UNIVERSITE DE PARIS 1- PANTHEON - SORBONNE
SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES
SciENCES JURIDIQUES
LA DIRECTION DES SOCIETES ANONYMES EN DROIT
SENEGALAIS COMPARE AUX DROITS FRANCAIS, ANGLAIS
ET AMERICAIN
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Pour le DOCTORAT de l'Université de PARIS 1en
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presentee et soutenue publiquement le
Par FRANCOISE DIENG
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Membres du Jury :
Directeur de Recherches:
Monsieur le Professeur André TUNe
Professeur émérite à l'Université deParis 1
Suffrageants :
- Monsieur le Professeur Paul DI DI ER
Professeur émérite à l'Université de Paris Il
-Monsieur le Professeur Michel GERMAIN
Professeur à l'Université de Paris Il
- Monsieur le Professeur Yves GUYON
Professeur à l'Université de Paris 1
- Monsieur le Professeur Michel PEDAMON
Professeur à l'Universtié de Paris"

UNIVERSITE DE PARIS 1- PANTHEON - SORBONNE
SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES
SCiENCES JURIDIQUES
LA DIRECTION DES SOCIETES ANONYMES EN DROIT
SENEGALAIS COMPARE AUX DROITS FRANCAIS, ANGLAIS
ET AMERICAIN
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Pour le DOCTORA T de l'Université de PARIS 1en DF/(;)IQY;ern~:
présentée et soutenue publiquement le
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Par FRANCOISE DIENG
Membres du Jury :
Directeur de Recherches:
Monsieur le Professeur André TUNe
Professeur émérite à l'Université deParis 1
5uffrageants :
- Monsieur le Professeur Paul DI DI ER
Professeur émérite à l'Université de Paris Il
-Monsieur le Professeur Michel GERMAIN
Professeur à l'Université de Paris Il
- Monsieur le Professeur Yves GUYON
Professeur à l'Université de Paris 1
- Monsieur le Professeur Michel PEDAMON
Professeur à l'Universtié de Paris Il
!

L'Université de Paris 1 n'entend donner ni approbation ni
improbation aux opinions émises dans les thèses,. ces opinions
doivent être considérées comme propres
à leurs auteurs.

REMERCIEMENTS
Je remercie Monsieur le Professeur André TUNe pour l'honneur
qu'il m'a fait en acceptant de diriger ma thèse, pour ses conseils
combien précieux et son attention tout au long de ces six années.
Je lui suis très reconnaissante pour sa compréhension et sa
gentillesse à mon égard.
Je remercie Messieurs les Professeurs Paul DIDIER, Michel
GERMAIN, Yves GUYON, Michel PEDAMON pour l'honneur qu'ils
me font en acceptant d'être membres du Jury de cette thèse.

Je remercie tous ceux qui de près ou de loin m'ont apporté leur
soutien.
En particulier:
le Professeur Joseph ISSA-SAYEGH pour ses encouragements et
sa sollicitude.
Mlle
Elisabeth
MICHELET
pour
sa
gentillesse
et
ses
encouragements.
le Professeur lamine SIDIME pour sa bienveillante attention.
Mes remerciements vont aussi à :
- Madame Marie-France MAilY, Bibliothécaire au Centre d'Etudes
Juridiques Comparatives de l'Université de Paris 1pour sa grande
disponibilité et sa grande gentillesse;
- Monsieur Youssoupha DIAllO, Bibliothécaire à l'Université de
Dakar pour sa disponibilité et son sérieux;
- Monsieur Mamadou DIAGNE de la Bibliothèque Universitaire de
Dakar pour son dévouement et sa grande disponibilité;
- Je remercie ma soeur Thérèse pour son soutien.

A la mémoire de mon père, avec mon immense
reconnaissance filiale.
A la mémoire de mes grands-mères bien-aimées.
A ma mère avec toute mon affection et ma reconnaissance filiales.
A mes soeurs, mes frères, mes neveux et nièces, mes belles-
seours, avec toute mon affection.

1
INTRODUCTION
"Tout naturellement, après avoir contemplé le reglme de leurs sociétés
nationales, les juristes se trouvent amenés à le comparer à celui des pays qui
présentent un même degré de développement économique et leurs découvertes
sont alors très fécondes"1. L'intitulé même de notre thèse "La direction des
sociétés anonymes en droit sénégalais comparé aux droits français, anglais et
américain" peut paraître un défi à cette affirmation d'un éminent juriste, le Doyen
Hamel. Le Sénégal fait en effet partie du tiers-monde, et la comparaison entre le
droit sénégalais et celui de pays les plus avancés économiquement tels que les
Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France ne peut que surprendre.
Nous pouvons cependant justifier notre entreprise par plusieurs raisons.
Pour des raisons historiques, en ce qui concerne la comparaison avec le
droit français. Il existe une parenté certaine entre le droit sénégalais et le droit
français. Cela s'explique par le fait que pendant la période coloniale, le droit
français était applicable au Sénégal. Ainsi, la loi du 24 Juillet 1867 et celle du 7
Mars 1925 régissaient les sociétés commerciales2 . Malgré son accession à
l'indépendance, le Sénégal n'a pas rompu le cordon juridique ombilical qui le
liait à l'ancienne métropole. Ainsi les textes précités furent maintenus. Il fallut
attendre la loi n085-40 du 29 juillet 19853 portant quatrième partie du code des
obligations civiles et commerciales (CaCC) pour que le Sénégal se dote d'un
nouveau droit des sociétés commerciales. La loi du 29 Juillet 1985 a été
modifiée, en certaines de ses dispositions, par la loi n093-07 du 10 Février
19934. Ces textes ne sont pas révolutionnaires et s'inspirent largement du droit
françaisS. De sorte que jusqu'à présent le droit sénégalais se lit souvent à la
lumière du droit français.
1
J. Hamel - Préface à l'ouvrage de Hubert Lepargneur. Les sociétés commerciales aux
Etats-Unis d'Amérique - 1951.
2
Par contre les lois du 16 Nov. 1940 et du 4 mars 1943 ne furent pas déclarées
applicables aux pays de l'Afrique occidentale française (AOFJ, dont le Sénégal. (Cf.
G. Meissonnier - Droit des sociétés en Afrique - LGDJ 1978 - P. 263).
3
JORS n05096 du 21 Décembre 1985 p.553.
4
JORS n05512 du 13 Mars 1993p.68.
5
Il en est de même dans la plupart des pays d'Afrique francophone. Monsieur E.
Lepointe l'explique ainsi: "on ne sort pas aisément d'une logique institutionnelle
aussi cohérente que la logique Juridique, et les Juristes africains payent là. en
fidélité forcée. le prix de l'Héritage: leur marge d'imagination est nêcessairement
réduite. Alors ... pourquoi ne pas se contenter d'un rattrapage ... en puisant dans
l'énorme masse législative française les éléments dont on a besoin pour rajeunir la
législation ou pour faire face à des situations nouvelles T ("De l'histoire du droit au
droit comparé. L'exemple du droit commercial applicable au Gabon" Penant 1991.
p.2151.

2
S'agissant de pays tels que les Etats-Unis et l'Angleterre, plus que le
passé, c'est l'avenir qui devrait nous rapprocher. Comme le déclarait le Ministre
de la Justice, Garde des sceaux, à propos du nouveau code des sociétés
commerciales sénégalais, et plus spécialement du nouveau système de
direction qu'il instaure. "Ce type de gestion sociale proche des normes du droit
anglo-saxon, a été placé dans le code pour encourager les investisseurs
anglophones en leur permettant d'œuvrer dans un cadre qui leur est familier"'.
La loi du 29 Juillet 1985 permet en effet de choisir entre deux types de structures
la société anonyme avec conseil d'administration et directeur général
qui s'inspire de la structure classique du droit français.
la société anonyme avec administrateurs délégués et conseil de
gestion - que nous appelons "nouveau système de direction" - qui
s'inspire des droits anglais et américain 2 et dont faisait état le Ministre
de la Justice.
C'est en raison de la double influence qui a présidé à son élaboration qu'il
nous semble intéressant non seulement d'exposer le droit sénégalais régissant
la direction des sociétés anonymes, mais de le comparer aux droits français,
anglais et américain. Cette comparaison aidera à le mieux comprendre et peut-
être à porter sur lui des vues qui conduiraient à l'améliorer.
Il nous faut pourtant au préalable préciser ce que nous entendons par
direction.
Définir la direction n'est pas une tâche aisée. Il y a, pourrait-on dire, autant
de définitions que d'auteurs et l'on a pu considérer que "l'essai d'élaboration
d'une notion de direction est un échec"3. La difficulté vient de l'existence de
plusieurs notions dont on ne sait si elles sont voisines ou analogues à celle de
direction. Il s'agit des notions d'administration et de gestion.
Le législateur sénégalais, pas plus que son homologue français, n'a défini
ces notions. Le chapitre 2 du livre 1er de la loi du 29 Juillet 1985 s'intitule
"Administration et direction de la société anonyme". A l'intérieur de ce chapitre, la
1
Journal le Soleil du3 Mars 1986 p.5.
2
Exposé des motifs de la loi 29 juillet 1985.
3
Claude Berr. L'exercice du pouvoir dans les sociétés commerciales - ed Sirey - 1961.
p.91 n0121.

3
direction est évoquée à propos du conseil de gestion 1 ; l'administration l'est à
propos du conseil d'administration 2 et des administrateurs délégués3 ; enfin la
gestion est mentionnée au sujet du directeur général 4 . Ces notions
correspondent ainsi à des organes différents.
En France, la section 3 du chapitre 4 du titre 1er de la loi n066-537 du 24
juillet 1966 s'intitule "Direction et administration de la direction". A l'intérieur de
cette section, le législateur français évoque l'administration à propos du conseil
d'administrationS; la direction générale à propos du président du conseil
d'administration 6 et du directoire? ; la gestion à propos du directoire8 et des
administrateurs9.
La confusion est d'autant plus grande que le législateur emploie des mots
différents pour définir les fonctions d'un même organe. Ainsi, le directoire est
chargé de la gestion de la société et de sa direction; est-ce à dire que gestion et
direction sont synonymes? Les administrateurs sont chargés de l'administration
de la société mais la loi évoque leurs fautes commises dans la gestion de la
société. Cela veut-il dire qu'administration et direction sont synonymes?
Certes, le dictionnaire Robert définit "diriger" comme conduire, mener une
entreprise mais il renvoie aussi au gouvernement, à l'administration et à la
gestion. Les notions et les termes semblent ainsi si proches qu'on pourrait se
demander si le législateur français n'use pas indifféremment de ces termes pour
éviter les répétitions.
Pourtant, la doctrine française a opéré des distinctions entre ces notions.
Ainsi, pour Messieurs De Juglart et Ippolito, la gestion et la direction sont deux
fonctions différentes : «"gérer", c'est choisir une politique de l'entreprise,
"diriger" ... c'est voir si la politique choisie et décidée est bien exécutée"1o. Pour
1
Art. 1297 COCC.
2
Art. 1248 COCC.
3
Art. 1283 COCC.
4
Arts 1248 et 1279 COOC.
5
Arts. 89 L. 1966
6
Art. 113 L. 1966.
7
Art. 119 L. 1966.
8
Art. 128 L. 1966.
9
Art. 244 L. 1966.
10
M. De Juglart et B Ippolito. Les sociélés commerciales - 8e ed. Montchrestien - 1988 -
p.487. M. Paul Didier considére que la direction générale consiste à définir les
objectifs de la société, comme d'en organiser. d'en animer et d'en contrôler la
réalisation (Droit des affaires. Les cours du droit 1984 - 1985 p.87l. Sa définition de

4
Bosvieux, il faut distinguer l'administration de la direction : "L'administration
s'entend de l'ensemble des actes nécessaires ou utiles à la réalisation de l'objet
social, alors que la direction, même générale, est restreinte à ceux des actes qui
ont trait à la gestion courante des affaires sociales envisagée dans un sens
large"1. Selon Escarra et Rault "Administrer une société anonyme est une chose,
la diriger en est une autre"2. Pour le Professeur Guycn, l'administration - dont est
chargé le conseil d'administration - consiste à définir les objectifs et à prendre
les décisions stratégiques en matière économique, financière et technologique3.
Et la direction - dont est chargé le président du conseil d'administration - consiste
en la gestion quotidienne et en la représentation de la société à l'égard des
tiers4.
Mais de l'avis de Monsieur Paillusseau, ces recherches de la distinction
de l'administration, faites sur le terrain du droit, ont abouti à un constat de
carences.
Comme le souligne Madame Marteau-Petit, la direction est une notion
induite. C'est à partir de la pratique que l'on doit la définir6 . On peut ainsi
dégager certaines caractéristiques de la direction. Il s'agit de la permanence? et
de la représentationS. Celui qui exerce la direction générale le fait de manière
permanente, quotidiennement - on ne saurait envisager un navire sans
capitaine. Il représente également la société, personne morale.
la direction est "la somme" des définitions que donnent MM. de Juglart et Ippolito
de la gestion d'une part et de la direction d'autre part.
1
Bosvieux "La loi nouvelle du 16 novembre 1940 sur l'administration et la direction
des sociétés anonymes". Joum. des notaires 1940 pp: 816 et s. cité par M. Marteau -
PetiL La notion d'acte de gestion et le droit des sociétés. Thèse droit Paris 2. 1992.
p.138.
2
Escarra et Rault Traité théorique et pratique de droit commercial T-4 Les sociétés
commerciales. P.190 n01492 et s.
3
Y. Guyon - Droit des affaires T-l- Droit commercial général et sociétés - 7e ed.
Economica 1992 p.345 n0339.
4
Ibid. P.347 n0340.
5
J. Paillusseau. La société anonyme technique d'organisation de l'entreprise. ed.
Sirey 1967 p.218.
6
op. ciL p.135.
7
Escarra et Rault (op. ciL loc. ciL) considèrent la permanence comme une
caractéristique
de
la direction générale.
V.
aussi Raynaud
et
Bardoul
"L'administration et la direction des sociétés" p.125 in Dix ans de droit de
l'entreprise. Y. Guyon. op. cit;. loc, ciL M Cozian et A. Viandier. Droit des sociétés -
6e ed. litec. 1993 p.261 n0707 "Le président est constamment opérationnel, il a en
charge la gestion quotidienne".
8
Escarra et Rault (op. ciL. p.192 n° 1493) "L'idée de direction implique celle de
représentation". Raynaud et Bardoul op. ciL. loc. cit: Y. Guyon. op. ciL lac. ciL P.
Didier op. ciL loc, ciL

5
L'idée de permanence a conduit certains auteurs à considérer que la
direction ne peut être exercée que par une seule personne 1 . Mais ce point de
vue est discuté 2.
En définitive, l'incertitude sur la direction doit nous conduire à envisager le
sujet de manière très large. Notre étude portera sur tous les organes d'action et
de décision se trouvant à la tête de la société. A savoir:
Au
Sénégal: le directeur général, les administrateurs, le conseil
d'administration, les administrateurs délégués, le conseil de gestion, ;
En France : le président du conseil d'administration, le directeur
général, les administrateurs, le directoire.
Aux Etats-Unis et en Angleterre: le conseil des directeurs les officers3.
Nous appellerons "dirigeants sociaux" ces différentes personnes qui n'ont
certes ni le même rôle, ni les mêmes pouvoirs, mais qui participent toutes à la
conduite des affaires sociales.
Nous serons cependant amenés à considérer la direction dans un sens
étroit, quand nous examinerons le degré de concentration du pouvoir de
direction 4. La direction s'entendra alors comme le pouvoir d'agir pour la mise en
oeuvre de la politique sociale et de représenter la société.
PLAN
Les dirigeants sociaux sont au coeur de notre réflexion.
Nous
examinerons dans une première partie leurs pouvoirs et leur statut. Ceux-ci
s'inscrivent dans le cadre de l'organisation de la direction. Suivra l'étude de
leurs devoirs et de leur responsabilité dans une seconde partie.
1
C Berr op. cit:. p84 n0111.
2
Raynaud et Bardoul op. ciL loc. ciL
3
Les officers sont des dirigeants administratifs.
Mais ils détiennent
-
particulièrement le chief executive officer qui est à leur tête -
le
pouvoir
effectif
de
gestion
des
affaires
sociales.
Nous
les
englobons
donc
dans
notre
étude,
même
si
les
directeurs
seront
l'objet principal de notre réflexion.
4
cf. infra 1ère partie - Titre 1. chap.2

6
PREMIÈRE PARTIE :
ORGANISATION DE LA DIRECTION
\\

7
TITRE PREMIER
LES POUVOIRS DE DIRIGEANTS
SOCIAUX
A l'image de la société politique, la société anonyme se caractérise par
une séparation et une hiérarchie des pouvoirs. Ce principe a été posé en France
par la Cour de Cassation dans l'arrêt Motte du 4 juin 1946 : "Attendu, en effet que
la société anonyme est une société dont les organes sont hiérarchisés et dans
laquelle l'administration est exercée par un conseil élu par l'assemblée générale
qu'il n'appartient donc pas à l'assemblée générale d'empiéter sur les
prérogatives du conseil en matière d'administration"1. En tant que démocratie -
la société anonyme se veut telle 2 - la société doit fonctionner en respectant la
répartition des pouvoirs entre ses différents organes. Cet équilibre des pouvoirs
est le 'fruit, à la fois, de la volonté du législateur qui s'exprime dans la loi, et de
celle des associés, matérialisée dans les statuts.
Dans certains pays comme le Sénégal et la France, la loi constitue la
principale source des pouvoirs des organes de la société anonyme. La
répartition légale des pouvoirs est liée aux fonctions de chacun des organes3 ,
bien qu'on ait récemment mis en lumière la place laissée par la loi aux
aménagements statutaires et aux conventions entre associés4 .
Dans d'autre pays - c'est le cas des Etats-Unis et de l'Angleterre - les
associés organisent les pouvoirs avec plus de liberté. Le Professeur Tunc
observe que les dispositions législatives des droits anglais et américain sur la
direction des sociétés anonymes sont très fragmentaires 5.
L'attribution des pouvoirs peut résulter d'une délégation d'un organe
social à un autre. Celle-ci peut être spontanée ou s'effectuer conformément à
une prescription légale.
1
JCP 1947-II-3518 - note Bastian - S.1947-1-153. R. Houin et B. Bouloc. Les grands
arrêts de la jurisprudence commerciale - Bibliothéque de droit commercial. T.l ed.
Sirèy - 1976 - p.297.
2
R. Contin - Le contrôle de la gestion des sociétés anonymes. Ed. Librairies
techniques 1975 - p.23. Il reconnaît que thêoriquement les principes de
fonctionnement de la SA tels qu'ils résultent des textes sont ceux d'une démocratie.
mais qu'en pratique. dans les grandes sociétés. la démocratie est devenu fictive.
3
Cf. G. Dufournier : "C'est la loi qui considère les fonctions comme source de
pouvoirs" (in La responsabilité civile du conseil d'administration dans les sociétés
anonymes. Th. droit Paris 1962 p.24 n022)
4
Y. Guyon. Les sociétés. in Traité des contrats sous la direction de J. GHESTIN - LGDJ
1993.
5
A. Tune. Le droit anglais des sociétés anonymes - ed - Dalloz 1987 p.169 n091.

8
Ainsi serons-nous amenés à examiner successivement les pouvoirs
légaux et les pouvoirs statutaires 1 des dirigeants sociaux. La délégation des
pouvoirs retiendra aussi notre attention car elle constitue l'antithèse de la
répartition légale. Certes, elle peut être autorisée par la loi, mais dès lors qu'un
organe s'est vu attribuer des pouvoirs légaux spécifiques, pourquoi, et dans
quelle mesure peut-il les transférer à un autre organe?
Une autre question fondamentale sera examinée
: le degré de
concentration du pouvoir de direction. Ce pouvoir est il dévolu à une ou
plusieurs personnes? Autrement dit la société a-t-elle un ou plusieurs chefs?
1
~s statuts étant variables d'une société à une autre, ne peuvent fournir que de
simples indications - cf. R. Verdot. La notion d'administration en droit privé
français. LGDJ 1963 p.125 n0175.

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9
CHAPITRE PREMIER: LA RÉPARTITION DES POUVOIRS.
La répartition des pouvoirs peut être légale ou conventionnelle.
Section 1 : Répartition légale des pouvoirs.
La loi n085-40 du 29 juillet 1985 portant 4e partie du code des obligations
civiles et commerciales (COCC) au Sénégal, attribue des pouvoirs spécifiques à
chaque organe de la société. S'agissant des dirigeants, il faut distinguer selon le
système d'administration et de direction. 1\\ existe en effet un système que l'on
peut qualifier de classique: il comporte un conseil d'administration, un président
du conseil d'administration et un directeur général ; et un système nouveau,
comprenant des administrateurs délégués, et un conseil de gestion, qui n'est
autre que la réunion de ces mêmes administrateurs délégués.
Chacun de ces systèmes sera comparé aux systèmes français, anglais et
américain.
§1. Le système classique sénégalais comparé aux systèmes français,
anglais et américain.
1. Le système classique sénégalais comparé au système français.
Le droit sénégalais s'est largement inspiré du droit français en adoptant le
système classique. La terminologie est la même qu'en France. On y trouve en
effet: un président du conseil d'administration, un conseil d'administration et un
directeur général. Mais l'examen des pouvoirs de ces organes révèle de
grandes différences en ce qui concerne le président du conseil d'administration
et le directeur général. Les pouvoirs des conseils d'administration sénégalais et
français sont sensiblement les mêmes.
A. Le conseil d'administration: convergence en droits sénégalais
et français.
1. Enoncé des pouvoirs.
Le conseil d'administration a une mission générale et des pouvoirs
spéciaux au Sénégal comme en France.

10
a. Mission générale.
L'article 1258 cacc et l'article 98 L.1966, sont le siège de la matière. an
note cependant que l'article 1258 cacc est plus précis que l'article français. Ce
dernier très
laconiquement dispose
en
son
alinéa
1er.
"Le conseil
d'administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute
circonstance au nom de la société...
L'article 1258 cacc procède, quant à lui, par voie d'énumération: al 1,
"Le conseil d'administration précise les objectifs de la société et l'orientation qui
doit être donnée à son administration".
al 2, "Le conseil d'administration exerce un contrôle permanent de la
gestion assurée par le directeur général".
La mission du conseil d'administration au Sénégal peut ainsi se résumer
en deux propositions: pouvoir de décision et pouvoir de contrôle. Le conseil
d'administration précise les objectifs de la société que les statuts ont déterminés
de manière large1, ainsi que les moyens de les réaliser. Il exerce un contrôle sur
celui qui est chargé de la mise en oeuvre de la politique sociale, à savoir le
directeur général.
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En droit français, malgré les termes de la loi, on s~acê'0rde à reconnaître
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que le conseil d'administration décide mai~in(agit pas3- 'cje~tJ lui qui définit les
objectifs de la société et prend les d'é~€iSi~~tratég.i~ues en matière
écono~ique, fina~cière et tec~n~logique3. L~):~,i~-~~1~~tration a a~ssi un
pouvoir de controle sur le president du conseil"'GJ~admlr:nstratlon, charge de la
mise en oeuvre de la politique sociale décidée par lui4.
En définitive la mission générale du conseil d'administration en droits
sénégalais et français est identique: décider de la politique sociale et contrôler
celui qui est chargé de la mettre en oeuvre.
1
Les statuts indiquent de manière large et imprécise l'activité de la société. Ce "nou"
ayant pour but de laisser une marge de manoeuvre à la société. Comme l'indique M.
Guyon, les statuts fixent rarement une activité détenninée de peur de compromettre
la souplesse nécessaire à son e..,xploitation (Y. Guyon. op. cil. p.191 n0189).
2
Ripert et Roblot. Traité élémentaire de droit commercial 12e ed. LGDJ 1986 p.899
n01293 1.
3
Y. Guyon. op. cit., pp.344-345 n0339.
4
M. Marteau - Petit op. cit. p.268 n0358.

1 1
On retrouve la même convergence en ce qui concerne les pouvoirs
spéciaux du conseil d'administration.
b. Pouvoirs spéciaux
Le conseil d'administration au Sénégal comme en France se voit attribuer
des
pouvoirs spéciaux par divers articles de la loi ou de son décret
d'application. Sans être exhaustif on peut citer les principaux pouvoirs:
Nomination et révocation du président du conseil d'administration 1.
Nomination et révocation du directeur général 2.
déplacement du siège social dans la même région au Sénégal (dans le
même département en France) ou dans une région (département)
limitrophe. 3
convocation des assemblées générales et fixation de l'ordre du jour4
arrêté des comptes annuels de la sociétéS
autorisation préalable des conventions passées entre la société et un
administrateur ou le directeur général 6
fixation de la rémunération exceptionnelle des administrateurs?
fixation de la rémunération du président de conseil d'administration et
du directeur généraiS
autorisation des cautions, avals, garanties donnés par la société à des
tiers9.
Ces pouvoirs spéciaux permettent au conseil d'administration de suivre la
politique de la société et de juger les hommes qui l'assument 10 . Ils corroborent
le pouvoir général de gestion du conseil d'administration. Si la loi a tenu à les
préciser, c'est en raison du caractère important voire dangereux de certains
actes 11 tels que les conventions passées entre un administrateur ou le directeur
1
Art. 1272 COCC : art. 110 L.1966.
2
Art. 1277 COCC : art. 115 et 116 L.1966.
3
art. 1261 COCC : art 99 L.1966
4
art. 1312 et 1314 COCC ; art 158 et 160 L.1966
5
art. 1258 COCC ; art 340 L.1966
6
art. 1263 COCC : art 101 L.1966
7
art. 1271 COCC: art 109 L.1966
8
art. 1272 et 1277 COCC : art 110 et 115 L.1966
9
art. 64 0.1993; art 98 L.1966
10
P. Didier - Droil des alTaires I. Les cours du droil1984-1985 p.94.
I l
E. Scholastique "Le devoir de diligence des membres du conseil d'adminislration et
du Board of Directors en droIts anglais et français. Thèse Droit. Paris 1 - 1993 -
P:186.

12
général et la société; ou encore les cautions, avals et garanties donnés par la
société à des tiers.
On pourrait craindre cependant que s'appuyant sur sa mission générale,
le conseil d'administration ne se croie tout permis. Une telle crainte ne se justifie
pas, car aussi bien en droit sénégalais que français, les pouvoirs du conseil
d'administration trouvent une limite dans l'objet social qu'il doit respecter, dans
les pouvoirs des autres organes sur lesquels il ne doit pas empiéter, enfin dans
les statuts qui peuvent restreindre ses pouvoirs.
2. Limites aux pouvoirs du conseil d'administration.
a. L'objet social.
C'est le type d'activité choisi par la société dans ses statuts1. C'est en
quelque sorte le programme que la société entend réaliser2. Toute société doit
avoir un objet social. En vertu du principe de spécialité des sociétés, elle ne peut
faire n'importe quoi, son champ d'activité est limité par l'objet en vue duquel elle
a été créée3.
On comprend alors que les législateurs sénégalais et français fassent de
l'objet social une limite au pouvoir général du conseil d'administration. Cela
apparaît clairement dans l'article 98 al 1 L.1966 qui dispose que le conseil
d'administration exerce ses pouvoirs dans la limite de l'objet social 4 . En droit
sénégalais, cette limite se déduit a contrario de l'article 1259 al 1 COCC, selon
lequel : "Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée par les
décisions du conseil d'administration qui ne relèvent pas de l'objet social". Par
conséquent, dans les rapports internes, le conseil d'administration est limité par
l'objet social. Respecter l'objet social, c'est respecter les statuts qui le définissent
et donc le contrat de société.
1
Cozian -Viandier Droit des sociétés - 6e ed. Litec - 1993 p.48 n0148.
2
y. Guyon. op. ciL p.191 n0189.
3
Cozian et Viandier - op. cil. p.49 nOSO Y. Guyon - op. cil. p.191 n0189.
4
Pour une application jurisprudentielle V. TL Co. Paris 2 Mai 1989 - JCP 1990.
11.21575 note Mireille Marteau - Petit. Le tribunal affim1e que l'article 981.1966
donne au CA le pouvoir d'agir en toute circonstance au nom de la société. Mais la
généralité de ces tennes vise la gestion de la société et non sa liquidation ou toute
atteinte essentielle à son objet social.

13
Mais cette limite de l'objet social est plus apparente que réelle 1. Ce, pour
deux raisons majeures. L'une est une raison de fait : les sociétés tant au
Sénégal qu'en France formulent l'objet social de manière large. Cela afin
d'éviter de modifier les statuts lorsque la société souhaite étendre ou diversifier
son activité 2. L'autre est une raison de droit: vis-à-vis des tiers, les décisions3 du
conseil d'administration qui ne relèvent pas de l'objet social, engagent tout de
même la société. Comme le soulignent Messieurs Cozian et Viandier "on note
dans ce cas un déclin de l'objet social"4.
b. Les pouvoirs de l'assemblée générale
Tout comme le conseil d'administration, l'assemblée générale est un
organe de décision. Comme l'indiquent les articles 155 L 1966 et 1309 COCC,
l'assemblée générale ordinaire prend toutes les décisions autres que celle
dévolues à l'assemblée générale extraordinaire.
Le conseil d'administration ne doit pas empiéter sur les pouvoirs de
l'assemblée générale. Cela est exprimé clairement dans l'article 98 al 1 L.1966
selon lequel le conseil d'administration exerce ses pouvoirs sous réserve de
ceux expressément attribués par la loi aux assemblées générales. Par
conséquent le conseil d'administration doit respecter les pouvoirs des
assemblées générales. C'est l'application pure et simple du principe de
séparation des pouvoirs qui régit la société anonyme. Cela est vrai en France, ce
l'est aussi au Sénégal où, également, le conseil d'administration devra - même
si la loi ne l'exige pas comme en France - respecter les attributions de
l'assemblée générale. Les risques de conflit existent cependant au Sénégal,
dans la mesure où les pouvoirs de l'assemblée générale ne sont pas toujours
prévus par la loi. En France, l'article 98 al 1 ne fait des pouvoirs de l'assemblée
générale une limite à ceux du conseil d'administration que dans la mesure où ils
sont prévus par la loi.
Au Sénégal, le conflit devrait être réglé en faveur de l'assemblée
générale, organe souverain de la société.
1
Y. Guyon op. ciL, loc. ciL
2
Cozian - Viandier. op. cit;, loc. ciL
3
L'article 98 al 2 L. 1966 que reproduit en substance l'article 1258 al 1 COCC, évoque
les "actes" du CA, mais comme nous l'avons observé le conseil d'administration
n'agit pas mais décide.
4
Cozian et Viandier op. ciL, p.49n° 151.

14
La limite de l'assemblée générale n'est pas la seule. Ainsi, le conseil
d'administration doit respecter les pouvoirs des autres organes sociaux tels que
le directeur général et le président du conseil d'administration. Leurs pouvoirs
que nous étudierons, sont autant de limites à ceux du conseil d'administration.
c. Restrictions Statutaires
Les statuts peuvent limiter les pouvoirs du conseil d'administration dans
les rapports internes. C'est ce qui ressort de l'interprétation a contrario des
articles 98 al 3 L.1966 et 1259 al 2 cacc. Selon ces textes en effet, "les
dispositions des statuts limitant les pouvoirs du conseil d'administration sont
inopposables aux tiers".
Qu'est-ce qui peut susciter de telles restrictions? Il peut s'agir d'actes
particulièrement importants pour lesquels les statuts requièrent par exemple
l'autorisation préalable de l'assemblée générale. C'est le cas notamment des
ventes d'immeubles ou des baux commerciaux, actes importants par leur nature.
Il peut s'agir aussi d'actes importants par leur montant1.
Ces clauses statutaires sont donc valables, mais "elles ne doivent pas
priver le conseil d'administration du pouvoir de gestion que la loi lui attribue
i m pé rative men t"2. Il Y a donc un seuil à ne pas dépasser pour ne pas
déposséder le conseil de son pouvoir général.
S'agissant des tiers, si la loi leur rend inopposables les restrictions
statutaires, c'est en raison des exigences de la vie des affaires: la rapidité des
opérations commerciales ne permet pas de vérifier l'étendue des pouvoirs du
conseil d'administration3.
Si dans l'ensemble, les pouvoirs du conseil d'administration convergent
en droits français et sénégalais, il en est autrement en ce qui concerne le
président du conseil d'administration et le directeur général, dont les pouvoirs
différent en beaucoup de points et notamment sur un point fondamental : le
pouvoir de direction générale.
1
y. Guyon - op. ciL p.346 n0339.
2
Idem.
3
Idem.

15
B. Le président du conseil d'administration et le directeur général
ou la divergence sur la direction générale de la société, en droits
sénégalais et français.
C'est une des originalités de la loi du 29 Juillet 1985, d'avoir conféré la
direction
générale
de
la société,
non
pas
au
président
de
conseil
d'administration, comme c'est le cas en France, mais au directeur général.
La comparaison avec le droit français s'avère délicate en raison de la
terminologie: des termes identiques recouvrant des réalités différentes.
1. Le détenteur du pouvoir de direction générale.
Au Sénégal, c'est le directeur général qui est chargé de la direction
générale de la société, tandis qu'en France, ce pouvoir revient au président du
conseil d'administration - que pour cette raison, certains appellent "président
directeur général"1.
a. Le directeur général en droit sénégalais.
Selon l'article 1279 COCC, le directeur général assume sous sa
responsabilité, la gestion des affaires sociales. Il représente la société dans ses
rapports avec les tiers. Il a les pouvoirs les plus étendus pour agir en toute
circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs légaux du conseil
d'administration et des assemblées générales et dans les limites de l'objet
social. \\1 engage la société même pour des actes ne relevant pas de l'objet social
(sauf en cas de mauvaise foi des tiers). Toute limitation statutaire à ses pouvoirs
est inopposable aux tiers.
Au vu de ces pouvoirs, il est flagrant que nous sommes en présence du
personnage clé de la société.
Ses pouvoirs sont de ceux que l'on attribue généralement à la direction
générale: agir au nom de la société, la représenter2. Vis-à-vis des tiers, il a une
plénitude de pouvoirs incontestable. Enfin, il a l'entière responsabilité de la
gestion des affaires sociales: c'est la contrepartie de son omnipotence.
1
Cf. Cozian et Viandier op. cil.. p.239.
2
Cf. supra in Introduction.

16
On peut dès lors considérer que le directeur général est le patron de la
société.
En cela, il diffère du directeur général du droit français malgré une
dénomination identique. Celui-ci, en effet, a pour rôle d'assister le président du
conseil d'administration. Il est mandaté à cet effet par le conseil d'administration.
Il n'a pas de pouvoir propre. Il est donc subordonné au président du conseil
d'administration et mandataire du conseil d'administration 1 et 2.
La terminologie sénégalaise est plus adéquate 3 puisque le directeur
général exerce la direction générale de la société, comme le fait en France le
président du conseil d'administration. Certes son homologue français dispose,
selon l'article 117 al 2 L.1966, des mêmes pouvoirs que le président du conseil
d'administration, à l'égard des tiers4 - ce qui a fait dire à certains auteurs qu'il est
plus qu'un mandataire, qu'il est un véritable organe de la sociétéS - mais cela ne
concerne que les rapports avec les tiers; dans les rapports internes à la société
ses pouvoirs sont limités. D'ailleurs, l'article 117 al 1 L.1966 dispose que: "en
accord avec son président, le conseil d'administration détermine l'étendue et la
durée des pouvoirs délégués aux directeurs généraux.".
1
M. de Juglart et B. Ippolito. Les sociétés commerciales p.510 n0726. p.511 n0727.
2
Le directeur général n'est pas sans rappeler les directeurs techniques. en droit
sénégalais .dont le rôle était d'assister le directeur général. Mais l'article 1281 COCC
qui les régissait a été abrogé par la loi du 10 Février 1993.
3
En France, la tenninologie a évolué. Avant 1940. le directeur général était désigné
par l'assemblée générale ou par le conseil d'administration. Il était considéré
comme un mandataire de la société ou comme un mandataire du conseil
d'administration: la notion d'organe social n'était pas dégagée. La loi du 16 nov.
1940 apporta un changement notable: un directeur général était le cas échéant
substitué au président: il exerçait ses fonctions de directeur général pour le compte
et sous la responsabilité du président. La question ne se posait plus de savoir s'il
était mandataire de la société ou du CA. mais s'il était mandataire du président ou
du CA. La loi du 16 Nov. 1940 pouvait déboucher sur une direction bicéphale. Pour
mettre un terme à cette possibilité. la loi du 4 mars 1943 fit du directeur général. le
second, le subalterne du président qu'il est chargé d'assister. Il est d'ailleurs appelé
"directeur général adjoint".
4
Pour une application de ce texte V Cass - corn. 12 Juillet 1993. Dall - 1993 - J. 549
note Ph. Merle "Attendu que ... M. Ganet avait été nommé directeur général, étant
dés lors investi des mémes pouvoirs que le président du conseil d'administration
pour agir en toutes circonstances au nom et pour le compte de la société et que le
mandat qui lui avait été attribué lui avait conféré qualité suffisante pour
représenter la société devant le tribunaL.".
5
J. Hemard. F. Terré et P. Mabilat - Société commerciales Tl éd. 1972 n01005.

17
b. Le président du conseil d'administration en droit français.
Le président du conseil d'administration est le patron de la société 1. Il est
le personnage le plus important de la société 2 . Le professeur Guyon, le
considère comme "l'organe essentiel de la société aussi puissant que le
Président de la République ou le capitaine d'un navire"3.
Selon l'article 113 al 1 L.1966, le président du conseil d'administration
assume sous sa responsabilité, la direction générale de la société. \\1 représente
la société dans ses rapports avec les tiers. L'article 113 al 2, lui confère les
pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société,
sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux assemblées
générales et au conseil d'administration et dans la limite de l'objet social.
L'article 113 al 3 précise que la société est engagée même par ses actes
qui ne relèvent pas de l'objet social sauf en cas de mauvaise foi des tiers.
Enfin, toute disposition statutaire ou décision du conseil d'administration,
limitant ces pouvoirs est, selon "article 113 al 4, inopposable au tiers.
On notera au passage que l'article 1279 COCC relatif aux pouvoirs du
directeur général reproduit cet article 113 L.1966. Le directeur général du droit
sénégalais est bien l'équivalent du président du conseil d'administration du droit
français.
Le président du conseil d'administration dispose d'une marge de
manœuvre considérable, ce, pour plusieurs raisons. Dans les grandes
entreprises, c'est le plus souvent un technocrate choisi pour ses aptitudes à la
gestion 4 . En outre, il dispose d'une masse d'informations, ce qui lui donne un
avantage sur l'actionnaire moyen qui le plus souvent n'est pas en mesure
d'apprécier
la
politique
menée 5 . Il est aussi mieux informé que les
administrateurs6.
1
P. Bézard "La compétence et le devoir des dirigeants sociaux en droit français~
RI.D.C. 1988 nOspécial vol 10 p.520
2
D. Bastian Jcl. Slés; fasc.133 A. n021.
3
Y. Guyon op. cit:. p.332. n0342.
4
J. P. Casimir el A. Couret. Droit des affaires ed. 1987 p.131 n0534.
5
Idem.
6
Ceux-ci revendiquent d'ailleurs de plus en plus. le droit à l'lnfonnalion cf. R; Baillot
"L'infonnalion des adminislraleurs~RfDCO 1990 pp 1 els.

18
Le président du conseil d'administration a une autonomie de gestion.
Comme l'a précisé le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, il n'est pas
nécessaire qu'il prouve une délibération du conseil d'administration lui
accordant des pouvoirs, tels que consentir mainlevée d'hypothèque ou acquérir
ou vendre un immeuble pour le compte de la société 1.
Le fait d'être révocable ad nutum par le conseil d'administration n'annihile-
par sa prééminence. Comme l'indique le Professeur Badinter, ce serait
méconnaître la réalité des affaires. En effet, aux yeux des tiers sa présence à la
tête de la société exprime une certaine politique. Et donc sa révocation
susciterait bien des troubles compte tenu de la confiance personnelle que lui
accordent les banquiers, fournisseurs et autres clients2 . Ces considérations sont
de nature à réfréner le conseil d'administration.
2. Le président du conseil d'administration au Sénégal
Le président du conseil
d'administration
en droit sénégalais a
essentiellement un rôle de contrôle. Cependant, et ce depuis la loi n093-07 du
10 Février 1993 modifiant la loi du 29 juillet 1985, il peut avoir un pouvoir de
direction générale lorsqu'il cumule son mandat de président du conseil
d'administration
avec celui
de directeur général.
Nous
examinerons
successivement les deux hypothèses.
a. Le rôle de contrôle du président du conseil d'administration.
L'article 1276 cacc est le siège de la matière. D'un point de vue formel,
on remarque qu'il utilise le terme "fonctions" et non "pouvoirs". Ces fonctions
sont, d'une part la convocation du conseil d'administration et la direction de ses
débats, et d'autre part le contrôle.
Le droit de convoquer le conseil d'administration est important car sinon il
y aurait risque de paralysie du conseil d'administration.
Cependant, pour pallier l'inertie du président du conseil d'administration,
le décret n093-153 du 24 février 19933 , portant application de la quatrième partie
1
Rép. min. n03438 - JO. Deb. A N. 22 Fév. 1969 pA60 - JCP co et ind.1969 n086611.
2
R. Badinter wLes pouvoirs du président - directeur général de la société anonyme de
type classique après la ré[om1e du droit des sociétés commerciales". DS.1969-190.
3
J.O.RS. n05525 du juin 1993 p.I63.

19
du COCC, en son article 55 dispose que: "Les statuts de la société déterminent
les règles relatives à la convocation et aux délibérations du conseil
d'administration. Toutefois des administrateurs constituant au moins le tiers des
membres du conseil d'administration, peuvent en indiquant l'ordre du jour,
convoquer le conseil".
Le président du conseil d'administration dirige les débats et a une voix
prépondérante en cas d'égalité des voix1. Cela justifie son titre de président du
conseil d'administration.
Mais le président du conseil d'administration a surtout un rôle de
contrôleur. C'est ce qui ressort de l'article 1276 COCC. Selon l'alinéa 2, en effet,
il
est "chargé d'assurer la continuité
de
la surveillance du
conseil
d'administration sur la gestion de la société confiée au directeur général".
Le
terme "continuité" s'explique par le fait que, selon l'article 1258 al 2 COCC, le
conseil d'administration est chargé de surveiller le directeur général. Mais ce
contrôle s'exerce de manière intermittente en raison de l'espacement des
réunions du conseil. Le président du conseil d'administration peut en revanche,
compte tenu de sa permanence, assurer cette surveillance de manière continue.
C'est le sens de l'article 1276 al 2 COCC.
L'alinéa 3 de ce même article dispose qu"'à toute époque de l'année, il
opère les vérifications et les contrôles qu'il juge opportuns et peut se faire
communiquer les documents qu'il estime utiles à l'accomplissement de sa
mission". L'idée de contrôle est ainsi présente, un contrôle permanent.
La loi donne au président du conseil d'administration les moyens
d'accomplir sa mission de contrôle.
On peut se demander si ce contrôle se limite au directeur général. La
place de l'alinéa 3, qui fait suite à l'alinéa 2 selon lequel le président assure la
continuité de la surveillance du directeur général, porte à le croire. Pourtant
l'alinéa 4 laisse entrevoir un pouvoir de contrôle encore plus grand du président.
Selon ce texte, en effet: "II présente à j'assemblée générale annuelle ses
observations sur le rapport du directeur général ainsi que sur les comptes de
l'exercice". Par conséquent, le président contrôlerait aussi les comptes de la
1
cf. art 1262 al 3 COCC : wsauf disposition contraire des statuts. la voix. du président
de séance est prépondérante en cas de partage".

20
société? Mais un tel pouvoir ne ferait-il pas double emploi avec celui des
commissaires aux comptes, chargés par l'article 1365 COCC du contrôle
permanent de ces mêmes comptes? N'y aurait-il pas atteinte au principe de
séparation des pouvoirs1 ?
Avant de répondre à ces questions, il faut souligner que dans sa première
version - donc avant la réforme de 1993 - l'actuel alinéa 4 de l'article 1276 était
l'alinéa 6. Il était précédé par l'alinéa 5 selon lequel, "après la clôture de chaque
exercice et dans le délai fixé par décret, le directeur général présente au
président du conseil d'administration les états financiers, aux fins de vérification
et de contrôle". Il était donc clair que le président du conseil avait le pouvoir de
contrôler les compte sociaux.
Or, cet alinéa 5 a été supprimé par la loi du 10 février 1993, et se retrouve
partiellement dans l'article 62 du décret du 5 juin 1993, lequel dispose : "Les
états financiers, appuyés du rapport de gestion du directeur général sont
transmis au président du conseil d'administration dans un délai de trois mois à
compter de la date de clôture de l'exercice". Il n'est pas fait état de vérifications
ou de contrôle. On peut donc considérer que le président n'a pas le pouvoir de
contrôler les états financiers, contrairement aux commissaires aux comptes. Il
doit se borner à faire des "observations". Lesquelles au demeurant peuvent,
selon l'article 63 du décret de 1993, être présentées oralement lors de
l'assemblée générale annuelle. Ce qui nous montre leur portée limitée et en tout
cas moins grande que le rapport écrit des commissaires aux comptes!
Le rôle de contrôle du président du conseil d'~~m'i~çi~}~~tion en droit
sénégalais n'est pas sans rappeler celui du conseil de~~Uç..eillance 1~1i1 France.
4;j
"\\
/\\
<!
,=
\\,',
o
CAfl"
, - '
Le Conseil de surveillance selon l'article 112':@ ,al-1-1.:::"""1966, exerce un
' -
contrôle permanent de la gestion de la société par l~i~Ç~.~/~~'
~ " / .
"f\\"-~"
,~"
'7 o n,t./
Selon l'alinéa 3 de ce même article "A toute époqu~éFannée, le conseil
de surveillance opère les vérifications et les contrôles qu'il juge opportuns et
peut se faire communiquer les documents qu'il estime utiles à l'accomplissement
de sa mission". Ce sont, mot pour mot, les termes de l'article 1276 al 3 COCC.
1
Certes, rien n'empêche le cumul des pouvoirs de contrôle entre plusieurs organes.
C'est ce qui se passe pour le contrôle du DG, effectué à la [ois par le CA et par le
président du CA. mais cela s'explique car le contrôle du CA n'est qu'intermittent.
celui du président étant pennanent. Or les commissaires aux comptes exercent un
contrôle pennanent !

21
L'alinéa 4 dispose qu'''une fois par trimestre au moins le directoire
présente un rapport au conseil de surveillance"1.
Selon l'alinéa 5, "Après la clôture de chaque exercice et dans \\e délai fixé
par décret, le directoire lui présente aux 'fins de vérification et de contrôle, les
documents visés à l'article 157 al 2" - il s'agit des comptes annuels, et le cas
échéant des comptes consolidés. Cet alrnéa est quasiment identique à l'alinéa 3
de l'article 1276 cacc.
Enfin, et selon l'alinéa 6, le conseil de surveillance présente à l'assemblée
générale ses observations sur le rapport du directoire ainsi que sur les comptes
de l'exercice". Ce texte est reproduit à l'article 1276 al 4 cacc.
Comme nous pouvons le constater, le droit sénégalais s'est largement
inspiré du conseil de surveillance pour fixer le rôle de contrôle du président du
conseil d'administration. Au-delà de l'appellation de ces organes et des
catégories - le conseil de surveillance appartient au "nouveau" système français,
le président du conseil d'administration, au système "classique" sénégalais - il Y
a une réalité, une nécessité, celle du contrôle. Un organe : le directoire en
France, le directeur général au Sénégal, le président du conseil d'administration
en France, a le pouvoir suprême de direction générale. Un autre: le conseil de
surveillance en France, le président du conseil d'administration au Sénégal, le
conseil d'administration en France et au Sénégal, a le pouvoir de le contrôler.
Ce dualisme de droit, ou de fait, contribue à l'équilibre des pouvoirs au sein de la
société.
Un tel équilibre peut être sérieusement compromis au Sénégal depuis la
réforme de 1993 qui permet au président du conseil d'administration de cumuler
son mandat avec celui de directeur général.
1
L'art 1276 al 4 eaee -version 1985 - reprenait cette disposition. wUne fois par
trimestre au moins. le directeur général présente un rapport au conseil
d'administration". Il a été supprimé par la loi du 10 février 1993. mais figure dans
le décret du 24 février 1993 à l'article 61 qui précise d'ailleurs le contenu de ce
rapport : analyse de l'exploitation et des résultats du trimestre : évolution
enregistrée: objectifs pour la période en cours et les moyens de leur mise en œuvre.

22
b. Le président-directeur général en droit sénégalais.
La loi du 10 février 19931 permet le cumul d'un mandat de président de
conseil d'administration avec celui de directeur général 2 . Il mérite alors le titre de
"président-directeur général. Et même s'il ne se fait pas appeler ainsi, le
président du conseil d'administration devient alors le patron de la société, en
raison de sa qualité de directeur général.
On peut regretter que la loi de 1993 ait opéré une telle reforme, car
auparavant, la situation était claire et nette: le directeur général exerçait la
direction générale sous le contrôle permanent du président du conseil
d'administration et celui intermittent du conseil d'administration.
Dorénavant un tel contrôle n'est plus possible, du moins par le président,
car il ne peut se contrôler lui-même! c'est la raison pour laquelle le nouvel article
1276 COCC issu de la réforme dispose que "lorsqu'il n'exerce pas les
fonctions de directeur général, le président du conseil d'administration
est
chargé d'assurer la continuité de la surveillance du conseil d'administration sur
la gestion de la société confiée au directeur général".
Il faut préciser que si en France on appelle parfois "président directeur
général", le président du conseil d'administration ce n'est pas en raison d'un
cumul avec le mandat de directeur général 3 , mais compte tenu du pouvoir de
direction générale que la loi lui reconnaît en tant que président du conseil
d'administration.
Il. LE SYSTÈME CLASSIQUE SÉNÉGALAIS COMPARÉ AUX
SYSTÈMES ANGLAIS ET AMÉRICAIN.
Pour nous familiariser avec les droits anglais et américain nous allons
faire une présentation sommaire de leurs sources.
1
La gestation de cette loi a duré 3 ans au cours desquels le gouvernement s'est
concerté avec le conseil national du paronat C.N .P. et le conseil économique et
social. Le C.N.P. a notamment révendiqué le droit au cumul de ces deux mandats.
2
art 1277 COCC : "Un directeur général est nommé par le conseil d'administration
sur proposition de son président parmi ses membres dont le président du conseil
d'administration ou en dehors de ses membres.
3
Le directeur général en France est l'adjoint. l'assistant, du président du conseil
d'administration. Un cumul de ces deu..x fonctions n'aurait pas de sens. le président
du CA ne pouvant étre son propre assistant!

23
En droit anglais, le companies Act est le nom donné à la loi sur les
sociétés. En annexe de cette loi se trouve la Table A - il Y en a d'autres - qui
constitue un modèle d'articles of association, c'est-à-dire, un modèle pour les
statuts de la société qui peuvent s'en inspirer. D'ailleurs la règle est que la Table
A s'applique dès lors que l'on n'a pas écarté ou modifié ses dispositions.
En droit américain, il existe une loi modèle dont s'inspirent un grand
nombre d'Etats1. C'est le Model Business Corporation Act (M.B.C.A.). Il a été
conçu par la Section of Corporation, Banking and Business Law, laquelle est une
émanation de la célèbre association d'avocats, l'American Bar Association
(A.B.A.). Nous évoquerons aussi les Principles of Corporate Governance. Ils
émanent de l'American Law Institute (A.L.I.) institution qui regroupe la plupart
des grands juristes. Le texte contient une analyse et des recommandations. Ces
dernières sont formulées dans des articles. Elles s'adressent soit au législateur,
soit au juge, soit aux sociétés elles-mêmes comme étant de bonne pratique2.
Il faut mentionner aussi le Corporate Directors Guidebook. C'est un
document élaboré par la section compétente de l'American Bar Association, qui
précise à l'intention des membres et futurs membres des conseils, leurs fonctions
et responsabilités, les considérations qu'ils doivent examiner avant d'accepter
leurs fonctions et les précautions à prendre dans leur exercice3 .
Sur le plan terminologique board of directors signifie conseil des
directeurs,
officers
: dirigeants administratifs
chairman of the board
: président du conseil des directeurs
managing director
: directeur général
chief executive officer
: chef de l'exécutif
Comparons d'abord les conseils
1
Chaque Etat élabore en pIincipe son propre droit des sociétés.
2
A. Tune "Le gouvernement des sociétés anonymes. Le mouvement de réforme aux
Etats-Unis et au Royaume-Uni" Rl.D.C. 1994. p.59.
M.E. Eisenberg "An overview of the Principles of corporate Govemance"
The business Lawyer -August 1993 vol 48 n04 P.1272.
3
A Tune. Le droit américain des sociétés anonymes.
ed. Economica. 1985. p.103
n060 .

24
A. Conseil d'administration et Board of directors
1. Le conseil d'administration comparé au board of directors
en droit anglais.
En droit anglais, le Companies Act n'indique pas comment les affaires
sociales seront gérées. Il en laisse le soin aux articles. Le modèle légal dont
s'inspirent les articles1 pose le principe selon lequel le conseil des directeurs est
chargé de la gestion générale des affaires sociales et exerce en principe tous les
pouvoirs que la loi, le memorandum2 ou les articles,
ne réservent pas à
l'assemblée générale (Table A, art 70P . Ce principe4 n'a pas été admis
facilement. Au dix-neuvième siècle, on considérait que les actionnaires réunis en
assemblée générale constituaient "the supreme governing body" de la société et
que les directeurs n'étaient que des mandataires5. Il fallut attendre 1935 pour
que soit exprimée une nouvelle conception, sous la plume de Lord Justice Greer
:"Une société est une entité distincte aussi bien de ses actionnaires que de ses
directeurs. Certains de ses pouvoirs peuvent en vertu des articles être exercés
par les directeurs ; d'autres peuvent être réservés aux actionnaires en
assemblée générale. Si des pouvoirs sont confiés aux directeurs, eux et eux
seuls peuvent les exercer... Ils (les actionnaires) ne peuvent pas d'eux-mêmes
usurper les pouvoirs que les articles confient aux directeurs, pas plus que ces
derniers ne peuvent usurper les pouvoirs attribués par les articles à l'assemblée
générale"6.
Ainsi, et comme le conseil d'administration, le board of directors a une
mission générale, limitée par les pouvoirs reconnus aux actionnaires? Mais
quant au contenu des pouvoirs à proprement parler il est différent. En effet, le
board of directors a un pouvoir de gestion. Il peut ainsi vendre les biens sociaux,
agir en justice au nom de la société8 . Alors que le conseil d'administration en
1
Pennington. Company Law-ed Butterworths 1990. p.573. Boyle and Birds Company
Law - éditorsA.J. Boyle, John Birds - 1983 p.537.
2
Ce sont les statuts mais à la différence des articles, ils sont essentiellement destinés
à créer la société dans ses rapports avec les tiers (A. Tunc - Le droit anglais des
sociétés anonymes. 3e ed Dalloz 1987. p.44. n033.
3
ibid. pp. 178-179 n096.
4
Principe qui n'est pas d'ordre public car les articles peuvent contenir d'autres
dispositions (idem).
5
A Tunc op. cit. lac. cit. Gower-Company Law ed. 1992. p.148.
6
John Shaw et Sons (Sa1ford) Ltd V. Shaw [1935] 2 KB 113 at 134; [1935] ALL ER Rep.
456 at 464 cité par A.Tunc. op. cit. lac; cit. et Gower op. cit. lac. cit.
7
Par la loi au Sénégal, par les articles en Angleterre. Cependant les articles
s'inspirant de la Table A du Cies Ad . on peut les assimiler à la loi.
8
Pennington. op. ciL lac. cit.

25
droit sénégalais décide mais n'agit pas - il n'en a pas le pouvoir; il établit la
politique sociale et contrôle sa mise en œuvre par le directeur général.
Mais il faut souligner qu'en pratique le board of directors n'utilise pas son
pouvoir de gestion, il abandonne ce pouvoir au chief executif officer ou au
management.
Cette situation s'explique par le fait que le conseil des directeurs n'est pas
un organe permanent. Il lui est, par conséquent, difficile d'assurer la gestion
quotidienne de la société 1. Aujourd'hui, dans les grandes sociétés publiques, ce
sont les officers qui dirigent la société, le conseil des directeurs exerçant
seulement un rôle de supervision 2 . Il participe également à la politique et à la
stratégie sociales3 . De sorte qu'en définitive, on peut rapprocher le board of
directors du conseil d'administration du droit sénégalais.
2. Le conseil d'administration comparé au board of directors
en droit américain
Aux Etats-Unis, traditionnellement, le board of directors avait pour mission
légale la direction de la société. Mais depuis quelques années ce rôle est remis
en question. En effet, au début des années 1970, plusieurs auteurs contestèrent
le conseil des directeurs, se demandant notamment, à quoi il servait et comment
le mettre au travail4. Le constat était que le conseil était passifS, la direction de la
société étant entre les mains du management, c'est-à-dire des officers,
particulièrement de l'un d'eux, le chief executive office r. La raison de cette
passivité était que le conseil des directeurs, organe collégial, se réunissant de
manière intermittente, n'avait pas les moyens de remplir effectivement sa mission
1
E.Scholastique op. ciL p.190.
2
ibid. p.191.
3
cf; E.Scholastique p.196 Contra : K. R. Andrew "Directors' responsability for
corporate strategy" (1980) Harv. Bus. Rev. 30. Selon lui le conseil des directeurs
doit laisser au management le soin de définir la stratégie de la société ... (cité par E.
Scholastique op. ciL note 4 p.194)
4
A Tune. op.cit. Rl.D.C. 1994 p.61.
5
Ainsi Christopher Stone. dans son ouvrage "Where the Law ends" estime que le
conseil a abdiqué ses responsabilités au profit du management qui poursuit
librement sa recherche de ma'Cimalisation du profit. ..
De même Mace. dans son ouvrage "Directors : My th an Reality" affinne que les
conseils de directeurs sont essentiellement
passifs. se bornant à écouter des
rapports. ne suggérant qu'exceptionnellement des amendements et approuvant
sans discussion les décisions du management. Il les décrit comme le simples
ornements sur l'arbre de Noël de la société "omament on a corporate Christmas
Tree".

26
légale de gouverner la société; s'y ajoutait la complexité des affaires sociales
que le management maîtrisait davantage 1.
Dès lors, la question s'est posée de savoir s'il fallait réformer la loi pour
permettre aux directeurs d'exercer leur pouvoir légal, ou s'il fallait modifier la loi
en tenant compte du fait que les directeurs ne peuvent exercer leurs fonctions
que de façon Iimitée2 . Il fut même suggéré que le conseil des directeurs soit
purement et simplement supprimé3 .
Le Professeur Eisenberg, après avoir souligné qu'il est peu réaliste
d'attendre du conseil des directeurs qu'il gère effectivement et directement la
société, préconisa un rôle plus réaliste d'avis, de conseil et de contrôle4 . Ce
souhait rejoignait notamment l'optique de la loi générale des sociétés du
Delaware qui, en 1969, avait été amendée dans son article 141 (a) pour énoncer
que: "les affaires de la société doivent être gérées par le conseil des directeurs
ou sous sa direction"5.
Comme cette loi, le MBCA fut amendé en 1974, et son article 8.01 (b)
évoque désormais la gestion "sous la direction du conseil des directeurs". Le
commentaire du MBCA sur cet article déclare que la nouvelle formule du MBCA
reflète la réalité des grandes sociétés américaines où le rôle du conseil des
directeurs consiste principalement à formuler les politiques de gestion avec très
peu d'engagement dans la direction 6.
Le Professeur Gœbel approuve cette formulation qui met l'accent avec
réalisme, non pas sur la gestion active qui est peu réalisable dans une grande
société, mais sur le contrôle attentif qui est à la fois possible et souhaitable?
1
cf. Eisenberg. op. ciUhe Business Lawyer August 1993 p.1279.
2
Christopher S. A'CWorthy "Corporate directors-Who need them ?" in the Modem
Law Review - vol 51 May 1988 p.274.
3
ibid p.275;
4
M. Eisenberg - The structure of corporation (1976) § 11.3.
5
"Ail corporate powers shaH be exercised by or under authority of, and the business
and alfairs of the corporation managed under the direction of its board of directors.
subjet to any limitation set forth in the articles of incorporation"

(Del. Gen. Corp. Law §141 (a) in Cary and Eisenberg - Cases and Materials - 6e ed.
p.197.
6
Roger Gœbel "Le gouvernement moderne des sociétés aux Etat-Unis. La composition
et les [onctions des directeurs et de la gestion". Journées de la société de législation
comparée. Année 1988. RI.D.C. nO spécial vol. lOP.550.
7
idem.

27
Le Professeur Tunc observe que "le conseil peut, non pas renoncer à
exercer ses fonctions, mais dans une certaine mesure, en déléguer l'exercice
tout en conservant un devoir de contrôle"1.
Les Princip/es of Corporate Governance ont pleinement adhéré à cette
idée de gestion par le management, contrôlé par le conseil des directeurs. Selon
l'article 3.01 : "La gestion des affaires d'une société publique2 doit être conduite
par ou sous le contrôle de tels principal senior executives désignés par le
conseil des directeurs et par ces autres officers et employés auxquels la fonction
de gestion a été déléguée ... sous réserve des fonctions et pouvoirs du conseil
en vertu de l'article 3.02". A première vue, ce texte accorde au management une
double mission de gestion et de contrôle. Mais, et c'est le sens de la réserve
finale, un autre contrôle est exercé par le conseil des directeurs. C'est ce qui
ressort de l'article 3.02 ; plusieurs dispositions de ce texte conduisent à
reconnaître un pouvoir de contrôle au conseil des directeurs. Il doit en effet
superviser la conduite des affaires sociales pour juger si les affaires sont bien
gérées3 . Il doit aussi revoir et au besoin approuver les objectifs financiers de la
société ainsi que les principaux projets et actions4 . Cette dernière fonction
pouvant de surcroît être assimilée à l'élaboration de la politique sociale5.
Le conseil des directeurs a aussi pour rôle de choisir ceux à qui est
confiée la gestion de la société6. Rôle fondamental, lourd de conséquences. Le
contrôle intervient a posteriori, le choix se fait en amont et peut être déterminant
quant à la bonne ou mauvaise marche de la société.
En définitive, sachant l'influence du MBCA et des Princip/es of Corporate
Governance sur le droit des sociétés des Etats, on peut dire que les pouvoirs du
conseil des directeurs et du conseil d'administration se sont rapprochés.
1
A. Tunc. Le droit américain des sociétés anonymes p.lll n066.
2
C'est-à-dire une société pouvant faire appel à l'épargne publique.
3
art. 3.02 (a) (2).
4
art. 3.02 (a) (3)
5
Le Business Roundtable, cette association de 200 Chief executive olficers, déclarait
que le conseil des directeurs a un rôle important à jouer dans l'élaboration d'une
politique à long terme. Ainsi. même si c'est le management qui prépare les
propositions de politique à long
terme, le conseil doit être en mesure de les
amender. donc avoir un bon jugement. nourri par une certaine expérience (cf in R.
Gœbel. op. ciL) V. Aussi in The Business Lawyer. Nov. 1990. vo1.46 n° 1 "Corporate
govemante and Américan Competitiveness - Statement of the Business Roundiable
- March - 1990"
6
art. 3.02 (a) (1).

28
B. Président du conseil d'administration et Chairman of the
Board. Directeur général et Chief executive officer (C.E.O.)
ç..
1. Le président du conseil d'administration comparé au
Chairman of the Board.
Il est difficile d'évoquer le chairman of the Board dans le cadre de la
répartition légale des pouvoirs. En effet, tant aux Etats-Unis qu'en Angleterre, ce
sont les statuts et la pratique qui lui confèrent ses pouvoirs. C'est donc à la
lumière de ceux-ci que se 1era la comparaison de ce personnage avec le
président du conseil d'administration.
En droit anglais, le rôle du Chairman est très variable 1. Il dépend de la
taille, de la complexité et de la nature de l'affaire, de la division des devoirs avec
le Chief executive officer et de la durée de son temps de travail 2.
Le rôle de Chairman of the Board peut être attribué au chief executive
officer. Celui-ci est le directeur exécutif, l'officer le plus important, auquel on
reconnaît les pouvoirs de gestion les plus grands. Il peut y avoir dualité avec
prééminence du chief executive officer, mais le chairman of the Board peut
néanmoins jouer un rôle substantiel de représentant de la société3. Le chairman
peut avoir une contribution cruciale dans la conduite des affaires sociales. Le
rapport
Cadbury4 lui reconnaît d'ailleurs un rôle fondamental dans le
gouvernement des sociétés (§4-2 et §4-7). Il est responsable de l'agenda, c'est-
à-dire de l'organisation des réunions. Il doit veiller à ce que l'in1ormation soit
diffusée de manière appropriée, à temps. Il doit conduire les réunions de
manière à obtenir le meilleur de ceux qui sont présents5.
Avec de telles responsabilités le Chairman a un pouvoir considérable. Et
lorsqu'il est en même temps CEO, cela devient impressionnant, au point que le
comité Cadbury recommande une séparation de ces deux fonctions: il préconise
1
A Tune. Le'droit anglais des sociétés anonymes p.182 n098. J.Charkam - Keeping
good company : a study of corporate govemance in five countries. ed. Oxford
University Press 1994 p.266.
2
J. Charkam. op. cit. loc. ciL
3
Ibid. p.267.
4
Ce rapport, publié en Décembre 1992, a été élaboré par le Committee on the
Financial Aspects of Corporate Covemance. comité présidé par Sir Adrian Cadbury
et créé en Mai 1991. suivant les suggestions de la Bourse de Londres. d'organisations
comptables. avec les encouragements de la Banque d'Angleterre. de l'épargne
collective et du patronat.
5
J. Charkam. op. cit. loc. cit.

29
une division des responsabilités à la tête de la société afin que soit assuré un
équilibre du pouvoir et de l'autorité, tel qu'aucun individuellement n'ait de
pouvoir de décision. Lorsque le président est aussi le CEO, il est essentiel qu'il y
ait un solide élément indépendant au conseil qui fasse contre-pouvoir (§4-9).
Le Chairman, en Angleterre, est différent du président du conseil
d'administration, car il a une fonction d'administration que n'a pas ce dernier.
Cependant, le rapport Cadbury recommande que le Chairman soit une forte
personnalité en face du CEO afin d'exercer de manière aussi permanente que
possible le rôle de contrôle qui appartient au conseil1 Ce rôle de contrôle le
rapprocherait alors du président du conseil d'administration. Contrairement au
président du conseil d'administration, le Chairman peut représenter la société
vis-à-vis des tiers.
Aux Etats-Unis, le Chairman a sensiblement les mêmes pouvoirs que son
homologue anglais: contrôle de l'agenda et de l'information des directeurs2 . Le
Chief executive officer est généralement le Chairman 3, mais ce n'est pas
obligatoire. La SEC est hostile à une telle concentration des pouvoirs. Aussi,
dans un rapport au Congrès en 1976, elle insiste sur la nécessité de restaurer
les responsabilités dans les sociétés (corporate
accountabi/ity). Par la
persuasion, la pression, la menace, elle suscite une multiplication des comités
de directeurs, composés en
majorité de directeurs indépendants du
management. Ces comités aident le conseil à contrôler le management4 Les
Princip/es of Corporate governance préconisent l'instauration de ces comités
dans les sociétés5.
Lorsque le Chairman fait contrepoids au CEO et assure le contrôle sur le
management, selon le vœu de la SEC, il se rapproche du président du conseil
d'administration du droit sénégalais qui a comme on le sait un rôle de contrôle.
Quand le Chairman est en même temps CEa, il se rapproche du directeur
1
cf. §4.8 "It is equally for chainnen to ensure (hat executive directors look beyond
their execulive dulies and accept their full share of the responsabilities of
govemance".
2
Herzel et shepro cités par J. Charkam op. cit. p.182.
3
Dans plus de 3/4 des sociétés. le chainnan of the board est aussi le CEO. et cela
particulièrement dans les grandes sociétés (J. Charkam. op. cil. p.184).
4
A. Tunc. Le droit américain des sociétés anonymes. p.lOO. n059.
5
Cf. infra. in ch.2 - sect 3 Nécessité de contre-pouvoirs. Il s'agit notamment des
comités de nomination. de rémunération et d'audit.

30
général, ou du président directeur général du droit sénégalais1 , en sa qualité de
CEG.
2. Le directeur général comparé au Chief executive officer
(CEO).
De même que le directeur général est le chef de la société anonyme en
droit sénégalais, le CEG est, en droits anglais et américain, le patron réel de la
société. Certes, ses pouvoirs ne lui sont pas conférés par la loi, contrairement au
directeur général du droit sénégalais, mais il convient de rapprocher ces deux
personnages qui exercent le pouvoir de direction générale de la société.
Il faut noter l'influence - certains diront la domination 2 - du CEG sur le
conseil des directeurs dont il est 'fréquemment le Chairman . Ce, à la différence
du directeur général qui subit, au contraire, le contrôle intermittent du conseil
d'administratiorl
doublé de celui
permanent du
président du
conseil
d'administration. Mais avec le mouvement de réforme de la direction en droits
anglais et américain3 surtout, le conseil des directeurs devrait contrôler plus
activement le CEG.
§2 : Le nouveau système sénégalais comparé aux systèmes français,
américain et anglais.
Le
nouveau
système
sénégalais comporte trois
organes
les
administrateurs délégués, le conseil de gestion et le secrétaire général.
Le conseil de gestion n'est rien d'autre que la réunion des administrateurs
délégués. Par conséquent l'examen de ces organes revient à envisager les
administrateurs
délégués
hors
du
conseil
de
gestion,
c'est-à-dire
individuellement, et les administrateurs délégués lorsqu'ils se réunissent,
formant ainsi le conseil de gestion.
En cela, le système sénégalais diffère des structures dualistes française,
anglaise ou américaine dans lesquelles la composition des organes est
différente. En France, on distingue le directoire et le conseil de surveillance qui
sont composés de membres différents. En Angleterre et aux Etats-Unis, on
1
cf. art. 1279 COCC.
2
cf. Herzel et Shrepro. cités par J. Charkam op. cil. p.182.
3
cf. les Principles of Corporate Govemance.

31
distingue le conseil des directeurs du management, le premier étant composé de
directeurs et le second d'officers1•
A. Les administrateurs délégués.
Les administrateurs délégués sont, selon l'article 1283 COCC, chargés
d'administrer la société 2. L'article 1292 COCC dispose que tout administrateur
délégué a la signature sociale et un pouvoir général de représentation de la
société dans ses rapports avec les tiers, même pour les actes qui ne relèvent pas
de l'objet social3
Ce sont là des pouvoirs très larges que l'on peut considérer comme des
pouvoirs de direction générale. L'administrateur agit au nom de la société. Il
l'engage. Il peut signer des actes. On peut affirmer qu'il est le maître d'œuvre de
la politique sociale décidée par le conseil de gestion. Autrement dit, les
administrateurs délégués décident ensemble mais ont le pouvoir d'agir
individuellement.
En cela ils se distinguent des membres du conseil d'administration du
droit français, qui décident ensemble mais n'ont pas de pouvoir individuel.
Il se rapprochent par contre du président de ce même conseil
d'administration qui, en tant que membre du conseil, participe à la prise de
décisions, et en tant que président du conseil d'administration· certains diront
Pdg - agit au nom de la société et met en œuvre la politique sociale.
On peut dans une certaine mesure rapprocher les administrateurs
délégués des directors américains qui peuvent dans certains cas agir au nom de
la société. Par exemple, intenter une action en justice au nom de la société,
notamment contre l'un ou plusieurs de leurs collègues4. Mais en règle générale,
les directeurs n'ont pas de pouvoir individuel sinon un droit de regard sur ·Ies
1
On trouve, il est vrai, des officers dans le conseil des directeurs. ils cumulent les
[onctions de directeurs et d'officiers. on les appelle executive directors
2
C[: art 1283 COCC "L'administration de la société est confiée à des administrateurs
délégués..."
3
Sous réserve de la mauvaise foi des tiers. Ainsi la société peut se dégager en
prouvant que le tiers savait que l'acte dépassait l'objet social et qu'il ne pouvait
l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des
statuts suffise à constituer cette preuve (cf. art 1292 COCC).
4
C'est ce que pennet l'Etat de New York (Cf. A. Tune. Le droit américain des sociétés
anonymes p.110 n065).

32
livres, documents et comptes de la société 1. Ce droit est d'ailleurs affirmé dans
les Princip/es of Corporate Governance dont l'article 3.03 donne aux directeurs
un droit individuel d'inspecter tous les livres, documents, propriétés de la société
ou d'une de ses filiales, nationale ou étrangère2.
B. Le conseil de gestion
1. Présentation
Selon l'article 1297 COCC, le
conseil de gestion assure la direction
générale des affaires sociales et précise les objectifs de la société tels qu'ils
résultent de l'objet social. "Direction générale", le maître mot apparaît clairement
au sujet du conseil de gestion. Il était inscrit en filigrane dans la détermination
des pouvoirs des administrateurs délégués.
On peut se demander quel est l'intérêt d'accorder au conseil de gestion,
qui est formé par la réunion des administrateurs délégués, un pouvoir de
direction générale que ceux-ci détiennent individuellement. Ne pouvait-on se
passer d'un conseil de gestion?
L'intérêt du conseil
est de permettre que le pouvoir
individuel des
administrateurs délégués soit dans certains cas soumis à leur décision
collective, décision prise à la majorité. C'est ce que prévoit l'article 1293 al 1
COCC, selon lequel, les statuts ou les décisions du conseil de gestion peuvent
soumettre certains actes de la société, préalablement à leur conclusion ou à leur
exécution à une délibération du conseil de gestion.
La loi elle-même prévoit un certain nombre d'opérations qu'elle soumet à
l'autorisation du conseil de gestion, ou de décisions qu'elle lui réserve. Ainsi font
nécessairement l'objet d'une autorisation préalable du conseil de gestion, les
cautions, avals et garanties donnés par la société3 (art 1293 al 2), les
conventions passées par la société et auxquelles un administrateur est intéressé
(art 1294 COCC)4.
1
idem.
En Anglelerre. la jurisprudence donne au directeur un certain droit d'accès aLLX
comptes de la société. notamment quand il fait l'objet de critiques et veut se
défendre (A. Tunc. Le droit anglais des sociélés anonymes p.178 n096).
2
A Tunc op. cil. RI.D.C. 1994 p.64.
3
A moins que la sociélé n'exploile un établissement bancaire ou financier.
4
Le conseil de gestion devra ensuite saisir les commissaires aux comptes. Ceux-ci
devront établir un rapport au vu duquel. l'assemblée générale approuvera ou

33
C'est le conseil de gestion qui fixe l'ordre du jour de ses réunions (art.
1300 COCC). C'est lui qui désigne le secrétaire général (art 1302 COCC). Ce ne
sont là que des exemples...
De ces différentes attributions, il ressort que le conseil de gestion décide
plutôt qu'il n'agit. 1\\ ne représente pas non plus la société, vis-à-vis des tiers.
Peut-on dès lors le considérer comme l'organe de direction générale de la
société ? Nous ne le pensons pas, malgré les termes de la loi. Ce sont les
administrateurs délégués qui mettent en oeuvre les décisions et la politique
sociale émanant du conseil de gestion et qui sont chargés individuellement de la
direction générale.
Normalement, il faut une réunion du conseil de gestion pour pouvoir
délibérer, mais selon l'article 1301 COCC, toute résolution écrite signée par tous
les administrateurs membres du conseil de gestion, a les mêmes effets que si
elle avait été adoptée à une réunion régulièrement convoquée et à l'unanimité
des votants. On retrouve cette modalité de prise de décision aux Etats-Unis1.
2. Comparaison avec les systèmes français.
Le conseil de gestion peut être rapproché du directoire qui est comme lui-
du moins selon la loi-un organe chargé de la direction générale de la société 2 .
Mais-et c'est la différence avec le conseil de gestion - si la loi attribue au
directoire le pouvoir de direction générale, cela est corroboré par ses autres
attributions légales. Ainsi, l'article 124 al 1er L.1966 investit le directoire des
"pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la
société" et l'alinéa 2 ajoute que la société est engagée même par les actes du
directoire qui ne relèvent pas de l'objet social 3 . Le directoire est, à n'en pas
douter, un organe de direction générale4 .
désaprouvera la convention. C'est la même procédure que dans le système
classique.
l
Pennington op. cit. p.575 P. Von. Von Ommeslaghe. Le régime des sociétés par
actions et leur administration en droit comparé. Bruxelles p.431. A. Tune. Le droit
américain des sociétés anonymes. p.ll 0 n065 : Les Etats admettent dans les petites
sociétés. voire dans toutes. la validité d'une résolution qui a recueilli la signature de
tous les membres consultés individuellement. Cela est admis dans le MBCA §8-21.
2
cf. art 119L - 1966.
3
Sous réserve de la mauvaise foi des tiers.
4
cf. J. Burgard "Heurs et malheurs de la société â directoire. Rev. Jur. Co 1975.
pp.282-283. Y. Guyon op. cit. p.362 n0353.

34
Le conseil de gestion se rapproche par contre du conseil d'administration,
organe délibérant prenant des décisions et fixant la politique de la société.
Le conseil de gestion peut avoir à sa tête un président, mais son rôle est
limité à la présidence des réunions 1. Il n'a pas, contrairement au président du
directoire et au président du conseil d'administration, le pouvoir de représenter
la société.
3. Comparaison avec les systèmes américain et anglais.
Comme nous l'avons vu précédemment2 , le conseil des directeurs des
droits anglais et américain est devenu un organe de supervision de la gestion
sociale assurée par le management et particulièrement par le Chief executive
officer véritable patron de la société.
Ainsi ces deux organes collégiaux que sont le conseil de gestion et le
board of directors ne sont pas les organes de direction générale de la société. Ils
participent à l'élaboration de la politique sociale 3 , mais celle-ci est mise en
oeuvre par d'autres organes, en l'occurrence les administrateurs délégués au
Sénégal4 et les officers aux Etats-Unis et en Angleterre.
C. Le secrétaire général
L'étude du secrétaire général peut soulever des objections. En effet, ce
n'est pas un dirigeant social ; de plus il n'a pas, semble-t-i1, de pouvoirs.
Cependant on ne pourrait passer sous silence ce qui constitue l'une des
nouveautés de la loi du 29 juillet 1985. Le secrétaire général est un personnage
nouveau au Sénégal, mais bien connu des droits anglais et américain. A la
lumière de ceux-ci, nous essaierons de mieux cerner cet organe.
1. Présentation
Le secrétaire général est un organe obligatoire dans le nouveau système
sénégalais. C'est ce qui ressort de l'article 1302 cacc. Il est nommé par le
1
art 1298 al2 COCC.
2
Cf supra A. Conseil d'administration et board of direclors.
3
Idem.
4
Les administrateurs délégués envisagés individuellement c'est-à-dire hors de leur
réunion en conseil de gestion.

35
conseil de gestion 1. Sa mission est, selon l'article 1303 COCC, de veiller à la
marche régulière de la société, au bon fonctionnement de ses organes, à la
tenue des livres comptables et de tous documents relatifs à l'administration de la
société.
Sa tâche est donc essentiellement administrative. Elle ne doit pas
cependant être sous-estimée. En effet, il assiste aux réunions du conseil de
gestion dont il tient les procès verbaux2 . Ce doit donc être un homme de
confiance. D'ailleurs, l'article 1302 al 2 COCC dispose qu'un administrateur
délégué peut faire office de secrétaire général. Cela peut être utile lorsque le
conseil de gestion n'a pas trouvé une tierce personne ayant sa confiance pour
être secrétaire général.
Le secrétaire général est tenu de signer les états financiers3 , donc de les
lire et de les comprendre. Cela suppose une certaine compétence technique. On
peut alors le considérer comme un cadre supérieur de la société voire un
directeur technique. L'article 1302 al 1 COCC nous y autorise puisqu'il dispose
que le secrétaire général est lié à la société par un contrat de travail.
On peut cependant objecter à la qualification de directeur technique, que
les directeurs techniques sont membres de l'entreprise, alors que le secrétaire
général est un organe de la société.
Le secrétaire général peut-il être considéré comme un directeur général,
étant donné qu'il a une vue globale sur les affaires sociales? Certainement pas
car il lui manque le pouvoir de gestion et l'article 1303 al 4 dispose qu"'il ne
représente pas la société à l'égard des tiers".
Il est donc diHicile et inutile de faire entrer le secrétaire général dans une
catégorie préexistante, du fait justement de son originalité. Si l'on veut mieux
cerner ce personnage, il faut se tourner vers les droits anglais et américains dont
s'est inspiré le législateur sénégalais.
1
art. 1302 COCC.
2
cf. art. 1303 al 2 COCC.
3
art 1303 al3 COCC.

36
2. Comparaison avec le secrétaire des droits anglais et
américain.
En droits américain et anglais le secretary est un officer nommé par le
conseil des directeurs. En Angleterre le Companies Act de 1948 en a fait un
organe obligatoire 1. Il peut être un directeur, sauf s'il n'y a qu'un directeur2.
Le secrétaire est subordonné aux directeurs, il doit leur obéir3 .
Contrairement au secrétaire général au Sénégal, il n'est pas forcément lié à la
société par un contrat de travail.
La tâche dévolue au secrétaire en droits anglais et américain est
sensiblement la même que celle de leur homologue sénégalais : il a
essentiellement des fonctions administratives. Il s'agit de la préparation des
réunions du conseil des directeurs, des comités, de l'assemblée générale; de
l'envoi des convocations, de la rédaction des procès-verbaux4 .
Les secrétaires anglais et américains n'ont pas de pouvoir de gestionS.
Ils n'ont pas le pouvoir de représenter la société, ils ne peuvent donc pas
l'engager6 . Il en est même au Sénégal.
Mais, si le secretary à un rôle subalterne, il joue un rôle clé dans les
sociétés, particulièrement les grandes sociétés?, et l'évolution tend à accroître de
plus en plus son rôle.
C'est ainsi qu'en Angleterre, le Companies Act de 1980 insiste sur le choix
du secrétaire. Les directeurs doivent choisir une personne ayant l'expérience et
la qualification nécessaires. Tel serait le cas de personnes ayant été déjà
1
A. Tune. Le droit anglais des sociétés anonymes. P:186 nOlOI. Boyle and Birds
Company Law. p.558 n019-25 ed 1983.
2
A Tune. op. cil. loc. cil. Seules les sociétés privées, c'est à dire qui ne font pas appel à
l'épargne publique, peuvent avoir un seul directeur, les sociétés publiques doivent
en avoir au moins deux.
3
Boyle and Bird op. cil. p.559 n019-25.
4
A. Tune. Le droit américain des sociétés anonymes p.116 n067. A. Tune. Le droit
anglais des sociétés anonymes p.186 n0101.
5
Gower. op. cil. p.16I. Dans l'affaire Maidstone Buildings Provisions Lid, 1971 1WLR
1085 at 1092 citée par Gower, il est dit: "The secretary is not concemed in the
management
of the company. He is not concerned in carrying on the business of
the company".
6
A. Tune. Le droit anglais des sociétés anonymes loc. cil.
7
A. Tune. Le droit américain des sociétés anonymes loc. cil; Gower op. cil. p.161.

37
secrétaires d'une société publique, de personnes exerçant les fonctions d'avocat
ou de sollicitor, ou d'expert comptable ou de membre de /'Institute of chartered
secretaries and Administrators1 (l'ICSAA).
Un rôle de contrôle est préconisé. Ainsi l'I.C.S.A.A. avait proposé en
Janvier 1987 que soit soumis au secrétaire, le projet de toute opération autre
que courante afin qu'il en contrôle la régularité. Il serait ainsi comparable à un
auditor, mais exercerait son contrôle préventivement. Pour assurer son
indépendance, sa révocation dépendrait d'un vote de l'assemblée générale 2.
Le Rapport Cadbury souligne, en son §4.25, que le secrétaire a un rôle clé
à jouer pour assurer que les procédures du conseil sont à la fois suivies et
régulièrement revues. Le président du conseil (Chairman) doit trouver en la
personne du secrétaire, un guide pour connaître ses responsabilités selon la
réglementation et savoir comment s'en acquitter. Tous les directeurs devraient
bénéficier des conseils et des services du secrétaire. Le président du conseil
devrait trouver dans le secrétaire un soutien solide et positif pour assurer le
fonctionnement efficace de la société. Le §4.27 dispose que le comité cadbury
espère que le secrétaire sera une source de conseil pour le Chairman et pour le
conseil des directeurs, pour l'implantation du Code of Best Practice.
Ainsi le secrétaire aurait un rôle de contrôle et de conseil juridique.
Ce rôle de contrôle est dévolu au secrétaire général en droit senegalais.
Le secrétaire général ne fait pas double emploi avec les commissaires au
comptes car il assiste à toutes les réunions du conseil de gestion, alors que
ceux-ci ne sont convoqués qu'à la réunion du conseil de gestion qui arrête les
comptes de l'exercice écoulé3 . Le secrétaire général joue donc un rôle de
contrôle préventif. Ainsi, à supposer que la loi ne soit pas respectée, acceptera-t-
il de signer les états financiers? Même si l'article 1302 al 2 al 2 cacc dispose
qu"'il est tenu de signer les états financiers", il pourrait très bien refuser de le
faire, car il est chargé par la loi de "veiller à la marche régulière des affaires
sociales"4.
1
A. Tune. Le droit anglais des sociétés anonymes loc. cit. Boyle and Bird op. cit. lac
cit.
2
A Tune. op. cit. p.187 note 4.
3
cf art 1367 COCC.
4
cf art 1303 al 1 COCC.
. ... ,....," ...

38
D'ailleurs, son omniprésence - hormis le cas où les administrateurs
délégués prennent une résolution à l'unanimité en dehors de toute réunion -
peut jouer psychologiquement un rôle de contrôle préventif. Avec lui, c'est
l'assurance d'une certaine transparence, gage de régularité.
Cela nous semble particulièrement important dans le nouveau système de
direction où les administrateurs délégués n'ont en face d'eux que les
actionnaires, autrement dit, où la pyramide sociale est à deux étages et non trois,
voire quatre, comme dans le système classique 1. Le secrétaire général peut
ainsi contribuer à l'équilibre des pouvoirs.
Section 2 : Répartition conventionnelle des pouvoirs.
La loi détermine les pouvoirs des dirigeants dans une mesure plus ou
moins grande selon les pays. Ainsi, comme nous l'avions indiqué, les lois
anglaises et américaines sont très fragmentaires au sujet de la direction de la
société anonyme 2. Les statuts et les by-Iaws constituent la source principale des
pouvoirs des dirigeants, de même que les organes eux-mêmes qui peuvent se
livrer à des délégations de pouvoirs. Comme l'explique le Professeur Tunc, cette
discrétion de la loi tient à ce qu"'historiquement, la company dérive du
partnership3 : son régime est fondamentalement contractuel; il appartient donc à
ses membres de pourvoir à leur direction comme ils l'entendent4".
Au Sénégal et en France, la loi est la source principale des pouvoirs des
dirigeants sociaux, cela en raison du caractère institutionnel de la société
anonyme. Mais une place est faite à la volonté. Ainsi les pouvoirs peuvent avoir
une origine statutaire ou être fixés par les organes sociaux. La liberté
conventionnelle ne saurait, cependant, aller à l'encontre des prescriptions
légales. Elle s'exerce donc essentiellement dans le silence de la loi.
Généralement les statuts complètent la loi car celle-ci ne peut tout prévoir. Quant
à la répartition des pouvoirs par les organes sociaux, elle peut être spontanéeS,
ou découler d'une autorisation expresse de la loi ou des statuts. La répartition
l
cf. L'assemblée générale nomme les administrateurs qui nomment le président du
conseil d'administration et le directeur général.
2
cf. A. Tunc. Le droit anglais des sociétés anonymes p.169 n091.
3
Les partnenships sont des sociétés de personnes.
4
A. Tunc op. ciL loc. ciL aussi sealy. wDroit des sociétés" in Droit anglais. sous la
direction de J.A. Jolowicz. Précis Dalloz 1986 pp.365 à 367 n035 1.
5
Rép. Min. JO. deb AN. 3 Déc 1970. p.6095. w... il reste loisible au président de donner
des mandats spéciaux et temporaires. Peu importe que les statuts n'aient pas stipulé
une semblable faculté" cité par A. Viandier. In Jcl Stés.fasc 133 A. n0147.

39
conventionnelle a une portée limitée aux rapports internes, elle est inopposable
aux tiers1.
Nous étudierons successivement la répartition statutaire des pouvoirs et la
répartition des pouvoirs par les organes sociaux, autrement dit, la délégation de
pouvoirs.
~~/§1:RÉPARTITIONSTATUTAIREDESPOUVOIRS.
a- tV
/
1 ~
~jl
\\
1. PORTÉE DES STATUTS.
Les statuts sont la charte de la société 2 . Leur rôle était primordial à
l'époque où la loi ne déterminait pas les pouvoirs de ceux qui en droit français3,
n'étaient pas alors des organes sociaux, mais des mandataires sociaux.
Avec l'institutionnalisation de la société anonyme et la réglementation
légale qui l'accompagne, les statuts ont quelque peu perdu de leur importance.
Certes, ils continuent à traduire la volonté des associés, mais ceux-ci bien
souvent se contentent de reproduire dans les statuts les dispositions légales ou
de reproduire des formulaires prérédigés en les adaptant à la taille et à l'objet de
la société envisagée4.
Déjà, avant la loi du 24 Juillet 1966, Monsieur Berr observait que "les
statuts n'apparaissent plus à l'heure actuelle comme indispensables au
fonctionnement de la société anonyme. Ils ne constituent plus la source des
organes de gestionS". A fortori, pourrait-on dire, depuis la loi de 1966 qui a
fortement institutionnalisé la société anonyme, de même que la loi du 29 juillet
1985.
Néanmoins, les statuts présentent une utilité pratique indéniable : ils
permettent de préciser dans le détail les attributions des organes sociaux. Ils
indiquent concrètement les fonctions dont sont investis les dirigeants sociaux.
Cela, même après la réforme de 1966, car le législateur ne peut entrer dans les
détails. Certes, les décrets d'application du 23 mars 1967 en France et du 24
1
Mais les tiers peuvent s'en prévaloir cf. Casso Civ. 2e 23 oct. 1985. JCP 1986 IV. p; 13.
2
Cozian-viandier op. ciL ed. 1990 p.20 1 n086.
3
Applicable alors au Sénégal.
4
Cozian-Viandier op. ciL ed. 1990 p.82 n0296.
5
C. Berr op.cit. p.98. Dans le même sens P.G. Gourlay. Le conseil d'administration de
la société anonyme. organisation et fonctionnement LGDJ 1971. p.104.

40
Février 1993 au Sénégal complètent la loi, mais ils ne peuvent tenir compte des
spécificités de chaque société, de ses aspirations, de son évolution, de son
environnement... autant de données que seuls les statuts - modifiables à souhait
- peuvent prendre en compte.
En Angleterre, les articles établissent le cadre institutionnel dans lequel
fonctionnera la société. Ils précisent dans le détail les procédures régissant les
assemblées générales et les réunions du conseil. Ils délimitent les champs
respectifs de ces organes et des officers1. Le Companies Act ne contient pas de
dispositions sur les managing directors. Cette question est considérée comme
relevant de l'organisation interne de la société 2.
Aux Etats-Unis, la description des organes de la société, leurs pouvoirs, la
structure financière de la société, sont contenus dans les by-Laws3 . La Cour
Suprême des Etats-Unis dans un arrêt rendu en 1953, affirme le principe selon
lequel, "le pouvoir de prescrire des règles pour le gouvernement de la société
doit être considéré comme une suite naturelle de la propriété et du pouvoir de
vote des actionnaires"4. Néanmoins, les directeurs ont dans la plupart des Etats,
le pouvoir d'amender les by-Iaws.
Il. CONTENU DES STATUTS QUANT AUX POUVOIRS.
Nous nous bornerons à titre d'exemple aux sociétés de droit sénégalais.
La lecture des statuts de plusieurs sociétés anonymes au Sénégal, confirme que
ceux-ci se contentent souvent de reproduire les termes de la loi. On peut ainsi
lire que : - ilLe conseil d'administration précise les objectifs de la société et
l'orientation qui doit être donnée à son administration"5.
- ilLe directeur général assume sous sa
responsabilité la gestion des affaires sociales ... "6.
1
Sealy. op. cil. p.364 n0351.
2
ibid. p.367 n0352.
3
A.Tunc. Le droit américain des sociétés anonymes pAO n026.
4
Ibid. p.125 n072.
5
art lS des statuts de la SECORA nOSS-B-267 RCCM.
art 15 des statuts de Universal Textiles nOSS-B 290 RCCM.
6
art 16 des statuts de Universal Textiles prée.

41
En revanche le procès-verbal des délibérations du premier conseil
d'administration 1 est plus précis, de même que celui de l'assemblée générale
co nstitutive2.
A titre d'exemple, on constate que les pouvoirs du directeur général
concernent habituellement:
1. Le personnel de la société:
Le directeur général a le pouvoir de nommer et de révoquer le personnel
de la société et de déterminer sa rémunération.
2. La direction industrielle et commerciale:
Le directeur général organise et dirige les services administratifs,
financiers, commerciaux et tecrlniques et signe la correspondance.
Il effectue tous achats de matières premières, de marchandises, de
matériel et d'outillage. Il passe les marchés, fixe les commissions, prend part à
toute adjudication entrant dans l'objet de la société, fournit toute caution. Il
souscrit, endosse, négocie et acquitte tous effets de commerce.
Il règle et arrête tous comptes, touche les sommes dues à la société et
paye celles qu'elle devra.
3. L'ouverture et le fonctionnement des comptes:
Le directeur général fait ouvrir à la société, dans toute banque
sénégalaise ou étrangère, tout compte courant. Il se fait consentir et utilise toutes
avances sur titre, et crée tous crlèques et effets de commerce pour le
fonctionnement de ces comptes.
Il fait de même ouvrir à la société et fait fonctionner tout compte de chèque
postal.
1
Cf. -PV des dêlibêrations du CA de la SECORA-prêc.
- PV des dêlibêrations du CA de la SAT. Dakar SA W88 - B. 252 RCCM.
2
cf. P.V. des dêlibêrations de l'A.G. constitutive de Inter-Services n088-B-283 RCCM

42
4. L'administration des biens sociaux:
Le directeur général administre les biens meubles et immeubles de la
société. Il consent tous baux ou location d'une durée inférieure à 9 ans, effectue
tous travaux d'entretien. Contracte et résilie tout contrat.
5. Les actions judiciaires:
Le directeur général exerce toute action en justice, tant en qualité de
demandeur que de défendeur et assiste la société auprès de toutes
administrations, et pour toutes opérations de faillite, et de règlement judiciaire ou
de liquidation amiable.
6. Les transactions et mainlevées:
Le directeur général passe tous compromis, traités et transactions,
consentements, acquiescements et désistements, ainsi que toutes subrogations
et autres droits, avant et après paiement.
Certaines sociétés confèrent à leurs dirigeants outre les pouvoirs que
nous venons de détailler, des pouvoirs particulièrement importants, voire
dangereux. Ainsi la Protectrice SA prévoit dans ses statuts que le conseil
d'administration peut consentir toutes hypothèques, tous nantissements,
cautionnement, avals et autres garanties mobilières et immobilières sur les biens
de la société1.
Parfois même la loi est méconnue. Ainsi, peut-on lire dans le procès-
verbal de délibération du conseil d'administration d'une société 2 que le
président du conseil d'administration et le directeur général ont les pouvoirs les
~
plûs étendus pour assurer la direction de la société. Or la loi du 29 Juillet 1985
confère ce pouvoir au directeur général et non au président du conseil
d'administration.
Cela nous conduit à nous interroger sur la validité des clauses statutaires
et autres règlements internes à la société.
1
n"SS-B-291. RCCM.
2
La SAT. Dakar SA n"SS-B-252 RCCM c'était avant la réfonne de 1993

43
III. LE PROBLÈME DE LA VALIDITÉ DES CLAUSES STATUTAIRES.
Selon la théorie générale des obligations, le contrat ne peut déroger à
une loi impérative1, La loi a une autorité telle que même les juges ne peuvent la
modifier; ils peuvent tout au plus l'interpréter lorsqu'elle est obscure,
incomplète ... On conçoit que les statuts interprètent la loi - les clauses
interprétatives sont licites car elles ne font que rendre plus claire la volonté du
législateur2-par contre les statuts ne sauraient contrevenir à la loi.
A. En France.
La doctrine et la jurisprudence distinguent selon que les clauses sont
extensives ou limitatives de pouvoirs.
1. Les clauses extensives de pouvoirs
A été admise la validité de clauses extensives des pouvoirs du conseil
d'administration. 1\\ s'agissait en l'espèce d'une clause statutaire autorisant le
conseil d'administration à compromettre et à transiger3,
Selon Monsieur Viandier, pourtant, les statuts peuvent restreindre les
pouvoirs du conseil d'administration mais ne peuvent les augmenter en raison
de la hiérarchie des organes sociaux4 , En effet, augmenter les pouvoirs du
conseil d'administration peut avoir comme conséquence d'empiéter sur ceux
d'un autre organe, par exemple l'assemblée généraleS,
L'extension des pouvoirs du conseil d'administration pourrait aussi
déboucher sur le dépassement de l'objet social, ce que réprouve la loi6.
1
A. Weill et F. Terré - Droit Civil. Les obligations. 4e ed Dalloz 1986 p.54 n055.
2
C. Berr. op. ciL p.98.
3
Douai 8 Juillet 1954. D.1954 som. 65.
4
A. Viandier Jcl. Stés fasc. 133A n0172-173.
5
art 98 al 1 L. 1966. Le conseil d'administration exerce ses pouvoirs sous réserve de
ceux: ex:pressement attribués par la loi aux assemblées d'actionnaires.
6
art 98 al 1 L. 1966. le conseil d'administration exerce ses pouvoirs dans la limite de
l'objet social. Cependant afin de protéger les tiers de bonne foi, l'article 98 al 2
dispose que la société est engagée à leur égard même par les actes du CA qui ne
relèvent pas de l'objet social.

44
Ces
obse rvations
valent
aussi
pour
le
président
du
conseil
d'administration 1 et les membres du directoire2.
S'agissant du directeur général, étant donné que ses pouvoirs lui sont
attribués par le conseil d'administration - en accord avec son président-la loi ne
constitue pas un obstacle. On peut donc admettre la validité des clauses
statutaires extensives, mais à condition qu'elles respectent les pouvoirs des
autres organes.
2. Clauses statutaires restrictives de pouvoirs.
Selon l'article 98 al 3 L.1966, les dispositions des statuts limitant les
pouvoirs du conseil d'administration sont inopposables aux tiers. En disposent
de même l'article 113 al 4 L.1966. à propos du président du conseil
d'administration et l'article 124 al 3 L.1966 au sujet du directoire. Il en est aussi
indirectement de même du directeur général, puisqu'aux termes de l'article 117
al 2 L.1966. "Les directeurs généraux disposent, à l'égard des tiers, des mêmes
pouvoirs que le président".
Ces clauses sont inopposables aux tiers, mais cela ne signifie pas
qu'elles sont interdites. L'objectif visé par le législateur est d'assurer la sécurité
des tiers, les besoins de rapidité des relations d'affaires s'accommodant mal de
la vérification systématique par ceux-ci de l'étendue des pouvoirs de leurs vîs-à-
vis.
Les clauses restrictives de pouvoirs seraient donc valables dans les
rapports internes à la société. Elles doivent cependant respecter la loi. Ainsi, il
arrive que les statuts stipulent que certains contrats importants en raison soit de
leur montant, soit de leur nature, seront soumis à une autorisation préalable de
l'assemblée générale. Selon le Professeur Guyon, ces clauses sont valables du
moment qu'elles ne privent pas le conseil du pouvoir de gestion que la loi lui
attribue impérativement3 .
De même, comme le souligne Monsieur Viandier, les statuts peuvent
restreindre les pouvoirs du président du conseil d'administration, mais cette
restriction doit quand même laisser au président un minimum de pouvoirs lui
1
art 113 al 1 et 2 L.1966.
2
art 124 al 1 et 2 L.1966.
3
Y. Guyon. op. cit-p-346 n0339;

45
permettant d'assurer la direction générale de la société 1. De son côté Monsieur
Gourlay obseNe que les attributions légales du conseil sont naturellement à
l'abri de la volonté des rédacteurs des statuts, qui ne sauraient le priver par
exemple du droit de convoquer les assemblées, d'établir le bilan et les comptes
sociaux, de révoquer ad nutum le président2.
B. Au Sénégal.
La loi fixe de manière précise les pouvoirs de chaque dirigeant, ce qui
réduit en conséquence la liberté conventionnelle. Cependant si le droit français
confère au conseil d'administration et à son président plénitude de pouvoirs,
rendant par là même pratiquement inutiles les clauses extensives de pouvoirs,
de telles clauses sont concevables au Sénégal pour le président et le conseil
d'administration. Elles doivent pourtant respecter les pouvoirs des autres
organes sociaux ainsi que l'objet social.
Quant au directeur général en droit sénégalais, il a les pouvoirs les plus
étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société de sorte que les
clauses extensives de pouvoirs semblent inutiles à son égard. Toutefois s'il en
existe, elles doivent, conformément à l'article 1279 al 3 COCC, respecter les
pouvoirs que
la loi
attribue
à l'assemblée générale
et
au
conseil
d'administration, ainsi que l'objet social.
Comme le fait la loi française à propos du conseil d'administration, l'article
1279 al 5 énonce que les dispositions statutaires et celles du conseil
d'administration - limitant les pouvoirs du directeur général sont inopposables
aux tiers. Les raisons sont les mêmes: assurer la sécurité des tiers. A contrario,
les restrictions statutaires devraient produire leur plein effet dans les rapports
internes, à condition bien entendu de respecter les pouvoirs des autres organes
et l'objet social.
c. Aux Etats-Unis.
Le problème de la validité des clauses statutaires ne se pose pas étant
donné que la loi est le plus souvent muette quant aux pouvoirs des dirigeants
sociaux, laissant aux statuts le soin de les déterminer.
1
op. ciL lac. cil.
2
op. cil. p.99.

46
S'agissant des officers, il est exceptionnel que la loi ou les articles leur
confèrent des pouvoirs. On admet couramment que les officers n'aient la plupart
et conformément au §8.41 du MBCA, que les pouvoirs qui leur sont attribués par
les by laws ou le conseil des directeurs1.
Ainsi les pouvoirs du chief executive
officer,
sont
normalement
longuement énumérés dans les by laws. Il doit assurer la direction générale,
veiller à ce que les décisions du conseil soient exécutées, contrôler les autres
officers, et veiller à ce qu'ils remplissent leurs devoir, adresser des rapports au
conseil et parfois aux actionnaires. On lui reconnaît généralement le pouvoir de
passer les contrats courants - les contrats importants relevant du conseil - de
même que le pouvoir d'agir en justice ou de recourir à l'arbitrage2 .
La liberté laissée aux statuts d'organiser la direction n'est pas pour autant
synonyme de laxisme. En effet, les directors et officers sont soumis à de stricts
devoirs de loyauté et de diligence3.
o. En Angleterre.
Le Companies Act ne prescrit pas lui-même comment les affaires de la
société seront gérées. Il en laisse le soin aux articles, lesquels s'inspirent
généralement de la Table A. Les articles déterminent ainsi le pouvoir du conseil
des directeurs vis-à-vis de l'assemblée générale, et la capacité des directeurs à
déléguer leurs pouvoirs4 .
Il Y a cependant des limites au principe de rédaction libre des articles,
c'est-à-dire des règles d'ordre public. Ainsi, toute augmentation du capital
autorisé doit être décidée par l'assemblée générale. C'est ce qui ressort de la
section 121 (2) (a) du Companies Act 19855 . Les articles ne pourraient donc
attribuer ce pouvoir aux directeurs
l
A Tune. Le droit américain des sociétés anonymes. p.117 n067.
2
Idem.
3
cf. infra in Deuxième partie Titre 2. Devoirs des dirigeants sociaux.
4
Boyle and Bird op. ciL p.537.
5
cf. E. Scholastique op.ciL p.189.

47
§2. Délégation de pouvoirs par les organes.
. /
tJ.i,
t e)(//
A. De la délégation de pouvoirs.
CI ~ 1
1. la notion de délégation de pouvoirs
Par délégation de pouvoirs, il faut entendre le transfert de pouvoirs dont
on est investi1. La volonté sous-tend la délégation. A l'heure actuelle où l'on
s'accorde à reconnaître à la société anonyme un caractère institutionnel,
l'évocation de la délégation pourrait surprendre 2. La loi et éventuellement les
statuts n'ont-ils pas aménagé les pouvoirs des organes sociaux? Ceux-ci ont-ils
le droit de se transférer leurs pouvoirs? La réponse est affirmative. Parfois c'est
la loi elle-même qui les y autorise. La délégation de pouvoirs peut aussi se faire
spontanément3.
2. Justification de la délégation de pouvoirs.
Les raisons qui poussent un organe à déléguer une partie de ses pouvoirs
à un autre sont multiples.
Il s'agit le plus souvent d'alléger la tâche d'un organe. C'est le cas en
France du président du conseil d'administration qui peut déléguer ses pouvoirs à
ses assistants que sont les directeurs généraux4 . Il en allait de même au
Sénégal avant la loi du 10 Février 1993, pour le directeur général vis-à-vis des
directeurs techniques chargés de l'assister.
Une autre raison tient à la collégialité de certains organes qui ne siègent
pas en permanences. Ils n'assurent pas une gestion continue de la société. La
délégation de pouvoirs est alors une nécessité pratique. L'organe collégial va
opérer en son sein une répartition des tâches. C'est le cas du conseil de gestion
1
cf. P. G. Gourlay
.le conseil qui n'est pas investi par la loi du pouvoir de direction
M . .
ne peut pas transmettre ce qu'il n'a pas !" op. ciL p.100.
2
ibid p.12 n012.
3
Rép Min. JO. déb. AN. 3 Déc. 1970 p.6095
Il reste loisible au président de donner
M . . .
des mandats spéciaux et temporaires. Peu importe que les statuts n'aient pas stipulé
une semblable faculté-. Cité par A Viandier Jc1. Stés.jasc. 133A n0147.
4
cf. A Viandier. Jcl. Stés fasc 133B
Le président du conseil d'eadministration,
M
surtout dans les sociétés anonymes de taille importante ne peut assumer seul le
fardeau de la direction sociale. Il est donc aidé dans cette mission par diverses
personnes, aUJ( premier rang desquelles figure le directeur général".
5
Les directeurs consacrent en moyenne 30 jours par an à la société (R. Gœbel-op. cit.
p.559). La pratique courante est de tenir entre 8 et 12 réunions par an.

48
au Sénégal, du directoire en France - malgré sa permanence ., du conseil des
directeurs aux Etats-Unis et en Angleterre.
On peut constater une analogie entre la délégation dans la société et la
délégation dans l'entreprise, : "au fur et à mesure de la croissance de
l'entreprise, un seul individu ne peut appréhender l'ensemble des pouvoirs. Pour
faire face, l'entrepreneur doit avoir recours à la division des tâches, à la
délégation"1.
3. Les limites de la délégation de pouvoirs.
La délégation est limitée dans son étendue. l'organe délégant ne peut
transférer la totalité de ses pouvoirs2 . Sinon ce serait une atteinte à la répartition
légale des pouvoirs3 et aux principes de hiérarchie des organes sociaux et de
séparation des pouvoirs. Ainsi la délégation ne saurait en aucun cas englober la
totalité des pouvoirs dévolus au président du conseil d'administration en France,
car il importe de marquer la suprématie de celui-ci 4 . Un auteur compare la
situation du président du conseil d'administration à celle d'un maire qui distribue
ses différents pouvoirs aux adjoints qui l'aident, mais qui doit en garderS.
Il en est de même pour le conseil des directeurs, "déléguer n'est pas
abdiquer"6 Certes, aux Etats-Unis comme nous l'avons vu, le board of directors a
abandonné son pouvoir de direction aux mains du management, mais il doit
exercer un contrôle sur celui-ci.
1
RA. Thiétart.Le management. Que sais-je ?1980 p.43.
2
cf. Aix 20 Ocl.1961. D. 1962. 442 note Dalsace. La Cour d'Aix condamne la
délégation de l'ensemble de ses pouvoirs faite par le CA à son Pdg. A. Viandier (Jcl
stes fasc 133A nO 196) : "Quant aux délégations consenties par le président lui-même
il est certain qu'il ne peut déléguer à qui que ce soit la totalité de ses pouvoirs et se
substituer ainsi quelqu'un dans la direction générale".
3
J. Mestre. note sous Aix 28 Sept-1982.Rev Stes 1983 p.781.
4
R. Verdot op. cil. p.132 n0185. De même G. Vernon: le président ne saurait se
décharger complétement sur le directeur général qui l'assiste. Il doit garder
quelques attributions. (Le président directeur général dans les sociétés anonymes.
Paris 1958 p.68 n069).
5
G. Vernon op cil. loc. cil.
6
E.Scholastique op.c il. p.227.

49
B. La délégation en droit sénégalais comparé au droit français.
1. Les systèmes classiques.
Dans le système classique sénégalais, le directeur général pouvait se
faire assister dans sa mission de gestion, par des directeurs techniques. Ils
agissaient sous son autorité, aux termes de l'article 1281 COCC avant sa
modification par la loi du 10 Février 1993. Mais était-on en présence d'une
délégation de pouvoir? On peut en douter car les directeurs techniques étaient
nommés
à cette fonction d'assistance par le président du conseil
d'administration et non par le directeur général, or on ne peut déléguer que les
pouvoirs qu'on a.
Toute discussion est devenue inutile puisque la loi du 10 février 1993 a
"supprimé l'institution des directeurs techniques" au motif qu'ils n'encouraient
aucune
responsabilité,
le directeur général
assumant sous sa seule
responsabilité la gestion des affaires sociales. Notons, au passage, que leur
tâche devait être particulièrement importante pour que le législateur se soit
offusqué de ce que la responsabilité pèse uniquement sur le directeur général.
En droit français, on peut affirmer que le directeur général reçoit
délégation de pouvoirs du président et du conseil d'administration. Certes, c'est
le conseil d'administration qui le nomme, mais cette nomination a lieu à
l'initiative du président. En outre, l'article 117 L.1966 dispose : "En accord avec
son président, le conseil, d'administration détermine l'étendue et la durée des
pouvoirs délégués aux directeurs généraux". Ce terme "pouvoirs délégués"
n'était pas employé par le législateur sénégalais dans l'ancien article 1281
COCC, En outre, l'acte de nomination - dont rien n'indiquait qu'il résultât d'un
concours du président et du directeur général - ne précisait pas l'étendue des
fonctions. Cela nous conforte dans l'idée que les directeurs techniques au
Sénégal ne recevaient pas une délégation de pouvoirs.
Dans les rapports avec les tiers, le directeur général a selon l'article 117 al
2 L.1966, les mêmes pouvoirs que le président. Sur la base de ce texte combiné
aux articles 113 al 1 et 2 L.1966 1 , l'assemblée plénière de la Cour de cassation
1
Selon l'article 113 al 1L.1966. le président du conseil d'adminitration représente la
société dans ses rapports avec les tiers. Et selon l'alinéa 2. il est investi des pouvoirs
les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société

50
française, dans un arrêt de principe du 18 Novembre 19941, affirme le pouvoir
légal d'agir en justice du directeur général. En effet, le président du conseil
d'administration a les pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes
circonstances au nom de la société 2 . Donc il a le pouvoir d'agir en justice. Le
directeur général ayant les mêmes pouvoirs que le président à l'égard des tiers,
a en conséquence le pouvoir d'ester en justice.
Cette décision met un terme aux divergences opposant la chambre
commerciale d'une part et d'autre part les chambres criminelles et sociales de la
cour de cassation. Ces dernières, en effet, considéraient que le directeur général
n'avait pas le pouvoir légal d'ester en justice, qu'il ne pouvait le faire que par une
délégation spéciale du conseil d'administration ou sur la base d'une clause
statutai re 3.
Malgré les termes de l'article 112 L.1966 qui dispose qu"'en cas
d'empêchement temporaire ou de décès du président, le conseil d'administration
peut déléguer un administrateur dans les fonctions de président", on ne doit pas
considérer que l'administrateur reçoit une délégation de pouvoirs du conseil
d'administration. En effet, comme l'observent Escarra et Rault, on ne délègue
que les pouvoirs dont on est investi; en l'occurrence le conseil d'administration
procède non pas à une délégation mais à une désignation4.
Le même raisonnement peut s'appliquer à l'administrateur appelé au
Sénégal à remplacer le président du conseil d'administration en cas
d'empêchement temporaire ou de décès de celui-ci, malgré les termes de
l'article 1274 CO CC qui évoque une "délégation des fonctions de président".
On peut se demander si le directeur général, dans le système classique
sénégalais, reçoit délégation de pouvoirs du conseil d'administration qui le
nomme. La réponse est négative car il existe un lien entre le pouvoir
hiérarchique et le pouvoir de délégationS. En l'occurrence, le directeur général
est le patron de la société, il est donc hiérarchiquement supérieur au conseil
d'administration. Il en est de même du président du conseil d'administration en
1
Ass. PIen - 18 Nov. 1994. Les petites aITiches 7 Déc. 1994 n0146 p.15.
2
Sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux assemblées
d'actionnaires ainsi que des pouvoirs qu'elle réserve de façon sépciale au conseil
d'administration, et dans la limite de l'objet social (cf art 113 al 2).
3
crim 6 Mai 1985. Rev. Siés 1985 p.85ü note Bouloc. Soc 7 Juillet 1983 - Bull V P. 298
n0421 - Soc 27 Mai 1992 - Bull V.P.211 n0338.
4
Escarra et Rault - op. ciL p.232 n01527.
5
R Verdot op. ciL p.132 n0185. G. Vernon op. ciL p.68 n069

51
droit français. Il est hiérarchiquement supérieur au conseil d'administration. Par
conséquent il ne peut recevoir de délégation de pouvoirs de celui-ci.
Il s'y ajoute le fait qu'au Sénégal l'article 1248 cacc dispose que "le
directeur général est investi d'une mission générale d'exécution et d'un pouvoir
propre de gestion".
c. La délégation en droit sénégalais comparé au droit américain.
Au Etats-Unis, le conseil des directeurs peut sans renoncer à exercer ses
fonctions en déléguer l'exercice. C'est ce qu'il fait quand il nomme des officers
ou quand il institue des comités1.
Les officers détiennent, avec la bénédiction des directeurs, les pouvoirs de
gestion de la société. Cette pratique est reconnue et recommandée comme en
attestent les Princip/es of Corporate Governance2. Le conseil des directeurs se
borne à un rôle de contrôle et même ce rôle fait l'objet de délégation à des
comités. Le Professeur Gœbel évoque ainsi les "comités de su rveillance
délégués dans l'exercice de la fonction de contrôle"3.
L'instauration
des comités s'explique par le fait que le conseil des
directeurs se réunit de manière intermittente: ainsi les comités pourront prendre
au nom du conseil des décisions, entre les sessions du conseil4 . En outre ces
comités étant plus restreints que le conseil peuvent se prononcer de manière
plus approfondie que celui-ci ne le ferait lors d'une réunion généraleS. Il existe
plusieurs sortes de comités.
Le comité exécutif.
Toutes les grandes sociétés ont un comité exécutif (executive committee) ,
organe plus facile à réunir que le conseil car plus léger, pour collaborer avec les
1
A. Tune. Le droit américain des sociétés anonymes p.lll n066 P.Von Ommeslaghe.
Le régime des sociétés par actions et leur administration en droit comparé Buxelles
p.266. R Gœbel. op. cil. p.563.
2
cf. s.30l : ~L a gestion des alTaires d'une société publique doit être conduite par ... et
par tels autres agents ou employés à qui la fonction de gestion a été déléguée par le
conseil"
3
op. cil.
4
cf. A. Tune op. cil. p.112 n066. à propos du comité e..xécutif.
5
cf. Statement of the Business Roundtable March 1990 in the Business Lawyer
Nov. 1990 vo1.46 nO 1 p249.

52
principaux officers. Ce comité, entre les réunions du conseil, pourra prendre en
son nom les décisions1.
Le comité de nomination.
Il est chargé d'adresser au conseil des directeurs des recommandations
quant à la dimension de ce conseil et aux divers talents et sensibilités qui
devraient s'y trouver, puis de faire des propositions lorsqu'un poste est à
pourvoir2.
Le comité de nomination joue dans une certaine mesure un rôle de
contrôle préventif, car il juge des qualités et des capacités des futurs membres
du conseil et peut-être aussi de ceux qui vont gérer la société 3 - en effet le
comité de nomination pourrait recommander quelqu'un comme chief executive
officer quand le poste devient vacant4 .
Le comité de rémunération (compensation committee).
Son rôle est de décider ou de recommander au conseil la rémunération
des officers, ainsi que toutes les récompenses annexes à la rémunération dont
peuvent bénéficier officers et directeurs5. Ce comité joue un rôle de contrôle, car
pour établir que les rémunérations sont justes et équitables il faut évaluer le
travail de leurs bénéficiaires. Comme l'indique le Business Roundtable, le
comité de rémunération évaluera la performance du chief executive officerG.
le comité d'audit.
Il constitue un lien entre le conseil et les auditors7 indépendants qui
doivent certifier les comptes. Il doit faire des recommandations sur le choix des
l
A. Tune op. cit. loc. cit. Staiement of the Busness Roundtable March 1990. in the
Business Lawyer Nov. 1990 p.250.
2
A. Tunc.op. cit. loc. cit. Principles of corporate Govemance art 3A-04. Siatement of
the Business Roundtable. March 1990. in the Business Lawyer Nov. 1990 vol.46 n01
p.250
3
R Gœbel. op. ciL
4
A. Tunc op. ciL p. 113 n066.
5
idem.
6
op. ciL loc. ciL V. aussi Gœbel. op. cit. : le comité de rémunération doit avoir une vue
critique des capacités des senior exécutives et de leurs résultats.
7
Il n'existe pas aux USA d'organe de contrôle des comptes équivalent aux
commisaires aux comptes. Seul le droit fédéral exige que les comptes soient
examinés par un auditor indépendant qui affinnera par écrit son opinion à leur
sujet.

53
auditors indépendants ; vérifier avec eux leur rapports, s'assurer que les
documents financiers reflètent convenablement la positon financière de la
société 1. Le comité d'audit joue un rôle très important, "il doit être le plus
important chien de garde pour le conseil dans son rôle de surveillance"2.
Certaines sociétés ont aussi un public policy chargé de veiller à ce que la
société assume ses responsabilités sociales: actes charitables, devoirs envers
les employés etc ...3.
Tous les organismes pouvant influer sur le droit des sociétés
recommandent vivement l'instauration de ces comités. Ainsi, l'ALI recommande
en particulier l'instauration de comités de nomination, de rémunération et d'audit
composés exclusivement ou majoritairement de directeurs indépendants, c'est-
à-dire non salariés, n'ayant pas de liens avec le management4.
L'A.B.A. émet les mêmes recommandations dans son Corporate Director's
guidebook.
Ainsi, à la question de savoir si ces comités ont une existence légale, s'ils
sont légitimes - question posée par ceux qui s'appuyant sur le vieux principe
"delegatus non potest delegare" se demandaient si les directeurs étant eux-
mêmes des mandataires pouvaient déléguer des pouvoirs dont ils n'étaient que
les dépositaires - on peut sans nul doute répondre affirmativement. Les tribunaux
américains ont d'ailleurs jugé que le conseil des directeurs avait des pouvoirs
originaux ne découlant d'aucune délégation et que les directeurs pouvaient
donc déléguer leurs pouvoirs5. Et même si ce point de vue peut être discuté, les
recommandations d'organismes tels que l'American Bar Association (ABA) ou
l'American Law Institute (ALI) suffiraient à légitimer de telles pratiques - pratiques
d'ailleurs consacrées par plusieurs législations telles que celles du Delaware, du
Minnesota, de l'OhioS.
Si l'on se reporte au droit sénégalais, spécialement au nouveau système
où le conseil de gestion peut déléguer des pouvoirs à un ou plusieurs
l
A. Tunc op. ciL loc. ciL Statement of the Business Roundtable lac. ciL
2
RGœbel op. ciL
3
A Tunc op. cil. p.114 n066.
4
Principles of Corporate Gouemance §3A-2 à 3A-5.
5
J. Chamboulive - op. ciL p.26 n046.
6
ibid p.27 n047.

54
administrateurs délégués, on peut noter des différences par rapport au système
américain.
Ainsi, le conseil de gestion procède à une répartition interne des pouvoirs
puisque la délégation se fait' à l'un de ses membres, à la différence du droit
américain qui
permet au conseil des directeurs de con'fier la gestion à des
personnes extérieures au conseil, en l'occurrence les officers.
Quant au contenu des pouvoirs, au Sénégal, le conseil de gestion
délégue "une fonction de direction générale" ou des missions particulières aux
administrateurs délégués. Autrement dit les pouvoirs délégués sont limités. Alors
qu'aux Etats-Unis l'étendue des pouvoirs peut être très vaste: "Des pouvoirs très
généraux et discrétionnaires peuvent être attribués aux délégués et non point les
pouvoirs nécessaires au fonctionnement journalier de la société"1. Le
management et plus spécialement le
Chief executive officer en est une
illustration, puisqu'on s'accorde à lui reconnaître le pouvoir effectif de gestion
des affaires sociales2. On serait tenté de dire que plus qu'une délégation, c'est
un déssaisissement des pouvoirs du conseil au profit du management
qui s'est
opéré.
Il faut cependant noter que ce n'est pas l'étendue des pouvoirs qui importe
le plus ; le simple fait de déléguer des pouvoirs peut avoir de graves
conséquences sur l'autorité respective des organes concernés. Ainsi, au
Sénégal, un administrateur délégué ayant reçu une parcelle de pouvoirs pourrait
devenir le vrai patron de la socité. Le comité exécutif aux Etats-Unis en est une
illustration : chargé de tâches secondaires, il prépare aussi les grandes
décisions de politique sociale et, en fait, peut jouer un rôle dominant dans la
société3
D. La délégation en droit sénégalais comparé au droit anglais.
En principe, le conseil des directeurs (board of directors) ne peut pas
déléguer ses fonctions. Ce principe se fonde sur l'idée que la confiance ne se
véhicule pas. Habilités à gouverner et désig nés intuitu personnae par
1
P. Von Ommeslaghe op. cil. p.453.
2
cf. J. Charkam. Op. cil. p.183 the CED Dominant Position What tfle above quotation
confirms is tflat US companies are run by their chief execuiives"
3
A. Tunc op. cil. P.112 n066.

55
l'assemblée générale à cet effet, les directeurs ne sauraient remettre à d'autres
la confiance et les charges qui leur ont été accordées 1.
La délégation de pouvoirs s'est avérée cependant nécessaire. \\1 devenait
en effet impossible aux directeurs de résoudre toutes les difficultés qui se
posaient à la gestion quotidienne de la société. Nombre d'entre eux n'avaient ni
le temps, ni la compétence nécessaires pour le faire. La pratique s'est donc
établie de procéder à des délégations de pouvoirs pour faire face aux nécessités
nouvelles2
Les tribunaux ont reconnu cette réalité. Ainsi dans l'arrêt Re city Equitable
Fire Insurance Co Ltcf3 on peut lire: "En ce qui concerne les fonctions qui, du fait
des nécessités pratiques ou des articles of association, peuvent normalement
être déléguées à un autre organe".
A l'heure actuelle donc si le principe selon lequel le conseil ne peut pas
déléguer ses fonctions demeure, "on y apporte autant d'exceptions qu'il est
pratiquement nécessaire"4. Le modèle légal d'articles (Table A, art 72) prévoit la
possibilité pour le conseil de déléguer ses fonctions à des comités formés en son
sein, ou de nommer un directeur général (managing director) ou d'attribuer à un
directeur telle autre fonction qui lui paraîtra opportune. Ce sont ces directeurs
que la pratique dénomme directeurs permanents (permanent ou governing
directors)5.
On serait tenté de rapprocher le directeur général ou chief executive
officer ou managing director, de l'administrateur délégué du droit sénégalais,
auquel le conseil de gestion aurait confié une fonction de direction générale
comme le lui permet l'article 1291 COCC. Mais "une fonction de direction
générale n'est pas la direction générale. Le directeur général (chief executive
officer) peut, par contre, recevoir du conseil, le pouvoir de diriger et gérer la
société6.
1
M. Guigère. Les devoirs des dirigeants de sociétés par actions en droit comparé. Th.
Droit Paris 1.195 P.202.
2
ibid - p.203.
3
[1925J Ch. 407,427.
4
A. Tune. Le droit anglais des sociétés anonymes. p.178 n095.
5
idem.
6
A. Tune. ibid. p.181 n097.

56
Comme aux Etats-Unis, on trouve dans les grandes sociétés des comités.
Les plus importants sont l'audit committee, le remuneration committee, le
nominating committee. Ils ont les mêmes fonctions qu'aux Etats-Unis 1.
Le rapport Cadbury recommande la présence de non-executive directors
au sein de ces comités pour en assurer l'indépendance.
En définitive. la délégation de pouvoirs est une nécessité tant au Sénégal,
qu'en France, aux Etats-Unis et en Angleterre. Mais il importe que le délégataire
soit bien choisi ; il doit être apte à remplir les fonctions qui lui sont confiées, avec
honnêteté. En outre la délégation ne doit pas être pour le délégant un moyen de
se décharger de ses responsabilités2 . L'organe délégant a le devoir de contrôler
le délégataire, malgré toute la confiance qu'il peut avoir en lui3.
La délégation de pouvoirs réalise une certaine décentralisation du pouvoir
de direction de nature à remettre en cause le degré de concentration de ce
pouvoir tel qu'il résulte de la loi.
1
cf. supra C. La délégation en droit sénégalais comparé au droit américain.
2
cf. M. Guiguère op. ciL p.2ül 'Tout comme les conventions de vote. les délégations de
pouvoir constituent pour les administrateurs une occasion propice de renoncer à
l'exercice de leurs responsabilités et à se départir au profit d'autres de la "discrétion
qui leur a été accordée par la loi".
3
cf. E. Scholastique op. ciL p.227 : M. Guiguère op. ciL p.2ü2.

57
CHAPITRE Il.
LE
DEGRÉ DE CONCENTRATION
DU
POUVOIR
DE
DIRECTION.
Nous utilisons, ici, le terme pouvoir de direction dans le sens de pouvoir
d'agir au nom de la société et de mettre en oeuvre la politique sociale.
La question est de savoir si un tel pouvoir est entre les mains d'une seule
personne ou de plusieurs. La première situation correspond à l'unité de
direction. Quant à la seconde, il faut distinguer:
si le pouvoir de direction est collectivement exercé par un groupement
de personnes, la direction est dite collégiale.
si le pouvoir est réparti égalitairement entre plusieurs personnes, nous
qualifierons la direction de plurale.
Section 1. L'unité de direction
Cette situation se retrouve dans le système classique sénégalais. Après
l'avoir présenté, nous le confronterons aux droits français, anglais et américain.
§1 : Le système classique sénégalais
L'article 22 de la loi du 24 juillet 1867 applicable au Sénégal avant
l'entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 1985 énonçait que: "la société anonyme
est administrée par un ou plusieurs administrateurs". Par conséquent la société
pouvait n'avoir qu'un administrateur. S'il y en avait plusieurs, ils se regroupaient
en conseil et nommaient un président. Il y avait ainsi unité de direction.
Avec la réforme de 1985, on trouve dans le système classique, l'unité de
direction en la personne du directeur général. La loi lui confère un pouvoir de
direction générale1. Il est le chef de la société. Lorsqu'il cumule cette fonction
avec celle de président du conseil d'administration, il en va de même. L'unité de
direction est alors incarnée par le président-directeur général. Cette seconde
fonction en étant la cause.
1
art 1279 COCC.

58
§2 : Le système classique sénégalais comparé au droit français.
En France, la loi du 16 Novembre 1940 1 apporta une innovation
fondamentale au droit des sociétés en distinguant l'administration de la direction.
La première était confiée à un collège: le conseil d'administration; la seconde à
une personne: le président du conseil d'administration 2.
La loi du 4 Mars 1943 modifiant la loi du 16 Novembre 1940 instaura le
cumul obligatoire des fonctions de président du conseil d'administration et de
directeur général, créant ainsi le personnage de président-directeur général3.
Le fondement de ces lois suscita de nombreuses discussions au sein de
la doctrine française. Certains auteurs4 virent dans la création du président-
directeur général une application du Führerprinzip, issu de la loi allemande du
30 janvier 1937. Le Doyen Ripert n'était pas de cet avis. Selon lui, le législateur
français n'avait pas voulu copier l'idée allemande de chef, mais avait plutôt voulu
réagir contre l'anonymat de la fonction et mettre en relief une personne qui aurait
une responsabilité en contrepartie de ses pouvoirs 5 . D'autres auteurs
partagaient ce point de vue. Ainsi Monsieur Berr, affirmait que les lois du 16
novembre 1940 et du 4 Mars 1943 "visaient à concentrer les pouvoirs de gestion
et les responsabilités qui en découlent en la personne du Pdg"6. Celui-ci
devenait le personnage principal chargé de la direction générale de la société.
Ainsi "le législateur désirait essentiellement regrouper les pouvoirs et les
1
Cette loi n'était pas applicable aux pays de l'AOF (cf. G. Meissonnier op. ciL loc, cit)
L'explication de cette exclusion pourrait être la suivante : le Pdg français- la
majorité des actionnaires étaient des Français qui entendaient conserver un
certain contrôle sur la gestion courante de la société - aurait été obligé de s'établir
outre-mer. ce qu'il ne souhaitait pas: ou alors il aurait été contraint en demeurant
en France d'endosser la responsabilité des actes d'une directeur général habitant
outre-mer et qu'il ne pouvait même pas contrôler (C. Lussan - cité par Michel
Balima. "Les sociétés commerciales en Afrique de l'Ouest" th Droit Dijon 1979
p.344)
2
Lequel pouvait s'en décharger. sous sa responsabilité. sur un directeur général.
3
C. Reynaud et J. Bardoul - op. cit. p.130 n09.
4
J. C. Renard. La répartition des pouvoirs entre les organes de la société anonyme th.
droit Paris 1958 p.262.
M. Chambaz. Les organes de gestion de la société anonyme - th - droit. Paris 1945
p.l77.
Thaller et Pic 1 - n020 18.
Escarra et Rault - T - 1 - n015.
D. Bastian. note sous cass 4 Juin 1946 préc.
J. Paillusseau op. cil. pp.154 et 234.
5
G. Ripert "Une nouvelle réfom1e des sociétés par actions. la loi du 4 mars 1943" Rev.
gén. dr. corn. 1943. p.99-108 cité par Vernon - op. cit. p.26 n021.
6
op. cit. p.lO.

59
,1
responsabilités sur une seule personne facilement dési'gnable"1. Hamel et
Lagarde2, Messieurs Hémard, Terré et Mabilat étaient aussi de cet avis3.
La loi du 24 Juillet 1966 a maintenu cette situation; le président du conseil
d'administration est omnipotent. Le pouvoir de direction est concentré entre ses
mains; il a selon l'article 113 L.1966 les pouvoirs les plus étendus pour agir en
toute circonstance au nom de la société. Comme le soulignent Messieurs
Reynaud et Bardoul, "le président
demeure le directeur général. Plus que jamais il est le Pdg ..."4.
La loi de 1966 reproduit le système antérieur en élargissant les pouvoirs
du président; il a le pouvoir d'engager la société et de la représenter à l'égard
des tiers, même par des actes qui ne relèvent pas de l'objet social5.
Au vu de tout cela, on peut reconnaître un similitude entre le droit français
et le droit sénégalais: il y a unité de direction dans leur système classique. La
différence se situe au niveau de la personne qui incarne cette unité de direction.
Alors qu'au Sénégal c'est le directeur général, en France il s'agit du président du
conseil d'administration.
Le fondement de cette unité étant, selon nous, la responsabilité encourue
par ces personnes, qui est à la mesure de leur pouvoirs. Les articles 1279 cacc
et 113 L.1966 l'illustrent bien qui disposent: "Le directeur général assume sous
sa responsabilité la gestion des affaires sociales" et "le président du conseil
d'administration assume, sous sa responsabilité, la direction générale6". Le lien
entre pouvoir de direction7 et responsabilité est évident. Dans un tel système, le
responsable est facilement identifiable, et la responsabilité ne risque pas d'être
diluée entre plusieurs personnes.
Les nécessités de la gestion quotidienne justifient aussi l'unité de
direction dans les systèmes classiques français et sénégalais, où l'organe
collégial existant, en l'occurrence le conseil d'administration, siège de manière
1
ibid. n° 114.
2
Hamel et Lagarde. Droit commercial. Tl ed. Dalloz 1980 n0652.
3
J. Hêmard. F. Terrê, P.Mabilat - op. cit. p.829 n0966.
4
op. cit. p.132 n° 13.
5
cf. supra in Rêpartition lêgale des pouvoirs (titre l, ch 1. section 1).
6
Reynaud et Bardoul, op. cit. p.136 n025.
7
même si le lêgislateur sênêgalais utilise le tem1e gestion.

60
intermittente. Son rôle n'est pas au demeurant de diriger la société mais plutôt
de déterminer sa politique.
Faut-il pour autant affirmer avec un auteur que la direction générale ne
peut devenir collégiale 1 ? Nous ne le pensons pas. Au contraire et comme
l'affirment MM. Reynaud et Bardoul, la direction peut être collégiale si l'organe
collectif qui en est chargé est permanent2 . Autrement dit, tout dépend de la
régularité et de la continuité de la fonction.
§3. Le droit sénégalais comparé aux droits anglais et américain.
Evoquer l'unité de direction dans les systèmes anglais et américain peut
surprendre, car le conseil des directeurs organe collégial n'est-il pas l'organe de
direction par excellence?
Ce serait oublier la réalité qui a vu le pouvoir de direction se concentrer
entre les mains du chief executive officer dans nombre de sociétés3 . Comme
l'indique Mr. Charkam "La forme de leadership est beaucoup plus individuelle
que collégiale"4. Selon cet auteur, lorsqu'on examine le gouvernement de la
société aux Etats-Unis, il ne faut pas commencer à parler du conseil des
directeurs, mais du chief executive5. Il souligne la position dominante de celui-
ci 6 , à l'instar d'autres auteurs: Herzel et Shepro qui indiquent que "le CEO
préside généralement les réunions du conseil et en a complètement la charge.
Généralement, il contrôle à la fois l'agenda et le 'f1ux d'informations. Il domine la
réunion et le conseil des directeurs joue un rôle tout à fait secondaire"? On se
souvient de Mace décrivant les directeurs comme de simples ornements8 .
En Angleterre, également, le chief executive officer joue un rôle
prépondérant. Mr. Charkam observe que les rapports annuels ressemblent
souvent à un livre du CE09. Celui-ci est généralement un personnage
1
Noiret note sous Paris 20juin 1957. D.1958-374.
2
op. cit. loc. ciL
3
Sous réserve du contrôle exercé par le président du conseil lorsqu'il est distinct du
CEO.
4
op.cit. p.183.
5
ibid. p.182.
6
ibid. p.183.
7
cités par J. Charkam p.182.
8
Myles Mace. Direclors : Mylh and Reality cité par J. Charkam p.194.
9
op. cit. p.265. "j'ai compté 13 photos du CEO (dans un rapport annuel). Les médias
participent à ce culte de l'individuel... ajoute-t-il.
ft

61
charismatique. Il semble que cette individualisation de la direction est liée à la
responsabilité qui y est est afférente 1.
Cet état de fait, reconnu comme nous l'avons vu par des organismes
ayant une grande influence sur le droit2 , voire par certaines législations aux
Etats-Unis, se justifie par les nécessités de la gestion. Le conseil des directeurs
se réunit de manière intermittente. il ne peut être à pied d'œuvre. Comme
l'indique le Business Roundtable : "Un conseil des directeurs doit choisir et
soutenir un CEa qui veut et est capable d'innover et d'agir rapidement dans des
circonstances changeantes"3.
Le Chief executive officer pe,ut ainsi être rapproché du directeur général
du droit sénégalais qui assure une unité de direction pour les mêmes raisons.
Section 2: Collégialité ou pluralité de la direction
La collégialité et la pluralité n'ont pas la même signification. La pluralité
indique une juxtaposition, en l'occurrence de plusieurs pouvoirs de direction
alors que la collégialité suppose une entité composée de plusieurs membres qui
exercent ensemble, globalement le pouvoir de direction.
C'est à propos du nouveau système de direction sénégalais que la
question se pose de la collégialité ou de la pluralité de la direction. Nous le
présenterons avant de le comparer aux systèmes français, anglais et américain.
§1. le nouveau système de direction sénégalais.
Selon l'article 1297 cacc, le conseil de gestion assume la direction
générale des affaires sociales. Le conseil de gestion est un organe formé par la
réunion des administrateurs délégués, de sorte qu'en lui confiant la direction
générale de la société, la loi du 29 Juillet 1985 réalise une grande innovation
elle consacre l'exercice collégial du pouvoir de direction.
1
~The UK prefers indiuidual leadership, with personal reponsability, risks and
rewards".
J.Charkam op. cil. p.265.
2
Cf ALI. ABA aux Etats-Unis. Comité Cadbury en Angleterre. Le comité Cadbury
reconnaît l'importance du rôle joué en pratique par le CEO. mais loin de
l'encourager il préconise un équilibre des pouvoirs. Le conseil devrait avoir en son
sein un élément fort et indépendant. une sorte de chef de l'opposition (cf. A. Tune.
op. cit. in RI.D.C. 1994 p.70).
3
Statement of the Business Roundtable - March 1990. prée. in the Business Lawyer.
Nov. 1990 p.244.

62
Quel en est le fondement? la loi ne le précise pas, mais l'exposé des
motifs indique l'influence "anglo-saxonne" dans le nouveau système afin que
des structures qui leur sont familières attirent au Sénégal des investisseurs des
pays "anglo - saxons". Et de fait, on peut reconnaître une parenté entre le conseil
de gestion et le conseil des directeurs des droits anglais et américains comme
nous le verrons.
Le conseil de gestion est composé par la réunion des administrateurs
délégués mais ceux-ci ont aussi une existence juridique autonome. L'article
1290 COCC leur attribue la conduite des affaires sociales et surtout l'article 1292
COCC confère à cha c u n la signature sociale et le pouvoir général de
représenter la société dans ses rapports avec les tiers, même pour des actes qui
ne relèvent pas de l'objet social. Chaque administrateur délégué a ainsi un
pouvoir propre de direction. On peut alors à leur sujet considérer qu'il y a
juxtaposition de plusieurs pouvoirs de direction, qu'il y a pluralité des pouvoirs
de direction.
Le nouveau système paraît alors bien complexe. En effet, peut-il y avoir
cœxistence entre un pouvoir collégial de direction exercé par le conseil de
gestion et plusieurs pouvoirs de direction assurés par les administrateurs
délégués ? Pour répondre à cette question nous allons éclairer le droit
sénégalais à la lumière du droit français.
§2 : Le conseil de gestion comparé au directoire.
Messieurs Reynaud et Bardoul soulignaient avec pertinence que la
direction suppose une action continue - ce qui est explique qu'elle soit confiée à
un seul homme - mais, si un organe collégial est conçu pour siéger en
permanence, il peut alors exercer la direction 1.
En France, un organe de direction a été conçu spécialement pour
délibérer à tout moment: il s'agit du directoire2. Plusieurs dispositions favorisent
la souplesse de son fonctionnement et sa permanence. Tel ne semble pas être
le cas du conseil de gestion.
1
op. ciL loc. ciL
2
idem. Cozian et Viandier - ed. 1993 p.279 n0786 : "Comme tout organe collégial. le
directoire œuvre en délibérant".

63
1. Le nombre de membres du directoire et du conseil de gestion.
L'article 119 L.1966 fixe à cinq le nombre maximal des membres du
directoire. Ce chiffre peut-être porté à sept pour les sociétés cotées en bourse.
Ce chiffre nous semble raisonnable 1, surtout quand on le compare à celui des
membres du conseil d'administration. Celui-ci peut, en effet, réunir jusqu'à vingt-
quatre administrateurs2 - et même plus3 pendant les trois ans suivant une fusion.
Au Sénégal, la loi ne précise pas le nombre maximal des administrateurs
délégués. Ce sont les statuts qui doivent fixer leur nombre. Mais celui-ci ne peut
être, selon la loi, inférieur à trois4 . Dès lors, le nombre peut être très élevé, ce qui
ne peut qu'alourdir le fonctionnement d'un organe de direction générale, selon
les termes de la lois.
2. Le cumul de mandats
Selon l'article 127 L.1966,
nul ne peut appartenir simultanément à plus
de deux directoires à moins d'y être autorisé par le conseil de surveillance. Cette
disposition vise à permettre aux membres du directoire d'avoir le temps et la
disponibilité nécessaires pour se consacrer à leur société.
Au Sénégal, la limite du cumul est de dix, selon l'article 1304 al 2. COCC.
On peut émettre des doutes sur la disponibilité des administrateurs délégués
lorsqu'ils appartiennent à tant de conseils de gestion! Le législateur sénégalais
a adopté une mesure commune au conseil d'administration du système
classique et au conseil de gestion du nouveau système. Il y a là un paradoxe
étant donné le rôle différent qu'il attribue lui-même à ces deux organes: le
premier se contentant de préciser les objectifs de la société et le second outre ce
rôle 6, étant chargé de la direction des affaires sociales.
En réalité, force est de reconnaître que le conseil de gestion n'a pas un
pouvoir de direction, contrairement au directoire. Monsieur Burgard affirme que
"la direction collégiale et permanente ... est le propre du directoire"7, Messieurs
1
MM Casimir et Couret (op. ciL p.132 n0535) trouvent ce chUTre trop élevé.
2
Depuis la loi n094-126 du Il février 1994
3
On peut aller jusqu'à trente membres depuis la loi du Il Février 1994.
4
art 1286 COCC.
5
art. 1297 COCC.
6
cf. art. 1283 COCC : le conseil de gestion fixe les objectifs de la société.
7
J. Burgard. "Heurs et malheurs de la société à directoire" Rev. Jur. co. 1975. p.282.

64
Hémard, Terré et Mabilat soulignent que le directoire est un organe appelé à
siéger de manière sinon continue ou quotidienne du moins très fréquente et
qualifient l'emploi de membre du directoire de "full time job"1. Le Professeur
Guyon indique que le directoire dirige la société 2 .
C'est la permanence qui
différencie le conseil de gestion du directoire. Les dispositions précitées sont
autant d'obstacles à sa permanence 3. Les membres du directoire, eux, sont
présents dans la société en permanence4. Ils sont censés être actifs et présents.
Cette présence sur le terrain explique l'absence de vote par procurationS. Au
Sénégal, les administrateurs peuvent en revanche être représentés6.
En définitive, on ne saurait qualifier le conseil de gestion d'organe
collégial de direction. Et d'ailleurs était-ce le vœu du législateur sénégalais? au-
delà des termes utilisés dans la loi, a-t-il voulu instaurer dans le nouveau
système une direction collégiale? Nous ne le pensons pas, compte tenu de
l'individualisation des administrateurs délégués. Chacun représente la société et
a la signature sociale. Des répartitions de tâches sont possibles, ils peuvent se
voir attribuer des missions particulières? Certes, sur ce dernier point, on pourrait
objecter que la répartition des tâches de la direction est aussi admise au sein du
directoire8 , mais ce serait oublier l'article 99 0.1967. Ce texte indique en effet
que "cette répartition ne peut, en aucun cas, avoir pour effet de retirer au
directoire son caractère d'organe assurant collégialement la
direction de la
société". Pour des raisons pratiques, à savoir, faciliter les relations avec les tiers,
le président du directoire ou le directeur général9 représente la société vis-à-vis
des tiers, mais les décisions sont prises par le directoire. Le président ne fait que
1
op. ciL p.958 et nO 1086.
2
op. ciL ed. 1992 p. 360. n0352.
3
Et ceci bien que l'article 1298 COCC permette à tout administrateur délégué de
convoquer à tout moment le conseil de gestion
4
cf. J. Boucourechliev et alii. La pratique de la société à directoire. in Etudes du
CREDA. P.194.
5
Y. Chartier. Droit des affaires. Les sociétés commerciales 3e ed. Thémis 1992 p.351.
6
cf. artl299 al 2 COCC. Il faut cependant noter une différence avec le conseil
d'administration qui témoigne de l'importance de la présence des administrateurs
délégués: selon l'art. 1298 al 3 COCC. les administrateurs délégués sont tenus
d'assister aux réunions du conseil de gestion. Ils ne peuvent se faire représenter par
un autre administrateur délégué qu'avec l'autorisation des autres membres du
conseil.
7
cf. art 1291 COCC.
8
Ce fractionnement du pouvoir de direction permet de confier la gestion courante
d'un secteur déterminé à un membre du directoire qui dans ce cadre va à la fois
prendre les décisions et les exécuter (R. Contin et M. Deslandes. "Interrogations sur
la société anonyme avec directoire" D.1977 p.3021.
9
Selon l'article 126 al 2 L.1966, les statuts peuvent habiliter le conseil de
surveillance à attribuer un pouvoir de représentation à un ou plusieurs membres du
directoire qui porte alors le titre de directeur général.

65
représenter la société, il n'a pas de pouvoir de décision. C'est le directoire dans
son ensemble qui a les pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance
au nom de la société 1.
§3 : Le conseil de gestion comparé au conseil des directeurs en droits
anglais et américain.
Le conseil des directeurs en droits anglais et américain est un organe
collégial doté du pouvoir de direction générale2 . ~thé..o.r.iqueme~our
exercer leurs pouvoirs, les directeurs doivent se 'réunir en conseil. Les réunions
se tiennent sans formalités3. Tout acte qui serait accompli individuellement par
un directeur ne pourrait engager le conseil 4 . Individuellement, les directeurs
n'ont qu'un droit de regard sur les livres, documents et comptes sociaux5.
Monsieur Chamboulive explique la collégialité de la direction par la
volonté de protéger les actionnaires qui ont abandonné la plus grande partie de
leurs pouvoirs au conseil des directeurs; en contrepartie, il est normal que les
directeurs se réunissent pour délibérer et confronter leurs opinions sur les
problèmes de la société 6.
Outre la protection des actionnaires, la réflexion collective est d'une
grande utilité ; "il est utile qu'il y ait une revue collégiale des décisions par les
directeurs qui peuvent apporter une diversité d'expériences et de vues"?
Cependant certains Etats tels que la Pennsylvanie, le Michigan, le
Minnesota, permettent aux directeurs de donner leur autorisation à tout acte
social sans se réunir, pourvu qu'ils donnent leur accord unanime par écrit8.
l
Casimir et Couret. op. cit. p.133. n0540. En sens contraire V. Doctrine citée par R.
Contin et M.Deslande. op. cit. D. 1977 Chr. p.lOO.
2
A. Tune. Le droit anglais des sociétés anonymes p.18l n097.Le droit américain des
sociétés anonymes p.109 n064, p.110 n065. Pennington op. cit. p.575.
3
J. Chamboulive, op. ciL p.25 n044.
4
ibid p.18 n034.
5
A. Tune. Le droit américain des sociétés anonymes p.110 n065.
6
op. ciL p.18.
7
R Gœbel. op. ciL p.561. citant le Professeur Hart.
8
J. Chamboulive op. ciL p.18. C'est préconisé par le MBCA §8.20 (bl.

66
De même, en Angleterre, les articles prévoient normalement qu'une
résolution écrite, signée de chaque directeur aura la même valeur que si elle est
prise en conseil (Table A, art 93)1.
Cela n'est pas sans rappeler les administrateurs délégués qui peuvent
faire l'économie d'une réunion du conseil de gestion. En effet, s'inspirant
visiblement des droits anglais et américain, l'article 1301 COCC dispose que
"toute résolution écrite signée par tous les administrateurs membres du conseil,
a les mêmes effets que si elle avait été adoptée à une réunion régulièrement
convoquée et à l'unanimité des votants".
Ces dispositions des droits américain, anglais et sénégalais ne sont pas
laxistes comme on pourrait le croire. En effet, l'unanimité est dans ce cas exigée,
alors qu'en conseil - des directeurs ou de gestion - c'est la loi de la majorité qui
s'applique.
Au Etats-Unis, c'est généralement dans les petites sociétés et en temps de
crise que la signature sociale des directeurs consultés individuellement suffit.
Témoin l'arrêt Gérard V. Empire Square Realty Co2 . En l'espèce, quatre sociétés
étaient détenues par cinq personnes, membres de la même famille, qui ne
s'entendaient pas au point de ne pouvoir tenir d'assemblée,
ni de réunion du
conseil. Aussi avaient-elles par signatures individuelles, donc sans se réunir,
unanimement nommé un gérant. Par la suite ce gérant réclama des dommages
et intérêts. On lui opposa que sa nomination était nulle. La Cour de New York
rejeta cet argument et considéra comme valable sa
nomination estimant que
dans ce cas l'application stricte du droit n'était pas nécessaire3. En définitive et
grâce aux signatures individuelles, la société avait évité la paralysie.
Le droit sénégalais s'éloigne du droit américain quant à la représentation.
Au Sénégal, les administrateurs délégués peuvent se faire représenter au
conseil de gestion 4 , alors qu'aux Etats-Unis les directeurs ne peuvent se faire
représenter, ni voter par procuration.
1
A. Tune. Le droit anglais des sociétés anonymes p.178 n095.
2
195 App. Div.44, 187 NYS 306 (1921) cité par A. Tune. Le droit américain des
sociétés anonymes p.11O n065.
3
Les juges ont évoqué la petite taille de la société, mais en réalité il fallait résoudre la
crise que traversait la société.
4
cf. art. 1299 al 2 COCC : les décisions du conseil de gestion sont prises à la majorité
des membres présents ou représentés

67
Les droits sénégalais, anglais et américain ont ceci de commun que
théoriquement la direction est collégiale. mais en pratique elle ne l'est pas. Au
Sénégal, comme nous l'avons vu 1, elle est plurale, car le conseil de gestion ne
peut pas concrètement diriger la société. La direction relève des administrateurs
délégués qui en ont chacun le pouvoir, pouvoirs qui en s'additionnant rendent la
direction plurale. En Angleterre
et aux Etats-Unis nous avons vu 2 que la
direction est de plus en plus entre les mains du Chief executive officer, de sorte
qu'il y a unité de direction.
section 3 : Appréciation
§1 : Collégialité ou pluralité de la direction.
La société est le cadre juridique de l'entreprise. On les distingue
généralement. Il existe cependant des interactions entre ces deux entités. \\1 n'est
donc pas surprenant de voir transposer à la société des techniques de gestion
de l'e~treprise. La décentralisation en est une. Lorsque l'entreprise atteint une
taille importante, il s'avère nécessaire d'opter pour une gestion décentralisée3 :
plus.ieurs divisions sont créées, ayant à leur tête un responsable. Le chef
d'entreprise délègue une partie de ses pouvoirs à ces responsables et supervise
l'ensemble.
Le ,chef d'enÙeprise ne peut pas tout faire par lui-même;en outre il n'est
pas com'pé~entdé~'s tous les domaines;il délègue ses pouvoirs à ses
subordonnés qui eux-mêmes délégueront à leur tour et ainsi de suite4 .
.
.
Nous avons observé des délégations de pouvoirs au sein même de la
1'1'
société. Cela participe à la décentralisation du pouvoir de direction. Y participe
également la direction collégiale illustrée en France par le directoire. Comme
l'indique un auteurS "La direction collégiale et permanente qui est le propre du
directoire est bien adaptée aux grandes affaires. Celles-ci, comme les empires
politiques, ne peuvent être gouvernées par un homme seul". La direction
collégiale, observe-t-il, est de nature à faciliter des opérations de concentration:
1
cf. supra - S. 2 §l.Le nouveau système de direction sénégalais.
2
cf. supra - SI §3.
3
Contra A.A. Berle (Le capital américain et la conscience du roi) MAucune grande
entreprise ne pourrait progresser si ce n'est en se soumettant à un système de
direction unifié et concentré" cité par J. Paillusseau op. cil. p.231.
4
RCaude.Pourquoi el comment déléguer? Enlreprises modernes d'éditions 1969
P.14
5
J.Burgard-op.ciLP.282

68
fusion, prise de contrôle, filiales communes1 . La complexité des affaires sociales
exige un travail d'équipe 2 ce qui explique qu'aux Etats-Unis, et aussi en
Angleterre il y ait un conseil des directeurs. Même s'il ne gère pas effectivement
les affaires sociales, il a un rôle à jouer collégialement.
Au sénégal, la direction plurale observée dans le nouveau système est un
mode de décentralisation du pouvoir de direction .11 est partagé égalitairement.
Cela présente des avantages. Ainsi sont évités les conflits entre supèrieur et
subordonné, ce qui favorise une direction harmonieuse de la société .
.' Le nouveau système sénégalais comme d'ailleurs le directoire en France,
peut permettre à une banque ayant accordé un prêt important à la société, de
siéger à la direction pour avoir l'oeil sur la conduite des affaires sociales. Ce
système convient aussi lorsqu'il s'agit d'une affaire familiale, pour permettre à
chacun des membres de la famille de participer à la direction. Il peut être
intéressant en cas de fusion, en permettant aux anciens dirigeants d'être
administrateurs délégués.
§2. La centralisation du pouvoir de direction.
"La règle de l'unité de chef est classique et bien connue: toute personne
dans une organisation ne doit dépendre hiérarchiquement que d'un seul chef;
ce chef est seul habilité à lui donner des ordres et à en contrôler l'exécution3"
Force est de reconnaître que la notion de "chef", de "patron" est généralement
perçue par tout un chacun comme unitaire. Le chef est la tête d'un corps :
l'entreprise, la société, or un corps ne peut avoir qu'une tête 4 . Cela est ainsi
ressenti tant par le chef lui-même qui accepte difficilement de partager son
fauteuil que par ses subordonnés qui ne conçoivent pas d'avoir plusieurs chefs5.
Faut-il pour autant encourager le système unitaire de direction? Il est
indéniable que l'unité de direction constitue une plus grande sécurité pour les
tiers qui peuvent mieux identifier la personne sur qui pèsent les responsabilités,
1
idem
2
y. Chartier op. ciL P.3S1
3
Octave Gélinier. Fonctions et tâches de direction générale.
ed. Hommes et techniques 1981. p.321 nOSl.
4
H. Fayol "Un corps â deu;" têtes est dans le monde social. comme dans le monde
animal un monstre... - cité par M. Despax. L'entreprise et le droit. LGDJ 19S7. p.lOS.
S
Octave Gelinier y voit une raison psychologique: la dépendance multiple est une
cause de tension psychologique et de diminution des motivations op. ciL loc. cit.

69
alors que la collégialité et même la pluralité comportent des risques de dilution
de responsabilité des dirigeants.
Certes, dans un système de direction collégiale tel que le directoire, une
seule personne à savoir le président du directoire, est chargée de représenter la
société. Mais il n'empêche qu'il n'est pas le seul responsable. Les autres
membres du directoire le sont aussi1.
Autre avantage de l'unité de direction : le charisme du chef qui peut
constituer une grande motivation au niveau de la société comme de l'entreprise.
Mais, et c'est le revers de la médaille, ce leader charismatique peut négliger
d'écouter les avis de son entourage ...
En définitive,
même en
privilégiant l'unité de direction, il
faut
nécessairement l'assortir de contre-pouvoirs.
§3 : La nécessité de contre-pouvoirs
Les actionnaires devraient constituer un contre-pouvoir à la direction.
Mais la dispersion du capital social, leur passivité, rendent illusoire ce rôle. Il faut
noter cependant, ilia renaissance de l'assemblée générale sous le signe des
institutionnels"2, particulièrement aux Etats-Unis et en Angleterre. Les
investisseurs institutionels gèrent des portefeuilles parfois considérables.
Certains fonds de retraite aux Etats-Unis possèdent 60% du capital des
sociétés3 . Ces investisseurs institutionnels cherchent de plus en plus à influer
sur la gestion des dirigeants sociaux, en les menaçant de vendre leur
portefeuille mais surtout de ne pas renouveler les mandats des directeurs voire
de les révoquer4 .
Les travailleurs par l'intermédiaire de leurs organes représentatifs,
particulièrement le comité d'entreprise, pourraient constituer un contre-pouvoir5.
Cependant le rôle de ceux-ci n'étant généralement que consultatif, ils ne
peuvent influer sur les décisions sociales. Il faut noter cependant en France la
possiblité qui est donnée à toute société anonyme de permettre aux salariés de
1
cf art. 249 L. 1966.C'est une responsabilitê individuelle ou solidaire selon le cas...
2
E.
Scholastique op.
cit. p.286.
3
l'Expansion des 2-15 juin 1994 p.90.
4
E. Schotastique. op. cit. p.288.
5
Les syndicats ont un contre pouvoir. variable selon les entreprises. Il peuvent faire
pression sur la direction notamment par la grève.

70
participer au conseil d'administration avec voix délibérative1. Mais ce régime
demeure exceptionnel.
Les commissaires aux comptes sont d'une grande utilité, particulièrement
pour les actionnaires qui ne sont pas en mesure de s'assurer que les comptes
reflètent l'état réel des affaires sociales. Grâce au commissaire aux comptes, ils
peuvent voter l'approbation ou le rejet des comptes en connaissance de cause2.
La loi 24 Juillet 1966 a d'ailleurs voulu renforcer le contrôle des comptes
pour contre-balancer l'accroissement des pouvoirs des dirigeants sociaux3.
Cependant, le pouvoir de contrôle des commissaires aux comptes est limité par
l'interdiction qui les frappe de s'immiscer dans la gestion des affaires sociales.
Leur contrôle ne porte pas sur l'opportunité des décisions mais sur leur
régularité. Ils ne peuvent ainsi dénoncer les erreurs de gestion si elles ne se
traduisent pas par une irrégularité juridique ou comptable4.
En fait, la structure même de la direction devrait assurer un équilibre des
pouvoirs. C'est le cas au Sénégal dans le système classique où le directeur
général subit le contrôle et du conseil d'administration et du président du conseil
d'administrations.
Dans le nouveau système, bien que la loi ne l'indique pas expressément, le
secrétaire général peut jouer un rôle de contrôle préventif et d'une certaine
manière constituer un contre-pouvoir6.
En France le président du conseil d'administration est contrôlé par le
conseil
d'administration?, et dans le nouveau système, le
conseil de
surveillance contrôle le directoireS.
En Angleterre, les détenteurs du pouvoir de direction effective de la
société ne sont pas suffisamment contrôlés. Aussi plusieurs recommandations
sont faites pour développer les contre-pouvoirs. C'est ainsi que le comité
1
cf. l'ordonnance du 21 Octobre 1986 (V. arts 97-1 à 97-8 L.1966l.
2
cf Guyon. op.cit ed. 1992 P. 368 n° 357
3
ibid. P. 387 n° 379
4
ibid. PP. 369.370 n° 358
5
cf. supra §1 A ro) a) et §1 A 2°) a) in CHI S2.
6
cf supra §2 C 2°) Le Secrétaire général (in CH 1 S2l.
7
cf supra CHI S2 §1 A ro) al.
8
cf supra CHI S2 §1 B 2°) a).

71
Cadbury recommande la présence dans le conseil des directeurs, d'un élément
fort et indépendant une sorte de chef d'opposition 1 pour contre-balancer les
pouvoirs du CEG lorsque celui-ci est en même temps le président du conseil. Il
recommande aussi que les non-executives directors soient d'un calibre et d'un
nombre suffisants pour-que leur poids dans les décisions du conseil soit
vraiment significatif2. Il recommande aussi, compte tenu du peu d'efficacité des
assemblées générales, une meilleure information des actionnaires. Ceux-ci
pourraient notamment poser des questions écrites sur les rapports annuels3.
Il recommande aussi la création de comités de nomination, de
rémunération, d'audit. Ceux-ci, particulièrement le comité d'audit, devant par leur
indépendance assurer un contrôle du management4.
L'institutionna/ Shareho/ders Committee (I.S.C.) exhorte les investisseurs
institutionnels à prendre un intérêt positif dans la composition des conseils, avec
notamment la nomination de non-executives d'un calibre suffisant, expérimentés
et indépendants5.
Aux Etats-Unis, on assiste à une réelle prise de conscience de la
nécessité de contre-pouvoirs.
Les Princip/es of Corporate Governance mettent l'accent sur le contrôle
par le conseil des directeurs de la gestion du management6. Ils recommandent
aussi la création de comités de nomination, de rémunération, d'audit?
Le Competitiveness Sub Conci/ Report recommande que les investisseurs
institutionnels s'efforcent d'influencer le gouvernement des sociétés. Il préconise
aussi une meilleure communication au sein des actionnaires et entre les
actionnaires et la société8 .
1
A. Tunc-op.cit. in RI.D.C. 1994 P. 70
2
idem.
3
Charlotte Villiers. Company Lawyer Briefing. Draft report by the Cadbury
Committee on the financial aspects of corporate govemance. In the Company
Lawyer.
vo113 n° 11 Nov. 1992 p.215.
4
cf. supra. Titre l-ch-l-S2 - §2 délégation de pouvoirs par les organes.
5
J. Charkam. op. cit. p.267.
6
s. 3.02 (a).
7
cf. supra. Titre l-ch-l-S2 - §2 délégation de pouvoirs par les organes.
8
J. Charkam op.cit. p.230.

72
Le rapport Gilson - Kraakman 1 recommande que la gestion des sociétés
soit contrôlée non seulement par les directeurs que l'on considère comme
indépendants, mais par des directeurs professionnels choisis par l'épargne
collective. Ces derniers auraient une expérience dans le domaine de la gestion.
Ils siègeraient dans quelques conseils moyennant rémunération.
Ils exerceraient leurs fonctions sous l'œil de l'épargne collective qui selon
le cas, les soutiendrait ou au contraire, ne demanderait pas leur réélection. Le
rapport préconise que progressivement ces directeurs professionnels forment le
quart de l'effectif du conseil des grandes sociétés2 .
Les droits anglais et américains s'orientent vers une sorte de triumvérat3
constitué par le management, des directeurs à qui on demande d'être
indépendants de celui-ci et l'épargne collective4.
Comme l'indique le Professeur Tune, "jadis quand l'épargne collective
déplorait la manière dont une société était gérée, elle votait "par les pieds" en
vendant ses titres. aujourd'hui, si l'enjeu en vaut la peine, elle reste dans la
société et s'efforce d'y réaliser un changement d'homme ou de politique"5.
Au Sénégal comme en France l'équilibre des pouvoirs semble devoir se
réaliser dans l'organisation même de la direction. Ce système pourrait bien
fonctionner à condition qu'il y ait les hommes qu'il faut aux postes qu'il faut6 .
Cela suppose un bon aménagement du statut des dirigeants sociaux.
1
C'est un rapport préparé par les professeurs R. J. Gilson de l'Université de Stanford
et R. Kralanan de l'Université de Harvard. dans le cadre du John Mc. Olin Program
in Law and Economica et publié en Août 1990 sous le titre: "Reinventing the Outside
director : An Agenda Jo InsLituiional investors (Working paper n °66) V. l'analyse de
A. Tune "Supprimer ou renforcer le conseil d'administration des sociétés
anonymes?" Le droit des alTaires internationales 1991. n05 p.669 et s. pp.679-685.
2
A Tune op. cit. RlDC. 1994 pp.66-67.
3
ibid p.72.
4
Dans l'affaire Volvo, les investisseurs institutionnels se sont successivement
déclarés pour ou contre la fusion avec Renault, et l'importance de l'opposition a
entrainé une division au sein du conseil et finalement le renversement de la
direction lA. Tune. op. cit. p.72).
5
A.Tunc Les droit américain des sociétés anonymes.
6
Ce système n'est pas exclusif de la cogestion. En efTet l'entrée des salariés au conseil
d'administration n'entraîne pas un changement des cadres existant. On aurait
toujours un président du conseil contrôlé par un conseil d'administration, â cette
différence que celui-ci comprendrait des actionnaires et des salariés.

73
TITRE Il : LE STATUT DES DIRIGEANTS SOCIAUX.
Par statut des dirigeants sociaux, nous entendons leur nomination, leur
révocation, leur rémunération et la faculté qui leur est donnée, selon les cas, de
cumuler leur mandat de dirigeant social avec un contrat de travail.
CHAPITRE 1 : LA NOMINATION DES DIRIGEANTS SOCIAUX.
Les dirigeants sociaux tiennent entre leurs mains la destinée de la société,
leur choix est donc capital. Le droit sénégalais, de même que les droits français,
anglais et américain, pose un certain nombre de règles relatives à la désignation
des dirigeants sociaux.
Ces règles concernent essentiellement les modalités des élections. Et l'on
ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec la société politique: les élections
sont-elles démocratiques 1 ? Nous savons que la société anonyme se veut, se
déclare une société démocratique. L'étude des
modalités des élections en
théorie et en pratique devrait apporter une réponse à cette question.
Une autre question mérite d'être posée, c'est celle des qualités et de la
qualification requises pour diriger une société. Les droits envisagés ne sont
guère prolixes sur ce point. Pourtant, c'est une question fondamentale qui
suscite de nombreuses ré1'Iexions aux Etats-Unis et en France, réflexions qui
pourraient déboucher sur une redéfinition de la fonction dirigeante.
SECTION 1 : LES MODALITÉS DE DÉSIGNATION DES DIRIGEANTS SOCIAUX.
Les modalités de désignation des dirigeants sociaux varient selon
l'organe désigné ; plus on s'éleve dans la hiérarchie, plus le collège des
électeurs est réduit. Ainsi, au Sénégal comme en France, aux Etats-Unis et en
Angleterre les administrateurs2 sont élus par les actionnaires, tandis que le
1
Abraham Lincoln définissait ainsi la· démocratie: "c'est le gouvernement du peuple
par le peuple et pour le peuple" (Discours de Gettysburg. le 19 Novembre 1863). La
démocratie est une forme de gouvernement que l'on oppose à la monarchie :
gouvernement d'un seul, et à l'oligarchie : gouvernement de quelques uns. La
démocratie postule la libérté du peuple et l'égalité entre les hommes. Les minorités
dirigeantes doivent étre issues du peuple. suivant un certain nombre de procédures
parmi lesquelles l'élection semble la plus confonne à l'idéal démocratique (cf C.
Debbasch. J. M. Pontier. Initiation à la politique - préCis Dalloz 3e éd. 1991. pp.96 et
s
2
Les directeurs atLx Etats-Unis et en Angleterre.

74
président du conseil d'administration 1 et le directeur général sont désignés par
les administrateurs.
Alors que les actionnaires votent en fonction de leur nombre d'actions -
leur droit de vote est proportionnel à leur nombre d'actions - le vote au sein du
conseil se fait par tête, selon la règle "un homme, une voix".
§1. La désignation des dirigeants sociaux par les actionnaires
La désignation des dirigeants sociaux par les actionnaires est celle qui
pose le plus de problèmes car le pouvoir effectif des actionnaires suscite bien
des interrogations. Ainsi le Professeur Tune, dans une chronique où il dénonçait
l'effacement des organes sociaux dans la société anonyme, considérait
l'assemblée générale comme "l'organe le plus inefficace", "un organe presque
fictif"2. De son côté, le Professeur Mazeand écrivait: "Assemblée souveraine,
actionnaires souverains. Tout cela n'est que du vent"3. Ces critiques émises
avant la loi du 24 .Juillet 1966 se sont prolongées sous cette loi, car entre la
théorie qui proclame la souveraineté de l'assemblée générale4 et la pratique,il
existe un fossé.
Ce phénomène observé en France se retrouve dans les autres pays
objets de notre étude. Ainsi en est-il au Sénégal: en pratique il semble que les
actionnaires n'aient pas tellement leur mot à dire sur le choix de leurs dirigeants.
Nous verrons à la lumière des expériences française, américaine et anglaise,
les solutions envisageables pour remédier à un système qui n'est démocratique
que sur le papier.
A. En France.
Les auteurs s'accordent à reconnaître que la réalité du pouvoir des
actionnaires est bien différente de la théorie. Ainsi, pour Messieurs Cozian et
Viandier : "Dans l'imagerie d'Epinal qui fait vivre les sociétés sous le régime de
la démocratie universelle, les citoyens-actionnaires constituent le peuple
1
Le chairman of the board aux Etats- Unis et en Angleterre.
2
A. Tune. "L'effacement des organes légaux de la société anonyme. D. 1952. Chr. XVII.
p.74.
3
L. Mazeaud. Rapport sur "La souveraineté de fait dans les sociétés anonymes en
droit français". Travaux de l'Association Henri Capitant. T.XV. Librairie Dalloz
1967 p.330.
4
C'est elle par exemple qui nomme et révoque les administrateurs.

75
souverain ... Mais la vérité est toute différente"1. Pour le Professeur Vasseur
également. en dépit des apparences, la désignation des administrateurs par
l'assemblée générale des actionnaires est peu démocratique. Il s'agit en fait
d'une cooptation déguisée, car un candidat qui n'est pas présenté par le conseil
en place et qui se présente lui-même aux suffrages au cours de l'assemblée a
peu de chances d'être élu 2et3 . De même Monsieur Chartier observe que
l'apparent pouvoir des actionnaires ne doit pas faire illusion. Ainsi, le plus
souvent, c'est le conseil d'administration qui contrôle en pratique le choix des
administrateurs 4 .
Cette situation n'est pas nouvelle puisque sous la loi du 24 Juillet 1867 -
où les administrateurs étaient considérés comme les mandataires des
actionnaires - les associés, bien qu'ils fussent théoriquement l'organe souverain
de la société, n'étaient pas, en pratique, maîtres du choix des administrateurs5.
La nomination des administrateurs par l'assemblée générale était "faussement
démocratique" car les pouvoirs appartenaient en fait à une petite oligarchie
financière toute puissante par ses moyens financiers6.
Ainsi le système français n'est démocratique7 qu'en apparence. A travers
les critiques doctrinales, nous avons un aperçu des freins à la démocratie :
cooptation déguisée, oligarchie financière. Les obstacles à des élections
démocratiques tiennent au système de vote lui-même qui est fondé sur la
détention du capital, et à la passivité des actionnaires, celle-ci ayant des causes
diverses.
1
Cozian-Viandier -op. cit- éd. 1991. p.249. n0820.
2
M. Vasseur - Droit des aITaires - fase. VI. Sociétés. Les cours du droit 1980-81. p.319.
3
Avant la loi n083-1 du 3 janvier 1983. cet ostracisme était accentué par le fait que
les minoritaires qui ont le droit de présenter des résolutions à l'assemblée générale
lorqu'Us représentent au moins 5% du capital social se voyaient interdire d'utiliser
ce procédé en vue de présenter des candidats (ancien art. 160 al 2 L.1966). Mais la loi
du 3 Janv. 1983 a supprimé cette restriction.
4
Y. Chartier, op. cil. p.252 n0126.
5
J. Perroud. "La condition de l'actionnaire" in Mélanges Ripert T.2 p.320. F. Bloch-
Lainé. Pour une réforme de l'entreprise - ed - Seuil 1963. p.71.
6
J. Cl. Renard. op. cil. p.1??
7
En droit constitutionnel, la démocratie signifie que le pouvoir suprême appartient
au peuple. directement ou par l'intem1édiaire de ses représentants.

76
1. le mode de vote: un obstacle à des élections démocratiques.
En droit français selon l'article 174 L. 66, le vote des actionnaires est
proportionnel à leur part dans le capital social1. C'est une disposition d'ordre
public, toute clause contraire est réputée non écrite. Cela justifie d'ailleurs le
vocable de "société par actions". Par conséquent, un actionnaire majoritaire
pourrait à lui seul désigner la totalité des membres du conseil d'administration.
Une minorité d'actionnaires réunissant la majorité du capital social le pourrait
également. C'est ce que suggérait Monsieur Renard 2 quand il évoquait pour la
fustiger une oligarctlie toute puissante par ses moyens financiers.
Certes, on ne devrait pas s'en prendre à ces actionnaires puisqu'après
tout les actions leur appartiennent et leur confèrent un droit de vote. Il est
comprétlensible qu'ils utilisent celui-ci comme ils l'entendent. Mais cette
appréciation suppose que l'on adopte la conception de la société propriété des
capital istes.
Si, en revanche, on considère que la société n'est pas la propriété des
actionnaires, mais un mode d'organisation de l'entreprise3 , avec tout ce que cela
implique sur le plan économique et social, l'actionnaire majoritaire doit voter
dans l'intérêt de la société 4 , mieux, de
l'entreprise et non dans le sien. Par
conséquent, s'il n'a pas d'aptitude particulière pour diriger la société, il ne doit
pas être candidat. Or en pratique, les actionnaires utilisent leur droit de vote sans
toujours tenir compte de l'intérêt social.
2. la passivité des actionnaires, frein à des élections
démocratiques.
Les actionnaires par leur passivité favorisent le pouvoir prédominant de
certains d'entre eux dans le choix des dirigeants. Ils ont certes parfois des
excuses. C'est le cas lors de la désignation des premiers administrateurs. Ceux-
ci se confondent généralement avec les fondateurs, et comme le souligne
Monsieur Perroud à propos de l'assemblée constitutive: "Comment les membres
1
Pour mettre fin au régime des actions à vote plural. la loi du 13 Nov. 1933 a décidé
que le droit de vote est obligatoirement proportionnel à la quotité du capital que
l'action représente (art. 174 L. 1966).
2
op. ciL loc. ciL
3
Cf. J. Paillusseau - "La société anonyme, technique d'organisation de l'entreprise"
passim.
4
On dit parfois que le droit de vote est un "droit-fonction", pour exprimer l'idée que
l'actionnaire l'exerce dans l'intérét de la société (Ripert et Roblot • op. ciL 12e éd.
1986 p.857 n01241).

77
de cette assemblée pourraient-ils avoir seulement l'idée de leur refuser leur
confiance ?"1. Il Y a donc l'aspect confiance qui joue. Les actionnaires ignorent
les qualités et qualifications réelles - elles ne sont que supposées - des
postulants, mais ils leur font tout de même confiance. On peut d'ailleurs
remarquer
que la désignation des dirigeants par l'assemblée constitutive ne
diffère guère de celle par les statuts, bien qu'on la présente généralement
comme plus démocratique.
Mais les actionnaires passifs n'ont pas toujours l'excuse de la confiance
placée dans leurs futurs dirigeants. Ainsi en est-il de ceux qui n'ont pas
l'intention de participer à la vie sociale, leur seul objectif étant de percevoir des
dividendes ou de spéculer sur les actions lorsque la société est cotée en bourse.
La passivité des actionnaires peut aussi s'expliquer par leur éloignement.
Ainsi l'actionnaire qui habite Nice et possède dix actions voire cent, ne va
évidemment pas dépenser plus que son dividende pour assister à une
assemblée générale se tenant à Paris. Si on le sollicite de donner un mandat, il
acceptera. Le seul moyen de le sortir de la passivité serait de lui donner la
possibilité d'exercer un choix, par mandat, entre des candidats dont on lui
indiquerait les qualifications.
B. Aux Etats-Unis
Théoriquement, ce sont les actionnaires qui élisent les directeurs. En
pratique, le conseil des directeurs a un "pouvoir prédominant dans le choix de
ses membres", et lorsque ce n'est pas lui qui influence ce choix, c'est le
management2. Les actionnaires sont donc en fait dépossédés de leur pouvoir de
nomination des directeurs3.
Les mandats de vote sont la cause essentielle de cette situation 4. Ils
constituent le principal mode de décision des actionnaires. Cela est dû à la
1
J. Perroud. op. cit - loc. cit.
2
A. Tune. Le droit américain des sociétés anonymes. P.107. n06l.
3
Ratoljub Ignjat Stefanovich. La structure du pouvoir de la grande entreprise
américaine et l'autogestion. Th. Droit Paris 1. 1979. p.122.
4
En sont aussi la cause le voting trust et la vente de contrôle. Mais ce sont des
phènomènes particuliers relativement rares. Le voting trust est une pratique par
laquelle plusieurs actionnaires confient leurs actions à un (ou plusieurs) trustee(s)
qui va exercer le droit de vote en leur nom collectif - notamment pour l'élection des
directeurs.
La vente d'un bloc de contrôle est souvent assortie d'une clause stipulant stipulant
que les membres actuels du conseil des directeurs démissionnent à tour de rôle et
qu'à chaque fois sera cooptée une personne désignée par l'acquéreur sans qu'il soit

78
dispersion
géographique
de
ceux-ci.
Assister
aux
réunions
serait pour eux une perte de temps et d'argent, vu leurs faibles investissements1.
Des efforts ont été accomplis pour lutter contre la confiscation du pouvoir
des actionnaires par la direction.
Par ailleurs les Etats-Unis ont un système de vote cumulatif, lequel
favorise des élections démocratiques.
1. Mesures destinées à renforcer le pouvoir des actionnaires.
1.1. Réglementation de la sollicitation des mandats.
L'article 14 de la loi de 1934 donne à la SEC le pouvoir de réglementer la
sollicitation des mandats de vote à l'assemblée générale. Pour le Professeur
Loss, la réglementation des mandats est sans doute le moyen d'information le
plus efficace du droit fédéral. La documentation qui accompagne le mandat
arrive aux mains des actionnaires, contrairement à la requête d'enregistrement
et aux rapports prévus par la loi 2 . L'idée fondamentale de la réglementation est
en effet de "porter l'assemblée générale au foyer des actionnaires"3. Elle vise
aussi à assurer la liberté de l'actionnaire qui donne mandat. Ainsi, le mandat
n'est valable que pour une assemblée générale. Il est révocable même
implicitement par l'émission d'un autre mandat4 .
S'agissant des élections des directeurs, l'actionnaire qui ne veut pas voter
pour les candidats de la direction peut remettre un mandat à l'opposition ou
s'abstenir. Cependant, depuis 1979, la formule de mandat doit permettre à
l'actionnaire de rejeter individuellement un ou plusieurs des candidats. Et la
formule de mandat ne doit pas permettre un vote en blanc pour un candidat qui
n'aurait pas été désigné dans le proxy statement5.
nécessaire de tenir une assemblée générale (A. Tunc op. ciL p.157 n0851. Les
actionnaires sont donc écartés du choix des directeurs appelés à remplacer les
directeurs démissionnaires.
l
Cary and Eisenberg. op. ciL 6e ed. P.278 - Chopper. Coffee. Morris. Cases and
Malerials on Corporation p.580.
2
L. Loss - cité par A Tunc - op. ciL p.191 n096.
3
A Tunc. op. ciL. p.191 n096.
4
ibid. p.194 n098.
5
idem. Le proxy slalemenl est un document qui doit accompagne toute solliciation de
mandat. Il comporte plusieurs indications. telles que la personne pour le compte de
qui la sollicitation est efTectuée et qui en supporte le coût etc ... (V. A. Tunc. op. ciL.
p.196 n099.

79
Selon les voeux de la SEC, le vote doit être éclairé. Ainsi, quand
l'assemblée doit élire les directeurs, ceux-ci doivent donner sur les candidats
des informations très détaillées concernant leurs activités et le nombre d'actions
qu'ils possèdent, et, s'ils étaient déjà directeurs, leurs relations avec la société et
leur rémunération 1. Toute sollicitation de mandat doit être accompagnée ou
- précédée d'un rapport annuel aux actionnaires. Ce rapport doit contenir
notamment, après consolidation et contrôle, les bilans des deux dernières
années et les comptes de pertes et profits des trois dernières, un certain nombre
de précisions financières et l'analyse de la direction sur la situation financière de
la société et sur le résultat de ses opérations. La SEC attache une grande
importance à cette analyse2 .
La réglementation sus-mentionnée assure une information assez efficace.
Mais, malgré le voeu de ses auteurs, elle laisse subsister la prédominance du
conseil dans le choix de ses membres. D'où la création du comité de nomination
(nominating committee)
1.2. Le comité de nomination
Répondant au souci de la SEC de mettre fin aux cooptations, la section
compétente de l'ABA recommande dans son Corporate Director's guidebook la
création d'un nominating committee.
Les Princip/es of Corporate governance préconisent l'instauration de ce
comité; de même que le Business Roundtab/e3.
Le rôle du comité de nomination est de proposer au conseil des candidats
sur la base de certains critères, la compétence notamment. Ce sont ces
candidats que le conseil va proposer aux actionnaires. Il faut noter que ceux-ci
peuvent adresser au nominating committee des suggestions. De sorte qu'en
définitive les candidats répondront à leurs attentes.
1
ibid. p.196. n099.
2
idem.
3
cf. supra. lèr partie Titre 1 - in Délégation de pouvoir

80
Les grandes sociétés comportent généralement un
nominating
committee1.
2. Le vote cumulatif un procédé démocratique
Le système du vote cumulatif permet à chaque actionnaire de "cumuler"
ses voix sur un ou plusieurs candidats de son choix. Les candidats réunissant le
plus grand nombre de voix sont élus directeurs. Le nombre de voix dépend à la
fois du nombre d'actions et du nombre de candidats. Ainsi par exemple, le
détenteur de cinquante actions en présence de six candidats, aura droit à 50 x 6
= 300 voix qu'il pourra "cumuler" sur deux candidats, ce qui lui permettra à défaut
de voir tous ses préférés élus, du moins d'assurer l'élection de certains d'entre
eux.
Historiquement, ce système a été introduit par la première fois dans
l'Illinois en 1871. Il fut par la suite adopté dans plusieurs autres Etats2. Il visait à
mettre un terme à de violents conflits opposant des groupes d'actionnaires3 .
L'avantage principal de ce système est de permettre une représentation
proportionnelle au sein du conseil des directeurs.
Ainsi chaque groupe d'intérêts, quelle que soit son importance, peut avoir
un porte-parole au conseil. La démocratie semble ainsi assurée.
Mais, c'est le revers de la médaille, le système du vote cumulatif peut
favoriser l'intrusion "du loup dans la bergerie" : ainsi il n'est pas exclu que des
membres de groupes concurrents s'introduisent par ce biais dans le conseil,
pour y "capter" les secrets de la société, et préparer sa prise de contrôle 4 .
On peut craindre aussi que les directeurs minoritaires ne fassent passer
l'intérêt de ceux qu'ils représentent avant celui de la société, ou que les
divergences avec les majoritaires ne paralysent l'action du conseils.
1
A. Tune op. cit. p.112 n066. Elles ont aussi un compensation committee et un audit
committee. Le nominating commiitee rencontre cependant le plus de scepticisme de
la part des dirigeants et c'est lui qui fonctionne le moins (ibid. p.113 n066).
2
Vingt -et-un Etats dont l'Illinois - le précurseur -, la Californie, et la Pennsylvanie
l'imposèrent. Dix-sept Etats le prévoyaient sans l'imposer. (cf. A. Tune. "Le vote
cumulatif pour l'élection des direcleurs de la société anonyme dans le droit des
Etats-Unis d'Amérique". in Mélanges René Savatier. 1965. p.896l.
3
J. Chamboulive op. cit. p.38 n056.
4
cf. A. Tune. op. cit; p.896, n05.
5
ibid, p.9ûl.

81
Ce système n'est donc pas une panacée, et à l'heure actuelle, certains
Etats, dont l'Illinois qui fut le premier à l'introduire dans sa constitution, ne
l'imposent plus. Néanmoins, il demeure. selon nous, un système démocratique.
c. En Angleterre.
La loi laisse au memorandum et aux articles le soin de déterminer le mode
de nomination des directeurs. Habituellement chaque directeur est élu par
l'assemblée générale sur proposition du conseil.
Le droit anglais n'a pas repris à son compte le système du vote cumulatif
et ne semble pas prêt à le faire 1.
Parfois, les statuts autorisent un directeur à nommer un directeur alternatif
(altemate director) pour agir à sa place lors des réunions auxquelles il ne peut
assister2. Ce procédé nous semble peu démocratique. Certes l'autorisation est
donnée par les statuts, donc par les actionnaires qui les ont votés, mais le choix
du directeur alternatif appartient au directeur. Il y a là une atteinte à la liberté de
choix des actionnaires qui se contentent de ratifier un choix fait par un autre.
C'est d'autant plus grave que les raisons pour lesquelles le directeur ne peut
assister aux réunions ne sont pas précisées. Donc, ce procédé peut aboutir à
une substitution d'un directeur à un autre, avec des conséquences sur la prise
de décision3.
En cas de vente d'un nombre important d'actions, il est courant que le
contrat contienne une clause assurant la nomination de l'acheteur ou de ses
protégés comme directeur4 .
Le rapport Cadbury préconise la création d'un comité de nomination (§ 4-
30). Celui-ci a pour fonction de recommander des personnes qu'il serait de
l'intérêt de la société d'intégrer au conseil et de donner son point de vue sur
celles qui seraient proposées par des officers ou des actionnaires5. Son but est
1
Gower. op. cit.. p.142.
2
ibid. poI43.E. Scholastique op. cit.. pol8.
3
Cela peut avoir des incidences sur la responsabilité : dès lors que le directeur
alternatif prend des décisions à la place du directeur empêché il doit en être
responsable (cf art 69 Table A. Penning ton-op. cil. ed. 1990 p.552l.
4
Pennington - op. cit. p.535.
5
A. Tunc - cité par E-Scholastique opo cil; p.406.

82
donc d'éviter que la cooptation ne conduise à une absence de contrôle sur le
management en raison de la nomination de membres trop favorables à celui-cP.
Il semble que le comité de nomination n'empêche pas la cooptation, mais
s'assure qu'elle intervient dans de bonnes conditions, au demeurant que les
personnes cooptées ne sont pas trop favorables au management.
o. Au Sénégal.
Les modalités d'élection des administrateurs et administrateurs délégués
se heurtent aux mêmes objections qu'en France, le système de vote étant de la
même manière fondé sur la détention du capital et l'attitude des actionnaires au
Sénégal ne différant pas de beaucoup de celle des actionnaires français.
Quel serait alors le remède?
On peut songer à l'instauration du système de vote "un homme - une voix"
comme cela se passe au sein du conseil d'administration et du conseil de
gestion. Mais l'assemblée générale n'est ni le conseil d'administration, ni le
conseil de gestion. Compte tenu du nombre d'actionnaires, ce système aboutirait
au même résultat, car il serait difficile de faire se déplacer les petits porteurs -
moins cependant qu'en France le contexte géographique n'étant pas le même2-
et ce seraient les gros porteurs, présents eux, qui feraient entendre leur voix
comme d'habitude.
Quant au vote cumulatif, il constitue sur le papier un système
incontestablement démocratique à_mai"s-à-I!.usqge il
révèle plusieurs
~
......
---~-
inconvénients. Cependant, ces inconvénients réels aux' Etats-Unis ne sont pas
tous transposables au Sénégal. Ainsi, le risque de prise de contrôle par une
entité concurrente n'est pas à craindre au Sénégal, ce genre de phénomène se
produisant rarement3.
La solution serait,
nous semble-t-il, d'éduquer les actionnaires.
L'actionnaire est passif parce que tout ce qui j'intéresse ce sont les revenus
1
E. Scholastique op. ciL p.406.
2
En France. dans les grandes SA comprenant des dizaines et des centaines de
milliers d'actionnaires. le détenteur d'un petit nombre d'actions n'a pas le plus
souvent la possibilité matérielle d'assister aux assemblées générales. S'il n'habite
pas la ville où se tient l'assemblée. les frais de déplacement dépasseront la valeur de
ses actions (cf. L. Mazeaud op. ciL p.331).
3
L'absence de Bourse y est pour beaucoup.

83
escomptés de ses actions. Il faut qu'il ait conscience que si la société ne marche
pas - parce qu'elle est mal dirigée - il en subira lui aussi les conséquences.
Cela, d'autant plus que du fait de l'absence de Bourse au Sénégal, il n'a pas
comme dans d'autres pays, la possibilité de "prévenir les dégâts" en revendant à
la sauvette ses actions.
Il faut informer de manière vraiment utile l'actionnaire. Nous avons vu
qu'aux Etats-Unis l'information descend chez l'actionnaire. On peut en effet
considérer comme inutile une information que l'actionnaire doit venir chercher,
ce qu'il ne fera pas. L'information utile est aussi celle qui est compréhensible. En
effet la passivité de l'actionnaire tient souvent au fait qu'il s'estime incompétent. Il
ne comprend pas les chiffres et autres éléments des comptes sociaux dont le
compte rendu est fait lors des assemblées générales.
Si l'information est faite de manière compréhensible, en temps voulu,
l'actionnaire s'intéressera aux affaires sociales, et cet intérêt se manifestera
entre autres dans le choix des dirigeants sociaux.
Plus l'actionnaire en saura sur
les candidats plus il sera disposé
à
utiliser
son
droit
de
vote.
D'ailleurs
le
nouveau
système
de
direction va dans ce sens : l'article 1284 al 1er COCC prévoit que les
administrateurs délégués sont désignés "individuellement". La loi met l'accent
sur la personne de ces administrateurs. En conformité avec elle, il faudrait
permettre aux actionnaires de faire un choix éclairé, donc les informer aux
maximum sur les
candidats, par là même les intéresser à cette question
fondamentale du choix des dirigeants.
Il faut souligner que dans le nouveau système de direction les
actionnaires choisissent les dirigeants les plus hauts placés de la société - il est
vrai qu'il n'yen a pas d'autres. Entre les actionnaires et les administrateurs
délégués, il n'y a pas d'organe intermédiaire. Les administrateurs délégués
peuvent être considérés comme des mandataires - le terme "délégué" le suggère
- des actionnaires, d'où l'importance particulière de leur choix.

84
§2 : La désignation de dirigeants par les administrateurs - ou les
directeurs
Administrateurs - ou directeurs· désignent celui qui sera placé au sommet
de la pyramide sociale 1. Ce personnage ne sera pourtant pas forcément le
patron de la société comme nous l'avons vu avec le président du
conseil
d'administration au Sénégal 2 .
A. L'élection du Président du conseil d'administration, et du
chairman of the board
1. Au Sénégal et en France, l'élection du président du conseil
d'administration.
Le président du conseil d'administration est nommé par le conseil
d'administration en son sein, au Sénégal 3 comme en France4. Cela confirme
l'assertion selon laquelle plus on s'élève dans la hiérarchie, plus le collège des
électeurs est restreint. Cela est surtout vrai en France où le président du conseil
L ~l. )~!adrTlinistration joue un rôle de premier plar1..;..-Ç~a-l~est-moins au Sénégal où le
1Ar~y président du conseil d'administration n'est pas le personnage le plus important
/
de la société - sauf lorsqu'il est en même temps directeur général, donc PdgS.
Comme pour toute décision prise au sein du conseil, le vote se fait par
tête. " ne suscite pas de problème particulier.
Dans le nouveau système, lors des réunions du conseil de gestion,
l'administrateur délégué dont la délégation est la plus ancienne préside la
réunion, sauf au conseil à élire un président dont les administrateurs délégués
fixent la durée des fonctions. Mais ce président n'est pas un organe social. Il
n'est pas le chef de la société.
2. Aux Etats-Unis et en Angleterre
1
Sauf dans le nouveau système de direction au Sénégal où les administrateurs
délégués n'ont personne au-dessus d'eux.
2
cf. supra in Titre 1 Pouvoirs - En droit sénégalais le patron de la société est le
directeur général et non le président du conseû d'administration
3
ar. 1272 COCC.
4
art. 110 L-1966.
5
cf. Supra - Titre 1 Ch.l - S.l - B.2)

85
Aux Etats-Unis, le chairman of the Board est désigné par ses collègues
directeurs1.
En Angleterre, le
chairman of the Board, bien que pouvant être le
personnage principal de la société 2 , ne fait pas l'objet d'une grande attention de
la part du législateur3 . Seul le modèle des statuts (Table A) prévoit son
existence4. Les directeurs peuvent nommer un président; ce n'est qu'un faculté.
~
B. l'élection du directeur général et du senior (chief) executive
director.
1. Au Sénégal.
Le directeur général est nommé par le conseil d'administration (art 1277
CaCC). Le président du conseil d'administration n'intervient pas, en cette
qualité, dans sa désignation. Dès lors, on peut craindre des heurts entre un
président qui n'accepte par "son" directeur général et celui-ci. C'est d'ailleurs
l'une des raisons de la restauration du cumul des fonctions de président et de
directeur général, redonnant ainsi naissance au prestigieux titre de Pdg, par la
loi du 10 Février 1993 modifiant ce\\le du 29 Juillet 1985. En effet, les présidents
de conseil d'administration n'admettaient pas la primauté du directeur général.
Il est certain que si le président du conseil d'administration proposait le
directeur général au conseil d'administration, ce serait le gage d'une
cohabitation harmonieuse. Mais, le directeur général étant le patron de la société
en droit sénégalais, il ne serait pas logique qu'il soit proposé par le président du
conseil d'administration comme c'est le cas en France.
2. En france.
Contrairement au Sénégal, le directeur général est nommé par le conseil
d'administration sur proposition du président5.
1
J. Charkam - op. ciL p.184.
2
A Tunc - Le droit anglais des sociétés anonymes 3 éd. 1987. p.182 n098.
3
J. Charkam - op. ciL p.266.
4
La loi prévoit toutefois la divulgation de sa rémunération.
5
art. 115 L.1966.

86
Cette procédure se justifie pleinement étant don né que le directeur
général est le "bras droit" du président, son assistant1 , il faut en effet que ces
deux personnes s'entendent afin de pouvoir collaborer de manière efficace.
3. Aux Etats-Unis et en Angleterre.
Aux Etats-Unis, le chief executive officer - comme les autres officers - est
nommé dans les by laws ou par le conseil des directeurs. Le choix du CEO est
une des fonctions principales du conseil 2.
En Angleterre, le managing director, ou le chief executive officer est
coopté par les membres du conseil. Son choix par le conseil se justifie vu qu'il
peut recevoir des instructions et être chargé d'exécuter les décisions du conseil.
Cela devient discutable lorsqu'il joue un rôle prépondérant équivalent à celui
d'un Pdg.
Ainsi, et en définitive, en gravissant la pyramide sociale, on rencontre
moins de problèmes du fait que les actionnaires ne sont quasiment plus
sollicités.
Pourtant une question mérite d'être posée, celle de la participation des salariés,
par le
biais de leurs organes représentatifs, dans le choix du patron de la
société qui n'est autre que le chef d'entreprise.
En effet, en tant que composante de l'entreprise, les salariés devraient
être aussi consultés quant au choix de la personne devant présider aux
destinées de leur entreprise donc aux leurs... Monsieur Bloch-Lainé affirmait que
les salariés ne tiennent pas tellement à participer au "sacre" des dirigeants3 .
C'était, il y a trente ans. Il est vrai que le fait d'avoir participé au choix des
dirigeants pourrait entraver la liberté de revendication des salariés. Ils sont par le
biais de leurs représentants, et même directement, un contre-pouvoir aux
instances dirigeantes de l'entreprise4 - et pour remplir ce rôle ils doivent être
1
Cozian et Viandier op. ciL. éd. 1993. p.244.
2
cf Slalement oflhe Business Roundtab[e. March 1990. op. cil., p.246. The Principles
of corporale govemance §3-02.
3
F. Bloch - Lainé op. cil., p.72.
4
O. Gélinier - "Le conlre-pouvoir syndical" in les cahiers français Mars-Avril 1977 -
p.37.
Ce contre-pouvoir est cependant variable, les syndicats n'ayant pas la même
puissance.

87
indépendants du pouvoir, ce qui ne serait plus tout à fait le cas s'ils avaient
contribué à sa mise en place.
Mais, à une époque où l'idée de cogestion est de plus en plus à l'ordre du
jour, il est presque certain que les salariés préféreront avoir leur mot à dire, car il
vaut mieux prévenir que guérir - ou que contester - et le choix des dirigeants est
de l'ordre de la prévention.
Section 2 : Le choix des hommes
La question du choix des hommes est fondamentale. Il faut que les
personnes désignées soient en mesure de remplir leur mission avec
compétence, honnêteté, diligence et désintéressement, dans l'intérêt de la
société et de ses
membres 1 . Comme l'écrit un auteur, l'élection des
administrateurs2 est le moment où s'opère "la discrimination des hommes et des
politiques, la sélection des mérites et des probités"3.
Les droits objets de notre étude ont-ils opté pour une sélection des
dirigeants? Certes, ils exigent certaines conditions pour être dirigeants, mais il
s'agit
pour une grande
part de conditions
négatives telles que les
incompatibilités, les interdictions. Or la sélection implique, selon nous, que soient
posées des conditions positives. En fait de conditions positives, certains droits
requièrent que les dirigeants soient actionnaires. Il ne s'agit pas d'une qualité!
ne faudrait-il pas exiger certaines qualités, voire qualifications des dirigeants?
Nous le pensons.
Nous partirons d'un constat: ce qui effectivement conditionne l'accès à la
fonction dirigeante. Ensuite nous plaiderons pour l'exigence de qualités et
qualifications particulières des dirigeants sociaux.
§ 1 : Le constat.
Le droit sénégalais pose des conditions pour être dirigeant. L'une est une
condition positive, les autres sont des conditions négatives. On les retrouve
selon les cas dans les autres droits.
1
Egalement dans l'intérêt du pays cf rôle économique et social de l'entreprise.
particulièrement lorqu'elle revêt la fomle de société anonyme.
2
Cette observation s'appliquerait avec bonheur à tous les dirigeants sociaux.
3
M. Guiguère. op. cil.. p.300

88
A. Condition positive : être actionnaire pour être administrateur.
Le droit sénégalais exige que chaque administrateur, ou administrateur
délégué, soit
titulaire d'actions 1. Le nombre en étant fixé par les statuts. Ces
actions doivent garantir tous les actes de la société même ceux personnels aux
administrateurs2 .
Le droit sénégalais reprend ainsi la règle du droit français. Ce dernier,
bien qu'ayant par la loi n088-15 du 5 Janvier 1988 supprimé les actions de
garantie, n'en a pas moins maintenu la nécessité pour les administrateurs d'être
actionnaires. C'est la persistance d'une tradition qui repose sur le modèle du
"capitaliste - entrepreneur"3. Certains auteurs y ont vu un moyen de forcer les
administrateurs à se montrer diligents, dans leur propre intérêt, car en tant
qu'actionnaires ils bénéficient de la réussite de la société. Ainsi le
Doyen
Roblot4 trouve "fâcheux que les administrateurs n'aient pas un intérêt important
dans la société". C'est un point de vue réaliste, mais il serait dommage qu'un
dirigeant ne se soucie de la bonne marche de la société que par intérêt
personnel.' Ce serait plutôt contraire à l'éthique - l'idéal ? - de la fonction
dirigeante qui est de mettre au premier plan les intérêts de la sociétéS.
Le droit anglais l'a bien compris, qui n'impose pas la qualité d'actionnaire
aux directeurs. Il ne l'exclut certes pas: les articles peuvent en effet exiger des
directeurs qu'ils possèdent un nombre minimum d'actions. Certains auteurs y
sont d'ailleurs favorables estimant que cela motivera davantage les dirigeants6.
Aux Etats-Unis aussi, il n'est pas nécessaire d'être actionnaire pour être
directeur?, et l'on sait combien le devoir de loyauté y est important. Ce n'est donc
pas l'intérêt en tant qu'actionnaire qui motivera le dirigeant. Cependant, et
comme en Angleterre, les articles ou les by laws peuvent exiger la détention
d'un certain nombre d'actions pour prétendre à la fonction de directeur. Il faut
1
art 1255 al 1 COCC pour les administrateurs : art 1284 COCC pour les
administrateurs délégués.
2
La société agit par l'inténnédiaire de ses organes sociaux. Il arrive que ceux-ci
dépassent leurs pouvoirs. leurs actes sont alors qualifiés de personnels.
3
M. J. Corry"de recrutement des dirigeants des sociétés anonymes en droit français
et allemand". thèse droit - strasbourg 1973 pp.13-14.
4
Ripert et Roblot op. cil. p.876 n01267.
5
cf infra in deuxième parUe. Les devoirs des dirigeants sociaux. Cette éthique est
exprimée dans les droits anglais et américains à travers le devoir de loyauté des
dirigeants sociaux envers la société.
6
Pennington op. cil. p.541. Farrar et alii. "Farrar's Company Lav p.299. "A share
qualification is usually justified on the ground that it ensures that manag~ment
have a personnal commitment to the company and its well being".
7
A. Tune. Le droit américain des sociétés anonymes p.104 n060.

89
remarquer que les directeurs sont souvent titulaires d'un contrat de travail1. On
peut considérer qu'ils ont alors un intérêt personnel, le sort des salariés étant
intimement lié à celui de l'entreprise. Mais cet intérêt est plus noble que celui du
détenteur d'actions car il est lié pour une grande part à celui de l'entreprise.
En droit sénégalais, les statuts des sociétés anonymes n'exigent souvent
que la détention d'une action par les administrateurs. C'est dire que les actions
ide garantie auront du mal à remplir ce rôle et que les dirigeants ne seront pas
motivés par la perspective de dividendes substantiels. On pourrait s'en féliciter et
considérer que leur motivation a une origine plus noble, n'eût été le montant
élevé de leur rémunération ...
Qu'en est-il des autres personnages clés de la société que sont le
directeur général et le président du conseil d'administration ? Le directeur
généml ne doit pas être nécessairement un actionnaire. Ce qui signifie que la
société peut avoir pour patron un tiers. C'est aussi le cas en France pour le
directeur général et les membres du directoire. Le fait que le directeur général au
Sénégal puisse être un tiers montre que ce n'est pas la détention d'une partie du
capital qui importe mais la valeur intrinsèque du dirigeant. Cela est d'autant plus
clair que le directeur général a comme les administrateurs une responsabilité
envers la société. Pour autant, ..Qn/ne luLe.~j.g.sL~er des pseudo-
actions de garantie.
Le président du conseil d'administration, au Sénégal comme en France,
parce qu'il doit être administrateur est forcément actionnaire.
En définitive, il nous semble que la condition positive posée par le
législateur sénégalais,
à savoir la condition
d'actionnaire
pour
être
administrateur, n'est pas essentielle comme en témoignent les droits anglais et
américain qui ne l'exigent pas. Elle devrait être supprimée, car la meilleure des
garanties ne se trouve pas dans les actions mais dans la personne même du
dirigeant. Certaines qualités ou qualifications rendent inutile une garantie
matérielle de sa part.
1
Il s'agit de ceux qu'on appelait "inside directors" : directeurs ayant en même temps
une [onction administrative. Aujourd'hui on les appelle "executive director" ou
"management direcLor" pour éviter toute confusion avec les insiders - équivalent
des initiés en droit français (A. Tunc op. cit. loc. ciL)

90
B. Conditions négatives.
Certaines conditions visent à protéger la société. C'est le cas des
déchéances et interdictions. En effet, certaines personnes doivent être écartées
de la direction en raison de leur passé qui démontre des carences graves ou
une malhonnêteté caractérisée'. D'autres conditions ont pour objectif de
protéger certaines professions dont les membres ne peuvent exercer
simultanément la fonction de dirigeant de société. Il s'agit des incompatibilités.
1. Protéger la société: les interdictions et déchéances
a. Au Sénégal.
La
loi française du 30 Août 1947 relative à l'assainissement des
professions commerciales est toujours applicable au Sénégal. L'article 2 de
cette loi interdit la direction, la gérance ou l'administration d'une entreprise
industrielle ou commerciale quelle qu'en soit la forme juridique aux personnes
coupables de crimes et de certains délits (vol, escroquerie, abus de confiance
etc...)
En outre l'ouverture d'une procédure de règlement judiciaire ou de
liquidation des biens comporte le risque pour certaines personnes d'être
soumises à des déchéances. Ces personnes sont, selon l'article 1031 cacc :
les commerçants personnes physiques, les personnes, physiques dirigeants de
personnes morales de droit privé non commerçantes 2 , les personnes physiques
représentants permanents des personnes morales3 , les personnes physiques
dirigeants de personnes morales commerçantes.
Les personnes précitées encourent la faillite personnelle, laquelle est une
sanction qui entraîne tout un faisceau de déchéances et interdictions4 dont
l'interdiction de diriger une société. La faillite personnelle est obligatoire dans
certains cas et facultative dans d'autres. L'article 1033 cacc reprenant l'article
1
M. J. corry. op. ciL p.19.
2
A. l'exclusion de celles qui n'ont pas d'objet économique et qui ne poursuivent. ni en
droit. ni en fait. un but lucratif.
3
Au Sénégal (cf. art 1251 COCC) comme en France (cf art 91 L.1966) une personne
morale peut être nommée administrateur. Elle est tenue de désigner un
représentant permanent.
4
Didier Martin. Droit civil et commercial sénégalais. Les nouvelles éditions
africaines. Dakar. Abidjan - Lomé 1982. p. 234 nOlOll.

91
106 de la loi française n067-563. du 13 Juillet 1967 - désormais abrogée •
énonce les cas de faillite obligatoire. Il s'agit de :
la soustraction de comptabilité, le détournement ou la dissimulation
d'une partie de l'actif, la reconnaissance frauduleuse de dettes qui
n'existaient pas.
l'exercice d'une activité commerciale personnelle, soit par personne
interposée, soit sous le couvert d'une personne morale.
l'usage des biens sociaux comme des siens propres
l'obtention par dol d'un concordat par la suite annulé.
et plus généralement, la commission d'actes de mauvaise foi,
d'imprudences inexcusables ou d'infractions graves aux règles et
usages du commerce 1.
Dans de tels cas la faillite personnelle est obligatoirement prononcée
contre ces personnes. Cela aura pour conséquences des interdictions civiques,
honorifiques professionnelles. Parmi ces dernières figure l'interdiction de diriger,
gérer, administrer ou contrôler une entreprise commerciale à forme individuelle
ou sociale 2. Les personnes ainsi sanctionnées ne pourront en conséquence être
dirigeants d'une société anonyme.
L'article 1035 cacc énonce les cas dans lesquels la faillite personnelle
est facultative. Il s'agit de :
la commission de fautes autres que celles qui entrainent la faillite
obligatoire.
l'incompétence manifeste
l'absence de déclaration dans les 15 jours de la cessation des
paiements
la mise en état de liquidation des biens.
Dans ces cas, le tribunal a le choix: il retient soit la faillite personnelle, soit
l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou
contrôler toute entreprise
1
L'article 1034 COCC donne une liste - non limitative - de tels actes:
exercice d'une activité commercialesou d'une fonction de direction dans une société
au mépris d'une interdiction prévue par la loi.
absence d'une comptabilité confonne aux usages de la profession eu égard à
l'importance de l'entreprise.
achaLs pour revendre en dessous du cours dans l'intention de retarder la
constatation de la cessation des paiement. ou l'emploi. dans la même intention de
moyens ruineux pour se procurer du crédit etc...
2
cf. l'article 1032 COCC reprenant l'article 105 L.13 Juillet 1967.

92
commerciale ou une personne morale. Ces mesures concernent, selon l'art 1035
al 1 COCC, les dirigeants de droit ou de fait, apparents ou occultes, rémunérés
ou non.
L'article 1036 COCC prévoit aussi un cas de faillite personnelle facultative
: en cas de
règlement judiciaire ou de liquidation des biens, lorsque tout ou
partie du passif a été mis à la charge du dirigeant1 et qu'il n'a pas acquitté cette
dette. Dans ce cas le tribunal retiendra soit la faillite personnelle de ce dirigeant
soit l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, soit toute entreprise
commerciale, soit seulement une personne morale.
Ces deux textes: articles 1035 et 1036 COCC, reprennent respectivement
les articles 108 et 109 de la loi française du 13 Juillet 1967.
Selon l'article 1054 COCC, toute condamnation pour banqueroute simple
ou frauduleuse prononcée à l'encontre des dirigeants de droit ou de fait d'une
personne morale entraîne de plein droit sa faillite personnelle. Donc, entre
autres, l'interdiction de diriger, administrer ou gérer une société.
Le droit Sénégalais s'est largement inspiré de la loi française n067- 563
du 13 Juillet 1967. Cette loi a été abrogée et remplacée par celle du 25 Janvier
1985, laquelle a subi des modifications par la loi n094 - 475 du 10 juin 19942.
b. En France
Le tribunal, en cas de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire,
peut prononcer contre le débiteur ou le dirigeant fautif, la faillite personnelle ou
l'interdiction de diriger ou contrôler une entreprise.
Ces deux sanctions existaient dans la loi du 13 Juillet 1967 - reprise par le
COCC au Sénégal. Elles ont été cependant modifiées par la loi n085-98 du 25
Janvier 1985 qui a notamment supprimé la faillite personnelle obligatoire. La
récente loi n094-475 Juin 1994 apporte aussi quelques modifications.
1
dirigeant de droit ou de fait. apparent ou occulte. rémunéré ou non.
2
Loi n094 - 475 du 10 Juin 1994 relative à la prévention et au traitement des
dillicultés des entreprises. 10 du Il Juin 1994 p.8440.

93
Pour notre propos, il faut noter que les circonstances pouvant entraîner la
faillite personnelle sont selon l'article 182 L1985 les suivantes: Le dirigeant de
droit ou de fait, rémunéré ou non:
a disposé des biens de la personne morale comme des siens propres,
sous le couvert de la personne morale, a fait des actes de commerce
dans un intérêt personnel,
a fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à
l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre
personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé
directement ou indirectement,
a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation
déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements,
a tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents
comptables de la personne morale ou s'est abstenu de tenir toute
comptabilité conforme aux règles légales,
a détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement
augmenté le passif de la personne morale,
a tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au
regard des dispositions légales.
Cette dernière circonstance a été ajoutée par la loi du 10 Juin 1994.
L'incrimination concernant la comptabilité est élargie : une comptabilité
incomplète ou irrégulière peut être retenue au lieu de l'absence de toute
comptabilité.
La faillite personnelle peut aussi, selon l'article 189 L.1985 être
prononcée contre celui qui:
a exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une
fonction de direction ou d'administration d'une personne morale
contrairement à une interdiction prévue par la loi,
a, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de
redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en
vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moye ns
ruineux pour se procurer des fonds,
a souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements
jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la
situation de l'entreprise ou de la personne morale,

94
a payé
ou fait payer, après cessation des paiements et en
connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des
autres créanciers,
a omis de faire dans le délai de 15 jours, la déclaration de l'état de
cessation de paiements.
Selon l'article 190 L-1985, la faillite personnelle peut être prononcée
contre le dirigeant de la personne morale qui n'a pas acquitté les dettes de celle-
ci mises à sa charge.
Dans tous les cas où la faillite personnelle est encourue le tribunal peut
en lieu et place prononcer l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler
directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale,
toute exploitation agricole, et toute personne morale, soit une ou plusieurs de
celles-cP.
La juridiction répressive qui reconnaît une personne coupable de
banqueroute peut en outre prononcer sa faillite personnelle ou l'interdiction de
diriger... précitée selon l'article 201 L-1985.
c. En Angleterre.
Les interdictions et déchéances sont appelées disqualification. Les
causes de disqualification sont nombreuses et difficiles à recenser2. Les sources
en la matière sont le Companies Act et le Company Directors Disqualification Act
(CODA) de 1986.
La principale cause de disqualification est la faillite. Cependant, les
directeurs
peuvent être disqualifiés hors du contexte de la défaillance de la
société si la protection de l'intérêt public le justifie ; la disqualification
s'apparente alors à une véritable mesure d'assainissement des professions3 .
Ainsi, on a vu disqualifier les dirigeants de sociétés saines, dont le tort était
d'avoir commis une infraction en relation avec la liquidation d'une société4 .
1
cf. art 192 L-1985. Cet article a vu son champ d'application étendu par la loi du 10
juin 1994 dont l'article 85 élend la possibilité de prononcer l'interdiction de
diriger. .. à tous les cas de faillite personnelle.
2
E. Scholastique. op. cil. pp.95 et s.
3
ibid. p:89.
4
R.V. Appleyard (1985) 81 Cr. App. R.319. Cité par E. Scholastique op. cil. p.96. Il
s'agissait d'une fraude à l'assurance. un directeur ayant incendié ses bureaux pour
toucher la prime d'assurance.

95
Le Company Directors Disqualification Act de 1986 énumère les cas de
disqualification. Ils concernent:
la personne déclarée coupable de violation de la loi (indictable offense)
en relation avec la promotion, la formation, la direction, ou la liquidation
d'une société ou en relation avec la réception ou la gestion des biens
de la société 1,
la personne coupable de fraude, l'intention coupable ayant été
découverte lors de la dissolution de la société (winding up)2,
la personne ayant eu une mauvaise conduite en tant que directeur de
droit ou de fait d'une société insolvable, cette conduite consistant en la
violation de ses devoirs fiduciaires, ou de tout autre devoir, ou dans
une mauvaise utilisation des biens sociaux, ou dans le non respect des
exigences du Companies Act de 19853.
le directeur de droit ou de fait dont l'inspection diligentée par le
Secrétaire d'Etat au commerce et à l'industrie dans sa société, a révélé
l'inaptitude à diriger la société4 ,
le directeur ou le secrétaire d'une société qui n'a pas fait les
déclarations ni rendu les comptes et autres documents, ni fait les
notifications au registre des sociétés exigées par le Companies Act de
1985, ce à plusieurs reprisesS. C'est une disqualification pour défauts
persistants (persistant default),
la personne que le tribunal a condamnée sous l'Insolvency Act à
contribuer au paiement du passif. Cette personne doit être reconnue
coupable de fraude aux créanciers (fraudulent trading) ou de poursuite
fautive de l'activité (wrongful trading) 6.
1
art 2 (1) CDDA 1986.
2
art 4 (I) CDDA 1986.
3
art 4 (I) CDDA 1986.
4
art 9 (1) et Sch. 1 - CDDA 1986.
5
arts 3 el 5 CDDA 1986.
6
art 10 (1) . Sur les noUons dejraudulent trading et de wrongJul trading v. A. Tune.
Le droit anglais des SA. 3ed, 1987, p.336 nOI82,.

96
Les tribu naux ont beaucoup usé de ce pouvoir de disqualifier les
dirigeants comme en atteste l'abondante jurisprudence 1• Dans certains cas le
directeur avait contrevenu à la moralité commerciale2 ; dans d'autres il s'était
livré à une gestion téméraire sans tenir compte des possibilités de la société3, ou
encore il avait fait preuve d'une grave incompétence4.
Le non respect d'un ordre de disqualification constitue un crimeS. La
nomination est nulle.
Le droit américain ne se prononce pas à notre con naissance sur
l'interdiction de gérer. Cela peut surprendre, mais il en est de même en droit
allemand. Dans ce droit, qui adopte une conception
professionnelle du
dirigeant, on se serait attendu à ce qu'existent des barrages contre des
dirigeants qui se révèlent indignes de continuer ou de
prendre de nouvelles
fonctions 6 , mais il n'en est rien. Cela s'explique par le fait qu'en pratique les
dirigeants des sociétés allemandes sont choisis pour leur honorabilité après une
enquête sérieuse. Les membres du Vorstand sont généralement des directeurs
techniques des sociétés, et leur promotion sociale garantit leur honnêteté?
En définitive et pour en revenir aux droits objets de notre étude, il ne faut
pas minimiser les interdictions, car elles peuvent éviter aux sociétés d'avoir à
leur tête des
personnes au passé douteux8 . Elles ont donc un but
prophylactique 9 . Mais pour remplir pleinement ce rôle elles doivent faire l'objet
de publicité.
Des mesures de publicité existent mais, s'agissant du Sénégal, le système
est défectueux. La publicité étant mal faite, il arrive que des dirigeants frappés
d'interdiction se retrouvent à la tête d'autres sociétés.
En Angleterre, par contre, la publicité est bien faite : le tribunal qui
ordonne la disqualification doit la notifier au Secrétaire d'Etat au commerce et à
l'industrie qui conserve ces ordres dans un registre ouvert au public1O.
1
V. la jurisprudence citée in Penningion op. ciL p.582.
2
idem.
3
idem.
4
idem.
5
idem.
6
M. J. Corry op. ciL p.128.
7
idem.
8
F. Dekeuwer-Defossez-Droit commercial - ed. Montchrestien 1992 p.147 n0161.
9
L. H. Leigh. op. cit. p.183.
10
art 18 (1) et (2) CDDA 1986.

97
2. Protéger la fonction d'origine: les incompatibilités.
En France, certaines fonctions ne sont pas compatibles avec celle de
dirigeants de société. Il s'agit des fonctions gouvernementales et parlementaires,
des emplois dans la fonction publique, des fonctions d'oHicier ministériel, des
professions libérales.
Ainsi, un avocat ne peut être président du conseil d'administration,
membre du directoire ou directeur général 1. Il en est de même des conseils
juridiques 2 . Un notaire ne peut être président du conseil d'administration,
membre du directoire ou directeur général3.
Les commissaires aux comptes peuvent quant à eux, être présidents du
conseil d'administration, administrateurs, directeurs généraux ou membres du
conseil de surveillance ou du directoire 4 : mais ils ne peuvent devenir
administrateurs d'une société qu'ils étaient chargés de contrôler, pendant cinq
ans après expiration de leur mandat.
Au Sénégal et contrairement au droit français, les textes ne prévoient pas
d'incompatibilité entre les fonctions précitées et celle de dirigeant social, mais ils
déclarent ces fonctions incompatibles avec l'exercice du commerce. Peut-on
étendre ces incompatibilités à la fonction de dirigeant social?
Pour répondre à cette question, il
faut s'interroger sur les raisons de
l'incompatibilité d'exercer le commerce qui frappe les notaires, les avocats, les
fonctionnaires, les membres du gouvernement, les parlementaires...
S'agissant des professions libérales, l'explication peut être trouvée dans
le caractère non spéculatif qui leur est attaché traditionnellement. Quant aux
fonctionnaires, l'Etat exige d'eux une disponibilité totale, rendant par là-même
impossible le cumul avec une autre professionS qu'elle soit commerciale ou non.
1
art 57 du Décret n072-468 du 9 Juin 1972. Les avocats peuvent cependant être
nommés adminislraleurs ou membres du conseil de surveillance, s'ils justifient
d'une ancienneté de 7 ans dans leur profession.
2
art. 49 du Décret n072-672 du 13 Juillet 1972.
3
art 13 et 13-1 D.19 Déc. 1945 - art 2 D. 29 Avril 1986.
4
Ce depuis l'abrogation de l'article 82 0.69-810 du 12 Août 1969 par l'article 62 du
décret n085-665 du 3 Juillet 1985.
5
A moins que celle-cl ne soit un prolongement de leur fonction ou qu'elle lui soit
complémentaire ex: médecins de CHU enseignant en même temps à l'Université.

98
Ces deux types de considérations débouchent logiquement sur une
incompatibilité avec la fonction de dirigeant de société. En effet, le but des
sociétés est lucratif, c'est d'ailleurs ce qui les distingue des associations. Dès
lors, être dirigeant de société implique la recherche de bénéfices, ce qui est
incompatible avec l'appartenance à une profession libérale, compte tenu de
l'éthique de celle-cP.
Quant aux fonctionnaires, la fonction de dirigeant de société empiéterait
sur leur temps et les empêcherait d'avoir une entière disponibilité envers
l'administration.
1\\ faut aussi tenir compte d'une autre raison: les responsabilités qui pèsent
sur les dirigeants sociaux, notamment en cas de faillite. Cela pourrait rejaillir
négativement sur leur cadre d'origine2.
Comme nous pouvons le constater les incompatibilités ne sont pas à
proprement parler un critère de sélection des dirigeants.
La sélection des dirigeants devrait se faire à partir de critères positifs
fondés sur leurs qualités et leur qualification.
§1. Qualités et qualification des dirigeants sociaux.
A. Des qualités.
Que la loi l'exige expressément ou non, les dirigeants de la société
doivent avoir certaines qualités. Quelles sont ces qualités? Ni le droit sénégalais
ni les autres droits étudiés ne le précisent. Mais on peut les découvrir à travers
les devoirs qui pèsent sur les dirigeants, car pour les remplir il faut avoir
certaines qualités. Deux qualités se dégagent : la loyauté et la diligence. Par
conséquent, les électeurs devront porter leur choix sur des candidats présentant
ces qualités3 . S'agissant de la loyauté, la connaissance personnelle du
candidat, peut être éclairante. Ainsi, lorsque le candidat a travaillé dans
l'entreprise et a fait preuve de loyauté, il est presque sûr qu'il sera loyal en tant
1
La réalité des professions libérales s'est beaucoup éloignée de cette éthique. La
preuve la plus éclatante est l'exercice de celles-ci sous forme de société cf. En France
les sociétés d'exercice liberal (Loi n090-1258 du 31 Déc. 1990).
2
Cependant l'incompatibilité, n'empéche pas l'application de mesures telles que la
faillite.
3
Nous n'employons pas. à dessein, le verbe avoir, car le candidat a une apparence qui
ne coïncide pas forcément avec la réalité.

99
que dirigeant social. De même la conscience professionnelle qu'il aura
manifestée en tant que salarié de l'entreprise sera de bon augure quant à sa
diligence en tant que dirigeant.
Mais le plus souvent le candidat ne viendra pas de l'entreprise. Les
électeurs devront alors interroger son passé. Celui-ci révélera selon le cas des
qualités ou des défauts pouvant orienter leur choix.
La loi et les devoirs qu'elle impose aux dirigeants ne sont pas les seuls
critères quant aux qualités des dirigeants. Il faut aussi tenir compte des électeurs
eux-mêmes et, nous l'avons vu, l'organe compétent varie selon les dirigeants à
élire. Ainsi, ce sont les actionnaires qui désignent les administrateurs, mais ce
sont les administrateurs qui nomment le président du conseil d'administration, au
Sénégal et en France. Il faut donc s'interroger sur les attentes respectives de
chaque type d'électeurs.
Un sondage effectué auprès des chefs d'entreprises américaines révèle
les dix qualités les plus importantes à leurs yeux pour être chef1
1.
Energie physique et nerveuse.
2.
Esprit de suite, ténacité.
3.
Enthousiasme.
4.
Compréhension humaine.
5.
1ntég ri té .
6.
Maîtrise de la technique.
7.
Caractère décidé.
8.
Intelligence
9.
Sens pédagogique
10.
Inspirer confiance.
Le même sondage s'il était réalisé auprès des actionnaires aurait sans
doute donné des réponses différentes.
Ce qui nous frappe dans ce "catalogue" c'est que la dernière qualité est
"inspirer confiance". Il est à peu près certain que des actionnaires auraient
1
Source: R. Caude - "De l'organisation scientifique du travail au management des
entreprises" ed. Fayard p.89. cité par C. Pascano. Le statut juridique des managers.
Thèse Droit Paris 1-1974 p.78.

100
donné une meilleure place à cette qualité! De même l'intégrité occuperait sans
doute une meilleure position.
Ce sondage reflète la mentalité, la culture d'un peuple. Ainsi tout ce qui a
trait à la combativité est mis au premier plan: 1°) Energie physique et nerveuse;
2°) Esprit de suite, ténacité; 3°) Enthousiasme. Les Etats-Unis sont le pays des
self-made-men. En outre le libéralisme conduit les entreprises à se livrer à une
lutte sans merci. Pour cela il faut de la combativité.
Il faut aussi noter la bonne place qu'occupe la compréhension humaine.
Cette qualité est indispensable à un chef d'entreprise compte tenu de
l'importance du climat social pour la bonne marche de l'entreprise. Des
actionnaires n'y auraient sans doute pas attaché la même importance car ils
raisonnent plus en terme de "société" que d"'entreprise".
Ce sondage a donc été effectué auprès des chefs d'entreprises pris en
tant que tels et non en tant qu'électeurs. Cependant le système de cooptation fait
des dirigeants les vrais électeurs de sorte qu'il faut s'attendre à retrouver les
qualités précitées chez les dirigeants de sociétés américaines "élus" par leurs
pairs.
Le guidebook indique les qualités requises d'un directeur, car propres à
lui permettre d'assumer effectivement ses responsabilités: l'intelligence, le tact
et la sensibilité, l'intégrité, la force de caractère et la sagesse sont
indispensables.
Le sondage précité avait été aussi effectué auprès des chefs d'entreprises
françaises. l'ordre des qualités fut le suivant:
1.
Esprit de suite, ténacité.
2.
Intégrité.
3.
Inspirer confiance.
4.
Compréhension humaine
5.
Intelligence;
6.
Enthousiasme.
7.
Caractère décidé.
8.
Maîtrise de la technique.
9.
Energie nerveuse et physique.
10.
Sens pédagogique.

101
Nous remarquons la bonne place qu'occupent l'intégrité et le fait d'inspirer
confiance. Ainsi, si la cooptation aboutit à faire des dirigeants les véritables
électeurs, leurs attentes rejoignent celles des actionnaires 1.
Nous constatons aussi que la maîtrise de la technique n'occupe pas une
bonne place (8e position). Il ne s'agit pas à proprement parler d'une qualité, cela
relève de la qualification.
L'esprit de suite et la ténacité occupent la tête du classement. Cette
réponse est celle d'hommes ayant l'expérience de la direction, et reflète les
difficultés qu'ils ont à affronter dans leur mission. C'est ce même vécu qui
explique sans doute la bonne place qu'occupe la compréhension humaine: le
facteur humain est un élément très important dans la vie de l'entreprise2.
A la lumière des développements précédents, quelles qualités devraient
être requises des dirigeants sociaux au Sénégal?
Selon nous, certaines qualités sont indispensables quel que soit le niveau
de responsabilités. Ainsi doit-on attendre de l'administrateur, de l'administrateur
délégué, du directeur général, du président du conseil d'administration qu'ils
soient des hommes intégres. La moralisation de la vie des affaires passe par
cette exigence. la personnalité morale de la société ayant
cet effet pervers
d'attirer des gens peu scrupuleux.
D'autres qualités seront particulièrement attendues du chef d'entreprise -
le directeur général en l'occurrence, ou le président directeur généra1. La
compréhension humaine est très importante, surtout compte tenu du contexte
économique et social actuel. Dans l'entreprise doit régner un climat social
harmonieux ; les tensions sociales ayant de mauvaises répercussions sur la
rentabilité de l'entreprise3 .
1
Nous êmettons là une hypothèse. mais il nous semble êvident que les actionnaires
choisissent. par exemple comme administrateurs. des hommes qui leur inspirent
confiance et des hommes intêgres.
2
cf. Les cahiers Français. "L'entreprise: structure et pouvoirs" n018ü - Mars-Avril
1977.
3
Les dirigeants sociaux sont malheureusement souvent impuissants car l'entreprise
est une caisse de rêsonnance de notre sociêtê : quand l'environnement va mal, cela
se repercute sur l'entreprise.

102
L'enthousiasme est aussi nécessaire dans le contexte de crise que
traverse l'économie sénégalaise 1. Mais si l'enthousiasme est nécessaire au
départ, il faut ensuite de la ténacité et l'esprit de suite pour ne pas baisser les
bras à la première difficulté...
Le sens pédagogique est utile dans des relations de type vertical, mais
non égalitaire. Ainsi dans le nouveau système, la direction est collégiale, les
administrateurs délégués sont placés dans une situation égalitaire de sorte que
le sens pédagogique n'y aura pas la même importance que dans le système
classique où le directeur général, ou le président directeur général, devront en
user dans leurs rapports avec le président du conseil d'administration, ou les
administrateurs, sans compter les salariés de l'entreprise.
Nous avons volontairement mis de côté la maîtrise de la technique et
l'intelligence qui concernent la qualification plutôt que les qualités.
B. De la qualification des dirigeants sociaux
Cette question est à l'ordre du jour en France, aux Etats-Unis et en
Angleterre. Pendant longtemps on a fermé les yeux sur cet aspect pour la simple
raison qu'on considérait que "diriger n'est pas un métier", "on naît dirigeant",
"diriger ne s'apprend pas" etc... Mais les difficultés que rencontrent nombre
d'entreprises ont mis en lumière le problème de la compétence des dirigeants.
"Le dirigeant digne de ce nom doit avoir une compétence étendue en des
domaines fort divers"2. "Les dirigeants modernes se veulent à la fois des
représentants du capital et des hommes éminents par leur capacité de
gouverner de grands ensembles économiques"3.
C'est aux Etats-Unis qu'est né le phénomène des managers. La France vit
actuellement à l'heure des managers4. L'Angleterre n'est pas en reste. A la
lumière de ces droits nous tenterons de trouver des réponses à ce problème qui
existe à l'état latent au Sénégal, les mêmes causes produisant les mêmes effets.
1
Plus que de l'enthousiasme. il faut du courage - cf "... Diriger est devenu de plus en
plus difficile et requiert davantage des dirigeants de qualité ... et courageux. Ainsi
parle-t-on à bon droit du courage de diriger". (C. Bussenault et M. Pretat-
Organisation et gestion de l'entreprise Vuibert 1990, pAO.)
2
C. Berr - op. cit. n0540.
3
M. J. Corry - op. cil. p.12.
4
L'expansion 3-16-Septembre 1992 p.60 "Messieurs les administrateurs" enquête de
Hervé Jannic.
Revue "Education Pem1anente" n0114/ 1993 p.l. "La formation des dirigeants".

103
1. En France.
La question de la formation des dirigeants est à l'ordre du jour1, ce qui
montre que le dirigeant doit avoir certaines aptitudes, certaines innées peut-être,
mais d'autres acquises par le biais d'une formation adéquate.
La nécessité d'une formation des dirigeants a été contestée, au motif que
l'on se forme à un métier, or "la fonction de dirigeant ne correspond pas à un
métier - C'est un état auquel on accède à un moment donné... "2. Ce point de vue
est critiquable car le dirigeant n'est ni un prince. ni un roi ! Il traduit une déviation,
voire une dénaturation de la fonction dirigeante.
Une autre raison est aussi invoquée : "il n'existe pas de corps de
connaissances constitué dont la maîtrise garantirait la réussite dans cette
fonction". Cela est aussi discutable car dans aucun métier3 la réussite n'est
garantie à l'avance quels que soient les diplômes, le talent. Il ne faut pas
attendre une "garantie" de réussite, mais tabler sur les "chances" de réussite, et
celles-ci dépendent - entre autres - de l'aptitude des dirigeants, laquelle peut
être obtenue ou améliorée par une formation.
De plus en plus, la technocratisation de la direction trouve des défenseurs.
Déjà en 1951, Monsieur Berr écrivait: "le dirigeant digne dè ce nom doit avoir
une compétence étendue en des domaines fort divers. Il lui faut tout d'abord
posséder les connaissances techniques nécessaires à l'activité exercée. Certes,
il n'est pas indispensable qu'il soit lui-même un technicien. On peut même dire
que ce n'est guère souhaitable, la plupart du temps. Car les sociétés un peu
importantes dispose nt de directeurs techniques chargés de résoudre les
problèmes matériels que pose la production 4 , il n'en reste pas moins vrai que
l'ingénieur ou le directeur technique propose, tandis que le dirigeant dispose ... "S.
Aujourd'hui la France s'est mise à l'heure des managers. Les chasseurs
de têtes sont
à l'affût d'une nouvelle race de gibier: les administrateurs
professionnels 6 . Cela se justifie par l'internationalisation des marchés, le
1
ibid (Revue Education permanente).
2
ibid éditorial de Pierre Caspar.
3
Ainsi le chirurgien n'est pas assuré de la réussite de l'opération. l'acteur ne l'est pas
du succès de sa prestation. le commerçant n'est pas assuré non plus de la prospérité
de son fonds.
4
Cela pourrait expliquer la mauvaise position de la "maîtrise de la technique" dans
le sondage précité effectué auprès des dirigeants français (cf supra).
5
C. Berr - op. ciL n0540.
6
L'expansion 3-16-Septembre 1992 - prée. p.60.

104
renforcement de la concurrence, la sophistication croissante des montages
financiers. Les conseils d'administration ne
peuvent se contenter d'être des
chambres d'enregistrement. Leurs membres doivent avoir un haut niveau de
compétence technique. Comme l'indique le cabinet de recrutement Heidrick and
Struggles, "il serait grand temps que la logique de la compétence l'emporte sur
celle de l'appartenance"1.
Dans les grandes sociétés faisant appel à l'épargne publique, les
dirigeants sont choisis en raison de leur compétence technique; ce sont des
managers professionnels ne possédant qu'une faible part du capital 2 . Les
dirigeants des
grandes sociétés forment une technocratie d'autant plus
semblable à la haute administration qui dirige la France que leur origine est
identique : une grande école et le passage plus ou moins obligé par l'Ecole
Nationale d'Administration (ENA)3. L'efficacité technique de ces managers issus
des grandes écoles véritables pépinières de compétences techniques,
est
renforcée par un réseau de relations souvent nées sur les bancs de l'école4 .
Cependant, comme le souligne Monsieur Daigre, "il ne serait pas bon de
fermer la direction des entreprises à ceux qui en ont le goût, le caractère et le
courage ou dont une solide expérience remplace un quelconque diplôme"S.
Nous partageons ce point de vue. Ainsi l'expérience acquise au sein de
l'entreprise nous semble être un bon critère de qualification. Il n'est pas
nécessaire qu'il s'agisse de la même entreprise, mais si tel est le cas c'est
encore mieux. En effet, outre le fait qu'il y a là un facteur de promotion sociale,
cela présente l'avantage que la personne connaît bien l'entreprise, ses
composantes et son environnement; de plus elle sera choisie "en connaissance
de cause" par les actionnaires s'il s'agit du poste d'administrateur ~ ou certains
d'entre eux qui, ne serait-ce que par ouï
dire, connaissent les qualités des
cadres de l'entreprise6 . Il en est ainsi des qualités suivantes qui, il faut le
reconnaître, ne peuvent se révéler qu'à l'épreuve de la réalité sociale:
"la vision à long terme et le sens du détail stratégique,
l'adaptabilité et les facultés de négociation,
1
idem.
2
Cozian - Viandier - op. cit. 6e éd. 1993. p.125. n0352.
3
Casimir et Couret - op. cit. p.131. n0534.
4
Les Cahiers français n0180. Mars Avril 1977 p.31.
5
J.J. Daigre. "Réflexions sur le statut individuel des dirigeants de sociétés
anonymes". Rev. Stés 1981, pp.498-499. n03.
6
Il faut être réaliste. parmi les nombreux travailleurs de l'entreprise. les cadres
supérieurs. responsables de tel ou tel secteur sont les plus connus.

105
la capacité de décider et de prendre des risques et d'en assumer les
conséquences,
le pragmatisme et l'imagination,
le leadership et le recul affectif,
la force de caractère et la motivation à progresser"1,
2. Aux Etats-Unis
Après la deuxième guerre mondiale, J. Burnham, décrivant l'évolution des
entreprises américaines, obseNait qu'une révolution silencieuse s'était produite:
les managers remplaçant peu à peu les propriétaires2. Galbraith considère que
la technostructure, c'est-à-dire la classe des managers, remplace celle des
actionnaires. Cela est rendu nécessaire par la complexité de la vie des affaires:
il faut des connaissances approfondies dans des domaines divers: informatique,
finances, droit, économie, sociologie ... pour organiser une firme3 .
Si l'on se réfère au sondage précité effectué auprès de dirigeants
américains - et français - la maîtrise de la technique vient en sixième position et
l'intelligence en huitième position. Autrement dit, ce qui a trait à la compétence
n'est pas considéré comme prioritaire. Faut-il y voir un rejet par les intéressés de
la technocratie? Certes non; l'explication est sans doute d'ordre sociologique
car les Etats-Unis sont un pays de self-made-men, et la réussite d'hommes qui
n'étaient guère diplômés est un témoignage ...
Cela dit, les nouvelles générations ont tendance à suivre une filière
classique, leur permettant de s'assurer une formation adéquate pour accéder
aux plus hautes fonctions, y compris celle de dirigeant social. Ainsi se sont
développées les écoles de management. Celles-ci démentent l'assertion selon
laquelle la compétence ne s'apprend pas. Ainsi, le Massachussetts Institute of
Technology (M.I.T.) apprend à ses stagiaires les cinq comportements à adopter
dans une position de commandement:
user de son autorité de façon économique,
adapter son commandement au personnel à diriger,
persuader plutôt qu'ordonner,
savoir sanctionner les fautes,
1
cf. P. Caspar - éditorial - in Revue "Education permanente" n0114/ 1993 - 1 précité.
2
J. Burnham. Managerial revolution. traduction: l'Ere des organisateurs. éd.
Calman. Levy 1947. Cité in Les Cahiers Français Mar 5 - Avril 1977. p.31.
3
Galbraith "Le nouvel Etat industriel Gallimard 1974. Cité in Les Cahiers français
Mars Avril 1977. p.31.

106
faire travailler en équipe 1.
On remarque que c'est la compétence "humaine" qui est ainsi enseignée.
C'est dire que si cela s'apprend2 , a fortiori, la compétence technique!
Selon le rapport Gilson - Kraakman 3 , le conseil des directeurs doit
comporter des directeurs professionnels choisis par l'épargne collective. Le
prototype du directeur professionnel serait une
personne de cinquante ans,
professeur de finances dans une grande école ou associé d'une grande 1irme
d'audit ou d'expert en gestion. Ainsi, les directeurs professionnels auraient une
compétence affirmée en matière de gestion. Si l'on se base sur ce portrait-type, il
ressort que le directeur professionnel serait un homme d'expérience ayant à la
fois une compétence théorique et pratique.
Aux Etats-Unis, la nécessité d'une professionnalisation de la
direction
rencontre une forte adhésion 4.
3. En Ang leterre
A l'instar des Etats-Unis, il y a une prise de conscience de la nécessité
d'une qualification accrue des dirigeants sociaux. Si la législationS tente de
réagir face à la mauvaise gestion des dirigeants en les "disqualifiant", de
manière pour ainsi dire préventive 6 et positive des tentatives sont 1aites pour
remettre la direction des sociétés entre les mains de personnes compétentes?
C'est là une véritable révolution car traditionnellement les exigences en
matière de diligence et de compétence des dirigeants étaient plutôt limitées,
comme en témoigne la célèbre affaire City Equitable Fire Insurance Co Ltcf3
dans laquelle le juge Rohmer déclarait. "Les directeurs ne garantissent en
aucune façon qu'ils sont compétents ou perspicaces et ils peuvent être tout le
contraire sans encourir de responsabilité".
1
cf. C. Pascano - op. cit. p.80 note 1.
2
Comme le souligne C. Pascano. la compétence "humaine" est dans le domaine du
management rationnel. Elle peut faire l'objet d'un enseignement scientifique (op.
cit. pp.79-80).
3
cf. supra in Titre 1 Ch 2. Sect. 3 §3.
4
M. Lipton and J.W. Lorsch "A Model Proposai Jor Improved Corporate Govemance"
(1992) 48 Bus-Law-59.
5
cf. Insolvency Act, CODA.
6
E. Scholastique op. ciL p.134.
7
C. Villiers (1992) 11 Co. Law. 214 spéc. p.389.
8
Prée.

107
A l'heure actuelle, face à la complexité des matières que les directeurs
"1>
doivent comprendre, discuter, qui plus est, en un temps très limité, une
qualification des dirigeants s'impose. Ainsi le PRONEDl tient un fichier
comportant les qualifications et l'expérience de personnes désireuses d'être des
non-executive directors. Les sociétés à la recherche de ces dirigeants peuvent
utiliser ce fichier.
L'lnstitute of Directors dispense des cours sur les devoirs, pouvoirs et
responsabilités des dirigeants. Il leur enseigne aussi le droit, avec notamment
un exposé des nombreuses lois susceptibles de s'appliquer à la société et à son
conseil 2. Des cours de finance y sont aussi dispensés: analyse des comptes et
des bilans, compréhension des ratios et de leur lien avec
les résultats de la
société, préparation des budgets, contrôle de la qualité de l'information
financière etc...3 . L'institute of Directors se veut un institut de formation des
directeurs4 .
Le rapport Cadbury préconise justement une formation des directeurs.
4. Au Sénégal
La cascade de faillites des entreprises sénégalaises devrait conduire à
requérir de manière stricte que les entreprises aient à leur tête des personnes
compétentes. L'excuse de l'environnement et de la conjoncture difficile ne
suffisent plus. L'exemple des pays développés tels que les Etats-Unis,
l'Angleterre et la France qui n'ont pas hésité à mettre en cause de dirigeants
jugés inaptes doit faire réfléchir. Et plutôt que choisir une solution a posteriori
consistant à sanctionner les dirigeants incapables, par le biais de la révocation
ou de la responsabilité, il vaudrait mieux prévenir que guérir par une sélection
des dirigeants. Autrement dit, il faut choisir des hommes dont la qualification
permet d'espérer qu'ils sauront diriger la société. Cette qualification peut être le
résultat d'une formation acquise dans des instituts spécialisésS, mais aussi d'une
expérience
acquise
au
sein
de
l'entreprise.
Ira-t-on
jusqu'à
une
professionnalisation de la direction? Pourquoi pas? Le législateur sénégalais
1
En 1981, soucieuse de voir des directeurs indépendants siéger dans les conseils de
directeurs. la Banque d'Angleterre a suscité la création du PRONED. C'est un
groupement chargé de promouvoir les non-executive directors lA. Tunc op. ciL,
RLD.C. 1994, p.67).
2
E. Scholastique. op.cil.. p.365.
3
Idem.
4
ibid. p.364.
5
Il e.xiste un centre d'enseignement supérieur d'aministration et de gestion ICESAG).

108
en modifiant la loi du. 29 Juillet 1985 par la loi du 10 février 1993 a supprimé les
limites au cumul des mandats de ,président du conseil d'administration et
Q..f d. € cV.r. ech..v.>-t ~Ql'\\.Q.J\\. cJ)
d'administrateur1~et l'exposé des motifs indique que cette disposition a pour but
de permettre à ces personnes de faire bénéficier le plus de sociétés possibles de
leur expérience. On peut ainsi imaginer des directeurs généraux professionnels
auxquels plusieurs sociétés pourraient faire appel.
Certes, on peut objecter que cela peut poser des problèmes de
disponibilité: le dirigeant de plusieurs sociétés peut-il consacrer à chacune le
temps et l'énergie nécessaires? Il lui faudrait alors avoir des adjoints dans
chacune des sociétés; il leur donnerait des directives et les contrôlerait. En tout
état de cause, il prendrait les décisions importantes.
En définitive, et pour conclure sur la nomination des dirigeants sociaux,
diriger une société n'est plus un privilège. On s'achemine, aux Etats-Unis, en
France et à un moindre degré en Angleterre, vers une professionnalisation de la
direction. Evolution qui, nous l'espérons, gagnera le Sénégal. Et nous pensons
que le développement de la technocratie ne se fera pas au détriment de la
démocratie, à condition que les actionnaires puissent exercer pleinement leur
pouvoir de choisir, parmi ceux qui ont les aptitudes professionnelles et les
qualités requises, les meilleurs ...
1
Avant cette modification. une personne physique ne pouvait appartenir à plus 10 de
conseils d'administration (art.1252 COCC)
ni être président du conseil
d'administration de plus de 3 sociétés anonymes (art 1273 COCC).

109
Chapitre Il : La révocation des dirigeants sociaux
De toutes les circonstances mettant fin prématurément aux fonctions des
dirigeants: démission 1, perte des conditions requises pour être dirigeant telles que
la capacité, l'âge etc ... la révocation nous semble être la plus importante,
juridiquement parlant. En effet, elle apparaît comme une sanction extrême ce qui ne
manque pas de susciter bien des interrogations. Qui détient un tel pouvoir de
renvoyer les maîtres de la société? et sur quelle base? Quelles sont les garanties
offertes aux dirigeants pour assurer leur protection conre le risque d'arbitraire?
Quelle appréciation porter sur les différents types de révocation existant au
Sénégal, confrontés à ceux des autres pays, objets de notre étude que sont la
France, les Etats-Unis, et l'Angleterre?
Pour répondre à ces questions nous envisagerons successivement:
les différents types de révocation (section première) ;
les garanties des dirigeants révoqués (section 2) ;
l'appréciation des différents types de révocation (section 3).
Section 1: Les différents types de révocation
Qui détient le pouvoir de révoquer les dirigeants? La réponse varie selon
l'organe révoqué. Quant aux raisons de la révocation elles débouchent sur la
distinction entre une révocation discrétionnaire, ne nécessitant aucun motif, et une
révocation pour j;uste motif. C'est la distinction traditionnelle que l'on observe en
droit français, ql}e co.nnaissent aussi le droit américain, et que l'on retrouve en droit
;..----
~-
sénégalais.
Mais entre ces deux types de révocation, il faut ajouter désormais au
Sénégal, depuis la loi du 29 juillet 1985, un type intermédiaire de révocation,
applicable aux administrateurs délégués dans le nouveau système de direction et
dont l'inspiration anglaise ne fait pas de doute.
La démission est souvent présentée comme le corollaire de la révocation ; elle obéit
d'ailleurs à des règles similaires. Ainsi lorsqu'elle porte préjudice à la société, elle
engage la responsabilité de son auteur.

110
Ainsi derrière l'intitulé de cette section qUI evoque plutôt les formes de la
révocation, il faut considérer des questions de fond à savoir le fondement de la
révocation. Autrement dit, en matière de révocation le fond et la forme sont
indissociables.
§ 1. La révocation ad nutum
Le terme latin "ad nutum" signifie "au moindre signe"1. Le dirigeant révocable
ad nutum serait, littéralement, révocable "au signe de la tête". Mais cette expression
ne doit pas être prise au pied de la lettre; ainsi la révocation ad nutum est-elle
généralement dé'finie comme une révocation pouvant avoir lieu "à tout moment"2. La
Cour de cassation française la définit comme une révocation intervenant à tout
moment sans préavis, ni précision de motifs3 . Elle souligne qu'elle ne peut donner
lieu à des dommages et intérêts que si elle revêt un caractère abusif eu égard aux
circonstances dans lesquelles elle est intervenue.
La définition de la Cour de Cassation française est sans doute la définition la
plus complète,. car si l'on définit la révocation "ad nutum" comme une révocation
pouvant se faire "à tout moment" on risque de faire entrer dans cette catégorie des
révocations qui ne sont pas ad nutum, parce qu'elles doivent être justifiées4.
Deux
organes sont indiscutablement révocables
ad nutum en droit
sénégalais comme en droit français. Il s'agit des administrateurs, et du président du
Conseil d'Administration.
1. La révocation des administrateurs en droits sénégalais et français
En droits sénégalais5 et français 6 , les administrateurs sont révocables ad
nutum par l'assemblée générale des actionnaires. Il existe ainsi un parallélisme des
1
Cf. Dictionnaire Félix Gaffiot. Nutus : signe de tête
2
Y. Chartier, op. cit., p. 256, n° 128.
C. Pascano, op. ci!., p. 150.
3
Casso com., 27 mars 1990, JCP ed. E. 1990, Il, 15802.
4
Nous le verrons au Sénégal notamment à propos des administrateurs délégués dans le
nouveau système de direction et du directeur général dans le système classique.
5
Art, 1250 al 2 cacc.
6
Art, 90 al 2 L. 1966.

111
formes - c'est le même organe qui nomme et révoque - qui peut se justifier par la
perte de confiance de l'assemblée générale pour ceux qu'elle avait choisis.
A. Absence de formalisme
Cette révocation n'obéit à aucun formalisme. Ainsi, il n'est même pas
nécessaire que la question figure à l'ordre du jour1. L'assemblée générale n'a pas à
donner les raisons de la révocation. Ainsi, tant quant au fond que sur la forme, les
administrateurs sont-ils à la merci des actionnaires qui peuvent les remercier sans
autre forme de procès. La situation des administrateurs semble donc bien précaire:
une épée de Damoclés plane sur leur tête.
Mais les administrateurs ont les moyens de parer à une telle précarité. En
effet, étant le plus souvent majoritaires à l'assemblée générale, ils peuvent
empêcher leur révocation. Et même lorsqu'ils ne sont pas actionnaires majoritaires,
ils peuvent assurer la pérennité de leurs fonctions par le biais des conventions de
vote 2 et par la collecte de mandats de vote.
B. Fondement de la révocation ad nutum en droits français et
sénégalais
1. Le droit français
Il est très attaché à la révocation ad nutum . Cela s'explique par le fait que
traditionnellement, les dirigeants sociaux étaient les mandataires des associés. Le
Doyen Ripert expliquait la révocation ad nutum par la conception contractuelle de la
société : "Si on abandonne la conception contractuelle, le droit de révocation ad
nutum ne se comprend pluS"3. Outre le mandat, la souveraineté des associés doit
être prise en compte, ainsi que le pouvoir des dirigeants.
1
Art 160, al 3L. 1966.
2
Les conventions de vote sont licites, mais doivent être limitées dans le temps.
3
G. Riper!. Traité élémentaire de droit commercial n° 1158. Cité par J. CI. Renard, op.
ci!., p. 129, n° 154.

112
a. Le mandat
L'idée de mandat dominait tout le droit des sociétés dans la loi du 24 juillet
1867, les administrateurs - pour ne parler que d'eux - étant les mandataires des
associés. La loi du 24 juillet 1966 bien qu'ayant une vision plus institutionnelle de la
société, en faisant notamment prévaloir le concept d'organe légal, n'a pas pour
autant renié le mandat. Or qui dit mandat, dit confiance. C'est la confiance qui fonde
le mandat; dès lors, si le mandataire perd la confiance de son mandant, celui-ci est
en droit de lui retirer son mandat. Transposé aux rapports administrateurs -
actionnaires, ce raisonnement explique que si les actionnaires ne font plus
confiance aux administrateurs, ils puissent les révoquer.
Dans le droit commun du mandat, quand le mandat est passé dans l'intérêt
du mandant et non du mandataire, celui-ci ne subit pas de préjudice si son mandat
lui est retiré et n'a donc pas droit à des dommages et intérêts. En revanche, en cas
de mandat d'intérêt commun, c'est-à-dire lorsque le mandataire comme le mandant
y ont un intérêt, le mandataire aura droit à des dommages et intérêts.
Peut-on transposer cette règle aux relations "administrateurs - actionnaires" ?
Traditionnellement, les actionnaires étaient des capitalistes propriétaires de la
société qui en confiaient la gestion à des personnes chargées de la faire fructifier
dans leur intérêt. Le mandat était donc uniquement dans l'intérêt du mandant, en
l'occurrence les actionnaires, et, en cas de révocation des administrateurs
mandataires, ceux-ci ne pouvaient prétendre à une indemnité.
Mais à l'heure actuelle, cette conception est dépassée: la société n'est plus
considérée comme la propriété des capitalistes mais comme le cadre juridique de
l'entreprise où se rencontrent de multiples intérêts. Ainsi les travailleurs qui sont au
cœur de l'entreprise, également les partenaires de l'entreprise que sont les
créanciers, l'Etat, et bien entendu les consommateurs. Nous n'oublions certes pas
les capitalistes. En définitive, si mandat il y avait, ce serait un mandat d'intérêt
commun à plusieurs catégories personnes, y compris les dirigeants. Dès lors, leur
révocation devrait justifier l'octroi de dommages et intérêts, ce qui n'est pas le cas.
Alors ne faut-il pas chercher ailleurs de fondement de la révocation ad nutum des
administrateurs?

113
b. La souveraineté des associés
La souveraineté des associés a été aussi invoquée comme fondement de la
révocation des administrateurs 1.
La souveraineté des associés correspond à la ~liérarcl1ie traditionnelle de la
société anonyme inspirée de la société politique2 où \\e peuple - ici les associés - est
souverain. Mais un tel fondement est-il valable de nos jours quand on sait que la
hiérarchie est aujourd'hui renversée, en faveur des gouvernants, en l'occurrence les
organes dirigeants? Ce fondement n'est cependant pas à exclure car le dirigeant
révoqué abusivement n'a droit qu'à des dommages et intérêts3 . Il ne peut prétendre
à une réintégration dans ses fonctions. Le dernier mot revient ainsi aux
actionnaires.
c. Le pouvoir des administrateurs
La révocation ad nutum des administrateurs peut être analysée comme la
contrepartie de leurs pouvoirs4. Au même titre d'ailleurs que leur responsabilité. Or
celle-ci comme nous le verrons5 est peu usitée. La révocation ad nutum serait ainsi
un succédané de la responsabilité, ayant l'avantage sur cette dernière de sa mise
en œuvre si simple et radicale.
2. En droit sénégalais
Pour fonder la révocation ad nutum des administrateurs en droit sénégalais,
on pourrait évoquer la tradition issue du droit français. La loi française du 24 juillet
1867 était encore applicable au Sénégal, même après l'indépendance. Elle a été
abrogée par la loi du 29 juillet 1985 portant code des sociétés au Sénégal. Or,
"La règle de la révocabilité ad nutum des administrateurs est à la fois la conséquence et
l'expression même de cette souveraineté". Hossan M. Issa; (capitalisme et SA en Egypte
LGDJ 1970, p. 439).
2
Cf. supra in première partie, Titre 1, Pouvoirs ...
3
Cf. infra, section 2, garantie des dirigeants révoqués.
4
J.L. Aubert. La révocation des organes d'administration des sociétés commerciales.
RTDCo, 1968, p. 977.
Cf. l'art, 98 L. 1966, leur confère les pouvoirs les plus étendus pour agir en toute
circonstance au nom de la société.
5
Cf infra, in deuxième partie, titre 2, La responsabilité des dirigeants sociaux.

114
comme nous l'avons souligné précédemment, la loi du 24 juillet 1867 considérait
les dirigeants sociaux comme des mandataires dont le mandat devait prendre fin
dès lors que leur mandant ne voulait plus d'eux.
Outre l'idée de mandat et celle de confiance qui la sous-tend, on peut aussi
fonder la révocation ad nutum en droit sénégalais sur la souveraineté des associés.
Ce fondement invoqué en France nous semble d'autant plus crédible au Sénégal,
que le Directeur Général n'est pas révocable ad nutum , lui dont la révocation ne
dépend
ni
directement 1 , ni indirectement 2 de l'assemblée générale des
actio nnai res.
Le pouvoir ne nous semble pas en revanche être le fondement de la
révocation des administrateurs au Sénégal, car en fait de pouvoirs ceux-ci sont
concentrés entre les mains du directeur général, lequel n'est pas révocable ad
nutum.
II. La révocation du président du Conseil d'Administration en droits
sénégalais et français.
En droit sénégalais3 comme en droit français 4 , le président du Conseil
d'Administration est révocable ad nutum par le Conseil d'Administration. On observe
ainsi un parallélisme des formes puisque c'est le Conseil d'Administration qui le
nomme. Cependant, il peut être révoqué, indirectement, par l'assemblée générale
des actionnaires. En effet, le président du Conseil d'Administration devant
obligatoirement être administrateur de la société, il suffira alors à l'assemblée
générale de le révoquer en tant qu'administrateur, pour qu'il soit automatiquement
déchu de son poste de président du Conseil d'Administrations. Cette solution pour
logique qu'elle soit, nous semble discutable. En effet, le président est choisi par le
Conseil d'Administration en son sein et tant qu'il conserve sa confiance, il doit être
maintenu à son poste. Peu importe que le conseil soit l'émanation de l'assemblée
générale.
1
Les administrateurs sont révocables directement par les actionnaires.
2
Le président du CA est révocable indirectement par les actionnaires: en lui retirant
son mandat d'administrateur, ils le destituent de sa fonction de président du CA.
3
Art 1272, al. 3, cacc.
4
Art 110, al 3., 1966.
S
Ripert et Roblot, 12ème éd., 1986, p. 906 n° 1305 et la jurisprudence citée.

115
Cela est surtout vrai en France où le président du Conseil d'Administration
reçoit en quelque sorte délégation de pouvoirs de ses pairs21 . Au Sénégal, la
situation est différente puisque le président du Conseil d'Administration a des
fonctions de contrôleur et ne représente pas la société auprès des tiers. Les
pouvoirs entre les deux organes sont bien délimités et l'on ne saurait considérer le
président comme le délégué du Conseil. Il n'est donc pas choquant qu'un autre
organe,
en
l'occurence
l'assemblée générale
puisse
le destituer,
fût-ce
indirectement comme c'est le cas.
A. Fondement de la révocation ad nutum du président du Conseil
d'Administration
En droit français, on peut évoquer l'idée de mandat: le président du Conseil
d'Administration,
membre de cet organe collégial,
est délégué
par les
administrateurs. Ce "mandat" repose sur le confiance, et si celle-ci disparaît, il peut
lui être retiré à tout moment et sans justification.
On peut aussi se fonder sur le pouvoir du président du Conseil
d'Administration, la révocation ad nutum en étant la contrepartie22.
En droit sénégalais, ni l'un ni l'autre de ces fondements ne semble cadrer
avec les pouvoirs du président du Conseil d'Administration. Sans doute, le
législateur sénégalais a-t-il transposé les règles du droit français concernant la
révocation ad nutum
du président du Conseil d'Administration, en oubliant au
passage que celui-ci est devenu par la loi du 29 juillet 1985, un organe différent de
son homologue français! Ceci est d'autant plus grave qu'à l'instar du droit français,
l'article 1272 al 3 COCC précise que toute disposition contraire à la révocation ad
nutum est réputée non écrite. La révocation ad nutum du président du conseil est
donc d'ordre public.
21
Juridiquement. le Conseil d'Administration lui subdélègue une partie de ses pouvoirs
(cf. M. Chambaz, op. ciL, pp. 182-183).
22
Cf. raisonnement analogue à celui des administrateurs.
Messieurs Chartier et Mestre (Les grandes décisions de la jurisprudence. Les sociétés,
1ère éd., PUF, 1988, p. 190) observent que : "Comme les administrateurs et plus
encore qu'eux puisqu'il dirige personnellement la société, le président doit avoir la
confiance des actionnaires qui courent les risques de l'affaire par les capitaux qu'ils y
ont investis.

116
Même en France, où l'on peut lui trouver des fondements raisonnables, la
révocation ad nutum du président du Conseil d'Administration a ses détracteurs. On
lui a notamment reproché de donner aux seuls capitalistes le droit de décider selon
leur bon vouloir de congédier un président qui donne satisfaction et de n'être donc
pas conforme à la finalité économique et sociale de l'entreprise. Pour pallier cet
inconvénient on a proposé que si la révocation se produit sans juste motif, elle
puisse donner lieu à des dommages - intérêts23 . Mais comme le soulignent des
auteurs, si on accordait un tel droit au dirigeant, ceux qui ont le pouvoir de
révocation hésiteraient à l'utiliser en raison de son coût éventuel et retarderaient
cette décision, retard qui pourrait être fatal à l'entreprise24 .
On observe cependant des procédés visant à contourner le principe de la
libre révocabilité.
B. Le "contournement" de la révocation ad nutum en France
Certaines sociétés essayent de contourner la règle de la révocation ad nutum
par le biais de conventions telles que celles stipulant que le président bénéficiera
d'un contrat de travail si son mandat social prend fin. Mais les juges se montrent
fermes et considèrent que de telles conventions sont illicites car portant atteinte au
principe de la libre révocabilité du président du conseil. Ce fut le cas de la Cour de
Cassation dans un arrêt du 15 mars 198325 .
En l'espèce un salarié de la société avait, en moins d'un an, été promu
président du Conseil d'Administration de cette société. Mais il était prévu qu'en cas
de cessation de son mandat social, il serait nommé directeur commercial ou que la
société lui verserait une indemnité.
Un autre moyen utilisé consiste en l'obligation de rachat des actions du
président en cas de cessation de ses fonctions. Le procédé n'est pas nul en soi,
23
Y. Chartier. J. Mestre, op. cit., loc. cil.
24
Ibid.
25
Casso co., 15 mars 1983. Rev. Slés., 1983 p. 353 note Y. Chartier. JCP 1983, Il,
20002 note A. Viandier. Cet auteur critique la décision rendue qui heurte, selon lui, la
règle selon laquelle la fraude ne se présume pas.

117
mais il le devient, lorsqu'il a pour but de faire échec à la révocabilité ad nutum 26.
"Faire échec" car le prix à payer peut être si élevé qu'il dissuadera les
administrateurs de révoquer leur président.
Autre procédé: les conventions de vote relatives à la nomination du président
empêchant de lui désigner un remplaçant. Mais la jurisprudence française les
déclare nulles27 pour atteinte à la liberté de vote des administrateurs28.
Ainsi les astuces visant à éluder la libre révocabilité du président sont
neutralisées par la justice française.
Au Sénégal, sachant la faiblesse du contentieux en matière de sociétés, on
peut avoir quelques inquiétudes, car si de tels procédés sont employés, ils
produiront leur plein effet.
§ 2. La révocation pour juste motif
La révocation pour justes motifs peut être présentée comme une révocation
qui doit être motivée, et dont les motifs doivent être justes, raisonnables, légitimes.
Elle soulève cependant un problème sur un plan terminologique : si le droit
américain évoque à propos des directeurs une révocation for cause2 9 , en droits
sénégalais et français, la loi n'exige pas expressément une révocation pour justes
motifs, mais condamne la révocation sans justes motifs. Mais cela ne revient-il
pas au même?
Non, si l'on se base sur la déclaration de Monsieur Dailly au Sénat français 30
: "la révocation n'est pas subordonnée à un juste motif, mais à défaut d'un motif
valable, elle peut donner lieu à des dommages - intérêts". Il s'agissait en
l'occurrence de la révocation des membres du directoire, seul cas en France pour
lequel l'absence de justes motifs permet l'octroi de dommages-intérêts. "Malgré
cela, il ne faudrait pas y voir une révocation pour justes motifs". Point de vue partagé
26
Paris 30 Oct. 1976. Rev. Stés. 1977, p. 695, note D. Schmidt.
27
Les grandes décisions de jurisprudence, P; 192.
28
Les conventions de vote sur les décisions du Conseil d'Administration ne sont pas
règlementées. Les avis sont donc partagés.
29
Autrement dit, révocation ayant une cause.
30
J.O. déb. Sénat. Séance du 20 avril 1966.

118
par plusieurs auteurs qui estiment que la révocation des membres du directoire est
libre 1.
Oui, selon nous, cela revient au même. Ainsi en droit français, la loi n'exige
pas que le motif de révocation d'un membre du directoire soit exprimé. Mais le
dirigeant qui conteste sa révocation devra prouver que sa révocation était motivée
par des considérations injustes. Autrement dit, c'est une question de charge de la
preuve. Rien n'interdit donc de classer la révocation des membres du directoire
dans la catégorie des "révocations pour juste motif".
S'agissant du droit sénégalais, il n'exige pas expressément une révocation
pour justes motifs, mais il la requiert implicitement par le biais du rapport écrit que
doit présenter le président du Conseil d'Administration lorsqu'il propose la
révocation du directeur général au Conseil d'Administration2 . Logiquement, les
motifs de la révocation devront y figurer et bien sûr être justes.
En
résumé, sanctionner le défaut de justes motifs revient à exiger que le
motif - exprimé ou non - de la révocation soit juste3 .
D'ailleurs, si l'on accorde des dommages-intérêts au dirigeant révoqué
injustement, cela revient à reconnaître la responsabilité civile de la société, ce qui
implique une faute ayant causé un dommage. Cette faute en quoi consiste-t-elle,
sinon en la violation d'une obligation de révoquer pour justes motifs?
Dans cette catégorie "révocation pour justes motifs" nous étudierons le
directeur général en droit sénégalais. Son originalité par rapport à son homologue
français sera soulignée.
Y. Chartier, J. Mestre, op. cif., p. 208.
J.J. Daigre (op. cif., p. 510, n° 32) selon lequel, les membres du directoire s'ils sont
également révocables à tout moment, peuvent obtenir l'allocation de dommages-
intérêts, en l'absence de juste motif de révocation.
2
Cf. Art, 1277 al. 3, cacc.
3
Nous pouvons raisonner par analogie avec les infractions pénales. Le vol par exemple
n'est pas expressément prohibé, mais il est sanctionné. Par conséquent, il ne faut pas
voler.

119
1. Révocation pour justes motifs du directeur général en droit sénégalais
C'est une des rares matières de la loi du 29 juillet 1985 portant code des
sociétés, sur laquelle le juge ait eu à se prononcer, mettant en évidence l'ambiguité
de la loi et ses lacunes.
A. Une loi ambiguë et lacunaire
1. Ambiguïté
Selon l'article 1277 al. 3 COCC "le Conseil d'Administration peut révoquer le
directeur général à tout moment, sur proposition de son président. Ce dernier
présente un rapport écrit. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut
donner lieu à l'attribution de dommages et intérets... ".
La formulation de l'article 1277 al 3. est ambiguë et peut prêter à confusion.
En effet, la première phrase instaure une révocation "à tout moment" ce qui rappelle
inévitablement la révocation ad nutum 1. La deuxième phrase vient contredire cette
interprétation, car elle permet l'attribution de dommages et intérêts au dirigeant
ayant été révoqué sans justes motifs. Et comme nous l'indiquions précédemment2,
la révocation ad nutum ne peut donner lieu à des dommages et intérêts pour défaut
de justes motifs. L'organe qui révoque est souverain. Le seul cas qui puisse
permettre l'octroi de dommages-intérêts est l'abus de droit, lequel est lié aux
circonstances entourant la révocation et non au "pourquoi" de cette révocation.
Dans le cadre d'une révocation ad nutum , le juge n'a pas à tenir compte du
caractère juste ou injuste du motif, car de motif, il n'yen a pas, du moins n'est-il pas
exprimé.
On peut alors se demander, pourquoi le législateur sénégalais a jugé bon
d'indiquer que le directeur général est "révocable à tout moment". Sans doute faut-il
encore une fois incriminer l'accoutumance à reproduire les dispositions
françaises ...
Ce sont d'ailleurs les termes de l'art. 116 L. 1966 en droit français où le DG est
révocable ad nutum .
2
Cf. supra, nous nous référions à l'arrêt Casso Corn., 27 mars 1990 précité.

120
2. Lacunes
L'article 1277 al 3 suscite des interrogations: qui doit exprimer les motifs de
la révocation? et sous quelle forme?
Selon l'article 1277 al 3, le président du Conseil d'Administration présente un
rapport écrit. Etant donné que c'est lui qui propose la révocation du directeur génral,
on s'attend logiquement à ce qu'il en exprime les motifs dans le rapport qu'il
présente au Conseil d'Administration.
Mais, si l'on prend l'article 1277 al 3 au pied de la lettre, on remarque qu'il
évoque la décision, et non la proposition de révocation : "si la révocation est
décidée sans juste motif". Or c'est le Conseil d'Administration qui décide. C'est donc
lui qui devrait motiver la révocation et les motifs seraient exprimés dans le procès-
verbal de réunion du Conseil d'Administration et peut-être dans l'exploit d'huissier
signifié au dirigeant révoqué.
Nous pensons cependant qu'il faut dépasser les termes de la loi. En effet, dès
lors que le président du Conseil d'Administration expose dans son rapport - et il doit
logiquement le faire - les raisons qui le poussent à proposer la révocation du
directeur général, si le Conseil d'Administration révoque le directeur général, cela
implique qu'il adhère à la motivation du président. Autrement dit, les motifs du
président sont aussi ceux du Conseil. Si ce dernier n'était pas d'accord, estimant
fallacieux les motifs du président, il n'aurait pas révoqué le directeur général, car
rien ne l'oblige à "suivre" son président : le président propose mais le Conseil
d'Administration dispose!
En
définitive,
il
nous semble
que c'est
au
président
du
Conseil
d'Administration qu'il revient de motiver sa proposition de révocation, et que cette
motivation
doit
s'exprimer
dans
le
rapport
qu'il
prése nte
au
Conseil
d'Administration.
Mais ce rapport, et c'est une autre interrogation que suscite la loi, doit-il être
porté à la connaissance du directeur général ? ou bien est-il confidentiel ? La
réponse à cette question dépend de la finalité du rapport. Le rapport est destiné
avant tout au Conseil d'Administration, il a en effet pour but de lui permettre de se

121
général doit avoir connaissance de ce rapport, pour pouvoir éventuellement
contester1 sa révocation. Et les juges appelés à régler un tel contentieux devraient
logiquement se fonder sur ce rapport.
B. La jurisprudence
La justice sénégalaise a eu à se prononcer sur la révocation du directeur
général d'une société anonyme, dans l'affaire Saër Dièye Seck c/SNCDS2, affaire
qui n'a d'ailleurs pas connu son épilogue, puisque la Cour de cassation dans un
arrêt du 1er décembre 1993 : a cassé la décision de la cour d'appel du 31 juillet
1992, et celle-ci, autrement constituée, devra à nouveau statuer3 ..
Les faits étaient les suivants: de juin 1987 à mai 1989, le sieur Saër Dièye
Seck, fut directeur général adjoint de la Société Nouvelle Conserverie du Sénégal
(SNCDS). Nommé directeur général de ladite société le 2 mai 1989, il fut révoqué le
1er Août 1990 par le Conseil d'Administration. Il saisit alors le tribunal régional de
Dakar d'une demande en dommages et intérêts4 et en annulation de sa révocation.
Il soutenait que les motifs de sa révocation ne figuraient ni dans le procès-verbal de
la réunion du Conseil d'Administration, ni dans l'exploit de signification, et que par
conséquent sa révocation ne reposait pas sur un juste motif.
Le problème juridique était de savoir si la révocation du directeur général
Saër Dièye Seck était motivée, et dans l'affirmative si le motif était juste.
Il Y a une différence avec les administrateurs délégués (art. 1288) qui se défendent
avant la décision de révocation. Le directeur général lui, se défend "après coup" devant
le juge.
2
Trib. reg. hors classe de Dakar, 15 avril 1992, n° 905.
Cour d'appel de Dakar, 31 juillet 1992, n° 637.
Cour de Cassation, 1er décembre 1993.
3
Ce qu'elle n'a pas encore fait.
4
Le sieur Saër Dièye Seck réclamait :
- 49.280.000F au titre des salaires et avantages.
- 66.292.326F au titre de l'intéressement aux résultats.
- 61.984.000F en réparation de son préjudice moral.
- 50.000.000F en réglement de sa créance.
(en francs CFA d'avant la dévaluation).

122
1. Le tribunal régional de Dakar
Dans son jugement du 15 avril 1992 le tribunal régional de Dakar estima que
le motif de révocation existait et qu'il était juste. Il se fondait sur le rapport du
président du Conseil d'Administration établi le 20 juillet 1990 dans lequel celui-ci
proposait la révocation du directeur général Saër Dièye Seck, auquel il reprochait
son attitude de refus de collaborer avec le Conseil d'Administration dans la
conduite, la surveillance et le contrôle des affaires sociales. 11 lui faisait aussi grief
de faire obstacle à l'exercice serein et convenable par le Conseil d'Administration
de ses prérogatives et responsabilités. Il lui reprochait également de faire de la
rétention d'informations, de ne pas exécuter des demandes du Conseil
d'Administration, de ne pas l'informer de décisions importantes engageant la
société, d'être à l'origine de multiples disputes à propos d'actes non partagés par le
Conseil. Dans ce même rapport, le président du Conseil d'Administration qualifiait
cet ensemble de faits et gestes, de menaces sur la gestion rationnelle de la société
et d'agissements non conformes aux intérêts de la société, voire servant d'autres
intérêts.
Au vu de ce rapport, le tribunal régional de Dakar répondit au demandeur, le
sieur Saër Dièye Seck que, contrairement à ses allégations, sa révocation avait été
précédée d'un rapport écrit du président du Conseil d'Administration et que ce
rapport contenait "les motifs invoqués pour justifier cette décision de révocation"40.
Et le tribunal poursuivait. "... Attendu dès lors, que la question qui se pose est moins
de savoir si des motifs existent que celle de savoir si les motifs invoqués sont justes
ainsi que l'exige la loi ... ".
Pour le tribunal les motifs de révocation tels qu'exprimés dans le rapport du
président du Conseil d'Administration étaient justes, conformément à l'article 1277
cacc. Il souligna d'ailleurs que le "juste motif" n'implique pas forcément une faute
du dirigeant révoqué. Le juste motif peut être fondé sur une conduite, un
comportement, des agissements, ou une gestion non conformes aux intérêts
sociaux.
40
Nous reproduisons les termes du jugement. Le terme "justifier" doit être pris dans le
sens de "causer", sinon le tribunal anticiperait la réponse à la question subséquente de
savoir si les motifs étaient justes

123
Le tribunal régional de Dakar adoptait ainsi l'opinion dominante en droit
français, selon laquelle, le juste motif n'est pas nécessairement la faute du dirigeant,
mais peut être fondé sur l'intérêt social.
Il faut remarquer qu'en l'espèce les motifs invoqués dans le rapport du
président du conseil pouvaient être considérés comme fondés sur la faute du
directeur général: refus de collaborer avec le conseil, rétention d'informations et sur
l'atteinte à l'intérêt social: disharmonie entre les dirigeants néfaste à la société.
2. La Cour d'Appel de Dakar
Dans un arrêt du 31 Juillet 1992, la Cour d'appel de Dakar infirma le
jugement du tribunal régional de Dakar. Saër Dièye Seck, le directeur général
révoqué, avait en effet interjeté appel. Il reprochait au tribunal de s'être fondé sur un
rapport d'audit établi cinq mois après les faits par un expert qui n'était autre que le
commissaire aux comptes de la SI'JCDS.
La cour d'appel donna raison à Saër Dièye Seck, estimant qu'en recherchant
les motifs de la révocation dans un rapport établi 5 mois après les faits, le tribunal
régional de Dakar avait violé les termes de l'article 1277 COCC, et que de plus, le
rapport d'audit en question était peu fiable puisqu'établi par le commissaire aux
comptes de la SN CDS. Ce dernier au demeurant y relevait des malversations
commises par le directeur général, malversations auxquelles il ne faisait guère
allusion dans son rapport de commissaire aux comptes. La Cour d'appel, déclara le
rapport d'audit nul et inopposable à Saër Dièye Seck. Elle se fonda sur l'article 1364
COCC qui dispose qu'en dehors des comptes, les commissaires aux comptes ne
peuvent recevoir de la société qui les a désignés, la charge d'aucune prestation
contractuelle autre que celle d'accomplir leur mission de commissaire aux comptes
et en conséquence jugea que la révocation du directeur général Saër Dièye Seck
avait été décidée sans justes motifs. Elle condamna la SNCDS à lui payer dix-neuf
millions de francs à titre de salaires, et un million en réparation du préjudice moral
subi.
La portée de cette décision est quelque peu limitée par les circonstances de
l'espèce, à savoir le rapport d'audit peu fiable en raison de la qualité de son auteur.
Si le rapport d'audit avait été l'œuvre d'une personne neutre, c'est à dire sans lien

124
avec la SNCDS, aurait-il pu servir aux juges pour l'appréciation des motifs de la
révocation? Non, vraisemblablement, puisque la Cour d'appel reproche au tribunal
régional de Dakar d'avoir recherché les motifs de la révocation dans un rapport
établi cinq mois après les faits et de violer ainsi les termes de l'article 1277 COCC.
On peut reprocher à la Cour d'appel de dénaturer le jugement du tribunal de
Dakar. Celui-ci, en effet s'est fondé non pas sur le rapport d'audit établi cinq mois
après la révocation, mais sur le rapport du président du conseil d'administration.
Cette confusion des juges d'appel peut s'expliquer parce que le tribunal énonce
que lorsque les motifs de la révocation sont contestés par le dirigeant concerné, la
société ou ses dirigeants peuvent devant l'instance judiciaire saisie démontrer
l'objectivité et la légitimité des motifs invoqués par la production de preuves
matérielles et factuelles même révélés a posteriori. Mais il ne s'agirait en réalité que
de corroborer, confirmer, la justesse (justice ?) d'une révocation dont les motifs
auront été auparavant
exprimés dans le rapport du président du conseil
d'administration. L'attitude de la Cour d'appel est donc critiquable. D'autant plus
qu'en l'espèce, le tribunal régional de Dakar précisait bien: "il est sans intérêt de
s'arrêter sur tous autres développements ou considérations rendus superfétatoires
par l'existence du rapport écrit du président du conseil d'administration contenant
les motifs de la révocation de Saër Seck", montrant ainsi qu'il s'appuyait
uniquement sur le rapport du président du conseil, lequel est nécessairement
antérieur à la décision de révocation.
On peut aussi reprocher à la Cour d'appel d'ajouter à l'article 1277 COCC.
Celui-ci, contrairement à ce qu'elle affirme, ne précise pas que les motifs invoqués
doivent figurer dans le rapport du président du conseil d'administration. Certes,
logiquement ils doivent l'être, mais un juge ne doit pas écrire "aux termes de
l'article ..." en modifiant les termes de l'article cité 41 !
3. La Cour de cassation
Sur pourvoi de la SNCDS, la Cour de cassation dans son arrêt du 1er
décembre 1993 cassa l'arrêt de la cour d'appel au motif que celle-ci s'était bornée à
critiquer la motivation du jugement du tribunal régional, sans rechercher si les motifs
41
Cela est valable pour toute personne citant un texte, a fortiori pour l'homme de loi
qu'est le juge.

125
invoqués par le président du conseil d'administration dans son rapport du 20 juillet
1990 justifiaient la révocation du directeur général.
Cette décision nous semble très importante par l'éclairage qu'elle apporte à
l'article 1277 COCC.
D'abord,
elle
fait
référence
au
rapport
du
président du
conseil
d'administration, et non au rapport d'audit, contrairement à la Cour d'appel de
Dakar.
Ensuite, elle indique implicitement, que les motifs de la révocation doivent
figurer dans le rapport du président.
Enfin, elle résoud la question de l'antériorité des motifs. Etant donné que le
rapport du président est antérieur à la révocation, les motifs s'exprimeront donc
avant la révocation.
La cour d'appel appelée à se prononcer, sur renvoi, devra à la lumière du
rapport du président juger si les motifs de la révocation de Saër Dièye Seck étaient
justes ou non.
II. Comparaison avec la révocation du directeur général en droit
français
1. Modalités différentes
En droit français, le directeur général est révocable à tout moment par le
conseil d'administration sur proposition du président42 . On observe un parallélisme
des formes puisque le directeur général est nommé par le conseil d'administration
sur proposition de son président. Ce, contrairement au droit sénégalais où le
président du conseil d'administration ne propose pas le directeur général, le choix
de celui-ci relevant exclusivement du conseil d'administration 43.
En droit français, comme en droit sénégalais, l'initiative de la révocation
42
Art. 116 L. 1966.
43
Cf. Supra. In Titre 2, chap. 1. Nomination des dirigeants sociaux.

126
appartient au président qui propose cette révocation, et c'est le conseil
d'administration qui décide.
La grosse différence entre les deux droits tient au fait qu'en France, le
directeur général est révocable ad nutum, alors qu'au Sénégal, si sa révocation
n'est pas fondée sur de justes motifs, elle peut donner lieu à des dommages et
intérêts pour le directeur général.
2. Fondements différents
En droit français, le directeur général est en quelque sorte l'adjoint du
président du conseil d'administration. Ainsi lorsque le président du conseil
d'administration ne veut plus de son directeur général, il lui suffit de proposer sa
révocation au conseil d'administration, aucune justi'fication n'étant nécessaire. En
cas de changement de président. le nouveau propose naturellement la révocation
de l'ancien directeur général et propose celui qui le remplacera, devenant par-Ià-
même son plus proche collaborateu r. C'est donc l'idée de collaboration
harmonieuse qui fonde la révocation ad nutum du directeur général en droit
français.
Au Sénégal, la révocation pour justes motifs trouve son fondement dans le
rôle du directeur général qui est, rappelons-le, le patron de la société. Dès lors, le
législateur pouvait-il permettre qu'il soit révoqué selon le bon vouloir du président et
du conseil44 ?
Il s'y ajoute un autre fondement: la sécurité des tiers. C'est, nous le savons,
l'une des préoccupations majeures du législateur comme l'indique l'exposé des
motifs des lois du 29 juillet 1985 et du 10 février 199345. Or quelle serait la sécurité
des tiers si le représentant de la société était révocable ad nutuf'Tf!6 ? Cela pourrait
44
Rappr. L'observation du Doyen Roblot au sujet du président du CA en France : "Le
président reste donc sous la dépendance absolue du conseil, comme il "était autrefois. Il
aurait fallu écarter ce droit de révocation ad nutum (op. ciL, p. 907, n° 1305).
45
Le but du législateur était d'élaborer un texte adapté au contexte sénégalais en
permettant aux sociétés commerciales de développer leur activité dans un cadre
juridique qui procure la sécurité aux associés comme aux tiers eux-mêmes (l'exposé
des motifs de ces deux lois est sensiblement le même).
46
Rappr. R. Badinter, op. ciL, in D.S. 1969, p. 190. A propos du président du CA, il
souligne qu'aux yeux des tiers sa présence à la tête de la société exprime une certaine

127
destabiliser les relations avec les tiers: banques, fournisseurs, notamment... pour
qui la personne même de leur interlocuteur a de l'importance, /'intuitu personnae
ayant un rôle capital en matière de crédit. comme l'atteste le cautionnement souvent
exigé des dirigeants.
Il ne faudrait pas opposer qu'en France pourtant, le président du conseil
d'administration est révocable ad nutum, malgré ses rapports privilégiés avec les
tiers, et bien qu'il soit le patron d~ la société. C'est une solution critiquable que le
législateur sénégalais n'a pas reprise à son compte.
111. Comparaison avec le droit américain
Aux Etats-Unis, les directeurs sont révocables for cause1, autrement dit pour
justes motifs. Cela s'explique par la durée très brève du mandat de directeur: elle
est généralement d'un an. Comme le souligne le Professeur Tune, il est
exceptionnel que soit révoqué le conseil ou l'un de ses membres, car leurs fonctions
expirent le plus souvent à l'assemblée générale suivant celle qui les a nommés 2.
Quand le mandat du directeur est assez long, il ne peut être révoqué sans
qu'une charge précise soit relevée contre lui et il doit lui être donné la possibilité de
se défendre. Tout directeur révoqué sans juste motif (without good cause) peut
intenter une action en responsabilité.
Dans le passé, on considérait que bien qu'étant élus par les actionnaires, les
directeurs étaient des agents de la société3 . Leurs pouvoirs étaient légaux et ne
dérivaient pas des actionnaires4 . C'est la raison pour laquelle les actionnaires ne
pouvaient les révoquer5 . Les directeurs étaient ainsi irrévocables.
Aujourd'hui, les directeurs sont révocables par les actionnaires for cause. On
politique. Il évoque les troubles que sa révocation peut entraîner dans les relations avec
les tiers; banquiers, fournisseurs, clients ...
1
Contrairememt aux officers qui sont révocables ad nutum par le conseil des directeurs.
2
A. Tunc., op. ci!. p. 107.
3
Continental Securities Co V. Belmont, 99 N-E. 138 (N.Y. 1912) cité par B. Grossfeld,
op. ci!., p.27.
4
Henn. 415-416, cité par B. Grossfeld op. ci!. p. 27.
5
Cf Hoyt V. Thompson's Executor, 19 N.Y., 207, 216 (1859) cité par B. Grossfeld, op.
ci!., p.27.

128
estime que si les directeurs étaient révocables selon le bon vouloir des
actionnaires, ils deviendraient des marionnettes entre leurs mains. Les restrictions à
la libre révocation sont un moyen de préserver l'équilibre des pouvoirs dans la
société 1 . Le fondement de la révocation for cause des directeurs semble être
essentiellement interne à la société alors qu'en droit sénégalais, la protection des
tiers joue un rôle fondamental.
Les directeurs ont ceci de commun avec le directeur général du droit
sénégalais que leur révocation doit reposer sur une juste cause, ils devraient donc
avoir une certaine stabilité. La réalité est tout autre. En effet, à l'heure actuelle aux
Etats-unis - comme en Angleterre - les révocations des dirigeants sont très
fréquentes 2 , liées généralement à de mauvais résultats3. Cela contribue à rendre
leur situation précaire.
Le directeur général du droit sénégalais est aussi dans une position plus
stable que le Chief executive atticer (CEO). Ce dernier, rappelons-le exerce le
pouvoir de direction générale de la société et de ce point de vue peut être considéré
comme l'alter ego du directeur général en droit sénégalais4 . Il est pourtant
révocable ad nutum par le conseil des directeurs comme tous les officers. Certes, il
a pu acquérir une certaine stablité du fait de la domination qu'il exerce sur le conseil
des directeurs dont il est fréquemment le chairman. Mais depuis quelques années, il
fait partie de ces "PDG jetables"s pour cause de mauvais résultats.
§3. Le système intermédiaire: La révocation des administrateurs délégués au
Sénégal, ou l'influence du droit anglais.
1
A.Tunc. op.cit., in R.I.D.C., 1994, p. 60.
2
A. Tune. op.cit., in R.I.D.C., 1994, p. 60.
3
Cf L'Expansion n0478 - 2/15 Juin 1994 pp. 86 et s - "Comment sanctionner les
patrons" spéc. p.90 : Les investisseurs institutionnels n'hésitent pas à réclamer le
départ de présidents de sociétés pour cause de mauvais résultats. V. aussi E.
Scholastique, op., cit., p.288.
4
Cf supra in Titre 1. Chap1. Sect. 1, § 1,
Il, 8-2e). Le directeur général comparé au
Chief executive officer.
5
Cf Quotidien Le Soleil du 26 Février 1993. Infra in section 3-I-A : Stimuler les
dirigeants.

129
Nous l'appelons "système intermédiaire" parce qu'il se situe à mi-chemin
entre la révocation ad nutum et la révocation pour justes motifs. La révocation des
administrateurs délégués en droit sénégalais évoque irrésistiblement celle des
directeurs en droit anglais.
1. La révocation des directeurs en droit anglais
C'est l'assemblée générale qui révoque les directeurs. Selon l'article 303 du
Companies Act de 1985, un directeur est à tout moment révocable par une décision
ordinaire de l'assemblée générale, en dépit de toute disposition contraire des
articles. Cependant, la révocation suppose au préalable qu'un avis spécial (spécial
notice) soit donné à la société vingt huit jours à l'avance avant la tenue de
l'assemblée générale 1 ; cet avis devant être transmis au directeur en cause 2. Celui-
ci a le droit de se faire entendre par l'assemblée générale, et de préparer une
réponse écrite que la société devra, si elle la reçoit à temps, transmettre à chacun
des membres convoqués à l'assemblée générale, ou qui sera lue à l'assemblée.
Comme le souligne le Professeur Tune, cette mesure est excellente, car non
seulement elle protège le directeur qui ne pourra pas être révoqué sans avoir été
entendu, mais par là-même elle protège les actionnaires: ils sauront les faits qui
justifient la révocation et entendront les différentes versions des faits3 .
Ce caractère contradictoire de la procédure de révocation fait l'originalité du
droit anglais4 et a été repris par le droit sénégalais s'agissant de la révocation des
administrateurs délégués.
1
Arts 303 (2), 304 et 379 Cies Act 1985
2
Art. 304 (1), Gies Act. 1985.
3
A. Tune. Le droit anglais des sociétés anonymes. P. 176. n094.
4
En droit américain aussi, les directeurs ont le droit de se défendre.

130
Il. la révocation des administrateurs délégués en droit sénégalais
Ils sont comme les directeurs en droit anglais, révocables à tout moment par
l'assemblée générale des actionnaires. Et l'article 1288 al. 2 COCC, siège de la
matière,
prévoit,
comme
en
droit anglais
une
procédure
permettant à
l'administrateur délégué de se défendre : "la personne qui veut soumettre à
l'assemblée une résolution de révocation d'un administrateur doit en aviser la
société par lettre recommandée avec accusé réception, trente jours à l'avance, ainsi
que l'administrateur dont la gestion est en cause. Celui-ci peut dans le délai de dix
jours déposer au siège social un mémoire en réponse. Le texte du projet de
résolution de révocation et celui du mémoire en réponse doivent être annexés à la
convocation de l'assemblée générale et à l'ordre du jour dont un point spécial doit
concerner la révocation demandée".
L'importance de la procédure peut avoir des répercussions quant aux
garanties du directeur révoqué. En effet, comme nous le verrons, si la procédure
n'est pas respectée, cela peut constituer un vice de forme entraînant l'annulation de
la décision de révocation et permettant alors la réintégration de l'administrateur
délégué dans la société, ce à quoi, ni la révocation ad nutum , ni la révocation pour
justes motifs ne peuvent normalement aboutir61 .
Révocable à tout moment, l'administrateur délégué n'est pas pour autant
révocable ad nutum. Sa "gestion est en cause", autrement dit, sa révocation est
fondée sur un motif: la faute de gestion. Motif juste s'il en est. Alors pourquoi ne pas
ranger la révocation des administrateurs délégués dans la catégorie "révocation
pour justes motifs" ? Nous pensons que l'originalité et les conséquences de la
procédure62 en font un système particulier.
61
Cela arrive mais rarement. Cf infra, Section 2 § 2. La réintégration du dirigeant pour
annulation de la révocation.
62
Ct. infra Section 2. Des garanties des dirigeants révoqués.

131
Section 2 : Les garanties des dirigeants révoqués
Les dirigeants révoqués bénéficient de certaines garanties, lorsqu'ils ont été
révoqués à tort, ou d'une manière injurieuse, ou lorsque la procédure n'a pas été
respectée. Selon le cas, les garanties sont d'ordre pécuniaire ou consistent en
l'annulation de la résolution de révocation et en définitive à la réintégration du
dirigeant dans ses fonctions. Mais, à côté de ces garanties légales, on relève -
surtout en Angleterre - des garanties d'origine statutaire dont peuvent bénéficier les
dirigeants alors même que leur révocation aura été justifiée et conforme à la
procédure légale, par le biais des compensations.
§1. Les garanties pécuniaires
1. En cas de révocation ad nutum
La révocation ad nutum a cette particularité que le dirigeant ne peut
prétendre à des dommages-intérêts au motif que sa révocation est injustifiée.
Cependant il est un cas où le dirigeant peut être dédommagé, c'est lorsqu'il est
victime d'abus de droit.
En France, certains auteurs considéraient que la révocation des mandataires
de la société anonyme présentait un caractère absolu, donc insusceptible d'abus63 .
Mais la doctrine moderne et la jurisprudence reco nnaissent que le droit de
révocation est susceptible d'abus, lequel peut donner lieu à l'octroi de dommages-
intérêts au dirigeant révoqué.
La révocation est abusive lorsque les circonstances qui l'ont entourée portent
atteinte à l'honneur ou à la réputation du dirigeant64 . Le dirigeant aura à prouver
que la révocation est intervenue dans des circonstances injurieuses ou
vexatoires65 .
Les décisions de la Cour de cassation française nous montrent en quoi peut
63
Lacour et Bouteron. Précis de droit commercial. Paris 1921, T1, n° 531 ; J. Copper,
Royer. Traité des sociétés anonymes, Paris 1931-1932. T. IV, n° 599, cités par
Hossan M. Issa, op. ciL, p. 437.
64
J.J. Daigre, op. ciL, p. 510, n034.
65
Cozian- Viandier, op. ciL, éd. 1991, p. 241, n° 978.

132
la décision, publicité particulière donnée aux griefs invoqués, commentaires
désobligeants accompagnant la révocation 1.
En droit sénégalais, l'abus de droit est la limite de tout droit. Dès lors, par
application du droit commun, le dirigeant révoqué abusivement pourra prétendre à
des dommages-intérêts.
En quoi consiste l'abus de droit? Selon l'article 122 cacc : "commet une
faute par abus de droit, celui qui use de son droit dans la seule intention de nuire,
ou qui en fait un usage contraire à sa destination". Telle est la définition en droit
commun. Si on l'applique à la révocation, on peut, à l'instar de la jurisprudence
française, considérer que les circonstances injurieuses, vexatoires constituent un
abus de droit, car il y a là de toute évidence, intention de nuire au dirigeant. Le
dirigeant subit un préjudice moral et pécuniaire car il aura du mal à trouver un poste
ultérieurement.
II. En cas de révocation pour justes motifs
C'est le propre de la révocation pour justes motifs de permettre au dirigeant
révoqué sans justes motifs de prétendre à des dommages-intérêts. Cela est vrai au
Sénégal pour le directeur général, en France pour le directoire, aux Etats-Unis pour
les directeurs.
Le montant des dommages et intérêts alloués dépend du préjudice. En
France, la Cour de cassation demande aux juges du fond de faire preuve de
prudence dans l'appréciation du préjudice. Certes, comme en droit commun, cette
évaluation dépend de leur pouvoir souverain mais dans un arrêt du 22 Novembre
19772, la Cour de cassation rappelle qu'il appartient aux juges du fond de se limiter
au préjudice effectivement subi par les intéressés. Elle casse l'arrêt de la Cour
d'appel qui avait accordé à un membre du directoire l'intégralité de la rémunération
à laquelle il pouvait prétendre depuis la date de sa révocation jusqu'au terme de
ses fonctions.
Casso corn. 25 févr. 1972, RTDCO, 1972. p.921.
Casso corn. 19 Oct.. 1981, Rev. Stés., 1982, p. 821, note Sibon.
Paris, 21 Nov. 1991, JCP 1992 ed. en!. l, 145, note Viandier et Caussain.
2
Rev. Stés.1978. p. 483, note Guyon, D. 1978, p. 645, note Guyéno!.

133
Au Sénégal, dans l'affaire Saër Dièye Seck C/SNCDS, la Cour d'appel 1 avait
considéré pour l'octroi de dommages et intérêts que le sieur Seck avait droit au
paiement de ses salaires jusqu'au terme de son mandat de directeur général. Elle
avait aussi tenu compte du préjudice moral que "la révocation décidée dans des
conditions illégales" lui avait fait subir. Elle avait aussi estimé qu'il fallait faire droit à
la demande du sieur Seck relative à l'intéressement aux résultats - elle avait en
conséquence demandé une expertise pour en déterminer le montant compte tenu
des pratiques de la société et des usages de la profession.
La Cour d'appel s'est ainsi montrée plutôt large dans l'octroi des dommages
et intérêts, même si le montant fixé est très inférieur à la demande du sieur Seck2.
Elle a pris en compte les salaires futurs du sieur Seck ce qui peut être considéré
comme une "réintégration partielle" du dirigeant révoqué3.
En France, la question a été posée de savoir si une clause statutaire privant
le dirigeant révoqué sans juste motif de tout droit à dommages et intérêts est licite4.
Certains auteurs s'appuyant sur les termes de l'article 21 L.1966 : "si la révocation
est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages et intérêts",
admettent la validité d'une telle clauses. D'autres auteurs adoptent une position
contraire et considèrent que le droit à réparation ne peut être supprimé par une telle
clause 6.
Nous adhérons à ce point de vue et notamment l'argumentation de Madame
Baillod nous semble pertinente: le verbe pouvoir utilisé par le législateur s'explique,
car l'indemnisation n'est pas automatique dès lors que l'absence de juste motif est
avérée. Le dirigeant doit prouver qu'il a subi un préjudice résultant de la révocation.
Un tel préjudice, précise-t-elle, dépend de la marche de la société. " serait minime
si la société menaçait ruine?,
Ce raisonnement devrait s'appliquer à la révocation du directeur général en
1
C.A. de Dakar, 31 Juilet 1992, prée.
2
Il demandait plus de 200 millions de francs de dommages et intérêts. Il lui en a été
accordé 20.
3
R. Baillod, op. ciL, p. 417, n032.
4
Ibid., p. 417, no33 .•
S
J.L. Aubert, op. ciL, pp. 977 et s., n° 16.
Bastian "la réforme des sociétés commerciales". JCP 1967, 1. 2121, n° 298.
6
Hémard, Terré et Mabilat, op. ciL, T1, n° 1079.
P. Le Cannu note sous Com. 7 Juin 1983, Rev. Stés 1983, p. 793.
?
Op. ciL, p. 419, n° 34.

134
droit sénégalais, le législateur sénégalais ayant lui aussi utilisé le verbe pouvoir: "si
la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à l'attribution de
dommages et intérêts"1.
III. Dans le système intermédiaire
Le législateur sénégalais ne prévoit pas l'octroi de dommages et intérêts aux
administrateurs délégués. Cependant puisque la société met en cause leur gestion
et qu'il leur est permis de se défendre 2 , ne pourraient-ils pas contester cette
révocation et exiger des dommages et intérêts pour révocation injuste? Ce n'est
pas l'article 1295 al 4 in fine qui les en empêcherait. Cet article en effet, dispose que
"l'administrateur révoqué n'a droit à aucune indemnité". Une lecture hâtive de ce
texte pourrait donner à penser que l'administrateur délégué ne peut prétendre à des
dommages et intérêts. En réalité, le législateur n'interdit pas l'octroi de dommages et
intérêts. En effet, il faut situer l'article 1295 al 4 dans son contexte qui est celui de la
rémunération des dirigeants. Dès lors, l'indemnité qui leur est refusée, est cette
compensation salariale que l'on accorde dans certains pays tels que l'Angleterre, où
selon l'article 303 du Compagnies Act. de 1985, le directeur révoqué n'est pas privé
de l'indemnité ou des dommages-intérêts que la société peut lui devoir, soit pour
avoir mis fin à ses fonctions, soit pour avoir mis fin à des fonctions qu'il ne pouvait
exercer que dans la mesure où il était directeur3.
Néanmoins, on doit considérer, selon nous, que l'administrateur délégué
ayant été révoqué par le "tribunal des actionnaires" ne peut intenter une action en
justice pour révocation injuste. D'une part la loi ne le précise pas à son sujet, alors
qu'elle le fait pour le directeur général. D'autre part, et c'est la raison majeure, la
procédure offre des garanties suffisantes au dirigeant évitant - dès lors qu'elle est
observée - toute remise en cause de la décision des actionnaires. On peut ajouter
que la révocation étant motivée par une faute de gestion, c'est une raison
supplémentaire pour éviter au juge de porter une appréciation qui dépasse sans
doute ses compétences.
1
Art. 1277 al. 3, cacc.
2
Cf. Art. 1288, cacc.
3
A. Tune, op. eit., p. 177, n° 94.

135
Les administrateurs délégués s'ils sont prives et d'indemnité 1 et de
dommages et intérêts ont une garantie supérieure: la procédure en elle-même. Et si
elle n'est pas respectée, le dirigeant peut être réintégré dans ses fonctions.
§2. La réintégration du dirigeant pour annulation de la révocation
Cette garantie est, il faut le dire, d'application exceptionnelle. Elle suppose en
effet l'annulation de la décision de révocation, laquelle ne peut avoir lieu qu'en cas
de vice de forme. Nous illustrerons ce propos par deux situations2 :
la non inscription à l'ordre du jour lorsque celle-ci est requise;
le non respect de la procédure contradictoire instaurée par l'article 1288
COCC, à l'instar du droit anglais.
1. La non inscription à l'ordre du jour
L'inscription à l'ordre du jour constitue une garantie pour le dirigeant. En effet,
c'est un obstacle d'ordre technique à un vote hostile.
Selon l'article 1314 al. 3 COCC l'assemblée ne peut délibérer sur une
question qui n'est pas inscrite à l'ordre du jour. C'est le principe, donc il doit
s'appliquer à toute les révocations, même si la loi ne l'a précisé que pour la
révocation des administrateurs délégués. Le droit sénégalais apporte ainsi aux
administrateurs dans le système classique et aux administrateurs délégués dans le
nouveau système, une garantie analogue à celle des administrateurs en droit
français, où avant la réforme de 1966, aucune révocation d'administrateur ne
pouvait être décidée par l'assemblée générale, si elle n'avait pas été inscrite à
l'ordre du jour - sauf incident de séance3 . La loi de 1966 (art. 160 al. 3) a supprimé
cette exigence : la révocation d'un administrateur peut survenir en toutes
circonstances.
Le
législateur sénégalais
est donc
plus
protecteur des
administrateurs que son homologue "français. L'administrateur, ou l'administrateur
1
cf. Art. 1295, al. 4, COCC.
2
Il en est d'autres: aussi la non convocation à une réunion de l'assemblée générale. Cf.
Casso com. 21/07/69, D. 1970)88.
3
L'incident de séance est un événement pouvant survenir au cours de l'assemblée et
justifiant la révocation. Par exemple si les commissaires aux comptes révèlent que le
conseil d'administration ou certains administrateurs sont convaincus d'abus de biens
sociaux. (Escarra et Rault, op. cit., p. 94, n° 1422).

136
cette exigence : la révocation d'un administrateur peut survenir en toutes
circonstances.
Le
législateur sénégalais
est
donc
plus
protecteur des
administrateurs que son homologue français. L'administrateur, ou l'administrateur
délégué, révoqué sans que la question de révocation n'ait été inscrite à l'ordre du
jour ,pourra attaquer la décision de révocation et demander son annulation 81 . S'il
l'obtient il sera réintégré dans ses fonctions.
II. Le non respect de la procédure contradictoire de l'article 1288 eoee
1r
Les administrateurs délégués sont doublement protégés. Non seulement,
(~comme les administrateurs, par l'exigence de l'inscription de la question de leur
v' V"
rf u/rJv /révocation à l'ordre du jour, mais aussi par la procédure contradictoire de l'article
l\\lI 1288 cacc. Pour cette dernière, la loi n'a pas prévu l'annulation de la décision de
~
révocation au cas où la procédure n'aurait pas été respectée. Mais on aboutit
indirectement à cette possibilité. En effet, supposons que l'administrateur délégué
dont la gestion est mise en cause n'ait pas été avisé du projet de révocation, il ne
fournira pas de mémoire en réponse, et celui-ci n'existant pas ne pourra être
annexé à la convocation de l'assemblée générale, laquelle sera donc irrégulière, et
susceptible d'être annulée sur la base de l'article 1313 al. 2 cacc.
Certes, on peut objecter que ce serait là un bon moyen offert à
l'administrateur délégué pour obtenir l'annulation de sa révocation: il lui suffirait,
.
".même s'il était prévenu, de ne pas répondre! En réalité, le juge doit tenir compte
(" ~y~ue tous les éléments de la procédure ont été respectés. ~ans-le-cas_c_oDtt~
~ v ~~LI,a_r.ésoIU.ti'O_O_P-OUJ~vice_d~E~_~e, l'administrateur délégué ne
1
dev:rait logiquement saisir la justice d'une demande en annulation que lorsque la
----------
société n'a pas respecté la procédure, et non l'inverse car nul ne peut exciper de sa
propre turpitude.
En droit anglais, dont s'inspire l'article 1288 cacc, si la procédure n'est pas
respectée, on peut considérer qu'il y a vice de forme et les actionnaires peuvent
demander l'annulation de l'assemblée générale ou de certaines résolutions 82 , celle
81
Selon l'article 1314 al. 4 cacc l'assemblée ne peut délibérer sur une question qui n'est
pas inscrite à l'ordre du jour et l'article 1326 cacc déclare nulles, les délibérations
prises par les assemblées en violation de plusieurs articles dont l'article 1314.
82
Colin R. Baxter. [1976] J.B.L. 323 Irregular company meeting. Cité par A. Tune, op.
cit., p. 259, n° 139 note 2.

137
de révocation en l'occurrence.
Ainsi, le droit sénégalais, s'agissant des administrateurs délégués, prévoit
une procédure où la transparence est de mise: chaque partie peut être entendue; à
l'issue de cette "confrontation", le "tribunal des actionnaires" tranche en toute
souveraineté et sa décision ne peut être remise en cause sauf si la procédure n'a
pas été respectée. Le juge est ainsi cantonné dans un rôle de contrôle de la
régularité formelle de la décision de révocation, il ne peut aucunement émettre
d'avis sur son opportunité.
En définitive, nous conclurons sur la garantie des dirigeants en mesurant
leurs portées respectives.
S'agissant de l'abus de droit, on observe en pratique que les dirigeants sont
"invités à démissionner"83. Les sociétés ne prennent pas le risque de se voir
condamner pour s'être débarrassées de manière humiliante de leur dirigeant. Cela
est vrai au Sénégal comme en France. Le procédé convient d'ailleurs au dirigeant
dont l'avenir n'est pas compromis ...
S'agissant des dommages et intérêts, il ne peuvent compenser le manque à
gagner des dirigeants révoqués dont la rémunération était souvent considérable.
Quant à l'annulation de la décision, il suffira à la société de respecter
scrupuleusement les formalités requises ...
Ainsi, l'abus de droit et les formalités sont des garanties préventives pour le
dirigeant.
A propos de l'annulation de la délibération d'une assemblée générale en cas
de révocation irrégulière, le Professeur Guyon observe qu'elle constitue pour
l'administrateur "une victoire à la Pyrrhus" car une nouvelle assemblée délibérant
dans des conditions régulières peut se réunir immédiatement pour le révoquer.
Rd, C'est pourquoi l'administrateur se contjmte__d.e d_emander des dommages et
Ir
- - - - -
- - -
.__
l
83
Cf. Cozian et Viandier (op. ciL, ed. 1991, p. 241 n° 978). "La destitution est présentée
aux tiers sous la forme plus honorable d'une démission.

138
§1. Appréciation de la révocation ad nutum
1. Avantages de la révocation ad nutum
On peut mettre à l'actif de la révocation ad nutum :
qu'elle doit stimuler les dirigeants;
qu'elle répond bien à l'idée de confiance qui lie les actionnaires et les
dirigeants ;
qu'elle évite la sclérose de la direction, car qui dit révocation ad nutum, dit
révocation facile, et donc changements fréquents de dirigeants ...
théoriquement.
A. Stimuler les dirigeants
La révocation ad nutum plane comme une épée de Damoclès sur la tête du
dirigeant, ou pour utiliser une autre image, agit comme un ressort pouvant à tout
moment éjecter le dirigeant de son fauteuil. La conséquence heureuse en est que le
dirigeant devrait donner le meilleur de lui-même, car on ne renvoie pas un dirigeant
qui réussit. Comme le souligne un auteur, "... Ie dynamisme n'est-il pas mieux
assuré quand on a l'aiguillon de l'instabilité, quand on subit l'aiguillon du contre
pouvoir de la minorité 7"1.
Cet argument nous semble tout à fait valable au Sénégal où les dirigeants
tiennent beaucoup à leur fauteuil, de sorte que la crainte de le perdre constitue un
bon stimulant. Ce n'est sans doute pas un hasard si un journal sénégalais2 se
faisant l'écho d'un article paru dans un journal français, indique sous le titre
évocateur "PDG jetables" - quand les actionnaires se rebiffent" que : "PDG est
devenu par les temps qui courent un métier à hauts risques. Finie l'époque du PDG
inamovible: l'actionnaire se rebiffe. Il veut des résultats. Et tout de suite. Le manager
n'a qu'à bien se tenir". Le PDG est comparé à l'entraineur de football : quand
JJ. Daigre . La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions". Colloque
de Deauville 16 et 17 juin 1990. in Rev. Jur. Co, n° spécial, n° 11, Nov. 1990, p.
142.
2
Le quotidien "Le Soleil" - 26 févr. 1993, évoque un article de Patrick Olivier paru
dans "Actualité en France". Malheureusement il n'en précise pas la date.

139
"équipe gagne, il est porté aux nues mais à la première contre-performance est jeté
dehors.
Un dirigeant - et pas des moindres - puisqu'il s'agit de l'ancien PDG de
Carrefour, "démissionné", observe que les présidents ont donc une "obligation de
résultat". Il ne s'en offusque pas, l'expliquant par le fait qu'en période de récession, il
est normal que l'actionnaire se soucie davantage de la croissance du résultat qui
assure la hausse du titre en bourse. Mais il souligne le fait nouveau qui est que ce
résultat est exigé à plus court terme: "Nous allons de ce point de vue vers le modèle
américain où le management est jugé à très court terme et sans doute à trop court
terme"1.
Les dirigeants au Sénégal, du moins ceux qui sont révocables ad nutum,
doivent agir au mieux des intérêts de la société, sous le contrôle des actionnaires,
qui ici comme ailleurs tablent sur les résultats de la société pour bénéficier de
dividendes substantiels.
Un auteur anglais écrit que "si les actionnaires sont insatisfaits de la conduite
des affaires sociales, ils peuvent exercer l'ultime pouvoir de contrôle par la
révocation"2 pourvu que les directeurs exercent leurs pouvoirs de direction au
mieux des intérêts de la société, ils n'auront pas à craindre l'intervention des
actionnaires"3.
Cet avantage de la révocation ad nutum semble donc ne pas faire de doute.
Pourtant on peut le contester. En particulier dans les pays de common law objets de
notre étude. En effet, aux Etats-Unis et en Angleterre, les dirigeants sont placés
dans une relation hautement fiduciaire envers la société et dans une certaine
mesure ses actionnaires 4 qui doit les conduire à observer une parfaite loyauté dans
l'exercice de leurs fonctions et à toujours faire passer l'intérêt de la société avant le
leur. De sorte que dans ces pays, il serait choquant qu'un dirigeant soit motivé par la
crainte de perdre son fauteuil, par la peur qu'une épée de Damocles lui tombe sur la
tête. Il doit, c'est son Devoir moral et juridiqUe agir au mieux des intérêts de la
M. Michel Bon est cité dans l'article du Soleil précité. V. aussi l'Expansion 2/15 juin
1994, p. 86.
2
B.J. Cartoon "The removal of Company directors" J. B. L. 1980 p.18.
3
Ibid. PP. 17-18.
4
cf. infra-in Deuxième partie Titre 1 Devoirs des dirigeants.

140
société.
A l'heure actuelle, en Angleterre et aux Etats-Unis, "les révocations des
dirigeants se produisent à une fréquence et à un rythme sans précédent. Il faut
réussir ou partir"'. On peut vraiment dire que les dirigeants sont assis sur un siège
éjectable. Ils ne peuvent s'assoupir car le réveil serait brutal!
B. La révocation ad nutum traduit l'idée de confiance
Lorsqu'un dirigeant perd la confiance de ceux qui l'ont nommé, il doit être
révoqué. La révocation
ad nutum par définition peut s'exercer à tout moment: il
n'est pas nécessaire d'attendre un moment particulier: la tenue de l'assemblée
générale ou le terme du mandat - ce ne serait pas d'ailleurs une révocation à
proprement parler - et elle n'a pas à être motivée. C'est une mesure très simple, et
l'on songe au mandant qui révoque son mandataire parce qu'il n'a plus confiance
en lui 2.
Le choix du dirigeant doit être fondé sur la confiance mise en lui3.
C. Eviter la sclérose de la direction.
Parce qu'elle est d'utilisation facile; la révocation ad nutum permet d'éviter
l'inamovibilité de fait des dirigeants4 , laquelle favorise "une politique conservatrice
voire malthusienne"s. C'est un avantage appréciable aussi bien au Sénégal que
dans les autres pays étudiés. En effet, le dirigeant qui reste trop longtemps en place
[}
acquiert ce~ne expérience bénéfique à la société, mais il a tendance à
considérer celle-ci comme sa propriété, voire à s'indentifier à elle. La confusion
gagne aussi l'homme de la rue qui n'hésite pas à surnommer "Monsieur X" le Pdg
de la société X...
En cas de prise de contrôle, la révocation ad nutum facilite le changement de
1
A. Tune. op. cil. in R.I.D.C. 1994, p.60.
2
cf. art 2004 C. Civet 470 ca CC : Le mandant peut retirer sa procuration quand bon lui
semble.
3
cf. supra in Titre 2. Chap.1 er. Section 2. Le choix des hommes.
4
cf. "Finie l'époque du PDG inamovible". Le Soleil 26/2/93 article précité.
5
J.J. Daigre. op. cil. p.142.

141
En cas de prise de contrôle, la révocation ad nutum facilite le changement de
dirigeants. Les dirigeants, ou certains d'entre eux, de la société contrôlée seront
ainsi révoqués pour être remplacés par une nouvelle équipe dirigeante.
Mais la révocation ad nutum ne présente pas que des avantages.
II. Inconvénients de la révocation ad nutum
La révocation ad nutum présente des inconvénients. Certains concernent la
société ; ce sont, selon nous, les plus graves. D'autres ont trait aux dirigeants
sociaux.
A. Atteinte à l'intérêt de la société.
La société peut souffrir de la révocation ad nutum pour deux raisons
principales: l'instabilité du pouvoir et le repli sur soi.
1. L'instabilité du pouvoir.
S'il est vrai que la révocation ad nutum évite la sclérose du pouvoir, elle peut
à l'inverse, conduire à une instabilité du pouvoi r néfaste à la société, c"ar "les
sociétés ont besoin de stabilité," .. la stabilité du pouvoir participe de la pérennité de
l'organisme qu'est la société et derrière el/e, de la cellule économique qu'est
l'entreprise"96. "Une société a besoin d'une certaine continuité dans sa gestion car
l'instabilité engendre l'insécurité, ce qui rendra le dirigeant plus soucieux de la
répartition des dividendes que d'assurer la croissance de la société"97
On a vu, dans la vie politique, les méfaits de l'instabilité du pouvoir98 . Toute
politique doit s'inscrire dans la durée, d'où l'importance de la planification. Les
dirigeants doivent disposer de temps pour réaliser la politique sociale; des
changements d'hommes trop fréquents peuvent être un obstacle à cette réalisation
car les hommes nouveaux apportent avec eux une politique nouvelle. C'est le cas
96
J.J. Daigre. op" cil. p.142.
97
N. Daouby. op. cil; p.94.
98
cf. La quatrième République française.

142
Certes, on pourrait contrecarrer cette argumentation basée sur la durée du
"mandat social" en citant les directeurs aux Etats-Unis dont le mandat souvent
n'excède par un an. Mais ce serait oublier qu'aux Etats-Unis la direction est
collégiale; c'est le conseil des directeurs qui dirige la société, et il serait surprenant
qu'aucun directeur ne soit renouvelé dans ses fonctions. Donc bien que le mandat
soit théoriquement bref, en pratique on peut trouver les mêmes hommes au conseil
pendant des années, et appliquant toujours la même politique sociale.
2. Le repli sur soi.
Pour se prémunir contre une révocation liée à un changement- de majorité,
les dirigeants peuvent pratiquer une politique d'autofinancement pour éviter les
intrusions d'étrangers 1. Une telle politique si elle est bonne pour les dirigeants
qu'elle maintient au pouvoir, ne l'est pas forcément pour la société. Les clauses
d'agrément que .. l'on rencontre dans certains statuts de sociétés anonymes
répondent au souci des dirigeants d'éviter "l'entrée du loup dans la bergerie" et les
1- changements de majorité qui peuvent leur être fa~?De telles clauses peuvent
!~ cependant être contraires à l'intérêt de l'entreprise. Ainsi, une entreprise en difficulté
peut être sauvée en passant sous le contrôle d'une autre société 2 fût-elle
concurrente3.
B. Atteinte à l'intérêt du dirigeant révoqué
Le dirigeant soumis à une révocation ad nutum est dans une situation
précaire. Il peut être à la merci de celui qui peut le révoquer étant donné que ce
dernier n'a pas à justifier la révocation. Les conflits de personnes, les rivalités ... bref
des considérations étrangères à la compétence du dirigeant peuvent provoquer sa
révocation. Le meilleur dirigeant du monde n'est pas à l'abri. D'autant plus que la
société y mettra sans doute la forme, en ne le révoquant pas mais en lui demandant
de présenter sa démission, l'empêchant ainsi de réclamer des dommages et intérêts
1
C. Pascano. op. cit. p.171 .
2
cf. R. Roblot "L'agrément des nouveaux actionnaires". In Mélanges Bastian p.294.
3
Témoin la célébre affaire Saupiquet Cassegrain Com. 21/1/70 où "pour faire face aux
difficultés financières
qu'elle connaissait, une société ... négociait avec une autre un
accord aux termes duquel cette dernière société offrait d'acquérir 67% du capital de la
première société ... " (in Les grands arrêts de la jurisprudence commerciale T.1. obs.
Houin-Bouloc) .

143
société y mettra sans doute la forme, en ne le révoquant pas mais en lui demandant
de présenter sa démission, l'empêchant ainsi de réclamer des dom mages et
intérêts pour abus de droit.
§2. Appréciation de la révocation pour justes motifs
De prime abord, ce type de révocation devrait compenser les inconvénients
de la révocation ad nutum, en favorisant notam ment la stabilité du pouvoir, en
évitant l'arbitraire et les règlements de compte, en assurant une plus grande
autonomie des dirigeants sociaux. Cela est vrai et nous ne reviendrons pas sur ces
questions pour éviter de nous répéter indirectement.
Quant aux inconvénients, il ne s'agit pas de transposer les avantages de la
révocation ad nutum en inconvénients de la révocation pour justes motifs. Certes, il
est plus difficile de révoquer un dirigeant pour ju'stes motifs, que de le révoquer ad
nutum, de sorte que poussé à l'extrème cela peut déboucher sur une sclérose de la
direction. En outre les dirigeants ne seront plus stimulés par l'aiguillon de la peur. Ils
peuvent cependant craindre que ,leur carence - si carence il y a - soit étalée au
grand jour suite à une révocation dont les motifs seront exposés de long en large,
leur faisant par-là même une redoutable contre-publicité.
La révocation pour justes motifs présente en effet des inconvénients
spécifiques. Ceux-ci tiennent pour l'essentiel à la difficulté de cerner la notion de
justes motifs, et à l'intervention du juge chargé d'apprécier le caractère juste du
motif de la révocation.
1. Difficultés à cerner la notion de juste motif
Le droit sénégalais, comme le droit français, ne définit pas ce qu'est "le juste
motif". Le droit américain ne définit pas non plus "the cause". Un éclairage de cette
notion est donc nécessaire.
A. En droit français
Les tribunaux ont eu à se prononcer à l'occasion de la révocation de
membres du directoire, mais leurs préoccupations différentes ont conduit à une

144
dirigeants ; d'autres au contraire adoptent une conception large 1. Et la Cour de
cassation laisse le champ libre à la diversité de conceptions en considérant le juste
motif comme relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond 2 .
On peut distinguer deux courants jurisprudentiels: l'un considère que juste
motif rime avec faute du dirigeant, l'autre estime que le motif peut être juste en
l'absence de toute faute du dirigeant.
1. Le juste motif pour faute
Poser que seule la faute du dirigeant constitue un juste motif de sa révocation
n'efface pas pour autant les incertitudes. En effet, toutes les fautes ne justifient pas
le renvoi du dirigeant. La faute doit en effet revêtir certains caractères: elle doit être
suffisamment grave; elle doit en outre avoir un lien avec la société.
a. Gravité de la faute
La faute doit être suffisamment grave, comme le souligne Madame Baillod, en
raison de la sévérité de la sanction que constitue une révocation sans
dédommagement qui serait disproportionnée à une faute légère ou très légère3 .
Cet auteur remarque avec pertinence qu'il n'y aurait guère de différence entre
révocabilité pour juste motif et révocabilité discrétionnaire4 .
La difficulté est de savoir quand la faute est suffisamment grave. Dans un
arrêt du 28 Mars 1973, la Cour d'appel de Rennes5 considère comme étant un juste
motif de révocation, l'inertie du dirigeant ayant contribué à l'aggravation de la
situation de la société.
Il faut reconnaître que certaines fautes portent la marque de leur gravité du
J.J. Daigre. "Réflexions sur le statut individuel des dirigeants de sociétés anonymes".
Rev. Stés. 1981, p. 510, n° 33.
2
Casso Com., 23 Juin 1975, in Grandes décisions de la jurisprudence, p. 207, n° 38.
3
R. Baillod., "Le 'juste motif' de révocation des dirigeants sociaux", RTDCO, 1983, p.
405, n° 14.
4
Idem.
5
Rev. Stés 1974, p. 708, note J.J. Burst. RTDCO 1974, p. 298 obs. Houin, JCP 1974 -
" - 17743, note Synvet.

145
situation de la société.
Il faut reconnaître que certaines fautes portent la marque de leur gravité du
fait de leur caractère pénal. Une faute pénale constitue un juste motif de révocation
car \\a société ne saurait être dirigée par des délinquants! Il Y va de sa réputation. Il
y va aussi de son intérêt, car peut-elle conserver sa confiance en des personnes
coupables d'infractions pénales ?107. Les exemples ne manquent pas: l'abus de
biens sociaux, le vol, l'escroquerie, l'abus de pouvoir ...
b. Lien avec la société
La faute doit avoir un lien avec la société. Elle peut avoir trait à la gestion de
la société: tel est le cas de la faute de gestion; aux biens de la société: l'abus de
biens sociaux en est l'exemple type; à la réputation de la société: les infractions
pénales en sont une illustration.
La faute de gestion mérite qu'on s'y attarde. Elle constitue le juste motif de
révocation par excellence. En effet, les dirigeants ont été nommés afin de
promouvoir, de faire fructifier la société. Par conséquent s'ils la gèrent mal, leur
renvoi est légitime. A été ainsi jugée comme étant un juste motif de révocation, la
gestion "coûteuse", "dispendieuse" du di rigeant, ayant aggravé le déficit de la
société 108.
Mais la faute de gestion est elle-même source de difficultés: on ne le dira
jamais assez : tout mauvais résultat n'implique pas une faute de gestion. Si
certaines fautes de gestion sont évidentes - c'est le cas de l'abus des biens
sociau x 109 - toutes ne le sont pas. La gestion suppose des con naissances
techniques que le juge ne possède généralement pas : il n'est pas expert en la
matière; il
lui est donc difficile de porter une appréciation sur la gestion des
dirigeants.
107
D'ailleurs la loi française du 30 Août 1947 portant assainissement des professions
commerciales et industrielles frappe d'interdiction de diriger, gérer, ou administrer
une entreprise industrielle ou commerciale toute personne condamnée pour crime ou
pour certains délits dont le vol, l'escroquerie ... Ce qui est cause de déchéance peut être
cause de révocation !
108
Tr. co. Paris 5 juill. 1972, Rev. Stés 1973, p. 668, note J.J. Burst.
109
L'abus des biens sociaux est une infraction pénale qui a trait à la gestion et aux biens de
la société.

146
révoquer plutôt que d'intenter une action en responsabilité contre lui pour faute de
gestion, car elle aurait alors à prouver l'existence de celle-ci, ce qui n'est pas chose
aisée.
2. Le juste motif sans faute
Les raisons qui font que la révocation est tenue pour juste alors même que le
dirigeant n'a pas commis de faute sont: l'intérêt social, les conflits de personnes et
l'incompétence du dirigeant. Mais ces raisons ne sont pas exemptes de critiques.
a. L'intérêt social
L'intérêt social peut justifier la révocation du dirigeant, il en est ainsi lorsque
la conjoncture économique entraine une baisse régulière, voire une stagnation de
l'activité sociale 1. Les associés peuvent alors dans l'intérêt de la société envisager
une réorganisation de la société avec de nouveaux dirigeants.
Dans un arrêt du 20 Novembre 19802, la Cour d'appel de Paris affirme que
"la notion de juste motif se définit non pas seulement en fonction de l'activité ou du
comportement du membre du directoire intéressé, mais aussi en fonction de l'intérêt
social réel et certain". La difficulté vient de la notion d'intérêt social qui est
incertaine. Le risque est que l'intérêt social ne devienne un "fourre tout" justifiant
toutes les révocations.
La Cour de cassation, à propos du motif tiré de la réorganisation du mandant,
considère la révocation du mandataire comme un motif légitime pourvu qu'elle soit
sérieuse et ne se ramène pas à un simple prétexte3. La même solution devrait être
consacrée en ce qui concerne le dirigeant révoqué 4. La prudence s'impose pour
éviter tout arbitraire à l'encontre du dirigeant.
1
R. Baillod, op. ciL, p. 407, n° 16.
2
Paris, 20 nov., 1980, Rev. Stés 1981, 583.
3
Cam 8 ocL, 1969 (O.S. 1970, J. 143, première esp. note J. Lambert). : "La Cour
d'appel a pu considérer comme intervenue sans cause légitime la rupture de ce mandat
par le mandant, la prétendue réorganisation de l'entreprise invoquée par lui, qui ... avait
seulement consisté à confier à un client que le mandataire lui avait apporté, la
représentation primitivement attribuée à ce dernier en l'excluant de tout droit aux
commissions ne pouvant constituer une cause légitime de révocation dudit mandat".
4
R. Baillod, op. ciL, p. 409, n° 20.

147
consacrée en ce qui concerne le dirigeant révoqué 113. La prudence s'impose pour
éviter tout arbitraire à l'encontre du dirigeant.
b. Un conflit de personnes
Si l'assemblée générale ne s'entend pas avec un membre du directoire,
peut-elle pour ce motif le révoquer?
Derrière certaines décisions telles que celle du Tribunal de commerce de
Paris du 5 juillet 1972 114 se cache sans doute, sous une motivation autre, le désir
de considérer comme juste la révocation d'un membre du directoire qui ne plaît plus
à l'assemblée générale.
Mais la Cour de cassation dans son arrêt du 23 juin 1975 adopte une position
contraire : elle considère comme injustifiée la révocation du directeur général
unique d'une société à directoire 115 , car les motifs invoqués se révélaient sans
réalité, les vrais motifs étant la volonté du président du conseil de surveillance,
largement majoritaire, de mettre fin coûte que coûte au mandat de ce directeur
général.
Nous pensons avec Messieurs Chartier et Mestre,,6 qu'il serait "regrettable
de vider le juste motif de toute signification en y assimilant la simple allergie
personnelle ou l'incompatibilité de personnes", cette allergie pouvant conduire le
dirigeant sur le pavé et sans dédommagement!
c. L'incompétence du dirigeant
On peut discuter de la place de cette rubrique dans le "juste motif sans faute",
car le dirigeant incompétent n'est-il pas fautif? Il a en effet le devoir de bien gérer la
société, or l'incompétence est cette inaptitude à la gestion de la société. Il y a donc
représentation primitivement attribuée à ce dernier en l'excluant de tout droit aux
commissions ne pouvant constituer une cause légitime de révocation du dit mandat".
1 13
R. Baillod, op. ciL, p. 409, n° 20.
1 14
Tr. Co., 5 Juill., 1972, prée.
1 1 5
Rappelons que le directoire peut ne comporter qu'un membre, appelé directeur général.
C'était le cas en l'espèce ...
1 1 6
ln Les Grandes décisions de jurisprudence, p. 213.

148
manquement à un devoir et donc faute. On peut à l'inverse considérer que
l'incompétence n'est pas une faute en soi : "ce n'est pas de sa faute s'il est
incompétent" pourrait-on dire 117. Sans doute le dirigeant aurait-il dû refuser un
poste qui dépassait ses aptitudes, mais la faute serait alors partagée avec ceux qui
ont fait le mauvais choix!
Nous le voyons, la notion de juste motif est difficile à cerner en droit français
qu'en est-il en droit sénégalais?
B. En droit sénégalais
Dans le silence du législateur sur la définition du juste motif, nous tenterons
de préciser cette notion à travers notamment les décisions de justice rendues dans
l'affaire Saër Dièye Seck c/SNCDS.
On peut lire dans le jugement du Tribunal régional de Dakar du 15 Avril
1992118 qu" ... une conduite, un comportement, des agissements ou une gestion non
conforme aux intérêts sociaux, même en l'absence de faute, constituent des
raisons suffisantes pouvant motiver ou fonder la décision de révocation d'un
dirigeant social". "Le caractère juste des motifs de révocation (est établi) pour peu
que l'on se soucie des intérêts de la société, de ses actionnaires et des tiers qui
traitent avec elle et dont le gage se trouve être le patrimoine de la société".
Ainsi, le juste motif n'implique pas la faute. Le Tribunal régional de Dakar
adopte ici une conception large du juste motif, avantageuse pour la société,
dangereuse pour le dirigeant. Il met en exergue l'intérêt de la société, ainsi que
celui des actonnaires et des tiers. L'évocation des tiers est conforme à la politique
du législateur qui est d'assurer au maximum la sécurité des tiers dans leurs
relations
:la société.
o.ve.c.
La démarche du juge consiste, à défaut d'une définition légale, à se référer à
l'esprit de la loi, à ses préoccupations. Nous l'approuvons totalement, car le juge
1 1 7
Cf. R. Baillod (op. ciL, p. 406, n° 15) : "le manquement du dirigeant" à ses fonctions
peut être en quelque sorte indépendant de sa volonté. Il en ira ainsi notamment en cas
d'empêchement, d'inaptitude ou d'incompétence professionnelle".
1 18
Précité.

149
reste guidé par la loi.
Cependant, on peut se demander si l'on ne risque pas de se heurter à des
difficultés pour apprécier l'intérêt social. En l'espèce, les faits reprochés au dirigeant
révoqué indiquaient indiscutablement une atteinte à l'intérêt social : rétention
d'informationsde la part du directeur général, refus d'exécuter les demandes du
conseil d'administration, refus de collaborer avec le conseil d'administration dans la
conduite, la surveillance et le contrôle des affaires sociales. Mais les juges peuvent
dans d'autres cas être confrontés à des situations dans lesquelles l'intérêt social ne
sera pas menacé de manière aussi évidente. Ils pourront toujours envisager l'intérêt
des actionnaires et ceux des tiers. Mais il n'est pas certain que ceux-ci convergent. Il
faudra alors privilégier la défense de l'un, et conformément à la politique législative,
l'intérêt des tiers devrait primer. Intérêt qui n'est pas forcément de voir révoquer le
directeur général, car la stabilité du pouvoir est importante pour les tiers en relation
avec la société, laquelle est représentée par son directeur général.
c. En droit américain
Aux Etats-Unis, la révocation des directeurs est en principe for cause. La
cause doit être grave et légitime. La loi ne précise pas en quoi elle consiste. Un
article du quotidien sénégalais Le Soleil 119 intitulé "Etats-Unis, PDG en danger"
nous révèle que les PDG de plusieurs entreprises, et pas des moindres, puisqu'il
s'agit d'entreprises telles que Général
Motors,
IBM,
Digital
Equipement,
Westinghons, ont été "remerciés" pour cause de mauvais résultats. Selon le
magazine français l'Expansion 120 : "un dirigeant américain peut être remercié pour
un simple fléchissement des résultats". " souligne qu'en deux ans, les présidents de
treize des cinq cent premières entreprises 121 ont été remerciés. Comme l'indique le
Professeur Tunc : Iii faut réussir ou partir"122.
" faut noter que ces révocations brutales frappent aussi bien des officers, ce
qui est concevable puisqu'ils sont révocables ad nutum par le conseil des
directeurs, que des directeurs. Et c'est là où le bât blesse puisque ces derniers sont
119
Le Soleil du 02 février 1993.
120 L'expansion 2/15 juin 1994, p. 87.
121
Classement opéré par le magazine américain Fortune.
122
Op. ciL, R.I.D.C., 1994, p. 60.

150
en principe révocables for cause. Certes, ils doivent être diligents, performants. Mais
les mauvais résultats d'une entreprise tiennent souvent à l'environnement
économique, sans qu'il y ait nécessairement faute de ses dirigeants. En fait la cause
consiste en l'intérêt de la société: dès lors que la gestion ne donne pas satisfaction
il importe d'opérer des remplacements. De l'avis de certains, la révocation est
semble-t-il, le remède le plus approprié à l'incompétence ou à l'insuffisance des
dirigeants 123.
II. Rôle du juge
A. En droit français
La révocation pour justes motifs entraîne l'intervention du juge si le dirigeant
révoqué réclame en justice des dommages et intérêts. Le juge devra apprécier le
caractère juste du motif.
Cette tâche est malaisée. En effet, la société pour se défendre peut alléguer
que la révocation est justifiée par l'intérêt social or cette notion est très délicate et
relève de l'appréciation des associés. Le juge peut-il alors émettre un point de vue
contraire au leur 7
Autre difficulté: si la société évoque comme motif de révocation une faute de
gestion commise par le dirigeant, le juge est-il en mesure d'apprécier la réalité
d'une telle faute 7 Ses connaissances en matière de gestion sociale le lui
permettent-elles 7 ne risque-t-il pas d'être accusé de s'immiscer dans la gestion
sociale 7124.
123
Finch cité par E. Scholastique, op. cit., p. 290.
124
Cf. l'affaire Saupiquet. Cassegrain (Com. 21/1/70 prée.). La Cour de cassation a
condamné l'intervention des tribunaux dans la gestion des sociétés (B. Oppetit note au
JCP 1970, Il, 16541). Les juges ne peuvent pas se substituer aux organes sociaux
pour apprécier l'opportunité des décisions prises, dès lors qu'elles sont régulières et ne
sont pas entâchés de fraude ou d'abus de droit (R. Houin et B. Bouloc, obs. in Les grands
arrêts de la jurisprudence commerciale, p. 329).

151
1. Le juge confronté à la souveraineté des associés
Lorsque les actionnaires révoquent un dirigeant en considération de l'intérêt
social, le juge peut-il considérer comme injuste ce motif de révocation? Cela ne
revient-il pas à une atteinte à la souveraineté des associés puisque l'intérêt social
relève de leur appréciation souveraine?
En fait, il ya deux aspects à considérer:
le juge estime que l'intérêt social ne constitue pas un juste motif de
révocation en soi;
le juge admet que l'intérêt social peut justifier la révocation du dirigeant.
Mais en l'espèce, il considère que l'intérêt social n'était pas menacé.
Autrement dit, il apprécie quel est l'intérêt de la société. Cela ne revient-il
pas à s'arroger le droit de définir l'intérêt social, droit qui appartient à la
majorité des actionnaires?
Sur le premier point, on peut dire que les juges considèrent que l'intérêt
social est en soi un juste motif de révocation 125.
Mais s'ils admettent l'intérêt social comme cause de révocation, encore faut-il
qu'en l'espèce cet intérêt soit menacé. Tel est le sens de l'arrêt de la Cour d'appel
de Paris du 20 Novembre 1980 126 lorsqu'il évoque un intérêt social réel et certain.
A travers la jurisprudence française, on s'aperçoit que le juge ne se prive pas de
contrôler la réalité de l'intérêt social, en l'espèce. Les juges ont ainsi vérifié que la
révocation consécutive à la réorganisation de la société imposée par des tiers
prenant une participation ou fournissant des fonds pour éviter un dépôt de bilan
répondait à un juste motif127.
De même, et à propos du motif tiré de la divergence de conceptions sur la
politique générale de la société, les juges se sont livrés à des investigations: le
dirigeant révoqué et les nouveaux actionnaires avaient, disait-on, des points de vue
125
Cf. supra 1.2. Le juste motif sans faute,
126
Précité.
127
Rennes. 28 mars 1973. JCP 1974, Il, 17743 note Synvet, Rev. Stés 1974, 708 note
Burst.

152
différents sur la politique à mener. Les juges ont donc confronté les programmes
que le dirigeant révoqué avait jusque là préconisés et appliqués en sa qualité de
directeur général de la société et ceux de la nouvelle majorité, qui se sont avérés
contraires. Cet examen a confirmé que le dirigeant ne pouvait appliquer une
politique entièrement nouvelle et contraire à la sienne 128.
Les investigations du juge peuvent à l'inverse révéler qu'en réalité l'intérêt
social n'est pas menacé par le maintien du dirigeant social. Ce fut le cas à propos
d'un président directeur général de SA qui avait été révoqué au motif d'un
désaccord avec le conseil sur la politique générale de la société; or son successeur
avait suivi la même politique que lui. Une telle révocation avait été déclarée
abusive 129. Cette solution est tout à fait transposable aux membres du directoire:
les juges pourraient qualifier une telle révocation d'injuste et octroyer des
dommages-intérêts au dirigeant révoqué.
r
Pour Madame Baillod, la démonstration de la réalité de l'inérêt social quant à
D.
la révocation du dirigeant sera peut-être facilitée dans le cas d'une société en
difficultés à l'inverse, la prospérité sociale pourra en faire douter13o.
Il ne faut pas cependant oublier que les dificultés d'une entreprise ont des
causes multiples et il peut être injuste de révoquer un dirigeant sur cette base.
L'analyse du juge peut être facilitée par l'existence d'une faute du dirigeant,
mais l'inverse n'est pas vrai. Autrement dit, l'absence de faute du dirigeant ne
signifie pas que l'intérêt social est sauvegardé. En outre, la reconnaissance de la
faute du dirigeant pose bien des difficultés lorsqu'elle a trait à la gestion, car alors le
juge se trouve quelque peu démuni n'étant pas le plus souvent expert en la matière.
2. Le juge et l'appréciation économique de la gestion
On peut craindre que le juge ne soit pas en mesure d'apprécier l'opportunité
de telle ou telle décision éconornique 131 . Les juges seront certainement
128
Tr. Co. Paris, 5 juillet, 1972, précité.
129
Cam. 20 Nov. 1962, D. 1963, J. 230.
130
Op. ci!., p. 408, n° 18.
1 31
C. Pascano, op. ci!., p. 151.

153
pour juger la gestion de personnes hautement qualifiées que sont par exemple les
membres du directoire. En effet, à travers l'institution du directoire, le législateur
français, a voulu "donner le pouvoir aux gestionnaires"1 et s'assurer des
compétences de haut niveau 2 . Certes le juge peut s'aider d'experts pour se faire
une
opinion 3 , mais leur tâche sera ardue car il faudra tenir compte de
considérations internes à la société voire à l'entreprise, ce qui n'est pas évident pour
des personnes extérieures à l'entreprise, et d'éléments externes tels que
l'environnement économique, voire politique, terrain mouvant s'il en est. ..
Quand bien même le juge se sera fait une opinion sur la gestion, la question
reste posée de savoir s'il ne lui sera pas reproché de s'être immiscé dans la gestion
de la société.
3. Le juge et l'immixtion dans la gestion
Cette question a été souvent débattue par la doctrine française, dès avant la
loi du 24 juillet 1966. "On a pu se demander si le contrôle judiciaire des
délibérations abusives ne constituait pas un danger et on a fait remarquer que le
rôle du juge était de veiller à l'application de la loi et non pas de prendre parti sur
l'opportunité de telle ou telle mesure ayant trait au fonctionnement de la société"4. Il
semble cependant que la jurisprudence française s'est montrée prudente en la
matière5. Monsieur Renard ne manquait pas d'observer avec pertinence, que "si le
contrôle judiciaire est une arme délicate à manier, ce n'est pas une raison pour se
refuser à l'utiliser"6, il ajoutait qu'une telle intervention était parfaitement justifiée
juridiquement: les tribunaux ont pour rôle d'appliquer la loi et par suite de vérifier si
les actes de l'administrateur incriminé sont ou non conformes à la légalité. Ainsi
s'est dégagée peu à peu une tendance à un contrôle juridictionnel des révocations
des administrateurs 7. Si ce contrôle est reconnu pour apprécier l'existence d'abus
du droit de révocation, il en est de même quant au contrôle du caractère juste du
1
J.J. Caussin, in Le management, sept. 1970, p. 38, cité par C. Pascano, p. 165.
2
idem.
3
M. Azencot L'intervention du juge dans la gestion des sociétés commerciales - th. Droit
Paris Il 1979 p.37.
4
J. CI. Renard, op. ci!., p. 127, n0152.
5
H. et L. Mazeaud. Traité de la responsabilité civile, T. 1, n° 587;
6
J. CI. Renard, Ibid, P. 128, n° 152.
7
Idem.

154
motif.
A l'heure actuelle, l'évolution du droit français va dans le sens d'un
"renforcement du pouvoir d'immixtion du juge"1. La révocation pour justes motifs ne
s'inscrit-elle pas dans cette évolution, par le pouvoir de contrôle qu'elle confère au
juge ? Nous ne le pensons pas, car s'il est vrai que pour se prononcer sur
l'allocation de dommages et intérêts, le juge doit parfois même apprécier
l'opportunité de telle mesure ou décision de gestion, il n' a pas le pouvoir de
réintégrer le dirigeant révoqué dans la société. Et cette limite au pouvoir du juge est
fort significative, elle revient à dire que le dernier mot appartient à la société.
B. En droit sénégalais
Si l'on se réfère à l'arrêt de la Cour de Cassation du 1er Décembre 19932 :
"Attendu qu'en statuant ainsi sans rechercher si les motifs invoqués par le président
du conseil d'administration dans son rapport du 20 juillet 1990 justifiaient la
révocation, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision", on peut
dire que les juges du fond doivent contrôler les motifs "figurant-logiquement dans le
rapport du président du conseil d'administration qui propose, rappelons-le, la
révocation du directeur général. Leur rôle est de vérifier si les motifs justifient la
révocation, autrement dit, le caractère juste des motifs. Ainsi, la Cour d'appel,
appelée à statuer sur renvoi, devrait nous donner une idée plus précise du juste
motif: en l'espèce les problèmes de communication avec le conseil d'administration
constituent-ils un juste motif de révocation?
Une telle appréciation fait-elle courir un risque d'immixtion au juge dans la
gestion sociale? Dans le cas d'espèce, nous ne le pensons pas. Le juge peut se
prononcer en tenant compte simplement du rôle du directeur général, de sa place
dans la structure sociale, de ses rapports avec le conseil d'administration et le
président du conseil d'administration 3 . Ainsi, la mésentente entre le directeur
général et le conseil d'administration constitue, à notre avis, un juste motif de
Cf. A. Viandier, note sous Tr. Co. Paris, ordo réf. 14 fév. 1990. JCP éd. Ent. 1990, p.
481, Il, n° 15826. Il cite entre autre l'administration provisoire. L'auteur montre
comment au fil des décisions on est passé du critère de l'absence de gestion à celui de
l'absence de gestion normale.
2
Précité.
3
Cf. supra in Titre 1er.
Pouvoirs des dirigeants sociaux.

155
révocation, car le conseil d'administration décide de la politique sociale 142, celle-ci
étant mise en œuvre par le directeur général 143 . En l'espèce, le refus du directeur
'7 génraLd'exécuter les demandes du conseil d'administration, son refus de collaborer
~
avec lui dans la conduite, la surveillance et le contrôle des affaires sociales, s'ils
sont avérés réels 144 sont des faits de nature à compromettre gravement l'intérêt
social. Ce "constat", s'il était opéré par les juges, ne nous semble pas constituer une
immixtion du juge dans la gestion sociale.
Quant à l'appréciation économique de la gestion, le problème ne se posait
pas en l'espèce, mais c'est une question qui peut se poser et comme en droit
français conduire à s'interrroger sur la qualification du juge en la matière. La
problématique d'une magistrature économique se pose aussi au Sénégal.
L'avènement de "juges économiques" serait d'une grande utilité pour les sociétés
qui marchent et a fortiori pour celles qui sont en crise.
c. En droit américain
Il existe aux Etats-Unis une règle : la Business Judgment Rule .(Règle du
jugement d'affaire) selon laquelle les dirigeants sont maîtres de la gestion sociale.
Elle est fondée sur l'idée que le juge n'est pas assez qualifié pour apprécier les
décisions d'affaires des dirigeants sociaux. S'agissant du cas particulier de la:
révocation for cause, SI la cause est prévue par la loi, la tâche du juge est simplifiée
; il lui suffit de se conformer à la loi. Dans le cas contraire, la cause devra être grave
et légitime. Si nous nous référons à la situation actuelle de dirigeants révoqués pour
cause de mauvais résultats 145 , au cas où ceux-ci demanderaient une indemnisation
au motif que leur révocation n'avait pas une cause grave et légitime, quelle serait
l'attitude du juge? En fait celui-ci serait appelé à constater qu'ils n'ont pas rempli ce
que "on peut désormais appeler une "obligation de résultat". Tâche beaucoup plus
aisée que s'il s'était agi d'une "obligation de moyens". La Business Judgment Rule
142
Cf. art. 1258 al 1 cacc : "Le conseil d'administration précise les objectifs de la société
et l'orientation qui doit être donnée à son administration".
143
Cf. art. 1279 cacc : le directeur général gère les affaires sociales, représente la
société dans ses rapports avec les tiers.
144
S'agissant d'une révocation pour justes motifs, la charge de la preuve pèse sur la
société. En l'espèce celle-ci a apporté comme preuve un rapport d'audit, lequel a été
déclaré nul par la Cour d'appel de Dakar, le 31
juillet 1992, car peu
fiable
puisqu'établi par le commissaire aux comptes de la société.
145
Cf. supra. § 2-I-C.

156
ne serait pas transgressée, les juges n'ayant plus à se prononcer sur la compétence
du dirigeant. Les faits sont là : la société attend d'eux des bons résultats, elle ne les
a pas obtenus: elle les renvoie.
Ainsi, le problème suscité par le rôle du juge dans un système de révocation
pour justes motifs se pose essentiellement en droits français et sénégalais, mais à
l'analyse il s'avère moins grave qu'on aurait pu le penser.
§3. Appréciation du système intermédiaire
Il s'agit du nouveau système de direction sénégalais, fortement inspiré du
droit anglais. Ce système présente bien des avantages qui tiennent au caractère
contradictoire de la procédure, au fait que les actionnaires sont souverains, à la
motivation de la révocation qui lui confère une certaine transparence.
1. Une procédure contradictoire
L'avantage principal de ce type de révocation, répétons-le, est de permettre
au dirigeant de se défendre. C'est un obstacle à la révocation arbitraire. Les
actionnaires appelés à se prononcer le font en connaissance de cause puisque la
personne qui demande la révocation devra - la loi ne le dit pas expressément mais
c'est implicite puisque le dirigeant "répond" - exposer ses griefs, et que de son côté
le dirigeant pourra se défendre dans un mémoire en réponse.
II. Une assemblée souveraine
Dès lors que la procédure est respectée, la décision des actionnaires ne peut
être remise en cause, le "tribunal des actionnaires" ayant jugé en connaissance de
cause leur mandataire. Car, il faut le dire, le nouveau système de direction
sénégalais, reflète l'idée de relation fiduciaire liant les actionnaires à leurs
dirigeants. Ceux-ci pouvant être considérés comme les mandataires de ceux-là.
D'ailleurs le terme administrateur délégué est évocateur.
Il nous semble que ce type de révocation traduit même mieux l'idée de
confiance que ne le fait la révocation ad nutum146 . La demande de révocation peut
146
Cf. supra. La révocation ad nutum traduit l'idée de confiance.

157
d'ailleurs indiquer que le dirigeant n'a plus la confiance des actionnaires et en
donner la raison.
III. Transparence
La procédure confère à la révocation des administrateurs délégués une
transparence indéniable. C'est un avantage car qui dit transparence dit vérité.
L'article 1288 cacc évoque l'administrateur délégué dont "la gestion est en cause"
indiquant par là même que si l'on demande la révocation du dirigeant c'est pour une
raison objective : sa gestion n'est pas satisfaisante. Des raisons telles que les
conflits de personnes n'y ont donc pas leur place.
En définitive, ce type de révocation nous paraît le plus avantageux. Nous
n'avons d'ailleurs relevé aucun inconvénient à son sujet!

158
CHAPITRE 3 : REMUNERATION D,ES DIRIGEANTS SOCIAUX
Selon l'article 1270 COCC, l'assemblée générale peut allouer aux
administrateurs une
rémunération.
Le législateur sénégalais présente la
rémunération des administrateurs comme une faculté, ce qui laisse supposer qu'à
l'inverse leurs fonctions peuvent être exercées gratuitement. Cette hypothèse
rejoindrait ainsi la tradition française se_Ion laquelle "Rien n'oblige la société
àoctroyer une rémunération spécifique aux organes de direction générale, les
fonctions pouvant être gratuites".1 Elle serait aussi conforme aux traditions
anglaises et américaines.2
A une époque où non seulement les dirigeants sont rémunérés mais où leurs
rétributions sont très élevées, on peut s'interroger sur les raisons d'une telle gratuité.
SECTION PRÉLIMINAIRE : DE L~~.:rUNITÉ D'UNE
RÉMUNÉRATION
1. RAISONS DE LA GRATUITE
En droit américain, traditionnellement les directeurs étaient considérés par
les actionnaires comme des hommes se mettant au service des autres et n'attendant
d'autres rémunérations que l'accroissement des dividendes et la valorisation de
leurs titres.3
Cette raison invoquée aussi en droit français est irréaliste étant donné que
tous les dirigeants ne sont pas actionnaires. C'est le cas du directeur général qui
n'est pas forcément administrateur donc actionnaire, et des membres du directoire.
1 J.J. Daigre - "Réflexions sur le statut individuel des dirigeants de sociétés
anonymes" Rev. Stés 1981. P.516.
Dans le même sens. Hémard, Terré, Mabilat. op.cil. nOS 980 et 1081. P. Bézard
op.cit. P.67 n0225
Cozian et Viandier - op.cit. P.240 n0976 - Jauffret Les sociétés commerciales - 1ge
éd. 1989. P.224 n0356.
2 USA: J. Chamboulive op.cit. P.68 n099 A.Tunc op.cit.p.1 08 n063 - p.118 n069
Angleterre: Sealy op.cit.p. 236. Pennington P.559, si les articles n'ont pas prévu
une rémunération pour les directeurs et que les membres souhaitent en accorder
aux directeurs, ils doivent d'abord modifier les articles.
3 A. Tune, op.cit,p.1 08 n063.

159
Un autre fondement réside dans l'idée de mandat. Ainsi, la rémunération des
dirigeants sociaux a pendant longtemps été laissée à la discrétion des sociétés qui
pouvaient aussi bien ne pas rémunérer les dirigeants.L Sous l'empire de la loi du
24 Juillet 1867 les administrateurs étaient considérés comme les mandataires des
actionnaires.2 Or le mandat, originellement, était un acte gratuit traduisant avant
tout la confiance du mandant pour son mandataire, lequel -agissait de manière
dési nté ressée.
Ce n'est pas non plus un hasard si les directors aux Etats-Unis et en
Angleterre, dont les liens fiduciaires avec la société et les actionnaires sont bien
connus, étaient traditionnellement bénévoles
A l'heure actuelle, les fonctions dirigeantes peuvent encore être gratuites,
mais ce serait plutôt l'exception. Cette situation se rencontre principalement dans
les petites sociétés familiales,lesquelles empruntent rarement la forme de société
anonyme.
Les raisons de la gratuité sont variées. Ainsi, on peut concevoir qu'une
personne ayant par ailleurs une profession, donc n'étant pas dans le besoin,
accepte de se mettre au service d'une société qui fait appel à ses compétences.
Un dirigeant peut aussi renoncer à être rémunéré pour limiter les frais de la
société, particulièrement lorsque celle-ci se trouve en difficulté.3
Dans un groupe de sociétés, il arrive fréquemment que celui qui est nommé
directeur général ou président d'une filiale ne
reçoive aucune rémunération à ce titre, parce qu'étant en même temps cadre
supérieur dans la société-mère.4
1 F. Terré - "La disparition des tantièmes".
Rev. Stés 1976 - 237.
2 Cf art.22 L. 1867 "Les sociétés anonymes sont administrées par un ou plusieurs
mandataires à temps, salariés ou gratuits, pris parmi les associés".
3 J.J. Daigre, op.cit. -P. 517, n'50.
4 Ibid PP.516-517 N'50. E. du Pontavice "La fixation de la rémunération des
organes de direction et de surveillance de la société anonyme". in Mélanges
Bastian. 1.1. P.182. Y. Guyon. op.cit. 6e éd. 1990.P.327,no326.

160
Comme le souligne Monsieur Daigre : "malgré un principe théorique de
gratuité des fonctions, sauf décision expresse contraire... on s'aperçoit que le droit
prétorien inverse pratiquement la solution".1
Comment justifier la rémunération des dirigeants. sociaux, qui semble être
devenue la norme?
2. RAISONS D'UNE RÉTRIBUTION
On peut bien sûr évoquer l'adage selon lequel "tout travail mérite salaire".
Diriger une société n'est pas une sinécure, il est donc normal que les dirigeants
sociaux soient rémunérés.
La rémunération, et c'est un autre argument, devrait constituer une motivation
pour le dirigeant, et serait donc un gage de bonne gestion. Elle attirerait les
cerveaux et favoriserait les dynanismes.2 Le rapport Sudreau préconise d'ailleurs
une rémunération pour permettre le recrutement de membres du conseil de haute
valeur3
La rémunération serait également un moyen de compenser la précarité de la
situation de certains dirigeants sociaux.- notamment ceux qui sont révocables ad
nutum - et l'étendue de leur responsabilité.
Mais sans doute faudrait-il préciser "une rémunération élevée" car ce n'est
pas une rémunération quelconque qui motive les dirigeants, et lorsqu'ils cherchent
à compenser la précarité de leur situation c'est par de fortes rémunérations.
Et c'est finalement le haut niveau de rémunération qui constituera le fil
conducteur de notre étude4. En effet, la composition même de la rémunération est
1 op.cit., p.519. N'58.
2 J.J.Daigre - op.cit. P.519 N'59; Y. Guyon - op.cit., P.326. N'325.
3 Ph. Merle, op.cit. - P.317. N'390.
4 Certes le cas de dirigeant sous-payé peut se poser. Mais ce serait plutôt
l'exception. Voir, à ce sujet Orengo - l'Jote sous Casso Co. 11 Janv. 1972. Dai!. 1972.
560.

161
un ensemble d'éléments hétéroclites qui, additionnés, constituent généralement un
montant fort élevé. Si élevé parfois que la société et les actionnaires en pâtissent et
s'insurgent, faisant appel au juge, qui, selon le cas, sanctionnera le dirigeant ou
annulera la décision octroyant la rémunération. Mais comme il vaut mieux prévenir
que guérir
- en l'occurrence que sanctionner - le droit propose des moyens
préventifs. La procédure spéciale des dites conventions réglementées en est une;
mais la soumission de la rémunération des dirigeants à cette procédure est liée à la
nature de la rémunération. Contractuelle: elle y sera soumise, institutionnelle: elle
y échappera. Enfin, toujours dans le domaine de la prévention, la publicité devrait
permettre d'éviter les excès. Allant plus loin que la procédure des conventions
réglementées, la publicité s'adresse à un plus grand nombre de personnes, telles
que les salariés. Mais elle suscite un délicat problème : jusqu'où peut aller la
publicité de la rémunération des dirigeants sociaux. Ne porte-t-elle pas atteinte à la
vie privée? au secret des affaires?
Autant de questions qui nous retiendront. Le droit français est très riche en la
matière et devrait apporter de nombreux éléments de réponse. Les droits anglais et
américains très pragmatiques. offrent des solutions très utiles. Nul doute qu'à la
lumière de ces différents droits, le droit sénégalais pourra être éclairé. Le problème
des rémunérations élevées des dirigeants sociaux y est d'autant plus aigu que les
sociétés sont en difficultés et que la récession économique1 conduit à de
nombreuses restrictions. La moindre des choses serait que les dirigeants donnent
l'exemple.
Nous n'étudierons pas dans ce chapitre le salaire du dirigeant lié à la société
par un contrat de travail ; cette étude sera faite dans le chapitre consacré au cumul
du mandat de dirigeant social avec un contrat de travail.2
SECTION 1 : COMPOSANTES DE LA RÉMUNÉRATION
La rémunération des dirigeants sociaux varie selon le type de dirigeants et
selon les pays étudiés. La loi laisse plus ou moins le champ libre à l'organe
compétent pour déterminer le contenu de la rémunération.
1 que la dévaluation du franc CFA ne fait qu'aggraver, pour l'instant. ..
2 Cf infra in chapitre 4.

162
Le droit sénégalais reste encore proche du droit français d'hier, sinon
d'aujourd'hui. Jetons de présence et tantièmes sont en effet des notions bien
connues du droit français. Les tantièmes ont été cependant supprimés en France
par la loi N"75-1347 du 31 Décembre 1975. Il convient dès lors de réfléchir sur les
inconvénients de ce type de rémunération et sur l'opportunité de son maintien en
droit sénégalais.
Le droit américain offre un large éventail de rémunérations et si au Sénégal
le législateur, les actionnaires ou les administrateurs, étaient en panne
d'imagination, ils n'auraient que l'embarras du choix entre ces rétributions qui ont
pour nom bonus plan, stock option plan, share bonus plan. Certes s'agissant des
administrateurs l'article 1270 COCC ne mentionne que les jetons de présence et
les tantièmes, mais cela n'empêche pas l'attribution de ce qu'on pourrait appeler
"rémunérations complémentaires". Il s'agit d'avantages en nature tels que logement,
voiture etc...qui sont loin d'être négligeables. Si la loi ne mentionne pas ce type de
rémunération, en revanche elle consacre des dispositions aux rémunérations
qu'elle qualifie elle-même d'exceptionnelles et qui récompensent des tâches
exception nelles.
SECTION 1 : EN DROITS SÉNÉGALAIS ET FRANÇAIS
§1. RÉMUNÉRATION
DES ADMINISTRATEURS
1.
RÉMUNÉRATIONS
ORDINAIRES
:
JETONS
DE
PRÉSENCE
ET
TANTIÈMES.
En France, les jetons de présence et les tantièmes sont nés de la pratique.
En effet le code de commerce et la loi du 24 Juillet 1867 étaient muets sur la
question de la rémunération des administrateurs.
Cette pratique a été entérinée par les textes: articles 108 L. 1966 et 1270
COCC. Ces articles disposent que l'assemblée générale peut allouer aux
administrateurs, en rémunération de leur activité, une somme "fixe annuelle, à titre
de jetons de présence. L'article 1270 COCC ajoute que les statuts peuvent prévoir
que des tantièmes seront alloués au conseil d'administration.

163
On remarque d'emblée que les jetons de présence sont fixés par l'assemblée
générale, alors que les tantièmes relèvent des statuts. L'explication en est sans
doute une certaine défiance du législateur envers l'assemblée générale. Celle-ci
comporte en effet des administrateurs, puisque ceux-ci sont nécessairement
actionnaires. De plus les administrateurs disposent normalement de mandats en
blanc donnés par les actionnaires. Dès lors, on peut craindre un excès de
"générosité" de la part d'actionnaires administrateurs quant à l'allocation de
tantièmes, l'expérience française ayant montré les abus auxquels ce type de
rémunération pouvait conduire. Expérience qui s'est soldée par leur suppression.
Le législateur sénégalais n'a pas suivi son homologue français. A tort ou à raison?
Une analyse des tantièmes s'impose pour y répondre.
A. LES TANTIEMES
Le mot "tantième" vient de l'expression "tant pour cent de... ". Les tantièmes
sont un pourcentage du bénéfice net distribuable. Ce pourcentage, aux termes de
l'article 1111 COCC, ne peut être de plus de 1/20e. Le bénéfice net distribuable est
selon le même texte, le bénéfice dont on a soustrait les réserves et le report à
nouveau. L'article 1110 COCC précise que le versement des tantièmes aux
administrateurs est subordonné à la mise en paiement des dividendes aux
actionnaires.
Le législateur sénégalais met ainsi le doigt sur le problème des tantièmes et
dresse un barrage contre les excès. En effet il est à craindre que les tantièmes ne
soient trop élevés et qu'en conséquence les actionnaires en pâtissent en étant
privés de dividendes.1
En France, des abus avaient été commis en la matière. Dans les sociétés
anciennes et prospères notamment, les tantièmes étaient considérables. Les
récipiendaires recevaient ainsi "sans peine, les fruits du travail accompli par les
générations précédentes ou des réserves lentement accumulées".2 Les tantièmes
pouvaient être disproportionnés par rapport à la participation réelle du dirigeant à la
conduite de la société. En outre, étant fixés par les statuts ils ne pouvaient, à moins
1 Ce n'est pas le seul risque. La société peut, et c'est plus grave, subir un préjudice
du fait de prélèvements excessifs.
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164
d'une modification statutaire, être révisés en fonction des circonstances
économiques.1
Ajoutons à cela certains trucages, tels que le fait de ne pas déduire du
bénéfice certaines provisions afin d'augmenter la base de calcul des tantièmes.2
Le législateur français a opéré par étapes. D'abord, il a posé des limites à
l'attribution des tantièmes: la loi du 4 Mars 1943 imposa aux sociétés des règles
obligatoires pour le calcul et l'attribution des tantièmes. Un décret du 30 Septembre
allait renforcer ces règles. La loi du 24 Juillet 1966 reprenait et complétait ces
différents textes, avec notamment son article 352 posant un montant maximal des
tantièmes, calculé à partir du bénéfice distribuable soumis à certaines déductions.
Enfin, la loi du 31 Décembre 1975 supprime les tantièmes, le but du législateur
étant de prohiber ce qu'il considère comme une forme anti-économique de fixation
des rémunérations, et d'assurer une meilleure adaptation de la rémunération des
dirigeants à leur activité.3
Le droit sénégalais quant à lui maintient les tantièmes alors même que les
risques d'abus existent. L'attitude du législateu r sénégalais mérite approbation car il
est excessif de supprimer une institution en raison du mauvais usage qui en est fait.
Il préfère les maintenir tout en posant des garde-fous : un plafond est fixé, des
déductions sont imposées sur le bénéfice, les tantièmes sont déterminés par les
statuts.
Le législateur sénégalais a sans doute tenu compte de ce que ce mode de
rémunération constitue une motivation pour les dirigeants, bénéfique pour la
société, puisqu'il est fonction du bénéfice. Par ailleurs, ayant supprimé les parts de
fondateur pour des raisons à peu près identiques à celles de la suppression des
tantièmes en France, peut-être a-t-il jugé suffisante cette mesure.
1 Idem.
2 Pau - 12 Juin 1952. GP 1952 - 2 - 179. DaI. 1955. J. 405 note Dalsace. En
l'espèce, les administrateurs voulaient que leurs tantièmes soient calculés avant la
déduction du montant des provisions pour approvisionnement technique et
renouvellement des stocks. Mais la Cour de Paris rejeta cette prétention.
3 Ibid. PP. 35-36.

165
B. LES JETONS DE PRESENCE
Les jetons de présence sont une somme fixe allouée par l'assemblée
générale.1
L'expression "jetons de presence" suggère que cette rémunération est liée à
l'assiduité de ses bénéficiaires.2 A l'origine c'était effectivement son rôle: en France,
les jetons de présence récompensaient l'assiduité des administrateurs aux réunions
du conseil d'administration. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, bien que la
terminologie ait été maintenue.3 C'est une indemnité forfaitaire destinée à
dédommager les bénéficiaires de leur perte de temps, de leurs déplacements dans
l'exercice de leur mandat. Elle permet également de couvrir la responsabilité qu'ils
encourent au titre de leurs fonctions.4
C'est devenu en France, le seul mode de rémunération ordinaire des
administrateurs depuis la suppression des tantièmes.
L'assemblée générale, au Sénégal comme en France, fixe un montant global
annuel, et c'est au conseil d'administration qu'il appartient de le répartir entre ses
membres.5 Cette répartition pouvant être inégale. En effet, l'article 68 D. 1993
reprenant l'article 93 al 1er du décret français du 23 Mars 1967 dispose que, "Le
conseil d'administration répartit librement entre ses membres les sommes globables
allouées aux administrateurs sous forme de jetons de présence et de tantièmes,il
peut notamment allouer aux administrateurs membres des comités prévus par
l'article 65 al 2é(6\\ lune part supérieure à celle des autres administrateurs. Ce)§lsaAt--
1 Arts 1270 COCC ; 108 L-1966.
2 M. De Juglart et B. Ippolito. op.cit., 8e éd. 1988. P.495 N°713.
3 J.F. Bulle. Le statut du dirigeant de société. ed. La Villeguerin 1989. P.173 N°415.
Ph. Merle. Sociétés commerciales.
Précis Dalloz - 2e éd. 1990 P.317 N°390 ; Y. Guyon op.cit. P.326 N°325.
Ripert et Roblot. Les sociétés commerciales. éd. 1991, P.964 N°1275.
4 J.F. Bulle. op.cit., loc.cit.
5 Art 1270 COCC - art 93 D 1967 en France.
6 L'article 65al 2 0 - 93 . Comme l'article 90 al 2 0 1967, dispose que, le conseil
d'administration peut décider de créer des comités chargés d'étudier les questions
que lui-même ou son président soumet pour avis à leur examen . II fixe la
composition et les attributions des comités qui exercent leur activité sous sa
responsabilité.

166
J k l e défre~~-=-àjit~cat~_~ ~~~~~g~~ea~itiond~s jetons de présence,
comme d'ailleurs des tantièmes. D'autres critères sont envisageables, tels
que ... I'assiduité2 Mais ils ne doivent en aucun cas déboucher sur l'arbitraire :
"L'inégalité ne peut avoir sa source dans l'arbitraire du conseil, mais seulement
dans une inégalité de charge, de responsabilité et de compétence".3
Il semble paradoxal en France, compte tenu de la suppression des tantièmes,
marque de défiance, que les administrateurs prennent part au vote qui fixe leur
rémunération.4 Le Professeur Guyon s'en est alarmé . Il souligne que cette
participation des administrateurs intéressés au vote n'est pas une garantie de
l'objectivité de celui-ci.5 Cela est vrai, d'autant plus que les administrateurs sont
souvent majoritaires à l'assemblée.
En France, on est loin de l'époque où les jetons de présence étaient appelés
"jetons de consolation" en raison de leur fa.ible montant. On peut craindre qu'avec la
suppression des tantièmes, les dirigeants ne se "rattrapent" avec les jetons de
présence.6
Les jetons de présence, contrairement aux tantièmes, ne dépendent pas des
bénéfices. Ils peuvent donc être attribués même en l'absence de bénéfices.
Etant, aux termes de la loi, un montant fixe, les jetons de présence ne
peuvent être déterminés en fonction de paramètres variables tels que le chiffre
d'affaires, les résultats etc... 7
En définitive, il nous semble qu'il serait bon de supprimer "appelation "jeton
de présence" trop éloignée de la réalité, puisque les administrateurs y ont droit
1 Cf l'adverbe "notamment" .
2 J.F. Bulle op.cit., P.175 N'421.
3 M. Germain. Je! - Stés fasc. 130-4 N·17.
4 Ce droit de participer au vote a été reconnu par une réponse ministérielle. Rép.
Cornet. JO. Déb. AN 2/10/74 P.4711.
5 Y. Guyon - op.cit., P.326. N"325.
6 V. L'Expansion 3-16 Sept. 1992. Tableau "La vérité sur les jetons de présence",
donne un aperçu des montants distribués dans les plus grandes sociétés
françaises. Ex : à l'OREAL : 5. 837000 francs par an pour 12 administrateurs, à
titre de jetons de présence, soit 486.416 francs par tête.
7 J.F. Bulle - op.cit. P.174, n'419.

157
qu'ils soient présents ou absents. L'idée même de rémunérer la présence de
dirigeants sociaux est au demeurant choquante: il est de leur devoir d'assister aux
réunions, somme toute épisodiques, nécessaires àla conduite de la société. C'est
l'absence qui devrait être pénalisée, par une diminution de la rémunération.
Chaque société ferait ainsi sa police interne. L'avènement de dirigeants
professionnels1 implique un renforcement du devoir d'assiduité des dirigeants
sociaux.
Il - REMUNERATIONS EXCEPTIONNELLES
Selon les articles 1271 COCC et 109 L - 1966, le conseil d'administration
peut allouer des rémunérations exceptionnelles pour les missions ou mandats
confiés à des administrateurs.
La loi qualifie elle-même ces rémunérations d'exceptionnels mais comme le
souligne le Professeur Guyon, le risque serait que d'exceptionnelles elles ne
deviennent régulières.2
Les articles 65 D 1993 au Sénégal et 90 D 1967 en France évoquent la
possibilité pour le conseil d'administration de créer des comités d'études pouvant
être composés d'administrateurs.
Peut-on assimiler les administrateurs membres de ces comités aux
administrateurs chargés de mandats ou de missions? La doctrine française semble
aller dans ce sens et considérer qu'ils ont droit à des rémunérations
exceptionnelles.3
Nous ne partageons pas ce point de vue, car un comité d'études est une
instance permanente alors que les missions et mandats ont un caractère ponctuel.4
D'ailleurs les membres de ces comités d'études peuvent se voir allouer des
jetons de présence ou des tantièmes5, lesquels constituent la rému nération
1 Cf supra in Nomination des dirigeants (Titre 1. ch.1).
2 Y Guyon. op. cit. P.327. N°325.
3 P. Bezard op.cit., P.69 N°s 236 et 237 ; Y. Guyon op.cit. P.327 N°325.
4 Cf. J.F. Bulle op.cit., P.177 n·425.
5 Cf arts 68 D. 1993 et 93 D 1967 selon lesquels ils peuvent recevoir une part

168
ordinaire des administrateurs. Or la rémunération exceptionnelle correspond à une
activité exceptionnelle, tandis que la rémunération ordinaire est la contrepartie de
fonctions ordinaires.
Peut-on concevoir que l'assemblée générale qui fixe la rémunération des
administrateurs puisse y comprendre la rétribution d'activités ponctuelles,
imprévisibles parce que liées à certains évènements ou circonstances. Par
exemple, une mission dans un pays étranger pour sauvegarder les intérêts de la
société compte tenu d'évènements politiques qui viennent de s'y produire? Cela
nous paraît difficile, même si la prévision s'inscrit dans la gestion.
Les rémunérations exceptionnelles sont soumises à la procédure des
conventions réglementées. Il est donc inportant de les distinguer des rémunérations
ordinaires.
11I-.
REMUNERATIONS
COMPLEMENTAIRES
A côté des rémunérations ordinaires et des rémunérations exceptionnelles,
une place doit être faite aux rémunérations complémentaires. Nous rangeons dans
cette catégorie des rétributions différentes des rémunérations normales que sont les
jetons de présence en France et au Sénégal, et les tantièmes au Sénégal, mais qui
ne sont pas pour autant exceptionnelles, car ne rémunérant pas exclusivement des
activités exceptionnelles.1
Il s'agit en l'occurrence des avantages en nature: villas, voitures ... ; des
sommes versées à des titres divers, telles que les pensions de retraite - mais cela
concerne surtout le président et le directeur général - ; remboursement de frais
-mais est-ce vraiment une rémunération? - aux quelles il faut ajouter les options de
souscription ou d'achat d'actions.
AI LES AVANTAGES EN NATURE
C'est un fait connu, au Sénégal comme en France - également en Angleterre
supérieure à celle des autres administrateurs.
1 Les rémunérations exceptionnelles peuvent consister en avantages en nature par
exemple.

169
et aux Etats-Unis - les dirigeants sociaux ont généralement des avantages en
nature; le logement et la voiture étant les plus courants1. Cela est généralement
bien accepté, puisque même dans la fonction publique certains agents bénéficient
de tels avantages2. Mais s'agissant des dirigeants sociaux ces avantages en nature
peuvent avoir une très grande valeur. Or l'avantage en nature est considéré comme
un accessoire de la rémunération ordinaire, et à ce titre obéit à la même procédure.
Il ne sera donc pas soumis à la procédure des conventions règlementées. Les
risques d'abus sont évidents.
Les articles 68 al 2 D 1993 au Sénégal, et 93 al 2 D. 1967 en France,
évoquent le remboursement des frais de voyage et de déplacement et des
dépenses engagées par les administrateurs dans l'intérêt de la société. Ces
dispositions qui figurent dans un texte consacré aux jetons de présence, et aux
tantièmes -rémunération type des administrateurs - font ainsi le lien entre les frais
remboursés et la rémunération.
Doit-on considérer le remboursement de ces frais comme un complément ou
un accessoire de la rémunération?
Non, car ce ne sont que des remboursements. Le dirigeant percevra ce qu'il
aura dépensé; pour lui il n'y aura ni perte ni profit.
Différente serait, à notre avis, la situation où une somme forfaitaire
serait attribuée au dirigeant pour couvrir les éventuels frais qu'il aurait à supporter
dans l'exercice de ses fonctions ; cela pourrait être considéré comme une
rémunération.3
Monsieur Bulle par contre considère que l'allocation forfaitaire pour frais ne serait
pas au sens réel du terme un remboursement, mais pourrait être envisagée comme
la rémunération d'une mission spécifique. Il ajoute que toute autre allocation
forfaitaire tomberait sous
le coup de
la prohibition
des
rémunérations
supplémentaires.4
1 Dans un article paru dans le journal VSD N'847 du 25 Nov. au 1er Dec. 1993, on
peut lire à propos du Pdg d'Alcatel Alsthom, outre un salaire de 1-083-000F/mois,
~~J~Ifi]~<ffi~ra$ rallfi] 1]i)<ffi11U1rr® : chauffeur et voiture, "comme tous ses homologues cités
ci-après".
2 Au Sénégal, les magistrats, les enseignants du supérieur ont droit au logement.
3 Cf analogie avec un fonctionnaire qui a droit au logement mais n'en bénéficie pas.
Il perçoit à la place une indemnité qui fait partie intégrante de son salaire.
4 J.F. Bulle op.cit. pp. 188-189 N'454.

170
Les articles 68 al 2 cacc et 93 D 1967 prennent soin de préciser que les
dépenses doivent avoir été faites dans l'intérêt de la société. On peut cependant
craindre un certain laxisme du conseil d'administration. C'est lui qui autorise le
remboursement des frais - envers un de ses membres 1. Ainsi pourraient être
remboursés des frais somptuaires tels que les notes d'hotel de grand luxe.
Le contrôle du conseil d'administration est assez superficiel puisqu'il n'a pas à
examiner chaque note de frais.2
Il y a parfois remboursement de frais fictifs3,ce qui est grave!
En définitive, lorsque le remboursement des frais se traduit par un profit pour
le dirigeant, c'est une situation anormale voire frauduleuse.
BI LES PENSIONS DE RETRAITE
La question des pensions de retraite allouées aux dirigeants sociaux a
suscité de nombreusess discussions en France. Les bénéficiaires en sont
généralement le président du conseil d'administration et le directeur général, nous
étudierons cette question à propos de ces organes.
CI LES INDEMNITES DE DEPART
En France, il arrive fréquemment que des dirigeants sociaux se voient
accorder une indemnité au moment de leur départ. Lorsque cette indemnité est
prévue par les statuts où lorsqu'elle résulte d'une décision régulière prise lors de
l'entrée en fonctions du dirigeant, on peut la considérer comme un élément de la
rémunération.4
Le problème que pose cette indemnité c'est qu'elle peut être un moyen de
contourner la règle de révocabilité ad nutum s son montant est si élevé qu'il en
devient dissuasif.
1 A charge de revanche, chaque administrateur pouvant un jour ou l'autre en
bénéficier.
2 E. du Pontavice op.cit., p.192.
3 Ph. Merle, op.cit., P.318.
4 Germain - Jcl - Stés fasc 130-4 N'45.

171
Elle fait donc l'objet de suspicion, et la question se pose de savoir si elle ne
doit pas être soumise à la procédure des conventions réglementées. En tant
qu'accessoire de la rémunération normale du dirigeant, elle devrait être soumise à
la procédure des conventions réglementées. Pour Monsieur Bulle cependant, si la
décision octroyant
l'indemnité de départ est prise lors de l'entrée en fonction du
dirigeant, elle doit être soumise à cette procédure, alors que si elle est prévue par
les statuts ou prise avant la nomination, non.1
Lorsque l'indemnité est fixée lors de la cessation des fonctions du dirigeant, il
faut distinguer. Si ('intéressé est administrateur à ce moment, la procédure de
l'article 101 doit être suivie.2 Si en revanche l'interessé n'est plus administrateur, la
procédure de l'article 101 n'est pas applicable, parce qu'il manque cette condition.3
DI
LES
OPTIONS
DE
SOUSCRIPTION
OU
D'ACHAT
D'ACTIONS
Ce sont des mécanismes inspirés des stock options plans bien connus aux
Etats-Unis. Elles ont été introduites en France par la loi du 31 Décembre, 1975.
Elles permettent aux salariés d'une entreprise de souscrire ou d'acheter des actions
ou des certificats d'investissement à un prix fixé le jour où l'option est consentie.
Pendant cinq ans, le bénéficiaire dispose d'une option à prix fixe; si la valeur du
titre est en hausse, il bénéficie ainsi de la plus value c'est-à-dire de la différence de
valeur entre la date d'option et celle de la levée de l'optionA
Les
dirigeants
sociaux
peuvent-ils
bénéficier
de
ces
options
?
Indiscutablement oui lorsqu'ils sont en même temps titulaires d'un contrat de
travail5, mais à certaines conditions. Ainsi la loi du 11 Juillet 1985 exige qu'ils aient
une activité salariée depuis au moins cinq ans. Dans le cas contraire la réponse est
incertaine. Certes, la loi du 17 Juin 1987 a élargi le champ des bénéficiaires des
1 J. F. Bulle. op.cit., p.189 N·457.
2 Paris 21 Mars 1984. Bull. Joly 1984 - 517. JCP 1984 - Il - 20304. Rev. Stés 1985-
415 note Chartier.
3 Germain op.cit. n·47.
4 J.F. Bulle op.cit. P.267 N·650.
Sabine de Bigault de Granrut. Libert. "Les options de souscription ou d'achat
d'actions ou "Qui n'a pas ses stock options"?" G.P. 1988. l. 338.
5 J.F. Bulle op.cit.P.268 N'651.

172
options, en reconnaissant ce droit d'option aux mandataires sociaux qui exercent
des responsabilités effectives de direction dans l'entreprise. Certains y ont vu la
possibilité pour les dirigeants sociaux, à l'exclusion des administrateurs, de
bénéficier du droit d'option, alors même qu'ils ne seraient pas titulaires d'un contrat
de travail.1
Pourtant le doute est permis - le §2 est intitulé "Souscription et achat d'actions
par les salariés. En outre le texte évoque les responsabilités effectives dans
l'entreprise et non dans la société, ce qui laisse supposer qu'il s'agit d'un emploi
salarié. Sauf pour le président du conseil d'administration puisqu'il est à ce titre chef
d'entreprise, qu'il soit ou non lié à celle-ci par un contrat de travail.
Les stock options n'ont pas rencontré un franc succès en France, d'où les
réformes successives visant à les rendre plus attractives.2 Ce peu d'engouement
avait des causes sociologiques, notamment les réticences du salariat à frayer avec
le capital. S'y a.joutait une certaine défiance compte tenu des difficultés que
rencontraient les entreprises, car les plus-values dépendent des résultats de
l'entreprise.
Les options constituent pour les dirigeants un moyen appréciable d'augmenter leur
rémunération, et d'adoucir leur sortie.3
Serait-ce une bonne chose d'introduire les stock options au Sénégal?
L'absence de Bourse n'est pas un obstacle puisqu'en France depuis la loi du 17
Juin 1987, les sociétés non cotées peuvent offrir de tels plans. Ce système présente
des avantages en ce qu'il peut motiver les salariés et les fidéliser àl'entreprise.
1 Sabine de Bigault du Granrut - Libert - op.cit. P. 339.
2 Sur le plan social, la plus-value réalisée quand le bénéficiaire lève l'option est
considérée comme un complément de salaire, mais celui-ci n'est possible d'aucune
charge sociale et est dispensé de la taxe sur les salaires. Solution avantageuse et
pour le salarié et pour la société. Sur le plan fiscal également des avantages
existent. Ainsi le bénéficiaire peut être exonéré d'impôts sur le revenu à certaines
conditions. La société peut déduire les charges exposées du fait de la levée des
options et déduire la moins-value résultant de la différence entre le prix de
souscription des actions et leur prix d'origine. (Sabine de Bigault op.cit. P.341).
3 P. Le Cannu (note sous Paris 17 Nov. 1992. Rev. Stés 1993 P.827). Dans cette
affaire le président du directoire avait été révoqué mais quittait la société avec une
substantielle rétribution liée à l'exercice de l'option de souscription d'actions.

173
Quels devraient en être les bénéficiaires? L'existence d'un contrat de travail
nous paraît être une condition nécessaire. Mais de plus, elles devraient être
réservées au personnel àl'exclusion des cadres supérieurs, car ces derniers sont
plus àmême de répondre à cette offre que les autres salariés. Il faudrait donc laisser
à ceux-ci la chance de pouvoir y souscrire. Dès lors, et pour notre propos, les
dirigeants sociaux n'y auraient pas droit, et les stock options ne pourraient constituer
pour eux une rémunération complémentaire.
§2 - REMUNERATION DES ADMINISTRATEURS
DELEGUES DANS
LE NOUVEAU SYSTEME DE DIRECTION SENEGALAIS.
La rémunération des administrateurs délégués dépend des capacités et de la
nature des fonctions de chaque administrateur.1 Le législateur sénégalais instaure
une individualisation de la rémunération des administrateu rs délégués qui
correspond à la répartition des tâches dans ce système. Rappelons, en effet, que le
conseil de gestion peut confier àcertains administrateurs une mission particulière
pour la gestion des affaires, il peut également confier à l'un des administrateurs
délégués une fonction de direction2 Dès lors, il semble logique que la rémunération
tienne compte des particularités des tâches des administrateurs délégués. D'autant
plus que celle-ci a pour corollaire un accroissement du devoir de diligence comme
l'indique l'article 1291 cacc : "Cette répartition des fonctions dans l'administration
interne de la société oblige les administrateurs désignés à une diligence accrue
dans la conduite des affaires sociales".
C'est dire que la rémunération des administrateurs délégués prendra souvent
l'allure de la rémunération exceptionnelle du droit français. Mais doit-on la qualifier
de telle étant donné que malgré le terme "peut" de l'article, 1291 CaCC3 qui
suggère une faculté et non une obligation, l'organisation même de la direction dans
le nouveau système implique que chaque administrateur délégué ait une fonction
bien précise. D'ailleurs l'article 1295 al 1 cacc est sans équivoque, la
rémunération dépend de la nature des fonctions de chaque administrateur. Ils ont
1 art 1295 al 1 cacc.
2 art 1291 cacc.
3 art 1291 cacc "Le conseil de gestion peut. .. , confier àl'un des administrateurs
une fonction de direction générale ou àcertains administrateurs une mission
particulière pour la gestion des affaires sociales .. "

174
aussi rappelons-le chacun la signature sociale, ce qui est une conséquence de
cette autonomie.
On peut dès lors parler non pas d'une rémunération exceptionnelle, mais
d'une rémunération ordinaire individualisée.
Autre est la rémunération prévue par l'article 1295 al 4 COCC qui dispose
que le conseil de gestion peut en cours d'exercice allouer à un administrateur des
rémunérations particulières en raison des missions ou mandats qui lui sont confiés.
Il s'agit ici de rémunérations exceptionnelles telles qu'on en trouve dans le système
classique et le système français, comme en témoigne leur soumission à la
procédure des conventions réglementées.
La difficulté est cependant de distinguer entre ces rémunérations et les
rémunérations ordinaires individualisées. La ligne de partage n'est pas facile à
tracer car les administrateurs délégués ont par essence des missions particulières
comme nous l'indiqiuons précédemment.
Il nous semble que le critère à adopter est celui de la durée: les missions et
mandats de l'article 1295 COCC ont un caractère occasionnel, tandis que la
mission de
l'article
1291
COCC
coïncide
avec la durée
des
fonctions
d'administrateur délégué.
L'article 1295 al 2 COCC comme l'article 1270 COCC dans le système
classique dispose que les administrateurs délégués peuvent percevoir, si les statuts
le prévoient, des tantièmes.
Cet alinéa 2 qui fait suite à l'alinéa 1er relatif à ce que nous avons qualifié
"rémunération ordinaire individualisée", semble le concerner, ce qui conforterait
bien leur caractère de rémunération ordinaire.
Il n'est nullement question de jetons de présence. Pourquoi ce silence? Les
jetons de présence avaient à l'origine, rappelons-le, comme but de récompenser
l'assiduité des administrateurs aux réunions du conseil d'administration. On peut
dès lors expliquer l'absence de jetons de présence comme rémunération des
administrateurs délégués de deux manières.

175
La première explication serait que l'administrateur délégué est rémunéré en
tant que tel, et non pas en tant que nombre du conseil de gestion, d'où l'absence de
contrepartie à sa participation à cette instance de décision. Dire qu'il est rémunéré
en tant qu'administrateur délégué signifie qu'il est rétribué pour sa fonction
d'exécutant des décisions prises par le conseil de gestion, et de représentant de la
société.1
La deuxième
explication s'appuie
sur le
devoir de diligence des
administrateurs délégués. L'un des aspects de ce devoir est la participation aux
réunions du conseil de gestion.2 L'assiduité étant un devoir n'aurait pas à être
rétribuée. C'est d'ailleurs ce que nous proposions dans le système classique.
Le décret du 24 Février 1993 transpose certaines dispositions relatives aux
jetons de présence aux tantièmes. Ainsi peut-on lire à l'article 85 al 1 que : "le
conseil de gestion répartit librement entre ses membres les sommes allouées aux
administrateurs sous forme de tantièmes", Cette répartition, parce que libre, peut
être inégalitaire et donc permettre justement de tenir compte des tâches et capacités
respectives des administrateurs délégués dans le cadre de la rémunération de leurs
fonctions ordinaires.
§3. REMUNERATION DU PRESIDENT DU CONSEIL D'ADMINIS
TRATION
Au Sénégal, selon l'article 1272 al 1 COCC, "le conseil d'administration élit
parmi ses membres un président. .. 11 détermine sa rémunération", Ce sont les termes
de l'article 110 al 1er L.1966.
Dans le silence de la loi, le conseil d'administration aura une entière liberté
quant à la composition de cette rémunération. La pratique peut apporter une
éclairage en la matière. En France le contentieux, voire les enquêtes de magazines
1 C'est une des principales différences entre l'administrateur délégué, et
l'administrateur du système classique. Ce dernier n'a aucune autonomie. Il est avant
tout membre du conseil d'administration, organe collégial. Cf. in 1ère Partie, Titre 1
Pouvoirs des dirigeants sociaux.
2 Cf infra in 2e partie. Titre 1 .Devoirs des dirigeants sociaux.

176
nous en disent long sur la rémunération du président du conseil d'administration.
Le président du conseil d'administration sera envisagé en sa double qualité
d'administrateur et de président du conseil.

EN TANT QU'ADMINISTRATEUR
Dans le cas où les administrateurs sont rémunérés, le président du conseil
d'administration a droit à une rétribution. Au Sénégal elle consiste en jetons de
présence et tantièmes. En France, en jetons de présence. Il perçoit généralement
une part de jetons de présence plus importante que les autres administrateurs.1
Il • EN TANT QUE PRESIDENT DU CONSEIL D'ADMINIS
TRATION.
A)
REMUNERATION
ORDINAIRE.
Il s'agit en France d'une rémunération fixe ou proportionnelle au chiffre
d'affaires ou aux bénéfices2, ou mixte c'est-à-dire comportant un élément fixe et un
élément variable.3
On peut se demander s'il n'y a pas indirectement un retour aux tantièmes
décriés, et finalement supprimés par le législateur français. Certes les tantièmes
concernaient essentiellement les administrateurs, et ce n'est opas en cette qualité
que le président perçoit les sommes précitées, mais tout de même les risques
d'abus sont les mêmes.4
B)
REMUNERATIONS
EXCEPTIONNELLES
Si les administrateurs sont parfois chargés de missions exceptionnelles, a
1 De Juglart et Ippolito. op.cit., p.508 N°724.
J.F. Bulle op.cit. P.178 n0429.
Ripert et Roblot P.994 N°1303 (Assez souvent le conseil attribue une double part
au président).
2 Ripert et Roblot.op.cit. loc. cit.
3 J.F. Bulle op.cit., P.179 n0431.
4 Certes ils concerneraient une seule personne et non plusieurs.

177
fortiori le président du conseil d'administration . Il percevra à ce titre une
rémunération
exceptionnelle soumise,
rappelons-le,
à la procédure des
conventions réglementées.
C)
REMUNERATIONS
COMPLEMENTAIRES
L'interdiction faite aux administrateurs de recevoir toute autre rémunération
que celle prévue par la loi 1 ne concerne pas le président. Cette interdiction
n'empêchait pas les administrateurs de recevoir des avantages en nature. Le
président en bénéficie également à un degré supérieur. Il reçoit aussi fréquemment
en France des pensions de retraite, des indemnités de départ, qui ont suscité bien
des interrogations.
AVANTAGES EN NATURE
Ils sont des plus variés : "logement et voiture de fonction, garde-robe,
assurance-vie au pro'fit de l'épouse et des enfants, inscription au Cercle ou au Club
de Golf, loge à l'Opéra, croisières de formation, chirurgie esthétique".2 Selon une
enquête récente3, 72% des chefs d'entreprise4 bénéficient d'une voiture de
fonction, 41 % disposent de biens et services divers, tels que le logement.
PENSIONS DE RETRAITE
En France, les dirigeants sociaux et particulièrement le président du conseil
d'administration, quand ils vont à la retraite, se voient allouer par leur société un
complément de retraire. C'est une pratique courante qui a suscité des discussions.
a)- Le problème de la validité des compléments de
retraite.
1 Cf art 107 L. 1966 et art 1269 COCC.
2 Cozian et Viandier. Droit des sociétés - 6e éd. 1993. P.240 N°673.
3 L'Entreprise n0104 - Mai 1994.
4 Toutes formes d'entreprises confondues : il s'agit aussi bien du président du
conseil d'administration de la SA, que du gérant de SARL ou de SNC.

178
La validité de ces rétributions dépend de leur qualification. S'il s'agit d'une
libéralité on peut contester sa validité, car ce serait contraire au but de la société qui
est la recherche de bénéfices. Il faut noter cependant que les juges ont pu donner
une qualification de libéralité tout en admettant la validité de la pension de retraite
car cela était conforme àl'intérêt de l'entreprise qui est d'encourager le dévouement
de ses membres. Ainsi, dans un arrêt rendu le 25 Juin 1947l1), la Cour d'appel de
Paris constate que le président du conseil d'administration s'était consacré pendant
plusieurs années à la société et que l'assemblée générale avait voulu lui assurer
quelques mensualités à titre de reconnaissance pour les services rendus. L'arrêt
met l'accent sur l'intérêt de toute entreprise commerciale à encourager le
dévouement. La gratification contribue, par l'espoir qu'elle suscite chez les autres
membres de l'entreprise, à une meilleure réalisation de l'objet social.
A l'heure actuelle les juges qualifient la retraite de supplément de
rémunération2, reconnaissant par là-même sa validité. Mais se pose la question de
savoir si la procédure des conventions réglementées doit être ou non suivie. Cela
dépend de la nature de cette rémunération.
b)- NATURE DE LA PENSION DE RETRAITE
La pension de retraite constitue-t-elle une rémunération ordinaire ou une
rémunération exceptionnelle?
La doctrine et la jurisprudence françaises considèrent qu'il s'agit d'un
complément de rémunération, d'une "rémunération différée", qui relève donc de la
compétence du conseil d'administration, et n'est pas soumise à la procédure des
conventions réglementées.3 Mais pour cela certaines conditions sont requises: la
pension de retraite doit être justifiée par les services rendus à la société par le
dirigeant, être proportionnelle à ces services, et ne pas constituer une charge
excessive pour la société. Ces conditions ont été posées dans l'arrêt rendu le 3
1 JCP 1948. II. 4117 note D. B. D. 1948 -428.
2 Paris 24 Oct 1960. JC P 1961 - 11- 11972 note Bastian
o 1961 - 97 note Dalsace. Casso com. 22 Mai 1970 Rev. Stés 1971.51.
3 Hemard, Terré, Mabilat - op.cit. N"1020 - E. du Pontavice. Bull. Cons.Nat. C.Cptes
1976 - 344. Cozian - Viandier op.cit. P.255 N"697.

179
Mars 1987 par la cour de cassation française.1 Elles sont appliquées dans l'arrêt
rendu le 22 Janvier 1991 par cette même juridiction.2
Si ces conditions ne sont pas remplies, la pension de retraite s'analyse comme une
indemnité exceptionnelle soumise aux formalités de l'article 101 L 1966(3).
Au sénégal, rien n'empêche l'attribution aux dirigeants sociaux de ces
pensions de retraite. Mais il faudrait éviter les abus et de telles allocations devraient
être compatibles avec les capacités de la société.
§4 . REMUNERATION
DU DIRECTEUR GENERAL
L'article 1278 COCC consacré à " la rémunération du directeur général" -
c'est son intitulé - prévoit en son alinéa 1er que l'acte de nomination fixe le contrat et
le mode de rémunération de l'intéressé en sa qualité de directeur général4.
Rappelons que c'est le conseil d'administration qui nomme le directeur général,
c'est donc lui qui détermine sa rémunération. La loi laisse une entière liberté de
même que son décret d'application qui est muet sur la rémunération du directeur
général.
En France également c'est le conseil d'administration qui fixe la rémunération
du directeur général.5 La nomination de celui-ci est proposée par le président du
1 Casso CO.3 Mars 1987 Rev. Stés 1987 p.266 note Guyon GP 1987 -1 - 1964 note
B. Hatoux.
2 Casso CO.22 Janv. 1991. Rev. Stés 1992. 61 "Mais attendu que l'arrêt a retenu que
le complément de retraite litigieux avait été alloué à M. Carlin ... eu égard aux
sacrifices patrimoniaux qu'il avait consentis pour la transmission de cette entreprise
et la sauvegarde de sa situation de trésorerie et que le montant de la pension était
raisonnable eu égard aux ressources de la société ; que la cour d'appel a ainsi
précisé quels avaient été les services particuliers rendus par l'ancien dirigeant de
cette société et apprécié le montant de l'avantage ainsi que la charge qu'il constitue
pour l'entreprise".
3 Casso Co. 3 Nov. 1988. Rev. fr - compt. Mars 1989 p.80 note Ph. Reigne cité par
Cozian - Viandier P.255 N°697.
4 L'alinéa 2 dispose que le cumul des mandats de directeur général est interdit.
Compte tenu de l'intitulé de l'article cela peut surprendre. Mais le législateur
n'insinue-t-il pas que la rémunération du directeur général pourrait l'inciter à
cumuler plusieurs mandats?
5 art 11 5 L. 1966

18D
conseil d'administration.1 Mais celui-ci, en principe du moins, ne propose pas sa
rémunération. Ce serait aller trop loin et faire du directeur général "l'homme du
président" alors qu'il est celui de la société.
Au Sénégal, à travers les décisions rendues dans l'affaire Saër Dièye Seck,
nous avons un aperçu de la rémunération d'un directeur général. Il percevait outre
son salaire une quote-part des bénéfices, une indemnité de logement.
En France, les directeurs généraux comme les présidents de conseil
d'administration bénéficient souvent d'avantages en nature considérables.2 Ce sont
eux aussi qui bénéficient en priorité des indemnités de départ et des pensions de
retraite.
Les abus sont d'autant plus à craindre que, de tous les "mandataires sociaux"
le directeur général est sans doute le "moins mandataire", de sorte que sa
rémunération, quelle qu'elle soit, revêt un caractère institutionnel calqué sur celui de
la fonction qu'elle rémunère et par conséquent échappe à la
procédure des conventions réglementées.3
SI SECTION 2 • EN DROITS ANGLAIS ET AMERICAIN
La question de la rémunération des dirigeants sociaux est àl'ordre du jour en
Angleterre et aux Etats-Unis comme nous le verrons, avec notamment la divulgation
des rémunérations, la création de comités de rémunération etc ...
1 Art 115 L. 1966.
2 Selon une enquête récente, 69% des directeurs généraux bénéficient d'une
voiture de fonction, 25% d'un contrat de retraite supplémentaire et 13% de stock
options (L'Entreprise n01 04. Mai 1994).
3 Voir cependant Cass Co. 15 Juillet 1987. Jurisprudence Joly de droit des sociétés
1986 à 1990 P.108. Bull. Joly 1987. 710. La cour estima que la retraite consentie
au directeur général devait être soumise à la procédure des conventions
réglementées. Mais les circonstances étaient telles qu'en réalité ce n'était pas une
véritable retraite: le directeur général n'avait pas atteint l'âge de la retraite. En outre,
la société était en instance de restructuration ; il semblerait que la retraite en
question avait pour but de faire échec à la règle de la révocabilité ad nutum des
mandataires sociaux. S'y ajoutait aussi le fait que la situation financière de la
société ne lui permettait pas de supporter une telle charge.

181
S'agissant des composantes de cette rémunération, on observe une grande
variété des rémunérations. La liberté est de règle cependant elle comporte
certaines limites dictées par le souci d'éviter les abus.
§ 1 - EN DROIT ANGLAIS
La rémunération versée aux directeurs peut prendre n'importe quelle forme,
et son montant dépendra des termes des articles et du contrat de travail s'il y en a.
Les executive directors sont habituellement rémunérés par un salaire avec ou sans
pourcentage sur les profits de la société en supplément. Les non-executive directors
sont généralement payés par des honoraires qui sont souvent une somme
annuelle, mais ils sont partois payés en tenant compte de l'assiduité du directeur
aux réunions du conseil.1
L'article 82 Table A laisse libre la forme de la rémunération des directeurs.
Selon ce texte l'assemblée générale peut décider que les directeurs seront payés
par un salaire, par des honoraires, ou par un pourcentage sur les profits de la
société. Mais les associés ont le pouvoir de varier la forme ou le taux de la
rémunération.2
La rémunération est possible même si la société n'a pas réalisé de bénéfices
ou si elle est insolvable, tant que cela ne constitue pas un "don déguisé" ou un
remboursement illicite de capital à un actionnaire.3
On rencontre de plus en plus des situations choquantes. Ainsi la
rémunération du '
pr<~c;khf\\t""de. lQ Prudential a augmenté de 43% en 1991
alors que les profits ont diminué de 37%.
Face à ces situations, des
recommandations ont été faites, notamment par le Comité Cadbury et l'Institute of
Directors (laD), pour encourager la création de comités de rémunération chargés,
entre autre, du contrôle des rémunérations des executive directors. Ces comités de
rémunération pour plus d'objectivité doivent être composés en majorité par des non
executive directors. Pour sauvegarder leur indépendance, le rapport Cadbury
1 Pennington op.cit., p.558.
2 Idem.
3 Re Hait Garage (1964) ltd (1982) 3 ALL ER 1016 - cité par E. Scholastique -
op.cit. - P. 382, Pennington op.cit. P.558. Sealy op.cit.P.242.

182
recommande que les non executive directors ne participent pas aux stock option
schemes - ces derniers permettent à leurs bénéficiaires d'acheter tous les ans un
certain nombre d'actions à un prix abordable - et qu'ils ne reçoivent pas une
pension de la société pour services rendus.1
Dans le même ordre d'idées, l'Institute of Directors (1.0.0.) recommande que
les non-executive directors soient rétribués par une somme fixe annuelle et qu'ils ne
perçoivent pas d'autre rémunération. Ainsi, ils ne pourront avoir droit à des plans de
retraite et d'intéressement aux résultats.2
Ainsi, ces différentes recommandations dont le but est de permettre aux non
executive directors de contrôler les executive directors en toute indépendance, ont
des répercussions sur la rémunération des non executive directors qui ne pourront
alors bénéficier de certains types de rémunération.
§ 2 • DROIT AMERICAIN
On observe une grande variété des rémunérations, particulièrement celle
des officers.
·1-
La rémunération des directors est la contrepartie de leur assistance aux
réunions: il s'agit d'une somme attribuée par réunion du conseil ou de comité. Ce
peut être aussi un fixe annuel.
Quant aux officers3 , leur rémunération est généralement composée d'un
salaire fixe et d'avantages accessoires. On peut citer les bonus plans, les share
bonus plans, les stock option planS,les retirement plans.
- Bonus plans
Ce sont des primes calculées en fonction des bénéfices, des dividendes, des
ventes ou d'autres facteurs .4 Les boni ont pour but de stimuler la loyauté, l'activité
1 Rapport Cadbury §4-13.
2 E. Scholastique op.cit., p.384.
3 Les executive directors sont donc concernés par ces rémunérations.
4 A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes. P.118 N'69.

183
et l'énergie des travailleurs et de créer "l'esprit maison".1
- Share bonus plans
Ils consistent non pas en primes, mais en actions2 . Cette pratique a connu
un grand succès car les sociétés cherchent àacccroître l'actionnariat de leurs
employés, estimant que ceux-ci auront d'autant plus à coeur de défendre l'intérêt de
l'entreprise qu'ils en seront propriétaires pour partie.3
- Stock option plans
Ils donnent à .leurs bénéficiaires \\e droit d'acheter tous les ans un certain
nombre d'actions à un prix abordable -normalement de 90 à 95% du prix moyen sur
une période antérieureA
- Stock appreciation rights
Ils donnent droit à l'augmentation de valeur d'un certain nombre de titres sans
que leur bénéficiaire ait rien àdébourser.5
- retirement plans
Ils assurent des pensions de retraite.
- deferred - pay plans
Ils prévoient qu'une partie du salaire sera payée après cessation des
fonctions.
Ces différentes rémunérations confèrent des avantages fiscaux à la société:
réduction des prélèvements ·fiscaux à leurs bénéficiaires.
D'autres avantages doivent être cités: assurance sur la vie, assurance sur les
accidents, voitures et avions de fonction, prêts sans intérêt, cartes de club et de
country club etc ... S
1 J. Chamlboulive. op.cit., P.70 n01 01.
2 A. Tunc op.cit.loc.cit.
3 J. Chamboulive. op.cit. P.70 N°1 02.
4 A. Tunc .op.cit.loc.cit.
5 Ibid. P. 119. N°S9.
Sidem.

184
Comme nous l'annoncions au début de notre étude le problème majeur
suscité par la rémunération des dirigeants sociaux est celui de leur montant
excessif. Le droit offre des moyens de prévention et de sanction des excès en la
matière.
SECTION 2 : LA PREVENTION DES REMUNERATIONS EXCESSIVES
Par rémunération excessive nous entendons une rétribution qui dépasse, et
de loin, la prestation fournie par le dirigeant, et qui constitue une lourde charge pour
la société compte tenu de ses capacités financières.
Deux moyens devraient permettre, par la transparence qu'ils assurent,
d'empêcher l'octroi de rémunérations excessives aux dirigeants sociaux : la
procédure des conventions réglementées et la publicité des rémunérations.
§1
: LA PROCEDURE DES CONVENTIONS REGLEMENTEES
Cette procédure1 consiste à soumettre à l'autorisation préalable du conseil
d'administration et à l'approbation de l'assemblée générale, au vu d'un rapport des
commissaires aux comptes, les conventions passées entre la société et l'un de ses
dirigeants, ou plus largement les conventions dans lesquelles ceux-ci auraient un
intérêt. Les droits sénégalais, français, anglais et américains prévoient, à quelques
différences près cette procédure qui vise à assurer l'objectivité de passation de
telles conventions.
Peut-on soumettre la rémunération des dirigeants sociaux àcette procédure?
Cela suppose un préalable : qu'elle soit de nature contractuelle. La nature de la
rémunération est donc une question préalable. Mais elle ne peut être détachée du
statut du dirigeant, de sa fonction, dont elle est un accessoire. En effet il n'existe pas
un "contrat de rémunération", en revanche il existe un "contrat de mandat" gratuit ou
rémunéré, une fonction de dirigeant gratuite ou rémunérée. Et c'est la nature de la
mission de dirigeant qui rejaillit sur la rémunération qui sera alors qualifiée de
"contractuelle" ou d'institutionnelle selon le cas.
1 Arts 101 et s.L.1966. arts 1263 et S. COCC.

185
Cela explique qu'en droit français la réponse ait varié en fonction de la
conception que ]'onavait de la direction de la société: elle n'est pas la même sous
l'empire de la loi du 24 Juillet 1966 que sous celle de 1867. Nous distinguerons ces
deux périodes.
Le problème sera examiné en tenant compte de la nature de la fonction de
président du conseil d'administration et du directeur général. Il faut préciser en effet
que les administrateurs ne sont pas concernés par cette question étant donné que
leur rémunération est fixée par les actionnaires.
Quant aux droits anglais et américai ns, on n'y trouve pas de telles
discussions.
A- EN DROIT FRANCAIS
1- SOUS LA LOI DU 24 JUILLET 1867
Sous l'empire de la loi du 24 Juillet 1867, la question s'était posée de savoir
si la rémunération du président et de l'administrateur directeur général adjoint
devait être soumise àla procédure de l'article 40(1).
a) EN FAVEUR DE L'APPLICATION DE L'ARTICLE 40
Le tribunal civil de Béthune, dans un jugement du 14 Décembre 195$)
déclare nulle la rémunération du président~directeur général pour violation des
formalités de l'article 40 précurseur de l'actuel article 101. De même, la cour de
Paris dans un arrêt du 24 Octobre 1960~)affirme que "la rémunération a...dans son
principe un caractère contractuel et non institutionnel". Le tribunal de Lille, dans un
jugement du 14 Décembre 1965~L considère que la convention fixant la
rémunération du président, dissimulée à l'assemblée générale, est nulle. La cour de
Paris, dans l'arrêt précité du 24 Octobre 1960, déclare l'article 40 applicable à la
1 L'article 40 L. 1867 équivaut à l'article 101 L.1966.
2 D. 1955. J.55 note Goré.
3 JCP 1961 - Il - 11972 note Bastian - 0 - 1961 - 97 note Dalsace.
4 Tr~Lille 14 Dec 1965 D. 1966-670 note Goré.

186
retraite complémentaire d'un président- directeur général - La cour d'appel de
Montpellier dans un arrêt du 28 Novembre 1963~)considère que la rémunération du
président-directeur général destinée à récompenser l'activité de direction générale2
est bien d'essence- conventionnelle, car elle n'a pu être que le fruit ou l'expression
d'un accord, d'un échange de consentements.
La Cour de cassation s'est prononcée dans un arrêt du 11 Décembre 1963(3)
Elle déclare l'article 40 applicable à une majoration du traitement du directeur
général.
Escarra et Rault considèraient qu'il y avait accord de volontés : En effet,
certains présidents discutent - à partir d'une position de force il est vrai - D'autres
sont trop heureux d'accepter la rémunération qui leur est proposée. Ces auteurs
ajoutaient que la loi ne prévoyait pas la rémunération alors qu'elle obligeait à la
nomination d'un président - directeur général. Par conséquent, la rémunération ne
faisait pas partie de l'institution.4
b)CONTRE L'APPLICATION DE L'ARTICLE 40
Le tribunal de commerce de la Seine dans un jugement du 13 Mai 195atsl
s'est montré défavorable à l'application de l'article 40.
En fait, plus que la jurisprudence c'est une frange de la doctrine qui se
déclarait hostile à l'application de la procédure de l'article 40.
Ainsi, pour le Doyen Hamel6, on ne peut isoler la rémunération du président
de son statut d'ensemble, lequel a un
caractère institutionnel. Le conseil d'administration en fixant cette rémunération agit
1 D 1964 - J. 483 note L ; Mazeaud; JCP 1964. Il - 13596.
2 Il s'agissait d'une rémunération complémentaire autre que les jetons de présence
ou les tantièmes.
3 JCP 1964 -\\11 - 13873 note Alfandari.
4 Escarra et Rault. op.cit. N°1564.
5 Bull. Soc. 1958 - Quot. Jur - 29 Juill. 1959.
6 J. Hamel "L'articl~ 40 de la loi de 1867 et la rémunération des présidents de
sociétés anonymes". GP 1957 - \\1 - Doct. P.60.

187
dans l'exercice de son pouvoir réglementaire. Aucune convention n'intervient dans
ces rapports de droit."Singulière convention que celle dont les termes seraient
imposés aux parties par les règles mêmes de l'institution".
Le professeur Goré estimait pour sa part qu'il était possible tout en adoptant
une conception contractuelle d'écarter l'article 40. "En effet", écrivait il, "le mandat
est donné au président par le conseil d'administration ... L'acte du conseil
d'administration réglementant les fonctions et fixant les rémunérations du président
directeur général n'est donc pas une convention entre la société et l'un de ses
adminstrateurs ... 11 s'agit d'une convention entre le conseil d'administration et le
président et non entre la société et un administrateur". 1
Le Doyen Ripert mettait l'accent sur le fait que le président-directeur général,
bien que désigné par le conseil d'administration ne tenait pas ses pouvoirs de celui-
ci, mais de la loi. Sa situation était légale et on ne saurait parler de convention le
liant à la société.2
Un autre argument émis par Messieurs Delvolvé et Michaud3 consistait à dire
que l'article 40 ne concernait que l'activité externe de la société alors que la
rémunération touche à son organisation interne.
Le Garde des Sceaux français déclara quant à lui que l'article 40 n'avait pour
objet que des conventions exceptionnelles alors que la fixation de la rémunération
d'un président-directèur général est un acte normal.
2°/ SOUS LA LOI DU 24 JUILLET 1966
La discussion n'est pas close, mais l'opinion dominante va dans le sens du
caractère institutionnel de la rémunération. Cela se justifie pleinement puisqu'avec
la loi de 1966 les dirigeants sociaux, les administrateurs en particulier accèdent au
rang d'organes sociaux alors que sous la loi de 1867 ils étaient les mandataires
d'actionnaires souverains. Ce caractère institutionnel de leur statut devrait rejaillir
sur leur rémunération.
1 Goré - note sous Trib. 40 - Bétyhune 14 Déc. 1955. D 1956 J.675.
2 Ripert Traité de droit commercial. 3e ed. N°1161.
3 J.L. Delvolvé et ..I.M. Michaud. D. 1964. Chr.p. 257 "Le statut du président-directeur
général est-il soumis à l'article 40 de la loi du 24 Juillet 1867",?

188
Le Professeur E. Du Pontavice écrit: "si sous l'empire de l'article 40 de la loi
de 1867, l'accord sur la rémunération des dirigeants par le conseil d'administration
ne pouvait s'analyser qu'en une convention passée entre la société et un
administrateur et régie par les dispositions de l'article 40, il n'en est plus de même
auJourd'hui: la fixation de la rémunération de ces personnes est un acte unilatéral
et institütionnel, un acte interne de l'administration de la société, selon l'article
L.110 et l'article L.115. En conséquence, la rémunération du président du conseil et
du directeur général, en ces qualités, ne doit pas faire l'objet du rapport de l'article
101 "\\1).
La terminologie est aussi un indice comme le souligne Monsieur Daigre; le
libellé des textes2 est significatif; l'emploi des verbes "déterminé", "fixe", indique
que la rémunération des organes de direction générale est un acte institutionnel
unilatéral.3
Autre argument utilisé: l'article 109 L 1966 s'est prononcé expressément en
faveur de l'application de la procédure de l'article 101 aux rémunérations
exceptionnelles, ce que ne font pas les articles 110 et 115.
Le Garde des Sceaux affirmait que le legislateur de 1966 n'a pas soumis aux
dispositions des articles 101 et 105 la rémunération du président du conseil
d'administrationA
Dans un jugement du 26 Mars 1976, le tribunal de commerce de Paris affirme
que la rémunération du président du conseil d'administration n'est pas soumise à la
procédure des articles 101 et suivants.5 Comme le note un auteur6, sans utiliser
l'expression, le tribunal retient le caractère institutionnel et non conventionnel de la
rémunération du président. Le tribunal de commerce souligne le paradoxe qu'il y
aurait à ce que le conseil d'administration autorise une rémunération qu'il a
1 E. du Pontavice ~ op.cit. P.198 .
2 Arts 110, 115, 120 L.1966.
3 J.J. Daigre op.cit. P.522 N°67.
4 Rep. Min. N°4550 au J.O. déb. A.N. 3 Avr. 1969 P.8l0.
5 Bulletin Lefebvre de droit des affaires. 30 Avr. 1976. P.16.
6 Harzallah - La rémunération des dirigeants sociaux. Th. droit Paris 2 - 1985 - P.21.

189
préalablement déterminée.
La COB 1 soutient elle aussi que la rémunération du président et des
directeurs généraux ne doit pas être portée à la connaissance des actionnaires et
qu'en conséquence le rapport général des commissaires aux comptes ne doit pas
porter sur cette rémunération.
Dans un arrêt du 3 Mars 198~)la Cour de cassation écarte la rémunération
du champ d'application des conventions réglementées. Elle relève ainsi que le
conseil d'administration d'une société anonyme est seul compétent pour fixer la
rémunération du président en vertu de l'article 110. Comme le souligne Monsieur
Bulle3, même si cette décision a été prise à propos d'un complément de retraite, il
ne faut pas en sous-estimer la portée.
8- EN DROIT SENEGALAIS
Selon l'article 1272 al 1er COCC, le conseil d'administration détermine la
rémunération du président du conseil d'administration. Et l'article 1278 al 1er
dispose àpropos du directeur général que l'acte de nomination fixe le contrat et le
mode de rémunération de l'interessé en sa qualité de directeur général.
Il est important de tenir compte de la nature de la fonction de président du
conseil d'administration au Sénégal.
Il est certain que le président du conseil d'administration est un organe social.
Certes, il est nommé par le conseil, mais il n'est pas son mandataire. La loi elle-
même énumère ses fonctions.4 Sa rémunération en tant qu'accessoire de sa
fonction doit avoir le même caractère institutionnel. Dès lors, la procédure des
conventions réglementées n'a pas à être appliquée.
Certes, on pourrait objecter que le conseil d'administration, organe collégial
dont fait partie le président, délibère et sa décision finale suppose que ses membres
1 Bulletin de la COB Mai 1976.
2 GP 1987. P.7 note Halloux.
3 J.F. Bulle op.cit. P.181 n'932.
4 Cf art.1276 cacc "Fonctions du président du conseil d'administration".

190
soient d'accord. 1 Cet "accord" serait-il un accord de volontés qualifiable de contrat?
Nous ne le pensons pas, car cela aboutirait à qualifier de contrat toutes les
décisions du conseil d'administration et même celles de l'assemblée générale!
On pourrait considérer que le président du conseil d'administration est lié par
un contrat de mandat au conseil d'administration et non avec la société, comme le
soutenait le Professeur Goré2, ce qui excluerait la procédure des conventions
réglementées. Mais ce serait oublier que le conseil d'administration n'a pas la
personnalité morale. Il représente la société. Par conséquent traiter avec le conseil
d'administration revient à traiter avec la société. Ce n'est donc pas sur cette base
qu'il faut exclure la procédure des conventions réglementées.
L'argument du caractère institionnel de la rémunération nous semble décisif.
Peut-on l'appliquer au directeur général?
S'agissant du directeur général, il est remarquable que dans la même phrase
- art 1278 al 1er COCC - figure à la fois le terme "acte" et celui de "contrat". Cela
signifie donc que le directeur général est lié à la société par un contrat. Cela est
corroboré par l'article 1277 al 2 qui dispose, "A l'égard de la société, le directeur
général est tenu des obligations du mandataire conformément aux articles 463 et
465 du présent code. A ce titre il n'a pas la qualité de travailleur".
Dès lors, on pourrait considérer que le directeur général est lié à la société
par un contrat de mandat. Sa rémunération aurait par conséquent un caractère
contractuel. Et en conséquence le contrat de mandat dans toutes ses composantes,
y compris la rémunération devrait être soumis à la procédure des conventions
réglementées prévue aux articles 1263 et suivants COCC.3
Mais en réalité, ce raisonnement doit être écarté. En effet, le directeur général
1 Il serait plus exact de dire qu'une majorité s'est dégagée car on n'applique pas la
règle du consensus.
2 Note sous trib. civ. Béthune 14 Déc. 1955 0.1956. J. 675.
3 art 1263 COCC : toute convention intervenant entre une société et l'un de ses
administrateurs, ou son directeur général ... doit être soumise à l'autorisation
préalable du conseil d'administration ...

191
est à n'en pas douter un organe social. Ses prérogatives - "II est investi des pouvoirs
les plus étendus pour agir au nom de la société"1, l'ampleur de ses responsabilités:
"Le directeur général assure sous sa responsabilité la gestion des affaires
sociales"2, ne sont pas celles d'un simple mandataire, mais du patron de la société.
Dès lors, l'analyse contractuelle précédente doit être abandonnée au profit d'une
qualification institutionnelle qui rend mieux compte de la fonction de directeur
général. Par conséquent, la rémunération du directeur général échappe à la
procédure des conventions réglementées. Précisons la rémunération ordinaire car
les rémunérations exceptionnelles y sont soumises.
C. DROITS ANGLAIS ET AMERICAIN
Aux Etats Unis et en Angleterre, la rémunération des directeurs est en
principe déterminée par l'assemblée générale des actionnaires 3 Dès lors, comme
pour les administrateurs en France et au Sénégal, le problème des rémunérations
excessives ne devrait pas se poser. Pourtant, en pratique, on observe que la
rémunération est de plus en plus fixée par le conseil lui-même. C'est la solution
dans le MBCA §S-11 aux Etats-Unis4, et en Angleterre on admet que l'on peut
s'écarter de la Table A pour donner compétence au conseil des directeurs.S Dès
lors, le problème se pose comme en France et au Sénégal - à propos du président
du conseil d'administration et du directeur général -de la subjectivité d'une telle
détermination et des risques d'abus qu'elle engendre.
On peut considérer qu'un conseil
des directeurs qui fixe lui-même la
rémunération de ses membres, se trouve confronté à un conflit d'intérêts.6 Son
intérêt est en effet de s'allouer une forte rétribution, alors que l'intérêt de la société et
des actionnaires est que celle-ci soit faible, voire inexistante, en tout cas
raisonnable ... La solution en la matière tient dans le principe général selon lequel
1 art.1279 al 3 COCC.
2 art 1279 al 1 COCC.
3 A. Tune. Le droit américain des sociétés anonymes. P.10S N°63 Farrar et alii
op.cit. P.300.
4 A. Tune. op.cit. lac. cit.
S Farrar et alii op.cit. loc.cit.
6 Corporate Oirector's Guidebook - The Business Lawyer -VoI.49. May 1994.
PP.12S9-1260.

192
les dirigeants doivent éviter de se placer dans une situation de conflit d'intérêts1 .
Pourtant, la compétence du conseil est admise.2 Alors pour éviter les abus, il
faudrait soumettre la rémunération des directeurs à la ratification de l'assemblée
générale comme cela est requis lors d'un contrat passé entre un directeur et la
société.3 Mais en fait on ne l'exige pas.
Le Corporate Oirector's Guidebook recommande aux directeurs de prendre
en considération, pour fixer la rémunération raisonnable, les rémunérations versées
par des sociétés comparables.4
En Angleterre, les rémunérations sont en fait fixées par le conseil. L'article
312 du Companies Act de 1985 interdit au conseil d'indemniser un directeur de la
perte de ses fonctions sans l'autorisation de l'assemblée générale.
Il faut souligner l'avènement aux Etats-Unis et en Angleterre des comités de
rémunération. Ceux-ci sont composés de personnes supposées indépendantes:
une majorité voire la totalité sont des non-executive directors. Le comité de
rémunération tient compte notamment de la situation de la société, de ses résultats,
pour déterminer la rémunération des executive directors . Son rôle est ainsi limité à
cette catégorie, néanmoins il ne faut pas le négliger, et on peut le rapprocher du
contrôle assuré dans la procédure des conventions réglementées en France et au
Sénégal. Il peut en effet prévenir les excès de rémunération.5
Aux Etats-Unis, l'article 3A-05 des Princip/es of Corporate Governance
recommande la création de comités par des directeurs indépendants chargés de
contrôler les diverses rémunérations du conseil, d'élaborer des programmes et
d'émettre des recommandations en ce domaine".6
En Angleterre, le Rapport Cadbury recommande vivement les comités de
1 A. Tune. Le droit américain des sociétés anonymes. P. 131-N75. Le droit anglais
des sociétés anonymes P.204 N°111.
2 Cf le MBCA § 8-11 .
3 Le contrat n'est valable que s'il est autorisé ou ratifié par l'assemblée générale
après divulgation complète aux actionnaires.
4 ibid .p.1259.
5 J. Charkam.op.cit. P.275.
6 A. Tunc op.cit. in R.I.D.C. 1 - 1994 P.64.

193
rémunérations. Et l'ISe propose que les comités de rémunération décident des
rémunérations et émoluments des executive directors ; non seulement les
traitements réguliers
mais tous autres avantages tels que les plans d'options, les participations aux profits
et toute gratification.1
1 A. Tune. op.ciL RDAI 1991 P.676.

194
§ 2 : LA PUBLICITE DES REMUNERATIONS
Que les rémunérations des dirigeants sociaux soient publiées, cela devrait
éviter les excès en la matière, cette transparence étant une garantie d'équité. Mais
est-ce vraiment possible? La publicité des rémunérations des dirigeants sociaux
pose problème. Pourtant, comme nous allons le voir, ces problèmes peuvent être
surmontés et l'on peut autoriser la publicité, dans certaines limites cependant...
A· POSITION DU PROBLEME
La publicité de la rémunération est une question délicate. En effet toute
personne quelle qu'elle soit a une certaine réticence à dévoiler "combien elle
gagne". Les raisons les plus variées expliquent cette attitude:
- L'argent est un sujet tabou dans de nombreuses sociétés. La civilisation
judéo-chrétienne en particulier est marquée par une aversion pour les riches et
l'argent. 1
- Un auteur souligne que si l'on parle beaucoup de l'argent, ce n'est jamais à
son avantage "argent facile, argent fou, argent roi, argent blanchi, argent
mensonger..." les épithètes ne manquent pas.2
- Certaines personnes hésitent à dévoiler leurs revenus de peur d'être
attaquées, rançonnées... ou encore sollicitées.
- D'autres refusent d'étaler leur richesse par respect envers les démunis.
- La volonté de se soustraire à de lourds impôts conduit certains à cacher le
montant exact de leurs revenus... etc...
Quelle est la position du droit?
1 Il s'agit plus précisément du catholicisme. Les protestants ont une conception
différente de l'argent, et Calvin encourageait l'enrichissement.
2 B. Mercadal "Ethique financière" in l'Ethique des marchés financiers - publié sous
la direction de J. V. Louis et D. Devos. Editions de l'Université de Bruxelles - 1991
P.23.

195
Juridiquement, la question de la publicité de la rémunération se pose sous
l'angle du secret des affaires et de la protection de la vie privée. Ces deux notions
étant différentes. Comme le souligne un auteur, les revenus professionnels
représentent à la fois le résultat d'une activité économique et un moyen d'existence.
Les revenus ne sont pas sans incidence sur la personnalité des individus. Le secret
des revenus peut être fondé sur le respect de la vie privée. Cependant il doit être
distingué du secret des affaires proprement dit. Son domaine est plus large car il
concerne toutes sortes de gains, et aussi plus étroit car il se limite aux revenus des
personnes physiques.1
Le secret des affaires est de plus en plus remis en cause par les impératifs de
l'information. Il semble condamné par l'évolution des moeurs et des structures
économiques.2 Par contre la protection de la vie privée demeure une nécessité.
Alors, la rému nération des dirigeants sociaux constitue-t-elle un secret
d'affaires qui pourrait éventuellement être dévoilé ou un élément de leur vie privée
qui serait impéné-
trable ?
Nous ne pensons pas que ce soit un secret d'affaires, car quel est l'intérêt
pour la société que la rémunération de ses dirigeants soit cachée ? Comme
l'observe Monsieur Daigre "on a voulu, semble-t-il, protéger le secret de la vie des
affaires. Voilà qui n'est pas très convaincant ici. On voit mal en effet l'inconvénient
qu'il y aurait à dévoiler à ses associés les rémunérations de ses dirigeants; on voit
bien en revanche à qui cela profite et au détriment de qui cela joue".3
Certes, et c'est un inconvénient, la connaissance de rémunérations très
élevées - trop élevées - peut faire naître de l'amertune chez les employés de la
société et susciter des tensions sociales toujours néfastes à l'entreprise. Mais est-ce
une raison suHisante ? Cela ne semble pas toucher au secret des affaires, celui-ci
ayant essentiellement pour finalité de protéger l'entreprise contre des concurrents.
1 Marcel Crémieux. Le secret des affaires - in travaux de la conférence d'agrégation
sous la dir. de Y. Loussouarn et P. Lagarde - LGDJ 1978 - P. 459.
2 Idem.
3 J.J. Daigre op.ciL P.524 N°68.

196
Nous pensons en revanche que la rémunération des dirigeants sociaux
constitue un élément de leur vie privée devant être protégé.1
En France, la doctrine inclut le patrimoine2 dans la protection de la vie
privée.3 La jurisprudence adopta ce point de vue4 pendant longtemps, mais dans
une décision récente, la Cour de cassation considère que "le respect dû à la vie
privée de chacun n'est pas atteint par la publication de renseignements d'ordre
purement patrimonial ne comportant aucune allusion à la vie et à la personnalité de
l'intéressé.5 C'était aussi sa position dans une décision précédente.6 Ces arrêts de
la Cour de Cassation concernent une personnalité de la vie des affaires et un
homme politique qui était aussi un homme d'affaires. Elles apportent ainsi une
réponse à la question de savoir si cette catégorie de personnes ne doit pas être
traitée différemment de
tout un chacun.7 Certes, cela réduirait la portée de ces décisions dont l'attendu
principal semble pourtant avoir une portée générale. Mais, pour notre propos, cela
1 Le droit au respect de la vie privée est consacré dans la Déclaration universelle
des droits de l'homme de 1948 à laquelle adhère le Sénégal. En France, la loi du 17
Juillet 1970 consacre le droit au respect de la vie privée dans l'article 9 du Code
Civil.
Aux Etats-Unis, le droit au respect de la vie privée a été élevé à un rang
constitutionnel (Guy Soffoni - Le droit àl'information administrative aux Etats-Unis-
Economica 1992).
Le droit anglais ne reconnaît pas, en tant que tel, le droit à la vie privée mais
il est reconnu en fait (Cf Précis Dalloz -Droit anglais ed 1992 P.98 N"111).
2 Le patrimoine entendu dans le sens économique du terme, c'est-à-dire les biens
et les dettes, les revenus professionnels, les revenus des biens (Kayser - note sous
Casso civ. 28 Mai 1991. D.1992-213).
3 R. Lindon - note sous TGI Marseille 29 Sep. 1982. D 1984.64.P. Kayser - La
protection de la vie privée - Economica 1984. P. 162 N°146.
4 TGI Paris (ord. réf.) 12 et 23 Janv. 1987. Paris 15 Janv.1987. D.1987.J-231.
5 Casso civ. 1ère - 28 Mai 1991 . D - 1992 J.213.
6 Casso Civ. 1ère 20 Nov.1990 - Bull - Civ. 1 N°257.
7 M. Kayser. Bien que partisan de l'inclusion dans la protection de la vie privée du
patrimoine des hommes politiques et des personnalités de la vie des affaires. Pour
les hommes politiques, il est souhaitable d'assurer la transparence de leur
patrimoine à l'égard de leurs électeurs. Quant aux personnalités de la vie des
affaires, il existe une loi relative au franchissement des seuils (art.356-1 et 356-2 L
1966) qui oblige la personne qui acquiert un certain pourcentage d'une société
cotée en bourse à en informer le Conseil des bourses de valeur. Lequel doit en
informer le public. M. Kayser estime que là doit s'arrêter l'information.

197
indiquerait que le patrimoine d'un dirigeant de société pourrait être divulgué et l'on
pourrait ainsi avoir connaissance de sa rémunération.
Aux Etats-Unis et en Angleterre, on admet que la protection de la vie privée
doit se combiner avec la nécessité de donner certaines informations sur les
rémunérations parce que c'est le meilleur moyen de limiter les abus et qu'il est
normal que les actionnaires aient une idée de ce que la société verse à ses
dirigeants.
B- LES DESTINATAIRES DE L'INFORMATION
1- EN FRANCE
Les actionnaires et les salariés peuvent dans une certaine mesure être
informés de la rémunération des dirigeants sociaux.
a) LES ACTIONNAIRES
L'information des actionnaires constitue une des lignes de force du droit
français des sociétés. 1 Il a donc mis à leur disposition des moyens pour leur révéler
les rémunérations perçues par les dirigeants.2 Certes cela ne s'est pas fait sans
discussions.
Des débats
parlementaires
houleux
ont
eu
lieu.
Certains
parlementaires invoquant le secret des affaires en faveur du caractère occulte des
rémunérations. D'autres insistant sur la nécessité du contrôle des actionnaires.3 Le
Garde des Sceaux n'a pas manqué de souligner les mérites de la solution anglaise
de l'époque, en vertu de laquelle seule la rémunération globale du conseil
d'administration était indiquée aux actionnaires. Cette solution fut rejetée. Ce
système d'une information globale retint pourtant l'attention du Sénat. Ce système
avait l'avantage de concilier les thèses opposées en présence : il permettait
d'informer les actionnaires sans dévoiler le montant exact des rémunérations
1 Cf Ph. Gerbay "Un exemple de la contribution apportée par le droit fiscal au droit
des sociétés".Rev. Stés 1977, p.25 N'S.
2 Idem.
3 Ph. Gerbay op.cit. P.30 N'16.

198
perçues par chacun des dirigeants.1 En définitive c'est cette solution avec
cependant une limite, qui est retenue par la loi du 24 Juillet 1966.
L'article 168-4 L 1966 - s'inspirant du droit fiscal2 -prévoit la communication
du montant global, certi'fié exact par le commissaire aux comptes, des
rémunérations versées aux cinq ou dix personnes les mieux rémunérées - cinq
quand la société comporte moins de deux cents salariés, dix dans le cas contraire.
L'expression "rémunération versées" ne doit pas être prise au pied de la lettre. Il faut
l'entendre largement3 et inclure les avantages perçus, que~~.it::Ie:efFforme et
leur qualification, y compris les avantages en nature.
Les actionnaires peuvent-ils se satisfaire d'une telle information ?
Vraisemblablement non, car cette information est globale et impréciseA L'article
168-4' n'oblige pas les sociétés à fournir aux actionnaires le montant des sommes
perçues par chaque personne individuellement.5
Il s'y ajoute que ces personnes "les mieux rémunérées" ne sont pas
forcément des dirigeants de la société6 Ils pourraient tout aussi bien être des cadres
de l'entreprise. En effet l'article 218 - 4' se refère à l'entreprise, en posant comme
condition le nombre de salariés.
Cette information sera sans doute plus utile aux salairés.
Heureusement, le droit comptable7 prévoit que l'annexe doit mentionner le montant
des rémunérations allouées au titre de l'exercice aux membres des organes
1 Idem.
2 En l'occurrence de la loi du 12 Juillet 1965 qui prévoit en cas de redressement
fiscal une sanction originale: les actionnaires doivent être informés des sommes
globales perçues par le groupe des personnes les mieux rétribuées - les 5 ou 10
personnes les mieux rémunérées.
3 Cette interprétation extensive se fonde sur la "'filiation" entre la loi du 24 Juillet
1966 - art 168 - 4 - et la loi fiscale du 12 Juillet 1965 laquelle permet l'information
des actionnaires sur les sommes et aussi les avantages reçus par les dirigeants (P.
Gerbay - op.cit. P.31 N'18).
Rep. Min. N'3574 et 4450 J.O. Déb. A.N. 3/4/69 PP.868 et 870.
4 J.J. Daigre - P.523 N'68. P. Bézard .op.cit. P.94 N'360.
5 Rép. Min N'21584 J.O. déb. AN 29/1/72 P.249.
6 Les administrateurs n'en font généralement pas partie Cf Ph. Gerbay op.cit. PAO
N'31.
7029 Nov. 1983. art 24 - 18'.

199
d'administration, de direction et de surveillance à raison de leurs fonctions ; ces
informations sont données de façon globale pour chaque catégorie.
La COB a d'ailleurs précisé à l'adresse des sociétés faisant appel à l'épargne
publique la teneur de ces informations1 Les rémunérations visées sont globalisées
comme suit:
-- les jetons de présence versés aux administrateurs ou aux membres du
conseil de surveillance.
- les rémunérations allouées:
- par le conseil d'administration au président, aux administrateurs
délégués, aux directeurs généraux ou administrateurs provisoires.
- par le conseil de surveillance aux membres du directoire.
- par les statuts, ou par l'assemblée générale, aux gérants des sociétés
en commandite par actions.
b) LES SALARIES
En France, le comité d'entreprise est représenté aux réunions du conseil
d'administration. Il devrait ainsi connaître la manière dont sont répartis les jetons de
présence des administrateurs, et la rémunération du président du conseil
d'administration et du directeur général.2 Il semble cependant en pratique, que la
présence de délégués du comité d'entreprise incite souvent le conseil à charger un
comité restreint de déterminer la rémunération du président.3
La question se pose de savoir si les délégués du comité d'entreprise sont liés
par une obligation de discrétion vis-à-vis des salariés au sujet des rémunérations
des dirigeants sociaux, dont ils ont eu connaissance en assistant aux réunions du
conseil d'administration. Selon l'article 432-6 al2 du code du travail, ils sont tenus à
une obligation de discrétion à l'égard des informations présentant un caractère
confidentiel et données comme telles par le chef d'entreprise. Si donc, le président
1 Communication COB - Bull. mens. COB Janv. 1992 n0254 P.7.
Bull. Joly 1992 p.177.
2 P. Bézard. op.cit. loc. cit.
3 Burgard. op.cit. P.129. Ph. Gerbay op.cit. P.25.
P. Didier. Les sociétés commerciales - Que sais-je? PUF 1984.

200
du conseil d'administration présentait comme confidentielles les rémunérations
attribuées aux dirigeants par le conseil d'administration, ils ne pourraient les
dévoiler au personnel de l'entreprise.
cl L'ADMINISTRATION FISCALE
Quelle que soit la quali'fication donnée aux rémunérations, au regard du droit
fiscal: traitements et salaires1, revenus des capitaux mobiliers... 2 l'administration
fiscale en sera informée.
Il faut noter cependant qu'en dehors des déclarations faites par les dirigeants
eux-mêmes, lorsque l'information émane de la société, elle est globale.
d) LA COB
En vertu de son pouvoir d'investigation général, la COB pouvait se faire
communiquer le détail des rémunérations des dirigeants des sociétés soumises à
son contrôle.3 Etaient concernées les sociétés faisant appel public à l'épargne, à la
demande expresse de la COB.
Les directives européennes relatives aux comptes annuels et consolidés4,
ainsi que les directives portant coordination des conditions d'établissement, de
contrôle et de diffusion du prospectus à publier pour l'admission de valeurs
mobilières à la cote officielle d'une bourse de valeurs5, prévoient l'obligation de
fournir une information concernant "la rémunération des organes d'administration,
de direction, ou de contrôle". La COB6 a précisé que par ces termes il faut entendre
le montant global des rémunérations directes et indirectes de toute nature perçues
par les membres du conseil d'administration ou de surveillance (avec la précision
du montant annuel des jetons de présence alloués aux membres du conseil
1 Les rémunérations du président du conseil d'administration, du directeur général,
et des membres du directoire sont des salaires selon le code général des impôts.
2 c'est le cas des jetons de présence alloués aux administrateurs.
3 Art 5. Ordo N°67 - 833 du 28 Sept. 1967.
4 Directives N"78/660/CEE et 83/349/CEE, modifiées par la directive n090/614/CEE.
5 Directive N°80/390/CEE modifiée par les directives N°S 87/345/CEE et
90/211/CEE).
6 V. Bulletin mensuel COB N'278 Mars 1994.

2D1
d'administration et le nombre desdits membres)réunis au sein du directoire ou dont
le nom et la fonction figurent sous la rubrique "direction générale", "comité exécutif",
"comité de direction générale" etc... avec la liste de ces dirigeants.
Selon la COB, les rémunérations indirectes comprennent notamment: les
avantages en nature, les engagements en matière de pensions de retraites et
indemnités assimilées, les jetons de présence vérsés par les autres sociétés du
groupe.
Tout cela devra donc figurer dans le prospectus.
Il est également indiqué dans les documents sociaux soumis àl'approbation
de la COB, le nombre global d'options de souscription et/ou d'achats d'actions de la
société-mère, et/ou de toute autre société ( française ou étrangère) membre du
groupe, détenues ainsi que celles attribuées et/ou exercées au cours de l'année par
l'ensemble des personnes précédemment énumérées
(à l'exception des
administrateurs simples qui n'y ont pas droit), avec la mention du prix d'exercice.
e) LE PUBLIC
Les décisions récentes de la Cour de cassation française1 autorisent la
divulgation2 du patrimoine des personnes, sans que cela constitue une atteinte à
leur vie privée, à certaines conditions il est vrai.3 Et la presse ne s'en prive pas4,
informant par là même le public, y compris les salariés de l'entreprise et les
actionnaires ...
Mais cette information si elle est plus précise que celle obtenue de la société,
est somme toute limitée, car elle n'est pas systématique, elle n'est pas imposée
comme le sont les autres modes d'information. Sa cible étant certains dirigeants
connus du grand public, elle laissera forcément de côté une masse de dirigeants
1 Casso Civ. 20 Nov. 1990, Casso Civ. 28 Mai 1991 préc.
2 divulgué signifie porté à la connaissance d'un nombre indéterminé de personnes
(P. Kayser note sous Casso 28 Mai 1991. D. 1992-213).
3 Ainsi les informations ne doivent pas avoir été obtenues par des moyens illicites.
Elles ne doivent pas être inexactes. Elles ne doivent pas comporter d'éléments
relatifs à la vie personnelle et familiale.
4 Même avant ces décisions, la presse livrait des informations sur le patrimoine des
personnalités.

202
peut-être surpayés. C'est dire que c'est un moyen très secondaire de prévention des
rémunérations excessives des dirigeants sociaux.
Le public peut être aussi informé en lisant la presse spécialisée ou en
consultant les documents sociaux tels que le bilan, le compte d'exploitation
générale ... Dans ce dernier cas àla rubrique frais généraux il peut y avoir quelques
données sur les rémunérations des dirigeants. Cependant ce n'est qu'une 'frange
minime du public qui procédera ainsi, car ces lectures ne sont pas à la portée de
tout un chacun; il ne faut pas lire mais déchiffrer les documents sociaux, et à moins
d'être spécialiste en la matière, la pêche à l'information risque d'être peu fructueuse.
2/ AUX ETATS-UNIS
Aux Etats-Unis, la publication des salaires des Pdg est devenue presque
obligatoire pour les sociétés cotées.
Il est certain qu'aux Etats-Unis, l'argent n'est pas un sujet tabou. Les
Américains considèrent la richesse comme un signe de mérite.1 Le magazine
Business Week publie chaque année la liste des vingt-cinq dirigeants le mieux
payés des Etats-Unis.2 Dès lors, la publicité des rémunérations des dirigeants ne
rencontre pas d'opposition de leur part.
Les rétributions des dirigeants sociaux sont souvent considérables3,
particulièrement celle du chief executive otticer. Des abus en la matière ayant été
démontrés, la SEC a pris certaines mesures visant à assurer la divulgation des
rémunérations4. L'idée dominante est celle d'une information compréhensible par
les actionnaires. On peut citer à titre d'exemple l'obligation de divulger toutes les
formes de rémunérations dans un tableau sommaire. Les tableaux précisons-le,
doivent être conçus de manière à être clairs et de compréhension facile. Un tableau
devrait révéler toutes les formes de rétribution du chief executive otticer et des
quatre executive directors les mieux payés pendant les trois dernières années. Le
1 R. Lindon - note sous TGI Paris (ord - réf. ) 12 et 23 Janv. 1987. Paris 15 Janv.
1987. D. 1987 J. 235.
2 Cozian et Viandier op.cit. 6e éd. 1993. P.241 n0674.
3 V.J. Charkam op.cit. pp 184-185.
4 E. Scholastique. op.cit. P. 319.

203
comité de rémunération devrait, selon la SEC, publier un rapport expliquant sur
quels critères spécifiques a été déterminée la rémunération des executive directors
figurant dans le tableau sommaire - donc les mieux payés- au cours des quatre
dernières années.
Des graphiques doivent être faits pour comparer les
rémunérations avec celles octroyées durant les cinq dernières années et avec
celles allouées dans des sociétés similaires.1
Le problème de la publicité des stock options a été envisagé. En effet, la
valeur des options n'est jamais révélée explicitement; seul figure le prix auquel
elles ont été accordées et non le prix qu'elles pourront valoir un jour. Or il est bien
connu que le bénéficiaire de stocks options peut réaliser des gains substantiels
quand il lève l'option. Or ces gains là demeurent inconnus car les documents
sociaux ne doivent les révéler que si le dirigeant qui les réalise est toujours en
place dans la société. Or la plupart des plans d'options sont consentis pour une
durée plus longue que celle du mandat de leur bénéficiaire.2 Cependant une
évolution dans le sens d'une publicité plus efficace se dessine : le Financial
Accounting Standards Boards (F.A.S.B.) a en effet proposé qu'à partir de 1997, les
options soient considérées comme une dépense dès le jour où elles sont
consenties.3
L'article 5-08 des A/i Princip/es of Corporate Governance prévoit qu'un
directeur, ou un senior executive qui entre dans une opération avec la société ...viole
son devoir de loyauté envers la société dans certaines circonstances, notamment
lorsqu'il ne divulgue pas les faits pertinents à l'opération. Nul doute que le salaire en
est un.
3/ EN ANGLETERRE
Les actionnaires bénéficient d'une large information. Ainsi selon l'annexe 5
Part V, les comptes soumis à l'assemblée générale doivent contenir le montant
global des émoluments payés ou payables aux directeurs. Certes ce n'est qu'une
information globale, mais elle a l'avantage d'inclure toutes les rémunérations et
avantages en nature qui leur ont été assurés par la société ou ses filiales, ainsi que
1 J. Charkam op.cit. PP.185-186.
2 E. Scholastique op.cit. P.411.
3 Idem.

204
tous les versements effectués dans leur intérêt, par exemple en vue de leur retraite.
Les comptes doivent aussi indiquer les pensions payées ou payables aux
directeurs ou anciens directeurs et les sommes versées pour cessation de leurs
fonctions.
Le même texte donne aussi aux actionnaires la possibilité de connaître les
rétributions du président du conseil, ainsi que les émoluments du directeur ayant
reçu la plus forte rémunération, si celle-ci dépasse celle du président du conseil.
Doit être aussi mentionnée la répartition numérique des directeurs dans les
différentes tranches d'émoluments.
Le droit anglais est soucieux de donner une réelle information aux
actionnaires, de leur permettre d'utiliser les données qui leur sont présentées.1
Quant au public, c'est surtout à l'occasion d'un appel public à l'épargne par la
société qu'il est informé. Un certain nombre d'informations doit figurer dans le
prospectus parmi lesquelles les émoluments des administrateurs.
Autrefois, l'usage était de maintenir les informations secrètes, à moins que la
loi n'exige leur divulgation2. Actuellement la pratique de la plupart des conseils de
directeurs semble être de "dire au public la vérité qui est dite aux actionnaires" à
moins d'une raison légitime de ne pas divulguer certains renseignements.3
En plus de la déclaration annuelle et de la remise des comptes, les dirigeants
sont tenus de remettre au Registre le rapport d'un auditor professionnel qualifié, et
pour les sociétés faisant appel public à l'épargne, un rapport du conseil donnant
une analyse détaillée des activités de la société. Ce dernier doit contenir des détails
1 Cf Allocution de Lord Shawcross - in "L'information des actionnaires aux USA et
en Europe". Rev. fr. Cpta - Oct 1992 P.283 : "Je crois que nos méthodes en Grande-
Bretagne donnent àl'actionnaire ordinaire et à l'opinion publique un tableau
raisonnablement loyal et complet de la situation de son entreprise".
2 Ce qu'elle ne manquait pas de faire. Ainsi dès l'origine, les companies Acts ont
imposé de très larges divulgations. De nombreux détails doivent figurer au Registre
des sociétés, qui peut être consulté par toute personne qui le désire, y compris la
presse financière. Les sociétés sont aussi tenues de mettre à la disposition du
public dans leurs locaux, moyennant une somme modique, certaines informations
(J.A. Jolowicz - Droit anglais -2e éd. 1992. P.256.
3 Lord Shawcross - op.cit. P.285.

205
relatifs par exemple à la rémunération des administrateurs.1
Le rapport Cadbury - § 4-40 - recommande la divulgation aux actionnaires
des émoluments du président et du directeur le mieux payé. Il précise que ces
informations doivent être détaillées. Il faut expliquer comment ces rémunérations
sont calculées.
L'ISC recommande que le rapport annuel et les comptes relatent en détail
tout paiement consenti à un directeur à titre gracieux ou en compensation de quoi
que ce soit. Les comités de rémunération doivent indiquer dans leur rapport annuel
les méthodes de calcul des rémunérations.2
41 AU SENEGAL
Le droit sénégalais a repris les dispositions du droit français, en l'occurrence
l'article 168 - 40 L.1966. Ainsi, selon l'article 1322 COCC, tout actionnaire a le droit
d'obtenir communication du montant global. certifié exact par les commissaires aux
comptes, des rémunérations versées
aux personnes les mieux rémunérées. le
nombre de ces personnes étant de dix ou cinq selon que l'effectif du personnel
excède ou non deux cents salariés.
Le droit sénégalais aurait pu faire l'économie d'une telle disposition qui selon
nous ne sert pas à grand chose sinon àdonner aux actionnaires l'illusion d'être
informés.3
En revanche, dans le nouveau système de direction, l'information semble
plus eHicace car individualisée. On peut ainsi lire à l'article 1295 al 1er COCC que
"l'assemblée générale fixe le montant de la rémunération allouée pendant l'exercice
suivant à chaque administrateur d'après ses capacités et la nature de ses fonctions.
Le mémoire fixant cette rémunération est annexé au procès-verbal et tenu à la
disposition de tout actionnaire. Le montant des rémunérations allouées à chaque
administrateur est porté aux charges d'exploitations". Les actionnaires fixant eux-
mêmes la rémunération de chaque administrateur délégué en sont donc informés. Il
1 J.A. Jolowicz op.cit. P.257.
2 A. Tunc.op.cit. R.D.A.!. 1991 PP.676-677.
3 Cf supra les critiques faites au sujet de l'article 168 _4 0 L.1966.

206
s'y ajoute que même les tiers pourront eux aussi en être informés par la lecture du
compte d'exploitation générale, puisque le montant des rémunérations allouées à
chaque administrateur est porté aux charges d'exploitation. Mais en pratique seul
un public averti se livrera à de telles investigations.
Contrairement à la pratique française ou américaine, la presse sénégalaise
n'a pas l'habitude de divulguer la rémunération des dirigeants de sociétés. Le public
n'étant pas spécialement interessé par ces personnes. \\1 l'est davantage par les
personnalités de la vie politique, ou artistique.
En définitive, en matière de prévention, le modèle nous semble être celui des
comités de rémunération. A certaines conditions cependant. Ils ne doivent pas
constituer un moyen de maintenir le secret, comme c'est le cas en France de
certaines sociétés qui par ce biais empêchent les délégués du comité d'entreprise
d'en savoir trop. Ils doivent être composés de membres désintéressés.1
1 En France, à BSN, le président du conseil d'administration est également membre
du comité de rémunération. (E. Scholastique op.cit. P.413 note 4).

207
SECTION 3
LA SANCTION DES REMUNERATIONS EXCESSIVES
Les rémunérations des dirigeants sociaux peuvent être excessives. Il s'agira
le plus souvent de cas où c'est le dirigeant lui-même qui aura fixé, ou influencé la
fixation de sa rémunération. De ce point de vue, la suspicion pèse en priorité sur le
président du conseil d'administration dont la rémunération est l'oeuvre du conseil
d'administration dont il est membre. Mais il faut émettre les mêmes craintes quant à
la rémunération des administrateurs : elle n'est pas exempte de subjectivité en
raison de l'absentéisme coutumier des actionnaires aux assemblées générales et
de l'influence prépondérante des actionnaires majoritaires qui sont le plus souvent
en même temps... administrateurs.
La sanction peut revêtir plusieurs formes. Ainsi les dirigeants peuvent être
révoqués par des actionnaires mécontents de leurs excès 1 Une place importante
doit être accordée à la sanction judiciaire. Le juge peut être appelé à se prononcer
sur des rémunérations excessives: l'annulation de la décision lorsque les règles
légales n'auront pas été respectées, et la responsabilité du dirigeant en faute en
sont les expressions principales.
L'intervention du juge, comme toujours lorsqu'il s'agit d'une question sociale,
suscite des discussions: n'y a-t-il pas risque d'immixtion dans la gestion sociale?
L'objet de son intervention en suscite aussi: quel est le critère d'appréciation de la
rémunération excessive?
A côté du juge, une place doit être faite à d'autres censeurs: l'administration
fiscale et la COB en France. Le droit français constituera la trame de nos
développements en raison de l'importance du contentieux en matière de
rémunérations excessives.
Les droits anglais et américains sanctionnent les rémunérations excessives
comme une atteinte au devoir de loyauté des dirigeants sociaux.
1 Cf supra in Révocation (Titre 2 - Ch 2).
Aux Etats Unis notamment, les investisseurs mécontents des rémunérations
excessives des dirigeants ont menacé certains conseil de révocation ou de non
renouvellement de mandats (E. Scholastique. Op.cit.P.409).

208
§1 DE l'INTERVENTION DU JUGE
A- ANNULATION DE LA DECISION
Chaque fois que la loi impose, à peine de nullité, une règle qui n'est pas
observée, le juge est en droit d'annuler la décision violant cette règle. Il en sera
ainsi du non respect de la procédure des conventions réglementées, en France et
au Sénégal.De même l'interdiction faite aux administrateurs de recevoir une
rémunération autre que celle prévue par la loi.
Ainsi lorsque la rémunération contrevient aux dispositions légales, quelles
qu'elles soient, le juge peut l'annuler.
Sa tâche est simplifiée car il n'a pas à qualifier la rémunération d'excessive, ce qui
est une question délicate sur laquelle il doit se prononcer en matière de
responsabilité.
Cependant l'annulation pour non respect de la procédure des conventions
réglementées peut s'avérer délicate dès lors qu'elle implique de se prononcer sur le
caractère contractuel ou non de la rémunération.1
En l'absence de dispositions légales précises ayant été violées, le juge peut
être saisi par les minoritaires d'une demande d'annulation d'une décision de
l'assemblée générale pour abus de majorité.2
Les indemnités de départ accordées à certains dirigeants peuvent être
considérées comme nulles lorsqu'elles sont si élevées qu'elles constituent un
moyen indirect de contourner le principe de libre révocabilité.3 Les pensions de
retraite ne doivent pas constituer une charge excessive pour la société, elles ne
seraient plus un prolongement de la rémunération ordinaire et seraient alors
soumises à la procédure des conventions réglementées4, son défaut entraînant leur
nullité. Sa nullité peut aussi résulter' de l'interdiction faite aux administrateurs, par
l'article 107 L.1966 de percevoir une rémunération autre que celle prévue par la loi.
1 Cf supra - in Procédure des conventions réglementées.
2 Paris 30 Mars 1977. Rev. Stés 1977 P.470 note J.H.
3 Paris 21 Mars 1984. Rev. Sté 1985. P.421 note chartier.
4 Com. 3 Mars 1987. GP. 1987 P.7 - Bull - V N"64 P.49.

209
Cela vaut aussi pour les indemnités de départ.
BI RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS SOCIAUX
Les rémunérations excessives peuvent entrainer la responsabilité des
dirigeants, responsabilité civile, mais aussi responsabilité pénale.
1 ï
RESPONSABILITE CIVILE
Le dirigeant social engage sa responsabilité civile lorsqu'il commet une faute
génératrice de dommage .La faute peut consister en la violation de la loi, des statuts
ou en une faute de gestion1 Pour notre propos, il s'agira le plus souvent du non
respect de la procédure requise. Ainsi en est-il du président du conseil
d'administration qui s'octroie lui-même une rémunération. Ainsi dans l'arrêt du 15
Déc.
1987(2L la Cour de cassation
condamne
le
président du conseil
d'administration à restituer la prime qu'il s'était accordée.
Le préjudice consiste à faire supporter à la société des frais excessifs compte
tenu de ses capacités financières. C'est aussi la diminution de dividendes pour les
actionnaires. Le dommage peut consister aussi dans le redressement fiscal auquel
est soumise la société.3
La responsabilité civile soulève le problème de l'immixtion du juge dans la
gestion. Ainsi dans l'affaire ayant donné lieu àl'arrêt de la chambre criminelle de la
Cour de cassation du
6 Octobre 198~)I'auteur du pourvoi, en l'occurrence le président du conseil
d'administration, arguait qu"'il n'appartient pas aux juges du fond de remettre en
cause les décisions de gestion prises par la société elle-même qui demeure seul
juge de son intérêt".
Il est certain que l'octroi d'une rémunérationi à un organe social fait partie des
décisions sociales et s'inscrit dans le fonctionnement de la société. Il peut aussi
s'agir de rémunération convenue entre l'organe social concerné et la société. Dans
1 Art. 244 L.1966.
2 Bull. Joly 1988. P.80. Bull - civ. 1987 N°280 P.209.
3 Paris 30 Juin 1977. Rev. Jur. Com. 1978. P.272.
4 Rev. Stés 1981 P.133 note B. Bouloc.

210
le premier cas le juge ne peut pas remettre en cause la rémunération sous peine de
commettre une ingérence dans le fonctionnement de la société. Dans le second, le
juge est tenu de respecter la force obligatoire du contrat.
Pourtant malgré ces obstacles, le contentieux témoigne que le juge se
prononce sur la rémunération des dirigeants sociaux.
Quel est le fondement d'une telle intervention?
a) FONDEMENT DE L'INTERVENTION DU JUGE
Le fondement de l'intervention du juge peut être trouvé dans la cause,
l'équité, et la révisibilité de la rémunération des mandataires.
• La révisibilité de la rémunération des mandataires
Depuis un arrêt de principe du 29 Janvier 186~)/iI est admis que le juge - et
ce malgré la force obligatoire de contrat - peut réduire la rétribution du mandataire,
stipulée dans le contrat passé avec le mandant lorsque cette rétribution lui parait
excessive et hors de proportions avec les services effectivement rendus. Mais peut-
on appliquer cette jurisprudence aux dirigeants d'une société anonyme? Sous la loi
,du 24 Juillet 1867, l'idée de mandat était très présente. Avec la loi du 24 Juillet
1966, elle s'est estompée et les administrateurs, le président du conseil
d'administration, et le directeur général, sont considérés comme des organes
sociaux. Ce n'est donc pas sur la révisibilité de la rémunération des mandataires
que se fonde l'intervention du juge.
• La cause
La cause peut-elle en être le fondement? Selon la conception de Capitant
les prestations dans un contrat synallagmatiques doivent être proportionnelles,
sinon l'engagement de l'une des parties n'aurait pas de cause. Si nous transposons
ce raisonnement à la société, nous dirons que si la société surpaye le dirigeant,
cette rémunération octroyée par elle n'a pas de cause. Mais cela suppose que l'on
soit dans l'hypothèse d'une rémunération résultant d'un contrat passé entre un
1 D.P. 1867 1-53 cité au D.1972 - 560 note C. Orengo
Jurisprudence maintes fois confirmée Cf civ. 13 Mai 1884 D.P.1885-1-21. Soc. 8
Juill. 1942. GP 1942" 2-177 civ.1 ère, 1er févr. 1966 - Bull. civ. 1. N76 P.57.

211
dirigeant et la société .
. L'équité
L'équité est sans doute le fondement indiscutable de l'interventiçon du juge.
D'ailleurs on dit bien que la rémunération des dirigeants sociaux doit être équitable.
Mais un nouveau problème se pose: quand une rémunération est-elle équitable?
Et pour notre propos: quel est le critère d'appréciation du caractère excessif de la
rémunération?
b)
CRITERE
D'APPRECIATION
DU
CARACTERE
EQUITABLE DE LA REMUNERATION
Le juge est amené à apprécier si la rémunération est équitable, si elle est
juste et ce n'est pas chose facile. Paradoxalement en droit lorsqu'il est question de
"juste" on est embarrassé1. Cette notion emblématique est tout aussi énigmatique.
Pour se prononcer sur le caractère juste de la rémunération, le juge devra
procéder à une évaluation soit dans l'absolu, soit relative.
- DANS L'ABSOLU,
Le juge peut se baser sur la contrepartie que représente la rémunération: le
travail, le service, les responsabilités, les risques. Autrement dit il devrait y avoir
équivalence entre ce que "donne" le dirigeant et ce qu'il reçoit en contrepartie. La
difficulté vient de ce que le juge n'a pas toujours les compétences pour évaluer
techniquement l'apport du dirigeant à la société. Il lui faudrait s'entourer d'un expert
en la matière.
Il doit aussi tenir compte des capacités financières de la société.
- DE MANIERE RELATIVE
Le juge peut se livrer à des comparaisons. Ainsi pourrait-il comparer la
rémunération d'un administrateur à celle de ses pairs. Mais on peut objecter que le
conseil d'administration répartit librement les jetons de présence. Les différences de
rémunération entre administrateurs sont licites.
1 Cf la notion de "juste prix" et ses difficultés.

212
Le juge peut comparer la rémunération des dirigeants à celle de leurs pairs
dans des sociétés de taille comparable, ayant des résultats comparables. C'est ce
qu'impose la réglementation de la SEC et qui est proposé en Angleterre. Mais tant
d'éléments contribuent à la réussite ou à l'échec d'une société ! En outre les
rémunérations mirifiques sont tellement ancrées dans les moeurs que cette
comparaison n'est pas fiable ...
2°/ RESPONSABILITE PENALE
Les dirigeants sociaux peuvent engager leur responsabilité pénale s'ils
commettent une infraction pénale.
Le fait pour un président de conseil d'administration de s'allouer lui-même
une rémunération peut constituer une entrave au fonctionnement du comité
d'entreprise, dans la mesure où les délégués de celui-ci au conseil d'administration
auront été privés d'une information obligatoire.1
Il peut aussi être condamné pour abus de biens sociaux. Ce délit est reconnu
à l'encontre de présidents qui s'attribuent une rémunération excessive eu égard à la
situation de la société.2 L'abus de biens sociaux, suppose que le dirigeant ait fait
des biens de la société un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de la société, à des
fins personnelles, ou pour favoriser une aut.re société ou entreprise dans laquelle il
est intéressé directement ou indirectement.3 Si, pour notre propos, l'usage, l'atteinte
à l'intérêt de la société, les fins personnelles ne font pas de doute lorsque le
dirigeant s'octroie une rémunération excessive, en revanche l'élément moral, c'est-
à-dire la mauvaise foi, la conscience de mal faire, pose problème. En effet les
rémunérations mirifiques sont tellement habituelles que le dirigeant peut considérer
1 A. Brunet et M. Germain "L'information des actionnaires et du comité d'entreprise
dans les sociétés anonymes depuis les lois du 28 Oct.1982, du 1er Mars 1984 et du
25 Janv.1985" Rev. Stés 1985 - P.7 N°13.
2 Crim. 9 Mai 1973. 0.1974 P.271 note Bouloc.
Crim 6 Oct.1980. Rev. Stés 1981. P.133 note Bouloc - Dans cette affaire \\e
président avait été rémunéré grâce à des emprunts générateurs de frais financiers
importants, qu'il avait fait contracter à cet effet par la société. Ces rémunérations
étaient hors de proportion avec le travail effectué.
3 Cf art 437, 3° et 4° L.1966.

213
comme normale sa rémunération. Il s'y ajoute le fait que le dirigeant - généralement
le président du conseil d'administration - peut voir sa décision ratifiée par
l'assemblée générale1 et partant de là la considérer juste.
§2 : LES AUTRES CENSEURS
1/ L'ADMINISTRATION FISCALE
Elle n'hésite pas à sanctionner les abus. Elle peut y procéder d'office sans
saisir aucune juridiction. Elle n'a pas àcontester au préalable la régularité ou la
légalité de l'organe social qui avait accordé sa rétribution et se livre à sa propre
appréciation.2
La sanction consiste à réintégrer d'office dans les bénéfices imposables la
part jugée excessive des rémunérations.3 Pour le dirigeant, la sanction consiste à
l'imposer sur cette rémunération non pas selon le régime des salaires, mais selon
celui des distributions irrégulières de bénéfices; si le dirigeant atteint la tranche
maximale de l'impôt sur le revenu (56,80%), plus de 90% du montant de la
rémunération échoit àl'adrninistration fiscaleA
2°/ LA COB
La COB surveille de près l'évolution des rémunérations -dans les sociétés
cotées - et n'hésite pas le cas échéant àordonner au dirigeant de reverser dans les
caisses sociales une part substantielle des rémunérations qui leur ont été versées.5
Les différents textes français, sur lesquels se fondent l'annulation de la
décision octroyant la rémunération excessive, ou la responsabilité des dirigeants
sociaux, ont leur pendant en droit sénégalais. Les solutions françaises sont donc
1 Comme en droit commun la ratification, même unanime par les actionnaires ne fait
pas disparaître l'infraction (Cf. Cozian et Viandier P.273 n752).
2 J.J. Daigre op.cit. P.526 n74.
3 Cf art. 39-1 CG! français "les rémunérations ne sont admises en déduction des
résultats que dans la mesure où elle correspondent à un travail effectif et ne sont
pas excessives eu égard à "importance du service rendu".
4 Cozian - Viandier op.cit. p.253 N°694.
5 Rapport 1975 PA8.

214
transposables au Sénégal où le juge pourra annuler la décision: pour violation de
l'article 1263 COCC, mettre en jeu la responsabilité des dirigeants sociaux sur la
base des articles 1380 COCC (responsabilité civile) et 1502 COCC (abus de biens
sociaux).
\\1 faudrait en tout cas une réelle mobilisation des actionnaires pour agir en
justice, car il ne faut pas trop compter sur les dirigeants pour agir... contre eux-
mêmes1
1 Ci inira in deuxième partie - Titre 2 ch.2- Mise en oeuvre de la responsabilité des
dirigeants sociaux.

215
CHAPITRE IV
LE CUMUL D'UN MANDAT SOCIAL ET D'UN CONTRAT
DE "rRAVAIL
Le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail est admis par le droit
sénégalais.1
En admettant clairement le cumul, le droit sénégalais fait l'économie des
discussions qu'a connues le droit français sur cette question épineuse qui fit couler
"une encre doctrinale considérable et une pluie de décisions".2 Nous ne pouvons
cependant éluder ce débat extrêmement enrichissant qui montre àla fois les
inconvénients et les avantages du cumul, ces derniers pèsant plus lourd dans la
balance, ce qui explique qu'en définitive le cumul soit admis en France et au
Sénégal et devrait être, selon nous, étendu le plus largement possible.
Les droits anglais et américains n'ont pas connu les discussions doctrinales
chères au droit français. Ainsi, on n'y trouve pas des interrogations sur la remise en
cause de la hiérarchie des fonctions ou sur le paradoxe créé par le lien de
subordination. La question du cumul s'y présente très simplement: il s'agit avant
tout d'éviter que par le biais du cumul, les dirigeants sociaux ne s'octroient des
salaires excessifs. Les droits anglais et américains se sont donc attachés à
soumettre le cumul à des conditions de forme et à en limiter la durée pour éviter les
abus.
Dans un premier temps, nous envisagerons le problème de la validité du
cumul, le droit français étant le noyau de cette étude. Ensuite seront examinées les
conditions d'admission du cumul, en droit sénégalais comme en droit français
anglais et américain, lesquelles constituent des limites au cumul. Enfin, nous
verrons que l'admission du cumul pourrait déboucher à plus ou moins long terme
sur une autre admission ...celle de la cogestion.
SECTION 1 : LE PROBLEME DE LA VALIDITE DU CUMUL
1 Art 1255 cacc.
2 Catherine Puigelier "Le président du conseil d'administration devenant salarié et
vice-versa". JCP Ed. E. 1994. 1.358. P.245.

216
Comme nous l'avons souligné en guise d'introduction, le droit français a
donné lieu à de nombreuses discussions sur la validité du cumul.
Avant la loi du 16 Novembre 1940, modifiée par celle du 4 Mars 1943, le
cumul entre une fonction d'administrateur et de directeur technique était admis,1 - à
condition que la direction technique soit réelle. La loi du 16 Novembre 1940 allait
susciter des discussions sur la validité du cumul en raison d'une rédaction
ambigue.2 Malgré les différentes réformes qui succédèrent à ces textes, la doctrine
et la jurisprudence se divisent en deux camps: ceux qui sont favorables au cumul,
et ceux qui lui sont hostiles.
§1 : CONTRE LE CUMUL
L'host\\lité à l'égard du cumul s'explique par les problèmes qu'il pose. Certains
sont spécifiques au mandat social dont il s'agit, d'autres sont communs à tous les
mandats sociaux.3
1-
PROBLEMES
COMMUNS
A
TOUS
LES
DIRIGEANTS
SOCIAUX
AI
SITUATION
PARADOXALE
CREEE
PAR
LE
LIEN
DE
SUBORDINATION
Le contrat de travail, quelqu'il soit, fût-jl celui de directeur technique, suppose
un lien de subordination .. Situation paradoxale pour quelqu'un qui fait partie des
instances dirigeantes de la société: membre du conseil d'administration, directeur
général, membre dLJ. directoire.
BI LE PROBLEME DE LA REVOCATION
1 J. Burgard op.cit. P.172. Berr op.cit. P.129 N°188.
2 Cf art. 2 al 2 - qui dispose qu'aucun "membre du conseil d'administration autre que
le président, l'administrateur recevant une délégation dans le cas prévu aux alinéas
4 et 5, et l'administrateur choisi comme directeur général, ne peut être investi de
fonctions de direction dans la société".
3 Notre étude portant sur les dirigeants sociaux, dans le mandat social nous
n'incluons pas celui de membre du conseil de surveillance.

217
Dans le système classique, le statut des administrateurs, du président, et du
directeur général, se caractérise par la précarité des fonctions, en raison de leur
révocabilité ad nutum donc sans indemnité.1 Alors que les salariés bénéficient de la
protection du droit du travail, leur licenciement étant subordonné à l'existence d'une
cause réelle et sérieuse et pouvant, à défaut, être assorti de dommages-intérêts.
Dès lors, on a craint - et l'expérience a montré que cette crainte était justifiée -
que les dirigeants sociaux révocables ad nutum ne se fassent consentir des contrats
de tri:lvail pour se soustraire à la libre révocabilité.2 En effet, la société hésitera à
mettre.finà leur mandat social par crainte de son retentissement sur leur contrat de
travail.
C'est pourquoi la loi du 24 Juillet 1966~) n'autorise pas un administrateur à
devenir salarié. L'article 93 L. 1966 a donné lieu cependant à des interprétations
contraires. Ainsi, par un raisonnement a contrario de ce texte, certains considéraient
que puisqu'il est interdit à un salarié de moins de deux ans d'ancienneté de devenir
administrateur, c'est donc qu'un administrateur peut devenir salarié, les prohibitions
étant le droit étroitA A l'inverse, on a pu considérer - c'est l'opinion dominante - que
dans la mesure où l'article 93 n'envisage que l'hypothèse du salarié devenant
administrateur, on doit en déduire que lui seul peut devenir administrateur, et non
l'inverse.
Les travaux préparatoires confirment cette interprétation. Dans le projet
gouvernemental, l'article 93~) était complété par l'alinéa suivant : "le contrat de
travail conclu entre un administrateur en fonction et la société est soumis
àl'approbation de l'assemblée générale après rapport des commissaires aux
comptes". Mais craignant que cette faculté ne donne lieu à des abus l'Assemblée
nationale supprima cet alinéa et le Sénat maintint cette suppression.
1 Sauf en cas d'abus de droit. Cf supra in chap.2 . Révocation des dirigeants
sociaux.
2 Guyon. Op.cit. 7e éd. 1992 P.323 N·321. Ripert et Roblot op.cit. 12e éd.1986.
P.884 N·1278.
3 art 93 L.1966.
4 B. Piedelièvre "Le cumul d'un mandat social et d'un contrat de louage de services
dans les sociétés anonymes après la loi du 24 Juillet 1966" JCP 1968. 1- 2205. Les
prohibitions étant de droit étroit. J. Paillusseau. op.cit. P.229.
5 Cet article portait alors le n089.

218
La Cour de cassation va dans le même sens dans l'arrêt de principe du 7
Juin 1974(1).
CI LE PROBLEME DU SALAIRE EXCESSIF
On a pu craindre que l'octroi d'un emploi dans l'entreprise ne soit destiné à
enrichir son bénéficiaire s'il est assorti d'un salaire excessif, c'est-à-dire
disproportionné par rapport àla prestation de service effectuée.2 Ce serait
évidemment le cas si l'emploi était fictif. Hypothèse extrême. Sans aller jusque là. le
dirigeant salarié peut être surpayé.
A côté de ces problèmes communs à tous les dirigeants sociaux, il en existe
qui sont spécifiques à chaque type de mandat social.
11- PROBLEMES SPECIFIQUES A CHAQUE TYPE DE MANDAT
SOCIAL
AI LE PRESIDENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION
La loi du 16 Novembre 1940 faisait du président du conseil d'administration
le véritable chef de la société.3 Dès lors, la licéité du cumul qui avait été admise
avant cette loi, se posait en des termes nouveaux. Ainsi pour le Doyen Ripert, "le
président ne peut avoir une situation légale éminente et une situation contractuelle
subordonnée".4 Il serait illogique qu'un Pdg se donne des ordres à lui-même5 On
serait en présence d'un contrat avec soi-même. Il y aurait une incompatibilité
naturelle découlant de l'opposition des caractères juridiques des deux fonctions,
l'une étant dominatrice et l'autre subordonnée.
Dans un arrêt rendu le 10 Décembre 194~6L à propos d'un directeur
1 Rev. Stés 1976 P.91.
2 Guyon op.cit. 7e ed. 1992. P.323 N°321.
3 Cf supra in Titre 1 - Les pouvoirs des dirigeants sociaux ch.1 Sect 1 §1 LB. 1°) b.
4 Ripert note au D. 1946. J.63.
5 C. Berr. P.133 N°195.
6 Lyon 10 Déc. 1948. 0.1949 - J-591 note Ripert.

219
technique devenu administrateur, puis pdg, qui, victime d'un accident du travail,
réclamait l'application de la législation du travail, la Cour d'appel de Lyon posa
clairement le problème:
"Attendu qu'une première question doit être résolue : les fonctions de
président du conseil d'administration directeur général, mandataire de la société,
sont-elles compatibles avec celles de directeur technique, employé supérieur de la
société ... ?". Elle y apporta une réponse négative, au motif qu'il est inconcevable que
"le président-directeur général, dont les activités n'ont pas d'autres limites que celles
des statuts, puisse être considéré comme agissant à titre de préposé". La Cour
souligna que les fonctions de directeur général et de directeur technique étaient
confondues en une seule personne, qu'il ne pouvait y avoir subordination de l'une à
l'autre et que l'on ne pouvait imaginer de la part de la même personne, des actes
d'autorité et des actes de subordination.
Le Doyen Ripert1 jugea cette décision excellente, de même que Rault2. Mais
cet arrêt souleva une vive émotion dans le monde des affaires3, partisan du cumul
BI LES ADMINISTRATEURS
L'article 107 L 1966, applicable aux administrateurs, leur interdit de recevoir
de la société des rémunérations permanentes autres que celles visées aux articles
10S, 110 et 115 L.1966, autrement dit, autres que les jetons de présence, les
rémunérations exceptionnelles pour missions ou mandats, la rémunération de
président du conseil d'administration ou de directeur général si l'administrateur
occupe ces fonctions.
En conséquence, un administrateur ne pourrait recevoir un salaire. Or le
salaire est un élément du contrat de travail: sans salaire, il n'y a pas de contrat de
travail.
L'article 107 L. 1966 est considéré comme le fondement de la protlibition
faite à un administrateur de devenir salarié.4 Le Ministre de la Justice s'est
1 note au D. 1949. J.591.
2 RTDCO 1950. 235.
3 J. Burgard - op.cit. P.155.
4 P. Bézard - op.cit. N°1S0.

220
prononcé en ce sens1, et la jurisprudence l'a confirmé, notamment dans l'arrêt de
principe de la Cour de cassation française rendu le 7 Juin 1974(2).
C- LE DIRECTEUR GENERAL
Des auteurs tels que Monsieur Bardoul3, Escarra et Rault4, estimèrent que
les raisons qui conduisent à interdire le cumul pour le président, sont aussi valables
pour le directeur général. L'autorité de ce dernier s'étend à tous les services, comme
celle du président. La direction générale couvre l'ensemble des directions
techniques; les directeurs techniques, et a fortiori les autres salariés, sont donc les
subordonnés du directeur généra.1. Dès lors on ne conçoit pas qu'un directeur
général soit son propre subordonné.
Si les arguments contre le cumul sont nombreux, ceux en faveur du cumul le
sont davantage et surtout demeurent d'actualité.
1 Rép. Min. de la Justice. J.O. déb. A.N. 3 Oct. 1970 PA092 et J.O. déb. A.N.
13/1/73 P.1 06.
2 Casso soc. 7 Juin 1974. Rev. Stés 1976-91.
3 Bardoul . "Le cumul de la direction générale et d'une direction technique dans une
SA". D. 1964 chr.273. Rev. Stés 1965-135.
4 op.cit. P.251 N°1537.

221
§ 2 EN FAVEUR DU CUMUL
Les partisans du cumul développèrent des arguments de plusieurs ordres.
Certains étant d'ordre juridique, d'autres d'ordre pratique.
1- ARGUMENTS
JURIDIQUES
S'appuyant sur le silence de la loi, les partisans du cumul estimèrent qu'en
vertu du principe de liberté contractuelle, ce qui n'est pas défendu est permis.
Aucune disposition légale n'interdisant le cumul, il fallait donc l'admettre.
Certains auteurs considéraient que la loi du 16 Novembre 1940 ne visait que
l'interdiction entre l'administration et la direction générale. C'était leur interprétation
car la loi évoquait la "direction" sans précision. Par conséquent, le cumul avec une
direction technique était possible.1
Autre argument juridique: la personnalité morale de la société. En effet, à
l'argument selon lequel le président serait, en cas de cumul, employeur et employé,
et passerait un contrat avec lui-même, on rétorquait que c'est la société, personne
morale qui est l'employeur et non ses organes représentatifs.
On ajoutait que le président n'était pas si éminent, puisqu'il était placé sous le
contrôle du conseil d'administration et révocable à tout moment par celui-ci. Il ne
s'identifiait pas à la société et n'en était pas le "Führer'.2
Un autre argument consistait à mettre l'accent sur la distinction "société-
entreprise" : la direction générale est une fonction légale de la société, tandis que la
direction technique est un emploi dans l'entreprise, entité économique3
11- ARGUMENTS D'ORDRE PRATIQUE
Les partisans du cumul mirent en exergue ses avantages pour la société et
pour l'intéressé.
1 Thaller et Pic. N°2073 - Escarra n0815 - Ripert n01148-1.
2 Bastian - cité par Burgard P.156.
3 J. Burgard op.cit. P.15.

222
AI AVANTAGES POUR L'INTERESSE
Le cumul, en propulsant un salarié au poste de dirigeant social, donc aux
commandes de la société, contribue à sa promotion. Ce peut être pour lui la
récompense de ses bons et loyaux services au sein de l'entreprise. Cette
récompense serait annihilée si le salarié perdait son emploi pour cause de
prohibition du cumul, et avec lui les garanties de stabilité qu'il lui offrait, pour devenir
un mandataire social révocable ad nutum, sans indemnité.1
Dans l'hypothèse inverse, celle du dirigeant social qui deviendrait salarié, le
cumul présenterait l'avantage de lui apporter la stabilité, car sa révocation coûterait
cher à la société en raison de son contrat de travail.2
Le cumul présente aussi des avantages matériels pour l'intéressé puisqu'il
sera rémunéré en tant que mandataire social3 et en tant que travailleur.
BI AVANTAGES POUR LA SOCIETE
Il peut être avantageux pour l'entreprise - et donc pour la société car ce qui
est bien pour l'entreprise l'est aussi pour la société ! - qu'un administrateur ayant
une compétence technique particulière soit placé à la tête du service
correspondant.4
A l'inverse, un poste d'administrateur peut être confié à un directeur spécialisé parce
que sa compétence paraît utile au sein du conseil d'administration.5
Grâce au cumul, le conseil d'administration aura en son sein des hommes
compétents, connaissant bien l'entreprise. Cela mettra fin à une situation dans
laquelle le conseil d'administration se contente d'entériner les décisions du
président et de ses directeurs sans pouvoir en juger ni en apprécier l'opportunité ou
1 C. Berr. op.cit. P.130 N°190.
2 Cf supra §1 B - Le problème de la révocation.
3 Lorsque son mandat n'est pas gratuit.
4 C. Berr. op.cit. P.130 N°190 - L'auteur est cependant hostile au cumul.
5 Ibid. P.131 N°190.

223
la portée.1
D'une manière générale, la technicité et la complexité des problèmes de
gestion dans la société anonyme sont tels qu'il est nécessaire de faire entrer dans
les conseils d'administration des personnes qui connaissent parfaitement
/1
l'entreprise qu'ils douvent gérer.2 Le conseil d'administration ne peut que profiter de
=r------;
l'expérience
et
de
la connaissance
de
l'entreprise
que
possèdent
les
administrateurs qui sont aussi directeurs techniques.3
Le cumul facilite aussi le fonctionnement des petites sociétés familiales, dans
lesquelles les administrateurs sont souvent chargés, par nécessité, de fonctions
techniques4
111/ LA JURISPRIDENCE
C'est à la fois sur des bases juridiques et pratiques que la jurisprudence s'est
déclarée favorable au cumul.
Ainsi, la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 25 Juin 1947(5)estima qu'il
n'existait aucune incompatibilité entre la qualité d'administrateur ou même de
directeur général et les fonctions de conseiller6 ou directeur technique. Selon elle,
on ne saurait poser en principe que l'universalité des fonctions de directeur général
absorbe nécessairement toutes les spécialités que peut comporter un emploi
technique. On conçoit que le mandataire légal propose à la direction générale des
affaires d'une société ne soit pas toujours, malgré ses compétences industrielles ou
commerciales, un financier ou un juriste, et que la société cherche à s'attacher, par
le lien permanent d'un contrat de travail, les services d'un conseiller juridique,
économique et financier. La Cour en déduisait qu'à l'inverse, la même personne, si
sa compétence le lui permet, pouvait être à la fois mandataire et employé supérieur
1 J. Paillusseau . op.cit. PP.218-219.
2 Ibid. P.220
3 J. Burgard.op.cit. P.186.
4 Guyon.op.cit. 7e éd.1992 P.323 N°321. Roblot. 12e éd.1986. P.883 N°1278.
5 JCP 1948. Il 4110.
6 En l'espèce le cumul concernait non pas un poste de directeur technique comme
c'est souvent le cas, mais des fonctions de conseiller.

224
de la société.
Les motifs de la cour d'appel de Paris étaient donc juridiques : absence
d'incompatibilité dictée par la loi, et pragmatiques: prise en compte de la réalité
sociale et de ses contraintes.
La Cour d'Alger, à propos d'un directeur technique devenu président-
directeur général, tout en continuant d'exercer son emploi, admit, dans un arrêt du
26 Avril 1950~} la possibilité du cumul. Elle affirma elle aussi, l'absence
d'incompatibilité entre ces fonctions, aucune disposition législative ne permettant de
décider que le mandat social rend caduc le louage de services, sans résiliation
préalable de celui-ci. L'équité était aussi évoquée : on ne saurait sans accord
préalable des contractants priver le directeur méritant de la garantie attachée au
contrat de travail initial.
La Cour de cassation française dans un arrêt de principe rendu le 25 Février
1957(2)affirma la validité du cumul pour le président - entérinant a fortiori ce cumul
pour tout autre dirigeant social3. Elle se fondait sur l'absence d'interdiction du cumul
dans l'article 2 al 2 L. 1867(4)Le Doyen Ripert5, adversaire du cumul comme on le
sait, à propos de cet arrêt constata avec résignation qu'il est vain de soutenir
aujourd'hui l'incompatibilité des fonctions de président-directeur général et de
directeur technique.
L'évolution législative allait lui donner raison, avec notamment la loi du 24
Juillet 1966 qui admit le cumul tout en l'assortissant de conditions, il est vrai: seul le
salarié pouvait devenir administrateur et non l'inverse.6 Et pour ce faire, il devait
être titulaire d'un contrat de travail antérieur de deux ans au moins à sa nomination
et qui corresponde à un emploi effectif. En outre, le nombre des administrateurs liés
àla société par un contrat de travail ne pouvait dépasser le tiers des administrateurs
1 JCP 1950 Il 5675.
2 Casso Com. 25 Févr. 1957. D. 1958. J.1 note Ripert.
3 A. Sayag "Mandat social et contrat de travail: attraits, limites et fiction". Rev. Stés
1981 P.2 N°2.
4 Solution reprise dans Casso soc. 23 Avr. 1959 - Bull. Civ. 1959. IV P.428. Casso
soc. 22 Mars 1962 - JCP 1962 - Il - 12717.
5 note au D. 1958. J.1
6 Cf supra in §1 Problème de la révocation.

225
en fonction. Ainsi en disposait, l'article 93 L. 1966. La loi n094 - 126 du 11 Février
1994 modifie ce texte. ELIe supprime l'exigence d'ancienneté de deux ans.1
Au terme de ces développements consacrés à la controverse sur la validité
du cumul en droit français, on peut s'interroger sur la transposition de ces différents
arguments en droit sénégalais. S'il est vrai que certains arguments hostiles au
cumul sont applicables, tels que celui de l'atteinte à la libre révocabilité, ou celui de
la rémunération des administrateurs, l'article 1269 COCC reproduit l'article 107
L.1966 ., la plupart d'entre eux ne le sont pas en raison de la spécificité des
fonctions des dirigeants sociaux - du moins de certains - en droit sénégalais.
Ainsi en est-il du président du conseil d'administration. Ses fonctions
consistent essentiellement en un rôle de surveillance.2 Il est chargé d'assurer la
continuité de la surveillance du conseil d'administration sur la gestion de la société
confiée au directeur général. A toute époque de l'année, il opère les vérifications et
les contrôles qu'il juge opportuns ... 11 reçoit du directeur général, à la clôture de
chaque excercice les états financiers aux fins de vérification et de contrôle.3 On ne
peut donc à son sujet, comme on "a fait en France, déclarer qu'il a une position
prééminente dans la société, incompatible avec la subordination d'un salarié! Cet
argument vaudrait par contre pour le directeur général, qui est le véritable chef de la
société4, ou pour le président-directeur général, c'est-à-dire le président du conseil
d'administration qui serait en même temps directeur général.5
Les arguments en faveur du cumul sont par contre entièrement valables au
Sénégal, et l'on comprend aisément que le législateur sénégalais ait admis le
cumul, ses inconvénients étant atténués grâce aux conditions auxquelles il est
subordonné. Conditions qui constituent autant de limites au cumul.
SECTION 2 : LES LIMITES DU CUMUL
1 J.O. 13 Févr. 1994. JCP 1994 éd. E. 111- 66681.
J.F. Barbiéri "Les apports de la loi Madelin (L. N°94 - 126 du 11 Févr.1994) - au droit
des sociétés". P.A. 22 Juin 1994 P.9 J.P. Bouère et P. Le Cannu "La loi Madelin du
11 Février 1994 et le droit des sociétés" Bull. Joly 1994 P.237.
2 Cf supra in Titre 1 - Pouvoirs des dirigeants sociaux.
3 Art 1276 COCC.
44 Cf supra in Titre 1 - Pouvoirs des dirigeants sociaux.
5 Cf supra in Titre 1. Pouvoirs des dirigeants sociaux.

226
Le cumul entre un mandat social et un contrat de travail est admis tant en
droit sénégalais qu'en droits français, anglais et américain.
Cependant, l'admission du cumul est subordonnée à certaines conditions de
fond et de forme, quasiment identiques en droits sénégalais et français. Les droits
anglais et américains sont moins exigeants.
Pour mieux comprendre les conditions édictées par la loi sénégalaise nous
examinerons au préalable le droit français dont elles sont largement inspirées.
Les conditions du cumul sont sanctionnées comme nous le verrons.
SI SECTION 1 : LES CONDITIONS DU CUMUL
§ 1 : EN DROIT FRANCAIS
Les conditions de fond du cumul du contrat de travail avec un mandat social
sont du nombre de trois: le contrat de travail doit être antérieur au mandat social, il
doit être effectif, enfin le nombre d'administrateurs salariés ne peut dépasser le tiers
du conseil d'administration.
Quant aux conditions de forme, il s'agit du respect de la procédure des
conventions réglementées.
1- CONDITIONS DE FOND
AI EFFECTIVITE DU CONTRAT DE TRAVAIL
Avant même la loi du 24 Juillet 1966, la jurisprudence française exigeait pour
l'admission du cumul, que le contrat de travail soit réel et sérieux. On peut ainsi lire
dans l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, le 13 Avril 194:(1)
: "Mais attendu que s'il n'y a pas d'obstacle légal à ce qu'une même personne
cumule les fonctions d'administrateur mandataire et celles de directeur - locateur de
services ... , c'est à la condition qu'il s'agisse d'un contrat sérieux". La Cour de
cassation précise ce qu'elle entend par "contrat sérieux" : c'est un contrat "conférant
1 D. 1946 J. 65 note Ripert.

227
à l'administrateur des fonctions nettement délimitées et subordonnées et non un
artifice ayant pour but de consolider illégalement la situation d'un directeur dont les
pouvoirs très étendus, sont en réalité ceux d'un mandataire social".
D'autres décisions allèrent dans le même sens affirmant que le contrat de
travail ne doit pas être une apparence destinée àtourner la règle de la libre
révocabilité des dirigeants sociaux.1, que le cumul ne saurait être admis s'il
s'agisssait d'un artifice pour assurer l'irrévocabilité d'un administrateur.2
Dans son arrêt de principe du 25 Février 1957~)admettant pour la première
fois la validité du cumul à l'égard du président, la Cour de cassation française
précise bien que le contrat de direction technique était "loin d'être fictif".
La loi du 24 Juillet 1966, en son article 93, reprend cette condition
d'effectivité, dont le but est d'empêcher les contrats de travail fictifs, visant à tourner
la libre révocabilité, non pas des administrateurs ou du président, puisque ceux-ci
ne peuvent devenir salariés, mais celle du directeur général non administrateur4.
Cette condition vise aussi à éviter l'octroi d'avantages pécuniaires excessifs par le
biais du cumul.
La mise en oeuvre de cette condition d'effectivité revient àidentifier le contrat
de travail, ce qui n'est pas toujours aisé.
Les spécialistes du droit de travailS considèrent que le contrat de travail
n'existe qque si plusieurs conditions sont réunies: le contrat de travail est conclu à
titre onéreux, il comporte une prestation de travail de la part du salarié, il implique
sa subordination à l'employeur.
1°/ CARACTERE ONEREUX
1 Paris 25 Juin 1947. JCP 1948 -11- 4110.
2 Alger 26 Avril 1950. JCP 1950 - Il - 5673.
3 D. 1958 J.1. note Ripert. JCP 1957 - Il - 10019.
4 Cf. Casso soc. 1er Juin 1978. Rev. Stés 19790 P.79.
5 G.H. Camerlynk et G. Lyon - Caen - Droit du Travail -Précis Dalloz ge éd.K 1978.
P.76 N"79.
J.Rivéro et J. Savatier - Droit du Travail - PUF collection thémis 1960. P.263.

228
Si un employé ne perçoit pas une rémunération il ne s'agit pas d'un contrat
de travail. Ainsi, on ne pourrait parler de cumul à propos d'un directeur technique,
en même temps administrateur, qui exercerait sa fonction de directeur technique
gratuitement.
La rémunération de chacune des fonctions doit être distincte. Ainsi, le
directeur technique, administrateur qui ne percevrait comme seule rémunération
que des jetons de présence -fussent-ils majorés - ne remplirait pas cette condition.
La Cour de cassation1
relève, entre autres, l'identité de rémunérati,on que
J
percevaient les administrateurs d'une société, pour refuser d'admettre qu'était lié à
la société par un contrat de travail, l'un d'entre eux qui exerçait occasionnellement
des tâches de direction spécialisée. De même, à propos du président du conseil
d'administration, elle se fonde, entre autres, sur l'absence de rémunération distincte
pour dénier l'existence d'un contrat de
travail le liant à la société.2
On peut cependant critiquer cette exigence, car il existe des emplois qui sont
rémunérés proportionnellement au chiffre d'affaires.
Dès lors, il pourrait y avoir identité de nature entre la rémunération accordée
au titre du mandat social et celle résultant du contrat de travail.
Les tantièmes ayant été supprimés pour les administrateurs, le problème se
pose essentiellement pour le président du conseil d'administration et le directeur
général. Ils peuvent se voir attribuer une rémunération proportionnelle aux résultats,
d'une part en tant que mandataires sociaux, et d'autre part en tant que salariés,
lorsqu'ils cumulent ces fonctions.
,
Seule l'existence d'un salaire, quel qu'il soit, devrait être requise. Obligation
~
1 , de l'empl~y_e,~r_~~nt pour contrepartie la prestation de,service. dudit ~alarié.
_
Y
=r-'
1
1 Casso Soc. 9 Juin 1961 - Bull. civ. IV n0631 P.500 RTDCO 1961. 872 N°9 obs. R.
Houin.
2 Casso Soc. 19 Nov.1986 - Bull. Joly 1987. P.33.Jur. Joly de dr. des stés 1986 -
1990. P.124 N°154 Casso SOC. 3 Dec 1987 -Bull-Joly 1988 p.79 - Jur. Joly de dr
des stés 1986 - 1990 P.123 N°152. Paris 13 Mars 1986. Bull. Joly 1986 P.616.

229
2°' PRESTATION DE SERVICE DISTINCTE
La prestation de service varie avec l'emploi occupé. Mais quelle qu'elle soit,
elle doit être distincte des fonctions exercées au titre du mandat social. Sinon, il ne
s'agirait pas d'un cumul.
A priori, cette condition ne devrait pas soulever de difficultés. Ainsi, la
direction générale peut être distinguée de la direction technique, car cette dernière
comporte une spécialisation dans une branche d'activité de l'entreprise1, par
exemple dans le secteur production, le secteur commercial, le secteur financier, le
secteur juridique... ,alors que la direction générale recouvre les affaires sociales
dans tous leurs aspects2. Si les pouvoirs de direction n'ont pas été délimités dans
leur nature ou dans leur étendue, la direction n'est pas technique, mais générale.3
Le mandat social s'inscrit dans le cadre de la société, tandis que l'emploi salarié est
au coeur de l'entreprise. Ainsi, lorsqu'un président de conseil d'administration
exerce en même temps une fonction de comptable, on est en présence, sans aucun
doute de fonctions distinctesA
Pourtant, certaines situations sont ambiguës. C'est le cas du directoire - Ainsi,
lorsqu'un membre du directoire
est chargé plus particulièrement d'un secteur
précis, on pourrait en déduire qu'il est lié à la société par un contrat de travail. On
pourrait aussi considérer qu'il s'agit d'une répartition des tâches de direction comme
le permet l'article 99 D - 1967\\5).11 Y a donc une certaine ambiguité.
Dans un arrêt rendu le 1er Juin 1978(6)) la cour de cassation française, a eu
recours à la notion de "fonctions hautement techniques"7pour déterminer si un
membre du directoire, en l'occurrence le président, cumulait son mandat avec un
contrat de travail comme il le prétendait. Comme le souligne l'annotateur Monsieur
Le Cannu, si l'on exige une compétence rare dans un domaine très restreint, cela
1 C. Berr. op.cit. N"160.
2 J. Burgard. op.cit. P.54.
3 Casso com. 26 Oct. 1959. JCP 1960 .11. 11693.
4 Casso Soc.16 Oct. 1991 JCP 1991 - IV - 441.
5 Cf supra in Titre 1 - Pouvoirs des dirigeants sociaux.
6 Casso Soc.1 er Juin 1978 - Rev. Stés 1979.79 note Le Cannu.
7 "Dès lors ... qu'Auberty ne s'était jamais prévalu de fonctions hautement tehniques
susceptibles de ne s'exercer qu'indépendamment d'un mandat social ...".

230
réduit sérieusement le champ d'application du cumul.1
- Selon lui cette conception
restrictive peut se justifier s'agissant du directoire2, et il ne faut encourager qu'avec
prudence l'accession au directoire des cadres qui deviendraient alors lourdement
responsables de l'ensemble de la gestion.3
Cette idée de haute technicité se retrouve dans l'arrêt rendu par la chambre
commerciale de la Cour de cassation le 7 Juin 1988~},La haute juridiction considére
en effet, qu'un président du conseil d'administration n'est plus salarié, lorsque les
fonctions qu'il prétend exercer ne revêtent plus un caractère de technicité
particulière.
La difficulté de distinguer le mandat social du contrat de travail peut être
surmontée par le recours au critère fondamental du contrat de travail, qu'est le lien
de subordination.
3'/ LE LIEN DE SUBORDINATION
C'est, à l'heure actuelle5, un élément fondamental du contrat de travail. On
se souvient d'ailleurs de la thèse hostile au cumul d'un mandat social avec un
contrat de travail, en raison du lien de subordination que cela impliquait.6
Qu'il s'agisse d'un simple employé de l'entreprise ou d'un cadre supérieur, ce
lien de subordination doit exister.7 Ainsi, tous les directeurs techniques sont
subordonnés au directeur général. Certes le lien de subordination n'a pas la même
intensité selon la fonction exercée. Comme l'affirmait la Cour de cassation française,
il s'apprécie en fonction de la nature de l'activité.8 L'état de subordination n'est pas
1 Op.p.90.
2 Selon lui, il faut au cadre une haute compétence pour être digne de figurer au
directoire.
3 Ibid. P.91.
4 Casso com. 7 Juin 1988. Bull. Civ. IV N'91.
5 L'entreprise de demain verra se substituer à la subordination économique,
l'association du personnel à la vie de l'entreprise assortie du pouvoir de décision à
titre collectif (Cf Y - St Jours - "L'entreprise et la démocratie". 0.1993 - chr IV).
6 Cf supra - in Sect. 1 - Problème de validité du cumul.
7 Roblot op.cit. 12e éd. 1986. P.250 N·371.
8 Casso soc. 18 Juill. 1963. Bull. Civ. 1963. IV.P.513.

231
le même pour un ouvrier que pour un directeur. Ce dernier, bien que soumis
àl'autorité et au contrôle de son employeur jouit d'une grande liberté d'action.1
Comme l'obseNe Monsieur Burgard, à l'égard de la direction technique, il ne
peut être fait qu'une application nuancée et contingente de la notion de
subordination. Celle-ci dépend de nombreux facteurs tels que la dimension de
l'entreprise, la nature de ses activités, leur complexité, l'organisation centralisée, ou
décentralisée... 2
La jurisprudence française a souvent nié l'existence d'un contrat de travail, en
raison de l'absence d'un lien de subordination. Ainsi dans l'arrêt du 5 Juillet 1989, la
Cour de cassation se fonde sur le fait que le président du directoire exerçait sa
mission technique en toute indépendance sans avoir àen référer à quiconque.3
Dans un arrêt du 12 Décembre 199~.) elle considère qu'un président du conseil
d'administration, titulaire de tous les pouvoirs nécessaires pour assurer la direction
d'une société, avec notamment la possibilité de nommer et de révoquer tous les
directeurs, ne peut se prévaloir d'un lien de subordination.
Dans un arrêt du 4 Janvier 199~) elle affirme que le directeur général qui exerce
ses fonctions sans partage et en toute indépendance n'a pas la qualité de salarié.
Mais le lien de subordination, dont la nécessité ne cesse d'être affirmée -
témoin l'arrêt de la Cour de cassation du 30 Juin 199~) - soulève aussi des
problèmes.
C'est le cas dans la société à directoire - Celui-ci peut être considéré comme
le chef d'entreprise, il devient alors difficile de soutenir qu'un membre du directoire
est le subordonné du directoire pris dans son ensemble.7 Cette obseNation peut
être étendue au président de conseil d'administration, qui est le chef d'entreprise -
L'entreprise n'ayant pas la personnalité morale, on ne saurait affirmer que le
1 Casso Soc. 12 Juin 1963. Bull. Civ. 1963. IV P.401.
2 J. Burgard. op.cit. P.56.
3 Casso soc. 5 Juillet 1989. Bull. Joly 1990 P.278. Rev. Stés 1989 - 715 obs Guyon.
4 Casso soc. 12 Dec 1990. Bull. Civ. V N°658.
5 inédit - cité par C. Puigelier op.cit. P.248.
6 JCP 1994 - 1 - 358 - JCP 1994 ed. E. PP.249-250.
7 P. Le Cannu - note sous Casso 1er Juin 1978 - Rev. Stés 1979-89.

232
membre du directoire, ou le président du conseil d'administration, sont subordonnés
à l'entreprise.
Pour simplifier, un auteur estime qu"'il suffit d'exiger que le contrat de travail
corresponde à un emploi effectif, distinct des fonctions sociales".1 Mais n'est-ce pas
retourner à la case de départ avec les difficultés que l'on sait de distinguer le
mandat social du contrat de travail?
BI ANTERIORITE DU CONTRAT DE TRAVAIL
L'article 93 L. 1966, dans sa première version, disposait qu'un salarié ne
pouvait être nommé administrateur que si son contrat de travail était antérieur de
deux ans au moins à sa nomination.
Ce délai de deux ans, ce "noviciat" pour reprendre l'expression d'un auteur2,
visait à s'assurer de la réalité du contrat de travail. Il était pourtant arbitraire et ne
garantissait pas l'effectivité du contrat de travail, celui-ci pouvant être fictif, sans que
cela ne transparaisse au cours de ces deux années.
Par ailleurs, et c'était un inconvénient du délai de deux ans, la société pouvait
souhaiter faire accéder un de ses salariés - généralement un directeur technique - à
un poste de dirigeant social, avant l'écoulement de ce délai - Des salariés pressés
de prendre part à la gestion de la société, pouvaient trouver longue cette période
d'attente.
Cet ensemble de considération a conduit à la suppression du délai d'attente
de deux ans, par le loi Madelin n'94-126 du 11 Février 1994(3)Désormais, le salarié
peut être administrateur àcondition que son contrat de travail soit antérieur à son
1 Ibid. P.90.
2 A. Sayag op.cit. P.16 N·24.
3 Sauf lorsque le salarié est candidat à un poste d'administrateur soumis au vote
des salariés de la société (Cf. art 97-2 L - 1966). Il en va de même lorsque le salarié
est candidat à un poste de membre du conseil de surveillance soumis au vote des
salariés de la société (Cf art 137-2 L 1966).
Cela s'explique par le fait qu'on peut craindre un certain laxisme de la part des
sa.lariés : ils risquent d'être moins regardants sur l'effectivité du contrat de travail,
que ne le seraient les actionnaires.

233
mandat social. Aucun délai n'est requis.
Le législateur français a voulu faciliter l'accès des salariés au poste
d'administrateur. Objectif visé, bien avant la loi Madelin, par la commission Badinter,
qui considérait le délai de deux ans d'une rigidité génante et proposait de le
supprimer.1
Mais cette modification crée une situation paradoxale: un salarié peut, du
jour au lendemain, devenir administrateur alors qu'un administrateur ne peut
devenir salarié.2 Une différence de quelques jours, voire de quelques heures
conduit ainsi à des solutions contraires. Cette discrimination est d'autant plus
choquante que les nouveaux administrateurs n'ont désormais qu'à veiller à ce que
la signature de leur contrat de travail soit antérieure à leur nomination.3
On peut aussi reprocher à la nouvelle législation de supprimer avec le délai
de deux ans, l'idée de promotion du salarié, tant il est vrai que la promotion vient
récompenser un travail effectué pendant une certaine durée. Qu'un salarié soit
propulsé du jour au lendemain à un poste de dirigeant social, cela ne correspond
pas réellement à l'idée de promotion justifiée par la compétence certes, mais aussi
par l'expérience, lesquelles s'apprécient au fil du temps.
La nouvelle réglementation ne résoud pas le problème du dies a quo du
délai. En effet, dire que le contrat de travail doit être antérieur au mandat social
signifie-t-il qu'il s'agit de la conclusion du contrat de travail ou de son exécution? Il
est certain que si l'on cherche à éviter les fraudes consistant en un contrat fictif, ou
fictivement antérieur par le biais d'antidate, on devrait se baser sur l'exécution du
contrat. Ma.is juridiquement parlant, l'existence d'un contrat de travail résulte de sa
conclusion4, ceci au nom du principe d'autonomie de la volonté.5
Il peut arriver que le contrat ne soit formalisé qu'après l'entrée en fonction du salarié,
1 P. Bezard - op.cit. n0171.
2 Cf supra in section 1 §1. Problème de la révocation.
3 JP Bouère et P Le Cannu op.cit. loc.cit.
4 A. Sayag op.cit. P.16 N°24. GH Camerlynk et G. Lyon Caen op.cit. ge éd. Dalloz
1978 P.101 n0105.
5 Weill et Terre op.cit. 4e éd Dalloz 1986 P.54 N°55.

234
dans ce cas il faudra prendre en compte la date d'entrée en fonction.1
S'agissant du directoire, il n'existe aucune condition d'ancienneté. Un
membre du directoire peut devenir salarié sans délai d'attente ; un salarié peut
devenir membre du directoire sans délai.2 Cette liberté, dans la première
hypothèse, peut s'expliquer par le fait que les membres du directoire n'étant pas
révocables ad nutum, on ne pourrait voir dans le cumul un moyen de tourner la loi.
Quant à la deuxième hypothèse, on sait que lors des discussions parlementaires,
l'idée s'était faite jour que le directoire soit une sorte d'état major de· cadres
supérieurs, un collège de directeurs techniques de l'entreprise.3 Bien que les
membres du directoire ne soient pas dotés du statut de salarié - l'idée n'ayant pas
été retenue - il subsiste cependant des réminiscences de ce proiet qui font dire qu"'il
est de la nature de leur statut qu'ils puissent le cumuler avec un contrat de travail".4
c- NOMBRE LIMITE D'ADMINISTRATEURS SALARIES
Selon l'article 93 L 1966, le nombre des administrateurs liés à la société par
un contrat de travail ne peut dépasser le tiers des administrateurs en fonction.
Cette restriction a été expliquée par la crainte de voir le conseil
d'administration "étouffé" par les salariés.5
On peut aussi la fonder sur la volonté d'assurer - comme cela se fait aux
Etats-Unis et en Angleterre - la présence au sein du conseil d'administrateurs
engagés dans l'action et d'autres qui ne le sont pas, ce qui leur permet d'avoir un
certain recul et de contrôler les premiers.
On peut aussi la justifier comme étant un moyen d'éviter la sclérose du
conseil d'administration faute de pouvoir révoquer ad nutum ses membres.
1 A. Sayag - op.cit. loc.cit.
2 Cf art 121 L.1966.
3 A. Sayag op.cit. P.10 N°14.
4 Idem.
5 B. Piédelieire. "Le cumul d'un mandat social et d'un contrat de louage de services
dans les SA après la loi du 24 Juillet 1966". JCP 1968 1 - 2205 - n08.

235
Pourtant, on peut contester cette restriction compte tenu des avantages que
représente le cumul pour l'entreprise et pour la société 1. Pourquoi se priver de ces
bienfaits? N'est-il pas préférable pour la bonne marche de l'entreprise qu'il y ait une
osmose entre les fonctions dans l'entreprise et dans la société?
La timidité du législateur français, qui subsiste dans la loi Madelin du 11
Février 1994, est un jalon qu'il faudra faire sauter pour établir un jour un système de
cogestion. En effet, l'admission d'un conseil d'administration composé de salariés
sans restriction constituerait un pas décisif vers un tel système.
" faut cependant noter à l'actif de la loi nouvelle, qu'en raison de
l'élargissement du conseil d'administration2 le nombre d'administrateurs salariés
possible se trouve par conséquent accru3, même si la proportion reste la même.
Cela répond aux voeux de Messieurs Cozian et Viandier qui observaient qu"'il
conviendra le cas échéant d'élargir le cercle des administrateurs pour accroître les
possibilités du cumul"4
S'agissant du directoire il n'y a pas de numerus clausus,tous les membres
peuvent être salariés.
Cette liberté cadre tout à fait avec cette structure qui s'apparente davantage à un
management dont les membres seraient des professionnels.
1 Cf supra in §2 En faveur du cumul.
2 De 3 à 12 membres, il passe de 3 à 24 membres.
3 Il pourra être de 8 membres.
4 Op.cit. P.20G N°G48 éd. 1991.

236
II· CONDITIONS DE FORME
En principe, toute convention passée entre la société et les administrateurs
ou les directeurs généraux, doit être soumise àla procédure des articles 101 et
s.L.196E\\1) sauf s'il s'agit d'une opération courante conclue à des conditions
normales.2
Avant la loi du 24 Juillet 1966, le contrat de travail d'un administrateur· non
prohibé - était soumis à l'article 40 L 1867, donc à cette procédure que reprend
l'article 101 L. 1966. La jurisprudence avait notamment consacré cette solution
dans deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 17 Octobre 1967(3)Rappelons
que la doctrine était divisée et la jurisprudence hésitante sur la question de savoir si
un administrateur pouvait passer un contrat de travail avec la société, plus
exactement s'il pouvait être directeur technique.4
La loi du 24 Juillet 1966, est généralement interprétée comme interdisant à
un administrateur de devenir salarié.5 Dès lors, le problème ne se pose plus pour
les administrateurs. En revanche, à propos du directeur général non administrateur,
la question subsiste : le contrat de travail qu'il passe avec la société doit-il être
soumis à la procédure des articles 101 et S. L. 1966 ? Oui, pour les mêmes raisons
que pour tout contrat, àsavoir le risque d'abus notamment dans l'octroi du salaire.
Un tel contrôle a priori permettrait aussi de s'assurer de la réalité du contrat de
travail par l'examen de son contenu.
Il en est de même pour les membres du directoire: la procédure de l'article
145 L. 196(6)devrait s'appliquer lorsqu'ils passent un contrat de travail avec la
société.
1 Autorisation préalable du conseil d'administration, rapport des commissaires aux
comptes, approbation de l'assemblée générale.
2 Cf art 102 L.1966.
3 Casso com. 17 Oct. 1967. GP 1967 1-6.
4 Cf supra in Section 1 §1.
5 Idem.
6 Information du conseil de surveillance. Rapport des commissaires aux comptes,
approbation de l'assemblée générale.

237
§2. EN DROIT SENEGALAIS
La loi du 29 Juillet 1985 admet le cumul d'un mandat social et d'un contrat de
travail, en le soumettant à certaines conditions, reprises pour l'essentiel du droit
français. Les raisons sont les mêmes qu'en droit français: éviter les abus, la fraude
à la loi. Pourtant, la législation sénégalaise en matière de cumul n'est pas exempte
de critiques car elle ne tient pas toujours compte de la spécificité des organes
sociaux. C'est le cas dans le nouveau système d'administration où le sort des
administrateurs délégués n'aurait pas dû être calqué purement et simplement sur
celui des administrateurs.
1- CONDITIONS DE FOND
AI LES MEMBRES DU CONSEIL D'ADMINISTRATION
Il s'agit des administrateurs et du président du conseil d'administration, ce
dernier étant soumis aux mêmes conditions que les administrateurs puisqu'il en est
un.
L'article 1253 du COCC intitulé "Administrateur salarié" disposait initialement
en son alinéa 1er, qu'un salarié ne peut être nommé administrateur que si son
contrat de travail est antérieur de deux années au moins, à sa nomination et
correspond à un emploi effectif. Il ne prend pas le bénéfice de ce contrat de travail ..."
L'alinéa 4 ajoute que, postérieurement à sa nomination, un administrateur
peut se faire consentir un contrat de travail par la société, après un délai de deux
ans, à condition que son recrutement corresponde à un emploi effectif. Cette
possibilité offerte à l'administrateur de devenir salarié singularise le droit sénégalais
par rapport au droit français.
L'alinéa 2 précise que le nombre des administrateurs salariés ne doit pas
dépasser le tiers du nombre des administrateurs en fonction.
La loi N°93 - 07 du 10 Février 199~.1) modifie l'article 1253 COCC en
1 JORS N°5512 du 13 Mars 1993.

238
supprimant le délai de deux ans. La suppression de la condition d'ancienneté
devrait avoir pour conséquence de faciliter le cumul. L'exposé des motifs de cette loi
inscrit cette mesure dans les "modifications tendant à simplifier et améliorer les
règles de fonctionnement des sociétés commerciales".
Il est exact que la suppression du délai de deux ans est simplificatrice, dans
la mesure où elle évite les discussions fondées sur le caractère arbitraire de cette
durée.1 Ce délai avait été adopté par imitation du droit français. S'agissant du
salarié devenant administrateur, la durée de deux ans était censée garantir
l'efficacité du contrat de travail. Quant àl'administrateur devenant salarié -
hypothèse possible au Sénégal mais pas en France - cette durée aurait dû
permettre d'apprécier les qualités et la compétence de l'administrateur et,
éventuellement, de le révoquer ad nutum avant qu'il ne consolide sa situation par
un contrat de trava.il.
Mais si elle est simplificatrice, cette mesure est aussi simpliste . Ainsi,
s'agissant de l'administrateur, il eût mieux valu, à notre avis, maintenir le délai, en le
fixant à six ans, durée du mandat d'administrateur. Cela permettrait àl'administrateur
de faire ses preuves au cours de son premier mandat, et de prétendre à un contrat
de travail qu'il cumulerait avec un deuxième mandat d'administrateur.
En revanche, s'agissant du salarié qui aspire à devenir administrateur, la
suppression du délai de deux ans doit être approuvée, selon nous - En effet, la
société peut avoir besoin de certains de ses cadres supérieurs, de manière urgente
. Ainsi, àsupposer qu'un cadre ayant une haute compétence technique soit engagé
par la société, et qu'elle veuille en faire un administrateur, elle pourra le faire sans
tarder, le contrat de travail étant maintenu et la nomination au poste d'administrateur
étant valable.
Le législateur sénégalais avait pris de l'avance sur son homologue français,
puisque c'est un an après la loi sénégalaise que la loi Madelin du 11 Février 1994
supprima le délai de deux ans auquel étaient soumis les salariés désireux
d'accéder au poste d'administrateur.
1 Cf supra § 1 B. Antériorité du contrat de travail (en droit français).

239
Quant à l'effectivité du contrat de travail, elle est eXlgee comme en droit
français. La loi sénégalaise n'est pas explicite sur le contenu de cette notion. Le
droit français, notamment la jurisprudence, peuvent nous éclairer sur cette
question.1
Le numerus clausus, repris du droit français peut être critiqué. En effet, les
sociétés sénégalaises connaissent pour la plupart de graves difficultés, liées
souvent à une mauvaise gestion sociale, à un manque de compétitivité et de
rentabilité de l'entreprise. De toute évidence, la politique sociale décidée par les
dirigeants sociaux ne cadre pas avec les besoins de l'entreprise. Si des hommes
. réunissent les qualités de gestionnaires et des qualités techniques, il serait
dor:nmage que la société s'en prive "parce qu'il y a déjà un tiers d'administrateurs
salariés" ! Il eût mieux valu selon nous, supprimer ce numerus clausus ou à défaut
de le supprimer le fixer à la moitié pour établir une égalité entre les administrateurs
salariés et les autres. Un contrôle réciproque pouvant ainsi s'exercer.
BI LES ADMINISTRATEURS DELEGUES
L'article 1284 al 4 COCC rend applicable l'article 1253 COCC aux
administrateurs délégués. Par conséquent, les administrateurs délégués peuvent
devenir salariés et inversement, à condition que leur emploi soit effectif, et que le
nombre d'administrateurs délégués salariés ne dépasse pas le tiers des
administrateurs délégués en fonction.
Mais fallait-il vraiment aligner le sort des administrateurs délégués sur celui
des administrateurs, en matière de cumul?
11 LE NUMERUS CLAUSUS
La situation des administrateurs délégués est particulière. On peut d'ailleurs
la rapprocher de celle des membres du directoire. Ils doivent avoir une certaine
qualification technique en raison de la répartition des fonctions dans l'administration
interne de la société.2. Certes, ce n'est pas une obligation, mais le fonctionnement
1 Cf supra §1 - A. Effectivité du contrat de travail (en droit français).
2 Cf art 1291 COCC.

240
même de cette société, commande une répartition des fonctions. L'individualisation
des administrateurs, qui ont chacun la signature sociale, suppose qu'ils aient un
certain niveau technique propre à en faire des interlocuteurs valables, dans leurs
rapports avec les tiers. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard s'il n'a jamais été prévu,
contrairement au système c1assique1, l'assistance de directeurs techniques aux
administrateurs délégués, ceux-ci n'en ayant pas besoin ... En outre, l'article 1295
COCC précise que l'assemblée générale fixe la rémunération de chaque
administrateur d'après ses capacités et la nature de ses fonctions. Pour le
législateur, la répartition des fonctions semble aller de soi ...
La qualification technique des administrateurs délégués, cadre tout à fait
avec le cumul, par exemple d'une direction technique. On voit très bien chaque
administrateur délégué, à la tête d'une direction technique au sein de l'entreprise. Et
c'est à ce niveau que la restriction du nombre autorisé d'administrateurs délégués
salariés pose problème. Nous pensons que le cumul ne devrait pas être restreint,
tous les administrateurs délégués pouvant être salariés.
2/ CONDITION D'EFFECTIVITE DE L'EMPLOI
L'examen du droit français nous a montré, doctrine et jurisprudence aidant,
que l'effectivité d'un emploi s'apprécie essentiellement grâce à trois éléments qui
sont la rémunération distincte, le lien de subordination et une prestation de service
distincte du mandat social.
Quant à la rémunération, il sera très difficile de distinguer entre la rétribution
liée à une tâche résultant des fonctions et celle qui récompense une prestation de
service.
Le lien de subordination?
subordination envers qui? Chaque administrateur délégué pouvant être considéré
comme le chef d'entreprise - à moins qu'une fonction de direction générale n'ait été
confiée à l'un d'entre eux.2
Enfin, la distinction entre la fonction d'administrateur délégué et la prestation
de service peut s'avérer fort délicate du fait que l'administrateur délégué peut avoir
1 Cf art 1281 COCC supprimé par la loi du 10 Février 1993.
2 Cf l'art 1291 COCC - Encore que l'expression "fonction de direction générale" peut
donner lieu à discussion car ce n'est pas la même chose que ~~ direction générale.

241
été chargé par le conseil de gestion d'une mission particulière pour la gestion des
affaires sociales. S'y ajoute la répartition des fonctions. Ainsi, si un administrateur
délégué est chargé de la gestion du portefeuille de la société, 'et lié à l'entreprise
par un contrat d'analyste 'financier, il y aura une imbrication de ces deux tâches.
En definitive nous pensons que cette condition d'emploi effectif pouvait être
supprimée, en tant que condition positive. Autrement dit, celui qui se prévaut de
l'existence d'un cumul entre le mandat d'administrateur délégué ét un contrat de
travail, n'aurait pas à prouver que l'emploi était effectif. En revanche, celui qui
conteste un tel cumul pourrait démontrer que le contrat de travail était fictif.
31 LE DELAI
Nous approuvons l'application aux administrateurs délégués de la
suppression du délai de deux ans. Elle devrait permettre àla société et à l'entreprise
de profiter des compétences de personnes hautement qualifiées. Par ailleurs, les
administrateurs délégués n'étant pas révocables ad nutum aucune fraude à la loi
n'est à suspecter.
CI LE DIRECTEUR GENERAL
La loi du 10 Février 1993 admet expressément le cumul du mandat de
directeur général avec un contrat de travail ce que ne faisait pas la loi du 29 Juillet
1985 - dans sa version initiale ... : "II peut conserver le bénéfice d'un contrat de
travail obtenu avant sa nomination, ou postérieurement passer avec la société un
contrat de travail correspondant à un emploi effectif"1
. Comme pour les
administrateurs, aucun délai n'est imposé.
Le législateur sénégalais semble bien favorable au cumul d'un mandat de
directeur général avec un contrat de travail. Cette faveur peut se justifier par le fait
que le directeur général n'est pas révocable ad nutum2. On ne pourrait par
conséquent le soupçonner de vouloir éluder cette révocabilité par le biais d'un
contrat de travail.
En outre, la fonction de direction générale a un caractère technique, en ce
1 Nouvel article 1277 COCC. La loi du 24 Juillet 1985 était muette sur la question.
2 Cf supra in chapitre 2 Révocation des dirigeants sociaux.

242
sens qu'elle couvre toutes les directions techniques de l'entreprise. Il est donc
souhaitable que ce poste soit occupé par une personne ayant des compétences
techniques. Ce l'est d'autant plus que la loi du 10 Février 1993 a supprimé
l'assistance de directeurs techniques au directeur général. 1
L'article 1277 COCC exige comme en droit français que l'emploi soit effectif.
Cela peut soulever des problèmes d'appréciation2. Mais il faudra pour les
surmonter tenir compte du fait qu'une direction technique constitue une branche
d'activité de l'entreprise, alors que la direction générale couvre les affaires sociales
dans tous leurs aspects.
Cette condition d'emploi effectif devrait éviter l'attribution au directeur d'une
rémunération excessive, sous couvert d'un contrat de travail fictif. D'ailleurs, l'article
1278 cacc intitulé "Rémunération du directeur général", dans son alinéa 2, interdit
le cumul des mandats de directeur général, créant ainsi formellement un lien entre
la rémunération et l'interdiction du cumul.
On avait cru déceler chez le législateur une suspicion àl'égard du cumul de
mandats de directeur général, qui aurait pour but de multiplier les rémunérations.3
Le même danger existe en cas de cumul avec un contrat de travail, danger d'autant
plus grand, que le directeur général est le chef d'entreprise, donc l'employeur.
Ce danger peut être jugulé si l'on observe la procédure des conventions
réglementées.
III CONDITIONS DE FORME
AI
LES MEMBRES DU CONSEIL D'ADMINISTRATION
ET LE
DIRECTEUR
GENERAL
Selon l'article 1263 al 1 COCC, toute convention intervenant entre une
société et l'un de ses administrateurs ou son directeur général doit être soumise à
l'autorisation préalable du conseil d'administration.
1 Cf ancien art. 1281 cacc -supprimé par la loi du 10 Fév.1993.
2 Cf supra §1 - En droit français.
3 Cf supra in chapitre 3 Rémunération des dirigeants sociaux.

243
Cet article devrait en conséquence s'appliquer au contrat de travail passé
entre un administrateur, le président du conseil d'administration, ou le directeur
général, avec la société. L'intéressé, conformément à l'article 1265 cacc devra
informer le conseil d'administration ; le président du conseil d'administration en
avisera les commissaires aux comptes, lesquels présenteront un rapport spécial sur
le contrat de travail, à l'assemblée générale qui statuera au vu de ce rapport.
Cette procédure peut paraître concerner non pas une ou deux personnes
comme c'est le cas en France1, mais aussi le tiers des administrateurs.2
Certes il existe une disposition relative aux "opérations courantes conclues à
des conditions normales" qui les fait échapper à cette procédure3, mais peut-on
l'appliquer au contrat de travail passé entre la société et un administrateur? Selon
l'article 1264 al 2 cacc, les opérations courantes sont celles qui sont effectuées
par la société d'une manière habituelle dans le cadre de son activité. Il serait dès
lors exagéré de qualifier de tel lesdits contrats de travail. Ils doivent donc être
soumis à la procédure de l'article 1265 cacc.
BI LES ADMINISTRATEURS DELEGUES
L'article 1294 cacc déclare applicable aux administrateurs délégués, la
procédure des conventions réglementées de l'article 1263 cacc.
L'objection soulevée - puis rejetée sur l'opportunité de l'application de cette
procédure au contrat de travail4, vaut davantage pour les administrateurs délégués
que pour les administrateurs. Ce pour plusieurs raisons:
Il n'y a pas de nombre maximum d'administrateurs délégués, comme c'est le
cas pour les administrateurs, de sorte que, même si seul le tiers des administrateurs
délégués peut être salarié, ce nombre pourrait être élevé, et la procédure serait
alors fastidieuse.
1 Cf le ou les directeurs généraux.
2 Cf le numerus clausus
3 Cf art 1264 al 1er cacc.
4 Cf supra Il A. Les membres du conseil d'administration et le directeur général.

244
S'y ajoute le fait que les administrateurs délégués sont fréquemment chargés
par la société de missions particulières pour la gestion des affaires sociales. Ces
missions pourraient prendre la forme de contrat de travail, et pour peu que le
conseil de gestion use habituellement de ce procédé, on pourrait considérer ces
contrats comme des opérations courantes lesquelles échappent à l'autorisation
préalable du conseil d'administration dans le système classique - à condition d'être
conclues à des conditions normales1, selon l'article 1264 COCC.
Mais justement dans le nouveau système, il n'y a pas l'équivalent de l'article
1264 COCC relatif aux opérations courantes, et l'article 1294 COCC ne renvoie
qu'aux articles 1263 et 1267 COCC. Est-ce un oubli de la part du législateur ou cela
signifie-t-il qu'il n'y a pas d'exception à l'autorisation préalable?
Nous pensons pour notre part, que la procédure en question ne cadre pas
avec l'autonomie des administrateurs délégués. De plus, s'agissant d'un contrat de
travail qui s'inscrit dans le cadre d'une mission particulière, confiée par le conseil de
gestion à un administrateur délégué, cette procédure ne devrait pas s'appliquer. En
effet, l'article 1291 CO CC précise que ce genre de mission se fait dans les
conditions que le conseil de gestion détermine. Il existe donc une certaine liberté en
la matière. D'ailleurs l'autorisation préalable du conseil de gestion perd son sens
puisqu'elle existe forcément, l'initiative de la mission venant du conseil de gestion.
Pour ce qui est de l'approbation de l'assemblée générale au vu du rapport des
commissaires
aux comptes, elle n'a pas lieu d'être, car le conseil de gestion est
seul juge de l'opportunité de confier des missions particulières aux administrateurs
délégués.
On peut craindre que l'absence de contrôle ne débouche sur des abus. La
question est en définitive de savoir s'il faut privilégier l'autonomie des organes
sociaux ou empêcher les abus. Nous privilégierons l'autonomie des organes
sociaux lorsque le contrat de travail correspond à une mission particulière. Dans le
cas contraire, c'est-à-dire celui d'un contrat de travail passé spontanément avec la
société par un administrateur délégué, il vaudrait mieux prévenir les abus par un
1 C'est-à-dire les conditions dans lesquelles sont habituellement conclues les
conventions semblables, non seulement dans la société en cause, mais encore
dans les autres sociétés du même secteur d'activité.

245
contrôle du contrat de travail ; c'est d'ailleurs ce que font les droits anglais et
américains dont s'inspire le nouveau système de direction sénégalais.

246
§3 . EN DROITS ANGLAIS ET AMERICAIN
Les droits anglais et américains autorisent le cumul d'un mandat de directeur
avec une fonction salariée. Un auteur s'étonne que ces droits "pourtant très
rigoureux à l'égard des dirigeants sociaux et très soucieux d'éviter tous les abus
possibles, permettent le cumul".1 Mais c'est oublier qu'ils subordonnent le cumul à
certaines conditions afin d'empêcher les abus.
La fonction salariée consiste le plus souvent en un poste au sein du
management - Le director est alors qualifié de management director ou d'executive
director 2. Cependant, le directeur salarié peut être un directeur n'appartenant pas
au management, mais lié par un quelconque contrat de travail avec la société. Nous
distinguerons donc ces deux cas, plus précisément les conditions de leur
admission.
1· LES EXECUTIVE
DIRECTORS
La tendance actuelle n'est pas très favorable aux executive directors. On
considère que pour être effectif, un conseil de directeurs doit être composé en partie
d'executive directors et de non executive directors. On souhaite que ces derniers
occupent une place prépondérante voire exclusive dans les trois comités que sont
l'audit committee, le nominating committee, et le remuneration committee3. Cela
n'est pas sans rappeler le numerus clausus des droits sénégalais et français.
L'épargne collective semble avoir une plus grande confiance envers les non-
executive directors4. Elle reconnaît de plus en plus l'importance du rôle qu'ils
doivent jouer notamment dans les questions de succession à la tête de la société
(Top management), de détermination de la rémunération des dirigeants, et en cas
de conflit d'intérêts, tel celui qui se pose en cas de rachat de l'entreprise par les
dirigeants.5 L'épargne collective les considère en effet plus objectifs que les
1 J.J. Daigre op.cit. P.507 N°27.
2 Traditionnellement on l'appelait inside director mais cette terminologie a été
abandonnée car elle rappelle les insiders, c'est-à-dire les initiés (A. Tunc - op.cit.
R.I.D.C. 1994 P.61).
3 A. Tunc - op. cît. RD.A.1. 1991 p.670.
4 Ibid. p.674.
5 Ibid. P.675.

247
executive
directors. Ils doivent pour cette raison, par leur nombre et leur
personnalité peser d'un poids significatif dans les délibérations du conseil des
directeurs.1
En Angleterre, le rapport Cadbury préconise la présence dans les conseils
de non-executive directors d'un calibre et d'un nombre suffisants pour peser lourd
dans les décisions du conseil.2
En Angleterre, toujours, le Code of Recommanded Practice on Non Executive
Directors (PRONED) de 1988, recommande qu'au moins trois non-executive
directors figurent au conseil et qu'ils en composent le tiers des membres.3 C'est la
proportion inverse des droits sénégalais et français.4 Une enquête du PRONED
réalisée en 1990 révèle que sur les cent premières sociétés, 96% avaient au moins
deux non-executives directors et 82% au moins trois. Plus la société est grande,
plus importante est la proportion des non-executive directors.5
Les executive directors sont engagés dans l'action, les non-executive
directors peuvent prendre du recul et contrôler les executive directors et les avertir
du danger de telle ou telle action.
En 1978, le New York Stock Exchange requérait des sociétés qu'elles aient
des comités d'audit exclusivement composés d'outside directors6.
L'American Stock Exchange proposa une règle exigeant que les sociétés
aient des comités d'audit avec une majorité d'outside directors 7 . Une enquête
réalisée en 1990 révèle que les outside directors représentent 86% dans les
conseils des sociétés industrielles et 91 % des autres sociétés.
1 Idem.
2 A. Tune op.cît. R.I.D.C. 1994 P.70. J. Charkam - op.cit. P.269.
3 E. Scholastique. op.cit. P.17 note 2.
4 Les administrateurs non salariés doivent correspondre au moins aux 2/3 du
conseil d'administration.
5 J. Charkam - op.cit. p.269.
6 c'est-à-dire des non-executive directors
7 J. Charkam - op.cit. loc. cit.

248
11- LES CONTRATS DE TRAVAIL
Des mesures sont prises visant à empêcher que les contrats de travail ne
contiennent des clauses abusivement favorables aux directeurs.1
AI
DIVULGATION
DU
CONTRAT
DE
TRAVAIL
EN
ANGLETERRE
Afin d'assurer la publicité des contrats de travail, gage d'une certaine
transparence, toutes les sociétés doivent conserver une copie de chacun des
contrats de travail de leurs directeurs avec la société ou ses filiales, soit à son
domicile élu, soit au lieu où est tenu le registre de ses membres, soit àson siège
social.2
S'il n'y a pas de contrat écrit, un mémoire écrit sur les conditions dans
) /
lesquelles le directeur travaille doit être conservé3 La copie ou le mém~Ü/.e.r:lb
r indiquer tous les changements intervenus dans les termes du contrat depuis sa
conclusion.4 \\ls doivent mentionner la rémunération et les autres avantages prévus
en contrepartie du travail à fournir.5
Les actionnaires peuvent consulter gratuitement le contrat ou le mémoire.
Les contrats de travail d'une durée inférieure à douze mois ou ceux auxquels
la société peut mettre fin sans indemnité dans les douze mois qui suivent, sont
exemptés de cette réglementation.
BI
LA
PROCEDURE
APPLICABLE
EN
CAS
DE
CONFLIT
D'INTERETS
Dans le cadre de l'étude des devoirs des dirigeants sociaux nous
approfondirons la délicate question des conflits d'intérêts.6 Cependant d'ores et
déjà nous pouvons indiquer que le contrat de travail passé entre un dirigeant et la
1 A. Tune. op.cit. R.D.A.I. 1991 P.676.
2 Companies Act 1985, s 318 (1) à (3).
3 Idem.
4 Ibid s 318 (10).
5 Ibid, s 318 (7).
6 Cf infra Deuxième partie - Titre 1 - Devoirs des dirigeants sociaux.

249
société est une hypothèse de conflit d'intérêts. Le contrat peut être inéquitable et
favoriser le dirigeant au détriment de la société en octroyant à celui-ci un sur-
salaire .. Aux Etats-Unis, les Princip/es of Corporate governance Part Vont envisagé
les conflits d'intérêts. Le directeur intéressé doit soumettre le contrat à l'autorisation
de directeurs désintéressés après une divulgation appropriée; Si cela est fait,
c'est à la personne attaquant le contrat à prouver qu'il est inéquitable pour la
société.
En Angleterre aussi les conflits d'intérêts requièrent l'observation d'une
procédure visant à assurer la loyauté du contrat. Ils doivent être soumis à
l'autorisation des directeurs désintéressés (art. 317 Cies Act 1985).
C.
DIVULGATION
DE LA
REMUNERATION
EN
ANGLETERRE
ET AUX ETATS-UNIS
La rémunération consécutive au contrat de travail est concernée par les
mesures de divulgation des rémunérations auxquelles sont soumis les dirigeants
aux Etats-Unis et en Angleterre.1 Les critères de fixation du salaire devront donc
être explicités et figurer dans le rapport annuel communiqué aux actionnaires.
Le comité Cadbury recommande que les présidents de comité de
rémunération répondent aux questions des actionnaires réunis en assemblée
générale.
DI LA DUREE DU CONTRAT DE TRAVAIL EN ANGLETERRE
Ces dernières années on observe une certaine hostilité àl'égard des contrats
de travail, en Angleterre.
En principe le contrat de travail d'une durée maximale de cinq ans n'est pas
soumis à l'autorisation de l'assemblée générale.
Le rapport Cadbury recommande de ramener cette durée à trois ans.2
Postel, le plus gros fond de pension britannique avait écrit aux présidents des
1 Cf supra in Chap.3. Rémunération des dirigeants sociaux.
2 Cf infra in Deuxième partie - Titre 1 - Devoirs des dirigeants sociaux.

250
cents sociétés composant l'indice du Financial Times pour les avertir qu'il voterait
contre la réélection de tout directeur bénéficiaire d'un contrat de travail de plus d'un
an, et que plusieurs membres de l'épargne collective en feraient de même.1
SI SECTION 2 : LA SANCTION DES CONDITIONS DU CUMUL
§1 • SANCTION DES CONDI1"10NS DE FOND
AI CONDITION
D'ANTERIORITE
Au Sénégal, le problème se posait pour les administrateurs, avant la loi n093-
07 du 10 Février 1993, modifiant la loi du 29 Juillet 1985. En effet, il fallait observer
un délai de deux ans avant qu'un administrateur puisse passer un contrat de travail
avec la société, et avant qu'un salarié n'accède au poste d'administrateur. Selon
l'article 1253 COCC "toute nomination intervenue en violation des dispositions du
présent alinéa est nulle". L'alinéa en Question étant l'alinéa 1, relatif au salarié
~ ~u ad~istrateur. ~a~l~ev~'~ontle sort-
~ est réglé par l'alinéa 4, ne serait pas concerné par cette sanction.
Nous pensons cependant, qu'il ne faut pas prendre ce texte au pied de la
lettre2, car pourquoi dans le premier cas annulerait-on la nomination contraire aux
prescriptions légales et pas dans le second cas ? Si un administrateur devient
salarié sans que les conditions légales aient été respectées, la sanction devrait être
la nullité.
C'est la solution adoptée en droit français: l'article 93 - 1966 étant compris
comme interdisant à un administrateur de devenir salarié3, si cette condition n'est
pas respectée, le contrat de travail sera annulé4 C'est une solution bien acquise
que rappelle la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 5 Mars 1991 (5)Elle précise
1 A. Tunc - op.cît. in R.I.D.C. 1994 P.71.
2 L'article 1253 COCC reproduit l'art 93 L 1966, lequel ne comporte pas l'équivalent
de l'alinéa 4 - Le législateur sénégalais n'a pas tenu compte de ce rajout - oubli de
sa part...
3 Cf supra in Section 1. §1 - Le problème de la révocation.
4 P. Bézard - op.cît. N°181. Ripert et Roblot - op.cit.
12 ed. 1986 P.885 N"1278.
5 Paris 5 Mars 1991. Rev. Stés 1991 P.354.

251
que cette nullité n'est pas susceptible de confirmation, autrement dit la nullité revêt
. un caractère absolu.
En France, lorsqu'il fallait un délai de deux ans avant qu'un salarié ne puisse
devenir administrateur, la question s'était posée de savoir quel serait le sort du
contrat de travail passé avant l'écoulement de ce délai. L'article 93 L 1966 était clair
sur la question, "toute nomination intervenue en violation des dispositions du
présent alinéa est nulle".
Ainsi, la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 2 Mai 198fÂJ) déclare nulle
par application de l'article 93 L. 1966, la nomination, en tant qu'administrateur et
président du conseil d'administration, d'un salarié, le délai de deux ans n'ayant pas
été respecté. De même dans une décision du 24 Avril 1989~) )elle déclare nulle, la
nomination d'un salarié comme administrateur le délai de deux ans n'ayant pas été
respecté, mais précise que cette nullité n'entraine pas celle de la nomination
corrélative en qualité de directeur général.
BI CONDITION
D'EFFECTIVITE
En droit sénégalais3, comme en droit français4, si l'emploi n'est pas effectif la
nomination d'un salarié au poste d'administrateur est nulle. Lorsque, hypothèse
inverse, un administrateur se fait consentir un contrat de travail fictif, la loi ne précise
pas la sanction.5 Malgré ce silence du législateur sénégalais, on peut affirmer qu'un
tel contrat de travail est nul, car la prestation de service de l'employé est la cause de
l'obligation de l'employeur. La cause étant une condition de validité du contrat, son
absence entraine la nullité de celui-ci et le salaire devra être restitué.
C- NOMBRE LIMITE D'ADMINISTRATEURS SALARIES
1 Paris 2 Mai 1986. Bull. Joly 1986 P.682. Jur. Joly de dr. des stés 1986-1990 -
P.119 N°146.
2 Paris 24 Avr. 1989. Jur. Joly de dr. des sociétés 1986-1990 P.120 N°147.
3 Art 1253 COCC.
4 art 93 L.1966.
5 Même observation que pour la condition d'antériorité : l'article 1253 COCC
reproduit l'article 93 L 1966, en y ajoutant l'alinéa 4, et ne tient pas compte de ce
rajout.

252
Au Sénégal, comme en France, si le nombre d'administrateurs salariés
représente plus du tiers des membres du conseil d'administration1, ou du conseil de
gestion, il faudra annuler les dernières nominations d'administrateurs2 ou les
derniers contrats de travail.
Des difficultés peuvent se présenter en pratique. Ainsi, lorsque deux ou
plusieurs salariés sont nommés administrateurs le même jour et qu'il y en a un de
trop, comment les départager? De même lorsque deux ou plusieurs contrats de
travail sont passés le même jour. Ou
encore lorsque le contrat de travail d'un
administrateur est passé le jour de la nomination d'un salarié au conseil
d'administration.
Le plus simple serait d'annuler les deux nominations, renvoyant dos à dos
chacune des personnes sans donner préférence à l'une.
Ce genre de situation peut être évité pour peu que l'assemblée générale qui
nomme les administrateurs soit attentive.3 Mais l'organisation de la société peut
entraîner de telles coïncidences.
En effet, la nomination des administrateurs est du ressort de l'assemblée
générale des actionnaires, dans le cadre de la société, alors que le contrat de
travail est conclu au sein de l'entreprise.
Cela nous montre l'intérêt d'observer la procédure des conventions
réglementées. L'assemblée générale étant informée n'approuvera pas un contrat de
travail d'un administrateur sachant que le nombre autorisé sera dépassé.
§2 SANCTION DES CONDITIONS DE FORME
Au Sénégal, le non respect de la procédure des conventions réglementées
peut entrainer l'annulation du contrat, en l'occurrence de travail, s'il a eu des
1 Y compris, le président du conseil d'administration, puisqu'il est administrateur.
2 Guyon op.cît. le éd. 1992 P.324 N°321.
3 en ne nommant pas plusieurs salariés aux postes d'administrateurs lorsque le
maximum autorisé va être dépassé.

253
conséquences dommageables pour la société.1
C'est la même solution qui serait applicable en France.2
La nullité est relative ; elle peut être couverte par un vote de l'assemblée
générale, intervenant sur rapport spécial des commissaires aux comptes, exposant
les circonstances en raison desquelles la procédure d'autorisation n'a pas été
suivie.3 L'intéressé ne prend pas part au vote et ses actions ne sont pas prises en
compte pour le calcul du quorum et de la majorité.
En pratique, il faudra déterminer si le contrat de travail a eu des
conséquences dommageables pour la société. Ce sera le cas lorsque le salaire est
excessif. La société subit alors un préjudice financier. De même si la personne n'a
pas une compétence ou une qualification suffisante, cela peut se traduire par de
mauvaises décisions, par la baisse de l'image de marque de la société, etc...
L'annulation est aussi encourue en droits anglais et américain lorsque la
procédure applicable au cas de conflit d'intérêts n'a pas été respectée.
En Angleterre, la violation de l'article 318 Cies Act 1985 relatif à la divulgation
du contrat de travail peut être sanctionnée par une amende.4
La responsabilité des dirigeants sociaux peut être engagée, tant en droit
sénégalais5 que français6, anglais et américain . En droits anglais et américain
cette responsabilité découle de la violation par le directeur interessé, de son devoir
de loyauté qui lui commande de respecter une procédure visant à divulger ses
intérêts. En droits français et sénégalais, la responsabilité de l'intéressé se fonde
sur la faute consistant à violer une prescription légale.
Un problème particulier se pose en droit sénégalais, dans le nouveau
1 Cf art 1267 COCC.
2 Cf art 105 al 1 L.1966 - Uniquement pour le directeur général non administrateur,
vu la prohibition frappant les administrateurs, et art 147 L.1966 pour les membres
du directoire.
3 art 1267 al3 COCC - arts 105 al 3 et 147 al3 L.1966.
4 Cf A. Tunc . Le droit anglais des sociétés anonymes 3e ed. 1987. P.185 N°1 00.
S art 1267 al 1 COCC.
6 arts 103 al 4 et 147 L - 1966.

254
système de direction. L'article 1294 cacc renvoie àl'article 1267 cacc. Mais il
n'est pas précisé que l'article 1266 cacc est applicable aux administrateurs
délégués; cet article, selon lequel les conventions qu'elles soient approuvées ou
désapprouvées par l'assemblée générale, produisent leurs effets àl'égard des tiers,
sauf lorsqu'elles sont annulées pour fraude. Par conséquent, si un contrat de travail
entre un administrateur délégué et la société est autorisé par le conseil de gestion
mais désapprouvé par l'assemblée générale, il ne produira pas d'effet envers les
tiers.1
SECTION 3 : DU CUMUL A LA COGESTION ?
L'évolution du droit de l'entreprise s'est faite, comme dans les sociétés
politiques, dans deux directions: la première a consisté à marquer des bornes au
pouvoir du chef d'entreprise. La seconde, et la plus récente consiste à faire
participer les travailleurs à l'exercice du pouvoir.2
Sous l'influence de l'école sociale chrétienne, les employeurs allemands
entreprirent les premiers, dès le début du vingtième siècle, une politique de
coopération organisée avec leurs salariéS.3
Plus tard, à la fin de la deuxième guerre mondiale, les Anglais qui venaient
d'élire une majorité socialiste, voulurent réaliser une expérience sociale
particulièrement hardie. La cogestion paritaire dans les entreprises minières et
métallurgiques doit en grande partie son origine à cette expérience.4
Comme nous pouvons le constater, la cogestion, c'est-à-dire la participation
paritaire des travailleurs à la gestion de la société a des bases idéologiques.
En France, l'idée de cogestion est souvent associée au rapport Sudreau.5
1 Ni d'ailleurs entre l'administrateur délégué et la société, car l'effet du contrat vis-à-
vis des tiers est une exception à la nullité de ce contrat.
2 M. Despax "L'évolution du droit de l'entreprise" in Mélanges Jean Savatier - PUF
1992 P.178.
3 Enc. Dalloz - Stés - Législations étrangères P.13 N°168.
4 Idem.
5 Après les élections présidentielles de 1974, il fut constitué sous la présidence de
M. Pierre Sudreau, un comité chargé de décrire les évolutions souhaitables et de

255
Mais en réalité, celui-ci ne préconise pas une cogestion, mais une cosurveillance.1
La cogestion paritaire, en effet, n'a pas recueilli l'adhésion, tant du côté du patronat
que de celui des travailleurs.
La cosurveillance repose sur une représentation minoritaire des salariés au
sein du conseil d'administration ou de surveillance. Le rapport Sudreau préconisait
que le tiers des sièges leur soit réservé.2 "La cosurveillance permettrait de satisfaire
le besoin d'information et de contrôle des salariés, sans limiter l'autonomie de
l'action syndicale, ni compromettre l'unité de direction de l'entreprise."3
Certes, les délégués du comité d'entreprise participent aux réunions du
conseil d'administration ou du conseil de surveillance, mais ils n'ont le plus souvent
qu'un rôle consultatif.4
suggérer les modifications nécessaires, pour une réforme de l'entreprise. Présenté
au Président de la République en Février 1975, le rapport envisage l'entreprise
sous toutes ses faces et ne contient pas moins de 69 propositions. Ce rapport
constitue aujou rd'hui, la base de toute réflexion sur les perspectives d'évolution des
entreprises (N. Catala l'Entreprise LGDJ 1980 -P.165 N°153).
1 N. Catala op.cit. P.167 N°155. Les Cahiers français -Mars-Avril 1977 - p.48.
2 N. Catala op.cit. loc.cit.
3 N. Catala op.cit. loc.cit.
4 Non négligeable au demeurant, car ils prennent part aux discussions et sont
informés.
Depuis l'ordonnance 86-1135 du 21 Octobre 1986 des représentants des salariés
peuvent participer avec voix délibérative au conseil d'administration et au conseil de
surveillance. Leur nombre est limité à 4 et ils doivent avoir au maximum 1/3 des
sièges. Ils sont élus par leurs pairs et ne sont pas révocables ad nutum mais
seulement pour faute par le président du tribunal de grande instance. Ce régime de
cogestion minoritaire n'est que facultatif, et pour l'heure, il demeure exceptionnel.

256
C'est le cumul qui permet à un salarié de devenir administrateur, qui nous
semble être, à l'heure actuelle, le moyen le plus sûr, de voir la cogestion devenir
une réalité . D'autant que l'évolution économique tend à faire du cumul une
nécessité pour l'entreprise.
§1 : LE CUMUL, UNE NECESSITE POUR L'ENTREPRISE
L'évolution technologique a des répercussions sur l'entreprise. Pour être
compétitive, celle-ci doit suivre cette évolution, sous peine d'être dépassée par ses
concurrents. Le rôle des cadres supérieurs et particulièrement des directeurs
techniques s'en trouve acc~u, qu'il s'agisse du directeur commercial, compte tenu
des nouvelles techniques de marketing,que du directeur technique au sens propre -
en raison de l'apparition de matières de base et de produits nouveaux rendant
nécessaire le développement de la recherche au sein de l'entreprise. La multiplicité
des textes juridiques et leur complexité, requièrent des spécialistes de haut niveau
en matière juridique. A l'ère des prises de contrôle et des batailles boursières, les
services d'analystes financiers sont aussi indispensables.
Bref, l'efficacité commande aux dirigeants sociaux d'être de plus en plus à
l'écoute des directeurs spécialisés de l'entreprise. La présence de ceux-ci au sein
des instances dirigeantes de la société, les faisant participer à la prise de décision,
s'avère nécessaire.1 Leur compétence, leur connaissance de l'entreprise, et leur
loyauté - car ils font partie intégrante de l'entreprise - ne peut être que bénéfique àla
société.2
Les sociétés à directoire semblent l'avoir compris, puisqu'une étude réalisée
par le CREDA, portant sur la société àdirectoire révèle que sur 82 sociétés
1 "Messieurs les administrateurs" in l'Expansion 3/16 Septembre 1992 - PP.60 et S.
2 Cf 1. Burgard op.cil. P.186.

257
enquêtées, dans 40% des cas. Tous les membres du directoire étaient titulaires
d'un contrat de travail. 1
Au Sénégal, la loi du 10 Février 1993 a estimé "inutile de maintenir
l'institution des directeurs techniques, telle qu'elle existe actuellement" et dans cette
optique, elle abroge les artiles 1280~)et 1281~)COCC et modifie l'article 1258 al 2
COCC4. La raison en étant que le directeur général assume sous sa seule
responsabilité la gestion des affaires sociales, et qu'il serait donc anormal qu'il soit
assisté de directeurs techniques qui n'encourent pas la même responsabilité que
lui.
Cette solution nous semble trop radicale et aller àl'encontre de l'évolution de
l'entreprise moderne ou désireuse de l'être. La loi du 29 Juillet 1985, dans sa
version initiale, avait reconnu le rôle joué en fait par les directeurs techniques,
auxquels le directeur général pouvait faire appel. Or à présent, il devra se passer de
l'aide précieuse des directeurs techniques. La solution serait, nous semble-t-il, de
faire entrer les directeurs techniques dans le conseil d'administration qu'ils
pourraient éclairer de leur connaissance de l'entreprise et de ses besoins. Ils ne
pourraient se voir reprocher d'échapper àtoute responsabilité, puisqu'en tant
qu'administrateurs,ils seraient responsables le cas échéant. Ainsi pour compenser
ladite "suppression des directeurs techniques", il faudrait favoriser le cumul.
En Angleterre et aux Etats-Unis la tendance est plutôt restrictive vis-à-vis des
executive directors et d'une manière générale, à l'encontre des contrats de travail
passés par les directors avec la société. Cette défaveur contredit notre assertion
selon laquelle, le cumul serait une nécessité pour l'entreprise moderne.
1 CREDA - La pratique de la société à directoire PP.112 et s.
2 Selon l'art 1280 al 1 COCC, En cas d'empêchement temporaire ou de décès du
DG, le CA pourvoit à son remplacement immédiat par la nomination en qualité de
directeur général, d'un directeur technique de la société ou de toute personne
exerçant de telle fonctions de gestion.
3 Selon l'art 1281 COCC, le directeur général peut se faire assister dans s.a mission
de gestion par des directeurs techniques qui agissent sous son autorité. Ceux-ci
sont nommés par le président du CA sur propositon du DG.
4 Selon l'art 1258 al 2, le CA exerce un contrôle permanent de la gestion assurée
par le DG, assisté s'il y a lieu de directeurs techniques.

258
Mais en réalité, si l'on en est arrivé là, c'est parce qu'il y a eu des excès. Aux
Etats-Unis, les dirigeants administratifs ont la main mise sur les affaires sociales, et
certains scandales ont suscité la volonté de les freiner, et de les contrôler.1
Ces droits tendent à distinguer entre ceux qui gèrent: le management, et
ceux qui les contrôlent: les directors ; et insistent sur l'indépendance de ces
derniers par rapport aux premiers.2 Cela ne peut que rendre difficile le cumul.
On note aussi dans ces pays, la montée fulgurante de l'épargne collective qui
tient lieu de véritable contre-pouvoir. Or l'avènement de l'épargne collective n'est
rien d'autre que celle du capital. Dans un tel contexte, il est difficile d'envisager que
l'on puisse s'acheminer vers un système de cogestion.3
§2 : LE CUMUL, MOYEN DE FAIRE PARTICIPER LES SALARIES A
LA GESTION SOCIALE.
Le cumul n'est-il pas le plus sûr moyen de faire participer les salariés à la
prise de décision dans la société? Le salarié administrateur est en effet investi du
pouvoir d'administrer au même titre que les autres administrateurs. Il a voix
délibérative. Il est éligible au poste de président du conseil d'administration et peut
ainsi devenir le chef d'entreprise4, en France.
Certes le nombre d'administrateurs salariés est limité au tiers des membres
du conseil d'administration, en droit français et sénégalais. Mais dans la société à
directoire, tous les membres du directoire peuvent être salariés.5 De plus, avec la
loi Madelin du 11 Février 1994, l'accroissement du nombre d'administrateurs, aura
pour conséquence d'accroître le nombre possible d'administrateurs salariés en
France.
1 Cf arts 3-01, 3-02 des Princip/es of Corporate Governance in A. Tunc. op.cit.
R.I.D.C. 1994 P.63.
2 Cf The Code of Best Practice in Angleterre in A. Tunc -op.cit. R.I.D.C. 1994 P.70.
3 Rotoljub Ignjat Stefanovich, émet un point de vue contraire. Selon lui,
"l'autogestion n'est pas seulement concevable dans le pays le plus capitaliste du
monde, mais d'autant plus réalisable, non point en dépit, mais à cause de son
système politique et du niveau de son développement économique, àl'heure
actuelle".(Th Paris 1 - 1979 P.11.). Cette opinion est, il est vrai, vieille de 15 ans.
4 O. Playoust. Le chef d'entreprise. Th Lille 1991 P.925.
5 Cf L'Etude du CREDA prée.

259
Certains auteurs considèrent la parité comme une "exigence élémentaire de
la démocratie."1
Il Y a de cela trente ans, le Professeur Raynaud écrivait: "Une nouvelle
hiérarchie se crée, celle des connaissances scientifiques et techniques. Etre le
propriétaire des instruments de production, n'est plus aussi important que posséder
les capacités techniques qui permettent de diriger une entreprise."2
Pour sa part le professeur Lyon-Caen observe que les cadres supérieurs
dissimulent leur autorité sous le voile du contrat de travail.3
De son côté Monsieur Playoust souligne qu'il existe chez les cadres salariés
une volonté de participer activement à l'exercice du pouvoir. Cette aspiration se
fonde sur la possession d'un savoir qui légitime l'accès au processus décisionnel.4
Et de fait, les directeurs sont parfois étroitement associés à l'administration de
l'affaire. Cela s'explique par le fait qu'un nombre restreint de personnes dirigent la
société. En conséquence, elles se font assister, si le besoin s'en fait sentir, par des
collaborateurs quali"fiés.5
Pourquoi ne pas accorder alors le droit et les faits 7
En définitive, nous avons pu constater les nombreux avantages du cumul.
Celui-ci doit être largement ouvert, particulièrement aux salariés. Pour un pays en
voie de développement comme le Sénégal, l'accès aux fonctions de dirigeant social
ayant comme fondement, comme critère, la compétence et l'expérience, doit être
vivement encouragé.
1 Y Saint-Jours - op.cit. P.15.
2 Raynaud "Socialisme ou confusion 7" Le Monde du 5/8/65.cité par J. Burgard.
P.13.
3 Cité par N. Catala - op.cit. P.58 N°59.
4 G. Playoust - op.cit. P.916.
5 N. Catala op.cit. loc. cit.

260
DEUXIEME
PARTIE:
DEVOIRS ET RESPONSABILITE DES
DIRIGEANTS SOCIAUX

261
TITRE PREMIER
LES DEVOIRS DES DIRtGI;A-NTS
SOCIAUX
"Une grande misère parmi les
hommes, c'est qu'ils savent si bien
ce qui leur est dû et qu'ils sentent
si peu ce qu'ils doivent aux autres".
St François de Sales
La fonction dirigeante reste pour beaucoup de gens, un rêve parsemé
d'étoiles ayant pour nom: puissance, gloire et argent ... Ce n'est bien souvent qu'une
vision idéaliste qui oublie l'essentiel : les devoirs des dirigeants. Les pouvoirs des
dirigeants ont en effet pour contrepartie des obligations, des devoirs dont la
violation est sanctionnée par la responsabilité des dirigeants.
Nous avons préféré le terme "devoir" à celui dlllobligation" en raison de sa
c.onnotation morale. Le dirigeant doit en effet respecter ses obligation's non par peur
d'une sanction mais par devoir.
Selon l'article 1290 COCC1 : Les administrateurs délégués tiennent de la
délégation qui leur a été consentie la mission de faire fructifier le patrimoine de la
société, d'agir avec loyauté et bonne foi dans la conduite des affaires sociales à
l'égard de la société et des tiers, de faire preuve de l'activité diligente que chaque
administrateur doit à la société selon ses connaissances, son expérience, et les
fonctions qu'il remplit". A travers cette disposition transparaît la volonté du
législateur sénégalais de moraliser la direction des sociétés anonymes et de la
rendre plus efficace. Les administrateurs délégués doivent être compétents, loyaux
et diligents. L'influence anglo-américaine est ici manifeste. Les pays de common
law accordent, en effet, une attention particulière aux devoirs de loyauté (dutY of
loyalty), de diligence et d'habileté (dutY of care and skilD, le premier étant d'ailleurs
le plus important.
Ces devoirs ont pour fondement la relation qui lie les dirigeants à la société,
1 Cet article concerne le nouveau système de direction sénégalais.

262
à savoir une relation de confiance, une relation fiduciaire. 1\\ importe donc
d'examiner, avant l'étude de chacun des devoirs auxquels sont tenus les dirigeants,
la relation fiduciaire qui fonde les devoirs de loyauté et de diligence. La
compétence, elle, ne repose pas sur la confiance, ce serait plutôt l'inverse : le
dirigeant est choisi en raison de sa compétence.
Dans le système classique sénégalais. les devoirs de loyauté et de diligence
ne sont pas expressément requis. Il ne faut pas en déduire pour autant qu'ils ne sont
pas exigés. En effet, comme en droit français, quoique non exprimés, ces devoirs
existent. Ils se manifestent à travers certaines dispositions légales telles que
l'interdiction des prêts par la société à ses dirigeants1 ; le contrôle des conventions
passées entre la société et un dirigeant intéressé.2
Par conséquent, même si nos développements sont axés principalement sur
le nouveau système de direction sénégalais, nous garderons à l'esprit que la
moralisation de la direction doit s'étendre au système classique, si ce n'est déjà le
cas ..
CHAPITRE
PRELIMINAIRE
FONDEMENT
DES
DEVOIRS
FIDUCIAIRES
LA RELATION FIDUCIAIRE
Etymologiquement, le terme "fiduciaire" vient du latin "fiducia" qui signifie la
"confiance". Une relation fiduciaire est donc une relation basée sur la confiance. le
terme confiance est d'ailleurs fréquemment utilisé pour caractériser la relation
fiduciaire:
"Depuis longtemps les tribunaux des pays de common law ont reconnu qu'un
dirigeant est dans une situation de confiance".3
"L'administrateur est placé à l'égard de la corporation dans une situation
fondée sur la bonne foi et la confiance. "4
"II existe entre la société et ses dirigeants
1 art 1268 COCC ; art 106 L.1966.
2 arts 1263 et 1265 COCC ; arts 101 et s.
3 A. Tune - note au JCP 1976- 11- 18 329.
4 H. Lepargneur - op.cit. p.260.

263
... une relation fondée sur la confiance mutuelle".1
Le législateur sénégalais n'utilise pas l'expression "relation fiduciaire", mais il
est certain que les administrateurs délégués sont placés dans une telle situation. Ils
sont en effet délégués par l'assemblée générale. Or la délégation est une notion
voisine du mandat, lequel repose largement sur la confiance. La confiance
s'exprime souvent dans un choix, et justement dans le nouveau système de
direction, le législateur met l'accent sur le choix porté sur les administrateurs
délégués. Ainsi l'article 1284 COCC dispose que les administrateurs sont "désignés
individuellement" tandis que dans le système classique, l'article 1250 COCC
indique plus sobrement que "les administrateurs sont nommés par l'assemblée
générale".
L'influence anglo-américaine se manifeste à travers la relation fiduciaire.
Cette notion (fiduciary re/ationship) est en effet très ancrée dans tous les pays de
common /aw.
Comme le souligne le Professeur Tunc "Dans tous les pays de
common /aw un grand principe domine le droit gouvernant les directeurs de la
société : ils sont dans une situation "fiduciaire". Ils doivent donc à la société la
loyauté la plus absolue. Ils sont soumis au régime sévère des trustees et à diverses
obligations complémentaires".2
L'évocation du Trust ne doit pas surprendre car la relation fiduciaire a une
parenté certaine avec la notion de trust.
Le trust trouve son origine dans le droit anglais - /'equity - qui a lui-même
recueilli le concept de fidéicomissum du droit romain.3 Le trustee est une personne
chargée de gérer des biens pour le compte d'une autre personne, le bénéficiaire
(cestuisque trust).Le trustee - et c'est ce qui le différencie du mandataire - n'est pas
\\e représentant du bénéficiaire, il est propriétaire en droit (at /aw) des biens. Le
bénéficiaire a quant à lui, la propriété équitable (equitab/e ownership). Le trustee se
voit ainsi témoigner une confiance totale. Il doit en conséquence administrer les
1 A. Georges "Devoirs et Responsabilités dans le droit des Etats-Unis des
personnes qui possèdent sur la société des informations particulières" Th. Paris 1 -
1974 P.14.
2 A. Tunc "La doctrine du mobile légitime dans le droit des sociétés des pays de
common law".
ln Mélanges dédiés à Gabriel Marty. P. 1084.
3 P. Arminjon, B. Nolde, M. Wolf "Traité de droit comparé" LGDJ 1951 P.61 N"785.

264
biens dans l'intérêt du bénéficiaire avec une honnêteté absolue. L'equity lui impose
de se conduire conformément aux exigences de la conscience.1
Pour des raisons historiques2 les directeurs sont considérés comme des
trustees. Les Cours ~'Equity avaient l'habitude d'appliquer le label "trustee"à toute
personne se trouvant dans une position "fiduciaire.3 Mais en réalité les directeurs ne
sont pas des trustees. Même s'ils sont à la tête d'un patrimoine qui n'est pas le leur,
comme l'est le trustee, ils doivent contrairement au trustee le faire fructifier, prendre
même des risques, alors que le trustee doit éviter tout risqueA
Ils ont donc des "obligations complémentaires" de celles des trustees. Dans l'affaire
City Equitable Fire Insurance Co, le juge Ramer conteste l'analogie faite entre un
directeur et un trustee : plutôt que des trustees, les directeurs sont des agents de la
compagnie. Il reconnaît cependant qu'étant placés dans une relation fiduciaire, les
directeurs ont le même devoir de loyauté et de bonne foi que les trustees sans pour
autant être des trustees.
La base, le fondement, des devoirs fiduciaires est bien la relation fiduciaire.
Tournons-nous à présent vers le droit français pour constater que la relation
fiduciaire n'y est pas exprimée. Est-elle pour autant exclue? la réponse à cette
question devrait s'appliquer au droit sénégalais - du moins au système classique
-qui s'inspire largement de la loi française du 24 Juillet 1966 -celle-ci se caractérise
par un recul de la volonté individuelle5 et par suite par l'effacement de la notion de
mandat qui prévalait dans la loi du 24 Juillet 1867. Les dirigeants de la société ne
1 S. Maze "Les devoirs des actionnaires prépondérants en droit comparé français,
anglais et nord-américain P.56.
A. Georges op.cit. P.15.
2 En Angleterre avant 1844, la plupart des joint stock companies n'étaient pas
incorporées et leur validité dépendait d'un acte d'établissement plaçant la propriété
de la compagnie entre les mains des trustees. Souvent les directeurs étaient eux-
mêmes les trustees et même quand une distinction était faite entre les trustees
passifs et le managing board of directors,ces derniers devaient être clairement
considérés par la Cour d'équité tant qu'ils agissaient avec la propriété mise en trust.
Ce terme trustee a été étendu par analogie aux directeurs de compagnies pourtant
incorporées.
3 Gower "The Principle of Modern Company Law". London -Stevens & Sons 1969
p.515.
4 A. Tunc "Le droit anglais des SA" P.195 N°106.
5 Ph. MeRle "Sociétés commerciales" ed. Dalloz 1990 n017.

255
sont plus des mandataires, mais des organes de la société.
L'existence d'une relation fiduciaire ne faisait pas de doute lorsqu'ils étaient
considérés comme des mandataires. Ainsi, les administrateurs avaient une relation
fiduciaire avec les actionnaires; le président du conseil d'administration avec les
administrateurs. Cela a-t-il changé? nous ne le pensons pas, car même si la notion
de mandat- est écartée, les administrateurs sont jusqu'à présent nommés et
révoqués par les actionnaires, le président par les administrateurs. Or la nomination
comme la révocation se fondent sur la confiance qui existe ou n'existe plus.
Il Y a donc toujours une relation fiduciaire entre les dirigeants et ceux qui les ont
choisis. Il en découle des devoirs fiduciaires.

266
CHAPITRE PREMIER: LE DEVOIR DE LOYAUTE
Le droit sénégalais ne définit pas le devoir de loyauté alors même qu'il l'exige
expressément dans le nouveau système de direction. Les droits anglo-américains
ne le définissent pas non plus, malgré toute l'importance qu'ils lui accordent. En
réalité, ce n'est pas une contradiction, car définir le devoir de loyauté reviendrait à
l'enfermer dans un carcan et à réduire le champ d'application de cette grande et
belle idée.
La loyauté peut être considérée comme une notion - cadre et comme
l'exprime le Doyen Cornu:
"La vertu propre de ce genre de notion est justement de faire naître une
image qui a un retentissement de conscience, une image à conserver et à méditer
dans son coeur, une image qui se propage et se perpétue dans la conscience de
l'interprète".1
Notion imprécise, mais arme redoutable2, le devoir de loyauté donne lieu à
des applications qui lui confèrent sa force et sa portée juridique.3 La grande rigueur
des pays de common law, à l'occasion de l'utilisation d'informations privilégiées en
bourse en est une illustration.4 Elle n'est pas la seule et nous verrons à travers ses
applications que le devoir de loyauté n'est pas un voeu pieux.
Parmi ces manifestations, l'hypothèse classique du conflit d'intérêts suscité
par le contrat passé entre la société et un de ses dirigeants, retiendra
particulièrement notre attention. Le droit sénégalais, comme les autres droits
étudiés, y attache une grande importance.
Le détournement d'une chance économique en est une autre. Il a reçu en droits
anglais et américain des réponses spécifiques.
L'obligation de non-concurrence est aussi une application du devoir de loyauté, de
même que l'obligation de discrétion.
1 G. Cornu "Regards sur le titre III du livre III du code civil" cité par Y. Picod "Le
devoir de loyauté dans l'exécution du contrat".P.86.
2 H. Lepargneur "L'obligation de Fairness dans le droit des sociétés commerciales
aux Etats-Unis" DaI. 1951 chr. XIX P.83.
3 Cary and Eisenberg - op.cit. PP.563 - 564.
4 Cf A. Tunc - note au JCP 1976 - Il - 18239.

267
Les opérations sur titre sont aussi l'occasion d'appliquer le devoir de loyauté,
avec le problème de la cession de contrôle et surtout l'utilisation en Bourse
d'informations privilégiées. Ce dernier problème sera envisagé de lege ferenda au
Sénégal, àla lumière des expériences anglaise, américaine et française.
Mais avant d'examiner les différentes applications du devoir de loyauté, il
importe de préciser cette notion.
SECTION PRELIMINAIRE : LA NOTION DE DEVOIR DE LOYAUTE
Pour cerner la notion de devoir de loyauté nous tenterons de définir la
loyauté et de mesurer la portée de ce devoir, en déterminant ses bénéficiaires et sa
durée.
§ 1 • ESSAI DE DEFINITION
La loyauté se définit comme la fidélité1 à tenir ses engagements. Elle a pour
synonymes la droiture, l'honnêteté, la bonne foi.2
En France on utilise plutôt le terme "Bonne foi".3
La loyauté a une forte coloration morale comme en témoigne la célèbre
déclaration du juge Cardozo qui exigeait des dirigeants "L'honnêteté, le scrupule de
l'honneur, le plus chatouilleux". Le juge Stone lors d'un discours prononcé àHarvard
rattacha le principe de loyauté sans partage à "ce précepte aussi vieux que
1 D'ailleurs le mot français "loyalisme" vient de l'anglais loyalism qui signifie "fidélité
à la couronne". Par extension, on désigne par ce terme la fidélité aux institutions
établies. En 1717 on appelait loyalistes les Américains restés fidèles au
gouvernement anglais.
L'origine anglaise du terme "loyalisme" confirme, si besoin était, l'attachement
de ce pays, et d'une manière générale des pays de common law, à la loyauté. Le
droit est une science sociale. Ceux qui le créent y projettent naturellement leurs
idéaux.
2 Dictionnaire Le Grand Robert 1. 6 P.86.
3 Cf l'article 1134 al 3 CAO: les obligations doivent être exécutées de bonne foi.

268
l'Ecriture Sainte qu'un homme ne peut pas servir deux maîtres".1
De son côté, le Doyen Ripert, chantre de la bonne foi, considérait la bonne foi
comme l'un des moyens utilisés par le législateur et les tribunaux pour faire pénétrer
la règle morale dans le droit positif.2
La bonne foi se situe au confluent entre le droit et la morale.3
Le Professeur Loussouarn qualifie la bonne foi de "principe général qui par
ses multiples facettes, touche moins au droit lui-même qu'à la psychologie et à la
morale" d'où son caractère nécessairement tlou4 "Quelle qu'en soit l'expression la
bonne foi traduit incontestablement une règle morale. Elle est un instrument de
moralisation du droit et il est souhaitable de lui faire jouer le rôle le plus étendu, car
elle est une garantie de justice et d'équité".5
Le Professeur Ghestin estime que la loyauté dans le contrat est le
complément nécessaire de la justice contractuelle.5 Bien que la société anonyme
ait un caractère plus institutionnel que contractuel, on peut considérer que les
dirigeants sont liés à la société par un contrat moral qui a pour conséquence le
devoir de loyauté.
Pour le Professeur Tunc, le directeur loyal est celui qui ne considère g~e les
i~érêts ~1'\\:Ji sont confiés et non les siens.7 La loyauté appliquée aux
-
dirigeants
~uppoSë'êJOf1c leur désintéressement.
Aux Etats-Unis, la Cour Suprême du Delaware - Etat pourtant réputé pour son
laxisme - s'est montrée particulièrement rigoureuse quant au degré de loyauté exigé
des directeurs: "Le principe de loyauté ne se pèse pas ".8 Les directeurs doivent
manifester une loyauté sans partage à l'égard de la société, éviter tout conflit entre
leur devoir et leur intérêt.
1 Cités par A. Tunc Le droit américain des sociétés anonymes. P. 137 N'78.
2 G. Ripert "La règle morale dans les obligations civiles. LGDJ 1949.
3 Patrice Jourdain "Réflexion sur la bonne foi et les parties" ANDD - Droit et
Economie - N'59 1992 P.30.
4 y . Loussouarn - Rapport de Synthèse - in Travaux de l'Association Henri
Capitant. T. XLIII - La Bonne Foi (journées Louisiannaises) éd. Litec 1994. P.9.
5 Ibid P.21.
5 J. Ghestin - Le contrat - LGDJ 1982 P.203.
7 A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes P.131 N75.
8 C.S. Delaware - in Re Guth V. Loft Ine., 23 Del. Ch. 255, 5A. 2d 503.
(Del Sup. 1939) cité par A. Tunc. Le droit américain des sociétés anonymes. P.138
N'78.
t'

269
En Angleterre, la commission Jenkins avait estimé que le devoir de loyauté
n'était pas susceptible de codification, parce qu'on n'arriverait jamais à énoncer tous
ses aspects, mais qu'il convenait que la loi l'exprime d'une manière générale. Elle a
recommandé la formulation suivante :1
§ 99 (a)
(i) Un directeur de société doit observer la bonne foi la plus extrème à l'égard
de la société dans toute opération qu'il passe avec elle ou qu'il accomplit pour elle,
et il doit agir avec honnêteté dans l'exercice de ses pouvoirs et l'accomplissement
de ses fonctions.
(ii) Un directeur ne doit pas faire usage des fonds ou des biens de la société,
ni d'une information acquise qen raison de ses fonctions de directeur ou de
dirigeant (director or officer) de la société, pour obtenir directement ou indirectement
un avantage indélicat (improper) aux dépens de la société; étant précisé que la
méconnaissance de ces principes entrainerait toujours responsabilité à l'égard de
la société et que ces principes s'ajouteraient à ceux qui ont été posés par les
tribunaux sans jamais restreindre la portée de ceux-ci".
Ces principes figuraient dans l'avant-projet de loi de 1978 qui n'a pas été voté.
Selon le Professeur Tunc, le devoir de loyauté n'a pas en Angleterre la force
générale qu'il a aux Etats-Unis. En Angleterre il est décomposé en un certain
nombre de conséquences, sans doute par suite d'une conception trop rigide du
précédent.2
,1)
~?~n aurons la con'firmation en examinant la portée du devoir de loyauté;
\\
avec le précédent que constitue l'arrêt Percival V. Wright selon lequel le devoir de
loyauté est dû à la société et non aux actionnaires individuellement.
1 Citée par A. Tunc . Le droit anglais des sociétés anonymes éd. 1987 P.197
N·107.
2 A. Tunc op.cit. P.198 note 13.

270
§2 : PORTEE DU DEVOIR DE LOYAUTE
Pour préciser la notion de devoir de loyauté, il faut déterminer quels en sont
les bénéficiaires, autrement dit "à qui est dû le devoir de loyauté". Il faut aussi
indiquer la durée de ce devoir.
1· LES BENEFICIAIRES DU DEVOIR DE LOYAUTE
Dans le nouveau système de direction, le législateur sénégalais indique
clairement que le devoir de loyauté et de bonne foi est dû à la société et aux tiers:
"Les administrateurs délégués doivent agir avec loyauté et bonne foi dans la
conduite des affaires sociales à l'égard de la société et des tiers" (art 1290 COCC).
Le devoir de diligence quant à lui, n'est dû qu'à la société: "les administrateurs
délégués doivent faire preuve de l'activité diligente que chaque administrateur doit
à la société" ...
Le droit sénégalais va plus loin que les droits anglo-américains. En effet, en
Angleterre, le devoir de loyauté est dû à la société et non aux actionnaires
individuellement . Ce principe a été affirmé dans le célébre arrêt Percival V.
Wright1. En l'espèce, des directeurs avaient acheté leurs titres à des actionnaires
sans leur révéler qu'ils préparaient une cession de l'entreprise. S'ils l'avaient fait, les
actionnaires auraient augmenté le prix de vente des titres. Ils subirent donc un
manque à gagner. Pourtant le tribunal estima que les dirigeants n'avaient pas violé
leur devoir de loyauté car ils n'avaient pas d'obligation fiduciaire d'information
envers les actionnaires individuellement.
Le droit anglais a certes évolué de manière plus généreuse puisque la loi de
1980 (art 46) pose le principe - repris dans l'article 309 (1) de la loi de 1985 - selon
lequel : "Les matières que les directeurs d'une société doivent prendre en
considération dans l'accomplissement de leurs fonctions incluent les intérêts des
employés en général aussi bien que les intérêts de ses membres". Comme le
souligne le Professeur Tunc, c'est pour eux un devoir, et non une simple faculté.
Mais ce devoir n'est dû qu'à la société, de sorte que les salariés et les syndicats ne
pourraient agir en justice contre la société. Le respect de ce texte ne peut être
assuré que par la société ou des actionnaires exerçant l'action sociale. Cette loi
1 (1902) 2 ch. 421 cité par A. Tunc op.cit. P.195 N°106.

271
réalise
donc
un
progrès
quoique
modeste
vers
la
reconaissance
des
responsabilités sociales de l'entreprise.1
La déclaration de l'I.S.C. du 18 Avril 1991 rappelle que la loi impose aux
dirigeants de prendre en considération les intérêts du personnel aussi bien que
ceux des actionnaires. Elle insiste sur ce devoir par souci de justice et pour la
bonne marche de la société.2
Aux Etats-Unis, la majorité des Etats appliquent la règle posée par l'arrêt
Percival V. Wright, considérant que les dirigeants n'ont de devoir fiduciaire
qu'envers la société et non à l'endroit des actionnaires individuellement.3
Quelques Etats, dont le nombre va croissant, affirment au contraire que les
dirigeants ont un devoir de loyauté envers les actionnaires individuellement. Ce
devoir leur impose de révéler àleur cocontractant, à l'occasion d'achats ou de vente
de titres tous les faits importants de nature à influer sur le prix des titres et donc sur
la décision de l'actionnaire d'effectuer la transaction.4
Certains tribunaux américains adoptent une
position intermédiaire,
approuvés en cela par la Cour Suprême. Ils considèrent que le dirigeant n'a pas de
devoir fiduciaire envers les actionnaires individuellement, en temps ordinaire. Mais
dans certaines circonstances ils doivent faire preuve de loyauté envers les
actionnaires avec qui ils traitent. Ces "circonstances spéciales" sont celles dans
lesquelles un évènement important doit se produire ou s'est déjà produit, que
l'actionnaire ignore mais dont le dirigeant a connaissance en raison de sa position.
Son devoir est alors d'en informer l'actionnaire.5
Le MBCA §3.02 propose de reconnaître à la société le pouvoir de faire des
1 A. Tunc . "La loi britannique de 1980 sur les sociétés anonymes". R.I.D.C. 1981
P.95.
2 A. Tunc "Evolution récente du droit des affaires en hommage à Léon
Dabin."R.D.A.1. 1991 p.677).
3 Goodwin
V.
Agassiz, 283 Mass. 358, 186 NE 659 (1933) cité par A.
Georges.op.cit. P.32.
4 Hotchkins V. Fisher, 136 Kan - 530, 16 P. 2d 531 (1932) cité par A.Georges.
op.cit. P.32.
5 A. Georges op.cît. PP.32-33.

272
donnations pour le bien-être public ou pour des objectifs, charitables, scientifiques
ou éducatifs;
Selon les Princip/es of Corporate Governance §2.01 (2) (c) : Une société
peut
consacrer un montant raisonnable de ses ressources à des objectifs de bien
publics, humanitaires, d'éducation ou philantropique.
Ainsi, aux Etats-Unis des intérêts autres que ceux de la société ou de ses
membres sont ainsi pris en compte. Néanmoins les devoirs des dirigeants se
limitent à la société.
Nous pouvons ainsi reconnaître que le législateur sénégalais est plus
rigoureux que les droits anglo-américain puisqu'il impose aux dirigeants un devoir
de loyauté envers les tiers. La notion de tiers n'est pas précisée mais il s'agit sans
doute des créanciers sociaux et éventuellement des salariés. Les créanciers
sociaux car les administrateurs délégués ont, rappelons-le, individuellement la
signature sociale et le pouvoir de représenter la société. Ce que l'on pourrait
considérer comme des pouvoirs exhorbitants doit être assorti en conséquence de
garanties pour la protection des tiers cocontractants.
Ainsi l'étendue du devoir de loyauté des dirigeants est liée à la spécificité du
nouveau système. Dès lors, on ne saurait transposer cette solution au système
classique dans lequel le législateur n'a pas imposé expressément un devoir de la
loyauté aux dirigeants.
En France, la portée du devoir de loyauté dépend de la conception que l'on a
de la société. Si l'on considère la société comme un contrat ce qui est assez difficile
s'agissant d'une société anonyme - la conséquence sera que les actionnaires sont
les bénéficiaires du devoir de loyauté des dirigeants.
Si l'on admet que la société anonyme est une institution, alors c'est à la
société personne morale que seront dûs les devoirs de loyauté et de bonne foi. Si,
allant plus loin on envisage la société comme l'expression juridique de l'entreprise1,
les bénéficiaires des devoirs seront outre la société, les actionnaires, les salariés,
1 J. Paillusseau - op.cit. passim.

273
les créanciers, les consommateurs.
La jurisprudence française adopte tantôt la conception contractuelle, tantôt la
conception institutionnelle dans son acception la plus large. C'est cette dernière
conception qui prévaut à l'heure actuelle où les intérêts des salariés sont largement
pris en compte.
Le législateur français prend de plus en plus en considération l'entreprise1
de sorte que l'on peut vraisemblablement envisager une extension des devoirs des
dirigeants à d'autres que la société ou les actionnaires: les salariés par exemple;
les consommateurs également car les sociétés ont le devoir de donner une
information loyale sur la qualité de leurs produits, envers les consommateurs. N'est-
ce pas la marque du devoir de loyauté?
11/ DUREE DU DEVOIR DE LOYAUTE
Dans une vision idéaliste on pourrait dire que la durée de la loyauté est
illimitée. Mais ce serait oublier que le devoir de loyauté, malgré sa coloration morale
est une obligation juridique. Or on ne peut s'obliger indéfiniment. Le devoir de
loyauté aura donc forcément un terme.
Pour certains, le devoir de loyauté n'est dû que pendant la période d'exercice
des fonctions directoriales.2 Autrement dit le dirigeant qui cesse ses fonctions n'a
plus de devoir de loyauté envers la société.
D'autres considèrent que le devoir de loyauté subsiste après la cessation des
fonctions de direction. Ainsi la fin de la relation fiduciaire ne dispense pas l'initié - le
directeur en est un - de son obligation de loyauté et ne l'autorise nullement à
exploiter les informations acquises pendant son service : "et naturellement, la
terminaison de la relation fiduciaire ne dispense pas l'initié de son obligation de
loyauté et ne l'autorise nullement à exploiter les informations acquises pendant son
service".
1 La création de l'entreprise unipersonnelle àresponsabilité limitée est une
manifestation du recul du contrat de société.
2 M. Guiguère op.cit. P.153. Il cite à ce propos l'affaire Nordish Insulin Laboratoruim
V. Gorgate Produits 1953 Ch. 430.

274
Il faut remarquer que le cas de l'initié est très particulier. En effet par
hypothèse l'initié détient des informations confidentielles. Il est donc concevable
qu'il reste lié par une obligation de discrétion relative aux informations dont il a eu
connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Cela dit cette obligation n'aura pas
une durée illimitée car toute information privilégiée perd ce caractère dès lors
qu'elle est diffusée ; l'initié perd en quelque sorte l'avantage qu'il avait sur les non
informés. Par ailleurs, spécialement dans le domaine boursier si fluctuant, les
informations deviennent vite obsolètes. En définitive à supposer que l'initié reste
tenu d'un devoir de loyauté envers la société après l'avoir quittée, ce devOÎr ne sera
pas illimité.
Pour les autres cas, il faut appliquer le principe selon lequel on ne peut
s'obliger indéfiniment. C'est la liberté individuelle qui est en jeu. Néanmoins, la
société peut prévoir dans ses statuts une clause interdisant à ses dirigeants de lui
faire concurrence après la fin de leurs fonctions. On trouve ainsi des clauses
statutaires interdisant la cession de droits sociaux à une entreprise concurrente.1
Ayant précisé la notion de devoir de loyauté, il nous reste à en étudier les
manifestations. Elles sont multiples. Nous envisagerons tour à tour:
- l'obligation de discrétion (Section 1)
- les conflits de devoirs (Section 2)
- les opérations sur titre (Section 3).
Nous garderons à l'esprit que ce
sont là des aspects courants
particulièrement importants du devoir de loyauté. Ce ne sont pas les seuls. En effet
"celui-ci est absolument général et gouverne toute action des dirigeants, quelles
que soient les circonstances".2
SECTION 1 : L'OBLIGATION DE DISCRETION
Le devoir de loyauté qui pèse sur les dirigeants a pour corollaire une
1 Y. Serra "La non concurrence en matière commerciale, sociale, et civile" P.109
N°153.
2 Cf A. Tune. Le droit américain des sociétés anonymes. P.138 N78.

275
obligation de discrétion 1. Discrétion à l'égard des tiers en priorité et spécialement
les entreprises concurrentes. Discrétion aussi, dans une moindre mesure, envers
les membres de l'entreprise. La discrétion porte sur des informations confidentielles
qui doivent être gardées secrètes. C'est le cas des négociations en cours, des
secrets de fabrique etc ...
Au Sénégal, l'article 1262 COCC reproduisant l'article 100 al 4 L.1966
dispose que "Les administrateurs ainsi que toute personne appelée à assister aux
réunions du conseil d'administration sont tenus à la discrétion à l'égard des
informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par le
président du conseil d'administration". Dans le nouveau système de direction la
même règle est posée par l'article 1299 al 3 COCC, à cette différence près que c'est
un administrateur délégué qui présente l'information comme confidentielle.
L'obligation de discrétion diffère du secret professionnel. Celui·ci ne peut
porter que sur des éléments secrets alors que l'obligation de discrétion peut avoir
pour objet des informations confidentielles n'ayant pas à proprement parler le
caractère de secret par nature.2 En outre la violation de l'obligation de discrétion
n'est pas sanctionnée pénalement comme l'est celle du secret professionnel.
En droits français et sénégalais, c'est le président du conseil d'adminstration
qui confère à l'information son caractère confidentiel - ou l'administrateur délégué
dans le nouveau système. Cela présente, l'avantage d'éviter toute discussion sur le
caractère confidentiel ou non d'une information. Lors d'une réunion du conseil
d'administration le président devra préciser que telle information a un caractère
secret et inviter les membres présents à cette réunion - y compris lui·même - à la
discrétion-
C'est conforme à l'idée selon laquelle c'est au chef d'entreprise qu'il
appartient de préciser les affaires confidentielles. Il décide librement de garder le
secret, de le partager, ou d'en disposer. C'est lui qui est chargé de le faire
1 Y. Picod - op. cil. P.129 l'f11 O.
2 G. de Virassamy "Les limites à l'information sur les affaires d'une entreprise".
RTDCO 1988 P.179 N'5.

276
respecter. 1
Néanmoins, dans une société, l'intérêt social doit être pris en compte. Il interdit aux
dirigeants sous peine d'engager leur responsabilité de disposer librement d'une
information confidentielle. Ainsi des dirigeants ayant détourné sciemment des
secrets d'affaires peuvent être convaincus d'abus de confiance ou d'abus de biens
sociaux2.
Mais le chef d'entreprise n'a pas un pouvoir discrétionnaire pour qualifier de
confidentielle une information. Le juge saisi d'une action en responsabilité peut
disqualifier l'information.
Dans le nouveau système c'est un administrateur délégué qui qualifie
l'information de confidentielle. Il n'y a pas lieu de faire un parallèle avec le chef
d'entreprise, à moins de considérer que tous les administrateurs délégués le sont
puisque la direction est plurale3. C'est l'administrateur qui fournit l'information qui la
présente comme confidentielle. Le président du conseil de gestion n'est pas
autorisé à qualifier une information de confidentielle, sauf si c'est lui qui la fournit
-contrairement au président du conseil d'administration. Il est vrai que le président
du conseil de gestion n'est pas doté de pouvoirs propres, c'est un administrateur
délégué qui àl'occasion d'une réunion du conseil de gestion est désigné pour en
assurer la présidenceA
Des informations confidentielles peuvent être recueillies en dehors du
conseil d'administration ou de gestion. Par loyauté, les dirigeants devront observer
la même discrétion que si l'information avait étédiffusée au cours du conseil
d'administration ou de gestion et devraient, bien que la loi ne le précise pas, la
divulguer à la prochaine réunion du conseil. En effet la loyauté est un état d'esprit et
de coeur qui peut se passer d'un support légal . Le champ d'application de
l'obligation de discrétion est large malgré la rareté des dispositions légales la
concernant5.
1 Marcel Crémieux "Le secret des affaires" in l'information en droit privé" LGDJ 1978
PA57.
2 ibid. PA61 n010.
3 Cf supra in 1ère partie. Titre 1 Pouvoirs des dirigeants sociaux.
4 Idem.
5 G. Virassamy - op.cit. P.192.

277
L'arrêt rendu par la cour de cassation française, le 5 Février 1970, est
intéressant à plus d'un titre. Le président directeur général d'une société avait
communiqué à un actionnaire les documents relatifs aux assemblées générales et
la liste des coupons payés par la société à ses actionnaires, lui révélant ainsi
l'identité des actionnaires et le nombre de leurs actions. La Cour d'appel de Riom le
condamna à des sanctions pénales et civiles pourviolation du secret professionnel.
La cour de cassation cassa cette décision de condamnation en disqualifiant l'acte
reproché au président-directeur général : celui-ci n'était pas tenu au secret
professionnel, sa fonction n'étant pas de celles prévues par l'article 378 CP.1
On peut s'interroger sur la portée de cette décision. En effet le président
directeur général révélait l'identité des actionnaires et le montant de leurs actions. Il
portait donc atteinte aux intérêts des actionnaires et non à celui de la société. Les
juges n'ont pas abordé ce problème - ils n'avaient pas à le faire· Mais pour notre
propos, on peut se demander si en l'espèce le président directeur général n'avait
pas manqué àson obligation de discrétion et porté préjudice à certains
actionnaires?
Si l'on adopte la conception large selon laquelle les devoirs fiduciaires sont
dûs aux actionnaires individuellement, en l'espèce le président avait un devoir de
loyauté envers chaque actionnaire de la société et aurait dû en conséquence se
montrer discret sur les informations les concernant, informations confidentielles,
mais en l'espèce, il n'est pas sûr qu'elles l'étaient.
En revanche, si l'on opte pour une conception étroite qui limite les devoirs
fiduciaires à la société - donc aux actionnaires dans leur ensemble, il ne pouvait y
avoir violation de son devoir de loyauté par le président.
Parmi les informations confidentielles figurent en bonne place les
informations privilégiées. Il s'agit d'informations sur la société pouvant se répercuter
sur la valeur de ses titres,détenues par des personnes occupant une position
1 L'article 378 du Code Pénal français vise les faits parvenus à la connaissance
d'une personne dans l'exercice d'une profession ou d'une fonction, aux actes de
laquelle la loi dans un intérêt général et d'ordre public a imprimé un caractère
confidentiel.

278
particulière au sein de la société, ou proches de la société. Les dirigeants font partie
de ces personnes que l'on a coutumed'appeler "initiés" en France, insiders dans les
pays de common law. Ils peuvent par exemple être au courant d'un projet de
restructuration qui va influer sur la valeur des titres, se répercuter sur les cours en
bourse, et essayer d'en tirer parti.
Le devoir de loyauté commande aux initiés deux attitudes apparemment
contradictoires, mais qui ne le sont pas en réalité: la discrétion et l'information.
Discrétion: toutes les informations ne sont pas diffusables immédiatement, le
secret des affaires requiert parfois la plus grande discrétion. C'est sous cet angle
que nous évoquons les informations privilégiées possédées par des initiés.
Information, ou communication: il s'agit de diffuser l'information auprès des
actionnaires et du public. Le dirigeant ne doit pas garder le silence pour profiter de
son avantage et utiliser ces informations en spéculant sur les titres de la société. Ce
deuxième aspect sera envisagé dans le cadre des opérations sur titre1.
En France, la loi du 2 Août 1989 a étendu le champ d'application du délit
d'initié à l'infraction de communication d'informations privilégiées. Le délit est
constitué lorsque la communication est faite à un tiers en dehors du cadre normal
de la profession. Il est peut-être exagéré d'affirmer que cette disposition sanctionne
l'obligation de discrétion découlant du devoir de loyauté, car tous les initiés n'ont
pas un devoir de loyauté envers la société. Néanmoins pour notre propos, grâce
àcette disposition, le dirigeant qui communiquera une information qu'il aurait dû
tenir secrète, donc qui aura manqué de discrétion, engagera sa responsabilité.
Aux Etats-Unis il est strictement interdit de divulguer des informations
confidentielles comme les secrets de fabrication, les listes de clients...
Cette interdiction a pour fondement la relation fiduciaire.2 S'agissant d'une
information privilégiée, le dirigeant comme tout initié ne doit pas la révéler à un tiers
qui pourrait l'utiliser à son profit. Il ne doit pas non plus la révéler indirectement en
1 Cf infra Section 3 : Les opérations sur les titres § 2
L'utilisation en bourse
d'informations privilégiées.
2 A. Georges. Op.cit. PP.29-30.

279
conseillant par exemple une opération sur la base de l'information.1 Ce que la
jurisprudence condamne, ce n'est pas la révélation en tant que telle, mais la
révélation destinée àpermettre à un tiers de profiter de la position privilégiée que lui
confère la détention de l'information privilégiée alors qu'aucun motif légitime ne
justifie l'indiscrétion - Un motif légitime serait par exemple de communiquer une
information à un banquier dont on sollicite un crédit.2 Le domaine des motifs
légitimes est cependant limité strictement. Ainsi la SEC a-t-elle engagé des actions
contre des dirigeants qui avaient communiqué des informations confidentielles à
des établissements financiers plus précisément à une 'firme d'investissement; bien
que la bonne foi du président de la société ne fût pas mise en doute. il fut condamné
pour négligence.3
On peut en effet rapprocher l'obligation de discrétion de l'obligation de
prudence (dutY of care). Ainsi/le droit anglais qui n'exige pas expressément une
obligation de discrétion aux dirigeants le fait implicitement à travers le dutY of loyalty
et le dutY of care.
En définitive; la discrétion, tant au Sénégal qu'en France et dans les pays de
common lawest une conséquence du devoir de loyauté qui pèse sur les dirigeants,
qu'elle soit ou non présentée comme telle par le législateur.
SECTION 2 : LES CONFLITS DE DEVOIRS
Les dirigeants sociaux sont parfois confrontés à des situations dans
lesquelles leur propre intérêt entre en conflit avec celui de la société. C'est le cas
lorsque le dirigeant passe un contrat avec la société (§ 1), ou lorsqu'une chance
économique se présente à la société... et à lui-même (§2) ou enfin lorsqu'il exerce
une activité faisant ainsi concurrence à la société.
La réponse à ces différents conflits d'intérêts tient en une phrase: le dirigeant
doit faire preuve de loyauté.
1 SEC V. Texas Gulf Sulphur 401 F2d 833, 852 (CA2,1968).
2 A. Georges op.cit. P.147.
3 SEC V. Lum's, CCI\\J Fed. Sec. L. Rep. §94134 (SDNY, 1970) cité par A. Georges
op.cit. P.148.

280
§1 : CONTRAT ENTRE LA SOCIETE ET L'UN DE SES DIRIGEANTS
Le contrat passé entre la société et l'un de ses dirigeants a toujours fait l'objet
de suspicion : le dirigeant ne va-t-il pas faire passer son intérêt avant celui de la
société? Plusieurs solutions peuvent être données à ce problème. La première et la
plus radicale adoptée en Angleterre au dix-neuvième siècle consiste à interdire
purement et simplement de telles conventions. Cette position présente cependant
des inconvénients. En effet, la société peut trouver maints avantages dans de tels
contrats1, notamment lorsque le dirigeant exerce pour son compte personnel une
activité complémentaire de celle de la société. Il peut être pour elle le meilleur des
clients ou des fournisseurs et ne pouvant contracter avec "sa" société" il pourrait.
s'adresser à une société concurrente2.
La deuxième attitude possible est de permettre ces contrats sans restrictions
ni conditions, au nom de la liberté contractuelle.
Entre ces deux extrêmes, une position intermédiaire consiste à autoriser la
conclusion de ces conventions en l'entourant d'un réseau de surveillance propre à
éviter qu'elles ne nuisent à la société et permettant d'assurer un équilibre
contractuel.3 C'est cette solution qu'adopte le droit sénégalais qui s'inspire de la
législation française en la matière.
Les droits anglais et américain se montraient particulièrement rigoureux,
interdisant aux dirigeants de se mettre dans une situation de conflits d'intérêts. Mais
aujourd'hui on note un assouplissement dans ce domaine, de sorte qu'il existe une
convergence entre les droits objets de notre étude. Tout au moins pour ce qui est de
l'admission des contrats passés entre un dirigeant et la société. En revanche des
différences subsistent en ce qui concerne les conditions de validité de ces contrats
et leurs sanctions.
1 Cozian et Viandier op.cit. 6e éd. 1993 P.265 N720.
Guyon, op.cit. 7e éd. 1992 P.426 N°419
2 M. Chambaz. Les organes de gestion de la société anonyme.
Th. Droit. Paris
1945 - P. 47 N°22.
M. Guiguère op.cit. P. 125.
3 Guyon - op.cit. loc. cit. M. Chambaz. op.cit. loc.cit.

281
1- LE PROBLEME DE VALIDITE DES CONVENTIONS PASSEES
ENTRE UNE SOCIETE ET UN DE SES DIRIGEANTS.
Ces conventions se heurtent à deux obstacles: le contrat avec soi-même et
le devoir de loyauté.
AI LE CONTRAT AVEC SOI-MEME
Le contrat est par dé'finition un accord de deux ou plusieurs volontés
distinctes.1 Si les volontés sont indentiques, il ne s'agit alors plus d'un contrat. C'est
tout le problème du contrat avec soi-même qui n'est donc pas un contrat.2
La société étant une personne morale ne peut agir que par l'intermédiaire de
personnes physiques la représentant. Il s'agit en l'occurrence de certains de ses
dirigeants sociaux3. Dès lors, il se pose la question de savoir si le contrat passé
entre la société et l'un de ses représentants n'équivaut pas à un contrat avec soi-
même 4?
La représentation peut déboucher sur un contrat avec soi-même si le
représentant substitue sa propre volonté à celle du représenté qui n'est pas en
mesure d'exprimer la sienne. Il en est ainsi du tuteur lorsqu'il exprime sa propre
volonté à la place de celle du pupille qui n'en a pas la capacité.
Tel n'est pas le cas du représentant de la société car c'est la volonté de celle-
ci et non la sienne qu'il est chargé de mettre en oeuvre. Cette volonté de la société
qui s'est auparavant exprimée par la voix des organes sociaux : assemblée
1 Certains définissent le contrat comme un accord de volontés entre personnes
ayant des intérêts distincts, ce qui n'est pas la même chose ... Cf Demogue - cité par
Weillet Terré.op.cit. P.84 N'88.
2 Sur le contrat avec soi-même: V. Weill et Terré op.cit. P.83 N'S 86 et s. J.
Carbonnier - Droit civil. T.4 - Les obligations. PUF 1991 p.23a N'121 - Arminjon,
Nolde, et Wolf. op.cit. T.3. P.121 N·819.
3 Certains, car tous les dirigeants n'ont pas un pouvoir de représentation. Au
Sénégal, dans le système classique, c'est le directeur général qui représente la
société à l'égard des tiers (art 1279 al 2 CaCC) ; dans le nouveau système le
pouvoir de représentation appartient à chaque administrateur délégué (art 1292
CaCC).
4 Guyon - op.cit. 7e éd. 1992. P.427 N' 419.

282
générale, conseil d'administration ...selon le cas1 On ne peut, dès lors, considérer le
contrat passé entre un dirigeant et la société comme un contrat passé avec soi-
même.
Au Sénégal, le problème du contrat avec soi-même se présente sous un
angle particulier. En effet, selon l'article 1292 COCC, tout administrateur délégué a
la signature sociale. Il est investi d'un pouvoir général de représentation. Les
administrateurs délégués ont des pouvoirs individuels, contrairement aux
administrateurs du conseil d'administration, organe collégial dont les membres n'ont
aucun pouvoir individuellement2. Ce particularisme se manifeste aussi dans la
représentation: chaque administrateur délégué peut à lui tout seul représenter la
société. Il s'y ajoute la signature sociale dont chacun est investi. On peut déduire de
toutes ces règles que chaque administrateur délégué a le pouvoir d'exprimer
individuellement la volonté de la société, pour les questions qui ne relèvent ni des
assemblées générales, ni du conseil de gestion. Par conséquent, si un
administrateur délégué décide de passer un contrat avec la société, n'y aura-t-il pas
confusion entre sa volonté et celle de la société, volontés qui émanent toutes deux
de lui?
La réponse du législateur sénégalais est pourtant la même que celle qu'il
donne dans le système classique: la convention est possible à condition d'être
autorisée au préalable par le conseil d'administration (ou de gestion) et de
respecter la procédure de l'article 1263 COCC. Cette solution qui implicitement
rejette la qualification de contrat avec soi-même peut trouver une explication qui
vaut tant pour le système classique que pour le nouveau. En effet, s'il est vrai que le
directeur général représente la société dans le système classique, et que chaque
administrateur la représente dans le nouveau système, il s'agit d'une représentation
"à l'égard des tiers".3 Or, ni le directeur général. ni les administrateurs délégués ne
sont des tiers par rapport à la société. Par conséquent lorsqu'ils passent un contrat
avec la société, ils perdent leur qualité de représentant.4
1 Tout dépend des décisions à prendre: certaines relèvent de l'assemblée générale
ordinaire. d'autres de l'assemblée générale extraordinaire. d'autres du conseil
d'administration etc...
2 Cf supra - in 1ère partie - Titre 1. Pouvoirs des dirigeants sociaux.
3 Cf arts 1279 al 2 et 1292 COCC.
4 Tel n'est pas le cas lorsqu'il s'agit non plus d'un contrat passé entre eux et la
société, mais d'un contrat passé entre la société et un tiers, contrat dans lequel ils

283
Cette explication vaut aussi pour le droit français où le président du conseil
d'administration représente la société dans ses rapports avec les tiers.1
Aux Etats-Unis, certains tribunaux ont considéré que le contrat passé entre la
société et un de ses directeurs était inexistant faute de parties en cause,
l'administrateur étant une seule et même partie.2
Cependant, l'obstacle du contrat avec soi-même peut être surmonté dès lors
que l'on tient compte du fait que le dirigeant représente la société. Le problème est
alors de savoir si le dirigeant a respecté son devoir de loyauté.
B- LE DEVOIR DE LOYAUTE DU DIRIGEANT
Qu'il en soit ou non le représentant, le dirigeant qui passe une convention
avec la société est confronté à un conflit d'intérêts: le sien et celui de la société. Son
devoir de loyauté lui commande de faire passer l'intérêt de la société avant le sien,
seulement, le fera-t-il?
Les droits anglais et amencains ne semblent pas faire confiance aux
dirigeants. "Pour éviter un débat de conscience qui risque de se traduire par la
défaite de la société"3, certains tribunaux américains ont interdit les contrats conclus
entre la société et ses administrateurs en se fondant sur les règles très strictes du
droit des trusts et sur les précédents de la législation britannique.
En Angleterre en effet, au milieu du dix-neuvième siècle,
il fut établi que la position des directeurs, comparable à celle du trustee, vicie tout
contrat que le conseil a passé au nom de la compagnie avec un de ses membres.
Ce principe a reçu sa plus claire expression dans l'affaire Aberdeen Ry V. Blaikie4 :
un contrat entre la compagnie et une société dans laquelle l'un des directeurs était
associéS fut annulé à la demande de la compagnie bien que ses termes fussent
seraient eux-mêmes intéressés.
1 Art 113 L.1966.
2 J. Chamboulive op.cit. P.61 N°89.
3 J. Chamboulure - op.cit. P.61.
4 Aberdeen V. Blaikie (1854) 1. Macq. H.L.467.
5 Du contrat passé entre un dirigeant et la société, il faut rapprocher celui qui est
passé avec un tiers mais auquel le dirigeant est intéressé. C'est le cas lorsque le

284
parfaitement loyaux. Lord Granworth L.C. déclara à cette occasion: "Une société ne
peut agir que par ses mandataires et c'est bien sûr le devoir de ceux-ci d'agir au
mieux des intérêts de la société qu'ils conduisent. Ils ont des devoirs de nature
fuduciaire . Et c'est une règle d'application universelle que personne ayant de tels
devoirs ne sera autorisé à passer des engagements dans lesquels il a ou peut avoir
un intérêt conflictuel avec les intérêts de ceux qu'il doit protéger... 11 peut parfois
arriver que le contrat passé par les trustees avec la compagnie produise les mêmes
effets, ou même de meilleurs effets que s'il était passé avec d'autres personnes.
Mais là encore la règle demeure inflexible".
L'intérêt que la société peut avoir dans de tels contrats est pourtant pris en
compte. Les tribunaux américains ont en effet reconnu que les sociétés pouvaient
avoir de grands avantages dans la conclusion de ces contrats. Ils considèrent donc,
en l'absence de disposition précise de la loi, des statuts ou des by-Iaws que les
sociétés et leurs administrateurs peuvent valablement contracter. Mais ils exigent
pour cela que le dirigeant intéressé informe le conseil des directeurs et que celui-ci
donne son approbation. En outre l'administrateur intéressé doit prouver la loyauté
de la transaction.
En Angleterre, la règle précitée était tellement contraire aux besoins des
affaires que les fondateurs l'écartaient des statuts, ce qui ouvrait la voie à de
multiples abus. Aussi le législateur réagit-il en exigeant du directeur intéressé qu'il
déclare la nature de son intérêt au conseil des directeurs sous peine d'amende. Il va
plus loin à l'heure actuelle: les contrats dans lesquels un directeur est intéressé
doivent être portés à la connaissance des actionnaires et du public en figurant dans
les comptes de la société.1
11- CONDITIONS DE VALIDITE DU CONTRAT PASSE ENTRE LA
SOCIETE ET UN OU PLUSIEURS DE SES DIRIGEANTS
Le droit sénégalais reprend les conditions de validi~é posées en droit français
par l'article 103 L 1966. Il requiert une déclaration du dirigeant intéressé au conseil
d'administration - ou au conseil de gestion - et l'autorisation préalable de ce dernier,
un rapport des commissaires aux comptes et enfin l'approbation de l'assemblée
contrat est passé avec une société dont le dirigeant est associé.
1 A. Tunc "Le droit anglais des SA " ed. 1987. P.218 N°116.
..

285
générale (art. 1263 COCC).
" n'exige pas parmi les conditions de validité la loyauté de la transaction,
contrairement au droit américain.1 Cette condition posée par le droit américain
montre bien que la loyauté est au coeur du problème des conventions intéressées.
Au Sénégal - comme en France - on peut supposer que pour autoriser et approuver
les conventions, le conseil d'administration et l'assemblée générale tiendront
compte du caractère loyal ou non de la transaction.
Comme l'indique le Professeur Guyon, il importe d'assurer l'équilibre et la loyauté
de la transaction.2
AI L'INFORMATION DU CONSEIL ET SON AUTORISATION
Au Sénégal3, de même qu'en France4, en Angleterre5 et aux Etats-Unis6, le
conseil7 doit être informé du projet de contrat et son autorisation est indispensable
pourque le contrat soit valable.
Le choix du conseil se justifie à plus d'un titre. D'abord sur le plan pratique: le
conseil est plus facile à réunir que l'assemblée générale. C'est d'ailleurs pour cette
raison que sous l'empire de la loi française du 24 Juillet 1867, alors que l'article 40
donnait compétence à l'assemblée générale pour autoriser les conventions
intéressées, en pratique l'assemblée générale votait une autorisation globale pour
toutes les conventions que les administrateurs voudraient passer avec la société. A
ce "faux contrôle" de l'assemblée générale, la loi du 4 Mars 1943 préféra une
autorisation donnée par le conseil d'administration. Des raisons analogues ont
conduit en Angleterre à transférer l'autorisation préalable de l'assemblée générale
au conseil des directeurs.
1 Cf infra D - La loyauté de la transaction.
2 Guyon - op.cit. loc.cit.
3 art. 1263 COCC.
4 art 103 L 1966 (système classique), art 145 L.n966 (nouveau système).
5 art 317 Cies Act 1985.
6 Princip/es of Corporate Governance - Part V - Section 5-02
Corporate Director's Guide book.
7 Conseil d'administration, conseil de surveillance, conseil de gestion, conseil des
directeurs.

286
Une autre raison, théorique celle-ci, est la préservation du secret des affaires.
Il peut être en effet dangereux commercialement de tout dévoiler à l'assemblée
générale dont les membres sont moins fiables que ceux du conseil d'administration
des concurrents pouvant grâce à quelques actions y participer.
Le choix du conseil peut cependant susciter des objections. an peut douter
de son objectivité étant donné que l'administrateur partie à la convention en est
membre. Comme l'observe un auteur1 à propos du droit anglais, l'administrateur
anglais n'avait à craindre que la censure d'un "club de parents ou d'amis". En son
temps, cette crainte se justifiait d'autant plus que parfois même les clauses
d'exclusion que les fondateurs stipulaient dans les statuts, autorisaient partois le
directeur intéressé à voter sur le contrat. Mais à l'heure actuelle cet inconvénient
n'existe plus puisque la Table A art. 94,95 propose que le directeur intéressé ne
figure pas dans le quorum et ne puisse par voter.
Les autres droits commandent aussi l'abstention de vo~ du dirigeant
intéressé: articles 1a3 al 1 et 145 al 1 L. 1966 en France. En droit américain c'est
ce que propose le Corporate Oirector's Guidebook2. même si le directeur est compté
dans le quorum. Au Sénégal l'article 1265 al 1 du cacc dispose que
l'administrateur ou le directeur interessé ne peut prendre part au vote. Par contre le
nouveau système ne comporte pas une telle disposition. Certes l'article 1294 cacc
reproduit la procédure de l'article 1263 auquel il renvoie d'ailleurs mais il ne renvoie
pas à l'article 126$)alors qu'il le fait pour l'article 1267(4)
Est-ce un oubli de sa part? probablement car les raisons d'une abstention de
vote du dirigeant interessé sont les mêmes dans le nouveau système de direction
1 M. Guiguère, op.cit. p. 128
2 33 Bus. Law 1599 (1968) cité par A. Tunc "Le droit américain des SA " P.146 N°81.
3 art 1265 cacc :
a11- L'administrateur ou le directeur interessé est tenu d'infirmer le Conseil dès
qu'il a connaissance d'une convention àlaquelle l'article 1263 est applicable. Il ne
peut prendre part au vote sur l'autorisation sollicitée.
al4 - L'intéressé ne peut pas prendre part au vote et ses actions ne sont pas
prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité.
4 art 1267 ca cc - al 1 Sans préjudice de la responsabilité de l'administrateur ou
du directeur interessé, les conventions visées à l'article 1263 et conclus sans
autorisation préalable du conseil peuvent être annulées si elles ont eu des
conséquences dommageables pour la société.

287
que dans le système classique. On ne pourrait non plus invoquer une quelconque
influence anglo-américaine, puisque ces droits reconnaissent aujourd'hui la
nécessité d'assurer un vote objectif, en recommandant au directeur intéressé de
s'abstenir de voter.
Une difficulté peut se présenter lorsque ce sont les administrateurs ayant un
intérêt dans le contrat qui constituent le quorum et la majorité. Doit-on considérer
que le contrat est nul - ou du moins annulable - ou bien le tenir pour valable?
Aux Etats-Unis, la jurisprudence tient le contrat pour valable mais à condition
qu'il soit ultérieurement approuvé par l'assemblée générale, en connaissance de
cause, dans un délai raisonnable. Mais les directeurs peuvent être les actionnaires
dominants. Peut-on alors leur permettre de ratifier ces contrats dans lesquels ils
sont intéressés? La jurisprudence américaine l'admet à condition que les contrats
soient loyaux et qu'ils ne lèsent pas les intérêts des actionnaires minoritaires1.
En France, l'autorisation préalable du conseil étant impossible, il faudrait
alors que conformément à l'article 105 L.1966. les commissaires aux comptes
avisés par le président du conseil présentent à l'assemblée générale un rapport
spécial où seront exposées les raisons pour lesquelles la procédure d'autorisation
spéciale n'a pu être suivie2. Et bien entendu les intéressés ne pourront prendre part
au vote de l'assemblée générale ni leurs actions prises en compte pour le calcul du
quorum et de la majorité à l'assemblée3.
La même solution devrait être appliquée au Sénégal qui reproduit
intégralement les textes français précités.
Comme le souligne un auteur, la réglementation des conventions entre les
sociétés et leurs dirigeants est mal adaptée aux sociétés faisant partie d'un même
groupe4. En effet elles ont souvent les mêmes administrateurs. Par conséquent les
relations contratuelles si fréquentes, entre sociétés d'un même groupes risquent
d'être sinon paralysées du moins alourdies. Il serait donc bien de prendre en
1 Globe Woolen Co. V. Utica Gas and Electric Co, 224 N.Y. 483. 121. N.E. 378
(1918) cité par J. Chamboulive op.cit. P.62 N°91.
2 Y. Balensi. op.cit.P.118 N°163.
3 Cf art 103 al 4 auquel renvoie l'article 105 L.1966 précité.
4 Y. Balensi - op.cit. loc - cit.

288
compte la spécificité des groupes de société.
Au Sénégal, la loi permet l'élaboration d'un contrat de groupe (art. 1444 et s.),
inspiré du droit allemand. Bien que le législateur n'évoque pas les conventions
intéressées dans le cadre d'un groupe, rien n'interdit de faire figurer dans le contrat
de groupe des règles destinées à faciliter la conclusion de tels contrats en
garantissant les intérêts des sociétés et de leurs actionnaires.
Informer le conseil du projet de contrat ne suffit pas, encore faut-il bien l'en
informer. Aussi le dirigeant devra-t-il indiquer les modalités essentielles de la
convention, tarifs, délais de paiement, garanties. Le but - exprimé aux Etats-Unis,
mais implicite dans les autres pays étudiés - étant de permettre au conseil
d'apprécier la loyauté des termes et conditions de la convention. Leur examen
minutieux devrait faire apparaître les éléments favorisant le dirigeant au détriment
de la société. C'est sur la base de ces informations que le conseil donnera son
autorisation ou la refusera.
Il se peut que l'appréciation du conseil requière des con naissances
techniques qu'il ne possède pas. Devra-t-il alors recourir à des experts ? Les
commissaires aux comptes peuvent-ils jouer ce rôle?

289
BI LE ROLE DES COMMISSAIRES AUX COMPTES
Le conseil ne se prononce pas en fonction du rapport des commissaires aux
comptes. Ce rapport exigé en France et au Sénégal intervient après que le conseil
ait donné son autorisation, son but n'est pas d'éclairer le conseil d'administration.
L'ordre chronologique prescrit par la loi peut être critiqué : n'aurait-il pas
mieux valu que ce rapport précède la décision du conseil?
Certes un pays comme les Etats-Unis n'exige même pas l'intervention de
commissaires aux comptes - au demeurant il n'y existe pas d'organe comparable
aux commissaires aux comptes, ni aux auditors britanniques. En Angleterre où ces
organes existent, ils n'étaient pas sollicités, mais on s'est rendu compte de la
nécessité d'un contrôle. C'est ainsi que l'avant-projet de loi de 1978 exigeait que
figurent avec un certain nombre de précisions les transactions interessant un
directeur directement ou indirectement. Ces comptes étant soumis au contrôle des
auditors.
En France, la mission des commissaires aux comptes fut très controversée.
Pour certains il ne s'agissait que d'une mission de contrôle. D'autres considéraient
que leur rôle était d'informer les actionnaires des conditions des conventions. Une
telle information étant nécessaire pour que l'assemblée générale se prononce en
connaissance de cause.
Le Doyen Hamel qui défend la thèse du contrôle1 s'appuie sur l'idée que le
caractère spécial du rapport des commissaires aux comptes résulte de sa forme: il
doit être spécial, c'est-à-dire particulier et distinct du rapport général. Mais, quant au
fond, la mission des commissaires aux comptes reste la même dans le rapport
spécial que dans le rapport général : il s'agit d'une mission de contrôle. Ils n'ont
donc pas plus à exposer l'économie des conventions contrôlées dans le rapport
spécial, qu'ils n'ont à détailler l'ensemble des opérations comptables dans leur
rapport général. Il leur suffit de rendre compte de leur mission et d'indiquer qu'ils
n'ont constaté aucune opération irrégulière, ou au contraire, de dénoncer les
irrégularités et les conventions qui leur ont paru suspectes. Les actionnaires
1 J. Hamel "Le rapport spécial des commissaires en application de l'article 40
nouveau de la loi du 24 Juillet 1867" GP 1944.1. doc. 41.

290
n'auront alors qu'à s'en remettre à l'appréciation des commissaires et à leur faire
confiance en approuvant les conventions, sauf celles qui leur auront été signalées
comme suspectes.
Le Doyen Hamel évoque le secret des affaires qui est ainsi préservé. Il n'y a
pas de risque, en effet, qu'un concurrent n'apprenne les secrets de la société en
participant aux assemblées générales grâce à l'achat de quelques actions. Il ajoute
que les commissaires aux comptes sont mieux à même de juger de l'intérêt de la
société et de la régularité des conventions que les actionnaires eux-mêmes.
Cette thèse a été critiquée par d'autres auteurs notamment par le Professeur
Tunc. Il souligne que l'assemblée générale étant appelée à approuver ou
désapprouver certaines conventions, cela implique qu'elle reçoive les informations
nécessaires pour se prononcer: "II serait contradictoire de lui demander de voter et
de lui refuser sur l'objet de ses délibérations tout autre élément d'information que
l'opinion des commissaires. Ce serait ne lui maintenir qu'une existence procédurale
mais pas vraiment fonctionnelle"1. C'est cette thèse qui prévaut tant en doctrine
qu'en jurisprudence. Il est vrai qu'elle est plus conforme àl'idée de souveraineté de
l'assemblée générale et qu'elle a le mérite d'éviter l'immixtion des commissaires aux
comptes dans la gestion de la société2.
Une fois admis que la mission des commissaires aux comptes est non pas de
contrôler l'opportunité des conventions mais d'informer les actionnaires pour leur
permettre de le faire, se pose une autre question : celle de l'étendue de
l'information. Question qui donne lieu à une autre controverse : certains sont
partisans d'une information limitée, d'autres préconisent une information intégrale.
a
Le Doyen Rtpert était partisan de l'information limitée car il serait impossible
à un commissaire aux comptes de donner dans le rapport spécial, tous les
renseignements sur l'utilité et les résultats des conventions passées, sans
compromettre gravement le secret des affaires commerciales. En effet, bien souvent
ces contrats sont très avantageux pour la société. faut-il le dire aux concurrents? Il
observait que les actionnaires s'ils le voulaient pouvaient poser des questions sur
1 A. Tunc - note sous Tr. Co. Seine. 15 Janv. 1953. Dai 1953 - 312.
2 Y. Balensi "Les conventions entre les sociétés commerciales et leurs dirigeants",
éd. Economica 1975 pp.148-149

291
les contrats signalés par les commissaires, une réponse prudente à une question
orale ne présentant pas le danger d'un rapport mis à la disposition des actionnaires.
Il proposait que le rapport contienne:
- les noms des contractants
- la date du contrat et son objet
- l'importance du contrat.
Il précisait que le commissaire aux comptes devait renseigner l'assemblée
sur l'existence du contrat et non sur sa valeur.1
La thèse opposée de l'information intégrale, outre l'adhésion de la majeure
partie de la doctrine2 fut adoptée par la jurisprudence3. Les actionnaires, selon
cette thèse, devront bénéficier du maximum d'informations pour que leur décision
soit suffisamment éclairée.
La Cour de Paris dans son arrêt du 24 Février 1954t)insiste sur le fait que si
le législateur de 1943 a substitué àl'autorisation donnée au conseil par l'assemblée,
un contrôle a posteriori, c'est pour le rendre plus efficace. Il faut donc que
l'assemblée générale trouve dans le rapport des commissaires aux comptes des
éléments de décision autres que l'indication d'un nom et la désignation de la nature
d'un contrat. Elle doit pouvoir apprécier si les dépenses correspondent ou non à
l'activité de la société, si ces contrats sont utiles ou non ... Quant au secret des
affaires, la cour de Paris rejette cette objection car le secret des affaires ne doit pas
être confondu avec le secret professionnel des commissaires aux comptes. Sur ce
point, il faut noter que les auteurs partisans de l'information intégrale, réservent le
cas où les informations seraient de nature à trahir le secret des affaires: dans un tel
cas, les commissaires aux comptes devraient s'abstenir de dévoiler ces
informations.
Le decret du 23 Mars 1967 a clarifié les choses en précisant le contenu du
1 Consultation de M. Le Ooyen G. Ripert "Le rapport spécial du commissaire de
société (Loi du 24 Juillet 1867, art 40)". GP 1954 - 1e sem. P.53 et s.
2 Escarra et Rault. TA. P.118 N·439.
A. Tunc op.cit. loc. cît. F. Goré, note sous Paris
23 Nov. 1955 O. 1956, p. 290
3 Paris 23 Nov. 1955 0.1956. 290.
Paris 24 Fév. 1954 0.1954. 244.
40.1954 - 244.

292
rapport des commissaires aux comptes1.
La loi du 24 Juillet 1966 - et cela apparaît nettement dans son décret
d'application du 23 Mars 1967 - a donc opté pour l'information intégrale des
actionnaires. Le rapport spécial des commissaires aux comptes doit contenir des
informations très détaillées.
Au Sénégal, l'artile 67 du Décret du 24 Février 1993 reproduit l'article 92 D -
1967. Aucune référence n'est faite au secret des affaires.
Si les commissaires aux comptes respectent ces exigences, leur rapport
devrait permettre à l'assemblée générale de se prononcer en connaissance de
cause.
CI L'APPROBATION PAR L'ASSEMBLEE GENERALE
Au Sénégal comme en France, l'approbation par l'assemblée générale
ordinaire constitue la dernière étape de la procédure.
Cette mise à contribution de l'assemblée générale, s'inscrit en France dans
un mouvement visant à lutter contre la passivité de l'assemblée générale et à lui
redonner sa place d'organe souverain.
Les conventions approuvées par l'assemblée générale ne peuvent plus être
attaquées que pour fraude. Si elles sont désapprouvées, elles peuvent conduire à
la mise en jeu de la responsabilité de l'administrateur intéressé et éventuellement
1 Selon l'article 92 D 1967, le rapport doit contenir:
- l'énumération des conventions soumises à l'approbation de l'assemblée
générale.
- le nom des administrateurs ou directeurs généraux intéressés
- la nature et l'objet des dites conventions
- les modalités essentielles de ces conventions, notamment l'indication des
prix ou tarifs pratiqués, des ristournes et commissions consenties, des délais de
paiement accordés, des intérêts stipulés, des sûretés conférées et le cas échéant
toutes autres indications permettant aux associés ou aux actionnaires d'apprécier
l'intérêt qui s'attachait à la conclusion des conventions analysées~
- L'importance des fournitures livrées ou des prestations de service fournies
ainsi que le montant des sommes versées ou reçues au cours de l'exercice, en
exécution des conventions visées à l'art 91 al.2 (c-a-d celles conclues et autorisées
au cours du dernier exercice).

293
àcelle du conseil d'administration, mais leur validité ne peut être remise en cause.1
En France et au Sénégal, l'approbation de la convention intéressée par
l'assemblée générale ne constitue donc pas àproprement parler une condition de
validité de celle-ci.
Aux Etats-Unis, la plupart des Etats admettent parfois que l'approbation du
conseil soit remplacée par une approbation de l'assemblée générale ou des
actionnaires des intéressés.2
Les Princip/es of Corporate Governance §S-02(a)(2)(c) considèrent que la
transaction passée entre un directeur ou un senior executive et la société est loyale
lorsqu'elle est autorisée ou ratifiée, après divulgation de son intérêt, par des
actio nnai res dési nté ressés ... 3
En Angleterre, l'autorisation de l'assemblée générale est parfois requise4.
C'est le cas lorsque le contrat porte sur un transfert d'actif social d'une certaine
valeur (plus de 10% des actifs nets établis par le dernier bilan) de la société à un
de ses directeurs ou à un directeur de sa société-mère ou àl'inverse d'une de ces
personnes à la sociétéS. Même si l'autorisation de l'assemblée générale n'est pas
exigée, les actionnaires seront informés car les contrats dans lequels un directeur
est intéressé doivent être portés à la connaissance des actionnaires et du public. Ils
doivent "figurer dans les comptes de la société6.
On peut se demander pourquoi au Sénégal et en France l'approbation de
l'assemblée générale n'est pas une condition de validité de la convention. Il Y a
plusieurs raisons à cela, parmi lesquelles une qui tient à l'organisation de la société
anonyme: chaque organe ayant ses pouvoirs propres, on ne saurait admettre que
l'assemblée générale se substitue au conseil dans les opérations concernant la
1 Art 1266 COCC - art 104 L - 1966
2 A. Tune - Le droit américain des sociétés anonymes. P.146 N'81.
3 Cary and Eisenberg - op.cit. 6e éd. P.591.
4 Elle était obligatoire pour tout contrat sous la loi de 1844.
5 Cf art.320 (1) et (3) Cies Act 1985. Pennington op.cit. 6e éd. P.599. A. Tune - Le
droit anglais des sociétés anonymes 3e éd. 1987.P.219 N°117.
6 A. Tune op.cit. P.218 N°116.

294
gestion de la société1.
Une autre raison est que lorsqu'elles sont soumises àl'approbation de
l'assemblée, les conventions sont le plus souvent déjà exécutées, en tout ou partie
2, et leur annulation porterait préjudice aux tiers3. Il faut effectivement tenir compte
de la durée de la procédure . Le temps qui s'écoule entre le moment où
l'administrateur intéressé a informé le conseil et celui où se tient l'assemblée
générale annuelle est plus ou moins long. La convention peut être projetée à une
date plus ou moins proche de l'assemblée générale. En france et au Sénégal les
décrets de 1967 et de 1993 prévoient un délai d'un mois à compter de la conclusion
du contrat pour prévenir les commissaires aux comptes4 ou lorsque l'exécution des
conventions conclues ou autorisées au cours d'exercices antérieurs a été
poursuivie au cours du dernier exercice, les commissaires aux comptes sont
informés de cette situation dans le délai d'un mois, à compter de la clôture de
l'exercice.5 Les textes impliquent que la convention a pu être déjà exécutée lorsque
l'assemblée se prononce. Mais ils concernent les conventions conclues - et non,
exécutées - D'où la question de savoir si lorsque le conseil d'administration autorise
une convention et que celle-ci est par la suite désapprouvée, l'exécution d'une telle
convention est possible? Rien ne l'interdit, mais ce serait aux risques et périls des
administrateurs et autres dirigeants, puisque même en l'absence de 'fraude les
conséquences préjudiciables à la société, des conventions désapprouvées peuvent
être mises à la charge de l'administrateur ou du directeur général intéressé, et
éventuellement des autres membres du conseil d'administration6 ou des membres
du conseil de surveillance ou du directoire.7
On peut certes opposer que ladite convention ne portera pas
forcément préjudice à la société, mais dès lors que l'assemblée générale l'a
désapprouvée, c'est probablement parce qu'elle était défavorable à la société. Il est
vrai que "défavorable" n'est pas synonyme de "préjudiciable".
1 Y. 8alensi - op.cit. P.165 n·222.
2y. 8alensi - ibib . Cozian - Viandier - op.cit. 5e éd -1991 P.223 N·900.
3 Cozian - Viandier - ibid.
4 arts 91 al 1 et 116 al 1 D. 1967 en France, art 66 D -1993 au Sénégal.
5 arts 91 al2 et 116 al2 D.1967.
6 art 104 L.1966.
7 ART 146 L.1966.

295
DI LA LOYAUTE DE LA TRANSACTION
La condition de loyauté de la transaction est exigée aux Etats-Unis. Le
contrat doit être fair, c'est-à-dire loyal, équitable, pour la société.
Sur qui pèse la charge de la preuve? Tout dépend du respect ou non de la
procédure. C'est ce qui ressort des Princip/es of Corporate Governance §5-02. Si le
directeur a obtenu l'approbation de l'organe compétent: directeurs désintéressés,
ou actionnaires désintéressés, selon le cas, c'est à celui qui conteste le contrat à
prouver qu'il est inéquitable pour la société.
En revanche, si le directeur intéressé n'a pas respecté la procédure, il a la
charge de prouver que la transaction est tout de même équitable pour la société.
Ainsi, aux Etats-Unis la distinction est faite entre la loyauté du dirigeant, et la
loyauté du contrat.
III/DOMAINE DES CONDITIONS DE VALIDITE
Les conditions de validité que nous venons d'examiner doivent être étendues
aux contrats passés entre la société et une autre société ayant des administrateurs
communs, dans tous les droits étudiés.1
En outre en droits français et sénégalais, il faut les appliquer au contrat passé
entre la société et une autre société dont un ou des administrateurs sont
action nai res. C'est ce qui ressort de l'i nterprétation des articles 101 L.1966 et 1263
COCC dont les alinéas 2 visent l'administrateur ou le directeur général - et le
directeur technique au Sénégal - ayant un intérêt indirect dans le contrat. Cet intérêt
peut résulter de la qualité d'actionnaire.
Ajoutons aussi les contrats entre une société et une autre dont un
administrateur est gérant ou associé indéfiniment responsable, ou avec une
entreprise dont un administrateur est propriétaire ou directeur (arts 101 al 3 L.1 966
1 En droit anglais cependant "on n'est pas intéressé dans un contrat, au sens de la
loi, du seul fait qu'on est directeur d'une société cocontractante "cf A. Tunc "Le droit
anglais des sociétés anonymes" éd. 1987 P.219 n0116.

296
et 1263 al 3 CaCC).
Le Sénégal se démarque du droit français en retenant la qualité de directeur
technique: le contrat passé entre la société et un de ses directeurs techniques est
soumis à l'auto-risation préalable du conseil d'administration (art 1263 al 1) . Ce
regain de sévérité a pour but de préserver les intérêts de la société.
La qualité de salarié doit-elle être prise en compte dans la détermination de
"l'intérêt indirect" du dirigeant? Autrement dit doit-on soumettre aux conditions de
validité le contrat passé entre une société et une autre société dont un de ses
administrateurs est salarié? Le droit français n'a jamais été interprété dans ce sens.
En Angleterre, le Professeur Gower considère que le directeur salarié de
l'entreprise cocontractante est ainsi soumis à un connit d'intérêts.1 En effet les
salariés bénéficient des retombées d'un contrat fructueux. Ils sont donc intéressés;
il serait alors logique que la procédure requise pour les contrats intéressés soit
respectée.
Il faut remarquer que le dirigeant qui est en même temps salarié d'une
entreprise concurrente n'est pas soumis à un conflit d'intérêts uniquement à
l'occasion de contrat passé entre les deux sociétés, mais il l'est constamment. Et
comme nous l'indiquerons ultérieurement, la loyauté devrait interdire à un dirigeant
de travailler pour une entreprise concurrente.2 En outre les sociétés devraient éviter
de nommer comme dirigeants des personnes travaillant pour une société
concurrente.
"
Quant aux contrats: les conditions de validité ne s'appliquent pas à tous les
tt/?,VContrats. Elles ne s'appliquent pas lorsque le contrat est ir:J~dit. Ni lorsque le contrat
V est dispensé d'autorisation.
Les contrats interdits sont ceux qui présentent un danger particulier pour la
société. Il s'agit essentiellement des contrats de crédit.
1 Gower - op.cit. P.482.
2 Cf infra in §3 - L'obligation de non-concurrence.

297
En droit sénégalais l'article 1268 COCC1 reprend textuellement l'article 106
L 1966. Ces articles interdisent aux administrateurs autres que des personnes
morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la
société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou
autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements
envers les tiers. (al 1) sauf si la société exploite un établissement bancaire ou
financier, et que les opérations sont conclues à des conditions normales (al 2).
L'interdiction est étendue aux directeurs et représentants des personnes
morales administrateurs2, aux conjoints, ascendants et descendants des personnes
visés ainsi qu'à toute personne interposée (al 3).
En droit anglais, le législateur accorde une attention particulière aux prêts ou
aux facilités que les directeurs pourraient obtenir de leur société3, aux articles 330
à 344. Toute société se voit interdire soit de consentir un prêt à un de ses directeurs,
ou à un directeur de sa société-mère, soit de garantir de quelque manière que ce
soit un prêt qui leur paraît consenti par un tiers.4
Comme en France - et au Sénégal - ces interdictions sont levées lorsque la
société a pour activité ordinaire de prêter de l'argent ou de garantir des prêts, et que
ces opérations sont conclues dans des conditions normales.
IV - SANCTIONS DES CONDITIONS DE VALIDITE
Les sanctions sont de deux ordres: celle qui est relative au contrat et celle
qui concerne les administrateurs. La première qui n'est autre que l'annulation du
contrat fera l'objet de nos développements. La seconde à savoir la responsabilité
des administrateurs sera examinée dans la partie consacrée à la responsabilité des
dirigeants.5
1 L'article 1294 COCC dans le nouveau système d'administration renvoie à l'article
1268 COCC.
2 Le représentant permanent d'une personne morale ne peut contracter d'emprunt à
titre personnel, mais peut en contracter pour le compte de la personne morale qu'il
représente (al 1)
3 A. Tunc - op.cit. P.220 N°118
41dem.
5 Nous évoquons les principales sanctions.

298
L'annulation est la sanction du contrat qui ne remplit pas les conditions de
validité des conventions soumises àautorisation préalable. Cette solution
actuellement adoptée dans les pays étudiés n'a pourtant pas été unanimement
reconnue en France comme le révèle l'histoire. La nature de la nullité a aussi fait
l'objet d'interrogations. Son fondement est aussi discuté.
AI ANNULATION DU CONTRAT
11
EVOLUTION HISTqRIQUE
L'article 40 de la loi du 24 Juillet 1867 applicable au Sénégal avant la loi du
29 Juillet 1985 - ne précisait pas la sanction du défaut d'autorisation préalable. Mais
les principes généraux du droit imposaient que les conditions de validité soient
sanctionnées par la nullité.1
En effet l'autorisation préalable du conseil
d'administration était un des éléments nécessaires à la validité du contrat. Or la
sanction normale des formalités d'habilitation consiste en la nullité de la convention
passée au mépris des exigences légales.2 Aussi la jurisprudence sanctionnait-elle
de nullité pour violation d'une règle de forme, les conventions conclues sans
autorisation préalable. La doctrine approuvait cette solution. Néanmoins des
critiques s'élevèrent contre ce principe. Ainsi Me P.A. Rosenfeld3 objecta que
l'omission de l'article 40 ne pouvait être sanctionnée par la nullité des conventions
car la société se trouve engagée vis-à-vis des contractants de bonne foi. En effet
l'article 40 soumettait4 à autorisation préalable non seulement les conventions
conclues entre la société et un de ses administrateurs, mais également celles
conclues entre la société et un tiers, soit que l'administrateur fût indirectement
intéressé à la convention, soit qu'il occupât une position particulière au sein de
l'entreprise ~0..!lSQl1tL~c.t8-Qte..=,$'il est légitime de protéger la société contre ses
administrateurs et d'annuler les conventions dans lesquelles ils traitent directement
avec elle, il paraît difficile de sacrifier les droits des tiers de bonne foi à ceux des
1 Escarra et Rault op.cit. T.IV. P.124 N°1445.
2 Sauf quand la loi en décide autrement par une disposition expresse. C'est le cas
de la lésion qui n'entraine pas la nullité du contrat mais sa rescision à certaines
conditions.
3 P.A. Rosenfeld "A propos de l'article 40" Rev. Sté 1958 P.360.
4 Il en est de même de l'article 101 L.1966.

299
actionnaires de la société. La loi, affirmait Me Rosenfeld, veut certes protéger les
actionnaires contre leurs administrateurs auxquels elle les préfère. mais on ne
saurait penser qu'elle préfère les actionnaires aux tiers dont les droits tout aussi
respectables doivent être eux aussi protégés. Plutôt que d'annuler les conventions
litigieuses, il préconisait de mettre en jeu la responsabilité des administrateurs
coupables de n'avoir pas respecté les prescriptions de l'article 40.
21 SOLUTIONS ACTUELLES
La loi du 24 Juillet 1966 prévoit expressément la nullité des conventions
intéressées. En effet, l'article 105 al 1er de la loi du 24 Juillet 1966 dispose que les
conventions visées àl'article 101 conclues sans autorisation préalable du conseil
d'administration peuvent être annulées si elles ont eu des conséquences
dommageables pour la société.
L'article 1263 COCC reproduit textuellement cet article en prévoyant lui aussi
la nullité des conventions dommageables pour la société.
Aux Etats-Unis, le remède1 traditionnel du devoir de loyauté est la restitution
en nature. Ainsi lorsqu'un directeur a passé "improprement" un contrat avec la
société, normalement le remède est la rescision, ou si la rescision n'est pas
possible, le remboursement de la différence du prix du contrat avec un prix
équitable.2
En Angleterre, le contrat est annulable à la demande de la société.3 Ce fut le
cas dans l'affaire Guiness V. Saunders4 où le directeur n'avait pas révélé ses intérêts
dans une transaction.
BI CARACTERE DE LA NULLITE
1 C'est-à-dire la sanction
2 Cary and Eisenberg - op.cit. P.571.
3 Farrar - op.cit. P.403.
Mais la société peut ratifier le contrat après totale
divulgation
par
le
directeur intéressé.
4 [1990] 2 AC
663.H.L. cité par Gower. éd. 1992. op. cit. P.562

300
Les articles 1263 COCC et 105 L. 1966 organisent le régime de la nullité
mais ne précisent pas son caractère.
Rappelons que la nullité relative sanctionne une règle visant à protéger des
intérêts privés. Seules les personnes protégées peuvent l'invoquer. Elles peuvent
aussi la confirmer ou la ratifier. La nullité absolue sanctionne une règle édictée
dans un but d'intérêt général et peut être invoquée par tout intéressé.
La nullité d'ordre public a cette particularité qu'elle peut être invoquée d'office par le
juge.
Pour déterminer le caractère de la nullité, on peut s'appuyer sur le but de la
réglementation qui est la protection de la société donc d'un intérêt privé. On peut
aussi raisonner par analogie avec la notion de lésion.
1/
PRISE
EN
CONSIDERATION
DU
BUT
DE
LA
REGLEMENTATION
C'est le critère retenu par la doctrine française. Ainsi, le Professeur Goré
affirme que la nullité est relative car la réglementation a pour but la défense
d'intérêts privés.1
La Cour d'Appel de Dakar, dans son arrêt du 23 Juin 1978, relatif à un contrat
de vente passé entre un administrateur d'une société anonyme et la société2,
affirma que l'inobservation de l'article 40 de la loi du 24 Juillet 1867 alors en
vigueur au Sénégal, était sanctionnée par la nullité absolue en raison de la finalité
et de l'économie des dispositions de l'article 40 qui sont "d'une telle importance par
les conséquences irréparables que leur inobservation risque d'entrainer, qu'elles
doivent être regardées comme des prescriptions substantielles passibles de nullité
absolue."3
1 Note sous Paris 23 Nov. 1955. Dai 1956-290.
2 Le contrat lésait la société, et les formalités de l'article 40 n'avaient pas été
respectées.
3 C.A. de Dakar. l'J D 271 du 23 Juin 1978. Rev. EDJA N"7 Nov. 1987. "Van Lui C.
Ipafric" note A. Sakl1o.

301
Des auteurs comme Escarra et Dalsace se sont prononcés en faveur d'une
nullité d'ordre public en se fondant sur la politique d'assainissement des sociétés
dans le cadre de laquelle s'inscrivait la réglementation des conventions.
Nous le voyons, on peut attribuer à la réglementation des buts différents, de
sorte que le critère de la finalité est discutable.
2/ ANALOGIE AVEC LA LESION
La
lésion
est
un
déséquilibre
des
prestatinos
dans
un
contrat
synallaÇJmatique. L'une des parties subit donc un préjudice. On peut s'appuyer sur
l'exigence actuelle d'un préjudice comme condition de l'annulation du contrat
n'ayant pas respecté les formalités, pour en déduire qu'il s'agit en l'occurrence d'une
lésion. Comme le souligne un auteur, la nullité est fondée sur le caractère
lésionnaire de la convention et non plus sur la violation d'une règle de forme.1
L'analogie avec la lésion nous conduit à qualifier de relative la nullité
encourue. En effet, d'éminents auteurs tels que les Professeurs Weill et Terré
considèrent que l'action en rescision pour lésion équivaut à une nullité relative.2
Le régime même de la nullité qui permet à l'assemblée générale de couvrir la
nullité va dans le sens d'une nullité relative.
En définitive, il semble bien que la nullité ait un caractère relatif en droit
sénégalais et en droit français.
En droit anglais et américain cela semble être aussi le cas. En effet,
l'annulation du contrat se fonde sur la violation par le dirigeant d'un devoir fiduciaire.
Devoir qu'il doit exclusivement à la société comme l'a affirmé avec force l'arrêt
Percival V. Wright en Angleterre, et en priorité à la société aux Etats-Unis. C'est la
société, et donc un intérêt privé que la règle est destinée à protéger.3 Cela est
1 Y. Balensi - op.ciL P.122 N°169.
2 Weill et Terré. "Les obligations" P.301 N°290.
3 Même en comprenant les actionnaires individuels comme bénéficiaires des
devoirs fiduciaires. il s'agit toujours d'intérêts privés.

3D2
corroboré par le fait que le contrat est annulable au choix de la société1 et que la
société - plus précisément l'assemblée générale - peut ratifier le contrat après totale
divulgation par le directeur intéressé.2
CI fONDEMENT DE LA NULLITE
Dans son arrêt du 23 Juin 1978~lla Cour d'Appel de Dakar fondait la nullité
du contrat litigieux passé entre un administrateur et la société anonyme sur la
violation d'une règle de forme. Il s'agissait alors de l'application de l'article 40 L
1867.
Une telle interprétation ne saurait s'appliquer sous la loi du 29 Juillet 1985
car une donnée nouvelle y figure: l'exigence d'un préjudice subi par la société. Cf
"conséquences dommageables pour la société" art 1267 COCC.
Ainsi, le non-respect de la procédure n'entraine pas automatiquement la
nullité de la convention. On ne peut par conséquent affirmer que la nullité a pour
fondement un vice de forme.
Quel est alors le fondement de la nullité? Selon nous, si la société a subi un
préjudice, son consentement a dû être vicié, car la société bien informée n'aurait
pas autorisé ni approuvé la conclusion d'un contrat pouvant lui porter préjudice.
Le préjudice est révélateur d'un vice du consentement de la société lié à un
manque d'informations. Or la rétention d'informations constitue un dol. Ce
fondement : le dol, peut aussi être retenu en France où le préjudice subi par la
société est une condition d'annulation du contrat.
C'est volontairement que nous ne retenons pas la lésion comme fondement
de l'annulation du contrat, car elle n'est pas, suivant la théorie générale des
obligations, une cause de nullité en droits français et sénégalais.
En revanche rien n'interdit de retenir la lésion comme fondement de
1 Gower op.cit. ed. 1992 P.563.
2 Farrar - op.cît. P.403.
3 préc.

303
l'annulation du contrat en droits anglais et américain.
§2
:
CONTRAT
ENTRE
UN
DIRIGEANT
ET
UN
TIERS
LE
DETOURNEMENT
D'UNE
CHANCE
ECONOMIQUE
La loyauté du dirigeant peut être sollicitée de manière moins directe que lors
d'un contrat passé avec la société où sa nécessité apparaît de façon évidente. Il en
est ainsi lorsque le dirigeant a pour vis-à-vis non pas la société mais un tiers. C'est
pourtant dans cette situation que le devoir de loyauté prend toute sa dimension.1 En
effet, la loyauté est une notion voisine de la fidélité, laquelle s'apprécie
essentiellement dans l'éloignement, l'absence ... Par conséquent le dirigeant qui
traite avec un tiers doit se montrer loyal envers la société en ne profitant pas d'une
chance économique qui aurait pu intéresser la société.
C'est tout le problème de la corporate opportunity que l'on peut traduire par
"le détournement d'une chance économique". Par exemple une offre est faite à la
société; les directeurs estiment que la société n'est pas intéressée par cette offre.
Le prix en étant avantageux, ils désirent réaliser l'opération eux-mêmes. Le
peuvent-ils 7 Est-ce possible, après divulgation au conseil 7 à l'assemblée 7 avec
l'autorisation de ces organes 7 Qu'en est-il lorsque l'opération est juridiquement ou
financièrement impossible à réaliser par la société 72
Les droits anglais et américains ont apporté des réponses àces questions. En
revanche le droit français des sociétés n'a que très peu examiné le problème du
détournement d'une chance économique; cela s'explique car les actes profitant aux
dirigeants à titre personnel sont "le domaine d'élection du droit pénal".3 Il s'agit en
l'occurrence du délit pénal d'abus de biens sociaux ou celui d'abus des pouvoirs ou
de voix.
1 Cf "Another and most important consequence of the principle that directors must
not place themselves in a position where their fiduciary duties conf/l'cf with their
personal interest, is that they must not...use for their own profit the company's assets,
opportunities or information". Gower ed.1992 P.264.
2 A. Tune - Le droit anglais des sociétés anonymes ed 1978.P.143 N°1 01.
3 J.Y. Martin "Le détournement d'une chance économique par un dirigeant de
société (droit anglais et nord-américain).
Th. Paris 1 - 1981 - P.223.

304
C'est à la lumière de ces solutions que nous envisagerons de manière prospective
le droit sénégalais qui est muet sur la question.
AI LES SOLUTIONS EN DROITS ANGLAIS, AMERICAIN
11 EN DROIT ANGLAIS
Le droit anglais est très rigoureux sur le problème du détournement d'une
chance économique. Plusieurs arrêts se sont prononcés sur la question, parmi
lesquels le célèbre arrêt Regal (Hastings) Ltd V. Gulliver1 et l'arrêt Industrial
Development Consultants V. Cooley2
Dans l'arrêt Regal (Hastings)... , la Chambre des Lords condamna plusieurs
administrateurs de la société à restituer àcelle-ci un profit qu'ils avaient réalisé dans
le cadre de leurs fonctions. En l'espèce, la société Regal possédait un cinéma et les
directeurs décidèrent d'en acquérir deux autres et de vendre l'ensemble des actifs
de la société. A la demande des futurs acquéreurs ils constituèrent une filiale et
ch~rchèrent. à faire obtenir par cette flliale un bail de longue durée sur les deux
salles de cinéma. Le propriétaire y consentit, mais exigea une garantie personnelle
des directeurs à moins que le capital libéré de la filiale ne soit d'au moins 5000 E.
La situation financière de la société Regal ne lui permettait pas de souscrire plus de
2 000 actions, soit une valeur de 2000E, la valeur nominale de chaque action
étant de 1E. Ne voulant pas donner leur garantie personnelle, les directeurs
décidèrent de souscrire avec de leurs amis les 3 000 actions restantes. Les
négociations parallèles portant sur la vente de l'actif social échouèrent, mais de
nouvelles négociations aboutirent à la vente de la totalité des actions de la société
mère et de la filiale. Les administrateurs réalisèrent ainsi un bénéfice, puisque les
actions de la filiale qu'ils avaient payées 1E furent vendues à 2,16f:.
Une action en justice fut intentée au nom de la société afin qu'elle recouvre le
profit ainsi réalisé. Le tribunal de première instance ainsi que la Cour d'appel
rendirent une décision en faveur des administrateurs au motif que leur mauvaise foi
ne pouvait être établie et qu'ils n'avaient commis aucune fraude envers la société.
1 (1942) 1 ALL E.R. 378 cité par Gower ed.1992 P.565.
2 (1972) 1 W.L.R. 443 (Roskill J.)

305
Mais la Chambre des Lords à l'unanimité renversa cette décision, suivant les procès
sur les trustees1. Elle ne prit pas en considération la bonne foi et l'absence de
'fraude. Elle posa la règle suivante: les directeurs doivent restituer tout profit réalisé
du fait de leurs fonctions et au cours de leurs fonctions. La Chambre des Lords
énonça sans ambiguïté que seul le fait de l'enrichissement doit être pris en
considération: l'élément moral est sans influence. Par ailleurs, l'élément matériel de
l'in'fraction n'est pas requis: il ne s'agît pas de déterminer si l'administrateur s'est
enrichi au détriment de la société ou non. En l'espèce la société n'avait subi aucun
préjudice puisque, comme le reconnut la Cour, les actions ne pouvaient être
souscrites par la société. La souscription par les dirigeants avait au contraire
bénéficié àtous les actionnaires.
Cette décision sévère pour les directeurs fit jurisprudence. Ainsi dans l'arrêt
Industrial Development Consultants V. Colley.2 Le litige opposait le groupe de
sociétés Indus trial Development Corporation (IDC) et un architecte, le sieur Cooley,
qui travaillait dans l'industrie du pétrole. IDC qui cherchait àpasser des contrats
avec l'Etat offrit à Cooley un poste de directeur général qu'il accepta en Février
1968. Il entama aussitôt des négociations avec un organisme public: Eastern Gas
Board afin de faire participer le groupe IDC à un projet de construction, mais les
négociations échouèrent car Eastern Gas Board ne voulait pas traiter avec un
groupe du type d'IDC. En 1969, Eastern Gas Board eut un nouveau président,
lequel estima que l'architecte Cooley était tout désigné pour diriger la construction
des dépôts. Il lui téléphona à son domicile et lui expliqua qu'il recherchait ses
services personnels et non ceux de la société et qu'il voulait éviter toute difficulté
avec celle-ci. Afin de se libérer de ses obligations envers le groupe IDC, Cooley
présenta sa démission, sans préavis en invoquant des raisons de santé. Sa
démission étant acceptée, il entra au service d'Eastern Gas Board pour superviser
la construction des dépôts, autrement dit l'activité qu'IDC avait cherché à obtenir par
son intermédiaire.
1 Notamment l'affaire Keech V. Sanford (1726) Sel. Cas. Ch. 61 Un trustee avait
tenté de renouveler un bail au profit du bénéficiaire du trust, mais le propriétaire
refusa au motif que le bénéficiaire était un enfant en bas âge.
Le trustee décida alors de renouveler le bail en son nom propre. Le tribunal estima
qu'il avit violé son devoir de loyauté et qu'il devait être considéré comme détenant le
bail en trust pour le bénéficiaire.
2 (1972) 1 W.L.R. 443 (Roskill J.) cité par J. Y. Martin op.cit. PP.35 et S.

306
IDC intenta alors une action en justice contre Cooley fondée sur la violation
des règles du profit et du conflit1. Pour sa défense Cooley argua qu'il avait été
contacté personnellement et non en tant que dirigeant de la société et qu'en outre
celle-ci n'aurait pu obtenir le contrat.
Le premier élément de l'argumentation de Cooley était donc qu'il avait été
contacté personnellement et non en tant que dirigeant de la société. Il n'avait pas
violé son devoir de loyauté en ne transmettant pas à la société une information qu'il
avait reçue personnellement, et le profit qu'il avait obtenu ne l'avait pas été "du fait et
au cours de ses fonctions" contrairement à ce qu'exige l'arrêt Regal, puisqu'au
contraire il ne pouvait l'obtenir tant qu'il occupait ses fonctions.
Cette approche était conforme à une analyse stricte de l'arrêt Regal. Lord
Roskill prit la précaution de ne pas fonder sa décision sur la règle posée par l'arrêt
Regal. Mais il s'appuya sur le principe général qui en était le fondement estimant
que c'est le principe qui est important et qu'il n'y a pas de limites aux espèces
auxquelles ce principe peut être appliqué. Plutôt que de citer une des formules de
l'arrêt Regal, Lord Roskill se référa à l'opinion rendue dans l'arrêt Phipps V.
Boardman2 et reprit la conclusion de Lord Upjohn selon laquelle, il faut rechercher
quels sont les devoirs du dirigeant à l'égard de la société et après les avoir définis,
déterminer s'il a commis une violation de ses obligations en se plaçant dans une
situation où elles entraient en conflit avec ses intérêts propres. En l'espèce, on
pouvait dire que Cooley s'était placé dans une position de conflit en gardant pour
lui-même l'information qu'il avait obtenue au lieu de la transmettre à la société. Mais
encore fallait-il admettre qu'il avait l'obligation de transmettre l'information obtenue
en privé, à la société. Lord Roskill affirma sur ce point que Cooley avait une
capacité et une seule lorsqu'il exerçait ses activités à savoir celle de directeur
général. Les informations qui lui parvenaient devaient être transmises à celui avec
qui il était en relation fiduciai re.
Le deuxième élément de l'argumentation de Cooley était que la société
n'aurait pu obtenir le contrat. Cet argument avait on s'en souvient été rejeté dans
1 La règle du profit signifie que le dirigeant a réalisé un profit qu'il doit restituer à la
société. La règle du conflit suppose un conflit d'intérêts, le dirigeant privilégiant son
intérêt.
2 [196] 2 AC 46, H.L. cité par J.Y. Martin ibid. pp 26 et s.

3D7
l'arrêt Regal. En l'espèce, la société avait peu de chance d'obtenir le contrat; Lord
Roskill évalua ses chances à 10%, et jugea qu'elles étaient suffisantes pour
considérer que le dirigeant n'était pas déchargé de toute obligation à l'égard de la
société. Allant plus loin, Lord Rosklll rappela que peu importait que la société ait pu
ou non obtenir un bénéfice. Cette solution est considérée comme rigoureuse vu les
faibles chances qu'avait la société d'obtenir le contrat1 .
En définitive, il semble que la jurisprudence britannique est extrémement
sévère à l'égard des dirigeants de sociétés. Ils ne peuvent utiliser pour passer un
contrat, une information, qu'elle ait été obtenue dans le cadre de leurs fonctions ou
àtitre personnel. Un dirigeant sera condamné dès lors qu'on pourra le soupçonner
d'avoir fait prévaloir son intérêt sur ses obligations, même s'il a agi de bonne foi2.
Les conditions à remplir pour pouvoir tirer un avantage personnel d'une
opportunité originairement offerte à la société sont rarement réunies. Il faut3 en
effet:
- que la possibilité ait été rejetée par la société.
- que les directeurs aient agi de bonne foi dans les intérêts de la société.
- que l'information ne leur ait pas été donnée confidentiellement au profit de
la société.
- que leur utilisation subséquente de la possibilité ne soit pas en rapport avec
leur position de directeur.
Un auteur4 s'est insurgé contre une telle rigueur. Selon lui, les 'fiduciaires ne
devraient être responsables à moins qu'ils n'aient agi malhonnêtement ou qu'ils ne
se soient injustement enrichis.
C'est cette approche qu'avait recommandée la commission Jenkins dans un
rapport publié en 1962 : un administrateur ne doit pas utiliser les fonds ou les biens
de la société, ou une information obtenue du fait de ses fonctions, pour obtenir
directement ou indirectement un profit personnel au détriment de la société. Mais
cette recommandation ne fut pas suivie lors de l'adoption du Companies Act de
1 J. Y. Martin - op.cit. P.38.
2 J. Y. Martin - op.cit. P.39.
3 Gower - op.cit. ed.1969 P.539.
4 Gareth Jones "Unjust Enrichment and the Fiduciary's DutY of Loyalty. 84 L. R. 472
(1968) cité par Gower op.cit. ed.1969. P.540.

308
1967{1 )L'avant-projet de loi de 1978 interdisait - sous réserve d'autorisation ou de
ratification - qu'un directeur ou un ancien directeur utilise à son profit toute
information ou toute possibilité (opportunity) donnant lieu à un conflit ou à un risque
de conflit d'intérêts. Mais cela n'a pas été adopté dans le Companies Act de 1980(2)
La prudence doit donc conduire tout dirigeant à s'abstenir de réaliser tout
investissement pouvant intéresser la société, quelle que soit la manière dont
l'information lui est parvenue et quelles que soient les possibilités réelles pour celle-
ci d'en tirer profit.3
2"1 EN DROIT AMERICAIN
La jurisprudence et la doctrine américaines affirment que le dirigeant comme
tous les 'fiduciaires ne peut tirer profit des corporate opportunities. Il ne peut profiter
indûment des occasions qui peuvent se présenter à lui en raison de sa position
officielle, au détriment des intérêts qu'il représente. Donc, si l'occasion se présente
de conclure un contrat avantageux qui entre dans le cadre de l'activité sociale,
auquel la société pourrait être intéressée, le dirigeant n'a pas le droit de le conclure
pour son compte personnel. S'il fait prévaloir son intérêt sur son devoir de loyauté
envers la société, celle-ci pourra demander que le contrat ou la transaction soit
reporté sur elle seule. Mais s'agissant de contrats se présentant au dirigeant en sa
capacité personnelle, s'il agit de bonne foi et ne cherche pas à porter préjudice aux
intérêts sociaux, il pourra concurrencer la société et ne sera pas responsable
envers elleA
Plusieurs critères ont été utilisés pour déterminer si un directeur ou un officer
s'est injustement approprié une chance économique:
- Le critère de l'intérêt ou de l'expectative (interest or expectancy test).
Selon ce critère un dirigeant n'a pas le droit d'acquérir un bien sur lequel la
société a un intérêt ou une expectative. L'intérêt signifie un droit alors que
l'expectative n'est qu'une amorce de droit.
1 J.F. Martin op.cit. PAO.
2 Idem.
3 J. Y. Martin ibid PA1.
4 J. Chambouleve op.cit. P.103 n0142.

309
C'est ce critère qui fut adopté dans le célèbre arrêt Lagarde V. Anniston Lime
and Stone Co1. Lagarde, dirigeant de la société2 avait acheté personnellement
deux terrains. L'un d'entre eux était loué pour la société, le bail étant assorti d'une
promesse de vente.
L'autre terrain avait donné lieu à des négociations
infructueuses entre son propriétaire et la société. Saisie du litige opposant Lagarde
à la société à propos de ces deux acquisitions, la Cou r suprême d'Alabama
distingua l'achat du premier terrain sur lequel elle imposa un constructive trust3, de
celle du deuxième terrain. Elle déclara: "D'une manière générale, les restrictions
imposées aux dirigeants en ce qui concerne leur acquisition sont en principe
limitées aux biens sur lesquels la société a un droit (interest)déjà existant, ou sur
lesquels elle a une expectative résultant d'un droit existant ou aux situations dans
lesquelles l'intervention d'un dirigeant nuira de quelque manière à la société en
portant atteinte àl'objet pour la réalisation duquel elle a été créée".
Le critère de l'intérêt ou de l'expectative est avantageux pour le dirigeant car
il ne permet de sanctionner que les usurpations les plus évidentes.4 Mais il protège
mal la société. C'est un critère trop étroit5, aussi a-t-on vu apparaître un autre critère.
- Le critère de la sphère d'activité (line-of-business test).
Il consiste à rechercher si le contrat passé par le dirigeant avec un tiers peut
être intégré dans l'activité de la société.6 Autrement dit si le dirigeant ne doit pas
faire bénéficier la société du contrat parce qu'il cadre avec ses activités. Il fut
appliqué notamment dans l'arrêt Guth V. Loft.7
Ce critère s'avéra difficilement maniable8 de sorte qu'un troisième critère fut
utilisé "qui constitue au fond un retour àla source"9 le critère du Fairness.
1 126 Ala. 496, 502,28 So.199, 201 (1900) cité par Cary and Eisenberg - 6e
éd.1988 P.640.
2 Il était à la fois directeur et officer
3 Le constructive trust est une sanction, en droit américain, consistant en la
restitution du bien lui-même ou du contrat conclu, à la société. En l'espèce Lagarde
aurait dû faire acquérir le bien ou conclure le contrat par la société, on considèrera
qu'jlle détient en trust pour celle-ci (Cf J.Y. Martin op.cit. P.9).
4 J.Y.Martin op.cit. P.49.
5 A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes. P.143 N'80.
6 J.Y. Martin op.cit. P.66.
7 23 Del. Ch.255, 5A - 2d 503 (1939).
8 J.Y.Martin op.ciLPP65-67
9 A.Tunc.op.cit. P.143 N'80.

310
- Le critère du Fairness
C'est le critère de la loyauté. Il consiste à rechercher si, dans les
circonstances de l'espèce, le dirigeant se conduit loyalement et équitablement en
prenant à son compte une opération1.
On se serait attendu à ce que ce critère soit le principal sinon le seul. Le
Professeur Ballantine préconisait d'ailleurs que les tribunaux recherchent
uniquement si le dirigeant a agi loyalement envers la société.2
Ce critère fut notamment appliqué dans l'arrêt Durfee V. Durfee and Canning InC.3
dans lequel la cour suprême du Massachusetts, affirma que " ... Ie véritable
fondement de la doctrine de la corporate opportunity repose essentiellement sur
l'inéquité pour un administrateur dans les circonstances particulières ... de profiter
personnellement d'une occasion".
Dans l'arrêt Miller V. Miller4, les critères du Fairness et de la sphère d'activité
furent combinés.
Il faut dire que les tribunaux américains associent généralement le critère du
Fairness à d'autres critères.
Le droit américain est donc plus libéral que le droit anglais, très rigoureux sur
le problème de la corporate opportunity. Un critère comme celui de l'intérêt est
avantageux pour les dirigeants qui peuvent ainsi s'approprier une possibilité qui ne
présentait pas d'intérêt pour la société. Si un tel critère avait été appliqué à l'affaire
RegalS, les dirigeants auraient été exonérés de toute responsabilité car la société
n'avait pas la possibilité de conclure les transactions: les actions ne pouvaient pas
être souscrites par la société.
1 Idem.
2 Ballan'Une - Corporations· (Rev.Ed.1946) PP.204-20S cité par J.Y. Martin op.cit.
P.84.
3 323 Mass 187, 199, 80 N.E. 2d S22,S29 (1948).
cité par J.Y. Martin PP.64 et 84.
4 301 Minn.207, 222 N.W. 2d 71 (1974) cité par Cary and Eisenberg op.cit. P.641.
S Cf supra 1°/ En droit anglais.

311
La souplesse du droit américain se manifeste également quant à l'origine de
l'information: il faut que le fiduciaire ait appris l'information dans l'exercice de ses
fonctions et du fait de la position qu'il occupe dans la société.1 Par conséquent le
dirigeant peut passer un contrat avec un tiers suite à une information apprise hors
de ses fonctions.
Souplesse encore lorsque la société renonce à utiliser une possibilité. Le
dirigeant 'ne doit pas la reprendre, telle était la réponse rigoureuse héritée du droit
anglais2. Mais cette règle a été assouplie: le dirigeant peut utiliser cette possibilité
si l'opération envisagée n'entre pas dans l'objet social. De même lorsque le conseil
des directeurs a refusé de procéder à l'opération après examen de tous
ses
aspects, les directeurs intéressés s'étant abstenus de siéger ou au moins de voter3.
Le Professeur Tunc observe qu'un rapport émanant d'un expert serait une
précaution utile en raison des liens d'amitié que l'on peut supposer régner entre les
dirigeants. Aussi, lorsque le conseil des directeurs refuse une opération parce
qu'elle dépasse ses possiblités financières et qu'un dirigeant la reprenne à son
compte, c'est suspect, "car si le dirigeant a obtenu un financement pour lui n'aurait-il
pu l'obtenir pour la société 7"4
Des auteurs5 préconisent un retour à la rigueur et l'élaboration - surtout pour
les grandes sociétés - de règles plus claires. POLIr les management directors 6 et les
officers,
une interdiction absolue d'utiliser à leur profit une opportunité économique est
préconisée, les non-management directors7 eux ne se verraient interdire que les
opérations dont ils découvrent la possibilité dans l'exercice de leurs fonctions. Dans
le cas particulier des groupes de sociétés, ces auteurs préconisent que toutes les
chances économiques soient présumées appartenir à \\a filiale, sauf pour la société
mère à prouver que l'opération a pour elle un intérêt beaucoup plus grand.
1 Burg V. Morn, 380 F 2d 897 (CA2, 1967) cité par A. Georges op.cit. P.28.
2 Cf Keech V. Sandford - précité.
3 A. Tunc "Le droit américain des sociétés anonymes". P.144 N°80.
4 Idem.
5 J.Y.Martin - Thèse préc.
Brudney and Clark. A new look of Corporate
Opportunities. 94 Harv. L. Rev. 997(1981) cité par A. Tunc op. ciL p. 144 n° 80
6 c-a-d executive directors.
7 c-a-d non executive directors

312
En raison de l'importance de la corporate opportunity,
l'ALI la réglemente longuement. Le §5-12 relatif aux corporate opportunities1 pose
une règle générale (a) selon laquelle un directeur ou un principal senior executive
ne peut prendre pour lui-même ou pour un associate une chance économique.
Cependant il lui est possible de le faire lorsque certaines conditions sont réunies:
(1) la chance économique a d'abord été offerte à la société et l'organe de
décision s'est vu dévoiler tous les faits pertinents connus de l'intéressé au sujet de
son conflit d'intérêts et de la chance économique.
(2) la chance économique a été rejetée par la société. Cependant le rejet doit
avoir été fait conformément aux exigences de la business judgment rule2 lorsqu'il
émane des directeurs désinteressés. Lorsqu'il émane des actionnaires, il ne doit
pas être équivalent à une dilapidation d'actif social. Dans les autres cas, la prise de
chance par le dirigeant doit être loyale.
81 EN DROIT FRANCAIS
Les situations visées par la doctrine de la corporate opportunity. qui ont fait
l'objet comme nous l'avons vu, de nombreuses décisions en Angleterre et aux Etats-
Unis n'ont été en revanche que très peu examinées en droit français3.
Il existe pourtant des notions classiques telles que l'abus de biens sociaux et
l'abus de pouvoirs ou de voix. Ne permettent-elles pas de sanctionner le
détournement d'une chance
économique?
al L'ABUS DES BIENS SOCIAUX
1 Il s'agit de la version 1984 des Princip/es Corporate of Governance. V. A. Tunc
op.cit. P.145 N'80.
2 Cf s. 4.01 (c) des Principles of Corporate Governance selon lequel (1) le dirigeant
doit être désintéréssé
(2) il s'est informé sur le sujet du jugement d'affaires dans la mesure qu'il
croyait raisonnablement être appoprié aux circonstances.
(3) Il pense que son jugement d'affaires sert les meilleurs intérêts de
la soc·lété.
3 J. Y. Martin op. cit. p. 223

313
C'est un délit pénal prévu et sanctionné par l'article 437 _3' de la loi du 24
Juillet 1966{1}.
Il consiste pour le président, les administrateu rs ou les directeurs généraux
d'une société anonyme, à faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la
société, un usage, qu'ils savent contraire à l'intérêt de la société, à des fins
personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont
intéressés directement ou indirectement. Ce délit comporte ainsi quatre éléments
constitutifs:
- l'usage des biens ou du crédit
- contrairement à l'intérêt social
- dans un but personnel
- de mauvaise foi.
La question est de savoir si l'on retrouve chacun de ces éléments dans le
détournement d'une chance économique par un dirigeant social dans l'exercice de
ses fonctions.
- Usage d'un bien social
La chance constitue-t-elle un bien social?
Par définition une chance est un "résultat heureux".2
Par conséquent ce n'est que sa réalisation qui permet de dire que ce qui était au
départ une possibilité constituait une chance. Elle peut à l'inverse se révéler être
une malchance par ses résultats négatifs.
Le délit d'abus de biens sociaux ne peut s'appliquer qu'à la chance et non à la
malchance. Seulement est-il juste de se placer après coup pour affirmer que le
dirigeant a utilisé une chance appartenant à la société? Cela est discutable car
ainsi que le souligne M. Pinoteau3 "... il n'est pas de bonnes affaires qui ne
comportent des risques". Le dirigeant peut accepter de prendre des risques qu'il ne
veut pas faire courir à la société.
1 Ce texte est aussi applicable aux membres du directoire et du conseil de
surveillance. (art 464 L.1966).
2 Cf Dictionnaire Petit Larousse.
3 Ch. Pinoteau "Des abus de pouvoirs dans les sociétés par actions". GP 1944.
Doc. PAS.

314
b,)
Par 'son caractère pénal, le délit d'abus de biens sociaux doit faire l'objet
IJ")/( ~,,"l / d'une interprétation restrictive. En raison du principe de la légalité des infractio.os et
v..': \\n",/
des peines. Dès lors qu'il y a u~e hésitation, on ne peut consia~ bi~~
y~ \\
C:c'est-à""-dire une valeur pécuniaire, la possibilité utilisée par le dirigeant qui s'est par
la suite avérée 'fructueuse, mais qui aurait pu être malheureuse~
Il existe en revanche des situations très claires dans lesquelles l'avantage
apparaît indiscutablement et immédiatement. C'est le cas, par exemple du
fournisseur qui désire passer un contrat de fourniture de biens à des conditions très
avantageuses moyennant l'achat d'une très grande quantité de marchandises. C'est
une chance économique pour la société, à n'en pas douter, un bien.1
Que se passera-t-il si un dirigeant utilise cette chance à son profit?
Par hypothèse la chance s'est présentée au dirigeant dans l'exercice de ses
fonctions, c'est donc un bien social. Pour qu'il y ait abus de la part du dirigeant
social il faudra tenir compte de l'attitude de la société:
- si la société laisse \\e dirigeant s'approprier de la chance - elle en a le droit
car en tant que propriétaire du bien elle peut en disposer (abusus) - soit parce que
l'affaire ne l'intéresse pas, soit parce qu'elle dépasse ses possibilités financières, le
dirigeant n'est pas coupable d'abus de biens sociaux car il est de bonne foi, et
l'intérêt social n'est pas contrarié.
- En revanche si la société n'a pas donné son accord, il convient de
rechercher si les autres éléments du délit d'abus de biens sociaux sont réunis.
- MAUVAISE FOI
En s'octroyant la chance économique sans l'accord, exprès ou implicite, de la
société, le dirigeant est forcément de mauvaise foi. Il a probablement dissimulé à la
société la possibilité. En s'en appropriant il savait qu'il allait à l'encontre des intérêts
de la société
1 Il s'agit d'un bien incorporel.
Notons que si la chance en tant que telle appartient à la société, le profit qui en
résulte est conditionnel.

315
- USAGE CONTRAIRE AUX INTERETS DE LA SOCIETE
La chance nous l'avons vu appartient à la société, c'est un bien social. Par
conséquent le dirigeant a occasionné une perte àla société et un manque à gagner
- le profit - Il a donc agi contre les intérêts de la société dans un but personnel.
Ainsi tous les éléments de l'abus des biens sociaux tel qu'il est prévu par
l'article 437 - 3· L.1966 sont réunis ... dans l'hypothèse où la chance apparaissait
telle quelle indiscuta-blement et immédiatement et où le dirigeant l'avait dissimulée
àla société.
Ce n'était pas le cas dans l'espèce soumise à la Cour d'Appel de Limoges le
21 Novembre 1963~) Deux administrateurs d'une société anonyme avaient été
chargés par un comité de direction de se renseigner sur la possibilité par la société
de s'intéresser à une autre entreprise. Il leur était reproché non seulement de ne
pas avoir accompli cette mission, mais de s'être rendu personnellement acquéreurs
des actions de cette entreprise. Bien que l'arrêt n'ait pas examiné la question sous
l'angle de l'abus des biens sociaux, nous pouvons constater que l'acquisition des
titres n'est pas en soi une chance. Tout dépend de l'évolution de la valeur des titres
qui résulte elle-même de plusieurs facteurs dont la situation économique de la
société. Dès lors on peut affirmer que ce n'est pas un avantage immédiat.
Certains disent même que c'est un risque.2
b/ ABUS DE POUVOIRS OU DE VOIX
Ce délit pénal est prévu par l'article 437-4· L.19663 Il consiste pour le
président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme, à
faire de mauvaise foi, des pouvoirs qu'ils possédent ou des voix dont ils disposent
en cette qualité, un usage qu'ils savent contraire aux intérêts de la société, à des
fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils
r
1 C'était donc avant la loi du 24 Juillet 1966, mais la réforme de 1935 (DL.8 Août
1935) avait instauré le délit d'abus de biens sociaux en modifiant l'art 15 al 6 L.1867
; ses éléments constitutifs étaient les mêmes qu'actuellement . La différence
apportée par la loi de 1966 tient dans l'élargissement du champ d'application de ce
délit quant aux personnes concernées.
2 Ch. Pinoteau - op.cit. Loc. cit.
3 Ce texte est applicable aux membres du directoire et du conseil de surveillance
(Cf art - 464 - L. 1966).

316
sont intéressés directement ou indirectement.
Quatre éléments constituent ce délit:
- un abus des pouvoirs ou des voix
- contrairement à l'intérêt social
- à des fins personnelles
- de mauvaise foi.
On retrouve les mêmes éléments constitutifs que dans le délit d'abus des
biens sociaux, sauf en ce qui concerne l'objet de l'abus. Il s'agit ici d'abus de
pouvoirs ou de voix. Les deux délits sont très proches. Le délit d'abus des pouvoirs
ou de voix peut suppléer celui d'abus des biens sociaux. Cela peut être le cas
lorsque la société a décliné une offre qui lui était faite alors qu'elle était de toute
évidence avantageuse, laissant un dirigeant s'en approprier. Il se peut que
l'assentiment de la société et son refus de saisir la chance même qui se présentait
àelle soient dus au fait que le dirigeant intéressé était muni de procurations
d'actionnaires et a de ce fait pu voter dans un sens qui lui était favorable faisant fi de
l'intérêt de la société.
Il y a là, abus de voix. Et cela peut suppléer le délit d'abus de biens sociaux dont la
difficulté consiste essentiellement en la qualification de la possibilité en bien
social.1
Quant à l'abus de pouvoirs, il consiste en l'utilisation par le dirigeant, de ses
attributions à des fins personnelles, contrairement à l'intérêt social. Mais dans la
mesure où les pouvoirs appartiennent au conseil d'administration dans son
ensemble et non à chaque administrateur2, il est assez difficile de dire qu'un
dirigeant a abusé de ses pouvoirs. Celà supposerait que tous les administrateurs
aient outrepassé leurs pouvoirs.
Cette difficulté ne se pose pas en revanche pour le président qui a
notamment le pouvoir de représenter tout seul, la société dans ses rapports avec les
tiers. Il peut abuser de ce pouvoir. Il en est de même du directeur général puisqu'il a,
àl'égard des tiers les mêmes pouvoirs que le président3.
1 Cf supra a) L'abus de biens sociaux.
2 Il en est de même pour les membres du directoire ou du conseil de surveillance,
qui sont des organes collégiaux.
3 Cf art 117 al 2 L.1966. V. Supra 1ère partie. Titre 1 -Ch.1 Sect 1 §2B.

317
Dans l'espèce soumise à la Cour d'appel de Limoges1 -précitée - la cour a
rejeté le délit d'abus de pouvoirs au motif qu'en acquérant à titre personnel les
actions de la société X... les administrateurs avaient agi en vertu de leurs droits
propres et non en vertu de pouvoirs émanant de la société qu'ils administraient.
L'arrêt souligne à juste titre que les pouvoirs des administrateurs ne s'exercent
qu'au sein du conseil d'administration.
CI PERSPECTIVES AU SENEGAL
Faut-il traiter de manière spécifique la question du détournement d'une
chance économique, ou doit-on lui appliquer les règles sur le délit d'abus des biens
sociaux et le délit d'abus de pouvoirs ou de voix ? Ces délits étant prévus par
l'article 1502 COCC2 qui reprend l'article 437 L.196E(3)
La réponse à cette question dépend de la politique que l'on veut adopter. Si
l'on opte pour la rigueur, il vaut mieux traiter le problème de manière spécifique en
raison de l'interprétation restrictive des infractions pénales. En effet, comme nous
l'avons vu précédemment en étudiant le droit français, le délit d'abus de biens
sociaux n'appréhende pas certaines situations qui ne coïncident pas avec le texte.
Si au contraire on veut se montrer libéral, on peut se contenter de l'article 1507
COCC qui certes prévoit des sanctions pénales, mais qui ne trouvera pas souvent
matière à s'appliquer, faute de réunion de ses éléments constitutifs.
Pour favoriser la loyauté des dirigeants il semble préférable d'opter pour la
rigueur. Dès lors, laissant de côté l'article 1507 COCC, il faut appliquer des
solutions spécifiques. Les droits anglo-américains peuvent nous inspirer eux qui ont
eu à se prononcer maintes fois sur la question. Mais le droit anglais est trop
rigoureux car il ne distingue pas entre la possibilité apparue dans l'exercice de ses
fonctions et celle dont le dirigeant a connaissance hors de ses fonctions. Sur ce
1 prée.
2 L'article 1502 COCC s'intitule "Abus des biens et du crédit de la société
anonyme". Mais sous ce titre on retrouve plusieurs délits dont celui d'abus des
pouvoirs et de voix.
3 Sauf pour les personnes concernées: il énonce simplement "Les dirigeants" alors
que l'article 437 L.1966 les énumère.

318
plan la position américaine nous semble préférable.
Mais les critères du droit américain ne sont pas tous appropriés. Ainsi le
critère de la sphère d'activité: au Sénégal, pays en voie de développement et pays
essentiellement agricole, les activités industrielles et de service sont assez
limitées1, de sorte que ce critère risque d'être presque toujours vérifié car on
trouvera un lien entre l'opportunité dont s'est saisi le dirigeant et l'activité de la
société.
Le critère de l'intérêt ou de l'expectative n'est pas assez clair2, et tant qu'à
utiliser un critère autant en choisir un qui ne donne pas lieu à trop d'hésitations. De
plus il est trop étroit et désavantage la société.3
Reste le critère du Fairness. C'est lui qui a notre préférence. Basé sur la
loyauté, il doit conduire le juge à se demander si le dirigeant a agi loyalement
envers la société.
Il faut souligner qu'appliquer le critère du Fairness revient à appliquer le droit
commun de la responsabilité selon lequel "est responsable celui qui par sa faute
cause un dommage àautrui". (art.118 COCC). En effet dans le nouveau système de
direction, les administrateurs délégués ont une obligation légale de loyauté. Or le
fait de s'approprier une possibilité dont ils ont eu connaissance dans l'exercice de
leurs fonctions, sans l'accord de la société est totalement déloyal. C'est un
manquement à leur obligation donc une faute. Mais la société devra alors prouver
qu'elle a subi un préjudice, eu l'occurrence un manque à gagner (lucrum cessans) ,
du fait de l'appropriation par le dirigeant de la possibilité, plus précisément de la
chance, qui l'a ainsi privée d'un profitA
Dans le système classique, bien qu'elle ne soit pas expressément prévue par
la loi, nous considérons que l'obligation de loyauté des dirigeants existe. Dès lors
on peut par application de l'article 119 COCC selon lequel la faute est "un
1 Il s'agit essentiellement d'industries de transformation : huileries, industries
alimentaires, industries textiles, cimenteries, banques, assurances.
2 Cf J.Y. Martin op.ciL P.51-52.
3 Cf supra .2°/ Aux Etats-Unis
4 La demande en réparation doit porter sur le manque àgagner (Cf profit) plutôt que
sur la perte de la chance.

319
manquement à une obligation préexistante de quelque nature que ce soit"
considérer que les dirigeants ont commis une faute.
§3 - L'OBLIGATION DE NON-CONCURRENCE
En raison de son devoir de loyauté envers la société, le dirigeant social ne
doit pas faire concurrence à celle-ci. Il existe diverses situations de concurrence: -
Le dirigeant occupe simultanément un poste de dirigeant social dans une société
rivale. C'est le problème du cumul des mandats.
- Le dirigeant travaille pour le compte d'une société concurrente, en y
exerçant un emploi salarié.
- Le dirigeant crée une entreprise concurrente.
La liste n'est pas exhaustive, mais nous retiendrons ces situations.
AI
LE PROBLEME DE LA CONCURRENCE A TRAVERS LE
CUMUL DES MANDATS
11 AU SENEGAL
Le droit sénégalais est devenu particulièrement libéral sur la question du
cumul des mandats depuis la loi du 1a Février 1993 modifiant celle du 29 Juillet
1985. Cette dernière, dans sa version initiale permettait aux administrateurs de
siéger simultanément dans dix conseils d'administration (art 1252 CaCC), et au
président du conseil d'administration de cumuler cette fonction dans trois sociétés
(art 1273 CaCC). La loi du 1a Février 1993 abroge ces textes, de sorte que le
cumul est désormais possible sans limitation.
Selon l'exposé des motifs de cette loi, ces dispositions ont été abrogées "afin
de ne pas limiter le nombre de mandats de président et d'administrateur qui doivent
pouvoir s'investir dans les secteurs qu'ils pensent pouvoir faire prospérer grâce à
leur expérience".
Le législateur sénégalais en libéralisant le cumul de mandats ne semble pas
prendre en considération la loyauté des dirigeants sociaux. Déjà la question pouvait
se poser de savoir si l'on peut servir non pas deux maîtres à la fois, mais jusqu'à dix
! A fortiori maintenant où il n'existe plus de limites.

320
Certes, on peut opposer que le cumul des mandats n'est pas forcément
dangereux pour les sociétés.
Ainsi, lorsque les sociétés appartiennent à des secteurs non concurrentiels, les
dirigeants peuvent sans compromettre leur devoir de loyauté servir chacune d'elles.
La difficulté tient cependant au fait qu'au Sénégal, il n'y a pas une grande
diversité d'activités, la plupart des sociétés anonymes opèrent dans le même
secteur1 et sont en situation de concurrence virtuelle.
Il faut noter que la loi de 1985, initialement, ne restreignait pas le cumul
lorsque les administrateurs ou le président du conseil d'administration n'étaient pas
rémunérés. C'était une bonne chose, car souvent c'est l'appât du gain qui conduit
les dirigeants à cumuler les mandats sociaux.
Quant au directeur général, l'article 1278 al 2 cacc lui interdisait tout cumul
de mandat. Cela s'expliquait par l'importance de sa tâche : étant le patron de la
société il devait se consacrer à elle seule. an pouvait aussi y voir une conséquence
du devoir de loyauté2 du directeur général qui ne peut servir deux maîtres à la fois,
en l'occurrence deux ou plusieurs sociétés. L'article 1278 cacc traitant de la
rémunération du directeur général, on percevait à travers cet alinéa 2 la crainte du
législateur de voir des directeurs généraux cumuler des mandats dans le but de
s'enrichir.3
La loi du 1a Février 1993 abroge l'article 1278 al 2 cacc. Le cumul de
mandats de directeur général est désormais possible. an peut être inquiet, car on
risque de voir se multiplier les cas de directeurs généraux ayant un mandat dans
des sociétés concurrentes. En effet, le directeur général occupe un poste qui
nécessite de réelles qualifications, or il n'est pas forcément polyvalent. Par
conséquent, on le retrouvera dans des sociétés appartenant à des secteurs proches
voire identiques... Comment alors protéger ces sociétés?
1 Cf. supra in CI perspectives au Sénégal
2 Un devoir de loyauté qui, rappelons-le, n'est pas exigé expréssément par le
législateur, mais qui, à l'instar du système français, est inscrit en filigrane de
plusieurs dispositions légales.
3 Cf supra - in 1ère partie - Titre 1 - Ch.3 Rémunération des dirigeants sociaux.

321
L'organe qui nomme le directeur général, à savoir le conseil d'administration,
doit être vigilant dans son choix afin de ne pas désigner une personne qui est
directeur général d'une société concurrente. Mais en réalité, la solution se trouve
dans le devoir de loyauté du directeur général. Si vraiment il y a concurrence entre
les sociétés il doit refuser d'être directeur général de la seconde par loyauté envers
la première.
Dans le nouveau système de direction sénégalais, l'article 1304 al 1er ne
permettait à un administrateur délégué de cumuler cette fonction avec celle
d'administrateur ou de président du conseil d'administration d'une autre société,
qu'avec l'autorisation de l'assemblée générale de la société dont il était
administrateur délégué. Cette autorisation de l'assemblée générale1 indiquait le
souci du législateur de limiter tant soit peu le cumul des mandats par un
administrateur délégué.
Si l'autorisation de l'assemblée générale était donnée, l'administrateur
délégué
devait
respecter
le
plafond
de
deux
présiden~es de conseil
d'administration, et de dix sièges d'administrateurs résultant de l'article 1304 al 2
COCC.
Cet article 1304 al 2 COCC a été abrogé par la loi du 10 Février 1993.
L'article 1304 al 1er CO CC est maintenu. En conséquence, avec l'autorisation de
l'assemblée générale, les administrateurs délégués pourront désormais sans limite
cumuler leur mandat avec celui de président de conS'eil d'administration ou
d'administrateur.
On peut s'étonner du silence du législateur sénégalais quant au cumul de
mandats d'administrateurs délégués. Silence Q.b.sm:.v.é_a.u_s.sLdar.ls-la-v.e.r.s.i.o.o-ioitiale
de la loi du 29 Juillet 1985. On pouvait alors l'interpréter comme une
---
('
interdiction de
........
-
_.- -......
cumuler plusieurs mandats d'administrateurs délégués : puisque seuls étaient
prévus les cumuls avec un mandat de président du conseil d'administration ou
d'administrateur. Mais on pouvait aussi mettre l'accent sur les restrictions apportées
au cumul : le législateur l'évoquait pour le limiter, et par une interprétation a
1 Autorisation qui ne concernait que les administrateurs délégués malgré l'intitulé
de l'article 1304 intitulé "Dispositions communes".

322
contrario de l'article 1304 al 1er considérer que le cumul de mandats
d'administrateurs délégués, lui, est permis, même sans autorisation de l'assemblée
générale.
Avec la loi du 10 Février 1993 qui a libéralisé le cumul, c'est cette dernière
interprétation qui devrait prévaloir. Elle cadre mieux avec l'esprit libéral de la loi. On
peut le regretter, à cause des risques que peut engendrer le cumul de mandats, la
loyauté des administrateurs délégués étant mise àrude épreuve, pour les raisons
que nous évoquions précédemment. Cependant, dans une optique que nous avons
défendue1 - de professionnalisation de la direction des sociétés anonymes, il faut
permettre aux compétences d'être utilisées d'une société àune autre.
2/ EN FRANCE
Le droit français admet le cumul de mandats sociaux mais le limite. Le
plafond autorisé est inférieur à celui posé par le législateur sénégalais: il est de huit
pour les membres des conseils d'administration et desurveillance2 et de deux pour
le président du conseil d'administration, le directeur général et les membres du
directoire3.
Pour expliquer la limitation du cumul des mandats en France, les auteurs
n'évoquent pas le devoir de loyauté mais plutôt l'effectivité des fonctions4, le sérieux
de leur exercice5. En somme, il s'agirait plus de diligence que de loyauté. Il est vrai
que ces deux devoirs ne sont pas exclusifs l'un de l'autre, la loyauté devant
conduire le dirigeant à se montrer diligent. Certains auteurs ont vu dans la limitation
du cumul, le souci d'une certaine moralisation de la fonction d'administrateur, ces
derniers devant s'occuper sérieusement de la société dont ils ont la charge6. Ici
encore, on retrouve l'idée de diligence. Mais rien n'interdit d'y voir une conséquence
du devoir de loyauté des dirigeants sociaux, qui quoique non exprimé existe en
1 Cf supra - in Titre 1er - chap.1 - Nomination des dirigeants sociaux.
2 arts 92 et 136 L.1966.
3 Arts 111 et 127 L.1966.
4 Y. Guyon - op.cit. ed.1988 P.306
5 Cozian et Viandier - op.cit. ed.1993 - P.229 n'631.
6 J.F. Bulle et M. Germain. Pratique de la société anonyme -éd. Dalloz 1991 P.71
n'165.

323
droit français.
En pratique, les cumuls de mandats sociaux sont fréquents en France. Le
cabinet Heidrick and Struggles déplore le nombre excessif d'administrateurs
cumulant plusieurs mandats1. Il semble que les plafonds fixés par la loi sont même
parfois dépassés...certains allant jusqu'à cumuler vingt mandats !2
1 Cf. L'Expansion 3-16 Sept. 1992 P.60.
2 Cf E. Scholastique - op.cit. PP.349-350.

324
31 EN ANGLETERRE
Le droit anglais n'interdit ni ne limite le cumul de mandats sociaux, mais
comme l'indique le Professeur Tunc, le devoir de loyauté et sa conséquence qui est
l'obligation d'éviter tout conflit de devoirs rendent douteuse la possibilité pour un
directeur de faire partie du conseil d'une société concurrente1. Il reconnaît
cependant que le droit n'est pas très clair en la matière. Il semble que le simple
directeur d'une société peut aussi être simple directeur d'une autre société2 dès lors
qu'il est guidé, dans chacun des conseils dont il est membre, par l'intérêt de la
société où il se trouve. Autrement dit, il doit se montrer loyale envers chacune des
sociétés dont il est directeur. Cette solution résulte des nécessités de la vie des
affaires. Ainsi, la nécessité d'organiser et de rationaliser des branches de
production ou de distributions, conduit des sociétés, pourtant en concurrence dans
certains secteurs, à avoir des directeurs communs3.
Un arrêt quoiqu'ancien, est souvent évoqué pour illustrer la question du
cumul en Angleterre. Il s'agit de l'arrêt London Mashonaland Exploration Company
Ltd V. New Mashonaland Exploration GoA.
Dans cette affaire, un Lord au nom prestigieux susceptible d'inspirer confiance aux
investisseurs avait laissé inscrire son nom à la tête d'une liste de directeurs, figurant
dans un prospectus émis par une société rivale de celle dont il était chairman et
directeur. Cette dernière avait elle aussi émis un prospectus dont le succès
dépendait aussi du crédit que lui apporterait le nom du Lord. Se posait alors la
question de savoir si le Lord avait le droit d'utiliser son nom au profit de deux
sociétés rivales. S'appuyant sur l'absence de clauses restrictives dans le réglement
intérieur ou dans le contrat d'engagement et d'autre part de tout transfert abusif
d'informations confidentielles, la Cour jugea que le Lord n'était pas condamnable
Mr. Gower voit dans cette décision la possibilité pour un directeur d'être directeur
d'une société rivale5 - bien qu'en l'espèce, le Lord avait prêté son nom, mais n'était
1 A. Tunc.Le droit anglais des sociétés anonymes éd. 1987.P.208 n'112.
2 Par "simple directeur", il faut entendre celui qui n'est pas lié à la société par un
contrat de travail.
3 A. Tunc op. cit. pp 208-209 n° 112
4 (1891) W. N. 165 cité par Gower éd. 1992 p. 571
5
. 1
.
op. Clt. oc. Clt

325
pas directeur de la société rivale.
Il faut noter qu'en Angleterre, les sociétés doivent tenir un registre des
directeurs, lequel indique les autres mandats que ceux-ci détiennent simultanément
ainsi que ceux qu'ils ont exercés pendant les cinq années précédentes 1 ; ces
renseignements doivent aussi être annexés
au
rapport annuel. Certains
actionnaires d'ailleurs n'ont pas hésité à demander aux dirigeants comment ils
pensaient s'acquitter de leur mission vu le grand nombre de mandats qu'ils
cumulaient !2
La déclaration de l'ISC du 18 Avril 1991 préconise que les non-executive
directors ne participent pas aux conseils d'autres sociétés de la même branche
d'activité3. Cette recommandation vise à assurer leur indépendance.
AUX ETATS-UNIS
Les conflits d'intérêts résultant de la participation simultanée à la direction de
plusieurs sociétés ont été évités dans certains Etats où cette pratique est interdite
dans plusieurs secteurs notamment, les assurances, la banque. D'autre part, des
lois fédérales interdisent aussi les cumuls de mandats dans deux entreprises
directement concurrentesA
Mais s'il n'est pas concevable qu'une même personne soit management
director - executive director - dans deux sociétés directement concurrentes, on voit
des sociétés appeler à leur conseil comme non-management director - non -
executive director - des personnes ayant acquis de l'expérience à la tête d'une
entreprise dans un domaine où les sociétés désirent s'engager, même si ces
personnes entendent poursuivre leurs activités.5 Il arrive encore plus souvent
qu'une société désire nouer des liens avec une autre par une place dans son
conseil, alors même que les deux sociétés sont en concurrence. C'est le cas
notamment dans les groupes de sociétés où la société-mère siège dans le conseil
1 section 288 Cies Act 1985.
2 E. Scholastique - op.cit.P.351.
3 Cf. A. Tune. op.cit. in R.D.A.!. 1991 P.676.
4 A. Georges op.cit. P.28.
5 A. Tune - Le droit américain des sociétés anonymes. P.139 n079.
,

326
de filiales qui lui sont virtuellement concurrentes.1
Il appartient au directeur commun à deux ou plusieurs sociétés de respecter
son devoir de loyauté envers chacune d'elle. Ainsi en cas de contrat passé entre
ces sociétés, il devra s'abstenir de participer aux négociations ou àl'autorisation de
l'opération, ou ne participer à l'autorisation de l'opération qu'au nom d'une seule
société et requérir l'autorisation ou la ratification des -directeurs ou actionnaires
désintéressés de l'autre ou des autres sociétés, après qu'il leur ait divulgué les fait
pertinents au sujet du conflit d'intérêt2.
BI
TRAVAILLER
POUR
UNE
ENTREPRISE
CONCURRENTE
OU CREER
UNE ENTREPRISE CONCURRENTE
Le Sénégal a repris le principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui
régit le droit français depuis la loi des 2-17 Mars 1791, dite Décret d'Allarde, selon
laquelle : "il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle
profession, art ou métier qu'elle trouvera bon". La liberté de la concurrence dérive
de la liberté du commerce et de l'industrie.3 Un dirigeant social pourrait au nom de
la libre concurrence créer une entreprise concurrente. Il pourrait aussi, au nom de la
liberté du travail4, travailler dans une entreprise concurrente.
Dès lors, se pose la question de savoir comment concilier ces principes avec
le devoir de loyauté qui interdit au dirigeant d'agir contre les intérêts de la société?
Au Sénégal, la question de la concurrence est réglementée en droit du
travail. Il ressort de l'article 33 du code du travail qu'un travailleur ne doit pas
exercer en même temps une activité susceptible de concurrencer l'entreprise dont il
est employé - Ce n'est qu'à l'expiration de son contrat de travail qu'il pourrait le faire
sauf si le contrat de travail contient une clause de non-concurrence. L'article 33 du
code travail reconnaît l'efficacité d'une telle clause à condition qu'elle soit limitée
1 Idem.
2 Principles of Corporate Governance.
3 Y. Guyon - op.cit. ed. 1992 P.S66 n"S54.
R. Houin et M. Pédamon - Droit commercial. Précis Dalloz -ge éd. 1990.
P.544 N"436.
4 art 20 de la Constitution sénégalaise: "Chacun a le droit de travailler et le droit de
prétendre à un emploi ... "

327
r dansletemps-2ansetdansl'espace-unrayonde200kilomètresautourdulieu
de travail. Les deux conditions étant cumulatives.1
D'autres conditions sont
req uises.
~---------------
2 '
-~
- - - - - - - - - ------
Mais, on peut objecter que le dirigeant social n'est pas concerné par ce texte
qui s'adresse aux travailleurs de l'entreprise, à moins qu'il ne cumule son mandat
social avec un contrat de travail. Dans ce cas, il serait tenu pendant ses fonctions à
une obligation de non-concurrence envers l'entreprise. _Cette obligation étant
'fondée sur la bonne foi qui doit présider à l'exécution de tout contrat3 et au devoir
~de fidélité pesant sur les travailleurs, qui en découle.4 A l'expiration de son contrat
de travail il retrouverait la liberté de concurrencer son' ex-entreprise à moins qu'il
existe une clause de non concurrence.
Ou'en est-il lorsque le dirigeant social n'est pas en même temps titulaire d'un
contrat de travail? Autrement dit dans la majorité des cas ...
Son devoir de loyauté devrait le conduire à ne pas concurrencer, d'une
manière ou d'une autre, la société. Ainsi ne devrait·il pas créer une entreprise
concurrente ni travailler pour une entreprise concurrente5. Le ferait-il qu'il serait
coupable de violation de son devoir de loyauté envers la société. Mais qu'en est-il
lorsque son mandat de dirigeant social a pris "fin ? Son devoir de loyauté persiste-t-il
? Comme nous l'avions indiqué précédemment6, en tant qu'obligation juridique, le
devoir de loyauté ne peut être indéfini ... Ouel sera alors le moyen de protéger la
société? Car de 'par sa position, le dirigeant social particulièrement le directeur
général qui coiffe toutes les directions techniques de l'entreprise, constitue un
1 J. Issa - Sayegh - Droit du travail sénégalais. LGDJ
N.E.A. 1987.P.439 N°929.
2 Le contrat de travail doit être rompu par le travailleur, ou résulter d'une faute
lourde de celui-ci.
3 Cf G.H. Carmelynck et G. Lyon - Caen. op.cit. P.259 N°231.
Y.Serra. L'obligation de non-concurrence dans le droit des contrats - ed. Sirey
1970. P.254 n0344.
4 G.H. Camerlynck et G. Lyon - Caen op.cit. loc.cit.
5 Rappelons l'interdépendance existant entre la société et l'entreprise bien qu'il
s'agisse de notions différentes "ce qui est bien pour l'entreprise l'est pour la société
et inversement".
6 Cf supra in Section préliminaire. La notion de devoir de loyauté - §2 . Portée du
devoir de loyauté

328
danger pour la société lorsqu'il la quitte. Cela en raison de sa connaissance de
l'entreprise donc de ses secrets, des relations qu'il a pu nouer avec les tiers dans
l'exercice de ses fonctions: banquiers, fournisseurs etc...
Face à ce problème, en France, des sociétés insèrent dans leurs statuts des
clauses non-concurrence, ou font signer un engagement de non-concurrence à
leurs dirigeants. Tel fut le cas d'une société anonyme dont le président du conseil
d'administration lors de sa nomination s'était engagé, en cas de cessation de ses
fonctions, à ne pas s'intéresser directement ou indirectement à un commerce
identique à celui faisant l'objet de la société, pendant vingt ans en Charente et dans
les départements limitrophes. Le président du conseil d'administration ayant été
révoqué contesta cette clause au nom des principes de liberté d'entreprise et de
liberté du commerce et de l'industrie. La cour d'appel approuvée par la Cour de
Cassation estima que la clause de non-concurrence avait été demandée au
président du conseil d'administration en raison de ses fonctions et de son rôle qui
pouvait être prépondérant dans la constitution ou le développement de la clientèle
et reconnut la validite la clause.1
\\
------------
Au Sénégal, on pourrait prévoir de telles clauses. Il faudrait cependant les
cantonner dans le temps et dans l'espace comme cela est requis en droit du travail.
En Angleterre, quand un directeur réalise des profits par des affaires qu'il fait
en concurrence avec la société, il ne lui est pas redevable de ces profits à moins
que le contrat \\e liant à la société2 ne lui interdise de faire concurrence à la société,
parce que cela ne constitue pas en soi une violation de son devoir de directeur.3
Mais il est responsable s'il utilise les biens de la société ou des secrets
commerciaux ou sa connaissance des clients de la société ou une compétence
particulière acquise pendant qu'il était dans la société4. Sur ce dernier point, un
arrêt avait été rendu qui concernait un employé ordinaire : Hivac Ltd Park Royal
Scientific Instruments Ltd. 5
1 Casso Co. 23 Janv. 1978. Bull. Civ. P.24 N°31.
2 Il s'agira généralement des statuts de la société.
3 Cf Bell V. Lever Bross Ltd(1932) A.C. 161 at 195, H.L.
4
5 (1946) 1 ALL ER 350.

329
Pour le Professeur Gower a fortiori devrait-il en être de même pour les directeurs
car leurs obligations sont normalement plus lourdes que celles de simples
employés1. Ils ne devraient pas, même en l'absence de clause de non-
concurrence2 travailler pour une entreprise concurrente, ni exploiter une entreprise
concurrente.
Ce devoir de ne pas utiliser une compétence particulière acquise pendant
qu'il était dirigeant de la société prend fin quand il cesse d'être directeur de la
société.3 Mais, si après avoir quitté la société, il commet des actes qui auraient
constitué une violation de son devoir fiduciaire s'il était encore directeur, la société
peut recouvrer les profits réalisés4. Ce fut le cas dans l'affaire Granleigh Precision5:
un directeur avait développé une invention au nom de la société mais s'était rendu
compte qu'il existait un brevet qui aurait empêché la société d'en exploiter le
développement. Quand il quitta la direction de la société, il obtint une licence
exclusive du brevet du patenté et créa une société pour fabriquer le produit breveté
avec ses améliorations. Cet ex-directeur fut jugé responsable envers la société car il
avait violé son devoir fiduciaire lorsqu'il était directeur en ne révélant pas à la
société l'existence du brevet et en n'ayant pas mobilisé ses efforts pour obtenir une
licence au bénéfice de la société. Dans cet arrêt donc, le directeur était coupable
avant même d'avoir crée une entreprise concurrente, mais cette création a pour
ainsi dire rendu sa faute évidente car ce qu'il avait pu obtenir pour lui-même, il
aurait pu l'obtenir pour la société.
Enfin, il faut noter, qu'avec l'autorisation de la ou des sociétés, le dirigeant
peut faire concurrence à la société, mais comme l'observe le Professeur Gower, une
telle autorisation est peu probable, surtout si le directeur est un executive director
-donc très impliqué dans la société - ou si l'étendue de la compétition est
1 Gower op.cit. Ed.1992 P.497.
2 L'arrêt Thomas Marshall (Exporters) Ltd V. Guinle (1978) 3 V.L.R. 116 (cité par
Gower op.cit. P.571) avait condamné un managing director qui, en dépit d'une
clause lui interdisant de s'engager dans une autre affaire et de divulguer des
informations confidentielles, l'avait fait.
3 Pennington - op.cit. loc. cit.
4 idem.
5 Granleigh Precision Engineering Ltd V. Bryant (1964). 3 ALL ER 289 ; (1965) 1
WLR 1293 cité par Pennington op.cît. loc.cît.

330
substantielle1.
Aux Etats-Unis, également, le dirigeant peut faire concurrence à la société
avec l'autorisation de directeurs, ou d'actionnaires désintéressés, après divulgation
des faits pertinents.2
S'agissant d'un ancien dirigeant, le devoir de loyauté pourrait s'imposer à lui.
Pour clarifier la situation des dirigeants pendant et après l'exercice de leurs
fonctions, des clauses sont souvent insérées dans leurs contrats. Mais pour être
valables elles devront être limitées dans le temps et dans l'espace.3
Dans l'affaire Lincoln Stones V. Grant, des officers dissidents avaient fondé
leur propre société et utilisaient les méthodes de gestion de leur ancienne société.
Ils ont été condamnés à indemniser celle-ci pour le préjudice qu'ils lui avaient fait
subirA
En définitive, s'agissant du cumul des mandats sociaux le droit sénégalais -
plus précisément le système classique est proche du droit français. L'exigence dans
le nouveau système de l'autorisation d'un organe social supposé désintéressé5,
rappelle le droit américain. Comme les autres pays étudiés, le Sénégal adopte les
principes de liberté du commerce et de l'industrie, et de liberté du travail. Ceux-ci
constituant autant d'obstacles à une interdiction pour un dirigeant de créer une
entreprise concurrente ou de travailler pour une entreprise concurrente ; mais la
liberté contractuelle permet de prévoir des clauses de non-concurrence, à certaines
conditions.
Pourtant, il nous semble que le devoir de loyauté devrait primer tous ces
principes. Un dirigeant ne peut, selon nous être entièrement loyal envers deux
sociétés concurrentes, car la loyauté est indivisible. Avec ou sans permission, il doit
s'abstenir de travailler pour une entreprise concurrente et de créer une entreprise
concurrente.
1 Op.cit. P.571.
2 Principles of Corporate Governance §5-06.
3 A. Tunc . Le droit américain des sociétés anonymes P.142. N79.
4 309 Mass 417, 34 NE 2d 704 (1941) cité par A. Georges ibid P.30.
5 Cf l'assemblée générale.

331
SECTION 3 - LES OPERATIONS SUR TITRES
Les opérations sur titres constituent un domaine sensible. On peut, en effet,
s'enrichir facilement en achetant ou en vendant des valeurs mobilières, soit en
raison de la qualité des titres vendus - c'est le cas de la cession d'un bloc d'actions
conférant le contrôle de la société -, soit en raison de la primauté des informations
que l'on détient relatives à la société et susceptibles d'influencer le cours en bourse
des titres - c'est le cas de l'utilisation en bourse d'informations privilégiées.
Les dirigeants sociaux, de par leur position dans la société, sont bien placés
pour effectuer des opérations sur titres lucratives, pour peu qu'ils ne soient pas
soucieux de l'intérêt de la société et de ses membres. Le devoir de loyauté qui pèse
sur eux est alors vivement sollicité comme nous le verrons à travers les deux
situations suivantes:
- la cession de contrôle (§ 1)
- l'utilisation en bourse d'informations privilégiés (§2)
§1 - CESSION DE CONTROLE
AI POSITION DU PROBLEME
Par cession de contrôle, il faut entendre la vente de titres entrainant transfert
du contrôle de la société. Pour notre propos, la question est de savoir si un dirigeant
social a le droit de céder ses actions sachant que cela aura pour conséquence un
changement de contrôle de la société. Est-ce compatible avec son devoir de loyauté
?
Les cessions de droits sociaux emportant transfert du contrôle de la société
ont donné lieu en France, à un débat sur leur nature. Débat qui a vu s'opposer trois
thèses1. Pour Messieurs Oppetit, Berr et A. Lyon - Caen, la cession de droits
sociaux ne change pas de nature lorsqu'elle entraine un transfert du contrôle de la
société car elle porte sur une fraction du capital social et non sur des actifs, et elle
laisse subsister juridiquement la personne morale, contrairement à la fusion qui
1 Une étude globale sur la question est faite par le Professeur Oppetit. "Les
cessions de droits sociaux emportant le transfert du contrôle d'une société: essai de
synthèse". Rev. Stés 1978 P.631.

332
porte atteinte aux structures sociales. Messieurs Paillusseau, Contin et Champaud
estiment au contraire, qu'en raison de sa finalité économique, la cession de contrôle
équivaut à une cession d'entreprise. Entre ces deux thèses une position
intermédiaire est défendue par Monsieur Nectoux qui considère que la cession de
contrôle a une autonomie technique mais pas de spécificité juridique. Il préconise
que les inconvénients liés àson particularisme trouvent des remèdes dans des
règles propres telles que la réglementation des groupes .
.Cette discussion a pour objet la nature de l'opération de cession, mais elle ne
tient pas compte de la qualité de son auteur. Pour notre propos, il s'agit de prendre
en considération la personne du cédant et de s'interroger sur sa loyauté. Cette
personne en l'occurrence est un dirigeant social.
Certes, le droit des dirigeants sur leurs actions devrait leur permettre d'en
disposer librement. Cependant les dirigeants ont un devoir de loyauté envers la
société, voire envers les actionnaires, qui leur commande de privilégier l'intérêt de
celle-ci ou de ceux-ci sur le leur. Il faut donc s'interroger sur les conséquences
prévisibles de la cession de contrôle.
En soi, la cession de contrôle n'est ni bonne ni mauvaise. Tout dépend des
circonstances. Ainsi, une société en difficultés peut en passant sous le contrôle
d'une société prospère, bénéficier de son aide financière et se redresser. A
l'inverse, une société peut être contrôlée par une autre qui fait passer ses intérêts
propres ou ceux du groupe avant les siens; au risque d'entrainer sa disparition.1 Le
danger est d'autant plus grand que la cession de contrôle, contrairement à un autre
procédé de concentration des entreprises qu'est la fusion, n'est pas de la
compétence de l'assemblée des actionnaires.2
S'agissant des actionnaires, la cession de contrôle présente un danger pour
les minoritaires. Sur le plan matériel, ils sont désavantagés car leurs titres n'ont pas
la même valeur que ceux du cédant qui perçoit normalement une prime de
1 Ripert et Roblot - Traité élémentaire de droit commercial 12e éd. LGDJ P.527
N'714.
2 Même si le dirigeant est majoritaire à l'assemblée, une délibération de celle-ci
présente plus de garanties qu'une décision individuelle.

333
contrôle.1 Ils sont, en outre, tributaires de la politique menée par les nouveaux
maîtres de la société, qu'ils n'ont pas choisis. Ceux-ci peuvent par exemple opter
pour une limitation des distributions de dividendes. Ils peuvent aussi décider d'une
augmentation de capital, et les actionnaires qui ne sont pas en mesure d'y souscrire
devront quitter la société.
A l'inverse, la cession de contrôle peut leur être bénéfique. Si la gestion des
nouveaux dirigeants assure la prospérité de la société, les actionnaires en
recueilleront les fruits.
Face aux problèmes que suscite la cession de contrôle, les dirigeants
devront pour remplir leur devoir de loyauté se livrer à des investigations sur le futur
cessionnaire, sa situation financière, sa politique, ses ambitions...
S'ils ne le font pas ils sont coupables de négligence. Si, après s'être livrés à de
telles recherches, ils cèdent leurs titres alors que le transfert de contrôle se présente
sous un mauvais jour pour la société, ils sont coupables de déloyauté envers celle-
ci car leur devoir de loyauté aurait dû les conduire àrenoncer à céder leurs titres.
Ces mêmes investigations devraient leur permettre de mesurer l'intérêt de la
cession pour les actionnaires2 envers lesquels ils ont un devoir de loyauté.3
BI DROIT POSITIF
1°1 AUX ETATS-UNIS
Nous envisagerons la cession de contrôle spontanée, c'est-à-dire à l'initiative
du ou des dirigeants sociaux et la cession de contrôle faisant suite à une offre
publique de prise de contrôle.
al CESSION DE CONTROLE SPONTANEE
1 Le cédant vend ses titres à un prix supeneur à leur valeur intrinsèque. La
différence représente la valeur du contrôle.
2 Certes les dirigeants sociaux n'ont pas en principe un devoir de diligence envers
les actionnaires individuels, mais ici la diligence résulte du devoir de loyauté.
3 Les dirigeants ont un devoir de loyauté envers les actionnaires individuels au
Sénégal et - de manière moins affirmée toutefois - en France, aux Etats-Unis et en
Angleterre.
(Cf Supra §2 . Portée du devoir de loyauté). in 2e partie - Titre 1 - Ch.1 er S.2.

334
Un dirigeant peut avoir intérêt à céder ses titres tout en sachant que la
société va passer sous un autre contrôle et qu'II perdra sans doute son poste de
dirigeant. En effet en contrepartie de la cession de contrôle il perçoit normalement
une prime de contrôle. Cette prime représentant la valeur du contrôle.
La jurisprudence a surtout mis l'accent sur cette prime de contrôle que
perçoivent les cédants1 et sur le sort de cette prime. A travers certaines décisions,
on perçoit l'existence du devoir de loyauté lors de la cession de contrôle, en raison
du lien fiduciaire qui unit le cédant à la société ou aux actionnaires. Ce fut le cas
dans l'arrêt Per/man V Fe/dman2 dans lequel la Cour a cité la célébre déclaration
du juge Cardozo dans l'arrêt Meinhard V Salmon3. En l'espèce, Feldman, président
du conseil des directeurs et président de la société, avait cédé ses actions
moyennant une prime de contrôle. En première instance, il fut jugé qu'il n'avait fait
qu'exercer les droits jnhérents à la possession d'un bloc de contrôle, droits qu'un
actionnaire dominant peut exercer au mieux de ses intérêts personnels dès lors qu'il
ne commet pas de fraude ou qu'il n'a pas de raison de penser que le cessionnaire a
l'intention de dilapider les actifs de la société (footing). La cour d'appel du deuxième
circiut infirma cette décision et jugea qu'un directeur qui est également actionnaire
dominant est en cette double qualité dans une situation fiduciaire à l'égard de la
société et des minorités et que par conséquent lorsqu'il cède son bloc de contrôle, il
doit restituer à ces derniers la partie du prix qui représente un paiement pour le droit
au contrôle.
Dans l'arrêt Low V. Whee/er4, la Cour avait condamné les directeurs et
actionnaires dominants d'une société qui au lieu de transmettre aux autres
actionnaires l'offre d'un tiers d'acquérir les actifs sociaux, l'avaient rejetée, préférant
lui céder leur bloc de contrôle à un prix avantageux. Par la suite, l'acquéreur avait
également acheté les titres des minoritaires, mais à un prix bien plus bas. La cour
jugea que les directeurs et actionnaires prépondérants avaient violé leurs devoirs
fiduciaires en dissimulant l'offre du tiers aux minoritaires, ce qui leur avait permis de
réaliser un pro'fit dont ceux-ci étaient exclus. L'idée était donc qu'un actionnaire
1 Ceux-ci pouvant être les actionnaires majoritaires, ou des dirigeants sociaux. Ces
deux qualités pouvant se retrouver en une personne.
2219 F. 2d 173 (2d Cir 1955) cité par S. Maze - op.cit. PP.457-458.
3249 NY 458, 464, 164 NE 545, 546, 62 A.L.R. 1 (1928) prec.
4 207 Cal. App. 2d 381,24 Cal. Rptr - 538 (1962).

335
prépondérant désireux de céder son bloc de contrôle a le devoir fiduciaire de
prendre des mesures pour protéger les intérêts des minoritaires afin que ceux-ci
bénéficient également des conditions favorables de la société.
Dans l'arrêt Jones v. H.F. Ahmanson and C01, la Cour indique que la règle
de bonne foi et de loyauté intrinsèque s'étend à toute opération où le contrôle de la
société est pertinent, et cette règle s'applique aux officers, directeurs et actionnaires
dominants dans l'exercice des pouvoirs qu'ils détiennent du fait de leurs fonctions.
On peut citer aussi l'arrêt Smith V. Gorkom2, dans lequel la Cour Suprême du
Delaware a jugé que les directeurs de Trans Union Corporation (TUC) étaient
personnellement responsables pour avoir approuvé la cession de leur société au
groupe Marmon. La Cour Suprême considéra que les directeurs avaient violé leur
devoir de diligence en approuvant le projet de fusion des deux sociétés sans s'être
convenablement informéS.3 Certes, ils s'agissait de fusion et non de cession de
titres mais cette solution vaudrait tout aussi bien en cas de cession de contrôle, car
la diligence, résultant du devoir de loyauté commande au dirigeant de se livrer à un
examen attentif, informé, de l'opération envisagée.
bilA CESSION DE CONTROLE FAISANT SUITE A UNE
OFFRE PUBLIQUE D'ACHAT 4 (OPA)
Dans le cadre d'une offre publique d'achat, les directeurs sont dans une
situation de conflit d'intérêts car leur attitude peut être interprétée comme destinée à
les maintenir en place5 ou à les enrichir.
1 1 Cal - 3d 93, 81 Cal. Rptr 592, 460 P. 2d 464 (Sup. Ct. Cal 1969) cité par S.
Maze PP.464 et S.
2 488 A. 2d 858 Del. Sup .1985.
3 B. Laurent - Bellue. Les défenses aux offres de prise de contrôle aux Etats-Unis
d'Amérique. Th. Paris 1.1992. P.116.
4 La technique de l'OPA permet à une personne physique ou morale de faire
connaître publiquement aux actionnaires d'une société cotée qu'elle souhaite se
porter acquéreur de leurs titres à un prix déterminé. Le prix est réglé en espèces
(Sophie Fournier - Les moyens de défense contre les offres publiques d'achat, offres
publiques d'échange th. Paris 1 1988 P.6).
5 Frank E. Dangeard - Le droit financier américain - éd. FEC 1989 P.165.
...... ,.-.- ..--,.•.. ",

336
Certes, en principe, les dirigeants devraient bénéficier de la règle du
jugement d'affaires (Business Judgment Rule) 1, selon laquelle, les tribunaux n'ont
pas à juger de l'opportunité des décisions prises par les dirigeants de la société.
Mais dans l'hypothèse qui est la nôtre, d'une offre publique de prise de contrôle, les
dirigeants de sociétés cibles2 ne peuvent en bénéficier qu'à certaines conditions.
Celles-ci ont été définies dans l'arrêt Unocal V. Mesa Petroleum Co3 rendu par la
Cgur suprême du Delaware.
Selon la Cour Suprême du Delaware "En raison du spectre omniprésent
qu'un conseil des directeurs puisse agir principalement dans son propre intérêt
plutôt que dans celui de la société ou de ses actionnaires, il convient que les
devoirs des directeurs soient renforcés et que le juge procède dans ce cas à un
examen préliminaire avant que la protection de la Business Judgment Rule ne
puisse être conférée"4
Autrement dit, les dirigeants des sociétés cibles sont soumis à des conflits
d'intérêts inhérents à leur position et ils ne doivent bénéficier de la Business
Judgment Rule
que sous réserve du respect de certaines conditions. Quelles sont
ces conditions?
Conditions posées par l'arrêt Unocal..
- Le conseil des directeurs doit montrer qu'il avait des motifs raisonnables de
penser que l'offre publique de prise de contrôle créerait un danger pour la politique
et l'efficacité de la société. Cette preuve est rapportée si le conseil peut démontrer
qu'il a agi de bonne foi et qu'il a mené- des investigations raisonnables (1 ère partie
du Test Unocal).
La haute juridiction précise que la charge de la preuve est facilitée lorsque la
mesure défensive est approuvée par un conseil des directeurs composé d'une
majorité de directeurs indépendants (outside independant directors)5
- La mesure défensive doit être raisonable par rapport à la mesure pour la
politique et l'efficacité de la société, créée par la tentative de prise de contrôle (2e
1 Cf infra - in Devoir de diligence.
2 c'est-à-dire la société à qui l'offre est adressée.
3 493 A. 2d 946 (Del. 1985) cité par Laurent-Bellue op. cit. p. 83.
4 L. Bellue - op.cit. p.85.
5 Cela équivaut aux non-executive directors.

337
partie du Test Unocal, ou test de proportionnalité). La Cour énonce les facteurs
qu'un conseil des directeurs peut prendre en considération lorsqu'il examine la
nature d'une offre et son impact sur la société: il s'agit du caractère inadéquat de
l'offre, de la nature et du moment où l'offre est lancée, de la légalité de l'opération,
de l'efiet de l'ofire sur les constituancies1, le risque de non réalisation de l'opération,
et la qualité des titres offerts dans le cadre d'une offre publique d'échange2. S'y
ajoute depuis l'arrêt Ivanhoé Partners V. Newmont Hining Corp3, la prise en
compte des intérêts fondamentaux des actionnaires et l'étude des mesures prises
dans le passé par l'acquéreur et ses filiales àl'occasion d'offre de prise de contrôle.
A travers ces exigences transparaissent les devoirs de loyauté - et de
diligence - auxquels sont astreints les directeurs.4 Ils doivent les observer qu'il
s'agisse de cession volontaire de contrôle5, d'OPA amicale ou inamicale. La
diligence commande d'obtenir et de revoir toutes les informations nécessaires à une
prise de décision informée6 La loyauté commande que le directeur ne soit pas des
deux côtés de la transaction (Cf conflits d'intérêts) et qu'il ne tire pas de la
transaction un bénéfice financier personnel sans que celui-ci profite à la société ou
à tous ses actionnaires.7
2°/ EN ANGLETERRE
Selon la règle 3-1 du City Code, "Le conseil de la société visée par une offre
de prise de contrôle doit obtenir un avis compétent et indépendant et en faire
connaître l'essentiel à ses actionnaires". Le conseil des directeurs de la société
visée doit en effet ne penser qu'à ses actionnaires et faire preuve de détachement.8
1 C'est-à-dire ceux qui ont un intérêt dans le développement de la société. Il s'agit
essentiellement
des
actionnaires,
dirigeants,
employés,
fournisseurs,
consommateurs...
2 La technique de l'OPE est la même que celle de l'OPA, àcette différence près que
le prix est réglé par remise d'actions ou d'obligations.
3 535 A - 2d 1342 (Del - Supr - 1987)
4 Gesterle (cité par L. Bellue op.cit. P.86) estime cependant que le test de
proportionnalité supplante complètement les exigences découlant des devoirs
traditionnels de loyauté et de diligence.
5 Cf supra a) Cession de contrôle spontanée.
6 Cf L. Bellue - op.cit. P.87.
7 Ibid. P.90
8 A. Tunc - Le droit anglais des sociétés anonymes 3e éd.1987 P.315 N°168.
" .... "._-,-
.."

338
Certaines offres requièrent une autorisation préalable du Panel1. C'est le cas
des offres partielles, car elles peuvent entraîner des inégalités entre les actionnaires
et surtout placer les actionnaires qui n'ont pas accepté l'offre sous un contrôle qui
n'existait pas ou changer le titulaire du contrôle. Selon la règle 36-1 une offre
partielle ne peut être lancée qu'avec le consentement du Panel. Ce consentement
est normalement donné si l'offre ne permet pas à l'offrant d'obtenir au moins 30%
des droits de vote. Par contre, si elle lui assure au moins 30% des droits de vote (et
moins de 100% puisqu'elle est partielle), le Panel ne donnera pas son
consentement si l'offrant ou des personnes agissant de concert avec lui ont dans les
douze mois précédents procédé à des achats sélectifs ou importants, ou s'ils ont
procédé à des achats à un moment où ils envisageaient l'offre (règle 36-2).2
Lorsque l'offrant a annoncé son intention ferme, le document d'offre doit être
adressé aux actionnaires de la société visée dans les vingt-huit jours (règle 30-1).
Et, le conseil de la société visée doit aviser ses actionnaires de ce qu'il pense de
l'offre, dès que possible après publication de l'offre et normalement dans les
quatorze jours (règles 30-2). Les directeurs de la société visée, dans tout document
par lequel ils recommandent l'acceptation ou le rejet de l'offre, doivent s'expliquer
sur les contrats de services qui les lient à la société et sur tout amendement qui leur
aurait été porté dans les six derniers mois, ainsi que sur toute indemnité qu'ils
recevraient pour perte de leurs fonctions (règle 25-4)3
Le City Code demande également à l'offrant de s'expliquer sur ses intentions
au sujet de la poursuite ou de la modifiction des activités de la société visée, de
l'emploi de son personnel et de celui de ses filiales, de la justification commerciale
àlong terme de la prise de contrôle qu'il envisage (règle 24-1 )4.
Comme nous le voyons, le droit anglais entoure les prises de contrôle d'un
1 Le Panel of Take-overs and Mergers est un comité chargé de veiller à l'application
du City code et à son adaptation aux besoins qui se révéleraient. Sous la direction
d'un président et d'un vice-président nommés par le gouverneur de la Banque
d'Angleterre, il réunit les représentants de 11 associations du monde de la finance
et des affaires (Cf A. Tunc - ibid P.308 n'165).
2 A. Tunc op.cit. P.316 N°169.
3 ibid. P.317 n0170.
4 Ibid p.318 n'170.

339
certain nombre de précautions et de garanties propres à assurer le respect des
intérêts des actionnaires. Il met l'accent non seulement sur les obligations des
offrants mais aussi sur celles des directeurs de la société visée. Ces derniers sont
tenus à la plus grande loyauté - car il s'agit bien de cela - envers les actionnaires. 1\\
faut noter que la tâche des directeurs de la société visée est facilitée par les
obligations qui pèsent sur les dirigeants de la société offrante1, car les informations
que ces derniers sont tenus de donner dispenseront les directeurs de la société
visée de certaines investigations -encore qu'il leur est loisible de faire des
vérifications.
Le Professeur Tunc souligne que ces règles tiennent compte du fait que
l'actionnaire de la société visée ne se déterminera plus seulement par la somme qui
lui est offerte, mais prendra également en considération les intérêts généraux2 tels
que l'emploi par exemple d'où l'intérêt des informations que doit fournir l'offrant3.
"L'objet du code est d'imposer aux parties le fair play, afin que les actionnaires
auxquels l'offre s'adresse puissent prendre une décision aussi informée et aussi
objective que possible. C'est avec l'idée d'égalité une des idées centrales qui
l'inspire"4.
Outre le City Code, les prises de contrôle sont aussi réglementées par la loi
de 1985(5),Celle-ci interdit notamment àtoute société de prêter assistance pour
l'achat de ses actions (art 151 - 158). C'est cette disposition que le président du
conseil de la société Guiness6 est accusé d'avoir violée : alors que la société
Guiness en concurrence avec la société Dargyll, proposait d'absorber Distillers par
échange d'actions, il aurait rendu son offre plus attrayant en faisant monter le cours
de ses actions par des achats financés par la société. La loi de 1985 oblige aussi
les directeurs à obtenir un vote de l'assemblée générale avant que leur soit versée
une indemnité pour perte de leurs fonctions, consécutive à la prise de contrôle (art.
313-316).
1 Cf la règle 24-1 précitée.
2 A. Tunc op.cit. loc. cit.
3 Cf la règle 24-1 préc.
4 A. Tunc op. cit. P.320 1'.J'173.
5 A. Tunc ibid P.321 N°174.
6 Guiness V. Saunders (1990) 2 A.C. 663 H.L. cité par Gower op.cit. ed. 1992.
P.562.

340
L'intérêt porté par le droit anglais aux prises de contrôle résulte de la prise en
compte de ses dangers. L'affaire Guiness les a mis au grand jour. Elle a d'ailleurs
suscité une réforme du Panel visant à lui octroyer des pouvoirs supplémentaires et
àlui permettre de mieux exercer sa mission de contrôle et de prendre des sanctions
plus effectives.
31 EN FRANCE
Pour les sociétés cotées, I~ cessio~d~bloc de contrôle de l'offre publique
d'achat sont réglementées de manière à assurer la protection des actionnaires
minoritaires.
En effet, selon l'article 4-5-2 de l'arrêté du 28 Septembre 1989, l'acquéreur du
bloc de contrôle doit s'engager à acheter en bourse toutes les quantités de titres qui
lui seront présentées au cours et au prix auquel la cession du bloc de titres doit être
réalisée. Cette mesure devrait éviter l'attribution d'une prime de contrôle aux
cédants du bloc de contrôle. Cette prime étant le prix payé par les acquéreurs
sachant qu'ils vont devenir les maîtres de la société.
Quant aux offres publiques, l'article 5-2-2 de l'arrêté du 15 Mai 1992 soumet
à la même obligation leur initiateur: "L'offre publique doit viser la totalité des titres
de capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote de la société
émettrice", assurent par là-même l'égalité de traitement des actionnaires.1
Auparavant, la procédure d'offre publique d'achat n'obligeait l'initiateur de l'offre à
acquérir que les deux tiers des titres de capital conférant des droits de vote aux
assemblées générales de la société émettrice, de sorte que l'actionnaire minoritaire
ne pouvait pas sortir de la société. Comme le souligne Monsieur Viandier : "Avec
cette règle, c'est une pierre de scandale qui disparaît ; désormais tous les
actionnaires de la société concernée par l'offre publique seront assurés de pouvoir
céder leurs titres à l'initiateur de l'offre.2
Dans ses principes généraux3, la COB requiert des dirigeants de la société
visée par une offre publique, de veiller à l'intérêt des associés en général et non à
1 T. Bonneau. "La réforme des offres publiques d'acquisition. Bull. Joly. 1992-599.
2 A. Viandier - chr. JCP ed. E. 1992 n' 164.
3 Réglement 89-03, arts 1 à 3.

341
leur intérêt particulier1. La COB oblige les dirigeants des sociétés concernées à
déclarer les opérations qu'ils effectuent en bourse sur les titres concernés par
l'offre2.
Quant aux sociétés non cotées, aucune règle n'est prévue pour protéger les
intérêts des actionnaires minoritaires. Les propositions Cousté prévoyaient bien des
solutions pour assurer la protection des actionnaires minoritaires: le droit au retrait
ou à une allocation compensatrice, mais elle n'ont pas été adoptées3.
Pour l'heure, la prise de contrôle d'une société non cotée en bourse est
considérée juridiquement comme une simple cession d'actions et n'est pas soumise
à une réglementation particulière. La jurisprudence a notamment adopté cette
position dans l'arrêt Saupiquet Cassegrain4.
Les actionnaires majoritaires de la
société anonyme Cassegrain voulaient céder leur participation qui s'élevait à 67%
du capital, à la société Saupiquet. Les statuts de la société Cassegrain soumettaient
les cessions d'actions àl'agrément du conseil d'administration. En l'occurrence,
celui-ci dominé par les actionnaires majoritaires, accorda l'agrément. Par ailleurs,
les intéressés sollicitèrent et obtinrent une ratification par l'assemblée générale
extraordinaire où ils étaient aussi majoritaires. Des actionnaires minoritaires
demandèrent l'annulation des deux délibérations et par voie de conséquence de la
cession du bloc de contrôle, au motif que la cession mettait en danger la société
Cassegrain car la société Saupiquet comptait démanteler le patrimoine de la
société Cassegrain et fermer sa principale usine. La cession dépassait donc, selon
eux, la compétence du conseil d'administration. De plus, la ratification par
l'assemblée générale extraordinaire était entachée d'abus de majorité et donc
inopérante. La Cour d'appel de Rennes 5 fit droit à leur demande. Sur pourvoi des
majoritaires, sa décision fut cassée par la Cour de cassation6 qui admit la liceité de
1 Y. Guyon op.cit. ed. 1992 P.602 n'596.
2 Ibid. P.603 n'596.
3 Proposition de loi n'1055 du 19 Fév. 1970 et n'522 du 28 Juin 1978. Ces
propositions ont une portée limitée au groupe de droit; la société dominante et les
sociétés dominées ayant conclu un contrat d'affiliation qui préciserait les pouvoirs
de la société dominante dans le fonctionnement de la société dominée (Ripert et
Roblot 12e éd. n'7151 P.532).
4 Casso com. 21 Janv. 1970. JCP 1970. 11-16541 note B -Appetit - RTDCO 1970-
788 note Houin - Après renvoi com. 21 Juin 1982 Rev. Stés 1982 - 852.
5 Rennes 26 Févr. 1968. JCP 1969 Il - 16122 note Paillusseau et Contin.
6 Casso com.21 Janv.1970 préc.

342
la cession en considérant que l'opération n'intéressait que le vendeur et l'acheteur
d'actions, et non la société qui n'y était pas partie. L'arrêt constate en effet que la
cession de contrôle n'est pas l'équivalent d'une fusion -absorption, la société
Cassegrain ayant conservé sa personnalité morale. " n'y a eu ni modification de son
objet, ni de sa durée, ni de ses statuts.
Ainsi lorsque la société n'est pas cotée, les intérêts de la société et des
actionnaires minoritaires ne font l'objet d'aucune mesure protectrice lors d'une
cession de contrôle. Tout repose donc sur la loyauté intrinsèque des dirigeants
sociaux.
4"/ AU SENEGAL
Instruit par les difficultés posées par les groupes de sociétés, en France
notamment, le droit sénégalais a innové en prévoyant la création de groupes de
droit. L'article 1444 COCC prévoit en effet, la constitution de groupes de sociétés
par un contrat de groupe. Le contrat de groupe est établi sous forme de projet par
les organes de direction de la société qui prend l'initiative de constituer le groupe de
sociétés et qui est considérée comme la société dominante. Ce même article
contient des dispositions qui pour notre propos, devraient éviter des difficultés
qu'ont connues et que connaissent la France, les Etats-Unis et l'Angleterre.
Le projet de contrat de groupe doit obligatoirement préciser : l'objet de
l'opération envisagée, ses conséquences sur l'organisation et le fonctionnement
des sociétés membres du groupe, les pouvoirs reconnus au groupe et les
modifications qui en résultent pour l'activité des sociétés qui en font partie, les
garanties offertes aux associés et aux créanciers des sociétés membres du groupe.
Toutes ces indications sont très importantes, mais nous retiendrons particulièrement
celles qui ont trait aux conséquences de la constitution du groupe sur les autres
sociétés ainsi que les garanties offertes aux associés.
Le législateur sénégalais s'oriente ainsi dans la voie de la transparence et de
la protection des intérêts des actionnaires et des créanciers.
On pourrait s'étonner que ce soient les organes de direction de la future
société dominante qui établissent le projet de groupe, car ne risquent-ils pas alors
de faire prévaloir l'intérêt de celle-ci?

343
Heureusement il Y a un contrepoids à ce pouvoir de la future société
dominante, puisque le projet de contrat de groupe doit être adopté par les associés
des diverses sociétés concernées, sauf ceux de la société dominante, dans les
mêmes conditions qu'une modification des statuts. En outre, leur vote sera éclairé
par un rapport spécial du commissaire aux comptes ou d'un expert désigné en
justice à la def'!"lande de la société dominante (art 1445 CaCC).
Enfin, le contrat de groupe une fois adopté doit être soumis à l'homologation
du tribunal régional. Tout associé peut faire opposition à l'homologation du contrat
de groupe pour vice de forme ou insuffisance des garanties offertes aux associés
des sociétés autres que la société dominante (art 1446 CaCC).
Le législateur sénégalais a donc pris le maximum de précautions. Pour notre
propos, la prise de contrôle dans le cadre d'un contrat de groupe devrait ménager
les intérêts de la société contrôlée et ceux de ses actionnaires. Ces derniers sont en
mesure de défendre leurs intérêts en participant au vote du contrat de groupe, et en
le contestant en justice le cas échéant.
Il faut noter que la garantie offerte aux associés peut consister en une
indemnité compensatoire ou dans le versement d'un revenu forfaitaire. L'article
1447 cacc prévoit même qu'en cas d'inexécution de cette garantie, les
actionnaires intéressés pourraient mettre en cause la responsabilité civile ou
pénale des dirigeants de la société dominante ou de leurs propres dirigeants.
Ce faisceau de dispositions permet d'assurer la loyauté des relations
contractuelles1 entre la société dominante et la société contrôlée, les charges
pesant à titre principal sur la partie la plus forte. Les actionnaires de la société
contrôlée sont eux-mêmes bénéficiaires du devoir de loyauté dü par leurs
dirigeants. Ceux-ci "n'apparaissent" pas dans la procédure du contrat de groupe,
puisqu'il n'y a pas négociation entre les dirigeants de la société dominante et ceux
de la société contrôlée, le projet de contrat étant établi unilatéralement par les
organes de direction de la future société dominante. Mais, en tant qu'actionnnaires,
1 Il s'agirait en l'occurrence d'un contrat d'adhésion car selon l'article 1445 al 3
cacc "Le projet de contrat de groupe doit être accepté ou refusé sans pouvoir faire
l'objet d'amendement".

344
les dirigeants de la société contrôlée se prononceront en votant pour ou contre le
contrat de groupe. Leur décision devra tenir compte des intérêts de la société
contrôlée et des actionnaires minoritaires. Toute idée de collusion entre les
dirigeants de la future société dominante et de la société contrôlée doit être écartée,
car le contrat de groupe une fois adopté est soumis à l'homologation du tribunal
régional. Nul doute qu'il refuserait d'homologuer un contrat de groupe accordant
des avantages aux dirigeants de la société- contrôlée ... De plus, l'action en
responsabilité contre leurs dirigeants et ceux de la société dominante est ouverte
aux actionnaires de la société contrôlée (art 1447 al 2 CaCC)
§2 L'UTILISATION EN BOURSE D'INFORMATIONS PRIVILEGIEES
LE DELIT D'INITIE
L'initié est quelqu'un qui dans l'exercice de sa profession ou de ses fonctions
dispose d'informations "privilégiées" sur les perspectives ou la situation d'un
émetteur de titres, ou les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un
contrat àterme négociable. Informations que le public ignore.
Les dirigeants de la société sont des initiés.1 : leur connaissance des affaires
sociales les privilégie2 par rapport àla communauté des investisseurs, ce qui peut
les conduire àutiliser en bourse les informations qu'ils détiennent.
Selon Monsieur Morel, les opérations d'initiés peuvent être rattachées
intellectuellement à des interdits tels que le vol, le dol, la tricherie. Vol, car l'initié
détourne à son profit un élément de richesse sur lesquel il n'avait aucun droit. Dol,
car lorsqu'il achète ou vend des titres à une personne déterminée, l'initié s'abstient
de l'informer et abuse de son ignorance. Tricherie, car l'utilisation de son information
privilégiée permet à l'initié de se soustraire à l'alléa boursier.3 Le dénominateur
commun de ces trois interdits est le manque de loyauté. Pour cette raison on peut
voir, à travers la sanction de l'utilisation en bourse d'informations privilégiées, une
1 Cf P. Bézard - op.cit. P.539. "Les dirigeants sont en effet des initiés "de droit" du
seul fait des fonctions qu'ils occupent". Parmi les initiés on trouve les cadres de
l'entreprise, les analystes financiers, les journalistes financiers etc..
2 Bien qu'appliqué à l'information, le terme "privilégié" concerne plutôt le détenteur
de l'information.
3 P.
Morel "L'utilisation en bourse d'informations privilégiées.
Evolution
conceptuelle" Th. Droit Paris 1-1984 PA.

345
manifestation du devoir de loyauté.
AU SENEGAL
A priori,le Sénégal n'est pas concerné par l'utilisation en bourse
d'informations privilégiées, puisqu'il n'y existe pas de bourse de valeurs. Mais cette
situation peut changer. Le législateur sénégalais a d'ailleurs pris des dispositions
qui visent au moins à donner une information sur les sociétés dont les titres sont
cotés.
Il s'agit de l'article 1540 COCC selon lequel, les dirigeants de sociétés
anonymes dont les actions sont inscrites àla cote officielle d'une Bourse de valeurs
et dont le bilan dépasse 500 millions de francs, seront punis d'une amende de 1 à2
millions de francs, s'ils n'ont pas publié au journal officiel dans les quarante cinq
jours qui suivent l'approbation du bilan et des comptes par l'assemblée générale:
les états financiers et l'inventaire des valeurs mobilières détenues en portefeuille
selon les modalités 'fixées par décret. 1
En outre depuis la loi du 10 Février 1993, l'article 1492 2° COCC dispose:
"les dirigeants de sociétés anonymes dont les actions sont inscrites à la cote
officielle d'une bourse de valeurs et dont le bilan dépasse 500 millions de francs
qui n'auront pas publié au journal officiel : a) dans les quarante cinq jours qui
suivent l'approbation du bilan et des comptes par l'assemblée générale, les états
financiers et l'inventaire des valeurs mobilières détenues en porte-feuille selon les
modalités fixées par décret :
b) dans les quarante cinq jours qui suivent chacun des trimestres de
l'exercice, l'indication du montant du chiffre d'affaires du trimestre écoulé, selon les
modalités fixées par décret
c) dans les quatre mois qui suivent chacun des semestres de l'exercice, une
situation provisoire du bilan arrêtée au terme du semestre écoulé".
Seront punis d'une amende de 200 000 F à 2 millions de francs.
1 Cette mesure pourrait s'appliquer d'ores et déjà, si des titres d'une société
anonyme sont inscrits à la cote d'une bourse étrangère.

346
On peut remarquer que le a) correspond à l'article 1540 COCC précité.
Pourtant la loi du 10 Février 1993 n'a pas compté cet article parmi les dispositions
abrogées. C'est sans doute un oubli de sa part, puisqu'il s'agit de la même
infraction. Avec la loi de 1993 la sanction pénale diminue quant à son minimum qui
passe de 1 million de francs à 200 000 francs.
Malgré cet "assouplissement" il est remarquable que les seules dispositions
sur les titres cotés aient pour objet une sanction pénale. Le législateur sénégalais
semble s'orienter dans la voie de la sévérité comme l'ont fait les autres pays objets
de notre étude, conscients du danger des opérations financières. Les crises et
autres scandales boursiers qu'ont connus ces pays peuvent dissuader de créer une
Bourse des valeurs au Sénégal. C'est un domaine où la prudence et la vigilance
s'imposent, notamment vis-à-vis des dirigeants sociaux qui peuvent être tentés
d'utiliser les informations privilégiées dont ils disposent pour acheter ou vendre des
valeurs de la société avant que le public n'en a.it connaissance.
2"1 EN FRANCE
Le délit d'initié est prévu par l'article 10-1 de l'ordonnance NQ 67-833 du 28
Septembre 1967. Cet article a été ajouté par la loi n070-1208 du 23 Décembre
1970. Le texte a été plusieurs fois modifié: par la loi n083-1 du 3 Janvier 1983, par
la loi n088-70 du 22 Janvier 1988, par la loi n089-531 du 2 Août 1989.
Le droit français s'est ainsi inspiré du droit des Etats-Unis qui s'est préoccupé
du problème dès 1934.
Comme toute infraction pénale1, le délit d'initié comporte un élément légal -
que nous avons vu - un élément matériel et un élément moral.
a) ELEMENT MATERIEL
Le délit d'initié suppose l'existence d'une information privilégiée sur les
perspectives ou la situation d'un émetteur de titres ou sur les perspectives
1 J.C. Soyer - Manuel de droit pénal et de procédure pénale. LGDJ 1987 P.51 n060.

347
d'évolution d'une valeur, ou d'un contrat à terme négociable1.
L'élément matériel consiste pour le détenteur de l'information privilégiée à
effectuer ou à permettre d'effectuer, une ou plusieurs opérations en bourse,
directement ou par personne interposée.2 Peu importe qu'elle soit profitable ou non.
Le profit n'est pas un élément du délit.3
La jurisprudence a précisé les caractères de l'information. On peut citer
notamment l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, le 30 Mars 1977(4)Les faits
étaient les suivants: une société étant dans une situation notoirement difficile à
cause d'une de ses deux filiales. Les conseils d'administration des trois sociétés
formant le groupe5 furent convoqués pour le Mardi 17 Avril 1973.
Le Jeudi 12 Avril 1973, le secrétaire général de la société holding donna des
ordres de vente de titres pour lui-même et sa famille. Ces ventes eurent lieu les
12,13,16 et 17 Avril. Le président de la société lui téléphona le 16 Avril pour
l'informer officiellement de la situation difficile de la société. Une personne témoigna
que le secrétaire général était au courant de la situation depuis la fin du mois de
Mars, mais ce témoin se rétracta. Le secrétaire général se défendit d'avoir su, avant
d'en être informé officiellement, les mauvais résultats financiers de la société
holding.
La Cour d'appel considéra que le secrétaire général n'avait accès à aucune
information particulière concernant la situation financière des sociétés en cause,
qu'il n'avait pas de délégation de signature en dehors de son domaine spécifique,
)
,
qu'il ~ssita[LR.ês aux réunions du conseil d'administration, qu'il ne saurait donc être
considéré comme le représentant de la société au sens de l'article 162-1 L.196E$)
1 Une information politique, par exemple, n'est pas une information privilégiée au
sens de la loi (Cf M.C.Robert. "La bourse et les initiés, essai de droit comparé" Rev.
Stés 1982 P.3 Les droits anglo-américains sont sur ce plan beaucoup plus réalistes.
2 J. Guyénot note au D. 1978. P.386 (3 espèces : TG 1 Paris 15 Oct 1976 (2
espèces). TGI Paris 19 Oct. 1976 (1 espèce)
3 Cf TGI Paris 28 Janv. 1985 - D - 1985 - 357.
Cependant le profit sert à déterminer le montant de l'amende.
4 Paris 30 Mars 1977. JCP 1978 - Il - 18789 1ère esp. note A. Tunc.
5 Chaque société du groupe ayant la personnalité morale a son propre conseil
d'administration.
6 L'article 10-1 qui sanction ne pénalement le délit d'initié concerne, entre autres,

348
comme le soutenait la COB.
La Cour d'appel souligna que même si des bruits alarmants couraient avant
l'information officielle donnée par le Pdg \\e 16 Avril, ceux-ci ne présentaient pas le
caractère précis, particulier et certain que doit revêtir tout renseignement pour
constituer "l'information" au sens de l'ordonnance du 28 Septembre 1967.
La cour d'appel refusa donc de condamner le secrétaire général. Quant au
fait qu'une partie des ventes ait été effectuée le 17 Avril, donc après que le
secrétaire général eût été informé officiellement, elle accepta la défense de celui-ci
qui prétendait avoir ignoré que ses ordres n'avaient pas été totalement exécutés, au
motif qu'on ne peut reprocher à celui-ci qu'un acte d'abstention non punissable, à
supposer qu'il eût pu penser que son ordre initial n'était pas encore exécuté.
Le Professeur Tunc critique la formule de la Cour selon laquelle l'information
doit être précise, particulière et certaine, car cela peut conduire à autoriser des
opérations manifestement indélicates. A la place il aurait mieux valu exiger que
l'information ait une certaine précision.1 Il reproche également à la Cour d'ajouter
au texte une limite.2 L'article 10-1 Ordo 1967 n'évoque en effet qu'une "information
privilégiée". Etant donné que le législateur n'a pas indiqué qu'elle doit être précise,
particulière et certaine, il faut lui donner le sens courant qui n'a pas de telles
exigences.3 Cependant "c'est la fonction naturelle des juges telle que la concevait
Portalis, de préciser éventuellement la portée d'un texte législatif", C'est donc,
conclue-t-il, sur son opportunité que doit être appréciée cette exigence du juge. En
l'occurrence, la Cour s'est montré trop indulgente. Sa formulation pouvant permettre
't desopérationsmanifestementillicites.'\\"De~sguelelégislateuraenten~~
!
prohiberA
( ' _ - -
"
les personnes mentionnées à l'article 162-1 L.1966. Il s'agit du président, des
directeurs généraux, des membres du directoire, des administrateurs, des membres
du conseil de surveillance et des représentants permanents des personnes
morales. La COB soutenait en l'espèce que le secrétaire général était le
représentant permament de la société, donc initié.
1 A. Tunc "La lutte contre les opérations d'initiés. Neuf ans d'expérience". Etudes
offertes à R. Rodière. ed. Dalloz 1989.P.337.
2 note sous Paris 30 Mars 1977 - préc.
3 Idem.
4 Idem.

349
On peut observer à propos du rajout par le juge, que l'article 10-1 étant un
texte pénal, en raison du principe de la légalité des infractions et des peines, le juge
doit s'en tenir strictement au texte de loi.
o
Le Professeur Tunc critique également l'indulgence de la Cour, s~aquelle
'r
la connaissance d'une information privilégiée n'oblige pas à annuler un ordre-
antérieur. Ce serait en effet, permettre de donner un ordre quand on soupçonne
quelque chose et lorsque ces soupçons se vérifient de le maintenir.1 Il préconise
que le possesseur d'une information privilégiée n'achète ni ne vende avant que
l'information ne soit devenue publique. Etant entendu qu'il ne commet pas un délit si
un ordre antérieur est exécuté avant qu'il n'ait eu raisonnablement le temps de le
révoquer.2
Dans un arrêt du 26 Mai 1977~)la Cour de Paris condamne un administrateur
de société, également directeur général qui avait du 11 au 16 Février 1971 procédé
par l'intermédiaire de sa banque à la cession en bourse de ses titres - Ces cessions
faisaient suite à des informations pessimistes relatives à un chantier au Maroc. La
Cour estima que la connaissance de ces pertes constituait, en raison de leur
importance et de la soudaineté de leur révélation, une information privilégiée.
Pour se défendre, l'administrateur, directeur général, soutenait que des
rumeurs alarmantes sur la situation financière de la société circulaient, reprises par
des publications finanières, tombant ainsi dans le domaine public et perdant ainsi
leur caractère d'informations privilégiées.
La Cour rejeta cette prétention. Elle considéra que seule une revue
financière très spécialisée au tirage limité et àl'audience restreinte avait fait état,
avec réserve et prudence d'ailleurs, des problèmes financiers de la société, sans
qu'il n'y ait eu de confirmation officielle par la société et sans que la presse officielle
s'en fasse l'écho. L'information n'avait pas par conséquent, selon la Cour, "le
caractère précis, particulier et certain que doit revêtir toute information pour être
qualifiée de telle au sens de l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 Septembre 1967".
L'administrateur, directeur général, fut ainsi condamné, la Cour jugeant qu'il avait
1 Idem.
2 Idem.
3 Paris 26 Mai 1977. JCP 1978 Il - 18789 note A. Tunc.

350
exploité à son profit une information privilégiée. "La connaissance de ces pertes,
même si au 3 Février 1971 leur étendue n'était chiffrée qu'à un minimum de 12
millions, constitue en raison de leur importance et de la soudaineté de leur
révélation une information privilégiée, dont y. (L'administrateur, directeur général)
après en avoir eu la primeur, en eût avec quelques dirigeants seulement
l'exclusivité" ... "Y s'est, par la vente de ses titres ...essentiellement livré à une
opération boursière ayant consisté à se dégager de titres de mauvaise qualité pour
leur substituer de meilleurs ; ce faisant il exploitait à son profit une information
privilégiée".
Comme l'observe le Professeur Tunc1, l'arrêt bien que rendu par la même
chambre de la Cour d'appel et sous la même présidence, semble atténuer, ou en
tout cas appliquer avec une certaine souplesse, l'exigence d'une information de
caractère "précis, particulier et certain".
Nous pensons que l'information doit être envisagée de manière différente
selon que l'on se place du point de vue de l'initié. Cf arrêt du 30 Mars 1977 - ou du
public - cf arrêt du 26 Mai 1977. Il nous semble en effet, que l'initié par sa
connaissance des affaires sociales peut tirer profit de simples rumeurs; point n'est
besoin pour lui que l'information soit précise, certaine et particulière, pour en tirer
des conclusions quant à l'évolution probable du cours des titres de la société.
En revanche, le public composé pour une large part de néophytes. a besoin d'une
information précise, particulière et certaine, pour agir en conséquence. N'étant pas
au fait des affaires sociales, il ne peut tirer les conséquences de simples rumeurs.
Donc on ne peut considérer que le public est informé - et donc que l'information
cesse d'être privilégiée - que si elle est précise, certaine et particulière . Cela
explique que selon l'arrêt du 26 Mai 1977, le sieur Y avait une information
privilégiée, le public n'ayant pas reçu d'information précise, certaine et particulière.
Cet arrêt mérite d'être approuvé, contrairement à celui du 30 Mars 1977, en
ce qu'il renforce le devoir de loyauté des dirigeants - et d'une manière plus générale
des initiés. Il suffit qu'un dirigeant, de par ses fonctions, sache que les pertes, quel
que soit leur chiffre, sont plus importantes que ne le croit le public, pour qu'il ne
1 note prée.

351
puisse pas vendre ses titres àcelui-ci sans lui avoir révélé la situation.1
b) ELEMENT MORAL
L'élément moral du délit d'initié consiste en ce que l'initié a procédé à
l'opération en sachant qu'il détenait une information dont le public n'avait pas
encore connaissance.2 Toute intention est toujours difficile à prouver, c'est le cas,
en la matière, de l'intention frauduleuse. Mais les circonstances de l'opération
peuvent être révélatrices. Ainsi, l'administrateur de société qui dès le premier jour
ouvrable et la première séance boursière suivant la réunion du conseil
d'administration, exploita des informations privilégiées relatives à une augmentation
prochaine des dividendes, en achetant un gros paquet d'actions, fut déclaré
coupable du délit d'utilisation d'informations privilégiées en bourse3. Il est certain
que cet administrateur voulait tirer profit de l'information avant qu'elle ne soit connue
du public. De toute façon, on voit mal comment un initié pourrait se livrer à
l'exploitation inconsciente de l'information qu'il possède4. Comme l'indique la COB
"L'exploitation par un dirigeant de société d'une information privilégiée sur le
marché boursier ne peut être que volontaire, àmoins d'admettre qu'elle est le
résultat d'une inattention. Il faut en conclure que l'élément intentionnel est
nécessaire mais que, compte tenu de la définition du délit, son existence résulte des
éléments de fait".5
CI SANCTIONS
Le délit d'initié est sanctionné pénalement par deux mois àdeux ans de
prison et par une amende de 6000 à 10 millions de francs, ce montant pouvant
être porté au décuple du montant du profit éventuellement réalisé et ne pouvant être
inférieur audit profit6.
Le Professeur Guyon regrette que la sanction pénale ne s'accompagne pas
1 A. Tunc note préc.
2 Tr. cor. Paris 18 Avr.1979. 2e esp.JCP 1980 Il. 19306.
3 TG 1 Paris 28 Janv. 1985 préc.
4 A. Tunc note prée.
5 ln Rapport annuel de la COB 1977.P.96 - cité par M.C. Robert op.eit. P.15.
6 Art. 10-1 al. 1er- Ordo 28 Sept. 1967

352
d'une sanction civile.1 Il observe qu'il est certes impossible d'annuler une opération
de bourse, mais que le bénéfice réalisé indûment par l'initié pourrait être attribué
d'office à la société, alors que dans le régime actuel celle-ci doit demander des
dommages-intérêts. Il reconnaît cependant que la sanction civile ne serait pas
entièrement satisfaisante car le véritable préjudice est subi par les opérateurs qui
ont traité avec l'initié mais qui ne le savent pas, compte tenu du secret des
opérations de bourse.2
Le Champ d'application du délit d'initié a été étendu par la loi Sécurité et
transparence du marché financier, loi n'89-531 du 2 Août 1989 qui a érigé le délit
de communication d'informations privilégiées. Ce délit est constitué lorsque
l'information privilégiée est communiquée par l'initié à un tiers en dehors du cadre
normal de la profession ou des fonctions. L'informateur encourt une peine de un à
six mois de prison et une amende de
1 000 à 100 000 F ou l'une de ces deux peines3. La loi du 2 Août 1989 rend
également passible des peines du délit d'initié, toute personne qui aura sciemment
répandu dans le public par des voies et moyens quelconques, des informations
fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur de titres ou
sur les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière, d'un produit financier coté
ou d'un contrat à terme négociable de nature àagir sur les coursA
Encourt les mêmes peines que l'auteur d'un délit d'initié, celui qui se livre ou
tente de se livrer à une manipulation des cours.5 Ce délit résulte de la loi n'88-70
du 22 Janvier 1988.
3'/ AUX ETATS-UNIS
1 Y. Guyon éd. 1992 P.329 n'324. V. aussi M.C. Robert op.cit. PP.20 et s. Elle
observe que la voie pénale présente certaines limites. Ainsi en est-il du caractère
local d'application de la loi: lorsque la banque utilisée pour passer les ordres est
une banque étrangère, les moyens d'investigation des organismes de contrôle ne
sont plus utilisables. L'identification des personnes qui agissent par l'intermédiaire
de banques étrangères sera difficile à moins qu'il n'y ait des accords entre les Etats
concernés.
2 Y. Guyon - op.cit. loc. cit.
3 art 10-1 al 2 Ordo 1967. Sur ce délit V. Cozian et Viandier op.cit. ed.1993. PP.393
et s n'1138.
4 art 10-1 al 4 Ord.1967.
5 art 10- 3 Ord 1967.

353
~ Un auteuraméricain1soutenaitque l'exploitationd'informationsprésentant
!
de la valeur sont nécessaires comme moyen de rémunérer les dirigeants afin
~ d'attirerlescompétencesdanslesentreprises. Ilestimaitquelaspéculationfaitepar
les dirigeants ne lèse personne. Il allait jusqu'à proposer que le dirigeant qui ne
veut ou ne peut acheter des valeurs sur le fondement d'informations confidentielles
puisse vendre son information sur le marché.
Un tel raisonnement fait abstraction de toute considération d'ordre moral. A
partir du moment où l'on a le souci de moraliser les opérations financières, de
s'assurer que les dirigeants agissent en toute loyauté, on doit sanctionner
l'utilisation des informations privilégiées par les dirigeants et d'une manière
générale par tout initié.
Le droit américain prend en considération cet aspect moral. Ainsi, lors des
débats sur le projet de loi qui est devenu le Securities Act de 1934, le représentant
Rayburn déclara "L'objectif de ce projet de loi est de mettre les propriétaires de
valeurs en position d'égalité autant que possible, à l'égard des dirigeants de
sociétés, et en ce qui concerne l'information disponible, de placer l'acheteur sur le
même plan que le vendeur". C'est une question de justice: les contractants, àsavoir
l'acheteur et le vendeur de titres ne sont pas sur un pied d'égalité si l'un dispose
d'informations que l'autre n'a pas.
Les lois fédérales de 1933 et de Î 934 mettent en conséquence l'accent sur
l'information du public et des actionnaires.
La loi de 1933 exige que les valeurs cotées en bourse soient enregistrées à
la SEC.2 Elle impose aux sociétés émettrices de ces valeurs, l'obligation de
présenter des comptes rendus annuels comprenant des déclarations 'financières
certifiées. Elle soumet les administrateurs, directeurs et actionnaires détenteurs de
10% du capital social à l'obligation de présenter des rapports lorsqu'ils effectuent
1 Manne" Insider Trading and the Stock Market'. 1966 cité par Louis Loss in "Le
concept de fiducie appliqué aux opérations des dirigeants sur les titres de leur
société dans le droit des Etats-Unis". R.I.D.C. 1969 P.745.
2 SEC est l'abréviation de Securities and Exchange Commission. C'est la
commission des valeurs et des bourses. Elle est chargée de veiller à l'application
des lois fédérales de 1933 et 1934.

354
des opérations sur les titres de la société. Les auteurs de la loi de 1933 pensaient
que les investisseurs seraient mieux protégés grâce à la publicité et reprendraient
confiance dans le marché des valeurs mobilières, ce qui entrainerait une reprise de
l'économie au niveau national. 1 C'est à juste titre que le Securities Act a été
dénommé "Loi sur la vérité en matière de titres".
Pour empêcher les opérations d'initiés, l'article 16 de la loi de 1934 impose à
tout initié2,lors de l'enregistrement d'un titre de la société, de notifier à la SEC le
montant de toutes les actions de la société ou titres assimilables dont il est
bénéficiaire, puis quand un changement se produit dans ses avoirs - achat ou vente
- de le notifier à la SEC dans les dix jours suivant la fin du mois, et de lui indiquer
ses nouveaux avoirs3. Le public a accès à ces notifications. De plus, la SEC les
diffuse dans une brochure tous les mois. Sur cette base les analystes et autres
journalistes peuvent interroger un initié sur les raisons qui l'ont poussé à vendre ses
titres par exemple. Un certain nombre de fonds mutuels s'inspireront des initiés
dans leurs achats et ventes.
En outre, selon l'article 16 (b), tout pront réalisé par un initié par l'achat puis la
vente, ou la vente puis l'achat d'une action de la société ou titre assimilable, dans
une période de moins de six mois4 est confisquée au profit de la société, quelles
que soient les intentions de l'initié lors de la première opération. La société peut
donc recouvrer le profit - Si elle néglige d'intenter une action en justice, tout
actionnaire peut le faire en son nom. En ce qui concerne les actionnaires~O%-de _ _
1)
,~o,e-s~applique à eux que s'ils l'ont été lors des deux opérations.
-
D'autres règles sont destinées à lutter contre les opérations d'initiés. La plus
célèbre est sans doute la règle 10b-S prise par la SEC en 1942. Le champ
1 S. Thiétart . L'information des actionnaires et des épargnants aux Etats-Unis et les
responsabilités qui en découlent dans le droit fédéral des valeurs mobilières. Th.
Paris 1 -1979 P.18.
2 Il s'agit - de toute personne qui est directement ou indirectement titulaire de plus
de 10% d'actions ou titres assimilables.
- des directeurs d'une société dont un titre est ainsi enregistré -
de ses officers.
3 Cf art 16 (a).
4 A Moins que le titre n'ait été acheté de bonne foi en rapport avec une dette
antérieure.

355
d'application de cette règle dépasse d'ailleurs les opérations d'initiés. Elle est
souple et vague, au point que la Cour suprême l'a qualifiée de disposition omnibus"
Catch-al!"~. Son rôle est fondamental en matière de lutte contre les opérations
d'initiéS.1
Quelle est la teneur de cette règle? - Elle dispose que:
"II est illégal, pour toute personne, directement ou indirectement, en utilisant
quelque moyen ou instrument de commerce interétatique ou la poste ou quelque
facilité qui lui est offert par une bourse nationale de valeurs:
(a) d'employer quelque moyen, manoeuvre, ou artifice que ce soit,
susceptible de tromper autrui,
(b) de faire une déclaration inexacte concernant un fait important, ou
d'omettre de mentionner un fait important qui aurait dû être révélé pour que la
déclaration, dans les circonstances où elle est faite, ne soit pas trompeuse, ou
(c) de s'engager dans quelque acte, pratique ou activité constituant ou
susceptible de constituer une fraude ou une tromperie envers quiconque,
à l'occasion de l'achat ou de la vente d'une valeur mobilière quelconque".
L'affaire Cady, Roperts and Co2 constitue une application de la règle 10b-5.
Dans cette affaire, la SEC avait intenté une action administrative contre une firme de
courtage (brokers) dont l'un des membres était également directeur de la société
Curtiss Wright Corp, société cotée en bourse. Ce directeur avait appris lors d'une
séance du conseil des directeurs, que le dividende allait être fortement réduit. Il en
avait immédiatement informé un de ses collègues courtier, lequel avait procédé à
des ventes des titres avant que l'information ne fut rendue publique. La SEC déclara
que l'initié, en l'occurrence le directeur, aurait dû divulguer son information avant de
négocier ou s'abstenir (dise/ose or abstain) , et considéra donc que le comportement
1 A. Tunc . Le droit américain des sociétés anonymes. PP.216-217 n01 09.
2 Citée par N. de Gottram. "Interdiction des opérations d'initiés aux Etats-Unis,
secret bancaire suisse et droit suisse sur les délits d'initiés: le point de la situation".
R.D.A.!.
n° 5-1993 pp 553 et s.

356
incriminé constituait une violation de la règle 10b-5.
Cette formule "Divulguez ou abstenez-vous" traduit parfaitement la sévérité
du droit américain envers les initiés.
Par conséquent, les dirigeants sociaux détenteurs d'informations privilégiés ne
peuvent les utiliser - pour eux-mêmes ou pour d'autres - à moins de les diffuser au
public.
Des directeurs, officers et autres initiés - de la société Texas Gulf Sulphur
(TGS) l'ont appris à leurs dépens, qui, sur poursuite de la SEC, furent condamnés
pour avoir acheté des actions TGS avant d'annoncer publiquement la découverte
d'un important gisement de minérai de zinc.1 L'attitude de ces initiés était d'autant
plus déloyale qu'ils avaient démenti les rumeurs courant sur cette découverte.
En 1984, le Congrès a promulgué l' Insider Trading Sanctions Act (ITSA) et en
1988, l'insider Trading and Securites Fraud Enforcement Act (ITSFEA) qui prévoient
des sanctions aggravées contre les initiés2.
4°/ LE DROIT ANGLAIS
Le droit anglais, à l'instar du droit américain a pris des mesures contre les
opérations d'initiés. Ces mesures se placèrent d'abord uniquement sur un plan
préventif. Mais l'on s'accordait àpenser qu'il fallait aller plus loin et prendre des
sanctions pénales contre ceux qui par leurs fonctions dans la société, ou leurs
rapports avec la société, ou par l'information qu'ils auraient reçue, utilisent des
informations privilégiées pour acheter ou vendre des titres. C'est chose faite avec la
loi du 1er Mai 1980 qui érige en infraction l'utilisation en bourse ou sur un marché
boursier d'informations privilégiées.3 La matière a ensuite fait l'objet du Company
Securities (Insider Oealing) Act 1985 (C.S.A. 1985), amendé et complété par le
Financial Services Act 1986 (F.S.A. 1986)4, puis amendé quant aux pénalités par le
Criminal Justice Act 1988. Aujourd'hui, elle est régie par le Criminal Justice Act
1 SEC V. Texas Gulf Sulphur Co (1968). 401 F 2d 833 (CA2, 1968) cité par N. de
Gottram op.cît. P.SS7 - par A. Tune op.cit. PP.219 et S. par A. Georges - op.cît.
P.103.
2 Nicolas de Gottran - R.D.A.I. nOS 1993 - P.SS6.
3 A. TUne. "La loi britannique sur les sociétés anonymes" R.I.D.C. 1981 P.97.
4 A. Tunc . Le droit anglais des sociétés anonymes. P.99 nOS7.

357
1993.
a) L'ACCEPTION DU DELIT D'INITIE
=
Bien que s'inspirant du droit américain, le système britannique en diffère.
Ainsi, il ne repose pas sur une assimilation de l'utilisation d'informations privilégiées
à un détournement de biens sociaux; et si la réglementation aboutit implicitement à
une obligation d'informer ou de s'abstenir d'opérer sur le marché, cette obligation
n'a pas comme fondement un lien fiduciaire entre vendeur et acheteur.1
La loi anglaise définit l'information de manière beaucoup plus précise qu'en
France et aux Etats-Unis. L'information doit être confidentielle et susceptible
d'affecter le cours des titres concernés. La loi vise en particulier la préparation d'une
prise de contrôle. /1 faut aussi que la personne informée ait conscience qu'il s'agit
d'une information confidentielle et susceptible d'affecter le cours des titres.
L'opérateur pourra s'exonérer s'il parvient à démontrer qu'il n'a pas agi sur le
marché pour se procurer un gain ou pour éviter une perte2, autrement dit, si c'est
par pure coïncidence qu'il a reçu une information et passé un ordre sur le marché
au même moment.3
b) LA PREVENTION DU DELIT D'INITIE
Selon l'article 324 du Compagnies Act 1985, en entrant en fonction, chaque
directeur doit notifier à la société le nombre d'actions et d'obligations de la société
ou d'une société du même groupe, qu'il possède. Toute modification de son intérêt
dans ses titres - suite à une acquisition, à une vente ... devra être aussi notifiée à la
société, en précisant les détails de l'opération : prix payé ou reçu, nombre et
catégorie de titres ... Ces indications doivent être consignées dans un registre prévu
àcet effet. Dans celui-ci, au nom de chaque directeur et dans les trois jours, seront
portées, par ordre chronologique, les informations qu'il aura notifiées à la société
(art.325). La société pourra y ajouter les droits de souscription et tout ce qui les
concerne. En effet, selon l'article 324, tout transfert d'un droit de souscription qui lui
avait été attribué, doit être notifié à la société par le directeur.
1 M.C. Robert "La bourse et les initiés - Essai de droit comparé". Rev. Stés 1982 P.3.
2 En droit français, ce n'est pas possible.
3 M.C. Robert op.cit. P.12.

358
Le registre est tenu à la disposition des actionnaires et de toute personne
étrangère à la société.
L'article 323 protlibe l'acquisition par un directeur d'un droit d'option sur une
valeur cotée en bourse de la société ou d'une société du même groupe. En effet,
comme l'acquisition d'une option constitue une sorte de pari sur l'avenir du titre, le
directeur qui est dans la société est avantagé par rapport aux persones qui sont à
l'extérieur.
L'article 329 exige que la société transmette dans les vingt-quatre heures à la
Bourse, les indications qui lui sont données par les directeurs, la Bourse pouvant
les publier de la manière qui lui plaira. Cette mesure de publicité s'inspire de la
pratique de la SEC qui publie tous les mois une brochure des opérations des
dirigeants sur les titres de leur société.
Le nombre de titres de la société, ou d'une société du groupe, possédés par
chaque directeur doit être inscrit dans le rapport à l'assemblée générale. Cette
mesure de publicité est exigée par l'annexe 7 paragraphe 2.
Ces différentes mesures sont renforcées par le pouvoir d'investigation du
Oepartment of Trade,lequel, lorsqu'il doute que ces textes ont été bien observés,
peut nommer un ou plusieurs inspecteurs pour procéder à une enquête à la suite de
laquelle ils présenteront un rapport final.
La Bourse a aussi pris des mesures complémentaires contre les personnes,
directeurs ou non, qui voudraient utiliser en bourse une information privilégiée.
A titre préventif, la Bourse et le Panel on Take avers and Mergers publièrent
en Avril 1977 une déclaration conjointe sur la conduite à tenir lorsque se préparent
des accords ou arrangements qui pourraient avoir une influence sur les cours.
En Octobre 1977, la Bou rse a publié un Madel Code for Securities
Transactions by Oirectors of Listed Companies.1 La Bourse demande aux sociétés
1 Ce code est maintenant inséré dans la section 5, chap.2 du Yellow Book, c'est-à-
dire le manuel qui regroupe les conditions d'admission au marché boursier des
valeurs mobilières. Le yellow Book est ainsi appelé en raison de sa couleur jaune,

359
de prendre d'elles-mêmes un réglement intérieur au moins aussi exigeant que le
code. Le code réglemente très sévèrement les opérations des directeurs sur les
valeurs de leur société. Il interdit à un directeur toute opération en vue d'une contre-
opération à court terme ; il lui interdit toute opération lorsqu'il est en possession
d'une information susceptible d'influer sur les cours; il lui demande de renoncer à
toute opération dans les deux mois précédant l'annonce de résultats annuels ou
semestriels, ou l'annonce d'un dividende ou d'une distribution. Le directeur doit
avant d'acheter ou vendre, prévenir le président du conseil par une lettre qui sera
enregistrée et dont avis de réception lui sera donnée. Les opérations effectuées par
les directeurs sont soumises au conseil à chacune de ses réunions.
Comme le souligne le Professeur, Tunc, à la lutte contre les opérations
d'initiés chacun apporte sa contribution.1 Ainsi, l' Institute of Directors a publié en
Août 1985 un Guide to Boardroom Practice n"7 : Insider Dealing, qui interdit toute
utilisation ou toute transmission d'une information privilégiée.
Cependant, la prévention ne suffit pas. Des infractions sont commises malgré
les mesures préventives; il faut les sanctionner. La loi n'a pas établi de
responsabilité civile pour les opérations qu'elle interdit2. Néanmoins des sanctions
pénales sont prévues depuis 1980.
cl LA REPRESSION DU DELIT D'INITIE.
La loi du 1er Mai 1980 fut la première à prendre des mesures repressives.
Tel est actuellement l'objet du Criminal Justice Act 1993. Il vise tous les dirigeants.
La loi s'applique à eux, s'ils sont en possession d'une information particulière à une
valeur ou
à un
émetteur,
spécifique
ou
précise,
non
publique
et qui
vraisemblablement, si elle était publique aurait un effet significatif sur le prix des
valeurs.
Quand ces conditions sont réunies, ils ne peuvent effectuer aucune opération
en bourse à quelque titre que ce soit sur les valeurs de la société.
mais son nom véritable est "Admission of Securities to listing (Cf A. Tunc. Le droit
anglais des sociétés anonymes. ed.1987 P.75 n055).
1 Op.cit. P.226 n0119.
2 A. Tunc. Le droit anglais des sociétés anonymes. P.1 01 n057.

360
L'interdiction d'effectuer des opérations en bourse, a pour corollaire celle de
conseiller ou faire réaliser de telles opérations par quelqu'un d'autre et de
communiquer l'information à quelqu'un susceptible de l'utiliser ou de la faire utiliser
en bourse (CSA 1985, s.1 (8).
La violation des interdictions légales était sanctionnée d'une amende et
d'une peine allant jusqu'à deux ans de prison.
La gravité des scandales qui ont été révélés en 1986, a conduit à renforcer la
répression. Ce fut l'objet du Criminal Justice Act de 1988. La peine maximale de
prison encourue en cas de violation des règles légales a été portée de deux à sept
ans1. Elle reste fixée à ce montant. Elle peut s'accompagner d'une amende d'un
maximum illimité.
Le Department of Trade and Industry (DTI)2 s'est vu confier par le Financial
Services Act (FSA) 19863, de larges pouvoirs d'investigation.
Le Chef du DTI peut nommer des inspecteurs chargés
d'enquêter sur les violations légales qui ont pu se produire.4
Ceux-ci peuvent requérir toute personne en mesure de leur fournir des informations
sûres.
En définitive, cette étude sur le délit d'initié révèle si besoin en était la
nécessité de la prévention et de la répression. Il ne faut pas attendre qu'une crise
survienne pour prendre des mesures5. Le Sénégal, où n'existe pas encore de
1 Cf Gower. op.cit. ed. 1992 P.63?
2 V. A. Tunc. Le droit anglais des sociétés anonymes PP.285 et S n"151 et S.
3 Cette loi réglemente l'industrie des services financiers avec pour objectifs
l'efficacité, la force concurrentielle, la confiance et la souplesse (A. Tunc. op.cit. p.8?
n"56).
4 S. 177 F.S.A. "Under Section 177 of the Financial Services Act Secretary of State is
empowered to appoint inspectors with wide inquisitorial powers specifical/y to
investigate and report on wether there have been controventions of the Insider
Dea/in 9 Act (Gower op.cit. p.638).

5 Aux USA, c'est le krach boursier de 1929 qui a conduit le gouvernement fédéral à
prendre des mesures destinées à lutter contre les spéculations boursières. En
France, les affaires Péchiney- Triangle et Société Générale ont provoqué

361
Bourse doit d'ores et déjà prendre des dispositions d'ordre préventif basées sur
l'information. Le délit d'initié doit être clairement défini. En tant qu'infraction pénale il
ne doit pas donner lieu à interprétation. Les informations que détient l'initié sont
privilégiées en ce sens que ses liens avec la société lui permettent d'en mesurer,
mieux que quiconque - et notamment le public néophyte - la portée. La loi doit lui
faire obligation au silence d'une part - ce qui écarte les risques de communication,
manipulation etc - et à l'abstention tant que la société n'aura pas divulgué ces
informations. Le délit d'initié entraine des perturbations sur le marché boursier, mais
aussi sur l'économie.1 La sanction devrait donc être pénale2 Elle devrait, selon
nous, être proportionnelle aux fonctions du délinquant. Ainsi, les dirigeants sociaux
seraient frappés de plus lourdes peines que les autres initiés. La procédure devrait
être purement judiciaire, sans intervention d'aucune autorité administrative dont
l'indépendance serait sujette à caution ... 3
Cette sanction pénale aurait un effet préventif également, de nature à
protéger les investisseurs qui ne peuvent agir en responsabilité civile, car ayant
traité avec l'initié sans le savoir, compte tenu du secret des opérations de bourse.4
l'intervention de la loi Sécurité et Transparence du marché financier du 2/8/89 (Cf
Rapport de la COB. Rev. Stés 1989 P.306).
1
2 Cf C. Gavalda "Droits et devoirs des initiés dans les sociétés par actions". Un
exemple de la collaboration entre la COB et la justice pénale". Rev. Stés 1976.
P.591 nOS.
3 Cela ne signifie pas que des organes tels que la COB en France, et la SEC aux
Etats-Unis ne sont pas indépendants! Mais pour l'instant, au Sénégal, le pouvoir
judiciaire nous semble présenter une plus grande indépendance qu'une autorité
administrative.
4 Cf Y. Guyon - ed. 1992 . P.329 n0324.

362
CHAPITRE Il
LES DEVOIRS VISANT A ASSURER L'EFFICACITE DE
LA
GESTION
Outre le devoir de loyauté, les dirigeants sont soumis à des devoirs visant à
assurer l'efficacité de la gestion. Il s'agit de devoirs de diligence et de compétence.
Ces devoirs sont exigés dans le nouveau système de direction sénégalais (art
1290COCC). Ils ne sont pas pour autant exclus du système classique qui observe
le silence comme son homologue français.
Les droits anglo-américains dont se réclame le nouveau système sénégalais,
attachent de l'importance au devoir de diligence, mais à un degré moindre qu'au
devoir de loyauté1. Ce devoir est affirmé dans plusieurs textes et rappelé par la
jurisprudence. Ainsi aux Etats-Unis le MBCA exige des dirigeants, outre le devoir de
bonne foi, la diligence dont une personne ordinaire dans une situation identique
ferait preuve dans des circonstances similaires2. Le § 4.01 des Princip/es of
Corporate Governance exige aussi des dirigeants qu'ils agissent comme une
personne prudente le ferait dans une situation et dans des circonstances
identiques.
En Angleterre, l'avant-projet de loi de 1978 proposait de déclarer que le
directeur doit apporter à l'exercice de ses fonctions le soin et la diligence que l'on
peut raisonnablement attendre d'une personne judicieuse placée dans les mêmes
circonstances et faire preuve de la compétence que l'on peut raisonnablement
attendre d'une personne de sa science et de son expérience (art 45).
L'avant-projet de loi 1978 n'a as été voté, mais on trouve une disposition analogue
dans l' Insolvency Act 1986 (art 214 (4) : si la société est mise en liquidation, peut
être appelé à répondre des dettes le directeur qui a poursuivi les affaires d'une
manière dont la vanité serait apparue à une personne raisonnablement diligente,
ayant la capacité que l'on pouvait attendre d'une personne remplissant ses
fonctions et la capacité personnelle de ce directeur.3
1 A. Tune Le droit anglais des Sociétés Anonymes P.144
n'102.
Gower.
op. cit. p. 549
2 Section 35 du MBCA transposée dans la section 8.30 (a) du MBCA version 1984.
Cette disposition est communément reprise par les Etats.
3 A. Tune. Op.cit. P.212 n'113.

363
SECTION 1 : LE DEVOIR DE DILIGENCE
Le devoir de loyauté appelle le dirigeant au désintéressement. Mais
désintéressement ne signi'fie pas désintérêt pour les affaires sociales. Le devoir de
diligence invite justement les dirigeants sociaux à manifester un réel intérêt pour la
société. Cet intérêt devra les conduire àparticiper activement à la vie sociale, en
assistant aux réunions, en s'informant de la marche de la société, en surveillant
ceux à qui ils auront délégué une partie de leurs attributions.
La jurisprudence1 montre la réalité du devoir de diligence. Les juges ont
donc un rôle important à jouer pour rendre pleinement efficaces les devoirs pesant
sur les dirigeants. Mais ce pouvoir du juge rencontre une limite importante en droit
américain dans la règle du jugement d'affaires (business judgment fuIe) qui restreint
leur droit de regard sur les décisions prises par les dirigeants. Cette règle existe
aussi, mais de manière implicite en droit anglais.
§1 : LA NOTION DE DILIGENCE
Aux termes de l'article 1290 COCC "Les administrateurs tiennent de la
délégation qui leur a été consentie la mission de faire fructifier le patrimoine de la
société ... , de faire preuve de l'activité diligente que chaque administrateur doit à lâ
société selon ses connaissances, son expérience et les fonctions qu'il remplit".
Le législateur sénégalais ne définit pas la diligence. Mais à travers l'article
lr,S1290 COCC il semble qu'il ait mis l'accent sur la notion d'activité : Cf "activité
~ilig.§ille~. La diligence est avant tout une conduite, un comportement, qui
s'extériorise. Ceci, à la différence de la loyauté qui relève plutôt du for interne, qui est
un état d'esprit et de coeur, donc difficile à appréhender.
La diligence est définie par le Dictionnaire Robert 2 comme "l'application,
l'attention, le soin". Notion simple a première vue mais en réalité complexe. Sa
complexité est liée à sa grande variabilité.
1 Il s'agit essentiellement d'une jurisprudence anglaise, américaine et française.
2 Dictionnaire Le Grand Robert 1.3 P.538.

364
1- UNE NOTION VARIABLE
Le caractère variable de la diligence apparaît dans l'article 1290 COCC qui
souligne que la diligence est fonction des connaissances, de l'expérience et des
fonctions que remplit l'administrateur délégué. Ce caractère variable se retrouve
aussi dans les autres droits étudiés, comme nous le verrons.
Au Sénégal, la variabilité tient aux connaissances, àl'expérience et aux
fonctions de l'administrateur délégué. Nous avions précédemment souligné
l'individualisation des administrateurs délégués qui se manifeste, entre autre, dans
la rémunération qui est fonction de leurs capacités et de la nature de leurs
fonctions1. Il est certain que dans tout conseil il y a diversité des membres. Mais
généralement on occulte les différences pour souligner au contraire les
ressemblances,
les points communs,
afin de favoriser l'esprit collégial.
L'administrateur délégué lui est un organe à part entière.
Le conseil de gestion en est un autre2. Le législateur semble miser sur la diversité
des administrateurs délégués pour favoriser une synergie de l'ensemble, propre à
dynamiser la société et à la rendre plus prospère. Chaque administrateur délégué,
rappelons-le, peut se voir confier des missions particulières - art 1291 COCC.
La diligence exigée des administrateurs délégués tient compte de leur
spécificité, à juste titre. En effet, on ne doit pas imposer une égale diligence à des
personnes qui n'ont pas la même compétence, ni la même expérience. On attendra
plus d'un administrateur délégué à qui le conseil de gestion aura confié, comme le
lui permet l'article 1291 COCC, une fonction de direction générale, que d'un autre
administrateur délégué. Les compétences aussi doivent être prises en compte: on
demandera plus à un administrateur délégué polyvalent qu'à un administrateur
délégué monovalent.
Le droit sénégalais s'est visiblement inspiré du droit américain. En effet, aux
Etats-Unis, on peut lire dans le M.B.C.A. que le dirigeant doit agir avec la diligence
dont une personne prudente ordinaire dans une situation identique ferait preuve
dans des circonstances similaires.
1 Cf supra - in 1ère partie - Titre 2 - Chap.3. Rémunération des dirigeants sociaux.
2 Cf supra in 1ère partie - Titre 1er - Les pouvoirs des dirigeants sociaux.

365
Cette "situation identique" tient compte du rôle et des qualités particulières du
dirigeant. Le degré de vigilance varie selon la qualification ou l'expérience
professionnelle de chaque dirigeant1. C'est ainsi qu'un administrateur de banque
s'est vu appliquer des mesures d'imputabilité plus strictes qu'un homme d'affaires
ordinaire2 ?
Quant aux "circonstances similaires", cette expression montre l'importance
des faits dans l'exercice du devoir de diligence3. Les circonstances sont variables.
Par exemple, ce peut être la prospérité du secteur auquel appartient la société, ou à
l'inverse sa situation de crise.
Les Princip/es of Corporate Governance, disposent à la section 4.01 de la
partie IV consacrée au dutY of Care :
(a) Un directeur ou un officer a envers la société le devoir de remplir ses
fonctions de directeur ou d'officer, de bonne foi, d'une manière qu'il croit être dans
les meilleurs intérêts de la société, et avec la diligence qu'on attendrait
raisonnablement d'une personne prudente ordinaire placée dans la même position
et dans des circonstances similaires.
Ce sont pratiquement les mêmes dispositions que le M.B.C.A.
11/ CONTENU DE LA NOTION DE DILIGENCE
Le législateur sénégalais ne précise pas en quoi consiste le devoir de
diligence. Nous pouvons cependant tirer quelques enseignements des décisions
jurisprudentielles anglo-américaines et françaises, ainsi que de certains textes en la
matière.
Aux Etats-Unis, les Princip/es of Corporate Governance et le M.B.C.A.
utilisent des expressions très générales à propos du devoir de diligence.4 Mais le
1 1. Pasquier. Les raisons de l'abandon du capital social gage des créanciers dans
le droit américain des sociétés anonymes. Th droit Paris 1 1990 P.342.
2 Cary and Eisenberg op. cit. p. 500
3 1. Pasquier op.cit. Loc. cit.
4 Cf supra 1. Une notion variable.

366
commentaire du Guidebook1 précise les obligations des dirigeants. Il ressort de ce
guide trois éléments essentiels autour desquels nous voudrions articuler notre
étude comparée. Il s'agit de :
- l'assistance régulière aux séances du conseil
- l'obligation de s'informer sur la situation exacte de la société
- l'obligation de surveillance.
AI L'ASSISTANCE AUX REUNIONS DU CONSEIL
On peut considérer à l'heure actuelle que l'assistance aux réunions du
conseil est un devoir dans tous les droits objets de notre étude. Cependant ce
devoir se heurte à certains obstacles, notamment au Sénégal. \\1 y reçoit au
demeurant une sanction originale "la démission forcée".
1°1 LE DEVOIR D'ASSISTER AUX REUNIONS.
a) AU SENEGAL
Dans le système classique de direction, il n'y a pas d'obligation légale
d'assister aux réunions du conseil d'administration. En revanche dans le nouveau
système, cette obligation est clairement exprimée. L'article 1298 al 3 COCC dispose
en effet: "Les administrateurs (délégués) sont tenus d'assister aux réunions du
conseil. Ils ne peuvent se faire représenter par un autre administrateur qu'avec
l'autorisation des autres membres du conseil. En cas d'absences répétées,
l'administrateur défaillant aux réunions est tenu de démissionner de ses fonctions
selon les dispositions prises par les statuts"2.
Le législateur sénégalais est très clair: l'administrateur délégué est tenu, donc
obligé, d'assister aux réunions du conseil de gestion. Cette obligation légale
découle à n'en pas douter du devoir de diligence auquel sont soumis les
administrateurs délégués3 qui doivent d'ailleurs s'engager à le remplir ainsi que le
1 33 Bus - Low - 1600 - 1603, 106-1611 (1978).
2 On peut ainsi lire dans les statuts de la SOFRECOM. SA, art 24, (RC N°90 - B -
443) que l'administrateur délégué est tenu de démissionner de ses fonctions pour
six absences consécutives.
3Cf art 1290 COCC.

367
devoir de loyauté dans un acte dont copie est déposée au greffe du tribunal
régional pour être annexée au registre du commerce et du crédit mobilier1.
On peut regretter que cette obligation ne figure pas dans le système
classique. Pour autant, les administrateurs ne sont pas dispensés d'assister aux
réunions. L'existence d'un registre de présence signé par les administrateurs
participant à la séance du conseil d'administration2 en est un signe. Oe même que
l'indication dans le procès-verbal de la séance du nom des administrateurs
présents, excusés ou absents.3 Le terme "excusés" montre bien que l'administrateur
doit être présent sauf s'il a une excuse valable. Certes, on peut objecter que la loi
permet aux administrateurs de se faire représenter, puisqu'aux termes de l'article
1262 COCC le quorum et la majorité tiennent compte des administrateurs présents
ou représentés . Mais on retrouve des dispositions identiques dans le nouveau
système -art. 1299 COCC - qui pourtant exige expressément l'assistance aux
réunions. Il est vrai que la représentation est elle même réglementée dans le
nouveau système puisque selon l'article 1298 al 3 COCC un administrateur
délégué ne peut se faire représenter par un autre qu'avec l'autorisation des autres
membres du conseil.
En définitive, l'assistance aux réunions du conseil est une obligation légale
pour les administrateurs délégués, et un devoir pour les administrateurs du système
classique.
b) EN FRANCE
Le droit français a évolué dans le sens d'une plus grande sévérité quant à
l'assistance aux réunions du conseil.
Le tribunal de la Seine avait jadis refusé de rendre un administrateur
responsable de décisions prises lors d'une réunion à laquelle il n'avait pas
participé4. Mais à l'heure actuelle on n'accorde plus à l'absence un effet
exonératoire de responsabilité.
1 Cf art 74 0.1993.
2 art 56. 0.1993
3 art 58 0.1993.
4 Tr. Seine 22 Oec. 1890. Rev. Stés 1891 P.276 cité par M. Guguère op.cit. P.84.

368
Certes, condamner une personne sur la base de son abstention a toujours
suscité des hésitations, car l'abstention est un fait négatif. Mais il peut être l'envers
d'une obligation de faire. Tel serait le cas si l'assistance aux réunions du conseil
était obligatoire.
La loi du 24 Juillet 1966 n'exige pas expressément l'assistance aux réunions
du conseil d'administration ni du directoire. Néanmoins on peut considérer avec la
doctrine et la jurisprudence que les administrateurs ont le devoir d'assiter aux
réunions du conseil.
Certaines dispositions du décret du 23 Mars 1967 vont dans ce sens. Ainsi
en est-il de l'article 84 D. 1967 qui prévoit un registre de présence, signé par les
administrateurs participant àla séance du conseil d'administration, et l'article 85
selon lequel le procès-verbal de la séance du conseil d'administration indique le
nom des administrateurs présents, excusés1, ou absents.
La doctrine française considère que les administrateurs ont le devoir d'assiter
...
===--
-
aux réunions du conseil2. Mme Cherchouly-Sicard souligne que constitue une faute
de gestion, l'absence répétée et non motivée au conseil d'administration3. Cela
étant une marque flagrante de désintérêt et donc une violation des devoirs de
gestion4.
L'absentéisme
fréquent
et
habituel
des
membres du
conseil
d'administration ne saurait modifier le caractère fautif de l'absenceS.
La jurisprudence française, pour exonérer un administrateur de sa
responsabilité dans une décision fautive prise en son absence, exige une
manifestation expresse de désaccord à la décision prise. Selon la jurisprudence,
constitue un motif légitime d'absence: la maladie, un déplacement à l'étranger ou
1 On peut observer comme pour les administrateurs au Sénégal, que si
l'administrateur s'excuse de son absence, c'est bien parce qu'il doit être présent.
2 Y. Guyon - op.cit. ed.1992. P.341 n0335.
Cozian - Viandier op. cit. éd. 1993 p.233 n0643
3 F. Cherchouly Sicard. La responsabilité civile des dirigeants sociaux pour faute de
gestion. Th. Paris 2 1982 P.15.
4 Ibid. P.36/.
5 J.P. Berdah. op.cit. P.265.

369
hors du siège social effectué pour le compte de la société, la présence aux
armées ... Le dirigeant absent pour un de ces motifs sera exonéré de sa
responsabilité1, sauf s'il a entériné expressément ou tacitement la décision prise
par le conseil.2
A défaut de motif valable, la jurisprudence considère que les absences
répétées sont un signe de négligence et un facteur aggravant de responsabilité3.
c) EN ANGLETERRE
Le droit anglais fut pendant longtemps laxiste quant àl'assistance aux
réunions du conseil. Ainsi, un directeur qui s'était abstenu, pendant quatre ans,
d'assister aux réu nions du conseil en invoquant les pouvoirs extraordinaires
conférés à ses codirecteurs, bien que reconnu coupable de négligence, fut exonéré
de toute responsabilité4.
Dans une autre affaire, un juge déclara que: "négliger ou omettre d'assister
aux réunions n'est pas la même chose que négliger ou omettre de remplir les
devoirs qui doivent ête accomplis lors de ces réunions.5
Dans l'affaire City Equitable Fire Insurance, il fut jugé qu'un directeur n'est
pas tenu d'assister à toutes les réunions du conseil, bien qu'il doive le faire quand
cela est raisonnablement possible.6
Cette jurisprudence très critiquée n'est plus d'actualité. Désormais, l'absence
à une réunion du conseil n'exonère pas un directeur de sa responsabilité sauf s'il
apporte la preuve qu'il avait un motif valable de s'absenter tel que la maladie. A
1 J.P. Berdah - op.cit. loc. cit., F. Chercouly Sicard -op.cit. P.36.
2 J.P. Berdah - op.cit. loc.cit.
3 E. Scholastique op.cit. P.239 et la jurisprudence citée.
4 ln Re Oenham and Co (1883). 25 Ch. 752 P.766. Juge Chitty cité par M. Guiguère
- op.cit. P.85.
5 The Marquis of Bute's case 1892. 2 ch. 100 . Juge Sterling - cité par M. Guiguère
op.cit. P.85. Dans cette affaire, un marquis avait été nommé présidentde de la
société par son père, pendant sa minorité. Une fois devenu majeur, il n'avait assisté
qu'à une réunion du conseil. La société ayant fait faillite, Il n'en fut pas tenu
responsable, car il ne s'était pas occupé des affaires sociales.
6 (1925) Ch. 407, 427 - cité par Gower op.cit. ed.1992. P.587.

370
défaut de cette preuve sa responsabilité sera engagée. En cas de faillite de la
société, les directeurs doivent prouver qu'ils se sont à tout moment tenus au courant
des affaires sociales. Cette preuve ne peut être apportée si leur absence aux
réunions du conseil est établie.1
d) AUX ET ATS-lINIS
On observe aussi une évolution, vers une plus grande sévérité. Et une
décision telle que Martin V. Hardy2 n'est plus d'actualité. Dans cette affaire,
l'administrateur d'une chaine de magasins tombée en faillite n'a pas été jugé
coupable de négligence bien qu'il se soit abstenu de paraître aux réunions du
conseil. La cour a jugé que la faillite résultait d'une aggravation de la concurrence et
que l'administrateur n'ayant pas une voix prépondérante au sein du conseil n'aurait
pas été écouté par ses collègues.
L'évolution est favorable à l'assiduité. Selon le commentaire du Guidebook,
le directeur doit évidemment assister aux réunions du conseil et à celles des
comités dont il fait partie3.
Un administrateur absent est présumé cautionner l'action accomplie dans les
affaires sociales, à moins qu'il ne dépose des réserves auprès du secrétaire de la
société dans un délai raisonnable suivant sa connaissance d'une telle action.
Certes, l'assistance régulière n'est pas synonyme d'assistance obligatoire, mais
l'administrateur doit faire de l'assistance aux réunions, une pratique courante4. Plus
la société est grande, plus le dirigeant doit être assidu aux réunions, car elles sont
d'autant plus importantes.
La solution américaine qui consiste à exiger que le dirigeant absent lors
d'une réunion du conseil, prenne position dès son retour, a le mérite d'obliger celui-
ci à prendre ses responsabilités et d'éviter les faux-fuyants. C'est la moindre des
1 Cf Sealy - Disqualification and personal liabilities of Director n0616 P.41. Taking
Responsability and International Guide to directors "duties and liabilities" op.cit.
P.47 et 52 cité par E. Scholastique op.cit. P.239.
2 251 Mich. 413, 232 N.W. 197 (1930)
3 A. Tunc. Le droit américain des sociétés anonymes P.133 n76.
4 Cary and Eisenberg - op.cit. PP.502-503. H. Lepargneur. op.cit. P.262.

371
choses qu'il s'informe de ce qui s'est passé en son absence et notamment des
décisions prises. Si celles-ci ne lui conviennent pas, il devra émettre des réserves.
Certes, on peut objecter qu'un directeur peut volontairement s'absenter pour éviter
de prendre une décision délicate et par la suite en fonction des tendances1 qui se
dessinent donner son point de vue ... Ce serait néanmoins un moindre mal que
d'accorder àl'absence un effet exonératoire de responsabilité.
En définitive on doit se féliciter que le législateur sénégalais ait - au moins
dans le nouveau système de direction-clairement posé l'obligation d'assister aux
réunions du conseil. Certes, les autres droits étudiés en font sinon une obligation
légale du moins un devoir dont le mépris peut engager la responsabilité du
dirigeant. Mais la fermeté en la matière doit être la règle car on ne devient pas
administrateur ou directeur (director) contre son gré. Donc, dès lors qu'on accepte
d'occuper cette fonction, d'être rémunéré pour cette fonction, il faut assister aux
réunions, qui au demeurant ne sont que périodiques.
Paradoxalement, des règles juridiques peuvent faire obstacle à ce devoir.
2·/ LES
OBSTACLES JURIDIQUES
A
L'ASSISTANCE
AUX
REUNIONS
DU
CONSEIL
a) LE CUMUL DE PLUSIEURS MANDATS
Lorsqu'un administrateur cumule plusieurs mandats, il lui est d'autant plus
difficile d'assister régulièrement· aux réunions des différents conseils dont il est
membre. A cet égard la suppression par la loi n093-07 du 10 Février 1993 de la
limite au cumul2 des mandats d'administrateurs, de président du conseil
d'administration, et d'administrateurs délégués, nous semble regrettable car
compromettant la disponibilité de ces personnes.
1 La conjoncture économique par exemple.
2 Cette loi abroge les articles 1252, 1273, 1278 al.2 et 1304 al.2 cacc qui
respectivement limitaient le cumul des mandats d'administrateur (1252), de
président du C.A. (1273) interdisaient le cumul de mandats de directeur général
(1278 a1.2) et limitaient le cumul de mandats d'administrateurs délégués (1304 al.2)
Cf. supra in chap. 1-sect. 1 paragraphe 3

372
b) "L'ECONOMIE" D'UNE REUNION
L'article 1301 COCC permet aux administrateurs délégués de prendre à
l'unanimité des résolutions écrites sans se réunir en conseil de gestion. Cette
disposition qui permet de faire l'économie d'une réunion du conseil1 ne risque-t-elle
pas de compromettre l'assiduité aux réunions du conseil ? En réalité non, car
l'assiduité consiste à assister à des réunions qui se tiennent. Le risque serait que
les réunions ne se tiennent pas. Mais la loi exige que certaines décisions soient
prises par le conseil de gestion. Dans ces cas, elles ne peuvent être prises par une
résolution écrite.
La règle présente plutôt un avantage: un administrateur délégué ne pouvant
assister à une réunion du conseil, en raison de l'éloignement par exemple, pourra
être consulté par écrit.2 -de même que les autres. Cela devrait éviter les "absences"
échappatoi res".
31 LA DEMISSION "OBLIGEE"
Le législateur sénégalais impose à l'administrateur délégué de démissionner
en cas d'absences répétées. Il n'indique pas le nombre d'absences requis, les
statuts devant le déterminer. Ainsi, les statuts d'une société de la place prévoient
qu'au bout de six absences consécutives,
l'administrateur délégué doit
démissionner3. On remarquera la précision "consécutives" . C'est conforme à la loi
qui fait état d'absences "répétées". La démission se justifie quelle que soit la raison
d'une si longue absence car j'administrateur délégué ne doit plus être au fait des
affaires sociales. Si par contre les absences sont irrégulières, ça peut être dû à des
raisons légitimes et ce serait peut-être injuste d'obliger l'administrateur délégué
1 Cette règle s'inspire des droits anglais et américains. En Angleterre, il est d'usage
d'introduire dans les statuts une disposition selon laquelle une résolution signée par
tous les administrateurs est aussi valable que si elle avait été prise lors d'une
réunion. Cf. art 93 Table A (E. Scholastique op.cit. P.242. P. Von Ommeslaghe -
op.cit. P.431.)
Aux Etats-Unis par exemple, le NJJA 14 A : 6-7 (2) Supp. (1981-1982) permet au
conseil des directeurs d'agir sans réunion si tous les membres donnent un
consentement écrit (Cf Cary and Eisenberg - op.cit. P.S03.).
2 Sauf si la décision relève obligatoirement d'une délibération du conseil de
gestion.
3 Cf supra. Les statuts de la SOFRECAM. SA . précit.

373
àdémissionner alors que ses absences ne sont pas préjudiciables àla bonne
marche de la société.
Certes, on aurait pu donner à l'administrateur délégué la possibilité de
jusWier son absence, mais ce serait contradictoire avec la démission, celle-ci étant
par nature volontaire.
A ce sujet, il faut noter que le législateur a préféré sanctionner l'absence par
la démission et non par la révocation. Cela s'explique par la procédure complexe de
la révocation des administrateurs délégués.1 La démission est une mesure plus
simple dans sa mise en oeuvre.
BI L'OBLIGATION DE S'INFORMER
Elle est complémentaire de l'obligation d'assister aux réunions du conseil.2
En effet les décisions prises lors des réunions du conseil doivent l'être en
connaissance de
cause. Le dirigeant bien informé ne se contentera pas d'assister
passivement aux réunions du conseil, mais pourra y participer pleinement.
Le législateur sénégalais ne prévoit pas expressément cette obligation,
cependant pour les raisons précédemment invoquées, les administrateurs, et les
administrateurs délégués doivent s'informer. C'est une nécessité comme en
témoignent les droits anglais, américains et 'français dont ils s'inspirent.
11 EN DROITS ANGLAIS ET AMERICAIN
En Angleterre, le conseil des directeurs doit prendre ses décisions en
connaissance de cause; les documents annexés aux procès-verbaux doivent
montrer que des études sérieuses ont précédé la décision3. Des minutes bien
rédigées rapportant clairement que le processus de décision a été responsable,
peuvent être un facteur essentiel pour établir que les directeurs étaient
convenablement informés4.
1 Cf supra in 1ère partie. Titre 2 - Chap. 2 - Révocation des dirigeants sociaux.
2 Cf supra in 1ère partie - Titre 2 - Chap. 2 - Révocation des dirigeants sociaux.
3 E. Scholastique op.cit. P.241.
4 A. Hicks cité par E. Scholastique op.cit. P.246.

374
Aux Etats-Unis, les directeurs sont tenus de s'informer constamment des
activités de la société, sinon ils ne seraient pas en mesure de participer à la gestion
globale des affaires sociales1.
Un directeur fut ainsi condamné pour ne s'être pas informé des affaires
sociales2. Dans l'affaire Atherton V. Anderson3, il fut jugé que l'ignorance n'exonère
pas un administrateur de sa responsabilité car son devoir est de s'informer.
Plus récemment, dans l'affaire Smith V. Van Gorkom4, il fut reproché aux
dirigeants d'avoir pris leur décision rapidement et sans s'être suffisamment informés.
Le commentaire du Guide book indique que le directeur doit évidemment
assister aux réunions du conseil et à celles des comités dont il fait partie, il doit lire
les informations qu'on lui adresse à l'avance afin de prendre les décisions en
connaissance de cause ; il doit au besoin réclamer cette information; faute
d'informations adéquates, il devrait protester, s'abstenir de voter et envisager de
démissionner; il doit encore lire toute documentation qu'il reçoit. .. La "personne
prudente ordinaire" que doit être le directeur, a "du bon sens, une sagesse pratique
et un jugement informé"5.
De même les Principles of Corporate Governance Part IV s : 4-01 (a) (1)
indiquent que le directeur ou l'officer, a l'obligation de faire des recherches ou d'en
faire faire mais seulement quand les circonstances auraient alerté un directeur ou
1 Cary and Eisenberg - op.cit. P.502.
2 Barnes V. Andrew - 298F - 614 (S.D. N.Y. 1924) cité par Cary and Eisenberg
op.cit. loc.cit.
3 99 F .2d 883, 889-890 (6 Cir.1938) cité par Cary and Eisenberg - op.cit. loc.cit.
4 prée. in A. Tune. "The Judge and the Businessman" 102 LOR 549 1986.
5 in A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes. P.133 n76 V. aussi 49.
Bus-Law - 1260. 1994. Corporate Oirector's Guidebook. "The quality of information
made available to director's will affect significantly their ability to perform their roles
effective/y. Information submitted to the directors should be relevant, concise and
timely, weil organized, supported by any background or historical data necessary for

useful to place the information in context, and designed to inform directors of
material aspects of the corporation's business, performance and prospects.

Information should be provided sufficiently in advance to provide time for thoughful
reffection and meaningful participation by the directors".


375
un officer raisonnable. L'étendue de telles investigations sera comme le directeur le
croit nécessaire.
Comme l'observe le Professeur Eisenberg, la sous-section 4-01 (a) (1)
indique les implications du devoir fondamental de diligence (basic standard of care)
quant au devoir de s'informer. Le concept d'investigation se retrouve dans plusieurs
lois et est reconnu généralement par la jurisprudence et par les cbrnmentateurs1.
2"1 EN DROIT FRANCAIS
Le droit français met plutôt l'accent sur le droit
à/'information des
administrateurs - et non sur l'obligation de s'informer comme le font les droits anglo-
américains qui insistent sur les devoirs. Les administrateurs doivent être informés
par le président du conseil d'administration avant d'émettre un vote au cours d'une
séance du
conseil
d'administration.
Le
président doit communiquer les
renseignements utiles à la délibération et permettant d'éclairer les décisions.
Ce droit à l'information dont bénéficient les administrateurs n'est pas prévu
par la loi2 mais résulte de la jurisprudence. C'est l'arrêt Cointreau rendu par la
chambre commerciale de la Cour de Cassation le 2 Juillet 1985P) qui pose
clairement l'obligation
pour le président de fournir aux administrateurs, dans un
délai suffisant, les informations nécessaires à l'exercice de leur mission en toute
connaissance de cause. "Vu les articles 98 et 113 de la loi du 24 Juillet 1966 ; -
Attendu qu'il résulte de ces textes que le conseil d'administration est appelé à agir
au nom de la société, qu'il s'ensuit que le président de ce conseil doit mettre les
administrateurs en mesure de remplir leur mission en toute connaissance de cause;
Attendu que ... Madame Geneviève Cointreau faisait valoir qu'elle n'avait pas été
mise à même d'exercer son mandat d'administrateur dans des conditions
d'information suffisantes; Attendu que pour rejeter cette demande, la Cour d'appel a
déclaré qu'aucune disposition
légale
n'impose
au
président
du
conseil
d'administration de joindre à la convocation qu'il adresse aux membres de celui-ci,
1 M. Eisenberg "An overview of the Princip/es of Corporate governance". 48 Bus-
Law 1281-1993.
2 Celle-ci réglemente plutôt le droit à l'information des actionnaires.
3 Rev. Stés 1986 P.231 note P. Le Cannu ; JCP 1985 . ed. Ent. 14758 note A.
Viandier. Dai. 1986. 351 note Loussouarn.

376
son projet de rapport ou des documents économiques et financiers se rapportant à
l'ordre du jour; Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si Madame
Geneviève Cointreau avait reçu au préalable et dans un délai suffisant l'information
à laquelle elle avait droit, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa
décision". Cette solution a été reprise dans d'autres arrêts.1
Il est certain que le droit à l'information des administrateurs se traduit pour le
président du conseil d'administration par un devoir d'informer les administrateurs.
Le président en le faisant se montre diligent. Quant aux administrateurs, si le
président manque à son devoir de les informer, ils devraient requérir cette
information.
3) AU SENEGAL
L'idée d'information est présente dans l'article 1276 COCC selon lequel le
président du conseil d'administration "opère les vérifications et les contrôles qu'il
juge opportuns et peut se faire communiquer les documents qu'il estime utiles
àl'accomplissement de sa mission". Egalement dans l'article 61 D 1993, selon
lequel le directeur général établit à la fin de chaque trimestre, à j'attention du conseil
d'administration, un rapport écrit dans lequel il analyse l'exploitation et les résultats
du trimestre écoulé ainsi que l'évolution enregistrée par rapport à la période
antérieure. Ce rapport est transmis dans les quinze jours de son établissement au
conseil d'administration. Egalement dans l'article 62 D 1993, selon lequel les états
financiers, appuyés du rapport de gestion du directeur général sont transmis au
président du conseil d'administration. Le conseil d'administration arrête les comptes
au cours d'une séance tenue dans un délai de trente jours àcompter de la date de
réception des documents.
Ainsi, le président du conseil d'administration recueille une masse
d'informations. Celles-ci seront communiquées au conseil d'administration
préalablement aux réunions du conseil. Le conseil lui-même reçoit des informations
du directeur général. Si les dispositions législatives et réglementaires sont
respectées, nul doute que les administrateurs prendront leurs décisions en
connaissance de cause et que leur assistance aux réunions du conseil ne seront
1 Casso com. 1er Dec. 1987. Rev. Stés 1987 P.237 note Le Cannu Casso com.24
Avr. 1990. JCP ed. Ent. II. 122 note Jeantin. Rev. Stés 1991 P.347 note Didier.

377
pas passives ;
Quant aux administrateurs délégués, paradoxalement, malgré un devoir de
diligence prévu par la loi, ni celle-ci ni le décret ne prévoient ces informations. C'est
donc sur la base de leur devoir de diligence qu'il faut faire reposer leur devoir de
s'informer. Il n'y a pas de président du conseil d'administration ni de directeur
général qui leur fourniraient ces informations, c'est à eux à les chercher
CI L'OBLIGATION DE SURVEILLANCE
Cette obligation présente un grand intérêt.
Au Sénégal, elle n'est pas mentionnée dans le nouveau système. Dans le
système classique, selon les articles 1258 al 2 et 1276 al 2 COCC, le conseil
d'administration et le président du conseil d'administration ont l'un et l'autre, le
devoir de surveiller le directeur général. Cela fait partie de leurs attributions. Il ne
s'agit pas de l'obligation de surveillance corollaire du devoir de diligence, mais de
leurs fonctions 1. Néanmoins, malgré le silence du législateur sénégalais, il faut
admettre qu'un devoir de surveillance, résultant du devoir de diligence, pèse sur les
dirigeants2 comme c'est le cas aux Etats-Unis et en Angleterre.
Aux Etats-Unis, on considère généralement que pour satisfaire à leur devoir
de diligence, les dirigeants doivent exercer une surveillance sur la marche de la
société3. Il leur arrive pour des nécessités pratiques de déléguer une partie de leurs
pouvoirs4. Certes ils ont le droit de faire confiance (reUance) à leurs délégués5,
mais ils doivent les surveiller.
Les dirigeants ne peuvent fermer les yeux devant une mauvaise gestion de la
société "la sentinelle qui s'endort à son poste n'apporte rien à l'entreprise qu'elle est
censée protéger".6
1 Cf supra in 1ère partie, Titre 1 - Pouvoirs des dirigeants sociaux.
2 Spécialement dans le nouveau système de direction.
3 A. Tune op.cit. P.131 n75
4 Cf supra in 1ère partie, Titre 1 - Pouvoirs des dirigeants sociaux.
5 Cf MBCA §8.30. Principles of Corporate Governance §4.02.
6 Wilkinson V. Dodd - 42 N.J.Eq. 234, 245, 7A. 327 (Ch.1882) cité par Cary and
Eisenberg - op.cit. 6e ed. P.502.

378
Mais comment doit s'effectuer la surveillance ? Il ne s'agit pas d'une
inspection des activités au jour le jour, mais plutôt d'une surveillance des politiques
et des affaires de la société 1.
Les dirigeants ne sont pas tenus de vérifier les livres de la société, mais ils doivent
se familiariser avec l'état financier de la société par une revue régulière des
déclarations financières. Celle-ci peut entrainer le devoir de
mener des
investigations plus appronfondies dans les domaines révélés par les dites
déclarations. Parfois un dirigeant peut avoir àchercher l'avis d'un conseil même à
l'extérieur de la société.
L'affaire Francis V. United J. Bank2 analysée par les professeurs Cary et
Eisenberg illustre ces exigences liées au devoir de diligence. A la question de
savoir si un directeur est personnellement coupable de négligence pour ne pas
avoir réussi àempêcher le détournement de biens sociaux par d'autres directeurs, la
Cour donna une réponse affirmative. Elle jugea qu'en tant que directeur d'une
importante société de courtage en réassurance, Madame Prichard aurait dû savoir
que celle-ci recevait annuellement des millions de dollars au titre de primes ...qu'elle
détenait en dépot pour les compagnies cédantes et les compagnies de
réassurance. Madame Prichard aurait dû obtenir et lire les déclarations annuelles
sur l'état financier de la société. Bien qu'elle fût en droit de se fier aux déclarations
financières préparées conformément au N.J.S.A. 14 A : 6 - 143, une telle confiance
ne saurait excuser sa conduite. En effet de telles déclarations lui révélaient le
détournement- des fonds. A partir de ces déclarations, elle aurait dû se rendre
compte qu'à partir du 31 Janvier 1970, ses fils retiraient d'importants fonds en
dépôt, sous couvert de "prêts aux actionnaires". Les déclarations financières de
chaque année fiscale à partir de Janvier 1970 montraient que les déficits du capital
de fonctionnement et les "prêts" aug mentaient en proportion. La détection du
détournement de fonds n'aurait pas exigé des connaissances spéciales ou une
1 Cary and Eisenberg - ibid.
2 Francis V. United Jersey Bank - Supreme Court of New Jersey 1981 analysée par
Cary and Eisenberg - op.cit. P.495.
3 Selon cette section du New Jersey Business Corporation Act, les directeurs
doivent remplir leurs devoirs de bonne foi, et avec la diligence, la prudence et
l'habileté des personnes prudentes placées dans les mêmes circonstances et
occupant la même position.

379
diligence extraordinaire.1
En France aussi on reconnaît qu'il faut contrôler et surveiller ceux à qui on a
délégué des pouvoirs. "Les membres du conseil d'administration d'une société
commerciale sont en principe responsables des fautes commises par les
administrateurs délégués, lorsque par leur vigilance ou leur perspicacité ils auraient
pu les empêcher".2
L'arrêt ajoute cependant que les membres du conseil d'administration
peuvent échapper à cette responsabilité àcondition d'établir qu'ils ont pu
légitimement ignorer ces actes, qu'ils ont été victimes de fraudes qu'ils n'étaient pas
en mesure de déjouer ou que leurs instructions n'ont pas été suivies.
L'obligation de surveillance est liée à celle de s'informer car pour exercer un
contrôle efficace il faut être informé; et l'information il faut parfois la réclamer, d'où
ce "droit" àl'information des administrateurs par le président du conseil
d'administration3. Pour remplir leur mission de surveillance et s'assurer que les
décisions collectives sont respectées, les administrateurs doivent recevoir de la
direction générale à des intervalles suffisamment rapprochés, la documentation qui
permet de suivre la marche de l'entreprise tant au point de vue technique que
financier.4
En Angleterre, le droit de reliance est affirmé très fermement. Ainsi en cas de
délégation de pouvoirs, le dirigeant peut se fier aux délégataires. Comme cela fut
exprimé dans l'affaire City Equitable Fire Insurance Co "En ce qui concerne tous les
devoirs et attributions qui eu égard à la nature de l'entreprise et à ses réglements
intérieurs peuvent être légitimement confiés à des officers, le directeur est, sauf motif
de suspicion, justifié d'espérer que ces devoirs seront remplis honnêtement"5.
Le Professeur Gower souligne que ces officers sont les mandataires et
employés de la société et non des directeurs, par conséquent ces derniers ne
1 Cary and Eisenberg - op.cit. P.507.
2 Civ. com. 10 Mai 1948 D. 1948 - 407.
3 Cf supra in §2.
4 l\\Iote G. Lagarde sous Douae 11 Juillet 1957. Dai. 1957. 75.
5 Re City Equitable Fire Insurance Co. (1925) Ch. 407, 427 cité par A. Tunc. Le
droit anglais des sociétés anonymes. P.211 n·113.

380
sont pas responsables de leurs fautes 1.
Le droit de reliance existe en dehors de l'hypothèse d'une délégation de
pouvoirs. C'est ainsi qu'un directeur est justifié de se fier au jugement et aux
informations du président du conseil, ainsi d'ailleurs qu'à ceux du managing
director2
"Les directeurs ne sont pas tenus d'examiner les livres de comptes de la société; ils
peuvent espérer que le managing director et les comptables de la société les
tiennent correctement"3.
Le droit anglais est donc moins exigeant que les droits français et américains.
Mais cela peut changer car le projet de Se directive de droit des sociétés et le projet
de statut d'une société européenne prévoient à présent que tous les membres du
conseil seront conjointement et individuellement tenus de dédommager la société
pour la perte subie résultant du devoir de diligence par l'un d'entre eux, sans qu'un
directeur puisse être exonéré s'il prouve qu'aucune faute ne lui est imputable
personnellement (art 14 §2 et 3)4. En outre, la section 310 de la loi de 1989 interdit
les dispositions statutaires exonérant de la responsabilité pour négligence. Comme
ce fut le cas dans l'affaire city EquitableS.
Il ne faut pas cantonner la diligence aux trois aspects que nous venons
d'étudier. Il y a bien d'autres hypothèses où ni l'assistance aux réunions du conseil,
ni l'obligation de s'informer, ni celle de surveillance n'ont été mises en cause, mais
oiJ le dirigeant a tout de même manqué à son obligation de diligence en se
montrant a contrario négligent.
1 Gower op.cit. éd. 1992 P.588.
Cette opinion est différente de celle du droit français où il a été affirmé que la
circonstance que le directeur général d'une société était le mandataire direct des
actionnaires n'était pas de nature à exonérer les administrateurs de leurs
obligations de surveillance et de contrôle de la gestion (Cf casso 3 Mai 1954.
D.1954-437).
2 National Bank of Wales 1899 - 2 ch. 629 ; Dovey V. Cary 1901 A.C. 477 cités par
M. Guiguère op.cit. P.96.
3 Denham Co - Ch 752 P.766 ; Dorvey V. Cary cité par M. Guiguère op.cit. P.97.
4 Gower op.cit. ed. 1992 P.588.
5 Idem p. 589.

381
On peut citer en droit français des fautes reprochées à un dirigeant, qui
relèvent d'un manque d'intérêt pour les affaires sociales, donc d'un manque de
diligence:
- le fait de ne pas modifier le sigle irrégulier de la société malgré les
demandes réitérées par des tiers alors que cette abstention a entrainé une
indemnisation à la charge de la société1.
- le non-renouvellement d'une marque de fabrique2.
- le désintérêt pour la gestioin et l'absence de délégation de pouvoirs
permettant de pallier cette situation3.
- le retard dans l'exécution d'une décision de l'assemblée générale4.
- l'inaction pour prendre les décisions requises en vue de rétablir la situation
de la société5.
Dans ces différentes affaires, le dirigeant a commis une abstention coupable
alors qu'il devait agir.
§2
LA REGLE DU JUGEMENT
D'AFFAIRES
A-
NOTION
La règle du jugement d'affaire a été posée aux Etats-Unis. Par cette règle, le
juge s'interdit de critiquer une décision des directeurs, lorsque la décision a été
prises par des personnes désintéressées et qu'elle a été mûrement réfléchie6. Les
Princip/es of Corporate Governance ont consacré cette attitude en l'élevant au rang
de principe. La section 4.01 (c) donne la définition suivante:
1 Paris 21 Mars 1984. cité par J.F. Bulle "Le Statut du dirigeant de société" P.366.
2 TGI Libourme 14 Dec 1976. Bull. Joly 1978. P.128 n'56-1.
3 Rouen 20 Oct. 1983. Rev. Stés 1984 - 764.
4 Casso Co. 5 Juin 1961. Bull. Civ. III n'254.
5 Casso Co. 22 Oct. 1974. Bull. Joly 1975. P.477 n'280.
6 A. Tunc. Le droit anglais des sociétés anonymes - 3e éd. P.211 n'113.

382
"Un directeur ou atticer qui porte un jugement d'affaire de bonne foi se
conforme au devoir que lui impose cette section si :
(1) il est désintéressé sur le sujet du jugement d'affaire.
(2) il est informé sur le sujet du jugement d'affaires dans la mesure qu'il
croyait raisonnablement être appropriée aux circonstances; et
(3) il pense rationnellement que son jugement d'affaires sert les meilleurs
intérêts de la société".
En Angleterre les juges semblent avoir eux aussi adopté cette règle1. Ils sont
réticents à contrôler le devoir de diligence des dirigeants.
Cette attitude des pays de camman law s'explique par le fait qu'ils
considèrent qu'il n'est ni dans la capacité des juges ni dans leurs fonctions
d'apprécier ce qui est avantageux pour la société. Leur rôle est uniquement de
rechercher si telle mesure qui leur est soumise est conforme au droit et aux
documents qui constituent la charte sociale2. Les juges craignent de se voir
entrainer dans des discussions économiques, financières ou commerciales où ils se
sentiraient mal à l'aise3. Ils sont peut-être aussi conscients Qu'il serait déloyal de
leur part d'essayer de substituer leur sagesse d'après coup à la prévoyance des
directeurs4.
La règle du jugement d'affaires à l'avantage de laisser aux dirigeants le
pouvoir de déterminer la politique sociale sans être constamment à la merci d'une
action intentée par les actionnaires mécontents. Parallèlement à cela, elle évite un
encombrement des tribunaux5.
Pour notre propos, c'est-à-dire le devoir de diligence, elle en constitue une
limite. En effet ce devoir a un double aspect qui est la prudence (care) et la
vigilance, le dynamisme. Sous sa première acception, ce devoir doit conduire les
dirigeants à agir avec précaution, à calculer les risques que comporte telle ou telle
1 Idem.
2 A. Tunc "La doctrine du mobile légitime dans le droit des sociétés des pays de
common law".
ln Mélanges dédiés à Gabriel Marty. P.1087.
3 A. Tunc. Le droit anglais des sociétés anonymes. P. 210 n'113 .
4 Gower op.ciL ed. 1992 P.586.
5 A. Tunc. Le droit américain des sociétés anonymes. P.136 n'77.

383
décision. Mais à partir du moment où ils savent que leurs choix ne seront pas remis
en cause en raison de la règle du jugement d'affaires, ils risquent d'agir sans
prendre de précautions, de prendre des risques incalculés, voire d'être négligents.
La règle du jugement d'affaires a ainsi pour effet d'atténuer leur devoir de diligence.
En revanche, sous l'angle de la diligence synonyme de dynamisme, la règle
du jugement d'affaires peut encourager ce devoir car une de ses conséquences est
de ne pas brider les initiatives des dirigeants. Elle devrait donc stimuler la prise de
risque, l'innovation et les autres activités créatrices.1 Elle est ainsi de nature à
favoriser le dynamisme2, la vigilance, la diligence des dirigeants.
BI APPLICATIONS
11 AUX ETATS-UNIS
Dans l'affaire Pollitz v. Wabash Railroad Co3, la Cour d'appel de New York à
propos des directeurs déclarait : "Les questions de politique de gestion,
d'opportunité
de
contrats
ou
d'action,
d'adéquation
des
contreparties,
d'appropriation des fonds sociaux pour favoriser les intérêts de la société sont
uniquement laissées à leur décision honnête et désintéressée, ou leurs pouvoirs en
la matière sont sans limites et sans restrictions et leur exercice dans l'intérêt
commun et général de la société ne peut être remis en question, même si les
résultats montrent que ce qu'ils ont fait était imprudent ou inopportun".
Cette règle a été reprise dans plusieurs décisions. Elle est la contrepartie
nécessaire à l'extrême facilité avec laquelle des poursuites dérivées sont engagées
aux Etats-Unis avec l'encouragement des avocats4.
Dans l'arrêt Sinclair Oil Corporation5, rendu par la Cour suprême du
Delaware en 1971, la question se posait de savoir si la holding Sinclair avait été
loyale dans, ses transactions avec une de ses filiales: Sinven, dont elle détenait
1 A. Tune. The Judge and the Businessman - 102 - LOR 560-1986.
2 Cary and Eisenberg - op.cil. P.491.
3207, NY 113, 124, 100 N.E. 721, 724 (1912) cité par A. Tune op.cil. P.558.
4 Idem. Cf infra. Titre 2 - Responsabilité des dirigeants sociaux.
5 Sinclair Oil Corp V. Leiren, 280 A. 2d 717 (Sup. Ct. De1.1971.

384
97% du capital. Il n'était pas discuté que Sinclair avait un devoir fiduciaire envers
Sinven. De 1960 à 1966 DSinven avait versé 108 millions de dollars en dividendes
alors que ses avoirs n'étaient que de 70 millions. Pendant que Sinclair achetait et
développait des gisements pétrolifères en Alaska, au Canada et au Paraguay,
Sinven ne parvenait pas à se développer.
En première instance, le Chancelier soutint qu'en raison du devoir fiduciaire
de Sinclair
envers Sinven, sa relation devait être soumise au test de loyauté
intrinsèque. Ce qui implique à la fois un haut degré de loyauté et un renversement
de la charge de la preuve. Il incombait à Sinclair de prouver sous contrôle judiciaire
que ses transactions avec Sinclair étaient objectivement loyales. Sinclair argua que
les transactions avec Sinven étaient objectivement loyales, et qu'elles devaient être
soumises à la règle du jugement d'affaires. La Cour Suprême accueillit cette
argumentation de Sinclair et renversa la décision du Chancelier1.
D'autres décisions furent plus sévères pour appliquer la règle du jugement
d'affaires, en exigeant des dirigeants qu'ils prouvent l'honnêteté de l'opération2, ou
qu'une justification commerciale les a poussés à prendre une décision opprimant
les actionnaires minoritaires3, ou qu'ils se sont fondés sur l'avis d'experts extérieurs
à la société4.
La Cour Suprême du Delaware fut rigoureuse dans l'affaire Smith V. Van
Gorkom5. Décision qui a d'ailleurs provoqué un choc tant dans le milieu judiciaire
que dans le monde des affaires. La Cour suprême déclara que les dirigeants ne
peuvent se prévaloir de la règle du jugement d'affaires que s'ils ont agi de manière
às'informer de tous les éléments pertinents avant de prendre leur décision. Elle
considèra que ce n'était pas le cas en l'espèce, où le conseil des directeurs de
1 M. Tunc trouve étrange que la Cour suprême n'ait trouvé aucun élément de "self-
dealing"
pas même la plus petite possibilité d'une infraction au devoir de loyauté
quand une société mère ayant besoin de liquidités "pompe" une filiale totalement
dominée et sur une période de 7 ans des dividendes qui excèdent les gains de plus
de la moitié.
2 Rewis V. S.L. E. Ine. C.A. 2, 1980 cité par N. Weyd. "Les OPA . aux Etats-Unis-
Etude du contexte réglementaire et de la dernière jurisprudence" th. Paris 1 - 1990
P.148.
3 Shivers V. Amereo - 670 F - 2d 826 (CA - 1982) cité par N. Weyd ibid. P.146.
4 Grouse - Hinds Co V. Inter North Ine.634 F - 2d 690 (C.A. 2, 1980).
5 488 A. 2d 858 (Del 1985)

1
385
Transunion convoqua une assemblée spéciale pour étudier une offre d'achat. Or
cette assemblée n'avait duré ,que deux heures, les banquiers d'affaires de la société
n'y furent pas conviés, et aucune analyse financière ou même un avis sur
l'honnêteté du prix de l'action offert ne furent communiqués. Les dirigeants n'avaient
reçu aucune documentation sur la fusion envisagée ou le prix d'évaluation. Malgré
ces lacunes, le conseil approuva les termes du rachat et l'accord de fusion fut par la
suite signé par le Chief Executive officer, Van Gorkom, qui ne l'avait jamais lu. Le
juges considérérent qu'il y avait une négligence grossière de la part des dirigeants.
Ces derniers invoquèrent en vain l'article 141 (e) tit.8 du Code du Delaware, selon
lequel les dirigeants sont totalement protégés lorsqu'ils se sont fondés en toute
bonne foi sur les rapports établis par un des responsables de la société. Selon la
Cour Suprême, la présentation baclée de vingt minutes faite par le Chief Executive
officer ne peut être considérée comme un rapport étant donné qu'il n'avait aucune
connaissancze des bases essentielles du document dont il parlait. Les documents
doivent, affirme-t-elle, susciter la bonne foi, mais non la confiance aveugle.
2°/ EN
ANG LETERRE
Le juge observe la même réticence que son homologue Américain à se
prononcer sur des décisions d'affaires. Cela fut exprimé notamment dans l'affaire
City Equitable Fire Insurance Co1.
Dans l'arrêt Hogg V Cramphorn Ltd2 le juge refuse de se prononcer sur les
mérites des points de vue divergents des membres de la société.
L'arrêt Burland V. Earle3 indique que le juge a seulement pour devoir de
s'assurer de l'application des statuts de la société et qu'il n'a pas à apprécier les
mérites des points de vues de la majorité des associés en conflit avec les directeurs.
Dans l'affaire Smith and Fawcet Ltd4, le sieur Smith et le directeur coopté
n'avaient transféré aux liquidateurs de la société Fawcet que la moitié des actions,
l'autre étant achetée par Smith à un prix qu'il fixait lui-même. Une telle décision
1 (1925) Ch. 407 cité par A Tunc "The Judge and the Businessman" P.552.
2 (1967) Ch. 254 ; (1966) 3 ALL E.R. 420 idem.
3 (1902) AC. 83 at 93 per Lord Davey idem.
4 (1942) Ch. 304 ; (1942)(1942) 1 Ail E.R. 542 (C.A) idem.

386
semblait aller plus dans le sens des intérêts de Smith que de ceux de la société.
Les juges au lieu de demander à Smith et au directeur coopté de justifier ou
du moins d'indiquer les raisons pour lesquelles ils avaient cru que leur décision
était conforme aux intérêts de la société, se soumirent totalement à la décision des
directeurs, ce qui selon le Professeur Tunc peut apparaître comme un regrettable
déni de justice1.
Il faut souligner que la règle du jugement d'affaires a une portée limitée en
raison de sa mise en oeuvre. En effet la question se pose en permanence de savoir
si les conditions de son application sont réunies:
le conseil n'avait~il pas d'intérêt dans la décision? était-il suffisamment informé?
Pouvait-il raisonnablement croire que la décision allait dans le sens des meilleurs
intérêts de la société 2? Dès lors, s'interroge le Professeur Tunc, ne vaudrait-il pas
mieux quand une décision est portée devant une Cour abandonner la fallacieuse
protection de la règle du jugement d'affaires pour discuter directement si la décision
était prise conformément au devoir de loyauté et de prudence (care), mais en ayant
à l'esprit que la décision ne doit pas être jugée sur ses résultats et qu'une erreur de
jugement n'est pas une faute et ne doit pas entrainer la responsabilité. Il conclut
qu'en Angleterre la loi doit rester prudente avant de reconnaître expressément la
règle3.
SECTION Il:
LE DEVOIR DE COMPETENCE
Ce devoir découle en droit sénégalais de l'obligation qui pèse sur les
administrateurs délégués de "faire fructifier le patrimoine social" (art. 1290 COCC).
Pour parvenir à ce qui est le but de toute société, à savoir l'obtention de bénéfices, il
faut un minimum de compétence. Il faut aussi, comme nous l'avons vu, d'autres
qualités4 ; certaines ressortent d'ailleurs de l'article 1290 COCC : la diligence sous
ses deux aspects que sont le dynamisme et la prudence; et la loyauté qui devrait
conduire le dirigeant à faire prospérer en priorité le patrimoine de la société et non
le sien, et à rester fidèle à sa mission, donc àne pas commettre de détournement de
1 A. Tunc op.cit. P.553.
2 A. Tunc "The Judge and the Businessman" P.567.
3 Ibid. P.568.
4 Cf supra - 1ère partie - Titre 2 - Chap. 1 - Nomination des dirigeants sociaux.

387
pouvoirs.
Dans les autres pays étudiés, la loi est muette quant à la compétence des
dirigeants. Comme l'observe un auteur, à propos du droit anglais, le législateur
semble plus soucieux de censurer l'honnêteté que la compétence1.
Une explication de ce silence peut être trouvée dans les mécanismes de la
société qui permettent de choisir et de révoquer les dirigeants. Ce qui devrait être
une garantie de compétence : les dirigeants étant choisis en raison de leur
compétence et pouvant être révoqués si celle-ci s'avère insuffisante.
Mais cette garantie est faussée car l'assemblée générale est souvent
asservie à la direction. Celle-ci bénéficie de son appui soit parce que les dirigeants
sont en même temps actionnaires majoritaires, soit en raison de l'indifférence et de
l'abstentionnisme des actionnaires2 q;!i..r:E0~lS,.és...9L1raient pourtant pu avoir un réel
pouvoir. Le résultat en est l'incompétence affichée de certains dirigeants: on peut
se déclarer directeur d'une importante compagnie d'assurance et prétendre ne rien
connaître aux affaires3.
La "transmission héréditaire" des fonctions directoriales peut aussi expliquer
l'incompétence de certains dirigeants Monsieur Trochu écrivait, dénonçant le défaut
de technicité ou l'incompétence des dirigeants: "... En France, on devient chef
d'entreprise parce qu'on est le fils de son père... Dès lors, diriger une société n'est
pas un métier mais un état. Une telle conception influe sur le niveau intellectuel des
maîtres de la firme ... héritiers de droit divin de fonctions de direction, ils vont
s'employer à les conserver avec d'autant plus d'acharnement qu'ils ne les méritent
pas"4.
Pour éviter des situations aussi choquantes, on peut envisager plusieurs
solutions.
1 M. Guiguère - op.cit. P. 76.
2 Cf supra 1ère partie - Titre 2 - Chap. 1 Nomination des dirigeants sociaux.
3 Cf in Re City Equitable Insurance Co. précité.
4 M. Trochu - "L'entreprise: antagonisme ou collaboration du capital et du travail".
RTDCo. 1969 - 692.

388
Une solution a priori consisterait à poser des conditions de qualification pour l'accès
aux fonctions de dirigeant social, car, comme s'en étonne un auteur, pour être
coiffeur, on exige un diplôme, or rien de tel n'est requis pour être dirigeant de
société1. Des solutions a posteriori sont envisageables. Tel est le cas de la
révocation du dirigeant incompétent. Tel est aussi le cas du contrôle par les
tribunaux de la compétence des dirigeants sociaux.
§1
-
LE CONTROLE A POSTERIORI
DE
LA
COMPETENCE
DES
DIRIGEANTS
AI LA REVOCATION DES DIRIGEANTS SOCIAUX
INCOMPETENTS
Comme nous l'avons vu précédemment2, il existe plusieurs types de
révocation. La révocation peut être ad nutum et dépendre du bon vouloir de l'organe
compétent en la matière. Elle peut être basée sur des justes motifs. Quelle qu'elle
soit il est possible d'utiliser la révocation pour se débarrasser d'u n dirigeant
incompétent.
C'est ce qui se produit aux Etats-Unis où des dirigeants sont révoqués pour
cause de mauvais résultats, sous la pression des investisseurs institutionnels3.
Ceux-ci exercent, il faut le reconnaître, un contrôle des performances des dirigeants.
Et nombre de dirigeants l'ont appris à leurs dépens. Il faut réussir ou partir mais
partir contre son gré le plus souvent!
En Angleterre également, l'épargne collective n'hésite pas à demander des
comptes et parfois le changement des dirigeants. Les investisseurs institutionnels
ont provoqué la démission forcée du conseil d'un groupe. Ils accusaient notamment
les dirigeants d'avoir une mauvaise politique financière et de manquer de
stratégie.4
1 G. Sousi. "Un délit souvent inadapté: l'abus des biens et du crédit de la société".
RTDCo 1972-292.
2 Cf in 1ère partie - Titre 2 - Chap.2 - Révocation des dirigeants sociaux.
3 Cf supra - 1ère partie. Titre 2 - Chap.2.
4 E. Scholastique - op.cit. P.288.

389
La France commence à être gagnée par ce mouvement. Ainsi y voit-on de
plus en plus de dirigeants révoqués pour mauvaise gestion par "des actionnaires
devenus plus sensibles aux performances"1. Un Pdg lui-même révoqué en déduit
que "les présidents ont donc davantage une obligation de résultat"2.
Au
Sénégal,
des actionnaires
pourraient
révoquer
ad nutum des
administrateurs incompétents. Ceux-ci pourraient révoquer ad nutum leur président
s'ils le jugent incompétent. L'incompétence du directeur général pourrait être aussi
un juste motit de sa révocation par le conseil d'administration, sur proposition de
son président.
Cependant, l'exercice effectif du pouvoir de révocation dépend du bon vouloir
de l'organe compétent et de son pouvoir. Ainsi, les actionnaires majoritaires
voudront-ils révoquer leurs amis administrateurs" ou lorsqu'ils le sont eux-mêmes,
se révoquer ? A l'inverse, les actionnaires minoritaires mécontents des
administrateurs qu'ils estiment incompétents pourront-ils les révoquer3?
Dans ce cas, il faut envisager le recours aux tribunaux.
BI CONTROLE A
POSTERIORI PAR LES TRIBUNAUX DE LA
COMPÉTENCE
DES
DIRIGEANTS SOCIAUX.
La principale difficulté que présente ce contrôle réside dans le fait que les
juges ne sont pas des experts en affaires et donc sont mal placés pour juger de la
compétence des dirigeants àtravers leur gestion. Aux Etats-Unis et en Angleterre,
les juges sont réticents pour apprécier les décisions d'affaires.
En France, les juges ne refusent pas de juger une décision d'affaires prise
par les administrateurs. La loi du 24 Juillet 1966 le leur permet qui dispose en son
article 244 que les dirigeants sont responsables envers la société ou envers toute
1 Cf L'Expansion du 2/15 Juin 1994. "Comment sanctionner les patrons?". P.86.
2 Idem.
3 Aux Etats-Unis et en Angleterre, les investisseurs institutionnels ont la puissance
nécessaire. Ce qui fait dire àun auteur "Hors les investisseurs institutionnels, point
de salut!" (E. Scholastique op.cit. P.286.)

390
personne ... de toute faute de gestion. Ainsi, et à la différence des droits anglais et
américains, les juges français ne considèrent pas qu'une erreur de jugement n'est
pas une faute ni que la décision des dirigeants doit être jugée avec indulgence en
raison des difficultés de la conduite des affaires1.
Les exemples ne manquent" pas, en particulier lorsque la société est en
difficultés. Des dirigeants ont été ainsi condamnés au comblement du passif de la
société:
. pour erreur d'appréciation sur les investissements2.
- pour manque de discernement commercial3.
- pour erreur grave d'appréciation sur la viabilité
d'une nouvelle
chaîne de télévision4.
Les juges français ont pu retenir comme fautes de gestion, parce que
révélant l'incompétence, l'imprudence, la légèreté du dirigeant dans la gestion
industrielle, commerciale, financière de l'entreprise: des stocks trop importants, une
main d'oeuvre inexpérimentée ou improductive, des collaborateurs mal choisis, le
maintien en place de collaborateurs insuffisants, des investissements inopportuns,
des imprudences financières, du matériel vétuste, l'insuffisance de la comptabilité,
la poursuite d'une exploitation déficitaire, le défaut de dépôt du bilan dans le délai
légal5. Le Professeur Vasseur s'interroge cependant sur la réalité de ces fautes:
ainsi à propos du maintien en fonction de collaborateurs insuffisants, peut-on
facilement et gratuitement mettre fin à des contrats de travail? Quant au matériel
vétuste: peut-être l'entreprise n'était-elle pas en mesure de procéder à de nouveaux
investissements lesquels auraient pu être reprochés aux dirigeants comme
dépassant les possibiités de la société. Sur la poursuite d'une exploitation
déficitaire, Monsieur Vasseur se demande "si les dirigeants sont vraiment en faute,
face à une situation difficile, de n'avoir pas capitulé tout de suite et d'avoir essayé de
remonter le courant qui en dépit de leurs efforts a emporté l'entreprise ?". C'est
souligne-t-il "s'exposer à juger inexactement les faits que de partir de leur point
1 A. Tunc. "The Judge and the Businessman". 102 LQR 555.1986.
2 Casso CO.18 Févr. 1992. R.J.D.A. 1992 P.367.
3 Angers 4 Mars 1991. Juris - Data n'043422 cité par Cozian et Viandier . op.cil.
ed.1993. P.161 n'439 bis.
4 Tr. Co . Paris 23 Nov.1992. Bull. Joly 1993.255 note Campana
5 M. Vasseur "Le droit français (et spécialement l'article 99 de la loi du 13 Juillet
1967) est-il un handicap pour l'apporteur de fonds propres". Banque 1979 P.188.

391
d'aboutissement et de les apprécier en remontant le temps. Après coup, une vue
d'ensemble sur leur réalité se dégage que n'ont point eue ceux qui s'y sont trouvés
mélés au jour'ie jour... "1.
Nous percevons la difficulté pour le juge qui n'est pas un expert en affaires2,
de se prononcer sur la gestion des hommes d'affaires. Et quand bien même il le fait,
son jugement n'est pas toujours exempt de critiques, notamment celle de "savoir
après, ce qu'il fallait faire avant".
Aux Etats-Unis, les juges appliquent la Business Judgment Rule. Ils ne
veulent pas porter une appréciation sur la gestion des dirigeants car ils estiment ne
pas avoir les compétences pour le faire. Nous l'avons vu à propos de la diligence
des dirigeants. C'est aussi le cas pour la compétence des dirigeants. Les tribunaux
considèrent que les questions de politique sociale n'appartiennent qu'aux dirigeants
et qu'ils sont les seuls a pouvoir décider de ces questions. Ils pourront commettre
des erreurs de jugement qui prouveront leur inaptitude à gérer les affaires d'autrui,
mais, dans la mesure où ils auront exercé tout le soin et la diligence voulus, ce que
l'on présuppose d'ailleurs, ils n'en seront pas tenus responsables. Tout ce qu'on leur
demande c'est d'avoir suffisamment de bon sens et de donner des avis dont la
société puisse tirer profit. Mais ils n'ont pas à se porter garants de l'excellence de
leurs jugements. S'ils ne sont pas à la hauteur de leur tâche, les actionnaires qui les
ont choisis pour les représenter n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes. S'ils veulent
que leur société soit bien gérée, il leur appartient d'élire des administrateurs
compétents3.
En Angleterre, les juges ont manifesté un grand laxisme quant à
l'appréciation de la compétence des dirigeants: "Les directeurs ne garantissent en
aucune manière qu'ils sont habiles et compétents et ils peuvent même présenter le
contraire de ces qualités sans encourir de responsabilité. En conséquence, ils ne
peuvent être tenus responsables pour leurs erreurs de jugement et on ne peut
1 M. Vasseur op. cit. p. 193.
2 En France, le tribunal de commerce comprend des hommes appartenant au
monde des affaires, mais en appel, ce sont des juges professionnels qui se
prononcent.
3 Cf Barnes V. Andrews, 198 Fed. 614 (D.C. of New York) (1924) cité par J.
Chamboulive - op.cit. P.99 n'136.

392
attendre plus de soin et de diligence de leur part qu'il n'est légitime d'en attendre de
leur capacité et de leur expérience professionnelle"1. Et dans l'affaire City Equitable
Insurance Co, le juge Romer dans un jugement qui reste classique2 énonce qu' :
"un directeur n'a pas, dans l'exercice de ses fonctions à faire preuve d'une
compétence supérieure àcelle qu'on peut raisonnablement attendre d'une personne
de sa science et de son expérience." - Monsieur Guiguère observe à ce sujet que si
l'on se référait aux connaissances et à l'expérience d'un homme de son métier3, un
élément d'objectivité serait incorporé au critère. Le directeur de société pourrait
devenir par là sujet à des critères professionnels. Mais de tels critères n'existent
pas4. En effet, et comme l'observe un auteur, le statut des directeurs ne tombe pas
dans une catégorie juridique de professionnels déterminée, à laquelle on puisse se
référer pour définir les obligations de diligence et de compétence5.
Mais si, comme l'indique Le Professeur Gower : "on n'exige pas que les
directeurs possèdent des talents particuliers et puisque la bonne marche des
affaires requiert une dose d'habileté, les directeurs ignorants doivent évidemment
compter sur des experts officiels... ", alors pourquoi ne pas introduire dans le conseil
des experts, qui seraient des directeurs professionnels comme cela est proposé aux
Etats-Unis, et d'une manière générale exiger une qualification des dirigeants au
moment de leur nomination?
§ 2: EXIGENCE D'UNE QUALIFICATION PROFESSIONNELLE
DES
DIRIGEANTS
SOCIAUX
Comme nous l'avons vu précédemment6, la question de la qualification des
dirigeants sociaux est à l'ordre du jour aux Etats-Unis, en Angleterre et en France.
1 Proposition de Maugham et Cohen dans l'affaire City Equitable Insurance Co.
Proposition appuyée sur les décisions: Turquand V. Marshall (1869). L.RA Ch. 376
; Overend and Gurney Co V. Gibb L.R.5 H.L. 480 ; Oenham and Co 25 Ch.752 ;
National Bank of Wales 1899 2 Ch.629.
2 A. Tunc. Le droit anglais des sociétés anonymes. 3e éd. P.211 n·113.
3 C'est nous qui soulignons
4 M. Guiguère op.cit. P.79.
~ E. Scholastique - op.cit. P.360.
6 Cf in 1ère partie - Titre 1 - Chap 1. Nomination des dirigeants sociaux.

393
Nous rappelons 1 la proposition du rapport Gilson - Kraakman de faire
accéder aux conseils des sociétés les plus importantes, des directeurs
professionnels de grande compétence choisis par l'épargne collective. Ils proposent
même la création d'une sorte de bourse des directeurs professionnels : une
organisation qui reçoive et examine des candidatures, qui reçoive aussi des
demandes de sociétés et procède aux répartitions les plus intelligentes. Une telle
organisation n'est pas sans rappeler le PRONED britannique.
En Angleterre, le PRONED, groupement chargé de la promotion de non-
executive directors, tient un fichier indiquant les qualifications et l'expérience de
personnes désireuses d'être non-executive director. Les sociétés peuvent ainsi
s'adresser au PRONED pour trouver le candidat répondant à leurs besoins2.
Le rapport Cadbury, en son §4-15 recommande une sélection des non-
executive directors en fonction de leurs mérites. Les §4-19 et 4-20 recommandent
une formation des nouveaux directeurs, qu'elle soit interne ou externe, qu'ils soient
executive ou non-executive. Il évoque notamment les cours dispensés par l' Institute
of Oirectors3 et les écoles d'affaires. Il recommande la création de comités de
nomination. Leur rôle est important pour le choix de dirigeants compétents.4
En France, il y a une prise de conscience de la nécessité pour les dirigeants
des sociétés d'avoir un haut niveau de compétence technique.5 Mais cela ne s'est
pas encore traduit dans les textes.
Monsieur Berdah préconisait il y a quelques années, la création d'un statut
professionnel des dirigeants sociaux. Il regrettait au passage l'absence de textes
législatifs exigeant une compétence professionnelle en matière de sociétés.6
Certes, il y a l'article 596 du code de la santé publique qui exige dans les sociétés
anonymes de préparation ou de vente en gros de produits pharmaceutiques que le
président et la majorité des administrateurs aient le diplôme de pharmacien. Mais
1 Cf supra - in 1ère partie - Titre 1 Chap.1 Nomination des dirigeants sociaux.
2 Cf A. Tunc - op.cit. in R.I.D.C. 1994 P.67.
3 Cf supra in 1ère partie. Titre 2 - chap.1 Nomination des dirigeants.
4 Cf supra in 1ère partie Titre 1 . Pouvoirs des dirigeants sociaux.
5 Cf supra in 1ère partie. Titre 2 chap.1.
6 J. P. Berdah - op.cit. P.1 07 n088.

394
ce n'est qu'une condition d'accès et non une garantie de compétence.1 Pour cet
auteur un statut professionnel des dirigeants sociaux aurait l'avantage de rassurer
les actionnaires bailleurs de fonds.
L'exigence d'une qualification professionnelle faciliterait la tâche aux juges.
Elle aurait pour avantage d'écarter la référence au bon père de famille, de ne pas
tenir compte de la gradation des fautes et de sanctionner ainsi plus rigoureusement
la faute de gestion, car toute faute même la plus légère pourrait être sanctionnée.2
Mais faire
des fonctions de dirigeant une profession organisée présente
aussi de l'avis de certains, des inconvénients : le professionnalisme aurait pour
conséquence de limiter les initiatives privées à une époque où les pouvoirs publics
accentuent leurs efforts pour susciter la volonté d'entreprendre3. La mise en place
d'un système rigide serait néfaste au principe de libre entreprise. Ce serait se priver
du génie ou du talent d'hommes d'affaires4.
§3 • QUELLE SOLUTION POUR LE SENEGAL ?
La révocation permet de se débarasser d'un dirigeant incompétent. Mais
encore faut-il que ceux qui ont le pouvoir de révoquer le veuillent et que ceux qui le
veulent le puissent5.
Le recours au juge est aussi envisageable. Mais encore faut-il qu'il soit
exercé, car au Sénégal le contentieux en matière de sociétés est très rare. A
supposer que les juges soient saisis accepteront-ils d'apprécier la gestion des
dirigeants sociaux?
Il faut noter que le législateur sénégalais dans l'article 1380 COCC qui est le
pendant de l'article 244 L.1966 - n'utilise pas le terme "fautes de gestion" - mais
celui de "fautes commises dans leurs fonctions". C'est un avantage pour le juge car
1 Idem.
2 F. Cherchouly Sicard "La responsabilité des dirigeants sociaux pour faute de
gestion". Th. Paris 2 - 1982. PP.129 et 263.
3 Idem P.130.
4 Idem. P.264.
5 Cf supra in §1 - A.

395
il ne se trouve pas alors dans la position de celui qui contrôle une gestion que lui-
même n'aurait sans doute pas su mener.
C'est généralement à l'occasion des procédures collectives que les juges
sénégalais sont appelés à se prononcer. Dans ce cas les résultats de la société
sont sinon la preuve, du moins un indice de l'incompétence des dirigeants. Mais
n'est-ce pas un pis-aller que d'attendre les mauvais résultats de l'entreprise pour
sanctionner des dirigeants incompétents? Le même reproche peut être fait à la
révocation; certes, la situation de la société n'est peut-être pas compromise, mais
tout de même, ne vaut-il pas mieux, compte tenu des enjeux de la gestion sociale
"prévenir plutôt que guérir". Comme nous l'indiquions, le choix des dirigeants est de
l'ordre de la prévention1.
Il faut selon nous un contrôle a priori. Comme cela a été proposé aux Etats-
Unis, on pourrait introduire dans les conseils des directeurs professionnels, sur
candidature. Ils pourraient être passés par des écoles spécialisées - car les
diplômes universitaires sanctionnent généralement une formation théorique - telles
que le CESAG2, au sein desquelles ils auront acquis une formation les rendant
aptes à gérer des sociétés anonymes. Pour les petites sociétés de type familial, ce
ne serait pas nécessaire. Ils pourraient aussi, sans être passés par une école de
management, être recrutés sur la base de leur expérience acquise à la direction de
sociétés - pas forcément anonymes -ayant obtenu des résultats probants. A ce sujet
on peut noter l'existence d'oscars du management qui couronnent les entrepreneurs
ayant eu les meilleurs résultats et mettent ainsi sur orbite des entrepreneurs ayant
prouvé leur compétence. \\1 est vrai que la gestion d'une petite société, de type SNC
ou SARL, diffère de celle d'une société anonyme, mais la réunion d'entrepreneurs
talentueux devrait conduire à de bons résultats.
Une autre voie peut être envisagée, elle consiste en la promotion des cadres
de l'entreprise. En effet, ceux-ci3 peuvent devenir administrateurs4. Ces cadres
1 Cf supra in 1ère partie. Titre 2. Nomination des dirigeants sociaux.
2 C.E.S.A.G. = Centre d'Etudes Supérieures d'Administration et de Gestion.
3 L'article 1253 relatif aux administrateurs salariés concerne tous les salariés,- sans
hiérarchie. C'est volontairement que nous envisageons le cas des cadres en raison
de leur degré de qualification.
4 Cf supra in 1ère partie. Titre 2 - Chap 4 - Cumul d'un mandat social et d'un contrat
de travail.

396
offrent des garanties de compétence, puisque celle-ci a été éprouvée dans un
secteur particulier de l'entreprise et surtout ils ont une bonne connaissance de
l'entreprise. Il s'y ajoute, ou devrait s'y ajouter, un intérêt réel, au-delà de la société,
pour l'entreprise dont ils ont été, et demeurent s'ils le veulent, une composante en
tant que salariés. Ils devraient en conséquence prendre à coeur le devenir de la
société et la gérer avec compétence, mais aussi avec loyauté et diligence.
Comme nous l'indiquons précédemment1, en supprimant l'interdiction du
cumul de mandats de directeur général, la réforme de 1993 peut ouvrir la voie à une
professionnalisation de la direction de sociétés anonymes.
L'exposé des motifs de cette loi indique clairement la volonté du législateur
sénégalais de permettre à des personnes de faire bénéficier plusieurs sociétés de
leur expérience.
Mais, le dirigeant devra s'auto-limiter en évitant une trop grande dispersion. A
ce propos on peut se reporter au Rapport Gilson - Kraackman aux Etats-Unis, qui
préconise que les directeurs professionnels servent dans six sociétés par
exemple2. En effet, la compétence ne suffit pas, encore faut-il avoir la disponibilité
pour l'utiliser au mieux en se familiarisant avec les sociétés où l'on siège.
CONCLUSION DU TITRE 1
Aux Etats-Unis et en Angleterre on a tendance à privilégier le devoir de
loyauté. Nous n'allons pas, au terme de cette étude sur les devoirs des dirigeants
sociaux, classer les devoirs par ordre d'importance. Ce serait courir le risque de voir
des dirigeants négliger certains de leurs devoirs en les considérant comme
secondaires. Les devoirs forment un Tout. Le dirigeant doit exercer sa mission avec
sa tête et avec son coeur.ll en a le devoir. Un devoir qui peut être sanctionné par la
mise en jeu de la responsabilité du dirigeant.
1 Cf supra in 1ère partie. Titre 2. Chap. 1er Sect 2 §2 - B-4').
2 Cf A. Tunc.op.cit. RDAI 1991 P.683.

397
TITRE
Il
LA
RESPONSABILITE
DES
DIRIGEANTS
SOCIAUX
"Etre homme, c'est précisément être responsable"
A. de St Exupéry
Etymologiquement le terme "responsabilité" désigne "l'obligation de
répondre ... de certains actes" (Littré). Répondre devant qui? La réponse varie selon
que l'on se place dans un cadre juridique ou extrajuridique.
Sur un plan extrajuridique, celui de la morale, l'homme répond de ses actes
devant Dieu 1 (morale religieuse), ou devant sa conscience (morale laïque).
Sur le plan juridique, le droit rend l'homme responsable devant la société,
plus précisément devant les organes chargés de rendre la justice au nom de la
société c'est-à-dire l'appareil judiciaire.
On ne peut cependant séparer totalement la responsabilité juridique de la
responsabilité morale. Ainsi, l'Histoire révèle l'influence qu'a eu le Christianisme"
dans le monde occidental et particulièrement en France sur le droit de la
responsabilité. Ce sont les canonistes qui s'inspirèrent de l'oeuvre de théologiens
tel St Thomas d'Acquin.
A vrai dire, l'influence fut réciproque, car les théologiens catholiques étaient
eux-mêmes "imprégnés de culture gréco-latine et ne renièrent jamais l'héritage du
droit romain, cherchant seulement à lui insuffler une nouvelle inspiration tirée des
principes de l'Evangile".2 Domat présenta une théorie générale de la responsabilité
à partir de la tradition romaine interprétée dans un esprit chrétien. 3 Cette théorie de
la responsabilité eut un grand impact sur la rédaction du code civil français,
l'imprég nant ainsi de morale chrétienne. "C'est donc d'une symbiose entre les
1 "... Toi, tu paies l'homme selon ses oeuvres" PS 62,13
"C'est qu'en effet le Fils de l'Homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il
rendra à chacun selon sa conduite". Mt 16,27.
2 G. Viney - Traité de droit civil - La responsabilité -Conditions L.GDJ 1982 P.9 N"11.
3 Domat écrivait en 1694 cette phrase célèbre "Tout8S les pertes et tous les dommages qui peuvent
arriver par la faute de quelque personne doivent être réparés par celui dont la faute y a donné lieu" in
Les lois civiles dans leur ordre naturel, Il, VII, 4 - cité par A. E. Giffard, Robert Villers. Droit romain et
ancien droit français. Obligations. Ed. Dalloz - 1970 P.281 n"398.

solutions romaines et les g rands principes de la morale chrétienne que devait naître
la conception moderne de la responsabilité qu'a finalement consacrée le code civil
de 1804".1
Le code civil français en son article
1382 pose le principe de la
responsabilité dans les termes suivants : "Tout fait quelconque de l'homme qui
cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le
réparer".
Ce principe est repris au Sénégal par l'article 118 cacc qui dispose: "Est
responsable celui qui par sa faute cause un dommage à autrui".
De tels principes généraux, nous n'en trouvons pas dans les droits anglais et
américain qui sont essentiellement casuistiques. C'est à partir des nombreux Torts
(Délits) que se dégagent les règles générales, et non l'inverse. Comme le souligne
un auteur, il existe une différence fondamentale entre la théorie anglo-américaine et
les théories continentales du droit de la responsabilité civile "Les anglo-américains
n'ont pas recherché un principe général valable dans tous les cas d'application,
mais ont accordé aux demandeurs une série d'actions distinctes s'appliquant à des
situations particulières déterminées et régies par des règles propres".2
Le droit sénégalais, dans le nouveau système de direction des sociétés
anonymes, s'est inspiré des droits anglais et américain, mais s'agissant de la
responsabilité, la technique est la même qu'en droit français: un principe général et
ses applications. Sur le fond aussi l'influence du droit français est manifeste, qu'il
s'agisse du fondement, de la mise en oeuvre, ou de l'étendue de la responsabilité.
Ces trois points essentiels autour desquels s'articulera notre étude.
1 G. Viney. op.cil. loc.cil.
2 P. Grégoire Droit anglo-américain de la responsabillité civile. Bruxelles CIDC 1971 P.3 n'2.

399
CHAPITRE PREMIER
LE FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE DES
DIRIGEANTS SOCIAUX
La responsabilité des dirigeants sociaux revêt des traits spécifiques, mais a
pour base la théorie générale de la responsabilité. Pour cette raison et en guise de
préliminaire, nous examinerons le fondement de la responsabilité civile en général.
SECTION PRELIMINAIRE: FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE CIVILE EN
GENERAL
L'influence du droit français sur le droit sénégalais nous conduira à
commencer par l'examen du fondement de la responsabilité en droit français.
§1 EN DROIT FRANCAIS
Deux fondements sont en général retenus dans la théorie générale de la
responsabilité en droit français. Il s'agit de la faute et du risque.
AI LA FAUTE
La faute est pour ainsi dire, le fondement naturel de la responsabilité .
"Qu'une personne doive répondre des dommages causés par sa faute ne requiert
aucune démonstration syllogistique. Cela semble naturel, cela semble du bon sens,
cela semble indispensable".1
Mais qu'est-ce que la faute ? Selon Planiol, la faute est la transgression
d'une obligation préexistante 2 C'est cette définition que retiennent nombre
d'auteurs. 3 Ripert et Boulanger ont cependant une conception plus restrictive de la
faute: elle est selon eux, un acte contraire à la loi. 4 Le Doyen Carbonnier5
1 A. Tune. La responsabilité civile. ed. Economica 1981 P.98 n0122
2 M. Planiol. "Etudes sur la responsabilité civile" Revue internationale de législation et de jurisprudence
.1905 P.28 cité par Carbonnier op.cil. P.415 n0229
3 J. P. Berdah - op.cil. P.128 n0106.
J. Fassier - La responsabilité civile des administrateurs et la gestion de la SA - th - 1944 P.28.
4 Cités par J. Carbonnier - op.cil. loc. cil.
5 op.cil. P.397 n0220.

400
distingue trois éléments dans la faute:
- un élément matériel: une conduite humaine, à savoir le fait de l'homme.
- un élément psychologique: la volonté qui aurait pu détourner le cours des
choses.
- un élément sociologique : la réprobation portée par la société sur la
conduite du défendeur, le caractère blâmable qu'elle y attache. Ce qu'on appelle
l'illicéité au sens large.
Ces trois éléments étant indissociables.
BI LA THEORIE DU RISQUE
Cette théorie vit le jour en France à la fin du dix-neuvième siècle sous
l'impulsion
d'auteurs
soucieux de
pallier l'injustice
résultant
de
la non
indemnisation des victimes, lorsque le préjudice qu'elles subissaient ne découlait
pas d'une faute. C'était le cas notamment dans certains accidents du travail. 1
D'abord on songea à élargir la notion de faute par le détour de la responsabilité
contractuelle. C'est ainsi que l'on considéra que le contrat de travail contenait une
"obligation de sécurité"2 mise à la charge de l'employeur, de sorte que la
survenance d'un accident du travail impliquait l'inexécution de cette obligation de
sécurité et par conséquent la faute. Le but recherché était ainsi atteint :
l'indemnisation de la victime était facilitée, celle-ci n'ayant plus la lourde charge de
prouver l'imprudence de son patron et le lien de causalité avec le dommage.
L'initiateur de
la théorie du
risque,
Saleilles,
partit d'une analyse
jurisprudentielle qui)selon lui')révélait que les tribunaux dans le but de protéger les
victimes des accidents du travail avaient dû élargir la définition de la faute et s'en
étaient même éloignés. Selon lui, la jurisprudence se fondait en réalité non sur la
faute, mais sur l'idée que "toute activité qui fonctionne pour autrui fonctionne au
risque d'autrui" et que "c'est celui qui en a la direction qui doit en payer les risques".
,
Pour Saleilles, c'est une solution d'équité que celui qui prend des risques aux
dépens d'autrui répare le dommage qui en résulte même s'il n'a commis aucune
faute, car qui d'autre que lui devrait le faire? La victime a subi le dommage
1 G. Viney.op.cit. P.64 n049.
2 Cetie idée fut lancée par Sauzet. De la responsabilité des patrons vis à vis des ouvriers dans les
accidents industriels.

401
passivement, elle n'y est pour rien. Il faut qu'il la dédommage, - voilà la solution
mo rale. 1 Saleilles considérait que la notion de risque ne devait pas se limiter aux
accidents du travail mais devait s'appliquer à toute activité industrielle. " lui trouva
d'ailleurs un support légal: l'article 1384 du Code civil. 2
Aujourd'hui, il existe en droit français des régimes de responsabilité
ouvertement fondés sur le risque, mais ils se rencontrent dans des lois spéciales
extérieures au droit civii : le code de l'aviation de 1955 3: son article 36 rend
l'exploitant responsable de plein droit, sans qu'il soit besoin de prouver sa faute, de
tous les dommages causés par un avion aux personnes et aux biens se trouvant à
la surface. De même le code de la sécurité sociale 4, art 414 S sur les accidents du
travail: l'employeur est responsable de plein droit, sans qu'il soit besoin de prouver
sa faute, de tous les dommages subis par les salariés par le fait du travail ,ou à
l'occasion du travail. C'est le risque professionnel.
La loi Badinter n085 - 677 du 5 Juillet 1985, tendant à l'amélioration de la
situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des
procédures d'indemnisation, permet une indemnisation des victimes sans
considération de l'existence ou non d'une faute de l'auteur du dommage. 5 On peut
voir dans ce type de responsabilité, une responsabilité fondée sur le risque créé. 6
La théorie du risque a ses variantes: le risque-profit qui suppose une activité
lucrative; le risque d'activité ou risque créé: toute personne qui déploie une activité
dangereuse crée un risque dont elle devra supporter les conséquences; le risque
d'autorité: tout chef doit être responsable.
1 R. Saleilles. Le risque professionnel dans le code civil. La réforme sociale 1898. PP.646-647 - cité
par G. Viney- op.cil. P.65 n049.
2 L'article 1384 al 1 C .C. dispose: "On est responsable du dommage qui est causé par le fait des
personnes dont on doit répondre ou des choses que l'on a sous sa garde". On considérait
jusqu'alors que le mot "choses" désignait exclusivement les animaux et les bâtiments dont il est
question dans les articles 1385 et 1386. Mais Saleilles et Josserand estimèrent qu'il fallait donner au
mot "choses" un sens général et qu'en conséquence, une personne devait être déclarée responsable
de plein droit de tout accident causé par les choses meubles ou immeubles dont elle a la garde - Ils en
concluaient notamment que le chef d'entreprise était responsable, sur la base de ce texte, de tous les
accidents causés par l'outillage à son personnel (Weill et Terré - op.ciL 4e éd. P.691 n0686.)
3 Initialement L. 31 Mai 1924.
4 Initialement L.9 Avril 1898.
5 "L'auteur du dommage", c'est le conducteur ou le gardien du véhicule impliqué.
6 Seuls sont concernés des véhicules à moteur, donc dangereux. Les accidents par des bicyclettes ne
sont pas visés.

402
A côté de la faute et du risque une place doit être faite àla thèse de Boris
Starck 1 qui fonde la responsabilité sur la garantie. Cet auteur prend en
considération les droits de la victime avant toute chose. Certes il n'exclut pas la
faute -celle-ci une 10is établie peut donner lieu à réparation - mais elle n'est pas un
élément nécessaire à la réparation. Celle-ci est due à titre de garantie par le seul
fait qu'un dommage a été causé à la personne ou au biens de la victime.
§2 : LE DROIT SENEGALAIS
A l'instar du droit français, la responsabilité se 10nde sur la faute et sur le
risque selon le cas.
L'article 118 COCC pose le principe général de la responsabilité fondée sur
la faute. "Est responsable celui qui par sa 1aute cause un dommage à autrui".
Cependant, à côté de la responsabilité du fait personnel toute entière fondée sur la
faute, une place est faite à la responsabilité sans faute. Il s'agit de la responsabilité
du fait des choses (art 137 COCC) et de la responsabilité du fait d'autrui, plus
précisément la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés (art 146
COCC.). On serait tenté d'y voir une application de la théorie du risque. L'employeur
en engageant une personne à son service assume volontairement un risque dont il
doit répondre. 2 Le maître de la chose supporte les risques de la chose. 3
§3 : EN DROITS ANGLAIS ET AMERICAIN
\\1 existe dans les pays de common
law beaucoup de Torts où la
responsabilité est sans 1aute : strict liability ou liability without fault.. 4
Mais l'idée de faute n'est pas toujours absente du droit des Torts. Elle est
présente dans certains Torts, c'est le cas du délit de negligence qui est le tort
1 B. Starck "Essai d'une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction
de garantie et de peine privée". th. 1947 Paris.
2 D. Martin - Droit civil et commercial sénégalais - NEA-Dakar Abidjan - Lomé 1982 P.91 n0362.
3 Cf vice caché de la chose ... (J.P. Tosi - Le droit des obligations au Sénégal P.253 n0699).
4 Arminjon - Nolde - WolI- op.cit. P.171 n0841.
LGDJ 1951 P.171 n0841.

403
principal. La victime doit établir l'existence d'un devoir à son égard. 1 S'agissant du
délit de negligence, la faute est un manquement à l'obligation générale de
prudence. 2 (duty of care)
Il faut aussi déterminer le standard of care, c'est-à-dire fixer in abstracto la
conduite - type que le défendeur aurait dû observer. C'est une question de droit
relevant de la compétence du juge.
Il faut ensuite apprécier si la conduite du défendeur était conforme à ce
standard. C'est une question relevant de la compétence du jury. Si tel n'a pas été le
cas, le défendeur est coupable de breach of the duty of care.
Quant à la responsabilité sans faute, elle se fonde sur une prohibition
inflexible réprimant un résultat nuisible. 3 Ainsi aux Etats-Unis, presque toute
blessure subie par un employé dans le cadre de l'activité de l'entreprise engage la
responsabilité de l'employeur. 4 En Angleterre, depuis le milieu du dix-neuvième
siècle, le nombre de cas de responsabilité stricte n'a cessé de s'accroître et l'arrêt
marquant cette évolution est l'arrêt Rylands V. Fletcher5 . Les juristes anglais
considèrent que le principe de cet arrêt est analogue à la doctrine française de la
responsabi lité objective. 6
Cette responsabilité objective se manifeste dans certaines matières. C'est le
cas de la concurrence déloyale: la responsabilité d'une personne peut être
engagée pour unfair competition, même si elle a agi de bonne foi.? Certains auteurs
tels Salmond, Clerk et Lindsell 8 observent que la mise en jeu de l'action de passing
off sur laquelle repose la responsabilité délictuelle en matière de concurrence
déloyale, en dehors de toute faute morale et de tout préjudice, n'est pas
exceptionnelle en droit anglais, elle existe pour toutes les actions en responsabilité
1 J.A. Weir. La responsabilité délictuelle in Droit anglais - sous la direction de JA Jolowicz - Précis
Dalloz 1986 P.200 n0201 .
2 P. Grégoire - op.cit. P.81 n78.
3 Palmer - "Trois principes de la responsabilité sans faute" R.I.D.C. 1987 P.832.
4 Idem.
5 (1868) L.R.3 H.L. 330. cité par J. A. Weri op. cil. p 197. n0197.
6 Arminjon, Nolde, Wolf op.cil. P.173 n0841.
7 Henri Burin de Roziers. La distinction du droit civil et du droit commercial et le droit anglais LGDJ 1959
P.100.
8 Salmond - Laws of Torts .P.709. Clerk and Lindsell - Torts P.2. cités par H.Burin de Roziers - op.cit -
loc. cit.

404
délictuelle basées sur l'atteinte à un droit de propriété.
SECTION 1 : FONDEMENTS POSSIBLES DE LA RESPONSABILITE DES
DIRIGEANTS SOCIAUX, AUTRES QUE LA FAUTE
Il s'agit essentiellement du pouvoir dont sont investis les dirigeants et du
risque qu'ils peuvent créer.
§1
LE
POUVOIR,
FONDEMENT
DE
LA
RESPONSABILITE
DES
DIRIG EANTS SOCIAUX
"A qui on aura beaucoup donné, on
demandera beaucoup. A qui on aura
beaucoup confié on réclamera
davan tage" (Luc 12, 48).
Le pouvoir détenu par les dirigeants est un fondement de leur responsabilité.
Certes, l'assemblée générale est théoriquement l'organe souverain des sociétés
anonymes, que ce soit au Sénégal ou en France ou, dans une certaine mesure, en
Angleterre ou aux Etats-Unis. Mais, en pratique, les assemblées générales
connaissent un fort taux d'absentéisme et abdiquent leurs pouvoirs au profit des
dirigeants sociaux. - Droits anglais et américain reconnaissent d'ailleurs les
pouvoirs propres du conseil - Ce transfert des pouvoirs devrait logiquement avoir
des répercussions au niveau des responsabilités.
Monsieur Pirovano observe qu"'une responsabilité rigoureuse est en général
le signe d'un grand pouvoir, sa contrepartie".1 Le propre de toute démocratie - et la
société anonyme se veut l'être - est d'établir un "rapport univoque et étroit entre
autorité et responsabilité".2
Et de fait, on observe que c'est toujours "organe le plus puissant qui est
responsable. Au Sénégal, la responsabilité pèse à titre principal sur le directeur
1 A. P,rovano ."Pouvoir et responsabilité bancaire dans la France d'avant et d'après Mai 1981 ".
in Entreprise et Pouvoir. Autorité et Responsabilité.
Actes du colloque de Rennes 29 et 30 Sept. 1983 P299.
2 CI. Champaud. In Actes du colloque de Rennes précité P.23.

405
général. En France, elle pèse principalement sur le président du conseil
d'administration.
Au Sénégal, nous avons une illustration de la rigueur de la responsabilité
des dirigeants sociaux dans l'action en comblement de passif: il pèse sur eux une
présomption de faute. 1
La matière des groupes de sociétés en témoigne aussi. Au Sénégal, la
société dominante, c'est-à-dire la société mère, est responsable des dettes de ses
filiales. 2 En France les propositions de loi Cousté 3 faisaient une corrélation entre
les pouvoirs de la société dominante et sa responsabilité.
Le binôme pouvoir-responsabilité apparaît aussi dans les économies
marquées par l'interventionnisme étatique. "A partir du moment où l'entreprise n'est
plus le maître de sa décision rien ne justifie plus qu'elle supporte seule le risque
capitaliste. 4 C'est ce qui explique sans doute le célèbre jugement du tribunal de
commerce de Rouen le 10 Mars 1991 dans l'affaire Chapelle d'Arblay5 où l'Etat fut
considéré comme dirigeant de fait de l'entreprise, le premier ministre ayant pris
l'engagement pour le gouvernement d'assurer les conditions de la continuation de
l'exploitation de l'entreprise la Chapelle d'Arblay, alors en réglement juridiciaire. Il
faut cependant préciser que la responsabilité des pouvoirs publics est limitée: pour
être responsable, il faut qu'ils soient intervenus dans la gestion de la société de
manière caractérisée, ce qui autoriserait à les considérer comme dirigeants de
l'entreprise privée. 6
Au Sénégal, l'Etat se désengage de plus en plus et ne court pas le risque
d'être considéré comme dirigeant de fait d'une entreprise privée.
1 art 1027 COCC
2 art 1448 COCC. " s'agit de sociétés ayant passé un contrat de groupe.
3 arts 24 et 32 projet Cousté 1978 prée.
4 M. Bazex "Entreprise privée, autorité et responsabilité et pouvoirs publics en économie de marché"
in Actes du colloque de Rennes précité P.84.
5 Tr. Co Rouen. 10 Mars 1981. Rev. Jur. Co 1982-153 note Mestre. D.1982 - 391 note Amselek.
6 M. Bazex - opcit P.88.

406
§2 : LE RISQUE, FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS
SOCIAUX
Quel enseignement pouvons-nous tirer de la théorie du risque en ce qui
concerne la responsabilité des dirigeants sociaux?
Une question préalable se pose: les dirigeants créent-ils un risque?
Il est certain que lorsque le dirigeant crée une entreprise, il crée un risque.
Mais sa responsabilité, si elle est fondée sur le risque, est encourue non pas en tant
que dirigeant, mais en sa qualité de fondateur, au même titre que les autres
fondateurs qui ne sont pas forcément dirigeants.
La fonction de dirigeant crée-t-elle un risque? Oui, car les dirigeants
prennent des décisions, or toute décision comporte un risque. La décision peut être
mauvaise. C'est un risque - pour qui? Pour le dirigeant qui devra répondre de ses
mauvaises décisions, qui sera peut-être révoqué. Risque pour l'entreprise, car la
décision peut lui causer un préjudice. Risque pour les employés de perdre leur
emploi lorsque l'entreprise est en difficultés. Risque pour les actionnaires de ne plus
percevoir de dividendes pour les mêmes raisons. Risque pour les fournisseurs de
perdre leur client. Risque pour les clients de perdre leur fournisseur. Nous le
voyons, les risques sont multiples et variés et pourraient fonder la responsabilité
des dirigeants sur cette base.
Cependant on peut évoquer "le fait de la victime". En effet les actionnaires
n'ont-ils pas eux-même désigné ces dirigeants dont les décisions leur portent
préjudice? ne sont-ils pas indirectement victimes de leur mauvais choix?
Les employés n'ont-ils pas librement choisis de travailler dans cette entreprise avec
tous les risques que cela comporte? Les créanciers n'étaient pas non plus obligés
de traiter avec cette société.
Les seuls dont on puisse dire qu'ils n'ont pas accepté le risque, qu'ils n'ont
pas pris de risque, ce sont les tiers qui ne sont pas en relation contractuelle avec la
société. Par exemple les victimes de la pollution résultant de l'activité d'une
entreprise industrielle. C'est sans doute pour eux que la théorie du risque présente
le plus d'intérêt et que l'interrogation de Saleilles redevient d'actualité: "celui qui a

407
subi passivement, qui n'en est en rien la cause, toute question de faute à part, c'est
à lui d'être dédommagé. Voilà la solution mora\\e".1
D'ailleurs la théorie du risque est essentielle nt destinée à indemniser des
victimes d'accidents dus à des défauts du matériel ou à des erreurs humaines, non
des victimes de décisions délibérées.
SECTION 2 : LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS SOCIAUX FONDEE SUR
LA FAUTE
Le droit sénégalais se contente souvent de reproduire les dispositions
françaises de sorte que nous n'allons pas dissocier ces deux droits. Les droits
anglais et américains sont eux aussi très proches et leur étude sera commune.
§1 : EN DROITS SENEGALAIS ET FRANCAIS
De la lecture des textes français et sénégalais, il ressort que la faute est une
condition de la responsabilité des dirigeants sociaux. L'article 244 de \\a loi du 24
Juillet
1966 dispose
en
effet
: "Les
administrateurs
sont
responsables
individuellement ou solidairement selon le cas envers la société ou envers les tiers,
soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux
sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans
leur gestion".
Ce texte est repris à un mot près par l'article 1380 COCC qui au lieu des
fautes commises dans la gestion, évoque les "fautes commises dans leurs
fonctions". Le terme fonction est plus neutre que celui de gestion, source de
controverses multiples en France. Malgré une terminologie différente ces
dispositions sont équivalentes puisque la fonction des dirigeants sociaux est de
gérer la société.
On considère généralement que la faute de gestion est celle qui entraine de
mauvais résultats pour l'entreprise. Cette conception revient à mettre en cause la
compétence des dirigeants. Nous pensons qu'il faut aller plus loin, et à partir des
devoirs des dirigeants sociaux, admettre que ceux-ci ayant un devoir d'intégrité,
1 Saleilles - op.cil. loccil.

408
donc de gestion loyale de la société, leur manquement à ce devoir constitue une
faute de gestion. Les dirigeants ont aussi un devoir de gestion prudente et diligente,
son manquement constitue aussi une faute de gestion. Ainsi la faute de gestion
signifierait non seulement une gestion incompétente mais aussi déloyale,
imprudente, ou négligente.
La faute de gestion peut être en même temps une violation de la loi, lorsque
la faute consiste en une gestion déloyale ou négligente, en violation des textes qui
imposent les devoirs de loyauté et de diligence. C'est le cas au Sénégal dans le
nouveau système de direction (art 1290 COCC).
La faute de gestion peut consister également en une violation des statuts.
Souvent d'ailleurs, la faute de gestion violant la loi, viole en même temps les statuts
car ceux-ci se contentent souvent de reproduire la loi.
En raison de ces imbrications, des auteurs tels que Escarra et Rault rejettent
la classification des fautes des dirigeants fondée sur la violation de la loi, la violation
des statuts et la faute de gestion. 1 Nous abondons dans ce sens, d'autant plus que
la violation de la loi ne peut donner lieu à une étude exhaustive en raison de la
multiplicité des dispositions légales. A ce sujet, il faut souligner l'accroissement des
infractions pénales 2 dans le droit des sociétés depuis la loi du 24 Juillet 1966 en
France. Comme l'indiquent Messieurs Cozian et Viandier, la protection des
actionnaires, la sauvegarde de l'épargne et la défense de l'ordre public expliquent
l'appareil répressif impressionnant dont s'est doté le droit des sociétés anonymes,
le droit pénal cOlllmun étant insuffisant.3 Au Sénégal, la loi du 29 Juillet 1985 s'était
initialement orientée dans le sens d'une pénalisation accrue du droit des sociétés,
mais la loi du 10 Février 1993 marque un recul, par une diminution de la
répression. 4
Quant aux statuts, s'il est vrai qu'ils reproduisent souvent les dispositions
1 Escarra et Rault - op.cil. P.311 n01571.
2 En raison du principe de la légalité, les infractions pénales et leurs sanctions sont obligatoirement
prévues par la loi; par conséquent leur multiplication accroît les cas de violation de la loi.
3 cozian et Viandier - op.cil. 6e éd. P.273 n751.
4 L'exposé des motifs de cette loi indique que l'arsenal répressif mis en place par le législateur est en
général considéré comme impressionnant et présentant un caractère dissuasif pour tout investisseur
potentiel. " note aussi que la gravité de certaines sanctions est de nature à favoriser le développement
du secteur informel au détriment des entreprises structurées respectueuses de la réglementation.

409
législatives, ils ne se réduisent pas à cela. Leur examen pourrait présenter un
intérêt, mais ils ne sont pas facilement accessibles et une étude exhaustive est
1
évidemment impossible.
S'agissant de la faute de gestion, elle se ramène, à notre avis, à la violation
des devoirs de gestion intègre, diligente et efficace. 1
AI LA FAUTE, MANQUEMENT AU DEVOIR DE GESTION LOYALE
Nous avons vu précédemment des applications du devoir de loyauté des
dirigeants sociaux. 2 Ce n'étaient que des exemples car le devoir de loyauté est
absolument général et gouverne toute action des dirigeants quelles que soient les
circonstances 3 ; mais à travers ces exemples nous pouvons identifier la faute du
dirigeant.
11 DANS LE CADRE DES CONVENTIONS PASSEES ENTRE LA
SOCIETE ET LE DIRIGEANT4
Si le dirigeant n'informe pas la société de ses intérêts, il commet une faute
qui peut engager sa responsabilité si elle cause un préjudice à la société. 5
Il se peut que le dirigeant ait informé le conseil, comme il se doit, de ses
intérêts et que celui-ci ait donné son autorisation, mais que l'assemblée générale
désapprouve la convention. On ne peut dans ce cas reprocher une faute au
dirigeant. Pourtant les articles 1266 al 2 COCC et 104 al 2 et 146 al 2 L. 1966
disposent que les conséquences préjudiciables à la société des conventions
désapprouvées peuvent être mises à la charge du dirigeant intéressé et
éventuellement des autres membres du conseil - d'administration ou de gestion - ou
du directoire.
1 Ct supra - 2e partie - Titre 1 - Devoirs des dirigeants sociaux.
2 Idem.
3 Ct A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes P.138. no78
4 Ct supra 2e partie - Titre 1 - Chap. 1 - Sect. 2 § 1.
De cette hypothèse il faut rapprocher le cas où le contrat est passé entre la société et une
société dans laquelle le dirigeant a des intérêts.
5 Ct arts 1267 al 1 COCC et 105 al 1 L.1966.

410
21 DANS LE CADRE DES CONVENTIONS PASSEES ENTRE UN
DIRIGEANT ET UN TlERS1
Si le dirigeant détourne à son profit et au détriment de la société une chance
économique, il commet une faute. Cette faute sera pénale si les actes commis par le
dirigeant constituent un abus de bien social ou un abus de voix ou de pouvoirs.
Mais encore faut-il que la chance économique soit apparue clairement et que le
dirigeant l'ait dissimulée à la société. En effet, les infractions pénales sont
d'interprétation stricte. Par conséquent, les faits doivent correspondre à ce que la
loi 2 a prévu.
31 LE MANQUEMENT AU DEVOIR DE NON-CONCURRENCE3
C'est une faute. Il peut s'agir de la violation des clauses statutaires interdisant
aux dirigeants de créer une entreprise concurrente ou d'être membres d'une
entreprise concurrente. Il ne s'agit pas d'une concurrence déloyale, laquelle
suppose
certains
procédés
malveillants 4 , mais d'une concurrence anti-
contractuelle. Même si le dirigeant n'a pas l'intention de nuire à la société, il est en
faute pour violation du contrat. S
En France - mais plus au Sénégal depuis la loi du 10 Février 1993 - la faute
peut consister aussi en la violation des textes interdisant le cumul des mandats. 6
Cependant, les termes de ces textes font douter que la responsabilité des dirigeants
puisse être pour autant engagée. En effet, la personne qui est en infraction,
autrement dit qui cumule les mandats, doit dans les trois mois de la nomination se
démettre de l'un de ses mandats. A l'expiration de ce délai, elle est réputée s'être
démise de son nouveau mandat et doit restituer les rémunérations perçues. Le
législateur français prévoit ainsi la réparation de la situation illégale'. Dès lors, peut-
on envisager la responsabilité des "ex-cumulards" ? Avec la restitution des
rémunérations perçues, il y a remise en état de la situation et donc réparation. Or tel
1 Cf supra 2e partie - Titre 1 - Chap.1 Sect 2 §2
2 En l'occurrence les articles 437 L.1966 et 1502 COCC.
3 Cf supra 2e partie - Titre 1. Chap.1 - Sect 2 §3.
4 Exs : publicité mensongère, pratiques discriminatoires, vente à perte, dénigrement (v. R. Houin et M.
Pédamon op.cil. ge éd 1990 PP.733 et s).
5 Sous réserve évidemment que la clause de non-concurrence soit limitée dans le temps et dans
l'espace et soit donc valable - art 92 al 2 et 127 L.1966.
6 Art 92 al 2 et 127 L.1966.

411
est le but principal de la responsabilité civile. Si malgré cette réparation on voulait
engager la responsabilité du dirigeant, encore faudrait-il démontrer que le cumul de
mandats a porté préjudice à la société. L'action en responsabilité risque en tout cas
d'être sans objet car si elle est exercée dans les trois mois de la nomination du
dirigeant, celui-ci pourra dire pour sa défense qu'il est dans les délais pour
démissionner. Passés les trois mois, il pourra rétorquer qu'il est réputé avoir
démissionné.
4°/ LE MANQUEMENT AU DEVOIR DE DISCRETION.1
Les droits sénégalais et français, comme nous l'avons vu, imposent aux
administrateurs un devoir de discrétion à l'égard des informations présentant un
caractère confidentiel et données comme telles par le président
du conseil
d'administration ou l'administrateur délégué dans le nouveau système sénégalais. 2
La violation de ce devoir constitue une faute pouvant entrainer la responsabilité de
son auteur si elle cause préjudice à la société.
Mais qu'en est-il lorsque l'information n'a pas été qualifiée de confidentielle
par le président? Il faut noter que certaines informations sont si manifestement
confidentielles qu'elles le sont même si le président ne les a pas présentées comme
telles. Par conséquent le dirigeant indiscret commet une faute. Il est aussi en faute
selon nous dans les autres cas, car le principe doit être la discrétion. C'est une
conséquence de son devoir de loyauté envers la société.
B- MANQUEMENT AU DEVOIR DE DILIGENCE
Nous avons vu précédemment les principales applications du devoir de
diligence. 3 En conséquence constituent une faute du dirigeant: la non 9-ssistance
aux réunions, le fait de ne pas s'informer, le défaut de surveillance.
1°/ NON ASSISTANCE AUX REUNIONS DU CONSEIL
Au Sénégal, l'assistance aux réunions du conseil de gestion dans le
1 Cf supra 2e partie - Titre 1 - chap.1 Secl.1
2 arts 1262 al 3 et 1299 al 3 COCC. arts 100 al 3 et 149 L.1966.
3 Cf supra - 2e partie - Titre 1 - Chap.2.

412
nouveau système constitue une obligation légale posée par l'article 1298 al 3
COCC. Sa violation constitue une faute pouvant entrainer la responsabilité de
l'administrateur délégué si elle porte préjudice à la société. La difficulté sera
cependant d'établir le lien de causalité entre la faute et le dommage. Il s'agit en effet
de prouver que par son absence à une ou plusieurs réunions du conseil de gestion,
l'administrateur délégué a permis ou cautionné la prise d'une décision qui s'est
avérée préjudiciable à la société. Or si l'administrateur délégué avait assisté à ladite
réunion aurait-il pu empêcher que soit prise cette décision?
Dans le système classique, comme en France, la loi n'exige pas une
assistance régulière aux réunions. Il sera donc encore plus difficile de considérer
que l'administrateur par ses absences a commis une faute causant préjudice à la
société.
En France, cependant, la jurisprudence sanctionne les absences aux
réunions du conseil. Elle y voit une marque de désintérêt et un manquement au
devoir de gestion. 1 Il faut cependant noter que l'absentéisme se produit surtout
dans les petites sociétés.
2"1 MANQUEMENT A l'OBLIGATION DE S'INFORMER
Au Sénégal, malgré le silence du législateur, nous considérons que les
dirigeants ont l'obligation de s'informer afin de participer activement aux réunions
du conseil d'administration ou de gestion. 2 Le dirigeant qui ne s'informe pas de la
marche des affaires sociales commet donc une faute en violant son devoir de
diligence - dans le nouveau système - et son obligation générale de prudence -
dans le système classique.
En France, les administrateurs ont le droit d'être informés par le président du
conseil d'administration. Celui-ci a envers eux un devoir d'information ; cette
obligation n'est pas posée par la loi, mais est reconnue par la doctrine et la
jurisprudence. Par conséquent) le président commet une faute en manquant
d'informer les administrateurs. Mais eux aussi sont en faute s'ils ne s'informent pas.
C'est ce qui résulte de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 3 Février
1 F. Cherchouly - Sicard op.cil. P.36.
2 Cf supra - 2e partie - Titre 1 - Chap.2 - Secl.1

413
1966 1 , qui considère que les admi nistrateurs ont le devoir de réclamer les
informations que le président ne leur a pas fournies spontanément. Comme le
souligne Madame Baillod, le droit des administrateurs à l'information a pour but de
leur permettre de remplir leur mission en connaissance de cause, c'est aussi un
devoir pour eux de s'informer dès lors que les décisions prises en conseil sont
susceptibles de toucher aux intérêts de la société".2 Selon cet auteur, la sanction du
manquement à ce dernier est la responsabilité pour faute de gestion. Nous
partageons ce point de vue car la bonne gestion d'une société suppose que ses
dirigeants disposent d'informations et c'est un devoir pour eux de rechercher
l'information lorsqu'elle ne leur est pas donnée spontanément.
Ouant à la faute du président du conseil d'administration, c'est-à-dire le
défaut d'informer les administrateurs, elle donne lieu semble-t-il aux. sanctions
suivantes
: exécution
forcée 3 , annulation de la délibération du conseil
d'administration. 4 C'est ce qui ressort de la jurisprudence. On peut se demander si
cette faute n'engage pas la responsabilité de son auteur? Le problème vient de ce
que le préjudice - si préjudice il y a - est causé à la société et non aux destinataires
de l'information. 5 Cela expliquerait que ceux-ci n'agissent pas en responsabilité
contre le président du conseil d'administration, une telle action étant sociale et
devant être exercée - en priorité _6 par le représentant légal de la société qui n'est
autre en France que le président du conseil d'administration.
3/ MANQUEMENT A L'OBLIGATION DE SURVEILLANCE
Au Sénégal, selon l'article 1258 al 2 COCC le conseil d'administration
exerce un contrôle permanent de la gestion du directeur général et selon l'article
1276 al 2 COCC le président du conseil d'administration assure la continuité de la
surveillance du conseil d'administration sur la gestion de la société confiée au
1 JCP 196611- 14861. Note R. Percerou
2 R. Baillod "L'information des administrateurs de SA" RTDCO 1990 P.5.
3 Co. 1er Dec.1987 reproduit à la RTDCo 1990.P8
4 Com. 2 Jui11.1985. D. 1986.351 note Loussouarn. JCP 1985 - Il - 20518 note Viandier.
5 R. Baillod (op.citP.16) observe que pour intenter l'action en responsabilité contre le président,
l'administrateur devra prouver qu'il a subi un préjudire. Mais selon nous "information étant justifiée par
l'intérêt de la société, c'est celle-ci qui subit le préjudice.
6 L'action sociale peut être exercée par les actionnaires -Cf action sociale ut singu!i - à certaines
conditions. V. infra in Chap.11 Mise en oeuvre de la responsabilité des dirigeants sociaux.

414
directeur
général 1 . Ainsi les administrateurs et le président du conseil
d'administration ont l'obligation légale de surveiller le directeur général, cela fait
partie de leurs attributions. La violation de cette obligation constitue une violation de
la loi, donc une faute pouvant entrainer leur responsabilité si elle porte préjudice à
la société.
Quant aux administrateurs délégués,
bien qu'aucune obligation de
surveillance ne pèse sur eux, ils en ont le devoir, cela étant un corollaire de leur
devoir de gestion diligente. Y manquer constituerait une faute pouvant engager leur
responsabilité.
En France, le principe est que les administrateurs sont responsables des
fautes commises par la direction lorsque leur vigilance ou leur perspicacité aurait pu
les empêcher. Ce principe a été posé par la Cour de cassation le 10 Mai 19482 et
repris par la jurisprudence. 3
Le président du conseil d'administration est lui-même en cette qualité, responsable
des actes du directeur général non administrateur, car celui-ci est mandaté et
révoqué par le conseil d'administration sur proposition de son président (arts 115 al
1e et 116 al 1erL-1966). La surveillance du directeur général pèse à titre principal
sur le président du conseil d'administration même si les administrateurs ont aussi
un devoir de surveillance à son égard.
Les tribunaux français font preuve d'une certaine indulgence quant aux
fautes de surveillance excusables. Cela s'explique par le fait que la responsabilité
des dirigeants est généralement considérée comme dérivant du mandat. Or
l'obligation de surveillance est étrangère au droit commun du mandat, celui-ci étant
un contrat de confiance qui exclut toute idée de surveillance.
C'est ce que relève le tribunal de grande instance de Dunkerque dans son
jugement du 3 Janvier 19624 Mais cette décision rendue sous la loi du 24 Juillet
1 lorsqu'il n'est pas en même temps directeur général, donc Pdg comme le permet la loi n093-07 du 10
Février 93 modifiant celle du 29 Juillet 1985.
2 Casso Co. 10 Mai 1948. JCP 1949 - 1 - 4137 note D. Bastian.
3 Cass Co 3 Mai 1954 DaI. 1954 437
Douai 11 Juill. 1957 Da1.1957. 715 note Lagarde.
Aix-en-Provence 3 Févr. 1966. JCP 1966 - " - 14861 note R.
Percerou.
4 TGI Dunkerque 3 Janv.1962. GP 1962 - 2 - 55

415
1867, donc à une époque où les dirigeants étaient considérés comme des
mandataires 1, est-elle encore concevable sous la loi du 24 Juillet 1966 qui
consacre la conception institutionnelle de la société, dans laquelle les dirigeants
sont des organes et non des mandataires? A priori non, car on ne saurait exclure
l'obligation de surveillance pour incompatibilité avec un mandat qui n'existe pas.
Mais en réalité, l'obligation de surveillance dont il est question est celle qui pèse sur
les administrateurs à l'égard du président du conseil d'administration. Or ce dernier
n'est-il pas le mandataire des administrateurs? Nommé par eux (art 110 al 1er L.
1966) et surtout révocable ad nutum par eux (art. 110 al 3 L.1966), il semble bien
qu'on puisse le considérer comme leur mandataire. Dès lors, les réserves émises
par le TGI de Dunkesque sur l'obligation de surveillance conservent leur actualité:
les administrateurs faisant confiance au président du conseil d'administration qu'ils
ont choisi doivent-ils le surveiller ? N'est-ce pas contradictoire ? Nous ne le
pensons pas. En effet, la nomination du président du conseil d'administration
s'explique par des raisons pratiques : la nécessité de charger une personne de
l'exécution des décisions, le conseil d'administration organe collégial ne pouvant
agir dans son ensemble. 2 De ce fait, même si les administrateurs désignent comme
président une personne qui a leur confiance, ils sont avant tout guidés par le souci
de répondre aux nécessités pratiques. 3 Il est donc normal qu'ils le surveillent.
D'ailleurs ayant le pouvoir de le révoquer, ils le feront certainement sur la base des
insuffisances que leur surveillance - entre autres - aura décelées. 4
Toujours au chapitre de la surveillance, le défaut de surveillance des
employés entraine la responsabilité du président du conseil d'administrtion en
France, car c'est à lui qu'incombe noramalement la surveillance des employés en
raison de sa qualité de chef d'entreprise. 5
En France dans la société anonyme de type nouveau, le conseil de
surveillance a une obligation légale de contrôler le directoire : il doit contrôler la
1 Mandataires des associés ou d'autres dirigeants.
2 Comp. avec le nouveau système de direction: chaque administrateur délégué, membre du conseil
de gestion dispose d'un pouvoir d'exécution individuel.
3 Comme l'indique J. Fassier (op.cit.P.74) ni le code de commerce ni la loi du 24 Juillet 1867 n'avaient
prévu les fonctions de président du C.A. C'est une création née des besoins pratiques que la loi du 16
Nov.1940 allait consacrer.
4 Certes il s'agit d'une révocation ad nutum qui n'a donc pas à être justifiée, mais lorsqu'un conseil
d'administration révoque son président il a des raisons de le faire.
5 Casso com. 6 Févr. 1962. Bull. Civ.111 n080.

416
gestion de la société par le directoire. 1 (art 128 L 1966). Le manquement à cette
obligation constitue une faute pouvant entrainer la responsabilité du conseil de
surveillance s'il a occasionné un préjudice à la société.
CI MANQUEMENT AU DEVOIR DE COMPETENCE
Doit-on considérer l'incompétence des dirigeants comme une faute? Dès
lors que les dirigeants sont choisis, ne faudrait-il pas plutôt considérer comme fautifs
ceux-là même qui les ont choisis? La compétence des dirigeants est leur aptitude à
diriger la société. Quand le dirigeant est nommé, on ne peut que présumer son
aptitude en s'appuyant sur ses diplômes ou son expérience. Mais c'est à l'épreuve
des faits que l'on pourra affirmer qu'un dirigeant est compétent ou ne l'est pas.
Sur quelle base apprécier la compétence du dirigeant? Les résultats de la
société constituent la base la plus naturelle et la plus tangible. Mais l'on sait qu'ils
ne dépendent pas seulement de la compétence des dirigeants. Ils sont aussi
tributaires de j'énvironnement économique.
Dans un arrêt du 4 Novembre 19822, la Cour de cassation française, a admis
que la défaillance de l'entreprise pouvait à défaut d'autres explications faire
présumer celle de ses dirigeants. "Attendu qu'en retenant souverainement que la
chute brutale du chiffre d'affaires ... ne pouvait être attribuée, à défaut d'explications
de B... qu'à des erreurs de gestion de ce dernier, la cour d'appel qui ne s'est pas
fondée sur des motifs hypothétiques, a caractérisé l'incompétence manifeste de ce
dirigeant social. .. "
La jurisprudence tient compte de la qualité de "professionnels rémunérés"
des administrateurs3 : une erreur excusable de la part d'un particulier ne le serait
pas d'un administrateur; d'où sa sévérité.
Mais à l'inverse, le juge peut se montrer tolérant afin de ne pas décourager
l'esprit d'entreprise des administrateurs et de ne pas en conséquence, entraver le
1 Sur l'obligation de surveillance du conseil de surveillance, V. notamment R. Contin - op.cil. P.290
n0416.
2 Cass.co. 4 Nov. 1982. Rev. Stés 1983 P.S79 note P. Didier.
3 Y. Guyon. Ch. de Leiris Jcl- Stés - fasc 132 - nOSO.

417
progrès économique en considérant qu"'il n'est pas d'ho mme d'affai res si
compétent, si diligent, si prudent qu'il soit qui ne commette des erreurs".1 Il paraît
plus fautif d'être passif qu"lgnorant ou incompétent. 2 Monsieur Berdah trouve
contestable l'attitude du droit positif français qui sanctionne plus l'inaction que
l'incompétence, car le fait d'accepter des fonctions réquérant une certaine
compétence constitue un acte générateur de responsabilité. 3 Cette responsabilité
devrait être, selon nous, partagée avec ceux qui choisissent les dirigeants.
Il est sûr que l'existence d'un statut professionnel des dirigeants de société
permettrait de fixer un seuil minimal de compétence à observer. 4 La. réalité de
l'entreprise confère le véritable pouvoir de décision à ses technocrates qui eux, ont
les compétences scientifiques et techniques et qui exercent une influence sur les
décisions que prennent officiellement les dirigeants de la société. 5 Cela nous
ramène à la question du cumul des fonctions de direction avec un contrat de
travail. 6 Les cadres de l'entreprise ont les compétences pour diriger la société et il
serait plus juste que les vrais décideurs encourent les responsabilités.
Au Sénégal, la loi du 10 Février 1993 vient de "supprimer les postes de
directeur technique". L'article 1281 cacc qui permettait au directeur général de se
faire assister dans sa mission de gestion par des directeurs techniques agissant
sous son autorité a été abrogé. 7 Selon l'exposé des motifs de cette loi "le directeur
général assume sous sa seule responsabilité la gestion des affaires, aussi a-t-il
paru inutile de maintenir l'institution des directeurs techniques telle qu'elle existe
actuellement". L'idée est que l'on ne saurait admettre que les directeurs techniques
assistent le directeur général, donc le conseillent, et inspirent ses décisions grâce à
leur qualification technique, alors que seul le directeur général est responsable si
ces décisions s'avèrent néfastes pour la société.
1 Idem.
2 J.P.Berdah - Fonctions et Responsabilités des dirigeants de sociétés par actions - Sirey 1974 P.261
n·200.
3 Idem.
4 Idem.
5 M. Trochu - op.cil P.700.
6 Cf supra - in 1ère partie - Titre 2 - Chap.4 - cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail.
7 Selon l'article 1281 COCC : "Le directeur général peut se faire assister dans sa mission de gestion par
des directeurs techniques qui agissent sous son autorité (al 1). Ceux-ci sont nommés par le président
du conseil d'administration sur proposition du directeur général (al 2). L'acte de nomination détermine
la durée de leurs fonctions et le montant de leur rémunération. Les directeurs techniques sont liés à la
société par un contrat de travail pour l'exercice de leurs fonctions (aI3).

418
Malgré les termes de l'exposé des motifs, il n'y a pas suppression des
directeurs techniques; l'entreprise conserve bien entendu ses cadres supérieurs.
Ce qui est supprimé, c'est la possibilité de faire appel à eux officiellement comme le
prévoyait l'article 1281 alinéa 2 du COCC, pour assister le directeur général. On
peut regretter cette mesure, car les directeurs techniques de par leur connaissance
de l'entreprise et leur qualification peuvent beaucoup apporter à la direction de la
société. Nous avions d'aill~urs préconisé 1 que soit encouragé le cumul des
fonctions de dirigeant et de directeur technique -d'une manière plus générale d'un
~.
mandat social et d'un contratAJts_tJ:illlail - Le législateur aurait dû, à notre avis,
-..--::--~
maintenir l'article 1281 COCC et en tirer les conséquences sur le plan de la
responsabilité des directeurs techniques: ceux qui sont officiellement choisis pour
assister le directeur général doivent engager leur responsabilité. Plutôt que la fuite
des responsabilités, il faut encourager le sens des responsabilités.
§2 EN DROITS ANGLAIS ET AMÉRICAIN
AI LA FAUTE, MANQUEMENT AU DEVOIR DE GESTION LOYALE
11 CONTRAT AVEC LA SOCIÉTÉ
Comme nous l'avons vu, l'éventualité d'un contrat entre la société et l'un de
ses dirigeants crée une situation conflictuelle typique2
En droit anglais le non respect de la procédure exigée peut entraîner une
s-antion pénale. Le directeur qui ne divulgue pas ses intérêts dans une transaction
~
est passible d'amende 3 . Il commet une faute pénale. Ainsi dans l'arrêt Hely -
Hutchinson V. Brayhead Ltd (1968)4, on peut lire que le dirigeant qui n'a pas
divulgué au conseil son intérêt dans des contrats passés avec la société est
coupable de faute criminelle (criminal offence).
Aux Etats-Unis, dans un tel cas, le directeur n'encourt pas une responsabilité
1 Cf supra - 2e partie - Titre 1 - Chap.1 - Sect. 2 - § 1
2
Cf supra - 2e partie - Titre 1 Chap 1 - Sect. 2 - § 1.
3
s.317 (7) Cies Acl 1985.
4
OB. 549 [1967] 3 Ali ER 98 (Court of Appeal) cité par Sealy - o"p - cil p.260.

419
pénale mais engage sa responsabilité civile. Selon les Princip/es of Corporate
Governance J si le dirigeant n'a pas divulgué ses intérêts, la société peut rescinder
la transaction. Elle peut aussi requérir des dommages et intérêts contre le dirigeant
fautif2.
2. LE DÉTOURNEMENT D'UNE CHANCE ÉCONOMIQUE
En Angleterre, le dirigeant qui réalise personnellement une affaire dont il
aurait pu faire bénéficier la société est sanctionné par les tribunaux. La faute est
assez difficile à appréhender. En effet, comme l'observe Monsieur Martin, les
tribunaux sanctionnent le fait d'avoir réalisé un profit ou de s'être placé dans une
situation de conflit, et non celui d'avoir détourné une chance économique. Le seul
fait pour un dirigeant d'avoir réalisé un profit dans le cadre de ses fonctions met en
jeu sa responsabilité sans que les tribunaux aient à chercher si l'investissement
pouvait être une source de profit pour la société3 . Or il est des cas où la société
n'aurait pas eu les moyens de saisir la chance qui se présentait à elle. On ne peut
alors affirmer que le dirigeant a détourné une chance économique. Est-il en faute
s'il utilise à son profit cette chance que la société n'aurait pu saisir? Se montre t-il
déloyal? A notre avis non. Pourtant, il peut engager sa responsabilité. Ce fut le cas
dans l'arrêt Rega/ (Hastings) Ltd V Gu/liver 4. La décision de la chambre des Lords
ne tient pas compte de la bonne foi et de l'absence de fraude des dirigeants. Elle
affirme que le seul fait de l'enrichissement doit être pris en comptes. La justification
de cette rigueur peut être trouvée dans le risque de conflit. Le risque car il n'y avait
pas en l'espèce conflit entre les intérêts des dirigeants et ceux de la société, mais
peut-être les juges ont-ils sanctionné les dirigeants pour éviter les risques de
connits d'intérêts6.
1
Part V Section 5-02.
2
Rowen V le Mars Mutuallnsurance Co of Iowa 282 NW 2d 639,662 (Iowa 1979) cité par Cary
and Eisenberg, op. ci!. 6e éd. p.573.
3
idem.
4
Précité, cf supra, in 2e partie. Titre 1 - chap.1 - Sec!.2 - §2 - A.1e)
5
J. Y. Martin op. ci!. p.24.
6
Ct. L'analyse de J. Y. Martin à propos de l'arrêt Keech V Sanford. (Op. ci!. pp.17 et 18). Le
bénéficiaire du Trust (un enfant en bas âge) ne pouvait bénéficier d'un bail. Le Trustee a alors passé le
bail en son nom propre. Le tribunal le condamna pour avoir violé son devoir fiduciaire. Et comme
l'indique M. Martin: «L'intransigeance du Lord Chancelier était justifiée par le risque, qu'il faillait éviter à
tout prix, qu'un trustee, placé en face d'un conflit entre ses intérêts et ses obligations ne choisisse les
premiers au détriment des secondes ... Ce n'est pas un conflit réellement existant, mais la possibilité de
conflit dans d'autres espèces qui a conduit le tribunal à sanctionner le trustee".

420
Le dirigeant dans une
situation de conflit d'intérêts doit s'abstenir. Sinon il
commet une faute; il manque à son devoir de loyauté. C'est à cette conclusion que
l'on aboutit!.
Aux Etats-Unis, la question des corporate opportunities est traitée avec moins
de sévérité qu'en Angleterre. Le dirigeant qui utilise à son profit une chance qui se
présentait à la société ne commet pas forcément une faute. Tout dépend du critère
que l'on adopte2. Ainsi le critère de l'intérêt ou de l'expectative est plutôt favorable
aux dirigeants car il ne permet de sanctionner que les usurpations les plus
évidente~)
En outre, le dirigeant n'engage pas sa responsabilité s'il a été informé de la
chance économique en dehors de l'exercice de ses fonctions.
Il en est de même lorsque la société n'aurait pas eu les moyens de réaliser
l'opération. Sur ce point, on peut se demander si le dirigeant ainsi exonéré, était
vraiment loyal car s'il a par exemple obtenu un financement lui permettant de
réaliser lui-même la transaction n'aurait-il pu l'obtenir pour la société(4?
Autrement exigeant est le droit américain quant au délit d'initié.
3°) LA FAUTE À TRAVERS LE DÉLIT D'INITIÉ.
Les Etats-Unis, par la loi fédérale de 1934 furent le premier pays à prendre
des mesures contre les dirigeants qui profitent de leur qualité d'initiés pour effectuer
des opérations sur titres en vue de s'enrichir. L'utilisation d'informations privilégiées
est une faute. Elle constitue, en effet, la violation de leur devoir de loyauté. «Un
dirigeant est quelqu'un à qui on a confié des fonctions dans l'intérêt de tous. Il ne
doit utiliser dans son propre intérêt ni ses fonctions, ni les informations qu'il peut
recueillir dans leur exercice>(5). La faute existe que l'opération ait lieu de gré à gré
ou sur un marché. Il est aussi choquant qu'un dirigeant achète ses titres à un
actionnaire qui lui a fait confiance sans le prévenir d'un fait qui va augmenter la
1
J.Y. Martin - op. cil. p.41.
2
cf. supra 2e partie - Titre 1 - ch.1 - Secl.2 - §2 A.2e)
3
cf JV Martin (op. cil. P.47) à propos de l'arrê1 Lagarde v. Anniston Line and Stone Co . préc.
4
A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes - P.144 n° 80.
5
A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes - P. 210 n° 104.

421
valeur du titre que de vendre ses titres à quelqu'un qui, par l'achat m~me lui fait
confiance, sans le prévenir de la chute prochaine du titre 1. Dans tous les cas le
dirigeant fait preuve de malhonnêteté.
La réglementation actuelle avec notamment la fameuse règle 10b-S a pour
conséquence que le dirigeant doit "informer ou s'abstenir".
La loi de 1934 (art 32) prévoit des dispositions pénales qui exigent que les
actes aient été commis volontairement et sciemment, pour être répréhensibles2. Ce
texte est cependant rarement appliqué. Les sanctions appliquées sont le plus
souvent disciplinaires et civiles. La SEC utilise généralement la procédure
d'i njonction (injunction). 3
La sanction peut être aussi la responsabilité civile du dirigeant incriminé.
Mais le demandeur devra prouver la mauvaise foi de celui-ci. Des actionnaires
lésés ont réussi à se faire dédommager sur la base de la règle 10b-1S. Cela
suppose l'établissement d'un lien de causalité entre l'opération d'initié et le
préjudice 4. Cela est difficile à établir car les parties ne se connaissent pas et il se
peut que parmi les titres vendus ou achetés, se trouvent des titres vendus par des
initiés et d'autres par des non initiés - "Qui a acheté à qui? Personne ne peut le
dire"S, Cela pourrait sembler une hypothèse d'école que des actionnaires lésés se
constituent partie civile et obtiennent des dommages et intérêts. Les juges l'ont
pourtant admis 6.
L' Insider Trading Sanctions Act (1984) et L' Insider Trading and Securities
Fraud Enforcement Act (1988) ont prévu des sanctions aggravées contre les
initiés?
En Angleterre, comme nous l'avons vu, plusieurs mesures ont été prises
pour lutter contre le délit d'initié8 . Le dirigeant qui commet ce délit encourt une
sanction pénale. Le Criminal Justice Act de
1988 prévoit une peine de prison
pouvant aller jusqu'à sept ans. Selon le Criminal Act 1993, cette peine reste fixée à
ce montant et peut s'accompagner d'une amende d'un maximum illimité.
. /~.
1
idem.
2
M.C. Robert op. ciL P.26.
3
Elle demande à un tribunal fédéral d'interdire les actes ou pratiques de la personne qui commet
une infraction ou est sur le point de la commettre (A. Tunc - op. cil. P. 171 n° 89).
4
M.C Robert - op. cil P 27.
5
idem.
6
cf Applicated Ute Citizens v. United States - cité par M.C. Robert P.27.
7
N. de Gottrau - R.DAI n° 5 - 1993 - P.556.
8
cf supra 2e partie - Titre 1 - Chap. 1 - Section 3 - §2.

422
B - LA FAUTE, MANQUEMENT AU DEVOIR DE DILIGENCE],
1°) LA NON-ASSISTANCE AUX RÉUNIONS DU CONSEIL,
Aux Etats-Unis, l'absence aux réunions du conseil ne constitue pas en soi
une faute. Le directeur absent est seulement présumé être d'accord avec les autres
membres du conseil, à moins qu'il ne dépose une opinion dissidente auprès du
secrétaire de la société dans un délai raisonnable après avoir appris la décision du
consei(2).Si la décision de celui-ci est fautive, il est lui aussi fautif pour son adhésion
implicite à cette décision. C'est une illustration du pragmatisme américain : la
présence aux réunions est la marque d'un intérêt pour les affaires sociales et le fait
d'exprimer une opinion dissidente l'est aussi.
Le droit anglais avait fait preuve de laxisme sur cette question d'assistance
aux réunions du conseil~).Cependant, les tribunaux ont de plus en plus tendance à
considérer le fait de ne pas assister régulièrement aux séances du conseil comme
une faute susceptible d'engager la responsabilité des directeurs en toute
circonstance(4) .
En cas d'insolvabilité de la société, les directeurs auront à prouver qu'ils se sont
constamment tenus au courant des affaires sociales. Une telle preuve ne pourrait
être apportée en cas d'absences aux réunions du consei(S). A cause de ses
absences le Directeur qui a manqué d'assiduité sera responsable. Mais assister
aux réunions ne suffit pas, encore faut-il que cette assistance soit active, que le
dirigeant puisse donner un point de vue éclairé, d'où l'obligation de s'informer.
Le manquement à cette obligation constitue une faute.
2°) MANQUEMENT À L'OBLIGATION DE S'INFORMER:
Aux Etats-Unis, ne pas s'informer suffisamment constitue une faute des
dirigeants, car l'information préalable est la condition d'une bonne décision. Dans
l'affai re Smith v. Van Gorkom(6) il fut reproché aux dirigeants d'avoir pris leur
décision de cession de contrôle rapidement et sans s'être suffisamment informés: le
1
cf supra 2e partie - Titre 1 - Chap. 2 - Sect. 1
2
Cary and Eisenberg - op. cil. PP. 502-503.
3
cf Re City Equitable Fire Insu rance - prée.
4
E Schotastique - op. cil. P. 263.
5
E. Scholastique - op. cit. P. 239.
6
précité

423
chief executive afficer Van Gorkom avait fait une présentation bâclée de vingt
minutes qui ne pouvait être considérée comme un rapport. Il n'avait visiblement
aucune connaissance des bases essentielles du document dont il parlait(1), La Cour
Suprême du Delaware~} jugea que le conseil ne s'était pas suffisamment informé
avant de voter. Il ne pouvait être protégé par la Business Judgment Rule car il ne
s'était pas suHisamment informé au sujet de l'affaire.
Cette décision fut critiquée: on reprocha notamment à la Cour Suprême du
Delaware de n'avoir pas tenu compte du fonctionnement réel des conseils de
direction, ni des relations de confiance qui existent au sein du conseil entre des
personnes qui n'ont aucune raison de se suspecter, d'autant plus que la société
était prospè re (3).
Par cette décision la Cour Suprême du Delaware a voulu sanctionner des
directeurs ayant fait preuve de négligence grossière.
En Angleterre, en cas d'insolvabilité de la société, le dirigeant peut se voir
reprocher de ne pas s'être informé suffisamment des affaires sociales~).
30) MANQUEMENT À L'OBLIGATION DE SURVEILLANCE:
Aux Etats-Unis, l'arrêt Francis v. United Jersey Banif» met en- évidence,
comme nous l'avons vu, le devoir de surveillance consécutif au devoir de diligence
des dirigeants. Son manquement constitue une faute. Ainsi, le défaut de
surveillance par un directeur de la gestion sociale fut considéré comme fautif. Et le
fait que la dame directeur de la société était la mère d'un dirigeant ne fut pas pris en
compte par les juges qui exigèrent d'elle la même diligence qu'à n'importe quel
directeur, nonobstant les liens familiaux.
Le droit de reliance, c'est-à-dire de droit de faire confiance, ne peut être
basé sur un lien familial. Ce droit ne se justifie qu'en raison de la compétence: le
dirigeant a le droit de se fier à ce que lui disent les personnes compétente~6)
1
N. Weyd - op. cil. P. 151.
2
par un vote, il est vrai très divisé: majorité de trois contre deux
3
E. Scholastique - op. cil. PP. 251-252 et les auteurs cités P. 251 note 3.
4
cf E. Scholastique - op. cil. P 75.
5
Supreme Court of New Jersey - 87 N-J-15, 432 A 2d 814 cité par Cary and Eisenberg - op. cil. P.
495.
6
A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes - P.134 n076 - Princip/es of Carparate
Gavernance §4 -02, §4-03.

424
En Angleterre, le droit de reliance avait pour conséquence qu'on pouvait
admettre que le défaut de surveillance ne constituait pas en soi une faute du
dirigeant~). Cependant cette confiance si elle se justifie en temps normai(2) ne
s'explique plus lorsque la société est en crise. Le défaut de contrôle pourrait ainsi,
en cas d'insolvabilité de la société être reproché aux dirigeants.
C- LA FAUTE, MANQUEMENT AU DEVOIR DE COMPÉTENCE:
Aux Etats-Unis, il est très difficile de considérer l'incompétence comme une
faute en raison de la règle du jugement d'affaires. En effet, taxer un dirigeant
d'incompétent revient à porter une appréciation sur sa gestion, or cela, le juge se
l'interdit, estimant ne pas être suffisamment qualifié pour le faire. Dès lors que le
dirigeant a fait preuve d'une diligence raisonnable et s'est montré loyal, il ne peut
être
tenu
responsable de ses
erreurs de jugement.
En
fait,
la
«faute
d'incompétence" se ramène à la "négligence grossière" comme ce fut le cas dans
l'affaire Smith v. Van Gorkom(3}.
Il faut cependant noter que si les juges restent prudents dans l'appréciation
de l'incompétence des dirigeants, les actionnaires, par le biais de la révocation,
n'hésitent pas à sanctionner des dirigeants incompétents(4). On peut alors se
demander si les dirigeants ne sont pas en faute lorsqu'ils n'obtiennent pas de bons
résultats. Mais la faute objet de notre propos est celle qui a pour conséquence la
mise en jeu de la responsabilité du dirigeant. Or, il n'est pas certain que la faute du
dirigeant qui est sanctionnée par le biais de la révocation, puisse entraîner sa
responsabilité. En effet, ""obligation de résultat" n'est pas posée par la loi ou les
statuts, donc le juge n'est pas obligé d'en tenir compte. S'y ajoute la prudence bien
connue des juges quant à l'appréciation des décisions d'affaires.
En Angleterre les tribunaux font preuve, comme les tribunaux américains,
d'une certaine indulgence envers les directeurs concernant leur devoir de gestion
intelligente, pour les mêmes raisons: les juges ne s'estiment pas assez qualifiés
pour apprécier la gestion des dirigeant$).
1
cf Re City Equitable Fire Insurance, précité:
un directeur, s'il n'a pas de raison particulière de
H
. • .
suspicion, est en droit de penser que cette personne remplit honnêtement ses fonctions".
2
cf E. Scholastique op. cil. P.222.
3
prée. - cf supra in 8-2")
4
cf supra - 1ère partie - Titre 2 - Ch.2 - Révocation des dirigeants sociaux.
5
cf A Tune - Le droit anglais des sociétés anonymes - 3e ed. P. 210 n0113.

425
Cependant, en cas d'insolvabilité de la société, le directeur peut être
condamné à contribuer au paiement des dettes de la société s'il savait ou aurait dû
comprendre qu'il n'y avait pas d'espoir. C'est ce qui résulte de la section 214 de
l'/nsolvency Act de 1986.
Pour apprécier ce qu'un directeur devait savoir, comprendre ou faire, il faut
s'en référer à une personne raisonnablement diligente qui aurait les connaissances
générales, la compétence et l'expérience que l'on peut raisonnablement attendre
d'une personne exerçant les fonctions qui étaient celles de ce directeur dans la
société et les connaissances générales, la compétence et l'expérience de ce
di recteu r~).
1
Section 214 (4) Insolvency Act 1986.

426
CHAPITRE 1\\ : MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ
«Un droit qu'on ne peut pas faire valoir
en justice est pratiquement appelé à
rester lettre morte ". Hans Smit0)·
L'efficacité de cette sanction qu'est la responsabilité dépend pour beaucoup
de sa mise en oeuvre, c'est-à-dire de l'action en justice visant à faire condamner les
dirigeants sociaux pour manquement à leur obligations, préjudiciables à la société,
aux actionnaires ou aux tiers.
Il existe plusieurs types d'actions, la distinction reposant au Sénégal comme
en France sur la personne qui subit le préjudice. Ainsi lorsque c'est la société qui en
est
la victime,
on
parle d'action sociale.
Lorsque
le préjudice est subi
individuellement par les actionnaires, ils disposent de l'action individuelle. Enfin les
tiers qui ont subi un dommage peuvent eux aussi intenter une action en justice.
Les
droits
anglais
et
américain,
surtout
le
premier,
se
basent
essentiellement sur la personne contre laquelle la faute a été commise. Ils mettent
davantage l'accent sur la faute que sur le préjudicEk~ D'où la question de savoir
envers qui le dirigeant fautif avait le devoir auquel il a manqué. On sait que la portée
des devoirs des dirigeants sociaux est restreinte aux personnes avec lesquelles ils
sont en relation fiduciaire. Cela aura pour conséquence d'ouvrir les actions
principalement à la société, à un moindre degré aux actionnaires. Les tiers ne
bénéficient pas de telles actions en Angleterre et aux Etats-Unis, contrairement au
Sénégal et à la France qui connaissent les trois types d'actions précitées.
SECTION 1 : L'ACTION SOCIALE
Quelle que soit la terminologie employée, au Sénégal, comme en France,
en Angleterre et aux Etats-Unis, il existe des actions sociales.
Selon l'article 1380 al 1 COCC, «les administrateurs et le président du
conseil d'administration sont responsables envers la société ... » Certes, il n'est pas
mentionné expressément que la société dispose d'une action contre eux, mais outre
le fait que la responsabilité des dirigeants cités ne pourrait être mise en oeuvre à
1
Hans Smit "La procédure civile comme instrument de réforme sociale» - R.I.D.C. - 1975 - P. 549.
2
Selon M. Guiguère (op. cil. P.330) en droit anglais qui ne cannait pas de théorie universaliste de la
faute, il y a plutôt prise en compte de la faute que du préjudice subi.

427
défaut d'une telle action, il s' y ajoute la mention de l'action sociale à l'article 1381
COCC qui permet aux actionnaires d'intenter l'action en responsabilité contre les
<:k1m~n;~TP,ATEU I\\S
On peut noter l'absence de dispositions relatives à la responsabilité des
administrateurs délégués. Nous pensons que c'est un oubli - grave - de la part du
législateu r sénégalais. La section 3 du chapitre ~1)) relative aux dispositions
communes aux deux systèmes de direction, ne consacre aucun article à la
responsabilité civile. Ce n'est qu'après bien de dispositions, dont certaines n'ont
pas trait à la direction et à l'administration des sociétés anonymes,2 qu'apparaît un
chapitre 8 consacré à la responsabilité civile des dirigeants. Autrement dit, le
législateur, de manière quelque peu illogique, traite de la responsabilité des
dirigeant&hors du chapitre 2 consacré à la direction et à l'administration des sociétés
anonymes. Ce chapitre 8 semble «tomber comme un cheveu dans la soupe» et l'on
se demande s'il n'est pas venu combler un «trou de mémoire» du législateur. C'est
la raison pour laquelle, nous pensons que le silence sur les administrateurs est un
oubli fâcheux.
Oubli, car il n'est même pas imaginable que des dirigeants sociaux soient
exemptés de toute responsabilité. Particulièrement les administrateurs délégués,
compte tenu de l'importance de leur mission.
Importance corroborée par
l'engagement qu'ils doivent prendre par écrit(3)D'ailleurs, l'article 146 du décret n°
93 - 153 du 24 Février 1993 réglemente l'exercice de l'action sociale par les
actionnaires contre les membres du conseil d'administration ou de gestion. La
responsabilité des administrateurs délégués peut donc être engagée.
Oubli fâcheux, car la responsabilité des dirigeants sociaux est primordiale.
Le législateur sénégalais, comme nous l'avons vu, a insisté sur leurs devoirs. Il
aurait dû continuer sur cette lancée, sous peine de diminuer la portée juridique de
ces devoirs qui risquent d'être perçus comme des devoirs moraux alors que ce sont
des obligations dont la violation peut entraîner la responsabilité de ceux sur qui ils
pèsent.
En conséquence, nous considérons que les articles 1380 et s. COCC
concernent le nouveau système de direction au même titre que le système
1
Le chapitre 2 qui traite de la direction et de l'administration des sociétés anonymes.
2
Dont
le chapitre 3 relatif aux assemblées d'actionnaires
le chapitre 4 relatif à la modification du capital social
le chapitre 5 relatif au contrôle des sociétés anonymes
le chapitre 6 relatif à la transformation des sociétés anonymes
le chapitre 7 relatif à la dissolution des sociétés anonymes.
3
cf art. 1284 COCC

428
classique.
Nous envisagerons l'action sociale exercée par la société et l'action sociale
exercée par d'autres personnes que la société.
§1 : L'action sociale exercée par la société
Au Sénégal comme en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, la société
bénéficie d'une action en justice en vue d'obtenir réparation du préjudice que lui ont
fait subir ses dirigeants par leur comportement fautif. Mais la société n'est qu'une
personne morale, et l'on pourrait à l'instar de Jestaz qui n'a jamais déjeuné avec
une personne morale, observer que nous n'avons jamais vu une personne morale
au prétoire. La société doit donc être représentée par ses organes qui sont investis
du pouvoir de la représenter. Il faut donc se reporter aux pouvoirs des organes
sociaux,
a) Organes représentant la société
Au Sénégal, il s'agit du directeur général1 et du président du conseil
d'administration 2, lorsqu'il est en même temps directeur général.
Dans le nouveau système de direction, chaque administrateur délégué a le
pouvoir individuel de représenter la société dans ses rapports avec les tiers.3
Chacun pourra donc exercer l'action sociale. Nul doute que cette large ouverture
des actions devrait limiter les risques d'inertie de la société.
En France, dans le système classique c'est le président du conseil
d'administration qui a le pouvoir de représenter la société 4 de même que le
directeur général comme cela a été affirmé par l'arrêt de principe du 18 Novembre
1994 de l'assemblée plénière de la Cour de Cassation. 5 Dans le système de
direction avec directoire et conseil de surveillance, ce rôle est dévolu au président
du directoire. 6
1
Selon l'article 1279 al.2 cacc, le directeur général représente la société dans ses rapports avec
les tiers. Ce rôle lui est maintenu dans la loi n093-07 du 10 Février 1993 modifiant la loi du 29
Juillet 1985.
2
Les articles 1272 et s. cacc ne lui donnent pas ce pouvoir mais avec la réforme, lorsqu'il est PDG,
il dispose d'un pouvoir de représentation en tant que directeur général.
3
cl art .1292 cacc
4
art.113 L. 1966
5
cf supra 1ère partie - Titre 1 - Ch.1 - S2 - §2 - B
6
art 126 L. 1966

429
Aux Etats-Unis, le conseil des directeurs a le pouvoir de représenter la
société. Il ne peut agir qu'en réunion. Cependant certains Etats, tels que l'Etat de
New York, autorisent les directeurs à agir en justice au nom de la société(1).
En Angleterre, lesarticle.{2) donnent au conseil des directeurs le pouvoir de
représenter la société, mais on admet qu'en cas de carence de celui-ci, l'assemblée
le supplée et peut agir pour le compte de la société(3).
Telles sont donc les personnes habilitées à exercer l'action sociale au nom
de la société, appelée en France «action sociale ut universi».
Cependant un grave problème peut se poser: l'inertie de ces personnes.
b) EN CAS D'INERTIE DE CES ORGANES:
Notre propos concerne les manquements des dirigeants sociaux à leurs
devoirs.
Accepteront-ils
d'agir en
justice contre
eux-mêmes
ou
l'un des
leurs?
Vraisemblablement non. Il importe donc de leur trouver des substituts.
On songe à plusieurs personnes:
- Le juge?
Le juge ne peut pas prendre l'initiative des poursuites, car il s'agit d'intérêts
privés. Ce serait une immixtion dans les affaires sociales.
- Les créanciers sociaux?
Ils peuvent bénéficier de l'action oblique de droit commun, en FrancE(4)et au
Sénégal. En effet, celle-ci permet aux créanciers d'exercer au nom de leur débiteur
les droits et les actions qui les sanctionnent.
En l'occurrence, une telle action se justifierait car le dommage que subit la société
diminue leur gage. Ils ont donc intérêt à ce qu'elle obtienne réparation.
En AngleterrE(S) et aux Etats-Unis, l'action sociale ne peut être exercée par
les créanciers sociaux.
1
A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes - P.11 0 n065.
2
art 80 Table A
3
A. Tunc Le droit anglais des sociétés anonymes - P.180 n096.
4
Weill et Terré - op. cit . n0850 et s.
5
Pennington - Company Law - 6e ed. 1990 P.654- Il cite l'arrêt Mills v. Northern Rly of Buenos Ayres
Co (1870).5 Ch. App - 621.

430
- Les travailleurs?
En France, la question s'est posée de savoir si le comité d'entreprise a le
droit d'intervenir devant les tribunaux dans des instances pénales intéressant
l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise. Cela a suscité des
discussions car le droit pénal des affaires a surtout été conçu pour assurer la
protection de la société elle-même et de ses actionnaires(1).En matière d'abus des
biens sociaux certains syndicats et comités d'entreprise ont voulu se constituer
partie civile estimant que des irrégularités de gestion lésaient l'ensemble des
travailleurs par les menaces qu'elles faisaient peser sur l'emploi. Des juridictions du
fond~) ont admis leur constitution de partie civile. La chambre criminelle en revanche
se montre réticente, estimant que le délit ne préjudicie qu'à la société et à ses
actionnaires et non aux salariés(3).
Tout cela, peut-on dire, concerne l'action qui serait propre aux travailleurs.
Notre propos est relatif à l'action qui normalement appartient à la société. Mais, au
vu des réticences à accorder au comité d'entreprise le droit d'agir dans son propre
intérêt, on peut être pessimiste quant à l'exercice de l'action sociale. Qui peut le
plus peut le moins, mais qui ne peut le moins ne peut le plus. Le moins étant l'action
propre aux travailleurs et le plus l'action sociale.
Au Sénégal, la loi ne prévoit pas de comité d'entrepris~4).11 en est de même
aux Etats-Unis et en Angleterre.
- Les commissaires aux comptes?
Au Sénégal, selon l'article 1364 COCC, ils certifient la régularité et la
sincérité des états financiers. Ils ont pour mission permanente, à l'exclusion de toute
immixtion dans la gestion, de vérifier les livres et les valeurs de la société et de
contrôler la régularité et la sincérité des comptes sociaux. Ils vérifient également la
sincérité des informations données dans le rapport du conseil d'administration ou
de gestion, et dans les documents adressés aux actionnaires sur la situation
financière et les comptes de la société.
Leur rôle est sensiblement le même que celui des commissaires aux
comptes en France qui, selon l'article 228 al 1er - L. 1966, ont pour mission de
1
G. Lyon - Caen et J. Pelissier - Droit du travail - Précis Dalloz 1990 - P.889 n0782.
2
Lille 29 Mars 1978. Mulhouse 25 Mars 1983 - Caen 9 Mai 1984 cités par Lyon - Caen et Pelissier-
op. cit. P.733 n0639 bis.
3
crim. 24 Avr. 1971. Bull. crim P. 303
crim. 26 Juin 1973. Bull. crim P. 720
crim. 7 Juin 1983 - Bull. crim P. 424.
4
Il s'en crée spontanément dans certaines entreprises, mais ils ont plutôt un caractère politique.

431
certifier que les comptes annuels sont réguliers et sincères et qu'ils donnent une
image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation
financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice. L'alinéa 2 de ce
même article leur donne pour mission permanente de vérifier les valeurs et les
documents comptables de la société et de contrôler la conformité de sa comptabilité
aux règles en vigueur. Ils doivent aussi vérifier la sincérité et la concordance avec
les comptes annuels des informations données dans le rapport de gestion du
conseil d'administration ou du directoire et dans les documents adressés aux
actionnaires sur la situation financière et les comptes annuels
Tous ces actes doivent se faire à l'exclusion de toute immixtion dans la
gestion.
En outre, au Sénégal comme en France les commissaires aux comptes sont
des auxiliaires de justice: ils doivent révéler au Procureur de la République les faits
délictueux dont ils ont eu connaissance (art 1369 al 2 COCC et 233 L. 1966).
L'examen des comptes peut révéler des fautes de gestion - entre autres ; les
malversations des gestionnaires se faisant souvent par des manipulations
comptables, ou étant dissimulées derrière des falsifications comptables.
On peut se demander si on ne devrait pas aller plus loin et permettre aux
commissaires aux comptes d'agir en justice au nom de la société quand leur
contrôle met à nu des malversations des dirigeants qui seront peu disposés à agir
contre eux-mêmes? Alerter le Procureur de la République ne suffit pas, car, si celui-
ci est partie principale, c'est en matière pénale, or les fautes des dirigeants ne
constituent pas forcément des infractions pénales.
En Angleterre, contrairement aux Etats-Unis, il existe des commissaires aux
compte: les auditors. Ils doivent établir un rapport indiquant si le bilan et les
comptes sont conformes à la loi et s'il reflètent bien la situation et les résultats,
autrement dit s'ils sont sincères. Ils doivent rendre compte des résultats de leur
contrôle
aux actionnaires. Ils n'ont pas le droit, sauf disposition spéciale aux
sociétés financières de révéler ce qu'ils découvrent aux tiers, notamment aux
autorités publiques. l Selon un dicton célèbre on peut comparer leur rôle à celui
d'un chien de garde et non d'u n chien policier « he is a watchdog but not a
bJoadhound». Dès lors, on ne peut leur confier le rôle de substitut de la société pour
exercer en son nom l'action sociale en cas d'inertie de ses dirigeants.
La question a été posée de savoir si les auditors ne doivent pas être utilisés pour la détection et la
dénonciation des fraudes.

432
En définitive, il semble que les commissaires aux comptes soient dans le
meilleur des cas cantonnés dans un rôle d'alerte. Ce rôle n'est pourtant pas
négligeable. En effet, il peut permettre aux actionnaires d'agir au nom de la société,
car ce sont eux, en définitive qui ont le pouvoir à certaines conditions de pallier
l'inertie des dirigeants sociaux. Étant informés par les commissaires aux comptes
des irrégularités et inexactitudes qu'ils ont découvertes, il leur appartiendra
d'exercer l'action sociale.
§2 : L'ACTION SOCIALE EXERCÉE PAR LES ACTIONNAIRES
La défense de la société par les actionnaires est une prérogative inhérente
à leur qualité d'associé(1).11 s'y ajoute le fait que les associés subissent
indirectement les dommages de la société. Ce raisons expliquent qu'au Sénégal(2t
en France(3),en Angleterre(4)Jet aux Etats-Unis(5)les actionnaires aient le droit
d'exercer l'action sociale.
Comparer le droit sénégalais aux droits français, anglais et américains
revient à comparer l'action sociale ut singuli à la derivative action ..
Action sociale ut singuli en droit français et sénégalais et derivative action
en droits anglais et américain revêtent toutes un caractère exceptionnel, subsidiaire.
Elles sont subordonnées à la mise en cause préalable de la société. Elles
rencontrent des limites et obéissent à des modalités qui ne sont pas toujours
identiques.
A - CARACTÈRES DE L'ACTION SOCIALE UT SINGULI ET DE LA
DERIVA T/VE ACT/ON.
1°) LEUR CARACTÈRE EXCEPTIONNEL:
L'action sociale ut singuli et la derivative action constituent une exception.
Cela est surtout vrai en Angleterre où le célèbre arrêt Foss V. HarbOttl~6)posa que
1
A. Viandier - La notion d'associé. LGDJ 1978 - P.14ü n0143.
2
art. 1381 COCC
3
art. 245 L. 1966
4
Sealy Cases and Materials in Company Law5e ed. 1992 P. 462
5
A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes - P.237 n0116. Dès le début du 1ge siècle, le
juge d'equity a admis en Angleterre et aux Etats-Unis, qu'un actionnaire puisse, dans certains cas,
agir au nom de la société.
6
[1957] C.L.J. 1944, [1958] C.L.J. 93 cité par A. Tunc - Le droit anglais des sociétés anonymes - P.

433
seuls les organes légaux de la société, en l'occurrence les directeurs, ont qualité
pour agir en son nom. Cet arrêt est le prolongement de l'arrêt Percival V. Wrigh(1)
selon lequel les devoirs des dirigeants ne sont dus qu'à la société et non aux
actionnaires individuellement, de sorte que seule la société a qualité pour agir s'ils
commettent des fautes.
2°) LEUR CARACTÈRE SUBSIDIAIRE:
L'action sociale ut singuli et la derivative action
ont toutes deux un
caractère subsidiaire. Normalement l'action sociale doit être exercée par les
représentants de la société, ce n'est que si ceux-ci n'agissent pas que les
actionnaires pourront se substituer à eux, à certaines conditions.
B - CONDITION D'EXERCICE DE L'ACTION SOCIALE UT SINGULI ET
DE LA DERIVA T/VE ACT/ON: LA MISE EN CAUSE PRÉALABLE DE
LA SOCIÉTÉ.
Le droit sénégalais rejoint les droits français, anglais et américain sur cette
exigence.
Au Sénégal, l'article 147 du décret n° 93-153 du 24 Février 1993 prévoit
que dans le cas où l'action sociale est exercée par les actionnaires, le tribunal ne
peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire
de ses représentants.
En France, l'article 201 du décret du 23 Mars 1967 exige que les
actionnaires aient mis en cause la société pou r que leu r action soit recevabl~2).
En Angleterre, les actionnaires ne peuvent exercer la derivative action que
si ni le conseil des directeurs ni l'assemblée générale n'agissent. Aussi le tribunal
saisi par un ou des actionnaires peut surseoir à leur demande tant qu'il n'aura pas
reçu l'avis de l'assemblée générale. En cas de refus de cette dernière, le tribunal
devra s'y soumettre, sauf s'il est démontré que l'assemblée générale est dominée
par la direction ou plus particulièrement par ceux contre qui l'action est dirigé$Lce
273 n° 144.
1
prée.
58
Le tribunal peut cependant, au lieu de déclarer l'action irrecevable, surseoir à statuer jusqu'à la
régularisation
cf Douai 31 Janv. 1975 - Rev. Stés 1975 - 282.
3
M. Guiguère - op-cit - P.341 - M.D. Poisson op. cit. P.292

434
qui
expliquerait son refus.
Cela n'est pas sans poser des difficultés car le contrôle d'une société n'est
pas mathématique. Les techniques de contrôle sont variées, elles sont liées entre
autres à la dispersion des actions, au taux d'absentéisme ... lesquels permettent de
contrôler effectivement la société sans être majoritaire. Les tribunaux anglais s'en
tiennent à un contrôle mathématique. Certes, l'arrêt de la Chancery Division,
Prudential Assurance Co Ltd V. Newman Industries Ltd~)s'était démarqué de cette
jurisprudence en reconnaissant que ce n'est pas nécessairement la majorité
d'action qui devait être prise en compte. Mais il a été réformé en appel(2).
Aux Etats-Unis, le MBCA §7-40(b) exige que l'actionnaire ait soumis
sa requête au conseil des directeurs ou qu'il explique au tribunal pourquoi il ne l'a
pas fait. C'est le principe de l'exhaustion of intracorporate remedies. Comme
l'indique le Professeur Tunc, «pour qu'un actionnaire puisse se voir reconnaître le
droit exorbitant d'agir au nom de la société, il faut que celle-ci ait non seulement
négligé mais refusé d'agir,{3Î.L'Etat de New-York exige que le demandeur précise
les efforts qu'il a fournis pour obtenir que l'action soit intentée par le conseil ou les
raisons pour lesquelles il n'a fait aucun effort(4).
Avant le procès qui doit se tenir devant le juge, il y a en quelque sorte un
«avant-procès» entre les dirigeants et les actionnaires à travers lequel transparaîtra
leur bonne ou mauvaise foi. Ainsi, lorsque les dirigeants usent d'échappatoire pour
refuser d'intenter une action contre l'un ou plusieurs des leurs, ils pourront même
être considérés comme complices de ceux-ci.
En outre, le simple fait de saisir les dirigeants les prévient qu'il existe des problèmes
dans la gestion. Ils ne pourront ultérieurement prétendre les avoir ignorés. De plus,
cet «avant-procès» permet de savoir si les actionnaires recherchent l'intérêt de la
société ou s'ils ne cherchent pas plutôt à nuire aux dirigeants.
Une difficulté peut surgir si le conseil des directeurs saisi par des
actionnaires décide dans l'exercice de son sound business judgmen$) qu'il n' y a
pas lieu d'agir. Lorsque l'objectivité du dirigeant ne fait pas de doute parce qu'il n'a
1
[1980] 2 ALL ER 841 cité par M.D. Poisson op cil. P 292
2
[1982] Ch. 204, [1982] 1. Ail E.R. 354 - cité par A. Tunc op cil. P.276 n0145
3
A. Tunc - op. cil. P.243 n0120
4
art626(C)L.1941
5
C'est l'exercice de son jugement d'affaire, lequel est protégé à certaines conditions par la Business
Judgment Rule
(cf supra 2e partie - Titre 1 - Ch.2 - sect .2 §2).

435
pas d'intérêt6l dans l'affaire, l'actionnaire devrait être privé d'action, car si les
tribunaux accédaient à sa requête ils remettraient ainsi en cause le jugement
d'affaire des dirigeant~2~
Depuis une quinzaine d'années, une pratique a vu le jour : lorsqu'une
derivative action
est engagée par un actionnaire, elle est soumise à un comité
spécial et indépendant (independent /itigation committee) pour qu'il se prononce
sur l'intêrêt de l'action pour la société. Si le comité est réellement indépendant et si
la décision est prise de bonne foi, avec diligence, en se fondant sur les rapports
d'experts tels que juristes, comptable etc... eux aussi indépendants, le conseil des
directeurs aura un argument de poids pour obtenir du tribunal le rejet de l'action
dérivée des actionnaires sans examen au fonc:i3).
Au Delaware, l'action dérivée est rendue plus difficile. En effet dans l'affaire
Zapata Corp- V. Ma/donado, (4) La Cour Suprême du Delaware a demandé au juge
de procéder à deux examens successifs. Le premier porte sur l'indépendance du
comité, sa bonne foi, sa diligence. La charge de la preuve incombe à la société. Le
tribunal peut ordonner la production de documents pour mieux apprécier la
question. Lorsque cet examen révèle que le comité a les qualités requises, le
tribunal doit encore appliquer son propre jugement d'affaire pour apprécier si la
procédure doit être clos~5).
C. LIMITES À L'EXERCICE DE L'ACTION SOCIALE UT SINGULI ET À
LA DERIVA T/VE ACT/ON.
On peut craindre que l'action sociale exercée par les actionnaires ne soit
intempestive et faite dans le but d'exercer un chantage sur les dirigeants, et qu'elle
ne jette, à tort, le discrédit sur la société. D'où la nécessité de canaliser son exercice
en le soumettant à des conditions préalables comme nous l'avons vu~). Mais, même
lorsque ces conditions sont réunies, l'action des actionnaires peut se heurter à des
obstacles qui sont autant de limites. Certaines limites sont de fait: c'est le cas du
coût de la procédure. D'autres sont d'ordre juridique: c'est le cas de l'exigence de
la détention d'un certain pourcentage du capital social. C'est aussi le cas de la
1
Cette condition est nécessaire à l'application de la règle du jugement d'affaire.
2
A. Tunc op. cil. loc. cil.
3
A. Tunc. op. cil. pp 244-245 n0121
4
430 A - 2d 779 (Del. 1981) cité par A. Tunc op cil. P.245 n->121
5
A. Tunc. op. cil. loc. cil.
6
cf supra B. Mise en cause préalable de la sociélé

436
ratification par l'assemblée générale des actes des dirigeants.
1°) LIMITE DE FAIT: LE COÛT DE LA PROCÉDURE.
Le coût élevé de la procédure peut constituer un empêchement sérieux pour
les actionnaires minoritaires:,1). Ils peuvent ainsi hésiter à mettre en œuvre une action
qui ne doit rien leur rapporter directement, étant donné que les dommages-intérêts
iront à la société, alors qu'elle les oblige à engager des 'frais importants tels que les
honoraires d'avocats, les frais d'expertise. Cela est particulièrement difficile à
supporter lorsque l'action est exercée par un actionnaire individuellement comme
cela est permis.
Ce problème commun au Sénégal, à la France et à l'Angleterre, ne se pose
cependant pas aux Etats-Unis. Là-bas au contraire, la derivative action connaît un
grand succès lié entre autres à des raisons matérielles. En effet, si l'action aboutit,
l'actionnaire peut se faire rembourser les frais de justice par la société, aussi bien
lorsque la société a obtenu de l'argent - dommages et intérêts - que lorsqu'elle
obtient une satisfaction non pécuniaire, par exemple l'annulation de l'acte
préjudiciable. Cette action est donc intéressante pour l'actionnaire. Elle l'est aussi
pour les avocats, car ils auront droit à des honoraires que la société ait obtenu ou
non des dommages et intérêts. Lorsque des dommages et intérêts sont alloués à la
société, les honoraires des avocats sont prélevés dessus?)
On observe ainsi dans les grandes villes américaines telles que New York,
un barreau spécialisé, à la recherche des fautes ou des erreurs qui ont pu être
commises dans la gestion d'une société, pour trouver un petit actionnaire et le
persuader d'agir contre la société~). Certains avocats sont même devenus des
spécialistes de la section 16 (b{4).
/7
Mais le développement excessif de la derivative action pour les raisons
" ' - - - - - -

_ _
. _ ._ _ •
"
• •
_ .
. _ ' "
. 0 0 • • _ -


. .• •
. - .
M. Cappelletti. "La protection d'intérêts collectifs et de groupe dans le procès civil (métamorphoses
de la procédure civile". R.I.D.C. 1975 - PP.572 et 576.
2
Bosch v. Meeker Cooperative Light Power Amn, 257 Minn. 362, 366, 101 N.W. 2d 423, 426
(1960).
cité par Stevenson in R.I.D.C.1978 - P.789.
Dans cette affaire, la Cour avait seulement annulé une élection des membres du conseil aucun
dommage-intérêt n'avait été accordé à la société et pourtant la Cour avait octroyé des hono~aires à
l'avocat de l'actionnaire demandeur.
3
A. Tunc . Le droit américain des sociétés anonymes. P239 n0116.
4
Stevenson - "Le procureur général privé dans le droit des sociétés des Etats·Unis." R.I.D.C. 1978 -
P.784.

437
Mais le développement excessif de la derivative action pour les raisons
pécuniaires précitées a mis en évidence son danger qui est de "soumettre la
direction à une menace permanente de harcèlement et peut-être de chantage"1.
Pour empêcher les abus, de strictes conditions d'exercice de la derivative action ont
été
posées 2 . Certains Etats américains ont instauré des barrières d'ordre
pécuniaire en exigeant que les actionnaires désireux d'intenter une derivative
action déposent une somme garantissant en cas d'échec, le remboursement des
frais de procédure (security for expenses)3. Dans ces Etats, la société est en droit
d'exiger ce dépôt de la part d'actionnaires dont l'intérêt réel dans le procès n'est
pas garanti par la possession de 5% des actions ou d'actions représentant 25 000
ou 50 000 dollars. L'actionnaire qui a procédé au dépôt et qui perd le procès,
même pour une raison procédurale, devra supporter les dépens y compris les
honoraires d'avocat4.
En Angleterre, les frais d'instance sont en principe à la charge des
demandeurs. Cependant, dans l'arrêt Wallersteiner v. MoirS, la Cour d'appel a
estimé qu'il était loisible au juge d'ordonner que la société supporte le coût de la
procédure quelle que soit l'issue du procès, dès lors que l'actionnaire avait agi de
bonne foi et que son initiative semblait raisonnablement être dans l'intérêt de la
société. La doctrine apprécia beaucoup cette solution6. Néanmoins, malgré cet
arrêt, l'actionnaire continue à beaucoup hésiter avant d'intenter l'action sociale.
Comme nous pouvons le constater, le coût de la procédure est un obstacle
à l'exercice de l'action sociale par les actionnaires, au Sénégal, en France et en
Angleterre, contrairement au droit américain 7. La position de celui-ci gagnerait à
être adoptée au Sénégal, car il est plus équitable que ce soit la société et non les
actionnaires qui supportent les frais de l'instance engagée dans l'intérêt de la
société. Certes le coût de la procédure est un obstacle justifié pour "les grincheux et
autres vindicatifs", mais au Sénégal, les gens n'ont pas l'habitude de saisir la
justice, les règlements amiables sont plutôt la règle, de sorte que lorsqu'une
personne intente une action en justice, elle est généralement de bonne foi. Il
1
A. Tunc - op. cil. loc. cil.
2
cf supra B. Mise en cause préalable de la société.
3
A. Tunc - op. cil. loc. cil. P.248 n0123.
4
idem.
5
[1975] 1 ALL ER 849,91 LOR [1975] 482, cité par M.D. Poisson op. cil. P.285.
6
Pennington - op. cil. P.6ü5 - M.D. Poisson - op. cil. P285. Cet auteur suggérait que cette solution
soit reprise en France.
7
Mises à part les lois de certains Etats tels que New York, mais ce sont des exceptions.

438
faudrait donc encourager les actions intentées par les actionnaires et faire en sorte
que le coût de la procédure ne les empêche pas d'être des procureurs généraux
privés.
2°) LIMITES DE DROIT.
a) L'exigence d'un pourcentage du capital social en cas de
regroupement des actionnaires.
Au Sénégal, l'article 1381 COCC renvoie au décret d'application de la loi du
29 Juillet 1985. Selon l'article 146 du décret du 24 Février 1993, des actionnaires
représentant au moins le vingtième du capital social peuvent, dans un intérêt
commun, charger à leurs frais, un ou plusieurs d'entre eux de les représenter pour
soutenir, tant en demande qu'en défense, l'action sociale contre les membres du
conseil d'administration ou de gestion. Le droit sénégalais adopte ainsJ la même
position que le droit français.
En France, en effet, l'article 245 L-1966 dispose : "Outre l'action en
réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent soit
individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret, intenter
l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ... ". L'article 200 du
décret du 23 Mars 1967 prévoit que pour se regrouper, les actionnaires doivent
représenter au moins un vingtième du capital social. Cette exigence est très sévère
pour les sociétés dont le capital est dispersé. Cela risque paradoxalement de les
priver de cette action, alors que ce sont elles qui en ont le plus besoin 1. C'est donc
un obstacle à l'exercice de l'action sociale ut singuli.
Cependant,
le décret n088-56 du 19 Janvier 1988 a apporté des
assouplissements à cette exigence. En effet2, le pourcentage exigé est dégressif à
mesure qu'augmente le capital social, dans les sociétés ayant un capital supérieur
à 5 millions3.
Cette limite à l'action des actionnaires vise à s'assurer de leur crédibilité et
de leur solvabilité pour le cas où ils seraient condamnés à des dommages-intérêts
et aux dépens. On peut en déduire que si les frais de justice n'étaient pas à la
charge des actionnaires mais pesaient sur la société, cette exigence serait inutile.
1
M.D. Poisson - op. cil. P.280.
2
comme le préconisait Madame Poisson - op. cil. loc. cil.
3
Les taux sont les suivants:
4% pour les 5 premiers millions
2,5% pour la tranche comprise entre 5 et 50 millions
1% pour la tranche comprise entre 50 et 100 millions
0,5% pour le surplus du capital.

439
La décision du Tribunal de commerce de St Affrique du 12 Juillet 1974(1)est
une illustration de la sévérité des juges. En effet, des actionnaires, petits porteurs
s'étaient regroupés en association, laquelle avait acquis une action, devenant ainsi
actionnaire, pour exercer l'action sociale. L'action en justice de l'association fut
jugée irrecevable par le tribunal qui n'a vu qu'un regroupement d'actionnaires,
lesquels doivent, selon les articles 245 L - 1966 et 200 D - 1967, représenter au
moins le vingtième du capital social. Pourtant, en l'espèce, l'association n'était-elle
pas actionnaire? Ne pouvait-elle donc pas exercer l'action sociale ut singuli comme
le lui permet l'article 245 L - 1966 t2) Mais le tribunal ne l'a pas admis.
Il est paradoxal que le groupement d'actionnaires qui est conçu pour aider
les actionnaires devienne un frein à leur action. Comme le souligne Monsieur
Chartier, les articles 245 L-1966 et 200 D-1967 visent à faciliter l'action des
demandeurs en leur permettant de se grouper dans des conditions dérogatoires à
la règle "Nul ne plaide par procureur". Le représentant des actionnaires est un
mandataire
ad litem qui a qualité exclusive pour figurer dans les actes de
procédure, les frais sont donc moins importants; la procédure est allégée puisque
le représentant exerce les droits des actionnaires et que ceux-ci sont engagés par
leur mandataire sans avoir à être présents\\?).
b) LA RATIFICATION PAR L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE.
Ni le Sénégal, ni la France ne connaissent cet obstacle à l'exercice de
l'action sociale ut singuli. Certes, en France, pendant longtemps, les administrateurs
avaient pris l'habitude de se faire donner quitus par l'assemblée générale, et cela
rendait impossible toute action sociale, qu'elle soit universi ou ut singuli. Le quitus
émanait pour ainsi dire du conseil d'administration en raison de l'emploi des
mandats en blanc.
Le décret-loi du 31 Août 1937 modifiant l'article 17 L - 1867 décida que le
quitus serait privé d'effet et qu'aucune décision de l'assemblée générale ne pourrait
avoir pour conséquence d'éteindre les actions en responsabilité. Ce décret-loi
déclara nulle toute clause ayant pour effet de subordonner l'exercice individuel de
j'action sociale à l'avis préalable ou à l'autorisation de l'assemblée générale. Seule
1
Tr. Co. St Affrique 12 Juillet 1974 - Rev. Jur. Co. 1974.287 note Chartier.
2
Dans sa note (Rev. Jur. Co 1977 - P.292), Monsieur Chartier estime que l'association avait, en tant
que propriétaire d'une action, le droit d'agir, dans la mesure où elle justifiait d'un intérêt, lequel était
exclusivement lié à sa qualité d'actionnaire.
3
Rev. Jur. Co. 1977 - P295.

440
était valable la clause d'avis du conseil d'administration dont la portée était
purement procédurale et qui ne posait pas de difficultés. Quant à la clause
d'autorisation du conseil d'administration, elle était à l'unanimité déclarée nulle car
on concevait mal un conseil d'administration autorisant une action en justice contre
lui-même.
En Angleterre, l'assemblée générale peut ratifier les actes des dirigeants.
De sorte qu'en présence d'une ratification d'un acte préjudiciable à la société, les
actionnaires minoritaires ne pourront intenter une derivative action..1} C'est un
obstacle. Cependant et heureusement, tous les actes des dirigeants ne sont pas
susceptibles de ratification. C'est le cas notamment des actes ultra vire~2),c'est-à­
dire n'entrant pas dans l'objet social.
Aux Etats-Unis, à propos du détournement d'une chance économique qui
serait ratifié par l'assemblée générale des actionnaires, un auteur note l'absence
quasi-totale d'espèces où le juge a dû se prononcer sur l'effet d'une ratification~}
L'arrêt Jones v. M.F. Ahmanson and co(4) rappelle avec force que les actionnaires
majoritaires ont le devoir d'utiliser de manière loyale, juste et équitable, leur pouvoir
de contrôler la société. Leur devoir de loyauté devrait leur interdire de ratifier des
actes préjudiciables à la société.
DI LES MODALITÉS D'EXERCICE DE L'ACTION SOCIALE UT SINGULI
ET DE LA DERIVATIVE ACTION.
L'action sociale est exercée par un ou plusieurs actionnaires mandatés à
cet effet. C'est LI ne entorse au principe français, selon lequel "Nul ne plaide par
procureudS). Principe rep-;::I.is par l'article 29 du code pénal sénégalais.
1°) LA RENONCIATION À L'ACTION.
La jurisprudence française est divergente sur cette question. Dans un arrêt
du 29 Mars 197~), la Cour d'Appel de Versailles considère que le fait qu'un
1
M.D. Poisson - op. cil. P. 287.
2
Cies Act 1985, 1-35 (2) modo par Cies Ac11989, s.108 (1).
3
J.Y. Martin - op. cil. P. 193.
4
1 Cal- 3 d 93,460 P. 2d. 464 (1969).
5
Cozian et Viandier - op. cil. 6è éd. P. 271 n° 747. S. Guinchard : "L'action de groupe en procédure
civile française". RIDC 1990 - PP. 600-601.
6
JCP 1979 - Il - 19209 noIe Guyon.

441
actionnaire se soit désisté de l'action sociale et ait renoncé au bénéfice d'un
jugement antérieur ne fait pas obstacle à la poursuite de l'action sociale par
d'autres actionnaires. L'arrêt rendu par la Cour de Paris le 30 Octobre 197~1)décide
au contraire que l'actionnaire qui exerce l'action sociale ut singuli peut se désister
de son instance et de son action, renoncer au bénéfice du jugement et que ces
désistement et renonciation ont pour résultat de supprimer la procédure antérieure,
y compris le jugement déclaratif qu'il a obtenu au profit de la société, tant que ce
jugement n'étant pas passé en force de chose jugée, la société n'en a pas acquis le
bénéfice.
La solution de la cour de Versailles cadre mieux avec le caractère social de
l'action : dès lors qu'un autre actionnaire estime devoir défendre les intérêts
sociaux, on ne devrait pas le lui refuser. Certes, comme l'observe le Professeur
Guyon, les litiges risqueraient de se pérenniser. Cependant il n'est pas dit qu'il y
aura une succession de désistement des demandeurs, ce serait quelque peu
étrange ...
Les textes, l'article 200 al.3 D. 1967 en France et l'article 146 al.2 du Décret
du 24 Février 1993 au Sénégal, ne permettent pas de résoudre ce problème. Ils
disposent en effet que "Le retrait en cours d'instance d'un ou plusieurs des
actionnaires ... soit qu'ils aient perdu la qualité d'actionnaire, soit qu'ils se soient
volontairement désistés, est sans effet sur la poursuite de ladite instance." En effet,
ils signifient que dans l'hypothèse où plusieurs actionnaires se seraient groupés
pour intenter l'action, le désistement de certains d'entre eux n'empêcherait pas la
poursuite de l'instance. Hypothèse différente de celle envisagée dans laquelle un
associé agit seul, se désiste, et un autre associé cherche à reprendre la procédure.
En Angleterre, une derivative action commencée par un actionnaire ne peut
être poursuivie par lui s'il cesse d'être membre de la société, mais le tribunal peut
permettre que l'action soit poursuivie par un autre membre qui s'est substitué au
demandeur sur ordre du tribunal, et qu'il poursuive l'action au stade où elle était
arrêté~). Ceci parce que la derivative action vise à protéger les intérêts de la
société et non l'intérêt personnel du demandeur.
1
JCP 1979 - Il - 19209.
2
Pennington - op. cit. P. 653.

442
3°) EST-IL NÉCESSAIRE D'ÊTRE ACTIONNAIRE AU MOMENT DES
FAITS?
Aux Etats-Unis, la plupart des Etats exigent que le demandeur ait été
actionnaire au moment des faits 1. C'est la règle du contemporaneous share -
~/ ownership qui a été posée par un arrêt de la Cour Suprême de 1882, p~ des
raisons, il est vrai, différentes2. Elle est reprise dans la Rule 23-1. Les Etats l'ont
adoptée afin d'empêcher une personne d'acheter des actions dans le but d'intenter
une derivative action. Elle est aussi recommandée par le MBCA § 7.40 (a).
En Angleterre, en revanche, l'actionnaire peut se plaindre de fautes
commises avant qu'il ne devienne actionnaire 3 . Peu importe, car il agit pour le
compte de la société et non pour son bénéfice personnel4.
En France aussi, la personne qui n'avait pas la qualité d'actionnaire au
moment des faits dommageables mais qui est devenue actionnaire postérieurement
à ceux-ci, peut exercer l'action sociale ut singuli5. La Cour de cassation s'est
prononcée dans ce sens, dans un arrêté du 27 Novembre 19786. Le Professeur
Guyon émet des réserves sur une telle solution: des personnes pourraient acheter
des actions pour faire chanter les dirigeants fautifs, en les menaçant d'intenter Llne
action en responsabilité contre eux. Leur but étant l'obtention d'une transaction à
des conditions très avantageuses pour eux 7.
Au Sénégal, ni la loi ni son décret d'application n'exigent que le demandeur
à l'action sociale ut singuli ait eu la qualité d'actionnaire au moment du fait
dommageable.
Certes, l'article 146 al.2 0 - 1993, reproduisant l'article 200 al.3 du décret
français du 23 Mars 1967, évoque le retrait en cours d'instance d'actionnaires ayant
perdu cette qualité. Cela montre que pour participer à l'instance, il faut être
actionnaire, mais cela n'indique pas depuis quand il faut l'être.
Nous pensons que la solution consistant à ne pas requérir la qualité
1
A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes. P.242 n0119.
2
idem. "II s'agissait à l'époque d'empêcher un plaideur de donner artificiellement compétence aux
juridictions fédérales par diversité de citoyenneté des parties, compétence qui, à l'époque,
entraînait l'application d'un droit fédéral judiciaire peut-être très différent de l'Etal."
3
A. Tunc - Le droit anglais des sociétés anonymes P.276 n0145.
4
M.D. Poisson - op. cil. P. 278.
5
Y. Guyon - op. cil. 7è éd. 1992 - PA77 n0463.
6
Crim. 27 Nov. 1978 - D. 1979 - P.123 note Cosson.
7
Y. Guyon - op. cil. loc. cil.

443
d'actionnaire au moment du fait dommageable qui est adoptée en France, et en
Angleterre, est transposable au Sénégal, où l'on est peu enclin à agir en justice.
Les risques de chantage aux dirigeants fautifs sont faibles. Et si tel était le cas, "il est
toujours possible de sanctionner les actions abusives'(1)
3°) DÉLAI D'EXERCICE DE L'ACTION
Au Sénégal comme en France, il est de trois ans à partir du fait
dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation, sauf en cas de crime,
auquel cas, il est de dix anSf}
La prescription de l'action est identique à celle de l'action publique. Initialement,
elle était de trente ans, ce qui poussait les dirigeants incriminés à invoquer une
faute pénale pour bénéficier de la prescription réduite de l'action publique~). Le
législateur français par le décret loi du 31 Août 1937 modifiant l'article 17 de la loi
du 24 Juillet 1867 a mis fin à cette situation choquante en alignant la prescription
des actions en responsabilité sur celle de l'action publique.
La prise en compte de la date de la révélation du fait dommageable se
justifie, car ce n'est souvent qu'au bout de plusieurs années que les fautes de
gestion sont révélées à l'Assemblée Générale~). En Angleterre, le délai de
prescription est de six ans après l'acte, sauf en cas de fraude ou d'appropriation des
biens de la société, auquel cas, aucune prescription n'est prévue.
Aux Etats-Unis, la derivative action s'éteint si l'actionnaire vend son titre ..
SECTION 2 : L'ACTION INDIVIDUELLE
L'action individuelle vise à défendre l'intérêt personnel de l'actionnaire{5)jcelui-ci
ayant subi un préjudice du fait des dirigeants ou ayant vu ses droits bafoués par la
société. C'est le cas par exemple lorsqu'il ne perçoit pas un dividende voté ou
1
G. Chesné. "L'exercice ut singuli de l'action sociale dans la société anonyme". RTO Co 1962 -
P.35ü n04.
2
arts 1383 cacc et 247 L.1966. Ces délais s'appliquent à toutes les actions : sociales et
individuelles.
3
En effet, la prescription de l'action sociale était liée à celle de l'action publique, le législateur
trouvant scandaleux qu'une personn~oursuivie civilement en réparation d'une infraction que les
tribunaux ne pouvaient plus réprimer.
4
cf A. Tunc - op. cit. in Travaux de l'Association Henri Capitant. T. XV. P.42.
5
Casso civ. 26 Novembre 1912 - 0.1913 - 1.377 note Thaller.
«L'action individuelle a pour objet la réparation d'un dommage personnel à chaque intéressé,
indépendant de celui souffert par la collectivité."

444
lorsqu'il n'est pas informé comme il en a le droit.
L'action individuelle est reconnue au Sénégal, en France, en Angleterre et aux
Etats-Unis, comme le prolongement des droits individuels de l'actionnaire.
A première vue, cette action ne présente pas de difficultés: l'actionnaire a des
droits, il peut agir contre ceux qui y portent atteinte. Pourtant, elle soulève des
problèmes : - comment la distinguer de l'action sociale ut singuli qui. elle aussi
émane d'un ou plusieurs actionnaires?
- Quelles sont ses modalités d'exercice? Avec notamment l'action de groupe en
droit français, la class action en droit américain et la représentative action en droit
anglais. Se pose alJssi la question de savoir à qui appatient l'action individuelle en
cas de cession d'action.
§ 1 - LA DISTINCTION ENTRE ACTION INDIVIDUELLE ET ACTION SOCIALE
ET SINGULI
A - L'ORIGINE DU PROBLÈME
L'action individuelle et l'action sociale ut singuli étant toutes les deux
exercées par un ou plusieurs actionnaires, cela est source de confusions.
Pour Madame Poisson 1, la confusion vient de ce que l'action peut mettre en
oeuvre deux sortes de droits : un droit "personnel" et un droit "social".. Par droit
"social" il faut entendre un droit qui représente la participation de l'actionnaire à la
vie sociale. L'actionnaire peut être atteint dans un droit personnel 2 comme il peut
l'être dans un droit social 3 . Lorsqu'il agit en vertu d'un droit personnel, il le fait dans
.0
son propre intérêt. Lorsqu'il agit sur la base d'un droit social, non action bénéficié à
tous les associés.
~
La difficulté est selon Madame Poisson de distinguer l'action individuelle en
défense d'un droit social, de l'action sociale ut singuli.
La différence entre ces deux actions observe-t-elle, est le reflet de la double nature
de la société. La société est une personne morale d'où l'action sociale ut singuli
mais c'est aussi une collectivité d'actionnaires qui disposent dans ce cadre de droits
collectifs - d'où l'action individuelle en défense d'un droit social4 .
1
M.D. Poisson - La protection des actionnaires minoritaires dans les sociétés de capitaux en droit
français et en droit anglais comparés - Th. droit Clermont 1 - 1984 - PP .274 et s.
2
par exemple détournement des fonds déposés par un actionnaire.
3
par exemple non convocation d'assemblée générale.
4
op. cit P.277

445
Sans opérer les distinctions au sein des actions individuelles, la doctrine a
pu dégager un critère de distinction entre action individuelle et action sociale ut
singu/i
B- CRITÈRE DE DISTINCTION ENTRE 'ACTION INDIVIDUELLE ET
ACTION SOCIALE UT SINGULI.
Selon Escarra et Raul(1) la plupart des actions individuelles reposent sur la
violation du droit commun des obligations et plus spécialement sur un vice du
consentement: erreur et surtout dol - Par exemple, les déclarations mensongères
des administrateurs ayant incité des actionnaires à céder leurs titres. D'une manière
générale, l'action individuelle sanctionne toute atteinte à un droit propre de
l'actionnaire. Par exemple:
- le défaut de convocation d'un actionnair~)à une assemblée générale.
- le défaut de communication de documents sociaux auxquels il a droit
- le refus d'enregistrer son vote
- le refus de reconnaître sa procuration
- le défaut de paiement de dividendes auxquels il a droit etc.. (3)
Par contre, les fautes de gestion donnent rarement lieu à une action
individuelle, parce que le préjudice est alors subi par la société. Si les actionnaires
subissent un dommage, c'est de manière indirecte et il est proportionnel à l'intérêt
que l'actionnaire possède dans la sociét~).
La faute de gestion est une illustration des risques de confusion existant entre
action individuelle et action sociale ut singu/i comme le montre l'arrêt du 26 Janvier
1970 5 . En l'espèce, un actionnaire se plaignait d'avoir cédé ses titres à perte en
raison d'une baisse de leur valeur consécutive à une mauvaise gestion de la
société. La Cour de cassation considéra que le préjudice n'était pas individuel, car
c'est la société qui en premier lieu subissait un préjudice, et le dommage
occasionné à l'actionnaire n'en était que le corollaire. Par conséquent, l'action était
une action sociale, laquelle ne pouvait plus être exercée par l'actionnaire qui, ayant
cédé ses titres avait perdu cette qualité.
Comme la Cour de cassation dans cette espèce, la doctrine considère
1
op cil. P.364 n° 1608
2
titulaire d'actions nominatives
3
V. Escarra et Rault op.cil. pp .364-365 n01 608
4
ibid. P. 365 n01608
5
Casso com. 26 Janv. 1970 - JCP 1970. Il. 16385 note Guyon D.1970 643 note Guyénot.

446
généralement que l'action individuelle n'est ouverte que si le préjudice subi par
l'actionnaire est direct. Tel est le critère de distinction entre action individuelle et
action sociale ut singuli1.
§ 2. MODALITÉS D'EXERCICE DE L'ACTION 1 NOIVI ()U f L.U:
A- LES ACTIONS DE GROUPE SANCTIONNANT UN PRÉJUDICE
INDIVIDUEL.
A première vue, il peut sembler contradictoire d'évoquer les actions de groupe dans
le cadre des actions individuelles. Pourtant, l'action de groupe com me on l'appelle
en droit français, la représentative action en droit anglais, la class action, en droit
américain, sont intentées lorsque l'actionnaire a subi un préjudice individuel, un
préjudice personnel direct. La particularité de ces actions vient de ce que plusieurs
actionnaires ayant subi le même préjudice individuel sont représentés en justice
pas l'un d'entre eux 2. C'est une mesure simplificatrice qui évite à chacun d'exercer
sa propre action individuelle. Si l'action intentée par le représentant porte ses fruits,
chacun en bébéficiera. Les 'frais de justice sont supportés équitablement par eux.
Cette action est inconnue au Sénégal, sans doute en raison de la règle "Nul
ne plaide par procureur". Mais il n'est pas exclu qu'un de ces jours elle soit
reconnue comme elle l'a été récemment en France.
1°) L'ACTION DE GROUPE EN DROIT FRANÇAIS
Elle est relativement récente. En effet l'article 245 L - 1966 et l'article 200 O. 1667
ne concernaient que l'action sociale. S'agissant des actions individuelles, aucun
texte n'autorisait les actionnaires à désigner un mandataire pour les représenter en
justice. Une telle entreprise se heurtait en effet au principe selon lequel «Nul ne
plaide par procureur».
/)
Il a fallu attendre le décret ~56 du 19 Janvier 1988 modifiant le décret du 23
.,
Mars 1967 (art. 199 et 1@9-1)c~ q.!:Je les actionnaires voulant exercer l'action
individuelle contre les dirigeants ~t autorisés à se réunir pour donner à l'un ou
Escarra et Raul\\ op. cil. P·363 n016ü8.
Cozian et Viandier op cil. P.272 nO?48.
Ils mettent l'accent sur le préjudice.
2
Cela concerne plus précisément l'action de groupe, car comme nous le verrons, la representative
action et la class action n'impliquent pas la désignation d'un mandataire.

447
plusieurs d'entre eux, le mandat d'agir en leur nom devant les juridictions civiles.
L'article 199. pose cependant certaines conditions:
- le mandat doit être écrit et mentionner expressément qu'il donne au ou aux
mandataire le pouvoir d'accomplir au nom du mandant tous les actes de procédure;
et précise, s'il y a lieu, qu'il emporte le pouvoir d'exercer les voies de recours.
- la demande en justice doit indiquer les nom, prénoms et adresse de
chacun des mandants aussi que le nombre d'actions
qu'ils détiennent. Elle doit
préciser le montant de la réparation réclamée par chacun d'eux.
Bien que le décret du 19 Janvier 1988 ne vise espressément que les
administrateurs, l'action en responsabilité exercée contre les membres du directoire
est, elle aussi, soumise à cette mesure puisque les membres du directoire sont
soumis
à la même responsabilité que
les administ rateu rs selon
l'article
249 L. 19661.
2°) LA REPRESENTA T/VE ACT/ON EN DROIT ANGLAIS
C'est l'action intentée par un actionnaire au nom de tous les autres ou du moins de
ceux qui sont dans la même situation que lui 2. Le préjudice individuel subi par le
demandeur affecte aussi de la même manière un certain nombre d'actionnaires3 .
Cette action a été admise au dix-huitième siècle par le Chancelier4 . Selon le
Professeur Tunc, ce n'est pas intrinsèquement une action du droit des sociétés mais
du droit des Torts 5.
A la différence de l'action de groupe française,
le demandeur n'est pas
véritablement mandataire des autres actionnaires, car il peut décider d'arrêter les
poursuites sans leur consentement et, en cas d'échec, lui seul supportera les
dépens6. Cependant le jugement rendu lie toutes les personnes au nom desquelles
l'action est menée - comme dans toutes les actions collectives, car la partie n'agit
pas seulement pour elle-même mais pour la collectivité. "C'est la collectivité toute
entière qui doit être réintégrée dans la jouissance de son "droit collectif", en
conséquence les effets de la décision doivent s'étendre aussi aux sujets non
1
Y. Reinhard. obs. RTD Co 1988 P.244
2
A. Tunc - Le droit anglais des sociétés anonymes P.28 n0148.
3
Pennington - op. cil. P.463.
4
" s'agissait principalement de résoudre le problème causé par l'acte d'établissement des
compagnies et d'autres grandes associations non incorporées. (Pennington op.cit - P - 462).
5
op. cit. loc. cit.
Dans le même sens M.D. Poisson op. cit. P.276
6
M.D. Poisson - op cil. P.3ü7.

448
présents à l'instance 1.
3°) LA GLASS ACT/ON EN DROIT AMÉRICAIN
Les Etats-Unis ont adopté la representative action anglaise qui est devenue
la class action américaine. Cette action est consacrée par la règle 23 des Federal
Rules of civil Procedure selon laquelle un ou plusieurs membres d'une catégorie
de personnes peuvent agir en justice - ou être assignés en justice - comme
représentant tous les membres et en leur nom:
- si les membres de la catégorie sont si nombreux qu'une action commune
de tous ceux-ci serait pratiquement impossible.
- s'il y a des questions de droit ou de faits communes à tous les membres de
la catégorie
- si les moyens d'action ou de défense des parties représentant les autres
sont typiques de ceux de la catégorie
- si les parties représentant les autres protègent équitablement et d'une
manière adéquate les intérêts de tous les membres de la catégorie 2.
Ces conditions sont cumulatives 3.
Il faut en outre qu'une série d'actions individuelles crée un risque de
décisions contradictoires ou nuise aux intérêts d'autres membres de la même
catégorie, ou que l'adversaire du groupe ait agi ou ait refusé d'agir en se fondant
sur des moyens généralement applicables à tous les membres du groupe; ou que
le tribunal estime que les questions de droit ou de fait communes à tous les
membres de la catégorie prédominent su r les questions affectant les membres
individuellement au point que l'action collective soit supérieure aux autres moyens
susceptibles d'assurer le jugement loyal et efficace de la controverse 4.
L'action de classe permet ainsi de regouper des demandes individuelles en
une demande globale. Elle motive les actionnaires qui se seraient abstenus en
raison des frais, d'intenter isolément une action individuelle. Elle s'est développée
particulièrement dans des cas où il était pratiquement impossible de déterminer les
droits du demandeur sans déterminer en même temps ceux des autres membres du
groupe qui se trouvaient dans la même situation 5.
1
Cappellelti - op ciL P592
2
A Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes - P.259 n0129
3
idem
4
ibid. P.259 n0129
5
H SmiL op. cit - R.I.D.C. 1975 - PA55

449
Comme dans la représentative action et contrairement à l'action de groupe
française, le demandeur n'est pas investi formellement d'un mandat de la part des
autres actionnaires 1. Pourtant, la décision rendue aura effet sur tous les membres
de la classe. La règle 23 des Federal Rules of civil Procedure dans sa version
actuelle permet que le jugement consécutif à l'action de classe ait autorité à l'égard
de tous les membres de la classe. Il n'en a pas toujours été ainsi. En effet, avant la
modification en 19?0 de la règle 23, le jugement n'avait autorité qu'à l'égard des
membres de la classe qui s'étaient formellement joints à l'action et qui avaient
acquis la qualité de parties. La règle s'appuyait alors sur le fait que dans certains
cas il était possible de distinguer les droits des différents membres de la classe,
autrement dit les membres de la classe avaient des droits différents2.
Il faut noter qu'à l'heure actuelle tous les membres de la classe ne sont pas
partie au procès contre leur gré. Ils peuvent rester en dehors du procès s'ils le
veulent.
La règle 23 a inspiré le droit des Etats qui admettent ainsi largement la class
action 3.
La Cour Suprême, dans son souci de refouler les procès vers les Cours
d'Etat s'est montrée moins favorable à la class action 4. Ainsi dans l'arrêt Eisen v.
Carlisle and Jacquelin5, elle décida que lorsque les droits des membres de la
classe pouvaient être individualisés, chacun d'entre eux devait recevoir une
notification personnelle et que les frais de cette notification devaient être supportés
par le demandeur.
En l'espèce, la classe comprenait 2.250.000 membres identifiés, ce qui aurait
entrainé une dépense d'environ 200.000 dollars. Le demandeur préféra alors se
désister... La Cour Suprême avait ainsi dressé une barrière d'ordre pécuniaire. Fort
heureusement, le nombre de personnes à qui doivent se faire les notifications n'est
pas toujours prohibitif6. Malgré ces difficultés, la class action conserve sa vitalité.
Elle a ainsi permis des condamnations atteignant des millions de dollars?
Pour conclure sur ces différentes actions de groupe, nous pouvons avec le
Professeur Cappelletti 8 souligner l'évolution de la matière de la procédure civile qui
1
Cappelletti - op. cil. P.587
2
H. Smit - op. cil. loc. cil.
3
A. Tunc - op cil. P.259 n0129
4
A. Tunc - op. cil. P.260 n0129
5
414 US 908 (1974) cité, par Cary and Eisenberg op cil. p.1086.
6
Cary and Eisenberg - op cil. loc. cil.
7
A. Tunc - Le droit américain des sociétés anonymes - P260 n0129
8
op. cil. P.596

450
d'individualiste qu'elle était est devenue collectiviste. Les intérêts collectifs sont de
plus en plus pris en compte, et de mieux en mieux, car leur protection devient plus
efficace. Pour cet auteur, l'action collective s'apparente à une action publique, c'est
une action "quasi publique». II s'appuie sur le fait qu'en matière de réparation de
dommage, le préjudice pris en compte n'est pas celui de la personne présente à
l'instance, mais celui de la collectivité entière. Cette réparation est donc étrangère à
la notion de dommage éprouvé. Elle dérive donc nécessairement d'un autre
principe et obéit à d'autres règles de mesurage qui procèdent moins de l'idée de
réparation que de celles de prévention et de répression 1.
Nous pensons qu'il serait bien de permettre J'exercice de l'action de groupe
en droit sénégalais des sociétés, à l'instar des droits français, anglais et américains
pour assurer la défense des actionnaires peu enclins à saisir la justice. Sans
emprunter le formalisme français ; un mandat exprès ne serait pas nécessaire,
l'essentiel étant qu'un actionnaire dynamique agisse pour la défense des intérêts
collectifs de tous les actionnaires.
B - L'EXERCICE DE L'ACTION INDIVIDUELLE EN CAS DE CESSION
D'ACTIONS.
L'exercice d'une action en justice contre la société ou ses organes fait partie
des prérogatives de l'actionnaire. Dès lors, il serait logique qu'en cas de cession
d'actions, cet attribut de l'action soit transmis au cessionnaire.
La distinction faite par Madame Poisson 2 entre "droit personnel» et "droit
social», conduit à des réponses différentes. En effet, l'atteinte à un droit personnel à
l'actionnaire, ne peut justifier la transmission de son droit d'agir à son cessionnaire.
" conserve son action même en cas de cession de ses titres. En revanche, l'atteinte
à un droit "social", ne donne de droit d'action qu'à condition d'être actionnaire. A
quoi servirait-il à un "ex-actionnaire" d'agir en responsabilité contre des dirigeants
qui ne convoquent pas d'assemblée générale? C'est pour le cessionnaire qu'une
telle action présente un intérêt.
Le droit anglais distingue les droits sociaux (corporate membership rights)
des droits individuels (individuel membership rights) quoique cela ne soit pas
toujours net. Selon Madame Poisson, les droits individuels de l'actionnaire doivent
être défendus par une personal action, tandis que les droits sociaux le seront par
1
M. Cappelletti - op. cil. P592 note 79
2
M.D. Poisson - op. ciL PP.274 et s.

451
une representative action(1î·
Au delà de ces distinctions, nous pensons que cela ne doit pas être difficile
de départager le cédant et le cessionnaire lorsque tous deux veulent exercer une
action individuelle. Il faut soupeser leurs intérêts respectifs ...
SECTION 3 : L'ACTION EXERCÉE PAR LES TIERS.
La question se pose de savoir si les tiers peuvent intenter une action en
responsabilité contre les dirigeants sociaux.
Au Sénégal comme en France, la loi elle-même reconnaît la responsabilité
des dirigeants à l'égard des tier~).
En droits anglais et américain la question de l'action exercée par les tiers se
pose avec acuité car traditionnellement, on considérait que les dirigeants n'avaient
pas de devoirs envers les tiers. Or le demandeur à l'action en responsabilité doit
avant de prouver la faute du défendeur montrer que celui-ci avait envers lui un
devoir. Dans le Tort principal qu'est le Tort of negligence , le tiers devra démontrer
que le dirigeant avait envers lui un duty of care.
§ 1 : EN DROITS SÉNÉGALAIS ET FRANÇAIS.
L'article 1380 COCC reprenant l'article 244 L. 1966 dispose que «les
administrateurs et le président du consei 1 d'administration sont responsables envers
la société ou envers les tiers ... ". Par conséquent les tiers pourront agir en
responsabilité contre les dirigeants.
Pourtant, en droit français la responsabilité des dirigeants sociaux à
l'égard des tiers est considérée comme exceptionnelle. En effet, les dirigeants sont
les représentants de la société. Or le représentant s'efface devant la société pour
laquelle il agit, de sorte que c'est contre la société et non contre ses dirigeants que
les tiers devront agir en cas de mauvaise exécution d'un contratb). Une raison de fait
est aussi invoquée: en pratique, lorsque la société est in bonis les tiers préfèrent
agir contre la société elle-même qui est généralement plus solvable que
l'admi nistrateu r{4}.
1
M.D. Poisson· op. cil. P.276
2
arts - 1380 cacc ;arts 244 et 249 L. 1966
3
Y. Guyon - Ch. de Leiris - JCP. stés. fasc 132 nC'92
4
idem

452
Mais ces objections concernent surtout la responsabilité contractuelle car
les dirigeants représentent la société en matière contractuelle. Il faut donc distinguer
entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle.
AI RESPONSABILITÉ DÉLlCTUELLE
En principe, l'administrateur s'engage personnellement lorsqu'il commet un
délit ou un quasi délit au préjudice des tiers. Le fait d'avoir agi dans l'exercice de
ses fonctions ne le soustrait pas à cette responsabilité personnelle 1. Cette dernière
se fonde sur le droit commun de la responsabilité: chacun doit répondre de ses
actes. Il n'y a pas de représentantion possible en ce domaine 2. Les dirigeants sont
des organes de la société et non ses préposés, on ne saurait donc appliquer à
celle-ci la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés3.
Cependant, la responsabilité de la société est parfois engagée. C'est le cas
notamment lorsque l'acte délictueux a été commis par le dirigeant dans l'exercice
de ses fonctions et a profité à la société4.
Une telle solution s'appuie sur le principe d'equité ubi emolumentum, ibi onus5 .
Dans ce cas la société et l'administrateur pourront être condamnés in solidum6 .
Lorsque le dirigeant a commis le délit sur instruction précise de la société il dispose
d'un recours contre elle 7.
Ces solutions du droit français sont tout à fait transposables en droit
sénéglais, les principes étant les mêmes. De plus, faire supporter par la société les
délits commis par ses dirigeants serait contraire à la politique de responsabilisation
des dirigeants sociaux qui doit être menée au Sénégal.
BI RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE
En principe, le conseil d'administration qu'l conclut un contrat au nom de la
1
Y. Guyon et Ch. de Leiris - op. cit. n0100
2
idem
3
G. Viney - La responsabilité - Conditions - P.938 n0849.
Cependant, les dirigeants ont parfois été considérés comme les préposés de la société qui
devenait responsable de leurs délits et quasi-délits sur le fondement de l'article 1384 C.C. Cette
solution était avantageuse pour la victime qui avait ainsi deux débiteurs au lieu d'un seul, mais elle
paraît difficilement admissible car l'administrateur n'est pas subordonné à la société et n'est donc
pas son préposé. (Guyon C. de Leiris - op. cit. loc. cil.)
4
Guyon, C. de Leiris - op. cil. n0105
5
G'e~! le cas notamment de lé! concurrence déloyale, elle profite à la société
6
Y. Guyon, Ch. de Leiris - op. cil. loc. cil.
7
Paris 28 Avril 1983 - JCP 1986 - 11- 20553 note Viandier.

453
société ne prend aucun engagement personnel envers le cocontractant. /1 n'aura
donc pas à répondre en cas d'inexécution ou de mauvaise exécution du contrattl)
Mais par exception, dans certains cas, la responsabilité des administrateurs pourra
être engagée donnant ainsi aux tiers une action contre eux.
1°) LE DÉPASSEMENT DES POUVOIRS
Lorsqu'un administrateur dépassait les limites de ses pouvoirs, il pouvait
engager sa responsabilité avant la loi de 1966. C'était une solution logique mais
peu protectrice des tiers qui se heurtaient souvent à l'insolvabilité du dirigeant. Pour
cette raison, la loi du 24 Juillet 1966 donne au conseil d'administration tous les
pouvoirs de gestion et rend inopposables aux tiers les clauses statutaires contraires
(art 98), de sorte que le dépassement des pouvoirs est sans incidence sur les tiers.
Il entraîne seulement la responsabilité des administrateurs à l'égard de la société.
Le droit sénégalais s'est inspiré
de la loi du 24 Juillet 1966. Le directeur
général dans le système classiqu~~ et chaque administrateur délégué dans le
nouveau systèmt{3) engagent la société dans les rapports avec les tiers, même s'ils
excèdent leurs pouvoirs en dépassant les limites de l'objet social ou s'ils ne
pouvaient pas l'ignorer, compte tenu des circonstances. Mais c'est à la société à en
apporter la preuve. La seule publication des statuts ne suffit pas à constituer cette
preuve.
2°) LA FAUTE DÉTACHABLE DES FONCTIONS
S'inspirant de la distinction bien connue en droit administratif entre faute
personnelle et faute de service, les juges de l'ordre judiciaire distinguent la faute de
gestion et la faute détachable des fonctions~): un dirigeant social ne pourra être
déclaré personnellement responsable d'un dommage causé dans l'exercice de ses
fonctions que s'il a commis une faute extérieure à "exécution d'un contra{5t lorsqu'il
a commis une faute personnell~6).Cette solution repose sur l'idée selon laquelle le
dirigeant social n'a pas à assumer les obligations incombant à la société, qu'il
1
O.Veaux-op.ci!.P.13
2 art. 1279 cacc.
3
art. 1292 cacc.
4
M. Marteau - Petit - op. ci!. P.272.
5 Cass. civ. 31 Mai 1978 - Bull. civ. 1. P.169 n0213.
6 Casso soc. 31 Janv. 1980 - Bull. civ. V - P.72.

454
s'agisse d'une obligation contractuelle ou de la méconnaissance d'une obligation
légal~1~ Mais il ne s'agit pas d'une jurisprudence bien assise; on note en effet, des
divergences au sein de la Cour de cassatio12~
3°) CAS DE L'ADMINISTRATEUR QUI NE FAIT PAS CONNAÎTRE
SA QUALITÉ.
Lorsque les membres du conseil d'administration n'ont pas indiqué aux tiers
qu'ils agissa',ent au nom de la société, ils engagent leur responsabilité personnelle.
De même lorsqu'ils laissent planer un doute sur leur qualité, parce qu'ils exercent à
titre personnel la même activité que \\a société, comme ce fut le cas du président-
directeur général d'une société exploitant une carrière, qui s'était présenté
expressément et comporté comme l'exploitantb). Mais ce genre de situation est rare,
car les administrateurs agissent normalement au sein du conseil et non
individuellement, en droit français, et au Sénégal dans \\e système classique. En
revanche, dans le nouveau système, cela est possible, étant donné que les
administrateurs délégués ont un pouvoir d'administration individuel.
§2. EN DROITS ANGLAIS ET AMÉRICAIN:
Les droits anglais et américain n'ont pas tout à fait la même position quant
aux rapports entre les dirigeants et les tiers. Ainsi, le principe selon lequel les
directeurs n'assument pas de devoirs à l'égard des tiers a été abandonné aux Etats-
Unis, mais il n'a jamais été contredit ouvertement en Angleterre~). Il est vrai,
cependant, qu'il perd peu à peu de son autoritE$).
1 Casso soc 21 Janv. 1972 - Bull. civ. V - PA7.
Casso soc 10 Mai 1973 - Bull. civ. V - P.268.
Dans ces espèces, le paiement des cotisations sociales est considéré comme incombant à la
société et non aux dirigeants.
2 Casso civ. 6 Mars 1973 - Rev. stés 1974 - 300.
Casso com. 4 Mai 1982 - Rev. stés 1983 - 573 note Guyon
3
Casso civ. 111- Bull. civ. "' n0194 - P.148.
4 A. Tunc - Le droit anglais des sociétés anonymes - 3è éd. P.201 n0108.
5
idem.

455
A- EN DROIT ANGLAIS:
Le tiers qui veut agir en responsabilité contre un dirigeant social doit
prouver que celui-ci avait envers lui un devoir de diligence.
La jurisprudence considère de manière générale que pour qu'un tel devoir
existe, il faut que les parties soient liées par des relations de confiance spéciale; tel
est le cas du professionnel qui en cette qualité a un devoir de diligence particulier
envers son vis-à-vis\\l~ S'agissant des directeurs, ils ne sont pas à proprement parler
des professionnel~2).En outre, lorsqu'ils agissent, c'est en qualité d'organe de la
société. C'est donc celle-ci qui doit être tenue responsable des actes et négligences
de son agen$).Ainsi, dans l'arrêt Sealand of the Pacifie v. Robert C. Mc Haffie Lt~L
un tiers avait engagé une société d'expertise pour obtenir différents conseils; l'un
des dirigeants de la société donna un conseil erroné. Le tiers intenta alors une
action contre la société et une action contre le dirigeant personnellement. \\1 fut jugé
que le directeur n'avait aucun devoir de diligence envers le tiers et que seule la
société avait le responsabilité de l'exécution des études.
Mais, en réalité, tout dépend des faits. Ainsi, dans l'arrêt Fairline Shipping
Corporation v. Adamso~),il fut jugé que le directeur avait un devoir personnel de
diligence envers le tiers. En l'espèce, il s'agissait d'une société d'entrepôts
frigorifiques. Un client y avait déposé des marchandises. Or le seul représentant de
la société sur les lieux de stockage, en l'occurrence l'un de ses directeurs, avait
négligé de vérifier la température des chambres froides, occasionnant ainsi la perte
des marchandises.
La loi, plus particulièrement l' Insolvency Act, tend elle aussi à reconnaître
que les dirigeants ont des devoirs envers les créanciers. En effet, lorsque la société
traverse une période difficile, les directeurs doivent tenir le plus grand compte de
l'intérêt des créancier~6).Témoins l'article 213 qui prévoit la responsabilité des
directeurs à l'égard des créanciers en cas de fraude, et l'article 214 qui en dispose
de même lorsque les directeurs ont maintenu la société en activité, alors qu'ils
savaient ou devaient comprendre qu'elle n'avait aucune chance raisonnable
d'éviter la liquidation pour insolvabilité.
1
E. Scholastique op. cit. P.139.
2
cf absence d'un statut professionnel.
3
E. Scholastique op. cil. P.139.
4
[1974] 51 DLR (3d) 702 cité par E. Scholastique - P.139.
5
[1974] 2 Ali ER 967.
6
E. Scholastique op. cit. P.160.

456
B - EN DROIT AMÉRICAIN:
Les Etats n'adoptent pas la même position. Certains Etats, tel le Colorado,
refusent j'action en responsabilité des créanciers contre les dirigeants sociaux.
D'après la loi du Colorado, un directeur n'est responsable qu'envers la société. Les
créanciers
ne peuvent
en conséquence
agir personnellement contre les
dirigeants~~
D'autres Etats, en revanche, admettent les actions individuelles intentées
par les tiers. Ainsi, la section 720 de la loi sur les sociétés de l'Etat de New York a
été interprétée comme donnant un droit d'action aux créancier'2).
CHAPITRE III: ETENDUE DE LA RESPONSABILITÉ DES DIRIGEANTS
SOCIAUX.
La responsabilité des dirigeants peut être individuelle ou collective. Elle
peut être écartée, atténuée ou aggravée.
SECTION 1 : RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE ET RESPONSABILITÉ
COLLECTIVE.
La direction de la société peut être le fait d'une ou plusieurs personnes. Il y aura
selon le cas, collégialité ou unité dans la directionb).
Le degré de concentration du pouvoir n'est pas sans répercussions sur la
responsabilité de son ou ses détenteur(s). Ouand le pouvoir est entre les mains
d'une personne, la responsabilité pèse naturellement sur celle-ci. Lorsque la
direction est exercée par plusieurs personnes, se pose le problème de la
détermination du ou des responsables. Pour le Professeur Champaud, "la
collégialité est un des bons moyens pour diluer les responsabilités et par
conséquent, les éluder'{4). Sans vouloir faire le procès de la collégialité - elle
présente des avantages indéniable~)- force est de reconnaître qu'elle rend difficile
l'identification des responsables.
1
cf Rosebud Corp. v. Boggio, 39 Colo. App. 84, 561 P. 2d 367 (1977)
2
1. Pasquier - op cil. P360.
3
cf supra. 1ère partie. Titre 1. Ch.2. Le degré de concentration du pouvoir de direction.
4
CI. Champaud in Actes du colloque de Rennes 29 et 30/9/83 précité P.21.
5
cf in 1ère partie - Titre 1 - Chap.2 : Le degré de concentration du pouvoir de direction.

457
Le législateur français, conscient de cette difficulté, avait par la loi du 16
Novembre 1940, imposé aux sociétés anonymes une structure plus concentrée, afin
de lutter contre la dispersion des fonctions et des responsabilité~1).
A l'heure actuelle, le président du conseil d'administration en France et le
directeur général - ou le président directeur général - au Sénégal, concentrent entre
leurs mains, sinon tous les pouvoirs de direction, du moins une bonne partie des
pouvoirs, et la loi dispose qu'ils assurent sous leur responsabilité la direction
générale. Ils ont donc une responsabilité à la mesure de leurs pouvoirs.
Le
problème
se
pose
toujours
en
ce
qui
concerne
le
conseil
d'administration, qui est un organe collégial. Dans sa sphère de pouvoirs, il peut
causer des préjudices et se pose alors la question de la détermination des
responsables. Il en est de même au Sénégal, à propos du conseil d'administration
dans le système classique et du conseil de gestion dans le nouveau système.
Egalement en Angleterre et aux Etats-Unis, où le conseil des directeurs est un
organe collégial. Le directoire en France suscite les mêmes interrogations.
A la collégialité du pouvoir correspond généralement une responsabilité
collective. Cependant, ce schéma n'est pas toujours respecté, et la responsabilité
individuelle trouve sa place non seulement dans le cadre d'une unité de direction,
mais aussi dans celui d'une direction collégiale.
SOUS-SECTION 1 : LA RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE.
Le droit commun consacre
le principe de la responsabilité individuelle :
chacun est responsable de ses actes. Bien que la référence au droit commun ait
disparu dans la loi du 29 Juillet 1985 au Sénégal~)J de même que dans la loi du
24 Juillet 1966 en Franct{3)} ce principe reste applicable aux administrateur~4J:
chaque admi nistrateur doit répondre de ses fautes à titre individuel~).
La responsabilité individuelle trouvera matière à s'appliquer principalement
lorsque les administrateurs - en France et au Sénégal - ou les directeurs - en
Angleterre et aux Etats-Unis - auront manqué à leur devoir de loyauté. C'est le cas
lorsqu'un administrateur passe avec la société, un contrat qui porte préjudice à
1
A. Tunc - op. cil. in Travaux de l'Association Henri Capitanl. T.XV P.33.
2
art. 1380 cacc.
3
art. 244 L. 1966.
4
Hémard. Terré. Mabilat - op. ci\\. P. 946 n01188.
5
De Juglart et Ippolito - op. cil. P.513 n° 729.
D. Veaux - op. cil. P. 362 n° 194.

458
celle-ci, lorsqu'un directeur détourne une chance sociale à son profit, ou ne
divulgue pas ses intérêts dans un contrat passé avec la société, lorsqu'un dirigeant
fait concurrence à sa société ou utilise à son profit une information privilégiée. Dans
ces cas, l'auteur de la faute est parfaitement identifiable et lui seul en supportera les
conséquences. Sauf si le conseil d'administration a manqué à son devoir de
diligence1.
La responsabilité, sanctionnant un devoir individuel, lui emprunte ce
caractère. Le devoir de loyauté est par excellence un devoir individuel. Comme le
souligne le Professeur Tunc - à propos des directeurs en Angleterre, mais cela vaut
aussi bien dans les autres pays objets de notre étude, "... S'ils n'ont en principe de
pouvoirs que collectivement, ils n'en assurent pas moins un devoir individuel de
loyauté et de bonne foi"2.
La responsabilité collective, elle, est liée principalement au pouvoir de
gestion. Ainsi, les manquements aux devoirs de diligence et de compétence seront
plutôt sanctionnés par la responsabilité collective de l'organe collégial.
SOUS-SECTION 2: RESPONSABILITÉ COLLECTIVE.
En France, la doctrine et la jurisprudence admettaient traditionnellement
que la faute commune des administrateurs pouvait entraîner leur responsabilité in
soJidum3. Un arrêt de la Cour de Cassation du 5 Juillet 1867 a paru affirmer
l'existence en pareil cas, d'une véritable solidarité4. Avant la loi du 24 Juillet 1966,
l'application de la solidarité se heurtait au principe de droit commun selon lequel la
responsabilité est individuelleS.
Il est certain que la suppression de la référence au droit commun par la loi
de 1966 en France, suivie en cela par la loi de 1985 au Sénégal, a ouvert la voie à
la solidarité. Cependant, celle-ci se heurte toujours au principe selon lequel la
solidarité ne se présume point6. La loi dans certains cas, l'a prévue. Ainsi, l'article
1380 al 1er cacc dispose que les administrateurs et le président du conseil
d'administration sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas.
1
A. Tunc - op. cit. P.35. Ce qu'il écrit à propos du conseil d'administration vaut également pour le
conseil des directeurs en Angleterre et aux Etats-Unis.
2
A. Tunc - Le droit anglais des sociétés anonymes. P.196 n0107.
3
Roblot - op. cil. P.954 n01369.
4
Casso co. 5 Juillet 1967 - JCP 1967 - 2 - 15245.
5
Selon l'article 44 L.1867 applicable au Sénégal avant la loi de 1985, "les administrateurs sont
responsables conformément aux règles de droit commun"
6
art. 1202 C. civ français, art. 234 cacc.

459
De son côté, l'article 244 L - 1966 dispose que les administrateurs sont
responsables individuellement ou solidairement selon le cas.
Les droits anglais et américain admettent la solidarité des membres du
conseil des directeurs1.
Mais quel est donc le fondement de la responsabilité solidaire et quelle en
est la portée?
A. FONDEMENT DE LA RESPONSABILITÉ SOLIDAIRE:
Planiol 2 justifiait la solidarité par plusieurs fondements, et notamment par la
communauté de situation juridique et la faute commune. Ces fondements pourraient
justifier la responsabilité solidaire des dirigeants sociaux. En effet, en tant que
membres d'un même organe collégial, ils sont dans la même situation juridique.
Autrement dit, le caractère collégial de la direction serait un fondement de leur
solidarité.
La faute commune peut, elle aussi, justifier la solidarité: les décisions étant
prises par l'organe collectif, si elles sont fautives, la faute pèse sur tous les
di rigeants 3 . On peut cependant, trouver injuste que des administrateurs soient
tenus responsables de décisions qu'ils désapprouvaient mais qui ont été
adoptées en vertu du principe majoritaire. Selon le Professeur Viney, la
responsabilité solidaire n'existe que parce que la répartition de la preuve de
l'imputabilité de la faute est impossible4.
Il est vrai que les décisions du conseil d'administration ne mentionnent pas
les opinions dissidentes comme cela se fait aux Etats-Unis et en Angleterre. Si tel
était le cas, l'imputabilité de la faute serait possible. Devrait-on alors individualiser
la responsabilité? Nous ne le pensons pas. D'ailleurs, aux Etats-Unis et en
Angleterre, les opinions dissidentes n'ont pas un caractère exonératoire de
responsabilité pour leur auteur lorsque le conseil a pris une décision fau~
L~rt If? ças. ~u directeur qui serait absent d'une réunion du conseil. Il peut être
exonéré lorsque la décision prise en son absence entraîne la responsabilité du
conseil, s'il a déposé un point de vue différent auprès du secrétaire de la société.
1
A. Mine - Le droit anglais des SA - P. 213 n0114.
2
Planiol- Traité de droit civil- T3 - LGDJ 1947 p.598 n01856.
3
A. Tune - op. cil. in Travaux de l'Association Henri Capitant - T.XV - P.35.
4
G. Viney - Le déclin de la responsabilité individuelle - LGDJ 1965
P.379. Pour qu'il y ait
responsabilité, il faut que le dommage résulte d'une faute commune et indivisible, de sorte qu'il soit
impossible d'évaluer la participation de chacun dans le fait collectif.

460
Le conseil d'administration, tout comme le conseil de gestion, doit en effet être
envisagé comme un bloc indivisible, conformément à son caractère collégial,
abstraction faite de ses membres. Cela explique que l'absence à une réunion du
COnSeil n'exonère pas de sa responsabilité l'administrateur ou le directe. ur, bien
qu'il n'ait pas participé à la prise de décision fautive. A moins
ql.J'iU:~}t eu des
\\
.-
~--------
--~ -
:raisons valables, voire impérieuses de s'absenter, telles que la maladie ou l'appel
sous les drapeaux\\1~
En définitive, plus que la faute commune, le fondement de la solidarité des
dirigeants nous semble être l'appartenance à un même groupemen~~ Mais on ne
peut de toute façon, dissocier ces deux fondements. En effet, le conseil
d'administration - de même que le conseil des directeurs - a un pouvoir de gestion
qu'il doit assumer de manière diligente et intelligente. A travers les décisions prises
collectivement, on peut juger du respect de ces exigences. Par conséquent, une
décision erronée constitue une faute commune, et en même temps engage les
membres du groupe du fait de la collégialité. Il en est de même du défaut de
surveillance. Lorsque, par exemple, la faute réside non pas dans la décision, mais
dans sa mise en œuvre, la responsabilité devrait peser sur l'organe d'exécution~).
Mais cela n'exclut pas la responsabilité du conseil qui peut être coupable de défaut
de surveillance, cette faute étant commune à tous les membres présents ou
absents.
B - PORTÉE DE LA RESPONSABILITÉ COLLECTIVE.
La question se pose de savoir entre quelles personnes joue la solidarité. la
délégation de pouvoirs pose aussi problème.
1°) SOLIDARITÉ ENTRE QUI?
La question se pose essentiellement dans les systèmes classiques
sénégalais et français: la solidarité concerne selon le cas les administrateurs ou les
administrateurs et leur président. Pour les autres organes collégiaux: conseil des
1
cl supra - in 2è partie - ch. 2 - sect. 2 § 1.
2
Toute proportion gardée, on pourrait faire un parallèle avec la solidarité gouvernementale.
3
L'organe d'exécution c'est en l'occurrence le président du conseil d'administration dans le système
classique français, le directeur général dans le système classique sénégalais; c'est chaque
administrateur délégué dans le nouveau système sénégalais, et le président du directoire. Le rôle
de ce dernier étant exclusivement d'exécuter les décisions prises par le directoire entre autres (cf
Roblot op. cil. P. 919 n01322).

461
directeurs, conseil de gestion, directoire, la solidarité concerne les directeurs entre
eux, les membres du directoire entre eux ... tout simplement.
a)
SOLIDARITÉ
ENTRE
ADMINISTRATEURS,
ENTRE
DIRECTEURS ...
Les articles 1380 al 1er cacc et 244 al 1er L. 1966 consacrent la
possibilité d'une solidarité entre administrateurs. Il ne faut pas y voir la solidarité
présumée dans les contrats commerciaux. D'une pan aucune présomption n'est
posée, d'autre pan la réunion des administrateurs en conseil n'est pas un co nt rat(1).
De même les droits anglais et américain admettent la solidarité des
directeurs.
b) SOLIDARITÉ ENTRE ADMINISTRATEUR ET PRÉSIDENT DU
CONSEIL D'ADMINISTRATION.
L'anicle 1380 al 1 cacc est clair: les administrateurs et le président du
conseil d'administration sont responsables individuellement ou solidairement. La
solidarité entre les administrateurs et le président est donc possible.
En revanche, l'article 244 L. 1966 ne mentionne pas le président, il
n'évoque que les administrateurs. Cependant le silence du législateur français ne
doit pas être interprété comme excluant la solidarité entre administrateurs et
président.
Il s'explique par le fait que le président du conseil d'administration est dans tous les
cas responsable puisqu'il "assume sous sa responsabilité la direction générale de
la société" (an 113 L. 1966).
Le
président du
conseil
d'administration
est-il
pour autant
solidairement
responsable avec les administrateurs ? Il est certain que lorsque le conseil
d'administration a pris une décision fautive engageant sa responsabilité, cela
concerne aussi le président puisqu'il est membre du conseil.
Le véritable problème est celui de savoir si les actes du président peuvent
entraîner la responsabilité des autres administrateurs ? Cette question est
imponante, car le président du conseil d'administration qui dirige la société risque
beaucoup plus que les autres de mettre en jeu sa responsabilité?). En fait, tout
1
Roblot - op cil P.954 n01369
2
De Juglart et Ippolito - op. cil. P.513 n0729

462
dépend des circonstances: on peut reprocher aux administrateurs un manque de
vigilance à l'endroit de leur président. Dans d'autres cas, par contre, les
administrateurs seront exonérés de toute responsabilité. Il en est ainsi lorsqu'ils
ignoraient les agissements du président, lorsqu'ils ont été victimes de fraude, ou
lorsque leurs instructions n'ont pas été suivies 1. Il en sera de même lorsque le
président oppose une résistance invincible 2.
2°) EN CAS DE DÉLÉGATION DE POUVOIRS
Comme nous l'avons vu 3 des délégations de pouvoirs ont lieu.
Ainsi, au Sénégal, le conseil de gestion peut confier à un administrateur
délégué une fonction de direction générale, ou à certains administrateurs une
mission particulière pour la gestion des affaires sociales4. En France, le président
du conseil d'administration délègue généralement une partie de ses pouvoirs au(x)
directeur général (aux)5. En Angleterre, bien qu'en principe le conseil des
directeurs ne puisse pas déléguer ses fonctions, le modèle légal d'articles (Table A
art 72) l'autorise à déléguer ses fonctions à des comités. Il peut aussi désigner un
chief executive afficer à la tête de la société par délégation de pouvoirs, celui-ci
étant soumis à son contrôle 6. Aux Etats-Unis, la délégation de pouvoirs à pris une
grande ampleur. Les afficers sont les principaux délégataires de pouvoirs et
détiennent la réalité du pouvoir de gestion 7 Notamment le chief executive officer.
Les comités, et notamment le comité exécutif, reçoivent aussi délégation de
pouvoirs et même si le comité exécutif se voit confier des tâches secondaires par le
conseil des directeurs il prépare aussi les décisions de politique et peut jouer un
rôle dominant dans la société :8
La question se pose de savoir qui est responsable lorsqur le délégataire
commet des fautes causant un préjudice?
La réponse à cette question dépend de plusieurs éléments. L'acte
préjudiciable a-t-il été commis dans l'exercice des pouvoirs délégués? Si tel est le
Casso Co. 10 Mai 1948. JCP 1949 - Il - 4937 obs- D- Bastian
Douai 12 Oct. 1961. JCP 1962 -11-12463
2
Cass erim - 1er Mars 1945 - D. 1946-129 note Cheron
3
cf Première partie - Titre 1 - Pouvoirs des dirigeants sociaux
4
art 1291 COCC
5
A Viandier Jcl - sté fax 133 A n° 147
6
A Tunc - le droit anglais des sociétés anonymes - P. 178 n° 95-97
7
Notamment le chief executive oflicer (cf supra 1ere partie - Titre 1)
8
A Tune - le droit américain des sociétés anonymes PP. 111 et s - Goebel - op-cit - P. 563

463
cas, la responsabilité du délégué et celle du délégant peuvent être toutes deux
engagées. En effet, le délégant conserve un devoir de contrôle sur le délégataire;
la faute commise par celui-ci laisse supposer qu'il y a eu défaillance dans la
surveillance du délégant. Le délégant sera donc responsable du fait d'autrui et le
délégataire responsable de son fait personnel. Il y aura solidarité entre les deux.
Cette solution peut sembler inéquitable car, en pratique, les délégataires disposent
d'une certaine autonomie; à quoi servirait-il de se décharger d'une partie de ses
fonctions s'il fallait assurer un suivi permanent?
En réalité, et c'est ce qui peut rendre plus équitable la responsabilité solidaire du
délégataire et du délégant, ce dernier peut avoir commis une faute dans le choix du
délégataire. Dès lors qu'on investit une personne d'une mission, elle doit présenter
le maximum de garanties de compétence et d'honnêteté. Aux Etats-Unis et en
Angleterre on reconnaît au délégant un droit de reliance, c'est-à-dire le droit de faire
confiance au délégataire, de se fier à son habileté et à son intégrité.
Lorsque l'acte préjudiciable a été commis hors de l'exercice de pouvoirs
délégués, et n'a aucun lien avec ceux-ci, le délégant est dégagé de toute
respon sabi lité.
Plus délicate est la situation de dépassement de pouvoirs, ,d'abus de
o pouvoirs par le délégataire. La protection des tiers qui ont pu de bonne foi~se fier à
l'apparence de légitimité de pouvoirs devrait conduire à la responsabilité solidaire
du délégant et du délégataire.
.
.
SECTION 2 : LE DEGRE DE RESPONSABILITE
La responsabilité des dirigeants connaît des degrés différents selon les
circonstances. Elle peut être atténuée, voire écartée, ou à l'inverse être aggravée.
S/SECTION 1 - EXONÉRATION ET ATTÉNUATION DE LA RESPONSABILITÉ
Les droits sénégalais et français sont beaucoup plus sévères que le droit
anglais et le droit américain.
AI SÉVÉRITÉ DES DROITS SÉN ÉGALAIS ET FRANÇAIS
Au Sénégal comme en France, la responsabilité des administrateurs,
administrateurs délégués, et membres du directoire est d'ordre public.

464
En effet, les articles 1382 COCC et 246 L. 1966 1 réputent non écrite toute
clause des statuts ayant pour effet de subordonner l'exercice de l'action sociale à
l'avis préalable ou à l'autorisation de l'assemblée générale ou qui comp()rterait par
avance renonciation à l'exercice de cette action. Ces textes disposent aussi
qu'aucune décision de l'assemblée générale ne peut avoir pour effet d'éteindre une
action en responsabilité contre les administrateurs ou le président du conseil
d'administration pour faute commise dans l'accomplissement de leur mandat.
Seules les causes légales d'exonération peuvent être retenues. La loi du 29
Juillet 1985 et la loi du 24 Juillet 1966 n'ayant rien prévu, il faut se reporter au droit
commun.
L'administrateur sur cette base peut être exonéré dans les cas suivants, cas de
force majeure et cas fortuit2 Faute de la victime 3 : en l'occurrence la société, un
actionnaire ou un tiers; absence de faute de sa part.
La jurisprudence ·française nous en donne un aperçu concret.
1°) CAS DE fORCE MA.JEURE ET CAS fORTUIT.
Est exonéré de toute responsabilité
- l'administrateur qui n'a pas été régulièrement convoqué à la séance du conseil
d'administration et qui n'a donc pas pu participer à la délibération incriminée. 4
- l'administrateur v·lctime de fraude qu'il n'était pas en mesure de déjouer. 5
- l'administrateur à qui son président directeur général refuse de communiquer les
~-renSeignements nécessa~_à_[exeLçjce sa fonction6. Certes, dans un tel cas, le
"\\
juge peut aussi décider que le dirigeant~tmie-UXfait de démissionner car il peut
y avoi r faute à conserver des fonctions qu'on n'est pas en mesure d'exercer
effectivement. 7 .
1
L'article 246 L 1966 est applicable aux membres du directoire
2
cf art 129CaCC ; art 1148 C. Civ
3
cf art 130 cacc
4
y - Guyon et Ch. de Leiris - Jcl - Sté fasc 132 - n° 115
5
Cass - co - 10 Mai 1948 - JCP 1949 - Il 4937 note Bastian
6
Cass - Co - 2 Juill. 1985 - JCP 1985 - Il 20518 note A. Viandier
7
Aix 3 Fev. 1966 JCP 1966 - 1 - 14861

465
2°) FAIT DE LA SOCIÉTÉ, DES ACTIONNAIRES OU DES TIERS.
a) FAIT DE LA SOCIÉTÉ
La société étant une personne morale ne peut agir que par le biais de ses
représentants qui se trouvent être ses dirigeants plus précisèment certains d'entre
eux. L'hypothèse serait donc la suivante: les administrateurs étant actionnés en
responsabilité cherchent à se dégager en invoquant la faute du président du conseil
d'administration en France, du directeur général au Sénégal.
La jurisprudence française reconnaît la responsabilité civile des personnes
morales et l'article 121-2 du nouveau code pénal reconnaît leur responsabilité
pénale - Ce texte dispose: «les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat sont
responsables pénalement..., dans les cas prévus par la loi ou le réglement des
infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants .. ».
La mise en cause de la société aura pour conséquence d'affaiblir la
responsabilité des dirigeants sociaux.
b) FAIT DES ACTIONNAIRES
L'hypothèse
est
la suivante
: poursuivi
en
responsabilité
par des
actionnaires, les dirigeants pour se dégager, invoquent la faute des actionnaires,
par exemple, le fait que l'assemblée générale a autorisé une opération spéculative
interdite par les statuts1. Seulement, puisque \\'on évoque la faute de la victime, cela
suppose que l'action est diligentée par des actionnaires sur la base d'un préjudice
individuel (action individuelle) 2 . Or comment auraient-ils pu prendre une décision
leur portant préjudice? Vraisemblablement, ce sont d'autres actionnaires qui ont
pris de telles décisions et non les demandeurs. Dans ce cas, les dirigeants peuvent-
ils se prévaloir du fait de la victime? Cela serait injuste puisque l'auteur âe la faute
et la victime sont des personnes différentes. Mais encore faudrait-il que le
demandeur, autrement dit la victime, en apporte la preuve. En tant que demandeur,
il doit supporter la charge de la preuve 3 . Mais la preuve qu'il n'a pas voté la
décision fautive n'est qu'une réponse à une allégation du dirigeant social qui
y Guyon - Ch. de Leiris - Jc!. Stés - fasc132 ne. 121
2
Y. Guyon - Ch - de Leiris - Jcl - Stés - fasc132 n" 121
3
La preuve que le dirigeant lui a causé un préjudice

466
pourrait dès lors se voir appliquer la règle «Reus in excipiendo fit actor» et avoir en
conséquence à prouver le fait de la victime, en l'occurrence le ou les actionnaires
demandeurs. Cette preuve sera facilitéesi la décision fautive a été prise à l'unanimité
des actionnaires parmi lesquels la victime, demandeur à l'action. Mais la règle de
l'unanimité n'est pas de mise dans la société anonyme.
En définitive, le fait de l'actionnaire ne permettra pas facilement l'exonération
de responsabilité des dirigeants.
c) LE FAIT DES TIERS.
Nous avons vu qu'au Sénégal comme en France, les administrateurs et le
président du conseil d'administrationb) sont responsables envers les tiers. Seront-ils
exonérés en cas de faute du tiers auquel ils ont porté préjudice?
Les hypothèses en la matière nous semblent plutôt théoriques. Il y a bien le cas où
le dirigeant aurait excédé ses pouvoirs et que les tiers le savaient ou du moins ne
pouvaient l'ignorer.
Il y aurait aussi le cas où le tiers est un banquier ayant dispensé un crédit
"déraisonnable". Les dirigeants pourront-ils invoquer la faute du banquier pour
s'exonérer? Le doute est permis, car même si la responsabilité du banquier est
engagée, elle n'exclut pas pour autant celle du dirigeant incriminé.
Cependant, le tribunal de commerce de Roubaix a atténué la responsabilité des
administrateurs, en raison de la faute des créanciers?)
3°) ABSENCE DE FAUTE.
Les administrateurs peuvent s'exonérer de leur responsabilité en prouvant
que leur gestion, même dommageable, n'est pas fautive, parce qu'ils ont agi dans
les limites de leur mission en tenant compte de l'intérêt social et qu'ils ont déployé
la diligence requise~). Sont le plus souvent invoquées comme preuve d'absence de
faute: l'absence, la protestation, la démission, la bonne foi. L'absence, pour être
exonératrice, doit être justifiée par une raison sérieuse telle que la maladie. Les
1
art. 1380 cacc applicable selon nous aux administrateurs délégués
art. 244 L. 1966 applicable au directoire.
2
Tr. Co. Roubaix - 26 Sept 1956 - P.1957 - 10 note Garé.
Les créanciers furent jugés coupables d'imprudence, car s'étant basés uniquement sur la
solvabilité de la famille du débiteur, ils n'avaient pas demandé de garantie personnelle aux
administrateurs.
3
Rouen -10 Févr 1972 - GP 1972 -1 - 350.

467
protestations doivent être mentionnées au procès-verbal. La démission doit avoir un
juste motif.
La bonne foi n'exonère pas, mais peut atténuer la responsabHit€{1)
En revanche, n'est pas exonératrice l'absence non justifiée par un motif valable
c'est au contraire une faute de négligence. L'abstention au vote n'est pas une
protestation. La démission intervenue à contre-temps ou de mauvaise foi peut
engager la responsabilité de l'administrateur.
La bonne foi n'exonère pas de la responsabilité, car la négligence équivaut à une
faute involontaire. L'inexpérience en principe n'est pas une cause d'exonération,
mais compte tenu des circonstances, le tribunal peut sur cette base, atténuer la
responsabilité.
B - EN DROIT ANGLAIS:
Il convient d'envisager d'une part l'atténuation de responsabilité par les tribunaux
lorsque l'assemblée générale a eu à se prononcer en ce sens, et l'allègement de
responsabilité directement par les tribunaux en l'absence de toute décision de
l'assemblée générale.
1°) ATTÉNUATION DE LA RESPONSABILITÉ PAR LES JUGES EN
PRÉSENCE D'UNE DÉCISION DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE.
"Le point de savoir quelles violations des obligations de fiducie peuvent être
ratifiées par la société est une des questions les plus difficiles du droit anglais'~), Ce
point de vue de Monsieur Martin s'appuie sur la divergence apparente de certains
arrêts. Une clarification est cependant possible par l'analyse du fondement des
décisions qui acceptent "l'absolution" par l'assemblée générale et de celles qui au
contraire, la refusent.
1
Y. Guyon, Ch. de Leiris - op. cil. n° 123 ets
2
J.Y. Martin - op. cil. P.188.

468
a)
DÉCISIONS
ACCEPTANT
"L'ABSOLUTION"
PAR
L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE.
Cette "absolution" peut revêtir deux formes:
1) L'assemblée générale décide de ne pas poursuivre un
directeur qui encourt une responsabilité.
Ce fut le cas dans l'affaire Pavlides v. Jenserf,J} Ce procédé fut accepté par les
juges. L'assemblée générale avait renoncé à poursuivre des directeurs qui avaient
vendu un bien social à un prix nettement inférieur à sa valeur. Pourtant, la Chancery
Division débouta l'actionnaire qui intentait l'action sociale contre les directeurs par
l'application du principe de l'arrêt Foss v. Harbottle.
2) L'Assemblée générale relève les directeurs de certains de
leurs devoirs.
Cela fut accepté par les juges dans l'affaire Boulting v. Ass'n of Cinematograph
Television and A/lied Techniciandf). Lord Upjohn déclara que la règle qui interdit à
un directeur de se placer dans une situation conflictuelle entre son devoir et ses
intérêts peut être assouplie par son bénéficiaire, en l'occurrence la société. Dès
lors, celle-ci peut dans ses articles, permettre aux directeurs de passer avec la
société un contrat dans lequel ils ont un intérêt. Les articles peuvent aussi permettre
aux directeurs d'assister aux réunions du conseil et de voter sur un projet de contrat
dans lequel ils ont un intérêt, à condition qu'ils divulguent leur intérê$).
On l'admit aussi dans l'affaire North West Transportation co; Ltd. v. Beatt~} Le sieur
Beatty, directeur de la société, voulait vendre à celle-ci un navire dont il était
propriétaire. L'assemblée générale approuva le contrat de vente conclu par le
conseil des directeurs. Le vote de Beatty (191 voix) eut beaucoup de poids dans
cette approbation (306 voix en faveur du contrat, 289 contre). Le Privy Council jugea
que la résolution avait été valablement ratifiée par l'assemblée générale. Il déclara
notamment qu'une opération dans laquelle un directeur a un intérêt personnel qui
1
[1956] ch. 565 - cité par J.Y. Martin - P.188.
2
[1963]2 - OB - 606 (CA) cité par S. MAze - P.125.
3
S. Maze - op. cil. PP. 125-126.
4
[1887]12 App. Cas. 589 (P.C.) cité par S. Maze P.127.

469
est ou pouvait être en conflit avec les intérêts de ceux envers lesquels il a un devoir
fiduciaire, peut être autorisée ou ratifiée par la société, à condition que cette
autorisation ne soit pas obtenue par des moyens déloyaux ou irréguliers et ne soit
ni illégale, ni frauduleuse, ni oppressive à l'égard des actionnaires qui s'y opposent.
Cette attitude favorable des juges peut en l'espèce, se justifier par un désir de non
ingérence de ce qu'ils considéraient comme étant une question de politique
sociale 1.
b)
DÉCISIONS
REFUSANT
"L'ABSOLUTION"
PAR
L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE.
Ce fut le cas dans l'affaire Cook v. Deeks2 , où la Cour estima que les actionnaires
majoritaires ne pouvaient s'approprier un bien appartenant en equity à la société,
au détriment de la minorité, alors même que l'assemblée générale avait pris une
résolution aux termes de laquelle les contrats n'intéressaient pas la société. Cette
décision s'explique par le fait que les deux administrateurs qui avaient négocié et
conclu le contrat pour eux-mêmes et non pour la société, avaient, lors de
l'assemblée générale, utilisé leur voix, qui était majoritaire. En l'espèce, ces
directeurs-actionnaires avaient "confisqué" un contrat négocié au nom de leur
société, ce que le Privy Council avait assimilé à une fraude. Fraude contre la société
et la minorité et l'on ne saurait admettre que l'assemblée ratifie une fraude.
De même, dans l'affaire Atwool v. Merryweather3, le juge déclara qu'une
résolution de l'assemblée générale ne peut absoudre des directeurs qui ont agi
dans leurs propres intérêts ou ceux d'un tiers au détriment de la société. Il s'agissait
en l'espèce d'un contrat passé entre deux directeurs et leur société, ils auraient par
ce contrat réalisé secrètement un profit au détriment de la société.
2°) ATTÉNUATION DE LA RESPONSABILITÉ À L'INITIATIVE DU
JUGE
EN
L'ABSENCE
DE
DÉCISION
DE
L'ASSEMBLÉE
GÉNÉRALE.
L'article 727 du Companies Act
1985 permet au tribunal d'absoudre
totalement ou partiellement un dirigeant qui a agi honnêtement et raisonnablement
1
S.MAze-op.cit.P.128
2
1916. lAC. 554, P.C. cité par J.V. Manin op. cil. P.189.
3
[1867] L. R 5 Eq. 464 n.

470
et qui, eu égard à toutes les circonstances y compris celle de sa nomination mérite
d'être absous.
A été ainsi atténuée la responsabilité d'un directeur qui,
conformément à une pratique établie, retirait une somme mensuelle de la société
dans l'attente de la rémunération qui serait votée pour lui à la prochaine assemblée
générale. Par contre cette atténuation de responsabilité ne fut pas accordée à un
directeur qui recevait des avances sur son salaire d'un montant supérieur à celui
préscrit par la conseil des directeurs 1 . Elle fut aussi refusée à un directeur qui, bien
que non coupable d'une malhonnêteté, avait injustement reçu et conservé de
l'argent et des biens de la société.
Le tribunal n'a pas le pouvoir d'atténuer la responsabilité en cas de faillite
parce que les éléments stricts et spécifiques de la responsabilité des directeurs
pour faillite sont incompatibles avec les critères souples de conduite requise d'un
directeur pour une exonération dans les dispositions législatives générales2.
La doctrine anglaise a émis des propositions. Selon le professeu r
Pennington, une assemblée générale d'actionnaires ne peut par avance exempter
un directeur de ses devoirs fiduciaires et du devoir de prudence qui lui sont imposés
par la loi, ni l'exonérer de responsabilité pour une violation de tels devoirs. En
revanche, "assemblée générale peut valablement alléger ou décharger un
directeur de sa responsabilité pour violation déjà commise d'un devoir, car ce
pouvoir d'exonération est le corollaire nécessaire du pouvoir de l'assemblée
générale de décider qu'aucune action en justice ne sera intentée pour de telles
violations 3. On peut effectivement considérer que, dès lors que le devoir a été violé,
l'assemblée générale peut mesurer la gravité du dommage ce qu'elle ne peut faire
à l'avance.
Le
Professeur
Gower,
à propos du détournement d'une chance
économique, propose de distinguer entre l'appropriation d'un bien et l'obtention
d'un simple profit incident. Le premier n'étant pas ratifiable, le second l'étant4.
Monsieur Beck s'oppose à cette distinction. Ce qui importe selon lui, c'est la
bonne foi des dirigeants5. Mais chacun sait combien cet élément moral est difficile à
apprécier. Certes, dans certains cas, la mauvaise foi apparaît clairement; c'est le
cas de lafraude6. Mais c'est une hypothèse plutôt rare. D'autre part, la bonne foi
1
Pennington - op-cit P. 604
2
Re Produce Marketing Consortium Lld (1989) 3 ALL ER 1 cité par Pennington op. cil. p.60S.
3
Pennington - op-cit P. 603
4
Gower - op. cil. 4è éd - P.617.
S
cité par J.Y. Martin - op. cil. P.192.
6
cf S. Maze - op cil. P131

471
n'exclut pas la dangerosité de l'acte. Tel est le cas de la négligence: la personne
négligente bien qu'étant de bonne foi peut causer à la société des dommages aussi
graves que l'auteur d'une fraude et "on peut regretter que la négligence puisse être
ratifiée par l'assemblée générale 1.
En fait, nous touchons au problème de savoir s'il faut tenir compte en priorité
du dommage ou de la faute.
L'assemblée générale tient compte des conséquences d'une action en
justice contre les dirigeants: d'une part les frais de justice sont élevés, d'autre part,
il peut en résulter une publicité fâcheuse pour la société. Enfin, une telle action est
aléatoire, compte tenu des réticences des juges à s'immiscer dans les problèmes
de gestion sociale. Cet ensemble de considérations peut rendre l'action en justice
inopportune alors qu'elle serait justifiée.
C - EN DROIT AMÉRICAI~):
On assiste depuis une dizaine d'années - en 1986 - à des mesures
destinées à limiter la responsabilité des directeurs. Parmi celles-ci, les dispositions
législatives éliminant ou limitant la responsabilité des directeurs.
L'Etat de Delaware fut le précurseur en la matière, en adoptant en 1986 une loi
permettant aux sociétés anonymes de stipuler dans leurs statuts, l'élimination ou
l'atténuation de la responsabilité pécuniaire des directeurs en cas de violation de
leurs devoirs, mais cette liberté rencontre des exceptions. On ne saurait éluder la
responsabilité des directeurs qui:
- ont violé leur devoir de loyauté envers la société ou ses membres
- sont coupables d'agissements ou d'omissions de mauvaise foi
- se sont mal conduit délibérément
- ont violé la loi en connaissance de cause
- ont fait des distributions illégales
- se sont livrés à des transactions leur ayant rapporté un profit malhonnête.
Ces dispositions sont reprises par quinze Etats : Arizona, Colorado,
Idaho,lowa, Kansas, Louisiana, Massachussetts, Michigan, Minnesota, Oklahoma,
Oregon, Rhode Island, South Dakota, Utah, Wyoming.
En définitive, la limite principale réside dans la respect du devoir de loyauté qui est
1
S. Maze - op cil. P. 131.
2
J. Hanks Recent State Legislation on 0 & 0 Liability Limitation Bus - Lawy vol 43 n04. August
1988.

472
comme on le sait, primordial aux Etats-Unis.
S/SECTION 2 : AGGRAVATION DE LA RESPONSABILITÉ
L'aggravation de la responsabilité peut prendre plusieurs formes:
La faute commise par le dirigeant est si grave qu'elle est sanctionnée
pénalement.
Le droit français des sociétés est marqué, depuis la loi du 24 juillet 1966, par
une inflation pénale 1. La loi du 29 juillet 1985 au Sénégal est allée dans le même
sens. Mais celle du 10 Février 1993 a apporté de notables assouplissements.
L'exposé des motifs les justifie par le fait que l'arsenal répressif initialement mis en
place présentait un caractère dissuasif pour tout investisseur potentiel.
En Angleterre et aux Etats-Unis, la gravité et l'ampleur de certains délits tels
que le délit d'initié, ont conduit à leur pénalisation 2 .
Cependant, une étude exhaustive des infractions pénales est quasiment
impossible ...
Nous voudrions axer notre réflexion sur une autre hypothèse d'aggravation
de la responsabilité des dirigeants sociaux qui est celle où la société fait l'objet de
procédures collectives. Avant d'en étudier les manifestations, il importe de
s'interroger sur le fondement de l'aggravation de la responsabilité des dirigeants
sociaux.
A - FONDEMENT DE L'AGGRAVATION DE LA RESPONSABILITÉ
DES DIRIGEANTS SOCIAUX DANS LE CADRE DES PROCÉDURES
COLLECTIVES.
L'échec de la société, est aussi, celui de ses dirigeants. En effet, on ne
devient pas dirigeant de société contre son gré. Ayant accepté d'exercer cette
fonction, il faut en assumer les conséquences. La "faillite" de la société est lourde
de conséquences économiques et sociales. N'est-il pas dès lors naturel de
demander des comptes à ceux qui en avaient la charge? Le fondement de leur
responsabilité serait alors le risque: risque-profit et risque généré par l'entreprise.
Le fondement de la responsabilité du dirigeant est dans nombre de cas sa
faute. Celle-ci prend différentes formes. Il peut s'agir d'un manque de diligence.
] Cozian Cl Vianclicr - Op-Cil-P. 273 n° 751
2 cr supra - Ch. 1

473
Ainsi, l'article 1027 al 3 COCC, à propos de l'action en comblement du passif,
permet aux dirigeants de dégager leur responsabilité s'ils font la preuve qu'ils ont
apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la diligence nécessaires.
La faute peut être aussi la malhonnêteté, la fraude.
Ainsi, en Angleterre, l'Insolvency Act 1986 prévoit des infractions pénales qui
traduisent toutes cet aspect de malhonnêteté. On peut citer l'article 206 qui punit
d'une pei ne de prison le dirigeant qui, prévoyant la mise en liquidation de la
société, a dans les douze mois précédant celle-ci, détourné des biens de la société
ou falsifié ses écritures. L'article 207 qui vise le dirigeant qui dans les cinq ans
précédant la mise en liquidation a agi en fraude des droits des créanciers,
notamment en donnant des biens de la société ou en les dissimulant. On peut citer
aussi:
L'article 211 qui vise le dirigeant ou ancien dirigeant ayant fait aux créanciers une
déclaration inexacte ou commis une fraude en vue d'obtenir le consentement des
créanciers ou de certains à un accord ayant trait aux affaires sociales ou à la
liquidation.
Au Sénégal, des actes aussi malhonnêtes que le fait de disposer des biens
sociaux comme des siens propres constituent une cause d'extension des
procédures collectives (art - 1028 COCC).
En France, également, le fait d'utiliser les biens ou le crédit de la société
contrairement à l'intérêt de celle-ci est une cause de déclaration personnelle de
redressement judiciaire.

474
B
MANIFESTATIONS
DE
L'AGGRAVATION
DE
LA
RESPONSABILITÉ
DANS
LE
CADRE
DES
PROCÉDURES
COLLECTIVES.
L'aggravation de responsabilité se manifeste de plusieurs manières
1°) LA PRÉSOMPTION DE RESPONSABILITÉ DANS LE CADRE DE
L'ACTION EN COMBLEMENT DU PASSIF.
Au Sénégal, l'article 1027 COCC dispose: «Lorsque le règlement judiciaire
ou la liquidation des biens fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut
décider à la requête du syndic ou même d'office que les dettes sociales seront
supportées en tout ou partie, avec ou sans solidarité par tous les dirigeants
sociaux ... Pour dégager leur responsabilité, les dirigeants impliqués doivent faire la
preuve qu'Ils ont apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la
diligence nécessaires". Cette disposition fait donc peser sur les dirigeants sociaux
une présomption de responsabilité comme le faisait l'article 99 de la loi du 13 Juillet
1967 en France.
2°)
L'EXTENSION
DE
LA
PROCÉDURE
AUX
DIRIGEANTS
SOCIAUX
Bien que n'étant pas commerçants, les dirigeants peuvent se voir appliquer
la procédure collective. Tel est le cas lorsqu'ils n'ont pas été en mesure d'exécuter
leur condamnation au comblement du passif 1.
Les causes de cette mesure sont proches en droits sénégalais et français.
Il s'agit au Sénégal des cas suivants:
- le dirigeant a exercé une activité commerciale personnelle, soit par personne
interposée, soit sous le couvert d'une personne morale masquant ses agissements.
- le dirigeant a disposé des biens sociaux comme de ses biens propres
- le dirigeant a poursuivi abusivement dans son intérêt personnel, une exploitation
déficitaire qui ne pouvait que conduire à la cessation des paiements de la personne
morale.
:<' /
On retrouve ces cas en France. Il s'y ajoute: le fait d'avoir fait des biens ou
, ,/:O\\':~dU crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins
'0
,~
'v
'il
- - - - - - - - - - -
\\
1 art I02R cace - art IRI L - \\<JRS

475
du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins
personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans
laquelle il était intéressé directement ou indirectement.
- le fait d'avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître les documents
comptables de la personne morale ou s'être abstenu de tenir une comptabilité
conforme aux règles légales.
- le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou d'avoir
frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
Il s'y ajoute depuis la loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et
au traitement des difficultés des entreprises:
- le fait d'avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au
regard des dispositions légales. Il y a là un élargissement de l'incrimination
concernant la tenue de la comptabilité.
3°) A TRAVERS LA SAISINE DU TRIBUNAL
Il est certain que plus le nombre des person nes pouvant intenter les actions
est g rand, plus les dirigeants risquent d'être condamnés. C'est le cas en France.
L'article 183 L - 1985 permet au tribunal de se saisir d'office; il peut être aussi saisi
par l'administrateur, le représentant des créanciers, le commissaire à l'exécution du
plan, le liquidateur ou le procureur de la République l . Comme l'observe le Doyen
Roblot, la saisine d'office et la saisine par le procureur de la République en
particulier démontrent que la contribution des dirigeants au passif peut être utilisée
dans certains cas à titre de sanction et non pas seulement de réparation. Elle
permet notamment au tribunal de prononcer une condamnation supérieure à celle
qui lui serait demandée par un organe de procédure2
De même en Angleterre, si durant la liquidation d'une société, il apparaît
qu'un dirigeant ayant participé à la gestion sociale a retenu ou détourné de l'argent
ou un bien de la société, le tribunal saisi par l'official receiver, le liquidateur, un
créancier, ou un contributory, peut après examen de la conduite du dirigeant,
l'obliger à restituer ou à contribuer à l'actif en compensation de la violation de ses
devoirs et dans la mesure où le tribunal l'estime équitable3.
)/ Au Sénégal, le Tribunal peut décider d'office ou à la requête du Syndic de
~
1 Comp. avec la mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants (supra in Chap.Il)
2
Roblot op. cil. p.l 162 n03nX.
3 Insolvency Acl 19X6 - an 112

476
4°) A TRAVERS LES SANCTIONS
Il peut s'agir de sanctions patrimoniales. C'est le cas de la condamnation du
dirigeant à payer tout ou partie du passif social et de l'extension de la procédure
collective au dirigeantl. Dans ces cas il est fait abstraction de la personnalité morale
de la société, ce qui constitue une marque de sévérité.
Les sanctions peuvent être d'ordre extra-patrimonial. C'est le cas des
interdictions et déchéances comme nous l'avons vu précédemment 2.
Il s'agit aussi de la banqueroute: c'est une infraction pénale. Au Sénégal on
distingue entre la banqueroute simple et la banqueroute frauduleuse. Cette
distinction n'a plus cours en France depuis la réforme de 1985. Il faut préciser qu'au
Sénégal, les dirigeants sociaux ne sont pas à proprement parler frappés de
banqueroute - celle-ci étant réservée aux commerçants personnes physiques - mais
plutôt coupables de «délits assimilés à la banqueroute". Les sanctions sont les
mêmes3 ; toutefois la banqueroute simple facultative n'a pas d'équivalent dans le
groupe des délits assimilés, par conséquent le prononcé de la peine est toujours
obligatoire. 4
En France, par contre, la loi du 25 Janvier 1985 frappe les dirigeants de
banqueroute au même titre que les commerçants personnes physiques
A Sénégal, on peut citer à titre d'exemple de délits assimilés à la
banqueroute simple: les engagements trop importants de la société, eu égard à sa
situation, sans contrepartie ; l'omission de la déclaration de cessation des
paiements au greffe du tribunal compétent dans le délai de 15 jours.
Sont assimilés à la banqueroute frauduleuse: (entre autres) le détournement ou la
dissimulation d'une partie de son actif.
En France parmi les cas de banqueroute, on relève: le fait d'avoir détourné
ou dissimulé tout ou partie de l'actif du débiteur.
1
Cr. Supra 1°) et 2°)
2 cr in J ère partie - Titre 2 - Ch. J - SecL. 2 - ~ 1 B - 1°) Protéger la société: les interdictions et déchéances.
J L'articlc 1054 COCC renvoit aux articles 376 il 37X du code pénal
4 D. Martin - op-ciL. P. 235 n° 1Cl 19

477
CONCLUSION DU TITRE 2
Au terme de cette étude consacrée à la responsabilité des dirigeants
sociaux, il convient de s'interroger sur l'efficacité de cette responsabilité. Il est
certain qu'aucun des pays que nous avons observés ne possède un régime de
responsabilité entièrement satisfaisant. La fréquence des réformes en ce domaine
et souvent l'incertitude des solutions en sont la preuve.
Observons plus précisément le cas du Sénégal.
L'efficacité de la
responsabilité dépend de sa capacité à répondre à ses fonctions de réparation, de
prévention, de répression.
S'agissant de la réparation, les dirigeants ne sont pas toujours solvables de
sorte que cet objectif n'est pas toujours atteint. Les actions de garantie ne
présentent pas une grande utilité - d'où leur suppression en France. Il y a bien le
cautionnement, mais en pratique tous les créanciers sociaux n'exigent pas - et c'est
compréhensible - la caution des dirigeants.
S'agissant de la répression, elle pourrait porter ses fruits si les poursuites
étaient effectivement engagées. Au Sénégal on observe une grande inertie de la
part du parquet. Les créanciers sociaux quant à eux ont une préférence marquée
pour les règlements amiables. Nombreux sont les procès-verbaux de conciliation
qui mentionnent que "x ... (généralement une banque) transforme sa demande en
liquidation des biens contre Y.. (représentant légal d'une société) en demande de
paiement de la somme de ... "
On ne saurait passer sous silence les mesures de sûreté telle que notamment
l'interdiction de diriger une société. c'est à priori, une mesure très louable qui
devrait empêcher le dirigeant de se trouver à nouveau à la tête d'une entreprise
après avoir fait la preuve de son incompétence, voire de sa malhonnêteté. Mais
l'efficacité des mesures de sûreté dépend d'une bonne organisation du registre de
commerce. Celui-ci n'enregistre pas toujours ces interdictions, de sorte que le
dirigeant interdit peut à nouveau se remettre dans le circuit des affaires.
Si la responsabilité ne joue pas pleinement son rôle de réparation et de
répression, elle perd de beaucoup son caractère préventif...

478
CONCLUSION GENERALE
Cette étude consacrée à la direction des sociétés anonymes en droit
sénégalais comparé aux droits français, anglais et américain révéle si besoin était
l'importance du problème de la direction des sociétés anonymes. Ce qui explique
les nombreuses réflexions et les mouvements de réforme qu'elle suscite dans les
pays observés. Les Princip/es of Corporate Governance, le Corporate Directors'
Guidebook aux Etats-Unis, le rapport Cadbury en Angleterre, la loi Madelin (n 0 94 -
126 du 11 février 1994) en France, en sont une illustration.
Le législateur sénégalais a accordé une importance particulière à la direction
de la société anonyme dans la loi na 85-40 du 29 Juillet 1985 portant code des
sociétés commerciales au Sénégal. C'est en ce domaine que l'on trouve les
innovations majeures par rapport au droit antérieur. La dualité de la direction en est
une. Dans le système classique : le pouvoir de direction est concentré entre les
mains d'une personne; le directeur général ou le président directeur général en cas
de cumul entre le mandat de président du conseil d'administration et celui de
directeur général. Dans le nouveau système, le pouvoir de direction est exercé par
plusieurs administrateurs délégués. Le législateur sénégalais n'indique pas sa
préférence, il laisse la liberté de choix entre l'un ou l'autre système.
En pratique très peu de sociétés ont adopté la nouvelle forme de direction. Sans
doute parce qu'elle est encore méconnue.
Quant au statut des dirigeants sociaux, le législateur sénégalais adopte trois
types de révocation: la révocation ad nutum, la révocation pour justes motifs, et un
système que nous avons qualifié d'intermédiaire, inspiré du droit anglais et qui
présente bien des avantages.
La révocation des dirigeants sociaux est une question à l'ordre du jour aux
Etats-U nis, en Grande-Bretagne et en France, où les révocations brutales des
dirigeants sociaux ont défrayé la chronique. Tout se passe comme si les dirigeants
étaient tenus à une obligation de résultat. La compétence est de plus en plus exigée
des dirigeants et l'introduction de directeurs professionnels dans les conseils de
direction a été préconisée dans le rapport Gilson-Kraackman aux Etats-Unis.
Le législateur sénégalais ne requiert pas des dirigeants sociaux une
qualification particulière, cependant l'efficacité de la direction fait partie de ses
préoccupations. Ainsi la loi na 93-07 du 10 Février 1993 a supprimé les limites au
cumul de mandats sociaux d'une part et celles du cumul d'un mandat social avec un
contrat de travail d'autre part. Ceci afin que les dirigeants puissent mettre leur

479
expérience et leur compétence au service de plusieurs sociétés. Nous sommes
favorables au cumul d'un mandat social avec un contrat de travail compte tenu de
ses nombreux avantages pour la société et pour l'entreprise et en raison de la
promotion des salariés qu'il réalise; nous trouvons par contre excessif de libéraliser
le cumul des mandats sociaux car le dirigeant risque de manquer de disponibilité
pour se consacrer à ces différentes sociétés et d'autre part il risque fort de se trouver
dans des situations de conflits d'intérêts mettant à rude épreuve son devoir de
loyauté.
Le devoir de loyauté a été imposé expressément aux administrateurs
délégués dans le nouveau système de direction mais il existe aussi dans le système
classique - Ce grand principe domine les droits anglais et américain, et à lui seul
vaut bien des réglementations.
A une époque où la coopération entre les nations et l'harmonisation de leurs
législations est de plus en plus recherchée, il est heureux de constater que des
pays géographiquement, économiquement et culturellement éloignés se rejoignent
sur les grands principes.
Mais le principe ne suffit pas. Il faut compter sur les hommes. Le choix des
dirigeants sociaux en l'occurrence, nous est apparu fondamental. L'avenir de la
société dépend pour beaucoup de ceux qui en ont la charge. Il faut au navire un
bon capitaine qui puisse le conduire à bon port et non à la dérive. Pour ce faire, les
citoyens de la société que sont les actionnaires doivent participer activement à ce
choix au cours d'élections transparentes et démocratiques. Leur choix doit être
éclairé par des informations sur les candidats. On a vu aux Etats-Unis et en
Angleterre, le rôle que jouent en la matière les comités de nomination et le PRO
NED en Angleterre.
A ces hommes ainsi choisis librement et en connaissance
de cause, il
reviendra d'exercer leur fonction avec intérêt et désintéressement, en ayant le sens
des responsabilités.
Ni
la crainte d'être révoqué,
ni celle d'engager sa
responsabilité ne doit motiver le dirigeant social. Dans l'accomplissement de sa
mission, son guide, son étoile)doit être son devoir. Il doit faire sienne cette réflexion
d'un grand philosophe. "Je ne connais que deux belles choses dans l'univers le
ciel étoilé sur nos têtes et le sentiment du devoir dans nos coeurs» (E. Kant -
Critique de la raison pratique).

480
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ALI : American Law Institute
ALL E. R. : Ali England Reports
Art. : article
Bull. Civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation ,Chambres civiles
Bull. com. nat. cptes : Bulletin national des commissaires aux comptes
Bull. Joly: Bulletin Joly
Bus Law: The Business Lawyer
C. Civ. : Code civil français
Civ. : Arrêt de la Chambre civile de la Cour de Cassation française
COB: Commission des opérations de bourse
COCC : Code des obligations civiles et commerciales
Com. : Arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation française
D. : Dalloz
GP : Gazette du Palais
ISC : Institutionnal Shareholders'Commitee
J.c1.Stés. : Juriclasseur des Sociétés
JCP: : Semaine Juridique, édition générale
JCP éd E : Semaine Juridique, édition Entreprise
J. O. : Journal officiel français
JORS : Journal officiel du Sénégal
MBCA : Model Business Corporation Act
OPA : Offre publique d'achat
i .
1 ~'
Il'
OPE: Offre publique d'échange
.,
P.A. : Les Petites Affiches
Préc. : précité
Rev. fr. compt. : Revue 'française de comptabilité
Rev.Jur.Co : Revue de Juriprudence commerciale
Rev. Stés. : Revue des sociétés
R.D.A.\\. : Revue de droit des affaires internationales
R.\\.D.C. : Revue internationale de droit comparé
R.T.D.Co : Revue trimestrielle de droit commercial

1
TABLE DES MATIERES
Pages
INTRODUCTION..............
1
PREMIERE PARTIE: ORGANISATION DE LA DIRECTION...............................
6
TITRE PREMIER: LES POUVOIRS DES DIRIGEANTS SOCiAUX..................
7
CHAPITRE PREMIER: LA REPARTITION DES POUVOIRS.............................
9
Section 1 : Répartition légale des pouvoirs...........
9
§ 1. Le système classique sénégalais comparé aux systèmes
français, anglais et américain.............................................................
9
1. Le systéme classique sénégalais comparé au système français.......
9
A. Le conseil d'administration: convergence en droits sénégalais et
français
9
1. Enoncé des pouvoirs....................................................................
9
a. Mission générale
10
b. Pouvoirs spéciaux
11
2. Limites aux pouvoirs.....................................................................
12
a. L'objet social...
12
b. Les pouvoirs de l'assemblée générale.........
13
c. Restrictions statutaires
:#
.. ~~~.
14
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B. Le président du conseil d'administration et le directeur ~~i1'er-aIOUIà''-\\/'\\
divergence sur la direction générale en droit Sénégala\\~~e~~.) ~~
1. Le detenteur du pouvoir de direction generale
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e
Irecteur genera en
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~ ..~~
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-:..' \\'! .....
b. Le président du conseil d'administration en droit .franq;aiS;~::> 17
2. Le président du conseil d'administration au SénégaL...............
18
a. Rôle de contrôle...........................................................................
18
b. Le président -directeur général en droit sénégalais.............
22
II. Le système classique sénégalais comparé aux systèmes anglais et
américain
22
A. Conseil d'administration et Boards of Directors
24
1. Le conseil d'administration comparé au Boards of Directors en
droit anglais.........................................................................................
25
2. Le conseil d'administration comparé au Boards of Directors en
droit américain
25

Il
B. Président du conseil d'administration et Chairman af the Baard.
Directeur général et Chief executive afficer (CEO)
28
1. Le président du conseil d'administration comparé au
Chairman af the Baard...................................................................... 28
2. Le directeur général comparé au Chief executive afficer
30
§ 2. Le nouveau système sénégalais comparé aux systèmes français,
anglais et américain
30
A. Les administrateurs délégués
31
B. Le conseil de gestion........................................................................................
32
1. Présentation..
32
2. Comparaison avec les systèmes français...............
33
3. Comparaison avec les systèmes anglais et américain..............
34
C. Le secrétaire général
34
1. Présentation.......................................................................................
34
2. Comparaison avec le secrétaire des droits anglais et américain. 36
Section 2 : Répartition conventionnelle des pouvoirs.................................................
38
§1. Répartition statutaire des pouvoirs................................................................
39
1. Portée des statuts.................................................................................................
39
II. Contenu des statuts quant aux pouvoirs.........................................................
40
III. Problème de la validité des clauses statutaires............................................. 43
A. En France..............................................................................................................
43
1. Les clauses extensives de pouvoirs......
43
2. Les clauses statutaires restrictives de pouvoirs......
44
B. Au Sénégal..........................................................................................................
45
C. Aux Etats-Unis.....................................................................................................
45
D. En Angleterre......................................................................................................
46
§ 2. Délégation de pouvoirs par les organes.....................................................
47
A. De la délégation de pouvoirs.............
47
1. La notion de délégation de pouvoirs............
47
2. Justification de la délégation de pouvoirs............
47
3. Les limites de la délégation de pouvoirs..................................
48
B. La délégation en droit sénégalais comparé au droit français..
49
C. La délégation en droit sénégalais comparé au droit américain................
51
D. La délégation en droit sénégalais comparé au droit anglais.....................
54

III
CHAPITRE 2 : LE DEGRE DE CONCENTRATION DU POUVOIR DE
DIRECTION................................................................................................
57
Section 1. L'Unité de direction..........................................................................................
57
§1. Le système classique sénégalais................................................................... 57
§2. Le système classique sénégalais comparé au droit français...................
58
§3. Le droit sénégalais comparé aux droits anglais et américain..................
60
Section 2 : Collégialité ou pluralité de la direction......
61
§ 1. Le nouveau système de direction sénégalais............................................. 61
§ 2. Le conseil de gestion comparé au directoire....................................... .....
62
§ 3. Le conseil de gestion comparé au conseil des directeurs en droits
anglais et américain....................................................................................
65
Section 3 : Appréciations....
67
§ 1. Collégialité ou pluralité de la direction......................................................
67
§ 2. La centralisation du pouvoir de direction...................................................
68
§ 3. La nécessité de contre-pouvoirs
,
69
TITRE Il: LE STATUT DES DIRIGEAf\\ITS SOCiAUX...................................................
73
CHAPITRE PREMIER: LA NOMINATION DES DIRIGEANTS SOCiAUX................
73
Section 1: Les modalités de désignation des dirigeants sociaux...............................
73
§ 1. La désignation des dirigeants sociaux par les actionnaires...................
74
A. En France...........................................................................................................
74
1. Le mode de vote: un obstacle à des élections
démocratiques............................................................................
76
2. La passivité des actionnaires, frein à des élections
démocratiques.......................................................................
76
B. Aux Etats-Unis.................................................................................................
77
1. Mesures destinées à renforcer le pouvoir des actionnaires......................
78
1. Règlementation de la sollicitation des mandats.....................
78
2. Le comité de nomination............................................................
79
II. Le vote cumulatif, un procédé démocratique............................................
80
C. En Angleterre..........
81
D. Au SénégaL.................................................................................................
82
§ 2. La désignation de dirigeants par les administrateurs ou les directeurs .... 84

IV
A. L'élection du Président du conseil d"administration, et du Chairman
of the Board..................
84
1. Au Sénégal et en France, l'élection du président du
conseil d'administration....
84
2. Aux Etats-Unis et en Angleterre.............................................
84
B. L'élection du directeur général et du senior (chief) executive director.....
85
1. Au Sénégal...............................................................................
85
2. En France...................................................................................
85
3. Aux Etats-Unis et en Angleterre.............................................
86
Section 2 : Le choix des hommes.....................................................................................
87
§ 1. Le constat.....
87
A. Condition positive: être actionnaire pour être administrateur..................
88
B. Conditions négatives
90
1. Protéger la société: les interdictions et déchéances.......
90
a. Au Sénégal.........................................................................
90
b. En France............................................................................
92
c. En Angleterre......................................................................
94
2. Protéger la fonction d'origine: les incompatibilités........
97
§ 2 : Qualités et qualifications des dirigeants sociaux.......................................
98
A. Des qualités..........................................................................................................
98
B. De la qualification des dirigeants sociaux
102
1. En France
103
2. Aux Etats-unis....................................................................... 105
3. En Angleterre........................................................................ 106
4. Au Sénégal............................................................................ 107
CHAPITRE 2 : LA REVOCATION DES DIRIGEANTS SOCiAUX
109
Section 1 : Les différents types de révocation........................
109
§ 1. La révocation ad nutum
11 0
1. La révocation des administrateurs en droits sénégalais et français
110
A. Absence de formalisme................................................................................
111
B. Fondement de la révocation ad nutum en droits français et
sénégalais...............................................
111
1. En droit français.................................................................
111
a. Le mandat.....................................................................
112
b. La souveraineté des associés............................. ......
11 3
c. Le pouvoir des administrateurs.................................
113

v
2. En droit sénégalais
.
114
Il. La révocation du Président du conseil d'administration en droits
français et sénégalais
.
114
A. Fondement de la révocation ad nutum du Président du conseil
d'administration
.
115
B. Le "contournement" de la révocation ad nutum en France
.
116
§ 2. La révocation pour justes motifs
.
117
1. Révocation pour justes motifs du directeur-général en droit
sénégalais
,
.
119
"
A. Une loi ambigue et lacunaire
.
119
1. Ambiguité
.
119
2. Lacunes
.
120
B. La jurisprudence
.
121
1. Le tribunal régional de dakar
..
122
2. La Cour d'Appel de Dakar
:.
123
3. La Cour de cassation
..
124
II. Comparaison avec la révocation du directeur général en droit
français
.
125
1. Modalités différentes
.
125
2. Fondements différents
.
126
III. Comparaison avec le droit américain
..
127
§ 3. Le système intermédiaire: la révocation des administrateurs
délégués au Sénégal, ou l'influence du droit anglais
.
128
1. La révocation des directeurs en droit anglais
.
129
Il. La révocation des administrateurs délégués en droit sénégalais ..
130
Section 2 : Les garanties des dirigeants révoqués
..
131
§ 1. Les garanties pécunianes
.
131
1. En cas de révocation ad nutum.
.
132
Il. En cas de révocation pour justes motifs
..
133
III. Dans le système intermédiaire
..
134
§ 2. La réintégration du dirigeant pour annulation de la révocation
.
135
1. La non inscription à l'ordre du jour
.
135
Il. Le non respect de la procédure contradictoire de l'article
1288 COCC
..
136

VI
Section 3 : Appréciation des différents types de révocation......
138
§ 1. Appréciation de la révocation ad nutum.................................................
138
1. Avantages de la révocation ad nutum....................................................
138
A. Stimuler les dirigeants............................................................................
138
B. La révocation ad nutum traduit l'idée de confiance
140
C. Eviter la sclérose de la direction........
140
II. Inconvénients de la révocation ad nutum............................................
141
A. Atteinte à j'intérêt de la société..........
141
1. L'instabilité du pouvoir...................................................
141
2. Le repli sur soi................................................................
142
B. Atteinte à "ntérêt du dirigeant révoqué...........................................
142
§ 2. Appréciation de la révocation pour justes motifs...................
143
1. Difficultés à cerner la notion de juste motif.............................................
143
A. En droit français......
143
1. Le juste motif pour faute................................................
144
a. Gravité de la faute......................................................
144
b. Lien avec la société...................................................
144
2. Le juste motif sans faute...............................................
145
a. L'intérêt social.....
146
b. Un conflit de personnes....................
147
c. L'incompétence du dirigeant...................................
147
B. En droit sénégalais..................................................................................
148
C. En droit américain.....................................................................................
149
Il. Rôle du juge................................................................................................
150
A. En droit français.........................................................................................
150
1. Le juge confronté à la souveraineté des associés......
151
2. Le juge et l'appréciation économique de la gestion
152
3. Le juge et l'immixtion dans la gestion......
153
B. En droit sénégalais........................
154
C. En droit américain....................................................................................
155
§ 3. Appréciations du système intermédiaire
156
1. Une procédure contradictoire.................................................................
156
II. Une assemblée souveraine
156
III. Transparence............................................................................................
157

VII
CHAPITRE 3 : LA REMUNERATION DES DIRIGEANTS SOCiAUX........................
158
Section préliminaire: De l'opportunité de la rémunération
158
1. Raisons de la gratuité.................................
158
2. Raisons d'une rétribution.............................................
160
Section 1ère: Composante de la rémunération.......................................................
161
S/Section 1 : En droits sénégalais et français
162
§ 1. Rémunération des administrateurs......................................................
162
1. Rémunérations ordinaires: jetons de présence et tantièmes........
162
A. Les tantièmes.........................................................................................
163
B. Les jetons de présence.........................................................................
165
II. Rémunérations exceptionnelles.........................................................
167
III. Rémunérations complémentaires......................................................
168
A. Les avantages en nature...................
168
B. Les pensions de retraite......................................................................
170
C. Les indemnités de départ....................................................................
170
D. Les options de souscription ou d'achat d'actions.............................
171
§ 2. Rémunération des administrateurs délégués dans le nouveau
système de direction sénégalais...................
173
§ 3. Rémunération du Président du conseil d'administration...................
175
1. En tant qu'administrateur..........................................................................
176
Il. En tant que président du consei!.............................................................
176
A. Rémunération ordinaire...................
176
B. Rémunération exceptionnelle................................................................
176
C. Rémunérations complémentaires..........................................................
177
§ 4. Rémunération du directeur généra!.....
179
S/Section 2 : En droits anglais et américain..............................................................
180
§ 1. En droit anglais.........................................................................................
181
§ 2. En droit américain....................................................................................
182
Section 2 : La prévention des rémunérations excessives..........................................
184
§ 1. La procédure des conventions réglementées......................................
184
A. En droit français
185
1. Sous la loi du 24 juillet 1867...................................
185
a. En faveur de l'application de l'article 40........
185
b. Contre l'application de l'article 40.....................
186

VIII
2. Sous la loi du 24 Juillet 1966...................................
187
B. En droit sénégalais..................
188
C. En droits anglais et américain..................................................................
191
§ 2. La publicité des rémunérations................................................................
194
A. Position du problème.................................................................................
194
B. Les destinataires de l'information............................................................
197
1. En France.....................................................................
197
a. Les actionnaires...................................................
197
b. Les salariés...........................................................
199
c. L'administration fiscale...........................
200
d. La COB.....................................................................
200
e. Le public...................................................................
201
2. Aux Etats-Unis.............................
202
3. En Angleterre................................................................
203
4. Au Sénégal....................................................................
205
Section 3 : La sanction des rémunérations excessives...........................................
207
§ 1. De l'intervention du juge
208
A. Annulation de la décision.......................................................................
209
B. Responsabilité des dirigeants sociaux...............................................
209
1. Responsabilité civile................................................
209
a. Fondement de l'intervention du juge......
210
b. Critère d'appréciation du caractère
équitable de
la rémunération..........................
211
2. Responsabilité pénale...........................................
212
§ 2. Les autres censeurs.........................................................
213
1. L'administration fiscale...........................................
213
2. La COB......................................................................
213
CHAPITRE 4 : LE CUMUL D'UN MANDAT SOCIAL ET D'UN CONTRAT
DE TRAVAIL...........................................................................................
215
Section 1: Le problème de la vallidité du cumul.......................................................
215
§ 1. Contre le cumul
216
1. Problèmes communs à tous les dirigeants sociaux.................
216
A. Situation paradoxale créée par le lien de subordination................
216
B. Le problème de la révocation
216
C. Le problème du salaire excessif.........................................................
218

IX
II. Problèmes spécifiques..............................................
218
A. Le président du conseil d'administration
218
B. Les administrateurs.......................................................
219
C. Le directeur généra!...............................................................................
220
§ 2. En faveur du cumuL...................................................................................
221
1. Arguments juridiques................................................................................
221
II. Arguments d'ordre pratique....................................................................
221
A. Avantages pour l'intéressé....................................................................
222
B. Avantages pour la société....................................................................
222
III. La jurisprudence
223
Section 2 : Les limites du cumuL.....................................................................................
225
S/Section 1 : Les conditions du cumuL............................................
226
§ 1. En droit français..............................................................................................
226
1. Conditions de fond.........................................................................................
226
A. Effectivité du contrat de travaiL
226
1. Caractères onéreux..............................
227
2. Prestation de service distincte
229
3. Lien de subordination.................
230
B. Antériorité du contrat de travaiL...
232
C. Nombre limité d'administrateurs salariés................................
234
Il. Conditions de forme.......................................................................................
236
§ 2. En droit sénégalais..........................................................................................
237
1. Conditions de fond.......................................................................
237
A. Les membres du conseil d'administration..................................................
237
B. Les administrateurs délégués.......................................
239
C. le directeur généraL..........................................................
241
II. Conditions de forme.....................................................
242
A. Les membres du conseil d'administration et le directeur généraL........
242
B. Les administrateurs délégués.......................................................................
243
§ 3. En droits anglais et américain......................................................................
246
1. Les executive directors.............................................. ...............
246
II. Les contrats de travaiL................................................................................
248
A. Divulgation du contrat de travail en Angleterre.....................
248
B. La procédure applicable en cas de conflits d'intérêts............................. 248
C. Divulgation de la rémunération en Angleterre et aux Etats-unis........... 249

x
D. La durée du contrat de travail en Angleterre
249
S/Section 2 : La sanction des conditions du cumul...................................................
250
§ 1. Sanction des conditions de fond...............................................................
250
A. Conditions d'antériorité...............................................................................
250
B. Conditions d'effectivité.................................................................................
251
C. Nombre limité d'administrateurs salariés.................................................. 251
§ 2. Sanction des conditions de forme.............................................................
252
Section 3 : Ou cumul à la cogestion ?............................................................................ 254
§ 1. Le cumul, une nécessité pour l'entreprise
.
§ 2. Le cumul, moyen de faire participer les salariés à la gestion sociale
258
DEUXIEME PARTE: DEVOIRS ET RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS
SOCiAUX......................................................................................
260
TITRE PREMIER: LES DEVOIRS DES DIRIGEANTS SOCiAUX
261
CHAPITRE PRELIMINAIRE: FONDEMENT DES DEVOIRS FIDUCIAIRES:
LA RELATION FIDUCiAIRE
262
CHAPITRE PREMIER: LE DEVOIR DE LOyAUTE......................................................
266
Section préliminaire: la notion de devoir de loyauté.................................................
267
§ 1. Essai de définition..........................................................................................
267
§ 2. Portée du devoir de loyauté........................................................................... 270
1. Les bénéficiaires du devoir de loyauté....
270
II. Durée du devoir de loyauté
273
Section 1 : L'obligation de discrétion...
274
Section 2 : Les conflits de devoirs........................
279
§ 1. Contrat entre la société et l'un de ses dirigeants......................................
280
1. Le problème de validité des conventions passées entre une société
et un de ses dirigeants
:.....................
281
A. Le contrat avec soi-même..............................................................................
281
B. Le devoir de loyauté du dirigeant.....
283
II. Conditions de validité du contrat passé entre la société et un ou
plusieurs de ses dirigeants...........................................................................
284
A. L'information du conseil et son autorisation.........
285
B. Le rôle des commissaires aux comptes.....................................................
289
C. L'approbation par l'assemblée générale...................................
292
D. La loyauté de la transaction..........................................................................
295

XI
III. Domaine des conditions de validité.............................................................
295
IV. Sanctions des conditions de validité
297
A. Annulation du contrat......................................................................
298
1. Evolution historique.......................................................................................................
298
2. Solutions actuelles
299
B. Caractère de la nullité...................................................................................
299
1. Prise en compte du but de la réglementation
300
2. Analogie avec la lésion........................................................
301
C. Fondement de la nullité..................................................................................
302
§ 2. Contrat entre un dirigeant et un tiers: le détournement d'une chance
économique....................................................................................................
303
A. Les solutions en droits anglais et américain
304
1. En droit anglais...
304
2. En droit américain
308
B. En droit français
312
a. L'abus des biens sociaux.......
31 2
b. L'abus de pouvoirs ou de voix............................................
315
C. Perspectives au Sénégal................................................................................
317
§ 3. L'obligation de non-concurrence.................................................................
319
A. Le problème de la concurrence à travers le cumul des mandats..........
319
1. Au Sénégal.........................................................................
319
2. En France...........................................................................
322
3. En Angleterre......................................................................
324
4. Aux Etats-Unis......................................................................
325
B. Travailler pour une entreprise concurrente ou créer une entreprise
concurrente......................................................................................................
326
Section 3 : Les opérations sur titre......
331
§ 1. Cession de contrôle...................................................................................
331
A. Position du problème....................................................................................
331
B. Droit positif.
,.
333
1. Aux Etats-Unis..............................................
333
a. Cession de contrôle spontan~
333
b. Cession de contrôle faisant suite à une offre publique
d'achat (OPA).................................................
335
2. En Angleterre....................................................................................
337

XII
3. En France........................................................................................
340
4. Au Sénégal.........................................................................................
342
§ 2. L'utilisation en bourse d'informations privilégiées: le délit d'initié.......
344
1. Au Sénégal...........................................................................................
345
2. En France
,
_ 346
a. Elément matériel...............................................................................
346
b. Elément moral..................................................................................
351
c. Sanctions......
351
3. Aux Etats-Unis......................................................................................
352
4. En Angleterre.......................................................................................
356
a. L'acception du délit d'initié.........................................................
357
b. La prévention du délit d'initié........................................................
357
c. La répression du délit d'initié..................
359
CHAPITRE 2 : LES DEVOIRS VISANT A ASSURER L'EFFICACITE DE LA
GESTION
362
Section 1 : Le devoir de diligence..............................................................................
363
§ 1. La notion de diligence................................................................................
363
1. Un caractère variable...................................................................................
364
II. Contenu de la notion de diligence..............................................................
365
A. L'assistance aux réunions du conseil......................................................
366
1. le devoir d'assister aux réunions...................................................
366
a. Au Sénégal.................................................................................
366
b. En France........................................................................................
367
c. En Angleterre...................................................................................
369
d. Aux Etats-Unis.................................................................................
370
2. Les obstacles juridiques à l'assistance aux réunions
du conseil............................................................................................
371
a. Le cumul de plusieurs mandats................................................
371
b. "L'économie" d'une réunion........................................................
372
3. La démission "obligée".....................................................................
372
B. L'obligation de s'informer...............................................................................
373
1. En droits anglais et américain
373
2. En droit français................................................................................
375
3. Au Sénégal....................................................................................
376
C. L'obligation de surveillance..........................................
377
§ 2.
la règle du jugement d'affaire..................
381
A. Notion........
..
381

XIII
B. Applications................................
383
1. Aux Etats-Unis...................................................................................
383
2. En Angleterre.....................................................................................
385
Section 2 : Le devoir de compétence............................................................................. 386
§ 1. Le contrôle a posteriori de la compétence des dirigeants..................
388
A. La révocation des dirigeants sociaux incompétents.................................
388
B. Contrôle a posteriori par les tribunaux de la compétence
des dirigeants sociaux.................................................................................... 389
§ 2. Exigence d'une qualification professionnelle des dirigeants sociaux
392
§ 3. Ouelle solution pour le Sénégal ?
394
CONCLUSION DU TITRE 1..............................................................................................
396
TITRE Il: LA RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS SOCiAUX............................
397
CHAPITRE 1: LE FONDEMEI\\JT DE LA RESPONSABILITE DES
DIRIGEANTS SOCiAUX........................................................................
399
Section préliminaire: Fondement de la responsabilité civile en généra!...........
399
§ 1. En droit français.
399
A. La faute......
399
B. La théorie du risque..............................................................................
400
§ 2. En droit sénégalais.................................................................................
402
§ 3. En droits anglais et américain................................................................
402
Section 1 : Fondements possibles de la responsabi lité des dirigeants
sociaux, autres que la faute....................................
404
§ 1. Le pouvoir, fondement de la responsabilité des dirigeants sociaux.....
404
§ 2. Le risque, fondement de la responsabilité des dirigeants sociaux .....
406
Section 2 : La responsabilité des dirigeants sociaux fondée sur la faute................
407
§ 1. En droits sénégalais et français...........
407
A. La faute de gestion, manquement au devoir de gestion loyale..............
409
1. Dans le cadre des conventions passées entre la société
et le dirigeant..
409
2. Dans le cadre des conventions passées entre un dirigeant
et un tiers
410
3. Le manquement au devoir de non concurrence
410

XIV
4. Le manquement au devoir de discrétion...................................
411
B. Manquement au devoir de diligence............................................................
411
1. Non Assistance aux réunions du conseil....
411
2. Manquement à l'obligation de s'informer.................................
412
3. Manquement à l'obligation de surveillance.............................
413
C. Manquement au devoir de compétence......................................................
416
§ 2 : En droits anglais et américain............
418
A. La faute, manquement au devoir de gestion loyale..................................
418
1. Contrat avec la société...............................................................
418
2. Le détournement d'une chance économique.......................
419
3. La faute à travers le délit d'initié......
420
B. La faute, manquement au devoir de diligence..........................................
422
1. La non assistance aux réunions du conseil..........................
422
2. Manquement à l'obligation de s'informer..............................
422
3. Manquement à l'obligation de surveillance..................... ....
423
C. La faute, manquement au devoir de compétence.....................................
424
CHAPITRE 2 : MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE
426
Section 1 : L'action sociale...............................................................................................
426
§ 1. L'action sociale exercée par la société....................................
428
a. Organes représentant la société...............................................................
428
b. En cas d'inertie de ces organes................................................................
429
§ 2. L'action sociale exercée par les actionnaires...................................
432
A. Caractères de l'action sociale ut singuli et de la derivative action
1. Leur caractère exceptionnel........................................................
432
2. Leur caractère subsidiaire......
432
B. Condition d'exercice de l'action sociale ut singuli.; la mise en cause
433
préalable de la société...................................................................................
433
C. Limites à l'exercice de l'action sociale ut singuli et à la derivative
action
435
1. Limite de fait : le coût de la procédure..........
436
2. Limite de droit..................
438
a. L'exigence d'un pourcentage du capital social en cas de
regroupement des actionnaires..........................................
438
b. La ratification par l'assemblée générale................
439
D. Les modalités d'exercice de l'action sociale ut singuli et de la derivative
action.......................
440

xv
1. La renonciation à l'action
. 440
2. Est-il nécessaire d'être actionnaire au moment des faits ? .. 442
3. Délai d'exercice de l'action
. 443
Section 2 : L'action individuelle
.
443
§ 1. La distinction entre action individuelle et action sociale ut singuli
.
444
A. L'origine du problème
.
444
B. Critère de distinction entre action individuelle et action sociale
ut singuli
.
445
. d .'
§ 2. Modalités d'exercice de l'action Il''' iv 1 ~ ut:: 11 e..
. 446
A. Les actions de groupe sanctionnant un préjudice individuel
. 446
1. L'action de groupe en droit français
.
446
2. La représentative action en droit anglais
.
447
3. La c1ass action en droit américain
.
448
B. L'exercice de l'action individuelle en cas de cession d'action
. 450
Section 3 : L'action exercée par des tiers...
451
§ 1. En droits sénégalais et français................................................
451
A. Responsabilité délictuelle
452
B. Responsabilité contractuelle
452
1. Le dépassement des pouvoirs.................................................
453
2. La faute détachable des fonctions.......
453
3. Cas du dirigeant qui ne fait pas connaître sa qualité............
454
§ 2. En droits anglais et américain
454
A. En droit anglais................................................................................................
455
B. En droit américain
456
CHAPITRE 3: ETENDUE DE LA RESPül\\JSABILlTE...............................................
456
Section 1 : Responsabilité individuelle et responsabilité collective........................
456
S/Section 1 : La responsabilité individuelle.................................................
457
S/Section 2 : La responsabilité collective......................................................................
458
A. Fondement de la responsabilité solidaire..........................
459
B. Portée de la responsabilité collective.......................................................
460
1. Solidarité entre qui ?
460
2. En cas de délégation des pouvoirs..........
462
Section 2 : Le degré de responsabilité.........................................................................
463
S/Section 1 : Exonération et atténuation de la responsabilité......
463

XVI
A. Sévérité des droits sénégalais et français
463
1. Cas de force majeure et cas fortuit..........................................
464
2. Fait de la société des actionnaires ou des tiers....................
465
a. Fait de la société....................................................................
465
b. Fait des actionnaires.............................................................
465
c. Fait des tiers............................................................................
466
3. Absence de faute......................................................................
466
B. En droit anglais..............................................................................................
467
1. Atténuation de la responsabilité par les juges en
présence d'une décision de l'assemblée générale............ 467
a. Décisions acceptant "l'absolution" par l'assemblée
générale..................................................................................
468
b. Décisions refusant "l'absolution" par l'assemblée
générale.................................................................................
459
2. Atténuation de la responsabilité à l'initiative du juge
en l'absence de décision de l'assemblée générale........
469
C. En droit américain.............................................................................................
471
S/Section 2 : Aggravation de la responsabilité
472
A. Fondement de l'aggravation de la responsabilité dans
le cadre des procédures collectives.......
472
B. Manifestations de l'aggravation de la responsabilité dans
le cadre des procédures collectives....
474
1. La présomption de responsabilité dans le cadre de
l'action en comblement du passif.........................................
474
2. L'extension de la procédure aux dirigeants sociaux.......
474
3. A travers la saisine du tribunal............................................
475
4. A travers la sanction............................
476
CONCLUSION GENERALE.........................................................................................
478
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................
480

Vu : Le Président du Jury de la Thèse
Vu : Les Suffrageants
Vu et permis d'imprimer:
Le Président de l'Unviersité de Paris 1 - Panthéon - Sorbonne -
Sciences
Economiques - Sciences Humaines - Sciences
Juridiques.