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UNIVERSITE DE BORDEAUX II
UFR des Sciences Sociales et Psychologiques
Section de Sociologie
'1
LES STRATEGIES
DES SOINS DE SANTE PRIMAIRES
AU BURKINA
Inobilisation cOlnmunautaire et logiques paysannes
( L'exemple de la SissiIi)
Thèse pour le doctorat de sociologie
nouveau régime
Présentée et soutenue par
Kamba André SOUBEIGA
Sous la direction de
Monsieur Jean-Claude GUYOT
Professeur à L'Université de Bordeaux II
Décembre 1992

./
A la mémoire de ma mère

-2-
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier tout particulièrement et très sincèrement
le maître de notre réflexion, Monsieur le Professeur Jean-Claude Guyot, qui
a bien voulu dirige~ cette thèse. Ce travail n'aurait guère abouti sans
l'intérêt et l'attaclfement qu'il lui a manifesté et sans son bienveillant
concours; sa d,i,sponibilité constante, ses critiques rigoureuses et ses conseils
de chercheur averti (que nous avons quelquefois mal utilisés) nous ont aidé
et guidé aussi bien dans notre enquête de terrain que tout au long de la
rédaction finale. "Le cheval n'est pas aveugle, mais il lui faut un homme
qui passe devant", dit un proverbe africain.
Ce travail doit beaucoup aux séminaires enrichissants de Messieurs
les Professeurs François Dubet, François Chazel, Yvon Lamy et Sory Camara
qui nous ont beaucoup apporté sur le plan intellectuel et nous ont permis
de raffermir notre culture sociologique.
Nous exprimons ici notre gratitude aux autorités administratives et
sanitaires de la Sissili et plus particulièrement aux Dr Michel Nikiema de la
DPS/ AS et Salam Sanné, médecin-chef du centre médical de Léo, qui nous
ont permis de travailler dans de bonnes conditions, en nous assurant un
soutien matériel et logistique. Nous sommes également reconnais san t à
tout le personnel du C.M. de Léo (qu'il soit du dispensaire, de la maternité,
de l'OST, de la DPS, du PEV) à ses infirmiers, sages-femmes, matrones ... qui
ont accepté de se plier à nos nombreuses sollicitations; nous n'oublions pas
non plus l'ensemble des utilisateurs des structures de soins qui on t été, à des
degrés divers, nos informateurs.
Nous saurions gré aux responsables du CREN de Kayéro, pour nous
avoir accordé toutes les facilités lors de notre séjour dans cette locali té, et
tout
particulièremen t
à
Madame Zala,
directrice
du
CREN,
et
Monsieur Coulibaly Faustin, infirmier-chef du CSPS. Que tous les ASV et
AV des villages de Ka yéro, Mouna, Métio, Sagalo... qui se sont si
aimablement prêtés à nos questions trouvent ici l'expression de notre
reconnaissance. Nous espérons qu'ils se reconnaîtront dans cette étude.

-3-
Nous remercions Mademoiselle Valérie Raboisson (doctorant en
sociologie) dont les remarques et suggestions utiles nous ont permis de
corriger ou d'améliorer certains aspects du manuscrit. Des compatriotes et
amis ont également échangé leurs réflexions avec nous et aidé notre
recherche. Que chacun soi t ici remercié.
A Noël et Théodore Soubeiga qui m'ont apporté leur soutien moral
et financier au~; moments les plus cruciaux, toute ma gratitude.
1
1
1

-4-
AVANT-PROPOS
Au moment où nous entreprenons cette étude, et au terme d'une
première investigation bibliographique, un constat s'impose à nous: en
effet, en dépit de l'existence d'une impressionnante littérature (à la fois
0/
quantitative et qualitative) sur notre thème d'étude, force nous est de
constater que bjeri peu d'études sociologiques approfondies, et s'appuyant
sur un travail de terrain, ont été effectuées sur les soins de santé primaires
(SSP), du moins en ce qui concerne le Burkina Faso.
Néanmoins, nous avons pu nous baser sur quelques travaux
universitaires, à savoir des mémoires et thèses en médecine (1) ou en
économie de la santé.
En-dehors de ces ouvrages, nous avons pris connaissance de
nombreuses études sommaires sur diverses expériences initiées ici ou là,
dans différents pays, principalement à travers des publications de l'OMS
(Revue Forum mondial de la santé, Participation et santé, etc.). On peut
également mentionner l'ouvrage publié par la fondation Liberté sans
frontière sous la direction d'A. Desthexe (2) qui recèle une série d'articles qui
tentent d'analyser et de critiquer des expériences en matière d'application
des SSP conduites dans divers pays du tiers-monde. Ce travail s'inspirera
autant que possible des résultats de ces études, mais aussi, le cas échéant, en
critiquera certains aspects.
Plus d'une décennie après Alma-Ata, le mouvement de la "santé
pour tous" a gagné du terrain et les SSP deviennent des mots familiers dans
le monde entier. Passablement sous-estimés au départ, l'apparition
soudaine de nombreuses difficultés inattendues oblige souvent à remodeler
la théorie au contact des réalités. On en arrive ainsi à des pratiques
différentes,
voire
contradictoires
avec
l'esprit
initial
des
SSP:
L Nous ne nous livrerons pas ici à une analyse du contenu de ces travaux; simplement nous
ferons observer que ces études abordent soit accessoirement le problème des SSP, soit
l'envisagent dans une perspective différente de la nôtre.
2_ DESTHEXE (A.), Santé, médicament et développement; les soins primaires à l'épreuve des
faits. Paris, 1987, 271 p.

-5-
professionnalisation des A.5.C. dans certains pays, recrutement à partir de
critères politiques, etc. Toutes ces questions méritent de retenir l'attention
des chercheurs, et des études, pensons-nous, doivent leur être consacrées.
Pour notre part, notre objectif dans l'étude de ce thème est bien
modeste. Il s'agit pour nous, en nous appuyant sur une enquête de terrain,
de rendre compte des facteurs et des mécanismes sociaux, économiques,
politiques, culturels qui déterminent les conduites des acteurs sociaux et
.{
leur adhésion (ou non) au programme des soins primaires. Nous tenterons
d'élucider les conditions qui concourent à la mobilisation de l'A.5.V.,
personnage clé, ainsi que celle de la communauté villageoise tout entière
autour de ce projet. Cette analyse de la stratégie des SSP et de la mobilisation
paysanne s'intègre dans le contexte des rapports que l'Etat entretient avec les
collectivités rurales. En pratique, notre étude embrassera la décennie 1980-
1990 dans la mesure où le véritable départ des SSP au Burkina se situe au
début de cette décennie (avec l'adoption de la Programmation Sanitaire
Nationale). Dans cette période même, on peut distinguer deux temps:
1980-1983: application graduelle des objectifs visés par la PSN.
1983-1990: avènement de la Révolution, accélération de la mise en
oeuvre d'une politique sanitaire énergique, radicalement différente dans sa
forme et dans son contenu.

-6-
"Tout problème matériel comporte toujours une part d'incertitude, c'cst-
à-dire d'indétermination quant aux modalités concrètes de sa solution H.
M. CROZIER, E.FRIEDBERG,
L'acteur et le système, les contraintes de l'action collective.
Paris, Seuil, 1977.

-7-
TABLE DES SIGLES ET ABREVIATIONS
ASC
Agents de santé communautaires
ASV
Agent de santé villageois
AV
Accoucheuse villageoise
AT
.'1Accoucheuses traditionnelles
CDR
{~
Comité de défense de la Révolution
CFJA
Centre de formation des jeunes agriculteurs
CHR
Cen tre Hospitalier Régional
CM
Centre médical
CNR
Conseil National de la Révolution
CMPRPN
Comi té mili taire de redressemen t pour le progrès
national
CR
Comité Révolutionnaire
CREN
Centre de récupération et d'éducation nutritionnelle
CSP
Conseil de Salut du Peuple
CSPS
Centre de santé et de promotion sociale
CSV
Comi té de san té villageois
DAPPT
Direction de l'approvisionnement pharmaceutique et
de la pharmacopée traditionnelle
DEP
Direction de l'étude et de la planification
DPEBAM
Direction provinciale de l'éducation de base et de
l'alphabétisation de masse
DPS/AS
Direction provinciale de la santé et de l'action sociale
DOP
Discours d'orientation politique
ESSSA
Ecole Supérieure des Sciences de la Santé
FP
Front Populaire
HN
Hôpital National
HR
Hôpital Régional
MNP
Mouvement national des pionniers
MPE
Malnutrition protéino-énergétique
OMS
Organisation Mondiale de la Santé
OST
Office de santé des travailleurs
PEV
Programme élargi de vaccination
PPD
Programme populaire de développement
PQDP
Plan Quinquennal de Développement Populaire

-8-
PSN
Programmation sanitaire nationale
PVD
Pays en voie de développemen t
PSP
~oste de santé primaire
SRO
Sêl de réhydratation orale
SONAPHARM
Société na tionale pharmaceu tique
SSP
Soins de santé primaires
TM!
(taux de mortalité infantile
TPC
. Tribunaux populaires de conciliation
UNAB
Union nationale des anciens du Burkina
UNFB
Union nationale des femmes du Burkina
UNPB
Union nationale des paysans du Burkina

-9-
SOMMAIRE
Remerciemen ts
2
Avant-prop·os
4
Table cfes sigles et abréviations
7
SOMMAIRE
9
Introduction
16
Première partie - Propédeutique à une étude des stratégies
des SSP
30
Chapitre 1 - Les SSP : quelques points de repères historiques
et philosophico-administratifs préalables :
31
A - Genèse des soins de santé primaires
31
1 - Les "services de santé de base"
31
2 - Les soins de santé primaires :
34
B - La médecine "offensive" du Dr Jamot :
.42
Chapitre II - Les SSP dans l'ensemble du système de santé
burkina
~
45
Section l - Structures et acteurs
.45
A - SSP et politique de santé
.45
B - Distribution des structures de soins
52
1 - Les établissements de santé
52
2 - Les professionnels de la santé
56
C - La pyramide des ' .. ' i6's
ts de soins
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Section II - CaractériSti~,tl~ générales de~ zone
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C - SItuatIOn SOCIO~\\];ll~,.:;.:.-, ..:
70
D - Ecole et éducation
74

-10 -
Chapitre III - La construction de l'objet.
77
SectionI - Définition du champ conceptueL
77
A - Le concept de mobilisation politique
77
B - Les caractéristiques de l'Etat post-colonial
83
1 - Nature de l'Etat post-colonial
84
'/
2 - Crise de l'Etat ou Etat marginal ?
90
C - Santé et maladie: l'approche sociologique
92
1 - Sociologie et médecine
92
2 - La maladie comme déviance
95
3 - Comment définir la santé?
98
4 - Les paysans et leurs représentations de
la santé
100
D - Vers notre problématique
105
Section II - Techniques d'enquête
110
A - Le choix du terrain et l'importance d'une
étude intensive
110
B - Mise en oeuvre et déroulement de

-11-
Deuxième partie - Les ASC : facteurs et conditions de leur
mobilisation
126
Chapitre 1 - Les ASC dans la stratégie des soins
127
Section. 1 - ASV et AV : deux catégories d'agents,
127
1 A - Mode de recrutement et critères de sélection
128
B - Profil de l'ASV
133
(~
C - Profil de l'accoucheuse villageoise
135
Section II - Les activités sanitaires des ASC
138
A - Les domaines d'intervention de l'ASV
138
1 - La pratique des soins
138
2 - Le dépistage de la malnutrition
140
a) Les pesées hebdomadaires
141
b) Les pesées mensuelles
143
B - Les fonctions de l'accoucheuse villageoise
145
C - La cellule de santé villageoise
148
1 - La constitution des comités de santé
148
2 - La CSV: un instrument de la politique
étatique
150
3 - La CSV aujourd'hui
152
Chapitre II - Les agents de santé communautaires et leur
statut dans la société
155
Section 1 - Les représentations de l'ASV et du PSP chez
les villageois
155
A - L'ASV : une situation privilégiée mais
inconfortable
155
1 - Le "vélo-PSP" : un signe de promotion
sociale
156
2 - "Vélo-PSP" et conflits sociaux
157

-12 -
B - L'infirmier de village et le vendeur de
médicaments
159
1 - L'infirmier de village
159
2 - Le vendeur de médicaments
162
C - Une compétence socialement non reconnue
163
1 - La formation
164
1 .
2 - Des infirmiers "au rabais"
165
D - Accoucheuses de village et valorisation de
l'expérience
169
Section TI - Mode de rémunération
172
A - La prise en charge de l'ASV
172
B - La prise en charge de l'AV
175
C - Un cercle vicieux
177
Section ID - Conditions de travail..
179
A - Le refus de la différence
179
B - Contraintes et frustrations du bénévolat
181
1 - Les contraintes
181
2 - Les frustrations
185
C - Des "privilégiés" ou des "laissés pour
compte" ?
188
Chapitre III - Les ASC dans l'espace social villageois
190
Section 1 - Expérience sociale et logiques d'action
190
A - Esquisse de typologie des ASV : une
population instable et fluctuante
190
1 - Les ASV-dames
190
2 - Les ASV sans instruction moderne
192
3 - Les ASV scolarisés et alphabétisés
193
B - L'impossible accomplissement.
195
C - Des marginaux?
199
D - L'accoucheuse villageoise, une insertion
harmonieuse
203
Conclusion partielle
206

-13 -
Troisième partie - Les conditions socio-politiques et socio-
culturelles de la mobilisation paysanne
210
Chapitre 1 - Le poids des chefferies traditionnelles et leur
influence dans le fonctionnement des SSP
211
SectiG'rl l - Les élites traditionnelles face au pouvoir.
211
A - Des relais du pouvoir central..
212
1 - La confrontation
212
2 - La "normalisation"
213
B - L'émergence des nouveaux relais: les CDR
216
1 - Un appareil d'encadrement et de
légitimation
216
2 _ La chefferie sous le CNR.
218
3 - Les CDR face aux pesanteurs
sociologiques
220
Section II - Chefferies traditionnelles et mobilisation
communautaire
222
1 - Une attitude fluctuante
222
a) La bienveillance
222
b) Le contrôle des relais politiques
du pouvoir
223
2 - Une cohabitation difficile
225
Section ID - Les résistances à la mobilisation
228
A - De la nature des résistances
228
1 - Les stratégies de soustraction
228
2 - Les stratégies du "ticket gratuit"
231
B - Les résistances de l'ASV
236
1 - La "grève du zèle"
236
2 - Le "self-service"
238

-14 -
Chapitre 11- Analyse comparative des rationalités de l'espace
médical urbain et ruraL
241
Section 1 - Les institutions de soins :
241
A - Le système médical urbain
241
B - La santé en milieu rural: l'exemple de
'1
."
Kayéro
247
(,
Section II - Les rapports des usagers
251
A - Usagers et praticiens du dispensaire urbain
251
1 - Vécu de la maladie et recherche de
soins
251
a) Automédication et médications
familiales
252
b) Le recours au dispensaire
255
2 - Vécu du dispensaire et conduites des
patients
261
a) Les représentations
261
b) La santé pour quel public?
263
c) Le dispensaire et le regard des
usagers
265
3 - La relation thérapeutique
270
a) -
La relation thérapeutique du
point de vue des patients
270
b) La relation thérapeutique du
point de vue des soignants
274
B - Itinéraires thérapeutiques et stratégies des
patients
277
1 - Un paysan et éleveur peulh
278
2 - Un jeune fonctionnaire, 26 ans, Léo
278
3 - Un jeune citadin scolarisé, 25 ans, sans
emploi
279

-15 -
C - Pratiques professionnelles et conditions de
travail
281
1 - Les conditions matérielles :
281
2 - Les conditions socio-professionnelles
283
3 - La pratique des soins privés
285
4 - Gérer la pénurie
286
J D - Usagers et praticiens du centre de santé
rural
289
1 - L'infirmier et le dispensaire dans
l'espace villageois
289
a) La fréquentation du dispensaire
289
b) L'infirmier et les malades
291
2 - Organisation des soins et affluence des
malades
293
a) La gestion du médicament
293
b) L'appel de la nouveauté
297
c) La présence des Blancs
298
Section III - Médecine moderne, médecine
traditionnelle et SSP
301
A - Les professionnels de la santé et les ASC.
301
B - Les professionnels de la santé et les
guérisseurs
304
Chapitre III - Les structures non officielles de soins
312
A - Le recours au guérisseur
312
B - La vente illicite des médicaments
317
1 - Les circuits de commercialisation
317
2 - Drogues et "remèdes miracles"
319
3 - Une clientèle hétéroclite
321
Conclusion
324
ANNEXES
346

-16 -
INTRODUCTION
Depuis l'adoption en 1978 par l'OMS et ses Etats membres, de la
stratégie des soins de santé primaires (SSP) comme réponse aux problèmes
sanitaires du tiers-Il}onde, on a beaucoup parlé de "révolution sanitaire"
pour le tiers-mond.~, ou encore de "santé pour tous en l'an 2000". La
formule ainsi p'doptée semblait pour le moins faire l'unanimité quant à sa
capacité à mettre rapidement un terme au colossal problème que constituait
la santé dans les pays dits les "moins avancés".
Les SSP, très vite, vont être présentés (à tort ou à raison) comme la
"panacée universelle" ou encore comme l'ultime espoir qui sortira les pays
en voie de développement (p.V.D.) de l'ornière du sous-développement.
Cet optimisme était-il réellement fondé? L'acceptation rapide et
enthousiaste de cette initiative par les organismes internationaux, les
gouvernements des pays du sud comme du nord, ainsi que l'engouement
international qu'elle a suscitée, avaient de quoi surprendre.
En effet, jamais auparavant un projet n'avait suscité une adhésion
aussi massive et pour ainsi dire, aussi unanime. Ce n'est que bien plus tard,
des années après la rencontre d'Alma-Ata, que fusèrent les premières
critiques contre les SSP, et certaines de leurs orientations. Aujourd'hui
encore, les ASC sur qui repose cette stratégie sanitaire, sont de plus en plus
controversés, et suscitent par la
même occasion
d'interminables
polémiques (3).
Du reste, les ASC ne semblent pas les seuls en cause; les contraintes
contextuelles (récession économique entre autres) ainsi que les difficultés
d'ordre technique, gestionnaire, ou même politique ne permettent plus de
se faire des illusions quant aux résultats de cette première décennie.
Amorcée dans un optimisme quasiment euphorique, cette période s'est
achevée, dans nombre de pays africains, sur la constatation que "la santé
pour tous" est une entreprise beaucoup plus complexe qu'on ne l'avait
3_ Voir à ce propos l'article de D. WERNER: "L'Agent de santé villageois: laquais ou
libérateur 7", in Forum mondial de la santé. vol. 2, n° 1, 1981, pp. 55-82.

-17 -
imaginé à la fin des années 70. Aux premiers espoirs souvent plus
spectaculaires qu'efficaces, le temps, trop souvent, a apporté des démentis
chaque jour répétés et chaque fois un peu plus confirmés.
Ainsi, l'entrée dans la seconde décennie semble s'effectuer bien
différemment, sans "tambour ni trompette". Face à de tels constats, certains
sont tentés d'y voiJ;- ùn échec; d'autres objecteront qu'une entreprise d'une
telle ampleur ne s'évalue pas sur une durée aussi courte; d'autres enfin,
chercheront p(utôt à mettre l'accent sur les progrès très sensibles obtenus
dans certaines régions.
Mais plutôt que de prendre position, le sociologue doit au contraire
s'employer à découvrir les philosophies ou les idéologies dont les
"opérations de développement" sont porteuses. Notre intention n'est
nullement de mener une analyse en profondeur sur les philosophies du
développement en général, mais d'esquisser simplement une brève
réflexion sur quelques unes de leurs tendances.
Ainsi pour les modèles "rationalistes" du développement incarnés
par les "grands projets", on pense qu'une technique rationnelle ou
cohérente doit se diffuser naturellement dans les pays développés, comme
dans ceux du tiers-monde, indépendamment des facteurs sociaux,
politiques, culturels: Se fondant sur la légitimité universelle dont la science
est porteuse, l'ingénieur ou le "développeur" qui intervient en milieu
rural, aura du mal à penser la diversité, la différence, la contingence. Il pose
comme postulat que la technique est rationnelle pour augmenter la
productivité; que par conséquent les paysans l'adopteront. Un tel
raisonnement, bien entendu, occulte la variable socio-culturelle, qui,
généralement peut déterminer l'acceptation ou le refus d'une innovation,
ainsi que les enjeux économiques et sociaux que véhicule cette nouvelle
technique.
A l'opposé, les "micro-projets" ont généralement exprimé le souci
de s'appuyer quant à eux sur les structures de la société rurale, et de les
associer à leur démarche. La politique des SSP en l'occurrence, a calqué sa
stratégie sur le modèle de ces micro-réalisations (qui sont en rupture d'avec
les grands projets des années 50-60) longtemps considérées comme symbole

-18 -
d'efficacité (4). Après des débuts prometteurs, il convient cependant de
relativiser aujourd'hui le succès des micro-réalisations, dont la plupart
(notamment celles réalisées sous l'impulsion des ONG) ont fonctionné sur
l'idéologie autogestionnaire. En effet, malgré une approche prenant
largement en compte les dynamiques paysannes, elles n'ont que rarement
(ou partiellement) tr~uvé la clé de l'énigme aux problèmes qui assaillent les
populations secourues. D. Desjeux explique cette contre performance en ces
termes: "certains· se sont heurtés à des problèmes écologiques, d'autres, aux
(.
limites de la èoopération avec les fonctionnaires africains; d'aucuns n'ont
pas vu l'importance des différences ou ont sous-estimé les rapports de
pouvoir au sein des sociétés paysannes" (5).
On peut expliquer ainsi bien des échecs de projets, petits ou grands,
qui n'ont vu dans les sociétés paysannes que des sociétés "arriérées" que la
société englobante se devait de "moderniser" au plus vite, ou encore
comme des sociétés indifférenciées ou homogènes.
De même, il est significatif que des "experts" du développement,
ayant initié ou dirigé des projets dans les domaines les plus divers
(agriculture, santé, éducation... ) paraissent eux-mêmes désemparés quant
aux résultats de leurs interventions ou des attitudes futures à adopter. A ce
sujet G. Bellonc1e souligne: "ce qui frappe lorsque -comme nous l'avons
fait- on fréquente longuement les responsables des différents "projets" ou
"opérations" de développement qui ont fleuri en Afrique Noire au cours de
ces dix dernières années, c'est l'ampleur de leur scepticisme, et ceci, qu'il
s'agisse des techniciens sur le terrain ou des responsables des sources de
financement extérieur. Ce qui apparaît avec la plus grande évidence, c'est
que rares sont ceux qui y croient encore. On a fait tant d'effort, investit tant
d'argent pour si peu de résultats que la tentation est bien forte d'en arriver à
la conclusion qu'en Afrique, il n'y a rien à faire ... " (6).
4_ C'est, comme le précise D. DESJEUX, l'efficacité du "petit" contre la lourdeur des "gros",
autrement dit l'action directe par opposition à l'action administrative, toujours accusée de
bureaucratisme, in D. DESJEUX, Stratégies paysannes en Afrique Noire: le Congo, 1987,
p.13.
5_ DESJEUX (O.), op. ciL, p. 13.
6_ BELLONCLE (Guy), Ouel développement rural pour l'Afrique ?, Paris, karthala, 1992.

-19 -
Ce qui est plus remarquable encore dans cette attitude c'est que, le
plus souvent, elle s'accompagne d'une incrimination des "obstacles
culturels" que l'on n'hésite pas à désigner comme les principales difficultés
au développement; qu'un programme échoue à mobiliser massivement les
populations ou n'obtienne pas la réussite escomptée, l'explication est
toujours la même ~ les conceptions traditionnelles sont seules coupables.
Comme le signale fort judicieusement D. Fassin, "lorsque ses projets
rencontrent ufre résistance des populations, le développeur incrImzne les
pesanteurs
d"une
tradition
culturelle
opposée
à
la
logique
du
développement" (7).
Autrement dit, les gens manifestent peu d'intérêt aux actions
entreprises, parce que leurs traditions s'y opposent.
En raisonnant de la sorte, le "développeur" s'interdit la moindre
remise en cause de ses stratégies, et de ses méthodes d'interventions. Le
paysan et ses modèles culturels sont à ses yeux les seuls "boucs émissaires"
du fait de son attachement à un monde "du passé". Cette attitude, en réalité
s'inscrit en droite ligne dans une idéologie qui a toujours assimilé et réduit
les zones rurales à des zones de "repli" des traditions ancestrales, pour
parler comme J.M. Ela : ce dernier s'insurge contre cette vision qui "enferme
les paysanneries africaines dans un monde statique et homogène" (8).
Il est cependant illusoire de croire qu'il existe des sociétés figées ou
immobiles; les sociétés, même les plus "primitives" connaissent le
changement, comme le précise H. Mendras (9). Dans Sociétés paysannes, il
rapporte que de nombreuses recherches, menées sur les paysanneries
européennes, ont montré que le changement technique et social triomphe
aisément des obstacles idéologiques, lorsque ceux-ci sont seuls en cause.
Précisant sa pensée, il ajoute: "dès que les paysans voient la logique et les
avantages d'une nouvelle organisation de leur exploitation et de leur vie, et
7_ FASSIN (D.), JAFFRE (Y.), Sociétés, développement et santé, 1990, p. 24.
8-ELA (J.M.), Quand l'Etat pénètre en brousse... Les ripostes pavsannes à la crise, 1990, p. 51.
9_ L'auteur donne l'exemple de l'impact de l'introduction de la hache chez les Baruya de
Nouvelle-Guinée.

- 20-
qu'ils sentent à leur disposition les moyens de la réaliser, ils le font et ils
changent très rapidement leur manière de voir et de penser en fonction de
cette nouvelle logique" (10). Il nous semble que cette particularité n'est pas
un trait distinctif des paysanneries européennes; elle s'applique également
à toutes les autres dans la mesure où toutes les sociétés paysannes sont sous
l'influence d'une société englobante, toujours désireuse de les soumettre à
sa propre logique (11).
i
Cependant, dans les rapports qui régissent société englobante et
société paysanne, la domination de la première sur la seconde n'est jamais
acquise à l'avance. Aussi, Mendras précise-t-il: "l'innovation est acceptée
dans la mesure où (et seulement dans cette mesure) elle ne remet pas en
question ni le système technique, ni le système social, soit qu'elle s 'y accole,
sans s 'y intégrer, soit qu'elle s'y intègre et par conséquent perfectionne l'un
et l'autre système encore faut-il, en outre, que le besoin se fasse sentir" (12).
En somme, le refus de l'innovation (que l'on peut observer dans les
sociétés rurales) n'est point réductible à un simple problème de mentalité
"attardée" ou de résistance au changement. Il serait davantage lié "à sa
compatibilité ou non avec les formes de l'organisation sociale en vigueur,
notamment avec les rapports hommes-femmes, ou
les rapports aînés-
cadets" (13). On peut également ajouter qu'il est lié aux intérêts des
individus et des groupes.
\\~ f che POll]"
Cette brève analyse des rapports ent I.['? ciétés J'~a annes et
changement, ne nous dispense pas pour autant ·"".p.pW/ender la ~ ture des
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10_ MENDRAS (H.), Sociétés paysannes, Paris, A. Colin, 197,
.
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1L Pour MENDRAS, "une société paysanne est un ensemble relativement autonome au sein
d'une société globale plus large". Mais dans sa définition des sociétés paysannes, il précise
en outre ceci: "si une société agraire est complètement autonome et ne fait pas
fonctionnellement partie d'une société plus large, nous parlerons de société "sauvage"... si
les collectivités rurales ne jouissent pas d'une relative autonomie par rapport à la société
englobante, nous parlerons d'agriculteurs, de groupes locaux... mais non de paysannerie. En
un mot, la paysannerie se définit par rapport à la ville. S'il n'y a pas de ville, il n'y a pas
de paysans et si la société entière est urbanisée, il n'yen a pas non plus", in La fin des
paysans: changement et innovations dans les sociétés rurales françaises, p. 13.
12_ MENDRAS, Sociétés paysannes, op. ciL, p. 173.
13_ DESJEUX (D.), op. cit., p. 102.

- 21 -
relations qui s'établissent entre l'Etat et les paysans, dans la mesure où
celles-ci nous intéressent au premier chef.
Les régimes 'politiques africains ont de tout temps manifesté un
grand attachement à encadrer leurs paysanneries, au moyen de leurs
institutions centralisées. Sous les formes les plus variées, chaque régime
élabore ses instruments et invente ses mécanismes de contrôle de la société
civile, et des paysans en particulier (14). On peut néanmoins s'interroger sur
l,
l'effectivité et 'l'efficience du dispositif étatique, dans la réalisation d'une
telle entreprise, même si par ailleurs il semble exister une véritable
obsession de l'Etat-postcolonial, qui ne pense ses rapports avec le monde
rural qu'à travers la problématique de l'encadrement. Cette vision est-elle
innocente? ou au contraire dévoile-t-elle une volonté de l'Etat de
s'approprier les espaces vitaux au sein de l'ensemble social, dans le but de
dicter sa loi! Comment les paysans se comportent-ils face à cette volonté
hégémonique de l'Etat?
Notre propos dans cette étude est de tenter d'analyser le type de
rapport qui naît entre l'Etat et les collectivi.tés paysannes à travers la
politique de soins de santé primaires; de dévoiler les stratégies mises en
oeuvre par les paysans, en réponse aux formes d'incursion de l'Etat dans
leur espace propre. Une analyse des réactions paysannes s'avérerait donc
indispensable pour nous éclairer sur leur raison et leur cohérence.
Réagissant aux diverses formes d'intervention étatique, les paysans
obéissent à des visions du monde, à des rationalités qui leur appartiennent
en propre et qui structurent leur conduite; par conséquent il s'agit de
montrer qu'une opération de développement sanitaire, même si elle ne va
pas nécessairement dans le sens de la demande des intéressés, n'en
constitue pas moins pour eux un enjeu capital.
Ce faisant, les acteurs du milieu rural ont leurs manières propres
d'exprimer leur intérêt ou leur refus d'une politique qui leur est adressée et
leurs pratiques peuvent converger ou diverger des intentions, des
présupposés et des objectifs des initiateurs du développement. Car c'est à
travers leurs systèmes de normes et leurs valeurs que les collectivités
rurales élaborent des grilles de lecture de la réalité sociale. La variable
14_ Dans bien des cas ce fut par le biais du parti unique.

- 22-
culturelle apparaît alors comme un des éléments fondamentaux qui
conditionne les jugements et les pratiques.
Mais il nous faut éviter de tomber dans le piège du "culturalisme",
pour prendre en compte d'autres séries de variables. Ainsi, il nous faut
renoncer à considér~r la société rurale comme "le royaume du consensus"
(D. Fassin) ou comme un ensemble monolithique, mais au contraire essayer
de prendre eI\\.compte les processus de différenciation sociale observables
dans ces sociétés et qui induisent des stratégies différentes suivant la
position des individus dans la société, ou suivant les ressources dont ils
disposent.
Cette optique permet de mettre en évidence les différents facteurs
qui déterminent le mode de diffusion ou non d'une innovation, de
distinguer les individus ou les groupes qui ont intérêt à l'adopter, de ceux
qui/au contraire)a rejettent. Où qu'il se produise, le développement suscite
en effet des enjeux autour desquels les acteurs sociaux se positionnent,
conformément aux intérêts qu'ils poursuivent.
Au total, notre ambition est de décrypter les différentes logiques
sociales, culturelles, économiques, etc. qui conduisent les groupes sociaux à
adopter des comportements spécifiques une fois confrontés à la présence
étatique.
Par logiques paysannes, il faut entendre d'une part une mise en
évidence de liaisons entre les pratiques paysannes et leur vision du monde,
et de leurs intérêts d'autre part (15).
Ce sont ces logiques qui commandent les types d'action et de
comportement que les paysans vont observer face à une opération de
développement. Or, comme le précise Didier Fassin, "il faut constater que
cet ensemble n'est jamais adopté "en bloc" par ses destinataires, il est
toujours plus ou moins désarticulé par la sélection que ceux-ci opèrent en
son sein"
(16).
15_ DESJEUX (O.) ajoute que la logique c'est aussi la mise en évidence d'une relation entre une
pratique et une contrainte du système pour un acteur, op. cit., p. 221.
16_ FASSIN (Didier), op. cit., p. 33.

- 23-
Autrement dit, si les populations n'adoptent jamais globalement les
actions qui leur sont proposées, on doit admettre que cela ne saurait relever
d'un hasard pur et simple. On peut donc postuler qu'ils ont des raisons de le
faire (sans dire pour autant qu'ils ont raison de le faire).
L'interventiqn du sociologue consiste alors à découvrir la
rationalité des conduites sociales dans la mesure où cette rationalité
n'apparaît jam~is 'spontanément: il faut la "chercher".
Qu'en est-il alors de la politique des soins de santé primaires?
Avant d'y répondre, on peut au préalable se poser légitimement quelques
questions embarrassantes, voire troublantes: dans un contexte d'économie
d'urgence (tel est le cas du Burkina Faso) comment la santé peut-elle être
vécue comme une priorité par des populations indigentes, confrontées à des
problèmes de subsistance? N'est-elle pas au contraire un "luxe" ou une
revendication "secondaire"? Comment, dans un pays où sévit la
sécheresse,l'eau peut-elle être considérée comme un facteur de contagion,
de risque et de maladie? Les mêmes questions se posent s'agissant de l'écho
rencontré et du sens que pourrait avoir une stratégie de prévention et
d'hygiène auprès de populations n'ayant aucune maîtrise du temps, donc
incapables de prévoir, ni d'inscrire leurs actions dans le long terme. Plus
que la recherche du bien-être, les stratégies paysannes ne s'inscrivent-elles
pas dans une logique de "gestion des incertitudes" dont parle D. Desjeux ?
Au-delà d'une simple étude sur les SSP, c'est la relation des paysans
au pouvoir qu'il convient d'appréhender ici.
Au risque de nous répéter, les sociétés paysannes ne sont pas des
entités uniformes. Importées de l'extérieur (et adaptées aux contextes
locaux) les conceptions que véhiculent les SSP semblent pourtant, à bien des
égards
ignorer
ou
minimiser
l'existence
de
clivages
(sociaux,
économiques...) en leur sein, quand elles n'en donnent pas tout simplement
une vision idéaliste.
S'il faut entendre par là que ces sociétés ignorent les conflits et
baignent dans une harmonie parfaite, cette image ne nous paraît pas
conforme à la réalité. Mieux, c'est un mythe qu'il y a tout lieu de dépasser.
Faut-il par exemple rappeler que les villages africains aussi "égalitaires"
qu'ils puissent paraître pour l'observateur extérieur, abritent en réalité

- 24-
d'importantes stratifications sociales? D'une part, s'observent des inégalités
entre sexe, entre âge et entre groupes familiaux; de l'autre, différences de
statut, de richesse, de pouvoir, etc.
A l'opposé, bien des régimes au pouvoir ne voient en leurs
campagnes que des sociétés "non évoluées" qu'il faut soustraire, au besoin
par la force, de cet état.
/'
Entre ç~tte attitude d'idéalisation d'une part, et de négation d'autre
part des sociétés paysannes, il y a place pour l'appréhension de ces sociétés
par une vision plus nuancée, avec la prudence (et peut-être la rigueur)
qu'exige toute démarche de type scientifique. D'où la nécessité de s'imposer
des contraintes méthodologiques indispensables, pour éviter de tomber
dans le piège de la facilité ou des schémas réducteurs.
Ces précisions apportées, revenons aux chercheurs qui ont consacré
nombre de leurs travaux à l'étude de la santé ou des soins de santé
primaires. Pour l'essentiel, ces études se focalisent principalement sur les
représentations de la santé et de la maladie, de l'institution sanitaire, sur les
relations entre malades et thérapeutes, les itinéraires thérapeutiques des
patients, etc. Nombre de ces travaux s'inscrivent dans une perspective
ethnologique ou anthropologique, à l'image de ceux de B. Hours sur le
Cameroun ou de D. Fassin sur le Sénégal qui restent d'excellentes
monographies. Toujours dans le domaine de l'anthropologie, on peut citer
également l'ouvrage de S. Fainzang, consacré à l'étude de la maladie et de la
divination chez les Bisa du Burkina, etc. Tout en restant d'une qualité et
d'une pertinence remarquables, ces travaux ne recoupent que partiellement
l'objet dont nous nous préoccupons ici. D'une part, ils ne concernent que
rarement les soins de santé primaires (excepté ceux de D. Fassin) et, d'autre
part, ne s'orientent pas véritablement vers l'étude des facteurs et des
conditions de la mobilisation des communautés rurales à partir des
politiques sanitaires étatiques (17). Quant aux rares études sur le Burkina
17- On doit mentionner cependant quelques articles de D. Fassin consacrés à l'étude de la
participation communautaire dans la politique des SSP, mais non centrés sur les ASC
comme dans notre cas.

- 25-
(dans le domaine de la santé) elles ne s'intéressent que superficiellement
(ou pas du tout) à cette dimension (18).
Pour notre part, il nous semble primordial de nous appesantir sur
ces facteurs, dont l'analyse nous permettra de mettre en relief les logiques
paysannes. Notre étude s'intègre également dans la problématique des
relations Etat/communautés paysannes, à travers les politiques publiques
'1
qui s'adressent aux campagnes. S'agissant des SSP, c'est incontestablement
D. Fassin dont'.on' connaît les nombreux travaux sur le Sénégal (et dont on
s'inspirera) qui a élaboré la réflexion la plus poussée en dévoilant les
véritables enjeux sociaux qui se construisent autour des SSP. S'appuyant sur
des analyses très éclairantes, il s'efforce de montrer que derrière cette
politique se profile des questions plus générales de légitimité, de
représentativité, et finalement de pouvoir. Aussi adopterons nous une telle
démarche pour l'appliquer à l'exemple de la Sissili, en particulier à travers
le rôle des comités de santé et l'attitude de l'institution coutumière.
Par ailleurs, pour rendre compte du rapport des communautés
rurales à l'Etat, nous évoquerons la thèse de G. Hyden sur la paysannerie
non "capturée", dans la mesure où son approche recoupe notre propre objet
d'étude. On comprendra que l'on aborde également des auteurs africanistes
comme Bayart, Medart... dont les analyses, même si elles débordent quelque
peu notre objet (elles concernent plus globalement les rapports Etat-société
civile) ne sauraient nous laisser indifférents dans notre approche de l'Etat
post-colonial africain. Plus généralement nous aurons recours aux études
théoriques axées sur les concepts d'Etat, de mobilisation, élaborées par des
auteurs comme Badie, Birnbaum, Chazel...
Au total, notre travail se situera au carrefour de la sociologie
politique, la sociologie de la santé et de l'anthropologie de la santé.
L'intérêt sociologique du sujet
Ce travail se veut une étude sociologique sur le sujet: Les stratégies
des soins de santé primaires au Burkina: mobilisation communautaire et
18_ Il ne s'agit d'ailleurs pas véritablement d'études sociologiques.

- 26-
logiques paysannes. Il s'inscrit dans la préparation d'une thèse de doctorat
(nouveau régime).
Plusieurs raisons ont présidé au choix de ce sujet: il est avant tout
dicté par un intérêt personnel (d'autant qu'il reste difficile, voire impossible
pour tout chercheur d'ignorer cette dimension) doublé de celui que nous
nourrissons pour cytfe discipline.
L'actualité du thème a également orienté notre choix. Les
années 1980 ont été marquées par l'idée d'un "nouvel ordre sanitaire
mondial" ; la question de l'accès aux soins des populations des pays dits du
Sud est restée au centre des grands débats internationaux et s'affirma
comme
l'une
des
préoccupations
majeures
de
la
communauté
internationale. C'est de cette même volonté que naquit l'idée desSoins de
santé primaires. On a pu observer cependant qu'au Burkina, les populations
auxquelles s'adresse cette politique sanitaire se montrent, dans leur
majorité, particulièrement réfractaires à utiliser les structures implantées au
sein de leurs villages même (PSP, cases de santé...). Autre paradoxe: l'agent
de santé villageois ne semble pas jouir d'un crédit suffisant pour mener à
bien sa mission.
Ces constats ont suscité en nous nombre de questionnements et, en
définitive, nous ont conduit à porter notre attention sur la compréhension
et l'étude de ces phénomènes.
Du point de vue de la recherche empirique, il nous a été donné de
constater une relative pénurie d'études sociologiques dans ce domaine (19).
Aussi avons-nous jugé opportun de tenter, dans le cadre de cette thèse, de
jeter les bases d'une recherche plus approfondie, articulée sur un travail de
terrain.
L'étude sociologique des problèmes sanitaires ne peut, à notre avis,
que contribuer à une meilleure compréhension de ces phénomènes (20) ;
l'originalité et/ou la spécificité de ce regard sociologique constitue, pensons-
nous, un éclairage utile à la compréhension des problèmes touchant à la
19-Mais cela ne nous paraît pas être le signe d'un manque d'intérêt, bien au contraire.
20_ Cette observation s'applique bien sûr à l'approche anthropologique également.

-27 -
santé (21). Etudier la santé, c'est aussi une façon de s'intéresser à la société
tout entière. Sylvie Fainzang ne précise-t-elle pas à juste raison: "Etudier la
place de la maladie .dans une société, permet d'apporter à la fois un éclairage
sur son système de pensée et sur ses mécanismes sociaux" (22). Abordant
dans le même sens, Claudine Herzlich remarque: "à travers la maladie,
nous parlons d'autres. choses, de la société et de notre rapport à elle" (23).
/
En élaborant des concepts, des outils, des moyens d'investigation qui
(
lui sont proprés, la sociologie construit sa propre démarche et affirme sa
spécificité, en se distinguant des autres sciences. De nos jours, elle a acquis
un droit de cité dans le champ de la santé: "On voit mal comment une
affection
quelconque pourrait échapper a priori à une interprétation
sociologique, si ['on admet que l'action d'un agent pathogène dépend
toujours, à des degrés divers, des conditions sociales qui accentuent ou
diminuent
la
vulnérabilité de l 'homme,
son
espérance de
vivre.
La
sociologie
a sa
place
non
seulement
dans
la
compréhension
des
comportements, des attitudes, des personnalités des malades et de ceux qui
les soignent, mais encore dans l'analyse étiologique des accidents de santé...
pour quelles raisons majeures, les atteintes spécifiquement organiques de la
vie
de
l 'homme
échappera ien t-el1es
aux
iuvestiga tions
des
sociologues?" (24). En somme, la légitimité de l'intervention sociologique
dans le champ médical, ne saurait faire l'objet du moindre doute.
Cependant, le discours sociologique sur les soins de santé primaires
(sur la maladie et la santé de manière plus générale) reste encore
embryonnaire. C'est un discours naissant,
qui reste à construire
scientifiquement. De toute évidence, une des raisons de la difficulté
d'émergence de ce discours résulte de l'hégémonie et du monopole exercé
par le discours médical et administratif qui jouissent tous deux d'une totale
2L Il convient de préciser que la sociologie de la santé est une discipline dont l'essor en France
est relativement récent; il l'est encore davantage dans les pays du tiers-monde.
22 FAINZANG (S.), L'Intérieur des choses, maladie, divination et reproduction sociale chez
les Bisa du Burkina, L'Harma ttan, 1986.
23_ HERZLICH (C.), "Médecine moderne et quête de sens: la maladie comme signifiant
social", in Le Sens du mal, Anthropologie, Histoire et sociologie de la maladie, p. 202.
24-GUYOT (J.c.), Quelle médecine pour quelle société, Toulouse, Privat, 1983, p. 133.

- 28-
légitimité. C'est ce que semble traduire E. Freidson lorsqu'il écrit: "la
médecine occupe aujourd 'hui une position comparable à celle des religions
d'Etat d'hier. Elle a le monopole officiellement reconnu de dire ce que sont
la santé et la maladie, et de soigner" (25).
Cette étude ne prétend pas à l'exhaustivité, loin s'en faut; au
demeurant, nous (n'avons ni l'ambition, ni les moyens d'une telle
entreprise. Mais .àu-delà de nos limites propres, l'ouverture du regard
{
sociologique dans le champ de la santé permettra, à terme de combler une
lacune; en effet, la sociologie des soins de santé primaires reste encore à
faire (dans la plupart des pays africains).
Contribuer à défricher un terrain encore largement inexploré par ce
regard sociologique, tel est, en définitive, l'objectif que se fixe cette étude.
Malheureusement, les innombrables difficultés que nous avons
rencontrées
dans
sa
réalisation
(contraintes
matérielles,
limites
théoriques ...) ainsi que son orientation monographique n'en font en réalité
qu'une simple approche qui demanderait à être éprouvée, complétée et
approfondie sur bien des aspects.
La bibliographie proposée n'est nullement exhaustive, elle se
compose
pour
l'essentiel
d'ouvrages
et
d'articles
sélectionnés
prioritairement en fonction de notre sujet.
Dans la première partie de notre étude, nous tenterons d'exposer et
de discuter la philosophie de l'OMS sur les SSP, avant de voir en pratique
comment ils s'articulent et s'intègrent dans l'ensemble du système de santé
burkinabé; après quoi, nous entreprendrons de construire l'objet, par une
mise en perspective sociologique du sujet; nous énoncerons notre
problématique après avoir défini les concepts clés et examiné quelques
approches théoriques. Nous clôturerons cette partie après avoir précisé nos
méthodes d'investigation sur le terrain, les difficultés rencontrées, etc.
La seconde partie sera consacrée à la mise en évidence des facteurs et
conditions de la mobilisation des agents de santé communautaire '. On
25_ FREIDSON (Eliôt), La Profession médicale. Paris, Payot, 1984, p. 15.

- 29-
tentera de montrer leur place, leur rôle dans les SSP, leur statut dans la
société et la manière dont la communauté villageoise se les représente.
La troisième et dernière partie s'attachera à élucider les conditions
socio-culturelles et socio-politiques de la mobilisation paysanne. Elle
comportera une étude comparative des modes de fonctionnement des
systèmes médicaux; urbain et rural et mettra en évidence les rapports des
usagers avec ces différentes institutions de soins. L'attitude des chefferies
.-
.
traditionnelles~-et leur influence sur la mobilisation des communautés fera
l'objet d'un autre chapitre. Gardiens des coutumes et jouissant d'une
légitimité incontestée, ils peuvent être un contre-pouvoir puissant, et jouer
un rôle déJerminant dans le contrôle de la "périphérie" par le "centre".

- 30-
Première

- 31 -
CHAPITRE 1 - LES SSP : QUELQUES POINTS DE REPERES
HISTORIQUES ET PHILOSOPHICO-
ADMINISTRATIFS PREALABLES:
LA PROBLEMATIQUE DE L'OMS
'1
"Il serait plus facile aux soins de santé primaires de voir le jour dans
les pays du t'rers-monde, s'ils étaient seulement reconnus dans les pays
développés ".
Dr Hubert Balique,
Professeur de santé publique à l'Ecole Nationale
de Médecine et Pharmacie de Bamako (Mali).
A - GENESE DES SOINS DE SANTE PRIMAIRES
Dès sa création, l'OMS s'assigna comme objectif de proposer son
aide et son soutien aux Etats membres dans la recherche des solutions en
vue de l'amélioration de la situation sanitaire de leurs populations. Ainsi,
dès l'après-guerre, la réalisation des activités sanitaires sous l'égide de cette
organisation adopta différentes stratégies.
1 - Les "services de santé de base"
Avant d'entrer dans le vif du sujet, nous prendrons le temps de
présenter un bref historique des stratégies antérieures de l'OMS (1950-1975).
Dès 1951, l'association mondiale de la santé décida de donner au
"renforcement des administrations sanitaires nationales" la priorité absolue
sur une période de cinq ans. Jusque-là, l'organisation avait porté son action
essentiellement sur les campagnes antivarioliques, antituberculeuses et
antipaludiques. Par la suite, naquit la prise de conscience que ces actions
spécialisées ne pouvaient avoir qu'un impact limité sur les conditions de
santé des collectivités, en l'absence de véritables services de santé. D'où
l'émergence (au sein de l'organisation) d'un premier stade de réflexion sur
la nécessité de services de santé. Son directeur général souligne que "les
campagnes d'éradication des maladies n'auront que des effets temporaires si
elles ne sont pas suivies par l'implantation de services de santé permanents

-32 -
dans les reglOns rurales, services chargés quotidiennement du contrôle et de
la prévention de la maladie, et de la promotion de la santé" (26).
De 1952 à 1960, le Comité exécutif de l'Association mondiale de la
santé réaffirme périodiquement l'importance de Vce qui est appelé "les
services de santé de base". Franchissant une étape de plus, l'association
mondiale de la san~é..de 1962 proposa la création d'un "réseau de services de
santé de base minimaux" afin de répondre aux "besoins urgents des PVD où
souvent 80 %{~ de la population ne bénéficie d'aucun soin de santé
moderne"; et 'trois ans plus tard, en 1965 l'OMS présenta un modèle de
services de santé de base destiné à "mettre un peu d'ordre" dans l'utilisation
jusque-là "prodigue et chaotique" des maigres moyens d'action sanitaire (27).
Pour A. Thébaud-Mony, les années 69/74 marquent l'avènement
d'une nouvelle démarche de conceptualisation dans la mise en oeuvre des
services de base, définis comme "a basic health service is a network of
peripheral
intermediate
and
central
health
establishment,
staffed
by
adequately
trained
professional
and
auxiliary
personnel
capable
of
performing affectively a group of functions essential to the health of the
people" (28).
L'accent est mis désormais sur l'intégration des programmes, la
complémentarité des services et le développement d'un personnel
auxiliaire plus nombreux comme seule garantie dans la réussite des
programmes
de
lutte
contre la
maladie:
lutte antituberculeuse,
antiavariolique, antipaludique, etc.
Cinq principes directeurs constituent l'ossature de ces services de
santé (29).
26_ Le travail de l'OMS en 1951, Actes officiels, nO 38, p. 2.
27 - C'est ainsi que de nombreux petits projets à petite échelle (projets pilotes) furent
expérimentés dans divers pays.
28_ Définition citée par THEBAUD-MONY (A.), in Besoins de santé et politique de santé,
Thèse doctorat d'Etat, Paris V, 1980, p. 67.
29_0MS, Conseil exécutif, 4ge session, 1972.

- 33-
-
La couverture sanitaire de la population doit être assurée dans
son ensemble, ce qui induit l'implantation systématique de centres de santé
dans toutes les régions du pays.
-
L'intégration des programmes spécialisés doit être effective au
sein d'un service de santé général.
/
-
Il doit Y avoir intégration des programmes de prévention et de
(.
soins curatifs..
-
Il est nécessaire de former un personnel nombreux et adapté aux
tâches d'une couverture sanitaire de base.
-
La participation de la population est requise pour la réussite des
programmes.
On peut remarquer que ces principes découlent d'une conception
médicale qui selon l'expression de A. Thebaud-Mony "mesure la possibilité
d'amélioration de la santé individuelle et collective d'une communauté à
la possession de "ressources sanitaires", c'est-à-dire l'existence de services
fournissant des soins, des vaccins, des consultations au sein même de cette
commu nau té" (30).
A la fin des années 60 cependant, il a fallu se rendre à l'évidence: à
l'échelle mondiale, le système des projets pilotes (en-dehors de quelques
réussites régionales) ne pouvait réaliser les objectifs attendus; greffés sur
des structures sanitaires nationales auxquelles ils ne s'intégraient jamais
véritablement, ces projets coûtaient trop chers, ou dépendaient trop de
personnel hautement qualifié (souvent expatrié) et étaient surtout
technologiquement inappropriés aux sociétés en développement, dont ils
étaient censés satisfaire les besoins.
Confrontée à l'insuccès de ces diverses tentatives l'OMS entreprit
un changement radical de stratégie, qui devait aboutir en fin de compte à
une nouvelle conception des soins qu'elle allait s'attacher à promouvoir
30_ THEBAUD-MONY (A.), op. cit., p. 68.

- 34-
avec sensiblement le même idéalisme et le même zèle que les campagnes de
masse des années 1950-1960.
2 - Les soins de santé primaires:
définition et principes de base
a) Définition
.'
.
Si le concept de "soins de santé primaires" est relativement récent (il
apparaît en effet sous cette appellation dans les textes de l'OMS à partir de
1974-75) les toutes premières ébauches de réflexion qui ont conduit à son
élaboration remontent à 1951. L'approche et l'esprit des SSP diffèrent
fondamentalement des principes des services de santé de base, en ce sens
que, pour les premiers, la primauté est accordée, non à l'implantation
généralisée des services de santé, mais à la reconnaissance des liens entre la
santé et le développement socio-économique; en d'autres termes,
l'amélioration de la santé passe aussi et surtout par des actions relevant du
développement économique. Cette articulation santé-développement est
mise en évidence par la définition des SSP, adoptée à Alma-Ata: "Les soins
de santé primaires sont des soins essentiels fondés sur des méthodes et des
techniques pratiques, scientifiquement valables, et socialement acceptables,
rendus universellement accessibles aux individus et aux familles au sein de
la communauté grâce à leur pleine participation, et à un coût que la
communauté et le pays peuvent supporter à tous les stades de leur
développement
et
dans
un
esprit
d'autoresponsabilité
et
d'autodétermination. Ils font partie intégrante tant du système de santé
national dont ils sont la cheville ouvrière et le foyer principal que du
développement économique et social général de la communauté. Ils sont le
premier niveau de contact des individus, de la famille et de la communauté
avec le système national de santé, rapprochant le plus possible les soins de
santé de l'endroit où les gens vivent et travaillent, et ils constituent le
premier élément d'un processus ininterrompu de protection sanitaire" (31).
Les SSP, dans l'esprit de la déclaration d'Alma-Ata s'efforcent de se
présenter à la fois comme une philosophie et comme une stratégie de la
31_ OMS FISE, Alma-Ata 1978, Les Soins de santé primaires, Genève, 1978, p. 17.

- 35-
santé. Ils semblent marquer par leurs objectifs et leur méthodologie une
rupture d'avec les conceptions naguère dominantes dans le discours et la
pratique de l'OMS. Leurs principaux avantages seraient:
• l'accessibilité des soins essentiels à toute la population,
• l'intégration des SSP dans le domaine économique et social,

la 'primauté
aux
mesures
d'indication,
de
prévention,
d'assainissement du milieu,
• la réduction de la dépendance vis-à-vis des ressources extérieures,
• la mobilisation d'un important potentiel humain, jusque-là sous-
estimé et sous-employé, tant au niveau des personnels de santé que de la
population elle-même.
Outre cela, cette conception introduit un nouveau rapport à la santé,
tant de la part de l'institution sanitaire que de la part des acteurs. Elle
appelle des changements de comportement dont la mise en oeuvre n'est pas
uniquement du domaine technique, mais relève de choix politiques. En
témoigne l'allocution du Dr H. Malher à la séance d'ouverture à Alma-Ata:
"Le succès de la conférence dépendra de la façon dont vous saurez
réagir devant l'importance des enjeux. Je voudrais donc vous poser un
certain nombre de questions:
1. Etes-vous prêts et résolus à prendre des mesures concrètes pour
réduire le fossé entre les "nantis" de la santé et les "démunis" de la santé?
[...]
3. Etes-vous prêts à donner une priorité absolue à la périphérie dans
les allocations de moyens de soins?
[...]
6. Etes-vous prêts à introduire dans le système de santé existant les
changements radicaux qui pourraient s'imposer pour le mettre en mesure
de soutenir convenablement les soins de santé primaires en tant
qu'impératif sanitaire primordial?

- 36-
7. Etes-vous prêts à livrer les batailles politiques et techniques
nécessaires pour surmonter les obstacles sociaux et économiques et les
résistances professionnelles auxquels pourraient se heurter l'introduction
généralisée des soins de santé primaires 7" (32)
b) Les principes des SSP
1
De la ,.définition des SSP retenue par l'OMS et l'UNICEF (33)
découlent un' certain nombre de principes tels le lien entre santé et
développement, le caractère universel des SSP, mais surtout, la "stratégie de
la santé pour tous" contient deux principes constitutionnels: le principe
d'égalité et le principe de justice. Au demeurant, ces principes dans leur
ensemble peuvent être regroupés en trois catégories:
1. Les 3 premiers principes concernent les liens entre les services de
santé primaires et la communauté dans laquelle ils s'insèrent.
". Les soins de santé primaires doivent être conçus en fonction des
moeurs de la population à laquelle ils sont destinés .
. La population locale doit participer activement à la conception des
activités de protection sanitaires si l'on veut que ces activités soient adaptées
aux besoins et priorités locaux.
. Il faut faire autant que possible appel aux ressources locales
notamment celles qui n'ont pas encore été exploitées, et le coût des
prestations offertes ne doit pas dépasser les limites intangibles qu'imposent
les conditions économiques".
On
le
voit,
ces
premiers
principes
font
de
l'initiative
communautaire et de la participation une nécessité pour la bonne marche
des SSP. La participation communautaire étant définie comme "u n
32_ MAHLER (H.), Discours prononcé le 6 septembre 1978 à la séance inaugurale de la
conférence internationale sur les SSP à Alma-Ata, Chronique OMS, vol. 32, n° Il,
nov. 1978,p.448/449.
33-Rapport pour la session 1977 du comité mixte FISE:OMS des directives sanitaires.
Engagement communautaire dans les SSP: étude sur le processus de motivation et de
participation continue de la communauté. UNICEF:WHO, 1977, Appendice l, p. 1.

- 37-
processus dans lequel les individus et les familles d'une part, prennent en
charge leur propre santé et leur propre bien-être comme ceux de la
communauté, d'autre part, développent leur capacité de concourir à leur
propre développement comme à celui de la communauté. Ils en viennent
ainsi à mieux appréhender leur propre situation et être animés de la
volonté de résoudre leurs problèmes communs, ce qui les mettra en mesure
d'être des agents~e leur propre développement au lieu de se cantonner
dans le rôle de bénéficiaires passifs de l'aide au développement"
(34).
Cette définition appelle quelques remarques:
- d'une part, il ne nous paraît pas juste et fondé de présenter les
communautés comme bénéficiant "passivement" de l'aide (de nombreux
exemples à travers le monde démontrent le contraire),
- d'autre part, il y a tout lieu de ne pas confondre ou réduire la
participation communautaire à une prise en charge d'une communauté par
elle-même ou à son engagement dans des actions de développement. En
pratique (surtout en milieu rural) les communautés sont doublement
sollicitées; d'une part, elles financent les prestations sanitaires en acquittant
l'impôt et, d'autre part, au nom de la participation communautaire on leur
demande de fournir des terrains, de la main-d'oeuvre (latrines, P5P...). Tel
est dans bien des cas la forme que prend la participation communautaire.
Or, en réalité, cette dernière doit s'intégrer à une véritable politique non
seulement de développement (et non pas se .limiter à des actions
ponctuelles) mais aussi de redistribution systématique des ressources, sinon
le risque est grand de voir peser sur cette communauté le poids croissant de
ses efforts, sans bénéfice véritable pour elle.
2. Deux principes portent directement sur l'organisation des services
de san té primaires :
". Les soins de santé primaires doivent être assurés par un ensemble
cohérent de services-prévention, traitement et promotion de la santé axés à
la fois sur la collectivité et sur l'individu.
34_ OMS-PISE, op. cit., p. 56.

- 38-
. Toutes les interventions médico-sanitaires doivent être effectuées à
l'échelon le plus périphérique des services de santé par l'agent ayant reçu la
formation la plus simple préparant à cette activité".
Ces principes s'inspirent de l'expérience des "médecins aux pieds
nus" en Chine, qui sont constamment cités comme l'exemple même de ce
/
nouvel agent sanitaire. La différence réside cependant dans un facteur
fondamental: de' processus survenu en Chine n'était pas simplement
l'adoption d'une technique sanitaire nouvelle, mais un changement
politique profond qui modifia dans ses fondements même la structure
sociale et partant le système sanitaire et sa mentalité.
Pour A. Thebaud-Mony dont nous partageons l'analyse, "ce ne sont
pas quelques projets pilotes qui ont débouché sur une transformation, ce
sont au contraire les transformations fondamentales de la structure sociale
qui ont permis la mise en place d'une organisation sanitaire radicalement
différente dans laquelle le médecin aux pieds-nus peut intervenir selon les
responsabilités qui lui incombent au sein de la communauté et en lien avec
elle, à partir d'une conception de la santé et de la maladie toute autre et dans
laquelle le combat pour la santé s'enracine dans la vie même des gens et
non dans la capacité d'une institution à diffuser ses services" (35).
3. Deux autres principes mettent en exergue les relations étroites
entre le fonctionnement des SSP:
d'une part, les autres niveaux de
l'organisation
sanitaire et,
d'autre part,
les
autres secteurs du
développement
". Aux autres échelons, les services doivent être conçus de manière à
soutenir l'action des unités périphériques, notamment en ce qui concerne
l'appui techn ique, les approvision nemen ts, l'encadremen t et l'accueil des
malades ayant besoin de soins plus spécialisés.
. Les services assurant des soins de santé primaires doivent être
étroitement coordonnés avec les services des autres secteurs qui prennent
part au développement
rural (agriculture, éducation, travaux publics,
logement et communication)".
35- 0
p. '
Clt., p. 72.

- 39-
De ces deux derniers principes, il découle l'évidence selon laquelle il
devient quasiment impossible d'appréhender les SSP comme une simple
technique applicable sans conditions préalables, sans un réaménagement
des options politiques et économiques des gouvernements (36). Ainsi, si la
coordination avec d'autres secteurs de développement n'émane pas d'une
volonté politique ~ationale, comment peut-elle être effective au niveau
local? Les cboix en agriculture sont déterminés au plan national ou même
international, ét la plupart des communautés rurales du tiers-monde n'ont
aucune autonomie. En outre, comment instaurer la démocratie à l'échelon
local (cf. la volonté affirmée de démocratisation avec l'adoption des SSP) si
elle n'est pas une préoccupation au niveau national? (nombre de régimes
du tiers-monde ayant adopté les SSP sont loin d'être des régimes de
démocratie et de liberté (37).
Certes,
la
coordination
est
et
demeure
une
nécessité
incontournable; cependant, il convient de ne pas mettre la charrue avant
les boeufs, car, avant d'être technique, elle est d'abord politique. Mais c'est là
un pas que l'OMS ne peut franchir.
Au total, si l'on veut traduire ces principes des SSP en termes de
problème social, économique ou politique, on s'aperçoit de l'absence de
toute référence aux rapports de pouvoir, de domination à l'intérieur des
36_ THEBAUD-MONY constate avec pertinence que les SSP doivent se greffer sur une
organisation sanitaire (préexistante dans tous les pays) dont la logique de développement
et de fonctionnement est diamétralement opposée à la leur. Implantée, dit-elle dans les
villes, centrés autour du spécialiste, de l'hôpital et des techniques de pointe, comment
l'institution sanitaire peut-elle se transformer d'elle-même en une structure cohérente
accordant priorité à la "périphérie" sur le "centre", décentralisant le pouvoir et
"démédicalisant" l'approche sanitaire? Elle poursuit en affirmant que les SSP ne peuvent
être "ajoutés" au développement d'une institution sanitaire moderne sans que des mutations
profondes transfonnent celle-ci en fonction d'objectifs opposés à ceux qui l'avaient conduit
jusque-là. (Thébaud, op. cit., p. 65 et 73).
37 Il est vrai que pour H. Mahler, "il est possible de modifier et d'améliorer les politiques et
actions sanitaires sans toucher aux bases du gouvernement". "Que signifie la santé pour tous
en l'an 2000", in Forum mondial de la santé, 1981, vol. 2, nO 1, p. 23.

-40 -
Etats et entre les Etats, ce qui limite sérieusement la portée de ce principe (38)
(singulièrement sur le principe d'équité).
Outre cela, l'OMS veut apporter des ressources sanitaires à des
populations dont l'état de santé est déterminé par des conditions socio-
économiques (nationales et internationales) qu'elle ne remet pas en cause.
Or, la malnutrition, les maladies infectieuses, le paludisme dépendent
moins du manque de "ressources sanitaires" que de l'exploitation
.{
économique et de l'inégalité des conditions d'existence qui favorisent leur
apparition. Ainsi, les sources d'inégalité devant la santé sont liées
davantage aux conditions de travail, de revenu, d'habitat, de nutrition,
d'environnement physique social et culturel. En somme, l'inégalité devant
la santé prend racine dans les inégalités socio-économiques plus profondes
au sein de la société.
On peut relever cependant que la définition donnée aux SSP (par
l'OMS) est loin d'être unanimement partagée, loin s'en faut. A titre
d'exemple, Paul Gigase considère que "la définition des 55? est parfaitement
vague, ce qui permet toutes les interprétations, toutes les hyperboles, toutes
les critiques" (39).
Quant à Marc Gentilini, il avertissait dès le départ que "la notion de
55? risquait fort d'occulter les autres niveaux d'intervention secondaires ou
tertiaires" (40) ; ceci à cause de la mauvaise compréhension de la place et du
rôle des hôpitaux (par les partisans inconditionnels des SSP) dans le
nouveau dispositif sanitaire.
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38_ Exemple: l'actuelle couverture sanitaire des USA est l'une des plus inégalitaires du
monde. Les écarts de santé à l'intérieur du pays sont aussi grands qu'entre pays développés
et pays sous-développés.
39_ GIGASE (p.), "Les Fondements des SSP : exigences, objectifs ou mythes", in A. Destexhe,
Santé. médicaments et développement: les soins primaires à l'épreuve des faits, p. 91-92.
40_ GENTILINI (M.), "Alma-Ata ou la grande désillusion ?", ibid., p. 85.

- 41 -
s'empêcher de penser qu'il s'agit de mettre en place une médecine curative
destinée avant tout à dispenser des soins élémentaires aux plus démunis.
Mais sur cette controverse, Henri Paret précise: fIles soins de santé dont il
s'agit ne sont pas uniquement des soins médicaux et paramédicaux. Sans les
exclure totalement, il s'agit en fait des actions (médicales ou non) de base
(primaires) qui von~ concourir le plus à la santé des membres de la
communauté"
(41),/
(
Le conéept de "primaire" a également été à la source de nombreuses
confusions. Certains l'ont assimilé à des soins de deuxième catégorie, ce qui
est loin d'être le cas. Pour d'autres, il s'agit des soins dispensés lors du
premier contact, ce qui paraît davantage conforme à la philosophie des SSP.
"Les soins de santé primaires sont alors ceux qui sont dispensés au point de
premier contact entre le malade et le système médico-sanitaire" (42) (43).
Il convient de relever également d'autres types de confusion. Par
exemple, pour le grand public, les SSP riment avec pays en voie de
développement. On associe trop souvent ces deux réalités comme si les SSP
étaient exclusivement conçus et destinés au monde sous-développé. Or, ils
concernent de la même manière les pays développés.
Pour certains responsables de systèmes médico-sanitaires et
professionnels de la santé, il y a similitude entre SSP et services de santé de
base; alors que c'est précisément l'échec de la généralisation de ces derniers
dans le tiers-monde qui a fait naître la notion de SSP, destinés justement à
combler les lacunes du système médico-hospitalier classique (44).
4L PARET (H.), Introduction à la santé communautaire, Toulouse, Privat, 1988, p. 152.
42_ Ibid.
43_ PARET (H.) précise par ailleurs que les SSP dépassent le cadre étroit du premier contact
avec des professionnels du monde médical ou paramédical. Pour lui, on peut considérer
plutôt les SSP comme les premiers soins qui surviennent hors du premier contact. Une
personne se blesse dans sa maison; elle désinfecte la plaie et se fait un pansement: c'est un
soin de santé primaire.
44_ Pour H. PARET, il faut entendre par ce concept de services de santé de base, un réseau de
centres de santé périphériques relevant d'un ministère de la santé, desservis par les
personnels médicaux et para-médicaux, dispensant des services curatifs et préventifs qui
correspondent en grande partie à des activités sanitaires (hygiène, nutrition ...).

-42 -
En somme, et sans vouloir nous répéter, les services de santé de base
n'ont pas la vocation de maîtriser des pathologies dont les causes se situent
à des niveaux économique, social ou politique. En revanche, telle est la
prétention des SSP qui, à ce titre font partie intégrante d'un système de santé
communautaire. Enfin, pour bien marquer la différence entre services de
santé de base et SSP, on ajoutera que dans le premier cas, des professionnels
organisent, planifient et décident de ce qui est bon pour les usagers. Dans le
I~
second, les membres de la communauté sont supposés décider par eux-
mêmes; le professionnel n'est plus l'élément central du système. Là encore,
on s'introduit dans le domaine de la santé communautaire, qui souligne
constamment la nécessaire participation de la communauté ainsi que celle
de l'individu.
B - LA MEDECINE "OFFENSIVE" DU DR JAMOY :
L'UNE DES PREMIERES INCARNATIONS DES SSP
Elle aurait été introduite et inaugurée par le médecin-colonel Jamot
et poursuivie par ses émules dont les plus cités sont les médecins Muraz,
Richet, Labusquière... (45).
Par sa philosophie, son organisation, son contenu, cette stratégie
s'apparente profondément au système des SSP, même si son élaboration
remonte à l'époque coloniale.
L'esprit de la médecine "offensive" est basé sur une proposition
toute simple: "aller au devant du malade" et ne plus attendre qu'il vienne
de lui-même se présenter au médecin (46). Ce qui a valu à cette doctrine les
qualificatifs de "médecine de l'avant",
"médecine dynamique" ou
"médecine debout" par opposition à la médecine des formations sanitaires
fixes qualifiée (péjorativement) de "statique" ou dtt'assise".
45_ Cf. MONNE (Raymond), Les SSP, un projet de révolution sanitaire dans les pays du
Sahel: mythe ou objectif possible ? Mémoire DEA, Bordeaux I, 1983/ p. 38.
46_ la qualification de "médecine offensive" fait appel à une vertu militaire essentielle
(d'après Lapeysonnie) dont s'inspire Jamot: l'offensive: on ne doit pas attendre
passivement les coups que la maladie inflige de ci, de là à la population, mais au contraire
porter le combat au coeur même du foyer épidémique.

- 43-
;.l :li
Elle est ainsi résumée, dans le sigle MMPPAA par le médecin-
général 1. Lapeysonnie (47).
- M pour Mobilité. Le principe de la mobilité a donné naissance aux
services mobiles qui devaient sillonner les campagnes; elles assurent les
fonctions essentieUès de dépistage, de traitement, de vaccination, de
chimioprophylaxie. L'action médicale pour atteindre cet objectif devait se
{.
ramifier comme les branches d'un arbre.
M pour Masse. Ici c'est la couverture démographique totale qui est
recherchée à travers le dépistage et le traitement systématique (et de masse)
des malades porteurs de germes (48).
- P pour Prophylaxie. Avant tout, la maladie doit être attaquée dans
la collectivité humaine et dans l'environnement: emploi de vaccins les
plus actifs, chimioprophylaxie, lutte contre les insectes vecteurs de maladies,
assainissement en zone rurale. Ces principes sont également ceux des SSP.
P pour Polyvalence. Pratiqué initialement pour la lutte contre la
maladie du sommeil, ce principe a fini par se généraliser à d'autres
affections (lèpre, tuberculose, paludisme, bilharziose...). Un autre rôle
assigné aux services mobiles était celui de "sentinelle avancée" en zone
rurale, d'où ils dépistaient les premiers malades, et donnaient précocement
l'alerte.
A pour Activités. "Les services mobiles ne peuvent entreprendre à
l'échelle collective' la lutte contre une maladie que s'ils ont à leur
disposition une arme prophylactique ou thérapeutique active et notamment
à des doses uniques ou peu nombreuses, sûre d'emploi et peu coûteuse... La
couverture médicale d'une contrée n'est donc pas totale et un choix
raisonné est indispensable pour discerner ce qui peut être accompli, compte
tenu des urgences et des moyens, à l'inverse des formations fixes dont
47~'Le service de santé dans ses tâches de santé publique en Afrique Noire,' in Revue historique
des armées, 1972, nO 1, p. 37-39.
48_ Cette campagne se faisait au cours de rassemblements dans les villages, mais les méthodes
employées, largement coercitives (amendes, emprisonnements, services publics... )
assuraient l'''efficacité'' des rassemblements.

-44-
l'ambition est de couvrir, en apparence du moins, tous les aspects de la
pa thologie" .
A pour Auxiliaires. Le recours aux auxiliaires est un des aspects les
plus importants de la doctrine Jamot: "devant la dispersion géographique
des tâches, le médecin ne peut assurer à lui seul tous les gestes
diagnostiques" thér~peutiques et prophylactiques nécessaires" ; il doit alors
en confier une partie à des auxiliaires, formés à cet effet (49). Là encore, la
1
similitude aveé les ASC (pour les SSP) est frappante (choix de méthodes
simples, instructions techniques précises, supervision, évaluation des
performances...).
Au total, la "médecine offensive" présente bien des ressemblances
avec les SSP, qui, on peut le dire lui ont "emprunté" certains de ses
principes. Elle a incontestablement contribué à freiner des endémies
particulièrement meurtrières (fièvre jaune, variole...) en répondant
prioritairement (et ceci n'est pas un détail) à des objectifs de conquête,
d'implantation économique, avant le souci purement humanitaire.
49_ LAPEYSSONNIE (L.) cite là quelques passages des textes de Jamot sur les auxiliaires:
"les indigènes du Congo, comme ceux de toutes nos colonies... sont en effet capables, même
s'ils sont illettrés, d'acquérir très rapidement une certaine habileté pour toutes les
manipulations que nécessite le diagnostic microscopique et le traitement de la
trypanosomiase humaine. Toutefois, leur manque d'instruction générale nous interdit
momentanément de compter sur leur esprit d'initiative et nous oblige à surveiller tous leurs
actes de très près; mais sous cette réserve, se sont des collaborateurs très précieux".
Lapeyssonnie, op. cit., p. 39.

-45 -
CHAPITRE II - LES SSP DANS L'ENSEMBLE DU SYSTEME DE
SANTE BURKINABE
SECTION 1 -STRUCTURES ET ACTEURS
A - SSPET POLmQUE DE SANTE
Depuis 1960, date de l'indépendance, tous les responsables politiques
successifs du pays ont exprimé leur volonté politique de promouvoir la
santé des populations, surtout dans les zones rurales déshéritées.
Cependant, jusqu'à une date récente, la structure des services de
santé avait très peu changé, depuis l'accession du pays à la souveraineté.
Elle consistait en un réseau très lâche de postes de santé confiés à un
personnel para-médical qui dispensait des soins principalement curatifs. Les
services étaient gratuits mais le manque de médicaments, de fournitures, de
moyens
de transport, d'eau et de locaux entravait gravement le
fonctionnement du système.
Depuis 1978, le pays a entièrement souscrit à la stratégie des SSP
préconisée par l'OMS; par ailleurs, bien avant même Alma-Ata, il avait, eu
égard à sa situation sanitaire déplorable, sollicité la coopération de l'OMS
pour l'aider à repenser sa politique et son système sanitaires.
La Programmation Sanitaire Nationale CP.5.N.) voyait le jour, avec
comme fondement la stratégie des SSP. Quatre problèmes de santé jugés
prioritaires pour le développement des services de santé étaient identifiés:
- les problèmes de fourniture d'eau et d'assainissement,
- l'insuffisance alimentaire et les carences nutritionnelles,
-
la
morbidité
élevée
due
principalement
aux
maladies
transmissibles,
- l'insuffisance quantitative et qualitative de la protection sanitaire.
Etant donné l'ampleur des difficultés à surmonter, le Plan a mis
l'accent sur les SSP pour une meilleure protection de la population, en

- 46-
faisant sien le principe selon lequel "l'améliora,tion de la situation sanitaire
est l'une des conditions préalables à toute forme de développement". Il fut
également mis en place un programme élargi de vaccination (PEV) qui
ambitionne d'immuniser à l'échéance 1990, 100 % de la population-cible
contre les six principales maladies pour lesquelles il existe un vaccin (50)
(auxquelles sera adjointe la fièvre jaune).
1
L'amél~.oration de la couverture sanitaire tant quantitative que
qualitative devait passer par la mise en place progressive d'un dispositif
sanitaire pyramidal à cinq échelons:
- un PSP (poste de santé primaire) par village,
- un centre de santé et de promotion sociale (CSPS) dans les localités
de 15 000 à 20 000 habitants,
- un centre médical (CM) pour les regroupements de 150 000 à
200 000 habitants,
- des hôpitaux régionaux (CHR) dans les principaux centres urbains
et chefs-lieux de provinces,
- des hôpitaux nationaux (HN) placés au sommet de cette pyramide
(cf. carte).
Ainsi depuis 1983, la politique des pouvoirs publics consiste à
"obtenir la couverture sanitaire totale de la population selon un système de
santé populaire, résumé dans la formule: "la santé par le peuple et pour le
peuple"".
50_ Il s'agit de la rougeole, le BCG, le tétanos, la diphtérie, la coqueluche et la poliomyélite.

-47 -
Le système
Echelon
Infrastructure de s~n­
Niveaux taxono-
de décision
t~ et ~ctivités
mlques de soins
------t-------'--,----t-----~:__------__t---------
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N3tional
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Soins pr:évcntif.s.
Orie!1taticn du ma12ae.
Cart~Le système de santé publique burkinabé

- 48-
Le discours d'orientation politique (DOP) du 2 octobre 1983 assignait
les objectifs généraux suivants au domaine sanitaire et à l'assistance sociale
en faveur des populations:
- une santé à la portée de tous,
- la mise ellplace d'une assistance et d'une protection maternelle et
infantile,
- une politique d'immunisation contre les maladies transmissibles
par la multiplication des campagnes de vaccination,
- une sensibilisation des masses pour l'acquisition de bonnes
habitudes hygiéniques.
Pour la première fois, un accent particulier a été mIS sur la
participation consciente des populations elles-mêmes.
Afin d'atteindre ces objectifs, il fut procédé à un réaménagement
complet des structures:
- réorganisation administrative du ministère de la santé pour
prendre en compte les différentes composantes des SSP,
-
réorganisation
de
la
PSN
par
la
confection
de
plans
départementaux de développement sanitaire,
- responsabilisation des directions provinciales de la santé (DPS) sur
le terrain, en leur permettant une certaine flexibilité dans l'élaboration et
l'exécution des programmes sanitaires provinciaux,
- priorité accordée aux zones rurales, en augmentant les moyens à
mettre à leur disposition,
- renforcement de la participation populaire dans le cadre du
développement, par le biais des CDR (51).
51_ Cf. Carrefour africain: "La Politique sanitaire du Burkina", in Spécial 1er congrès,
mars 1990.

-49 -
Cette
longue
série
de
mesures
nouvelles
était
censée
"révolutionner" la politique sanitaire, en marquant une rupture radicale
d'avec le passé.
Le gouvernement a également adopté en 1984, la stratégie du
GOBIFFF (52) qui ~ise notamment à intensifier les efforts pour réduire le
taux de mortalité infantile (TM!) dans le pays. D'après ses promoteurs, "il
s'agit d'une stratégie fondée sur des actions à la fois simples, peu coûteuses
et efficaces" ; elle consiste en "la surveillance de la croissance des enfants, la
technique de la réhydratation par voie orale, la promotion de l'allaitement
maternel, l' immu nisation, les supplémen ts nutritionnels, l'éduca tion, la
formation des femmes et l'espacement des naissances" (53).
L'approvisionnement en médicaments se fait par deux filières l'une
représentant la SONAPHARM (54) approvisionne les officines, les dépôts et
les PSP. L'autre, la DAPPT (55) destinée aux Hôpitaux Nationaux, aux CHR,
aux CM et aux CSPS.
Les centres de formation du personnel sont constitués par:
- l'Ecole Nationale de Santé Publique qui forme annuellement des
infirmiers d'Etat, infirmiers brevetés, sages-femmes, agents itinérants de
santé, accoucheuses auxiliaires,
- l'Ecole Supérieure des Sciences de la Santé (ESSSA) qui assure
depuis 1984 la formation des futurs médecins.
Il Y a toutefois lieu de reconnaître qu'en dépit des efforts déployés,
des problèmes cruciaux demeurent; on en retiendra quelques-uns:
52_
Grow
chant/oral
rehydra tation/breast
feeding/ immunisa tion/ food/ family
spacing/ female education.
53_ Ministère de la santé publique. Direction provinciale de la santé du Yatenga. Programme
des SSP dans la province du Yatenga 1986-1990, Ouahigouya 1987, p. 9.
54_ Société nationale pharmaceutique.
55_ Direction de l'approvisionnement pharmaceutique et de la pharmacopée traditionnelle.

- 50-
- l'aspect peu opérationnel et le manque d'intégration des actions
rattachées aux SSP"
- le sous-équipement quasi chronique des structures,
- le manque·de méthodologie et d'uniformisation au niveau de la
f
sensibilisation et de la formation des ASC,
- les difficultés de l'approvisionnement régulier et de la fixation des
prix des médicaments,
- l'insuffisance dans le suivi et le contrôle des activités des PSP déjà
constitués,
-
la sous-information des populations en matière de santé
(éducation-hygiène) consécutive à la faiblesse du volet préventif,
- la formation non adaptée des agents de santé et l'insuffisance des
recyclages,
- les difficultés de coordination des activités des partenaires sur le
terrain, y compris les structures étatiques, etc.
* Le budget de la santé
e sanitaire concerne le
Il n'est pas rare qu'en Afrique les Etats "négligent" ainsi le secteur
sanitaire, car ils bénéficient d'une sorte de "rente sociale" (56) qui trouve son
origine dans certaines valeurs fondamentales africaines:
56_ DIOP (Idrissa), op. cit., p. 193.

- 51 -
- Le sens de la solidarité qui reste intact et vivace joue pleinement
en cas de malheur; l'individu malade est pris en charge par ses proches.
Tableau nO 1 - Budget du Ministère de la santé par rapport au PNB au
budget national au Burkina Faso de 1960 à 1982 (en millions
de FCFA)
?
.
Année
.PNB
Budget
Budget
% Santé
% Santé/
(en
national
Ministère
PNB
Bdt fonct.
milliard de
de
Santé
FCFA
fonction-
nement
1960
57,5
-
669,4
1,16
11,8
1967
73,3
7771,2
820,9
1,06
10,6
1970
89,4
3852,5
897,4
1,00
10,1
1971
99,2
9572,0
941,4
0,95
9,8
1973
103,5
10765,6
941,4
0,91
8,7
1974
122,5
11 731 6
1 031,1
0,84
8,8
1975
136,4
13 762,2
1 099,0
0,81
8,0
1976
158,1
18057,2
1 255,5
0,79
6,9
1977
188,3
21 151,0
1304,0
0,69
6,2
1978
225,6
26180,2
1595,4
0,71
6,1
1979
252,0
32074,0
2090,7
0,83
6,5
1980
265,8
36059,0
2582,8
0,97
7,2
1981
319,4
394560
2963,6
0,93
7,5
1982
-
433560
3663,4
-
8,1
,
Source: Requete
~
du gouvernement de la Republique de Haute-Volta aupres
,
. .
de l'AssocIation
Internationale pour le Développement - octobre 1983.
- La médecine populaire semble constituer un relais salutaire pour
l'Etat, longtemps méprisée et dévalorisée, elle est restée (et reste encore) un
recours pour bon nombre de personnes.
Il existe en outre une tendance de ces Etats à ranger la santé dans le
secteur "non productif" qui expliquerait (sans doute partiellement) leur

- 52-
penchant à accorder la portion congrue à la santé dans la répartition du
budget national (57).
Cependant, à l'intérieur même du système de santé, les attributions
budgétaires sont inégalitaires. Le plus souvent, l'essentiel des ressources est
absorbé par les grands hôpitaux urbains, considérés comme la "vraie
médecine". Quant/Ô.ux SSP, l'on s'accorde à penser qu'ils demeurent le
parent pauvre du "budget de la santé, comme le suggèrent ces propos de
.(
Thierry Berc~e:
"Les
gouvernements
africains
laissent
à
l'aide
internationale le développement des SSP, gardant le fonctionnement des
hôpitaux, considérés comme la pièce maîtresse du système de soins" (58).
Ces choix, outre qu'ils entrent en contradiction avec les objectifs
déclarés visant à accorder la priorité aux zones rurales, génèrent (ou
accentuent) comme nous le verrons plus loin des inégalités dans la prise en
charge des usagers du système sanitaire.
B - DISTRIBUTION DES STRUCTURES DE SOINS
ET INEGALITES D'ACCES AUX SOINS
1- Les établissements de santé
Avec une population estimée à 8 millions d'habitants, les
infrastructures sanitaires dont dispose le pays paraissent encore très
limitées; on dénombre:
- 2 hôpitaux nationaux,
- 9 CHR,
- 63 CM,
- 420 CSPS (59),
57- Le recours à l'aide extérieure sous des formes variées permet de compléter l'apport
étatique: assistance en personnel technique, conseillers, dons en matériel (véhicules,
vaccins, médicaments... ), fonnation du personnel, financement de projets dans le domaine
sanitaire (infrastructures, campagnes d'éradication, etc).
58_ BERCHE (Th.), "A propos d'une ONG de développement sanitaire: l'église catholique en
Afrique et les SSP", in Sciences sociales et santé, vol. III, nO 3-4, 1985, p. lOI.
59_ Source: Plan quinquennal 1986-1990.


- 54-
personnel de soins le plus spécialisé. De plus, les cliniques privées
constituent un privilège exclusivement urbain (62).
Si les villes sont plus favorisées en matière d'offre médicale, cela
tient au fait qu'elles concentrent généralement les catégories sociales
privilégiées d'une part, et parce que d'autre part, ces populations sont les
plus solvables et ~ont quasiment les seules à exprimer fréquemment le
besoin de se soigner. La logique de l'offre obéit alors aux lois de la rentabilité
qui se traduit i;>ar des différences dans la qualité des établissements et des
soins mis à la disposition des groupes sociaux consommateurs de soins; elle
entraîne ainsi une différence dans la prise en charge des malades.
Tableau nO 2 - Evolution des formations sanitaires
Années
Hôpital
Centre
Centre
CSPS
Dispen-
Mater-
National
Hospi-
médical
saire
nité
HN
talier
Régional
1985
2
6
51
317
167
26
1986
2
7
54
366
154
20
1987
2
9
55
396
153
17
1988
2
9
58
424
129
11
1989
2
9
63
463
148
16
Source: MInIstère de la Santé, DEP.
La lecture de ce tableau révèle une forte augmentation du nombre
des CSPS. Ils passent de 317 en 1985 à 463 en 1989, soit un taux de croissance
moyen de 9,9 % par an. Cet accroissement s'explique par la transformation
progressive de dispensaires seuls et des maternités en CSPS (c'est-à-dire des
centres comprenant 1 dispensaire et 1 maternité). Ce même phénomène
explique la baisse sensible du nombre de dispensaires (3 % en moyenne par
an) et de maternités (qui accusent une chute d'environ 12 %) de nouvelles
constructions n'ayant pas compensé les nombreuses transformations de ces
62_ Bien entendu, il ne s'agit pas de nier les clivages qui séparent les classes aisées des couches
populaires et qui interdisent à ces dernières d'accéder économiquement aux cliniques ou à
des soins spécialisés.

- 53-
- plus de 6000 PSP (60).
Cette distribution dénote une très nette insuffisance des formations
sanitaires par rapport à la population considérée. On peut donc parler d'une
sous-médicalisation globale. Cependant sur la carte nO 2., on peut constater
une disparité dans la distribution des établissements entre les différentes
provinces du pays.l'Cette disparité se situe aussi bien au niveau quantitatif
que qualitatif. Du. point de vue qualitatif, à la différence des autres types de
'.
formations, les hôpitaux nationaux et régionaux disposent des services les
plus techniques, les plus spécialisés, les plus efficaces. En général, ce sont les
provinces abritant des villes importantes qui possèdent ces types
d'établissement.
Les deux seuls hôpitaux nationaux sont localisés dans les provinces
du Kadiogo et du Houet où sont situées respectivement la capitale et la
seconde ville du pays (61). Les chefs-lieux les plus importants de dix
provinces se partagent les hôpitaux régionaux (CHR). Dans le reste des
provinces (la majorité) on rencontre seulement des centres médicaux, CSPS
et PSP dont l'efficacité en matière de soins reste assez limitée.
La priorité est donc accordée aux grands centres urbains. Les régions
semi-rurales et rurales qui abritent la majorité de la population sont de fait
reléguées au second plan. En réalité, l'importance de la population n'est pas
un critère déterminant dans la localisation des formations sanitaires dans
telle ou telle province; au contraire, la répartition des formations sanitaires,
de même que l'implantation des professionnels de la santé, se justifient par
des raisons autres que les besoins réels des populations (que ces besoins
soient exprimés ou non). Cette tendance semble se confirmer si l'on
compare les zones urbaines aux zones rurales, en matière de disponibilité
des ressources sanitaires. En effet, les populations urbaines qui représentent
5 à 10 % de la population totale, bénéficient nettement des meilleurs
établissements, du plus grand nombre de lits d'hospitalisation, du
60_ Le rapport de la cellule de suivi des PSP/ présenté par le Ministère de la santé en 1988
avance le chiffre de 6932 PSP construits.
6L La capitale Ouagadougou compte 500000 habitants, et Bobo-Dioulasso, la seconde ville,
environ 250 000.

13UHKINA FASO
~ -
c",.~. ft
FORMATIONS SANITAIRES
o
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00
PAR PROVINCE EN 1986... _.
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C1
u

- 56-
centres en CSPS. Les autres formations sanitaires,
HN et CHR, sont très
faiblement représentées. Le nombre des HN est resté stable sur la période
considérée, tandis que celui des CHR enregistrait une légère progression
(6 en 1985, 9 en 1989). Quant aux centres médicaux leur nombre passait de 51
à 63 soit au rythme de 2,4 % en moyenne par an.
2 - Les professionnels de la santé
La presence et le nombre de médecins dans un pays sont des
indicateurs à travers lesquels on mesure le niveau de santé de sa
population. L'importance (ou non) du personnel médical permet d'avoir
une idée sur le niveau de développement du pays et surtout sur le niveau
de vie des populations. On peut établir de ce fait une corrélation entre le
nombre de médecins et l'espérance de vie des populations. Elle a tendance à
s'élever avec le nombre de médecins et inversement/elle est plus courte
quand le personnel médical est insuffisant (63).
Au Burkina, les ressources en personnel demeurent encore très
insuffisantes, une fois qu'elles sont correlées avec le nombre de la
population. En 1984 par exemple, les ratio personnel médical/nombre
d'habitants sont encore très loin des normes minimales admises par la
région africaine. Le tableau nO 3 donne une idée de la carence du personnel
de santé (1984).
Bien que ne disposant pas de chiffres plus récents, il nous est
possible d'affirmer que cette tendance n'a pas fondamentalement changé,
même si par ailleurs on peut noter un léger accroissement numérique du
personnel sanitaire (tableau nO 4).
63_ En 1974, au Burkina où 36 % des médecins se concentrent dans les villes, l'espérance de vie
était de 42-43 ans; dans les communes rurales où le nombre de médecins ne représentait que
46 % (pour 90 % de la population) l'espérance de vie n'est plus que de 32 à 33 ans. Cf.
C.C.C.E. , Evaluation des formations sanitaires par le FED en Haute Volta, 1974.

- 57-
Tableau nO 3 - Burkina Faso: situation des ressources en personnel de santé
pour 1984 et ratios personnel/nombre d'habitants
Personnel
Nbre
Ratio par nbre
Normes pour la
d'habitants
région africaine
Médecins
171
1/40711
1/10/000
Chirurgiens
18
1/386 752
dentistes
'/
Pharmaciens
74
1/94075
Infirmiers d'Etat
612
1/11375
1/5000
Infirmiers
853
1/8161
1/3000
brevetés
Sages-femmes
229
1/30400
1/5000
Accoucheuses
204
1/34125
auxiliaires
Agents itinérants
de santé
,
. ,
Source: Enquete
A
reahsee par les serVIces de statIstIques de la D.E.P.S.S.
Tableau nO 4 - Effectif du personnel de santé en 1985 et 1989 et taux de
réalisation pour le premier plan
Désignation
Person-
Be-
Person-
Taux de
Diffé-
Taux de
nel
soins
nel
crois-
rence
réali-
1985
addit.
1989
sance
1989/85
sation
1er
% 1985-
%
PQD
89
Médecins
208
63
231
2,7
23
36,5
Dont
19
36
15
- 5,8
-4
- 11,1
chirurgiens
Chirurgiens
20
6
20
0,0
0
0,0
dentistes
Pharmaciens
102
8
87
- 3,9
-15
-187,5
Infirmiers
218
315
368
14,0
150
47,62
spécialisés
Infirmiers
805
290
795
- 0,3
-10
- 3,45
d'Etat
Sages-femmes 290
34
305
1,3
15
44,12
Infirmiers
1160
206
1060
- 2,2
-100
- 48,54
brevetés
Agents
206
371
280
8,0
74
20,0
itinérants de
santé
Accouch.
191
345
219
3,5
28
8,12
auxiliaires
,
Source. DEP/Sante.

- 58-
De la lecture de ce tableau (n04) on peut retenir une faible évolution
des effectifs du personnel au cours de la période 1985-1989, et dans certains
cas ces effectifs ont même accusé une baisse sensible, comme c'est le cas avec
les chirurgiens (5,8 %), les pharmaciens (3,9 %), les infirmiers brevetés
(2,2 %) et les infirmiers d'Etat (0,3 %). Cette chute semble consécutive à
l'expansion du secteur privé, responsable de l'absorption d'une partie du
personnel du public d'une part et, d'autre part, par le non recrutement
d'élèves en 1986 par les écoles professionnelles. C'est ce qui explique
également la croissance très timide du nombre des sages-femmes (1,3 %) et
celui des accoucheuses auxiliaires (3,5 %). Les seules exceptions s'observent
chez les infirmiers spécialisés et les agents itinérants de santé où l'on note
une croissance moyenne élevée, respectivement de 14,0 % et de 8,0 %.
En-dehors de ces moyennes contenues dans ces tableaux, des
disparités énormes subsistent entre ville et campagne. Ainsi au début des
annéesSO, on comptait pour la ville de Ouagadougou un médecin pour
5 000 habitants contre un pour 150 000 dans le secteur rural.
Ces constatations confirment une fois de plus que la répartition des
médecins et du personnel de santé ne se réalise pas sur le seul critère de la
satisfaction des besoins du plus grand nombre. D'autres facteurs sont à
prendre en considération:
- Les jeunes médecins souvent formés à l'extérieur se montrent peu
enthousiastes à exercer en milieu rural. Cela se comprend dans la mesure
où seuls les grands hôpitaux urbains sont en mesure de leur fournir un
cadre leur permettant d'exercer leur art tout en utilisant au mieux leurs
compétences. De surcroît,
leur formation
ne
les
prédispose
pas
véritablement à exercer dans les petits centres de santé de brousse,
dépourvus d'équipements, voire de médicaments, où le personnel est bien
souvent contraint de soigner les "mains nues",
-Les conditions financières expliquent également cette concentration
du personnel médical dans les régions les plus urbanisées. Ce personnel
exerçant pour l'essentiel dans la fonction publique, reçoit des affectations
soit au sein d'un hôpital urbain, soit dans un établissement rural. Jusqu'en
1983, des dispositions particulières permettaient aux médecins qui servaient
dans les hôpitaux de Ouagadougou et Bobo Dioulasso de percevoir un

- 59-
pourcentage sur les prix des consultations. Les consultations étant gratuites
en milieu rural, seul l'exercice en ville permettait de bénéficier de ces
avantages. La ville offre également aux médecins la possibilité de s'engager
dans la médecine privée. Une telle activité peut leur fournir une source de
revenus non négligeables d'autant que les classes urbaines privilégiées sont
fortement demandeuses de soins de la médecine moderne; dans le même
temps, les besoiI\\S' des populations rurales et des couches urbaines
périphériques, moins ouvertement formulés,
moins solvables, ont
{
tendance à êtré négligés. En somme, la médecine privée est avant tout pour
certains praticiens un moyen de gagner de l'argent et de renforcer leur
position sociale.
Enfin, l'appartenance même des médecins à la frange des catégories
sociales privilégiées, se traduit par une volonté plus affirmée d'accéder aux
différents avantages qu'offre la ville et de rester en contact avec son univers
culturel. L'absence de structures scolaires dans nombre de régions éloignées
des villes ainsi que l'isolement qu'elles peuvent engendrer, n'en font pas
des milieux attractifs pour ces praticiens. Par conséquent, beaucoup de
médecins rechignent à s'installer dans les campagnes où les conditions de
vie leur semblent pénibles et les revenus des paysans trop bas.
Dans le même temps, des cliniques privées aux prix prohibitifs
prolifèrent dans les grandes villes. Les médecins employés par l'Etat sont
faiblement rémunérés par rapport à leurs collègues du secteur privé; ils
sont alors tentés de mener une activité médicale parallèle.
Au total, il ressort de cette analyse de l'espace médical, que la
distribution géographique observée, induit non seulement des inégalités
d'accès aux soins, mais aussi des inégalités dans le contenu des soins
dispensés. Dans les régions faiblement médicalisées par exemple, les actes
pratiqués ne peuvent avoir qu'une moindre efficacité, en raison du nombre
très élevé des demandeurs, mais aussi de l'absence d'équipement. Or, la
différence de contenu dans la pratique des actes est elle-même un indicateur
d'inégalité.
Ce faisant, la notion d'inégalité renvoie elle-même à la stratification
de la société en groupes sociaux différents et, par conséquent, à la
hiérarchisation des besoins et des réponses de l'institution sanitaire. Voyons
à présent les mécanismes qui génèrent cette hiérarchisation.

- 60-
C - LA PYRAMIDE DES ETABLISSEMENTS DE SOINS
OU LA HIERARCHISATION SOCIALE DE LA PRISE EN CHARGE
Le système de santé burkinabé tel qu'il se présente (cf. Carte nOl), se
caractérise par une organisation verticale des établissements de soins,
suivant leur import~nce et leur qualité, instaurant par ce fait même une
hiérarchisation de la prise en charge des malades. Cette organisation induit
un accès différ,~ntiel à certains types de soins, en ce sens qu'à ce classement
des formations sanitaires correspondent des niveaux d'équipement, de
qualité de soins, de densité médicale et globalement une prise en charge très
inégale.
Cette situation découle de la structure même de la pyramide
sanitaire que nous analyserons ici.
Situés au sommet de cette pyramide, les hôpitaux nationaux se
présentent comme des établissements où les malades peuvent avoir accès
aux meilleurs soins. Ils absorbent à eux seuls une part importante du
personnel médical, qui s'avère être en réalité le plus qualifié. Ils concentren~
également les matériels de soins les plus sophistiqués, les laboratoires
d'analyses, les centres radio-diagnostics, le plus grand nombre de lits
d'hospitalisation et les services les plus spécialisés. Environ 40 % des
médecins y exercent. A titre d'exemple, les 2 hôpitaux nationaux de
Ouagadougou et Bobo Dioulasso disposent à eux seuls de près de 3/4 des lits
d'hospitalisation, contre 1 /4 pour les hôpitaux régionaux.
Les CHR quant à eux, ne peuvent prétendre offrir les mêmes
prestations que les HN. Cependant, certains d'entre eux bénéficient pour
leur fonctionnement des retombées de l'aide extérieure, principalement
auprès d'organismes internationaux ou d'Etats. Ces aides consistent le plus
souvent
en
une
assistance
technique
(personnel
opérationnel
ou
conseillers) ou en des dotations en matériel et équipement de soins.
Certaines de ces formations pratiquent des interventions chirurgicales, des
analyses en laboratoire, etc. Le personnel qui y exerce se compose de
médecins (généralistes et quelques spécialistes), d'infirmiers, de sages-
femmes, etc.
La vocation des centres médicaux est de servir de centres de
consultations et de soins. Leurs possibilités de diagnostic et de thérapie sont

- 61 -
assez limitées. En pratique, ils ne disposent pas du matériel permettant
d'effectuer des interventions chirurgicales mais disposent néanmoins d'une
capacité (même limitée) d'hospitalisation (la à 20 lits). En tout état de cause,
se sont en majorité des "dispensaires améliorés" servant de référence aux
CSPS. Le centre médical est normalement dirigé par un médecin généraliste,
secondé par un nombre variable d'infirmiers, sages-femmes, matrones... li
englobe une mateIfrÙté et un service de santé de la mère et de l'enfant
associé à la planification familiale (SME-PF).
,~
Le CSPS constitue la première référence du Poste de Santé Primaire
(PSP), il est tenu le plus souvent par un infirmier. On y pratique des actes
médicaux relativement élémentaires, en raison de l'insuffisance du niveau
d'équipement. Les principales maladies relevant de la pathologie locale
peuvent y être traitées, quand l'approvisionnement en médicament le
permet, ce qui est rarement le cas. Certains de ces centres disposent
également de quelques lits d'hospitalisation (5à la lits).
Enfin, à la base de la pyramide, les PSP matérialisés le plus souvent
par des maisonnettes ou des cases constrùites par les villageois eux-mêmes.
Ils sont censés prendre en charge ces "cases de santé" en désignant les agents
de santé communautaires (ASC) et en organisant le renouvellement de la
trousse de pharmacie. La fonction dévolue aux PSP consiste à assurer la
prévention,
l'hygiène,
la
chloroquinisation
(ou
nivaquinisation)
standardisée
(en
vue
de
réduire
la
prévalence
du
paludisme)
l'assainissement de base, le traitement des maladies et affections courantes
(paludisme, diarrhées, toux...).
En réalité, toutes ces fonctions ne sont que rarement assurées, les
ASC n'ayant pas reçu la formation requise pour couvrir tous les domaines.
Formés en deux ou trois semaines dans les CSPS, ils sont aptes à assurer
néanmoins les pansements de plaies, la distribution des comprimés, à
soigner les conjonctivites, la toux, les diarrhées ... Ce niveau de la pyramide
sanitaire, considéré comme la "porte d'entrée" du système sanitaire
correspond véritablement aux soins de santé primaires (ainsi que les CSPS
dans une certaine mesure).
Cependant, en l'absence d'un personnel médical, conjuguée à
l'inexistence d'équipement de santé, il est difficile de parler véritablement
de pratiques médicales.

- 62-
En
résumé,
cette
organisation
laisse
transparaître
une
hiérarchisation verticale, qui se double d'une organisation horizontale,
spatiale! (ou géographique) où l'on distingue trois espaces médicaux de
qualité décroissante, à mesure que l'on se déplace du haut vers le bas de la
pyramide; les cent,res urbains, dotés des principaux hôpitaux et de
l'infrastructure de qUalité; les villes de moyenne importance avec leur CHR
de taille et de qualité inférieure/et enfin les centres de soins de moindre
.(
importance dotés d'un équipement sommaire, sont censés répondre aux
besoins des populations rurales, représentant la catégorie la plus exposée
aux
risques
pathologiques,
mais
pourtant
la
plus
"abandonnée"
médicalement.
Au total, ce système englobe plusieurs types de médecines
hiérarchisées et séparées, où les unes servent de référence aux autres. Ces
médecines correspondent en fait à des filières de soins distinctes, s'appuyant
sur un système médico-administratif. L'organisation pyramidale du système
instaure de fait une hiérarchisation des établissements de soins. Comme le
souligne A. Chauvenet, "Le classement des hôpitaux, en s'appuyant sur la
morbidité sociale différentielle est producteur d'inégalité sociale au niveau
de la prise en charge des corps" (64).
Ce classement, en organisant des filières de soins distinctes selon les
localités, oriente les malades issus des zones rurales ou urbaines
périphériques vers les services les moins bien équipés et ne leur facilite
guère l'accès aux soins intensifs (65). En effet, dans ces régions vit 80 à 90 %
de la population, dont la majorité n'a d'autre choix que de se contenter des
CSPS et PSP pour exprimer leurs besoins de soins. On a affaire à une
"médecine
sélective"
qui
se
traduit
par
une
sous-consommation
64_ CHAUVENET A.), cité par Thébaud CM.A.), op. ciL, p. 243.
65_ CHAUVENET CA.), illustre bien cette inégalité sociale devant l'hôpital en France en ces
termes: "La pyramide des établissements hospitaliers, l'inégalité dans les prix de
journée, l'équipement et les soins prodigués ne tient pas à une différenciation technique des
fonctions, mais à des prises en charge de qualité inégale selon les populations auxquelles
elles sont destinées", cité par Thébaud CA.), op. ciL, p. 243.

- 63-
médicale (66) des catégories sociales défavorisées. Par sa logique, un tel
système instaure des
médecines de qualité inégale, allant de la
consommation d'unemédecine hospitalière, à ce que l'on pourrait appeler
l"'abandon médical" (A. Chauvenet). Les populations urbaines, ou plus
précisément les élites urbaines (67) demeurent les premiers bénéficiaires des
services du systèm~ de santé car ayant directement accès à l'échelon
central (68). Il app~~aît alors qu'à une accessibilité inégale des catégories
sociales aux ~fférents services de santé, en terme financier, s'ajoute une
inégalité d'implantation des structures sanitaires, plus urbaines que rurales,
ou concentrées dans les quartiers résidentiels, au détriment des quartiers
périphériques. Or, plus l'on s'élève dans la hiérarchie sociale, plus massive
est la mise en place des moyens pour sauver ou prolonger la vie. Cette
situation conduit à la hiérarchisation sociale des besoins de santé et des
réponses de l'institution sanitaire.
L'organisation sanitaire burkinabé donne ainsi l'image d'une
double hiérarchisation biologique et organisationnelle qui se prolonge par
une hiérarchisation sociale des besoins de santé, en tous points comparable
au modèle médical français.
Comme l'écrit Thébaud-Mony A., "d'une part, les besoins de santé
des classes sociales défavorisées sont considérées comme "périphériques"
par rapport à ceux des classes dominantes qui, eux, tiennent une place
centrale dans la définition des politiques sanitaires ou le développement de
l'infrastructure, d'autre part, la hiérarchie des besoins eux-mêmes entraîne
66_ Lorsqu'on parle de sous-consommation médicale des classes populaires on prend en compte
à la fois la perception qu'ils ont eux-mêmes des symptômes et ce que l'institution sanitaire
considère comme une demande tardive par rapport aux normes courantes de consommation
de soins.
67_ Il faut entendre par élites urbaines, les hauts fonctionnaires cadres de l'Etat, les
professions libérales, hommes d'affaires, etc.
68_ Ce sont également les élites urbaines qui bénéficient en priorité des services produits par
la société dans le domaine de la santé mais aussi dans tout le reste. Exemple: s'agissant de
la culture et de l'éducation, le taux de scolarisation atteint 80 % dans la ville de
Ouagadougou, alors qu'il n'est que de 2 à 5 % dans la majorité des campagnes.

- 64-
une énorme mobilisation technique autour des besoins les plus élaborés
même s'ils ne sont perçus que par une étroite minorité" (69).
C'est ce qui explique aussi que les services spécialisés, qui sont situés
au sommet de la pyramide du système sanitaire, sont localisés dans des
espaces urbains pour répondre en priorité aux demandes émanant des
classes aisées. En }evanche, les besoins fondamentaux qui se posent en
termes de survie· alimentaire, d'assainissement ou de lutte contre les
maladies infectieuses (ceux dont parlent l'OMS et les gouvernements des
Etats) doivent se contenter des ressources résiduelles.
En définitive, l'appareil sanitaire, loin de remédier aux inégalités
sociales qui découlent du système social contribue, au contraire, pour sa part
à les reproduire, voire à les renforcer.
Tableau nO 5 - Taux de réalisation des normes de couverture de la
population parles formations sanitaires
Catégories de
Normes
formations
1985
1erPQDP
1989
sanitaires
Centres
1/997000 h.
1/851 700
1/946400 h.
hospi taliers
régionaux (CHR)
Centres
1/156170 h.
1/150000 à
1/138872 h.
médicaux (CM)
200000 h.
CSPS
1/25123 h.
1/15000 à
1/18896 h.
20000 h.
,
Source: DEP/Sante.
Il ressort de ce tableau que le taux de couverture de la population par
les différentes catégories de formations sanitaires est assez proche des
normes définies par le 1er PQDP (70). Pour les CHR, ils restent encore en
deçà des prévisions même si pour 1989 on note une légère amélioration.
69_ THEBAUD-MONY (A.), op. cit., p. 233.
70_ Plan Quinquennal de Développement Populaire.

- 65-
Pour les CM, en 1985 comme en 1989, les taux de couverture sont en
adéquation avec les normes du plan, avec pour 1989 un taux de couverture
supérieure aux prévisions du plan. Pour les CSPS, le taux de couverture,
légèrement en deçà des normes en 1985 enregistre une nette progression en
1989 (1/18896/hab.). Toutefois, il convient de relever la persistance des
disparités intra et ~riter-provinciales dans la répartition de ces formations
sanitaires. Par ailleurs, ce sont les provinces qui avaient déjà de meilleurs
taux de couveI'tur"e en 1985 qui ont davantage amélioré ces taux en 1989 par
des réalisations en hors-plan; par contre, les provinces défavorisées sont
restées pratiquement à leurs niveaux initiaux de taux de couverture.
SECTION II - CARACTERISTIOUES GENERALES DE LA ZONE
D'ENQUETE
Notre objectif ici est de donner un aperçu succinct sur la situation
économique, démographique, sociale et sanitaire de la province
A - GENERALITES
Située au Sud du pays, et faisant frontière avec le Ghana, la province
de la Sissili couvre une superficie de 13736 Km2.
Sa création remonte à l'avènement de la Révolution en 1983. Elle
est divisée en 13 départements et 284 villages administratifs. Elle est limitée
au nord par les provinces du Sanguié et du Bulkiemdé, à l'ouest par celle de
la Bougouriba, à l'est par le Nahouri, au nord-est par le Bazéga, et au Sud
par la République du Ghana.
A l'instar des autres régions du pays, son économie est dominée par
l'agriculture et l'élevage. Ces deux activités occupent plus de 80 % de la
population active. Les méthodes de production agricole restent encore
traditionnelles et extensives, avec de faibles rendements et un épuisement
rapide des sols. Il s'agit d'une agriculture de subsistance avec vente de la
surproduction. La culture attelée et l'utilisation des engrais commencent à
faire leur apparition, mais sont le fait d'une minorité de paysans. Les
cultures vivrières les plus importantes sont le sorgho blanc, le petit mil, le
maïs et les arachides. Les ignames, l'arachide et le coton constituent les
principales cultures de rente.

- 66-
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- 67-
Au niveau de l'organisation politique et administrative, le village
constitue l'unité administrative de base. Il est dirigé par un conseil
révolutionnaire de village, réunissant les comités révolutionnaires (CR) de
paysans, de femmes, de jeunes, etc. Situé à l'échelon supérieur, le
département regroupe plusieurs villages et est administré par un préfet,
assisté par la coordination départementale des structures populaires. Le
préfet est nommé. par le pouvoir central.
.(
La province, avec ses 13 départements, est administrée par un haut
commissaire qui est également le représentant local du gouvernement. li est
appuyé dans ses tâches politiques par la coordination provinciale des CR.
Son chef-lieu, Léo, est une ville peuplée d'environ 10 000 habitants, à
230 km au sud de Ouagadougou. Sa proximité avec le Ghana en fait
également un carrefour commercial important.
B - DEMOGRAPHIE ET PEUPLEMENT
La population se compose de trois principales ethnies
1. Les Nuna (71), sous-groupe des gurunsi (72) constituent la
population autochtone de la région (environ 60 %). L'ensemble Gurunsi est
vaste et comprend plusieurs populations qui parlent une même langue,
mais avec des variations dialectales. Les Gurunsi du Burkina représentent
5,3 % de la population totale. Le sous-groupe Nuna peuple essentiellement
la province de la Sissili.
2. Les Mossi, venus pour l'essentiel du "Plateau mossi"; leur
migration est consécutive à une surpopulation et une dégradation
progressive des sols en pays mossi (au centre du pays). Ils sont attirés par la
disponibilité des terres encore fertiles, la population moins dense et une
bonne pluviométrie. Dans certains villages cependant les Mossi sont en
voie de dépasser les Nuna en nombre, ce qui témoigne de l'ampleur des
flux migratoires, amorcés dès la fin des années 60.
71_ Prononcer "Nouna".
72_ Prononcer "Gourounsi".

- 68-
Situation du pays Gurunsi au Burkina Faso
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SITUATION DU PAYS GURUNSI
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- 69-
3. Les Peul~, originaires de la région nord du pays; à l'opposé des Nuna et
Mossi, ils sont des éleveurs, à la recherche de meilleurs pâturages et de
points d'eau. Mais avec le temps, beaucoup ont fini par se sédentariser, en
pratiquant la culture du mil et du maïs. Les peulh occupent habituellement
les zones périphériques des villages.
Sur le plaI) 'démographique, avec le dernier recensement de la
population (de 1985) la Sissili comptait 246844 habitants, avec un taux
d'accroissement annuel de 3,2 %. Cette population est estimée à 297585 en
1991 (soit 21,7 h/km2). Plus de 92 % de la population vit dans les villages.
Les habitants sont en majorité animistes, mais la pénétration
islamique est devenue de plus en plus forte, suite à l'immigration des Mossi
et des Peulh.
Au terme d'un long processus d'émigration, Mossi, Peulh, Dagari...
se fixeront
progressivement
dans
la
province.
Leur présence ne
s'accompagne pas toujours d'un véritable brassage ethnique, mais le plus
souvent d'une simple co-existence. L'occupation de l'espace sera fonction de
l'appartenance ethnique, au sens où chaque groupe réside dans un quartier
qui lui est propre (exemple: quartier mossi, quartier nuna, quartier peulh...)
tout en gardant ses spécificités, ses coutumes, ses croyances. Cette
juxtaposition ethnique n'entrave nullement une bonne co-habitation inter-
groupale, pas plus qu'elle n'empêche des formes de rivalités entre quartiers.
Au niveau politique, les structures traditionnelles connaissent de
profondes transformations.
Ainsi/l'ancienne chefferie (chefs de village et chefs de terre) des
Nuna existe encore, mais son pouvoir et son influence ne sont plus intacts.
Son déclin s'est amorcé depuis le contact avec la colonisation et s'est
poursuivi avec la période post-coloniale, jusqu'à l'avènement de la
Révolution en 1983.
La société Nuna, à l'origine/ ne présente pas d'exemple de société à
Etat centralisé du type mossi; à ce titre, elle appartenait (et appartient
encore) à la catégorie des sociétés lignagères, où chefs de village, chefs de
terre disposent d'un certain pouvoir sur l'ensemble de la communauté. Le
chef de village est un chef politique (il est reconnu par l'administration
coloniale, puis post-coloniale), il commande tous les chefs de lignage. Le

-70 -
chef, avide de conquérir de nouveaux villages, devient un "chef au bonnet
rouge" lorsqu'il possède déjà une richesse conséquente. Il pouvait ainsi
arriver que plusieurs villages lui soient totalement soumis. M. Duval
montre que c'est en adoptant ce type de pouvoir, que certaines régions du
pays nuna (et notamment Bouyounou et ses environs) ont connu un début
de centralisation: "Tout laisse supposer que sans l'intervention européenne
"
qui a modifié l'évolution en cours, cette société aurait connu un système de
plus en plus centralisé" (73).
f.
De nos jours, les responsabilités du chef de village sont prises en
main par le délégué C.R. qui demeure généralement un des (rares)
villageois sachant parler, lire et écrire en français. Il représente le village à
l'extérieur. Le chef de village conserve néanmoins ses prérogatives
coutumières. L'ancien chef de terre (qui est théoriquement un descendant
du premier occupant des lieux) a encore deux importantes responsabilités:
1. L'attribution des terres. La terre est une propriété commune qui
est attribuée aux familles, sous forme de prêt.
2. Les rites sacrificiels (pour demander une bonne récolte, remercier
les ancêtres, etc.)
C - SITUATION SOCIO-SANITAIRE
Elle est caractérisée par des taux de morbidité et de mortalité encore
très élevés (74).
Taux de mortalité générale 22 %0 (moyenne nationale: 17,5 %).
Taux de mortalité infantile 152 %0 (moyenne nationale: 134 %).
Taux de mortalité juvénile 98 %0.
Espérance de vie à la naissance: 47 ans.
73_ DUVAL (Maurice), Un Totalitarisme sans Etat, p. 28.
74_ Les chiffres sont du Ministère de la santé et de la direction de la santé de la Sissili, in
Programme d'activités de la 3e phase des SSP dans la province de la Sissili 1989-1991.
octobre 1988.

Carte N°S
Répartition des infrastructures sanitaires
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40

-72 -
La surmortalité (quoique en baisse) et la faiblesse de l'espérance de
vie (qui accuse cependant une légère hausse) sont liées à la persistance de
nombreuses maladies endémo-épidémiques qui surviennent souvent sur
un terrain déjà affaibli par les maladies carentielles. La majorité de la
population reste exposée aux maladies transmissibles, microbiennes ou
virales, aux parasitoses engendrées par un environnement insalubre.
'1
Le ma~que d'eau dans certaines régions, l'ignorance, la pauvreté,
bref la précarité de l'existence quotidienne expliquent en partie la fréquence
de la sous-nutrition et de la malnutrition qui prédisposent l'enfance aux
maladies infectieuses et parasitaires. En effet, malgré une production
agricole suffisamment variée et généralement excédentaire, la Sissili est une
des provinces où le taux de malnutrition protéino-énergétique (MPE) reste
important; il atteint par moment 40 à 50 % des enfants de moins de 5 ans
pour la prévalence de la MPE totale et 7 à 12 % de cette même classe d'âge
pour la MPE sévère (cf. d'après une enquête de la direction de la santé et de
la famille).
De toute évidence, l'importance de ces taux résulte de la conjonction
de différents facteurs, tels la faiblesse du taux de scolarisation ou la faible
implantation des infrastructures médico-sociales, mais surtout elle semble
dépendre davantage de données ethno-culturelles (pratiques d'alimentation
et de sevrage, perceptions et conceptions qui sous-tendent ces pratiques, etc.).
Le niveau socio-économique reste également un facteur explicatif; dans les
familles les moins nanties en effet,s'observe une plus grande prévalence des
différentes formes de malnutrition. La faiblesse des revenus se traduit
naturellement dans la qualité et la quantité de l'alimentation des familles.
Nous avons pu remarquer combien la période dite de soudure (au
mois d'août) est un cap difficile à franchir pour les ménages à faible
revenus, largement exposés à la disette. A cette période où les greniers sont
vides, les provisions épuisées, il n'est pas rare de voir des familles se
contenter d'un repas par jour. Globalement, les repas consistent en un plat
unique que l'on mange jusqu'à être rassasié: il s'agit presque toujours du
"tô", fait à base de mil et accompagné de sauces feuilles ou sauces gluantes
telles le "gombo" (pauvre en calories et protides). La consommation de
viande est rare, sauf pour les familles "aisées", Pour le petit déjeûner, on se
contente très souvent des restes de la veille (que l'on fait réchauffer avant

-73 -
consommation) ou parfois d'une bouillie de mil, généralement peu
calorique.
L 'h ygiène
et
l' assainissemen t
res ten t
précaires,
et
l'approvisionnement en eau constitue un problème dans 65 % des villages.
L'infrastruc,tûre sanitaire comprend 23 formations sanitaires ainsi
réparties:
• 2 centres médicaux,
• 15 centres de santé et de promotion sociale,
• 6 dispensaires.
Pour l'ensemble de la province, l'effectif du personnel demeure
nettement en-deçà des besoins. Les médecins, au nombre de deux (soit 1
médecin pour 123422 habitants) sont implantés dans la seule ville de Léo.
On y dénombre également 45 infirmiers et infirmières (1 pour 5485
habitants), 4 sages-femmes (1 pour 61 711 habitants) dont 3 exercent à Léo. Le
reste du personnel des maternités (matrones, filles de salle, accoucheuses
auxiliaires) s'élève à 19.
Quant aux soins de santé primaires, la première phase du
programme (1982-1984) n'a intéressé que 36 villages (des départements de
Bieha, Bourra et Léo) (75). Une seconde phase devait aboutir à la mise sur
pied des PSP dans tous les villages de la province (301 au total) en un temps
record (76). Cette accélération n'aurait pas permis aux responsables du
programme de "sensibiliser correctement les populations en vue de leur
participation consciente à la prise de décisions et à l'exécution des activités
concernant les 55P", De même, la non préparation du personnel et
l'insuffisance de l'organisation de son travail n'ont pas permis d'encadrer
correctement tous les PSP. Ainsi au départ du programme, seulement 105
PSP sur 301 étaient régulièrement supervisés (une fois par mois), les autres
se contentant de recyclages mensuels assurés à leur personnel (ASV et AV)
75_ Cette première phase d'implantation des PSP s'est faite sous l'impulsion de deux ONG
hollandaises: la NOVIB et la SNV. D'où leur appellation "PSP-NOVIB",
76_ Il s'agit du programme gouvernemental baptisé localement "PSP Commando",

-74 -
à l'occasion de leurs visites de réapprovisionnement des trousses (au
niveau des CSPS).
En résumé, l'état sanitaire est difficile à évaluer de manière très
precIse en l'absence d'une base statistique et épidémiologique fiable. Les
données statistique.s concernant
Tes campagnes sont généralement
incomplètes et sou~ent inexploitablesi les données provinciales disponibles
ne reflètent dpnc que partiellement la situation réelle. Le tableau est
cependant dominé par:
- des taux de mortalité toujours élevés,
- une fréquence élevée de maladies telles que le paludisme, le
tétanos, les diarrhées, la rougeole, les conjonctivites mais aussi la
malnutrition et la sous-nutrition,
- Un approvisionnement en eau saine très insuffisant,
- un réseau routier peu développé, limitant en certaines saisons, les
communications entre les villages et rendant difficile les évacuations.
D - ECOLE ET EDUCATION
Ce qui caractérise le plus cette partie du Burkina, c'est probablement
son retard dans le domaine éducatif. Sur ce plan, la Sissili connaît des
résultats peu enviables; le taux de scolarisation moyen est de 16 % (77)
(moyenne nationale 30,57 %). Cependant, après la classe de 6e/ les effectifs
chutent brutalement. Ainsi, seulement 6 % des garçons et 3 % des filles
bénéficient de l'enseignement secondaire. Par ailleurs, beaucoup d'enfants
abandonnent l'école trop tôt pour ceux qui ont la chance d'y aller.
Par exemple, dans la région où nous avons mené nos enquêtes,
l'insuffisance des structures scolaires est de règle.
77
Chiffres fournis par la direction provinciale de l'éducation de base et de
l'alphabétisation de masse (DPEBAM/Léo) en 1990-1991. Ce taux moyen de scolarisation
dissimule d'énormes disparités; dans certains départements par exemple, il se situe en
dessous de 10 %.

-75 -
Le CSPS de Kayéro couvre un ensemble de villages (78). Aucun de
ces villages n'abrite une école primaire à six classes. On ne dénombre que
des villages dotés d'écoles à cycles incomplets (3 classes) (79).
Les revenus familiaux sont très bas et beaucoup d'enfants, ayant
prématurément ab;mdonné l'école, commencent à travailler très jeunes
dans les familles (travaux des champs, garde des animaux domestiques, etc.)
De plus, quanti un enfant est exclu de l'école, ce n'est pas un drame pour
nombre de parents qui, à cause de la faiblesse de leurs revenus, ont du mal à
payer les fournitures et/ ou les frais de scolarité (80).
Du fait des conceptions traditionnelles encore très vivaces, les
jeunes filles n'ont pas les mêmes chances d'accès à l'éducation que les
jeunes garçons; et beaucoup de parents répugnent à inscrire leurs filles à
l'école, car pensent-ils, "si une fille va à l'école, elle n'écoute plus ses
parents et fait ce qu'elle veut".
C'est entre autres, une des raisons qui conduit certains parents à
retirer leurs filles de l'école, bien avant qu'elles n'atteignent le secondaire.
Pour pallier l'illettrisme qui sévit dans les campagnes, des efforts
d'alphabétisation des adultes ont été entrepris dans les langues locales (81)
où ils apprennent à lire, à écrire, à calculer et sont également sensibilisés aux
problèmes de l'éducation pour la santé (assainissement, hygiène...). Malgré
ces efforts, plus de 90 % des femmes restent illettrées.
78_ Il s'agit de Kayéro l, Kayéro 2, Névri, Sissili, Sagalo, Mouna, Métio.
79_ Ces écoles à 3 classes, d'une année à l'autre fonctionnent alternativement avec les classes
de CPl, CEl, CMl, puis CP2, CE2, CM2. Par contre, il n'existe aucune école primaire à
Kayéro 1. Ce village dispose simplement d'un centre de formation de jeunes agriculteurs
(CFJA) qui assure la formation des jeunes de 12 à 19 ans aux techniques culturales attelées.
80_ Il ya une difficulté à rendre compte du niveau de ressources lors d'un entretien; d'une part,
parce que les personnes elles-mêmes ont rarement une idée précise de leurs revenus
mensuels, d'autre part, le nombre de personnes vivant sur un même budget est extrêmement
variable (parents plus ou moins proches, migrants saisonniers). On peut néanmoins
s'appuyer sur des indicateurs tels: le nombre de repas pris par jour, la capacité ou non
d'honorer les ordonnances, de payer les fournitures scolaires, etc.
81_ Le taux d'alphabétisation pour les hommes serait de 21 % et 6 % pour les femmes, d'après
un rapport de la direction provinciale de la santé (DPS) de la Sissili.

-76 -
Ces chiffres ont des conséquences pour la santé des enfants; de
nombreuses études de l'UNICEF ont bien montré que l'éducation de la
mère est l'un des leviers -les plus puissants pour améliorer le bien-être
familial (82) (en particulier, la couverture vaccinale s'élève avec le niveau
d'instruction de la mère).
Les études.a~ C. Raynaut et B. Meslet (83) sur le Niger en particulier
corroborent éga.lément l'impact bénéfique de l'école sur l'évolution des
comportements alimentaires, en l'occurrence l'amélioration du statut
nutritionnel des enfants suivant le niveau de scolarisation de la mère.
82_ Comme l'indique également cette réflexion de Gandhi: "si vous éduquez un homme, vous
éduquez un individu; si vous éduquez une femme, vous éduquez toute la famille".
83_ Voir à ce propos RAYNAUT <c.), "Le Privilège urbain: conditions de vie et santé au
Niger", in Politique africaine, nO 28, p. 51.

-77 -
CHAPITRE III - LA CONSTRUCTION DE L'OBJET
SECTION 1 - DEFINITION DU CHAMP CONCEPTUEL
Dans notre approche de la stratégie des soins de santé primaires, il
.f
nous paraît nécessaire de définir au préalable l'objet de la recherche, ceci
pour bien délimiter le sujet et savoir, par conséquent, de quoi l'on veut
parler.
Il serait hasardeux de vouloir appréhender scientifiquement le réel
sans prendre la précaution de baliser le champ de l'observation et de l'étude.
Cet exercice nous permettra ainsi de poser le problème, c'est-à-dire de
chercher à définir sociologiquement les significations respectives des
notions de mobilisation, d'Etat, mais également d'aborder les rapports Etat-
paysans dans le cadre de la politique des soins de santé primaires. Nous
puiserons également dans la sociologie de la santé les concepts
indispensables pour élucider la notion de santé, ainsi que les significations
qu'elle peut revêtir pour les paysans afin de comprendre leur rapport à la
santé.
A - LE CONCEPT DE MOBILISATION POLffiQUE
Avant de donner plus de précisions sur le sens et le type de
mobilisation qui nous intéresse ici, il convient de mentionner au préalable
les diverses significations que revêt ce concept.
Une première définition pourrait désigner la mobilisation comme
un processus par lequel les individus et les collectivités sont amenés à
adhérer ou à s'engager dans de nouveaux modèles d'action ou de
comportement.
Cependant, il convient de reconnaître que cette définition est trop
générale et, par conséquent, assez imprécise. Selon les cas, la mobilisation
peut englober une pluralité de définitions et de significations. Ce concept,

-78 -
comme le souligne fort justement F. Chazel (84) n'est jamais défini de façon
univoque:
"les acceptions données à ce terme varient profondément au
point de s'accorder parfois assez mal entre elles ... La mobilisation (de
quelque façon qu'on la définisse et qu'on l'appréhende) n'est que très
rarement abordée pour elle-même, et des difficultés, voire des confusions
supplémentaires décoi/.lent de cette position marginale, ou tout au moins de
ce statut dérivé" (85).

( ,
Dans leur entreprise de définition de ce concept, nombre de
sociologues ont commencé par focaliser leur réflexion sur le binôme
modernisation-mobilisation sociale (86). Leur approche a souvent consisté à
coupler l'analyse de la mobilisation à celle de la "modernité" et plus
globalement au problème du changement social (87).
Si de nos jours, ce lien semble avoir été définitivement tranché, le
concept de mobilisation englobe tout de même une multitude de réalités.
Un de ces aspects constitue ce qu'il est convenu d'appeler la
"mobilisation
coercitive".
Cette
forme
de
mobilisation
renvoie
généralement au modèle militaire qui consiste "en la mise en mouvement
et en action d'un
ensemble d'individus
rigoureusement organisés et
répartis en décisions spécifiques (régiments, troupes, compagnies ... ) et par
voie d'ordres impératifs hiérarchiquement déterminés puis transmis" (88).
84_ CHAZEL (F.) a, dans un article, analysé les différentes significations de ce concept. Il
précise que la mobilisation ne s'exprime pas exclusivement à travers l'action politique
"encore faut-il qu'elle ait une signification et une portée de cet ordre, ce qui n'est pas le cas
de simples mouvements de panique ou de pures expressions, souvent violentes
d'agressivité". Il considère aussi que "toute mobilisation a une référence politique, à partir
du moment où elle touche au niveau des normes et plus encore des valeurs, c'est-à-dire où
elle s'accompagne d'une "interpellation" en leur nom, soit de leur active remise en cause,
soit encore de la formulation de principes "nouveaux"", in Rev. Francaise de sciences
politiques (25), III, 1975, p. 515.
85_ Ibid., p. 502.
86_ telle est la problématique "développementaliste" de K.W. DEUTSCH et G. GERMAN!.
87 - C'est à A. ETZIONI que revient le mérite d'avoir pour la première fois rompu ce lien
jusqu'alors indissoluble qui unissait mobilisation et modernisation.
88_ SERBOUTI (M.), Les Facteurs. les conditions et les limites de la mobilisation politique au
Maroc. Thèse 3e cycle, Bordeaux II, 1985, p. 1.

-79 -
La particularité de ce type de mobilisation vient du fait qu'il est exigé aux
exécutants une obligation de se soumettre aux ordres; il n'est guère possible
pour
eux
de
faire
valoir
leurs
convictions
ou
leurs
sentiments
personnels (89).
La mobilisation politique et idéologique procède d'une logique qui
s'oppose radicale~e'nt à la première, même si elle "renferme également
l'inten'tion
de

mise
en
mouvement
d'une
masse
d'individus".
M. Serbouti l~ définit comme "un processus méthodique à dimension
théorique
et
pratique,
d'infléchissement
unidirectionnel
des
comportements sur la base de la persuasion idéologique, de manière à
susciter en
l'individu
une adhésion
idéologique, d'une
part
et
une
participation politique voulue consciente -ou inconsciente- et active à un
ensemble d'activités déterminées d'autre part" (90). La différence d'avec le
modèle de la mobilisation militaire réside principalement dans l'effort de
persuasion, de manière à agir sur le système cognitif et le système de
représentation de l'individu.
J.P. Nettl quant à lui, établit une distinction fondamentale entre une
mobilisation ascendante, métaphoriquement qualifiée de "stalagmite" et
une
mobilisation descendante qui
reçoit l'appellation
inverse
de
"stalactite" (91). La première serait selon l'auteur, la mobilisation des
clivages et qui correspondrait à la version occidentale de la mobilisation
politique, tandis que la seconde dépendrait du succès d'une élite, voire d'un
leader unique, à créer de nouvelles loyautés. Cette forme de mobilisation
serait caractéristique des pays du tiers-monde, et se déroulerait suivant un
processus de rattachement progressif des groupes périphériques à la
communauté nationale sous l'égide de l'Etat. Ce type de mobilisation à
89_ Comme le rappelle P. MANN, le terme "mobilisation" a été emprunté au vocabulaire
militaire. Mobiliser, c'est, d'après Littré, "l'action de faire passer un corps sédentaire au
service actif de guerre".
90_ Ibid., p. 2.
91_ NETTL (J.P.), Political mobilization : a sociological analysis of methods and concepts.
Londres, Faber & Faber, 1967, cité par F. Chazel, op. cit.

- 80-
"caractère centralisé" (sous l'impulsion de l'Etat) traduit "l'activation par
un centre ou une autorité de certaines fins définies par le centre" (92).
K.W. Deutsch, dans son modèle d'analyse définit la mobilisation
sociale
comme
"un processus global de changement qui affecte une
proportion importante de la population dans les pays qui transitent des
modes de vie traditionnelle aux modes de vie moderne" (93).
'1
Dans ce cas de figure, la mobilisation (modernisation) (94) est suivie
d'un éclatemeftt des formes de loyauté traditionnelles (95), et consacre la
disparition progressive de ces valeurs.
Cependant, l'analyse de Deutsch accorde peu d'attention aux
difficultés que peut rencontrer une telle entreprise d'investigation de la
périphérie. En effet, ce processus de modernisation se produit rarement sans
résistances. Dans certains cas, il peut même occasionner le phénomène
inverse d'une "mobilisation défensive" (Tilly) qui traduit une réaction de la
périphérie contre une domination abusive de l'Etat.
Notre perspective
d'étude partira du modèle
proposé par
Deutsch (96) pour s'interroger sur les étapes du processus de mobilisation, à
92_ DOBRY (M.), "Mobilisation multisectorielle et dynamique des crises politiques: un point
de vue heuristique", in Revue francaise de sociologie. (24), 1983, p. 399.
93_ DEUTSCH (K.W.), in Le Concept de mobilisation sociale et ses conséquences politiques,
cité par M. SERBOUTI, op. cit., p. 3.
94_ La réflexion de DEUTSCH s'applique ici davantage à la modernisation, qui de toute
évidence, renvoie à une autre réalité. Cependant, il arrive dans certains cas que
mobilisation se confonde avec "participation". Or, à l'origine ce concept véhicule l'idée
d'un citoyen libre qui agit et intervient -s'il le désire- en fonction de son jugement, à
l'opposé de mobilisation qui "n'inclut pas l'idée d'une impulsion autonome de l'individu,
mais plutôt celle d'une collectivité malléable et passive qui est mise en mouvement selon
le caprice d'autorités persuasives et parfois plus que persuasives", cf. Giovani SARTORI,
"Le Risque de malformation des concepts", cité par SERBOUTI, op. cit., p. 4.
95_ alors que A. OBERSHALL souligne que la mobilisation la plus efficace est le fait des
collectivités ayant résisté le mieux à la désintégration et que le développement
d'associations de type "moderne" peut s'accommoder avec les logiques communautaires, in
F. CHAZEL, op. cit., p.512.
96_ Même si notre approche de la mobilisation se distingue en réalité de la "fameuse
transition" dont parle l'auteur. Nous n'aborderons pas non plus la mobilisation au sens que
lui donne G. GERMANI, c'est-à-dire "un changement de contenu et d'extension de la

- 81 -
savoir s'il y a passage d'une intégration "dépassée", à une réintégration
"novatrice", "à travers une période de désintégration ... à savoir l'érosion ou
l'effritement des engagements anciens (le moment de la rupture), d'une
part, et la dispositiOn (.. ,) à adopter de nouveaux types de conduite (le
moment de la réinsertion autour de modèles stables), d'autre part" (97).

Sans doute/serons-nous amenés à dépasser ce schéma (dans la
mesure où il. ne s'ensuit pas nécessairement une rupture), pour
appréhender lé-'processus d'acquisition de nouvelles attitudes par les acteurs
et les formes que prend leur "mise en disponibilité". Dans la perspective qui
est la nôtre, le type de mobilisation qui nous intéresse est l'oeuvre exclusive
du centre en direction de la périphérie ce qui, en définitive, nous renvoie au
schéma de la mobilisation en "stalactite" (de Nettl); En ce sens, nous
retiendrons ici la définition proposée par F. Chazel qui désigne ce processus
comme
"une
création
de
nouveaux
engagements
et
de
nouvelles
identifications '-ou quelques fois
en
une réactivation de loyautés et
identifications "oubliées"- ainsi qu'en un rassemblement sur cette base -
d'acteurs ou de groupes d'acteurs- dans le cadre d'un mouvement social
chargé au besoin par la confrontation directe et éventuellement violente
avec les autorités en place de promouvoir et parfois de "restaurer" des fins
collectives" (98).
Il nous paraît utile de signaler que la mobilisation à caractère
"centralisé" ne se déroule pas sans réaction (opposition, conflits...) de la pan
des
catégories
sociales
que
l'on
veut
mobiliser;
elle
demeure
fondamentalement comme un mouvement dynamique qui "provoque des
stratégies multiples et changeantes de tous les acteurs" (Birnbaum).
On peut observer par ailleurs que cette vision semble être en accorè.
avec la perspective d'Oberschall pour qui la mobilisation est un processus
qui s'insère dans un contexte conflictuel. Elle est définie comme une action
participation sociale", cf. 'G. GERMANI, Politique, société et modernisation, Gembloux,
Duculot, 1972, p. 144.
97_ voir à ce propos CHAZEL (P.), "La Mobilisation politique", op. cit., p. 503 (interprétation
de la théorie de DEUTSCH).
98_ CHAZEL (P.), ibid., p. 516.

- 82-
conduite par des opposants en lutte contre le pouvoir, au besoin par le
recours à la violence. Mais pour Oberschall, le mécontentement, les
injustices, les privations, etc ne suffisent pas toujours à créer les conditions
d'une mobilisation effective des acteurs sociaux dans un mouvement
d'opposition organisé et durable. Ils peuvent simplement générer des
flambées
de
violence
ponctuelles
ou
éphémères,
résultant
des
comportements d'J'ne masse d'individus atomisés et sans liens véritables.
Comme l'indiHue P. Mann, résumant notre auteur, "Pour dépasser ce
niveau de réponse collective, il est indispensable que les protestataires
puissent compter sur des liens internes à leur propre collectivité ainsi que
sur un ou plusieurs leaders qui seront en mesure d'orienter leur action et
de guider leur opposition" (99). Ce sont, en effet, ces conditions structurelles
particulières qui seront en mesure de favoriser une véritable mobilisation.
A notre sens, la théorie d'Oberschall (100) peut parfaitement s'appliquer aux
sociétés lignagères nuna (de la Sissili) fortement structurées et gouvernées
par des leaders traditionnels locaux.
Ainsi, face à l'Etat, la société rurale peut s'engager dans des actions
de "mobilisation défensive" lorsqu'elle se trouve, sous la domination de
l'Etat, contrainte d'adopter des comportements contraires à ses valeurs ou à
sa propre vision du monde. Elle peut alors s'engager dans des actions et des
stratégies de résistance. Notre propos ici vise à montrer qu'en dépit du
caractère "descendant" et "centralisé" que prend le processus de
mobilisation dans notre cas, il ne saurait pour autant dépendre simplement
du bon vouloir d'une autorité quelconque, fut-elle étatique ou autre. C'est
un phénomène dont nous tenterons de faire l'étude dans ce travail, plus
particulièrement dans l'analyse des résistances paysannes.
Il apparaît évident que la mobilisation exige la mise en oeuvre de
stratégies adéquates, qui tiennent compte de la personnalité (et des
caractéristiques) des groupes sociaux dont on veut s'assurer le soutien. Sa
99_ MANN (p.), L'Action collective, mobilisation et or~anisation des minorités actives,
Paris, A. Colin, 1991, p. 96,
100_ Le modèle d'OBERSCHALL
(et celui d'ETZIOND s'inscrit dans la théorie de la
mobilisation des ressources qui met l'accent sur les composantes rationnelles de l'action
collective, voir à ce sujet l'interprétation de la théorie d'Oberschall in MANN (P.), op.
ciL, p. 95 et suivantes.

- 83-
réalisation dépend de la capacité des acteurs politiques détenteurs du
pouvoir à utiliser les ressources matérielles, symboliques, ou idéologiques à
leur disposition pour légitimer leur pouvoir, leurs décisions en vue de
susciter l'adhésion à leurs projets politiques.
Il nous reste à déterminer la spécificité de l'Etat en Afrique, pour
tenter de comprenc}re la nature de ses rapports avec la société en général et
avec le monde paysan en particulier.
1.
B - LES CARACTERISTIQUES DE L'ETAT POST-COLONIAL
La santé des individus et des groupes en tant que fait social est aussi
un "phénomène social total" (Mauss) qui ne peut se comprendre sans une
référence préalable aux structures sociales, sans une analyse des rapports
entre les acteurs et le système social. Cette étude ne se consacrera donc pas
aux facteurs gestionnaires et techniques qui président à la mise en place des
SSP, mais considérera davantage les mécanismes sociaux, politiques qui,
déterminent leur fonctionnement.
Le fait que cette stratégie sanitaire se déploie principalement en
milieu rural, confère une dimension spécifique à son étude au travers
même des caractéristiques politiques, économiques et culturelles propres à
ce milieu. En effet, confronté à la modernité, le milieu rural (en Afrique)
connaît une véritable "révolution sociale" (Dr Sankalé). Ses structures
comme ses valeurs se modifient. Structures administratives, systèmes
éducatifs, implantation de coopératives, extension des communications et
des échanges avec la ville, besoin du numéraire... bousculent sans cesse les
traditions, obligées de se réadapter face aux assauts de la modernisation.
"Tout groupement humain est en devenir" et, incapable de se soustraire à
cette loi, la société traditionnelle voit "ses structures apparentes et profondes
en perpétuelles recherches d'équilibre. L'immobilisme n'existe pas. Les
exigences bioclimatiques et historiques de son environnement, les pressions
endogènes et exogènes ébranlen t sa constitution traditionnelle" (101).
101_ BLEGNE (Dassa), Le Mariage: facteur de cohésion sociale et source de tension dans la
société rurale Marka du Burkina, Thèse, 3' cycle, Bordeaux, 1985, p. 3.

-84-
Autrement
dit,
la
colonisation,
l'économie
de
marché, le
développement de$ cultures commerciales, les migrations... sont autant de
facteurs externes qui, doucement, modifient la société.
Dans ce contexte rural où tradition et modernité se côtoient et
souvent s'affronten,y/comment et à quelles conditions l'Etat peut-il susciter
la mobilisatio~ ~es communautés en vue de leur adhésion aux SSP?
D'autant que '"comme le reconnaît Savonnet-Guyot, "loin d'être homogènes
sociologiquement et politiquement, les sociétés paysannes burkinabé
présentent une grande diversité de statuts sociaux et culturels hérités d'un
passé tout proche et encore agissant" et de préciser que l'Etat aurait plutôt
intérêt à "reconnaître ces espaces politiques paysans et de se faire reconnaître
par eux" (102).
Si l'on admet avec E. M'Bokolo que l'une des caractéristiques de
l'Etat post-colonial (en Afrique) est le fait d'être en "crise permanente", on
peut aisément constater aussi que "la crise de l'Etat est sensible sur tout le
continent"
(Savonnet-Guyot); on comprend
dès lors pourquoi le
renforcement de la légitimité de l'Etat ne puisse se réaliser véritablement
sans son acceptation par ses minorités dites "ethniques" et par la périphérie.
Mais le plus souvent, la mise en oeuvre de cette stratégie d'intégration de la
périphérie se heurte à de nombreuses résistances. Avant d'examiner la
nature des rapports entre l'Etat et les sociétés paysannes, nous allons essayer
de dévoiler quelques caractéristiques propres à l'Etat post-colonial.
1 - Nature de l'Etat post-colonial
L'Etat qui émergea en Afrique contemporaine est-il différent des
modèles étatiques européens? Comment peut-on le définir et définir sa
spécificité? Avant d'entrer dans le vif du sujet on peut déjà se référer à la
définition suivante de l'Etat, proposée par C. Tilly: "organisation qui
contrôle la population, occupant un territoire défini, dans la mesure où elle
est différenciée des autres organisations opérant sur le même territoire, où
102_ 5AVüNNET-GUYüT, Etat et sociétés au Burkina. Essai sur le politique africain. Paris,
éd. Khartala, 1986, p. 14.

- 85-
elle est autonome, où elle est centralisée et où ses subdivisions sont
coordonnées les unes avec les autres"
(103).
Il convient de préciser avant tout que dans l'Afrique pré-coloniale,
l'Etat n'a pas toujours été une catégorie universelle. Le continent
connaissait sur le plan politique une extraordinaire diversité, abritant à la
fois des empires et" des sociétés sans Etat, des royaumes très évolués;"des
civilisations complexes, mais aussi de simples communautés villageoises.
( ~
En somme, l'Etat post-colonial d'aujourd'hui reste le produit d'un triple
héritage local, islamique et occidental (104).
Pour B. Badie et P. Birnbaum, la particularité de l'Etat africain réside
dans les circonstances historiques qui ont entouré son apparition:
"introduit de façon artificielle... l'Etat reste en Afrique comme en Asie un
pur produit d'importation, une pâle copie des systèmes politiques et sociaux
européens les plus opposés, un corps étranger de surcroît lourd, inefficace et
source de violence" (105). Ces auteurs ici développent l'idée d'une absence
complète d'originalité de l'Etat moderne africain, doublée d'une capacité
opérationnelle limitée. Cette dernière idée est également présente dans
l'analyse de J.F. Médard, pour qui une des caractéristiques essentielles de
l'Etat post-colonial est son "mal fonctionnement". Ce malfonctionnement
découlerait de la nature même de cet Etat, qualité d'''Etat sous-
développé" (lOG). Cependant, J.F. Bayart, dans son approche de l'Etat post-
colonial se veut plus nuancé dans la mesure où il reconnaît, à la différence
des auteurs de Sociologie de l'Etat, certaines spécificités à ce type d'Etat:
"L'Etat en Afrique repose sur des fondements autochtones et sur un
103_ TILLY (C.), cité par B. BADIE et P. BIRNBAUM, Sociologie de l'Etat, Paris, Grasset,
1982, p. 112.
104_ Cette idée est défendue par J.F. MEDARD pour qui "l'Afrique contemporaine résulte de
l'interaction au cours de siècles entre elle-même et le monde occidental. Elle ne peut être
considérée ni isolément, ni uniquement comme un sous-produit de la domination dont elle a
été l'objet", in La Spécificité des pouvoirs africains, Pouvoirs, nO 25, 1983, p. 7.
105_ BADIE (B.), BIRNBAUM (P.), Sociologie de l'Etat, Paris, Grasset et Farquelle, 1982,
p.163-164.
10G_ Pour MEDARD (J.F.), cette notion est liée au syndrome de "l'Etat mou", caractérisé par
l'instabilité, l'inefficacité de la gestion publique, la violence et la dépendance.

- 86-
processus de réappropriation des institutions d'origine coloniale qui en
garantissent l'historicité propre" (107).
L'analyse dè C. Toulabor se distingue davantage de celle de Badie et
Birnbaum; pour lui, cet Etat africain ne saurait se réduire à une simple
"copie", au contraire il est "adopté, tropicalisé et imprégné de l'éthos et de la
rationalité propres a"ux acteurs sociaux qui l'ont investi et modelé au gré des
stratégies propres et des rapports de force" lOS. Dans cette acception, l'Etat
africain appar;;(ît davantage comme une réadaptation de l'Etat occidental.
Afin de décoder la logique du fonctionnement de cet Etat, il ne serait
pas inutile de se référer préalablement à la notion de "néopatrimonialisme"
qui semble être l'une de ses caractéristiques fondamentales. C'est l'absence
de distinction entre le domaine privé et le domaine public qui est au coeur
de la notion de patrimonialisme, concept forgé par Weber: le domaine royal
est la propriété royale, le trésor public et le trésor privé du roi sont
confondus. Pour Weber, le pouvoir patrimonial est un type de pouvoir
traditionnel "méta-patriarcal" en ce sens que le groupe dominé n'est pas de
nature lignagère. C'est en abordant l'étude de l'autorité traditionnelle (qu'il
dissocie des autorités charismatique et légale, rationnelle) que Weber a
distingué comme type d'autorité traditionnelle, les formes d'autorité
patriarcale, patrimoniale et féodale (109) ; ces distinctions correspondent à la
fois à un type de légitimité et à un mode d'exercice du pouvoir.
Cette confusion du public et du privé qui constitue l'essence même
du patrimonialisme peut être observée dans des systèmes politiques qui
n'ont plus rien de
traditionnel; on parle dans ce cas de "néo-
patrimonialisme". Pour J.F. Médard, ce néo-patrimonialisme est "le sous-
produit de l'interaction entre les sociétés traditionnelles locales et les Etats
étrangers", c'est pourquoi, explique-t-il, "il ne correspond ni à une logique
politique traditionnelle ni à une logique politique étatique moderne, tout en
empruntant aux deux.
La forme, l'apparence extérieure est étatique:
107_ BAYART (J.F.), L'Etat en Afrique, Paris, Fayard, 1989, p. 317.
10S_ TOULABOR (C.), Le Togo sous Evadema, Karthala, 1986, p. 313.
109_ In The Theorie of social and economic organisation, New-York, Free Press, 1947.

- 87-
constitution,
droit
écrit,
administration,
etc,
mais
la
logique
de
fonctionnement est patrimoniale" (110).
En tout état de cause, on peut estimer que cette pratique est l'un des
traits distinctifs des Etats nouveaux, que Badie et Birnbaum qualifient
d"'inefficaces" .
Afin d'éviter de tomber dans le réductionnisme le plus étroit il
convient de Il}~ntionner d'autres attributs, généralement reconnus à tout
Etat. Le premier est la centralisation du pouvoir.
A cet égard, le principe du "monopole de la violence physique
légitime"
à
travers
lequel
Weber
appréhendait
l'Etat,
s'applique
rigoureusement à cette forme de centralisation dont l'objectif premier est de
réguler la société, en vue de la consolidation du pouvoir étatique. Dans son
prolongement, ce principe engendre une autre pratique de l'Etat qui vise sa
légitimation en tant que seul garant de "l'intérêt national". Cette "idéologie
de l'intérêt national" a été bien analysée par J. Chevallier qui affirme qu'elle
"apparaît bien comme une couverture indispensable à l'exercice du pouvoir
étatique" (111). Au demeurant, l'idéologie de l'intérêt national n'est qu'une
variante de l"'idéologie de contrôle" définie par F. Chazel comme "des
formules et expressions idéologiques utilisées par les groupes dirigeants
pour justifier leur position et préserver par là le soutien diffus dont ils
bénéficient" (112).
Nous verrons entre autres, dans la politique étatique des SSP
comment s'exerce ce contrôle de l'Etat et les moyens dont il fait usage pour
légitimer ses actions dans le domaine sanitaire.
Toutefois, il est permis de s'interroger, au vu des caractéristiques et
de la nature de l'Etat dont il est question ici, sur sa capacité réelle à
"contrôler" ou à "capturer" la périphérie. D'une part, comme on l'a vu, il
110_ MEDARD (J.F.), "La Spécificité des pouvoirs africains", in Revue Pou voirs, revue
française d'études constitutionnelles et politiques, nO 25/ 1983/ p. 16.
11L CHEVALLIER (J.)/ Eléments d'analyse politique, Paris, PUF, 1985/ p. 10.
112_ CHAZEL (F.), in Analyse de l'idéologie (sous la direction de G. DUPRAT), Centre
d'étude de la pensée politique, éd. Galilée, 1980/ p. 71.

- 88-
n'est pas le résultat du degré de développement de la société (à l'instar des
Etats du vieux continent) ; d'autre part, parce qu'il est selon l'expression de
Badie et Birnbaum "une addition d'appareils administratifs qui .. , ne se
trouvent pas intégrés dans une communauté politique organisée et ne sont
guère équilibrés par une société civile autonome et structurée" (113). Il est
mis ici en évidence l'absence de cohésion interne au sein de l'Etat et de ses
structures, tandis que la périphérie elle-même dans son extrême diversité,
ne semble pas se constituer comme une entité organisée. On s'imagine mal
,
un tel Etat, e'li égard aux conditions historiques qui ont présidé à sa
naissance, jouer efficacement son rôle de "répression sociale" et de surcroît
détenir le "monopole de la violence physique légitime" sur des territoires
"traversés de conflits ethniques et régionaux qui, dans certains cas, mettent
en cause la survie même de l'entité politique" (114).
Alors que, dans son ouvrage De la division du travail social,
Durkheim reconnaît à l'Etat une double fonction: "D'abord sa vie
psychique propre est d'une certaine façon le reflet de la vie vie psychique
particulière de la société... parce qu'il traduit l'état des moeurs en état de
droit, il est le scribe de la société. Non content de codifier le droit, i!
l'applique: il punit, emprisonne ou met à mort" (115).
Dans la société post-coloniale, de quelles manières l'Etat parvient-il
à jouer ce rôle, eu égard à sa nature néo-patrimoniale et sa propension av.
clientélisme? Comment l'Etat peut-il être le scribe de la société quand lui-
même n'est pas toujours en mesure d'appliquer le droit? On est là au coeur
de nombreuses contradictions qui caractérisent l'action étatique, face à sa
mission première.
La répression sociale, pour Durkheim, relève également des
attributs de l'Etat, dans le sens où "la principale fonction de l'Etat est de faire
respecter les croyances, les traditions, les pratiques collectives .. ,",
113_ Op. cit., p. 163.
114_ MEDARD (J.F.), op. cit., p. 9.
115_ LACCROIX (B.), Durkheim et le politique, Paris, Presse de la FN5P, Presse de l'Univ.
de Montréal, 1981, p. 240.

- 89-
En réalité, il n'y a pas de politique sans violence. Cependant, quand
l'exercice du pouvoir est marqué par le non respect du droit, la violence ne
peut être que de nature anarchique, non maîtrisée (voire non maîtrisable) ;
elle ne peut faire l'objet d'un réel contrôle, comme dans les Etats de
droit (116).
'/
Même s'il reconnaît qu'il existe des différences importantes entre les
régimes du point de vue de la violence, dans le cas de l'Etat moderne
africain, J.F. Médard affirme que "dans la société civile, le degré de violence
est tel que la violence étatique est impuissante à le contrôler" (117).
L'illustration en est donnée par cet exemple évocateur de l'ensemble du
continent noir et, singulièrement, depuis ces dernières années: "Da ns
nombre de pays sous-développés, en particulier en Afrique, non seulement
l'Etat n'est pas soumis au droit, mais c'est son existence même qui est
menacée. Il est en voie de dépérissement, progressivement dépouillé des
moyens et instruments de sa souveraineté tant interne qu'externe. Des
fractions de plus en plus importantes du territoire national, des zones
entières de certaines cités dépourvues d'équipement et de services publics,
échappent progressivement à son autorité..." (118).
De toute évidence c'est la capacité de l'Etat post-colonial à s'imposer,
à travers les pouvoirs qu'il détient comme "organisation qui contrôle la
population", qui est ici en cause. Cependant, comment peut-on expliquer
cette difficulté sans cesse croissante de l'Etat à exercer son autorité?
116_ L'Etat de droit implique l'obligation pour l'Etat, ses organes et ses agents de se soumettre
au droit; de se soumettre aux règles qui concernent sa propre organisation, fixées dans une
constitution, qui doit aménager une séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et
judiciaire). C'est aussi l'aptitude de l'Etat souverain à respecter et faire respecter le droit
dans les limites de son territoire, y compris par la contrainte légale dont il a le monopole.
117_ Op. ciL, p. 17. Il précise que cette violence, loin d'être une force apparaît plutôt comme un
signe de la faiblesse étatique; elle serait davantage le signe d'une incapacité politique
plus qu'un instrument d'action politique.
Précisons cependant que dans les régimes les plus autoritaires, la violence étatique consistait
à soumettre par tous les moyens la société à un processus d'atomisation et de robotisation,
en ayant pour objectif d'en faire un corps amorphe, privé d'organes d'expressions, de
participation et d'auto-défense.
118_ Cf. Le monde diplomatique. novembre 1991, p. 23.

- 90-
2 - Crise de l'Etat ou Etat marginal?
Dans ce bref aperçu sur l'Etat post-colonial où nous avons tenté de
déterminer sa nature et ses fonctions (119), dans la société tout en mettant en
relief ses spécificités, nos analyses nous amènent à constater sa difficulté à
affirmer sa légitimHé'face à l'ensemble de la société civile.
,-
,
Sa frag'ilité et ses limites réelles apparaissent face à un corps social
très diversifié et encore faiblement structuré. Doit-on en conclure que nous
avons affaire à un Etat marginal ou en crise?
Les symptômes de cette crise de l'Etat ont fait l'objet d'études
diverses; elle se manifeste principalement à travers l'instabilité politique et
institutionnelle (avec une carence de la société civile et de la communauté
politique en tant qu'entités organisées et agissantes), les difficultés
économiques (120), tensions ethniques ou régionales, gestion publique
catastrophique, corruption, autoritarisme politique plus ou moins accentué,
etc.
Dans l'exemple du Burkina, l'Etat qui émerge à l'indépendance se
trouve confronté à une mosaïque de sociétés, dotées de leurs systèmes
d'organisation propres, où le plus souvent cette forme du politique
engendré par l'Etat était inconnu. Dans cette constellation de sociétés, jadis
maîtresses de leur destin, se profile trois formes. d'organisation sociale:
lignagère, villageoise, étatique (121). Savonnet-Guyot, montre bien les
avantages considérables que ces systèmes possèdent face à l'Etat moderne;
outre leur antériorité historique, précise-t-elle, ils savent "obtenir les
allégeances et les loyautés, créer et maintenir des réseaux de solidarité qui,
119_ Bien entendu, nous n'avons pas voulu analyser en détail ici toutes les fonctions
(économiques, politiques et de légitimation) de l'Etat.
120_ L'Etat se constitue et fonctionne dans les conditions de dépendance extérieure accrue, avec
de faibles niveaux de croissance et de productivité, lenteur des progrès de la division
sociale du travail.
121_ Les deux premières formes régissent une multitude de groupes ethniques situés
majoritairement dans l'Ouest du pays; la troisième est l'apanage du Moogho (empire
moose).

- 91 -
dans le meilleur des cas coexistent en-dehors de l'Etat et, dans le pire, se
dressent contre lui (122).
Cette faculté de la société rurale à "ignorer" l'Etat lui confère en
quelque sorte une capacité d'autonomie considérable, ainsi qu'une
importante marge de manoeuvre face au pouvoir central. C'est ce qui fait
dire à G. Hyden, d}l.Ils une thèse aujourd'hui célèbre, que les paysanneries
en Afrique reste~t encore "insoumises" ou "non-capturées" (123), dans la
mesure où elles parviennent encore à conserver la maîtrise et le contrôle de
leur production de subsistance (Hyden parle en l'occurrence de "choix
d'évasion" des paysans),
Cependant cette forme d'autonomie qui caractériserait le milieu
rural ne se limite pas simplement au domaine économique; elle déborde
celui-ci et concerne également les domaines spirituel et politique: "... Les
pouvoirs publics, sont amenés à composer, faute de pouvoir les soumettre,
avec
les forces
et
les
communautés
religieuses:
les
chefs
religieux
constituent
souvent
des
pouvoirs
concurrentiels
dans
l'Etat, forces
centrifuges
auxquelles
vont
davantage
les
allégeances
des
masses
populaires ..." (124). Il en est de même dans le domaine politique avec les
chefferies traditionnelles.
Au regard de ces faits, on comprend pourquoi la présence de l'Etat
dans les communautés rurales se fait relativement discrète. Ne peut-on voir
par là le signe évident de la difficulté du centre à se concilier les
campagnes? Et, dès lors, la difficulté à soumettre la paysannerie n'est-elle
pas imputable au caractère marginal de l'Etat lui-même? N'ayant pas le
monopole de la légitimité, ni du contrôle du territoire, on voit mal
comment il pourrait dicter sa loi à un monde paysan de surcroît divisé en
plusieurs catégories. En tout état de cause, les espaces ruraux sont bien
122_ SAVONNET-GUYOT (c.)/ citée par OTAYEK (R.), "Burkina Faso: entre l'Etat mou et
l'Etat total, un balancement qui n'en finit pas", CEAN Bordeaux, 1988/ p. 4.
123_ Voir à ce propos/ HYDEN (G.)/ "La Crise africaine et la paysannerie non-capturée", in
Politique africaine,no 18/ 1985/ pp. 93-113.
124_ GLELE (M.A.), "Cultures, religions et idéologies", in revue Pouvoirs, PUF, 1983/ n° 25/
p.47.

- 92-
investis par les structures d'organisation issues du milieu traditionnel, et
qui confèrent aux paysans la possibilité de se soustraire à la logique de l'Etat.
Par analogie, on pourrait étendre cette analyse à l'ensemble de la
société, pour illustrer la difficulté réelle du pouvoir central à "capturer" la
société civile qui, par un phénomène de "détotalisation", s'oppose, le cas
échéant, à certaines/a'ctions coercitives du pouvoir (125).
Il ressort de cette analyse que l'Etat post-colonial présente partout en
Afrique
les
mêmes
caractéristiques
essentielles.
Il
se
distingue
fondamentalement du modèle étatique occidental dont, il s'est pourtant
inspiré, sans réellement acquérir la capacité d'action politique, économique
et idéologique de celui-ci. Sans autonomie véritable, il apparaît comme un
Etat fragile, incapable de faire preuve d'innovation sociale afin de découvrir
des solutions politiques et étatiques répondant aux problèmes des sociétés
dont il est issu.
Après cet essai qui a consisté à révéler la nature de l'Etat et de
comprendre ses relations avec la périphérie, on cherchera à présent à
élucider, à travers l'analyse sociologique, les rapports des paysans à la santé
et à la maladie.
C - SANTE ET MALADIE: L'APPROCHE SOCIOLOGIQUE
1 - Sociologie et médecine
De nos jours, lorsqu'on parle de santé, l'on ne peut s'empêcher bien
souvent de parler de la médecine ou du médecin. Aujourd'hui encore, il
n'est guère facile, pour une bonne partie de l'opinion publique, de se
soustraire à cette tendance qui consiste à associer la santé et la maladie à
l'activité médicale.
Certes, depuis fort longtemps, dans maintes sociétés, et suivant les
époques, les médecins (et tous ceux qui exercent une activité de thérapeute
en général) se sont arrogés le droit de s'occuper de la santé des collectivités,
125_ Pour J.F. BAYART, "L'évolution politique des différents pays africains est ainsi marquée
par deux processus contradictoires, l'un de totalisation étatique mis en oeuvre par le
pouvoir, l'autre de détotalisation produit par avancée de la société", cf. Les Sociétés
africaines face à l'Etat, in revue Pouvoir, PUF, 1983, nO 25, p. 37.

- 93-
de soulager leurs souffrances, de chasser le mal (la maladie) de leur corps.
En ce sens, les médecins, spécialistes de la maladie ont été investis par la
société de la mission de protéger la santé, de prévenir ou guérir la maladie.
Comme le souligne J. Pierret, "La médecine a acquis sa légitimité à partir
d'une conception de la maladie inscrite dans le corps"
(126).
Dans les s?;fciétés occidentales en particulier, la société légitime la
médecine et s'exprime à travers elle. De là découle assurément le monopole
qu'exerce cette~discipline sur tout ce qui concerne la santé.
Au demeurant, cette domination hégémonique de la médecine sur
la santé ne laisse-t-elle que de minces possibilités à l'émergence et à
l'expression d'autres disciplines ayant pour objet la santé et la maladie. Au
nombre de ces disciplines figure la sociologie de la santé (ou la sociologie
médicale) dont les rapports avec la médecine témoigne de la difficulté de la
première à s'ériger comme une discipline scientifique autonome, aux côtés
de la seconde. Aussi, les expériences d'intégration sur le terrain médical des
premiers sociologues ne furent pas simples (127). En effet, cette entreprise
n'est pas exempte de dangers et de pièges pour le sociologue. Dans
l'expérience de collaboration interdisciplinaire il n'est guère à l'abri de
mécontentement est
d'incompréhension
de
toutes
sortes.
Il
y a
véritablement une difficulté de dialogue (de nombreuses expériences le
prouvent) mais comme le souligne J.c. Guyot, "médecine et sociologie
peuvent
vivre
en
bonne
intelligence
dans
une
complémentarité de
perspectives, à condition toutefois que chaque discipline sauvegarde sa
propre légitimité scientifique, l'enrichisse dans un échange réciproque d'où
serait banni tout totalitarisme épistémologique" (128). Telle serait sans nul
doute la condition à réaliser, pour une véritable reconnaissance du
126_ PIERRET (J.), "Les Significations sociales de la santé", Paris, l'Essonne, l'Hérault, in
Auge M. et C Herzlich, Le Sens du maL p. 248.
127- HERZLICH (C), précise à ce sujet que "aujourd'hui encore, malgré la solidité de
l'implantation des sOciologues anglo-saxons sur le terrain médical, subsistent donc ces
dialogues de sourds où le médecin, l'administrateur, le spécialiste de santé publique
réclament au sociologue des résultats "utilisables", tandis que celui-ci se plaint du faible
écho de certaines études parfaitement applicables, mais dont les résultats échappent aux
préoccupations des utilisateurs ou heurtent leur manière de voir", cf. Le Sociologue
"médical" conseiller ou contestataire", in Autrement, nO 9, 1977, p. 211.
128_ GUYOT (J.C), Quelle médecine pour quelle société. Toulouse, Privat, 1982, p. 363.

- 94-
sociologue trop souvent, à la merci de "l'hégémonie idéologique du
médecin" (Herzlich). Seule, la reconnaissance de l'identité propre à chaque
discipline, ainsi que le recours à l'interdisciplinarité véritable permettront
d'établir une réelle collaboration, qui, en favorisant la rencontre de
problématiques différentes sera à même de contribuer à leur enrichissement
mutuel. Cet apport d~s diverses disciplines entre elles n'est pas à minimiser,
car elle est la clé pour "la mise en commun interdisciplinaire des réflexions
épistémologiqu~~ internes spécifiques à chaque science. Ainsi se constitue
une

épistémologie générale
qui est
l'articulation
des
épistémologies
internes qui se fécondent mutuellement" (129). J.e. Guyot intervient dans le
même sens au sujet des rapports entre médecine et sociologie: "La place de
la sociologie dans la médecine suppose que le sociologue sauvegarde la
spécificité de sa démarche de l'originalité de son objet" (130).
L'irruption des sciences sociales dans le domaine de la santé
amorcée tardivement en France (131) est aujourd'hui un phénomène
majeur dans le domaine médical. En effet, l'institution médicale en France
connaît une certaine effervescence (depuis le début des années 70) que l'on
peut expliquer par deux facteurs principaux:
- le développement sans cesse croissant des progrès techniques et
scientifiques et leur diffusion massive dans le milieu médical,
- la crise des institutions médicales et la crise d'identité qui frappe
une partie des médecins professionnels.
Mettant en relief ces deux phénomènes importants, Herzlich en
précise les conséquences, en affirmant que l'institution médicale est
désormais secouée par des nouvelles oppositions, de nouveaux clivages: "il
n'est plus guère de problème technique, éthique ou politique où l'on
rencontre encore un consensus du corps professionnel" (Autrement, op. cit.,
129_ BRUYNE (P.) de, HERMAN (J.), SHOUTHEETE (M.) de, Dynamique de la recherche en
science sociale, Paris, PUF, 1974, pp. 39-40.
130_ GUYOT (J.C), op. cit., p. 133.
131_ En particulier de la sociologie médicale qui émergea en France près de vingt ans après son
développement dans les pays anglo-saxons.

- 95-
p. 208) ; outre cela, il convient de reconnaître avec l'auteur que le débat sur
la santé a cessé d'être l'exclusivité des seules professions médicales.
Ce débat, en l'occurrence associe désormais les sciences sociales à
savoir la sociologie, l'économie. Le sociologue et l'économiste sont de plus
en plus invités à intervenir, à proposer des réponses aux problèmes de la
santé et de la médëcine. Notre propos ici n'est pas de montrer le rôle que
pourrait jouer{,le sociologue (et la sociologie) dans le domaine médical.
Cependant, il importe, au stade actuel de notre parcours théorique, de nous
interroger sur la signification sociologique du concept de "maladie".
Nous nous servirons des travaux de sociologues comme T. Parsons
et E. Freidson pour mener à bien cet exercice.
2 - La maladie comme déviance
Talcott Parsons a été l'un des premiers à formaliser une théorie de la
médecine, dans le cadre d'une sociologie médicale, encore à ses premiers
balbutiements. Il introduira le concept de "déviance" pour caractériser la
maladie. Sa théorie interprète en effet la maladie en terme de déviance par
rapport à l'équilibre biologique et psychosocial des individus. La maladie est
assimilée à une forme de comportement déviant (132) par rapport au
système social; au niveau individuel le malade transgresse les normes
sociales dans la mesure où il s'avère incapable d'accomplir ses tâches et
d'assumer son rôle, tels qu'ils sont définis par sa place dans la structure
sociale; au niveau social, le fonctionnement de la société s'en trouve
également affecté. La "déviance" des malades est appréhendée comme un
facteur perturbateur du fonctionnement social. En raison de son état, le
malade se trouve dans l'impossibilité d'effectuer toute activité utile; sa
maladie l'autorise à se soustraire à son rôle productif.
Pour Parsons, la médecine et la profession médicale sont les
institutions à qui la société délégue des pouvoirs spécifiques pour définir,
132_ Selon la définition de BECKER, ce qu'on appelle déviance c'est la transgression d'une
norme acceptée d'un commun accord. Mais il précise que ce sont les normes et les règles qui
lui donnent la signification de déviance sociale "Nous devons donc reconnaître que la
déviance est créée par les réactions des gens à des types particuliers de comportement et
par la désignation de ces comportements comme déviants", in Outsiders, étude de
sociologie de la déviance, Traduction française 1985, p. 41.

- 96-
découvrir et traiter la
maladie.
La
profession médicale
en
tant
qu'organisation va alors légitimer la maladie et la créer comme rôle social
officiel. Il s'attache alors à définir le rôle social du malade, qui découle de sa
maladie:
- suivant le degré de gravité de son affection, l'individu souffrant
de maladie sera gai"tiellement ou entièrement libéré de ses obligations
envers la société, .
f,
-
la
maladie
et
l'incapacité
qu'elle
engendre
surviennent
indépendamment de la volonté du sujet qui s'en trouve déculpabilisé,
- la maladie est un phénomène "indésirable" ; le patient souhaite
recouvrer son état normal; il doit être animé du désir de guérir,
- enfin, le malade a le devoir de solliciter le concours d'une instance
compétente et doit collaborer à sa guérison.
Le malade n'a aucune compétence pour juguler sa maladie. Seul, le
recours à l'institution médicale est susceptible de le rétablir dans son rôle
actif (133).
Le modèle parsonien ne se contente pas simplement d'appréhender
la maladie comme un phénomène biologique; il en fait aussi un
phénomène social "qui s'accompagne de comportements, de rôles sociaux,
de devoirs pour les malades et les médecins, et que la médecine est
l'institution sociale légitimatrice de la maladie" (134).
L'analyse parsonienne, bien que essentiellement limitée à une
médecine de type scientifique (celle des pays occidentaux notamment)
dévoile
néanmoins
comment
le
système
social
"contrôle
et
133_ PARSONS envisage la relation médecin-malade comme un couple de rôles sociaux. Dans
le rôle social du médecin il distingue 5 aspects:
- compétence technique,
- universalisme,
- spécificité fonctionnelle: le médecin est le spécialiste de la maladie,
- neutralité affective: le rapport au malade doit être objectif et non émotionnel,
- orientation vers la collectivité.
134_ PIERRET (J.), "Le Contrat en sciences humaines dans les pratiques sociales et de santé",
Presses Universitaires Rennes, 1988, p. 83.

- 97-
institutionnalise la maladie et assure l'équilibre entre le normal et le
pathologique" (135).
Cependant, au regard du contexte actuel, les faiblesses de cette
théorie apparaissent aujourd'hui plus évidentes (136). Nombre de postulats
sur lesquels repose son approche ont suscité des controverses, des remises
en cause, en parti91lier celui de la maladie comme déviance et celui des
rôles sociaux (137): .
{~
On
reproche
aux
conceptions
parsoniennes
leurs
visions
normatives du social qui postulent, d'une part, que la société se doit de
réguler la maladie et, d'autre part, érigent le médecin en agent du contrôle
social.
L'approche d'Eliot Freidson, en particulier, consiste à dépasser le
modèle parsonien par une analyse plus féconde. Freidson, en effet, ne se
contente pas de réduire la médecine à sa fonction légitimatrice (de la
maladie et de la fonction sociale du malade). La profession médicale /Jcrée
les possibilités sociales de se conduire malade ", soutient-il. Précisant son
argumentation, il écrit: "La notion même de profession implique que la
médecine a reçu le pouvoir de définir, donc de donner un statut aux
différents aspects du comportement social: le juge détermine ce qui est légal
et qui est coupable, le prêtre ce qui est sacré et qui est impie, le médecin ce
135_ Ibid.
136_ En outre, Parsons s'est maintes fois vu reprocher son "réductionnisme". Mais comme
l'indique J. Pierret "historiquement datée, son approche est limitée et insuffisante pour
rendre compte de la réalité d'aujourd'hui... D'autre part, cette approche repose sur l'idée
de guérison valable pour les maladies infectieuses et aiguës et que remet en cause le
développement des maladies chroniques dont on ne guérit pas et avec lesquelles on vit, se
pose alors le problème de vivre avec sa maladie". Ibid.
137_ Sur ce point, Gallagher (1976) formule une critique de Parsons en 3 points:
pour lui, le concept de déviance n'explique pas le comportement du patient atteint d'une
maladie somatique chronique; ensuite, il ne rend pas compte des soins préventifs ou de
l'entretien de la santé qui est un élément de la conduite normative du public et de la
responsabilité professionnelle du médecin; enfin, la notion parsonienne du rôle du malade
est accusée de présenter une image relativement indifférenciée de la structure sociale des
soins de santé, alors que pour Gallagher, les fonctions du médecin varient considérablement
selon les milieux sociaux. Voir à ce propos, KONG-MING NEW (p.), Soins de santé
traditionnels et modernes: une appréciation de leur complémentarité, in Rev.
Internationale des sciences sociales, vol. XXLX, n° 3, 1977, p. 526.

- 98-
qui est normal et qui est malade" (138). Pour l'auteur de La
profession
médicale, le diagnostic qu'établit le médecin modifie le comportement de
l'individu maladei(ce qui n'est pas le cas du vétérinaire dont le diagnostic
n'a aucune incidence sur le comportement de l'animal} quand le praticien
objective la maladie, l'état physique du patient se double d'un état social.
C'est en ce sens qu'il convient de comprendre la "création" de la maladie
par le médecin, à t'instar de l'homme de loi qui crée le crime. Dans cette
acception, la maladie relève davantage d'une déviance biologique que d'une
'.
déviance sociale. Le droit de créer la maladie en tant que rôle social reconnu,
précise Freidson, relève du monopole exercé par la médecine (139). Le
médecin, de la même façon que le juge ou le prêtre se sert de critères
normatifs pour déterminer ce qui est de son ressort.
Le courant interactionniste (auquel appartient Freidson), parmi
d'autres, a produit une critique majeure du fonctionnalisme. Cependant,
Freidson adhère lui aussi à une vision de la maladie comme déviance.
S'appuyant sur Parsons et surtout Becker, il appréhende la déviance comme
une réalité construite (140).
3 - Comment définir la santé?
Doit-on se contenter, en sociologie, d'adopter la définition que
l'OMS donne de la santé, à savoir "Un état de complet bien-être physique,
mental et social"? Ou encore de présenter la santé à la fois comme
"l'absence de maladie et comme le comble de la positivité" ?
;
En premier lieu, ces conceptions de la santé nous inspirent les
remarques suivantes: est-il possible (sociologiquement et scientifiquement)
d'assimiler, voire de réduire la santé à un état? En tout état de cause, il
serait permis de s'interroger (et peut-être de douter) du caractère opératoire
138_ FREID50N (E.), La Profession médicale, op. cit., p. 212.
139_ Dans son analyse du corps médical, Freidson introduit deux concepts clés: ceux
d'''autonomie'' et de "monopole".
140_ Il dit en substance que l'''étiologie de la déviance en tant que rôle social réside moins dans
l'individu "déviant" que le processus social créant des règles qui rendent déviants des actes
ou des traits étiquetant quelqu'un de déviant, ou de coupable et prenant en charge ceux qui
sont appelés ainsi". Ibid., p.222.

- 99-
d'une telle conception de la santé. Ce serait ignorer que chaque société, à
chaque époque, a ses propres manières de concevoir la santé et la maladie;
c'est aussi oublier que la maladie (la santé) possède une "dimension sociale"
essentielle à sa définition (Augé) susceptible d'évoluer avec le temps et
l'espace. Ce faisant, on est bien obligé de reconnaître que, sociologiquement,
il ne saurait exister une définition unique et universelle de la santé
applicable à toute société, à tout groupement humain, indépendamment de
ses propres représentations. C'est bien là, pensons-nous, l'idée exprimée par
l,
J.c. Guyot lorsqu'il affirme: "La santé et plus encore le bien-être échappent
très largement à une spécification objective rigoureusement définissable"
avant d'ajouter "en revanche, l'identité des groupes et des individus fait
l'objet
d'une
reconnaissance
sociale
explicite.
Elle
peut
se
définir
objectivement et constituer un point de départ pour analyser les situations
et les comportements dits de "santé'''' (141).
Un lien quasiment indissoluble est établi ici par l'auteur cité entre
santé et identité, rendant par ce fait le concept de "santé" sociologiquement
opératoire.
C'est dans ce sens sociologique que nous entendons utiliser ce
concept de santé, pour les besoins de notre étude, tel qu'il est défini par
J.C. Guyot: "La santé c'est avant tout pour les individus et les groupements
humains, la possibilité d'accéder à une autonomie qui leur permette
d'affirmer leur identité" (142). Par autonomie, l'auteur entend les ressources
(matérielles, culturelles, relationnelles) dont les acteurs sociaux disposent
pour construire cette identité. C'est donc à travers la notion d'identité (des
acteurs sociaux) que la santé prend ici tout son sens. Identité et autonomie
constituent ainsi une dynamique, un processus en perpétuelle construction,
dans l'expérience sociale et collective des individus et des groupes sociaux.
Ce sont ces processus sociaux, une fois décodés, qui rendent intelligibles les
comportements des acteurs sociaux dans leurs rapports complexes à la santé,
à la maladie, à la mort. Le processus de construction de l'identité collective
des acteurs s'élabore principalement à travers leurs "ressources matérielles,

14L GUYOT (J.C), "Sociologie et santé publique", article pour Les Cahiers du LERASS,
nO 22, 1991, p. 20.
142_ GUYOT <J.C), Quelle médecine. pour quelle société. op. ciL, p. 172.

-100 -
culturelles et relationnelles"; c'est pourquoi, la compréhension des
comportements collectifs dans le domaine de la santé, nécessite au préalable
une démarche consistant à interroger ces ressources.
En partant de cet éclairage concernant le sens à donner à la santé,
nous tenterons d'appréhender à présent les rapports à la santé et à la
maladie des acteurs' du milieu rural burkinabé.
{<
4 - Les paysans et leurs représentations de la santé
et de la maladie
Dans la société rurale burkinabé, il est aisé d'observer et de
percevoir, à tout moment, l'importance que revêt la santé dans la mesure
où elle fait l'objet d'une préoccupation constante. Cela apparaît en premier
lieu dans les formules de salutations quotidiennes. Mais aussi à la vue
d'enfants (et même d'adultes) portant autour du cou, de la taille ou du bras
des amulettes ou charmes de protection; enfin, par la richesse des
pharmacopées traditionnelles et l'omniprésence des tradipraticiens.
La production sociologique et anthropologique sur la maladie, la
santé, le corps... est à l'heure actuelle d'une abondante richesse, qu'il s'agisse
des études sur les sociétés traditionnelles ou sur les sociétés modernes.
Nous nous inspirerons ici des travaux d'auteurs comme F. Loux, dont la
contribution dans l'étude du corps et ses représentations est inestimable;
nous aurons également recours aux travaux de M. Augé, C. Herzlich,
J. Pierret, S. Fainzang...
A l'évidence, il ne nous sera pas possible d'analyser en détail
l'apport de chacun de ces chercheurs. En revanche, leurs travaux nous
serons d'un indispensable éclairage pour construire notre propre objet
d'étude.
Le rapport au corps est sans conteste un facteur à travers lequel il est
possible d'appréhender la santé et l'identité des acteurs sociaux. Dans toute
société, le corps détient une importance et une place considérables. Comme
le dirait Françoise Loux, il est partout et tout à la fois: travail, fête, maladie,
etc. Premier instrument de travail, le corps reste aussi le premier outil de la
fête.

-101 -
Cependant, si l'on veut se livrer à une réflexion sociologique plus
poussée sur le corps et ses représentations, il convient alors de distinguer ces
représentations en fonction de variables telles que le statut social, la
catégorie socio-professionnelle des acteurs, ou leur appartenance à un espace
social traditionnel ou moderne, etc. Suivant la position qu'occupent les
acteurs sociaux dam;' le système social, la maladie, la santé, le corps, ne se
disent pas et ne. se vivent pas de la même façon. Les perceptions, les
{
représentations et les interprétations de ces phénomènes évoluent avec le
temps et l'espace.
C'est semble-t-il, à L. Boltanski que l'on doit d'avoir mis en relation
les variations entre relations au corps et classes sociales. D'un point de vue
anthropologique, J.e. Guyot distingue deux types de rapport au corps: un
rapport existentiel et un rapport instrumental. Ce corps, soutient-il
"exprime la personnalité de 1'homme, en est le signe visible, le vecteur
concret de son expression, le moyen d'être et de s'affirmer. Ce peut être
également l'outil, le moyen de faire et de produire" (143).
Bien entendu, ces deux dimensions du corps ont une importance et
une signification différentes suivant les cultures, les classes sociales ou les
groupements humains. Elles varient suivant l'activité professionnelle
exercée, suivant la position de l'individu dans la société, et la représentation
que chacun fait de son corps. C'est ce qui transparaît dans ces propos: "Pour
les travailleurs manuels, les paysans, les ouvriers, le corps est un outil de
production dont la principale qualité est de produire de l'énergie, de la force.
Pour les travailleurs intellectuels, il peut être l'objet d'une affirmation
esthétique (à tous les sens du terme) de leur personnalité" (144). Autrement
dit, alors que le rapport de l'intellectuel à son corps est du type existentiel,
celui qui caractérise le travailleur manuel à son corps relève du type
instrumental. En conséquence, les soins et l'intérêt que l'on porte à son
corps sont fonction de l'appartenance sociale: à mesure que l'on s'élève
dans la hiérarchie sociale, cet intérêt s'accroît, et induit par ce fait même un
rapport différent à la santé et à la maladie. C'est également ce que traduisent
143_ GUYOT (J .c.), op. cit., p. 184.
144_ GUYOT (J.c.), op. cit., p. 184.

-102 -
ces propos de L. Boltanski: "Pour les classes populaires, la maladie qui est
par définition ce sur quoi on n'a pas de prise constitue une catastrophe
économique et familiale, à laquelle on n'ose même pas penser ... A l'inverse,
les membres des classes supérieures qui prêtent attention à leur corps et ont
une perception organisée des messages qu'ils en reçoivent... n'établissent
pas une différence aussi tranchée entre l'état de santé et l'état de maladie...
la maladie s'inscrit )iàns le temps" (145).
Le corps, c'est l'instrument de travail par excellence. Dans la société
rurale, ancienne, comme l'affirme F. Loux, "L 'homme est doublement lié à
la nature. Il s'affronte quotidiennement avec elle, dans le travail, cherchant
à la dominer, la discipliner, la cultiver: dans cette tâche, son outil essentiel
est le corps, c'est-à-dire également la nature" (146).
L'autonomie et l'identité pour le paysan, c'est essentiellement le
corps, et à travers lui, la santé. Etre malade c'est alors être inapte
(physiquement et socialement) ; c'est être incapable d'utiliser son corps (au
travail, comme à la fête) le privant ainsi de rapports actifs avec autrui. La
maladie marginalise, isole.
Dans cette catégorie, de population, l'alimentation a pour fonction
essentielle de "valoriser la valeur de l'outil" (Guyot). Il est essentiel de bien
s'alimenter, en quantité suffisante et de façon régulière, afin de développer,
dès le bas âge, la force, l'endurance et la résistance du corps. Comme l'écrit
fort justement J. Pierret s'inspirant des travaux de C. Grignon, "Ce souci de
la quantité et de la régularité paraît prendre son sens ici par rapport à ce qui
structure cette forme de santé, à savoir les enfants et le travail. En effet, dès
l'enfance, un des constituants du fonds de santé, est une nourriture en
quantité suffisante, afin d'assurer le développement du corps. Corps fort,
résistant et prêt à répondre aux exigences du travail" (147).
145_ BOLTAN5KI (Luc), cité par J.e. Guyot, ibid., p. 185.
146_ LaUX (F.), Le Corps dans la société traditionnelle, 1970, p. 32.
147_ PIERRET (J.), op. ciL, p. 237.

-103 -
S'agissant des comportements thérapeutiques, ils sont déterminés
par la présence (ou non) ou la proximité d'une institution de soins (148). Ce
faisant, les difficultés d'accès au médecin se posent non seulement en terme
d'accessibilité géographique et économique, mais aussi en termes
relationnels ou culturels, d'où une évidente sous-consommation de leur
part en matière de ;soins. Peu habitué à recourir au médecin, dès le premier
symptôme, le paysan pratiquera soit l'automédication, soit attendra une
{
affection plus grave. La raison en est qu'il n'a pas encore bien intériorisé
l'idée de la médicalisation (au sens moderne du terme) en liaison avec ses
représentations culturelles de la maladie. Le besoin de soin, le plus souvent
ne s'exprime que lorsque la maladie atteint un stade avancé, empêchant
toute activité productive. Ce lien direct qu'il établit entre santé et
production paraît dicté par une représentation instrumentale du corps.
Quand la maladie affectant son corps entrave son activité, il perd son
moyen de production et perd son identité.
Dans les représentations collectives des couches populaires,
l'affection mineure ou bénigne, dans la mesure où elle n'empêche pas une
vie active et sociale normale n'est point assimilable à la "maladie", d'autant
que le corps est encore apte à travailler (149). Dans leur expérience sociale de
la maladie, celle-ci renvoie à un seuil critique de gravité, empêchant toute
activité économique. C'est sans doute ce qui fait dire à F. Loux que: "Dans la
société rurale, le médecin est en fait le dernier recours, on ne l'appelle que
lorsqu'on a épuisé les ressources traditionnelles. Dans ce cas, il ne peut que
constater l'agonie ou la mort" (150). Cette attitude paysanne face au recours à
148 Dans les campagnes burkinabé, l'implantation médicale est très faible. Conséquence: la
plupart des campagnes ne disposent d'aucune structure de soins.
149_ Cela se conçoit, car comme le précise J.e. GUYOT, "chaque système culturel comprend en
effet des mécanismes de défense qui lui sont propres et dont la spécificité est liée à
l'histoire du groupement qu'il personnalise et à la nature de sa relation avec son
environnement géographique, économique et social: dans l'expérience de la maladie,
certaines catégories de malades ont tendance à bien localiser ce dont ils souffrent, alors que
d'autres se sentent atteints dans leur personnalité tout entière, certains extériorisent leur
souffré;1nce, d'autres ont plutôt tendance à la nier, en tout cas à ne pas en faire état devant
autrui". Il ajoute qu"'en ce qui concerne ce dernier point, les malades font l'expérience de la
culpabilité inhérente à toute expérience sociale de la maladie...", op. ciL, p. 186.
150_ LOUX (F.), op. ciL, p. 136.

-104 -
la compétence médicale peut s'expliquer du moins en partie par le facteur
économique et culturel.
Il est pourtant reconnu que le monopole du discours sur la santé par
l'institution médicale a façonné une représentation des besoins de santé
toujours liée à ce qu'elle définit comme telle. Mais ce discours n'a pas
toujours atteint les/campagnes où il se heurte à l'influence de la médecine
traditionnelle dont la pratique y est encore vivace. Il est certain aussi que
(.
l'analphabétisme et le manque d'instruction qui sévit dans ce milieu
entrave la pénétration et la propagation de ce discours.
Comme nous l'avons signifié plus haut, par delà les difficultés
d'accession matérielle ou géographique aux centres de soins, le problème de
la distance culturelle entre le paysan et le système de santé (symbolisé par le
médecin) peut expliquer sa réticence à exprimer son besoin de soin (151),
contrairement aux couches plus aisées de la population.
A priori donc, les facteurs culturels peuvent constituer autant de
barrières pour l'accès aux soins en milieu rural et davantage encore quand
ces soins occasionnent des dépenses.
Ces populations adhèrent davantage aux logiques traditionnelles
conformes à leurs représentations de la santé et de la maladie et qui
déterminent
leurs
comportements
thérapeutiques.
Par
logiques
traditionnelles, nous entendons l'ensemble des conceptions véhiculées par
les valeurs et normes sociales qui conditionnent les conduites collectives
des acteurs. En revanche, cette attitude ne nous paraît pas caractéristique du
milieu citadin, où les populations, plus "ouvertes", et appartenant à un
milieu plus médicalisé, observeraient des comportements différents.
Nous arrivons au terme de cet essai théorique où nous nous
sommes efforcés de procéder à une mise en perspective sociologique de
notre objet d'étude. Nous avons essayé, à la lumière de l'analyse
sociologique, de définir successivement les principaux concepts et de les
151_ Dans le même ordre d'idée, I.e. GUYOT établit dans son étude sur les usagers de la
médecine, un lien entre le facteur culturel et les contraintes matérielles qui semblent
expliquer que la fréquence du recours au généraliste soit plus élevée en milieu ouvrier que
dans les catégories les plus favorisées. Op. ciL, p. 187.

-105 -
discuter. Bien entendu, cette réflexion n'a pas abordé, loin s'en faut, tous les
aspects et dimensions des questions soulevées ici; elles restent encore à
approfondir pour un enrichissement de notre problématique.
D - VERS NOTRE PROBLEMATIQUE
Après avoir· puisé dans le champ de la sociologie l'arsenal
'/
conceptuel indispensable pour mener à bien notre réflexion, nous tenterons
à présent d'énoocer notre propre approche des conditions de la mobilisation
villageoise dans la perspective de leur participation à la prise en charge de
leur propre san té.
L'objectif principal de ce travail est d'essayer de comprendre et
d'analyser les mécanismes sociaux, politiques, etc. qui déterminent le
processus de mobilisation/ démobilisation des principaux acteurs villageois
dans le projet des SSP (ASC, communauté villageoise, acteurs de l'Etat).
Cela, pensons-nous, passe au préalable par une analyse des caractéristiques
du milieu rural burkinabé, de ses rapports internes d'une part, et de ses
rapports avec l'Etat de l'autre. Ainsi que nous l'avons annoncé au départ,
notre étude se cantonnera principalement à la décennie 1980-1990.
En 1983, l'avènement d'un
pouvoir
issu
de la Révolution
d'août 1983, dirigé par le CNR marque une rupture dans la vie politique et
sociale du pays. En effet, le projet du CNR reposait sur la volonté de
procéder à une transformation radicale de la société burkinabé. Ce projet
postulait la modification des alliances sur lesquelles s'appuyaient les
régimes précédents. Au pacte liant l'Etat aux couches salariées urbaines (en
particulier les agents de la fonction publique) l'Etat entendait en substituer
un autre, celui avec la paysannerie, appelée à devenir la base sociale du
régime (152).
Cette logique étatique reposait ainsi sur l'inauguration d'un
nouveau
mode
de
développement
cherchant
à
s'appuyer
sur
la
participation active du monde rural; aussi essayait-il de se donner les
moyens de contrôler le paysannat pour le fondre dans un projet global,
"rationalisé" et s'incarnant dans l'importance accordée symboliquement
152_ voir à ce propos, OT AYEK (R.), "Burkina Faso entre l'Etat mou et l'Etat total: un
balancement qui n'en finit pas", op. cit.
:> ~
1

-106 -
aux "grands travaux" entre autres, l'aménagement de la vallée du Sourou,
le barrage de la Kompiénga, les soins de santé primaires, etc.
Ce faisant, si globalement les paysans se mobilisèrent autour de
petits projets d'infrastructure (construction de PSP, retenues d'eau...) prévus
dans le cadre du PPD (Programme Populaire de Développement, réalisé
entre octobre 1984 7t- décembre 1985), comment expliquer la démobilisation
qui s'est rapidement substituée à cette participation initiale? Comment le
CNR, dont la {-démarche a été d'associer la paysannerie à son projet de
transformation: sociale, peut-il voir cette dernière se détourner ainsi de cet
objectif? Dès à présent, pour tenter de comprendre (et d'expliquer) cette
attitude paysanne, nous formulerons la question de départ de notre
recherche de la manière suivante: comment peut-on expliquer la faiblesse
de la mobilisation des villageois pour les soins de santé primaires?
Autrement dit, quelles sont les conditions sociales et politiques de la
mobilisation des communautés villageoises à travers la politique des SSP?
Il nous semble que la réponse à cette question passe au préalable par
un examen approfondi de la nature réelle des rapports que l'Etat a initié
avec le monde paysan et la manière dont celui-ci le percevait, mais
également par la manière dont est perçu l'ASV dans sa propre
communauté, qu'il a la charge de mobiliser autour de ce projet.
D'ores et déjà l'idée principale que nous retenons ici peut se
formuler comme suit: l'Etat dans sa stratégie d'investigation des campagnes
(pour se concilier la paysannerie) y a systématiquement introduit et imposé
ses propres structures pour y effectuer l'oeuvre de mobilisation, en limitant
(voire en anéantissant) dans le même temps l'influence des structures
traditionnelles villageoises (153). Cette entreprise de délégitimation des
forces politiques traditionnelles s'est heurtée à une résistance multiforme.
A notre sens, si les SSP se heurtent à une faible participation
communautaire, sur le terrain, c'est parce que d'une part, elles ne semblent
pas correspondre véritablement aux attentes des collectivités et, d'autre part,
celles-ci
perçoivent
l'initiative
étatique
comme
un
danger
de
153_ Précisons ici qu'une telle pratique est d'ailleurs contraire à l'espritd'Alma-Ata qui
préconise l'utilisation optimale des ressources économiques, sociales, morales et politiques
de la communauté.

-107 -
démantèlement du monde rural, de ses institutions, de ses valeurs. En
définitive, dans ce mode d'encadrement étatique, la société rurale n'y
trouve que très peu son compte, n'ayant aucune possibilité d'exprimer et de
trouver par elle-même les réponses à ses problèmes.
Nous essaierons de montrer en quoi cette démarche dont la logique
repose sur la désta~ilisation des structures paysannes (par leur négation) est
loin de susciter. une adhésion massive des paysans, mais procède plutôt du
contraire. On~" peut se demander d'ailleurs, à juste raison s'il s'agit
véritablement d'une stratégie de mobilisation paysanne menée par l'Etat,
ou d'une simple entreprise de soumission et de contrôle de celle-ci.
Savonnet-Guyot ne souligne-t-elle pas: "On ne voit pas encore très bien
comment le nouveau régime, s'il veut faire de la paysannerie sa principale
base sociale, pourrait rejeter dans les poubelles de l 'histoire ceux qui surent
longtemps s'imposer comme un instrument éprouvé de communication
avec les masses rurales. Les gens de la terre reconnaîtront-ils finalement la
légitimité des CDR contre celle des gens du Naam?" (source spirituelle du
pouvoir mossi) (154).
Jusqu'à présent, la plupart des régimes qui ont précédé le CNR à la
tête de l'Etat burkinabé avaient privilégié un type de rapport Etat-société
excluant ou limitant le recours à la contrainte (155). "Ils ont induit un mode
de domination subtile, réelle mais allégée, et maintenu entre l'Etat et la
société, un "dialogue" permanent, chacun régissant son espace avec ses
paradigmes propres, mais sans être coupés l'un de l'autre" (156). Avec le
CNR le pas venait d'être franchi.
Si l'on peut donc affirmer que la participation pour promouvoir les
SSP dans les campagnes est "mal partie", la cause première n'est nullement
à rechercher dans la prétendue résistance des paysans face au changement
ou au modernisme. Cette attitude paysanne participe au contraire d'un
désaveu des formes d'interventions des pouvoirs publics, ainsi que des
services que proposent les SSP.
154_ SAVONNET-GUYOT, "Le Prince et le Naba", in Politique africaine, nO 20, 1985, p. 43.
155_ Une exception cependant, sous le régime de M YAMEOGO de 1960 à 1966.
156_ OTAYEK (René), op. ciL, p. 8.

-108 -
Par delà la complexité des problèmes de développement qui
nécessitent la prise en compte des problèmes de pquvoir, les logiques des
villageois semblent s'opposer à bien des égards à celles du pouvoir central.
Ce faisant, les paysans usent des services, des opportunités et des contraintes
qu'apportent les institutions de développement selon des normes et des
critères qui ne sonrpas ceux de ces institutions, et ils en usent de façon
cohérente.
C'est l'idée que nous chercherons à vérifier, en essayant autant que
faire se peut, de remettre en cause les clichés et les idées préconçues,
imputant les échecs de tout projet (concernant la santé, l'éducation,
l'agriculture...) à l'incapacité des populations des campagnes à comprendre
et à exécuter les programmes qui leur sont destinés.
Une fois notre problématique dégagée, il· nous revient à présent de
construire notre jeu d'hypothèses. Pour commencer, nous formulerons
notre hypothèse principale comme suit: l'absence d'adhésion véritable des
collectivités rurales à la politique des SSP s'explique par une faible
adéquation entre les services qu'ils proposent et les intérêts réels des
villageois. Ces intérêts paysans ont une traduction sur le plan socio-
politique d'une part: les SSP en se développant, étouffent les formes
d'organisation et d'expression propres à ces sociétés. D'autre part, sur le plan
sanitaire, ils ne correspondent que rarement aux besoins exprimés par les
paysans eux-mêmes. il est significatif de constater que certaines formes de
prévention ou d'assainissement "de base" ne sont rëssentis en termes de
besoin dans nombre de familles paysannes que sur la pression insistante des
membres de l'institution sanitaire.
Sous-hypothèses
1- Le contrôle exclusif des structures de mobilisation et des soins de
santé primaires par les représentants locaux de l'Etat explique la faiblesse de
la participation paysanne dans la mesure où ces nouvelles structures
rejettent les réseaux traditionnels de mobilisation.

-109 -
2- La non-reconnaissance de toute compétence médicale préalable
aux agents de santé bénévoles, par ailleurs formés rapidement et issus de la
communauté locale même pour exercer "à l'occidentale", explique leur
manque de légitimité auprès des usagers, contrairement à l'infirmier ou au
guérisseur.
3- L'agent de santé villageois n'est pas simplement perçu comme un
auxiliaire sani~~irè bénévole; il est davantage considéré par les populations
comme un acteur politique au service de l'administration étatique.
4- Le statut social de l'ASV, de même que l'image et le type de
légitimité dont il jouit dans sa propre communauté, constituent les facteurs
les
plus
décisifs
qui
déterminent
sa
prise
en
charge
ou
non,
indépendamment de la nature de son travail et de ses compétences propres.
5- L'absence de gratification matérielle aux agents de santé
communautaires
n'est
pas
uniquement
imputable
aux
difficultés
économiques ou à la faiblesse des revenus paysans; elle traduit avant tout
une volonté paysanne d'exprimer leur désaveu du modèle des SSP tel qu'il
est conçu par l'instance administrativo-poli tique.
6- Au sein du corps infirmier, plus les membres sont attachés à la
sauvegarde de la légitimité légale dont jouit la médecine moderne, plus ils
sont réticents à l'intégration de la médecine et des thérapeutes traditionnels
dans le système officiel de santé.

-110 -
SECTION II - TECHNIOUES D'ENOUETE
A - LE CHOIX DU TERRAIN ET L 'IMPORTANCE D'UNE ETUDE
INTENSIVE
Plusieurs régions ou provinces du Burkina pouvaient se prêter à
'/
une étude de ce genre, si l'on s'était placé dans la seule perspective d'une
étude portantr-sur les stratégies des SSP. Ce serait oublier qu'une telle
investigation exige de définir des critères précis et scientifiquement
pertinents: le choix d'une zone d'enquête ne saurait donc relever du hasard
pur et simple. Ce faisant, notre choix était plus restreint si l'on cherchait
une
région où
l'on pût réunir les
conditions pour observer le
fonctionnement des SSP en vue d'une étude à la fois qualitative et
comparative (157). Cela supposait à l'évidence, le choix d'une région où une
telle politique se poursuivait.
Outre cela, il nous paraissait souhaitable de retenir une localité
sujette à différents modes de transformation du monde rural que sont les
migrations, le développement de l'enseignement (moderne et agricole),
celui des mouvements de jeunes et d'adultes, les changements de
comportement religieux, les différents projets de développement, ainsi que
l'influence éventuelle de ces facteurs sur la situation globale de la région
(sur les plans social, économique, sanitaire...).
Après une période de prospection (et d'hésitations parce que les
possibilités étaient variées) notre choix s'est porté sur la province de la
Sissili, au sud du pays, dont l'expérience dans les SSP, pensons-nous, se
prête à une telle étude.
Notre étude englobera les localités de Léo, chef-lieu de la province,
ainsi que le village de Kayéro, situé à 15 km de la capitale provinciale (dans
la perspective de l'étude comparative).
En choisissant d'effectuer notre enquête dans la province de la
Sissili, nous avons opté pour une région qui nous était totalement
157_ En effet, dans certaines régions du pays, la politique des SSP est dans une situation de
quasi abandon.

-111 -
inconnue; mais de toute évidence, cela ne nous paraît ni un avantage, ni
un inconvénient.
Cependant, il nous paraît important de préciser que la province de la
Sissili n'est pas véritablement représentative de l'ensemble du pays; en
revanche, elle ne semble pas non plus constituer un cas unique ou
exceptionnel d'unE:} région ayant subi des transformations profondes en
référence à la vie. tradi tionnelle.
'.
L'enquête sur une vaste région ne permet pas, à moins de disposer
de moyens très importants, d'analyser en détail les motivations à la
participation, les logiques et les conduites sociales des acteurs, les obstacles
socio-culturels et les implications sociales de la mise en pratique
d'expériences sanitaires nouvelles. Pour notre part, les moyens matériels et
financiers dont nous disposions étaient bien trop modestes pour nous
permettre une enquête de grande envergure. D'où ce choix d'une zone
restreinte où, pensons-nous, nous pourrions être en mesure d'observer plus
facilement et, peut-être plus en profondeur, les faits pour atteindre les
objectifs ini tialemen t mentionnés.
Pour toutes ces raisons, nous avons résolument cherché à donner à
cette étude un caractère qualitatif. Plus qu'une étude de la distribution
statistique des notions et des comportements face aux SSP (et plus
généralement face à la santé et à la maladie), ce travail prétend faire une
analyse approfondie de type socio-anthropologique des discours et des
pratiques des différents acteurs sociaux en présence sur le terrain des SSP. Il
comportera néanmoins des aspects quantitatifs.
Ce faisant, nous avons cherché à privilégier le séjour de longue
durée sur le terrain (6 mois) qui demeure une exigence méthodologique
fondamentale pour ce type de recherche, dans la mesure où il semble exister
un rapport direct entre cette durée et le nombre et la qualité des données
recueillies. Tel est le sens de la mise en garde de Jacky Bouju: "En effet, le
risque est grand, si les données recueillies sont insuffisantes, de passer à côté
d'indicateurs importants, de multiplier les erreurs relatives, de mal évaluer

-112 -
les causalités et donc de découvrir de faux problèmes alors que les logiques
véritablement à l'oeuvre n'auront pas été repérées" (158).
Pour toutes ces raisons, nous n'avions d'autres choix que de
privilégier la démarche monographique, dans la mesure où elle nous
paraissait l'outil le plus adapté pour effectuer ce genre d'investigation; elle
permet, pensons-n;rous, de mettre en lumière des phénomènes qu'une
simple étude quantitative (dans le cas de cette étude) aurait pu difficilement
révéler.
{.
B - MISE EN OEUVRE ET DEROULEMENT DE L'ENQUETE
1 - Les difficultés rencontrées:
de la logique administrative
Il n'existe pas d'enquêtes sans difficultés. Lors de son investigation
sur le terrain, tout chercheur se trouve confronté à une série de problèmes
divers, auxquels il ne s'attend pas toujours.
Les difficultés théoriques inhérentes à la construction technique de
l'enquête, sans être minimisées, font partie des problèmes habituels
auxquels le chercheur s'attend.
Mener à bien une étude scientifique implique l'élaboration d'une
problématique, d'un corps d'hypothèses, la construction d'un modèle
d'analyse pertinent, ce
qui
requiert du chercheur
un
important
investissement intellectuel et théorique. Une fois ce travail accompli, celui-
ci n'est pas pour autant au bout de ses peines. L'investigation sur le terrain
suppose un second type de problèmes: ceux qui relèvent des logiques
administratives, professionnelles ou politiques.
Les premiers obstacles auxquels nous nous heurtâmes tenaient aux
logiques administratives et politiques. La difficulté à obtenir une
autorisation officielle de recherche (rendue obligatoire) devait rapidement
158_ BOUJU (J.), "Pratiques économiques et structures sociales, exemples Dogons au Burkina",
in D. FASSrN et Y. JAFFRE, Sociétés. développement et santé, op. ciL, p. 157.

- 113-
entraver le déroulement normal de l'enquête (159). Notre projet de
recherche ainsi que nos outils d'observation empirique (questionnaire,
guide d'entretien) firent l'objet d'un examen rigoureux (160). Bien entendu,
on nous affirmait que ces exigences avaient pour but de "garantir la qualité
de l'enquête", en même temps qu'on nous recommandait énergiquement
d'autres niveaux d'observation, d'autres axes de recherche et même un
autre titre à notre thèse.
Les objectifs d'une telle entreprise nous paraissent évidents: nous
amener par des pressions multiformes à modifier notre perspective de
recherche, ainsi que notre problématique nous engager sur d'autres "pistes
de recherche" plus conformes aux intérêts et aux besoins de la logique
administrative, en vue de la réalisation d'une étude "sociologique"
directement utilisable par l'administration. Au total, les objectifs véritables
de cette "bienveillance administrative" ne semblent pas étrangers à une
volonté réelle de s'arroger les fruits de nos recherches. Tout se passe comme
si la délivrance d'une autorisation de recherche était soumise à l'obligation
implicite du chercheur à ramener des "résultats". Ainsi, notre étude était
jugée digne d'intérêt si elle pouvait permettre de "redynamiser les P5P".
Mais par quelle recette miracle? Le chercheur en sciences sociales doit-il
nécessairement être un thaumaturge pour être reconnu? Ce serait oublier,
comme le souligne très opportunément E. Fassin, que "Les sciences sociales
ne peuvent résoudre les problèmes de notre société non plus que d'une
autre, à sa place, mais seulement aider à les poser" (161). Au demeurant,
nous n'étions guère dupe_, au point d'oublier que le sociologue ne doit pas
s'identifier à la logique administrative ou étatique, sous peine de se
dépouiller de ses attributs de sociologue.
Dans le même ordre d'idées, nous dûmes faire face à des difficultés
d'ordre
matériel et
financier.
Concernant ces
aspects,
les
seules
contributions relatives à la réalisation de cette étude se limitent
exclusivement à notre apport personnel, ce qui représente à l'évidence bien
159_ Au total, il nous a fallu deux mois pour obtenir la dite autorisation.
160_ De la part d'une commission technique du ministère de la santé de formation médicale.
161_ FASSIN (Eric), "Introduction aux sciences sociales", in D. FASSIN et Y. JAFFRE, op. ciL,
p.23.

-114 -
peu de choses, au regard de la nature et des exigences d'une recherche de
cette envergure.
Désireux d'effectuer l'enquête dans les meilleures conditions
possibles, de nombreuses demandes de subvention furent adressées à des
organismes et fonda~ions diverses (principalement des ONG installées en
France ou au Burmna); mais elles restèrent lettre morte. Du reste, celles
désireuses de nous apporter un quelconque soutien subordonnaient leur
1.
concours de conditions diverses:
.. ~~
~.JftF--
-
-
renoncer à notre terrain pour en choisir un autre, qui
généralement était une zone d'intervention de l'organisme proposant son
aide;
- l'abandon ou la transformation de notre problématique, voire de
notre sujet de recherche au profit d'autres choix qui nous étaient suggérés.
Bien évidemment, il était hors de question, pour nous, d'accéder à
ces conditions, ou de nous rendre à leurs arguments.
2 - De la logique des acteurs
Après avoir franchi, souvent bien péniblement, les péripéties liées
aux logiques administratives et politiques, le chercheur n'est pas pour
autant au bout de ses peines; en effet, d'autres difficultés le "guettent" au
moment précis où démarre son enquête. Ces pièges dont il doit se méfier,
constituent les logiques des acteurs, qui sont partie prenante du processus
étudié: les populations paysannes, les professionnels, les politiques.
Au niveau local (c'est-à-dire sur le terrain même) on se heurte,
encore une fois à la logique politique. Mais cette fois, la pression n'est plus
directe, elle passe à travers la logique des acteurs qu'elle influence. Ainsi
certaines personnes se refusent catégoriquement à répondre à toute question
posée par un "enquêteur", car cela relève de la "politique". D'autres se
disent prêts à répondre à toutes les questions, à l'exclusion toutefois des
question d'ordre politique; et dans cette catégorie d'enquêtés, figurent
parfois des professionnels de la santé. Pour une frange non négligeable de la
population, la politique reste en effet un sujet tabou, ou du moins que l'on
hésite à aborder avec un inconnu, car "cela peut vous créer des ennuis".
Cette méfiance individuelle et collective à l'égard du politique renvoie à la

-115 -
logique des élites au pouvoir "qui inscrivent la production du discours
politique des acteurs sociaux dans le domaine du subversif et de la
provocation, et cela dans la mesure où leur pouvoir se fragilise, et leur
apparente légitimité s'effrite" (162).
Un autre problème, et non des moindres, est le statut de
l'''enquêteur'' ou çle toute personne supposée telle dans une société
villageoise. Dans les représentations collectives des villageois, paysans en
particulier, toJ.t "enquêteur" est rapidement assimilé à un agent de l'Etat:
policier, gendarme (ou autrefois percepteur d'impôts), douanier, etc.
Toutefois, quand il n'est pas perçu comme tel, l'on s'interroge néanmoins
sur ses véritables motivations, ses intentions réelles. Cette suspicion
permanente, cette méfiance paysanne participe de ce que l'on pourrait
appeler la "peur du fonctionnaire" (163). Au cour d'une de ses enquêtes
effectuées dans une commune de l'Ile-de-France, Sylvie Fainzang ne dit-elle
pas; "se présenter comme faisant une enquête, mot qui fait frémir les
habitants de La Ville-du-Bois, comme s'ils voyaient un signe dans le fait
qu'il rime avec quête, c'est risquer de passer soit pour un démarcheur, soit
pour un cambrioleur"
(164).
Dans le cas de notre enquête, le risque pour l'enquêteur serait de
passer pour un agent quelconque de l'Etat, ou encore pour un membre de la
milice du pouvoir (les comités révolutionnaires).
Dès lors, la relation qui s'instaure entre observateur et observé
apparaît comme l'une des principales questions auxquelles est confronté le
sociologue (et cela, tant en milieu rural, qu'en milieu urbain). Il en résulte
une difficulté accrue de s'y introduire pour réaliser son observation. Dans
ses conditions, comment le chercheur doit-il se comporter pour vaincre ces
résistances? Doit-il se présenter malgré tout comme un "enquêteur" ? De
toute évidence, ce serait s'exposer au risque majeur de voir une part non
162_ ADJI (M.5.), L'Etat et le paysan en Afrique noire, contribution à l'étude de l'insertion
paysanne dans les espaces politico-économiques au Niger, Mémoire DEA, 1987, p. 76.
163_ dont les origines remontent à l'époque coloniale, où les paysans étaient régulièrement
persécutés par les agents de l'administration. Ces pratiques se sont poursuivies bien après
la colonisation. Aujourd'hui, plus que de peur, on pourrait parler de déférence.
164_ FArNZANG (5.), "Etre ou ne pas être un autre", in Chemins de la ville. p. 134.

-116 -
négligeable des enquêtés, user de toutes sortes de subterfuges pour éviter
toute coopération avec lui, ou refuser delui livrer leur véritable pensée.
Une fois le terme d'enquêteur écarté, il reste encore la possibilité de
se présenter comme sociologue (c'est-à-dire ce que nous sommes en vérité).
Dans un milieu urbain (ou semi-urbain) comme Léo, ce concept suscite une
certaine fascination (165) dont on a pu tirer profit (curiosité, sympathie à
notre égard, contacts rendus plus faciles, etc.). En revanche, en milieu
.(
villageois (ou même auprès des personnes non instruites habitant la ville)
se présenter de la sorte c'est assurément courir le risque de ne pas nous faire
comprendre, et peut-être d'accroître encore la fameuse "distance" avec nos
informateurs. Dans ces cas de figure, il nous restait enfin la ressource de
nous introduire comme étudiant, ce qui avait l'avantage de dissiper les
dernières réticences.
Plus généralement, plutôt que de parler d'enquête, nous nous
faisions introduire auprès des enquêtés pour des séances dites de "causeries"
(sosga) terme mieux accepté par eux.
3 - La fin de l'enquête
Après avoir été émaillée dès le départ, d'innombrables difficultés, la
fin de notre enquête, s'annonça plus calme, plus sereine. Cependant, avant
d'y mettre fin,
nous
fûmes
à
nouveau confrontés
à la logique
administrative. Il nous a été demandé, de présenter à l'intention du
personnel de la direction provinciale de la santé, les premiers résultats de
nos recherches, "en attendant le rapport final".
A l'évidence, les conclusions de l'enquête ne sauraient laisser les
"développeurs" indifférents et suscitent déjà un certain engouement. Pour
tirer les leçons ou faire le bilan d'une opération de développement
(économique, sanitaire) ses promoteurs s'empressent de recourir aux
expertises des sciences sociales (sociologie en particulier) qu'ils considèrent
comme les seules disciplines aptes à fournir des éléments explicatifs aux
échecs/ou aux réussites mitigées.
165_ En particulier chez les jeunes fonctionnaires, dont beaucoup nourrissent de l'admiration,
de la curiosité pour cette discipline.

-117 -
Même si elle paraît réconfortante, cette attitude présente néanmoins
quelques risques que J.P. Dozon et G. Pontie résument en ces termes: "Il ne
faudrait pas -après les avoir négligées- surestimer les capacités des
sciences sociales à comprendre le milieu, ou du moins à en prévoir les
évolutions et croirequ 'une meilleure connaissance des problèmes fonciers
des relations de trg:vail, des stratégies vivrières ... permettra de corriger le
"tir" et de garantir" ainsi la réussite de l'opération" (166).
f,
S'il paraît légitime de considérer comme utile l'éclairage des
sciences sociales, dans la compréhension des faits sociaux, en revanche rien
n'autorise à penser qu'elles détiennent les clés du développement
économique et social des sociétés, comme certains "développeurs"
pourraient le penser.
Assurément, les contraintes de la recherche et celles de l'action
diffèrent et, bien souvent, les normes des métiers scientifiques se situent
aux antipodes de celles des professionnels du développement. Pour
J.P. Olivier de Sardan et P. BoiraI ces malentendus fréquents entre sciences
sociales et développement rural "renvoient pour une part aux idéologies
constituées auxquelles les uns et les autres se référent" (167).
Il serait hasardeux pour le chercheur désireux d'élucider les logiques
paysannes en entreprenant une étude d'un projet de développement, de se
croire "au-dessus de la mêlée" car lui aussi n'échappe pas à des logiques qui
ne sont guère celles des acteurs, mais qui en revan~he déterminent sa
pratique scientifique. En somme, dans les rapports souvent difficiles entre
chercheurs et professionnels du développement, le danger pour le
sociologue serait de se mettre purement et simplement sous les ordres des
décideurs, ou par des compromissions, se livrer à une entreprise de
légitimation du développement. A l'inverse, il ne saurait épouser les
logiques des populations étudiées et se faire leur "allié".
166_ DOZON (J.P.) et PONTIE (G.), Développement sciences sociales et logiques paysannes en
Afrique noire. in P. BOIRAL, J.F. LANTIERT, J.P. OLIVIER DE SARDAN, Paysans.
experts et chercheurs en Afrique noire. Paris, Karthala, 1985, p. 130.
167_ OLIVIER DE SARDAN (J.P.) et BOIRAL (P.), Introduction, in P. BoiraI, J.F. Lantieri,
J.P. Olivier de Sardan, Paysans. experts et chercheurs en Afrique noire, op. cit., p. 17-18.

- 118-
C - RECUEIL DES DONNEES EMPIRIQUES
Dans son entreprise qui consiste à appréhender scientifiquement le
réel, le chercheur se doit de recourir nécessairement à tout un arsenal de
techniques et d'instruments appropriés. Cette exigence de l'approche
scientifique doit lui. permettre de voir autre chose que les évidences de
'/
l'approche vulgaire. Toutefois, son observation doit reposer sur des modes
d'investigation. adéquats, et le choix de ses techniques ne saurait s'opérer
sans précaution, ni discernement.
Dans notre cas, l'accomplissement de l'étude nécessitait une
investigation directe et prolongée du chercheur sur le terrain, afin d'y
recueillir les données nécessaires, mais également pour soumettre notre
modèle d'analyse à l'épreuve des faits.
La collecte des données, s'est appuyée avant tout sur la technique de
l'observation, des structures et des acteurs, comme une des étapes clé de
l'enquête: observation directe, régulière et assidue des attitudes et des
conduites des acteurs sociaux. En somme, elle porta sur tous les indicateurs
que l'on jugea pertinents (observation des comportements individuels et
collectifs des demandeurs de soins, leur réaction, leurs relations avec les
soignants, etc.).
Quant à l'observation participante, nous n'avons pas pu la réaliser
comme nous l'aurions souhaité. D'une part, parce qu'au niveau des PSP,
cela n'était guère envisageable, du fait qu'aucune de ces structures ne
fonctionnait véritablement. Les rares ASV qui exercent encore, reçoivent les
patients (encore plus rares) à domicile (168). D'autre part, au niveau du
centre médical de Léo, l'utilisation de cette technique nous aurait valu
d'être considéré comme un infirmier, ce qui aurait introduit un biais
important. Cependant, pour nous, la nécessité de l'observation participante
s'imposait du fait qu'elle permet, si elle est bien menée de vaincre les
réticences de certains usagers à répondre aux questions. Outre cela, elle nous
paraît une démarche plus judicieuse pour saisir la dynamique des relations
humaines entre les différents groupes d'acteurs en scène. En s'intégrant à la
168
Encore que, lors de notre séjour, il ne nous a pas été donné de voir un ASV exercer à
domicile.

-119 -
vie du groupe, en devenant lui-même acteur, le sociologue se donne les
moyens de pénétrer en profondeur la réalité sociale. Pour reprendre
l'excellente formule de J.L. Fabiani, il "glisse ses pieds dans les babouches de
l'indigène" .

Toutefois, nous avons eu à quelques reprises, l'opportunité
d'utiliser cette technique: notamment quand l'occasion nous a été donné
d'accompagner des malades de notre entourage au dispensaire. Notre
{
présence paraissait alors moins "artificielle". Il nous arrivait également
d'être malade et de nous faire soigner au dispensaire. Nous mettions à
profit ces opportunités pour observer les attitudes des malades et du
personnel, les relations entre infirmiers et malades, mais aussi pour écouter
les propos et les discours spontanés des uns et des autres.
En définitive, ce mode d'investigation, en dépit de certaines limites,
nous a bien été profitable et nous l'avons pratiqué aussi bien au centre
médical de Léo qu'au CSPS de Kayéro. Il peut s'avérer particulièrement
adéquat, surtout lorsque l'enquêteur veut éviter de perturber les attitudes et
comportements des enquêtés. Il peut espérer y parvenir en adoptant cette
position d'observateur supposée invisible: il s'agit de "voir sans être vu".
Pour réaliser les objectifs de notre enquête, on ne pouvait se
satisfaire de l'utilisation d'une seule technique. Il convenait alors
d'adjoindre à l'observation directe d'autres méthodes, d'autres outils, au
nombre desquels les entretiens. A cette fin, l'élaboration d'un questionnaire
et d'un schéma d'interviews s'est avéréenécessaire : nous avons recours ici,
à des procédés relevant de l'observation indirecte. Ces différentes techniques
doivent s'imbriquer, se compléter pour mieux appréhender le réel.

-120 -
1- Les approches quantitatives
Le questionnaire (169)
Il est conçu à l'adresse des professionnels de la santé (médecins,
infirmiers, sages-fe~mes...) en vue de recueillir leurs sentiments sur divers
aspects des soins de santé primaires. Plus concrètement, il est structuré
comme suit: '.
1- Appréciation des SSP et de leur fonctionnement.
2- Appréciation du degré de mobilisation des villageois.
3- Représentation des populations sur les SSP et les ASC.
4- Professionnalisations des ASC.
5- Perception de la collaboration entre médecine traditionnelle et
médecine moderne.
6- Opinions sur le bilan global des SSP.
7- Identification des enquêtés.
Ces rubriques comportent au total 53 questions éclatées en 180 items.
Les questions sont pour l'essentiel des questions fermées, souvent
complétées par des questions ouvertes. La longueur du questionnaire (l0
pages) a parfois suscité des commentaires chez certaines personnes,
manifestement réfractaires à ce genre d'exercice. Compte tenu de la taille
réduite de la population cible, nous avons entrepris de distribuer le
-questionnaire à l'ensemble du personnel sanitaire que compte la province,
soit 70 questionnaires, l'objectif recherché étant de vérifier nos hypothèses
concernant cette catégorie d'acteurs. Pour le personnel exerçant à Léo, ils
furent remis main à main. Pour les praticiens des autres départements, ils
furent regroupés à la direction provinciale de la santé (suivant les
destina tions dans des casiers prévus à cet effet) où les infirmiers chefs de
poste les récupéraient lors de leurs fréquents passages à Léo. Malgré toutes
169_ Voir en annexes.

-121 -
nos précautions, seulement 45 questionnaires ont pu être récupérés. Les
longues distances séparant certaines localités de Léo, associées aux
problèmes relatifs à l'enclavement (accentué par l'hivernage) expliquent
cette déperdition. En marge de ces difficultés, certains ont déclaré l'avoir
égaré (2 cas) ; d'autres nous promettaient régulièrement de nous le remettre
dans les meilleurs délais, ce que nous avons souvent attendu en vain.
'1
A ces sources propres, s'ajoutent des documents issus de sources
{
institutionnellés; certains d'entre eux, faute de moyens reprographiques,
ont été recopiés à la main, ce qui empêche leur reproduction en annexe.
2 - Les approches qualitatives
Le guide d'entretien (170)
Il s'adresse principalement aux acteurs sociaux issus de la
communauté: usagers et patients, agents de santé villageois, guérisseurs,
etc. Toutes ces personnes ont en commun le fait qu'elles n'ont pas de
rapport véritable à l'écrit (excepté certains ASC). Ce guide d'entretiens est
conçu pour être le support des entretiens de type "semi-directif", ce qui nous
paraît un instrument de recherche assez souple et bien adapté à ce type
d'enquête. Près d'une trentaine d'entretiens de ce genre ont pu être réalisés.
Dans la plupart des cas, ces entretiens avaient lieu soit à proximité du centre
médical, soit au domicile de l'enquêteur ou plus fréquemment chez nos
informateurs. L'entretien au domicile de l'informateur était de nature à
créer une situation propice à l'établissement de relations de confiance avec
le sujet, condition préalable pour que ce dernier se prête plus librement aux
questions. En outre, cela offrait l'avantage de connaître leur cadre de vie,
d'observer leur vie quotidienne, et la possibilité de compléter ou
d'approfondir les entretiens à l'occasion d'autres visites. L'un des objectifs
poursuivis à travers les entretiens avec les malades était de comprendre les
logiques qui président à leurs choix et qui structurent les itinéraires
thérapeutiques.
Les entretiens informels (individuels et collectifs) avec les
infirmiers et les ASC nous ont été profitables. Nous avons pu enfin disposer
170_ Voir en annexes.

-122 -
de quantité de renseignements et d'informations fort utiles par le biais des
conversations à bâtons rompus avec différentes catégories d'acteurs sociaux
(notables, personnalités locales, etc.). Ce procédé, dont l'intérêt n'est plus à
démontrer, exige en contrepartie une grande capacité de mémorisation de la
part du chercheur, et/ou l'obligation de noter sans tarder les informations
reçues. Ces sources.informelles n'ont pu faire l'objet d'une quantification
précise: elles nou$lont servi dans l'analyse, mais en revanche ne sont pas
citées dans le ~xte comme entretien.
- L'utilisation de l'image. Nous avons estimé nécessaire de
produire un corpus d'images, en complément des méthodes d'investigation
traditionnelles. Ce sont pour l'essentiel un petit nombre de diapositives
axées sur les activités des ASC. Les difficultés matérielles expliquent la
quantité des images produites; au-delà du nombre, c'est l'engouement
suscité par l'utilisation de ce procédé chez les sujets qui nous paraît
important. Comme l'affirme Jean-Bernard Ouedraogo, "L'utilisation de
l'appareillage iconographique est un important test de la proximité du
sociologue avec son terrain. C'est d'abord le sociologue qui est accepté avec
ses instrumen ts" (171).
En tout état de cause, nous sommes conscients qu'il n'existe aucune
technique idéale ou "passe-partout" pour collecter les informations
recherchées. Toutes les techniques ont leurs avantages et leurs limites
(voire leurs inconvénients). Il appartient au chercheur de mettre en oeuvre
son bon sens et sa lucidité épistémologique, afin de tirer le meilleur parti de
ces outils, au besoin en les combinant. C'est dans ce même esprit que notre
étude englobe à la fois l'approche qualitative et dans une moindre mesure
l'approche quantitative.
Cependant, même en s'entourant des
précautions les plus
minutieuses, les outils d'investigation dont le chercheur se sert, ne lui
permettent que rarement (ou jamais) dans les sciences sociales du moins, de
contourner toutes les difficultés, d'éviter tous les "pièges" du terrain.
171_ OUEDRAOGO (J.B.), Formation de la classe ouvrière en Afrique: l'exemple du
Burkina Faso, L'Harmattan, 1989, 207 p.

-123 -
3 - Les limites de la démarche
L'entretien, sans aucun doute, soulève des questions délicates au
coeur même de la relation entre le chercheur et ses interlocuteurs. Cette
relation est encore plus complexe lorsque celui-ci a affaire à des sociétés
rurales traditionneÏles, où les normes culturelles peuvent souvent
constituer des obstàcles bien plus difficiles à lever.
( ...
En effet, le seul fait de questionner peut susciter dès le départ des
réserves et des réticences. Cette "résistance culturelle" à l'interrogation,
relève même de la compréhension culturelle que ces sociétés attribuent à cet
exercice: être interrogé, c'est être en situation de suspicion, d'accusation.
Cette conception de l'interrogation <Conduite de surcroît par une personne
étrangère) induit des attitudes particulières chez l'informateur: son
discours sera davantage une justification plutôt qu'une explication de ses
actes, dans la mesure où le questionnement est vécu comme une situation
"d'accusation".
L'interrogation, comme le dirait Jacqueline Rabain, met en jeu
également le statut social de l'interlocuteur + "Pour les Wolof, interroger
une personne tend à remettre en cause sa position sociale soutenue par le
consensus collectif, à la particulariser aux yeux des autres. Les questions
portant sur ses attributs de statut
peuvent être admises et
même
encouragées, mais dès qu'elles touchent à son individualité, à son passé, à
ses
qualités,
elles
sont
éprouvées
comme
irrespectueuses,
vozre
,
agressives" (172).
A ces difficultés, auxquelles le chercheur doit s'adapter (notamment
en faisant des recoupements, en confrontant les comportements des acteurs
à leurs dires, etc.) s'ajoute une autre, relative au statut de l'écrit et à tout ce
qu'il évoque dans une société rurale marquée par l'oralité. D'un côté, il peut
être
l'objet d'une "sacralisation" pour des populations illettrées ou, à
l'inverse, évoquer les "figures ambiguës de l'agent de l'administration ou
du sergent recruteur de l'époque coloniale" (J. Rabain).
172_ RABAIN (J.), L'Enfant du lignage, citée par D. Fassin, op. cit., p. 96.

-124 -
Dans un cas comme dans l'autre, ces conceptions peuvent
introduire des biais plus ou moins importants dans les attitudes des
enquêtés. Ainsi, lors de notre enquête dans le village de Kayéro (173) nous
avons évité, autant que faire se pouvait, l'usage du papier et du stylo (de
l'écriture en quelque sorte), afin d'éviter d'être vu comme un "enquêteur".
Cependant, ce choi~nous imposait d'exercer notre capacité à mémoriser les
informations reçues, puis de les noter le plus rapidement possible.
.(
En revanche, dans la localité de Léo, ces mêmes précautions ne
s'imposaient pas toujours, ce qui nous a conduit à privilégier la prise de
notes lors de nos entretiens (174).
L'usage du magnétophone n'a eu lieu que lors des entretiens avec le
personnel soignant du centre médical. Prévu initialement pour recueillir
les propos des usagers, il fut jugé trop contraignant (vu le nombre
d'entretiens qu'on avait à effectuer) ; mais surtout, le magnétophone (nous
disposions d'un modèle miniaturisé) restait pour certains de nos
informateurs un gadget et, ce faisant, source d'amusement et de curiosité,
davantage qu'un outil de travail (175).
Le questionnaire: son usage introduit également certaines limites
ou insuffisances; en particulier, au niveau des termes utilisés où le
problème d'univocité (c'est-à-dire un terme utilisé et compris avec un seul
sens)
s'avérait être
une
des
principales
difficultés.
En
effet,
la
compréhension n'a pas toujours été la même par tous (176), bien que le
questionnaire ait été préalablement testé (mais dans la seule localité de Léo).
Outre la lourdeur de la conceptualisation, le questionnaire nous a paru trop
173_ Depuis 1985, à la suite de brouilles entre les villageois, le village de Kayéro est scindé en
deux: Kayéro 1 encore appelé "Kayéro-Tcho" et Kayéro 2 appelé "Kayéro-Bo".
174_ Malheureusement, pour les prises de notes, on ne peut relever tout ce qui est prononcé, il
faut souvent se contenter de la substance. Alors que dans l'enregistrement sonore, on a
l'avantage de bénéficier de la totalité du document. On a aussi l'esprit plus libre pour
noter des commentaires personnels, etc.
175_ Pourtant, il arrivait qu'on tire parti de cet engouement, affiché par certaines personnes,
pour les inciter à parler.
176_ La formulation de certaines questions semblait poser quelques problèmes de
compréhension à certaines matrones, filles de salle, etc.

-125 -
long (la pages) avec son large éventail de questionnement, introduisant par
moment un décalage avec la problématique. Dans la localité de Léo
cependant, certaines insuffisances du questionnaire ont été quelque peu·
compensées par des entretiens plus approfondis avec une partie du
personnel soignant.

-126 -
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Deuxième partie
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-127 -
CHAPITRE 1 - LES ASC DANS LA STRATEGIE DES SOINS
DE SANTE PRIMAIRES
SECTION 1 - ASV ET AV : DEUX CATEGORIES DIAGENTS,
1
DEUX RAPPORTS AUX SSP
f,
Dans lè modèle élaboré par l'OMS, l'organisation des SSP au niveau
villageois est censé reposer sur une équipe de santé villageoise, plus
communément
désignée
sous
le
terme
d'''agents
de
santé
communautaires". Cette équipe se compose de deux catégories de
personnes: un agent de santé de village (ASV) et une accoucheuse
villageoise (AV), dont les activités doivent rester complémentaires (177).
Mais cette tendance à former des équipes de santé primaires entraîne
souvent une certaine "spécialisation" en fonction du sexe : l'AV est
toujours une femme, et l'ASV presque toujours un homme (avec quelques
exceptions).
Des agents de santé communautaires, l'OMS donne la définition
suivante: "L'ASe est un homme ou une femme, choisi par la collectivité
locale, formé pour s'occuper des problèmes de santé des individus et de la
collectivité et pour travailler en
rapport étroit avec les services de
santé" (178).
Cette définition met en exergue trois principaux paramètres:
- son choix par la collectivité,
- sa disponibilité à se mettre au service de sa communauté,
- la nécessité pour lui de coopérer avec l'institution sanitaire.
177_ Cependant, il peut arriver que cette équipe se compose de 4 ou 5 personnes, comme nous
avons pu l'observer dans certains villages.
178_ OMS, Genève, L'Agent de santé communautaire. Guide pratique. directives pour la
formation, directives pour l'adaptation. Genève, 1987, p. 11.

-128 -
En réalité, ces catégories de bénévoles varient selon les pays et les
communautés, en fonction des besoins de la population et de ses ressources.
Au Burkina, "l'ASC est un adulte, homme ou femme, alphabétisé ou non,
sédentaire disponible, ayant une situation économique acceptable, jouissant
de la confiance de la communauté. Dans son poste de travail, il est
essentiellement ag~rit promoteur de changement, assurant des
tâches
éducatives, préven.tives curatives en matière de santé".
"
Quelles sont les différentes fonctions qu'assure ce personnel
sanitaire villageois? Comment se présente-t-il ou s'insère-t-il dans la
communauté et comment travaille-t-il? C'est ce que nous essaierons de
montrer ici, à travers un examen de leur statut respectif et des rôles sociaux
qui leur sont attribués.
A - MODE DE RECRUTEMENT ET CRITERES DE SELECTION
Les choix des ASC varient d'un pays à l'autre; mais la nature
commune des problèmes à résoudre fait que pour l'essentiel, la plupart de
ces critères se rejoignent. Ils ont trait à la capacité des futurs ASC d'assimiler
et de pratiquer ce qu'on leur enseigne, l'expérience du travail au sein de la
communauté, l'acceptabilité pour la communauté, la maturité d'esprit, le
dévouement, le sens de la responsabilité, etc.
Voyons à présent, dans notre région d'enquête, les critères à partir
desquels s'opèrent les choix des agents bénévoles.
Les plus courants sont l'âge, le sexe, l'instruction, l'appartenance à la
communauté, la capacité d'inspirer le respect et la confiance. Les modes de
sélection pouvaient se faire à partir de plusieurs procédés:
- l'élection (par le village),
- la désignation par les notables du village réunis en conseil ou par
une (ou un groupe de) personne(s) influente(s) (179), comme ce fut le cas de
l'un des ASV de Kayéro 1 "Je n'ai pas été élu; j'ai été proposé simplement
179_ En pratique, sauf exception, le mode de désignation par élection n'a pas fonctionné, aucun
village ne l'ayant véritablement expérimenté.

-129 -
par le président du comité de santé villageois, et c'est ainsi que j'ai été
retenu. Je crois qu'aucun ASV ici n'a été élu" (180).
Si la désignation suivant le mode électoral n'a pas été retenu, c'est
que la communauté lui a préféré d'autres procédures pour choisir son
représentant. On préférait le plus souvent que les candidats fussent proposés
par des personnalires influentes de la communauté. Ce mode de sélection
reste dominant dès 1982, lors de la phase d'expérimentation des premiers
f,
PSP (PSP-NOVIB). Le choix se faisait au cours d'une réunion villageoise, où
un candidat était retenu, souvent après d'âpres discussions.
Pour les PSP issus du projet gouvernemental (en 1985 qui furent
baptisés localement "PSP-commando") les procédés les plus divers étaient
utilisés, souvent en contradiction avec les textes officiels. Nombre de
villages accusaient une importante baisse de la mobilisation, et du degré de
participation, face à la désorganisation des structures traditionnelles. "Il a été
simplement demandé aux villageois d'envoyer deux personnes pour se
faire former comme "docteur"" (181) constatait un infirmier. Faute de
pouvoir associer comme auparavant les villageois dans le processus de
désignation de leurs représentants, des groupes de plus en plus restreints,
ou même des personnes seules s'autorisaient à effectuer ce choix. Dans la
majorité des cas, les ASV seront proposés par les membres de la CSV, ou
tout simplement par son président sur la base des affinités personnelles qui
le lient avec le sujet proposé ou alors parce qu'il l'estime "capable"
d'assumer cette fonction. Sa proposition peut être également le fruit d'une
concertation avec le délégué de village, ou un notable quelconque. La
candidature ainsi proposée sera entérinée par l'autorité sanitaire
provinciale.
Dans ces conditions, il est souvent difficile de parler d'un choix
émanant des villageois eux-mêmes; et dès lors, se pose alors la question de
la représentativité de l'agent sanitaire au sein de sa propre communauté,
dans la mesure où son choix ne résulte pas d'une décision collective (dans
la mesure où comme nous le verrons, la CSV, le délégué de village eux-
180_ Entretien avec un ASV de Kayéro 1, août 1991.
181_ Entretien avec un infirmier de la coordination des SSP, Léo.

-130 -
mêmes ne sont pas vraiment représentatifs de la population). Il ne s'agit pas
ici de mettre en doute la capacité d'un agent choisi dans ces conditions à
servir sa communauté, car on peut en effet imaginer qu'un personnage issu
d'une procédure non-démocratique soit malgré tout un serviteur dévoué de
celle-ci. On peut simplement s'interroger sur l'incidence éventuelle de ce
mode de désignation de l'A5V sur les représentations que les usagers
auront de celui-ci,jli'nsi que sur leur degré de mobilisation. Car en réalité,
n'assiste-t-on pas.à une véritable transformation de l'image de l'A5V et des
rôles qu'il est kmené à jouer sur la scène villageoise? De nos jours en effet,
les critères les plus décisifs dans son choix, restent le niveau d'instruction,
qui, implicitement devient l'exigence fondamentale pour juger "l'efficacité"
du sujet (182). Bien évidemment, il n'en a pas toujours été ainsi; au départ,
le niveau d'instruction demeurait un critère sans importance excessive par
rapport aux autres. L'âge, le sexe, la capacité d'inspirer respect et confiance,
étaient également valorisés. A présent s'établit une hiérarchisation de ces
critères, où le niveau d'instruction devient l'élément dominant. C'est
précisément ce qui transparaît dans les discours des sujets eux-mêmes où
lors de nos entretiens la plupart nous ont répétés cette même phrase: "J'ai
été proposé parce que je savais parler et écrire le français". A l'inverse, les
premières générations d'A5V, elles, n'étaient choisies qu'en fonction de
leur maturité, de leur expérience, de leur enracinement dans la société. Par
exemple, on demandait simplement aux postulants de résider en
permanence dans leur village, d'avoir une situation sociale stable, d'être
disposés à travailler sans être rémunérés. Même sans instruction moderne,
ils savaient s'acquitter de leurs tâches: remplir le cahier de registre
spécialement confectionné à leur intention, mesurer le périmètre brachial
des enfants, assurer les premiers soins, etc. D'une manière générale, les
hommes ou les femmes dans la force de l'âge s'étaient montrés capables
d'accomplir leur rôle d'A5C de façon plus satisfaisante que leurs cadets.
D'abord, parce que les jeunes qui occupent une position sociale inférieure
au sein de la communauté semblent inspirer moins de respect que leurs
aînés; en outre, comme ils ont davantage de chance d'obtenir des emplois
182_ L'importance accordée à l'instruction en tant que critère de sélection varie suivant les
pays ou les régions, à l'intérieur d'un même pays. En principe, au Burkina, cette exigence
n'est pas une obligation.

-131 -
plus lucratifs, particulièrement en milieu urbain, les taux d'abandon sont
plus élevés.
En ce qui concerne le sexe, on n'observe pas véritablement de
préjugés culturels ou de préférence marquée pour l'un ou l'autre sexe. Les
villages abritent aussi bien des femmes que des hommes comme agent de
santé villageois, bi)ll" que les femmes ASV soient plutôt rares (183). Comme
nous l'avons mentionné antérieurement cela tient à une forme de
"spécialisation{~ par sexe, ou de "division sexuelle" des tâches: l'AV est
toujours une femme, alors que, sauf exception, l'ASV est toujours de sexe
masculin.
Il ressort de cette brève description des modalités de recrutement des
ASC que l'influence exercée par la communauté dans leur choix est de plus
en plus limitée, voire inexistante (dans certains cas) (184). Or, il apparaît que
l'acceptation par la communauté du candidat dépend dans une certaine
mesure du mode de recrutement et de la position de celui-ci dans la société.
Lorsque la sélection est assurée par les conseils locaux, "ils ont tendance à
choisir les fils ou les filles des personnes influentes, ou des gens qu'ils
estiment personnellement, sur des critères de parenté ou des critères
ethniques" (185), constate un infirmier. En effet, lorsque l'occasion est
donnée aux villageois de déterminer leur candidat, les sujets proposés,
apparaissent dans bien des cas comme des personnes issues des rangs des
dirigeants de la communauté ou, tout au moins, des familles influentes.
Toute ingérence ou intervention de l'administration sanitaire pour faire
"respecter les
règles
du
jeu" est susceptible de provoquer
une
désapprobation muette. Un autre infirmier déplore: "si on tente de s'en
mêler, en leur demandant de respecter les normes de désignation, ou de
reproposer une personne plus indiquée, on court le risque de les voir
bouder si un autre candidat est retenu". Au sein des villages, le recrutement
183_ Sur les cinq villages retenus, on a enregistré deux ASV-femmes en activité, dans les
villages de Mouna et Kayéro 1. Dans le village de Sagalo, une ASV-femme a également
exercé pendant un certain temps, avant d'abandonner.
184_ De tous les ASV que nous avons rencontré dans les 5 villages, soit près d'une dizaine, un
seul, celui de Métio, déclare avoir été désigné lors d'une réunion de village.
185_ Entretien avec un infirmier, Léo, juillet 1991.

-132 -
des agents de santé est l'occasion où peuvent naître ou s'exacerber des
tensions et conflits entre certains représentants charismatiques locaux et
l'administration sanitaire ou encore, entre différents groupes ou quartiers
d'un même village; il est, en effet, difficile de dégager un consensus autour
d'un même candidat, ce qui peut créer ou raviver des dissensions internes
au village (entre groupes, entre familles, entre quartiers ou entre
ethnies, etc.) (186). '/.
I~
De fait, chaque fois que les villageois eurent l'occasion (comme ce
fut le cas au début) de proposer eux-mêmes leur futur "docteur", ils le firent
à partir de leurs propres normes, en élaborant leur propre conception, leur
propre vision de l'agent de santé de village. Ils construisaient ainsi leurs
représentations propres, où l'ASV devait se situer au centre des enjeux
villageois. Dans bien des cas, ils voyaient à travers ce personnage un
fonctionnaire potentiel, devant bénéficier d'une rétribution versée par
l'Etat, ce qui transformait bien souvent le recrutement des ASV en véritable
compétition occasionnant l'intervention des plus hautes institutions
tradi tionnelles du village.
Mais par la suite, ces institutions traditionnelles devaient perdre le
monopole de la prise de décision, en l'occurrence dans le choix des ASV. La
cellule de santé de village va s'arroger cette prérogative, à mesure que
décline l'autorité des institutions traditionnelles. Derrière les nouvelles
structures (CSV, délégué de village) se profile la figure de l'Etat, qui à travers
ces structures érigées sous sa houlette, s'introduit progressivement dans
l'espace villageois; en supplantant les structures traditionnelles, c'est tout
un processus de légitimation de l'Etat qui tente de se mettre sur place,
principalement à travers le délégué de village (ou délégué CR).
A l'évidence, l'ASV n'est pas représentatif du groupe dont il est
censé être l'émanation, tout comme les CSV (187). Cependant, ils en sont
186_ Dans certains villages comme Kayéro 1 où Mossi et Nuna sont en nombre presque
équivalents et résidant dans des quartiers différents, on compte 2 ASV, représentant
chacune des communautés; ceci dans le souci d'éviter les tensions ou les jalousies. Mais en
réalité, ils travaillent conjointement.
187_ En ce qui concerne la CSV, nous verrons plus loin, qu'elle n'est pas une simple structure de
santé, mais aussi un instrument de la politique étatique.

-133 -
tous les deux les représentants auprès des autorités administratives et
sanitaires. Cela leur vaut, à l'un et à l'autre, d'être la pièce maîtresse du
système de santé villageois, et les interlocuteurs privilégiés des autorités. En
somme, c'est à travers le rapport à l'autorité administrativo-politique que
ces structures sont à la fois légitimées par le système de santé, et qu'à leur
tour elles légitiment la politique des soins de santé primaires.
1
Mais, avant d'approfondir l'analyse, il convient auparavant de faire
.{
le portrait des agents de santé communautaires.
B - PROFIL DE L'ASV
Choisi pour oeuvrer au bien-être sanitaire et au développement de
sa communauté d'appartenance, l'ASV est un personnage qui répond à
certaines caractéristiques (sociales, économiques, politiques...) en même
temps qu'il renvoie à sa communauté une certaine image.
Les ASV sont d'abord des personnes généralement jeunes et
"dynamiques"; leur âge moyen
se
situe
autour d'une
trentaine
d'années (188). Depuis quelques années, en effet, on note un abaissement
général de l'âge moyen. Pour comprendre ce phénomène, il convient de
corréler cette variable avec leur niveau d'instruction. Les agents sanitaires
plus âgés étaient généralement sans éducation scolaire. Or, la tendance
aujourd'hui est d'encourager l'émergence d'acteurs dotés d'un minimum
d'instruction. Pour les administrateurs de la santé, s'appuyant sur certaines
recommandations récentes de l'OMS, cela se justifie car on admet "qu'un
certain degré d'instruction est nécessaire aux ASC pour qu'ils puissent
consigner leurs activités, communiquer avec le système sanitaire et suivre
le programme de formation conçu pour eux" (189).
La position que l'on attribue à l'agent sanitaire dans le système de
santé exige de lui un niveau de connaissance et d'ouverture sur le monde
extérieur. Cependant, cette exigence dont les responsables de santé se font
188_ Parmi la dizaine que nous avons pu rencontrer, l'éventail des âges se situe entre 23 et 39
ans.
189_ OFOSU AMAAH (V.), Etude sur l'utilisation des ASC dans divers pays. Genève, OMS,
1983, p. 15.

-134 -
l'écho, structure également l'imaginaire collectif des villageois. Pour ceux-
ci, en effet, la connaissance de la langue française par un des leurs, lui confie
d'emblée une position privilégiée. Il devient apte à représenter le village,
car disposant des atouts nécessaires pour dialoguer avec l'administration.
Ceci explique pourquoi, beaucoup de paysans songent avant tout à proposer
les postes de responsabilité à la catégorie de ceux qui ont "les yeux ouverts",
1
à ceux qui sont "initiés" au savoir moderne, pour en faire les interlocuteurs
des autorités. ~eux-Ià seuls sont censés se distinguer des autres par leur
connaissance des questions complexes. De fait, la connaissance de la "langue
des blancs" confère, dans le contexte villageois, un statut valorisant:
"Quand l'ASV est alphabétisé, il n'a aucun mal à faire passer son message
auprès des villageois, qui n'osent pas le contredire parce qu'ils le disent
détenteur d'un savoir. Pour ma part, j'ai pu constater que les agents
instruits sont plus aptes à prendre des initiatives que les autres" (un
infirmier).
C'est de cette "élite" villageoise qu'est actuellement issue la majorité
des ASV. Cependant, il est rare que des villageois possédant un niveau
d'instruction supérieur aux études élémentaires minimales soient recrutés
comme ASV (190). D'une part, parce que l'agent plus instruit répugne à
exercer en milieu rural et, d'autre part, il serait plus attiré par la tentation de
devenir un professionnel. Ce faisant, on rencontre plus fréquemment des
agents bénévoles ayant reçu une instruction correspondant au niveau
primaire. Pour la majorité d'entre eux, la durée de la scolarité se situe entre
4 et 6 ans (soit un niveau allant du CE2 au CM2). Les jeunes n'ayant pas eu
la chance d'être scolarisés (ils sont la majorité compte tenu de la faiblesse du
taux de scolarisation) ont recours au centre de formation des jeunes
agriculteurs (FJA) d'où ils sortent alphabétisés au bout de trois ans. Ces
jeunes formés dans les centres FJA constituent l'autre catégorie d'ASV (191)
190_ Nous en avons rencontré un seul, l'ASV du village de Métio à 20 km de Léo, ayant fait des
études secondaires jusqu'en classe de 4e. Agé de 23 ans, il est le plus jeune des ASV.
191_ Au contraire, dans le cas du projet de Maradi au Niger, où certains ASV étaient illettrés,
des cours d'alphabétisation étaient organisés pour permettre à ces agents de tenir un relevé
de leurs activi tés.

-135 -
possédant un niveau d'instruction réputé apte à les rendre plus
"opérationnels" (192).
Bien que 'jouissant d'un statut social
"élevé", la situation
économique de l'ASV n'est pas pour autant exceptionnelle, d'autant que
sur ce plan, il ne se distingue nullement des autres catégories de la
population. Mem;9-re
d'une
communauté rurale et agraire, il est
généralement iss~' d'une famille paysanne; son activité "professionnelle"
reste par conséquent le travail agricole.
En somme, ni le statut économique, ni l'origine sociale ou familiale
ne permettent de différencier les ASV des personnes de leur âge. Seul, le
niveau d'instruction peut s'avérer être un trait distinctif, dans la mesure où
la classe d'âge à laquelle ils appartiennent n'a connu qu'un infime
pourcentage de scolarisés (193). Le fait de pouvoir justifier d'une certaine
instruction ou formation (le maniement et l'écriture de la langue française
ou une alphabétisation en langue locale) constitue à l'heure actuelle une
des caractéristiques des ASV aujourd'hui (contrairement à leurs aînés de la
première génération). Assurément, la modification graduelle des critères de
recrutement a eu pour corollaire une transformation du profil et du statut
de l'agent sanitaire villageois. Qu'en est-il alors de l'accoucheuse
villageoise?
C - PROFIL DE L'ACCOUCHEUSE VILLAGEOISE
A la différence de son collègue masculin, la situation et le statut de
l'AV semblent immuables. Cependant, il convient de préciser au préalable
que le terme "accoucheuse villageoise" renvoie en réalité à deux catégories
de personnes. Il comprend d'abord les jeunes femmes choisies, à l'instar des
bénévoles masculins sur des critères alliant la bonne réputation au
192_ Pourtant, AMAAH (O.) précise que, dans bien des pays l'expérience révèle qu'une culture
générale et une maturité suffisante étaient des facteurs plus importants. En Chine,
affirme-t-il, le niveau d'instruction scolaire n'a pas une importance majeure pour la
sélection des "médecins aux pieds nus" ; de même au Soudan, poursuit-il, "On a constaté que
les ASC d'âge mûr même s'ils n'ont pas le niveau d'instruction minimum, s'acquittaient
plus efficacement de leurs tâches en raison de leur plus grand sens des responsabilités", in
OFOSU (A.), op. cit, p. 25.
193_ En revanche, dans les classes d'âge des 10-14 ans et 15-20 ans, le pourcentage est plus
élevé.

-136 -
dévouement
communautaire (194) pour être préparées et formées à la
pratique des accouchements. On distingue ensuite, les anciennes
accoucheuses traditionnelles qui sont des femmes âgées (plus de 40 ans)
ayant toujours pratiqué traditionnellement l'accouchement dans les
villages.
Dans la plupart des villages, on rencontre ces deux catégories
d'accoucheuses; à la différence des jeunes AV, les secondes qui maîtrisaient
(.
déjà la technique de l'accouchement, n'ont reçu qu'une initiation
complémentaire aux méthodes d'asepsie et de conduite des accouchements,
dans le but de corriger certaines habitudes traditionnelles jugées néfastes.
L'accoucheuse traditionnelle (AT) est une personne qui possède une
longue expérience des accouchements. Son activité a d'ordinaire le caractère
d'un service communautaire ou d'une responsabilité sociale, ce qui lui vaut
normalement la confiance et le respect de la collectivité. Son savoir est le
fruit d'une longue initiation auprès d'une autre femme plus âgée. Cette
activité peut également se transmettre de génération en génération au sein
d'une même famille. Ces praticiennes jouissent, au sein de la communauté
d'une grande légitimité, car depuis longtemps elles furent les seules à
pratiquer les accouchements, bien avant l'implantation des structures
sanitaires.
Depuis· la
conférence
d'Alma-Ata,
leur
compétence
fut
officiellement reconnue, et leur savoir réhabilité. C'est à partir de ce
moment que, pour la première fois, fut émise l'idée de leur intégration dans
le système de santé. La conférence stipulait alors: "Avec l'appui du système
de santé officiel, ces praticiens indigènes peuvent devenir de précieux
partenaires dans l'organisation des efforts destinés à améliorer la santé de la
communauté... Il y aurait donc le plus grand intérêt à explorer les
possibilités de les engager dans les 55P et de les former à cette fin" (195).
194_ S'agissant des femmes, le critère du niveau d'instruction est inopérant dans la mesure où,
sauf exception, les femmes n'avaient pas accès à l'école.
195_ Alma-Ata 1978, Les Soins de santé primaires. Genève, OMS, série "Santé pour tous",
p. 70. Cette réflexion s'adressait aux guérisseurs traditionnels, ainsi qu'aux accoucheuses
traditionneIIes.

-137 -
Les jeunes accoucheuses villageoises, quant à elles, sont sans
expérience traditionnelle; elles sont (comme les ASV) le produit des soins
de santé primaires. Ce sont des jeunes mères de famille (ou quelquefois des
jeunes célibataires) en majorité. Une fois leur formation assurée (196), elles
reviennent au village où elles sont aptes à exercer. Mais en réalité, elles se
contentent de sec0)lder leurs aînées; c'est à la plus âgée qu'incombe la
charge de diriger l'accouchement.
De par leur statut de femme (et surtout de femmes mariées), les AV
jouissent, dans le contexte villageois d'une situation sociale stable et d'une
très forte intégration communautaire. Ce qui n'est pas toujours le cas des
ASV, jeunes, scolarisés et plus enclins à tenter des aventures hors du
village. Ces femmes, au contraire, ont toujours une occupation régulière,
celle d'épouse, et de mères de famille dans une société traditionnelle. En
dehors de leurs occupations domestiques de femmes (préparer les repas,
s'occuper des enfants, du foyer ...) elles peuvent exercer les activités les plus
variées: travailleuses manuelles, pratique de l'artisanat, petit commerce,
travaux des champs...
Bien que constituant un corps d'agents bénévoles au service de la
santé du village, ASV et AV ont des sphères d'intervention bien distinctes;
les premiers s'occupant de soins, d'assainissement et d'hygiène (ceci n'étant
qu'une définition théorique de leurs tâches), les secondes d'accouchement,
de soins aux nourrissons et de conseils aux femmes enceintes et aux
nouveaux-nés. Nous verrons que derrière cette différenciation des rôles, ces
deux catégo~ies de bénévoles s'inscrivent dans des rapports différenciés par
rapport au système de santé.
SECTION II - LES ACITVITES SANITAIRES DES ASC
A - LES DOMAINES D'INTERVENTION DE L'ASV
196_ Elles aussi sont fonnées dans le CSPS le plus proche, auprès des matrones, sur une durée de
2 à 3 semaines, suivie de recyclages mensuels.

-138 -
David Werner, qui a longtemps étudié les agents de santé
communautaires en Amérique Latine, les caractérisait en ces termes: "En
réalité, je considère' plutôt cet agent comme le premier membre de l'équipe
de santé. Outre qu'il accepte de travailler "en première ligne", là où les
besoins sont les plus importants, il a une tâche plus difficile que celle du
médecin moyen et les compétences doivent être plus variées. Alors que. le
médecin peut se borner à poser le diagnostic et à assurer le traitement des
"cas" individu:els; l'agent sanitaire doit se préoccuper non seulement des
individus
en
tant
que
tels,
mais
aussi
de
l'ensemble
de
la
communauté" (197). Tout ce que nous avons observé jusque-là nous permet
d'être en accord avec l'analyse de Werner. Mais en réalité, de nombreuses
contraintes (liées au contexte local) rétrécissent considérablement le champ
d'intervention de l'agent sanitaire de la Sissili. Depuis le lancement de
l'opération, ce dernier a vu ses activités décroître régulièrement avec le
temps.
1 - La pratique des soins
De toutes les activités que mènent les ASV, la primauté fut toujours
accordée aux traitements curatifs des maladies et lésions courantes. Tant que
la trousse de soins regorgeait de produits, l'occasion lui était donnée
d'exercer et donc de soigner ses patients. Une fois les médicaments épuisés
(ainsi que cela se produisait souvent) il perdait une bonne partie de sa
clientèle.
Suivant les villages, les modalités de travail de l'ASV pouvaient
varier
considérablement.
Ses
conditions
d'exercice
étant
fixées
conjointement par la CSV, en tenant compte de ses périodes de
disponibilités. Pour chaque village, la CSV est entièrement libre et
responsable de la manière de gérer les PSP, comme l'attestent ces propos:
"la gestion des cases de santé et du ressort des villageois eux-mêmes, avec
leur comité de santé. Dans ce domaine nous n'avons pas de directive à leur
197_ WERNER (D.), "L'Agent sanitaire de village, laquais ou libérateur ?", in Forum
mondial de la santé, 1981, p. 61.

-139 -
donner, ni des heures de travail à leur imposer, car cela renforcerait l'idée
qu'ils sont des fonctionnaires" (198).
D'une manière générale, le calendrier de travail de l'agent est fixé
pour rester assez souple, en vue de lui laisser le temps de vaquer à ses
propres occupations (199). Les jours et les heures où le PSP était fermé, les
soins et les ventes;de médicaments se faisaient au domicile de l"'infirmier"
(quand celui-ci n'était pas au champ).
(~
Suivant la nature et la gravité de l'affection, l'ASV peut donner les
soins sur place ou se contenter de vendre les médicaments appropriés au
patient. Dans les cas de conjonctivite, brûlures, plaies, lavage d'oreille,
toux... le malade était examiné et traité sur place par l'agent. En revanche,
lorsque le patient se plaint d'une fièvre, un mal de tête, ou d'une diarrhée,
il se présente au poste de santé pour acheter les produits dont il a besoin. En
effet, pour ces pathologies très courantes, souvent "bénignes" les remèdes
semblent connus de tous: l'aspirine, la nivaquine (200) réputés soulager les
fièvres sont souvent consommés sans recours à l'agent de santé, dès
qu'apparaissent les symptômes.
Les usagers du PSP sont majoritairement les enfants (de 7 à 13 ans)
et les adolescents, suivis de quelques adultes (qui y vont généralement pour
des affections mineures). Les femmes quant à elles fréquentent rarement le
PSP; ou lorsqu'elles y vont, elles sont en compagnie de leur mari. Mais
surtout, pour leurs besoins de soins, les femmes recourent directement au
CSPS le plus proche, le plus souvent conduites par leur mari, à vélo.
Avant d'effectuer cette démarche cependant, elles peuvent aller
prendre des conseils auprès de l'accoucheuse ou s'enquérir de la gravité de
leur état. "Si les femmes viennent rarement au PSP, c'est parce que leurs
198_ Entretien avec un infirmier, Léo, août 1991.
199_ Par exemple, à Métio le PSP était ouvert chaque vendredi seulement, matin et après-
midi; les autres jours l'ASV pouvait exercer à domicile. Tandis qu'à Kayéro 2 l'ouverture
du PSP avait lieu tous les matins pendant environ 3 heures.
200_ Ces produits sont vendus en détail au PSP: un comprimé est vendu à 10 F, les 3 à 25 FCFA
(l FCFA = 0,02 FE

-140 -
maris préfèrent les conduire au dispensaire; ou bien, quand ce n'est pas très
grave, le mari vient acheter des médicaments pour elles au PSP" (entretien
ASV Kayéro 2). Dans les actes les plus couramment pratiqués par l'ASV,
viennent par ordre d'importance les pansements de plaies, les diarrhées et
maux de ventre, les crises de fièvre, la toux, etc.
Aujourd'hur,la situation des cases de santé et des agents de santé de
village a subi une· transformation radicale. On constate dans tous les villages
1r
la fermeture des cases de soins et d'accouchement (quand elles ne sont pas
tombées en ruines). Les difficultés de gestion du PSP, les problèmes
inhérents à l'approvisionnement en médicaments, ainsi qU'à la prise en
charge des agents, etc., sont des facteurs susceptibles d'expliquer les
dysfonctionnements actuels du système de santé villageois. Mais pourtant,
ces difficultés du moment n'entravent pas la poursuite et la recherche de
nouvelles solutions. Privé de ses "centres de soins", le personnel bénévole a
été exhorté à exercer à domicile. Cependant, les effets conjugués de la
chèreté perçue de leurs actes médicaux, la pénurie constante des produits, et
l'impossibilité pour les ASV à satisfaire toutes les sollicitations, ont
progressivement érodé leur crédibilité et conduit quasiment à l'abandon des
pratiques de soins. Désormais, dans la zone du CREN de Kayéro l, la
fonction essentielle de ceux qui avaient la charge de soigner, changera de
nature.
2 - Le dépistage de la malnutrition
Cette activité a été introduite par le CREN, supervisée et contrôlée
par lui (201). Cette collaboration entre le CREN et les ASC était rendue
nécessaire en raison de l'insuffisance quantitative du personnel dont
.. disposait le centre pour effectuer les missions et les sorties dans les villages.
Pour y remédier les ASC reçurent une rapide formation et se virent confier
le travail de dépistage de la malnutrition des enfants (de 6 mois à 5 ans), à
travers un suivi régulier, ainsi que l'éducation des mères, sous la direction
des animatrices du CREN. Le suivi des enfants se fait à partir des séances de
201_ Construit il y a quelques années sous l'initiative d'ONG, le CREN remplit 3 fonctions
principales: 1- le traitement et la renutrition des enfants malnutris; 2- le dépistage
précoce des enfants à risques et des enfants qui "commencent" une malnutrition; 3-
l'éducation nutritionnelle des mères d'enfants hospitalisés et des familles de la zone
d'intervention qui englobe 6 villages.

-141 -
pesées hebdomadaires et mensuelles; ceci permet de savoir si leur
croissance s'effectue normalement ou non; il consiste, d'autre part, à
mesurer leur périmètre brachial dans le but de déceler de manière précoce
les risques de malnutrition; de diriger enfin les cas de malnutrition franche
vers le CREN. L'éducation nutritionnelle des mères quant à elle s'effectue
(le plus souvent par les animatrices) à travers l'utilisation de la technique
de l'animation, des/causeries et démonstrations.
Le travail de pesée des enfants nécessite un équipement sommaire
en matériel, fournit par le CREN : une balance, une culotte, un bandeau de
mesure du périmètre brachial, des cahiers et cartes de suivi, etc. Les pesées
hebdomadaires sont gratuites, tandis que pour les pesées mensuelles,
chaque femme doit verser la somme de 50 F (202) (l FF). Les séances ont
toujours lieu au même endroit, soit sur une place "stratégique", soit sur un
lieu de regroupement connu de tous, et souvent situé au centre du village
(place du marché, arbre à palabres).
a) Les pesées hebdomadaires
Même gratuite, elles ne mobilisent que rarement un grand nombre
de femmes. Au fil du temps, les effectifs s'amenuisent et ces séances sont de
plus en plus perçues comme une activité de routine où "il n'y a rien à
gagner". Pendant l'hivernage où la plupart des femmes vont travailler aux
champs, sortir pour les pesées des enfants devient une préoccupation
secondaire, face à la nécessité d'assurer la subsistance quotidienne. Dans la
localité de Métio où les pesées furent instaurées en janvier 1991, on
comptait en moyenne au début 18 à 20 participations (moyenne de janvier à
avri11991). En revanche, pour la période mai-octobre, cette moyenne tombe
à 7 personnes. Certes, la coïncidence avec la période des activités agricoles
peut expliquer certaines désaffections.
Mais en réalité, bon nombre de femmes sont désabusées parce
qu'elles s'attendaient à bénéficier au départ d'une distribution (gratuite) de
vivres à l'occasion des pesées. Une mère de famille se souvient qu'''avant,
202_ Cette somme peut paraître insignifiante, pourtant quand elle est mise en rapport avec le
niveau de vie des populations, elle représente une somme non négligeable. Par exemple, une
famille moyenne de 7 personnes dépense quotidiennement 150 F (3 FF) en condiments pour
le repas familial.

-142 -
quand il Y avait les soeurs de la Mission Catholique à Léo, on allait faire
peser nos enfants, sans rien payer, et on nous donnait à chaque fois du lait,
de l'huile ou de la farine; maintenant, on ne gagne rien et on veut toujours
qu'on vienne..." (203). Au demeurant, les ASV eux-mêmes déplorent
l'abandon de ces mesures incitatives qui furent naguère de puissants
facteurs de mobilisation et de sensibilisation des femmes. Mais précisent-ils
"c'est un problème moyens: les ONG ont toujours des vivres à distribuer
aux populations,. alors que l'Etat lui ne peut rien donner".
Un autre
(
constate, amer: "nous les africains, on aime tout ce qui est gratuit. Si on
avait aujourd 'hui les moyens de leur distribuer du lait, toutes les femmes
du village se bousculeraient aux pesées; certaines même chercheront à
passer deux fois" (204). Les agents comprennent bien que l'absence de
stimulation par les dons est bien l'un des principaux facteurs de non
mobilisation des mères. Habituées à la générosité des ONG, elles
minimisent les actions présentes conduites par les ASV où elles pensent
"perdre leur temps" sans recevoir en contrepartie aucune gratification,
matérielle ou symbolique. Il en découle une situation de frustration qu'elles
expriment à travers leur discours et leurs comportements; cette situation
s'apparente à ce que des psychosociologues américains qualifient de
"frustration relative" (205). Cependant ici, il Y a inversion du processus de
privation: les individus (c'est-à-dire les mères) réagissent négativement
face à la privation totale du présent, en comparaison à la situation de
gratification (relative) antérieure.
203_ Entretien avec une femme, Léo, septembre 1991.
204_ Entretien avec l'A5V de Kayéro 1.
205_ Voir à ce propos MENDRA5 (H.), Le Changement social, p.30. Mendras résume ce
concept en ces termes: "Plus les jouissances se multiplient, plus leur diffusion dans le plus
grand nombre s'impose, car ceux qui en sont privés sont plus sensibles à cette privation
(relative) qu'à leur privation (totale) antérieure: puisque ces jouissances étaient réservées
à quelques privilégiés, elles étaient hors de leur portée; devenues atteignables, elles
deviennent enviables". C'est ce que Mendras lui-même appelle l'"effet Tocqueville".


-143 -
b) Les pesées mensuelles
Elles accusent également une baisse d'affluence, comparativement
aux périodes initiales. Ainsi, dans le village de Kayéro l, les effectifs ont
régulièrement décru, de la période allant de mars à août 1991. Les présences
enregistrées durant/cette période nous donnent les chiffres suivants:
r; mars 1991 :
34 enfants pesés,
- avril 1991 :
31 enfants pesés,
- mai 1991 :
- juin 1991 :
28 enfant pesés,
- juillet 1991 :
- août 1991 :
la enfants pesés,
- septembre 1991:
21 enfants pesés.
Cependant ici, une nouvelle variable entre en ligne de compte dans
l'analyse: le prix de la pesée. Si bas qu'il puisse paraître (50 FCFA), il peut
constituer un obstacle pour certaines familles.
Pour l'essentiel, d'un mois à l'autre, on retrouve à quelques
exceptions près, les mêmes femmes. On peut distinguer une première
catégorie de femmes, relativement bien sensibilisées au problème, et pour
qui le coût n'est pas perçu comme un frein, soit en raison de leur relative
solvabilité, soit parce qu'elles considèrent le suivi de l'enfant comme un
besoin de santé fondamental qu'il faut satisfaire autant que possible. C'est le
cas de cette jeune mère de Kayéro 1 : "Je fais tout pour amener mon enfant
aux pesées mensuelles, car mieux vaut connaître l'état de l'enfant, pour
prévenir les maladies; car sinon ça peut coûter plus cher s'il tombe malade.
Pour moi, les pesées, ça permet de maintenir mon enfant en santé, c'est
pourquoi, même s'il faut payer, je suis prête à le faire" (206).
206_ Entretien avec une femme, 26 ans, Kayéro 1.

-144 -
Dans une seconde catégorie de femmes (les plus nombreuses), on
retrouve celles qui, tout en reconnaissant l'utilité du suivi des enfants,
évoquent toutefois des difficultés financières pour expliquer leur
irrégularité ou leur absence. Leurs difficultés semblent accentuées par le fait
que leurs maris, peu sensibilisés à cette question, rechignent à leur remettre,
mois après mois, la s.omme exigée. Pour ces derniers à qui revien{la charge
de subvenir aux lf"esoins du groupe familial, les pesées "demandent trop
d'argent, alors lJu 'on en n'a pas assez pour nous nourrir". Pour beaucoup de
maris, l'utilité de ces activités est rarement perçue en termes de besoin de
santé, ce qui explique en partie leur réticence à les "financer". Pour d'autres,
qui constatent que "l'enfant se porte bien", celui-ci ne serait guère concerné.
Confrontées à l'indifférence ou à la réticence exprimée par leurs époux,
certaines femmes sont amenées à développer des stratégies et des initiatives
propres: "comme on est dans une situation difficile, mon mari ne donnt:
plus d'argent pour les pesées; je m'arrange donc à faire un petit commerce
de beignets, de gâteaux, etc. pour avoir un peu d'argent, mais ça ne marche
pas bien ici. Je gagne quand même un peu d'argent, mais il y a beaucoup de
choses à acheter, le savon, les médicaments, alors quelquefois, il ne me reste
plus rien pour les pesées" (207).
Cette catégorie regroupe une majorité de femmes (208). Leurs enfants
ont un accès occasionnel et irrégulier à cette forme de prévention. Bien plus,
en-dehors
du
critère
financier,
leur
inaccessibilité à
l'éducation
nutritionnelle peut s'exprimer également en termes culturels. Dans de
nombreuses familles, on n'établit pas de lien évident entre l'alimentation
de l'enfant et les maladies carentielles (marasme, Kwashiorkor ...). Au
contraire, ces maladies sont interprétées à partir de la nosographie locale et
s'intègrent dans .les conceptions courantes de la maladie, forgées au travers
de la tradition.
207_ Entretien avec une jeune femme, septembre 1991.
208_ Bien entendu, les plus nombreuses restent celles qui ne vont jamais aux pesées.

-145 -
B - LES FONCTIONS DE L'ACCOUCHEUSE VILLAGEOISE
L'accoucheuse villageoise joue le rôle de la "matrone" de village.
Tout ce qui concerne de près ou de loin la santé de la mère et de l'enfant
relève de sa compétence, et constitue son domaine d'intervention. Mais en
réalité, elle s'occupe davantage des accouchements. Il arrive néanmoins que
0/
certaines AV pratiCiennes expérimentées donnent aux femmes des conseils
touchant aux méthodes abortives, des soins gynécologiques, ~\\:.c.
L'accoucheuse dispose normalement d'un petit équipement, en
guise de matériel de travail; cet arsenal de soins est composé d'équipement
technique et de médicaments: compresses, bandes, coton hydrophile, alcool,
savon, paire de ciseaux, pinces, fil de ligature du cordon, poire, gobelet, seau,
lampe à pétrole, lampe torche... (209).
Les accouchements
Ils ont lieu au domicile de la parturiente, où l'accoucheuse se rend,
parfois accompagnée de sa jeune collègue. Une fois l'accouchement
pratiqué, elle procède à la toilette du nouveau-né, après avoir coupé le
cordon ombilical, conformément aux exigences d'hygiène et de propreté
apprises lors de sa formation. Elle veille également à appliquer des gouttes
dans les yeux du nourrisson, désinfecte et procède au bandage de la plaie
occasionnée par la coupure du cordon ombilical. AprèS avoir effectué sur
place tout le travail qu'exige un accouchement, elle se présentera, les jours
sUivants au domicile de la nouvelle maman pour surveiller la croissance de
l'enfant et accomplir quelques soins post-nataux.
Pour la conduite des accouchements, on assiste à une division du
travail entre l'accoucheuse et son adjointe. Cette division s'opère sur la base
de l'ancienneté et de l'expérience. A la plus âgée, la direction de
l'accouchement, qui nécessite qu'elle exécute elle-même toutes les
"opérations délicates" laissant à la jeune praticienne le travail annexe
(préparation et nettoyage de la salle, rangement du matériel...).
209_ Aujourd'hui, cet équipement s'est considérablement réduit au strict minimum eu égard aux
difficultés rencontrées pour son renouvellement.

-146 -
La hiérarchie ici repose sur l'ancienneté dans la pratique, attribuant
à la plus âgée le rôle de "matrone", et faisant de la plus jeune une
auxiliaire (210). Ainsi' que nous le verrons plus loin, la jeunesse, le manque
d'expérience sont au centre d'une 'représentation peu valorisante de la
compétence des jeunes AV et, partant, de leur légitimité.
'1
Dans l'exercice de ses fonctions, l'AV est confrontée à de fréquentes
"
,
difficultés matérielles, au nombre desquelles figure en bonne place
l'épuisement fréquent des produits de soins. Ce problème lui-même
découle directement du non paiement (de plus en plus) fréquent par les
parturientes des frais d'accouchement. Pour permettre le renouvellement
des produits de la trousse, le tarif des accouchements dans chaque village est
fixé à 700 F (211) (14 FF). De cette somme, une partie (200 à 300 F) est reversée
dans la caisse pour servir à renouveler les produits manquants: savon,
pétrole, alcool; coton... ; le reste revient à l'accoucheuse (ou au deux
accoucheuses si elles ont toutes les deux participé) en guise de rétribution.
Or, le niveau de solvabilité des familles interdit à certaines femmes de
s'acquitter de cette somme. Les discours unanimes des accoucheuses placent
cette question au premier rang de leurs difficultés. Ces problèmes de
solvabilité des clientes rejaillissent sur l'état de la caisse qui peut, pendant
des jours (voire des semaines) rester vide. Une AV précise le problème:
"Beaucoup de femmes qui accouchent ici ne payent pas, en disant qu'elles
n'ont pas d'argent; d'autres demandent un petit délai pour régler, mais
elles ne reviennent pas payer" (l'AV de Kayéro 1).
A l'évidence, lorsque la caisse manque de produits nécessaires aux
soins des nouveaux-nés, la qualité du travail de l'accoucheuse s'en ressent:
elle peut ainsi se limiter à une simple toilette du nourrisson après sa
naissance
ou
pratiquer
un
accouchement
suivant
les
méthodes
traditionnelles d'antan.
210_ Cependant, en cas d'absence ou d'indisponibilité de la première, celle-ci peut faire les
accouchements.
211_ 500 F dans certains villages.

-147 -
La persistance des difficultés financières reste ainsi un facteur
favorisant le retour des pratiques traditionnelles d'accouchement (212), en
même temps qu'elle accroît les risques encourus par les nourrissons (risques
d'infection, tétanos néo-nataL.).
***
La posttion occupée par l'AV dans le système de santé villageois la
distingue, à bien des égards, de l'agent de santé villageois. Dans sa pratique
quotidienne elle paraît en effet moins intégrée (que l'ASV) dans les rapports
globaux qui unissent bénévoles et professionnels de la santé. Contrairement
à son collègue masculin, elle paraît moins "visible" dans l'espace sanitaire
villageois. En outre, son action actuelle s'inscrit dans une continuité par
rapport à ses attributions antérieures d'accoucheuse traditionnelle. Ce
faisant, le passage d'une situation d'accoucheuse traditionnelle à celle d'une
accoucheuse villageoise, n'occasionne nullement une transformation de
son statut ni de son rôle en tant qu'accoucheuse; il entraîne à peine une
légère extension de ses responsabilités, ainsi qu'une conception moins
cloisonnée de ses activités qui s'intègrent désormais dans un contexte plus
global, celui des SSP. Cela, en réalité, ne suffit guère à modifier le regard que
la société porte sur elle.
Quant à son degré d'implication dans le système des soins de santé
primaires, il peut se mesurer par ses rapports avec la sphère des
professionnels de la santé. Or, ceux-ci ne sont que très épisodiques, et
quasiment limités aux seules matrones (213). Ils n'ont ni la même intensité,
ni la même fréquence, en comparaison de ceux qui s'établissent entre l'ASV
et le personnel du CSPS.
Au contraire, avec l'agent sanitaire villageois, on a assisté à
l'émergence d'un acteur nouveau sur la scène villageoise, avec un éventail
d'activités
inédites et diversifiées:
pratiques
de soins, éducation
nutritionnelle, mobilisation communautaire, etc., l'engageant dans des
212_ L'absence constat~e recyclage des accoucheuses favorise également ce phénomène.
213_ Cela est encore plus vrai depuis l'abandon des recyclages des accoucheuses et des
supervisions des PSP.

-148 -
rapports plus étroits avec la sphère administrativo-politique. A l'opposé de
l'AV qui semble "en retrait", lui est destiné à être en "première ligne". Son
champ d'activité déborde le cadre villageois (214).
En résumé, l'intégration et le degré d'implication de l'ASV dans le
système de santé, son rapport à ce système et à ses acteurs, les rôles qui lui
sont attribués, lepistinguent fondamentalement de l'accoucheuse, plus
effacée, dont la fonction moins novatrice s'inscrit dans le prolongement
d'une activité fraditionnelle. D'un côté, on a un rapport "dynamique" (celui
de l'ASV), de l'autre, un rapport "statique" (celui de l'AV). Cependant, la
fonction que remplit l'accoucheuse dans ce système, n'est-elle pas, en
définitive, ce qui garantit le plus sa stabilité!
C - LA CELLULE DE SANTE VILLAGEOISE
Au niveau villageois, la CSV est une structure censée coordonner et
superviser les activités de santé, épauler les ASC dans leur travail, susciter
la mobilisation, la participation et l'adhésion des villageois aux actions
sanitaires. Chaque village dispose ainsi de son comité de santé (215),
structure indispensable, véritable centre de contrôle et de décision. De son
dynamisme dépend, en effet, la bonne marche des actions entreprises;
gestion du PSP, des médicaments, information et mobilisation. Mais
comment se constitue ordinairement un comité de santé et quelles sont ses
modalités de fonctionnement?
Nous allons commencer par rappeler les critères qui ont présidé à la
naissance des premiers comités.
1 - La constitution des comités de santé
Le processus de recrutement des membres du comité de santé ainsi
que sa composition paraissent significatifs de la mission assignée à cette
structure. L'expérience des différents comités en action dans les villages
depuis plus d'une dizaine d'année illustre de manière exemplaire les
214_ Une des tâches de l'ASV consiste à se rendre à Léo, pour y déclarer toutes les naissances
qui ont lieu au village.
215_ A Kayéro 1, il s'est transformé en "comité de village" présidé par le délégué de village.

-149 -
questions que pose toute prise en charge de leur santé par les populations
elles-mêmes.
Ainsi, bien avant la stratégie gouvernementale des SSP, des comités
de santé existaient dans certains villages (début des années 80), constitués
avec le concours d'ONG (216). En ces temps, le choix des membres de ce
comité était le frui~.id'une concertation entre les villageois qui, en désignant
cette structure, lui donnaient mandat pour oeuvrer au bien-être sanitaire de
(
la communauté. On donnait à ce comité une vocation exclusivement
sanitaire, comme le rappelle un ancien membre: "Avant, dans le comité,
on travaillait pour la santé du village, c'est tout; on ne parlait pas de
politique, car c'était pas notre affaire..." (un membre de la CSV de Mouna,
ancien membre du 1er comité).
Les comités de santé pouvaient compter 10 à 12 membres (217)
incluant d'office les ASC. Les autres membres recevaient eux aussi une
formation qui consistait en une initiation aux méthodes de gestion, ou aux
méthodes de sensibilisation des populations. L'intervention du personnel
des CSPS, à travers un suivi assez régulier, permettait au comité
d'accomplir globalement sa mission. Une des caractéristiques de ces comités,
c'est qu'ils étaient représentatifs de la population (car librement choisis par
elle) et recherchaient le plus souvent avec elle les solutions aux problèmes
du village. Et, à ce titre ils semblaient détenir une réelle capacité de
mobilisation.
A partir de 1985, les comités de santé qui virent le jour (sous
l'impulsion du pouvoir politique) présentent un visage différent. De taille
plus réduite (7 membres environ en incluant les ASC), leurs membres sont
sans formation particulière. Certains sont mis sur pied sous la houlette de la
structure administrativo-politique. L'introduction de nouveaux critères
dans le choix de certains membres, imposé par la structure politique,
procède d'une volonté de mainmise, dans la gestion locale de la santé.
216_ Il s'agit de la NOVIB, ONG néerlandaise.
217- Dont un président et son adjoint, un trésorier et son adjoint, un secrétaire, un secrétaire à
l'information ...

-150 -
2 - La CSV: un instrument de la politique étatique
Le comité de santé ne tarda pas à se "politiser" avec l'irruption sur la
scène de nouveaux acteurs devant servir de relais au pouvoir central. Dans
un premier temps, par exemple, sous les injonctions de la structure
administrativo-pol}tfque (chargée d'appliquer les décisions émanant de
l'Etat) le comité eut à sa tête une femme, la déléguée adjointe des comités
révolutionnaites (218). Cependant, aussi longtemps qu'elle fut dirigée par
cette déléguée, la cellule de santé ne put fonctionner normalement pour
deux raisons principales: d'une part, la déléguée CR était perçue comme
représentant l'autorité politique et dont le choix n'était pas décidé par le
village mais dicté "au sommet"; d'autre part, son statut de femme
responsable d'une instance de cette nature (à majorité masculine), dans une
société dominée par les hommes, suscite des réactions négatives.
Pour lever les réticences d'une partie de la population, on procéda à
un "remaniement" de la CSV qui vit le départ de la déléguée CR. En
revanche, le délégué CR (ou délégué de village représentant, lui aussi,
l'administration) fit une entrée discrète dans le comité de santé.
Le délégué de village est l'homme clé de la politique locale. Il est à la
fois l'interlocuteur de l'administration (règle les conflits, recueille les
doléances, etc.) et le représentant de la population. Mais, à la différence de la
déléguée CR, il n'a dans le comité ni un rôle de direction, ni même un
statut de membre permanent. En revanche, il assiste à toutes les réunions,
où il assure la présidence de la séance en en ordonnant l'ouverture et la
clôture.
Les ·objectifs poursuivis à travers une telle volonté d'omniprésence
nous paraissent évidents: la gestion même locale de la santé, représente un
enjeu (et même un enjeu politique). On a déjà vu que dans le
fonctionnement et le financement du système de santé, la stratégie étatique
consistait à prendre en charge les dépenses hospitalières et à inciter les
campagnes à financer leur santé. Pour ce faire, il légitime, à travers son
218_ Depuis 1987, dans chaque ville existe un comité révolutionnaire (CR) dirigé par un
délégué, et une déléguée adjointe. Ce sont ces déléguées adjointes qu'on tenta d'imposer à la
direction des comités de santé.

-151 -
discours les SSP comme une politique conséquente de développement
sanitaire (219), cautionnée de surcroît par les instances internationales dont
l'OMS. Pourtant, en laissant aux populations la charge de leur santé, l'Etat
ne renonce pas pour autant à exercer son "droit de regard". En autorisant
des prérogatives particulières à son représentant local (au sein du comité) le
pouvoir s'arroge la possibilité de contrôler directement son activité d'une
part, mais aussi s'octroie, d'autre part, un "droit d'ingérence" (et sans doute
d'intervention) dans les choix et orientations des actions de santé. La santé
\\
l,
devient alors une affaire politique, et dès lors que l'on fait "participer" les
populations, elle devient un enjeu.
En somme, l'autogestion, malgré les apparences, permet à l'Etat de
se maintenir au niveau local, accréditant l'idée selon laquelle "le comité de
santé apparaît ainsi comme tout autre chose qu'un simple organe de
participation des populations: il est le lieu où s'expriment les enjeux
sociaux Il (220 J. Bien plus, cette instance, loin de se réduire à une simple
"structure de mobilisation et de participation des populations en vue de
prendre en main leur propre santé" (221), reste davantage un instrument
placé sous l'influence de la sphère administrativo-politique et de l'Etat.
Absent dans la gestion financière de la santé, l'Etat ne renonce pas pour
autant à s'introduire dans la structure villageoise où les comités de santé
semblent n'avoir d'existence que sous son regard et son contrôle. On ne
peut alors s'empêcher comme le fait D. Fassin, de se poser ces questions:
"Enfin, l'Etat n'est-il pas le bénéficiaire paradoxal de la participation? Cette
participation ne lui offre-t-elle pas le moyen de contrôler à moindre coût la
santé publique dans des catégories parmi les plus pauvres, où il n'investirait
pas autrement?" (222).
219_ A travers des slogans du genre: "La santé du peuple par le peuple", "Un village = un
PSP", "Avec les SSP, la santé pour tous en l'an 2000", etc.
220_ FASSIN (D.), JEANNEE (E.), SALEM (G.), REVEILLON (M.), "Les Enjeux sociaux de la
participation communautaire: les comités de santé à Pikine (Sénégal)", in Sciences
sociales et santé, vol. IV, nO 3-4, nov. 1986, p. 219.
22L C'est ainsi que les textes officiels définissent les CSV.
222_ FASSIN (Eric et Didier), "La Santé publique sans l'Etat ?, Participation communautaire
et comité de santé su Sénégal", in revue 'Tiers-Monde, tome XXX, n° 120, oct.-déc. 1989,
p.891.

-152 -
3 - La CSV aujourd'hui
Le domairie d'activité du comité de santé s'est aujourd'hui
singulièrement restreint, en comparaison des tâches qui
lui sont
théoriquement assignées.
Plus qu'à des difficultés passagères de
fonctionnement, les' comités de santé semblent en proie à une crise
'1
profonde, marquée' par l'abandon progressif de leurs activités. Un des signes
les plus évidehts témoignant de cette situation est l'absence de réunions
internes.
Nous n'avons pas rencontré, lors de notre séjour, des comités
encore capables de respecter leurs programmes de réunion (223). Suivant les
localités sur une période allant de 4 à 12 mois on assiste à un "gel" plus ou
moins total des activités officielles, ce qui semble bien être le signe d'une
absence de vitalité.
Ainsi, pour un membre de la CSV (de Mouna) "si aujourd'hui le
comité va si mal, c'est parce que tout a reculé; on n'est plus aidé comme
avant, quand il y avait les ONG. Donc, on n'a plus de moyens et le
gouvernement ne fait rien pour nous".

Seuls un ou deux de ses membres (le président et/ou le trésorier)
font preuve d'une certaine disponibilité à se mobiliser aux côtés des ASC et
témoignent de l'existence du comité. Mais, amputé de l'essentiel de ses
attributions, le rôle du comité, de nos jours, se réduit à bien peu de
choses (224), et ce n'est que de manière très partielle qu'il peut prétendre
remplir sa mission.
Les entretiens avec les membres ou anciens membres du comité
révèlent que le découragement est l'une des principales causes d'abandon
ou de démobilisation de ces "bénévoles de la santé". La plupart soulignent
le caractère peu gratificateur et "ingrat" de leur tâche. En effet, l'absence de
223_ Les réunions ordinaires de la CSV sont consacrées à des discussions internes sur la vie de
la cellule ou axées sur la sensibilisation des populations pour les vaccinations, les
problèmes financiers, etc.
224_ Exemple, prêter main forte aux ASV dans certaines de leurs activités.

-153 -
stimulation matérielle (ou symbolique) associée à l"'absence de résultat"
(allusion à la difficulté de faire "participer" les usagers) produit également
un effet de démotivation chez certains membres.
Que reste-t-il lorsque ces comités de santé qui "constituent la
structure fondamentale de la participation" ne peuvent assurer leur
mission mobilisatri~e·? Le risque est alors grand de voir disparaître le travail
d'équipe, "car là où la CSV ne fonctionne pas, pour ses membres, c'est
chacun pour sOt, l'ASV travaille de son côté et l'AV aussi" (un infirmier).
Du côté des populations, l'image associée aux comités est également
en évolution; certains facteurs décisifs sont d'ailleurs à l'origine d'une
forme de disgrâce qui frappe ces comités villageois. Les comptes-rendus de
réunions (recueillis auprès de membres ou anciens membres) les entretiens
avec quelques responsables de comité ou avec les agents de santé, nous ont
renseignés
sur
l'ampleur
et
l'impact
de
ces
problèmes
sur
le
fonctionnement même des comités, mais aussi nous ont permis de
comprendre les réactions d'une partie des usagers: ce sont les accusations de
détournement, les dissensions internes, les manoeuvres politiques, etc qui
semblent entraver le plus la bonne marche des comités de santé. De nos
jours, les accusations de détournement de fonds constituent l'un des gros
problèmes auxquels doivent répondre certains comités (225). Outre qu'ils ont
un effet perturbateur sur la cohésion interne du comité, la présence et la
persistance de tels problèmes produisent un effet démobilisateur sur les
populations: "Je ne vais plus donner gratuitement mon argent à ces gens"
répètent certains ou, encore: "Je les croyais des gens sérieux, mais je me
trompais". Pour d'autres, ces problèmes offrent un argument pour se
détourner à jamais du système de santé villageois. Cette attitude semble être
la "sanction suprême" marquant par dessus tout une réprobation et une
condamnation des pratiques de ceux qui s'approprient le fruit de l'effort
collectif; "On ne peut plus faire confiance aux gens", entend-on souvent
dire de la part de ceux qui, désormais, rejettent toute idée de contribution.
225_ C'est le cas à Métio où la CSV doit répondre de la disparition d'une somme de près de
60000 F (1 200 FF» dont une bonne partie provenait d'une quête auprès des villageois en
vue de rénover le PSP.

-154 -
En définitive, les problèmes financiers semblent constituer le
premier point d'achoppement entre la population et ses représentants,
. problèmes d'autant plus aigus que le comité était censé regrouper des
personnes réputées "sérieuses". Ne disposant plus que d'une légitimité
amoindrie, la CSV reste impuissante à engager les populations dans des
actions de financement de leur santé. Elle dispose néanmoins, dans
1
certaines localités, de ressources pour réaliser une mobilisation ponctuelle
autour de quelquès actions concrètes (226) : construction de locaux, nettoyage
du dispensaire; désherbage de la cour, etc.
Il reste maintenant à rendre compte, dans un tel contexte, de quelle
image jouissent les agents de santé communautaires, de la part des
populations qu'ils sont censés servir.
226_ C'est le cas du village de Kayéro 1.

-155 -
CHAPITRE II - LES AGENTS DE SANTE COMMUNAUTAIRES
ET LEUR STATUT DANS LA SOCIETE
SECTION 1 -LES REPRESENTATIONS DE L'ASV ET DU PSP
'(
CHEZ LES VILLAGEOIS
Nous avons vu au chapitre précédent que l'ASV était de par la
fonction qu'il occupe un nouvel acteur sur la scène villageoise. En
s'investissant dans de nouvelles activités, l'ASV est conduit à assumer de
nouvelles responsabilités, à jouer de nouveaux rôles sociaux, à développer
de nouveaux rapports sociaux. En dépit des efforts visant à le présenter
officiellement sous les traits d'un villageois "ordinaire" (227), l'image qu'il
renvoie aux autres subit en réalité une profonde transformation, dès lors,
qu'il est investi de la mission de soigner (ou de veiller à la santé de tous).
Aussi, l'agent sanitaire est rarement perçu comme un "simple villageois",
ses attributions faisant de lui tantôt un "privilégié" tantôt un "docteur" aux
yeux de ses semblables. Nous allons à présent, à partir des entretiens et
observations effectués sur le terrain, essayer d'appréhender les mécanismes
de construction de ces représentations.
A - L 'ASV : UNE SITUATION PRIVILEGIEE MAIS INCONFORTABLE
Dans le contexte villageois, les représentations dont sont l'objet les
agents de santé de village, comme personnes jouissant d'une situation
enviable s'élaborent à travers les "privilèges" qu'on leur attribue. Le fait
d'avoir bénéficié d'une formation (par exemple dans un centre de FJA
comme nous l'avons déjà vu) ou d'avoir été scolarisé représente le premier
atout dont sont crédités les agents sanitaires. Justifier d'une certaine
instruction moderne, même rudimentaire, place d'emblée le sujet dans une
position sociale valorisante; c'est sortir du lot des "gens communs".
Cependant, l'ASV n'a pas que sa formation à faire valoir. En effet, sa
fonction lui confère des attributs supplémentaires: il est détenteur de la
227- Pour les administrateurs et les professionnels de la santé, en effet, l'ASV doit rester un
villageois comme les autres; et c'est ainsi qu'il est présenté à la communauté par le
discours officiel.

-156 -
trousse de soins et possède également une bicyclette "de service". La
possession et l'usage du vélo (appelé couramment "vélo-PSP") par l'agent
sanitaire constituent l'un des points essentiels où se cristallisent les
représentations, mais aussi les tensions et conflits.
1 - Le "vélo-PSP" : un signe de promotion sociale
1
Au départ, outil de travail destiné à l'usage de l'ASV (et de la CSV)
(
dans l'accomplissement de leurs tâches (visites à domicile, évacuation des
malades...), le vélo sera rapidement considéré comme un "luxe" aux mains
de celui-ci. Cela provient du fait qu'en milieu rural, la possession d'une
bicyclette est traditionnellement associée à la réussite sociale. Avec la
monétarisation croissante de la société rurale, cet engin est devenu un bien
indispensable et incontournable aussi bien pour les jeunes (en quête de
prestige social, et dans leurs rapports avec les jeunes filles) que pour les
vieux (qui l'utilisent davantage comme un outil de travail pour aller aux
champs). Pour les jeunes villageois la bicyclette est donc synonyme de bien
de consommation de prestige. Certains d'entre eux n'affirment-ils pas avoir
"travaillé pendant des mois ou même des années en Côte d'Ivoire" pour
s'en procurer une? (228).
Ces propos attestent ainsi que son acquisition n'est pas toujours
chose aisée, ce qui le rend hors de portée d'une partie de la population. Mais
pour les jeunes ruraux, l'importance du vélo est primordiale, parce que son
usage s'étend à tous les domaines de la vie sociale: d'abord dans le travail, il
est plus commode, pour se rendre dans les champs de plus en plus éloignés
(de 5 à 12 km) de disposer d'un engin que d'avoir à marcher. Dans la vie
économique ensuite, pour se rendre dans les marchés des villages voisins,
car c'est par l'instauration d'un système rotatif que ,tour à tour, chaque
village tient son marché (229). Dans les rapports avec les jeunes filles,la
possession d'un moyen de transport est un atout supplémentaire pour
228_ Le pouvoir d'achat étant très faible en milieu rural, aucun jeune ne peut espérer s'offrir un
tel bien par le seul fruit de son travail au village. D'où l'émigration de travail dans un
pays voisin, seul permet de trouver la somme nécessaire à l'achat d'un vélo.
229_ Les marchés constituent des lieux de rencontre et d'échanges. Autant qu'un rôle
économique, ils jouent également un rôle social de première importance en tant que centres
d'information et lieux de rendez-vous.

-157 -
séduire. Enfin, plus généralement, le vélo favorise les rapprochements, les
contacts, les rencontres entre villages, entre amis, entre parents en toutes
circonstances (funérailles, mariages...). Pour toutes ces raisons, la possession
d'un vélo (et d'un vélo neuf comme celui des ASV) peut être non
seulement un signe de réussite matérielle, mais peut également s'avérer
symboliquement comme un signe de réussite sociale. Les avantages qu'il
offre à son possess~ur sont innombrables; tout ceci contribue à en faire un
bien particulièIeinent convoité. Dans ce contexte, le "vélo-PSP",mis à la
disposition de 'l'ASV, par l'Etat, apparaît aux yeux des villageois comme un
signe de distinction sociale. C'est un privilège auquel peu de gens ont droit;
dans les représentations collectives des populations, cette attitude est une
marque de distinction que l'Etat réserve habituellement à ses agents (230).
Etre agent de santé dans un village, c'est donc avoir la possibilité de
bénéficier gratuitement de ces "avantages", et jouir de la "bienveillance" de
l'Etat. En faisant ce rapprochement entre l'ASV et le fonctionnaire de l'Etat,
un grand nombre de villageois lui reconnaissent un statut privilégié.
Cependant, la présence du vélo engendre aussi des jalousies et des tensions
au sein de la cellule de santé et/ou dans les rapports des bénévoles de la
santé avec les populations.
2 - "Vélo-PSP" et conflits sociaux
De nombreux problèmes et conflits sociaux découlent de la présence
et de l'utilisation du vélo; qu'il s'agisse des rapports entre l'ASV et certains
villageois ou des rapports internes à la CSV. Premier utilisateur du vélo,
l'ASV est également la première personne à subir les critiques ou les
jalousies des autres. Il est fréquemment accusé de monopoliser le vélo, qui
est pourtant "un bien du comité tout entier". Mais les tensions sont plus
fréquentes entre l'ASV et certains villageois. Citons par exemple cette
altercation entre l'agent sanitaire de Sagalo et un jeune du village qui, sans
demander de permission, utilise le vélo de l'ASV pour une course
personnelle. Le premier se plaint et rappelle que l'utilisation du vélo est du
ressort de ceux qui ont la charge d'assurer la santé du village. Piqué au vif,
l'autre rétorque "de toutes façons ce vélo n'est pas pour une personne, il
230_ En effet, seuls les fonctionnaires de l'Etat peuvent ordinairement, en fonction de leur rang
dans la hiérarchie administrative se voir offrir un véhicule ou une mobylette de service
dans l'exercice de leur fonction.

-158 -
appartient à tout le village". Certaines personnes sont promptes à adresser
des critiques virulentes à l'agent de santé lorsqu'elles viennent à constater
l'utilisation du vélo à des fins étrangères aux activités sanitaires. "Ce sont
des gens qui sont jaloux de nous; ils ne sont pas contents de nous voir avec
des vélos qu'on n'a pas acheté, alors qu'eux ont souffert pour avoir leur
vélo" (231).
"
Les rixes autour de l'utilisation du vélo (par qui, comment et en
quelles circonstances, etc.) sont monnaie courante. Les ASV, eux, estiment
légitime de s'en servir pour leurs propres besoins, en contrepartie du
service rendu au village et pour lequel ils ne sont que peu (ou pas du tout)
rémunérés. Certains usagers, au contraire, jugent leurs prérogatives trop
importantes et expriment le souhait de les voir réduire.
Cette situation,
loin d'être exceptionnelle est commune
à
l'ensemble des villages. "Dans chaque village, il y a eu plusieurs reprises de
sérieux problèmes au sujet du vélo" (un infirmier). Qu'il soit en état de
marche ou en panne, le "vélo-PSP" engendre toujours des différends.
Aucun budget n'étant prévu pour les réparations mécaniques, l'utilisateur
responsable d'une panne mécanique est tenu de la réparer. Mais cette
réglementation tacite n'est que rarement respectée. Après quelques mois (ou
plus
rarement
quelques
années)
d'utilisation,
les
engins
étaient
généralement hors services parce que "beaucoup de gens voulaient les
utiliser, mais personne ne voulait réparer. Moi, pour être tranquille, j'ai
pris l'habitude d'utiliser mon propre vélo pour tout faire" (ASV Sagalo).
En définitive, la mise à disposition d'un moyen de travail à l'ASV,
en vue d'accroître sa capacité opérationnelle, pouvait, à certains moments
sinon aboutir à l'effet inverse, du moins constituer un sérieux facteur de
blocage ou de dysfonctionnement, principalement dans le domaine social et
relationnel. Objet de toutes les convoitises, le vélo se trouvait bien souvent
être davantage un facteur de discorde, plutôt qu'un simple outil de travail.
Rarement pourtant, ces différends prenaient la forme de conflits ouverts;
au contraire, ils s'expriment à travers différentes formes de "jalousie" ou de
calomnies que certaines personnes nourrissaient ou répandaient à l'égard
de l'ASV; plus généralement, c'était par un refus de participation à toute
23L Entretien ASV, Sagalo.

-159 -
action concernant l'activité de l'ASV, que certains exprimaient leur
désaccord ou leur mécontentement.
Introduit dans le contexte des soins de santé primaires dans les
villages, le "vélo-PSP" devient un enjeu pour les différents acteurs des SSP;
il est à la fois le symbole de l"'image de marque" de l'ASV et la principale
source de tension allniveau des acteurs de la santé.
B - ~'INFIRMIER DE VILLAGE ET LE VENDEUR DE MEDICAMENTS
Les représentations dont les ASC sont l'objet sont déterminées par
une multitude de facteurs qui s'entrecroisent. Elles révèlent de profondes
distorsions entre les activités qu'ils exercent et le regard que la société rurale
pose sur eux. D'une manière générale, les agents de santé de village ne sont
pas perçus par les villageois tels que l'on a voulu les présenter au départ.
Comment expliquer ce décalage, cette non
congruence entre les
représentations populaires et la nature réelle du travail qu'accomplissent
ces agents? Comment sont-ils alors considérés par les membres de leur
communauté? Il semble que les premiers éléments de réponse soient à
rechercher dans la manière dont on les désigne dans le contexte local.
1 - L'infinnier de village
Les représentations des populations sur les ASC sont dominées par
l'idée qu'ils sont des "docteurs" ou des "infirmiers" désignés et formés pour
exercer au village. Ces représentations sont en partie véhiculées par la
terminologie utilisée dans les langues vernaculaires pour désigner les
agents de santé. Aussi, les villageois lorsqu'ils parlent de l'ASV ont
coutume d'utiliser le terme "logtor bila" (en langue mooré) ou "damatoro
bia a tiouwa" (en nuna), ce qui veut dire "le petit infirmier de brousse".
Les concepts français de "docteur" et "infirmier" se traduisent par le
même terme en mooré (logtoré) (232) et en nuna (damatoro) (233). Ce même
terme
désigne
toute
personne dont
la fonction
est de soigner,
232_ Ces deux termes seraient en réalité des emprunts lexicaux (du vocable français "docteur")
ayant subi une déformation.
233_ Idem.

-160 -
indépendamment de ses compétences ou de sa qualification réelle; en ce
sens, l'infirmier, l'aide-soignant, le médecin, l'A5V, etc., sont tous, et au
même titre qualifiés de "logtoré" (ou "damatoro"). Cette confusion
terminologique s'est généralisée dans la pratique courante où les villageois
appellent indifféremment "docteur" aussi bien l'infirmier (234) que l'A5V,
le médecin que l'aid~-soignant.
1
Ce voc~bl~ se voit donc transformé en un terme générique servant à
distinguer touÜ~ personne dont l'occupation consiste à soigner et à guérir.
Français
Mooré
Nuna
damatoro
En somme, "logtoré" ou "damatoro" désigne toute personne ayant
une activité professionnelle ou non, exerçant dans la santé (c'est-à-dire le
personnel médical, paramédical et bénévole). L'activité de soin gratifie alors
le praticien des attributs sociaux d"'expert de la maladie" et l'élève au rang
de "docteur".
Suivant une logique similaire, le poste de santé primaire (ou case de
santé) fait office de "logtor-doogo" (235) ; en langue nuna, on parlera de
"damatoro-dia" (236), ce qui procède encore de la même logique.
Ces modes de désignation participent d'une construction sociale de
l'image des agents de santé de village et de leur case de santé, dans l'univers
villageois, suivant un processus autonome. La terminologie et le
vocabulaire utilisés par les usagers pour désigner les structures et les acteurs
234_ Voir à ce propos FAINZANG (S.), "La Maison du blanc...", in Sciences sociales et santé,
vol. III, n° 3-4, 1985, p. 120.
235_ En mooré la "maison du docteur".
236_ "Petit dispensaire de brousse".

-161 -
de santé sont, selon l'expression de D. Desjeux, "l'indicateur linguistique
des pratiques et de la vision du monde des paysans" (237).
L'analyse linguistique quoiqu'utile par son éclairage doit être
complétée cependant par d'autres facteurs. L'activité centrale des ASV, au
départ exclusivement consacrée aux soins primaires contribue également à
façonner et à imP9ser cette image d'un "infirmier de village". Disposant
d'une "maison de soins" (le PSP) et équipé de médicaments (le trousseau de
soins) l'ASV possède aux yeux des populations tous les attributs d'un
"docteur". Ace titre, le PSP a pendant longtemps occupé, dans les
représentations des utilisateurs, une place analogue à celle du dispensaire. Il
est le "petit dispensaire" du "petit infirmier" ; en ce sens, le recours aux
services
qu'il propose
renvoie aux mêmes
logiques, aux
mêmes
motivations que les consultations chez l'infirmier professionnel. Le
villageois qui se présente au PSP se trouve à peu près dans le même état
d'esprit que le citadin qui se rend à l'hôpital; il s'agit d'une même
démarche qui exprime un besoin de soin, un besoin de santé; pour
reprendre l'expression de S. Fainzang, elle "exprime la même volonté de
voir disparaître les symptômes". De ce point de vue, le rôle du PSP pour les
villageois s'apparente à celui des institutions modernes de soins: ce sont
des "logtor-yiri" (238). Mais le rapprochement ne s'arrête pas là : infirmiers,
médecins et ASV ont en commun la responsabilité de prodiguer des soins à
des personnes souffrantes: ce sont des "logtoèmba" (239).
En somme, la présence d'une mini-structure de soins (le PSP) où
exerce une personne formée à cet effet (l'ASV) amène également les paysans
à considérer l'agent bénévole de santé comme un "infirmier" voire comme
un "professionnel de la santé". Cette représentation est renforcée en outre
par l'activité d'évacuation des malades vers les dispensaires dont l'ASV a la
charge. Au total, la représentation de l'ASV comme "infirmier" va de pair
avec celle du PSP comme "mini-dispensaire".
237_ DESJEUX (D.), op. cit., p. 150.
238_ "Maison du docteur", c'est la fonnule consacrée pour désigner l'hôpital ou le dispensaire,
en langue moré.
239_ Pluriel de "logtoré" qui veut dire infinnier, docteur.

-162 -
Cette représentation se construit principalement autour de la
fonction sociale que remplit l'agent sanitaire de village: la pratique des
soins et la guérison des patients.
2 - Le vendeur de médicaments
; '
Même si socialement, l'ASV jouit du statut de "docteur", ce statut
n'a pas toujo&rs une traduction concrète dans la réalité. En effet, les
démarches de la clientèle auprès du PSP ne donnent pas toujours lieu à des
actes médicaux véritables (c'est-à-dire à des pratiques de soins). Nous avons
déjà vu que suivant la nature de l'affection, l'ASV peut, soit administrer un
traitement, soit se borner à vendre les produits nécessaires au patient. En
réalité, dans tous les PSP, les produits de traitement, administrés sur place,
étaient toujours vite épuisés, en l'occurrence ceux qui servaient aux
pansements. "Puisque je soignais beaucoup les plaies, les produits comme la
pommade, l'alcool, le mercurochrome, le sparadrap ... finissaient très vite.
alors que les mille comprimés de nivaquine en boîte, pouvaient durer 6
mois, et l'aspirine 1 an" (240).
Les difficultés financières à renouveler les produits manquants
devaient conduire à l'abandon progressif des pratiques de soins. Aussi,
depuis quelques années, les pratiques de vente se sont substituées à celles
des soins (241). Cette évolution est à l'origine de la nouvelle représenta-tion
de l'ASV comme vendeur de médicaments. C'est la personne auprès de qui
on peut s'offrir les premiers produits en cas de nécessité. C'est le cas de ce
père de famille: "Si quelqu'un est malade dans ma famille, je vais acheter
les médicaments chez l'agent de santé; si ça ne passe pas, je vais au
dispensaire" (242). De nos jours, on parle de l'ASV, comme de celui qui
exerce une activité de commerce de médicaments. Son domicile s'est
transformé en "dépôt pharmaceutique" géré au bénéfice des rares "clients"
240_ Entretien avec l'ASV de Métio.
241_ La pratique des soins n'a eu véritablement lieu que lors des premiers mois qui ont suivi
l'avènement des rsP. De nos jours, les usagers vont se procurer les médicaments au domicile
de l'ASV (aspirine, nivaquine ... ) alors que les activités de pansements ne sont plus
assurées.
242_ Entretien avec un chef de ménage, Kayéro.

-163 -
encore consommateurs des produits restant (243). Cependant, la gamme des
produits proposés reste limitée; il s'agit le plus souvent de comprimés de
chIoroquine et d'aspirine, utilisés contre le paludisme et les fièvres (244).
Pour une catégorie de patients, le recours à l'ASV constitue simplement
une première étape dans l'itinéraire thérapeutique (dans le seul cas du
paludisme) en attenqant une affection plus grave. Ce recours ne constitue
en aucun cas une Iconsultation, mais une simple quête de médicaments,
destinée à "sO}llager son mal". L'ASV se voit alors investi du rôle de
"pharmacien de village",: il est sollicité, non en raison de sa capacité à traiter
un patient, mais parce qu'il détient et vend des médicaments.
Malgré cette pluralité de rôles sociaux attribués aux agents de santé
de village (qui sont tour à tour soignants, "pharmaciens" et quelquefois
agents
d'assainissement)
dans
les
représentations
collectives
des
populations, ils conservent néanmoins leur image de "docteurs" au sein de
la communauté, dans la mesure où leurs activités s'inscrivent toujours
dans la sphère sanitaire. Il nous reste à découvrir comment les usagers
accueillent les interventions de ces praticiens locaux et quels jugements ils
portent sur leurs actions.
C - UNE COMPETENCE SOCIALEMENT NON RECONNUE
Le statut dont jouit l'ASV dans sa communauté, semble entrer en
contradiction avec 1;;1 considération réelle qui lui est témoignée sur le plan
social. Si les représentations sociales font de lui le "docteur" du village, en
revanche, il est loin de bénéficier socialement des égards et du respect que
confère normalement cette distinction. Nous croyons savoir qu'une telle
attitude découle à la fois de la manière dont les populations perçoivent et
jugent la formation des bénévoles, ainsi que de leurs pratiques sanitaires.
243Lors de nos entretiens aux domiciles de certains ASV, il nous a été donné de rencontrer des
gens venus se procurer qui de l'aspirine, qui de la nivaquine, etc.
244 C '
'd
fl
-
ertams posse ent encore un
acon de mercurochrome <pour les plaies), de la pommade
ophtalmique, des gouttes auriculaires.

-164 -
1- La formation
Les attitudes et les discours des villageois à l'égard des ASV sont
évocateurs des jugements qu'ils leur portent. Dans leurs propos, ils sont
unanimes à considérer comme insignifiante une formation dont la durée se
limite à deux ou trojs semaines, pour qui est appelé à exercer des activités de
soins. En règle générale, ils établissent un rapport direct entre la durée de la
formation et la- "compétence" du praticien. Autrement dit, la maîtrise de la
pratique sanitaire ne saurait s'acquérir en quelques jours, quelques
semaines, ni même en quelques mois; elle est jugée trop complexe, trop
"sérieuse" pour faire l'objet d'un apprentissage sommaire. L'initiation de
l'ASV à la "médecine du Blanc" suscite alors des doutes quant à son
efficacité. Pour la mentalité traditionnelle, en effet, toute acquisition de
connaissance,
indépendamment
du.
domaine
considéré
s'opère
normalement au terme d'un long apprentissage (245). Qu'il s'agisse des arts
de guérison, de la pratique de l'accouchement, de la divination, de la
maîtrise du langage ou de l'apprentissage d'un métier, l'acquisition du
"bangré" (le savoir) s'inscrit toujours dans un rapport à la durée, dans un
rapport au temps. La durée (trop courte) de la formation de l'ASV ne lui
permettrait pas d'acquérir véritablement le- "savoir" et de s'en servir à bon
escient. Dans la pensée traditionnelle "le savoir est un pouvoir, une arme
aux mains de qui sait" (246). Or ici, le savoir de l'ASV est suspecté d'être
embryonnaire; il ne peut donc se transformer en pouvoir, car n'étant pas
légi timé comme tel.
La comparaison avec le "vrai infirmier", formé après plusieurs
années d'études intervient pour renforcer la certitude selon laquelle "l'ASV
ignore encore beaucou p de choses". La si tua tion de l'accoucheuse
traditionnelle est également évoquée pour étayer l'argumentation. "Voyez
nos accoucheuses de village, elles connaissent bien leur métier;
pourquoi?
245_ C'est le cas des rites initiatiques traditionnels.
246_ CAMARA (Sory), "Les Plantes médicinales: grandeurs et misères des médecines
traditionnelles africaines aujourd'hui", in Ethno-psychologie. nO 3-4, juil.-déc.1979,
p.315.

-165 -
Parce qu'elles ont
appris depuis
leur
jeune âge; maintenant,
elles
apprennent à leur tour aux plus jeunes, mais il faut du temps" (247).
La performance, l'efficacité sont toujours associées à la longueur de
la formation. Un apprentissage trop court est forcément sans consistance et
ne permet pas une assimilation suffisante de connaissances. Aussi, lorsque
nous avons demandé aux enquêtés ce qu'il fallait faire pour améliorer le
'1
travail de l'ASV, on recueillait les propositions suivantes: parmi les
premières actiOns' à mener il y avait au premier rang le contenu et la durée
de la formation. Les enquêtés souhaitaient avoir des agents mieux formés,
capables d'agir comme de "vrais infirmiers" d'une part, mais exprimaient
également le désir de voir une plus grande implication financière de la part
de l'Etat. Mais s'agissant de l'ASV, la plupart des usagers déplorent d'avoir
affaire à des "infirmiers qui ne savent pas vraiment", ce qui les oblige à
rechercher le plus souvent l"'infirmier du dispensaire".
Au demeurant, ces jugements ne s'adressent pas aux seuls agents de
santé villageois; ils s'appliquent également aux jeunes accoucheuses
villageoises; ces deux catégories d'agents ont en commun leur "manque
d'expérience et de formation" nous dit un vieux du village de Kayéro. Mais
la formation des ASV n'est pas seule en cause; elle s'intègre dans une
représentation globale qui fait de ces acteurs de la santé des "sous-
infirmiers" .
2 - Des infirmiers "au rabais"
L'impact des pratiques sanitaires de l'ASV ne s'exerce pas de la
même manière sur les usagers que celles pratiquées à l'échelon supérieur de
la pyramide sanitaire. Les villageois eux-mêmes établissent dans leur
expérience quotidienne une hiérarchisation entre les actes pratiqués par les
professionnels de la santé et ceux offerts par les bénévoles. Le degré de
satisfaction n'est assurément pas le même. Dans leurs itinéraires, les
patients ont tendance à se détourner des soins proposés au niveau villageois
pour recourir directement au CSPS. Ces comportements n'ont pas lieu
uniquement pour les maladies jugées "graves" où l'on estime que l'ASV,
n'est pas en mesure d'intervenir, mais concernent même les affections
247- Entretien avec un paysan, Kayéro 1.

-166 -
bénignes. Tout besoin de soin, si mineur soit-il, occasionne une demande
qui s'exprime à l'échelon professionnel (pour peu qu'il relève du domaine
de la médecine moderne). A ce niveau, la prise en compte du critère de
compétence l'emporte sur la proximité.
Recourir au CSPS, c'est avoir la possibilité de se faire soigner par un
"infirmier de métioc" et l'on n'hésite pas, s'il le faut, à parcourir plusieurs
kilomètres à vélo .(quelquefois à pied) pour se soigner au dispensaire. Outre
.{
la présence de l'infirmier diplômé, le CSPS est le lieu par excellence où "il y
a toujours des médicaments", contrairement au PSP qui offre toujours une
gamme très limit~e de produits de soins. Pendant longtemps pourtant, la
variable économique a été également un facteur décisif dans le choix du
CSPS, aux dépends du PSP. Les produits comme la nivaquine, l'aspirine, etc.
y étaient délivrés gratuitement aux malades, alors que ces mêmes produits
étaient vendus au PSP (248). Cette gratuité rendait le recours au CSPS
économiquement plus avantageux pour les paysans. Ainsi, paradoxalement,
il arrivait que ces deux échelons de la pyramide se trouvent, non pas en
situation de complémentarité, mais de compétition. "Les CSPS ont
contribué à paralyser les P SP dans les villages" reconnaissait un infirmier.
Ce processus devait s'accentuer même après l'instauration du paiement des
médicaments à l'échelon du CSPS, les paysans ayant fini par considérer les
PSP· et leur responsable d'un point de vue négatif. Ces usagers estiment
majoritairement que la fréquentation des CSPS donne droit à des soins de
meilleure qualité. "Là-bas, il y a des médicaments, l'infirmier connaît bien
son travail et soigne beaucoup plus de maladies" (un villageois). La variété
des actes thérapeutiques proposés au dispensaire est souvent évoquée pour
justifier le recours à cette instance thérapeutique. Aspirant désormais à des
soins plus "sophistiqués", beaucoup de villageois ne se contentent plus, par
exemple, dans les cas de paludisme d'avaler de simples comprimés.
Nombre d'entre eux attendent désormais des injections (de quinimax) pour
"guérir plus vite" (249). Le prestige dont jouissait un comprimé comme la
248_ Au prix de 10 F CFA. Mais depuis peu, une mesure récente mit fin à cette gratuité, dans
tous les csrs.
249
B'
t
d
.. l
" "
.
-
len en en u, ICI e cntere economlque entre en Jeu, dans la mesure où il s'agit le plus
souvent de ceux qui ont les moyens d'acheter ces produits.

-167 -
nivaquine autrefois (250) s'est aujourd'hui reporté sur les injections (en
outre, la nivaquine est de plus en plus concurrencée par les produits issus
du marché noir). La piqûre (pour qui souffre de paludisme) est l'acte
thérapeutique par excellence que seul le dispensaire peut assurer. Ainsi que
l'affirmait S. Fainzang pour la nivaquine, nous dirons qu'aujourd'hui la
piqûre est "investie par les villageois d'une valeur beaucoup plus large que
celle que lui confèrint ses seules propriétés d'anti-paludéen ..." (251). Pour
conserver ou "améliorer" leur santé, certains chercheront même à se faire
'.
faire des piqûres, bien que leur état ne l'exige nullement (252). Les injections
se voient alors investies, outre leurs vertus curatives, de propriétés
préventives contre le paludisme (et bien d'autres maladies). Elles sont
transformées par certains usagers en "vaccins". La substance introduite dans
le corps semble être alors le symbole du pouvoir thérapeutique de
l'infirmier. On pourrait faire un certain rapprochement entre ces
comportements et ceux décrits par F. Laplantine (253) au sujet des
maghrébins ou des musulmans en général. Ceux-ci se représentent le
thérapeute non comme celui qui enlève (du sang, de l'urine, un organe)
mais plutôt comme celui qui "ajoute". Ce faisant, ils manifestent leur
préférence à recevoir des médicaments, des piqûres, plutôt qu'à être opérés.
C'est pourquoi, ils seraient disposés à être plus confiants en l'acte médical
qui "ajoute" qu'à l'intervention qui supprime.
Dans l'exercice de leur fonction, les agents villageois de santé, non
formés à la pratique des injections sont confrontés à une remise en cause
progressive de leur statut d"'infirmier". Les villageois, nombreux au départ
qui se présentaient à eux pour des injections, en revenaient déçus, comme
le suggèrent ces réflexions d'un patient: "Un infirmier qui ne sait même
pas faire une piqûre! Je n'avais jamais vu ça ...", un autre renchérit: "Il lui
250_ Cf. FAINZANG (S.), op. dt., p. 124.
25L Ibid.
252_ Tel ce chef de village venu voir un infirmier et, bien que jouissant d'une bonne santé
demandait qu'on lui fasse une piqûre pour qu'il "se porte encore mieux".
253_ voir à ce propos LAPLANTINE (F.), "Anthropologie de la maladie", in revue Sciences
humaines. nO 12, déc. 1991, p. 27.

-168 -
manque toujours des médicaments, malS en plus il ne sait pas piquer les
malades. Pourquoi n'a-t-il pas appris ce qu'un infirmier doit faire ?" (254).
Au-delà de ces réactions, les usagers semblent n'accorder de valeur
qu'à la pratique des injections quand ils souffrent de paludisme, maladie
endémique, contre laquelle la "médecine des blancs" est réputée efficace. Le
simple fait pour 1'4SV de ne pouvoir répondre à ce besoin (en réalité il y
répond
partiellement par
le biais
des comprimés)
lui vaut une
considération ("négative; ce dernier assiste à une dépréciation de ses
compétences, 'd'autant que pour l'usager, l'injection, acte thérapeutique
hautement valorisé, est le critère qui permet de reconnaître et de distinguer
l'infirmier du "profane". Les actes pratiqués normalement par l'agent de
village (traitement des diarrhées, conjonctivites, plaies...) sont négligés ou
considérés comme "secondaires" ou relevant de la banalité. Ces jugements
semblent s'inscrire dans un cadre de représentations où la pratique des soins
pour être "efficace" doit rompre avec le côté profane, donc nécessiter
l'intervention d'un "spécialiste" (255). Ici, toute compétence médicale n'a de
sens que dans et par les injections; la capacité à pratiquer cet acte est une
vertu légitimante pour le praticien.
Au total, parce qu'il semble incapable de répondre aux besoins exprimés
par les usagers, l'ASV se voit assimilé à un "sous-infirmier" (256), ses
connaissances et son savoir sont minimisés, voire négligés car sans
traduction concrète en termes de réponse aux besoins exprimés localement.
Sa formation est considérée comme imparfaite, inachevée; contrairement à
l'infirmier dont l'activité est considérée comme digne d'intérêt on attache
moins d'importance à la présence où à l'absence d'un agent de santé au
village. Aussi, ce que l'ASV ne peut donner, les villageois vont le
rechercher
auprès
de
l'infirmier
diplômé.
Celui-ci
seul
dispose
véritablement du pouvoir de guérir et de restaurer la santé. Si l'utilité de
254_ Entretien avec un villageois, Sagalo.
255_ Par exemple, la consommation de la nivaquine, en vente libre sur le marché, est devenue
un acte banal; et pour s'en procurer il n'est pas toujours nécessaire de recourir à l'ASV. Or,
pour l'injection, seul l'infirmier du dispensaire est en mesure de la pratiquer.
256_ Par exemple, lors des campagnes vaccinales, l'ASV, pour mieux mobiliser les populations
a besoin du concours de l'infirmier dont l'intervention lui apporte un surcroît de légitimité.

-169 -
l'ASV n'est pas totalement occultée (il peut toujours donner des conseils,
évacuer des malades, etc.) ce sont néanmoins les structures "modernes" de
soins qui offrent la meilleure garantie, la meilleure prise en charge. L'ASV
qui est "quelqu'un du village" n'inspire pas toujours confiance, au point où
certains soins relevant normalement de sa compétence font néanmoins
l'objet d'une sollicitation de l'échelon supérieur.
'/
Si
les
viilageois
témoignent
majoritairement
d'une
faible
considération ~ciale et de peu d'intérêt pour l'ASV, cela reste cependant à
nuancer, dans la mesure où ils procèdent toujours par comparaison, en
prenant en compte ce que le dispensaire peut leur offrir. Nous verrons, dans
les pages qui vont suivre que la situation de l'accoucheuse de village
présente bien des similitudes avec celle de l'agent sanitaire.
D - ACCOUCHEUSES DE VILLAGE ET VALORISATION DE L'EXPERIENCE
Si l'ASV
connaît un
défi ci t de considération sociale,
par
comparaison au statut de l'infirmier, il en va de même pour l'accoucheuse
villageoise (AV) qui exerce ses responsabilités toujours aux côtés d'une
collègue plus expérimentée (l'accoucheuse traditionnelle: AT). Là
également, existe une hiérarchie de compétence principalement basée sur
l'âge et l'ancienneté dans la pratique. L'expérience semble être à la fois la
marque et la garantie de la connaissance, de la compétence. Ces
représentations s'enracinent dans une conception traditionnelle où "le
respect des aînés, détenteurs de l'expérience, du savoir et de la sagesse
permet aux jeunes de profiter de l'expérience de ceux qui ont vu le jour
avant eux" (257). Cette vision du monde s'applique à tous les domaines de la
vie sociale et régit les rapports aînés-cadets. La prise en compte de ces
facteurs, confère alors à l'AT la mission d'assurer une "formation
complémentaire" à sa jeune collègue. La reconnaissance sociale de toute
compétence à l'AV ne peut survenir qu'au terme de son "initiation" auprès
de celle qui "sait". En dépit de la formation initiale reçue auprès de la
matrone ou de la sage-femme, l'AV se voit presque toujours obligée de
parachever, de parfaire ses connaissances au contact de son aînée.
257_ ZAGRE (A.), Le Système de valeurs traditionnelles mooré face au changement et au
développement, thèse doctorat d'Etat, Nice, 1982, t. 3, p. 22.

-170 -
Par une sorte d'exigence sociale, elle est réduite à n'être qu'un
auxiliaire auprès de celle qui a "appris avant elle". Dans ce contexte, l'âge
peut ainsi s'avérer comme l'un des tous premiers handicaps pour l'AV qui
se heurte souvent au refus plus ou moins catégorique de certaines mères:
"cette femme n'a peut-être que l'âge de ma fille et on me demande de me
faire accoucher par e)lè /", entend-on dire. Ces femmes (qui sont souvent les
plus âgées et les plus proches de la ménaupose) affichent sans ambages leur
(
préférence pour l'AT, la sollicitent inévitablement et exclusivement pour
tous leurs accouchements.
Ces mécanismes sociaux de légitimation de l'AT aux dépends de
l'AV, dans certains villages, ont sanctionné certaines décisions prises par les
comités de santé de village: "après la formation des AV, certains villages,
sous l'impulsion des comités de santé, avaient décidé de les utiliser et
d'écarter les accoucheuses traditionnelles; mais les femmes, dans beaucoup
de villages s'y sont opposées, et les accoucheuses traditionnelles ont dû
reprendre du service" (258).
Le clivage qui s'opère au sein de la société et qui distingue (ou
oppose) accoucheuse villageoise et accoucheuse traditionnelle ne semble
pourtant pas exercer d'influence quelconque (nous entendons par là aucune
influence néfaste) au sujet de leur cohabitation. Leurs rapports ne semblent
guère souffrir de ces contradictions; la jalousie, l'animosité, les conflits de
compétence semblent à première vue absents de ces rapports de
collaboration. Au contraire, cette forme de coopération qui s'instaure entre
les deux praticiennes témoigne d'un climat de complémentarité et de
compréhension. L'amour du métier et la volonté de "travailler pour le bien
du village" sont évoqués pour justifier la nécessité d'une bonne
cohabitation, ainsi que de la nécessaire complicité entre AV et AT: "ici, on
est deux accoucheuses à travailler; il Y a une jeune femme et moi-même. Il
y a une bonne entente entre nous, quand je ne suis pas là, c'est l'autre qui
fait les accouchements. J'ai remarqué que les gens préfèrent s'adresser à moi
258_ Entretien avec un infirmier, Centre médical, Léa.

-171 -
le plus souvent. C'est peut-être par habitude parce que j'ai été la première à
pratiquer le travail" (259).
Au
niveau
des
accoucheuses
elles-mêmes, les
conflits
de
compétence ne semblent donc pas constituer de problème majeur, autant
qu'ils le sont dans l'imaginaire des villageois. En revanche, pour elles, les
problèmes d'argent-peuvent constituer une source de rivalité et de conflit.
En effet, dans certains contextes, la pratique de l'accouchement peut devenir
{
une source de revenus plus ou moins substantielle pour les praticiennes (en
argent comme en nature). Dans ce cas l'accoucheuse traditionnelle qui ne
peut exercer d'autres activités (en raison de son âge avancé) peut voir en la
jeune AV une rivale qui menace son "gagne-pain". Sa stratégie consistera
alors à "occuper le terrain" en empêchant (par diverses manoeuvres) à sa
jeune collègue toute possibilité d'exercer (260).
Au-delà de ces distinctions (accoucheuses villageoises/accoucheuses
traditionnelles) c'est toute la logique du fonctionnement de la société qui se
dévoile, à travers un traitement différentiel réservé à chacune de ces
praticiennes, en fonction de leur statut dans la société. Dans le
fonctionnement des structures sociales, le critère de l'âge reste déterminant
dans la définition du statut social; de même que la considération sociale
obéit davantage au principe de séniorité, corollaire de la hiérarchisation des
âges. La position qu'occupe l'accoucheuse traditionnelle dans ce type de
société lui confère d'emblée une meilleure crédibilité sur le plan du travail,
ainsi que sur le plan relationnel. C'est de là qu'elle semble tirer une part
essentielle de sa légitimité. Cette légitimité se construit également sur la
base de sa pratique sociale où, là encore, elle est en mesure, face à sa cadette,
de justifier (au moins socialement) d'une certaine supériorité.
Tout se passe alors comme si la division matérielle des tâches que
nous avons décrite antérieurement (entre AV et AT) se double d'une
division du travail dans le temps qui consacre la suprématie de
259_ Entretien avec l'accoucheuse de Métio.
260 No s
'
b '
h'
.
d
d '
-,
~ n avons pas 0 serve ce p enomene
ans notre zone
'enquete. En revanche, des
temolgnages nous apprennent que dans le village de To, l'AT en dépit de son grand âge
refuse de laisser la relève à sa jeune collègue.

-172 -
l'accoucheuse traditionnelle aujourd'hui, avant d'accorder à la plus jeune
le droit d'exercer pleinement demain... A chacun son tour!
SECfION II - MODE DE REMUNERATION
ET PRISE EN CHARGE
Dans touteS"les expériences de santé communautaire, la nécessité de
récompenser l~s efforts des bénévoles apparaît évidemment comme l'une
des condition$ sine qua non pour entretenir leur intérêt, leur mobilisation
et leur motivation. Elle est l'un des ressorts essentiels sur lesquels repose
(en partie) la stabilité du programme.
Notre hypothèse est que les modalités de rétribution mise en oeuvre
dans chaque contexte local et leur acceptation par les usagers dépendent
étroitement du statut que la communauté elle-même attribue à ces acteurs.
Si ces formes de remerciement des agents sanitaires varient d'un
contexte à l'autre, il semble évident qu'elles ont sur eux un effet
stimulateur; mais surtout leur observance traduit l'intérêt et l'attachement
de la communauté à l'égard du travail qu'ils effectuent. Qu'en est-il pour
ces bénévoles exerçant dans la province de la Sissili ?
A - LA PRISE EN CHARGE DE L'ASV
Nous avons précédemment vu que l'image de l'ASVpour les
paysans était essentiellement celle
d'un
personnage jouissant de
"privilèges" particuliers (matériels et immatériels). Cette manière de le
percevoir détermine largement les comportements des acteurs sociaux,
lorsqu'il s'agit de les gratifier d'une rétribution. Plus généralement,
l'acceptation par la communauté d'une forme de prise en charge des ASV
semble tributaire de facteurs comme: la place qu'ils occupent dans le
système social villageois, la perception qu'ont les usagers de l'utilité de leurs
actions en termes de services, etc.
Pour l'ensemble des agents interrogés, il apparaît que dans les
villages, les formes de prise en charge, instituées de manière formelle, n'ont

-173 -
nullement fonctionné, indépendamment des modalités retenues (261). Dans
la moitié des villages cependant, les bénévoles affirment avoir bénéficié, au
moins une fois, d'une assistance des villageois dans leurs travaux
champêtres. Mais cette expérience ne s'est nulle part renouvelée parce que
"les gens ne comprenaient pas pourquoi il fallait nous aider, alors qu'on
était capable de travailler par nous-mêmes" (un ASV). Au demeurant, cette
forme de soutien.ne pouvait se légitimer dans la mesure où l'ASV ne
présente aucune .invalidité ni aucune incapacité de travail, pour justifier
.{
une telle assisfance. D'autre part, que celui-ci mette une partie de son temps
au service du village ne paraît pas non plus pour les usagers une raison..
suffisante pour lui accorder ce traitement de faveur, d'autant que pour les
travaux agricoles, "chacun de nous prend régulièrement du retard sur son
travail pour pouvoir trouver le temps d'aider quelqu'un d'autre" (262). Pour
les autres, le fait de ne retirer personnellement aucun bénéfice direct de la
présence d'un ASV au village, semble justifier une forme de désinvolture
ou d'indifférence: c'est la non-reconnaissance de son utilité sociale.
D'autres facteurs peuvent être introduits pour mieux comprendre
les conditi<:ms qui président à la rémunération ou non des agents de santé;
il s'agit par exemple de la manière dont est perçue leur activité. Pour
nombre de personnes, en effet, l'ASV est soupçonné de percevoir un
"salaire" ou une gratification quelconque du fait de ses activités sanitaires. Il
serait de ce fait un "fonctionnaire en puissance" qui "perçoit un salaire mais
qu'il ne veut pas déclarer aux villageois" (un usager) ; un autre, sûr de lui:
"si le gouvernement ne leur donnait rien, je suis sûr que tous allaient
refuser,
car
personne
ne
peut
continuer
à
travailler
ainsi,
gratuitement" (263).
Jusqu'à ces dernières années, en effet, beaucoup de paysans
pensaient que l'Etat attribuait un salaire aux ASV ou, à défaut, rejettaient
sur lui cette charge. "Pour eux, c'est le gouvernement de Sankara qui a
261_ Le système instauré par la communauté prévoyait diverses formes d'aide et de soutien,
mais il s'agissait le plus souvent de services rendus sous forme de travaux dans leurs
champs.
262_ Entretien avec un villageois, Kayéro 1.
263Entretien avec un paysan, Kayéro 1.

-174 -
décidé de la création des PSP et des ASC; donc c'est lui qUI doit les
payer" (264).
De nos jours, les occupations centrales des ASV sont constituées par
les activités de pesées (décrites dans le chapitre D. L'organisation de ces
activités permet de pallier l'absence de toute prise en charge de l'ASV en lui
assurant un mini~tim de revenus, bien trop modestes: "les gens croient
que les pesées n0!15 rapportent beaucoup d'argent, et qu'on est donc riche.

Mais en réalitfr, ce n'est pas grand chose car les femmes sont de moins en
moins nombreuses aux pesées, et on recueille moins d'argent. Ensuite, c'est
la moitié de la somme recueillie qu'on doit se partager à deux ou à
trois"
(265).
Dans ces conditions, on ne saurait parler d'une véritable prise en
charge des ASV par la communauté d'origine. L'expérience des rapports
sociaux qui se. nouent entre populations et ASV témoigne d'une grande
distorsion entre les représentations des usagers et la situation réelle des
agents. L'acceptation ou non par la communauté de la nécessité de
rémunérer ses "docteurs" semble bien dépendre des facteurs énumérés plus
loin: ainsi la position des ASV dans la structure villageoise intervient
comme critère fondamental, de même que la perception de l'utilité de leur
action en termes de services rendus individuellement aux usagers. Dans le
premier cas, la position "dominante" de l'ASV dans le contexte villageois le
range d'emblée dans la catégorie des "privilégiés" ; il est identifié comme
membre de "l'élite villageoise", par conséquent considéré comme jouissant
d'une position sociale et économique favorable; c'est pourquoi, observe
l'un d'eux: "les gens ne font rien pour nous parce qu'ils pensent qu'on a
déjà beaucoup d'avantages". Pour ces populations, la situation socialement
favorable qu'ils attribuent aux "infirmiers de village" ne nécessite pas qu'on
leur accorde un surcroît de prérogatives (économiques) sous la forme d'une
rétribution assurée par la communauté. Tout se passe comme si la
communauté villageoise par un consensus tacite veillait à empêcher ou
limiter l'acquisition de privilèges supplémentaires à ses "docteurs". En
second lieu, les populations semblent individuellement minimiser les
264_ Propos recueillis auprès d'un infinnier, Léa.
265_ Entretien avec l'A5V, Kayéro 1.

-175 -
gains qu'ils retirent de la présence des ASV dans leur village, en
comparaison de ce qu'ils peuvent collectivement leur offrir. Cette forme
d'échange de services (ASV-communauté) est récusée par le groupe qui n'y
trouve que rarement (voire jamais) la satisfaction escomptée. En somme, le
manque de légitimité, de reconnaissance sociale pour l'ASV n'est pas un
facteur incitatif pouvant conduire la communauté à consentir de gros
efforts pour lui assurer un véritable soutien.
B - tA PRISE EN CHARGE DE L'A V
Bien que jouissant d'une condition sodale différente de l'ASV, en
raison de son statut de femme et de la nature de son travail, l'accoucheuse
villageoise ne se différencie guère de celui-ci quant à la prise en charge. Dans
les deux cas, des difficultés importantes subsistent.
Avec les soins de santé primaires, l'AV est passée d'une pratique
traditionnelle
d'accouchement,
basée
sur
une
logique
d'échange
traditionnelle, à une pratique qui intègre désormais l'échange monétaire.
Cependant, contrairement à ce que l'on peut observer avec l'ASV, dans le
cas de l'accoucheuse de village, le principal obstacle semble reposer sur la
solvabilité de la clientèle (266). La prise en charge de l'AV exige, en effet, de
la part des patientes une contribution non négligeable en numéraire, en vue
de garantir la présence des produits jugés indispensables. Au demeurant,
l'essentiel de nos entretiens avec quelques accoucheuses nous a révélé la
difficulté de plus en plus grande pour nombre de familles à s'acquitter de ces
redevances (267).
Le passage du système traditionnel de remerciement des matrones
de village à celui introduit avec les SSP induit des transformations dans le
rapport des femmes à l'accoucheuse d'une part, mais modifie également le
statut de cette dernière. Ainsi, l'usage du numéraire a progressivement
supplanté le système de dons en nature. L'utilisation des méthodes
modernes d'asepsie enseignées aux accoucheuses lors de leur formation
266_ En effet, ici les contributions demandées aux clientes varient de 500 à 700 F CFA. Ce qui
représente une somme considérable par rapport aux médicaments vendus au détail par
l'A5V, ou même par rapport aux tarifs des pesées des enfants.
267 T '
"
l
'
- res approxImativement, ce a concerne a peu près une famille sur deux.

-176 -
exige en permanence un minimum d'équipement (notamment pour lutter
contre les risques du tétanos néo-natal). En pratique, ces exigences de
liquidité se heurtent à la non-solvabilité d'une frange non négligeable de la
population. Ce qui, comme l'attestent ces propos d'une accoucheuse
"conduit les femmes à préférer les dons en nature comme par le passé, avec
les accoucheuses traditionnelles, parce que cela est plus facile à réaliser que
de payer avec de l'algent" (268).
Cette difficulté se concrétise dans la pratique des "accouchements à
crédit" de plus en plus fréquents où la famille de la parturiente s'engage à
verser
la redevance
quelques
jours
ou
quelques
semaines
après
l' accouchemen t (269). Ces mêmes difficultés conduisent souvent à
l'instauration d'un système de rémunération "mixte" : lorsque la totalité de
la somme ne peut être versée, la cliente se contente d'en fournir la moitié
(ce qui servira à l'achat des produits) et le reste peut alors être versé sous
forme de dons.
Au-delà de ces difficultés, l'obligation de verser un "salaire" à l'AV
représente un facteur propre à modifier la nature de la relation sociale entre
la praticienne et sa clientèle. Dans le système des dons, la nature des
présents offerts en échange des services rendus par l'AV était laissée à
l'initiative des "clientes" ; ces présents prenaient des formes extrêmement
variées; suivant les villages et les familles, ils pouvaient consister en des
repas (offerts à l'AV le jour du baptême de l'enfant, soit 7 jours après sa
naissance), un ou deux plats de mil, une pintade, des oeufs, de la kola ou du
tabac (270).
Pour deux raisons essentielles, l'instauration du système de
paiement (en argent) contribuera à accroître les difficultés de prise en charge
de l'accoucheuse. D'une part, parce qu'il a occasionné dans une large
mesure une baisse notable de la pratique des dons et, d'autre part, à force de
différer leur paiement, les familles à faible revenu finissent par ne plus rien
268_ Propos de l'accoucheuse de Kayéro 1.
269_ Cette pratique tend à se généraliser et les difficultés de recouvrement des frais constitue
en permanence une menace pour le renouvellement des produits.
270_ Les pratiques les plus répandues sont les dons de mil et les repas.

-177 -
offrir (ni en argent, ni en nature). Avec ces nouvelles pratiques, ce sont les
AV qui "perdent sur les deux tableaux", quand elles se retrouvent ainsi
privées
de toute gratification.
Ainsi,
le non-paiement des
actes
d'accouchement n'est nullement compensé par des dons en nature plus
élevés. Au contraire, l'incapacité à respecter les exigences financières se
double dans bien9.es cas, d'un abandon des réflexes de solidarité
communautaire (27r1). Face à ces comportements, l'accoucheuse se retrouve
dans une sit~tion d'impuissance et de résignation: "depuis le début de
cette année, je n'ai reçu que deux ou trois fois du mil avec certaines
femmes. Pour l'argent beaucoup d'entre elles ne peuvent pas payer tout de
suite. Qu'est-ce que je peux faire dans ce cas? Il faut attendre seulement
qu'elles obtiennent de l'argent pour payer" (272).
Il apparaît ainsi que les difficultés à assurer aux agents de santé
communautaires une forme de rétribution régulière, constitue un problème
majeur pour le fonctionnement du système de soins villageois. Mais, alors
que la non-prise en charge de l'ASV témoigne davantage d'un faible intérêt
social (et sanitaire) porté à son action, celle de l'accoucheuse, dont le travail
inspire respect et revêt un caractère indispensable, se joue essentiellement
sur le registre économique, celui de la solvabilité des clientes.
C - UN CERCLE VICIEUX
Nous avons essayé de mettre en évidence le rapport qui existe entre
le statut des membres de l'équipe de santé villageoise (ASV en particulier)
et leur prise en charge par la population. Ce rapport révèle l'existence d'un
décalage entre la perception que les usagers ont de l'ASV et sa situation
réelle. La société où il vit et exerce son activité ne veut donner de lui qu'une
seule et même image: celle d'un villageois "aisé" et jouissant d'une
condition économique et d'une situation sociale enviables.
27L Cela s'explique souvent parce que certaines femmes éprouvent de la gêne à se présenter
devant l'accoucheuse tant qu'elles ne se seront pas acquittées de la somme due. En
revanche, d'autres se sentant incapables de payer dans des délais raisonnables, choisissent
de se faire "oublier".
272_ Entretien, accoucheuse, Kayéro 2.

-178 -
En tout état de cause, cette représentation qui range l'ASV dans la
catégorie des "nantis" du village ne saurait s'accommoder avec la pratique
d'une forme de solidarité communautaire à son égard. "Les villageois ne
comprennent pas notre situation" (un ASV). L'image de l'agent villageois
de santé "payé par l'.Etat'' imprègne encore les esprits. L'ASV se voit privé
de l'assistance villageoise, à partir du moment où il n'est pas dans une
situation d'indigence; mieux, il est "entre deux mondes" et sa situation
{.
paraît ambigue. Pour les usagers dans leur majorité, rien ne semble justifier
le principe de sa rétribution par la communauté.
A l'opposé, lorsque comme cela arrive rarement, les villageois
arrivent à admettre la nécessité d'un soutien matériel ou financier à l'ASV,
c'est en dernier ressort à l'Etat qu'ils attribuent cette responsabilité, dans la
mesure où "c'est le gouvernement qui a décidé de leur mise en place".
N'ayant pas eux-mêmes exprimé un tel besoin, comme solution à leurs
problèmes de santé, beaucoup de villageois ne ressentent nullement
l'obligation de contribuer au fonctionnement ou au maintien des SSP.
A travers leurs représentations et leurs discours sur les ASV, les
villageois font de ceux-ci des acteurs qui participent à la fois de deux
univers. Les fonctions qu'ils assument introduisent des changements dans
la manière dont les populations les perçoivent. Membres à part entière de la
communauté, les rapports qu'ils entretiennent avec celle-ci ne subissent
guère de
transformations, tant qu'ils
s'inscrivent dans
un cadre
communautaire. En revanche, dès l'instant qu'ils agissent dans le cadre de
leurs responsabilités d'ASV, la solidarité communautaire ne s'exerce plus
de la même manière à leur égard. Pour l'occasion, ils cessent d'être de
simples villageois pour appartenir à la sphère administrative. En
conséquence, la solution des problèmes qu'ils rencontrent dans l'exercice de
leurs fonctions relève non plus de l'action communautaire, mais de la
compétence
gouvernementale.
Il
appartient
au
"gouvernement"
(expression consacrée pour désigner l'administration ou l'Etat) d'oeuvrer à
l'amélioration du sort des bénévoles de la santé. Cette conviction se nourrit
du sentiment partagé par beaucoup de ruraux qui estiment que leurs besoins
sont négligés au. profit de ceux des citadins ou encore que "personne ne
demande aux citadins de rémunérer leurs infirmiers".

-179 -
On semble assister ainsi à un affrontement larvé entre deux
principaux protagonistes: l'Etat et les communautés villageoises, dont
l'enjeu constitue les soins de santé primaires (et les ASC) : chacun rejetant à
la fois la moindre concession, et restant persuadé que la "solution" demeure
entre les mains de celui d'en face.
En définitiVe, au niveau villageois, l'appel à l'autorité étatique pour
assurer l'assist.e!nce nécessaire aux agents de santé bénévoles l'emporte sur
la volonté réelle de les prendre en charge au niveau local. En pratique,
qu'ils jouissent d'une aisance économique ou, au contraire, qu'ils
témoignent d'une difficulté à "joindre les deux bouts", les agents sanitaires
restent en-dehors des circuits traditionnels d'entraide, pour tout ce qui
touche à leur activité officielle. Cette attitude semble refléter une réelle
hostilité villageoise à toute forme de rémunération, même symbolique, à
ses agents de santé. Partagés entre deux logiques contradictoires (logique
communautaire et logique des SSP) ils participent à la fois à l'une et à
l'autre mais en en subissant toutefois les désagréments et les contraintes.
Victimes de ce cercle vicieux, les agents de santé villageoise n'ont d'autre
choix que la poursuite dans la résignation, l'adaptation par des solutions
individuelles/ou l'abandon.
Nous verrons dans les pages qui vont suivre, comment ces acteurs
vivent cette situation et comment ils s'en accommodent.
SECTION III - CONDITIONS DE TRAVAIL
Dans sa propre communauté, l'ASV semble jouir d'une image qui,
même si elle est partagée par une majorité, ne correspond pas toujours à
celle que lui-même se donne. Au contraire, le discours de l'acteur sur lui-
même, sur sa condition sociale, sur la manière dont il perçoit son rôle, se
situe bien souvent aux
antipodes
des représentations
collectives
villageoises. Après avoir dévoilé le processus de production de ces
représentations populaires, il nous paraît utile de considérer le regard que
l'ASV porte sur lui-même.
A - LE REFUS DE LA DIFFERENCE
L'agent de santé villageois se veut un membre de la communauté
comme tous les autres, participant au fonctionnement de la communauté,

-180 -
avec ses responsabilités spécifiques et jouissant des mêmes droits et devoirs
que l'ensemble des villageois. Mais en réalité, les conceptions des usagers et
des ASV, se rejoignent ou se disjoignent suivant les domaines considérés.
Par exemple, il y a convergence entre la représentation populaire de l'ASV
comme "infirmier" (ou "docteur") et la définition que lui-même donne de
son propre rôle. En ce sens, l'ensemble des ASV que nous avons interrogés,
s'identifient eux fussi à des infirmiers de village. "Depuis que j'ai
commencé à travailler comme agent de santé,
les gens
m'appellent
"logtoré" (doc!éur) parce que je soignais leurs petites maladies. Mais moi
aussi je me considère comme un petit infirmier, car dans ma formation on
m'a surtout appris à soigner" (273).
Dans leur majorité, les agents de santé villageois ont intériorisé ce
mode de désignation qui les élève au rang d'infirmier (274). L'ASV est alors
investi d'un rôle et d'un statut "positifs" dans la mesure où ce principe
dénominateur véhicule et façonne les principales représentations dont il
fait l'objet. Dans le même temps, il se produit chez l'agent sanitaire un
processus de réappropriation d'un statut qui semble lui conférer une
identité sociale plus valorisante.
En somme, en-dehors de cette distinction qui marque une nette
différenciation entre l'ASV et les autres membres de la communauté, celui-
ci s'efforce de présenter l'image d'un villageois ordinaire, arguant du fait
que son statut économique ne diffère guère de celui des autres paysans. "Je
suis avant tout un cultivateur comme les autres. C'est le travail de la terre

qui me nourrit d'abord, même si on me considère comme un infirmier, cela
ne me donne aucun avantage de plus; donc cela ne change rien à ma
situation" (275).
Par ces propos, l'ASV cherche d'abord à rejeter l'idée selon laquelle
il bénéficierait d'avantages matériels et financiers du fait de ses
responsabilités. En outre, même si pour les usagers il demeure l"'infirmier
273_ Entretien ASV, Kayéro 2.
274 En dépit des consignes administratives qui n'autorisent à les considérer que comme "des
bénévoles au service de la communauté".
275_ Entretien ASV, Métio.

- 181 -
de village", cette désignation ne co~respond que rarement à son activité
réelle. Pour lui, en effet, l'expérience vécue dans ses occupations
quotidiennes ne semble guère affecter de manière décisive sa façon de
vivre, dans le sens où cette situation ne lui apporte aucune réelle
promotion.
Dans leurs piscours, nombre d'agents de santé tentent de s'opposer
ainsi aux "illusions" véhiculées par la majorité des usagers, sur leur
situation réell~ et sont persuadés que les villageois "n'ont pas encore bien
compris ce qu ;est un agent de santé villageois"
; ils sont "mal informés et
mal sensibilisés aux problèmes des soins de santé primaires". Au total, les
agents sanitaires de villages s'estiment être victimes d'idées erronées sur
leur compte et, plus généralement, sur les soins de santé primaires. Les
idées qui leur accordent davantage de privilèges qu'ils n'en ont en réalité,
leur paraissent des facteurs supplémentaires entravant leur prise en charge
par la
collectivité.
Frustrés de
cet "abandon communautaire" ils
s'efforceront de présenter à l'opinion communautaire une image davantage
en conformité avec leur situation réelle. En ce sens, leurs attitudes et leurs
discours participent essentiellement du refus de se distinguer ou de se
particulariser; au contraire, ils répondent à une volonté d'affirmer leur
condition communautaire, d'effacer toute différence d'avec les autres. Cette
stratégie vise en dernier ressort à "prouver" le caractère non lucratif et peu
gratificateur de leurs activités dans l'espoir d'infléchir les jugements des
usagers. Cette présentation de l'image de soi de l'ASV correspondrait à un
véritable choix stratégique de l'acteur (au sens goffmanien) à la poursuite de
son intérêt. En tout état de cause, l'ASV demeure un acteur villageois,
jouissant socialement du statut d'infirmier mais en revanche sans
traduction concrète en termes de considération sociale ni en termes de
prérogatives économiques. Loin de lui apporter les satisfactions escomptées,
cette responsabilité lui apparaît également comme une source de multiples
contraintes et de désillusions.
B - CONTRAINTES ET FRUSTRATIONS DU BENEVOLAT
1 - Les contraintes
Les contraintes qui découlent de l'activité des ASV sont de plusieurs
ordres. Elles relèvent essentiellement des conditions de travail jugées
difficiles ou ingrates, ainsi que de l'attitude des populations elles-mêmes

-182 -
envers leur agent de santé. Les expenences de ces agents varient
considérablement d'une localité à l'autre, de même que le type de difficultés
auxquelles ils doivent faire face. Ces difficultés sont à l'origine d'une
transformation des
représentations
que
ces
agents
ont de
leurs
responsabilités dans leur village et induisent de ce fait de nouveaux
comportements.
'1.
Les tâche.s qui incombent à l'agent de santé lui prennent-elles,
(
d'ordinaire beaucoup de temps? Sont-elles ou non contraignantes pour
lui? Même quand elles ne sont pas nombreuses, ou quand elles ne sont
accomplies qu'à temps partiel, ces occupations peuvent occasionner par
ailleurs une mobilisation plus ou moins intense de l'agent; de même, le
manque à gagner qu'elles entraînent peut susciter des réticences. Comment
sont ressenties ces contraintes par les agents eux-mêmes? On en prendra la
mesure par les exemples qui vont suivre.
- ASV de Sagalo, 32 ans, niveau CM2, marié, un enfant.
Pour cet agent de santé, la principale contrainte ressentie est le fait
de subir des sollicitations excessives pendant les moments où il se consacre
à ses activités culturales. Ce devoir de répondre aux sollicitations des
patients, l'oblige à renoncer momentanément à toute activité économique
ou de production. il faut répondre à des demandes aussi différentes les unes
que les autres. Tel malade, souffrant de douleurs au ventre, envoie son fils,
ou un jeune à la recherche de l'ASV, dans le but de se procurer les
médicaments nécessaires au traitement de son mal. Celui-ci abandonne son
travail, se rend à son domicile pour y chercher les produits devant soulager
le malade. Dans d'autres cas jugés "graves", il se rend au domicile du
souffrant pour s'enquérir lui-même de son état, avant de prendre la
décision qui s'impose. Autre cas de figure, l'agent est sollicité pour évacuer
ou accompagner un malade au CSPS le plus proche avec son vélo. "Cela
arrive souvent, pendant la journée, quand je suis aux champs et, même
quelquefois, on vient me réveiller la nuit. Parfois, je ne peux vraiment pas
travailler tranquillement, ou me reposer quand j'en ai besoin. On me
demande toujours pour des soins, pour vendre des médicaments, pour aller
à Léa, etc.".


-183 -
- ASV, Kayéro 2, 39 ans, études primaires, marié, 7 enfants.
Pendant plusieurs années, a assuré une permanence quotidienne
dans son PSP, avec des horaires fixes (7 h à 10 h). "Pendant tout ce temps,
assure-t-il, je ne peux me rendre dans mon champ: je suis tenu d'être là
pendant que les autres travaillent. Quand je suis au PSP, je m'occupe de
tous les malades ~ui viennent me voir; je leur donne des conseils, je
soigne, je vends des médicaments. Une fois que j'ai terminé, je peux enfin

aller travailler dans mon champ, mais d'autres malades viennent encore
me rejoindre là-bas ...".
Des habitudes nouvelles qui sont le fait de certains usagers,
occasionnent un surcroît de travail à l"'infirmier de village": "certaines
personnes malades ne veulent pas se déplacer pour venir au PSP ou à mon
domicile; elles veulent que je vienne les soigner à domicile, souvent pour
des maladies banales. J'ai accepté de le faire au début, puis j'ai commencé à
refuser, car ce n'est pas de cette manière que l'ASV doit travailler. Et quand
je refuse ainsi, ces gens ne sont pas contents et vont raconter partout que
l'ASV refuse de travailler pour le village".
"Quand il y a des vaccinations, je suis obligé de parcourir tout le
village pour informer les gens et j'aide l'infirmier à remplir les carnets de
vaccination. Avec ça, certains villageois croient qu'on est obligé de tout faire
pour eux ou qu'on est des serviteurs qui doivent travailler pour eux.
Maintenant, je n'accepte plus de faire tout ce qu'on me demande car les
gens ne me donnent rien non plus".
- ASV Métio, 23 ans, célibataire, études secondaires.
Pour ce jeune ASV, l'activité bénévole est synonyme de don de soi
et de surcharge de travail: "je suis en service ici depuis 1987, c'est-à-dire
depuis que le premier ASV du village est décédé. Pour travailler, j'utilise
mon propre vélo, car le vélo de service est inutilisable depuis un bon
moment. Par exemple, je fais plusieurs kilomètres assez régulièrement pour
aller déclarer les naissances ou pour évacuer un malade vers le CSPS.
Avant, j'allais à Tabou, à 12 km d'ici; maintenant, je vais au nouveau CSPS
de Kayéro à 6 km. Je ne reçois aucune aide pour les réparations de mon
vélo. Même lorsque certains produits manquent dans la trousse, parfois je
suis obligé de les acheter moi-même, avec mon propre argent".

-184 -
"On nous a toujours dit que les bénévoles ne doivent pas travailler
tous les jours comme les infirmiers. Pourtant, nous, à tout moment on peut
nous demander quelque chose, matin, midi, soir; alors que l'infirmier a des
heures et des jours de travail et d'autres jours où il ne travaille pas, et
personne ne va le déranger chez lui; mais nous, on n'a pas d'heu·res ou de
jours de travail, ça peut être à tout moment et tous les jours".
Nous a:\\rons là des réactions typiques de quelques agents de santé,
témoignant de certains aspects de leurs conditions de travail. Les réactions
face aux contraintes auxquelles ils sont soumis sont toujours les mêmes, en
ce sens qu'il y a unanimité sur l'idée d'une intense sollicitation (souvent
perçue comme abusive) des ASV/ même si par ailleurs chacun d'eux réagit
différemment, ou met l'accent sur un aspect particulier.
Ces exemples mettent en lumière l'étendue du registre d'activités
que mènent ces bénévoles. Désignés pour accomplir un travail à temps
partiel, ils finissent par découvrir la réalité d'une occupation contraignante,
permanente, exigeant une disponibilité sans faille. La grande accessibilité
qui doit caractériser l'agent de santé de village devient en définitive une
source supplémentaire de contrainte, en appelant de sa part des réponses à
une expression diversifiée de besoins et de sollicitations. L'idée de
contrainte est à mettre ici en relation avec une grande dépense d'énergie à
laquelle doit consentir l'ASV pour satisfaire les sollicitations des usagers.
Elle va de pair avec un empiètement de l'activité sanitaire de l'ASV sur ses
occupations ordinaires qui sont constamment en souffrance. Dans le
premier exemple, les sollicitations "intempestives" de l'agent pendant ses
activités productives sont vécues comme les périodes les plus pénibles, les
plus ingrates et sont celles pour lesquelles des modifications sont souhaitées
dans le sens d'un allègement du travail. Dans le second cas, l'ASV s'insurge
contre des habitudes de plus en plus courantes de certains usagers,
cherchant à abuser de sa bonne volonté. C'est également un refus de se
laisser réduire à un rôle de "soigneur à domicile" pour une catégorie de
malades dont les exigences multiplient ses contraintes. Tandis que dans le
dernier cas, la réaction du sujet est la plus vive s'agissant de l'insuffisance
(voire l'absence) de moyens de travail, l'obligeant à y remédier par des
initiatives personnelles.

-185 -
D'une manière générale, c'est le rapport au temps de l'ASV qui se
trouve ainsi modifié et, particulièrement, le rapport au temps de travail.
Cette transformation du rapport au temps, et du rapport au travail
personnel
demeure
un
facteur
décisif
structurant
une
nouvelle
représentation de leur travail.
01
2 - Les frustrations
Nous avons déjà, dans un chapitre précédent, essayer de dégager les
principaux facteurs qui entravaient la prise en charge des ASV. Ces
phénomènes de non-rémunération se situent en réalité au coeur des
problèmes qui découlent du fonctionnement actuel du système de santé
villageois. Tout programme, reposant exclusivement sur l'appel au
bénévolat se trouve menacé d'effondrement ou de dysfonctionnement à
mesure que la charge de travail s'alourdit, que la tâche s'avère difficile,
déplaisante ou peu considérée par la société (276). En réalité, le système de
santé mis en place, ambitionnait d'assurer aux agents de santé un statut de
semi-bénévolat, dans la mesure où était prévue une forme de prise en
charge par la communauté (en nature, en travaux...). Ce régime de "semi-
bénévolat" n'était donc pas simplement conçu comme un devoir pour
l'agent de travailler gratuitement; il impliquait également des contreparties
pour lui. Mais dans les faits, comme nous l'avons montré, l'entraide
communautaire envers l'ASV reste un fait exceptionnel. Les stratégies des
usagers consistent à établir d'eux-mêmes une distinction hiérarchique entre
l'infirmier et le dispensaire d'une part, et l'ASV de l'autre. La nature et la
gravité du mal déterminent le recours à l'un ou à l'autre avec, à l'évidence,
un choix préférentiel très marqué pour l'infirmier. Mais le fait majeur ici
reste la nature de la relation sociale qui s'établit entre les usagers et les
soignants. La relation patients-infirmiers diffère fondamentalement de celle
qui les lie à l'ASV. Le rapport des paysans à l'infirmier est investi d'une
symbolique que l'on peut rapprocher de celle qui unie le guérisseur à son
client. A travers la pratique du don (volailles, oeufs, ignames...), le patient
apporte un témoignage supplémentaire de sa reconnaissance envers son
276_ KNEBEL (P.) rapportait en 1987 que pour la stratégie des SSP le taux d'abandon des ASV
était une menace majeure pour chaque programme et dépassait parfois le nombre d'agents
formés annuellement in Santé, médicaments et développement, op. cit., p. 102.

-186 -
thérapeute qu'il soit guensseur ou infirmier (277). En revanche, l'ASV ne
bénéficie guère de ce "traitement de Faveur" ; sa relation aux clients se réduit
à sa plus simple expression, amputée de toute dimension symbolique, ainsi
que de la pratique des dons. "Ici, les gens du village ont 1'habitude de ne rien
donner aux agents de santé. Moi-même depuis que je fais ce travail, je n'ai
l
jamais rien reçu comme cadeaux, même pas une seule fois" (278).
'/
Au-delà de ces propos tenus par ce bénévole, c'est la nature du
traitement infHgé à l'ensemble des agents de santé de village qui transparaît
ici. Les égards dont les infirmiers (279) font l'objet sont intégrés dans la
logique des rapports que les paysans entretiennent avec l'administration en
général. Ils participent d'une volonté des paysans de rester en bons termes
avec les "patrons", c'est-à-dire les agents de l'Etat qui disposent d'une
autorité incontestée. Au contraire, leur relation avec le guérisseur est
étroitement liée à une idéologie de légitimation du don ou du
paiement (280) unanimement intériorisée et partagée par les villageois. Dans
les deux cas, l'usager a soit un intérêt (avec l'infirmier, le but recherché
étant entre autres de s'attirer sa sympathie), soit une obligation tacite (avec
le guérisseur) à se plier à la pratique du don. Dans le premier cas, la relation
est de type "dominant-dominé", alors que dans le second on a affaire à une
relation d'ordre mystique.
L'ASV, lui, ne dispose, contrairement aux deux premières catégories
de thérapeutes, d'aucun "moyen de pression" à faire valoir devant les
paysans, et à même de légitimer cette pratique à son égard. Sa relation
thérapeutique avec les patients renvoie davantage à une relation sociale
avec un échange de services à sens unique, sans contrepartie matérielle ou
symbolique pour lui.
277- Ces offrandes surviennent toujours après la guenson du patient et s'observent
indépendamment des frais engagés pour le traitement.
278_ Entretien, ASV, Kayéro 2.
279_ Et au-delà de l'infirmier ils concernent l'ensemble des fonctionnaires en service dans les
villages: instituteurs, encadreurs...
280_ FAINZANG (S.), précise par exemple: "aucune contestation sur le montant de la somme
à payer n'est possible, sauf à encourir le risque pour le patient récalcitrant de retomber
malade, la somme exigée étant supposée définie par les génies, complices du guérisseur" /
op. cit., p. 111.

-187 -
Cependant, les frustrations qui découlent du traitement social
infligé à ces agents ne se limite pas simplement au niveau communautaire.
D'autres avantages tels que la gratuité des soins médicaux ou l'accès
préférentiel aux services de santé devraient être assurés à ces volontaires de
la santé, par l'Etat. Outre cela, la perspective d'une formation plus poussée
restait un facteur supplémentaire de motivation pour les candidats. Le bilan
aujourd'hui app'araît plutôt décevant pour ces agents, n'ayant pas obtenu les
satisfactions àttendues: "on nous a promis beaucoup de choses au départ
mais on n'a rien vu de tout ça. Moi, je travaille mais je n'ai rien, on ne me
donne rien. Parfois, j'ai envie de tout laisser tomber pour faire autre chose;
mais si aujourd'hui je continue de travailler, c'est parce que je pense au
bien de tout le village" (281).
Les acteurs de la santé villageoise paraissent aujourd'hui bien
désabusés et contrariés de susciter l'indifférence des pouvoirs publics, à
laquelle vient s'ajouter à celle des usagers. Ce sentiment d'abandon,
toujours unanimement partagé, donnait lieu autrefois à des défections
massives, "parce qu'il n 'y a rien à gagner". De nos jours, il se traduit plus
fréquemment
par
une
baisse
sensible
du
degré
d'engagement
communautaire et de la motivation. En effet, si la participation financière
donne à la population locale le droit d'intervenir dans la gestion du
programme et de maintenir l'intérêt de l'ASV pour son travail, l'apathie
des usagers concourt quant à elle à produire le phénomène inverse. Les
ASV restent avant tout des villageois comme les autres, avec leurs activités
quotidiennes, leurs charges familiales. A mesure que l'appui de la
collectivité leur fait défaut, ceux-ci ont tendance à négliger leurs
responsabilités communautaires au profit de leurs activités personnelles. En
particulier, les exigences des travaux saisonniers, notamment agricoles, ont
souvent provoqué l'interruption complète des activités sanitaires, à un
moment où elles présentaient pourtant un caractère d'extrême urgence.
En somme, l'idée de frustration renvoie ici à une double notion. Il y
a d'abord la frustration qui découle d'une absence de reconnaissance sociale
dans l'oeuvre accomplie par les bénévoles. Largement dépourvus de
crédibilité et de considération sociale, c'est leur compétence et leur capacité à
281_ Entretien ASV, Kayéro 1.

-188 -
inspirer confiance, bref, leur légitimité qui est ici en cause. Cette manière de
percevoir l'ASV, détermine en grande partie les attitudes paysannes. Au
niveau individuel, les usagers sont peu enclins à gratifier l'agent par des
présents ou des dons, en échange du service reçu. Il ne semble pas
s'exprimer non plus une volonté collective d'un soutien ou d'une
solidarité formelle. Qans ce sens, il paraît de plus en plus difficile pour
l'ASV de trouver Bans l'attitude des membres de sa communauté une
source de mo~vation suffisante. L'absence de toute forme de stimulation
communautaire, mais aussi d'expression d'une forme de gratitude pourtant
reconnue à d'autres catégories de thérapeutes (guérisseur, infirmier)
constitue une des principales causes de démobilisation des bénévoles.
Confrontés
à
une
crise
d'identité (282)
dans l'exercice de leurs
responsabilités, ils ont accumulé désillusions et frustrations. A l'origine de
cette crise, l'ambiguïté qui découle même de leur statut de bénévoles. Il
renvoie à la difficulté pour les paysans d'admettre de "payer" un des leurs
pour accomplir une activité qui lui a été confiée en réalité par l'Etat. Cette
ambiguïté se traduit de fait par une double identité attribuée à l'ASV : il est
à la fois l'acteur villageois ayant un pied dans sa propre communauté, mais
qui, de
par sa
"fonction"" appartient
simultanément à la
sphère
administrative. C'est, à travers cette expérience du bénévolat, à une
véritable transformation du statut et de la condition sociale de l'agent de
santé de village qu'on assiste.
C - DES "PRIVILEGIES" ou DES "LAISSES POUR COMPTE" ?
On est en présence de deux types de représentation des ASV qui
s'opposent ici. La première véhiculée par les membres de la communauté,
la seconde émanant des intéressés eux-mêmes. Ce phénomène prend racine
autour du statut de l'agent villageois, tel qu'il est perçu par la communauté
d'une part, et par lui-même d'autre part.
Nous avions déjà mentionné antérieurement le processus suivant
lequel les acteurs villageois construisent cette représentation de l'ASV où
semble prédominer l'image d'un personnage jouissant d'un ensemble de
282_ Nous entendons ici par crise d'identité le sens que donne GUYOT (I.e.) à ce concept: "au
moment où la sphère des représentations idéologiques ne s'articule plus d'une manière
cohérente avec le plan des réalités économiques et politiques... il y a crise d'identité", voir
à ce propos, Quelle médecine pour quelle société, op. cit., p. 226.

-189 -
prérogatives, hors de portée du simple villageois. Pour les usagers, le
bénévolat exercé par ces jeunes issus du village, conduit nécessairement à
une forme d'ascension sociale qui se concrétise par la proximité ou la
complicité avec la sphère administrative. Ainsi que nous l'avons montré, le
"docteur" de village est même suspecté de recevoir une aide financière de
l'Etat. Cette suspicion qui plane sur les ASV remet en cause leur statut de
personnes "travaill~ri.t gratuitement pour la communauté". Bien plus, elle
conduit les populations à privilégier désormais l'image de l'ASV-
{
fonctionnaire .'
A l'opposé de cette représentation qui le place au sommet de
l'échelle sociale villageoise, l'ASV réaffirme sans cesse sa condition de
"villageois ordinaire". Mais, plus que cela, c'est l'expérience de l'activité
bénévole qu'il remet en cause. Celle-ci est, en effet, jugée "sans avantage".
Au contraire, elle implique une disponibilité constante, une surcharge de
travail, qui plus est, faiblement récompensée. En effet, le principal grief
exprimé à l'encontre de leurs conditions de travail c'est de leur assurer un
niveau de récompense inversement proportionnel à l'effort consenti. Le
défaut majeur du bénévolat c'est d'occasionner constamment une sous-
rémunération, voire même une non-rémunération du travail accompli,
quelque soit l'ampleur de l'investissement du sujet. Cette situation est
majoritairement ressentie comme une "injustice" dont les bénévoles se
sentent victimes.
L'analyse de ces représentations met en évidence la non-congruence
entre la manière dont la population perçoit les ASV (comme des
privilégiés), tandis qu'eux-mêmes se considèrent comme des laissés pour
compte. Les premiers se fondent sur la position qu'occupent ces agents dans
la structure du système de santé pour établir leur jugement, alors que les
intéressés eux-mêmes se tablent sur l'absence totale de stimulation
financière pour s'estimer lésés. Les satisfactions retirées de leur travail leur
semblent infimes, insignifiantes en comparaison des "sacrifices" demandés.
Leurs représentations du bénévolat les conduisent à le considérer comme
une activité ingrate, subalterne.
Ces considérations génèrent un phénomène de dépréciation de leur
propre statut (de bénévole) qui s'accompagne dans le même temps d'une
forte aspiration à la professionnalisation.

-190 -
CHAPITRE III - LES ASC DANS L'ESPACE SOCIAL VILLAGEOIS
SECTION 1 - EXPERIENCE SOCIALE Er LOGIQUES D'ACfION
Après avoir/mis en évidence comment les villageois se représentent
le personnel sanitaire local, dans le chapitre qui va suivre, nous focaliserons
l'analyse sur les stratégies de ces acteurs, leurs logiques d'action: plus
généralement, 'il s'agira de dévoiler les voies et moyens qu'ils mettent en
oeuvre pour s'adapter à l'absence de prise en charge communautaire.
A - ESQUISSE DE TYPOLOGIE DES ASV : UNE POPULATION INSTABLE
ET FLUCTUANTE
Il nous a paru nécessaire d'essayer de dégager les principales
catégories d'acteurs qui se retrouvent habituellement sous le terme "agent
de santé villageois". A travers cette opération, il s'agira de montrer que ces
agents sanitaires, loin de constituer un groupe homogène, renvoient au
contraire à une extrême diversité d'acteurs sociaux avec leurs motivations
personnelles, des stratégies et des logiques spécifiques (283).
1 - Les ASV-dames
Elles constituent la catégorie la moins nombreuse parmi les ASV et
sont essentiellement des mères de famille. A ce titre, elles jouissent non
seulement d'une bonne intégration et d'une stabilité sociales mais sont, en
outre, l'objet d'une indéniable considération sociale. Par ailleurs, la pratique
des soins est loin d'être, une activité nouvelle ou étrangère pour elles; en
effet, en tant que femmes, il leur revient la charge de veiller à la santé des
enfants et du foyer familial en général. De par son statut dans la famille
traditionnelle, la femme a vocation à soigner. Elle est la "gardienne de la
283_ Cette typologie a été élaborée sur la base de notre"échantillon"qui comprend une dizaine
d'ASV exerçant dans la zone de notre enquête. Les témoignages indirects recueillis au sujet
des autres localités nous font penser que cette typologie peut être généralisée à l'ensemble
de la province.

-191 -
santé, de son ménage, parce que responsable de la préparation des repas, de
l'hygiène et des soins aux enfants ..." (284).
Ce qui caractérise les ASV-dames, c'est d'abord leur régularité à leur
poste, leur sens des responsabilités et leur dévouement au travail. De l'avis
général, elles sont toujours disponibles pour "soigner, s'occuper des
malades et leur açcorder l'attention nécessaire". Elles sont de surcroît,
moins sujettes aux abandons, aux absences prolongées. Ces considérations
(
paraissent autant de facteurs qui renforcent le crédit dont elles jouissent
auprès des populations; pour nombre de gens, elles sont réputées
"sérieuses" et "travailleuses".
La seconde particularité des ASV-dames est le fait d'exercer leurs
responsabilités de manière "désintéressée". Ces occupations ne constituent
pas pour elles l'occasion de nourrir de nouvelles ambitions, ni de nouveaux
projets personnels. Leur principale motivation (et peut-être la seule) est le
souci de servir la communauté. Les raisons de ces comportements féminins
nous paraissent évidentes. En effet, leur degré de participation et
d'implication dans la vie publique n'est guère comparable à celui des
hommes.
Comme
l'écrit C. Meillassoux dans
Femmes,
greniers,
capitaux :"Du fait que sa condition d'épouse domine sa vie active et que ses
rapports de conjugalité l'emportent sur tous les autres... la femme sera
cachée derrière son époux, véhicule de toutes ses relations sociales" (285).
Dans
cette
société
traditionnelle,
la
femme
se
consacre encore
principalement aux tâches domestiques, à la procréation; elle continue de se
voir confier très peu de responsabilités officielles (286). En conséquence, ses
ambitions, ses désirs, ses besoins ne s'expriment pas de la même manière
que ceux des hommes, et ne se situent pas dans les mêmes domaines. "La
femme -écrit G. Balandier- est partout présente dans l'univers familial
avec un pouvoir et une autorité qui lui sont propres, et un domaine ouvert
284_ BLEGNE (D.), op. cit., p. 301.
285_ Cité par BLEGNE (O.), ibid., p. 295.
286_ Il ne faudrait cependant pas se méprendre ici, même si les femmes accèdent rarement aux
assemblées des hommes ou aux responsabilités publiques, leurs paroles ou leurs avis
discrets influencent bien souvent les résolutions masculines. Elles possèdent doné malgré
tout un pouvoir dont le caractère reste essentiellement officieux.

-192 -
à son initiative" (287). C'est précisément pour cette raison que, soucieuses de
respecter cette répartition sociale des tâches (en tâches masculines et
féminines) les femmes exerçant des activités officielles (ASV-dames en
l'occurrence) s'interdisent de nourrir des ambitions étrangères à celles qui
relèven t de leurs domaines propres.
2 - Les ASV sans instruction moderne
Majoritaires au début, les agents issus de cette catégorie sont
également réduits à une petite minorité. Ils sont âgés de 30 à 40 ans. N'ayant
au départ bénéficié d'aucune forme d'instruction, ils ont été choisis
essentiellement en fonction de leur disposition à se mettre au service de
leur communauté. A l'instar des ASV-dames, ils ont su faire preuve au
départ de dévouement et d'enthousiasme au travail.
Cependant, ils diffèrent des ASV-dames non seulement par leur
statut d'hommes ayant une position particulière dans la structure sociale,
mais aussi parce qu'ils sont animés d'ambitions particulières. En tant
qu'hommes, leur sexe et leur statut leur définissent une place et des droits
auxquels les femmes ne peuvent aspirer. Les migrations saisonnières en
Côte d'Ivoire (par les plus jeunes d'entre eux) ne sont pas un phénomène
rare. De ce point de vue, la mobilité géographique (hors du village) est l'une
des exclusivités du sexe masculin dont les répercussions sur leurs
occupations (quand il s'agit de l'ASV par exemple) sont évidentes. Elle se
traduit par une disponibilité amoindrie dans le travail quotidien. De nos
jours, ce qui caractérise cette catégorie d'agents, ce sont les projets dont ils
sont porteurs. Le projet le plus immédiat et le plus "urgent" prend la forme
d'une forte aspiration à accéder à l'instruction moderne, à l'alphabétisation
(en langue locale) ou alors le désir de bénéficier d'une formation
quelconque. L'instruction, la formation sont appréhendées comme le
moyen par excellence d'ouvertùre sur le monde, mais également comme
un incontournable moyen de réalisation de soi. Elles sont les seules
pouvant ouvrir de nouvelles perspectives pour ces acteurs en quête d'une
situation ou d'un mieux-être économique. Cela s'avère d'autant plus
nécessaire que l'activité bénévole interdit l'accès à des revenus conséquents.
287_ BALANDIER (G.), Anthropo-Iogiques. p. 49.

-193 -
A travers les aspirations à une formation, se profile souvent une
préparation à une éventuelle reconversion: "J'ai suivi une formation en
alphabétisation pendant cinquante jours au centre de formation des jeunes
agriculteurs. J'ai appris à lire, à écrire en nuni et en français. J'ai même
obtenu un certificat de formateur; avec ça je peux maintenant alphabétiser à
mon tour les villageois. Si l'occasion se présente je vais pouvoir un jour
participer à 1"'alphBbétisation commando" pour gagner un peu d'argent. Si
c'est plus intéressant pour moi, je peux même laisser tomber ce travail
d'ASV" (288). Pour les agents de santé villageois
faisant partie de cette
catégorie, ceux qui ont déjà suivi leur formation, sont à la recherche
d'opportunités pour exercer leurs compétences, tandis que les autres
courent après la formation.
3 - Les ASV scolarisés et alphabétisés
Cette catégorie regroupe des personnes exerçant cette activité depuis
une date relativement récente (en moyenne depuis 2 à 4 ans). Leur
émergence coïncide avec la période où les SSP semblent accuser un certain
essoufflement. Ces agents scolarisés, plus que les autres, sont tentés par des
projets d'accomplissement personnel et semblent disposer de meilleurs
atouts pour parvenir à leurs fins. Avec leur niveau de scolarisation
"avancé" (CM2 et plus) ils constituent la véritable "élite" locale et se
montrent plus ambitieux que les catégories décrites précédemment. Leurs
aspirations se matérialisent plus rapidement dans la mesure où après une
brève formation dans l'étude des langues locales, ils peuvent devenir par la
suite des "moniteurs" chargés de l'alphabétisation des adultes. Cette activité
est particulièrement prisée dans la mesure où elle s'avère être une source
non négligeable de gains. L'investissement périodique dans ce genre
d'activités les conduit fréquemment à un abandon provisoire de leurs
responsabilités d'ASV pour se consacrer à leurs petits projets personnels.
C'est particulièrement le cas des agents de santé de Métio et de Sagalo (289)
obligés de se faire suppléer par un des membres de la cellule villageoise de
288_ Entretien ASV, Kayéro 2.
289_ Le premier, celui de Métio, est constamment absent, participant régulièrement à des
campagnes d'alphabétisation. Le second est parti pour une formation de longue durée (l0
mois) en agriculture, dans une province voisine.

-194 -
santé; ce dernier, généralement désigné à la hâte pour assurer l'intérim, se
voit contraint d'exercer sans formation.
On peut ici considérer qu'on a affaire à une catégorie qui opère un
renversement
des
ordres
de
priorité
entre
leurs
occupations
communautaires et leurs projets personnels, ces derniers recevant la
primauté. Plus gé.fléralement, ces comportements s'inscrivent dans des
stratégies de recherche d'un mieux-être social et économique.
l,
Nous avons là trois catégories d'agents de santé qui renvoient à des
phases différentes de l'évolution des SSP. A chacune de ces trois catégories
correspondent donc des stratégies et des logiques d'action spécifiques. En
effet, suivant que l'on appartienne à telle catégorie ou à telle autre, on est
mu par des intérêts particuliers: chaque catégorie a sa manière propre
d'exprimer ses besoins, ses aspirations, son identité. Le premier exemple
(ASV-dames) concerne une population dont le statut dans la société
recommande (voire impose) une certaine inhibition dans l'expression des
ambitions. Ces femmes ASV envisagent simplement leurs activités
communautaires comme une transposition dans un cadre plus vaste de
leurs attributions domestiques, en tant que femmes. Ce faisant, en-dehors
d'une
amélioration des
conditions
quotidiennes
de
travail,
elles
n'expriment nullement un souci ou une revendication d'ordre financier ou
professionnel, ainsi que l'attestent ces propos: "Je fais le travail pour rendre
service aux gens, car il y a beaucoup de maladies ici... Si cela peut m'apporter
certaines satisfactions, ou même un peu d'argent par moments, ce sera bien
pour moi; sinon, je continuerai de travailler quand même, parce qu'il faut
faire quelque chose pour tous ces gens" (290).
Dans le second cas, on assiste à l'émergence d'ambitions et de projets
dont les acteurs décrits sont porteurs, même si par ailleurs leur
aboutissement reste encore très largement aléatoire.
Enfin, le dernier exemple regroupe la catégorie des agents nantis de
meilleures connaissances et pratiquant le plus fréquemment des activités
lucratives extra-sanitaires.
290_ Entretien ASV-dame, Mauna.

-195 -
Les conduites qu'observent les ASV-dames renvoient à une logique
strictement utilitaire, tandis que celles des catégories masculines expriment
davantage des logiques d'intérêts. En ce sens, ils se comportent en stratèges,
utilisant à la fois leurs ressources et leurs connaissances et se saisissent des
opportunités qui se présentent à eux pour conforter leur position sociale ou
améliorer leur sitwiHon économique. Ces stratégies s'inscrivent dans un
contexte social et' économique où le travail bénévole, peu gratificateur,
{
semble interdire aux agents sanitaires la possibilité d'observer un strict
désintéressement (à l'exception des ASV-dames).
Confrontés à un travail non rémunéré, ces bénévoles n'ont d'autre
alternative que le découragement et l'abandon ou l'adaptation par des
comportements
"innovateurs"
qui
cherchent
à
concilier
l'activité
communautaire avec la recherche d'une situation personnelle.
A
l'évidence, l'engagement communautaire seul, ne peut plus suffire à
maintenir chez eux un degré suffisant de motivation.
Avec les agents masculins, on assiste à une nouvelle manière d'être
ASV, où l'expression de l'intérêt personnel l'emporte sur les considérations
altruistes et la simple volonté de servir. En toile de fond, l'enjeu véritable
constitue la recherche de la réussite économique et sociale pour les uns, et le
désir d'améliorer la situation quotidienne pour les autres.
En somme, les stratégies de ces acteurs de la santé s'inscrivent
essentiellement (dans le long terme) dans une logique d'ascension sociale,
en s'appuyant sur leur situation bénévole. En effet, cette recherche de
promotion économique et sociale ne s'opère nullement en renonçant à
exercer leur "fonction" préalable, mais au contraire en s'appuyant sur elle, à
la manière d'un tremplin.
La revendication d'un statut de salarié, très forte chez les ASV
masculins en général, semble révélateur du besoin d'accomplissement qui
les anime. Mais nous verrons que les obstacles à un tel processus sont
nombreux.
B - L'IMPOSSIBLE ACCOMPLISSEMENT
Nous avons tenté de dévoiler les différentes stratégies qu'adoptent
les agents sanitaires villageois dans le contexte actuel, ainsi que les

-196 -
ambitions qu'ils nourrissent. Celles-ci sont étroitement liées aux projets
d'avenir qu'ils formulent, et s'inscrivent dans une perspective de
réalisation de soi.
L'absence de toute forme d'incitation de la part de la communauté
quand elle ne provoque pas la défection des bénévoles, les oblige à
rechercher
eux-IJ1êmes
leur
sécurité
économique.
Elle
semble
paradoxalement ~ùsciter un esprit d'initiative et d'entreprise. A défaut du
soutien cornmtl'nautaire, il faut être capable de "s'aider soi-même". En règle
générale, partout où ils exercent leurs activités, la communauté ne semble
pas encore reconnaître à ces bénévoles le droit de s"'enrichir" à partir de la
solidarité des autres. Dans ces conditions, ces bénévoles n'ont d'autre choix
que l'aspiration au statut de fonctionnaire qui survient comme une des
meilleures
alterna ti ves,
en
adéquation
avec
leurs
projets
d'accomplissement. Il est significatif à ce titre que tous les agents bénévoles
que nous avons interrogés se disent favorables à leur intégration dans la
santé publique. De Kayéro à Métio, de Sagalo à Mouna, les témoignages
s'accordent sur ce point :"5i on était payé comme des fonctionnaires pour
faire ce travail, je suis sûr que tout allait bien marcher, car si on gagne un
salaire, pourquoi aller chercher un autre travail? Mais si on ne nous donne
rien du tout, on est obligé de négliger ce travail pour pouvoir gagner notre
vie" (291). Les ASV de Mouna renchérissent: "Le plus difficile pour nous ici,
c'est que, depuis plusieurs années, les villageois ne veulent rien faire pour
nous. Ils disent toujours qu'ils n'ont rien; c'est souvent vrai parce que
beaucoup de gens sont pauvres. C'est pourquoi on pense que l'Etat doit faire
quelque chose pour nous; par exemple, nous encourager en nous donnant
de temps en temps un peu d'argent. C'est comme ça qu'on pourra mieux
travailler" .
C'est toujours au nom de l'''efficacité'' ou d'un meilleur rendement,
et pour éviter l'usure des effectifs que les bénévoles en appellent à
l'intervention de l'Etat. Leur prise en charge par l'Etat est unanimement
vécue et souhaitée comme la "solution" par excellence à leurs difficultés.
Elle est attendue en outre comme une réparation des "injustices"
occasionnées par une longue période de non-rémunération par les usagers.
291_ Entretien ASV, Kayéro 2.

-197 -
En même temps que les derniers espoirs se reportent sur une
hypothétique initiative étatique, la défiance envers la communauté se
renforce. Celle-ci est suspectée de ne guère se dévouer en pareil cas pour un
fils du village, préfèrant parfois accorder ses bonnes grâces à un agent issu
d'un village voisin au détriment des ASV "autochtones". Les ASV
semblent avoir bie~'compris que les espoirs d'un soutien communautaire
restent bien mincès, voire même inexistants. Cette crainte de vivre une
(
situation de précarité prolongée nourrit de fortes aspirations à une forme de
professionnalisation qui se fait de plus en plus jour chez ces agents. Ces
aspirations (qui sont même parfois des revendications) traduisent une
rupture d'avec une expérience du bénévolat vécue comme négative, ingrate
et peu valorisante. Mais en réalité, elles ne peuvent rencontrer d'échos
favorables auprès des instances politiques et administratives détentrices du
pouvoir de décision (292). Que reste-t-il alors aux ASV pour s'assurer les
revenus dont ils ont besoin? Ainsi qu'ils aiment à le dire eux-mêmes, il
faut se "débrouiller" en attendant un sort meilleur. Au demeurant, ni la
communauté, ni l'Etat ne semblent pouvoir (ni peut-être vouloir) assurer
la
subsistance
des
agents
de
santé.
En
particulier,
au
niveau
communautaire, non seulement les bénévoles se voient priver de toute
forme de remerciement ou, lorsqu'ils en bénéficient (ce qui est rare), ce
secours n'est que trop souvent modeste, insignifiant ou simplement
symbolique. Quand il est plus important (et en argent) intervient alors la
nécessaire redistribution qu'exige le système lignager. Ainsi, Maurice Duval
qui a étudié la société nuna, arrive à cette conclusion: "Dans la société
d'origine, le travail ne donne lieu bien sûr à aucune rétribution en
numéraire, et le fruit du travail en nature revient de droit et de fait aux
aînés, même si une redistribution partielle est ensuite opérée. Les biens
n'appartiennent pas aux cadets ni aux femmes, c'est-à-dire à ceux qui en
sont essentiellement les producteurs" (293). Enfermés dans la logique
lignagère les ASC comme les autres cadets n'échappent pas à la domination
de leurs aînés: "L'ordre moral implique la soumission à l'ordre établi, celui
292_En effet, la professionnalisation des ASC n'est pas à l'ordre du jour, pour diverses raisons
économiques; mais la raison la plus souvent évoquée par les autorités administratives et
politiques c'est qu'elle est contraire à la philosophie des SSP.
293_ DUVAL (M.), op. cit., p. 146.

-198 -
des aînés sur les cadets, et celui des hommes sur les femmes, valorisant un
collectivisme inégalitaire, les uns produisant au profit des autres, les uns
obéissant aux autres" (294). La soumission aux principes de l'ordre lignager
interdit toute véritable émancipation des jeunes cadets (ASV compris),
prisonniers de la domination des aînés, véritables maîtres du jeu social.
Ceux-ci détiennent~ans la société un pouvoir pour l'essentiel d'ordre
idéologique d'une/dimension fondamentale. Seules, les migrations des
jeunes, pourta1f.t encore étroitement contrôlées par les aînés (295) semblent à
même de briser à terme une des racines de l'autorité lignagère. Cependant,
si la migration est encore loin de briser radicalement l"'immobilisme
social" (G. Sautter) dans lequel baignent encore les cadets, le salariat, par le
pouvoir économique qu'il leur confère, leur permet toutefois d'enfreindre
certaines règles anciennes, en affirmant leur volonté d'autonomie et de
liberté dans la conduite de leurs affaires. Cela peut s'exprimer, entre autre
par la possibilité de passer outre le contrôle matrimonial des aînés et de se
procurer par leurs propres moyens le montant d'une dot. Pour l'heure, la
possibilité pour les cadets de saper le mécanisme de la domination des aînés
réside pour l'essentiel dans la migration ou toute activité pouvant conférer
un certain pouvoir économique. En ce sens, la ville (que l'on découvre à
travers les migrations) est le lieu d'éclosion des mouvements de subversion
ou de contestation de l'ordre ancien. Or, contrairement à d'autres jeunes
cadets, candidats assidus aux migrations de travail, les agents de santé
villageois, plus sédentaires, sont davantage soumis au diktat des aînés
sociaux. Les activités extra-sanitaires, à caractère lucratif (campagnes
d'alphabétisation ...) rapportent certes du numéraire, mais les occasions de
les pratiquer sont plutôt rares (l à 2 fois par an). L'argent recueilli lors de ces
campagnes sert aussi bien à réaliser des projets personnels (achat d'une
bicyclette d'occasion, réfection d'une maison, etc.) qu'à secourir, le cas
échéant, un parent, un tuteur. Cependant, la rareté mais aussi la difficulté à
accéder à ce type d'occupations rémunérées (elles ont un caractère très
294_ Ibid., p. 148-149. En guise d'illustration, l'auteur donne l'exemple d'un jeune interprète
nuna qu'il engagea lors de ses enquêtes, avec un salaire mensuel de 15 000 F CFA (300 FF);
ce dernier, après s'être acquitté de ses "obligations" envers ses aînés (dons à son oncle
paternel, à son logeur, au chef, etc.) ne se retrouvait plus qu'avec 380 F CFA soit 7,90 FE
295_ Par exemple, l'obligation pour les cadets devenus salariés d'envoyer une partie de leurs
revenus aux aînés restés au village.

-199 -
aléatoire et obligent les postulants à des déplacements répétés vers d'autres
localités) interdit d'accéder à des possibilités réelles d'épanouissement
économique. Privés de pouvoir économique et d'autonomie, jouissant d'un
accès très limité au salariat, les ASV se voient dépossédés de toute capacité à
s'affranchir véritablement de l'emprise de la communauté lignagère, et plus
encore de la tutelle q.es anciens. Sauf exception, les activités qu'ils exercent
au sein du village, ne sauraient constituer pour eux une source
d' enrichissem~pt:
L'argent gagné en ces rares occasions, largement insuffisant, voire
insignifiant ne peut être investi dans les circuits de l'économie lignagère.
Ces recettes, irrégulières et purement ponctuelles auxquelles ne peuvent
prétendre qu'une minorité d'ASV, sont prioritairement consacrées à la
subsistance familiale.
C - DES MARGINAUX ?
A travers l'étude du statut et des rôles des ASV, est-il possible de les
considérer comme des marginaux? Sans doute serait-il trop hâtif de
répondre par l'affirmative. Il est cependant possible de dégager quelques
caractéristiques spécifiques à ces acteurs sociaux. Par son statut, sa position
sociale, l'agent villageois semble à bien des égards constituer un personnage
à part. Son rôle consiste à s'ériger en trait d'union entre sa communauté et
l'administration: il est un "personnage-tampon" entre ces deux sphères.
L'ASV est un des liens à travers lesquels se construisent les rapports entre la
collectivité paysanne, relativement renfermée sur elle-même, et le monde
extérieur, en l'occurrence, l'autorité administrative. Participant à la fois de
ces deux sphères, il est le "notable" qui assure un rôle de médiation entre sa
communauté et la société englobante (296). Cette inscription de l'ASV dans
la structure sociale détermine le sentiment d'ambivalence qui nourrit les
représentations populaires à son égard. Issu de la communauté locale, il en
est à la fois membre, mais participe virtuellement de la sphère
administrative, principalement à travers ses attributions d'agent de santé.
Dans le processus de construction des représentations villageoises,
l'adéquation (ou non) entre les actions attribuées à l'ASV et les besoins
296_ Nous empruntons cette comparaison à H. MENDRAS. Voir à ce propos le rôle du notable
dans la société paysanne, in Le Changement social. op. cit., p. 34.

- 200-
exprimés
par les
populations paraît décisive. Celles-ci,
en effet,
n'apprennent à considérer l'ASV comme un simple acteur villageois que
quand ils sont eux~mêmes à l'origine de sa désignation, et de la définition
de ses fonctions. Dans ce cas précis, sa rétribution par l'ensemble de la
communauté ne fait que rarement l'objet de réticences de la part des
usagers. Inversement, lorsque les activités de l'ASV sont suggérées ou
dictées par l'administration étatique, celui-ci se voit d'emblée attribuer un
statut particulier,. quand il ne se voit pas tout simplement élevé au rang
.(
d'agent de l'Etat. En même temps qu'elle opère vis-à-vis de l'ASV cette
distinction, qui renvoie à une opposition de type "eux-nous", la population
dans sa majorité se soustrait ainsi à ses obligations envers lui, attribuant à
l'Etat la responsabilité de la prise en charge.
Ainsi, même en l'absence de tout processus de professionnalisation,
la communauté semble maintenir ses agents de santé dans une forme de
marginalisation, s'agissant tout au moins de la rétribution de ses actions.
Aussi, tout se passe comme si l'ASV, introduit sur la scène villageoise par
une initiative étatique, avait déjà franchi un premier pas vers la
professionnalisation. Son statut dans la structure traditionnelle connaît un
début de transformation. La rupture de la solidarité traditionnelle qui
semblait constituer un témoignage du soutien communautaire en échange
de leurs services, en constitue un premier signe. Du point de vue
communautaire, les mécanismes d'interprétation du statut des ASV les
intègrent quasiment dans la logique administrative. Par ce processus se
construit une nouvelle identification dont le caractère instable assimile
l'agent sanitaire à la fois à un fonctionnaire, agent de l'Etat, mais reconnaît
également son appartenance à la structure villageoise. Perçu comme un
acteur rattaché au pôle administratif et investi des statuts et des rôles
correspondants (position au sommet de l'échelle sociale villageoise, activité
qui s'apparente à celle des professionnels), il participe également de
l'univers villageois par son origine et son appartenance communautaire,
par sa culture et son attachement au terroir. Cependant, dans le discours des
acteurs sociaux c'est le second aspect qui est mis en exergue et l'emporte
normalement sur le premier; à preuve, en réponse aux questions relatives
à ce sujet, les villageois affirment toujours considérer l'ASV comme un

- 201-
"teng-biga" (297), soulignant par là, la primauté de sa condition
communautaire.
En somme, ·indépendamment du processus de professionnalisation
(qui n'est pas encore en cours) on assiste néanmoins à une évolution du
statut social de l'A5V, qui s'apparente quelque peu à celui de l"'homme-
marginal".
Ce conç~pt a été formulé pour la première fois par Park. Pour Park et
5tonequist, ''i 'homme marginal est un type de personnalité qui, s'il n'est
pas complètement nouveau, est néanmoins particulièrement caractéristique
du monde moderne, produit, dans certaines conditions par les intenses
mouvements
migratoires
et
les
contacts
de
culture
qu'a
entraînée
l'expansion européenne" (298). Il est défini comme quelqu'un "que le destin
a condamné à vivre dans deux sociétés et dans deux cultures non seulement
différentes, mais antagonistes, deux mondes dans lesquels il est plus ou
mozns
étranger" et "qui reflètent dans son âme les discordes et les
harmonies, les répulsions et les attractions de ces mondes" (299).
En recourant à cette notion, nous voudrions souligner simplement
l'appartenance de cet acteur villageois à deux logiques différentes, voire
contradictoires: d'une part, la logique communautaire et, de l'autre, la
logique administrative. Par le jeu des représentations sociales, il se retrouve
sur les "marges" de ces deux univers, et n'appartient plus exclusivement à
l'une ou à l'autre. De cette situation naît le phénomène identitaire auquel
sont de plus en plus confrontés les agents de santé. A l'image de l'homme
marginal qui participe de deux sociétés, deux cultures, l'A5V est lui aussi
297_ Enfant du pays.
298_SIMON (Pierre-Jean), Histoire de la sociologie, PUF, 1991, p. 486.
299_ PARK et STONEQUIST; cités par P.J. Simon, ibid.
L'auteur précise qu'il faut entendre par "hommes marginaux" les sang-mêlés, les métis,
mulâtres ou eurasiés placés par leur origine parentale même dans une situation telle qu'ils
participent de deux "races", de deux groupes sociaux différents, antagonistes et
hiérarchisés, de deux univers sociaux et culturels, sans être intégrés ni à l'un ni à l'autre;
en somme, ils sont dans une espèce de "no man's land "social et culturel. Il donne l'exemple
du mulâtre des USA qui n'est ni vraiment un Noir ni vraiment un Blanc; il est à la fois l'un
et l'autre sans être dans aucun de ces groupes un membre à part entière.

- 202-
partagé entre deux mondes que tout oppose. A la différence de I"/homme
marginal" cependant, la "marginalité" des ASV ne repose pas sur le facteur
culturel ou racial mais semble se jouer davantage sur le registre
économique. Sans renier leur groupe d'appartenance (300) (le village) les
ASV manifestent, par la revendication d'un statut de salarié, un désir
d'accéder à une condition sociale plus favorable: celle des professionnels de
la santé (groupe de/référence). En ce sens, leur désir d'accession au salariat
s'apparente à une quête de mobilité sociale. Pour les principaux
protagonistes Be cette stratégie sanitaire (Etat, communauté rurale) l'enjeu
économique que constitue la prise en charge des ASV, détermine les
stratégies de chaque groupe d'acteurs: d'une part, le pouvoir central qui,
soucieux de "responsabiliser" les paysans, leur enjoint d'assurer la
subsistance de leurs agents de santé et, de l'autre, une communauté qui,
s'estimant sans pouvoir économique, persiste à voir en l'administration
étatique la seule source de rétribution pour ses bénévoles. Par ce jeu subtil,
l'Etat et la communauté locale contribuent (involontairement) dans une
large
mesure
à
la
marginalisation
économique
des
ASV.
Cette
marginalisation économique (absence d'assistance, de soutien, de prise en
charge)
se
double
bien
souvent
d'une
marginalisation
"professionnelle" (301) (non reconnaissance de ses capacités et de ses
compétences, formation jugée peu convaincante, refus de consultation, etc.).
Il est communément admis que l'ASV, rémunéré par un organisme
central devient de fait "un auxiliaire installé au sein de la collectivité
comme un prolongement des services de santé établis" (302). Autrement dit,
une éventuelle professionnalisation introduirait un hiatus avec le statut
communautaire des ASV qui se verraient définitivement dépossédés de
300_ Par groupe ou milieu d'appartenance, il faut entendre celui dont l'individu fait partie et
qui constitue son horizon social familier. En revanche, les groupes de référence sont les
milieux auxquels les individus, sans y appartenir, empruntent certains modèles culturels,
certaines normes de comportement. Avec les ASV, il n'y a pas véritablement emprunt de
modèles culturels propres aux professionnels de la santé, mais simplement un profond désir
d'accéder à une condition sociale similaire. Voir à ce propos MERTON (R.), Eléments de
théorie et de pratique sociologique.
30L Par marginalisation, nous entendons cette forme d'exclusion qui s'oppose à intégration
pris dans le sens de participer à ...
302_ ZOYSA (1.) et KING (S.K.)/ "Comment rémunérer l'agent de santé communautaire ?"/ in
Forum mondial de la santé. vol. 4/ nO 2/ 1984/ p. 143.

- 203-
leur identité communautaire. Mais en réalité, indépendamment de ce
processus, et ainsi que nous avons tenté de le montrer, à travers les
différentes manières dont les populations se représentent les ASV, se profile
la figure de l'Etat. En ce sens, ils ne sont plus perçus simplement comme des
villageois ordinaires, mais comme de virtuels (ou de futurs) agents de l'Etat.
Cette perception, pensons-nous, explique en grande partie, la rupture de la
solidarité communautaire qu'ils subissent dans l'exercice de leur mission,
faisant d'eux d~s personnages au statut incertain et ambigu.
D - L'ACCOUCHEUSE VILLAGEOISE, UNE INSERTION HARMONIEUSE
La situation de l'accoucheuse de village, comme nous l'avons vu
précédemment diffère fondamentalement de celle des bénévoles masculins.
Cette différence ne tient pas seulement à son statut dans la communauté,
mais davantage encore à la nature de son travail. Contrairement à l'ASV,
l'action de l'AV est considérée comme digne d'intérêt et entourée de
respect, de considération sociale; alors que la présence et l'intervention de
l'ASV suscitent une certaine forme d'indifférence, l'accoucheuse (303), elle,
semble bien bénéficier de plus d'égards et d'attentions. D'une part, elle ne
fait pas l'objet de cet "ostracisme communautaire" observable chez les ASV,
dans la mesure où elle a acquis un degré de maîtrise suffisant pour exercer.
Sa compétence n'est donc pas mise en doute, ce qui exclut toute forme de
dévalorisation de son travail. D'autre part, les services qu'elle propose ne
sont pas négligés au profit de ceux de la matrone exerçant au niveau du
dispensaire d'un village voisin; tandis qu'avec l'ASV nous avons vu
comment les stratégies des usagers les conduisaient à solliciter les services
de l'infirmier au détriment du premier. Loin de minimiser l'action des
accoucheuses,
les
populations,
au
contraire,
réclament davantage
d'équipements matériels et techniques à mettre à leur disposition pour leur
permettre de "mieux travailler". Comme le dit un villageois: "ce que nous
demandons, c'est que le gouvernement nous aide, en préparant les portes et
les fenêtres du PSP et de la case des accouchements qui manque de tout; il
faut des lits pour les femmes qui accouchent, parce que nous préférons voir
nos femmes accoucher ici même, plutôt qu'à Léo" (304). La nécessité sociale
303_ Il faut entendre par là l'accoucheuse traditionnelle de village.
304_ Entretien avec un chef de famille, Mauna.

- 204-
d'avoir une accoucheuse bénéficiant de moyens et de conditions adéquats de
travail est un souhait largement partagé par les usagers. En revanche,
s'agissant de l'ASV, les revendications de cette nature sont plus rares dans
les discours. Les usagers sont moins prompts à exiger une formation plus
poussée pour leur agent de santé afin d'accroître ses performances. De
même, l'appel aux a~torités pour la fourniture d'équipement à l'ASV paraît
moins pressante, plus timide. Pour l'heure, ils se contentent de recourir
massivement e~ directement à l'infirmier du dispensaire le plus proche.
En dépit d'un affaiblissement de plus en plus prononcé, l'activité de
l'AV reste, aujourd'hui encore, largement intégrée dans les circuits de
l'échange traditionnel. La pratique des dons en nature, quoique fortement
en baisse, s'exerce encore à son endroit; là réside assurément une autre
différence avec l'ASV qui lui, en est complètement privé. En tout état de
cause, si l'on observe une solidarité communautaire réelle en régression
pour l'accoucheuse, elle s'explique davantage par des raisons économiques,
alors qu'avec l'ASV elle semble davantage signifier un refus pur et simple
d'assistance et/ou de soutien.
Plus généralement, dans l'expérience et le vécu des populations, le
rapport à l'accoucheuse de village se distingue radicalement de leur
perception de l'agent de santé villageois. L'activité de la première est
amplement valorisée et investie d'une légitimité et d'une utilité sociales.
En effet, la pratique de l'accouchement revêt un caractère indispensable,
noble, vital; elle est une activité, une attribution propre, spécifique à
l'accoucheuse. A l'inverse, la pratique des soins n'est point l'apanage de
l'ASV. Contrairement à l'AV qui exerce une sorte de "monopole" (tout au
moins au niveau villageois) dans l'art de l'accouchement, l'ASV lui ne
saurait revendiquer l'exclusivité dans la connaissance, l'explication et le
traitement des maladies. Au contraire, il est tenu d'exercer à côté de
spécialistes comme certains guérisseurs susceptibles de le "concurrencer"
ou, encore, de "profanes" versés dans la connaissance des plantes
médicinales ou dans la pratique de l'automédication (mères de famille ou
herboristes exerçant exclusivement au sein de l'enclos familial) (305). Il n'est
305_ A ce sujet o. FASSIN observe que le "savoir" est partagé, diffus, omniprésent dans ce
type de sociétés: "... en prenant une définition plus large du savoir, c'est-à-dire en
intégrant toutes les connaissances médicales et leur usage privé, on trouverait

- 205-
donc pas étonnant de remarquer un attachement villageois très prononcé
pour l'AV, alors que la présence de l'ASV n'est point vécue comme une
nécessité de premier ordre. Alors qu'il est "naturel" pour les villageois de
parcourir plusieurs kilomètres pour rejoindre le dispensaire, il est
inconcevable (sauf en
cas d'urgence)
qu'un
accouchement puisse
occasionner de tels déplacements. Aucun village ne saurait se passer de sa
"matrone". De même qu'un centre urbain ne se conçoit pas sans
infrastructure sanitaire, le village ne saurait négliger les services d'une
1
accoucheuse, ·"tandis que l'ASV est encore loin de susciter un tel
engouement. A travers le caractère noble et valorisant de sa fonction,
l'accoucheuse porte en elle les marques de sa reconnaissance. En
conséquence, elle jouit au sein de la communauté d'une meilleure image,
d'un meilleur crédit, et s'insère harmonieusement dans la structure
villageoise. Les mécanismes qui sont à l'oeuvre dans la construction de cette
reconnaissance sociale relèvent essentiellement de la nature du travail
accompli, de sa finalité et de la représentation qu'en ont les usagers. La
jouissance d'une telle reconnaissance constitue un facteur supplémentaire
d'intégration sociale pour l'AV. A travers ce rôle institutionnalisé qui est le
sien, elle renforce sa présence et sa participation à la structure sociale, et se
place au centre de nouveaux rapports sociaux, de nouveaux enjeux sociaux.
A l'inverse, dans la situation de l'ASV, il ne semble pas y avoir
renforcement de son intégration communautaire du seul fait de la fonction
qu'il occupe. L'absence d'un véritable processus de reconnaissance sociale
dans son cas paraît un facteur handicapant, quoique, comme nous l'avons
relevé (chapitre l, section II), il reste néanmoins plus présent, plus actif, à
travers la diversité de ses rôles sociaux.
probablement que presque chaque concession a "son" guérisseur ou "sa" guérisseuse"., in
FASSIN (D.), Pouvoir et maladie en Afrique. Paris, PUF, 1992, p. 72.

- 206-
CONCLUSION PARTIELLE
A ce stade "de notre réflexion, il nous paraît nécessaire de faire le
point.
L'organisation des SSP au niveau villageois, telle qu'elle nous est
apparue, permet d~ mettre en évidence de nombreux dysfonctionnements
qui transparaisserit au travers de l'analyse des statuts, des rôles, des idéntités
des acteurs sociaux et des rapports qui les unissent. Nous avons essayer de
privilégier une étude des représentations paysannes envers leurs agents de
santé communautaire, ainsi que les conditions de mobilisation de ces
acteurs.
L'analyse de ces représentations villageoises fait apparaître une
réinterprétation systématique par les populations, du rôle attribué aux ASC,
à partir de leurs conceptions et des schémas culturels qui leur sont propres.
En conséquence, le statut et le rôle de l'agent sanitaire, définis par l'autorité
administrativo-politique se transforment au contact de la réalité locale. Ces
agents se voient alors investis d'une double identité, d'un double statut
(ceux émanant des autorités et celle qui leur est attribuée par les villageois).
Les représentations que les acteurs sociaux construisent au sujet de
ces "volontaires de la santé", officiellement présentés comme la cheville
ouvrière des SSP, conditionnent en grande partie, le rôle qu'ils peuvent
jouer ou non sur le terrain, en l'occurrence, celui de la médiation entre le
pouvoir administrativo-politique et la collectivité rurale. Qu'en est-il de ce
rôle de médiateur et quelles sont les conditions, les facteurs et les limites
dans lesquelles l'ASV peut l'exercer? De toute évidence, la position
" qu'occupent ces agents dans la structure sanitaire ainsi que l'image dont ils
jouissent
dans
leur
communauté
ne
semble
guère
favorable
à
l'accomplissement d'un tel rôle. Instance chargée de la diffusion et de la
transmission des SSP au niveau villageois, les ASC restent constamment en
quête de reconnaissance sociale. Ce faisant, si en tant que villageois, ils
semblent jouir d'une certaine considération sociale, en revanche, les
représentations collectives les classent dans la catégorie des "sous-
infirmiers" ou "infirmiers au rabais". En réalité, ces représentations ne
dépouillent pas simplement les ASC de leur dignité "professionnelle" ; ils
se voient également confrontés à un déficit de légitimité sociale, qui se

- 207-
nourrit assurément de la non-reconnaissance de leurs compétences en
matière de traitement, de leur capacité à soulager les maux des patients.
Ces différentes manières de percevoir les agents de santé locaux
parce qu'elles s'inscrivent dans des représentations globalement non
valorisantes, conduisent le plus souvent les usagers (dans leur majorité) à
porter des jugemen}s" négatifs sur leurs actions et leurs initiatives. Dans de
telles conditions,. il semble difficile à l'agent de santé de jouer un rôle
mobilisateur ah sein de sa communauté. D'une part, parce que de par sa
position dans ia structure sociale et les moyens d'action dont il dispose, il
paraît privé des ressources nécessaires (ressources matérielles, sociales,
symboliques ... ) pour accomplir une telle tâche; d'autre part, et dans le
même temps, il fait lui-même l'objet d'une motivation insuffisante (et
donc
d'une
mobilisation
insuffisante)
qui
découle
d'une
réelle
insatisfaction, née de l'impossibilité de la communauté à récompenser ses
efforts. En somme, ces deux facteurs se déterminent mutuellement pour
réduire en définitive la portée réelle et l'influence de son action sur la
population. Ajoutons à cela l'absence de stratégie collective de la part de ces
acteurs qui ne présentent encore aucune forme de structuration (si
embryonnaire soit-elle) de leur "corps", et par conséquent aucune forme
d'action collective ou organisée. Au-delà du constat des conditions
d'existence
commune
qu'ils
partagent,
il
n'existe
aucune
forme
d'expression d'une conscience identitaire qui pourrait éventuellement
conduire à une forme d'organisation. Nul doute que leur situation de
bénévole s'accorde difficilement avec des formes d'organisation semblables
à celle d'un corps de métier (306).
L'absence d'une véritable structuration de cette instance de
médiation (au niveau villageois elle est organisée au sein de la CSV mais
reste inopérante, par contre aucune structure organisée n'existe au niveau
régional) ne l'autorise donc qu'à des actions individuelles, épisodiques ou
irrégulières. Or, une telle situation ne saurait promouvoir un contact et une
communication suivis avec l'instance administrative (certains ASV
déclarent n'avoir eu aucun contact avec l'infirmier depuis plusieurs mois,
et les réunions des comités de santé sont quasi-inexistantes). Du fait de cette
306_ Sur la définition d'un métier ou d'une profession, voir à ce propos FREIDSON Œ.), La
Profession médicale. op. cit.

- 208-
inorganisation, les ASV (ni même le comité de santé) ne pensent se
présenter comme de véritables interlocuteurs du pouvoir, capables de
transmettre aux autorités
les doléances ou les besoins exprimés
collectivement par les utilisateurs des services. Cette absence de "dialogue"
(il s'agit plus exactement d'un "dialogue" à sens unique où les directives
viennent du sommet! destinées à être exécutées sur le terrain) nous paraît
également être une/autre source de dysfonctionnement en ce sens qu'elle ne
permet pas l'éç.hange (nécessaire) auquel doit donner lieu ce type d'action.
Ce phénomène, trop souvent, interdit une réelle prise en compte des
besoins de la communauté. C'est pourquoi, il nous est permis d'avancer que
la manière dont les rapports entre le système administrativo-politique et les
villageois
se
construisent
est
un
facteur
déterminant
dans
le
fonctionnement et le succès des actions entreprises. En effet, dans les
discours des paysans transparaît le sentiment d'abandon dont ils se sentent
victimes. S'estimant lésés au profit des citadins (307), les villageois accusent
les autorités de ne point prêter une oreille attentive à leurs problèmes. Ils
adoptent alors des conduites qui les amènent à négliger les "services au
rabais" (comme les cases de santé) au profit des dispensaires les plus équipés
(et si possibles les moins chers) dans les localités avoisinantes.
S'agissant
des
stratégies
propres
aux
agents
de
santé
communautaire, nous avons vu que ces acteurs, dans leurs pratiques
quotidiennes tentaient de concilier leur engagement communautaire avec
la poursuite de leurs intérêts spécifiques (308). Conscients de nos jours d'être
engagés dans un cercle vicieux, ils n'hésitent pas à opérer un changement
de stratégie. Persuadés également d'être les laissés pour compte du système
sanitaire, les ASV sont davantage mus par la recherche de leurs intérêts
d'acteurs. C'est dans cette optique qu'il faut comprendre le déclin de leur
dévouement communautaire. En sacrifiant l'intérêt communautaire au
307- Si dans la politique étatique la préférence va aux habitants des cités urbaines, pour
diverses raisons d'ordre économique, culturel... elle ne profite pas de la même manière à
tous; cependant, comme le montre C. RAYNAUT dans un article sur le cas nigérien, "la
ville offre aux démunis des occasions de ressources qui, aussi précaires et modestes soient-
elles, sont bien supérieures à celles que connaissent les catégories les plus défavorisées du
monde rural",
lire à ce propos, "Le Privilège urbain: condition de vie et santé au Niger",
op. ci t., pp. 42-52.
308_ Au contraire, la plupart des premiers ASV abandonnèrent le plus souvent en raison d'une
rémunération par trop aléatoire.

- 209-
profit de la recherche de leur confort personnel, ils "inventent" une
nouvelle manière d'être A5V. IL s'agit pour eux d'être à la fois partie
prenante du système de santé, tout en recherchant d'autres sources de gains.
Cette double activité leur permet à la fois d'être alternativement présents et
absents (309), de profiter des avantages présents (et éventuellement futurs
qui découlent de CE;?tte responsabilité); ils ont ainsi la possibilité d'en
minimiser les contvâintes et les inconvénients, et de s'affranchir volontiers
de certaines de leurs obligations. Tout se passe donc comme si le peu
{~
d'enthousiasm~ affiché par la communauté autorisait également les A5C à
des manquements à leur devoir.
309_ Certains A5V, partis en migration saisonnière, désignent un frère, un parent pour les
remplacer pendant leur absence, de manière à retrouver leur poste dès leur retour.

- 210-
Troisième
partie
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- 211-
CHAPITRE 1 - LE POIDS DES CHEFFERIES
TRADITIONNELLES ET LEUR INFLUENCE
DANS LE FONCTIONNEMENT DES SSP
SECTION 1 -:'LES ELITES TRADITIONNELLES FACE AU POUVOIR
1
La régjon où nous avons mené notre enquête présente une
mosaïque de groupes ethniques (Nuna, Mossi, Dagara, Peulh ...). La plupart
de ces sociétés ne présentent pas d'exemples connus de société à Etat
centralisé, excepté les Mossi. Elles entrent dans la catégorie des sociétés dites
villageoises, sans pouvoir centralisé (ce qui ne signifie pas sans pouvoir).
Dans ce modèle de société, les autorités qui détiennent et exercent un certain
pouvoir sur l'ensemble de la communauté se trouvent être les chefs de
village, chefs de terre, "chefs de couteaux". Seuls les Mossi connaissent un
système social étatique, centralisé et hiérarchisé, élaboré depuis plusieurs
siècles. Cependant, quelles qu'aient été leurs structures socio-politiques
globales, les sociétés anciennes du Burkina Faso ont toutes subi la
domination coloniale et ont été contraintes d'une façon ou d'une autre de
"collaborer" avec l'envahisseur.
Dans l'histoire
de
ce pays,
en effet,
la mobilisation
des
communautés a toujours été un souci et un objectif permanents pour les
différents pouvoir de type moderne. Qu'elles soient incarnées par le
système colonial ou les régimes issus de l'indépendance, chacune de ces
autorités a eu recours, d'une manière ou d'une autre, à la "recette" de la
chefferie traditionnelle dite coutumière. "On sait que les autorités locales
furent chargées, sous la période coloniale, d'une part, de faire rentrer, contre
ristourne,
les impôts dus
collectivement, d'autre
part,
de
lever les
contingents
de
"prestataires"
pour
l'exécution
des
travaux
de
l'administration coloniale" (310).
Les autorités coloniales n'ont pas fait qu'imposer aux pays conquis
leurs propres institutions juridiques et administratives; elles encouragèrent
également le maintien (sous diverses formes) des structures juridiques et
310_ OUEDRAOGO (J.B.), Formation de la classe ouvrière en Afrique. op. ciL, p. 34.

- 212-
administratives locales, pour en faire des alliés de choix. ".. .Pas de
commandement territorial sans chefs indigènes qui servent de rouage entre
l'autorité coloniale et la population", fait observer R. Delavignette (311).
S'engageant dans la voie tracée par le système précédent, l'Etat post-
colonial s'est empressé d'observer la même ligne de conduite dans ses
rapports avec l'ins~tution coutumière.
A - QES RELAIS DU POUVOIR CENTRAL
Afin d'étendre leur emprise sur la société civile tout entière, et les
communautés rurales en particulier, les différents régimes ont eu recours à
des stratégies différentes. Dans tous les cas, l'accès à la périphérie imposait
aux autorités étatiques soit de composer avec les structures coutumières ou,
tout au moins, de compter avec elles. Jouissant d'une incontestable
légitimité auprès des populations, celles-ci représentent un poids politique
de première importance qu'aucun pouvoir ne peut ignorer. L'attitude de
l'Etat central face à ces virtuels "concurrents" sera double bien que visant
rigoureusement le même objectif: s'assurer l'allégeance de la périphérie à
travers le contrôle des chefs traditionnels (312). De sorte que, les relations
entre l'Etat et le pouvoir coutumier se sont structurées comme une
succession de périodes de tensions et de détente.
1 - La confrontation
Elle est incarnée par le reglme de M. Yaméogo (1960-1966) qui
correspond à la 1ère République. Soucieux de consolider son pouvoir au
lendemain de l'indépendance (qui marqua son accession au pouvoir),
M. Yaméogo s'attaquera "ouvertement à tous les fronts d 'opposition qu'il
entend fondre dans le moule classique du régime de Parti-Etat" (313). Cette
velléité de contrôle absolu de la société civile visait en priorité la puissante
31L
DELAVIGNETTE
(R.),
Service
africain, Paris, Gallimard, 1946/ cité par
Ouédraogo (J.B.), ibid., p.35.
312_ Excepté le CNR qui créa en 1983 ses propres relais.
313_ OT AYEK (R.)/ "Burkina Faso: entre l'Etat mou et l'Etat total, un balancement qui n'en
finit pas", op. ciL, p.4.

- 213-
chefferie
traditionnelle
moaga
(ou
mossi) (314) de même que les
organisations
syndicales
qui
animaient
les
principaux
foyers
de
"subversion". Mais pour imposer son autorité, aux milieux ruraux (la
"périphérie") il choisira la stratégie du long terme, cherchant à saper
définitivement les fondements même du pouvoir traditionnel. Il décida
alors la suppression des rétributions des chefs (pourtant en vigueur depuis
la colonisation). Illfallait, pour les déstabiliser, les affaiblir par l'asphyxie
financière (décret.n° 18/Pres/1S/D1 du 11 janvier 1965). Mieux, l'interdiction
(.
de leur remplacement en cas de décès (ou de révocation) visait directement
leur extinction progressive (décret 189/Pres/int du 8 juin 1962). Pour finir,
leur élection devait respecter le suffrage universel (décret nO 326/Pres/1S/D1
du 28 juillet 1964). Désormais devenait éligible aux fonctions de chef de
village tout citoyen inscrit sur les listes électorales. Par cette série de mesure
le pouvoir cherchait délibérément à anéantir la chefferie pour lui substituer
ses propres relais. Cette "démocratisation", en réalité, ne visait d'autre
dessein que celui de banaliser la fonction de chef, de les "vassaliser" et de
permettre l'avènement de "leaders coutumiers" fidèles au pouvoir.
On le voit, la "guerre d'usure" imposée aux chefs traditionnels par
le régime d'alors, fut sans merci. Elle échoua cependant, le pouvoir du
Mogho-Naba ayant réussi à s'opposer avec succès à cette offensive étatique.
Le régime de Yaméogo ayant perdu la partie ne survécut point (315).
Succédant à la 1ère République, le régime du Général Lamizana se
montra plutôt conciliant dans ses rapports avec les chefferies.
2 - La "normalisation"
Tirant leçon de la chute de son prédécesseur, le nouveau reglme
s'interdira tout recours à la contrainte, préférant, au contraire, placer ses
relations avec la périphérie sous le signe du dialogue. A l'autoritarisme, il
substitua un système de contrôle indirect et souple, comme moyen
314_ Le Président Yaméogo a subi une tentative de déstabilisation de la part de l'Empereur
mossi en 1958, celui-ci cherchant à instaurer une monarchie constitutionnelle. D'où la
méfiance du chef de l'Etat.
315_ Le 3 janvier 1966, une insurrection populaire répondant à l'appel des syndicats et de la
chefferie coutumière mossi mit un tenne au règne de Yaméogo.

- 214-
d'investissement et de réappropriation du dynamisme périphérique. Par
cette
volonté
de
normalisation,
Lamizana
témoignait
ainsi
sa
reconnaissance aux notables mossi, ayant contribué à son accession au
pouvoir. D'autre part, redevable d'une "dette morale" auprès des instances
coutumières, il disposait d'une moindre marge de manoeuvre que son
prédécesseur, et ne I?ouvait s'offrir le luxe de heurter de front le pouvoir
coutumier. Il optera ainsi pour la prudence: "Plus intelligemment, et sans
doute plus sûrpment, il entendait domestiquer les institutions de la société
~
civile pour les: insérer "en douceur" dans sa stratégie de développement. La
restauration des prérogatives de la chefferie et son association à la gestion de
la chose publique ... témoignaient du souci de l'Etat de se créer des relais à
même d'assurer la communication entre lui et la société"
(316).
On vit alors s'instaurer entre les deux parties une véritable
"complicité", une sorte de contrat tacite qui inaugurait une nouvelle ère de
collaboration étroite. Le pouvoir mit tout en oeuvre pour rassurer la
chefferie, lui rendant ses privilèges (317). En contrepartie, le Mogho-Naba
appellera sans ambages les chefs de canton relevant de son autorité à
coopérer avec le régime. En retour, l'Empereur des Mossi fut autorisé à
réunir le syndicat des chefs traditionnels en 1968, qui devait proclamer leur
intention de contribuer aux côtés des autorités administratives à
l'édification du pays, "la chefferie coutumière ayant fait preuve de sa
reconversion aux principes modernes de l'Afrique en marche" (318).
Plus près de nous, en 1978, les autorités traditionnelles iront jusqu'à
renouveler leur soutien au Général Lamizana en transmettant des
consignes de vote en sa faveur (319). La seule ombre à ce tableau semblait se
cristalliser autour du problème de l'institutionnalisation des chefferies.
Aussi, le maintien des dispositions concernant l'élection des chefs, adoptées
316_ OTAYEK (R.), ibid., p.6.
317_ Notamment, le rétablissement des rémunérations des chefs; l'adoption d'une nouvelle
procédure en vue de remplacer à nouveau les chefs disparus, etc.
318_ CABANIS (A.) et MARTIN, cité par LOADA (A.), in Administration et collectivités
locales au Burkina Faso: quelle évolution? Mémoire DEA, études africaines, 1990, p. 68.
319_ Celui-ci leur demanda également leur concours pour les collectes fiscales et la mise en
oeuvre de son programme politique.

- 215-
par le régime précédent n'était point du goût des autorités coutumières. Il a
fallu attendre 1978 pour l'adoption de nouvelles procédures de désignation
des chefs. Ainsi, pouvait faire acte de candidature à la fonction de chef de
village,
"toute
personne
originaire dudit
village et
coutumièrement
éligible". Avec cette nouvelle disposition, la chefferie traditionnelle
renforçait son assise dans le paysage politique. "Ce fut une victoire pour les
chefferies car, en1Jlus de leur légitimité traditionnelle, elles pouvaient
maintenant se draper de la légitimité démocratique" (320).
{~
En définitive, sous le régime du Général Lamizana, les rapports Etat-
société et Etat-chefferie auront été façonnés et dominés par le clientélisme
avec comme corollaire l'absence ou le recul de la contrainte. Ainsi, après
avoir traversé bien des vicissitudes, jamais les rapports entre le pouvoir
politique et les institutions coutumières n'avaient été aussi harmonieux
que sous la Ille République (1966-1980).
Le 25 novembre 1980, le CMRPN (321) mettait fin à l'expérience de la
llIe République, et prenait le pouvoir. Il ne demeura à la tête de l'Etat que
pendant deux ans. Cette période très éphémère, ne permet pas un examen
approfondi de son attitude vis-à-vis de la chefferie. Signalons simplement
cette prise de position selon laquelle, il admit que "la chefferie traditionnelle
(avait) souvent été un auxiliaire précieux de l'administration (et que) le
CMRPN et son gouvernement (sauraient) apprécier ses mérites à leur juste
valeur dans le strict respect de l'option républicaine et des exigences du
redressement national" (322). Avec la chute du CMRPN en 1982, le Conseil
de Salut du Peuple (CSP) parvint au pouvoir pour une période encore plus
brève (10 mois). C'est en 1983, avec l'accession au pouvoir du Conseil
National de la Révolution (CNR) que les relations Etat-sociétés entreront
dans une nouvelle turbulence avec l'avènement des COR, structures
d'encadrement et de contrôle mis en place par le CNR.
320_ LOADA (A.), op. cit., p. 69.
32L Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National.
322_ Carrefour africain. cité par KANSE (S.M.), in L'Evolution socio-politique de la Haute-
Volta, mémoire, études africaines, CEAN-lEP, 1983, p. 32.

- 216-
B - L'EMERGENCE DES NOUVEAUX RELAIS: LES CDR
Aussitôt parvenu au pouvoir, le CNR se distingua de tous les autres
régimes politiques ayant géré l'appareil d'Etat avant lui. Plutôt que de
s'appuyer sur les relais périphériques traditionnels, pour mobiliser la
population, il entreprit au contraire de les écarter du jeu politique, préférant
sécréter ses propres relais. En ce sens, le dessein du CNR consistait
fondamentale~ent "à remodeler la société, la remettre en forme sur la base
de son système de représentation"(R. OTAYEK, op. ciL).
1- Un appareil d'encadrement et de légitimation
L'objectif qui a présidé à la création des CDR cherchait avant tout à
"conscientiser" les masses en vue de les rallier au nouveau régime. On leur
confia la charge d'opérer un quadrillage systématique des villes, des
quartiers et des villages. Déclarés "organisation authentique du peuple dans
l'exercice du pouvoir révolutionnaire" ils se verront placer au-dessus de
toutes les organisations de masse, et attribuer la responsabilité de structurer
l'espace social en totalité, de mobiliser également l'ensemble de la société
dans ses différentes composantes. Ce faisant, si au départ les CDR n'étaient
pas encore perçus comme un instrument politique fondamental du
nouveau pouvoir, quelques mois plus tard, le DOP levait le voile sur leur
véritable nature: "leur mission première est l'organisation du peuple
voltaïque
tout
entier
en
vue
de
l'engager
dans
le
combat
révolutionnaire (... ). L'action en direction des masses populaires vise à les
entraîner à adhérer massivement aux objectifs du CNR par une propagande
et une agitation intrépides et sans relâche (.. J. L'idée première poursuivie
avec la création des CDR consiste en la démocratisation du pouvoir, les CDR
devenant ainsi des organes par lesquels le peuple exerce le pouvoir
local" (323). Le régime s'emploiera alors, méthodiquement, à imposer ses
appareils de domination. L'article 1 du statut des CDR consacre leur contrôle
total par le CNR: "le comité de défense de la Révolution est une émanation
du conseil national de la Révolution"; et pour en être membre il faut "se
323_ Discours d'orientation politique du 2 octobre 1983, p. 25-48.

- 217-
distinguer par sa fidélité aux idéaux de la Révolution (et) appliquer le
principe de la critique et de l'auto-critique" (article 93) (324).
Fort de cet outil de légitimation (et d'illégitimation) le CNR
s'évertua par une catégorisation sociale manichéenne à isoler d'un côté le
"peuple" et de l'autre ses "ennemis" (distinguant les "ennemis intérieurs"
des "ennemis extérieurs"). Tout était mis en oeuvre pour assurer
/
l'enracinement de ces nouveaux relais. il fallait de ce fait illégitimer toutes
les forces sociaies 'et politiques réfractaires au discours officiel, homogénéiser
l'espace social et politique pour mieux en prendre le contrôle. C'est dans ce
but que furent créées les différentes organisations suivantes (325) :
- l'Union Nationale des Femmes du Burkina (UNFB, créée en
septembre 1985) en vue de renforcer le contrôle du pouvoir sur la
population féminine jusque-Ià faiblement intégrée au sein des CDR;
- le Mouvement National des Pionniers (22 mai 1985) regroupant
des enfants de 10 à 14 ans (326) ;
- l'Union Nationale des Paysans du Burkina (créée après la chute du
CNR par le Front Populaire).
C'est, en dernière analyse, "un système serré de contrôle social qui se
mit en place, par le biais d'une uniformisation des codes, des rites sociaux et
des comportements" (R. Otayek, op. cit., p. 13) témoignant sans équivoque
d'une volonté totalisante d'un Etat désireux de mettre fin à l'organisation
autonome de la société civile. Inévitablement, le CNR devait s'engager à
son tour dans une épreuve de force contre la haute hiérarchie coutumière.
324_ Statut général des comités de défense de la Révolution, Ouagadougou, Imprimerie des
Forces Armées Nationales, 17 mai 1983,53 p.
325_ Sous l'égide du secrétariat général national des CDR.
326_ Avec des sections dans tous les établissements d'enseignement primaire, et dans les 1ers
cycles des lycées et collèges. Leurs activités ne sont pas simplement ludiques mais "se
doivent d'avoir un contenu politique et social, de façon à former l'homme de demain, par
conscientisation politique".


- 218-
2 - La chefferie sous le CNR
Dans sa politique en direction du pouvoir coutumier, le CNR avait
délibérément choisi de prendre le contrepied de ses prédécesseurs.
D'emblée, il choisira l'offensive, qualifiant, au lendemain de sa prise du
pouvoir les chefferies de "danger numéro un pour la révolution" (327). Les
forces dites de "la"tradition" furent purement et simplement ravalées au
rang de "forces rétrogrades", accusées de faire le jeu de la "bourgeoisie
réactionnaire":"
Pourquoi le CNR s'est-il attaqué si rapidement et si frontalement au
pouvoir des chefferies traditionnelles? Celles-ci ne s'étaient-elles pas
montrées plutôt disposées à maintenir le statu quo en déclarant aux
premières heures de l'avènement du CNR un "oui à la révolution, mais
dans le respect de la coutume et de la tradition"? En quoi le CNR avait-il
avantage à neutraliser l'institution coutumière, bénéficiant pourtant d'une
légitimité historique et d'un ascendant moral sur les communautés rurales,
mais aussi urbaines de la capitale, siège du mogho ? Sans doute avait-il cru
percevoir un certain essoufflement de cette institution en 1978 où, lors des
élections législatives et présidentielles "bien qu'elle eût engagé toutes ses
forces pour encadrer la paysannerie, ces deux scrutins avaient présenté un
fort taux d'abstention. Cette marque d'affaiblissement de la chefferie n'avait
pas échappé au CNR qui choisit d'engager sans trop tarder l'épreuve de
force" (328).
Ainsi, dès décembre 1983, fut prononcé l'abrogation de tous les
textes
codifiant les
attributions
politiques
et administratives,
les
émoluments et les prérogatives des chefs. Cette fois le CNR ira même plus
loin que le régime du Président Yaméogo. Ces mesures, pour la première
fois, n'épargnaient aucun chef coutumier, frappant aussi bien le petit Naba
327_ Le D.O.P. avait pourtant rendu hommage à leur résistance acharnée contre l'invasion
coloniale.
328_ SAVONNET-GUYOT (C.), Etat et sociétés au Burkina, op. cit., p. 188.
Le taux d'abstention pour les élections législatives a atteint le niveau record de 61,68 %.
Le CNR entendait tirer également parti de la disparition de l'Empereur Mossi (en 1982)
remplacé par son jeune fils inexpérimenté.

- 219-
de village que l'Empereur lui-même (329). Poursuivant son offensive, le
CNR instaura dans les villages des Tribunaux Populaires de Conciliation
(TPC) chargés de régler les conflits locaux, confiant ainsi aux CDR le pouvoir
et les prérogatives judiciaires et administratives naguère dévolus aux
chefferies. Ainsi dépouillés de leurs attributions, les chefs traditionnels
redevinrent de simples citoyens (le Mogho Naba dû payer ses factures d'eau
et d'électricité co~me tout citoyen ordinaire). Dans le même temps, le
pouvoir répressif. des CDR fut renforcé "depuis la saisie de terres et de bétail
{
jusqu'au droit lie sanction collective infligée aux villages" (330). Enfin, pour
couronner le tout, le pouvoir, à travers une politique subtile de contrôle de
l'espace, cherchera à saper les assises territoriales des chefferies
traditionnelles en subdivisant les villes de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso
en secteurs (30 secteurs pour la ville de Ouagadougou, 25 secteurs pour celle
de Bobo-Dioulasso) (331).
Jamais dans l'histoire politique de ce pays, ces relais périphériques
traditionnels n'avaient subi de tels assauts. La campagne d'illégitimation
prenant pour cible les anciens dirigeants (qui furent jugés dans les
Tribunaux Populaires de la Révolution -TPR) n'épargna point les
institutions de la société traditionnelle. Pour le CNR, "la restructuration de
l'espace
administratif entrait
dans
cette
stratégie
(et
impliquaiO ...
l'élimination, ou, à tout le moins, la réduction de l'influence de la chefferie
traditionnelle dont la concurrence (pouvait) s'avérer gênante" (332). En
somme, l'idéologie dont se réclamait le CNR ne paraissait pas pouvoir
s'accommoder d'un tel intermédiaire, avec qui tous les régimes, depuis
l'époque coloniale, avaient dû composer.
329_ Sous la 1ère République, Yaméogo n'osa pas toucher aux avantages des six chefs
supérieurs du royaume Mossi.
330_ LABAZEE (P.), "Une Nouvelle de la révolution au Burkina", in Politique africaine.
nO 24, 1986, p. 115.
33L Les secteurs se substituaient aux quartiers, jugés trop soumis, notamment dans la capitale,
à l'emprise des chefs traditionnels.
332_ OTAYEK (R.), "Le Changement politique et constitutionnel en Haute-Volta", in Année
africaine, 1983, p. 100.

- 220-
Avec l'irruption du Front Populaire sur la scène politique
(octobre 1987) le discours du pouvoir sur la chefferie ne changera guère, les
"forces féodales" faisant toujours l'objet de dénonciation plus ou moins
véhémente. Mais, en pratique, les rapports entre pouvoir politique et
pouvoir traditionnel sont placés sous le signe de la décrispation. Le Front
Populaire qui am~itionne d'élargir sa base, se montrera en réalité bien
conciliant. Le chef de l'Etat, à travers des propos apaisants, précisera que les
chefs coutumiers ne devraient pas être combattus sans discernement, et
remarquera que "les pouvoirs des chefs sur les populations avaient été
considérablement réduits depuis la Révolution ..." (333).
3 - Les CDR face aux pesanteurs sociologiques
Ainsi que nous l'avons vu, le projet du CNR consistait à
marginaliser les responsables coutumiers, à les exclure du jeu politique, à
les réduire au silence. Mais ses "structures populaires" se heurtèrent aux
pesanteurs de la société traditionnelle dès qu'ils tentèrent de confisquer le
pouvoir jadis exercé par les chefs coutumiers. Cela dit, il ne suffisait pas,
comme l'a tenté le pouvoir révolutionnaire/d'étouffer les "forces féodales"
pour se réapproprier leur légitimité et bénéficier du soutien mécanique de
leurs sujets. Par ailleurs, les chefs traditionnels ont fait preuve de réelles
capacités d'adaptation et réussirent dans un premier temps à infiltrer les
bureaux CDR, à les neutraliser, en se faisant élire ou en faisant élire leur fils
à leur direction (334). La manoeuvre eut un tel succès que les dirigeants
durent rapidement s'y opposer, en procédant au "verrouillage", et
sanctionnant d'inéligibilité toute personne soupçonnée de connivence avec
"la
bourgeoisie
d'Etat,
la
bourgeoisie
compradore
et
les
forces
rétrogrades" (335). Dès lors, dans la plupart des campagnes, les CDR des
villages ne recrutaient plus que parmi les jeunes adolescents, marginalisés
par leurs aînés, privant alors ces structures de l'adhésion des populations
333_ Interview du Capitaine B. Compaoré, in Carrefour africain, spécial 1er Congrès du Front
Populaire, n° 1113 du 1er mars 1990, p. 20.
334_ Le recours à la sorcellerie aura même été pratiqué dans certains cas comme ultime voie de
préservation de l'ordre social traditionnel.
335_ Cf. article 94 du statut général des CDR.

- 221-
locales. En pays mossi en particulier, la légitimité du pouvoir fondée sur le
"nam" (source spirituelle du pouvoir) ne peut s'exercer dans la violation de
la tradition. On ne peut alors s'étonner que les communautés rurales ne se
soient pas reconnues à travers les CDR.
Au niveau des villes, maîtrisant l'attribution des sols avant la
réforme agro-fonci~ë, les chefs ont réussi sans trop de peine à sauvegarder
leur autorité "soit en faisant attribuer par l'Etat des parcelles à plusieurs
membres de le~rs familles, soit en se faisant attribuer successivement une
parcelle à chaque nouveau lotissement" (336).
Confrontés aux
assauts répétés
du pouvoir, les structures
coutumières se sont toujours montrées aptes à contourner les dispositions
"anti-chefs" du CNR. Elles ont su également déjouer toutes les tentatives de
démantèlement du pouvoir coutumier et trouver suffisamment de
ressources
pour
s'opposer
au
bouleversement
des
hiérarchies
traditionnelles.
S'obstinant
à
vouloir
ignorer
le
poids
des
institutions
traditionnelles, forces sociales à la fois incontournables et redoutables, le
CNR s'est condamné à hypothéquer son emprise sur la périphérie, du fait
que "la dépossession des fonctions des chefferies traditionnelles ne s'est pas
accompagné automatiquement d'un transfert de légitimité au profit des
relais périphériques du pouvoir révolutionnaire" (337). Aussi, les relais qu'il
a voulu substituer aux structures traditionnelles se sont révélés des
"coquilles vides" privées d'ancrage social, et sans prise véritable sur les
réalités.
336_ OTAYEK (R.), op. cit., p. 16.
337_ LOADA (A.), op. cit., p. 74.

- 222-
SECTION II - CHEFFERIES TRADITIONNELLES ET
MOBILISATION COMMUNAUTAIRE
Après avoir retracé les péripéties qui ont marqué les relations des
chefferies avec la structure politico-administrative, et tenté de comprendre
les attitudes des différents protagonistes, il nous faut voir maintenant en
quoi elles ont joué ou non un rôle dans le fonctionnement des soins de
.(
santé primaires.
1- Une attitude fluctuante
C'est au niveau de leur pouvoir de mobilisation des communautés
que le rôle des chefferies apparaît comme le plus important. Cependant,
comme dans le reste du pays, les institutions traditionnelles de cette
province ont, elles aussi, subies les conséquences du bras de fer engagé entre
les forces de la tradition et le pouvoir politique. La mise à l'écart des chefs
dans la gestion politique et administrative des villages ne manquera pas
d'introduire de profonds bouleversements dans la vie et l'administration
des villages. Pour bien comprendre la position des chefs traditionnels de
village, on examinera tour à tour leurs attitudes dans deux situations bien
distinctes.
a) La bienveillance
L'expérience des "PSP-NOVIB" au début des années 80 a bénéficié de
la contribution et du concours du pouvoir coutumier. Cette stratégie, sous
l'impulsion des ONG a cherché avant tout à s'appuyer sur l'initiative et le
dynamisme des communautés locales. L'approche consistait alors à
mobiliser les réseaux communautaires locaux et à solliciter ouvertement le
concours des chefs traditionnels. Dans des démarches préalables, ceux-ci
furent en effet "sensibilisés" à travers des campagnes d'information visant à
leur expliquer la nature, les modalités et les objectifs du travail à accomplir.
Il fallait au préalable s'assurer qu'ils étaient disposés à mettre leur influence
et leur autorité au service des SSP (338). Par la suite, cette démarche s'est
338_ Rappelons que ces actions ne concernaient que les trois départements de Léo, Bieha et
Bourra dans la mesure où les "PSP-NüVIB" n'étaient qu'une expérience pilote.

- 223-
avérée payante. Jamais, en effet, les chefs de ces villages ne s'étaient montrés
aussi bienveillants
et
coopératifs
à
l'égard
de
tels
"projets
de
développement" provenant de surcroît de l'extérieur. Leurs interventions
permettaient à tout moment de relancer la mobilisation des populations
(surtout lors des travaux communs à exécuter) quand celle-ci donnait des
signes d'essoufflement; mais elle consistait aussi en des "rappels à l'ordre"
de l'ASV. Par exemple, à Bourra, le chef de village veillait personnellement
à la bonne ma~~he du PSP, exigeait discipline et dévouement à l'ASV. Aussi
nous confie un infirmier "A Bourra, le chef de village ne permettait jamais
qu'un membre de l'équipe de santé de village (ASV ou AV) soit absent aux
recyclages mensuels qui leur étaient destinés" (339) avant de reconnaître que
"ce chef a joué un grand rôle dans le succès des "PSP-pilotes"."
Cet exemple montrant l'investissement personnel d'un responsable
coutumier, s'il peut paraître spectaculaire ne con~titue pas pour autant un
cas unique. Dans les départements de Bieha et Léo, les chefs de canton
acceptèrent également de collaborer (de façon moins spectaculaire et peut-
être plus discrète) à la réussite des actions concernant les soins de santé
primaires. Leurs interventions, comme à Bourra ont le plus souvent permis
de renforcer la participation collective des villageois, et de jouer un rôle
d'arbitrage lors des conflits ou des litiges.
En somme, les "PSP-NOVIB" réussirent à se maintenir durablement
dans ces trois départements. Le rôle joué dans les trois cas par les chefs de
village n'est sans doute pas étranger à ce "succès".
Qu'en est-il alors de l'attitude du pouvoir coutumier vis-à-vis de la
politique gouvernementale des SSP? Comment s'est opérée la cohabitation
entre les nouveaux relais du pouvoir et les chefferies?
b) Le contrôle des relais politiques du pouvoir
Dans la mise en oeuvre de la politique gouvernementale des SSP,
au niveau local, les chefferies traditionnelles adopteront deux attitudes
successives. La première au lendemain de la création des CDR.
339_ Entretien avec un infirmier de la coordination des SSP, Direction provinciale de la santé,
Léo.

- 224-
Ainsi, à l'instar des chefferies mossi, elles ont cherché à "prendre la
citadelle étatique de l'intérieur", investissant systématiquement les
structures COR en en contrôlant la direction. La menace que la création des
COR faisait peser sur la cohésion et l'équilibre communautaires avait été
très vite perçue. Il fallait donc les empêcher de "nuire aux traditions". La
mobilisation des s~ùctures communautaires et des ressources sociales et
humaines de la société lignagère ont permis dans un premier temps
d'assurer le s~ccès de l'opération. Appelé à jouer un rôle essentiel au
niveau villageois, l'élection du délégué de village devint l'enjeu majeur
des luttes entre le système administrativo-politique et les structures
coutumières.
Comme il fallait s'y attendre, le contrôle des CDR par les chefferies
ne s'est pas traduit par un enthousiasme à appliquer les décisions étatiques.
Plutôt que d'oeuvrer dans le sens de l'encadrement politique des
populations (objectif déclaré du pouvoir) ils se sont au contraire révélés
comme des remparts contre l'hégémonie étatique, ou à tout le moins"
comme des structures de restauration de l'ordre coutumier. Ainsi, le
délégué de village se faisait rapidement élire par le seul fait qu'il était le fils
du chef. Il ne pouvait cependant prétendre directement à l'autorité ni à la
légitimité, dont seul son père (le chef de village) continuait de jouir. Quand
il lui arrivait d'exercer ou de détenir une quelconque autorité, c'était
davantage en tant que fils du chef que délégué COR. "Quand le délégué de
village vient de la famille du chef il peut être respecté et écouté par les gens,
si c'est un simple
CDR, il est beaucoup moins considéré" (340).
En somme, le délégué de village sans lien de paren té avec la
chefferie est par excellence le personnage sans légitimité (341). C'est l'absence
de reconnaissance de son autorité qui le distingue fondamentalement de
son collègue issu des rangs de la chefferie. Au niveau villageois, il est non
seulement privé de la légitimité traditionnelle, mais ne jouit pas non plus
d'une réelle légitimité révolutionnaire, celle dont le pouvoir voulait
340_ Entretien avec le président de la CSV, Mouna.
341_ WEBER (Max), a identifié trois types de légitimité: la légitimité traditionnelle,
charismatique et légale (ou relationnelle), voir à ce propos Economie et société, Plon, 1971,
651 p.

- 225-
l'investir. Quant au responsable COR dont le père est chef, il semble
s'opérer un transfert de légitimité et d'autorité, celle du père rejaillissant sur
le fils; dans ce cas de figure, la légitimité traditionnelle s'exerce au
détriment de la légitImité révolutionnaire.
Le délégué de village étant en même temps le président de la CSV
(ou à défaut un re~ponsable influent), la bonne marche de cette structure
chargée de la mobilisation dépendait directement de l'autorité dont jouissait
ce personnage.('Celui-ci pouvait se montrer apte à mobiliser les populations
(comme ce fut le cas au début) lorsque derrière lui se profilait la figure du
chef de village. A partir du moment où les chefferies de village contrôlaient
et utilisaient directement les "structures populaires" du pouvoir, celles-ci
ont pu conserver tant bien que mal un caractère fonctionnel, dont le
dynamisme se répercutait particulièrement dans la marche des SSP, par leur
capacité à mobiliser et à faire "participer" les populations.
Mais les choses devaient radicalement changer avec l'invalidation
des bureaux COR accusés d'être "manipulés" par les représentants de la
"féodalité".
2 - Une cohabitation difficile
L'exclusion sans ménagement des chefs traditionnels de la conduite
des affaires locales répondait au souci du pouvoir révolutionnaire d'en faire
les "pestiférés de la vie politique". Désormais, sans pouvoir et sans autorité,
comment les chefs traditionnels se sont-ils comportés? Comment les
communautés locales ont-elles réagit à ces mesures? Toute généralisation,
nous semble-t-il, risque de trahir la vérité car les situations diffèrent suivant
les contextes. Toujours est-il que, avec ces nouvelles données, les chefs, bien
que tombés en "disgrâce administrative" ou frappés d"'indignité politique"
continuèrent à peser indirectement dans la vie locale. Certains membres de
la famille du chef, une fois de plus, avaient réussi à se faire élire (342). Ainsi,
les responsables coutumiers, ne pouvant exercer une autorité directe, ne
continuaient pas moins à influencer "à distance" les décisions des COR,
même si à première vue, ils paraissaient éloignés des centres de délibération
342_ Il faut préciser que dans nombre de villages, les candidats proposés avaient presque tous,
à des degrés divers, un lien de parenté quelconque avec le lignage du chef.

- 226-
et des structures de décision. En apparence, rien ne trahit une quelconque
participation de leur part aux destinées du village, leurs interventions se
cantonnant dans la "sphère souterraine" et leur véritable pouvoir
s'exprimant dans les coulisses. C'est dire que leur autorité, leur pouvoir,
même dévêtus de leur caractère officiel ne sont pas pour autant réduits à
néant. Même privés de l'accès aux assemblées officielles, les chefs
coutumiers ne sont;,; donc pas totalement absents de la vie politique locale.
Bien plus, dans la mesure où ils canalisent encore une bonne partie de la
{
légitimité, les'populations continuent à se référer à eux (y compris les
nouveaux acteurs politiques).
Quant aux délégués politiques sans attaches avec le lignage détenant
le pouvoir, "ils n'avaient aucune autorité et rien ne marchait avec eux". Ces
"nouveaux CDR" qui animaient la vie politique au niveau villageois
eurent fort à faire pour asseoir leur autorité. La population, dans sa majorité
ne se reconnaît pas dans les délégués de village qu'elle n'avait souvent pas
choisis (343). En outre, leurs rapports assez distendus au départ avec les
autorités traditionnelles ne simplifiait pas les choses. De fréquentes rivalités
et des conflits d'autorité les opposaient à la gérontocratie coutumière qui ne
se privait pas d'accuser "ces jeunes de vouloir leur retirer leur pouvoir et
leurs prérogatives". Ainsi, dans maintes localités, leur présence renforça les
tendances à la méfiance et au repli sur soi des communautés, dans la
mesure où leur autorité s'exerçait davantage par le biais de la contrainte que
de la persuasion. Mais surtout, les CDR incarnaient le mépris pour les
valeurs anciennes, les coutumes ancestrales, et étaient assimilés à de
simples contestataires de l'ordre ancien. Ils se voyaient ainsi reprocher leur
non-respect des hiérarchies traditionnelles et des aînés, dépositaires de la
tradition.
A ces périodes de tensions, et de heurts, succédera une période
marquée par une volonté de co-existence pacifique entre représentants des
forces coutumières et nouveaux relais du pouvoir (344). L'exemple de
Kayéro 1 nous en donne l'illustration. "Le chef de village est toujours
343_ Beaucoup d'entre eux ont été nommés (au lieu d'être élus) en remplacement des anciens.
344_ Globalement cette tendance s'est amorcée à partir de 1987 sous le régime du Front
Populaire avec l'apparition des CR appelés à se substituer aux COR.

- 227-
respecté ici, il s'occupe des coutumes. Il ne se mêle pas des activités des CR.
Mais nous aussi, pour les coutumes on n'a rien à voir avec ça et on ne gêne
pas son travail" (345).
Cette nouvelle forme de cohabitation implique que chaque instance
possède en propre s~ sphère d'influence et son domaine d'activité qu'elle
régit de façon autonome (346). Un contrat tacite entre les deux parties semble
fixer les règles implicites de cette co-existence interdisant tout empiètement
1.
de l'une des parties dans le domaine de l'autre. En dépit de cette volonté
mutuelle d'entente, aucun changement majeur ne s'est dessiné dans le
rapport des forces entre chefferies et CR. Ces derniers ne se sont jamais
montrés capables de s'imposer comme les véritables maîtres du jeu
politique à l'échelle du village. Tout au plus, serviront-ils de relais aux
structures administratives et techniques pour la diffusion des mots d'ordre
du pouvoir en matière de développement. Or, nous l'avons dit, en se
privant du concours des chefs traditionnels, ils réduisent considérablement
la portée de leurs actions et singulièrement, dans la mobilisation (347).
Ces différentes expériences rapidement retracées ici, montrent
fondamentalement les rapports très contradictoires des chefferies avec le
pouvoir politique. La volonté du pouvoir révolutionnaire d'exercer un
contrôle absolue sur les populations paysannes, en proposant ses propres
structures d'encadrement, n'a pas suffi à ébranler entièrement les chefferies
dans les villages. La faiblesse de la légitimité de ses relais n'a pas permis au
pouvoir de s'aménager de solides points d'ancrages territoriaux qui lui
auraient permis d'exercer son hégémonie et son monopole face aux
institutions traditionnelles villageoises. Cela tient-il à la "faiblesse" de l'Etat
ou, au contraire, à la force et à la capacité de résistance des chefferies en
particulier mossi? Comme le dit la célèbre formule de G. Hyden le pouvoir
révolutionnaire n'a pas réussi à "capturer" les communautés paysannes,
345_ Entretien avec le délégué de village, Kayéro 1.
346_ Cela semble possible parce que les CR, contrairement aux CDR ont eu moins de prétention
à vouloir tout contrôler et à s'opposer systématiquement aux institutions villageoises.
347_ Dans certaines communautés autres que les Nuna et Mossi où n'existe pas de chefs de
village (ou quand celui-ci n'a pas une véritable autorité politique), il peut exister des
personnages charismatiques (des "leaders d'opinion") capablent d'entraîner une bonne
partie des populations à suivre ou au contraire à s'opposer à une décision gouvernementale.

- 228-
qui ont, elles, montré leur capacité à le "défier" (et peut-être même à le
"capturer" ou à le neutraliser). Plus généralement, ce débat renvoie au
problème de l'Etat et à la faiblesse de sa légitimité (348).
SECTION III - LES RESISTANCES A LA MOBILISATION
A - DE L1 NATURE DES RESISTANCES
La réalisation de la mobilisation paysanne dans le projet des soins de
santé primaires ne se déroule pas sans se heurter à des réticences
multiformes. On observe une diversité d'attitudes, de gestes ou d'actes à
travers lesquels les populations cherchent à se soustraire à certaines
contraintes ou à exprimer une dissidence. Mais, quelles formes prennent
ordinairement ces résistances? Elles peuvent être individuelles ou
collectives, mais revêtent le plus souvent des formes "spontanées" et
strictement non violentes et inorganisées. Cette absence de protestation
frontale ne relève toutefois pas du hasard. Comme le remarque Ela J.M.,
"Marquées par les pratiques autoritaires du pouvoir colonial, les sociétés
rurales ont compris qu'il fallait éviter les "conflits ouverts" qui donnent
prétexte à l'Etat d'exercer la violence. Dans les villages, les paysans évitent
de tomber dans le piège en "imaginant" des modes de contestation qui ne
peuvent pas attirer l'attention des autorités officielles" (349).
Conscients de la force de l'appareil d'Etat, les habitants des
campagnes s'y opposent en observant des formes de contestation subtiles et
passives, difficilement décelables; elles répondent à des logiques de
"soustraction" et de sélection.
1 - Les stratégies de soustraction
Pour Ela J.M., "Tout effort pour imposer aux paysans noirs des
programmes sans susciter leur adhésion se heurte à des résistances polies,
348_ Voir à ce propos HYDEN (G.), "La Crise africaine et la paysannerie non capturée", in
Politique africaine. nO 18,1985, p.93-113.
349_ Op. cit., p. 159.

- 229-
qui demeurent la réaction ordinaire contre l'autoritarisme de l'Etat en
milieu rural africain" (350).
Cette réaction, que nous appellerons "stratégies de soustraction"
prend le plus souvent la forme de l'absentéisme.
Dans
le
d~ssein d'échapper aux nombreuses sollicitations
qu'occasionnent le's travaux collectifs périodiquement demandés aux
paysans (travaux d'assainissement, de désherbage des alentours du PSP ou
(~
du dispensair:e, construction de latrines ... ), les populations inventent
quotidiennement des subterfuges pour se dérober. L'autoritarisme dont
faisaient preuve les COR (sous le CNR) les avait amener à privilégier des
méthodes coercitives de mobilisation. Tout en étant déclarée "libres" ou
"volontaires", la non-participation à ces travaux pouvait entraîner des
sanctions à l'encontre des sujets s'étant fait remarquer par des absences
répétées (351).
A l'évidence, les individus qui prenaient, malgré tout, le risque de
s'absenter ne manifestaient pas un plaisir particulier à s'exposer à la colère
des COR. Leur refus de participer n'était ni gratuit, ni fortuit mais bien une
prise de position ou l'expression d'un mécontentement (352). Ainsi, dans les
comportements de certains usagers, le recours à l'absentéisme apparaît, de
façon évidente, comme une stratégie de résistance. Les jours où ont lieu les
sollicitations administratives, sont ceux-là même que l'on choisit
délibérément pour s'absenter: conduire une femme ou un enfant en
consultation au dispensaire, simuler une maladie, effectuer un déplacement
dans un village voisin... L'astuce consiste toujours à imaginer une situation
qui permet d'opposer, le cas échéant, des excuses valables. Faute de ne
pouvoir s'opposer ouvertement aux injonctions venues "d'en haut", les
350_ Ibid.
351 Surtout aux "travaux d'intérêt commun" institués par le CNR. Ces sanctions infligées par
les COR pouvaient aller des simples réprimandes et avertissements à des brimades de
toute sorte, en passant par des caractérisations du genre "attitude contre-révolutionnaire"
ou "entrave à la marche radieuse de la révolution" (dans le cas des citadins).
352_ Ce n'est peut-être pas non plus un hasard si ces formes autoritaires de mobilisation
villageoise pouvaient éveiller, chez les plus âgés (ayant cinquante ans et plus) qui
connurent les travaux forcés (sous la colonisation), de troublants souvenirs.

- 230-
villageois qui ont toujours "plus d'un tour dans leur sac" trouvent les
moyens, quand ils le désirent, de se soustraire à la vigilance et à la violence
du pouvoir.
Certaines périodes de l'année offrent des possibilités accrues aux
paysans de "narguer" le pouvoir. La saison sèche, contrairement à ce que
l'on croît, est loin d'être une période socialement inactive. De nombreuses
activités (commerce, traite, funérailles) s'y organisent, fournissant des alibis
1.
"en or" aux paysans qui peuvent sans s'inquiéter boycotter les travaux
collectifs. "Moi", avoue un paysan mossi, "après les récoltes, j'ai mes
propres occupations: agrandir ma maison, tenir un petit commerce. C'est
l'occasion de gagner un peu d'argent; ça au moins c'est utile. Il y a quelques
années, ce sont les villageois qui ont construit la nouvelle école. Parfois, il
fallait nettoyer certains endroits du village pour qu'ils restent toujours
propres; tout ça sous ce chaud soleil. Mais pour moi, mon travail passait
avant tout ça" (353).
La saison sèche, qu'elle soit mise ou non à profit pour exercer une
activité quelconque, offre toujours des "choix d'évasion" aux paysans. Ceux-
ci peuvent toujours évoquer un "manque à gagner" dans la mesure où leur
participation au "faso bara" (354) se fait aux dépens de leurs activités
saisonnières normales, sans compter le désir de profiter d'un repos bien
mérité: "Que voulez-vous? Je travaille dur tout l'hivernage pour pouvoir
me nourrir. Mais quand la saison des cultures est passée on veut pouvoir se
reposer ou utiliser le temps à réaliser de petits projets, voir la famille ou les
amis qui sont dans d'autres villages" (355).
Quant à la saison· pluvieuse, depuis toujours elle à servi de "refuge"
aux paysans pour manifester leur résistance à l'administration. Depuis
l'avènement du CNR et l'instauration des SSP dans les campagnes, les
paysans étaient régulièrement réunis, tantôt pour des séances de
sensibilisation dans des actions concernant la santé (sensibilisation au péril
353_ Entretien avec un agriculteur, Mouna.
354_ C'est ainsi que furent baptisés certains travaux "d'intérêt commun" par le CNR. Signifie
littéralement "la construction de la patrie".
355_ Entretien, Kayéro 1.

- 231 -
fécal, à l'hygiène, nivaquinisation, latrinisation ... ), tantôt pour des séances
de vaccination. Mais ces assemblées drainaient si peu de monde que l'on
renonça à les maintenir. Nombre de villageois se montraient réfractaires à
sacrifier ainsi le travail de leur "pûûga" (356) exprimant ainsi leur
indifférence (voire leur désintérêt) à "écouter des paroles creuses". Les
vendredis ayant été institués par les paysans, jour de repos (jour où les
musulmans vont à:..-la prière), l'autorité administrativo-politique s'arrangea
pour que ses futures rencontres avec les populations correspondent à leur
.{
jour de repos. En dépit de ces précautions, les présences lors des assemblées
n'enregistrèrent qu'une faible progression, les paysans préférant "meubler"
ce jour autrement que par des réunions.
Il apparaît ainsi que l'absentéisme est très nettement un mode de
protestation, une attitude de "désobéissance". Pour les populations qui
observent ces pratiques, elles se justifient à la fois par le refus de
l'autoritarisme des instances chargées de la mobilisation, mais aussi par la
priorité qu'ils accordent à l'action individuelle et personnelle sur
l'entreprise collective, dont ils ne perçoivent que rarement l'utilité
immédiate. Ces refus de l'autoritarisme tendent à confirmer la faiblesse de
la légitimité des structures de mobilisation contrôlées par les acteurs
politiques de l'Etat. Mais, encore une fois, ces formes d'opposition restent à
l'état de résistances muettes, d'où sont proscrites toutes pratiques pouvant
occasionner une brouille ouverte avec les autorités.
2 - Les stratégies du "ticket gratuit"
Elles sont dictées par le désir de profiter, dans une action de
"développement" du fruit des actions réalisées tout en rechignant à en
"payer le prix". Cette situation nous renvoie au "paradoxe de l'action
collective" et à la théorie du "ticket gratuit" de M. OIson (357). Que dit la
théorie d'OIson?
L'auteur soutient dans son célèbre ouvrage l'idée selon laquelle une
collectivité, qui a un intérêt commun, ne s'engagera pas toujours dans une
356_ Activités champêtres. Prononcer "pouga".
357_ OLSON (M.), Logique de l'action collective. Paris, PUF, 1978.

- 232-
action collective afin de le satisfaire. En d'autres termes, que des individus
aient un intérêt commun, n'est pas une raison suffisante pour les amener à
agir ensemble pour le réaliser. "Des individus raisonnables et intéressés",
précise-t-il, "ne s'emploieront pas volontairement à défendre les intérêts du
groupe" (358). Comment l'auteur explique-t-il ce paradoxe? Pour étayer cette
affirmation, OIson c9nsidère les coûts que peut entraîner l'action collective
pour chaque membre d'un groupe donné. La production d'un bien, en effet,
exige de la palit de chaque sujet un investissement en temps, en effort ou en
argent, pouvant constituer un frein à la participation à l'action collective: il
avance alors l'idée qu'en toute logique, un individu qui avait consenti plus
d'efforts dans l'action collective qu'il ne reçoit de gratifications n'a pas
intérêt à y participer. Un bien collectif est, par définition, accessible à tous les
membres d'un groupe, que ceux-ci aient ou non contribué à sa production.
Cependant, pour sa production, l'individu peut estimer qu'il lui serait plus
avantageux de ne pas y participer puisque, une fois produit, la jouissance du
bien ne peut lui être refusée. En revanche, si l'on poursuit dans la logique
de ce calcul, l'acteur participant à l'action collective aura perdu sa mise si le
bien n'est pas produit (359). Un choix stratégique "rationnel" peut donc
conduire le sujet à se rétracter et laisser les autres agir. L'exemple de la grève
en est une illustràtion. L'ouvrier qui refuse de s'engager dans un
mouvement de grève n'a rien à perdre: en cas de succès, il profitera avec les
grévistes des bénéfices de cette action. Si au contraire, elle n'aboutit pas, il
conservera son salaire intégral tandis que celui de ses collègues sera amputé
d'une somme correspondant aux journées de grève. C'est le sens à donner à
cette notion de "ticket gratuit" qui implique que "ceux qui n'achètent ou ne
paient aucun bien public ne peuvent être exclus ou écartés du partage alors
qu'ils pourraien t l'être des biens non collectifs" (360).
358_ Ibid., p. 22. Cette théorie ne s'applique pas uniquement aux intérêts latents dans les
groupes, elle concerne avant tout les intérêts manifestes.
359_ Tel n'est pas le cas de ceux qui animent l'action co\\lective; en effet, même si leur
"désintéressement" est grand, ils peuvent néanmoins tirer des bénéfices individuels.
360_ Ibid., p. 36-37. OLSON tente de montrer aussi que si chaque membre du groupe devait se
livrer à un tel calcul d'intérêt personnel, aucun bien collectif ne pourrait être produit, bien
qu'il soit pourtant de l'intérêt de tous qu'il le soit. L'action collective n'aurait donc pas lieu
(ou se réalisera de manière sous-optimale) puisque "rationnellement" aucun individu n'a
intérêt à apporter sa contribution.

- 233-
Comme on peut le constater, dans la démonstration d'OIson, la
logique de l'intérêt des acteurs prend toute son importance et conditionne
leur mobilisation (ou leur non mobilisation) dans l'action collective (361).
Mais l'auteur de Logique de l'action collective introduit un facteur
non négligeable dans l'analyse du phénomène du "ticket gratuit" : celui de
/
la taille du groupe. Les grands groupes, plus que les petits (ou les groupes
intermédiaires). seraient davantage exposés aux risques du "ticket gratuit".
"( ...) Dans un groupe ou la contribution d'un simple individu ne fait pas de
différence perceptible en regard de l'ensemble du groupe, ou de la charge et
bénéfice de chaque membre pris en
particulier, il est certain qu'on
n'obtiendra pas le bien collectif sans coercition ou autres incitations
extérieures propres à pousser les membres d'un grand groupe à agir dans
leur intérêt commun" (362).
En somme, dans les grands groupes, l'individu est plus porté à
penser que sa contribution est insignifiante et sans effet réel sur les capacités
de l'organisation. Ce raisonnement serait alors un facteur explicatif de sa
propension à l'abstention (363).
En quoi la théorie d'OIson peut-elle nous aider à comprendre les
formes de résistances constatées avec les populations rurales? Ces stratégies
s'inscrivent-elles ou non dans cette logique du "ticket gratuit" ? C'est ce que
nous verrons à travers quelques exemples.
• L'achat à crédit
Lorsqu'ils avaient recours aux services offerts par l'ASV, les usagers
ont réussi très habilement à instituer, pendant un certain temps, des
pratiques de recours à l'emprunt. Cette pratique peut paraître à première
vue étonnante, compte tenu des faibles coûts qu'implique toute prise en
36L C'est pourquoi ce paradigme est souvent qualifié "d'utilitariste".
362_ Ibid., p. 67.
363_ Alors que dans les petits groupes, chacun est conscient que le fait de payer sa quote-part
est décisif pour la réussite d'une action. Ces groupes auraient ainsi davantage de chances
d'obtenir des biens collectifs encore que leur petite taille peut constituer une difficulté
supplémentaire à l'obtention de ressources.

- 234-
charge effectuée par l'agent de santé. Tous les produits proposés sont
vendus au détail afin d'assurer une "accessibilité totale" des usagers aux
soins. En dépit de cette disposition, le nombre des patients ayant "négocié"
avec l'ASV pour obtenir des crédits ou des avances de médicaments s'est
considérablement accru, menaçant de devenir une seconde règle. Certains
usagers justifient l}pT geste en invoquant des difficultés passagères, "vous
savez, la maladie. n'attend pas que vous ayez de l'argent avant de vous
frapper; elle rirent quand elle veut; donc il faut accorder des crédits pour
que les pauvres aussi puissent se soigner" (364). Malgré toutes les garanties
verbales offertes à l'ASV, ces emprunts pour l'essentiel ne sont pas
remboursés, et conduisent le "fautif" à adopter des comportements
d'évitement du PSP et de son gérant pendant une période qui peut durer
plusieurs jours ou même plusieurs semaines. Si malgré tout celui-ci venait
à rencontrer malencontreusement l'ASV, il a toujours une "excuse" à faire
valoir: une longue absence du village, un problème de famille l'ayant
accaparé, un "oubli", etc.
• La "mauvaise volonté"
Dans le but de reconstituer les produits épuisés, les consommateurs,
invités à contribuer à travers une souscription financière ne manquaient
jamais "d'arguments" pour contourner ces sollicitations. Si le facteur
économique servait de justification à ceux qui disaient "manquer d'argent"
d'autres comportements en revanche participent d'un refus délibéré, où
l'acteur s'interdit volontairement de donner sa quote-part, préfèrant utiliser
son argent pour faire face à des obligations plus immédiates ou plus
"urgentes" plutôt que de le "donner pour rien". A l'évidence, les personnes
qui observent ces comportements savent qu'elles n'encourent aucun risque
et ne se verront jamais interdites d'accès au PSP. Dans d'autres cas, l'usager
estime avoir consenti des efforts antérieurs et entend recueillir les bénéfices
de ce travail:
"Moi je ne peux plus donner de l'argent pour les
médicaments; on a déjà fait beaucoup de choses comme ça, on a construit la
case de santé... ; en tout cas si je peux avoir certaines choses sans payer, je
préfère en profiter" (365).
364_ Entretien avec un manoeuvre, CREN, Kayéro 1.
365_ Entretien, Kayéro 1.

- 235-
• Location gratuite
Les attitudes qui consistent à profiter de la moindre occasion pour
s'offrir gratuitement un service ne s'observent pas uniquement dans le
recours aux soins. Elles s'étendent à l'ensemble des services qui peuvent
être proposés. Dans.. le village de Sagalo, l'ASV rapporte que le matériel
d'assainissement (brouette, pelle, râteaux... ) n'étant pas utilisé à cause du
manque d'intérêt" pour ce type d'activité, "on a eu l'idée de le louer à ceux
qui en avaient besoin pour effectuer leurs travaux personnels, au tarif de
200 FCFA par jour. Mais les gens utilisaient le matériel sans jamais payer la
location, et on a fini par abandonner" (366).
• L'affirmation du rôle de l'Etat
Certains discours dévoilent le sentiment que l'on trouve légitime
que l'Etat assure le "minimum" aux paysans, de la même manière qu'il se
montre "bienveillant" pour les citadins. Un paysan, la cinquantaine, "se
soigne régulièrement au PSP mais n'est pas prêt à contribuer pour payer
l'ASV parce que c'est le rôle de l'Etat".
• Changement de recours
Certains usagers sont animés par la volonté de se soigner
gratuitement ou à moindre coût;. dans ce but ils n'hésitent pas à utiliser
tous les moyens pour y parvenir. "Certains malades qui ont déjà des crédits
avec moi ne viennent plus ici; quand ils sont malades, ils vont dans le
village d'à côté où ils prennent d'autres crédits avec l'ASV".
• Rivalités inter-villageoises
Les tensions et conflits entre différents villages peuvent constituer
des sources de résistance à l'action collective. Nous avons déjà vu que le
village de Kayéro est scindé en deux (Kayéro 1 et Kayéro 2). Le village de
Kayéro 1 ayant été retenu pour abriter le CSPS se heurta à l'opposition du
village voisin. Les habitants de Kayéro 2 ne s'associèrent donc pas à sa
construction et aujourd'hui encore refusent de participer à son entretien.
366_ Entretien, ASV, Sagalo.

-.Y-
- 236-
Comme l'indique un ressortissant de 'se village: "Ce dispensaire,
nous on l'utilise comme tout le monde quand ~~~ est malade; mais si c'est
:~
pour l'entretenir, que les gens de Kayéro 1 le fas.~ent tout seuls, parce qu'ils
n'ont pas voulu qu'on le construise chez nous, i! quand nous on a construit
l'école de Kayéro 2, ils ne nous ont pas aidés" (36~).
.
~
/
..'-;
"
",
B - LES RESISTANCES DE L'ASV
.~.ft
~
~
Les différentes formes de résistances qu~ nous venons de décrire ne
s'observent pas uniquement chez les usag:rs. Elles sont pratiquées
également par les agents de santé villageois, sot.i~:, des formes différentes. Les
:~1~
nombreuses frustrations dont ces agents se sent~nt victimes semblent être à
la source de ces comportements.
::j;:~
t .. •
~'.f:" .-
....
1- La "grève du zèle"~i
:~~
-:tl!~
Lors de nos entretiens avec les ASV, il e~! apparu que cette forme de
.....
protestation est largement pratiquée par les bé,!jévoles, le plus souvent en
réactionQ.l'attitude des usagers, dont ils stigma~{~nt certaines conduites. Elle
se traduit ordinairement par une baisse d'enth~\\isiasme et de motivation de
,~~
l'agent de santé. N'ayant plus aucun goût pou(~on travail, l'ASV choisit de
;,~,lI'",
réduire de son propre chef ses domaines â~Jntervention, et le temps
consacré au travail; il ralentit volontairement'~nardeur au travail, et se
soustrait à certaines de ses obligations. Ainsi,~êrtains bénévoles nous ont
1/i)1\\'
avoué avoir allégé unilatéralement (c'est-à-di~'sans aucune concertation
~l{,
préalable) les charges qui découlent de leut:1travail, en procédant de
plusieurs manières. Par exemple, les heures de~~~rmanence passées au PSP
'f4t(l~
(ou à domicile) pour exercer, sont considérablement revues à la baisse. Au
IJ~'~'"
lieu de consacrer une matinée (ou une après-m!.<ii, suivant les cas) entière à
~HS\\'
effectuer sa permanence, l'agent sanitaire se ~êontentera d'une heure ou
deux, puis évoquera son travail personnel pOl;®\\nterrompre.
t§:
Après la réduction du temps pass~:~.au PSP, cette stratégie
d'investissement minimum s'observe égalem@t une fois que l'ASV est
absorbé par ses travaux champêtres. Il se~':'hlOntrera plus réticent à
367_ Entretien avec un usager, Kayéro 2.
<.'

- 237-
interrompre son activité pour s'occuper d'un patient, surtout lorsque celui-
ci ne présente qu'une affection bénigne. La perte de temps et d'énergie que
ce "dérangement" occasionne ne paraît plus admissible. A ce sujet un agent
nous dira un jour: "Regarde, les gens ici nous prennent pour leur boy (c'est-
à-dire leur serviteur ou garçon de course). Ils veulent qu'on fasse tout pour
eux, qu'on soit là à s'occuper de leurs petites maladies, alors que eux ne
nous donnent rien,1 et ne veulent rien faire pour nous. Donc, maintenant,
moi je ne me fatigue plus pour rien; quand je suis occupé, je refuse de faire
.{
ce qu'ils me demandent, certains ne sont pas contents mais tant pis" (368).
Pour les mêmes raisons, beaucoup d'agents ont abandonné les
visites aux domiciles des malades en vue de leur porter les soins, sinon
uniquement pour examiner des malades dans l'impossibilité de se déplacer.
Ce refus se justifie aussi parce que "tous les malades voulaient qu'on fasse
venir l'A5V chez eux". On observe dans le même sens de plus en plus de
refus de conduire les malades jusqu'au dispensaire le plus proche, pour peu
que celui-ci soit jug~ apte à se déplacer. Le plus souvent, l'ASV laissera un
.,
proche du malade jouèr le rôle d'accompagnateur (369).
En tout état de cause, les bénévoles de la santé se montrent moins
disponibles et moins enclins à se donner "corps et âme" pour une
occupation dont beaucoup n'hésitent plus à dénoncer le caractère ingrat.
Leurs faits et gestes s'inscrivent dans des attitudes plus globales qui
consistent à se libérer d'une partie du fardeau que constitue leur travail.
Comme s'indigne un A5V, "il faut qu'on refuse souvent de faire certaines
choses, pour que les gens comprennent qu'on n'est pas leur esclave".
Au total, cette conduite peut s'interpréter comme une volonté de se
"venger" de l'apathie des populations bénéficiaires de leurs services, mais
répugnant paradoxalement à leur assurer de meilleures conditions de
travail et d'existence. Elle apparaît de plus comme un phénomène
d"'adaptation", en réponse aux conditions matérielles subies et aux dures
conditions de travail auxquelles ils sont quotidiennement soumis.
368_ Entretien, ASV, Kayéro 2.
369_ Lors des cas d'évacuation qui se font le plus souvent à vélo.

- 238-
Mais les formes de protestation ne se limitent pas exclusivement à
la "grève du zèle". Elles peuvent s'exprimer à travers des actes de
détournemen t.
2 - Le "self-service"
Lors de leuf formation, les agents sanitaires sont invités à prendre le
plus grand soins de leurs matériels ou mis en garde contre certaines
pratiques comme le vol, le détournement ou le trafic du matériel de travail.
Ces actes sont assimilés à des "fautes" plus ou moins graves selon leur
importance, et peuvent entraîner des sanctions, allant jusqu'à la
radiation (370).
Il n'empêche pourtant que cette pratique s'est développée au départ
avec les premiers bénévoles. Parmi ceux-ci nombreux sont ceux qui, arrivés
avec quelques 1llusions, croyaient avoir trouvé un véritable filon d'or. Mais
ils ont dû vite déchanter en découvrant le caractère peu gratificateur de cette
activité, et ont choisi, en désespoir de cause le "sabotage". Quelques récits
concernant les actes de détournement ou d'appropriation personnelle du
matériel de travail par l'ASV lui-même nous ont été rapportés. Par
exemple, certains produits livrés avec la trousse de soins sont détournés de
leur usage et utilisés à d'autres fins. L'exemple de l'alcool est le plus
fréquemment cité où l'agent l'utilise en priorité pour sa consommation
personnelle (en le buvant) avant de diluer le reste du produit dans l'eau
pour pratiquer ses pansements. D'autres produits peuvent être purement et
simplement distribués par "générosité" à des amis, des parents jusqu'à
épuisement du stock; ils pouvaient, dans certains cas, faire l'objet de vente
"en gros" auprès de commerçants qui les revendaient sur le marché.
Les agents s'adonnant à ces pratiques n'ignorent pas qu'ils sont
passibles de sanctions, ni même qu'ils doivent répondre de ces actes devant
le superviseur (qui est l'infirmier du CSPS le plus proche). Aussi certains
ASC se sachant coupables de tels actes "fuyaient le superviseur comme la
peste" quand approchait la date de sa visite. Plus généralement, pour tous
370_ Mais les sanctions doivent être normalement décidées par la communauté.

- 239-
ceux qui s'étaient rendus coupables d'un quelconque "délit", la visite du
superviseur devenait un contrôle gênant (371).
Citons enfin, la vente du vélo de service par l'agent de santé pour
financer
un voyage en migration (en Côte d'Ivoire). Le matériel
d'assainissement (brouette, ...) peut quelquefois subir le même sort, en vue
d'apporter un comR}ément d'argent dans le but d'effectuer un voyage ou de
concrétiser un projet. Aussi, ce n'est pas un hasard si ce type d'acte (qui est la
forme la plus éxtrême du "self-service") entraîne presque toujours le sujet à
demeurer longtemps hors des frontières du village (le plus souvent dans un
pays étranger ou en ville). Sentiment de culpabilité ou de remords? Peur de
la sanction, ou volonté d'expier sa faute par un exil forcé?
Toujours est-il que dans les pratiques occasionnant l'usage
frauduleux du bien collectif, les agents ne semblent pas cette fois animés
d'une volonté de "sanctionner" les usagers, mais entendent plutôt "saboter"
une entreprise étatique de laquelle ils ont le sentiment de n'obtenir que la
portion congrue. Néanmoins, cette attitude semble participer d'une
incapacité (ou d'une impossibilité) à poser des actes revendicatifs (parce
qu'ils ne disposent d'aucun cadre organisationnel pour cela). Aussi,
trouvent-ils dans le matériel de travail qu'ils se réapproprient ou qu'ils
vendent, un moyen de se décharger de leurs frustrations.
Les exemples de résistance examinés ici (qu'elles soient l'oeuvre des
usagers ou des ASC) ne sont nullement limitatifs. Au contraire, les formes
d'opposition ou de refus qu'expriment ces acteurs face aux contraintes de
l'action collective sont des stratégies permanentes à multiples facettes. Elles
se manifestent par des
conduites
de non-participation
(physique,
financière ... ) aux efforts exigés collectivement à l'ensemble de la
communauté. Ces comportements dénotent une volonté de profiter au
maximum
des
avantages
qu'ils
peuvent
tirer
des
actions
gouvernementales. A défaut de pouvoir bénéficier gratuitement des
services de l'Etat, ces stratégies peuvent apparaître comme des formes de
"récupération" des prélèvements réalisés par l'Etat. Telles sont, en
371_ Lors de sa visite celui-ci fait le point de la gestion du PSP avec l'ASV et la CSV. Mais de
peur d'être démasqués "en public" certains ASV s'arrangeaient pour le rencontrer seul.
D'autres pouvaient refuser de rendre des comptes quand ils avaient le soutien des
villageois, ce qui pouvait entraîner des tensions entre la communauté et le superviseur.

- 240-
l'occurrence, les logiques qui se dégagent des stratégies de soustraction et de
celles du "ticket gratuit" que les acteurs sociaux cumulent ou combinent à
partir de leurs expériences individuelles ou collectives.
/"
(~,

- 241-
CHAPITRE 11- ANALYSE COMPARATIVE DES RATIONALITES
DE L'ESPACE MEDICAL URBAIN ET RURAL
SECTION 1 - LES INSTITUTIONS DE SOINS:
/
LOGIQUE D'ORGANISATION ET DE GESTION
{~
"Toute société élabore, pour faire face à la maladie un système de
stratégies destinées à l'enrayer".
Sylvie Fainzang "L'Intérieur des choses ... "
(éd. L'harmattan, Paris, 1986).
A - LE SYSTEME MEDICAL URBAIN
La ville de Léo est dotée actuellement d'un centre médical qui
comprend un dispensaire, une maternité, un service de santé de la mère et
de l'enfant et de planification familiale (SME-PF). Ces différentes structures
se sont mises progressivement en place. En premier lieu, la ville (qui n'était
encore qu'un petit village) fut équipée d'une maternité en 1956. Le
dispensaire ne sera construit qu'en 1947 et l'ensemble ne sera érigé en centre
médical (c'est-à-dire ayant à sa tête un médecin) qu'en 1986 avec la mise sur
pied du service de SME-PF. Avec une population estimée à environ la 000
habitants, la ville dispose d'une seconde structure sanitaire: l'Office de
Santé des Travailleurs (OST), l'équivalent d'un dispensaire (mais prenant
exclusivement en charge les salariés) ; il comporte également une section de
médecine scolaire. Pour compléter ce tableau du système public de santé, il
faut mentionner le service du P.E.V. (Programme Elargi de Vaccination) qui
assure de manière itinérante ·les vaccinations; on n'oubliera pas non plus
les programmes de protection nutritionnelle et infantile (du CREN de la
mission catholique) orientés vers la surveillance et le traitement des
malnutritions pour enfants de moins de cinq ans. Il existe enfin un service
anti-lèpre de la "Fondation Raoul Follereau".
Le personnel soignant du dispensaire (qui n'est qu'une des
composantes du centre médical) comprend un médecin-chef qui assure la

- 242-
direction du centre; il est secondé par un infirmier d'Etat (372). Le reste des
soignants se compose de 6 "infirmiers brevetés" (dont 2 infirmières). Celui
de la maternité compte deux sages-femmes, deux accoucheuses auxiliaires,
deux matrones, une fille de salle. Une partie du personnel de la maternité
s'occupe également du centre de SME-PF. Deux infirmiers et un agent
itinérant de santé ont la charge du service du P.E.V.
La fréquentation du dispensaire est inégale dans l'année et varie
selon les affections saisonnières, telles que les accès palustres de juin à
octobre; la recrudescence des pneumopathies (toux, bronchites) de
novembre à février, et la prédominance des maladies diarrhéiques de mars
à mai, d'après les in~ormations recueillies dans le registre du dispensaire. Le
taux de fréquentation est à la fois le résultat de la conjonction de facteurs
épidémiologiques, climatiques (baisse du taux pendant la période des
cultures) et de facteurs liés aux mouvements de population (migrations,
jours de marché, etc.). En moyenne, le taux de consultation est relativement
stable, malgré les saisons, soit à peu près une moyenne d'une trentaine par
jour. Ce chiffre peut gonfler les jours de marché (le dimanche) qui sont des
jours d'affluence. La fréquentation est très supérieure le matin; l'après-
midi, les patients sont peu nombreux. On y compte essentiellement des gens
qui poursuivent un traitement entamé quelques jours plus tôt. Les jeunes et
les mères de famille avec leurs enfants en bas âge sont assidus dans ce
dispensaire. C'est dans ces deux catégories de patients que le taux de
fréquentation paraît le plus élevé.
La journée au dispensaire commence très tôt pour les malades, dans
la mesure où beaucoup se présentent avant l'heure d'ouverture pour
l'attente, munis de leur carnet de santé. Pour le personnel, elle commence à
7 heures, avec une première visite aux malades hospitalisés, et une seconde
à la maternité (visite de groupe). Les activités de soins proprement dites
débutent par la consultation, où les malades, à tour de rôle, sont reçus dans
372_ La hiérarchie est établie sur la base du diplôme et du niveau d'étude. Le médecin~chef a
le grade de docteur, son adjoint, l'infirmier d'Etat, a un niveau qui équivaut à la classe de
seconde et titulaire du BEPC + 2 ans de formation les "infirmiers brévetés" regroupent deux
catégories: les "anciens" recrutés à partir du niveau de la 4e des lycées et collèges + 2 ans
de formation; il Y a enfin les "infirmiers brévetés" actuellement recrutés sur la base du
BEPC + 2 ans de formation. Pour le personnel non-soignant on dénombre 2 manoeuvres, 1
chauffeur.

- 243-
la petite salle par un infirmier (373). Elle commence par un bref
interrogatoire du patient sur les symptômes de la maladie et peut se
poursuivre par un .b~ef examen clinique (prise de tension, de pouls, etc.) ;
elle se termine le plus souvent par la rédaction d'une ordonnance,
accompagnée quelquefois d'un début de traitement <Comprimés, injection
effectuée sur place). pans ce dernier cas, le malade est tenu de "rembourser"
les produits du trâitement administré, après l'achat de ses médicaments.
D'une manièr~;générale, les prescriptions l'emportent (et de loin) sur les
distributions de médicaments, d'autant que les patients paraissent trop
nombreux par rapport à la disponibilité réelle en médicaments.
La chaîne thérapeutique conduit successivement le malade de la
salle d'attente à la salle de consultation (encore appelée "salle de tri") où,
après le diagnostic, il est orienté soit vers la salle des injections, soit vers la
"petite chirurgie" (salle des pansements). Les cas jugés complexes sont
directement référés au médecin-chef. Seule la consultation avec le médecin
est payante (300 F CFA); celle effectuée par les infirmiers est toujours
gratuite.
L'accès à la consultation est conditionné par la possession d'un
carnet (374). Pour les soignants, son usage est légitimé à la fois par la
nécessité d'identification du malade, son suivi médical, ainsi que par le
contrôle de l'évolution du traitement. Le carnet médiatise le rapport du
patient au soignant. Mais, au-delà de sa simple fonction d'identification et
de suivi des malades, il semble conforter la légitimité et le pouvoir
symbolique du thérapeute.
Depuis un certain temps (avriI91), une tarification des actes
médicaux a été instituée avec l'ouverture d'un guichet-caisse. Cette
tarification s'applique aux consultations du médecin, mais aussi aux
examens et analyses pratiqués. La caisse assure également la vente sur place
de certains produits pharmaceutiques (ampoules buvables ou injectables,
seringues jetables ... ). Cette disposition permet aux malades de recevoir un
373_ Un système de rotation permet aux infirmiers de se relayer aux différents postes:
consultations, soins, injections, permanence...
374_ Il s'agit du carnet de santé, obligatoire pour tous les malades, anciens comme nouveaux;
ceux-ci se le procurent au marché pour la somme de 50 F CFA (l FF).

- 244-
premier traitement sur place, avant même l'achat des médicaments en
pharmacie; elle présente l'avantage d'éviter un certain effet de rupture de
la chaîne thérapeutique (à condition toutefois que les produits prescrits
soient disponibles au centre).
Le problème le plus crucial dans la gestion du dispensaire est sans
conteste celui desfuédicaments. Denrée rare, le médicament est au centre
des représenta;tions que les usagers se font des structures de soins, et
détermine dans une large mesure leurs parcours, comme nous le verrons
plus loin. Des récentes mesures gouvernementales ont entraîné une
importante réduction de la dotation en médicaments des établissements de
soins. Soucieux de réduire ses dépenses, l'Etat n'intervient plus que dans
une moindre mesure dans la fourniture de médicaments aux formations
sanitaires publiques. Celles-ci sont encouragées à fonctionner sur le mode de
l'auto-financement et de l'autogestion: "Actuellement, le ministère de la
santé ne nous fournit plus de nivaquine, ni d'aspirine. Il entend inciter
chaque burkinabé à s'en procurer pour sa petite pharmacie personnelle.
Cette mesure nous prive ainsi de produits de grande consommation" (375).
Il résulte de cette nouvelle disposition, d'importantes transformations dans
l'organisation et la gestion des formations sanitaires. Elle induit de
nouvelles procédures de prise en charge de la clientèle, en raison du
dénuement progressif qui frappe de plus en plus durement les centres de
soins. Ceux-ci se voient contraints à une gestion parcimonieuse du
médicament. La constitution d'un fonds de roulement avec avance (ou
prêt) remboursable par le patient est une mesure adoptée dans l'espoir
d'éviter une pénurie complète. Or, un fait semble acquis: la présence de
médicaments est un facteur non négligeable dans la fréquentation d'un
centre de soins. C'est à ce phénomène que s'est intéressé l'étude
d'E. Jeannée. Dans "Soins gratuits, maladie pour tous" (376) (1986), il tente de
montrer que la plupart des dispensaires en Afrique sont désertés en raison
du manque de médicaments. Dans une étude consacrée à la participation
communautaire à Pikine (377) (banlieue de Dakar, Sénégal), D. Fassin situe
375_ Entretien avec le médecin-chef, Léo.
376_ Cité par D. FASSIN, in Pouvoir et maladie en Afrique, op. cit., p. 43.
377_ FASSIN (D.), "La Santé publique sans l'Etat 7", op. cit., p. 886.

- 245-
les avantages de l'autofinancement et de l'auto-gestion, pratiqués en
matière de santé dans cette localité. La conséquence (en apparence
paradoxale) en est l'accroissement du nombre de consultations depuis que
fut instauré un système de paiement (150 F pour un adulte, 75 F pour un
enfant). Cette organisation favorisa la présence de médicaments, même en
quantité insuffisante ou même inégalement distribués. Plus généralement,
l'effet bénéfique d;ûne telle initiative rejaillit sur le dispensaire et son
personnel qui pe~vent jouir également d'un surcroît de crédibilité.
.(
Avec le système en vigueur au dispensaire de Léo, les consultations
sont gratuites; en revanche, elles donnent fréquemment lieu à des
prescriptions qui conduisent le malade à la seule pharmacie de la ville
(située dans l'enceinte même du centre médical). En service depuis
seulement 1987, son approvisionnement se fait principalement auprès de la
SONAPHARM (Société Nationale de Pharmacie) qui approvisionne à la fois
les officines et les "dépôts" (minipharmacies existant au niveau des
départements). En dépit de quelques ruptures de stocks (assez rares semble-t-
il), elle dispose normalement des produits de base consignés dans la liste des
"100 médicaments essentiels". En raison de leur absence de formation
poussée ou de qualification, ses deux agents ont pour fonction essentielle la
vente; ils peuvent cependant donner des
conseils thérapeutiques
supplémentaires aux clients sur l'utilisation des produits. Ce faisant, la
difficulté des populations à se soigner ne tient pas simplement à une
absence de consultation ou de médicaments, mais davantage à une
impossibilité d'acheter les produits prescrits (disponibles en pharmacie). Or,
pour la clientèle du dispensaire, l'ordonnance est presque toujours le prix à
payer pour obtenir la guérison. L'accès au médicament demeure ainsi l'un
des aspects essentiels du recours aux soins, en particulier pour les familles
économiquement faibles. Le coût moyen d'une ordonnance qui peut varier
de 1 500 à 2 000 F (30 à 40 FF) peut avoir des implications importantes sur le
budget familial.
En tout état de cause, le facteur économique reste une donnée
déterminante dans le parcours thérapeutique des malades. Si la pharmacie
prévoit des aménagements financiers permettant aux fonctionnaires (et à
d'autres clients connus) la possibilité d'accéder à des crédits gratuits, le reste
de la clientèle, lui, ne bénéficie d'aucune facilité de paiement.

- 246-
Le centre médical dispose aussi d'une capacité d'internement des
malades dont l'état exige un suivi médical plus poussé. Un bâtiment situé
non loin du dispensaire remplit cette fonction d'hospitalisation. Il compte
cinq chambres équipées de deux lits chacun et deux chambres à un lit (378).
Une dernière chambre, isolée des autres est destinée à l'accueil des malades
mentaux. La tarificq.tfon des séjours pour hospitalisation est fixée à 100 F par
jour, et est dégressive au bout de dix jours. Bien souvent, l'internement des
malades se r€vèle
être une source de malentendus entre internés et
thérapeutes, parce que les logiques de ces acteurs en présence se heurtent:
"Quand ils viennent au début, et qu'ils vont très mal, certains malades sont
d'accord pour se faire interner. Mais, dès qu'ils se sentent mieux, ils
réclament de sortir sans même attendre leur complète guérison; d'autres
décident de partir sans même attendre de recevoir notre autorisation" (379).
Ces pratiques sont essentiellement celles des patients issus des campagnes.
Outre, les contraintes économiques, les impératifs de production, conjugués
à une conception différente de la guérison, peuvent expliquer ces conduites.
Les normes qui régissent les modes d'organisation et de gestion du
système médical urbain répondent à une logique qui reste celle de la
rationalité moderne. A l'instar d'un hôpital, le dispensaire se présente aussi
et avant tout comme une organisation, moins complexe à l'évidence, mais
avec les attributs nécessaires: division du travail, travail d'équipe,
catégories et pratiques professionnelles, etc. Il est non seulement un endroit
où l'on soigne les malades, mais aussi un lieu de rencontres, d'interaction
entre différents types d'acteurs: les malades, les professionnels de la santé,
l'administration, l'Etat. De ce fait, il semble être au coeur des enjeux de la
société. Nous verrons cependant que cette organisation reste largement
tributaire du manque de ressources matérielles et doit s'accommoder des
stratégies d'une clientèle qui recourt alternativement ou simultanément
aux différentes institutions (qu'elles soient modernes ou traditionnelles) de
soins. A Léo, le système médical urbain est loin de pouvoir exercer un
378_ En-dehors du lit et du matelas, les chambres ne disposent d'aucun mobilier. Le malade
apporte avec lui l'équipement qui lui est nécessaire: lampe, guéridon, escabot ou chaise,
etc.
379_ Entretien avec le médecin-chef.

- 247-
monopole en matière de recours aux soins, dans la mesure où il ne peut
répondre à lui seul, à l'ensemble des besoins exprimés par les usagers.
B - LA SANTE EN MILIEU RURAL: L'EXEMPLE DE KAYERO
Le centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Kayéro est une
structure dont la Çlise en service remonte seulement à l'année 1991. Il
comprend un dispensaire et une maternité (380), construits par la main-
d'oeuvre four~ie par la population locale, à partir d'un financement privé
assuré
par
des
organisations
non
gouvernementales
d'obédience
protestante. Cet ensemble fait partie d'un centre de récupération et
d'éducation nutritionnelle (CREN), construit par le même financement
privé en 1987. Bien avant l'ouverture du CSPS, il existait à Kayéro un
infirmier (depuis novembre 1990) directement rattaché au CREN. Celui-ci
ne disposait alors que d'un petit local pour exercer son activité, se
contentant d'un équipement sommaire, et ayant à sa disposition le dépôt
pharmaceutique du CREN. Les affections bénignes étaient traitées sur place,
tandis que les malades plus gravement atteints étaient invités à recourir au
centre médical de Léo.
Aujourd'hui, le centre de santé de Kayéro est un véritable CSPS,
mais dont la gestion est toujours aux mains d'organismes privés (381). La
participation de l'Etat se limite pour l'instant à la fourniture de
médicaments (assurée de façon irrégulière), et du personnel soignant (un
infirmier, une matrone).
Dans son mode de fonctionnement, le centre de santé de Kayéro se
distingue des formations sanitaires publiques. En particulier, le mode de
gestion des médicaments diffère radicalement de celui des autres centres.
Subventionnés par des
organismes
privés,
les
médicaments sont
disponibles à des prix réduits, en comparaison des tarifs appliqués ailleurs.
En outre, la stratégie de la vente o.u. détail présente l'avantage évident de
mettre les produits à la portée de l'ensemble des consommateurs, en
380_ Au moment où nous achevions notre enquête,la maternité n'était toujours pas
opérationnelle, attendant toujours l'affectation d'une matrone par la commission
provinciale.
381_ En particulier une ONG d'obédience protestante: World Relief.

- 248-
particulier les produits d'utilisation courante. Cette mesure, par ses
implications socio-économiques, a une forte incidence sur la demande de
soins des usagers, parce qu'elle autorise une prise en charge moins
onéreuse.
Le personnel du dispensaire se réduit à une seule personne:
l'infirmier, qui est à' la fois le responsable du centre et l'homme à tout faire.
Privé de collaborateurs, il doit assurer tout seul le fonctionnement du
( r
centre: s'occuper successivement des consultations, de la tenue du registre,
des soins à donner aux malades (pansements, injections ... ), de la vente des
médicaments, etc. A cela, il faut ajouter la permanence pendant les heures
de repos (pour les cas d'urgence) et les jours non ouvrables.
Comme dans toutes les administrations, la journée ici commence à
7 heures. L'arrivée des malades a lieu toujours bien avant l'ouverture, de
sorte que l'infirmier entame sa journée de travail avec, dans la salle
d'attente, un nombre souvent considérable de consultants. Le soignant
reçoit ses clients sans interruption depuis l'ouverture jusqu'aux environs
de 13 heures ou 14 heures. L'après-midi, il y a toujours peu de monde, voire
pas du tout. Incontestablement, il y a surcharge de travail (surtout le matin)
pour un personnel réduit à un seul officiant. Certains jours de grande
affluence (comme les lundis) le nombre des consultants avoisine ou même
dépasse la trentaine, soit presqu'autant qu'à Léo où le dispensaire compte
un personnel plus nombreux. Suivant leur importance numérique,
l'infirmier peut choisir de commencer soit par les consultations, soit par les
pansements de plaies (qui concernent en majorité les enfants et les jeunes).
La consultation a lieu dans une salle, aménagée à cet effet. Dans la majorité
des cas, elle se fait sur un mode d'échange verbal où le malade, assis en face
de son thérapeute, répond à ses questions. Le contact corporel avec la main
qui examine, sans être absent, s'exerce dans quelques cas bien précis de
pathologie aux symptômes apparents (dermatoses, maux d'yeux, d'oreilles,
luxations ou entorses, etc.). Avant de recevoir son traitement, le patient
achète (sur place) les produits qui lui sont prescrits. La vente se faisant au.
détail, seule la quantité nécessaire au traitement, préalablement déterminée
par l'infirmier est proposée au consommateur de soins. Certaines affections
n'occasionnent aucun traitement au centre: le patient une fois en
possession de ses produits, va appliquer son traitement à la maison (par
exemple une ingestion quotidienne de comprimés pendant quelques jours).

- 249-
Outre les consultations, existent diverses activités thérapeutiques
qui se répartissent à travers plusieurs salles, suivant l'acte pratiqué; on
aperçoit ainsi une salle de pansements, une salle d'injection, une salle de
stockage des produits pharmaceutiques et une salle d'hospitalisation
équipée de sept lits. L'internement des malades est assuré gratuitement,
mais ils sont tenus p.'apporter avec eux tout ce dont ils ont besoin pour leur
séjour.
Au total, du point de vue des services qu'il propose à la clientèle et
par son équipement matériel, le dispensaire de Kayéro présente beaucoup de
similitudes avec son homologue de Léo. Il souffre néanmoins d'un manque
de personnel en nombre suffisant. Pour compenser cette insuffisance, tous
les vendredis (jour de repos pour les travaux champêtres), l'agent de santé
villageois assure de façon bénévole les pansements aux malades, en se
contentant (exclusivement) de soigner les plaies (382).
Le découpage administratif confie au CSPS une zone sanitaire qui
comprend huit villages, situés dans un rayon de dix kilomètres environ,
autour du CSPS. Mais en réalité, nombre de patients, issus d'autres zones
sanitaires (dotées pourtant d'un CSPS) voire même d'autres départements,
viennent en consultation fréquente à Kayéro. Cette attitude traduit-elle une
plus grande confiance des usagers envers les centres privés? On peut
observer, en effet, que les centres de santé privés, de surcroît financés par des
associations religieuses, jouissent d'une meilleure considération que les
établissements publics. L'image des premiers semble davantage associée à
l'idée de meilleure prise en charge, voire de gratuité, tandis que celle des
seconds s'accorde avec dénuement et chèreté.
***
Cette présentation succincte du système de santé du secteur urbain et
rural permet à la fois de mettre en évidence leurs similitudes et leurs
différences, afin de les intégrer dans notre étude comparative. En effet, le
choix de ces structures loin de relever du hasard, se devait de répondre à
382_ L'ASV n'a plus l'occasion d'exercer son activité dans la case de santé; l'inauguration du
dispensaire dans le même village a occasionné la fermeture définitive du poste de santé
primaire.

- 250-
cette exigence. Les centres de santé de Léo et de Kayéro présentent à se sujet
bien des points communs, mais s'opposent aussi par des différences
fondamentales. Ici, l'opposition traditionnelle rural/urbain se double d'une
seconde qui renvoie au clivage public/privé, à laquelle peut encore se
greffer la distinction ancien/nouveau (383).
Ces structu,rês de santé s'opposent principalement à travers leurs
modes de construction et de gestion de la souffrance. Si les pratiques
{
professionnellés, les rôles et les statuts des professionnels restent pour
l'essentiel les mêmes dans ces deux systèmes, en revanche, la formation des
clientèles, leur relation aux institutions et les modalités de prise en charge
se distinguent assez nettement.
Au-delà de ces différences réelles qui existent dans l'organisation et
la gestion de ces espaces sanitaires, il convient, pensons-nous, de prendre en
compte les représentations des usagers qui,dans leur expérience sociale de la
maladie et dans l'utilisation des services de santé, développent leurs
propres logiques, qu'elles soient d'ordre social, économique ou culturel. A
ce titre il semble exister au niveau de la clientèle des logiques de
hiérarchisation qui établissent des préférences pour le privé par rapport au
public, ou encore à travers une autre dichotomie, accordent la primauté sur
l'''urbain'' au détriment du "rural", valorisent le nouveau face à l'ancien.
Ce sont ces logiques qui structurent les stratégies et les conduites des
usagers que nous tenterons d'élucider à présent.
383_ A Léa, an a affaire à un "vieux" dispensaire tandis que celui de Kayéra est en service
depuis peu de temps.

- 251 -
SECTION II - LES RAPPORTS DES USAGERS
AUX INSTITUTIONS SANITAIRES
A - USAGERS ET PRATICIENS DU DISPENSAIRE URBAIN
A la ville comme à la campagne, le dispensaire ou le centre de santé
n'est pas simp!ement un lieu où l'on soigne et guérit les malades. C'est
aussi un lieu de sociabilité où les relations sociales occupent une place
centrale, en particulier celles qui naissent de la rencontre entre les
principaux acteurs: les professionnels de la santé et leur clientèle. Le champ
de la santé se structure aussi à partir de pratiques et de représentations qui
dévoilent ou mettent en jeu les logiques contradictoires des acteurs. On
tentera d'appréhender successivement les stratégies et les conduites sociales
des usagers, leurs discours sur les institutions sanitaires (qu'ils fréquentent)
et sur les soignants. Avec le
personnel soignant, on tentera de rendre
compte des représentations qu'ils ont de la santé publique, de leur propre
rôle mais aussi leurs pratiques professionnelles et la manière dont ils
perçoivent leurs rapports avec la clientèle.
1- Vécu de la maladie et recherche de soins
A quelles logiques répondent les différentes conduites observables
en matière de recours à la "médecine moderne" et quelles représentations
les sous-tendent?
Le dispensaire (urbain) est le lieu où se cristallise l'image de la
médecine officielle. Son apparition remonte à la période coloniale où il
avait toujours été considéré comme un lieu où l'on dispense des soins, où
l'on soigne gratuitement. Si de nos jours cette image a basculé, le recours au
dispensaire reste néanmoins motivé par le fait que cette instance est censée
disposer d'un savoir "savant" issu de la médecine occidentale. Sa spécificité
se fonde sur la concentration des pratiques biomédicales. Cependant, en tant
qu'institution dont la vocation est de prendre en charge la maladie, il
remplit une fonction analogue à celle de l'institution thérapeutique
traditionnelle: la restauration de la santé. L'apparition du dispensaire
"moderne"
dans
le
paysage
thérapeutique
local, ne
modifie pas

- 252-
véritablement sa configuration duelle (384) en un système ternaire, étant
donné que le dispensaire comme le guérisseur relèvent tous du même
domaine thérapeutique. Cependant, bien avant toute démarche auprès
d'une instance thérapeutique, le premier geste des personnes souffrant d'un
mal quelconque consiste presque toujours à rechercher la guérison à
domicile.
.<
a) Automédication et médications familiales
Avant d'examiner les mécanismes à l'oeuvre dans les pratiques
d'automédication, on peut au préalable la définir comme "des formes
autonomes de soins où le patient devient lui-même son propre médecin".
En pratiquant cet acte, il "s'affranchit formellement d'une dépendance à
l'autorité du praticien prescripteur, tout en puisant la plupart du temps
dans la science médicale des éléments de diagnostic ou de thérapie que la
tradition populaire ou les représentations des classes cultivées ont intégré à
leur système de représentation de la maladie et de la santé" (385). Dans cette
acception, l'automédication renvoie à un acte d'auto-prise en charge, par le
sujet, de sa maladie; c'est "l'expertise profane" qu'exerce toute personne
pour diagnostiquer puis traiter elle-même un mal dont elle souffre.
Ainsi, l'automédication se révèle une pratique très courante. Quand
dans une famille issue des catégories moyennes ou populaires survient une
maladie, le premier réflexe consiste avant tout à mobiliser les ressources et
savoirs traditionnels pour l'enrayer. Dans ce but chaque famille dispose
d'un arsenal plus ou moins complet de pratiques et de recettes lui
permettant d'offrir les "premiers soins" aux personnes malades. La quasi-
totalité de nos entretiens et observations effectuées à Léo convergent sur ce
point: la population se soigne d'abord elle-même et ne décide de consulter
un thérapeute que lorsque les savoirs thérapeutiques familiaux échouent à
vaincre le mal et que le sujet s'avère incapable de poursuivre ses tâches
quotidiennes. En milieu familial, la maladie est prise en charge par les
femmes (les mères) qui sont toujours les premières à intervenir. Elles
384_ Celui-ci est divisé en deux catégories: d'un côté les guérisseurs et de l'autre les devins.
Les premiers, chargés de remédier au mal par une action sur le corps/ tandis que les seconds
s'intéressent aux causes de la maladie en en élucidant les conditions d'apparitions à
travers un "diagnostic social".
385_ GUYOT (J.c')/ L'Echec scolaire ca se soigne. Toulouse, Privat, p. 20.

- 253-
femmes (les mères) qui sont toujours les premières à intervenir. Elles
passent beaucoup de temps et consacrent beaucoup d'énergie à la recherche
des médicaments et des conseils, "quand je suis malade", nous dit un jeune
adolescent, "je me fais soigner chez moi, avec des plantes qu'on fait bouillir.
C'est ma mère qui s'occupe de ces préparations, chaque fois que quelqu'un
est malade à la maison" (386).

/'
Au cours de nos enquêtes, nous avons demandé aux sujets de nous
indiquer, par o'rdre de priorité, les choix opérés en matière de recours aux
soins. La question avait trait aux principaux symptômes des pathologies
courantes (fièvre, maux de ventre, accès palustre). Tous symptômes
confondus, les enquêtés, dans 2/3 (387) des cas (21 réponses sur 32) affirment
avoir pratiqué en premier lieu l'automédication à domicile (388), sous
diverses formes. Ce faisant, toutes les couches de la population dans leur
extrême diversité déclarent pratiquer l'automédication. Mais il existe des
différences dans la manière de la pratiquer. On peut distinguer la forme
"traditionnelle" où le malade utilise des recettes traditionnelles à base de
plantes ou de racines (les plantes étant sélectionnées en fonction du type
d'affection). Dans la forme "moderne", on se contente d'avaler des
comprimés ou autres produits pharmaceutiques (aspirine ou nivaquine en
cas de fièvre, dragées ou gélules pour les maux de ventre, etc.).
D'une manière générale, dans les familles populaires (paysans,
manoeuvres, petits commerçants) c'est la première forme qui prédomine,
sans être toutefois une exclusivité. Les raisons en sont diverses. Elles sont
d'abord d'ordre culturel. L'usage des plantes médicinales est étroitement
liée à la médecine de tradition ancestrale dont les guérisseurs sont les
dépositaires. Ce sont ces praticiens qui sont à l'origine de la divulgation des
vertus thérapeutiques de certaines plantes, dont l'usage s'est peu à peu
généralisé. L'usage privé de ces connaissances médicales s'est développé à
386_ Entretien avec un jeune cuisinier, Léo.
387- En réalité, cette proportion est encore plus importante, car il n'a pas été toujours tenu
compte de ceux qui la pratiquaient rarement ou exceptionnellement.
388_ Sans toutefois confondre automédication et médecine familiale, nous avons choisi de
regrouper ces deux pratiques en tant qu'elles constituent toutes les deux des tentatives de
"reconquête de la santé" précédant toute démarche auprès d'un spécialiste.

- 254-
telle enseigne que chaque concession, chaque famille compte en son sein un
ou plusieurs "praticiens" privés. Cet usage relève d'habitudes anciennes,
ancrées dans les manières de faire locales, au point qu'elles s'intègrent
naturellement dans les pratiques quotidiennes. En second lieu, ces
comportements peuvent s'expliquer par le facteur économique. Disposant
de ressources géné~alement limitées, beaucoup de familles paysannes
trouvent dans l'au:-tomédication un procédé peu coûteux de guérison. En
effet, si le traitement réussit, il dispense de l'obligation de recourir au
.{
dispensaire, dont l'image est associé à l'ordonnance. Enfin, dans certains cas

l'éloignement
constitue
un
handicap
pouvant
interdire
des
consultations répétées, l'automédication et les médications familiales sont
rendues indispensables quand on ne peut se déplacer aisément (certains
usagers résident à plus de 10 kilomètres d'un centre de soins).
La seconde forme d'auto-prise en charge (utilisation de produits
pharmaceutiques) est davantage observable auprès des personnes plus
jeunes, plus instruites, chez les agents de l'administration, etc. Dans ces
catégories, elle est pratiquée avec plus de prudence. Ici, la consommation des
produits "modernes" par le souffrant intervient le plus souvent pour les cas
de fièvre, signe annonciateur du paludisme. A la différence des
consommateurs de plantes médicinales, l'automédication est ici de courte
durée; elle excède rarement trois jours, et donne lieu après ce délai à une
consultation au dispensaire, en l'absence d'amélioration (389). L'usage plus
fréquent de produits pharmaceutiques par cette catégorie peut s'expliquer
non seulement par une réceptivité plus grande aux traitements modernes,
mais aussi parce qu'elle dispose d'un plus grand pouvoir économique.
Outre ce rapport de proximité avec la médecine "savante", le critère
économique n'est pas à négliger dans la mesure où l'on retrouve les
personnes les plus solvables dans cette catégorie. Cette forme de médication
se pratique, bien souvent, à la suite de la réapparition d'une maladie pour
laquelle on s'était déjà procuré (en pharmacie) les produits pour son
traitement. (Le reste des produits étant conservé puis réutilisé en cas de
besoin). Il convient néanmoins de mentionner l'usage relativement
fréquent de décoctions à base de plantes par les patients rangés dans ce
389_ Au contraire, sauf cas rares, qui se traduisent par une aggravation, l'automédication est
pratiquée de manière prolongée dans les familles populaires, jusqu'à la guérison.

- 255-
groupe. Par exemple, il n'était pas rare, au cours de nos entretiens (et
causeries informelles) d'entendre des déclarations confirmant le recours à
de telles pratiques (plus de la moitié des personnes interrogées dans cette
catégorie).
Il semble donc y avoir une forme de "mixité" dans les manières
d'observer
l'automédication,
par
le
recours
à
ces
deux
formes
(précédemment décrites) en fonction des opportunités et/ou de la nature du
.(
mal (390).
.
En conclusion, on retiendra que l'automédication n'est exclusive à
aucune catégorie particulière de la population. Tout le monde, à des degrés
divers y recourt. Seules, la fréquence et les formes adoptées diffèrent. Alors
que dans les couches "moyennes" elle est pratiquée occasionnellement
(suivant le type d'affection) les catégories populaires disent y recourir quasi-
systématiquement. Alors qu'elle est de courte durée chez les premiers (l à 3
jours), elle est pratiquée de manière prolongée chez les seconds, jusqu'à la
guérison ou au contraire à un seuil de gravité qui oblige à recourir au
dispensaire. En général, le seuil au-delà duquel l'automédication laisse la
place à une consultation dans un centre de soins, dépend à la fois du degré
d'atteinte, de l'éloignement du centre par rapport au lieu de résidence du
patient, du niveau de solvabilité du patient. En tout état de cause,
l'intervention médicale n'est sollicitée qu'au moment de l'aggravation de
la maladie. Dans l'itinéraire thérapeutique du malade, les centres de soins
constituent dans bien des cas une étape postérieure.
b) Le recours au dispensaire
Quelle place occupe le dispensaire dans les stratégies thérapeutiques
des utilisateurs de soins? Il n'est guère aisé d'appréhender l'ensemble des
facteurs qui conditionnent les choix des usagers. Ces facteurs peuvent aussi
bien
relever
de
leur
expérience
personnelle
que
des
problèmes
conjoncturels ou structurels inhérents au fonctionnement du dispensaire.
Au demeurant, les comportements de recours aux soins répondent à des
390_ Dans une moindre mesure, on peut signaler l'existence de cette "mixité" dans les pratiques
populaires également. En revanche, ces catégories consomment davantage les produits issus
de la vente illicite des médicaments sur le marché noir.

- 256-
déterminants beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît, dans la mesure où
ils se rattachent à des expériences (individuelles et collectives) fort diverses.
Dans un contexte de multiplicité des recours possibles, le dispensaire
apparaît comme un des maillons de la chaîne thérapeutique. En effet,
diverses alternatives se présentent au patient: traitement moderne ou
indigène, établissement public ou privé, marché noir des médicaments ...
/
Dans la mesure où les pratiques des usagers se modulent suivant des
logiques multiples qui les conduisent à recourir successivement à des
systèmes médicaux différents, la question est de savoir dans quelles
circonstances et pour quelles raisons le malade s'adresse préférentiellement
au "docteur"?
Au cours de nos entretiens, un tiers des personnes interrogées ont
affirmé solliciter en un premier recours le centre de santé, dès l'apparition
des premiers symptômes, après avoir préalablement essayé des actes
d'automédication à domicile. Si l'on fait abstraction de l'automédication
pour ne considérer que la demande de soins formulée auprès d'une
instance thérapeutique, le dispensaire occupe la première place quatre
patients sur cinq soit près de 80 % (391) (interrogés à Léo) affirment choisir le
centre médical comme première étape dans leurs itinéraires de malades. Les
raisons évoquées pour justifier ce choix sont fort diverses. Dans la majorité
des cas, on déclare préférer en premier I"'hôpital" (392) parce que "c'est là où
l'on peut recevoir le meilleur traitement"; pour d'autres patients, la
distance peut constituer un facteur décisif: "je viens ici parce que le
dispensaire est tout près,. mais c'est parce que en ville il n 'y a pas de bons
guérisseurs". Dans beaucoup de cas également la nature de l'affection
détermine dans une large mesure le choix du thérapeute. "Quand je suis
malade, ça dépend,. si ce n'est pas grave, je me soigne à la maison, si c'est
plus sérieux, une forte fièvre par exemple, je vais au dispensaire,. et pour les
maux de ventre, les piqûres d'insectes ou les hémorroïdes, je vais voir les
tradipraticiens qui ont des traitements plus efficaces" (393).
39L Ces pourcentages n'ont aucun caractère représentatif; ils sont donnés à titre indicatif à
partir de nos entretiens. Il ne s'agit donc pas là d'un échantillon.
392_ C'est ainsi que les usagers désignent le dispensaire.
393_ Entretien avec une secrétaire, dactylographe, Léo.

- 257-
En réalité, les circonstances et les raisons qui conduisent les malades
au dispensaire sont d'une extrême variété. L'appartenance sociale semble
être un facteur non 'négligeable. Ainsi, les couches urbaines de la population
qui se situent dans les catégories socio-professionnelles "élevées" (agents
administratifs, par exemple) ont, en raison de leur niveau économique et
culturel un accès p~us fréquent aux centres de soins. Par leur position, elles
restent plus proc~es de la médecine moderne et figurent au premier rang en
matière de corlsommation de soins (modernes). De même, la fréquentation
des structures' de soins reste plus élevée dans cette catégorie. Outre les
facteurs déterminants, tels le niveau de ressources et le niveau culturel, il
convient de mentionner un autre facteur: la proximité géographique des
centres de soins: résidant habituellement dans la ville abritant le
dispensaire, ces catégories n'ont pas à parcourir de longues distances pour
recevoir des soins. La prise en charge des frais médicaux est également un
privilège exclusif réservé aux personnels de certaines entreprises privées ou
publiques. Ainsi, le salarié de l'Etat qui dispose d'une couverture sociale
(qui peut englober par exemple des visites médicales gratuites, la prise en
charge des accidents du travail) ou de facilités de paiements à la pharmacie
(possibilités de crédits) est davantage enclin à pratiquer des consultations
médicales (par rapport aux non salariés ou aux salariés ne bénéficiant pas
d'une véritable protection sociale).
A l'inverse, dans les couches moins aisées de la population, la
fréquentation du dispensaire se fait de manière moins systématique, moins
spontanée. Dans bien des cas, elle est même occasionnelle et ponctuelle. Le
paiement des actes médicaux et le poids que représente ces dépenses pour le
budget familial réduisent considérablement la demande de soins. Ainsi,
lorsque nous avons interrogé les enquêtés en demandant leur opinion sur
les prix des médicaments, 25 d'entre eux (sur 32 soit 78 %) les trouvent chers
(très chers 19; assez chers 6) ; 5 personnes pensent qu'ils sont bon marché et
deux ne se prononcent pas. La quasi-totalité des enquêtés issus des couches
populaires ont dans leurs réponses déploré la chèreté des médicaments. Ces
indications à elles seules ne suffisent pas à expliquer la faiblesse de la
demande de soins. Outre l'aspect économique, l'éloignement géographique
réduit les possibilités d'accès aux soins.
Les populations résidant loin de la ville (c'est-à-dire dans les villages
situés aux alentours) se voient obligées de parcourir de longues distances

- 258-
(entre 5 et 15 km à vélo ou même à pied) pour accéder au dispensaire le plus
proche. Pour toutes ces raisons (éloignement, insolvabilité) les patients issus
des catégories populaires quoique numériquement plus nombreux sont
moins prompts à formuler des demandes de prise en charge auprès de
l'institution médicale urbaine. Dans bien des cas les circonstances dans
lesquelles ils recourent au médecin sont toujours les mêmes: il s'agit des
consultations tardiv-€s ou des cas d'urgence. Dans le premier cas, il s'agit des
malades que l'on conduit dans les centres de soins, alors qu'ils se trouvent
.{
dans un état avancé (parfois désespéré) de la maladie. Dans ce cas présent, le
coût et l'éloignement peuvent encore une fois expliquer ces attitudes. Tout
se passe comme si le dispensaire était le dernier recours, la solution de
désespoir. Pour le personnel soignant, ces comportements sont imputables à
la "peur de l'ordonnance" qu'ils croient déceler chez ces patients: "les
paysans en général ne viennent jamais consulter quand ils commencent
une maladie, car ils veulent éviter les ordonnances. C'est pourquoi ils
essaient d'abord tous les traitements possibles: automédication, produits
issus du marché noir des médicaments, guérisseurs, etc. Quand tous ces
traitements ont échoué, ils se présentent enfin chez l'infirmier" (394).
Quant aux cas d'urgence, ils occasionnent d'emblée un recours
auprès du centre médical. L'urgence pour les malades des milieux
populaires constitue en quelque sorte un cas d'exception où les mécanismes
à l'oeuvre dans le déroulement d'un itinéraire thérapeutique normal sont
bouleversés;
on
assiste
alors
à
une inversion
du
cheminement
thérapeutique. De dernière étape dans le parcours thérapeutique du malade,
le dispensaire devient le premier et l'unique recours face à une maladie qui
nécessite des soins en urgence. Seuls, ces cas de maladies graves qui
nécessitent une prise en charge urgente du souffrant, constituent les
principales circonstances pour lesquelles le dispensaire fait l'objet d'une
sollicitation hâtive, avant tous les autres recours. Interrogé sur son
expérience, un agriculteur nous explique ceci: "Quand je souffre d'une
petite maladie, je me soigne moi-même chez moi. Mais quand c'est grave, je
préfère le dispensaire parce qu'ils savent mieux soigner les maladies graves;
et s'ils ne peuvent pas te soigner, ils peuvent t'envoyer dans une grande
ville où il y a un hôpital". Un autre confie: "Si on ne vient pas souvent ici,
394_ Entretien avec un infirmier, Centre médical, Léa.

- 259-
ce n'est pas parce qu'on refuse leurs soins; c'est parce qu'on n'a pas les
moyens de payer tout ce qu'ils nous demandent, leurs médicaments sont
vraiment chers".
Le choix exclusif du dispensaire lors des affections graves ou des
recours en urgence témoigne de l'importance et de la place qu'occupe le
centre de soins p0u.rles usagers issus des campagnes; il représente l'ultime
solution, l'ultime espoir dans les situations difficiles. Doit-on conclure à
une prise d~' conscience d'une efficacité supérieure reconnue au
dispensaire? Un tel jugement serait hors de propos. Cependant, la faible
fréquentation du dispensaire lors des maladies bénignes ne peut non plus se
comprendre comme un désintéressement pour la médecine "des Blancs" ni
s'interpréter comme une préférence pour la médecine traditionnelle. Il
convient donc d'approfondir l'analyse. Pour ces catégories, les obstacles à
une utilisation conséquente des centres de soins sont nombreux ainsi que
nous l'affirmions plus loin. Les coûts des médicaments, rarement à leur
portée expliquent pour une bonne part leur désaffection relative des
structures médicales. Ainsi, pour ceux qui vont à une consultation, bon
nombre se heurtent à une impossibilité d'acheter les médicaments ou à
suivre un traitement jusqu'à son terme. Aussi, voit-on des malades, parce
qu'ils ne disposent pas des moyens nécessaires à l'achat des produits
recommandés, se contenter d'en acheter la moitié, "quand ils ne retournent
pas simplement à la maison avec leur ordonnance", reconnaît un médecin.
L'expérience du malade à la recherche d'un diagnostic et d'un
traitement, résulte d'une multitude de logiques. En effet, si les itinéraires de
malades semblent tous relever d'une même volonté de "voir disparaître les
symptômes", en revanche, la logique des recours distingue les consultants
en deux grandes catégories: pour les uns, détenteurs d'un capital
économique et culturel "élevé", le centre de santé fait l'objet d'une
sollicitation dès l'apparition des premiers symptômes annonciateurs de la
maladie, alors que les autres catégories déclarent consulter le "docteur"
après une tentative infructueuse auprès du système traditionnel de soins.
Avec les catégories "privilégiées" cet ordre de priorité s'inverse faisant de la
sollicitation
du
tradipraticien
la
seconde
étape
des
itinéraires
thérapeutiques. Ici, le recours à la médecine indigène n'a lieu qu'en cas
d'échec
dans
le
secteur
"moderne".
"Je m'adresse en général aux
tradipraticiens quand la médecine moderne se montre incapable de me

- 260-
guérir complètement ou pour certaines maladies qu'ils ont la réputation de
bien soigner (un jeune fonctionnaire). A l'inverse, les couches populaires
ont tendance à établir une hiérarchie de gravité entre le tradipraticien et le
dispensaire; la sollicitation du centre de soins correspond toujours au seuil
maximum de gravité, avec pour le malade un espoir d'être évacué vers un
centre hospitalier pour les cas extrêmes. Dans les représentations des
populations ruraleS'; le recours au dispensaire en cas de maladie grave, c'est
l'assurance d'être secouru.
i .
Au total, face à la maladie, les acteurs sociaux adoptent des stratégies
qui les conduisent auprès des différentes institutions de prise en charge.
Bien souvent, il peut pourtant arriver qu'entre le traitement indigène et le
traitement moderne s'instaurent de fréquents "va-et-vient" où comme
l'indique Bernard. Hours, l'efficacité thérapeutique est mise à rude épreuve.
Si la rapidité du résultat semble le critère le plus explicite, le poids des
contraintes économiques de même que les présupposés d'ordre culturel ne
sont pas à minimiser non plus.
Les recours aux soins sont largement déterminés par une série de
facteurs qui conditionnent les conduites des usagers, influencent ol:.
modifient leur choix. Il suffit par exemple d'un échec auprès d'ur,
guérisseur pourtant très réputé pour qu'un client interrompt toute
consultation auprès d'une partie ou de l'ensemble de ces praticiens; ou, ?
l'inverse, qu'un paysan à la suite d'une altercation avec un infirmier
s'abstienne durablement de fréquenter le dispensaire.
On le voit, l'expérience personnelle du patient, dans ses rapports
avec le thérapeute est également susceptible d'introduire des changements
importants dans les comportements de celui-ci vis-à-vis d'une instance
thérapeutique. Comme l'écrit D. Fassin, "Le cheminement du malade à la
recherche d'un diagnostic et d'un traitement apparaît donc comme la
résultante de logiques
multiples, de causes structurelles (système de
représentation de la maladie, place du sujet dans la société) et de causes
conjoncturelles
(modification
de
la
situation
financière,
conseil
d'un
voisin) qui rend vaine toute tentative de formalisation stricte" (395).
395_ Op. cit., p. 118.

- 261 -
2 - Vécu du dispensaire et conduites des patients
Le rapport des usagers aux structures de soins induit un certain
nombre de pratiques et de discours de leur part. Mais cette clientèle se
caractérise aussi par son hétérogénéité socio-économique et culturelle. De ce
fait, dans la diversi~' des recours, les usagers se distinguent à la fois par des
besoins, des motiy"ations et des pratiques différentes voire contradictoires.
La santé publique apparaît alors comme un champ où naissent et se
structurent des représentations sociales et où se jouent des rapports et des
enjeux sociaux.
a) Les représentations
Une des idées majeures qui découle du discours des usagers, toutes
catégories confondues, peut se résumer en quelques mots: "La santé
publique n'est plus ce qu'elle était, rien n'est plus comme avant". Ces
remarques, pour l'essentiel, synthétisent les opinions des patients qui
déplorent la fin d'un "âge d'abondance" connu dans un passé relativement
proche. A ce sujet, la représentation du dispensaire comme "un lieu où l'on
soigne et distribue gratuitement des médicaments" imprègne encore les
esprits. En particulier, les usagers d'un certain âge se remémorent, non sans
amertume, cette période (qui a précédé l'indépendance du pays) où disent-
ils, il y avait de"vrais dispensaires à l'époque des Blancs" (396).
Les plus jeunes, quant à eux, se référent à une période plus récente:
"La situation se dégrade: il y a cinq ans, au centre médical de Léa, il y avait
des médicaments. Il y avait un médecin hollandais qui soignait les malades.
Depuis qu'il est parti, tout a changé, et maintenant il n 'y a plus rien"(397).
Ces propos confirment un point de vue"très répandu parmi les populations.
Le personnel expatrié (les Blancs) seul fait unanimement l'objet de
jugements positifs. A ce titre la présence du "docteur Blanc" est vécue
comme une garantie de meilleurs soins, comme un gage de disponibilité
des médicaments, voire de leur gratuité. A l'opposé,le départ de ce
396_ Propos d'un manoeuvre des travaux publics à la retraite.
397_ Entretien avec une jeune dame, Léo.

- 262-
personnel expatrié signifie la fin des "privilèges". De la même manière, les
actions sanitaires des institutions religieuses (catholiques ou protestantes)
représentaient pour les populations une manne utile. L'image des "bonnes
soeurs" soulageant les malades ou distribuant lait, farine ou huile aux
familles demeure ancrée dans les mémoires. Constamment générée de
l'extérieur, la santé fut longtemps vécue comme un "don". Cette
représentation se "structure progressivement à partir des expériences
conduites par, des associations ou des personnes étrangères à la
communauté.
En somme, à la qualité de la prise en charge du passé, on oppose le
dénuement du temps présent. La référence au passé, toujours idéalisé,
intervient dans une comparaison systématique qui se termine par un procès
en règle du système médical actuel. En ce sens, les représentations du
service sanitaire public s'opposent radicalement à celles relatives au système
sanitaire post-colonial des années 60 et 70 où l'Etat se présentait comme le
principal garant de la santé du citoyen. Cette époque se caractérisait par un
accès gratuit aux soins. De nos jours, la fin de l'assistance étatique aux petites
formations sanitaires opère des changements profonds dans leur gestion
quotidienne et modifie leurs rapports aux clientèles. La santé publique n'est
plus cette institution caritative d'Etat, cet héritage direct de l'assistance
sanitaire coloniale qui fonctionnait au profit des plus pauvres. Lorsqu'ils
ont l'occasion d'aborder ces questions (entre eux ou avec l'enquêteur), les
sujets se remémorent positivement cette période. Comparée aux services
qu'on leur propose de nos jours, elle constitue presqu'un "âge d'or".
"Avant, on ne savait même pas ce qu'étaient les ordonnances. On payait
l'impôt, mais pour se soigner on ne nous demandait pas d'acheter tout le
temps des médicaments; on pouvait donc se soigner plus facilement.
Maintenant, il faut tout payer ..." (398). Comme cet agriculteur, bon nombre
d'utilisateurs des services de soins se plaignent d'être toujours obligés
d'engager de grosses dépenses à travers les ordonnances qu'on leur donne.
Ce "bout de papier" est désormais inséparable de la représentation de la
médecine moderne, parce qu'il est maintenant intimement associé à son
activité. Mais surtout, l'ordonnance c'est aujourd'hui le symbole d'une
médecine sans moyens. Il est davantage perçu comme un document
398_ Entretien avec un agriculteur, Léa.

- 263-
abstrait, servant simplement à médiatiser leur rapport à l'institution
sanitaire. Sa prescription, de ce point de vue, se situe hors du champ de
l'efficacité immédiate. A l'image du "bout de papier" qui ne peut secourir le
patient sans argent, le dispensaire sans médicaments fait l'objet d'une
dépréciation dans le jugement des usagers. Ces "insuffisances" du système
de santé sont à la s~urce d'une double dévalorisation du service public:
dévalorisation parfapport au secteur privé (399), dont l'image est associée à
la qualité de lqyrise en charge, mais également dévalorisation par rapport à
l'image qu'il donnait de lui-même quelques années auparavant.
De son côté, l'Etat est mis en accusation. Son désengagement de la
gestion de la santé publique lui vaut d'être présenté comme le "bouc
émissaire" coupable de négligence et responsable de la dégradation des
structures de soins. Au sujet du malfonctionnement actuel du système de
santé, les récriminations des usagers ont pour principale cible l'Etat central
et, accessoirement, ses agents locaux (le personnel sanitaire).
On assiste en tout à un véritable basculement des représentations
qui s'opère au niveau de l'image de la santé. En quelques temps, on va
passer d'une vision caritative de la santé à une conception marquée par
"l'auto-assistance" (self-help) qui implique la prise en charge par le sujet de
sa propre santé. Les associations caritatives, le personnel expatrié, seuls,
cristallisent sur eux, une image positive en matière d'intervention
sanitaire.
b) La santé pour quel public?
Ainsi que nous l'avons déjà mentionné, 13. prise en charge dans le
centre de santé de Léo, ne comprend que le traitement des malades. La
participation
fort
limitée
voire
quasi
inexistante
de
l'Etat
au
fonctionnement du centre médical ne permet guère que l'achat d'une très
faible quantité de médicaments (dont quelques produits d'urgence) par
ailleurs gérés avec parcimonie. Les prescriptions restent la seule façon pour
le dispensaire d'assurer pleinement les soins aux malades. Dès lors se pose
399_ Dans la province de la Sissili, il n'existe pas de secteur privé au sens strict avec des
pratiques professionnelles privées. On peut simplement mentionner la présence de centres
de santé dirigés par des missions religieuses.

- 264-
la question de l'accès aux médicaments. Seul le pouvoir d'achat du patient
est susceptible de lui assurer un accès aux soins. Dans ces conditions, le
centre sanitaire peut-il réellement satisfaire les besoins d'une population
dont la majorité est en proie à des difficultés économiques? Ici, la pratique
courante consiste à assurer les premiers soins aux malades admis en
urgence, grâce à un fonds de roulement. Dans un second temps, pour
permettre la poursuite du traitement les jours suivants, le malade se voit
remettre une ordonnance pour l'achat des produits. Les tarifs pratiqués par
I~
la pharmacie provinciale sont souvent inabordables pour la plupart des
patients (2 000 F en moyenne pour un palu, 1500 F pour le traitement d'une
plaie, etc.) (400). Le bénéfice de la consultation gratuite est contrebalancé par
l'achat par le patient de la totalité des produits nécessaires au traitement.
Dans ces conditions, il s'instaure inévitablement une sélection par l'argent
qui conditionne largement l'accès aux soins. Le degré de solvabilité devient
alors un facteur fondamental pour la prise en charge de la clientèle. Ce
système de sélection (par l'argent) écarte d'emblée les plus défavorisés qui
ne parviennent pas toujours à réunir les sommes nécessaires (401). Il
n'autorise un traitement complet qu'aux consultants capables de se procurer
la somme représentée par l'ordonnance. D'où l'idée de "médecine des
pauvres" introduite par certains auteurs; tOllt au moins sommes-nous en
présence
d'une médecine à deux vitesses:
les groupes
les plus
économiquement faibles ne peuvent véritablement y accéder (sauf
exception
pour cas
d'urgence)
aussi longtemps
qu'ils demeurent
insolvables; les catégories les plus nanties au contraire restent seules
bénéficiaires d'une prise en charge rendue possible grâce à leur pouvoir
d'achat.
La discrimination sodo-économique dans l'accès aux soins reste une
des caractéristiques de ce nouveau mode de gestion du système de santé
publique. En accentuant les inégalités dans l'accès aux soins, il altère la
crédibilité du dispensaire chez bon nombre ~'usagers qui se voient ainsi
400_ Soit respectivement, 40 et 30 FF.
401_ Cette chèreté est diversement ressentie par les différents groupes socio-professionnels :
aussi bien par les agriculteurs dont les revenus sont généralement modestes (surtout en
hivernage) que par certains salariés de la ville où de faibles revenus (le salaire minimum
garanti ne dépasse pas 20000 F CFA, soit 400 FF) doivent faire vivre une famille
nombreuse.

- 265-
exclus. Avec ce système de gestion basé sur l"'au tofina ncemen t", le
dispensaire public cesse d'être le lieu d'une "trêve sociale imaginaire" tels
que se le représentaient naguère les patients pour devenir "un champ
d'affrontements

s' exacerben t
les
inégalités
sociales"
(Hours).
L'importance du facteur économique dans la décision de consulter n'est
point à négliger. Pour les groupes à faibles revenus, il peut être à l'origine
d'une modification/des itinéraires thérapeutiques et favoriser le recours à
d'autres institutions thérapeutiques.
'<
c) Le dispensaire et le regard des usagers
Lorsque l'on demande aux enquêtés d'exprimer une opinion sur le
service offert par le centre médical, les réponses sont très hétérogènes, en-
dehors du manque de médicaments qui semble faire l'unanimité. Les
opinions des enquêtés urbains (résidant à Léo) sur bien des points divergent
de celles des usagers non citadins. Pour les premiers, les services du
dispensaire sont considérés comme satisfaisants par une majorité (accueil,
soins, compétence du personnel. ..). Avec les seconds, cette tendance est
beaucoup moins marquée, et ces différents services ne sont pas toujours
crédités d'une opinion positive. Le problème majeur que l'on déplore ici,
c'est celui de l'accessibilité, due à la distance, et plus encore celui des longues
attentes, et l'accueil du personnel. Les propos recueillis sur ce sujet
témoignent d'une réelle insatisfaction à supporter fréquemment des files
d'attente, souvent dans des conditions pénibles: "le plus dur, c'est quand on
est malade, qu'on vient de loin pour se faire soigner, et d'être obligé
d'attendre son tour, alors qu'on souffre. Nous qui venons de loin, on
devrait mieux s'occuper de nous" (402).
Ces difficultés sont ressenties d'autant plus durement que la plupart
de ces usagers n'ont recours au dispensaire qu'après un stade avancé de la
maladie. En outre, pour une population qui vit principalement du travail
agricole, se déplacer pour se soigner représente un important effort en
temps et en argent. Il naît alors un sentiment de frustration qui s'explique
par la non-reconnaissance (par les soignants) de ces "sacrifices". Des propos
font état de la mauvaise considération dont les malades font l'objet de la
402_ Entretien avec une dame, domiciliée à Sanga, 9 km de Léo.

- 266-
part de ce personnel: "quelquefois, il m'arrive d'aller en consultation au
dispensaire; et là, pendant que les malades attendent, les infirmiers
bavardent dehors et ne s'occupent pas tout de suite des malades ... Pendant
un certain temps, ils nous font attendre et nous laissent souffrir" (403). Ces
usagers croient ainsi déceler dans ces attitudes une mauvaise volonté
systématique de certains soignants.
:1
Pour les citadins, l'accueil et la compétence du personnel sont plutôt
un motif de satisfaction. Cela peut s'expliquer par un accès plus aisé des
urbains au centre de soins: les contraintes de temps, les files d'attentes sont
vécues de façon moins aiguë; alors que, nous l'avons vu, ces difficultés
occupent une large place dans le mécontentement des usagers issus des
zones rurales voisines.
La présence de la pharmacie à proximité, même si les tarifs
paraissent élevés ou hors de portée de nombre de malades, est néanmoins
vécue quasi unanimement comme un fait positif. Pour les consommateurs
réguliers de soins, elle permet l'acquisition immédiate des produits
prescrits, tandis que pour les autres on y a recours de manière ponctuelle,
surtout en cas de "coup dur". Dans ce dernier cas, la pharmacie du fait de sa
seule présence est appréciée, en tant que source de sécurité permettant de
faire face, le cas échéant, aux situations délicates. Pour les salariés urbains,
au pouvoir d'achat plus élevé, la possibilité de subir des examens, même
sommaires sans avoir à se déplacer vers une autre ville suscite également
des opinions favorables. Ces différents services (laboratoires, pharmacie... )
constituent l'atout principal du centre médical; son équipement matériel et
technique, même rudimentaire permet néanmoins d'apporter quelques
réponses à leurs besoins de santé.
En revanche, les soignants (ou du moins une partie de ceux-ci) sont
accusés de négligence dans la manière de poser leur diagnostic. "On est mal
examiné par certains infirmiers qui sont toujours pressés de nous donner
des ordonnances". Le caractère expéditif de la consultation est toujours
stigmatisé par le patient. Un lien semble établit entre la durée de la
consultation et sa qualité (ou son sérieux). Etre examiné, questionné
pendant un certain temps par le thérapeute est pour certains patients le
403_ Entretien avec un agriculteur de Mouna.

- 267-
signe que celui-ci a bien accompli son oeuvre d'identification du mal. Au
contraire, négliger cet exercice, c'est encourir le risque de se méprendre sur
la nature réelle de la maladie. A ce sujet, les patients, toutes catégories
sociales confondues, expriment les mêmes préoccupations: la consultation
ne doit pas se résumer à une ou deux questions que le soignant pose à son
malade, mais doit se traduire aussi par une attitude plus attentive à l'égard
du consultant. En particulier, le contact corporel du thérapeute avec son
malade est vécu comme un moment crucial de la consultation, dont
certains se se~tent privés. De sorte que, lorsque les traitements administrés
ne réussissent pas à éradiquer le mal, nombre de gens s'empressent
d'incriminer les "mauvais diagnostics" ou même l'absence de diagnostic.
C'est au sujet des médicaments que les exigences des malades sont
les plus fortes et les critiques les plus vives. En ce sens, l'idée que les services
du dispensaire devraient être gratuits est très répandue. Le manque de
médicaments, quelque soit l'appartenance sociale du malade, figure au
premier rang des côtés négatifs du dispensaire. La quasi-totalité des enquêtés
déplorent ce manque de moyens et déclarent cette situation "anormale"
voire "injuste". Les personnes interrogées dans leur majorité (plus des 3/4
des entretiens) en attribuent la responsabilité à l'Etat. Ce faisant, la non-
assistance de l'Etat au service public fait l'objet d'une désapprobation de
l'ensemble des usagers. Leur discours apparaît fondamentalement comme
un réquisitoire mettant en cause la politique gouvernementale. Ces propos
illustrent bien cet état d'esprit: "Pour le manque de médicaments, ce n'est
pas normal. C'est toujours des ordonnances, même si le gouvernement ne
peut pas toujours donner les médicaments à tous, au moins il doit faire
quelque chose pour que les infirmiers puissent mieux s'occuper des
malades, c'est-à-dire envoyer au dispensaire des médicaments au moins
pendant une certaine période. Or" depuis un certain temps il ne fait plus
rien ..." (404).

Dans la plupart des cas, la critique formulée à l'encontre des
institutions de santé, se transforme assez nettement en une mise en
question des autorités sanitaires provinciales ou gouvernementales; elle
404_ Entretien avec une femme mossi, Léo.

- 268-
donne l'occasion d'exprimer ouvertement un mécontentement devant leur
"démission" et/ou leur "indifférence".
Cependant, l'Etat n'est pas seul à endosser l'entière responsabilité de
la pénurie. Les usagers s'interrogent également, quoique dans une moindre
mesure, sur les pratiques du personnel soignant et des autorités
provinciales. En-dehors de quelques cas (très rares), les infirmiers ne sont
'/
pas accusés de détournement des médicaments à leur profit (405). Nombre
de nos inforrnatèurs sont persuadés qu'ils "disent la vérité et ne sont pas
responsables du
manque
de
médicaments" (406). D'où, en dépit des
nombreux problèmes de gestion, la réputation et la probité des infirmiers ne
paraît pas réellement souffrir des récriminations des patients. Ils sont
relativement épargnés par les jugements réprobateurs, tout au moins en ce
qui concerne l'accusation de détournement. En revanche, les observations
des malades attribuent d'autres comportements jugés abusifs au personnel:
les "refus de soins", les retards, l'absentéisme, le manque de courtoisie pour
les malades sont autant de faits reprochés aux infirmiers. Suivant leur
ampleur et leur fréquence, ces conduites peuvent être assimilées à un "refus
de service" un "abus de pouvoir". Dans ce cas, elles peuvent être vécues
comme une attitude intolérable et humiliante pour des
malades
recherchant un soulagement de leurs souffrances. Ce qui semble en cause
ici, c'est la façon dont le savoir médical est utilisé pour exercer un pouvoir.
Le plus souvent, c'est en référence à son expérience personnelle (ou
à celle d'un proche) heureuse ou malheureuse que le patient émet son
jugement ou son opinion. Il paraît donc difficile, en raison de cette
hétérogénéité de les distinguer en fonction des catégories sociales. On peut
observer cependant que les jeunes (18-30 ans) expriment plus spontanément
leur mécontentement à l'encontre du dispensaire, de son personnel et de sa
gestion. En particulier, les jeunes ayant bénéficié d'une scolarisation (même
sommaire, c'est-à-dire niveau primaire) tiennent les discours les plus
critiques face aux défaillances du système de santé. Ce discours s'articule
toujours autour d'un procès intenté contre l'Etat ou les institutions
405_ HOURS (B.), fait un constat différent au Cameroun, dans une étude de cas, cf. L'Etat
sorcier. op. cit.
406_ Ces propos sont tenus pour l'essentiel par les citadins.

- 269-
sanitaires publiques en général. Par contre, les femmes, les mères de famille
en général observent toujours une grande réserve, et restent très mesurées
et très nuancées dans leurs propos.
En considérant les discours produits par les usagers, le dispensaire
apparaît largement comme une institution présentant plus d'inconvénients
que d'avantages. li leste un lieu où le malade (surtout quand il est d'origine
sociale modeste), n'est guère à l'abri de brimades, de vexations et de
frustrations; 'én plus des usagers de condition modeste, les jeunes
adolescents semblent eux aussi durement affectés par ces phénomènes (ou
tout au moins ils réagissent et les expriment plus que les autres). Cependant,
leurs propos sont dénués de toute référence explicite stigmatisant toute
discrimination sociale exercée au dispensaire. Les catégories populaires ont
conscience d'être défavorisées simplement en fonction de leur condition
sociale et de leurs revenus. Le constat de ce handicap ne s'inscrit pas dans
une prise de conscience d'une reproduction des rapports inégaux de classe
au sein du dispensaire. Le manque d'argent est au contraire considéré
comme l'obstacle majeur à la consommation de soins. "Quand on est
malade, sans argent, c'est dur: on souffre toujours pour se soigner" (un
jeune commerçant 18 ans, Léo). Le secours étatique est alors attendu comme
un palliatif, devant assurer l'accès des plus démunis aux soins. Ainsi,
beaucoup de patients, aux revenus modestes mettent en avant leur
pauvreté pour demander des "faveurs" de la part du service public: être
pauvre, et sans moyens, c'est avoir droit à l'aide de l'Etat, telle semble être
l'opinion dominante partagée par les usagers.
Toutefois, il existe un écart entre des discours plutôt négatifs sur le
dispensaire et des comportements de grande fréquentation, par l'ensemble
des catégories de la population. Sauf cas rares, en effet, le dispensaire ne fait
pas l'objet d'un rejet en dépit des nombreux inconvénients qu'on lui
reconnaît. Sans doute considèrent-elles que même sous-équipé, le
dispensaire reste une structure indispensable dont le rôle, malgré la
diversité des recours thérapeutiques demeure irremplaçable dans le paysage
thérapeutique. Disposer d'équipements et de structures médicales semble
être vécu comme un droit dont il faut profiter. C'est pourquoi, dans maintes
localités, la seule présence d'un dispensaire peut s'avérer souvent comme
un motif de soulagement ou de satisfaction, étant donné que, dans
l'expérience de la maladie, tous les moyens sont bons pour restaurer la

- 270-
s.anté. Selon ses ressources, ses motivations, son lieu d'habitation, la nature
du mal, le patient peut décider de recourir rapidement ou tardivement ou
pas du tout au dispensaire. La présence d'un centre de soins permet aux
populations d'intégrer cette donnée dans leurs stratégies thérapeutiques,
choisir d'y recourir ou non en fonction des opportunités et des espoirs qu'il
peut représenter pour leur guérison.
!
3 - La rèlation thérapeutique
1<
Après avoir appréhendé les jugements émis par les usagers sur leur
dispensaire, on peut s'interroger à présent sur le type de relation qui
s'instaure entre malades et thérapeutes. Le contact des malades avec
l'univers thérapeutique du type hospitalier est souvent l'occasion d'une
rencontre entre deux systèmes de représentation foncièrement différents:
celui du professionnel et celui du "profane". Comment est vécue cette
rencontre entre les différents acteurs et quels types de jugement ou de
comportement en découlent?
a - La relation thérapeutique du point de vue des patients
Dans leurs rapports avec le personnel soignant, les usagers émettent
des opinions assez variées, réagissent et apprécient différemment cette
relation. On peut ainsi distinguer deux catégories.
• Les patients issus des milieux populaires ou ruraux
La relation entre l'infirmier (ou le médecin) et son malade est avant
tout une relation qui s'établit entre le représentant d'une institution et un
individu isolé de son groupe social. Cette relation apparaît donc
déséquilibrée, au profit du premier. Elle sépare le "professionnel" doté
d'une compétence technique établie par son diplôme, du "profane", faisant
de la relation thérapeutique un rapport inégal entre celui qui a le savoir et le
pouvoir de guérir et celui qui demande à être guéri (Fassin).
Pour les patients appartenant aux catégories populaires, cette
inégalité est encore renforcée du fait de la distance culturelle qui les séparent
de l'infirmier. Par son appartenance sociale et sa formation, l'infirmier (ou
le médecin) se distingue sur le plan social et culturel très nettement des-
patients de cette catégorie. De plus, il appartient à une catégorie sociale

- 271-
"dominante". Fonctionnaire et agent de l'Etat, il symbolise le pouvoir, l'Etat,..
aux yeux du paysan. Cette position de l'infirmier accroît virtuellement son
autorité sur le paysan et lui inspire crainte et respect (407).
Ce fai~ant, le thérapeute de la médecine hospitalière, se trouve, vis-
à-vis de son malade dans une situation de moindre proximité sociale et
culturelle d'une par:.-tj' et de plus grande neutralité sociale et affective d'autre
part. Cette neut~alité affective, dit D. Camus, "interdit au médecin
d'éprouver des~esentiments et d'orienter ainsi sa thérapie vers la personne.
Cette absence de contact est mal ressentie par le malade qui voit dans l'acte
médical

le
caractère d'une
médecine déshumanisée" (408). Du reste,
l'importance de cette proximité transparaît dans la consultation avec le
guérisseur. Elle apparaît plus complète, englobant à la fois un examen de
l'état du corps du patient, son état d'esprit, les circonstances psychologiques
et sociales de l'apparition des symptômes, etc.
De ce fait, pour les couches sociales rurales habituées à recourir au
guérisseur, la consultation conduite par le "docteur" paraît escamotée,
amputée d'une dimension essentielle: la dimension psychologique et
sociale. On comprend alors pourquoi ces patients sont plus prompts à se
plaindre de la rapidité et de la concision de la consultation avec l'infirmier.
Le contact qui met face à face soignant et soigné est vécu comme bret
impersonnel et purement verbal; il apparaît donc peu satisfaisant. Dans les
représentations de ces patients, l'attitude du thérapeute dans la consultation
est primordiale. Ils attendent du "docteur" qu'il soit "plus attentif", qu'il
soit suffisamment "patient pour écouter le malade" et qu'il "explique au
malade le traitement". Tels sont les attributs du "bon docteur". Le prix
attaché à la dimension relationnelle est au moins aussi important que la
compétence technique (409). Les griefs les plus fréquemment formulés à
l'encontre des infirmiers, c'est leur conviction que les malades sont
407_ Au contraire, le guérisseur traditionnel (ou le marabout) est généralement du même
milieu social que son client ou à défaut, proche de son univers social.
408_ CAMUS (D,), Paroles magiques, p. 12.
409_ Ceci semble entre autre expliquer pourquoi la relation médecin-malade est plus
satisfaisante pour le malade en cabinet privé (ou avec un personnel expatrié dans le
service public) où l'on affirme que le patient est "bien reçu", "bien servi" par un personnel
accueillan t.

-272 -
"ignorants et doivent tout apprendre". De là naît le sentiment, largement
partagé qu'ils sont assimilés à de "grands enfants". "Certains infirmiers
nous traitent comme si on était incapables de comprendre les choses les plus
simples. Quand on leur pose des questions, ils ne répondent pas toujours,
ou disent ce qui leur plaît, ou peuvent même se mettre en colère" (410).
Maints propos reprochent au personnel ses attitudes paternalistes,
l'absence de considération ou de respect du patient qui se sent infantilisé,
J <
dépouillé de son identité sociale. De la même manière, sa propension à
vouloir profiter de la moindre occasion pour "éduquer" le patient et lui
dicter les "bonnes manières", suscite quelques réflexions négatives. Si les
malades semblent souffrir de la faible attention accordée à la relation
humaine lors de la consultation, ils se montrent également frustrés d'être
"mal servis", du fait que, pour beaucoup de ces malades, la formulation d'un
diagnostic, la rédaction d'une ordonnance, sont des actes se situant en
marge du champ de l'efficacité immédiate. Leur traduction concrète en
termes de soins et de guérison induit des rapports d'argent. Ces normes et
ces pratiques professionnelles en vigueur au dispensaire, ne correspondent
pas toujours à leurs attentes; non pas qu'elles soient incapables de prendre
en charge leurs besoins, mais parce qu'elles sont en rupture complète avec
les représentations de ces usagers. C'est pourquoi l'univers médical leur
apparaît à la fois comme un monde étrange et complexe. Confiants en sa
capacité à soulager les maux du corps, ils se montrent néanmoins méfiants
ou réticents, et quelquefois désemparés face à sa logique gestionnaire.
• Les patients des milieux citadins "aisés"
Il s'agit essentiellement des cadres de l'administration. Les
entretiens avec ces catégories citadines "privilégiées" révèlent d'autres types
de rapports avec l'institution médicale. Ceux-ci se caractérisent davantage
par la compréhension et le respect.
Cette
différence, s'explique
essentiellement par l'appartenance de ces acteurs à la même catégorie
sociale que les professionnels de la santé. Le partage de conditions sociales et
de statuts sociaux communs est sans conteste un facteur favorisant la
proximité sociale. La nature des rapports qui s'instaurent ici se construit le
plus souvent sur des bases amicales et personnelles. Léo, qui reste une petite
410_ Entretien avec un paysan nuna, Léa.

- 273-
-
ville, abrite un nombre très réduit de fonctionnaires et de cadres qui se
connaissent plus ou moins tous. "Ici, tout le monde connaît tout le monde;
mais souvent, on se connaît sans se connaître", entend-on dire souvent,
quand il ne s'agit que de rapports superficiels. Pour l'accueil et la
consultation, les malades relevant de cette catégorie bénéficient de faveurs
et d'égards non reconnus aux autres usagers. En particulier, ils ne sont pas
toujours astreints là' respecter les mêmes obligations ou se plier avec
soumission à la même discipline: le carnet de santé sans lequel on ne
1
saurait accéder~à la consultation ne leur est pas systématiquement exigé. De
même, pour les files d'attente, les "cadres" peuvent plus facilement déroger
à la règle. Leur degré de familiarité avec le personnel se traduit dans la
consultation qui prend des formes plus souples à travers une plus fréquente
personnalisation des rapports: formules de salutation, référence aux
antécédents personnels ou familiaux, causeries autour de sujets divers, etc.
Pour toutes ces raisons, la consultation dans ces cas dure en moyenne
beaucoup plus longtemps que les cas où les rapports avec le patient sont du
type impersonnel. Qu'il entretienne des relations personnelles ou non avec
un (ou plusieurs) membre du personnel sanitaire, tout agent de
l'administration se voit ordinairement réserver un traitement de faveur. Il
n'est donc pas courant de voir des malades de statut professionnel élevé se
plaindre de brimades ou de vexations de la part du personnel. Au contraire,
leur rang, leur position sociale leur accordent de fait des "privilèges"
réservés à une minorité; un fait que semble corroborer ces propos: "Pour
l'accueil au dispensaire, je n'ai pas à me plaindre. Je connais à peu près la
plupart des infirmiers ici, même si je n'ai pas avec tous des liens d'amitié.
Ce qui est sûr, c'est que mon statut fait que je bénéficie d'égards particuliers
chaque fois que je vais me faire soigner"
(411).
A l'évidence, les citadins appartenant à la sphère administrative se
trouvent dans une situation de proximité sociale avec l'institution
sanitaire, qui leur garantit à la fois des rapports harmonieux avec le
personnel et l'affirmation d'une dignité de patients. Leur rapport avec les
professionnels de la santé ne se construit pas sur un modèle hiérarchique
(c'est-à-dire dominant à dominé) mais implique une relation égalitaire. A
cette proximité sociale, se greffe également une proximité professionnelle
411_ Entretien avec un agent de la direction provinciale du plan, Léa.

- 274-
dont la manifestation la plus évidente est le partage d'une condition
commune de "fonctionnaire" ou d'''agent de l'Etat". Il arrive, en outre, que
l'avantage que leur confère leur statut social se double d'une relation de
connaissance personnelle avec les membres du corps médical. Pour toutes
ces raisons, ces patients vivent leur rapport avec l'institution sanitaire et
son personnel comme un univers moins austère, plus accessible, plus
familier. (412)
Il nous, reste à découvrir comment les professionnels de la santé
eux-mêmes appréhendent leurs rencontres avec la clientèle.
b) La relation thérapeutique du point de vue des soignants
L'examen des rapports du personnel avec les malades, et plus encore
avec ceux des milieux populaires, révèle de nombreuses incompréhensions,
des tensions ou même des conflits. Ces oppositions, ordinairement,
prennent corps autour de questions aussi diverses que le problème des
médicaments, l'hospitalisation des malades, les consultations tardives, le
pluralisme thérapeutique, etc. A ce propos, les conduites adoptées par les
patients sont fréquemment en dysharmonie avec les principes édictés par
l'institution médicale. Les infirmiers reprochent aux malades d'avoir des
comportements
"irrationnels" et s'insurgent contre ces pratiques qui
témoignent de leurs "illusions" et parfois de leur "négligence" ou encore de
leurs "difficultés à comprendre et à suivre ce qu'on leur dit". Leurs propos
unanimes expriment la difficulté d'instaurer un "dialogue" avec une
population à majorité rurale, ayant de surcroît un faible niveau
d'instruction, quand elle n'en est pas tout simplement dépourvue. Dans ces
conditions, la relation thérapeutique est l'occasion où les logiques
contradictoires des uns et des autres transparaissent, se mettent en oeuvre,
et même s'affrontent. La rationalité médicale se heurte aux conduites
sociales des patients, à leurs représentations de la maladie, du rôle du
thérapeute et du dispensaire, à leurs expériences individuelles ou
412_ Bien entendu, il ne s'agit pas de nier que dans les classes populaires, certains malades du
fait des relations de parenté ou de voisinage puissent avoir également une relation d'ordre
personnel avec des soignants et donc, par conséquent, un accès privilégié au dispensaire; ni
bien sûr d'oublier que certains fonctionnaires puissent avoir des relations conflictuelles ou
être en "froid" avec le personnel sanitaire.

- 275-
collectives, etc. Nous illustrerons ces attitudes par quelques propos
significatifs émanant des soignants.
• La consultation
Lors de la consultation, le patient ne se contente pas toujours de son
rôle passif: il lui ~rrive d'opposer (ou de proposer) à son thérapeute ses
propres valeurs, ses propres représentations.
- Il s'agit des tentatives des consultants à vouloir influencer le
thérapeute dans son entreprise d'identification de la maladie ou à lui dicter
leurs choix.
- A chacun son diagnostic.
"Un fonctionnaire malade en consultation: souffrant du paludisme,
mais veut persuader l'infirmier qu'il est atteint de jaunisse".
- Caprices.
"Agriculteur s'étant fait une blessure au pied avec son outil de
travail; vient au dispensaire et demande à l'infirmier une ordonnance
pour le vaccin antitétanique, mais ne veut pas accepter l'ordonnance
proposée par l'infirmier pour le pansement de la plaie".
- Piqûre préventive.
"Chef de village en parfaite santé se rend au dispensaire et insiste
pour se faire faire une piqûre contre le paludisme en espérant ainsi
l'éviter" .

- Il n'est jamais trop tard.
"Enfant souffrant de paludisme et d'anémie. Arrive au dispensaire
suite à une complication, après que son
père l'ait conduit chez un
guérisseur. Ce dernier refuse de concéder à l'infirmier qu'il s'est présenté
tardivement au dispensaire".

- 276-
• Les médicaments
La gestion des médicaments constitue l'un des principaux points
d'achoppement dans les relations soignants-soignés. L'annonce officielle du
manque de médicaments suscite la défiance et le scepticisme des patients
incrédules.
'/
- Apparences trompeuses.
1 e
Sur la 'table de consultation de l'infirmier, beaucoup de malades
aperçoivent des boîtes et s'imaginent qu'elles regorgent de médicaments et
de produits divers. Or, 'en réalité, ces boîtes sont vides. Mais les malades
soupçonnent le personnel de leur cacher la vérité, et ont du mal ,à admettre
qu'on leur donne encore des ordonnances. Un infirmier: "Moi, je fais
disparaître maintenant toutes les boîtes de ma table quand je consulte. Cela
évite de donner des illusions aux malades".
- L'infirmier n'est pas pharmacien.
"Quand on leur remet l'ordonnance, beaucoup de personnes nous
disent qu'elles n'ont pas d'argent. Mais que faire?" "Par moments, je suis
obligé de leur faire comprendre que je ne fabrique pas de médicaments".
• Soins, hospitalisations.
Certaines conduites des malades mettent en évidence la primauté de
leurs activités productives ou économiques sur les soins.
- Le travail avant tout.
Une vendeuse de dolo (413), suivant des traitements contre la lèpre,
suite à un dépistage précoce. "Mais préfère s'occuper de son commerce et
arrive toujours en retard ou ne vient pas du tout; a toujours un alibi pour
s'excuser".

- Liberté retrouvée.
413_ Bière traditionnelle locale, préparée à base de mil.

- 277-
Paysans ou éleveurs peulh, hospitalisés au centre médical. "Dès
qu'ils sentent leur état s'améliorer, trouvent des astuces pour s'en aller
avant l'autorisation du docteur. Exemple: vont dire à un infirmier qu'ils
ont la permission du docteur pour rentrer à la maison; d'autres choisissent
de s'évader quand ils trou ven t le temps trop long".
Les raisons: les longs séjours d'hospitalisation leur paraissent
coûteux et pr9yoquent une propension aux départs anticipés dès que le
malade s'estime "hors de danger".
- Deux précautions valent mieux qu'une.
"Mère de famille soigne son enfant atteint de diarrhée chez une
guérisseuse, puis se rend au dispensaire quand il n'y a pas d'amélioration et
poursuit encore les soins chez la guérisseuse jusqu'à guérison complète".
Ces exemples illustrent quelques-uns des problèmes auxquels sont
confrontés les infirmiers à l'occasion de la rencontre avec les malades. La
difficulté à "discipliner" les patients apparaît comme l'un des principaux
sujets de préoccupation et d'inquiétude du personnel.
Indocilité,
insoumission et ignorance, pour les patients des milieux populaires,
obéissance, compréhension mais conviction de détenir quelques "savoirs"
sur la maladie pour les citadins salariés ou scolarisés, tels semblent être les
caractéristiques des usagers à travers le regard des soignants.
B - ITINERAIRES 1HERAPEUTIQUES ET STRATEGIES DES PATIENTS
Le paysage sanitaire offre aux usagers une très grande variété de
recours thérapeutiques possibles qu'ils utilisent l'un après l'autre, suivant
leurs expériences propres, et en fonction de circonstances particulières.
Chacune des institutions de gestion de la maladie semble avoir
(normalement) sa clientèle. Cependant, la distinction n'est pas si étanche. Si
de nombreux patients s'adressent exclusivement à une- seule instance
thérapeutique en cas de maladie bénigne, en revanche, la persistance du mal
peut conduire rapidement à une modification des recours. Le souffrant peut
alors emprunter des itinéraires qui se traduisent par la sollicitation
successive du dispensaire public, du tradipraticien, du marabout ou du
devin, etc. On retiendra ici à titre d'exemple trois cas de situations propres à
illustrer l'hétérogénéité des comportements en cas de maladie.

- 278-
successive du dispensaire public, du tradipraticien, du marabout ou du
devin, etc. On retiendra ici à titre d'exemple trois cas de situations propres à
illustrer l'hétérogénéité des comportements en cas de maladie.
1- Un paysan et éleveur peulh
Ali est âgé de 40 ans environ et vit à Sagalo (12 km de Léo)
,1
Depuis plusieurs mois, son père âgé de 67 ans se plaint de douleurs
I~
au bas ventre.' li ressent de vives douleurs chaque fois qu'il veut uriner.
Quelques jours après l'apparition du mal, il décide d'aller voir un
guérisseur du village. La maladie est identifiée comme bénigne et le
thérapeute lui donne, en guise de remède, des racines d'une plante à boire
en infusion, jusqu'à la guérison. Après plusieurs jours de traitement, le
malade ne présentait aucun signe de guérison; au contraire, la douleur se
faisait de plus en plus persistante. On décida alors de conduire le malade
auprès d'un guérisseur du village voisin, mais celui-ci avoua son
impuissance à traiter cette maladie. De guerre lasse, son entourage
envisagea le recours au dispensaire (de Léo) comme dernier espoir, 'suite à
une brusque dégradation de son état de santé. Le diagnostic des infirmiers
révéla une tumeur à la vessie dont le traitement nécessitait une
intervention chirurgicale que seul un centre hospitalier pouvait assurer. En
pareil cas, une évacuation rapide s'imposait. La suite du malade fut
informée de la nécessité d'évacuer le patient et s'exécuta. Le 29 janvier
(1991) l'évacuation eut lieu. Les frais de carburant à la charge du malade
s'élevaient à 26 000 F (520 FF). Ne disposant pas de cette somme, la famille
du malade s'arrangea pour obtenir l'avancement des fonds par le centre
médical, qu'elle remboursera plus tard, grâce à la vente d'un boeuf. Le
séjour à Ouagadougou dura 4 jours qui coûtèrent 20500 F (410 FF) pour
l'hébergement et occasionna des dépenses de 13500 F (270 FF) en
médicaments. L'opération terminée, il y eu une légère amélioration et le
malade fut autorisé à revenir en hospitalisation à Léo pour sa convalescence
qui dura plusieurs semaines.
2 - Un jeune fonctionnaire, 26 ans, Léo
"J'ai eu à souffrir récemment d 'hémorroïdes. Je me suis rendu au
dispensaire en consultation. Là, on m'a remis une ordonnance pour l'achat
de pommades et de comprimés que j'ai obtenu en pharmacie. J'ai fait mon

- 279-
traitement jusqu'à la guenson. Mais quelques mois après j'ai connu une
rechute. J'envisageais de recourir à nouveau au dispensaire, mais une amie
m'a conseillé d'aller voir un guérisseur (414) qu'elle connaissait bien. C'est
un vieux qui vit à Léa et jouit d'une bonne réputation. C'est un forgeron-
chasseur. Il m'a demandé d'apporter de la farine, du petit mil, du sel et du
"soumbala" (415). Pui~ il a préparé pour moi du "to" (plat local à base de mil
se présentant sous/forme de pâte) accompagné d'une sauce qu'il me proposa
de manger. Il m'a aussi donné une eau à boire à domicile (une partie de
J<
l'eau ayant servi à la cuisson du
ta) dans laquelle il a ajouté un
médicament. Il m'a assuré que je guérirai au bout de trois jours. Tous les
jours je buvais l'eau. Le troisième et le quatrième jour après le début du
traitement, je fus totalement guéri. Donc, pour moi, c'est efficace. Les
produits pharmaceutiques m'avaient ruiné financièrement sans me guérir
réellement. Or, avec ce guérisseur, je n'ai acheté que la farine, ainsi qu'une
poule, le tout pour 500
F (10 FF) seulement. Il m'a expliqué que le sacrifice
de la poule était une exigence de ses fétiches et servait à réparer une faute
que j'ai dû commettre. Après guérison, je lui ai offert la somme de 1 000 F
(20 FF) pour lui exprimer ma gratitude".
3 - Un jeune citadin scolarisé, 25 ans, sans emploi
"Quand j'ai une maladie, je commence toujours par le dispensaire,
j'achète les médicaments qu'on me prescrit et je me soigne. Mais certaines
maladies ne sont pas toujours bien soignées au dispensaire. Donc, si je ne
suis pas satisfait (parce que la maladie peut revenir) je vais voir un
guérisseur. Je sais qu'ils sont compétents pour soigner certaines maladies. Si
je ne suis pas toujours satisfait je reviens au dispensaire ou j'essaye autre
chose. Par exemple, il y a à Léa un protestant qui soigne les gens. Il connaît
les médicaments avec les plantes qu'il va chercher en brousse pour soigner
ses malades. Chez lui on ne paye pas mais on lui fait des dons. On peut aussi
l'aider à travailler (cultiver son champ, nettoyer sa cour ...). Je suis déjà allé
le voir quand j'avais des maux de ventre et il m'a guéri sans rien me
demander. Puisque certains médicaments sont chers à la pharmacie, quand
414_ Il s'agit plus exactement d'un guérisseur-devin.
415_ Ingrédient entrant dans la préparation des sauces.

- 280-
j'ai des problèmes d'argent, je préfère aller chez lui ou chez le médecin
traditionnel. Pour aller au dispensaire" il faut être sûr de pouvoir payer les
ordonnances. Il faut dans certains cas débourser entre 2 000 et 5 000 F (entre
40 et 100 FF), souvent plus; par exemple en cas de longue maladie ou
d'hospitalisation prolongée. Moi" j'ai des problèmes cardiaques, et à certains
moments j'ai eu à payer des médicaments pour 15 000 F (300 FF). Une fois,
c'était grave et j'ai(même été évacué à l'hôpital à Ouaga. Pour l'ambulance,
j'ai payé 20 000 r:'d'essence. C'est vraiment trop cher. Heureusement pour
moi, mes parelHs ont pu payer. Pour mes ordonnances à Ouaga, j'ai des
frères qui sont fonctionnaires là-bas et c'est eux qui ont payé. Ca veut dire
que si tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas être évacué, donc tu ne peux pas
être bien soigné. Je souhaite que l'Etat fasse tout pour qu'on ait des
médicaments car c'est trop dur pour nous".
Comme on peut le constater, les attitudes et les trajectoires des
malades sont fort diverses. L'abondance des recours laisse la possibilité aux
patients de déterminer leurs itinéraires au gré de leur expérience, de leurs
croyances ou de leur confiance en telle ou telle institution et des résultats
(décevants ou non) enregistrés ici ou là. La logique dominante (pour eux)
restant celle de la guérison. Et pourtant, si les patients choisissent en
fonction des critères de rapidité dans la guérison et d'efficacité du
traitement, ils ne peuvent toutefois faire abstraction des contraintes
économiques. Même pour les patients "non solvables", en dernier ressort, la
gravité de la maladie oblige à faire fonctionner ou à réactiver les solidarités
familiales en vue de la gestion sociale de la maladie. On mentionnera
cependant qu'il peut aussi se produire des cas extrêmes où, confrontée à
l'inefficacité
des
recours
thérapeutiques
successifs,
la
demande
thérapeu tique
"se transforme en errance au cours de laquelle le malade
s'accroche à tout nouvel espoir et n'hésite pas, pour obtenir le soulagement
de son mal à y sacrifier tout ce qui est en sa possession" (416).

Médecine du dispensaire, médecine des guérisseurs, traitement à
partir des savoirs populaires ancestraux, toutes les ressources de la diversité
thérapeutique sont utilisées par les acteurs (y compris les groupes privilégiés
416_ FASSIN (O.), Pouvoir et maladie en Afrique. op. cit., p. 122.

- 281-
dotés de revenus stables) dans des stratégies individuelles souvent
"contradictoires" et des itinéraires thérapeutiques discontinus.
C - PRATIQUES PROFESSIONNELLES ET CONDITIONS DE TRAVAIL
"Pour certaines affections, il nous est vraiment difficile de poser un
diagnostic sérieux. C'est un travail aveugle qu'on fait. Quand un malade
présente tel ou tel ;igne, on pense à telle ou telle maladie. S'il Y a un doute,
quand on hésite. entre deux maladies, on les traite toutes les deux".
1- Les conditions matérielles:
des soignants aux "mains nues"
Il ressort de nos entretiens avec le personnel l'idée que leurs
conditions matérielles de travail se détériorent d'année en année. A l'instar
des malades qui se référent constamment à un proche passé, les infirmiers
eux aussi procèdent par comparaison dans le temps chaque fois qu'ils ont à
parler de leurs conditions de travail.
Le centre de soin est le lieu par excellence où l'on guérit la maladie
et restaure la santé. A Léo cependant, son équipement, très sommaire influe
sur certaines pratiques des professionnels de la santé. Pour ces praticiens,
c'est avant tout le dispensaire qui fait lui-même l'objet d'observations
négatives. Il n'est pas perçu comme un cadre propice au travail, en raison de
la vétusté des bâtiments, et l'état des locaux qualifiés de "sales" et "délabrés".
Il s'agit notamment du bâtiment principal du dispensaire, vieux de 45 ans et
dont l'état de détérioration réduit quasiment à néant les efforts pour son
entretien. Les ouvertures, insuffisantes en nombre et mal placées obligent le
personnel à travailler (le jour) dans des conditions de luminosité
insuffisante, ce qui "nuit à l'examen des malades". La nuit, en raison du
manque d'électricité, "c'est à la lumière des lampes tempêtes que nous
travaillons: comment peut-on bien apprécier les conjonctives d'un malade
à la lumière d'une lampe tempête qui fume?" (417).
Au niveau du matériel de travail, la situation n'est guère plus
brillante. Les infirmiers sont obligés d'acheter eux-mêmes leur propre
417_ Entretien avec le médecin-chef, Léa.

- 282-
thermomètre (418). Cette situation est en passe de devenir la règle et le
médecin-chef lui-même
n'y
échappe
pas:
"Nous n'avons pas de
tensiomètre à nous; nous sommes réduits à utiliser ceux venant d'autres
services. Moi, par exemple, j'utilise en ce moment un tensiomètre qui
appartient à l'Office de Santé des Travailleurs; en plus, je travaille avec
mon stéthoscope per~onnel" (419).
'/
Sur un plan plus global, il faudrait ajouter que l'équipement du
centre médical'est insuffisant et rudimentaire. Le laboratoire dont il dispose
ne peut assurer que des "examens directs" (examens de selles, d'urines). Il
en résulte des difficultés accrues pour poser une diagnostic avec précision. A
cela s'ajoute l'absence d'une antenne chirurgicale, ce qui paraît encore plus
grave. En conséquence, si une femme doit accoucher par césarienne, il faut
immédiatement l'évacuer vers un centre plus équipé (à Ouagadougou ou
Koudougou, ce qui, avec l'état des routes nécessite 3 à 4 heures de temps).
Or, nous explique le docteur, "il y a des cas délicats qu'il ne faut pas évacuer,
parce que trop risqués. Mais" puisqu'ici on n'a pas les moyens de les traiter,
ne
pas
évacuer
une
femme
en
pareil
cas,
équivaut
presqu'à
une
condamnation à mort".
En marge des soins au dispensaire, les activités des infirmiers
englobent également des sorties sur le terrain au sein d'équipes mobiles. Ces
sorties occasionnent des contacts avec les populations en vue de leur
sensibilisation aux problèmes de santé publique, de vaccination, etc. Lors de
ces sorties, il n'est assuré aux équipes aucune indemnité de déplacement. La
restauration reste aléatoire. A l'exception des équipes de vaccination qui
disposent de 275 F (420) (5,50 FF) par jour assurés par la DPS (Direction
Provinciale de la Santé), les équipes de sensibilisation se voient refuser
toute prise en charge. "Jusqu'en 1990, nous aussi nous avions droit à cet
avantage, se plaint un agent. Mais maintenant, on a tout perdu et on n'a
plus rien. Or, quand on est sur le terrain, le village ne nous donne pas
toujours à manger. Il arrive donc qu'on travaille le ventre vide ...".
418_ Ainsi, par exemple, si par mégarde un malade venait à en casser un, il lui sera demandé
de le rembourser.
419_ Entretien avec le médecin-chef, Léo.
420_ Dont 100 F pour le "prix du pain" et 175 F pour la sardine.

- 283-
Enfin, il convient de precIser que l'insuffisance de la logistique
réduit considérablement l'action des équipes mobiles. Le parc moto ne
compte qu'un seul engin en état de marche, ce qui, d'une part, limite les
sorties sur le terrain, et de l'autre ne permet plus de sorties simultanées de
deux équipes différentes.
f
2 - Les conditions sodo-professionnelles
"On est très peu stimulé dans ce métier. Moralement, on est content
quand on guérit un malade et qu'il nous témoigne sa reconnaissance. Mais,
de la part de l'Etat on n'a rien, sinon que notre situation se dégrade".
Il faudrait ajouter à ces conditions matérielles de travail qu'on vient
de décrire, les aspects concernant les carrières professionnelles. Dans ce
domaine, les réactions témoignent d'un réel mécontentement. Les propos
des acteurs concernés font du secteur de la santé (et de celui de l'éducation)
le parent pauvre de la politique étatique. Les professionnels de la santé sont
convaincus que, contrairement à d'autres secteurs comme les douanes, la
police, la gendarmerie "qui font entrer des devises dans les caisses de l'Etat",
leur domaine, au contraire, fait l'objet d'une "négligence",
d'une
"marginalisation" de la part des pouvoirs publics. Les conditions difficiles
de travail, les bas salaires, le manque de stimulation ou d'avancement sont
évoqués en guise d'illustration ou de "preuves". En comparaison des
années précédentes (par exemple au début des années 80) le recul est
manifeste. Le principal accusé demeure en l'occurrence le P.A.s. (421) qui
vient sonner le glas des derniers espoirs d'une éventuelle amélioration du
statut professionnel. Par exemple, une des dispositions du PAS c'est d'avoir
supprimé les concours professionnels pour les infirmiers brévetés. En plus
de cela, il est à l'origine du déclassement dont sont victimes les infirmiers
brévetés qui passent de la catégorie C2 à Dl dans la grille de la fonction
publique (422). Mieux, dans le but de les maintenir dans leurs salaires
42L Le Plan d'Ajustement Structurel, signé entre le Burkina et le FMI pour une période de 3 ans
(décembre 90 à décembre 93) reconductible. Un de ses objectifs déclaré vise à
l"'assainissement" de l'économie de ce pays.
422_ Cette mesure frappe uniquement les infirmiers brévetés ayant été recrutés à partir du
niveau de la 4e, donc non titulaires du BEPC. Depuis 1989, les infirmiers brévetés sont

- 284-
actuels, ils se voient affectés en classe exceptionnelle, ce qui exclut en réalité
toute possibilité d'avancement. Quel que soit le temps écoulé depuis leur
prise de fonction, ils se retrouvent prématurément (et arbitrairement) "au
plafond", c'est-à-dire au sommet de leur carrière: "avec le PAS on se
retrouve dans
une situation stationnaire; on
ne peut plus gagner
d'échelons.
"Moi,
j'étais
3e
échelon
avant
les
mesures
du
PAS.
Actuellement, je ne.tsais même plus quelle est ma situation" (423).
Mais lès infirmiers brévetés, même s'ils se sentent plus durement
touchés, ne sont pas les seuls à se plaindre du PAS. Pour l'ensemble du
personnel, toutes catégories confondues, ses méfaits sont durement
ressentis. Par exemple, après l'admission à un concours professionnel, tout
agent est reclassé et s'élève dans la hiérarchie administrative;' mais cette
promotion n'a désormais plus aucune incidence sur le salaire qui reste
stationnaire (424).
On comprend alors pourquoi la santé publique ne paraît pas (ou
peu) gratifiante pour les professionnels de la santé. Erigée en pôle négatif de
la politique étatique, elle entraîne les soignants dans un "purgatoire
quotidien" (Hours). Salaires parcimonieux, moyens de travail insuffisants,
absence de stimulation et de motivation, sont en l'occurrence présentés
comme les signes tangibles de ce manque de considération dont s'estime
victime le personnel SaI1.Îtaire.
systématiquement recrutés à partir du BEPC. Bien qu'au niveau de ces agents, rien ne les
distingue sur le plan de la compétence professionnelle (ils ont en effet la même formation)
le niveau du diplôme introduit une différence de salaire. De plus, les infirmiers brévetés
titulaires du BEPC sont maintenus en C2. Les infirmiers d'Etat, recrutés au niveau de la
classe de seconde, mais avec une formation identique sont eux plus favorisés que les
infirmiers brévetés : ils sont classés en B2 ou B3, de même que les sages-femmes. Ces
différences de traitement et de statut ont créé par moment des tensions au sein même du
personnel sanitaire.
423_ Entretien avec un infirmier breveté, 9 ans de service.
424_ Ces mesures concernent par ailleurs tous les agents de la fonction publique.

- 285-
Aussi, dans le but d'améliorer son existence quotidienne, une partie
de ce personnel n'hésite pas à vivre d'expédients. On assiste alors au
développement de la pratique des soins privés à domicile (425).
3 - La pratique des soins privés
Elle constitue un appoint non négligeable pour les agents qui s'y
adonnent, daI}~ la mesure où elle est presque toujours motivée par un
besoin d'argent. Compte tenu du caractère clandestin de cette activité, le
domicile du praticien est souvent utilisé à cette fin (comme c'est le cas à
Léo). Dans d'autres cas, l'infirmier de garde peut exercer directement au
dispensaire en se servant des structures et du matériel disponibles (cas plus
fréquents dans les CSPS).
La pratique la plus courante consiste en la circoncision des jeunes
garçons, en raison d'une très forte demande. Pour cette raison, elle peut
constituer une source de revenus substantiels. C'est pourquoi "beaucoup
d'infirmiers se battent pour être responsables de formations sanitaires
(CSPS). Cela leur permet de s'adonner plus librement à ces activités
clandestines, il
y en a même qui peuvent organiser des séances de
circoncision à grande échelle avec 50 à 60 enfants en 2-3 jours, et empocher
des sommes considérables" (426). Dans certains CSPS, en effet, le personnel
se réduit souvent à un seul infirmier; il lui est alors loisible d'exercer cette
"médecine privée" en toute quiétude.
Les prix pratiqués pour une circoncision varient entre 500 et 1 500 F
(l0 à 30 FF). Outre la circoncision, la pratique des actes comme les
consultations à domicile, est également courante. L'infirmier reçoh
directement les patients à domicile; après consultation il leur délivre des
ordonnances. Le client revient alors pour le traitement. Les cas les plus
fréquents sont les injections et certains pansements. L'infirmier peut
recevoir environ 150 à 200 F pour chacun de ces actes, mais également
425_ Elle ne date évidemment pas d'aujourd'hui, mais c'est amplifiée avec les difficultés
économiques que rencontre une partie du corps médical.
426_ Entretien avec un infirmier, Léo.

- 286-
quelques pourboires principalement de la part de la clientèle urbaine
"aisée".
Officiellement interdite depuis 1984 par le gouvernement du
CNR (427), la pratique de la médecine clandestine n'a paradoxalement pas
cessé de prendre de l'ampleur. De l'aveu même de nombreux infirmiers,
elle se développe)" à grande échelle sur toute l'étendue du territoire
national (428). En réalité, la pratique de la médecine à domicile peut être
tolérée à condItion d'obtenir l'autorisation du ministère de la santé. Mais, à
l'évidence, la majorité des professionnels de la santé choisissent de l'exercer
dans l'illégalité; ils s'exposent alors à des poursuites pour "exercice illégal
de la médecine".
4 - Gérer la pénurie
Confrontés à un manque d'équipement et de personnel, privés de
ressources matérielles et financières, insuffisants en nombre pour une
population de plus en plus nombreuse et exigeante, les services sanitaires
doivent faire face à une multitude de problèmes sans pouvoir toujours les
maîtriser. La principale carence -nous l'avons déjà vu- est constituée par
l'insuffisance du matériel et l'absence de médicaments. Le manque de
médicaments en particulier exerce un effet pervers qui affecte l'ensemble du
système de santé.
Pour s'adapter à la rareté des ressources et éviter une rupture
complète de ces réserves, le dispensaire est conduit à privilégier la stratégie
du rationnement. Les premiers soins pratiqués sur place, par avance de
produits prélevés sur le fonds de roulement, tiennent compte de la capacité
de remboursement du client. Autrement dit, cette "générosité" se pratique
largement à la "tête du client" (429) : "quand on sait que le malade a les
427- Qui avait donné l'ordre aux CDR de mettre systématiquement aux arrêts tout infirmier
pris en flagrant délit.
428_ Elle est surtout très importante dans les grandes villes comme Ouagadougou ou Bobo-
Dioulasso.
429_ Certains infirmiers rapportent qu'ils "sondent" au préalable le patient pour s'assurer
qu'il est capable de rembourser avant de lui proposer un traitement sur place. Ainsi, les
Mossi et les Peul qui ont, d'après leurs observations, un certain pouvoir économique et des

- 287-
moyens et la volonté de payer les médicaments prescrits pour suivre
l'ensemble du traitement, on peut lui faire les premiers soins sur place avec
nos propres produits. Par contre, pour les autres, on ne leur assure les soins
que lorsqu'ils les achètent eux-mêmes" (un infirmier); Il peut paraître
étonnant qu'un centre de soins adopte de telles mesures qui profitent
surtout aux malades les plus solvables. Cette disposition est justifiée par le
fait que "certains malades, une fois qu'ils reçoivent en urgence des soins, ne
veulent plus afheter d'ordonnance" alors que d'autres "se contentent de ces
soins et
ne se présentent plus
pour la suite du
traitement".
Ces
comportements, exclusivement attribués aux "paysans" ont permis de
justifier l'adoption de nouvelles dispositions, dont nous venons de parler.
Ce nouveau mode de gestion introduit ainsi une autre forme de
discrimination qui distingue les "bons malades" (ceux qui peuvent payer)
des "mauvais malades" (qui ne peuvent pas ou ne veulent pas se procurer
les médicaments), se complaisant dans leur rôle d"'assistés".
Mais au-delà de ces problèmes, le personnel soignant s'il semble
déplorer cette accessibilité différentielle de la clientèle aux soins, refuse d'en
endosser la responsabilité et présente sa nouvelle gestion du médicament
comme "vitale" pour le dispensaire. "Nous savons que ces mesures ne sont
pas parfaites, et qu'elles provoquent des mécontentements parce que les
malades les trouvent injustes. Mais c'est une réaction de survie sinon c'est
tout le centre médical qui est menacé de paralysie. Nous on ne fait que
s'adapter à une situation difficile que nous déplorons autant que les
malades"
(430).
La "gestion de la pénurie" outre qu'elle complique la relation
médecin-malade en engendrant de nouveaux facteurs de tensions et de
conflits, n'en affecte pas moins les soignants eux-mêmes, dont certains se
disent choqués. Sur le plan psychologique et moral, il arrive que cette
situation soit vécue comme une épreuve plus ou moins traumatisante. Un
habitudes de consommation de soins, sont plus prompts à l'achat des médicaments (les
Mossi en commercialisant leurs surplus agricoles arrivent à dégager du numéraire, de même
que les Peul qui pratiquent l'élevage des bovins) que les Nuni qui, eux, en-dehors d'une
agriculture de subsistance, n'exercent qu'exceptionnellement des activités lucratives. lis
auraient donc un pouvoir d'achat plus faible.
430_ Propos d'un infirmier du centre médical.

- 288-
jeune praticien n'avoue-t-il pas: "en tant qu'infirmier, vraiment, le
manque de médicaments me dérange beaucoup et me pose un problème de
conscience, surtout quand il m'arrive d'entendre des malades me supplier
de faire quelque chose pour eux ...".
Enfin, l'expérience de la pénurie génère toùte une chaîne
d'accusations
coptre
le
personnel
sur
qui
pèse
constamment
d'innombrables soupçons de la part des usagers les plus contestataires: tour
à tour il se vOit accusé d'être "responsable du mauvais fonctionnement du
dispensaire" ; .d'être "payé à rien faire et de laisser les malades souffrir".
Comme on le voit, le manque de ressources peut contribuer puissamment à
exacerber les oppositions entre les différents acteurs du système de santé.
Obligé de rationner des stocks déjà limités, le personnel sanitaire,
involontairement, accentue le sentiment de frustration des usagers.
***
Au total, l'examen des pratiques professionnelles permet de mettre
en lumière les difficultés et les problèmes de dysfonctionnement inhérents
au système de santé, tel qu'il fonctionne dans un centre comme Léo. Les
acteurs sociaux en présence définissent et re-définissent des stratégies
toujours renouvelées, qui témoignent d'un souci constant de s'adapter à la
crise du système sanitaire. Crise du système sanitaire qui renvoie également
à la crise d'identité qui frappe de plus en plus les professionnels de la santé.
Tributaires des maigres moyens que l'Etat met à leur disposition, les
infirmiers se voient privés d'efficacité par le manque de médicaments, et
blessés dans leur dignité sociale et professionnelle. Ce sentiment naît aussi
bien de leurs rapports avec l'Etat dont les exigences envers les
professionnels, en décalage avec les ressources octroyées pour exercer leur
profession, les désoriente dans la pratique de leur art. D'autre part, au
niveau des usagers, l'image de la profession semble mise à rude épreuve par
les représentations négatives associées à une gestion "désastreuse" de la
santé. Comme l'exprime fort judicieusement cette métaphore de B. Hours,
la santé publique amène à remettre en question la santé tout entière, en
produisant des infirmiers malades de l'Etat, des patients malades des
infirmiers et en définitive un Etat malade de la gestion sociale du malheur
qu'il a en charge. Dans ce scénario, la situation des acteurs renvoie à des
infortunes différentes: infirmiers privés à la fois de l'état de "providence
professionnelle" escomptée et de promotion sociale, patients aspirant

- 289-
vainement à des recours thérapeutiques plus accessibles, mais tous
revendiquant une considération et un respect que leur refuse l'Etat comme
soignants aussi bien que comme soignés.
Après avoir exploré l'univers médical urbain, il est temps de
s'intéresser maintenant au système de santé villageois.
:1
D - USAGERS ET PRATICIENS DU CENTRE DE SANTE RURAL
i<
Notre 'propos ici consistera à rendre compte des logiques qui
déterminent la fréquentation du CSPS par les villageois. S'inscrivant dans
une perspective comparative avec le centre médical de Léo, cette partie
s'attachera à mettre en exergue les facteurs qui distinguent mais aussi qui
rapprochent ces deux systèmes de santé.
1- L'infirmier et le dispensaire dans l'espace villageois
Le CSPS de Kayéro présente un visage différent du centre médical de
Léo, aussi bien sur les rapports entre infirmier et villageois, que sur son
organisation et son mode de fonctionnement.
a) La fréquentation du dispensaire
Ce centre de santé possède un rayon d'action qui s'étend bien au-
delà des huit villages qu'il couvre normalement (situés à 10 km à la ronde).
Sa particularité réside dans le fait qu'il accueille des malades venant de
zones sanitaires relevant ordinairement d'autres CSPS. Ainsi que le
montrent les statistiques recueillies au CSPS,' les fréquentations suivant les
localités de résidence des malades donne les résultats suivants:

- 290-
Tableau 6 - Fréquentation du dispensaire par zones d'habitation
Distance
Janv. 91
Avril
Mai
Juin
Août
0-4 km
47
48
64
37
113
5-9km
51
32
33
17
86
+ 10 km
/
18
23
22
12
32
% des malad~s
15
22
18
18
13
1
appartenant à
d'a u tres zones
sani taires (+ 10 km)
,
Source: CSPS/Kayero
Dans ces périodes considérées sur ce tableau, on s'aperçoit que le
pourcentage des malades parcourant de longues distances (plus de 10 km)
pour recevoir des soins au dispensaire de Kayéro est loin d'être négligeable,
allant de 13 % (plus faible taux) à 22 % (plus fort taux). Sur les périodes
concernées, on peut remarquer quelques variations importantes avec près
de 1 malade sur 4 (avril 91), 1 malade sur 5 (mai et juin 91) ; 1 malade sur 7
(janvier 91) et 1 malade sur 8 (août 91). Ces proportions sont très élevées par
rapport à celles observables dans les autres dispensaires de même nature où
les rayons d'action se limitent le plus souvent aux villages environnants.
Au contraire, l'influence du dispensaire de Kayéro s'étend jusque dans les
chefs-lieux des départements voisins. Par exemple, l'infirmier affirme
recevoir régulièrement des consultants venus de Tabou (15 km), de Yalé
(12 km) et même quelquefois de Cassou (40 km).
Sur un plan plus global, le taux moyen de fréquentation demeure
l'un des plus élevés de la province. Les données mensuelles recueillies sur
quelques mois se présentent comme suit:
Tableau 7 - Fréquence des consultations au dispensaire de Kayéro
Consultation
Janv.
Avril
Mai
Juin
Août
Nouveaux cas
116
103
119
66
231
Anciens cas
73
-
174
-
-
Maladies
Maladies
Maladies
Maladies
Paludisme
Paludisme
diar-
diar-
diar-
(30 cas)
(79 cas)
prédominantes
rhéiques
rhéiques
rhéiques
(62 cas)
(34 cas)
(44 cas)
,
Source. CSPS/Kayero.

- 291-
Le niveau de fréquentation est déterminé à la fois par les facteurs
épidémiologiques et par les saisons. Tandis que les maladies diarrhéiques
sont les principaux motifs de consultation de janvier à mai, les accès
palustres prédominent de juin à octobre. On peut remarquer sur ce tableau
que le nombre de consultations chute considérablement au mois de juin.
Cette diminution peut être attribuée aux travaux agricoles qui absorbent une
'f
majorité de la population et où seuls les cas réputés sérieux conduisent au
dispensaire. En rèvanche, au mois d'août, le nombre de consultations fait
un bon en avant en r~ison de la forte recrudescence du paludisme (l /4 des
consultations).
En conclusion, la fréquentation du dispensaire de Kayéro témoigne
d'une forte affluence et reste sans commune mesure avec les CSPS de
même nature. Dans ce domaine, il soutient la comparaison avec le centre
médical de Léo avec une moyenne quotidienne se situant entre 20 à 30
consultants par jour en temps ordinaire (431). Même en période d'hivernage
où les autres centres de soins sont quasiment désertés par les malades (432),
Kayéro n'accuse qu'une baisse relativement faible de sa fréquentation.
b) L'infirmier et les malades
Du point de vue des malades, la relation avec l'infirmier fait l'objet
de commentaires positifs. A l'évidence, le discours des patients révèle une
opinion globalement favorable sur le traitement réservé aux utilisateurs des
structures de soins. Il suggère également l'idée de respect du malade. Les
propos des usagers ici s'accompagnent le plus souvent de comparaisons
fréquentes et systématiques avec les autres CSPS : "ici, on est bien accueilli et
l'infirmier est calme avec les malades. Ailleurs, on nous gronde tout le
temps et on a toujours des problèmes" (433).
43L Ces moyennes ne prennent pas en compte les cas de pansements de plaies.
432_ Tel est le cas du CSPS de Niaboury où l'infirmier affirme passer souvent 2 à 3 jours sans
recevoir de visites de malades.
433_ Un agriculteur nuni, 35 ans, Kayéro.

- 292-
Pour bien marquer la différence d'avec les autres formations,
certains insistent sur le sérieux, la compétence et les prouesses accomplies
par l'infirmier, "qui a réussi à sauver seul, des malades proches de la mort".
De fait, la légitimité de l'exercice professionnel du thérapeute est
subordonnée aux succès reconnus par la collectivité, davantage que par la
possession d'un diplôme. En outre, la relation avec l'infirmier en cas de
guérison d'une maladie grave (ou d'une maladie qui a nécessité un long
séjour au dispensaire) tend à se structurer sur le mode personnel. En ce
sens, les patients remercieront le thérapeute (non pas en lui donnant de
l'argent puisqu'on est dans une société faiblement monétarisée) mais en le
gratifiant d'une offrande, d'un présent en nature (volaille, oeufs, plats
cuisinés.. J. Ce geste peut avoir pour effet de réduire la barrière sociale qui
existe entre le soignant et son malade, appartenant à une catégorie sociale
subalterne. Assurément, le don introduit davantage de familiarité dans les
rapports et favorise le recours (et le rapprochement) à l'infirmier qui, au
bout du compte, est considéré à l'image du guérisseur. Par ces pratiques, "la
culture savante selon D. Le Breton, est conjurée et absorbée sur un autre
mode par le détournement populaire" (434). L'infirmier, par une sorte de
"détournement de son rôle social et professionnel" est placé,malgré lui,
dans une position analogue à celle du guérisseur par ces comportements
populaires qui renvoient à une tentative de restauration de la symbolique
au coeur même de la relation thérapeutique.
Néanmoins, il reste que le principal problème qui semble susciter
des réserves soit les longues attentes avant d'être reçu par le "docteur". En
même temps que l'on salue ses performances, on regrette l'absence d'autres
infirmiers ou collaborateurs à ses côtés "pour l'aider à travailler mieux".
"L'infirmier ici est tout seul, se lamente une jeune dame; moi, je trouve
vraiment qu'il travaille bien, mais on est toujours obligé d'attendre très
longtemps avant son

tour,
c'est
tout
ce qui me gêne" (435).
Les
récriminations des patients contre leurs infirmiers qui sont au centre de la
relation thérapeutique ailleurs, sont ici quasiment inexistants, ou, à tout le
moins, ne constituent pas un problème majeur. L'image favorable dont
434_ LE BRETON (D.), Anthropolog-ie du corps et modernité, p. 200.
435_ Entretien avec une dame, 22 ans, Kayéro.

- 293-
semble jouir l'infirmier est renforcée par la comparaison avec d'autres
centres où les patients se plaignent de subir de mauvais traitements. Cette
cohabitation plutôt harmonieuse entre infirmier et malades paraît
s'articuler particulièrement bien avec les autres facteurs qui concourent à la
renommée du CSPS.
Il nous reste à découvrir en quoi tient cette particularité du
/
dispensaire de Kayéro pour tenter de comprendre les raisons de l'affluence
des malades.
'....
2 - Organisation des soins et affluence des malades
Plusieurs facteurs sont à l'origine de la très forte fréquentation que
connaît le CSPS par les malades. Certes, comme dans le cas de toutes les
formations sanitaires, la proximité est un facteur de fréquentation très
important. Cependant, dans le cas présent, elle ne suffit pas à expliquer
entièrement la demande des patients. On peut se demander alors ce qui
attire de si nombreux malades vers ce centre privé.
a) La gestion du médicament
L'une des originalités du centre de santé de Kayéro reste sans
con~este la gestion du médicament. Cette gestion est née du souci de mettre
le médicament à la portée des usagers, quel que soit leur niveau de revenus.
A l'instar du centre médical de Léo, la consultation est gratuite; mais la
stratégie du médicament diffère. Elle est menée sous l'impulsion du CREN
qui dispose de sa propre pharmacie. Le principe en vigueur, consiste dans la
vente des médicaments au détail, dont certains, disponibles en grande
quantité, sont distribués gratuitement.
L'introduction du principe de la vente au détail a radicalement
transformé le rapport des usagers avec le centre de santé. Moyennant une
modique somme, le malade reçoit non seulement un diagnostic, mais
également des médicaments pour la journée. S'il souffre d'un mal qui
nécessite plusieurs jours de traitement, il lui est loisible de se procurer la
quantité de médicaments en fonction de la durée du traitement. Si l'on peut
constater qu'il y a aujourd'hui des médicaments dans ce CSPS, c'est parce
que les prix sont subventionnés (contrairement à Léo par exemple) ; et quel
s'il y a des malades, c'est parce qu'avant tout, il y a des médicaments. Le

- 294-
mode de financement de ce centre de soins "à but non lucratif", en effet, se
fait par 3 voies :.
-
Le paiement par les
malades
des
actes
médicaux
(ou
"autofinancement") en ce sens que les sommes récupérées à partir de la
vente des produits au détail sont utilisées pour assurer (au moins
partiellement) le renouvellement des stocks. Mais les sommes recueillies
par cette voie ~?nt quelque peu négligeables en raison des tarifs peu élevés.
- L'aide de l'Etat, qui consiste en des dotations, somme toute,
irrégulières en médicaments.
- L'aide extérieure principalement en provenance des ONG (sous
forme de subventions).
D'ores-et-déjà on peut se risquer à avancer que trois facteurs
contribuent puissamment à l'attraction des malades.
- La qualité de l'accueil (436).
- La permanence des médicaments, et en général un niveau de
ressources très largement supérieur aux centres équivalents du service
public (en médicaments, en finances,
en équipement matériel et
logistique... ).
- La vente au détail qui n'exige que de faibles sommes d'argent.
Toutefois, à Y regarder de plus près, on s'aperçoit que l'accès aux
médicaments n'est pas toujours acquis pour tout le monde. Il peut arriver
par moments une pénurie de quelques produits pharmaceutiques (437)
obligeant les patients à recourir à la pharmacie de Léo afin de se les procurer
"au prix fort". D'autre part, si certains produits sont offerts gratuitement,
436_ Encore qu'il convient de ne pas la surestimer car elle devient secondaire en cas d'affection
maligne. Comme le dit l'infirmier "certains malades viennent tardivement au dispensaire
mais quand ils y sont., ils sont prêts à tout pour obtenir la guérison".
437_ En outre, des produits comme l'aspirine et la nivaquine, même vendus au détail, ont un
prix de revient plus élevé que dans les pharmacies.

- 295-
comme le quinimax (438) (anti-paludéen en forme injectable), l'achat des
seringues (jetables) revient au patient à 210 F CFA (6 seringues à 35 F
l'unité).
Dans les cas de diarrhée, la pénurie des SRO (439) occasionne la
délivrance d'une ordonnance proposant un traitement à environ 100 F CFA
(soit 3 sachets à}5 F l'unité) (440) (bien entendu, la présence de ces
médicaments implique la délivrance gratuite au patient du traitement dont
il a besoin).
i<
Par ailleurs, le prix de l'ordonnance peut s'élever suivant la nature
de la maladie. Elle se justifie, le plus souvent en cas de rupture de stock
touchant un produit particulier ou encore en cas d'évacuation du malade
vers le centre médical de Léo.
En dépit des incontestables avantages qu'il présente, l'accès aux
soins dans le système de gestion du CSPS de Kayéro n'est pas aussi parfait
qu'il y paraît. Il conserve toujours un caractère inégalitaire. Aussi faible
qu'elle puisse paraître, la sélection par l'argent n'en reste pas moins
présente, à un double niveau:
- En premier lieu, elle défavorise les moins solvables qui, si bas que
soient les tarifs résultant de la vente courante, auront du mal à se procurer
un traitement nécessitant plusieurs jours de soins (441).
- N'accèdent ensuite à un traitement complet que ceux parmi les
consultants qui peuvent réunir les sommes représentées par les
ordonnances (notamment en cas d'évacuation à Léo).
438_11 en était de même pour les pansements de plaies, dont le paiement institué depuis peu a
des conséquences dont nous parlerons plus loin.
439_ Sel de réhydratation orale.
440_ Ces tarifs apparaissent à première vue dérisoires, mais pour une famille nombreuse qui
peut compter jusqu'à 2 ou 3 malades au même moment, notamment pendant les périodes de
recrudescence de certaines épidémies on imagine les dépenses que cela peut représenter.
441_ Les personnes reconnues "indigentes" ou "pauvres" sont censées bénéficier d'une prise en
charge.

- 296-
Ainsi, pourrait-on parler d'une médecine à "trois vitesses",
phénomène bien analysé par D. Passin dans un récent article (1989) (442) : la
gratuité pour les groupes marginaux ou "pauvres", les groupes à revenus
"intermédiaires" se contentant des médicaments vendus au dispensaire et
les plus nantis pouvant, le cas échéant, recourir à la pharmacie.
'/
En tout état de cause, ces carences ne doivent pas faire oublier les
acquis de cette,..ge'stion, soucieuse avant tout de la vulgarisation massive des
médicaments; leur présence, même inégalement distribués, même (parfois)
en quantité insuffisante, suffit à assurer la possibilité de traitements
appropriés, surtout pour les affections les plus fréquentes (bronchites,
dermatoses, diarrhées).
Thierry Berche a sans doute raison d'affirmer que "les médicaments
sont un bon indice de 1"'aide" que le dispensaire apporte à la popula-
tion" (443). Cette population (rurale en particulier) mesure la qualité d'un
dispensaire (ou d'un PSP) à la quantité de ressources disponibles pour elle.
Afin de profiter des tarifs les plus bas ou (ce qui est encore mieux pour eux)
de la gratuité, les paysans "bouderont" plusieurs centres de soins, pourtant
proches, pour rejoindre celui qui leur paraît le plus avantageux en termes
économiques. La permanence et la disponibilité des médicaments (si
possible toute l'année) restent le meilleur facteur d'attraction. Aussi peut-
on remarquer que dans la plupart des dispensaires en Afrique, le nombre de
consultants décroît au fur et à mesure que le stock de médicaments s'épuise
(S. Fainzang, 1985) ou, au contraire, voient leur fréquentation doubler lors
de l'arrivée de médicaments gratuits (Hours, 1984). Celui de Kayéro, par
exemple, assurait gratuitement les pansements des plaies jusqu'à une date
récente (444). Dès que fut institué le paiement, (10 FCFA pour chaque
pansement ce qui aurait pu apparaître comme une somme symbolique) la
442_ FASSIN (D.), "La Santé publique sans l'Etat 7", op. ciL, p. 886
443_ BERCHE (T.), "A propos d'une ONC de développement sanitaire: l'église catholique en
Afrique et les SSP", op. ciL, p. 90.
444_ Dans les formations publiques, les pansements sont normalement gratuits, mais leur
dénuement occasionne presque toujours la délivrance d'une ordonnance dont le coût excède
souvent 1 000 FCFA.

- 297-
demande chuta de moitié (445). Encore une fois, on mesure ici toute
l'importance de la variable économique et son impact dans la décision de
fréquenter ou non les structures de soins.
b) L'appel de la nouveauté
Si la disponibilité en produits pharmaceutiques ainsi que le niveau
de ressource des. usagers sont des facteurs incitatifs propres à favoriser
1<
l'expression des demandes, on ne saurait cependant les dissocier des deux
autres que sont la nouveauté et la présence des Blancs.
S'agissant du premier aspect, on rappellera que le dispensaire de
Kayéro dans son organisation actuelle n'est opérationnel que depuis
août 1991. On sait par ailleurs que dans la représentation des villageois,
nouveauté, très souvent rime avec prospérité. Par un raisonnement simple
(mais logique 1) mais aussi en raison de leur expérience de malades (ou
d'anciens malades), ils restent persuadés que pour un dispensaire
nouvellement mis en service, l"'abondance" des produits pharmaceutiques
est de mise. Autrement dit, la disponibilité en ressources serait l'apanage
des formations sanitaires neuves. A l'image de ce patient venant de Tabou
(15 km) et abritant pourtant un CSPS et qui justifie son déplacement en ces
termes: "je viens ici parce qu'on m'a dit du bien de ce nouvel hôpital" (446).
En considérant le tableau nO 7, ·on peut établir une corrélation entre le
nombre de consultants et la quantité de médications disponibles. Pour les
mois de janvier, avril, mai et juin 1991, le nombre des consultants étai:
respectivement de 116, 103, 119 et 66. Or, cette période correspond à l'activité
du petit local servant d'infirmerie et précédant l'ouverture officielle du
CSPS. En revanche, le mois d'août 91 enregistre une progression très nette
pour le nombre des consultants (231), soit le double de chacun des 4 mois
précédents. Il correspond également au premier mois de la mise en service
445_ L'instauration de cette tarification a été décidée pour "aider à renouveler le maténel de
pansement" dans la mesure où ce matériel est fourni par le CREN. Mais depuis lors, le
nombre de malades se présentant quotidiennement pour y recevoir des pansements est passé
d'une trentaine environ par jour à une quinzaine.
446_ Entretien, Kayéro, août 1991, premier mois de mise en service du CSPS doté de l'ensemble
de ses structures.

- 298-
du CSPS. Pour les mois suivants (septembre, octobre ...). Ces chiffres auraient
régulièrement augmenté (447).
Pour les usagers, un des signes de cette "abondance" est révélé par la
délivrance immédiate de médicaments après la consultation, ainsi que leur
prix plus bas que sur le marché urbain.
./
c) La' présence des Blancs
l ,
La présence des européens, ainsi que nous avons eu à l'aborder
antérieurement est traditionnellement associée à la présence de ressources.
Mais également, leur intervention est considérée comme un gage de qualité
dans la prise en charge (448). Faut-il attribuer cela à la "puissance des
Blancs" ? Les sources de ce phénomène sont à rechercher dans la période
coloniale. A ce sujet, B. Hours écrit: "Les usagers de la santé publique ont
tendance à placer en continuité l'âge colonial et l'âge de l'Etat national. Les
termes d"'offrande", de "don", de "charité" sont employés, qu'il s'agisse
d'Etat, du gouvernement, placés dans une extériorité qui les amène aux
confins de la colonisation" (449).
Les opinions les plus répandues, ainsi que nous avons pu nous en
apercevoir, établissent un lien entre la gratuité (partielle) de la prise en
charge et l'action (ou la présence) des "Nassara" (Blancs). On peut
rapprocher cela à la fois des souvenirs de l'époque coloniale et des actions
(plus récentes) des associations de secours conduites par des personnels
religieux. Quoi qu'il en soit, cette présence fait l'objet d'un marquage positif.
Dans le même temps, bien des usagers expriment la valeur spécifique qu'ils
accordent aux prestations proposées du fait de cette présence étrangère.
"J'aime venir ici, parce que, avec les Blancs, il y a toujours des médicaments
et ils soignent bien" ou encore, "ici, ils ont beaucoup de choses qu'on ne
trouve pas dans les autres dispensaires".
447- Malheureusement, nous n'avons pu disposer des statistiques concernant les mois suivants
août 91, parce qu'ils n'étaient pas encore publiés par le CREN.
448_ Le personnel du CREN de Kayéro compte, en effet, un personnel expatrié: il s'agit d'un
docteur (hollandais) et de deux nutritionnistes canadiennes.
449_ HOURS (8.), "Demande d'assistance et droit de protection: insécurité sociale et
stratégies sanitaires au Cameroun", op. ciL, p. la.

- 299-
Les discours des usagers, toujours favorables au personnel expatrié,
font référence aux qualificatifs de "gen tils" ou d"'accueillan ts" pour
caractériser son attitude envers eux. "Là où il y a des Blancs, on est toujours
sûr d'être bien accueilli et bien servi", dit un vieux. Recourir à leurs
compétences, c'est bénéficier d'un "privilège" qu'on ne trouve nulle part
ailleurs. Aussi, dl1;cette "chance" il faut profiter. Beaucoup d'usagers
expriment ouvert.ement leur regret, au sujet de la disparition progressive
des organisattons humanitaires étrangères (religieuses et/ou laïques)
beaucoup plus' nombreuses au début des années 80. Leur présence provoque
un phénomène de dépréciation du service public,incapabl~de proposer aux
usagers ni des services de la même qualité et à moindre frais, ni des formes
d'incitation quelconque (dons, distributions de médicaments et de vivres,
etc.).
Au demeurant, s'il paraît difficile de quantifier l'impact de la
présence d'un personnel européen dans l'accroissement du niveau de
fréquentation des centres de soins (là où ils sont présents), celui-ci n'en
demeure pas moins réel, et constitue indubitablement un facteur
supplémentaire d'attraction.
***
Ainsi que nous venons de le voir, des différences significatives
distinguent les centres de santé de Léo et de Kayéro, dans leurs modes de
gestion d'une part, et dans le rapport aux clientèles d'autre part. La question
des ressources -nous l'avons vu- est au coeur du fonctionnement (ou du
dysfonctionnement) du système de santé, elle forge et détermine les
représentations des acteurs sociaux et conditionne les voies d'accès à la
santé.
Quelle conclusion peut-on tirer cependant de ces observations? li
convient d'abord de souligner que l'accroissement du recours médical n'est
pas fonction de la taille ni de l'importance des structures médicales mais de
leur capacité à satisfaire les attentes du public. En ce sens, le service public
s'oppose radicalement au privé. La gratuité y est de mise, mais il s'agit avant
tout d'une "gratuité de pénurie", d'autant que, quelle que soit l'affection
dont souffre le patient, il est tenu d'acheter ses prescriptions en pharmacie
avant d'accéder aux soins. Le critère de solvabilité devient alors un facteur

- 300-
important (et discriminant) qui implique un accès inégal aux soins, au profit
des seules catégories sociales au pouvoir économique "élevé". Ces
inégalités, loin de se réduire au domaine de la santé, renvoient plus
globalement au contexte même de la vie urbaine. Comme l'écrit C. Raynaut,
elles "témoignent des écarts qui se creusent, au sein de la population
urbaine, entre une.minorité qui est en position de tirer effectivement
avantage de sa presence en ville et ceux, beaucoup nombreux, qui n'en
bénéficient que Ipartiellement ou pas du tout" (450). Dans ces conditions, au
niveau des classes populaires subalternes vivant à Léo, il paraît peu
probable que les taux de fréquentation des structures de soins soient aussi
élevés que dans un centre comme Kayéro. Pour ces catégories, vivre en ville
n'est qu'un "privilège incertain" (c. Raynaut) dans la mesure où elles ne
sont pas à même de profiter véritablement des divers services offerts par la
ville. Il arrive d'ailleurs assez fréquemment de voir des malades, bien que
résidant à Léo, exprimer en priorité leur demande de soins auprès du CSPS
de Kayéro. Dans cette institution villageoise, les patients arrivent et
repartent satisfaits. Elle bénéficie assurément d'un préjugé favorable.
Contrairement à Léo où le problème du manque de ressources est à l'origine
du dysfonctionnement (relatif) du système de santé et générateur de
discorde, dans ce village, le dispensaire n'est pas le lieu où "s'affirment et se
contestent les statuts sociaux". Le modèle gestionnaire et la "convivialité"
qu'on y observe semblent être les principaux ferments des représentations
positives. A Léo cependant, le manque de moyens techniques ou les prix
prohibitifs des médicaments ne provoquent pas systématiquement de
mauvais rapports soignants-soignés, excepté dans une minorité de cas. Il
favorise, au contraire, des comportements de "boycott" du centre de santé
(ou des stratégies de changement de recours) observés majoritairement par
une frange de la population rurale "pauvre" se sentant exclue de l'accès aux
soins.
450_ RAYNAUT (C.), "Le Privilège urbain: conditions de vie et santé au Niger~'op. ciL, p. 48.

- 301-
SECTION III - MEDECINE MODERNE, MEDECINE
TRADITIONNELLE ET SSP
A - LES PROFESSIONNELS DE LA SANTE ET LES ASC
La perception des ASC par les professionnels de la san té semble
étroitement déterminée par la manière dont ils jugent les SSP dans leur
ensemble. Ce bilan (des SSP) est considéré comme positif par 27,27 % d'entre
eux (soit plus d'une personne sur quatre), tandis que près de la moitié
(45,4 %) expriment un avis contraire. Ces réactions, très mitigées, semblent
bien témoigner d'une réelle insatisfaction face au fonctionnement actuel
des SSP (même s'ils sont 97,7 % à considérer l'avènement des SSP comme
une bonne chose). Aussi, elles peuvent être rapprochées des opinions
concernant les activités des ASC, "cheville ouvrière" des soins de santé
primaires. A ce sujet, 40,9 % de ce personnel admet que les agents de santé
bénévoles offrent réellement un service simple et efficace aux populations,
tandis qu'une majorité, 47,7 % soutient l'opinion inverse. En somme, au-
delà de ces chiffres, l'idée d'un "échec" de la politique des soins de santé
primaires est un sentiment dominant à l'heure actuelle chez la majorité du
personnel soignant. Aussi, pour la quasi-totalité de ces agents, la nécessité
d'une "redynamisation" des postes de santé est présentée comme inévitable
pour empêcher leur disparition totale (451).
Nous avons examiné antérieurement les représentations des
populations locales au sujet des ASC; ces derniers renvoyaient à leur
communauté une image de "petits infirmiers" dont la formation était jugée
insuffisante. Il en va tout autrement avec les soignants qui, eux, estiment à
52,2 % que la formation assurée aux ASC est propre à leur conférer les
compétences
requises
pour
exercer.
Cependant,
un
tiers
de
ces
soignants (34 %) estiment tout de même que cette formation n'est pas assez
suffisante contre 13,6 % qui la considèrent comme insuffisante. Qu'une
majorité du personnel professionnel exprime cette opinion ne nous paraît
pas surprenant dans la mesure où ces agents considèrent que la formation
451_ Par exemple, 70,4 % de ces agents pensent que les ASC ne sont pas du tout pris en charge
par les populations et que ce phénomène menace à tenne les soins de santé primaires dans
leur existence même.

- 302-
continue des bénévoles à travers les recyclages mensuels constitue un
complément suffisant, susceptible de maintenir etlou d'approfondir leurs
connaissances.
Mais qu'en est..;il de la réaction des professionnels face à la
constitution d'un corps de bénévoles de la santé et quelles attitudes
observent-ils
faç,e'
à
leurs
actions
et
au
problème
de
leur
professionnalisation? On se reportera aux résultats des tableaux suivants:
1
Tableau 8 - Réaction du personnel sanitaire face à la constitution des ASC
(%)
Très
Assez
Pas assez
Pas du tout
Sans
Total
favorable
favorable
favorable
favorable
réponse
47,7
25
6,81
9,9
11,3
100
Tableau 9 - Opinions du personnel soignant sur les capacités de
mobilisation des ASC (%)
Très
Assez
Pas assez
Pas du tout
Sans
Total
significative
significative significative
significative réponse
15,9
27,2
47,7
4,54
4,54
100
Tableau 10 - Attitude du personnel sanitaire face à la professionnalisation
des ASC (%)
Très
Assez
Pas assez
Pas du tout
Sans
Total
souhaitable
souhaitable
souhaitable
souhaitable
réponse
43,1
13,6
6,8
29,3
6,8
100
On retiendra du premier tableau que l'avènement des ASC dans le
paysage sanitaire est accueilli de manière favorable par près de 314 du
personnel soignant, soit 72,7 % (opinions très favorables + opinions assez
favorables).
Quant aux réactions de ce personnel au sujet du travail de
mobilisation confié aux agents bénévoles, elles expriment majoritairement
une incapacité à réaliser véritablement cette tâche, soit 47,7 % des réponses

- 303-
(près d'une personne sur deux) ; dans le même temps, 15,9 % des enquêtés
estime très significatif le travail de mobilisation, alors que pour 27,2 %, il
res te plu tô t significa tif.
Diverses raisons sont avancées par le personnel soignant et sont
susceptibles d'expliquer cette prépondérance des réponses négatives. Pour
nombre d'entre eu)},1a marginalisation des personnes exerçant une certaine
influence sur les 'populations (chefs religieux et coutumiers, imams ... ) est
ressentie
comme
le
principal phénomène
responsable de
la
non-
participation (ou de la faible participation) des communautés. D'où, ici, ce
sont les procédés et stratégies mis en oeuvre pour réaliser la mobilisation
qui sont incriminés. D'autres réponses mettent en avant une préparation
insuffisante des ASC à assumer de telles responsabilités. Cette conviction est
renforcée par l'idée que les différents comités de santé, le plus souvent
incapables de jouer leur rôle, n'apportent en définitive, qu'un faible soutien
à l'ASV pour mener à bien son oeuvre de mobilisation. Ce faisant, le travail
de l'ASV (jugé en termes de performance ou d'efficacité) est considéré
comme tributaire non seulement du dynamisme de la CSV, mais également
de l'intérêt ressenti par les usagers: moins ces derniers ressentent l'intérêt
des actions de l'ASV, moins ils sont disposés à y participer. Enfin, quelques
sujets croient déceler une réaction des agents sanitaires de village à
l'indifference dont ils se sentent victimes: non
rémunérés,
privés
d'encouragement et de suivi, ils ne sentiraient plus le besoin de travailler
avec l'enthousiasme des premiers jours, limitant ainsi l'impact et la portée
de leurs actions.
Néanmoins, beaucoup de réponses s'accordent à
reconnaître que les vaccinations constituent l'un des volets pour lequel la
mobilisation des communautés par l'ASV reste relativement élevée, faisant
en quelque sorte l'exception à la règle.
Si majoritairement les professionnels
de la santé ont réagi
favorablement à la formation d'agents sanitaires bénévoles dans les
villages,
ils
demeurent
également
une
majorité
à
souhaiter
la
professionnalisation de ces bénévoles, soit au total 56,7 % des réponses.
Co mm en t expliquer
ce
paradoxe?
C'est,
assurément,
au
nom
de
l'''efficacité'' que se dégage une majorité de réponses en faveur de cette
professionnalisation, dans la mesure où 59 % des personnes interrogées
justifient ainsi leur réponse, quand bien même elles n'ignorent pas qu'une
telle décision serait contraire aux principes des soins primaires. Au

- 304-
demeurant, ceux qui appellent de leurs voeux cette professionnalisation
expriment un souci de "sauver" les SSP d'une faillite qu'ils croient
inévitable.
Il reste néanmoins que 29,3 % (soit un 1/3 des personnes
interrogées) réprouvent entièrement toute idée de professionnalisation des
ASC, parmi lesquelles 9,08 % considèrent qu'elle les rendrait moins efficaces
et 13,6 % estim.~nt qu'elle n'apporterait aucun changement (452).
B - LES PROFESSIONNELS DE LA SANTE ET LES GUERISSEURS
Les professionnels de la santé, dans leur majorité, distinguent deux
catégories de thérapeutes populaires: ceux qui peuvent collaborer avec le
système officiel de santé (ainsi que le préconise l'OMS) et ceux qui "abusent
de la crédulité des populations pour leur soutirer de l'argent" (charlatans,
marabouts...).
Parmi les premiers, il y a l'exemple des A.T. qui offrent la meilleure
illustration de cette stratégie d'intégration et de collaboration; mais
également les simples guérisseurs (ou tradipraticiens), les rebouteux, etc. Le
personnel soignant du centre médical reconnaît par moments requérir leurs
compétences pour traiter certaines affections. Au total, ces spécialistes
bénéficient de la légitimation du système médical officiel.
Quant au second type de thérapeutes, il regroupe une pluralité de
praticiens; il Y a d'une part ceux qui sont assimilés à des "charlatans" terme
qui englobe aussi bien les marabouts officiant à l'aide de prières, de versets
du Coran et/ou de plantes, que les vendeurs de traitements traditionnels
réputés "inefficaces" ou "nocifs": "Ils ne cherchent qu'à vendre des remèdes
sur les marchés sans se soucier de vérifier l'efficacité de leurs produits. Ils ne
suivent pas les malades, ne cherchent pas à savoir ce qu'ils deviennent
après Il
(453).
452_ Malheureusement, il ne nous a pas été possible d'effectuer des tris croisés, pour des
raisons qui tiennent essentiellement à la composition de notre échantillon. Dans cet
échantillon très hétérogène, mais surtout très déséquilibré, les infirmiers sont représentés à
61,2 % ; les sages-femmes à 6,8 % ; les médecins à 2,27 % et les autres (matrones, filles de
salle... ) à 13 %. Ce qui n'aurait pas permis des tris croisés aux résultats significatifs.
453_ Entretien avec un infirmier, Léo.

- 305-
Tous les praticiens de la médecine populaire, rangés dans cette
catégorie sont plus ou moins assimilés à des commerçants de produits
traditionnels, ou quelquefois à des escrocs ne disposant que de quelques
rudiments dans la connaissance et l'usage des plantes médicinales. D'autre
part, le personnel sanitaire, sous la houlette du ministère de la santé, rejette
dans sa majorité les., devins dont les pratiques font appel à l'élément magico-
religieux.
/,-
A l'évidence, tout se passe comme si dans les connaissances des
praticiens traditionnels, l'usage des plantes constitue le seul élément positif,
tandis que les rites, les incantations, etc. qui fondent ces médecines ne sont
qu'un résidu que la médecine moderne ne peut admettre. Cette tendance est
ainsi corroborée par les résultats que nous avons recueillis à travers notre
questionnaire, adressé aux professionnels de la santé de Sissili. A la question
"quels aspects de la pratique des guérisseurs la médecine peut-elle intégrer
ou reconnaître ?", l'usage des plantes médicinales recueille 93,1 % des
réponses (indépendamment du niveau de qualification des enquêtés et de
leur position dans l'institution sanitaire). Les autres aspects (les croyances, le
rituel thérapeutique, les conceptions religieuses et magiques) recueillent au
total moins de 5 % des réponses.
Du reste, le terme "tradipraticien" est en lui-même éloquent. C'est,
en effet, par cette appellation que l'on a décidé de rebaptiser les praticiens de
la médecine traditionnelle, dont les actes sont jugés exempts de toute
pratique d'ordre "mystique" (454). Cette catégorisation instaure de fait une
vision dichotomique de la médecine traditionnelle en lui attribuant deux
visages: l'un (les plantes) représenterait le "bon grain" et l'autre (les
pratiques divinatoires ou le "charlatanisme") en serait l'ivraie.
Ce faisant, même si les guérisseurs (qu'on appelle tradipraticiens
pour les besoins de la cause) ne sont pas (encore) officiellement reconnus
par les pouvoirs publics (ainsi tout guérisseur peut théoriquement être
poursuivi pour "exercice illégal de la médecine"), ceux-ci tolèrent (ou
encouragent quelquefois) l'émergence d'associations de tradipraticiens
454_ Ainsi, selon DOZON (J.-P.), le terme tradipraticien "représente à lui tout seul une
véritable épure qui ne réfère à aucune compétence particulière, mais suggère une figure
positive dépouillée de tout élément "magico-religieux", op. ciL, p. 15.

- 306-
auxquelles ils n'hésitent pas à accorder une reconnaissance officielle (455).
Naguère décriés et pourchassés, on semble assister aujourd'hui à un vaste
mouvement de tolérance et de réhabilitation des praticiens de la médecine
autochtone, face à l'impossibilité sans cesse croissante de la médecine
hospitalière de couvrir à elle seule l'ensemble des besoins exprimés par les
populations (456).
On a pu .remarquer ainsi l'existence de formes de collaboration
informelle ent;e le centre médical de Léo et quelques tradipraticiens locaux.
Cette coopération revêt actuellement un caractère non officiel (et même
quelque peu illégal) (457); elle reste également très ponctuelle (dans la
mesure où l'association n'est pas encore opérationnelle). Pour toutes ces
raisons, la collaboration se limite à des "échanges" de malades entre les deux
institutions. Par exemple, lorsqu'il se trouve en face d'une cas de maladie
qu'il n'est pas en mesure de traiter efficacement, il peut arriver que le
personnel du C.M. suggère au patient de consulter un spécialiste
traditionnel. En retour, le tradipraticien peut lui aussi référer certains de ses
malades auprès du dispensaire. L'illustration de ce rapprochement entre ces
deux médecines (moderne et autochtone) en est donnée par un membre du
personnel sanitaire: "quand nous avons affaire à une fracture fermée par
exemple, nous pouvons demander au malade de consulter un rebouteux,
parce que nous n'avons pas ici un service de chirurgie, et nous n'avons pas
non plus les moyens de mettre un plâtre. Or, l'évacuation vers un autre
centre revient très cher au malade. Quant au rebouteux qui est ici, nous
l'avons vu guérir des fractures, c'est pourquoi nous n'hésitons pas à
conseiller à nos malades de s'adresser à lui. Même parmi le personnel
soignant, il y en a qui vont se soigner chez lui" (458).
455_ Une association regroupant les tradipraticiens de la Sissili est ainsi sur le point d'être
créée.
456_ C'est sans doute à la fois pour des raisons pratiques mais aussi idéologiques que l'on
redécouvre aujourd'hui l'utilité et l'intérêt des médecines populaires sur le continent
africain. Lire à ce sujet, CAMARA (S.), "Les plantes médicinales: grandeur et misère des
médecines traditionnelles africaines", op. cit., pp. 311-325.
457_ Ainsi, afin d'éviter toute poursuite en justice en cas d'échec, le dispensaire se garde de
référer officiellement ses malades chez le tradipraticien; il se borne à "conseiller" les
patients de recourir à tel ou tel thérapeute, en leur laissant toute liberté de décision.
458_ Entretien avec le médecin-chef, Léo.

- 307-
En somme, le fondement de cette expérience repose implicitement
sur un principe qui consiste à confier le malade à l'institution qui semble à
même de lui assurer le meilleur traitement, pour une maladie donnée. De
ce fait, il Y a tout lieu de penser que les limites en équipement matériel du
centre médical constituent un facteur
supplémentaire incitant au
rapprochement en~e les deux instances thérapeutiques. Qu'adviendrait-il
en effet si ce cen~re médical était apte à pratiquer des actes chirurgicaux?
Son personneY.<penserait-il seulement à faire appel aux compétences des
tradipraticiens? Plus généralement, se soucierait-on véritablement de
"revaloriser" les connaissances traditionnelles sur la maladie? Ainsi, dans
les structures hospitalières plus importantes, ce type d'expérience (tout au
moins au Burkina) n'est encore qu'au stade des balbutiements et revêt un
caractère purement exceptionnel (459). Mais comment les professionnels de
la santé, dans leur diversité, perçoivent-ils eux-mêmes ces questions? Si on
se réfère aux résultats de notre questionnaire, ils paraissent, dans leur
majorité réceptifs à l'idée d'instituer une collaboration (ou même une
intégration) de la médecine traditionnelle dans le système médical urbain,
comme l'attestent les tableaux suivants:
Tableau 11 - Opinions du personnel sanitaire au sujet de l'intégration de la
médecine traditionnelle dans le système de santé
burkinabé (%)
Plutôt une bonne chose
Plutôt une mauvaise chose
Sans réponse
95,4
2,2
2,2
Tableau 12 - Opinions du personnel sanitaire au sujet de la collaboration
entre médecine moderne et médecine traditionnelle (%)
Très
Assez
Pas assez
Pas du tout
Sans réponse
favorable
favorable
favorable
favorable
68,1
25
2,2
0
4,5
459_ Certes, on nous rétorquera que des pays comme le Sénégal, le Mali ou le Bénin sont allés
plus loin, dans des expériences d'intégration des guérisseurs. Cependant dans le cas du
Bénin, le bilan apparaît plutôt mitigé. Voir à ce propos, DOZON (J.-P.), op. cit., pp. 9-20.

- 308-
Dans le premier tableau, à une écrasante majorité (95,4) le personnel
soignant considère comme souhaitable l'intégration des tradipraticiens dans
le système officiel· dé santé. Dans le second, près des 2/3 des enquêtés
expriment une idée très favorable au sujet d'une coopération entre les deux
médecines. Ils sont au total 93,1 % (soit plus de 9 personnes sur 10) à la
souhaiter, contre Utt taux infime de refus (2,2 %).
Ces ré~i.l.ltats, du reste, ne semblent pas valider notre hypothèse
concernant
Fattitude
des
professionnels
de
la
santé.
En
effet,
indépendamment de leur attachement ou non à la légitimité légale dont
jouit la médecine hospitalière, les membres du personnel sanitaire de
manière quasi-unanime approuvent l'idée d'introduire les thérapeutiques
traditionnelles au sein du système de santé publique. L'insertion des
guérisseurs dans la médecine moderne ne semble donc générer aucune
réticence véritable de la part des professionnels pris dans leur ensemble.
Cependant, si l'institution sanitaire se montre disposée à considérer
l'art des guérisseurs comme complémentaire à son action (460), en revanche
sa collaboration n'est envisageable d'une part qu'avec "ceux qui ont fait
leurs preuves et qui sont reconnus par les populations elles-mêmes" et
d'autre part "par ceux qui reconnaissent leurs limites". Pour les praticiens
de la médecine hospitalière en effet, le "bon guérisseur" est avant tout celui
qui est conscient qu'il ne peut traiter toutes les pathologies et qui le fait
comprendre à ses patients. Or, regrettent-ils, "beaucoup de guérisseurs pour
ne pas décourager leurs clients qui ont entière confiance en eux, ne veulent
pas avouer leur impuissance et veulent toujours traiter, même les maladies
qu'ils ne connaissent pas". En d'autres termes, pour être digne de
considération et de crédit, les thérapeutes populaires se doivent de prendre
460_ Outre la collaboration par le biais de l'échange des malades, le ministère de la santé a
diffusé une fiche pour le traitement par les plantes de certaines maladies comme
l'hépatite virale, le paludisme, etc. à partir de procédés mis au point par des
tradipraticiens et que le personnel sanitaire peut, le cas échéant proposer comme
"ordonnance". Certains de ces produits comme le "n 'dribala" sont même commercialisés
dans certaines pharmacies. Par ailleurs, il arrive que le dispensaire à Léo propose des
remèdes préparés par des tradipraticiens, contre les morsures de serpents ou les piqûres de
scorpions.

- 309-
conscience des insuffisances et des limites de leurs savoirs (461); leurs
médecine est également sommée de se débarrasser au préalable de ce qu'elle
a de "gênant", c'est-à-dire de se qui fonde sa spécificité (les rites sacrificiels, le
sacré, etc.). A ce sujet, l'influence de l'Etat et des instances de formation du
personnel médical (Faculté de médecine, Ecole Nationale de Santé Publique)
semble déterminante: Les normes qu'ils énoncent et imposent renvoient au
modèle légal et rationnel de légitimité qui ne saurait s'accommoder des
pratiques jug~es' supertitieuses, reprochées à toute une catégorie de
guérisseurs. Assurément, médecine moderne et médecine traditionnelle se
construisent sur des valeurs radicalement différentes. Tandis que la
première, se fonde sur sa légitimité scientifique pour codifier son exercice (et
dans le même temps s'arroge le droit de codifier la santé, la maladie, la
guérison) la seconde, du fait de son rapport au sacré, apparaît bien souvent
comme une religion en même temps qu'une thérapie (462). Ainsi, que la
Faculté ou l'Etat dénonce les "charlatans" n'a rien de surprenant;
cependant, pour paraphraser Fassin (D.), les agents qui constituent ces
institutions (notamment le personnel sanitaire exerçant dans les zones
rurales) n'en incarnent plus toujours les principes dès lors qu'ils sont sur le
terrain, obligés qu'ils sont de composer (ou de s'adapter) avec les réalités
locales.
Ce faisant, les tares dont l'institution médicale accuse les guérisseur~;
peuvent être bien souvent en divergence avec la légitimité que leur
reconnaissent les populations. Les aspects magico-religieux, pourtant
réprouvées par la médecine moderne, sont fréquemment à la source de la
grande notoriété et de la réputation dont jouit un guérisseur auprès des
populations. A l'inverse, tel autre praticien (d'ethnie mossi par exemple)
qui peut-être considéré comme un grand homme de savoir par des
personnes ongmaires de sa région (qui sont prêtes à faire de longs
déplacements pour le consulter) n'est pas connu (ou reconnu) comme
46L A titre d'exemple, nombre d'infirmiers et de médecins les accusent de camoufler leur~
échecs (notamment quand survient un décès) en évoquant la volonté divine.
462_ C'est pourquoi LAPLANTINE (P.), pense qu"'il y a lieu de se réjouir du fait que les Etats
ne veulent pas intégrer l'aspect magico-religieux des thérapeu tiques populaires dans leurs
structures médicales, car ce serait la meilleure manière de hâter la mort de ces thérapies".

- 310-
guérisseur par les habitants de son village ou de son quartier de résidence, à
majorité nuna (c'est-à-dire d'une autre ethnie).
Pour toutes ces raisons, même si l'institution sanitaire affirme
traiter avec les guérisseurs reconnus par les populations, il n'en demeure
pas moins que les critères qu'elle retient pour les sélectionner peuvent
s'avérer forts différents (voire contradictoires) de ceux pris en considération
'/
par les usagers. Cette même réalité peut conduire certains agents à faire
abstraction de:s principes édictés par la hiérarchie administrative, pour
coopérer, dans leurs localités avec des thérapeutes dont les connaissances
reposent pourtant sur des fondements magico-religieux. Ainsi pour
l'instant, les tradipraticiens en relation avec le C.M. de Léo sont en réalité
un rebouteux et un guérisseur-devin. Sans être hostiles à ce rapprochement,
ces derniers entendent néanmoins sauvegarder les pratiques ancestrales
qu'ils ont reçues en héritage. "Si les infirmiers me demandent de soigner
des malades, j'accepte de le faire, mais je ne peux pas me déplacer avec tout
mon matériel (fétiches, accessoires divers), je préfère donc que les gens
viennent à mon domicile car cela a plus de puissance.. Je peux aussi soigner
sans mes gris-gris, cela dépend des maladies, mais dans ce cas le traitement
peut moins bien réussir. Si quelqu'un "manque la route" (463), là, je suis
obligé de consulter les fétiches, pour demander leur pardon" (464).
Cependant, peut-on considérer l'acceptation par les tradipraticiens
de cette coopération avec l'institution sanitaire comme la quête d'une
légitimité supplémentaire? On est fondé à penser que dans le cas de ces
deux tradipraticiens de Léo, cela paraît plus probable, tous les deux étant
considérés comme des hommes de savoir, détenant leurs connaissances de
source héréditaire (savoir transmis de père en fils par initiation) fondant
généralement leur légitimité. Cette reconnaissance leur vaut d'attirer une
clientèle nombreuse dans la mesure où ils sont considérés comme de "vrais
guérisseurs" se servant de leur savoir non pour s'enrichir, mais pour
463_ C'est-à-dire commettre une faute, trangresser un interdit.
464_ Entretien avec un guérisseur-devin, Léa.

- 311-
guérir, par opposition à ceux installés dans les villes (ou même au village)
et qui "vivent de ça" (465).
On peut postuler par conséquent que ce sont les thérapeutes sans
légitimité traditionnelle (guérisseur sans clientèle, marabout sans grande
réputation, etc.) qui,. dépourvus d'une véritable reconnaissance auprès des
populations, se montreront plus désireux de coopérer avec l'institution
sanitaire, dansl'~spoir d'acquérir une nouvelle légitimité (notamment au
sein de la futuie Association Provinciale des Tradipraticiens de la Sissili).
465 En effet, ces deux tradipraticiens ne sont pas des "professionnels". Ce sont avant tout des
paysans-agriculteurs vivant du travail de la terre. Les tarifs de leurs actes sont
caractérisés par leur modicité. Pour le guérisseur-devin, en cas de guérison le patient est
tenu d'apporter une poule + 15 FCFA. Pour le rebouteux, une poule + 500 FCFA + 1 marmite
en terre (pour la préparation du remède en cas de fracture ou de luxation). Ils affirment tous
que ces tarifs sont imposés par leurs "supérieurs" et que par conséquent il leur est interdit
d'en réclamer davantage au client, sous peine de voir échouer le traitement.

- 312-
CHAPITRE III - LES STRUCTURES NON OFFICIELLES DE
SOINS
A - LE RECOURS AU GUERISSEUR
La médecine traditionnelle constitue avec le dispensaire l'une des
deux principal~s instances thérapeutiques, prenant en charge la gestion des
corps malades. Les "docteurs indigènes" sont réputés disposer d'un savoir
"savant" dans le traitement des maladies. Normalement, les guérisseurs
sont des spécialistes (466). "Hommes ou femmes, ils connaissent l'usage de
trois ou quatre végétaux au moyen desquels ils soignen t des maladies
précises,
étant
également
spécialisés
dans
une
symptomatologie
spécifique" (467).
Nous avions, dans un chapitre précédent, situé l'importance de la
médecine traditionnelle dans le cheminement des malades. Dans ce présent
chapitre, nous tenterons de comprendre les opinions et jugements des
usagers, ainsi que la logique des recours.
On peut penser, à première vue, que le recours au guérisseur vient,
pour les catégories citadines "aisées" après les échecs de la médecine
hospitalière et qu'inversement, dans les classes populaires, c'est l'insuccès
rencontré auprès des guérisseurs qui conduit au dispensaire. En réalité, cette
466_ Mais de nos jours, les pratiques des guérisseurs sont très variées et hétérogènes. On trouve
par exemple chez nombre d'entre eux un mélange de connaissances ancestrales et d'emprunts
coraniques. On peut distinguer aussi les "herboristes" qui sont de simples guérisseurs
exerçant essentiellement leur art à l'aide des plantes, d'avec les guérisseurs-devins qui,
eux, ne se contentent pas uniquement de traiter la maladie, mais cherchent aussi à
découvrir l'origine de la maladie à l'aide d'un "diagnostic social" et peuvent recommander
des offrandes et/ou des sacrifices à exécuter.
467- FAINZANG (5.), "La Maison du Blanc", op. cit., p. 110.
FA55IN (D.), par exemple précise que "si l'on classe les guérisseurs selon leur action, on
pourra donc opposer des "généralistes" et des "spécialistes". Si on les distingue d'après
leur insertion en ville, on parlera de citadins installés et de ruraux de passage. Si on les
range en fonction de leurs connaissances, on mettra à une extrémité le contre-sorcier et à
l'autre le marabout".
Cette précision a l'avantage de montrer l'extrême diversité des
conditions et des pratiques des guérisseurs qui ne sauraient se réduire à une simple catégorie
de thérapeute que rien ne distingue.

- 313-
affirmation n'est pas toujours en adéquation avec l'observation sur le
terrain; les recours thérapeutiques répondent, en effet, à des déterminants
plus complexes oÙ plusieurs facteurs peuvent s'entrecroiser et empêcher,
encore une fois, toute entreprise de formalisation stricte. Ce faisant, le
recours au guérisseur fait l'objet d'analyses contradictoires. Les attitudes
oscillent entre une certaine forme de fascination (ou d'admiration) d'une
"
part, et le rejet de Vautre, mais rarement l'indifférence.
Pour lés enquêtés issus des villages, la médecine du terroir bénéficie
d'une confiance sans failles. C'est une "médecine révélée par les ancêtres" ;
elle est de surcroît pratiquée par des gens qu'ils connaissent et qui ont les
mêmes racines ethniques et culturelles qu'eux. Par conséquent, la prise en
charge proposée par le "tipa" (468) paraît parfaitement adaptée à la demande
(car elle s'inscrit dans leurs traditions ainsi que dans leurs façons de
concevoir la vie, la maladie, la mort). En ce sens, leurs discours sur la
médecine traditionnelle témoignent toujours du respect qu'ils lui vouent. Il
est rare, en effet, d'entendre de leur part des propos ouvertement hostiles
sur l'art des guérisseurs (469). Néanmoins, si proportionnellement ils sont
les plus nombreux à solliciter les compétences des "docteurs indigènes", la
raison ne saurait tenir exclusivement du facteur culturel. Le service du
guérisseur présente en plus un avantage économique indéniable.
Ce
facteur
(économique)
intervient
comme
un
élément
déterminant dans le choix du thérapeute par les patients. Avant d'exprimer
leur demande de soins, les clients, bien souvent, se livrent à des calculs
économiques, visant à minimiser les coûts de la cure. Dans cette
perspective, le recours au guérisseur paraît plus avantageux. Ce praticien, en
effet, n'exige paiement de ses actes qu'après guérison du patient. Le
paiement (variable selon les thérapeutes et selon leur renommée) sous
forme d'argent et/ou d'animaux répond à un principe de taxation
symbolique (exemple, une poule + 165 F pour un homme, une poule
468_ Guérisseur.
469_ Tout au plus certains affirment qu'ils ne vont pas les consulter parce qu'ils trouvent le
dispensaire plus apte à répondre à leurs besoins.

- 314-
+ 170 F pour une femme) (470). Ainsi, lorsque le recours au dispensaire
induit l'achat de médicaments (suite à la délivrance d'une ordonnance) le
patient consultera préférentiellement le guérisseur dont la rétribution, sauf
exception, reste en-deçà des frais engendrés par l'achat de médicaments en
pharmacie (471). A l'inverse, en période faste (marquée par une distribution
de médicaments gratJ-lits ou bon marché, cas du dispensaire de Kayéro), les
consultations du ,?docteur" connaissent une recrudescence et peuvent
même l'emporter ,sur le recours au guérisseur. il reste que les choix de ces
'~
thérapeutes rie se réduisent pas non plus à l'action des facteurs
économiques. Le recours peut être légitimé par le type d'affection "plaçant
les deux instances thérapeutiques que sont le dispensaire et les guérisseurs,
non plus dans un rapport de compétitivité, mais de complémentarité" (472).
Par exemple, pour certaines affections comme les maladies dites
"provoquées" (empoisonnement, sort jeté... ) relevant des conceptions
magico-religieuses, se dégage la certitude que le dispensaire est impuissant à
les traiter. Elles donnent alors lieu à une démarche auprès d'un spécialiste
traditionnel (473).
Pour les catégories urbaines salariées et scolarisées, les jugements et
opinions émis sur les tradipraticiens renvoient à deux types de discours et
de pratiques. Une première attitude est le rejet. "Je ne fréquente pas les
tradipraticiens. Leurs médicaments n'ont pas de dosage précis et peuvent
aggraver votre maladie" (474). D'autres réprouvent l'aspect "commercial" de
470_ La somme exigée est indispensable pour la guérison, Cal dans le cas des guérisseurs-devins
elle est supposée fixée par les génies "complices" du thérapeute. Par contre, les ingrédients
entrant dans la préparation du remède sont exigés au début. Le paiement des guérisseurs en
liquide atteint rarement des sommes considérables, sauf dans certains cas où ils peuvent
demander une chèvre, un mouton, etc., dont la valeur est généralement élevée. Il peut
arriver aussi que le guérisseur soigne gratuitement certaines maladies.
47L Surtout quand le dispensaire connaît une période de pénurie, la cure peut être coûteuse
(frais de déplacement plus médicaments) et produire un effet dissuasif.
472_ FAINZANG (S.), op. cit., p. 123.
473_ Ce spécialiste peut être un guérisseur-devin ou un simple devin. Dans ce cas, considérée
comme la résultante d'une sanction infligée par les puissances occultes ou d'une agression
accomplie par un tiers, "la maladie doit nécessairement faire l'objet d'une thérapeutique
rituelle, dictée par le devin, et à laquelle le patient est contraint de se soumettre pour se

concilier la protection des génies". FAINZANG (S.), op. cit., p.122.
474_ Entretien avec une dame, Mossi, couturière, Léo.

- 315-
leur activité: "Je ne vais pas voir ces gens là, car c'est l'argent qui les
intéressent d'abord" (un agent des travaux publics); des réflexions de ce
genre sont également courantes: "ce sont des trompeurs qui cherchent à
voler les gens en faisant de la magie", etc. La critique est beaucoup plus vive
à l'égard des thérapeutes urbains dont l'image est associée à celle
"d'escrocs", de "charlatans". Dépourvus de toute légitimité, les guérisseurs
des villes se voient taxés de "faux guérisseurs", habités par un esprit
mercantile, taI}.dis que ceux des campagnes se voient décerner le titre de
"vrais guérisseurs qui soignent pour presque rien". Pour cette catégorie de
sujets, le recours au thérapeute traditionnel n'est ordinairement pas
envisagé: la démarche thérapeutique se limitant essentiellement à la
médecine hospitalière.
Un second type de discours se veut favorable à la médecine
traditionnelle et lui
attribue un
réel pouvoir de guérison.
"Les
tradipraticiens sont très efficaces pour peu que tu leur expliques clairement
de quoi tu souffres; chaque fois que j'ai fait appel à eux ils m'ont donné
satisfaction" (un fonctionnaire). La majorité des salariés urbains que nous
avons interrogés, ont déclaré avoir recouru une ou plusieurs fois aux
tradipraticiens. Parmi eux, beaucoup font preuve d'éclectisme dans leurs
démarches.
"Moi, je tiens compte des compétences du dispensaire mais
aussi des guérisseurs, de leur efficacité à traiter telle ou telle maladie. Je n'en
rejette aucun" (un instituteur). Dans le même sens, une secrétaire déclare
"préférer le guérisseur pour certaines maladies et le dispensaire pour
d'autres". Dans ces discours, les usagers opèrent explicitement un partage
des compétences entre différentes institutions thérapeutiques qui renvoie à
une spécialisation implicite admise par les deux parties (475). Cependant,
cette "spécialisation" n'est pas si étanche qu'on pourrait l'imaginer; elle est
construite par les usagers eux-mêmes à partir de leurs expériences
individuelles propres. Leurs stratégies consistent essentiellement à ajuster
leur recours par rapport à l'affection présentée. Le dispensaire est alors
considéré comme une instance spécialisée et très performante dans le
475_ Il existe des formes de col1aboration entre infirmiers et guérisseurs qui consistent à
pratiquer l'échange de malades lors de certaines affections pour lesquelles chaque
institution estime que celle d'en face est à même de proposer un meilleur traitement. (Cf. B.
Les professionnels de la santé et les guérisseurs)

- 316-
traitement de maladies spécifiques, tandis que les maladies "non naturelles"
sont justiciables d'un "traitement indigène" (476).
En somme, il ne saurait ainsi exister un modèle unique d'itinéraire
thérapeutique, les stratégies des acteurs étant fort hétérogènes. Pour les
catégories populaires, le recours au traitement traditionnel semble
fonctionner comm~ Une alternative au modèle hospitalier lorsque celui-ci
n'est pas financi~rement accessible, entraînant une suprématie du facteur
i
économique. Pour les couches citadines salariées, le recours au guérisseur
est également fréquent, mais répond à d'autres motivations. Le critère
thérapeutique ici,. prime sur les considérations financières. Le choix du
"médecin traditionnel" s'opère sur la base de sa faculté à proposer pour une
maladie donnée un meilleur traitement que la médecine hospitalière. Le
souci de s'adresser à un guérisseur spécialisé dans le traitement de certaines
pathologies est une plus grande préoccupation dans les classes urbaines que
chez les populations rurales (477). Il se confirme ainsi que les premiers
perçoivent plus rapidement les limites de la "science" des guérisseurs et
peuvent opérer très rapidement un changement de recours en cas
d 'insa tisfaction.
Quoi qu'il en soit, la légitimité des tradipraticiens (478) n'est
nullement menacée par l'introduction ou l'essor de la médecine moderne.
Le recours au dispensaire n'invalide pas systématiquement le diagnostic ni
la compétence du "tipa". Les deux institutions, cohabitent et leurs ressources
sont utilisées conjointement par des usagers qui, soucieux de s'assurer une
guérison maximale n'hésitent pas à cumuler les "traitements du Blanc" et
les cures traditionnelles dans des "va-et-vient" thérapeutiques.
476_ En pratique, ce découpage thérapeutique entre dispensaire et guérisseurs varie suivant
les malades et les thérapeutes eux-mêmes. Il arrive ainsi que des maladies qualifiées de
"provoquées" soient traitées avec succès au dispensaire, ou qu'un guérisseur soigne avec
succès des maladies réputées du domaine de la médecine moderne.
477_ Celles-ci ont trop souvent tendance à croire que le guérisseur peut tout traiter.
478_ Seuls les "charlatans" sont véritablement frappés par un manque de légitimité.

- 317-
B - LA VENTE ILLICITE DES MEDICAMENTS
Phénomène majeur chez la plupart des paysans africains, la vente
illicite connaît un véritable boum au Burkina et dans la Sissili en particulier
où le rôle du Ghana (pays frontalier et où ce commerce est toléré) est
primordial dans l'organisation du circuit de vente. On est alors tenté de se
poser la question Suivante: l'expansion de ce marché peut-elle apparaître
comme
l'unei~ des conséquences de l'impossibilité d'une fraction
(importante) de la population à accéder à un médicament à bas prix? L'accès
aux médicaments, on le sait, se fait par trois voies principales: les
dispensaires (où ils sont distribués ou vendus), les officines de pharmacie
(où les prix sont alignés sur le barème national) et, enfin, la vente
'''clandestine'' ou illicite, effectuée par des vendeurs ambulants, ou installés
sur les coins de rue, les marchés ... De ces trois sources, seule la vente illicite
met à la disposition de sa clientèle des produits vendus au détail (donc en
fonction du besoin immédiat) à des prix abordables (ne nécessitant aucun
recours à l'emprunt ou au crédit) et dans des lieux familiers (c'est-à-dire
intégrés à la vie quotidienne). Avant de voir en quoi ce marché parallèle a
ou non une influence sur les habitudes de consommation des usagers, on
tentera au préalable d'en comprendre l'organisation.
1- Les circuits de commercialisation
Les réseaux des médicaments inondent l'ensemble de la province de
ses petits détaillants, vendeurs ambulants cqui sillonnent, en toute saison les
villages y compris les plus reculés. L'approvisionnement des vendeurs suit
plusieurs filières. La proximité du Ghana est un facteur décisif; ce pays,
véritable noeud du réseau, est le lieu par excellence du ravitaillement des
grossistes (479). La capitale Ouagadougou demeure également une plaque
tournante du trafic, mais néanmoins de moindre importance que le Ghana
où les médicaments sont en vente libre (480). Pour se procurer les denrées,
479_ Le rôle du Ghana dans ce trafic s'apparente à celui du Nigéria vis-à-vis du Bénin, ou de
la Gambie à l'égard du Sénégal, voir à ce propos D. Passin, "La Vente illicite des
médicaments", in Politique africaine. nO 23, sept. 1986.
480_ Les produits en provenance de ce pays y sont également fabriqués, c'est pourquoi ils sont
dénommés "produits ghanéens".

- 318-
les grossistes utilisent un procédé assez simple (481). Par des arrangements et
des complicités, avec des membres du corps médical ghanéen, le grossiste se
procure des ordonnances dans divers centres hospitaliers ou médicaux.
Puis, muni de ces prescriptions, il peut se procurer dans les pharmacies les
produits recherchés. Ce procédé semble l'un des plus utilisés, en particulier
pour passer sans ~ncombre les contrôles douaniers à la frontière
(l'ordonnance, en effet, permet de justifier la possession du produit). Les
produits qui f~~nchissent la frontière sont acheminés vers le premier centre
important de distribution (qu'est Léo, à 14 km seulement de la frontière) par
des trafiquants travaillant pour le compte des grossistes. C'est auprès de ces
grossistes que les vendeurs de demi-gros et les détaillants viennent
régulièrement s'approvisionner. En marge de cette filière principale, existe
également des petits réseaux occasionnels et moins bien organisés. C'est
donc essentiellement par ces canaux que leg médicaments se propagent
progressivement dans l'ensemble de la province.
A Léo, la vente a lieu principalement au marché de la ville où les
produits sont disponibles chez certains commerçants-détaillants. Ils sont
rarement (sinon jamais) exposés sur les étalages, par crainte d'être
découverts lors des contrôles effectués (rarement) par les douaniers ou la
gendarmerie. La vente étant clandestine, seuls les clients connus du
vendeur sont servis. Il est, en effet, hors de question de proposer ces
produits à un inconnu, qui pourrait être un "faux-client", un contrôleur
déguisé (482). Le domicile du détaillant est également un point de vente
important pour les "habitués". En-dehors de ces points fixes, existe la vente
ambulante surtout les jours de marché hebdomadaire (483). Ces vendeurs,
eux, ne sélectionnent pas leurs clients et peuvent exercer à "visage
découvert". Leurs lieux de prédilection sont, outre les marchés en plein air,
les coins de rue, les places publiques ... Ils ont sur les "vendeurs fixes"
48L Il en existe beaucoup d'autres (détournements de produits destinés au secteur public, aux
officines, hôpitaux, etc.) mais nous n'avons obtenu auprès de notre informateur, lui-même
détaillant occasionnel que cet exemple que nous rapportons ici.
482_ Les gendarmes et douaniers ont, à deux reprises, démantelé des réseaux de détaillants sur
le marché de Léo, par des procédés semblables. D'où l'extrême méfiance des commerçants
vis-à-vis de certains clients.
483_ Le grand marché hebdomadaire de Léo se tient tous les dimanches.

- 319-
l'avantage d'un accès plus facile de la clientèle qUI est potentiellement
nombreuse, et la possibilité de fuir lors des rafles.
Ainsi, à la différence des circuits officiels de vente qui -sont des
"espaces fermés" (enceintes des bâtiments officiels), la vente illicite
s'organise essentiellement sur des "espaces ouverts", familiers et socialisés.
:i
2 - Drogues et "remèdes miracles"
Les produits issus de la vente illicite proposent aux clients une
panoplie de médicaments sous forme de comprimés, gélules, baumes,
pommades, etc. utilisés de diverses manières par les consommateurs. On
peut citer quelques uns de ces produits, les plus courants et les plus "côtés"
sur le marché local.
Nom du médicament (484)
Prix
Indication
Paracétamol
1 à 25 F
Fièvre
Aspro
50 F
Fièvre
Ampiciline
50 F
Stimulant
"Jacks"
50 F
Stimulant
"APC" (485)
25F
Fièvre, paludisme
"Ganidan ghanéen"
3 à50F
Maux de ventre
"Toupaï"
50 F
Maux de ventre, dysenterie ...
Ces produits ont en commun d'être vendus au détail et d'être
accessibles à toutes les couches de la population.
Leur consommation se fait assez fréquemment sans une posologie
précise, le principe étant de les utiliser jusqu'à la guérison. Si certains
produits comme les aspirines et leurs dérivés ne présentent pas de dangers
majeurs pour les consommateurs (puisqu'ils sont agréés par le ministère de
la santé et vendus en pharmacie), les "produits ghanéens" par contre sont
réputés nocifs. Ils sont utilisés soit à des fins thérapeutiques (Toupaï, APC ...)
484_ Les deux premiers sont de la famille des aspirines, que l'on trouve également en
phannacie; les autres sont venus du Ghana. Les prix indiqués sont à l'unité.
485_ Une déformation de ce sigle (en anglais) donne "épice", appellation locale. Certains
l'appellent également "l'éléphant" en référence au dessin figurant sur le cachet et
représentant un éléphant.

- 320-
soit comme excitants (par les agriculteurs pour développer l'ardeur au
travail; ou encore par certaines équipes/lors des compétitions sportives de
football: c'est le cas pour les "jacks" et ampiciline).
Pour le personnel médical, ces médicaments sont consommés par
les usagers de façon incontrôlé et abusive: "ces produits ghanéens comme le
"toupaï" sont utili~s par les malades pour soigner toutes les pathologies:
diarrhées, pneumopathies, coliques, plaies ... ; or, il est dangereux parce que
c'est une assoé,iation de produits. C'est un antibiotique qui est toxique chez
l'enfant avant huit ans. Malheureusement, on les donne aux enfants à
n'importe quel âge ... Il y a aussi les produits contre les maux de tête (APC)
qui sont des drogues; ce ne sont jamais des produits purs, ils sont toujours
associés à d'autres pour stimuler l'organisme. Et à un certain moment, il se
crée un phénomène d'accoutumance: plus le malade s'habitue au produit,
plus il consomme des doses élevées" (486).
En pratique, l'usage de ces médicaments fait l'objet d'un
détournement par les consommateurs, qui les utilisent non pas seulement
pour soulager les maux qu'ils sont censés traiter mais élargissent leurs
propriétés à toute une série d'affections. Dans ces conditions, certains
médicaments deviennent une panacée, un remède miracle capable de tout
guérir (487). Le cas le plus significatif est sans conteste celui de "toupaï"
utilisé pour traiter une infinité d'affections; il tend à devenir le
"médicament-fétiche", le médicament de la santé en général. De même
lorsque d'autres produits sont utilisés comme excitants, il s'agit avant tout
pour le paysan lors des travaux des champs, de décupler la capacité de
travail et d'en réduire la pénibilité. Comme le dit un détaillant, ventant les
vertus de ses produits "quand vous prenez un de ces comprimés, vous
pouvez travailler du matin au soir, vous avez toujours envie de faire
quelque chose".
Qu'ils soient utilisés pour des traitements ou à des fins productives,
les médicaments prohibés connaissent un engouement sans précédent, et
486_ Entretien avec le médecin-chef, centre médical, Léa.
487- Par exemple, pour soigner la diarrhée ou la dysenterie, le toupaï mélangé avec une
boisson gazeuse (tonic) est réputé "efficace".

- 321 -
leur usage s'intègre de plus en plus au déroulement de la vie économique et
sociale.
3 - Une clientèle hétéroclite
La consommation des produits de la vente illicite ne se limite pas,
comme on pourraiJ:le penser, à une seule catégorie de la population, à
savoir celle dél?ourvue de ressources. Sans doute, c'est parmi les
populations rtrrales que l'on rencontre les taux les plus élevés dans la
consommation de ces produits (488). Mais la ville reste également (avec
toutes les couches sociales qui la composent) un important réservoir de
consommateurs. Par exemple, une partie des fonctionnaires que nous avons
interrogés, reconnaissent avoir utilisé ces produits (même s'ils ne sont
qu'une
minorité
à
le
dire)
dans
des
circonstances
qualifiées
"d'occasionnelles" ou "exceptionnelles". Un seul affirme les acheter
régulièrement· "j'en consomme souvent parce qu'ils soignent bien, souvent
mieux que les produits pharmaceutiques. Je me demande même pourquoi
on les interdit ici, alors qu'en Côte d'Ivoire les commerçants les vendent
librement". Les autres, résolument hostiles à ces "médicaments du marché"
évoquent le danger à les consommer parce que "ce sont des drogues
dangereuses pour la santé" ou parce qu'ils "sont souvent périmés et sans
posologie précise".
Quant aux enquêtés des milieux populaires, ils
affirment
majoritairement acheter ces produits pour leur "efficacité". Des produits
comme "APe" sont souvent crédités d'un meilleur pouvoir de guérison
contre le paludisme, plus que l'aspirine ou la nivaquine. "Moi, j'achète les
APC", confie un jeune cuisinier, "parce que ça me soigne mieux que les
comprimés qu'on donne au dispensaire. Les gens disent pourtant que ce
n'est pas bien, mais je n'ai jamais eu de problème avec ça" (489).
Hormis quelques cas, avec les populations rurales il n'est en général
pas aisé d'obtenir des aveux quant à l'utilisation de ces produits. La
488_ D'après nos infonnateurs, dont les propos rejoignent ceux des infirmiers en poste dans les
villages, c'est dans les campagnes que la vente prospère le plus. La demande paraît plus
forte et c'est là aussi que les vendeurs ambulants sont le moins exposés aux rafles.
489_ Entretien avec un jeune cuisinier.

- 322-
rétention de l'information, sur ce sujet est systématique et équivaut
quasiment à une "loi du silence", encore renforcée quand il s'agit d'un
inconnue (ce mutisme s'exerce aussi à l'endroit du personnel sanitaire à qui
les patients n'avouent jamais utiliser des médicaments interdits). La peur
des contrôles inopinés, les réprimandes du personnel soignant ou la crainte
d'exposer le vendeur,aux poursuites expliquent ces résèrves.
(
Au-delà d,onc des clivages économiques et sociaux, il y a les "pour"
l,
et les "contre". Cependant, d'une personne à l'autre, les arguments
développés pour justifier l'acceptation ou le rejet de ces denrées varient très
peu. Pour leurs partisans, le critère thérapeutique (c'est efficace) constitue
l'une des principales justifications. Il est renforcé par l'argument
économique (c'est pas cher). Ici, l'efficacité est le signe de la vérité: est vrai
ce qui guérit. De plus, la comparaison avec les produits officiels autorisés ne
sert, là encore qu'à conforter la supériorité des "médicaments interdits".
Enfin, pour cette clientèle, l'accoutumance à la consommation de ces
médicaments conduit à une minimisation (voire à une exorcisation) de la
peur qui s'exprime le plus souvent en ces termes, "je 1'1 'ai pas peur parce que
ça ne m'a jamais fait de mal".
Pour les adversaires de la vente illicite, au contraire, ni l'accessibilité
en termes économiques, ni l'efficacité thérapeutique ne suffisent à légitimer
leur usage. Les risques encourus du fait de leur consommation, font figure
d'épouvantail: "ils peuvent amener des complications", entend-on dire par
les uns; "c'est un commerce anarchique qui menace la santé de tous",
renchérissent les autres. En somme, on leur dénie toute "efficacité" en
prenant le contrepied des premiers discours. Ces arguments recoupent
partiellement le discours médical qu'ils reprennent d'ailleurs à leur compte.
Mais ils vont encore plus loin, accusant les commerçants de ces produits de
ne "penser qu'à l'argent". Cependant, pour des raisons économiques,
certains avouent les acheter pourtant, le plus souvent quand ils ne peuvent
se procurer le prix d'une ordonnance. Les autres semblent admettre que
certains de ces produits sont sans danger, tels les baumes, pommades,
pénicilline, qu'ils avouent utiliser occasionnellement. Mais ils s'accordent
tous pour incriminer la logique économique qui sous-tend ce commerce.
La vente illicite des médicaments est un phénomène dont les
conséquences se situent sur les plans économique et social,mais aussi en
termes de santé publique. A ce propos, la perte de crédibilité de l'appareil

- 323-
public de soins ne semble pas toujours étrangère à son développement. Le
marché noir du médicament ne propose pas que des produits interdits. Les
produits de consommation courante comme la nivaquine, l'aspirine sont
également disponibles, au détail, alors que les prix de gros, pratiqués par les
pharmacies, sont dissuasifs pour les petits revenus. Dans les villages, il
arrive même que des malades, demandent à l'agent de santé, en lieu et place
des médicaments coUrants, des produits du marché noir, affichant par là,
ouvertement,.leur. préférence.
1.
Comme on le voit, ce marché parallèle, naguère présenté comme
"marginal" menace de supplanter certains médicaments écoulés dans le
secteur public (490). Il parasite et concurrence directement la politique de
santé publique, que ce soit au niveau des formations périphériques ou de
celui des soins de santé primaires. En tout état de cause, ce phénomène
résulte de la supériorité que les consommateurs reconnaissent de fait aux
"produits ghanéens" (pour un mal de tête on préférera "APC" à la
nivaquine) mais surtout, de la possibilité d'en acheter en quantité réduite.
Cette modalité (qui n'est pas un simple détail comme on l'a déjà vu) permet
un accès plus facile au médicament, sans avoir à mobiliser d'importantes
sommes d'argent ni à recourir à l'emprunt ou au crédit.
490_ Ce constat est surtout valable pour les campagnes. Pour le Sénégal, par exemple, FASSIN
rapporte que la consommation de ces produits dépasse en volume les médicaments vendus
dans le secteur public, op. cit., p. 98.

- 324-
CONCLUSION
Tout au long de ce travail, nous avons essayé de rendre compte de
trois aspects fondamentaux qui découlent de la politique des SSP au
Burkina, et
singu~ièrement dans la Sissili:
la
mobilisation
des
communautés rurares, la mobilisation des agents de santé communautaires,
le rôle de l'Et9-.t. Nous avons tenté de dévoiler les mécanismes politiques,
sociaux, économiques et culturels qui déterminent le processus de
mobilisation/démobilisation
des
collectivités
rurales
dans
le
fonctionnement des SSP. Les effets de ce processus sont appréhendés à
travers les conduites sociales et les logiques des acteurs, les formes de
résistances opposées par le monde rural à l'action étatique, ainsi que
l'influence et l'incidence des chefferies traditionnelles. Notre propos au
terme de cette réflexion s'attachera essentiellement à la discussion des
hypothèses formulées au départ. Certes, nous ne pensons pas être en
mesure d'apporter des réponses à toutes les interrogations qui découlent de
cette problématique. Des incertitudes, et des zones d'ombre subSIstent
encore. Cependant, il nous est possible de dégager quelques idées forces que
nous discuterons ici.
L'observation du mode de fonctionnement et de gestion des SSP
dans la Sissili, (ainsi que les réactions des acteurs auxquels ils s'adressent),
nous a permis de mettre en exergue les décalages entre les objectifs déclarés
de cette politique et les besoins exprimés par les populations. Dans notre
investigation théorique, nous avions privilégié l'idée d'une réelle
inadéquation entre les services offerts par les SSP et les attentes des usagers,
en affirmant que les premiers ne coïncidaient que très partiellement avec les
secondes, ce qui à première vue semble être conforté par les données de
l'observation empirique. Ce hiatus ainsi identifié peut revêtir des formes
très variées. En premier lieu, les paysans eux-mêmes véhiculent des
opinions plutôt négatives sur les actions proposées et adoptent des
comportements qui, majoritairement témoignent de leur désintérêt. Dans le
même temps ces réactions semblent manifester un refus d'une "médecine
de campagne" largement assimilée à une "sous-médecine", Ce n'est peut-
être pas un hasard si/dans nombre de villages, l'on a assisté à des multiples
tentatives de transformation, par les populations elles-mêmes, de leurs

- 325-
"cases de santé" en véritables petits dispensaires. Ce geste, nous semble-t-il,
traduit avant tout le désir des collectivités rurales de ressembler aux
citadins, ou à défaut de pouvoir bénéficier de certaines réalisations qui
restent jusqu'à présent l'apanage exclusif des villes. La ville, bien souvent, a
servi de modèle de référence (voire de modèle idéal) pour certains ruraux.
C'est, par exemple, par rapport aux services existant en ville qu'ils jugent les
',1
programmes qui leurs sont destinés, ce qui semble encore plus vrai en ce qui
concerne la sa,nté. Trop souvent, dans les représentations collectives des
acteurs du milieu rural, la dichotomie ville-campagne s'inscrit dans des
conceptions
qui
dévalorisent
ou
minimisent
les
opérations
de
"développement" initiées dans les campagnes. Tout se passe comme s'ils
avaient pris conscience que seule la ville, à la différence des campagnes, a
toujours eu droit aux "bonnes grâces" du pouvoir central.
Ces
représentations
sont
au
coeur
des
phénomènes
de
hiérarchisation de la santé et de la protection sociale "dont on ne peut pas
vraiment rendre compte sociologiquement sans passer par une analyse des
procédures de prise en charge institutionnelle" (491).
On peut donc se risquer à ébaucher quelques réflexions que nous
inspire le cas burkinabé, sans prétendre l'analyser en profondeur ici (492).
En matière de santé, les personnes issues des milieux ruraux se
voient soumises à des formes de prise en charge différentes de celles
instituées en milieu urbain. D'une part à travers la distribution des
institutions de soins dont on a vu qu'elles se concentraient majoritairement
et prioritairement dans les centres urbains (493), et d'autre part l'accès à la
protection sociale n'est garantie qu'à une minorité de la population urbaine,
en l'occurrence les salariés de l'Etat, et du secteur privé. Dans ces conditions,
491_ GUYOT (J.-c.), "La décision locale en matière de santé en Aquitaine", doc. multigr., p. 6.
492_ Mais nous pensons que cette question mérite des études ultérieures, en ce sens qu'elle ne
nous laisse pas complètement indifférents.
493_ Il ne s'agit pas de présenter globalement la ville comme un lieu privilégié par rapport au
monde rural. On sait par exemple que la ville produit aussi ses marginaux, ses exclus ou ses
laissés pour compte.

- 326-
disposer d'un emploi rémunéré constitue un "privilège" (494), dans le sens
où ce revenu est synonyme de protection sociale. Cette forme de prise en
charge dérivée de l'emploi représente de nos jours l'unique filière de la
protection sociale (495).
Quant aux non salariés, ils doivent payer intégralement toutes les
1
prestations. L'accès aux soins est formellement garanti pour les personnes
jugées "indigEtntes"; cependant, cette notion n'a fait l'objet d'aucune
définition précise et la délivrance du certificat donne lieu à une longue
procédure administrative propre à dissuader les candidats.
Exclues de toute forme d'accès à la sécurité sociale, les catégories
sociales non salariées (surtout celles qui sont en campagne) et à faibles
revenus ne peuvent, faute de moyens suffisants, acquérir les médicaments
prescrits après une consultation, sans l'aide de parents ou de proches. Les
solidarités traditionnelles y sont suffisamment fortes et définissent les
modalités d'assistance et d'entraide, s'appuyant dans une large mesure sur
l'institution familiale. De ce point de vue, pour les parents, le système
"d'assurance-maladie" ou "d'assurance vieillesse" repose en grande partit'
sur leurs enfants. Les garçons constituent l'espoir futur des parents. De leurs
enfan ts les parents diron t: "ils veilleron t sur notre vieillesse, ils paieront
nos impôts, ils creuseront nos tombes". Comme on le voit, ici, la rupture de
la dépendance familiale n'est jamais réalisée, c'est au contraire le sens de la
dépendance qui se trouve inversé, car la conception de la vie domestique
fait de l'interdépendance un principe fondamental: "la solidarité familiale
est réalisée grâce à la rotation des générations qui ont la charge de subvenir
494_ Précisons toutefois que la jouissance d'un salaire mensuel n'implique pas forcément un
niveau de vie élevé. Un commerçant ou un riche paysan quoique non salariés disposerons de
revenus supérieurs à ceux d'un ouvrier, d'un manoeuvre ou d'un planton.
495_ 11 faudrait préciser que cette prise en charge financière est variable suivant les secteurs
considérés, mais reste fondamentalement insuffisante dans la mesure où elle induit
néanmoins des coûts qui peuvent constituer un frein à la consommation des soins. Par
ailleurs, les frais occasionnés par la maladie ne sont pas pris en charge; la protection
sociale des salariés ne couvre, en effet, que des domaines comme les accidents
professionnels, les prestations familiales, pension vieillesse, etc. Dans certaines
entreprises cependant, le personnel dispose d'une consultation propre, ou d'un service
d'infirmerie.

- 327-
aux besoins des autres. Les petits enfants, après avoir bénéficié du support
moral et matériel des "adultes" vont devenir le support de ceux-ci ... " (496).
A travers quelques exemples de parcours de malades, nous avons pu
constater l'importance du soutien familial et son incidence dans les
pratiques de recours aux soins. Privées de l'assistance étatique, les
populations rurales ont su préserver leur propre système traditionnel de
"
"sécurité sociale"..
Le système officiel de protection sociale burkinabé, n'est pas
suffisamment développé (car ne concerne qu'une infime partie de la
population) pour introduire une forte différenciation dans la prise en
charge des consommateurs de soins. En revanche, c'est le système de santé
publique tel que nous l'avons décrit dans son organisation et son
fonctionnement, qui génère une forte hiérarchisation dans la réponse au
besoin de santé des populations; cette hiérarchisation conduit, pour les
catégories sociales sans pouvoir économique, à l'insécurité sociale selon
l'expression de B. Hours dans la mesure où "l'existence de format ions
sanitaires ne débouche sur aucun droit, sinon le partage amer de la
pénurie" (497).
Ces effets pervers du système de soins se ressentent dans les
stratégies sanitaires des consommateurs. Par exemple, en induisant des
coûts qui dépassent leurs capacités de paiement, ils les obligent à formuler
des demandes auprès d'autres institutions dont les guérisseurs sont l'objet
(dans les campagnes comme dans les villes) ; l'ampleur et la fréquence de
ces faits constituent des exemples éloquents.
Notre investigation nous a conduit à mettre en lumière les enjeux
politiques qui se jouent autour de cette stratégie sanitaire et singulièrement
les enjeux de pouvoir et de légitimité, mettant aux prises le pouvoir
étatique et l'institution coutumière, mais également les enjeux qui se
jouent autour du pouvoir des thérapeutes. Ces enjeux déterminent par
496_ CAMARA (S.), "Vieillir chez les Mandeka ou les métamorphoses de la vie", in Ethno-
psychologie, n° 3-4, juillet-décembre 1979, p. 330.
497_ "Demande d'assistance et droit de protection: insécurité sociale et stratégies sanitaires
au Cameroun", op. cit., p. 17.

- 328-
exemple les représentations paysannes. En ce sens il est possible d'affirmer
que les conceptions véhiculées sur l'ASV et les SSP n'en font pas encore de
véritables institutions sanitaires au même titre que le guérisseur ou le
dispensaire. A ce titre, ils ne bénéficient que d'une très faible légitimité par
rapport au reste du système de santé publique. il paraît donc évident que,
dans cette absence de légitimité, c'est le thérapeute sans assise (l'ASV) et le
dispensaire sans m9yens (le PSP et certaines formations du public) qui sont
en cause. Ici, la ,reconnaissance ou le pouvoir semblent dépendre de la
qualité et de fa légitimité du savoir que détient le thérapeute. Ainsi, les
connaissances dont l'ASV est crédité lui procurent moins de reconnaissance
qU'à
l'infirmier
(ce
dernier
jouissant
lui-même
d'une
moindre
considération par rapport au médecin) ou au guérisseur. D'autre part, ce
n'est pas tant les affections banales qu'il soulage que sa capacité à traiter des
maladies "graves" qui donnent au médecin ou à l'infirmier son autorité (ou
son pouvoir). De même, c'est parce qu'il se montre apte à donner des
réponses aux angoisses biologiques et sociales des individus que le
guérisseur tire sa notoriété. A l'évidence, un des facteurs explicatifs du
déficit de légitimité dont souffrent les ASC résiderait dans le "hiatus
thérapeutique" que ressentent les usagers dans leurs rapports avec les
bénévoles, et qui nourrit leur insatisfaction.
Notre hypothèse concernant le désaveu du modèle des soins de
santé primaires mériterait d'être nuancée, une fois confrontée au verdict du
terrain. Les populations rurales, on le sait, adoptent ou rejettent rarement
dans sa totalité un projet qui leur est destiné. Face aux soins de santé
primaires, leur attitude a consisté à prendre en considération les actions qui
correspondaient à leurs besoins -ainsi que nous l'avons vu à travers les
stratégies de sélection et de "ticket gratuit". Cependant, il ne faudrait pas
surestimer l'impact de ce hiatus thérapeutique dans le fonctionnement
global des SSP. En effet, la faiblesse de la mobilisation et de l'adhésion
paysannes ne saurait s'expliquer par ce seul phénomène; elle tient surtout,
pO\\lr une large part, à la mainmise des relais politiques de l'Etat -dont on
vu également la faible légitimité- sur les structures de participation.
Face aux actions de santé, les acteurs du monde rural, opposent
toujours leurs logiques, qui peuvent apparaître de manière inattendue ou
inopinée, et exprimer des réactions non prévues (ou au départ minimisées)
de la part des "décideurs". Ces réactions sont consécutives aux distorsions

- 329-
entre le modèle imaginé et la réalité, dont les conséquences peuvent être
déterminantes pour la suite de l'opération même. En réalité, il arrive très
souvent que ces décalages prennent l'allure de véritables contradictions,
tant les besoins et les représentations des usagers peuvent être éloignées des
stratégies des "développeurs".
On peut également remarquer que les exigences de la participation
communautaire ne s'accordent pas toujours avec les attentes des usagers. A
'<
ce sujet, il semble bien exister une contradiction entre l'objectif étatique de
susciter une "participation villageoise" et des méthodes de mobilisation qui
inscrivent dans leur logique la déstructuration et la désarticulation des
sociétés rurales, ainsi que ses formes d'organisation propre. S'appuyant sur
une vaste campagne idéologique, le pouvoir central cherchera à assurer sa
mainmise sur le monde rural toujours au nom de la lutte contre les "forces
rétrogrades". Cette ingérence étatique dans les "affaires" des communautés
villageoises oblige celles-ci à réagir ou à s'adapter dans la mesure où
"aucune société ne peut assister passivement à son autodestruction" pour
reprendre l'expression de Ela (J.-M.).
Le thème de la participation populaire qui imprègne très fortement
le discours officiel, ne semble cependant pas avoir la même résonnance
pour tous les protagonistes du développement.
Comme le fait remarquer Bernard N'Kaloulou, "certains pensent en
effet que participation paysanne signifie adhésion paysanne aux projets et
opérations de développement étatiques. D'autres y voient au contraire une
responsabilisation des paysans, dont l'élément déterminant est le partage du
pouvoir de décision ... entre pouvoirs publics et monde rural" (498). L'auteur
cité ici précise avec raison par la suite que la participation paysanne, telle
que la conçoivent les élites au pouvoir, se réduit à l'utilisation des paysans
comme main-d'oeuvre, tout juste bonne à exécuter des corvées. Si la
nécessité de la participation semble faire l'objet d'un consensus entre les
différents acteurs, en revanche, son contenu et les enjeux qu'elle comporte
sont loin de faire l'unanimité. Plus qu'un rôle d'exécutants ou de figurants,
les acteurs du monde rural semblent de plus en plus animés du désir d'être
498_ N'KALOULOU (B.), Dynamique paysanne et développement rural au Congo. 1984,
p.214.

- 330-
considérés comme des "partenaires", rôle que l'Etat se refuse à leur
reconnaître; c'est ce que semblent montrer toutes les
tentatives
d'étouffement du dynanisme interne des sociétés rurales.
Privés de ces dynamismes, les paysans peuvent-ils trouver les
"vraies" réponses à leurs problèmes? Au bout du compte, ne va-t-on pas
assister à l'émergence d'initiatives "hors Etat", où les ruraux, aspirant à
devenir leurs propÇes tuteurs, voudront s'organiser et s'investir dans leurs
propres structurès de participation non-étatique? (499). Pour l'heure, on
assiste, dans la province de la Sissili, à une tentative de relance de l'activité
sanitaire villageoise, à travers la mise en place prochaine de "PSP-pilotes".
Ces nouvelles structures concerneront, dans un premier temps, un nombre
limité de villages, avant d'être généralisées, si toutefois l'expérience
s'avérait concluante. Cette opération s'inscrit ainsi dans la logique des
micro-projets et se veut une tentative (ultime?) visant à sortir les soins
primaires de l'impasse actuelle. On peut espérer que si ce projet de
redynamisation (venu d'en haut et sur lequel repose les espoirs des
instances administratives et sanitaires) parvenait à éviter la dérive des
"PSP-commando" et à associer les acteurs et les ressources du monde rural
dans la définition et la résolution des problèmes de santé (tels qu'ils sont
perçus et vécus par les acteurs eux-mêmes), les SSP et les ASC pourraient
retrouver l'avenir prometteur qu'ils véhiculaient au lendemain d'Alma-
Ata. Dans le cas contraire, on peut craindre de les voir subir le sort de
nombreux "projets de développement" ayant fleuri dans le Tiers-monde au
lendemain de la seconde guerre, mais désormais tombés aux oubliettes.
Nous ne saurions terminer ce travail sans en fixer les limites
scientifiques et épistémologiques. Nous étions conscients dès le départ,
qu'un tel sujet ne pouvait être épuisé dans le cadre d'une seule étude, fut-
elle une thèse de doctorat. Nous pouvons alors formuler quelques regrets
autour de certains des objectifs qu'il ne nous a pas été possible de réaliser, et
qui fixent en quelque sorte les insuffisances de ce travail. Ce faisant, des
aspects ô combien importants relatifs à la situation des agents de santé
communautaires nous ont échappé. Nous aurions aimé pouvoir réaliser
499_ Ces expériences se répandirent au congo, avec un réel succès. Voir à ce propos,
B. N'Kaloulou, ibid. Sans avoir la même ampleur qu'au Congo, ces initiatives paysannes
dès le milieu des années 70 se répandirent considérablement au Burkina Faso également.

- 331-
une sociographie complète de ces agents à l'échelle de la province, décrire de
manière plus détaillée et plus précise leur condition sociale et leurs modes
d'existence. Pour enrichir ce travail, on aurait gagné à englober un nombre
plus important d'ASC et appréhender de manière plus rigoureuse leur
mode d'insertion dans la communauté villageoise. On ne saurait, en effet,
étudier les ASC sans accorder une attention au moins aussi importante à la
société où ils vivent, ou négliger la manière dont elle les considère, ou
encore la plac~qu'elle leur assure dans l'ensemble social.
Dans le même sens, il ne nous a pas été possible d'approfondir les
aspects concernant les conditions d'exercice des professionnels de la santé,
leur statut dans la société ainsi que la crise d'identité que traverse ce corps de
métier. Le temps nous a manqué, de même que nous étions dépourvus des
moyens adéquats pour effectuer une telle entreprise. Nos investigations se
sont déroulées en un long et unique séjour sur le terrain. Un second séjour,
même bref, nous aurait permis de combler certaines faiblesses par le recueil
de données supplémentaires.
Les hypothèses formulées dans le cadre de ce travail ne constituent
pas, une fin en soi, elles gagneraient à être davantage éprouvées par des
investigations plus approfondies. Dans ce sens, l'étude présentée ici (qui
pourrait légitimement laisser le lecteur sur sa faim) serait davantage à
considérer comme un début, comme un jalon qui demande à être complété
et enrichi ou même remis en cause par d'autres investigations théoriques
ou empiriques. De nombreuses questions, restées en suspens ou abordées de
manière allusive ici, doivent être élucidées et discutées pour contribuer à
une meilleure connaissance des ASC, qui restent encore très largement
sous-étudiés.

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formation, guide d'adoption, Genève, 1981, 346 p.
Actes officiels, n° 38, Le travail de l'OMS en 1951.
ChroniqUé OMS, Volume 32, nOll, 1988

-345 -
Collectif Tiers-monde, Quelle politique de santé pour le Tiers-monde?,
CTM, Poitiers, 1981.
• Périodiques
- Carrefour ~fricain, Hebdomadaire burkinabé d'actualité, "Spécial
1er congres du Front Populaire", nO 1113 du 1er mars 1990.
- Gestions hospitalières, nO 231, déc. 1983.
) ...
- Le Monde diplomatique, nO 452, nov. 1991.
- Politique africaine, le Burkina Faso, n020, 1985
- Politique africaine, Retour au Burkina, n033, 1989
- Revue historique des armées, nO l, 1972.

- 346-
1
ANNEXES

- 347-
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- 348-
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- 349-
GUIDE D'ENTRETIEN
1 - Questions concernant les ASC
1. Sur la motivation personnelle et la mobilisation de l'ASV
- Mode de désignation et conditions de travail
- Enumératibn des critères et modalités de la sélection (élection,
désignq.tion par une instance, remplacement d'un déserteur ...)
- Com;nent votre choix a-t-il été justifié?
- Formation, lieu, durée, contenu
- Pourquoi avez-vous accepté cette responsabilité?
-Degré de satisfaction et de mobilisation
- Etes-vous satisfaits par ce travail? Par votre formation?
- Qu'est-ce qui vous rebute le plus?
- Etes-vous prêts à poursuivre longtemps encore? Pourquoi?
2. Activités, conditions de travail
- Niveau d'équipement et matériel de travail (vélo, trousse ...)
- Types d'activités menées (assainissement, soins, vaccination,
pesées...)
- Organisation du travail
- Travail individuel, travail en équipe
- Quels sont les membres de l'équipe?
- Tâches et attribution des différents membres de la CSV
- Calendrier et registre des activités de la CSV
- Organisation des permanences au PSP
- Soins à domicile
3. Conflits et source de conflit
- Origine, nature et règlement des conflits
- Quels types de conflits découlent de la gestion des SSP par la CSV?
- Comment sont-ils réglés? Par qui?
- L'attitude des usagers face aux SSP
- Degré d'implication et de mobilisation de la communauté dans les
SSP
- Appréciation de leur niveau de participation aux activités
- Attitudes et comportements face aux exigences des SSP (respect,
bienveillance, indifférence, hostilité...)

- 350-
- Sentiments vis-à-vis de l'ASV, de la CSV: confiance? méfiance?
scepticisme? indifférence? rejet?
- Quels principaux obstacles entravent la bonne marche des SSP?
-
Pénurie de moyens et de ressource; faible participation
communautaire; manque de personnel; manque de volonté;
incompréhension des usagers; problèmes politiques ...
4. Rémunération
- Modalités de prise en charge par la population
- Nature de la rétribution (en argent, dons, nature...)
- Régularité de la rétribution: quelle périodicité?
- Les réticences des usagers : pourquoi cette non-contribution des
usagers à la prise en charge des bénévoles?
- Mobilisation des usagers
- Méthodes courantes utilisées pour sensibiliser et mobiliser la
population
- Rôle de la CSV dans la mobilisation
- Rôle de l'ASV dans la mobilisation
- Place et rôle des CR dans les SSP et la mobilisation
- Influence et attitude des chefs traditionnels
- Qui a le plus d'influence sur la communauté? (chefs coutumiers,
autorités administratives, CR, ASV.)
5. Résistances à la mobilisation
- Formes et logiques des résistances
-
Arrive-t-il que les populations refusent de répondre aux
sollicitations de la CSV et de l'ASV ? Pourquoi?
- Ces refus sont-ils fréquents ou non?
- Sont-ils organisés ou "spontanés"? Individuels ou collectifs?
II - Questions aux usagers
1. Sur la mobilisation et l'utilisation des SSP
- Participez-vous régulièrement ou non aux activités qu'exigent les
soins de santé primaires? Pourquoi?
- Pour quel type d'activités vous mobilisez-vous réellement?
Pourquoi?
- Dans quelles circonstances et à quelles occasions allez-vous au
PSP?

- 351-
- Que représente le PSP pour vous?
2. Accueil
- Lorsque vous vous rendez au PSP, êtes-vous bien reçu? L'ASV
s'occupe-t-il bien de vous?
3. Représentation de l'ASV
-
Considérez-vous les ASV comme des "serviteurs" ou des
1
"leaders" ?
- Comme de simples villageois?
- Comme des infirmiers? Des vendeurs de médicaments?
- Comme des agents de l'Etat?, etc.
4. Recours thérapeutique
- Quand vous êtes malades, à qui réservez-vous votre première
démarche (à l'ASV, au guérisseur, au dispensaire) ? Pourquoi?
- Avez-vous confiance en l'ASV pour vous soigner et vous guérir
(très confiance, assez, pas assez, pas du tout)? Pour quelles
raisons (manque d'équipement, formation insuffisante, absence
de compétence, chéreté des médicaments.) ?
- Achetez-vous certains médicaments au marché? Lesquels?
Pourquoi?
- Pour quelles maladies précises consultez-vous le guérisseur?
- Pour quelles maladies précises consultez-vous l'infirmier?
-Pour quelles maladies précises consultez-vous l'ASV ?
5. Rémunération de l'ASV
- Avez-vous contribué régulièrement ou non à la prise en charge de
l'ASV? Pourquoi?
- Acceptez-vous le principe de sa rétribution par la population?
Sinon qui doit le "payer" ?
- Quelles sont les différentes formes de prise en charge assurées par
la communauté à l'ASV (dons, argent, travaux.) ?
1)

- 352-
6. Résistances à la mobilisation
• Les raisons de cette résistance
- Vous est-il arrivé de refuser de répondre aux sollicitations des
ASV et de la CSV? Pour quelles actions précises? Pour quelles raisons
(manque de temps"'surcharge de travail, manque d'intérêt...) ?
• Les formes de cette résistance
De
quelle
façon
protestez-vous (refus
de
participer,
b
'"
) ?
a sentelsme;.. .
- Tentez-vous des actions pour inciter d'autres personnes à
protester?
Y a-t-il
souvent
des
actions
collectives
de
protestation? A quelles occasions?
- Quelles formes prennent-elles?
III - Entretien avec le personnel soignant (Léo)
1. Rapport avec les patients
- Appréciation de l'état des rapports avec les patients
- Enumération des principaux problèmes rencontrés
- Attitude des patients face aux soins
- Avec quelle catégorie de malades avez-vous le plus de difficultés?
Pourquoi?
- Comment réagissez-vous dans ce cas?
2. Le comportement des malades
- Face à la consultation
- Face aux soins et à leurs coûts (ordonnances)
- Face aux hospitalisations
3. La gestion du médicament
-
Comment le centre médical organise-t-il la gestion du
médicament?
- Le problème des pénuries: y a-t-il souvent des ruptures de stocks?
Quelles en sont les raisons?
-
Comment vous adaptez-vous à ces problèmes? Comment
réagissent les usagers?

-353 -
4. Relations avec les guérisseurs
- Différentes formes de collaboration avec les guérisseurs
- Avec quels types de guérisseurs?
- Les domaines concernés par cette coopération
- Les objectifs poursuivis
- RésultatS,,~nregistrés
- Problèmes rencontrés
J
5. Conditions de travail
- Conditions matérielles de travail
- Matériel de travail et niveau d'équipement
- Le matériel de soins
- Les ressources
- Conditions socio-professionnelles
- Avantages professionnels
- Contraintes du métier
- L'exercice à domicile
IV - Questions aux usagers du CM (Léo)
1. Sur les itinéraires thérapeutiques
- Attitude observée en cas d'apparition d'une maladie
- Le vécu de la maladie en milieu familial et son traitement
- Vous arrive-t-il de vous soigner à la maison?
- Pour quelles maladies? comment le faites-vous? Qui vous
soigne?
- Recours aux soins: quel thérapeute consultez-vous en premier?
Pourquoi ?
- Pour quelles maladies et en quelles circonstances vous adressez-
vous au dispensaire?
- Pour quelles maladies et en quelles circonstances vous adressez-
vous au guérisseur?
- Allez-vous plus souvent chez le guérisseur ou au dispensaire?
- Quelle différence voyez-vous entre le dispensaire et le guérisseur?
- Habitez-vous loin du dispensaire?
- Etes-vous prêts à parcourir une grande distance pour vous faire
soigner au dispensaire? Pourquoi ?

-354 -
2. Représentation du dispensaire et rapport à l'institution médicale
- Opinions courantes sur le dispensaire
- Comment jugez-vous les services offerts par le dispensaire?
- Quels sont les principaux avantages que vous trouvez au
dispensaire?
- Quels sont les côtés négatifs du dispensaire?
/
- Qu'est-ce 'qui vous attire le plus au dispensaire?
3. L'acèueil
- Etes-vous satisfaits de l'accueil réservé aux malades?
- Pouvez-vous justifier votre réponse?
- Comment réagissez-vous face : aux longues attentes; aux
différentes attitudes que vous observez chez les soignants?
4. Les médicaments
- Incidence des médicaments sur les comportements des usagers
- Le coût des médicaments vous empêche-t-il de vous soigner?
- Comment faites-vous quand vous ne pouvez pas payer les
médicaments prescrits (changement de recours, emprunt,
entraide familiale) ?
- Qui est responsable du manque de médicaments?
- Quel est le coût moyen d'une ordonnance pour une maladie
courante au dispensaire?
- Achetez-vous certains médicaments au marché? A quelles
occasions? Pourquoi ?
5. La relation thérapeutique
- Vécu des rapports soignants-soignés
- Les opinions des usagers sur le personnel sanitaire
- Trouvez-vous que les infirmiers s'acquittent bien de leur travail ?
Pouvez-vous justifier votre réponse?
- Etes-vous satisfaits de leurs comportements?
- Etes-vous satisfaits de vos rapports avec eux?
Origine des conflits et malentendus entre soignants et soignés:
- Quelle incidence sur les comportements des usagers?

- 355-
ETUDIANT-CHERCHEUR : André SOUBEIGA
UNIVERSITE DE BORDEAUX II
VILLE/VILLAGE
SECTION: SOCIOLOGIE DE LA SANTE
SECTEUR
MAI - OCTOBRE 1991
QUESTIONNAIRE
DAT E
.
QUESTIONNAIRE

d'Identification /
/
/
/
/
Les
stratégies
des
Soins
de
santé
primaire
au
Burkina:mobilisation
communautaire
et
logiques
paysannes
(l'exemple de la Sissili)
Le
présent questi0nnaire vise
à
recueillir
un
certain nombre
d'informations sur l'organisation
et
la marche des SSP
dans la
province
de
la
Sissili.
Il
est
conçu
à
l'adresse
des
prbfessionnels de la santé
(médecins;infirmiers,sages-femmes ... ),
Son
utilisation
reste
exclusivement
destiné
à
un
travail
universitaire (thèse
de
sociologie).
En conséquence
,nous vous
garantissons
l'anonymat
et
le
secret
le
plus
strict de vos
réponses
personnelles
.Nous
vous
remercions
d'accepter
d'y
répondre et vous prions de croire ~ l'assurance de
nos meilleurs
sentiments.
Merci de votre compréhension.
NB
Utiliser les codes suivants
a
Ne sait pas
9
Sans réponse

- 356-
1
A votre avis
, la mise en oeuvre des soins de santé primaire
(SSP) dans les villages est-elle plutôt une bonne chose
,plutôt
une mauvaise chose
Plutôt une bonne chose
1
- Plutôt une mauvaise chose
2
2
Les SSP ,
tels qu'il~30nt mis en ouevre au Burkina) et plus
spécifiquement dans la sissili,
correspondent-ils oui ou non aux
aspirations des popul~tions rurales ?
OUI
1
-
NON
2
3
Comment jugez-vous le fonctionnement
actuel des
SSP dans la
sissili ?
- Très satisfaisant
1
- Plutôt satisfaisant
2
- Pas assez satisfaisant
3
-
Pas du tout satisfaisant
4
Pouvez-vous justifier votre réponse
. . . . . . . . . . .. . . . . .. .. . . . . . .
4
Considérez-vous que les
populations
ont
bien
compris,
pas
assez bien compris,
peu compris ou pas du tout
compris le sens
des SSP ?
-
Bien compris
1
-
Assez bien compris
2
-
Pas assez bien compris 3
-
Pas du tout compris
4
Si
vous
avez répondu "
pas assez
"
..,
ou '1
pas du tout "
pouvez-vous expliquer pourquoi
..
.
~
.'.
5
A votre avis
,
les populations de votre région sont-elles très
attachées
,peu attachées
, pas du tout attachées
Très Assez Peu Pas du tout
Aux soins curatifs que donne l'ASV
1
2
3
4
,.
..
Aux activités d'assainissement
"
"..
..
A la présence et à l'action de la CSV
"
"
..
..
Au fonctionnement régulier du PSP
"
"
..
A la participation communautaire
..
..
"
..
Au renouvellement régulier de la trousse."
..
..
..
..
A assurer la rémunération de ASC...
"
"
Autres (Préciser).........
. . . . . .

-357~
6
Y a- t-il eu des périodes où les SSP fonctionnaient de manière
régulière dans la sissili ?
OUI
1
NON
2
Ne sait pas
0
Lesquelles?
..
'/...
7
Si
vous
avez
répondu
n
. u
OUl
pouvez-vous
en
donner
les
principales raisons ? ,~
. .
-
Le travail de mobilisation se faisait à la base
1
L'implication de l'Etat était plus importante
2
La CSV et l'ASV étaient plus dynamiques
3
Les populations étaient plus motivées
4
Le PSP était doté en médicaments
5
Les soins étaient gratuits
6
Le pouvoir coutumier contribuait à la mobilisation
7
La nouveauté du projet était un facteur de mobilisation
8
La forte loyauté à l'égard du pouvoir central
11
Autres raisons
(Préciser)
.
8
Considerez-vous les PSP comme la "porte d'entrée"
du système
de santé
oui ou non ?
OUI
1
NON
2
9
A
votre
avis
les
activités
des
SSP
mobilisent-elles
réellement les populations auxquelles elles sont destinés ?
OUI
1
NON
2
Si votre réponse
est "NON"
,pouvez-vous dire pourquoi?
10
Les SSP sont-ils
très
bien
,assez
bien,
pas assez bien
contr6lés et maîtrisés par les communautés elles mêmes ?
- Très bien contr6lés
1
- Assez bien
"
2
-
Pas assez
"
3
- Pas du tout
"
4
Il
A votre avis
,les villageois boudent-ils oui ou non les PSP?
OUI
1
NON
2

- 358-
12
Si vous avez répondu oui
,
pouvez-vous en donner les raisons?
-
A cause du manque de médicaments
1
-
Parce qu'ils les trouvent trop chers
2
-
Par manque de considération pour l'ASV
3
-
Parce qu'ils préfêrent se soigner gratuitement
4
-
Parce qu'ils ne comprennent pas leur
signification véritable
5
-
Parce qu'il y a
un CSPS tout près
6
-
A cause des problème~ethniques
7
-
Autres
(préciser)
'. ,
.
f.
13
Estimez-vous gue 'la
mobilisation
et
la
participation des
populations pour les ~SP Est
-
Très élevé:'
1
-
Assez élevée
2
-
Peu éle"vée
3
-
Pas du tout élevée
4
14
Les stratégies utilisées dans les villages
pour réaliser la
participation
communautaire
vous
paraissent-elles
trèe
adéquates,
assez
adéquates
1
peu
adéquates
pas
du
tout
adéquates pour aasurer l'adhésion des populations aux SSP ?
Très adéquates
l
-
Assez adéquates
2
-
Peu adéquates
3
-
Pas du tout adéquates
4
15
Ces stratégies
de
mobilisation
vous pâraissent-elles très
conformes
,assez
cc~for2es
,
peu
conformes
pas
du
tout
conformes aux aspirations des populations ?
-
Très conformes
1
-
Assez conformes
2
-
Peu conformes
3
-
Pas du tout conformes
4
16
Pensez-vous q'le la CSV,
telle qu 1 elle
fonctionne dans
les
villages
1
est une st~ucture très efficace, plutôt efficace
,pas
assez
efficace
1
peu
efficace
pas
du
tout efficace pour
mobiliser la communauté ?
- Très e;ficace
1
-
Assez efficace
2
-
Pas assez efficace
3
-
Pas du t0ut efficace
4
17
Pouvez-veus Expliquer pourquoi
?

- 359-
18
Les ASC contribuent-ils de manlere très significative
, assez
significative
1
pas
assez
significative
pas
du
tout
significative
à la mobilisation des communautés ?
-
Très significative
1
-
Assez significative
2
-
Pas assez significative
3
- Pas du tout significative
4
(
19
Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
• .i<•

1
• • • • • • • • • •
"
• • • • • •
1

1
1
,

20
Estimez-vous que les ASC ont une formation suffisante
,assez
suffisante
pas assez suffisante
pas du tout suffisante pour
exercer ?
-
Suffisante
1
- Assez Suffisante
2
-
Pas assez Suffisante
3
- Pas du tout suffisante
4
21
A votre a~is , les ASC sont- ils très bien , assez bien
pas
assez bien
, pas du tout pris en charge
par la population ?
-
Très bien pris en charge
1
-
Assez bien pris en charge
2
-
Pas assez bien pris en charge
3
-
Pas du tout pris en charge
4
22
Si vous avez rél)Onàu "pas assez bien" ou "pas du tout bien",
quelles en sont les principales raisons ?
-
Par mauvaise volonté
1
- Par manque de moyen
2
-
Parce qu'elles les oonsidèrent comme des fonctionnaires 3
- A cause des problèmes ethniques
4
- Par une mauvaise compréhension de leur rôle
5
- Autres (préciser)
.
23
D'après vous
1
comment les villageois considèrent-ils l'ASV ?
-
Comme un simple villageois
1
- Comme une personne au service de la communauté
2
-
Comme un petit infirmier
3
-
Comme un vendeur de médicaments
4
- Comme un agent d'assainissement
5
- Comme un représentant de l'~tat
6
- Autres
(préciser)
.

- 360-
24
En tant que professionnel
comment considérez-vous les ASC ?
- Comme des collègues
1
"
des .agents sani taires bénévoles
2
"
des simples villageois
3
",.
des personnes au service Je leur communauté
4,
des agents auxilliaires de l'Etat
5
A
(
"
\\ '
-
'utres
preClser", "f'"
• • • , • • • • • • , • • • ,
• • , , • • • • • • • •
25
Pouvez-vous dire comment vous avez réagi à
la création d'un
corps d'ASC ?
1 <
- Très favorablement
1
- Assez
"
2
- Pas assez
"
3
- Pas du tout "
4
26
A votre avis
le suivi des
ASC et la supervision
des PSP
ont-ils été toujours très
bien,
assez bien,
pas assez bien
pas du tout effectués ?
- Très bien effectués
1
- Assez "
"
2
- Pas assez bien effectués
3
- Pas du tout
"
4
27
Si vous avez répondu "Pas
assez bien effectués"
ou "Pas du
tout effectués"
voulez-vous dire pourquoi ?

1
..
..




















1

,

..






1









t










,








..
..

,


..




1










..
1

..


1









1


..

..




1




..
1

..
..

28
Pensez-vous qu'il serait à l'heure actuelle très souhaitable,
assez
souhaitable
,pas
assez
souhaitable
pas
du
tout
souhaitable de"
fonctionnariser"
les ASC ?
Très
,.
souhaitable
1
- Assez
2
- Pas assez souhaitable
3
- Pas du tout
"
4
29
A votre avis
cette professionnalisation les rendrait
- Plus efficaces
1
- Moins
"
2
- N'apporterait pas de changement
3
- Autres
(préc iser) . ,
.
30
Quelle Qppr-ic.io\\"\\c\\'\\ avez-vous
en ce moment de l'ASV et de son
tr'avail ?
- Très bonne
1
- Plutôt bonne
2
- Pas assez bonne
3
Pas du tout bonne
"
4

- 361 -
31
Que faudrait-il
faire pour améliorer
le travail des ASC ?
- Repréciser leur rôle véritable auprès des populations
1
-
Leur assurer une meilleure rémun~ration
2
- Augmenter leur nombre
3
-
Améliorer leur formation
4
- Accroître leur dotatton en médicaments
5
-
Assurer une meilleurè coopération avec les guérisseurs
6
- Alléger leur resp~nsabilité
7
Associer la population aux prises de décision
8
- Autres
(Préciser)'
32
A votre avis comment l'ASV se perçoit-il lui-même 0
- Comme un simple villageois
1
"
un serviteur de la communauté
2
"
un leader de la communauté
3
"
un infirmier de village
4
"
un agent d'assainissement
5
- Autres
(Préciser)
.
33
A votre avis arrive-t-ll souvent que les populations refusent
de collaborer avec l'ASC ?
- Très souvent
l
_ Assez
n
2
- Jamais
3
34
Pour
les réponses
l
et
2
quelles en sont
selon vous les
raisons ?
Sentiment de lassitude face à une sollicitation excessive
1
- Désapprobation des méthodes utilisées
2
- Mauvaise compréhension des tâches exigées
3
- Insuffisance de la sensibilisation
4
Absence de motivation des populations
5
- Manque de confiance en l'ASV
6
- Autres
(préciser)
.
35
Es-il souhaitable gue
le pouvoi~ traditionnel joue
un rôle
dans le fonctionnement des SSP ?
OUI
1
NON
2
36
Si vous avez répondu "OUI" pouvez-vous préciser lequel ?

- 362-
37
A
votre
avis
,
les
structures
traditionnelles
et
les
autorités
coutumières collaborent-elles très
bien
,assez bien,
pas assez bien
, pas du tout bien avec les ASC ?
-
Très bien
l
-
Assez bien
2
-
Pas assez bien
3 /
Pas du tout bien
~
38
Pour les réponses 3 et 4
pouvez-vous dire pourquoi ?
39
Comment avez-vous accueilli l'idée
d'une
collaboration des
guérisseurs traditionnels
avec
l'institution
médicale
dans le
cadre des SSP ?
Très favorablement
l
- A s s e z "
2
-
Pas assez
favorablemc:nt
3
-
Pas du t o u t "
-1
40
A votre avis l'intégration de la médécine traditionnelle dans
le système sanitaire Burkinabè
serait plutôt une bonne chose ou
plutôt une mauvaise chose 0
-
Plutôt une bonne chose
1
-
Plutôt une mauvaise chose
2
41
Quels aspects de
la
pratique
des guérisseurs
la médécine
peut-elle intégrer ou
--'-
' )
reCOllnal lTe
;
-
L'usage des plantes à vertu thérapeutique
1
- Les croyances et le rituel thérapeutique
2
-
Les conceptions religieuses
3
-
Les pratiques magiques
4
- Autres
(Préciser) ..
42
A
l'étape
actuel
des
SSP
pensez-vous
que
l'ASV offre réellement un service simple et efficace?
OUI
1
NON
2
43
Si vous avez répondu "NON"
pouvez-vous dire pourquoi ?

- 363-
44
Pensez-vous que
l'ASV
a
très
bien
assimilé
,assez bien
assimilé,
pas assez assimilé
pas du tout assimilé la mission
qui lui est confiée ?
- Très bien assimilé
1
- Assez "
"
2
-
Pas assez bien
.
. l -
aSS1ITll.e
3
,.
- Pas du tout
4:
45
Si vous
avez
rép9hdu "Pas assez
bien"
01..1
"p a s
cl li tau t "
pouve z-vous dire pourlJ.~lc;i ?
46
A votre avis
le
bilan global des SSP depuis
leur
mise en
place dans votre province est-il très
positif
assez positif
pas assez positif ou pas du tout positif 0
- Très positif
1
- Assez
"
2
- Pas assez positif
3
- Pas du tout "
4
47
A
votre
avis
,
doit-on
maintenir
les
SSP
tels qu'ils
fonctionnent
aujourd'hui
les
redynamiser
par
une nouvelle
politique sanitaire ou les abandonner ?
48
Comment voyez-vous l'avenir des SSP dans
la
province de la
Sissili ? . . . . . . .
49
Avez-vous des propositions à faire dans le sens d'un meilleur
fonctionnement des SSP ?
!
·lt.

-364 -
50 Dans quelle formation sanitaire ou service exercez-vous ?
-
Centre Médical
1
- C.S.P.S.
2
- Maternité
3
- Autres (Préciser) 1
51
Pouvez-vous préciser v~tre situation professionnelle ~
I~
.
- Médécin
1
Infirmier d'Etat
2
- Sage-femme
3
-
Infirmier Brevété
4
- Autres (Préciser)
52
Lieu habituel de travail
.
53
Sexe
- Masculin
1
-
Fem t\\'\\iY\\
2
MERCI DE VOTRE COLLABORATION

- 365-
,
/-T PRESIDF:NT DU
F?\\SO,
i
\\.-
CHECDU 60UVE~NEMENT,
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{lu
la
C-onsti-t:ut-ion (Ju 2
juin
1991
{Ju
lE'
Décret
n"
91-0332/PRES
cJu
16
juin
1991,
po: tard.
composJt':un
dlJ
Gouvernement
du
Burkina
Fël~u L't.
S;Jn
.ectrf:icôti-f
nO
91-0333/PRES
ciu
18
juin
1991
(lu.
l'O.-ciUTtn.=..,,::r.=
n'
84-058/CNR/PRES
du
15
i:iCG1;
1118 L;,
Fü.-cunL
l'èCjlC:::~i2n~ël-tj()n Gènérale des Eta.:Jliss2ml:.>nts Publics d2
J ' r: l: ê1. -C
(jlJ
] 2
Décret
n~
EI4-30S/CN~/PRES/r1F/r1CSEdu
15
aüGt
198~,
pOT-t2n-L
St.:;;tuL
C~n':?ral
des
E.t2lJlissemE'Tlts
Publics
_
c a ~- ,-le U:, r- i?
,:',d l~l i n j si; rat i 1
l i U
l~ Kiti
nnAN
VII-ü222JFP/SAN-AS
du
27
12vrj~r 1990,
pc.'rtllnL
()~-CJëlnis;l"i;:iGn du Mini5L~'re de
la.
S;:;ni:é
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1'1'9C;
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S"t d tut s
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;;";)'N
VIII-0323JFPJSAN-rlS
du
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des
st<d;uts
pdrticulië.'J"s
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Soc i o-Economi qLle~ cJL:'~
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Dc.'cret
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pr-illl~jpc=-s de
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:.:A,,---R:...'r,---=---ïL::.:"':.::Lc::L--,,-
_ _.:.:2'--_-_
Su n t
Centres
cJe
S,.:l'lLé
P~'lipl,,~; jl:,--,e~
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-366 -
'."
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Santé ,f;.';..t cies fT'ai", d'hospit.alisa.tion
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ues prDdui~s divurs
de tout~5 autres activiLé~
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à'ce que
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-367 -
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t.~T1 CL t-
12 _. I..e . wanda:;; du.
(2 )
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rl'?illll.1-";':e l ab lr~.
ARrrCU.:
13
LE'
Comité
de
Gestion
assure
l a
plus
i~s~ünsabilité de la ge~tion du C~ntre_
ARTICLE 14 ~ L~ Comité de
Gestiun est..
obligûl.uirl='ment.
Séil!:'>i
di?
l:.out es
qL:~st i 0 TlS
pou"vani::
influencpr
le
i-onLtiunnt::'ment
:"1urm~1
_._..
CeTlt:-p.
i l
statue
sur·
t.out.l='~~ qUL'stiun~
qui
l u i
seront
50~mises
et
assure
la
n:;,spons.:l.lJili-Lé
DE.'S
déLislons
pr-ises
Cu 1 1.09 "1,) 1 !::.',;;(?:"ït •
eX':'U1i.I:E'
et üppr UUV2 It?~ c.C1mptp5
prE!:-vÎsion<JL'l::.
de- f"C~cet tes
et;
de
d~pL'Tl~.l.?~.~
a i TiSi
qU2
1 e'->
CUH;pCl~":i
fi.nancier~
er
Fixe
Les
conditions d'emploi
du
personn~l
cDr.!:r"actuel,
les
sdla.ires"
élnO!L:in:~nts et a.u:"rE'S
<.lvanti19~~3 reconnus au personne i
corn' urcnémen t
clUX
i:e>:\\:es
en
vigueur.
A~.iLCLl~:
16 -
L.E.' Co;ni t~
de
C:ies t ion
t;..'st
tfO.'nu
3.L.:. t:~T- i t~~s
êldlOi ni 5 '..T" at i ve~
2)
un compte rendu annuel
dcs
a c t i v i t é s du Centre
COmpl-l:'nan t
l ' ~tat (h:.'~ com~tL.'s prévisionnels d2
r~cptt~G et de d&~en~~5 ;
l • .;.tùt
des
cllmp le's i i. flanc. i e-r!:,_
i 1 étùt de gest ion du pers~nno?l.
. -/ . . .

- 368-
1..e C'umi té
ut:.' Gest iun n~ peut dpI il:ér lO'r
v.:slôbl[--roent
que c::.i
le Quorum [jcsdeux-tit::1"~
(2/3)
est atteint.
11
est tenu
une 1E'uilie de
p'·éSF.'nc.L~, émo.r'Jëe par'
l~s mem~res présenls.
Le
~)ecr'~taT"iat dl='s SéancE..'~ est êlssuré ~i:l.r
} e
Chef .. ou
Cen'i:ri?
[lui
prirticipE' ùUX
st=5sjuns
du
t:Dn:ite ,de G~stion, à
ti~.TE' cunsultatii.
?iP:IJÇLr: 19
Lp~ délibpri:l.tiun~ du [nl~i'U" de Gestion GE'vir-:,nn(,:nt
'?Y.t'-.:.u·~oi!t?s aprf'S ~_'XpiT<.ll;iuT1 d'un
lléJ..:i
de
quin·zc::
(1::,)
juurs,
~ p,,,,rr.i;
::12
leur
tlôt\\?
de.>
r~C:E-ptjon
P.J.,"
les
,tut8ritps
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"H:'CiJS~ d~ r-~CE"pt:illJl ::luit iiL'·é' ciélivr'E:' par
(.f=.''i:!
Q(:·r·· Tl i pr e~.;.
AR ï [ Cl. E.
20
1_25-
P(-ut:~-;-verbé3ux
délih(!T'ëltions
sunt:
C~J 'r"\\ ~!' es ~ CJ Y1t?:.>..
d<l:"iS
url
; ~'g i St: r e si yné
par
le
PréSidti.'Tlt.
et
le
Sec:l-ci.d (r-e
de
<;.é ar.c.eS.
111RE
IV -DE LA DIRLC1IDN
Ai=il1CLf-.2~_- Le Centn:' es"\\; dirigé
P"r'
-
Arrêté du
l1inisirE' c:h;:.;.r'Qe de
1,3.
Sù::l,é l'our
1. es
L.cntr (~S cuuvr·a.n t
jJ l u:;5 f!Ur".; dt:-';..>~r te:m':'n~. ';j.
2i
Décision du
vlrect.C'ur
Pr(Jvinci~i Ch<I"gl'. crc,
1<3
SéHltË',
pOl:r
ll:'~, élui..re~~ l:!2ntrI?S.
ARTf.CLE" ê2
l.e Ch!?f
Lll?
Ct:..'ni-rE:' détient
le~ pouvoi.r~ lé'5
plu~:,
.;, t ~ ne us.
p (1 ur
g lj i. J a u
Tlom
riu
Cami té du
gestiun dun"t
~ l
exécute
lt:'$-
déc.l~1pr;S..
. . • 1 _ .•

- 369-
~L.i:..:,[;~.? j:~i rrt~~t~'1~lf:'-t~ :bM1~J~{~;';iJr}.~Pl~~\\-J! >i1W"~ ;: ,;:,,'~'I:: "f!t~· l ':i7,':';.ïl".1<1f·...·<,T- 1l.'P\\1"':l,-·' ?- ", -,....
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'~;~ci~')\\:'~-~: ci 1., ~s~.~',cr::Hl:t;l}~nn E"f' re~snT t·! :'1 il ,,'
,
'; :r)~.~REj;;:~tl;J ..+-rl~t·è"l1e la ·diJ'E..~t.i'on·~techni4up,
...
, - ' , ' '~·dfUlnl s'trëit l ve ~i.
i l nan~ ~è:~ '~~.CE!n:t-r~_ t:}!-(t ,l,
:J _~ : ~:~::.
'"
~~ :J:;;;;v~~·~p:~~~~c~,'d~,s: •. ~t1.es ar:-tes, :d~~(r ,J a~v,~:i2:~:~~vpl~" !
. '.' v~:i ~" Ir:; 2,1~ra'()t.P'llfu~·n}:·:"ài";'~'1rèqt,ard : .,lEi '.:, f ï~.r s~·,~.td't?5:: Ü,5'jger s'
': t . L',' i.?'~
J..: •• ~.Q-.'\\~' \\'
.1 0
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,J)
i l ..:prépari::'
lesc'd6lil.Jératiuns
du
Com.itécl~
L;estion E,t
E,-n" , ex'pcute
les
clécisi()n~;.·Il:'-':':
~pn~nd à CF.'t t:"ftet toute~ i nit j a t i ves
~i; cii:l!)'::.
,la
limite de
seS
attr"ibutiuns,
toutes'
dl"cisions
y)
...
.lI
~iynr:.· le~ actes cn.ncernclnt
lE:.'
c..:e!d.r~
;
5 ..
\\1
yèr?
~t
apprécie
le persunnel,
c:..::rl'for'h(':lIf,-:nt
il
1<:1
rè~le01E'nLa'[;ion
e:>n
vigueur-
6)
,;, 1
propose
1 1 ûrganigL;lllJ:lIF'
du
CCTI'..:rc,
qu Ji l
s~umE't
à
llapfJréc.iùt.~Ufl d ..... c.o;1:1t~: dt::'
Gestion
51
prend,
c1an.,;,
le!;
ras
d'ur'c;t?f1ce
qi;:;
rl~!pas:'>~~nt se~;
attrirJut.iuri5
r.C'~ a-lnJ,-,,=-,
1:üJt:es
il:E:';:,ur !':s
c.unSL'rVd tu'; T'eS
i \\èL~sS,J.l r:=.'::"
ci
c.nClr <;je
PDl .. l-
lui,
d'en rl?nd,c
C,J1DU,E
dU
Pr'c's1dcr,L
du
Cnllii.tè-=
rl<-~ Gest.ion,
(\\.'1rlS
\\eS
p:iu~, b~ef,::;
dé L.li s
E}
.il
~e~t C.OT1S,é'rlLir
des
CJ.ba(;o..:t:::rr.l:'rl'\\.s uu
r12rnio::.t:::~
.,:;
chaLjue
ca&:~'yurif' dt~ cli12Tll:G-'le,
COiI1orm;;'mellt:
.:J.ux
t e x t e s
en
vi :Ju;:,-ur
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dclns
un
d~·ld.î
m3ximunt d'un
(1)
"lui:""
après
cholL~ue r éun.lon du Co.-nii.r~ d~Gesi.:ûn,
une
ilmp! i èll: i CHI
du
Procès- v~r bùl
des
dél i.b~·rat.ioTls dOl t
êt.~,E' ilUTE''55c-ée <-'u:,
d u t o r i tés
de
tut~l)e.
TI1RE V -
DE l,A c..:OMP1AE1LITE
AR}ICLE
23
l<J~_ul1\\rJi.. abdité
ou
CI-o'T1t.T'eest.
par
'-!n
re~:iS-:S~'LIY
dL?
r2c:ett~~
et
d'aV.1.nLL's.
8E-:r_~ç..!-:,L"?~ ,-. Le
.".-ég i sc..~'?llr
de
r-ecet t.es
("'1:
c.I' ':'VnnLl?~ ~st
pdr
q:(~ë-te- du. l'tinj'S.~'(e c.ho'ir·ç)é clE'~ r·ifJ.:J.T\\cPs.

- 370-
aBJ1C1.§ __c7 __-=- L.:P • .s(IU~)e; régisseur de
rm,-é.'t1.:eS ",t d'avêJ.Tlt.'E!!.o.. ë\\,
Canfonllé-ment
.21.,1 '21T't.ic..le SB
du, Décr-et
N'"
6<9--i97/F'RES/MFC du
19
sept~~~re
1~69,
suspendu- le
p~i~m~ni
des
d~penses~
:'cnir.nndl;;E'~,;
peli\\=,par
ét::rit
ei
snus
!::,d
rl?SpOn5abiliLé,
r-~què.ï i r i e r ~'g .i. s s(?ur l-ie payi?r.
TDUt.~fois, l~ régi~seur doit refuser d~ défprcr
~
l'urdrE' de
réqujsition
lursqué:'
la
suSpension
du paiement
E"5t
ma t'i vée par
:
.:~
f ..
L'3b~ence et
la nûn
justiricatiun Uu servjce
{ .1 i t
PLIUT
taule
T-l!.'t:.luis)tiDn,
E-'XË'cut2l:.:'
ou
T1tl Ti ,
, ordc 7ln...1 tel:l-
rend
compte
al-iX
autoriti?s
cie
t u t e l l e .
ARTICLE 28
Udns
] p
cadre
des ouligations
qui
lui
int:omb(?J1~
",,'j)
','c;-tw
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31,4"';',
et
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Gu
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~~ept:emmbre
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E~~; r.
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Î d i l - e
di.lig~nce !-Jour cl':iSU,er
la
ren~rcL? (l(~
tauLes
l!'~s re~'Sûurt:L:1'; di.! Ct.:l1tre.
OPfRATIONS DE RECETrr:::5
flR'I.LÇ"Lf' 2q
- 58u'$
r èservE' de
l'appli;:c.t.ioll des
èisposit.ion~
reglemel"ll:aÎres
vn
!l\\a.iière
de
comptdl.:.lilité
p U C i l q u t ! ,
:i.es
recett-e:s. StH";t
liqu1d~es par l'ordonna\\.C2ur
:.ur
l~s bases -fixées
par
la.
l~~;~SL.lt.iun
f:c'n
vlgueur,
les
n~91'i:'f'iL?n·.,s,
lt?~,
de:lib>~r3tior;5
rJu
Comité
de
Gestiun
T'éÇjuliér'f.."'ilenL
ilpflr::H.. vée c..;
p~r
les
RutOt it~s de tutelle,
les d~ci~iun5
de
justiLe
~t les
con vf~l \\ t î unCJ.
Les
LUTlven"tiun~.:; sont
pa::;st.~e-::; par
l'urdonn':'CPllT
~,ous '-èserve cJes au tur i sa Lions ètc:rC1rcJ~'~>~
par'
1 e
Comité de Ges~ian et
les dutorités de ~utell~ .
.. .. .. , .....

- 371 -'
r,:H rcu::-
32P.~i,.;~ dé~~t-"~"'de'> ~'t:;~qué e;.<er c j ce,
'orc:t'~n~:~teul~
Jispw'::.>~?
d'une
pC'riode
dite
"journée
complé.>trlE'nt<liT"e"
d'une
duréE'
de
- vi ng1.
(20)
jours,
p~ur- prucédl:."r
à
l 1 émi ss i on
de~~
ur'dre~.
de r ec:ettë?S c..orrE?sponciant
aux
droit.s;
acquis ell
titr e
de.
] 'l?'xE'rc.ic..e pre-ct:":.ien-L.
~p. 'régisseur dispose en fin
de
y~stion d'unp
période dite
"juurné~
Cumplé~entdir~ tomptable Y
d'une durée d'un
(1)
mOlS.
ARTtCLE' 33
L_2
régiss2ur
duit
obliga!;uir(!m(!n"t
jour
i. E:'5
dUClHTlen C'.'
camp tah les
c ~ -ci.pr~;:;
:
1)
- Livre d~ Cdisse
4!
8L,IlS
d' EngalJeli1t-"'n t
de Dép2nses.
/unlCL~_ JI.., ~ Lt=' c.e-nt:r E'
doit
avoir
un
à w
U Tl
C Cl l'YI 1"> t; c: <J ~ ,- an t
p 0 s t; a i .
Pa,- o\\!t:o!-îsatir,Hl du Ministre r:hai-g~
des ;'lT\\alll:.~S,
le
Centre peut-
o3."oi.
un
compt8
bdncdir'e
ou
un
COinp-=e
d.--Jns
i;r)~te
alltrl2
~r.stit"ution
financiére
oU:ic.iL:'11emer1L
recan.lllE'
:C.31SSê Puplll.J.i.r2,
e t c . ) .
ç
OPERATIONS DE DEPENSëS
1)
DCofS
rrùis
de fCTlctinnnement
~t
d'exploitation cDloraOl1.s.
2}
Des
i nvesi i S'.. L·'11en ts_
3)
De
tCJU t es
il~1 t r[:Os
L h d r yeG
Crl!nt té cle Gest i Ofl.
. . . 1 . • .

..:... 372-
p.-.f-1" I_CI,.f:.
38
Tou.tes
les dép!?n~[,?s
doivent
~tr e
11 '-!\\;:Î dée>S
&"1:-
crd:c....'l'\\C\\l"IC€:S'.CLUt3oFI
CCLJTS
de
]'exETcic.e
auquel
~Lles
$ e
(o.i::t~c:.hlènt;_
Tcu.betuis,
au
çü~bu\\: de oe.haque éxer.::..icQ.,
l'prdonndteur
di~pose
d'une p~riode dite
'·.iCLJl·~~C CCH1,.pléfla?nta(re."
o·u·....,e,
ouré:e
c!evins~,-
(20)
juur,
p\\.l~ir él~\\e:'t-t)'e ~~:;. o. cir'es
rie tÎ~pt':'1s.es
cGT-n=:'s~c;-\\di'lf\\t. L.!LiX ~er vicps f'aj t.s
a,.l COU!"'; de
l'e~pccice précédent.
- le ri?:CJlsseu.
d;":JpusC
d'l:ne
"ja\\,lrnée
co;nple-ïnPMt<1i,-e"
de
-fi.n
d~ gestion d'u.--:e
d'un
(1)
rnr.;is_
AATrClE 39
Le léqisseur e5~
apptE:> l ~
.il
tou s
j l;"S
OépOli i .il "'fl>e>nts
,.·_;: ..;:~::~: ..:;l,:L.'::
:1:,
.appel.s
à
l a c . 0 n c. U r r E' r,::: C-,'
0 fl
l'IL" L:i è" ,- E:'
cl e
;;,;'lfChfoi'S
c:;drnin1St-(dt:if5.
JUSTIF1CATIDN DES OPERATIONS
Af(!i-ÇLE: __~s:L.::.
JOLJt manda~
de
pùi;?t~enl: doi t.
!?!:.T·e
dppwyè dl?s
fl ,12c.es
JUS h
F- i cat -) ves
g-x i sées
pour'
je pai ernent.
des dèpe;;ses -je
lE \\;-0 \\: •
.
En
CdS
de
pe .. tE'5,
destr'uctjon
ou
v::: l
des
.l_,-." .....
remiSes au
régisSeur,
lE'
t1jll~=.lr·E" (har::jÉ'
ctes
'~_'l"
pe:u~ SeuL,
âl..ii:uri.sey·
ce
dernier
Ç\\
pc:urvolr-.l
1 €u,-

- 373-
~':lir;:-
- .-
ql~.l
sur'
BR1} CLr- L,4
Li'!:'c ~~p.t~':;:;~'~~T1~'~'~;:,::oa~"~;~~Vé('par
le Cami té
d~'"
Gest.ion, :~&:;;t __ soua:is",ciëlns
les
i:rois.,t"3)~snOis::" qui
sujvent
la'
clôture,
,aux
autorités
de
t u t e l l e ,
pour-
obser-vatiufJ5
""l?ntuelles.
MT]CLE t,,5-
i=aute de
présentation dans
le
dé1..Ii
prescrit
à
J • ar tic l e
Lt4
c.i -dessus,
le
Comi té
de Gest ion
peut
dési gner
d'office un
ageld;
c.hargé de
la réédition des
COlllptes.
TITR~ VJ
-
DU CON1ROLC
f.HllCLE !:iJ:>
LeS
Centres
de Santé Pér iphériquE's,
sont
SDurnis
au cnnty~le
des
dii~érenl~
corps d~
l ' E t a t ,
habilités
à
CF! l
e'Ue t-.
i
l T~E
Vl
(.\\:f(1'1C1..l,;
(17__. Le
P~' sonne]
des
Centres
de
Sani.é Périphé:-iques,
cClnprel',d
i
l.es agents
de
l ' Etat ou des
co 1] ec t i vi t.2S
tel"'f i tori.~les.
êj
- L~ pc:rsl1r\\nel propre aux CentTes recruL-é
et
g(;n~
selon
les
dispusitions du
Code du Travail.
3)
L~s Coopérdnl:s t:'Iis à
~ël c:lispClGji.io';"l des
CE'l'tres,
con1ormémen1.
aux
cor1\\:~T1ti U fIS
bi lat~rdl~s 5ign~~s prti
le Bu.kinrl
F~sG_
.. - / ...

- 374-
".
.. 'i~ .':.....
f\\l'TJ:~~E: __ 4~_:... Lestl1nis~res chargés·de ~'"lil Santé. des FinancE's;
de
\\'Admjlljstr2\\i-jOrl
du TeTTi"loire~
sont
c:.hèHgi?S,
cilacun
en ce
qui
le c.oY\\:e:.e:r YI!? ,
de
1 1 execut ion','.,du pr"ésen-::' Décret ,qu i
prend
e..~ fet
pour
c..ampler:
de
s'ù
date de
signëltulce et. 'sera pulilJ-é
'au
.:r<lll\\.r:'lal Off~clel du Faso.
" , i " '
1.. c
r-: i c\\ i '5 t '-!2 rJ (? t Al Sc:; Il t é ~
d~
1 'Action
~:Jcjiïle et
d~ J 3
r a,<~ j l e
!
/
,"
,
/
-~-
D"
\\<.d~j dnua NAGOHD
.1t?an--Léonard
COMPi1DRE
1. e
Ministre
des
F inanc..e~>
et
du
Plan
,
/ ..'" ;-
... ~
"~"
....
..'

1
-"