UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
ANNEE UNIVERSITAIRE 1990 - 1991
FACULTE DES LETTRES Er SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT DE LITTERATURE ET DE CIVILISATION
DES PAYS DE LANGUE ANGLAISE
L'AFRIQUE DANS QUELQUES RECITS DE
WILLIAM BOYD ET DE GP.AHAM GREENE
Una étude de la probl"m.'lque d. )·o.pace 8XQtlqUD eorcruet
e' de. technlqu•• d'6crlluf. dan.
A Gaod M,n ln A{rlça. An Ice·Cream Wa'. Brauayllle Beach
-1. The fiearl ol1J:te Malter
THESE
POU'- le Doctorat d. 38 Cyde
Présentée par
Ibrahima NDIAYE
Soue la dll.clion de Monsjour M'amadou KANOJI
Mai'." oe c corëreoces

i
RESUME
Cette thèsl!
est une étude de
la problér- ·tique
de
l'espace
africain da:19 The Beert of the Matter de Gznham. ëxeene , A Good
Man in At'r:"l..!'~, An Ice-Qeam. War et Brazzaville Beacb de William
Boyel.
Notre enquëte reconstitue et explore les univers romanesques
choisis
par
ces
deux
auteurs
britanniques
contemporains,
appartenant il des générations différentes certes, mais ayant
beaucoup de similitudes dans leur perception, comme dans leur
restitution de l'Afrique.
Notre h1pothèse de départ repose sur la nature conflictuelle
de l'univers africain en particulier le milieu domestique et
le sous-monde,
identifié il un "white man's grave" et perçu à
la
fois
comme
attirant
et
dangereux
par
des
personnages,
expatriés
britanniques
pour
la
plupart,
attirés
par
l'exotisme. Leur extrême sensibilité à cette Afrique-là, les
perturbations
qui
en
résultent,
tout
comme
les
stratégies
"'-,inserticn et "'-e survie physique ou symbol ique mi~en oeuvre,
sont exeœ.ï n ves dans ce travail.
;"-,
celui-ci
" est
également
attaché
à
étu':Her
l.!s
pr-ccéëès
narratifS
tels
que
les
récits,
points
d,
vue,
métaphores,
symboles, etc, qrâce auxquels Greene et Boyd t~aduisent "'-ans
leur pei~ture de l'Afrique, leur sympathie militante et leur
désaveu de certaines attitudes d'expatriés préjudiciables au
continent tlnoir".

11
This thesis 18 a study of afrioan spaoe in Graham Greene'. ~
ft_art of the Matter and william Boyd'B A Good xan in Africa,
An Iee-Cr.am .ar and Brazzaville Beach.
It maps out and explores the fictiona1 worlds cbosea by these
twa
British
contemporary
authors
who
b810n9
ta
41fferant
generations but do display many similarities in bath their
perception and rendering of Atrica.
our hypothesis hinges on the conflicting natlJre of the Arrican
world, domestic space and underworld, Identitied vith a "whit.
man'9
grave"
and
perceived
as
an
alluri:nq
and
danqerous
univers. by expatriates wbo are attracted by exotism. These
cbaracterB'extreme
sensitivity
ta
Africa,
the
resultinq
diBturbanca~ and various forma of self-ad~1',stinq, physical or
symbolic su,':vival strateqies are exam.inEl~ :"!.Elre.
,
This pi~c~ of researoh also {oouses on how Qreene and Boyd use
narratlv~.; t~)chnique9 like point of view, m.etaphor, and symbol
to proj (le. t i n t " their descri.ption of Africa their mi li tant
sympatby and their disapproval of some expatriates'attitudes
which are detrimental to the IIbll1ck" continent.

3
A FATOU, mon épouse,
A mes ENFANTS,
A mes PARENTS
&
A mes AMIS du cercle,
pour leur compréhension et leur présenoe affectueuse.

IlEIDlRCXDBIIIT8
Je voudrais exprimer ma gratitude et ma reconnaissance à
mon directeur de thèse, Monsieur Mamadou KAHOJZ. Xl m'a quidé
en maîtrise comme au DEA et essaie toujours, aveo une patience
infinie,
d'assurer
mes
pas
dans
la
difficile
voie
de
la
rechercbe.
Pour
cela,
i l
ne
ménage
n:!,
son
temps,
ni
sa
bibliothèque personnelle.
Mes
r~merciements
vont
également
à
l'ensemble
des
enseignants de la Faoul té des Lettres et solenees Humaines qui
m'ont enseigné, encouragé ou aidé : le Pr Pierre Lefrano, MX
Madior
Diouf,
Mdiavar
Barr
et
Bassirou Dienq,
Mai tres
de
Conférences : Ors Koctar Bâ, Marième Badiane, Oumar N'dango,
Ousmane Bène et Mamadou Gaye.
Je dois une dette de reconnaissance au personnel de la
Bcolarité de la facul~é : à Thierno Diop, Mamadou Bob et aux
secrétaires
:
à
celui
de
la
BU
:
à
MM
Papa
Atmane
Der,
Alhamdou Ly, Ponséca et Babacar Ndiaye.
Du fond du coeur je remercie aussi William Boyd pour ses
encouragements et les renseignements qu'il
a
bien voulu me
fournir sur ses écrits.
Ma
gratitude
va
Aussi
à
Mme
Micheline
Kinqsberry,
Responsahle du projet EPT et à Mr Thomas Aquin, Directeur des
Etude~, pour leur assistance matérielle.
Jean-Pierre, Christine, Audrey et stéph~ne cbristophory,
Briqitte ct
Bruno
Escoffier,
m'ont
aidé
en m'envoyant bon
nombre de ~~cuments sur Boyd. QU'ils trouv8~t ici l'expression
6e
ma
pro~onde
reconnaissance
pour
le~r
soutien
moral
inlassablo.
PhilCl:n'~ne Rolland
paye
et
Adou. Tt..iaw
Gaye
qui
ont
patiemmen~' relu mes manuscrits depuis des années méritent une
mention spéciale.
Je remercie aussi chaleureusement les collègues et amis
de l'Association des Professeurs et Techniciens de l'Ecole
Polytechnique de Thiès pour leurs encouragements, ainsi que
Maïmouna Camara, Anne-Marie Barr, Eliza Lopez et Amadou Djim
pour leur ~isponibilité.

5
INTRODUCTION
Le
contact du colon,
du coopérant ou de
l'expatrié avec le
milieu
africain
dont
notre
enquête
se
propose
d'analyser
la
problématique est
toujours
un
événement
à
la
fois
fascinant
et
bouleversant.
L'expérience
que
le
héros
en
a,
est
généralement
celle de quelqu'un qui tente à
la fois d'échapper à une situation
européenne douloureuse et de se mesurer au continent "noir" en se
découvrant lui-m§me.
Le cadre qui doit être exploré ici est particulièrement vaste
puisqu'il
s'étend,
sans
discontinuer,
de
la
sierra
Leone
a
l'actuelle Tanzanie. Il est couvert par quatre romans, objet de de
la
présente
étude
The
Heart
of
the
Matter1
(1948)
de Graham
Greene,
li. Good Man
in Africa2
(1982)
An
Ice-Cream War]
(1983)
et
Brazzaville Beach4 (1990)
de William Boyd.
L'étude des similitudes entre les romans "africains" de ces
deux
auteurs
britanniques
contemporains
appartenant
à
deux
générations différentes, pourrait toutefois être élargie et étendue
à des études sur des pionniers comme Olive schreiner dont The Story
Graham Greene, The Heart of the Matter (London
Penguin,
1977) .
2
William Boyd ,
A Good Man
in Africa
(London
Penguin,
1081, .
a
William Boyd, An Ice-Cream War (London; penguin, 1983).
,
William
Boyd,
Brazzaville
Beach
(London
S~nclair-
Stevenson,
1990).

6
of
An
Arrican
Farm'
révèle
par
exemple,
une
exceptionnelle
intensité
dans
la
perception
des
r i eux",
Francis
Brett-Young,
Joseph Conrad et Joyce Cary.
Notre
problématique
repose
sur
la
nature
con f I ictuelle
du
cadre africain qui est un espace attirant auquel les personnages
principaux s'avèrent particulièrement attentifs,
du
fait
de
son
atmosphère
spécifique
ou
â
tout
le
moins
nouvelle.
Celle-ci
comprend le milieu urbain,
l'univers domestique et le sous-monde.
Elle est essentiellement caractérisée par l'éclat aveuglant et la
chaleur implacable d'un soleil parfois mortel, par la vivacité des
couleurs alentour et des mélanges de senteurs et d'odeurs, par une
moiteur
et
une
hum i d Ltié
étouffantes,
et
enfin par
une
certaine
qualité de l'air.
Le
contact de
l'expatrié avec
l'Afrique se prolonge jusque
dans la forêt et la savane arborée avec leur faune,
leurs bruits
auxquels i l est rarement indifférent.
La vermine,
les reptiles et
surtout les insectes
l'affectent par leur morsure,
leurs piqûres
ou
leur
grouillement.
Les
hommes,
de
ce
que
le
héros
regarde
généralement comme une nouvelle tour de Babel africaine, complètent
un réseau d'interactions dont il se considère, à tort ou à raison,
le centre.
La perception que les personnages principaux ont souvent de ce
Olive Schreiner,
The story of an African Farm
(London:
Donker Ltd,
1975).
,
"intensified perception of place", Christopher Heywood,
Aspects of South African Literature (London : Heinneman,
1976), p.
46.

7
mande-là est,
au départ,
fortement colorée par un exotisme et un
programme culturel incorporant des antécédents affectifs et sociaux
qui plongent leurs racines dans l'enfance. Ur. passif aussi lourd
permet d Lf f Lc i Le.tte nt; de comprendre certaines r-é.e Li t.é s
locales,
de
voir
"ce
que
certaines
expatriations
peuvent
avoir
d'incurablement sédentaire: on représente son pays
à
l'étranger
mais
on
n'a
pas
du
tout
quitté
mentalement son pays et chacun est enserré dans les
vieux
liens
de
la
structure mentale,
les
petites
pusillanimités
et
les
petites
ambitions
organisatrices
qui,
la
veulerie
aidant,
peuvent
exercer de singuliers ravages. 111
~ne telle vision, un tel comportement, soumettent à rude épreuve un
moi marqué par des idiosyncrasies et amènent les héros il rejeter ce
qu'ils ne peuver.~ intégrer.
Les personnages des romans que nous allons analyser sont fort
variés
:
ce sont des représentants du pouvoir d'av~nt et d'après
l'indépendance, le jeune ccopérant ou alors la femme expatriée qui
a retenu notre attention, à cause de la place qu'elle occupe dans
la
vie
de
son
compagnon.
Ils
ont,
dans
leur
presque
totalité,
tendance à
s'2valuf'L" pi'!or rapport au pays d'accueil.
La volonté de
puissance ~i les anime s'accompagne de mutations aussi brutales
que
décisives.
Ils
en
deviennent
eesserrt.Le l Lement;
épidermiques,
"perdent la tête,"
et tombent parfois dans
le manque de retenue.
Leur extrême eer.s Lo Lt Lt.é à
la nature conflictuelle de l'Afrique,
Ph
Decraene,
IIUn
Anglais
sous
les
tropiques"
in
0 ,
L'Afrique
Littéraire,
1er,
ze
et
3e
Trimestres
1987,
édité par Ph.
nocr-aene . , p.
132.

8
les
prédispose
à
de
multiples
souffrances
et
déséquilibres
à
caractère social, moral ou psychologique, susceptibles de déboucher
sur la folie ou la mort.
L'épigraphe consacrée à A Good Man in Africa,
premier roman
africain
à
succès
de
William
Beyd
place
l'Afrique
(lieu
de
l'action)
au coeur du sort réservé à Morgan Leafy,
le héros:
"Somewhere
a
strange and
shrewd tomorrow goes ta
bed,
planning a test for men from Europe ;
no one
gues ses "Who will be most ashamed, who richer,
and
who de ad , 111
En effet, le destin de l'Europe y est prophétiquement associé à un
sombre avenir, à une épreuve extra-Européenne dont nul protagoniste
dudit continent n'oserait prédire l'issue.
c'est ainsi que, entre
autres ex€mples,
Leafy trouve le continent unoir u peu clément :
"Real i.ties
hounded
you
unmercifuU y
in
Africa,
Morgan
thought
just
when
he
needed
a
bit
of
unreflecting peace, here they were,
crowding round
him. ,,2
c'est à partir de là que la vie des personnages comme celui-
ci, prend de-s t our-nur-e s tantôt pathétiques tantôt tragiques et dans
tous
les cas,
pessimistes.
Il
n'est pas
rare
de
rencontrer des
cadavres en putréfaction.
Notre enquête explorera une variété de lieux dont se compose
"Quelque part un
étrange et malin
lendemain se couche
gros d'épreuves pour les hommes venus d'Europe et nul ne
sait qui sera le plus humilié,
qui le plus riche et qui
le mor.t.",
"Un Anglais sous
les tropiques"
in Afrique
Littéraire,
le,
2e et 3e trimestres 1987, pp.
132-34.
2
William Boyd , A Good Man in Africa,
op.
c i.t . , p.
148.

9
un espace dangereux qui est identifié à un "white man's grave". La
caractérisation de l'univers que voilà vise surtout à déterminer sa
fonction dans la psychologie,
le comportement et le destin
des
personnages
principaux,
et
à
montrer
comment
cette
fonction
s'exerce selon des techniques supposées sortir en droite ligne de
la percept ion des
personnages.
Ces procédés présentent,
à
notre
avis,
l'originalité d'émerger directement des stimuli du milieu
africain proprement dit :
la lumière,
le bruit,
la turbulence et
les couleurs locales parmi lesquelles figurent des mythes locaux
comme celui de Shango,
pour ne citer que celui-là et le parler
local.
William Boyd et Graham Greene ont
toujours
eu beaucoup de
sympathie pour le conti~ent africain et ont visiblement condamné
l'attitude h~utaine condescendante et le comportement de certains
expatriés en terre africaine. Raison pour laquelle, très souvent,
leur technique romanesque consiste à
les élever aux cimes de la
gloire
pour
ensui te
les
laisser
choir.
Cependant,
étant
généralement
d'une
certaine
culture
et
d'une
intelligence
supérieure à la moyenne, des personnages comme Henry Scobie, Morgan
Leafy et Hope Clearwater, essaient tant bien que mal de rectifier
leur insertion pr.oblématique par des stratégies de survie physique
ou
symbolique
que
notre
présente
enquête
se
propose
aussi
d'examiner.

10
L'univers africain qui nous intéresse tant figure d'ailleurs
au premier rang des projets initiaux de Greene
"It's a
restlessness that l r v e always b ad ta move
around and perhaps ta see English characters in a
setting which is not protective of them, where the~
speak a little differently, a little more openly."
Une telle option comporte une fonction éminemment romanesque car,
en dénudant ainsi des personnages anglais transplantés en Afrique,
Greene les eXpos~ au point de leur faire prendre des libertés se
traduisant par une nouvelle forme d'expression que nous aurons â
analyser.
Né au Ghana en 1952, William Boyd a grandi au Nigéria. Il ne
cesse de dénoncer les relations dans
lesquelles
les
intérêts de
l'ancienne
métropole
sont
desservis
par
des
maladresses
qu'il
ridiculise
avec
cruauté.
c'est donc
un
écrivain
engagé dans
la
promotion je meilleurs rapports entre les peuples ainsi que dans la
résolution des probl~mes réels des jeunes nations a:':ricaines.
Le
rapprochement de ces deux auteurs vise égale:nent à voir
dans quelle mesauz-e "Morgan is a Graham Greene ever-ymanv", de mieux
comprendre
le
nouveau
regain
ne
sympathie
et
d'intérêt
pour
l'Afrique qui nous vaut, entre autres exemples, OnitshaJ • roman de
Jean-Marie G.
Le Clézio qui présente aussi l'Af~;~'e juste au
Maria Couto,
Graham Greene
On the Frontier
(London
Macmillan,
1955), p.
236.
2
James Wolcott,
"Ca LI
me Bwana",
in,Harper'~, vol.
266
(March 1983), p.
62.
,
J.-M.
Le Clézio, Onitsha
(Paris
Julliard,
1991).

I l
moment où meurt l'auteur de The Heart of the Matter comme
"une
contrée
oppressante,
cruelle,
étouffante,
domd.née
par
une
peti te
co Lon Le
d'administrateurs
britanniques mesquins, obtus,
h~ineux, dévorés par
le fiel de leurs propres échecs. ,,1
La
présente
étude
se
divise
donc
en
trois
parties.
La
première,
"Contact
avec
l'Afrique",
s'attachera
à
explorer
les
liens de Boyd et de Greene à l'Afrique, à identifier, par souci de
réalisme,
l'espace
romanesque
en
question
et
au
besoin,
à
le
raccorder
aux
réalités
géographiques.
La
deuxième
partie
nous
permettra d'étudier comment ce milieu africain agit par effet de
choc
en
retour
sur
les
personnages
européens,
ainsi
que
les
stratégies que c~ux-ci développent pour survivre physiquement et
symboliquement. Et enfin,
nous étudierons les procédés narratifs,
notamment les métaphores et symboles utilisés par Boyd et Greene
dans leur traitement de l'espace africain.
Pierre Lepape, "Le Clézio et l'oubli de l'Afrique" in Le
Monde,
29 ~ars 1991, p. 17.

CHAPITRE l
: CONTACT AVEC L'AFRIQUE

13
1 L'expérience africaine de Graham Greene
Henry Graham Greene est né le 08 octobre 1904 à Berkhamsted,
près
de
Londres.
Son
éveil
au
monde
et
son
enfance
ont
été
profondément
marqués
par
des
stigmates
propres
à
l'univers
constitué par sa ville natale,
l'école urbaine avec son internat
(St John), et la maison de fonction attenante qui était attribuée
à
son père.
Les
premiers
souvenirs
de
Greene
sont
ceux
d'un
monde
de
cha ises
et
de
murs
"t.he
world
of
chairs
and
wa L'l e"! • d'un
escalier
et
d'une
chambre
d'enfant
obscurs.
L'atmosphère,
domestique
est dominée,
surtout
la
nuit,
par une certaine peur
alimentée par des h Ls t.o i res de sorcières (Gagoai de Rider Haggard,
pa-r exemple),
·'le pirates, d'anges et de diables.
Une anecdocte,
t ou'jour-s liée à
l'espace, tourne autour de la
fin
tiz-aq Lque
du
chien
de
sa
tante.
Le
cadavre
ensanglanté
de
l'animal qui a été écrasé par une charette et que la gouvernante
avait jugé bo~ de rapporter à
la maison dans
le landau,
suscite
chez Greene,
âgé de deux ans,
une horreur éternelle.
Le partage
forcé
d'un
espace
aussi
exigu
et
une
telle promiscuité macabre
seront
à
l'origine
des
évanouissements
fréquents
que
l'auteur
subira, même adulte.
Une autre étape déci~ive de sa vie se situe à sept ans, i
doit passer à l'autre côté du "green baize door",
c'est-à-d
à
l'internat se trouvant tout juste derrière le bureau de son
·~~e.
Norman
Sherry,
The
Lite
of
Graham Greene!
Vol.
One
1904-1939
(London: Jonathan Cape, 1989), p. 5.

14
Là,
il
vit
mal
une
expérience
fort
traumatisante'.
D'ailleurs,
Greene parle de cet endroit comme d'une terre étrangère.
Ici,
les
portes des toilettes
sont volontairement privées de systèmes de
fer~etur~ et les enfunts ne jouissent d'aucune intimité. L'extrême
promiscuité
faisait
craindre
à
son
père,
devenu
directeur
de
l'école,
le spectre de
l ' homosexual i té.
L'enfant
subit
les
lois
cruelles
d'un
système déjà
instauré
par
Dr
Fry et
fondé
sur
la
surveillance réciproque et la délation. Tortionnaires précoces, les
camarades de Graham soumettent celui-ci aux exigences déchirantes
de la loyauté filiale et à celles de la solidarité de groupe.
Le
dégoût moral qui en résulte décuple chez l'enfant les affres d'un
sevrage
affectif
râté.
Le
malheureux
essaie
la
fugue
avant
de
tomber
dans
la
spirale
du
suicide
symbolique
répétitif
qui
ne
s'arrêtera
que
grâce
au
traitement
psychanalytique
de
Kenneth
Richmond, un psychiatre londonien.
L'existence d'un ailleurs affleure toujours au niveau de la
conscience de
l'enfant et se manifeste à
travers des expressions
comme "srt.ranqeneaa of foreign lands Il
(p.
18),
"aeveqe country of
savage cusrt.ome "
(p.
'55) 1
l'the land l
inhabited"
(p.
68), etc.
Ce milieu domestique et scolaire est, en réalité, un moule où
"Unhapp i nene
at
school
is
the
Key
to
Greene's
interpretation of himself.", Neil McE'Wan, Graham Greene
(London: Macmillan,
1988), p. 5.

15
se coule tout un destin :
IIEverything one was ta become must have been there,
for better or worse.
One's
future might have been
prophesied from the shape of the houses as from the
lines
of
the
harid .
I t
was
a
map
not
simply
of
physical
features
but
one
on
which
we
traced
emo't.Lona I
and
psychological
contours
mapping
his
development
from
childhood
ta
adolescence
and
forming
a
personal
historical
addition
te
the
history of the town. "'
Ajoutons que chez le futur écrivain, l'appréhension de l'univers de
l'enfance est ~ssentiellement géographique, ainsi que l'indiquent
"map" et "mapp Lnqv , Elle est également organiquement 1 iée au corps
et au psychisme humains.
De tels fantasmes finissent par se cristalliser sous la forme
d'une Afrique qui l'obsède et qu'il décide d'explorer. Même à l'âge
de quarante ans,
Greene reste sous l'empire d'Un désir compulsif
d'entreprendre une quête du vieux continent noir
"To
me
Africa
has
always
seemed
an
important
image ... You dreamed you were in Africa. Of what do
you
think
first
when
l
say
the
word
Africa
:
Africa?
and a
cr-ovd of vorde and
images,
witches
and death, unhappiness and the Gare St. Lazare, the
huge
smoky
viaduct
over
a
Paris
sIum,
crowd
together and block the way of full consciousness. III
Plus que la simple recherche d'expériences inspiratrices, le besoin
d'échapper aux corvées de
la
critique,
ou l'exemple d'écrivains
comme Peter Fleming ou Evelyn Waugh,
c'est une quête ontologique
Norman Sherry,
op.
cit., p.
25.
,
Davidson
Nicol,
Africa
A
Subjective
view
(Great
Britain: Northumberland Press Limited,
1964), p.
25.

16
qui incite Greene à plonger,
avec sa cousine Barbara Greene, dans
une grande aventure exceptionnelle en Sierra Léone et au Libéria.
A preuve, ces mots qui reviennnent souvent sous sa plume
"going
deeper into un)cnown Liberia ll (p. 533), "discovered that one of the
curious things a:Oout black servants ..• "
(p.
536). Journey Without
~ en naîtra. Mais par-dessus tout, retenons la prééminence d'une
idée qui germe et prend forme, celle d'une carte dont la confection
relève d'une mission où l'explorateur et l'écrivain se confondent:
"Is
it
that
the
explorer
has
the
s ame
creative
sickness as the writer •• ,
and that ta fill a map,
as ta fi11
in the character or features of a human
being,
requires ta surrender and self-destruction
.,. ? West Africa, more than any other part of the
continent,
has cast a
strong spell on Englishmen,
not least for those very aspects that inspire fear
-'the mists, the mangrove swamps,
the malaria, the
black water and yellow fever of the Coast." 1
Ayant mis pied sur le
sol
sierra-léonais,
les deux cousins
commencent leur trek le 26 janvier de la même année par Freetown où
règne une
chaleur moi te.
Graham y exer-ce ses dons d' obee r-o.... teur
perspicace à la mémo Lr-e fort vivace. rI retient de Freetowr
,~.ü
i l voit une vé~itable Tour de Babel ses
"tin
roofs,
broken windows,
long dreary bars
and
ants on the floor,
vultures perching like turkeys
in arid back gardens. Il
(p.
516).
Tout ce qui y est laid est occidental
:
"Everything ugly
. . .
was
European."
(p.
515).
En outre,
les souvenirs que lui Le Laae- .... le
city Ho't.e L et
le quartier de
Kru Town
sont e ase e
intenses
réapparaitre dans The Heart of the Matter sous les noms de R
Norman Sherry, op. cit., pp.
562-63.

17
Aotel et de Kru Town.
La
première
étape
vers
le
Libéria
est
Pendembu .
Greene
y
constate les ravages de la tiBvre jaune et s'habitue au spectacle
deo:; poitrines ':éminines nues ("nipples like the centre point of a
target", p.
519).
Le village de Bo,
limite de l'influence coloniale et début du
"unmapped area of Liberia"
signale
la plongée dans
la jungle et
l'expérience de
!'hurreur de
la
vermine
et du
grouillement des
cafards
(" c o cJcroaches larger th an black bee t.Lee v , p.
519).
Cette
ouverture
passionnée
sur
l'Afrique
des
profondeurs
témoigne d'une volonté âpre d'absorber le milieu physique africain:
" absorbed their typical geography, layout and interiors"
(p. 524),
mais aussi d'un désir de se laisser aller à la dérive : "1 etting
myself drift in Africa" (p. 521), tout en poussant la résistance à
ses limites extrêmes
" pu sh hirnself to the limit, physically and
mentally"
(p.
529).
L'aventure
finit
par
déboucher
sur
une
admiration
empreinte
d'estime
et
de
respect
pour
le
peuple
africain,
son art et sa culture.
En effet, Greene note chez les
autochtones
un
courage
singulier
ainsi
que
les
premières
manifestations de la sorcellerie africaine :
"He
s av
the
villages
as
"sma Lk ,
courageous'
communities
barely
existing
above
a
desert
of
trees, hemmed in by a sun too fierce to work under
and a darkness filled with evil sp Lr i t.a ... u1
Le
village
de
Duogbomai
qu'il
confond
avec
Dagc~~i,
sa
destination initiale, regorae d'arts et d'activités qui n'ont rien
Nor~~n Sherry, op. cit., p. 524.

18
à envier au monde ~uropéen : tis ;erands, coutelassiers, teinturiers
et
danseurs
locaux
suse! tent
beaucoup
cl 'humil Lt.é
chez
Graham
et
Be r-be r-e
qui
hésitent
à
sortir.
leurs
cadeaux
qu'ils
voulaient
épatants.
cependeut ,
à
tout cela,
aue cède nt;
la crasse,
la maladie,
la
ruine
et
une
atmosphère
de
dèq éné r-e s ce nce
quasi-organique.
Le
sentiment
de
Barbara
en
donne
une
idée
assez
précise
"The
unlovely
nakedness
pressing
50
close
ta
me
filled
me
with
r spu t s Lon .» (p. 538)
En définitive, i l découvre une certaine vertu
et des significations dans le sordide: " wr etchedness and d Lrt;"
(p.
536),
"untidy and unbeautiful forest"
(p.
524).
C'est après le fleuve Lotfa qu'il découvrp, cette lumière que
nous r-e t.r-ouve r-oria dans The Heart of the Matte:t:.
liA
strange pink
light
ve Ll.ed
out
the
air
touching
all
the
termite
mounds . . . 11
(p. 536).
L'expérience africaine de Graham Greene est
inséparable des
rats qui s'avèrent aussi gros que des chats,
[lIthc
:ermin cascading
down
the
wa Ll."
p.
537),
"falling
heavily
down
the
wall
like
ve t er-"
(ibid.)).
Le fantôme de sorcellerie qui le hante depuis son enfance rôde
à Zigita incarné par le sorcier Buzie. rl règne dans cette capitale
une
lourde
atmosphère
de
rna Lèf Lee
et
de
magie
dont
Graham
et
Barbara aub i.r ont; l'influence.
Dans
cet t;e
contrée,
le
colon
meurt
ou
perd
I a
raison
très
facilement,
à
l'image
du
missionnaire
de
Zorzor.
Tout
près,
l'attend l'univers cauchemardesque de Ganta, fief des cannibales Manos.

19
L'aventure africaine débouche sur une dêcouverte personnelle
décisive
la
de s c errt e
au
coeur de
l'enfer
l'amène
à
se
rendre
compte
qu' i l
a i me
pt': s c Lonémen-c
la
vic.
I l
apprécie
non seulement
les vertus de la retenue, mais aussi le bonheur de se laisser aller
quand il n'est plus nécessaire de se retenir.
Sa quêtp. formatrice devait donc prendre la forme d'une carte,
11 a
ch i Ld t s
G~;"iected nap which,
if we lived long enough,
we could
reassemble
50
t ha t;
our
lite
was
'intelligently
laid
out
ue r or-e "
us."
(p.
566)
Greene
rev iendra
à
Freetown
comme
agent
de
l ' Intel1 igence
Service en 1941.
Il travaillera au "Secretariat" qu'il décrit avec
assez de détails dans The Heart of the Matter.
Son amour du contine~t noir oU il revient en 1959 se mesure
mi~ux à la vivacite tout à fait intacte des souvenirs qu'il en a
gardés
:
"It felt odd and paetic and encouraging coming be ck
ta
Africa
after
so
many
years.
A shape
irnposing
itself
on
life
aga in
after
chaos.
I t
was
like
seeing a
place
you 've dreamed
of,
even
t~,.., -wee't;
hot smell fram the land . . . was strangely f
~r
•.•
.I srnelt i t first at Dakar on my way to ~_
""'i
in 1934_ and always found i t again,
not only
~
West
Coast
but
on the
airfield at
Ce aab Lar.
':i
beyond Nairobi.
It will always be to me the
1
of Africa and Africa will always be
the Af~"
't.
t'1e
Victorian
Atlas,
the
o Lank ,
Une"
1
continent,
the shape of the human heart .... 111
Tl
convient
par conséquent de
retenir que
la
r epr s ent.a't Lor;
.
é
;2:
Greene se fait de l'Afrique depuis son enfance n~a jamais vari~ ~~r
David Nical, op.
cit.,
p.
24.

20
rapport
à
l'image
qu 1 i l
en
a
retenue
à
la
f in
de
ses
s
j ours
è
ultérieurs.
La
rémanence visuelle
et olfactive
qui
traverse ses
souvenirs
de
l'Afrique
comporte
donc
une
fonction
éminemment
cohésive.
Graham
Greene
a
été
l'objet
de
nombreuses
études.
Des
critiques comme David Lodge' reviennent souvent sur ce que Greene
appelle l'inclination de l/être humain pour "the dangerous edge of
things" et le vertige qu'il en
ép rouveê.
Bon nombre d'essais font
des allusions très fréquentes à la notion de frontière,
ainsi qu'à
une certaine mentalité qui lui serait inhérente,
et ils ont fini
par accréditer
le mythe
de
l'uni vers
"qr-ee n i en"
que
son propre
créateur appelle "a region of the mind"J.
Les romans de cet ancien agent secret britannique vivant en
France
accordent
une
place
de
choix
à
l'espace
et
s'inspirent
dlailleurs
dlune
vieille
conviction
de
leur
auteur
et
selon
laquelle,
c'est' denu
son
enfance
et
son
adolescence
que
tout
écrivain
créatif
perçoit
l'intégralité
ou
ft
tout
le
moins
une
partie de son monde. Sa carrière durant,
le romancier tendra donc
Ne~l McEwan, Graham Green~ (London
Penguin, 1988), p.l.
2
"Our interost lies on the dangerous edge of thlngs.
The honest thief, the tender murderer,
The superstitious atheist, demi-rep
That loves and saves her soul in· new French books -
We watch while these in equilibrlum keep
The giddy line midway.II,
Neil McEwan, Graham Greene (London : Macmill~n, 1988), p.
1.
ibid.

21
à
illustrer
tous
les
aspects
de
sa
vision
personnelle
par
des
t.e r-n.es
propres au monde que ncue partageons 1.
Parmi 10S premiers travaux qui ont été ronsacrés à ses romans,
notons
les an.r Lyee s
pénétrantes de A.A.
DeVittis
(Graham Greene,
Washington: Thwaine PUblishers,
1964), et de John Atkins (Graham
Gre~ne, London: John Calder, 1957). Les plus récents ~ont ceux de
Paul D'Prey
-A Reader's Guide Ta Graham Greene
{London : Thames
and Hudson,
198~ et de Norman Sherry -The Life of Graham Greene.
Volume One
:
1904-1934
(London: John cape,
19B9).
Si
les premiers critiques SI intéressent aux oeuvres et à
la
vie de Greene en général, Maria couta elle, traite de l'univers de
The
Heart
of
the
Mattel;':
et
des
catégories
raciales
et
socio-
professionnelles
auxquelles
appartiennent
les
personnages
dud Lt;
r'oman .
Cependant,
nous estimons que malgré les analyses psychologi-
ques,
psychanalytiques,
religieuses
et
politiques
dont
Graham
Greene
a
été
l ' obj et,
l'espace
romanesque
de
The
Heart
of
the
Matter
continue
d'être
l'objet
d'une
caractérisation
par
trop
rapide et mérite par conséquent ne bénéficier d'une étude séparée,
d'autant que bon nombre de critiques négligent l'espace africain
qui occupe à
notre avis une place prépondérante dans la création
romanesque de Greene.
l
Il
the creative v-r- i.t.er- perce ives the wo r-Ld once and for
aIl in his childhood and adolescence [so that] his whole
ca~eer is an effort ta illustrate his private world in
ue.rras of the great public wo r Ld 'Ne all stia re c u ,
ibir~.,
p i ë ,

22
2 L'Afrique dans l'enfance de william Boyd
William Andrew Murray Boyd est né le 7 mars 1952 à Accra. Fils
du
Dr
Alexander
Murray
dont
i l
a
donné
le
nom
au
sympathique
médecin de Po. GOQ~n in.Mri@,
i l a grandi au Ghana et au Nigéria
et est par consé~lent un Afro-scott puisque, rêntré au pays de sa
grand-mère,
il a continue son éducation à Gordonstoun School et à
l'Université de Glasgow. Ce jeune écrivain qui n'en est pas moins
considéré comme un pur produit des
"public schools",
a
également
fréquenté cre s.ue co Ll.eqe ,
Oxford,
tout comme Le ttnd ver-s Lt é
de Nice.
c'est donc dans le creuset universitaire londonien, moule de
tant de carrières littéraires exceptionnelles, qu'il conviendrait
d/aller chercher les rapports étroits que l'Afrique, William Boyd,
Graham Greene et Evelyn Waugh entretiennent dans
les oeuvres qui
nous intéressent.
William Boyd est un des tenants de la nouvelle génération de

romanciers britanniques et il admet être dans la lignée d-
Evelyn
Waugh :
"EveLyn
est
dans
la
tradition
comique.
Et
moi
e res i .
Mais
ce
n'est
pas
une
influence
directe.
C'est implicite. Cette espèce de roman comdr-v- avec
beaucoup de satire et d'ironie est assez h.,
,"'1
en
Angleterre.
La
di fférence
avec
Evelyn
\\"
-,
c'est
que
lui
écrivait
des
e
.s
autobiographiques. 11\\
Ce précurseur de Boyd se trouvait précisément être un ami et un
collaborateur de longue date de Graham Greene avec qui i l e-'
1
"wilJ iam Boye)'l in Li.bération, 14 janvier 1985, pp. 33-4.

23
fait Bailiai et rédigé de la critique littéraire pour de multiples
journaux. Tout comme l'auteur de The Heart of the Matter, celui de
~lack Mischief (Diablerie),
Il fresque
grinçante
et
douce,
roborative
et
narquoise mêlant l'establishment britannique et la
nomenklatura
d'un
pseudo-royaume
de
pseudo-
Afrique.
1
11
,
tenait
à
aller
s'abreuver
en
Afrique,
source
exceptionnnelle
d'expériences
et
d'inspiration.
D'ailleurs,
c'est
avec
lui
que
Greene envisageait de faire un autre Tour du Monde en Quatre-vingt
jours,
ignorant
que
l'infatigable
pionnier
s'apprêtait,
depuis
Rome, à aller en Abyssinie.
L'autre nimilitude relève de l'expérience journalistique. En
effet,
Boyd
a
lui
aussi
cherché
à
raffermir
son
écriture
en
rédigeant mille mots
hebdome da Li-e s
pour
le New statesman et
le
~nday Time.
En
outre,
son
enfance
africaine
est
pour
beaucoup
dans
l'affection qu'il voue aU continent noir qui lui a servi de décor
pour son premier succès dont James wolcott dit que
"The
guiding
spirit
of
A cood
Man
in
Af
's
Evelyn Waugh whose novels were classic displ

comic irritation. 2
11
.
On pourrait en dire autant de An
Ice Cream War.
Il
est pe r-
t
extrêmement significatif que l'imagination du même Wolcott c
-ve
P.
Ph.
Decraene,
L'Afrique
Littéraire,
1er
2e
et
3e
trimestres 1987, p.
29.
2
James
Wolcott,
"Call
me
nvana''
in
Harper's,
vol.
266
(March 1983), p.
62.

24
une fraternisation entre Smith dans ,bn Ice Crea~, War , Morgan dans
A Good Man
in Africa
et Scobie dans
The
Heart
of the Matter
en
pleine terre africaine
"In
Li s
pale
flab
and
fuming
agitation,
Walter
serves as an American cousin ta the hero of Boyd's
first
book,
and i t isn't difficult ta imagine the
two of them ta king drinks out on the veranda with
Graham Greene' 5 Scobie. Il'
Le continent africain est fort
familier à william Boyd qui en
a gardé des souvenirs de jeunesse indélébiles rappel-ant ceux que
Greene a retenus de la Sierra Léone et du Libéria. Ce jeune homme
qui
a
été
profondément marqué
par
la
ville
d '
Ibadan,
"le
plus
grand village d'Afrique,,2 où i l a
vécu jusqu'à
l'âge de dix ans,
considère le continent " n oir ll comme sa patrie :
"J'ai
toujours
vécu en Afrique.
Ma vraie vie est
là-bas.
L'étranger,
pour
moi,
c'était
le
Royaume
Uni,
l'Ecosse où
j ' a i vu pour la première fois la
neige
tomber
l'exotisme
complet
!
Tous
les
aspects de
la vie Africaine me semblaient normaux
et évidents,
ils étaient miens. ,,3
L'Afrique lui rappelle, entre autres choses, le calme précédant les
orages
africains,
les
grands-mères
aux
seins
flasques
(l>'~"lat-
breasted
qz andmot.he r s "}
que
Greene
décrit
de
façon
no-
-v-Lns
pittoresque par "breasts falling
in f Lat; bronze folds" 4 •
Jêlmr-::;
woLcot.t; ,
"Ca L'l.
me
Bwana Il
in
Harper' a,
vol.
266
(t'ic'-::h
1981),
p.
63.
a
William
Boyd ,
"L'Ecossais
d'Ibadan"
in
Jeune
Afrique
Economique N°144,
Juin 1991, pp.
186-7.
3
ibid.,
p.
186.
,
Norrr.an Sherry, op.
cit., p.
516.

25
La
sympathie de ces deux romanciers pour l'Afrique ne peut
donc manquer d'avoir un i~pact considérable sur les regards qu'ils
jettent sur l'espace africain,
de même que sur la perception de
leurs
personnages
et
le
destin
qui
leur
est
attribué dans
les
.lumans que notre travail se propose d'explorer.

26
3 De l'Atlantique à l'océan Indien
Cette
partie
de
notre
travail
est
une
reconstitution
panoramique des cadres physiques de The Heart of the Matter, de A
Good Man in Africa et de An Ice-Cream var- qu 1 i l serait possible
d' identifier à des espaces géographiques réels. Une telle tentative
de
restitution
topographique'
se
veut
non
seulement
trans-
continen~ale, mais aussi suffisamment homogène pour justifier la
corrt.Lnu Ltié thématique et sémantique envisagée initialement.
Dans
The
Heart
of
the
Matter,
l'essentiel
de
l'action
se
déroule sur la côte atlantique
:
"on the very edge of a
strange
corrt anent.v",
le long de
"Ku f a
Bay",
et plus précisément dans la
,
capitale de l'actuelle Sierra Leone. Le paysage est caractérisé par
une colline culminant au-dessus du port: "The path wou nd along the
slope of the hill. Dawn below him Wilson could s:e the huge harbour
spread out. Il
(p. 74)
La première excursion de Scobie, personnage principal du même
roman, le mène jusqu'à Bamba dont le nar r at.eur rrri s dit qu'il est
situé à un jour de voiture de la capitale :
"He wae away for a week ,
for i t took three da ys for
the
fever ta
run
its course and another two days
before he was fit to travelo Il (p. 94)
IIThe
àllurements
of
specificity
are
strong
enough
to
encourage certain writers to take extraordinary car.e in
delineating the topography of .inaq i ne.r-y places,
sa much
as to render them mappable . . . Il,
K. K.
Ruthven,
Cri tical
Assumptions (London: Cambridge University press, 1979),
p.
9.
a
Graham Greene, op. cit., p.
37.

27
La
troisième
dimension
de
l'espace
consiste
en
une
avancée
en
profondeur,
Pende se t rcuva rc dans la Guinée actuelle qu'un des
personnages assimile au pays colonisateur qu'êtait la France:
"They s t.cod on the verandal
of the D.C.'5 bungalow
at
Pende
and
watched
the
torches
maye
on
the
passive
river.
'Sa
that's
France,'
Druce
sald r
using the native term for it.
IIMrs Perrat said,
, Before the war we used ta
picnie in France."
(p.
Ill)
NC.l5
5QDlIIleS
en
pleine
Afrique
occidentale.
Et
lorsque
Scobie
,
.~iert des nouvelles de Durand avec qui il chassait jadis en
~toire franç~is, on lui répond
"He is in prison in Dakar, Il
( , ) .
"..';1
revanche 1 'histoire de A Good Man in Africa se déroule dans
la république fédérale de Kinjanja dont la capitale se situe plus
â l'ouest mais toujours sur l'Atlantique. Tout, dans la description
que William Boyd en fait;
laisse penser au Nigeria'.
D'abord,
les
noms des personnages
"Ch Le f
Mabegun,
qove r no r
of the Mid-West
s t.at.e" (p. 113) et Sam Adek un Lé qui évoque f ac i.Lemnnt; un homonyme,
figure politique nigériane très celèbre et surnommée "le Scorpion
Noir"
durant la 'cumul tueuse période des années soixante. Ensuite,
Il ( • • • )J'ai
utilisé
les
souvenirs
très
torts
de
mon
enfance nigériane.
Nous autres écrivains, notre enfance nous poursuit
souvent,
elle nourrit nos oeuvres,
toujours.
L'Afrique
est constitutive de moi-même,
j 'y ai passé des années
déterminantes, Accra et, surtout, Ibadan m'ont construit.
Je n'y suis pas retourné depuis 1974, non pas par crainte
de
trouver
la
ville
métamorphosée,
modernisée,
bouleversée,
mais
parce
que
l'occasion
ne
s'est
pas
présentée ... '1, w. Boyd, "L" Ecossais d' r uectan'",
in Jeune
Afrique Economie N° 144,
juin 1991, pp.
186-7.

28
la référence fort caracteristique à l'ftarmattan achève de préciser
l'enviro~nement continental du Nigeria :
"The sun shane large and red through the dust haze
of the Harmattan,
a hot dry mistral off the Sahara
that visited West Africa every year at this time,
and
that
eut
the
humidity
by
a
negligible
few
percent, filled every crevice with fine sandy dust,
and cracked and warped wood and plastic like sorne
invisible force-field."l
c'est la même zone que Joyce Cary avait choisie pour camper
Mister Johnson2. Cependant, comme on l'a déjà fait remarquer, bien
que
d'un
intérêt
certain
pour
notre
étude,
ce
roman
offre
la
particul~rité de comporter des personnages majeurs Gui ne sont pas
des expatriés.
Il raconte une histoire se dérou13J".t dans lE"
zone
soudanaise
occidentale,
plus
précisément,
au
Nigéria,
pays
des
émirs africains.
La beauté des
femmes de Fada est célèbre
("The
young women of Fada,
in Nigeria,
are we L'l known for beauty.",
p.
13)
mais ce che fv Lf.eu offre l'aspect d'une c r or.t.e de plaie:
"It
is
a
pioneer
settlement
five
or
six
hundr ed
years old,
built on its own rubbish heaps without
charm even of antiquity. Its squalor and its stinks
are aIl new L••• ]
the whole place,
flattened upon
the earth like the scab of a wound, would strike i t
as something between a prison and a hospital."
(pp.
110-11)
L'açtion de Brazzaville Beach se déroule pas très loin de là,
comme en témoigne la joute orale dans laquelle l'héroine éprouve
Willia~ Boyd, A Good Man in Africa, op. cit., p. 25.
2
Joyce
Cary,
Mister
Johnson
(Harmonusworth
penguin,
1969) •

29
la bonne foi d'une vendeuse de panais
"Hope Clearwater buys four pa ren Lpa in the market
today.
She is delighted and very surprised to find
them.
She asks the trader where they come trom.
Nigeria, the trader says. Hope doesn't believe her,
and questions her skeptically
'Where exactly in
Nigeria ?'
The trader
Ls
not pleased to have her
ward doubted.
'Jas,' she says, and turns away. Hope
remembers that Jas 15 situated high on the plateau
in central Nigeria [ ... ] ,,1
La carte géographique de l'ancienne colonie portugaise qu'est
l'Angola, est brossée selon les exigences d'un récit comm~nçant aux
rivages de l'Afrique
"I
live on Brazzaville Beach.
Brazzaville
Beach
on
the
ed'ge
of
Africa. n l
La
plage
est
nommée
d'après
la
Conférenc:e des Qùatre de Brazzaville qui consacrait l'Indépendance
angolaise en 1964. Le lieu doit son appellation à des ouvriers du
chantier voisin et se situe ?u sud du pays.
La ville qu'il borde
est une zone aéroportuaire située à quinze kilomètres du delta ou
le fleuve Cabu Le coule pour a L'l e i
vomir ses eaux brunes dans le
delta3.
La
route
qui
y
a
mené
la
narratrice.
Hope
Clearwater,
remonte vers le nord à travers trois cents kilomètres de paysage
fait de brousses arides et de forêts s'étirant jusqu'à une fracture
William Boyd,
Brazzaville Beach, op. cit., p.
61.
2
W. Boyd,
Brazzaville Beach, op. cit., p. xi.
,
"be f oz-e disgorging its brown water into the dank creeks
of
i ts mangrove-clogged de Lta ten miles away down the
coast.", W. Boyd, Brazzaville Beach, op. cit., p. 58.

30
tectonique désignée sous le nom d'"escarpement"
11 [ • • ]
We
were
now
near
the
edge
of
the
lush
vegetation that marked the southp.rnmost precinct&
of the national park.
The escarpement here took a
ninety-degree
turn
east.
Due
south
was
a
wide,
fIat,
rift valley of featureless orchard bush and
small villages, scattered miles apar-t c v!
Il
est entouré d'une savane arborée et divise
la
contrée
entre
z one a nard et sud.
La
partie septentrionale
est.
assez
représentative des
pays
formant
le
ventre
mou
de
l'Afrique
et
qui
SOî1t
minés
par des
guerres
civiles
opposant
des
enclaves
rebelles
aux
pouvoirs
fédéraux depuis
plus
d'Un
quart
de
siècle.
Elle
consiste
en
un
kaleidoscope de prairies,
de forêts denses et luxuriantes.
En un
certain
endroit,
la
nature
étale
un
véritable
miroir
a
toute
l'Afrique :
tlI put my hands on my hips and looked around me. We
could be almost anywhere in Africa,
l
recognized.
The
scene was at
once
typical
and
banal.
A pot-
ho Led
road
running
straight
t.b r-ouqh
low
scrubby
f~rest, a
scatter of decrepit hùts,
a strange dry
smell in the air of dust and vegetation, a big red
sun about to dip below the treeline,
the plaintive
chirrup of crickets. 112
Le reste de la contrée est parcouru par des rivières flanquées de
marais
et
de
mangroves
rejoignant
les
affluents
du
Musave
qui
boucle le pays angolais au nord.
w. Boyd, Brazzaville Beach, op. cit., p. 179.
a
W. Boyd,
Brazzaville Beach, op. cit.
p.
256.

31
La continuité géographique peut être assurée, en l'a vu, par
les romans de Cary.
Le projet r'omane aque de J,o
Ca r-y est de nous
faire
partager les diverses
"e xpé r-Lence s "
vécues en Afrique.
En
cela,
i l
sui va i t
l'exemple
de
Joseph
Conrad
dont
Graham Greene
cessa
délibérément
de
lire
les
ruffians
pour
ne
pas
en
subir
de v...UI ....uge l'influence.
Il est donc intéressant de mentionner le décor problématique
de The Heart of Darkness' qui, bien que représentant une référence
fort précieuse, reste très spécifique parce que
semi-aquatique et
forestier:
"
\\rie stopped
and
the
silence driven
away
by
the
stamping
of
our
feet
flowed
back
again
from
the
recesses of the land. The great wall of vegetation,
an
exuberant
and
entangled' mass
of
t runxs ,
branches,
leaves,
boughs,
festo~ns, motionless
in
the
moonlight,
was
like
a
rioting
invasion
of
soundless life, a rolling wave of plants ... And i t
moved not. 112
Cette Afrique sauvage est essentiellement représentée par une flore
massive,
touffue
et
inextricable.
Elle
suffoque,
paralyse
et
apparaît comme cauchemardesque, hallucinante et menaçante.
Mais sur sa surface terrestre comme dans sa partie aquatigue,
l'univers conradien que voilà partage avec The Heart of the Matter
une grande capac~té à susciter l'anxiété, de mê~e qu'à provoquer le
désespoir et la folie.
Nous en retrouvons le témoignage dans la
motivation
foncièrement
déterministe
d'un
personnage
blanc
de
Joseph
Conrad,
Heart
of
Darkness
(L .... ndon
penguin,
1983) .
a
Joseph Conrad,
op. cit., p.
61.

32
Conrad: 'IIt would he interesting for science te watch the mental
changes
of
individuals
on
the
spot. 111
Cette
motivation
a
t.é
é
pr6~:sément valorisêe par Graham Greene dont le héros, Scobie, est
j
des rares expatriés à pouvoir "tenir le coup" 1
"one
of
the
few
whites
who
have
successfully
resisted
the
disintegration
which
the
tropics
produced in rnediocre Europeans. IIi?
La couvertu~e du Congo par le chef-d'oeuvre de Conrad pourrait
.e r-e Le.yée par Olive Schreiner. L'inestimable héritage laissé par
-manc Lè r e
sud-africaine
est,
il
est
vrai,
centré
sur
une
A...... _"':1u.e
du
Sud
aux
réalités
géographiques
et
socie-politiques
que ... Y. ....'"
peu différentes.
En
effet 1
l'action de The
story of an
African Farm3 est campée dans un décor
parsemé d'une végétation
fort
caractéristique
et
consistant
en
"buah Landv ,
"ac rubev,
et
"stunted kop j ea'",
Il
apparaît comme un milieu chiche,
rempli de
souffrance et de confusion, et part.iculièrement trompeur:
"An evil
world,
a deceitful,
treacherous,
mirage-like world . . . "
(pp.
277-
78) .
Pourtant Frùncis Brett Young envisage une configuration assez
particulière pour l'Afrique du Sud dont il esquisse le panorama
Joseph Conrad, op. cit,
p.
49.
e
Davidson Nicol,
op. cit.
p.
25.
2
Olive Schreiner, The story of an African Farm (London
Donker Ltd,
1975).

33
dans In South Africa
"...
ce sont les terres situées au sud du Tropique
du Capricorne
:
Union Sud-Africaine,
le Bassouto,
souazi, Betchouanaland, mais aussi une partie des
terres d'Afrique Occidentale sous mandat anglais,
et une partie de l'Afrique Orientale Portugaise. A
ces
territoires,
pour
des
raisons
de
parenté
ethnique et géographique, i l e jout;a la Rhodésie du
Sud ... 1
c'est précisément cette aire que An Ice-Cream War balaie de
façon répétitive.
Un simple relevé topographique balis~ l'espace
suivant
Dar
es
Salam,
les
collines
Usambara
et.
Pare,
Le
Mt
Kilimanjaro, Buiko (Afrique Orientale Britanniqup ) , Moshi (Afriqup.
Orientale
Allemande)
Taveta,
'10i,
Nairobi
(Afrique
Orientale
Britannique)
; Tanga,
Nanda
(AOA)
;
les collines Salaita
(AOB)
Dar es Salam, Kibongo, Lindi, le pla~eau Makonde (AOA), Boma Durio
(Afrique Orientale Portugaise), Kasama (Rhodésie), Nairobi, Dar es
Salam, et enfin ~ombasa.
La ressemblance entre cet itinéraire et le plan de campagne
qu'a suivi Francis Brett-Young sous les ordres du général Smuts est
extrêmement frappante.
Les repères retenus par Jacques Leclairez,
recoupent de part en part ceux que nous avons trouvés dans An Ice-
Cream War
Taveta,
vo i ,
"the bu Lk
of Kilimanj ar-o'",
"les monts
Pareil,
le "p La't.e au fertile d eüe ambe r-av ,
Francis Brett Young, In South Africa (London
Heinemann,
1952),
pp.
181-82.
2
Jacques
Lec1aire,
Un
Témoin
de
l'Avènement
de
l'Angleterre Contemporaine: Francis Brett Young (Rouen:
Publications de l'Université de Rouen,
1969), p.
258.

3.
La ~econstitution de cette ceinture contirentale africaine à
laquelle
nous
venons
de
procéder
témoigne,
non
seulement
ct' une
étendue
considérable,
mais
aussi
d'une
extrême
variéte
géographique, culturelle, sociologique suffisamment représentative
pour valider l'hypothèse d'une continuité thématique et sémantique
dans les romans Africains de Graham Greene et de William Boyd.

35
CHAPITRE I I :
L'AFRIQUE DANS LES ROMANS
LES FORMES DE L'ESPACE

36
A.
L'ESPACE DOMESTIQUB
1 La ville
Le rôle socio-économique et politique d'une ville,
de même
que sa configuration,
sa structure,
ou sa lisibilité sont,
entre
autres éléments,
des
facteurs déterminants de climat mental,
et
d'individualisme.
Leur
impact
sur
la
création romanesque de
nos
auteurs est évident .
Greene a
une vision très négative de la ville occidentale'.
Il n'a pas été l'un des premiers à fustiger l'urbanisation sauvage
et
déshumanisante
si
âprement dénoncée
par Victor Hugo,
Charles
Dickens, Thomas Carlyle, Jules Verne, Joseph Conrad, D.H. Lawrence,
etc. Son originalité réside cependant dans sa foi en un transfert
inéluctable de
la ville déshumanisée du centre,
incarné par les
pays dits développés à la périphérie qu'il s Lt.ue en Afrique. Cette
vision
qui
se
veut
réaliste
commence
donc
par
jeter
un
regard
nouveau sur la ville africaine ou tout ce qu'il dénonce se trouve
être \\.one importation venue du "centre ll •
Trois décennies séparent l'image de la ville africaine que
nous propose Graham Greene (1948) et celle qui se dégage de A Good
Man in Atrica et de An Ice-Crea~ War publiés respectivement en 19A1
et
1983.
Les
similitudes
reflétées
par
ces
portraits
urbains
méritent qu'on s'y attarde un peu.
Dans The Heart of the Matter,
"Eve r-yt.h Lnq
ugly
in Freetown was
European . . .
if there
anything beautiful in the place i t was native. Il ,
Maria
Couto, op. cit., p.
12.

37
Graham Greene appelle la ville de Pr-ect.own une colonie'. C'en était
véritablement une qu'il connaissait très bien pour y avoir servi
pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Cependant, au plan romanesque,
cette ville ne nous est jamais présentée dans une vue d'ensemble.
si nous en voulions une représentation panoramique, elle pourrait.
comme
Kinjanja
dans
A
Good Man
in
Africa,
se
découper
en
sept
entités.
La
première est
la cité administrative,
parcourue par James
street que domine le Secrétariat et à l'ang~e de laquelle se dresse
un cotonnier séculaire à côté de la police et du tribunal. Elle est
également
s':::':.::nnée
par
Bond Street,
Durban street,
et. Macaulay
street,
fiefs
des
commerçants .ey r-Lena .
Les
zones
suivantes
se
composent essentiellement du po~t, de Sharp Town, de Cape station,
des "Nissen Ruts", du quartier des Créoles et enfin de Kru Town.
L'angle sous lequel Cet espace urbain nous apparaît est celui
du port.
Les
regards
de wilson
et
de
Harris
en
ont,
depuis
le
balcon de l'Hôtel Bedford, manifesté la présence
"he had his face
turned to the sea . . . "
(p.
Il),
liOn either side of the school the
tin roofs sloped towards the sea . . . Il
(p.
Il),
"Ha r-r-Ls stared over
the
tin
roofs
towards
the
harbour. Il
(p.
13) .
Sa
beauté
crépusculaire et très fugace n'est appréciée que de Scobie et des
autres rapatriés britanniques qui, une fois rentrés,
subissent
"One counted age by the years
a
man had served
in the
colony.", Graham Greene,
op.
cit., pp.
16-17.

38
l'effet conjugué de l'alcool et du mauvais temps londonien:
"Men who had left the port for ever wou Ld sometimes
remember on a grey wet London evening the bloorn and
glow that faded as soon as it was seen : they would
wonder why they had hated the coast and for a space
of a drink they would long ta r-e t ur-n c "
(p.
26)
Sa
partie
aquatique
est
caractérisée
p~r
une
impression
ct ... iltense grouillement
("moved like flies",
p.
74)
provoquée par
les
petites
embarcations
tournoyant
autour
des
bateaux,
des
"destroyers",
et
des corvettes
que Greene
compare
à
des chiens
("Th........
.sat;
like dogs."
p.
101),
mais
du
danger
que
traduit
le
schème "':a l'avalage ("the hungry mouth ... 11, p.
38).
r- ,,_~-~nt
à
sa partie terrestre,
elle consiste en un wharf de
bois,
ueS
magasins parmi lesquels,
l'immeuble blanc abritant les
bureaux
du
Syrien
Yusef,
des
piles
de
caisses,
et
des
fûts
d'essence.
L'intérêt
symbolique
de
cet
endroit
infesté
de
rats
aquati~ues, tient d'abord au aünger mortel repré~~nté par les rats
humains qui y pullulent, attaquant ou tuant les individus isolés ou
autres
policiers
désignés
à
leur
vindicte.
Ces
jeunes
qez-çons
viennent souvent de Kru Town et sèment la mort à coups de rasoirs
et
de
tessons
de
bouteille.
La
nature
t.ranchant;e
de
ces
armes
blanches rime avec la configuration spa~iale de cette arête côtière
qu'est le port
"the very edge of Africa"
(p.
36),
"the wood en
jetty
on
the
edge
of
Africa"
(p.
238).
Tout
ceci
renforce
l'impression de péril ou de mort liée à cette zone périphérique.
D'ailleurs, l'image proverbiale:
"the thin wedge of the edge"

39
illustrerait assez bien la relation entre la nature dangereuse de
cet
endroit
et
la
logique
infernale
qui
découle de
l'évolution
tragique de 'Scobie.
Le second intérêt qu'on pourrait trouver dans le port
réside dans le penchant singulier du héros pour le caractère
magique d'un tel lieu,
source d'un irrationnel ambiant mais
relevant d'un traitement fort réaliste de l'espace africain.
En effet,
le port est un lieu Scobie e~-:':: toujours sûr de
rétablir son équilibre au contact de l'étrange te~re africaine au
seuil
de
laquelle
i l
se tient debout,
inhalant profondément les
fortes senteurs marines
"The magic of this p La ce never failed
him:
here
he
kept
his
foothold
on
the
ver-y
edqe
of
a
strange
continent. Il
(p. 37)
Cet endroit enchanteur abrite les bureaux de Yussef dont le
magnêtisme préfigure l'influence néfaste que leur occupant aura sur
le héros du roman.
Rappelons-nous,
en effet,
que c'est en ce lieu
que
Scobie
remet
son
sort
entre
les
mains
du
libano-syrien,
scellant ainsi son destin tragique â celui d'Ali qui finira sa vie
entre les mains des rats humains du port.
Sharp Town,
~n revanche, n'est pas un quartier chic prisé par
les expatriés. Néanmoins,
il occupe une place considérable dans la
vie de la ville,
dans son fonctionnement administratif,
juridique
et légal, ainsi que dans l'expérience africaine de l'expatrié. Les
propriétaires
des
maisons
qui
le
constituent,
des
femmes
essentiellement,
y
louent
des
chambres
que
sous-louent
leurs
locataires,
femmes
pour
la
plupart.
L'extrême
facilité
et
la

40
fréquence avec lesquelles s'érigent,
se démontent et brûlent les
cloisons
par
lesquelles
se
multiplient
et
disparaissent
ces
chambres
de
fortune
tiennent,
d'une
part,
à
la
nature
légère,
fragile et hautement inflammable des matériaux de construction, du
mobilier
ou
des
ustensiles
(contre-plaqués,
cartons,
lampes-
tempêtes à pétrole)
The glass of these lamps did nct long survive, and
tûe little open fJames were always ready ta catch
sorne split pa.r a f f Ln
;
they
licked at
the
plywood
partitions and caused innumerable fires.
Sometimes
a landlady would thrust her way into her house and
pull down the dangerous partitions,
sometimes she
would
steal
the
lamps
cf
her
tenants,
and
the
ripple of her theft would go out in widening rings
until they touched the European quarter and became
a subject of go55ip at the club. Can't keep a 1arnp
for love or money
(pp.
18-19)
c
"
D'autre part,
i l s'y ajoute la grande diversité d'Une
population flottante et marginale.
L'espace ainsi occupé devient
plastique.
Sa surface témoigne d'une mobilité océane:
les vagues
d'incendies,
de
rumeurs
de
vols
ou
de
corruption,
et
de
plaisanteries grivoises,
déferlent
jusqu'aux 20nes périphériques
telles que Cape station et son club ou les expatriés en font des
gorges chaudes.
La redistribution clandestine de l'espace n'est pas la seule
caractéristique de Sharp Town. Dans ce quartier sordide mais subtil
(" sharp"), la justice et les convictions intimes y sont battues en
brèche e'c les
représailles de ses occupants toujours payantes
:
l'The
result
of
't.b at;
inaction
had
been
stones
flung
at
his
car
window,
slashed try r-e s
. . . "
(p.
20)

41
Un
autre
district
ayant
un
impact
considerable
sur
l'expérience africaine de l'expatrié est le quartier créole,
désigné
par
l'expression
"the Creole house a''
ct.
si tué
entre
la
~~n de Scobie et la mer. Les contentieux impliquant ses
orlY..l.naires sont toujours révélateurs de l'écart entre le langage
européen et le discours de ces créoles organisés, puissants et qui,
comme
Greene aime à
le
rappeler,
sont
de-s
transplantés
revenus
d eAmé r Ique .
Le
langage
administratif
qui
a
toujours
fait
ses
preuves outre-Atlantique, n'est plus cette expression transparente
ou cet instrument de travail si apte à démêler le vrai du faux :
"In European cases there are words one be Li.evee and
words
one
distrusts
i t
La
possible
ta
draw a
speculative line between the truth and the lies . . . ,
(p.
140).
Scobie continue d'en faire l'expérience lorsqu'il mène une enquête
sur un simple larcin s'étant produit au quartier Créole.
IIHe had known police officers whose
nerves broke
down
in the effort to separate a
single grain of
incontestable truth ; they ended,
sorne of them, by
striking
a
witness,
they
were
pilloried
in
the
local
Creole
pa pers
and
were
invalided
home
or
transferred. II
(pp.
140-1)
Le milieu urbain de
A Good Man
in Africa
comporte
le même
intérêt.
rI s'agit de Nkongsamba,
"the only large town in a small
state in a not-very significant West-African country. Il (p. 17) Très
souvent,
le héros perçoit
la ville
à
travers
la
fenêtre
de
son
bureau perché au sommet
de la septième colline, les six autres se
fusionnant
en
une
surface
tentaculaire
rouillée
et
érodée
â
l'extrême.
Comme les toits en tôle ondulée de L.I. co Lon Le décrite
par Greene,
ceux des maisons
et
immeubles de Nko nqaernb a
ont des

42
caracteristiques intrinsèques. Toute cette masse est si expansive
qu'elle est comparée
une mer métallique et bilieuse
("b.ilious
à
metallic seal', p. 17).
Des quartiers distincts en émergent
à
peine.
Un découpage
grossier donne trois aires principales: les districts résidentiels
chics des
expatriés,
1 'univers! té
fédérale
de
Kinj anj a,
village
paradisiaque, et la zone des défavorisés.
Pour
analyser
l'impact
de
cette
ville,
il
est
utile
de
recourir à cette citation de George Simmel
Le
fondement
psychologique
sur
lequel
repose
le
type
du
citadin
est
l'intensification
de
la
vie
nerveuse,
qui
provient
d'une
suite
rapide
et
ininterrompue
d'impressions,
aussi
bien
externes
qu'internes . . . la
ville
introduit
aux
fondements
sensitifs
mêmes
de
notre
vie
morale,
par
la
quantité
de
conscience
qu'elle
réclame,
une
différence profonde d'avec la petite ville . . . n '
c'est le même scénario qui se reproduit ici. Morgan voit è'en
haut
une
ville grouillant particulèrement de bâtiments d'argile
croulants.
Ces
derniers,
tous
couverts
de
tôles
ondulées,
s'étendent anarchiquement le long de caniveaux ou de fossés puants
et
parmi
des
monticules
d'immondices
assortis
en
put.r-e.tec t f.onv!
L'espace
restant
fourmille
de
foules
aux
cm' i euz-e
bigarrées.
Françoise
Choay,
L'urbbnisme.
utopies
et
réalités,
(Paris: Seuil,
1965), pp.
410-11.
2
"Apart from the claustrophobie proximity of the buildings
ta one another, and the noisome cloying stench of rubish
and
assorted
decamposed
matter,
i t
was
the
heaving
manifestation of organic life in all its forros that most
struck Morgan about Nkongsamba.lI,
William Bayd,
A Good
Man in Africa,
op. cit., pp.
17-18.

43
L'énorme masse qui s'y meut est extrêmement hétézogène : véhicules,
vendeurs,
simples
passants,
éclopés
sautillant,
rampant
ou
se
propulsant sur des trottinettes, malades mentaux venus de la forêt,
caprins,
bovins, etc.'
L'énergie qui se dégage de la ville semble également relever
d'une force brutale dont apparemment rien ne viendrait à
bout
même pas une bombe atomique, ni même un missile Polaris. Il émerge
de tout cela une image multiforme
celle d'un monstre que lui
rappelle un cafard à
la couleur d'étain brun et brillant.
Cette
vision obsédante se transforme en une énorme flaque crapuleuse de
vomissure,
déposée sur une pelouse non tondue,
ou en 'ne culture
écumante de levure oubliée par un distrait laborantin
"Morgan liked to imagine the town as sorne immense
yeast
culture,
left
in
a
damp
cupboard
by
an
ansent-minded
lab-technic-~an,
festering
uncontrolled
running rampant 1r1 t-he Ideal growing
1
conditions. Il
r~
frayeur
qu'elle
inspire
tient
probablement
à
l~
prolifération
inéluctable
de
cette
décomposition
Il i t;
was
the
heaving manifestation of organic lifa in aIl its forms that struck
about Nkongsamba."
"Among the brightly-clad swarming crowds were alarmingly
deformed leprous beçgars, with knobbled blunt limbs, who
staggered, hopped and crawled along, occasionally, if in
a
part:.icularly
dire
condition,
propelling,
themselves
about on little wood en trolleys. ", v.lilliam Boyd, A Good
Man in: Africa,
op. cit., p. 18.
,
William Boyd, A Good Man in Africa, op. cit., p. 17.

44
La
f r ayèu r
qu'elle
inspire
tient
pz obab Lemerit;
a
la
prolifération
inéluctable
de
cette
décomposition
"Lt;
vas
the
heaving manifestation of ocganic life in aIl its forms that struck
about Nkonqe amba c "
(p.lS)
Morgan perçoit dans une telle vue panoz arru.quc à la fois une
hideur et une énergie vitale Jans les objets organiques et finit
:r
n
être
subjugué.
Nkongsamba
renvoie
au
héros
le
reflet
du
Cl ........ ~ __r
de cet espace urbain,
" p a r anoiac vision of a
mad
town
p.Lanne r v "
(p.
17)
La
malveillance
attachée
à
cette
vomissure
introduit le pes,simisme dans le roman.
En e r ô-at.,
comme tout bon
para ne
~que, Morgan voit
planer sur la capitale de Kinjanja une
force
supérieure
vouée
à
sa
perte.
La
vue
qu 1 offre
la
ville
le
revigore ou le déprime selon son humeur du moment : "Depending on
his mood Nkongsamba either invigorated or depressed him." (p. 19).
Ceci établit le rôle décisif de cet espace urbain dans ~ Good Man
in
Afri'.:a.
Le
fantôme
d'Ibadan
rôde
dans
tous
les
romans
"a f r'Lca' ::s" de Boyd :
"Lb.ada n ,
j'en
parle,
de
manière
déguisée,
dans
presque toutes mes oeuvres : dans mon premier roman
- Un Anglais sous les Tropigue~ - j'en ai fait une
ville camerounaise
~ dans La Ch~sse au lézard,
je
décris le campus et mes jeux. Ibadan a même réussi
à
se glisser
dans mon
dernier
livre,
ail
j'avais
voulu évoquer une Afrique imprécise, générique.'"
En effet, dans Brazzaville Beach,
l'univers urbain se résume
à
une ville sans nom et bordée par la plage donnant son nom au
roman.
A
vol
d'oiseau,
l'énorme
agglomération,
capitale
ct'une
William Boyd,
"L" Ecossais d'Ibadan",
in Jeune Afrique
Economie N" 144, juin 1991, pp. 186-7.

province très oràinaire, se pz-é acn t.c connue un ensemoj e composite de
toits en tôle ondulée "pareil â. un collage cubist~, tout en gris et
bruns."
(p.314)
Elle rappelle Nkongsamba à maints égards. Sa périphérie, par
exemple,
se
compose
de
bâtisses
cr ..su Lan t.e s
bordées
de
fossés
profonds.
Comme
en
témoigne
le
noyau
de
pâtiments
modernes
constitués
par
une
banque,
la
cathédrale
toute
blanche
et
un
magasin de quatre étages,
cette ville a été foudroyée en pleine
croissance par la guerre. Tout s'est figé en plein envol dans des
phases
donnant
l'impression
d'une
entrave
généralisée.
Nous
y
retrou\\
:a cacophonie musicale et les concerts de klaxons,
les
vendeur ....
':.e montres russes,
de plumeaux,
de stylos
feutres déjà
rencontrés dans A Good Man
in Africa.
La
narratrice y
revenait
souvent pour se changer de la campagne. Elle a fini par s'installer
à sa plage, rongée par l'incertitude et l'angoisse de l'expectative
inhérente à cette ville,
symbole de l'inachevé.
Comme on le voit, la ville présente un visage conflictuel. Les
personnages se la représentent comme un univers qui rend confus,
désoriente et favorise les déviations.
LJatmosphère qui y règne,
rend les héros incapables de structurer un tel monde de manière à
en tirer une relation satisfaisante.
Le
chaos qui
s'y
installe
tourne parfois autour de l'irruption d'une puissonce maléfi~ue et
exerce une
influence négative
sur
le
comportement des héros de
Greene et de Boyd.

46
2 L'UDiv.r. 4ça••tiqu.
L'univers domestique joue un rôle déterminant dans les romans
"africains" de Greene et de Boyd.
Puisqu'il s'agit d'étudier le
comportement de personnages européens en terre africaine, il serait
utile d'accorder une place de choix à la maison, considérée à juste
titre par certains
anthropologues comme un microcosme reliant le
cosmos au corps humain.
D'ailleurs, comme le dit Gilbert Durand,
"Dis-moi la maison que tu imagines, je te dirai qui tu es." 1
Norman Sherry, auteur de la très récerte biographie de Graham
Greene,
donne
de
la
résidence
de
ce
dernier
a Antibes,
une
description qui pourrait laisser penser que l'auteur de The Heart
of the Matter était, trente-cinq années plus tard,
à
la recherche
du même cadre de vie dont Scobi o est tombé aacurecx , Mais _jugeons-·
en plutôt :
"There were some personal touches -eight pictures
but no photographs
-
and
if our living-rooms are
places
which
reflect
our
personalities,
was
Greene's an accident or a calculated revelation of
character?
[r, •• ]
writing
at
his
dual-purpose
t.ab ï.e ,
Graham
Greene faced into the light through a window which
shows a
fine vt.ev of the marinü,
a
few yachts in
the winter sun (it had stopped raining)
and on the
far
side
of
the
basin
the
low-slung,
immensely
powerful
sixteenth-century
Fort
Carré,
mountain-
solid. ,,2
Gilbert Durand, op. cit., p. 277.
2
Norman Sherry,
The Lite of Graham Greene.
Volume One «
1904-1939 (London: Jonathan Cape, 1989), pp. XVII-XVIII.

47
outre cette tendance à
se passer des photographies,
Graham
Greene partage aveC son personnage Scobie cet amour pour une vue
particulière : une maison faisant face à un bassin baignant dans le
soleil : "From the bedroom window they could se~ its long grey form
steal past the bpom" (p. 97).
Dans The Heart of the Matter, des métaphores martiales telles
que "out-manoeuvered",
"war" et "lost •..
tio"
(p.
21)
traduisent
clairement l'humiliation du perdant qu'est Scobie et annoncent la
nature
conflictuelle
de
cet
univers.
Contraint
de
quitter
le
logement
au
"10ng
bungalow
living-room"
(p.
195)
le
héros
de
Greene
en
occupe
un
autre,
isolé
et
pris
entre
Cape
station,
quartier qui sied mieux aux expatriés du même grade que lui,
la
zone
résidentielle
de
leurs
subalternes,
un
pat-e
de
véb Lcu Lee
militaires et un dépôtoir infesté de vautours.
Initialemen"t construit pour un commerçant syrien, cet immeuble
blanc à un étage et quelque peu semblable â celui ùes bureaux de
Yusef,
un
autre
syrien,
consiste
en
un
saJGn,
une
c~isine
transformée en débarras, des toilettes et une chambre à coucher.
La demeure que voilà représente un pis-aller dont Scobie et
Louise
doivent
se
contenter.
D'ailleurs,
elle
peut
même
leur
échapper à
la moindre absence de la conjointe,
si l'on en croit
Scobie : l'They may turn me out for a married couple." (p. 100) Les
mauvaises langues y voient le symbole d'un déclassement social sans
lequel
Madame sccc re serait
à
"sa
place"
à
\\':ape
Station.
Elle
représente donc une pomme de discorde entre expatriés. Louise s'en
sert
pour culpabiliser
un
mari
qui
n'aurait
pas
su
être
à
la

48
hauteur,
tant i l est vrai qu'assurer un glte :1écent à
son épouse
est une obligation conjugale.
Pour
mieux
saisir
la
nature
de
cet
espace
domestique,
essayons un instant de lui substituer la conception idéale dans la
description du
foyer
dont Scobie
lui-même
rêve et
qu'il
n'aura
jamais :
"He thought of a home,
a permanent home :
the gay
artistic curtains, the bookshelves full of Louise's
books,
a pretty tiled bathroom,
no office anywhere
-a home
for
two until
death,
no change any more
before eternity settled in. 1I
(p.
45)
La tranquillité à laquelle il aspire, apparvuaeent., pour un tel
cadre de vie à deux,
est compromise par la realité. Généralement,
les résidences des colons sont toujours perchées sur les collines,
dominant ainsi les autochtones.
En plaçant celle de Scobie
("the
squat grey-haired man Il ,
p.
13)
aussi bas,
Graham Greene la fait,
elle aussi, écraser par le destin. Elle est sise a un endroit bien
particulier, comme le montre la fin de l'histoire
"Scobie
had
been
out-manoeuvered
in
the
in-
terminable
war
over
housing.
During
his
last
Leave
he
lost
his
bungalow
in
cape
station,
the
maLn
European
quarter,
to
a
senior
sani tary
Lnspect.or- called
Fellowes,
and had
found himself
r~'!legated to
a
square
two-stoceyed
house
built
o::'iginally for a Syrian tr'1der on the flats below
-a piece ~f re- claimed swamp which would return to
swamp as soon as the rains set in."
(p.
21)
Tour à
tour,
le narrateur et Scobie reviennent sur la vraie
nature de ce site qu'ils appellent lia piece of reclaimed swampll,
Il li ttle
patch
of
reclaimed
qz-ound"
ou
"avamp-
tout
court.
11
ressort de la description que mar-e i s ce terrain est, et marais il
restera.
Donc de ce deuxième type de combat,
la nature africaine

49
sortira
victorieuse.
Les
marais
que
voilà
constituent
au
plan
métaphorique, le théâtre d'un inéluctable enl Laement, social, moral,
religieux et finalement celui de la mort dé Scobie.
S'lI est vrai,
comme le dit Bachelard,
que "La maison bien
enracinee aime avoir une branche sensible au vent, un grenier qui
a
des
bruits
de
feuillage. II ' ,
celle
de
Scobie
est
de
par
sa
position, beaucoùp trop exposée aux terribles alliés des marais que
sont la pluie et le vent.
La tornade qui nait de leur conjonction
vient invariablement violenter la demeure et ses occupants : "the
tornado blowing open the windows at one in the mo.rn i nqv ,
(p.
59)
Cette
demeure
est
à
l'évidence
tout
le
contraire
d'un
abri
douillet.
La description
que William Boyd livre des maisons de ses
personnages est très proche de celle que nous avons rencontrée chez
Greene. En effet. dans A Good Man in Africa, Morgan Leafy est doté
d'une per-sonna ï L'cé qui, nous le verrons plus loin, ne jure pas trop
avec celle du "personnage" qu'est devenu son logement:
His
house
was
a
long
squat
bungalow
set
in
a
generous
garden
dotted
with
small
groves
of
frangipani
and
evecaœ trees and presided over by
several casuerina pines.
only half the house -the
two bedrooms and his study -was mosquito-proofed.
The
other
half
consisting
of
an
airy
dining/sittingroom, kitchen and pantry, was fronted
by
the
usual
wide
verandah
upon
which
he
now
paœed ;"
(pp. 62-3)
L'adjectif "equat;" indique que la maison est accroupie comme
celle de Scobie, signe d'une nature précaire. En outre, la division
- - - - - , -
cité par- Gilbert Durand, op. cit. 1
p.
190.

50
médiane
du
bâtiment matérialisée par
le
grillage
pourrait
être
rapportée
à
son
occupant
suspect
d'une
petson~lité divisée.
D'ailleurs, Leafy est trés sensible a l'environnement de la maison:
"Lt; seemed huge and empty and he fel t
its vacant rooms and dark:
corners whisper vith melancholy and depression. Il (p.
240) Ajoutons
que
cet
univers
est
également
caractérisé
par
le
grouillement
répugnant des insectes qui ne sont pas sans rappeler celui des rats
déjà
rencontrés dans
la demeure de Scobie et des cancrelats de
l'Hotel Bedford.
La maison consulaire qu'occupe la famille Fanshawe présente la
même
ambivalence.
En
effet,
son
architecture
est
comparée
au
croisement: entre: un temple Buddhiste et un restaurant chinois
"Fanshawe may have convinced himself,
but as
far
as
his
vd re
was
concerned
Morgan
knew
instantly i t was sheer affectation.
For
example,
the
Commission
residence
i tsel f
vae got
up
l Lke a
cross between some
makeshift
Buddhist
temple
and
a
Chinese
restaurant."
(p. 28)
Notons,
en passant,
la
reproduction en
abîme de
cette division
lisible dans une autre architecture trouvée au salon:
lI a n
immense
brass gong in one corner hanging from a pole supported by two half
life-size gilded wooden figures."(p.28)
La
même
s t ruct.ure
se
reproduit dans
la »ar-e t.e
réservée au
personnel
domestique
co~~e
l'indique
le
rapprochement
de
la
description qui en est faite
"To his left behind a straggling line of nim trees
were
the
Commission' s
servants' quarters,
two
low
concrete blocks that faced each other across a bald
laterite square."
(p. 25)

51
A celle-ci:
l'The Commissioner's servants'quarters consisted of
two lov mud-brick blacks facing e~çh other across a
well-trodden patch of lateri~e down the Middle of
which ran a concrete sanitary
lalle."(p.71)
Les résidences présentent une configuration divisée (la ligne
médiane
étant
représentée
par
"bald
laterite
square"
et
ulla
concrete sanitary lane
et revêtent une nature conflictuelle
"),
à la
,
fonction
hautement
dramatique.
c'est
ici
qu
Innocence,
une
domestique, fill~ d'une autre domestique, sera tUée par la foudre.
Il
s'agit précisément d'un espace qui ne saurait être
longtemps
encombré par ce corps qui ne sera pas déplacé jusqu'au dénouement
du roman. Les questions religieuses, coutumières, diplomatiques, et
socio-politiques
liées
à
ce
lieu
mobiliseront
énormément
de
ressources
physiques,
financières
et
mentales
de
la
part
du
personnel consulaire et de son pendant domestique.
En ce qui concerne les salons,
ceux qui ont été passés en
revue sont à l'opposé de la définition que le Robert donne de leur
nature :
"pièce de réception meublée et décorée avec goût." Tous
les
romans
retenus,
sans
exception
aucune,
en
donnent
une
description sommaire,
rapide,
ironique ou dégradante comme
pour
mieux montrer leur déficience.
William Boyd nous révèle celui de Morgan Leafy où ce dernier
revient lita find the tiny family occupying the edges of chairs and
a settee."
(p.
238)
Il en fait autant de celui du représentant de
la Reine ~ Kinjanja avec son "Lnpoea Ib Iy Low fUllli~.ure"
(p.28).

52
Dans The 888rt Qf the Matter, ce lieu de séjour est envahi
par rats, lézards, fourmis volantes et autres lépidoptères dès la
tombée de la nuit, ce qui témoigne d'une véritable animalisation de
la maison par l/~mploi de métaphores animales.
Ce lieu n'est pas décrit pour lui-même mais plutôt par rapport
à Louise. Le contenu du salon dont rien n'appartient à Scobie est
bien moins resplendissant que dans le rêve noté plus haut
: une
caisse de livres qu'il faut sans cesse essuyer pour les protéger de
l'humidité de la pièce, des photos, un masque provenant du Nigéria,
un rideau de
fleurs cachant mal un garde-manger dont
les quatre
pieds baignent chacun dans un bassin rempli d'eau pour tenir en
respect les fourmis'. Cette dernière caractéristique présente une
ressemblance frappante avec celle que révèle la demeure des Smith,
dans An Ice-Cream War
"a fly-proofed cupboard whose four leqs
stood in small tins of water to protect Lt; from invasion by the
ants that swarmed everywhere on floor and walls. 1I
(p.
45)
Il Y a
enfin
une
table
et
des
chaises
de
fonction
dont
l'existence
n'apparait que dans la phase préparatoire du suicide de Scobie dont
ce même salon sera le théâtre.
Si le salon n'est guère valorisé chez Tallit, le relief qu'un
tel lieu de séjour acquiert progressivement dans The Heart of the
Matter se mesure· mieux par l'effet grossissant et. déformant de la
"The books had to be wiped daily to remove the damp, and
she
had
not
succeeded
very
well
in
disguising
with
flowery curtains the food sate which stood with each foot
in a little enamel basin of water to keep the ants out.",
Graham Greene, op. cit, p. 22.

53
loupe de scobie. c'est Louise qui connait trop bien son mari qui
nous en dit ceci :
"be r e gat a
kind of selective sight.
He sees
what he likes ta see.'1 (p. 74) Ce filtrage s'opère dans la salle de
séjour de Yusef, le machiavélique, lors d'une visite très brève et
vieille
de
deux
semaines
tout
ce
qui
arrête
son
regard
"curtains",
"book
shelves",
et
"deskll
(p.
149)
est
encore
privilégié par rapport A Louise. La seconde visite met en branle
une mémoire vivace et torturée. Le souvenir de l'innocence perdue
hante le lieu. Dans ce salon de la honte dont le décor renvoie à
des stigmates obsédants : l'humidité, un bureau, et le rideau ou
autres étagères de livres appartenant A Louise
Scobie stared again around the
room,
but he had
examined
i t
already
thoroughly
enough
when
he
came
to
arrange
his
loan
there
was
no
change
-the
same
hideous
mauve
silk
cushions,
the
tangering curtains.
Even the blue syphon of soda
was in the same place.
There were no bookshelves,
for
Yusef
couldn't
read:
no
desk
because
he
couldn't write. Il
(p. 149)
Chez Yusef,
l'espace prend une teinte extrêmement péjorative.
Il prend
l'allure d'un autre salon mais surtout un nouveau pan
entier destiné à l'élargir en espace de culpabilh..~ : "the curtains
and the cushions of this room joined an attic room, an ink-stained
desk,
a
lacy
al tar
in
Eal ing
-they
would be
there
so
long
as
consciousness lasted."
(p. 151)
C'est ce que reproduit exactement ce rêve que Graham Greene ne
fera que trente-cinq ans plus tard (pendant l'hiver 1983) à Antibes

54
et qu'il confie A Norman Sherry:
III
had
twa
dreams
last
night.
Bath
of them were
about
ideas
for
novels.
The
firat
one
l've
targotten completely. But the second one was about
a
rather odd house,
rather
ruined hou se
and the
story
moved
trom
room
ta
room,
each
room
contributing ta the story, until the reader became
aware that the attie was never visited. Sa in the
f!nal chapter the attic was visited and the attie
Wi1.S
full
of
newspapers
with
hcadlines
and
those
headlines were
g01n9
ta
be
very
significant
and
would give the final gist of the novel. II'
L'espace domestique que décrit ce monde onirique entretient des
relations extrêmement étroites avec l'action du roman.
Plus que
toute autre chose, c'est la métonymie établie grâce à la répétition
du terme '·attic·' (mansarde) qui confirme une continuité du thème de
l'espace chez Graham Greene.
Face à la tache dont le salon est porteur, il serait indiqué de
tourner notre regard sur une autre partie de la maison : la chambre
à
coucher. caractérisée par la féminité,
cette dernière gagne en
importance dans The HBart of the Matter. s'y étant. re ruç Ièa , r.cu t se
en a
fait son IIterritoire ll •
Elle accumule dans ce retranchement
tout ce qu'elle possède, mais surtout des photos juxtaposant des
images d'endroits témoins de relations affectives qu'elle s'imagine
authentiqu~s et durables
'·The
dressing-table
was
crammed
with
pots
and
photographs
( .•• )
It
wae
as
if
she
were
accumulating
evidence
that
she had
friends
like
other people." (p. 22)
Norman Sherry, op. cit., p. XIX.

50
Les autres composantes de cet univers n'ont, de valeur qu'à une
certaine heure cre la nuit
:
le rideau vert-noir,
les meubles de
fonction,
et
le
mur

le
lézard
domestique
vient
chasser
lépidoptères, cancrelats et mouches volantes.
Cet habitacle nous
est parfois
révélé ..
travers
le rêve.
Dans
la vie de tous
les
jours,
cette
niche
fait
apparaître
Louise
comme
une
chienne
ap]atle, pour la réduire ensuite à un simple morceau de viande sous
un,
cloche.
Les
schèmes
de
l'emboîtement
suggèré
par
cette
description
sont
rendus
par
"ln"
et
"undë r-"
introduisant
deux
compléments circonstanciels de lieu juxtaposés.
"When
he
found
her
in
the
~edroom
under
the
ml)squito-net she reminded him cf a doq or a
cat,
she was completely 'out'. Her hair was matted, her
eyes
closed.
He
stood
very
still
like
a
spy
in
foreign
territory,
and
indeed
he
was
in
foreign
territory nowv "
(p. 21)
L'impression
que
dégage
cette
double
chape
est
celle
d'un
milieu «In vitro" qui couve les forces oppressives singulières du
mal.
La chaleur en devient organique et perceptible
:
"Even when
they were separated the heat trembled between them."
(p.
42).
D'ailleurs, nous retrouvons le même phénomène dans Brazzaville
Beach :
Il ~ •• ] The
air
in
those
rooms
aeemed
to
congeal
around me, almost as something selo.i-solid, as if l
were
wading
through
a
-tank
filled
with
a
transparent
jelly
that
yielded
easily
but
was
everywhere in a clammy contact with my ek Ln , Il
(p.
216)
Pour en revenir à la chambre des Scobie, relevons l'atmosphère
ambiante et ses manifestations thermiques se traduisant par une

56
pression Il la fois déformante et centrifuge sur le héros et que
Greene compare 6 la spirale définie par Durand comme le
·signe de
l'équilibre dans
le déséquilibre
[ ... l
cette
remarquable
propriété
de
croltre
d'une
manière
terminale
sans
madit 1er
la
forme
de
la
figure totale et d'être ainsi en permanence dans sa
forme'malgré la croissance assymétrique. 1t 1
De cette pièce Louise n'est jamais, au fend,
totalement
absente tant son absence physique revêt la forme d'une présence
secrète : en effet, le vide qu'elle est sensée être la première à
combler dans le l i t conjuqal, suscite l'effroi chez son mari:
"She had always been the cno ta go first ta bed , He
feit uneasy, apprehenslve, and suddenly
his dream
came ta mind, how he had listened outside the door
and knocked, and there was no
reply. He struggled
out
from
under
the
net
and
ran
downstalrs
barefooteà. ' l (p. 96)
Dans le rêve qu'il fait à
Bamba, scoe re z'e vot t; leur chambre
à coucher déverser un trop-plein de silence funeste.
11- y accourt
pour dire à
Loui;se qu'il pourra enfin lui pay-ez' son voyage pour
l'Afrique du Sud. Le dénouement onirique est un suicide symbolique
préfigurant le vrai suicide à la fin du roman.
La chambre de Morqan Leafy dans A Good Man in....Africa que Boyd
identifie ~ Waterloo, est le symbole d'une humiliation qui lui
Gilbert Durand, op. cit., p. 361.

57
vaudra une rupture mal acceptée avec priscilla :
l'When he
arrived back home,
he verre
straight
ta
be.d.
Like
a
Napoleon
at
his' Waterloo,
he
had
,brief1y
cast
his
eyes
over
the
seene
of
his
d,'feat.· (p. 167)
A présent, il ne reste que les toilettes pour compléter notre
exploration de l'espace domestique.
Pour Scobie et Morgan Leafy,
lee toilettes sont un lieu de solitude. Scobie en a fait un depuis
fort longtemps. Cet endroit qui n'est pas sans rappeler les lieux
qu'entre autres James Joyce et E. Waugh dêcrivent, représente un
habitacle,
un mobilier qu'il
transporte comme un garant de son
bien-être domestique, de son équilibre :
"The
rest of the room was aIl
hie own.
It was a
cej tc
of
his
youth
he
carrl:!d
trom
houae
ta
house . It
had been
like
this
ifl
his
tirst
house
before he married.
This wtt.s the room ip. which he
had alwaYfi been alone." 1
Le
penchant pour tel
endroit
est
assez
Lr.eo Ld.tie ,
Quelques
indications scéniques récurrentes en donnent une idée : "Scobie sat
dolln on the edge of the bath ... Il (ibid.)
i
"He (Wilson) shifted his
seat uncomfortably on the sharp edge of the bath ... ," (p. 64); "He
(Morgan) sat on the edge of the bath and thought about Murray. 112 i
Graham Greene, op. cit., p. 40.
,
William Boyd, A Good Man in Africa, p.
65.

58
"Morgan
relieved
and
sat
morosely
on
the
edge
of
the
bath. II'
L'inconfort n'empêche nullement les occupants de cet endroit d'y
voir un lieu propice à la méditation ou aux rappels mélancoliques
du passé.
c'est précisément dans les toilettes que l'Indien dit la bonne
aventure A des clients comme Wilson. C'est également dans le "w.c. Il
du bateau (l'Esperança) que scobie découvre le secret du capitaine
portugais au sujet de la lettre soustraite A la censure et cachée
dans une citerne~
Helen
RaIt,
Harris
et
Wilson
(The
Heart
of
the
Matter)
résident dans les Nissen huts, chambres préfabriquées et en tôle
ondulée
dont
de
simples
rideaux
permettent
le
partage
ou
le
réaménagement. Ceci laisse penser aux "room snacks» dont l'érection
des partitions reste liée à
l'histoire de Sharp Town que Scobie
connait si bien.
Dans Brazzayille Beach, la première zone d'habitation où Hope
Clearwater ait eu à vivre est un camp au milieu duquel trône un
énorme hagania paptisé Grosso Arvore.
L'arbre
a,
par ricochet,
donné son nom au centre de recherches sur la primatologie, fondé et
dirigé par le Dr Eugène Mallabar.
L'aménagement du quartier des expatriés travaillant sur le
projet s'avère peu approprié à l'épanouissement social de ses
William
Boyd,
op.
cit.,
p.
119.
c'est
nous
qui
soulig'1ons.

59
occupants, comme le prouvent les protestations de Hope Clearwater:
I I I
could sense the raw - that would inevitably take
place
after
l
had
qone
vas
nov
boiling
up
dangeroualy,
and
so
chipped
in
vith
seme
banal
oDservation about how the g~ometry of the camp site
precluded eaey social toinq and froing - instancing
tts
linear development Along Main Street and the
almost
suburban
cancern
for
domestic
privacy
evidenced in the placing of the various bungalows
and huts, etc. etc [o. ]1.
(p.
91)
Le mode de vie envisagé a travers uQe- telle conception est
tout ce qui manque au bungalow dévulu aux Valle Mme Roberta Vall,
eœe. '"f! de Mallabar 1 voulait leur maison conjugale accueillante ;
l'simply
furnished
and
smelt
fresh
and
perfumed."
(p.
152).
Malheureusement, ce décor ne profite nullement aux époux rongés par
les affres de l'1nfidé11te.
Hope, la detnière à arriver, est logée dan~ce qu'elle appelle
elle-D1.ême
'la
c roee between a
tent and
a
tin shack" 1 ,
"my odd,
hybrid tent ll 2 ,
et qui est située à
la limite du camp.
L'héroïne
insiste particulièrement sur cette liminalité comme pour montrer la
distance sociale et morale qui sépare la future rebelle qu'elle
est, du reste de la communauté expatriée.
Sa demeure ne tardera pas a être criminellement incendiée par
Mallabar qui veut faire disparaitre les preuves de ses errements
scientifiques.
La baraque voisine où la narratrice déménage suscite chez
w. Boyd, Brazzayille Beach, op. cit., p. 7.
,
W. Boyd, Brazzayille Beach, op. cit., ibid.

60
celle-ci un effroi atténué par le temps et l'ironie:
"1
slept weIl
in
the
census
hut,
lul!ed by
the
bourbon,
no
doubt,
and
oblivious
ta
the
many
rushings, scurryings and crepitations that emanated
tram
the
further
reaches
of
the
long
room.
The
place was full of lizards, and something - l hoped
it was a squirrel - \\las living in the oeiling space
[00.]"
(po
92)
En outre, plus confortable, l'habitacle préfabriqué et hérité
de l'armée, n'en suscite pas moins chez son occupante un sentiment
d'lmpermanence résultant a'Une véritable métonymie:
"In some respects my new home was better than my
old one -
l
had waoden boards under my feet for a
start
-
but
i t did not
raise my morale.
l
feit
incredibly temporary, aIl of a sudden, like 60meone
passing through who had to be put up for a night. Il
(p 0 88)
La nature de l'abri rejaillit donc sur le statut social et l'état
d'AlDe de Hope.
L'exploration de l'univers domestique nous ~ permis d'a~outir
A l'image d'une maison résumant l'essence conflictuelle d'une vie
chiche, déficiente, profondément marquée par l'ànimalité, l'effroi
et
l'effractio'n.
En
tant
qu'épicentre
de
motivations
irrationnelles, un tel endroit exerce un effet très négatif sur
l'équilibre des
personnages,
d'où
la
précarité des
situations
qu'ils vivent et l'équilibre sans cesse menacé de rupture de leur
expérience en terre africaine.

61
3 BÔt.l., club' et autr•• milieux d'expatriés
situé sur Bond Street, l'Hôtel Bedford joue un rôle important
dans l'exposition de The Heart of the Matter.
Comme toutes
les
chambres d'hôtel de même classe, celles de Harris et de Wilson sont
rigoureusement identiques et caractérisées par la même sobriété: un
l i t en fer sous un moustiquaire gris et déteint,
un fauteuil
au
dossier escamotable, un lavabo et une coiffeuse.
Harris y occupe
une chambre depuis dix-huit mois et s'y adonne à une activité bien
.
particulière
la
chasse
aux cancrelats.
Ne
pouvant
plus
s'en
passer, i l l'apprend à Wilson qui vient d'arriver et envisage même
d'en organiser le premier championnat.
Bien que repoussant,
le jeu dont
la cham.':>re est le théâtre
prend l'aspect d'un rituel nocturne, fortement dominé par la figure
à la fois paternaliste et frustrante de Harris. Cependant. bientôt.
il
s'avère
plutôt
captivant
et
prend
assez
de
relief
pour
se
substituer ~
la
chasse d'un vrai gibier africain.
Ce
jeu,
tout
intéressant
qu'il
soit,
n'en
suscite
pas
moins
convoitise
et
hargne.
L'âpre rivalité qui en résulte finit par faire perdre la
tête à ces jeunes expatriés en mal d'amitié. L'allure conflictuelle
de cette compétition revêt un caractère négatif décelable dans les
prétentions de Harris qui n'a que
le pr-Iv f Lëqa d'avoir foulé la
terre avant les autres. Ses raisons indignent Wilson : "l invented
the game . . . My rules are the Queensberry rules in this town."
(p.
71). Seule l'ancienneté légitime les règles du jeu. Scobie lui-même

62
s'en prévaut pour démonter des supérieurs décidés a le confondre:
"perhaps when you have been here as long as l have
youv j L realize the police are meant ta deal vith
people who are not received at the Secretariat. Il
(p.
145)
c'est pourtant dans l'hôtel-même que se résout le conflit. En
e c ret ,
la
chambre
que
Wilson
regagne
en
fulminant
continue de
vibrer sous la violence aveC laquelle il a claqué la porte voisine:
IIHe s!ammed the -eocr- hard behind him and the vaj.j s of his ovn room
vibrated round hl.m under the shock." (p. 71). La pièce lui révèle,
par son
décor,
son aménagement
et
son mobilier,
sa
déroutante
~ntité
avec
celle

vient
de
se
dérouler
une
dispute
quas a e-t.ez-r Lt.or-Le Ie e Ua replica of Harris'0 roce ,«
(p.
72).
Il en
résulte une fusion affective et morale.
Devenus amis,
Harris et
Wilson iront vivre ensemble aux "Nissen Huts ll pour découvrir, peu
après, qu'ils ont fréquenté la même école en Angleterre.
Comme
dans
les
romans
précédemment
étudiés,
les
hôtels
occupent une place assez importante dans Brazzaville Beach. On en
compte
deux
l'Hôtel
de
l'Aéroport
et
le
Nova
Santos
Intercontinental
Hotel
qui
se
trouvent
dans
deux
villes
différentes.
L'Hôtel
de
l'Aéroport
est
à
l'image
de
l'infrastructure
aéroportuaire
:
trop grands pour leur clientèle,
ils trahissent
chacun un déficit et une inutilité donnant au luxe effectivement
investi, un caractère minable.

63
Dans
la
végétation
tropicale
et
autour
des
bungalows,
la
tiédeur envelopp~ Hope pendant que l'obscurité s'empare lentement
des
jardins'.
Il
s'y
diffuse
un
souffle
vivifiant
dont
Hope
Clearwater en personne se montre fort avide
"I
stopped
and
filled
my
lungs,
smelling
dust,
woodsmoke,
a
perfume
from
a
flower,
something
musty ,
something decaying. 1I
(p.
60)
La narratrice reconnait à l'endroit, ce qu'elle appelle tour
à
tour une atmosphère bien à
lui z,
une s Incu ï Le ce a'tmoepner-eê et
qui pourrait être lié au mystère subtil flottant autour de Usman
shoukry et de SO~ ascendance égyptienne.
L' intérêt d'~ l 'hôtel décuple lorsque l'auteur y reproduit, en
abyme, le destin tragique des pilotes merc~naires se battant pour
le gouvernement fédéral.
Le ciel angolais est ramenê à
la chambre
de Usman qui y prolonge ses vols sous la forme d'insectes réels
"I ... ]~ It was quite dark and the warmth of the night air,
after the chilI of my room,
seemed to lie gently on my
c Iean Gare arma and shoulders 1 Lke a muslin shawl. II, w.
Boyd, .3razzaville Beach, op. c Lt , , p.
60.
2
lIan ambience aIl of its cvnw , W. Boyd, Brazzaville Beach,
op. cit.,
ibid.
,
"its singular at.mcephe.re",
W.
Boyd,
Brazzaville Beach,
op. cit., p. 71.

64
auxquels il colle des ailes artificielles
"What the hell are they ?
-The smallest powered aeroplanes in the world.'
[ ••• ]'! stood still and watched the tiny aireraft
circle me, hearing the angry constant hum of their
power-plants.
[ .•• ] The contraption on their backs,
l
supposed,
precluded
that
sort
manoeuvre,
and
somehow,
l
supposed again, they must have been aware of that.
50 they would cruise on endlessly until fatigue -
f1y fatigue- set in and they would spiral to the
cè rpec ;« (p. 162)
L'épisode
dans
lequel
la
narratrice
vit
les
affres
d'une
appréhension
prophétique,
se
complète
plus
tard
d'un
moment
poignant où elle doit exécuter une dernière volonté d'Usman en
choisissant dans la même chambre l'objet qu'elle chérit le plus.
Le
Nova Santos
Intercontinental
Hotel
n'est
qu'à soixante-
quinze kilomètres du camp de Grosso Arvore.
Mallabar y amène,
à
intervalles réguliers,
ses employés pour qu'ils se détendent.
La
description
des
lieux
repose
sur
le
contraste
:
"ha.Lf
,
completed",
"black and white s t.akeev ,
"almost nakedness",
"a new
ruin",
lia sad relÏinder of vnae might have been", etc.
(pp. 147-48)
La fonction essentielle de cet espace est de servir de toile
de fond au comportement d'Une communauté secouée par la rupture.
Eugène Mallabar y demande à Ginga, sa femme,
de lui étaler de la
crème A bronzer sur le dos. Elle le renvoie sèchement à Hope et à
Roberta dont le mari noie sa jalousie dans la bi~re. Les autres

65
auxquels rien de tout cela n'échappe, ne tirent aucun plaisir de ce
genre de sortie désormais rituelle.
Après l'hôtel, tournons notre regard vers les clubs. Comme le
montre
An
Ice-cream
War,
c'est
en
Afrique
de
l'Est
et
plus
particulièrement à Nairobi qu'on trouve une grande variété de jeux
: gymkhanas, matbhes de polo, chasses au Maseru, golf, et tennis
pour ne citer que ceux-lA. Reflet des stratifications des couches
sociales, un tel espace ludique doit sa raison d'être au snobisme
promu
par
une
hiérarchisation
que
ses
promoteurs
ont
voulue
conforme aux lois toutes naturelles de la géographie
"There was the Turf Club with
its race meetings.
The
gymkhanas
and polo matches,
the Maseru Hunt,
the
golf
club,
the Masonic
Lodge.-
all
the
trappings of an English provincial town. Many times
Temple had listened to discussions about who would
win the Governor's
cup,
and
above
all
the
snobbish
hierarchies
that
exist.ed,
symbolised by
the Nairobi club on the Hill for senior officials
and the Parklands Club on the çâ.a Ln in Parklands
f'Jr junior offi cials. Il
(p. 121)
Par contre,
en Afrique Occidentale et dans les oeuvres qui
nous intéressent les clubs ne sont pa~ aussi nombreux. C'es ainsi
que la colonie siérra-léonaise n'en compte que deux
celui de
Sharp Town, du reste fermé, ainsi que celui de Cape station lequel
brille par son cadre sommaire: un bar, un salon qui tient lieu de
bibliothèque
une
fois
par
semaine,
et
une
véranda.
Ici
comme
ailleurs,
ses membres expatriés le veulent exclusif:
"there are
,
limita .•• you've ~ot to draw lines .•. 11 (p. 29), et anti-dérnocratique
"The army can be ëeœcceata.c if
i t
likes,
but not
at
our own
expense.I'(p. 29)

66
Au plan 1'1étaphorique,
ce
cadre a
son propre
bestiaire
:
Fellowes y apparalt comme une oie (lIgo05e909 eyeee , p. 29 ) et le
regard de Wilson y est comparé à celui d'un chien: "his dog-like
look" (p. 31). L'oie et le chien représentent respectivement le bec
incisif et la gueule aux dents acérées et prompte à
mordre ou A
broyer. Le club eet d'ailleurs comparé A un repaire de loups ("lUte
wolves",
p.
32
dont la meute est touj ours à
l'affût,
prête à
bondir
sur
une
Louise
terrorisée.
Dans
l'imaginaire
enfantin
occidental,
le loup est le symbole de la férocité et de la peur
panique. Dans ce club règnent la médisance fércce,
la mesquinerie
1
et un snobisme of:tracisant. Si, dans leur ma j or tt.e , ses membres le
veulent exclusif afin de protéger leurs épouses,
ils n'"hésitent
guère à exercer leur cruelle malveillance sur celle de Scobie dont
les moindres défauts sont connus de tous sauf de Mme Halifax que la
mauvaise mémoire préserve de cette malfaisance si bien partagée
dans ce club.
Ce dernier se révèle comme un cadre propice à l'expression
des
instincts
bestiaux
de
ses
membres.
Comme
l'expérience
l'a
montré A Scobie,
les effets de la mesquinerie, de la malveillance
et du snobisme, \\ en terre africaine,
peuvent prendre des allures
,
catastrophiques.
Il est par conséquent significatif qu'après avoir, au mépris
des avertissements de ses subalternes africains terrorisés, ouvert
ce vase de Pandore, Scobie se rappelle cette soirée au club où Tod,
Fraser
et
ThiD1blerigg
firent
ce
commentaire
II Infernal
cheek
••• He's puni shed for it. u (p. 31)
Inconsciemment, Scobie rapporte

67
son acte irrationnel aux propos de ces troi3 bêtes de Gévaudan dont
la
race
est
généralement
assimilée
aux
dieux
du
trepas
et aux
génies infernaux'. La réminiscence non moins prophétique est liée
non seulement au fait que Scobie ait fait échapper le génie de la
bouteille, mais aussi à
la férocité des IIrats" du port dans les
bras
desquels
Scobie
jettera
l'innocent
Ali.
c'est
en
terre
africaine que Graham Greene prête à
Scobie cette pensée magique
dont Todorov analyse les contours dans ilLe Langage aauvaqe» :
"que l'un deux passant, sur un chemin, voie tomber
sur lui d'un arbre un serpent, et le lendemain ou
la semaine suivante, il appprenne que son fils est
mort au Queensland,
i l rapportera les deux faits
l'un à
l'autre
[ ..• ]
Lui-même y voit un "rapport
mystique .. , entre l ' antécédant et la cause. 112
En outre,
le grégarisme pernicieux des membres du
club ne
pouvait
qu'engendrer
un
anti-confonnisme
progressif
débouchant
fatalement
sur
l'irréparable.
c'est
ce
que
laisse
penser
la
suggestion
du
6upérieur
de
scobie
selon
laquelle
ce
dernier
gagnerait mieux à donner le change à ses détrac~eurs en commettant
l'adultère avec leurs épouses:
"You know what i t is,
Scobie, you
ought
to
have
tlirted
with
one
of
their
wives.
They
feel
insulted."
(pp. 17-1S)
Malgré sa longue expérience en terre africaine, Sconie éprouve
constamment le besoin salutaire de se contrôler, comme i l le tait
, Gilbert Durand. op. etx., p. 91.
2
Tzvetan Todorov,
Théories du symboles
(Paris
Seuil,
1977) r-, p.
282.

68
lors d'une nllbrary evening" en se disant:
"Be careful.
IIThis
i 5
nct a cllmate for emation.
It's a climate for meanness, malice ,
snobbery. Il
(p.
31) Et le héros de se rappeler ce qu'il en conte de
faillir ~ une telle règle de conduite : la démence, la démotion, la
disgrâce du rapatriment ou le suicide.
La ville de Nkongsamba compte, quant à elle, deux clubs: celui
ql': est réservé à l'université fédérale de ladite ville, et le club
principal. Celui-ci, plus grand et plus fréquenté par le héros, est
situé au nord. Plus ancien et racialement intégré, ce complexe au
style architectural hétérogène consiste en six cours de tennis en
terre battue, une piscine, un terrain de golf de dix-huit trous,
deux bars, une 8311e de billard, et une suite -convertible servant
occasionnellement de piste de danse. Boyd s'av~re peu tendre dans
sa peinture d'un tel lieu et de la population qui le fréquente ;
It was a seedy-Iooking building, over-used, always
seeming in need of a fresh coat of paint ... there
were
bar
flies
and
bores,
lounge-lizards
and
lechers. Adulterers and cuckolds èrushed shoulders
in the billiard rooms,
idle wives played bridge or
tennis or sunbathed round the-pool, their children
in the care of nannies, their housework undertaken
by stewards,
tihe Lr husbands
earning salaries e Lj,
day.
They
gossiped
and
bitched,
thought
about
having affairs and sometimes did, and the dangerous
languor that infected their hot cloudless days set
many
a
time-boIDb
ticking
beneat h
their
cosy,
united nuclear families.'1
(p.
4~)
Ce passage
rappelle tant
dans
son
fond,
sa
forme
que
dans
son
contenu les descriptions de Greene.
C'est dans ce cadre dégradé et mesquin que se corrode par
l'adultère, la débauche, l'unité des couples et l'innocence de la
population
européenne
expatriée
dont
il
est
le
seul
point
de

69
ralliement.
C'est également du jargon de ce club qu'est tiré le
sobriquet du héros (" g o od man") et en même temps le titre du roman,
A Good Man in Africa qui pointe vers la déchéance des héros au
contact de l'Afrique.
En l'appelant ironiquement " g ood man" que
Morgan lui-même considère comme un "ghastly rugger-club expression"
(p.
51),
Dalmire,
Fanshawe
et
les
autres
lui
imposent
une
réputation de roué (" r ake'· 1 p. 52) et de chahuteur ("hell-raiser u,
p.
52),
ainsi qu'un
rôle
lourd
de
préjugés
que
le héros
tient
finalement, par défiance, à assumer à tout pri):.
Après
les clubs,
passons en revue certains
autres
lieux que
fréquentent les expatriés. La ville de Nkon~samba, par exemple, est
très
éloignée
de
la
côte.
Pour
Morgan,
Olokomej i
est
le
seul
endroit qui y offre le triple avantage de pouvoir pêcher,
de se
baigner et d'y bronzer avec ses compagnes. située dans la boucle du
Niger,
cette
gorge
qu'abrite
une
dense
for~t
l'a
toujourti
impressionné.
Il n'y a par conséqll<'!nt rien d'étonnant à ce qu'il
compte sur son aspect sauvage "digne" de "Heart of Darkness", pour

réveiller chez ses conquêtes une ardeur naturi~te complice.
En réalité, cet endroit est d'un calme plat. Le décor terne
qu'y
forment
les eaux boueuses et dormantes de
cette partie du
fleuve, ses îlots de rochers chiches et un minuscule banc de sable
gris provoquent une déception extrême chez
Priscilla que Morgan
voulait tant épater. L'épisode est ponctué d'incidents cocasses et
parfois
humiliants
pour
ce
héros
au
physique
peu
engageant.
L'énorme poisson dont il n'aurait jamais rêvé se laisse accrocher
à la ligne d'une Priscilla plus préoccupée à se bronzer (p.
127).

70
Cette parodie fort explicite de Conrad "Real Heart of parkness
stuff don ë t; yeu think ?"
(p.
125)
et de ~.H. Lawrence' symbolise
l'échec d'une fausse conception de l'espace ludique. A preuve, le
recours
ridicule' aux mirages
de
l'alcool,
et' les
prot.estations
hypocrites de Priscilla : "Pr Lac LLâ a said she vas entranced by the
primitive nature of it aIl but hp-r subdued demeanuur seemed to tell
another story."
(p. 125)
Cette
dénonciation
de
l ' hypocrisie
est
éqalement
présente
Dans The Heart of the Matter.
Dans ce roman,
la plage nous est
présentée indirectement :
Il [ • • • )
Flight-Lieutenant
Bagster
took
me
to
the
beach this atternoon but he was scared. Because l'm
not happy and because of my husband.
Everybody on
the
beach
was
pretending
ta
be
happy
about
something and l
sat there grinning and
it didn't
work."
(p. 156)
Helen Rolt y perçoit une peur fondée sur la relation entre la
mer et la présence de cette jeune veuve dont tous les baigneurs
connaissent
le
drame.
Ayant
perdu
son mari
au
large
des
côtes
africaines de ce même Océan Atlantique, elle suscite l'hypocrisie
parce que la société a peur de ceux qui ne font pas semblant d'être
heureux en de pareilles circonstances.
Dans Brazzaville Beach, la plage à laquelle l'auteur consacre
trente-quatre pages, soit le dixième du roman, s'étend sur les cinq
"Chris~, he thought to himself,
D.H.' Lawrence couldn't
have
·"rranged
or
directed
that
episode
any
more
skilfully: the violence, the blocd, the male aggression,
the admiring f ejna Le -
the very air throbbed with fel t
life.", William Boyd, A Good Man in Africa, op. cit., p.
129.

71
kilométres séparant la ville qu'elle borde, du delta où le Cabule
déverse ses eaux.
C'est

que
Hope
avoue
s'être
écttouée
"Li.ke
a
spar
of
driftwood, lodged and fixed in the warm sand for a While( ••• ]' Elle
y savoure une liminalité asse~ confortable (déjà rencontrée chez le
héros de The Heart the Matter)
parce que
"Living on the extremity of the continent,
faeing
the two great simple spaces of the
sea
and sky,
cultivates
the
sense
that
somehow
you
are
less
emcumbered
than
those
who
live
away
from
the
shoreline.
You teel
less put upon by the
fritter
and mess of the quo t.Ld La n s "
(p.
261
L'héroïne en a fait un point relâche où elle se remet de deux
expériences extrêmement traumatisantes. La première est européenne.
Elle l'a vécue avec John clearwater, mathématicien génial tenu en
échec par une équation à
laquelle i l rêvait de ramener tous les
types de turbulences allant de la mécanique des fluides à divers
phénomènes dont un meilleur contrôle est,
pense-t-il,
quelquefois
bénéfique.
la
folie
et
le
suicide
de
ce
chercheur
difficile,
inquiet et compu~sif qu'elle finit par quitter, bouleversent la vie
,
de la narratric~ et la hantent jusque sur cet~e plage africaine.
Celle-ci témoigne d'une morphologie,
d'une te-"ture et de signes
récurrents
auxquels
la
narratrice
est
très
attentive.
Elle
y
décrypte
les
termes
de
l'équation
qui
continue
de
l'obséder,
secouée qu'elle est par une tragique aventure africaine jugée somme
w. Boyd, Brazzayille Beach, op. cit., p. xi.

72
toute
naturelle
:
"1
fled ta Africa ta escape what happened in
England and then, ee the continent will, it embroiled me further.,,1
Sur cette plage où les variations saisonnières sont à peine
perceptibles,
"the
time
passes
slowly,
easily. t1 2
Comme
la
narratrice
l'indique elle-même,
elle n'a été baptisée que très
récemment
et,
"": en
juger par
certaines
activités,
elle
émerge
lentement mais
IrQ.rement
d'un long déclin.
Le confort
qu'elle y
trouve l'emporte sur celui du mobilier de salon lisible dans cet
univers réversible dominant la mer :
"Out at sea the sky is filled with the soft baggy
furnlture
of
clauds
the
dented
hean-bags
and
winded
sofas,
the
exploding
kapok
cushions.
The
wind hurries
them away 1
and
leaves
the beach to
everyone and me, washed and smooth. Il
(p.
311)
Pour
toutes
ces
raisons,
l'endroit
revêt
un
caractère
symbolique multiple. Il assure une fonction mnémonique car c'est là
que
lui
reviennent
les
bribes
de
ses
ccnver-s c t.Lcns
avec
John
Clearwater et quv e Lfe réfléchit sur ses expériences passées.
Selon son défunt mari, i l y a sept types de catastrophes dont
"the cusp catastrophe"]. La description de la plage en illustre
w. Boyd., Brazzayille Beach, op. cit., p. xiii.
z
W. Boyd, Brazzaville Beach, op. cit., p. 145.
,
"There are seven types of catastrophe. AlI forms of
abrupt"
non-continuous change will he covered by one or
other bf these archetypes. They are known as Fold, Cusp,
SwalloWtail and Butterfly catastrophes.
[ ... JI~ a cusp catastrophe, there is always the chance of
recove:cy, a possibility of return to tl.le pre-catastrophic
state ( ..• J",
W. Boyd,
Brazzaville Beach,
op.
c Le . ,
p.
282.

73
les signes
"butside,
l
see
a
herd
of
ce trt.Le
on
the
beach.
Tuirty big white cows with preposterous horns and
hUlIlpa. Looping pleats of skin,
like an old man's
wàttles, hang at their necks." (p. 276)
Les irrégularités que constituent les diverses protubérances en
mouvement
sur la plage disparaissent tôt
ou tard pour céder la
place A une topographie beaucoup moins froncée et plus sereine
"1 walk down the steps of the beach. The heavy rain
has
levelled
the
ridges
and
obliterated
the
footprints. The sand ia dimpled like a golf baIl,
firm and daep ;"
(p.
313)
lA au.ppr-..':ton d •• ride. et
l'apparence
lisse et nette qui
s'ensuit symboliaent le retour à l'harmonie et à la paix. Le rivage
a pour rôle essentiel de remettre de l'ordre dans la vie de la
narratrice. Figurant parmi ce que Hope appelle "these documents of
the real 1t ' ,
il est naturel que la plage serve de p Leque tournante
à
la narration de ses deux histoires.
L'inventaire
des
autres
fcr~es de
l'espace
nous
met
en
présence d'endroits
exerçant
des
influences
man Lf esrtee
sur
les
personn.3lges principaux. Le décor des hôtels contribue à créer des
liens, à
scelle~ des destins,
ou à miniaturis~r des récits.
Les
aires balnéaires' aident à "corriger" les expér îencee antérieures
W. Boyd, Brazzaville Beach, op. cit., p. 314.

74
africaines.
Quant
aux
clubs,
ils
consacrent
le
triomphe
de
l'antagonisme, de la dégradation morale et de la nuisance sociale
chez ceux qui rAtent leur insertion.

75
Bw Le lou'-aonO. ; l ' ••pa04 sauvage
Dans The "eart of the Matter, toute découverte du monde
sauvage se fait à la suite de Scobie. Celui-ci ne sort d'ailleurs
de la ville qu/~ deux occasions constituant chacune des moments

dramatiques importants: le voyage sur Bamba où:il doit procéder à
l'enquête
sur
le
suicide
du
jeune
Pemberton,
et
celui
que
l'inspecteur accomplit à
Pende où les naufragés de l'Atlantique
doivent être remis aux autorités coloniales britanniques.
Du premier qui nous intéresse pour l'instant, un seul segment
retiendra notre attention: le trajet de la ville au bac. Il couvre
un espace uni-dimensionnel, et sans véritable épaisseur. Entre le
reste et le héros se dresse un écran :
The trees came down on eith~r side smelling of heat
and rain and somewhere at the end of the column a
driver
sang-the wailing,
t cne teee
voIce rose and
-tell like a wind in a keyhole."
(p.
83)
L'essentiel du
paysage défile dans
une
perspective propre à
la
colonne constituée par leur convoi.
Ce dernier 3e déplace comme
dans un tunnel dont les arbres serdient la paroi et aboutit à une
issue que laisse envisager "keyhot e"
(trou de serrure).
Dans
cette
zone
limitée
par
un
cours
d'eau
à
l'aspect
infernal,
le vécu de
l'espace sauvage est suppléé par
le rêve.
L'enfant docile qu'est devenu Scobie y est "b Lchormé" par Ali et ne
voit plus quJun aspace rêvé sous la forme d'une nature réduite ~
une Lnccns Iat.ant.e linéarité. La largeur aupposèe de la prairie

76
s'effiloche en UJ1. minuscule serpent qui la divise:
Birds went by far overhead,
and once when he Bat
down the
grass was parted by a smali green snake
which passed on ta his hand, and up his arm without
fear, and before it slid down into the ground again
touched his
cheek with
a
cold,
friendly,
remote
tangue. Il (p. 83)
La traversée de l'espace sauvage se distingue des autres par
sa nature onirique dominée par l'enfance et par le recours à
la
représentation animale et aux métaphores ptéromorphes. Il s'agit en
réalité
d'un
espace
de
transition
vers
une
l'lJ.utation
décisive.
Au-deIA, le héros sera confronté à une réalité traumatisante : le
cadre bouleversant dans lequel, un "enfant ll a été injustement amené
à se suicider. c'est donc un lieu d'intermède precedant la mise en
terre des germes de la tragedie de Scobie.
En
revanche,
l'espace
sauvage
de A GOQd Man
in Africa
se
limite à deux endroits : d'abord Olokomeji qui a déjà été évoqué
dans l'étude de l'espace balnéaire, et la forêt où Morgan et Celia
Adekunle
se donnent
rendez-vous
à
deux
reprises
pour
commettre
l'adultère (chapitre 14).
L'intérêt de ce deuxième lieu réside dans la manière dont il
a été connoté par William Boyd : une forêt rabouqrie ("half-grown")
et homogène. Ses arbres sont minces et uniformes. La forme arrondie
des énormes feuilles de teck
("oversized eoup-j.jaue leaves",
p.
190) a une connotation quasi-domestique lors mê~e que sa faune se
t
à
t
l
m
L t e
u n
m o n d e
f o u r m i l l a n t ,
" t h e
a
n
c - v o
r
L d "
;

77
"He
st rode
a
few yards
into the teak trees,
his
shoes
crushing
the
brittle
leaf-carpet
with
resounding crackles and drenched a column of ante
vith his urine stream. The ~olumn broke up in
confusion,
and he entertained himself picking off
stragglers while the pressure lasted. He wondered
what
the
ant-world
would make
of
that
little
episode. Did it, he wondered,
fit into the scheme
of ant-things 1"
(p.
196)
Une telle description, un tel fourmillement-d'un univers fragile
("brittle") 1
ins"=.allent le desti.n des personnaç;es des romans.
Le héros essaie vainement d'en invoquer la puissance mythique.
La description de cet endroit où ont lieu l'adultère et le "déluge"
par
lequel
le
héros
noie
ces
insectes,
usurpant
ainsi
un des
attributs divins consistant à peser sur le destin de tout être, est
un mélange de références bibliques et d'une certaine terminologie
à la mode
(llpicked off u, "euede Chelsea boots", p. 196). C'est en
ce lieu dont
l'usage n'est
pas
sans rappeler
la
forêt
de îb..e.
Scarlet Letter' du le sous-bois d'Adam Bede de George Eliot que se
renouvelle
une
relation
adultère
dont
les
acteurs,
pêcheurs
impénitents, 'parodient le pêché originel:
flAnd
they
saw
they
were
naked',
he
said
in
a
sonorous voice,
Il and
they were sore ashamed. Come
on Eve, make thyself an apron of teak leaves." (p.
196)
C'est un cadre pourvu des ingrédients nécessaires à toute charge:
If • • •
anachronismes, allusions malignes à la personne et à l'oeuvre
de l'auteur modèle,
jeu parodique sur les noms des personnages,
Nathanael
Haw~horne,
The
Scarlet .Letter
(London
:
Pengui~, 1975).

7R
etc ••• "' La fonction essentielle de cet espace sauvage est de faire
d'Adam et d'Eve des expatriés s'amusant de leur culpabilité. C'est
également
le
pr:i:lude
6.
la
phase
cathartiquu
que
Morgan
devra
traverser après ~volr défié Shango le dieu local. Nous reviendrons
sur cet épisode.
Dans An Ice-Cream War, l'espace sauvage est extrêmement vaste
puisqu'il s'étend de l'Océan Indien A Kibongo
(Afrique Orientale
Allemande).
Envisagé
par
Felix
comme
le
lieu
d'une
quête
rédemptrice,
ce
milieu
suscite
d'abord
chez
le
héros
beaucoup
d'intoxication
et
d' eni vrement
(exhilarating ' l ,
p.
284,
"intoxicating", p. 287). Qui plus est,
il s'avère être un univers
dantesque
vapeurs étouffantes
se dégageant du
fleuve
Rufiji,
nuages sulfureux. pluies incessantes, putréfact.ion générale, etc.
Tout cela installe une atmosphère lugubre et pestilentielle à quoi
s'ajoute(une famine dégradante, une avalanche de morts gratuites,
parfois de paludisme si ce n'est d'intoxication alimentaire.
En
somme, des événements auxquels l'ennemi est totalement étranger.
L'espace sauvage est non seulement au coeur de Brazzaville
Beach, mais i l s'est égale~ent inscrit très tôt dans le destin de
Hope Clearwater. Le cursus universitaire de l'héroïne est marqué
Gérard Genette, op. cit., p. 96.

79
par un intérêt fort singulier pour la Nature :
"Hope's
thesis
vas
entitled
:
Dominano.
and
Terrltory - relationsbip. and Bocial struotura. She
had drifted into etholoqy almost by accident, after
her degree in Botany, judiciously steered in that
direction by her supervisor, old Professor Hobbes.
But
when
she
faIt
the
urge
ta
study
aga!n
she
realized she had grown tired of laboratories and of
animaIs in cages and sa she resumed her botanizinq
and resurrected some work she had do ne years befere
on trees.
She thought that it wou Id at least qet
her out of doore." (p. 46)
Elle rêvait donc-de grand air, et de chimpanzés vivant en liberté.
A Grosso Arvore, elle se révolte
Il [ • • • ] It' s
a machine.
An artificial and bountiful
food
source switched on and off at your whim.
l
don't
think
... '
l
paused.
' I t ' s
got
absolutely
nothing to do with
life as wild chimpanzees live
it,
that's for sure.
Vou attract two dozen chimps
here
and
let
them gorge.
It's
unnatural.
You~ve
dumped a banana machine dowù in the jungle. You're
playing God, Eugene. It's not right( ... ]" (pp. 127-
28)
Pendant des mois, elle vit dans ce camp dressé à un point à partir
duquel
la forêt' s'étiole vers
le nord en une eavane arborée et
s ~ obscurcit
vers
le
sud.
La
végétation
rego::ge
d'innombrables
espèces
d'arbres
:
mulemba,
frangipanier,
mafumeira,
chavelho,
alfonsia~ fitinha, dalberia, sidéroxilon , etc., et exhale l~odeur
de moisi de~ feuilles pourrissantes' a laquelle la narratrice s'est
déja montrée fort sensible.
"the
frowsty
smell
of
decaying
leaves",
W.
Boyd,
Brazzayille Beach, op. cit., p. 4.

80
La zone E: s t; coupée en deux là où la rivière c.reuse un ravin
profond à travers les contreforts de l'escarpement'. Surnommée le
Danube,
cette limite méridionale qu'est la
rivière,
se rompt en
cascades
turbulentes
avant
d'aller
rejoindre
le
fleuve
Cabule.
COI~uRe nous le fait
remarquer
la
narratrice,
c'est
au moment de
traverser le Danube que le comportement normal de singes bruyants
changea i t 2•
L'escarpement aux pentes vertes et aux collines boisées, joue
un rOle important dans le roman à cause des figuiers qui y poussent
comme dans ce passage
"The
blasted
fig
tree
vas
empty 1
but
chimps
had
been there recently, as the ground was covered with
half-eaten
fruits.
l
paced
a~out
feeling
edgy.
Northerners feeding in this tree, which l had come
to
associate
so
much
wi th
my
chimps...
It
vas
almost like having your house burgled. This was my
terri tory,
mine
and
my southerners
nov
Lt
vas
home to strangers and no longer felt the same. 1I (p.
204)
Pour l'instant notons la place importante que ce lieu occupe chez
la narratrice, en attendant d'en étudier la mêtaphore plus loin.
Pour
conclure,
retenons
que
les
romans
que
nous
venons
d'étudier
comportent
un
espace
sauvage
qui
~i',0t
l'âme
des
personnages principaux en émoi à travers ce qu'il a de brut et de
"whe r e the river cut a deep r-av i r.e through the foothills
of
the escarpement.",
W.
Boyd ,
Brazzaville Beach,
op.
cit., p. 94.
a
"It vae vhen they crossed the Danube that their normal
noisy
chimpanzee
demeanour
changed.",
w.
Boyd,
Brazzayille Beach, op. cit., pp. 133-34.

81
violent.
Le sous-monde ainsi
passé en revue symbolise la nature
conflictuelle
de
l'Afrique,
sa
dimension
étrange,
mystique
et
abrite des
intermèdes
installant davantage
les héros dans
leur
det;tin.

82
CHAPITRI III 1 LE 'PETIT MO~DE'DES EXPATRIES E~ ArRIQDB

83
Ceci
n'est
pas
une
étude
systématique
des
personnages
expatriés en terre africaine, mais plutôt une présentation de ceux
d'entre eux dont le profil pourrait mieux éclairer les rapports
conflictuels existant entre leur situation et leur statut social ou
professionnel. Pour ce faire, il nous a paru plus pertinent de les
regrouper en plusieurs catégories
:
les représentants du pouvoir
britannique avant et aprés l'ère coloniale, l'Americain Tranquille
et la femme expatriée; ce découpage purement conventionnel, il est
vrai,
devrait cependant nous permettre de mieux préciser le rôle
que jouent les expatriés en terre Africaine.
A. Le. repr.s.ntants du pouvoir britannique
1. Sou' l'éooque coloniale
Au
sommet
,je
la
hiérarchie
locale,
les
représentants
du
pouvoir colonial détiennent le privilège de la di~tribution et du
contrôle de l'espace ainsi que celui d'affecter, d'une manière ou
d'une autre,
la vie de ses occupants.
A ce titre,
ils jouent un
rôle de première importance.
L'autorité la plus élevée du gouvernùment colonial en terre
sierra-léonaise est le Haut Commissaire,
instance la plus élevée
des
divisions
en
terre
africaine
("High
Commissioner").
Graham
Greene
n'appelle
jamais
autrement
que
par
ce
titre,
la
figure
emblématique de 'l'autorité compréhensive,
jus~:.e et sympathique,
qu'il
voit
en
cet
homme ,
De
lui
dépendent
itumédiatement
les
Commandants de Cercle communément appelés 'District Commissioners'

84
ou "D.C.", et les Commandants de Subdivision ('Assistant District
Commissioners'
ou
'A.D.C.').
Richard
Pemberton,
par
exemple,
administre 8amba et Perrot la circonscription de Pende, tandis que
Mulberry et Reggle Wheech-Browninq "règnent" respectivement sur Vol
et Taveta dans An Ice-cream War.
a) Riohard rembfrton
Dans Tbe Heart Qf the Matter, Richard Pemberton qui ne nous
est
présenté
qu'une
fa 15
mort,
a
un
destin
dont
l'impact
sur
l'évolution tragique de Scobie est déterminant. En effet, s'il est
vrai que pour Greene, l'âge en colonie africaine s'évalue en années
de présence professionnelle', l'extrême jeunesse physique et morale
de Pemberton acquiert une d i.mene Lon dramatique dont; la fonction
romanesque s'accomplit essentiellement par la fixation d'une image
récurrente de l'enfance dans le subconscient du héros "qr-een Len'",
Cela se manifeste d'abord, par l'apparence physique enfantine de ce
fils de banquier : le
Commandant de Cercl~ défunt est dépeint par
les termes suivants : lia child in a nightshirt quietly asleepll (p.
8S), "p Lïap Lea of pubertyll2, lia child's bones, L:.ght and brittle as
a blrd's.1t3 et l'lInformed"'.
l
1I0ne counted age by the years a man had served in the
colony.", Graham Greene, op. c Lt.. , p. 16-17.
,
boutons de puberté.
3
un
squelette
d'enfant
aussi
fragile
que
celui
d'un
oiseau, p. 88.
,
sans expérience.

85
Il s'y ajoute une inexpérience qu'il tient de Ba jeunesse et
que Greene lie à l'espace. En effet, le territoire dont
Pemberton
a
la charge est,
comme
nous
l'apprend Yusef 1
important
"This
station controls one of the main routes aeroes the border from -
dannat Lon , l can't think of names with this head." (p. 92) Par son
écL 'le et ses enjeux politiques,
juridiques et
économiques, un
tel
cadre
souffre
mal
ce
contraste
caricatural
avec
une
cour
d'él.... le ou avec un terrain de
football,
fussent-ils
les seules
sources d'expérience pour le défunt cadre colonial:
Il • • •
and the
dead face
seemed ta bear the trace of no experience beyond the
cn ase-o-ccœ ;«
(p.
88)
b)
Reggi. Wh••ob-Brovninq
L'extrême disparité entre la
jeunesse de
l'expatrié et ses
prérogatives est illustré par un personnage fort singulier : Reggie
Wheech-Browning dont Chinua Achebe'
fustige
le
prototype et que
nous pouvons rapprocher de Temple smith, le ressortissant américain
de An Ice-Cream War.
Ce personnage de premier plan est en effet
dérouté
par
Reggie
Wheech-Browning,
Commandant
de
subdivision
britannique qui est,
lui aussi,
très jeune,
élancé,
dégingandé,
IIThere is no other situation in the world where power
resid~ with inexperience and young people. A young man
would not approach the seat of power in England,
but in
a ccLon La I
situation he is given pcwe r
and can ct-de r- a
chief around. Il,
cntnua Achebe on Arrow of God,
Intervew
with Michel Fabre,
Echos. du Commonwealth,
No ·5,
p.
15,
sd.

86
.
falot
et
innocent
lia
tall
lanky
figure ll ,
"very
tall l ' ,
"very
youn!}" :
nTemple found it extraordinary that this awkward,
innocent youth sat in judgement over murderers and
thieves,
thieves
and
drunks
everyday
in
his
swelterinq tin courtroom,
but he seemed ta accept
his duties unreflectingly."
(p.41)
rI est âgé de vingt-trois ans et sa jeunesse est davantage
mise en relief en alignant le Commandant de Subdivision et Drewes,
pilote
blond
auquel
Temple
n'attribue
que
douze
ans:
IIWheech-
Browning stood by the side of a very young, blond-haired pilot who
looked, ta Templa's eyes, ta be about twelve ye.:'lrs ald." (p. 230)
" .
Corollaire -â e un tel âge,
l'inexpérience ai.nsi fustigée prend
des allures souvent mortelles. L'autorité dont Wheech-Browning est
investi lui permet d'adopter des décisions ou des comportements aux
conséquences fatales aux autres. c'est en sa propre compagnie que
l'Indien Goolam Hoosan Essanjee est tué (p. 129). Les connaissances
livresques et superficielles du jeune administrateur britannique
expliquent sa propension à
tout minimiser.
c'est encore avec lui
que Drewes meurt d'une façon extrêmement absurde.
Vers la fin du
roman, Wheech-Browning s'excuse d'avoir lâché l~, bombe ayant blessé
Felix Cobb qui'E'en tire avec des séquelles crrêbrales durables.
L'ironie à la fois dramatique et prophétique sort de la bouche de
l'incorrigible même:
"I was told
these things were infalliblE:.
Child's
play to operate.
Not much of a
show you're putting on,
Cobb s "
(p.358)
D'ailleurs
Temple
fera
remarquer
à
cet
homme
dangereux que t1Every time you and l
get near a machine i t
seems
some poor so-and-so dies. 1I
(p.
232)

87
2
Aprè. 1.. indépenOances
a) Arthur ran.h.,. •
En terre africaine post-coloniale aussi, l'ancienne métropole
britannique
est
représentée
par
le
Haut
Commissaire
dans
la
capitale et par Bon adjoint dans les villes importantes. Celui de
Nkongsaœba
se
nomme
Arthur
Fanshawe.
Le
rapport
entre
le
personnage,
ce
poste
è.
la
fois
diplomatique
et
politique,
et
l'action du roman pourrait davantage éclairer notre propos.
En effet,
une fois en Afrique,
Arthur commence â
subir les
retombées humiliantes d'une vie professionnelle médiocre déj~ menée
dans des postes aussi enviables que Sumatra, Hong Kong, Saïgan et
Singapour: "an ageing failure with his dreams unfulfilled ••• " (p.
102)
Cet échec commence par Ki.njanja qu'il prend pour un endroit
oublié des dieux (lia God-forsaken insignificant spot", p. 27). Son
orgueil blessé, la menace de l'âge et la perspecti~2 d'une retraite
imminente et peu qlorieuse lui font rêver d'un exploit diplomatique
qui
lui
permettl.-ait
de
redorer
son
blason et de
couronner
sa
carrière
en
beauté
dans
une
capitale
aussi
prestigieuse
que
Washington. Tout cela suscite en lui un zele évangélique dans sa
manière d'administrer : "hie evangel ical zeal in his administration
of the Nkongsamba commission" (p. 27), ce qui lui vaut, ainsi qu'à
sa propre famille,
à
Morgan et à
son propre pays,
beaucoup de
problèmes. Ce zèle, Fanshawe l'applique à un projet inscrit dans un
triangle constitué par son supérieur immédiat
résidant dans la
capitale de Kinjanja, Nkongsamba et le Foreign Office: uI'll take

88
it from here, liai se with the Commissioner in the capital, get the
gist back to Whiteha11."
(p. 102)
Ainsi que l<! révèle l'action, Panahave mi~,e sur un favori de
.
i.11e
Adekunle,
fils
de
chef,
brillant
professeur africain,
~lomé de Harvard en économie et en gestion, politicien influent
~t suceptible d'être ministre après des élections dont le diplomate
blitannique
voudrait
voir
Whitehall
influencer
l'issue.
Malheureusement, le brillant universitaire africain est rompu aux
règles
machiavéliques
de
la
corruption.
De
gibier,
il
devient
chasseur et use de l'espace comme arme et monnaie d'échange pour
faire chanter une chancellerie britannique prise à défaut. Etant
parvenu à vendre'ses terres â la voirie municipale de Nkongsamba,
il essaie de faire acheter par les bailleurs de fonds de son propre
pays un terrain familial voisin, à un prix et sel~n des procédures
absolument contraires à
la morale,
aux r-èq Lemerrt.e sur le strict
respect
desquels
veille
Dr
Al~x
Murray,
écossais
bon
teint,
austère,
intègre
et
compétent.
Un
mauvais
calcul
politique
de
Fanshawe
inspire au responsable africain véreux l'idée de
faire
maquiller par un service de Sa Majesté des opérations
foncières
frauduleuses:
"is i t
not better to be offered a
•..
a
financial
Lnducement; by one of your cvn p aop l e ?
By one who
you would normally assume to be above this sort of
transaction.
A
representative
of
the
british
crown. Il (p. 230)
Comme si tout cela ne suffisait pas, la foudre, manifestation
de
la
colère du
dieu
snençc
à
xfnj anj a ,
tombe
précisément sur
Innocence,
une jeune domestique de Fanshawe dont la résidence ne

89
devrait, 6 cause d'une visite royale imminente, être encombrée par
ce corps que les autochtones ne laisseront jamais déplacer sans les
rites
indispensables à
l'apaisement de Shango qui
a
choisi
de
frapper à la représentation diplomatique-même :
"For Christ's sake, man,
the Duchess of Rippon la
coming
here
tomorrow.
The
queen" s
personal
representative
l
lt/s
impossible.
Fanshawe shook
his head vigorously.
l t can e t; be he r'e s "
(p.
233)
Ouelles
que
soient
leurs
motivations
personnelles,
ces
représentants
sont
en
butte
à
des
obstacles
intimement
liés
à
l'espace.
b)
Morgan Leary 1
Morgan Leafy,
quant
à
lui,
est un expatrié britannique de
trente-quatre ans plein d e emoornpo Lrrt; : "He had a Lvays been on the
biggish side. Il
CP.
42)
Premier secrétaire coneur e i re chargé des
visas,
il
est tout
le contraire dt: Dalmire,
rival
qu'il
estime
choyé par une divinité partiale,
lia bourgeois,
ex-public school
God."
(p.
14).
reeu d'une classe sociale dé revor-Lsée , Morgan n'a
pu,
malgré
ses
résultats,
aller
à
Oxford.
Après
des
entrevues
désastreuses et un stage humiliant dans
un bureau surchauffé du
Foreign Office,
i l obtient un poste en Afrique.
L'idée qu'il se fait de Kinjanja est extrêmement négative. Il
désigne cette partie ouest-africaine par des termes peu flatteurs:
"This benighted country"
(p.
20),
"this stinking country",
t1this
swarming country" (p. 67), etc. Il la trouve d'ailleurs plus digne
des plus mal notés de sa promotion.
La première frustration dont

90
Leafy a
eu à
souffrir procède de
la nature aléatoire de la vie
africaine quotidienne.
Le
moindre bain en devient
un exemple
"This simple act was equally unreliable and ridden with pitfalls.",
(p. 41) Les seules choses qui en seraient exemptes sont le sexe et
la bière :
"There are two good things about living in Africa,
he
told himself convivially : just two. Beer and sexe Sex and beer."
(p.
41)
Depuis trois ans, Morgan entretient Hazel, ex-institutrice
et
prostituée occasionnelle qui lui permet de satisfRire des besoins
sexuels
faciles.
L'autre pôle du triangle classique est"
à
ses
yeux,
tout
le
contraire
d t une
vulgaire
relation.
I l
est
effectivement occupé par Priscilla, fille de Fanshawe, son patron,
mais surtout,
po~trait-robot de la femme désirable de ses rêves'.
Il en résulte une attitude mystique envers cet~e terre africaine,
lieu d'élection divine où Morgan devait rencontrer sa bien-aimée:
"All this had been arranged by someone just sa he
could
meet
Priscilla.
Fate,
Destiny,
Big
G-he
offered
up
a
prayer
of
thanks
j ust
in
case-who
knows?
For the only
time
in his
life he was the
right man in the right place at the right time" (p.
110)
Arrivé
en
Afrique
avec
un
passif
psychologique
familial,
académique, administratif et social, Morgan illustre parfaitement
le type de comportement que déconseille le héros de The Heart Qf
the Matter à tra~l'ers un de ses monologues : lia."! careful .... Il (p.
"She
is
more
than
r
could have
hoped
for,
beyond my
wildest dreams. Il,
W.
Boyd,
A Good Man in Africa,
op.
cit., p. 98.

91
31)
Tous les ëcé.r-re qui en résultent ont instauré l'irrationnel
dans A Gaod Man in Africa,
d'où une intégration profonde de cet
espace africain désormais conflictuel chez Morgan.
B.
L'AméricaiD tranquille ; ~emple smith
Chez Graham Greene, le portrait de l'Américain a toujours eté
brossé aveC une ironie corrosive. Dans A Good Man in Africa et An
Içe-Cream~, William Boyd n'est pas sans rappeler Greene. Dans le
premier roman,
Boyd use de
la simulation pour se moquer de son
,
obésité,
de
ses
taches
de
rousseur
et
de
cet
accent
si
caractéristiques des Américains:
"nood in the e.re Icen tarst."
(p.
196) pour "nude in the african forest"). La continuité est lisible
dans le traitement du personnage de Temple Smith. L'auteur ironise
sur
son
excès
d' embompoint
et
l'appelle
ouvertement
"the
fat
American tl (p. 29). Plus loin, ce trait est davantage mis en relief
par une franche caricature :
"standing in the middle of the landing vae a very
fat man with a
thick black walrus moustache.
His
uniform was shabby and faded. He wore dirty riding
boote,
a
frayed
spine pad,
no tie
and his
shirt
sleeves were rolled up to the e~bow... l took Felix
a.
second
or
two
to
.recoqn Lae
his
accent
as
A1,nerican. 11 (p.
310)
smith est venu en Afrique de l'Est pour servir de guide de
chasse au Colonel Théodore Roosevelt qu'il
admire mais
dont
le
fils,
~ermit, le renvoie.
Il
finit tout de même par s'installer
dans
cette
région qui
devient
sa
nouvelle patrie.
Non loin de
Taveta, il se construit une ferme pompeusement baptisée Smithville.
Son domaine s'étend sur une partie de la frontière avec l'Afrique
Orientale
Allemande.
Son
"ua Lne"
de
sisal
équipée
d'une
seule

92
décortiqueuse
à
laquelle
il
voue
une
mystique
naïve
en
est
l'épicentre. Boyd le signale à deux reprises: "the construction of
the
sisal
factory
which,
unfortunately
for
the
hou3e,
still
remained the centre of Temple's world"
(p.
43),
"He vas at
the
centre of his world" (p. l03}. r t s'y ajoute un 'i::r•a mp de deux cents
jeunes plants de 'café, de quelques milliers de pieds de sisal et de
11n. Ces cultures ont, par métonymie, enraciné ce nouveau colon au
sol africain: "They were like pin ions that fixed him ta the sail;
clamps that fastened and bound him ta the new life he'd chosen."
(p.
46)
Le modelage que Smith fait subir à son milieu procéde d'une
admiration obsessionnelle pour la ville coloniale allemande (routes
spacieuses, IDaisons de pierres à deux ou trois étages aux toits en
tuiles rouges et un beau jardin botanique magnifiquement aménagé1)
et d'une tendance fébrile à
aggrandir et a
f_~ire fructifier ses
terres sur lesquûlles il veille avec une jalousie excessive.
Ironie cruelle, la ferme qui fait sa fierté reste inachevée,
les
pousses
de
café
et
les
autriches
meur ent.,
son
projet
de
cultiver de la vanille avorte sous l'avancée allemande. Son domaine
tombe entre les mains prédatrices de l'occupant.
La
guerre entre
l'Afrique orientale Allemande et l'Afrique Orientale Anglaise qui
au début le laissait indifférent devient finalement la slenne.
,
William Boyd, An Ice-Cream War, op. cit., p. 6.

93
c.
La f . . . . expltri ••
Il est possible de dégager des romans qui nous intéressent une
typologie significative de l'épouse de l'expatrié et d'analyser les
rapports de ce type de femme avec le mil leu a f rLca Ln ,
La place centrale de l'épouse dans la vie du colon permet de
mieux comprendre la problématique de l'espace. Dans Mister Johnson,
Rudbeck estime que c'est dans ce qu'il appelle la brousse qu'un
homme a
vraiment besoin d'une compagne
"The bush 16 just the
place vnere a man needs a wife. 11 (p. 27) Johnson voit en Cella une
de
ces
"gov ernment
ladies"
à
qui
il
attribue
un
pouvoir
civilisateur, contrairement à Benjamen qui impute a ces femmes les
turbations des résidences européennes africaines, parce que ces
êtres n'ont rien d'autre a
faire.
Parmi celle&-ci nous retrouvons par exemple, Louise, épouse de
Scobie, Mme Perrot dans The Heart of the Matter, Celia Adekunle et
Chloe Fanshawe dans A Gad Man in Africa et enfin pour ne citer que
celles-lA, Liesl von Bishop et Matilda Smith dans ~ Ice-Cream War.
Nous pouvons isoler des traits communs à
r.ou tee ,
Liesl von
Bishop,
Mathilda
Smith
et
Celia
Rudbeck,
qui
parviennent
a
préserver la vertu conjugale et à survivre en gèrant plus ou moins
correctement leu~ vie.
A l ' opposé,
on
peut
distinguer
Celia
Adekunle
et
Chloe
Fanshawe qui ont réussi, grâce à
l'affectation et a la tricherie,
â survivre.

94
1
Li.'l VOD Bl.bop
Dans An Ice-Cream War, nous trouvons le personnage Liesl von
Bishop,
une
allemande
originaire
de
Coblence
et
épouse
d'un
ressortissant de même nationalité établi en Afrique est-allemande.
Elle n'est pas sans rappeler cette autre Liesl,
fille du consul
allemand dans A GOQd Man in Africa.
Le séjour africain de ce personnage féminin principal de An
Ice-Cream War est ponctué de
deux
intermèdes
européens
dont Lë
dernier signale une métamorphose décisive. Son 1D""ri qui l'accueille
au
pied de
la passerelle
du
bateau,
n'en
revient pas
tant
son
physique a changé :
"She looks . . . she looks different. What shaii
l
say? Very heë Ltihy , vee , hea Ltihy
(p.
c
"
21)
La oc.ï ï.e apparer.ce de
Liesl dépla1t à
son mari qui aurait préféré la voir jouir de sa
pitié ou dépendre de
lui.
En cela elle ressemble à
Louise dont
l'époux,
Scobie pense que ce qu'on cherche chez
la
femme
c'est
moins l'amour que cette incapacitê de rester jeune que cause la
déchéance physique tant
i l
est vrai que
les xLqueure
du milieu
africain agissen~ sur le corps et les nerfs de la femme expatriêe
: "It isn't beauty we love', he thought,
' i t ' s f.J.ilure -the failure
to stay young for ever,
the failure of nerves, the failure of the
body."
(p.
263)
Liesl avait failli,
plus d'Un an plutôt, mourir des rigueurs
d'un
climat
africain
excessivement
chaud,
des
mouches,
des
lépidoptères
et
des
travaux
de
la
ferme
"She
detested
the
country, the malevolent climate, the demands of the farm, p. 220)

95
A ces affres physiques s'ajoutent la
frustration sexuelle et la
solitude 6. laquelle l'a réduite un époux "ém.asculé" par Lee travaux
d'une
ferme
familiale pourtant prospère.
Aussi Liesl von Bishop
finit-elle par tomber gravement malade et seul le retour au pays
natal lui permet~ra de s'en remettre.
Les manifest.ations nocives de la chaleur sont particulièrement
favorisées par son teint et se traduisent par des démangeaisons
extrêmement irritantes
IIItches ran down the back of her thighs.
The heat
rash
was
starting,
after
only
three
days
!
She
needed
ta
bathe
everyday,
and
she
hadn' t
had
a
proper opportunity ainee she'd le ft the Tabora. She
cursed her
fair
complexion,
her soft moist ex i.n ,
suddenly envying the American his freedom to stand
up and scratch. Il p. 30
Pour chasser cet inconfort de son esprit, elle s~ mit à profiter de
la succulence de,9 sucreries rapportées du voyage : "sne shut her
eyes, relishing the pleasure, forgetting her itches for a momerrt., v ,
p. 30) ou le pain ~ la banane que lui fait obtenir Eric, désormais
membre de l'état-major de von Lettow (p.
303).
Cet
épisode
marque
le
début
d'un
processus
d'adaptation
individuelle prononcée et dont l'étape suivante permet a Liesl de
substituer au sentiment de rejet de l'Afrique une indifférence et
une résignation que trahissent des haussements d'épaules réguliers:
"indifferent and resigned" (p. 259), "undifferentiated", (p. 303),
"shrugged lt (pp. ~22. 304), "unconcernedly" (303), etc.
La
troisièm1e
étape
qui
permettra à
Liesl
de retrouver le
bonheur consiste a servir son pays en guerre en valorisant son

96
expérience en soins infirmiers: "To Liesl' s surbr Lee she had found
herseIt quite happy te take up her nursing duties once." (p. 220)
Gr4ce A ce troisième séjour en terre africaine, elle acquiert un
.cellef psychologique et un statut dramatique qui
font d'elle un
personnage de tout premier plan. Menant une vie conjugale qui n'en
a que le nom et ce, dans un contexte de guerre si peu clément pour
un couple, cette femme se façonne des attitudes et un mode de vie
qui donne plus de profondeur symbolique à An Ice-Cream War.
2.
Bop. Clearwa:a.I:
Hope
cï.eaeveeer- est "that tall young wcman who lives on
Brazzaville Beach. 111 Extrêmement intelligente et dotée de solides
qualifications
universitaires,
elle
est
égalament
naturelle,
franche,
sensuelle,
amoureuse de la bonne chère et du vin rouge.
Son entourage l'aime ou la craint pour son calme, sa ma~trise, et
sa force.
Rien d'étonnant donc à ce que, par instinct, elle se persuade
que John Clearwater, le génie à l'accoutrement et aux attitudes si
singuliers, est «sen homme". La fascination que celui-ci exerce sur
elle, pousse Hopè à le conquérir. Il s'ensuit un mer Leqe fondé sur
une adoration et une envie qui amène l'héroïne â imiter son mari
qu'elle
identifie
à
la
connaissance,
privilège
selon
elle
des
initiés.
w. Boyd, Brazzaville Beach, op. cit., p. xiii.

97
Décidée à échapper à
l'influence aliénante d'un mari qui la
déçoit et l'écrase, Hope réalise que
"She had fargotten this tacet of her personality :
the dogged application of,
and exultation in,
her
expertise." (p. 104)
Le
regain
de
confiance
qu'elle
tire
d~
cette
prise
de
cons c tence
n e eat.,
au
fond,
que
l'assurance
inhérente
il
toute
démarche méthodique,
rigoureuse et raffermie par la routine qui
mène à des conclusions claires et irréfutables.
Exècrant
toute
vie
vide,
exempte
d'excitation,
nits
rigid
cultivation of the normv",
l ' inéluctabil1té d'une existence sans
changement,
"his clean,
airless vocLd of pe r rec-t. abs't r-ec't Lcnevê ,
tout comme l'hiver anglais, elle est le type de personnage à faire
d'une expérience africaine,
une véritable quête de soi.
D'où la
tension ontologique qui lui fait dire qu'il lui faut trouver un
sens ~ ce qui l~li est arrivé avant de reprendre sa vie dans le
monde.
Comme la narratrice le dit, Hope est devenue plus honnête avec
elle-même
depuis
qu'elle
vit
sur
les
rivages
de
l'Afrique.
Rappelons
également
que
la
confiance
qu'elle
tire
de
ses
connaissances, lui est venue d'une prise de conscience qu'elle tire
W. Boy~,
Brazzaville Beaçh, op. cit., p. 117 .
. ,
2
W. BOYI!, Brazzaville Beach, op. c Lt , . p. 109.

98
de la flore alentour :
Il,!
know the difference between pes t.uce and Meadow,
c~n distinguish crack willow from white will~w, l
k.l0w
what
kind
of
flo'N'er
Li_thospermum
-purpureccaarujeua is( ..• ] Il
(p.
54)
Telle
est
la
grille
de
perception
de
la
locataire
de
Brazzaville Plage. Telle est également la Aensibilité qui permet il
Hope
Clearwater
d'appréhender
l'Afrique
avec
deux
outils
conceptuels séduisants hérités de son défunt mari: la mathématique
et
la
turbulence.
La
première
grâce
à.
laquelle
l'the
abstract
workings of the mind found a correspondence in nature, in the world
we live in.'I' La deuxième, est ce que Hope appelle les "systems in
flux,
erratic ê~.'n~ d Lsconti Lnuousvê, et qui permet; il la narratrice
d'écrire le livre du monde désordonné dans lequel nous vivons. 3
3
LOuise SCobie
Nous
ignorons presque
tout
du
passé de
Louise Scobie.
Les
seuls aspects qui aient été retenus de son expérience européenne
concernent son mariage à Ealing et l'épisode de la maladie et de la
mort de leur fillette.
W. Hoyd,
Brazzaville Beach, op. cit.,
p.
19B.
2
W. Boyd, Brazzaville Ueach,
op. ci~., ~. 45.
3
t'write the book of the unruly world we lived in. Il, ibid.

99
Le seul endroit où Louise se sente heureuse est le sommet de
la colline d'où l'on n'aperçoit que la baie. Cet endroit est, tel
que
le
perçoivent
Louise
et
son
mari
Scobie,
un
accident
géographique. Et c'est pourquoi l'expérience du couple n'en est que
plus singulière et ponctuelle : "We <Jet te the bast point of aIl -
where you can't see a single house." (p. 75) Wilson ne peut donc,
depuis ce lieu,
absorber le spectacle merveilleux mais fugace de
cette aire latéritique qui vire à une couleur violette vesperale
dont la nature accidentelle justifie l'interchangeabilité rendue
d'abord par le changement de couleurs
:
"The laterite roads that
\\lere so ugly and clay-heavy by day became a delicate flower-like
pink."
(p.
26)
est assimilée
à
une pente
:
IIThe
laterite
soil
turned
a
translucent
pink
sloping
down
the
hill"
(p.
75).
La.
verdure des flancs de la colline : "the harsh s Lop ee fallinq down"
(ibid.)
le cède à
un violet convertible en-gradi~nts._Tout cela
trahit chez Louise la plénitude d'une sensibilité envers au milieu

africain qui l'entoure.
La
relation de
Louise
à
l'Afrique
se
fonde
sur une double
aliénation.
La
femme de
cet
inspecteur de
police
pas
comme les
autres, y demeure prisonnière : le roman est campé en periode de
guerre ;
il lui est impossible d'en repartir,
l'Atlantique étant
infestée de sous-marins allemands. La ceinture marine est assimilée
à un péril mortel.
Son expérience africaine de quinze ans est donc associée à la
limite mortelle symbolisée par la marée. C'est à cette dernière que
,
l'auteur
assimile
le
contour
facial
de
Louise,
détail

100
physionomique,
trait
moral
et
stigmate
d'une
expérience
de
l'aliénation:
t1Fitteen yeat-s
form a
face,
gentleness ebbs with
experience, and he was always conscious of his r-eepone Ib Lj Lt.y ;« (p.
,
16)
La douceur d,as traits de Louise a
cédé aux .... ou f f r-e nce a de la
captivité.
Image récurrente,
la marée contre laquelle- se dresse
Scobie,
Canute des temps modernes,
refait surface lorsque Louise
retombe
dans
la
dépression
nerveuse
et demande
à
son
époux de
démissionner ou de partir : "When he called her na me he was crying
like
Canute
-against
the
tide
of
her
melancholy
and
disappointment."
(p. 21)
Le second volet de la double aliénation de Louise est d'ordre
matrimonial.
Pour
être
évidente,
elle
n'en
est
pas
moins
, ,
privilégiée
par
la
place
centrale
que
Greene
accorde
au
Catholicisme dans The Heart of the Matter. C'est ce qui explique le
fait
que
Louise
n'envisage
ni
le
divorce,
ni
une
séparation
temporaire,
comme
solutions
provisoires
à
ses
problèmes.
Au
contraire, elle ne désespère pas de persuader son mari de prendre
sa retraite,
de démissionner et de recommencer sa vie ailleurs.
Scobie en est conscient:
lIHe thought to himself,
poor Louise, if l
had left
i t to her where should we be now ? and he admitted
straight away that they wouldn't be here." (p. 17)
Ce regard amer mais plein d'humour a suivi celui'de l'épouse et mis
en
évidence
une
frustration
d'autant
plus
insupportable
qu'une
telle épouse dispose de toute l'énergie nécessaire pour une prompte

101
promotion social~ ou qu'ils aillent
"She
would
have
taken
every
opportunity
for
improvement
she would have steered agilely up the
ladders and laft the snakes e ï.cne ,.»
(p.
17)
La double aliénation que voilà tourne entièrement autour de
l'espace. Il en résulte une culpabilité que 5cobie admet et dont il
assume tragiquement la résponsabilité.
Louise est une femme hystérique du fait qu'elle est devenue la
risée de toute la colonie britannique. Elle se sait contaminée par
le
snobisme
qui
prévaut
dans
le milieu des
p.xpatriés
et
envie
Scobie d'être capable de survoler la mesquinerie qui a
gangréné
toute la colonie blanche.
Louise
assimile
le
mariage
au
besoin
de
s'en
remettre
a
quelqu'un qui ait un sens peu commun de la responsabilité. C'est ce
qui lui fait dire de façon à la fois brutale et cynique à Wilson:
'I~OU have no responsibilities towards me. I
don't want ycu s "
(p.
78)
Son attitude négative envers l'Afrique procède en partie de la
situation professionnelle de Scoble. D'ailleurs, quand celui-ci lui
dit que cet endr-of.t, n'est pas
fait
pour elle
Louise estime au
contraire que ce cadre
aurait
été différent
si
l'inspecteur de
police qu'est son mari, avait été nommé "comm Lae Lone r-!",
(p. 101) A
défaut,
ils iraient, non en Angleterre, mais plu~ôt en Afrique du
Sud.
La.
stature de
Louise reste donc étroitement attachée à
cet
espace problématique.
En effet,
s'~n éloigner devient pour elle-
même et pour scobie, un impératif éminemment dramatique en ce qu'un

102
tel
départ
serait
une séparation,
une menace que
l'auteur
fait
peser sur un mariage fondé sur la foi catholique.
A cet égard,
il faudrait souligner la p La ce du port,
de la
flotte qu'il abrite,
et singulièrement du bateau:
"trhey watched
their separation anchor in the bay. Il
(p.
98)
La
table du diner
d'adieu est une :reproduction en abime de la séparation :
I l . • •
a veeh Lnq basin in the middle of the table :
round
it
vere
ranged
the Many
small
dishes
that
went
with
it
-
the
fried
bananas,
rad
peppez-e,
ground-nuts, paw-paw, orange-sliees, chutney. ~
seemed te
he
sitting miles
apart
separated by a
waste of dishes.'.l
(p.
100)
Le bassin représentant le vaisseau le plus grand de cette étendue
d'eau qu'est la table, est entouré de multiples plats dont la forme
ovale et étirée n'est pas sans rappeler les corvettes et autres
destroyers décrits plus haut par l'auteur. La distance qu'ils sont
appelés â creuser entre Louise et Scobie est symbolysée par la
table qui sépare le couple et à laquelle Greene n'attribue guère le
même pouvoir unificateur de cette barre
du confessional
devant
laquelle
ils
s'étaient tenus côte il côte peu de trempe
avant
"kneeling together at the communion rail they seemed to claim that
this was not separation. Il (p. 98)
L'étude des personnages principaux nous
a
e i.e
en présence
d'êtres
qui
ont
des
difficultés
sérieuses
à
lllaitriser
leur
l'environnement et les événements qui s'y déroulent, mais révèle
aussi par un effet de choc en retour des êtres particulièrement
perceptifs à un eepece africain reconnu comme pr-cb l.éme't Lque , Leur
c'est nous qui soulignons.

103
sensibilité et Leur-
intelligence les amènent souvent. a souffrir
d'un lourd passif psychologique antérieur ou d'une disproportion
écrasante entre une certaine enfance et des enjeux spécifiques au
milieu africain. Quant aux femmes expatriées, nous avons pu voir
que leur expérience tourne essentiellement autour de l'aliénation
qu'elles subissent en terre africaine. Et c'est précisénent cette
interaction,
cette dialectique génératrices de crises entre les
personnages et le milieu africain que nous ent r-epcenons de voir
plus en détails dans notre prochain chapitre.

'0'
l!IIIPl'IU 1:. 1
L' UJUgn DES RBCI:~8 f t D!:~ ClUS8S :
D'lBTS DU XILXBU SUll LdS n.llSODmGBB

105
1
L. .'Rau' 41 retenue
Dans
les
oeuvres
romanesques
de
Greene
et
de
Boyd,
l'expérience
africaine
du
colon
en
particulier,
celle
de
l'expatrié en général, est le plus souvent étroitement associée
"
au manque de retenue. Ce dernier prend essentie~lement l'allure
d'une
incapacité
quasi-suicidaire
a
respec~er
les
règles
ordinaires de la bienséance, à se modérer, à garder une prudente
réserve dans sa conduite ou ses propos.
Dans un ouvrage sur l'Afrique, Emmanuel Mounier esquisse le
profil des personnages susceptibles d'en être victimes, mieux il
précise la nature du mal ainsi que les causes qui l'engendre:
"Nous y avons envoyé (en Afrique) trop de laissés
pour
compte
,
de
semi-râtés
et
d'aventuriers.
Tout
fonctionnaire
arrivant
en
Afrique
est
automatiquement surclassé ; bien des médiocres y
perdent la tête.'"
Joseph Corir~,-,d dont l'influence indéniable eur Graham Greene
a
été souliqnée plus haut,
suggère dans Heart of Darkness le
caractère excessif de ce qu'il appelle "1ack of restraint" et
dont il dépeint les contours du reste flous :
Anything -anythlng can be do ne in this country.
That's what l say ; nobody here, yeu understand,
here, can endanger your position. And why ? You
stand
the
cllmate
-you
eutlast
them
e ï.L.
The
danger is in Europe ; but there before l
left l
took care to_" 2
1
zmmanuel Mounier, L'éveil de l'~triaue Noire, p. 114,
oit. par DIANGONB-BI Nouessan, op. cit., p. 130.
2
Joseph Conrad, op. cit., pp. 64-5.

L'improbabilité apparente d'un quelconque ,danger apparait
comme
une
pre~~ère cause.
L'exhortation
constituée
par
cet
extrait occulte le "facteur humain" puisque tout éventuel danger
peut être attendu que des choses ou de l'espace tout au moins.
tournure impersonnelle et passive,
la répétition emphatique
et contrastive de "herell balisent la rupture potentielle. Kurtz
de Heart Qf Darkness en est le pr-ot.ot.ype et nous est dépeint
cQmme un être dQnt la raison cède finalement sous l'empire de
pratiques
sataniques
nocturnes
que
le
narrateur
appelle
"unspeakable
rites"'.
Les
déviations
du
héro's
trahissent
la
vraie nature d'un tel comportement :
,IIThey on.Ly showed that Mr Kurtz lacked restraint
in the gratification of his various lusts,
that
there was
aoaet.h Lnq
in him
-some
small
matter
which, when the pressing need arose, coula not be
found under his magnificent ej.cquence ;» (p.97)
Seulement, .chee Greene et Bcyd , l'univers depeint dans les
romans retenus n'est plus la forêt idyllique, hostile ou rétive.
c'est plutôt celui des villes, des bureaux, clubs et autres bars,
résidences, etc.
Il est par ~onséquent à la fois justifié ~t instructif de
revenir
sur
l ft~nivers
africain
afin
d'y
ce ccuvr-t r
ce
qui
contribue à
faire
"perdre la
tiê t.ev ,
Greene y
fait
verser son
hérQs dans The "eart of the Matter. Harrris, personnage du même
roman est un bel
Joseph Conrad, op. cit., p.
86.

exemple d'individu capable de retenue
"He nearly exclaimed aloud,
but restrained
himself in time.
In su ch close quarters as
they
now
shared
i t
was
necessay
to
be
circumspect.
There wasn't space to quarrel
Ln s "
(p.
167)1
La circonspection dont le compagnon de Wilson fait preuve ici lui
est donc imposée par l'espace et l'emporte sur toute forme de
réaction épidermique.
Bien que conscient et très informé des dangers réels liés
au manque de maîtrise de soi, Scobie succombe tragiquement à une
certaine vertu fort singulière de la vengeance: "Revenge is good
for character
:
out of revenge grew
forgiveness."
(p.
39)
Il
l'exerce sur Fraser en l'empêchant de monter sur l'Esperança. Le
faisant à sa place,
il viole la loi en refusant de dénonçer le
capitaine portugais dont
il brOle la lettre,
objet d'un délit
sévèrement
puni
surtout
par
ces
temps
de
guerre.
Ce
geste
préfigure la perte du contrôle de ses actree r
"He had the sense
that he was embarking now
on a
longer
journey than he never
intended." (p. 19!q Ainsi Scobie passe-t-il outre ce principe dont
Ij'
Bulteel se fait l'écho dans Mister Johnson :-
"Who
7
Oh
ah.
WeIl,
yes,
but
you
must
be
carefu1,
Rudbeck.
It
doesn't
pay,
l
warn ycu .
stick to the rules,
as near as you can ,
That's
the way to get on in the service, my boy, and you
know you want to get on. As a fami ly man. 112
C'est 10US qui soulignons.
2
Joyce ~ary, op. cit., p. 161.

108
c'est impuissant qu'il s'aventure sur le teTrain danqer~ux
des excès lias though he ...ere pursuing a path through an evacuated
country sown with booby-traps : every
step he took he expected
the explosion. Il 1p. 180)
Le refrain ironique de la chanson que chante Fraser (What
will
1
care
for the why
and the wherefore
?",
p.
55)
rythme
l'allure gaillarde a laquelle il brOIe désormais les diverses
étapes de ses déviations. Parmi celles-ci, le serment par lequel
il s'évertue à se damner, s'aliène dans les bras de Helen Roit
: "he wanted te put himself entirely in her he nda"
(p.
181) et
déserte Dieu: '10 Gad, l
have deserted ycu . Il (p.lS!) .
La
mise
en
terre
des
germes
qui
concourent
au
destin
tragique
de
Scobie
Si inspire
donc
du manque
de
retenue,
si
caractéristique .des
personnages des romans dont
nous
faisons
l'analyse. L'humour de Greene en souligne l'aberration: " ••• and
now ponderously,
with planned and careful
reckleness,
he
set
about trying to make things right for Helen. 1I
(p. 181)
William
Boyd,
non
plus,
n'épargne
guère
le
personnage
principal de A Good Man in Africa
chez qui l'auteur tourne en
dérision cette tendance li. l' excès : "
his fervent pursui t of
the cock-up, the banal farce he was industrially trying to turn
his life into: M'Jrgan SNAF1J Leafy, R.I.P.II
(p. 16)
Les recomma0dations du docteur Murray illu~t~ent les propos
d~ Emmanuel Mounier dont nous avons fait état plus haut et qui
se poursuivent par le constat suivant: "live been in Africa over
twenty years now and l've se en a lot of young men in here, very

109
like
you,
enjoying
certain
freedoms
that
the
life
out
here
afters. 1I (p. 94) Le jeu qui s'instaure entre "in (here)" et "out
(here)"
fait
de
l'espace
africain
ainsi
décrit
un
espace
pluridimensionnel marqué par l'intériorité (in) et l'extériorité
(Ou. L).
Les
écarts
de
Morgan
Lea fy
se
mesurent
mieux
à
la
gradation relative établie par ce personnage sur une échelle de
valeurs qui lui 'est propre
He
knew
then
that
he
wanted
ta
bribe
Murray,
tarnil:.h
his
gleamlng
image,
fouI
his
perfect
reputation more than anything in the world. More
than
he wanted
ta get
rid
of
Innocence
;
more
than he wanted ta marry Priscilla ; more than he
wanted
ta
sleep
with
any
number
of
beautiful
vomen. He felt quite weak vith the power of his
desire.
(p. 82)
Lâchant la bride à son imagination', i l en fait autant de sa
retenue initiale a laquelle il laisse libre cours. En effet, les
revers sociaux e~registrés par ses excès finissent par rendre le
héros amer et cencuni.er .
Se promettant de ne pas
fléchir,
i l
s'ingénie a fajre mal aux autres: UThat should make them sick,
he thought with evil satisfaction. Il
(p.
50)
Ces quelques exemples démontrent que le manque de retenue
peut résulter d'une expérience mal vécue de l'éloignement, d'une
absence apparente de sanction, ou d'un sens démesuré de la pitié
et de la responsabilité. Il procède donc d'un excès de passion.
Il s'ensuit presque toujours une
rupture voire une aliénation
pouvant aller
jusqu'à la mort,
d'où la p.l ace centrale que le
défaut de r'e't.enue occupe dans l'évolution d r-amat.Lque des romans.
'IHe
went
on,
giving
his
imagination
free
rein.",
william Boyd, A Good Man in Africa, op. cit. , p. 81.

110
2
LI' cri••• individuelle. lié••• l"8Daoe
Il s'agit, dans cette partie, d'analyser le raIe de l'espace
africain
dans
.l'expérience
psychologique
individuelle
des
personnages-clés, ainsi que l'impact d'un tel environnement sur la
trame et l'action dramatique des romans retenus.
Les crises se traduisent par des manifestations physiologiques
ou
émotives plus
ou moins
violentes
qui
sont
autant de
phases
significatives de l'évolution,
des
événeeent.s ,
des idées et des
individus.
La
dimension
spatiale de
certains thèmes
liés
a l'univers
colonial que Greene a préféré camper en Afrique de l'Ouest laisse
d'ailleurs
deviner
chez
certains
personnages
une
propension
à
favoriser la naissance de crises. Ce phénomène est assez clairement
établi
dans
The
Heart
of
the
Matter
par
le
type
de
rapport
qu'entretiennent
le
héros
et
son
environnement.
Les
métaphores
suivantes
:
"a
the wide region of repentance and
(p.
L l ,
L o n q
L n q "
51), "that vicious vacuum of crue1ty and despair" (p. 216),
II (1
am
just trying to find a companion in) this region of lies ll (p. 230),
traduisent
bel
et
bien
la
relation
problématique,
prélude
aux
crises.
Le
monde
colonial
y
est
mis
en
relatL.ln
avec
l'univers
scolaire,
par
exemple.
Il
en
est de même
de
la
description de
pemberton, de Helen, de Harris
:
"0f course yeu know i t wasn't a
very good school, and l wasn't very happy there. In fact Iran away
once."
(p.
147),
et de Wilson:
III
wonder
if Wilson was happy
there ... I don't suppose he was,' he said,
'or why should he have

III
turned up here ?" (p. 148). En d'autres termes, ne se retrouvent en
Afrique que lea britanniques qui ont apparemment eu une expérience
scolaire malheureuse.
La
côte
ouest-africaine
peut
se
percevoir
comme
une
constellation de
lieux de
cache
ou de
jeux de
cache-cache.
En
effet,
prolongement de
l'univers
terrestre,
l'Esperança
et
les
autres
bateaux
portugais
mouillant
au
port' sont
le
lieu

s'exercent
des
fouilles
fréquentes
et
méticuleuses.
L'aire
conflictuelle ainsi définie se prête beaucoup à la confusion qui
profite énormément aux deux Syriens rivaux de la ville : Tallit et
Yusef. Ce qui finit par contribuer à une suspicion grandissante à
la
fois
et
prejudiciable à
Scobie,
ami
de
vuee r ,
En
effet,
la
demeure de Yusef le commerçant syrien représente un autre stigmate
de la corruption progressive du héros : à la lettre du capitaine,
s'ajoute
le
paquet
de
diamants
que
le
policier
doit,
sous
le
chantage, faire passer frauduleusement.
Le
bureau
de
Scobie
que
Wilson
fouille
furtivement
en
l'absence de son occupant et la devanture d'u~e des demeures de
'fusef

le
policier
serait
mal
vu
"sccbf.e
left
his
car
immediately
outside
vuse r e s
door
i t
vas
like
a
gesture
of
contempt in the face of the Colonial Secretary."
(p.
148), sont
étroitement liée à la progression dramatique du roman.
Au quartier des "Nissen huts" réside Helen. Scobie s'y sait
constamment épié. Au pas de la porte de cette maîtresse, 'fusef fait
découvrir le message compromettant et par lequel 'le héros jure de
persévèrer dans
l'adultère.
Le lien entre tOU5 ces lieux est le

112
secret écrit et fondé sur la culpabilité, source d~ crises.
Scobie y subit également l'influence néfaste de la distance
inter-continentale qui infantilise, isolant et dé-responsabilisant
Louise
et
Helen
qui
en
deviennent
vulnérables.
Le
souvenir
douloureux de la perte de sa propre enfant ainsi que la mort du
garçon A Pende inspirent 6 Scobie l'image d'une Afrique remplie de
.ez'e ("a world 50 full of misery. Il, p. 123).
Le dénu1nent criant des "Hissen hutie "
le choque au point de
l'amener 6. chercher des meubles pour Helen:
"1 wish l
hadn't gat
the furniture you brought me ;"
(p.
251).
Dans cette démarche,
il
s,:ombe au devoir de responsabilité et de pitié (Ilthis automatic
pity", p. 206) qu'il s'impose une fois de plus. D'ailleurs, Scobie
identitie la jeune veuve A Louise :
IIHe thought,
if l
shut my eyes i t might almost be
Louise speaking -the votee was younger,
that was
aIl,
and
perhaps
less
capable
of
giving
pain.
standing
wi th
the
whisky
glass
in
his
hand
he
remembered another night -a hundred yards away -the
glass th en contained gin. He said gently,
'You talk
such nonsense. Il
(p. 178)
L'expression "if 1 shut my eyes i t might a Lmce t;" en rappelle une
autre que Greene, 6. vingt-deux ans déjà,
utilise dans "Sad Cure",
un
poème
"If
he
shut
his
eyes,
he
almost
hear-d'' ".
Elles
illustrent toutes les deux le processus par lequel le personnage
accomplit
les
substitutions
mentales
qui
lui
sont
nécessaires.
Helen
étant
assimilée
à
Louise,
l'ubiquité
dcv Lent;
une.
Nous
reviendrons sur le thème du double chez Greene.
Norman Sherry, op. cit., p.
Il.

113
Il est d'ailleurs assez
significatif que Norman Sherry ait
fai t
de
la
nature
trai tresse
de
la
distance
une
donnée
autobiographique: "only a short distance fram the hauBe" (p. 65),
lia short distance awayll1.
Tout enfant,
Greene soutfrai t
beaucoup
,~e l'ubiquité d'un ennemi imaginaire ayant noms insécurité, peur
panique, mal ou cruauté. Cette dernière s'étant révélée commune aux
deux femmes.
La distance entre le logement de Helen et la maison familiale
(lia hundred yards away")
assume parfois une fonction
réductrice
synonyme d'identification spatiale.
Signalons
toutefois
que
selon
les
états
d'âme
de
scobie,
Greene peut attribuer à
la terre le pouvoir de s'étirer ou de se
rétrécir :
~He looked up the hill towards the Nissen huts. It
vas
as
if
a
landslide
had
suddenly
put
an
immeasurable distance
between him and
them. ",
p.
206)
Les stimuli déclenchés par un tel environnement apparaissent
progressivement entra1nant du coup des réactions physiques : "The
ugliness was like handcuffs on his wrists. Il
(p.
159). Le symbole
qui en dérive est celui de l'aliénation :
les menottes rouillées
que le héros a si ostensiblement accrochées au mur de son bureau.
Physiologiquement, la misère dont Scobie tient à assumer une
responsabilité exclusive, lui pèse lourdement. Elle se traduit par
Norman Sherry, op. cit., p.
69.

114
une fréquente sensation de lourdeur au niveau de la poitrine: " •.•
then the millstone weighs on the breast."
(p.
50),
tI • • •
he could
feel ths millotons weiqhinq on his breast." (p. 52).
L'accès
fébrile
est
une
autre
manifestation
de
la
misère
oppressive: "a touch of reve rw
(p. 90) l
"lt's· just coast fever."
(p.
215),
"This 18 just a sickness,
a fever 1
l
shall vejce eoon , Il
(p.
245).
Ce
n'est
pas
hasard
si
Scobie
a
mentionné
à
trois
reprises la fièvre qu'il a eue à
Bamba,
pour finalement préciser
que la
faute qu'il a
commise ne se serait
jamais produite s ' i l
n'avait pas eu la fièvre:
IIIf
l
hadn't had fever l
would never
have discuBsed this matter with you Yusef."
(p. 105).
Aux "Nissan huts", la pluie tropicale d'Afrique agit aussi sur
lui
"A drunken voice shouted somewh?~e up the hill and
the first spatter of the return.u3.g' r-e i n licked his
face.
He thought :
l ' I l be back and go to bed,
in
t~e morning l ' I l write to Louise and in the evening
go
to
confession
the
day
after
that
God
will
return
to
me
in
a
priest's
hand
life
will
be
simple again. Virtue. the
good l~re tempted him in
the dark like sin.
The rain blurLed his eyes,
the
ground sucked at his feet as they trod reluctantly
towards the Nissen Dut."
(p.
186)
Il s'opère en ce lieu une véritable inversion des valeurs éthiques:
contrairement il ce qui se passe au jardin d'Eden.
Ici,
la vertu
essaie vainement de prendre sa revanche sur le pêché. C'est plutôt
la pluie qui tente le héros: "the rain fell Lijce tears" (p. 180),
en lui lèchant le visage comme le serpent déjà r-ancontre dans notre
étude de l'espac:! sauvage. Ce faisant,
l'élément satanique

115
accomplit
une
confusion
destabilisatrice
quG'
Greene
et
Boyd
"
traduisent tous les deux par le même mot :
"blurred u
(estompé)
"Morgan squinted at the landscape watching its contours blur and
elide. II'
Même sous sa forme marine,
l'eau continue de favoriser
les crises du héros. Sous les dehors de "tide ll •
"shore"
Cp. 157),
"the atlantic"
(p.
159), et de "obscure waters"
lP.
162), elle en
arrive ~ susciter une claustrophobie grandissante chez le héros qui
finira par préférer la mort à l'aliénation :
"He had a sense that
lite was closinq on him." (p. 196) cela est d'a:l'.leurs confirmé par
cette révélation de Sherry sur la vie privée dr'i'auteur :
IIHe had dreams when he would teel himself drawn as
if by a
magnet ta the water's edge and later,
in
adolescence,
they
became
so
strong
that
they
dffected his waking life :
he would find hie feet
would be actually attracted by the margin of a pond
or river.,,2
Pour
mettre
un
terme
a
ses
crises,
Scobie
revient
sur
l'Afrique, ses côtes, bref sur l'espace africain:
"The telegram layon his mind e Lj,
day
:
ordinary
life -the two hours in a court on a perjury case -
had the unreality of a country one is leaving for
ever.
One thinks,
At this
hOU~"1 in that village,
these people l
once knew are BL::d.ng at table just
as they did a year ago when l
w~s there but one iB
not
convinced
that
any
life gces
on
the
same
as
ever
outside
the
consciousness.
AlI
Scobie's
consciousness was on the telegram,
on the nameless
boat edging its way now up the African coast-line
from the South."
(p.
190)
william Boyd,
A Good Man in Africa,
op. cit., p. 82.
a
Norman Sherry, op. cit., pp.
12-~3.

116
Le
désarroi
éprouvé
devant
un
univers

une
routine
professionnelle intègre lui a toujours valu l'estime et l'affection
des autochtones, se résout en ce que nous pourrions appeler une
conscience de la différence
une expérience africaine jusque-là
réussie est ainsi désormais supplantée par une autre conscience
plus immédiate symbolisée par le fameux télégramme. Pour échapper
à
la culpabilité, il a suffi à Scobie d'un simr~e recul à la fois
dans l'espace et dans le temps
:
maintenant,
il
nie à
l'espace
africain
sa
propre
réalité
(ltunreality",
"this
fictitious
village", p. 269) 1 et s'imagine en train d'en parler ailleurs et au
passé. Cette rupture symbclique annonce le projet suicidaire de la
fin du roman que Scobie va trouver libérateur.
Des
crises,
Morgan,
dans
l!
Good
Man' in
Africa,
en
vit
également à Kinjanja. On pourrait assez commodément les ramener à
une série de crises existentielles.
Il ne se prend pas pour un "typical expat Î1 .~.p. 141) et se voit
ainsi
condamné
à
mener
dans
cette
insignifiante
ville
ouest-
africaine, une existence pénible ( f1fraught ex Ls t.ence'", p. 12). Pour
lui, les coups du sort ("crack of doom", p. 16) et le destin tout
entier (t'the whole fate thing ", p. 13), s'acharnent sur lui comme
un ouvrier trop zelé le ferait
sur un ouvrage
:
IIfate had been
working overtime. " (p. 13). Le cours que prennent les choses qui
lui arrivent, se déroule selon un scénario aussi inéluctable qu'une
invisible dynamique astrale et planétaire :
lias fixed and natural
a state of affairs as the planetary orbits goin~ on invisibly above

117
their head. ,,1
La conscience aigüe que Morgan a de l'Afrique et de l'espace
qu'elle renferme est, ici encore, Il mettre en rapport avec l'espace
de son propre pays d'origine, c'est-l-dire de la Grande Bretagne.
Boyd met ainsi en contrepoint les frustrations antérieures de
L.:.dfy qui en veut au destin pour ne lui avoir réservé comme cadre
d'étude qu'un IIconcrete and plate-glass building site" et comme
lieu d'habitation, rien qu'un "cramped semi-detached"
(p. 14).
L'Afrique devient alors une extension de cette vie humiliante.
Les rapports du héros avec le Dr Murray sont également exprimés en
termes de configuration spatiale qui prend la for'le d'un êgarement
dû Il l'ennui : "the man as wholly unwelcome an;d',' annoy i.nq presence
in his life ... seemed to stray acz-os s his pa th xepeatiedt y ;" (p. 16)
Rappelons que Leafy sublime son amour pour Priscilla parce que
le destin l'a decrété en terre africaine.
Il acccuse Dalmire de
l'avoir frustré de cet amour et l'incontournable Dr Murray d'y
avoir contribué.
Il en
résulte une haine viscérale,
une
santé
mentale précairlili, une extrême misanthropie, ainsi qu'un sentiment
d'humiliation permanente. Il vit un enfer intérieur caractérisé par
la
frustration
et
la
haine
"pentup
anger,
frustration
and
hostility at the universe. Il (p. 81)
Cependant; en y regardant de plus près, on ~e'rend compte très
vite que
les crises majeures vécues
par Morgan ont
pour foyer
conflictuel un cadre assez singulier : la résidence des domestiques
du Commissariat de la Grande Bretagne à Kinjanja. Vingt-deux pages
G. Greene, op. cit., op., p. 14.

118
lui
sont
consacrées.
Tour
à
tour
appelée
II {q Loomy )
coapoundv ,
"grounds" et "the Commission's servants'quartera", elle symbolise
un espace rebelle
Il [ • • • l
There were officially six awelling units for
the Commission's staff but lean-~os had sprouted,
grass shelters erected, cousins, odd-job gardeners
and namadie
relations
had turned
up,
and
on the
last
count,
f~rty
people
were
living
there.
Fanshawe had asked Morgan ta evict aIl unauthorized
inhabi tants,
claiming
that
the
noise
level
was
becoming
Intolerable
and
that
the
rubbish
dump
behind the quartera was un3ightly and encroaching
on the main road.
Morgan had yet; ta do something
about
this 1
and
he
doubted
strongly
if
he
ever
could. lt
(p.
26)
En plus du manque d 'hygiène et de
la pollution sonore,
il
faudrait souligner l'aspect agressif de cette prolifération à
la
fois humaine et organique.
Incontrôlable,
l'univers ainsi décrit
constitue une menace pour l'identité et l'intégrité de la résidence
diplomatique que Fanshawe assimile jalousement à un principe ("It
is the principle of the thing.",
p. 234).
Notre intérêt pour cet endroit est renf0~8é par la présence
d'un cotonnier séculaire ("they stood beneath the cotton tree, as
though awaiting the arrivaI
of some VIP.",
p.
75)
qui
rappelle
celui que décrit
Graham Greene ainsi
que
l'édifice qui
lui est
associé dans The Heart of the Matter :
"Round
the
corner,
in
front
of
the
old
cotton
tree,
where
the
earliest
settlers
had
gathered
their first day on the unfrlendly shore,
stood the
law
courts
and
police
station,
a
great
stone
building like the grandiloquent boast of weak men."
(p.
15)

119
Le cotonnier
sur lequel William Boyd
revient souvent trône sur
cette annexe africaine:
"But this 15 Africa" (p .. 222),
avec ses impressionnantes racines entrecroisées qui innervent la
terre : "high tangled roota that spread out tram the base of the
trunk like grotesque varicose ve Lne•• '1 (p. Tl).
c'est ici qu'une des domestiques, Innocence est frappée par la
foudre dont Shango est le dieu. Déjà au chapitre précédent, Morgan
l'avait, au plus fort de ses écarts, contrarié:
"Umbrella
! 1
he bellowed
in the direction of the
house, hoping his voiee would carry above the noise
of the
downpour.
There
vas
a
brilliant
flash
of
lightnlng, as if in sarcastic response ta his faint
cry,
illuminating his
garden
in harsh monochrome
for a brief instant, followed sorne moments later by
a hill-cracking peal of thunder. Morgan restrained
himself from shaking his fist at,the dark sky as he
sprinted splashily towards his,. house[ ••. I" (p. 62)
Tout se déroule entre le lavoir et les deux blocs de logement
séparés par une voie latéritique au milieu de laquelle s'étire une
rigole.
Comme Greene,
Boyd souligne la nature traitresse de la
distance : "The short distance from the wash-place to the shelter
of the vernndan, But she'd never made it."
(p. 74)
Le cadavre d'
Innocence ne doit en bouger sans les cérémonies funéraires d'usage
eaLe entre-temps, s'y amoncellent des objets rituels tels que des
tas de pierre, deux plumes, une feuille,
etc
(lia· pile of stones,
two
feathers
and
a
leaf .•. II ,
p.
209)
qui
déroutent
Morgan,
Fanshawe, son épouse Chloe et Dalmire. Autour dd ce noyau macabre,
la routine quotidienne prend des allures presque choquantes pour
l'expatrié. La chaleur et les mouches rendent ce~te promiscuité

120
intenable.
progressivement,
ce lieu devient ce. que Boyd lui-Jnême
appelle "the Innocence-problem" (p. 232).
Ecrasé par les menaces et ordres contradictoires d'un Fanshawe
tyrannique et excédé par une culture étrangère qui lui échappe,
Morgan y subit une expérience singulière :
"Morgan shuddered at the complexities ahead of him
and aga!n cursed his
irresoluteness,
his shilly-
shallying,
the
protracted
moral
dithering
he
indu1qed in."
(p.
212)
Fatigué,
sale,
affamé et mourant de sommeil,
Ioforgan commence à
apprivoiser la mort qu'il rencontre pour la première fois. Il finit
par s'habituer à ce cadavre gonflé, lourd et putréfié d'une jeune
innocente victime du destin contre lequel il s'est révolté dans cet
"intolerable bloody country" (p. 233). Déchiré entre les exigences
de la loi officielle et des autres règlements consulaires d'une
part, la résistance passive mais inflexible d'autochtones fidèles
à
leurs valeurs'd'autre parti Morgan subit une épreuve à la fois
initiatique et expiatoire.
Oscillant entre la rage: "boiling with rage,
incoherent with
terror,
relief and fuming anger" (p.
245),
"made twisted vampire
claws with his hands and savaged the air in fro,1t of his face" (p.
235)
et l'impuissance léthargique du découragement,
il finit par
maltriser ses instincts, et préjugés, dompté par Shango. Le héros
finit par trouver la voie qu'il indique à un supérieur autoritaire
et déloyal : "What we do is do it their way. We've been swimming
against the tide so far."
(p. 236).

121
L'échec
que
subit
cette
entité
consulaire
devant
le
f1Commission's servants' quartera ll rappelle la vaine grandiloquence
qui caractérise les homme faibles dont Greene fait état dans ~
Heart of the Matter ("the gandiloquent boast of weak men.", p. 13).
Lorsque,
dans
Brazzayille
Beach,
Hope
Clearwater
parle
de
Gunt.her Heuffer, son soupirant allemand qui hak'ite la plage, elle
caractérise
l'Afrique en stigmatisant les répercussions psycho-
motrices
que
l'énergie,
l'animation
féroce,
les
frustrations
brutales
et
l'impitoyable matérialisme'
de
ce continent
peuvent
avoir sur l'individu. Cela reflète la vision que la narratrice a du
continent "noir" et nous éclaire sur les diverses crises qu'elle
doit traverser.
Chez elle, les stimuli spécifiques à l'environnement de Grosso
Arvore s'entre-choquent avec le temps universel le tout ayant pour
'lThe man l work with - Gunther, started t.c go deaf fairly
recently.
The
docto~s couldn't
explain
why
but
his
hearing problems became so bad that he was obliged to be
fitted with a hearing aid. He told me that, initially, he
found the amplified sound in his he ad alarmingly hard to
cope with.
Everything came at him
in a
rush,
he said,
trying
to
explain
the
effect,
sounds
were
suddenly
unfamiliar and new.
'You s ee ,
Hope; r
he said a
little
plaintively,' the problem was that = couldn't tell what
was irrelevant and what was important . . . l couldn't tell
noise
trom
signal. Il,
W.
Boyd,
Braz~.aville Beach,
op.
cit., p. 44.

122
effet de lui faire baisser le moral
"I ••• J this moment of the early evening 1 the l ight
milky and orange, with the first bats jinkinq and
swooping
between
the
trees,
and
the
tentative
ar••k-ar••k of the crickets announcing the onset of
dusk,
always
brought
in
its
train
a
familiar
melancholy and aarard and,
in my particular case,
an awful self pity."
(p. 7)
La conjugaison du crépuscule et des images typiqu~ment africaines
mettent !'!me de l'héroïne en émoi, ce qui s'avère très nocif pour
son propre équilibre.
Après
un
début
sans
problème
en
AT"gola,
la
narratrice
se
révolte contre les modifications artificielles auxquelles Eugène
Mallabar soumet la zone écologique dont il s'est rendu maitre. Pour
Hope, une telle âpreté au gain est bassement matérialiste et est
contraire aux règles de déontologie les plus élémentaires.
En même temps,
une découverte ethologique
fort douloureuse
émerge péniblement à la conscience de la narratrice : tout comme
les ethnies et autres tribus humaines, les chimpanzés pratiquent le
schisme. c'est cela l'A~rique des indépendances et d'aujourd'hui.
Les
chimpanzés
sont
également
capables
d'être
cannibales.
Ils
savent enfin être aussi violents et sadiques que ieurs frères, les
hommes a En cela aussi, l'univers des primates ef~ace les dernières
illusions que l'humanité entretenait sur les causes et l'avenir des
conflits et des guerres que John appelait "dissipative systems" (p.
214)

123
Les trois confrontations simiesques dont Hope est tour à tour
témoin, représentent des moments de crise dont les manifestations
s'apparentent. cette description:
"1
gagged and
feit saliva swirl
iota my mouth.
1
faIt
faint
and shocked.
Muffin
:
neurotic Muffin
who hated te leave his mother.
1 turned away and
spat and took a deep breath.
I
opened my bag and
removed my camera. Il
(p.
181)
Elle éprouve des chocs physiques comme peycbo tcç Lquee et !'este
trèr; '"ensible au bruit, moteur de la crise:
"boucan" 1
"vacarme",
"état de choc et de nerfs", et "choquant" reviennent assez souvent.
En somme, la crise reste liée à la turbulence symbolisée par
l'Afrique,
son espace et ses occupants.
La narratrice en tire un
parallélisme
la
fois
génétique,
social,
politique
(sécessionniste)
et moral débouchant sur une crise existentielle
qui l'amène à s'impliquer physiquement en prenant le parti des plus
faibles.
L'analyse des rapports existant entre le cadre africain et les
difficultés vécues par les personnages t.émo Lqie d'un tellurisme
ayant un impact indéniable sur les individus. Les jeux que Greene
et Boyd créent entre la distance et la culpabilité élèvent l'espace
africain au rang de personnage,
responsable des crises qui font
progresser l'action.

124
CBAPITRB V :
PIlOCBDBS
IQRRATII'S
DUS
LA
PSIlIITlIRB
DB
L'URIQUE

125
1
L'6clairaqe de. ricit. : les techniques d'écriture
Cette parti. s ' propose 4e montrer comment le temps et le
riait Gonstituent UDe préocoupation particulièrement explicite 4.
Greene et 4e Boy4 et en quoi Ils contribuent à une remise en ordre
de la vie 4e leurs héros.
Dans The Beart of the Matter,
la rupture qui S'est produite
dans la vie de 8oob!. est née de la col11sion de Louise 8oob!.,
wilson et Belen Roit obe. qui l'environnement D'a jamais aUBeite
que le pire, biatus illustré par le résumé des carnets de bord du
héros.
Blen que certains
des
tai ta
fondant
les
ëvanements
de The
aeart
of
the
Katter
se
soient
déroulés
beaucoup
plus
tôt,
l'histoire qui nous est narrée ne dure qu'une année à l'image de la
tradition épique.
SIle s'ouvre sur une rupture avec le passé.
Les
relations
entre 800bie et Louise ne sont plus ce qu'elles étaient, le premier
n'ayant plUS besoin de la seconde qu'il D'aime plus. La pitié et la
responsabilité obliqent 8cobie à lui promettre ce qu'elle veut par-
dessus tout : aller en Afrique du sud. Cruelle, Louise lui rappelle
cyniquement cette promesse de façon répétée chaque nuit au moment
même où il a le plus besoin d8 sommeil : lIIt vas tvo o'clock." Cp.
42), "I ... ]the short niqht he needed for sleep.n
(p.
57), nIf r
could postpone the misery, he thouqht, until dayliqht. Il Cp. 57)
De
proche en proohe 6cobie en arrive à éprouver un cruel besoin de
paix né d'un oonflit entre deux routines. D'une part, celle qui le

126
combl. et S8 résume à ses activités pro~sB9ionnellB9 diurnes et à
la ronde des a.laoual
"Be bacS nearly Bverytblnq, and aIl he neecSecS
.as p.aoe.
EverythiDg me.nt work,
the daily
reqular routine in bis bars office, the change
of se.sons in a
place he IG~Jed." (p. 58)
D'autre part, celle à laquelle il mettrait un terme à tout prix
parae que se aomposant de trois phases toutes aussi effroyables le8
unes que les autres :
"unhappiness
bad
unooiled
vith
its
Inevitable
routine -first the misery and his strained attempts
ta
le.vs
everytbiug- unsaid
:
then
her
ovm
calm
statement of truths better lied about, and finally
the snapping out of bis control -truths flunq back
at her a. thouqb she vere his enemy. As be embarked
on this last stage, orying suddenly and truthtully
out
at
her while
the
angostura
trembled
in
his
band,
'You can't give me peace,'
he already knew
wbat would succeed it,
the reconciliation and the
easy lies again until tbe next scene." (p. 60)
D'abord, les misérables mensonges ; ensuite, le9 vérités cruelles
et
inutiles
qu'annihilent
finalement
les
réparties
féroces
de
8cobie. H'en pouvant plus, le héros finit par acheter la paix aveo
son innocence.
Le prêt sans gage que lui accorde Yusef permet •
Louise d'aller en Afrique du sud.
Au moi. d. mai, 8cobie oommet l'adultère avec Helen Rolt. Le
5 septembre, il lui écrit la lettre par laquelle il lui jure de
l'aimer
plus
que
lui-mime,
sa
femme
et
Dieu.
Le
lendemain
fi
septembre, le héros reçoit la visite du PeTe Rank à qui il précise
que Louise est partie en Afrique du sud depuis eept mois (p. 182).
Ce qui situe le commencement de l'action à celui de l'aJ,née qu'il
termine presque avec sa vie le 12 novembre.

127
Gr••ne
utili..
également
le
temps
pour
donner
un
efret
.ztr. . . . .nt
dramatique
à
l'annonoe
de
la
mort
de
la
petit.
Cath.riDe 1
".Y .ir. ..nt •• two cabl.. tram Bexhill, one et
rive in the eV.Ding' and one et si., but they ml.ed
up the order. YOU see sb. meant ta break the tbing
q.Dtly.
l
qot one cable just atter breakfast.
It
y.e eigbt o'clock in the m~rniD9 - a dead time of
4all' for a"lI' naws[ ••• )
(p. 155)
L'inversion
4es
télégramme.
prooède
d'une
tragique
Ironi.
du
de.till.
Plus tard, pour mettre un terme • se. souffLenee., Scobi. su
rabat sur le temps :
"Tbe tel.gram. layon bis mine! aIl day
:
ordinary
lite -the two bours in a court on a perjury case -
bac! the unreality of a country onA 1& leaving for
aver. One tbinks,
at tbis bour,
in tbat village,
tbe.e people l once knew are sittinq at table just
aB they did a year &qo when l vas ther.e but one is
not oonvinoed that any life qoes on the Bame as
ever
outside
the
oonsciousness.
AlI
8cobie's
consoiousnesB was on the t818qram, on the nameless
boat 8dqinq its vay nov up the African coaet-line
from the 8outh. 1I (p. 1510)
Le désarroi éprouvé dans un univers où une routine professionnelle
intèqre
lui
a
toujours
valu
l'estime
et
l'affection
d8S
autoohtones, se transforme en oe que nous pourrions appeler une
oonsoienoe
de
la
rupture
t
d'uns
part celle
d'une
expérience
afrioaine jusque-li réussie est désormais supplantée par une autre
oonsoienoe plus immédiate, et d'autre part oelle de sa culpabilité
symbolisée par le fameux télégramme.
Moua avons déj' trouvé dans Tbe 8tory of an African Perm
de
Olive 80hreiDer un intérêt fort explicite pour les modes narratifs

128
que
Gr••ne
semble
partager.
Cette
pionnière
sud-afrioain.,
a
réparti .a propre personnalité entre wa140, Bm et LYDdall dont elle
fait d•• personnag•• oompl.ent.1r...
La pramiar pour 80n côté
•••oulin, la seoonda inoarnant la tilla soumise qu'alla a été et la
troisi". l,atra rabella dont alla. rêvé.
L'ho. . . qua la narrateur appelle l'étranger ••t subjugué par
la gravure da W.140. c. dernier qui refus. da la lui oéder contra
da l'arg.nt, aooepta cependant da lui an dira la oontanu :
"[ ••• ]800n arter, ha raised bis carvinq and laid it
Aoroas th. man'. kn••• "
"Y.s, I: will tell you,' he muttared ;
'1 viII tall
you aIl about i t . '
'Be put bis linger on th. grotesque little mannikln
at the bottom (Ah 1 that man who believed notbinq,
hoped nothinq ; hov he loved him .), and vith eaqer
finq.r
the
fellov moved upvards,
explaining over
fantastio
figure., and mountains,
to
the orowning
from ..hase ..ing dropped a
feather ~
At the end he
spoke vith broken breath -
short word9,
lik'S one
who utters thinqs of mighty import. u (p~ 148)
Ce réoit que eon auteur voulait exhaustif a dono été résumé
par le narrateur qui en siqnale tout le déficit : le débit hâché et
la briéveté des mots n'atteignent quèra l'effet du seoond récit qui
n'en .st pourtant qu'UAe mise en abyme :
III think,' he said blandly, vhen the boy had done,
'that
l
partly
und.rstand
you~
It
is
something
after this rashion,
is i t
not 'l'
(He smiled)
, In
certain villages there ..as a hunter [~~~]tt (p~ 148)
cette u..anière" dont le eourire de l'étranqer souligne toute la
supériorité
tient
effeotivem.ent
les
promesses
d'un
vrai
conte
alléqorique
("'l'here
vas~~~
i t ohanced that
cnee
~~~It)
dont
la
pertinence spa~iale réside dans une qui te raisonnable du bonheur

129
limi~é à la ferme. Mais plus que toute autre chose, un tel mode
narratif traduit une oertaine préférenoe pour le roman 1
"Tbe st.ranqer vas op.ning a
eadcUe-baq,
in vbiob
t.b.re vas a briqht. Prenob Dovel and an 014 brown
vol ume.
He t.ook the l.et and bel cS i t o u t
ta the
boy.
'It
••Y
be
of
80me
belp
te
you,'
be
8a14
oareles81y.
' I t vas. gospel
ta me _ben 1
rlrst
rell on itw
You mUst Dot exp.ct too muob,
but it
may qive
you a
centre whiob ta bang your lde.s,
instead of lsttinq them li. about in a confusion
that makea the bul! acbe [ ••• )
(pp.
160-101)
L' intérêt-
technique
de
c'3tte
désignation
rhétorique
:
lia
oentre vbich '[,0 bang your i4e.8 ••• ach.", réside dans oe contrast.e
entre deux mode. 4e représentation fort inégaux. Pour Bohrein_r, le
roman sert mieux la pertinence 4u récit.
Il est par aill~urs intéressant de retrouver dens The fteart of
the Matter oette particularité qu'a Greene d'utiliser la rhétorique
oo. .e mode d'expression de son personnage prinoipal.
Bn erret, ainsi que le précise le narrateur omniscient, Soobie
s'est toujours préparé à acoepter la responsabilité de ses aotions:
tiRe
had
alvays
been
prepare4
to
accept
the
responsibilities ror his actions, an4 he ha4 alvays
been half avare too, from the time he had ma4e his
terrible
private vov
that
she
shou14 be happy.
De8pair is the priee one pays for .etting onself an
impos8ible
aime
It
is,
one
18
to14,
the
unforgivable sin, but it is a sin the corrupt or
evil man never practices , Re alvays has hope. Rs
never
reache.
the
freeBing-point
of
knoving
absolute failure. Only the man of go04vill oarrles
alvays in his heart this capaoity for 4umaticn. u 1
Au niveau de son sub-conscient affleurent le .erment seoret qu'il
Graham Greene, cp. cit., p. 60.

130
. ' •• t
fait. de rendre Louise beureus. à
tout prix,
mais aussi le
désespoir
inhérent

toute
incapacité
d'atteindre
un
but
impo••ible. L'espoir, tout ~omm. 1& peur d'aller jusqu'au seuil 4e
l'échec tot:.. 1
emp~cheDt le commUD des oorrompus de pratiquer ce
p60he impardo'lnabl.~ Scobie est CD corro1lPu qui se ..éprise, aussi
s'évertue-t-il à se raire damner pour tinalement se suioider. Afin
d'éparguer à Lou!se et à Belen les sequelles sociale., moral •• et
affeotive. d'un tel suicide, il choisit de le maquiller.
Devant. l'indifférence d. Louise, 1. simulateur ignoré .8 rend
vite compte combien i l est dlttici1e de paraître vrai :
"Sb_ would underataud, h. tbouqht,
i t .I vere iD a
book, but vould l und.ratand ber i t sh. ver. just a
cbaracter ?
1 don't read that kind of book~1I (p ,
253)
Plue que de l'amertume, oette interrogation traduit le souoi de cet
aoteur-aut.ur : "Hov he had to act aqain -sur.ly i t vas as easy as
the simple v.rbal li.~tI (p~ 212,)
d"\\tr. oonséqu.nt dans 1. rôle
qu'il s'.st imposé : "[~~.] he vould draaatime bis pain in vords
until ev.n ta hims.lf it vould seem unreal."
(p~ 231)
Le besoin
d'6tre
théâtral
doit
ooincider
avec
une
narration
tout
aussi
vraisemblable ~
Son nrOllan" qui reflète le scénario projeté sera
oonstitu6 par son sei.ièlle carnet de notes.
Ceuz de ses quinme
anné.s d'ezpérienoes africaines étai.nt ezempts d'états d'âme. Mais
S'il
s'agit
désormais
de
modifier
la
réalité

travers
un
trait.ment dooumentaire qui fasse de l'bistoire d'une vie destinée

6tre tragique,
un cas
(lIWb.n something beo....
a
case,
i t
no
long.r seem.d to conoern a b'lman b.inq.lI, p. 193,) un répertoire de
routines
dont
le _ style
sera
digne
d'un
légist..
Le
"oas"
de

D l
'Pemberton
a
convaincu
Seabl.
qu' 11
jouirait
de
cette
paix à
laquelle il aspire tant S'il transformait l'histoire de SOD suioida
8D un IIt8Ztbookii 1 pour en taire "le cas Baohie" z
U[ ••• ]as
though,
i f
he
couleS
turD
the
whole
situation
lnta
a
textbook
oa.8,
as
they
turn_cS
P_mbertoD,
pe.oe Ilfght returD ta bath of them,
a
kind ot resiqnation." (p. 209)
One telle stratégie exige dODO 4s oa personnaqe qu'il tronque la
réalité. Cette nécassité est conflictuelle puisque, comme DOUS le
signale le narrateur paradoxalement, Seable consolait Louis8 par
OIII.issioD et restriction 4. pensée : "Ba hacS ta be aoourate :
he
oou14
cOllfort
only
by
omissioD."
(p.
1"1)
Désormais,
il
doit
oombler l'histoire 4e "preuves" : "More BvieS.nca must be invented
in his diary whioh had to be vritten right up to the end - November
12."
(p. 257)
Son écriture vise donc à accréditer un "mensonge romanesque"
.elon la célèbre formule de René Girard. Ce dessein narratif qui
s'accomplit sous haute surveillance omnisciente nous intéresse en
tant que cadre rbétorique dans lequel Greene insère Tbe Reart of
the Matter.
Le
travestissement
s'effeotue
ainsi
dans
ls
réoit
de
l'expédition de Pende où le policier secourt des naufragés, et fait
de la lecture pour le jeune Fisher auquel le moindre ennui serait
fatal.
Pour
ne
pas
décevoir
les
attentes
de
oe
jeune
amoureuz
d'histoiree policières, Boobie transforme les Doms et le8 statuts
des personnag.s (Bisbop devient Arthur Bishop, par exemple,) tout

132
00". l'aotion de A Bishop ameng th. Bantus, ce qui permet à Graham
Gr••ne
d'insérer
dans
BOD
roman
un
récit
spéculaire
et
une
oODstruotion en abyme où reviennent la sympathie de. autoohtones,
l'agent d. renseignements qui tombe amoureux et en devient stupide
(oomme wilsOD) et le meurtre 8Ub8équ.Dt~
Lorsqu'il 4éoi4. d'expier son orime, 8oobi. met en branle le
proo.ssus du suioide maquillé. L'agenda 4e 8oobi. joue désormais le
rôle 4& support narratif.
Le commentaire du narrateur sur ce document porte sur e. forme
et son style qui reposent sur une habitude remontant à l'enfanoe.
Le style en a toujoure été dépouillé.
Le. entrée. oryptique. ne
slqnifient
rien
par
elles-mêmes
:
seule
la
mémoire
4.
leur
rédacteur qui ne s'abolit pas peut leur restituer leur substance
événementielle.
IINiqht
after niqht
for more years
than
he
cou14
ramember he had kept record -
the barest possible
record - of his days. If anyone arqued a date with
him he cou14 check up ; if he vanted to know vhioh
day tbe rains bad bequn in any particular year •••
c.
die4.
He
couldn't
have
to14
himself
vhy
he
store4 up this record -
i t vas certainly Dot for
prosperi ty. •
Even
if
posteri ty
vere
to
be
interested in the life of an obscure policeman in
an
unfashionable
oolony,
i t
vou14
have
learne4
nothinq from these oryptic entries...
for keepinq
a diary throuqhout one summer boliday •••
Even the
form the diary took had altere4 very little •.
Ris
pen vas powerless to convey the importanoe ot Any
entry t only himself, if he ha4 oared to read back,
could
have
seen
tbe
last
phrase
but
one
the
enormous
breacb
pitY
ha4
blasted
tbrouqb
his
iDteqrity." (p. 115)
certaines entrées oaohent des souvenirs 40uleureUK que 8cobie VBUt
qar4er
seorets
CUY.
oalle4
in
the
eveninq.lI,
p.
115).
Blies

133
t"oiqnent aUBsi du degré de compromission atteint par le policier
qui
sait par expérienoe
combien
i l
est
difficile
de
mystifier
•••ureurs et léqiste•• C'est pourquoi, il ooncentre sur la ••ule
page 260, le. résumés
des neuf jours précédant Bon suicide.
Cbangeant de m04e nerratif, Soobie ezplioite ••• note. oe qui
devrait lui permettre de sauver Bon image posthume en y minimlsant
tout oe qui laisserait peuser à un suioide et en y elargi.sant les
IIperspeotivellln
de sa vie alore qu'au niveau de l ' aotion de ~
Beart of the Matter, il veille à la réduction progressive du te.p.,
de Bon temps de vie :
"Bverythlnq he did now was for the t'iret tille -an
odd sensation.
He vouid n.ver come th!. vay, and
t'ive minute. later taklnq a nev battie of gin from
his
cupboard
he
thought
:
1:
shall
never
take
another bottle4 The aotions bec. .e fewer and fewer~
presently there would be only one repeatable aotion
left, the act of 8wallowiDq~ (p~ 262)
Ainsi, le Bchéma narratif suit un mouvement de pendu1e entre un
avenir fiotif et un compte à rebours au terme tragique. Bn réalité,
o'est
toujours
l'auteur
qui
exploite
le
jeu
rythmé
de
ces
oppositions entre flux et reflux4
Dans son bloo-notes, l'hésitation de l'écriture se traduit par
un style oaractérisé par des variations eyntaxiquee : 1es not•• en
deviennent plus élaborées :
"lfovember 3. Yesterday 1: told the commissioner that
anqina had been diagnosed and that 1: should have to
retire as soon as a suooeaaor oouid be fOUDd~" (p4
260)
Le réoit de A Good Man in Alrio. mérite 'gaIement qu'on s'y
penobe pour en oerner de plus prè. l'éoriture et les prooédés. 1:1

134
•• oompos.
de trois
parties dont
la première 00DUll8D08 de pleiD
fouet et rappelle le récit épique centré sur l'action in media res.
L•• deux phrases introduotives du roman reprenDent, presque
mot
pour
met,
la
tin
de
la
"'euxiàme
partie
que
l'auteur
a
transformée en un flash-baok : "Goad man,' s&i4 Dalmire, qratetully
aooeptinq the qin Morqan Lee.t'y ottered hill, 'oh qccd maD." (p~ 11),
pour -"Gooe! ll.aD,'
Dalmire 8&14, qratefully acceptinq th. qin.
'ob
qo04 man.'(p. 206).
La première
partie consiste 8n six chapitres et
Boixent.-
treize paqe. narrant une pérIode extrêmement brève entre la tin
d'un lundi aprèe-midi et l'aube suivante pendant laquelle il arriva
• Mcrqan Laary plus 4e choses qu'il ne peut en supporter: Dalmire
lui-m'me
lui annonoe seS fian9ailles
aveo une
Prisoilla que le
héros ne peut a&D.ettre avoir perdue.
cyniques,
la fille et se.
parents le réduisent à un "Good Manil, l'homme à tout t'aire. Il joue
le r61e humiliant de
Pàre Hoël
1 e.saie,
sous
le chantaqe,
de
corrompre
Dr
Murray
auquel
sa
vie
est
désormais
étroitement
assooiée
;
se rend oompte qu'il est exploité par la prostituée
qu'il
entretient.
Dans
sa
révolte
i l
offense
8hanqo.
Quand
Innooenoe, domestique des Panshawes en est mortellement foudroyée,
Morqan est
sommé d'enlever
puis de rapporter
le oorps que
les
domestiques autochtones résidents ne veulen~voir déplacé sans le.
cérémonies d'usaqe.
La oonsoience des effets néfastes que oet arietoorate de la
douleur
et prince
de
l'anqoisse
et
de
l'embarras
('lBe
was
an
aristocrat
of
pain
and
frustration,
a
prinoe
of
anquish
and

us
embarras.ment.", pp. 291-92), • de .eEl propre. excès ouIm.ine en un
méa culpa ~ort lucide :
URad be done anytbinq qo04 ? Rad be don& anytbinq
thougtlt:ful,
uDsel:fisb or uDlDotivated
?
Rad tb.ra
b ••11
any
event
tbat .a8D't
direct.c1
tovards
the
801e end of furtberinq the material,
physical and
spiritual vell-beinq of Morqan Leefy Bsq. ? ••11 •••
no. He bac! ta admit : a cI.flnite, unquallfie4 no.
ThinkiDq back he ru.rully acknovledqed tbat he bac!
bean
rude,
sulky,
bullyinq,
selfisb,
unplea8ant,
bypocritical,
oovardly,
oODc.ited,
fa.oit,
sta.
etc.
.Pt.
normal
sort of day.
But
be tbouqbt.
Ys.,
but.
Was
he
aDY
ditterent
trom
anyone
in
th!s
Btinkinq country,
in
tbis
vids
Bwarminq vorle!
?
Aqain,
as
tar
as
he
aoulc!
se.,
a8
tar
a.
bis
experience had dictated, no. Ho was the only honest
ans.er." (p. 67)
Le
mal,
l'éqoïsme"
l "impolitesse"
la bouderie,
l"intimidation"
l'hypoorisie, la lâcheté" et la suffisance" sont dss pêchés communs
à tous les meabres de la communauté klnjanjanaise. Il est dès lors
aisé de comprendre pourquoi Morgan st l"auteur font du médeain
exceptionnsl qu'sst Alex Murray un vrai boua émissaire fla useful
correlative for his stupid mistakss".
(p. 16> Cet éoossais austère
n"est
pas
un
dieu"
mais
peu
s'en
taut
1
quoique
qu"en
dise
Adekunles "Re is not a qod" he is not some heroia tlqure as l think
you imaqine him to be. 1I (p. 61). La hauteur morale de Murray écrase
le béros :
"as a sort ot human rebuke, a brsathinq admonition
to others.
It vas
as
if he was
sayinq look ho.
teebls,
pathetio .and pretentioue you lot are ••• "
(p. 173)
L'auto-aritique à laquelle se soumet Morqan siqnale le début d'une
aanotion céleste orchestrée par 8hanqo, et désormais menée tambour
battant.

130
Ainei oODque, cette partie fini •••nt sur un monologue haineux
oontre Murray, 8'emboite parfaitement daDS la ••cond. qui retraqe
les
eireon.tance.
de
cette
même
haine,
.atisfaieant
tout
naturellement le déair du leoteur de remonter le te.pe.
Le retour en arrière oODsiste en quin•• ohapitre. et ramène le
héros à la mi-septembre 1969, ainsi que le suggère un LXFB de deux
mois montrant un G.I. embourbé au Vietnam et des imaq8s du premier
voyaqe sur la lune r
"Morqan
hoped
everyon.
was
avake
in
th.
control tovar. Re ..ent over to the refreshment
bar. S8side it stood a revolvinq rack of "811-
th~.d maq.minese Re .eleoted a tvo-montb old
LIVB and flioked tbrougb it. Muddy terrified
GIs
in Vietnam
,
mlnd-boqqlinq abots of the
Barth,
se.n
t'rom
a
space-probe,
a
centre-
spread
teature
on
a
movie-star's
Bel
Air
ehateau. Lite." (p. 96)
Leaty
est
jusque-lA
satistait
des
dewr:
années
passées
à
Kinjanja. SoD désir d'une vie débauchée à moindres risques l'amène
à
demander
une
ordOnnance
pour
des
pilules
contraceptives
au
docteur Ale~ Kurray qui lui oppose Un retus tondé mais bumiliant.
Son supérieur
(Fansbave)
rentre d. vacanoes aveo,
dans ses
valises,
le
projet
du
Foreiqn
Offioe
de
taire
de
Cbief
Sam
Adekunle,
probable ~utur ministre des affaires étranqères 4e la
République de Kinjanja, un bomme acquis awr: Britanniques.
Fansbave se sert de la frivolité de sa fille dont s'ent
'.
Morqan pour persuader oelui-oi
d'exéouter
le
"Projet
Kin(
"
Aprèe un premier contact bumiliant avec Sam Adekunle, Leaty
lt
de l'aide de Célia Adekunle qui se révèle un véritable "béraut.. 1
voilée, mystérieuse, secouriste, féminine et à qui Morqan doit une

137
dette de reconnaissance
("1'111 indebted to you,
very. Il,
p.
120).
L'intervention
de
sa
future
maîtress8
slgnale
le
début
d'une
aventure'. Morgan qu'elle alde à établir un contact aveo son mari
oommet des maladre.ses qui ne sont nullement un fait du basard .ai_
qui marquent plutôt le début d'une mutation déoisive ob•• le béros.
EDtretenant Ba••l, une prostituée afrioaine aupréa de laquelle
il a contraoté la blenDorragie qu'il ne déoouvrira qu'après 6tre
tombé amoureux de prise!ll. panshawe, Morgan organise lA sortie de
Olokomeji dont il sort ridioulisé.
Après un second recours humiliant à Murray qu'il hait plus que
je:lIIais,
i l pe:.:'d pri.se!ll. à qui i l ne peut avouer S8 "bonteuse"
maladie. Arrive alors Dalmire incarnant tout ce que Morgan lui-même
aurait aimé être et qui lui ravit Priscilla.
Grâc. à un t.l flash-back, Morgan réfléohit sur oe qui lui
arrive . t voit plus clairem.nt dans le ch.min.m.nt de son d••tin.
D'où, 1. styI. indir.ct libre qui oonvient au point d. vue d'un.
conscieno. centrale qui organiss les événem.nts et fait progr.sser
l'action.
La troisième parti. du roman par laqu.lle tout se dénoue,
décrit l'itinéraire aiayphien at démantiel auivi par le héroa. Il
subi t
1..
ordr..
contradictoir.s
d'Arthur
Panshaw.
et
d~'
';...
Ad.kunle,
ainsi que
la résilieno.
de.
autoohtone..
L. Il,
e•
• ntourant 1. cadavr. d'Innoc.nce qui ne sera pa• •nt.rré. j~
' .
la
fin
du
roman 1 '.xaspèr..
L•• réactions
négativ..
du h.... ùs
Jo••pb Campbell, Le Héros aux Mill. et Un yisag., (Pari.1
Rob.rt Laffont, 1978), pp. 51-72.

13S
l'amènent à oraquer devant 1. personnalité éora.ante de KurraYa Les
.anoeuvres politique. 4. ~emi RObinson, dirige.nt oommuniste ru••
et peraévérant, inspire Le.ry qui est souvent éméché à d'beureux
ooup.
d'audaoe.
s. auJ:)stltuant à
raD_ba.e
réel . .,
par
la fouI.
d'étudiants ohauftés •
blano,
Morgan .8 "et dana 1 •• habits 4u
••lheureux
et
sè"8
la
dIversion
grAce

laquelle
tous
1••
diplomates
et
leur
tamil le
s'échappent
4&
la
ma180n
4e
Sam
Ad.kunle"
La
séquence
des
événements
que
nOUB
venODS
4e
décrire
reproduit celle d'un véritable cycle internaI.
An lee-Cre. . W~r par contre, raoonte d'une façon oruelle et
ironique comment la Première Guerre Mondiale, menée en Afrique de
l'Bat, a précipité dana son tragique tourbillon des destIns jusqu.-
là tort étrangers les un. aux autres.
Le bre~ r~ologu8 du roman e9t un document épistolaire daté du
10 octobre 1914. 8a nature authentique vise. démontrer une candeur
militaire en réalité coupable et oontribue à l'ironie dramatique
que rentorcent • la foi. la tonalité et la vites.e narrative. du
.'oit.
Mais abstraotion faite de cette ouverture, il est possible de
oonsidérer oe deuxième roman afrioain de William Boyd COlIIJD.e un
récit linéaire très précisément d'une période de quatre années, six
.ois et trois jours. si certains événements atfectant l'histoire et
les personnages peuvent avoir été conocmmitant., il. 8e suooèdent
aans se ohevauoher au plan narratif, les intervalles de temps entre
ohapitres et 'pisodes allant de quelques jours • six mois.

139
Le 0' juin 1914,
Liesl et Erich von Bishop,
couple fermier
vivant en Afrique Orientale allemande, rencontrent à Dar-as-Salam
Temple Smith, fermier d'origine américaine installé à l'autre oôté
de la frontière et enDemi immédiat en oa. de querre. Ils repartent
à Dar-as-Salam en train, supputant les chances d'une guerre &n910-
all. .ande en SODe est-afrioaine.
Le oonflit éclate effeotivement
d•• le 25 juillet.
Au même
moment et .. des milliers
de kilomètre.
de là,
une
tamille anqlalse du Kent,
les cobbs,
est brutalement préoipitée
dans la sanglante tourmente africaine : Cabri el Cobb,
llaîné, un
b.~u oapitainû de vingt-sept ans épouse Charis Lavery, interrompt
&usslt6t sa lune de miel en Prance, retourne en Angleterre, pour
s'embarquer vers l'Afrique de l'Est~
Felix Cobb est le fils tout craohé de sa mère 1 lia livinq
proof of this silent life-lonq insurreotion"
(p~ 41) ~ Btudiant ..
OXford, il en revient pour le mariaqe de Gabriel .. qui il voue une
affection suspecte d'homosexualité et pardonne mal son mariage aveo
Charis Lavery~
Restés. 8taokpole, Charis et Felix tombent dans la routine de
l'adultère. Déprimée par la désinvolture et le oynisme oroissants
de Pelix qui subit l'ascendance démaqoqique de 80n ami Rolland,
Charis se jette dans l'étanq central du manoir de 8tackpole avec
leur secret~
Le
remords,
les
humiliations
que
lui
inflige
Amory,
une
londonienne qu'il aime sans espoir,
deviennent insupportables à
~elix. Xajor cobb, dont la santé vacille, souffre beaucoup du sort

140
dramatique 4. Bon bien-aimé Gabri.l. s •• interrogations 80q01•••••
tournent autour de la lIaqel!lB8 . t d. l/Afrique : "But whera sball
vla40m be found l
the major luton.d.
And wber.
ie the place of
underetancUnq 'l"
(p. 271), "th!. Beat Atrioa plaoe and Gabriel. 1I
(p.
199)
Ajoutées aux reproches blessants que Major Cobb fait à
••lix,
ell..
fini ••ent
par
eusciter
oh..
celui-oi
le
b••oin
d'entreprendre une quête en terre africaine.
Bntre-temps,
Gabriel
est
gravement
blese',
oapturé
et
hospitalisé peu après 1. débarquement en Afrique 4. l'Bat.
Il se
lie à Liesl von Bisbop devenue infirmière au camp 4. prisoDDiers de
••nda, eitué en zan. e.t-allemande. Amoureux 4. oette femme dont le
moindre geste est empreint 4e sensualité,
i l
l'épie si
souvent
qu'il en est captur',
accusé d'esplonnaq..
S "tant échappe avec
l'eid. 4e Liesl, il est recherch' par le mari 4. celle-ci, retrouvé
et
déoapité
par
de.
Askaris
exécutant
4es
ordres
4'Brich
von
Bishop.
Temple s~ith, Amérioain d~oriqiD. qui
ne se sent nullem.nt
oonoern' par oette guerre, .e lance sur les traces de von Bishop
QU'il ~ieDt pour responsable de la mystérieuse disparition de sa
décortiqueuse de sisal et finit par rencontrer Pelix.
Bn.emble,
i l .
retrouvent et ez:hument
la t'te de Gabriel.
Plein 4e 4ouleur, pelix poursuit von Bishop et le trouve mo~t 4e
qrippe dans son lit.
Bra_zaville Beaoh r.oonte l'histoire de Hope clearvater qui .e
"repose" 4e deux séries 4' événements extraordInaires. La première
conoerne
un
épisode
anqlais
fort
traqique
dont
la
narratrice

141
alterne le reoit aveo celui d'une expérience angolaise nOD moins
traumatisante.
La vi. europé.nne que BOp. relate oommenoe aveo la fin d. 80n
dootorat aInsi qu'aveo son marIage éphémère aveo John Cl••rvatar.
L'équilibre du couple est aussitôt compromis par les lubi•• dont 1.
oheroheur mathématioIen entoure sa quête fébrile de la méthode da
pensée grâoe à laquelle 1108 qui paraiss.! t tout cS' abord choquant ou
bi.arre peut devenir très acceptable. 1
11
Pour ne pas souffrir de
certain.s idiosynorasie. 48 son mari, Bope recherche la aelébrit'
dans un travail oonsistant à dater des hai...
BIle 8n tire une
satisractIon immense pendant que John dévie dans l'adultère avant
de tomber daDa une dépression nerveuse se terminant par le sulcide~
Aussi brève que soit cette union, elle permet à l'héroïne ds
subir llattralt des théorèmes l postulats et autres prinoipes d. vie
aveo lesquels John agrémente les moments passés ensembl.~ Blle en
garde un. foi obsédante en la logique mathématique.
Les souvenirs appartiennent aux "documsnta ëu réel tl2.
Ils
orientent, relancent et éclairent le récit que la narratrice nous
fait de son séjour dans l'arrière-pays angolais, comme en tém
Jns
cette interroqation
:
"je me demande où et quand
j'aurais d'O.
instaursr ëe nouvelles méthodes 4e pensée. Il]
Hope travaille sur 1. proj.t de Grosso Arvor. depuis un a"
~e
w. Boyd, Brazzaville Beach, op. cit., p. 76 •
2
w. Boyd, Brazzaville Beach, op. oit., p. 353.
,
w. Boyd l Brazzaville Beach, op. oit., p. 71.

142
~ravail oOD.i.~. en
des
enquê~es scrupuleuses,
originales
e~
éprouvées, de m6me qu'eD des collec~88 de dODnées fiables sur des
chi.pana'e
de
la
lone
qu'elle
supervise.
ceci
lui
procure
un.
sat.isfaotion prof•••ionnelle
et morale
qu'elle
allie
à
une vie
sooiale paisible qui se détériore le jour où se produit un sobis••
parai 1 •• cbimpanlés de la se.iranoe ~or••t divis'_ en nordiste. et
en SUdiste•• Tout part du pas••qe d'une femelle, Rita Lu, passé. au
sud du Danube, perturbant ainsi l'équilibre sexuel de son anoieDne
communauté.
Les
nordiste.
en
deviennent
agressits
et
mènent
patrouilles et
raidS
punitits
de
plus
en plus
meurtriers.
Ces
ob••rvatioDR r.?té.. et analysées par Hope mettent en évidenoe de.
pbénollèn..
éthologiques
bouleversant
des
idée.
re9ues
et
comproJ:lettant
l.s
vint-oinq
ans
de
crédibilit6
dont
jouissent
Eugène
Hallabar
et
sa
réserve
aniaale
de
renom
qui
est
...
la
reoherce d'un seoond souffle finanoier.
L'analyse des selles de singe demandée par Hope confirae sa
propre
hypothèse
selen
laquelle
cette
espèce
est
oannibAle.
Mallabar
qui
refuse
de
l'admettre,
pr6tezte
d'une
missio.u.
de
ravitaillement pour enveyer la jeune fe. .e en ville où elle passe
quelques jours avec sen amant, Osman Sboukry. Bntre-temps, Mallabar
tait disparaître la preuve en brûlant la tente de Bope.
One
première
incursion
des
sinqes
nordistes
manqu~
de
récupàrer aita Mae. Mallabar n'en oroit rien. survient un premier
infantioide parai les chimps dont Bope a la responsabilité z Bobo,
le bébé de Lena, est dévoré par Rita Mae.
La seconde attaque coOte la vie à Hr Jeb et à Mutfin,
deux

143
ohimpa de Bop. et met en 'vidence la cruauté et l'existence du Mal
Ch.. le sinqe alors que la dernière bataille à laquelle Mallabar
est invité à aSBister .8 termine dramatiquement. Pou de rage, le
propriétaire du projet tente de tuer Bop. qui s'entuit dans le
vébicule d'lan vail que aelui-ci apprêtait pour aller en viII ••
Le. guerilleros anqolals oapturent 18S deux cberabeurs et 1••
amènent vivre une expérience traumatisante dans une enclave rebelle
du nord.
Notons,
au p.s.aq.,
le parallèle entre la querre de.
sinqe. et celle que nordiste. et sudiste. angolais .8 livrent dans
l'anaienne colonie portuqai~e.
Bope en échappe, nourrissant beaucoup moins d'optimisme pour
la vie. De retour à Grosso Arvor., elle cède à l'envie de revoir
ses animaua survivants et tombe sur une dernière attaque l'amenant
à
abattre les chimps nordistes et à achever le dernier de ses
protéqés, mourantw s1ulaqée, elle va S'établir à Brazzaville Plaqe
où elle continue à travailler pour le projet, tout en m'ditant sur
les événements qu'elle a vécus, ainsi que la vie que lui réserve
l'avenirw
Comme on le voit, le temps joue un rôle très important dans
Brallayille Beaoh. Celui dont l'héroïne désire s"ohapper et que la
narratrice
appelle
le
temps
civil,
battu
par
l'horloqe
ou
repr'sent'
dans
les
calendriers.
Il
est
oaract'ris'
par
"le
chanqement abrupttl Cp. 317) ou la discontinuité, ce qui confirme la
conception qreoque que la narratrice reprend en d'autres termes :
"La oatastrophe survient quant le temps s'arrêt.... Cp. 318)
Le drame anqlais qui a fait fuir l'h'roine et l"pisode de

144
Grosso ~rvore, sont tous dominés par l'accélération, la rupture, la
décélération, et la soudaineté. Celles-ci ont ponctué l'enrer vécu
aV1C John cle~rwat~r, tout comme les douloureux moments de combats
meurtriers entre les chimpanzés nordistes et 9Udis~es.
CI est
ce
temps-là
que
la
narratrice
8 'e:rrorce
de
scruter
rétrospectivement,
afin
d'y
repèrer
d'éventuels
points
de
divergence
entre
1&
ccn~uite
qui
était
souhaitable
et
ses
véritables errements.
Lonqtemps après que Hope S'est enfoui. dans la futai.,
loin
dans l'arrière-pays, pour se cacher drimpitoyables poursuivants,
elle a pu mesurer la différence entre le temps légal et ce qulelle
appelle le temps prive ou bioloqique, marqué par "the neural clock."
(p. 251) ,
nthroughout our Batire lite the neural rac;8 never
quickens or SlOW8.
Its reqularity and oon.lataDey
rulrl1 &11 the requiremsnts tor the detinltion of a
clockl'
(p.
252)
Le symbole en est la plage qui demeure, mais dont le~ V~gue8
dé:terlent,
et où le 1;.emps S'écoule lent et lisse'.
est
1
ainsi devenue. un espa~e-temp8.
Les récits dont ces quatre romans sont porteurs sont marqués
par une certaine fracture. I l s'agit essentiellement d'une rupture
avec
la routine,
l'équilibre ou le bonheur tout
court,
dans un
univers caractérisé par un inévitable divorce d'.veo le passé. Pour
rendre
compte
de
la
survie
physique
ou
symbolique
de
leurs
"the time passes Sllcwly, eas11Y .v , W. Boyd, Brazzaville
Beltçn, op. cit., p.
145.

145
par.oDDaqes, Boy4 et Oreene leur font remonter ou restructurer le
temps.

146
2
Les points de vue
Le disc~urs romanesque est essentiellement fait d'intrigues,
mais aussi de points de vUe.
Cette partie se propose de montrer
comment
ces
derniers
servent
de
support
à
la
narration
axée
précisément sur l'espace.
Le premier chap~tre de An Ice-cream War s'ouvre par un rêve de
Temple
smith,
l'un
des
personnages
principaux.
Les
motivations
profondes de celui-ci sont mises à nu grâce à un artifice onirique
fort subtil.
Le réalisme de ce rêve qui
ne se reproduisait plus
depuis quatre ans, tient au fait que la structure narrative repose
sur la structure culturelle
:
la vie quotidienne du
héros
:
le
climat du pays,
les protagonistes,
les
incidents et ses propres
principes
qui
lui
ont
valu
d'être
renvoyé
et
d'être
resté
en
Afrique de l'Est.
Le
narrateur privilégie énormément le caractère visionnaire
(wv Ls Lcn"
revient
plusieurs
fois)
du
rêve
qui
permet
un
jeu
insolite et fortement contrasté entre l'ouïe et la vue de Temple,
une alternance de perspectives, et des surimpressions de Roosevelt

147
et de son fils :
II [ • • • ] Temple
couldn't see then, yet he heard their
conversation as clearly as
if they were standing
alongside.
It must be,
he thought,
sorne trick of
the
atmosphere,
the stillness and dryness of the
air.
[ .•• ]He heard aga!n with astonishlng clarity,
Colonel Roosevelt grunting as he eased himself down
from
the
cowcatcher
and
stretched and
stumped
on
the railway sleepers.
He seemed ta see him in his
mind's eye as in a vision( .•. ]
[ ... ] But Temple' s view changed-miraculously-to
Kermit. He saw Kermit's smalI handsoroe features set
in
a
thin
smile.
Saw
him
reach
for
hie
double-
barrelled
Rigby
shotgun.
He
heard
the
oiled
mechanical
click
as
the
twin
hammers
were
cocked[
]
[
) Bu'::
Temple
couldn' t
see
Kermi t.
Astonished at
this
clairvoyant vision,
he
sensed
that
in
some
,,'ay
i t
had
been
granted
to
him
precisely so he could prevent the assassination of
this esteemed milltary hero and ex-president of the
United states of America. "C",. ';-\\G)
Une ouïe renforcée par la qualité a~~ustique de l'air sec et
de
l'atmosphère
africaines
compense
tout
déficit
visuel.
Une
certaine vue de
l'esprit
("his mind's
eye")
permet à
Temple de
substituer père et fils,
faisant commettre par Kermit un parricide
sur Roosevelt.
Ainsi,
Temple se "venge" du premier pour l'avoir
renvoyé et du second pour l'avoir "ignoré" dans son livre relatant
leur campagne africaine.
En outre, ce r~ve convainc Temple de la nature prophéti""".;o de
sa mésaventure, de la validité de sa quête africaine qui
Cl-
: ne
précisément avec celle de Felix Cobb à la fin du roman.
Temple attache beaucoup d'importance au procès spatial dont la
narration tire toute sa signification :

148
"He asked himself if any reader had wondered how
the hunting party with its immense paraphenalia had
moved trom A ta B ; how trains had been loaded and
unloadcd
?
He told himself not ta
fret
:
in the
long run the Roosevelts had done him a favour,
and
it was the long run that was important, as far he
was concerned ." p. 18
Le motif du trajet revient trés souvent: lorsqu'il
contemple sa
déco r-t Iqueueœ ("at one end . . .
at the other . . . ",
p.
103). Nous le
retrouvons dans sa course segmentée après que sa décortiqueuse,
symbole de sa future réussite,
s'est évanouie.
L'histoire de The Heart of the Matter,
des critiques comme
Arnold
Kettle
l'ont
déjà
observé,
est
racontée
à
la
troisième
personne :
"I ... )Graham Greene does not
play
fair
with his
readers here.
It 15 legitimate for a novelist who
reveals
his
people
through
the
consciousness
of
other
characters
to
work
by
means
of
partial
revelations.
mistaken
apprehensions
and
false
tracks.
The revelation of a
human personalJ~v îs,
after a ï.L, a matter of infinite complexity. W
is
of doubtful legitimacy 15 for a novelist whc
es
an omniscient view, God-like means of reveal
;is
creations to give the reader a
selection or
~ts
which puts him at a special disadvantage[ ..
Un exemple pris au hasard confirme cette option omnisciente: "Druce
had taken it for 'No'." (p. 53) En effet, l'auteur présumé r"~nètre
la conscience même d'un personnage secondaire comme Harris
Pour
rendre
justice à
Greene,
à
l'instar de xe t.t j c ,
:oici
quelques relais dont le narrateur use pour atténuer le choc. Louise
juge son mari en l'absence de celui-ci,
ce qui nous permet n D
le
Arnold Kettle, An Introduction ta The English Novel, vol.
1 (London: Hutchinson & Co, 1981), p. 148.

149
regarder avec plus de recul.
Wilson jette au visage de cet homme
dont il est jaloux et qu'il hait tout son mépris pour sa sincérité.
Le refrain que Harris fredonne obstinément met en relief, mieux que
ne
le
ferait
le
narrateur
lui
même,
la
culpabilité de
Scobie.
L'usage des lettres et leurs réponses,
tout comme le recours aux
jumelles
qui
permet
un
reportage,
des
dialogues
descriptifs,
directs,
et facilement rendus par de simples verbes d'action au
présent pr-oç z-eas Lr :
'No, we are early.' Scobie kept his glasses focused
on
the
opposite
shore
and
said,
'They
are
stirring. '
[ ••• J
'They are fetching them out of the huts,'
Scobie
aa Ld .
'1
think l
count six stretchers.
The boats
are being brought in.'
[ ... ]
'1 May have counted wrong.
They are carrying them
down
now ,
l
think there
are
seven
stretchers.
l
can't distinguish the walking cases.'
(p.
116)
La souffrance favorise l'émergence de l'altérité physique sous
forme de recours au déguisement, de masques ou de rhétorique.
Il Lorsqu 'un
héros malheureux entreprend de r c..
dier
à son sort en 's'aidant lui-même',
i l se ecdnc- en
deux
drarnatis
personae
et
devient
son
propre
aIl Lé , 111
Le concert de voix s'élevant dans le
'living-room',
où Scobie va
bientôt mourir témoigne d'une grande variété de ressources.
A la
voix
du
narrateur s'ajoute
celle
de
Scobie.
La
solitude
de
ce
Walter Sholmers, "Forme et signification dans les romans
de François xeur-Lec» in Annales de la Faculté des Lettres
~t Sciences Humaines de l'université de Dakar 1 vol. 4,
1974,
p. 72.

150
dernier ne pouvait durer:
1I[ ••• ]He moved
his hand on the table,
and it was as though his loneliness moved too and touched the tips
of his fingers. n (p. 135). Il dialogue désormais avec la voix de sa
propre sol i tu de
'You and 1', his Lone Lf.nëe s
said,
'You and I."
(p.
258)
Une quatrième voix se réclamant elle aussi de
la solitude,
provient
cependant
du
plus
profond
du
héros
mais
prend
une
dimension divine ("Thou")
"No one can speak a monologue alone - another voiee
will
always make himself heard
;
every monologue
sooner or
later becomes
a
discussion.
50 now
he
couldn't keep the other voiee ailent;
i t came from
the cave of his body . . .
l
am not "Thou but simply
you,
when you speak ta me ... "
(p.
258)
La jonction des voix n'est pas fortuite tant elle coincide avec
l'accomplissement du suicide du héros.
Ceci n'est pas sans rappeler Lyndall,
l'héroïne de The Story
of an African Farm, dialoguant avec son double :
Slowly raising herself on her elbow,
she took from
the
sail
a
glass
that
hung
pinned
there.
Her
fingers were stiff and cold. She put the pillow on
her breast,
and stood
the
glass aga in st
it.
Then
the white face on the pillow looked into the white
face
in the glass.
They
had
looked at each other
often so before.
1t had been a child's face once,
looking out above its blue pinafore ; i t had been a
woman's face, with
a dim shadow in the eyes, and a
something which had 5aid,
'We are not afraid,
you
and l
: ve are together
;
we will
fight,
you and
1.[ . . . l "
Comme
Scobie
à
quelques
jours
de
sa
mort,
la
jeune
héroïne
Olive Schreiner,
The Story of an African Farm
(London:
A.O. Donker,
1975), p.
258.

151
agonisante se dédouble pour se ragaillardir.
Le monde social de A GOQd Man in Africa est essentiellement
diplomatique.
On y
parle beaucoup.
Le
dialogue occupe donc
une
place
privilégiée
dans
ce
roman.
Cet
exemple
est
centré
sur
l'espace des toilettes ("the 100"):
"This
was
coming
off
as
wet t .
And
l
needed
the
100 ... Cigarette? she offered. Il
"No thanks,' Morgan said.
'Given up ;"
'Mmm.' celia Adek:unle made an impressive noise as
she l i t her cigarette.
'Where
15 it
'Sarry?' 'The
100. '
'Oh. The official ones are back: down that corridor.
The unofficial one's up there,
bit plusher, second
on your le ft on the landing.'
'My.
T/m honoured.
Thank you.'
She moved
towards
the stair. 1I
(p.
119)
Il
annonce
une
escalade
("Up")
dans
une
déviation
morale
ironiquement valorisée
("That' s
right.")
et bien rendue
par une
opposition trés marquée
(préfixe
italicisé par
l'auteur)
entre
l'officiel el l'officieux 1
entre
la droite souvent perçue comme
positive et la gauche négative
-'Second door on the le ft
?' -
'That's right.'
(p. 12)
La
cuj.pe-b i j Lt
de
Morgan,
le
chantage
qu'il
subit,
les
é
situations

i l
s'est
placé,
et
son obsession pour
son emp l od
l'obligent &. se contrôler: "gripped the sides of his armchair ;l!nd
tried to control his vo Lce c "
(p. 31), "checked the progress 0
.rLs
thoughts for the th.1.rd trLme v "
(p.
17),
"But he then checked his
erteer-e s "
(p. 22),
"Bya ruthless act of self-control •.. ·'
(p. 53).
La tyrannie que Leafy exerce sur lui-même se reflète sur les
dialogues qui sont ainsi entrecoupés et soutenus par des monol~gues
intérieurs
auxquels
William
Boyd
réussit
à
donner
beaucoup
de

152
relief,
insuflant aux réflexions les plus
intimes de Morgan une
sonorité et un impact qui en font de véritables réparties
"Morgan
raised
his
glass.
l
hate
you,
you
smug
bastard
!
he
screamed
inwardly.
Yeu
shit,
you
little
turd,
you've
ruined my life
!
But
aIl he
sa id was ,
'Congratulations. She's a fabulous girl.
Lovely. Lucky chap.'
(p. Il)
La levée d'un toast ouvre une fonction (segment d'histoire, germe,
terme d'une corrélation) qu'il est d'usage de fermer immédiatement
avec la formule consacrée ("Congratulations" par exemple ).
Ici,
cette
fonction
est
volontairement
suspendue
et
grâce
à
la
juxtaposition brutale d'une déclarative (III hate you").
Cet
autre
monologue
intérieur
se
voulait
caustique
et
l'exaspération haineuse qui s'en dégage se traduit syntaxiquement
par
un
enchalnement
d'épithètes
traduisant
un
sentiment
aussi
gratuit que durable
"sub specie aeternatis"
(p.
]4)
"He
Looked
at
Dalmire
now
as
he
stood
by
the
window. He was wearing a white shirt, white shorts,
beige knee
sock.s and well-polished,
brown brogue
snoes .
That Morgan decided,
was another thing he
despised
about
him
his
affected
old-colonial
attire.
Ghastly
wide
shorts,
billowing
Aertex
shirts
and
his
college
tie,
thin
and
discreetly
banded.
Morgan
nimself
sported
flared,
light-
coloured flannels, bright shirts and these new wide
ties
with
fist-sized
Windsorknots
which,
so
his
sister assured him,
were the
latest fashion back
home ... "
(p. 13)
Ce paragraphe se presente sous la forme d'une succession de huit
adjectifs sémantiquement ou phonétiquement proches : white, wide,
light, bright,
sight). L'impression qui s'en dégage ne peut
être qu'avantageuse pour Dalmire.
William Boyd
utilise d'autres points de vue dans Brazzayille

153
Beach roman dans lequel il ncus rapporte deux histoires, c'est-à-
dire,
deux
séries
d'événements
s'étant
déroulés,
les
uns
en
Angleterre,
les autres en Angola.
Les récits qui les consignent
sont livrés à Brazzaville Beach même.
La perspective énonciative par laquelle ces divers événements
sont rapportés est fort explicitement définie par la narratrice qui
raconte
sa
propre
vie
et
celle
des
autres,
tout
en
voulant
s'adresser au lecteur dans un contexte étroitement lié à l'espace
et au temps :
II ( • • • ]
l
am here because two sets of extraordinary
events happened to me,
and l
needed some time to
weigh them up, evaluate them. l
have to make sense
of what has taken place,
before l
can restart my
life in the world, as i t were."
(p. xiii)
Elle est donc "ici" pour avoir fui son Angleterre natale, mais
aussi pour être allée un peu trop loin. C'est parce que l'Afrique
l'a éloignée qu'elle a
osé affronter Eugène Kallabar.
Le
séjour
qu'elle effectue sur la plage de Brazzaville est marqué par la
nécessité et l'urgence,
puisqu'elle doit
refaire
le point avant
toute ch05e.
C'est d'ailleurs,
plus tard,
la narratrice constate
que "Hope Le more hone s t; with herself since she came ta live on
Brazzaville Beach. Il (p. 189)
La
narratrice détermine le statut du locuteur en néeroc Larrt;
ouvertement un contrat narratif avec le lecteur, s'interrogeant sur
les averrt aqe s
qu'il
Y aurait pour la narratrice à
être "je" ou
"eLf e" :

154
"But that's nct the way ta start.
Another problem :
how do l
begin ? How do l
tell
you what happened ta me ?
My
name
is
Hope
Clearwater ..•
Or,
'Hope
clearwater is that tall young woman who
lives on
Brazzaville Beach.' 'It's nct 50 easy. Which voice
ta use? l
was different then : and l'm different
now.
l
am Hope Clearwater. She ls Hope Clearwater.
Everything
ls
me,
really.
Try ta
re1ll.ember that,
though i t might he a
l i t t le confusing at
first. 1I
(p. xiii)
Elle
hésite
sur
la
manière
d'envisager
le
déroulement
du
procès et Bon mode de manifestation dans le temps. Elle opte, par
exemple,
d'agencer
dans
son
récit
les
personnages
selon
une
séquence événementielle définie.
La
narratrice
nous
rapporte
son
expérience
selon
une
présentation toute nouvelle chez Boyd. Brazzayille Beach est divisé
en trente
pt. un chapitres assez courts et précédés chacun d'une
introduction écrite en italique.
Ces ouvertures utilisent "je" ~
"il" oU "elle" et s'appuient beaucoup sur la plage qu:' assure une
fonction mnémonique :
"I
spend
a
lot
of
time
walking
on
the
beach,
thinking about the past and my life so far. So far,
so good ? WeIl,
you will be able to make up your
own mind, and so, perhap8~ will 1. My work is easy
and l
finish it quickly. l
have plenty of time to
r-emembe r-c "
(p.
55)
Ces parties que la narratrice appelle des l'documents of the
111
(p. 314), ont une portée didactique parce qu'axées sur des b~ hes
de conversations tenues avec John clearwater et tournant a;
ur-
d'axiomes, de postulats, d'équations mathématiques~ de vérités

155
proverbiales
ou
scientifiques,
permettant
tous
à
la
narratrice
d'évaluer son itinéraire africain.
Ce
sont

des-
plages
permettant
d'entrecroiser
le
récit
africain
représentant
les
deux
tiers
du
roman et
exclusivement
délivré à
la première personne du singulier,
et le récit anglais
qui est accompli au moyen de la troisième personne du singulier.
Ce recul (lans le temps et dans l'espace favorise la réflexion
et justifie le rôle prépondérant du monologue intérieur confinant
le récit A un jeu très serré entre l'identité et l'altérité:
"Hope knows
(how do you know ?)
that this was the
evil
in
the
chimpanzee.
Pulul
wanted
ta
inflict
pain,
as much as possible. Il
(p.
139)
Que représente ce "tu"
sinon "je" auquel
la narratrice assimile
Hope Clearwater ?
Les techniques de point de vue que nous venons de passer en
revue confèrent ainsi à la narration assez de relief mais surtout
suffisamment de familiarité pour co-opter le lecteur : "I swear to
you it was only then that l
first thought that the fire might have
been deliberately started. 1I
(
p. 89) Tout cela permet de mettre à
contribution
le
lecteur
dans
une
évaluation
entreprise
à
Brazzaville Beach,
symbole de l'attente et de l'espoir dont Hope
porte le nom.
Le relevé que nous venons de faire des techniques illustr@ le
rôle privilégié de
l'espace africain chez
Greene
et
Boyd.
.Le
permet
surtout
un
certain
retour
à
l'étymologie
qui
permet
d'identifier les véritables points de repères à partir desquels les

156
narrateurs
structurent
la
perception des
personnages,
aident
A
rétablir ou à
accéder à
la vérité sur soi-mê~e, les autres,
les
choses
et
la
vie
en
Afrique
avec
tout
le
pittoresque
que
ce
continent recèle.

157
,
SOns et 1 umi+r.. et cou1eure looales
Dans The Heart of the Matter,
la progression dramatique est
étroitement liée à
la conscience aiguë que Scobie,
qui ne~ent à
l'aise
que
seul
dans
l'obscurité,
a
de
la
lumière, ainsi
qu'à
l'utilisation que l'auteur du roman en fait.
Rappelons que c'est A Pende que Scobie fait
l'expérience de
l'extrême misère humaine. La crise existentielle du héros dont il
a été fait état semble avoir été favorisêe par une juxtaposition
ironique de la lumière des hommes et de celle (toute naturelle) des
astres :
The lights inside would have given an extraordinary
impression of peace
i f one
hadn't known,
just as
the
stars
on
this
clear
night
gave
also
an
impression of remoteness. security,
freedom. If one
knew 1
he
wonder ed,
the
facts,
would
one
have
ta
feel pit Y even for the planets? if one reached what
they cal! the heart of the matter ?"
(p.
124)
La veille,
i l scrute la rive du fleuve ou i l attend les secouristes
et les naufragés.
Il est très sensible à la lumière :
"Everything on the river was s t i l l and blank again:
the torches were aIl
out.
The
light on the small
jetty below ~ne bungalow showed a few feet of dark
water sliding by.
A piece of wood came out of the
de r-k and
floated
so
e r.ce y
titrrouqn
the
patch
of
ï
light
that
Scobie
counted
twenty
before
i t
went
into darkness again."
(p.
112)
Le faisceau de lumière statique qui irradie l'eau et que le morceau
de bois met si longtemps à traverser, est à contraster avec le jeu

158
fulgurant des torches :
"Suddenly like the invasion of insects the vo Icee
whined and burred upon the further bank. Groups of
torches
moved
llke
tireflles
here
and
there
:
Scobie, lifting hie binoculars, caught a black face
momentarily illuminated : a hammock : a white arm:
an officer's ba ck ,
'1
think they've arrived,'
he
said. A long 11ne of lights was dancing a10n9 the
water's edge.
'WeIl,' Mrs Perrot said,
'we mayas
weIl go in now.'
The mosquitoes whirred
steadl1y
around them like sewing machines.
Druce exclaimed
and struck hie hartd c "
(p.
112)
La lumière et les voix des arrivants sont comparées à des insectes.
La
première
pour
son
grouillement
(v Li.ke
tireflles")
et
les
secondes pour leur ronronnement régulier. La permanence accoustique
trahit l'irrégularité de la lumière qui ne permet à Scobie qu'une
vision extrêmement déchiquetée des personnes qui se meuvent dans la
nuit. Une telle perception éclatée de l~environnement préfigure la
tournure tragique des événements à Pende.
xaf s ,
avant
de
pousser
plus
loin
cette
partie
de
notre
analyse, signalons une autre caractéristique de la lumière qui, au
lever du jour, étouffe la brume et fausse également la notion de
distance chez scobie:
"The
f Lat;
cold
light,
too
feeble
to
clear
the
morning haze,
make the distance across the river
longer than it would seem at noon." (pp. 116-17)
Par ailleurs, l~idée du suicide commence à hanter le héros dès
les premières pages du roman. Mais cela n~empêche nullement
Dr
sykes et Wilson de faire à Scobie des suggestions concertées et
assassines destinées à le convaincre de la possibilité d'un suicide

159
parfait. La persuasion s'appuie sur un procédé optique:
"Her big lanses reflected the electric globe as she
turned
them
Ld.ke
a
lighthouse
in
Scobie's
direction."
(p. 193)
La complice de Wilson
focalise l'attention de Scobie en
faisant
réfracter la lumière du globe électrique sur ses lunettes. L'effet
maléfique des rayons: "hex malevolent beams"
(p.
193) contribue,
comme avec un phare, à orienter d'une certaine manière le héros qui
s'est convaincu d'être perdu.
Et ce sont ces mêmes réverbérations

lumineuses
qui
permettent
a
Dr
Sykes
de
signifier
par
code
télégraphique que le message a été bien reçu "RII signifiant "dot
daffh dot"
:
"The
phrases
went ta
and
fra
Ldke
shuttlecocks.
Somebody
laughed
(it was
Fellowes or Wilson)
and
said,
"rcu- re
right
there,'
and
Dr
Sykes'
spectacles made a dot dash dot on the ceiling." (p.
196)
Le balisage du chemin qui permet à Scobie de remonter jusqu'au
,
cadavre d
Ali
s'accomplit
par
la
même
technique
du
projecteur
qu'exerce ici la lune :
l'At
the bottom of the stairs
the clerk the clerk
stood, staring down the wharf. The moonlight caught
his eyes
:
like road studs they showed the way to
turn. Il
(p.
246)
Le procédé permet de
réfuter une explication
irrationnelle à
la
présence délibérée du héros sur les lieux du crime: JI ••• as though
he had himself chosen the scene of the crime. 1f
(p.
247).
Le schème de la lum-ière est présent dans la perception que

160
Wilson a des motifs figurant sur les habits des "mammies" passant
sous son bureau et qui renvoient au feu "match-boxes",
"kerosene
lampa", "cigarette-lighters", "qf eami nq'", (p. 169). Ces images sont
inspirées par le désir fiévreux qui brûle wilson. Elles le guident
aussi
jusque-chez les prostituées de Kru Town
dont les demeures
dont les demeures sont éclairées par des lampes à pétrole :
"In Kru Town the hut doors vez-e open and familles
sat round the Kerosene lampa
a glass of squash
his
umbrella...
a
like
a
",
box
of
chocolates
william Boyd se sert également de la lumière non seulement
pour donner un aura à son di~courR de A Good Man in Africa et de An
Ice-Cream War mais-aussi pour mieux circonscrire l'espace africain
diégèse de ses récits.
Dans A Good Man in Africa,
les autochtones sont invités à la
projection d'un film sur la famille royale britannique. Ce passage
révèle surtout le c?ractère problématique de l'univers africain.
L'impact de ce milieu sur Morgan est mieux mis en évidence grâce à
un montage,
un collage brutal,
brutale surimpression de l'Afrique
et de la Grande Bretagne:
l'The beam of light emanating from the projector was
a j Ive
with
fluttering
moths
and
insects
casting
their tiny shadows onto the Scottish countryside.
From
time
to
time
a
bat
would
dive-bomb
the
flickering insects, a darker more solid mass across
the
picknicking
group . . .
and
the
sudden
ideal
vision
of
Britain
depressed
him,
reminded
him
painfully of his current Loca't Lcn ;."
(p.
118)
G. Greene,
The Heart of the Matter, op. cit.,
pp.
172-
73.

16l
La vision soudaine, idéale de la Grande Bretagne en terre africaine
crée un léger traumatisme chez le héros et le . . .
lecteur.
Le jeu de lumières et d'ombres de créatures africaines réelles
permet
un
télescopage de
deux
pays,
engendrant
une
agressivité
renforcée par une image guerrière
('1dive-bomb").
Le grouillement
permanent (veen of worms", p. 22, "awa rm l nqv , p. 67, "c rowdedv , p.
148)
et l'ombre hypertrophiée de la chauve-souris qui s'abat sur
son pays natal dont l'image se voulait rassurante,
suggèrent tout
le
désarroi
de
Morgan
dans
ce
coin
perdu
par
lequel
il
jure
désormais:
"only in Kinjanja, he thought,
only in Kinjanja . .. " ,
p. 20).
Pareille scène présente une certaine similitude avec un autre
extrait de An Ice-Cream War :
IIAn ail lamp was l i t on the verand ah and sorne moths
immediately
began
to
circle
round
casting
their
flickering shadows over the few Europeans who sat
chatting. For the first time since setting foort on
shore at Dar Liesl felt she was back in Africa, the
memories of Europe which had protectively gathered
ar-ound swept away , or retired to a safer distance. Il
(p.
32)
Le même rapprochement forcé des deux continents est obtenu grâce à
la lumière, à l'image d'envol inhibé, et dénote la nature agressive
et la forte pesanteur que le sol africain exerce sur le héros. Nous
y zetrouvons le même grouillement qui maintient l'ame européenne en
éveil.
A présent, revenons à A Good Man in Africa pour voir le soleil
planter dans la forêt ses rayons, véritables barreaux isolant le

162
reste du monde d'un espace cù se pratique l'adultère:
"Beyond the pool
of shadow cast by the mango-tree
the sun seemed ta beat down on the growing forest
with a metallic sûlid strength,
like bars round a
prison cel!."
(p.
191)
Sous
sa
forme
mouchetée,
la
lumière
solaire
cu
le
rayon
lunaire
revient
assez
souvent
pour
mériter
d'être
retenue:
"dapp Ld nq
light
patterns",
"dapp Led
the
ground
with
shedev ,
"dappled moonlight ll 1 ,
etc.
Les
mouchetures
solaires,
lunaires
ou
formées
par
l'ombre
revêtent une nature maléfique. Ces mêmes images reviennent dans An
Ice-Cream War. Retenons,
par exemple, cet épisode de Stackpole où
les deux frères,
Gabriel et Felix Cobb, se baignent dans un cours
d'eau parcourant
leur vaste
propriété
familiale
a.,nglaise
située
dans
le
Kent.
Le
soleil
y
découpe
les
ombres
des
feuilles
d'un
saule sur le corps nu de Gabriel:
"Felix
stared
for
a
moment
at
his
brother's
powerful
naked
body
dappled
with
the
knife-like
shadows of the willow leaves [ . . . ]11 (p.
57)
Suivant
le
regard
soutenu
de
Felix,
nous
notons
la
forme
tranchante de ces zébrures solaires hachurant par endroits ce corps
qui, quelques mois plus tard sera tranché par une bayonnette,
sauvagement mutilé en terre africaine
"Then he felt the first bayonet sllce into hls leg,
a
slashing,
tearing
s'tXlke
that
severed
the
big
rectus
femoris
muscle
in
the
middle
of
his
thigh[ . . . ]
(p.
171)
"des mouchetures solaires"
(p.
226),
"mouchetant le sol
d'ombre"
(p.
242),
"des mouchetures lunaires"
(p.
243).

163
A Nanda même, en Afrique orientale allemande, Gabriel et Liesl
se tiennent sous un arbre dont l'ombre sert de toile de fond à une
attitude
physique
fort
particulière
de
Liesl.
La
prise
de
conscience instantanée que Gabriel fait de cette pose extrêmement
fugace est celle de
la beauté d'une statue.
La
fixation qui en
résulte est d'ailleurs mise en relief par l'auteur lui-même:
"Hemories of those seconds in the shade drave him
(Gabriel] ta take the risk of creepi~g through the
plantations ta Liesl's bungalow that night.
Troops
were billeted everywhere and he had ta make his way
with extreme caution. But he wanted ta see her once
again if he could,
see her pale and unsuspecting,
freezing tha L image in his mind for ever."
(p.
311)
L'issue
de
cette
ob aee s Lon
sera
fatale
au
voyeur
qu'est
devenu
Gabriel car i l sera suspecté d'espionnage et egorge.
Après le bruit, passons à l'étude du spasme et de la pulsation
qui servent essentiellement à
battre
le temps mais aussi aide â
mieux sentir le pouls de l'expatrié en territoire africain.
Leur
régularité permet de
structurer le
récit et
constitue
ainsi un
puissant
ressort
dramatique.
Quelques
r-écu r-r-enoe e
pourraient
en
donner une idée:
"as regular e s the pulse of a dynamo"
(p.
111),
"t.he
eye
twitching
and
t.v i t.ch Lnq"
(p.
120),
"ehe
shuddered
regularly and spasmodically"
(p.
120),
"the murmur and the gush"
(p.
149),
"Li.ke the evening t.Lde"
(p.
151),
etc.
Le narrateur indique d'ailleurs assez clairement la place que
le son régulier occupe dans la communication entre le héros et sa

164
femme, et l'impact d'un tel phénomène sur la conscience du héros.
"S coble made no reply. He never listened while his
wife talked. He worked steadily ta the even current
of sound, but if a note of distress were struck he
was aware of i t at once.
Like a wireless operator
with
a
novel
open
in
front
of
him,
he
could
disregard ever y signal except the sh Lp es symbol and
the SOS. He could even work better while she talked
th an when she was silent, for as long as his ear-
drum r8gistered those tranquil Beunds -
the gossip
of
the
club,
the
plot
of
a
new
novel,
even
complaints about the weather - he knew that aIl was
weIl. I t was silence that stopped him from working
-
silence in which h~ might look up and see tears
waiting in the eyes for his attention. 1I
(p.
26)
Il apparaît donc que Scobie a une préférence extrêmement marquée
pour la régularité du bruit qui peut être tranquille et procurer
une
sensation
de
sécurité.
Le
silence
en
devient
bruyant
et
perturbateur.
Il est à noter, avant d'en finir avec le bruit, la conscience
aiguë que wilson a de sa profession :
IIIt was as if his profession
ver-e absorbing his whole life just as s choo I had done. Il
(p.
167).
Cela
explique
le
rôle
important
que
joue
son
ou ï e
extrêmement
développée.
Invité à diner chez Tallit,
i l compare celui-ci à un
danseur et son salon à une salle de danse.
La perception auditive
de
wilson
est
influencée
par
la
qualité
accoustique
de
l'environnement
"resoundingly"
(p.
66),
"shouted "
(p.
67),
"called outil
(ibid.),
"shouted across the z-oom"
(p.
68) r
"filled
the rOOIn with a
hollow sound",
Il
resounding from the tiles in a
public bath ",
"ho I Low Lauqh"
(p.
69).
La
vacuité
sonore qui
se
dégage d'un pareil milieu n'est pas sans rappeler Harlow, l'un des

165
narrateurs de HearLof Daz-kne s s
(vno ï.Low ta the cor ev , p.
97)
L'animateur de cette
soirée est précisement
le
Père Rank,
relais conscient et volontaire des rumeurs
:
"Lf a man
tells me
anything l
assume he wants me ta pass it on."
(p.
69)
Détenteur
priviligé dp.s secrets de ses semblables, il pense sincèrement qu'il
devrait constituer une chambre d'échos, tout comme cette pièce dont
Wilson lui-même volt les parois comme des carreaux assurant des
réverbérations de qualité.
Tout
cela
z'évé Le
une
hiérarchisation
des
stimuli
et
des
événements émanant de l'environnement immédiat.
La conscience de
chacun
des
héros
considérés
évolue
aussi
selon
cette
courbe
a "::oustique.
L'Afrique décrite dans The Heart of the Matter
est,
comme
Harris l'affirme à Wilson,
une vraie tour de Babel.
Les couleurs
locales
qui
la
caractérisent
se
retrouvrent
dans
sa
nature
cosmopolite
et
dans
sa
fonction
de
creuset

se
brassent
différentes cultures
"This is the original Tower of Babel,' Harris said.
'West Indians, syrians, Englishmen, Scotsmen in the
Office
of
Works,
Irish
priests,
French
priests,
Alsatian pr-Lea t av "
(p.
14)
Outre les ethnies autochtones et les
Créoles,
presque toutes les
autres nationalités y sont représentées :
Ubano-syr Lena , indiens,
?'ortugais, ~llemands, Anglais, ~cossais, Irlandais, Français, etc.
A
Good
Man
in
Africa
qui
accorde
assez
de
place
au
milieu
diplomatique,
affiche
avec
An
Ice-Cream
War.
la
même
variété
raciale et linguistique. Un l~l désordre des langues et des nations

166
ne
peut
donc
manquer
de
susciter
un
intérêt
pour
une
certaine
couleur locale faite de mots, de proverbes africains, et de phrases
anglaises dont les inflexions sont destinées à épouser le contour
des
langues vernaculaires.
c'est tout
cela
que cette
partie de
notre travail se propose d'examiner de plus près.
Les personnages principaux et leur "boys Il entretiennent des
rapports
particuliers et sur lesquels Greene et Boyd reviennent
très souvent. Dans The Heart of the Matter,
Harris assure Wilson:
"My boy s eems a L], right."
(p.
13).
Scob Le ,
quant à
lui,
juge
le
degré d'adaptation de Helen Roit à la manière dont celle-ci traite
son domestique:
_11Boy
!
Boy
! Il
_IIYou are learning, Il
Scobie said.
A week aga you were so frightened of him ... "
(p. 158).
La confusion qui occupe une grande place dans l'intrigue de ce
roman est savamment errt r e't.enuc qt-âce à ces "boys" qui sont utilises
comme
espions
(le
demi-frère
d'Ali
agissant
peur
le
compte
de
Wilson,
l'ex-boy du défunt Pemberton pour Yusef)
; hommes de main
(Friday
en devient
un pour Morgan
Leafy),
de
paille
( lITallit's
cousin's
boy",
p.
114)
ou
de
confiance
(Ali
pour
Scobie).
Cependant, ces maniF~lations finissent par nuire à leurs auteurs.
Les rapports des patrons à leurs "boys" sont problématiques.
Comme
Graham
Greene
l'indique,
le
poids
sémantique
des
mots
garantit, en Europe,
la fiabilité de toute analyse rhétorique. En
Afrique,
cette
assurance
disparaît
devant
une
métonymie
linguistique
qui
dissout
les
limites
entre
les
mots
et
rend
impossible toute discrimination qui permette de séparer la bonne

167
graine de l'ivraie
"In European cases there are .....ords one believes and
words
one
distrusts
i t
is
possible
ta
draw
a
speculative line between the truth and the lies; at
least
the
cui
bonD
principle
ta
sorne
extent
operates,
and it is usually sate ta assume if the
accusation
is
the ft
and
there
is
no
question
of
insurance, that something has at least heen stolen.
But
here
one
could make
no
such
acsumption:
one
cou Ld draw no lines."
(p.
140)
En
parlant
au
"boy"
qu'il
charge
de
le
renseigner
sur
Scobie,
Wilson sue à
grosses gouttes.
En effet,
l'agent secret trahit sa
propre
f.ncaoac Lt.é
à
assurer
l'impact voulu
à
son propos.
Cette
démarche pe:rrnet au narrateur de tourner en dérision ce qui apparaît
ici comme de la surenchère :
"I ... ]You no make big lie. If yeu tell lie l know
i t
a,d
you
go
to
prison
straight
away.'
The
wearisome recital went on. He was never quite sure
how much was understood. The sweat ran off Wilson's
forehead
and the cool
contained grey
face
of the
boy aggravated him like an accusation he couldn't
answer.
'You go to prison and you stay in prison
plenty
long
time.'
He
could
hear
h Lsi
own
vo Lce
cracking with the des ire to impressi he could hear
himsel f,
l ike
the
parody
of
a
white
man
on
the
halls.
[ . . . J"
(p.
170)
Wilson
réalise
que
le mode
d'expression
dont
il
a
besoin
pour
parler â
un Mende est inadéquat.
Une telle déficience dit toute
l'impuissance de Wilson â détecter dans le discours
indigène le
mensonge qu'il
érige en un crime.
En
effet,
que veut bien dire
"pa l ave r"
dans
la bouche de
ce boy
?
' Last
time
they have big
pe Laver ."
(p.
171). Au lieu de dire que Yusef a pleuré,
le "boy"
recourt en toute candeur â une description fort imagée : "my master

168
he put pillow right on his face Il
(i~id.) pour finalement preciser:
"His eyes make pillow wet. Il (ibid.). L'agent secret veut en 1 ieu et
place des mots plus précis et compromettants pour Scobie. A défaut
de tout cela wilson s'estime tenu en dehors d'un milieu auquel
il
ne
comprend
rien
"The
boy
shrugged.
As
50
many
times
before
wilson had the sense of a door closed in his face
: he was always
on the outside of the door .«
(p.
171)
Dans
A
Good
Man
in
Africa,
Morgan
s'enorgueillit,
par
snobisme,
d'avoir
~
son
service
Friday,
un
"boy Il
béninois
francophone
qui
n'est
pas
sans
rappeler
de
par
son
nom
et
sa
carrure celui de Robinson Crusoê:
'Friday was a
very srnall,
powerfully-built man in
his
early
twent ies
who
had
come
over
trom
his
Fz-ench colony in search of work.
Morgan fel t
smart
and
cosmopolitan
when
he'd
employed
him
-the
nearest
thing
to a
French maid
in Kinjanja
he'd
wittily bragged -but the l i t t l e man was hopelessly
Lnept ,
had
never
got
to
grips
with
the
English
language.'
(p.
64)
Malheureusement, comme en témoigne l'échange téléphonique suivant,
l'Anglais de
Friday
est erratique
"h Ls
command
of
Engish
was
erratic."
(p.
50)
-"'Friday,' Morgan said,
"Lt.e s master tier-e ;«
-'Masta'e no day.'E never come home yet.'
- ' I t ' s me,'
'c'est moi ton maître.'
-'Ah-ah,'
Friday
exclaimed,
'sorry
-oh
master.
Désolé.'
(p.
50)
A ce qu'il croit être une question:
UIs your master here ?II et qui
s'avère être une vraie déclarative
lIit's master here. lI ,
Friday
répond
en
créant
un
quiproquo
fort
cocasse
qui
lui
vaut
une

169
répartie sèche et complétée en Français.
Un autre exemple,
inversé celui-là,
se retrouve un peu plus
loin
'ça va, masta 7' he asked cheerfully'
'No,
it
doesn't,'
Morgan
said.
1
need
a
bloody
fourchette
and
a
bloody
couteau,
don r t;
1
?
He
shouted
after
Friday
who'd
da shed
back
to
the
kitchen,
'salt and pepper too !'
(p.
64)
Ici,
la
réponse
'No,
it
doesn't'
conjugue
négativement,
par
auxiliaire
interposé,
un
verbe
f r-ançe is.
C'est
dans
cette
substitution rnaîtrisJe du Français et de l'Anglais que réside toute
la saveur des échanges entre Morgan et Friday.
En
l'absence
de
la
sérénité
caractérisant
les
exemples
précédents,
Morgan tombe dans une traduction aussi superflue que
déroutante :
'ça va, masta 7' Friday asked in concern.
'Oui,
l mean yes.' He swallowed ... '
(p.
243)
En effet, c'est au cours de l'épisode époustouflant du "Innocence
problem"
que
Morgan
fournit
cette
réponse
pourtant
correcte
("Oui").
Le repli linguistique qui s'ensuit
("I mean yea
rend
v
"
)
compte du désarroi et de la confusion du héros.
L'êpisode en question tourne autour des manifestations assez
particul ières
de
Shango
que
Boyd
appelle
dieu
de
la
foudre
"Shanqo
is
God
for
lightning.
(p.
73)
»tnat.
mysterious
and
incomprehensible god."
(p.
310). Ses formes d'expression varient.
Ce
sont
par
les
nuages
que
les
autres
personnages
l'annoncent
prophétiquement: Da1mire : "Looks like \\IIe're in for a shower. 1I (p.
Il), Prisci1la fait remarquer: "Looks like i t ' s going to be a real

170
storm,'
she
remarked."
(p.
33) 1
et
Adekunle
, Ah,
Mr
Lea f y , 1
Adekunle said again •..
'1 think: we e Ll, bave rain tonight."
(p.
56).
Tantôt, le djc~ de ln pluie roule sarcastiquement du tonnerre. Son
plus grand acte de colère,
consiste en un orage mortel qui fauche
Innocence au nom si symbolique.
Rappelons
que
Shango
littérairement
immortalisé
par
Wole
soyinka et appelé Sanga, Xango ou So-shango, est le dieu yoruba du
tonnerre,
de la foudre et de l'électricité,
le roi du pays, mais
aussi le symbole de la justice et de la rétribution dans la vision
mythique de ce peuple.
Ainsi que l'a montré Ijimere dans The Imprisonment of Obatala
et Wole Soyinka dans Idanre,
les divinités africaines sont,
comme
les
oeuvres
de
l'artiste
traditionnel
Yoruba,
des
créations
de
l'homme et ne valent que par eux. Dotés de chair et d'os, ces dieux
sont
des
êtres
dont
les
origines
anthropomorphiques
les
maintiennent au rang des êtres faillibles.
Les
Syriens,
eux
aussi,
jouent
un
rôle
important
dans
l'intrigue de The Heart of the Matter.
Ils constituent des rivaux
de taille pour les Britanniques et se révèlent extrêmement rusés:
"You
can't
beat
a
Syrian. Il
(p.
114).
Ils
sont
représentés
par
Tallit qu'on ne voit guère beaucoup, mais surtout par Yusef,
"the
villain of the piece'
(p.
187),
l'âme "no Lr e" de Scob Le .
Il est fort significatif que Yusef se soucie de la langue
'You
see
l
a aked him
to
keep
his
eyes
-bare
-is
that the right word ?'
'You have a very good knowLedqe of Engl ish, Yusef.'
(p.
199)

171
Cependant,
le Syrien se distingue des autres par les attributs Ci,· 1.
n'échappent guère â Scobie :
' I t might be Yusef,' Scobie said.
'1 don't think he
deais in industrial diamonds. He calJs them gravel.
But of course one can't be sure.'
(p.
186)
Le
flux
de
son
discours
est
toujours
brisé
par
la
répétition
abusive
de
"Major
Scob Le"
et
par
des
circonvolutions
parfois
discontinuec; et torturées,
tranchant avec l'expression directe et
articulée
de s
personnages
britanniques,
celles
de
Harris
et
de
Wilson, par exemple. En outre, Yuae f assaisonne ses propos par des
adages
éculés
et
des
citations
à
valeur
semi-proverbiale
et
d'origine littéraire ou poétique parfois suspecte
Il A
f r iend
in
need i5 a friend indeed"
( p.
33), " . . . you give an evil name to a
dog and the dog is finished.
(p.
90),
"There is a Syrian poet .....he
wrete ... (p.
93)
Et i l
est d'ailleurs extrêmement frappant que ce personnage
Ayrien partage un tel style avec un Africain : Sam Adekunle (A Good
Man in Af r-Lca ) ; Ce dernier fait preuve de certaines idiosyncrasies:
"Did yeu make catch ..... ith my wife : IIHis cultured tones accentuated
the
Kinjanjan expression. Il
(p.
200),
et prononce
"beez nes s"
(p.
201).
pourtant ce dernier est un professeur d'université dont le
cursus en dit long sur la compétence linguistique:
IIHis
voice
was
deep
and
educated,
wi th
a
near-
perfect
Engli6h
accent
modulated
by
hints
of
American tones he'd picked up whi1e studying at the
Harvard Business SchooLv "
(p.
56)

172
Adekunle
util1se
invariablement
l'expression
lias the
saying
goes"
:
[UYou
are,
as
the
saying
qoe s ,
catching
on.' (p.
58),
"Everybody,
as
the
saying
qoee ,
has
their
priee."
(p. 61),
"you must expect po1.itics ta show
her
face,
as the saying qoe s c "
(p.
117),
"I think
it might be worth resuming it, if you qet my drift,
50 ta
ape ak ,
as yeu British say."
(p.
179),
"The
cat i5 now arnong the pigeons, a51 the saying goe5",
don r t; yeu thinJ-:; ?"
(p.
200),
"Yeu have hit the nail
on the head
f i r-at;
time,
as the saying goes."
(p.
2 Dl) J
La
nature
sentencieuse
des
déclarations
de
ces
deux
personnages tient essentiellement au fait que tous les deux sont
des
corrupteurs
anxieux
de
co-opter
un
homme
de
paille,
de
persuader,
et par conséquent trop enclins â
se prévaloir de
la
sagesse populaire ou universelle.
Pris
individuellement,
le
britannique
vit
également
la
question de la langue. En témoigne cette perception que Scobie
en
a :
"The words vibrated with sincerity :
i t gave them
the
sound
of
a
foreign
language
-the
sound
of
English spoken in England. Here intonations changed
in the course of a few months, became high-pitched
and insincere,
or fIat or guarded.
You could t.,ll
that Wilson was fresh from home."
(p.
42)
Tout d'abord 1
l'extrême
sensibil i té acoustique du mil Leu soc i
exacerbe la tonalité de tout discours au point de supplanter la
valeur sémantique des mots qui le constituent.

17)
Wilson est,
quant à
lui, très sensible â
l'emploi des mots:
"Bagster. Where are you, you sad 7' and stumbled in
a ditch. He might have been back at Downham, except
of course that they wouldn't have used the ward.'
(p.
166)
Il yen a que personnellement, il n'emploierait pas ("sod") ou dont
l'utilisation lui semble toujours peu naturelle
("boat").
"Keep him a couple of minutes, there's a good chap,
and
then boat
him
in.'
Howeve r
diligently Wilson
practised,
the
slang
phrase
acurided
unnatural
on
his r Lps ;«
(p.
169)
c'est à travers son regard que le narrateur nous présente une
pyramide sociale siérra-léonaise inversée et carricaturée. Dans ce
monde assez particulier,
les maîtresses d'école telle Hazel, dans
~ Good Man in~frica, jadis dépositaires des valeurs éducatives et
morales,
s(J:1~~
transformées
en
prostituées
dont
les
rabatteurs
inlassables ne sont autres que leurs propres élèves. Le refrain par
lequel ceux-ci détournent les clients résonne en Wilson comme une
berçeuse
"Li.ke
a
nursery
.rb yme"
(p.
Il)
et
le
bordel

se
déroulent les transactions coupables,
est comparé Lrcn i r-i-- -nt; il
une école maternelle
"away tawards the
police as
't.hcuqh
to a
nursery."
(p.
12).
De
telles
analogies
traduisent
une
perte
d'innocence
absolue
mais
surtout
trop
précoce
chez
des
"tout-
petits"
soumettant,
grâce
il
un
renversement
infantilisant
des
rôles,
les adultes il un joug pervers d'un type nouveau
An Ice-Cream War également comporte des passages confirmant
l'idée que l'Afrique est un vrai Babel aux yeux de certains

174
personnages principaux. En effet,
Felix y
fait la connaissance de
Gilzean,
un subalterne écossais chargé de le guider. Celui-ci est
un britannique comme lui et pourtant le héros assimile ce qu'il
entend a du Grec ancien :
"The
man
might
as
weIl
be
talking
ancient
Greek',
Felix thought."
( ... )
l
said
"Fegs i t ' s a
bauch day'",
sir,'
Gilzean
repeated
patiently,
as
if
this
vas
an
activity
he
"las
accustomed
te.
' l ' I l
just
make
siccar
they
beans....aup
porters
IODle
snippert
with
youz- qea'r;"
(p.
2B9)
Par ailleurs, le snobisme langagier de certains personnages ne
simplifie guère les choses
:
"Loveday
was
a
brash
young
man
with
a
th!n
moustache who regarded himself as a sophisticate, a
fact he felt was made manifest through his constant
use
of
French
exclamations.
In
pre-wez-
days
he
wou Ld have been known as a
' masher 1
or a
1 knut ' . "
(p.
300)
La fonction narrative èi.~l bruit, du son et de la lumière est de
préfigurer
la
mort
en
terre
africaine
au
terme
des
diverses
expériences v~cues par les persOllnages principaux.
Le discontinu
revêt
une
nature
maléfique
ou
funèbre.
Ensuite,
tout
ce
qui
participe de la couleur locale est perçu comme problématique.
La
religion et la langu~ ajoutent à la confusion des héros.

175
t
.é~.phoree et eyabolee
Ainei que notre enquëte 1'. révélé, l'Afrique représente une
source
de
souffrances
multiples.
Les
stimuli
produits
par
un
univers
dominé
par
les
éléments
climatiques
tropicaux
néfastes
suscitent chez les personnages prinoipaux diverses images se muant
eU métaphores ou symboles que ce chapitre ee propose d'identifier
et d'en déterminer les récurrences les élevant au rang de symboles.
Dans The Heart of the Matter, le visage de Louise, épouse du
héros, est un véritable leitmotif.
nBaside,
i t had. bean a very aarly photograph, and.
he no longer cared ta be remind,ed. of the unformed
face,
the expression calm and. qentle with lack of
knowledge, the lips partad obediently in the smile
the photographer had demanded. Fifteen years form a
race,
gentleness
ebbs
with experience and he was
always aware of his responsibility. He had led the
way
:
the
experience
that
come
to
her
was
the
experience selected by himself. He had formed her
face."
(pp. 15-16)
La
vie
que
le
héros
mène
avec
Louise
rend
cette
image
franchement redondante. Cont-r'\\stant lIunformed n
(p.
16)
à "formedll
(ibid.),
i l réalise le modelag~ selectif qu'il S'estime si
fier
d'avoir fait subir à sa femme et dont i l se glorifie : "This is my
doing. This ia what l've made of her. She wasn't always like t~·
"
(p. 32) C'est d'ailleurs lui qui dit de wilson que "Nobody 1-,'ld yet
drawn on his face tte lines that make a human being. 1I
Cr
30)
Ce
privilège
qu'a
scobie
de
modeler
la
physionomie
de
sa
femme
pourrait être rapproché de la fonction du personnage central de

176
Blackeyes 4e Dennis Potter (1gB?)
lia
photographie
model
who
passes ses
of
a
siqn
awaiting
the
mark
ot
the
observer's
inscribing
gaze.
Blackeyes
expresses
the
' sensuali ty ot
the
passive.
Rer perfectly cval of a
face vas a blank
upon which male desire coul4 be projected.. n'
Nous retrouvons chez Blackeyes,
le mannequin,
la passivité
sensuelle du visage ~e Louise dont la plasticité convient fort bien
aux
fantaisies
4e eeeœf e ,
Les
contours du
f'aciès
4u personnage
féminin de Greene est associé a la marée tant la ligne de ce visage
fluctue ("ebbs", p.
Hi) au gré d'une expérience africaine liée au
péril marin: "the quiet fIat infeste4 sea."
(p.
43). L'impact de
l'Atlantique est bien réel puisque Bcobie en fait état ~ IIMy lif'e
is pretty go04 an4 l'm not stirr.inq from here. No submarines for
Les mauvais souvenirs,
l'inconfort et la chaleur amènent le
héros à re4uire toute surface 4e contact favorisant la secretion de
la sueur 4e même que tout ce qu'il estime superflu.
"Scobie bui 1 t
his home by a process of re4uction.
He had started out rifteen years ago with far more
than this. There had been a photograph of his wife,
briqht
leather cushions
from
the market,
an easy
chair,
a
large
coloured
map
of
the
port
on
the
wall.
"The map had been borrowed by younger men
:
he carried the whole coastline of the colony in his
mind's eye : from Rufa Bay to Medley vas his beat. 1l
(p. 15)
La réduction a laquelle il procède s'appuie fortement sur la
Raman Selden in A Reader's Guide ta Cont.roporary Literary
Theory (London: Harvester Wheatsheaf,
1989), p. 79.

177
linéarité que nous retrouvons dans sa manière de se séparer
de sa
qranl5e carte portuaire,
convertissant sa 8ur~ace coloriée à une
simple
liqne
mémorisée.
Il
en
fait
autant
de
la
photographie
lorsqu'il
recourt
au
tiroir
:
un
simple mouvement
linéaire lui
permet
d'escamoter
l'image
de
son
épouse
qu'il
compare
sucessivement à un vieux chapeau et aux menottes rouillées qu'il a
lui-même accrochées au mur de son bureau.
La métaphore du visage permet au héros de 'l'he Heart of the
~atter, non seulement de mieux maîtriser ses phantasmes sur Louise,
mais aussi de remettre de l'ordre dans son propre univers immédiat.
Quant
à
A
Good
Han
in
Africa,
il
rend
compte
d'un
mode
particulier
de
perception
de
l'univers
africain
par
un
autre
personnage br.itannique pris comma sujet et objet.
L'une
ùrV:
caractéristiques principales
de
ce
roman
est
la
rapidité de ce que Gérard Genette appelle '"la vitesse narrative".
L'auteur lui-même le souligne: "There vas no respite. 1I (p. 228),
"There vas no let-up,
he bitterly reflected,
no relief from the
succession of Job-like torments he vas inflicted vith."
(p. 254),
IIHe had tried,
he had fought,
but he couldn't stand the pace any
longer. n (p. 289).
Les
réactions
du
héros
à
la
pression
des
événements
contribuent
à
l'accélération
du
récit
et
sont
fortement
caractérisées
par
la
colère,
la
rage
et
sa
haine
contre
ses
prochains, mais surtout contre l'univers tout entier ("his usual
universe-hatinq rages, p. 275).
Le
rôle da "l'homme à tout faire ll qui est
imposé à Mcrgan

178
.
exaspère
celui-ci.
Presque
touj ours,
il
implose
"anger
and
outrage tlol1 up inSiide him"
Cp •
.31),
"raged inwardly"
(p.
48),
"violent rage building up inside hiDl. Il (p. 50), "screa.m.Qd inwardly"
(p.
691.
Borasé
par
les
menaces
et
ordres
contradictoires
d'un
l'anshawe,
chef
tyrannique
et
excédé
par
une
culture
qui
lui
échappe, Morgan subit une expérience singulière
UMorgan sbud4ered at the complexities ahea4 of him
and again cursed his
irresoluteness,
his
shilly-
shallyinq,
the
protracted
moral
ditherlng
he
indulqed in. 11
(p. 212)
Il est fatigué, sale, affamé et, mourant de sommeil, il finit par
se faire à la mort qu'il rencontre pour la première fois. Il fait
corps
avec
le
cadavre
gonflé,
lourd
et
putréfié
d'une
jeune
innocente victime du destin contre lequel il s'est révolté dans cet
"intolerable blo04y country" (p. 233)e
a.cillant. entre la rage; "t1oiling vith rage, incoherent vith
terror,
relief and fuming anger,"
(p.
245)
IImade tvisted vampire
claws with his hands and sav:lged the air in front or his face" (p.
235)
et
l ' imp'.:issance
léthargique du
découragement,
il
parvient
tout de même à maîtriser ses instincts.
crest grâce. l'épisode du "Innocence Problem" que le héros
eeeëëe
à
la
voie
qu'il
indique
à
un
supérieur
autoritaire
et
déloyal, lui suggèrant de se soumettre aux exigences rituelles des
autochtones; "What we do Ls do i t their way. We've been 8wimminq
agalnst the tide so far. 1I (p. 236).
Ce
sont
ces
moments
de
colère
intense
qui
produisent
des

.179
imaqes fort frappantes,
trahissant les mêmes excès :
ItEvil
possibilities
and
vile
scenarios
beqan
to
swarm in Morqan's head like blow-flies round rotten
meate tl
(pa 61)
Comme en témoiqne le vocable IIswarm", schème dont nous retrouverons
des variantes plus loin,
il s'aqit ici d'une animation accélérée
représentée à l'aide d'êtres ou de verbes exprimant une agitation
fourmillante, grouillante et parfois chaotique, métaphore fréquente
dans l'écriture de Greenee
An Ice-Cream War tire une bonne partie de son ironie du fait
que beaucoup de victimes britanniques sont mortes pour des raisons
fort éloignées des combats pour lesquels elles étaient venues en
Afriquee
L'épisode des abeilles est un témoiqnage qui procède de
l'ironie:
"He (Gabriel Cobb) vas belng shot a Suddenly to his
utter
astonishment
the
air
was
"thick
with
bullets a" Unconsciously the expression leapt into
his minda It was a 'cliché', but he never expected
to
be
literally
true
black
dots
and
pecks,
whizzing
erratically
through
the
aira
He
felt
a
sudden burning pain in his neck. 1I (pa 164)
Le
Bchème
du
grouillement
d'abeilles
que
l'armée
en
déroute
a
prises pour de vrais projectiles résume tout le drame de Gabriel
que ni
son
éducation,
ni
sa
formation,
n'avaient
préparé
à
la
contingence des faits qu'il subissait ainsi en terre africaine'e
"nothing in his education or training had prepared him
for
the
utter
randomnesB
and
total
contingency
of
eventsa", W. Boyd, An Ice-Cream Jar, ep , cit, pa
172.

180
A Good Man in Africa comporte d'autres images qui pourraient
s'apparenter au grouillement et qui
traduisent la désintégration
morale du oolon oU de l'expatriée: des taches ou des substances en
marmelade, aux couleurs bigarrées et vives, gluantes, suintantes,
déliquescentes et extrêmement repoussantes :
"The tables reminded Morgan of unscrubbed surgieal
trestles
trom
some
Crimean
War
dreseing-station,
oover~d in blobs and shreds of multicoloured jelly,
flattened cakes, vivid spiit drinks, oozinq tritle
muah, deliquescent Lee-eœeas .« (p. 256)
D'autres fois,
la putrefaction qui
envahit de part en part
tout
l'épisode
de
la
mort
d'Innocence
est
combinée
â
la
désintégration :
IIHis
head
was
a
glossy
catalogue
of
frightful
images,
a
rotten putrefying grocer's
filled with
deliquescent
cucumbers,
split
tomatoes,
ranoid
sprouts,
slime-ravaqed lettuces.
crumblinq noses,
perforated
palates,
qrotesquely
swollen
limbs
dance~ in front of his eyes like imaqes from some
carnival for the terminally ill."
(p. 1159)
Nous assistons au même processus cher; Felix.
Ses premières
sensations
sont
successivement
lia
sense of
exhilaration"
(p.
284),
"a curious
smell
in
the
air,
stranqely
intoxicatinq"
(p.
287), "a sudden nervous excitement"
(p.
287),
tlthe musty earthY
smell"
(p. 290). Ensuite, vient l'épisode de Kibonqo où il fait

181
l'expérience de la putréfaction rappelant l'enfer du Doctar Faustus
de christopher Marlowe1
[ ••• ]the
gloom
was
more
intense.
Felix
glanced
upwards.
The setting sun bacS turned. the claude a
sulphurous yellow-grey ••• Rere the reek vas at its
Most
intense,
a
rich,
chokinq,
putretyinq
small
tbat caused his stoDlB.oh to baave a protest ••• 11 (p.
204)
Notons enfin le rôle extrêmement important du ciel chez Felix:
Felix squinted up into the sun. Above him stretched
an immense deep-blue sky cecupied by a
lew smali
clouds. The sky seemed. higher in Atrica, he thought
vaguely •••
Felix returned
to his musing.
How can
the sky be higher. He rebuked himself : the sky has
no height. He looked aga1n.
Then he realizes, with
an absurd
sense of
achievement,
that
it
was
the
e j.eude
which
were
higher
in
Africa.
They
sailed
higher than the clouds in Europe, and that vas vhat
made
the
encompassing blue
so
toweringly
out of
reach."
(p.384)
Dans A Good Man in Africa, la ligne que le ciel forme avec la
terre joue un rôle dramatique :
"His ayes streamed vi th tears and he shuddered as
i t went down. His view of the southern precincts of
Nkongsamba
bathed
in
a
peachy
matinal
light
shivered and went soft at the edges.
He sat down
his glass with a rattle on the concrete balustrade
at
the
edge
of
the
stoop.
He
shook
his
head
fiercely ••• "
(p. 81)
La répétition de "edge" est significative.
Les
larmes de Morgan
ramollissent, en frémissant,
les contours du paysage environnant.
Cette illusion est brutalement contrariée par la solide réalité du
béton de la balustraJe contre laquelle cogne le verre de Morgan.
christopher Marlowe, Doctor Faustus,
(New York : Signet
classic, 1969).

182
La liquéfaction 4e l'univer3 qui s'abat sur lui est iL lier iL
la p ï.ud e ,
iL
la
foudre
de
Bhango
et
partant
aux malheurs
qu 1 il
souhaite voir s'abattre suc ceux qu'il hait.
En
témoignent,
les
mots
suivants
:
"happen",
"fellec111
IIstruck
down"
(p.
82-83),
"put ••• to toueh with real life aqain. u (p. 15).
L'image qui résume pr~étiquement de telles réactions est iL
rechercher dans celle du fou auquel le héros s'identifie et dont il
se souvient si vivement et qu'il évoque avec un réalisme qui est le
fruit de l'observation quotidienne et de son expérience personnelle
en terre africaine :
liRe stood with wide unblinking eyes gazing at the
sargasso ot humanity that passed balora bim,
tram
time ta time screaming insulta or ourses, shutfling
his feet in a token spell-castinq dance. The crowd
lauqhed or just iqnored him - the mad are happily
tolerated in A.frica -
content to
let him qibber
harmlessly on the pavement. Por some reason Morgan
had felt a
sudden power fuI
bond of sympathy with
thia
quileless
tool
in
his
hideous
alien
environment - he seemed to share his point ot view
-and spontaneously he had thrust a pound note into
hi s eai.euseë hand as he edqed peat; , Il (p. 18)
Le rage qu'il é~rouve chez Fanshawe et à l'issue de laquelle
il décide de détruire Murray comporte un vocabulaire identique :
IImanic, beserk anger seemed to be rampaqinq there, like II. lunatic
in a padded cell. 11 (p. 81).
Nous retr~uvons cette folie dans les insultes et malédictions:
»he cursed silently." (p. 211) ; les trépiqnements de raqe : IItlunq
wild knockout punches at some invisib>le
cpponent." (p. 292) dont
Morqan est coutumier. L'environnement hostile étranqe qui l'obsède
tant est similaire à celui du malade mental fulani : "his hideous
alien environment-" (p. 18).

183
L'histoiT'" de Morgan est narrée à
la troisième personne et
traduit
une
expérience
indivi6uelle
restituée
dans
un
langage
reflétant une tournure de pensée particulière au personnage a
C'est avec le "the Innocence problem" que le héros réalise la
cUfficulté
à
comprbndre
le
mont1e
africain

i l
vit
et
que
décrivent fort bien ces propos de Pansbawe :
"Intolerable bloody country,' he eeeeneë , They just
go
about
their
business
-wi thout
a
care
in
the
world, as if ft vas an ordinary day,-stepping over
dea4 bodies without a second thought. n
(p.
233)
La désinvolture avec laquelle les domestiques africains vaquent à
leurs activités normales à côté du cadavre-le narrateur en voit
plusieurs -4éconcerte et déprime Morgan.
progressivement, celui-ci essaie ~e trouver un sens à ce qui
lui arrive.
Et il est assez significatif qu'il ait recours à la
métaphore aquatique :
Il'rhe
fish-pond:
was
another
example
of
Jl:injanjan
literalness,
but
this
time
so
extreme
that
it
almost returne~ to metaphor.
There were ~oubtless
fish in it an~ it was,
just,
in the general class
of pon~s, but, more truthfully, i t was a larqe an4
impressive
artificial
lake
at
the
south-western
e4ge of the university t:ampus.
Morgan sat in his
car lookinq at it, waiting for A~ekunle. Normally a
tran~~il
scene
of
great
beauty,
to~ay Morgan's
half-creating min~ saw only stark primitive nature,
hostile
an~
unwelcoming,
feral
an4
unsafe. 11
(p.
228)
Un 4es entretiens que Morgan ~oit avoir avec A~ekunle, son maître-
ohanteur, se t':'ent au bor4 4e l'lIêtang". Ce lac artificiel est une
surface 4'eau trop vaste pour être assimilée à un étang. Il n'en
est
pas
moins
classé
comme
tel
par
les
Jl:injanjannais.
Cette

184
traduction
littérale
révèle
au
héros
la
tendance
effarante
des
autochtones à ramener ce qui les déroute à des proportions qui leur
soient
maîtrisables,
donc
à
une
expression
commune.
Le
trajet
empruDté par ces Africains est naturel puisqu'il va,
comme dans
toute métaphore,
de
la culture
Cltartlticial
lakell ) , à
la nature
("tish-pOD<1U ) . L'essence du discours du narrateur tient daDS cette
définition d'une telle métaphore :
ilL' esprit de la rhétorique est
tout
entier dans
cette
conscience
d'un
hiatus
possible
entre
le
langage réel (celui du poète) et un langage virtuel
(celui
qu'aurait
emplayé
l'expression
simple
et
commune)
qu'il
sutti t
de
rétablir
par
la
pensée
pour délimiter un espace de figure?1I
Pour
illustrer
cette
fonction
de
l'espace
dans
la
création
romanesque,
il
serait
tout
aussi
intéressant
de
recourir
à
ce
commentaire de Gilbert Durand :
"La
rhétorique
comme
la
logique
s'exprime
et
se
pense en termes d'espace. Comme c'est l'espace qui
est
la
forme
c1e
l'imaginaire,
de
l ' anti-destin,
c'est
la
métaphore
qui
en
est
le
processus,
ce
pouvoir qu'a l'esprit, chaque fois qu'il pense, de
rénover la terminologie, de l'arracher à son destin
etymologique. ,,2
Morgan avait emprunté le trajet inverse en suivant les mouvements
de ses propres pensées, "half-creating mind"
:
il voyait dans ce
lac artificiel mais impressionnant une nature extrêmement sauvage
et dangereuse.
Gérard Genette, Fiqures l, op. cit., p. 207.
2
Gilbert Durand, op. cit., pp. 484-5.

185
L~
~étour métaphorique
s'avère
~onc
bénéfique
au
héros
puisqu'il décide de s'inspirer de l'attitude des indig.nes:
"he vas
qui te pleased wi th
bis
insouciance
,
he
decided
i t
vas
a
pose
he
should
strive
to
adopt
more of tan in the future. 1I (pw 233)
Cette étape marque effectivement le moment où il prend les choses
en main.
Dans ~razzaville Beach, Bayd décrit l'univers de Grosso Arvore
et celui de la plage avec des images liées à la discontinuité, au
bruit, à la turbulence et à la catastrophe.
Dans la semirance Forest, nous retrouvons des arbres dénommés
épines-da-rat,
aux
troncs
dépourvus
de
branches
JUSqu'AUX
deux
tiers. 1 Nous noterons éqalement l'escarpement se trouvant près de
Grosso Arvore et portant aux flancs, des tiguiers sur lesquels Boyd
revient très souvent. Il ne slagit pas du figuier de la Bible mais
plutôt de ce que l'auteur appelle le figuier éclaté:
"They vere sitting high in the branches of the tig
tree,
a
partially leaflee.e. ricufll IlUcosae that
at
some
juncture,
l
quessed,
had
be-en
hit
by
lightning.
HaIt ot the tree vas dead,
stuck in a
permanent winter,
vhile
the other haIt,
as
it in
compensation, flourished vigorously.u
(p.
20)
En
plus
de
l'éclatement,
ce
qui
caractérise
l'arbre
et
ses
envLeons ,
C'8'i.1L
la-division, le oontrllste ou la syDétrie rendus par
des expressions comme "en partie",
"à moi tié ll ,
"autre", "morte",
"tigée" et "tleurissait vigoureusement".
Aux récurrences retrouvées dans cette description"
s'ajoutent
utrunks, branchless tor tvo-thirds ot the vay", W. Boyd,
Brazzaville Beach, op. cit., p.
185.

18.
IInotherners", "southernersll et lIemptyu 1
Les verbes 4écri vent les
6
actions qui se déroulent au~. alentours sont, par exemple, "half-
tell ii et "h"1:C-tumble4"
(p.
205).
L-aepect présenté par le figuier et 80n environnement connote
l'expr"ssioll
IImi-fique
mi-raisin"
et
trouve
de.
éobos
dans
le
symbolisme
sexuel
de
la
fique
qui
n'est
pae
un
fruit
au
sens
botanique
mais
un
réceptacle
charnu
portant
les
fruits.
Les
chimpanzés qui aiment copuler tout autour,
raffolent autant des
fiques que de leurs fleurs,
immédiatement comestibles.
ce n'est
donc pae hasard si
deux bébés
chimpanzés
sont
dévorés autour du
figuier éclaté, par Rita Mae, Rita Lu et Lena, singes cannibales.
Le figuier rappelle l'arbre vertical du Habinogion q8llois2•
Bn effet, dressé dans une zone de démarcation séparant le nord du
sud
et
autour
de
laquelle
rèqnent
la
liberté
et
l'aliénation,
l'eepoir et le désespoir,
la vie et la mort,
le figuier fOUdroyé
lais$e deviner chez Boyd un certain syncrétisme conjuguant le mythe
de Shango à
la mythologie celtique.
Selon
le
recueil
de contes
qallois du Moyen Aqe,
l'arbre vertical dont une moitié verdit et
l'autre
moitié
est
en
flammes
est
l ' emblème
de
cette
tension
permanente entre le monde riche et plein de beauté et le monde de
l'incertitude de l'au-delà.
Nous pouvons également associer cet arbre à la fécondité et à
la prégnance puisque beaucoup d'incidents s'y produisent. En effet,
W. Boyd, Brazzavill~ Beach, op. cit., p. 204.
2
The
Mabinogion,
traduit
du
Gallois
et
introduit
par
Jeffrey Gantz, penguin Books, 1976, p. 243.

187
C'est,
comme
la plaqe,
un pôle de turbulence dont le mari de la
narratrice
disait,
IIHere
VilS
an
are a
that
VilS
all
'noise',
completely random &114 unpredictable. Il (p. 44).
A côté, S8 touve la grande rivière le long de laquelle lIaît,
s'amplifie
et
meurt
le
vacarme
des
combats
effroyables
et
rêvoltants qui se déroulent entre les chimpanzés du nord et du sud.
La
plage
est
le
second
pôle
de
turbulence.
Elle
est
ét~oitement li~e à un univers anglais qui Il eu un effet extrêmement
bénéfique 8ur l'éclosion professionnelle et caractérielle de Hope
Clearwater.
Il
s'agit de
Little Green Wood,
bois
situé dans
le
Dorset :
"Ohe
looked
at
her watch.
Little Green Wood
awaited her.
[ ••• ] only occasionally vas there the sound of
Il car or Il tractor in a
nearby
lane,
or the po-
popping of someone out with a
qun.
otherwise she
vas alone vith the shiftinq shadows and sunbeams of
the ancient yoodlands, hearinq nothinq but endless
husbing
of
the
coastal
breezes
in
the
branches
above her head. 1I (p.
111)
Les
expressions

l'occasion",
"pétaraden,
"mouvantes"
contribuent à donner du petit bois un aspect assez proche de celui
de la vaque et de ses mouvements.
Par ailleurs, même au coeur de l'arrière-pays anqolais, quand
Hope
ne parvient pas
à
dormir
dans
la Mission,
elle
écout-""
la
respiration d
lan.
L'impression qu'elle en tire est celle d'une
houle :
"( ••• ) I could hear mosquitoes whininq and lizards
and rodents scurrying about somewhere, and a180 the
deep and rhythmic surqe of lan's breathinq. Lite a
tide
1
thouqht,
lite
the
vash
of
vavelets
on a
pebble • w. 11 (p. 240)

188
Ces métaphores tirées du flux régulier illustrent le désir que
nourrit
Hope
"8 mieux voir dans sa situation en essayant, par
procuration,
d,néorire
la géométrie d'une vaqUBa 1t1 La plage est
devenu~ le symbole de la turbulence mâitrisée, et. par oonséquent,
celui du temps dont la discontinuité était, pour Hope, synonyme de
oatastrophe.
Celles du grouillement nous éclairent également sur l'anxiété
ou la peur dee pereonnages chez qui ee multiplient les images de
désintégration,
de
déliquescence,
de
liquéfaction et.
de
déluge ..
L'omniprésence du ciel dans ces oeuvres laisse penser à la justice
divine, à l'ascension et à la quête de l'inaccessible.
Les métaphores,
nous
l'avons
vu,
sont.
très
variées.
Elles
comprennent
celle
du
visage
aux
contours
très
fluctuants
et
extensibles
à
la
marée.
La
linéarité
qui
les
caractérise
se
retrouve
également
chez
Morgan,
Temple,
Felix
et
Hope.
Elle
témoigne d'un
effort
de géométrisation,
d'abstraction
ou d'une
volonté de comprendre ou de simplifier la vie en terre africaine.
"What l vant to do is vrite the geometry of a vave.", W.
Boyd, Brazzaville Beach, op. cit., p. 44.

189
CllAPX'l'RB ,
:
L' :IRORIB BT LA SATIRE CHEZ DOYD ABD GRBBIfB

190
l L'ironie et la aatire che. Greene et Boyd
Dans des romans d'auteurs aussi intereasés par le comportement
de leurs personnages expatriés que Greene et Boyd, il peut paraître
légitime de s'interroger sur la place, la nature et l'exprsssion de
l'ironie et de la satire dans leure oeuvres campées en Afrique.
L'ironie eat,
rappelons-le,
une tonalité de la satire dont
Arthur pol lard considère les composantes comms étant U ••• aIl the
tones
of
the
satiric
spectrwn,
wit,
ridicule,
irony,
sarc.sm,
cynicism, the sardonic and the invective."l
Et si la
satire doit
l'impact
de
ses
attaques
aux
normes
éthiques
qui
la
tondent,
l'ironie
elle,
est
moins
abrasive,
et
tire
sa
torce
de
la
relativité de tout ce
qui concerne l'homme et la vie2•
L'ironie satirique a cependant une fonction essentiellement
Arthur Pollard, Satire (London l
Methuen, 1987), p.
5.
,
'·Miss Furst does not laclt for courage,
and is ready to
tackle such humble but tricky questions as the difference
between
irony
and
satire.
The
satirist
ls
harsher,
employing ridicule,
contempt,
indignation,
anger
;
his
attack
is
'grounded
in
ethical
standards',
he
is
a
moralist. The ironist, on the other hand, is Iqoverned by
relativities',
and
doesn't
set
himself
up
'in
the
authoritative preminence of the judqe. He ia not certain
enouqh, and tends to admit the qood and the bad in every
alternative'.
Hence,
she
concludes,
while
satire
is
o9t~nsibly the harsher of the two, it is potentially for
belt3rment.
'A pessimi~tic satirist without that faith
would not bother to make his attaolt.'
Dy contrast, the
art
of irony ostensibly,
ia
less abrasive,
May be the
more disturbinq because i t is
'an enquirinq mode that
exploits
discrepancies,
challenqes
assumptions
and
ref1ects equivocations' but doesn't pretend to hold out
answers.",
D.J.
Enriqht,
The Allurinq Problem
(London:
OUP, 1986), p. 16.

191
corrective car elle vise généralement à restaurer l'équilibre entre
le manque et l'excès de sérieux ou de stabilité. Elle devient donc
facilement
militante
lorsqu'elle
est
ainsi
tournée
vers
l'expérienoe humaine. L'intention d'influer sur l'ordre des ohoses
peut par conséquent justifier l/usage de l'ironie.
BIle se manifeste de plusieurs manières. Elle peut être conçue
comme un mode d'expression fondé sur le contraste entre l'apparence
ou
l'attente d'une part,
et
la réalité,
d'autre part.
Entre ce
qu'on dit et ce qu'on pense véritablement.
Elle peut,
en outre,
résulter d'un hiatus entre l'image qu'un personnage Be tait de lui-
même et son propre reflet littéraire ou artistique.
Et parfois,
elle
provient
du
paradoxe
inhérent
à
certaines
séquences
ou
coincidences extrêmes d'événements.
Il
serait utile de
noter que l'ironie
satirique exiqe une
fantaisie
symbolique
élevée
au
niveau
de
l'incongruité,
du
grotesque. Ajoutons enfin qu'elle se construit sur une convention
excluant,
par exemple,
l'Ecossai8 gënéreux,
la brave épouse,
la
belle-mère bien-aimée et le professeur modéré'. Ce monde ressemble
d'ailleurs assez étrangement à ceux de The Heart of the Matter, de
A Good Man in Afriça et de ~n Ice-Cream War car les êtres précités
en sont bannis : le docteur Alex Murray est un Ecossais que Morgan
hait pour sa rigueur spartiate : Louise Bcobie, chloe Fanshawe et
Mme Cobb ne sont pas des épouses modèles, loin s'en faut, et encore
moins de bonnes belles-mères.
Northrop
Frye,
Anatomy
of
criticism
(princeton
Princeton University press, 1973), p. 225.

,.2
L'humour
de
The
Heart
of
the
Matter
est,
rappelons-le
éqalement, asse. sombre.
Il est donc heureux que, par moments,
il
soit atténué par l'lIonle avec laquelle Graham Greene traite wilson
dont i l voulait initialement faire
le personnaqe principal dudit
roman.
Antipatique
à
souhait,
souvent
théâtral
et
ridicule,
mesquin, fureteur et hypocrite (nit'a a liell ,
p. 215, "dOD't play
act", "histrtonfc", p. 215, etc), Wilson constitue un repoussoir de
choix
dans
un
projet
satirique
S'intéressant
à
la
société
britannique expatriée.
Les
prophéties
du
diseur
de
bonnes
aventures
Indien
se
caractérisent par une triple ironie au plan narratif.
La première
réside dans les révélations de cet Indien réputé omniscient :
"You are a secret man ...
You have a great line of
success •• w Everything is going to be finew Por you,
he added." (Pp.
64-65),
et la seconde, dans l'identité dévoilée mais niée de wilson: "You
bavent't told me ten bob worthw Tell me something definite. This i&
a five-bob fortunew"
(p. 64) Quant à la troisième, elle se traduit
par la prédiction exncue du dénouement de Th~_lI_e.:rs.__Q.~J~_h~J!atterw
Par
ailleurs,
l'image
classique
de
la
fille
noire
nubile
participe de
la
couleur
locale.
L'auteur
s'en
sert
aussi
pour
satiriser l'iAxpatrié succombant au mirage sexuel exotique: "He had
a
vision of
~_ girl wi th a
rain-vet back movinq
forever
out of
sigbt."
(p. 174)
L'épisode du passage de Wilson chez
les prostituées de Kru
Town
permet
à
Greene
de
tourner
en
dérision
son personnage
en
immergeant
celui-ci
dans
un
microcosme
africain
qui
le
rend

,.3
anonyme,
lui
tait
perdre
tout
particularisme,
ou
attribut
personnel, ainsi que la moindre idiosyncrasie, et le réduit ainsi
à un être anonyme, à un homme tout court :
IIby 8Dterinq this narrow plastar passaqe,
he bac!
sbed every racial, social and individual trait, he
ba4
re4uce4
himself
te
buman
nature.
If
he
had
wanted to bide, bere vas tbe pertect place 1 if he
had wante4 to be anonymous,
hers he vas simply a
man. Bven bis reluctanc"
disqust and 1§Ar vere not
personal oharacteristlcs ;
tbey vere BO oommoD te
those who came hers for the tiret time that the 014
voman ltnew exactly what each move would be."
(pp.
174-75) 1
La dénODciation 4e l'hypocrisie contribue davantage à l'ironie de
l'auteur.
BIle
tourne
autour
de
la
notion
de
tlreluctance",
présentée
par
l'auteur
comme une
fausse
rép\\1qnance
trahissant
l'inconstance ~'un wilson balloté entre la passion de la curiosité,
la
luxure,
le
dégoût
et
la peur.
cette
inconséquence
justifie
l'inversion de ses rapports avec les autochtones dont i l subit la
loi : t1Karltet values here vere reversed. The price ro"
.teadlly
vith reluctance. 1r (p. 174)
Aux prises avec Louise qui l'humilie, i l pose des ~
-tions
qui font pitié :
liDo you mind if r
lie on my baclt 1".
Il
-,pte
H _
aus.i 4e. poses ou des attitudes désavantaqeuses : liRe stretched
bimself betveen the table and the meat sat'e, amonq the ants." (p.
216). Il est comparé à un cadavre ("as thouqh he vere a corpselt , p.
217), ainsi qu'. un chien: "1et't the tail ot' hi. ahirt danqlinq,lI
(p. 218)
C'est nous qui souliqnons.

194
L"ironie peut être étroitement liée à l'espace:
IIWhere 19 the place of understandinq ? Man ltnoweth
not the priee thereo! : nelther 19 i t round in the
land of the living.' Be prodded the open bible in
front of him vith a stubby tlnqer. Neither 19 i t ta
be round.
In. The land. Of. The living."
(PP. 271-
72)
Dans cet extrait. de An
Ice-Cream. Kar,
elle tourne
autour
d'une
ponctuation fort
singulière,
qui
désactive des repères spatiaux
ainai déconnectés de leurs propres prépositions (IIin" et "of"), et
rendant illusoire la quête de connaissance qu'entreprendra Felix.
Il S'avère cependant que des catégories d'ironie envisagées
jusqu'ici,
celle
qui
détermine
véritablement.
l'orientation
romanesque
chez
William.
Boyd
et
Graham
Greene,
c'est
l'ironie
cosmique.
n~he Heart of the Matter" comporte des métaphores cosmiques
(planètes, astres)
:
»oueat ee the rest-house he stopped eqed.n , The light
inside would have qiven an extraordinary impression
of peace if one hadn't known,
just as the stars on
that
clear
niqht
qave
also
the
impression
of
remoteness,
security,
freedom.
If
one
knew,
he
won~ered, the facts, would one have to feel pitY
even for the planets ? if one knew what they called
the heart of the matter 7"
(p.
124)
L'ironie se manifeste
ici
à
travers une
ignorance de
la misère
trahie par le parallélisme établi
entre la lumière trompeuse du
llquest-house"
(où rèqne la mort
et celle,
tout aussi illusoire
des planètes,
entre la paix et la solitude d'une part,
entre la
sécurité et la liberté d'autre part.

195
Adepte de la stupidité et de la méchanceté, Wilson est souvent
tourné 8n dérision par Greene jusque dans ses attitudes physiques
(UBe Buddenly Bat down as if he had bean ro1ded by some invisible·
hand. Re put his heacS in his hand and wapt."
(p. 134).
cette
main
invisible
D'évoque
pas
Dieu
que
le
narrateur
désigne toujours explicitement et que 800bie apostrophe souvent. Il
.'agirait
plutôt,
dans
cette
comparaison,
d'une
intervention
d'origine cosmique, tout aussi musclée que punitive. Elle traduit
toute l'ironie attachée à l'humiliation répétitive de Wilson.
Dans A Gooe! Kan in Atrica,
l'une des premières frustrations
dont Morgan Leaty ait eu à souffrir relève du caracrère aléatoire
de la vie africaine quotidienne.
Le moindre bain en devient un
exemple : "This simple act was equa11y unre1i&b1e and ridden vith
pittalls."
(p.
41)
Bn
outre,
"Good
man"
signifie
"who
a1ways
gets
the
dirty
jobS." (p. 235). Korgan Leaty admet être, pour la presque-totalité
d~ la communa\\"":'.é expatriée, un »seet.e ï. catch u, un simple instrument
-IiBeing First Secretary at the Commission made him
something of a social catch, and anyone who thought
they might have a remote chance of 1andi
an OBB
or MBE shame1ess1y sought his company,.
~d him
wi th drinks and mea1s and vi th remarkll,b1tt lack of
subt1ety
wou1d
tell
him
of
their
years
of
unstinting
service
in
kinjanja,
what
they
had
achieved for Britain ••• the hours of his young 1ife
he
had
sacrificed
1istening
to
sententious
politica1
analyses
and
dreary
racist
diatribes."
(p.
46)
Xl se révèle peu tendre avec lui-même ce qui constitue une autre
source
d'ironie.
Xl
se
voi t
en t1Korgan
SNAPU
Leafy"
(p.
16),
personnage qui
commet
des
gaffes
en vue
de
se
singulariser
au

196
.
regard
des
autres
qu'il
trouve ordinaires
"They vere
a11
90
bloody orcUnary."
Cp. 66)
Il croyait exploiter Razel, une ex-institutrice et prostituée
occasiounelle qui
lui
permet
de
satisfaire
d88
beBoins
sexuels
faciles. Or, rien n'aurait changé aussi dramatiquement dans la vie
de Morgan si Razel ne lui avait transmis cette maladie vénérienne
qui allait compromettre ses relations avec Priseilla, autre pôle du
triangle cla83ique et représentant, à ses yeux, tout le contraire
d'une vulgaire relation.
Priscilla est non seulement la fille de
panshawe, son patron, mais aussi et surtout, le portrait-robot de
la femme de se~ rêves1 • Il en tire d'ailleurs une attitude mystique
envers cette
terre africaine,
lieu d'éleotion
divine où Morqan
devait rencontrer Priscilla :
"All this had been arranqed by someone just so he
could
meet
Priscilla.
Pate,
oestiny,
Big
G-he
offer.ld
up
a
prayer of
thanks
just
in
case-who
knows?
For the only time
in his
life he was the
riqht man in the right place at the riqht timen (p.
110)
Les événements finissent, oomme dans ~ Good Kan in ~frica, par
déboucher sur l'ironie du malheur, du temps et de la vie:
nunrelated
events
in
the
past
fell
into
heir
alloted places in the dreadful pattern, ambiquous
remarks
and
atti tudes
suddenly
menacingly
explicable." (p. 58)
Ils en arrivent à donner à Morqan l'impression de subir un destin
"She is
more than
l
could
have
hoped
for,
beyond my
wildest dreams.", ~ oood Man in Alric., ep , oit._, p. 98.

197
moqueur, capricieux et hostile, et le sentiment que
'·Thare la an eppearance of design : ws teel such a
blatant incongruity could Dot happen by chance, and
yet it has."l
UDe illustration peut en être trouvé che. Korqan Le.fy dont
l'amélioration morale progressive est due à certaines pratiques qui
font lIourire :
"The
selt-defence mechaniems of the
human psyche
would
swing
luta
action,
shrouding
the
trutb,
reallocatinq
the shame,
imposinq Dew quilts,
and
traD9ferrlnq
the
disqrace
to
him,
where,
he
confessed, i t properly belonged. 1I
(p.172)
La
facilité
avec
laquelle
i l
occultait
la
vérité,
déflectalt
l'opprobre et la culpabilité sur les autres s'alliait à UDe piètre
fuite en avant. <"the shabby moral evasians", p. 173).
La rencon~re accidentelle de Morgan avec Dr Murray B'avèrera
déoisive non seulemen~ dans les rapports entre ces deux hommes,
.als aussi pour l'ac~ion du roman:
"Murray' a
untimely
collision
had
jol ted
his
conscience out ot that closet
in his mind,
where
only seconds betore i t had been securely enclosed
and
Morqan
stronqly
doubted
i t
he
could
ever
torqive him tor that. 1I (p. 168)
L'impact
de
l'ironie
cosmique
:
"But
nothinq
disturbed
the
impartial
qa.8
of
the
stars
and
the
convivial
silence
('\\4'
the
soene." (p. 262) se mesure aussi à la métaphore de la toud1
à. la
D.C. Muecke, op. oit., p. 19.

198
foia fulqurante et injuste que noua emprunterons à D. J. Enright':
Uln
fact
va
thinlt of
irony too
literally
in
t.erme
of
lightning : elther it striltes preterably somebOdy e18e)
or ft dO.SD't, but in either vay ft la ephameral to be
dismis8ed trom consciousness once the danger or tun la
past ••• u,
(p. 7)
c'est par la jonotion de l'ironie oosmique et de l'ironie des
'v'nements qui justifie le mieux l'omniprésence du oiel dans A 0004
Man in Arrioa. Lorsque Morgan oommence à subir le. oontre-ooups de
aes
d'viations et de ses excès,
il
s'exaspère et manifeste
son
m'oontentement en roulant le9 yeux au cl el qu'il menace du poing:
"reetrainedo
trom
shaking
his
fiat
st
the
dark
slty. Il
(p.
62)
Pourtant, ce geste de Morgan,
tout. comme les yeux qu'il roule au
ciel
n'échappant
nullement
à
Bhango dont
la
réaction ne
tarde
guère.
C'est
dono
des
juxtapositions
ironiques que
s'étirent les
toutea dernières ligaes 4e A Good Man in Africa:
"Innocence
lay
in
the
muddy
oompound
of
tbe
servants'quarters, and Murray layon a marble slab
in
the
Ademola
morgue.
Tbe
thunder
passed
on
towards
the
coast,
and
somewhere,
shango,
that
mysterious
and
Incomprehensible god,
flashed
and
oapered happily above the silent dripping jungle. 1I
{p. 3Ul
Do abord,
la mort arbitraire d'Innocence, couplée à o~]le
de
l'exe~plaire Murray, ensuite le contraste des lieux, et enfin les
manifestation6 triomphalistes d'un dieu looal.
Il est par conséquent significatif que William Boyd ait fait
de cette foudre,
d'Innooence qui en meurt, de son cadavre et de
D.J. Bnright, The Alluring problem, (London: OUP, 1986).

199
l'enterrement de celui-ci, un des pôles dramatiques de A 0004 Man
in Atrioa.
L'autre
forme
d'ironie
est
l'apposition
de
l'il18q8
qu'un
personnage
aime
(se)
donner
de
lui-même
et
de
celle,
moins
flatteuse, consciente ou déncncée par le narrateur.
Au début de The Heart of the Matter, Wilson nous est présenté,
assls au balcon de
l'Hotel
Bedford.
Le double emploi du passif
laisse supposer que Wilson subit la vie en terre atricaine "vith
his bald pink. kn.es thrust against the ironwork. lI ,
"ba4 hie face
turned ta the eee , Il (p. 11)
Bn outre, le narrateur insiste particulièrement sur le soi-disant
manque
d'intérêt
de
ce
personnage
pour
les
femmes
noires
qui
passent.
pourtant,
ce regard témoigne d'une conscience vive des
couleurs qui caractérisent l'accoutrement des temmes atrioaines.
nBelov him the black clerks moved churchwJII,..d, but
their vives in brilliant atternoon dress
ot blue
and cerise aroused no interest in wilson. '" (p. 11)
D'ailleurs, Wilson n'en voit ou n'en dit pas autant de leurs époux.
Il semble marquer aussi très peu d'intérêt pour les écolières
noires debout aux ténêtres d'en tace : "his lack ot interest in the
schoolgirls opposite. Il
(p. 11)
et comme si le narrateur pensait lui aussi que "L'homme prétère
l'espace au temps."',
i l tait assumer à
la mer
: "tace turned to
the
eeao ,
"on
ei ther
side
ot the schocl
the
tin
roots
slopr-d
towards the eeeo ,
ubeach"
(p.
11) une tonction temporelle;
elle
Gérard Genette, Figures 1 (Paris: Seuil, 1976), p. 107.

200
date
l'arrivée
de
Wilson
et
laisse
croire
Il
une
trop
lente
acclimatation.
En e~~et,
cOlIID.e l'indique l'expression "80 did",
cette même
max
à
laquelle
renvoie
"pallorn
est
mise
en
parallèle
avec
l'indifférence du personnage envers lee jeunes filles :
"Sitting tbere, faoinq Bond street, he bac! his he.cI
tUrned ta the sea.
Bis pailor ehoved boy recently
he bac! emargoed trom ft lnta the port : 80 die! bis
leolt of interest
in the soboolqirls opposite.
He
waB lilte the laqqing finqer of a barometer, still
painting to Fair long after fte oampanioD bas movec!
to stormy [ ••• J.
(p.
11)
Or, c'est aussi de cette mer qu'8et tirée la métaphore du baromètre
dont les aiquilles révèlent la nature tausse de Wilson qui vivrait
encore (nstill") sur un beau temps passé (tllonq after")
alors que
son double serait en pleine tourmente africaine.
La
dénonciation
d'une
telle
duplicité
qui
exige
donc
du
lecteur qu'il traduise désormais à contrario la plupart des propos
ou pensée. de .il.on, continue dans l'aneodote suivante:
flHe couldn't tell tbis vas one of thoae oocasions a
man never forqets : a small oicatrice bad been made
on
the
memory,
a
wound
that
would
ache whenever
certain thinqs combined -
tbe taste of gin at mid-
day,
the
smell
of
flowers
under
a
balcony,
the
clanq of the corrugated iron, an uqly bird floppinq
from perch to perch. n'
Cette mémoire diqne de Proust rétablit le véritable point de vue de
wilson ainai que la distance qui le sépare du narrateur omniscient.
Comme nous
venons
de
le voir J
l'ironie
satirique qui
nous
Graham Greene, op. cit., p. 13.

201
intéresse
ici
IIsomethinq
observable
and
hence
representable
in
art n1, reste étroitement liée à l'espace africain. L'ezpérience que
les
personnaqes
principaux
~1.es
oeuvres
retenues
en
ont,
c'est
l'histoire
d'une-
quête
africaine
qui
ee
conolut
eur
une
amélioration morale. Elle culmine en une prise de oonscience d'une
di.tinntion nette entre le paraître et l'être, entre l'apparence et
la réftlité. Tout cela résume un trajet initiatique dont les deux
extrimes eont représentés par le chaoe et le oosmos.
D.C.
KUECKE,
Irony
and
the
Ironie
(London,
Methuen,
198~), p.
19.

202
OOJICLUBIOB
Notre enquête s'eat tout d'abore attachée à
déterminer les
rel. tiens de Gresne et de Boyd •
l'Afrique,
telles qu'elles se
manifestent
à
travers The ft_art
of
the Matter,
A Go04 Man in
Afrioa, An Ice Cream .ar et Brazzaville Beach.
Bile
a
confirmé
l'impact
de
la
oonception
8inqulièrement
précoce que Greene a eue 4& l'espace qu'il a
toujours associé à
l'Afrique.
En
effet,
l'écrivain
s'est
évertué
à
enrichir cette
vision
d'expériences
exceptionnelles
tirées
de
voyages
et
de
séjours professlonnels effectués au Liberia, en Sierra Leone et au
~eny.. La plupart des descriptions de cadres physiques de The H.art
of the Matter seraient nées de motivations littéraires, affectives
et morales qui le poussaient à S'éprouver et à mieux connaître les
Afrioains et leur vie.
Dans l'éoriture de William Boyd, l'auteur recourt à des images
obsédantes puisees dans son enfance au Ghana, au Nigeria et dans la
traumatisante guerre du Biafra dont i l
a,
maigre
son très jeune
âge, eté un témoin privilegie. Il a pu se faire sa propre idée du
Uwhite mischiefll (rappellant en cela Black Hischief de Waugh) pour
être aussi impitoyable dans ses portraits du IItypical expat", homme
et ou femme.
Notre étude s'est fondée
sur une restitution thématique et
formelle de l'Afrique des univers romanesques de The fteart of th.
Matter,
de
A
Good
Man
in
Africa,
de
An
Ice-Cream
War
et
de
Brazzayille Plage.
~, identification de tels lieux justifie leur

203
ezteDsion
aux
cadres
romanesques
de
pionniers
tels
qu'Olive
8ohr.iuer,
Brett-Younq,
Josepb
Conrad
et Joyae
cary.
Il
eD.
a
résulterait ass.z d'étendue, de relier et de diversité pour qu'on
admette notre objet d'analyse comme suffisamment représentatif.
L'approche oom.parative DOUS a fourni une autre illustration de
la capacité qu'ont Graham. Greene
et William
Boyd de
créer une
atmosphère qui imprègne
lieux et personnages.
La peroeption que
ceux-ci en ont, témoiqne de ressemblances déroutantes, ainsi que
d'une sensibilité extrême à la nature problématique du continent
"Doir" 1
source
de
souffra;rtcas
et
de
réactions

des
stimuli
tropicaux souvent nétastes.
La ville africaine est dès lors appréhendée par le. héros et
autres personnages principaux comme un monde frustrant, source de
confusion,
de manque de retenue et d'inévitables déviations aux
conséquences dramati~es et parfois tragiques. Il s'y instaure par
conséquent une atmosphère au-dessus de laquelle planerait l'ombre
d'un
être
puissant
et
malveillant,
d'où
le
pessismisme
qui
traverse, de part en part, les romans retenus.
L'univers domestique rend davantage compte des difficultés de
l'expatrié. La nudité, et le caractère peu fonctionnel des maisons
reoouvertes
de
tôles
ondulées
concourent

donner
de
ces
habitations une image fort négative.
BlIes demeurent une souroe
d'effroi, de motivations irrationnelles et de vie chaotique.
Le sous-monde est le cadre de predilection des narrateurs
quand il S'agit de laisser les personnages donner libre cours aux
instincts et tendances qui érodent l'intéqrité affective, morale et

20.
la cohésion sociale de l'entité expatriée.
L'univers
sub-urbaln
9fl1rt.
souvent .. réta):)lir
la vérité,
..
reotifier la perception que les personnages ont du milieu ou les
termes
dans
J....squels
ils
entendent
restî tuer
leurs
expériences
africaines.
Parfois,
il
a
pour
autre
fonction
d'assurer
des
intermèdes préparant aux
tournants décisifs
de certains destins
individuels.
Notre travail nous a également permis d'établir l'influence
dominante du fardeau de l'enfance et du déséqul11pre pernicieux
entre la jeunesse et les rôles joués par l'expatrié. QU'ils soient
normalement dévolus,
imposés à l-expatrié ou créés p8r celui-ci,
Ils expliquent en partie l'incapacité des héros de Greene et de
Boyd
d'avoir
la
moindre
maîtrise
sur
la vie
et
les
choses
en
ll.frique.
Un
autre
aspect
de
la
situation
africaine
des
héros
est
l'aliénation. Boobie s'est laissé empêtrer dans les méandres de la
pitie,
de la fausse
responsabilité et de la révolte
religieuse.
Morgan
Leafy
s'est
aliéné
dans
les
bras
de
Hazel
et
de
Celia
Adekunlé, tout comme dans les filets tendUS par le mari de cette
dernière.
Nous pourrions en dire autant de Temple, viotime de la
mystique
fonoière
et
agraire.
Sans
la
spécifi té
de
cet
environnement
africain,
l'impact
de
l'aliénation
serait
bien
moindre. Malheureusement,
de tels dérapages oUlminent parfois au
drame ou à la tragédie.
Le
traitement
des
crises
vécues
par
les
personnages
est
essentiellement. axé sur
l'espace africain auquel
80yd et Greene

205
sont parvenus à conférer une matérialité et un dynamisme débouchant
sur une certaine forme de
tellurisme
accompaqnant
18S
trouble.
paychologiqu8. et moraux des béros.
Boye! et. Greene ont toujours voué une très grande ami t i ' au
oontinent. "noir" • .Ils D'ont, par oontre, jamais aimé la oonduite de
certains blanca ni
leurs conceptions de l'Afrique.
Pour décrire
collllsnt
la
transplantation
des
persODDaqe.
en
terre
étraDqère
atteote davantage leur oomportement et leur expression, o•• auteurs
les
dépeignent
d'une manière ironique.
Leur histoire
est
oelle
d'une quête, d'une ascension suivie d'une chute dramatique.
ce travail, nous espérons l'avoir démontré, a permis de mettre
en évidence 4e nombreuses rS8semblances entra Greene et Boyd. Elles
se retrouvent au plan théma~ique comme au niveau de l'écriture.
Les techn~ques narratives mises en oeuvre dans les romans sont
directement tirées de l'espace africain. Il s'aqit essentiellement
du bruit, de la lumière et de certaines couleurs locales dans leur
forme linguistique, idiomatique et reliqieuse, qui rendent toutes
compte de la confusi~n et du désarroi des personnaqes.
Les crises ainsi vécues sont toutes accompaqnées ds tentatives de
réajustement
qrAce auxquelles
les personnaqes
"corrigentll
leurs
tentatives de réinsertion4 Les stratéqies de survie peuvent revêtir
un
caraotère
physique
comme
chez
Leafy
et
Liesl.
Les
réflexes
mentaux et les récits constituent aussi des modalités de survie
identifiées che8 Scobie et Hope Clearwater.
L'approohe narrative
utilisée pour chacun d'eux témoiqne d'une volonté individuelle de
remonter le cours des choses, de comprendre son
destin, suivant en

20.
oela
l'épigraphe
que
Boye!

choisie
pour
Brazzaville
Beach
et
empruntée" Soorate : IIThe unexamined. lire 18 Dot worth living." La
survie peut aUBsi être symbolique comme ohe. Scobie dont la mémoire
eurvivrait à la thèse peu oonnue du suicide qu'il s'est, en vain,
évertué à ..aquiller.
L'autre stratégie que notre enquête s'est erroroé. de mettre
en avant,
réside dans les métaphores et eymboles constellant les
romans qui nous intéressent. Les métaphore. du grouillement et de
la foudre nous éclafrent sur l'anxiété ou la peur des personnages
ch..
qui
se
multiplient
les
image.
de
turbulence,
de
désintégration,
de déliquescence,
de liquéfaction et de déluge.
L'omniprésence du ciel dans ces oeuvres la1sse paDser à la justice
divine, à l'asoension e~ à la quê~e de l'inaccessible. La lassitude
devant
ces
terreurs
suscite,
chez
les
héros,
des
erforts
d'abstraction et de géométrisation donnant des fiqures qui, comme
la
plaqe,
réponds nt
à
des
besoins
vitaux
d'échappatoire.
Les
métaphores perme~~ent aux narrateurs de struc~urer che. leurs héroe
le~ apparenee~ pour approfondir leur vision de l'univers africain
et rationaliser lsurs expériences.
L-autre dimension que notre travail se proposait de mettre en
évidence, c'est la présence massive de l'espace qui orqanise les
romADs au poin~ de suppléer, plus que de coutume, au temps qui est
le eupport naturel
du réoi~. La prellière raison en est que les
narrateurs
on~
restitué
l'espace
à
son
étymologie,
donc
à
sa
fonction initiale ds point vue à partir duquel s'appréhendent les
choses véoues en Afrique.

207
L'anqle BOUS lequel les narrateurs jugent les protagonistes
4e
l'aventure
atricaine
est
iDséparable
4e
la
souffranoe
qui
justifie le reoours à
l'altérité établie dans Dotre analyse 4e.
voiE. Le. techniques de point de vue reposent sur l'espace, mettant
en reliet l'ironie dont noUs disions, au début, qu'elle sortait en
droite
ligne du parti que Boye! et Gr.ene avaient prie d'élever
leurs
héros
avant
de
le.
laisser
choir.
Une
telle
exigence
satirique
DOUS
.emble
avoir
été
satfstaite
au
regard.
de
l'amélioration du comportement de l'expatrié envers l'Afrique.
Le continent nDoir" avait, par .a carte,
trappé l'esprit ëu
jeune Conrad qui jura sur elle d'en taire l'exploration. Elle avait
éqal....nt,
par
s&
forme
éie
coeur,
atteint
celui
du
tout
petit
Greene qui répondit à l'appel de la c6te atlantique de l'Afrique
oocidentale. Cela nous a valu son regard amical et fraternel qui
n'a pas failli jusqu'à sa mort reoente le traie avril 1991. Nous
avons retrouvé cette carte oocupant uns place de cboix,
dans AD.
Ioe-Cream War. Un tel intérêt pour l'espace africain, nous en avons
retraoé les marques cheE William Boyd, un Afro-soott.
Parlant de
leurs compatriotes, ces auteurs ont décrit l'Afrique à travers des
bistoires de difficultés réelles et tout à
fait ordinaires mais
maîtrisées grace aux relations privilégiées que 1e roman et ses
personnages entretiennent aveo
l'espace.
Au
regard
des
nouveaWE:
événements qui se produisent depuis quelque temps dans oe que nous
pourrions appeler le ventre de l'Afrique, il serait permis de dire
que Greene et Boyd ont fait oeuvre de visionnaires.

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Abyme,
50,
64.
Altérité,
149.
Atmosphère,
45,
78,
203.
Babel,
165,
173.
Bestiaire, 66.
Brett-Young, F.B., 06, 33, 203.
Bruit,
6,
9,
49,
157,
163,
164,
174.
cary, 6, 23, 31, 107, 203.
Chaleur, 55, 95.
Choay,
F.,
42.
Ciel,
181,
188,
206.
Club,
66,
107.
Conrad,
6,
8,
9,
31,
36,
105,
lOG.
203.
Conscience,
164, 165, 199.
centrale,
137.
Couleur locale,
157,
165, 166, 174, 192, 205.
Couta,
M.,
10,
36.
Crises,
110,
115,
116,
117,
121,
123,
204,
205.
Decraene, P.,
23.
Destin,
64,
74,
84,
90,
108,
116,
117,
120,
137,
178,
184,
196,
204,
205.
Dialogue, 149, 150,
151.
Oiégèse,
160.
Discours,
146,
16'7,
171,
17~.
Domestique,
6,
13,
46,
48,
50,
51,
54,
55,
57,
GO,
203.
Durand, G.,
4f.,
49,
54,
55,
56.
Bau,
70,
71,
103,
115.
Effroi, 56,
59, 60.
Espace africain,
6,
9,
I l ,
34,
36,
37,
39,
40,
42,
44,
48,
109,
110,
115,
116,
123,
155,
159,
201,
204,
205,
207.
Exotisme,
7.
Expatrié,
6,
7,
9,
62,
66,
83,
85,
89,
93, 95,
101,
103,
120,
203,
204.
Fabre, M.,
85.
Folie,
8,
72,
182.
Fonction,
152.
Forêt,
106,
206.
Foudre,
119,
169,
186,
197,
198.
Frye,
N.,
181.
Genette,
G.,
78,
177,
199.
Géométrisation,
188,
206.
Greene,
Barbara,
15,
17,
18.

218
Grouillement,
42,
158,
161,
179,
188,
206.
Hawthorne, N., 77.
Héraut,
136.
Rotel,
63, 65,
199.
Humour, 192.
Idiosyncrasie, 171.
Image,
161,
167,
175,
179,
180,
188,
192,
199,
202,
203,
206.
In media res,
134.
Ironie,
59,
86,
91,
93,13>:1,
157,
179,
189,
190,
191,
192,
193,
194,
196,
19B,
199,
200.
cosmique, 194, 195, 197.
Iettle,
A.,
1 /.8.
Langue, 172, 174.
Leclaire, J., 33,
34.
Le Clézio,
Il.
Linéarité,
177,
188.
Ludique,
65,
70.
Lumière,
122,
157,
158,
161,
162,
174,
194,
205.
lunaire, 162.
solaire,
162.
liaison,
38,
41,
46,
47,
49,
50,
52,
54,
58,
60,
92,
113.
Manque de retenue,
105, 108, 110,
203.
McEwan, N.,
21.
Métaphore,
47,
52,
110,
175,
177,
183,
184,
185,
lB8,
197,
200,
206.
Métonymie,
54,
59,
92.
Monologue intérieur, 151.
Mounier, E.,
105 .
• arrateur,
48,
132,
146,
149,
163,
165,
196,
167,
173,
195,
199,
203.
omniscient,
129,
200.
Narratif,
127,
133, 138,
153,
174, 192,
205.
Narratrice,
59,
64,
65,
72,
74,
98,
141,
153,
153,
154.
Nature,
184.
Nicol,
32.
Personnage central,
176.
Plage,
71,
72,
73, 74,
121,
187,
206.
Point de vue,
146,
152
155,
183,
200,
206.
1
Port,
67,
102,
111.
Procédé,
159.

219
Récit,
74,
125,
128,
133,
134,
141,
145,
154,
155,
163,
177,
205,
20G.
Ressort dramatique, 163.
Rhétorique,
129, 184.
Romanesque, 84, 184.
Ruthven, K.K., 24.
Satire, 189.
Sauvage,
75,
76,
77,
78,
79,
so ,
114,
184.
Schème, 159.
Schreiner, O., 32, 150.
Shango, 89,
119, 120, 135, 169, 170.
Sherry,
N.,
21,
46,
112,
113,
115.
Sierra Leone, 15.
Soleil, 161.
Soyinka, W"
170.
stimuli,
165,
175,
20).
stratégie de survie,
131, 144,
205, 206.
Symbole,
67,
113,
144,
175.
Symbolique,
73, 96.
Techniques ~'écriture, 125,
131,
133,
155, 205.
Tellurisme, 123, 205.
Temps,
69,
71,
72,
116,
116,
121, 127,
136,
143,
144, 145,
154,
163,
188,
199,
200,
20G.
Terre,
88,
92,
113,
119.
Todorov, T., 67, 68.
univers,
97,
106,
107,
I l l ,
116,
118,
177,
182,
185,
204,
206,
colonial,
110.
reversible,
73.
scolaire,
110.
Ville,
31,
36, 37, 39, 41, 42, 43, 44, 45,
, 68, 70, 71, 87, 92,
107.
vitesse narrative,
177.
voix,
149,
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Waugh,
E.,
15,
22,
23.
Wo1cott, J.,
23.

220
TABLB DES KATIERES
RIlSOMl!
i
ADSTRACT
i i
RIlMBRCIEMIlNTS
4
INTRODUCTION
5
Chapitre 1 : contaat avec l'Afrique
12
1
L'eypérience africaine de Graham Greene
13
2
L'~,fdque dans l'enfance de William Boyd
22
3
Dc l'Atlantique à
l'Océan Indien
26
Çbapit~. I I :
L'Afrique dans les romans : Les formes
de l'espace
35
A. L'espace domestique
36
1
La ville
37
2
L'univers domestique
46
3
H6tels, clubs et autres milieux d'expatriés
61
B.
Le sous-monde:
l'espace sauvage
75
chapitre III : LeApetit mODde~4.s expatriés en Afrique
82
A. Les représentants du pouvoir britannique
83
1
Sous l'époque coloniale
83
al Richard Pemberton
84
h) Reggie Wheech-Browning
85
2
Après les indépendances
87
a) Arthur Fanshawe
87
h) Morgan Leafy
89
B. L'Américain Tranquille: Temple Smith
91
C. La femme expatriée
93
1
Liesl von Bishop
94
2
Hope C1earwater
96
3
Louise scobie
98
chapitre IV:
L'Afrique des récits et des crises :
Effets du milieu sur les personnages
104
1
Le manque de retenue
105
2
Les crises individuelles liées à l'espace
110
Chapitre y :
Procédés narratifs dans la peinture
de l'Afrique
124
1
L'éclairage des récits
125
2
Les points de vue
14("
3
sons, lumières et couleurs locales
157
4
Métaphores et symboles
175
Chapitre VI : L'ironie et la satire chez Boyd et Greene 189
CONCLUSION GENERALB
202
BIBLIOGRAPHIE
208
INDEX
217
T~1JLE DES JU.T:ERES
220