dans l'histoire du genre humair.
; une histoire de la corrup-
tion,morale de l'homme en quêtE: de l'Age d'Oro
Et cette
"histoirede'la. corruption a donc ceci de particulier que
début est à la' fin
:' les ressorts de la société produiront
.....
le retour',' à.' la norme naturelle qui ne fut jamais vraiment
réalisée"
(15) .
0
'
si avec Morelly, .le problèmE" :fin'el ~s't 1a 5uppres-
sion '., de la propriété pr i vée à l ' intér ieur du corps social,
. , ' l,l,
."
---:--.".,..---:---------~-~,-----
----------.--;.;':::;::\\''il!
.. ;",' ,,~/
(15) Moreau', (Po-Pro)
: Utopie et sociabilité dans le Code de " :I:i;i,";/'
la nature;
in Revue Internationale de philosophie, Volo
29
N° 3, Bruxelles 1975, ppo
345-3460
, < •.
,
l
"

i
•.. :~ •.:: , '
. ...
~hez ;Rousseau, la q~estion sera pos6e
d''.lne
manière~
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r.~\\~\\~~,;:'
". 'II' ('
b) Le point de vue de Rousseau
':,:.::';:::ii;
l, l' \\'. ~ ~1,:, ~ 1
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":(:; .!~',
'tcmtrairementà.MOrE::l~y qui nie 1'existence de la::::;;;'!:~~!,:!
propriété",:,~ans'
t~~~,~ous
,:,:,;;,::,'",::",':,:,\\,:,':,;,:,',i:I':'~'~'I'~'~
l ' étatcje,l1 a
s'eau en affirme au
cont:r'aü::'e{ 1'.1 existence. Mais cette ,proprié~~',est, dans le
"d~oit ;natufel", conforme à la nature deI '}1.,ornme, qui est'::',:::::::X~:i'
,:'" ::\\«~I
celle 'd ,'un . être de besoins. Cette propriété "naturelle"
' 1 ' , "
·,',"."'I\\~/,
dirio~s-:no~s, repose en f~1it~;ur un droit réel, illimité de :".')Y
chaq'ue individu, par conséquent sans contrôle et sans garan-,"'\\"'I,',
,~ ~
.'
tieaucunepour l'avenir.
,
,
10
,'"Ainsi dans l'état de nature,
la propriété apparaît·::i:,.::!.;
.
i·:" ..' \\:'\\'
'Illtt'! I,'~ 1
comme Un ',{ait' de situation, puisque ce qui la fonde,
c'est
',"'i}:'::;:;'
,
,
'
".), JI
le-t>esoiri 'individuel de Qu.bs.ista~ce Autrement dit, une tel,:::~;,:j~i.,;
D
,
. "."1 11 1
1'1' .'1'
propr)..été ,rëposant sur le forCE: indj.vi:due1.1e~'est pas lég i-:;;',:':::(
qrnéà se~'yeux. C'est le ~roitdu premief~ccupant Que:;';;lj
RoUsseat;a analy~édans l,a deuxième partie du second, "DiscoJir,:~1
.
"""
.
".- '.'Jl:·:1
mais qul, 'en réalité, n~en est pas un : "te premier qui, dif:0
il.,· a.yaIlt enclos un terrain,
s'avisa de dire,
ceci est à
,,'
"
','"
.." .'

".'; ".' .::" ..:'.'"
" ' "
'''' '"
'
..~
,'1. "
fondateur <:i'e:la soc'i~té civile" • .< 16)
tiples procédés méthbdologiques pour récuser l'existence de
toute forme de domination de l'homme sur l'homme dans l'état
de nature. 'Ces procédés méthodologiques consistent d'une
part~, à,mb~trer le caract~re pL0gres~if d'apparition dans
; '0
l ' étâtd~nature de cette idée de propriété qui était dépen_':':'";~,\\,:,i),:~'
,
; "
':', :<:iH,
dante en l'homme de ,"beaucoup d":i.ciees anterieures"
; d'autre'~:>::'i!I,:,:!,
... : . '
:>:!~,'nl~':?
" ' ,
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'
'1
.'1 11 )( 1\\
part,
è:ett~.,idee 'de pr_~pri~te se trouvait donc' à. ce iidernieri'<,;'i'
, 'I/(,(I:,"IV/I"
.
, . . . .
' . (
l '
terme de l ':état de nature", 'ç' est-à-diretOut juste avant l~,,:i:,'i;:!~
pas~~ge:'à'i 'état ci~il. Et quaj'ld bien mêmë, c:ette propriété :;:;':::::::?l:i
'"
l,
.'
natürelle ~oit apparue à la fin de l'état de nature, élIe
n'aVait ,pas autaht de force et de réalité que celle qui
lerapar lasu1te de l'état civil.
l '
'"
,~ (.'
Si, une fois de plus comme Morelly, Rousseau attri~00
',,"1'"
bue '1 e ..pa:ssag e de l'état de nature à l ' éta t civil, à des _:;.;:;'»
causes ~éc,a:niqU:es et 'contingentes, i l ~ediffér8r;cie en meme,,',,',;'11
" :11.'1.':1 .. ,1:~
temps d'e"luipar la recon-naissançe de l ' e~istence de fait de':I,~;:!\\l,:,
',"i':!::.\\'~:i'.:;
.'ij'lll,\\r!;,1
"
'
" •
. l ' "
J , .
, )
\\,
Discour s sur l"origlne de l ' inégali té':;",f.:;,
,'::':;!:;".:
OeuvrescOhJplètes, T. III, Gallimard Pari-s 1,964, po 164.
·.·.:·l~·:."~':'~:1'l~\\~'\\..;,
", "',,1'::
1:
.' '.1
, "


J . , "
.... 199
.'1:'1.' :'"
',:',;r~'
~,.;i~~:',"ïl~~I
" \\,.1/ '!l~"
,
,
/,;i~'~i"
l,a proprie,t'ir individuel,le,-,;en-- dépit de son caractère illégi_,,:,11"~li';'1
~
pr0p~J~té
t~
,:'\\;~
" Um".C 'e t.3ette
illég iBme qUL a', ,été
an spo sée
acce'ntué~'etlégitimée dans l'état, civil, pat-'les legislateurs~"",,:\\I"

'. "
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"
1
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' \\ ! •., \\ r
'.
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:
',",
' . ' .
.
,,:·:':,;':·",·i\\~:
C' est pourquoi , dit Rousseau,
"malgré tous' les travaux des
"-"::,,:;'!
.

"
'
, "" .•1' I~'
,. •"I\\\\r
'?

l '
,';,:'
. ; ' l o . "
•.
c plus'sages
Législateurs,
l'Etat pol:ttiquedemeura toûjours
.',~. 'j\\/
imparfait, parce ,'qu'il était presque l'ouvrage du hazard,
et
,
,
'
que m~Ù comm'encé, le tems en découvrant les défauts, et sug-
gérant des remèdes,
ne put jamais réparer les vices de la
Constitution;
on raccomodait sans'cesse,
au lieu qu'il eut
un béni édifice".
(17 )
,
-,
j " "
'Autre part,
abordant daQs le Chapllre IX,
Liv.
l,
du "Contrat'social" le problème de la propriété,
Rousseau
cmoht~èr~ l~,caractère ~llégitime de la propriété privée,
ceiui du pl~~ fort, ne devien~ un vrai droit qu~après l'éta-
blissement de celui de propriét4. Tout homme ~ naturellement
droit à to~t ce qui lui est nécessaire
mais l'acte positif
, (17 ) Rousseau '( J • -J • ~_ ,_~}bid. p. 180'•
. ',",. ",1.".:,"::"
., .."
...
"
,
"

200 _"Wi'
: "i·!~;,+l.
1
.,'
,,:n,l~',
us:v;:~~~
reste. Sa part étant faite i l ct 0 i t s; y borner, et n' a p l
auctiridroi t
à la communauté. Voilà pOUl.~quoi le droit: àe pre- .':":":,':"1'1'
" "I:«~i;':"
mier occUpant,
si faible dans l ' ~,tat de nature, est respec- 'd~lil:~,'i
, .
"
.
..
"·';;i':,":i:::i'\\,.:
table à't<~':1t ,homme civi.l. <?n resped:e moins dans ce droit ce ,,,.','I,I'i':
. ,,' .," ,:. .
.
' . .
"-:,',; '::~\\)I~/',::;,
qui est à ,autrui que ce qui'f1' est pas à soi"~
(18)
:.':::;':,!:;/}
"c • ,;""" \\1
.,' '.' :' I.... ,l)~ i~'
" ,
r ,,l't
:" ..'.... :\\:;
Ces références faites à d'autres oeuvres de Rousseau','.·,,'
':':.I../':~~,;~;:
nous permettent de mieux comprendre le sens de la critiqUe',',}>:
'1 '.'
.
" "
~ i
par Rousseau de la propriété privée dans le "Projet de cons- : ;ll;l'il:'
,I~. 1
titutionpour la Corse". C'est dire que la critique rous-
sea:uiste ne Si appuie pas comme ,::hezMorel1y sur U!îe pétition ",),~;,i'
,.:', .:~'":~~:Î
de principe qui consiste à nler tout· simplement dans le fait ,," ....:,:\\/,
";'::';;,\\,:,i(:::
naturel ~
l'existence même de L:. propriété p:civée. Cette cri- ''',l'l'
.. ;l':!;,~:\\;
.... .
,
'
"'1",·\\1,
tiqu:edé~à'propriétê pr iv~e-se' :S,i tue en f~lit au second degré:~li!"'li,~:'I,
".;;-:::::!::{;,
si l'.oil.' suppose' que la cr~itique dte'premier deg~é porte sur
'lf,'lltrl,;"
':,
;.'-
.. ...
~
.,.
'1 1 l, ~ 1
,
"
':' :~ Itl~ J
la réa:lité existentielle de ,la propriété. en question •
,1,'1',\\\\11:
. ',',"';"",
...::,.::,'::.:,~',i(
'.
.,' ,I,~;
En réalité,
Rousseau part de l'affirmation du
.
.
t~re i~réd~ctiblé de l'individualit~ humaine comme un tout
parfai tsoli, t~ire pour montrer l'incompatibilité qu'il Y a ' ",\\,,;:',
,l,,:':
,"
,/
""'/
--,.......----'-------------------------'------;i-:" "
," ';"I~),I)
.' ,t~":'I'
( 18) 'Rousseau (J. -J .)
:
Du ConT.rat social,
Oeuvres complètes::":',::,\\:
T. III; Gall imar ct,
Par i s 196 4, pp. 365-366 '.}:f:!,1;1
,
" • Il ~,'l' li
" 'irl,.' ,),"
:, ~';':\\l'~(,
Il,
1
'/'! ~IH"
.. ;':,:!:,)[
,
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It l'l' ~I!
":, ."':1)11'
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à concevoir l'existance de la propriété privée dans toute
" ;i:i;,.·,I/-·...
s'cm absolùité ,'dans la <:ommunautéo DE: deux cl1ûsc:s l'une : ou, ,,::'J"
, "",':1
" ...•• ~,,:
bi~n l'on affirme le caractère absolu de la propriét~ de
,',':'/~;,,/:.
l'individu, "auquel cas ,on, ne parle plus de communauté ; ou ' ''',,1
""l' "\\;";1:
bien al or 5,
l,' on re,::ann aH s on 'caract èr e a bsa lu ma i s en l e
;;"i;i:~:
transposant, dans la communauté,
la seule dépositaire et la ,<il!::l:::

. l ,l,l, 1 ~ ~ , .
, d,V' !~lll':11
seüle gaf-ante de la légitiinité de cette propriété qui devien~I,',(!~,
!'i:.': :1:lf::('\\I,
'
alors ~6ilectiveo
III " l'll~;"
,.
..•.
.
"'1 Il ~ l,
l, "
i":~(
Autrement dit,
la critique que Roùsseau formule
·..·.,·"..\\i>
.' ',1'
, ) ",1\\
contre la" propriété privée d~~.s son ,~çhéma idéal d 1 organisa-':':':,~}
• 1 •
• ,
tioncommunautaire est dictée par le caract~re ~xclusif de
la liberté 'individuelle ; iJ''::'-.:~:: diro(]s !"ê,.,:epar le caractère
"';'}:,/ '
inaliénable de cette liberté individuelle qui ne peut être
""',:',;
"Û',:;;
garantie,
c' est-à-dire légitimée que dan s la communauté
NOU~I:,~:::'
0
'.':, .~/,:I::'·I
',,\\, ,II 1
nepouv6tï's autrement être plus 'précis que Rousseau
lorsqu 1 ii'::,f'::,'
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'
':':.1.\\.:<:;\\:
ditexpréss,ément que "000 il suffit de faire entendre ici m~,:';,/It:
",:',~i:'\\\\r'.'
pens,éequi,n'est pas de 2létruire'·absoluinent la propriété pai:~:,:ri·,t,
"':,,': .<':~( 1\\1
,tic,ulièr,' e,:.. :PÇlrce qu~, c_gJa~s,timpossiblema"i5 de la renfermé;,,·,.',,::,';i,
.
, .~': ;'~\\ !:>.:
délns1esplu3 étroites borries, de lui donner une mesure,
(tin'~.~\\r
,;,/":: ",~?/,'
,
....
r~gle, un f~ein qui la c6ntienne, qui ladirjge, qui la
jugue et la tienne toujours subordonnée au bien public~ Je
aussi forte, et cell~ des citoyens aussi petite, aussi faible
,
, ,,:!-.J
: ",'1;1
,'", "
, ~".

. ~.; (,
-
202
",:,
'.,';
,~:" "':',' , .
rqu'il est possibleo Vdil~ poû~~uoi j'évite de la mettre €n
choses:dont'le possesseur, particulier est trop le maitre
.. ',-
telles que .lamonnaye et l'argent que l'ori cache aisément à
",',:,),"
l'inspection publique"o
(19)
"
.,","".
/\\';\\,:./;
, ' (,1.,...
.F, .',,'·:"I::::~'(:';
En définitive la critique de Rousseau porte en fait;;"'!";"1
:.:"".I.'"l:,'::rl'
1

\\'t,.1 ,:p 1: 1
s u r i ' iilé9itim:Lté 'de ,la' propriété privée dans le corps so-",i:i,:!:;~:~:
1 ,-1 ,l • l ' .~
c ia 1'0" El i e'fl, i' a de fond em en_t i, _9 e l ég i tim i t é' que lorsque tr an s ~'::'i~.:i,~l'::','"
l·d,,'I,
.
.
,
' , '
. '
.
'
'1'
:'\\l''I~r',I:\\) ,
posée 'daf,l,B,i'~ .corps Gocial~ oilo~c_-trarHlf,orrn~:cn propriété _':ii',~::;;i'I:'!'\\
pUbliq~e ~"JÙ~si pour"Ro~~:~seau
.'.II'1 11"V ';
,-' Ül.'. propr iêté', ,àpPèirtien \\: en
":~ ;'~ 'i t/',i,
.
.'
.
.
·li: t/\\r;
, ~::',:,~,:,;\\,;;;
totalité à.l'Etat et. que dans son essence pure t
1. ! iàée c.t::Tio- ,;':,',\\;'l, ','1'
·.
.'.": li:~ :
crat;i.que -est inséparable' de la notion de propriété comme étan:t>:,::",Oi.\\1
la sorrimede,ce q~i est nécessaire à la subsistance de l' indi-'\\}',:?!:
. '':!,l'::
viduo -
"'·'''10.
;' ~I<:\\:)/:
Mais que l'on véuille oU,non,
cet individu r~us-
" . ;, ,',
·:.... 'i',;:,!?:
seauiste n'est au 'départ qu'un i~dividu abstrait,
(20)
un
',';>/~"i:'
" yt,;I
atome- isS'Ié, -un "tout parfait solitaire"
I",I'IJ:
0
Alors comment
.' ~,I!;,I\\: ':
,"',:1/('
',' :!I:I/"!I~
"
,
: ",\\,;:\\\\1,
--";';'~-"';";'';''''';'';'';''--_':'-_--~~.,....-..,.--~.,.--------.,.--~------~I:.II~
V(~I\\,;;:!
,
'.' ,
'<:;:::','::i>I;,
Projetée CC:i~":ituti<jn -:>:m.r la Corse ,.",1,:,;
~;";;"..
_"';;;";;"";;;;';;;;""';~~;";:';;:;":;';;";:;':;;'';;;';:';~.;;..;;..;;:=--=-=-=::..=.:::..=..;::.'
,,,' ""'1
Oeuv1:",s c;'iriplètes, T. Ïtt, Gi>.lli.~ard paris).964, p. 931.;t.,~
(20):-Gaivaho.(DoVo)
Roùsseau et.Marx et autres é c r i t s , " " "
". '\\,,«
"
rEdo ~rasset; Paris 1974, p. 62.
:':'\\:~':if,\\:",.
.. ' 1\\\\1 ,:i;~'
"
".
, '::,,(
"
, , '

_:"-,
sa conception totalitairè ~u pouvoir politique, puisqu'il
établitd~-façon singuli~re, cette relation exclusive, entre
lep0L:.voir que l'individu a sur soi et le pouvoir que la
communauté politique a sur elle-mêmeo
Pour conclure sur ces deux paragraphes, nous diron
que derrièrE;! le problème de l'homme naturel', derrière la
critique de la propriété p:rivÉ2, Morelly èt Rousseau ont
,
,,'~' ,:.,
..
_.:..':....
",'
'
cherche a.rè~oudre le problemede l'exist~nce de l'homme
avanttout'eorganis9-tion suc:.;:J.E::o Ils cnt' posé également le
problème de ~e qui doit être la base de la so~iabilité dans
le Corps social,
Cl est-à-d,ire
de son fondement
La réponse
0
à cet:tequestion suppose au préalable une juste solution à
l'importante interrogation sur la nature du pouvoir politiqUé,
puisque,
au centre de cett2 interrogation se trouve la pro-
blématique individu /
communauté 0
Donc si Morelly et Rousseau:;"
r ll.'
aspirent dans leur utopiE;! sociale à une totalité h2rmonieuse,.,
les 'voiesqu ' ils empruntent sont souvent divergenteso
"
"
. Ainsi, 'Morelly pa'rt de la négatiql1dans son
. de l'existenç:e de l~ propriété pri-véepourformer une
"",.
"

,çomrrl\\inaùt~, 9rganiquement et inécaniquement" réglée Par,
0
,
.
,',
Rousseau part de, li 'a.ftirmàtio!:du ca~actere absolu de
'.'
liberté'in:d:Lvidue11èpourformèr une commupp:uté stable
le même pc>uvoir que celu:L q .....1:::. Iippa=tiel~t '3, l" individu.
,:.','".,
'1
"
,.:'.'.:.,
"
,
1."

; .
-
205
CON C LUS ION
',,' .'
" . :Epmettantarbitrair.ement un tèrrrle àce travail
rechérche~ur l'utopie chez'Ro':issé3.u et chez:Morelly, nous
vO\\i'lo~ssu~touttirer lés premières leçons. qUi s'imposent
c
de ce travail exploratoire,
sans toutefois d.onner l'illusion i
d'avoir épuisé complètement le sl1jeto Bien au contraire,
celui-ci reèèle des insuffisances sur de nombreux peints. Il
',1
;,
nous appartient de susciter d'autres interrogations sur les
··.·\\vr
• •
·' . .'!.l'f:"/:
quelques points que nous avons relevés en pë:rtant des motlva-.. ','",':
tians personnelles qui onj, présidé au choix ej, à l ' élabora- \\":,;lj:;
.
,'l ïl IJ,:'
tion' de ce ·.travail de rechercheo
',' :(1";, i!~~:
". '\\/:;\\1:',1 ~I~\\:'!j
•• ~ "' "1 ~'r, 'l'; 1
., '1 l' ,l,~.llj·
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" .
j ' "
' l , "
::!;,!~;,
l
/ .. BILAN ·D.' UNE RECHERCHE ..
l , , ' . "
Dès le départ;
nous avons cru voir dans l'utopie,
une' tendanc~ certaine de l'esprit humain dont. l'activité
, ;i! I,F"
intentionnelle .de la conscience anticipant.e consiste à forma~ ';' ;,'\\'
.. ',
'.1
.' "
: ':"'.;/
.. ,:'
. ' ,
' ....,
,
" ,
j"'.
" ' ,
:",'.'
" . : .

-
206
qui apparaît aux yeux de l'utopiste comme celle du déploie-
ment du malheur dans la sociét2,
et· dont il se charge de la
guéiird~"ses maux par une évaluation critique des condition~~
de possibilité d'une cit.Ëha.i:lii(mieuse idéale; en un mot d'un
bonheur abs01u.
Et c'est cette activité de la coriicience antici-
. ,':.. '.
. .
.
pante qtie ~o~~ ~vons vue ~ l'oeuvre chez M6relly et chez
c
R6usseaudont la pensée utopique puise ses ressources imagi-:
natives et .sa fotce créatrice dan~ la tradition herm~neuti-
que d'une philosophie de·' l'espérance. On comprend dès lors
',""i,
pourquoi, au coeur de l'utopie même se trouve le problème du, "\\i:
•• ,'.1,
, "1;:;>
bonheur de l'homme en général;
lequel bonheur ne peut être
.' ·,l 1
,
l, \\:,.:/
.... '~I :......
réellement abordé qu'en pos~nt d'une part le problème de
,11.,1
i";,,,:\\,;,~:\\
l'origine "èt de la fin de la scciété humaine,'
et d'autre part' ,':,,,:,;
" "j'II'
:(!.(!~~
,1
celui de la nature du pOUyoJ.r: politique et du fondement du,,'::":i:;':~~;
corp~social'.C'est, nous· 'semble':"t-il, 'ce que Morelly et"';':::'/:/
~._""h


. . •
l
'
'"
,
',Il :)!r~i
.
1.
,"
Roussèauorit essayé de faire,
.:::•. p:cenantli:l. 'raison pour prin"';':,'i;~:)":;
...
,.r.!
' .
,
, ,:,:;"".1
cip~et le<m6~vement dans le réel comme instrument de cette::":':?~,1
trarlsforma tion du réel. Il s ont pour cela,
formulé sous forme, ,'"
d'énonce théorique,
la possibilité, d' Ui."ie liaison diseur sive
de la conscience anticipante à la pratique s~ciale dont
l'harmonie de la raison et de 1a nature justifie le retour
,
."1"
à un idéal ,donné d'avance dans les, premiers âges de l ' humanité",}
" :i\\,:','::;,:
,,"i'~,')':;
". ~ "'. '

-
207
",
.. :..:.'....... '.
' , .
.
',:'
,
',Ma:is avant de développer ce point important que
r
nous avons;réservé pour la dernière partie de notre conclu-
sion, nous ,aimerions dire autre chose sur la ,fonction utopi-
,
"
.:
que. En effet, ,nous pouvons dire que si l'utopie est chimère,':,,:::,,,
• ,
l~, ) ,
~ .::;'i}
quelque chose d' irréalisal:le sur le plan formel,
c'est parce ',"\\,
. .. "I~l{~;:::
que justement elle relève de l'espérance,
c'est-à-dire qu'ell~":',ir'
":\\. ':l'l~\\/
ne peut se réaliser sans se figer elle-même dans l'espace et,,','.'T:,'::;'
, <1";:I~J:~'::·\\·';. '.'
daris' le temps, donc sans se détruire. Ce qui. est d' ailleurs':'.:i:::,:::r':::
paradoxal" ,"6' est que l ' uteo'ie se marque par la clôture de
'::';~?}';:::::;I,
son système.
,,"Ilii
:, ,,:, ':,'
... _._~.'_
.. CIJ\\~\\II
" .",
, ':::,,'i:\\~/,,:
'2~tte 'clôture se fait par rapport à l' extérieur du,,'::'::::;::~,I::
"
I~·. d' ,~'
1.
, ' , '
l'
sys~èm~
',i
qui, doit être pa~fait dans l'absolu
mais par rap-
port à l'intérie~r du système,
l·~topie est sans fin, dans
.. "
sa f'onction ,de déceler ce lieu autre,
cet "ailleurs" toujours':'\\":,:';'
inattendu' q~e produit l' histoire en train de se faire.,
.. ,
.
,,'1),1,:_,
:,,'Ir':
"""'::'::'{.';j
"En somme le discour s utopique doit être appréhendé,':":';"':
';;/II;~~'t~11

1
sous cette relatio~ dynamique de l' extériorH:é.et de l' inté- ',,1:i,,\\:;;,:
',. :('/ .!~~.~
.
,
"
.
.
,
.' ,(,l'I;\\'~!J
riorite;
~u"statiqU~ et dU, dynamique. Dans 'l'utopie, l'exte-:Y),~,i:,I;:I\\:,?'
rio~i:té'~st 'à '1"' intériorité ce que'-la clôture est à l' ouver->':':::V;
extéPior'~té-~lôture "'::~~',,:,:}:I:
ture .:bn,potrrrai t
parler du ,rapport
et
'.
..
..'
. '
"," ..:;':,\\_~~l"
intériorité-ouverture. C'est dire que dans '1 ~Utopi~ sociale,":'",!:,,;,!
.
t
.
.
la c~t~ idéale harmonieuse n'e~t que le d~~e~ir du nouveau

-
208
monde àl'i:ntérieur'd' th'}' espa.c'e social plus ancien devenu
caduque,
statique.' L' nopé~ativitéll du dis'cours utopique est',
moins ~~ns sa fonct~on transformatrice que dans sa fonction
négatrice du présent et dans la lecture du futur dans ce
même,présent.
C'est là également Cille se s~3:ue le poi.nt de rup-
ture de l'utopie et de l'idéologie. Toute idéologie quelle
qu'elle soit cesse, d'être ~t0pique d~5 qu~elle se réalise
effectivement,
autrement dit dès qu'elle tend à confiner la
conscience'subjective dans un cadr~. de ,référence établi. Dè
lors,
les.prOjets sont-transformes en réal~"j:é,les rêves en
"
.
.
,',
reg1es d'action,! Et le processus de "renversement du monde"
quiassùre l ' efficaci té '. ideologique ne saurait être valable- "
ment entret,enu sans le recours permanent aux mythes et aux
symboles qui ont pour fonction de roaintenir l'unité et la
cohésion des iridividus. Alors.que l'utopie est dans son dis-'
cours fictif,
questionnement permanent de l'homme sur lui-
même et le monde qui l'entoure.
piste conSti;'ui t
un monde qui l.ü.i permet de" satisfaire des
'1
l '
,.. :,\\\\','<.
,,'
..
,1', ~,'
,
I,,~,
, 'l',

-
209 .,..
mais,'au5si'cèux qui font partie d'une mentalité collective,
, que' la cOnstruction 'utopiqueesf' 'chargée de satisfaire. La
concorde ~ntre ,les' homrt\\es, .' lafraterni té, 'ta justice ~nfin
établie sont ies idé.aux les' plus fréquents de' l 'utopie".
(1)'
Et ce n'est pas sans raison qu'on a vu en Platon,
l'un des précurseurs,
avant la lettre ~
de la pen sée utopique ,', "'"
, \\1,'1,';:
à cause justemént de ce même procédé de pensée qui consiste
à déterminer l'essence de ~a cité parfaite à partir d'un
mod~le idéal,des rapports interhumains. La pensée utopique
partd~une conception à piiori de l'individu,et de la commu~
nautépour'concevoir une cité harmonieuse i<;ientique à elle-
mêmequisèrait, vérité trahscendanteo Or,
la plupart des
utopistes'p'qrtent toujours unJ u9t::':iI\\ent éthique sur le réel,
et c'~s~ à partir d'une vis{o~ négative de l'homme,
existe dans la communauté actuelle,
qu' ils esp~rent transfor-:-:,'
r
meri'hommeainsi que son milieu social. Et ciest à juste
'I.I.',:'}
titre que Jo Chanteur fait remarquer que,
la réflexion morale,"
et' politique' est le fondement r'lême de l'utopie 'tout comme
elle est au fondement de la scciét~ décrite par l'utopie.
(1)
Chan"teur
(J 0)
:. Platon,
le désir et la cité,
Ed. Sirey,
Paris, 1980,:,po 1140
(2) Chanteur, (J.;)
:
Ibid 0 p.
1150
"
,,"
"
,1

-
210
Si l'utopie dans son d~scours fictif se réf~re ~
un cert~in idéal_mcralet politique, cette ,activité de la
conscienceariticipante n'est pas Sans analQgie avec cette
Et cet ordre de la raison se fonde dans la pensée
utopique, sur la synth~se de la raison spéculative, pure et
:i \\;:,';/',
de la rais6n pratique en l'homme,
ou encore de la raison
,,"
"raisonnée",
selon l'expression de Lalande,
telle qu'elle a,<p::-;
été constituée au cours des âges et des civilisationso C'est :,':1,::,;/:
,''',1.' ~I.:;/\\::;I
donc_par référence à des normes intemporelles que la pènsée
~~~G
utopique cri.tique, puis juge le cours de l 'histoire,
cours
.. :,l'tl'i',:
, 1,,\\,;,,1_1.,
1~" ;! i~lll: 'I
"doUblement limité par le paradis' perdu de, la nature Origi-'::"~/i;;ii;
,
'.
, ,1111,'.
nelle etpëi.r;le salu.t de 'la, nat~e retrouv~e"
(4)
Et c'est ',:'",:","
0
:\\.:;}"I.:
1/:' ,Id
l
1
à. t,ravers ces deux paradigmes du paraô,is pr:::r'-::lü ~;:: dé la natur,è:'::',
. '''',il?
retrouvée,
du désir et du bonheur que surgit\\la contradiction"
r
indiv idu /
communauté 0
(3) Polin (R 0)
:
Ethique et poli tigue,
Sirey Paris 1968,
P 0 31,~';i
(4) Ehrard (Jo)
: L'idée de nature en France à l'aube des
lûmi~res, Flammar{on, Paris 197C, po ,4080

-
211 -
II 1 DE LA CONTRADICTION INDIVIDU 1 COMMUNAUTE
.
,
sat~on d'une communauté pOlitique stable. Si~e probl~me des
rapports individu'
1 communauté n'est pas du seul apanage
des ph~losophes utopistes, il reste que celui-ci est a~ cen-
':
tre de leur réflexion sur la meilleure forme de gouvernement
deS hommes. Et c'est précisément à partir de la nature du
pouvoir politique et du fondement du corps social que des
philosop~e~ comme Morellyet Rousseau ont élaboré le mod~le
parfait dU g~uvernement des hommes.
Mbrelly etR9~us'seau sont partis 'de la situation
,
' , , j "
dépravée de) 'homme social PC;'ui: concevoir" dàns leur dém2.rch~,
utopique', un pouvoir politique qui soit le plus conforme à
,
' . .
r
la ri~ture originel18 de l'homme. Et c'est à partir de l'idée
de tonstitution d'une com~unauté politique en, totalité harmo~,
nieuse que ceux-ci ont pensé résoudre la contradiction indi-
vidu 1 communauté •
.,; .
.'
'"
'!"'I
"
",1
' .
'"1
; ' 1 . 1 ,

... "....
-
212
,
:
••• 1
",:~' .:: •
, ' ( . "
a) De la nature d0 pouvoirpollLly~e dans la cité morellienne, '
"
" ,'1\\1::/" ~
"))'~
,
.~..,;.. :,:, .
" r I .
' , '
" ,:'I~Y·:~::,;
Nous avons déjà vu comment, dans le cité idéale de
l
':,,'i ,:,}(,:;
Morelly,
l~homme public incarne le pouvoir politique. Or ce
,,\\:";;i!}~::::
que vis~ M6relly,
c~est la constitution d'un ~ouvoir politi-
.~~
" :(/ ,)~',:'
q ue durable,"",à ,l'intérieur -d,.!,uneco,mmunauté ,de type agraire.
",,'-:::\\i:;~I\\:i'
~
. .
,'1 ~'(, '1\\1, ,
Il s 'ag,i, t
p,o,ur' lui de réaliser cett'e co~mun,'aut" é à partl,'r des ,,:)::::':':(:\\
"1 ,"'i'.....
'j',:..
lois justes' conçues ,sur le m~me principe que'les lois de la
",::,:ii\\~::;:;
,':':'~?f'
Nature.
1.... '
C'est l,a raison pour laquelle Morelly examine d'a-
bord en quoi, consiste la véritable li1::'erté ;'Gl:i.t1qu,E:; ou civilè,\\",(
,~ , '
" '
de l'homme "'dont les Moralistes n'ont jamais eu une idée
justè:; non plus que du bien ou du mal moral"
(Cfo
"Code de
",<;?::-:
,
• '1
.~ ._:
.II·\\\\!""'"
,


"'. ,\\" ',,","j'
la nature", po
219)0 Ainsi pour Morelly,
"la verltable Ilber-':,:,i:")'-,i!:
té politique de l'homme consiste à jouir,
sans obstacles et
:':"::,';,:::',/;
,
,11'dl)1
'II,',''''
san~crainte,,: de tout ce~u:i, peut satisfaire' ses appétits,::'/i:,i:I\\'::i
'naturêis
,
,
'~t', par conséquent, trè's-légitimes ';mais que
",', '
,
cette':;:i::\\'~:r::
" ,1,(
,
.
"
'
, '('1 11'1 ,1,1
11
heureusel1'b'erté dép~~ci-'èllè-:-même d'une corribi'naison de causes ',',,:;':~<~
quirend~dent cette jouissance très-possibles, si les moyens:""~);::)I~;:
····· .. '.":!:.:.i\\
", ,I·.,"·t:'
n' en ',eussent é-tépervertis et trou.blés".
(5)
:', -:,'~;
-----,.....--.:._------..,...---,.....----------------......;---~,:';:')',:;';:
(5) Morelly"
Le Code de la nat~~, Edo G. Chinard, Paris 1950"":'~\\:,
,.. ,
,
• '. l't .'~.
''.1,11
p~ 2190
'.
:.•1'

-
213
'Autie~ent dit~ ,ia, libert~'politique est définie
, .
, j " . '
1" '.
, ; .
chez Morelly dans sa considération négative =: elle est l ' ab-'
sence ,de contraintes physiques sur l'homme mu
- par1a sati~faction de tes besoins. C'est là une conception
utilitarista de la liberté politiq~e. Cependant,
se rendant
compte du danger que représente une te:l.le conception de la
liberté politique, Morelly prend soin de l'accompagner d'une
"espèce de dépendance" entre les différents individus qui
composent la communauté politique.
,- rappo'rt d'un homme à un autre,
je di =:::::'lE cet,te l.:îbsrté se-
rait un état de parfait abandon
; situation dans laquelle les "
homme's vivr:aient isolés comme ~,es plantes; alors plus de',"?,':,:'
"
l,.
1
société" •
( 6 )
Ce qui revient à ~ireque la liberté politique de
l'individUi 'felle que ,l'entend Morelly,
consiste à la fois
dans 'l'entière satisfaction de ses besoins et dans sa
(6) Morelly: Ibid. p.
219.

.!.
,
.,"",;',
~.' • . II
-
214 -
/,,,,,:':;,
,,'i,ï":: '
,",:~:.}:~:,I '
" 'l>,,~ /',r~ 1
,"':~:"f,\\,:i;:;:::,
',l''',1t!'';
.' :it:',,;".,I~ :':
" ,,~:,t,'
. 1.:.i')~·!1~11;,:I,
,
, ",
:~""'l:",,{\\::·.
dépendancè 'r~ciproque avec' d' àutres.,.individus
'En défini tive'i,',>'~i/',
0
:~:~:::-:l~a~
la}~l!~i
contradiction dans une telle:.çonception de
. .',
Mais cela prend une autre forme si l ' on tient comptifiJi:
du fait que ~hez Mo~elly, il ne doit y avoir ~ucun écart
' l'
;'?,'Î
l
1:'"
;'~,' "
entre l ' ordre naturel et l ' 0rd!:''''' c:~,v il, entre liberté na tu-
relIe et liberté politique ou.civileo Et ce qui fait la force':,"',;,~:/,
, .~ \\, ,,'i~ .
des individu5,
ce 'qui garantit leUr liberté pol i tique,
c' est ';:.::,:'",,:,:::,:,','~!',',:,',,',',',~':\\:
leur dépendance récip~oque dans la libiesatiBfaction de
• Il '1'1 j~ l,
leurs"besoi'ns' ; puisque précise Morelly,
"1 "espèce de dépen-' <::/';,\\!i:,'
'1/,;1', 11\\1\\11 11
.
····1 '(,1'/",
dance 'des'différens membres dE': l'hurn.anité,leurs divers rap-';:}:":\\'{:'I
, ',1/ :J\\rl'i'i
ports: natl:ù;,ë!'ls ne' sont 'p:as pluE' un défaut d~" liberté, une
, ,
'
;ii;i~
gêne, gué 1~"r'éunionet la dépendance des organes ne sont
.
'.'1
'
,
dansuh~6orps animé, un d~faut de vigueur ; au contraire,
.:" '/~:',:;\\1
':"'~':'l:,i!:
cette assoçiation,
ces liaisons augmentent et secondent le
""
,
, 1~.I
pouvoir d~cette liberté civile ; elles lèvent les obstacles '",\\/~,:'
:~ "
que notreimpUi~sance, no~re faiblesse naturelle
trouveraient ,."-,/
,
',,'/;'1
" , ' "
san s ces se,
si elles n'étaient 3.idéE:::s i
bref,
elle contribue
;:.'</:;
à tout ce qui favorise notre conservation , notre bien-être:::'::,::ri:
': 1:II,:J,1.,,:
l " "
l',
et notre liberté" 0
(7)
,':r"":\\'/~,:'
, ':,; i :ll,!:,,~ .
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',1 ; ( /
-"""---:---"';"~~-------------------"-----------":"-4'(IS';:'I~11,',;
.. "\\'1'/"
'.: "" 'I~' 1'1\\" :
(7)
Mo~e~ly ":'Le Code de la naturér_Edo 'Go Chinard, Paris 1956~i;
, ',II "I/\\i1)
ppo219-22b~'
; ',':::,)j:J
';.;",:!,:::'?\\
".II:;i
l ,
!!;,1'J
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,
"
"
'1
~:\\:/::'!i
, l', :.'~'/
;
,
': ;I~i;! ,:.;;:

, ,.1:,
, ' . ,
:
'" ,"",'
' . ,
alienee des la naissance des hommes
:dépendance qui les fait tour à tour commander et servir,
c'est-à-dir..:, être secour'.:l'" et secuurir ; mais dans cette
signification,
~joute Mo.relly, et selon le vér~table droit
de la Natur~, il n'y a et ne doit y avoir nimaitre ni es-
clave, ou plutôt la liberté telle que je l ' a i définie,
est
':"1";'
également secondée". ( 8 ) ,
f';;-
, ':I\\t;'~ (,;I~,l~
, ~ ;1;,1':',: '
,
,\\\\',',1'1)1
":lr'/S,
A"1.nsi dans la communauté politieiu~ harmonieuse de
,,':>i,,',\\til
,
.:'.<:';;'\\;:::\\
, Morelly;il, lie' saurait aV9'ir de rapport' de, domination maître/i'>::;\\',
" .'
'
'
,I.II'JI\\I:I
escTav,e ,m~is seulement des rapports de dép'eÎ1dance mutuelle •. '-:,/:i.:'i::;:
Ces :rapport.s'de dépe'ndance ~utllelle résultent: de l' harmonie::·::,:·,:::.?l:i
',,~~~
,
'
.
. "
1. .'l,I.:
,- chez les individus entre les sentiments naturels d'une t·en-,,','.
'\\':/:'>~'
dresse secourable et bienfaisante et des sentiments de fai-
',":,t:
",':~:/
blesse qui .attendent dessecourso C'e~;';: dCJr:c, P&.'C J.e problème':.,.':',;':'
de la liberté que l'on peut comprendre le fonctionnement du
pouvoir politique dans la cité morelliennê,
puisque selon
(8) Mo'rel1y:
Ibid. po
220 0
"
' , l " ,
" "
",:1;,
,', ·,ï'I",

-
216 -
,',),'
tivementdans une mutuelle, dépendancé" 0
(9)
Le' problème polItique qe, :1orelly .. se résout alors
dans la constitution d'une République stable dont la nature
.:: ,":'.'
durouvoir, P?litique serait un pouvoir de ty~~ patriarcal
'cratiques et monarchiques o. C'est pourquoi,
dit-il,
"Quand
un Peuple consentira unanimement ~ n'obéir qu'aux loix de la
Nature telles que nous les avons àévei,)ppées,~ el se compor-
tera,
en conséquence,
sous la direction de ses pères de fa-
,':~Y':
mille,
ce sera une Démocratieo
Si pour que ces loix sacrées ",il:,::':
",
\\",:",,:
soient., plus religieusement obsérvées,
et s'exécutent avec
plus
';f.;;~
~\\6rd~é et de promptitude, le Peuple en 'dépose l'auto- ,'~~
:ir!.(.'\\
',1
r i té entre,'ies mains d'un -:nombre çle Sages,
qui soient,
pour' "/:~;:'/if:i
,
, ' > : i : ' : " I , : , ' : ' : :
ainsLdire~ comme charg~s 'de don~er"le signal des opérations,<:,',:;i;-r:::
, . '11:1\\ ~I
que ces l'dix: in'diquent et ordonnent,
alors 'le gouvernement
: ':::~,),::i'::/I:
, :'. 'l,
sera Aristoc~atiqueo Si, pour encore plus de précision, de:"':::::':;;:
", ':'"l'i
, . .,:,1
justesse et de régularité dans J.es mOl~\\,"emens du' corDS politi...;,.':-:,'
-
~
'::.i:.I'l,:~,/
que"
un seul" en touche les ressorts,
l'Etat devient une
,\\):;i
, l'"
Monar'chie gui
jamais ne dégê''?2i:' sra,
si la 'Pi.-opr iété ne s' y
.~' .
"
..~ .
,
' ..II,
, .~.
(9)
Mo.celly
Le Code de la nature, 'Edo Go Chinard, Paris
po
220 0
' •• ri,.•
':
.,"

." '." ,;',' .. ,:'
-
217
introduit point ( souligne par, nous)
: cet accident peut tout, }!'

. . ~I';I
" ..... '\\,.
,perdre,mais dans notre hypo~h~se mille mOYAns de le préve-
,'. ~>I~J,I:~:',"
'~/~'~i:
nit" •
(10)
.... ·t 1,:::11~?
" ':,;;,;'i',
';':";,\\:<:'::
"'·I·r·':I,
Ainsi la cité idéale de Morelly e,st cette totalité,"/,;;:;}:..,
. 1;';\\:(_1':1;11
hë.rinonieuse·.constituée d'un pouv-air démocratique, d'un gou-,;:,i:/:::~t:i:,
.
"
'.' "
' "
l'
,
,
, ',Ij :,/!\\I:.l1
vernement',,\\1pistocratiqùe ~t d '.un i;tat monà~chique. Mais a y. <:,~,:.;:,}',:,:,:"
regarder d~''près, i l sembie' que Morelly a' des préférences:\\::,;:'/{
pour une monarchie républicaine mais où la propriété privée
". d.>:
serait exclue définitivement. En vérité, Morelly bute ici
",
sui le bon 'exercice du pouvoir politique. Lacoritradiction
irihérente a son système politique est la suivante : les indi~ ,:~'.'J
,
'~, ,1
vidus,
en tant qu'automates sociaux sont mus par la satisfac-i:':':,;;~;\\;
."If ·1
" "1 .1.' ~'i
tion cie ,leurs besoins ; mais ceci les conduit par leur nature",'::,::\\,
'\\'\\,:;)":
"
sociable et leur dépendance mutuelle,
à privilégier llintérê~0~
.
"
' .
'
-
.. '. l'i~ld::li'
'1"'1'1/
général, aU,détr iment de l ~ i_~~prêt: per sonnel ~ Cependant, ceux'~:1;(~~{:,
ci ont des faiblesses tel l,es qu'i'1s peuvent opter pour la
':,:,,;',.,,:,')
~I,.t ':~,
"
:; j"
1
propriét~ ',pr:i~ée sous .1':,influenc:~de mauva':tses lois.
:,:'::':::,\\',:
....... ,
,~ti0
.. ,'..,. :.:'I~,i~~\\
Et le problème politique de Morell~. se r~sume en
• '.
r~. d' i
"'.\\
'"
,.,
la r~cherch~ d'un pouvoir absolu où les lois seraient aussi
infaillibles,que'les individus ne le sont. C~ qui est une
- : - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . - ; . . ; . . ,~
(10) Morelly
Ibid. pp.
230-231.
" ~ .'
. (
"
,
';.

:,':~;:)~Il:i:
218'···'\\"'~':'
.< j'"
:(!~.'1\\,',1't'l",;,.:,'>.~·:'II.:\\\\
autre mani~rê de poser le problème du choix du bon législa- ,,:,"':?:i/
teùr incorruptible qui serait l 'incarnation. même de la Raison"A.t"
", ,:,),)':
càllective~ ,
dirfger l~ cit~, c'est-à-di~e uri être proche de Dieu qui
vues par le? institutions ··:'''La raisC't!
ganeet leh~raut ; nous nous engageons à vous aider à
contraindre quiconque de nous serait assez d~pourvu de sens" :"",~{:'i
pour leu~ d~sob~ir : vous devezç6rriprendre que si vous-même ,:1,::1,':
osez enfreindre les devoirs communs,· ou négliger ceux de',J~;~'
votre. emp19i .;
si voUs voulez nous imposer quelque obligation,::,"i:
,
,ll~.;"'~1
.' ,l,y:,' '\\1,
que:les 'lpl)c ne pre?crive-nt' point,
ces mêmes loix vous d~claA:,:i''';I\\:?
·;;-::::i:(,
rentdèsr~ in stant, dé~tlU de tout pouvoir : 'alors personne ."I::!!:',;
, :
."
n'écoute pl~s votre voix ; 0~ vous impos2 ' sl:).ence, et vous
":':~:))':f
::'~>(:::::Ii,;:
rentrez parmi nous pour être comme un simple'"particulier,
_c_o_n---,t_r~a_l._·
r
_n_t_d_e_v_o_u_s__c_o_n_f_o_r_m_e_r_à
__n_o_s_i_n_s_t_i_t_u_t_l._·o_n_s_'_'~._(_1_1_)
;it;
(11)Morell~ : Le Code de la nature, Ed. GoChinard, Paris
0
1950, po
2350
. ,
.' .

,
j " "
Il apparaît à travers ce pass~ge, que :e
doit·commander aux lois et non aux hommes,
puîsque son pou-
voir est en réalité celUi de la. Raison incarnéeo
"Dieu, dit
Morèlly, .est un Etre souverainement bienfaisant ; il nous a
fait sociables,' maintenez-nous ce que nous sommes
: a i n s i , ' , ' ;
""1>
qu'il est 'le moteur de la Nature entière,
où il entretient
,.',".,,!
."I~1~'1';~:,
un ordre' admirable,
soyez le moteur de notre corps politique '~'i<'::::
..':i::::'?i:·'
en cette qualité vous semblerez imiter l'Etre suprêmeo Du
.
,
.
':':";'\\,,<:/:
reste"
souvenez ~ous q~' à l'égard de ce qui vous touche per-
,::~;I,':;
.' >I:\\~'i:':\\'~(
r.I~;'I:1
l,Il ;;\\:
sonnellement~ vous n!avez d'autres droits incontAstables,
'V\\0
d'autrepouvoir que C;~~~qui lient le commuz: oes Citoyens,
',"~,>\\"I'
P arc.,e "que, 'v~~.'.·.· s n ' avez pas .d lal.ïti~es
besoin s, ., vous n' éprouvez ;'::")':1~:;;:
'.::'.• :I*l,1
. -"\\'
. ,", ~,',:" ~ • i.
pas ct ,'autre~ plaisir s ; vous n'avez en un mot~. rien de pl us
.
'f',Î)
'; ",:~·..<r;
"excellent, rii .qui puisse vous donner la préférence sur le
'!"''':~;:tl
commun des hommeso Si nous trouvons notre utilité à vous
, ,,',~W
prorogerleco~mandement ; si nous jugeons que quelqu'un des
"
"
vôtreS en soit capable apr~s vous, nous pourrons agir én
... .'
'
i,\\/':
conséquence, par un choix libre et indépendant de toute pré-
tention"o . (12)
\\,';~:~,"'d(..'jl'!"i.L',",:I,~j::Xr
',e
"
Ainsi donc,
le l~~~~l~teur doit ât~e aussi l'incar~~~~
>:"'~I::::j;'l
nation des',valeurs dans le réel- ces valeurs .sont celles de '",'!III,
....
. _.- ..'
..... ', ..
.\\:,;::;:::(
"
. .'
.·:;..:~i::;~?1
(12) .Morelly
Ibid 0 po
2360
,":1;1
", ";.,1'
, •
.,1'1

-
220
la moralité publique qui ne sont qu'une copie des valeurs
divines de bbnté et ,de bienfaisance,
qui constitu2nt une
sorte de moralité "naturellè" o' Et la réalisation du bonheur
absolU qui constitue le but du "L:ode de Id nature" n'est rien
d'autre que cette ascension 'de l'individu vers ce haut point
fixe d'intégrité moraleo Mais,
c'est l'existence du Dieu de
la R~{son Uriiverselle, dup~e~ Bienfaisant qui garantit, en
fin de co~~te, l'intelligibilité ~u_,.système ~olitique morel-
lien 0 '
Eh.défini t i ve,
sa vision tél éol og igue de 1.' histoire:
le conduit à concevoir le salut de l'individu comme de tout
le genre humain dans le progr~s mor~l qui VB de l'innocence
première à la chute temporaire pour atteindre l'Age d'Oro
Ordrenaturel---~Chute morale-----1~Harmonie Nature-Raison,
tels sont les troi~ moments,' les ~rois étapes nécessaires et
obligés de l'individu abstrait morellièn qui aspire au bon-
heur'absolu~ Chez Rousseau; le problème parait encore plus
complexeo

-
221 -
b) ne la nature d.u pouvoir.politigue dans l'a Corse idéale
_de RoUsseau,
.
Il n'offre plus de doute que,
en désignant comme
.: ~:;. /: '.
valeur supr~me la liberté absolue de l'individu et comme
moyen de l'assurer,
l'aliénation de lui-m~me et de tous ses
droits à la communauté,
Rousseau, ait envisagé pour la Corse
idéale un pouvoir poli tiqltë,f.ort et stable~ ,
.
"
j ' "
Donc si pOUl: Morel~y,
la communauté politique
rait com~el~ résultante mécanique des aspiritions indivi-
.duel~es~ elle est, par contre ç~ez Rousseau; l'aboutissement
log~que d'uri accord des volontés individuelles mues par des
intér~ts divergents1
" ;1\\1,:'(0.\\
.:~:' "
Le probl~me politique qui se pose pour la Corse
est de garantir ~ la fois:
l'i~~~p~n~ance de la cité vis-à-
vis d,es puissances 'étrangères et la liberté d,es' individus
que d~ns i'égalité d~ tous:le~ individus d~vant les lois
tir:cette liberté et cette indépendance que c~s deux-là
qui consistent pour "l'un d'attacher pour ainsi (dire) les
' •• "1

-
222 -
hommes à. 1Ç3., terre en· tirant d '·elle leurs d:j..stinctions et
leurs droits,
et l'autre, d'àffermir ce lien par celui de
la famille en la rendant nécessaire à l'état ·des pères" ~
La communauté agraire de type patriarcal constitue·. _ .'
'.'1\\1 {.,
pour Roussèau,le modèle même de la communauté politique
stable. De ce fait,
la nature du pouvoir pour la Corse idéale
sera un pouvoir patriarcal à caractère démocratique mais dont
le gouvernement sera.mixte
ainsi l'administration
est
confiée au "petit nombre" choisi parmi les "gens éclairés",
-
tandis que l'autorité suprême est CC:li":!c~3e l\\)'_4.C'l -Sour à tous-'
les membres~e l'Etat. --~
Ma~s paradoxalement, Rousseau affir~e l'inapplica-
Cbilité d'un système purement démocratique à la Corse puisque
celui-ci ne conviendrait qu'à une petite ville et non à une
nation. Il Y a là deux problèmes qui se posent. D'une part,
celui de l'application possible d'une démocratie pure dans
une ville, et d'autre part celui de l'exercice du pouvoir
démoc~atique au sein d'une nation comme celle de la Corse
idéale.
_ _ _ _- ~ - : -......_ - - - - - - - - - -........- -

_ _••::-oo...,,~~
_ _~
_
(13) Roussea1J
(J ~ -J.)
:
Projet de co-Ii sti tution pour la Cor se, .'"
.
' , 1
l
"
Oeuvres complètes, T. III, Galli!11ard Paris 196:1,
p. 919.
'"
r1'd
.' -

-
223 -
.1,.'"
,,''"':/'
''''',!
Premièrement Rousseau a une préférence nettement
," f" .'
,\\~'
En effet le problème politique qui se pose à lui
est celui de l'i~corporati6n de tous les individus dans un
moi collectif, ,la volonté générale, qui dans son activité
rationnelle au sens kantie~ du terme,est inf~illible. Toute-
fois,
il redoute le triomphe d'un intérêt particulier sur
l'intérêtgén{ral, ce qui ruinerait l'accord réciproque entr~2t(l
.

. ')1 Il',; 1();II"i,,1
lesindiv idus
Et afin d'empêcher le triomphe de l'intérêt
0
-,';:',"1'11::
~ {i/:: !,' "


1
particulier" sur l'intérêt -général, Rous seau' préfère atomiser",I(\\l\\:~:l\\i,
r
"./ :1:l :!( 1\\1
le corps' social pour obtenir une sOmme de .petites différences'",',.',":;'I:"
" :l''~\\)~:\\:
qui s'annulent et tendent ainsi au iTIaintien' de la communaute: \\'/,1\\1
politique tout entière. C'est donc ce qui ]usti-fie pour la':""::':'?\\!"
cCorse idéàle le choix d'un gouvernement mixte où "le peuple
ne s'assemble que par parties 2t ~~ les dépositaires de son
pouvoir sont souvent changés".
(14).
(14) Rousseau (Jo-J.)
Ibid. po 907.

" . '
,\\,'
:!~\\:;::. :
. "
~.,' ,
-.' .
"',;
~~~:~i .
. ,.,....
.,
".'",
par le fait que chez lui,
l'id~e d~mocratique~ dans son
essence pure,
~st, comme nous l'avions dit plus haut, ins~-
par able de la notion de propriété C0m~e étant la c;omme de ce"'~J:;!:
'(h'·'
.!\\
"i,
1
\\'~,
qui est nécessaire à la subsistance de l'individu.
·I.:·i.''':~;.',i.:,
':I~:";'!~I:{\\\\:,:'
I l apparaît dans le sch~ma social de Rousseau que "'Ii~'.<~~(~.
, 'll ,") ~I!ldl


' i,'I\\'i,I',,',"
l ' intérêtg~,n~ral n'est sauf que' si les. intérêts partlcullers"""'('"
::i"~'I':VI
agissent cOmme des atomes isolés. Et la pr6bl~matique rous-
, '.II ::/!!~;',
seauiste quI demeure à traveis la contradiction individu 1
,,~\\;,1\\.•
communauté,
c'est qu'il y a au départ l'intérêt individuel,
au sens économique du terme,
à préserver. C'est dire que
i\\.~!,:/1
l'idée démocratique chez Rousseau est une idée essentiellemen.t·,,>:
économique et que cette forme ,de démocratie àirecte,
c'est-
':;.J
':'",.!,
,":\\',
à-dire absolue constitue véritablement un des ressorts de la
, ..' ~
'..
,";," L:
,.',r;
pens~e totalitaire.
:'<:,~,~,1\\
',..... {'::';
,'<l,~\\I~,\\~i
.. ,'i1,
M~is, en maintenant au sein des Corses une petite
,l:(/{
" .1 ,~'''\\Ii
':I,·I:\\!llr.'
propriét~privée, Rousseau préserve néanmoins une certaine
.... :';'::,,::,i(,?':
""
l'/
..
:1
~.' l'
, 11' I!~f~
," ::\\,;l'~
.\\"i."~'//':
, ' l I , '
····...,.l:':,:):~\\
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:".' ,
'Il:;,
,~., .:' ':"',~
' / " " , .
"'"
:\\" j',~:,:
. / .
"
Il
' ..
"":!,;'
, '1\\"';'
"Ii

'1',
-
225
formé de compétitivité économique quine doit aucunement
empiéter sur,' l'intérêt de _lél.communauté politique
C'est là
0
aussi 1 'i'mage d·'une concurrence égale et parfaite qui est
l'unde~pfincipes du libéral{s~~ économiqGe~
,
! ~ "
Par ailleurs,
la démc3.rche utopiqUe de Rousseau qui, :':',:;\\
','
l'
a consisté à postuler la meilleure forme d'organisation àu
".l'
l,
, , 1
.,
monde social visait en fait à renaturer l'homme lequel a été
dénaturé par la sociétéo C2tte ren~turation consisterait à
, ,,;
transformer la nature humaine par les lois justes et durablesD~
.
"
' ,
Telle est la tâche confiée au l~g~slateur rousseauiste qui,
comme on l.'a vu plus haut,
a quelque chose de sacrée dans sa
fonctionpo;Litiqueo Même si ce législateur doit,
comme chez
.
.
Morelly commander aux lois et
n<:ll1 aux hommes,
il doit
. .
.
,
,
" . "
_.c.ependantêtre aù-dessüs des passions ; fait qui semblait
.è: pri~~:-i réiOluchez le iégislateur mo~ellien'o
C' est pourqqpi..~en voulant transformer la nature
".:" -~..
..:;
humaine,
c'est-à-dire en faisant en sorte que 1" individu
fasse réellement partie de la .co~munauté politique,
tout en
....
, '":'
;
reniant sa situation d'un tout parfait soli~~irel Rousseau
"l,
court le r~sque dé présen~er un a~tre individu dénaturéo On
,~'
"
aboutit ainsi à une véritabiE èntinomie ?
.. ,"
", ,,'
.'

....,..
l',:·.·
226
, .,' .. ~'
'En définitive" y a-t-il unité ou contradiction au
niveau de la pensée utopique de Morelly et de Rousseau ?
: ,;::,\\1,
'. ,,:", '~i,
,"~' '\\1'"
",;~',:;,
.' ·,\\r '1
." . ::.\\:,,~;:
Nous avons. vu. q~e, Morel'ly l)art ,del~ situation'..:?:;,::~i
d'incomplétude de l'~nd~v.:Ldu ë1\\ltomate pre-soc~al pour conce-".,:"!,,'i:::;~
,
,
,"',:1 11
"
' , :
.
" :11'1/",11;
voit, ,une: t9;t,ali té harmonieuse ;' tandis que, Rousseau part aU,:,f::\\;:',\\!\\~~
11
" \\ ' 1
111

. , '
"
.
'
.
,
'"
'1,'p";1
contraire dé la, sittiation ~e totàlè complétude de l'individ~~~~
.' , ' . , ' . '
. . . .
,,-,.
, "
~'I"II~'.:"~i;II:·~
atomepré~s:ocial pour "con stituer une total~té harmonieuse.
.,:",:,;,,}:!
.
~';JIV
Tous deuxo,nt cherchéàresoudre à' partir' <;le '1' individu::<~"'::::,?\\:
..(I;,i':
abstrait"1
" l'I'II
i épineux problème des rapports
entre l'individu
"
.,i.,1
, ':
et la, c:ommtmauté ou encore"
entre ies désirs individuels et
l'intérêtëollectifo
.~'.'
",
,
"
Que leurs pensées aie!:'lt' os,:ilJ.é entre l ' individua..,.
,,:',;V
"
. '."
e~
','",'",;,:',',,:,.,',:I:,',::,~,1':i:""::";':":'
lisme
I,e collectivisme, cela 'e'st plus que certain, parce
que hantées,par le ,bonheur idéal du genre humain. f-lais ces
, 1\\ '1 ~1~
oscillations ,de leurs pensées témoignent pal;' ,ailleurs leur
":((~L
:'
,f ~" \\\\1
,',.' .'
,rll;/i,l\\ll~t
dualisme,"~aI1s ~a
'''.
'1,1,1
référencé, 'd 'un~-part à 'la réalité mou-
" .. '.':1 1'1"// ~'I
:'; l,. '>:.I~11
" ' I~.I
vante du,mèI:ideimmanent'::etd 'autre part à l a réalité immuablè,,':~':;',\\
,
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du m6~de {n±~11igi6leo
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Ainsi dirons-nous qu' i l y a à la fois unité et
>':,'1':,
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contradictïon au niveau de leur pensée utopique,
car derrière:"":'"
leUr rigo.çi$memoral et leur .r:egard éthique sur le réel,
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'
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'
'
..

"
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orig~nel daris le mouvant de la- temporalité •••• , de recourir
. ,,""h
<,~' •
.
à l'Unique solution que son triste ,sort lui concède,
c'est-
:,~':'~}:i:~:'
'" ,,' \\ \\.~,.,::;,:.
à-dire à la contradiction cdn~ai~sante...
l'unique ressourc~0fl
de l'bomme"c~est l~ p~rallélisme diff~rentiel, comparatif
"~~~I
" :i/: <,!~~
pensèr tout comme
, "\\' ,; ,,~, ,
'l'I'''j1l •
..IL·\\·d,!;,!
'vivree' est lutt·er".( 15)
':(}~
, . ",
"
,,', ;.:..
M~is
'.."',: ,):,,~.~~?)~~
en tout et pour tout,
le véritable enseigne-
,'_1-','
1
mentphilosoprlique de morale et de pol i.tique que nous pouvons :::,:'/::'::;
.
" ' .
.i.' I~:"i!
tirer de cette activitédela consc~ence anti'cipante en",':;';:;'
.. ,,:1.,:'
~
+
; . \\ ".
oeuvr,e chez, Morelly et chez EnI},';: seal~, c! est qu'entre l ' egoïs- ""ï;i'i/
me propriétaire et non-propriétaire de l'individu et la vo-
.,
" 1
" f ' ; '

lonté tot~lisante dE la communauté, il y a un équilibre à
réaliser. Il consiste,
chez Rousseau, ,qui semble plus prag-
matique, à maintenir'un écart raisonnable eritre les besoins
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Rousseau,
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Péiris, GalJ.imard;:l,à Pleiade,
seconde édition,
. ppoCXVIII- .. 1969 ci

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Ce volume comprend ':
1 ~Les Confessions, Texte établi et commenté par
B•. Gagnebin et M.
Raymond.
2 -
Rousseau,
juge de Jean-Jacgues, Dialogues, Texte .:,.
établi et commenté par. R.· Osmonto
3 - Le~ Rêveties du promeneur solitaiie, Texte
....
établi et commenté parM .. Raymond •
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4 ~ Fragments autobiographiques e~ documents biblio~
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"
.
. 9r'a~hiqueso Texte établi et commenté, par M. Raymond.'
et B. Gagnebin 0
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Vol.
II : La Nouvelle Héloise. Théâtre. Poésieso Essais litté-,>
"
raireso Pa.ris Gàllimard,
La Pleiade,
seconde
1964, pp. CIII -
1999.
Cè volume comprend notamment
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1 ;;,;. La Nouvelle 'Héloïse ..
Texte établi et commenté par H. Coulet et B.
2 - Théâtre.
,Texte établi et ~ommenté par J. Schérer.
Vol~iII : DU 'Contrat Social. Ecrits p6litiques.
":~~ris, Gallima~~., ,la,Pleiade 1964~pp. CCLV - 1964
Ç~volume' comprend :
1 - Discours sur les sciences et les arts.
Texte établi et cc~~~nté par P. Bouchardy.
2 -
Disc0urs sur l'origine et les fondem2nts de
l'inégalité.
Te~te ét~bii et commerité par J. Starobinski.
3 ... D-iscours sur l'économie politique. Du Contrat
, "~ocial (p~emièrev~rsion. Manusc.rit de Genève),
....
.
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DÜContrat social, Fragments politigueso
Textes établis et coromenté~ par'R. Derathé.
4 - Ecrits sur l'Abbé de Saint-Pierre.
Textes établis et commentés par Sven Stelling-
Michaud.
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.
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5 -
Lettres ~ërites de la Montagne:
Texte établi et commenté par Jo-Do Candaux&
6, -
Projet dé constitution pour la Corse&
Texte établi et commenté par Sven Stelling-Michaud&:'
7 -Considérations sur le Gouvernement de Poiogne,;
Texte établi et com~e~~é par Jo Fabre o
8,-:0 Dépêches~de Venise&
Texte établi et commenté pa:.:- Jo-Do 'Cë.nôauxo
volo IV: Emileo Education
~ora~eo Botannique
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P~ris Gallimard, la Pleiade, 1969, ppo CCXXIII
Ce volume comprend :
1 - Mémoite présenté à Monsieur de Mably
cation de Monsieur son filso Projet pour
"de Monsieur de Sainte-Marie.,
T~xtes établis et com~~ntés par'Johri So Spinko
2 -
Emile, Première version
(Manuscrit Favré)o
Te~te ~taDli pat John So Spinko
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233
,'3.:- Emileou·.de l,'éducation. Emlleet, Sophie •
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T,extes établis' par' -Ch. Wirz et' commentés par
p. 'Burgelin.
4-~ Lettre à Christophe de Beaumont,. Fragments sur
Dieu ~t sur la Révélation. Lettre à Voltaire.
Lettres morales. Notes sur "De l'esprit". Lettre
à Franquières.
Textes établis et commentés par H. Gouhier.
5 :- Lettres' sur la' bùtatlique. FràJl!"~!:s pour un
"Dictionnaire ..destermès d'usage en 'botan igue;
Textes établis etcummentés par '"
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