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1
1
1
UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
(8....'.1)
FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES
.
ET ECONOMIQUES
)
LES SYSTEMES FONCIERS DE LA VALLEE
DU SENEGAL: EXEMPLE DE LA ZONE
SONINKE DE BAKEL: CANTON DU GOY-GAJAAGA
(Communaute rurale de Mouderl)
THE8E POUR LE DOCTORAT D'ETAT
EN HISTOIRE DU DROIT
Preeen•• et loutenue publiquement le 20 Juillet 19t1 par
C~INl et"""
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SAMBA TRAO c; ~ ri
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Jury:
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Preeldent; MICHEL ALLIOT, Profeaseur a l'unl.r.I,_ de~..JI8L.L_b----c~=\\\\
Aechur d. •
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Suffragants:
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BERNARD DURAND, Prote•••ur a l'UnlYlf :ir~~é"~"t"lfIer'r " -.' .' \\
,
. ~ré sous 'it'ID-J-~.."....--
ETIENNE LE ROY, Profe••eur a L'Unl.ral '.E8j.. IS
.~
Directeur du lAJP, Paris 1.
ABDOULAYE BATHILY, Professeur ..
UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR.
BERNARD MOLEUR, Maitre d. Conferenc••,
UNIVERSITE CHEIKH ANlA DIOP DE DAKAR,

Je dédie ce travail à la mémoire de mes pères SEYDOU et
SADIO. Que la terre de Tiyaabu au Gajaaga leur soit
légère.
- A la mémoire de Dominique SARR,
dont la place est encore
là.
A la mémoire de mon ami et frère,
mon compagnon de toujours
Abdoul Aziz BATHILY qui m'a poussé à persévérer et à étudier
au moment où j'étais da~s le désespoir total.
Il a payé mes
premiers droits d'inscription à la Faculté de Droit.
Je dédie ce travail à
- ma Mère,
à Bambi et à Gassama.
- mes frères Diabé,
Souleymane, Mamadou,
Killé et Baba, pour
leur soutien. A Bara CISSOKHO
et à Abdoulaye Fenda BACILI.
-A ma femme qui a toujours
été présente à mes côtés, me poussant
à travailler aux moments où je n'avais plus le courage.
Elle a
pleinenement rempli son rôle de compagne en pdrtageant avec moi
toutes mes joies et peines.
Elle a toujours été là aux moments
les plus difficiles,
supportant mes col~res et mes emportements,
parfois sans motif apparent.
- A Bara Jingo,
à Nani,
Sylvie,
à Hamidou et à Amy SARR.
- A toute ma famille et à la famille NDiaye Thiékou.
- A tous les fils de Tiyaabu et à tous les paysans du Goy.
- A tous les soninke du Gajaaga,
du Xanaaga,
Gidimaxa,
Jaafunu
et de partout.
- Aux Universités de Dakar et de Saint-Louis.
- A Annette SARFATI.
- A tous les paysans de la Vallée et du sénégal.

REMERCIEMENTS.
Je remercie tous ceux et toutes celles qui,
de près ou de
loin, ont contribué à la réalisation de ce travail, particulière-
ment
Monsieur le Recteur Ahmadou Lamine NDIAYE de l'u.S.L.
Monsieur Babacar KANTE Directeur de l'UER de Sciences
Juridiques de l'U.S.L.
Monsieur le Doyen Moustapha SOURANG de la Faculté de
droit de Dakar, pour leur aide matérielle et morale, pour
m'avoir poussé à terminer.
Mes collègues Papa Abdoulaye LAM (UER de Sciences Econo-
miques), Mamadou DIA, Gane samb La et Khalifa BODIAN
(UER de Math.
Info) pour l'aide technique:
ils m'ont
appris à dialoguer avec la "machine".
Tous mes collègues de Saint-Louis et de Dakar.
Mon ami et frère Moussa KONE,
sans le soutien duquel je
n'en serai peut-être pas là.
Mon frère Adama SY et à
Néné Gallé pour leur soutien de tous les jours.
Moussa NIANG et Fatou Kiné pour leur soutien.
Diabé BATHILY et Maître TRAORE à Saint-Louis pour leurs
encouragements.
Les fils de Tiyaabu en FRANCE, particulièrement ceux du
Foyer de Saint-Denis Porte de Paris dont le soutien ne
m'a jamais fait défaut depuis 1980,
ainsi qu'à ceux de
Cluses, Rouen,
Lille, Beauvais et Lyon.
Les secrétaires de l'UER de Sciences Juridiques de l'USL
Mme d'ERNEVILLE, Mme NIANE,
Mlle DRAME,
Mme DIAGNE, mais
surtout et particulièrement Mlle Ndeye Maramane DIOP,
sans
laquelle cette thèse n'aurait pas vu jour à la date pré-
vue.
Elle s'est spontanément présentée et avec beaucoup
de désintéressement,
a pris en charge toute la frappe du
texte,
qu'elle soit certaine de ma reconnaissance.
Mlle Odile Ndoumbé FAYE,
Documentaliste pour ses conseils
documentaires et Mme KABA.
Babacar NIANG,
Etudiant en
anglais à l'U.S.L.
Mes amis Ali,
Djigo,
Fof. Mame Mor,
Bara DIAKHATE,
Khady,
Diouldé et tous mes amis de FANN.
Enfin Thiondy MANGASSOUBA : na soonikaaxu senbendi. Hari
n'o toxo doome.
Maama,
gacce m'an wari.

INTRODUCTION GENERALE.
Lorsqu'en 1978 nous avons commencé à nous intéresser aux
institutions sociales des soninke (du Gajaaga en particulier)
nous étions seulement mû par des raisons sentimentales. Notre
Gajaaga natal était,
nous le pensions,
le parent pauvre d~ la
recherche par rapport à nos voisins du Fuuta. Nos recherches
entre 1978 et 1980 sur le terrain du Goy,
pour l'Agence de Coo-
pération Culturelle et Tec~i~que (ACCT)
et les archives c~ltu-
relIes du Sénégal dans le cadre du projet soninke et notre
passage à Radio Sénégal corr~e animateur d'émissions culturelles
soninke, nous ont permis de faire un choix définitif peur le
Gajaaga comme terrain de recherche. Notre formation de juriste
nous a ainsi permis d'opérer des choix dans les thèmes à étudier.
c'est ainsi qu'après nous être intéressé plus ou moins longtemps
au mariage soninke du Goy (1),
ensuite à la parenté et à la
société
(2),
nous avons voulu élargir le cadre de nos recherches
en sortant de la théorie de la parenté,
pour nous intéresser à
quelque chose de plus vivant (c'est du moins notre sentiment)
à
savoir la terre.
Il paraissait plus urgent de faire une étude du
1 - TRAORE
(Samba)
1980 : Le mariage dans la coutume soninke
islamisée : exemple du Gajaaga au
Sénégal à travers la jurisprudence du
Tribunal de subdivision des deux Goves
à Bakel.- Université de Da~r:
~
Faculté de Droit.-
(Mémoire de Maîtrise
en Droit Privé).
1981
Le mariage dans la cout~me soninke
islamisée : essai de comparai~on entre
le droit ~usulman et la prati~ue
soninke. Université de Paris Il Mémoire
de DEA d'Histoire des Institutions.
2- TRAORE
(S.)
1985
corpus soninke. Université de ParisI.
LAJP
(

système foncier de cette partie de la Vallée du Fleuve confrontée
en ce moment avec un certain nombre de discours et de promesses
parfois contradictoires et sur laquelle les enjeux deviennent
plus grands à cause de la politique des barrages au plan sous-
régional.
rI faut donc une prise de conscience du monde paysan
par la vulgarisation des discours et des techniques,
sans laquelle
le Goy ne pourrait être une réalité positive pour les partenaires
à ces projets.
La question que l'on peut se poser est de savoir ~uelle
place occupe l'historien du droit sénégalais dans la recherche
foncière surtout si elle est tournée vers le développement.
rI
est vrai que l'engouement pour cette discipline n'est pas encore
assez prononcé. A part la thèse de Bernard MOLEUR (3)
qui s'est
intéressé plus spécifiquement au droit de la propriété à l'époque
coloniale,
il n'y a aucune autre recherche sur le sujet, d'un
universitaire de Dakar. Mais il faut tcutefois reconnaître que
l'histoire du droit est une discipline relativement jeune au
sénégal, puisque son enseignement ne s'est systématisé qu'à
partir de 1972 à Dakar et que peu d'enseignants et chercheurs
s'y sont intéressés jusque là.
Mais l'étude des systèmes fonciers présente une grande
importance pour l'historien du droit plus que pour le juriste
"positiviste" puisque l'historien allie trois types d'approches
le droit traditionnel et le droit colonial,
le discours étatique
3- HOLEUR (Bernard)
1978
: Le droit de propriété sur le sol séné-
galais. Analyse historique du 17és.
à l'indépendance. Thèse
multigraphiée.
Dijon.
2 vol.

- 3 -
actuel,
enfin la réalité quotidienne de la pratique foncière,
ce
qui permet d'avoir une vision plus large des questions puisqu'il
se place plus facilement dans le passé,
dans la perspectivE et
dans la prospective.
Le thème est intéress2nt pour l'historien
du droit et du juriste tout court puisque jusque là aucune étude
n'a été faite sur les terres du Goy aussi bien par les sénégalais
que par les
juristes étrangers.
La structure foncière a toutefois
intéressé l'économiste Jean Yves WEIGEL
(4)
qui y a consacré des
développements sommaires,
ainsi que J:..bdoulaye BATHILY et
Monique CHASTANET,
historiens
(5)
ce ~ui se justifie par leurs
disciplines.
Mais ces études sont néanmoins de bonnes références
pour le juriste.
Le terrain est pratiquement vierge pour permet-
tre aux juristes et aux anthropologues de se consacrer à une étude
approfondie du système foncier.
Notre formation d'historien du droit dont nous sommes encore
prisonnier des méthodes classiques,
doit nous pousser à beaucoup
de précautions au niveau des schémas de pensées.
I~ous avons tenté
de démontrer que le langage classique dans l'analyse des faits
sociaux auxquels nous sommes habitué jusque là ne s&urait tou-
jours convenir à l'explication du phénomène juridique soninke.
Il faut intégrer les réalités de la société étudiée, penser les
4- WEIGEL
(J.Y)
1982
: Migration et production domestique des
soninke du sénégal.
Paris ORSTOJ1.
5- BATHILY
(A.)
1985
: Guerriers,
Tributaires et Marchands ...
Thèse d'Etat es Lettres.
CHASTANET (M.)
1983
: Les crises de subsistance dans les
villages soninke du cercle de Bake1 de 1858 à 1945. Cahiers
d'Etudes Africains nO 89-90.
XXIII.
1 -
2.
6- TRAORE
(S.)
:. Droi t
coutumier et coutume
: langage du juriste
des droits traditionnels africains.
A paraître aux Annales
Africaines,
Université C.A.D.
de Dakar.

- 4 -
faits et pratiques juridiques en reproduisant le schéma de pen-
sées et puis avoir constamment à l'esprit que la société étudiée
est UNIQUE
(6).
L'analyse du phénomène juridique ne permet pas
toujours de se reférer à un autre modèle par lequel on essayerait
d'expliquer le modèle étudié.
Il faut aussi se méfier du discours
011
des pratiques selon lesquels,
on ne saurait comprendre les
droits traditionnels africains qU'en partant de vestiges écrits,
ce qui constitue encore la démarche de bon nombre d'historiens du
droit.
Le recours systématique aux archives pour appréhender les
coutumes africaines est insuffisant à notre sens pour étudier cer-
taines époques plus éloignées,
car on ne peut parler de respect
des coutumes
si l'on se place à une période plus récente)
par le
colonisateur que si on les connait au préalable.
Autrement dit,
il faut aller de l'approche sur le terrain
pour aboutir aux archives,
sur certains domaines du droit coutu-
mier tels que le foncier et le mariage.
Et pour cela le langage
doit subir des mutations vers une approche nouvelle,
celle de
l'anthropologie juridique. Mais il n'est pas aisé pour nous
d'appliquer cette nouvelle approche de l'histoire du droit que
nous ne maîtrisons pas encore.
L'historien du droit que nous sommes avons utilisé pour
nos recherches des sources variées,
mais qui sont propres à la
discipline et à la démarche.
La diversité des sources nous a per-
mis d'avoir une vue d'ensemble de différentes sensibilités avec
les avantages et les inconvénients que cela peut comporter.

- 5 -
Nos recherches qui s'effectuent depuis une dizaine d'années
sur les coutumes soninke, nous ont amené à adopter des démarches
différentes.
Pour l'aspect théoriquE et méthcdlogique,
nous
avons consulté un certain nombre d'ouvrages et d'articles de
base sur la question foncière en Afrique et au sénégal,
avant de
nous intéresser à l'enquête de terrain et aux documents d'archives
Les ouvrages sur ~ question foncière
: la question foncière
dans la Vallée du Sénégal fait l'objet d'une documentation assez
abondante.
c'est ainsi que sur Ull plan général,
on trouve chez
des auteurs de l'époque coloniale des renseignements assez inté-
ressants pour l'analyse du phénomène foncier.
Les coutumiers
et traités, celui de Pierre DARESTE notamment ne parlent pas
spécifiquement de la vallée mais de l'Aor et GEISMAR n'a traité
des coutumes sénégalaises que d'une manière générale
(7).
Malgré la foule de renseignements précieux que l'on peut en
tirer,
ils ne peuvent avoir la prétention de traiter d'une ques-
tion particulière qu'ils ont volontairement ou non ignor~e. Qui
plus est,
ces renseignements ne sont vraiment importants que pour
l'étude de la politique foncière coloniale.
D'autres auteurs,
historiens et sociologues,
administra-
teurs de colonies,
ou simples curieux des faits sociaux,
tels que
Maurice DELArOSSE,
Charles MONTEIL,
J.H de SAINT-PERE nous four-·
nissent des détails intéressants sur les soninke bien que leur
souci ne fut pas de traiter spécifiquement du système foncier
7- DARESTE
(Pierre)
1931
: Traité de droit colonial. T.II-Paris
GEISMAR (L.)
1933
: Recueil des coutumes des races civiles du
Sénégal.
ST.Louis,
Imprimerie du Gouver-
nement.

- 6 -
soninke.
L'intérêt réside dans le fait que ces auteurs ont
réfléchi sur la société soninke de façon générale à travers
ses légendes,
ses épopées,
ses mythes et ses structures politi-
ques et sociales.
Et l'observateur peut y déceler un certain
nombre d'éléments pour une analyse foncière.
Pour la période post-coloniale,
les documents sur la vallée
sont abondants:
de sociologues,
de juristes,
d'économistes,
d'anthropologues,
de géographes,
d'historiens et géologues.
L'intérêt de ces écrits est ccrtaill,
du point de vue méthodolo-
gique et purement coreparatif mais ils 011t. pr~sql]e
tOllS
trait à la
zone pulaar de la vallée c'est-à-dire le Fuuta.
Pour la zone
soninke,
à part les travaux d']1istoriens,
~conomistEs et sociolo-
gues comme p&r exemple A.
BATHILY,
M.
CI{ASTANr~,
J.Y WEIGEL et
R. APRIN,
aucune recherche juridique n'a été effectuée.
D'autre
part, des dévéloppements assez exhaustifs ont été consacrés aux
problèmes fonciers par E.
POLLET et G.
WINTER
(8)
concernallt une
région du Mali le Jahunu,
mais cet ouvrage est capital pour toute
recherche sur la société soninke en général.
La partie consacrée
aux probllèmes fonciers des soninké du Sénégal par WEIGEL, bien
qUB
sommaire et parfclis naif,
n'en constitue pas moins une réfé-
rence à la base.
Que les juristes se soient ou non préoccupés des questions
foncières dans le Goy,
que la majorité des recherches foncières
8- POLLET
(Eric)
et WINTER (Grace)
1971
: La société soninke
(Diahunu-Mali).
Etudes sociologiques.
Ed.
de l'Institut de
sociologie.
Université Libre de Bruxelles.

- 7 -
aient lieu sur la zone pulaar et le waalo,
ce qui importe à notre
avis,
c'est que ces écrits ne peuvent être ignorés par le cher-
cheur qui s'intéresse à la haute vallée.
Puisque les historiens
ont démontré que ces deux régions,
jusqu'à une certaine époque,
relevaient du même processus social et sociétal, dû aux aires
d'implantation communes.
L'histoire du peuplement de ces régions
constitue un ensemble indissociable.
L'histoire de la moyenne et
de la haute vallée est liée de façon étroite,
car elles ont
participé ou subi ensemble tous les mouvements et mutations his-
toriques de cette région de l'Afrique.
c'est ainsi que nous
avons dans notre recherche tenté d'analyser et de comparer tous
ces ouvrages tout en ayant à l'esprit la spécificité du Goy.
Les ouvrages existent en abondance mais la difficulté pour
l'enseignant chercheur sénégalais jusque là insurrnontée consiste
à ne pas les trouver pour la plupart sur place au sénégal.
rI
profite toujours de voyages d'études en France ou ailleurs dont
il bénéficie une fois tous les deux ans pour améliorez et complé-
ter sa documentation,
surtout en matière de nouveautés,
à
condition que les moyens existent,
ce qui de surcroît constitue
l'obstacle principal à la finition rapide des thèses.
Notre souci
enfin en consultant ces ouvrages c'est de tra-
r
duire en langage juridique ce que les historiens,
sociologues et
autres ont décrit dans un langage qui leur est propre. Autrement
dit
juridiciser les faits historiques
économiques et sociaux
r
r
r
telle sera notre démarche.

- 8 -
~es Documents d'archives: Eu égard à l'espace-temps fixé à
cette recherche,
il était intéressant,
sinon impérieux de voir
dans les archives comment le modèle colonial avait conçu et
appliqué aussi bien au niveau des textes qu'à celui des tribu-
naux coloniaux le droit sur la terre,
en rapport ou non avec les
coutumes. c'est d'une extr&me importance car,
comme nous le
verrons les terres du Goy ont subi à un certain moment trois
discours:
la coutume,
le droit musulman et le droit colonial,
dont les tribunaux coutumiers étaient chargés de l'application.
Sur ce point,
nous avons consulté pendant quelques années le
fonds du Tribunal de subdivision des deux Goyes à Bakel et le
Tribunal de Cercle de Bakel,
de la deuxième moitié du 19è s.
jusqu'à l'indépendance.
Les renseignements fournis par ces archives,
assez intéres-
sants sur la pratique coloniale avaient surtout comme loi de fond
les conflits portés devant ces jurdictions et leur règlement.
Ce
qui nous montre un peu comment à cette époque,
les tribunaux
indigènes pensaient le droit foncier et comment les paysans
organisaient leurs rapports à la terre.
Nous avons effectué une
fouille systématique de ce fonds déposé au Tribunal départemental
de Bakel,
à la Mairie et à la Préfecture.
Nous avons aussi pu obtenir des manuscrits en arabe de descen-
dants d'anciens cadis, mais qui présentent peu d'intérêts par
rapport aux problèmes de terre, mais qui seront d'une importance
notable,
s'ils étaient traduits,
pour des recherches futures.
L/intérêt que nous trouvons dans ces documents d'archives est

- 9 -
qu'ils nous servent à compléter d'autres sources très impor-
tantes.
Notre objectif est de montrer la réalité de la dynamique
foncière soninke, pas uniquement par la vision qu'en avait le
colonisateur. Ce genre de travail a été effectué par Bernard
MOLEUR avec beaucoup de clarté.
Le droit colonial est important
mais il n'est pas l'unique source de l'étude de la coutume.
Nous avons estimé qu'il fallait trouver en plus une autre
démarche,
alliée à celle de la recherche d'archives,
jusque là
ignorée papr le juriste et l'historien du droit sénégalais qui
consiste à donner davantage de valeur à l'enquête systématique
sur le terrain et à la tradition orale.
L'ENQUETE SUR LE TERRAIN
Nous avons dit que les seuls documents de chercheurs ou
d'archives ne sauraient suffire à l'appréhension globale de la
réalité du phénomène des terres du Goy. Notre expérience du
laboratoire d'anthropologie juridique de Paris sous la direction
du Professeur ALLIaT et de Etienne LE ROY nous a permis de faire
un retour sur nous-même.
Du point de vue de l'approche du phéno-
mène juridique africain,
il s'avère nécessaire de sortir des
sentiers battus de la recherche en bibliothèque qui reste malgré
tout trop théorique et abstraite.
L'initiation à l'approche de
l'anthropologie juridique que nous avons suivie nous a montré à

- 10 -
quel point l'enquête sur le terrain était nécessaire.
Non seule-
-ment elle permet de s'insérer dans les rouages de la société
étudiée, mais en plus elle permet de sentir "battre son coeur".
On ne peut pas à notre avis appréhender la réalité juridique
d'une société tant qu'on ne les vit pas directement,
du moins
pendant un temps déterminé.
Sur ce plan,
les anthropologues et
sociologues sénégalais devancent de loin les juristes sénégalais
pour lesquels ce type de démarche est étranger.
Or le juriste
qui n'intègre pas dans sa démarche un peu de sociologie conti-
nuera à vivre dans un environnement théorique et abstrait,
et il
lui sera difficile de montrer les choses dans leur véritable
réalité.
Autrement dit,
ce qui rna.nque au juriste sénégalüis de
la terre c'est l'approche pratique du phénomène.
Nous avons
donné une grande importance à l'enquête sur le terrain parce
qu'elle nous a permis d'avoir
lequel est enfermé le juriste
A partir de l'étude de la
est problable qU'après sa
de pensée tomberont un jour d'eux-mêmes.
réalités foncières pour ce qui nous concerne se fait par deux
méthodes complémentaires.
La première méthode que nous avons utilisée sur le terrain
consiste au recours à l'histoire.
Pour une recherche en histoire
du droit ayant trait pour une large part aux coutumes foncières,
il était important d'appréhender d'abord le processus historique
de la question.
Pour cela,
nous avons eu recours dans tous les

- Il -
villages concernés de la communauté rurale de Moudéri,
à la
tradition orale.
En quoi consiste-t-elle et quels types de ques-
tions sont-elles posées aux informateurs depuis 1978 ? Il fallait
simplement faire appel à l'histoire officielle du GOY-Gajaaga en
nous intéressant aux modes de peuplement des villages,
aux rela-
tions et alliances nouées entre eux,
à la position des uns et des
autres par rapport à la maîtrise foncière.
Nous avons dans un
premier temps fait appel aux informateurs officiels,
ceux qui
tiennent en quelque sorte le cadastre villageois, pour la plu-
part d'anciens maîtres de la terre et ceux à qui il est offi-
ciellement permis d'en parler:
les royaux et leurs clients,
les
naxamala et certaines catégories serviles.
Mais à ce niveau,
le
chercheur ne doit pas prendre pour la réalité tout ce qu'il
recueille de ces types d'informateurs.
Ici se situe toute la
difficulté du maniement et de l'exploitation des données orales.
c'est la question de la fiabilité de la tradition orale,
mais
A. BATHILY a démontré à travers ses travaux,
notamment sa thèse
que cette source est l'une des meilleures qui soient pour l'his-
toire de l'Afrique,
à condition de savoir l'utiliser à bon
escient. Ainsi,
soumises à l'analyse,
les données fournies par la
tradition orale font apparaitre presque toujours ce qui peut
ou/et doit être retenu ou non,
surtout pour quelqu'un qui a plus
ou moins vecu le phénomène.
Les informations fournies par les
officiels sont intéressantes et parfois très objectives,
mais
elles doivent être complétées. Nous avons mené au niveau de tous
les villages des enquêtes indirectes et des contre-enquêtes.

- 12 -
Les contre-enquêtes consistent à sortir du cadre officiel de
l'information en s'adressant à des gens qui en principe étaient
tenus éloignés du discours foncier,
tels que les femmes et cer-
tains anciens serviteurs. Ces catégories d'informateurs nous ont
été d'un apport considérable,
car les renseignements qU'ils nous
ont fournis étaient parfois plus vrais que les versions officiel-
les,
et leur précision nous a parfois permis de les corriger.
Les enquêtes indirectes utilisées en dehors des catégories
sociales ou des distinctions de sexes,
consisten~ à s'informer
sur un village par des informateurs étrangers à ce village,
c'est-à-dire des villages voisins.
Cette méthode a été facile 0
cause de l'homogénéité des systèmes villageois.
Ainsi le village X peut très bien informer sur le village y
qui est nécessairement son partenaire foncier.
Cette méthode nous
a aidé à cerner le contexte foncier global du Goy.
La deuxième approche a consisté à effectuer une enquête
systématique sur le terrain,
dans les champs et sur les périmè-
tres irrigués en observant directement la réalité de la pratique
foncière:
en mars et mai 1984,
août 1985, août 1986,
février-
mars et août 1987,
juin-juillet 1988,
février 1989, en plus des
enquêtes effectuées dans le cadre du projet soninke entre 1978 et
1980 et d'autres recherches qui n'ont pas été effectuées directe-
ment sur la question foncière
(9). A partir de l'observation
directe des pratiques foncières surtout au niveau des conflits
9- Nous reproduisons le détail des séjours sur le terrain en
bibliographie.


,1
- 13 -
~1
1
1
,
nous avons pu effectuer des découpages et des confrontations avec
1
i
les données orales recueillies.
1
Le résultat de cette démarche nous a permis de percevoir
peu à peu la réalité des pratiques sociales et l'intérêt que
1
1
revêt cette recherche sur les problèmes fonciers du Goy.
En plus
de notre expérience personnelle de la question,
nous avons tenté
J
de pénétrer d'avantage au coeur même de l'univers mental des
1
1
soninke, pour mieux comprendre ce qu'ils pensent eux-mêmes de
1
leur droit,
comment organis~nt-ils leurs rapports entre eux,
avec
1
1
les autres et avec l'Etat.
Le phénomène juridique d'une société
1
1
et non le droit tout court,
dans sa simplicité ou dans sa com-
plexité ne peut s'appréhender que quand on adhère à son univers
1
mental
(10).
Par rapport a ce sujet,
la question fondamentale que
se posent les paysans du Goy,
c'est de savoir quels seraient leurs
rapports avec la terre
dans l'avenir, parce qlle le double
discours actuel est incompris.
Il a été surtout intéressant pour
nous d'observer et d'analyser les réactions paysannes face à
cette situation et la reproduction des comportements sociaux au
niveau du discours.
Les mutations supposées ou réelles qui s'opé-
rent laissent le paysan du Goy dans une situation de "non organi-
sation",
et les enquêtes effectuées sur le terrain ont prouvé
combien il était utile de se fier plus à la pratique sur le
terrain qu'à la d~scription qU'en font les documents d'archives,
même si ces derniers sont d'une importance réelle et constituent
10- ALLIOT (Michel)
1983
: Anthropologie et juristique
: sur
les conditions de l'élaboration d'une science du droit.
Paris. LAJP.

- 14 -
un complément indispensable pour la compréhension du phénomène
juridique traditionnel.
1.
-
LE CHOIX DU CADRE DE LA RECHERCHE
DANS LE TEMPS
ET DANS L'ESPACE.
Pour mieux fixer le cadre de cette recherche,
nous avons été
amené à opérer un certain nombre de choix, parfois arbitraires
qui nous permettront de cerner partiellement les problèmes qui
se posent à cette partie de la Vallée.
Les choix s'articulent
essentiellement autour de deux pôles
: dans les temps et dans
l'espace.
A.
-
LE SUJET DANS LE TEMPS.
Le Gajaaga est un ancien royaume soudanais dont l'existence
est attestée depuis au moins le 12ème siècle par les historiens,
en tant qu'Etat souverain (11)
jusqu'à la fin du 19ème s.,
avec la
pénétration coloniale.
Les Il siècles d'existence de ce royaume
dépasseraient largement le cadre de cette thèse si nous voulons
étudier le système foncier,
à cause notamment d'un problème de
sources. BATHILY l'a réussi puisque les sources utilisées ne sont
toujours les mêmes,
mais ce qui importe pour l'historien du droit
c'est d'appréhender,
d'une manière profonde la tradition orale
récente dans sa réalité historique parce que, malgré les boule-
versements politiques et sociaux intervenus depuis ces siècles
dans la société soninke,
la logique sociétale n'a pas fondamenta-
lement changé en matière foncière.
Ce qui nous permet, pour
11- BATHILY
(A.)
1985
: Guerriers,
Tributaires et Marchands.
op. cit.

- 15 -
établir une période qui serve de lien entre le passé,
le présent
et le futur du Goy,
d'opérer notre choix pour la deuxième moitié
du 19è et le 20è siècles. Ces périodes nous semblent être les plus
significatives pour cerner leur problématique foncière.
L'exis-
tence de documents oraux et écrits fiables sur cette période rend
notre tâche moins périlleuse, que si nous nous hasardions ~ nous
intéresser à des périodes pour lesquelles il est difficile de
vérifier la véracité ou l'authenticité de nos sources.
De plus,
nous avons vecu personnellement un certain nombre d'événements
et de pratiques,
ce qui nous permet d'oser une analyse.
En outre,
le phénomène foncier soninke du Goy est soumis à
plusieurs logiques historiques à la fois et chaCllne de ses logi-
ques a pu peser d'une manière profonde et à des degrés divers
dans le temps,
sur le droit foncier soninke.
La logique première,
celle des soninke a vu à un certain moment la logique islamique
tenter de s'insérer dans les problèmes fonciers,
puis la logique
coloniale à un autre degré et enfin la logique étatique actuelle.
L'interpénétration des logiques ou leurs contradictions offrent au
chercheur un terrain privilégié d'investigation et un sens plus ou
moins clair à des phénomènes difficiles à appréhender.
Le résultat
et l'intérêt,
ce sont les conséquences plus ou moins directes que
ces types de recherches et de solutions peuvent avoir sur les
problèmes actuels du développement.
Enfin,
les mutations subies par la société soninke semblent
à priori profondes,
selon les historiens,
ce qui est critiquable.
Aussi l'espace étudié ne. saurait être neutre dans notre étude

-
16 -
puisque le Gajaaga a subi des bouleversements au 19è S., ce qui
introduit des diversités dans les pratiques et discours de part et
d'autre de Bakel.
B - LE CHOIX DE L'ESPACE
LE GOY.
L'ancien royaume de Gajaaga était un vaste territoire qui
allait du Nord-est au Sénégal
(actuel Gajaaga : département de
Bakel),
au Sud-ouest et au Nord-est: Mauritanie,
au Nord-ouest
malien, principalement le long des vallées du Sénégal
(Haut
Sénégal) et de la Fallemme.
Cette entité n'a pas cessé de
s'élargir depuis le 12è s.,
de s'émietter pour se reconstituer au
gré des conflits et des vicissitudes de l'histoire de cette par-
tie de l'Afrique
(12). Mais les bouleversements socio-politiques
intervenus ne nous intéressent qu'à partir du 19è s.,
où l'on
assiste à une scission nette et définitive entre les deux parties
du Gajaaga,
en amont et en aval de Bakel.
Dans la première moitié
du 19ès., ces deux parties du territoire étaient unies sous
l'appellation de Gajaaga, mais la réalité est que le processus
de scission s'est enclenché depuis le 18ès.
Ce territoire s'éten-
dait en longueur de Kenu,
à quelques kilomètres de Kayes
(Mali)
à
Gande dans l'actuel département de Bakel
(Sénégal oriental),
limite naturelle entre le Gajaaga et le Hayre
(autre Etat soninke
dans le Damga)
d'une part et d'autre part entre les départements
de Bakel et de Matam,
enfin entre les régions administratives du
Fleuve (Saint-Louis)
et du Sénégal Oriental
(Tambacounda).
12- Pour l'essentiel,
nous tirons nos informations historiques
des travaux de BATHILY,
notamment de sa thèse sur le Gajaaga.

- 17 -
Le Gajaaga dans la première moitié du 19è s.
a connu une
longue et sanglante guerre civile entre royaux Bacili de Tiyaabu
(Gajaaga inférieur)
et ceux de Maxanna (Gajaaga supérieur en
amont de Bakel).
Ce conflit est encore assez vivace dans les tra-
ditions orales du Gajaaga (nous n'entrerons pas dans le fond de
ce conflit que Bacili a décrit en détails dans sa thèse).
Ce conflit n'est en réalité que l'aboutissement du processus
de dégradation politique et de scissjon entre les royaux Bacili
du Gajaaga. Appelé communément "la guerre des deux Sanbo"
(Sanba
Xunba Jaaman de Tiyaabu et Sanba Yaasjn de Hë.xanna.)
ce conflit
a consacré la partition définitive du Gajaaga entre 1833 et 1347.
A l'issue de ce conflit,
la partie inférieure du Gajaaga fut
appelée Gwey ou Goy inférieur et la partie supérieure en amont
de Bakel, que l'on appelle Kammera prit l~ nom de Goy supérieur,
avec comme capitales respectives Tiyaabu et Maxaana.
L'Adminis-
tration coloniale a utilisé ces dénominations.
Le Kammera va rapidement perdre son autonomie,
car la crise
politique dont nous avons état a non seulement affaibli la
famille Bacili d'une manière générale, mais elle a permis à la
conquête coloniale de se faire avec une relative facilité.
En 1855,
les guerres de ELH.
Umar auxquelles ont participé
certaines familles Bacili aux c6tés du mar~bout ont été pour
le Gouverneur Faidherbe,
le prétexte pour mettre en oeuvre sa
politique d'expansion dans le Haut-sénégal
(J3).
Bakel fut annexé
13- CHASTANET (M.)
1983
: Les crises de subsistance dans le
cercle de Bakel. Op.
cit.

- 18 -
en 1855, ce qui conforta de façon COllsidérable le comptoir fran-
çais du Galam.
Ce changement juridique de statut du Kammera est
intervenu à l'occasion du traité de protectorat et d'alliance du
19 aoUt 1858, entre la France et le Tunka
(14)
de Tiyaabu,
qui a
«
cédé à la France en toute concession,
tout le territoire com-
pris entre Bakel et la Fallemme»,
dont tout le Kammera,
aussi
bien côté sénégalais que côté malien.
Et la France de son côté
«
reconnait le Tunka comme maître de tout le territoire compris
entre Ba}~el et le ruut2> >,
ë\\nt!-ement di t
le Goy.
J!-.:Lnsi à
l'issue de ce traité,
le Gajaaga rel~vait désorDai~ d~ deux statuts
juridiques différents
:
le Kamrnera annexé ?ar la France,
et qui a
perdu toute autonomie,
est désormais sous administration directe
alors que le Goy protÉgé et allié d,·
la F:-c::i.CE' cO:jtirnu:. de
jouir d'une certaine autonomie par rapport à la France et au
reste du Gajaaga.
Cette coupure politique fut totale b partir de 1860 quand le
Kammera annexé par la Frélnce fut placé c1an[ la zone d'influence
pulaar,
en verrtu d'un traité signé entre [LE.
Umar et les
français
(15).
Cette partie du Gvjaaga fut d~s cette dato sous
trois types d'influence:
la tradition Eoninke,
l'influence
islamo-pulaar et l'influence française.
Il y a dès lors une lec-
ture complexe des structures foncières plus ou moins profondément
bouleversées.
Parce que dès le début,
les groupes du clan Njaay
venant du Jolof et établis depuis le 16ème siècle à Bakel,
qui
s'allièrent aux français
contre Elhadj Umar,
profitèrent déjà de
la guerre civile entre royaux du Goy et Kammera pour s'affranchir
de la tutelle Bacili en obtenant
du commandant du Fort des droits
14- Tunka
: Titre donné au souverain,
au roi soninke.
15- Voir notamment BATHILY
(Thèse)
et CHASTAr~ET (1983) .op.
cit.

- 19 -
fOllciers sur les terrains de culture aux alentours de Bakel.
La troisième phase de l'évolutioll du Gajaaga se situe dans
la perte de l'autonomie et l'annexion du Goy,
longtemps convoité
par l'Administration coloniale,
intervenues à la fin du 19ème s.
après les guerres de Hamadou Lamine.
Dès la fin du siège du Fort
par Hamadou Lamine
(16)
en avril-mai 1886,
le Goy est passé sous
administration directe de la France.
Les guerres de Mamadou Lamine furent le prétexte pour dénoncer
tous les traités passés entr~ le Tunka du Gwey et le Français.
Mais la présence française n'eut aucune influence sur le système
foncier du Goy,
jusqu'au d~but du 20ème s. Aussi le choix de
l'esp~ce du Goy présente des intérêts certains,
t deux niveaux
Au niveau scientifique:
rI est plus intéressant d'étudier un
espace réduit afin de pouvoir cerner de façon plus concrète les
aspects les plllS saillants du problème étudié.
Il est en outre
plus intéressant pour l'historien du droit d'observer les phéno-
mènes sociaux sur un espace réduit afin de les
juridiciser, pour
que les perspectives dégagées et les solutions proposées soient
plus sûres.
Il est plus utile aussi bien pour les paysans que
pour les décideurs,
d'appréhender les problèmes sur un espace
que l'on peut contrôler.
Au niveau de la dynamique sociale,
le Goy offre un double avan-
tage
: d'abord parce qu'à l'éclatement du Gajaaga,
le Goy est
resté une entité homogène,
réduit à sept villages au point de vue
16- BATHILY (A.)
1969
: Hamadou Lamine DRAHE et la résistance
anti-impérialiste dans le Haut-sénégal:
1885-1887. Notes
africaines nO 125.
Janvier 1970.
et Thèse.
op.
cit.

- 20 -
politique et de la gestion des terres.
Politiquement
(dans le
cadre traditionnel seulement),
les six autres villages restent
encore moralement tributaires de Tiyaabu,
capitale du royaume et
chef-lieu du Canton du Goy jusqu'à l'indépendance.
Historique-
ment la dépendance de ces villages de Tiyaabu s'explique par le
fait que tous les clilns dirigeants de ces villages furent
instal-
lés par les Bacili
qui leur concédèrent des terres et
des droits fonciers.
Le foncier apparait dès lors comme un
élément déterminant dans les rapports politiques et sociaux
entre ces diff~rents villa0es du Goy dont Tiyailbu ~st le centre.
Un autre avantage est li~ au choix de l'espace du Goy,
qUI
est. plus actuel.
Sans même nous reféHor- à la tradition,
nous
constatons que l'ancien royaume-canton du Goy coïncide exactement
avec l'actuelle communauté rurale de Mudeeri,
issue de la réforme
rurale de 1972 et d€s
élections de 1984. Espace ne saurait être
b notre sens pl us appropr j.é pour y observ./e.J,:.--,,*~ncontre de deux
.~C--( KIl ~.J':j'v~
,. '\\.\\
(
.
logiques,
la dynamique pê.YE~anne dans s~*c JRQtat~·r§.~ successives
\\,_.1 1
( '
\\
~_'.
et le discours étatique quand on connai e'l~t)À'E;, fcii
amental que
-~) .: :::1
,
---"- / .......
devrait jouer la communauté rurale dans la~:~~J.; euvre de la
réforme foncière et agraire.
Cette oppos-itÎ'CHllls1!l~~tre à quel point
cet espace réduit du Goy est facile à étudier dans la cadre d'Une
politique agricole qui se veut une rupture avec le passé.

- 21 -
II.
-
INTERET DU SUJET.
On constate au moins depuis ULe quinzaine d'années un
engouement extraordinaire pour les études foncières en Afrique
d'une manière générale,
et au Sénégal en particulier,
au
niveau universitaire et au niveau d'instituts spécialisés de
recherche sur le droit de la terre.
Les raisons sont diverses,
mais on peut retenir que la loi sur le domaine national du
Sénégal en 1964 a ouvert un champ d'investigatjon large et nou-
veau qui permet au chercheur de confronter deux logiques inté-
ressantes
: la logique du passé que l'on retrouve dans le droit
traditionnel et le droit colonial,
qui est remise en cause par
une nouvelle façon de penser la terre et les rapports avec la
terre;
la logique ancienne qui résiste
(ou tente de le faire)
à cette mise à mort programmée,
et la logique nouvelle,
encore
Il jeune
et inexpérimentée Il qui cherche à. terrasser des adversaires
millénaire et centenaire.
Au-delà de cette opposition entre logiques,
la recherche
foncière est devenue une llécessité depuis que le sahel est con-
fronté dès la fin des années soixante à cette séquence sèche qui
dure encore.
race à cette calamité naturelle jusque là incontrô-
lée,
il est devenu vital de chercher une autre voie pour le
développement qui ne peut se faire qu'avec la terre.
Aussi,
il
faut maîtriser cet espace vital qui manque d'eau,
sa substance
fondamentale.

- 22 -
L'étude de la terre et de ses rapports avec la société
paysanne a été dans tous ses aspects le champ privilégié d'une
recherche pluridisciplinaire,
depuis plus d'une décennie
histoire,
géographie,
économie,
droit,
anthropologie et socio-
logie.
c'est ainsi que d'excEllents travaux sur lesquels nous
reviendrons,
ont été effEctu~s sur les problèmes fonciers dans
la Vallée du sénégal.
L'autre intérêt du sujet réside dans les
bouleversements des systèmes
fonciers traditionnels et les
enjeux nés de la terre p5r lES grands projets hyrdo-agricoles.
La terre devient,
plus ~~f p~r le passé l'objet de grands enjeux
économiques et politiques,
e:1 période sèche ou en pél-iode "faste".
En période de crise clirn~~iq~e, la terre suscite de formidables
convoitises puisque la su~viE des individus Et/OU des groupes
dépend du contrôle effec~if e~ercé sur les terres aptes à satis-
faire les besoins d'une autoconsommation.
Celui qui arrive pen-
dant ce s pér iodes à maî tl- is el" ce s
"zones fer t i les" excerce ra
un pouvoir politique et fcono~ique certain sur les autres.
Pendant les "bonnes périodes",
la terre suscite autant de
convoitises car les individus et les groupes chercheront en la
contrôlant,
d'aller au-delà de la simple autoconsommation pour
créer un surplus à commercialiser et se faire des revenus moné-
taires supplémentaires, ou le thésauriser en prévisions des
mauvaises années,
ce qui Bure pour résultat de créer ou d'accroî-
tre la dépendance des autres groupes.

- 23 -
Le problème qui
se pose avec cette période faste qui
s'annonce,
c'est-à-dire l'après-barrages,
c'est celui du contrôle
permanent de la terre.
Les enjeux deviennent plus importants
parce que les paysans ont cessé d'être les seuls acteurs sur la
scène foncière,
ce qui multiplie les possibilités de conflits.
Pour cela il faut tenter d'allier les discours,
mais au préalable
il est nécessaire de connaître la terre qui fait l'objet de tant
d'enjeux.
Les résultats atteJldus et le développement passent-ils
nécessairement par l'annihilation de la tradition ainsi que l'ont
voulu trop souvent les technocrates? Ainsi,
comme nous venons
de le constater l'étude de la zone souinke du Goy est d'un grand
intérêt à cause de la permanence de la tradition dans le proces-
sus du déveloPPéffient.
III.
-
PROBLEMPATIQUE.
Notre th~me nous met en présence de deux directions de
recherche
: le système soninhe séculaire et le système étatique
issu de la réforme de 1964.
Il est donc inévitable, nous pensons
de procéder par oppositions à trois niveaux essentiels entre ces
discours.
1- Opposition dans les logiques.
Ces deux logiques qui n'ont pas la même essence créent des
oppositions parfois irréductibles.
La terre constitue le noeud de
la structure sociale dans la logique paysanne soninke.
Elle est
l'élément central dll lien social,
car ce ne sont pas les rapports

- 24 -
entre individus ou groupes qui constituent les alliances,
mais la
terre. Autrement dit, c'est la terre qui domine l'homme et c'est
à partir d'elle que se détermine le statut des groupes dans la
société
(17).
Dans la société paysanne soninke,
la libert~ de
l'homme se mesure à sa position statutaire par rapport à la
terre.
Le lien à la terre est un lien total,
parce qu'il n'e8t
pas fait de distinction entre le politique,
le ju~idique,
l'économique et le social.
Dans la logique d'Etat par contre,
on
assiste à la dissociation de la structure sociale avec le lien
à la terre.
Ce n'est plus la terre qui détermine le statut dE
l'Homme,
mais c'est l'homme qui lui donne un sens.
Le lien paren-
tal qui existait entre l'Homme et la terre,
l~ vision sacrale du
monde par rapport à la terre disparaissent au profit du seul
lien économique.
Dans ce type de lien,
il y a une nette autonomie
de l'économique par rapport au politique et au social.
L'Etat se
fait ainsi,
par le biais de ses services compétents,
le spécia-
liste des divisions spaciales,
et les te~roirs Et territoires
qui auparavant étaient homog~nes deviennent désormais des rnicro-
espaces.
2.- Les rapports à la terre.
La multiplicité des rapports paysans à la terre ne concerne
que les groupes lignagers en droit soninke.
Le lignage xabiila
constitue l'essence même des rapports à la terre.
J7- Guy KOUASSIGAN a démontré cette dépend~nce étroite de
l'homme à la terre dans plusieurs de ses travaux,
notamment
l'Homme et la Terre.
Par.is.
Berger LEVRll.ULT,
1966.

- 25 -
Toute politique et toute ralation avec la terre niine est déter-
minée au niveau de la Communauté,
l'individu en tant que tel
n'ayant pas de sens particulier
(18).
Ceci explique que le lien
à la terre ne peut être simplement économique.
La logique fon-
cière de l'Etat s'inscrit elle-même dans une logique fondamenta-
lement individualiste, même si au niveau du discours,
c'est le
contraire qui se manifeste.
L'individu y trouve tout son sens
parce qu'il est le centre du rapport,
de la conception et de la
décision.
Cette logique dans son articulation veut permettre
l'épanouissement de l'jndividu sans lequel le groupe llC saurait
se développer.
Dans la logique paysanne,
l'apport du groupe est es~entiel
dans la création et au maintien du lien entre la société et la
terre,
or si cet apport disparaissait,
les liens avec la terre
n'auraient plus de sens.
Alors que pour l'Etat,
le droit sur la
terre n'a d'importance qu'avec l'usage qU'on en fait,
notamment
la mise en valeur de la loi de 1964.
3- Les conflits.
Deux pratiques différentes Sllr un même terrain créent
nécessairement, même si elles ne sont pas contradictoires,
des
situations conflictuelles.
rI est possible que le nouveau modèle
ait des effets sur les comportements paysans,
surtout quand ils
sont tournés vers l'avenir de la Vallée.
Les effets peuvent être
positifs ou négatifs, mais ils dépendent de la puissance de la
18- TRAORE
(8.)
1985
: corpus soninke.
LAJP

- 26 -
llouvelle logique et aussi des ressources dont disposent les pay-
sans pour lui résister. Dans la pensée soninke la société est
centrée,
ce qui ne signifie pas qu'elle soit fermée.
La société
crée et reproduit ses propres moyens pour le développement,
alors que dans le nouveau modèle le développement doit venir de
l'Etat,
ce qui risque de décentrer totalement les structures
villageoises.
Face à ce choc,
un certaill nombre de questjons se posent,
qui nous serviront d'axes de rechErc~e. La premi~re est toutE
simple d~s l'instant qu'il y a rencontre entre deux mod&les
le nouveau qui est censé être le meilleur puisque reflétant
le "progrès social",
pourrai t-il
l! E'mporter sur le modèl e p(,y-
san dans le Goy ? Ou alors assistera-t-on de fait à la transfor-
mation de chacun des modèles au contact de l'autre? Y-a-t-il
des chances que la situation précaire dans laquelle se trouve le
paysan de la Haute Vallée se modifie du fait de la tran8formatio~
de son modèle qui évoluerait vers une nouvelle dl~a~ique ?
si l'Etat estime que son nouveau modèle,
qui prendrait ses
racines dans la tradition africaine est le seul possible pour
réaliser le développement à partir de la terre,
peut-on à
contrario se demander si la logique paysanne,
laissée telle
quelle ou adaptée aux nouveaux enjeux peut répondre aux exi-
gences actuelles du développement ? La dynamique paysanne aura-
t-elle assez de ressources pour résister,
contourner ou même
détourner la logique d'Etat,
pour parvenir aux mêmes résultats,
mais demeurant inchangée dans ses structures,
même les plus

- 27 -
inadaptées au 21è siècle,
c'est-à-dire les hiérarchies sociales
rigides? L'Etat peut-il,
si son rnod&le échouait,
faire de nouveau
"confiance" à la logique foncière traditionnelle qu'il aura doté
de tous les moyens technique~; (pour lé.- cul ture irrj.guée qui est
incontournable aussi bien pour l'Etat que pour les paysans) et
logistiques nécessaires;
c~tte dernière peut-elle faire face aux
gigantesques enj~ux de l'après-barrages, qui sont économiques,
sociaux, mais avant tout de s~curité foncière?
importaLt. d'~tudiel ê'ü pl"0a]able la dynêŒlique foncière tradi-
tionnelle du Goy,
qui est au centre de CE débat,
peur voir corn-
comment les soninke ont-ils géré leurs rapports avec la terre
et surtout quel est le statut de la terre et celui des acteurs
sur la scène foncière
(rrEMIEnE rARTIE),
pour nOUE intéresser
ensuite à 1" rencontre dei~ logiques anciE:')jne~, et nCUVI?] le,
et
aux boc:leversements poli tique-f,
insti tl:ticlmels,
sccio.uy,
tecb-
niques, cul turels et cul tt:r2lD: intervenus pour faire face au
nouveau contexte sahélien ; ~ussi, quels ont été les degrés de
réception ou de rejet de la logique d'Etat par les soninJ~e du
GOY,
ainsi que les conséquences pour l'avenir de la Haute Vallée?
(DEUXIEME PARTIE).

PREMIERE PARTIE
LA DYNAMIQUE PAYSANNE DES RAPPORTS
A LA TERRE DANS LE SYSTEME FONCIER
TRADITIONNEL DU GOY.

28
CHAPITRE l
L'ESPACE FONCIER DU GOY.
L'espace
foncier est constitué par toutes les aires sur
lesquelles se manifestent l'activité humaine et qui font l'objet
d'enjeux particuliers.
La société soninke du Goy pense l'espace dans une optique multi-
dimensionnelle, mais les rapports de l'homme à la terre ne
trouvent leur signification réelle qU'au niveau de l'exploitation
agricole. Si le Fuuta Sénégalais organise son espace autour d'un
certain nombre de spècificités
(1),
le Gajaaga opte plutôt pour
une logique d'intégration des espaces, quelque soit leur nature.
Les espaces spécialisés dans le droit foncier pulaar correspon-
dent aux groupes statuaires:
agriculteurs,
éleveurs et pêcheurs.
Or la société soninke,
essentiellement agraire ne connaît pas
cette logique parce que les groupes statuaires n'ont pas d'activités
spécifiques.
Seulement, on trouve dans l'espace foncier du Goy une division
interne, non statutaire, correspondant à un espace de renvoi,
miniaturisé.
1- L'ESPACE AGRICOLE.
L'exiguité
des
frontières
du
Goy-Gajaaga
fait
qu'il
a
été impossible, même dans le passé, de penser l'espace en
termes d'espace agricole,
espace pastoral ou espace halieutique.
Si sociologiquement la société soninke n'est pas une société à
1- SCHMITZ (Jean)
1986
: L'Etat géomètre.
Cahiers d'Etudes Afri
caines nO 103. Edition de l'EHESS. Paris
Voir aussi MINVIELLE
(Jean Paul)
1985
: Paysans migrants du
Fouta Toro:
La vallée du sénégal.
Paris, ORSTOM. Collection
Travaux et Documents nO 191.

29
multiples spécialités, historiquement aussi les sols propres à
la culture sont en quantité faible,
malgré l'abondance en cours
d'eau,
contrairement au fuuta voisin ...
Le bourrelet alluvial
qui se caractérise par des sols annuellement fertilisés par le
limon occupe une superficie plus petite dans le Haut-sénégal
que dans la moyenne vallée"
(2). Ainsi,
lIon constate que les
terres de décrue se rétrécissent au fur et à mesure que l'on
avance vers l'amont,
à cause de l'encaissement de la vallée au
niveau de Bakel.
Le Niine soninke
(3)
du Goy ne connaît pas
d'espaces spécjalisés selon les techniques.
c'est une logique
d'intégration totale des espaces, quelque soit par ailleurs
l'utilisation qu'on en fait.
Cette confusion des espaces est
due au système politique spécifique du Ga]aaga,
où les BACILI
cumulaient maîtrise politique et maîtrise foncière.
Ce phénomène
est dû selon BATHILY (4)" ... à un long processus qui commença
avec la fixation des guerriers Sempera dans le sol du Gajaaga
et qui a dû s'accélérer à l'occasion des conflits qui opposèrent
les BACILI aux clans autochtones,
comme ce fut le cas avec les
insurrections dirigées par sanba Yaate Jagolla aux 10è et 11è
siécles. De nombreux exemples montrent ce phénomène de la trans
formation d'une aristocratie guerrière en une aristocratie ter
rienne,
en d'autres termes la fusion entre le pouvoir guerrier
et le pouvoir foncier." La confusion se fit dès lors dans le
langage soninke entre fonctions de niinegumu et de jamangumu(5),
maîtres du pays et maîtres du sol pour désigner les BACILI.
2- BATHILY (Abdoulaye)
Thèse 1985
: Page 58.
3- NIINE : Terme soninke signifiant terre,
sol,
espace. Tout va
tourner autour de ce concept qui a des reférents et signi-
fications multiples.
4- BATHILY (A.) Thèse. op. cit.
p.
291.
5- Du soninke jamaane
: pays et gumu qui vient de gume
pro-
priétaire
: jamangumu : maîtres du pays.

30
c'est à partir de là, que se fit la concentration du com-
mandement militaire, politique et de la maîtrise foncière.
Le
Gajaaga ne connaît pas la règle,
selon laquelle l'aristocratie
politique dominait seulement les hommes et pas la terre. La
terre dans le Gajaaga constituait l'enjeu fondamental dans les
rapports sociaux et dans les rapports avec le pouvoir politique.
Il n'y a pas chez les soninke d'autres activités principales a
côte de l'agriculture; ainsi les espaces qui,
en principe
devraient être réservés à l'élevage et à la pêche sont fondus
dans l'espace agricole.
Les soninke du Goy ne connaissent pas
de groupes statutaires èleveurs et pêcheurs comme au Fuuta
voisin. Ainsi aussi,
les mares et marigots de pêche sur la rive
gauche comme sur la rive droite
(6)
sont totalement inclus dans
l'espace agricole des différents villages du Goy.
Il n'y a pas
de maîtrise autonome des eaux à côté de la maîtrise foncière,
ou de maîtrise suivant les groupes statutaires.
Seulement pour une bonne répartition des terres et des
droits,
il arrive qu'une mare ressortisse de deux autorités
:
c'est ainsi que,
la mare de Locande au sud-ouest de Tiyaabu,
nord-ouest de Bakel connut ce type de superposition ;
les
droits de pâturage aux alentours de la mare ont été cédés par
les BACILI de Tiyaabu à la famille NJAAY de Bakel.
Cette cession
ne signifie pas renonciation pour les BACILI des droits sur leur
terroir agricole,
car ils conservent le pouvoir d'exploiter et
d'autoriser l'exploitation des eaux,
ce qui constitue dans la
6- Il existe,
à l'ouest des villages de la communauté rurale de
Mudeeri
(Goy) des mares et marigots servant à la pêche
: Pour
Tiyaabu et Bakel
: Locande, Bassam, Maani à l'ouest de Manaél
Yellingara et Jawara, GOBe pour Mudeeri et Gallaade.

31
logique soninke l'exercice d'un droit foncier.
Les BACILI ont
(galemnt conservé le droit de culture sur les terres, même sur
celles des pâturages des NJAAY.
cela prouve que les BACILI n'ont
jamais voulu créer sur leurs terres des espaces spécialisés(7).
S'il n'y a pas confusion entre les activités,
il y en a par
contre dans la maîtrise foncière,
parce qu'en aucun moment
de l'histoire,
les BACILI n'ont renoncé à leur maîtrise fon-
cière globale sur cet espace.
c'est surtout au niveau des rede-
vances sur les produits de la pêche qui sont dans leurs mécanis-
mes et leur destination des redevances foncières
(8)
que cette
confusion est la plus frappante.
L'Etat soninke du Gajaaga aux 16è,
17è et 18è siècles,
et
l'Etat du Goy aux 19è et 20è siècles n'ont pas,
comme le Fuuta
des Deniankes et des Almamis,
eu recours à la spécialisation
des espaces, parce qu'il n'existait pas de groupes statutaires
spécialisés tels que les cubalo dans la pêche, qui maîtrise-
raient à côté des maîtres fonciers,
l'eau et une portion du
territoire agricole.
De même,
il n'existe pas dans le Goy d'espace réservé à
l'élevage,
à cause de l'exiguité de l'espace et de l'absence de
groupe statutaire d'éleveurs comme au Fuuta. Ceci n'exclut pas
les contacts et les conflits entre agriculteurs soninke et éle
veurs peuls,
surtout sur la rive droite du fleuve,
considérée
7- Madjigui Yaali BATHILY,
notable à Tiyaabu. Enquête du
17.08.87. Ceci est vrai de la mare de Bassamu exploitée en
commun par Tiyaabu et Mannaayel,
mais dont la maîtrise de
l'eau a été cédée par les BATHILY aux DIALLO de Mannaayel.
(voir au chapitre 5 sur les redevances foncières).
8- Idem.

n.
comme faisant partie d~s tenures coutumières du GOY, et tradi-
tionnellement cultivée par les soninke.
(9)
L'espace reservé à
l'élevage coïncide avec une part de l'espace agricole,
car ce sont
généralement les sols de jeeri qui sont utilsés pour les pâtura-
ges. L'activité principale sur les sols de jeeri est la culture
sous pluies.
L'élevage chez les soninke ne constitue qu'un
appoint à l'agriculture, et chez les peuls éleveurs,
le jeeri ne
constitue qu'un point de passage dans la transhumance vers le
Ferlo ou le Mali.
Autrement dit le jeeri n'est pas un espace autonome.
L'exiguité de l'espace foncier du jeeri du Gajaaga surtout sur
la rive gauclle,
expliquerait cette absence d'autonomie,
parce
qu'il n'est large que d'une quinzaine de kilomètres au plus,
les limites du Goy avec le Bundu au sud,
le Fuuta au nord-ouest
et le Ferlo à l'ouest sont finalement assez proches du fleuve.
Sur l'autre portion de l'espace foncier,
le waalo,
il existe
des activités pastorales dans le cadre particulier de conven-
tions.
Selon les conventions entre agriculteurs soninke et
éleveurs,
les périodes de récoltes d'hivernage et de décrue sont
~
~
utilisées pour le Naayile
(10), pratique de la vaine pâture qui
l
sert aux
éleveurs à faire face à la rareté de l'herbe,
et aux
t
agriculteurs d'avoir du fumier pour la prochaine saison.
1
9-Nous analyserons cela au chapitre 7 sur les conflits fonciers
1
et leurs modes de règlement dans le Gajaaga,
notamment ceux
1
1
spécifiques à la rive droite,
à la lumière du conflit
!
sénégalo-mauritanien.
-Voir également BECKER et LERICOLLAIS,
1989
:Sur le problème
1
frontalier dans le conflit sénégalo-mauritanien. Politique
1
1
Africaine n035,
p.149
10-NaaYile est un emprunt au pulaar naayingal qui est la vaine
1
pâture pratiquée par les éleveurs sur les champs après
li
récoltes, pour un temps plus ou moins long.
1
1
lîj
~

33
La société soninke ne connaît pas de groupes statutaires dont
l'activité déroge à l'agriculture,
tel qu'au Fuuta. Mais il faut
préciser que c'est seulement du point de vue de la maîtrise
foncière,
car il existe dans le Gajaaga des pêcheurs statutaires
somono et bozo venant du Mali et du Niger,
et les cubalo venant
du Fuuta et qui pour la plupart sont des saisonniers
(11) et
n'ont aucun droit sur les eaux, de Tiyaabu à Gande.
Ces pêcheurs
professionnels n'ont pas en outre le droit de pêche sur les mares,
par mesure de sauvegarde des poissons en vue de la pêche collec-
tive organisée par tous les groupes statutaires.
Cela expliquerait
en partie et contrairement au Fuuta voisin,
l'inéxistence dans le
Gajaaga de grands domaines fonciers.
Parce que l'existence
d'espaces séparés en fonction du statut (12) permettrait aux
maîtres fonciers,
pour se démarquer politiquement et économique
ment des autres activités,
de constituer de grands domaines.
C'est aussi une façon d'avoir une plus grande maîtrise sur leurs
terres et sur les populalions qui les exploitent, d'autant plus
que
l'Assakal était une véritable institution dans le Fuuta.
L'espace foncier du Goy tel qu'il est conçu, permet de
mesurer à l'échelle du jamaane l'étendue de la domination
Bacili, mais aussi combien les droits se superposent.
Cette
homogenéité permet de reconnaitre à certains villages et groupes
statutaires des droits fonciers
(13).
L'absence d'espaces spécia-
lisés dans le Goy interdirait donc,
dans le droit soninke de la
11- Sauf quelques familles établies dans certains villages de
longue date
: tels que les Kebe,
cubballo du Fuuta établis
sur la rive droite en face de Bakel,les Khanta de Bakel,
les
Farota de Jawara etc.
12- MINVIELLE 1985
; Paysans migrants.
op. cit. p.51 et s.
13- Nous analyserons cela au chapitre 4.

34
terre de parler d'une théorie des espaces.
A l'intérieur de ce vaste espace agricole,
on trouve,
intégrés des espaces qui gardent une certaine spécificité,
fondée
non sur le statut du groupe qui l'utilise, mais sur le sacré et
sur les origines plus ou moins mythiques des différents groupes,
un espace lointain, miniaturisé.
11- ESPACE SACRE ET ESPACE DE RENVOI.
A- L'ESPACE SACRE.
L'islamisation des soninke, qui remonte aux 8è-llè siècles
selon des sources concordantes
(14), et la propagation de cette
religion dans l'ouest africain, n'ont pas freiné les croyances
et pratiques traditionnelles de cette société.
Les soninke ont au
contraire allié ces croyances à l'islam
mais,
en plus ils sont
arrivés à adapter l'islam à ces pratiques.
Les Bacili du Gajaaga
et certains de leurs alliés ne se sont convertis à l'islam, dans
le vrai sens du mot que dans une période relativement récente au
19è siècle pour les premiers,
et de façon mitigée jusqu'au milieu
du 20è s.(15) Ainsi l'on observe encore des pratiques qui dénotent
de l'attachement aux valeurs traditionnelles et ancestrales.
14- Tous les auteurs qui ont écrit sur les soninke dans
l'histoire: DELAFOSSE, MONTEIL, BATHILY, etc ...
attestent ce fait,
qui est bien connu dans l'histoire de
l'Afrique Occidentale.
15- A part les grandes familles maraboutiques des Tanjigoora
et des DRAME dont l'islamisation remonterait au 12è siècle
selon BATHILY.

35
L'homogénéité dont nous avons parlée de l'espace soninke du
Goy se trouve un peu faussée,
à cause des rapports avec ce sacré
mêlant la tradition et l'islam.
Il est des espaces, qui sont
retirés des zones de culture et ne font pas l'objet d'appropria-
tion foncière,
quelque soit le village concerné.
Le partage
historique des terres entre les clans ou lignages royaux ou entre
les alliés des BACILI des autres villages du Goy n'a pas concerné
ces types de terres qui ont d'autres fonctions que la culture:
une fonction religieuse et une fonction de rattachement spatial
à une entité qui ne constitlle parfois qu'un lien affectif.
Tout d'abord les mosquées à l'intérieur des villages:
ces mosquées sont un patrimoine commun du village-debe ou du
quartier-kunda, ne font pas l'objet de détention foncière par
ticulière.
Les maitres fonciers n'ont sur ces portions de terre
généralement au centre des villages,
aucun droit.
Nous entendons
par droit la perception de redevances foncières sur des terres
qui étaient autrefois détenues par une ou plusieurs familles.
En effet une fois,
qu'une parcelle est affectée pour servir de
mosquée,
elle cesse d'être gérée par son ancien détenteur pour
devenir une chose commune. Mais il continue à s'exercer sur la
mosquée des droits.
Les maîtres fonciers conservent certaines
prérogatives notamment la nommination d'un marabout si le village
n'a pas de groupe maraboutique(16).
Le problème ne se pose pas si
16- C'est le cas de Tiyaabu où il n'existe aucune famille de
marabouts.
La famille de Demba Jeegi BACILI assume toutefois
la fonction.
En l'absence des membres de cette famille le
rôle d'imam de Tunkankaani est confié à un autre BACILI,
si
non à quelqu'un que les doyens auraient désigné, ou en fai~
sant venir un marabout statutaire de Bakel. On le voit, même
au niveau des mosquées,
les hiérarchies statutaires existent.

36
le village est pourvu de familles maraboutiques,
tel qu'à Jawara,
Mannaayel,
Yellingara, Mudeeri et même à Gallade et Gande.
Avec la montée de l'intégrisme musulman et la prolifération
des mosquées, on assiste à de nombreux cas de "dépossession" de
maîtres fonciers sans contrepartie parce que simplement le sacré
est assimilé à l'intérêt général,
ce qui fait du droit foncier
soninke un droit souple
(17). Mais ce caractère n'est pas propre
aux soninke car dans toutes les sociétés sénégalaises islamisées,
la mosquée prime sur la détention foncière.
Même en dehors de
l'espace habité villageois on peut utiliser un champ et le maître
du champ Te gume est obligé de s'y conformer.
Seulement,
il y a
des espaces sur lesquels on ne peut pas "exproprier",
la place
étant peu indiquée,
et aussi parcequ'il existe sur ces espaces
des droits assez puissants:
il s'agit des Falo,
champs sur berges
qui bien que parfois très proches du village n'en constituent pas
moins un domaine réservé où l'on observe la réalité des maîtrises
foncières des catégories dominantes. Ainsi,
les dépossessions
en vue d'ériger des mosquées ne concernent que des terrains à
l'intérieur des villages,
ou à l'entrée, qui ne sont pas habités.
17- Le même principe est observé en droit civil moderne:
l'expropriation pour cause d'utilité publique. Mais à la
différence qu'en droit civil l'expropriation est sanctionnée
par une indemnisation à la hauteur du préjudice subi alors
que l'indemnisation n'existe pas en droit soninke.
C'est à
cause du caractère communautaire du droit que l'intérêt
foncier familial ou villageois recule devant l'intérêt
général. En fait le droit ici n'est pas supprimé,
il est
seulement suspendu pour cause communautaire.
18- Le galle soninke est un petit champ familial servant souvent
de clôture au carré et qui apporte un appoint rapide en
période de soudure. A ne pas confondre avec le galle pulaar
qui signifie maison,
lignage.

37
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1
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38
Généralement c'est sur l'espace de petits champs familiaux
gal lu (18)
où l'on produit du maïs,
faisant partie de l'environ
nement immédiat du village,
et exclusivement cultivés par ses
habitants.
Donc l'espace susceptible d'être utilisé, relève de
terres de culture sous-pluies
(xaaxudun niino).
Le deuxième type
d'espace sacré est constitué par les cimetières.
Les cimetières
constituent de tout temps
(et ceci n'est pas propre aux soninke)
]e seul lieu qui unit le monde des vivants et l'invisible.
Les
liens du groupe avec les morts,
qui sont tous élevés au rang (19)
d'ancêtres sere fano ou maamani,
sont des liens profondément
sacrés. Ainsi,
les cimetières bien plus que les mosquées
(la
prière pouvant se faire n'importe où)
constituent ce lien solide
que les vivants ont toujours avec les morts.
Du point de vue de
l'espace et des droits fonciers,
les parcelles réservées aux
cimetières dans les villages ne respectent pas les segmentations
familiales,
ni les différentes répartitions foncières.
Si nous
prenons le cas de Tiyaabu chef-lieu du GOY, nous constatons que
l'unique cimetière du village se trouve sur les terres de Kiisi
xurungo, quatrième segment maître foncier du rameau Bacili. Mais
cet espace n'a jamais subi, depuis que le cimtière Y a été
installé, de maîtrise directe de la part de cette famille.
c'est
une sorte de zone franche sur laquelle aucun droit foncier ne
s'exerce, et tous les morts de Tiyaabu Y sont enterrés,
sans dis
tinction entre les groupes statutaires. Ceci est vrai de Mannaayel
aussi, mais dans d'autres villages,
on constate l'existence, non
pas de droits fonciers sur les cimetières, mais des divisions
19- TRAORE (s.)
1985
: Corpus soninke. op. cit. p.9 et s.

39
familiales et statutaires. C'est ainsi qu'à Jawara par exemple,
il existait différents cimetières qui reflétaient la physionomie
statutaire du village:
les maîtres politiques Saaxo étaient,
avec leurs clients, enterrés dans les cimetières qui leur étaient
réservés à l'est du village
(vers Yellingara) et les captifs Komo
dans un cimetière qui leur était destiné à l'ouest du village.
Cette séparation des nobles des captifs était alimentée
par l'idée selon laquelle,
les captifs,
êtres inférieurs,
ne
pouvaient être mélés aux nobles, même dans l'au-delà o~ les
divisions statutaires vont se reproduire.
Ces deux catégories
qui n'appartiennent pas au même espace social ne doivent pas,
après la mort,
relever du même espace sacré. Mais cette pratique
fut abandonnée à Jawara depuis les années 50 o~ il n'existe plus
que l'unique cimetière à l'est du village.
Il faut toutefois
remarquer que cette pratique existe toujours dans certains
villages du Gajaaga malien où les traditions sont encore vivaces.
Mais cette distinction statutaire quant aux cimetières n'est
consécutive à aucun droit foncier;
elle est seulement sociale
car, comme nous l'avons vu,
les captifs, bien qu'exclus de la
maîtrise foncière,
ont droit à leur cimetière qui est un espace
sacré comme celui des catégories dirigeantes.
cela veut dire que
tant qu'un espace est utilisé comme cimetière, et quelle que soit
la catégorie statutaire à laquelle il est réservé il reste invio-
lable. Mais comme la mosquée,
le caractère sacré de cet espace
n'est pas immuable, c'est la fonction que remplit l'espace qui lui
donne son caractère et dès lors qu'il cesse de la remplir,
il

40
perd ce caractère sacré.
c'est ainsi que dans certains villages,
Ja croissance démographique entrainant l'exiguité des maisons ou
ou les menaces provoquées par l'érosion fluviale,
entrainent la
désaffectation de certains vieux cimetières en vue d'en faire
des lieux d'habitation
(20).
Et à partir du moment où le site
n'est plus utilisé comme cimetière mais comme espace d'habitation
ou de culture,
les droits fonciers qui étaient suspendus du fait
de l'utilisation antérieure sont remis en oeuvre:
les maîtres
i,~
fonciers retrouvent dans ce cas la plénitude de leurs droits sur
1
la terre.
1
1
j
Le troisième espace qui renvoie au sacré et qui déroge à
1
la logique de l'homogénéité est celui réservé au culte des
J~!
ancêtres et aux génies protecteurs du groupe:
il s'agit des bullu.
~j
Il existe dans tous les villages du Goy des terres impropres à
1
la culture, du point de vue strictement pédologique
(21).
si les
mosquées,
et les cimetières ne sont pas cultivés,
tant qu'ils
remplissent leurs fonction;
il n'en demeure pas moins que ces
espaces peuvent être comme nous l'avons vu reversés dans l'espace
agricole homogène.
Par contre,
chaque village du Goy (et dans
tout le pays soninke)
conserve à l'intérieur ou à l'extérieur un
espace réservé aux génies protecteurs,
appelé bullu et quand il
s'agit de ceux de l'espace fluvial
ils sont appelés munoni
(22).
20- C'est ainsi qu'à Jawara,
l'ancien cimetière réservé aux cap-
tifs à l'ouest du village a été désaffecté,
donc désacra-
lisé et sert actuellement à faire face à l'extension du
village. Le site a été utilisé pour la construction de nou-
velles maisons,
et aussi de la poste villageoise et même
de la sous-préfecture.
21- Voir chapitre III
consacré aux sols.
22- Bullu : venant de bulunde
enterrer. C'est l'ensemble des
protections enterrées par le village.


41
Cet espace ou ces espaces sont créés généralement lors de
la fondation du village ou à l'occasion de grands événements,
comme la guerre pour apporter au village,
toute la protection
nécessaire.
En fait,
dans les relations du monde des vivants
avec l'invisible,
la fondation du village constitue l'occasion
de nouer les alliances avec la terre,
sur laquelle le groupe
s'établit.
La terre est une énergie vivante,
et il n'est pas
possible,
sous peine de grands malheurs, de s'y établir sans
alliances préalables
(23).
L'espace des alliances,
contrairement à celui des mosquées
misiidu et cimetières-furungallu,
est immuable,
définitivement
sacralisé et sur lequel,
quelque soit la période et la fertilité
éventuelle du sol,
il est impossible de pratiquer l'agriculture.
Cet espace peut se trouver à l'intérieur du village,
(cas de
Tiyaabu)
comme à l'extérieur (cas de Mannaayel,Jawara,
Gallaade.)
L'espace des bullu villageois si fortement sacré est généralement
choisi sur des endroits impropres à toute activité culturale.
Selon l'imagerie populaire,
cet endroit devient inculte
parce que les bullu y sont enterrés.
Les pratiques des bullu
varient selon les villages,
c'est ainsi que ~ar exemple à Tiyaabu
les fondateurs du village ont enterré leurs bullu au lieu dit
23- C'est ainsi qU'à défaut d'avoir établi correctement ces
alliances ou faute de les avoirs renouvelées,
certains
villages ont été victimes de forces hostiles,
naturelles ou
humaines:
invasions,
razzias,
ou animales:
attaques fré-
quentes de fauves
(le cas de Seeruka détruit au début du
siècle par les lions).
C'est ainsi que beaucoup de villages
ont changé de sites et ont renouvelé sur d'autres sites
leurs bullu : Tiyaabu et Mannaayel se sont avancés vers le
nord.

42
Daalunqaare (24) point de jonction entre le fleuve et les mares
en période de crue qui se situe entre le quartier Jonga au sud
et Tunkankaani au nord.
Les Bacili y auraient en plus des objets
entrant dans le rituel,
des cérémonies, une jeune fille vivante,
parée sur un cheval vivant.
c'était aussi le lieu des sacrifices
humains, réels ou simplement rituels
(25). Dans d'autres villages
du Goy,
sans aller jusqu'au sacrifice humain, même rituel,
on se
contentait d'enterrer des objets avec des animaux vivants ou
morts.
Ces pratiques ne sont pas de simples représentations, ni
de simples rapports de l'homme à la terre,
tout l'ordre cosmique
1
terrestre est en cause.
Nous entendons par ordre cosmique
1
i
terrestre,
la terre en tant qu'univers avec tout ce qui l'entou-
1
1
re
: l'eau,
l'atmosphère,
la nature ... Ces rites ne sont pas non
!
1
plus des rites initiatiques, mais leur accomplissement,
qui n'est
i
1
pas fréquent,
se fait au grand jour.
i
ll
L'espace des bullu est un espace religieux et socio-culturel
~
1
bien que physiquement coïncidant avec l'espace foncier.
L'espace
Jj
socio-culturel,
selon AGONJO-OKAWE
(26)
«
peut appartenir à un
1
territoire lignager ou villageois.
Dans ce cas l'espace physique
j
est le contenant de l'espace socio-culturel».
cela nous renvoie
pour les soninke, à ce principe de l'homogénéité de l'espace car
si le terroir (espace physique agricole) est le contenant de
25- Le sacrifice de la jeune servante est une réalité attestée
à Tiyaabu par les traditions orales. Mais il reste à prouver
les autres sacrifices humains dont on parle.
c'est peut-être
un discours pour conforter le caractère sacré de l'espace
et empêcher de le violer.
26- AGONDJO-OKAWE
(P.L.)
: Domaines d'application des droits tra
ditionnels.
Encyclopédie juridique de l'Afrique. Vol.l,

partie.

1
~ji
43
îlj
l'espace sacré des bullu,
en revanche,
les fonctions remplies
1
par cet espace sacré le rendent totalement indépendant de
l'espace physique. Mais cet espace n'est pas non plus un espace
1
j
ésétérique,
car la société soninke du Gajaaga ne connait pas
1
-1
les sociétés secrètes,
initiat~ques (27). Toujours est-il que la
1
1
profanation de cet espace entrainerait la malédiction de toutes
~i
les forces de l'invisible.
Mais il est exclu de croire, que ces pratiques encore
vivantes dans le Goy reléveraient du féticllisme.
Les soninke,
même non islamisés, n'ont pas connu les fétiches.
La religion
i
traditionnelle soninke n'est pas une adoration de fétiches.
Du
1
~1
reste,
comme l'a écrit FROBENIUS:
« ... l'on inventa la notion
l
de fétiche,
du portugais féticeiro,
comme symbole de religion
!
africaine.
Quant à moi,
je n'ai vu dans aucune partie de
l'Afrique nègre adorer le fétiche.
L'idée de nègre barbare
1
est une invention européenne qui par contre-coup,
a dominé
1
l'Europe jusqu'au début du siècle ... »
(28) Ajoutons à cela
1
l'idéologie de l'islam qui considère comme fétichiste ou paganisme
1
toute religion qui n'adore pas le Dieu de Mohamed.La très ancienne
1
islamisation des soninke démontre du reste l'absence de fondement
j
de l'idée,
selon laquelle les liens sacrés instaurés lors de la
j
fondation des villages relèveraient du culte fétichiste ou paien.
1
1
,
j
En aucun moment les soninke n'ont versé dans l'adoration des
j
j
j
bullu.
En conclusion,
l'espace sacré est un espace de référence
j
j
J
dans la mesure où s'y trouvent consignées,
comme des registres,
1
les alliances établies par les fondateurs des groupes. Cest
aussi un espace de solidarité parce qu'il constitue le lien qui
27- Le Koma,
xomma en soninke est une société. initiatique
d'origine bambara.
28- FROBENIUS (Léo)
1936 : Histoire de la Civilisation Africaine.
Paris. Gallimard.

~j
1
44
l!l unit tous les membres de la communauté, sans tenir compte des
1!
différenciations statutaires ou sexuelles.
1
1
B-L'ESPACE DE RENVOI
ESPACE MINIATURISE.
1
Cet espace échappe totalement à l'emprise de l'espace
!
physique,
contrairement à l'espace sacré qui est contenu dans
1
1
1
l'espace foncier.
L'espace de renvoi est un espace de référence
1
historique des clans et des lignages,
avec lequel ils ont perdu
1
tout lien direct depuis des siècles.
Les liens entre les popula-
j
tions du Goy et leur(s) espace(s)
de renvoi ne sont qu'affectifs,
il
justificatifs de l'origine réelle ou supposée des groupes.
1
!
1
L'espace de renvoi,
giriniine
(29),
ne se trouve pas
matériellement inclus dans l'espace foncier soninke,
et il ne
génère pas de droit ni de pouvoir sur la terre.
Cette référence
à la terre d'origine n'est pas un mode de contrôle de la terre,
mais plutôt un moyen de rattachement à un espace perçu de façon
1
!
lointaine. Nous appelons cet espace,
espace miniaturisé car il
est comme un bagage transporté par les populations
lors de leurs
migrations,
quelles gardent dans leur mémoire collective, et non
dans leur vécu.
L'espace de renvoi est miniaturisé parce que ceux
qui s'y refèrent dans le Goy, ne peuvent prétendre y retourner
et le contrôler.
Ce n'est qu'un cliché permettant aux acteurs de
ne pas perdre leurs racines lointaines.
Nous parlons d'espace de renvoi pour le Goy parce que toutes
les populations ont gardé le souvenir de leur émigration ancienne
29- Littéralement, terre d'où l'on vient,
terroir ou pays
d'origine en soninke.

45
et de l'occupation progressive du pays
(30).
On notera d'autre
part que cette référence à la terre d'origine ne concerne que
les catégories nobles
(royaux,
clients,
marabouts) qui justifient
ainsi leur domination.Les captifs n'ont pas de terre de référence
parce que généralement coupés très tôt de leur pays d'origine et
qu'au bout de deux génerations,
(et même à celle de capture)
ces
descendants de captifs n'ont qu'une seule référence:
la terre de
leurs maitres.
On ne dit jamais au descendant de captif l'origine
de ses parents que l'on ne connaît d'ailleurs pas.
La raison se
trouve dans l'éloignement des marchés de captifs. Un captif de
guerre ou un enfant enlevé est généralement vendu sur un marché
assez éloigné de son lieu de capture,
ajouté à cela tout un
processus de dépersonnalisation de l'esclave qui tendait à
annihiler de son esprit toute idée selon laquelle il pouvait
appartenir à un autre groupe que celui de son maître (31).
Ceci pour restreindre toute possibilité de fuite et lui faire
faire perdre toute notion de l'espace d'où il vient.
Mais les captifs arrivent à se créer un espace de référence
artificiel dont ils ne sont pas sûrs d'être originaires,
mais qui
constitue pour eux le symbole d'un rattac]lement nécessaire à une
terre.
L'élément utilisé est le nom patronymique (32).
30-La Thèse de BATHILY est assez édifiante sur les mouvements de
populations et le peuplement de la Vallée,
à partir de la
chute de l'empire de Gana et de ses royaumes satellites. Tous
les villages qui nous intéressent se sont installés dans le
Goy à la faveur des migrations et exodes successifs.
31-Voir MEILLA8S0UX (Claude)
1986
: Anthropologie de l'esclavage.
Paris.
PUF. Nous analyserons cette question au chapitre 4 sur
les groupes statutaires.
32- Voir TRADRE (8.)
1985 : Corpus soninke. op.cité.
et
chapitre 4.

46
Le nom patronymique d'origine,
que le captif soninke garde dans
la plupart des cas renvoie toujours à un espace controlé par une
famille portant ce nom:
c'est ainsi que le captif qui se nomme
Jara par exemple se rattacherait à ségou ou régnait le puissant
clan Jara. Un Kulibali viendrait de ségou ou du Kaarta.
Pour ce qui
concerne les catégories dirigeantes,
c'est-à-
dire les royaux et leurs clients nous parlerons d'espaces de
renvoi,
parce que ces catégories sont de provenances diverses.
c'est ainsi que les Bacili viendraient de Soxoro (sokolo)
loca-
lité située dans l'actuelle régioll de ségou au Mali,
qui était
peut être plus qu'un village
(33).
Les Jallo de Mannaayel
seraient originaires du Xaaso,
les Saaxo de Jawara viennent du
Wagadu en passant par le Fuuta,
les Njaay de Mudeeri du Jolof,
,
i
fuyant un conf) i t.
(34)
1
i
Tous ces dirigeants politiques de ces différents villages
1
1
ne font qu'une référence historiqlle à leur espace de renvoi
j
J
l
avec lequel
ils ont perdu tout lien physique et spirituel.
Les seules familles qui gardent toujours des liens physiques
et familliaux étroits et suivis avec leur espace d'origine
sont les Sumaare et leurs clients siibi de Yellingara,
qui
viennent du Hayre voisin,
distant d'une trentaine de kilomètres
environ.
Pour ceux-là le Hayre constitue un espace de renvoi où
ils ont encore des droits,
certes lâches, mais qu'ils peuvent
exercer à l'occasion de certaines successions par exemple.
~~- La Thèse de BATHILY et les traditions sur l'épopée des
Bacili le montrent clairement.
34- Voir informations recueillies dans le cadre du Projet Soninke
de L'ACCT,
à laquelle nous avons participé comme cherheur,
entre 1978 et 1980. Nous avons transcrit et traduit la plu-
part des bandes.
Déposées aux Archives culturelles du sénégal.

47
En résumé,
l'étude de l'espace foncier du Goy nous a permis de
saisir la réalité d'un espace non "géométrisé",
invariable.
Si l'espace foncier du Goy est homogène,
cela est dG comme
nous avons tenté de le démontrer,
à deux facteurs:
l'absence de
groupes statutaires à spécialités différentes d'une part,
et
d'autre part à l'exiguité des sols cultivables,
constitués par
une bande de terre longue d'environ 35 à 40 kilomètres longeant
le fleuve sur la rive gauche, et à peu près la même distance sur
la rive droite,
et large d'une quinzaille de kilomètres
(limites
du Ferlo à l'ouest,
et du Bundu au sud).
Cet espace, dans sa
description géographique est l'objet de grands enjeux.
C'est à
travers les différents enjeux sur cet espace que l'on détermine
les différents types de terres et de droits,
et où il faudra
préciser pour éviter les confusions,
la notioll de terre-niine
objet de ce travail.
Les enjeux fonciers se manifestent sur les territoires et
les terroirs,
et à une échelle plus grande au niveau du pays.
Waalo et Jeeri constitue11t le centre de ces enjeux fonciers
soninke.

48
CHAPITRE II -
L'ORGANISATION SOCIALE ET LE SYSTEME DE
PRODUCTION DES SONINKE DU GOY.
En dehors des précurseurs tels que Maurice DELAFOSSE et
Charles MONTEIL,
les recherches les plus récentes sur les soninke
et en particulier les soninke du Gajaaga, peu nombreuses mais
de très grande qualité ont été effectuées par Adrian ADAMS (1977
1985)
; Abdoulaye BATHILY,
dans sa thèse et de nombreux autres
travaux depuis 1969 ; Jean-Yves WEIGEL (1980-1982)
; Monique
CHASTANET (1976-1983)
et Samba TRAORE
(1980-81-8:)-86-87-88-)(1).
L'ouvrage fort intéressant de POLLET et WINTER,
sur le monde
soninke en général et le Jaafunu
(Mali)
en particulier demeure
un outil précieux pour la connaissance du système social soninke.
Cette relative abondance,
sur le plan qualitatif,
de la
littérature sur les soninke nous pousse à ne pas reprendre
1
i
systématiquement l'étude de la structure sociale générale des
~
soninke, mais plutôt l'organisation statutaire globale du Goy
1
1
et les spécificités villageoises,
s'il en existe,
ce qui
j
1
nous permettra de montrer au chapitre suivant les rapports de
1i
chaque
groupe à la terre.
Ensuite il faudra voir comment la
1
j
terre est gérée dans le cadre plus large des rapports entre
l
groupes statutaires,
dans le cadre plus restreint du groupe
1
familial et des rapports entre aînés et cadets. L'organisation
j
.l
sociale des soninke repose sur le double principe de la strati-
1
fication et de l'intégration.
1 - Voir les détails et références de ces différents travaux dans
les notes en renvoi et à la bibliographie générale.

49
],a société est structurée autour des catégories sociales
que nous appelons aussi groupes statutaires au sommet desquels se
trouvent les hommes libres
: les nobles hooro,
puis les artisans
et les artistes naxamalani,
enfin les serviteurs komo.
C'est
autour de ces groupes statutaires que s'organise le système de
production c'est-à-dire la mise en oeuvre des droits fonciers et
l'exploitation des terres,
les différents segments de ces groupes,
à savoir le clan-Xabiila et le lignage-Ka en sont les unités de
base. On observe le même système dans tout le Goy,
surtout au
Iliveau des catégories Cirigeantes,
ce qui a une certaine consé-
quence sur les tenures foncières.
I- LA STRUCTURE SOCIALE DU GOY : LES GROUPES
j
STATUTAIRES SONINKE.
1
Comme dans toutes les sociétés hiérarchisées du sénégal
1
1
j
le statut de l'individu ou du groupe détermine,
dans la société
1
soninke,
le rôle qu'il remplit dans le cadre de rapports simples
J
l
et complexes à la fois.
Ils sont simples lorsqu'ils se situent
1
entre groupes statutaires,
et complexes quand ils se déplacent
~i~
au niveau d'un autre espace,
par exemple la terre.
L'accès et/ou
la maîtrise foncière dans un terroir villageois dépend étroite-
ment de la place qU'occupe le groupe dans la société,
étant
entendu que les droits fonciers que nous analyserons ne sont pas
des droits individualistes,
une propriété exclusiviste.
Quand
nous parlons de"maître de la terre" c'est moins le groupe qui le
gère que la fonction sociale ou statutaire remplie par ce groupe
sur la terre.
La société soninke,
dans sa stratification ,. montre

50
très bien cette fonction,
par rapport à la terre.
Les groupes
statutaires soninke sont au nombre de trois
(3),
avec des sous-
classifications à l'intérieur de chaque groupe.
c'est le degré
de liberté ou de dépendance qui sert à différencier ces groupes
statutaires.
A-LES CATEGORIES DIRIGEANTES
HOORO.
Cette notion de catégories dirigeantes est définie par
BATHILY comme «un ensemble de groupes sociaux qui se distingue
par la position éminente qu'ils occupent dans
la société.
Ces groupes exercent un contrôle
collectif (souligné par nous)
sur l'appareil d'état
et entretiennent,de ce fait même,des rapports de
domination et d'exploitation avec les autres
classes et groupes sociaux.»
(2)
Les catégories dirigeantes sont les groupes statutaires r qui
non seulement contrôlent l'appareil d'Etat et villageois r mais
en plus ils contrôlent le moyen essentiel de production d'une
société agraire:
la terre.
Nous avons vu que le contrôle des
]10mmes dans le Gajaaga r donc le politiquer passe par celui de
la terre carr
les rapports hommes/hommes se déterminent par les
rapports entre les hommes et la terre, donc entre ceux qui
1
dépendent de la terre et ceux qui contrôlent la terrer
rendant
Î1
du coup la dépendance plus prégnante.
1
1
,
Il existait dans le Gajaaga quatre grands groupes diri-
1
geants, dont le statut juridique différait, mais qui étaient
~j
fortement interdépendants r si bien qu'on assiste à un véritable
!1
contrôle croisé de l'appareil socio-politique.
Ces catégories
1
1
dirigeantes se regroupent toutes dans le terme générique de
j
!
i
1
2- BATHILY (A.)
1985
: Thèse.
op.cit. p.274.
1
1

51
de Hoore (3), qui signifie noble,
franc.
Le hoore est avant tout
celui qui se suffit à lui-même par son activité et par sa position
dans la société; c'est celui qui dispose de moyens propres et
suffisants d'existence.
Mais du point de vue politique,
le Gajaaga ne connait
qU'une famille
dirigeante,
celle des Bacili qui a,
dans les
villages, d'autres familles hooro alliées.
C'est ainsi qU'au
sommet de la hiérarchie des hooro,
il y a les tunkallemmu,
viennent ensuite les mangu, puis les marabouts moodini,
enfin
un certain nombre de familles franches,
alliées aux hooro qui ne
jouent pas de rôle politique déterminant, mais qui sur le plan
statutaire et matrimonial,
sont associées aux hooro. De par leur
position inférieure par rapport aux autres hooro,
ces familles
sont exclues de la maîtrise foncière directe.
Le lien qui unit les catégories hooro, c'est l'existence
de rapports matrimoniaux entre eux,
et l'exclusion des komo et
naxamalani de ces rapports.
Un royal-Tunkallemme a la faculté
d'épouser une femme Mange et vice-versa, un moodi peut épouser
une tunkallemme mais jusqu'à une p~riode récente l'inverse
n'était pas arunis par les marabouts qui considéraient les
tunkallemmu et leurs alliés comme des païens ;
leur donner une
femme en mariage serait prendre le risque d'amputer la communauté
musulmane. Or, pour le marabout,
épouser une royale,
c'est
3- Nous ne connaissons pas l'origine exacte du terme hoore.
Il
se peut que ce soit un emprunt au bambara-mandingue horon,
qui signifie paysan, noble,
la noblesse étant tirée du sol
ou plutôt de l'activité libre exercée sur le sol. Mais
l'origine la plus vraisemblable de ce terme serait une
adaptation du terme bedouin ho'r qui signifie homme
libre,
franc.
----
Voir aussi TRAORE (5)
:
Corpus soninke. op.cit. p.86 et s.

1
~
1
1
52
!
i
,1
l
1
convertir un incroyant et renforcer la communauté islamique par
1
les enfants qui naitraient de l'union. (4)
1
1
"1!
1
1- Les Tunka11emmu
: royaux du GOY.
1
Ce terme signifie littéralement "fils, enfant de roi".
f
De Tunka
: roi,
souverain (5)
et remme
: enfant,
fils.
Il désigne,
!
jusqu'au début de ce siècle,
les branches de la famille Bacili
qui pouvaient prétendre à l'exercice du pouvoir central
(6).
1
1
Historiquement seuls les Bacili pouvaient porter le titre de
j
Tunkallemmu dans le Gajaaga. Au niveau central du Goy,
les
1
1
Bacili sont les seuls tunkallemmui
mais au niveau local villa-
J
1
geois,
les familles dirigeantes sont désignées sous le titre de
1
1
1
tunkallemmu,
sauf les Jallo de Mannaayel qui sont statutairement
1
des mangu et de ce fait ne peuvent pas s'en prévaloir.
Ce titre
utilisé dans le cadre des rapports politiques locaux au sein
d'un village,
ne se justifie pas par rapport au pouvoir Bacili
1
j
de Tiyaabu, mais plutôt par rapport à la position éminente de
1
4- C'est un peu simple comme justification, mais elle a prévalu
jusqu'à une période récente dans le Gajaaga.
Ce n'est qu'il
y a une dizaine d'années qu'un Bacili de Tiyaabu a épousé une
fille Kebe
(marabout) de Bakel.
C'est le seul exemple que
nous connaissons, du moins au niveau de Tiyaabu. Le problème
ne se pose pas à Jawara et à Mannaayel où il y a des Saaxo
et Jallo marabouts.
5- Tunka,
roi,
souverain est le titre pris par les chefs poli-
tiques du Gajaaga.
Il fut porté par les Bacili du Goy jus-
qu'au début du siècle, avec la transformation de la charge
en Chef de Province puis Chef de canton honoraire (Honorat).
6- Dans le Gajaaga en général puis dans le Goy,
toutes les
branches Bacili ne sont pas aptes à exercer le pouvoir.
Certaines branches Bacili de Tiyaabu même sont exclues du
pouvoir, pour des raisons historiques que nous n'analyserons
pas ici,
ainsi que le rameau Bacili établie à Gallaade, qui
fut exclue du pouvoir et chassée du Goy. Une partie de cette
famille revint de Seegaala (Mali)
après le tr~ité de
protectorat de 1858 pour se réinstaller à Gallaade, mais
elle fut déchue du titre de tunkallemme du Goy et perdit
ses droits sur la terre.

53
ces familles dans les villages respectifs.
cela se justifie par
l'origine princière,
(vraie ou simplement légitimée par le
discours politique) de certaines de ces familles,mais qui ne
règnent pas sur le Gajaaga, parce que accueillies et installées
par les Bacili qui exerçaient déjà le pouvoir royal.
C'est le
cas des Sumaare de Yellingara,
les Saaxo de Jawara,
les Njaay de
Mudeeri qui sont les chefs politiques de leur village respectif.
Ils ne sont en somme que des délégués des Bacili de Tiyaabu,
sans
pour autant que l'on puisse affirmer que l'on est en présence
d'une administration dans le sens courant du terme.
2- Les mangu
suite militaire et conseillers des royaux du Goy.
Ils arrivent au second rang après les royaux dans la
hiérarchie sociale des hooro.
Cette catégorie sociale est le
garant de la stabilité du pouvoir politique
les mangu sont
Jes chefs militaires des royaux en temps de guerre,
ambassadeurs,
envoyés spéciaux en temps de paix,
conciliat~urs des royaux en
conflit (7).
Ils sont,
avec les marabouts,
les alliés les plus
sûrs et les plus fidèles des royaux,
tant au niveau central
qu'au niveau villageois.
Les mangu sont associés en priorité et parfois de façon
obligatoire à toutes les activités des royaux.
Ils s'établissent
généralement auprès des royaux,
soit au sein du même village,
soit au village immédiatement voisin de celui des royaux,
c'est
7-Nous reviendrons sur cette catégorie sociale. BATHILY a dans
s~s différents travaux, montré comment certaines familles
sont devenues mangu dans le Gajaaga.
Pour celles du Goy, nous
donnerons certains détails pour mieux les situer dans le
procès foncier.

54
ainsi que les mangu Siibi se sont établis auprès des Surnaare,
Jeurs tunkallemmu à Yellingara,
les Sek auprès des Njaay à
Mudeeri,
et les Gunjam auprès des Bacili à Gallaade.
Seuls les
Jallo de Mannaayel, mangu des Bacili de Tiyaabu se sont établis
dans un village différent mais voisin de celui de leurs royaux.
Les Jallo jouent dans ce village les fonctions de chefs politi-
ques et de maîtres fonciers.
3- Les marabouts
moodini.
Nous avons indiqué,
dès l'introduction de cette thèse,
l'ancienneté de l'islamisation des soninke. Déjà à partir du
lIé siècle, on a vu l'apparition familles maraboutiques soninke,
qui se sont détachées des familles régnantes et aux 12è et 13è s.,
ont formé de grands foyers islamiques et commerciaux,
tel Gunjuru
(ville natale de Mamadou Lamine Dramé).
Les
j
soninke constituent l'une des premières ethnies entièrement
ï
j
islamisées de l'Afrique occidentale,
et ils ont joué, selon
1
Î
Bathily (1969 P 49) un rôle des plus importants dans la propa-
i!j
gation de l'islam.
Les marabouts jouent un rôle important, non
1
l
seulement en qualité de lettrés , mais aussi un rôle politique
1
j,
éminent.
Parfaitement intégrés dans la société soninke, ils ont
1
,
l
accès à la terre et peuvent même jouer la fonction de chefs
j
Jj
politiques dans le grand Gajaaga (par exemple à Dramanne au Mali).
1
Mais le Goy ne connaît pas de marabouts chefs politiques. Tou-
1
'\\
tefois,
ils exercent sur l'ensemble des villages soninke du Goy
1
1î1

55
o~ ils sont établis une grande influence socio-politique.Les
marabouts statutaires du Gajaaga sont les Draame,
fondateurs
de Gunjuru et les Tanjigoora de Jaaxali, dont on trouve un
rameau important à Kunani
(7 km en amont de Bakel). Mais les
marabouts statutaires des Bacili du Goy sont les rameaux
Draame Kanji de Bakel.
On trouve, dans les autres villages du Goy de puissantes
familles de Moodi
: à Mannayel,
en plus des Draame et des
1
j
Koyita,
il Y a une influente famille Jallo marabout,
qui est en
1
même temps Mange donc chef politique. A Yellingara,
il y a les
l
Dukkure marabouts et à Jawara,
le plus grand foyer maraboutique
1
l
du Goy,
nous trouvons les BA,
les Koyita,
les Dukkure et les
l
Draame,
en plus certains rameaux de la famille Saaxo. c'est à
A
Jawara que l'influence du groupe des marabouts est la plus forte,
1
1
\\
et o~ l'on assiste à un conflit latent entre Saaxo et BA, qui
veulent un contrôle politique et foncier plus large,
surtout
1
avec l'instalation de la communauté rurale de Xudeeri,
(dans
lequel les BA de Jawara exercent une grande influence).
Leur
1
capacité économique
(8)
qui date déjà du 13e siècle leur permet
1
l
d'influer sur le pouvoir politique villageois et du Goy.
i
D'autres rameaux Draame se trouvent aux côté des Njaay de Mudeeri
l!
et des Bacili de Gallaade.
~1
1
1
8- En effet, les marabouts soninke sont d'une longue tradition
1
de commerçants. Au 17è siècle,
ils ont été les animateurs
i
principaux des marchés d'esclaves dans le Soudan, et au 20 è
siècle,
ils sont les premiers à émigrer vers le congo,
1
l'oubangui-chari,
le Gabon,
le soudan français et la Côte
d'Ivoire i certains se sont définitivement établis dans ces
1
pays depuis" des générations.
1
1
1
i
1
1
1
j
,

56
A côté de ces différentes catégories d'hommes libres, on.
trouve dans les villages du Goy d'autres familles franches,
mais
qui n'exercent ni pouvoir politique, ni prérogatives foncières.
Les Njaay de Gande par exemple ne sont ni chefs politiques,
ni
maîtres fonciers.
Mais sur le plan statutaire,
ces familles sont
égales aux autres.
B- LES -
NAXAMALANI
ARTISANS ET ARTISTES
Nous avons effectué, en 83/85, un essai sur le TIaxamala(9),
que 1. D. Bathily (Bathily 69-p.66)
a appelé hommes de castes,
que CHASTANET (Chastanet 1983) désigne par artisans et griots,
l
et que nous appelons artisants et artistes.
1
l
Le ~axamala est un groupe statutaire libre, mais dépendant
j
entièrement du Hoore, malgré,
l'exercice d'une profession.
Il
1
est dépendant parce qu'il ne contrôle pas d'une part,
l'outil
de production qui est la terre,
et d'autre part il ne pratique
1
1
pas la seule activité qui lui permet de se suffire à lui-même
j
l'agriculture.
Il fournit à la société soninke du matériel et
1
1
des services, ce qui ne lui permet pas de vivre directement,
1
mais il vit du surplus de production des groupes Hooro, en
1
contrepartie des services rendus.
Le terme de "caste" que cer-
ii1
tains emploient pour l'ouest-africain en général et les soninke
1
j
en particulier ne nous semble pas approprié aux naxamala.
Il y
1
~~
a certes une idée de pureté ou d'impureté, mais elle n'est pas
1
ll
religieuse, par rapport au modèle hindou où l'idée de caste
1
apparaît plus nettement.
1j
J
ï
;
9- Voir TRAORE
(S.)
1985
: Corpus soninke.
op.
cit. p.
104.
1
~1
j
l
~
î
1

57
L'impureté du naxamala est plutôt fonctionnelle.
C'est-à
dire que tout individu ou groupe qui pratique autre chose que
les activités terriennes,
guerrières,
littéraires ou commer-
ciales vit en marge de la bonne société. Est impur, quiconque
ne peut subvenir à ses besoins, parce qu'il demeure dépendant
cette impureté s'explique par le mythe de la fondation de la
société que connait tout le groupe mandingue,
à savoir l'épui-
sement par la faim et la fatigue d'un cadet lors d'une randon-
née avec son ainé qui,
pour le soulager et le sauver le nourrit
grâce à un morceau de chair coupée sur sa cuisse ;
depuis lors
le cadet est devenu l'obligé,
l'inférieur social de son ainé.
Le discours de ce mythe projette une image facile à obser-
ver dans la réalité sociale soninke, dans les rapports entre
naxamala et hooro
le naxamala "mange"le 11oore, mais ce n'est
pas un morceau de chair humaine qu'il consomme,
ce morceau
dans le mythe de fondation ne représente rien d'autre que le
surplus de production du hoore qu'il affecte au Baxamala,
ce qui crée un rapport de domination sociale et de dépendance
économique vis-à-vis du hoore.
A un autre niveau et toujours contre ce concept de caste appliqué
au naxamala, ce terme est une déformation du malinké-bambara :
~amakala, qui fait des artisans-artistes un groupe de référence
négatif. Le mot ~ama reflète une pluralité de phénomènes relevant
de la dynamique des forces et le kala désigne l'antidote,
l'immu-
nisation contre ces forces.
Le namakala est un individu détenteur
d'une force vitale ;
aussi il recèle en lui les forces du mal

j
t
58
1
C -
LES KOMO
SERVITEURS.
11
Généralement appelés captifs ou esclaves,
ce sont toutes
les personnes qui, dans le passé,
ne jouissaient pas de la
1
liberté ou jouissaient d'une liberté incomplète;
ce sont ces
ti
populations qui vivaient encore dans les liens serviles ou se
1
1
sont libérés et vivaient auprès de leurs anciens maîtres.Ils
1
constituaient en général la grande masse des populations villa-
1
~
geoises du Goy et sont hiérarchisés à l'instar de leurs maîtres,
1
un serviteur de tunkallemme est supérieur à un serviteur de
mange ou de naxamala, et il existait même des captifs de captifs
1
appelés komo dun komo.
1
Jj
Le captif soninke n'est pas dépourvu de personnalité comme
l'esclave romain ou musulman.
s ' i l est réduit par la force à
,
l'état servile,
il n'est pas pour autant considéré comme inexis-
i
tant,
sans droit,
contrairement au cri du coeur de I.Diaman
!
BATHILY en 1945 « ... Ces soit disant serviteurs ne sont pas
l
autres choses que des esclaves,travaillant encore pour
1
leurs maîtres,
très souvent par la containte et sans entretien
ni rémuriération ... Ces serviteurs sont encore une monnaie qu'on
donne aux épouses comme partie de dot, cadeaux ...
»
(12)
Il
faut convenir que pour la période,
des années 40,
la condition
des captifs,
telle que décrite par l'auteur de ce cri était un
peu éxagérée c'est surtout l'humanisme de cet ancien chef du
î
Canton du Goy qui a pris le pas sur le réalisme.
Il est vrai que
1
,
la condition des captifs était parfois dure et dégradante, mais
1
il faut pour cela distinguer entre différents types de captifs,
J
1
12- BATHILY ( publié par A) 1.0 : Notices socio-historiques ...
1
op.cité. p.86
j
1
1
l

59
en même temps que les antidotes
(10).
L'existence de l'antidote
fait du nama une énergie vitale négative mais pas fatale.
Sa
fonction,
dans la société soninke est en plus de son art, de
jouer le rôle de concilateur,
de négociateur en toutes
circonstances et de messager pour les autres groupes
(11).
Au sommet de la hiérarchie naxamala se trouvent les
forgerons-Tago,
puis viennent les boisseliers-sakko, puis
les griots-jaaru, enfin les cordonniers-garanko. certains
de ces naxamala seraient venus en même temps que les Bacili
de Tiyaabu,
tels que les Jaxitte Gooraanu,
forgerons
i
d'autres
avec les chefs politiques des différents villages
: les Gaajigo
Sakko de Mannaayel et les Bommu forgerons de Jawara.
D'autres
naxamalani sont venus s'installer bien après,
auprès des royaux
de Tiyaabu et les autres familles du Goy.
Les naxamala sont exclus des charges politiques i
contrairement aux anciens captifs, mais leur place dans le procès
foncier se détermine par leur ancienneté dans le village,
ainsi
que le rôle qu'ils jouent dans les coutumes et cérémonies fami-
liales et villageoises. Mais généralement,
ils sont exclus de la
maîtrise foncière.
10- TRAORE (Mamadou BaIa)
1980
: Sociétés initiatiques et régu-
lation sociales des Malinke-Bambara du Mali. Thèse Paris I.
Cette thèse fait une analyse complète du concept de
namakala.
11- TRAORE (S.) 1985 : corpus soninke op.
cité p.
107. Nous
préférons ne pas nous aventurer pour le moment dans le
domaine des castes à cause de l'imprécision des arguments
dont nous disposons.

60
ce qui est surtout remarquable c'est le mouvement d'émancipation
qui s'est amorcé, depuis les années 20 de façon continue.
Le captif soninke a le droit de conserver son patronyme
1
jarnrnu, de se marier, et d'avoir une famille et des biens.
La
1
condition du captif varie selon le mode par lequel il est réduit
lj
à la servitude.
Il y a d'une part le prisonnier l'esclave capturé
!
(à la guerre,
ou enlevé),
kome-ragante
: c'est le captif de la
J
première génération, dont la condition juridique est plutôt
1
défavorable ; employé aux travaux de toutes sortes,
il peut être
vendu ou échangé. Ensuite le kome-xobonte : captif acheté sur
1
le marché d'esclaves,
il est,
comme le premier, un captif de la
première génération et sa condition n'est pas meilleure puisqu'il
1
est un captif de traite qui peut à tout moment être vendu (13).
Mais c'est surtout,
la troisième catégorie qui nous intéresse dans
cette étude à cause de la fin de la traite depuis la fin du 19è s.
et la stabilisation des captifs dans les différents villages.
Il
J
s'agit des captifs à partir de la deuxième génération,Komo-saardo
J
appelés captifs de case,
nés dans la captivité. c'est cette
1
13- Il faut signaler une autre source de captivité:
crest le
1
cas d'individus venant d'ailleurs,
librement, donc ni pri-
1
sonniers, ni achetés qui demandent aux chefs politiques à
)
s'établir dans un village.
Le moyen de les réduire à l'es
clave était en les trompant ou non, de leur donner comme
1
épouse une captive.
Certains s'en rendent compte après
coup, mais décident de rester dans ce village et dans la
condition servile qui offrait plus de sécurité pour eux
que de retourner chez eux ou aller ailleurs.
Ils sont donc
mis sous le contrôle d'un maître mais avec le statut de
saardo ; d'autres une fois,
la supercherie découverte,
préfèrent s'en aller plutôt que de demeurer dans l'escla-
vage.
Ce furent ces types d'esclaves qui se sont libérés
relativement tôt.

61
catégorie qui est formée par des serviteurs à proprement parler,
et leur condition juridique est nettement plus favorable.
Le captif,
"né dans la maison de son maître" pendant la
captivité de ses parents,
est un membre de la famille de son
maître, avec des droits plus étendus i
il ne peut être vendu,
car
cela équivaudrait pour le maître à vendre un de ses enfants.
rI
peut être prêté,
donné comme dot, mais à partir de là,
les liens
avec le maître vont,
au delà de simples rapports de maître à ser
viteur. Dans cette catégorie de captifs de case il y a quatre
sous-catégories: d'une part les ~omo soxaano ou faningillaano
qui étaient,
jusqu'au milieu du 20è s. dans les liens serviles et
qui devaient à leurs maîtres le service de captif en journées de
travail (nous verrons cela dans le système de production)
(14).
Ensuite les komo bagandinto captifs "sortis" "libérés", captifs
affranchis.
c'est le cas du captif qui se libère du lien servile
en se rachetant,
en versant une contrepartie en nature,
ou en
espèces, le plus souvent en prestations à son ancien maître,
soit
à sa propre demande,
soit à l'initiative du maître;
dans tous
les cas il faut l'accord du maître.
Ce mouvement d'émancipation de certaines familles qui se
sont affranchies relativement tôt s'est amorcé depuis le début du
sièclei
l'affranchi se prend en charge,
il peut quitter le village
(très rarement) mais le plus souvent il reste dans ce village qui
est le sien puisqu'il n'en connaît pas d'autres.
14- Komo soxaana
: captif cultivateur et faningillana
: captif
qui se lève tôt pour aller travailler les champs de son
maître.

62
Il tisse avec son ancien maître des liens de parenté. Mais les
rapports de dépendance subsistent car c'est l'ancien maître,
détenteur foncier ou sa famille,
qui devra allouer une terre de
culture à l'ancien captif. Ces affranchis de longue date forment
avec la famille de l'ancien maître:
une même famille,
de nos
jours. Le maître pouvait bien, en contrepartie de la terre qu'il
alloue, demander à son ancien captif de lui donner des heures de
travail. Mais ces prestations et contre prestations constituent
des réseaux d'alliance.
Depuis une quarantaine d'années,
le concept de kome n'est
que nominatif.
Il désigne tous ceux qui n'ont pas de contrôle
i~
politique, ni foncier,
mais qui sont totalement affranchis de la
~
1
l
tutelle de leurs anciens maîtres.
Le Goy n'a pas attendu les
1
l
indépendances pour cela.
Sur le plan de la liberté sociale et
!
i
économique,
les anciens captifs sont strictement égaux avec les
1
1
J
anciens maîtres dans les villages.
1
j
Ils sont partie prenante à part entière dans toutes les
activités socio-économiques des villages et en constituent
parfois l'élément le plus actif.
La dernière sous-catégorie de
captifs est constituée par les jaagarafu ou waanakunko ou encore
jonkurunko qui jouent un rôle politique déterminant dans la
société soninke du Goy. En effet,
certains de ces captifs
détiennent même la charge de chefs politiques, donc de chefs de
villages.
C'est le cas de Gande par exemple où les chefs de
village sont les Kamara,
captifs et non les Njaay hooro.
C'est
aussi le cas de Golmi,
où ce sont les Kamara captifs qui ont la
charge de chefs de village, chefs de terres au détriment d'une

11
63
1
1
~
j
famille Bacili.
Les Jaagarafu (15)
sont différents des captifs
1
,
ordinaires, parce qu'ils dépendent collectivement d'un maître
1
unique (une famille).
Ces grands captifs Komo xooro, qui étaient
ll
1
généralement de grandes familles nobles et même princières, ont
i
été asservis par les Bacili à l'occasion de guerres et révoltes
1
,
des Gaja (16). Mais leur position sociale est très favorable
1
J
1
parce qu'ils sont des captifs de couronne au niveau central, ou
1
1
de la famille qui a la charge du pouvoir politique au niveau
1j
1
villageois.
Ces captifs dépendent collectivement, et non
l
1
individuellement comme les captifs ordinaires,
de la famille de
~il hooro à laquelle ils sont rattachés. Les jaagarafu de Tiyaabu
1
par exemple dépendaient du Tunka,
ou,
selol) les époques, du
1
chef du village et à la mort de ce dernier,
ils passent
t,!
collectivement au service de son successeur.
1
On voit apparaitre toute l'importance de cette catégorie
de serviteurs en matière foncière,
parce qu'ils ont pour rôle
la gestion des réserves foncières des Tunka et des chefs des
différents clans détenteurs des droits fonciers,
ainsi que la
perception à leur profit des redevances foncières.
Il était utile de présenter les différents acteurs du
système foncier soninke du Goy, puisqu'ils sont finalement les
,
utilisateurs de l'espace foncier que nous avons analysé au cha
1
pitre précédent. Ce qu'il faut déterminer ensuite,
ce sont les
modes par lesquels cet espace est occupé et utilisé par eux.
Jl
15- C'est peut-être une déformation du terme wolof jaraf, et
nous verrons pourquoi plus loin.
16- Voir BATHILY 1985
: Thèse.
p.
287. Nous reviendrons sur le
processus plus loin puisqu'il concerne beaucoup plus les
droits fonciers.
1
i
1i

64
11- LE SYSTEME DE PRODUCTION DES SONINKE DU GOY.
WEIGEL (J.Y)
a fait,
en 1982 une étude assez intéressante
à ce sujet,
avec laquelle nous sommes d'accord pour l'essen-
tiel
(17).
Le système de production soninke met en lumière,
certains types de rapports entre hommes au niveau d'un cadre de
J
production,
de domination et d'exploitation de force de travail
1
f
entre groupes sociaux. La production agricole traditionnelle
j
1
l
repose sur ce qu'il convient d'appeler des réseaux de solidarité
1
1
au plan horizontal et au plan vertical.
L'exploitation des
ij
~
~
cadets par les aînés et des captifs par les maîtres entre dans
~j
1
le cadre d'un système global d'intégration des individus dans
f
le tissu social et productif, parce que ceux là même qui sont
j
1
censés les exploiter se trouvent parfois, dans la réalité,
dans
l1j
J
une position moins confortable.
1
L'unité de production de base du système soninke est
j
le lignage-ka, qui n'est pas forcément une unité foncière comme
1
le clan-xabiila. Le ka est reproduit de la même façon chez les
hooro,
les naxamala et les komo.
Il y a lieu de préciser, dans
1
l
un premier temps cette notion de ka, qui peut renvoyer à des
1
signifiants divers,
ensuite le rôle de chacun de ce ka dans la
j
1
!
production.
1
f
17- WEIGEL (J.Y.)
1982
: Migration et production domestique
§
des soninke du Sénégal. Thèse ORSTOM.
op.
cité.

65
A - L'UNITE DE PRODUCTION : LE KA ET LES
LES RAPPORTS AINES/CADETS.
Ibrahima Diaman Bathily (voir Bathily 1969 p.73)
définit
la famille soninke comme étant «
composée de tous les parents
ayant le même ancêtre tant du côté paternel que celui
de la mère.
Lançant ses tentacules,
la famille s'étend
t
jusqu'à la totalité de la tribu, voire même aux tribus
j
où l'on prend femme et d'oü sont mariés des parents».
1
Et plus loin «tous les jeunes frères et tous les fils et
neveux travaillent dans le champ du chef de
famille ... » .
Cette définition est un peu trop large et englobe à la fois le
Ka, unité de production,
le clan, unité foncière et matrimoniale
ainsi que le Maarenga,
liens de parenté au sens large et vague.
La définition du Ka donnée par CHASTANET (1983 p.13),
«l'ensemble des dépendants du chef de famille,
c'est-à-dire ses parents en ligne patrilinéaire,
leurs épouses et leurs enfants, et par extension
la concession oü vivent ces differentes personnes.»
semble mieux concorder avec Je Ka,
unité de production. Nous
avons tenté une définition du Ka soninke (18),
qui est un signi-
fiant qui désigne plusieurs choses à la fois.
Le Ka
: désigne
d'abord la concession dans laquelle vivent un certain nombre de
personnes ayant des liens de parenté, donc tous les batiments de
cette concession entourés par un mur ou une palissade.
Le Ka
:
!
1
désigne ensuite tous les frères et soeurs (non mariés)
et leurs
1
1
géniteurs,
leurs enfants et leurs épouses, vivant dans la même
1
,
concession. Il s'agit du lignage,
unité de production, de con-
1
ï
sommation et d'habitation d'un groupe de personnes descendant
t
f
t,,
d'un ancêtre commun,
plus précisément la descendance par les
1
hommes:
le patrilignage.
j
18- TRAORE (S.)
1985
: Corpus soninke. op.
cité p.
44

1
l
j
l
66
1
1
l
Sont exclus du Ka
: tous ceux qui,
en descendent par les
!
femmes,
notamment les enfants des fillep mariées à l'extérieur
1
j
du Ka (car il arrive qu'elles soient mariées dans le Ka lui-même,
f
avec les fils des frères de leur père : FS FR PE,
cousins paral-
1l
lèles).
Le plus souvent,
concession et lignage se confondent mais
1
î
il arrive parfois que le Ka-lignage englobe deux ou plusieurs
f
concessions.
Le foyre pulaar qui est l'unité de production,
au
1
*i!
Fuuta,
issu de la segmentation très poussée du lignage (ce qui
a
fj
une certaine incidence sur la répartition de l'espace foncier)
î
correspond au follaqe-porte
(ménage)
soninke qui dans le cadre
j
,i
du système de production,
n'a pas d'autonomie. Le follaqe
j
i
1
correspond seulement à l'appartement de chaque homme marié du
lignage Ka. Un follaqe correspond dans un Ka à un homme,
son ou
ses épouses et ses enfants.
Le ménage polygame dans le Ka soninke ne correspond qu'à
un seul follaqe,
le nombre d'épouses ne comptant pas;
seul le
mari est pris en compte comme unité.
Par exemple, un lignage
1
composé du père (1)
ses deux épouses
(2),
ses trois fils
(3)
1
l
dont le premier a deux épouses
(2)
le second trois épouses
(3)
1
!
et le troisième une épouse
(1) puis deux fils
(2)
des fils qui
1
ont respectivement une épouse
(1)
et deux épouses (2),
ce lignage
1
i
de 17 personnes,
dont 6 hommes,
et Il femmes ne comprend que 6
!
follaqu,
nombre des hommes adultes, mais une seule unité de pro
duction et de consommation.
11
Le ka constitue ainsi le cadre d'observation des rapports
entre aînés,
et cadets;
et aussi le cadre de répartition de

68
1
champ familial, pour donner la matinée au suivant du kagume,
et
1
i,
consacrer l'après-midi à leur propre salluma.
Le lundi est le
jour de repos général chez les paysans du Goy (jl semble que les
1
wolof et les pulaar l'observent aussi,
le vendredi n'étant qu'une
1
introduction relativement récente de l'islam),
et les cadets,
1
i
souvent en retard sur leur culture, en profitent pour avancer.
Les femmes ne sont impliqu~es à cette organisation qu'en période
de semis et de récoltes sur le champ familial et parfois sur les
salluma. On ne trouve pas non plus ce type d'organisation sur
1
les champs de femmes
(qui produisent de l'arachide,
du riz,
de
1
l'indigo et à une période plus reculée du coton)
où chaque femme
ne possède qu'un seul champ,
aidée par ses filles célibataires,
1
qui n'ont pas le droit à un salluma,
et à l'occasion par le mari
1
ou les fils.
Ce schéma de production n'est valable que sur les sols de
jeeri, champs de culture sous pluies, mais pas pour le waalo. On
ne trouve pas,
au waalo,
de Te xoore et de salluma. Toute la
famille,
en règle générale,
exploite un seul falo ou un seul
kollanga au nom du kagume.
Il arrive qu'une famille détienne
deux falo cela ne relève pas de la division technique du travail
comme au jeeri, mais des hasards des répartitions foncières.
La
plupart des familles détiennent une parcelle
(kacce)
sur la
réserve clanique-ruxuba,
et il arrive que certaines d'entre elles
détiennent en plus un falo lignager
l'existence éventuelle de
deux falo ne signifje pas existence de te xoore et de salluma.
L'exemple le plus simple que l'on peut donner est celui du kagume
qui accède à la chefferie (tunka ou chef de village ou de clan),

67
) 'espace foncier familial.
Le lignage est dirigé et contrôlé par
le chef du lignage-ka gume, qui est le père ou le doyen d'âge
des frères,
(consanguins,
germains,
et "cousins"parallèles,
patrilatéraux).
Son contrôle s'effectue sur tous les productifs
et improductifs de la famille,
à savoir ses frères,
ses fils,
i
les fils de ses frères,
les fils de ses fils,
ainsi que les
1
1
captifs dépendants
(ceci est plus ancien),
ainsi que le produit
1
!
de leur travail.
,j
i
Hommes et femmes travaillent selon une organisation
1
différente, mais nous insisterons sur le système masculin,
d'autant plus que les femmes sont exclues de la question
1
1
foncière au Gajaaga.
L'espace foncier familial dans le Goy est
1~1
réparti et exploité suivant un découpage vertical et en temps de
l
travail. D'une part,
il y a l e champ commun familial,
au nom du
chef de famille,
appelé Te xoore-grand champ,
tous les productifs
de la famille y cultivent, 5 à 6 jours sur 7,
de 7h-8h du matin
à 13h-14h, après quelques minutes de repos,
dont une partie est
consacrée au déjeûner,
ils cultivent sur les champs individuels
sallumà, où les aînés à l'exception du chef de famille profitent
à leur tour et à tour de rôle,
dans un laps de temps certes court,
de l'aide des cadets. C'est ainsi que certains cadets n'arrivent
parfois que très tard sur leur salluma
(19).
Ils bénéficient des
vendredi (jour de repos des kagumu à cause de la prière, qui ne
s'est généralisé que récemment)
où l'on ne cultive pas sur le
19- Cela dépend de la taille de la famille.
Il arrive que les
cadets n'accèdent pas,
les jours ordinaires,
à leurs champs
individuels.
Ils n'ont donc que le matin entre 5H/6H et
7H/8H à s'y consacrer, et les jours de repos.

69
j
à ce titre,
il a droit, d'office et pendant toute la durée de
l]l
la fonction
(à la mort) à une réserve cheffale : ruxuba et/ou
1
jamankafo (réserve clanique et réserve communale). S'il se trouve
1
qu'il jouissait déjà d'un falo lignager, sa famille n'en perd pas
1
pour autant le bénéfice : il exploite en tant que chef de la
1
1
communauté sa réserve, et à son nom,
en tant que ka gume,
le falo
i
lignager est exploité par son frère ou son fils aîné,
sans que
1
1
cela ne soit un champ individuel salluma (20). Le produit des
1
salluma des garçons célibataires est déstiné à être vendu pour
acquérir certains biens: habits, bétail,
ou constituer des dots,
mais pour les plus jeunes,
il est généralement déstiné à leurs
1
1
mères.
11
1
La contrepartie de cette "exploitation" des cadets par le
1
i
kagume montre que très souvent ce dernier a finalement plus
1
1
d'obligations et de charges que d'avantages proprement dit.
La
l
1
consommation familiale est organisée en fonction du système de
!
1
1
f
production.
Les cadets et les femmes se transforment en groupe de
,
~
1
,
l
l
1
redistribution-kore (lignage, progéniture, dépendants ,commensaux)
la nourriture est préparée en commun pour l'ensemble du ka.
C'est
1
le kagume qui fournit cette nourriture à partir des produit du
1
1
1
1
te xoore (champ collectif familial),
et des champs de falo,
et
i
f
kollanga,
sauf le vendredi
(si la famille a opté pour ce système)
1
1
correspondant à la journée donnée à son suivant (le plus âgé des
!
1
it
frères ou le doyen des fils)
; c'est ce dernier qui fournit la
1
1
J
!
j
nourriture familiale ce jour là,
ou parfois au cas o~ le grenier
r
l
~
f
1
,
1
20- Nous verrons ces différents types de tenures plus loin.
t
l
1
!
~
!
~
1
~.11
1
1
1
1
1
t

70
familial est vide.
En conséquence,
le kagume n'a pas le droit de
vendre le produit du te xoore,
sauf cas d'extrème nécessité.
Cette obligation incombe au kagume même en période de soudure où
en principe le grenier collectif est vide
(21).
En plus de la nourriture familiale,
le chef de famille a
à sa charge le paiement de l'impôt pour tous ses dépendants y
compris les captifs (à une période plus éloignée et pour certains
jusqu'à la fin des années 50),
ainsi que l'habillement des enfants
surtout à l'occasion des fêtes.
La pression fiscale était telle,
parfois, que l'on assistait à un profond déséquilibre entre les
prestations des cadets et celles des aînés. Mais d'une manière
générale,
ce système de production créait toutefois un équilibre
social entre aînés et cadets au sein de la famille et de la commu-
1
nauté,
le travail du cadet se trouvant largement compensé par les
j
obligations de l'aîné.
Il arrive que l'unité de production qui est le ka éclate,
1
j
et deux cas de figure se présentent généralement: c'est soit
1
l'unité de production qui éclate et laisse intacte l'unité de
i~
consommation et dans ce cas le lignage ka reste organiquement
1j
unique;
c'est par exemple à la suite de querelle ou de rnésen
1
1
tente, ou encore de séparation spatiale entre deux ou plusieurs
i
j
frères
(l'un cultivant sur la rive gauche et l'autre sur la
rive droite du fleuve).
Chacun des frères cultive à part,
en
1
~
reproduisant avec ses enfants la répartition spatiale et techni-
que des terres,
te xoore et salluma, mais en mettant en commun
21- C'est vrai surtout des périodes de crise de subsistance,
dont CHASTANET a fait une analyse intéressante. Les crises
de subsistance. op.cit. p.14 et s.

71
les produits après les récoltes qui sont gérés par l'aîné (22).
Soit dans le cadre de rapports plus ou moins lâches,
l'éclatement
de l'unité de production à la suite d'une mésentente mais la
1
mise en commun et la consommation de plats préparés séparément
mais déposés chez l'aîné. Même dans ce cas le ka reste l'unité
1
et les terres familiales,
comme nous le verrons,
sont gérées par
J
1
l'aîné. Le troisième schéma est celui de la séparation totale
entre frères,
qui entraîne l'éclatement de l'unité de production
et de consomation. Cette division,
s ' i l n'y a pas de conciliation
au niveau des protagonistes et de la génération qui suit entraîne
la segmentation du lignage. Ainsi,
au lieu de deux follaqu
(porte
ménages) d'un même ka, on se trouve en présence de deux ka dis
tincts même s'ils partagent le même espace concessionnel, donc à
1
moyen terme de lignages distincts d'un même clan.
1
1
Mais même dans ce cas les droits fonciers familiaux n'en
1
1
sont pas affectés pour autant, puisque c'est toujours l'aîné qui
1
1
1
1
gère et exploite les parcelles familiales qui reviennent au chef
de famille,
«
dont il use comme bon lui semble,
les engageant
1
même parfois » . (BATHILY 69p.74»
r
1
,
B- LES RAPPORTS MAITRES-SERVITEURS.
!~
Avant la colonisation,
certaines catégories sociales dans
1
le Goy, bien qu'agriculteurs, ne cultivaient pas elles mêmes
~j~1
22-c'était le cas pour notre propre famille jusqu'en 1963. Notre
f
père pendant l'hivernage cultivait sur la rive droite,
1
1
tandis que son frère aîné restait sur la rive gauche. Aprés
1
les récoltes notre père revenait avec le produit de son champ
1
1
qu'il mettait à la disposition de soin aîné, qui était le
1
kagume.
Dans ce cas,
il ne s'agissait que d'une séparation
i
technique,
ce qui n'équivaut pas à un éclatement de lignage.
1
1
1,
1

72
directement la terre, mais vivaient de l'exploitation de la
force de travail de la catégorie servile,
et des redevances fon-
cières (23).
Cette aristocratie a été amenée,
progressivement à
pratiquer directement l'agriculture,
tout en continuant à
exploiter les captifs. La lutte de l'administration coloniale
contre l'esclavage et la création de villages de liberté au début
du siècle (24) s'était plus manifestée par l'interdiction de la
traite (avec la pacification du Haut-sénégal-Niger et l'extinction
des foyers de conflits, donc la disparition des marchés de traite
qui étaient approvisionnés par les guerres)
que la disparition du
système lui même,
celui de la possession et l'exploitation des
captifs. Le maintien des captifs de case,
avec des conditions
assez bonnes a favorisé le processus de défrichement et de mise
en valeur du waaJo (le kollanga surtout)
et du jeeri. La capacité
productive des captifs,
avec la relative grande disponibilité des
sols arables, vont permettre le dégagement d'un surproduit,
23- C'est ainsi que Tiyaabu qui avait une tradition guerrière
vivait jusqu'au d~but du 19è siècle de redevances fon-
cières sur ses domaines de Mudeeri et sur les redevances
politiques tirées des autres villages,
tel que Hannaayel,
à qui Tiyaabu avait cédé presque toutes ses terres,
en
contrepartie d'être fourni en grain par Mannayel
(nous y
reviendrons dans la 2è partie).
24- Par ex.
la circulaire du Gouvernement PONTY du 1er février
1901 supprimant de droit de
(pour) suite, c'est-à-dire le
droit pour le maître de récupérer son esclave fugitif,
ou
le decret du 12 décembre 1905 frappant d'amende et de
peine de prison allant de 2 à 5 ans,
toute personne ayant
conclu "une convention ayant pour but d'aliéner la liberté
d'une tierce personne".
Nous n'insisterons pas sur les raisons qui ont poussé l'ad-
ministration coloniale à vouloir supprimer la traite et
l'esclavage, parce que l'on sait que les considérations
politiques et humanitaires avancées n'étaient que pour
masquer une autre forme d'exploitation, pire que l'escla-
vagisme lui-même,
à son profit: la mise en valeur et le
développement des colonies.

73
ainsi qu'une reproduction plus large des rapports maîtres-captifs.
c'est ainsi que jusqu'à une période relativement récente
(cela dépend des villages pour certains comme Tiyaabu,
le mouve-
ment d'émancipation s'est amorcé depuis les années 30,
alors que
pour d'autres il n'a été effectif qu'à la fin des années 50)
les
captifs,
individuellement ou collectivement travaillaient pour
leurs maîtres tous les matins et consacraient les après-midi,
les
vendredi et les lundi à leurs champs personnels,
dont le produit
était leur propriété.
Comme on le voit,
la captivité dans le
système soninke est très socialisée, dans la mesure oü non
seulement le captif n'est pas utilisé de façon permanente sur les
champs de son maître, mais en plus il a droit à un lopin de terre,
au jeeri comme au waalo, que le maître met à sa disposition, pour
qu'il puisse à son tour remplir ses obligations vis-à-vis de sa
famille,
s ' i l ne jouissait pas purement et simplement des préro-
gatives foncières de maître de champ-te gume, qui ne verse que
des redevances foncières assez consistantes à son maître. Ainsi,
même à une période oü la servitude était à la fois système social
et système d'exploitation dans le Goy,
chaque catégorie sociale
avait sa place et des droits dans le procès foncier.
Depuis les années 40-50 on assiste à l'apparition d'autres
types de rapports entre anciens maîtres et anciens captifs
:
d'abord l'indépendance des anciens captifs en matière fiscale
qui ne figurent plus sur les rôles d'impôts du ka de leurs
maîtres, mais sur le rôle de leurs propres ka (la résidence
séparée ayant toujours été la règle ; on voit dans certains

74
villages des quartiers entiers d'anciens captifs à la périphérie)
ensuite la disparition des obligations de travail ce qui ne remet
pas en cause, de façon fondamentale,
la dépendance des anciens
captifs en matière foncière,
surtout en ce qui concerne l'utili-
sation des terres de waalo.

75
CHAPITRE 111- LE - -
NIINE
: TERROIRS ET TERRITOIRES
: LE
CADRE DES ENJEUX FONCIERS DANS LE GOY ET
LE REGIME JURIDIQUE DES TERRES.
La notion de niine chez les soninke revêt des significations
multiples.
Elle constitue, en fait,
une confusion de concepts
clés tous tournant autour du foncier si nous entendons par fon-
cier la terre et tous les droits qui tournent autour de la terre.
La notion de niine renvoie à des cat~gories juridiques
différentes,
car au delà même des significations, des enjeux
importants se créent sur la terre,
qui sont politiques,
sociaux
et économiques et surtout culturels.
si l'espace foncier soninke
est un espace intégré, homogène,
les manifestations de son utili-
sation sont par contre nombreuses et variées,
ainsi que les fonc-
tions jouées par ces utilisations.
Selon la situation géographi-
que de la terre par rapport au fleuve d'une part et le régime des
eaux d'autre part,
on a globalement deux catégories de ter)-es, quj
jouent des fonctions différentes et dont les enjeux se sjtuent à
des degrés divers:
il s'agit des terres de Waalo et celles de
Jeeri
(1).
Le Goy est situé dans une zone climatique assez défavorable,
la zone soudano-sahélienne et reçoit,
selon CHASTANET (2)
«
en moyenne 600 à 700 mm d'eau par an,
répartis
sur quatre à cinq mois,
fin juin à octobre.
La crue
du fleuve permet de pratiquer des cultures de contre
saison après le retrait des eaux,
leur importance
variant selon la superficie inondée et le rythme des
décrues. Mais à cause de l'encaissement de la vallée
à ce niveau,
ces terroirs sont moins étendus qu'au
--------------------~---------------------------------
-----------
1- Termes génériques dans la vallée que nous empruntons.
Nous
aurons à les préciser dans ce chapitre.
2- CHASTANET (Monique)
1983 : Les crises de subsistance dans les
villages soninke du cercle de Bakel de 1858 à 1945. Cahiers
d'Etudes Africaines n089-90. XXIII-12 page Il.

76
Fuuta. Les agriculteurs exploitent donc en hivernage
des terres de Jeeri et en saison sèche des terres de
Waalo».
Ces chiffres doivent être revus, en fonction des années,
à la
hausse ou à la baisse depuis 1985, retour à un cycle pluviométri-
que qui se normalise.
Le régime des terres cultivables, objets
d'enjeux fonciers dans le Goy, est fonction du rythme de crue et
décrue du fleuve ainsi que de la pluviométrie. La réalité de ces
enjeux c'est que le Goy, d'après BATHILY (3)
«
est un pays peu
favorable à l'agriculture.
Les sols sont généralement pauvres.
Les riches terres qui sont constituées essentiellement par le
bourrelet alluvial ont
connu dans l'histoire un processus de
?égradation (continue)
sous l'effet de l'érosion fluviale».
Ainsi Jeeri et Waalo constituent le cadre privilégié de ces
enjeux fonciers.
Mais auparavant,
il nous faut préciser cette
notion de niine, qui a de multiples significations.
l
-
LE NIINE
TERROIRS et TERRITOIRES
LE SENS DES NOTIONS.
Nous avons déjà tenté une définition de ces notions, dans
le cadre d'une étude sur la parenté et le mariage (4), notamment
en écrivant que «jamaane et niine sont deux termes confondus
dans le langage juridique soninke mais qui en réalité,
renvoient à des catégories d'explications différentes,
et dont le second est un contenu du premier».
Mais en fait le langage soninke fait bien la différence entre ces
-
-
. " ,
deux notions:
il s'agit de niine (singulier) et niino (pluriel).
3- BATHILY (A): Thèse;
op.
cit. p.85
4- TRAORE (S)
: Corpus soninke.
op.
cit. p.78

77
A- LE TERRITOIRE
NIINE - JAMAANE.
Niine signifie littéralement terre (5). Employé dans son
sens politique et foncier,
le terme niine renvoie à jamaane.
Le
Jamaane soninke a fait l'objet d'une tentative de définition par
certains chercheurs,
tels que POLLET et WINTER pour le Jafunu et
WEIGEL pour le Gajaaga, mais de façon superficielle parce que le
Jaafunu ne constitue pas un jamaane à proprement parler,
à cause
de l'existence de pouvoirs et de centres politiques différents et
multiples, c'est plutôt des jamaanui ensuite le Gajaaga de WEIGEL
n'est pas explicite,
ce qui se justifie par l'objet de son étude
plus orientée sur le système de production que l'analyse concep-
tuelle des notions politiques.
La plus grande étude faite sur
le Gajaaga,
la thèse de A. BATHILY, n'explique pas non plus
cette notion de jamaane, de façon directe et claire. On perçoit
seulement,
à travers la définition de certains concepts la notion
de jamaane
mais c'est beaucoup plus pour expliquer et justifier
le concept d'Etat en tant qu'appareil administratif et de domina-
tion, que celui de jamaane en tant que territoire.
c'est ainsi que par la notion de classes dirigeantes BATHILY
laisse entrevoir la notion de jamaane«
... par la notion
de classes dirigeantes,nous désignons un
ensemble de groupes sociaux qui se distinguent
par la position éminente qu'ils occupent dans
la société.Ces groupes exercent un contrôle
collectif sur l'appareil d'état et entretiennent,
de ce fait même,des rapports de domination ou
d'exploitation avec les autres classes et
groupes sociaux». (6)
5-Niine : terme soninke qui renvoie à plusieurs sens:
il
signifie terre,
sol,
sable, monde, univers etc.
6- BATHILY (A)
: Thèse. p.274

78
A travers cette notion de classes dirigeantes de BATHILY
on perçoit le jamaane parce que le Gajaaga qui est un territoire
était en même temps un Etat,
contrairement au Jafunu et au Gidi
maxa. Niine renvoie à une catégorie large de terre,
et signifie
globalement le PAYS
Gajaaga niine
la terre,le pays du Gajaaga,
Gidimaxa "Iii ine, x"anaaga ni ine. Ains i, même si le pays n'a pas les
caractéristiques d'un état centralisé,
il n'en garde pas moins
sa nature de jamaane,
c'est-à-dire un territoire enfermé dans
des limites spatiales précises.
Le niine renvoie au territoire sur lequel vit une ou des
populations qui partagent ensemble certaines valeurs
: politiques,
historiques,
linguistiques,
sociales, culturelles et religieuses,
combinées ou non.
Sur ce territoire-niine s'exerce un pouvoir ou
une autorité,
Fanka,
unique ou multiple,
sur les hommes et/ou la
terre
(foncier). C'est ainsi par exemple, pour le Jaafunu,
il
existe des autorités politiques multiples, et des maîtrises
foncières différentes selon les villages des pouvoirs politiques.
Le 1'iiine-j amaane est composé d'un certain nombre de villages
et pour le cas du Goy,
on trouve à la tête un pouvoir politique,
l'autorité suprême du pays,
jamangume,
appelé le TUNKA.
Le Tunka
du Goy exerce une autorité souveraine sur l'ensemble du jamaane,
et toutes les autorités locales que sont les Debigumu-chefs des
villages lui sont politiquement soumis,
en tenant compte toutefois
des différentes alliances familiales que le Tunka entretient
avec ces chefs locaux.
Le pouvoir du Gajaaga, qui est aussi un
Etat centralisé, est une confusion du contrôle des terres et des

79
hommes vivant sur ces terres.
Même si ce contrôle n'est plus
effectif,
il est certain qu'originellemnt,
il a été l'élément
fondamental qui a fait du pouvoir Bacili un pouvoir total et a
justifié leur longue domination politique sur le Gaj aaga.
(7)
Ce concept de niine renvoie ethymologiquement au Leydi
pulaar au Fuuta, qui signifie aussi terre,
territoire.
Mais dans
le langage foncier,
le leydi pulaar renvoie plus à des catégories
spatiales géométriques et statutaires, donc plus à la notion de
terroir qu'à celle de pays ou janlaane soninke.
Le leydi pulaar
correspond aux espaces d'évolution des différents groupes statu-
taires Toroodo, Cubballo, Ceddo,
et Peuls éléveurs.
A chaque
espace correspond un groupe déterminé,
qui le contrôle et
l'exploite. C'est,
selon Jean SCHMITZ
(8),
pour le Fuuta Tooro,
une "écologie politique" dans la meSU1-e où la place de chaque
groupe par rapport à sa "niche politique", dépend de celle des
autres communautés. En poussant plus loin l'explication,
nous
pouvons comparer le niine-jamaane soninke au rééw wolof qui,
selon E.
LE ROY,
peut être traduit par «
la contrée,
la région,
le pays,
le royaume. C'est le dernier sens qui est le plus
usité car ce terme désigne toujours un espace politiquement
indépendant.»
(9)
contrairement,
au rééw wolof de E.
LE ROY,
le Tunka du Goy,
en
accédant à la souveraineté devient d'office jamangume et
7- TRAORE
(S.)
: Corpus soninke.
op.cit. p.78 et s.
8- SCHMITZ
(J.)
: L'Etat géomètre
..
op.
cit. p.363 et s.
Nous avons vu au chapitre 1 que le Fuuta comporte des espaces
statutaires et spécialisés contrairement au Gajaaga.
9- LE ROY (Etienne)
1970
:
système foncier et développement
rural:
Essai d'Anthropologie sur la répartition des terres
chez les wolofs ruraux de la zone arachidière nord (Républi-
que du sénégal) Thèse.
Faculté de droit de Paris. p.
136 et s.

80
niinegume, mais comme le Buur wolof il est garant de l'intégrité
de l'espace politique et responsable de la paix civile à l'inté-
rieur.
c'est pour cela que le terme niine-jamaane dans le langage
politique et juridique des soninke du Goy renvoie encore de nos
jours au pays,
à l ' é t a t : sénégaali jamaane,
sénégaali niine
:
le pays,
l'Etat du sénégal.
Ce qui est surtout déterminant pour
la clarté de ce concept, c'est la coïncidence parfaite entre le
pouvoir et l'espace sur lequel i l s'exerce.
Le ~iine du Goy qui fut aussi un ancien canton jusqu'à
l'indépendance du Sénégal est constitué par sept
(7)
villages
soninke : Tiyaabu (capitale politique), Mannaayel,
Yellingara,
Jawara, Mudeeri, Gallaade et Gande.
Et c'est au niveau du
territoire que se jouait la stratégie foncière.
Mais ce système politique centralisé, par souci d'une bonne
administration du jamaane ne signifie pas existence d'un droit
unique sur la terre. Les droits fonciers soninke du Goy corres-
pondent à la notion de niino
(pluriel de niine) qui renvoie à un
concept différent,
celui de terroirs.
B- LES TERROIRS
NIINO.
C'est au niveau des niino que se manifestent les droits
qui grèvent le sol. Le concept de terroir est toujours employé
au pluriel en soninke ; niino, parce qu'il vise plus les droits
sur la terre que la terre elle même.
Les terroirs se définissent
comme l'ensemble des terres exploitées par un village,
sur les-
quelles s'exercent les droits fonciers;
ce sont les terres
effectivement exploitées ou mises en jachère, ou qui servent

'1j
81
1
i
incidemment à la pêche ou à l'élevage.
si le territoire a un sens
politique,
en tant que l'ensemble des terres et des cours d'eau
plaçés sous le contrôle du Tunka du Gajaaga
(10),
les terroirs
1
villageois niino désignent simplenent les terres sur lesquelles
s'exercent les droits fonciers particuliers ou collectifs d'un
1
village.
1
1
~';
C'est ainsi que le Goy comprend sept terroirs, qui cor-
respondent aux sept villages. Chaque village contrôle son terroir
qui est son "territoire" à l'échelle locale,
mais cela ne veut pas
dire que les terroirs villageois se constituent obligatoirement
par l'espace aux alentours immédiats du village.
Les ~ii~o d'un
même village peuvent se situer sur le "territoire" géographique
~'
~
d'un autre village.
C'est ainsi qu'il y a dans le terroir de
ii,
Tiyaabu des terres de décrue qui se trouvent
à Mudeeri,
'.
1
Gallaade et Gande
(11). D'autre part,
le terroir coutumier de
Mannaayel,
à 7 kilomètres de Tiyaabu,
a ses limites jusqu'à
1
t
un kilomètre de Tiyaabu. Les terroirs villageois se trouvent
parfois géographiquement confondus,
ce qui multiplie les risques
1
f,
de conflits entre villages, à cause de l'imprécision des limites
i
r
territoriales.
Dans le passé,
il était facile de les aplanir
,
1
~
mais avec la nouvelle logique que vit le Gajaaga,
celle des com-
1
1
i
munautés rurales et de la mise en valeur,
ces causes de conflits
1
sont toujours présentes
(voir 2ème partie de cette thèse).
1
i
l
1
10- Voir CHASTANET:
Les crises de subsistance. op.cité. p.ll
!
11- Voir TRAORE
(Samba)
1986 : Aspects fonciers de la vallée
1
1
du sénégal:
les droits coutumiers face à l'Etat. Exemple
1
de la zone soninke du Gajaaga.
Communication au séminaire
J1,
1
sur la NPA.
CREA Université de Dakar. Mai 1986.
t~'
1
TRAORE 1987
: Les casiers fonciers du Goy : système foncier
1
i
1
,
et cas villageois. Land Tenure Center University of
;1
WISCONSIN Madison. Bakel 1987.
1
1
j
1
i~

J
1
î
82
1
1
1
i1
Ainsi c'est au niveau des terroirs que les distinctions se
1
font entre le Jeeri et le waalo,
d'où naissent et se concrétisent
1
les différents droits sur la terre. A chaque terroir agricole
1
correspond des types de sols et un régime juridique spécifique,
aussi bien du point de vue des droits fonciers que de l'occupa-
1
tion effective des sols.
si les uns sont dépourvus d'enjeux
1
1
j
importants,
les autres par contre en suscitent au plan politique
1
et social. Et dans l'histoire du Gajaaga,
c'est surtout autour
des terroirs agricoles qu'eurent lieu les grandes batailles,
les
1
1
évictions de groupes statutaires en vue de leur occupation et
i
i
l'installation des pouvoirs politiques.
1
II- WAALO ET JEERI
: L'ORGANISATION DU SOL
1
i
ET LES PESANTEURS AGRAIRES
Î
1
Jeeri et Waalo,
sont comme nous l'avons indiqué au précédent
1
i
chapitre, sont des termes génériques qui entrent dans le langage
4
~1
officiel du droit foncier sénégalais actuel, que nous empruntons
1
~!
pour les soninke à leurs voisins pulaar. Ces termes désignent les
1
i
différents terroirs de culture et ont parfois subi,
surtout au
~
1
niveau des dérivés comme kollanga et falo,
des transformations et
1
1
l
adaptations au soninke.
Les termes Waalo et Jeeri ont quand même
ifi1
des équivalants dans la langue soninke;
c'est ainsi que le waalo
l
1
est appelé ~iifie birante (12) ou encore ji batte (13), pour dési-
gner les différents sols de décrue
(14),
et le jeeri est appelé
1
j
l2-Niinne birante : sol vivant,
terre vivante,
sol de décrue.
l
13- Ji batte:
trace de l'eau,
là où est passée l'eau.
14- Voir BATHILY, Thèse p.
62 et CHASTANET p.l1
Voir également BRADLEY (P), RAYNAUT (C), TORRE ALBA (J)
le Guidimakha mauritanien : Diagnostic et propositions
d'action.
Edité par WAR on WANT. Londres octobre 1977.
1l
1
l
l

83
xaaxudun niino,
terres d'hivernage,
de culture sous pluies.
Les
soninke opposent plus souvent pour plus de précision,
le jeeri
et le fanne
(fleuve)
: la brousse et le fleuve,
les maisons
(kaani)
et les campements
(on ne trouve dans le jeeri du Goy,
traditionnellement que des villages de cultures, sur la rive
gauche comme sur la rive droite i mais cerlains de ces villages
tendent en ce moment à se détacher des villages d'origine et à
se constituer comme villages autonomes.)
Entre le jeeri et le
waalo,
il existe des sols intermédiaires appelés Dunde, plus
connus sous le nom générique de Foonde.
Nous employerons invariablement ces différents termes pour
désigner les sols de décrue et les sols d'hivernage. A cause des
enjeux signalés, le régime de ces terres varie à l'intérieur des
terroirs villageois,
et même parfois,
dans les rapports entre
villages.
Les différences pédologiques entre sols impliquent
des différences dans les variétés culturales produites sur ces
sols.
A- LE WAALO OU FAN~E.
La définition, de BOUTILLIER, du waalo semble encore la
meilleure, parce que la plus simple:
«
l'ensemble des terres
î
de la vallée plus ou moins régulièrement inondées
i
par la crue du fleuve»
(15).
f
1
Ces terres occupent le l i t majeur du fleuve et leur superficie
est assez réduite à ce niveau du fleuve à cause de l'encaissement
1
1
1
de la haute vallée dans la région de Bakel ce qui expliqup une
~
15- BOUTILLIER (J.L),
CANTRELLE
(P), CAUSSE (J), LAURENT (C),
NDOYE
( Th)
: La moyenne vallée du sénégal,
(Etude socio-éco
nomique)
Paris.
PUF 1962. p.63 et suivantes.

~
1
1
~
84
1l
1
plus grande importance des terres de décrue dans le Fuuta par
1
1
i
rapport au Gajaaga.
Mais la particularité du waalo par rapport au
~
1
jeeri, c'est que la crue par l'apport du limon et l'imprégnation
1j
i
d'eau qu'elle renouvelle à chaque hivernage ne rend pas nécessaire
1
le système de jachère i
et chaque année ce sont les mêmes parcelles
1
qui sont remises en culture. On distingue généralement, trois
1
1
,
catégories de terres dans le waalo.
~
j
1
1- Le falo.
j
Ce terme probablement emprunté au pulaar falo
(plur.faloni
f
soninke et pale-pulaar), désigne les champs sur berges ce sont
l
des terrains de décrue en pente qui forment les berges du fleuve.
1
1
L'intêret de ces terrains sur berges
(16)
c'est qu'on peut y
j
produire autre chose que le mil, base de la culture sous pluies.
~
1
j
c'est ainsi, que le falo lui même se subdivise en différentes
j
catégories d'espaces.
D'une part,
la partie haute des berges
~l
appelée dunde.
Ces hautes terres,
falondunde,
ne sont inondées
1
i
que par de fortes crues, et peuvent aussi être cultivées sous
1
j
pluies. Le dunde soninke n'est pas constitué par les seules
1
f
parties hautes des berges, en bordure du l i t mineur du fleuve,
~1~
mais aussi par d'autres levées de terres,
des ilôts au milieu du
f
~
1
fleuve.
(17)
Il est parfois difficile,
à certains endroits, de
1
!
r
i
distinguer le falo proprement dit du dunde,
mais le dunde tout
1
f
1
f
j
1
,
16- Dans le Guidimakha ce sont les berges des marigots et
1
!
rivières
( BRADLEY et alii p.27),
ainsi que dans certaines
1
régions du Fuuta (BOUTILLIER et alii p.63)
t
1
17- Le fameux DUNDE XOORE (grande île) de Jawara,
d'où est parti
le conflit sénégalo-mauritanien,
fait partie de ces types de
1
terres qui sont rarement inondées totalement, mais qui
j
!
servent aussi bien pour la culture sous pluies que celle de
,
r
i
contresaison. On trouve un autre grand îlot entre Tiyaabu et
1
Bakel, BaIa dunde,
exploité par Bakel.
!
l
,
l
~1
1
1~
f
i

85
court peut très bien être une entité distincte du falo.
L'irrégularité de leur immersion complète leur donne ainsi une
valeur relativement plus faible que les terres du falo proprement
dit et du kollanga
(BOUTILLIER p.64) mais nous verrons que les
droits fonciers y sont aussi forts que sur le falo,
parfois plus
forts et plus jalousement conservés, parce que politiquement ils
constituent des points stratégiques importants.
La détention du
dunde reflète étroitement la configuration politique et sociale
du Goy.
La variété culturale propre au dunde est le sorgho gejeba
et,
depuis le début du cycle de sècheresse,le feela,
une autre
variété de sorgho,
demandant moins d'humidité et dont le cycle
de maturation est plus court.
Le dunde sert aussi à la culture
du maïs, notamment sur les parties basses qui contiennent selon
BRADLEY une plus grande quantité d'argile
(20 à30 %),
une plus
grande quantité de limon, mais elles sont surtout sablonneuses
et leurs périodes d'inondation par rapport aux parties basses du
falo n'excèdent généralement pas 30 jours.
A cause de la rareté des crues, actuellement les parties
hautes du falo ont de plus en plus tendance à être abandonnées
(dans certains villages comme Jawara et Tiyaabu)
au profit des
parties basses, le Xuusu, qui s'élargit et pénètre de plus en
plus dans le l i t mineur du fleuve,
phénomène dû au recul des
bancs de sable. L'espace perdu au niveau des parties hautes à
cause de la rareté et la faiblesse des crues est donc rattrapé
sur le xuusu, mais avec des variétés culturales différentes.
Cette partie basse du falo se situe sur des pentes plus dOllces de
consistance sablo-argileuse, propice à la culture du maïs et de

86
certaines variétés de légumes: patates douces
(18),
aubergines
locales xollige, courges mallinjeye, niébé molle
(aussi bien pour
les graines que pour les feuilles qui entrent dans la préparation
de dere, plat national des soninke, une sauce compacte pour le
couscous, à base de feuilles de niébé,
cuite avec du poisson
frais et sec et de l'arachide).
Le xuusu sert aussi de nos jours,
et c'est l'une de ses fonctions principales,
aux cultures maraî-
chères en contresaison froide et sèche, oft les choux,
aubergines,
salade, oignons s'imposent de plus en plus comme alternative pour
les périodes de soudure ell saison sèche;
l'intérêt du xuusu se
situe dans le retrait tardif de l'eau du fleuve à certains lieux
ce qui fait de cette partrie du falo une réserve d'eau,
la nappe
à ces endroits étant très proche, 30 à SOcm de profondeur,
ainsi
que la fertilité du sol en limon.
2- Le kollanga
Ce terme est également emprunté au pulaar Kollangal
(plur. Kolaade).
C'est l'ensemble des cuvettes de décrue qui
constituent, pour certains villages tels que Mudeeri et Gande
la plus grande partie des terres cultivées en période de décrue.
Ces kollanga appelés aussi j i battu constituent l'ensemble des
cuvettes de décantation des eaux de la crue du fleuve,
situées de
part et d'autre du l i t majeur du fleuve.
Ces grandes cuvettes,
situées à l'arrière du foonde,
sont plus ou moins fortement inon-
dées chaque année et forment pendant la période d'inondations des
mares temporaires.
Elles sont inondées à partir de marigots et
18- La constitution des xuusu à Tiyaabu sur la rive gauche et à
Mudeeri sur la rive droite fait de ces villages avec Gallaade
les plus gros producteurs de patates douces du Goy.

87
mares,
confluents du fleuve,
que les soninke appellent botondal-
laqu, voies par lesquelles les eaux du fleuve en crue passent
pour inonder le waalo et remplir les mares de pêche, xaaro.
Le kollanga est d'une superficie assez réduite au sud-ouest
du Goy,
c'est-à-dire vers Bakel et Tiyaabu,
à cause d'une petite
chaîne de collines, qui empêche toute progression des eaux de
crues ou de pluies.
Par contre,
plus au nord et au nord-ouest,
les superficies des cuvettes deviennent importantes,
à cause de
la bifurcation de la chaine de collines vers l'ouest et le sud
ouest, et de l'existence d'une zone de plaine plus vaste,
ainsi
que d'importants marigots et mares plus au nord.
C'est pour cela
que les lacs de Haani
(Haani Jeeri et Haani Waalo)
au sud-ouest
de Mannayel et de Yellingara et Jawara forment des cuvettes de
décrue très larges et très propices à la riziculture.
Hais,
c'est au niveau de Hudeeri,
sur les deux rives du
fleuve que l'on trouve les plus importants kollanga du Goy (19).
C'est ainsi qu'à l'ouest de Mudeeri on y trouve les grands kollan-
ga de GOlJe (Gonxoore et Gontugune), Wol inne, riuxul u et Wal ima
(exploité en commun,
avec la communauté pulaar de Yaafillaqe et
Canaaf). Un peu plus au sud-ouest,
la grande cuvette de Gew
appartenant à Jawara mais exploité par Hudeeri.
Le Kollanga de
Gew fait,
actuellement,
l'objet d'un conflit entre Mudeeri et
Jawara (20). Sur la rive droite,
le terroir de Mudeeri compte
d'autres Kollanga importants tels que Xaaraxulle et Joorde pour
19- C'est ce qui expliquerait l? mainmise des Bacili sur ces
importantes terres de Mudeeri, privant du coup les Njaay
de la maîtrise foncière.
Nous le verrons au chapitre 5.
20- Nous reviendrons en détail sur ce conflit en 2è partie.

88
Jawara,
alimentés par un confluent du fleuve,
Saamangille, que
Mudeeri a cessé d'exploiter,
suite au premier conflit sanglant
qui a opposé en septembre 1977 sénégalais et Mauritaniens,
et
qui se solda par l'assasinat de trois habitants de Mudeeri. (21)
D'autre part,
les Kollanga de Gande,
limite avec le Hayre Damga,
assez grands et exploités par Gande, Mudeeri et Gallade, mais
dans les tenures des BACILI de Tiyaabu,
sont bien alimentés par
le marigot de Njorlu.
Les terres de Kollango,
à cause de leur teneur en argile
et de leur fréquente inondation, mais
aussi de leur étendue qui
atteint parfois des dizaines d'hectares,
sont selon les villages,
d'une plus grande importance (agricole) que les falo.
C'est sur
cette catégorie de terres,
à très haute teneur argileuse que se
développe sur une plus vaste échelle la culture du sorgho
(toutes
les variétés
: gejeba, samme et feela)
associés au nièbé,
courges
et melons.
Ces kollanga,
comme le falo font l'objet de grands en-
jeux alimentaires et politiques dans le système soninke,
et qui
risquent,
comme nous le verrons,
de susciter des convoitises plus
grandes dans la période d'après-barrages. A côté des terroirs du
Walo avec ses différentes composantes
(falo, dunde et kollanga),
il y existe en quantité plus grande des sols du jeeri ou xaaxu
dunniino.
21- Par contre les falo situés en face de Mudeeri,
appelés Sonko
ont été exploités par Mudeeri jusqu'en avril 1989. Nous y
reviendrons au chapitre consacré aux tenures coutumières sur
la rive droite du Goy.

i
1
. i
J
.' 1
~
1
89
1
,
1
1
...
j
1
B- LE JEERI OU XAAXUDUNNIINO.
1
Par opposition,
au waalo : le jeeri est constitué par
1
i
J
l'ensemble des terres qui ne sont jamais inondés par les crues
1
1
du Sénégal. Ce sont les terres les plus hautes du l i t majeur du
~.•'
fleuve,
mais qui peuvent parfois s'intercaler entre le falo et
~
1
,,
le Kollanga.
Sur la rive gauche ce sont toutes les terres qui se
1
trouvent au sud et au sud-ouest, puis au nord-ouest vers le Bundu
!
J
et le Ferlo.
Les terres de jeeri caractérisent l'aire de culture
l~j!
sous pluies, plus étendue que le waalo, mais dont l'importance
1
politique est moindre ; de plus son importance agricole tend à
1
diminuer depuis quelques années,
à cause de la séquence sèche
1
1
actuelle et de l'irrégularité des pluies. Mais dans le passé,
f
l'essentiel de l'alimentation était tiré des champs de jeeri,
le waalo ne venant qu'en appoint parfois très important,
surtout
pour certaines catégories dirigeantes.
L'emplacement du Goy expliquerait aussi l'importance
l relative des sols de jeeri sur la rive gauche, dont la superficie
j
est réduite par rapport à l'importance de la population active.
j
j
c'est le jeeri de la rive droite qui a été par conséquent le plus
~
exploité,
à cause de sa plus grande étendue,
et la meilleure
J
qualité des sols.
Ces tenures coutumières du Goy,
sur la rive
1
droite ont, dans le passé,
et à une période qui nous concerne
directement,
été l'objet de nommbreux conflits qui seront bien
1
analysés plus loin.
Comme au waalo,
les sols du jeeri ont des
J
j1
propriétés pédologiques et culturales différentes et var~ées.
1
1
J
1
~
i
i
i
!
\\

90
1- Le narwalle.
Ce terme comme d'autres que nous avons vus,
est un emprunt
au pulaar narwal.
Cest un sol sabla-argileux,
à grande consistance
argileuse qui se trouve dans les pédiplaines
(22), mais de texture
un peu fine.
La végétation,
la plus caractéristique du sol de
narwalle est le Gese,
le Sexenne (balanites aegyptiaca) qui
s'adapte de nombreuses variétés de sols situés,
au dessus des
zones d'inondation,
lefa (zizyphus) qui est Ja variété la plus
répandue, que l'on trouve partout aussi bien à proximité du waalo
que dans le narwalle lointain, de Bakel à Gande. On y trouve
parfois lexaame
(guiera sénégalensis) qui est plutôt une plante
de foonde préférant les sols à humidité moyenne(23).
Les variétés
culturales principales sur le ~arwalle sont le ~eneko, mil, et
en cas de bonne pluviométrie,
le sorgho Feela.
2- Le raqe.
Raqe en soninke renvoie à bouche, sortie,
issue, porte.
Ce sont des étendues de bas-fonds situées le long des marigots,
brièvement inondées lorsque ceux-ci d?bordent
:dullan.!j8 (24),
mais insuffisamment toutefois pour être exploitées en décrue,
la
période d'inondation ne dépassant généralement pas trois
(3)
à
quatre (4)
jours. Ces bas-fonds sont de constitution argileuse,
22- BRADLEY et alii.
op.
cit. p.27
23- Les noms scientifiques correspondant aux plantes soninke
sont empruntés dans Bradley. op.
cité.
p.38 et s.
24- Dullan!)e et 9aame. sont des synonymes signfiant inondation,
mais appliques à des espaces différents.
rI y a gaame lorsque
c'est le fleuve qui déborde pour remplir les mares et cuvettes
de décrue,
et dullange lorsque ce sont les marigots qui débor-
dent sur les sols de jeeri après de fortes pluies.

1
91
j
1
i
à consistance plus ou moins forte,
et contribuent à remplir des
l
1
cuvettes plus profondes,
le fara qui est utilisé pour la culture
du riz.
Le fara utilisé comme rizière n'est pas une zone de
1
décrue mais une zone de culture sous pluies, puisque ce sont les
1
eaux de pluies qui gonflent les oueds qui débordent par le raqe
1
pour remplir Je fara mais qui,
dès le mois d'octobre déjà,
est
1
1
totalement sec et après les récoltes il devient inutilisable car
il se craquelle à cause de sa très forte consistance en argile.
1
j1
Sur ces types de sol,
les principaux arbres et plantes qui y
1
poussent sont le furle
(dont nous n'avons pas l'équivalent latin),
,~
le waaye(idem),le jebe (accacia nilotica)et le xiiIe (mytragyma
1
inermis) que l'on trouve très souvent, pour ne pas dire toujours,
1
1
avec l'accacia nilotica.
1
l
Mais le nombre limité des marigots sur la rive gauche du
1
1
J
Goy fait que le raqe et le fara sont moins importants en nombre
j
1
et en étendue que sur la rive droite.
Les variétés culturales les
1
j
plus répandues dans le raqe sont le mil,
le sorgho et quelques
1
J;f
fois le millet suuma
(mil chandelle),
espèce qui pousse plus sur
1j
les sols sablonneux. Dans les cuvettes de retenue du raqe,
c'est-
~
-K
l
à-dire le fara,
on ne peut produire que du riz.
Et la rive gauche
1
i
du Goy recèle des capacités rizicoles énormes dans le cadre
J~1
d'une culture irriguée intensive à cause de l'existence de grands
1
lacs et mares permanants-xaaro qui s'y trouvent et qui présentent
j
j
1
les mêmes qualités pédologiques que le raqe.
i
1
1
1
1
1
il!11i
1
1
i
1
1

92
3- Le Katamange.
Ce sont des sols argileux au waalo, mais qui retiennent
rarement l'eau longtemps,
à moins d'une très forte crue. Le
katamanye est un sol qui est généralement à proximité du waalo,
mais qui est rarement inondé.
c'est un sol intermédiaire situé
entre le sina et le narwalle,
sur lequel on produj t
une variété
de sorgho appelé nabaane, plus hâtif que les autres,
à cause du
dessèchement relativement rapide du katamanne i
certains types
de kataman!)e sont par contre sablo-argileux.
Le si9a est un sol sableux de jeeri que l'on trouve généra-
lement entre le waalo et le narwalle, ou un peu plus loin dans les
zones qui jouxtent les limites du Goy avec le Ferlo et le Bundu.
Ces zones dunaires et sableuses ne sont exploitables qu'en hiver-
nage,
contairement au kataman~e qui peut être utilisé en culture
irriguée en saison sèche (25).
Il Y a deux types de si3a : le
sinankappe, formé de colluvions de sable couvrant des dépôts
alluviaux,
surtout un peu d'argile, propre à la culture du petit
mil, du sorgho et de l'arachide. Mais le sol le plus propice à
la culture de l'arachide est le sinan binne,
sol essentiellement
sableux, où poussent des variétés végétales,
comme le yaafe
(piliostigma reticulatum),
(surtout aux bordures du katamange
et du sinan kappe plus humides),
le tefe
(combretum glutinosium)
le sarnbe (grewia bicolor)
25- La plupart des périmètres irrigués villageois du Goy sont
installés dans la narwalle,
le katamanne ou le foonde.
La narwalle est plus recherchée que les deux autres.

93
Le si9a est le domaine plus ou moins réservé des femmes pour
la culture de l'arachide, mais actuellement à une échelle réduite.
Le recul de la culture de l'arachide qui était la meilleure du
sénégal aux 18è et 19è siècles
(26),
s'explique par des raisons
historiques et économiques ; depuis le début du 19è siècle,
le
Gajaaga fut secoué par des troubles aux plans politique (27)
et
économique.
Entre les années 1860 et 1870,
le comptoir du Galam
était le principal centre commercial du fleuve avec l'instal-
lation de grandes maisons de commerce tels que MAUREL et PROM,
BUHAN et TEJSSERE,
DEVES et CHAUMET (EATHILY 1975 p.193).
Cette
activité commerciale débordante de vitalité se faisait autour de
la traite officieuse des esclaves,
de la gomme arabique et de
l'arachide du Galam.
Mais l'activité de cette escale fut concur-
rencée puis écartée à partir des années 80 par l'escale de Médine,
et enfin Kayes avec la construction de la ligne du chemin de fer
Dakar-Niger (1881-1923)
et le développement du bassin arachidier.
(CHASTANET 1983 p.8)
L'arachide du Galam est ainsi abandonnée au profit de celle du
bassin arachidier,
parce que son coût devenait de plus en plus
élevé, à cause notamment du transport. Les traitants trouvaient
l'arachide du bassin plus "abordable" à cause d'une main-d'oeuvre
bon marché, et du transport direct, vers les ports du Sénégal
26- L'arachide du Galam,
appelée galaamu tiga.
27-La guerre entre clan royaux de Goy et Kammera en 1832-33,
se soldant par la partition du Gajaaga et,
à la fin du
siècle par les guerres de Mamadou lamine Draame. Voir
BATHILY, Thèse et autres travaux que nous citerons,
et
CHASTANET 1976 et 1983 op.
cit.

94
occidental (Dakar,
Rufisque) qui étaient moins couteux que celui
par le fleuve;
ce gain énorme de temps et d'argent a beaucoup
participé au déclin de la culture de l'arachide du Gajaaga,
et
par conséquent la perte par le sina de son importance comme sol
de culture, soutien d'un produit commercialisé.
La culture de
l'arachide sur les différents sina du Gajaaga ne constitue depuis
cette époque qu'un appoint au cultures céréalières et comble les
besoins des femmes pour la préparation de certains plats à base
d'arachide.
Il n'était pas inutile,
à notre avis,
de s'arrêter un peu
sur les différentes catégories de terroirs que l'on trouve dans
le Goy,
avec leurs caractéristiques physiques,
géographiques,
pédologiques et culturales ce qui nous permettra de mieux cerner
l'importance de ces sols au plan foncier,
politique et social.
Les différentes catégories de terroirs n'ont pas le même régime
juridique, et partant,
les enjeux pour leur contrôle ou leur
exploitation différent selon que l'on se place sur les sols du
waalo et (même selon les différentes sous-catégories du waalo
:
falo,
dunde et kollanga)
ou que l'on se situe au jeeri, où les
différentes catégories de sols peuvent aussi relever de régimes
différents.
c- LE REGIME DU WAALO ET DU JEERI SONINKE.
Le régime des terres dans le Goy est par sa nature très
élaboré, à cause notamment de l'existence, depuis le 15è siècle
d'un Etat fort et structuré du Gajaaga.
D'un côté les terres du
Waalo fertilisées et cultivables en permanence, mais en superficie

95
limitée, d'un autre les terres du jeeri dont l'exploitation dépend
d'une bonne pluviométrie,
ce qui la rend parfois très hypothétique,
d'où la pratique courante de la jachère plus ou moins longue, et
sur des superficies parfois très étendues.
Les sols vivants c'est-
à-dire ceux du Waalo ont été,
tout le long de l'histoire du Gajaa-
ga l'objet d'âpres rivalités
(BATHILY thèse p28) voire des guerres
meurtrières,
et restent encore l'objet de conflits assez vifs en-
tre populations de la vallée,
ce qui rend sensible la question de
la terre dans cette région du Sénégal
(28).
Pour les habitants du
Goy,
le Waalo est plus important que le Jeeri mais les modalités
de détention de ces deux types de terroirs ne diffèrent pas ici,
contrairement au Fuuta.
l.a différence la plus marquante,
est du
niveau des redevances foncières
(2S).
En faisant un peu l'historique du casier foncier du Goy, on
voit que les Bacili,
arrivés dans le Goy à une période plus ou
moins reculée,
ont acquis des droits sur toutes les terres.
L'ins-
tallation des autres villages du Goy (Mannaayel, Yellingara,Jawara
Mudeeri, Gallaade et Gande)
étant postérieure à celle de TIYAABU
on peut considérer les Bacili, comme les premiers occupants du
sol
(30). De ce fait,
l'occupation des terres alluviales était
pour eux nécessaire à cause de leur richesse et ainsi ils se créa
autour de ces terres fertiles une stratégie foncière et politique
28- ADAMS (A.)
1977
: Le long voyage des gens du Fleuve. op. cit.
ainsi que WEIGEL (J.Y.)
Irrigation et système traditionnel
de culture dans la région de Bakel. Dakar, ORSTOM 1980.
29- Nous analyserons au CH.4,
ainsi qu'au paragraphe 3 du CH.5
sur les redevances foncières.
30- C'e~t seulement par rapport au village que nous avons cités.
Sinon les Bacili ont trouvé le sol du Gajaaga déjà habité et
occupé.
Ils ont soit évincé, soit chassé les premiers occu-
pants. Analyses au CH.4.

1
1
1
96
j1ili qui leur permit de rester les maîtres du Gajaaga, alliant le
pouvoir politique et la maîtrise foncière.
c'est surtout autour
1f!
des sols vivants du waalo, que se sont nouées les alliances
! politiques entre les Bacili et les autres villages du Goy. Ainsi
toutes les terres de décrue furent contrôlées par les classes
1
!
dirigeantes des différents villages,
sauf Mudeeri, Gallade et
1
Gande. Car la stratégie foncière véritable des Tunka de Tiyaabu
Jlj
fut de se réserver les plus grandes superficies de décrue du Goy,
dans les terroirs de ces trois derniers villages, privant ainsi
les clans dominants de l'exercice de la môitrise foncière,
mais en
1
leur laissant toutefois des droits fonciers assez puissants de
1
!
gestion et d'exploitation et laissant aux Jallo,
Saaxo et Sumaare
~
de Mannaayel, de Jawaara et de Yellingara des terres qui leur
1j
permettent de subvenir à leurs besoins alimentaires,
sans pouvoir
ij
constituer de grands domaines, qui peuvent servir de base à un
j
l
contre-pouvoir fort.
L'accaparement par les Bacili de ces grandes superficies
de décrue leur confère une grande réserve foncière dans le Goy
mais il n'existe pas comme au Fuuta de grands domaines fonciers,
à cause de l'étendue relativement réduite du waalo par rapport
au Fuuta et du morcellement parfois assez poussé de ces terres
entre segments claniques maîtres de la terre.
La réserve foncière n'appartient pas au Tunka du Goy,
ni à
un seul rameau de la famille Bacili, mais elle est partagée entre
les quatre segments les plus représentatifs du rameau Bacili de
Tiyaabu : TA~ALLAKAARA ou TUNKANKAANI la branche aînée et

97
KIISIXURUNGO établies à Tunkankaani, puis les branches cadettes
1'UNKASANBAKONA et TANBONKA établies au quartier Jonga.
chacune
de ces branches possède dans le waalo,
comme dans le jeeri,
une
portion des terres;
mais ce morcellement territorial,
combiné
aux rivalités ardentes entre certaines de ces branches dans le
passé
(31)
étaient un motif supplémentaire et suffisant en lui
même pour empêcher toute constitution d'un véritable domaine
foncier dans le Goy.
Une réserve foncière est toujours attribuée
au Tunka (ou au chef de village)
et au doyen de chaque xabiila
sur le domaine communautaire,
car certaines parcelles dites
ruxuba échappent à l'emprise lignagère.
j
1
1
j
Ces grands enjeux sur les terres du waalo s'expliquent
J
j
par le fait qu'elles sont plus recherchées et donc plus
j
1
valorisées sur le plan des droits fonciers.
Aussi l'importance
socio-politique des différents groupes statutaires se mesure à
leur capacité juridique d'accès aux terres de décrue.
La ra]"eté
des sols du waalo a fait que dès l'origine déjà,
les royaux et
les différentes catégories dominantes qui étaient leurs alliés
1
1
l
dans le Gajaaga ont pratiqué une politique d'exclusion des
catégories inférieures comme les captifs komo et les artisans
1
~~
naxamalani de la maîtrise foncière,
ce qui ne signifie nullement
~1
que ces derniers n'aient pas de droits fonciers.
Du fait du
1
1
1
volume assez limité des terres du waalo, de leur fertilité et
31- Nous analyserons ces rivalités au plan foncier au chapitre 7
consacré aux conflits fonciers et leur mode de règlement,
en
utilisant pour cela les archives du Tribunal de Cercle de
Bakel, du Tribunal de Province du Goy et du Tribunal de Sub-
division des deux Goyes à Bakel, de 1906 à 1952. Notamment
un conflit qui a opposé deux familles du clan et qui a duré
de 1903 à 1925.

98
1
1
l
1
de leur pérennité,
l'assurance, quelle que soit la pluviométrie
lj
i
et la densité des crues, qu'elles produiront des récoltes plus
~j
j
ou moins bonnes,
c'est à partir d'elles que naîtra le .système
1
~1
foncier soninke du Goy,
largement favorable à l'aristocratie
j
j
royale en place et à sa clientèle.
Il n'y a pas eu,
comme au
1
Fuuta, de bouleversement avec le renforcement de l'islam (32).

C'est ainsi que les maîtres fonciers n'abandonnent jamais leurs
J
l
!1
droits sur ]es terres de waalo,
et quelque soit le temps qu'ils
1
j
mettent sans les exploiter,
il n'y a pas de prescription.
1
J
Par contre,
le régime du jeeri est quelque peu différent.
1
1
~
Cette différence ne se situe pas dans la détention du sol car que]
1
que soit l'éloignement,
les terres de jeeri, comme celles de
1
~~î
waalo font toujours l'objet de détention et de partage entre les
1
j
différents segments de clans maîtres de la terre.
C'est ainsi
j
1
qu'à Tiyaabu par exemple le jeeri est réparti de la même façon
1
,
j
entre les quatre branches ; la branche Kiisixurungo qui a moins
de terres de waalo possède les plus grandes superficies dans le
jeeri. De même qu'à Mannaayel,
les terres de jeeri et de waalo
sont réparties entre trois branches du clan Jallo : Siinakaara,
Maxankaara et sibitoxo ;
à Jawara également ce sont trois
(3)
branches du clan Saaxo qui se partagent les terres de waalo et
de jeeri : Tugaane,
Maxankaara,
(branche de l'actuel chef du
village)
et Danjo.
32- Voir à ce sujet MINVIELLE
: Paysans migrants.
op. cit. p.68
et aussi pour les Jaafunu,
POLLET et WINTER : La société
soninke. op. cit. p.311 et s.

99
Seulement,
les droits sur les sols de jeeri sont moins
stricts que ceux du waalo malgré leur plus grande disponibilité.
Mais il faut préciser que contraitrement au Fuuta où les règles
de détention du jeeri sont moins strictes, dans le Goy,
ce sont
moins les règles de détention,
qui sont les mêmes que pour le
waalo,
que les modalités d'accès à la terre qui sont visés
(33)
ici. c'est compte tenu des spécificités statutaires au Fuuta et de
la fonction que joue le jeeri en tant que "voie de parcours des
pâturages et voie de passage des groupes nomades .. ,"
(34).
Le
jeeri soninke ne joue pas ce rôle dans le droit foncier,
mais
l'accès à la terre en est plus libre qu'au waalo. Celui qui
interrompait l'exploitation d'un waalo n'en perdait pas pour
autant ses droits,
alors que pour le jeeri celui qui le faisait,
sauf pour la jachère, dOt-il être le Tunka du Goy lui-même,
pendant une certaine période (2 à 4 ans)
peut voir ce champ remis
en culture par quelqu'un d'autre.
Mais ce changement n'affecte que
le droit de culture, les droits du maître foncier restant intacts.
Donc le défaut de mise en production peut affecter les sols de
jeeri, mais jamais ceux du waalo. Ainsi, pour les groupes statu-
taires que nous avons étudiés au CH.2,
les sols du waalo et ceux
de jeeri ne reproduisent pas les mêmes types d'enjeux:
le waalo,
en plus de son rôle foncier important,
consistue un champ privi-
légié pour l'observation du jeu politique soninke,
alors que le
jeeri ne joue qU'un rôle alimentaire.
33- MINVIELLE,
1985, op.cit.
p.67,
notamment quand il dit que
sur les terres du jeeri on ne retrouve pas de jom leydi
maître de la terre.
.
34- BOUTILLIER et alii:
La moyenne vallée.
op.cité. p.112

100
De même pour conforter le rôle éminent des sols du waalo,
les redevances foncières y sont plus nombreuses et plus strictes
que celles du jeeri qui sont relativement souples.
Le waalo est
la "chose",
la chasse gardée des groupes dominants alors que le
jeeri est d'accès relativement libre pour toutes les catégories
statutaires. Mais faut-il le rappeler,
la différence de régime
entre les terres de waalo et celles de jeeri ne signifie pas
seulement défaut de maîtrise ou de détention des sols de jeeri
la théorie des terres vacantes et sans maîtres du decret du
23 octobre 1904 n'existe pas en droit foncier soninke
(35).
Cette logique est tout à fait contraire à celle sur la
détention
foncière en Afrique;
mais nous ne reviendrons pas sur
toutes les critiques
faites
à ces textes.
En droit foncier
soninke,
il est fréquent de trouver des terres vacantes dans le
jeeri, c'est-à-dire mises en longue jachère ou qui n'ont jamais
été exploitées, mais il n'existe pas de terres sans maîtres.
Toutes les terres font l'objet, dans le Goy,
d'une détention. Même
dans le cas d'abandon de ses terres par un village,
elles tombent
de plein droit dans la réserve du Tunka qui est en réalité le seul
maître,
et qui n'a fait que céder des droits qu'il reprend à son
compte dès que celui à qui il les a cédés arrivait à disparaître;
ces terres que lIon réintègre dans la réserve du Tunka sont soit
gardées par lui,
soit cédées à de nouveaux villages qui se
créeraient, ou tout simplemellt redistribuées aux familles
35- Nous reviendrons sur ce texte et donc au niveau des
maîtrises foncières.

101
dominantes et clients des royaux (36),
avant de défricher une
terre de waalo,
il faut nécessairement l'autorisation du maître
de la terre alors que l'on peut défricher une terre de jeeri sans
autorisation préalable;
ce qui n'affranchit pas toutefois du
paiement des redevances foncières qui sont exigées sur les sols
du jeeri.
36- BATHILY (Diaman)
: 1969
(publié par Abdoulaye BATHILY)
Notices socio-historiques sur l'ancien royaume soninke du
Gadiaga. Bulletin de l'IFAN série B.T XXXI.p 70.
A notre connaissance,
il n'existe dans le Goy qu'un seul
exemple de village ayant abandonné ses terres qui ont été
mises dans la réserve du Tunka du Goy,et confiées aux
jagarafu de Gande et Mudeeri ;
il s'agit du dernier village
du Gajaaga,
SEERUKA, décimé par les lions et dont les sur-
vivants ont émigré vers le Hayre.
Les terres abandonnées
i~
ont été remises dans la réserve du Tunka de Tiyaabu ; voir
aussi TRAORE
(Samba)
1987
les casiers fonciers du Goy.
i
Land tenure Center op cit p 37.
1
i
1
1
1
l
1
j
1
1
1
1

102
CHAPITRE IV- LES DROITS FONCIERS ET LES TENURES
COUTUMIERES DU GOY.
certaines idées préconçues et un manque regrettable
d'informations valables dans un passé récent sur les droits
fonciers coutumiers ont conduit à méconnaitre toute forme
d'organisation et partant toute explication fiable du syst~me
foncier traditionnel. Nous abordons cette question en 110US
fondant sur des travaux récents de juristEs, historiens et
êil1thropol ogues .
Mamadou NIANG soutient que «
la terre EE trouve bien au
centrE: de tcutes les structlire~; socialE:f dE: l'l-'.fl'"ic2UE:
traditionnelle Et mfn·:E conterr:poraine. Comme sourCE
fondamentale de la vie,
la terre constitue un moyen 6e
conciliation entre le réel et le monde invisible,
lES
vivants et les morts ... »
(1)
Cet auteur fait ressosrtir, d'emblée,
les dimensions sociale et
religieuse de la terre, et des rapports à la terre en Afrique,
ainsi que son importance en tant que début et aboutissement de
tout processus social. Les fonctions socio-religieuses de la
terre montrent aSfez clairement qu'elle est fortement liée au
système social et lui donne parfois son fondement,
ce qui veut
dire qu'il est exclu de définir ces droits fonciers par l'art.544
du code civil. La propriété foncière au sens napoléonnien du
terme
UEUS, fructus et abusus est impossible à concevoir en
droit soninke de la terre.
Ainsi toutES les utilisations que nous avons pu faire et
que nous ferons des termes "propriété", et "propriétaires" ne
1- NIANG (M):
Réflexions sur le régime des terres au sénégal.
RSD 1974. p.6

103
doivent pas être entendues dans le sens de 1I1'usus ll et de
1I1'abusus ll •
Les droits fonciers soninke sont des droits
communautaires et l'individu, plus généralement le groupe,
}
J.
'J
n'est qu'un simple gérant du patrimoine villageois,
clanique ou
j
lignager,
il ne dispose jamais du droit d'aliéner définitivement
tout, ou une partie du patrimoine commun.
L'inaliénabilité du
patrimoine foncier garantit la pérennité de son caractère commu-
nautaire. La terre, en général «
est appropriée collectivement
par une classe dirigeante qui,
au terme d'un processus aux
formes variables d'un cas à un autre,
réduit toutes les autres
classes ou groupes de la société en simples possesseurs des
terres qu'ils cultivent.»
(2).
On voit à travers cette affirmation de BATHILY,
l'existence de
différents droits sur la terre, hiérarchisés et détenus par les
différents groupes statutaires ou familiaux,
ce qui détermine
leur statut. Mais il faut préciser que quelque soit le groupe
statutaire qui détient ou exploite la terre,
celle-ci est
toujours franche
;
la terre ne change pas de statut en fonction
du groupe social qui la détient elle reste toujours franche
(3).
C'est ainsi que dans la hiérarchie des droits fonciers,
il Y a les droits du niinegume,
maître de la terre et ceux du
tegume, détenteur d'un droit de culture, maître du champ;
et
dans celle des tenures foncières,
en suivant l'organisation
horizontale de la société, on trouve lesxabiilanniino-tenures
claniques,
familliales,
les jamankafoniino terres communales et
les réserves cheffales appelées
: ruxubanniino.
Toutes les
2- BATHILY (A.)
: 1985
:Thèse. p.293
3- Contrairement aux terres en occident féodal,
où la nature
de la terre et 'son statut était fonction du rang social de
celui qui la détenait, c'est ainsi qu'il existait en occident
médiéval des tenures nobles et des tenures serviles.

104
catégories sociales et toutes les divisions familiales sont
impliquées,
inégalement dans ces droits fonciers.
I- LES MAITRES DE LA TERRE
NIINEGUMU.
Globalement il existait trois modes de détention foncière.
E.
LE ROY parle de modes de partage de l'espace en écrivant
«
Trois modes de partage ont été jusqu'à maintenant
identifiés.Ils sont fondés sur la présence ou
l'absence de préétablis.
S'il y a absence de pré-
établis et que le groupe décide de s'installer, son
responsable opère la découverte par des moyens à la
fois mat?riels et culturels.
s'il y a présence de
préétabljs,
trois situations sont possibles:
soit
les préétablis chassent les nouveaux venus,
qui
continuent ainsi leurs trajectoires spatiales ... ,
soit inversement ils sont dépossédés et les nouveaux
venus s'imposent comme dominants,
enfin les deux
groupes peuvent s'entendre par voie d'arrangement plus
ou moins amiable pour régler de façon pacifique leur
coexistence par voie de spécialisation de fonctions
ou de professions». (4)
Nous appellerons modes de maîtrise de l'espace ce que LE ROY
désigne par partage de l'espace, parce que le partage de l'espace
pour nous renvoie aux différentes tenures foncières,
à lintérieur
d'un mode de maîtrise,
c'est-à-dire l'éclatement de la maîtrise
j
initiale en différents droits. Les niinegumu sont les catégories
î
de groupes sociaux qui détiennent la terre par un de ces moyens.
i
,
!~
Mais le Goy ne connaît historiquement que deux types de
1
!
maîtrises à savoir la conquête (dépossession)
et l'arrangement
f
1
1
(la cession). Mais avant cela,
il faut placer le foncier dans
~
î
les rapports de l'homme avec l'invisible car quelque soit le
1
mode de la détention foncière,
ce rapport est incontournable.
1
1
1
4- LE ROY (E)
: Les modes d'acquisition et les preuves des
1
droits fonciers coutumiers. Encyclopédie Juridique de
i
l'Afrique. Tome 5,
chapitre 5, page 75.
1
ii!
1
~

105
A-LA MAITRISE RITUELLE.
La maîtrise rituelle est le lien originel que l'homme,
à son installation, constitue avec la terre.
La terre dans la
pensée soninke, même islamisée,
est une entité vivante,
douée
d'une vitalité telle qu'il est impossible de s'y installer sans
au préalable la "pacifier"j
la pacification de la terre passe
par un certain nombre d'actes,
de rites dont celui des bullu (5),
c'est-à-dire les offrandes qui
sont faites lors de l'installation
du groupe.
Cela crée, dans les rapports de l'homme à la terre,
un lien sacré qui détermine la place de l'homme dans la société
et de la terre dans les rapports hommes/hommes.
La terre,
dans
la pensée soninke est dotée d'une vie intense tel qu'il faut,
pour s'y installer nouer,
avec elle un certain nombre d'alliances.
L'importance de ces alliances avec la terre se manifeste
aussi,
à un certain niveau,
dans les rapports entre le monde des
vivants et l'invisible.
selon KOUASSIGAN,«
... la terre ne peut
être considérée comme un bien matériel, car avant d'être
source de richesse,
elle est source de vie.
La terre se prête
mais ne se soumet pas». (6)
A partir de là, on considère que toute fOl-me d'installation sur
la terre:
la découverte,
la conquête ou l'arrangement doit au
préalable être soumise à l'accomplissement de certains rites,
pour mettre en harmonie d'une part,
les forces du visible et
celles de l'invisible, d'autre part la société elle même avec
sa pensée. C'est ainsi qu'au Gajaaga,
les Bacili qui· n'ont pas
5- Voir.chapitre 1 , le sens de ce concept dans l'espace sacré.
6- KOUASSIGAN (Guy): Objectifs et évolutions des droits fonciers
couitumiers. Encyclopédie Juridique de l'Afrique. Tl p.30

~!11
)
106
ij~~~1 découvert la terre, au sens premier du terme, se sont quand
i!
même pliés à ces rites, car à chaque fois qu'un nouvel occupant
s'installait, quel que soit le mode d'occupation,
il est obligé
de créer son propre rapport avec la terre.
Les alliances avec
les premiers occupants ne valent pas pour les successeurs car
elles sont toujours spécifiques au groupe qui les nouent
(donc
individualisés,
si nous prenons le groupe comme une entité, un
individu dans la société).
Pour mieux montrer l'importance des bullu, on peut se
référer à la légende,
assez répandue dans ]a société soninke,
selon laquelle,
la maîtrise de la terre se faisait par la des-
truction des arbres et que sans ces alliances,
cette destruction
ne pouvait être effective parce qu'ils repousseraient toujours
au cours de la nuit suivant le défrichage.
Donc pour arriver à
bout de ces arbres,
si l'on est pas premier occupant, on doit
recourir aux maîtres originels installés sur la terre ou,
à
défaut, nouer une nouvelle alliance.
1
i,
Cette légende montre,
à travers son discours combien il
est important de s'allier à la terre, mais aussi le rôle rituel
1
l
j
prééminent des premiers occupants,
s'ils conservaient donc leur
statut(7). Maurice DELAFOSSE voyait là «une allusion symbolique
j
aux premiers essais agricoles tentés par les populations de
chasseurs et de guerriers, qui se contentaient de couper des
!
arbres,
dont les souches reverdissaient à chaque fois,
permet-
tant à la forêt de se reformer.
Peu à peu les hommes apprirent
à détruire la sève des arbres en brûlant les troncs et purent
ainsi mettre réellement le pays en valeur».
7- Nous employons ce concept de premiers occupants dans pour
désigner ceux qui,
les premiers se sont définitivement ins
tallés en créant des droits sur la terres, qui peuvent se
prolonger dans la domination politique ou non,
ceci quelque
soit le mode d'occupation.
Le cas du Goy est assez net et
nous le verrons au paragraphe suivant.

1
107
1
!i
1
Cette explication proposée par DELAFOSSE, bien que très
séduisante n'est pas convaincante. Elle est à notre avis trop
f
1
1
simple pour mettre en évidence les rapports rituels entre l'homme
1f
et la terre.
La légende met plutôt en lumière selon POLLET et
1
WINTER (1971.p.312)
«
un pouvoir magigue détenu sur la terre
t
par les premiers occupants, pouvoir qui,
à l'arrivée
r
d'immigrants désireux de cultiver cette terre, donc à ses
détenteurs,
donnait la qualité de médiateurs obligés entre
1
les forces surnaturelles et les nouveaux venus».
t
Cette opinion est plus conforme à la réalité du discours soninke
~
sur la maîtrise rituelle, parce que c'est à travers cela que
1
s'expriment les rapports de force entre premiers occupants et
t
nouveaux venus,
car il est très difficile de concevoir, que les
t
r
soninke,
lors de leurs pérégrinations après la chute du Wagadu
!
1
t
(Ghana),
aient pu oublier entre temps toute la pratique de
!1
1
r
l'agriculture.
1
~
Mais si cette maîtrise rituelle est manifeste dans la
1
majorité du pays soninke, elle est très diffuse au Gajaaga,
à
1
cause de la détention foncière et politique des Bacili qui ont,
~1
lors de leur exode,
conquis puis asservi les clans Gaja maîtres
originels de la terre qui,
finalement ne remplissaient plus que
1
ft!
des fonctions de gardiens du sol,
conservant par là certains
1
!t
privilèges. Mais pour la partie inférieure du Gajaaga,
c'est-à
!!
dire le Goy,
les Malinke premiers occupants ont été chassés par
les Bacili, qui se sont trouvés désormais dans la position de
premiers occupants, mais, ne jouent pas de fonction rituelle
quelconque par rapport au sol.
Mais ici, c'est réellement la
conquête guerrière qui constitue l'acte fondateur du droit
foncier des Bacili. L'alliance avec la terre n'est intervenue
1

108
que pour maintenir et conformer le droit aux rapports avec les
esprits de la terre. Même si ces alliances existent encore de
nos jours dans le GOY, cette forme de maîtrise rituelle qui met
en opposition la maîtrise politique et la maîtrise foncière
n'existe pas, ce qui ne signifie pas que le rituel est absent
dans les rapports entre l'homme et la terre.

t
1
t99
1
1
i
1
B- LE DROIT DE FEU
YINBINTAQE.
!
1
Ce procédé de maîtrise de la terre, par le feu,
a été
expliqué par presque tous les chercheurs qui ont travaillé sur
les droits fonciers.
C'est ainsi que Mamadou NIANG explique que
1
pour les wolof du Sénégal «le procédé
du feu
(daay) consiste à
1
délimiter sur un espace donné la surface cultivable. A
!
partir de ce moment, l'acte est créateur de droit et le
!
titulaire s'affirme comme le premier occupant ... Il est le
seul maître de la terre, qu'il met à la disposition de sa
famille».
Et Etienne LE ROY qui donne à peu près la même définition écrit
que le borom daay garde vocation à rentrer en possession de ses
droits lors de l'arrivée au pouvoir d'un parti favorable à sa
famille (8) ... Le système wolof fait ressortir deux éléments
distincts: d'abord à travers la définition de NIANG, nous
1
croyons comprendre que le maître du feu est en réalité le maître
t
de la culture, ce qui est parfois distinct du premier occupant
r
t
f
car le borom daay n'est rien d'autre que le premier à mettre la
r
f
terre en position d'être exploitée, ce qui lui donne un droit
i
t
puissant; et à travers la définition de LE ROY,
il y a sur la
1
1
terre du borom daay deux pouvoirs distincts
: un pouvoir
!
politique et un pouvoir foncier.
chez les pulaar du Fuuta sénégalais,
le droit de feu Jorn
Jeyngol est un droit de seconde catégorie à distinguer du droit
éminent du Jorn Leydi maître de la terre. Ainsi le jom jengol ne
serait que le maître du champ ou du terrain qu'il a défriché par
le feu. Mais selon BOUTILLIER (1962, p.114)
les droits du maître
8- LE ROY (E.)
: 1972 : THèse. op. cit. p.89

110
f
de 1a ter r' e son t
é t r' 0 i te men t
1 i mit é spa r' ce u x d u j 0 m j e ng 0 l, car
1
il
nia qu'un simple droit de regard en plus de la perception des
f
1
r'edevances qui
1 ui
sont dues.
1
Ainsi
le ma~tre de la terre qui est le premier occupant ne
détermine pas le mode de gestion des terres du jom jengol, mais
1
i
dans la hiérarchie des droits ceux du jom leydi
sont supérieurs
1
à ceux du jom jengol, qui
sont assujetis au paiement des r'ede
1
1
,
vances foncières.
Le droit du jom leydi est un droit simplement
1
1
juridique alors que celui du jom jengol est un droit de ma~trise
i
î
effective de la culture.
1
î,
Nous avons estimé qulil était utile d'insister un peu
~.
t
sur ces deux modèles (wolof et pulaar), car trop souvent les
cher'cheur's ont tendance à les génér'al iser' pour' l'ensemble du
Sénégal, en les mettant en position de référence pour les autres
systèmes sénégalais, en visant donc le "dr'oit foncier' coutumier'
s é né gal ais Il 0 U Il ré g i me des te rT e s a uSé né gal ", e n ne par 1a nt que
de ces deux modèles pour désigner en même temps tous les autres.
1
t
Ce qui est dangereux et parfois ethnocentriste, car on ne peut
~t
employer le langage foncier wolof pour expliquer le système
1
r
!
pulaar ou joola
; ce qui est valable pour le modèle soninke ne
1
peut servir dlexplication pour le modèle sereer
; les rapports à
l
1
la terre dans les diverses sociétés du Sénégal
sont différentes,
i
/,
la pensée juridique n'étant pas la même.
La ma'trise par le feu
f
en droit soninke du Goy est fondamentalement différente de celle
!
,
du borom daay wolof et du jom jengol pulaar
; on ne doit donc
r
r
pas génér'al iser les modèles wolof et pulaar pour l'ensemble du
t
i
1
système traditionnel
sénégalais.
,
1
!
1
1
f[

111
BATHILY explique bien le phénomène quand il écrit
: «
le droit
de commandement éxercé par les Bacili au Gajaaga est
justifié selon ces derniers et leurs laudateurs par le
fait que l'ancêtre Manga est celui qui a mis le feu au
pays ;
il a allumé le feu dans la brousse et le pays est
devenu clairière»
(9).
En effet, selon la tradition orale du Gajaaga l'ancêtre Manga
des Bacili,
fondateur du Gajaaga aurait mis le feu à la brousse,
feu qui se serait propagé et aurait tout brûlé jusque dans le
Damga (Fuuta) et aurait exercé son commandement sur tout l'espace
touché par le feu.
Même cette notion de feu yinbe prise par
rapport au discours sur l'appropriation du Gajaaga ne correspond
pas à celles de jom jengol et borom daay, car si cela avait été
le cas on serait en présence dans le Goy d'un maître du feu,
premier défricheur du sol.
Or tel n'est pas le cas car les premiers défricheurs,
premiers occupants,
seraient les malinke chassés par les Bacili.
Les notions de premiers occupants, maîtres de la terre et aussi
maîtres du feu,
prises distinctement sur le même espace sont
incompatibles dans le droit soninke de la terre.
Si la notion de
maître du feu existe bien chez les soninke du Goy,
elle a une
autre signification. Maître du feu buyindaana,
souvent utilisé
ne veut pas dire selon BATHILY, que les Bacili se considèrent
comme le groupe le plus ancien du pays.
Le feu dont i l est question dans le discours de la légende
de Manga n'est donc pas celui du cultivateur qui a défriché le
premier, mais il s'agit du feu du guerrier.
Le droit foncier et
de commandement des Bacili ne se justifie pas par un droit de
9- BATHILY : Thèse. op.
cit. p.276

112
1
premier occupant du sol mais le feu dans cet usage est le
!
symbole de l'occupation militaire. Clest donc le feu des armes,
donc celui de la conquête (ce que LE ROY appelle dépossession)
1
~
et non celui qui a permis de défricher pour la première fois ,la
terre.
1
j
Ce droit de feu dans le Gajaaga se trouve ainsi être
1
~
un droit supérieur,
le premier des droits sur la terre que
~
détiennent les Bacili et qui constitue le fondement de tous
t!
1
les autres droits fonciers. Cette ma'trise foncièr'e intégrale
f1
j
des Bacili
(10), contrairement à celle du jom leydi fuutanke,
1
;
1
n'est pas seulement un droit juridique, mais elle est aussi
1
,~
f
1
effective.
Les niinegumu du Goy cumulent les droits du ma'tre
!
de la terre et du ma'tre du feu.
Ainsi
la grande originalité
î,
du Gajaaga se trouve dans la dimension politique de la ma'trise
1
foncière,
tous les droits fonciers dans le Goy sont déterminés et
subordonnés à cette ma'trise intégrale des Bacili. Ces droits sont
selon les villages, assez puissants, parfois autonomes par
rapport au centre en fonction des alliances villageoises,
parfois fortement subordonnés à ceux des Bacili. si dans le Goy
r1
le droit de feu correspond au système de la conquête, d'autres
1
1
droits en découlent par la concession et 1 larrangement. Clest
1
par ce biais que les Bacili du Gajaaga ont mis en place leurs
1
f
l
écologies politiques pour assurer les frontières extérieures
t
1
1
et intérieures du pays.
i
t
10- Nous appelons ma'trise intégrale celle qui consiste en un
!t
cumul
effectif du politique et du foncier.
f
1
1

113
C- LE DROll
DE HACHE,
LES CONCESSIONS DE TERRE ET
LES
ECOLOGIES POLITIQUES.
Sous la rubrique
~soustractions successives",
l.Diaman
BATHlLY a écrit (11)
«Plutôt guerriers que cultivateurs,
p~u nombreux ê cause de leur rivalité ego~ste, les Bathily
se sont plutôt inquiétés de leur salut que de l'avenir.
Ils
se sont appliqués ê avoir des alliés en qui
ils trouveraient
peut-être des aides.
10 -
Ayant donné le Damga aux DIAO et l'Aéré aux Soumaré
jusqu'au marigot de Boffel, en amont de Werma,
ils ont
donné 1 'hospitalité ê une famille de Werma qui
vint
leur demander un lieu de refuge ê Dembancané.
La limite
traditionnelle devint depuis lors le marigot de N1Guerer
(N'Diorlou).
2°- Le Sundu tout entier (septentrional et méridional) fut
offert ê El
Hadji Malick SY et aux siens.
3 0 -
Les villages riverains du Guidimakha : Khabou,
Sollou,
Moulisingho, Diogountouro et Diaguily furent vendus au
Guidimakha.
4°- Le 19 aoOt
1858,
l'escale de Sakel,
le Goye supérieur
et la Falemé furent cédés ê la France,
selon le traité
de protectorat qui
reconnut le Goye indépendant ou
inférieur comme propriété des Tounka de Tuabou».
Cette description est assez remarquable de l'état général des
terres du Gajaaga car autour du noyau central
se sont constitués
un certain nombre d'ensembles qui
jouent un rôle politique et de
stratégie militaire manifestes. A côté de ce cadre général
vien-
nent les cas villageois de concession de terres dans le Goy, en
fin ce que nous pouvons appeler les droits de culture des ma~tres
des champs,
issus du droit de hache Yidintaqe ou sagande.
11- 1.0. BATHILY :
(publié par Abdoulaye BATHILY)
1969
Notices socio-historiques de l'ancien royaume du
Gajaaga. op. cit. p.61

114
l-Les droits de culture sur la terre et les écologies politiques
En lisant la Thèse de BATHILY,
on constate assez bien que le
f
Gajaaga a toujours été à travers l'histoire une zone mouvementée,
en proie à des crises et des convoitises incessantes jusqu'au
début du siècle. Aux crises internes entre fractions rivales des
1
royaux,
s'ajoutaient les guerres et les conflits menés avec les
f!
pays limitrophes.

1
Ainsi le fait de céder des terres et les droits fonciers
1
avec, était une nécessité d'ordre pratique,
stratégique,
car il
t
valait mieux amputer les droits fonciers au profit de tiers et
1
1
1
assurer sa sécurité que de se les voir arracher ou du moins être
t;
incapable de les maitriser de façon permanante. C'est ainsi que
1
i
ces cessions de terres étaient des écologies politiques dans la
!
mesure où les niinegumu maîtres de la terre ont voulu en procédant
1
ainsi,
créer autour d'eux un environnement politique et militaire
1
plus sûr car les alliances qui précédaient les cessions de terre
servaient,
avant tout à chercher la sécurité,
aussi bien à
l'intérieur qu'à l'extérieur du jamaane,
(en somme des pactes
de non agression).
f
C'est ainsi qu'à la limite nord du Goy la cession du Hayre
aux Sumaare, dans le Damga, avait surtout servi à protéger le Goy
des velléités
expansionnistes des voisins du Fuuta. Celle du
Bundu par contre servait à verrouiller les frontières sud contre
...
les mal~nkés du Niani et du Wouli, premiers occupants du Goy qui
furent chassés par les soninke. Il fallait également sécuriser

115
l'environnement du côté nord-est et est-sud-est, le long du
fleuve par des cessions de terre à certains villages du Gidimaxa
!
1
pour se protéger contre les aggressions et razzias des maures,
!1
car toutes les cessions étaient assorties d'alliances et de
1
pactes de non agression et de défense mutuelle (12). La cession du
!
1
Goy supérieur ou Kammera à l'administration coloniale française
à partir de 1858 procéde aussi de ces écologies politiques parce
1
~1
que d'une part le Goy indépendant avait voulu par là se protéger
,
de son ennemi familial du Kammera en prenant Bakel comme verrou
!
depuis la partition du Gajaaga consécutive au conflit civil
entre royaux entre 1831 et 1834 et d'autre part, la menace de
1
l'hégémonie pulaar de Elhadj Omar qui,
après 1855 passa un
1
1
t
traité avec Faidherbe qui mit le Kammera sous l'influence de
ii
l'empire de Ahmadou. La renonciation à ses droits sur le Goy
!
supérieur était pour le Tunka un moyen de se protéger contre
1
les toucouleurs, par le biais du protectorat français,
et aussi
1
pour garder un semblant d'autonomie qu'il perdit peu à peu
!
jusqu'à la fin du siècle.
S'il était nécessaire d'avoir des alliances politiques
à l'extérieur,
il était tout autant utile d'en avoir à l'inté
1
1
rieur. L'histoire du peuplement du Goy montre assez bien cette
1
tendance car à partir du moment où les premiers habitants ont été
1
1
chassés i l fallait repeupler le pays i
et les nouveaux venus
1
qui trouvaient un pouvoir politique déjà installé exigaient des
1
1
12- Il est clair,
sans trop anticiper sur la que~tion des terres
sur la rive droite du fleuve,que ces terres ont toujours
appartenu aux soninke depuis le Wagadu,et certaines d'entre
elles à d'autres groupes négro-mauritaniens.
1
1
!
1
!
r
1
!
1

116
garanties. La seule garantie qu'un niinegume pouvait donner,
c'était de céder une partie de ses terres avec des droits aux
nouveaux venus,
la garantie en retour de la part du cessionnaire
se constituait par son acceptation du pouvoir du maître foncier'
et politique du Goy et de se mettre à son service dans tous les
cas. L'environnement politique et social
intérieur avait, comme
celui de l'extérieur, besoin d'être assaini et clarifié. On peut
aisément le constater si on s'intéresse à l'installation de
certains villages du Goy comme Mannaayel, Yellingara et Jawara.
Les terres du Goy furent réparties par les maîtres fonciers
entre les différents villages au fur et à mesure qu'ils s'ins-
tallaient sur les deux rives du Sénégal dans le Jeeri et dans
le waalo.
Les cas de ces trois villages relèvent de concession
définitive c'est-à-dire une cession de terre s'accompagnant de
1
~
la renonciation par le niinegume de ses droits fonciers
(13).
1
1
l
Le cas de Mannaayel
est assez simple (nous l'avons expliqué
l
!
en partie au CH.3 sur les groupes statutaires soninke).
La famille
1
j
Jallo appartient au groupe statutaire des mangu, suite militaire
j
~l
et diplomatique des royaux.
Ils sont les seuls mangu des Bacili du
l
1
{
,
Goy et comme tels ils ont fondé un village distinct mais pas
éloigné de celui des royaux (Tiyaabu) et ils ont bénéficié dès
leur installation d'une large concession foncière.
L'histoire
officielle des villages du Goy nous à enseigné que le Jonu (pacte
de sang) qui existe entre les deux villages constitue le cadre
normal du rôle que doivent jouer' les mangu aux côtés et au profit
des royaux à savoir la défense en cas d'agression. Les Jaallo,
agro-pasteurs d'origine seraient venus du Xaaso ; les Baci'i

117
leur auraient proposé un grand casier foncier contre la satisfac-
tion de leurs besoins
(ceux des Bacili) en céréales et leur
défense en cas d'agression.
Jusqu'à la fin du 19è s. Tiyaabu a
plus ou moins vécu des grains procurés par Mannaayel et des rede-
vances foncières tirées des sols de Mudeeri, Gallaade et Gande.
La clause de la défense,
contre cession des terres et des
droits à Mannaayel est illustrée et légitimée par la bataille
dite du SANC~E (14). La construction de cet abri fortifié
incombait aux Jallo, du fait de leur rôle militaire auprès des
Bacili ; mais ils auraient tardé à finir l'ouvrage et devant la
poussée de l'ennemi ils se seraient constitués en rempart humain
pour protéger les royaux
par ce procédé de réparation de leur
défaillance ils auraient repoussé cette attaque mais en perdant
un nombre assez important
(pas précisé) des leurs.
Le discours de la tradition se vérifie bien dans la
pratique car le casier foncier coutumier de Mannaayel est
~
1
l'un des plus étendus du Goy,
sinon le plus grand, parce qu'il
1
s'étend jusqu'à pratiquement cinq mètres de Tiyaabu.
1
Cet arrangement fait des Jallo de Mannaayel des maîtres fonciers
1
parce que les terres ne relèvent plus de la maîtrise foncière
l
~
des Bacili. Nous verrons que pour certains autres villages,
1
la terre est cédée mais sans les droits fondamentaux.
1
l~
13- Pour de plus amples détails, voir TRAORE, 1987: Système et
w
casiers fonciers du Gajaaga
: Land Tenure center;
1
University of Wisconsin Madison.
op.cit. p.19 et s.
i
14- sancan~e désigne en soninke une fortification,
un tata.
les rU1nes du sancanqe de Tiyaabu,
à l'ouest du village,
1
sont toujours visiblès et sont les témoins de cet épisode
1
de l'histoire mouvementée du Gajaaga. Cette fortification
!!
se trouve au bas d'une colline, bien à l'abri et peut encore
servir ...
1
1

1
118
1
1
1
Le cas de Yellingara est un peu différent dans la forme
1
<1
mais pas la conception, puisque ce village est dirigé par une
!i
famille Sumaare venant du Hayre. Nous avons montré plus haut
1
comment les Bacili ont conçu leur écologie politique en cédant
1
une partie du territoire aux Sumaare, pour que ces derniers
1
servent de tampon entre le Gajaaga et le Fuuta.
1
1
l1
Ainsi ce village installé dans le Gajaaga lui-même par les
1
l
-1
Hayranko, outre sa double fonction de défense,
jouit du statut
1
d'extra-territorialité parce qu'il est considéré comme une partie
1
du Hayre,
à cause du pacte initial entre Bacili et Sumaare.
1
Ainsi les Bacili perdirent de ce fait leurs droits fonciers sur
!
un territoire qui est l'objet d'une concession à deux temps. (Nous
avons montré au premier chapitre la particularité de ce village
1
dans l'espace de renvoi).
Le casier foncier de Jawara procède d'une VENTE.
(Nous ne
1
discuterons pas pour le moment ce concept qui,
semble-t-il est
J1
contraire à l'esprit des droits traditionnels). Le terme "vente"
1
est bien celui employé dans la tradition orale. Bathily (Thèse
i
J
p.174) explique la genèse de cette vente, selon un informateur
1
j
.'j
(que nous avons nous même interrogé)
j
J
«
Les Bacili ont accueilli les Saaxo. Ils se sont installés.
~
,
Les Bacili leur ont dit de faire la promesse comme quoi ils
;~
1
(les Saaxo) prendraient part à toutes les batailles des
i
Bathily. En contrepartie les Bacili ne prélèveraient aucun
1
droit sur leurs terres.Les Saaxo ont paré un cheval avec de
1
l'or. Ils sont allés l'offrir aux Bacili ... Cest comme ça que
'j
Jawara s'est installé, c'est pourquoi nous ne payons pas de
droits sur nos terres ... Nous avons acheté nos terres. Les

j
119
villages de Mudeeri, Gallaade et Gande paient des droits aux
Bacili ... »
(15)
1
1
D'autres informateurs sans remettre en cause le principe
1
de la vente des terres aux Saaxo de Jawara, donnent une version
1
1
un peu différente quant au prix d1achat. En effet ils affirment
1
!
que les Saaxo ont acheté les terres de Jawara moyennant le
versement d'un muuded10r (16), en présence des marabouts BA et
1
des forgerons BOMMU.(17) Toujours est-il que le contrat existe
1
1
bien entre les deux familles, appelé Vente dans un discours
'~
officiel. Mais Vente ou pas cette forme de cession de terre è
Jawara participe comme pour les deux premiers villages étudiés
de l'écologie politique mise en place par les Bathily dans le
Goy, par' c e que l' a 1 1 i a nc e a ve c J a wa r' a qui con s t i tua i t
1a
première puissance économique,
humaine et militaire du Canton
était d'une nécessité vitale pour Tiyaabu.
Les ma~tres de la terre dans le Gajaaga étaient donc ceux
qUl ont acquis leurs terres par la conquête et la dépossession
des premiers occupants et pour assurer au pouvoir politique
une assise solide,
ils (les Bacili) ont conclu des alliances
15-11 s'agit de Elhadj Kaabu Saaxo, chef du village de Jawara au
moment de l'enquête (mai
78) par' Bacil i, en septembr'e 78 puis
en février 80 par nous même, dans le cadre du Projet Soninke de
lIACCT. Cassettes transcrites, traduites et déposées aux
Archives culturelles du Sénégal.
16-De l'arabe mud l ,c'est une unité de mesure qui peut aller'
jusqu'è 4kgs de mil;
nous ne savons pas le poids d'un muude
d'or' .
17-Enquêtes de Jawara du 16.08.87: Périmètre irrigué de Jawara II.
Informateurs: Harouna Ba, Yassa Ba et Mamadou Ba Gnouma.
On
compr'end dès lor's cette différence de détai'l
entre les ver'sions
versions officielles des Saaxo et des Ba marabouts qui
veulent
légitimer leur position è Jawara par leur participation effec-
tive au processus d'obtention des terres et donc è la fonda-
tion de ce village.

120
utiles en permettant à d'autres villages de s'installer et par
arrangement,
ils leur ont alloué des terres et des droits,
tous
les droits sur ces terres.
Par contre l'organisation interne à
chaque village, de même que le cas spécifique des trois autres
villages du Goy,
à savoir Mudeeri, Gallaade et Gande montrent
1
Î
que sur la terre il existe d'autres droits soumis et dépendant
des droits supérieurs des niinegumu.
La hiérarchisation des
droits sur la terre montre bien la physionomie politique et
sociale de la zone soninke de la Haute Vallée du sénégal.
2- Le droit de hache des Tegumu.
Le droit de hache , yidintaqe ou sagande,
est un droit
subordonné à celui du niinegume ; mais il est parfois plus
effectif que ce dernier c'est ce droit qui met l'homme en rapport
direct et physique avec la terre.
Il s'agit d'un droit de culture
dont les modalités différent selon qu'il s'agit de l'organisation
interne du village ou de celui des domaines familiaux ou chef-
faux situés sur des terroirs plus ou moins éloignés. Mais quel que
1
1
soit le mode par lequel, ce droit de culture est obtenu, le
J
1
l
titulaire n'est jamais considéré comme niinegume, car i l ne
participe à aucun mode de maîtrise de la terre : ni premier
1
1
occupant, ni la conquête, ni l'arrangement. Il restera Tegume,
l
1
maître de la culture et peut, dans certains cas perdre ce droit.
ll
l
Ce procédé de la hache est issu des rapports personnels avec le
1
maître de la terre et i l "tient son titre de l'instrument par
i
1
1
lequel il a débroussaillé la terre"
(Niang p.
8).
1
1
i
1
i
l!
ij

121
a- Les droits de culture héréditaires
Ces types de droits sont, dans le cadre général des droits
de hache, les plus solides, contribuant à l'organisation des rap-
ports statutaires entre différentes familles à l'intérieur ou à
l'extérieur des villages. Le droit de hache est celui accordé à
ceux qui exploitent une terre, par le débroussaillement sagande.
Dans les cas de droits héréditaires,
le titre de Tegume est acquis
dans une période assez reculée,
généralement lors de la fondation
du village ou au moment où les groupes statutaires et familiaux
nouent leurs alliances. Tous les droits de culture héréditaires,
donc statutaires que nous avons observés dans le Goy remontent
d'assez loin, et renvoient à des processus historiques qui
varient d'un village à un autre.
Les droits héréditaires de Te
gume sont de deux types et remplissent deux fonctions
: une.
fonction de régulation sociale villageoise et une fonction de
simple gestion des terres.
Le premier entre dans le cadre des relations entre groupes
statutaires, à l'intérieur d'un village. Les niinegumu souvent
maîtres politiques au niveau villageois,
font des cessions
parfois assez importantes aux groupes statutaires alliés, pour
permettre une meilleure intégration d'une part, d'autre part
pour maintenir les liens politiques de dépendance. C'est ainsi
que certains groupes statutaires tels que les marabouts-moodini
se font attribuer à titre définitif des parcelles dont la taille
varie selon l'importance de la famille de marabouts en question.
Mais juridiquement parlant ces cessions définitives ne font pas

122
des marabouts des niinegumu
; ils restent des tegumu mais en
pratique ils ont le même comportement que les ma~tres fonciers
parce qu'ils reproduisent le même système d1exploitation et de
partage entre lignages, et segments de lignages. De plus,
la
terre et les droits sur la terre de culture sont transmis de
génération en génération,
sans possibilité pour les niinegumu
de les reprendre.
Les titulaires de ces droits ont même le pouvoir à l'instar
des niinegumu de donner, prêter ou louer les terres sur lesquelles
ils se comportent comme de vér'itables n"iine'dumu, en per'cevant des
redevances foncières.
Ces types de terres ne peuvent revenir aux
ma~tres initiaux qu'après disparition totale de la famille ou du
groupe qui
en bénéficiait, ce qui
ne s'est jamais produit dans le
Goy. D'autres groupes statutaires bénéficient de ce statut de
ma~tres des champs à titre héréditaire, tels que les Mangu,
cer'tai nes fami 11 es de Naxamal a (18) et certai nes catégori es
serviles, notamment les Jagarafu gérant des réserves cheffa1es.
Ces groupes statutaires peuvent bénéficier de champs dans le
wa a 10 et / 0 u dan s 1e
j e e r' i,
t 0 ut
dép end de 1 1 i mpo r' tan cep 0 1 i tic 0-
sociale du groupe.
Par exemple,
les Jagolla grands serviteurs à
.
Tiyaabu d'un fa10 statutaire (champ sur berges), mais ils ne
disposent pas de champ statutaire dans le kollanga et le jeeri.
Cette catégorie de droit héréditaire qui
s'attache à
la
fonction de jagarafu ne peut être aliéné.
Le droit de culture
18- Clest
le cas des forgerons Siise, des griots Tunkara de
Tiyaabu, des boisseliers Gajigo de Mannaayel, des forgerons
Fadiga de Vellingara et des forgerons Bommu de Jawara.

1j
l1
123
1
j
1
,
j
1
du tegume d'ensemmencer et de récolter une parcelle de terre
1
est transmis de plein droit au descendant du titulaire. Hais
J
s'il y a dans ce premier type une renonciation totale des
maîtres initiaux aux sols cédés, il convient de préciser qu'il
s'agit seulement des droits au sens de la culture mais il n'y
a jamais de renonciation à leur responsabilité sur le sol en
tant que territoire d'exercice de leur autorité politique.
Le second type de droit de culture héréditaire ne se
rattache pas au statut du titulaire mais à sa fonction. C'est
une fonction de gestion des terres au profit des maîtres fonciers
car contrairement aux premiers cas analysés, ces derniers ne
renoncent pas aux droits sur la terre. c'est le cas des NJaay
de Mudeeri qui sont tegumu mais soumis aux redevances foncières.
La succession familiale ou clanique au droit de culture de ce
type ne se fait qu'au titre de gérant d'un domaine. Nous avons
recueilli les traditions villageoises et familiales de ces
catégories qui nous montrent comment les uns et les autres sont
devenus de simples gérants, sans autre pouvoir que de distribuer
les terres aux cultivateurs, de recueillir les redevances
foncières et de les remettre aux maîtres de la terre.
Mais en contrepartie, ils bénéficient d'un statut
privilégié par rapport aux détenteurs de simple droits de
culture, puisqu'ils ont des parcelles en propre, franches de
toutes redevances et en même temps ils sont chargés du réglement
des litiges qui surviennent souvent sur les terres dont ils ont
la responsabilité i quand le conflit prend des proportions qui

124
dépassent le cadre de leurs compétence il font appel aux maîtres
fonciers.
Les NJaay de Mudeeri, un segment du clan NJaay de Bakel se
sont établis à cet endroit qui était déjà dans les réserves fami-
liales et cheffales des Bacili de Tiyaabu, de façon provisoire
d'abord à leur arrivée dans le Goy; puisqu'ils n'étaient que de
passage, il n'était pas necessaire de leur allouer des terrains.
Mais en décidant par la suite de s'installer définitivement dans
le Goy,
ils ont entre temps perdu les droits sur les terres de
décrue du terroir de Mudeeri. Alors, les maîtres fonciers ont en
tendu conserver leurs droits sur les grands kollanga de Mudeeri
1
1
et faire des NJaay,
de simples tegumu,
ce qui crée un lien de
1
dépendance vis à vis des niinegumu.
Pour rendre cette dépendance
1
plus forte,
les maîtres fonciers ont décentralisé les tâches
:
les NJaay et les autres exploitants de champs, qui cultivaient
1
les terres de pères en fils devaient remettre les redevances
1
foncières aux jagarafu, contrôleurs fonciers des niinegumu (il
s'agit des Jagolla,
Ja et Kamara de Mudeeri). Chaque famille
de jagarafu était liée aux quatre clans de Tiyaabu,
au compte
~
desquels ils collectaient les redevances. Ces jagarafu jouent
'1
1
le même rôle pour les Bacili sur les terres de décrue de Gande
!
et Gallaade (19).
1
La famille Kamara,
grands captifs de Gande ainsi que les Tuure
1
i
remplissent pour ce village la fonction de jagarafu et de tegumu
1
j
héréditaires, et i l leur incombe de distribuer et de rependre les
1
J
1
î
19- Nous reviendrons plus en détail sur les Jagarafu au chapitre
suivant sur les redevances foncières.
J
î~•1J~
l
f
l

125
terres aux cultivateurs au profit des niinegumu et de collecter
les redevances foncières.
La grande différence avec les jagarafu
de Mudeeri c'est que les Kamara de Gande,
jagarafu, sont tegumu et
contrôleurs fonciers,
en même temps ils sont chefs politiques.
b- Les droits simples de 'l'egurne.
Ce sont les droits les plus manifestes dans le système
soninke
du
Goy.
Il s'agit de la mise en oeuvre
effective
des
droits plus
complexes que nous avons analysés plus haut,
car
il
s'agit
de mise en valeur des terres de jeeri et de kollanga,
le
]
falo
étant exclu de ces droits simples de culture.
Ce sont
les
titulaires
de ces droits qui ont véritablement le droit de
feu
1
au
sens soninke du terme et le droit de hache,
puisque ce
sont
eux
qui
annuellement ou sur une période plus ou
moins
longue,
1
débroussaillent,
abattent la forêt pour en faire des champs. Ces
i
droits simples permettent ainsi l'intégration de toutes les
couches sociales et leur participation effective au procès
foncier.
si certaines catégories statutaires sont exclues des
1
maîtrises foncières supérieures,
elles sont totalement incluses
1
.,l
par contre dans le processus de mise en production. C'est le
1
concept de mise en production qui donne réellement leur statut
j
l
aux titulaires de ces droits, car au fond,
la "terre appartient
1
1
à celui qui la cultive". Ce n'est pas un slogan creux, car le
1
l
tegume qui débroussaille et qui cultive une terre a des droits
l
i
fondamentaux sur elle.
Il est exclu du contrôle foncier et il
1
1
1
lui faut au préalable l'autorisation du maître foncier mais dans
j
1j
presque tous les cas cette autorisation est acquise d'avance.
!j
2

1
1

·~
126
j
J
Nous
sommes en présence de deux
intérêts
complémentaires
j
dans
ce processus
ceux du ma,tre foncier pour qui
la mise
en
1j
pr'oduction de "sa" ter'r'e lui pr'ocur'e des avantages en natur'e, en
j
espèces ou en services, c1est-à-dire les redevances foncières,
.~i
et ceux du cultivateur qui tire de la terre sa subsistance.
Les
1
droits du tegume sont si puissants que le ma,tre foncier ne peut
-\\
1
1
pour n'importe quel
prétexte reprendre sa terre. La reprise de
J
la terre au titulaire du droit de culture ne peut intervenir que
1
dans des cas précis:
le refus ou 1 'impossibilité d'honorer les
1
redevances foncières par exemple, donc le non respect du statut.
1
1
Par contre,
la simple incompatibilité d'humeur entre les deux
pr'otagoni stes ne peut suffi r'e pour' r'epr'endr'e un champ sauf dans
certains cas de conflit entre familles.
Le titulaire du droit de
1
i
cult u t" e a é gal e rn e nt 1a po s s i b i l i t é de met t r e son cha mpen j a c hè r' e
plus ou moins longue, généralement trois è quatre ans au bout
1
•,
des que 1 s i l
r' e p r' end lie xplo i t a t ion e t
à dé f a ut i 1 e n p e r' d 1 e
bénéfice au profit de quelqu'un d'autre qui
1 'aurait alors
pris.(20) Ce processus d'intégration touche toutes les couches
1l
de la population, de même que les étrangers qui
s'établissent
1
provisoirement ou définitivement.
1
1
-)
Dans 1 e système soni nke,
il
ni y a pas à propr'ement par'l er'
d1exclusion du procés foncier:
ni
pour des causes politiques ni
1
1
pour des causes sociales, ni pour des causes économiques.
Le seul
fait de vivre dans le groupe villageois.donne le droit d'accés à
1
j
]
20- Le Tribunal de Cercle de Bakel
en appel
d'un jugement du
lJ
Tribunal de Subdivision du 7 janvier 1920,
registre des juge
ments 1920-1923,
jugement nO
1 du 30.01.1920 a jugé dans ce
sens dans un conflit opposant un niinegume de Tiyaabu à un
1
Tegume de Mudeeri. Nous le verrons au chapitre 7
j
'1j
j
1
l11j
1
1
j

127
la terre selon les modalités précitées, et la faculté d'exercer
un ou/et des droits sur la terre.
Il n'y a pas non plus d'exigence
de moyens économiques qui décourageraient d'éventuels exploitants
de la terre;
le titre de tegume ne requiert pas l'exigence
préalable de moyens financiers, mais les seuls moyens humains et
sociaux suffisent. De même le système des redevances foncières
est d'une telle souplesse qu'il ne constitue pas un obstacle à
l'intégration des groupes.
Il est naturel que dans la société,
les uns contrôlent et
que les autres se soumettent à ce contrôle, mais le contrôle des
maîtres fonciers est un moyen de réguler les rapports politiques
et les rapports de l'homme à la terre.
La mise en oeuvre de tous
les droits que nous venons d'analyser: niinegume et tegume se
fait dans le cadre d'une structure sociale.
1
c'est au niveau des familles et des segments de familles
que se font le partage et la gestion communautaire des terres
1
l
sur lesquelles s'appliquent les droits fonciers.
Les droits sont
répartis et sont hiérarchisés entre les groupes qui en ont la
J
gestion. Les terres dans leur mode d'acquisition sont
1
communautaires et ne peuvent par conséquent faire l'objet d'une
gestion individuelle, personnelle. La terre est un bien commun,
mais elle est gérée par des groupes individualisés mais non
personnalisés. c'est une décentralisation qui permet aux groupes
ou à certains groupes d'avoir une existence propre, de gérer de
façon autonome des terres qu'ils ont héritées des fondateurs du
groupe. Ce sont les entités claniques et lignagères et à côté

128
d'elles on trouve des terres qui constituent le bien commun à
tous les groupes, terres communautaires ou communales gérées par
le doyen de tous les groupes confondus du ou des clans.
Il.
LA STRUCTURE FONCIERE
LES DIFFERENTES TENURES.
Si
le lignage Ka et le clan xabiila constituent les unités
sociales de base et de production dans la société soninke,
ils ne
sont pas pour autant les unités foncières de base.La terre n'étant
jamais détenue individuellement ou par petits groupes,
l'unité
foncière de base est le village debe. Tant qu'un village existe
1
les terres restent siennes. La terre ne porte jamais le jammu
1
1
d'une famille c'est-à-dire un patronyme particulier mais elle
1
est toujours désignée par le nom du village auquel
elle
1
~
appartient.
Si en général
les principaux jammu des niinegumu
l
sont chefs politiques de leur's villages,
il
n'en demeur'e pas
l
moins que la terre elle-même ne porte pas ces jammmu.
Le village
j
est le seul
véritable ma'tre des terres.
Les clans et segments
Jlj
de clans ne sont que des divisions techniques des avoirs fonciers,
1j
en vue de la mise en oeuvre des droits sur la terre.
C'est pour
l
cela
que
les
terres
du
village
sont
réparties
entre
les
1
j
différentes familles,
quel
que soit leur nombre.
Sur le plan de
1
la maitrise supérieure du sol
(maitrise politique),
l'emprise
:1
J
est exprimée moins au niveau des familles royales qu'au niveau
1
J
des villages dans lesquels résident ces familles.
Dans le Goy
1
~
1
le village est presque synonyme d'Etat en matière fonncière et
cette dimension étatique s'exprime aussi en pratique au village
des cl ans, par l'ex; stence dl un cer'tai n nombr'e de r'éser'ves.

129
ij
De plus ni l'islam, ni la colonisation n'ont entamé cette
1
1
logique communautaire et ses aspects techniques.
C'est ainsi que
partant du village qui est considéré comme le seul maître foncier,
1
le partage se fait autour des clans, qui à leur tour répartissent
1
1
les terres aux différents lignages appartenant à ces clans. C'est
ainsi que sont nées les tenures foncières qui, comme nous l'avons
1
1
dit, ne sont pas transformées en grands domaines foncièrs,
comme
1
1
l
au Fuuta. Ce n'est pas à cause de la segmentation des lignages,
!
1
/
1
mais c'est surtout à cause de la relative étroitesse des terroirs
J
l
!
1
du Goy.
Le village et le clan,
dans les répartitions des terres
1
ne
se
dépouillent
pas
totalement.
C'est
pour
cela
que
la
~
1
segmentation n'est pas aussi poussée que l'on pourrait le croire,
1
car
il se constitue une réserve aussi bien au niveau du
village
i
j
qu'à celui du clan, sous la tutelle du chef du village et du chef
du clan:
jamankafo terres communales et ruxuba réserve du clan.
1
1
l
Clanique ou lignagère,
la tenure foncière reste indivise,
et ses
j
1
,
l
modes
de gestion suivent la hiérarchie verticale de la
société,
1
1
rapports entre aînés et cadets.
1
1
A.
LES TENURES FAMILIALES INDIVISES.
1
1
!
Nous avons défini,
au chapitre II, le lignage et le clan
J
ij
xabiila
(21).
Le clan étant l'ensemble
des
familles,
portant
j
j
généralement
le
même patronyme jammu,
descendant d'un
ancêtre
l
commun,
fondateur du groupe.
BATHILY dans sa Thèse a décrit
le
1
processus historique de la segmentation et du partage des terres,
j
Â
j
ainsi
que
l'origine
de
certaines
tenures
foncières.
Dès
1
21- Voir aussi TRAORE 1985 : Corpus soninke. op.
cit.
1
j
j
1
j
1
'}
~i

130
l'installation définitive des royaux dans le Gajaaga,
les terres
furent
partagées
en
lots,
distribuées entre
les
principales
maisons
(clans)
des différentes provinces qu'il appelle terres
familiales ou xabiilanniino qui,
à leur tour furent réparties
en fonction de l'accroissement numérique de ces maisons,
c'est
à-dire entre les clans.(22)
1. Les xabiiianniiÏ10
terres familiales.
1
L'organisation des villages àu Goy reflète partout au
1
niveau des maîtres fonciers le même aspect. Dans chaque famille
1
maître foncier,la terre est une indivision,
à la tête de laquelle
i
on trouve un chef de famille xabiilanxirise,
chargé de la gestion
1
et de la distribution. Mais le processus de distribution pour le
Goy s'est arrêté depuis le 18ème siècle quand les familles se
1
l
sont définitivement installées. Le chef de famille ne constitue,
dès lors, qu'un représentant moral de l'ancêtre fondateur,
auquel
se réfèrent les lignages appartenant à ce clan.
1
1
Les
terres
claniques
ont
subi
dans
le
passé
une
!
parcellisation parfois assez poussée du fait de l'existence de
1
j
nombreux lignages. Chaque ka dispose dans le waalo et le jeeri
~l
d'une indivision familiale
(23). Les terres lignagères restent
j
ji
dans tous les cas indivises et sont gérées par le chef du lignage,
j
1
doyen
d'âge,
kagume,
qui
les
répartit entre
les
différents
J
1
membres du ka. Même dans le cas de l'éclatement d'un lignage et
!
~i
22- Ceci est valable pour le Gajaaga uni avant le 19é siècle.
j.,
23- Elle est appelée Jowre chez les puiaar du Fuuta.
,~
BDUTILLIER. p.115 ; MINVIELLE
: 1985 ;
SCHMITZ 1986. op. cita
jl

131
la constitution de deux unités distinctes de production et de
consommation, cette indivision n'est pas remise en cause dans
ses principes. On est dans ce cas en présence, de deux kagummu
(sing.kagume)
et
la
direction de la
tenure
foncière
revient
toujours au plus âgé qui est le niinanxirise ou niineyimmanke.
De plus, les champs réservés au chef reviennent toujours
au doyen même si les frères vivent séparément, dans le même
carré ou non (24). Un exemple très simple permettrait d'expliquer
le phénomène: une famille appartenant au clan maître foncier,
1
î!
composée de deux frères dispose d'un falo
(champ sur berges) et
de champs de culture sous pluies.
si la famille est unie,
le
1
falo est exploité au nom du ka mais sous la direction de l'aîné.
Le produit n'est pas partagé mais il servira à la consommation
1
familiale,
comme celui de te xoore.
(voir au chapitre 2 sur le
j4
J
système de production)
1
Les champs de jeeri seront parcellisés, en champ collectif
te xoore et en champs individuels salluma pour le cadet et les
enfants des deux frères.
En cas de séparation entre les deux
frères,le système ne change pas, du moins de façon sensible. Il
n'y a que les champs de jeeri qui subissent une transformation,
non
pas
dans
le cadre d'un
partage
pur
et
simple,
puisque
l'indivision
familiale
demeure,
mais
dans celui
du
mode
de
production. La séparation des deux frères entraîne la création de
deux
ka et par conséquent de deux champs collectifs (te xoore)et
de
plusieurs
champs
individuels si les
deux
frères
ont
des
24- BATHILY,
1969: Notices socio-historiques. op. cit. p.74

132
enfants.
Mais
cette parcellisation est impossible pour le champ
de falo dont dispose la famille.
Il continuera à être exploité
par l'aîné,
à titre de chef et ce n'est qu'à sa mort,
s ' i l n'y a
pas réunification, que le cadet auparavant exclu,
(qui devient
désormais le doyen de la famille)
récupère le falo.
Ce qui est surtout important à souligner dès lors, c'est
que le clan, en procédant à la distribution des terres entre les
différents ka ne se dépossède pas totalement. En tant qu'entité
supérieure au ka,
le xabiila se réserve des terres que le chef
exploite
à
son nom,
pour son compte et aussi
pour
satisfaire
certains besoins des alliés.
2- La réserve clanique
ruxuba
Historiquement, si nous nous référons au Bacili du Gajaaga,
c'est dès son accession au pouvoir que le nouveau tunka pouvait,
s ' i l en avait la force selon BATHILY,
se tailler dans le domaine
de l'Etat un lot de terre qu'il exploitera pour son propre compte.
C'est
ainsi
que
se
constitua
le ruxubanniine,
appelé
aussi
kamalenjo.
(25).
Le ruxuba devenait de ce fait la terre de tous
les descendants du tunka.
Cette pratique se généralisa à
partir
du 18ème siècle.
Ce n'est pas le cadre étatique du Goy qui nous intéresse ici
mais le cadre villageois, unité centrale autour de laquelle se
constituent les xabiila. Dans chaque village, il existe un certain
nombre de xabiila qui se répartissent les terres claniques ; mais
25- Terme bambara qui signifie la part du brave, du héros, car
il s'agit de quelque chose que l'on prend par la force.

133
pratiquement,
toutes
les
terres du xabiila qui n'ont pas
fait
l'objet de répartition entre les ka demeurent dans le ruxuba.
De
même,
en cas d'anéantissement total d'un ka,
les terres qui lui
étaient alloués dans l'indivision clanique étaient reversées dans
le ruxuba, domaine communautaire du clan. Le xabiilanxirise gére
le ruxuba comme il l'entend.
Il s'en sert, trés souvent en plus
de
son
usage personnel,
pour donner des gratifications
à
des
parents,
des alliés,
des serviteurs,
des naxamala et même
des
étrangers.
Il n'y a juridiquement aucun empêchement à son action.
Les donations de parcelles dans le ruxuba ou leur location peut
se faire à titre précaire ou en usufruit. Le chef du ruxuba a la
faculté de reprendre les donations dès qu'il le voudra, même en
dehors d'un conflit, pour procéder à une nouvelle répartition.
t
fi,
Il jouit en principe d'une totale liberté. Mais il faut
!
nuancer cette idée en fonction des villages;
l'exiguité du falo
1
;
!
fait
parfois
que
toutes
les
familles
ne
jouissent
pas
de
1
f
parcelles en propre. c'est sur le ruxuba, dans ce cas, que l'on
f1
1
attribue à chaque ka une parcelle, et le reste est librement
i
géré par le doyen du xabiila.
Il ne peut en principe reprendre
1
r
t.
les parcelles du ruxuba attribuées à un lignage du clan.
Il
jouit
lui même d'un simple usufruit sur le
ruxuba,
à
cause de sa fonction de chef,
car à sa mort,
c'est son suivant
dans le xabiila qui lui succède à la tête du ruxuba et non ses
enfants. La responsabilité du ruxuba passe donc d'un ka à un
autre
et
comme
nous
l'avons
vu,
il
sert
à
l'utilisation

134
personnelle du chef et de ses "copains" du moment (26).
L'avènement
d'un
nouveau
xabiilanxirise
constitue
presque
toujours
une
remise
en
cause
plus
ou
moins
profonde
des
gratifications
faites par le doyen défunt.
Le nouveau
chef
du
ruxuba
procéde
à
une nouvelle répartition
entre
ses
propres
clients et affins.
La mort du chef constitue toujours l'occasion
pour son successeur de recevoir publiquement ou en secret des
"serments d'allégeance" de ceux qui voudront avoir leur part du
ruxuba.
C'est ainsi qu'il a la possibilité de reprendre une parcelle
donnée par son prédecesseur, même avec les récoltes sur pied (27).
L'exercice
de
ce
droit
constitue l'un des
aspects
les
plus
négatifs
de
la
coutume
foncière
soninke
pour
les
simples
détenteurs de droit de culture sur le ruxuba, mais aussi pour
le clan par les dissenssions qu'il crée à cause des partis qui
se forment au fur et à mesure que disparaissent les chefs.
Mais les parcelles du ruxuba exploitées par les ka membres
26- Nous citerons un exemple du ruxuba du clan Tunka sanba Konna
de Tiyaabu que l'actuel doyen avait donné presque en entier
à un des ses amis, puis repris à ce dernier à la suite d'un
grave conflit que cet ami avait provoqué dans sa propre fa-
mille en octobre 1989. Cela montre que la reprise d'une par-
celle du ruxuba peut se faire sous n'importe quel prétexte,
et même sans prétexte.
27- C'est
arrivé dans le même clan (Tunka sanba Konna de
Tiyaabu), où l'actuel chef,
installé depuis longtemps dans
une ville de l'intérieur du Sénégal est revenu au village
en 79-80 ;
le ruxuba lui étant rendu par son suivant qui
l'exploitait en son absence,
il décida de faire déguerpir
un attributaire de parcelle sous l'ancien chef. L'exploitant,
qui avait un conflit avec la famille du nouveau chef avait
déjà défriché et semé le champ ;
le nouveau chef était
néanmoins fondé à le déguerpir, malgré les récoltes sur pied.
De nombreuses interventions ont permis de le maintenir
jusqu'aux récoltes. c'est,
à n'en pas douter, une des
absurdités du système foncier soninke, car dans des cas
pareils le détenteur de droit de culture n'est pas protégé.

l11
135
1
!l
J
1
du
clan
ne peuvent pas faire l'objet de redistribution; elles
1
échappent
à
toute
remise en cause.
Ici
les
droits
du
clan
~
s'exercent
dans
toute leur plénitude,
le chef du ruxuba
étant
1
seulement le représentant de tous les ka et symboliquement celui
j1
qui
gére
les
alliances
passées
avec
la
terre
lors
de
j
l'installation
du groupe.
Cela montre également que malgré
les
pouvoirs
de
reprise
des
parcelles du
ruxuba
des
mains
des
1
détenteurs de droits de culture,
(ce qui crée en droit foncier
soninke des situations de déséquilibre et d'injustice), le chef
1
du ruxuba nIa pas le droit d'aliéner les terres, parce que ses
j
1
propres droits ne sont que viagers, un simple usufruit qui lui
1
j
est accordé en sa qualité de représentant du fondateur du groupe,
f
j
le
lien
symbolique qui tous les descendants
avec
cet
ancêtre
commun. Il est le garant de la reproduction de l'espace foncier
1
contrôlé
par le groupe,
et sert d'intermédiaire avec les autres
groupes.
1
i
1
plus
pratiquement
nous
pouvons
prendre
l'exemple
des
répartitions
claniques des terres entre familles dirigeantes
de
1
trois
villages.
Le
terroir
de Tiyaabu est détenu
par
quatre
j
i1
segments
du
clan Bacili descendant de
l'ancêtre
commun
Sanba
i
Wuuri.
Il
s'agit de Ta9allakaara ou Tunkankaani,
branche aînée
1
j
installée au quartier du même nom,
Kiisixurungo du même quartier,
1,
puis au quartier Jonga les deux branches cadettes : Tunka Sanba
Konna et Tanbonka.
Chacun de ces xabiila gére des
xabiilanniino
!
partagées entre les ka, et un ruxuba géré par le xabiilanxirise,
j1
sauf Kiisixurungo qui est presque totalement anéanti. Il ne reste
1
i!
de
cette famille qu'une femme mariée à Bakel et un homme
émigré
1
1
depuis longtemps en Côte d'Ivoire dont on est sans nouvelles.
1j
1
j
1

136
l a f e mm '2 n 1 ê1 yan t
pas v0 c a t ion b !:; U C C é cl e r' E, u l' cl e s t e r' r' es,
1 '2
domaine foncier' du c1êH) anéanti
'2!:;t r'ever'sé dans les r'és;er've::;
villageoises gél'ées pal' Tunka ou le chef du village es qualité.
Les t 1" ois c 1 E, n s r' est a n ton t
c h ci C u n li n r' u x ub êl don t
1 12 5
d eux ':3
.Jon'3d
(1unka Si,Hnbd et Tanbo)
et le tr'oisième à Tunkankaani
(1aja11akaara).
Ces clans à tour de r61e et en fonction de celui
dans
lequel
se trouve le doyen d'§ge
se partageaient
le
pou vo i r'
pol itique
dans le Goy et on y recrute actuellement les chefs
de
vi11a'~e (28). 1"1Elilnaaye1i (d: ,Jawal'd sont constitués :3U,' le mêrn'2
Ma x a n k a a r' d
'2 t
S'j bj 1: 0 x a q u 'j
sep a l' t ," '~ e li t
1 e S
l' U X u b a
'3 é r' é s
par' 1e s cl 0 yen s l' e 5 pee t i l' ~,
i d E :
mê ni e
rJ 0 u r' ,J a \\1,1 al' a 0 Ù 1 1 0 li t r' a u v e
a LI S s i
t r' 0 i sel ans ::: a a x0
Tugaane kaara,
Maxankaara et Danjo.
Les familles alliées de marabouts,
mangu et autres sont également
or' '3 a n i sée s e li c 1 a li S, ,q u i
'~ é r' e n t
1 e s t e r' r' e s d é t e nue spa r' 1 e u r'
position statutair'E:: mais qui
ne disposent pas de
r'lJxuba
1ç..
r'uxuba est 1 1 apanage des rnaîtr'es de la ter't"e.
Au dessus des clans ou des segments de clans,
il
y a le
v 'j 1 1a '3 e qui
est ('; n r' é a 1 i t é l e t i t u 1 ai," e des ter' r' e s p u i s que cie s t
l'entité qui,
jouant les fonctions de l'Etat
(l'Etat du Goy nE::
joue aucun r61een matière de répartition foncière),
répartit
les
t~rres entre les clans mais ne joue pas de 1"6112 actif.
Pour
concrétiser la place du village en tant que maltre foncier,
le
Tunka ou lé chef dé village a à sa disposition des terres
communautaires villageoises qui
échappent à
l'emprise des clans.
28-
Deux familles 8aci1i
de Tiyaabu sont exclues de l'exer"cice
du pouvoir,
donc ne peuvent participer à
la gestion d'un
ruxuba,
pour des raisons historiques.
L'une est mange et
l'a ut r' e est si mp 1 e i n'~ é nue.

137
c'est une réserve supérieure au ruxuba mais ayant le même statut
B- LA RESERVE FONCIERE DU TUNKA OU DU CHEF DE VILLAGE
LE JA~1ANKAFO.
Ce sont des terres communales qui,
historiquement, étaient
détenues collectivement par le groupe royal
(29).
Elles formaient
selon BATHILY (thèse p 293), à Pl'opl'ement pal'lel',
le domaine mis
E' n
l'é sel' ve p a l' 1e c 1ël n d i J' i 9 e ê, nt.
I l s e J' vait e n plu s de l' u t i 1 i -
sa t ion p e J' son n e 1 18
cl u
r u n ka, ,3 0 f f J' i J' d ';: ~-; 9 l'a tif i ca t ion s f 0 nc i è t' '2 S
aux groupes alliés au pouvoir et aux marabouts,
ainsi qu'è des
cessions de terres aux villages qui
s'installaient.
Et les
redevances tirées de ces sols étaient annuellement partagées
entre les différentes familles du groupe régnant dans le cadre du
kafundo str'ucture de décision du royaume composée des différents
chefs de
rameaux.
Cette prérogative du Tunka du Gajaaga a échu au
1
i!
Tunka du Goy,
après la scission au milieu du
19è
s, puis au chef du
j
1
~
j
de
la
Province du Goy et au chef du canton honoraire
quand
1
j
charge
de Tunka fut supprimée par les français dans la
première
i
i1
mo i t i é du 20 è s . ,
pu i s au che f
de villa 9 e a P r' ès l' i ndép end éd) ce.
1
j
.~
Mai s i l
fa ut
p r' é c i se,' qu' à pa,' t
Ti ya a b u qui a une r' é sel' ve
J
communautaire agricole,
le jamankafo dans les autres villages du
1
1
Goy se limite à quelques terrains exploités à des fins d'utilité
1
l
29-
Jamankafo vient du soninke jama : foule,
peuple et kafo
:
réunion, association, communauté.
Pris dans son sens
eth ymol 0 '3 i que,
i 1 peu t
p l' ê ter' à con fus i 01) p u i s que l e j a man ka f 0
peu t
t J'é s b i end i J' e que ces ter' r' e sap pa J' t i e n ne nt à t 0 us,
1e s
gajaaganko sans exclusion,
or le peuple-jama ici
oe renvoie
1
qu'aux clans qui
ont la maitrise foncière.
j
J
1
!
1
i
1
!

138
communautaire
villageoise:
cimetière,
extension du village,
parc
€.
bétail
etc . . .
Le
jamankafo est constitué dans
le terroir
vi 11 ageoi s
par' tous 1 es ter'r'ai ns
ne fai sant pas
11 objet dl une
dé t e nt ion c 1 a n i que.
De plu s,
t 0 u tes
1 e s t e r' r' e s cl 1une 1 a n 0 u cl ' u n
village anéantis
sont reversées dans
le domaine communal,
et dans
la réserve du lunka
(30).
Il
dispose à
sa guise de cette
réserve
che f fa 1 e '3 é r' é e e t c 0 n t r' ô 1 é e par' 1 e s
j a gal' a f u ,
Il
en
use
dlabord
pour permettre 1 'installation de
nouveaux
villages,
aux périodes
o LI cel a é t ait e ne 0 r' e po S s i b 1e
(1 e s
villa ,] 'c: Si cl U Coy qui
n 0 u S
i n t é r' e s s; e n t
d 8 n 0; cet ter' e che r' che
son t
vit: u.x cl e
plu s cl E;
'7 0 0 é.i n ::.;
pour certains,
donc cette forme
d 1 uti1isation du
jamankafo nia
pas été f ait e d e p u i s
t r' è s
10 n 'd t e III P ~,),
cl E::::: 9 r' El tif i c a t ion:::; e t
don a t ion s
f 0 n c i è r' e s a u x f a rn i 1 1 e s
El 1 1 i é e s e t 1
C U ln rn E~
1 e c li ,?, f
cl LI
r' u x ub a,
1 a
par t
des
Il c op ai n Sil.
Le
r' est e
t~ f', t
1 0 li é 0 u mis E: n
fermage
(les terres de Gande par exemple)
et
le produit partagf
oS" n
p r' i ne i pee nt r' e
1 e s d i f f é r' e nt::; che f~, cl e f a ni i l l e ~,.
Tou t e foi ::Ci ,
depuis quelques années seul
le chef de
village de Tiyaabu
b é n é fic i e d E: ces
r' e d e van ces f 0 n c i è r' E~; q li i
n 0:'0
S C'I"1"1.
P 1 LI S que
symboliques et
irrégulières.
A sa mort
son
successeur a
le droit
( qui i 1 ex e r' cep r' e s que t 0 U j 0 LW s)
der' E: ven i 1" ::' lH' t 0 LI tes
1 e ~;
don a t ion ~3 e t
1 0 ca t ion s de ter' r' e s
f ait e spa r' SOI) P r' é cl é ces se u t' •
Cela constituait pour le Tunka du Goy
un poids politique
assez considér'ab1e
vu
l'étendue de
sa
r'éser've et
la somme d1llamis ll
e t
de dép end a nt s
qui e 1 1 e pou va i t
1 u i
p 1"' 0 C LJr' e r'.
CE;
nié t ait qui u n
30-
Le CéjS du clan l<iisixLlI"llngo cl,,' TiV':::;,ëlbu qu"',
nOLIS avons
r'elaté,
ainsi
que celui
du
village de
Seeruka anéanti
par
les
lions,
don t
1e s t e r' r' e s. s 0 ri t
ven ue f; 9 r' 0 s: sir'
1 e s
r' e sel' ve s f 0 n c i è r' es
du Tunka du Goy.

139
simple pouvoir politique,
et cela ne veut pas dire que le Tunka
du Goy ait exercé à une période ou à une autre un pouvoir
religieux ou magique,
comme certains se plaisent à qualifier les
pouvoirs africains précoloniaux,
la dimension agraro-mystique du
sol au Gajaaga étant très réduite par rapport à sa dimension
politique.
L'autorité du Tunka était simplement temporelle.
Même les villages politiquement dirigés par les marabouts
,
dans le Gajaaga n'ont pas connu de pouvoir religieux h cause de
1
l'inexistence jusqu'à nos jours,
des confréries islamiques dans
1
le pays soninke.
Le chef soninke n'est pas de caractère sacré et
1
les décisions en général prises dans le village ont un caractère
1
collégial.
Le
chef n'est que le premier de ses pairs et en tant
1
que doyen d'âge,
ses avis sont importants et il servait
j
d'arbitre.
J
1
Le Tunka ou le chef du village gère le jamankafo en sa
1
1
qualité de maître foncier et chef politique,
chef des terres de
!l1
la communauté et représentant du fondateur du groupe.
Les
j
j
avantages reconnus au chef ne sont pas signe de pouvoir personnel
J
1
ou familial mais un pouvoir communautaire,
signe de vitalité et
1
d'union du groupe auquel il appartient et qu'il représente. Mais
1
1
il faut préciser que le Jamankafo-terres communales n'existe que
j
sur le jeeri et le kollanga
(cuvettes de décrue),
jamais sur le
~1
j
falo.
Le falo fait toujours l'objet d'une détention clanique.
Si
i
le kollanga de Mudeeri est approprié par les trois clans Bacili
'1
de Tiyaabu,
toutes les terres par contre abandonnées après
1
1
~
l'anéantissement de Seeruka sont dans le jamankafo.
Pour le falo,
il y a un cas qui se pose en ce moment à Tiyaabu qu'il
faut

140
clarifier,
parce
que pouvant prêter à confusion.
Il
existe à
Tiyaabu un falo appelé DEBIGUMENFALO (31).
Depuis les ann~es 50,
ce fa 1 0
a t 0 u j 0 U /" S été exp loi té,
san s i n tel' l' u p t ion 1 p a l' 1 e s
cl i f f é r' e nt 5
che f s cl e villa 9 e qui
5 e
son t
5 UC c é cl é s
à 1 a cha r' 9 e
jus qui à a u j 0 U l' d 1 hui.
~·1 ais con t r' ai/" e men t
à c e que 1 Ion pou l' r' ait
c r' 0 i r' e ce fa 1 0
nie s t
pEl S r' é s e r' vé a u che f
cl u villa 9 e de T i Ya a b u è s
qualité.
sinon il
serait permis à un chef de
village qui
est issu
d 1 une des f El mille s de ...10 n9 a de l'e:-: plo i ter' .
Ce qui
ni est pas
possible,
pal'ce que ce falo e:~t sirnpl.,:,nF"nt 1 •.:: l'uxuba l'ésel'vé au
chef du clan la9allak~ara.
Le hasard a fait que depuis 30 ans
(1959)
tous les chefs du
vi 1 1a '3 e qui
ses 0 n t
suc c é ci é sap p a l' t i e n n'2 n t
d' !
C 1 a n
Tan ,1 1 1 a ka a l'a ,
donc cumulent
les qualités de
x~biilanxirise e1 de debigume.
Ils
sont chefs de clan avant d'être chefs des clans.
Ce falo a acquis,
1
f
peut être définitivement,
le nom et non le statut de debiguminfalo.
!
Le futur chef du village pourrait tr~5 bien être le doyen d'Un des
1
1
clans
(Tunk~ S~nb~ Kana ou Tanbonka) de Jonga,
mais cela ne lui
!
donnera pas le droit d'exploitel' le debigunenfalo de Tunkankaani
1
i
De
1935 à
1959,
tous les che1-::; de village qui
1
:=,8
sont succédé à
1
Ti ya a b u é
f
t a 'i e n t
cl e .J an ';:1 ,:J,
C '2
Cl l Jill (
1e LI l' ,::1 pas don n.;: 1e d l' 0 i t
i
1
d'exploiter ce falo qui est le ruxuba du doyen de Tanallakaara.
t
Ce phénomène est dO à la relative
jeunesse des hommes dlun clan
!
par rapport aux autres, ce qui
maintient parfois la chefferie
t
pendant de longues années dans un seul
cl an.
3 1- Li t tél' ale men t
1 e f a 10
duc he f
cl '2
villa '3 e .

141
Il était utile, pour les futures recherches qui s'intéres-
seront exclusivement ou non à Tiyaabu de lever cette confusion
due au langage,
pour éviter des jugements qui risqueraient de
créer des erreurs durables.
Il y a un autre aspect du jamankafo
qu'il faut analyser, par rapport à la politique coloniale des
terres vacantes et sans maître.
Le décret du 23 octobre 1904 a
posé le principe des terres vacantes et sans maître en son art.lO
notamment:
« l e s terres vacantes et sans maître appartiennent
à l'état»
(32).
Nous n'entrerons pas au fond dans l'analyse
de ce texte car beaucoup de cher~heurs avant nous, pJus autorisés
ont largement discuté la valeur de ce texte et sa non conformité
aux principes des droits fonciers coutumiers.
Ce décret utilisé pour résoudre d'épineux conflits de
terres n'était pas inspiré par une véritable exigence juridique
mais seulement un expédient propre à régler des questions de fait.
Inspiré
par la
théorie de la succession d'Etats par le
colonisateur français,
l'intérêt en était d'administration
publique et financier.
Ce qui a amené Etienne LE ROY à écrire
«
qu'il convient de ne pas oublier que l'ensemble de l'espace
était réparti entre quatre catégories de terres
: cultures,
résidences,
espaces sacralisés et réserves .. Dénier les droits
communautaires sur ces espaces en vertu d'une absence
d'aménagement ou d'investissement impliquait de refuser un
certain mode d'organisation de l'économie et de la société au
nom d'un
projet civilisateur considéré comme supérieur.
La question des terres vacantes et sans maître était donc par
sa nature "politique" et non juridique»
(33).
32- Voir DARESTE de 1908 p.
1 à 24
33- LE ROY (E.)
Les modes d'acquisition et les preuves des
droits fonciers.
Encyclopédie juridique de
l'Afrique. op. cit. p.??

142
Le décret du 15 novembre 1935 intervient pour apporter quelques
correctifs au decret de 1904,
sans toutefois en entamer l'esprit.
A la suite du décret du 06 juillet 1906,
celui du 08 octobre 1925
et
celui
du
26
juillet 1932 qui
ont
créé
la
procédure
de
l'immatriculation
foncière,
le
décret de 1935 considère
comme
terres sans maîtres «celles ne faisant pas l'objet d'un titre de
propriété ou de jouissance, en application soit des
dispositions du code civil,
soit des décrets du 8 octobre
1925 et du 26 juillet 1932,
et sont inexploitées ou
inoccupées depuis plus de 10ans». On le voit donc,
à part
les délais d'inexploitation,
les décrets de 1904 et 1935 avaient
)e mgme esprit.
Ce qui est remarquable c'est que ces textes n'ont
pas tenu compte de la pratique des longues jachères, qui ne sont
rien d'autre qu'une forme d'exploitation et d'occupation du sol.
De façon plus concrète pour le Goy,
dans la coutume Soninke il
n'existe
pas
de terres vacantes puisque c'est le terroir tout
entier qui est détenu par certains clans depuis des siècles et
de façon définitive.
Il n'existait pas également de terres sans
maître à cause notamment de l'existence du Jamankafo qui fait
1
automatiquement tomber les terres des familles et villages
i
t
!
détruits dans la réserve du chef.
t
r
La justice coloniale pour ce qui concerne le Goya tenté d'appli-
1
i
l
quer en matière de conflits dès 1908 le principe à contrario des
fir,
terres vacantes et sans maître.
Sans citer directement le décret
~
de 1904, le Tribunal de cercle de Bakel et le Tribunal de Subdi-
vision ont appliqué le principe de la prescription acquisitive

-143
cl u d r' 0 i t
mus ulm a n ti r' É: duc 0 de T0 h f a qui
dis p 0 s e :
<<1 1 0 cc u pat ion
pendant
10 ans
dlun terrain par
un particulier qui
ne
siest pas
s <c: r' v i
dia r' me s n i
de
1 é
for' cep 0 ur'
1 1 oc cu p e r' et qui
en éi tir' É:
profit pendant
10 ans
sans être
interdit une seule fois
par
quiconque
se dit propriétair'e de cette tetTe,
en'dendr'e
la pr'o-
p l' i été dé fin i t i V '2 1
r' é ;:: 1 1 e,
1 É: '3 d 1 e de cep a r' t 'j cul i E:: r'
sur' ce
t e fT a in> >
(3 Il ) •
A pr'opos de ce conflit foncier'
il
est clair' que
la
justice
colon i ale a
vou 1 u pas se r' p a l"
u n che min dÉ: t. 0 u l' nÉ: pOLI r' a p pli qUE: l' 1 e
déc l' e t
d e
1 9 0 I{ 1
e n 1) E
par' 1 a n t
p a:3 d i r' e c te me Il t
de
ter' r' e s
va c a n tes
E: t
san =; ma î t r' e.
Mai s à
lia n a 1 y s e
E:' 1 1 E:
t e n t e l Cl
d e
dép 0 S s É: der'
1 e
rn a '\\ t l" e
f 0 fi cie l' des 0 n t. i t l" e e t
des 0 ri
s t d 1. u t
d U P l' 0 f 'j t
d u ni ri î t l" t~
cl (
1 a cul t ur' E: te 9 uITIE' Pd r- ce qui un tel' l" ai n q LI i
nia pas été
l ' e ven d i q u É:
PE:I) dan t
10
ans est
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Ce
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notl'E: aV'js CE::é; dispositions qui
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sou sun eau t r' e for' me
p a l"
1 '2 déc l" e t
d e
1 9 3 5.
~1 ais -l' 0 n
sai t
que
1 a p l" E: sc l' i pt ion a c qui s i tj v E:
1) 1 e x i ste
pas dan s
1 e s
couturnes sénégëi1ais,,=,=..
Toutes
les ter'r'es
=;on'l
détenues en dr'oit.
son i n k e
soi t
p a l"
des fa mille S,
soi t
ver' s .& e :.3 dan s 1 e s
r' é sel" v e :3
f 0 n c i è r' es.
Ces tE:: 1''1' E ~
n e
s e r' aie n t - e 1 1 E: S
i ël mai S E. X plo i t É: e s d e p Ui s
leur détention qulelles
nlen portent pas moins
un
nom et n'en
soient pas moins délimitées par d~s mares,
des collines ou des
arbres,
et soumises aux
redevances fonciêres dês qu'elles
sont
utilisées.
34- Tribunal
de Cercle
de
Bake1.
Audience du
12
janvier
1908.
Reg i s t l" e
1 9 a 6 - 19 1o.
An née
1 9 a 8. ...1 U'd e rn e n t
n Co
14 p. 4 6

144
CHAPITRE V : LES REDEVANCES FONCIERES
NIINANCEQU OU NIINANJAKKO.
La société soninke du Goy,
nous l'avons vu aux chapitres
II et IV est fortement hiérarchisée tant au niveau du statut des
personnes qU'à celui des droits sur la terre.
si on trouve diffé-
rents droits sur les mêmes terres,
il en va de même pour les
redevances gérant les sols.
Nous définissons la redevance comme
le droit matériel ou non, perçu sur une terre soit en raison du
statut de la perf'onne qui l'exploite,
ou en raison d'un accord
entre le maître foncier-niinegume et l'exploitant-soxaana.
certaines recleVênCE'S sur lE-s sols sont: jàentj C~ps; dÈcs lurs q1..1E:
l'on se place sur le plan politique ou sur le plan purement
économique.
Mais ces fonctions politiques et économiques des
redevances foncières,
dans le d~oit soninke,
sont diffuses et ne
laissent apparaître qu'une simple fonction relatiollnelle unidi-
mensionnelle entre la terre et les différents acteurs du procès
foncier.
Sur le plan historique,
dans le Gajaaga,
entre la fin
du 19ème s.
et la 1ère moitié du 20ème siècle,
une évolution
notable s'est produite au niveau des redevances,
qui va de la
simple transformation de la perception qu'avaient les soninke du
"i1iinanjakka,
à la disparition pure et simple de certaines formes
de redevances,
et la naissance d'autres droits plus symboliques
de la particularité du système foncier du Goy.
Ainsi le dévelop-
pement et le renforcement de l'islam à partir du 19èrne siècle
n'a pas eu de conséquences sur les droits fonciers,
comme par
exemple au Fuuta où le régime des Almanis a été déterminant dans
le processus de l'islamisation du système foncier
(1).
1- MINVIELLE
(J.F.)
: op.
cit.
p.
70 et s.

145
si l ' accés aux terres du jeeri,
xaaxudurmiino est relativement
aisé pour les villageois ainsi que les étrangers au village
(2),
il est soumis à des règles plus strictes,
sinon restrictives pour
le waalo. Le système de la redevance foncière y est plus lourd
qu'au jeeri et plus contraignant.
La redevance n'est pas fixée
et calculée en fonction de l'état des sols exploités, mais en
fonction du statut de la terre.
si chaque partie du territoire
du Goy,
jeeri et waalo,
est soumise à des redevances spécifiques,
il existe des redevances communes aux quelle que soit la partie
du Goy concernée.
Mais ce Qll'il y a lieu de souligner,
c'est que
chaque village a créé des redevances locales,
spécificités qui ne
touchent pas cU fondement du système des redevances du Goy
elles n'apparaissent qu'au niveau des modalités de recouvrement
et à la destination des redevances à cause des différences de
degrés existant dans les maîtrises foncières ainsi que du statut
de ces maîtres par rapport à Tiyaabu et aux autres villages.
C'est ainsi qu'à Jawara,
l'influence des familles de marabouts
est si forte que l'on note les spécificités les plus marquées
dans la pratique des redevances de même qu'à Mudeeri où la maî-
trise foncière est de type subordonné.
Bien qu'ayant existé à l'époque où le Gajaaga relevait
d'une seule autorité et d'un système unique de détention foncière,
nous pouvons considérer que les redevances qui nous intéressent
ici ont été mises en place, dans la forme que nous leur connais-
sons,
aprés la scission du Gajaaga et l'autonomie du Goy dans la
deuxième moitié du 19ès. Malgré les tentatives du pouvQir colonial
2- Ce qui ne signifie pas que les droits du ~ii~egume sont y
sont moins solidess,
comme nous l'avons vu au chapitre 4.

146
pour les supprimer, elles restent dans une certaine mesure effec-
tives dans le discours foncier soninke du Goy, même si on assiste
en ce moment à l'abandon de leur pratique, pour des raisons qui
seront analysées plus loin.
Dans le Gajaaga ancien,
si certaines redevances spécifiques
étaient perçues par certaines cat~gories ou familles,
la réalité
du droit et du pouvoir de percevoir les redevances foncières était
détenue par l ' as~,emblée des royaux Bacili dt1 Goy et Kammera.
Cette
assemblée,
le KAFUNDO,
était le véritable organe de décision du
royaume et était composée par les principaux chefs de ~aisons,
rameaux et branches Bacili dispersés dans le Gajaaga et qui se
réunissait une fois par an après les récoltes de l'hivernage
(3).
La période de cette réunion annuelle est assez édifiante sur le
rôle que joue la terre, puisqu'il s'agit du partage des revenus
fonciers entre les différentes familles qui détenaient la
terre.
c'est dG au fait qu'il y avait une parfaite fusion au
niveau de la famille royale Bacili,
entre le pouvoir guerrier et
le pouvoir foncier (4).
D'apr~s Bacili «
les royaux du Galam se
sont répandus dans toutes les provinces et ont occupé les
meilleures terres,
notamment celles de décrue dans la vallée
du sénégal,
du Gorgol etc. Autour de chaque maison (royale)
se
constituèrent des sortes de seigneuries terriennes sur les-
quelles chaque branche s'efforçait de fixer une main-d'oeuvre
servile et une communauté de clients ... ».
(BATHILY,
85 Thèse
p.291) .
Ce que Bathily écrit ici est bien vérifiable au niveau de notre
espace de recherche, parce que le Goy est constitué en fait par
3- Voir BATHILY(A) :Thèse.op cité.p.288.
4- Nous avons analysé ce phénomène dans les modes de détention
foncière au chapitre IV.

147
un ensemble de
villAges et de familles qui
se rattachent his-
toriquement â
la famille Baci1i
de Tiyaabu.
comme nous en avons
exp 1 i q u é 1 e p r' 0 ces sus .
Les redevances foncières sont de plusieurs ordres.
Ce que
1 Ion peut déjâ souligner. clest qu'il
n'y a pas de différence
dans la fonction entre redevances grévant le sol,
son exp10i-
tation et son utilisation et celles relevant de la gestion et
l'exploitation d;:'s eaux.
Cel'tain2; cummf' ~1JI~V]FLLE ont fait
la
dis tin c t 'j 0 n E.~ nt" e " e d e va Il ces f 0 nc i ~ " e::, et" e d e van ces " e 1 i g -j eus e ::3
dêH)s
1 E'
systérnE' 1'uutanke.
ce qui
est
totalement inexact
cornrn""
p e r' cep t i 0 Il des c ho S '2 s. a u 5 S i b i e n pou r' 1 e Ci a j a a '~ a que pou r' 1 e
r u ut a. co mmen 0 LJ :::; l E' ve,',' 0 ns. CE' r' t fi i ne:=; " E' d e van ces 0 n1. une a r' a c -
t è r' e g é n é r' a l e t
p è sen t
SUt'
t 0 ut u t i 1 i sa t e u r' d e 1 a te rT e que 1que
2; 0 i 1.
son st a 1. ut::;; 0 c i a l e t
f 0 ncie r'.
t te- 1 1 E- que
1 a cor' b e i 1 1 e dUE: a LJ
elle f d e villa '~e 1 d e b i ,] umin ka Il d e e t
1"~ j a k ka 1 a 1 0" S que d' a ut r' e s
affir'ment beaucoup plus 1E:s r'appor-ts E'ntr'E: le maîtr'E' de la tarTE:
n i i ne '~ urne é t
1 1 U t i 1 i :-3 El t e u j' de 1 a t 2 r' " (",
te1:Oc; que 1 e rn u s o.
1 e
niinanceqe appelé
niine gurninkande et
le njo1di 1
symboliques des
\\
1 i e n s S p é c i f i que S
é n t r' e
de u x a ete u " s d u p r' 0 c é s f 0 ncie,' .
l
I.
LE DEBIGUMINKANDE •
.1
î.
j
J
De manière générale dans le pays soninke le pouvoir po1i-
tique et la détention fonci~r'e sont sournises à des domaines qui
ressortissent théoriquement â des ensembles juridiques distincts
et relèvent en pratique dlautorités différentes
(5).
5 - Lee a s d u .J d a h u n u paf' e xe rn pie 0 Ù k0 LLEr e t
WIN TER 0 n t
0 b se f' vé
le phénomène des terres dans sa comp1exité.cf POLLET ET WINTER:
La sociétè soninke.op cit. p31 1 et s.

148
Le Goy échappe à cette règle générale.
Le chef dans le Goy,
sauf
quelques exceptions extrêmes,
cumule le politique et le foncier,
pour les raisons historiques que nous avons avancées au ch.4.
Le dediguminkande
(6)
selon WEIGEL (82 P 64)
«
manifeste
la reconnaissance par les différents clans nobles du pouvoir
du chef de village».
Il nous semble qUE cette analyse de
WEIGEL est à la fois confuse et simpliste, parce qu'elle ne rend
pas compte de la réalité juridique de cette redevance.
Ce que
WEIGEL considère comme une red~vance pour all~geance politique
d'un village la prééminence politique d'un segment de lignage se
concrètise par la gestion dEE; j ô.manJ\\.afon ni 1no (terres communau-
taires)
qui SOLt des tel.TeS
"app::.-opriées" par leE diverE clans
fondateurs du village, WEIGEL n'a perçu que les rapports
hommes/hommes,
c'est-à-dire le côté politique des liens.
Or dans
,
la pratique soninke,
le chef de village ne perçoit paf Je debi-
l-
I guminkande en tant que chef politique, puisqu'il y a de villages
soninke du Goy qui ne le connaissent pas,
tel que Jawara,
mais
1
en tant que gérant d'une terre communautaire.
Le chef politique
1
1
est avant tout le doyen d'gge du cla~ ou des clans maîtres de la
J
1
terre et c'est à ce titre qu'il perçoit le debiguminkande.
Dans
la répartitrion des terres au niveau villageois,
on est en pré-
j
sence de terres qui relèvent de différents maîtres:
il n'est
~,
1
pas perçu sur les terres lignagères ni sur le ruxuba et pour les
1
j
j
1
6- Littéralement corbeille du chef de village.
Debigume
: chef de
village et kande
: corbeille confectonnée à l'aide de branches
J
tendres et; souples de greh'ia bicolore,
servant à transporter
les épis récoltés. De différentes tailles,
le kande peut con-
tenir un poids variant entre 10 et 20 kgs.

149
villages qui ont adopté le système de cette redevance, principa-
lement Tiyaabu et Mannaayel,
il ne grève que l'utilisatation du
jamankafo. c'est la reconnaissance du statut de représentant du
groupe de détenteurs des droits fonciers qui se manifeste par
le debiguminkande. La fonction politique, comme nous le consta-
tons donc, n'est que diffuse dans la mesure oü le debigume est
en même temps maitre politique dans certains cas.
Mais le système de répartition des terres entre clans et lignages
détenteurs de la maitrise foncière interdit, à notre avis, toute
compréhension de ce droit commp rpdevance politi~ue. T •
"
"'-'0
0.1
WEIGEL
commet une erreur d'appréciation, c'est que le debiguminkande
n'e s t p Cl s dû pal" 1e S S E U l ;=; c J 2 n s n ob les cl' 1.1 n v:i Il age 11: ais par
tous ceux qui utilisent la terre dans le terroir villageois,
qu'ils soient nobles,
captifs ou naxamala. Une redevance simple-
ment politique dans le cas du Goy n'aurait aucun rapport avec la
culture de la terre. Mais puisque c'est la terre qui détermine
les rapports sociaux dans la société soninke du Goy toute presta-
tian ou redevance tirée de l'utilisation du sol ne peut être que
foncière. Le debigume, même le Tunka au 19ès. n'est qU'un culti-
vateur comme les autres, salgr~ les privil~ges qu'il tirerait de
son statut particulier. Dans ce type de relation entre individus,
la fonction de niinegume-maitre de la terre est d'une plus grande
portée. Ce debiguminkande est dû,
comme nous l'avons souligné, par
tout exploitant de la terre,
surtout dans le jeeri oü l'espace est
plus grand et plus disponible pour une plus grande exploitation.
Le falo échappe à cette redevance parce qu'à ce niveau il n'existe
pas de jamankafo.

J50
Si le debiguminkande avait exist~ à Mudeeri,
il aurait pu
être une all~geance politique qui entrerait dans le cadre de la
définition donnée par WEIGEL puisque les NJaay maîtres politiques
de Mudeeri ne sont pas maîtres fonciers
;
le même cas se pose pour
les Bacili de Gallaade à qui échappait la maîtrise des terres de
falo et de kollanga ainsi qu'une bonne partie du jeeri,
sous la
tutelle des Bacili de Tiyaabu et sous le contrôle des
jagarafu de
Mudeeri et de Gande.
Ce qui confirme le caractère fcncier du debiguminkande c'est
qu'il n'est concevable que s ' i l est tiré du produit de la terre.
si pour une raison ou pour une autre la récolte était nulle,
le
debiguminkande n'est plus dû par le débiteur,
ce qui est vrai pour
d'autres redevances.
Le debiguminl~ande a un équivalent purement
politique,
destiné au Tunka puis au chef de village et qui a trait
à l'usage des eaux,
principalement les mares de pêche.
Si dans le Goy la maîtrise politique au niveau villageois
se cumule presque toujours avec la maîtrise foncière,
i l n'en va
pas de même avec celle de l'eau.
POLLET et WINTER (op cit P 325)
ont souligné le phénomène, notamment en posant le principe selon
lequel la maîtrise d'une terre s'étend à la végétation,
comme
aussi aux mares et marigots qU'elle comprend.
Mais ils ont raison
d'ajouter que ce principe n'a rien d'absolu qu'il peut lui être
dérogé conventionnellement.
Cette exception générale au principe de la maîtrise foncière et
des mares devient la règle pour le Goy,
parce que les mares de

151
pêche-xaaro sont généraJement gérées par un maître autre que le
maître foncier lui même.
Aussi,
on assiste à une sorte de super-
position des droits sur les mares comme on l'a observé pour la
maîtrise foncière elle-même (7). En prenant comme exemple les
mares de pêche aux alentours de Tiyaabu et Mannaayel,
on peut
constater que généralement les droits qui s'y superposent sont
différents des droits fonciers eux mêmes dans la mesure où une
mare peut se situer dans l'espace foncier d'un village et relever
de la maîtrise d'un autre viJlage.
La mare de LOCANDE au sud-
ouest de Tiyaabu et qui s'ét~Dd jusqu'à deux ki10mètres de Lakel
connait cette forme de double maîtrise : les eaux relèvent des
Bacili de Tiyaabu,
alors que les droits de pâturage aux alelltcur~
de la mare reviennent aux Njaay de Bakel.
Les raisons de cette
double détention sur le sol de pâturage et les eaux de pêche de
Locande, qui se trouve dans le terroir de Tiyaabu sont d'ordre
historiques.
Les NJaay à leur arrivée dans le Goy auraient
demandé aux Bacili de leur prêter seulement les droits s~r les
pâturages de Locande,
le temps pour eux de se réorganis~r et de
continuer leur chemin
(8).
L'installation définitive de la famille NJaay à Bakel a transformé
7- cf ch.4
: les droits fonciers qui se chevauchent et de com-
pIètent: droit de feu,
de hache, conquête, maîtrise rituelle,
les uns n'excluant pas toujours les autres.
8- En effet cette famille NJaay qui a émigré du Jolof au 18è s.
n'avait pas l'intention de s'établir dans le Gajaaga.
Le site
de Bakel, qui n'était qu'un campement provisoire pour eux a été
définitivement conservé à partir du moment où les NJAAY ont
décidé de s'installer pour de bon. c'est ce qui explique en
partie,
la pauvreté de leurs avoirs fonciers même si un
segment a été s'établir à Mudeeri en aval. cf A.
BATHILY
Thèse.
op.
cit.

152
cette cession provisoire en droit définitif dans la mesure où
l'utilisation par un tiers des pâturages de Locande jusqu'à une
période récente était soumise à l'accord préalable du lignage
Njaay de Bakel.
L'utilisation de l'eau fait naître des redevances
pour le lignage Bacili de Tiyaabu qui en la maîtrise jigume. Ainsi
toute redevance réservée au chef de village,
qui gère la mare
en tant que Jamankafo,
que le chef du village de Tiyaabu perçoit
les redevances sur les produits de la pêche.
Ce bien commun,
la
mare de Locande,
est simplement considéré comme une terre villa-
geojse et en tant que telle soumise au même régime foncier qU'une
terre communautaire de culture. C'est ce qui explique certaine-
ment le fait que c'est le chef de village de 1iyaabu qui ouvre
la saison de pêche dans les eaux de Locande chaque année a la
mi-mars (cette pratique est encore observée de nos jours), qui
assure le contrôle de ces eaux contre les "fraudeurs",
Cette autorisatjon de pêcher s'accompagne de tout un rituel puis-
que le jour de l'ouverture de la pêche SONGANDE tous les villages
du Gajaaga présents dans leurs carnpemt;)ts respectifs 2utour de
l'eau attendent que le représentant du maître de l'eau, un naxa-
mala de Tiyaabu donne le ton à haute voix pour mettre l'eau et le
poisson à la disposition des Gajaaganko
(9).
9-Maajigi Yaali Bacili,
suivant du chef de village de Tiyaabu.
Informations données lors d'une enquête dans le Goy-Tiyaabu
17 août 1987.
Il faut souligner également à ce niveau qu'une
tentative de remise en cause de ce droit des Bacili à été
faite en 1985 par Bakel,
ce qui a provoqué un conflit.
Les
bakelois ont simplement contesté la maîtrise du chef de
village de Tiyaabu,
en soutenant que d'une part ce droit
n'existe pas et que d'autre part même s ' i l existait,
il ne
serait plus de mise puisque non conforme au droit actuel sur
le domaine de l'Etat qui rattache les mares à l'Etat. Mais ce
conflit a été réglé selon la tradition avec la complaisance
tacite de l'autorité administrative.
La communauté soninke a su
tirer d'elle même toutes ses ressources en matière de règlement
traditionnel des conflits pour que cette contestation soit
réglée,
ce qui fait que l'autorisation de pêcher dans la mare
de Locande demeure encore de la compétence du chef du Goy.

153
si nous avons insisté sur le caractère foncier des redevances
sur les produits de pêche de Locande en décrivant même les moda-
lités de la pêche,
c'est pour l'opposer à un autre cas,
la mare
de Basamu,
à l'ouest de Tiyaabu
(environ 1 km),
les droits de
pêche ont été donnés aux Jallo de Mannaayeel par les Bacili,
avec donc le statut de jigurne et maître de l'eau.
Ainsi,
si les droits fonciers sur cette mare sont détenus
par les Jallo,
les redevances sur les produits de la pêche ont
toujours été dues par les gens de Tiyaabu au tunka puis au chef
de Tiyaabu,
et non au maître foncier Jalla de Mannaayel.
En fait il S'agit d'une seule redevance sur les grosses prises
particulièrement un espèce appelé alluxuLne en soninlle(10),
dont
la queue revenait obligatoirement au Tunka,
et par extension
aux autres chefs de villages du Goy quil'
ont adoptée.
Mais
cette redevance,
contrairement au premier cas de Locande,
ne sau
rait être analysée comme redevance foncière,
puisqu'elle ne repose
sur aucun droit sur la terre ou sur la mare,
les droits sur Basamu
étant détenus par les Jalla et non le chef de Tiyaabu.
Nous sommes
ainsi en présence d'une redevance ayant un caractère d'allégeance
politique,
car c'est seulement à titre de chef politique que le de
bigume perçoit cette redevance étant entendu qu'il n'exerce aucun
droit sur la mare de Basamu même quand il était le Tunka du Goy.
10- Nous ignorons le nom scientifique de ce poisson qui pouvait
parfois peser jusqU'à 300 kg.
Cette espèce a totalement dis-
paru des mares de pêche du Goy depuis une vingtaine d 1 années.
Cette prise énorme était considérée dans le Goy comme un
acte de bravoure.

154
La redevance en question ici ne concerne pas des rapports
hommes/terre ou/et eau, mais de simples rapports politiques hom-
mes/hommes.
C'est à ce niveau que réside la confusion de WEIGEL
quand il soutient que le debiguminkande est perçu par le che.f de
en tant que reconnaissance de la prééminence politique d'un seg-
ment de lignage sur les autres familles nobles d'un village,
tout
en soutenant paradoxalement que,
c'est le chef de village qui est
le représentant du groupe fondateur du lien à la terre,
dOllC
des
droits fonciers.
C'est justement à ce titre et non à celui de chef
politiquE, même si les Ij~ns et les droits sur la terre ont été
établis par suite d'une conquêtE,
que le chef du village soninke
du Goy, maître foncier et maillon vivênt de la chaine de solida-
rité avec la terre, perçoit le droit du chef,
debiguminkande,
sur
ce que I.D. BATHILY (11)
appelle "la réserve foncière du Tunka".
La distinction entre ces deux types de redevances a été
esquissée par BARRY P.NOBLE notamment quand il é c r i t :
«
il est
vrai que ce droit peut être encombré d'innombrables redevances
à caractère politique ou religieux, sal15 que l'on puisse con-
fondre ces impôts avec les paiements provenant des inperfections
dans le titre de la communauté sur la terre ...
rI suffit ici de
marquer la distinction entre les paiements exigés de la commu-
nauté à cause de son existence et les paiements exigés à cause
de son occupation d'un morceau de terre.
si ces deux sortes de
redevances peuvent gtre calculées et exigées de la même façon,
seule la dernière concerne la tenure»
(12).
11- A.
BATHlLY (présenté par)
: Notices socio-historiques de
l'ancien royaume du Gadiagù.
Par I.D. BATHlLY.
op.
cit.
p.69.
«les terres non distribuées constituent la réserve du
Tunka.»
12- BARRY P.NOBLE
: 1965
: Mémoire sur quelques aspects du régime
foncier au Sénégal, en Angleterre et en Gambie. Annales
Africaines 1965. p.234 et note 19 p.244 et s.

155
Ainsi le paiement d'une redevance par la communauté villa-
geoise à cause de son existence d'après les termes de B. NOBLE,
constitue à notre sens la seule redevance politique. Puisque la
communauté villageoise est redevable au fondateur du groupe d'une
allégeance politique manifeste ou diffuse, mais quand les rap-
ports se d~placent ou se prolongent pour toucher la terre,
ils
deviennent fonciers.
Le debiguminkande n'est pas,
à notre sens un
tribut à payer au chef du vilalge ou au Tunka à cause de sa pré-
éminence politique, mais c'est parce que c'est à travers lui que
se déterminent Jes r2pparts 6e l'exploitant d'un sol dont il n'a
pas la maîtrise. Le debiguminkande, s'il avait été une simple re-
devance politique serait exigible sur toutes les terres aussi
bien le jeeri que le fala et le l:ollanga, ces terres seraient-
elles familiales ou comm\\lnautaires. Or l'on sait que les terres
qui ont déjà fait l'objet d'une distribution définitive aux seg-
ments claniques ma5tres de la terre, ne sont pas concernées par
cette redevance foncière qui est la corbeille du chef.

- 156 -
11- LE NIINANCEQU ET LE JAKKA:SENS ET LOGIQUE SONINKE DU
GOY: DIME RELIGIEUSE OU REDEVANCE FONCIERE?
Le Jakka, appelé Assakal dans la partie pulaar de la vallée
est comme on le sait, l'appellation locale de la Zakkat. La ques
tion de cette redevance foncière est délicate et constitue
une entreprise qui demanderait à elle seule une étude particu-
liére (J3). Notre but dans cette thèse n'est pas de faire une étu-
1
,
de exhaustive du jakka, mais de lever un certain nombre de confu-
j
1
sions au niveau de sa nature et de sa rencc~~'tre aVE·C JE, redevance
1
l
fcncière originelle sonirJ'..e vu-sée au niilll::o<;';~in,e, le K:':-ina.nceqe cu
l
::{
1
niinankande, et ouvrir des piste~ de recl1E'rc])E:~' véilables pour le
juriste comme pour l'économiste.
1
;
1
Dans nos spéculations de chercheur sur les pratiques et les
j
représentations foncières,
il nous faut déterminer (ou tenter) la
1
1
,
nature du jakka ou assakal, car le paysan sOl":ir:ke ne se pose pas
'5~
cette question dans la mesure où la redevance appelée jakka ou
1
non met en rapport les mêmes acteurs.
1
1
Nous ne nous étendrons pas sur la définition première de
1
1
la zakkat, dîme religieuse ~quivalant au 1/JO des revenus de cha-
!
que musulman, qu'il doit verser au titre de sa contribution à la
1
communauté musulmane ; la zakkat était avant tout un impôt versé
1
pour soutenir l'effort de guerre (sainte ou de conquête) ou cer-
j
tains grands travaux entrepris par 2a communauté, ou versé pour
1
soutenir les pauvres et les necessiteux. Véritable impôt,
la zak-
1
kat frappe toutes sortes de revenus de l'individu, dans toutes
,
ses activités : l~s revenus annuels du commerçant, du marchand,
13- MINVILLE (J.P)
1985 : Paysans migrants du Fouta Toro.
op.cit.p87.

- 157 -
du paysan,
du pêcheur,
de l'éleveur ... Ce qui est important dans
la zakkat,
c'est que originellement et selon les principes mêmes
de l'islam,
elle frappe les revenus fractionnables de l'individu.
1
1
1
La particularité de la société soninke réside dans le fait
Jl1
qu'au Sénégal,
comme au Mali et en Mauritanie, même si du point
de vue religieux et social les marabouts avaient joué un rôle
l
important dans l'histoire (14),
elle n'a pas connu comme au Fuuta
i~
le phénomène dtl pouvoir religieux,
à fortiori de pouvoir théocrati
~
1
1
que. Les soninke n'ont pas non plus connu et ne ccnllaissent encorË
1
pas le phénomène des confréries religieuses.
1
Malgré une très ancienne islamisation et le poids que le2
j
classes de marabouts avaient pu avoir,
ils n'ont jamais pu imposer
1
un système de pouvoir religieux,
comme l'almamia au Fuuta (15).
si le marabout soninke tient Ulle place de choix dans la société,
il n'est pas pour autant guide spirituel comme l'almami ou le kha
life wolof,
représentant de Dieu ou du Prophète auprès de la commu
1
, nauté musulmane ou confrérique. L'Etat du Goy-Gajaaga est resté,
sinon totalement "laie", mais toujours sous l'emprise des princes
1
~11
14-Voir notemment A.BATHILY:Thèse 1985,qui démontre le rôle
fondamental des marabouts soninke dans la propagation et
l'épanouissement de l'islam en Afrique de l'ouest,leur
dynamisme commercial à travers la sous-région et en Afrique,et
1
aussi le rôle politique qu'ils ont toujours assumé auprés des
j
familles régnantes/autour de grangs centres religieux etmétro-
poles commerciales dès le l1è s/tels que Gunjuru/Draamanne,
1
Jawara et Bakel.
15-Les soninke ont connu des saints auxquels ils se refèrent/
tel que Mammadu Laamin Draame dont le mouvement de lutte
1
contre le colonisateur a connu une grande ampleur/mais ce
l
mouvement est resté plus politique que religieux;il n'a pas eu
l
le
temps/
ni l'occasion
de mettre sur pied un Etat et d'en
jeter les bases religieuses.
La révolte Laminienne a ~ourné
court en 1887 à cause d'un certain nombre de facteurs
1
politiques et sociaux(voir BATHILY1969/1985.0p.cit.)
1
1
1
1
i
1
1
j

- 158 -
"paiens" tunkallemu.
Et comme le foncier se cumule avec le politi-
que,la question du jakka se pose dans les mêmes termes que l'assa-
kal fuutanke quant à la nature,
mais le jakka soninke et l'assakal
pulaar ne relèvent pas de la même logique sociétale.
MINVIELLE pour le Fuuta se pose déjà la question de savoir
si l'assakal se classifie comme dime ou aumône religieuse.
Il
définit la dîme comme une redevance due au représentant de Dieu et
l'a11mône comme unE: redevance due aux pauvres.
Il répond qu 1 il
«semble bien que l'assakal puissE-' se réclamer de l'une ou de
l'autre cat~gorje»
(16).
Il est clair que pour une société théo-
cratique,
cette distinction est fondée,
même si dans la pratique
il Y a confusion entre dîme et aumône dans la mesure oü le repré-
sentant de Dieu et de la communauté musulmane est tout désigné
pour percevoir la zakl:at, même s ' i l n'en est pas toujours le prin-
cipal bénéficiaire.
La réponse à la question sur la nature du jakka repose essen-
tiellement sur deux él~ments: l'assi~te et la destination de cette
redevance.
La société soninke est une société agraire et comme la
plupart des sociétés rurales afrcaines,la production agricole
(17)
16-MINVIELLE.1985.op cit.p 87.
17-A ce sujet MINVIELLE compare la production agricole à d'autres
produits plutôt difficiles à fractionner,
telle que la produc-
tion laitière qui est journalière,de même que l'accroissement
du cheptel difficile à déterminer même annuellement.La distinc-
tion
ne
s'impose
pas
au
Goy
parce
que
les
soninke
ne
1
connaissent pas d'autres activités principales en dehors de
l'agriculture. Comme nous l'avons vu,
le foncier agricole
1
englobe le foncier pastoral et le foncier piscicole qui ne
trouvent pas d'autonomie,
tel qu'au ruuta oü l'on distingue
J
nettement des activités principales et autonomes de pêche
1
d'élevage et d'agriculturesuivant les groupes statutaires.
1
Voir aussi SCHMITZ 1987
: l'Etat géomètre.op cit.
~i)
J
i
1l1
<
,

159
demeure la principale pour les populations,
tant qualitativement
que quantitativement.Le jakka dans sa logique coranique ne pouvait
donc se manifester que sur la production agricole;
le produit
agricole est plus facilement contrôlable et fractionnable d'autant
l
1
plus que sa périodicité est annuelle.
j
Le fait que le prélèvement du jakka s'opère sur la production
1
agricole montre l'assiète foncière de la redevance,
mais ne suffit
1
pas,
à notre sens,
à prouver son caractère foncier,
si le second
J
li élément de la question ne correspond pas à cette idée, à savoir la
l
destination.
La dGstin&tion du jakka pose ~ussi le problème de la
l
J
dîme ou l'aumône,
selon qu'il est affecté au représentant de Dieu,
~
1
1
l'almami au Fuuta et le moodi dans le Goy,
ou aux pauvres et aux
1
nécessiteux.
Mais en plus de cela une autre destination présage de la
nature foncière du jakka.
Ici le jakka est destiné au niinegume-
maître de la terre
Contrairement au debiguminkande qui est
f
1
déstiné au seul chef de village,
le jakka est une redevance payée
1
1
à tout individu ou famille qui a mis sa terre à la disposition
1
d'autrui.
j
1
Ainsi dans le passé
(18)
il est attesté que lejakka était réguliè-
ii
rement versé à tous les maîtres fonciers.
Aussi,
si la logique
ij
première du jakka fut détournée au profit du maître de la terre,
j
1
et si l'on combine l'assiète de cette redevance qui est la terre
1
j
et sa destination aux ~iifiegumu, on doit naturellement entrevoir
1
l
la nature foncière de cette redevance dans le Goy.
Le non paiement
f1
18-Le jakka fut supprimé ou écarté de fait avant même l'avène-
i
ment de la loi sur le domaine national.
La non actualité du
jakka dans le Goy S'explique par des raisons purement clima-
j
tiques et sociologiques. L'évolution globale de la société
soninke est à la base du maintien du jakka pour la forme et
1
pour rappeler les liens de dépendance,
et en même temps à
1
l'origine de son abandon.
Nous en analyserons les causes.
1
1

160
au maître de la terre entraîne la reprise du sol sauf stipulation
contraire ou si la nature des liens entre les deux parties est
telle que cette redevance n'est pas déterminante.
On peut penser
que la reprise du sol comme sanction pour non paiement du jakka
frappe le mauvais musulman qui ne remplit pas correctement un
devoir religieux.Mais c'est aller un peu trop loin dans la théorie
d'autant plus que,
comme nous l'avons vu la société soninke ne
repose sur aucune base islamique.
Un autre facteur peut intervenir pour dét8rminer la nature
foncière du jakka : c'est quand les deux parties ont la faculté de
convenir du taux de la redevance.
Le niinegume et l'allocataire
d'un droit de culture peuvent convenir d'une quantité de produit
en deçà du 1/10 de la production globale. Tout est fonction des
rapports familiaux ou autres entre les parties. Aussi,
si de tels
,j
"arrangements" sont possibles,
on peut estimer que le jakka est
lj
l
loin d'être une simple redevance religieuse,
à moins de taxer la
1
1
j
société soninke de "môuvais musulman".
ll
Le jakka dans le Goy n'est autre chose que le niinankande ou
1
1
niiI1eguminkande
(19),
dont l'origine remonte à l a constitution des
J
1
1
droits sur la terre. Avant l'avènement du jakka comme terme de
1
l,
référence en matière foncière,
les soninke connaissaient une
i
redevance appelée niinancequ (germes de la terre).
Le niinanceqe
j
est probablement la première redevance foncière historique que les
l11
soninke ont pratiquée. c'est la première forme de niinankande.
Le
1
jakka a remplacé le niinancequ à une période relativement récente
!
j
19- Corbeille du maître du sol.
1
1
i!

- 161 -
car l'implantation de l'islam n'a pas eu de conséquence véritable
sur les comportements fonciers des soninke du GOY.
Le jakka n'a
remplacé le niinancequ qU'au niveau du langage et peut-être un peu
dans la forme,
car certains villages comme Mudeeri et Mannaayel
continuent à l'appelerniinancequ, qu'ils distinguent nettement du
jakka dîme ou aumône religieuse.
Mais la persistance du niinanceqe
dans le langage dans certains villages n'est que le fait d'une mi
norité pour désigner le niinankande ou le jakka. Nous employerons
indistinctement les deux termes pour désigner cette redevance.
En outre, nos informateurs n'ont pas été capables de nous préciser
la période à partir de laquelle le niinanjakka a remplacé le
niinanncequ dans l~ langage. Des rEcherches futures nous permet-
tront éventuellement de préciser cela.
S'il n'y a pas de doute sur le caractère foncier du jakka
dans le GOY,
il est par contre difficile et intéressant à la fois
de cerner cette redevance dans sa pratique,
selon les villages.
Nous prendrons pour cela l'exemple de Tiyaabu et Jawara.
Nous avons expliqué comment les droits fonciers étaient mul-
tiples dans les villages du Goy,
se superposant parfois d'un vil-
lage à un autre,
et d'une famille à une autre.
Si nous prenons le
cas de Tiyaabu, nous constatons que tous les droits de maîtrise
sont détenus et partagés par les quatre xabiila de Bacili fonda-
teurs du village et maîtres politiques du Goy.
Elles détiennent la
maîtrise foncière aussi bien sur le waalo que sur le jeeri.
Il
s'agit de Ta.9allakaara,Tunka Sanba Konna,Tanbonka et KiisixurunÇJo.
La riva lité historique entre certaines de ces branches Bacili:

- 162 -
Tanallakaara la branche aînée et Tanbonka une porte cadette,
a
alimenté pendant une très longue période les conflits entre
l
l
maîtres fonciers de Tiyaabu.
On observe des spécificités au niveau
l
1
de chaque clan dans le système des redevances jakka.chaque lignage
1
du clan Ta9allakaara posséde un ou des lopins de terre dans le
'1l
walo (le falo plus exactement)sur lesquelles il peut percevoir par
1
1
j
le biais du kagurne,
le:niinankande,
si la terre est cédée à une per-
1
sonne étrangère au lignage.
Ce niinanjakka est versé pour l'exploi-
li
tation du falo au falogume.
Mais les lignages de Tunkankaani n'ont
1
~j
pas de maîtrise personnelle sur les terres du jeeri et celles du
j
l
kollanga qui ressortissent du jamankafo,
terres communautaires du
'1
clan,
gérées par le chef du clan
(actuel chef du village) qui en
1
1
perçoit le jakka même si elles étaient exploitées par un membre de
1
la famille Bacili.
Le chef du clan Tanallakaara gére également le
11
ruxuba dans le falo,
qu'il répartit entre les familles Bacili du
~
clan et certains clients et amis,
avec possibilité de percevoir
1
l
le debiguminkande sur tout le monde,
(20)
y compris les lignages
j
Bacili du clan qui ont une parcelle dans le ruxuba.
1
~
Tandis qu'à Jonga, branche cadette,
on trouve deux ruxuba
1
1
rattachés aux deux clans Tunka sanba Konna et Tanbonka. A la dif-
!•
férence de Tunkankaani,
Jonga ne dispose pas de terres lignagères
1
dans le falo.
Tout le falo est partie intégrante des deux ruxuba.
J
1
1
Les individus ou les familles qui exploitent le ruxuba de Jonga ne
i1
versent pas de jakka au maître du ruxuba mais le xirisinkande dans
j
i
sa forme originelle.
(21)
-------------~----------------------------------------
------------
20 - Madjigui Yaly Bathily : notable à Tiyaabu.
Entretien du
17 Août 1987 à Tiyaabu.
21 - Mody Barka Bathily : notable à Tiyaabu. Actuel doyen du
xabiila
Tunka Samba Konna. Entretien du 18 Août 1987 à
Tiyaabu.

- 163 -
Mais là où l'on revient au jakka dîme religieuse,
c'est quand les
niaîtres fonciers eux-mêmes, qui perçoivent le niinanjakka sur les
terres allouées,
(ruxuba,
jamankafo ou autres)
versent à leur tour
la zakkat à leurs marabouts,
les Dramé de Bakel.
Ce jakka au mara-
bout marque une allégeance religieuse des Bacili aux Drame, décou-
lant des liens ancestraux.
Ce type de jakka n'est pas une rede-
vance foncière,
même s ' i l est tiré du produit de la culture, parce
que le maître foncier est lui-même un cultivateur.
Ce n'est pas le
jakka perçu sur les allocataires de terres qui est reversé inté-
gralement au marabout par le ~iiEegurne, mais une partie de sa pro-
pre production agricole, qui se compose des produits de son ou de
ses champs et des revdevances foncières tirées de ses terres.
Cette alliance avec les Dramé de Bakel est une alliance familiale
puisque les anciens serviteurs et naxamalani,
qui se situaient en
dehors ne versaient pas de jakka aux marabouts.
Le système de répartition des terres entre les quatre portes
Bacili de Tiyaabu se reproduit sur les terres de décrue de Mudeeri
et Gallaade,
notamment le kollanga où on retrouvait les mêmes an-
tagonismes
(22) .Ces deux villages n'ayant pas de maitrise foncière
sur les sols de décrue,
tout exploitant d'un kollanga ou d'un falo
doit verser le jakka au maître foncier,
une des branches Bacili de
Tiyaabu.
Par contre,
les terres de jeeri de ces deux villages
n'étaient pas astreintes au paiement du jakka. Le cas des terres
de décrue de Gaude
(23) est spécifique parce que ces terres
22 - Tribunal de cercle de Bakel:
Registre 1906-1910-Année
1908. Jugement nO 14. p 46.
Nous reproduirons ce jugement
dans la deuxième partie. Voir aussi J.Y. WEIGEL 1982. p.64
23 - Nous avons donné les raisons pour lesquelles ces'terres de
Mudeeri, Gallaade et Gande échappaient à la maîtrise foncière
des chefs politiques de ces villages. Nous reviendrons sur
ces redevances au paragraphe suivant, et sur le rôle des
jagarafu dans le recouvrement du jakka et aussi au niveau
des conflits fonciers.

- 164 -
faisaient partie du jamankafo de Tiyaabu, soumises au jakka, sous
Je contrôle des jagarafu Tuure et Kamara de Gande.
Le village de Jawara présente un système légèrement différent
de celui de Tiyaabu en matière de perception du jakka.Contraire-
ment à Tiyaabu, Jawara ne possède pas de jamankafo dans les terreE
de culture. Toutes les terres font l'objet d'un partage définitif
entre les différentes familles détentrices de la maitriEe foncière,
CE:
qui atténue de. faço11 significative le :;::oidE foncier (~u. è.('big~:r;.r.:
chef de village.
l
Le clan Saaxo est seul détenteur de la maîtrise fOLcièrE a
1
.~
;
Jawara. A l'instar des Bacili de Tiyaabu,
la famille SEaxo fe
j
divise en trois xabiila qui se répartissaient les terreS.CeE tro~E
1
i
branches de la famille Saaxo sont Tugaanekaara, Maxankaara appelé
'jj
aussi Si!)any,a, (xabiila de l' actuel cl~Ef du village) et Danjo (24).
Le doyens des xabiila sont chargés de la répartition des terres
1
,j
entre les différents lignages-kaani ou folla~~. E~ fait ces trois
chefs de clans gèrent chacun un ruxuba. Mais la répartition entrf
les portes est dé fini ti ve,
chaque maison ayant à S él di spos i "'c i c'n
une portion de terre clanique. Le système de Jawara semble plus
égalitaire que celui Tiyaabu, dans la mesure 00 le rllxuba De donne
pas droit au jakka au profit du chef de clan; en outre il n'y a
pas de bouleversements dans les répartitions à la mort du xabiilan
xirise. De plus,
l'exploitation d'un champ dans un ruxuba par un
individu en dehors des familles du clan (ancien captif, artisan,
marabout ou membre d'un autre clan) donne droit ~u jakka au profit
du lignage sur la parcelle duquel le droit de culture est concédé.
24-Les clans dans la société soninke portent toujours le nom du
fondateur.
Les différents clans sont généralement répartis
entre les quartiers du village et configurent les installations
des ainés et des cadets.

165 -
L'autre différence entre Jawara et Tiyaabu se situe au niveau de
3a concession du droit de culture sur une terre de ruxuba:
c'est
le chef du clan,
gérant du ruxuba qui donne le~ terres aux tiers,
mais à deux conditions:
d'abord que la terre ne soit pas présente-
ment utilisée par un membre du clan (un ka),
ensuite que cette
concession reçoive l'accord de toutes les autres composantes du
groupe détenteur du ruxuba.
Autrement dit,
le chef de xabiila qui
donnerait un droit de culture à un tiers sans l'accord préalable
des chefs de maisons verrait son acte annulé.
Comme on le voit,
le
celui de Tiyaabu,
dans la mesure où la marge d'autonomie du
xabiilan xirise de Tiyaabu est plu~ grande EllfSi bien en matière
de répartition de terres de ruxub~ que dE perception des rede-
vances foncières.
Ce qui
signifie, précisément,
que si le système
foncier du Goya une base unique,
les pratiques villageoises
montrent très souvent des spécificités.
Les maîtres Seaxo eux ll,êmes versent le j o.):L& à leurs mara-
bouts statutaires,
les Ba et les Dra~me. Ce jakka,
en plus de son
caractère religieux met aussi en lumière les rapports statutaires
et les affinités familiales çui existent entre les Saaxo et les
marabouts qui leur sont rattachés.
Il constitue donc plus qu'un
simple devoir religieux.
Les redevances fonciéres que nous venons d'analyser,
à
savoir le debiguminkande,le jakka et niinanceqe étaient naturelles
et s'attachaient è 12 terre elle même,
ce qui démontre qu'il n'y a
pas de trans2ction possible sur leur principe. Mais dans la prati-
que et en fonction des rapport privilégiés qui pouvaient exister

- 166 -
entre individus ou groupes dans la communauté villageoise,
un
allocataire de droit de culture pouvait être dispensé par le
maître foncier du paiement du jakka ou du debiguminkande.
Mais la
dispense de paiement ne remettait pas en cause le fondement de la
redevance qui
pouvait être exigé à tout moment,
suivant les
circonstances et l'évolution des rapports.
Par contre,
il existe d'autres types de redevances foncières
découlant d'un accord préalable entre le maître foncier et l'allo-
cataire, mais qui ne sont pas exigées sur le produit de la terre
cédée.
III-LE MUSO ET LE NJOLDI.
Littéralement,
le terme muso signifie cadeau,
récompense.
Le
ffiUSO
est une redevance foncière en amont sur un droit de culture,
découlant de la location d'une terre.
Dans la d~finition de cette
redevance,
il Y a une certaine confusion puisque assez souvent on
emploie à sa place le terme njoldi.
Cette erreur a été relevée,
relativement tôt,
par I.Diaman BATHILY (25)
qui n'a toutefois pas
levé l'équivoque quand il écrit:
«
La location annuelle ou
prolongée comporte un usufruit appelé njoldi au Fouta et
muso dans le Goye.
Le mot njoldi est faussement désigné
par celui dellprix ll et le mot "louer" par vente,
faute de
terme propre;
mais c'est une question de vocabulaire res-
treint qui ne doit pas influer sur les faits et gestes
habituels».
D'autre part
, HH.'VIELLE déf ini t
le nj oldi comme un << droit
annuel versé par le détenteur d'un droit de culture au
"propriétaire Il d'un terrain.
(26
25-Ibrahima Diaman BATHILY(publies par A.BATHILY) :Notices socio-
historiques de l'ancien royaume soninke du Gadiaga. Bulletin
de l'IrAN.
Janvier 1969-nol-Serie B,
p.71.
26- MINVIELLE
: Paysans migrants.
op.
cité.
p.84

1
i
~
j
- 167 -
1
lj
si BATHILY (I.D)
d'une part et MINVIELLE de l'autre parlent
1
de muso et de njoldi,ils ne disent pas à quel moment il est perçu,
ce qui est important car marquant la différence entre cette rede-
1
!
vance foncière et le jakka-assakal par exemple.
Cette confusion
j
1
des termes aboutit à une situation plus ou moins floue,
car les
soninke du Goy connaissent le musa et le njoldi
(terme emprunté au
1
'1
j
pulaar)
en même temps,mais qui renvoient à des contenus différents.
j
Le musa-cadeau est une redevance versée au niinegume ou au te gume
1
dans une zone de décrue"
avant de descendre danE:. la boue". (27)
La
J
1
1
première remarquE conCErnant le musa,
est çue cette redEvance sc
situe en amont de l'exercice d'Un droit de culture,
puisque c'est
1
1
i
un "plaisir que l'on f2it"
au détE'ntf::ur d'tu) cLc;:r:p de fbIu o.vant
de l'exploiter.
Ce cadeau permet d'avoir la pErmission d'utiliser
1
un sol,
donc d'exercer à son tour un droit sur la terre.
Il s'ana-
1
i
lyse comme la reconnaissance à priori du droit du maître foncier
1
sur la terre.
1
La seconde remarque a trai t
au type de sol qui ot:vre dra::' t.
1
j
au muso.
D'aprés la définition que nous avons donnée du muso,
l,
seules les terres de décrue étaient concernées,à savoir le falot
1
le kollanga,
mais aussi le dunde.
La culture des xaaxudunniino
3
l
ou jeeri n'entrainait pas de versement du muso.
Il suffisait seu-
j
1
1
lement de l'autorisation du maître de la terre,
sans contrepartie
~\\~
.~~
préalable.
Ceci s'explique par le statut privilégié des sols de
1
décrue par rapport à ceux de jeeri qui avaient peu d'emprise poli-
1
tique.
!
1
26-MI~~IELLE, 1985
: Paysans migrants du Fauta Toro.op cit.p84.
J
27-C'est la traduction de l'expression sonin:k.e «Katt'a.n ga
!
yanqana botoxa».
Les soninke emploient un autre terme,
d'origine arabe:
mudaara,
plaisir, pour désigner le musa.
1
~
1
$
1
,;
1
1

- 168 -
Enfin le fait que le muso ne soitt pas perçu (contrairement
au debiguminkande et au jakka)
sur les produits du champ exploité,
montre son caractère contractuel,
puisqu'il dépend, par sa nature
et par son taux,
d'un simple accord de volonté passé entre
parties.
Le muso peut être donné par des journées de travail au
maitre de la terre,
avant l'utilisation du sol,
ou versé en natu-
re
: pagnes,
moutons,
ch~vres, volaille, ou leur équivalent en es-
p~ces depuis l'introduction de la monnaie au début du siècle (les
maîtres fonciers préférant désormais ce type de prestation pour
faire face t
certaines situations, notamment celle des lDpotr).
Il Y avait toujours des variations d'un maître foncier à un autre,
suivant les besoins du momEnt.
si le muso est l'équivalent du njoldi dans le Fuuta,
il est
par contre différent du njoldi soninke,
utilisé dans le langage
des redevances foncières dans le Goy.
En effet,
les soninke utili-
saient muso et njoldi pour désigner deux redevances différentes.
Le nj cldi scninkE' du Goy met en l-apport les maî tres de 1 a. terre
avec les éleveurs peuls sur un double plan:
d'abord après les r~-
coItes des falo,
les éleVEurs peuls venant généralement de la rive
droite du fleuve pratiquaient le ~aayile (28) avec la permission
du chef de village.
Cette permission de pratiquer la vaine pâture
sur les ral0 récoltés est accordée après versement préalable du
njoldi en moutons,
chèvres ou vac~es répartis entre les maîtres
fonciers.
Aussi/
le muso et le njoldi soninke qui sont des
redevances préalables ~ol diffèrent en ce que le musa donne un
28-Le terme naayile est un emprunt ê.U pulaar naayngal qui
signifie vaine p§ture.Cette pratique est différente du
droit de fumaison pratiqué sur les sols d'hivrenage et qui
fait l'objet de conventions particulières.

169 -
droit de culture,
donc découlant d'un contrat entre agriculteurs,
alors que le njoldi ouvre un droit de pâturage,
contrat qui met en
!
[
rapport paysans et éleveurs.Le njoldi est aussi un droit de passa-
it
l
ge perçu sur les éleveurs pour autoriser le passage sur le sol du
(
1
,"
!
Goy de troupeaux étrangers. C'est une sorte de "servitude"
!r
.1
f
1
accordée aux troupeaux étrangers sur les sols.
Le njoldi,
com-
1
1
j
me le musa n'est pas perçu sur les sols du jeeri qui sont le point
1
f
:,i
r
1
de passage normal et obligé des troupeaux même s'ils ne jouent pas,
1
1
l
f!
i
comme pour le Fuuta,
un rôle fondamental pour le pâturage,
mais
r
,
1
uniquement sur les champs et ]PF SO]R d~ fala.
1
1
Il Y a,
enfin,
d'autres types de prestatiolls ou d'accord qui
l
'.1
sont assimilés à des redevances foncières,
naj~ le\\lr caractère tout
l
:~
'~
1
à fait exceptionnel dans le Goy !lOUS permet de les occulter. C'est
l
1
i
le cas du partage du produit d'un champ all 1/3,
une sorte de méta-
l
-1
1
yage (29).
Il s'agit, pour les parties,
de partager le produit du
1
champ en trois,
d'00 son nom soninke de taxandu sikki,
les deux
j1
tiers revenant au maître foncier et le ti~rs à celui qui a effec-
l
'~
tivement cultivé le c]lamp. Ce contrat s'exécute particulièrement
j
1
sur le falo.
Mais nos enquêtes,
depuis 1984 ne nous ont permis
1
l
l
d'observer qu'un seul cas dans le Goy,
à Tiyaabu plus précisè-
"1j
ment oü un ancien captif cultive le falo de Eon ancien maître,
i
l
tous les ans,
en partageant la récolte avec lui.
Ce cas ne doit
l
pas faire croire,
€~ outre, que la concession d'un lopin de terre
à un captif pour son usage personnel et la culture du champ de son
29- J-Y WEIGEL appelle cela fermage dépersonnalisé.
WEIGEL 82.
op.
cit p.66 «
le fait d'individus
.
manquant d~ terres ou de descendant de captif s'adressant
indistinctement à des clans hooro pour obtenir une terre
et ne livrant évidement pas de prestation de travail».

-
170 -
maître tous les matins est une redevance foncière.
Ce n'est qu'une
prestation de travail que le captif devait normalement et obliga-
toirement à son maître.
IV- LE RECOUVREMEENT DES REDEVANCES FONCIERES.
Le
recouvrement des rEdevances foncières que nous allons
analyser varie selon le régime auquel elles sont rattachées.
S'agissant de rapports simples,
il
se fait entre protagonistes,
directe rn~nt, alors q~'6U nivE6ii des l~sErves cheffales,
sllE Est
entourée d'un formalisme parfois assez préjudiciable aux
bénéficiaires.
A- LE RECOUVREMENT DES REDEVANCES FONCIERES FAMILIALES.
Les redevances foncièr~s perçues sur les terres familiales
sont fixées selon les contrats entre le niinegumme et l'utilisa-
teur du sol. lJor,s êvc,ns vu ciue l'utilisation ne fait pas de lui le
maître de la terre. Autrement dit,
cette longue utilisation n'est
pas créatrice de nouveau~ droits. Même dans le cadre de la tenta-
tive du Ifgislateur colonial, par le biais du decret de 1904 qui
pose le cadre général des terres vacantes et sans maîtres et les
précisions du decret de 1935,
ainsi que la subtilité des tribunaux
qui,
utilisant le Code Totfa,
créèrent l'usicapion sur des terres
mises en valeur par le nouvel occupant pendant 10 ans au détriment
du maître foncier,c elui qui utilise le sol d'autrui doit en payer
les taxes et redevances.
Les redevances foncières sur les terres
lignagères sont versées au doyen du lignage, même éclaté,
car
autant la terre est indivise,
autant les redevances sur la terre
ne peuvent avoir de destinations diverses.A moins que dans la stra

- 171 -
tégie
de répartition des terres familiales,
et non de partage,
] 'attributaire d'un lot ne loue sa "part" à une tierce personne.
Le muso versé avant l'utilisation de la terre et le Jakka
après
la récolte vont au chef la terre qui peut,
selon les traditions
familiales
(qui sont différentes à l'intérieur d'un village)
les
utiliser pour la Communauté familiale
indivise,
ou encore les par
tager avec les autres membres de la
famille.
Le plus souvent,
le
partage est fortement inégal et le chef se sert comme i l veut,
laissant le reste aux cadets.
La même règle est observée pour les
réserv~s claniques, où le chef pEut prendre lb totalité.
Pour ces types de terres, l ' utilj.sateur du ruxuba verse direc-
tement et sans intermédiaire les redevances entre les mains du
responsable.
Mais pour les champs éloignés du terroir villageois
et
le jamankafo,
le recouvrement procède d'un acte officiel.Il existe
une catégorie de personnes statutairement chargée du recouvrement
de ces types de redevances,
les
jagarafu.
B-LE RECOUVREMENT DES REDEVANCES SUR LES RESERVES FONCIERES
Les
terres des réserves sont confiées,
notamment au niveau
des terroirs de Mudeeri, Gallaade et Gande
,
aux jagarafu dont le
rôle est d'administrer le domaine de la réserve.
Ils sont chargés
de surveiller et de mettre les terres en production au nom du
Tunka,
de percevoir les redevances sur lesquelles ils ont une part
importante.
Il serait intéressant pour mieux situer le rôle de ces
grands captifs,
de revenir un peu en arrière et de rappeler le

-172
processus de dégrad~tion de la conditioll decette catégorie sociale
qui,
avant et même pendant l'occupation Bacili était maître de la
terre. Selon BATHILY (Thèse page 297) ,les clans Gaja, préétablis
1
du pays, ont été à la position (rituelle) de m2îtres du sol, niine
1
J
gumu, la direction politique étant accaparée par les Bacili. Ces
il
clans réduits à cette simple fonction,
elltrèrent en révolte contre
l
1
les conquérants, à la tête de laquelle révolte se trouvait Sanba
'1
4
Yaate Jo.golla.
1
1
1
1
1
tain temps leurs prérogatives sur le sol. ~~is à la suite de la
1
révolte de Sanba Yaate Jagolla, matée par les nouveaux maîtres,
1
1
beaucoup de ces clans perdirent de leurs pr~rogatives foncières.
l
c'est le cas des Jagolla,
Fof211a et Karnnra qui finalement subirent
1
une déchéance sociale, accentuée par le fait qu'ils furent même
1
1
empêchés d'épouser des femmes de condition noble par les royaux.
Ce manque de partenaires aurait poussé les Jagolla et les Kamara a
1
épouser des femmes de condition servile app~rtenant aux royaux, ce
i
qui les mit dans une position llybride de mi-captifs, mi-libres.
1
c'est ainsi qu'on les a appelés grands captifs, non individuel-
.~
1
1
lement appropriés mais rattachés collectivement à la famille
1
royale, pour laquelle ils exerçaient certaines fonctions, dont
~i
\\~
J
celles de régisseurs des terres du domaine.
1
1
1
On les retrouve au Goy comme régisseurs et collecteurs des
!
redevances foncières au profit des Bacili de Tiyaabu : il s'agit
1
des Jagolla de Tiyaabu et Mudeeri, les Kamara et Ja de Mudeeri et
l1
1
les Tuure et Kamara de Gande. Les jagarafu dans leur fonction
1
1
i
1
1
1
t
1
!
1
1

- 173 -
sont d'abord tenus de mettre le maître de la terre au courant de
l
toutes les transactions qui ont lieu sur les terres, ainsi que les
J
fraudes et malversations aussi bien s~~ les terres que sur les
J
1
redevances.
~
!
Nous avons vu au préc~dant chapitre qu'avant la partition
du Gajaaga au milie1! du 19è s. Il~s produits des redevances tirés
1
l
1
du domaine de la reserve étaient partagés lors de l'assemblée
1
des rOY2u~,[afundo, entre les différe~tes ~aisons. Aprés la
1
partition,
le domaine du Goy ~tait dé~e~u par le Tunka de
]
1
~
Tiyaabu, puis par le chef du canton d~ Goy, puis par le chef
~
du village au fur et à mesure de l~ d~çrbdation de la chefferie
1
1
1
et sa banaliEation ~ar l'autorit~ cc:~~iale et l'Etat du
~
sénégal. Le produit de la réserVE,
une fois collecté est versé
1
i
par le jagarafu aprés c]laque récolte (hivrenage et décrue)
au
1
chef. A l'origine il servait à faire face aux frais de guerre
l
!
et ~ la recep1:ion d'étrangers (EATHILY,1969.p 70). Mais en temps
i
[
de paix,
le Tunka ou le chef du villaç~ e~ usait comme il le
1
voulait. Dans la pratique, le jakka du jamankafo était répartj en-
1
1
1
1
l
tre les familles Bacili et certains alliés,
aprés prélèvement de
l
1
1
ce qui revient aux jagarafu (les parts étaient fonction de la
1
!
taille de chaque famille). Mais depuis la fin des années 70, on
1
J
~
j
voit de plus en plus nettement au nive5U des villages et des clans,
j
j
i
la t~ndance pour le chef de terre à garder pour lui toutes
1
1
l
!
les redevances versées, et ceci pour deux raisons: d'abord la
~
faible quantité vers~e à caUSE de la E~cheresse et leE faibles
1
!1
revenus agricoles, ensuite par le f~it que depuis quelques temps,
les redevances foncières tombent en désuétude {mutations sociales,
1
1
~
ji
1
~1
,
1

1j
l
- 174 -
i
îl
refus de les payer, soustraction d'une grande partie des terres
j
j
cultivables situées sur la rive droite etc.) Ce phénomène n'est dU
1
l
ni au decret de 1903 supprimant l'assakal pour faciliter le prélè-
1
vement de l'impôt de capitation, ni à la loi sur le domaine
1
~
1
national de 1964 (30), mais il est simplement social et économique.
1
!
Toujours est-il que pour les cas où le jakka est encore perçu
;
1
(il Y a enC0re des fidèles qui s'en acquittent),
le chef de terre
1
le garde intégralement ou intéresse quelques chefs de familles
.1'1!
seulement, qui sont en fait SE:S complices dans le" détournement"
1
1
l
du biE:n ccmmuné:utaire.
j
1
1
Quelle appréciation quantitative et économique peut on faire
des redevances fc;nciÈTef. que nOl~:::' VEDC,llS d'E:tudier ? Peut-on,
1
1
,
après une rapide évaluation,
sffir~er que le~ redevances fon-
1
1
cières, statutaires pour la plupart,
font du sol du Goy un vecteur
1
i1
de rente foncière, donc participant t un processus de capitalisa-
!
1
l
tion des rapports à la terre? Autrement dit,
les redevances
·t
foncières ont-elles fait des maîtres de la terre des économi-
quement nantis ?
1dJ
1
.~
~
l
i~11
j
j
1
j
i
J
~
l
l1~1~
l

j
l
- 175 -
1
1
i
C.
- LE POIDS ECONOMIQUE DES REDEVANCES FONCIERES
:
!
QUELQUES ELEMENTS D'APPRECIATION A PARTIR DE
~
L'EXEMPLE DE TIYAABU.
'll
Dans l'état actuel de nos recherches,
il est difficile de
1
}
1
donner de chiffres exacts des redevances foncières aussi bien
1
J1.,
statutaires que contractuelles, pour diverses raisons dont la
1
!l
principale est l'absence de données écrites et chiffrées.
1
j
En effet,
l'inexistence de tarikhs locaux sur la question
ti
1
et le manque d'intérêt de la part de l'administration coloniale
1
pour ces redevances montrent assez bien la difficulté particulière
~
liée à l'appréciation économique des redevances.
Le pouvoir
1
i
colonial qui a toujours été hostile aux redevances payées aux
maitres fonciers a réagi,
dès le début du siècle en prenant en
1903, un décret supprimant l'assakal et toutes les redevances
1
dues aux maitres de la terre,
pour libérer les énergies "asser-
j
vies" et mettre les colonies en valeur,
et aussi permettre
1
l'accroissement des revenus pour la généralisation de l'impôt de
1
j
capitation (30).
L'absence de données chiffrées de la part de
l'administration ne signifie pas que le cercle de Bakel ne faisait
1
pas l'objet d'un bilan économique annuel ou périodjque,
au plan
l
î
local comme au plan général à la colonie du Sénégal.
Les rapports
j
économiques d'ensemble ainsi que des bilans annuels agricoles ont
~
~
été tenus de façon régulière par l'administration du Fort depuis
'Ji1
1
la seconde moitié du 19è s.
j
On observe dans ces bilans chiffrés des détails assez intéres-
sants sur les quantités globales récoltées,
surtout ~n hivernage
i
1
30- Nous verrons ce texte dans les détails au ~hl de la 2ème
~
partie.
1~
1
1
1
1

- 176 -
mais ces bilans sont incomplets parce qu'ils ne tiennent pas
toujours compte dans leurs chiffres d'ensemble pour certaines
raisons:
d'abord parce que ces bilans économiques sont toujours
faits sur la base d'informations incomplètes,
à cause des diffi-
cuItés d'accès à la réalité des quantités récoltées,
se basant
seulement sur les différentes transactions faites au cours de la
saison pour donner des estimations.
Ensuite la réalité des quan-
j
j
tités récoltées était difficile à connaitre par l'administration

coloniale pour le Goy parce qu'elle se basait seulement sur les
1
j
quantit~s récolt~es sur la rive gallche du fleuve alors que
celles récoltées sur la rive droite étaient parfois plus impor-
tantes surtout pour des villages comme Tiyaabu,
Jawara et Mudeeri.
1
1
La non prise en compte de ces grandes quantités et les estimations
sur des données parfois incontrôlables font qu'il est impossible
1
1
de faire des calculs pour estimer le taux annuel des redevances
i
foncières dans le Goy.
1
1
Pour voir si ces redevances foncières avaient un impact
ï
li
~conomique sur le Goy, nous prenons le cas de Tiyaabu au milieu
J
du siècle et,
en nous servant de certaines données fournies par
J
~
nos informateurs,
nous pouvons faire des calculs et arriver peut-
l
~
i
être à des résultats, que nous n'aurons pas la prétention de
31- Kande
: corbeille de forme presque cônique,
tressée à partir
de branches tendres et souples de Sanbe(brewia bicolor) de
~
préférence,
ou à défaut,
le xiile(mitragima inermis)
j
î
ou le jebe(accacia senegalensis),
servant à transporter les
épis de mil du lieu de récolte à l'endroit prévu pour le
1
stockage de la récolte d'un champ,dugaane;
il sert d'unité de
mesure du jakka et d'autres redevances foncières.
1
i
1
~
1
l!

-
177 -
généraliser pour toutes les périodes, mais qui seront assez
caractéristiques de l'absence de poids économique réel des
redevances foncières.
L'unité de mesure des redevances foncières
est le Kande
(31),
aussi le niinankande (niinencequ-jakka et le
debiguminkande nous serviront-ils de référence pour nos calculs.
Le kande est constitué par un certain nombre de gerbes d'épis
de mil
(muta), de millet
(fadinne) ou d'épis de maïs.
Le muta peut
aller de 15 épis de mil les bonnes années,
à 25 épis les années
moins bonnes,
quand ils sont minces.
Le kande de référence pour
le calcul du jakka et du debigumjnkande est d'une capacjté de
cinq (5)
à six (6)
muta,
un muta allant jusqu'à 1,6 muude
(32)
et le kande peut aller jusqu'à 7 muude.
Le muude qui sert d'instrument de mesure des céréales, pour
l'alimentation,
les échanges commerciaux est une référence qui
peut varier parfois sensiblement, d'un village à un autre et même
d'une saison à une autre
: il existe un muude standard,
servant à
calculer les redevances et les taxes,
appelé le debigumin rnuude
(muude du chef de village)
et un muude qui sert à mesurer l'aumône,
surtout celle de la rupture du jeûn, appelé rninnan muude.
En plus,
32- Le muude est un cône de bois servant à mesurer les céréales
lors des transactions et autres opérations domestiques.
Originaire d'Afrique du nord, muud,
il a été introduit en
Afrique soudanaise dans le cadre du commerce transaharien.
Il peut contenir de 2,5 à 4 kg. C'est, d'aprés SOLEILLET, une
"coupe qui contient quarante-quatre poignées de mil mesurées
par un homme de taille moyenne lt .p.SOLEILLET.1887: Voyage à
ségou,
1873-1879, rédigé d'après les notes et journaux de
voyage de Soleillet, par G.Gravier.
Paris,
challamel.
p.94

-
178
chaque père de famille possède son propre muude qui n'est néces-
sairement pas étalonné sur celui du chef du village et qui sert
à mesurer la nourriture quotidienne de la famille,
donc
le plus souvellt proportionnel à la taille de la famille.
si nous prenons le muude de référence,
celui du chef de
village qui va jusqu'à 4 kg,
on peut estimer qu'un kande standard
peut peser jusqu'à 28 kg de mil
(lx7x4).
Durant une année faste,
un homme adulte pouvait produire jusqu'à une tonne et une tonne et
demi de mil par an.
Il doit donc verser au maitre foncier le 1/10
de sa récolte au titre du jakka, soit 100 à 150 kilos,
ce qui est
dérisoire, pour un maitre foncier qui n'a pas d'autres terres
mais cet exemple ne peut pas montrer le véritable rôle des
redevances foncières dans le Goy.
Nos informateurs à Tiyaabu nous ont donné l'exemple type de
la réserve foncière du Tunka située à Xudeeri et à Gande,
et nous
6vons arbitrairement pris le cas du chef Konko Goola BACILI, Tunka,
chef de canton honoraire du Goy de 1936 à 1956.C'était le kollanga
surtout qui produisait la presque totalité des redevances,
ensuite
le jeeri,
le falo ne produisait que le debiguminkande généralement,
ce qui n'était pas très consistant.
selon nos informateurs, pendant les années de bonne crue,
la
quantité de céréales tirée du jakka sur le kollanga du chef Konko
pouvait atteindre 4 anées,
compte non tenu des quantités cachées
par les paysans et celles détournées par les jagarafu ainsi que la
part qui leur revenait ce qui était déjà énorme en plus de la
récompense de ceux qui étaient chargés de convoyer les céréales
jusqu'à Tiyaabu.

- 179 -
Une anée peut aller jusqu'à 30 muude.
si on calcule sur la
base de 4 kilos par muude,
4 anées de 30 muude chacune reviennent
à
: 1 anée = 30 muude x 4 kg = 120 kg x 4
(anées)
= 480 kg de
céréales. Ainsi le kollanga de la réserve du Tunka de Tiyaabu
pouvait lui procurer jusqu'à une demi tonne par an de céréales
en guise de redevances jakka et si on y ajoute les jakka tirés du
jeeri et les debiguminkande tirés du ruxuba du falo,
on peut
estimer que la quantité globale pouvait atteindre la tonne maximum.
Or si l'on tient compte du système de redistribution des rede-
vances entre les famill~s, les marabouts, on constatera aisément
que le Tunka ne dépendait pas des redevances foncières pour cou-
vrir ses besoins aJ.imentaires et ceux de sa famille
(33).
Les
maîtres fonciers du Goy n'&rrivaient pas par les seules redevances
qu'ils prélevaient sur leurs terres à créer un surplus commer-
cialisable, même pendant les années de trés bonnes récoltes.
si les rapports administratifs et économiques du cercle de
Bakel font état d'un commerce abondant du mil au 19è s.
surtout,
ils deviennent rares dans ceux du 20è s.Quand les récoltes étaient
favorables,
dans la première moitié du 20è s.,
elles permettaient
seulement de se nourrir toute l'année,«certaines grandes familles
pouvaient de plus faire des réserves pour les deux années sui
vantes»
(34).
rI s'agissait des familles importantes par le
nombre des membres, mais le plus souvent par leur statut social
qui leur permettait d'exploiter une main-d'oeuvre servile plus ou
moins importante.
Mais les pratiques de redistribution au sein du
33-Enquêtes de Tiyaabu : 1986,1987,1988,1989. Les maîtres fonciers
J1e
vivaient pas de redevances,
mais la plupart ne cultivait
pas et vivait des revenus tirés des terres par le travail
servile.
34-CHA5TANET (H.)
1983
: Les crises de subsistance. op cit.p 16

- 180 -
village compensaient parfois ces disparités entre familles et
assuraient un certain équilibre vivrier.
Ce qui ne permettait
pas de faire de gros excédents de production.
Le Gajaaga n'a pas
été comme le Fuuta,
le Bundu, le Gidimaxa ou le Jaafunu un grand
centre de commerce céréalier. Les productions céréalières dont
faisaient état les rapport économiques servaient surtout au
paiement de l'impôt et à l'autoconsommation. Ainsi à certains
moments les productions avaient été relativement inportantes,
en
hivernage comme en culture de décrue,
les redevances foncières
que nous avons analysées dans CE cllapitre en ~uantité annuelle,
ne firent pas du sol du Gajaaga le vecteur d'une rente foncière.
Le bilan économique de ces redevances fait apparaitre plutôt
le rôle social,
politique et de régulation entre les groupes sta-
tutaires.
La structure sociale du Goy n'a pas permis, même au plus
fort de la domination Bacili sur le Gajaaga un développement éco-
nomique des redevances.
si elles permettaient au Tunka et à cer-
taines familles de vivre correctement ou de s'en servir comme
appoint à côté de leur propre production,
leur poids n'a jamais
écrasé le paysan du Goy. La relative souplesse dans les redevances
foncières avant l'indépendance faisait que les détenteurs de droit
de culture dans le Goy jouissaient d'une certaine sécurité fon-
cière.
Les redevances ne pouvaient pas non plus constituer de
rente à cause de l'inexistence de grands domaines de réserves.
Les réserves du Tunka du Goy,
ainsi que les réserves claniques
étaient tellewent réduites du point de vue superficie, que leur
explQitaiion ne pouvait être à l'origine d'une rente foncière.

-
181 -
Le côté social des redevances primait ainsi sur le côté
économique qui était pratiquement nul,
car elles n'étaient pas
source de profits.
Dans la tradition Soninke,
les redevances,
quoique foncières étaient quantitativement et économiquement peu
développées,
ce qui explique peut-être actuellement certaines
formes d'hostilité envers les proj~ts de mise en valetir.
La maîtrise et la gestion de la terre qui se veulent effica-
ces doivent intégrer un certain nombre de situations,
c'est-à-dire
des accords et des transactions sur la terre.
Les Soninke du Goy
connaissent un certain nombre de contrats sur la terre,
allant du
prêt gratuit et onéreux à la location, et la vente.

- 182 -
CHAPITRE VI
LES CONTRATS SUR LA TERRE.
Comme partout où il existe une hiérarchie sociale et dans
les droits sur la terre,
les rapports des hommes entre eux et à la
terre peuvent faire l'objet de transactions, même si le but n'èst
pas toujours de faire des profits matériels ... Nous avons affirmé
que l'exclusion de certains groupes statutaires de la maîtrise de
la terre n'implique pas leur exclusion de l'accès à la terre et
même si cet accès est subordonné à certaines conditions,
il n'im-
plique pas lui-même un système capitaliste dont la terre est le
support.
Les contrats sur la terre sont un mode d'intégration
sociale.
La terre se prête,
se loue mais en principe ne se vend
pas.
I- LE PRET DE LA TERRE
ROXONDE.
Le don de la terre est une chose normale dans le droit sonin.
ke. Historiqtiement,
il y a dans le GOY des champs de décrue donnés
par des oncles à leurs neveux ou à des amis. Mais cette forme de
transmission de la terre s'est arrêtée depuis l'installation
définitive et la détention des terres par les familles.
Actuellement à l'intérieur d'une famille,
on peut procéder à
des dons, mais à titre précaire. A cause du caractère indivis des
détentions familiales,
il est impossible de faire de dons de terre
à l'extérieur de la famille.
La seule solution pour contourner
cette interdiction est le prêt. Le prêt de terre se fait soit à
titre gratuit, soit à titre onéreux.

- 183 -
A- LE PRET GRATUIT.
Le prêt gratuit èst un droit d'exploitation d'un lopin de
terre accordé par un maître foncier à un individu.
Cette forme de concession de terre n'est valable,
généralement,
que pour les terres de waalo (kollanga,
falo,
dunde),
à cause
de la relative liberté d'accés aux terres du jeeri et aussi à cau-
se de la valorisation excessive des terres du waalo.
Le prêt gra-
tuit se fait au profit d'amis,
de parents,
d'anciens captifs sur
tout et d'étrangers. Nous avons analysé au chapitre 2 les rapports
évolutifs entre anciens maîtres et anciens serviteurs particu-
lièrement dans deux cas (1)
celui du captif qui s'est libéré
selon les conditions que nous avons décrites.
Le captif affranc]li
qui reste dans le village de son maître conserve avec ce dernier
des relations privilégiées qui peuvent s'apparenter à des rela-
tions familiales.
L'ancien serviteur reste toujours dépendant du
maître qui maîtrise les terres et peut lui prêter un lopin à
titre gratuit pour lui permettre de subvenir aux besoins de sa
famille.
Généralement c'est une petite parcelle dans le falo
appelé kacce
(corde) c'est-à-dire une bande étroite en largeur
dans le falo mais qui peut s'étendre sur toute la longueur du
falon dunde au xuusu.
Il Y a aussi le cas des anciens serviteurs actuels,
libérés
de fait
(2)
depuis les années quarante qui constituent une force
1- Voir TRAORE 1985 : Corpus soninke,
op.
cit.
et aussi POLLET et
WINTER p.323,
ainsi que WEIGEL 1982 p.
61 et s.
2- La circulaire PONTY de 190p,
libérant les esclaves et favori
sant par là la création de villages de liberté n'a pas touché
de façon profonde le Goy.

- 184 -
économique non négligeable du fait de l'émigration et qui gardent
avec leurs anciens maîtres fonciers des rapports assez cordiaux
les mêmes que les captifs qui se sont libérés statutairement.
Le prêt gratuit se fait aussi au profit d'étrangers établis
temporairement ou non dans le village.
Mais il faut préciser que
ce n'est pas au profit des navétanes comme dans le bassin arachi-
dier du sénégal.
La zone soninke du Goy connait bien depuis la fin
des années cinquante un navétanat en provenance dl! Gidimaxa
mauritanien ensuite celui plus important venant du Mali. Ces
immigrés maliens et mauritaniens constituaient une force de tra-
1
vail considérable d'appoint
(3).
Ils n'accèdaient pas à la terre.
li1
Ils ne demandaient pas de terre à cultiver à leur profit puisque
1
ce qui les intéressait le plus c'était le profit en espèces, qui
f
J
leur permettait d'acquérir des biens et de constituer des dots.
1
1
Les villages qui en ont besoin,
louent quatre jours de la
!
1
j
semaine leur force de travail, matin et/ou après-midi, moyennant
ij
une somme forfaitaire
fixée à l'avance par le village par tranches
journalières
(cela varie actuellement de 500 à 1000 francs CFA,
1
1
elle était de 100 à 250 à la fin des années cinquante. Cette main-
i1
d'oeuvre extra-familiale et temporaire n'est donc pas intégrée
j
1
dans le procès foncier,
et le navétane passe trois matinées dans
le champ de son hôte qui lui assure pendant toute la semaine la
nourriture et le logis.
L'étranger dont nous parlons est celui
qui s'établit dans le village pour y fonder un foyer.
Cet étranger
mukke, dans sa forme la plus intégrée ou pour son intégration la
!
3- WEIGEL (J. Y)
: 1982 a analysé pour la zone soninke de la
1
vallée au niveau de Bakel l'apport des travailleurs maliens
dans le temps de travail en hivernage et en culture de contre
saison.

- 185 -
plus parfaite,
épouse une femme du village ou du pays s ' i l n'est
pas venu avec sa famille.
Le chef du village qui permet cette
installation lui donne une parcelle d'habitation et lui prête
parfois un terrain de culture sur le jamankafo.
sinon, quiconque
le voudra au niveau d'une famille peut prêter un lopin de culture
sur ses champs
(4).
Le prêt gratuit peut être consenti à titre temporaire ou à
durée indéterminée.
L'autorisation d'utiliser gratuitement une
terre,
à titre temporaire,
doit étre Expressèment renouvelée à
l'expiration du terme.
Par exemple,
le bénéficiaire d'un prêt
annuel doit à l'échéance demander au propriétaire du champ lô
reconduction du contrat. Tandis que si le prêt est à durée indé-
terminée,
l'emprunteur ne doit plus redemander l'autorisation de
conserver l'usage de la terre jsuqu'à ce que le prêteur décide de
reprendre sa terre ou que l'emprunteur décide de son propre gré
de reprendre la terre.
Ce contrat peut également prendre fin en
cas de conflit entre le prêteur et l'emprunteur.
Mais dans tous les cas,
à la mort du prêteur,
l'emprunteur
devra demander à son successeur à la tête de l'indivision fami-
liale la reconduction du droit à l'utilisation du lopin. De même,
le fils ou le successeur de l'emprunteur défunt qui désire main-
tenir le contrat devra s'assurer de l'accord du prêteur. Cette
forme de mise à la disposition d'un individu ou d'un groupe de la
4- Le plus souvent dans les villages,
ce sont d'anciens navéta
nes maliens ou mauritaniens qui décident de s'installer défi
nitivement qui entrent dans cette çatégorie. Tant que le tra
vailleur saisonnier ne s'installe pas,
il est impossible pour
lui d'obtenir un champ à lui. Nous trouvons dans les villages
du Goy des maliens installés depuis au moins deux générations.

- 186 -
terre peut-être assortie de conditions particulières à l'initia-
tive à la discrétion des parties mais elle n'est jamais assortie
de redevances foncières,
(jakka, njoldi,
etc ... ) puisque généra-
lement
faite
dans
le
cadre de
relations
privilégiées
entre
parties.
B- LE PRET ONEREUX ET LA LOCATION DE LA TERRE.
Ces deux formes de mise à disposition de la terre peuvent
se confondre, mais à l'analyse elles présentent des différences
fondamentales.
Si le premier met plutôt el1 lumière un mode de
répartition des terres et aussi les rapports sociaux,
le second
qui est la recherche du profit et de l'investissement sur la terre
ne crée pas lui aussi de rapports capitalistes,
ayant la terre
comme support. Tous les deux sont des formes de socialisation des
rapports à la terre.
1-
Le prêt onéreux.
Nous sommes comme pour le prêt gratuit de la terre en pré-
sence des mêmes types d'acteurs: maîtres fonciers,
étrangers,
anciens captifs et amis. Mais contrairement au prêt gratuit,
le
prêt onéreux qui est un contrat synallagmatique est assorti de
certaines conditions et redevances.
Les contreparties varient mais
ne se font jamais en espèces. La première contrepartie d'un prêt a
titre onéreux,
au profit d'un étranger ou d'un ancien serviteur,
se fait en prestations de travail sur le champ du maître foncier.
Cette disponibilité de la force du travail au profit du maître

- 187. -
foncier pour un temps déterminé parfois relativement court ne
s'apparente pas même pour les anciens serviteurs à l'exploitation
d'une main-d'oeuvre servile.
Il s'agit d'un accord oral entre les parties en présence ou
non de témoins qui fixe les conditions et les effets du contrat.
Le plus souvent l'emprunteur donne au prêteur quelques journées de
travail à des périodes bien déterminées:
semis,
cultures,
garde
des champs et/ou récoltes.
Il y a aussi les périodes de défriche-
ment des champs au retrait de la crue.
Les termes du contrat
peuvent allssi stipuler la participation de l'emprunteur êlUX
opérations de clôture du champ (sangalunde).
Ces formes de stipu-
lations sont générales et très courantes dans le Goy. Ainsi c'est
l'aspect services plutôt que celui de profits matériels qui est
mis en relief dans ce type de rapport.
Cela n'empêche pas l'emprunteur de payer les redevances foncières
statutaires sur le sol qu'il cultive,à moins d'une exonération
tacite ou non de la part du maitre foncier.
Le plus souvent, ce
genre de contrat qui met en rapport des parties qui entretiennent
des relations privilégiées fait suspendre les redevances statu
taires pour ne laisser subsister que les redevances contrac-
:
f
tuelles.
1
Ces redevances contractuelles comme nous l'avons vu,
étaient
1
1
!
à la libre appréciation des parties mais se faisaient toujours en
1
prestations de service.
Comme le prêt à titre gratuit,
celui à
1
titre onéreux peut se faire à durée indéterminée,
en respectant
1
t
toutefois· les principes de reconduction en cas de transmission de
1
l1
1
1
1
1
1
1
]
;
1

- 188 -
la terre pour cause de décès de l'une des parties à l'origine du
rapport.
Si le prêteur garde ses prérogatives foncières sur la
terre prêtée,
l'empruntc~~ ç~2nt t
lui jouit d'une entière
liberté d'exploitation,
c'est-à-dire en y cultivant toutes les
variétés qu'il souhaitera (5),
à moins que son exploitation ne
soit cause d'appauvrissement des sols.
Par contre,
l'emprunteur
n'a pas le droit de céder la parcelle à une tierce personne,
sauf
autorisation du maître foncier.
Parce que la cession d'une par-
celle est un acte juridique qui ne peut être accompli que par le
maîtrE:' foncier lui-nlême.
Nous avons,
faute d'un terme mieux adapté,
utilisé celui de
contrat pour désigner le prêt de terre.Ces opérations sur la terre
s'apparentent bien au contrat, parce que faisant suite à un accord
de volontés,
et engendrant de part et d'autre des droits et des
obligations.
Mais,
faut-il le rappeller,
ces types d'opérations
sont conçues beaucoup plus pour la répartition des terres et la
reproduction des rapports sociaux et fonciers que pour des con-
trats proprement dits car les avantages sociaux en sont nettement
plus recherchés que le profit matériel ou pécuniaire.
Les rapports de l'homme à la terre ne trouvent leur signi-
fication qu'au niveau des exploitations agricoles
(6),
et ces
dernières ne trouvent leur importance qu'à travers la reproduction
5- Mais en pratique les sols de Waalo ne se prêtent pas à toutes
les variétés culturales. Ce qui limite en fait la liberté de
l'exploitant. Voir CH.3 sur les terroirs et les sols.
6- voir notamment LE BRIS (Emile)
: in Enjeux fonciers en
Afrique noire.
Paris,
Karthala 1982, p.62

- 189 -
des rapports sociaux. Ces rapports sociaux constituent en quelque
sorte le fondement même du rapport entre l'homme et la terre,
parce que le foncier en tant que tel ne peut être considéré comme
un niveau autonome d'analyse.
Il n'est pas un fait total mais
plutôt dépendant étroitement des rapports hommes/hommes.
Ces types de contrat permettent la «
mobilité garantie de
l'exploitation»
(7) . Comme nous l'avons constaté,le régime foncier
est fortement lié à l'organisation sociale.
Les rapports que nous
venons d'analyser sont différents dans leur forme mais pas dans
leur esprit.
Il n'y a pas d'opposition fondamentale quant à l'es-
prit,
avec le contrat de location désigné par le même terme de
roxonde en soninke.
2- Le contrat de location.
La confusion, dans le terme soninke de roxonde,
prêt,
pour
désigner le prêt proprement dit dans ses deux formes et la loca-
tion est,
comme nous l'avons dit à la base de certaines mauvaises
interprétations du système. BATHILY
(I-D.
1969 p.71) écrit qu'on
«
peut louer un walo pour un temps déterminé ... La location
annuelle ou prolongée comporte un isufruit appelé njoldi
et muso dans le goy (le mot n'joldi est faussement désigné
par celui de
IIprix" et le mot "louer" par celui de vente
(souligné par nous),
faute de terme propre . . . . » . - -
Même si le principe posé par BATHILY (I.D) n'est pas très précis,
il convient tout de même de reconnaître qu'il pose le problème de
la location dans son aspect le plus pratique. C'est justement à
défaut d'un terme approprié que l'on est contraint d'employer des
7- COQUERY-VIDROVITCH (Catherine)
: Le régime foncier rural en
Afrique noire.
op. cit. ·p.65

- 190 -
notions comme "prêt" et "vente" pour désigner la location.
Mais
dans le langage courant des soninke du
Goy le terme VENTE xobonde
est beaucoup plus usité pour désigner la location.
La location de
terre dans le système Soninké est un peu différente de celle dans
le système pulaar du Fuuta et,
contrairement au système wolof
décrit par NIANG (NIANG,
op. cité p.14),
la location nlest pas
pratiquée dans les zones les moins fertiles mais plutôt les zones
de waalo (kollanga précisément)
où la rentabilité est plus forte
pour les deux parties.
Le système du rem peccen, qui est selon MINVIELLE( qui le
désigne comme un asservissement contractuel p.18 et suivantes) et
BOUTILLIER et alii
(1962 p.124),
LERICOLLAIS et SCHMITZ
(p 31) 1
une forme d'affermage ou de métayage valable pour une récolte,
donne droit au maître du terrain de recevoir sur le produit la
moitié récoltée,
ce qui peut se faire avant ou aprés la déduction
de l'assakal.
Le contrat de location, en vue du partage à parts égales
n'existe pas dans le système soninke. Ce qui existait toutefois,
c'était la remise du tiers de la récolte,
appelé taxandi sikkandi
(le 1/3,
le troisième lot)
(8) par l'utilisateur du sol au maître
foncier.
Ce type de fermage n'existe plus dans le Goy.
Nous
nlavo~s rencontré nulle part dans nos enquêtes au niveau des
villages, un seul exemple de ce type. A la question posée à nos
informateurs,
ils ont tous répondu que la pratique existait dans
Je passé, mais elle est abandonnée.
8- Voir notamment WEIGEL 1982.
p.61 et s.

- 191 -
Par contre,
la pratique la plus courante est celle de la
"vente"
(le thiogou pulaar), que le chef du clan peut pratiquer
sur les réserves claniques. Mais contrairement au thiogou qui est
une location moyennant un paiement unique et non un droit annuel
de location,le xobonde soninke est un contrat de location annuelle.
Les parties débattent librement du prix, que "l'acheteur"
verse en
nature ou en espèces aprés les récoltes.
Il arrive que la "vente"
soit conclue pour deux ou trois ans devant témoins,
et le prix de
la location est versé à la fin de chaque récolte.
Contrairement au
taxandi sikkandi (9)
la "vente" est une sorte de ni~tayage ayant
généralement trait à des superficies plus étendues,
les kolanga
précisément, et sur les réserves familiales ou villageoises.
Cette
pratique existe encore de façon très isolée dans le système fon-
cier du Goy. c'est un contrat de gré à gré dont le prix n'est pas
versé par l'intermédiaire d'un jagarafu, comme pour les redevances
foncières,
mais directement,
à moins que les parties ne stipulent
le contraire (10).
Le paiement peut se faire en argent,
en bétail,
en habits ou en céréales,
selon l'accord des parties.
L'avènement des communautés rurales,
comme nous le verrons,
a tendance à mettre fin à ces types d'exploitation foncière.
Le
paiement du prix de la location n'affranchit pas le cultivateur du
9-
Ce que WEIGEI appelle le fermage personnalisé.
10- Un terrain fut "vendu" par un cadet du clan Tanbonka de
Tiyaabu,
il y a quelques années sur les réserves de ce clan
à Yaasillaqe,
à la hauteur de Denbankaani
(Département de
Matam).
Nous ne dévoilons ni le nom,
ni la date,
car il s'agit d'une
opération frauduleuse dont les ainés ne sont pas au courant
et qui dure encore.

- 192 -
paiement du jakka,
à moins que les parties ne décident d'y sur-
seoir. De plus,
il n'y a pas de superficie prédéfinie dans les
contrats de location,
tout dépend des terres disponibles.
Enfin,
la faculté de donner en location existe chez tout
détenteur foncier.
c'est une initiative que même un cadet, qui
n'est pas niineyimmanke peut parfojs prendre,
sauf désaveu de son
aîné.
La location peut se faire tant sur le champ que le"vendeur" ou le
"loueur" a déjà cultivé lui-même,
que sur une terre non défrichée.
Le plus souvent,
elle est pratiquée sur des terres non défrichées
(une façon commode d'en assurer la mise en production)
ou sur des
terres de réserves éloignées du village du maître foncier.
Pour
empêcher toute prétention sur les terres louées,
la pratique con
siste à vendre pour une durée n'éxcédant généralement pas trois ans,
ce qui laisse la possibilité au bailleur de céder son terrain par
le même type de contrat à un autre cultivateur.
c'est aussi une
assurance pour lui de tirer un maximum de profit de la terre
louée parce que le locataire qui voudrait la reconduction de son
contrat respecte généralement les accords.
La location prolongée
sur une longue période crée le rjsque que le locataire ne finisse
par se croire maître de la terre.
c'est pour cela que cette forme
de location se fait
plus souvent en dehors du terroir villageois,
pour éviter les confusions et les conflits au sein de la commu-
nauté
(11)
la mauvaise foi étant plus facile à repérer à.l'exté-
rieur du terroir.
11- Nous y reviendrons
au CH.7 sur les conflits fonciers.

- 193 -
Quelque soit la forme de la location,
le non respect des
1
accords est cause de résiliation du contrat,
sans préavis.
Par
J!1
exemple le bailleur a pour obligation de mettre la terre à la
!
1.
j
disposition du locataire et ce dernier de payer le prix convenu.
l
~
i
1
Ce type d'exploitation du sol comme le prêt constitue une
1
façon de définir et de reproduire les rapports sociaux,
non pas
t
dans le sens de l'intégration des différentes composantes sociales
1
j,
dans le procès foncier mais dans celui du maintien et parfois de
~l
l'accentuation des privilèges fonciers d'une minorité et de la
:1i
dépendance des uns vis à vis des autres.
j
l
3
1
i
11- L'INTERDICTION DE LA VENTE DE LA TERRE.
1
,j
1
1
Nous avons vu au paragraphe précédant que les soninke, par
l
!1
excès de langage ou à défaut d'un terme approprié employaient
1
l
celui de lIvente" pour désigner la location de terre.
La vente dans
j
1
le sens courant du terme, échange d'un bien contre son prix,
sa
1
transmission en toute propriété à son acquéreur,
pose problème en
1
i
droit traditionnel. BATHILY
(1969 p.70), pour le droit soninke,
le
1
1
1
pose d'emblée en disant:
«
la vente pure et simple d'une terre
est interdite comme étant égoïste et contraire à la solidarité
1
familiale».
f
Et POLLET et WINTER (1971 p.325)
de dire:
«
la coutume ignore
la vente de la terre et sa pratique apparait comme incon-
cevable».
1
Nous ne reviendrons pas sur le principe de l'interdiction de la
i
vente de la terre en droit foncier traditionnel,
chose acceptée
!
par tous mais nous nous intéresserons aux causes de cette inter-
1
j
diction, particulièrement chez les soninke.La première remarque se
i
1
1
1
t
~~
1
'1ji

- 194 -
fonde sur l'affirmation de BATHILY,
in fine qui considère la vente
comme" contraire à la solidarité familiale".
Cela est important et
démontre le caractère familial et indivis de la terre chez les
soninke comme nous avons tenté de le démontrer aux chapitres
précédants.
La terre ne peut faire l'objet d'une appropriation indivi-
duelle dans le sens napoléonnien du terme,
mais d'une détention
collective.
Le rapport à la terre n'implique jamais un individu,
mais le groupe dans sa totalité.
Le drGit à la terre épous~
entièrement la forme du groupe qui le détient. Aussi,
si les
individus ont un droit d'usage et de jouissance sur la terre,
celle-ci ne peut. faire] 'objet "d'abusus" puisque cela équivau-
drait à l'aliénation de la personnalité même de la famille,
qui
se matérialise par la solidarité dont parle BATHILY.
Cette interdiction prend un relief particulier chez les soninke,
en dehors de toute considération d'ordre religieux.
Si à l'origine le système soninke a reconnu une certaine
sacralité à la terre,
la logique a évolué depuis au moins une
centaine d'années dans le Goy. Vendre la terre c'est simplement
dénaturer les rapports sociaux et fonciers à la base du dévelop-
pement homogène de l'entité villageoise et celle du jamaane.
Le droit à la terre n'est pas un droit réel chez les soninke.
La terre n'est pas un bien marchand,
mais un patrimoine social mis
à la disposition du groupe par les fondateurs,
pour qu'il puisse
subsister et se reproduire dans le temps èt dans l'espace.

- 195 -
Le rapport à la terre n'est pas une unité figée,
mais il est
polydimensionnel et évolutif,
suivant en cela les mutations
subies par la société.
La création de droits réels sur la
terre,
comme l'a tenté le législateur colonial est facteur de
désintégration des cohésions traditionnelles, bien que,
comme
nous le verrons,
il n'est pas certain que ces cohésions sociales
traditionnelles et cette harmonie relative soient sources de
dévelopement au seuil du 21ème siècle.
Il est vrai qu'aucune nécEssité objective ne s'oppose à la
vente pure et simple de la terre et le seul système d'allocations
des terres par les ~iiHegummu, complété par le prêt et la location
suffisent à satiRfaire les besoins fonciers de toute la société.
Pourquoi donc transférer la "propriété" sur la terre et du coup
perdre ses avantages sociaux et politiques,
alors qu'on peut
intégrer toute la société dans le procès foncier? Même en s'en
débarrassant définitivement en la cédant selon les formes tra-
ditionnelles,
on conserverait ses privilèges et son statut.
La terre comme nous l'avons dit n'est pas un bien marchand.
Elle n'entre pas chez les sO:linke dans le cadre des relations
monétarisées depuis la colonisation.
En des termes plus pratiques
il arrive dans le Gajaaga que l'on parle de vente.
si on prend
l'exemple des terres de Jawara an CH.4,
la tradition veut
qu'elles fussent achetées à Tiyaabu contre une mud'
d'or ou un
cheval paré
(selon les deux versions que nous avons recueillies).
La vente aurait pu être parfaite au sens du droit civil moderne
parce que le prix de vente a été intégralement versé,
si la con-

1
1
- 196 -
,
!1
vention entre Jawara et Tiyaabu n'était pas assortie d'une autre
condition: en plus de l'or versé Jawara était tenu à chaque fois
que Tiyaabu était agressé de lui prêter une force armée.
Ce dont
1
Jawara s'était toujours acquitté.
Si Jawara avait failli à cette
1
obligation de défense,
(ce que les officiels de Jawara n'ont
jamais dit malgré nos questions mais qui a été dit par ceux de
1
Tiyaabu)
il Y aurait eu rupture et reprise des terres par Tiyaabu,
1
1
ce qui aurait astreint les SAAXO à quitter les terres ou payer
les redevances foncières.
En "vendant" ses terres,
Tiyaabu n'a
1
jamais entendu abandonner SE:-S droits politiques sur elles. Aucun
i
1
village du Goy, pas plus que Jawara n'a acheté ses terres.
La terre est un patrimoine social,
à la disposition de toute la
communauté, selon les différents modes d'accès.
Mais pourtant,
actuellement dans le Goy les chefs de
villages vendent au sens vrai et marchand du terme des terrains
à usage d'habitation,
ce qui constitue une violation totale du
principe de l'interdiction de la vente. Nous verrons en deuxième
partie les circonstances de cette pratique nouvelle qui fait son
apparition dans le droit foncier soninke,
alors qu'elle était
inconcevable il y a une vingtaine d'années.
1
j
!
Les rapports de l'homme à la terre ne sont pas aussi calmes
~,1
1
que l'on pourrait le croire.
Le caractère communautaire et l'ab-
~
t
1
i
sence de propriété privative et exclusiviste sur la terre n'im-
!
!
J
1
t
pliquent pas l'absence de contestations de conflits plus ou moins
1
violents entre personnes ou groupes.
Et le chevauchement des
!
J
i
l
droits, parfois leur enchevêtrement qu'ils soient familiaux,
!1!
1
!

1
1
.1
,
- 197
{ti
f,
!
villageois,
statutaires ou inter-statutaires,
étaient toujours à
l'origine de conflits qui prennaient souvent des tournures impré-
visibles. Quels sont les conflits relatifs à la terre? Comment
les identifier et quels procédés et procédures pour les régler ?
1
1
1
i11
!
1
1
j
1
t
1

198
CHAPITRE VII- LES CONFLITS FONCIERS DANS LE GOY.
Les travaux de BATHILY comme nous l'avons vu plus haut,
ont largement démontré le caractère guerrier de l'aristocratie
BACILI et de ses alliés mais cette aristocratie s'est muée
relativement tôt
(1)
en véritable aristocratie foncière.
Nous
avons vu comment les simples redevances foncières d'origine se
sont transformées à cause du caractère de cette aristocratie
régnante sur Je Goy.
La terre et les redevances qui en sont tirées
font l'objet d'enjeux politiques inestimables. La somme de ces
enjeux joue un rôle assez important dans la gestion de la terre
qui devient un véritable bien entre les mains des niinegumu et
suscite très souvent des comportements qui sont générateurs
1
1
de crise.
J,
Cette crise ou ces crises peuvent être observées à des
1
1
niveaux et degrés divers. Ainsi dans le cadre des rapports que
1
les hommes entretiennent entre eux et qui ont pour objet la terre
1
1
et les rapports directs que les hommes entretiennent avec 'la terre
1
1
des conflits fonciers surviennent que l'on peut distinguer puis
1
1
1
classifier. Historiquement la distinction des conflits fonciers
l
1
J
dans le Goy se situe à deux niveaux:
au niveau intérieur c'est-à-
l
dire opposant les membres d'une même communauté (villageoise,
j
familiaJe)
et au niveau extérieur quand la crise de déplace en
i•
1
1- La
conquête du Gajaaga est devenue définitive aux 16è et
17è
1
siècles,
avec l'installation de la royauté et des différents
i
centres. Ce qui ne veut pas dire que les guerres ont pour
1
j
autant cessé,
car jusqu'au 19è s.
les BACILI du Gajaaga ont
J,
l
été impliqués dans des guerres mais plutôt défensives,
contre
les incursions maures, bambara et aussi et surtout des guerres
1
intestines entre royaux.
Ils ont peu participé aux "guerres
saintes" de Elhadj Oumar et Mamadou Lamine.
1•1.1

199
dehors de la communauté ce qui peut prendre des proportions plus
dramatiques et plus difficiles à gérer
(2).
Le conflit interne
peut être classifié selon les causes
: contestation de droits sur
la terre,
refus de payer les redevances foncières,
successions,
etc ... ;
alors que le conflit externe se classifie généralement en
deux causes
: la remise en qllestion du bien fondé d'un droit ou la
l
tentative de confiscation pure et simple du droit sur la terre
i1
~
par des moyens pacifiques mais plus souvent par des moyens
1
brutaux.
si le conflit externe se situe au niveau inter-
villageois donc au sein de la même entité territoriale du Jamaane
1
concerné,
on peut le qualifier de conflit interne dans une
1
structure politique et foncière aussi homogène que le Goy.
rI y a
1j
aussi l'opposition de deux jamaane ou de deux catégories statu-
1
1
taires différentes: paysans et éleveurs.
1
!
La régulation des conflits,
leur réglement et leur issue
J
1
1
dépendent de deux mondes pOllr le cas du Goy
: le pouvoir
~
!
1
soninke
(3)
le pouvoir colonial avec l'intervention directe ou non
de l'administration (et la justice coloniale)
dans laquelle on
1
l
inclut le pouvoir musulman.
rI peut paraître étonnant de voir
1j
1
reconnaître ici au droit musulman un statut parfois distinct du
1
droit traditionnel à cause de l'absence d'influence de ce droit
!
j
sur le système foncier soninke,
alors qu'avant et pendant l'ins-

tallation de la puissance coloniale,
le droit musulman ou ce qui
t
1
1
en tenait lieu régissait beaucoup de domaines de la vie sociale,
1
lj
2- Norbert ROULAND 1988
: Anthropologie juridique.
PARIS.
P U F
1
P 292.
3- Nous entendons par pouvoir soninke ici non pa~ seulement
1
l'aristocratie BACILI maître politique et foncier,
mais
tous les acteurs intervenant à un niveau ou à un autre
Jj
dans le règlement du conflit.
1
1
1~1

200
notamment dans les villages de Jawara et Mannaayel.
Mais la
puissance coloniale l'a adapté en matière foncière par la nature
des arguments employés dans les différends,
sans pour autant que
sur les terrains et dans la pratique ces principes musulmans se
soient imposés.
Ils restaient et restent encore des principes
appris par les marabouts qui le plus souvent siégeaient comme
conseillers dits coutumiers auprès des administrateurs coloniaux
dans les tribunaux coutumiers ou de droit musulman,
s'ils ne les
composaient pas totalement (4).
L'analyse des conflits et leur règlement par ces trois
logiques
(ce qui prouve dès cette période l'existence pas
toujours reconnue du pluralisme juridique en matière de règlement
des conflits)
nous montreront les rapports entre communautés dans
ce qu'ils ont d'essentiel et elle permettra également de mieux
saisir les problèmes d'intégration de la communauté soninke du
Goy à travers ces crises foncières.
Les principes importés tant français que musulmans tiennent
d'un nombre assez réduit de règles. Appliqués avec constance,
ils
auraient pu introduire des modifications conséquentes en affec-
tant le plus souvent les modalités même de reproduction des droits
4- C'est le cas du Tribunal de cercle de Bakel,
instance d'appel
et du Tribunal de province du Goye
(jusqu'en 1939) puis à
chaque fois que Bakel a cessé d'être un cercle pour devenir
une simple subdivision du cercle de Matam ou de Kayes
jusqu'à 1897, les affaires étaient jugées par le Tribunal
de subdivision des deux Goyes à Bakel c'est-à-dire le Goy
supérieur et le Goy inférieur qui correspondent aux deux
parties du Gajaaga découlant de la partition dans la première
moitié du 19ès. et du découpage administratif colonial,
les érigeant en cantons
: Goy et Kammera.
Voir 1. Diaman BATHILY : notices socio-historiques.
op.
cité et ADAMS (Adrian):
Le long voyage des gens du fleuve.
Paris, Maspéro 1977 p 47 et s.

i
ll1
l
201
À
1
i
1
fonciers.
Ces droits sont comme nous le verrons le centre d'un
1
1
,
grand nombre de conflits.
1
1
j
Les conflits opposaient les groupes définis par ces niveaux
î
1
d'intégration sociale et géographique que sont le territoire
Jamaane,
le village et la famille et plus exactement les fractions
1
relevant de ces groupes respectifs.
Pour chacune de ces catégories
1
différentes de conflits nous présenterons des situations concrètes
i1
de règlement soit par les coutumes villageoises et familiales,
i
1
soit par la justice coloniale.
\\Jj
j
i
I- LES CONFLITS INTRA-COMMUNAUTE.
l
J
La communauté dans le sens o~ nous l'entendons ici est
essentiellement constituée par le village qui est le centre des
droits et des relations foncières dans le Goy.
En effet le rôle
du village n'a jamais été assez défini aussi bien par l'Etat
Colonial que par l'Etat du Senégal indépendant qui ont seulement
privilégié la macro-communauté qui est l'Etat ou le regroupement
de villages. (Nous reviendrons sur ce rôle négligé du village dans
la deuxième partie).
La communauté villageoise comprend les clans xabiilani,
les
segments de clans et aussi
les rapports entre les différents
groupes statutaires composant le village.
Dans la communauté
villageoise,
nous partirons de la cellule de base qui est la
famille détentrice de la terre.

202
Nos analyses porteront sur les conflits dans la famille puis
ceux extérieur de la famille,
donc soit entre familles soit entre
groupes statutaires. Les causes des conflits sont diverses mais
les plus fréquents sont les problèmes entre collatéraux,
et dans
une moindre mesure entre ainés et cadets au sein d'une même
famille,
soit des conflits de succession de terres,
une contes-
tation ou une violation des droits fonciers par des fractions de
familles rivales,
ce qui est très fréquent,
ou entre groupes
statutaires
: les problèmes de reconnaissance ou de méconnaissance
de droits par leurs détenteurs au détrilllent des maitres fonciers.
A- LES CONFLITS ENTRE MEMBRES D'UNE MEME FAMILLE.
Nous avons vu au CH 4 de ce travail comment s'articulaient
les rapports claniques et lignagers autour de la détention et du
contrôle de la terre par les groupes sociaux de production.
Les
conflits à l'intérieur d'une famille sont délicats à analyser à
cause de ce caractère familial même.
Nous n'avons trouvé aux
archives du Tribunal de Bakel aucune espèce traitant de ce type
de conflit et rares sont les informateurs qui ont voulu nous
renseigner sur les circonstances exactes de ces conflits fami-
liaux,
car la logique soninke veut que les conflits dans la
famille soient réglés "dans le ventre de la famille".
Les cas que
nous avons pu observer sur le terrain à l'occasion de nos enquêtes
sont nombreux et les causes en sont diverses,
cependant les modes
de règlement ne diffèrent pas beaucoup d'une famille à une autre.

203
Les successions ont toujours été en milieu soninke comme
dans d'autres l'occasion et l'origine de conflits dont l'issue
est très souvent l'éclatement du cadre familial.
Nous avons tenté
de cerner le concept de succession par rapport à l'héritage à
partir de l'objet et aussi de la fonction remplie (5).
La terre étant la chose du groupe et de ses différents
démembrements
(Xabiila, Ka)
il est difficile d'assimiler sa
transmission comme un simple héritage.
Car comme nous l'avons dit
l'héritage suppose le partage d'un patrimoine.
Or la maîtrise de
la terre est une fonction exercée par son titulaire soit à cause
de son statut social soit à cause de sa position au sein du groupe
familial.
En fait la terre ne se transmet pas, mais ce sont les
droits que l'on détient sur elle qui sont transmis.
A la mort du Tunka ou du Debigurne la charge et les droits
sur les terres communales Jamankafo et les réserves cheffales
ruxuba sont transmis à leurs successeurs qui les gérent au nom du
groupe tout en en tirant les avantages dus à leur position.
A ce niveau des litiges peuvent survenir entre eux et certains
détenteurs de droits de culture parce que la mort du chef est
l'occasion pour son successeur de procéder à la redistribution
des terres de réserve.
La redistribution aux clients et autres
membres de la famille créent des conflits avec d'autres qui,
à
tort ou à raison estiment qu'ils sont lésées.
C'est le cas par
exemple,
et c'est fréquent dans le Goy,
(6)
quand le nouveau chef
5- TRAORE. Sanlba 1985. Corpus soninke.
op.
cit.
6- Par respect pour nos
informateurs nous ne citerons pas le nom
de certaines de ces familles parce que certains protagonistes
de ces conflits sont encore vivants et ont manifesté leur
crainte si les noms étaient cités de voir raviver certaines
rivalités familiales encore latentes.

204
de terre inclut dans sa nouvelle répartition des terres qui font
l'objet de droits lignagers. Ainsi les problèmes de succession
sont de différents ordres mais les mécanismes sont assez simples.
A la disparition d'un village(
comme le cas de Seeruka)
(7)
les
terrains sont réversés dans la réserve du Tunka de Tiyaabu, qui
les fait exploiter à son compte ou les distribue à d'autres
villages ou familles.
Les terres de Seeruka anéanti ont grossi la
réserve du Tunka qui les gére par l'intermédiaire des Jagarafu de
Mudeeri et de Gande,
ce qui constituait pour le chef de Tiyaabu
jusqu'à une période récente un domaine foncier relativement large
d'où il tirait un profit substantiel.
La disparition d'un clan détenteur de terre est soumise à la
même logique.
Nous avons donné l'exemple du clan Kiisixurungo dont
il ne reste plus qu'une seule femme mariée à Bakel et dont les
terres sont gérées par le chef de Tanallakara.Les femmes n'ont pas
vocation à succéder en matière foncière dans le Goy.
Elles peuvent
par contre recevoir des champs par donation et les transmettre
directement à leurs enfants à condition toutefois que ces derniers
appartiennent aux clans maîtres fonciers du village, mais cette
condition n'est pas exigée si la donation est faite sur les ter-
roirs d'un autre village. Par exemple cette femme de Kiisixurungo
dont nous avons fait état aurait pu recueillir les terres pour
7- Nous avons analysé ce phénomène unique dans le Goy aux CH.3 et
4. Voir aussi le principe posé par I.D.
BATHILY, Bull.IFAN
1969 op.
cit. p.7Ü sans entrer dans les détails et sans cet
exemple précis qui nous est fourni par tous nos informateurs
surtout ceux de Tiyaabu et de Gande.

205
ses enfants si ceux-ci avaient été de Tiyaabu.
Le cas du falo de
sanba Njaay de Tiyaabu illustre bien cela car il le détient de
son père qui le détient de son propre père qui l'a reçu de sa
mère qui l'a eu de ses frères de Mannaayel sur le terroir de ce
village.
s ' i l ne restait plus une seule personne du clan de la grand
mère de Sanba NJAAY à Mannaayel,
il ne lui serait quand même pas
possible d'hériter des terres de ce village.
Ce falo a récemment
été l'objet d'un conflit au sein de la famille de Sanba Njaay,
après son décés
(8).
L'exclusion des femmes des successions des
terres est si bien respectée que même le tribunal coutumier de
Bakel dans son audience du 4 mai 1956
(9)
en a simplement tenu
compte en jugeant sur une succession mais sans parler des terres.
Ce jugement a accordé à la fille et à la veuve du Chef de canton
Honoraire du Goy,
Konko Gola BACILI,
sa succession « ... décide que
les nommées Valy Makha et Golla Konko,
veuve et fille de Konko
Golla,
ex-chef de canton honoraire décédé à Tuabou le 23.03.56,
sont ses seules et uniques héritières habilitées à recueillir sa
succession . . . ». Le chef du canton n'ayant pas laissé d'enfant
mâle,
le tribunal a voulu protéger sa veuve et sa fille en réac-
tion contre le système soninke d'héritage qui n'accorde à la femme
qu'une faible part. Mais les terres laissées par le défunt
reviennent de droit à la famille par le biais du nouveau doyen du
clan.
En fait à la mort du chef de famille kagume,
les terres
familiales échoient au plus âgé de ses cadets
(réels et classifi-
catoires)
ou à défaut le doyen de leurs enfants qui remplit les
8- Nous l'analyserons infra.
9- Tribunal Coutumier de Bakel,
registre·1955-1956. Jugement
nO 96 p.112. Archives du Tribunal départemental de Bakel.

206
fonctions de kagume et de chef de terre
(nii11eyimmanke)
respon-
sable et gérant de l'indivision familiale.
c'est à ce niveau surtout qu'éclatent les conflits dans la
famille.
Ces conflits sont de deux types:
soit entre collatéraux
soit entre frères et fils de frères,
ce qui prend l'allure d'un
conflit de générations. Nous avons vu que dans la logique du
maintien de la terre dans le lignage la transmission des droits
ne peut S8 faire qu'au profit exclusif des descendants mâles mais
aussi que tout détenteur de droits de maîtrise ou de culture
avait la faculté de faire une donation de parcelle à sa fille ou
sa soeur,
transmissible aux enfants de cette dernière.
Ici il n'y
a aucune référence aux principes du droit musulman selon lesquels
tout individu peut réclamer sa part de l'indivision et quitter le
1
1
groupe s ' i l le désire. On le voit,
le droit musulman à cet égard
1
reste antinomique avec la coutume soninke selon laquelle les ter-
1
l'es constituent le patrimoine du lignage.
La partition de cette
!
1
indivision familiale n'est possible qU'en cas de conflit.
L'indivision familiale entre descendants d'un même père est
1
relativement simple.
Les litiges ne surviennent généralement que
1
quand l'indivision remonte à plus de deux générations.
1
La mésentente très souvent constatée entre enfants issus de
1
l
1
collatéraux est pour la plupart la cause des divisions et de
l'éclatement d'un lignage. Dans ce cas on constate la segmentation
de la terre entre les différents fragments issus de l'éclatement
familial.
Le nombre de personnes étant parfois assez élevé,
on

207
assiste à la naissance de nouveaux lignages qui,
en principe,
j
j
gèrent chacun la portion qui lui revient. Mais ce nlest pas aussi
ll
simple que lion pourrait le croire,
contrairement à ] 'indivision
1
pulaar de la Moyenne Vallée où le rôle du "ménage" foyre est
l!
plus important en matière de gestion de la terre que celui du
1
lignage (10).
Dans ce cas on distingue ent.re deux situations
1
!
selon que le conflit et le partage ont lieu sur les terres de
1
1
~
jeeri ou selon qu'ils ont lieu sur les terres de waalo, notamment
~
4
le falo (champ sur berges).
i11
~1!
10- Des détails assez exhaustifs sur l'indivision familiale pulaar
;,
sont donnés par BOUTILLIER : La Moyenne Vallée op cité
l
1
p 123 et s.
et MINVIELLE : Paysans Migrants op cité p 76 et s
~,~
Les deux sociétés n'ayant pas les mêmes types de structures
~
familiales et foncières,
il serait hasardeux de trop avancer
1
i
dans la comparaison.
1
l
1
f
1
1
1
j
l1
1
1
1
-1
1
\\
1
1
l
l
1
1
1
1
j
i11!

208
Dans le jeeri,
le règlement des conflits fonciers familiaux
est relativement simple à cause de l'étendue parfois assez grande
des terrains.
Chaque segment du lignage éclaté récupère pour son
compte une partie des terres,
et l'on assiste donc à de nouvelles
indivisions issues de la première. Cela ne nécessite généralement
pas un mode particulier de règlement. Mais c'est sur les falo que
~
1
;~
les conflits entre collatéraux sont plus graves et plus complexes,
à cause de leur importance économique et politique (11), et
1
1
aussi de leur exiguité, due à l'encaissement du l i t du fleuve.
i
1
l
La mésentente entre collatéraux ou leurs descendants entraine
à ce niveau de violents conflits fonciers,
car il s'agit le plus
souvent de contestation de droits sur la terre.
Il y a deux cas de
1
figures
: en premier lieu et selon la coutume Soninke,
le falo
1
1
revient toujours à l'ainé qui l'exploite à son profit exclusif.
1
1
A sa mort c'est son cadet qui le gère.
Les cadets contestent
j1
souvent le bien fondé de cette pratique sur la terre familiale
sur laquelle ils ont en principe des droits égaux.
Le réglement
!
de ce type de litige est assez simple,
car la coutume confère
1
toujours le privilège à l'aîné.
La segmentation du lignage n'en-
1
traine pas celle du falo qui reste indivision familiale.Nous avons
constaté par exemple à Tiyaabu le cas de l'actuel chef de village
1
j
qui vivait séparé de son frère,
lequel était l'adjoint au chef du
j
l
village à l'époque
(jusqu'en 1968). Le champ familial dans le
ruxuba était cultivé par lui seul tandis que son cadet devait
1
1
attendre l'accession de l'aîné à la chefferie
(1968)
pour jouir du
champ qui d'ailleurs n'est pas vraimen~ un champ familial mais une
1
]1
11 - Nous l'avons analysé au CH 3 sur les terroirs et les
j
territoires ainsi que les enjeux qu'ils suscitent.
ll

209
partie du ruxuba prêté depuis longtemps à cette famille qui peut
un jour se voir reprendre ce champ.
Parce que le chef de village
a droit à un falo qu'il gère es qualité,
appelé falo xoore
: grand
fa la sur lequel se succèdent tous les chefs du clan Tanallakaara,
même si la chefferie du village se trouve du côté des clans de
Jonga dont les chefs ont chacun un ruxuba.
En segond lieu,
les segmentations lignagères affectent aussi
les sols du waalo s ' i l s'agit de ruxuba,
réserve clanique que le
chef de village distribue aux différentes familles.
En cas de
séparation, la terre afféctée à la famille est segmentée en autant
de champs,
appelés kacce
(corde, qui vont dans le sens de la berge
vers les parties basses xuusu
) qu'il y a de segments de lignage.
Les conflits sont fréquents quand il s'agit de déterminer les
limites des kacce et aussi à la mort de l'un des frères,
les
prétentions des autres à récupérer sa part au détriment de ses
fils.
Des cas de conflits de ce type étaient fréquents dans les
villages du Goy,
ce qui nécessitait l'intervention de certaines
personnes dans le règlement.
Le cas le plus récent que nous avons
observé date de 1987,
à Tiyaabu (12).
A la mort du détenteur du
falo en 1981,
ses enfants ont tout naturellement pris sa relève.
Jusqu'en 1987 il n'y eut aucune contestation.
Ce n'est qu'à cette date qu'un de leurs oncles,
fonction-
naire à la retraite vint s'installer au village et revendiquer
12- Nous donnons plus souvent des exemples de Tiyaabu parc~ que
nos informateurs ont été plus ouverts sur ces conflits
familiaux,
qui restaient souvent secrets, mais aussi à cause
de notre appartenance à ce village où nous avons été témoin
direct de certaines affaires.

210
ses droits sur le champ en tant qu'ainé de tous les fils issus de
consanguins.
Le conflit fut d'abord porté au niveau de la famille
qui ne trouva pas de solution.
Les enfants arguaient du fait que
le falo en question était hors de l'indivision familiale,
ce que
leur oncle a rejeté, soutenu en cela par certains membres de la
famille.
Il a fallu faire appel à l'histoire de l'acquisition de
ce champ en invitant les spécialistes des questions foncières,
notamment les notables de Mannaayel pour rétablir les enfants dans
leurs droits,
tout simplement parce que ce champ fut donné au
grand-père du défunt par ses oncles de Mannaayel sur leur terroir,
et que par conséquent il ne pouvait faire l'objet d'une revendi-
cation familiale
(13).
Ainsi la plupart des litiges entre collatéraux ont pour
origine des problèmes de succession ou la mésentente entre ainés
et cadets
(souvent issus de collatéraux).
Ce conflit de généra-
tions est un phénomène important malgré le fait que tous les
cadets sont pourvus de champs individuels sur les terres de jeeri,
salluma(14). Mais le désir de se soustraire à la tutelle du chef
de terre coïncide avec le désir d'indépendance économique.
s'ils
disposent à leur gré du produit de leurs champs individuels,
ils
n'en restent pas moins enfermés dans une dépendance économique
assez étroite vis-à-vis des ainés.
Le fils n'accède à l'indé-
pendance économique qu'après la mort du père, car la gestion
13-11 est certain que des cas de ce type sont très nombreux et que
tous les villages en ont connus, mais ils sont souvent érigés
en secrets de familles losqu'ils remontent loin dans le
passé.
.
14-Cela est impossible dans le falo à cause de l'existence
limitée des champs et de leur faible étendue (un falo familial
ne peut faire plus d'un hectare,
alors que certains kollanga
s'étendent parfois sur des dizaines d'hectares) ce qui rend
les conflits sur le falo plus aigus et plus difficiles à
!
règler.
1
1
1
1

d
1
1
211
~l
1
1
des terres familiales n'est pas héréditaire.
Elle passe de frère à
J
1
frère avant la génération des fils
(15).
Cette tendance à l'écla-
tement s'est accentuée depuis le début des années 60, pour des
raisons que nous analyserons plus loin.
B-LES LITIGES FONCIERS ENTRE XABIILA AU SEIN DU VILLAGE.
Le terme xabiila utilisé ici,
vise uniquement ceux qui
d?tiennent la maitrise foncière dans le Goy à savoir les quatre
clans de Tiyaabu,
les trois de Mannaayel et les trois de Jawara
j
1
qui sont les plus significatifs.
C'est l'importance de chaque clan
Jl,
et sa position au sein du village qui crée certaines rivalités
!
1
ouvertes ou latentes que l'on peut constater atljourd'hui encore,
i
surtout sur le terrain politique et partisan.
Les conflits sont
presque inexistants au niveau du falo à cause d'un découpage
dÉf~nitif qui date des origines
(16),
contrairement au jeeri et
1
1
~~:: cuvettes de décantation 60nt la superficie est assez étendue
1
et qui peuvent être au centre de conflits plus ou moins graves,
à cause de la pratique de la jachère
(jeeri)
ou en raison de
l'absence de crues pendant de nombreuses années
(kollanga)
;
les
1
j
champs sont désaffectés en attendant le retour à une pluviométrie
î
,~
normale,
ce qui permet la reconstitution du couvert végétal et
1
entraîne la disparition des limites naturelles
(jingu).
1
t
1
15- Voir Raymond VERDIER : Problèmes fonciers sénégalais ;
Penant
1
n0706 avril-mai-juin 1965, p.
278 et s.
j
16- En effet les limites de chaque champ sont assez nettes,
parce
j
que depuis l'installation des villages,
ce sont les mêmes
familles
(ou presque)
qui cultivent sans interruption les
1
1
falo.
Les falo n'étant pas soumis à la jachère,
il est prati-
j
quement impossible de contester aux détenteurs leurs droits,
lj
mais il arrive qu'ils soient violés. Voir infra.
1
1
§•~

212
La reprise des activités culturales sur ces sols entraine
souvent des empiètements des uns sur les terrains des autres, ou
encore des violations flagrantes des" droits fonciers.
Ces situa-
tions provoquent des crises entre clans détenteurs des droits sur
la terre.
Si le règlement de ces conflits fait appel à un certain
nombre d'acteurs et de mécanismes sur le plan coutumier,
il n'en
demeure pas moins que pendant la période coloniale le recours à la
justice était trés fréquente.
Le Tribunal de Subdivision des deux
Goyes et le Tribunal de Cercle de Bakel ont été assez souvent
saisis pour régler ces types de li tiges fonc:Lers.
!'1ai s
comme nous
le verrons,
les solutions adoptées par la justice coloniale au nom
de l'ordre public colonial et du respect des coutumes combinés
n'ont pas toujours contribué à apaiser les tensions et ont parfois
lésé les maîtres fonciers au profit des détenteurs de droits de
culture, ce qui constituait une violation manifeste des coutumes
qu'elle entendait respecter.
Nous avons relevé un cas type de ce genre de conflit dans
les archives du Tribunal de Cercle de Bakel entre deux familles
rivales de Tiyaabu qui a éclaté en 1907 pour n'aboutir qu'en 1923,
sans pour autant que la querelle ne fut vidé
(17).
Les protago-
nistes de cette affaire étaient Allymanna Bacili du clan Tanbonka
de Jonga et Denba Konna Bacili dll clan Tanallakaara de Tunkankaani.
Les faits se sont déroulés sur les cuvettes de décantation de
Gon,3e Annebinxaare sur le terroir de Hudeeri,
domaine foncier des
17-Affaire Allymanna cl Demba Kona de Tuabou. Tribunal de cercle
de Bakel.
Registre 1906-1910. Année 1908.
Jugement n014 du
registre,
p.
46. Audience publique du 12 "janvier 1908, en appel
d'un jugement du Tribunal de subdivision du Goye du 28.11.1907

213
différents clans Bacili de Tiyaabu, principalement Ta9allakaara et
1'anbonka qui ont la presque totalité de ce waalo,
à propos de
l'utilisation par l'un des terres de l'autre à des fins de
pêche (18).
Cette espèce nous montre bien les implications foncières de ce
conflit.«
... Le Tribunal de Province du Goye a rendu le 28-11-1907
entre parties irréconciliables un jugement aux termes duquel la
portion du marigot Gonhe Anebynkhare,
portion dite Gnoukhoulou
et les terres qui en dépendent ont été déclarées appartenant à
Demba Kona,
comme ayant appartenu à sa famille pendant 39 ans
j
code musulman Tohfa "oualadja habbus oua gnon adia assilane
byakhy achera senine feta mallakou astahakhou"
: l'occupation
1
pendant 10 ans d'un terrain par un particulier qui ne s'est pas
$
servi d'armes ni de la force pour l'occuper et qui en tire pro-
1
fit pendant 10 ans sans être interdit une seule fois par quicon-
1
1
que se dit propriétaire de ce terrain,
engendre la propriété
1
définitive,
réelle,
légale de ce particulier sur ce terrain ... »
î,
Le tribunal de province,
tirant argument de ce principe de la
1
prescription acquisitive du droit musulman a~ on le voit bien,
l
i.~
méconnu les régles coutumières en matière de détention foncière .
premièrement la prescription acquisitive n'existe pas en droit
coutumier soninke,
car une terre est acquise une fois et le reste
1
à moins que le premier occupant ne l'ait cédée ou n'en soit chassé
par la force ce qui,
deuxièmement,
explique l'échec dans cette
partie du Sénégal de la théorie des terres vacantes et sans maître
du decret de 1904.
L'appel interjeté par Allymana contre ce jugement, par
ses arguments,
remet assez bien le conflit dans son véritable
contexte; car le droit musulman que les tri.bunaux s'évertuaient à
l8-Nous avons vu comment les Bacili ont conservé leurs droits
sur les cuvettes de Mudeeri au détriment des Njaay (CH 3 et 4)
et au CH 5 .comment les droits de pêche sur les mares des
kollanga étaient en fait des droits fonciers,
obéissant aux
mêmes conditions de redevances que les terres de culture.

214
appliquer était inopérant dans une société dont le droit n'a pas
subi d'influence islamique. L'intégration de la logique islamique
dans le règlement des litiges coutumiers par le Tribunal de
Bakel ne démontrait pas seulement le souci des conseillers coutu-
miers, plus souvent marabouts, de vulgariser le droit coranique,
mais leur entêtement à nier le modèle coutumier qui relevait selon
eux du paganisme,
enfin et surtout à cause de leur ignorance par
fois presque totale de la coutume foncière,
n'étant pas pour la
plupart d'entre eux maîtres de la terre.
j
C'est pour cela d'ailleurs que dans le règlement des conflits
1
fonciers au sein ou en dehors du village le marabout n'est sou-
vent impliqué que comme témoin et caution morale.
L'adversaire de
Demba Kona rappelle en ces termes la réalité des droits en litige
1
« ... Au village de Tuabou, il y a quatre familles principa-
1
les:
à savoir Tanallakaara, Kissikhourougo (actuellement étein-
1
te), Tounka Samba Kona et Ta~)onka.ces familles ont fait du ma-
rigot de Gonghe et des terres marécageuses environnantes réunies
sous le nom de Collengal quatre portions dont chacune est occu-
1
pée par la famille propriétaire ou un gérant désigné par elle.
Demba Kona,
non adversaire possède la 4è portion ou Tamallakaara,
1
moi je suis de Tandonka ou la 1ère portion.
Or deux concessions,
1
Kissikhouroungo et Tunka Sanba Kona nous séparent l'un de l'au-
1
tre,
ce qui n'empêche pas Demba Kona de les traverser pour venir
pêcher à Gnonkhoulou ou portion du marigot Gonghé dont ma fa-
1
mille et moi sommes propriétaires ... ».
~!1l
On le voit donc,
l'un des protagonistes en appel devant le
1
l
~
Tribunal de Cercle de Bakel pose mieux, historiquement,le problè-
l
1
l
me de la structure foncière et des différents maîtres fonciers du
f
terrain objet du litige. Chaque famille depuis l'acquisition des
1
terrains est devenue définitivement "propriétaire".
L'argument du
1
j
tribunal de
1
l
l

215
province tiré de l'occupation du terrain pendant 39 ans ne saurait
justifier la possession du terrain par l'occupant qui,
s ' i l a agi
consciemment,
a manifestement violé les droits fonciers d'autrui,
ce qui semble être le cas en l'espèce.
Les délimitations parfois
imprécises des terrains peuvent aussi,
comme nous l'avons vu,
en-
trainer ces types de violation et une fois les limites reconnues,
les conflits éclatent parce que l'occupant continuera toujours à
arguer de son bon droit
(19).
Le tribun~l de cercle ayant mieux anaJysé la situation que
le tribunal de subdivision, par l'appel à des témoins, notamment
les notables NJAAY et JAGARAFU de Mudeeri
(20).
En outre le
Tunka de Tiyaabu de l'époque,
Sanba SuIe avait tenté de régler la
question en interdisant à Demba Kona de violer les droits fonciers
de Allymana « ...
je sais que Mamadou Samba oncle de'Demba Kona
y établit des barrages et y a pêché trois ans après
lesquels samba suIe actuel chef de la province le lui
a interdit sous prétexte que la partie du marigot dési
gnée sous le nom de Gnoukhoulou est comprise dans le
lot de terrain de Allymana son neveu, que sur inter
diction, Mamadou Samba a déplacé les barrages et les
a repiqués à un autre endroit toujours à
1
Gnoukhoulou ... »
(21)
1
i
!
19- Les deux protagonistes furent départagés au préalable par
i1
l'Administrateur de la Province qui fixa les limites que
1
chacun ne devait pas franchir.
1
20- Les Jagarafu étaient les grands captifs de la couronne chargés
1
de la gestion des terres au profit des BACILI de Tiyaabu.
l
Ils continuent à remplir cette fonction:
Il s'agit des JA,
Jagolla,
Kamara de Mudeeri,
ainsi que des Kamara et Tuure
1
j
de Gande.
21- Rappelons que d'après nos informateurs les deux protagonistes
1
étaient plutôt des rivaux intimes et non des ennemis comme
1
on le voit fréquemment dans les villages.
En fait cette
1
rivalité constituait aussi bien pour l'un que pour l'autre
j
leur raison de vivre à telle enseigne qu'à la mort de l'un
l'autre se serait écrié "je n'ai plus d'ami dans ce village!
Avec qui vais-je désormais rivaliser ? " Rappelons que
1
ces deux familles sont très proches,
l'une de l'autre.
i
1
1
J!

l

216
On voit de façon claire la dimension familiale de ce conflit
foncier,
parce que les protagonistes ont eux-mêmes hérité d'une
situation qui durait depuis des générations.
Fort de tous ces témoignages et précisions sur la nature et
la consistance des droits,
le tribunal a décidé ainsi
:
« ... les témoignages recueillis, le tribunal a entendu
Fodiye Hadyatou Kebe, Cadi supérieur du cercle qui
s'est rendu sur les lieux et lequel a rendu compte
1
de son mandat ainsi qu'il suit (22):
la pêcherie de
1
1
Gnoukhoulou se trouve comprise dans la portion de
1
Tanbonka appartenant à la famille de Allymanna,
1
{
celle-ci a par conséquent seule le droit de pêche,
1
selon les us et COUTUMES de ce pays.
La cause-ayan~été ainsi instruite,le Président a
1
demandé séparément à chacun des assesseurs précités
son avis sur le jugement à rendre et ceux-ci ayant
fait connaitre leur opinion,le tribunal a rendu le
1
jugement suivant:
-Attendu que le jugement dont est appel ne mentionne
1
j
pas que le marigot de Gonghe et les terres environnantes
1
sont partagés aux quatre(4)
familles:
Tanallakaara,
Kissikhouroungo, Tounka Samba Kona et Tambonka et que
le partage fait entre elles selon les us et coutumes
du pays, que la partie du code musulman Tohfa à savoir
l'occupation d'un terrain pendant 10ans ... , code sur
j
lequel on s'est basé pour rendre le dit jugement du
28-11-1907 ne fait pas mention des quatre règles ci
après exigées par les codes Tohfa et Tabsiretoulockane(?):
1
l
l.que le terrain ait été auparavant acheté par l'occupant
1
(bycherase),
2. que le terrain ait été reçu en aumône
22-0n voit aisément au niveau de l'instance d'appel que le rôle
1
1
,
joué par le
droit musulman dans le réglement de ce conflit
i
fut trés négligeable,
contrairement au le premier degré
j
où le code tohfa a servi à donner la solution.
Ici le cadi
qui siège auprés du tribunal n'a eu pour rôle qu'un simple
déplacement,
pour la constatation de l'état des lieux et
l'existence des droits de chacun sur ces marigots.L'apport
de la coutume a été plutôt déterminant ici,
car le tribunal
s'en est largement inspiré pour donner sa solution .POLLET
et WINTER pour le Jaafunu ont analysé une affaire similaire,
réglée par l'Administrateur du Cercle de Yelimaane (Kayes
j
Mali), mais en s'inspirant
de témoignages contradictoirep
l
et trés largement des principes du droit musulman tirés de
j
Sidi Khalil(Mukhtasar). Cette solution
fut acceptée par
les parties car les soninke du Jaafunu ont été plus réceptifs
1
l
à l'islam que ceux du Gajaaga qui, nous l'avons vu, n'ont
1
jamais admis l'islam dans le droit foncier contrairement par
q
exemple au droit du mariage.
1
11l
1
1

217
(bysedekhety) , 3. que le terrain ait été donné
(byhibety)
4. que le terrain ait été reçu en héritage (bymirasse).
Casse le jugement dont s'agit et décide que seul
Allimanna aura le droit de pêche dans la partie dite
Gnoukhoulou du marigot Gonghé.
Et que Deroba Kona aura
seul le droit de pêche dans la partie du même
marigot désignée sous le nom de Tanallakaara.
Interdit
formellement l'établissement de barrages sur tout le
parcours du marigot Gonghé ... »
si le tribunal de cercle a donné une solution à ce conflit,
1
J
J
il ne l'a pas éteint pour autant car les causes ne sont pas à re-
j
1
j
chercher à proprement parler dans le foncier mais dans la rivalité
J
initiale entre ces deux familles.Ce conflit foncier n'était qu'une
1
~
des manifestations de cette rivalité.
1
l
Une longue série de décisions a suivi ce jugement du 12-01-1908.
- Un jugement du 18 mars 1919 rendu par SAINT-PERE alors adminis-
1
1
trateur de la Province sur la même affaire entre les mêmes parties
ordonna la révision des bornes
qui délimitent les deux tenures.
1
l
j
-Un jugement du Tribunal de Subdivision des deux Goyes reconduit
j
la solution du Tribunal de Cercle de 1908, et enfin un jugement du
Tribunal de Cercle de Bakel du 26 mars 1923 en appel du jugement
1
du Tribunal de Subdivision de janvier 1923 a confirmé la solution
f
de 1908
(23).
1
f
Si les conflits entre familles au sein du village étaient
importants du point de vue de leur qualité, ceux entre maîtres
fonciers et détenteurs de droits de culture ne l'étaient pas moins
car les causes étaient plus variées.
23- L'espèce que nous venons d'analyser illustre assez bien le
1
type
de
conflit
qui
peut
intervenir
ent~e
familles
j
détentrices de la maitrise foncière,
sur des domaines plus
ou moins larges. Nous avons relevé dans le fonds du Tribunal
l
de Bakel d'autres espèces entre d'autres familles du Goy,
i
mais dont l'ampleur était moins grande. Ceci est dû au fait
qu'ici les protagonistes,
les BACILI étaient les maitres fon-
ciers les plus importants du Canton.
1
1
1
1
1

218
C- LES LITIGES FONCIERS ENTRE MAITRES ET DETENTEURS
DE DROITS DE CULTURE.
Nous avons vu au CH 4 que sur un même terrain les droits
pouvaient être nombreux et parfois complexes,
ainsi que la
hiérarchie qui s'y appliquait.
Seuls les Bacili étaient niine
;
gumu dans le Goy.
Les autres familles n'avaient au départ que des
J1.
1
droits de
culture. Mais l'installation définitive et les conces-
!i
sions faites par les Bacili firent de ces familles alliées des
1
1
maîtres fonciers,
ce qui à ce niveau nous autorise à faire la
j
1
distinction entre maître de la terre c'est-à-dire celui qui ne
}
1
1
maîtrise que la terre
(les Jallo de Mannaayel,
les Sumaare de
1
~
l
Yellingara et les Saaxo de Jawara),
et le seigneur de la terre
~
qui est celui qui contrôle au niveau macro-local en même temps la
1
î
terre et les hommes comme ce fut le cas des Bacili dont les droits
J
1
i
sont plus élev~s.
1
j
Ces deux types de maitres fonciers étaient supérieurs aux
J
t
détenteurs de droits de culture,
parce qu'ils déterminaient
1
l'organisation foncière et la répartition des droits rattachés à
leur maitrise.
Le détenteur de droits de culture
(Te gume),
1
maître du champ se trouve dans une certaine mesure dépendant du
maître du sol.
Le terme Te gume nous semble mieux adapté depuis
le 19è siècle à celui de titulaire de droit de hache ou premier
défricheur,
car depuis cette période et même avant
(sauf pour les
terres de la rive droite sur lesquelles nous reviendrons)la pres-
que totalité de ces droits proviennent de successions familiales.
1
!
Et selon MINVIELLE
(24)pour le Fuuta,le premier défricheur n'était
1
24- MINVIELLE (J.P)
1985
: Paysans migrants du Fuuta Toro.
op.cité. p.108
1
i1
1

1
219
t1
1
1
,
pas toujours un ancêtre direct du détenteur.
La fréquence des
1
conflits entre maîtres de la terre et détenteurs de droits de
culture dénote l'importance des rapports:
au plan politique
et social, mais aussi économique.
si les maîtres fonciers avaient
des droits puissants sur leurs terres,
il est aussi vrai que dans
un souci d'équilibre social au sein de la communauté,la coutume et
l'administration coloniale protégeaient assez bien les détellteurs
de droits de culture.
Les litiges entre Niinegumu et Te gume
provennaient de CéLlses di verses.
c'était soit une tension qui à l'origine n'avait aucun lien
avec les obligations dues par le détenteur au maître foncier,
mais ce dernier estimant que le comportement du détenteur à son
égard est contraire à tout bon rapport qu'ils peuvent entretenir.
C'est l'exemple de cette espèce du Tribunal de Cercle de Bakel en
1920 où le maître foncier est entré en conflit avec le Te gume
sous prétexte que ce dernier avait pris le parti de son adversaire
lors d'un précédent conflit foncier
(25).
Les faits se résument
ainsi:
«
J'ai
(Soulé Khoumba le détenteur)
un terrain que
i
j'ai toujours cultivé et ensemencé.
Un jour Diabé séo envoie
quelqu'un me dire de cesser de cultiver ce lougan (autre nom
1
du champ de waalo). A cette parole,
je viens à Tuabou trouver
le Chef de Province Samba Kadiata lui dire que Diabé séo a
f
envoyé quelqu'un chez moi pour me dire de cesser d'ensemencer
j
le lougan dont j'ai toujours joui depuis 35 ans.
Le chef Samba
Kadiata me renvoya chez moi en me promettant d'arranger cette
affaire.
Dès mon retour et arrivé auprès du lougan,
je fus
1
surpris de voir la moitié du dit lougan semée par le nommé
Fodié Diaguily DOUCOURE.»
1
J
25-Soulé Khoumba cl Goudia BathilY-Tribunal de cercle de Bakel.
1
Registre des jugements de 1920 à 1923.Jugement n O l, en appel
i
d'un jugement du Tribunal de Subdivision des deux Goyes
(TSDG)
~
du 7 janvier 1920. ~ette affaire n'est que le prolongement de
l
la première que nous avons analysée,
du tribunal de Bakel de
1J
l'année 1908,
opposant Allymanna et Demba Kona,
car l'un des
l
protagonistes ici,
Goudia Bathily n'est autre que le neveu de
1
Demba Kona.
~
1
1
~\\j
1\\

220
Le plaignant reconnait en outre que le terrain appartient bien
à Diabé séo mais que depuis 35 ans qu'il le cultive,
il
verse
régulièrement aprés chaque récolte la redevance en mil
( que l~
tribunal appelle dioldi).
Le défenseur,
Goudia Bathily de son côté déclara:
« ... la terre en litige appartient à ma famille que je
représente à l'audience.
Précédemment Soulé Khoumba
s'étant brouillé avec ma famille,
le terrain lui
fut
enlevé pendant quatre ans.
Soulé Khoumba au bout de
ce temps alla trouver mon père pour lui demander
pardon et on lui redonna le terrain.
Dernièrement
encore Soulé s'est brouillE:, avec ma fan:i11e,
nouEc~ ne
voulons pas un FERMIER
(26)
qui ne nous aime pas,
par cOLséquent nous reprenons CE terrain qui nous
appartient E:t le lOlwns ~l un ô'utre.
Voil~.. tout».
Un des témoin de l'affaire,
Moussa Maka de Moudéry à qui le ter-
rain était confié et qui
l'a donn~ à Soul~ Khoumba 0
confirmé la
nature des droits dE: chacun.
On voit que dans
la première partie
de cette affaire,
la cause du cOllflit est une simple incompatibi-
lité d'humeur entre les deux,
découlant d'un vieux conflit de fa-
mille.
Le Tribunal de Cercle infirma le jugement dll Tribunal de
Subdivision,
en première instance,
qui a fondé sa décisic'n sur le
principe selon lequel le "propriétaire" peut
reprendre ::;on terrain
quand il veut.
Le Tribunal du Cercle en appel a rendu le jugement
suivant:
« ... attendu qu'il est prouvé par les délibérations
que le lougan dont il s'agit appartient bien à la famille
de Goudia Bathily.
-Attendu que la coutume faisant loi dans le pays dit que
lorsque le propriétaire d'un lougan en friche
loue cette
terre à un particulier qui la défriche et la met en état
de produire et paie régulièrement le période de lé! location,
il ne peut reprendre son terrain que si le prix de la loca-
tion n'est pas payé,
ou si le le locataire meurt.
Attendu
26- Ce terme vient certainement de l'interprète ou du greffier
qui a rédigé le jugement mais ne traduit pas le concept
employé par le défenseur,
qui
est Soxaana,
cultival€ur.
La
pratique soninke ignore le fermage.
Nos travaux avec la Land
Tenure Center nous ont donné l'occasion de discuter et de
corriger le terme
(farmer)
qu'ils ont utilisé pour désigner
1
les paysans soninke de Bakel.
1
l
1
1
1
1

221
que la loi musulmane est conforme à la coutume.
(27)
-Attendu qu'il est prouvé que Soulé Khoumba a défriché le
terrain dont il est question et qu'il a payé régulièrement
le prix de la location. Attendu que le tribunal de subdivi
sion des deux Goyes ne s'est pas préoccupé de savoir qui
avait défriché le terrain et que ce faisant il n'a pas res
pecté la coutume en rendant le jugement du 7-01-1920 . . . .
Annule le jugement rendu le 7-01-1920 et décide que Soulé
Khoumba conservera la jouissance du lougan dont il s'agit
tant qu'il vivra et paiera la redevance d'une corbeille
de mil pour 10 corbeilles récoltées . . . . »
Cette décision du Tribunal de cercle de Bakel appelle deux remar
ques importantes:
-d'une part on voit clairement apparaitre la notion de mise en
valeur (plus exactement de mise en culture ou en production) qui
était une des conditions du maintien du cultivateur dans ses
droits:
"lorsque le propriétaire d'un lougan en friche loue cette
terre a un particulier qui la défriche et la met en état de pro-
duire ... " Ce terme en état de produire qui renvoje à la mise en
valeur n'est pas défini par le tribunal.
Car la mise en valeur a
un contenu variable dans le temps et dans l'espace.Le seul défri-
chement et l'ensemencement suffisaient-ils pour la mise en valeur
d'une terre? La coutume soninke connaît bien dans les concessions
de champs, ce principe de mise en valeur:
la mise en valeur d'un
champ c'est le défrichage et l'ensemencement mais c'est aussi le
respect d'obligations morales vis-à-vis du maître foncier.
Car il
n'y a plus de mise en valeur dès l'instant que par son compor-
tement le tegume va à l'encontre du maître foncier.
27- Cette phrase dénote une fois de plus de la faiblesse de
l'influence du droit muslllman en matière foncière dans le
Goy. Elle prouve en tout cas, même s ' i l ne s'agissait que
d'un lapsus de la part du greffier que devant le Tribunal
de Bakel la coutume servait plus de référence pour régler
les conflits,
rejoignant de fait les soninké du Gajaaga
dans le rejet du droit musulman.

222
Les rapports du niinegume et du tegume dans l'optique du
Tribunal de Cercle étaient seulement économiques car il suffisait
d'une simple mise en culture et du paiement régulier des redevances
foncières pour que les protagonistes continuent à entretenir leur
commerce. Or la coutume soninke ignore cette dimension économique,
pour accorder plus d'importance à la dimension sociale du rapport
foncier.
La terre était un espace socialisé.
Les rapports hommes-
terre n'avaient de sens que quand le rapport hommes-hommes était
valorisé.
Les rapports hommes-hommes constituaient le fondement
des rapports de l'homme à la terre.
si le souci du Tribunal fut de
protéger l'exploitant,
il est certain qu'en dépersonnalisant et
désocialisant le rapport entre niinegume et tegume,
il ne le sim-
plifie pas.
La seule dimension économique de ce rapport ne suffi-
sait pas à expliquer la notion de mise en valeur.
!
La coutume soninke protège au maximum les détenteurs de
1
droits de culture,
car contrairement à ce qu'affirmait souvent le
1
1
Tribunal de Subdivision dans ses jugements "le propriétaire" ne
1
,1
1
reprenait pas son champ quand il le voulait. Un maître foncier
1
pouvait très bien ne pas réagir à l'absence de "mise en valeur
1
j
économique", car il est permis au détenteur de mettre le champ
j
en jachère pendant un certain nombre d'années,
qui peuvent aller
~
1
1
jusqu'à une
dizaine et reprendre l'exploitation sans redéfinition
Jj
i
du rapport initial. La jachère est avant tout une forme de mise en
1
valeur de la terre, mais elle n'a aucune consistance économique
immédiate. Les conventions entre maître foncier et détenteur de
1
1
1
i
1
'~
i
1l
!
1
~
l
1

223
droit de culture, parfois tacites peuvent bien écarter l'idée de
versement régulier des redevances foncières
: à cause de liens
particuliers ou à cause de la sécheresse par exemple. Mais dès
l'instant que le rapport social est vicié d'une manière ou d'une
autre,
le rapport foncier n'a plus de raison d'être.
Le Tribunal
de cercle de Bakel a violé la coutume foncière à ce niveau car il
n'a pas tenu compte de cette dimension sociale de la mise en
valeur qui est fondamentale en droit soninke de la terre,
en se
fondant seulement sur ]a dimension économique.
La mise en valeur en droit soninke déborde ]e cadre physique
et économique du sol, pour intéresser en premier lieu l'aspect
social.
Si le "propriétaire" ne peut reprendre son champ qu'en cas
de défaut de mise en valeur économique,
celle-ci n'existe pas
pendant les séquences sèches,
ce qui pourrait lui permettre de
l-eprendre son "bien", mais cela n'arrive jamais car la dimension
sociale prime sur les profits économiques que l'on peut tirer
de la terre.
D'autre part,
et c'est la seconde remarque,
le Tribunal de
Cercle semblait être toujours en désaccord avec le Tribunal de
Subdivision sur la possibilité pour le maitre foncier de reprendre
son champ quand il le désirait.
Si le Tribunal de Cercle mettait
en avant l'aspect économique,
le Tribunal de subdivision semblait
plutôt s'appuyer sur le côté social du rapport foncier,
ce qui
constituait de toute évidence un respect plus scrupuleux des cou-
turnes.
La cause de ce désaccord permanent entre Tribunal de Cercle
de Bakel
(TCB)
et Tribunal de Subdivision des deux Goyes
(TSDG)
1
1
1
!

1
224
!
j
1
est à rechercher dans la composition de ces juridictioJ1S
: le TSDG
était composé de juges indigènes qui vivaient et connaissaient
mieux les coutumes alors que le TCB se composait d'un administra-
teur européen et d'assesseurs indigènes sans pouvoir.
On comprend
dès lors que le Président qui avait voix prépondérante ait appli-
qué à ces espèces la logique occidentale du rapport à la terre.
D'autres causes pouvaient être à l'origine des conflits entre
maîtres fonciers et détenteurs de droits de culture.
Il y avait
par exemple le refus de payer les redevances foncières si la con-
vention ùu moment de la concession le prévoyait,
ou s ' i l s'agis-
sait de redevances statutaires.
Nous avons vu que les redevances
selon leur nature pouvaient être consistantes Dtl symboliques.
Mais le paiement qui ne procurait parfois aucun avantage économi-
que au maitre foncier constituait la preuve,
et la garantie de
l'existence des droits des uns et des autres sur les champs. Une
espèce du TSDG du 22 juin 1923 le montre bien (28),
quand le
cultivateur Bouna Manthita, qui détenait un champ depuis 30 ans
s'est abstenu de verser les redevances foncières dues à Alcaly
Diama durant les années 1917-1918,
1918-1919,
1919-1920,
1920-1921
soit quatre ans,
arguant de la sécheresse et des crises
(mineures)
de subsistance qui frappèrent le Goy à cette période. Or il se
trouve que l'année 1918-1919 fut relativement bonne
(29). Néanmoins
1j
le Tribunal a estimé que le non versement des redevances foncières
1
constituait un motif suffisant en soi pour la reprise du champ par
l1
1
le maître foncier,
en confirmant la décision de Alcaly Diama
d'interdire à Bouna Manthita, dès 1922, de cultiver le champ.
1
t
28-Tribunal de Subdivision des deux Goyes:
affaire Bouna Manthita
cl Alcaly Diama : 22 juin 1923, nO 80 du registre.
29-Un tableau assez complet de ces années de crise de subsistance
a été dressé par Monique CHASTANET:
Les crises de subsistance.
op. cité. p.28
1~

225
Ce fut,
bien entendu,
cette décision de retrait par le niinegume
qui fit l'objet du recours en justice.
Une autre espèce a opposé un maître à son captif
(30).
Le
maître a repris un falo qu'il avait concédé à son captif sous
prétexte que ce dernier refusait de remplir ses obligations de
travail servile. La décision du Tribunal fut que "le propriétaire
reprend son champ quand il veut".
D'autant plus que ce dernier a
repris son champ en pleine saison de culture de décrue,
en janvier
1924 au moment où les récoltes du captif ftaient sur pied.
Ainsi selon la coutume qui est pratiquée encore aujourd'hui,
surtout sur les terres de waalo il est loisible au maître foncier
de reprendre son champ quand il le désire,
en cas de conflit. Un
cas de reprise de champ déjà ensemencé nous est signalé à Tiyaabu
en 1980, sur un ruxuba de Jonga quand le nouveau chef de clan ar-
rivé à la tête du groupe en pleine saison de cultures de décrue,
a
donné l'ordre à un cultivateur de "monter du falo" que ce dernier
avait obtenu de l'ancien xabiilanqirise (31),tout simplement parce
qu'ils étaient en désaccord de longue date.
rI a fallu l'implorer
pour qu'il laisse le cultivateur jouir de sa récolte; mais ce
qui est sûr,
c'est qu'il a exercé un droit conforme à la coutume
soninke.
30- Silly HAIBALLA c/Adama DRAME: TSDG,
20 juin 1924. Jugement
n059 du registre. Archives du Tribunal de Bakel.
31- L'expression "Sege falot',
monter du falo désigne dans le
langage soninke l'action de quitter le champ.
Puisque le
falo se trouve sur la berge, et le village à la hauteur
c'est, l'action de monter vers cette hauteur qui donne son
nom à l'expression.
tiJ
1

t
1
226
1
Comme on le voit,
au sein de la communauté villageoise les
1
l
modes de règlement des conflits mettaient en scène des acteurs
l
~
différents,
selon qu'ils se déroulaient dansla famille ou hors
l
d'elle.
Le conflit familial est réglé par l'instance familiale et
î
il est rare que ce type de litige soit arrivé devant la justice
1
coloniale.
Par contre l'instance clanique et villageoise s'est
j
1
presque toujours avérée incapable de régler le conflit lorsqu'il
1
l
avait lieu en dehors de la famille.
On assistait très fréquemment
comme nous l'avons vu,
au déplacement de l'instance de règlement
l
1
vers le Tribunal de Bakel, ce qui explique le nombre assez élevé
J
de cas soumis à cette juridiction jusqu'en 1956.
J
!
1
1
si le conflit au sein de la communauté villageoise était
1
fréquent,
celui par contre entre villages du Goy était rare mais
1
quand il éclatait,
il prennait des proportions beaucoup plus
grandes,
parfois plus dramatiques parce qu'il menacait non seule-
1
]
ment la paix à l'intérieur du Jamaane mais en plus il remettait en
cause les écologies politiques mises en place pour assurer la
cohésion au sein du territoire.
i1
\\111
1

- 227 -
II - LES CONFLITS INTER-VILLAGEOIS DANS LE GOY.
Le Canton du Goy comptait et compte encore sept
(7)
villages
qui nous l'avons vu coïncident exactement avec l'actuelle commu-
nauté rurale de Mudeeri.
L'histoire du peuplement de cette partie
du Gajaaga nous a montré comment à partir de Tiyaabu chef-lieu du
canton et capitale du Gajaaga les autres villages se sont instal-
lés et comment les alliances se sont nouées entre d'iune part les
BACILI et les autres familles/et d'autre part comment les terroirs
ont été répartis.
La constitution d'un Etat plus ou n,oins centra-
lisé dans le Gajaaga montre en principe une certaine homogénéité
politique et parta~t un droit uniforme de la terre sauf certaines
variantes villageoises dans la pratique.
Mais ces variantes au lieu de créer des différences montrent
plutôt le poids de l'aristocratie foncière des BACILI et de leurs
alliés.
si des concessions avaient ~té faites à titre définitif à
certaines familles du Goy les transformant en maitres fonciers,les
seigneurs fonciers du Gajaaga ont su se réserver des domaines sur
lesquels ils exerçaient une maitrise directe,
faisant de certains
villages de simples gérants et détenteurs de droits de culture.
Sj
î
~
~
les terres Mannaayel, Yellingara et Jawara échappent au contrôle
!
f
1
foncier des BACILI depuis l'installation de ces villages,
ce qui
!
j
1
rendait les possibilités de conflits presque nulles,
il en allait
1
i
1
1
autrement des terres de waalo de Mudeeri,
Gallaade et Gande.
Dans
l'1,
ces terroirs les BACILI de Tiyaabu se sont surtout intéressés
1
1
r-
-..
aux sols "où coule lleau",
c1est-à-dire les terres de décrue niine
biranto ou sols vivants,
laissant le jeeri aux villages concèrnés.
I;
1
1
1
1
t
1

1
;:
1

j
- 228 -
111
1
,
].es terres de décrue,
ont toujours fait l'objet de grands enjeux
j
J
politiques et ce sont elles qui dans l'histoire du Gajaaga et même
41
j
1
de nos jours font l'objet d'âpres rivalités et conflits pour leur
!*
contrôle.
il
1
Les conflits entre villages étaient essentiellement dus
1
!
à la contestation des droits fonciers des uns sur des terres de
11
décrue par les autres;
le pretexte était toujours le refus de
payer des redevances foncières qui comme nous l'avons vu étaient
d'un apport alimentaire non négligeable pour les BACILI de Tiyaabu
qui ont constitué à certains endroits comme Mudeeri,
Gallaade et
Gande des réserves fonciéres relativement larges.
Les conflits
entre villages prennaient parfois des proportions meurtrières,
ce
qui a nécessité pendant la période coloniale en plus de l'inter-
vention des instances traditionnelles de règlement,
celle de
l'administration car non seulement ils mettaient l'homogénéité du
1
1
Goyen danger,
mais menaçaient aussi l'ordre public
(colonial).
j
i
Nous avons recenscé deux conflits assez significatifs de ce
1
type entre villages du Goy, dans la première moitié et au début de
la seconde moitié du siècle, entre Tiyaabu et Gallaade et Mudeeri
et Tiyaabu (32).
Si le premier fut avant tout une bataille sur le
terrain des champs,
le second par contre fut entièrement mené sur
le plan judiciaire.
32- Ces conflits fonciers étaient pratiquement impossibles
entre Tiyaabu et les autres villages et entre ces villages
à cause des limites précises de chaque terroir. Mais ce qui
était impossible il y a un siècle et même moins,
l'est devenu
avec l'introduction de la loi sur le domaine national.
CF 2è
partie au point consacré aux nouveaux conflits fonciers.

- 229 -
A- LE CONFLIT DE GALLAADE DE 1931-1932.
Monique CHASTl\\NET explique cette remise en cause des droits
fonciers de Tiyaabu par le refus des habitants de Gallaade de
payer certaines redevances foncières à cause de la récolte défi-
citaire de 1931
(en effet l'année 1931-1932 correspond à une crise
de subsistance o~ la séquence fèche a duré près de trois mois)(33).
Mais cette cause donnée au conflit ne suffit pas à elle seule à
rendre compte de la réaljté.
Le refus de payer les redevances
foncières par Gallade n'est ~ue l'abo~tissement d'un conflit plus
1
ancien et pJus complexe,
à savoir une rivalité entre fractions
'1i
Bacili de Tiyaabu Et de Gallaade qui daterait du 19è s.
En effet
1
la guerre civile entre royaux Eacili dp Tiyaabu et de Maxanna
i
entre 1833 et 1847 et qui entraina la partition du Gajaaga en Goy
1
et Kammera vit Ja défection de certaines familles Bacili,
sans
doute lassées par la guerre ou elles auraient perdu tous leurs
1
j
bras valides;
ce qui entr~in~ leur exclusion de l'exercice du
pouvoir et le rameau de Gallade fut ch~E5é du Goy.
Ce n'est que bien après selon 1. D.
BATHILY
(bull IFAN 1969 op.
cité p.
63) qu'une famiJle BACILI revint de Segala (Mali)
pour
1
s'établir à Gallade
; mais leur réinstallation s'est faite après
le traité de protectorat du 19 août 1858
(34)
entre le Tunka de
Tiyaabu Boubacar Soulé et le Gouverneur FAIDHERBE.
Dans ce traité
i
«le Tunka cédait à la France tout le territoire compris entre
Bakel et la Fallemme inclusivement
(c'est-à-dire l'escale de
Bakel et le Goye supérieur-Kammera),
la France de son côté a
reconnu Je Tounka de Tuabou comme seul maitre de tout le terri
1
taire compris entre Bakel et le Fouta exclusivement
(c'est-à
dire le Goy)
et lui
accorde sa protection».
1
1
J
33- Monique CHASTANET 1983:
Les crises de subsistance op cit p26.
34- Voir BATHILY (A)
1985: Thèse op cité p 622.
Voir aussi
ANS 13 G 167.
10 février 18~9.
1

- 230 -
!l
Comme
1
on le voit donc,
cette famille de Gallade qui fut
1
~xclue du règne du Gajaaga et qui avait par la même occasion perdu
z
1
ses droits sur la terre fut une seconde fois
~cartée de fait par
1
1
l'administration coloniale qui ne reconnait désormais que les
droits des BACILI de Tiyaabu.
Cette exclusion et cette rivalité
latente entre les deux familles
furent
la cause principale du
conflit de Gallaade de 1931-32
(35).
Pendant la saison 31-32,
les
habitants de Tiyaabu prirent la décision d'aller recenser leurs
champs sur ce Kallanga,cE que les habitants d~ Galaade intèrdirent
en menaçant de tuer quiconque tenterôit. clt" rE-(E-:-n~e1-
ces cilOrn:pF,
qu'ils revendiquaient comme leur appartenant.
Des notables de
Tiyaabu (Jarmuna LACILI et Boubou Nja0Y EI.CJLI)
ft d~ Mannaayel
(May Ramata)
furent mandatés pour procéder à ce recensement.
Une fois,
sur la rive droite ils furent attaqués par les habitants
de Galaade.
Il s'ensuivit une bataille rangée où l'on dénombra un
mort
(du côté de Galaade)
et de nombreux bless€s
(36).
L'administration du Fort de Bakel se saisit de l'affaire,
en
se déplaçant sur le terrain dans un premier temps
, ensuite les
protagonistes furent
jugés,
et l'un d'entre evx Boubou Njaay,
auteur présumé de l'homicide fut emprisonné.
Mais l'administration
du Fort reconnut par la suite le bien-fondé des droits de Tiyaabu
sur le kollanga,
excluant encore une fois
les BACILI de Gallaade
de la maitrise foncière sur les terres de décrue
(37).
35- Soulignons que le conflit eut lieu sur les terres de décrue
de Tiyaabu situées s~r l~ rive droite mauritanienne.
36- Cette version des faits nous a été donnée par Kunda Guja
BACILI,
ancien fonctionnaire et notablE
à Tiyaabu,
dont
l'oncle Mody Fenda était directement impliqué dans la
bataille.
Enquête de juin 1988.
37- Rapport au sujet des terrains de culture dans le Goy
inférieur.
Bakel ~uillet 1932. ANS 2 D 4/21.

1
!
- 231 -
1
1
~1
si le conflit de Gallaade 1931 fut réglé par un affrontement
1
.1
1
physique entre protagonistes et de façon énergique par l'Adminis-
1
trateur du Cercle de Bakel,
celui qui par contre opposa les BACILI
de 'l'iyaabu aux NJAAY de Mudeeri de 1950 à 1953 le fut de manière
1
plus pacifique.
L'échec des modes villageois de règlement a amené
les protagonistes à s'adresser au tribunal colonial qui ne put en
1
venir à bout qu'au bout de trois ans à cause de la longueur de 1&
1
procédure
(38).
-
LE CONFLIT TIYAABU-MUDEERI DE 1951.
111
Il nous faut avant d'analyser ce conflit au fond,
replacer
1
historjquement les rapports entre les BACILI de Tiyeabu et les
NJAAY de Bakel et Mudeeri.
La famille NJAAY de Bakel venue tardi-
1
1
vement au Gajaaga fut installée à la suite d'une guerre civile,
1
1
qu'elle fuyait au Jolof au 16è s.La tradition orale raconte qu'ilE
1
n'étaient que de passage ce qui fait qu'ils n'avaient pas cru
1
j
utile de demander des terres de culture b leurs hôtes BACILI mais
seulement des pâturages pour leurs animaux.
Le site leur ayant
1
finalement convenu ils décidèrent de s'installer à Bakel
(1&
1
j~
branche ainée)
et à Mudeeri
(la branche cadette).
BATHILY dBns sa
i
thèse montre assez clairement ce qui nous avons pu appeler la
tî
genèse de ce conflit,
à la faveur des guerres de El Hadj Omar
contre les français dans la haute vallée c< dès le départ,
le
1
groupe qui s'allia aux français contre lui
(Elh.
Omar)
fut
l
constitué par le clan NJAAY de Bakel qui,
on l'a vu,
s'était
installé dans cette ville de Bakel au 16è s.
à la suite d'une
guerre civile au Jolof.
Durant la guerre civile qui opposacle
Gwey au Kammera de 1833 è ]8 4 7,
les NJAAY avaient jug~ opp~tun
1
t
38- En effet toutes les voies de procédures ont été utilisées
1
du tribunal du 2è degré de Matam (dont Bakel était à

j
l'époque une subdivision)
au Tribunal Colonial d'Appel
de Saint-Louis et enfin à la chambre d'Annulation de l'AOF
!~
de Dakar.
:1
l
11
!~,

1
1
- 232 -
de tenter de s'affranchir de tutelle des BACILI.
Profitant de l'éxil de Sanba Xunba Jaman,
1
t
Tunka du Gwey à Kunani,
ils auraient obtenu du Commandant du
1
Fort des droits pour les terrains de culture autour de Bakel
1
,
et qui,
jusqu'àlors relevaient du Tunka. Après la fin de la
guerre civile,
lorsque les BACILI de TiYHabu réclamaient ces
terres,
les NJAAY refusèrent de les leur restituer,
appuyés
en cela par le Commandant du Fort».
(BACILI Thèse op.
cit.
p 616 et s.).
En guise de riposte,
les BACILI levèrent après la guerre
des taxes sur tous les collaborateurs d\\l Commandant du Fort d~
Bakel
(1866) qui avaient acquis les terres à leur détriment pour
les pousser à les leur restituer
(39)~
La même situation se recréait en 1886 après J'échec du siège
de BakeJ
par Mamadou Lamine,
quand Je Commandant Frey distribua
des terres prises aux vaincus à c~rtaines f~mi]les NJAAY de Bakel
qui avaient collaboré avec lui contre le marabout.
Ce furent ces
l
arguments là que les NJAYY de Mudeeri avaient développés pour
i
revendiquer leurs droits sur le Kollança de Sogone,
qui faisait
1
1
partie de la réserve des BACILI.
i
i
Il est aisé d'exposer les faits à partir de Ja lettre du
12 novembre 1952 qu'a adressée Konko Galla BATHILY,
Chef Honoraire
1
l
l
du Canton du Gaye inférieur,
à Maitre Lamine GUEYE,
Président du
~
Grand Conseil de l'AüF (40). Voici en substance les extraits les
1
plus significatifs de cette lettre.
1
«
Monsieur le Président
: Je me permets de vous adresser
la présente lettre par laquelle j'attire votre atten
1
tion sur certains faits relatifs au litige qui m'oppose
à la famille des NDIAYE de Moudéry (Subdivision de
Bakel) et dont je vous ai fait un exposé lors de votre
1
passage pendant la campagne électoraJe,
à Tuabou.
Tout
i
d'abord,
ce litige opposait la famille des N'diaye à
~~
lj
39-BATHILY : Thèse, page 655. Aussi ANS 15 G 11 et 13 G 173-183.
1
40-Nous avons obtenu ce document grâce à l'amabilité de notre
oncle Sire Guja Bacili,qui a mis à notre disposition ses
1
archives personnelles qui sont d'une richesse inestimable.
~
i!,,
1lj

- 233 -
celle des Dia,
et les deux familles n'arrivaient pas
à se mettre d'accord,
elles décidèrent de porter
l'affaire à Tuabou,
chef lieu de canton afin que ma
famille et moi les départagion~, parce que nous sommes
propriètaires des terrains.
Nous décidames d'attribuer le droit de
"l'assakal" aux
DIA (pour le terrain de "Sogone" objet de la contesta
tion) parce que
: les DIA sont venus de Kobilo,
dans
le Fouta,
et pour leur instalation,
ils demandèrent au
Tounka
(ancêtre Bathily)
de leur accorder asile.
Le Tounka les reçut et leur céda t
cet effet,
et par un
pacte le terrain
"Songoné".
Ce n'est que trente ans aprés de Singuété Faty
(fondateur
de la dynastie N'diaye de Moudéry)
en désaccord avec son
aîné Demba Faty
(fondateur dE' la d);ncstie N'diaye dE'
Bakel)
vint demander au Tounka de lui accorder asile,
lui
et sa famille;
le 'l'Oll11ka aprés une veine tentative de
réconciliôtion t:üre les deux frèreE.,
amena 81nguété à
Moudèry et demanda aux DIA qui y étôient déjà établis,
d'accepter sa cohabitation et qui cé~a par un pacte éga-
lement,
le terrain "Keita",
comme il
avait cédé le ter-
rain" 80n9011e"
auz: Dlp..
Personne dans
la subdivision entièr~ de Bakel n'osera
s'attaquer à ces faits historiques et c'est pourquoi
aujourd'hui,
nous
intervenons en faveur des DIA,
pour
que triomphe la vérité.
Diaguily N'diaye
(chef de la famille N'diaye de Moudéry)
qui conteste ces faits,
invoque les combats de 1886 et
déclare que c'est le colonel ARCHINARD qui,
ses alliés
étant les N'diaye,
lui a vendu le village de Moudéry et
ses environs,
et qu'il en était de même pour les autres
villages.
Pourquoi le trib~nal do 2ème degré civil et commercial
de Matam qui a été saisi,
ne lui a pas demandé la con-
vention i~sue de cette vente ?

Pourquoi,
Monsieur le Président,
n1a-t-on pas intérrogé
les autres chefs de villages,
pOl11'
s2voir si
réellement,
eux aussi
ils ont eu leurs villages et les terres envi-
ronnants de la même façon ?
Nous comprenons mal,
Monsieur le Président,
que le
Colonel ARCHINARD ait vendu des villages en 1886,
dans
un territoire où,
bien avant cette date,
nous étions
reconnus,
par un traité de protectorat et d'alliance
toujours valide et qu'aucun acte officiel n'est venu
dénoncer( . . . ) seuls maîtres de tout le pays?
On voit facilement,
Monsieur le Président,
qu'il y a
jamais eu de possesseurr de terres autres que nous et
que tous les habitants ont reçu la moindre parcelle.
Nous seul pouvons départager les parties opposés et ce
droit nous le tenons de nos ancêtres,
les illustres
Tounka de Tuabou qui encaissaient les redevances
coutumières . . . ».

1
~
1
- 234 -
1
1
1
Voilà en substance les faits clairement exposés par cette
~~il
lettre.Mais il Y a avant d'aborder la phase judiciaire du règle-
1
ment de ce conflit une remarque à faire qui dépouille les asser-
i
~
tions du chef de village de Mudeeri de toute véracité:
s ' i l est
1
vrai qu'en 1886 après la défaite de Mamadou Lamine,
le Commandant
1
du Fort de Bakel a distribué des terres aux Njaay alliés des
l
l
français.
Mais la distribution n'a concerné que les terroirs et
1j
les Njaay de Bakel.
1
Juridiquement les terres situées sur le terroir de Mudeeri ne
11
pouvait faire l'objet de partage,
(malgré les représailles subies
1
1
i
par presque tous les villages qui ont soutenu le marabout),
parce
que en 1886 le Goy était encore indépendant el) vertu du traité
1
de protectorat et d'alliance du 19 Août 1858.
Le Goy indépendant
1
j
ne fut annexé et devenu territoire français qu'en janvier 1887.
J
~
L'affaire qui les a opposés à propos de ces terres de décrue
1
l
a été jugée en première instance par le tribunal du 2ème degré de
J
Matam en date du 31 juillet 1951, qui a donné raison aux Njaay de
l
Mudeeri.
Ce jugement a fait l'objet d'un appel devant le tribunal
colonial d'appel du Sénégal à Saint-Louis,
en date du 4 janvier
1
î
1952
(41) qui a infirmé le jugement du tribunal de Matam.
« ... attendu notamment qu'une tentative infructueuse de concilia-
tion a été faite à la barre du Tribunal colonial d'Appel de
Saint-Louis dans son audience du 2 novembre 1951 .. Au fond:
1
j
attendu qu'il résulte des documents de la cause qu'une con-
vention a été régulièrement souscrite entre les parties le
21 janvier 1950 dans les formes prescrites par la législa
tion en vigueur;
qu'il n'est pas contesté que cette conven-
tion souscrite en présence du chef de circonscription nIa
été imposée aux uns comme aux autres,
ni par ruse,
ni par
violence.
1
j
41- Affaire Konko Golla BATHILY cl Diaguily N'DIAYE.
Extrait des
minutes du Greffe du Tribunal Colonial d'Appel du sénégal.
N° 4 du registre.
4 janvier 1952 ; nous avons tiré ce
1
document des archives personnelles de Ciré Goudia BATHILY.
l1j
1
!

- 235 -
Attendu que cette convention a reconnu Konko BATHILY descen-
dant des Tounka de Tuabou propriétaires originaires,
le droit
de propriété coutumier sur le terrain de Sogoné ; qu'il échet
de dire et juger que cette convention a force de loi entre
les parties et qu'elle doit être respectée par toutes celles
qui l'ont signée.
Par ces motifs
: le Tribunal infirme le jugement dont appel
et faisant droit à la requête de Konko BATHILY, d i t :
10) que les N'DIAYE n'ont aucun droit sur le terrain de sogoné.
2 0 ) que Konko BATHILY possède sur ce terrain le doit EMINENT
prévu par la coutume ... »
(42)
Cette espèce du Tribunal Colonial de Saint-Louis fut d'une
grande importance pour l'une des pôrtif':-s,
~l f;avoir Tiyaobu car
elle lui a permis de S~ replacer d2ns fa pOfi~ion de naitre de lb
terre et a empêché en même temps de créer l'émulation au sein des
autres villages dont les terroirs étaient enco]-e sous la tutelle
des BACILI, principalement Gallaade vaifin de Mudeeri qui risquait
de réactualiser ses prétentions de 1931 e11 s'appuyant cette fois
sur l'administration et la justice colonial~s. Parce qU'en 1950,
l'Administration coloniale était un interlocuteur incontourn~ble
en matière de règlement des conflits foncierf qui survenaient
entr.e viII ages. Aprés l'écbec des "pô labre E" à Tl ya ô.bu avec
les spécialistes du"cadastre" sonin}.e du Goy f
l')I,c}lninistrat.ion
restait la seule voie de recours pour évitEr,
COIDffie
à Gallaôde,
l'effusion de sang.
Mais il faut avouer que ces deux conflits ne relevaient pas
1
des mêmes contextes poli tiqlle,
écol~omique et E:ocial,
ce qui marque
j
des différences dans leur processus. Les Bacili En 1931 avaient
1
relativement assez dE' force pour régler eux-mêmE' les différends
1
:J
!
42-Ce droit éminerit dont parle le jugement n'est pas à prendre
dans le sens du code civil.En droit traditionnel,il n'y a
pas de droits éminents et dE' droits utiles;il n'y a que le
1
droit du maitre de la terre et les droits de culture.
J
1
J
1
i
..-.-,.

- 236 -
en matière de terres.
En 1950 on était au bout du processus de
dégradation de cette formation politique puissante qui s'était
amorcé d~s le 19è s.
si le chef de canton honoraire a demandé
justice au pouvoir colonial, ce n'était pas seulement pour éviter
l'effusion de sang mais parce qu'il ne pouvait plus par la force
amener les N'DIAYE de Mudeeri à accepter ces droits qui datent de
l'installation du pouvoir Bacili au Gajaaga.
Le recours à la justice était d'une telle nécessité que les
parties dans cette affaire n'ont pas hésité à aller jusque ~evant
la Chambre d'Annulation de l'AOF qui,
par un arrêt du 23 juillet
1953
(43)
a confirmé celui du Tribunal d'Appel de Saint-Louis du
4 janvier 1952.
«
...'Sur le quatrième moyen:
tiré du défaut
d'énoncé de la coutume dans la décision rendue et la violation
de l'article 85.
,"
Attendu que le Tribunal Colonial d'Appel,
s ' i l n'a pas énoncé
la coutume a basé sa décision sur une convention expresse con
clue entre les parties le 21 janvier 1950 et dans les formes
prescrites par la législation en vigueur,
que dès lors,
le tri
bunal constatant que cette convention était régulière et faisant
ainsi la loi des parties, n'avait pas à l'écarter pour recher
cher la coutume applicable; qu'il n'a donc violé aucune dispo
sition de la loi ... Dit et juge que l'arrêt du Tribunal colonial
d'Appel du Sénégal séant à Saint-Louis en date du 4 novembre mil
neuf cent cinquante deux sortira son plein et entier effet ».
Comme on le voit,
à une certaine période de l'histoire du Goy,
les maitres fonciers pour renforcer leur autorité firent appel
à la justice coloniale. Mais le recours à la justice ne signifiait
pas pour eux la supériorité de la logique coloniale de règlement
des conflits fonciers,
mais c'était seulement pour utiliser
43- Affaire consorts Diaguily N'Diaye cl consorts Konko Golla
Bathily.
Extrait des minutes du Greffe de la Cour d'Appel
de Dakar:
Chambre d'Annulation de l'AOF,du 23 juillet
1953 ;
n048.

-. 237 -
1j
!i
une force publique dont ils ne disposaient plus
(44).
Nous avons
j
1
entrevu à travers ces espèces les différents acteurs qui
inter-
1
viennent dans les conflits fonciers.
Il serait interessant pour
1
l1
cette première phase historique du Goy,
d'étudier les mécanismes
1
1
de règlement des conflits ainsi que les différentes instances et
i
t
le poids des décisions.
1
i
1
J
III- MECANISMES DE REGLEMENT DES CONFLITS FONCIERS.
1j
j
A travers les différents types de conflits que nous avons
lj
1
analysés et l'issue qui leur fut donnée,
on perçoit facilement
1
i
l'existence d'un dualisme juridictionnel.
Ceci est surtout vrai
1
de la période coloniale où l'on assistait sur le terrain des con-
!
1
flits à la rencontre de deux cultures juridiques. D'une part le
1
1
droit traditionnel qui servait surtout aux maîtres fonciers pour
pérenniser leurs pouvoirs sur la terre et sur les détenteurs de
1~j
droits de culture, d'autre part le recours à la justice coloniale
1
par ceux qui,
généralement étaient exclus de la détention foncière
1
traditionnelle.
Les espèces que nous avons analysées montrent en
1
général que les recours au tribunal étaient le fait d'anciens
t
serviteurs et de simples cultivateurs.
1
j
Nous n'entendons pas le dualisme juridictionnel dans le sens
1
donné par Norbert ROULAND, quand il écrit(45)
: «
d'une part les
juridictions indigènes étaient des créations du législateur ou
résultaient de l'octroi par les autorités coloniales de pouvoirs
nouveaux aux chefs traditionnels.
44- C'est aussi le sentiment de Kunda Guja BACILI de Tiyaabu
pour qui les BACILI ont compris assez vite qu'il fallait
jouer avec la nouvelle force en présence pour conserver
ce qui pouvait l'être,
surtout la matière foncière.
Enquêtes de juin 1988 dans le Goy
j
45- Norbert ROULAND : Anthropologie juridique op.
cité p.382
j
j
1
1

- 238 -
Par ailleurs,
l'option de juridiction ne pouvait s'exercer
qu'en faveur de juridictions modernes. De plus, par la voie
éventuelle de l'appel,
le conflit d'abord porté au niveau
coutumier pouvait .se trouver régler par l'instance de droit
moderne devant laquelle l'appel est porté.»
Si cette affirmatjon est vraie dans un contexte plus actuel,
elle
ne peut se vérifier dans l'histoire des conflits soninke car le
dualisme juridictionnel ne signifie pas dans notre contexte exis-
tence d'une hi~rarchie entre juridictions, avec appel contre les
décisions de l'une devant l'autre.
Le dualisme juridictionnel
1
t
signifie seulen!E:-nt ]' existence dE:- deu}<: types de juridiction:: que
nous appelons instances:
la juridiction villageoise avec ses dif-
1
férentes sous-instances et la juridiction coloniale qui ne répon-
dent pas de la même logique.
Les tribunaux coutumiers créés par lE
colonisateur et les pouvoirs donnés à certains chefs traditionnels
j
fabriqués par les autorités coloniales sont à ranger dans les
juridictions de droit moderne.
L'échec des instances villageoises
pt le recours à la justice coloniale n'est pas un appel,
car il ne
1j
peut y avoir logiquement appel que quand les deux juridictions
rel è v E: n t
du mÉ n: e m0 d È' ] e.
Le r e c (; urE a u x j uri die t i 0 li sin d i g è ne S 01.1
1
de cercle n'est qu'une autre forme de règlement du conflit quand
1
on se place strictemEnt sur le plé,n deE; intérêts de ceux qui le
i
faisaient.
Le dualisme ici constituait seulement la possibilité
J
pour les protagonistes de saisir l'une ou/et l'autre des juridic-
1
tions, parce qu'il arrivait qu'un litige ne fut pas éteint par la
]
juridiction coloniale et que les protagonistes trouvent la
solution dans les "palabres", dans le ventre du village ou du
jamaane. Ce qui est vrai et ROUL~ND le dit,
c'est que le recours

;
1
- 239 -
1
~
à la justice étatique est fréquent quand il semble être le pro-
1
i
1
longement de la justice coutumière.
c'est surtout le cas des
1
!
tribunaux indigènes dont la composition et la recherche du
1
1
"respect des coutumes" semblent être la continuation des instances
1
villageoises.
1
,j
Les formes de résolution des conflits en général,
des
1
l
conflits fonciers en particulier dépendaient du niveau auquel
1
~~
!"
le conflit intervenait:
niveau familial,
niveau villageois et
.~
niveau inter-villageois car ceux qui avaient intér&t à la résolu-
1
tian du conflit cherchaient un accord d'abord au lliveau le plus
i
}j~
facilement accessible.
Et les solutions sont acceptées soit par
'3
ilj
la crainte:
des ancêtres,
de la réprobation générale ou par la
1
l
crainte de la force symbolique ou réelle des médiateurs du con-
1
flit,
car si les COllflits produisent des rapports sociaux ils ne
1
les reproduisent pas.
De plus le conflit et son règlement parti-
1j
cipent des régulations sociales et de la légitimation de certains
pouvoirs. Ainsi la violence sera maintenue à l'écart tant que les
1
relations seront circonscrites dans les jeux relationnels connus.
Le dualisme juridictionnel (juridiction villageoise et juridiction
1
étatique)
était pendant la période coloniale surtout dU au fait
qu'à un certain moment donné les villageois,
même ceux qui avaient
1
intérêt à la perpétuation du système traditionnel,
ont écarté
1
1
leurs propres modes de régulation des conflits,
tant du fait de la
1
transformation des jeux relationnels que de la dévalorisation des
pouvoirs,
sans toutefois toucher au système coutumier des valeurs.
1
ll
1
1~
1

- 2«> -
cependant les processus anciens de régulation restaient largement
utilisés car ils garantissaient la pérennité des relations socia-
les essentielles de la société.
Les médiateurs dans les conflits
fonciers et les gens de coutumes
(artisans,
artistes,
anciens
captifs)
ont toujourE été et sont toujours sollicités pour le
règlement des conflits.
Dans la logique moderne,
bien qu'elles
imposent leurs solutions par la force,
les juridictions étatiques
(Tribunal
de Subdivision,
Tribunal de Cercle)
renforçaient plutôt
1
les divisic)I1E.
ElleE ne E;oignaient pas la "maladie" car dès l'ins-
i~
i
tant que le conflit Eortait du cadre familial ou villageois
il
1
j
J
était censé être connu de tous et dès lors il prenait des allures
1
de "catastrophe" car lef' sonin~;E:
j
S ' étonnaient
toujours qu'un dif-
!
fér~nd füt porté au "Tribuniü ".
J
:l
J
si devant la juridiction étatique coloniale les acteurs du
1
1
conflit se réduisaient
au Préfident du Tribunal et à ses asses-
1
seurs censés connaitre les coutumes des parties,
la procédure
1
devant cette juridiction ~tant écrite et la preuve testimoniale
i
la plus usitée,
donc une formule très simplifiée,
il n'en allait
pas de même devant la juridiction villageoise.
Tout dépendait du
1
niveau du conflit.
Dans le cas de conflit entre collatéraux ou
1
entre pères et fils
(classificatoires)
les acteurs intervenant
!
1
dans le règlement sont avant tout les membres mâles de la famille,
l
les vieilles personnes,
certains conciliateurs officiels tels que
l
les naxamala,
les marabouts ou les familles alliées.
Le type de
1
règlement du litige est la conciliation,
l'appel à la raison,
sans
f
toujours aller jusqu'~ rappeler l'origine des droits que tout le
monde dans la famille est censé connaître.
1
1
1

- 241 -
Par contre les litiges entre familles ou maitres fonciers
et cultivateurs au sein du village sont portés devant la juridic-
tion du chef de village composée des notables nobles,
les
jagarafu (grands serviteurs et contrôleurs fonciers)
ainsi que les
mangu
(courtisans,
chefs de guerre).
(46)
Les mangu sont réputés
être les conciliateurs entre les segments claniques de tunkallemmt.l,
et avec les
jagarafu ils sont les spécialistes du cadastre tradi-
~*
tionnel.
La proc~dure ne se limite pas,
comme pour la famille à
1
i
une simple tentative de conciliation.
Les spéCIalistes du droit
l
*1
foncier,
à l'occ2sion d'un conflit rappellent l'origine des droits
l
par des faits et évènements historiques et par les généalogies des
!
1
familles en confli t
(danrJE:'),
avant. de lepl acer les droi ts de chacun
1
dans leur contexte et au besoin,
décrivent les limites visibles ou
non de chaque terrain.
Cette procédure a souvent l'avantage de
1
convenir aux parties car le consensus qui se fait autour d'elle
;,1
Î
crée la crainte de sa violation et de la réprobation générale.
1
,
Le plus souvent ceux qui s'adressaient à la juridiction coloniale
j
se mettaient en marge du groupe,
sauf si c'est l'instance villa-
f
geoise elle-même qui en l'absence de solutioll conseillait aux
j
j
parties de s'adresser au "Commandant",
Même le relais du
l
"Commandant" à savoir le chef de canton voyait les conflits lui
échapper car portés devant l'administration
(47).
Le dernier
1~1
1
46- Pour les différentes catégories sociales en milieu soninke
du Goy voir CH.
2,
voir aussi TRAORE
(S.)
1985
: corpus
soninke,
WEIGEL 1982
: Migration et production domestique
POLLET et WINTER : La société soninke ;
et la Thèse de
1
BATHILY (A.),
op.
cités.
47- Il serait intéressant d'étudier les relations entre les
1
chefs successifs du Canton et la chefferie traditionnelle
i
du Goy:
ce sera l'occasion de montrer la position ambigUe'
et inconfortable de ces chefs "fabriqués" par rapport à
l'Administration et par rapport. au Tunka de Tiyaabu.
1
1
iJ
1
1
1
1

- 242 -
niveau de
juridiction coutumière se situait à l'échelle du
Jamaane
:conflits entre villages ou entre familles d'un village
donné autre que Tiyaabu.
L'instance suprême de conciliation et de règlement des
conflits fonciers était la "cour" Tunka à Tiyaabu,
car c'est de
là qu'étaient partis et que se définissaient tous les droits fon-
ciers du Goy.
Tiyaabu a joué ce rôle en tant que capitale du
Gajaaga et plus récemment en tant que chef-lieu du Canton du Goy.
Avant la partition du Gajaaga au 19è siècle,
les litiges fonciers
étaient portés au Kafundo,
assemblée des royaux qui était 1&
véritable instance dirigeante du royaume.
Le Tunka n'avait que des pouvoirs limités.
Après la scission,
ces types de litiges étaient portés devant le Tunka du Goy.
Mais
il y avait toujours au préalable une tentative de règlement par
les jagarafu et les notables chargés des contestations des terres.
Le rôle du jagarafu était fondamental dans le processus de régle-
ment des conflits à l'échelle du Goy.
(48)
Les
jagarafu, maîtres
de la terre avant leur asservissement par les BACILI avaient pour
fonction de contrôler les terres.
C'est ainsi qu'en raison de leur
anc ienneté dans le pays,
se] on BATHILY,
on avait souvent recours 6.
leur témoignage dans les litiges fonciers.
Mais cette fonction qu'ils jouaient au 19è siècle et qu'ils
jouent encore ne s'explique plus par leur ancienneté dans le pays
elle devient un art qui se transmet de père en fils.
Parce que
l'installation et l'histoire des terres familiales et villageoise
48- BATHILY (I.D)
1969
: L'ancien royaume du Gajaaga.
op.
cit.
p.71

j
- 243
du Goy remonte d'assez loin pour que les jagar&fu aux J9è et 2üès.
1
1
tirent leurs connaissances du domaine foncier du fait de leur
l
ancienneté.
Il s'agit simplement d'un rôle social et politique
i
assigné à certaines familles en raison de leur condition sociale.
Ce rôle leur procure des avantages sociaux et économiques et même
1
une position parfois enviable en manière foncière,
parce que le
1
contrôle des terres du royaume était entièrement entre leurs mains.
1
Les mangu
(les Jallo de Mannaayel pour Tiyaabu,
les sibi pour les
~
1
Sumaare de Yellingara,
les sek pour les Njaay de Mudeeri et les
Gujam pour les Bacili de Gallaade)
interviennent en matière de
conflit foncier entre leurs royaux locaux.
Au cas où le conflit n'est pas réglé au niveau local,
il est
'1
porté devant le Tunka de Tiyaabu en présence de l'assemblée des
1
notables des différents villages qui lui sert de conseil.
La même
1
procédure que celle entre groupes statutaires ou familles est
1
suivie sauf que le nombre d'acteurs impliqués est plus élevé.
Aprés l'exposé de l'affaire par les parties ou leurs porte-
1
paroles le conseil délibère avec la voix prépondérante du Tunka.
Le second niveau du conflit foncier dans le Goy est celui
qui se situe en dehors de l'entité territoriale du jamaane.
rI
s'agit du conflit entre jamaanu différents ou entre groupes
ethniques différents évoluant dans des espaces socio-politiques
distincts.
L'on pense plus souvent à ceux entre cultivateurs et
éleveurs mais comme le Goy est cultivateur les conflits ethniques
ne pouvaient les opposer qu'aux éleveurs de la rive droite.
On
pourrait peut-être,
avancer des hypothèses explicatives au conflit
actuel entre le sénégal et la Mauritanie.
1
J
~
\\
Î
1
1
\\

- i44 -
IV-LES CONFLITS FONCIERS ENTRE JAMAANE:UNE TENTATIVE
D'EXPLICATION DU CONFLIT SENEGALO-MAURITANIEN PAR
QUELQUES LITIGES FONCIERS.
Notre but à la fin de ce chapitre consacré aux conflits
n'est pas d'étudier de façon exhaustive les causes du conflit
sénégalo-mauritanien qui s'est déclenché sur le Dunde Xoore à
Jawara.
Ce point ne se veut qu'une modeste contribution à la com-
préhension d'un problème à dimensions m\\lltiples,
dont la dimension
foncière.
Le foncier à lui seul ne pourrait peut être permettre de
comprendre ce conflit,
mais il C(lnftjtue l'. notre avis un deE
éléments par lef:~quels, historiquement en peut tenter dE' si tuer
la question.
Les évènements d'avril
198~ ne E21\\lë.iE'nt être de:'" fajts
spontanés et isolés dans l'histoire de la vallée,
mais découlent
d'un processus historique qui s'est enclenché avec la pénétration
coloniale dans cette partie du Sénégal.
En outre,
nous n'avons pas
la prétention d'étudier d'une manière globale tous les conflits
survenus entre rive gauche et rive droite,
ce qui déborderait le
cadre de ce chapitre et m~me de cette l-ecLercLe.
Nous ne nous intéresserons,
avec des cas concrets,
qu'à la
zone soninke du Goy inférieur,
en laissant à d'autres tout ce qui
a pu se passer du côté du Kammera,
du Hayre et du Fuuta.
Nous ne
reviendrons pas non plus sur les évènements m~me qui ont déclen-
ché le conflit de Jawaril et qui ont f&it
l'objet d'une littérature
abondante dans
la presse.
Ce qui nous importe ici c'est de voir en
quelques lignes cOll1ment dans le passé lE's deux rives du Sénégal
dans l'espace du Gpy ont géré leurs rapports.

- 245 -
Ces rapports SE situaient à deux niveaux : au niveau de
deux entit?s territorial~s crées par l'administration coloniale,
et au niveau ethnique et statlltaire entre agriculteurs soninke
maîtres fonciers et éleveurs peuls sédentarisés qui aspiraient
depuis le début du Ei~cle au contrôle des terres de cultures et
des pâturages de la rive droite.
Ce qui semble être un conflit
frontalier existe depuis le début du siècle car l'adminisration
coloniale avait d~cidf depuis cette époque que le cours principal
du fleuve marquait la limite entre les deux territoires coloniaux
du Sénégal et de la M5uritanie,
(49)
placés sous domination fran-
çaise.
]1 est certain alors que les enjeux fonciers depuis longtemps
créent des litiges frontaliers
de grande envergure car ils ont
toujours été ~ la mesure des imbrications fonc:ières et territo-
riales d'origine anciennes et aussi,
selon LERICOLLAIS et
BECKER (50)
« .... des mobilités transversales des populations
riveraines conduisant à l'exploitation des terres,
des eaux et des pâturages de la Vallée et de ses
bordures,
de part et d'autre du fleuve » .
Il n'est pas contest~ble, pour les riverains du fleuve,
du côté
1
1
du Gajaaga en tout cas, que le fleuve n'ait jamais constitué
1
une frontière entre deux parties d'un même territoire.
j
Dans l'histoire le fleuve a toujours représenté un axe de
1
circulation et de polarisation au centre d'espaces agro-pastoraux,
1
1
économiques et politiques.
Les terres et les eaux de la vallée
j!j{
49- A preuve,
c'était les mêmes administrateurs qui passaient du
l
cercle de Bakel à celui de sélibaby sur la rive droite:
SAINT-PERE et COLOMBANI par exemple.
GADEN aussi a servi au
sénégal d'abord avant de devenir Gouverneur de la Mauritanie.
1
1
50- BECKER (Charles) et LERICOLLAIS
(André)
1989: Le problème
1
frontalier dans le conflit Sénégalo-Mauritanien.
Politique
1
Africaine n035.
Paris.
KARTHALA,
octobre 1989.
j
1
~1
1
1
l
î
1

- 246 -
13utorisai E-nt unE' agr.icul ture sédent.aire et. sont. toujours le lieu
d'affrontements,
de migrations et d'exode.
On sait aussi que le
fleuve est devenu un axe majeur de la pénétration européenne aux
XVIIè et XVIIIè siècles.
A la fin du XIxè s.,la plaine riveraine
en rive droite à l'aval de Bakel
(Goy)
était politiquement sous
le contrôle de la France qui a érigé la Mauritànie en colonie et
institué le fleuve comme limite des deux territoires.
La présence des maures s'était accentuée sur le fleuve
aux
18è et 19è S.,
surtout pour le contrôle du commerce de la gomme.
contrairement au nord
(Fuuta et. Waêilo)
les maures n'ont pas eu
jusqu'à une période récente de prétentions sur le contrôle des
terres du Gajaaga;
ce qui
fait que le cours du fleuve ne consti-
tuait qu'une limite administrativE' elltre territoires soumis à la
Il1ême domination.
Au début du siècle,
tout le long de la rive droite,
côté Goy,
on assista à l'implantation de villages de culture par les popula
tians soninke des différents villages de la rive gauche du Canton,
~arce que les terres de la rive droite étaient infiniment plus
vastes et plus fertiles pour la culture sous-pluies.
Il existe
aussi sur la rive droite,
face
au Goy,
de grandes cuvettes qui
étaient exploitées par les soninke.
De plus les soninke n'avaient
jamais le sentiment de s'installer sur les terres d'autrui sur la
rive droite qu'ils ont toujours
considérées comme leur appartenant.
A cette période ils n'avaient pas rencontré de difficultés.
Mais cette situation ne pouvait durer à cause des prétentions des
èleveurs peuls sur ces terres dont les potentialités agro-pasto-
l'ales étaient énormes.

j
- 247 -
1
1
1
,
Les éleveurs hal pulaar de la rive droite du Goy fuyant pour
1
la plupart le Fuuta voisin et le Ferlo se sont d'abord installés
l!
îl
autour des différents villages soninke,
entretenant des rapports
1
naturels entre éleveurs et cultivateurs,
surtout pour la fumaison
1
1
des champs aprés la vaine pâture.
selon nos informateurs et la
1
~
tradition les limites des avoirs fonciers du Tunka du Goy s'éten-
.~
daient jusqu'à Ndiéo,
à peu prés à une cinquantaine de kilomètres
du fleuve,
sur la rive droite
(51).
Ces droits furent à un certain
moment reconnus par l'administration coloniale, mais juridiquement,
(selon bien entendu la logique du droit colonial)
les Bacili du
Goy ne pouvaient plus exercer leur souveraineté sur des terres qui
désormais faisaient partie du territoire administratif de la
Mauritanie.
Dés le début du siècle la volonté du colonisateur français
fut manifeste d'instaurer sur le fleuve les limites définitives
entre le Sénégal et la Mauritanie,
ce que les peuls de la rive
droite ont compris assez tôt.
Les maures ont développé leur com-
merce de la gomme avec le comptoir du Galam et ont aussi pratiqué
la razzia tout le long du fleuve en vue de se procurer des escla-
ves
(52)
(aucun village ne fut épargné).
51- Ces possessions ne découlaient nullement du decret de 1933,
car avant cette date les différents administrateurs des deux
territoires avaient imposé les limites actuelles.
L'histoire
du Gajaaga nous apprend que la plupart des villages du Gidimaxa
riverains du fleuve avaient été soit donnés soit vendus par les
Bacili:
tels .que Di~guilY, Mullisi~o et Joogunturo.Voir BATHILY
1969( op.
Clt. p.9~
52- Certains villages comme Mannaayel par exemple ont changé de
site pour échapper aux incursions maures à la baisse des eaux(
pour s~établir à des endroits oü le fleuve n'avait pes de gué(
afin de mieux contrôler les mouvements des maures.
1
1
i1
1
1
1

- 248 -
Mais à notre connaissaJlce,
jamais ils ne furent impliqués
directement dans les conflits fonciers entre les deux rives.
Ce
qui ne signifie pas qu'ils n'aient pas joué un rôle important dans
le déclenchement du conflit actuel.
Le cadre des conflits fonciers qui ont secoué le Goy a été
clairement posé par ltne convention du 17 mars 1922 passée entre
les administrateurs des cercles du Guidimakha
(Mauritanie)
et de
!
Rakel
(Sénégal)
concernant les droits et devoirs des habitants dIt
j
J,
Cercle de Bakel allant cultiver les terres situées dans le Guidi-
11
rnakha.
Cette convention découlait de la contestation des droits
1
~1
des Bacili sur Jes terres de la rive droite et entendait prévenir
î
1
~
t
les futurs conflits qui risquaient d'y éclater entre cultivateurs
J
~
,
soninke et peuls de la rive droite.
De maîtres de la terre,
les
l
i,
1
Bacili furent rabaissés au rang de simples détenteurs de droits de
1
~1l
culture.
l!l
L'exploitation par eux de nouveaux champs fut subordonnée
1
;
à une autorisation administrative.
Ainsi toutes les conditions
Jl
furent réunies par cette convention pour des contestations futures
1j
de terrains et l'éclatement de conflits,
car elle créa déjà en
!
1922 le sentiment pour les peuls de la rive droite d'appartenir
à un espace différent du Sénégal,
donc la possibilité de disputer
1
i
les terres et les droits aux habitants de la rive gauche.
Pour
1
1
l
mieux comprendre le processus,
nous reproduisons quelques extraits
l1i
de la convention
(53).
t
53- Convention du 17 mars 1922,
sous le n056,
passée entre
GADEN,
Gouverneur de Mauritanie,
l'Administrateur du
Cercle de Guidimakha à Sélibaby et l'Administrateur du
Cercle de Bakel,
signée à Bakel.
Le texte nous a été
fourni par Ciré Goudia BATHILY,
tiré de ses archives
personnelles.

- 249 -
1
«
Ce jour d'hui dix sept mars mil neuf cent vingt deux,
en
présence du Gouverneur de Mauritanie,
les administrateurs
des cercles de Bakel
(sénégal)
et Guidimakha (Mauritanie):
l°)-les habitants du cercle de Bakel cultiveront comme
par le passé les terres qu'ils possèdent sur la rive
droite du sénégal,
et en particulier sur la rive
droite du marigot de Korkoro,
Nord-ouest de Faitasse
Boutandan
(54)
(à une vingtaine de kilomètres sur
la rive droite, nord-nord est du Goy).
2°)-les habitants du sénégal pourront obtenir la jouissan-
ce de terrains nouveaux en Mauritanie.
Lorsqu'un ou
plusieurs cultivateurs du Sénégal voudront la jouissan-
ce de nouvelles terres dans le Guidimakha ils demande-
ront à l'Administrateur de Bakel Ull laisser passer ou
i
une carte d'identité. Munis de l'une ou de l'autre pièce
ils se présenteront à l'Administrateur de Guidimakha qui
,
recevra leur demande,
fera l'enquête nécessaire, et si
j
i
le terrain est bien libre,
c'est- à-dire s ' i l n'appar-
tient à personne définitivement ou aucun droit de jouis-
~i
sance temporaire n'existe,
le terrain demandé sera
prêté
(souligné par nous) pour une période de cinq
ans aux cultivateurs du Cercle de Bakel. Acte de prêt
1
est enregistré à sélibaby oü Ull registre est ouvert à
!
cet effet.
1
Cet acte spécifie:
a-) que les droits des terres sont
i
réservés;
b-) que le prêt pourra être renouvelé tous
1
les cinq ans sans que les détenteurs puissent trans-
former le droit de jouissance temporaire en propriété
1
définitive.
c-) que le droit de jouissance pourra
être retiré aux bénéficiaires dans le cas oü ils
contrviendraient aux règlements en vigueur dans le
Guidimakha ou si la colonie avait besoin de terrain
sans que ceux-ci puissent prétendre à une indemnité
1
quelconque pour frais de mise en valeur ou autre.
si le terrain demandé a un propriétaire définitif
ou temporaire,
aucune suite n'est donnée à la
demande formulée et l'Administrateur de Guidimakha
1
en informe les demandeurs par l'intermédiaire de
leur Administrateur.
Une fois le terrain prêté,
si un tiers se présentait
et réclamait le terrain il sera invité à en faire
1
la preuve par le Tribunal de Subdivision de séli-
4
1
baby seul compétent si les droits du réclamant sont
1
connus,
ils sont confirmés par la sentence du Tribu-
i
nal et la terre est rendue séance tenante à moins
qu'elle ne soit ensemencée dans lequel cas la ques
tion est réglée conformément à la coutume locale.
si au contraire il est prouvé que le réclamant n'a
auncun droit sur la terre en litige,
le Tribunal
de Subdivision prononce son jugement en concluant
tout simplement que la terre est sans maître et
54-Les niinegumu du Goy avaient sans doute compris dans ce premier
point la reconnaissance et la consolidation de leur maîtrise,
ce qu'ils affirment encore. En fait,
ils ne sont pas reconnus
comme maîtres fonciers mais comme tegumu.
Le découpage adminis-
tratif à mis fin à ces prétentions.

- 250 -
d(~ ce fait lE:' prÉ:t fait am: cult.ivatEJurs du cercle de
J~akel suit son cours normal comme s'il s'agissait d'une
terre non contest~e.
3°)-les cultivateurs de Guidimakha propriétaires sont
libres de passer avec ceux du sénégal venant cultiver
vn Mauritanie les conventions qu'ils voudront au sujet
de prêt ou de location de terres leur appartenant . . . . .
6°) -Pendant toute la saison des cultures. les ressortis
sants du cercle install~s provisoirement en Mauritanie
et ceux qui demeurent dans ces villages de culture se
trouvent placés directement,
tout comme les habitants
sédentaires du Guidimakha sous l'autorité de l'Adminis
trateur du Cercle de Guidimakba qui
communique avec eux
pour tout ce qui Est relatif b la bonne application des
réglements en vigueur en Mauritanie,
la police etc . . . . .
BO)-Aprés les récoltes vers le 15 janvier les cultivateurs
venus en Hauritô.nie pendént l'ldvE-rnagE:' peyt·'l- y cultiver
repaS8eront au S~n~gal e~ emportant avec eu~ le fruit de
leurs récoltes
.
Fait à Bakel et signé les
jour,
mois et an que dessus».
Le texte de cett.e c('Lvention est é'.f:SE'7
clair surtout à certai)"";,;
endroits:
par exem~]e qu'il ne puisse se créer de droits nouveaux
sur les sols de la rive droite,
sauf la possibilité de pr&t de
champ.
Aussi les tenures que la convention appelle droit défini-
tif ne constituaient pas une mait]-ise
foncière sur un ensemble ou
un espace plus ou moins vaste comme sur la rive gauche,
avec
possibilité de créer des réserves,
mais seulement le droit que
chacun exerce sur son champ.
Sur ce plan on peut dire que la
lettre de la convention a ccnsolidé les droits des anciens maitres
fonciers sur leurs champs,
donc tout l'espace cultivé par
plusieurs villages de culture sur la rive droite en face de
Tiyaabu,
Mannaayel,
Yellingara et surtout Jawara,
sur lesquels
ils pouvaient prélever des redevances.
La convention du 17 mars
1922 n'a pas remis en cause le principe des redevances foncières.

- 251 -
Cette consolidation des droits fonciers sur certains champs fut
rappelée dans une lettre
du 8 octobre 1946 adress~e au Chef du
Bureau Economique à saint-Louis par I.D BATHILY, Chef du Canton
du Goy,
è propos de contestation de terrains par les peuls sur la
rive droite
(55)
« ... d-la convention du 17 mars 1922, entre la Mauritanie et
les riverains de notre canton,
a reconnu nos droits sur la
Mauritanie
(Guidimakha)
jusqu'à Testayé et Boutenda,
alors
contestés».
~
l
L'autre rEmarque a trait à la possibilité du retrait des
1
1
champs en cas de contravention ô.u>: réglE:IT!E::nts en viguE::ur au Guidi
î
ffi~kha. Sur CE' pc~nt
le texte n'8ft pa~ clair car il De dit pas de
1
1
quels règlementE il s'agit. Il constituE 81nsi la porte ouverte à
-~1!1i
toutes sortf"S dE' rpclamations pour no:} r12srec'c dEf; règles,
ce qUE
1.
les peuls n'ont pas hésité à faire à chaque fois qu'ils avaient
1
l'intention de prendre un terrain.
Le tribunal compétent étant
f.~
l
celui de sélibaby,
celui-ci n'avait jamais hésité à protéger ses
l.1
"ressortissants" contre ceux que l'on considérait déjà comme des
~
l
',~
~trangers. En outre une clause de la convention,
celle "d'expro-
~
priation pour cause d'utilité publique ou ('intérèt général" au
profit de l'Administration et de ses serviteurs les plus zélés,
leur permettait de violer les droits fonciers des Te Gumu, même
ceux qui avaient un "droit définitif" sur le sol qu'ils culti-
vaient. Mais la convention entendait aussi,
on le voit dans le
texte, protéger les"sénégalais"cultivant en Mauritanie en leur
55-Rappelons que les litiges ü'avaient jamais lieu entre soninke
1
car il n'existe aucun village soninke en face du Goy,
sur la.
rive droite à moins de 40 k~s à l'intérieur, contrairement au
l
Kammera oü chaque village a son jumeau soninke sur la rive
droite. En aval de Bakel,
à part les villages de culture crées
1
par les soninke du Goy (à 5 kms p~ur les plus proches du fleuve),
1
le premier village soninke est Wompu,
à environ 40 à 45 kms
à vol d'oiseau de Bakel,
dans le Hayre,
donc hors des limites
Ji
du Goy.
!

1
l
permettant d'emporter toutes leurs récoltes,
sauf réquisition
!
possible de la part de l'Administration pour le ravitaillement de
certains postes du nord,
imposée à eux au même titre que les culti
1
1
vateurs "maur i tan iens" . Cet te prat ique f aisai t
des paysanfî un véri-
table vivier à céréales pour les postes du nord car l'Administra-
1
tion en a fajt une sorte de redevance annuelle après les r?colte~.
iî1
Ainsi la protection des" terres de l1auritanie"
(56)
par
1
l'Administration coloniale renforça les peuls dans leurs convjc-
tions de partager les terres avec les soninke ou/et de les leur
prendre au besoin.
Ces prétentions furent à l'origine d' un certa:i_li
nombre de conflits, dont les plus connus sont ceux de Liradji,
réglés et rapportés en 1946 par l'ancien chef du Canton du Goy,
I.D. BAClLl,
et de Khorokhoro en 1961.
Pour mieux comprendre ces conflits nous reproduisons ici
l'intégralité de la lettre adressée par l.
n.
BAClLl au Gouverneur
du sénégal pour lui demander d'intercéder à la faveur des habitants
1
!
du Goy.
Les détails sont assez intéressants et permettent de voir
les causes de ce conflit,
ainsi que l'influence de la convention
1
de 1922 (57)
et le jeu de l'Administration du Cercle de Selibaby
1
en Mauritanie.
1
1
«
Tuabou,
le 31 juillet 1946.
1
Le Chef de Canton et Représentant délégué du Goye inférieur,
1
à Tuabou.
A Monsieur le Gouverneur du sénégal à Saint-Louis
j
sic Monsieur le Chef de subdivision de Bakel
(58).
!
1
56- Les anciens litiges avaient toujours trait aux champs de
l
jeeri et aux zones d'inondation à l'intérieur mais jamais
sur les falo qui étaient détenus par les différentes
familles.
Chaque village avait sur la rive droite des falo
mais ce n'est qu'il y a une vingtaine d'années que les
1
contestations avaient commencé s·ur les falo par les peuHlS
appuyés par l'administration mauritanienne par les méthodes
que l'on sait.
57- l.D. BATHILY:
L'ancien royaume du Gadiaga.
op.
cit. p.89 et s.
58- Bakel devint une subdivision du Cercle de Matam en 1932.
1111,,~
1

- 253" -
Monsieur le Gouverneur,
Nous avons l'honneur de porter très respectueusement et
trés humblement à votre haute et beinveillante connaissance
que les éleveurs de la Mauritanie ont ourdi le sourd complot
de devenir propriétaires à nos dépens,
arguant que "le fleuve
est largement suffisant pour devenir limite infranchissable".
Ces éleveurs venus de divers points du Sénégal après la
pacification de la Mauritanie,
ont rendu la vie impossible
aux riverains par d'incessantes contestations de terrains de
cultures intensives et extenvises.
Ces litiges ayant toujours
lieu au moment des travaux champêtres,
sont de nature à nuire
considérablement à notre activité et à notre tranquillité,
voire à notre aisance,
les dites contestations ayant toujours
pour conséquence l'abandon des champs litigeux jusqu'au règle
ment définitif de la question,
règlement qui tarde souvent
à intervenir,
au gré des éleveurs qui,
«n'ayant rien à perdre»
se moquent de notre «irnpujssance».
Par exemple,
en mai 1945,
à cause de l'extrême sécheresse qui
avait fait tarir les marigots et les mares,
les éleveurs de
Liradji ont demandé une piste à travers la zone d'inondation
jusqu'au fleuve.
La demande ét&nt bi_en fondée,
nous avons é:lC-
cordé une servitude de 15 mètres qu'ils ont trouvée insuffi
sante.
Sachant qu'il y avait dans leur demande quelque chose
de tendancieux,
nous avons porté la largeur à 20 mètres,
puis
à 25 mètres.
Méprisant ce passage à travers les champs,
les
éléveurs de Liradji sont all~s crier secours à sélibaby où
ils ont demandé une servitude d'un kilomètre de rayon autour
de leur village une bande correspondant au diamètre de la dite
circonférence jusqu'au fleuve.
Le 8 juin 1945, Messieurs le commandant de Cercle de sélibaby
et le Chef de Subdivision de Bakel ont dG se rencontrer à
Liradji,
avec éleveurs et cultivateurs.
Ce jour là toute notion
de propriété fut rejetée et refutée également celle de servi-
!
tude sentant l'usure. Toutefois,
une route de 31 m de large,
1
partant de Liradji au fleuve fut accordée aux éleveurs.
~
Le 9 juin,
après le départ des sénégalais,
le Commandant de
Cercle de sélibaby offrait à ses éleveurs 3 champs pendan~
1
l'hivernage et après les inonClations
; et cela à l'insu du
~l
Chef de subdivision et des riverains lésés. Après l'inondation
l
quand les riverains ont voulu cultiver leurs champs SéC\\llaires,
j
ils surent alors la vérite toute crue
: leurs champs avaient
été offerts à d'autres.
Le Chef de Subdivision avisé,
ayant
téléphoné à sélibaby pour s'enquérir a été bien informé.
Le
J
J
Commandant de Cercle de sélibaby a déclaré que «sa bonne foi
1
avait été trompée par les gens de Liradji que,
malgré tout il
1
maintient sa décision»
...
~
Une plainte des riverains a donc été adressée à Monsieur le
1
commandant du Cercle àe Hatam,
mais
jusqu'ici elle n'a pas
1
abouti ...
i
En 1946,
de mai au 25 juillet inc 1 us l es éleveurs on t
1-evendi-
1
,
qué l'ancienne terre d'un kilomètre de rayon autour de Liradji
et toute la zone d'inondation
(walo et fondé)
comprise entre
le mont de Mana~l et Diawara.
1
i
1
j
~
1
.1
1
1
1

1
- 254 -
1
Ils ont obtenu du Commandant de cercle de sélibaby un garde
1
forestier et deux gardes qui se relèvent pour empêcher les
!
riverains de CUIfiver leurs-champs. Ces gardes guidés par-les
1
gens de Liradji ont chassé les cultivateurs des trois VIllages
1
de leli"rs champs,---res battan~confisquant leurs outils et
vetements,
les in]tïriant grossièrement, et infligeant des
amendes à leur propre compte.
- -
---
Le 26 juIllet courant,
jour d'intervention des deux chefs de
1
postes intéressés (Bakel et sélibaby) Monsieur le Commandant
de Cercle de sélibaby a déclaré
: 1°) ces gens
(les riverains)
sont à punir,
leur chef en tête.
2°)
c'est sur mon ordre que
les outils ont été confisqués. Que les propriétaires aillent
1
les chercher à sélibaby individuellement.
Par ailleurs en 1942, les riverains ont pris un laisser-passer
collectif pour aller à Liradji afin de travailler la zone inon-
dable,
à cause de la sécheresse extrême prolongée.
Ils ont donc
mis le feu à des pieds de goniakés qui sont restés debout,
morts et sans ombrage. Le fait a été toléré:
car c'est seule
ment en 1945 que la liste des plantes protégées fut portée à
la connaissance des riverains par l'intermédiaire de leur chef
de canton et d'un garde remplissant éventuellement les fonc
tions de garde forestier
.
Enfin une convention provisoire nous laisse toute la zone
d'inondation;
sauf la piste de 30 m et les quatre ou cinq
champs donnés aux éleveurs de Liradji en 1926 (un centre de
i
rayonnement et pâturage pour les animaux,
en 1943, quatre
champs individuels à Guidin'Godomon.
1
Mais Monsieur l'Administrateur de sélibaby refuse tous
droits des riverains sur le diéri et a posé la question au
î
1
chef-lieu pour savoir si le terrain d'inondation est domanial,
auquel cas il le répartirait à son gré ...
Nous ne voudrions pas, pour cela,
voir nos propriétés nous
échapper pour être offertes à des étrangers intrigants
semeurs de désordre et de division,
raisons pour les
quelles plus d'un ont fui leur sol natal
.
Nous demandons très respectueusement et très humblement à la
France,
que nos propriétés sur les deux rives du Sénégal
j
soient reconnues comme étant une propriété privée appartenant
à une collectivité nettement déterminée, propriété où chacun
1
~
des riverains du Goye inférieur a sa part,
tous l'ayant tout
entier
>>
1
~
1
Cette lettre est assez éloquente et assez significative de
la situation qui a prévalu sur la rive droite du début du siècle à
1
l'indépendance. La convention de 1922 a ba~~sé le terrain en don-
i
j
nant une base juridique aux revendications des peulhs.Mais la dif-
férence entre les situations de 1922 et avant 1922 et celle de
1
1
1l1
\\

-
'255 -
1
1
1j
1
1946 est que les éleveurs qui s'imposaient de plus en plus
1
1
comme des cultivateurs se sont arrogés le droit,
avec la compli-
f
i
cité et l'appui des administrateurs de la Mauritanie,
de prendre
1
!
i1
les champs des cultivateurs soninke du Goy.
Ce n'était plus une
1
!
1
violation des droits fonciers des soninke mais la négation pure
1
et simple de ces droits,
soutenue par les moyens de la force
f
1
t
i
i
publique.
!
1
Cela conforte une fois de plus l'idée naissante selon la.
1
1
1.
f
quelle le fleuve suffisait comme frontière,
idée qui n'a pas
[
1
(
i
cessé de se développer et cré~r la situation qu~ l'on sait.
1
!1
Les conflits entre Jamaane
(entités territoriales distinctes)
j
'1
étaient réglés de deux façons
soit par la force et dans ce cas
li
le plus fort l'E'mportait,
soit comme dans cette situation penàant
la période coloniale,
l'implication directe de l'administration.
1
La convention de 1922 tout en reconnaissant et protégeant les
1
droits des détenteurs de champs sur leurs terres, (en subordonnant
i
l'exploitation de nouveaux champs à certaines conditions)
a permis
l
aux peuls et à l'Administration de la Mauritanie de profiter du
texte pour imposer petit à petit aux cultivateurs du Goy l'exis-
tence d'une frontièrE qui séparerait deux pays.
Alors que dans
l'esprit des populations il ne saurait exister de frontière à
l'intérieur de l'espace foncier qui
a toujours été le leur.
Le Chef du Canton du Goy est intervenu une autre fois,
le 8 octo-
bre 1946 pour demander au Gouverneur du Sénégal d'intervenir et
mettre des bornes aux champs sur lesquels leurs droits étaient
reconnus,
car le premier conflit est resté entier:
1
1
\\

- 256-
«
... Depuis dix-huit générations, nous avons possédé le diéri
et le oualo mauritanien du Guidimakha.
Plusieurs milliers des
nôtres y ont été tués par les maures et nombreux sont qui ont
!,
été réduits à l'esclavage, par suite de razzias.
Nul doute que
ces
1
propriétés nous appartiennent ... En 1893,
le Capitaine
COMPAGNON,
chargé de délimiter l'ancien cercle de Bakel a eu
à intervenir sur les limites de nos propriétés mauritaniennes,
1
avec les habitants de l'Aéré.
La convention dtl 17 mars 1922,
1
passée entre la Mauritanie et les riverains de notre canton,
1
i
a reconnu nos droits sur la Mauritanie
(Guidimakha)
jusqu'à
Testaye et Boutenda alors contestés.
Des contestations plus
graves par des étrangers établis dans notre propre village de
1
culture,
en zone d'inondation à Liradji,
soutenus par le
Commandant du Cercle de Sélibaby,
allaient provoquer une
1
lutte sanglante en 1946.
Le 31
juillet,
nous avons demandé
mais en vain,
le bornage de notre propriété.
Le canton a
1
dG me déléguer auprès des autorités pour le bornage immédiat
1
de ces terrains,
afin d'éviter le retour sGr ~t certain de
fâcheux incidents 00 le sang humain allait se répandre,
o~
notre activité était entravée,
o~ notre tranquillité a été
1
bien troublée ...
1
L'arrangement 26-7-46 nous a reconnus provisoirement comme
étant les cultivateurs et non les propriétaires et prévoit
une part pour les éleveurs
(pâturag~) en pleines terres
1
d'inondation ... »
(59)
11 est clair à partir de là qu'un processus irréversible était
1
f
enclenché dès le début du siècle,
pour "exproprier"les riverains
1
du Goy des terres de la rive droite au profit des éleveurs peuls.
1i
Cela prouve,
si nécessaire, que cette zone fut depuis lors une
j
zone de turbulence et cela s'est accentué jusqu'au début des
indépendances,
car il y eut un autre conflit sur la même zone
avec les peuls appuyés par les maures et l'Administration de la
Mauritanie indépendante.
Le conflit de Khorokhoro
(rive droite,
village de culture
soninke)
en 1961 s'est déroulé dans les mêmes conditions.
Selon
notre informateur,
il concernait des terres qui furent défrichées
depuis 1901 à Sagandu (village de culture de Tiyaabu) et les
paysans de Tiyaabu,
Mannaayel et Jawara s'installèrent sur le site
59-Lettre de I.Diaman BACILI chef du Canton du Goy,
en date du
18 octobre 1946,
adressée au Chef du Bureau Economique à
1
SAINT-Louis in
: BATHILY 1969:1'Ancien Royaume.op. cit. p.92
l
1

~i
- 258 -
1
1
1
continué à cultiver sur la rive droite jusqu'à la saison 1988/1989
1
1
on a constaté par contre l'accroissement des violations des droits
1
1
fonciers car les peuls avaient commencé au milieu des allnées 70 a
1
i
réclamer les falo de la rive droite,
ce qui ne s'était jamais
ij
1
produit auparavant.
t
1
La tuerie de Mudeeri
(3 personnes)
en septe~)re 1977, puis
1
1
celle du Dunde Xoore à Jawara en avril 1989 ne sont pas des événe-
1
1
J11ents isolés.
Ils ne sont que l ' abou t i s sement cl' un prOCPE:SU f~ de
1
"mauritanisation ll des terres coutumières appartenant aux cultiva-
1
teure sénégalais.
1
j
1
Nous avons dit au début de cette section que les problèmes
i
fonciers ne suffisaient peut être pas à eux seuls à expliquer le
conflit sénégalo-mauritanien, mais ils participent pour une grande
;
part au déclenchement de l'actuel conflit.Notre prétention n'était
pas de faire une étude complète sur ce problème,
mais il nous a
1
semblé utile de donner certains éléments tels que les droits et
i
les conflits fonciers,
pour poser les jalons d'une étude future
1
qui donnera peut être des éclaircissements historiques plus com-
1
1
pIets sur ce différend.
ll
1
,
si la logique soninke des rapports de l'homme à la terre a
1
suffi dans le passé à gérer le politique et l'économique,
il
i
serait intéressant de savoir si à un autre niveau,
avec l'jnter-
! vention de l'Etat du sénégal indépendant ainsi que l'avènement de
1
nouvelles techniques culturales débouchant sur une nouvelle organi-
sation du travail, voire une nouvelle organisation sociale
1
sont à même d'avoir des conséquences sur le déroulement actuel et
1
j
1
\\

- 257-
de Khorokhoro en 1913. (GO)
Les peuls seraient venus aprés,
fuyant
les exactions de Abdou salam Kane au Fuuta,
demander protection
au Tunka de Tiyaabu.
Ils auraient ensuite émis le souhait de
s'installer auprès des cul tivatf'ln-s à j-;boroKboro car les terres
de ce jeeri offraient de meilleurs pâturages.
Un conflit éclata
par la suite ~ntre soninke et peuls à propos d'un puits,
qui 8e
termina par une bataille rangée.
Le Commandant de sélibaby inter-
vint et confia la gestion des terr~s aux cultivateurs de Tiyaabu
(au père d~ no~rE informateur, Goudia renda).
Mais plus tard des
revendications E'urpnt
lietl pur les champs que l'administration de
Sélibaby a réglé en concédant des champs aux peuls.
En 1961
les peuls de Khorokhoro ont
revendiqué les terres de
culture de ce village comme leur appartenant.
Il a fallu
encore l'intervention des cercles de Dakel et de Sélibaby pour
reconnaitre les d~c~t: de culture des soninke.
Donc b Y reç~r6er de près,
quand on suit le processus de
l'histoire de cette partie de la vallée,
ne serait-ce que dans
première moitié du 20è siècle,
on se rend compte que rien n'est
dG au hasard.
Les exactions des maures(
par armée et douanes
interposées)
êVE'C
le~c, peuls CODlHle instruments furent trés nom-
breuses à partir du début des années 1970.
Le vérouillage de la
frontière a continué,
avec l'exigence d'autorisations de traver-
et de cultiver sur la rive droite.
si les soninke du Goy ont
60-Les informations sur ce conflit nous ont été fournies par
Kounda Goudia BACILI
(enquêtes de juin 1988), qui fut délégué,
accompagné par notre propre père,
pour aller le régler.
Nous
nous rappelons
(même trés jeune à l'époque)
d'un détachement de
la Garde Républicaine venu de Bakel et qui s'est posté à Tiyaabu
face
à la Mauritanie, parce que le conflit risquait de dégé-
nérer.

~
1
j
i
259
1
1
!
futur du processus désormais
irréversible de développement de la
~
i
vall~e. Autrement dit la rencontre sur le terrain du Goy de la
j
1
1
tradition soninke et du modèle étatique est-elle en elle-même un
1
1
conflit? L'un des deux modèles ou les deux combinés peuvent-ils
1
3
j
réaliser le souhait des populations et de l'Etat,
c'est-à-dire
l
,
l'autosuffisance alimentaire? Faut-il,
en fonction de la réalité
1
~
privilégier un modèle par rapport à l'autre,
ou à partir de la
i1
1
combinaison des deux,
créer un nouveau droit ? Dans ce processus
l
de l'après-barrages, peut-o~ dire que la Eociété soninke est
1
contre l'Etat ou que l'Etat est avec la société soninke de la
i~
vall~e ?
1
1
j
t
1
j
f1j
1
1
j
1
~
j
1
1
J
1
!i
j
i
1
1
1
!

~EUXIEME PARTIE
:
LES DROITS FONCIERS SONINKE FACE A
LA LOGIQUE D'ETAT:
LA SOCIETE CONTRE L'ETAT
OU UN NOUVEL ORDRE

1
- 260 -
1
1
1
i
CHAPITRE I- LE DISCOURS COLONIAL ET LES TERRES DU GOY.
1
1
Au temps colonial disait Raymond VERDIER «
la loi servit
J
d'un côté à légitimer la domination sous le couvert de la
j
î
protection,
de l'autre à promouvoir l'évolution au nom de
j
la supériorité de la civilisation occidentale.
Face à la loi
j
du colonisateur,
le droit du colonisé devient coutume et on
,<
le baptisa droit coutumier dans le contexte assimilatron-
l
niste de la politique coloniale:
l'opposition du droit
i
externe et du droit interne prit la forme du conflit.
,1
Loi/Coutume qui devient synonyme de l'antithèse
j
1
Evolution/Stagnation»
(1).
1
2
l
Ce constat a déjà été fait par CHABAS «
lorsque la France
1
s'installe en Afrique,
le régime des terres tel que l'éta-
1
blissaient le~ coutumes, était dans ses principes si
1
différent des conceptions françaises que le législateur
j
1
colonial ne cherchera même pas à l'utiliser.
Un régime
j
foncier sans propriété était inconcevable par des juristes
latins qui considèrent que le régime foncier n'est rien
1
d'autre que le droit de la propriété immobilière et ses
!
démembrements »
(2).
j
I- QUELQUES CONSIDERATIONS D'ORDRE GENERAL SUR
L'IDEE DE PROPRIETE COLONIALE.
1
1
Notre objectif ici n'est pas de reprendre tout ce qui a été
t
dit sur la .propriété foncière en Afrique Occidentale Française et
au sénégal en particulier.
Il S'agit pour nous de voir simplement
1- VERDIER (R.)
: Coutume et Loi dans le droit parental et fon-
cier (Afrique Noire Fr.ancophone)
in CONAC 1980 : Dynamiques
j
et finalités dES droitE africains.
Paris,
Economica ; p.3ü7
~
2- CHABAS
(A.)
: Le domaine National du Sénégal
: réforme fon-
cière et agraire. Annales Africaines 1965, p.33
1
3- DARESTE
: 1908.
Doctrine:
Le régime de la propriété foncière
en Afrique Occidentale. p.1 et s.
1
1
DARESTE
: 1931. Traité de droit colonial; T2,
Paris.
1
GEIS~~.R (L.):
1933
: Recueil des coutumes civiles des races du
sénégal.
Saint-Louis.
Imprimerie du Gouvernemment.
HOLEUR
(B.) 1978
Le droit de propriété sur le sol sénégalais.
1
Thèse, Dijon.
-
1982
Traditions et Loi relative au domaine
1
national
(Sénégal)
in Droit et Cultures
1
n03,
1982.
1
-
1987
La loi coloniale
: son idéologie,
ses con-
tradictions.
in VERDIER et ROCHEGUDE;
1
Systèmes fonciers à la ville et au village.
:1
Paris,
l'Harmattan.
l~
1lj
1
\\
1

J
1
~l
- 261 -
1
1
.~
dans quelle mesure la législation coloniale a ou non influencé
i1
le régime des terres dans le Goy.
Il est nécessaire pour cela de
l
1
rappeler les grandes lignes de cette législation coloniale,
sans
1~1
analyse profonde sur le plan juridique ce que beaucoup d'auteurs
1
ont fait,
plus autorisés que nous,
depuis le début du siècle (3).
1
1
En effet,
tout semble avoir été dit sur la question de la
1
1
IIpropriété foncière" au Sénégal tant sont nombreuses les études
j
faites et les opinions émises depuis plus d'un demi siècle sur ce
i
sujet et reposant toutes sur une conception propriétariste erronée
1
1
comme on le verra.
Les études les plus complètes ont été faites
1
sur le waalo,
le fuuta,
le cayor et surtout le Cap-vert.
Ces étu-
j
des montrent d'anciennes traditions selon lesquelles au Waalo,
au
au cayor ou au Cap-Vert,
la terre appartenait au souverain.
La
souveraineté et la II p ropriété ll en fait se confondaient dans la
personne du Damel ou du Brack et que nul ne pouvait détenir une
portion de terre qU'en vertu de leur permission. Certains auteurs
comme PIERRET par exemple,
à la fin du 19è siècle sont allés
assez loin en comparant le Sénégal de l'époque,
en matière fon-
cière à la période féodale «
Ainsi donc au Sénégal la condition
des terres était assez semblable à celle de l'ancien droit
féodal français où le souverain avait le domaine éminent et,
le vassal le domaine utile.
Comme à l'époque de la féodalité,
le droit éminent du souverain noir se manifestait par une
1
redevance que celui-ci recevait du concessionnaire.
Cette
1
,
redevance qui consistait tantôt en IIguinées ll ou en pagnes,
tantôt bestiaux ou récoltes,
était acquittée d'une façon plus
ou moins régulière».
(4)
1
1
Mais il est prouvé depuis longtemps,
sans qu'il soit utile d'y
revenir que des opinions comme celles-là n'étaient que de la pure
1j
~
i
4- PIERRET (G.)
Essai sur la propriété foncière indigène au
1
sénégal.
Saint-Louis 1985.
1
1
,
1

- 262 -
spéculation et n'avaient rien à avoir avec la réalité.
Cette thèse
(nous l'avons vu pour le GOY) qui accordait la propriété éminente
au souverain était insoutenable au double point de vue de la
logique foncière traditionnelle et de la réalité africaine tout
court. Les autorités coloniales on le sait n'ont pas apprécié
comme il le fallait la situation coutumière du souverain,
là oü
il existait.
Le Chef n'étant qu'un symbole,
la terre reste entre
les mains des collectivités et pour le Goy la collectivité villa-
geoise.qui est la structure foncière de base.
SElon VERDIER, même
au cas de conquête sur les sols,
sauf de rares exceptions
«
l'envahisseur a respecté les droits du premier occupant et
ne sIest pas substitué au chef traditionnel de la terre et
s ' i l se considère en droit comme maître du sol conquis,
en
fait la terre est restée le plus souvent entre les mains
des descendants du premier occupant».
(5)
Le Gajaaga, dans
cette affirmation de VERDIER constituait l'une des exceptions
'1
prévues par l'auteur car l'occupation du sol par les conquérants
1
1
BACILI s'était accompagnée relativement tôt de l'occupation des
l
1
1
droits fonciers les BACILI s'étant imposés comme les seuls maîtres
de la terre au détriment des clans Gaja qu'ils ont combattus
1
1
et dominés
(BATHILY 1985. Thèse).
!'i
i
Le "souverain colonial" dans cette optique a voulu se
!
substituer aux souverains africains en proclamant par un certain
!
1
nombre de conventions son droit éminent sur les terres conquises.
1
i
Lors de la prise de possession française le droit reconnu aux
~
différents souverains de disposer de certaines terres fut large-
Î
ment utilisé à son profit. Le code civil français était
applicable en AOF le 5 octobre 1830,
ainsi que son .corrolaire,
le
1
1
5- VERDIER (R.)
Essai de socio-économie juridique de la terre
1
,
dans les sociétés paysannes négro-africaines traditionnelles
1
Cahiers de l'ISEA nO 95.
(Série V nO 1) p.
143.
1
1
1;

Jj
'i
- 263 -
1
j
spéculation et n'avaient rien à avoir avec la réalité. Cette thèse
(nous l'avons vu pour le Goy) qui accordait la propriété éminente
1
au souverain était insouténable au double point de vue de la
11
logique foncière traditionnelle et de la réalité africaine tout
l court. Les autorités coloniales on le sait n'ont pas apprécié
comme il le fallait la situation coutumière du souverain,
là où
il existait. Le Chef n'étant qu'un symbole,
la terre reste entre
1
les mains des collectivités et pour le Goy la collectivité villa-
1
geoise qui est la structure foncière de base.
Selon VERDIER, même
1
au cas de conquête sur les sols,
sauf de rares exceptions
«
l'envahisseur a respecté les droits du premier occupant et
ne s'est pas substitué au chef traditionnel de la terre et
1
s ' i l se considère en droit comme maître du sol conquis,
en
!
fait la terre est restée le plUE souvent entre les mains
j
des descendants du premier occupant».
(5)
Le Gajaaga,
dans
î
cette affirmation de VERDIER constituait l'une des exceptions
1
prévues par l'auteur car l'occupation du sol par les conquérants
BACILI s'était accompagnée relativement tôt de l'occupation des
droits fonciers les BACILI s'étant imposés comme les seuls maîtres
de la terre au détriment des clans Gaja qu'ils ont combattus
et dominés
(BATHILY 1985. Thèse).
Le "souverain colonial" dans cette optique a voulu se
substituer aux souverains africains en proclamant par un certain
nombre de conventions son droit éminent sur les terres conquises.
Lors de la prise de possession française le droit reconnu aux
différents souverains de disposer de certaines terres fut large-
ment utilisé à son profit. Le code civil français était
applicable en AOF le 5 octobre 1830,
ainsi que son corrolaire,
le
5- VERDIER (R.)
Essai de socio-économie juridique de la terre
dans les sociétés paysannes négro-africaines traditionnelles
Cahiers de l'ISEA nO 95.
(Série V nO 1) p.
143.

- 265 -
~
l
~
Tout ce discours on le sait,
était légitimé par la rech~rche
1
1
de l'essor économique des colonies et partant, de la métropole;
t
il était soutendu par l'incapacité de mise en valeur des terres
1
par de simples tenures coutumières. Bernard MOLEUR cite pour cela,
le ~ouverneur Général MERLIN en 1923 «
La démonstration est faite
1
depuis longtemps que les populations autochtones n'ont pas su
1
mettre en valeur les immenses territoires qu'elles occupent, ni
tirer parti des richesses qu'ils renferment ... Devons-nous en
1
tant que Nation colonisatrice perpétue cet état de chose et per
mettre plus longtemps que le monde soit privé de toutes les
1
matières premières que l'on est susceptible de retirer de ces
pays ?»
(8)
1
On voit ce souci permanant du législateur colonial et de
l'administration depuis le milieu du 19è siè.cle jusqu'en 1955, de
modifier le régime foncier traditionnel en vue de le rendre plus
conforme à la logique propriétariste du code civil. A la suite du
traité posé avec le Damel du Coyor le 1er janvier 1861 qui cédait
à l'Etat français
"en toute propriété" des terres sur lesquelles
le souverain ne possédait en fait que d'un pouvoir de gestion,
le
colonisateur systématisait, on l'a vu,
le processus dès
1865,
en
récupérant à son profit toutes les terres faisant partie de
"domaine éminent" des chefs traditionnels.
Cette confusion d'une
manière générale entre conceptions coutumière et occidentale de
la propriété devait déboucher sur un certain nombre de contesta-
tions,
dont l'aboutissement principal sera la prise en compte de
l'existence d'un système coutumier, et l'essai de son intégration
dans les nouvelles législations.
1
8-, ANS L 61 V 132 cité par HaLEUR: Traditions et Loi relative
j
au domaine national. Droits et cultures nO 3 - 1982.
l
1
1
1l
1
1
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,
1
1
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1

1
1
- 264 -
l
~
~!
régime foncier dès lors qu'un français ou assimilé était en cause,
1
1
ce qui était bien entendu totalement inadapté aux réalités du
l
1
pays quel que fut l'endroit où l'on se trouvait.
L'Etat français
j
1
déclara dès lors les maîtres fonciers coutumiers simples déten-
teurs précaires,
en recueillant quant à lui le domaine éminent.
1
Cette nouvelle théorie devait reposer,
selon DARESTE, sur deux
1
principes:
d'abord le souverain colonial est devenu par le fait
1
de l'annexion le véritable et le seul propriétaire des terrains
1
situés en pays annexé.
Ensuite les contrats translatifs de pro-
1
,
priété immobilière dans lesquels il est précisé qu'un indigène
se qualifiait propriétaire, étaient nuls et de nul effet.
l1
Il convient cependant de dire que cette logique propriéta-
riste que le législateur colonial a voulu imposer demeura
1
plutôt nominale que réelle ; à cause de la résistance opiniâtre
1
j
des indigènes constatée çà et là.
Dans les endroits concernés, on
assiste à des contestations, au point que DARESTE se posa cette
1
l
question «
Pourquoi demander ce qu'on possède légitimement?
pourquoi enfin se munir d'un titre étranger comportant l'aliéna
l
tion,
c'est-à-dire la négation même du droit de la famille tel
1
qu'il s'exerçait depuis un temps immémorial ?»
(6). L'idée de
j
î
propriété individuelle sur le sol sénégalais a été explicitée
1
1
1
par l'arrêté FAIDHERBE,
du 11 mars 1865 «Les indigènes qui possè-
1
dent aujourd'hui le sol sous le régime de la coutume locale dans
1
les territoires annexés n'ont aucun titre régulier de propriété
j
et il convient pour favoriser l'établissement de la propriété
J
individuelle dans la colonie de leur donner les moyens de régu
1
lariser leur possession».
Selon Bernard HOLEUR,
cet arrêté est
l
l
généralement regardé comme la manifestation la plus éclatante du
!1
colonisateur français pour imposer à l'Afrique le droit de
1
propriété inscrit dans l'article 544 du code civil
(7).
!41
6- DARESTE
: Le régime de la propriété foncière en AOF 1908.
1
op. cit.
7- HOLEUR : 1987
: La loi coloniale. op.
cit.
p.
86
1
l1~
Î
J
1

- 267 -
qu'aussi à partir de 1909 «
Les états numériques des anciens
serviteurs ayant demandé à retourner dans leur pays d'origine
accompagnent les états numériques des villages de liberté, mar
quant l'ampleur du phénomène d'exode. Les villages de liberté
se vident beaucoup disparaissent complétement»
(9).
Ainsi parallèlement à la disparition des villages de liberté,
on assistait à leur retour massif dans leurs pays d'origine. La
conjonction de ces phénomènes devrait donc avoir une double consé-
quence : les maîtres fonciers se retrouveraient après le départ de
leurs anciens serviteurs avec des domaines de taille trop importan-
te pour être directement cultivés par eux-mêmes. Et les anciens
esclaves déplacés ou non fourniraient une main-d'oeuvre sans ter-
res mais suffisante pour la mise en valeur et l'essor économique
de la colonie.(10) Ce mouvement n'a pas épargné le Goy mais il n'y
eut pas la même ampleur que dans les autres parties du Sénégal,
notamment au Fuuta et au Bundu. Les autorités traditionnelles du
GOY, notamment le Tunka ne sont pas restés indifférents devant ce
phénomène dont l'ampleur inquiétait de plus en plus. C'est ainsi
que le Tunka du Goy Mamadou Samba, dans une lettre adressée au
commandant de Bakel écrivait :«Depuis que nous sommes avec eux
(les captifs) nous faisons notre possible pour les contenter.
La demi journée est à eux, le vendredi également. Aujourd'hui ils
ont la liberté ils ne font rien. C'est pour les nourrir et les
entretenir que nous désirons les avoir car nous sommes habitués à
eux. Nous les considérons comme nos enfants, nous les traitons
bien.»
(11)
Les raisons invoquées par le Tunka du Goy de l'époque pour le
maintien des esclaves étaient évidemment sans aucun lien avec la
réalité. Mais ce qui était certain c'est que la libération des
esclaves et la création de villages de liberté à la fin du 19é s.
9_° Denise BOUCHE: Les villages de liberté en Afrique noire
française. 1887-1910. Paris La Haye. Mouton et Co.1968. p.161
10-MINVIELLE (J.P.) op. cit. p. 100.
11-cité par BATHILY (A.) Thèse op. cit. p. 704

- 266 -
II.
- LA LEGISLATION COLONIALE EN MATIERE FONCIERE
: RESUME
DES TEXTES LES PLUS SIGNIFICATIFS DEPUIS
LE DEBUT DU SIECLE.
Comme nous l'avons vu le souci du colonisateur était une
mise en valeur accrue des terres des pays colonisés ce qui
devrait rendre possible l'essor économique des colonies. Après
l'arrêté foncier de FAIDHERBE en 1865, la première grande mesure
prise par le législateur colonial est le décret de 1903 supprimant
l'assakal. Afin de faciliter le prélévement de l'impôt de capita-
.
tion la perception de cette redevance foncière était "supprimée"
par le pouvoir colonial. Théoriquement les différents chefs de
provinces ou de canton étaient désormais rémunérés par des émolu-
ments fixes prélevés sur des ressources budgétaires de la colonie.
Mais cette suppression de l'assakal avait aussi pour but d'opé-
rer un bouleversement social profond,
à savoir la libération de
la main-d'oeuvre servile, ce qui allait contribuer à une mise en
valeur plus accrue des terres. Deux textes fondamentaux furent été
pris à cet égard:
d'abord la circulaire PONTY du 1er février 1901
supprimant le droit de poursuite, c'est-à-dire le droit pour le
maître de récupérer son esclave (fugitif)
et le décret du 12 dé-
cembre 1905 frappant d'amende et de peine de prison (deux à cinq
ans) toute personne ayant conclu "une convention ayant pour but
d'aliéner la liberté d'une tierce personne".
La conséquence de cette émancipation massive fut dans un
premier temps la création de villages de liberté,
ce qui permit à
l'Administration coloniale de disposer d'une main d'oeuvre totale-
ment affranchie de la pression foncière des maîtres fonciers, et

- 269 -
Dans les colonies, est donc réputée «
en vertu de la loi
française,
terre vacante et sans maître toute terre ni immatri-
culée, ni possédée suivant les règles du code civil français
par les autochtones.»
(14)
Il faut tout de même ajouter à cela toutes les terres non IImises
en valeur" de façon effective par les indigènes. Nous pensons
surtout que ce sont ces terres là, un immense espace dans la
brousse qui furent été réputées vacantes et sans maître. Mais on
sait la fortune que cette décision a connue car dans la coutume du
Goyen particulier il n'existe pas de terres vacantes, puisque
c'est le terroir niino tout entier qui fut pris en détention par
les BACILI d'une part, et les clans alliés des autres villages
qui ont reçu des concessions depuis des siècles de façon
définitive. On mesure «
à quelle distance du droit traditionnel
de semblables dispositions, d'ailleurs rarement appliquées, étaient
la justice coloniale»
(15).
Il n'y avait pas de terres vacantes
dans le GOY,
et au Sénégal d'une manière générale si l'on se
place sur le plan de la mise en valeur,
à cause de la pratique
des longues jachères qui pouvaient aller jusqu'à 15 ans et plus.
Il n'y avait pas non plus de terre sans maître car toutes les
terres avaient un jammu-patronyme, celui du niinegume
qu'elles conservent définitivement.
La notion de terres sans maîtres qui justifiait leur récupé-
ration par la puissance coloniale était une absurdité juridique,
d'autant plus que même les terres stériles avaient un nom et fai-
saient partie de l'espace foncier homogène du Jamaane-pays ou du
village.
L'imprécision de la définition du concept était telle que
le législateur colonial, conscient de l'inadaptation du système,
14- COQUERY-VIDROVITCH (C.) op.
cit. p.
75
15- POLLET et WINTER : La société soninke. op. cit. p. 332.
1
,
1
1\\

- 268 -
était d'une part le moyen le plus direct de disposer d'une main-
d'oeuvre abondante pour la mise en valeur du potentiel foncier et
d'autre part,(et c'est politique)
c'était un moyen de ruiner les
formations économiques et sociales locales (BATHILY Thèse). C'est
ainsi que,
toujours selon BATHILY,
jusqu'à 1900 les chefs de vil-
lages continuèrent à se plaindre de l'évasion de leurs esclaves.
La grande majorité, au lieu de rester dans les villages de liberté
de Bakel et de Kayes, émigraient en masse vers la Gambie.
Cette mesure de 1903 permettait, on le voit, d'augmenter le
j
nombre de populations soumises à l'impôt de capitation donc une
1
1
diminution des redevances foncières dues aux anciens maîtres de
j
la terre. Mais on sait que ce manque à gagner que la mesure
1
~
J
risquait de créer était plus important dans le Fuuta que dans
~~
le Goy où la population servile avait peu émigré. Le volume des
~1
redevances foncières versées aux maîtres fonciers est resté
i
\\
,,
presque le même.
~~1i
Le décret du 23 octobre 1904 organisant le domaine a confirmé
1
1
1
l'appropriation par l'Etat français du domaine éminent des chefs
1j
traditionnels par le concept des "terres vacantes et sans maîtres".
j
1
1
En effet, dès 1865 le colonisateur récupérait toutes les terres
t
1
faisant parties du "domaine éminent"
des chefs traditionnels à la
1
suite du traité avec le Damel du Cayor en 1861 (13). Le concept de
1
terres vacantes et sans maîtres n'était pas une nouveauté dans le
1
langage juridique français,
car l'article 539 du code civil
1
l
(applicable au Sénégal dès 1830) en reconnaissant la propriété à
l
l'Etat.
1
l
12- Il n'y a pas de villages de liberté dans le Goy
13- DARESTE 1908. op. cit. p.
1 à 24.
1
1
j
1
l

- 271 -
était presque total.
(voir les chiffres donnés par MOLEUR pour
l'AOF entre 1925 et 1932. Thèse, p.302 et s.)
Nous ne reviendrons pas sur le decret de 1932 relatif à la
procédure d'immatriculation des droits fonciers qui comme on le
sait était conçu pour les centres urbains.
Jamais la brousse,
à
fortiori une brousse aussi reculée que le Goy ne fut intéressée
par cette mesure qui reste quand même l'une des plus célèbres de
la législation coloniale en AOF en matière foncière.
Mais la notion de terres vacantes et sans maîtres du décret
du 23 octobre 1904 a été reprise et redéfinie par le décret du 15
j
i
novembre 1935 qui les caractérisait comme
: «
Ne faisant pas
~
î
l'objet d'un titre de propriété ou de jouissance par applica-
i
tion, soit des dispositions du code civil,
soit des decrets
1
1
du 8 octobre 1925 et du 26 juillet 1932,
sont inexploitées ou
1
inoccupées depuis plus de 10 ans.»
(CHABAS 1957. op. cit.) Ce
décret ne déroge pas dans les principes à celui du 23 octobre 1904
1,1
dans la mesure où la notion de terres vacantes et sans maîtres ne
1
,
1
fut pas remise en cause. Mais l'innovation se situe au niveau des
i~
délais. Le décret de 1904 déclare vacantes et sans maîtres toutes
les terres inoccupées ou inexploitées sans tenir compte des tradi-
tions culturales des jachères. Tandis que le décret de 1935 sans
toujours tenir compte du statut des terres et des pratiques cul tu-
raIes,
renferme les terres inexploitées dans un délai de 10 ans.
Mais cette règle introduit un nouveau concept dans le droit
de la terre en Afrique noire: celui de prescription. Ce qui mérite
que nous nous y attardions un peu. Cette notion de prescription

- 270 -
a finalement pris en compte les tenures traditionnelles par le
décret du 24 juillet 1906 qui par son article 58 reconnaissait
leur existence mais, toujours pour conforter la logique de la
propriété privée, permettait par l'immatriculation de les trans-
former en propriété de droit français opposable aux tiers. Mais
là aussi les indigènes ne demandèrent aucune concession pour ce
qu'ils possédaient légitimement (DARESTE 1908). De plus s ' i l a
tenu compte des délimitations physiques des tenures pour la défi-
nition des nouveaux droits de propriété, ce décret en a modifié
inconsciemment la composante juridique, en introduisant une notion
nouvelle,
"incompatible avec l'organisation des formations
sociales existantes"
(MINVIELLE p.92), c'est-à-dire l'aliénabilité
des terres.
L'inadaptation de toutes ces mesures aux réalités africaines
a amené une fois de plus le législateur colonial à organiser une
1
l
i
procédure de constatation et d'établissement des droits fonciers
1
j
coutumiers par le décret du 08 mai 1925 dont le but était,
selon
j
j
CHABAS,
la publicité des droits réels déjà existants (16).
Préala-
l
blement à l'enquête publique qui constituait le point central de
j
il
la procédure, les dossiers de demande devaient être transmis aux
~
!
lieutenants gouverneurs ;
afin de sauvegarder les intérêts de
1
i1
l'Etat (17).
Selon MOLEUR,
le livret foncier en réalité constatait
1
moins des droits qu'une possession coutumière subordonnée à la
1
1
puissance d'Etat. Les résultats obtenus par ce décret sont telle-
J
ment dérisoires que son échec après 2 ou 3 années d'application
1
1
i
16- CHABAS (J.): Le régime foncier coutumier en AOF. Annales
Africaines, 1957. p.53 à 78
1
17- MOLEUR (B.)
: Le droit de propriété sur le sol sénégalais.
Thése, Dijon. vol 2 p.300.
1
1

- 272 -
n'est pas en fait une nouveauté et l'on assiste là à un net déca-
lage dans le temps entre la pratique des tribunaux coutumiers. Les
tribunaux coutumiers ont utilisé depuis le début du siècle les
principes du droit musulman. Et l'innovation principale introduit
par le droit musulman est justement cette notion de prescription.
La jurisprudence locale (celle du Tribunal de subdivision des
deux Goyes et du Tribunal de Cercle de Bakel) adopta ce principe
sous des formes différentes. L'une prévoit la prescription acqui-
sitive de la détention foncière
: «
Les biens vacants sont
abandonnés au premier occupant qui en acquiert la propriété
à perpétuité après 10 mois de travaux de culture.»
Mais la deuxième forme était la plus usitée qui n'était que le
fondement d'un droit d'usage:
«
tout terrain laissé en jachère
pendant plus de 10 ans, pourra être cultivé par ceux qui seront
venus le travailler sans que les propriétaires abandonnants puis
sent les en chasser; mais en cas d'abandon par les occupants,
ces terres reviennent aux propriétaires,
si ceux-ci désirent à
nouveau les mettre en valeur».
Ce principe fut clairement exprimé par le Tribunal de Cer-
cIe de Bakel dans une espèce du 12 janvier 1908 précédemment
citée (18)
: «
le Tribunal de province du Goy inférieur a rendu
le 28 novembre 1907 entre parties irréconciliables un jugement
aux termes duquel la portion de marigot Gonghe.Annébinkharé,
portion dite Gnoukhoulou et les terres qui en dépendent ont
été déclarées comme appartenant à Demba Konan, comme ayant ap-
partenu 39 ans à sa famille.
Selon le code Tohfa : l'occupation
d'un terrain pendant 10 ans par un particulier qui ne s'est pas
servi d'armes ni de la force pour l'occuper et qui en a tiré
i
profit durant dix ans sans être interdit une seule fois par
quiconque se dit propriétaire de cette terre, engendre la pro-
priété définitive réelle, légale de ce particulier sur cette
1
terre».
-----------------------------------------------------------------
.
1
18- Tribunal de Cercle de Bakel.
12.01.1908. Registre 1906-1910
nO 14 du registre. p. 46.
(déjà cité)
1
1
t1
],l~

- 273 -
Ainsi l'argument tiré du code Tohfa au profit d'un particu-
lier, emportant prescription acquisiive,
a le même fondement à
contrario que cette nouvelle théorire des terres vacantes et sans
maîtres. Le terrain inoccupé pendant 10 ans est prescrit au nom
de l'Etat qui en use comme il le voudra. Cette théorie s'inspire
explicitement du Mukhtasar de Khalil que les administrateurs des
colonies possèdaient dans la traduction française de PERRON (19).
si la formulation de ses conditions d'existence légale varie,
la prescription n'en a pas moins pour effet constant de reconnaî
tre à une personne un droit sur une terre en dehors des règles
traditionnelles et même contre elles puisque la maîtrise de la
terre en tant qu'elle résulte des anciens partages et concessions
entre clans est méconnue. De plus cette règle porte atteinte au
pouvoir d'allocation foncière détenu exclusivement par les niine
gumu maîtres de la terre. Les principes dégagés par les magistrats
coloniaux ne reproduisent pas les termes du texte, mais ils ne
s'en éloignent pas beaucoup pour autant,
et lIon peut facilement
y retrouver leur origine.
Les textes parlent de notoriété publique "qui peut servir dê
base à une preuve testimoniale, pour établir qu'un tel proprié-
taire d'une chose qu'il a entre les mains depuis de longues années
et dont il use et abuse en pleine discrétion depuis un assez long
temps, c'est-à-dire qu'il démolit, ou sème ou arrache, ou plante
19- PERRON (Traduction de)
: Précis de jurisprudence musulmane
ou principes de législation civile et religieuse selon le
rite malékite. par Khalil Ibn ISH'AK.
Paris.
Imp. Nationale
1848-1852.

- 274 -
et sans le contrôle de personne et comme peut le faire le proprié-
taire seul"(Khalil. vol.5 p.257-258). Cette jurisprudence inspi-
rée des codes musulmans a été à notre sens l'élément qui a déter-
miné le législateur de 1935 après le constat d'échec du décret
de 1904. Mais là où réside la différence et pour donner à la
logique coloniale toute la mesure de son importance,
le législa-
teur de 1935 n'a pas pris pour base la preuve testimoniale,
comme en droit musulman, mais de façon plus subtile la terre qui
ne fait pas l'objet d'un titre de propriété (selon le code civil)
pendant 10 ans est prescripte au nom de l'Etat.
Enfin le dernier texte colonial organisant la propriété fon-
cière au sénégal est le décret du 20 mai 1955 promulgué le 7 sep-
tembre 1956,
instaura le livre foncier.
Ce décret confirmait les
droits coutumiers mais à condition qu'ils aient une existence de
fait et s'exercent sur des terres non immatriculées ou appropriées
selon les règles du code civil
(article 3 du décret). De même,
aucune concession de terre ne pouvait être accordée s ' i l existait
des droits coutumiers sur elle (art 7). Mais l'élément important
est que ce décret renforçait les droits des utilisateurs effectifs
(Te gumu)
au détriment des maîtres de la terre (niine gumu) , en
vertu de son article 5 alinéa 3 qui dispose : «Les chefs de terre
ne peuvent en aucun cas se prévaloir de leurs fonctions pour
revendiquer à leur profit personnel d'autres droits sur le sol
que ceux qui résultent d'un faire valoir par eux-mêmes qui leur
est accordé par la coutume».
(20)
20- Voir CHABAS
: 1957. op.cit.
et MINVIELLE. op. cit. p.93

- 275 -
Mais i l convient de noter que les chefs dont le décret fait
état ici sont les Chefs de Canton représentant l'Etat français,
et non plus les traditionnels de la terre.
III -
LES TERRES DU GAJAAGA ET L'ADMINISTRATION COLONIALE.
Les rapports du colonisateur français avec les Tunka du
Gajaaga ont été comme on le sait, une suite de conflits depuis
le milieu du siècle, mais l'on remarque aussi un ensemble de
traités à caractère politique passés entre eux.
A l'instar du Damel du Cayor par exemple le Tunka de Tiyaabu
a eu à céder au pouvoir colonial des terres "en toute propriété"
sur lesquelles le Tunka ne disposait en fait que d'un pouvoir de
gestion au nom des royaux du Goy.
Les plus significatifs de ces
traités en matière foncière sont: la convention passée le 6 avril
1854 entre le Commandant du poste de Bakel et silly Fenda agis-
sant pour le compte de son père Tunka Sanba Xunba Jaama, ayant
trait à l'achat (souligné par nous)
au Tunka d'un terrain situé
à Bakel dans la plaine de Guidinpalle et occupé par la mission
apostolique de Bakel,
au prix de 500 F et d'une coutume annuelle.
Le deuxième qui date du 28 aoUt 1854 constitue un acte de vente
par le Tunka de Tiyaabu de tous les terrains de Guidin palle,
ainsi que les versants environnants moyennant 1000 F et une cou-
turne annuelle.

f!
- 271 -
1
i
C'est ainsi que par un décret d'août 1855
(cité par BATHILY
1
Thèse p.620)
le Gouvernement colonial accordait en toute propriété
1
aux habitants de saint-Louis établis à Bakel, tous les terrains
f
dont ils auraient besoin. Tous les habitants du Goy qui avaient
1
suivi Elhadj Oumar virent leurs terres confisquées et remises aux
1
collaborateurs du Commandnt. Ainsi le Tunka du Goy "perdit" tout
1
droit sur ces terres et se vit même interdire la perception des
!1
redevances foncières sur des terres désormais considérées comme
r
Î
territoire français.
1
1
Ainsi ce n'est pas par l'application de la logique proprié-
f
f
tariste du code civil français que le Gouvernement colonial a
1
J
accaparé les droits fonciers du Goy, mais il les a pris comme
1
!~
simple butin de guerre revenant au vainqueur. Mais les maîtres
!~
è
,
fonciers du Goy comme on peut aisément l'imaginer n'ont pas
,
accepté cette éviction car ils obligèrent un peu plus tard les
!i'
!$
,
collaborateurs des français à leur restituer les terres et payer
l,
~'
l
les redevances foncières,
en 1866 (22).
Cette pratique s'était
l-'
renouvelée après la défaite de Mamadou Lamine quand le Commandant
1
du Fort de Bakel octroya à ses collaborateurs des terres prises
aux vaincus notamment entre Bakel et Kuna3i dans le Goy
1
!
supérieur. (23)
1
On le voit les différentes politiques foncières de l'Etat
!
1
colonial n'ont eu aucun écho dans la Haute Vallée du sénégal sim-
!~
plement parce qu'il n'y a jamais eu la volonté de les appliquer à
1
ce territoire somme toute marginal par rapport au Cayor ou au
22- BATHILY (A.) Thèse p.
621. Aussi ANS 13 G 173 et 15 G 11.
23- Voir chapitre 7 de la 1ère partie sur les conflits fonciers.

- 276 -
On voit par ces actes que le Tunka, maître foncier du Gajaaga
renonçait sur ces terrains à l'ensemble des droits fonciers qu'il
exerçait. Mais la renonciation la plus significative se situe dans
le traité de Protectorat et d'Alliance du 19 août 1858 conclu
entre le Tunka Boubacar soulé et FAIDHERBE, par lequel le Tunka
cédait à la France tout le territoire compris entre Bakel et la
Falèmé inclusivement (c'est-à-dire le Goy supérieur), la France de
son côté a reconnu le Tunka de Tiyaabu comme seul maître de tout
le territoire compris entre Bakel et le Fouta et lui accorde sa
protection.
Comme on le voit,
la renonciation à la souveraineté politique
sur cette partie du Gajaaga a entraîné de facto une renonciation
totale sur les droits fonciers détenus par le Tunka, ce qui avait
permis à l'Etat français d'administrer directement ce territoire
et même de la mettre sous influence toucouleur de Elhadj Omar
en 1860 (21).
La mainmise ou la tentative de mainmise de
l'état colonial ne s'est pas faite par le biais des textes que
nous avons cités plus haut mais au gré des rapports avec les maî-
tres fonciers de cette partie du Gajaaga. C'est ainsi que dans un
premier temps la guerre contre Elhadj Oumar a servi de prétexte
à l'Administration du Fort
pour confisquer des terres et des
droits fonciers par une politique d'éviction des maîtres fonciers
au profit des collaborateurs des français,
notamment les NJAAY de
Bakel et certains traitants Saint-Louisiens établis à l'escale du
Galam.
21- Pour ces traités, voir BATHILY (I.D.)
: Notices socio-histo
riques. op. cit. p.
91 et s. Voir également BATHILY (A.)
Thèse. op. cit. voir aussi ANS 13 G 167. 10 février 1859.

- 278 -
Cap-Vert.
Son intervention en matière foncière se situe d'une part
à ces deux périodes et circonstances que nous venons de décrire,
d'autre part mais de façon constante par le Tribunal coutumier de
Bakel et directement en matière de conflits par l'Administration
du Fort. En 1932 par exemple lors du conflit de Gallade
(cité en première partie) et surtout en matière de délimitation de
terrains litigieux, notamment sur la rive droite du fleuve entre
cultivateurs et agro-pasteurs peulhs (I.D BATHILY 1969 p.87 et s.)
surtout à partir du début des années 40 jusqu'à l'indépendance.
Mais ces types d'intervention ne touchaient pas les droits fon-
ciers eux-mêmes qui ont continué à être gérés selon la coutume
soninke.
On peut toutefois parler d'échec de la législation colo-
niale en matière foncière dans le Goy même si elle nIa pas tou-
ché directement cette partie du sénégal. Cet échec est dû,
selon
Etienne LE ROY par l'existence de fictions juridiques inexporta-
bles du code Napoléon
: «
Le réel étant constitué pour lui (le
paysan africain) du monde du visible comme du monde de l'invi-
sible, la terre n'est pas seulement un capital d'exploitation,
mais c'est la mère à célébrer ou la femme à féconder ...
Comment concevoir qU'on puisse y exercer un droit absolu,
in re,
alors que c'est la terre qui vous' possède,
et qU'on puisse dis
poser librement de quelque chose d'inappropriable ? »
(24)
Malgré les efforts du colonisateur,
surtout en matière d'imma-
triculation on sait que les africains se plièrent mal aux exigen-
ces de la logique propriétariste et individualiste du code civil.
Bernard MOLEUR (25)
résume par une citation tirée de l'oeuvre
24- LE ROY (E.)
: La propriété foncièFe du code Napoléon en
Afrique:
l'Echec de la raison écrite. colloque sur la
propriété foncière deux siècles après 1789. Paris 13 et
14 novembre 1989. p.
5.
25- MOLEUR (B.)
: Thèse.
op. cité p.
268

- 279 -
d'un auteur anglais E.D MOREL,
cette situation quand il écrit:
«
5'il est une chose sur laquelle plus que sur toute autre sont
d'accord les plus compétents des auteurs qui ont étudié l'Afrique
occidentale, c'est la vigueur avec laquelle, le Nègre ouest
africain est attaché à ses droits fonciers.
La propriété fon-
cière dans l'Afrique occidentale a été représentée avec raison
comme un culte.
Les observateurs anglais,
français et allemands
ont noté cette caractéristique.
Partout où il a été convenable
ment étudié,
le système indigène de propriété foncière sous ses
aspects tribal,
familial,
individuel et commercial,
se trouvent
être à la fois très simple dans ses grandes lignes, développé
dans ses détails et rapproché sous beaucoup de rapports des
conceptions démocratiques les plus avancées de l'Europe
Occidentale».
Le fait saillant de ce bref aperçu reste, on le constate
aisément,
la remarquable inefficacité de toutes les tentatives de
règlementation de la "propriété"
foncière coutumière soit par la
législation,
soit par les tribunaux indigènes ou l'éviction de
maîtres coutumiers par la force comme ce fut le cas du Goy du
milieu à la fin du 19è siècle, mais aussi l'absence quasi totale
1
j
de répercussion sur les structures agricoles traditionnelles.
î
'1
L'Etat du 5énégal indépendant va tenter de remettre tout
1
cela en question avec le développement de la politique des grands
aménagements agricoles qui va rendre nécessaire la "récupération"
effective des terres au nom du domaine national en 1964 qui allait
1
procéder à une nouvelle répartition. La loi 64/46 du 17 juin 1964
1
!
fut présentée comme l'élément qui allait bouleverser les systèmes
traditionnels de maîtrise foncière et la tentative coloniale de
privatisation des terres indigènes.
1
1

!

- 280 -
A cet effet l'Etat devint à la place des maîtres fonciers
coutumiers le seul maître des terres du domaine national. Dès
lors, une nouvelle logique qui pensons-nous, rendait vacantes et
sans maîtres les terres pour pouvoir les détenir fut appliquée au
monde rural. Cette nouvelle logique,
loin de permettre à l'Etat
le contrôle effectif des terres favorise l'émergence de nouveaux
maîtres fonciers dans le Goy; une élite locale qui n'hésite à
allier la logique de la loi à celle du système traditionnel en
créant un droit local dans la vallée,
ce qui est souvent source
de conflits.

281
CHAPITRE 11- LA LOI SUR LE DOMAINE NATIONAL ET LES
NOUVEAUX MAITRES FONCIERS DU GOY.
Notre ambition ici n'est pas de faire la genèse de la loi
sur le domaine national ni un commentaire en profondeur. L'histo-
rien du droit que nous sommes laissons cette tâche à des juristes
plus qualifiés que nous, qui ont commenté cette réforme sous tou-
tes ses formes.
Notre but est d'essayer de voir comment ilIa fille
aînée"
de l'Etat sénégalais est entrée dans les campagnes et com-
ment les paysans du Goy l'ont accueillie.
Le plus important est de
savoir comment l'ont-ils adaptée au contexte social et foncier des
soninke.
D'autre part,
la loi sur le domaine national,
en s'appliquant
dans le Goya essayé d'intégrer les mentalités sociales à la nou-
velle logique. Ce n'est pas un conflit entre tradition et modernité
que nous allons analyser, ce que nous estimons être un faux débat.
Il Y a rencontre entre deux logiques qui ne sont pas forcément
contradictoires;
tout dépend seulement du degré d'intégration de
l'une par l'autre dans un monde où, même sans l'intervention de
l'Etat les structures étaient condamnées au changement.
En adoptant cette loi en 1964,
le législateur sénégalais a
voulu provoquer une double rupture
: rupture avec la législation
coloniale qui n'avait pas su gérer de façon concrète les problèmes
fonciers et du monde rural sénégalais,
et aussi rupture avec le
système foncier traditionnel qui ne pouvait pas atteindre les
objectifs de développement voulus par le jeune état. Une réforme
agro- foncière qui bouleverserait ces deux logiques et··qui

282
ramènerait la terre à sa juste valeur s'imposait dès lors. Mais le
nouveau discours, s ' i l recèle une part de générosité, comporte des
contradictions flagrantes entre ce qui est dit et ce qui est voulu.
l
- LA LOGIQUE DE RUPTURE DE LA LOI ~UR LE DOMAINE NATIONAL.
La logique de rupture avec le passé est manifeste dès le
départ, bien avant l'adoption de la loi.
La réforme du système
foncier sénégalais est entamée depuis 1959, précisément au mois
d'août où un comité de réforme du Foncier rural fut mis en place.
Le «
but à atteindre étant celui du développement économique et
social,
le point de départ étant une organisation foncière
archaïque de forme féodale ou seigneuriale ... »
(1)
On le voit assez clairement,
le ton employé dès cette période
manifestait"nettement la volonté de rupture avec un passé, une
organisation foncière qui n'a pas la force nécessaire pour
promouvoir un développement harmonieux et durable.
Ce choix a été
précisé et renforcé par un discours du Président SENGHOR,
à
l'occasion de la fête du 1er mai 1964 «
De quoi s'agit-il? Il
s'agit très simplement de revenir du droit romain au droit négro-
africain, de la conception bourgeoise de la propriété foncière à
la conception socialiste qui est celle de l'Afrique noire tradi-
tionnelle. Pourquoi un tel projet ?La situation foncière actuelle
du Sénégal est ambiguë.
Les conceptions négro-africaines ont été
condamnées par le droit écrit, qui a introduit la notion romaine
de la propriété individuelle caractérisée par le droit d'usage
(usus), plus encore pour la possibilité d'aliénation (abusus).
Non seulement les textes "français" permettaient aux détenteurs
coutumiers de faire immatriculer leurs terres sous certaines
conditions, mais les conceptions romaines ont attiré la nature
traditionnelle des tenures foncières.
Une mentalité de proprié
taire, de riche, s'est peu à peu développée chez certains
"maîtres du sol", qui ont pris l'initiative de mise en
valeur ... »
(2) Voilà ce que Marc DEBENE a appelé le grand rêve
1- MOLE UR (B.) Traditions et Loi relative au Domaine National
(Sénégal). Droit et cultures nO 3 1982. op.
cit.
2- L.S.
SENGHOR: Discours du 1er mai 1964. cité par Marc DEBENE
Regards sur le droit foncier sénégalais : un seul droit pour
deux rêves. RIDC 1. 1986. p.
79.

283
de L.S. SENGHOR,
fort justement. Le législateur de 1964 répudie
la logique individualiste du colonisateur dans un:
premier temps,
introduit par le code civil au Sénégal en 1830. Ce rejet de la
logique coloniale était «
contre l'idée qu'on s'en faisait,
la
notion romaine,
la conception bourgeoise et égoïste des anciens
colonisateurs, directement contraire à l'idéal socialiste et au
sens communautaire africain ... »
(3)
L'héritage colonial, à vrai
dire était assez mince aussi bien pour le Sénégal en général que
l
pour le Gajaaga en particulier,
comme nous l'avons vu au CH.
1.
1
si l'indépendance fut en elle-même une rupture avec le passé
j
colonial,
la réforme foncière dont il est question ici n'est à
1
~
iJ
notre sens qu'une idéologie de pays jeune, qui entre dans le
1lj
concert des nations dites modernes.
1
1
L'oeuvre du colonisateur pour rendre le système foncier
1
sénégalais conforme à la logique propriétariste n'a pas eu comme
l
on le sait l'effet escompté. D'abord le décret de 1904 déclarant
1
j
les terres inoccupées vacantes et sans maître ne fut appliqué
l
1
à cause du fait que la logique traditionnelle ne connaissait pas
1
ce système et la mutation s'en trouvait difficilement possible. Le
i~
texte le plus important fut sans doute le décret du 30 août 1900
1
~,
~
qui introduit au Sénégal le système de l'immatriculation, éten-
j
due au reste de l'Afrique occidentale par le décret du 24
juillet 1906. Ce décret,
inspiré de l'Acte TORRENS ne fut pas
1
appliqué non plus de façon générale.
~!
i
Ces «
systèmes trop complexes, en brousse ne reçurent que
1
i
des applications marginales.»
(DEBENE 86 RIDC p.
81). Mais ce
Jl
n'est pas seulement la complexité de ces systèmes, comme nous
1
l'avons
i
-----------------------------------------------------------------
3- Bernard MOLEUR : Le droit de propriété sur le sol sénégalais.
1
Analyse historique du 17è siècle à l'indépendance. Thèse.
1
Dijon.
1978. vol.
2, p. 349.
1
ij
ll

284
vu au chapitre précédent, qui est à l'origine de l'échec de la
tentative coloniale d'accaparer les terres et/ou d'adapter les
systèmes fonciers traditionnels à l'impératif du développement
des colonies.
Il Y a que dans des parties. du sénégal comme le Gajaaga,
le
~
.l
système foncier était déjà soumis à une logique étatique assez
1
élaborée qui faisait de l'aristocratie BACILI la seule détentrice
J
1
de la maîtrise foncière.
La clarté du système était telle que ni
les maît~es fonciers,
ni les détenteurs de droits de culture
1
n'avaient intérêt à immatriculer les terres ou les inscrire dans
1
le livre foncier
(décret 1925) ou enfin adopter le système du
j
j
certificat administratif (décret de 1935). Mais deux autres
1
raisons qui nous semblent fondamentales et liées, donnent l'expli-
j
1
cation de l'inapplication des réformes coloniales dans le Goy
l
l
la première est que le système foncier propriétariste n'était
j
1
volontairement limitée qu'aux zones urbaines,
espace d'application
~{,
du code civil français,
à savoir les quatres communes de Rufisque,
!!
Gorée, Dakar et Saint-Louis, donc aux localités habitées par des
1
citoyens français.
Ainsi donc le phénomène colonial en matière
j
\\
foncière était négligeable.
ij
l1
1
cette limitation aux zones urbaines,
deuxième raison, était
due au fait que les terres de l'intérieur comme celles du Goy
1
présentaient peu d'intérêt pour l'expérimentation de ces systèmes.
1
!~
Elles ne pouvaient pas avoir comme à saint-Louis ou à Dakar de
1
1
valeur marchande.
Ce qui fait que ces textes étaient totalement
A
j
j
1
j
1
Jj
1!~

285
jgnorés des populations du Goy,
d'autant plus qu'à notre connais-
sance,
il n'y a jamais eu de tentative d'application par
l'Administration coloniale de ces textes dans le Gajaaga.
Ni le Tribunal de Subdivision des deux Goyes,
ni le Tribunal
du Cercle de Bakel n'ont jugé dans les espèces foncières qui leur
furent soumises entre 1904 et 1955
en s'inspirant de ces textes.
Les seules références étaient prises dans la coutume soninke du
1
Gajaaga ou dans le droit musulman du code Tohfa. Ainsi cette
1
logique de rupture avec le passé colonial ne concerne pas de façon
1
j
spécifique le GOY,
car le système colonial n'y a jamais reçu même
ij
un début d'application.
La logique de rupture d'une façon générale
j
j
pour le Sénégal d'avec le système colonial n'a pas pour autant
l
rompu avec le passé car en décidant de «
geler la propriété pri-
1
J
vée ... la loi se borne à figer le passé colonial. Ce qui était
~
propriété privée le reste».
(DEBENE 86.
RIDC p.
81).
1~~
On comprend bien que la logique de rupture d'avec le passé
1
1
colonial soit une aspiration légitime pour un Etat qui vient de se
i
1
j
soustraire à une domination de plus de trois cents ans,
même si
ii
l
cette longue présence coloniale n'a pas changé de façon fondamen-

tale les systèmes fonciers traditionnels dans un plan spatial
global.
1
1
1
l
Mais ce désir de rupture devient plus profond et total quand
1
il s'agit de mettre fin pour les besoins du développement national
aux systèmes fonciers traditionnels eux-mêmes,
qui avaient su
1
J
~
résister à la colonisation.
Le ministre des finances de l'époque,
~l
j
l
1
1j
i

1
1
1
286
1
1

l
~t
André PEYTAVIN dans l'exposé des motifs de la loi de 1964 a appuyé
!
1
l
de façon constante les propos du Président SENGHOR du 1er mai 1964,
!
1
!
en affirmant la nécessité de supprimer «l'encadrement coutumier ...
élément rétrograde n'offrant aucune possibilité d'investissements
créateurs et bloquant le développement moderne»
(4).
1
1
1
1
1
l
J
t
j
Mais quand DEBENE affirme par la suite que le maître de la
1
1
\\
j
terre recevait à l'origine une gerbe de mil et que cette offrande
1
1
~
i
~,
à caractère religieux s'était peu à peu transformée en rente fon-
1
cière,
il commet une erreur d'appréciation et montre ses limites
dans la connaissance du système foncier traditionnel.Car ni lamane
1
(wolof et sérère) ni le jom leydi (pulaar du Futa) ni le niinegme
~
(du Gajaaga) n'ont considéré,
à quelque époque que ce fut la gerbe
1
1
de mil comme redevance à caractère religieux. Le symbolisme de la
l
gerbe de mil ne se trouvait pas dans la religion (traditionnelle
!
ou islam), mais plutôt dans les rapports politiques entre maîtres
i
fonciers et paysans.
1
J
Les sols du Goy ou du Fuuta, du Cayor ou du Sine n'ont jamais
1
i
été soumis au système religieux,
islamique ou traditionnel. Ainsi
1
les objectifs du développement qui ont présidé à l'adoption de la
1
loi sur le domaine national, quand on s'en tient aux discours,
1
1
~
recèlent des contradictions.
si l'idée de socialisme africain
j
signifiait mettre la terre à la disposition de tous les paysans,
il n'y avait pas de rupture avec la logique négro-africaine, car
le système foncier traditionnel, pour ce qui concerne le Goy, ne
1
connaissait pas l'exclusion des paysans ou leur exploitation (de
1
1
4- DEBENE (M.)
: Regard sur le droit foncier sénégalais.
RIDC 1986. op. cit. p.82
1
~
1l
1\\1

287
1
1
type capitaliste) par les maîtres fonciers.
Au con~raire,
ce
l
système connaissait un niveau d'intégration telle que la logique
1
étatique nouvelle arrivera difficilement à atteindre.
Le niine
~1,li
gume du Goy entretenait avec le Tegume des rapports tellement
1
1
étroits qu'il ne saurait être question d'exploitation, et en adop-
tant ces rapports au contexte de l'époque de la loi sur le domaine
1
1
national,
ils ne constituaient pas,
contrairement à ce que disait
l
j
1
PEYTAVIN,
un facteur de blocage au développement moderne.
l
1
Si le socialisme et le retour aux valeurs négro-africaines
1
signifiaient l'exploitation communautaire des terres,
à ce niveau
lll~
également il n'y a pas de rupture,
parce que 98 % des terres du
l
1
Sénégal étaient exploitées par les différentes communautés fami-
!~
liales ou villageoises détentrices ou non de la maîtrise foncière.
1
~
1
Il Y a d'aillEurs une contradiction flagrante entre ce discours et
1
1
la pratique étatique quand la SAED a voulu imposer aux paysans du
1
Goy l'exploitation des périmètres irrigués selon le modèle indivi-
1
dualiste,
ce que les
paysans avaient rejeté parce que non
1
1
i
conforme à la logique communautaire qui a toujours guidé l'exploi-
i1l
tation des droits fonciers
(Voir infra chapitre 3).
1
~
;
j
1
Ce socialisme qui se veut enraciné dans les valeurs négro-
1
~•!
africaines recèle beaucoup d'ambigüités. Ainsi les communautés
1
rurales prévues par la loi de 64 et organisées par loi 72/25 ne
1l
correspondaient en rien aux communautés traditionnelles de base.
llj
Elles ne sont que des structures administratives installées en
~
~
J
j
1
l
!j
1
1
1
1

1
1
1
j
288
,
"'
1
ti
1
milieu rural pour permettre à l'Etat de mieux contrôler les ter-
1
res qui relèvent désormais de sa maîtrise.
Les communautés rurales
1
traditionnelles sénégalaises n'ont aucun lien avec les communautés
1
rurales traditionnelles négro-africaines, mais participent au souci
1j
ardent de l'Etat de moderniser l'appareil productif rural.
]
1
1
j,
La rupture avec les traditions "archaïques" et "rétrogrades"
J
.,:;
ne se fit donc pas par retour aux valeurs négro-africaines mais
!i
par le désir de l'Etat de supprimer toute concurence en matière de
!
détention foncière dans les zones rurales.
Le rôle que l'Etat
1
s'était assigné à cette époque était de se constituer le seul
1
1
i
moteur du développement de l'agriculture.
L'autre aspect de cette
il
rupture se trouve dans le fait qu'en supprimant la maîtrise
1
1
foncière traditionnelle l'Etat n'a pas crée de logique proprié-
tariste sur la terre. La terre est restée un espace commun,
ce qui
a permis l'émergence dans les communautés rurales de nouveaux
maîtres fonciers.
C'est ce qui fait de l'intérêt général un concept mal appli-
qué car le nouveau maître foncier quant à lui tente de rompre
plus ou moins avec la logique traditionnelle, en contournant ou
en détournant la logique étatique.

1
289
1
11- LE CONTENU DE LA LOI SUR LE DOMAINE NATIONAL ET LE
1
REGIME DES TERRES
i
1
!
A- LA NATURE JURIDIQUE DES TERRES DU DOMAINE NATIONAL.
t1
Jusqu'à l'indépendance du sénégal les systèmes fonciers cou-
1lj
tumier et colonial
(ainsi que le droit musulman)
ont coexsisté en
j
!
entraînant parfois une certaine confusion. Cette confusion était
~
l
toutefois très réduite dans le Goy où le système coutumier était
1
lj
prépondérant. Avec la définition des plans nationaux à l'indépen-
l
J
dance et l'apparition de projets de développement,
surtout
1
~
1
agricoles,
il parut nécessaire pour le jeune Etat de reconsidérer
j~
1
le statut des terres et de supprimer cette dualité ambigüe de
J
1
fait des régimes fonciers.
1
j
La loi 64/46 du 17 juin 1964 ainsi que ses textes d'applica-
1
j
tion ont voulu concrétiser cette préoccupation en définissant et
1
j
en mettant en place un cadre unique de reférence en matière fon-
1
cière.
Par cette loi le législateur sénégalais avait voulu
substituer aux régimes traditionnel et colonial un système foncier
compatible avec sa politique de développement économique mise en
oeuvre. L'application de cette loi n'a pas manqué de poser des
problèmes
: le premier relève du fait que le système traditionnel,
d'une manière générale ignore le droit de propriété comme le
législateur colonial avait voulu l'imposer au départ. Les droits
sur la terre
(ceux du niinegume comme ceux du tegume)
étaient
toujours des droits collectifs appartenant soit à la collectivité
1
1
1
1

1
1
290
t!il,~
villageoise, soit à la collectivité familliale auxquelles le con-
1
cept juridique de personnalité morale est aussi inadapté que celui
de propriété privée.
1
!
Le second problème relève du délai consenti pour requérir une
1
!
immatriculation (art.
3). Le délai de 6 mois était certainement
!
insuffisant pour des populations comme celles du Goy qui n'avaient
1
~
pas accès à ce type d'information.
L'information était surtout
tl
dirigée vers les zones urbaines.
Face à une telle situation aucune
1
~
des terres exploitées ou détenues selon le système traditionnel
dans la vallée d'une manière générale ne pouvait éviter de tomber
dans le domaine national. Et à l'expiration du délai de 6 mois,
l'Etat restait l'unique requérant à pouvoir immatriculer les ter-
res du domaine national,
(art.
3 al.
1). Cette réforme,
selon
Mamadou NIANG (5)
«se proposait de poursuivre des objectifs juri-
diques,
économiques et politiques. Dans le domaine juridique,
la loi se proposait d'unifier un système complexe comprenant
les droits traditionnels,
le droit colonial et le droit musul-
man. Dans le domaine économique,
la loi devait contribuer dans
le cadre de la planification,
à définir une stratégie de déve-
loppement rural intégré, assurant une meilleure mise en valeur
des terres».
Ainsi assiste-t-on là à un rejet pur et simple des coutumes,
car cette réforme permet de purger le sol des droits coutumiers.
Les droits fonciers traditionnels absorbés par la nationalisation,
la loi ne reconnait plus que les droits des occupants et exploi-
tants effectifs des terres.
(art.
7) Lorsque les terres issues des
droits coutumiers totalisent des superficies dépassant de loin les
possibilités de mise en valeur des populations, on peut tenir pour
5- Mamadou NIANG : Réflexions sur la réforme foncière sénéga
laise de 1964. In LE BRIS - LE RaYet LEIMDORFER : Enjeux
Fonciers en Afrique noire -
Karthala 1982. p.219 et s.

t~
1
291
1
1
indispensable le transfert à l'Etat de ces droits
(6). Ainsi en
1
vertu de l'article 2 de la loi sur le domaine national,
l'Etat
devient le seul détenteur des terres du domaine national "en vue
1
1
d'assurer leur mise en valeur rationnelle". Mais ce concept de
1
!
l
détention mérite d'être éclairci, car la question qui se pose est
l

de savoir si l'Etat est propriétaire après avoir purgé les droits
l~
des anciens maîtres fonciers,
ou simple détenteur.
Il y avait donc
1f
deux thèses en présence:
Jean CHABAS,
se fondant sur l'article 2
de la loi affirme que malgré le contenu du texte,
l'Etat est bel
et bien propriétaire en se fondant sur la possibilité qu'il a
(art.3) d'immatriculer la terre à son nom (7).
Ce que contestent
Marc DEBENE et Monique CAVERIVIERE
(8),
qui soutiennent que
l'article 3 ne donne que la possibilité de soustraire certaines
terres du domaine national en vue de l'immatriculation, et qu'en
outre c'est justement parce que l'Etat n'est pas propriétaire
qu'il doit recourir à l'immatriculation pour intégrer certaines
terres dans son patrimoine. Ces auteurs penchent donc pour la
thèse de l'Etat simple détenteur.
Etienne LE ROY, penchant pour la thèse propriétariste rai-
1
sonne autrement en mettant dans le jeu l'Etat et la Nation.
«
Pour identifier ce nouveau régime juridique et éviter d'en
1
faire l'appendice ou le simple duplicata du domaine national,
1
le législateur fait intervenir,
sous forme adjectivale,
la
notion de Nation. Or ce terme n'est pas défini dans le texte ...
f
!
6- BACHE LET (Michel)
: Réformes agro-foncières et Développement
in VERDIER (R.)
et ROCHEGUDE
(A.)
: systèmes fonciers à la
ville et au village. Afrique noire francophone.
L'Harmattan
1986. p.130.
7-CHABAS
(J)
: Le domaine national au Sénégal.
Annales AfricaineF
1965. p.33 et s.
1
8- CAVERIVIERE
(M.)
et DEBENE
(M.)
: Le droit foncier sénégalais.
Berger LEVRAULT 1988. nO 140 p.
85
1
!
1i1

292
1
En effet, en prétendant ignorer la question de la propriété
1
l
collective, la législation déplace le problème de la propriété
1
i
exercée sur le sol vers la possession car elle met l'accent à
travers la notion "de détention" non sur le droit dont dispose
1
une personne sur un bien-fonds
(aspect actif de la propriété)
il1
mais sur laquelle, cette personne a la possibilité d'accomplir
î
sur une chose des actes qui,
dans leur manifestation extérieure,
t
correspondent à l'exercice volontaire d'un droit
( ... ) . . . .
î
En faisant de l'Etat un détenteur,
la législation fait de la
Nation le propriétaire de 98 % de l'espace sénégalais»
(9)
1
~
1
Or si l'on considère que la Nation est dépourvue de pers on
1
nalité juridique,
ce droit de propriété reviendrait tout naturelle
ment à l'Etat.
Pour notre part,
nous penchons pour la thèse pro-
priétariste
et sans entrer dans les discussions savanteE sur la
propriété et la possession, nous pensons que l'Etat en édictant
la loi sur le domaine national a adopté sous une forme masquée
par le concept de détention, ( pour s'approprier les terres non
immatriculées)
la logique du décret du 23 avril 1904. En effet,
pour arriver à ses fins l'Etat a tout simplement déclaré toutes
les tenures sans maîtres pour pouvoir les contrôler.
Autrement dit,
sans l'existence de ce "droit de propriété"
masqué, comment expliquer le droit qu'a l'Etat par l'intermédiare
des structures administratives décentralisés que sont les commu
nautés rurales,
d'affecter et de désaffecter les terres? Ce n'est
pas seulement le souci d'une mise en valeur rationnelle des terres
du domaine national qui a poussé l'Etat à s'ériger comme "seul
maître de la terre". Car dans la logique traditionnelle, même dans
1
i
les systèmes étatiques centralisés comme celui du Gajaaga,
il y
1
1
avait plusieurs maîtres fonciers.
C'était justement l'existence de
i
9- LE ROY
(E.)
: La loi sur le domaine national à vingt ans
1
Joyeux anniversaire ? In Mondes en Développement nO 52
sénégal.
1985. pp.
670 et s.
1
1
1

1
1
293
1
1
t
maîtrises foncières multiples et hiérarchisées qui empêchaient
1
toute idée d'appropriation individualiste et exclusive de la terre,
1
1
1
à partir du moment o~ l'Etat se proclame seul détenteur des terres
l~
du domaine national il fausse la logique négro-africaine de la
1
détention foncière qui était l'un des slogans légitimant ce texte
!
et par là, peut-être sans le vouloir,
il introduit l'idée d'exclu-
1
~
sivité sur la terre,
faisant du paysan un simple producteur sans
j
'!J
droit sur la terre,
un simple détenteur de l'outil de travail
i
l
qu'il met à sa disposition, mais en le soumettant à son contrôle.
1
j
Ainsi les fonc't.ions traditionnelles de "maitres de la terre"
reprises par l'Etat pour les adapter aux nécessités du dévelop-
1
1
pement, que Victor GASSE distingue de la propriété à la
l
l
î
romaine
(10),
ne sont qu'un maquillage juridique pour mettre en
1
l
conformité le discours avec la phylosophie "socialiste et négro-
1
1
africaine"qui le soutend.
1
Face à ces différentes thèses
(propriétaristes: CHABAS,
BOUTILLIER, LE ROY,
etc.) et anti-propriétaristes
(CAVERIVIERE et
DEBENE notamment)
il convient d'affirmer que la nature juridique
1
t
des terres du domaine national est,
assez mal, précisée par la
lj
loi elle-même.
Parce que propriétaire ou simple détenteur,
l'Etat
1
1
annihile tous les droits des paysans sur les terres du domaine
national. cela se répercutera sur les périmètres irrigués villa
1
l
geois, parce qu'il est difficile comme nous le verrons au CH.3 de
1
déterminer avec précision la nature juridique des parcelles dans
1
ces périmètres.
Et cela se manifeste sur la perception qu'ont les
ll
paysans du domaine national.
i
10- GASSE
(V.).
1971
: Les régimes fonciers africains et malgache
l
Paris. LGDJ. Bibliothèque africaine et malgache.
1
"1
!j
1
j
\\
1

l
1
294
!
B.
-
LE CONTENU DU DOMAINE NATIONAL.
1
1
Nous ne nous étendrons pas sur cette question car ce ne
1
serait qu'une inutile répétition de ce que les juristes du droit
1
1
positif sénégalais ont longuement analysé.
1
,
!
Le législateur de 1964 par l'article 4 de la loi 64/46,
a
1
1
procédé à un classement des terres du domaine national.
Chaque
1
1
~,
type de terres répertorié a une affectation précise ce qui devrait
1
1
1
#
,
~
permettre une meilleure gestion du patrimoine.
lf
1
!p
î
~
1
L'article 4 dispose, en effet«
Les terres du domaine
national sont classées en quatre catégories
:
1
1
)
1 -
zones urbaines
1
2 -
zones classées
3 -
zones
des terroirs
4 -
zones pionnières.»
Les articles suivants présentent la finalité de chaque zone.
Les
zones urbaines
(art.5)
sont constituées par les terres du domaine
national situées sur le territoire des communes et des groupements
j
d'urbanisme prévus par la législation applicable en la matière.
Ces zones avaient pour vocation l'urbanisation et l'extension des
11
villes ainsi que toutes opérations de développement des communes.
1
1
Les zones classées (art.6)
sont constituées par les zones à
1
vocation forestière ou les zones de protection ayant fait l'objet
d'un classement dans les conditions ...
(Il n'existe pas de zones
classées dans la CR de Moudéri).
Les zones des terroirs
(art.7)
correspondent ...
aux terres qui sont régulièrement exploitées pour
l'habitat rural,
la culture ou l'élevage.
Cet article ne donne pas
la définition de la notion de terroir qui est donnée par l'article
1
1
11
Jl1

1
r
1
1
295
t
1
!f
1
~11
!
1
premier du décret 64/573
(11) qui preC1se : «Le terroir est cons-
titué par un ensemble homogène de terres du domaine national
t
nécessaires au développement de la population du ou des villages
!
j
qui y sont implantés,
ayant des intérêts communs.»
·1
L'article 2 du même decret poursuit «
Le terroir comprend,
autant
1
que possible,
les terres de culture,
les terres de pâturage,
les terres de parcours,
les boisements régulièrement utilisés,
1
les terres en friche jugées nécessaires à son extension.»
1
1
Cette définition du terroir correspond assez bien à celle que
~
f
~
t
donnent les soninke à leurs propres terroirs.
En effet, nous avons
1
1
fait ressortir au chapitre 3 de la première partie la différence
l
entre niin~-territoire qui correspond au jamaane et niino-ter-
roir villageois sur lesquels s'exercent les droits fonciers.
Ainsi les terroirs niino soninke se définissaient comme l'ensem-
1
ble des terres à vocation agricole
(soxoniino). C'est l'ensemble
1
j
des terres exploitées par un village,
sur lesquelles s'exercent
1
les droits fonciers,
qu'elles soient effectivement cultivées ou
1
1
mises en jachère,
servant aussi à l'élevage et à la pêche.
Il y
a donc une concordance entre la logique de la loi sur le domaine
national et la logique traditionnelle aussi bien au niveau des
1
limites des terroirs qu'à celui de la vocation assignée à ces
zones. La seule différence est que le village n'est plus au centre
1
1
du terroir, malgré l'article premier du decret 64/573 car le ter-
i~
roir villageois n'est plus constitué par l'ensemble des terres
cultivables, mais plutôt par les terres effectivement cultivées ou
mises en jachère, tenues selon la tradition ou affectées par le
Conseil Rural.
11- Décret 64/573 du 30 juillet 1964 fixant les conditions
d'application de la loi 64/46.
JORS nO 3699 du 5 sept.1964
p.
1122.

296
,
1
J1
c'est ainsi qu'une bonne partie du terroir traditionnel d'un
J
i
village peut lui échapper par le biais d'affectations faites par
1
1
1
le CR à d'autres villages. Exemple:
l'affectation d'une partie
du terroir traditionnel de Jawara aux périmètres de Moudéri .
1
.~
C'est ce qui est en ce moment source de conflits latents ou
lJ
ouvrts entre ces deux villages
(12).
Ce sont donc des terres des
J
zones des terroirs dans le Goy qui constituent les véritables
1
1
enjeux fonciers nouveaux.
1
~
,
Elles constituent de nouveaux enjeux non pas à cause du chan-
1
gement du régime juridique des sols,
(car les zones de terroirs
1
comme les niino villageois demeurent l'outil fondamental de tra-
î
1
vail des paysans) mais à cause de l'orientation nouvelle qui doit
aller au-delà de l'autoconsommation. En fait malgré le discours,
1
i
ce n'est pas l'Etat qui a mis la terre à la disposition des pay-
sans car elle n'a jamais cessé d'être considérée comme l'outil
1
de production et de la reproduction des rapports sociaux.
1
Mais la loi sur le domaine national a introduit un changement
1
1
dans la perception que les paysans avaient de la terre et des
1~i
1
rapports humains. La nouvelle logique a créé (et cela est un
l phénomène récent lié à l'arrivée du conseil rural sur le terrain
du Goy) des rapports plus lâches entre villages, ce qui détruit
1
peu à peu l'homogénéité politique et foncière de cette partie du
1
Gajaaga sénégalais. La hantise existe donc à un double niveau
1
12- Voir chapitre 4 de cette deuxième partie sur les nouveaux
conflits fonciers,
le déroulement de cette affaire.
1
lj
j
l
1
1

297
celui de l'exclusion de la terre et par conséquent des avantages
qu'elle peut procurer .dans la nouvelle logique foncière de la loi
sur le domaine national qui pousse les paysans soninke du Goy à se
recroqueviller sur leurs droits traditionnels et à user de la loi
sur le domaine national pour les conserver.
«
Dans une communauté
qui vit de l'agriculture,
le droit à la terre est à la fois une
nécessité et une évidence:
exclure un paysan de la terre, c'est
le condamner à mort»
(13).
s ' i l n'existe pas dans le discours de la loi sur le domaine
national l'idée d'exclusion des paysans de la terre en les pur-
geant des droits ancestraux les paysans par contre ont une percep-
tion différente:
le sentiment d'exclusion existe d'abord chez les
niinegumu qui voient là une façon pour l'Etat de les marginaliser
et de créer l'égalité avec les autres dans le contrôle de la
terre. A partir de là naît le réflexe "d'autoconservation" des
anciens maîtres fonciers qui pensent que ce sera un moyen qu'uti-
liseront les exclus traditionnels de la maîtrise foncière
(komo et
naxamalani) pour s'affranchir de la tutelle politique que les
premiers ont toujours exercé sur eux,
et de la "minorité sociale"
dans laquelle ils Ollt été maintenus. Dès lors les moyens utilisés
pour maintenir la tradition foncière peuvent aller (et vont même)
jusqu'à l'acceptation (sans résistance apparente parfois) de la
logique foncière nouvelle ainsi que son utilisation.
Mais à un second niveau on peut constater ce sentiment d'ex-
clusion chez les anciens dominés, qui voient quant à eux la loi
sur le domaine national comme un instrument servant à rnai~tEnir
13- COQUERY-VIDROVITCH (C.)
: Le régime foncier rural en
Afrique noire.
In LE BRIS, LE ROY,
LEIMDORFER : Enjeux
Fonciers en Afrique noire.
op. cit. p.
67 et s.

298
les anciens maîtres fonciers dans leurs droits.
A juste raison car
les anciens maîtres fonciers du Goy manifestent un certain mécon-
tentement du fait de l'entrée de conseillers de catégories socia-
les traditionnellement exclues de la maîtrise foncière,
ce qui
constitue une "atteinte" à leur position dominante et une menace
pour leurs privilèges.
(14)
c'est une façon d'imposer le modèle traditionnel,
en prenant
comme légitimation la loi sur le domaine nationaJ.
De l'avis d'un
conseiller rural orginaire de Mudeeri
: «
Il y a En ce moment des
difficultés dans le fonctionnement du CR,
à cause des bouleverse
ments des pratiques traditionnelles de distribution des terres.
Les conflits sont inévitables entre conseillers maîtres fonciers
qui sont foncièrement conservateurs,
et les conseiller2 dont
les familles étaient exclues de la maitrise fonci~re. Le choix
des conseillers doit se faire sur la base de la compétence et
non l'appartenance à une famille ou à un groupe social.
Les
maîtres de la terre sont mécontents parce que ceux qui leur
étaient soumis et qui dépendaient d'eux pour avoir la terre à
cultiver particicipent désormais à égalité avec eux à la répar
tition de la terre.
Les anciens dépendants doivent lutter au
sein du CR pour que disparaissent ces types de
comportements.»
(15)
Comme on le voit la loi sur le domaine national crée chez les
paysans du Goy le sentiment d'être exclus, mais à un niveau diffé
rent,
selon qu'il s'agit des anciens maîtres de la terrE, ou des
catégories sociales exclues de la maîtrise tra~itionnelle. Ce qui
crée un double grief contre la logique nouvelle
: les anciens maî-
tres fonciers trouvent qu'elle porte atteinte à leurs droits alors
que les autres pensent qu'elle devrait aller plus loin dans la
recherche de l'égalité et d'un nouvel équilibre social.
14- Nous avons remarqué,
lors de nos enquêtes comment à Mannaayel
par ex.
les c0nseillers ruraux,
anciens maîtres fonciers ten-
tent,
même 'dans les instances du CR de mal: g inal i ser les con-
seillers anciennement exclus de la terre.
15- Mamadou Bakary SIDIBE, Conseiller rural du village de Mudeeri
Entretien du 3 juillet 1988 à Mudeeri.

299
Or à notre sens cet équilibre existait avant l'avènement
de la loi sur le domaine national,
car le système traditionnel
soninke était tel que ce sentiment d'exclusion n'existait pas,
et
l'inégalité statutaire n'était pas non plus perçue comme une
injustice.
s ' i l y a déséquilibre en ce moment il ne serait que le
fruit de l'introduction de cet "élément étranger" qu'est la
logique d'Etat.
l,'application de la loi sur le domaine national dans le Goy
repose sur la loi 72/25 du 19 avril 1972 relative aux cGmmunautés
rurales
(JORS n04224 du 13.05.72 p.755),
modifiée par la loi 75/77
du 09 juillet 1975 et la loi 79/42 du Il avril 1979,
ainsi que le
décret 82/28]
du 03 mai 1982
(JORS n04888 du 24 avril 1982, p.330
et 331) portant création des communautés rurales dans la Région de
Tarnbacounda.
Mais la nouvelle logique foncière contribue moins à
créer ou à accentuer le fossé entre les différentes catégories
sociales qu'à l'émergence dans le Goy de nouveaux maitres fonciers
conscients des possibilités offertes par la loi pour se position-
ner ou se repositionner dans le procés foncier.
Ces nouveaux niine
gumu démontrent à ce niveau de l'analyse les insuffisances voire
les absurdités des textes sur le monde rural.

300
III- LES NOUVEAUX MAITRES FONCIERS DU GOY :
LE DETOURNEMENT DE LA LOGIQUE D'ETAT.
L'introduction dans la vallée d'une manière générale de la
loi sur le domaine national, des communautés rurales et de la cul-
ture irriguée a provoqué selon Jean SCHMITZ une "petite révolu-
tion sociale" et la "revanche sociale" des exclus de la maîtrise
foncière traditionnelle, parce que la nouvelle logique est une
logique égalitaire de
répartition des terres.(16)
Jean SCHMITZ a raison d'affirmer cela, mais sur un point
seulement.
En effet,
il y a une "révolution sociale" parce que
les anciens niinegumu (pour ce qui concerne le Goy)
ainsi que les
détenteurs de droits de culture,
conscients de la force de la
nouvelle logique, l'ont relativement tôt adaptée à leur contexte
sociologique notamment dans le système de production au niveau
des périmètres irrigués villageois.
Mais la "revanche sociale" des
anciens exclus est une affirmation qui force la réalité.
Elle est
fausse car comme nous le verrons,
les anciennement exclus n'ont
pas jusque là développé les ressources nécessaires pour utiliser
à leur profit la logique de la loi sur le domaine national.
L'article 2 de la loi 64/46 comme on le sait,
fait de l'Etat
le seul détenteur des terres du domaine national. Mais les dispo-
sitifs qui accompagnent cette loi créent dans la pratique du ter-
rain d'autres maîtres fonciers à côté de l'Etat. On assiste en
effet dans le processus de répartition et de contrôle de la
16- SCHMITZ (J.)
1986 : Projet d'irrigation de Kaskas et situa-
tion des périmètres villageois de la zone. Rapport de mission
Université agronomique de Wageningen, SAED, ORSTOM, ADRAO.

301
terre à l'émergence de nouveaux maîtres de la terre dans le Goy.
La loi sur le domaine national et celle sur les communautés rura-
les étaient à leur origine un Ilpari démocratique"
: celui de la
possibilité pour les couches paysannes les moins favorisées par
les systèmes traditionnels d'accéder aux instances de décisions
et de répartition des sols.
Mais concrètement, écarter d'emblée les grandes familles
détentrices des droits fonciers traditionnels ou les noyer dans
ces instances aurait nécessité un bouleversement considérable et
de surcroit,
eût privé l'autorité politique de certains de ses
alliés privilégiés. Ainsi, nous le verrons,
le jeu des intérêts
politiques et sociaux ne permet pas toujours à 11
Etat et à la
logique du domaine national de préserver les intérêts des couches
paysannes qu'ils entendent protéger.
C'est ainsi que ces derniers
subissent encore la pression politique et foncière des anciens
,
maîtres. Mais comment cette emprise a-t-elle été rendue possible?
Dans les principes le conseil rural est composé de membres qui
n'appartiennent pas à la même famille
(art.ll de la loi 72/25)
ce
qui permet d'éviter certaines pratiques et aussi aux conseillers
qui n'ont pas d'intérêts familiaux spécifiques à protéger de se
contrôler mutuellement. Ainsi dans le fonctionnement du conseil
rural tel que défini par les textes,
la dichotomie traditionnelle
entre niiegumu et te gumu ne devrait pas se refléter dans le
processus de répartition des terres entre les habitants du Goy.
l11i
ij
!
1
1

302
Mais la réalité est assez différente de ce discours car
l'implantation des structures administratives
(CR,
Sous-Préfet
et Préfet) combinée à la présence des anciennes familles furent le
facteur qui a favorisé l'émergence des nouveaux niinegumu.
L'article 56 de la loi 72/25 fait du Président du conseil rural
le premier nouveau maître de la terre dans le Goy.
selon cet
article,
le PCR affecte les terres du domaine national dans les
conditions fixées par la loi.
rI prononce aussi le cas échéant la
désaffectation de ces terres,
après avis du CR. Cette disposition,
comme on le voit,
fait du PCR l'héritier des pouvoirs fonciers du
xabiilanxirise (chef du clan),
du Tunka ou du Debigume sur la
réserve clanique
(xabiilanniino,
ruxuba)
ou sur la réserve
communale (jamankafonniino).
Cette "révolution foncière" pousse le PCR de Mudeeri à des
pratiques et comportements qui ne sont pas conformes à la tradi-
tion, ni à l'esprit de la loi sur le domaine national.
Car la
logique du domaine national et des communautés rurales fait du PCR
une simple structure administrative,
relais de l'Etat détenteur de
la maîtrise foncière dans le monde rural.
Le PCR de Mudeeri,
sans
tenir compte du rôle qui lui est assigné,
se comporte quelques
fois dans ses rapports avec certains villages ou individus comme
si la terre lui appartenait.
C'est ainsi par exemple que pour des considérations d'ordre
partisan il a refusé pendant longtemps,
(17)
avec la complicité
17- rI nous l'a avoué, sans détour,
lors de notre entretien du
3 juillet 1988 à Mudeeri, et cela fut confirmé par certains
intéressés eux-mêmes, notamment les habitants de Tiyaabu.

303
du CR d'affecter des parcelles à des personnes soupçonnées
appartenir ou militant ouvertement pour des formations politiques
de l'opposition.C'est ainsi également qu'il procéda à des affec-
tations forcenées,
allant jusqu'à prononcer des déguerpissements
de champs en vue d'en faire des zones d'habitation (à Jawara)
alors qu'il n'y avait pas urgence,
ce qui naturellement rencontra
de vives oppositions de la part des populations concernées.
On voit donc que le pouvoir d'affectation conféré au PCR
dans l'exemple du Goy semble mal utilisé,
car plus que le niine
gume dont les pouvoirs étaient limités par un certain nombre de
"contraintes" et de freins sociaux,
il
(le PCR)
utilise les pou-
voirs fonciers que lui confère la loi pour exercer une totale
emprise sur les terres.
L'expression employée par les populations
pour désigner cet état est assez éloquente quand elles disent,
en
parlant du PCR "kaati da niinon mara ..:. ~ untel commande sur les
terres,
il règne sur les terres. De plus,
la possibilité qu'a ou
que se donne le peR de désaffecter la terre ou de la retirer au
paysan ou à la collectivité affectataire lui confére un pouvoir
redoutable,
au nom de l'intérêt général ou de la mise en valeur
dont le contenu reste encore à définir.
La désaffectation est en principe la sanction juridique de
l'absence de mise en valeur,
mais dans la pratique elle peut
prendre la forme d'un simple règlement de comptes.
Sur ce point
bien précis concernant le PCR de Mudeeri,
nous sommes d'accord

304
avec Jean SCHMITZ quand il a qualifié cette réforme de "revanche
sociale ll des anciennement exclus du contrôle de la terre.
En effet
la famille Njaay de Mudeeri
(à laquelle appartient le PCR)
était
simple détentrice de droits de culturel
et la presque totalité de
leur terroir de décrue était détenue par les Bacili de Tiyaabu
(voir première partie la genèse de l'exclusion de cette famille de
la maîtrise foncière.)
Aussi les agissements du PCR contre ce viJlage l en dehors des
motifs d'ordre partisan,
prendraient l'allure d'une revanche sur
l' histoire,
an détriment des anciens maîtres fonciel-s de Tiyaabu,
Mannaayel et Jawara.
conscient du lIpoids foncier" que lui confère
la loi,
i l essaie à chaque fois d'appliquer le principe selon le-
quel les chefs de villages sont exclus du contrôle foncier pOUl
les écarter,
ce qui naturellement crée des tensions avec ces der-
niers
(voir chapitre 4 sur les nouveaux conflits fonciers).
A en croire ce que nous venons de décrire,
le PCR agirait
seul dans les formes légales strictement respectées ou détournées
de leur finalité.
Or depuis 1980,
les pouvoirs fonciers détenus
par le seul PCR ont été transférés au CR.
«
la recherche idoine
pour répartir la terre a entrainé le remplacement d'un homme
seul par une assemblée.»
(18)
Désormais donc,
toute décision
d'affectation ou de désaffectation doit au préalable reccueillir
l'avis conforme du CR.
Cet avis lie le PCR qui est chargé de
l'exécution de la décision (si elle satisfait à d'autres
lIépreuves") .
18- CAVERIVIERE et DEBENE
: Le droit foncier sénégalais.
op.
cit.
nO 315, p.
192.
1
,)
,
i
1
1
1
1
,
11

l1
305
l
j1j
1
Ainsi les conseillers ruraux dans la logique foncière nou-
î
j
1
velle et dans la pratique sont intégrés de façon significative
~1il1
dans le processus de la détention foncière.
Dans la plupart des
cas,
ils influent de façon plus ou moins forte sur les comporte
ments du PCR, pour des raisons qui seront analysées plus loin.
1
i
!
En marge de ces organes répartiteurs officiels (PCR et CR)
on voit dans les coulisses d'autres nouveaux maîtres du sol, qui
1
j
.1
usent de leur position politique influente pour tirer les ficel-
1
ii
les. C'est le cas d'un député du Département,
responsable politi-
1
j
que auquel le PCR presque analphabète est totalement inféodé.
Cette situation facilite certaines affectations ou désaffectations,
1
J
1
confère des droits et des privilèges à certains proches politiques.
1
~
1
Jusqu'en 1986,
les décisions en matière foncière étaient
f
~
prises aprés délibération du CR,approuvée par le sous-Préfet.
1
L'approbation par le Sous-Préfet était obligatoire d'autant que
j
i
dans le cadre de la décentralisation administrative il est l'auto-
~i rité de tutelle du conseil Rural. Ce pouvoir d'approbation fut
transféré au Préfet dès 1986, qui est substitué au Sous-Préfet en
~
'j
~
matière foncière et qui devient un nouveau maître foncier, maillon
1
1
décisif dans le processus de répartition des terres.(19)
j
~
1
La combinaison de ces facteurs et la présence de ces diffé-
1
rents organes dans le processus de contrôle et de répartition des
î
1
terres favorisent l'émergence dans le Gajaaga d'une élite rurale
1
qui contrôle juridiquement et économiquement le foncier.
Cette
1
j
1
nouvelle lIcatégorie sociale de paysans" profite des possibilités
que leur offre la loi pour dominer l'appareil rural de production.
1
19- Décret 86/445 du 10 avril 1986, modifiant l'art.
2 du décret
1
72/1288. JORS 10 mai 1986. p.198
1
]

1
306
1
Etienne LE ROY perçoit bien ce phénomène quand il écrit
:
«
de nouvelles catégories sociales peuvent émerger à partir et
en fonction des opportunuités offertes par la loi.
Le proces-
1
sus est fondé soit sur l'accumulation (indQment souvent ... )
d'un patrimoine foncier urbain,
soit l'utilisation par les
conseillers de leur position, dans les nouvelles communautés
1
"rurales, pour acquérir des avantages financiers ou politiques
1
en contrepartie d'affectations favorables ... En milieu rural,
la capitalisation étant plus modeste et le surproduit presque
1
totalement consommé,
il s'agit moins d'une bourgeoisie que
Jl
"d'intermédiaires locaux (souligné par nous)
se constituant
comme classe autonome en jouant de la qualité de"brokers"
(négociants-courtiers) entre l'appareil de l'Etat et les
paysanneries en voie de prolétarisation.»
(20)
si cette analyse de LE ROY est pertinente pour certains
aspects de la question l'auteur par contre n'est pas allé au
fond des réalités,
quand il nie l'existence d'une bourgeoisie
rurale au profit "d'intermédiaires locaux". Car on assiste bel et
~
bien (en ce qui concerne le Goy tout au moins)
à l'émergence d'une
l
j
!
véritable bourgeoisie rurale qui utilise l'appareil d'Etat pour
i
l
s'octroyer des privilèges et de se mettre dans une position domi-
lii
nante par rapport à la masse des paysans.
1
La preuve est illustrée par la pratique des affectations
faites
jusque là par le CR de Mudeeri.
En effet, malgré les
1
i
déclarations du PCR sur les refus d'affectations individuelles,
il
1
s'est formé autour de lui un noyau de privilégiés con'posé des con-
~11
seillers ruraux les plus influents qui tous bénéficient d'affecta-
1
tions individuelles plus ou moins importantes. C'est le cas du
1
périmètre de Mudeeri 3 de 62 hectares affecté en 1986-87 au Député
sada DIA qui fait figure de tête de liste de cette bougeoisie
1
rurale naissante du Goy.
20- LE ROY,
(E.)
: La loi sur le domaine national a vingt ans
1
Joyeux anniversaire.
In Mondes ~n développement. Sénégal.
1985. op. cit. p. 678
1
1
1

307
C'est aussi le cas du Président du Conseil Rural lui-même à
qui le conseil a affecté un périmètre de 50 ha en 1987-88 sur le
terroir de Mudeeri. D'autres exemples existent,
notamment à Jawara
i
avec le périmètre Jawara 2 Al Falh dans lequel se trouve l'un des
1
]
.~
l
membres les plus influents du conseil rural de Mudeeri.
On assiste
!l par leur appartenance politique surtout, à l'émergence de ce que
E. LE ROYa appelé les nouveaux riches
«Non seulement ces
1
"nouveaux riches" ont contrôlé la réforme par le biais des élec-
1
l
tions aux conseils ruraux mais encore les décisions que prennent
ces conseils bénéficient directement à leurs homologues,
renfor-
:i
l
cent leur puissance foncière et leur prestige local,
et assurent
i
l'apparition d'une nouvelle cl~sse sociale,
la bourgeoisie
rurale sénégalaise.»
(21)
1!!j
On aura remarqué ici l'évolution dans la démarche de cet
1
î
auteur dans la qualification de ces nouveaux riches.
Aprés les
1
1
avoir qualifiés de bourgeoisie rurale
(1980),
il revient en 1985
1
(Mondes en développemeut)
pour les qualifier de simples intermé-
1
diaires locaux. Mais par rapport à la réalité du terrain,
nous
1
1
pensons que sa première affirmation reste la plus vraie,
car il
1
1
s'agit bien d'une bourgeoisie rurale,
capitaliste et dont le seul
souci est d'accaparer les terres et les moyens de production au
1
détriment de la paysannerie pauvre en vue d'asseoir une domination
1
politique et sociale durable.
1
1
1
Il est vrai qu'une nouvelle société est en train de naître
1
!
par le contrôle de la terre,
mais les nouveaux riches ne sont pas
les seuls à essayer de réincarner le passé.
La loi sur le domaine
national et celle sur les communautés rurales mettent sur la scène
une dernière catégorie de nouveaux maîtres fonciers dans le Goy,
\\~
1
21- LE ROY,
(E.)
: L'émergence d'un droit foncier local au Séné
gal.
In Dynamiques et finalités des droits africains sous
la direction de Gérard Conac. p.136 et s.
1
i
\\

308
qui ne sont autres que ceux que les textes ont privés de leurs
prérogatives foncières en les confiant au CR,
au Sous-Préfet puis
au Préfet:
à savoir les anciens niinegumu.
On assiste,
comme nous
l'avons vu à une forme de résistance
(non pas de la tradition à la
modernité, mais de l'ancien au nouveau)
à la 10gigue étatique par
son utilisation pour le maintien des prérogatives foncières et
sociales.
1j
j
l
Cette logique d'Etat a entrainé des mutations et il y a dans
i
lil
le Goy une "révolution sociale" mais pas dans le sens initialement
-~
1
voulu par le légis1ateur.Le manque de clarté des textes a entrainé,
1
comme nous le verrons l'effet contraire à celui souhaité,
à savoir
1
l'idée d'un contrôle de la terre par les paysans eux-mêmes par le
1
biais de leurs organisations,
afin qu'ils cessent de "subir" les
anciens maîtres du sol.
Par conséquent les anciens niinegumu sont
devenus de nouveaux maîtres fonciers,
ce qui garde presque intacte
la physionomie foncière soninke.
Nous observerons ce phénomène à
deux niveaux
celui de la composition du conseil rural de Mudeeri
et celui des périmètres irrigués villageois du Goy.
D'abord l'accaparement et le contrôle du conseil rural par
les niinegumu sont faits dans le respect des principes de l'arti-
c1e 11 de la loi 72/25 sur la composition du CR,
à savoir l'inter-
diction d'élire ou de désigner des membres d'une même famille.
Cette règle est respectée en la contournant par la "coalition" des
familles niinegumu du Goy.
En effet,
sur les 18 membres élus et
1
!
désignés du CR de Mudeeri,
13 sont issus des familles niinegumu du
1
i1
t
\\

309
1;
1
Goy.
Le Goy,
comme nous l'avons vu dans la première partie consti-
J
1
tuait un espace politique et foncier homogène où les intérêts des
1
t
~
catégories dirigeantes étaient toujours liés.
c'est pour maintenir
1
1
et sauvegarder ces intérêts que lors des élections rurales de 1984
1
ce fut les membres de ces familles qui jouissent encore d'une
1
réelle emprise politique et sociale,
qui furent portés sur les
il,
têtes de listes.
1
,
l
La plupart des conseillers anciennement exclus de la maîtrise
1
1
fonciÈre sont désignés. Ainsi par le jeu subtil et tout à fait
1
;
légal de l'élection,
les niinegumu ont conservé le contrôle des
1
terres.
L'Etat a,
comme on le sait,
par le biais de l'article 48
de la loi 72/25,
exclu les chefs de villages
(anciens maîtres
fonciers)
de la présidence des conseils ruraux (nous y reviendrons
au chapitre 3).
Et le moyen le plus sûr que ces derniers ont
trouvé pour contourner cette incompatibilité est de favoriser
l'élection d'une majoritÉ de conseillers issus des familles diri-
geantes.
L'Etat n'a pas pour le moment la possibilité de contrôler
ce phénomène qu'il a créé lui-même sans le vouloir mais qui,
tant
qu'il ne dérange pas politiquement,
le laisse subsister.
Les niinegumu exclus de la gestion de la terre par la loi
arrivent donc par le biais de cette même loi à se réinsérer de
façon légale dans la nouvelle logique de contrôle de la terre,
émergeant dés lors comme de nouveaux maîtres fonciers.
Parce que
1
même si les paysans juridiquement ne relèvent plus de l'emprise
des chefs coutumiers ils n'en sont pas moins obligés pour autant,
1
j
11j

310
pour se faire affecter des parcelles, de s'adresser aux fils des
chefs coutumiers. Ce que l'Etat a enlevé aux chefs de villages,
il l'a redonné aux fils des chefs de villages.
Les intérêts des seconds étant les mêmes que ceux des premiers,
on assiste à un détournement légal de l'esprit de la réforme.(22)
L'effet pervers de ce phénomène se situe dans une pratique qui
semble être un rapport conflictuel entre le PCR et certains chefs
de villages,
alors qU'en réalité elle va dans le sens de la conso-
lidation des intérêts de classe:
i l s'agit de celle de la vente.
En effet, on assiste depuis quelques années au niveau des villages
à la pratique de la vente pure et simple de terrains à usage d'ha-
bitation par les chefs de villages.
Cette pratique existait depuis
le début des années 70, due au croît démographique constant des
villages et à l'exigüité des carrés traditionnels, certains cher-
chant un espace plus approprié à la taille désormais plus grande
des familles,
mais aussi et surtout pour la construction de bâti-
ments en dur, modèle en vogue à cette époque. Mais le prix de
vente était seulement une contribution symbolique le plus souvent
déstinée à alimenter les caisses villageoises.
Mais actuellement ce prix de vente des terrains se chiffre
1
parfois à des centaines de milliers de francs,
payés seulement par
1
1
les catégories sociales anciennement exclues de la maîtrise fon-
cière et politique,
alors que les familles
issues des anciens rnaî-
1
tres fonciers bénéficient gratuitement de ces "extensions". Cette
pratique se fait avec le consentement tacite du CR ce qui
J
1
22- TRAORE,
(s.)
: 1987 : Sociologie de la Terre dans la vallée
i
du Fleuve sénégal. op. cit. p.15 et s.
J

1
1
311
l
1
1
contitue une complicité de classe.
Elle est, on le sait, en même
temps contraire au droit foncier soninke qui interdit la vente et
1
à la logique étatique de l'inaliénabilité des terres du domaine
1
l
1
national et, qui plus est, un empiètement sur les prérogatives du
j
~
CR qui, en vertu de l'article 56 al.1 de la loi 72/25
«
... autorise l'installation d'habitations ou de campements ... »
J
1
Ainsi par une bonne organisation autour d'intérêts communs et une
J
]
1
savante manipulation des textes,
les nouveaux maitres fonciers
1
1
parviennent à allier l'ancien et le nouveau droit en continuanT
1
1
comme par le passé à exercer leur pression foncière.
il
Le second niveau du phénomène d'accaparement par les anciens
1
1
niinegumu est à observer dalls la présidence des coopératives et
j
]l1
périmètres irrigués villageois où ils exercent un pouvoir foncier
1
réel.
L'introduction de la culture irriguée dans le Goy depuis le
début des années soixante-dix (23)
a certes provoqué des boulever-
1
1
sernents mais pas toujours dans le sens voulu
: à savoir celui de
1
t
la structure sociale en milieu rural.
j
1
J
J
La société soninke du Goy,
fortement hiérarchisée n'a pas
~1
1
échappé à ces mutations.
Les PlV n'ont pas introduit une nouvelle
division sociale mais de nouvelles structures de production, de
1
1
nouveaux rapports entre groupes statutaires. L'accés aux coopéra-
1
t
tives villageoises et aux périmètres irrigués n'était soumise à
1
aucune restriction ni ne souffrait d'aucune exclusion,
sauf celles
1
prévues par les statuts et règlements intérieurs des groupements.
1
C'est l'esprit du système soninke qui pr~vaut entièrement ici, en
ce sens que les maîtres fonciers coutumiers du GOY (les catégories
1
i
23- Nous reviendrons sur les implications économiques et
sociales au chapitre 4.
1
!
1
1~1j

312
dirigeantes d'une manière générale),
dans le cadre de l'Etat ou
dans le cadre strictement villageois,
n'excluaient pas du système
de production à quelque niveau qUE ce fut les catégories dépen-
dantes. Mais il serait faux de croire que cette logique dl intégra-
1
tion était aussi une logique de partage.
Le partage de la terre ne
1j
l
signifiait pas partage des prérogatives foncières.
1
1
j
La communauté rurale ayant remplacé les niinegumu dans
j
leurs prérogatives foncières,
nous avons vu comment ces derniers
1
ont contrôlé l'appareil communautaire au niveau du Conseil Rural
1
de Mudeeri en faisant des anciennement exclus,
en nombre r~duit,
11J
de simple participants à la prise des décisions en matière
foncière et non des initiateurs.
La conséquence la plus immédiate
1l
de cette monopolisation par les nouveaux maîtres
(anciens)
1
fonciers est la prise en main des coopératives et des périmètres
~j;j
irrigués villageois.
Ces structures sont,
s ' i l était besoin de le
dire,
la forme la plus achevée du maintien du statu quo social et
1
1
foncier du Goy.
1
1
lj
D'abord les demandes d'affectations Eont faites pour la plu-
part au nom du chef de village qui se charge de mettre la parcelle
1,1
affectée à la disposition du groupement villageois, si ce n'est
1
pas lui qui
directement affecte cette parcelle.
Les familles
1
1
l
détentrices de la maîtrise foncière traditioDJlelle ont par ce
1
biais accaparé la direction des PIV,
ce qui contribue,
on le sait
1
l
à accentuer leur pression foncière sur les catégories inférieures.
j
j
,1
j
j
~l1l1l

313
Les anciens maîtres fonciers et leurs clients traditionnels
contrôlent la direction de presque tous les périmètres irrigués et
coopératives. On assiste là à un jeu assez subtil des forces socia-
les sur les PlV, en fait à une lutte sourde entre catégories
détentrices de la maîtrise foncière et les descendants d'anciens
captifs pour le contrôle, non pas de la terre à proprement parler
puisque celle-ci l'est déjà dans une large mesure par les premiers,
mais de la structure de production qu'est le périmètre irrigué.
Les textes posent des bases "démocratiques" de contrôle et une
gestioll égalitaire des terres.
L'accés aux PlV ne se fait pas non
plus sur la base d'une distinction sociale chez les paysans
soninke
(bien que les périm~tres individuels tiennent souvent
compte de critères familiaux,
affinités politiques ou
religieuses).
L'accès selon les deux logiques aux périmètres est démocra-
tique et égalitaire, et l'organisation du travail ne se conçoit
pas non plus sur une base discriminatoire sur les PlV,
dans la
mesure où les responsables et chefs d'équipes de travail se
recrutent dans toutes les catégories sociales.
Il faut ajouter a
cela la stricte égalité dans la taille des parcelles affectées aux
membres d'un périmètre villageois.
(24) Mais cela est différent du
contrôle effectif des périmètres.
Ce que l'on peut constater à ce
sujet c'est que les niinegumu se sont toujours arrangés pour
prendre la tête des PlV,
ce qui leur permet d'avoir une emprise
plus directe sur la terre,
en ce sens qu'ils servent
24-Nous analyserons cela au chapitre suivant consacré à la
culture irriguée.
Voir aussi TRAORE (5.) 1988:Problèmes juridiques nouveaux
posés par les PlV de Bakel.
Land Tenure Center. University
of Wisconsin-Madison, Bakel,
Septembre 1988.

314
d'intermédiaires ~Jltre les paysans et les autorités administra-
tives et/ou If~s organismes d' intervention comme la SAED.
Cette fonction de relais fait d'eux des nouveaux maitres fon-
ciers importants,
parce que ce sont leurs
"fr~res" ou clients qui
se retrouvent dans le CR et qui leur servent d'interloculeurs lors-
qulil s'agit dlaffectation de terrains.
C'est le maintien pur et
simple des modes traditionnels de contrôle de la terre qui sont
consolidés par la nouvelle énergie que leur cOllfère la loi.
Mais
ce qulil faut souligner c'est la non reconduction par cette logi-
que paYS&~lle nouvelle des redevances foncières qui,
comme nous
l'avons vu,
nlest pas le fait de la loi sur le domaine national
cette disparition procède d'un ensemble de facteurs
(éconcmiquEE,
sociaux,
climatiques,
etc
) qui ont entrainé le processus
d'évolution interne à la société soninke du Goy.
Le contrôle des PlV par les anciennes catégories dirigeantes
du Goy s'effectue sur près de 95 '1"
si l'on tient compte dl! chif-
fre global pour le Gajaaga
(Goy Supérieur et Goy Inférieur).
C'est
ainsi que les PlV suivants ont à leur tête d'anciens maitres fon-
ciers ou clients:
Tuabou (silli Tappa Bacili),
Manael PlV (Manael
Xunba Jalla),
Yellingara 1 (wagui Sumaare),
Diawara 1 (Manbakari
Saaxo), Diawara 2 Al Falah (Seydou Ba),
Diawara 3 Ernigrés
(Boubacar Koyita),
Moudéri 1
( Dramane Jaara Njaay), Mouderi 3
(le Député sada DIA),
Mouderi 4 (Elhadji Fodé Tuure),
Mouderi 7
(Manthia NJaay peR de Mouderi),
Gallaade PlV (Mamadou Kandé
Gunj am) .

315
Le phénomène est tellement marqué que même les femmes et
les jeunes,
traditionnellement exclus de la maîtrise de la terre
se voient portés à la tête des périmètres qui leur sont affectés
quand ils appartiennent aux catégories dirigeantes.
C'est ainsi
que Mouderi 6 affecté aux femmes de ce village est dirigé par
NJaay Bulaay Njaay de catégorie dirigeante,
de même qu'à Tiyaabu
femmes
(Kona Njaay), Mannaayel et Yellingara femmes
(tous affectés
en 1989).
Ainsi les seuls périmètres dirigés par des personnes ancien-
nement exclues sont ceux de Gande PlV (25)
(Silman Siisoxo)
et
Moudéri 2 (Daouda Kanute). Comme on le voit seuls deux périmè-
tres sont dirigés,
à notre connaissance par des personnes n'appar-
tenant pas aux catégories dirigeantes.
cela s'explique par le fait que la logique d'Etat,
au lieu
de consacrer la "revanche sociale" comme l'a affirmé Jean SCHMITZ,
a plutôt couronné la consolidation et la pérennité des structures
traditionnelles en matière foncière.
Ce qui place la nouvelle
logique paysanne à un niveau tel qu'il pourra constituer un
recours probable pour la mise en oeuvre des politiques de dévelop-
pement définies par les pouvoirs publics.
On peut affirmer sans risque de se tromper que la dynamique
foncière est telle qu'il n'y a pas de changement dans la réparti-
tion sociale et le contrôle des terres entre les familles et caté
gories statutaires du Goy, mais un simple réaménagement au profit
1
25-Le cas particulier de Gande S'explique par le fait que ce
village constitue,
avec Golmi,
les seuls du Gajaaga à être
politiquement dirigés par des catégories serviles,
les jagara-
fu, mais qui étaient fortement impliqués dans le procès foncier
1
1
1
ll

1
1
316
~
1
~j
jl
dj
!
des catégories inférieures.
La logique étatique de promotion de
.~
1
l'équité dans la répartition de la terre ne s'en trouve pas pour
autant affectée,
contrairement à ce qu'affirme Peter BLOCH
(26).
1;
Dans certains villages ce sont les familles d'anciens maitres
1
fonciers qui ont plus d'adhérents aux PlV malgré un nombre plus
\\!
élevé de la population servile et naxamala,
et dans d'autres,
1
]i
,
c'est l'inverse.
i,,
1
j
Hais ce qui est importënt ~; souligner,
c'est qUE' finelEIlient
si la 101 sur le domaine national a entendu purgEr les droits fon-
1
1
ciers des niinegumu,
ces derniers se sont telle~ent vite adaptés,
l,~
1
ou plutôt ont si vite adapté et domestiqu~ la nouvelle logique
1
j
~l
à l'environnement social que l ' cbserv;.lteur peut êt1-e tenté de
1.i
1
croire que rien n'a changé dans le Goy.
~
î.
La dynamique des terres dans les périmètres irrigués et les
l
1
nouveaux groupes de production nous montreront jusqu'à quel niveau
1
les transformat.ions sociales se sont opérée~J dë.i,s ] e Goy,
faCE
aux
1
enjeux de l'aprés-barrages et la Nouvelle Politique Agricole.
1
26-BLOCH
(P.)
1987:
La dynanique foncière:le cas des périmètres
1
irrigués de Bakel.
Land Tenure Center.
Universit.y of
1
Wisconsin-Madison.
Bakel,
Discussion Paper.
Séries n 0 1 F.
octobre 1987.
1
!
1
j
l
1
J
!
1lj
ii!

317
CHAPITRE 111- LA CULTURE IRRIGUEE ET LES NOUVEAUX
GROUPES DE PRODUCTION DU GOY.
Jusqu'au début des années 70,
l'agriculture pratiquée dans
la vallée d'une manière générale et dans le Goyen particulier
dépendait pour l'essentiel des cultures sous-pluies et de
décrue,
ce qui était devenu aléatoire par la menace puis l'ins-
tallation depuis la fin des années 60 de la séquence sèche.
On ne
pouvait trouver nulle part ailleurs des écarts aussi grands entre
les superficies ensemencées et celles effectivement récoltées.
Les
paysans du Goy pouvaient aussi bien disposer pendant les bonnes
années,
d'abondantes récoltes dont l'excédent pouvait être
commercialisable, que subir de redoutables déficits qui ont
provoqué des disettes
(saison 71/72 par exemple).
En fait,l'agri-
culture de décrue associée à l'agriculture pluviale est devenue
aléatoire et ne pouvait plus assurer la sécurité alimentaire des
populations.
1
1
l
Les revenus énormes tirés de l'émigration faisaient face à
1
cette longue soudure mais à partir de 1975 avec l'arrêt de
1
l'émigration (officielle)
vers la France,
ils ne suffisaient plus
jll
1
car destinés à d'autres types d'investissements tels dispensaires,
4
{
!
bureaux de poste, mosquées et achats de biens immobiliers dans les
1
1
grandes villes, principalement à Dakar.
Dès lors le passage de la
1
1
culture de décrue et pluviale incertaine à la culture irriguée
1
~
était d'une nécessité vitale pour cette région du Sénégal.
1
lj
!
L'introduction et le développement de la culture irriguée
)
dans cette zone ne va pas sans poser de multiples problèmes,
car
elle est à l'origine d'un certain nombre de bouleversements.

318
L'aménagement de cette partie de la vallée a des implications
foncières notables.
La question que l'on pose est de savoir quel
est le nouveau statut de la terre dans les PlV et quel est celui
du paysan qui exploite sa parcelle ou un champ collectif.
Puisque les paysans ne sont pas les seuls acteurs de ces
bouleversements,
il s'agit de voir dans ce chapitre quels en sont
les autres,
principalement la SAEDi
puis,
conséquence de ces
boule versements,
nous verrons comment les nouveaux groupes de
production gèrent-ils la terre qui désormais est entre les mains
des nouveaux maitres fonci~rs.
1.
-
L'INTRODUCTION DE LA CULTURE IRRIGUEE DANS LE GOY
j
LES PRECEDENTS ET L'EVOLUTION.
1
1
La région du GOY dans le département de Bakel demeura pendant
1
longtemps le parent pauvre de certaines formes d'expérimentation
l
en vue du développement d'un secteur ou d'un autre.
1
1
Ce terrain jusqu'à la fin des années 70 n'a pas éveillé la curio-
l
l
sité du Gouvernement sénégalais qui expérimentait ses projets de
développement dans des secteurs considérés comme plus rentables,
1
comme la moyenne vallée qui a toujours servi depuis l'époque
coloniale de laboratoire pour l'implantation de nouvelles
1
1
techniques. La situation de la haute vallée était telle que sans
1
j
l
attendre l'Etat,
il fallait une prise de conscience.
l
La dépendance étroite des cultures de décrue et pluviales
donc d'une agriculture traditionnelle ne suffisait plus à procurer
au paysan du Goy son alimentation,
à fortiori créer un surplus
commercialisable qui lui permettrait d'avoir un revenu monétaire,
aussi modeste soit-il.

1
319
1
1
!
1
;
Les paysans du Gajaaga, depuis l'époque coloniale avaient
1
1
toujours compté sur eux-mêmes à toutes les occasions. Le moteur de
l
1
cette prise de conscience sur la nécessité d'introduire un autre
1
système cultural combiné avec la culture pluviale et de décrue fut
1
j
Jaabe SOW,
actuel Président de la Fédération des Paysans de Bakel,
1
regroupant un certain nombre de coopératives villageoises.
L'histoire assez singulière de cet homme fut racontée de
1
1
:j
façon très profonde par Adrian ADAMS
(1). A travers les récits de
1
ADAMS on perçoit assez bien l'impulsion que cet homme, par son
1
1
courage et sa tenacité a su donner à la culture irriguée dans le
j
J
département de Bakel.
L'idée d'introduire une autre forme d'exploitation des terres
1
1
est venue à cet homme au début des années 60 déjà et c'est en 1973
i
qU'au retour d'un séjour en France qu'il apporta en plus de ses
idées, un début de concrétisation: un "motoculteur, d'une petite
pompe à diésel et la promesse d'un technicien agricole pour
la région"
(2).
Mais cette idée n'a pas tout de suite reçu l'adhésion des
paysans soninke et les réticences étaient dues à une certaine
méfiance vis-àvis de l'étranger, mais aussi du Gouvernement. Dans
l'esprit des paysans de la zone en 1973 cette nouvelle technique
n'était-elle pas un moyen pour les pouvoirs publics d'accaparer
1
leurs terres ou de les priver de leur production ?
1
l
1- ADAMS
(A.)
1975 : Le long voyage des gens du Fleuve
l
Maspero,
1975.
1985 : La terre et les gens du Fleuve.
1
j
L'Harmattan 1985.
1
2- ADAMS (A.)
1975 : le long voyage.
op.
cit. p.
135.
1
!
1
1
~

j
1
1
1
320
1
1\\J
1
N'était ce pas une façon d'exploiter leur force de travail car
i
1
1
J
le travail forcé n'était pas totalement effacé de l'esprit de
"
!
1
certains qui l'ont subi jusqu'à la fin des années 50 ?
1
1
D'autant plus que le modèle préconisé, celui du champ collec-
1
tif villageois était étranger au système de production soninke qui
:1
j
était familial et reposait sur les rapports ainés/cadets ou maî-
tres/serviteurs.
Cette méfiance était justifiée parce qu'ils se
1
lançaient dans une opération dont ils ne maîtrisaient pas tous les
1
paramètres.
En outre leurs intérêts ne coincidaient pas nécessai-
rement avec ceux des pouvoirs publics.
Ce qui explique, comm2 nous
1j
l'avons vu,
l'échec des projets d'aménagement et de mise en valeur
i
de cette région du Gajaaga notamment pendant la période coloniale
1
c'est cette méfiance du paysan soninke à l'égard de tout ce qui
j
pourrait lui imposer, dans son système de travail,
la voie ou des
1
voies à suivre.
Les voisins du Fouta ont été nous le pensons plus
t
l
,
perméables à ces formes d'intervention.
.~
1
1
si la culture irriguée devrait être à cette étape le meilleur
J
l
moyen pour les paysans de s'autosuffire ou du moins avoir des
1
revenus agricoles supérieurs à ceux des cultures de décrue et/ou
1
1
pluviales il n'en demeure pas moins qu'ils ne voulaient pas
1
s'engager dans une aventure qui pourrait se reveler destructrice
i
de la cohésion due au système traditionnel,
sans autre contre-
1
partie que l'''asservissement".
1
Mais ce désir de pratiquer la culture irriguée ne pouvait pas
1
j,
aussi,
il faut le reconnaître, se faire sans l'Etat. Si l'Etat
j
depuis les expériences de la MAS n'est pas venu aux paysans,
il a
j
1
1,

321
attendu le milieu des années 70 pour le faire.
Il est venu vers
les paysans sans être appelé mais il était d'un poids énorme dans
la mise en pratique de l'idée de Jaabe SOW. L'Etat ne pouvait
faire autrement parce qu'il était engagé dans ce gigantesque
projet de l'OMVS et il lui incombait directement de respecter ses
engagements vis-à-vis des Etats membres mais aussi des bailleurs
de fonds.
L'intermédiaire le plus indiqué entre l'Etat et les paysans
à l'époque était la SAED (3).
si à sa création cette société ne
s'occupait que de l'aménagement du delta,sa compétence fut élargie
à partir de 1974 à la Haute Vallée du sénégal et au bassin de la
Falemme. ADAMS
(75 p.
138)
à travers ses récits a retracé pas à
pas l'évolution des rapports entre la SAED et les paysans dès leur
origine. On peut bien deviner que ces rapports furent le départ
difficiles
(4)
i
car les représentants de la SAED aux réunions
pensaient que ce qui manquait aux paysans c'était la volonté de
changement,
contrairement à la zone pulaar de Matam où la péné-
tration de la SAED fut relativement facile.
Et leur but était selon
ADAMS,
de prouver aux paysans qu'il n'y avait pas de divergence
d'intérêts entre l'Administration et eux,
ce qui allait s'avérer
inexact par la suite, car les moyens employés ou voulus par l'une
et par les autres divergeaient fondamentalement même si de temps
en temps,
les deux parties trouvaient un terrain d'entente, mais
sur certains points seulement.
3- Société d'Awénagement et d'Exploitation du Delta, créée par
le décret 65-443 du 25 juin 1965.
4- Nous verrons plus loin comment concrètement la SAED gère ces
rapports avec les paysans de Bakel,
et quels sont les diffé-
rents problèmes que la présence de la SAED soulève au niveau
des coopératives villageoises.

322
Mais cela n'a pas empêché l'adhésion en masse à ce projet et dès
lors en 1975 déjà, des coopératives villageoises furent crées,
qui étaient en quelque sorte des jardins d'essai pour les nouvel-
1
les techniques culturales.
1
1
1
Les périmètres villageois furent créés dans les principaux
1
villages du Goy, d'une superficie variant au début entre 2 et 6 ha,
1
~
situés généralement sur le "fonde"et sur les bourrelets des berges.
1
!
Les paysans travailleraient avec l'aide d'un technicien de la SAED
l
~
qui se chargera de leur formation à la pratique des motopompes
1
A
1
qu'elle mettra à leur disposition,
ainsi que la fourniture du
1
gaz-oil et des intrants agricoles.
t1
1
Donc chaque périmètre fut pourvu en plus du groupe motopompe,
J
l
de diguettes de retenue et des parcelles planées, ce qui nécessita
dès le départ une intervention et une présence constantes et
1
1
importantes des paysans, d'autant plus que les parcelles se
1
trouvaient toujours à proximité des villages. A partir de1976 on a
j
enregistré l'adhésion en masse des paysans de la zone soninke au
1
projet, par la multiplication des parcelles villageoises.
1
~i
c'est ainsi que des périmètres furent créés à Tiyaabu,
j
1
Mannaayel, Yellingara et Jawara en 75,
à Jawara, Mouderi, Gallade
1
!
et enfin Gande en 76 (5). Mais pour la plupart de ces
périmètres
1
l!
le plan d'aménagement n'est intervenu qU'en 1985, donc dix ans
l11
après leur création. Mais s ' i l y eut un engagement notable quant
à la nécessité de créer des périmètres irrigués, des points de
5- Les périmètres créés" à partir de 1975 ne se limitent pas seu-
lement à ces villages que nous venons de citer, mais les grou-
pements agricoles affiliés à la Fédération s'étendaient au Goy
supérieur aussi, de Kunani à Baalu.

323
divergences n'ont pas tardé à se manifester entre les paysans et
la SAED.
Le but de la SAED dès son arrivée sur le terrain de la haute
vallée était un programme de mise en valeur de 300 000 à 400 OOOha
de terres irrigables dont la culture de base serait le riz alors
que jusque là le mil et le sorgho étaient les céréales de base.
D'ailleurs une convention passée entre l'Etat du Sénégal et
l'U.S.A.I.D. en juin 1977 soulignait déjà ce changement de culture
de base, qui devrait entraîner un changement de mentalités «
La
région est presque entièrement peuplée de cultivateurs pratiquant
une agriculture de subsistance.
Le projet introduit des change
ments dans la structure sociale de la zone et ces changements
sont ceux qui sont nécessaires pour faire entrer la zone dans la
société moderne ... La politique de la SAED qui consiste au fond
à ne pas intervenir outre mesure leur plait beaucoup.»
(6)
Cette conclusion du sociologue de l'USAID force évidemment la
réalité quand il dit que la politique de la SAED était de ne pas
intervenir outre mesure;
si sa mission première était d'encadrer
les paysans, peu à peu entre 1974 et 1984 la SAED a tenté d'imp-
ser un programme de production rizicole de grande envergure,
ce
qui a provoqué la réticence puis le refus des paysans.
La SAED a trouvé face à elle la puissante Fédération des
paysans
(7). C'est face à cette résistance que la SAED a mené une
politique plus souple dans ses rapports avec les paysans.
En fait
ce sont les paysans du.Gajaaga qui ont contraint la SAED à ne pas
"intervenir outre mesure".
Donc le premier point d'achoppement se
situait dans ce désir de la SAED à développer la culture du riz.
6- TRAORE (S.)
1987
: Sociologie de la terre dans la vallée du
Fleuve:
Face aux enjeux de l'après-b~rrages. Rapport pour
la FONDATION Ford-projet Après-barrages. CREA-Université
de Dakar. p.
14 et s.
7- ADAMS (A.),
1985 : La terre et les gens du Fleuve.
op. cit.
p.
119

Le Directeur de la SAED de l'époque l'avait clairement affirmé
lors d'une tournée à Bakel en 1975 quand il dit «
rI s'agira
aussibien à Matam qu'à Bakel, d'éduquer le cultivateur de sorte
qu'une fois les barrages construits,
il soit en mesure de procé-
der sans peine à sa reconversion. D'ici là,
nous devons l'habi-
tuer à la rigueur et à la discipline indispensables pour la cul-
ture rationnelle du riz vers laquelle il devra se tourner après
la mise en eau des barrages.»
(8)
Ce que les paysans bien entendu rejetèrent.
si pour les
autorités la culture intensive du riz était la seule possible
pour rentabiliser les sols, pour les paysans par contre il fallait
alterner entre la culture irriguée et la culture sous pluies. Le
mil constituant la base de l'alimentation des populations,
il
serait pour eux aléatoire de s'investir totalement dans le riz
dont ils ne maîtrisent pas toutes les données. Ainsi sans privi-
légier le riz,
il fallait le combiner avec les variétés
traditionnelles.
Le second point d'achopement se situait au niveau de l'organi-
sation des périmètres. La SAED,
forte de son expérience dans la
région de Matam a voulu introduire par le biais de techniciens
français et américains et par les contrats proposés aux paysans,
le modèle d'exploitation de périmètres individuels;
ce qui à
moyen terme risquera d'entraîner l'éclatement des structures
traditionnelles.
Les paysans ont également rejeté ce modèle et
nous pensons qu'il a manqué à la SAED à l'époque, une bonne
approche sociologique de ces deux parties de la vallée.
Si le
modèle individuel fut facilement accepté par les pulaar de la
moyenne vallée c'est qu'il était conforme à l'organisation fami-
liale dont la structure de base était le foyre
(ménage) alors que
8- Quotidien le Soleil du 5 février 1975.

325
celle de la zone soninke était basée sur le clan.
Donc le modèle du champ collectif familial était mieux adapté
dans un premier temps à cette zone.
c'est de ce type d'organi-
sation que les paysans avaient souhaité se doter régir.
Cette di-
vergence ne s'est aplanie qu'à partir de 1983, presque 10 ans
après l'introduction de la culture irriguée et l'intervention de
la SAED. Elle
(la solution)
consiste en un compromis selon lequel
30 à 40 % des terres aménagées des périmètres seraient exploitées
sous forme de champ collectif villageois, ce qui permettrait aux
groupements en commercialisant la production de faire face aux
frais d'irrigation et d'intrants dus à l'assistance technique de
la SAED. Le reste sera réparti en parcelles familiales,
ce qui est
plus conforme à l'organisation soninke. C'est ce système qui pré-
vaut dans les PlV jusqu'à présent.
Ces "mésententes" dès l'origine entre la SAED et les paysans
étaient,
à notre avis,
à la base du long conflit qui opposa (et
qui continue d'opposer)
la SAED à la Fédération des paysans de
Bakel et explique aussi en partie l'échec partiel de la politique
d'aménagement entreprise par l'Etat dans cette zone
(nous revien-
drons sur cet aspect de la question).
11- LA CULTURE IRRIGUEE ET LES NOUVEAUX GROUPES
DE PRODUCTION.
L'introduction de la culture irriguée dans le GOY à partir
des années 1974-1975 a eu des conséquences sur les comportements
paysans.
Le bouleversement de ces mentalités face à ce nouveau

1
326
f
f
modèle découlait d'un processus normal car la société soninke a
1
1
su s'adapter relativement vite à cette nouvelle situation. D'abord
1
,
au niveau des périmètres irrigués,
on note un changement dans les
1
l
structures traditionnelles de production. C'est-à-dire que les rap-
!
,
ports initiaux entre ainés et cadets loin de disparaître dans leur
f
forme originelle ont pris une autre dimension,
ainsi que ceux
1
entre anciens maîtres fonciers et ceux qui étaient exclus de la
1
f
maîtrise foncière.
~
Pourtant les rapports de l'homme à la terre vont subir des
mutations profondes, dues en parties à l'apparition des nouveaux
maîtres fonciers que nous avons étudiés au chapitre 3. Avant de
voir ces nouveaux rapports à proprement parler, nous allons tenter
de présenter les PlV de la CR de Moudéri et le type d'organisation
qui y prévaut.
A.
- LES PERIMETRES IRRIGUES VILLAGEOIS
PlV.
si â l'origine les paysans ont opté pour les moyens périmètres
villageois on constate de plus en plus la tendance à se constituer
en Groupements d'Intérêt Economique (GIE)
autour d'une ou de
plusieurs familles.
Les paysans se rendent compte de plus en plus
que la vieille formule du regroupement villageois ne fonctionne
plus,
en raison de plusieurs facteurs.
D'abord la gestion de ces ensembles structurés autour d'un village
entier ou d'une partie importante du village est lourde,
à cause
notamment des contradictions internes entre membres ou entre
familles.

327
Le deuxième facteur se situe au niveau des rapports avec la
SAED qui porte sa préférence sur les groupements constitués en GIE,
qui ont une meilleure organisation et plus facile à gérer. Car les
périmètres traditionnels traversent dans leurs rapports avec la
SAED une profonde crise due au refus par les paysans d'éponger
les arriérés de dettes qu'ils lui doivent,
et l'abandon par cette
société l'assistance technique qu'elle apportait à ces périmètres
irri gués.
Il existe dans la communauté rurale de Moudéri
(9)
33
périmètres irrigués répartis entre les sept villages du Goy, pour
une population totale de 17 612 habitants.
C'est à partir de 1985/86 que l'on a vu l'explosion des PlV dans
la zone,pas seulement par intérêt pour la culture irriguée, mais
par souci d'occuper l'espace dans chaque terroir villageois (nous
le verrons au chapitre 5).
TABLEAU 1 : Situation des PlV de la
CR de Mouderi
(10).
1
111
j
~
9- Chiffres au 23.02.90.
Source SAED Délégation de Bakel.
Liste officielle des PlV. Délégation de Bakel.
10-signalons que tous les chiffres que nous donnons dans ce
tableau sont les chiffres officiels de 1990 fournis par
la Délégation SAED de Bakel.
1
ij
1

328
Nombre d'habitants par village
NOII du Croupaent et du
·Date de création ~t origine
Superficie et nom-
bre d'adhérents
Village
~
1975 - Anciens Ha1tres fonciers
44 ha pour-73 adh:
1.623
Tuabou P.I.V.
Tuabou Jeunes
1989 - CIl. de Kouderi
25 ha
Yuabou F - .
1989 - CIl. de Kouderi
25 ha
~
1
1Hanael 1 P.I.V.
1983 - Anciens Ha1tres fonciers
62,2 ha pour 117
l"o353
1
1
Hanael Jeunes
1989 - CIl. de Kouderi
25 ha
1
1
Hanael F - a
1989 - CIl. de Kouderi
25 1iil
1
1
1
1
1
1
YELINGAJl.A
1
1
1
Yelingara 1 P.I.V.
1975 - Anciens Maîtres fonciers
1 21 ha pour III
1
1 •
1
telingara Jeunes
1989 - CR de Kouderi
1 25 ha
1
1
1
Yelingara Femmes
1989 - CR de Kouderi
1 25 ha
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1.
DIA.\\lAlA
1
Diavara 1
1976 - Anciens Haîtres fonciers
106 ha pour 555
4.960
1
1
1
Dlavara 2 Al Fa1ah
1
1986 - CIl. de Kouderi
57 ha pour 122
1
1
1
Dlavara 3 Emigrés
1
1982 - Anciens Maîtres fonciers
7 ha pour 35
1
1
1
Dlavara 4 F_es
1
1989 - CIl. de Kouderi
25 ha pour 222
1
1
1
Dlavara 5 Jeunes
1
1989 - CIl. de Kouderi
25 ha
1
1
1
,
°1
1
1
.
HOtlDEIl1
1
1
1
1
1Houderl 1
1
1976 - Anciens Kaitres fonciers
1
71 ha pour 155
4.730
1
1
î; Houderl 2
1
1985 CIl. de Kouderi
1
81 ha pour 113
1
1
J Houderi 3
1 1987
CIl. de Kouderl
1 62,S ha pour 95
,j
1
1
1
1
Houderl 4
1
1
1
1
1
1
Kouderi 5
1
1
1
1
1
Houderi 6 F - a
1987 CIl. de Kouderi
12 ha pour 240
1
1
Houderi 7
CPCi.
1988 CR de Kouderl
64 ha pour 45
1
1
HOuderi 8 Jeunes
1989 CR de Kouderl
25 ha pour 67
1
T
1
GALlADE
1
1
Gallade P.I.V.
1976 - Xnciens Kaitre fonciers
35 ha pour 120
1015
1
1
Callade Jeuaes
1989 - CR de Houderi
25 ha
1
1
Callade F _
1989 - CR de Houderi
25 ha
1
1
T
1
Candi P.I.V.
1
1976 - Anciens Kaîtres fonciers
19 ha pour 215
1
1
1
L:J~
1
1989 - CR de Houderi
25 ha
l"
1
1
1
1
Cande F _
1
1989 - Ci. de Kouderi
25 ha
1
1
I
1
1
1
Total Superficie Affectee
986,4 ha.
1
Total Population CR de Kouderi
17.612.

329
Un certain nombre de remarques sont à faire ausujet de ce
tableau.
D'abord le nombre impressionnant des périmètres dans la
CR de Mouderi.
Comme nous l'avons dit plus haut cet engouement
n'est pas dû à la seule volonté de travailler (volonté qui existe),
mais aussi et surtout à une stratégie d'occupation du terrain.
Car
les superficies affectées ne sont pas toutes totalement mises en
valeur (sauf Diawara 2),
la mise en production se faisant progres-
sivement. Beaucoup de ces périmètres ont obtenu en 1989 des exten-
sions sans que les superficies initiales ne furent entièrement
emblavées.
C'est le cas de Mudeeri Jeunes et Femmes créés en 1988,
auxquels le CR a accordé une extension de 25 ha/périmètre en jan-
vier 1989.
Il Y a ensuite la disproportion qui existe entre Muàeeri
siège du CR et village d'origine du Président du CR et les autres
villages du Goy sur la quantité des affectations.
Ces "facilités"
accordées à Mudeeri en matière d'affectation de terres par le PCR
participent de la mise en oeuvre à'une politique d'occupation de
terres qui,
autrefois,
appartenaient à Tiyaabu et à Jawara ; car
comme on le sait Mudeeri n'avait pas la maîtrise foncière sur
son terroir.
Il s'y ajoute que ces terres feraient encore pour la
plupart l'objet de revendications par Tiyaabu et Jawara. Mais
il y a une autre raison qui expliquerait cette disproportion, qui
est politique et juridique à la fois
i
on est en présence là d'une
des lacunes de la loi sur le domaine national qui a posé le prin-
cipe de la mise en valeur sans pour autant en préciser le contenu.
Cette mise en valeur est laissée à l'appréciation du CR et du PCR
qui en usent comme ils l'entendent.

j4~i1l
330
1
J
1
A la question de savoir pourquoi toutes les demandes indivi-
1
J
duelles d'affectation étaient rejetées ou bloquées,
il
(entretien
1
en juin-juillet 1988) nous servit l'argument selon lequel sa
1
préférence allait aux périmètres villageois parce que les groupe-
l
!
ments avaient plus de moyens pour mettre les parcelles en valeur,
!;
ce qui à priori ne repose sur aucune donnée pouvant permettre de
quantifier les moyens mis par les groupements ou par les individus.
Or il viola lui-même le premier ce principe en affectant
avant et après ces propos des périmètres individuels.
Il y a
par exemple le périmètre affecté à Jibi Njaay (agent de la SAED)
qui fit l'objet d'un grave conflit qui alla jusque devant le
Président de la République (11),
le périmètre de Houderi 3 affecté
en 87 au député Sada DIA en plus de celui de Mudeeri 7 de 64 ha
que le PCR se fit attribuer en 88.
Rien ne montre que les bénéfi-
ciaires avaient plus de moyens que les autres.
La raison politique que nous avons analysée en partie au CH.3
e s t ,
selon ses propres termes qu'il ne donne pas ou retarde toute
affectation au profit de personnes ou de villages qui ne sont pas
du Parti Socialiste. c'est ce qui a retardé l'affectation à Tiyaabu
de parcelles et aussi le règlement du conflit avec Mannaayel car
depuis quelques années,
(le fait est connu) Tiyaabu vote presque
totalement pour l'opposition. Ce genre de comportement et de réac-
tion est contraire à l'esprit de la loi sur le domaine national.
11- Nous analyserons ce conflit au CH.5,
consacré aux nouveaux
fonciers.

331
B.
- L'ORGANISATION DES PERIMETRES IRRIGUES
Nous avons vu en première partie que l'exploitation de la
terre reposait d'abord sur l'organisation sociale,
ensuite sur les
rapports maîtres/captifs. Aujourd'hui encore malgré la disparition
des rapports de maîtres à captifs«
en tant que l'esclave n'est
plus utilisé comme force de travail au profit du maître,
les
rapports de force penchent toujours en faveur des ex-maîtres du
fait du contrôle sur les terres cultivables»
(12). Cette affir-
mation de WElGEL est encore partiellement vérifiable,
en tant que
la pression foncière des anciens niine gume est encore forte.
Mais les parcelles irriguées sont réparties selon un principe
égalitaire entre attributaires,
ce qui est en opposition avec les
rapports fonciers traditionnels intercatégories sociales. Mais sur
les PlV traditionnels,
c'est-à-dire les groupements villageois, on
assiste à une reproduction fidèle de l'organisation traditionnelle
du point de vue de l'exploitation familiale,
reproduction des
rapports ainés-cadets.
1 -
L'Adhésion aux Périmètres Irriçu~f.
A ce niveau il faut faire la distinction entre les anciens
périmètres villageois et les périmètres individuels,
OU les
groupements familiaux qui se sont transformés en GlE.
Pour les
PlV organisés en champs individuels et champ collectif,
le
principe est l'adhésion de tout membre du village à condition de
s'acquitter des cotisations et de participer au travail collectif.
-----------------------------------------------------------------
12 -' WEIGEL (J.Y.)
1982
: Migration et Production domestique.
op. cit.

~32
Pour certains périmètres les femmes adhérent à titre person-
nel,
alors que pour d'autres,
elles adhérent au nom de leur mari
absent. Les anciens maîtres fonciers sur les champs desquels le
périmètre est implanté sont membres de droit du périmètre,
à moins
qu'ils décident de ne pas y participer,
auquel cas on leur affecte
un champ ailleurs.
Puisqu'au niveau du système de production on retrouve la
division sexuelle traditionnelle du travail sur les périmètres.
Les rapports sur ce plan n'ont pas subi de modifications.
L'autre
question qu'on soulévera à nouveau lorsque nous aborderons la NPA,
est celle de l'intégration des étrangers au village dans les péri-
mètres.
Cette question est intéressante à souligner par ce que
l'étranger mukke n'est pas toujours perçu de la même façon selon
que l'on exploite la terre dans la logique traditionnelle ou selon
la logique de la culture irriguée.
Dans la logique soninke l'étranger
juridiquement, est celui qui apporte quelque chose en plus à la
société. La place de chacun étant déterminée à l'avance l'étranger
ne saurait disputer aux maîtres fonciers leurs droits.
C'est pour
cela que leur intégration était facile,
en plus du fait que des
étrangers pouvaient accéder par le mariage au statut de maîtres
fonciers.
L'intégration d'un étranger était un enjeu politique et
social. Or dans le cadre des périmètres irrigués et dans la pers-
pective de l'aprés-barrages,
l'étranger n'est plus perçu comme
celui qui apporte un plus mais plutôt comme celui qui vient
disputer la terre et les avantages.
C'est pour cela que le nombre
d'étrangers admis dans les PIV du Goy est infiniment reduit. Nos

333
enquêtes nous ont permis de constater,
en 1987 l'adhésion de trois
j
étrangers au périmètre JAWARA II: deux maliens et un mauritanien.
1
1
l
Il Y a des types d'étrangers dans tous les villages qui ne sont
J
î1l
pas exclus des périmètres
: ce sont généralement les maliens et
1
1
les mauritaniens,
travailleurs salariés de la fin des années 50
1
qui se sont installés et ont pris femmes.
De ce fait ils sont
11
intégrés dans un xabiila.
Ils ont par conséquent les mêmes droits
1
que les villageois d'origine parce qu'intégrés depuis deux géné-
rations au moins.
Ce sont surtout les étrangers de la première
génération qui font l'objet de rejet au niveau des PlV.
Il faut
toutefois signaler que Bakel-ville échappe à cette règle.
L'autre aspect de l'adhésion a trait aux émigrés, surtout
11
lors de la création des premiers périmètres.
Puisque les périmè-
.1
tres étaient essentiellement constitués sous la forme de champs
1
1
collectifs,
la présence physique de chaque adhérent était néces-
1
saire pour les travaux de planage, de repiquage du riz et d'irri-
1
1
gation. Les émigrés constituant une force économique non négli-
j
geable,
il leur fut permis dès le départ d'adhérer aux périmètres
et de se faire représenter soit par leurs frères,
soit par leurs
femmes ou enfants tout en participant financièrement sous forme de
cotisations plus élevées que celles des membres présents
au village.
plus tard la défaillance de certains émigrés et le retrait de
leurs femmes et enfants
(13)
a provoqué l'échec de nombreux péri-
mètres. Mais on assiste en ce moment à un regain d'intérêt de la
part des émigrés,
notamment de France, pour la culture irriguée
13- C'est le cas du PlV à Tiyaabu.

1
~
334
1
~11J
m
et à la création de périmètres qui leurs sont propres (14).
Enfin,
~
1
j
la présence des femmes,
une force incontournable sur les périmè-
l
tres. Avant que le CR n'ait pris l'habitude, pour chaque village,
i
d'affecter des périmètres aux groupements de femmes elles ont
1
j
i
toujours adhéré aux PlV, soit à titre personnel, soit pour repré-
senter leurs maris émigrés. Il n'y a pas dans la plupart des péri-
1
1
mètres d'exclusion sexuelle. Les femmes participent dans les
1
mêmes conditions que les hommes, mais c'est au niveau de la répar-
1
1
tition des parcelles dans le périmètre que l'on note des différen-
î
~i
ces entre hommes et femmes.
1
,1
1i,~
Globalement il n'y a pas de difficultés particulières pour
1
1
j
l'adhésion des villageois aux PlV. Mais il n'est pas possible pour
lJ
un habitant d'un village d'adhérer au périmètre d'un autre vil-
lage pour les raisons que nous avons analysées plus haut.
Le
village voisin devient tout simplement l'Etranger, alors que dans
le modèle traditionnel les terroirs et les champs pouvaient être
utilisés par plusieurs villages en même temps. On assiste, dès
lors, au cloisonnement des terroirs villageois du Goy, qui était
jusqu'à l'apparition de la culture irriguées et de la CR un espace
homogène.
En cas de retrait du périmètre, l'attributaire est tenu de
payer ses arriérés de cotisation et sa parcelle est affectée à un
nouvel adhérant ou reprise par quelqu'un appartenant déjà
au périmètre.
14- Par exemple de périmètre de Jawara III Emigrés de 7 hectares
crée en 1985, comptant 35 membres tous émigrés en France.
C'est la présence rotative des membres sur le terrain,
en
plus des cotisations, qui font fonctionner le périmètre.

335
2- L'organisation et la répartition des parcelles sur les
périmètreE, irrigués.
1
Il Y a une conséquence notable de l'irrigation sur l'organisa-
tion foncière et sur les rapports entre anciens maîtres fonciers
1
et anciens exclus,
en plus de l'existence des champs collectifs
1
qui rappellent les jamankafo, champs communaux.
,1
1
!j
Le principe de l'organisation sur les périmètres est égali-
taire. WEIGEL a bien perçu le problème quand il écrit «
c'est
1
évidemment les contradictions du système foncier concrétisées
1
par la plurarité des relations foncières
(existence de rapports
1
dépersonnalisés minoritaire) qui ont permis,
non sans mal,
à ce
j
1
principe égalitaire assez bien respecté d'être réalisé,
sans
qu'il soit dénaturé par le versement d'une rente»
(15).
1
La répartition des parcelles entre les individuB ou les familles
1
sur les PlV n'est pas fonction de la condition sociale des attri-
1
butaires (nobles,
komo ou naxamalani).
Cela signifie qu'il n'y a
pas prééminence des uns sur les autres aussi bien au niveau de
l'attribution qu'au niveau des endroits à attribuer.
1
1
i
A la question posée au niveau de toutes les parcelles de
il
savoir comment se faisait la répartition entre les membres,
la
J
réponse fut unanime: par le procédé de la "loterie".(16) Après
1
1
le découpage des parcelles dans le sens fleuve-jeeri en bandes
1
égales, chacun apporte un instrument qui servira à l'identifier
1
et une personne étrangère au périmètre, généralement un enfant,
1
1
est chargée de mettre sur chaque parcelle un instrument.
L'avantage du système est que la répartition est juste mais son
1
"
inconvénient est qu'elle désavantage certaines attributaires
1
1
15- WEIGEL (J.V.): Organisation foncière et opération de dévelop-
!
pement:le cas des soninke du Sénégal.in Enjeux fonciers;
op.
1
l
cit. p.320.
{
16- Terme employé pour désigner le procédé du tirage au sort.
j
1
J
tj
1
1

336
dont réserve les parcelles les plus difficilement accessibles
par l'eau,
à cause de leur position par rapport au canal d'irri-
gation. Généralement ces attributaires sont prioritaires sur les
extensions du périmètre. L'intérêt de ce procédé est, on le sait,
assez grand pour les anciens captifs-komo et naxamalani (plus que
pour les hooro) qui se retrouvent sur un pied dégalité dans la
culture irriguée,
avec les anciens maîtres fonciers d'autant plus
que l'emploi de la main d'oeuvre salariée est plus grand chez les
komo et ~axamalani que chez les hooro.
En plus de cela les attributaires ne sont pas soumis au
versements de redevances foncières et participent à égalité
avec les hooro aux frais d'aménagement et d'irrigation. Mais
cette répartition égalitaire est loin d'avoir mis fin à la
pression foncière des nobles car à cause de la combinaison dans le
Goy de la culture de décrue et de la culture irriguée,
les terres
de décrue qui sont les meilleures ne sont jamais affectées
aux PlV.Elles sont conservées comme champs par les anciens maîtres
fonciers.
Ainsi une certaine prudence s'impose quand on parle de
bouleversements sociaux. Ces bouleversements pour le moment ne
sont que superficiels, mais ils sont importants. Mais le nouveau
type d'organisation ne bouleverse le système de production que
quant à la répartition des parcelles et aux rapports entre anciens
maîtres fonciers et anciens exclus de la détention foncière.
Sur
les parcelles familiales
(individuelles) on assiste à la repro-
duction du système familial traditionnel,
à savoir l'attribution
de la parcelle au nom du chef de famille kagume,
les membres de
la famille l'exploitant comme un champ commun
te xoore.

337
Mais c'est au niveau des champs collectifs
(le périmètre
est divisé en nombre de champs individuels et un champ collectif)
que l'on note des bouleversements notables et une nouvelle organi-
sation du travail au niveau villageois. Au lieu de la reproduction
des rapports serviles c'est l'instauration de groupes de travail,
appelés sections, composées d'hommes et de femmes
(17). Chaque
section est dirigée par un chef de section et affectée à une tâche
très spécifique. Là aussi il n'y a pas de distinction d'origine
sociale pour la direction d'une section.
Le chef de section peut
être un noble, un ancien captif ou un naxamala.
rI est chargé de
diriger les travaux qui incombent à sa section et fixe les calen-
drier et horaires de travail.
C'est ainsi que pour la culture du
riz par exemple on trouve des sections chargées du désherbage,
d'autres du repiquage, de la surveillance de l'eau pour l'irri-
gation, un ou deux pompistes permanents,
une section ou toutes
les sections à tour de rôle pour chasser les oiseaux et autres
prédateurs.
Pour les périmètres produisant du mil et du sorgho, c'est à
tour de rôle que chaque section cultive journalièrement sur la
parcelle collective tandis que les membres des autres sections
cultivent sur leurs parcelles individuelles ou sur leurs champs
d'hivernage. L'attributaire absent doit se faire remplacer par un
salarié ou verser au groupement l'équivalent d'une demi journée de
travail d'un salarié, soit 750 FCFA (chiffre valable en 89). C'est
le même type d'organisation que l'on retrouve sur les périmètres
17- Chaque groupement villageois est géré par un bureau classi-
que, ~omposé d'un président, Vice-Président, Trésorier,
Secrétaire Général, Secrétaire aux comptes et de leurs
adjoints chargés de répartir les membres du groupement
entre les sections.

338
qui pratiquent la contre saison
(maraîchage ou culture de maïs).
Mais l'on retrouve la pression foncière des nobles à un autre
niveau:
c'est celui de la direction des PlV.
C'est ainsi que sur
les 33 périmètres que nous avons recensés dans la CR de Moudéri,
25 sont dirigés par des nobles,
anciens maîtres fonciers ou alliés,
soit à peu près 75 % des périmètres.
C'est en somme une concession
qui est faite au Te gume,
car il est évident que l'introduction
de la culture irriguée qui est plus ou moins une menace pour les
prérogatives foncières des nobles ne saurait se faire sans résis-
tance.
Cette forme de résistance à la poussée des changements
socio-économiques naturels dans la vallée dus à des facteurs mul-
tiples constitue un moyen pour les anciens maîtres fonciers,
à
défaut d'une suprématie économique,
de maintenir à un niveau cer-
tain la dépendance des autres. Mais cette explication à elle seule
s'avère trop simple pour décrire le phénomène.
Le maintien des anciens maîtres fonciers à la tête de la
plupart des PlV dans le Goy n'est que la reproduction fidèle des
rapports politiques à l'intérieur des villages.
Les anciens
maîtres fonciers furent "déchus" par l'Administration coloniale
puis par l'Etat sénégalais de l'essentiel de leurs pouvoirs poli-
tiques,faisant du chef de village un rouage sans importance de
l'Administration. Mais quoique déchus de leurs pouvoirs politiques,
les chefs de villages continuent à être recrutés parmi les anciens
clans fondateurs des villages,
et ce principe n'a jamais n'a été

339
remis en cause aussi bien par l'Administration que par les popula-
tions villageoises. Ainsi, puisque le périmètre porte toujours le
nom du village,
il est tout naturel que les anciennes hiérarchies
soient reconduites au profit du chef de village.
Mais ces hiérarchies n'influent pas sur l'organisation du
travail dans les PlV dans la simple mesure où le Président du
groupement n'a pas à lui seul l'ensemble des pouvoirs sur le
groupement.
Le pouvoir de décision revient au bureau du groupement,
mais l'on voit comment dans certains villages en tout cas comme
Tiyaabu, Mannaayel et Yellingara, dans un passé récent,
le chef de
village était toujours consulté sur la marche du groupement,
et il
lui arrivait d'influer sur les décisions à prendre. Cette straté-
gie de maintien du pouvoir de décision dans le cercle cheffal fait,
sans que l'on ne s'en rende compte véritablement,
du Président du
groupement qui est le "fils" du chef politique,
un simple rouage
dans la pression politique et foncière des anciens maîtres
de la terre (18).
III.
- LE STATUT DE LA TERRE DANS LES P.I.V.
La loi sur le domaine national,
on l'a vu,
est intervenue
selon beaucoup d'auteurs pour purger les sols des droits fonciers
traditionnels
. Nous avons vu au point précédent comment ces
anciens maîtres fonciers continuent d'exercer leur pression fon-
cière dans le Goy,
car le délaissement progressif des cultures
traditionnelles concerne plus celles sous pluies que les terres de
18- Nous avons vu au CH.3,
comment la loi sur le domaine national
et celle sur les communautés rurales ont été utilisées par
les anciens maîtres fonciers pour maintenir et consolider
leur pouvoir,
ce qui a fait d'eux de nouveaux maîtres fon
ciers, utilisant invariablement le droit traditionnel et le
droit étatique.

340
décrue, notamment pour les anciens maîtres fonciers.
Or c'est sur
les terres de décrue que la pression foncière est plus forte.
si
l'ancien maître foncier conserve ses droits sur les terres de
décrue,
il perpétue en même temps l'ancien rapport de production
qui le lie aux descendants d'anciens captifs komo ou naxamalani,
notamment par le versement de redevances foncières,
ou plus rare-
ment en ce moment par des prestations de travail. Mais l'accés de
plus en plus poussé des anciens captifs aux périmètres irrigués
qu'ils disputent avec les anciens maîtres fonciers a-t-il une con-
séquence sur le statut de la terre sur les PlV? L'éviction des
anciens maîtres fonciers et le développement de la logique du
domaine national ne résout pas,
à notre sens
(19), le statut des
parcelles sur les périmètres irrigués.
Le problème n'est pas à proprement parler le statut de la
la terre, mais celui de l'autorité sur la terre qui détermine le
statut et donne une signification particulière à certains princi-
peso
Pour résoudre le statut juridique des parcelles,
il faut au
préalable résoudre celui des périmètres dans un cadre global.
Les PlV découlent soit d'une affectation des chefs de villages
(malgré le domaine national), soit du CR de Moudéri en accord
avec les principes de la loi 64/46 et la loi de 72 sur les commu-
nautés rurales. En effet la loi 64/46 du 17 juin 1964 relative au
domaine national tend d'une part à uniformiser le régime de la
détention foncière et d'autre part à organiser un système de
gestion communautaire des terres rurales,
en créant des organismes
chargés de cette gestion et de la répartition.
19- Nous rejoignons sur ce point, BOUTlLLlER (J.L.)
: L'aménage
ment du Fleuve Sénégal et ses implications foncières.
In Enjeux fonciers en Afrique noire.
op. cit. p.304 et S.

341
Ainsi,
s ' i l n'y a pas beaucoup de difficultés à déterminer
le statut des périmètres affectés par la communauté rurale, en tant
que faisant partie du domaine et donc susceptibles de désaffecta-
tion pour défaut de mise en valeur,
les premiers périmètres qui
furent concédés par les chefs de villages ou les maîtres fonciers,
par contre relèvent d'un statut flou.
Parce que ces périmètres ne
peuvent pas, ou jusqu'alors n'ont pas fait l'objet de désaffecta-
tion par le CR ou le PCR, mais par les maîtres fonciers.
Il est
arrivé à plusieurs reprises qu'un maître foncier demande à un
groupement de quitter un site en proposant ou non un autre. Là, on
peut se demander à qui appartient la terre,
car si les maîtres
fonciers continuent à considérer les périmètres qu'ils ont
concédés comme leur patrimoine sans que les coopératives villô-
geoises et le CR n'y puissent rien,
c'est que la loi sur le
domaine national est inopérente.
Il y a alors une contradiction
flagrante entre les discours et les réalités pratiques,
ce qui,
on n'en doute pas,
empêche les réformes de s'appliquer de façon
plus efficace.
Il Y a aussi lieu de préciser le statut de ces périmètres en
question, pour que les CR interviennent, soit pour désaffecter en
cas de défaut de mise en valeur,
soit pour s'opposer à toute
désaffectation prononcée par les chefs de villages ou les anciens
maîtres fonciers.
L'ambigüité quant au statut des périmètres
irrigués se répercute sur celui des parcelles sur ces périmètres.
Les parcelles attribuées aux membres des PlV ne sont pas redis-
tribuées à chaque saison de culture,
car ceci augmenterait les

342
inconvénients du système. L'attributaire d'une parcelle se
comporte vis-à-vis de celle ci comme un te gume donc exerçant un
droit foncier.
Mais la question qui se pose est de savoir si la
parcelle attribuée est au nom de l'attributaire qui utilise des
moyens propres ou plus généralement,
les moyens communs pour la
mettre en valeur ou bien à celui du groupement villageois à qui le
périmètre est affecté. A notre sens,
l'attribution de la parcelle
n'implique pas de droit foncier sur la terre,
dans la mesure où le
défaut de mise en valeur conduit le groupement à désaffecter la
parcelle et l'attribuer à quelqu'un d'autre ou pour le non respect
des obligations dues au groupement
: paiement des cotisation, etc ...
On peut donc penser que l'attribution faite par le CR au groupe-
ment n'interdit pas de désaffecter,
plutôt parce qu'il adopte plus
ou moins la forme coopérative. Ceci,
à notre avis, est un avantage
de la loi sur le domaine national et la loi de de 72,
qui laissent
aux groupements villageois une certaine autonomie d'organisation.
Mais l'inconvénient est que ce pouvoir d'appréciation laissé aux
groupements est une porte ouverte à tous les abus, car le CR ou le
PCR
n'ont aucun moyen de contrôle une fois que les périmètres
sont affectés et exploités, d'autant plus que les victimes n'ont
aucun recours,
ni devant le PCR,
ni devant le Préfet.
si cette ambiguïté était levée,
le statut des terres des PlV
serait résolu car les parcelles,
sauf les motifs que nous avons
décrits plus haut sont attribuées de façon permanente. Ainsi cette
distorsion entre la loi et les pratiques se retrouve à un autre

343
niveau: car si le mode d'attribution est individuel
(une parcelle
par exploitant), bien souvent les exploitants effectifs des parcel-
les différent légèrement ou parfois notablement des listes offi-
cielles des attributions des parcelles sur les PlV.
Cet écart est
basé sur un «consensus interne villageois pour dissimuler à l'ex-
térieur (enquêteurs et encadreurs SAED)
un mode de fonctionnement
officiellement non autorisé»
(20). Mais Paul MATHIEU ne donne
pas les vraies raisons de cet écart, qui ne sont pas seulement la
volonté de dissimuler le mode de fonctionnement mais plutôt à
cause des retraits et adhésions successifs qui ne sont pas suivis
de modification des listes, ce qui est à notre avis un mauvais
fonctionnement.
Cette mauvaise définition, ou l'absence de définition du
statut juridique des PlV est constatable aussi dans les rapports
des paysans avec la SAED. En effet le contrat qui lie la SAED aux
PlV ne donne aucune indication.
Les villageois restent libres
quant à la réglementation interne du périmètre,
la SAED définis-
sant seulement les conditions de retrait du groupe motopompe
(GMP)
au villageois.
Et bien que dans le principe, les parcelles relèvent
d'un simple droit d'usage,
il est admis sur presque tous les
périmètres que la parcelle revienne aux enfants en cas de décés de
l'attributaire,
si celui-ci était en règle vis-à-vis du groupement.
Mais il n'est pas établi que la parcelle irriguée est assimilée à
un champ familial et devra connaitre les mêmes règles de dévolu-
tion fixées dans le système traditionnel.
Par ailleurs lors de
l'attribution,
aucune obligation nlest faite à l'attributaire
d'exploiter lui-même, personnellement sa parcelle.
Il lui est
loisible de la prêter ou de la louer.
20- Paul MATHIEU : stratégies foncières paysannes et Agriculture
irriguée dans la vallée du Fleuve sénégal.
Fondation Univer-
sitaire Luxembourgeoise, Belgique. p.8

344
IV. - LES RAPPORTS ENTRE LES PAYSANS ET LA SAED.
L'organisation pour la mise en valeur du Fleuve sénégal
dont les états membres sont le Sénégal,
la Mauritanie et le Mali,
créée en 1972, succédant à l'OERS(Organisation des Etats Riverains
du sénégal), fut l'une des premières réactions de ces trois états
du Sahel contre la sécheresse qui sévit depuis la fin des
années 60.
A la fin de 1973, 110MVS annonçait un programme ambitieux:
la construction de barrages: Manantali (sur le Bafing) et Diama
dans le Delta. L'objectif de ce programme est, entre autres, une
agriculture irriguée intensive,
à double récolte annuelle.
Lepro-
gramme intégré de l'OMVS avait pour but déclaré «
de procurer aux
populations de la vallée du Fleuve, une alimentation de base
adéquate et des revenus monétaires croissants,
leur permettant
de dépasser l'économie de subsistance aléatoire dans laquelle,
elles vivent pour entrer dans une économie moderne de consomma
tion> >.
ADAMS (Le long voyage. op.
cit. p.131) eut raison de s'étonner
de ces propos du programme intégré, de voir appliquer des ter-
mes aussi platement dualistes aux pays du Fleuve, dont la crise
actuelle découle précisèment de la participation de leur "économie
de subsistance" devenue de ce fait encore plus "aléatoire" à
l'économie moderne de la France.
(21) Pour la seule rive gauche
Sénégalaise, le programme prévoit 240 000 ha de terres irrigables.
L'aménagement progressif de ces superficies, conditionné par la
21- Ce phénomène est bien analysé par BATHILY (I.D.) Notices
socio-historiques. op. cit.

345
construction des deux barrages est confiée pour la partie sénéga-
laise à la SAED (Société d'Aménagement et d'Exploitation du Delta)
créée en 1965.
La SAED à l'origine n'était compétente que pour le Delta
mais cette compétence fut étendue à toute la vallée,
ainsi qu'à la
Fallemme (22). La SAED était chargée de mettre en oeuvre les
objectifs de l'OMVS en aidant et en assistant les paysans, et
aussi ceux de la loi sur le domaine national qui est un changement
important d'ordre institutionnel. On le voit, le rôle de la SAED
est fondamental dans la vallée. Mais on peut affirmer que l'ob-
jectif premier de l'OMVS est l'agriculture, qui est le pivot éco-
nomique de l'Organisation. Le projet OMVS s'est défini au départ
en deux phsases: une première phase qui va de 1985 à 1990 avec la
construction des deux barrages de Manantali et Diama. Une deuxième
phase qui va de 1985 à 2030 avec les aménagements pour l'agricul-
ture et la fourniture de matériel pour l'exploitation agricole.
L'impact économique du projet sera la conséquence des résultats
obtenus dans les activités agricoles, notamment par l'augmentation
des rendements et l'extension des surfaces irriguées
(23).
Sans
doute la sécheresse catastrophique dans le Sahel ces deux
dernières décennies a joué un rôle important pour accélérer la
prise de décisions de ce projet. L'impact économique visé est
conditionné par un changement profond du mode de production
22- Loi 79/29 du 24 janvier 1979 abrogeant et remplaçant le
titre et l'art 1er de la loi 65/01 et faisant de la SAED
la Société d'Aménagement et d'Exploitation des Terres du
Delta du Fleuve sénégal et des vallées du fleuve sénégal
et de la Falémé. JORS nO 4685 du 02.02.73 p. 112 à 113.
23- L'aménagement de la vallée du Fleuve sénégal. Document
OMVS Septembre 1982. p. 6 et s.
,
1
1

346
agricole et, par conséquent la structure sociale de la vallée
devrait
également subir les mutations souhaitées qui devraient
être mises en oeuvre pour la partie sénégalaise par la SAED.
La réforme foncière de 1964 et celle de l'Administration terri-
toriale et locale de 1972 n'ont été appliquées à la région de
Tambacounda (ex sénégal oriental) qu'en 1982, avec la création de
la communauté rurale de Moudéri, mais le CR n'a été mis en place
qU'après les élections rurales de 1984.
Avec la mise en place effective des CR dans la région de
Tamba et des conseils ruraux en 1982/1984, l'utilisation et
l'aménagement des terres,
la mise en place et l'exploitation des
périmètres allait disposer d'un cadre administratif, d'une assise
juridique et des bases de gestions bien définis, ce qui devrait
permettre de résoudre tant les problèmes juridiques que l'utilisa-
tion des terres.
Sur un plan global,
le conseil rural n'est pas le
seul organe compétent, car la SAED avait également pour rôle
l'exploitation et la gestion des terres,
notamment celles du
Delta, en vertu de la loi 65/01 du 20 janvier 1965 créant cette
société, suivie du décret 65/443 du 25 juin 1965 constituant la
zone pionnière du Delta (24).
Mais ces pouvoirs fonciers reconnus à la SAED ne concernaient
que les zones pionnières,
les zones des terroirs relevant de la
compétence exclusive des CR. Aucun décret, à notre connaissance, à
part celui de 1965 se reférant à la loi sur le domaine national,
24- Loi 65/01 du 20 janvier 1965 portant création de la SAED.
JORS nO 3725 du 13.02.1965 p.
138.
Décret 65/443 du 25 juin 1965 portant constitution en zone
pionnière de terres du D.N.
situées dans le département de
Dagana JORS nO 3755 du 17.07.1965 p.
973 à 991.

347
1
1
1
n'a conféré à la SAED des pouvoirs fonciers sur les terres de
1
cette zone. La loi 81/57 du 10 juillet 1981 ainsi que le décret
1
81/981 qui transforment la SAED en Société Nationale,
abrogeant du
1
l
coup les textes antérieurs,
(25) ne comportent pas de références à
1
i
des prérogatives foncières de la SAED, d'autant plus qu'il n'y a
,q
pas de zone pionnière dans la CR de Moudéri.
Par conséquent, les
î
attributions du CR en matière d'affectation et de gestion des ter-
1
res restent dans les principes intactes de tout partage. Donc ce
1
1Jl
n'est pas au niveau de la gestion foncière des terres du Goy qu'il
l
t
faudrait chercher les rapports de la SAED avec les PlV et la Fédé-
i
ration des paysans soninke de Bakel, rapports qui depuis 1974
1
1
demeurent tendus.
tj
Les tâches principales de la SAED sont l'aménagement des
PlV: planage, maîtrise d'ouvrages, encadrement technique des pay-
sans, fourniture de l'eau par l'irrigation et le pompage notamment
par la mise à la disposition des PlV de groupes motopompes, des
intrants agricoles,
gaz-oil, etc ... Les prestations de la SAED sont
faites sur la base d'un contrat avec les groupements villageois.
L'article 2 du contrat pose d'emblée les prestations de la SAED au
profit des PlV;
la SAED s'engage dans ce contrat à apporter ses
conseils et son assistance en vue: du choix du terrain (s'il
s'agit d'un terrain situé en zone de terroir)
(26), de l'emplace-
ment du bassin de dissipation et des canaux, de la réalisation
25- Loi 81/57 du 10 juil. 1981 portant dissolution de l'EP.SAED.
et autorisant la création de SN.SAED.
26- Ce qui exclut, comme nous l'avons vu plus haut,
toute préro-
gative foncière de la SAED dans cette zone.
Son rôle se
limite seulement au cadre technique du choix des meilleurs
terrains pour l'aménagement.

348
des canaux primaires et secondaires, du découpage des périmètres
en parcelles égales, et d'obtenir auprès de la CNCAS des crédits
permettant l'acquisition de matériels et équipements.
L'article 3 engage la SAED à faire l'aménagement desparcel-
1
l e s : planage et diguettes. L'article 4 engage la SAED à mettre à
1
j
la disposition du groupement signataire un groupe motopompe (GMP),
à la formation d'un pompiste chargé du fonctionnement du GMP et
1
1
à la formation d'un mécanicien. Mais si des pompistes ont été
formés sur tous les périmètres,
la SAED n'a jamais à notre con-
1
i
naissance formé de mécanicien, ce qui a contribué à accroître la
î
dépendance des PlV vis-à-vis d'elle
. La réparation de GMP
nécessite toujours en conséquence l'intervention de la société en
1j
d'une lourde facturation
(27). L'article 8 a trait à l'engagement
1
de la SAED à mettre à la disposition des PlV un personnel d'enca-
1
drement, notamment des conseillers agricoles pour le choix des
1
1
cultures,
les doses d'engrais et les techniques culturales, etc ...
En contrepartie le groupement signataire s'engage à
1
l
f
i
mettre en culture au moins 10 ha en hivernage (art 8), suivre
1
!
les conseils techniques de la SAED, soumettre tous les besoins
en formation aux structures qui en sont chargées au niveau de
1
la société. La sanction (art 10), c'est le droit que se réserve
1
27- A titre d'exemple,
le GMP de Tiyaabu en panne depuis la sai-
1
,
son 87/88 n'est pas réparé jusqu'à ce jour, à cause de
l'inexistence d'un mécanicien propre du PlV, et des arriérés
dus à la SAED par le groupement, qui refuse de payer. Le
périmètre de Tiyaabu a cessé de fonctionner depuis cette
période.
1
1
1l
1
it
~
ri
1
1
,
1
t
1
j
1
1

349
i
1
la SAED de retirer le GMP à tout moment si le PlV ne respecte pas
1
l
les clauses ci-dessus, en particulier le défaut d'entretien et de
1
réparation (la SAED ne formait pas de technicien et obligeait donc
1
~
,
les groupements à faire appel à ses services, payés évidemment,
1
sous peine de retrait du GMP).
l
!
A la lecture de ce contrat qui lie la SAED aux paysans, on
!
constate qu'il est extrêmement défavorable à ces derniers. Ce con-
i
trat a vicié les rapports de la SAED avec les paysans, notamment
j
ceux affiliés à la Fédération des Paysans de Bakel. En réaction à
i
i
ces rapports favorisant la SAED,
la Fédération dès 1975 a élaboré
un règlement intérieur posant d'autres conditions à leur adhésion
à l'assistance de la SAED,
en vue de supprimer ou d'atténuer la
dépendance que la société d'Etat a voulu instaurer par ce
contrat (28).
t
C'est au chapitre 3 du règlement intérieur que la Fédération
1
pose clairement et sans ambiguïté ses rapports avec la SAED.
ART.
4 : Conformément à l'esprit de la réforme administrative
1
sénégalaise qui veut que les collectivités locales gèrent leurs
J
propres affaires dans toutes les localités du sénégal, et compte
!1i
tenu du souci de développement intégré du monde rural, nos divers
ll
groupements entendent s'exercer à gérer leurs propres affaires
j
!
administratives et financières
(sic) avant même que la réforme ne
s'applique à notre département.
28- Ont adhéré à la Fédération, à cette époque déjà,
19
villages du département de Bakel, parmi lesquels tous
les 7 villages du Goy.
!l
1
1
l1
111

350
ART.
5 : Dans cet ordre d'idées,
la Fédération, consciente du
caractère limité de ses moyens techniques et sachant que la réus-
site de ses actions implique nécessairement la collaboration tech-
nique des organisations de développement telles que la SAED, la
Fédération en conséquence, collaborera avec celle-ci, sans toute
fois que cette collaboration aliène son autonomie administrative
et son indépendance financière.
a)
- Tous les groupements sont tenus d'appliquer le
programme agricole conçu par leurs bureaux exécutifs respec-
tifs.
Les groupements accepteront de la SAED tous conseils
utiles et suggestions pour la promotion de leurs actions dans
le domaine technique. L'encadrement de la SAED restera essen-
tiellement technique et ne saurait être assorti d'aucune
condition d'assujettissement.
ART.
6 : Les groupements ont toutefois la liberté de se faire
'j
,;
l
procurer du matériel
(engrais, semences,
gaz-oil, engins agricoles)
l
1
soit par la SAED,
soit par tout autre organisme vendeur si le prix
j
1
de vente de celui-ci était plus bénéfique pour nos groupements.
l
b)
- Les groupements pourront solliciter les prestations
de service de la SAED, à un prix convenable qui ne les désavan-
j
tagerait pas, ou solliciter son aide technique en cas de besoin,
surtout pour les grands travaux d'aménagement.
1
l
c)
-
La SAED, en aucune manière, ne peut contraindre
j
les groupements à s'endetter ni auprès d'elle, ni auprès
1
1
des banques;
ceci pour éviter une mainmise sur leurs affaires.
1
d)
-
s'agissant de la commercialisation de leurs pro-
1
duits, les groupements entendent D'ABORD SATISFAIRE LES
BESOINS DE LEURS MEMBRES (souligné par nous),
après quoi ils
vendront-re surplus à un prix rénumérateur, soit aux organismes
1
étatiques chargés de la commercialisation des produits agricoles
1
!
soit sur le marché libre (29).
1
Ce règlement intérieur est intéressant à plus d'un titre.
~
J
l
Il pose dès le départ les jalons d'une lutte entre la SAED et
1
l
1
29 - Nous avons tiré le texte de la Fédération de ADAMS· :
Le long voyage des gens du Fleuve. op.cit. p.211 et s.
11l1ii
1
!
1l
1
1

351
Jes PlV qui ont signé ce document, lutte qui continue encore de
perturber le paysage de l'agriculture irriguée du Gajaaga en
général, et du Goyen particulier. La Fédération, par l'article 5
de son règlement intérieur reconnait l'importance de la SAED en
tant que partenaire, car les paysans étaient conscients de leurs
limites et cela faisait dès lors de cette société un élément
incontournable dans la vallée. Ce que les paysans redoutaient à
1
l'époque c'était selon les termes mêmes du Président de la Fédé-
1
ti
ration, que la SAED ne fasse "leur développement"
à leur place, ce
!
qui serait plus profitable à l'Etat qU'aux paysans.
Ce réflexe d'autoresponsabilisation se conçoit bien quand on
1
1
~
voit l'évolution des rapports des paysans avec la SAED. L'autre
1
remarque importante à faire est que les paysans ont compris assez
!
tôt que l'objectif premier de la culture irriguée n'était pas pour
t
t
eux de produire des surplus à commercialiser, mais d'assurer avant
f
tout une autoconsommation alimentaire. Il s'agissait de faire face
11
aux aléas climatiques, avant de s'ouvrir comme marché de consomma-
tion, or c'était cela le but à court terme même, de l'OMVS et de
11
la SAED qui ont voulu tout de suite imposer la culture intensive
1
du riz .. Ce qui est surtout important dans ce document, c'est ce
j
souci constant d'indépendance des paysans vis-à-vis de la SAED,
aussi bien dans l'utilisation des terres que dans le choix des
!
partenaires pour la mise en valeur du potentiel foncier dont ils
1
disposent.
l
1f11
1
1li,
1

352
Cette position des paysans, que ADAMS a décrite et soutenue
dans ses ouvrages (Le long voyage des gens du Fleuve, La terre et
les gens du Fleuve)
fut la source principale de l'incompréhension
qui s'est instaurée entre la SAED et la plupart des PlV qui exis-
taient à l'époque.
si elle a permis aux paysans de se déterminer
par rapport à l'Etat, c'est parce que les efforts de l'Etat ne se
sont manifestés qU'après que les paysans eux-mêmes aient pris
l'initiative. Ce sentiment de frustration et de délaissement est
en partie la cause de cette position figée.
L'échec des périmètres
traditionnels est dû aussi à l'action du Président de la Fédération
et du secrétaire général qui, tout en s'opposant systématiquement
à l'action de la SAED,
même aprés de larges concessions de la part
de la Société Nationale, n'ont pas pu réaliser concrétement les
projets. La mésentente avec la SAED qui,
il faut le reconnaître
disposait de beaucoup de moyens,
a conduit à une situation durable
de blocage de la culture irriguée dans la zone.
Parce que le
projet d'auto-gestion avancée par la Fédération n'a pas pu se
réaliser faute de moyens mais aussi pour son incapacité à proposer
quelque chose de cohérent et d'accessible aux groupements villa-
geois. Le manque d'organisation est tellement manifeste au niveau
des PlV que les moyens que les paysans devaient tirer des revenus
migratoires faisaient eux aussi totalement défaut.
L'échec de ces périmètres traditionnels n'est pas imputable
seulement aux paysans, mais aussi en partie à la politique de la
SAED, à laquelle les paysans font beaucoup de reproches, d'ordre
technique d'abord:
les périmètres tels qu'ils sont actuellement
aménagés dans la vallée,
lorsqu'on suit le cheminement de l'eau à

353
partir du GMP,
se composent d'un bassin de dissipation, d'un canal
d'amenée presque entièrement constitué de tuyaux dans le Goy,
le
canal principal,les arroseurs à partir desquels les parcelles sont
irriguées et,
à la jonction des canaux, des partiteurs.
A leur création les périmètres étaient entièrement aménagés
à la main par les paysans eux-mêmes ce qui pour certains périmètres,
n'a pas subi de modification. Ce n'est qu'il y a une dizaine
d'années au moins que l'on peut constater de la part de la SAED
l'utilisation croissante de machines pour les terrassements. Dans
les premiers périmètres, pour la plupart signataires de la conven-
tion de la Fédération, le temps a fait son oeuvre, dans la mesure
où les ouvrages d'art n'ont pas été bien entretenus, en violation
du contrat proposé par la SAED,
ni renouvelés, par exemple par la
construction de cuves maçonnées ou en béton coulé comme pour les
nouveaux périmètres.
Il s'ajoute à cela des erreurs trés souvent constatées
dans le choix des sols sur lesquels sont installés les périmètres,
des erreurs de plannage qui rendent énorme le coût de l'eau, par
l'effet de consommation accrue de gaz-oil, et surtout aux ennuis
mécaniques de pompage, dus à l'insuffisance de l'entretien et au
manque de pièces détachées.
Il Y a aussi des facteurs d'ordre économique qui constituent
le point d'achoppement le plus important, car le coût des presta-
tion de la SAED est, de l'avis des paysans, exhorbitant et i l les

354
empêche de réaliser de grandes productions, en plus du fait que
les accords de la SAED avec les paysans leur font obligation de
commercialiser leurs productions, de riz surtout,
à la Société
Nationale,
ce que les paysans avaient rejeté dès la création de la
Fédération. Les difficultés de paiement des redevances à la SAED
proviennent surtout de la faiblesse des recettes, provoquée par
l'importance de l'autocosommation.
c'est à ce niveau que se situent actuellement les conflits
entre la SAED et les paysans, car pour l'ensemble du département
de Bakel,
les dettes envers la SAED se chiffrent à CFA 75 000 000
de francs
(30).
La SAED
Bakel détient le monopole de l'achat du
paddy, et les paysans sont tenus de lui vendre ce riz, sous forme
de remboursement de leurs dettes.
C'est ce qui ressort en tout cas
du moratoire proposé aux paysans, que beaucaoup de PlV ont refusé
de signer.
Les paysans ainsi refusent de vendre leur riz à la SAED.
D'aprés les informations receuillies à la SAED, le taux de
remboursement par les groupements est en dessous de 0,66%.
En plus,
le prix"intéressant" de CFA 85 francs le kilo proposé par la SAED
n'a pas reçu de suite de la part des paysans, qui préfèrent que
la SAED le leur verse en argent liquide plutôt que de l'utiliser
pour compenser les dettes.
C'est pour cette raison que la plupart
des périmètres produisent plus de maïs et de sorgho que de riz.
Le maïs procure un revenu monétaire supérieur, car i l est vendu
par épis,
avec un prix qui varie entre 50 à 75 francs au début
des récoltes et 30 à 40 francs s ' i l y a un surplus sur le marché,
frais ou grillé. Le mil et le sorgho, destinés à la consommation
familiale sont vendus à 110 francs le kilo dans la CR de Mudeeri
30- Tous les chiffres que nous fournissons ici proviennent de
la délégation SAED de Bakel, pour l'année 1989-1990.

355
sans compter les produits maraîchers dont les prix sur le marché
est encore plus intéréssant.
c'est ainsi que pour la campagne 1989/1990, les superficies
aménagées au 01-07-1989 en hectares sont, pour la CR de Mouderi,
de 772,5 ha, dont le r i z :
320 ha,
le maïs:
12 ha et le sorgho:
400,9 ha,
soit un total d'exploitation de 732,9 ha.
Mais l'endettement des paysans ne vient pas seulement des
frais d'aménagement.
Il s'y ajoute les frais élevés d'intrants
agricoles,
ce qui pousse nombre d'exploitants qui ne peuvent pas
payer leurs redevances à abandonner ainsi la riziculture soit par
libre choix,
soit contraints par la SAED qui leur retire
la motopompe. C'est à ce niveau que la Fédération n'a pas été
vigilante,
en ne mettant pas en place une structure permettant de
gérer des intrants propres aux paysans.
Les reproches à la SAED se
trouvent parfois sans fondement,
car la Fédération s'avère inca-
pable jusque là de maîtriser le gaz-oil,
les engrais et
les insecticides.
seule l'assistance technique de la SAED est gratuite.
Le
gaz-oil,
les semences, engrais, etc .. livrés sont facturés,
de
même que les frais d'entretien et de réparation (31).
Si les frais
f~1
des intrants et du gaz-oil sont élevés,
il est fréquent que les
j
1
paysans se plaignent de surfacturation,
car il arrive que la SAED
1
leur fasse payer,' en engrais ou en insecticide, davantage qu'il ne
1
leur en était livré.
1j
1
i
31-Nous n'avons pas pu obtenir le détail des redevances par PlV.
Il ne s'agit là que de chiffres globaux.
1
j

,11

356
En résumé,
les paysans se plaignent du coût élevé des aména-
gements et des motopompes et reprochent aussi à la SAED de ne pas
respecter les termes du contrat signé avec eux : des aménagements
mal soignés, que seuls les canaux principaux sont réhabilités par
la SAED, tandis qu'ils entretiennent eux-mêmes à la main les canaux
secondaires. Ils estiment aussi que l'entretien des pompes est
médiocre, les mécaniciens ne faisant pas correctement leur travail.
TABLEAU 2
SITUATION D'ENDETTEMENT DES PAYSANS DU GOY
EN 1990 ENVERS LA SAED.

TABLEAU 2 : SITUATION D'ENDETTEMENT DES PAYSANS DU GOY EN 1990 ENVERS LA SAm
-----------------------------------------------------------------------------
!
!
!
Groupements
! Endettement total {cfa)
Moratoire 88/89
! Remboursement
!
Reste à rembourser {cfa)
!
!
!
!
!
!
745.861
*
0
745.861
311.500
77 .875
0
311.500
304.500
76.125
0
304.500
1. 713.539
*
0
1. 713.539
NE
TRAVAILLE
PAS
AVEC
LA
SXED
.
5.016.244
!
*
!
0-
1
5.016.244
1
1.954.055
1
438.140
1
0
1
1:954.244
1
462.000
1
90.500
1
0
1
462.000
!
1.238.095
!
309.524
!
0
!
·1.238.095
!
!
!
T O T
A L
11.845.594
!
!
!
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
* : Groupements qui ont refusé de signer le moratoire proposé par la SAED.
Tableau fourni par la délégation SAED de Bakel.

358
Ces chiffres,
comme on le voit sur le tableau,
sont éloquents
et rendent amplement compte de la situation qui prévaut sur les
PlV du Goy. Cet endettement excessif des paysans que ces derniers
ont voulu prévenir dès 1975 a été pour certains périmètres un
facteur de retard,
sinon de déclin prononcé, par rapport aux nou-
veaux périmètres créés après 1983, la plupart étant constituée en
GlE et disposant de moyens plus substanciels de mise en valeur des
terres, d'autant plus que leur dépendance envers la SAED est réduit
au seul aménagement des sites. C'est ce qui pousse les paysans
dans ces périmètres à produire davantage de maïs et de sorgho que
de riz.
TABLEAU 3 : RESULTATS DE LA CAMPAGNE HIVERNALE 88/89 POUR
LE GOY.
Sources SAED.DELEGATION DE BAKEL.
1
\\
1
1
1
1
1
1
;ij
1
l
1
1
l1
1
1
\\,

Tableau 3
Résultat de la Campag~e h~verna~e 88/89 pour le Goy
Sources SARD - Délégation de Bakel.
Superficies exploitées et récoltées
Rendement CT/ha
Productions (T)
en 88/89 (ha)
Riz
Maïs
Sorgho
Riz
Maïs
Sorgho
Riz
Maïs
Sorgho
0'1
lt'\\
C""l
170.75
18.25
377 .5
5.527
3.760
943
1419

360
On constate sur ce tableau deux choses: d'abord le faible
rendement des PlV, ensuite la préférence marquée des paysans pour
les cultures de consommation tel que le sorgho.
Nous avons vu en première partie le faible poids économique
des redevances foncières pour les maîtres fonciers et leur consé-
quence sur les détenteurs de droits de cultures.
Il n'était pas
puissant à tel point de pousser les paysans à abandonner les sols
ou de chercher d'autres stratégies de mise en production. Les
redevances foncières participaient certes d'une politique de
domination sociale des classes nobles sur les autres, mais elles
ne grevaient pas le système de production, ni ne participaient au
déclin de cette production. CAVERIVIERE et DEBENE, reprenant les
termes de l'exposé des motifs de la loi 64/46 sur le domaine
national rédigé par le Ministre des Finances André PEYTAVIN, ont
affirmé qu'il était nécessaire de supprimer les "coutumes rétro-
grades" et les redevances foncières nuisibles au développement.
Ils ajoutent:
«
Les maîtres de la terre percevaient des sommes en constante
augmentation sans jamais améliorer le fonds.
Ceux qui les
payaient étaient conduits à rechercher la production opti-
male ... Détournée de sa finalité religieuse,
la redevance
représentait une charge telle que la notion même de mise
en valeur du sol s'en trouvait affectée.»
(32)
1
Il Y a sans doute chez ces auteurs une incompréhension totale de
i
la logique traditionnelle des redevances foncières.
si les
1
j
J
circonstances de l'introduction des impôts et l'entrée dans la
!
1
J,
société de consommation des colonies a entraîné l'augmentation
j
des redevances, ce n'est pas le taux des redevances qui a subi
1
la hausse, mais l'on a plutôt constaté la multiplication par les
1
32- CAVERIVIERE et DEBENE
: Le droit foncier sénégalais.
l1
op.
cit. p.71, n0108.
1f

361
maîtres des contrats, donc l'augmentation des surfaces cultivées,
ce qui a conduit à la recherche de cette production optimale dont
ils parlent. En plus ils avancent une certaine finalité religieuse
de la redevance foncière qui aurait été détournée, ce qui accentue
leur erreur d'appréciation, car les redevances versées dans le
passé aux maîtres fonciers n'ont jamais été religieuses, mais des
redevances foncières tout court.
si le système du calcul de cer-
taines redevances telles que l'assakal fut calqué sur le principe
musulman du 1/10 de la production,
cela n'a pas transformé pour
autant l'assakal en dîme religieuse.
Même au plus fort du règne
des Almamis au Fuuta cette redevance a gardé son caractère foncier
(nous avons analysé cela au chapitre 5 de la première partie).
En outre,
si la loi 64/46 a supprimé les redevances foncières
coutumières, on peut dire que de nouvelles redevances foncières
sont nées au profit de l'Etat du Sénégal, seul maître de la terre.
En étudiant la tableau nO 2, on se rend compte que ces "coutumes
rétrogrades et ces redevances nuisibles au développement" ont été
remplacées par des redevances plus lourdes encore à supporter pour
les paysans,
car les redevances dues à la SAED sont à notre sens
la source du retard accusé par la plupart des périmètres irrigués
du Goy, même si globalement le bilan de la culture irriguée est un
peu satisfaisant. si les redevances coutumières n'étaient pas
payées,
le Te gume pouvait être chassé du champ et perdait par là
l'outil de travail qui est la terre, mais i l lui était possible de
s'adresser à un autre maître foncier pour obtenir une terre.
si
actuellement les redevances dues à la SAED ne sont pas payées, le
paysan n'est pas chassé de la terre mais la SAED lui retire les

362
moyens de l'exploiter et il ne pourra s'adresser à personne
d'autre:
les conséquences pour lui sont plus désagréables puisque
le CR peut désaffecter le périmètre pour défaut de mise en valeur.
Les résultats seraient les mêmes, sauf que dans la logique tradi-
tionnelle ce même paysan trouvait plus de sécurité auprès des
anciens maîtres fonciers avec lesquels il entretenait des rapports
sociaux, parce que la circulation des produits relevait du
mécanisme des alliances.
Les redevances coutumières étaient socialisées et ne consti-
tuaient pas un phénomène autonome par rapport à l'ensemble des
rapportp entre hommes,
alors que les nouvelles redevances consti-
tuent un degré autonome,
car économique et dépouillé de tout
caractère social, par ce "super maître foncier" qui est l'Etat et
la SAED son instrument.
En conclusion on peut affirmer que c'est surtout à cause de
l'entêtement du Président de la Fédération (33) et de sa secré-
taire à vouloir coûte que coûte maintenir leur indépendance
vis-à-vis de la SAED et la politique ambiguë de la Société d'Etat
que certains périmètres ont échoué.
On ne peut pas affirmer pour
le Goy que l'utilisation des sols du domaine national pour
l'irrigation est un échec total du fait de ces rapports tendus
entre la SAED et les PlV.
Le bilan est plutôt globalement positif,
parce qu'on assiste à l'émergence d'une deuxième génération de PlV,
parfois totalement autonomes par rapport à la Fédération (qui a
tendance à se scléroser) et dont les rapports avec la SAED sont
33- Même les enquêtes effectuées sur les périmètres affiliés à
la Fédération sont soumises à une autorisation écrite préa
lable du Président de la Fédération. Etant fils du pays,
il n'a pas pu nous l'imposer.

363
des plus normaux. Cette génération deuxiième de PlV affectés par
le CR de Mouderi, dispose dès le départ d'énormes moyens
financiers pour la mise en valeur et une bonne organisation,
dispose de motopompes appartenant aux groupements, de réserves
plus ou moins substancielles de gaz-oil et d'intrants agricoles,
et en plus ils sont constitués pour la plupart en GIE, disposant
d'un compte à la CNCAS : c'est le cas de Jawara II Al falah ou de
Moudéri III Sada DIA qui sont des motifs de satisfaction.
Il Y a aussi le retrait de certains périmètres de la Fédération.
Et ces nouveaux périmètres ont pour certains largement dépassé le
stade de l'autoconsommation.
La situation conflictuelle entre la SAED et les paysans à
cause de l'endettement de ces derniers envers la Société Nationale
n'est pas la seule ayant trait aux droits fonciers,
à l'utilisation
et à l'exploitattion de la terre dans le Goy.
Les conflits ou les
situations conflictuelles dépassent largement le cadre restreint
des rapports entre la Société d'aménagement et les paysans, pour
toucher un secteur plus large où les auteurs sociaux sont plus
nombreux. Mais ici la logique se déplace du point de vue spatial,
mettant à jour de nouveaux conflits fonciers,
qui ne se situent
plus entre maîtres fonciers et utilisateurs des sols.

364
CHAPITRE IV : LES NOUVEAUX CONFLITS FONCIERS
LES ENJEUX DE L'APRES-BARRAGES ENTRE
LES PALABRES ET L'ETAT.
Les mutations sociales introduites par la culture irriguée
d'une part,
l'intervention de la SAED et des communautés rurales
d'autre part ne pouvaient se faire sans bouleversements au niveau
des stratégies paysannes de mise en valeur de la terre. Les pay-
sans face aux nouveaux discours et pratiques sur le terrain ne
pouvaient rester insensibles car justement le propre de toute
réforme est de créer ou de susciter des comportements autres que
ceux que l'on a toujours observés.
Les conflits fonciers traditionnels que nous avons étudiés
en première partie opposaient la société avec elle-même. c'est-à
dire que ces conflits se créaient en fonction de rapports"normaux"
que les différentes composantes du procés foncier entretenaient,
et la société produisait elle-même la norme interne du règlement
du conflit. Même le recours à la justice et à l'administration
coloniales que nous avons décrit constituait une solution interne
car la législation coloniale n'a pas eu de conséquence (1)
signi-
ficative sur le déroulement des rapports fonciers.
Le législateur
colonial n'a pas pris de texte qu'imposait aux paysans du Goy de
reccourir à la justice coloniale ou à l'arbitrage de l'Administra-
tion. Le recours à la justice coloniale était une solution offerte
aux protagonistes, en plus de celles qu'ils pratiquent selon la
coutume pour règler certains conflits.
1- Voir chapitre 1 de la 2è partie,
sur le discours colonial.

365
Or les logiques nouvelles introduites par l'Etat dans la
vallée sont en elles-mêmes génératrices de conflits car elles
créent des enjeux politiques et économiques qui dépassent large-
ment le seul cadre traditionnel. Autrement dit l'Etat impose leurs
conflits aux paysans de la vallée en mettant en place des structu-
res qui bouleversent les mentalités et/ou les comportements.
A partir du moment où de nouveaux enjeux se créent les conflits se
déplacent dans l'espace et la quasi homogénéité qui faisait la
spécificité du Goyen matière foncière,
tend de plus en plus à se
dégrader.
On assiste à une certaine stabilité au plan intravi11ageois,
mais les rapports entre villages dans la communauté rurale de
Moudéri se transforment dans le sens d'une compétition acharnée,
d'une âpre rivalité malgré l'appartenance de la presque totalité
des villages à la structure fédérative des paysans du département,
ce qui devrait jouer un rôle modérateur.
Sans peut-être le vouloir
l'Etat redonne au village son rôle de premier plan en matière fon-
cière car les antagonismes latents dans certains villages font
désormais place à la recherche de la cohésion face à l'extérieur.
Ces nouveaux conflits sont de différents types
: ils se situent
soit entre villages,
entre villages et conseils ruraux, entre
villages et particuliers ou enfin entre anciens et nouveaux maî-
tres fonciers se traduisant par des querelles de compétence.

366
I. - LES LITIGES ENTRE VILLAGES
L'INSTINCT TERRITORIAL.
Dans le système traditionnel soninke, nous l'avons vu,
le
foncier ne peut-être considéré comme un niveau autonome d'analyse.
Le foncier renvoit à l'organisation sociale et,
à partir de là,
les villages du Goy ont su créer entre eux et sur leurs terroirs
des réseaux de solidarités tellement fortes qu'il est difficile
parfois à l'observateur de déterminer de façon précise les limites
du casier foncier de chaque village.
si les conflits étaient nombreux au niveau intravillageois,
nous avons vu par contre qu'ils étaient assez rares au niveau
intervillageois.
Les villages du Goy ont,
à partir de Tiyaabu,
créé un réseau d'alliances familiales qui empêchaient parfois tout
litige ou qui, s'ils survenaient elles leur servaient de moyens de
régulation. Mais l'introduction de la logique étatique en matière
foncière a mis fin à cet état ce qui constitue une adaptation aux
situations de changement de nature juridique, économique et écolo-
gique. Ces changements ont créé dans les rapports entre les villa-
geois des réactions totalement différentes et contraires à celles
que l'on a observées jusque là.
Le paysan du Goy pouvait cultiver sur le terroir de son choix
en respectant les droits des maîtres fonciers.
Mais il se crée en
ce moment ce qu'il est convenu d'appeler l'instinct territorial.
On l'observe aussi bien chez les hommes que chez certains animaux,
tels que les hordes de singes qui à chaque fois qu'ils sentaient
leur territoire menacé se replient sur eux-mêmes pour le protéger.

367
Ce réflexe d'auto-défense chez l'homme le pousse à rejeter les
anciennes alliances, voire les violer lorsque l'enjeu qui l'a
suscité est grand. Or l'enjeu ici,
chez le paysan soninke du Goy
c'est d'avoir à sa disposition le maximum de terres pour parvenir
à cause de la séquence sèche qui frappe la sous-région en ce
moment, et aussi des promesses de l'après-barrages, à l'auto-suf-
fisance alimentaire parce que les revenus tirés de la migration
ne suffisent plus à faire face à une soudure de plus en plus
marquée. WEIGEL l'explique par la prise de conscience des paysans
soninke de l'arrêt ou du tarissement progressif des envois massifs
de numéraires par les émigrés, notamment ceux de France, qui
avait permis dans le passé une forte épargne et qui avait une
incidence directe sur la production vivrière.
(2)
Il s'ajoute à
cela que les paysans dépendent désormais des contraintes écolo-
giques:
la quasi-inexistence actuellement de deux cycles culturaux
à cause des conditions hydro-pluviométriques désastreuses. En
l1
outre les conditions d'affectation des périmètres irrigués villa-
1
geois par le conseil rural contribuent à l'accentuation de cet
instinct territorial,
donc à l'accroissement des risques de con-
1
flits entre villages.
(3)
C'est ainsi que la communauté rurale a
'1
J
enregistré des conflits qui sans le nouveau discours n'auraient
1
i
peut-être jamais eu lieu, car éclatant entre alliés traditionnels.
C'est le cas du litige qui avait opposé Tiyaabu à Mannaayel en
mars 1987, dont l'alliance est tellement forte,
qu'un "criminel"
1~
qui s'échappait de Tiyaabu et qui trouvait asile à Mannaayel était
sauvé et vice-versa.
2- Jean Yves WEIGEL : Migration et Production domestique
1
op cité.
l
3- Voir chapitre 3.
l!
!1;

368
Les liens étaient si étroits entre les royaux Bacili et les Jallo
leurs mangu (4)que le casier foncier traditionnel de Tiyaabu fut
presque totalement cédé à Mannaayel,
les royaux de Tiyaabu n'étant
pas cultivateurs de tradition.
Ce qui a fait que le casier foncier
de Mannaayel s'étendait jusqu'à moins
d'un kilomètre environ au
nord de Tiyaabu et dans le sens Est-Ouest c'est-à-dire du fleuve
au jeeri. L'origine de ce conflit relève d'une idée assez absurde
tirée du discours sur l'après-barrages,
assez mal interprété par
les paysans,
selon lesquels tout village qui ne délimiterait pas
ses terres avant la mise en eaux des barrages se verrait privé de
son terroir au profit de ceux qui le demanderaient. Cela a suscité
la crainte puis la méfiance vis-à-vis des voisins avec qui on
entretenait des rapports séculaires. La crainte de se voir privés
de leurs terres dans la perspective de l'après-barrages a poussé
les habitants de Mannaayel, par groupement villageois et conseil-
lers ruraux de ce village interposés,
à demander au conseil rural
de Mudeeri une affectation de 300 ha,
ce qui est particulièrement
énorme pour un village d'environ 3.000 habitants. En fait,
ces
300 ha de terres coïncident s'ils étaient attribués,
avec les
limites du casier foncier de Mannaayel,
ce qui aurait exclu
Tiyaabu de toute participation ou à un niveau faible à la culture
irriguée de grande envergure, ou l'aurait mis dans une dépendance
étroite vis-à-vis de Mannaayel en matière de terre. La réaction
de Tiyaabu fut dans un premier temps de règler la question à
l'amiable, en vertu des liens privilégiés avec Mannaayel, ce qui
4- Chefs de guerres, courtisans et conciliateurs des royaux ou
des chefs politiques des différents villages.

369
donna lieu à une réunion entre les deux parties le 22 mars 1987
sous l'arbre de Tiyaabu.
Il est certain que dans l'esprit de
Tiyaabu, cette demande de Mannaayel a des allures de trahison
d'une part par rapport aux liens ancestraux et particuliers entre
les deux villages, ensuite parce que les deux villages avaient
convenu lors de la demande au CR, de défricher et de mettre
en valeur les terres situées entre les deux villages pour ne pas
permettre justement à d'autres de le faire
(5).
Et aux palabres de
Tiyaabu, voici les arguments des uns et des autres que nous résu-
mons et simplifions. La délégation de Mannaayel se justifie ainsi:
«
Toutes ces terres nous appartiennent, depuis nos ancêtres.
Nous les avons laissées à votre jouissance mais à présent que
les choses ont évolué, nous voulons prendre des garanties
légales en les délimitant de façon précise,
tout en vous
autorisant à les utiliser comme par le passé. Mais chaque
village doit délimiter ses terres, pour l'avenir.»
Et la réponse de Tiyaabu à ces arguments fut simple mais précise
«
Vous n'avez pas de terres propres à vous.
Il n'y a pas
dans le Gajaaga de maîtres fonciers autres que nous.
Nous
(nos ancêtres) vous avons concédé des droits sur
des terres qui nous appartiennent, parce que vous étiez
des paysans et nous des guerriers. Nous ne cultivions pas.
La contrepartie de cette cession de terre était, d'une
part, en tant que nos mangu, vous vous portiez à notre
défense à chaque fois que nous étions attaqués et que
vous pourvoyiez à nos besoins en céréales (6). Maintenant
que nous devenons paysans comme vous,
tirant notre subsis-
tance du sol et que l'ancienne contrainte alimentaire ne
pèse plus sur vous, ne croyez vous pas qu'il est juste
que nous reprenions des terres dont nous sommes les maî-
tres ? En outre vous ne pouvez pas prétendre jusqu'aux
portes de notre village, à la maîtrise des terres que nous
cultivons. Vous n'êtiez que des Tegumu (maîtres des champs)
et nous avons toujours été les véritables Niinegumu. Nous ne
reviendrons pas sur les conditions dans lesquelles ces terres
vous ont été
concédées, mais sachez que le CR ne nous
5- Les gens de Mannaayel ont deux fois de suite trouvé un pré-
texte pour ne pas se rendre sur le s~te, en vue d'effectuer
le défrichage en commun avec Tiyaabu.
6- voir chapitre 5, section 5 de la première partie, consacrée
à la dimension économique des redevances foncières.

370
privera pas de nos terres en vous affectant 300 ha. Trouvons
plutôt un compromis, au lieu d'aller demander à l'Etat de
régler un malentendu que nous pouvons régler nous-mêmes et
conserver nos liens intacts . . . . ».
Jusque là,
l'Etat (le CR ou le Préfet) n'est pas impliqué dans le
processus de règlement de ce litige.
Les protagonistes ont fait
usage des droits traditionnels de règlement des conflits ce qui
est une mise entre parenthèse sur les prérogatives du CR, car
l'objet du litige est un terrain du domaine national. Par contre
si l'Etat n'est pas encore intervenu dans le règlement du litige,
c'est sa logique et son discours qui est à l'origine du conflit.
Mais il n'y a pas de conflit entre la tradition et la modernité.
Dans cette affaire,
les modes de règlement traditionnel n'ont
pas mis fin au conflit et dès lors le recours à l'Etat était iné-
vitable car le CR de Mudeeri dans un premier temps est intervenu
pour géler l'affectation demandée sous prétexte qu'il devait pro-
céder à une enquête approfondie.
Il a fallu attendre mars 1989
pour que le CR tranche ce litige foncier entre les deux villages,
en délimitant les terrains aux limites naturelles des deux villa-
ges,
c'est-à-dire en affectant à chaque village la moitié du
terroir à 3,5km environ de chaque village
(7). Mais il est quand
même important de souligner que le règlement de ce conflit par
l'Etat,
(qui en est à l'origine)
ne met pas pour autant fin au
litige. C'est-à-dire qu'il ne contribue pas à recoudre la déchi-
rure faite sur le tissu social car l'instinct territorial va
demeurer. Ce qui était possible avant l'introduction de la logique
7- Nous avons été.délégué par notre village (Tiyaabu) en fév.89
pour trouver une solution au niveau du Préfet de Bakel et du
Sous-Préfet de Jawara principalement pour accélérer la procé-
dure de délimitation et d'affectation des terres par le CR de
Mudeeri.

371
de l'après-barrages et l'exploitation maximum des sols c'était la
faculté pour un village de cultiver sur les terres des autres,
ce
qui risque de ne plus se faire.
Simplement parce que chaque
village qui se voit légalement doté d'une superficie de terre bien
définie va essayer de la défendre contre les autres villages qui
deviennent des étrangers. L'autre remarque a trait à l'impuissance
constatée des chefs de villages, mais pas leur mise à l'écart (8).
Car l'Etat par le biais du CR et du sous-Préfet qui ont participé
en tant qu'observateurs à la conciliation n'ont à aucun moment
donné tenté d'empêcher en vertu de leurs pouvoirs le règlement du
litige par les anciens maîtres fonciers.
D'ailleurs,
cela n'est
pas contradictoire avec la loi sur le domaine national qui nIa
prévu nulle part cette interdiction.
II. - CONFLITS ENTRE PARTICULIERS ET GROUPEMENTS VILLAGEOIS
Nos enquêtes de 1988 ont révélé une pratique de la part du
peR de Mudeeri qui viole les textes sur l'affectation des terres.
Cette violation des textes qui crée le litige en elle même,
est
doublée de l'hostilité des groupements villageois et des anciens
maîtres fonciers face à cette pratique. En effet l'article 8 de
la loi 64/46 du 17 juin 1964 créant le domaine national dispose
«
Les terres de la zone des terroirs sont affectées aux mem-
bres des communautés rurales, qui assurent leur mise en
valeur ... »
Il est vrai que le principe posé par l'artcile 8
a subi beaucoup de modifications de fait,
dans la mesure où les
8- Nous avons vu au chapitre II que la loi sur le domaine
national est finalement une sorte de loi cadre, que l'on
peut interpréter de façon extensible, ou restrictible.
Les incompatibilités des pratiques sont peu nombreuses
avec la loi sur le domaine national, mais plutôt sur ses
textes d'application.

372
terres des zones de terroirs peuvent accueillir d'autres types de
personnes physiques ou morales,
la capacité économique de mise ne
valeur étant plus importante. Mais le principe demeure toujours
pour certaines autres personnes, notamment celles qui exercent à
titre principal une activité autre que l'agriculture. c'est le cas
des fonctionnaires de l'Etat par exemple
(9).
Si le principe est
souvent violé,
il n'en demeure pas moins qu'il ne doit pas l'être
à propos de champs.
Car la loi sur le domaine national qui orga-
nise les problèmes fonciers dans le monde rural protège aussi
les paysans dans leurs droits sur leurs champs.
Dès l'instant que
qu'un champ qui est affecté à une personne autre que le détenteur
lui-même il est difficile de croire que cela ne crée pas de litige.
C'est toujours l'occasion pour les anciens maîtres fonciers de se
mettre au travers des décisions du CR.
C'est ainsi qu'une décision du conseil rural de Mudeeri
en date du 16.08.85 a affecté un terrain à un certain Jiby NJAAY
agent de la SAED en activité, originaire de Bakel,sur un kollanga
traditionnellement exploité par Jawara,
et à qui il appartenait.
Le motif invoqué par le CR pour affecter ce terrain de 25 hectares
est qu'il est abandonnée depuis quelques annéeset qu'ainsi les
habitants de Jawara ne pouvaient pas se prévaloir d'une quelconque
mise en valeur.
Les arguments invoqués par Jawara pour ce défaut
de mise en valeur est que le terrain en question est sis dans une
cuvette de décrue et comme depuis quelques années il n'y a pas eu
d'inondations,
ils ne voient pas comment ils auraient pu
l'exploiter.
9- Mais on voit que dans la pratique ces catégories de person-
nes se font toujours affecter des terres,
et ceci dans
toutes les communautés rurales.

373
Mais une partie du terrain est exploitée en culture sous pluies.
Juridiquement,
l'argument ne tient pas.
Le second argument qu'ils
ont utilisé est tiré de la loi sur le domaine national, notamment
en son article 8. Le CR de Mudeeri a manifestement violé l'esprit
de l'article 8 car une affectation ne peut-être faite qu'au profit
des gens domiciliées dans le terroir et y exerçant au principal
l'activité de cultivateur. or, le bénéficiaire de cette affecta-
tion, en l'occurrence Jiby NJAAY, ne remplit pas ces conditions et
de surcroît il était agent de l'Etat.
Dès lors le conflit était ouvert entre ce particulier
soutenu par le CR et les maîtres des champs affectés.
Ils ont
ainsi empêché Jiby NJAAY d'exploiter son périmètre. Le Président
de la République fut même saisi de l'affaire et dans sa réponse
par lettre nO 04629/PR/SG/ECO 3 du 1er juin 1987 adressée à
Abdoulaye BATHILY Secrétaire Général de la LD/MPT qui l'avait
saisi de la question,
sur la demande des paysans de Jawara,
il déclara que le CR de Mouderi nIa pas outrepassé ses compétences
en affectant par décision du 16 août 1985 un terrain de culture, et
qU'en outre,
il ne s'immiscerait pas dans les affaires d'une ins-
tance démocratiquement élue par les paysans eux-mêmes. La Cour
Suprême avait été elle aussi saisie, mais l'affaire fut réglée par
le Ministre Cheikh Cissokho dont l'intervention amena Jiby NJAAY à
abandonner le périmètre, et au CR de Moudéri de désaffecter le
terrain.
Par la même occasion, le CR de Moudéri affecta une partie
de ce kollanga de Gewu au député Sada DIA,
exploitant le périmètre
Moudéri III.
Face à la contestation des SAKHO maîtres fonciers,
deux ans après
(donc 1987, réponse du Président de la République)

374
le Député
soutint que le chef de village de Jawara était lui-même
présent lors de l'affectation du terrain, qu'il n'y a pas eu de
revendication à l'époque et qu'en outre, le site de Gewu est resté
non exploité depuis 17 ans
(donc depuis la sécheresse
de 1968).
(1 ü )
Ce qui est intéressant ici,
ce sont les différents niveaux
d'intervention'pour le règlement de ce litige, mais surtout que
les instances compétentes tels que le PCR (qui fut à l'origine du
conflit) et le Préfet aient été écartés, contournés au profit d'un
règlement politique de la question,
car l'aspect politique de ces
types d'affectations est une réalité dans la Communauté Rurale de
Mudeeri.
L'instinct territorial dont nous avons parlé plus haut a
s'est encore manifesté ici car une grande partie de ce kollanga de
Jawara a toujours été cultivée par les paysans de Mudeeri. Les
rapports traditionnels d'utilisation de ces sols étaient plutôt
excellents tant qu'ils se limitaient entre maîtres du sol et les
détenteurs de droits de culture. Mais dès que de nouveaux acteurs
entrent sur scène et tentent d'évincer les anciens maîtres de la
terre,
l'instinct territorial se réveille puisque la nouvelle
donne fait que l'un des villages se sente agressé par l'autre.
Il
y a en quelque sorte rupture de solidarité par l'un des villages
du fait de l'intervention d'un "corps étranger".
Ces types d'affrontements ne constituent pas un conflit
entre tradition et modernité ou en entre droit soninke et droit
lü-Enquêtes de Mudeeri 1987:Sada DIA,
Président du Périmètre
Irrigué Mudeeri 3. Le 16 août 1987.

375
étatique, mais entre maîtres de la terre et des catégories de per-
~onnes exclues de la maîtrise foncière traditionnelle du Goy.
La composition du CR de Mudeeri le montre clairement parce que le
PCR lui-même, un NJAAY de Mudeeri n'est pas par sa famille inséré
dans la catégorie des maîtres de la terre.
Les chefs de villages ne sont pas contents que des "jeunes",
dont certains de surcroit étaient exclus des affaires de terre,
puissent "empiéter sur leurs prérogatives" et aillent même jusqu'à
s'arroger le droit d'affecter leurs champs
(ceux des chefs de
villages)
à d'autres. si l'on s'en tient à la lettre de la loi,les
contestations de JAWARA n'ont pas de fondement juridique, car les
CR et PCR sont compétents pour apprécier;
d'autant plus qu'ils
sont "élus" par ceux-là mêmes qui leur disputent ces prérogatives.
Mais le seul aspect juridique tiré des textes ne saurait suffire,
dans les pratiques rurales à expliquer et à légitimer les compor-
tements.
sociologiquement, Jawara est fondé à revendiquer ses champs
car le défaut de mise en valeur invoqué par le CR et le Député
sada DIA n'est pas imputable à un abandon, mais à la "fatalité ll de
la sécheresse. Les critères juridiques doivent être combinés aux
critères sociologiques et climatiques pour que l'action des CR
dans la Vallée soit plus proche de l'équilibre social recherché
par la logique des textes. La méconnaissance de la loi,
due en
grande partie au niveau d'instruction du PCR et de la plupart des
membres du CR n'est pas favorable à la réalisation de telles
conditions. Ce qui fait que les décisions prises sont souvent

376
absurdes et génératrices de tensions,
surtout entre Mudeeri et
Jawara. Les exemples d'accrochages de ce types sont nombreux;
ainsi par exemple quand le PCR de Mudeeri a voulu affecter un
champ à quelqu'un pour usage d'habitation à Jawara.
L'opposition
"énergique" du "propriétaire" du champ et son entêtement ont
finalement fait reculer le CR. plus souvent l'action du PCR est
guidée par de vieilles rivalités qu'il entend vider, si elle ne
réveillent pas d'autres entre familles.
(11)
Les anciens maîtres fonciers pratiquent,
comme nous l'avons
constaté au niveau des PlV, une résistance plus ou moins acharnée
contre la poussée des PCR en matière d'affectation de terres.C'est
ainsi qu'il leur arrive souvent, à défaut de pouvoir affecter des
terres, de s'opposer par des voies plus ou moins détournées à des
affectations effectuées par le CR.
III- CHEFS DE VILLAGES CONTRE CONSEIL RURAL.
L'étude au chapitre 4 des nouveaux maîtres de la terre nous
a montré le poids encore considérable des chefs de villages dans
le processus d'affectation des terres.
si la loi ne leur confère
aucune prérogative à ce sujet, la pratique montre de façon claire
une grande subtilité de leur part pour affirmer leur pouvoir.
La réforme administrative n'a été appliquée à la région de
Tambacounda qU'en 82 seulement, et ce n'est qU'aprés les élections
rurales de novembre 1984 que le Conseil Rural de Mouderi a été mis
en place. Ainsi. depuis l'introduction de la culture irriguée dans
11- Nous avons analysé cet aspect du problème au CH.3 sur les
nouveaux maîtres fonciers.

377
le Goy sur une grande échelle en 1975 tous les périmètres irrigués
villageois furent affectés par les chefs de village, ce qui allait
de soi car il n'y avait pas encore de structure étatique compé-
tente pour cela.
c'est ainsi que les périmètres suivants furent créés: Gande
1976, Gallaade 1976, Mudeeri l
1976, Jawara l
1976, Mannaayel l
1976, Mannaayel II 1983, Tiyaabu l
1975 furent tous affectés par
les chefs des villages respectifs.
Ce nlest qu'à partir de 1984
que les prérogatives des chefs de villages et maîtres fonciers
furent concurrencées par celles du PCR de Mudeeri.
Il n'y a pas eu à notre conaissance de conflit ouvert entre
maîtres fonciers et CR pour l'attribution des terres même si cer-
taines affectations comme nous llavons vu furent contestées, non
pas par le seul chef de village mais par l'ensemble des maîtres
fonciers.
Mais les chefs de villages ont toujours su jouer sur le
régistre de la détention des champs car pour affecter à un périmè-
tre irrigué un champ déjà exploité,
il faut l'accord du détenteur
ou bien déclarer l'utilité général ou communautaire. C'est ainsi
que le Périmètre irrigué de Jawara II, exploité par le mouvement
religieux AlFalah fut affecté par le CR de Mudeeri sur des champs
Saaxo. Au départ les maîtres fonciers par le chef du village de
Jawara s'étaient opposés à l'affectation de ces champs à Al Falah.
Devant le refus des maîtres fonciers le groupement choisit un site
sur la rive droite en Mauritanie ce que le sous-préfet de l'époque

378
avait interdit,
la raison étant que le CR de Mudeeri n'avait d'em-
prise que sur les terres de la rive gauche. Un second site fut
repéré entre Jawara et Yellingara,
ce qui rencontra encore
l'opposition du chef de ce village.
Finalement le CR affecte le
terrain sur lequel se trouve actuellement le périmètre, entre
Jawara et Mudeeri,
en déclarant le groupement AL Falah d'utilité
publique.
La vraie raison de l'opposition du chef de village
est
que les membres du groupement Jawara II sont pour la plupart de la
famille Ba, marabouts statutaires des Saaxo,
en conflit avec ces
derniers au sein du village et auxquels les Ba semblent disputer
la prééminence dans ce village.Ce qui est surtout intéressant dans
cette affaire,
c'est l'immpuissance du CR de Mouderi (pendant un
certain temps)
devant les chefs de villages.
Il avait fallu,
pour
les "désarmer", utiliser l'argument juridique de l'utilité
publique,
avec le soutien du sous-préfet de Jawara.
Ce type de conflit est assez fréquent et nous pouvons affir-
mer sans risque de nous tromper que la loi sur le domaine national
est en train de subir les réalités du Goy,
ce que nous avons tenté
de démontrer dés le début de cette partie.
si la rencontre des
deux logiques, provoquant ou non des conflits,
subit les réalités
sociales au point de transformer l'une ou l'autre logique, mais
celle de l'Etat en particulier,
l'on est en droit de militer en
faveur de la localisation du droit foncier sénégalais sans pour
autant que cela s'appelle régionalisme ou séparatisme. Il s'agit

379
seulement d'un droit pratique,
celui que les paysans ont fabriqué
eux mêmes et qui correspond à toutes les aspirations, y compris
ceux de l'Etat.
Ce n'est pas difficile à réaliser parce que la réalité est
qu'il se forme partout au sénégal des droits fonciers locaux issus
de la rencontre de la loi avec la pratique propre à chaque terroir.
Le paysan du Cayor n'a pas la même perception de la loi que celui
du Wuli ou celui du Bundu, par conséquent les résistances et la
mise en pratique de cette loi ne peuvent être les mêmes.
L'univers
mental du paysan soninke perçoit de façon différente de celle du
paysan pulaar l'attitude devant l'autorité. La loi sur le domaine
national ne sert que de cadre à la multiplicité des pratiques et à
leur diversité, ce qui est une réalité que même les autorités sont
obligées de prendre en compte sur terrain,
sans l'officialiser. Le
droit foncier rural sénégalais est un droit déjà "localisé", il
reste seulement aux pouvoirs publics à officialiser ce droit prati
que, qui dans sa diversité est infiniment plus riche et plus
efficace.
Le second cas de résistance du chef de village aux pouvoirs
du CR nous est fourni par le périmètre des femmes de Tiyaabu.
sur
fond de conflit entre le CR et le chef du village, on constate la
mainmise encore très forte de cet homme sur la terre. En 1987 un
périmètre fut affecté au groupement des femmes de Tiyaabu par le
chef du village.(12) Mais dès que le CR de Mudeeri voulut entéri-
ner cette "affectation" en ordonnant au groupement de procéder à
12- Entretien avec Mme Kona Ndiaye, présidente du groupement des
femmes de Tiyaabu le 29.06.88 à Tiyaabu.

380
J'aménagement avec la SAED, le périmètre leur fut retiré par le
chef de village sous prétexte que l'affectation procédait d'une
erreur et qu'il fallait chercher ailleurs un autre site.Le terrain
"désaffecté" par le chef de village fut ajouté en extension au
périmètre des hommes.
La première remarque, dénotant de l'antagonisme ouvert entre
le chef de village et le CR est que le chef de village a affecté
une terre sur laquelle il n'a aucun pouvoir selon la loi. Au
second niveau,
il a contesté l'intervention du CR qui a entériné
sa décision,
en retirant le périmètre déjà affecté aux femmes.
Ce
qui l'aurait irrité à en croire ce qu'il nous a dit lui même,
c'est que les femmes se soient adressées au PCR pour l'aménagement
sans s'en référer a lui au préalable.
La réaction du PCR de Mudeeri fut à la mesure de la décision
du chef de village de Tiyaabu. Car toujours en 1987 un autre
périmètre fut affecté aux femmes par le chef de village sur le
site dit Guufure entre Tiyaabu et Mannaayel. Mais malgré le
visites effectuées par les techniciens du Centre d'Expansion
Rurale
(CER) de Jawara pour délimiter le site, et celles des
techniciens de la SAED en 1988 et leur accord en vue de l'aména-
gement,
le PCR de Mudeeri refusa de délivrer l'autorisation
d'aménager sous prétexte que le site en question se trouve dans
la zone litigieuse entre Tiyaabu et Mannaayel(ce qui était à
l'époque une raison valable). Mais la vraie raison, comme l'a
avancé le PCR de Mudeeri lui-même (13),
réside dans l'incompétence
du chef de village à affecter des terres du domaine national.
13- Entretien
avec le PCR de Mudeeri le 03.07.88 à Mudeeri.

381
Cette violation des prérogatives du PCR est une cause suffisante,
dès lors, pour créer le conflit. Le périmètre des femmes de
Tiyaabu ne fut officiellement affecté que par décision du CR de
Mudeeri du 9 janvier 1989, qui leur a accordé 25 ha.
(14)
Ces deux exemples suffisent nous le pensons,
à symboliser
les rapports entre le CR et les chefs de villages du Goy. Les
conflits entre ces deux "institutions" sont dus au discours tenu
par le PCR d'une part qui se pose déjà, dans sa pratique comme
le seul maître foncier de la Communauté Rurale,
le seul ayant le
droit et le pouvoir de distribuer ou de désaffecter les terres.
D'autre part ce discours crée dans l'esprit des chefs de villages
le sentiment que le "nouveau maître de la terre du GOY" proclamé
ou auto-proclamé oeuvre contre les intérêts des villages et des
anciens maîtres fonciers,
tout en ignorant la présence de l'Etat.
En fait l'Etat est relégué au second plan au profit d'un conflit
de générations,
le PCR étant plus jeune que tous les chefs de
villages du GOY,
ou simplement le refus de ces derniers de recon-
naître le pouvoir de gérer les terres à 'Il'égal de leurs fils" et
à des personnes traditionnellement exclues de la maîtrise de la
terre.
(15)
14- Procés-verbal de réunion du CR de Mudeeri du 09.01.89
Décision n0001 AD/CRM.
15- C'est ainsi par exemple que le périmètre de Gallaade est
resté figé sur 8 ha depuis 1978 par le refus des habitants
de Mudeeri de céder leurs terres réservées à l'extension pro
gressive de leur propre périmètre. Il a fallu l'intervention
du CR de Mudeeri en 1985 po~r que ces terres soient cédées à
Gallaade. Cela a sans doute créé une grande tension entre les
deux villages.

382
Ainsi dans le GOY l'on assiste généralement à la rencontre
ou à la confrontation de deux droits
: celui des anciens niinegumu
à continuer de gérer les terroirs villageois comme par le passé,
et celui du CR à mettre en application le droit étatique issu des
lois de 1964 et de 1972. Ce n'est pas à proprement parler un con-
flit entre tradition et modernité,
car nous avons vu au chapitre 3
que les anciens niinegumu, pour la plupart d'entre eux, ont su
intégrer la logique étatique en la transformant à leur profit,
créant un droit foncier nouveau qui sauvegarde, sous le couvert de
l'Etat,
leurs anciens privilèges.
La gestion des terroirs de la CR de Mudeeri a créé un autre
type de conflit entre l'Etat (par le biais de la SAED) et les
i
coopératives villageoises,
sous la houlette de la puissante
1
Fédération des paysans de Bakel, à laquelle sont affiliés la
1
plupart des groupements villageois. Ce sujet a été traité au CH 3
1
consacré à la culture irriguée et nous estimons qu'il n'est pas
1
utile de revenir là-dessus.
l
1
1
si dans la pratique foncière du Goy on est en présence de
1
l
deux droits qui se combinent ou qui se combattent, cette même
1
logique est observée au niveau du règlement des conflits. Comme
1
1
i
pendant la période coloniale, les instances étatiques
(que sont
1
1
les CR,
Sous-Préfet et préfet)
sont concurrencées, contournées ou
i1
complétées par les instances villageoises. En effet le premier
niveau de règlement des litiges, notamment ceux qui surviennent
1
entre villages est toujours constitué par le règlement interne,
dans le "ventre des villages".
\\
1
ll
1
j
l
1 Ci
\\
1
l ,

383
IV- LE REGLE MENT DES CONFLITS : ENTRE LES
PALABRES ET L'ETAT.
L'autorité compétente en matière d'affectation ou de désaf-
fectation des terres du domaine national,
avant la loi 72/25 du
19 avril 1972 était le sous-Préfet. Ainsi tous les conflits
étaient du ressort du Sous-Préfet malgré,
comme le notent DEBENE
et CAVERIVIERE (16)
la présence du Préfet, supérieur hiérarchique
qui n'avait qu'un pouvoir de contrôle.
Ce pouvoir de contrôle en
matière d'affectation et de désaffectation faisait en même temps
du Préfet une instance de règlement des conflits fonciers
portant sur le domaine national car les contestations des actes du
sous-Préfet lui étaient naturellement soumises. On aurait tort de
croire que le Préfet dans ce cas n'avait pas de pouvoirs fonciers.
Mais l'apparition des CR a changé les données parce qu'avec
l'entrée en vigueur de la loi 72/25,
le Préfet est devenu une
seconde instance de contrôle parce que le pouvoir d'affectation et
de désaffectation revenant au CR,
le Sous-Préfet s'est vu arroger
le pouvoir de contrôle anciennement dévolu au préfet, ce qui a un
peu amenuisé le pouvoir de ce dernier en matière de gestion des terre:
du domaine national, car beaucoup de conflits sont réglés directe
ment par le sous-Préfet. Le decret nO 86-445 du 10 avril 1986 (17)
a substitué le Préfet au Sous-préfet, dans ce pouvoir de contrôle,
dans le but,
selon CAVERIVIERE et DEBENE (p.186) de renforce le
contrôle de l'autorité de tutelle. Ainsi,
le Préfet depuis 1986 se
16- CAVERIVIERE (M)
et DEBENE (M)
: Le droit foncier sénégalais.
op.cit. p.185, n0304
17- Decret 86/445 du 10.04.86 modifiant l'art.2 du· decret 72/1288
du 27.10.72.
JaRS 10 mai 1986 p.198

384
trouve au premier plan en matière foncière.
Par conséquent, tout
litige portant sur le domaine national doit lui être soumis, en
droit. Mais la pratique du le Goy déroge fréquemment à ce prin-
cipe par l'existence et le maintien des modes de règlement villa-
geois. On observe ce phénomène surtout à propos de conflits entre
villages. Nous avons expliqué plus haut que les discours sur le
domaine national et les enjeux de l'après-barrages ont créé au
niveau des villages l'instinct territorial qui consiste, pour
chaque village,
à se sentir menacé dans sa "sécurité foncière"
par
le village voisin et de ce fait il tente de se faire affecter
l'équivalent de son terroir traditionnel.
Mais l'instinct territorial au lieu de reléguer au second
plan les traditions de conciliation intervillageoises, met en
place et renforce ce qu'il est convenu d'appeler la médiation
foncière.
La médiation foncière est un procédé de règlement des
conflits fonciers au sein du village,
et est un refus de porter
les affaires devant l'autorité étatique. Les groupes de médiation
foncière ne sont pas de nouvelles structures créées en fonction de
la loi sur le domaine national ou celle de 72 sur les communautés
rurales. Ce sont des structures qui existaient déjà et qui inter-
venaient dans les conflits fonciers traditionnels. C'est le souci
du maintien
de l'homogénéité en matière de terre dans la
Communauté Rurale de Mudeeri qui guide l'action de ces médiateurs.
Car si le réglement par la loi, par le Préfet ou le CR remet
chacun dans ses droits,
il ne met pas pour autant fin aux antago-
nismes. Le recours à l'ETRANGER est, dans le Goy toujours source

385
de tensions, qui restent à l'état latent entre les villages, tant
que les alliances traditionnelles ne sont pas réactivées au
niveau des mentralités populaires.
Les groupes de médiation foncière sont constitués par les acteurs
traditionnels de la conciliation, c'est-à-dire certaines catégories
~
sociales tels que les anciens captifs, les ~axamalani,les jagarafu,
1
1
!
les mangu et aussi et surtout les marabouts.
Leur intervention met
dès lors le conflit aux palabres avant qu'il n'arrive éventuel-
1
1
lement à l'autorité administrative.
i
1
1
C'est ainsi que le conflit entre Tiyaabu et Mannaayel de
1
i
1987 a connu,
avant d'être tranché par le CR,
différentes phases
~
1
de médiation foncière:
d'abord le jeu normal des alliances entre
~
~l
les deux villages, qui ont tenté de régler le différend en leur
~
1j
i
sein. La réunion entre habitants de Mannaayel et ceux de Tiyaabu
!
le 22 mars 1987 sous l'arbre de Tiyaabu s'est tenue entre les
deux parties seulement, en dehors de l'intervention d'une personne
ou d'une structure quelconque.
Les mécanismes traditionnels de
preuve et de règlement des conflits ayant été util~sés, il y eut
accord à l'issue de cette procédure et les parties décidèrent de
ne pas recourir à l'Etat pour la répartition des sols.
C'est une
fraction minoritaire
des JALLO de Mannaayel qui a fait fi de
l'accord de Tiyaabu en demandant au Conseil Rural 300 ha entre
les deux villages,
soutenus par leurs conseillers ruraux (18).
18- La "trahisson" fut découverte par hasard par Kounda
Goudia BATHILY Conseiller rural de Tiyaabu, qui avait
auparavant déployé tous les moyens possibles pour que
l'affaire n'en vint pas à l'autorité.
-Voir aussi LE ROY
: Le Sous-Préfet,
le Président de la
communauté rurale et les paysans.
Limitations de la
compétence judiciaire et adaptation du contentieux adminis
tratif dans le règlement des conflits fonciers au Sénégal.
in Fonction de juger et pouvoir judiciaire. p.574 et s.

386
A partir du moment où Tiyaabu se sentit trahi,
il déposa de
son côté une demande d'affectation de terres au CR. Le conflit
étant désormais ouvert c'est à ce moment précis que les médiateurs
fonciers sont entrés en jeu pour tenter de règler la crise : il
s'agit de la famille DRAME de Bakel,
marabouts statutaires de
Tiyaabu. Mais cette médiation foncière n'eut pas d'effet sur la
crise et le CR finalement
trancha en affectant en 1989 à chaque
village une parcelle et en demandant au chef du CER de Jawara de
mettre les bornes limitant les deux terrains. Ajoutons à cela que
même le Sous-Préfet de l'époque a tenté une médiation entre les
deux parties mais les passions étaient tellement vives qu'il n'a
pas,
lui non plus, trouvé d'issue "normale" à cette crise.
Ainsi l'on costate à partir de ce que nous venons de décrire
que tous les acteurs du procés foncier,
y compris les autorités
administratives admettent et favorisent même l'existence de deux
modes de règlement des conflits fonciers dans la pratique du
terrain. Ce contournement de la procédure légale est une possibi-
lité politique au sens large que s'offrent aussi bien les
autorités que les paysans pour gérer leur quotidien en matière de
domaine national.
certains cas de règlement de conflits sont une
forme de résistance des anciens maîtres fonciers à la logique
étatique qui tente de les marginaliser,
si cette résistance n'est
pas en elle-même source de conflits.

387
Cette "acceptation"mutuelle des deux logiques et des acteurs
qui les animent est peut-être un des moyens de mise en valeur d'un
discours qui tend de plus en plus à se développer au niveau de
l'Etat et qui a pour finalité son désengagement et la responsabi-
lisation du paysan. Cela signifie seulement désengagement de
appareil étatique et non de la logique étatique. c'est une
Nouvelle Politique Agricole, NPA, concept aux contours mal définis
qu'il nous faut à présent analyser par rapport aux terres du Goy.
t1
l

- 388 -
j1
CHAPITRE V- LA NOUVELLE POLITIQUE AGRICOLE
(NPA)
1
ET LES TERRES DU GOY.
t
1
1
La loi sur le domaine national de 1964 comme nous llavons
1
vu donne droit aux utilisateurs sur les productions, et non sur
1
les terres. Elle ne constitue pas en elle-même un enjeu mais
1
l
sert d'outil à la réalisation des enjeux fonciers dans la vallée.
1
j
Cette réforme foncière induit nécessairement dans la logique du
1
législateur sénégalais une réforme agraire,
surtout en ce moment.
i1
Ce sont les ouvrages hydro-agricoles construits par les états
1
membres de l'OMVS qui créent, à proprement parler,
les enjeux.
1
L'enjeu par excellence est l'autosuffisance alimentaire, c'est-à-
J
dire la capacité des paysans de la vallée à produire suffisamment
!
pour la consommation locale, puis nationale et enfin de compte
j
faire de cette zone l'un des plus grands marchés de céréales de la
1
1
sous-région, sinon de l'Afrique tout entière.
Pour cela,
il faut
1
1
modifier les comportements culturaux jusque là observés dans la
1
vallée, en introduisant d'une part la culture irriguée et d'autre
part en mettant en place une structure capable d'induire les chan-
gements voulus,
en l'occurrence la SAED.
1
1
1
Mais depuis quelques années on observe l'arrivée sur le
1
terrain de la vallée d'organismes pour le développement de la
1
culture, nationaux ou étrangers, les ONG (organisations non gou-
vernementales) que l'Etat estime,
en collaboration avec les
1
paysans, aptes à provoquer ces changements. La préparation de
1
l'après-barrages doit donc,
dans la logique du gouvernement séné-
1
galais faire l'objet d'une Nouvelle Politique Agricole (NPA).
~
1
î
1
\\
1

- 389 -
Cette nouvelle politique agricole a fait l'objet de deux conseils
jnterministériels : le 26 mars 1984, mais c'est surtout celui du
19 septembre 1984 qui a déterminé les contours de cette nouvelle
politique. Mais que signifie cette expression qui, utilisée à
n'importe comment à propos de l'agriculture et l'après barrages
peut prêter à confusion? La NPA est soutenue par une formule,
sous forme de slogan dont les contours sont aussi mal définis
que la NPA elle-même:
il s'agit du désengagement de l'Etat.
Ce
slogan a donc entraîné sur le plan juridique un certain nombre
de conséquences
: pour que la NPA soit une réalité, il faut
mettre en place certains mécanismes juridiques, combinés ou non,
tirés de la loi sur le domaine national qui et sont ou non
conformes à la logique de l'après-barrages.
Les transformations institutionnelles dans le cadre de
l'après-barrage sont d'ores et déjà inéluctables pour pourvoir à
l'autosuffisance alimentaire. Le système foncier soninke du Goy
se prête-t-il à cette nouvelle politique de l'Etat? Quelles sont
les incidences juridiques et sociologiques de cette nouvelle
1
logique ? La NPA joue-t-elle concrètement pour ou contre les
1
paysans
, car les solutions envisagées sont nombreuses mais on ne
1
1
sait pas la plus adaptée pour faire face aux enjeux.
!
1
Puisque la NPA proclame qu'il faut responsabiliser les
1j
paysans,
la question qu'on peut se poser est de savoir si ceux du
1
1
Goy ont jamais profité, dans leur quête de la survie, de l'aide de
1
l'Etat-providence.
f
1
J
1
1
1

- 390 -
1. - NPA ET DESENGAGEMENT DE L'ETAT:
SIGNIFICATIONS ET
CONTENU DES CONCEPTS APPLIQUES AU GOY.
Le développement de la culture irriguée est, on le sait,
enclenchée de façon irréversible dans la Haute Vallée du sénégal,
et c'est une orientation soutenue par l'Etat du Sénégal.
1
~
l
Les coûteux investissements mis dans les barrages devraient
1!
être rentabilisés par les états membres de l'OMVS. Les difficultés
!!1,1
rencontrées par la mise en place et le développement de la culture
!
irriguée dans le Goy peuvent être mises au compte de certaines
1
formes de résistance aux mutations opposées par les populations,
tj
auxquelles les enjeux de la technologie nouvelle nia pas
îi
su échapper.
rI s'agit là moins d'une volonté délibérée d'enrayer
ll
les efforts de développement que d'une logique de transformation
1
l
!
des structures sociales et foncières.
1
l1
]1
Car il serait illusoire de vouloir s'engager avec le déve-
J
i
loppement de la culture irriguée dans un processus de recondi-
tionnement de la structure foncière,
du milieu physique et des
j
pratiques socio-économiques et culturelles, vieilles de quelques
centaines d'années sans s'attendre à certaines réactions assimi-
1
lables à une sorte d'instinct de conservation de ces différentes
1
1
1
identités de la part des populations auxquelles il est destiné.
La NPA et l'après-barrages demeurent encore des concepts lointains,
1
1
voire étrangers aux populations du Goy qui les considèrent avec
1
raison,
«
Nous ne voulons pas de l'après-barrages et craignons
1
la nouvelle politique agricole,
car nous perdrons nos falo et
1
sans force,
nous serons lésés. Ce que nous craignons surtout
c'est la récupération de nos terres au profit des ~trangers.
!
Nous ne conservons que nos champs qui,
comme vous le voyez ne
suffisent plus à nous nourrir. L'Etat ne s'est jamais occupé de
1
nous ici dans le Goy et
1
jj
1
\\~

- 391 -
s ' i l nous retire les maigres moyens qu'il met à notre disposi-
tion,
les inconvénients seront grands pour nous».
(1)
Le "délaissement" de cette région du Sénégal suite au déclin
du comptoir du Galam et de l'axe commercial du Fleuve, conséquence
de la mise en valeur du bassin arachidier et l'exploitation du
Dakar-Niger est un phénomène relativement ancien.
cela ressort
souvent des rapports agricoles du Sénégal, dès le début du siècle
déjà et montre à partir de cette période le recul de cette région
par rapport à d'autres du sénégal.
Ce phénomène a poussé dès lors
les populations à servir de main-d'oeuvre dans le bassin arachi-
dier ou à l'émigration vers le congo. Le rapport agricole de
l'année 1925/1926 par exemple montre bien le phénomène
«
les emblavements pourraient être sensiblement accrus si la
rareté de la main-d'oeuvre ne contraignait les indigènes à
limiter les étendues à mettre en culture»,
(2)
ou
«
la partie nord du cercle de Bakel
(Goy) peu cultivée et peu
habitée par une population peu agricole se plaint chaque
année.»
(3)
Ce n'est pas seulement la faible densité de la population active
qui est à l'origine de ce vide, mais c'est surtout dû à cette
politique de non engagement de l'autorité coloniale dans la mise
en valeur des terres car les grands aménagements pendant cette
période dans la vallée ont peu touché le Gajaaga (4).
Ainsi les appréhensions actuelles des populations par rap-
port à ce nouveau discours ne sont pas quelque chose de spontané,
mais s'inscrivent dans un processus historique connu et ancien.
1
1- Silly Tapa BAClLl, Président du PlV de Tiyaabu. Entretien du
18.08.87 à Tiyaabu. Cette déclaration qui a été faite à plu-
1
sieurs reprises dans les autres villages résume à.elle seule
l'état d'esprit des populations du Goy envers la NPA.
2- ANS,
2 G 25/2
1
3- Voir ANS 2 G 21/1 -
2 G 24/2
4- Nous avons analysé ce phénomène au CH.l de la première partie.
t'J!
1
1
1

392 -
Car il est vrai qu'à partir de la fin du 19ès. déjà,
les autorités
coloniales tournaient surtout leur regard vers le centre ouest du
du pays,
là où pouvait s'étendre la culture de l'arachide.
Peu
favorable à celle-ci, la haute vallée surtout dont les ressources
s'étaient révélées peu intéressantes pour l'économie coloniale ne
resta pas au centre de ses préoccupations mais on a quand même
noté quelques projets sans succès.
En plus l'introduction de la
culture irriguée, donc la naissance de nouveaux rapports de
l'homme à la terre, n'a pas été,
comme nous l'avons vu une ini-
tiative de l'Etat même si globalement cela était inévitable à
cause du projet de l'OMVS. Même si cela devait tôt ou tard arriver
avec la SAED,
les rapports de cette société avec les paysans nous
ont montré comment, à un certain niveau,
la culture irriguée dans
le Goya connu des retards par rapport au reste de la vallée.
Ainsi, quelle signification donner à la NPA face à cette
réalité qui dure depuis l'époque coloniale? La première défini-
tion que l'on peut donner de la NPA,
en matière foncière en tout
cas, est le fait de
chercher à rentabiliser les ouvrages hydro-
agricoles et de faire en sorte que par l'exploitation des terres,
les populations parviennent à l'autoconsommation entière d'une
part etd'autre part que le pays tout entier parvienne à l'auto-
suffisance alimentaire. C'est vouloir faire de cette partie de la
j
vallée le "grenier" du Sénégal. Le cadre juridique le plus appro-
1
i
prié selon les pouvoirs publics est la loi 64/46 relative au
1
1
jJ
1
1
1
1
1l
1

- 393 -
domaine national.
L'esprit de ce texte est que la terre n'est ni
la propriété de l'Etat ni celle des paysans.
Selon CAVERIVIERE
et DEBENE:
(5)
«
elle n'est qU'un espace dont on ne sait pas très bien s ' i l
appartient à tous
(res communis) ou à personne
(res nullius).
(elle serait donc res pluris?) Elle est simplement détenue
par l'Etat qui succède ainsi aux maîtres de la terre».
Cette affirmation ne résiste pas à l'analyse car on constate
dans la pratique que l'Etat se comporte comme un véritable pro-
priétaire en mettant en place des structures de gestion et de
répartition des terres qu'il contrôle directement par le Sous-
Préfet puis par le Préfet depuis 1986. C'est fort de ce rôle que
l'Etat a su organiser l'espace foncier du domaine national et
j
tente depuis 1984 de mener cette NPA. Mais on ne saurait réelle-
1
ment définir la NPA et lui donner son véritable contenu que par
i1
rapport au"slogan" d'accompagnement qui est ledésengagement de
j
l'Etat. C'est que dans un cadre général les paysans étaient
1
1
j
largement soutenus par les subventions de l'Etat en matière
1
1
d'agriculture:
semences,
intrants agricoles.
1
Ce rôle de Providence que l'Etat s'était assigné depuis
1
l'indépendance infantilise le paysan qui en fait ne fournit aucun
1
1
effort, attendant tout de cet l'Etat. Le désengagement de l'Etat
1
!
signifie la responsabilisation du paysan dans le domaine de la
j
1
production, c'est-à-dire la création d'un producteur rural qui
!
participe activement au financement des investissements jusque là
1
supportés par l'Etat,
se substituant à celui-ci dans la mesure du
possible.
5-
Problématique foncière de la NPA : communication au Séminaire
sur la nouvelle politique agricole. CREA. Dakar. Mai 1986.
p.1 et s.

- 394 -
Ce serait une condition pouvant permettre une meilleure utilisa-
tion de la terre mise à sa disposition.
La mesure d'accompagnement
de ce financement du paysan par lui-même est la mise en place d'un
système adéquat de crédit et l'institution la mieux adaptée serait
la Caisse Nationale de Crédit Agricole du sénégal
(C.N.C.A.S.).
Mais le concept de désengagement de l'Etat reste encore flou
ce qui a poussé le Président de la République lors de la campagne
électorale de 1988 à avouer que «
Le terme désengagement de
l'Etat a été utilisé à défaut d'un terme plus positif. L'Etat
ne se désengage pas, mais reste aux côtés des paysans pour
qu'ils se responsabilisent plus»
(6). Ces propos du Chef de
l'Etat montrent au plus haut point les contradictions du système.
L'Etat veut responsabiliser le monde paysan tout en continuant à
l'assister, mais cette assistance prend toutes les formes d'une
contrôle stricte par le biais de la SAED et du corps préfectoral
par exemple qui va être restructurée, mais aussi les conseils
ruraux qui jusque là n'ont pas de pouvoirs réels.
Il serait donc
souhaitable et même nécessaire que la tutelle, surtout financière
du Sous-Préfet sur les conseils ruraux disparaisse, pour donner à
ces derniers la pleine mesure de leur rôle dans le développement
rural.
En outre ce désengagement de l'Etat se trouverait être une
formule creuse pour la zone soninke de la vallée, parce qu'en
matière d'agriculture l'Etat ne s'était jamais réellement engagé
auprès des paysans. Depuis le début des indépendances les
investissements les plus significatifs ont été faits par les
paysans eux mêmes par le biais des revenus migratoires notamment.
6- Discours du Président Abdou DIOUF du lundi 25 janvier 1988
à NDANDE.

- 395 -
La NPA dans le Goy n'est pas une invention de l'Etat puis-
qu'elle a été imaginée et mise en place par les paysans eux-mêmes
depuis le début des années 70, par l'introduction de la culture
irriguée. On a vu que "l'engagement" de la SAED auprès des paysans
du Goy n'a été jusque là qu'un "pansement sur une jambe de bois".
s ' i l doit y avoir une NPA,
ce serait dans une large redéfinition
des rapports entre la Société Nationale et les paysans car, dès
1975 déjà la Fédération des paysans Soninke de Bakel a repoussé
cette forme d'assistance de l'Etat. Ainsi cette société que l'Etat
considère comme infantile était dès le départ responsable de son
développement. Ce qui dans la NPA suscite plutôt la crainte de la
part des paysans c'est la mise en avant du rôle du "secteur privé"
national et étranger dans la vallée pour la production
irriguée (7)
La participation des paysans,
leur responsabilisation dans
le cadre de la NPA et de l'après-barrages au financement des
investissements agricoles notamment la prise en charge des amor-
tissements hydro-agricoles
(barrages) était plutôt le souhait de
l'Etat ce qu'il a refuté par la suite, en somme une politique de
réalité et de rentabilité, ce qui entraînerait la diminution des
charges supportées par l'Etat.
Cette orientatiop si elle était
menée risquerait de marginaliser la production paysanne de type
familial ou même communautaire.
Pour cela un certain nombre de solutions doivent être
j
élaborées,
séparèment ou conjointement, pour que la NPA et le
!
1
7- Comme si les paysans n'appartenaient pas au secteur privé
qui ne comprennent que les secteurs secondaires et
1
tertiaire ....
1
\\

- 396 -
désengagement de l'Etat soient une réalité.
Ces solutions sont
soit juridiques, soit institutionnelles,
s'appliquant aux modes de
gestion de la terre du domaine national.
Cela redéfinirait en même
temps le statut des terres irriguées.
II.- LA NPA : SOLUTIONS ENVISAGEABLES ET LEURS IMPLICATIONS
SUR LE SYSTEME FONCIER ET AGRICOLE DU GOY.
(Autres manières d'envisager une nouvelle politique
agricole dans la haute vallée).
Avant d'envisager les solutions proprement dites,
il est
utile d'analyser au préalable le concept clé de mise en valeur qui
détermine à notre sens toutes les orientations de la NPA.
A- DE LA CAPACITE DE MISE EN VALEUR DE LA TERRE.
Ce principe est prévu par les articles 8 et 15 al.2 de la
loi 64/46, et de l'article 18 du decret 64-573 du 30 juillet 1964.
En effet,
l'article 8 de la loi 64/46 stipule «
Les terres de la
zone des terroirs sont affectées aux membres des Communautés
rurales qui assurent leur mise en valeur . . . . »
Mais c'est
l'article 18 du decret 64/573 qui est plus explicite, quant à la
capacité de mise en valeur «
les terres de culture et de défri-
chement sont affectées aux membres de la communauté rurale en
fonction de leur capacité d'assurer ...
la mise en valeur des
terres conformément au programme particulier du terroir». La
rédaction actuelle de cet article du decret 64 est assez claire,
car elle permet tout de suite de savoir de quel type de mise en
valeur il s'agit.
Ces textes ont été rédigés dans le contexte
particulier des indépendances nouvellement acquises et il fallait
faire vite pour réaliser ce "socialisme négro-africain" qui fut
l'idéologie officielle ayant présidé a l'adoption de cette loi.

397 -
La "terre libérée" du joug des maîtres fonciers doit
être exploitée de façon "rationnelle" dit la loi, non plus au
profit d'une minorité mais à celui de l'exploitant lui-même.
i
1
Mais ce "socialisme" dit africain n'a pas tenu compte lui aussi
1
l
des réalités sénégalaises de la vallée. Le concept de mise en
!r
valeur est à considérer par rapport aux droits coutumiers avec
t
i
-
y..
1
beaucoup de prudence. Les rapports entre niine-gume et tegume
n'étaient pas, nous l'avons vu, des rapports fonciers économiques,
1
mais plutôt socialisés.
Le concept de mise en valeur ne fait pas
appel seulement à l'exploitation obligatoire selon une certaine
1~1j
forme imposée ou non, mais elle est l'ensemble des rapports entre
r
,
~~
t
les hommes et la terre et entre les hommes eux-mêmes, qu'il faut
gérer et améliorer, car c'est la cohésion du corps social qui en
'~
1
dépend,
surtout dans les sociétés agraires telles que celle des
t
i
soninke.
t
1
Donc la mise en valeur fait défaut dès l'instant qu'un des
rapports est faussé.
C'est ainsi qu'il y a défaut de mise en
valeur par exemple lorsque le Tegume se met politiquement contre
le niine gume, même si par ailleurs la terre mise à la disposition
î
l
du paysan atteint des productions énormes,
car le politique est
inséparable du foncier.
Nous assistons là à des niveaux de rapports
1
j
très complexes, car on ne peut isoler le foncier à un niveau dif-
î.'j
î
férent du politique et du social. La mise en production ou en
l
1
1
1
culture en droit traditionnel soninke va du défrichage au paiement
1
des redevances foncières,
et au respect du statut de chaque
J
partenaire dans le rapport.
1
1
l
1
,1
1-~
j

- 398 -
Actuellement les textes retiennent la capacité personnelle
de mise en valeur de la terre comme critère d'affectation des par
celles par les CR. Ainsi l'agriculture irriguée n'ayant fait son
i
1
apparition qu'à partir de 1974/1975, nous sommes conforté dans
j
j
l'idée que la mise en valeur dont il est question,
concerne la
i
!
capacité physique des exploitants.
Les textes en tout cas ne men-
j,1
1
tionnent pas la forme de mise en valeur de la terre, mais la culture
1
!i
irriguée n'ayant pas rompu avec les formes traditionnelles de
;
1
culture,
le seul moyen humain était pris en compte. Cela signifie
Î
que dans ce nouveau type de rapport avec la terre c'est l'homme
l
.~
l
qui était au centre du développement,
les moyens mis en oeuvre
J1
importent peu.
C'est ainsi que jusque là les modes de production
î.4j
traditionnels persistent. Non seulement les aménagements des péri-
!
mètres irrigués se font en partie à la main par les attributaires
de parcelles eux-mêmes, mais en plus,
on trouve sur les PlV la
reproduction de l'unité de base du mode de production soninke qui
est leka.
Si la répartition des parcelles se fait individuelle-
ment il est fréquent que les attributaires de parcelles apparte-
nant au même ka aient des parcelles contigües.
Et là on voit
se développer le système du Texoore,
champ familial où tous les
membres de la famille cultivent tous les matins et lessalluma,
champs individuels que les attributaires exploitent les après-
midi,
soit individuellement, soit avec l'aide des autres membres
de la famille,
en rotation. De même les affectations en principe
de terres par la CR ne font pas ressortir de conditions particu-
lières pour la mise en valeur des terres affectées.

- 399 -
Mais la réalité présente fausse l'esprit dans lequel ces
textes ont été rédigés car la mise en valeur de plus de 240.000 ha
pour la vallée ne peut se faire par les simples moyens humains et
manuels dont disposent les paysans.
Cela suppose en plus que les
modes traditionnels de production soient bouleversés et que soit
redéfinis les rapports socialisés que l'homme entretenait jusque
avec la terre.
C'est l'homme qui doit désormais posséder la terre et non le
contraire.
La mise en oeuvre de la NPA nécessite des moyens autres
qu'humains.
si les maîtres fonciers ont changé laissant la terre
à ceux qui la travaillent dans les zones des terroirs,
les paysans
eux-mêmes ou ceux qui les représentent élus dans le cadre des com-
munautés rurales répartissent les terres,
les affectant à ceux qui
en ont besoin,
les retirant à ceux qui s'avérent incapables de les
mettre en valeur.
(8) Ce concept de mise en valeur reste encore à
déterminer car jusqu'à présent pas précisé. Ceci laisse les attri-
butaires de parcelles à la merci des PCR en vertu des pouvoirs qui
leur sont conférés par l'art.
56 de la loi 72/25 du 19 avril 1972
relative aux communautés rurales.
Car si l'on tient uniquement à
l'esprit de la loi sur le domaine national et à l'article 18 du
décret 64/573 du 30 juillet 1964,
la mise en valeur consisterait
seulement à défricher, semer et cultiver un terrain affecté sans
qu'au préalable des normes ne soient fixées.
La seule présence
physique de l'allocataire sur le terrain suffirait pour déterminer
l'existence d'une mise en valeur. Mais les projets de l'OMVS et de
la SA~D ainsi que l'introduction de la culture irriguée aussi bien
8- DEBENE
(M.)
: 1986 : Regards sur le droit foncier sénégalais
un seul droit pour deux rêves. RIDC 1986. nO 1 p.82

- 400
sur des surfaces relativement étendues que sont les périmètres
collectifs villageois que les périmètres individuels, changent de
fait l'esprit originel de cette mise en valeur.
La nouvelle technique culturale et la technologie qui la
soutend sont incompatibles avec la mise en valeur physique
(c'est-à-dire le recours à la seule force de travail) des sols,
et les droits fonciers s'en trouvent par conséquent modifiés.
Donc les rapports de la SAED avec les paysans que nous avons
j
l
décrits au chapitre précédent, l'endettement des paysans du Goy
1
1
~
envers la société Nationale et l'échec partiel de certains péri-
t
l
mètres démontrent assez clairement cette tendance à la mutation de
,
i
la mise en valeur de son caractère humain et physique vers une
1
1
conception plus économique du concept.
1
1j
La culture irriguée nécessite d'énormes moyens financiers,
!
allant de l'aménagement par la SAED à la location de ses engins
~j
aux groupements.
Les coûts d'aménagement,
aussi dans le delta que
dans la vallée varient entre 20.000F à 30.000F/l'heure pour la
1
1
location d'un bulldozer D8 et 4.S00F CFA/h pour un camion 10
i
tonnes,
(9) ou encore le prix du gas-oil dont le fût de 200 litres
1
1
t
revenait en 88/89 à CFA 42.000F, en comptant au moins 3 à S fûts
1
!
par périmètre pendant la campagne,
l'insecticide vendu à plus
j
i
de SOOF le kilo par la SAED aux paysans de la CR de Mudeeri,
les
1l
engrais, les frais d'entretien et de réparation des motopompes et
!
j~
enfin les cotisations forfaitaires demandées périodiquement aux
j
i
adhérants par le groupement (10). La force de travail est ainsi
i
9- chiffres fournis par l'OMVS. séminaire sur la conception
et les coûts des aménagements.
21 au 24 avril 1986 à DAKAR.
10- Sources: SAED Délégation de Bakel.
1
1i~

- 401 -
reléguée au second plan, ce qui constitue une menace à moyen terme
pour les paysans si des solutions appropriées n'étaient pas
trouvées.
Selon DEBENE et CAVERIVIERE (1986-Séminaire NPA-
CREA, p.12)
"si l'on évolue vers une conception élargie des
compétences des CR,
la capacité financière deviendra nécessaire-
ment un élément déterminant dans le choix des requérants. La
perception de la terre risque d'être changée;
le sol pourrait
cesser d'être un outil de travail remis à l'exploitant qui doit en
assurer la mise en valeur et retrouver le rôle économique que
lui reconnaissent certaines législations.
Ceci est tellement vrai que le PCR de Mudeeri,
lors d'une de
nos enquêtes en 88 a déclaré péremptoirement que le CR n'affectera
pas pour le moment de terres à des individus ou à des familles
isolées parce qu'ils seraient incapables de les mettre en valeur,
faute de moyens.
Nous avons entendu par là moyens financiers.
Autrement dit pour que la mise en valeur soit conforme à la
J
logique actuelle,
il faudrait que les paysans disposent de moyens
1
l
1
techniques et économiques énormes et,
avec le désengagement de
j
1
l'Etat, se procurer à leurs propres frais des motopompes dont les
1
coûts sont prohibitifs (11). La capacité de mise en valeur des
1
terres demeure en ce moment une illusion pour les paysans.
J1
1
Le paysan soninke du Goy est à l'heure actuelle économique-
ment inapte à mettre la terre en valeur,
ce qui risque de boule-
verser à court terme la structure foncière des périmètres irrigués.
11- Malgré les discours et les encouragements aux émigrés
d'investir dans l'agriculture,
la pratique est le blocage
systématique des engins agricoles achetés par ces derniers
en France notamment, au port de Dakar. Nous avons relevé un
certain nombre de cas dans le GOY.
1
Î!
\\

- 402 -
Ceci est surtout dû à un manque d'organisation,
tant au niveau
familial qu'au niveau villageois.
Il faut à notre sens imaginer
des moyens juridiques et institutionnels pour que la NPA atteigne
les objectifs que les pouvoirs publics lui ont fixés.
B. - DE L'ABSENCE DU REMEMBREMENT RURAL.
CAVERIVIERE et DEBENE
(12)
font remarquer à juste raison
qu'il n'y a pas, dans le droit positif sénégalais de textes spéci-
fiques au remembrement rural susceptible de donner une définition
de ce concept ; serait-il le maintien de la logique de la loi sur
le domaine national,
la terre aux paysans débarassés des
"contraintes coutumières des redevances foncières,
auquel cas il
faudrait réorganiser le système de répartition des sols, ou
faudrait-il élever au rang d'acteurs fonciers des structures dont
le rôle fut jusque là miminisé comme acteur de développement rural,
tels que le village ?
s ' i l n'y a pas de définition à proprement parler du remembre-
ment rural dans la loi sur le domaine national,
il y a par contre
dans les textes, un certain nombre de dispositions qui pourraient
permettre de le réaliser. C'est ainsi que la situation de l'occu-
pant comme le démontrent CAVERIVIERE et DEBENE,
s'avère précaire
et peut être remise en cause à tout moment par les CR, en vertu de
i
ce principe ambigu et mal défini de la mise en valeur, par la
J
i
désaffectation (art.15 al.2 de la loi 64/46) ou la désaffectation
1
pour cause d'intérêt général
(art.11 du decret 72/1288) ce qui
1
\\
laisse au PCR et au CR le pouvoir de réaménager à leur guise la
1
1
1

12- problèmatique foncière de la NPA.
séminaire NPA, CREA 1986 .
i1
op. cit. p.3
j
1ij

1
1
!
- 403 -
structure foncière,
étant entendu que ce concept d'intérêt
général n'a pas non plus de contenu précis et est laissé à la
1
j
libre appréciation du CR.
De même une affectation peut être
1
remise en cause en cas de décés de l'occupant, parce que le droit
!
d'usage n'est pas transmis comme selon les principes coutumiers au
1,
profit de la famille du défunt ou de ses enfants.
Il y a aussi la
possibilité de l'immatriculation au profit de l'Etat.
1
f
Ces différentes possibilités offertes par la loi ne sont pas
j
à notre connaissance largement utilisées jusqu'à présent. Donc ce
type de réaménagement n'intervient pas encore dans la logique de
1
l'après-barrages et de la NPA. Pour que la structure foncière
1
actuelle réponde mieux aux exigences de la NPA,
il nous semble
~1
qu'il faut réorganiser le cadre de répartition des terres, ou
1
plutôt les destinataires,
car les paysans même en groupement ne
~
peuvent arriver à un développement communautaire cohérent sans le
1
village.
1
Contrairement à ce que l'on a pu penser et écrire, en droit
1
traditionnel soninke ce ne sont pas les familles qui ont la maî-
trise foncière,
mais la structure foncière par excellence est le
1
1
!
village. Le village en tant qu'acteur du développement a été
~
1
1
1
occulté par le législateur sénégalais au profit d'un regroupement
1
1
de villages constituant la communauté rurale. Cette superstructure
i
1
qui est la communauté rurale risque,
si elle n'est pas réorganisée,
1
d'être la cause de l'échec éventuel de la NPA,
car les pouvoirs
publics n'ont pas tenu compte des réalités sociologiques et

- 404 -
politiques au sein de l'entité territoriale autonome du Canton
du Goy, d'où les résistances et les crises ouvertes ou latentes
que l'on observe sur le terrain.
L'ensemble des activités de pro-
duction de biens et de services était régi par deux rouages
essentiels du mécanisme communautaire:
l'instance familiale et
l'instance villageoise,
la première dépendant de la seconde. Selon
le Professeur DIABATE (13)
«
le village en tant que groupement
structuré en quartiers à base de lignages, de parents et
d'alliés, avait un chef.
Celui-ci n'était pas toujours choisi
selon le critère de compétence ni même parfois celui de l'âge
biologique, mais plutôt et souvent selon l'âge généalogique ...
Ainsi le chef de village était l'aîné sur l'arbre généalogique
de tous les chefs de famille ou de quartier descendant des ou
(du)
fondateurs».
Cette définition du village et du pouvoir politique corres-
pond assez bien à la physionomie du village soninke du Gajaaga,
et nous avons analysé le phénomène en première partie. Le chef du
village, seul maître foncier,
représentant le groupe, procédait à
la répartition des terres communautaires entre les différentes
familles sous le contrôle du groupe social en entier. Ce qui fait
que l'individu n'avait point de salut hors de la communauté villa-
geoise qui détenait l'instrument de production qui était la terre.
Ce type d'organisation évitait surtout les effets pervers de la
nouvelle logique étatique à savoir le risque d'existence de paysan
sans terre, parce que la superstructure qui est la communauté
rurale fonctionne sur des bases et une logique différentes de la
structure traditionnelle.
13- DIABATE (M.)
: Principe du développement de la communauté
villageoise en Afrique de l'ouest. Communication au Premier
congrés Mondial de l'Association Mondiale de Prospective
Sociale. Dakar 21-23 janvier 1980 p 5.

- 405 -
La communauté villageoise fonctionnait selon le principe
fondamental de la solidarité agissante, principe selon lequel la
1
1
f
1
réussite ou l'aptitude des uns devait compenser l'échec ou
!
1
l'inaptitude des autres, dans un ensemble de relations intercom-
1
1
munautaires cohérent et positif. Or la communauté rurale actuelle
fait primer l'aptitude de chaque village à mettre en valeur les
1
1
terres affectées, ce qui provoque des distorsions dans le dévelop-
!
pement des villages et du coup fait disparaître cette solidarité
f
en créant des rivalités qui à la longue cloisonneront les ensembles
l
Jj
villageois au sein de la CR.
1
!
t
~
!!
1
Même si les textes ne le prévoient pas,
il est nécessaire et
!
!
1
1
,
même inévitable par rapport à l'après-barrages de reconnaître le
t
1
~
,
village comme la principale structure capable de mettre en oeuvre
la culture irriguée sur une grande échelle. Le remembrement rural
par le village doit s'inscrire dans la politique de l'Etat, qui
~1;
doit se dôter de moyens juridiques adéquats.
La formule actuelle
~j
~
des périmètres irrigués villageois accuse des faiblesses,
car la
1
CR une fois les parcelles affectées n'a plus de moyens de contrôle
1
sur leur organisation. or,
la configuration des PlV montre que
1
i
c'est généralement une partie du village qui l'exploite, l'autre
!
partie en ordre dispersé exploitant autre chose. La coopérative
villageoise,
une fois structurée autour de tout le village doit
1
1
faire face aux charges lourdes d'exploitation des périmètres. De
1
,
j
même,
l'interdiction faite par l'article 48 de la loi 72/25 aux
chefs de villages d'être PCR est une absurdité car comme nous
1
l
l
1
1
1l\\l

- 406 -
l'avons vu au chapitre 3, cette interdiction est facilement con-
tournée par la coalition d'intérêts des maîtres fonciers et
politiques.
Il Y a lieu d'abroger cet article pour que les textes
soient plus conformes aux réalités dans le Goy.
En faisant du village la structure rurale de base dôtée de
la personnalité juridique, sous le contrôle de la CR, on permet-
trait une meilleure gestion des terres et cela mettrait fin,
nous
pensons,
à ces rivalités nouvelles qui risquent de mettre fin à
l'homogénéité qui faisait la particularité du Goy. Au total l'idée
de remembrement qui a fait l'objet d'une analyse approfondie par
CAVERIVIERE et DEBENE n'est pas incompatible avec l'esprit de la
loi sur le domaine national.
Il faudra surtout faire attention à
ce que les solutions proposées ne soient pas en rupture avec le
i
socialisme africain, si cette logique n'a pas cédé le pas à une
conception plus "réaliste" de la mise en valeur de la terre qui,
par la force des choses introduit ou tente d'imposer le capita-
1
f
lisme dans le monde rural.
l
1
Le cadre privilégié d'observation de ce socialisme africain
j
n'est pas la communauté rurale mais le village. Ce n'est pas un
retour au passé que nous prônons,
ce qui serait une pure utopie,
1
mais il s'agit d'allier ce cadre qui existe et qui fonctionne
tl avec les exigences actuelles de la culture irriguée et de l'auto-
l
suffisance alimentaire. si l'Etat parvient à résister à toutes les
1
pressions
: politiques, religieuses et coutumières qui pourraient
s'y opposer,
la NPA deviendrait une réalité.
!
1
1
1
\\
1

- 407 -
C.- L'IMPLANTATION DES COLONIES AGRICOLES.
Cette solution pour la mise en valeur de la haute vallée est
largement tributaire de l'histoire de cette partie du Sénégal.
C'est dans la période de l'occupation française que devront être
recherchés les facteurs déstabilisants ayant conduit des fractions
fort importantes des populations du Goy à quitter leurs villages
pour trouver ailleurs un "aléatoire travail salarié"
(MINVIELLE.
op.
cit. p.169),
touchant plus particulièrement la population
active vers le bassin arachidier d'une part,
vers Dakar et le
Soudan Français d'autre part, puis vers la Côte d'ivoire,
le Congo,
le Gabon et la France. Dans la détermination des motivations des
migrants,
apparaîtra principalement la recherche de l'argent,
rendue nécessaire par la difficulté de commercialiser les cultures
locales, ou leur très faibles rentabilité.
Selon ADAMS (14)
«
Pour comprendre que les soninke aient été les premiers à
partir gagner de l'argent ailleurs, point n'est besoin d'invo-
quer une quelconque tradition de voyages, une fatalité parti-
culière.
Il suffit d'évoquer la situation des pays soninke
telle qu'elle résulte du déroulement de la pénétration
française».
La France annexa Bakel en 1855 et le Kamera en 1858 et les
populations furent soumises à l'impôt et aux requisitions de rnain-
d'oeuvre.
Le pouvoir du Tunka était donc limité au Goy, pouvoir
battu en brèche par l'interdiction qui lui était faite de percevoir
des taxes sur le commerce, à cause du contrôle qu'exerçait le
Commandant
de l'escale de Bakel sur le Goy indépendant. c'était
sur les populations des deux Goyes(annexé et indépendant) que
pesaient les travaux forcés pour la construction de la ligne
14- ADAMS
(A.)
1977. Le long voyage op cité p.
48

- 408 -
télégraphique Bakel-Matam (15). Bakel ayant connu un régain
d'activité entre les années 1860 et 1870 comme principal centre
militaire et commercial, retomba dans le déclin politique et
économique des années 1880,
(16)
au profit de l'escale de Médine,
puis de Kayes. C'est avec le déclin de Bakel à la fin du 19è
siècle, dO à la mise à l'écart de la voie fluviale au profit de
la voie ferroviaire et au développement du bassin arachidier,
que se dessine un fort courant d'émigration de navigateurs,
de
manoeuvres,
de navétanes et de commerçants vers les villes de la
côte,
la zone arachjdière et au tournant du 20è s.vers le congo
et le Gabon (17).
Dans les années 1910 d'autres courants s'orga-
nisent vers la côte d'Ivoire et durant la première guerre mondiale,
vers la France dans le cadre de la marine de guerre
(18).
Si la production agricole demeurait encore, dans la première
moitié du 20è s.
la principale source de subsistance et la base de
l'organisation économique et sociale
(19),
il n'en demeure pas
moins que le mouvement migratoire est allé en s'accentuant,
avec
des proportions impressionnantes à partir du début des années 60,
au point de vider totalement les villages du Goy des 4/5 de leur
population active
(voir WEIGEL 1975-1982 ; CHASTANET 1976 ;
ADAMS 1977-1985). En fait,
l'Administration coloniale a déploré
cette hemorragie dès le début du siècle.
15- ANS 13 G 175
16- BATHILY (A.)
1975 : Impérialisrn and Expansion in sénégal
in the 19th Century with a particular Reference to the
Economic, Social and policical Developments of the King-
dom of Gajaaga (Galam) Birmingham,
Center of West African
Studies. phd.
p 193 et s.
17- ANS 13 G 185 : EmigratiDn au Gabon en 1896, et ANS 13G 199
13 G 200 : Emigration vers le congo.
18- ANS 2 G 12/56.
2 G 16/31 (recrutements pour la marine de
guerre en 1916.)
19- CHASTANET (M.)
1983 : Les crises de subsistance. op.
cit. p.11

- 409 -
Car la pression foncière était telle aux alentours des
années 20
qu'elle provoqua le départ d'un nombre assez grand
d'actifs,
sans toutefois remettre en cause la continuité de la
production agricole
(CHASTANET 83. p.15), dans une certaine limite
cependant, puisque l'Administration coloniale a déploré les consé-
quences négatives,
à moyen terme,
du départ des jeunes valides,
sur la production agricole,
départs qu'elle encourage par ailleurs
pour faciliter le recouvrement des impôts
(20).
Cette situation,
assez bien perçue par l'Administration
coloniale a favorisé déjà à l'époque l'idée d'implantation de
colonies agricoles dans la vallée d'une manière générale.
Commme
on le sait, l'idée d'une mise en valeur des meilleures terres du
Sénégal et en particulier de la vallée du Fleuve n'est pas récente.
Dès 1817 à la fin de la traite négrière le baron Portal prenait la
direction des colonies,
et réaffirmait cette orientation. Encadrée
par des colons venus de France,
la population d'esclaves ne
pouvant être transférée outre-mer devait être utilisée sur
place (21). La tentative de colonisation agricole est bien analy-
sée par BATHILY (Thése. p.520)
ilLe gouverneur SCHMALTZ dressa le
plan de colonisation agricole de mai 1818". Ce plan comportait
deux formes de colonisation agricole
«une colonisation qui serait faite par des "volontaires
français de la métropole.
Chaque colon devait apporter
un capital de 5000 F au moins, soit à titre personnel,
soit à titre d'avance consentie par le gouvernement métro-
politain. Le Gouvernement colonial encourageait les états
du sénégal à fair cultiver les denrées coloniales par
20- sénégal
Rapport agricole 1919 : ANS 2 G 19/1
sénégal : Rapport d'ensemble 1923
: ANS 2 G 23/3 mensuel
Sénégal : Affaires économiques et d'ensemble.
déc.
1924
21- MINVIELLE 1982 op cité p.56

- 410 -
leurs populations,
SCHMALTZ préconisa la formation d'un corps
de troupes coloniales. Rappelé en France,
SCHMALTZ n'avait pu
faire aboutir ses projets.
Ses successeurs s'attachèrent à
appliquer son plan.
Le Baron Roger fut le plus ardent défenseur
de la
politique de SCHMALTZ. La colonisation agricole échoua
dans tous les états du Sénégal. Au Waalo comme au Galam, elle
suscita une vive opposition de la part des populations et des
Etats. Mais c'est la bourgeoisie coloniale elle-même qui fit
échouer les dites expériences.»
Ce passage de la thèse de BATHILY montre assez bien la
situation qui prévalait pendant la période coloniale.
Par
rapport à la situation présente, il est certain que les seules
populations vivant actuellement dans le Goy ne peuvent mettre en
valeur les terres même si l'on s'en tenait à l'esprit de la loi
sur le domaine national,
à savoir la capacité physique
(force de
travail) .
La "faiblesse physiquelldu Goy à cause de la forte population
émigrée est une constante depuis la période coloniale.
si on
tenait compte aussi de la capacité financière de mise en valeur
il est également certain que les revenus tirés de la migration
sont actuellement assez faibles pour faire face aux grands aména-
gements, d'autant plus qu'on observe une très faible propension
des émigrés (en France surtout) à investir dans l'agriculture.
La masse très importante d'argent drainée dans la région,
issue de
l'émigration sert surtout pour les besoins alimentaires à cause de
cette longue période de soudure, mais aussi à la construction de
bureaux de poste, dispensaires et grandes mosquées ainsi que
l'investissement dans l'immobilier à Dakar,
ce qui laisse ces
populations relativement riches dans un état de pauvreté manifeste.
Compte tenu de ces indications, il est certain que dans une

- 411 -
société où l'émigration touche plus de 50 % de la population
active, que la main d'oeuvre actuellement disponible dans le Goy
ne permette pas d'exploiter l'ensemble des terres cultivables.
Ce qui provoque, on le sait depuis quelques années,
une
forte tendance à l'implantation "d'étrangers"venant de l'intérieur
du Sénégal avec de puissants moyens financiers.
Cela repose la
question de la colonisation agricole. Mais la question que l'on
peut se poser est de savoir qu'elles sont les catégories de
personnes qui peuvent être considérées comme "étrangers" selon
la loi sur le domaine national. Dans l'état actuel de la légis-
lation sur le domaine national, deux conditions doivent être
remplies pour obtenir l'affectation d'une parcelle:
l'apparte-
nance à la communauté rurale et la capacité familiale de mise en
valeur (22).
Ce critère de résidence intéresse deux catégories de
personnes
: celles qui sont originaires de la CR et qui sont
allées s'installer durablement ailleurs,
et qui veulent regagner
le terroir. c'est le cas des émigrés,
des fonctionnaires et autres
salariés à la retraite. Ces catégories de personnes ne peuvent
être considérées comme des étrangers car l'absence prolongée n'est
pas un motif de rupture avec le terroir d'origine.
Ces individus
sont des habitants potentiels de la CR.
L'autre catégorie est constituée par les gens qui,
sans faire
de l'agriculture leur principale activité, veulent initier avec de
grands moyens des projets productifs,
tout en restant en ville ou
plus simplement des colons qui voudraient s'établir définitivement
22- CAVERIVIERE et DEBENE
: Le droit foncier sénégalais. op. cit.
nO 499 p.302 et s.

- 412 -
soit en s'intégrant aux villages,
soit dans le pire des cas créer
de nouveaux villages. Ces catégories de personnes sont selon
l'esprit de la loi des "étrangers" au terroir et ne doivent pas
par conséquent bénéficier d'affectations.
Le système foncier soninke du Goy favorisait aisément
l'implantation d'étrangers mais,
dans la situation actuelle,
il y
a une réaction de rejet,
car le 'inouvel étranger" est perçu comme
celui qui vient non seulement disputer aux paysans leurs terres,
mais pire, va tenter de les leur prendre.
Comment allier cette
faiblesse physique et économique du Goy avec les exigences d'une
mise en valeur efficiente des terres irriguables dans le cadre de
l'après-barrages? Quel peut être le sort d'une colonisation a
gricole de la haute vallée ? On est en présence de discours
officiels différents, parfois même contradictoires, de la part
des autorités politiques du pays.
Ily a le discours juridique
(que l'on constate déjà dans les travaux préparatoires de la loi
de 64)
à savoir que les zones des terroirs n'étaient réservées
qu'aux habitants des terroirs. Mais il y a la possibilité de
redéfinir ces dispositions dans le cadre de la NPA. Elle consiste
tout simplement à octroyer la terre à ceux qui peuvent la mettre
en valeur.
Si l'on tient compte de cette mise en valeur économique,
on permet à des colons aisés de s'établir sur toutes les terres
qui ne peuvent être exploitées par les habitants des terroirs.
C'est un argument juridique d'autant plus puissant qu'il peut
constituer un garde fou contre les résistances des paysans des
terroirs concernés. A côté de ces arguments juridiques, pour ou

- 413 -
contre la colonisation,
il y a les "volontés politiques du
Gouvernement, car «
l'orientation en fait productiviste de la
loi et le rôle central de la notion de mise en valeur conduisent
à faire de la logique des moyens marchands de mise en valeur la
logique dominante des effets réels de cette loi ...
Dire que la terre est à celui qui la met en valeur, n'est ce pas
accorder un rôle central et dominant à celui qui possède les
moyens de mise en valeur,
surtout quand ceux-ci sont des bull-
dozers et des motopompes et non plus une houe,
du courage et du
travail humain ?»
(23)
Il Y a d'une part ceux qui sont ouvertement favorables à
l'implantation de colonies dans la Vallée
(Jean COLLIN) et ceux
qui prônent, pour désengorger les villes une sorte d'exode urbain
vers la campagne
(le Ministre du Développement Rural, Bator DIOP
devant l'Assemblée Nationale en 1985 ). Mais paradoxalement,
le
Président DIOUF lui même a déclaré que la terre sera réservée aux
paysans des terroirs.
Cette formule assez ambiguë du reste, peut
être interprétée ainsi:
la terre sera réservée,
dans l'aprés-
barrages aux paysans du terroir pour la portion égale à leur
capacité de mise en valeur.
Pour le reste,
l'Etat se réservera
l'affectation et l'utilisation ultérieures.
On peut trés bien
vérifier cela par un article de l'organe gouvernemental,
le
Quotidien Le Soleil qui a de façon explicite clarifié la position
du Président de la République en écrivant «
la portion
"d'étrangers" sur les zones de terroirs ne dépassera pas le quart
(1/4) des surfaces irriguées»
(24).
Les craintes des paysans sont en ce moment vives,
surtout à
l'égard de ceux qu'ils appellent les "baol-baol". Les réactions
des paysans du Goy face à cette "menace réelle" sont les mêmes au
23- MATHIEU (P.)
: L'amémagement de la Vallée du Fleuve sénégal
transformations institutionnelles et objectifs coûteux de
l'autosuffisance alimentaire. Mondes en Développement,
n052,
1985 ; p.
660 et s.
24- Le Soleil du 20 juillet 1986, p.4.
Les étrangers sont aussi
bien les particuliers que les industries agro-alimentaires.

- 414 -
niveau de tous les villages.
si le Conseil Rural de Mudeeri est
favorable à ces types d'affectation,
les villageois ont trouvé la
parade dans les demandes d'affectation de grandes surfaces au nom
du chef de village (pour la communauté villageoise), des jeunes,
des femmes,
des émigrés. Cette politique d'occupation du terrain,
comme nous l'avons analysé au chapitre précédent, est due à cet
instinct territorial qui caractérise désormais les rapports entre
communautés villageoises et qui consiste, par le recours à l'Etat,
à essayer de défendre et maintenir son terroir traditionnel contre
les agressions de l'Etat lui même (qui nie les droits des niine
.}
gumu), du village voisin qui risque d'accaparer les terres,
et des
1
"étrangers" qui risquent à long terme de les asservir.
1j
1
Ainsi cette politique de colonisation agricole, même si
j
J
elle a quelque part la bénédiction de la Banque Mondiale et doit
ll
1
réaliser les objectifs de la NPA,
doit être revue et menée avec
1~i
prudence si elle était retenue,
car sa mise en oeuvre ne manquera
pas de créer des conflits entre autochtones et allochtones les
1
appréhensions étant telles que l'implantation d'étrangers dans les
terroirs se heurtera sûrement au refus des paysans de cohabiter.
\\1
~
!
D- DE LA POSSIBILITE D'IMMATRICULER DES TERRES DU
DOMAINE NATIONAL AU NOM DE L'ETAT.
Les enjeux de l'après-barrages dans la vallée sont tels que
l'Etat,
sans même l'avoir voulu lors de la rédaction des textes,
se ménage la possibilité de remembrer les droits fonciers de façon
fondamentale.
Les droits fonciers soninke,
comme nous l'avons vu,
sont des droits puissants. On a tort de penser, et cela devient

- 415 -
une tradition dans la littérature juridique, que la propriété
n'existe pas dans les droits traditionnels africains.
Si l'on
considère la propriété comme un droit individuel,
il est vrai
qu'il n'existe pas dans la logique traditionnelle. La propriété
pour nous c'est toute forme d'accaparement durable des terres au
profit d'un groupe déterminé.
Il s'agit d'un droit d'autorité que
le groupe exerce sur la terre. Mais la propriété traditionnelle ne
crée pas de droits réels au sens moderne du terme
(c'est seulement
de façon indirecte et par analogie)
de même que la loi sur le
domaine national ne crée pas de droits réels sur la terre.
L'Etat
n'est qu'un simple détenteur mais par ailleurs il est propriétaire
au sens moderne du terme d'un domaine privé. Aussi il s'est
réservé le droit, par la loi sur le domaine national de reverser
dans son domaine privé certaines terres du domaine national. Ce
~
j
1
principe est posé par l'article 3 de la loi 64/46 «
les terres du
3
domaine national ne peuvent être immatriculées qu'au nom de
l
l'Etat»,rnais surtout l'art.
13 «
L'Etat ne peut requerir l'im-
l
matriculation des terres du domaine national constituant des
terroirs ... que pour la réalisation d'opérations d'utlité
1
!
publique » .
Il faut à partir de là concilier la logique de la loi sur
le domaine national à celle inhérente à l'impératif de la rentabi-
lité de la politique d'irrigation. Cette possibilité est offerte à
l'Etat «
d'immatriculer à son nom,
par application de l'article 3
de la loi 64/46,
les portions du domaine national sur lesquelles
il consentira ensuite aux particuliers des droits réels démem-
brés offrant la stabilité exigée pour la réalisation de projets
de construction.»(25) Le concept d'utilité publique qui est la
condition exigée à l'immatriculation au nom de l'Etat n'a pas de
contenu fixe.
25- Monique CAVERIVIERE
: Incertitudes et devenir du droit
foncier sénégalais. RIDC.l. 1986 p.lll

- 416 -
Cette solution est à priori séduisante et même efficace car
en immatriculant la terre,
l'Etat crée sur le nouveau domaine des
droits réels jusque là inconnus dans la culture juridique du Goy
et, ce faisant,
valorise la terre en la rendant onéreuse. En la
cédant aux personnes ou aux groupements économiquement capables,
le paysan se verrait dans l'obligation de la mettre en valeur en
plus de la mise en valeur préalable en cas de cession administra-
tive.
L'autre avantage de cette opération se situe du côté des
organismes de crédit, qui peuvent difficilement s'engager dans des
opérations de financement sans garantie réelle. Or les terres du
domaine national ne peuvent offrir de telles garanties, telles que
des hypothèques.
On pourrait envisager selon CAVERIVIERE et DEBENE
(1986. NPA. CREA. p.8)
l'immatriculation de la terre au nom de
l'Etat, en analysant la mise en place de la culture irriguée comme
opération d'utilité publique.
Mais les inconvénients d'une telle solution sont juridi-
quement nombreux. D'une part elle exclut les paysans économique-
ment faibles,
et c'est le cas des paysans du Goy qui n'ont pas les
moyens d'acheter ou de louer les terres.
D'autre part la consti-
tution de droits réels sur les terres du domaine national entraî-
nerait une spéculation foncière plus grande que celle qui a lieu
au niveau des villes, car les détenteurs de terres voudront
toujours gagner plus au détriment des paysans.
Il est certain que
les partisans de l'immatriculation généralisée des périmètres
souhaitent placer les parcelles irriguées sous une gestion étati-
que et coopérative qui non seulement mettrait fin à certains excés
mais aussi permettrait d'acculer la modernisation de l'agriculture.

- 417 -
Cette opération permettrait, toujours selon CAVERIVIERE et
DEBENE, l'acceuil de tous les types d'intervenants auxquels,
contractuellement l'Etat pourrait accorder des droits plus ou
moins stables. Mais juridiquement elle serait contraire à l'esprit
de la réforme de la loi sur le domaine national.
Ce serait aussi
avouer implicitement, que le domaine national "n'aurait été" qu'un
instrument destiné à purger les droits coutumiers et favoriser une
étatisation au moindre coût"
et,
du coup,
remettrait en cause le
rôle des communautés rurales ainsi que les compétences d'affecta-
tion et de désaffectation des conseils ruraux découlant de la
loi 72-25.
Cette solution est contraire à la volonté de désengagement de
l'Etat, donc à la NPA elle même.
«
S'approprier en effet l'ensem-
ble de la zone rappellerait plutôt ... la démarche du colonisateur
qui, pour affirmer sa maîtrise du sol colonisé,
se déclarait
propriétaire.»
(CAVERIVIERE et DEBENE op.
cit. p.9)(Ce qui est
faux malgré les requisitions du service des domaines.
Intégrer les
terres vacantes dans son domaine ne signifiait pas pour le coloni-
sateur s'en déclarer propriétaire.) Elle serait également con-
traire si l'on en juge par le discours de l'Etat à la responsabi-
lisation du paysan,
slogan de soutien à la NPA puisque se sera
finalement l'accés au sol qui sera onéreux, ce qui ne se conçoit
ni dans le droit traditionnel soninke ni dans la loi sur le
domaine national.
Les tegumu deviendraient simplement des
niinegumu d'un nouveau type.
Le désengagement de l'Etat et la
responsabilisation du paysan ne sauraient signifier à notre sens,
laisser le paysan sans moyens propres ou dans des mains qui ne
contribueraient qu'à l'asservir, quand on sait que le système

- 418 -
foncier soninke ne connaît aucune forme d'asservissement du paysan
au maître foncier.
Ainsi cette solution serait à rejeter car non
conforme ni à l'esprit de la loi sur le domaine national, ni à la
NPA, ni à la culture paysanne à laquelle elle pourrait s'appliquer.
Malgré le désengagement de l'Etat,
la responsabilisation du
paysan soninke sans moyens de production doit chercher d'autres
solutions. On sait que l'intervention de la SAED n'est que logis-
tique mais elle ne permet pas un grand développement de la culture
irriguée.
Les paysans qui ne peuvent plus compter sur les revenus
migratoires peuvent se tourner vers les organismes de crédit rural
et aussi les ONG.
E- LES PERIMETRES IRRIGUES DU GOY ET LA CNCAS.
Le crédit dans les opérations de développement de la vallée
du Fleuve est quelque chose de fondamental.
Parce que le désenga-
gement de l'Etat et la responsabilisation du paysan supposent la
mise en place d'un système de crédit adapté au contexte économique
général. La faiblesse économique du paysan soninke, l'incapacité
jusque là avérée de la SAED à mettre en valeur les terres du
Gajaaga combinées au tarissement progressif des revenus monétaires
tirés de la migration font que la prise en charge par les paysans
de leur propre développement devient aléatoire face aux enjeux de
la NPA.
La Caisse Nationale de Crédit Agricole au Sénégal (CNCAS)
fut créée en 1984 pour faire face à la couverture des besoins de
financement des projets initiés par le secteur rural. Ainsi cette

- 419"-
nouvelle banque du producteur rural a une vocation élargie non
seulement à l'ensemble des sous-secteurs d'activités rurales
(agriculture, élevage etc) mais aussi à chaque échelon des
filières
(production,
transport et commercialisation).
Mais pour être conforme avec le désengagement de l'Etat, le
producteur rural devrait participer lui-même au financement des
investissements qui étaient en principe supportés jusque là par
l'Etat, en se substituant à celui-ci. La politique étatique qui a
consisté depuis deux décennies à approvisionner les paysans en
intrants dans le cadre de programmes agricoles menés par la SAED,
avait pour objet de mettre à la disposition des paysans, par le
biais des coopératives villageoises de l'engrais et des fongicides
à titre de crédit à court terme,
ainsi que des moyens d'irrigation.
Cette politique s'est avérée jusque là inefficace.
Les raisons de cet échec sont que les PlV par l'inter-
médiaire desquels le crédit était accordé et devait être remboursé
se trouvaient toujours dans l'incapacité de remplir leurs obliga-
tions,
soit à cause d'un manque total d'organisation,
soit à cause
de la lourdeur de ces crédits contractés auprés de la SAED. Ainsi,
aux insuffisances et lacunes organisationnels des PlV s'étaient
ajoutées de nombreuses défectuosités dans l'encadrement des
organismes et sociétés intervenant dans le monde rural, principa-
lement la SAED pour ce qui concerne le Gajaaga.
La mise en place
d'un système cohérent de crédit viendrait donc rectifier ces
erreurs. Juridiquement,
le vocable crédit agricole est acceptable
car les terres de la vallée qui sont entièrement dans le domaine

- 420 -
national ne peuvent faire l'objet d'une appropriation. L'inexis-
tence de droits réels sur les terres exclut toute idée de crédit
foncier car le crédit foncier consiste à consentir des prêts sur
des immeubles,
dans le sens propriétariste du terme. Ainsi,
le
seul critère d'octroi du crédit par la CNCAS est la viabilité
économique de l'opération de développement rural.
La CNCAS est ainsi chargée d'augmenter le taux d'autofinan-
cernent aussi bien sur le court terme que sur les investissements
à moyen et long termes
(26), d'augmenter l'apport des capitaux
nationaux dans le financement de l'agriculture grâce à une politi-
que d'épargne en milieu rural.
Finalement la nouvelle politique de
crédit mise en place par la NPA, dans la perspective de l'aprés
barrages postulerait à l'émancipation des paysans organisés en
groupements de producteurs ou en sections villageoises.
Mais quelles garanties offrent les paysans à la CNCAS pour
bénéficier d'un crédit de campagne ou/et d'équipement? L'absence
de droits réels sur les terres du domaine national ne permet pas
à la CNCAS de gréver les parcelles d'hypothèque.
Car comme on le
sait, le statut juridique des parcelles irriguées est un simple
droit d'exploitation du sol. L'attributaire de la parcelle a
seulement des droits sur la production et non sur la terre qui
n'appartient même pas à la structure coopérative du PlV au nom
duquel l'affectation est faite.
Donc le non remboursement du
crédit par le paysan ne peut en aucun cas l'exposer à la saisie de
26- SY (Arona)
1986
: problématique foncière et mise en valeur du
bassin du fleuve sénégal(Rive gauche) .Mémoire de DEA en droit
privé; univsersité de Dakar, p.45

- 421 -
la terre.
La CNCAS n'a aucune garantie sur ce plan.
La coopérative
villageoise n'ayant pas la personnalité morale les moyens d'action
de l'organisme de crédit se trouveraient également limités en cas
d'insolvabilité du PlV. C'est ainsi que pour s'entourer de toute
les garanties de remboursement,
la CNCAS ne traite pas directement
avec les groupements paysans.
La SAED devient dès lors l'instru-
ment privilégié de médiation entre la Caisse et les paysans.
La
mission de la CNCAS a été définie par une convention d'établisse-
ment signée avec l'Etat en décembre 1985, mais le rôle de la SAED
a été quant à lui défini par un protocole signé le 13 mars 1986 à
Saint-Louis pour ce qui concerne la Vallée
: "Protocole définissant
les relations entre la CNCAS et la SAED dans la mise en oeuvre de
la fonction crédit aux organisations paysannes".
c'est notamment
l'art.
3 du protocole qui définit de façon claire la position et
le rôle incontournables de la SAED : «
les dossiers de demande de
crédit fournis par la CNCAS sont établis par les organisations
paysannes avec l'assistance technique des conseillers agricoles
de la SAED.
Pour être recevable à la CNCAS,
chaque dossier doit
porter l'avis technique de l'ingénieur délégué de la SAED pour
le département concerné.»
L'article 3.2.2 poursuit «
Pour les aménagements déjà en service,
les demandes de crédit pour les matériels susceptibles d'être
renouvelés de même que pour les nouvelles acquisitions,
font
l'objet d'expression de besoins de la part des organisations
paysannes et doivent être revêtues du visa technique de la SAED
avant transmission à la CNCAS.»
Comme on le voit donc,
si la SAED ne constitue pas à propre-
ment parler une garantie pour les paysans, elle est néanmoins la
structure technique dont l'intervention est obligatoire à tous les
niveaux pour l'octroi du crédit.
Puisque c'est sur la foi des
"recommandations techniques" de la Société Nationale que le crédit
est accordé ou non aux groupements paysans.
La place de la SAED

- 422 -
est tellement importante que même dans le mécanisme d'octroi du
crédit, elle est chargée de la centralisation des dossiers qu'elle
analyse (art.4) et est membre du comité consultatif des prêts
chargé d'instruire les dossiers de demande de prêts
(art.5).
Si
l'Etat désengage la SAED en tant qu'organisme d'assistance aux
paysans sur le terrain,
il renforce par ailleurs ses pouvoirs dans
le cadre du crédit rural.
La différence de la CNCAS avec les banques commerciales est
qu'elle pratique un taux préférentiel et le paysan est exempté de
la taxe sur toutes les prestations de service,
en application de
l'art.12.3 de la convention d'établissement.
Quel est le degré
d'implantation et d'acceptation de la CNCAS dans la zone soninke
du Goy? Il faut d'abord signaler que ce n'est qu1en 1987 que la
CNCAS à commencé à s'intéresser à cette zone.
Les paysans du Goy
étaient assez réticents au départ pour certaines raisons
: le
manque de confiance dans le système bancaire d'une manière
générale,
la faiblesse des moyens financiers qui ne leur permet-
taient pas toujours d'ouvrir des comptes d'amortissement à la
Caisse. Ajouté à cela le fait que les PlV affiliés à la Fédération
des Paysans ne voulaient pas reconnaître le rôle d'intermédiaire
de la SAED pour des raisons que nous avons analysées plus haut.
Enfin le fait que la CNCAS n'avait pas ouvert de bureau permanent
à Bakel et que pour ouvrir un compte d'amortissement les paysans
aient été obligés de se rendre à Matam ou à Tambacounda.
La Caisse
avait ouvert un simple guichet hebdomadaire à Bakel qui ne fonc-
tionnait que les jeudis (27). Ainsi la responsabilisation du
27- Cette information nous a été donnée par le Député sada DIA
du groupement de Moudéri 3 le 16 aout 1987 à Mudeeri.

- 423 -
paysan soninke du Goy par le système du crédit agricole a pris
dès son instauration un mauvais départ.
La faiblesse des moyens
est telle que les comptes d'amortissement ouverts à la CNCAS par
les PlV du Goy semblent stagner aux sommes initiales. or ce sont
ces comptes d'amortissement qui devraient réellement constituer la
garantie des crédits contractés auprès de la Caisse.On le constate
sur le tableau ci-aprés, qui montre l'état général des PlV par
rapport à la CNCAS dans le Goy.
TABLEAU 4

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~ Nom de l!
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L'Montant dépôt.
Dépôts Succëssifs
"

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! Type ! Banque
!
Ville
! d'Amortissement
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1
nontant
.... _
Année
!
!
!
!
1
Manael
! GIE
!
CNCAS
!
Matam
!20002184061I78
, 1987
193:980
230.000
'1990
!
2
Yelingara-1
GIE
CNCAS
Tamba
!
3
Yelingara femmes
! GIE
14.500
1989
!
4 ! Diawara l
GIE
CNCAS
Matam
~
280.000
5 ! Diawara II
GIE
CNCAS
Matam
20001634011145
1986
290.000
279.000
1987
6 ! Diawara III
E N I N SOT A N C E
D E
FOR MA T ION
7 ! D1awara Femmes
F. N -
T N SOT A N C E
D E
8 ! Moudery l
GIE-
CNCAS
Matam
200074064/E
1988
14.500
9 ! Moudery Femmes
GIE
CNCAS
Matam
20003494064/F
1987
14.500
50.000
1988
258.000-
1989
10 ! Moudery III
! GIE
!
CNCAS
!
Matam
200077040641/A
1987
290.000
11 ! Moudery IV
GIE
CNCAS
Matam
200032540611/L
1988
290.000
12 ! Moudery II
GIE
CNCAS
Matam
200074740641/A
1988
260.000
13 ! Moudery VII
GIE
CNCAS
Matam
200070340641/B
1988
250.000
400.000
1988
537.500
1989
14 ! Moudery VIII
GIE
CNCAS
Matam
200074548641/J
1988
29.000
15 ! Moudery IX
GIE
CNCAS
Matam
E"'"N
IN' S TAN CE'
D ' l N S T A L LAT ION
16 ! Moudery X
GIE
!
CNCAS
-"Hatam
E N I N'S TAN C E'
D ' l N S T A L LAT ION
!
!
!
!
17 ! °Galladé l
GIE
!
CNCAS
Matam
!
!
!
!
18 ! Galladé Femmes
'N
E
A
N
T
19 ! Gandé
N
E
A
N
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*
Sources:
SAED - Délégation de BAKEL.
-~----"."'''''''''''~'-''''''''=':'''''''"VV''''-~-'''''''''''''''f7':<", ..."" "">-"""_"~N..~_,'.~~-r.." .••,.,~".••,,,,,,,~,,,,,,,,,,",,,,,,~,.~'''·".P)'I'''''W''1't.'''i'Y''''''''·'""''A''''''''''''·''''''''''_''··'''''i''~,','''r'" ....~,....".,'~.,'" ·~""W'··"'''''~'''''-'-''''"''''''''''''''''-''··'·'~~''~'''_''''·'·''.~_.~ '..,-.' ;-'-,',' ,.' .,~ ,·"~·;·",,,,-,,···''''",,<-,··,,,,,,~·,j''''''-~7''''''-~''''··~~'''''''':''''~'·-··- """·,..····,""~,·:·".,., ....."""·'''',.h'i" ~
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- 425 -
i
Les montants des dépôts fournis par ce tableau montrent bien
1
la faiblesse des moyens financiers des périmètres irrigués du Goy.
1
Ces moyens ne leur permettent pas d'accéder, pour le moment au
1
,
crédit de la CNCAS. Aussi la CNCAS ne constitue pas encore le
j
j
moyen pour les paysans du Goy de mettre en oeuvre leurs petits
!l
périmètres, à fortiori quand il faudra pratiquer l'irrigation sur
~]
des superficies plus importantes dans le cadre de la NPA. Quelle
1
est la solution pour l'accés dans l'immédiat des paysans au crédit
j
de la CNCAS, donc pour répondre aux critères techniques que la
1
SAED définit pour l'obtention de ce crédit? Il faudra,
nous le
1
pensons,
la chercher au niveau des ONG impliquées dans le procés
de la culture irriguée dans le Goy.
Hais l'implication de ces ONG
1
J
consiste pour le moment à encadrer les paysans,
sans financer
jj
j
les projets.
1
,i
1j
~
f
On peut envisager l'engagement de ces ONG auprès de la CNCAS
1
1
1
de payer dans certaines conditions les dettes dues pour le crédit
t
i
1
i
~
d'équipement ou de campagne.
Pour cela il faudra définir un cadre
~
1
~
l
juridique nouveau qui permettra aux ONG de procéder à ces types
i
i
1
d'intervention et de garantie.
«
Le progrès technique,
lorsqu'il
~
s'applique, non plus à une seule culture, mais à l'exploitation
dans son ensemble peut susciter l'émergence de conditions nou-
!
velles qui permettent de revoir le problème de la garantie
1
foncière sous un jour nouveau». (28)
Cette affirmation de Gérard
PINCE est vraie pour le Goy,
sauf qu'ici il s'agit de crédit
agricole et non de crédit foncier.
Le système des garanties
réelles étant impossible sur les terres du domaine national,
ce
type de garantie ne porte que sur la transformation des conditions
agronomiques et sur l'introduction de la nouvelle technique cul-
turale.

- 426 -
Enfin le système foncier du Canton du Goy,
comme nous
l'avons vu, ne connait pas les grands domaines. Même si les
réserves foncières Jamankafo du Tunka ou du Chef de village au
nom du village étaient parfois relativement étendues,
le système
d'exploitation lui-même était la forme la plus évoluée d'intégra-
tion de toutes les couches paysannes. Autrement dit,
il n'y avait
de paysans sans terre car même l'exploitation du travail servile
n'excluait pas les captifs de la terre,
ce qui concourrait à la
reproduction du système politique et des rapports de production.
La loi sur le domaine national offre une autre possibilité
de mise en valeur des terres:
il s'agit de l'implantation d'agro-
industries. Cela ne remet pas en cause la logique de la loi sur le
domaine national mais n'offre pas aussi que des avantages.
Généralement,
les agro-industries sont implantées dans les zones
pionnières. Or la zone du Goy ne comprenait pas de zones pion-
nières et, de ce fait le reversement des zones pionnières dans les
zones des terroirs en 1987 ne concernait pas la CR de Moudéri.
Ainsi llaffectation des terres aux agro-industries serait du
ressort du conseil rural,
contrairement au delta où ces types de
terre relevaient de la compétence de la SAED. A ce niveau il n'y
a pas de problème juridique majeur.
La CR verrait ses compétences
devenir plus importantes par l'affectation de grands périmètres
fortement mécanisés et comportant un système hydraulique complexe,
alimenté par de nombreuses stations de pompage.
28- Gérard PINCE
: Techniques de crédit,
garanties foncières et
développement.
in systèmes fonciers à la ville et au village
présenté par R. VERDIER et A.
ROCHEGUDE.
Paris l'Harmattan
1986 p 211.

- 427 -
Du point de vue social, l'implantation d'agro-industries
entraîne des avantages certains pour une région qui,
jusque là,
n'a connu aucune forme d'industrie,
aussi petite soit-elle.
Les paysans trouveraient toujours dans leur zone,
en plus de leur
production personnelle en culture irriguée ou sous pluies d'autres
sources de revenus monétaires tirés du travail salarié à plein ou
à mi-temps,
ce qui va constituer un appoint très important à leurs
productions. L'autre avantage se trouvera ainsi dans la création
d'infrastructures modernes et adaptées dont profiteront les
paysans pour leurs besoins de stockage, de commercialisation et de
transport des produits tirés des périmètres irrigués.
L'inconvénient majeur de cette solution consisterait à
reléguer le paysan dans un rôle subalterne, puisque de façon sûre
les agro-industries seront implantées sur les terres les plus
fertiles,
les parties les plus productives. Ainsi le paysan qui,
croyant avoir échappé au "poids" de la maîtrise foncière tradi-
tionnelle et aux aléas de la culture pluviale, ainsi qu'à la main
mise des nationaux-"étrangers" (colons) verra son activité agricole
marginalisée au profit de la recherche de revenus monétaires qu'il
ne trouve pas toujours dans ses propres activités. Cette solution
est à envisager avec beaucoup de précautions car en l'appliquant
on risquerait de briser l'équilibre culturel et social du Goyen
créant des paysans sans terre (29), même si ce risque est limité
par le discours politique actuel qui veut que seulement le quart
des terres soit affecté dans une localité à l'agro-industrie.

- 428 -
c'est ce qui ressort en tout cas du rapport du Ministre du
Plan Cheikh Hamidou KANE lors du conseil interministériel consacré
à l'après-barrages le 24 juillet 1986, et d'un article du journal
le Soleil du 24 juillet 1986 p.4 intitulé:
"Après-barrages
: les
équivoques levées." Ce quart réservé aux industries agro-alimen-
taires,
aussi infime soit-il par rapport au reste réservé aux
paysans,
risquerait fort bien d'être le "quart vital",
ce qui
accentuerait la dépendance des paysans comme dans le cas de ceux
de Richard-Toll par rapport à la CSS.
La rencontre des deux systèmes fonciers dans le Goy,
à
savoir la logique paysanne et celle du domaine national a-t-elle
provoqué les bouleversements voulus ? La dynamique paysanne peut
elle autrement dit se passer de la réforme ou est-il possible
qu'elle l'adapte pour atteindre les objectifs suscités par les
enjeux de l'après-barrages? La logique étatique s'y prête-t-elle
à elle seule pour l'accés du paysan à l'autosuffisance alimen-
taire? Sinon,
le législateur sénégalais de 1964 a-t-il mis la
société soninke contre l'Etat?
29- TRAORE (S.)
1987
: Sociologie de la Terre dans la Vallée du
sénégal. Rapport NPA.CREA. Dakar. op.
cit. p.26

429
CHAPITRE VI.
- LA SOCIETE SONINKE DU GOY CONTRE L'ETAT?
L'existence d'un dualisme juridique réel dans la pratique
des droits fonciers dans la zone soninke est l'élément qui
pousse à poser cette question.
En effet, peut-on analyser la
rencontre des logiques du domaine national et traditionnelle comme
une opposition de laquelle sortira un droit nouveau ou chacune
des logiques suffit-elle à elle seule pour atteindre les objectifs
d'une autosuffisance alimentaire,
d'une agriculture performante
reposant sur des structures sociales adaptées ou réadaptées au
contexte nouveau? si oui, quelle est la meilleure de ces deux
logiques à prendre comme référence? Autrement dit, quelles sont
les conséquences du régime actuel de la tenure foncière sur les
structures sociales et l'économie du GOY? les modifications
apportées par la logique étatique sur le droit coutumier soninke
de la terre peuvent-elles avoir une influence sur la production
ou est-ce un facteur de blocage à l'évolution sociale normale de
cette société? Les deux logiques qui s'opposent sur le terrain
ont chacune leur force et leurs faiblesses mais cela les met-il en
conflit pour autant, au point que l'une d'elles soit abandonnée au
profit de l'autre?
si oui, et malgré le discours entretenu par la logique
étatique qui prétend arriver à un développement plus rapide,
la
logique foncière soninke peut-elle répondre à elle seule, ou
combinée avec la loi étatique aux problèmes modernes de l'agri-
culture de l'après-barrages? Ou n'y a-t-il pas émergence d'une
tierce solution?
1l1
1

430
1. LES LOGIQUES EN PRESENCE
LEUR FORCE ET LEURS FAIBLESSES.
Nous avons rejeté, dès le début,
cette distinction classique
entre droit traditionnel et droit moderne,
dans la seule mesure où
concrètement dans la vallée les frontières entre les deux sont
imprécises. Le contact entre la loi étatique et la logique
paysanne a certes créé un certain nombre de bouleversements
mais qui ne sont pas à observer seulement,
comme on le fait
souvent croire,
au niveau du système paysan.
Il y a eu une nette
impénétration des deux modèles,
ce qui
fait que l'un comme
l'autre face à cette réalité se sont transformés.
La loi étatique
a subi au contact des réalités paysannes ces bouleversements
dans la pratique quotidienne
des autorités administratives
chargées de gérer les terres dans le Goy,
et des paysans qui la
perçoivent d'une façon différente par rapport à son esprit initial.
A.
-
LE MODELE TRADITIONNEL SONINKE.
Comme nous l'avons vu,
tout le long de cet exposé,
le
système foncier du Goy-Gajaaga s'est lentement formé à partir
d'une tradition guerrière des royaux BACILI. L'aristocratie
guerrière qu'elle était sIest peu à peu transformée en aristo-
cratie foncière qui s'est installatée définitivement à partir
de la partition du royaume, consécutive à la guerre civile
entre royaux du Goy et ceux du Kammera {1}.
Le verrouillage
politique du royaume a entraîné,
comme on le sait
1- Cet épisode est célébre et encore vivant dans la tradition
orale du Goy. voir Thèse de BATHILY.

431
la mise en place d'un système foncier cohérent au niveau global.
La cohérence du système foncier soninke se situe à plusieurs
niveaux qui ont des incidences notables sur l'organisation sociale
elle-même d'une manière générale.
L'existence de catégories sociales distinctes plus ou moins
rigides entre hooro-libres,
komo-captifs et naxamalani artisans et
artistes
(TRADRE 1985. Corpus soninke)
entraîne,
contrairement à
d'autres sociétés,
une forte cohésion.
L'infé~iorité sociale d'une
catégorie n'entraîne pas son exclusion du jeu politique et foncier,
car chacune de ces catégo~ies participe pour une part bien précise
au déroulement du procès social.
Ce qui crée un système de con-
trôle croisé dans lequel l'existence de l'une est entièrement
fonction de celle de l'autre.
Il en découle de la part des caté-
gories sociales dites exclues un respect assez manifeste des
droits des niinegume, qu'ils contrôlent par ailleurs du fait même
de leur présence sur la scène des droits de la terre. Ce qui, on
le sait, minimise les risques de conflits entre ~iinegume et
tegume et, s ' i l en existe,
les rend moins dangereux pour le tissu
social, car chaque conflit génère son propre mode de règlement.
La logique soninke est également une logique d'intégration.
En effet la mainmise des maîtres fonciers sur les terres ne
revient pas à dire exclusion des autres de la terre.
s ' i l y a
exclusion dans le système de répartition et de distribution de la
terre il n'en existe pas dans l'exploitation effective de la
terre. La terre en droit soninke est un patrimoine social non
économique. La logique d'intégration permet une exploitation

432
rationnelle de la terre et un contrôle cohérent des droits fon-
ciers et le rôle de la famille et du village est assez important
à ce sujet.
En effet le village debe qui est la structure
foncière de base se charge de la distribution et de la répartition
desniino-terroirs et des droits fonciers entre les différentes
familles xabiilani descendant du premier occupant du sol ou de
l'ancêtre commun qui a établi les liens avec la terre.
A l'intérieur des familles,
une nouvelle distribution est faite
entre les différentes branches kingu ou follaqu,
tout en tenant
compte du système de production et des relations entre aînés et
cadets du contrôle de la terre au profit des aînés mais elle ne
prive pas les cadets des droits familiaux dont ils disposent sur
la terre du fait de leur appartenance sociale à la catégorie des
maîtres de la terre. Une autre répartition est faite à l'intérieur
des terres familiales ou/et des réserves claniques ruxuba ou chef
fales-jamankafo au profit des catégories sociales exclues de la
maîtrise foncière,
à savoir les ~omo et les naxamalan~ qui occu-
pent dans le processus la position de membres à part entière du
village et des familles.
Dans le système soninke ils font partie
intégrante du kore de leurs maîtres ou du Tunka.
(2)
De même on observe l'intégration des étrangers établis dans
le terroir,
sans distinction avec les autres membres du
groupe social. Autrement dit les étrangers ne versent de rede-
vances foncières spécifiques à leur condition d'étrangers car ils
participent aussi pleinement aux écologies politiques et sociales
du Goy.
Il n'y a pas dans les logique et stratégie foncières
----------------------~-------------------------------
-----------
2- Pour plus de détails. Voir TRAORE
(5.) corpus 50ninke 1985.
op. cit.
1.
~
il

433
soninke du Goy de paysans sans terre.
Enfin au niveau des redevances foncières la logique paysanne
offre un certain nombre d'avantages:
nous avons vu en première
partie que les redevances foncières~iinancequ ou jakko
jouaient un rôle économique parfois très faible.
Leur dimension
politique étant plus importante,
leur paiement dans le droit
traditionnel soninke permettait de socialiser les rapports de
l'homme à la terre et ceux entre les hommes.
Les redevances ont
participé au maintien de l'équilibre social et politique du groupe
et non de la reproduction des rapports économiques d'exploitation
d'une majorité par une minorité,
une domination capitaliste qui
n'existerait qu'avec l'instauration de grands domaines fonciers,
ce que ne connaissait pas le Gajaaga.
L'exploitation capitaliste
n'avait tenté de s'instaurer qu'avec la pénétration coloniale;
l'apparition de la monnaie au début du siècle mais aussi et sur-
tout la création d'un impôt de capitation qui nécessite désormais
une production accrue et donc l'utilisation de la terre comme
moyen d'acquérir des ressources monétaires suffisantes pour faire
face à la nouvelle logique.
Mais ce système n'a pas bouleversé de façon profonde la
logique foncière du Goy,
ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas eu
de conséquences du tout.
Les conséquences sont énormes sur le plan
social surtout,
avec au début du siècle le départ massif d'émigrés
en quête de revenus monétaires plus importants
(3) ce qui devient
3- Pour des détails plus importants,
voir ADAMS (A.)· 1977 et
1985. op.
cit.
Puis BATHILY Thèse op. cit.
MINVIELLE
: Paysans migrants.
op.
cit.

434
dès lors une tradition chez les soninke d'une manière générale.
l,e système de la maîtrise de la terre en milieu soninke du Goy
obéit donc au principe des hiérarchies sociales,
inégalitaire
certes si on se place sur le plan de la distribution des types de
sols,
jeeri et waalo, mais des principes fortement codifiés. D'une
manière générale et suivant en cela Paul MATHIEU (op. cit.
3)
le
fonctionnement concret du système foncier se fait de façon souple,
flexible et "ouverte" en ce sens qu'il permet quasiment toujours
l'accès à la culture de la terre moyennant redevances réelles ou
symboliques,
et donc reconnaissances des hiérarchies sociales à
ceux qui n'ont pas de droits fonciers du fait de leur caste ou de
leur condition d'étrangers au village.
Mais s ' i l présente des avantages,
les inconvénients en sont
à peu prés aussi importants.
s l il est vrai qu'il n'y a pas d'ex-
clusion de la terre, on trouve quand même une forte discrimination
au niveau de l'accès aux différents sols cultivables.
En effet
il y a des types de terres dont sont exclues les couches sociales
inférieures parce qu'elles assurent la survie et donc la domi-
nation politique des maîtres fonciers.
On note la mainmise des
niinegume sur les terres les plus fertiles du walo-falo parce que
ces terres sont plus sûres que celles du jeeri.
Car même en cas de faible crue, une partie de ces terres
est toujours inondée ce qui donne au maître foncier la certitude
chaque année de récolter sur son champ de falo et de dunde
(fonde).
Ce sont sur les terres du waalo que se jouent les enjeux

435
j
politiques mais surtout sociaux du Goy puisque c'est là où
i
!
J
~
s'exercent parfois les subtilités les plus complexes du droit
l
l
foncier soninke.
Les terres du waalo sont toutes l'objet d'une
1
maîtrise clanique ou cheffale. Les délimitations des différents
~
1
l
falo ou kollange sont connues de tous,
contrairement au jeeri où
1
J;1
elles sont parfois très imprécises et très abstraites. C'est à ce
niveau que la dépendance des ~omo et naxamalani par rapport aux
1
niinegumu est manifeste car il existe des conditions très strictes
1
l
,
d'accès à ces types de sols. Et les maîtres fonciers disposent de
j
~
beaucoup de moyens pour les faire respecter.
La fonction politique
i
mais surtout alimentaire jouée par les terres du waalo accroissent
1
l
dès lors les risques de conflits fonciers en dehors du territoire
1
villageois
(ce qui constitue un inconvénient).
1
îi
En effet c'est à propos des terres de décrue que les conflits
ont éclaté entre entités villageoises dans le passé mettant à rude
1~
épreuve l'homogénéité politique et territoriale du Goy. Car
~
l'accaparement des terres les plus fertiles par une minorité ne se
1
1
,
faisait pas seulement au détriment des komo et naximalani, mais il
li
était aussi un moyen de freiner les prétentions des voisins ce qui
le plus souvent était source de conflit.
Enfin dans le système
1
,
1
traditionnel,
tel que nous venons de le décrire,
les facteurs
1
!
défavorables à une grande production semblent l'emporter. Les
i
1
indivisions familiales,
surtout au niveau des terres de waalo
l
j
j
1
découragent assez souvent toute tentative d'amélioration des
1
productions,
dans la mesure où ces parcelles familiales très
réduites en superficies, dans le Goy (à cause de l'encaissement
111~4i
1
i
\\
j]

436
du l i t du fleuve)
sont gérées individuellement
(ou prend l'indi-
vision familiale comme un individu,
une entité)
et ne permettent
pas le regroupement, même de fait.
cela a fonctionné de façon
plus ou moins parfaite au moment où les techniques culturales
étaient des plus simples. Mais l'apparition de grands aménage-
ments qui nécessite des techniques culturales différentes et
plus importantes,
ainsi que des superficies cultivables plus
larges risque de ne pas aller de pair avec ces indivisions
claniques ou familiales,
à l'intérieur ou à l'extérieur même de
l'entité villageoise.
Ainsi l'accaparement des terres les plus fertiles crée
une inégalité
(mais qui n'entraîne pas l'exclusion de la terre),
qui semble freiner l'extension des superficies cultivées.
Si
l'ancien captif est parfois obligé pour cultiver un champ de falo
d'acquitter les redevances foncières traditionnelles
(muso,
jakka)
et en plus donner des journées de travail au maître du falo,
il
peut préférer se procurer des revenus par d'autres moyens:
sur-
tout la migration,
dont l'importance au niveau de la population
servile est plus élevée qu'à celui des anciens maîtres fonciers
ce qui leur permet d'accéder à des prestiges autres que ceux de
la naissance par exemple et qui à coup sûr est un grand incon-
vénient pour le développement de l'agriculture traditionnelle
depuis au moins la première moitié du 20è s.
La division sociale
telle qu'elle est pratiquée dans le système est un facteur
défavorable dans la mesure où «
une armature aussi rigide ne
peut que freiner l'essor de certains secteurs
(l'agriculture
surtout) et au contraire contribuer à engager certains
autres»
(4).
4- BOUTILLIER (J.Y)
: La moyenne Vallée.
op.
cit.

437
B.
-
LA LOGIQUE D'ETAT
SES POSSIBILITES ET SA PUISSANCE.
Le discours développé dès le départ par le législateur
sénégalais de 1964 était dans un premier temps de remédier à
l'échec du modèle colonial dont l'une des raisons majeures
résidait dans l'ignorance, sinon le refus de la conception de
propriété que voulait introduire le législateur colonial. Le
droit foncier coutumier était fondé sur une nette distinction
entre la propriété et la gestion.
rI ne reconnaissait pas pour
les ~aisons que l'on sait de droits de propriété absolue pour
l'individu.
Il ne s'agissait pas non plus de propriété familiale
au sens strict du terme.
Les maîtres de la terre ne disposaient en fait que d'un
droit de gestion et la terre étant inaliénable,
leur liberté de
manoeuvre était réduite ce que remettait en cause la logique de
l'état colonial par les procédures de constatation (1925) et
d'immatriculation des droits fonciers
(1906 et 1932, etc ... )
cette forme plus ou moins hermétique que le législateur colonial
a voulu briser explique qu'en dépit de toutes ces tentatives, pas
plus de 3 % des terres n'ont subi le régime de la propriété
privée,
localisés seulement au niveau des quatre communes,
97 %
restant dans les tenures traditionnelles.
Le législateur sénégalais dès 1964 a entendu concevoir un
règime cohérent,
en harmonie avec les exigences du développement
national.
Là où le législateur colonial a lancé l'idée de libéra-
lisme, celui de l'Etat indépendant a fortement développé le thème

438
du collectivisme national.
Plutôt que de procéder,
à l'instar de
~on prédécesseur à de longues et patientes réformes, il a donc
préféré procéder paradoxalement à la "nationalisation" des terres.
Les objectifs visés étaient dès lors multiples et consistaient
d'une part, à mettre la terre à la disposition de ceux qui la
travaillaient en l'affranchissant de toutes redevances foncières
et de ce fait la mettre au service du développement national,
enfin à concevoir un modèle de développement communautaire dans
le monde rural en mettant en oeuvre des règles de gestion démo-
cratiques, notamment par les communautés rurales qui pourraient
garantir l'effectivité et l'efficacité de la loi sur le domaine
national.
La force et aussi l'audace de cette réforme furent de
rejeter d'office le modèle foncier traditionnel ainsi que les
solutions de l'Etat colonial.
L'autre particularité de cette
réforme, conséquence de ce qui précède est que plus de 96% des
terres tombent dans le domaine national au détriment des maîtres
fonciers traditionnels.
L'esprit de la logique d'Etat, par la
réforme de 1964, est que l'Etat reconnaît l'occupation et dit
qu'il n'y a pas de propriétaire, donc il sort la terre des rap-
ports marchands et la met gratuitement à la disposition des
paysans.«
Aucune indemnité n'est prévue lors de son accès à la
terre,
aucun loyer n'est dû à l'Etat en cours d'exploitation,
non plus qu'une quelconque redevance sous quelque forme que
ce soit, abandon à l'Etat d'une partie de la récolte par
exemple»
(5). Ainsi cette gratuité de l'accès à la terre
(ce qui n'est pas nouveau) permet au paysan d'avoir à sa
5- CAVERIVIERE (M.)
et DEBENE
(M.)
: Foncier des villes,
foncier
des champs (Rupture et Continuité du système foncier sénéga-
lais) RIDC nO 3 1989 p.625 Nous avons vu au CH.4 de cette 2ème
partie, et nous le verrons au point suivant, combien cette
affirmation est fausse,
surtout avec l'apparition dans la
vallée de la culture irriguée.

439
disposition un outil de travail au moindre coût qui lui servira
à rentabiliser la terre au maximum,
surtout dans l'optique des
périmètres irrigués.
La logique d'Etat est puissante parce que
non seulement le paysan dispose d'une terre sans contrainte ni
restriction (sauf celles apportées par la loi) mais en plus elle
met à sa portée, pour contrecarrer les survivances du système
traditionnel une structure communautaire à l'échelle et représen-
tant tous les villages, chargée de gérer et répartir la terre.
Ainsi dès son élection en 1984, le conseil rural de
Moudéri
(pour le GOY)
a pleinement exercé cette prérogative que
lui confère la loi, en contrôlant au nom des paysans les terres
du Goy et en affectant des périmètres plus ou moins larges au
niveau de chaque village en vue de l'irrigation collective ou
individuelle.
Les maîtres fonciers,
privés de leurs droits
(dans
l'acception traditionnelle et en théorie, CH.4) n'interviennent
plus dans le processus de répartition et de contrôle de la terre
à leur profit ou à celui des familles qu'ils représentent.
Dans
les principes,
l'action du Conseil Rural est très salutaire pour
les anciens exclus de la maîtrise foncière car c'est la «
géné-
ralisation de l'irrigation,
telle qU'elle apparaît actuellement
dans ces grands principes, qui induira les transformations les
plus importantes en élargissant le domaine foncier et ainsi en
permettant à certains paysans le libre accès au moyen de
production fondamental qu'est la terre.»
(6) Les principes
égalitaires qui sont à la base de l'affectation des terres du
domaine national,
ainsi que les formes de gestion et d'organisa-
tion des périmètres irrigués dans le Goy,
s'opposent de façon
6- WEIGEL
(J.Y.)
1982
: Migration et Production ~omestique op.
cit.
p.
124.

440
fondamentale à celles des structures traditionnelles. Ainsi les
anciens captifs komo et les naxamalani peuvent ainsi se libérer
du contrôle foncier exercé sur les terres traditionnelles par
les anciens niinegumu contrôle qui avait permis jusqu'à une
période très récente le maintien du pouvoir foncier de ces
derniers et d'une organisation sociale que la logique d'Etat a
entendu supprimer dès 1964. Apparemment donc,
cette logique
d'Etat est respectée par tous mais nous avons vu sous quelle
forme au CH.2, parce qu'elle a été récupérée et transformée.
c'est à ce niveau notamment que réside la faiblesse de la
logique d'Etat parce que sa perméabilité a permis aux maîtres
fonciers tout à fait légalement de la domestiquer et de l'utiliser
à leur profit.
En fait,
la loi sur le domaine national sert de
cadre aux transformations sociales mais dans le sens qui n'a pas
été prévu par le législateur de 1964 et celui de 1972, à cause
notamment de certaines contradictions, voire de certaines absur-
dités. La rencontre des logiques traditionnelle et d'Etat sur
le terrain du Goy crée des conflits. Chaque modèle se transforme
t-il du fait de ce conflit?
II. - LES LOGIQUES EN CONFLIT: DEUX DISCOURS POUR
LE DEVELOPPEMENT PAYSAN.
Si dans certains cas il y a conflit de logiques, dans
d'autres par contre il existe des dynamiques parallèles (7) .
C'est surtout au niveau des périmètres que les logiques entrent
généralement en conflit, car des élèments traditionnels et des
7- Pour ce concept, voir CROUSSE (B.). op.
cit. p.7
1i

441
élèments de la logique d'Etat se chevauchent, ce qui permet de
constater parfois au niveau des pratiques des tentatives de
bricolages à cause de la superposition des modèles.
Les paysans du
Goy sont encore, ou presque entièrement dans la logique tradi-
tionnelle dont les adaptations à la logique d'Etat ne sont
qu'un moyen pour mieux l'utiliser à sa consolidation. On croirait
que l'ensemble des populations, niinegumu et autres,
préfèrent
s'adresser au système foncier traditionnel, pour éventuellement
à la suite construire une à une les adaptations nécessaires.
Le premier terme du conflit des logiques se situe au niveau
de l'innovation qui consiste à faire table rase des droits des
niinegumu en transférant en principe l'ensemble de ces droits à
l'Etat qui devient,
en quelque sorte, un «
super maître de la
terre»
(Mathieu p.4) pour l'ensemble du domaine national. Mais
au niveau de l'application de cette innovation cette suppression
des droits traditionnels se traduit par la reconnaissance des
seuls droits des occupants et exploitants effectifs des terres
des zones des terroirs
(art.15 de la loi 64/46),
ce qui dès le
départ crée en principe une césure entre niinegumu et tegumu,
ces
derniers ayant de plus en plus tendance à se soustraire de la
tutelle de leurs anciens maîtres par la seule existence de
cette logique et, partant de la légitimité de leurs droits que
leur offre et que protège l'Etat. Cela crée des situations
conflictuelles qui ni l'Etat, ni la société soninke d'une manière
générale ne peuvent pour le moment régler.
La rencontre ou l'op-
position de ces deux logiques qui protègent des intérêts

442
divergents dans le Goy crée,
si elle est bien perçue par les
populations une déchirure dans le corps social qui auparavant
était assez homogène en matière foncière surtout.
Le second terme du conflit se situe au niveau de ce nouveau
concept de mise en valeur,
(art.
5 de la loi 64/46) qui s'oppose
au principe traditionnel de travail de la terre.
Car mettre en
valeur,
dans l'optique de l'Etat, c'est bien plus que travailler
la terre car cela nécessite des moyens plus importants,
économi-
ques et techniques, que ceux jusque là utilisés par les paysans
pour cultiver leurs terres.
La culture irriguée nécessite en
effet des moyens jusque là hors de portée de la grande majorité
des paysans. Mais il faut noter que dans sa logique de départ,
les seuls moyens humains étaient visés par le législateur sénéga-
lais ce qui ne dérogeait pas du tout aux principes traditionnels
de mise en valeur de la terre.
Pour cela,
la logique d'Etat a
mis pendant longtemps les paysans en dépendance plus ou moins
totale vis-à-vis de l'Etat par le biais des sociétés d'inter-
vention telle que la SAED, ce qui explique aussi la très longue
résistance des paysans soninke regroupés au sein de la Fédération
aux principes de la SAED.
Ainsi la logique d'Etat risque,
si elle était appliquée
pleinement de favoriser une minorité d'acteurs économiques qui
détiendront la terre en excluant la majorité des paysans du Goy,
comme tous ceux de la Vallée d'une manière générale. cela serait
donc contraire à l'esprit du législateur de 1964 lui-même qui a
voulu "socialiser"les rapports avec la terre et à celui des droits

443
fonciers soninke qui ignoraient l'exclusion de l'outil de produc-
tion qui est la terre.
c'est surtout à ce niveau que le consensus qui s'est
toujours fait autour de la terre en droit foncier soninke risque
de ne plus exister parce que la règle du jeu foncier est modifiée
par l'Etat lui-même.
«
Tout ce qui faisait la souplesse et le
caractère en fait communautaire de l'ancien système,
se trans-
forme en risque pour les anciens maîtres de la terre
: risque
de perte effective des terres prêtées si le bénéficiaire du
prêt refuse de rendre la terre en vertu de la nouvelle législa-
tion,
risque de perte de prestige et de pouvoir symbolique à
travers la dissolution des rapports de clientèle et de dépen-
dance fondés sur la hiérarchie foncière.»
(8) Ces risques,
bien entendu ont entraîné la reprise systématique par ~es anciens
maîtres fonciers de la plupart des terres cédées aux clients,
surtout les terres de décrue et de dunde,
ou en tout cas la dimi-
nution des prêts de terre et un contrôle plutôt strict qui jure
avec les conceptions traditionnelles elles-mêmes.
Nous avons constaté à travers nos enquêtes le refus des
maîtres fonciers de mettre à la disposition des groupements
villageois des terres qu'ils considèrent comme leurs champs
refus conforme à l'esprit de la loi sur le domaine national,
sauf
déclaration d'utilité générale par le CR de Moudéri.
Très souvent
la logique d'Etat est respectée par les anciens maîtres fonciers
non pas parce qu'elle vient simplement de l'Autorité, mais
parce qu'ils ont su l'adapter et la rendre conforme à leurs
intérêts,
ce qui leur permet jusque là d'apparaître comme ceux à
qui profitent les réformes.
Parce que finalement
(et cela est
absurde)
on a l'impression que cette logique dite de rupture sert
8- Paul MATHIEU.
op.
cit. p.7

444
plutôt à consolider les droits anciens (9).
On voit difficilement dès lors les avantages pratiques de
la réforme par rapport à l'esprit qui animait le législateur
sénégalais de 1964 et 1972. CAVERIVIERE et DEBENE
(1989
: Foncier
des villes,
Foncier des champs p.625) ont affirmé que la nouvelle
logique permet au paysan d'accéder gratuitement à l'usage du sol.
Cette affirmation est vraie,
quand on s'en tient à lresprit des
textes. Mais elle est trop positiviste pour être conforme à la
pratique "des champs". Il est facile d'invoquer un texte et de
croire qu'il s'applique ainsi au monde rural.
L'accés gratuit à la terre n'est pas une nouveauté,
car il
existe aussi dans les droits traditionnels, mais pas seulement
dans de simples principes proclamés.
Ce que ces auteurs n'ont pas
dit ou perçu, parce que ne connaissant rien des réalités des
"champs", c'est que de façon bien plus stable que le système
traditionnel la terre devient de par la pratique un "bien". Si
aucune indemnité n'est demandée au paysan lors de l'affectation
d'une terre,
le système des périmètres irrigués qui constitue
désormais de plus en plus le droit commun rend la terre plus
"chère" que tout ce que l'on peut croire. La dimension économique
de la réforme primant sur celle sociale,
l'accés à la terre par le
biais de l'aménagement (irrigation, pompage,
fabrication d'ouvra-
ges,
intrants agricole,
gaz-oil,
entretien des GMP) coûte plus au
paysan que les redevances foncières qu'il versait aux maîtres
des sols. Ajouté à cela la menace de désaffectation pour défaut
de mise en valeur par le CR.
9- Sur les stratégies d'accaparement des droits fonciers dans
le cadre de la législation nouvelle, voir le chapitre 2 de
la deuxième partie sur les nouveaux maîtres fonciers.

445
Le paysan qui au bout de deux ou trois ans n'a pas
(faute
de ces moyens cités plus haut) mis sa parcelle en valeur se voit
retirer son champ. Ainsi donc il serait inexact d'affirmer que la
logique d'Etat permet au paysan d'accéder gratuitement à la terre,
ou alors il faudrait peut-être nuancer.
Car à fortiori l'accés
n'est pas gratuit si le paysan dès le départ est dépourvu de
moyens économique~ et financiers.
L'autre terme du conflit entre
les logiques se situe au niveau de la gestion des terres et des
droits fonciers. A la gestion familiale ou villageoise tradition-
nelle,
l'Etat oppose une gestion dite communautaire, par une
structure qui se veut au dessus des villages,
relais des pouvoirs
publics à savoir : le conseil rural.
Si le CR est présenté comme
une structure neutre,
rencontre de toutes les sensibilités socia-
les que regroupe le Goy,
il n'en demeure pas moins que pour des
raisons analysées au CH.
2,
cette structure ne peut fonctionner
dans une stricte neutralité.
Parce que le fait pour chaque village d'avoir un ou
plusieurs conseillers ruraux au sein du CR ne signifie nullement
renonciation à son profit du pouvoir foncier,
mais c'est une
stratégie qui consiste à contrôler et influer sur les décisions
du CR.
La particularité du conseil rural de Moudéri est que
chaque conseilller essaie de contrecarrer les actions de ceux des
autres villages ce qui à terme risque de créer des conflits
(cf.
CH.4,
l'espèce qui opposa Mannaayel à Tiyaabu et qui fut d'abord
une bataille entre conseillers ruraux). Même si à priori on peut
1
i,

446
affirmer que le système reproduit la logique traditionnelle,
à
savoir:
la défense des intérêts du village d'abord,
structure
foncière de base,
il n'en demeure pas moins que cette pratique
aboutit à un résultat contraire c'est-à-dire savoir la marginali-
sation des villages au profit de la structure communautaire, ce
qui crée le conflit entre Communauté Rurale et Chefs de villages
dont les
droits sont confisqués.
On voit aussi cette opposition au niveau de la recherche
du développement.
La logique paysanne soninke place la terre au
coeur de la structure sociale.
Rien ne se fait sans ou en dehors
de la terre. Historiquement les structures sociales du Goy
furent déterminées par les rapports à la terre.
Ces rapports sont
l'élément qui légitime ceux entre les différentes catégories
sociales d'une part, parce que la domination politique des BACILI
et de leurs alliés ne pouvait se faire sans le contrôle de la
terre et de la structure foncière,
d'autre part les rapports
entre niinegumu maîtres de la terre et détenteurs de droits de
culture, qui vont au-delà de la simple possession et du contrôle
de la terre. Tandis que la logique étatique est une logique de
dissociation de la structure sociale avec le lien à la terre.
Le
seul concept de mise en valeur de la loi sur le domaine national,
considéré dans son application actuelle, place l'économique à un
niveau différent du social et du politique bien que l'économique
semble être l'élément principal de bouleversement des structures
sociales.
~
l1
î
1
t
,
1
!ti

447
La logique paysanne des rapports à la terre et aux structures
sociales est lignagère.
Le groupe est l'élément central,
l'acteur
du développemnt, alors que dans la logique étatique le rapport
est individuel. Le droit ici n'a pas de rapport avec l'usage
qu'on en fait.
Dans les mouvements de la pensée traditionnelle,
le développement de la communauté vient de l'intérieur du groupe.
Les conflits fonciers ne sont pas des éléments extérieurs à la
dynamique sociale et de ce fait sont réglés à l'intérieur
du groupe par des structures appropriées.
Ce règlement du conflit
foncier dans "le ventre du village", place dès lors le foncier
dans un cadre global de la dynamique paysanne. Alors que dans la
logique de l'Etat sénégalais en matière foncière le développement
1
ne peut venir que de l'Etat par un arsenal juridique mis en place
i
à cet effet et des structures administratives de gestion des
1
terres .
.~
j
i
l
~
Ainsi le développement ne se fait plus par les paysans,
1
1
mais pour les paysans qui ne sont désormais qu'un instrument
1
1
permettant à l'Etat d'arriver à ses fins et de remplir ses obli-
t1
gations d'Etat moderne impliqué dans le processus d'échanges au
niveau international. La question que l'on peut se poser est de
savoir si le nouveau modèle l'emporte sur l'ancien du fait de
ce conflit. La logique d'Etat,
théoriquement et en droit positif
de la terre devrait l'emporter sur le modèle traditionnel soninke.
Mais en pratique et de façon concrète, on assiste, du fait de
cette rencontre à la naissance d'un nouveau droit foncier qui
tient compte d'une part des exigences du développement moderne et
d'autre part des acquis du droit foncier traditionnel.

448
Pour Michel ALLIOT«
rien n'est plus difficile pour
l'historien des temps passés que de saisir les commencements,
et c'est plus difficile encore pour lui qui analyse le temps
présent ... Je suis fortement enclin à penser qU'un droit nouveau
est en train d'apparaître ... Les juristes et les anthropoloques
ont rarement attaché de l'importance à l'attitude d'une société
vis-à-vis du droit
»(10).
En effet,
c'est par rapport à
l'attitude des populations à comprendre le droit étatique et à
l'utiliser que l'on peut savoir si ce droit peut ou non l'emporter
sur le droit vécu par cette société. Ainsi,
dans cette optique,
nous pouvons affirmer que la loi sur le domaine national n'est
pas exclusive d'une adaptation au vécu quotidien des paysans.
Cette loi est une sorte de loi Cadre qui permet,
et qui a permis
toutes les adaptations et transformations et même les déviances
en matière de droit foncier au sénégal voulues ou non par les
pouvoirs publics. L'attitude des populations paysannes du Goy n'a
pas été contrairement à ce que l'on peut croire une attitude de
rejet.
La logique étatique a été plutôt accueillie mais avec les
résistances et les réticences que l'on sait dès le départ.
Ces
résistances paysannes au modèle étatique n'ont pas eu d'effet
bloquant,
car elles ont permis aux réformes de passer, mais
dépouillées de leur sens origninel. Ainsi on assiste dans la
1
zone soninke de la vallée au rejet dès le milieu des années 70
~j
du modèle individualiste qui a fait ses preuves dans le Fuuta,
1
1
l
car non conforme au système de production soninke, et la société
1
1
d'Etat chargée de la promotion du modèle a été amenée à adopter
iJ,
1
i
ses vues aux exigences paysannes,
à savoir le maintien du modèle
,,
1
10- Michel ALLIOT : Un droit nouveau est-il en train de naître
f
en Afrique? In conac. Dynamiques et finalités des droits
1
africains.
op. cit. p.467
j
!f
\\i

449
collectiviste. Mais la pratique,
comme on le sait,
a permis aux
paysans, peu à peut de revenir au modèle étatique qui avait
fait l'objet du rejet, parce que le système jusque là pratiqué
s'avère difficile à mettre en oeuvre, non pas parce qu'elle est
mauvaise, mais parce que les moyens dont
ils disposent ne sont
pas adaptés à cela surtout dans l'exploitation des terres
en culture irriguée.
Mais ce revirement au modèle étatique n'est pas,
contraire-
ment à ce que l'on pourrait penser,
un abandon du système foncier
traditionnel mais une utilisation au mieux de leurs intérêts du
système étatique. En fait chaque modèle présenté se transforme
du fait du conflit, ce qui ne signifie pas pour les paysans à ce
niveau qu'il faut repousser,
au besoin par la force t toute ini-
tiative étatique en matière foncière t mais à l'intégrer. L'Etat a
tenté par la loi sur le domaine national et les différents textes
qui ont suivit d'annihiler les systèmes fonciers traditionnels t
Î
notamment dans la vallée du Fleuve
. Or les paysans quant à eux
~
j
n'ont jamais essayé de s'opposer à l'application de cette logique
1
.i
1
qui appelle la destruction de la leur
~
t mais ils l'ont domestiquée
~
1
en la rendant plus conforme aux réalités paysannes.
1
Dans cet ordre d'idéet
le gain des paysans est considérable
1
l
car il a consisté à allier deux systèmes qui pouvaient au départ
être contradictoires. Mais le souci du législateur sénégalais de
1
1
1
1964 était d'éviter ces contradictions en essayant d'instaurer un
J
1
système unique. La capacité d'assimilation de la logique paysanne
~~
a été telle quet
apparemment il n'y a pas eu de transformations

450
en matière foncière.
Les maîtres fonciers continuent d'exercer
sous le couvert de la loi leur pression foncière sur les anciens
exclus.
Le niinegume du Goy est encore une réalité aussi bien
au niveau villageois qu'au niveau du conseil rural. Mais on ne
peut pas affirmer qu'ils sont les seuls à avoir profité de la
'1
logique étatique.
Les anciens exclus par leur implication de plus
1
l
1
en plus grande dans la culture irriguée parviennent de leur côté
j
l
à participer, plus que par le passé,
à la gestion et au contrôle
de la terre.
1
1
Mais cette participation est tout de même subordonnée
jusqu'à présent à celle des anciens maîtres fonciers.
La logique
1
1
étatique avait cherché à établir l'égalité dans l'exploitation du
i
sol et on assiste,
dans la répartition des parcelles dans les PlV,
1
j
à cette égalité entre tous les allocataires. Désormais,
selon
l'esprit de la réforme «
l'attribution des droits fonciers
i
est fonction de l'occupation effective et la mise en valeur
~~
,
~
des terres,
qui deviennent la condition de l'acquisition et du
1
1
maintien des droits.»
(11)
L'occupation effective se détermine
ainsi,
pour une part importante dans la participation des anciens
exclus au procés foncier.
«
Quant à la "démocratie rurale" pro-
jetée par la réforme foncière Sénégalaise,
elle reste dans
l'ensemble inap1iquée ;
il semble bien que l'affectation des
droits d'usage sur les champs de la collectivité suscite de
graves tensions entre paysans et que le développement d'une
mentalité individualiste s'oppose à l'instauration d'une
démocratie paysanne »
(12) poursuit VERDIER.
La situation décrite par cette observation de VERDIER a été
modifiée depuis longtemps.
Ce que les paysans du Goy appliquent
en ce moment n'est rien d'autre que la réformre foncière,
mais une réforme foncière qui a été fondue dans les pratiques
paysannes.
Car il était imposible au niveau de la v.allée,
compte
11- VERDIER
(R.)
: Coutume et loi dans le droit parental et
foncier.
op.
cit. p.308
12- ibidem p.310

451
tenu de la puissance et de la solidité des droits fonciers anciens,
de faire table rase de façon automatique de l'ancien système. Et
nous pensons que la démocratie paysanne dont parle VERDIER ne peut
nécessairement pas venir de l'Etat car elle se trouvait déjà sous
une forme particulière dans la logique paysanne.
La démocratie en monde rural ne renvoie pas seulement à
l'option d'égalité affirmée par l'Etat à travers ses différents
textes,
car cette égalité au vu du poids économique de la culture
irriguée risque de rester figée au seul plan des principes et
des proclamations d'intention du législateur.
L'égalité ou la
démocratie ne réside pas seulement au plan de llaccés gratuit au
sol, mais aussi et surtout au niveau de la conservation et de la
sûreté dans les droits. Or à notre sens c'est le système tradi-
tionnel qui offrait plus de sûreté aux paysans, parce que le
concept de mise en valeur et celui de désaffectation n'étaient
pas des armes absolues dont disposaient et qu'exerçaient à tout
moment les
niinegumu contre les tegumu.
Les droits fonciers
participaient d'une dynamique globale dans la société soninke,
et
ceux qui étaient les détenteurs de ces droits,
lesniinegumu du
Goy n'étaient pas,
contrairement aux Almami du Fuuta par exemple,
des maîtres absolus.
Mais la logique étatique montre une distribution assez
claire des rôles entre l'Etat et les populations paysannes. La
socièté soninke ne remet pas en cause la présence de l'Etat, ni
dénié son rôle de décideur en matière de développement économique.

452
Elle ne peut pas empêcher l'Etat de légiférer ni de prendre toute
mesure tendant à promouvoir le développement national. Mais l'Etat
doit savoir prendre en compte pour légiférer,
le degré de récep-
tivité de la socièté, ainsi que le système qui a toujours prévalu
en matière foncière et d'agriculture, pour donner une meilleure
orientation à sa politique.
La socièté soninke n'est pas contre
l'Etat, car elle utilise l'Etat pour d'une part mieux s'enraciner
et d'autre part pour mettre en pratique la politique foncière et
agraire mise en oeuvre par l'Etat.
Mais l'Etat lui est contre la
socièté soninke,
car l'utilisation de la logique par les paysans
qui désorganise et désarticule la société ainsi que la structure
foncière.
111- LE SYSTEME FONCIER SONINKE PEUT-IL ETRE UNE REPONSE AUX
PROBLEMES MODERNES ?
La réponse à cette question dépend étroitement d'un certain
nombre de facteurs.
Très longtemps,
les juristes positivistes ont
soutenu que les sociétés traditionnelles ne font pas la coutume,
mais la subissent et, par conséquent elles n'ont pas les moyens
de la changer,
ce qui contribuerait à la persistance du sous-
développement.
Cette idée,
comme on le sait est depuis longtemps
dépassée.
Nous avons vu que la société soninke du Goy au cont~ct
de la logique étatique a soit adapté la coutume foncière au
nouveau droit,
soit ramené ce nouveau droit au niveau de la
coutume en créant de nouvelles règles coutumières. La coutume a
changé parce qu'elle a évolué avec la société, en s'adaptant au
nouveau contexte.

453
En fait les mutations intervenues dans le système foncier
soninke se sont amorcées avant même l'introduction effective de
la logique étatique dans le Goy. Le retour aux coutumes ne saurait
par conséquent être considéré comme un«
retour aveugle et en
bloc à toutes les coutumes sans distinction »
(13). si une
coutume est vivante,
elle ne peut pas ne pas se transformer quand
les conditions de vie changent, quand l'économie capitaliste se
développe et quand les structures sociales se modifient.
«Chaque
fois que change l'explication qu'une société se donne des ses
coutumes,
l'application change aussi»
(14).
Pour le cas des
soninke du Goy,
les mutations de la coutume ne sont pas dues au
seul contact avec l'Etat, mais l'élément qui avait déclenché le
processus est la séquence sèche de la fin des années 60.
Les
avantages tirés de leurs droits fonciers par les niinegumu sont
tombés dieux-même en désuétude.
Les redevances foncières dues
par les tegumu ont cessé d'être versées,
faute de production
tirée de llassiète terre. A partir de là,
l'introduction de la
culture irriguée a modifié la structure foncière,
sauf sur les
champs sur berges
(falo), qui restent l'apanage des familles
dirigeantes.
En tenant compte de certains facteurs nous pouvons affirmer
que la logique paysanne peut,
si elle est appliquée de façon
rationnelle satisfaire aux exigences du développement agricole. Il
est vrai que la réforme foncière de 1964 aurait dû être précédée
13- VERDIER.
op.
cit. p.309
14- Voir pour cela ALLIOT (M.)
1964 : Les résistances tradition-
nelles au droit moderne dans les Etats d'Afrique francophones
et à Madagascar.
In Civilisation malgache.
Paris CUJAS.
ALLIOT (M.)
1980
: Un droit nouveau est-il en train de
naître en Afrique ? In Dynamiques et finalités des droits
africains.
op.
cit. p.478

454
d'une véritable analyse des systèmes juridiques traditionnels,
afin de mieux les connaître et employer leurs éléments positifs,
au lieu de s'enfermer dans le préjugé selon lequel ils sont
dépassés ou inadaptés aux exigences du développement moderne, ...
"dans une perspective plus sociologique et moins administrative"
(LE ROY 1979).
Pour que la logique paysanne nouvelle joue pleinement son
rôle nous pensons qu'il faut abandonner le système en vigueur
pour le choix des conseillers ruraux,
à savoir l'implication des
partis politiques dans la stratégie d'occupation des structures
de gestion du monde rural.
rI faut laisser aux paysans le soin
de gérer eux-mêmes ce choix,
non pas en supprimant la communauté
Rurale mais en instaurant une démocratie sans étiquette politique.
Parce que l'appartenance à un parti politique (notamment au parti
dominant)
constitue la meilleure façon pour les conseillers
ruraux d'exclure de la gestion des terroirs tous ceux qui ne
militent ou ne s'apparentent pas à ce parti. Nous l'avons constaté
dans le discours et dans les actes du PCR de Mudeeri qui jusqu'en
1988 bloquait systématiquement toutes les demandes d'affectation
émanant de paysans connus pour leur appartenance ou leur sympathie
pour l'opposition.
Le conseil rural doit être une structure de contrôle et de
règlement des conflits, et pour cela,
il faudrait redonner au
village son rôle d'antan,
comme structure foncière de base.
Le CR
devrait seulement délimiter les terroirs villageois et laisser à
chaque village le soin de gérer et de répartir les terres.

455
],e retour du vilage comme structure foncière
ne signifierait
pas pour autant laisser le contrôle des terres entre les mains
des anciens ?iinegumu. Car la création au niveau villageois d'une
structure regroupant toutes les catégories sociales permettrait
de mettre en oeuvre un bon plan de développement agricole du
village. Ainsi le rôle du conseil rural choisi par le consensus
1
de tous les villages,
serait indirect en matière foncière.
1
1
1
Ce faisant,
et débarrassé de toute contrainte d'ordre
f
politique ou partisan,
il assumerait mieux sa mission.
sinon
1
on continuera d'assister à des distorsions et à des déséquilibres
1
graves au plan de la répartition des périmètres, quand on sait que
1
~
i
depuis son installation en 1984,
le Conseil Rural de Mudeeri a
l
~
affecté plus de périmètres au village de Mudeeri,
fief de son
Président,
(allant jusqu'à menacer les terroirs voisins de Jawara
et Gallaade),
qu'aux autres villages du Goy.
(15)
Le développement
1
,j
~
ne peut pas venir d'une structure qui évolue en dehors et sur le
1
village, mais du village lui-même car dans l'état actuel les
f
avantages des anciens maîtres du sol sont détenus par les con-
j
1
seillers ruraux
qui oeuvrent pour des intérêts propres
{
l
et partisans.
Dans un second temps,
la logique paysanne telle qu'elle se
1
1
1
présente actuellement serait efficace pour le développement et
l'autosuffisance alimentaire si l'on abandonnait la formule des
PlV communautaires pour des structures plus simplifiées et moins
lourdes à gérer,
à savoir des exploitations familiales:
les
!
,
ll
15- Voir chapitre 4 de cette deuxième partie.
f
~
1
t
1
1
,
t
t
,

456
Périmètres Irrigués Familiaux (PIF)
cultivés par deux à quatre
familles,
ce qui réveillerait les anciennes solidarités claniques
qui étaient les vrais moteurs du développement villageois à la
base,
sous forme de groupements d'intérêt économique (GIE).
«
La matrice traditionelle se reproduit régulièrement.
La matrice "occidentale"(étatique)
inspire des
réalisations dont on ne peut pas garantir qu'elles
dureront»(16).
La nouvelle matrice en droit traditionnel
a comme acteurs déterminants les populations locales et les
structures villageoises,
ce qui n'empêchera cependant pas l'Etat
de réordonner à un moment voulu tout ce qui a été réalisé sans
son intervention directe.
Le développement ne peut s'obtenir par la contrainte. Les
paysans doivent être impliqués à tous les niveaux en leur laissant
autant que possible leurs moyens humains et organisationnels.
Il
ne faut pas, comme l'a dit Madiodio NIASSE
(1985, op.
cit.
p.646)
que "le peuple qui est au centre des recommandations soit,
sur le
terrain,
à la périphérie ou réduit au salariat agricole".
En effet si le système traditionnel fut à certains moments
un système d'exploitation,
notamment dans les rapports serviles
il n'a jamais exclu ni réduit le paysan du Goy au salariat
agricole,
ce qui risquerait d'arriver si on implantait de grands
périmètres tenus par de grands moyens capitalistes. si cela fait
"l'affaire" de l'Etat, les paysans par contre seront exclus du
procés foncier et à moyen terme,
la dynamique paysanne du Goy et

toute la structure sociale risqueraient d'éclater.
16- CROUSSE (B.)
Logique traditionnelle et logique d'Etat.
op. cit. p.12

457
CONCLUSIONS GENERALES.
Cette étude sur la structure foncière du Gajaaga a mis en
lumière un certain nombre de phénomènes qui,
tous ramènent à des
situations précises :
La situation géographique du Goy, par rapport à l'ensemble
de la vallée,
fait de cette partie du fleuve un champ de bataille
permanent à cause de la relative rareté des sols de décrue.
Si
cette partie du Sénégal fut riche en or avant le 18é s., ce qui
favorisa la création du comptoir du Galam à Bakel, elle n'a par
contre jamais atteint la richesse foncière d'une autre région
comme le Fuuta par exemple, mais elle en avait suffisamment pour
éveiller les convoitises, surtout au plan interne, ce qui favorisa
1
1
le processus de formation d'une aristocratie foncière qui était
l
jusqu'au 18é s. plutôt guerrière.
L'installation d'une aristocra-
1
,
tie foncière coïncida avec le début du processus de dégradation
politique et militaire du royaume du Gajaaga, qui sera
irréversible.
La structure mise en place par l'aristocratie Bacili connut
différents bouleversements, dont l'islam et la colonisation, mais
j
j
avec des effets divers. L'islam présent dans le Goy depuis le
j
j
15é s. au moins n'a pas entamé ni influé même superficiellement
j
1
~
cette structure foncière.
Par contre la colonisation française a
1
1j
eu quelques effets sur les terres mais si elle n'a pas provoqué
1
1
j
1

458
de bouleversements profonds
:
le colonisatellr a utilisé les que-
relIes
internes dans le Gajaaga,
à l'origine de la partition du
royaume et les guerres de Elhadj Oumar et de Mamadou Lamine,
pour
s'immiscer dans
la structure fOllcière,
notamment par des soust.rac-
tions de terres puis par l'administration tour à tour du Goy et du
Kammera.
L' évol ution du système fonciE'r du GOY,
du rOY2ume au C2.n-
ton s'est faite de façon lente mais assez équilibr~e, d~nE de~
. -
directions précises
-
.
tel ro:Ll S V:l .L ..:. â~! e (1 J. S 1
et le caractère non exclusif du système à cause de la reconnais-
ble dans
le Goy qu'en l'absence dE grands do~aines fonclers,
les
maitres fonciers aient su constituer des réserves qui dénotaient
de leur pouvoir politique.
Mais ce qui
fut un facteur de cohésion
se r~véla à partir de la colonisation néfaEte au Goy.
Cette maitrise int~grale a fait que la perception et la r~-
ception de la logique de la loi G4/46 sur le domaine national
par les maitres
fonciers et par les détenteurs de droits de cul tu-
re furent mitigés.
Le sentiment des uns et des autres pour la p~-
riode qui s'annonce,
celle des barrages est qu'ils l'imaginent
comme un épouvantail.
La rencontre des deux logiques renforceraient ces appréhen-
sions car si la logique paysanne soninke a toujours permis une
intégration à
tous les niveaux,
elle a aussi pratiqué une forme

459
d'exploitation à certaines périodes,
alors que la logique d'Etat,
dans ses manifestations et dans son application affirme un carac-
tère économique du lien à la terre qui risque d'exclure le paysan
sans argent.
Mais l'une comme l'autre logique recèlent des aspects
inadaptés au contexte actuel.
La lutte des paysans du Goy contre
les pratiques de la SAED montre bien la tendance, malgré les
tentati ves des paysans pour intégrer les textes à leurs tradi-
tions.
L'organisation sociale et la structure foncière soninke
excluent certaines catégories de personnes de la maîtrise de la
terre, or ces dernières commencent seulement, par la dynamique de
la culture irriguée,
à s'imposer comme de véritables acteurs et
non plus de "simplement associés" à l'exploitation de la terre.
La logique d'intégration des soninke se limite seulement à l'uti-
lisation de la terre en tant que moyen de production et de repro-
duction, mais elle n'est pas allée jusqu'à la maîtrise du sol.
L'autres aspect manifesté par les traditions paysannes est le
retour des anciens niinegumu sur la scène foncière, qui utilisent
les textes pour maintenir et consolider un pouvoir qui s'était
dégradé de lui-même pour des raisons qui ne tenaient pas à la
logique d'Etat.
L'Etat sénégalais en élaborant la loi sur le domaine na-
tional a eu tort de ne pas avoir tenu compte de la dynamique fon-
cière traditionnelle. L'erreur est d'autant plus grande que les

460
coutumes présentent sur le terrain de la pratique foncière plus
de force que la loi. On assiste ainsi à la domestication de la
logique d'Etat, qui n'arrive pas à briser l'étau de plus en plus
fort de la pratique paysanne.
La société soninke du Goy n'est pas
contre l'Etat et accueille favorablement sa logique non pas à
cause d'une quelconque supériorité mais,
sans que l'Etat ne s'en
rende compte, les pratiques rurales sont en train de transformer
la loi en coutume, en droit traditionnel.
Mais c'est un droit traditionnel nouveau,
à m-chemin entre
les exigences de la culture irriguée et de l'autosuffisance ali-
mentaire et le maintien des rapports coutumiers à la terre.
Puisque sans le vouloir la logique d'Etat est en train de conso-
lider dans le Goy les anciens maîtres fonciers,
tout en permettant
aux anciens exclus de la maîtrise foncière de s'insérer dans le
processus, mais pas de la façon dont l'a souhaité le législateur
de 1964.
Au terme de cette étude sur la dynamique paysanne et sa ren-
contre avec la logique d'Etat,
il y a lieu de faire un constat
la mise en eau des ouvrages hydro-agricoles est attendue et en
même temps redoutée par les paysans du Goy. La régulation annon-
cée des crues du fleuve risque de provoquer la disparition d'une
grande partie des terres qui donnaient leur sens aux droits
fonciers soninke, aux rapports politiques entre catégories diri-
geantes et catégories dépendantes:
il s'agit des champs de falo.

461
La disparition problable du falo de l'univers foncier soninke
constituera un bouleversement sans précédent dans la logique
traditionnelle de la détention foncière.
En effet, dans l'histoire
foncière du Gajaaga, c'est à travers les falo que se faisaient
toutes les "associations",
toutes les "exclusions"
et toutes les
conquêtes du système foncier soninke. D'autre part la disparition
du falo diminuera l'espace agricole déjà réduit du Goy,
ce qui
risquera, en valorisant le kollanga et le jeeri, de multiplier
les conflits à tous les niveaux pour le contrôle des terres
inondables.
La plus ancienne réforme foncière de l'Afrique de l'ouest,
fille ainée de l'Etat du Sénégal doit être revue, parce qu'elle
ne s'adapte ni aux enjeux sociaux, ni aux exigences économiques
du moment. Quelles solutions adopter pour une sécurité foncière
dans la Vallée ? Car il ne saurait y avoir de développement de
l'agriculture sans la sécurité dans les rapports des utilisateurs
avec la terre.
La Banque Mondiale et les autres bailleurs de fonds
tendent de plus en plus en ce moment dans leurs exigences à pré-
coniser la privatisation de la terre dans la vallée.
si cette
solution a l'avantage d'obtenir de gros moyens financiers et
d'atteindre plus rapidement les objectifs fixés,
elle a l'incon-
vénient de reléguer le paysan sans moyens à la périphérie.
La terre privatisée
(cela suppose que la loi sur le domaine
national soit abrogée et que les terres soient immatriculées)
risque d'être vendue aux plus nantis,
en dehors de la masse
paysanne.

462
Si le système traditionnel fut à certains moments un sys-
tème d'exploitation et d'exclusion de la maîtrise de la terre,
elle n'a par contre jamais réduit le paysan en simple marginal,
salarié agricole.
C'est ce qui risque d'arriver si l'on privati-
l~]
,
sait la terre et on permettait l'implantation de grands périmètres
j
l
tenus par d'énormes moyens financiers comme dans le Delta.
!
j
La nouvelle logique paysanne,
issue du syncrétisme foncier
du droit étatique et des pratiques paysannes,
serait efficace pour
1
J
atteindre le développement si on travaillait dans le sens de
l'augmentation de la capacité des paysans à reproduire leur systè-
me de production dans son ensemble et créer les conditions d'une
1
j
autogestion progressive. Car malgré la non adaptation de la logi-
1
1
que étatique et le désengagement de l'appareil d'Etat,
l'Etat
1
reste utile.
Il peut aider à ressusciter les anciennes solidarités
i
l
claniques et villageoises à la base du développement communautai-
1
l
re et moteurs de la structure foncière et agricole,
en favorisant
1
1l~
la création de structures plus faciles à gérer.
1
ll
Mais l'avenir et la sécurité foncière se trouveraient dans
)
l,
l'encouragement des structures fédératives au niveau des grou-
F
pements paysans et la multiplication des GIE dans le Goy. Le
développement doit venir de l'intérieur,
et l'éclatement des
structures traditionnelles par le biais de la loi telle qu'elle
est et telle qu'elle sera si la terre était privatisée, constitue

463
une menace pour la disponibilité des terres et la sécurité fon-
cière et est contre le développement.
La nouvelle matrice tradi-
tionnelle a pour acteurs déterminants les populations locales et
leurs structures villageoises, qui ont pris conscience des enjeux
de la culture irriguée, mais qui ont besoin d'être soutenues pour
relever le défi de l'autosuffisance alimentaire.Ce qui n'empêchera
cependant pas l'Etat de réordonner à un moment voulu tout ce qui a
été pensé et réalisé sans son intervention directe.-

464
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Tribunal de Cercle de Bakel : affaire Allymanna cl Demba Kona
de Tuabou.
Jugement du 12.01.1908 en appel d'un
jugement du Tribunal de Province du Goye du
28.11.1907.
Registre 1906-1908. Année 1908,
nO 14 du registre, p.
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Tribunal de cercle de Bakel
:
jugement du 30 janvier 1920 en
appel d'un jugement du Tribunal de Subdivision
des deux Goyes du 7 janvier 1920. Registre
1920-1923,
jugement n 0 1.
Tribunal de Subdivision des deux Goyes
jugement du 8 juin
1923. Affaire Bouna Manthita cl Alcaly Diama.
Registre 1920-1923 nO 80.
Tribunal de Subdivision des deux Goyes
jugement du 20 juin
1924. Silly Haibala cl Adama Dramé. Registre des
jugements 1924-1926 nO 59.
Tribunal Coutumier de Bakel
:
jugement nO 96 p.
112 du regis-
tre de 1955-1956 concernant la succession de
Konko Gola Bathily ex Chef Honoraire du Canton du
Goy.
Tribunal Colonial d'Appel du sénégal à saint-Louis
: Konko
Gola Bathily cl Diaguily Ndiaye. Jugement du
4 janvier 1952 nO 4 du registre.
Lettre de Konko Gola Bathily chef Honoraire du Canton du Goy
Inférieur à Maître Lamine Gueye Président du Grand
Conseil de l'AOF en date du 12 novembre 1952.
(archives personnelles de ciré Goudia Bathily).
Chambre d'Annulation de l'AOF : Konko Gola Bathily cl
Diaguily Ndiaye.
23 juillet 1953. nO 48.
Convention du 17 mars 1922, passée entre le Gaden Gouverneur de
Mauritanie et l'Administrateur du cercle de Bakel,
sous le nO 56, concernant les conditions d'exploita-
tion des terres de culture sur la rive droite par
les populations de la rive gauche (archives person
nelles de Ciré Goudia Bathily).

472
Archives Nationales du Sénégal
:
Rapports Economiques, Agricoles, Politiques et
Litiges Fonciers/Cercle de Bakel.
Série G.
ANS 13 G 167
(10 février 1859)
ANS 15 G 11
ANS 13 G 173-183
ANS 2 G 25/2
ANS 2 G 21/1
ANS 2 G 22/1
ANS 2 G 24/2
ANS 13 G G 185
émigration au Gabon en 1836
ANS 13 G 199
ANS 13 G 200
émigration vers le congo
ANS 2 G 12/56
ANS 2 G 16/31
ANS 2 G 9/1
: sénégal rapport agricole 1919
ANS 2 G 23/3
Rapport d'ensemble de 1923
ANS 2 G 24/2
sénégal
: Affaires économiques et Rapport d'en
semble décembre 1924
ANS 2 D 4/21 du 13 juillet 1932
: Affaire de Gallade.

473
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Loi 64/46 du 17 JUln 1964, relative au domaine national.
JORS n 0 3292 du 11 juillet 1964. p.905
Décret 64/1573 du 30 juillet 1964 fixant les conditions
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JORS
nO 3699 du
29 août 1964. p. 1123
Loi 72/25 du 19 avril 1972 relative aux communautés rurales
JORS nO 4224 du 13 mai 1972 p.
755
Décret 72/1288 du 27 octobre 1972 relative aux conditions
d'affectation et de désaffectation des terres du
domaine national comprise dans les communautés rurales
JORS n 0 4260 du 18 novembre 1972 p.
1894
Décret 65/443 du 25 juin 1965 portant constitution en zone
pionnière des terres du domaine national situées dans
le département de Dagana.
JORS 3755 du 17 juillet 1965
p.
991 à 993
Loi 65/01 du 20 janvier 1965 portant création de la SAED.
JORS nO 3725 du 13 février 1961 p.
138.
Loi 79/29 du 24 janvier 1979 abrogeant et remplaçant l'arti-
cle premier de la loi 65/01 et faisant de la SAED la
Société Nationale d'Aménagement et d'Exploitation des
Terres du Delta du sénégal et des Vallées du Fleuve
sénégal et de la Falémé.
JORS 4685 du 2 février 1979
p.
112 et 113.
Loi 81/57 du 10 juillet 1981 portant dissolution de l'EP
SAED et autorisant la création de la Société Nationale
de la SAED.
Décret 86/445 du 10 avril 1986 modifiant l'article du décret
72/1288 JORS 10 mai 1986 p.
198.
!
1
1
1
f
J

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Documents OMVS,
SAED, LE SOLEIL,
et PV du Conseil
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Quotidien LE SOLEIL du 5 février 1975
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de la riziculture dans la zone de Bakel. Extrait du
discours du Directeur Général de la SAED.
Quotidien LE SOLEIL du lundi 20 juillet 1986
OMVS
: L'aménagement de la Vallée du Fleuve sénégal. Document
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OMVS
Séminaire sur la conception et les coUts des aménage-
ments.
21-24 aoUt 1986 à Dakar.
SAED
Délégation de Bakel
Rapport économique 1989/1990.
SAED
Délégation de Bakel
situation de l'endettement des
paysans du Goyen 1990 envers la SAED.
SAED
Délégation de Bakel
: Etat des dépôts des PlV du Goy
à la Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal
(CNCAS) de 1987 à 1990.
P.V de Réunion du CR de Mudeeri du 9 janvier 1989. Délibéra
tion nO 001 AD/CRM.
affectant des terres du domaine
national à certains groupements villageois du Goy.

475
Enquêtes sur le terrain de 1978 à 1989 dans le cadre de
Le projet soninke : ACCT-Archives culturelles du sénégal
1978-1980.
CREA-Fondation Ford
sur la NPA 1986-1987.
Land Tenure Center. University of Wisconsin Madison
1987-1988-1989.
Laboratoire de tradition orale:
Faculté des lettres
Université de Dakar 1988.
Projet CAMPUS-Université de Paris I-Faculté de Droit de
Dakar 1988-1989.
Séjours personnels dans le Goy (1984-1990)
: Enquête sur
les périmètres irrigués,
à la Délégation de la
SAED à Bakel et aux archives du Tribunal Départe-
mental de Bakel.
Informateurs sur le terrain.
Elhadj Kaabu SAAXO (intérrogé par BACILI en 1978 puis par
nous-même en septembre 1978 et février 1980 dans
le cadre du projet soninke) chef du village (+)
de Jawara.
Kaaba Buubu BACILI
: Tiyaabu 15 août 1985.
Harouna BA, Yassa SOUMARE, Mamadou BA Gnouma
PlV Jawara II
le 16 août 1987.
Maajigi Yaali BACILI
: Tiyaabu 17 août 1987.
Moodi Barka BACILI
Tiyaabu 18 août 1987.
silli Tappa BACILI
Tiyaabu 18 août 1987.
Siidi WATARA : Tiyaabu 18 août 1987.
Samba Jaare TUNKARA : Tiyaabu 18 août 1987.
Dramaane Jaara NJAAY : Président de Mudeeri 1
15 août 1987.
sada JA
Président de Mudeeri III
: 16 août 1987.
l,t

476
Mannaayel Jallo
Président de Mannaayel PlV
19 août 19B7.
Mamadou Minti Soxona : Mannaayel
: 19 août 19B7.
Mamadou Silman BAClLl : Tiyaabu (interrogé en France
en novembre 1987.
Kona NJAAY
Présidente Groupement Féminin de Tiyaabu
29 juin 1988.
Kunda Goudia BAClLl
conseiller rural
Tiyaabu
le 30 juin 1988.
Mamadou Bakari SlDlBE
conseiller rural
Mudeeri
le 3 juillet 1988.
Manthia NJAAY : PCR de Mudeeri : 3 juillet 1988.
Elhadj Kille DRAME: Gallade : 12 février 1989.
Mamadou Birante BAClLl
Gallade
12 février 1989.
Mamadou Xunba ClSSOKHO
Tiyaabu
30 juin 1988 et
15 février 1989.
sounthiou TUNKARA
Tiyaabu : 30 juin 1988
t
1~j
ii

477
T A BLE
DES
MAT l
E RES
INTRODUCTION GENERALE
1
.,..
LE CHOIX DU CADRE DE LA RECHERCHE
.J- •
DANS LE TEMPS ET DANS L'ESPACE.
14
J...
LE 3D JET DA!, S LE TEKP S
14
I:.
-
INTERET Dl] SUJET
21
:11.-
PROBLEMATIQUE
1 -
Opposition dans les logiques
23
2 - Les rappo~ts à la terre
24
::; -
Les con~lits
25
PREMIERE PARTIE
CHA P .,.. T R F I :
L'ESPACE FONCIER DU GOY
28
1.
L'ESPACE AGRICOLE
28
II.
-
ESPACE SACRE ET ESPACE DE RENVOI
34
A. L'ESPACE SACRE
34
b.
L'ESPACE DE RENVOI
ESPACE MINIATURISE
44
CHA P I T R [
II
L'ORGANISATION SOCIALE ET LE
SYSTEME DE PRODUCTION DES
SONINKE DU GOY
48
1.
LA STRUCTURE SOCIALE DU GOY
:
LES GROUPES
STATUTAIRES SONINKE
49

478
A.
LES CATEGORIES DIRIGEANTES
: BOORO
50
].
Les Tunkallemmu
: Royaux du Goy
52
2.
Les Maagu
: Suite militaire et Conseillers
des royaux
53
3.
Les Marabouts
: Moodini
54
B.
LES NAXAMALA
: ARTISANS ET ARTISTES
56
C.
LES KOY.O
:
SERVITEURS
58
II.
-
LE SYSTEME DE PRODUCTION DES SONINKE
64
A.
L'UNITE DE PRODUCTIOR
:CE:
KA ET LE.'j
RAPPORTS AINES/CADETS
CHA P I T R E III
:
LE NIINE : TERROIRS ET
?ETIRITOIRES
: LF CADRE DES
I .
LE NIINE
TERROIRS ET TERRITOIRES
LE SENS
DES nOTIONS
76
A.
LE TERRITOIRE
: NIINE-J.L.Kl:,.,L..Nr:
77
R.
LES TERROIRS:
NIINO
80
II.
-
V\\'AALO [7 JEERI
:
L' ORGArr:-SATIOr~ Dl] SOL ET LES
PESANTEURS AGRA:RES
A.
LE WAALO OU FAIJE
83
R.
LE JErRI OU XAfl.XUDUn;\\J:T INO
89
1.
Le narv,'alle
90
2.
Le raqe
90
..,.:> • Le };:atamanne
92
4.
Le sina
92
C.
LE REGIME DU WAALO ET DU JEERI SONINKE
94

479
CHA P I T R E
IV
LES DROITS rONCIERS ET LES
TENURES COUTUMIERES DU GOY
J02
or
J.. •
LES MAITRES DE LA TERRE
NIINE GUMU
104
A.
LA MAITRISE RITUELLE
105
B.
LE DROIT DE FEU:
YINDINTAQE
109
C.
LE DROIT DE HACHE.
LES CONCr:SSIONS DE 'l'ERRES
ET LES ECOLOGIES POLITIQUES
113
1. Les droits de culture et les écologies
politiques
114
2.
Le drai t
de hacLe dés tegurilu
120
a)- Les droits héréditaires de culture
b}- Les droits simples de tegume
125
II.
-
LA ST~UCTURE
rCNCIERE
: LES TENURES
122-
1..
LLS TEimRr::S fPJ·1ILIP..LE'::
INDIVISES
1. Les xabiilanniino : terres familiales
130
2.
La réserve claniqu~ : ruxuba
1 ")')
..J ....
B.
LA RESERVE rDNCIERE DU TUNKA :
JAMANKAFC
137
V : LES REDEVANCES rONCIERE~
:
NII)~PJ\\crQu OU !n1Np.'>;,-1P..J~I:O
144
1.
LE DEBIGUMINKANDE
147
II.
-
LE NIINA1\\lCEQU ET LE JAKKA
: SENS ET LOGIQUE
SON1NKE DU GOY
: DIME RELIGIEUSE OU
REDEVANCE FONC1ERE ?
156
111.-
LE MUSO ET LE NJOLDI
166
IV.
-
LE RECOUVREMENT DES REDEVANCES FONCIERES
170
p..•
RECOUVREHE1~T DES REDEVANCES FAMILIALES
170
B.
RECOUVREMENT DES REDEVANCES SUR LES
Rr::SERVES FONCIERES
171
C.
LE POINT ECONOMIQUE DES REDEVANCES FONCIERES
175

480
CHA P I T R E
VI
LES CONTRATS SUR LA TERRE
182
J.
-
LE PRET DE TERRE
ROXONDE
182
A.
LE PRET GRATUIT
183
B.
LE PRET ONEREUX ET LA LOCATION DE TERRE
186
1.
Le prêt onéreux
186
2.
Le contrat de location
189
II.
-
L'INTERDICTION DE LA VENTE DE LA TERRE
193
CHA P I T R E VI]
l,E::, CONFL} T:S
[Cne Ir p:s IJJ~J-'] [:;
::cr: GOY
1ge
1.
LES CONFLITS INrRh-COMMUKAU~E
201
A.
LE S CONFLITS E:HTRI: 1<I:EE,RI: S [1 ' m\\::::
SEIN DU VILLAGE
211
C.
LES LITIGES rCI\\'CIrns [)~TrŒ lvIr.ITFT S
DE~ENTEURS DE DROIT DE CULTURE
218
II.
LES CONFLITS INTER-VILLAGEOIS DANS LE GOY
227
A.
LE CONFLIT cr:: G~LLft~DE
rI:
1~21-1S22
231
111.-
LES MECANISMES DE REGLEMENT DES CONFLITS
2'37
IV.
-
LE S CONFLITS rOI:CI:CES
L~~TRE JJ\\.HJ\\..L'.J'Œ
:
UNE
TEr~TATIVE
Dr EXPLICJI.TION DU CONFLIT SENEGALO-
MAURITANIrN PAR QUELQUES LITIGES FONCIERS
244
DEUXIEME PARTIE
CHA P I T R E
l
LE DISCOURS COLONIAL ET LES
TERRES DU GOY
260
1.
QUELQUES CONSIDERATIONS D'ORDRE GENI:RAL
SUR L'IDI:E DE PROPRIETE COLONIALE
260
II.
-
LA LEGISLATION COLONIALE EN MATIERE FONCIERE
RESUME DES TEXTES LES PLUS SIGNIFICATIFS
266
ii

481
111.-
LES TI:RRES DU Gr...~lAAGA
ET L'ADI'1INISTRp.TION
COLONIALE
275
CHA P I T R E
II
LA LOI SUR LE DOMAINE NATIONAL
ET LES NOUVEAUX MAITRES
FONCIERS DU GOY
281
1.
LA LOGIQUE DE RUPTURE DE LA LOI SUR LE
DOMAINE N.l\\TIONAL
282
II.
-
LE CONTENU DE LA LOI SUR LE DOHAIIŒ NATIONAL
ET LE RtGIME DES TERRES
2 8 ~,:
A.
LA NATURE JURIDIQUE DES TERRES DU DOMAIN~
NATIONAL
289
III. -
LES NOUVEAUX l'1AITRES FONCIERS DU Gey
DETOURNEMENT DE LA LOGIQUE D'ETAT
300
i
CHA P l
':' R E
III
LA CULTURE IRRIGUEE ET LES
?
f
NOUVEAUX GROUPES DE
;
PRODUCTlo!~S
"
1
-
-' .. 1
1
~!
J •
L'INTRODUCTION DE LA CULTURE IRRIGUI:F DANS LE
1
GOY
LES PRECLDENTS ET L'EVOLUTIQ;J
31E.:
1
1
'1
II.
-
LA CULTURE IRRIGUeE ET LES NOUVEAUX GROUPES
j
{
DE PRODUCTION
A.
LES PERIMETRES IRRIGUES VILLAGEOIS
PlV
326
B.
L'ORGANISATION DES PERIMETRES IRRIGUES
3 ~1
.:Ji
1.
L'adhésion ùux pél-imètres
2.
L'organisation et la répartition des
parcelles sur les périmètres irrigués
335
111.-
LE STATUT DE LA TERRE DANS LES PlV
339
IV.
-
LES RAPPORTS ENTRE LES PAYSANS ET LA SAED
344
CHA P I T R E
IV
LES NOUVEAUX CONFLITS
LES
ENJEUX DE L'APRES-BARRAGES
ENTRE LES PALABRES ET L'ETAT
36~

482
1
1.
LES LITIGES ENTRE VILLAGES
L'INSTINCT
t
TERRITORIAL
366
II.
-
CONFLITS ENTRE PARTICULIERS ET GROUPEMENTS
1
VILLAGEOIS
371
!
111.-
CHEFS DE VILLAGE CONTRE LE CONSEIL RURAL
376
IV.
-
LE REGLEMENT DES CONFLITS:
ENTRE LES
PALABRES ET L'ETAT
383
CHA P I T R E
V
LA NOUVELLE POLITIQUE AGRICOLE
(NPA)
ET LES TERRES DU GOY
388
I.
NPJi. ET DESENGJi.GEHENT DE L'ETAT
: SIGNIFICJi.TION
ET CONTENU DES CONFLITS APPLIQUES AU GOY
390
II.
-
FFA:
SOLUTIONS ENVISAGEAEI..,ES ET IHFLIC./\\TIONS
SUR LE SYSTEME FONCIER ET AGRICOLE DU GOY
396
F...
DE 1.1\\ CAPACITE DE MI SE EN \\TP..LEUR
396
E.
DE L'ABSENCE DE DEMEMBREMENT RURAL
402
C.
L'IMPLANTATION DES COLONIES AGRICOLES
407
D.
DE LA POSSIBILITE D'IMMATRICULER DES TERRES
414
E.
LES PERIMETRES IRRIGUES DU GOY ET L.X:,. CNCAS
418
1
CHA P I T R E
1
[
1.
LES LOGIQUES EN PRESENCE
1
FAIBLESSES
430
i
A.
LE MODELE TRADITIONNEL
430
,
1
B.
LA LOGIQUE D'ETAT:
SES
437
!
II.
-
LES LOGIQUES EN CONFLIT:
DEUX DISCOURS
POUR LE DEVELOPPEMENT PAYSAN
440
1
111.-
LE SYSTEME FONCIER SONINKE PEUT-IL ETRE UNE
f
REPONSE AUX PROBLEMES MODERNES ?
452
CONCLUSIONS GENERALES
457
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
464
TABLE DES MATIERES
477

GIRdI
G.IlId.
.SlIiblbi
Mud.ri
J,wlr.
Mlnnlyeti
t5°N-
Vllinlllfi
GIDIMAXA
Tiylbu."
BAKEL
KU~llIi
Golmi
G!
V.fer.
~
Arundu
S..lu
BUNDU
1 GOY Province de Gajaaga
Seuls les villages du Goy ont
été indiqués dans leur ensemble
1
!
o
SOkm
- - - - -
14" N - -
1
CARTE I. Le Gajaaga et les régions voisines au milieu du XIXe siècle.