UNIVERSITE
DE
BORDEAUX
FACULTE DE DROIT DES SCIENCES SOCIALES ET POLITIQUES
LES INFRACTIONS
EN MA"r1ERE DE CREDIT
AU BENIN ET DANS CERTAII\\IS PAYS
DE L'AFRIQUE NOIRE
FRANCOPHONE
..,
. '-~ "
Thèse pour le Ooctorat d'I:tat 'en.Droit
presentée et soutenue par Sikira MOUSTAPHA-LAWANI épouse AGUEMON
-
JURY -
Prêsldent , Jean-Pierre DELMAS SAINT-HILAIRE,
.,'
Professeur li 1. Faculté d. Croit, dis Sciences Sociale. et
Politique. de l'Un;versiti de Borduux!.
Directeur de l'Institue de. Seiences crimi"'llIl81.
Assesseurs, Pierre JAUBERT
Professeur li 1. Fteulté de Droit, des ScienCe! Sl>~i.lel et
Politiques de rUnill...ité de Bordeaul 1.
Directeur de l'lnltieut municio.1 d'Etudes Juridiques et
Economiqun de Périgueux.
Adhémar DU CHEVRON DU PAVILLON
MaÎtre·A,lIilunt li 1. Faculté d. Droit. dei Sciences Sociales
et Politiques de l'Université de Bardnui (
Juin
1979

à me. ma1tres
à me. parents
à mon mari
à me. enfants
à me. beaux parents
•me. ami•
l

A Mania, Amir et Hamet AGUEMON
Que ce modeste travail de maman puisse être pour vous un exemple
de persévérance et de courage.
2

OC~AN
INbl,.,foi
j:\\ F fi. 1CilU E
3

INTRODUCTION
De tous temps et dans tous pays, il y a toujours eu des gens nécessi-
teux et des gens riches. Souvent les premiers ne parviennent à vivoter qu'en
empruntant et les emprunts qu'ils souscrivent ne font que rendre pire leur
condition. En effet, les fortunes ne manquent pas d'exploiter la situation
pour s'enrichir davantage au détriment de ces malheureux. Ils exigent des in-
térêts considérables A tel point que leurs débiteurs se trouvent dans l'impos-
sibilité absolue de se libérer et finissent par devenir leur esclave.
En Afrique et A Madagascar, les atteintes au droit du crédit se prati-
quent à une grande échelle et le plus souvent, les mesures répressives les
plus draconiennes n'arrivent A décourager ni le pr@teur (un usurier dans la
plupart des cas) qui trouve dans cette exploitation de l'honnne par l'homme un
avantage certain, ni les exploités, c'est-A-dire les emprunteurs qui, dans
leur désarroi et dans l'impossibilité de trouver d'autres solutions à leur pro-
blème, courent eux-mêmes au devant de leur misère. Les victimes qui sont sou-
vent auteurs de détournements de crédit, sont tellement préoccupées par l'im-
médiat, que le reste leur parait secondaire. En effet, la faiblesse des reve-
nus en Afrique pousse constamment les nécessiteux à recourir au service de
l'usurier sous toutes les formes possibles (prêt d'argent, vente à crédit,
mise en gage de plantation agricole, etc .•. ), obtention frauduleuse du crédit,
détournements des objets gagés, etc .•. Il arrive souvent que des usuriers im-
posent des taux d'intérêt conventionnels dépassant 100 à 300%.
Le recours au service de l'usurier comme source de crédit ne permet
ni de mettre des produits de côté pour les périodes de soudure, ni de commer-
cialiser les récoltes pour une société coopérative de façon A bénéficier des
ristournes éventuelles, ni de se constituer une épargne substantielle en es-
pèces.
En outre, nous savons que le crédit constitue la vie des sociétés, mê-
me des sociétés primitives où des transactions commerciales étaient restrein-
tes à un petit groupe d'individus."Prête-moi ton arc, je t'apporterai du gi-
bier".
Le crédit est aujourd'hui le nerf vital du commerce, "un confort accru,
4

un pouvoir d'achat augmenté, une sécurité sauvegardée grâce au crédit sur pla-
ce", telle est la publicité faite par un organisme de crédit (Sofinco La He-
nin). Et combien d'autres publicités de ce genre trouve-t-on désormais quand
on veut se permettre de feuilleter ou de parcourir une revue de mode ou un
journal
Ce crédit si important, si vital pour une grande majorité de la popu-
lation planétaire, qu'il se passe sous forme de prêts de tous genres ou d'une
vente â crédit, qUe ce crédit se réalise dans nos pays dits sous-développés
ou dans les pays riches, a des avantages et des inconvénients pour les deux
parties au contrat. Ne perdons pas de vue que le crédit repose sur un contrat,
un contrat synallagmatique, dans lequel l'intitus personae est três poussé
(crédit venant de credere = croire est une croyance, une confiance dans l'ave-
nir. C'est le cas dans nos pays d'Afrique Noire d'un prêt de grains de mais en
vue d'effectuer des semences, ou d'un prêt d'argent destiné à permettre des
achats, ou tout simplement d'un achat â crédit).
L'emprunteur ou le débiteur fait disparaître alors l'objet pr~té. rI
doit, non seulement ce qu'il a reçu, mais une même quantité. rI ne restituera
ni les grains de mals, ni les billets de banque, ni ce qu'il a acheté â crédit,
mais il livrera d'autres grains ou d'autres billets pour un même montant majo-
ré de l'intér~t stipulé dans le contrat initial. En un mot, il est débiteur de
l'équivalent et non de l'identique. Le pr~teur fait alors face â un risque sé-
rieux, à l'insolvabilité du débiteur, la consommation de ce bien prêté par
l'emprunteur de mauvaise foi. Il voit le fruit de son épargne s'anéantir et ne
peut qu'espérer une résurrection. L'acte de foi est clair.
Si ce prêteur court un certain nombre de risques, cet octroi du crédit,
cet acte de foi ne lui est pas si désavantageux que cela puisse parattre à pre-
mière vue. Qeulle que soit l'importance des risques courus, le créancier n'est
pas désarmé comme dans toutes les opérations qui ~omportent un aléa; il cher-
chera â se garantir. La première des garanties est celle que la loi accorde.
Le créancier peut se faire rembourser sur la masse des biens du débiteur, mais
si le passif de ce dernier est supérieur à son actif, ou si ce débiteur n'a
que des biens insaisissables (cas très fréquent en Afrique), la perte est iné-
vitable pour le prêteur. Jadis, il avait une consolation - si c'en est vrai-
5

ment une : la contrainte par corps punissant le coupable, et e
garantie, car la peur de la prison incitait l'emprunteur à l a .
de de répression a été heureusement effacé des codes de nos jours par des le-
gislations enclines à la pitié. Nous distinguerons à ce point de vue deux ca-
tégories d'opérations •
• Le crédit réel, l'hypothèque par exemple, trouve sa garantie
dans le droit conféré par la loi ou par le contrat 9ur un bien déterminé. Il
permet au créancier de se faire rembourser par préférence sur un immeuble.
,
, Dans le crédit personnel, la garantie est d(ordre immatériel; elle consiste
1
(dans la qualité du débiteur, honorabilité, capacité, esprit d'initiative. Mais
en ce qui concerne nos pays d'Afrique, les garanties sont caractérisées par
leur précarité (on ne peut parler de garanties sérieuses, valables). Le crédit
comporte beaucoup de risques que nous nous plaçions du cOté du pr~teur (en gé-
,
r,.tt,)léral un usurier), ou de celui de l'emprunteur (un débiteur insolvable par
1/ 0
principe). Si nous considérons les modalités de pr~ts, de ventes à crédit qui
se pratiquent de nos jours dans nos pays, cet emprunteur ne peut être que
dans une situation d'insolvabilité chronique). De par les conjonctures écono-
miques et sociales, ce débiteur est enclin à emprunter pour diverses raisons
à des taux d'intér~t exorbitants. Il est obligé de frapper à chaque instant à
la porte des usuriers dont il est une proie facile. En Afrique, l'usure est
une plaie sociale et constitue une grave atteinte au droit du crédit; elle em-
pêche l'épargne qui est une essence du crédit. C'est le cas du cultivateur qui,
empruntant par exemple un sac de milou de mais pour effectuer sa semence et
qui devant rendre à la fin de la récolte trois ou cinq sacs de mil à son pr~­
teur (qu'il considère naivement comme son bienfaiteur) aura du mal à subvenir
à ses besoins jusqu'à la prochaine semence. Il sera obligé d'aller de nouveau
frapper à la porte de l'usurier qui l'attend d'ailleur patiemment.
Comme l'indique l'intitulé du sujet, on envisagera des infractions en
matière de crédit dans les droits de l'Afrique Noire francophone et à Madagas-
car. Nous savons que certains auteurs nient l'existence
du droit véritable
en Afrique Noire. Pour affirmer cette inexistance du droit dans les sociétés
africaines, ces auteurs se fondent sur certains critères qui, selon nous, ne
sauraient être valables. Pour A.P.ROBERT, "le droit coutumier africain primi-
tif demeure profondément soumis aux conjonctures métaphysiques et partant re-
ligieuses de ces peuples qui n'ont pas encore atteint et découvert un droit
6

positif affranchi de la philosophie et de la nature des choses" (1). Cette
opinion est loin d'être convaincante. Il n'est qu'à considérer les droits mo-
dernes qui sont loin d'être affranchis de la religion. L'influence de celle-ci
est frappante dans le droit de la personne qui est très marqué par la concep-
tion judeo-chrétienne de l'homme, de la femme et de la famille.
O'autres auteurs encore nient l'existence du droit véritable en Afri-
que Noire, non seulement à cause de la confusion entre le droit et la religion,
mais aussi parce qu'il n'y a aucune distinction entre droit et morale. La con-
fusion entre le droit et la morale dans les société negro-africaines parait
déterminante à M.F.PASSOz(~bur refuser aux normes juridiques la véritable na-
ture juridique: "d'une part, la morale, c'est-à-dire le départ entre les ac-
tions humaines, bonnes ou mauvaises, et d'autre part le droit, c'est-à-dire
le départ entre les actions, bonnes ou mauvaises des hommes par rapport à leurs
semblables, au clan, un tout généralement par rapport à la société humaine re-
posent chez les Bantous sur un même fondement de principes et constituent un
tout". Sans nous attarder sur les définitions discutables que l'auteur donne
des concepts du droit et de la morale, il suffit pour les besoins de notre étu-
de de signaler que la distinction du droit et de la morale n'est pas spécifi-
que aux systèmes juridiques negro-africains et le problème que pose la confu-
sion du droit et de la morale n'est pas définitivement tranché dans d'autres
systèmes juridiques. Pour G. RIPERT, il n'y a pas de différence de nature, ni
de but entre la morale et le droit. Le droit même dans ses parties les plus
techniques est toujours dominé par la morale. Si les règles de droit existent,
c'est en fonction d'une certaine morale dont on cherche à réaliser les comman-
demen ts. .•
(3).
JOSSERAND est plus catégorique encore. Il rejette l'existence des
frontières entre le droit et la morale, frontiêres qui selon lui, n'ont exis-
té et n'existent que dans l'imagination de quelques juristes. Pour lui, le
droit n'est pas autre chose que la morale sociale. "La morale dans la mesure
(1) ROBERT (A.P.)
. - L'évolution des coutumes de l'Ouest-Africain et la légis-
lation française.- Paris, Librairie autonome, pp. 22 et s.
(2) PASSOZ (E.). - Eléments du droit coutumier nègre. - In Revue juridique du
Congo Belge. Elisabethville, 1944, p. 30.
(3) RIPERT (G.). - La règle morale dans les obligations civiles, nO 18, p. 31.
7

oü elle devient susceptible de coercition (1). Ce n'est plus parce qu'il y a
confusion entre le droit et la morale que nous ne sommes plus en présence d'un
droit véritable, car en fait, il n'y a pas d'opposition, tout au moins de prin-
cipe, entre la morale et le droit.
Dans toute société et dans tout système juridique, il y a une interdé-
pendance entre les deux diciplines qui parait être fonction de l'organisation
de la société et de la place de l'individu au sein de cette société. Cette in-
te~dépendance peut être plus ou moins accentuée suivant les SOCiétés, mais
elle existe, et une règle de droit, même fortement imprégnée de morale, tant
qu'elle est assortie de moyens de contrainte, garde une nature juridique. Ain-
si la norme juridique, même imprégnée de religiosité et de morale, ne perd pas
pour autant sa nature juridique, et si l'on admet cette approche d'ensemble du
droit tel qu'on peut l'appréhender dans la vie sociale, l'existence des droits
africains ne fait pas de doute et les échanges commerciaux existant et se fai-
sant peut-être en trocs, il est indéniable qu'il existe bien un droit africain
en matière de prêt à intérêt et opérations assimilées. Que ce soit en droit
coutumier Toucouleur, Ouolof du Sénégal, Haoussa et Be~iberi du Niger, que ce
soit en droit coutumier du Togo, Nago et Fon du Benin, le droit des prêts à
intérêt et de toutes ses atteintes est assez judicieusement organisé. Par ail-
leurs, les différents codes des Reines de Madagascar (code de Ranavalona, pro-
mulgué en 1828, code des 305 articles) sont des oeuvres d'art juridiques qui
ne cessent pas d'étonner le monde. Il faudra cependant noter qu'il y eut dans
l'histoire coloniale, une période oü tout allait vers l'unicité législative.
Cette période a été particuliêrementnarquée par une évolution vers l'assimila-
tion : c'était l'époque de l'Union Française qui a été symbolisée par l'élabo-
ration d'un code civil de l'Union Française. Les articles 1905 à 1914 de ce
code sOnt consacrés aux prêts à intérêt. Comme on le verra, tout est flou dans
ces articles qui semblent superfetatoires par rapport d'une part aux disposi-
tions du code civil français en matière de prêt à intérêt et aux décrets du
22 septembre 1935 et du 9 Octobre 1936, organisant la répression de l'usure
en Afrique Noire et à Madagascar.
(1) JOSSERAND.- De l'esprit des droits et de leur relativité.
8

Le choix de notre sujet est motivé pour des raisons
liales. Les infractions en matière de crédit constituent un
tion de l'épargne et accentuent les inégalités sociales.
Les raisons sociales qui ont poussé au choix du sujet sont également
importantes. En effet, si les infractions en matière de crédit ont pour cause
la misère et une mauvaise organisation de la politique du crédit, elle a pour
conséquence l'exploitation de la classe démunie par la classe possédante.
Le sujet est vaste, international et complexe. Il sera donc délimité
dans sa nature et dans l'espace, car se serait une véritable gageure de vou-
loir analyser les infractions en matière de crédit dans tous les droits afri-
cains de l'Afrique Noire francophone, de les examiner comme cela se doit dans
un cadre de travail aussi restreint que celui-ci. En outre,
il n'est pratique-
ment pas possible d'analyser tous les textes législatifs édictés en Afrique et
à Madagascar dans le cadre de la lutte contre les infractions en matière de
crédit.
En ce qui concerne la nature du sujet, nous distinguerons les deux as-
pects de la lutte contre les infractions en matière de crédit: l'aspect ré-
pressif et l'aspect préventif.
La première partie de notre travail sera entièrement consacré à la lut-
te répressive. Cet aspect répressif de la nature du sujet sera beaucoup plus
développé car non seulement ces textes répriment les infractions, mais aussi
ils les préviennent dans la mesure oü la crainte de la sanction peut décider
un homme à renoncer à un délit.
C'est à la lutte préventive proprement dite que sera consacrée la
deuxième partie de notre étude. Cette lutte préventive est avant tout la guer-
re à la misère, à l'ignorance des populations. aux bas
revenus et à l'inéga-
lité sociale. On constate que ces infractions en matière de crédit sont la
conséquence, le plus souvent, des besoins individuels non satisfaits, tout spé-
cialement chez les personnes de condition modeste (notons que certaines per-
sonnes quoique assez fortunées, ont également le monopole de ces pratiques
anti-sO~~dles). Dans ces conditions, il est hors de doute que la lutte répres-
sive ne puisse produire que des effets sporadiques et fallacieux, que les vé-
9

ritables solutions sont d'ordre économique, social et financier, et doivent
se traduire par l'institution du crédit social, par le développement et la rè-
glementation de certaines pratiques connues et acceptées par les Africains,
telles que les "Esus" encore appelés tontines
ou Ristourne, qui sont un moyen
fort intéressant d'obtention gratuite du crédit. Le "Esu" connu sous diverses
appellations en Afrique Noire, Sa
, Sokue, Adjokue au Benin, Kitemo ou tout
simplement Tema au Congo, Natt au Sénégal et Pari dans l'Empire Centrafricain,
peut avoir son origine dans le fait que, dans la plupart des coutumes africai-
nes, pendant la période des récoltes, tous les habitants d'un village ou d'une
tribu viennent travailler sur le champ de l'un d'eux, puis vient ainsi de sui-
te le tour de chacun d'eux. Ces "Esus" sont en effet des groupements de per-
sonnes qui donnent une contribution monétaire à intervalles fixes.
La somme de
ce qui a été cotisée par le groupe est attribuée à chacun des membres par un
système de rotation. Il faut que ces pratiques r~poPdent aux besoins et aux
moyens des citoyens au niveau de chaque Etat et même au niveau international
dans le cadre de la politique d'intégration économique et régionale. D'O~
l'économique, le social et le pénal formeront ainsi une véritable symbiose
absolument indispensable à une politique efficace de lutte contre les infrac-
tions en matière de crédit.
Notre ambition est de faire ressortir dans un premier temps dans quel-
le mesure les "Esus" ou tontines peuvent constituer un remède efficace contre
les infractins en matière de crédit, car l'inadaptation organique mais jUsti-
fiée des banques d'affaires qui exigent des garanties suffisantes pour consen-
tir du crédit, ont toujours peu préoccupé les dirigeants africains qui ne cher-
chent pas à aider ceux qui sont refoulés par des établissements bancaires.
Dans un deuxième temps, nous verrons dans quelle mesure les organis-
mes de crédit peuvent jouer leur rôle d'instrument de lutte contre l'usure,
l'obtention frauduleuse du crédit, les détournements d'objets gagés, etc .•.
Il e9t certain que ce problème est celui du crédit 90cial et du crédit mutuel.
En effet, l'oeuvre du crédit mutuel et du crédit social en Afrique Noire et à
Madagascar n'est pas du tout négligeable. Depuis 1910, des société9 de pré-
voyance, de secours et de prêts mutuels agricoles, furent mises 9ur pied. Cet-
te oeuvre gera reprise par les responsables a~'9ains ~pÇè9 l'accession de9
anciennes colonies et pay9 90US tutelle â l~~ouveraineté:internationale, par
. , , '
-
.
- -
'

la création des caisses nationales de crédit agricole, d'offices de commercia-
lisation. Cependant, nous n'allons pas nous contenter d'énumérer ces méthodes
existantes; nous essaierons de préconiser des améliorations à ces tradition-
nelles méthodes, afin qu'elles soient efficaces sur le plan pratique tout en
n'aliénant pas sur le plan culturel.
Les références historiques seront données de façon sommaire mais ex-
plicite sur l'étude du droit traditionnel africain des infractions relatives
à la législation du crédit, mais également sur l'analyse de la législation
coloniale; cela pour souligner les lacunes qui existaient dans ces textes et
traditions afin de proposer des solutions plus viables aux législateurs afri-
cains d'aujourd'hui.
Enfin le sujet est limité dans l'espace. Bien que l'intitulé porte sur
les infractions en matière de crédit dans les droits de l'Afrique Noire fran-
cophone, l'étude ne concernera que certains de ces pays, A savoir le Benin,
le Niger, le Togo, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Cameroun, la Haute Volta,
et l'Empire Centrafricain. Nous ferons quelques allusions à certains pays an-
glophones. tel que le Nigéria qui est limitrophe du Benin.
Nous comparerons chaque fois qu'il nous sera possible et nécessaire,
les législations en vigueur dans ces pays d'Afrique avec celle de la France.
Plusieurs raisons motivent le choix de la France. En premier lieu, l'état
très avancé de la législation française afférente aux infractions en matière
de crédit, notamment la grande loi du 28 Décembre 1966 réprimant le délit
d'usure en France.
En second lieu, la tendance habituelle du législateur africain, même
anglophone, à prendre appui sur l'exemple français. Cependant, il faudra évi-
ter l'habitude des législateurs africains qui souvent, dans leur hAte, repren-
nent pour leur compte des législations françaises avec tout ce qu'elles compor-
tent d'imperfections, sans chercher à les adapter aux réalités africaines.
C'est le cas par exemple du décret du 22 Septembre 1935 qui réprime le délit
d'usure dans les anciennes colonies françaises d'Afrique et qui d'ailleurs est
encore en vigueur dans certains états africains, alors que ce décret du 22
Septembre 1935 n'est qu'une copie conforme du décret-loi du B Août 1935 desti-
né A lutter contre les pratiques usuraires en France. s'il faut reconnaltre
que se référer à un modèle étranger présente toujours au plan de la technique
11

formelle des avantages considérable de commodité, il faut aussi admettre qu'une
telle démarche est attitude de facilité; bien souvent peu efficace d'ailleurs
puisqu'elle peut s'avérer parfois inadaptée au réel, dloü une comparaison ra-
tionnelle et surtout basée sur un esprit critique et réaliste s'impose à nous
pour mener à bien cette étude.
Enfin, la formation des juristes et économistes africains à l'école
de droit et des sciences économiques française commande également ce choix de
la France dans cette étude comparative,
Pour l'étude de la législation afférente au crédit dans l'espace, nous
essaierons de faire ressortir les aspects négatifs de la multiplicité des lé-
gislations, notamment dans le domaine de la répression de l'usure, car il faut
une certaine harmonisation de législations conformément à la politique d'inté-
gration économique que semblent mener actuellement les états africains dans
le domaine du crédit. Les disparités dans les définitions, d'un état à un au-
tre, est un fait de nature â amoindrir l'efficacité de la répression car, conS-
tamment on se trouverait en face de conflits de législations. Par exemple, la
législation sénégalaise suivant l'exemple de la loi française de 1966, a es-
sayé de définir l'usure en termes financiers, tandis que la législateur nigé-
rien a mis uniquement l'accent sur l'aspect répressif de la loi. De l'impor-
tance que lion attribue à tel ou tel aspect de la législation, dépend la solu-
tion du conflit qui parait naltre à l'occasion d'un contrat de prêt dlargent
ou de vente â tempérament.
Si l'On accorde la prépondérance â l'aspect pénal de la loi sur l'usu-
re par exemple, la solution du conflit est donnée, les dispositions du code
de procédure pénale selon lesquelles est réputée commise sur le territoire na-
tional toute infraction dont un acte caractérisant un de ses éléments consti-
tutifs, a été accompli sur ce territoire.
Par contre, pour des législations comme celle de la France, qui défi-
nit par exemple l'usure en termes financiers, la loi applicable semble être,
réserve faite de la fraude à la loi, celle de la remise des fonds. voilà,
schématiquement, le travail qu'on se propose de réaliser dans les pages qui
vont suivre. Ce travail aura pour but quatre objectifs :
12

- Tout d'abord, relever les insuffisances et l'inefficacit~ de la lut-
te répressive des infractions en matière de crédit, notamment de l'usure en
Afrique où les victimes ne dénoncent jamais les usuriers.
- Souligner l'importance et la nécessité d'organiser une lutte vigou-
reuse et ardente de ces atteintes, afin de contribuer à un essor économique de
ces états en voie de développement.
- Souligner également la nécessité d'une lutte préventive et collecti-
ve contre ces infractions par une bonne règlementation des "Esus" ou tontines,
instruments efficaces de lutte contre toutes ces infractions afférentes à la
législation du crédit et également par le développement des institutions de
crédit social, de crédit mutuel et surtout des offices de commercialisation,
en les mettant effectivement au service des masses laborieuses.
Préconiser surtout des solutions adaptées aux réalités et aux problè-
mes propres à l'Afrique Noire.
La première partie sera donc consacrée â l'examen des textes législa-
tifs en matière de la répression des infractions en matiêre de crédit dans les
pays d'Afrique Noire francophone retenus pour notre étude. Cette lutte répres-
sive bien qu'ayant peu de portée pratique, semble la mieux organisée. Elle
est seule retenue de bonne heure par tous les états pour freiner ces pratiques
anti-sociales. Malgré l'inefficacité de la politique répressive, c'est par un
renforcement des pénalités que s'est surtout traduite la volonté des législa-
teurs africains de frapper ceux qui se livrent à des pratiques portant attein-
te à la législation du crédit.
La seconde partie traitera des remèdes et de la lutte préventive.
- Première partie
LA REPRESSION DES INFRACTIONS EN MATIERE DE CREDIT.
- Deuxième partie
LA PREVENTION.
13

PREMIERE
PARTIE
LA REPRESSION DES
INFRACTIONS EN MATIERE
DE CREDIT
14

"Donne-moi ton ballon,
je te donne ma toupie". Rien de plus banal en
apparence que cet acte d'échange, ce troc primitif qui semble instinctif chez
l'enfant et qui, dans les sociétés les plus évoluées, reparalt à chaque pério-
de de troubles comme une évocation du passé. Acte capital déjà qui pose les
problèmes de la valeur, de l'offre et de la demande, et qui sert de fondement
à la division du travail.
"Je tisse pour nous vêtir", tu chasses pour nous
nourrir". Hais si complexes que soient les questions masquées par la fausse
simplicité de ces phrases, elles présentent pour le juriste et pour l'econo-
miste l'immense avantage de se situer à un instant unique, et elles offrent
en bloc toutes les données à l'analyse; elles connaissent l'espace et igno-
rent le temps.
Hais dès que le temps s'infiltre dans une opération d'échange,
i l y a
crédit.
"Prête-moi ton arc,
je t'apporterai du gibier". La dualité apparaît.
Cession de biens, délai nécessaire à la réalisation parfaite de l'échange.
L'acte se dissocie, la prestation est immédiate, la contre prestation se trou-
ve rejetée à une date ultérieure. La prestation sert à obtenir la contre pres-
tation. Le temps n'est pas un élément surajouté; i l entre dans l'opération, i l
en est l'essence.
Il devient dans la formule des transactions, la plus inquié-
tante des variables.
Inquiétante en effet, car chargée d'inconnus et de mystè-
res. Le temps s'installe au coeur de notre problème avec tout son cortège d'in-
certitudes et de possibilités, tous les espoirs qu'il suscite, toutes les
craintes qu'il inspire. Nous voici loin de l'exacte mathématique, le monde de
la psychologie s'ouvre devant nous. Nous échangeons des réalités contre des
promesses. L'immatérialité, l'impondérable vont prendre place dans nos analy-
ses. PRUD'HOM n'avait pas tort lorsqu'il écrivait dans sa philosophie de la
misère "le crédit est de toute l'économie politique, la partie la plus diffi-
cile, mais en même temps la plus curieuse et la plus dramatique".
Nous savons maintenant ce qu'est le crédit. Au lieu d'une coupe dans
la réalité, d'une photographie instantannée, c'est le déroulement d'Une opé-
ration d'échange dans le temps. Rien de plus naturel dirons-nous, car l'homme
vit dans la durée, la recherche du bien-être, à quoi le contraint l'intérêt
personnel, l'oblige â faire appel au temps qui devient son allié, qui prend
rang comme facteur de production à côté de l'épargne et du travail.
15

Oéja, d'ailleurs, l'homme s'est servi du temps, inconsciemment, puis-
que l'épargne n'est pas autre chose que le travail accumulé, ce que nous nom-
mons aujourd'hui le capital. Mais le passé que l'épargne synthétise, le passé
définitif qui nous échappe et qui commande le présent, tandis que le crédit est
tourné vers l'avenir, l'avenir aléatoire que le présent commande.
Maintenant que nous savons ce qu'est le crédit, quel doit être donc
son contenu ?
A notre avis, le droit du crédit devrait rassembler tout ce qui concer-
ne
les opérations juridiques du crédit, vente à crédit, prêt, titre de
crédit,
- les institutions ou établissements de crédit,
- les sûretés envisagées comme moyen de crédit. Ces sÙretés pourront
être rapportées aux opérations de crédit qu'elles garantissent,
10rsqu1elles sont liées a des modes de crédit et établies par la
loi, tel que le privilêge du vendeur.
Le contenu de ce droit du crédit ayant été défini, il ne nous reste
qu'à déterminer en quoi consistent les atteintes à ce droit du crédit.
Le crédit étant juridiquement le contrat par lequel un créancier prê-
teur (banquier, particulier, organisme de crédit) ou un créancier vendeur
(particulier, personne morale) met à la disposition d'un débiteur emprunteur
ou d'un débiteur acheteur, un certain bien (somme d'argent, bien fongible ou
non) bien que le débiteur remboursera moyennant un certain intérêt, après un
certain délai amiablement convenu entre les deux contractants.
De cette définition juridique du mot crédit, il ressort que les in-
fractions en matière de crédit ne peuvent provenir dans la majorité des cas
que soit. du créancier, soit du débiteur, bien que des éléments tout à fait
extérieurs a ces parties du contrat peuvent être des agents destructeurs du
crédit, tels
que l'inflation, les conséquences d'une guerre, d'une émeute po-
pulaire, ainsi qu'une mauvaise organisation du crédit, et c'est l'étude des
auteurs
de ces infractions en matière de crédit qui fera l'objet des deux
titres composant la première partie de notre travail.
16

TITRE PREMIER
LA DELINQUANCE DU CREANCIER
LE DELIT D'USURE
Le créancier dans un contrat de prêt à intérêt ou dans une vente à
crédit, opérations qui constituent pour l'essentiel le droit du crédit en
Afrique, pourra commettre un certain nombre d'atteintes, un certain nombre de
délits, voire de crimes afférents à la législation relative au droit du cré-
dit. Cependant dans un cadre de travail aussi restreint, nous ne saurons rete-
nir que le délit d'usure qui, vieux comme le monde, est devenu moins alarmant
en France et dans les sociétés industrialisées en général, mais qui hélas,
constitue encore de nos jours un fléau social dans nos pays économiquement
attardés.
Dans la société industrielle moderne, la morale et l'économie conver-
gent pour maintenir le taux de l'intérêt dans des limites raisonnables. Le dé-
veloppement de la production dépend d'un régime équilibré du crédit. D'une
part le crédit à la consommation doit être distribué au plus juste prix. En
Afrique
ce n'est pas le cas. On demande de faire une certaine confiance aux
organismes professionnels de crédit, banques ou établissement spécialisés,
alors qu'en Afrique, moins de 5% des personnes dans le besoin ne peuvent s'a-
dresser à aucun de ces établissements spécialisés dans la distribution du cré-
dit.Leur seul recours est de s'adresser aux usuriers en qui ils trouvent un
bienfaiteur, d'oü le rôle primordial et négatif de ces derniers dans la socié-
té africaine qui a toujours été une société nécessiteuse d'argent.
Avant d'aborder l'étude de l'usure et de sa répression civile et pé-
nale, nous prendrons d'abord le soin de retracer,de façon sommaire mais assez
explicite, l'évolution historique de ce délit en France et en Afrique.
17

CHAPITRE l
EVOLUTION LEGISLATIVE DU DELIT D'USURE EN FRANCE
"Le regard d'un homme accoutumé à tirer de ses capitaux un intérêt
énorme, contracte nécessairement comme celui du voluptueux ou du courtisan
certaines habitudes indéfinissables, des mouvements furtifs, avides, mysté-
rieux, qui n'échappent point à ses coréligionnaires".
BALZAC, (Eugènie Grandet)
Si nous avons voulu d'abord étudier l'évolution législative du délit
d'usure en France, c'est parce que la plupart des pays d'Afrique que nous
avons décidé d'étudier ont été d'anciennes colonies françaises, d'oü le droit
positif de ces pays ne peut qu'être influencé par le droit du colonisateur,
droit dont l'étude des fluctuations s'avère nécessaire pour une meilleure ap-
proche des droits de ces pays dont le plupart sont devenus aujourd'hui politi-
quement indépendants.
Le problème du délit d'usure est inépuisable et classique. Il a été
longuement et parfaitement analysé, par d'éminents juristes (1). Il ne peut
donc s'agir ici que de mettre en lumière quelques notions historiques essen-
tielles qui permettent de mieux comprendre l'état actuel des législations en
question.
SECTION 1. - L'EVOLUTION LEGISLATIVE DU DELIT D'USURE; DE L'ANTIQUITE au XIxème
SIECLE.
Dans cette section première, nous aurons à étudier successivement trois
grandes périodes caractérisées par la prohibition du prêt à intérèt, à savoir
l'antiquité, l'ancien régime et le droit intermédiaire.
(1) Répertoire DALLOZ, Droit Pénal, Vême Tome, par BERNARD.
18

SECTION
1
:
L'EVOLUTION LrorsLATIVE DU DELIT D'USURE DE VANTIQUlTE
AU 1ge SIECLE
PARAGRAPHE 1 : L'ANTIQUITE
11 - L'origine du pr~t à intér@t remonte très loin dans le temps,
comme en témoigne le vaste vocabulaire de la Bible relatif à la dette et au
débiteur.
A cette époque, l'intér@t était de 10 à 20 ou m~e 24 %, ce taux
élevé correspondant A la quasi-certitude de non remboursement et à l'absence
de système de crédit organisé. Les prophètes s'indignent contre ces abus. Il
est significatif à cet égard que l'un des termes désignant l'usure veuille
dire ''m.orsurell •
12 - Le pr~t à intér@t était déjà connu à Babylone où Nabuchodonosor
fixa la ltmite du taux à 20 %. En cas de dépassement, le pr@teur indélicat
perdait toute action contre son emprunteur.
13 - Les grecs dont l'activité bancaire et la prospérité commerciale
sont restées légendaires ne connattront pour l~ite à partir de SOLON, que
la seule volonté des contractants.
PLATON et ARISTOTE ont été
cependant des adversaires acharnés
du prQt à intérQt. En effet, pour ARISTOTE, la monnaie ne peut pas se re-
produire. Elle a pour but de faciliter les échanges et servir de mesure
commune.
14 - Les grands penseurs romains partiront également en guerre
contre le pr@t d'argent. CI CERON et TACITE iront jusqu'à le
considérer
comme la source de tous les maux. Néanmoins, ils ont été semble-t-il de
grands usuriers et les pr~ts à intér@€
furent fréquents à Rome où les débuts
de la cité sont dClIlinés par la guerre et les conqu@tes. Cette situation avait
des conséquences déplorables sur le plan économique, les sols en friche et
les agriculteurs les plus modestes vivaient dans la misère. Ils avaient sans
cesse besoin d'argent pour remettre leurs terres en état; leur situation
les destinait à @tre une proie de choix pour les usuriers. D'ailleurs, le
système monétaire du 1er siècle facilitait ces abus. Un personnage unique
jouait le r8Ie de banquier et de
changeur. Or, les redevances au temple
devaient @tre versées par des milliers de visiteurs pieux, en monnaie exclusi-
19

vement phénicienne. de par la volonté des autorités réligieuses juives. Le
changeur était donc un intermédiaire indispensable, mais il devait respecter
les taux admis. En raison de la n~cessité et de l'ignorance du pèlerin pressé,
le terme de ·'voleurll qui est attribué dans la Bible au changeur était souvent
mérité.
En droit romain, les réactions des Humiliores avaient amené le lé-
gislateur, tant8t à interdire le pr@t à intér@t. tant8t à lÜDiter le taux
de
l'intér@t. Hais ces interventions furent sans lendemain.
La réglementation du pr@t à intér~t a vu le jour dès la loi des
douze tables et une peine particulièrement sévère fut instituée à l'encontre
des créanciers qui ne respectaient pas le taux fixé par la loi. Il était de
12 ~ sous CICERON. il sera ramené à 6 ~ à l'époque impériale en raison de
l'abondance d'argent. Le 3e siècle voit l'or affluer à Rome; des hommes
d'affaires le feront fructifier. Si le taux de llint~r@t est réglémenté à
Rome. l'usure reste libre en province et il en est de meme de la cupidité
des pr@teurs.
PARAGRAPHE 2 : L'ANCIEN DROIT
15 - L'influence de l'église e~t primordiale au Hayen-Age. Elle
s'opposa avec force au pr@t à intér@t et défendit ce type de convention d'une
façon absolue.
Sous l'influence de cette église, l'ancien droit prohiba le pr@t
à intér@t à partir de CHARLEMAGNE (capitulaire de 789 art. 6. T. 1 p. 54).
Cette interdiction s'expliquait dans une civilisation surtout agricole:
l'emprunt n'était pratiqu~ que par les personnes victimes d'un évènement mata--
lheureux ou manquant momentanément de disponibilités, l'argent nl~tait pas
investi dans le commerce ou l'industrie. L'interdiction n'en était pas moins
g@nante. Aussi, les Juifs, qui n'étaient pas soumis au droit canonique,
furent-ils autoris~s à faire le commerce de l'argent (ord. royale 13.03.1360)
et
les Chrétiens eurent reCours à des
procédés indirects, qui furent to-
lérés parce qu'ils ne heurtaient pas de front la règle canonique (le plus
usité de Ces procédés était la constitution de rente perpétuelle) : selon
le mot pr@té à l'un des Fugger en 1588 sur les banquiers g@nois : lII1s
laissent les théologiens chanter et parler. mais ils n1en font pas moins
leurs affaires ll (cité
par GAVAlJJA et STOUFFLET).
....__ ~
16 - Cette prescription fut étendue aux larcs ; les-docteurs de
20

la Sorbonne demandèrent une condamnation formelle du pr@t à intér'
stipulation d'intér@t se nommait alors usure (1). C'est ainsi que Sain~
Thomas d'Aquin déclare le pr@t à intér@t contraire au droit naturel. Le but
du pr@t nous dit-il est de rendre service) stipuler des
intér@ts transforme
donc la finalité de cette convention. Dlailleurs, avec ARISTOTE) il considère
que l'argent est une chose stérile.
Si le droit canonique interdit le pr@t à intér@t entre chrétiens,
de nombreux procédés seront néanmoins mis au point pour éviter la prohibition.
Les Juifs et les sociétés italiennes développeront une énorme activité ban~
caire. Les Templiers deviendront une véritable maison de dépSt de pr~t (2).
Toutefois, l'intér~t ne sera admis officiellement qu'à titre exceptionnel,
pour les Monts de piété par exemple (3).
.' (:','"
17 ~ Les entreprises commerciales se développèrent dès la fin du
15e siècle. La prohibition était difficile à faire respecter car elle pou~
vait entraver l'essor économique.
Le développement de la lettre de change se heurta à l'hostilité
de l'Eglise. En effet, le mécanisme de la traite pouvait dissimuler un pr~t
à intér@t élevé, le banquier n'avait qu'à tirer sur l'emprunteur un effet
payable pour une somme dans laquelle étaient inclus des intér@ts. L'Eglise
imposa donc une distanci loci afin que l'opération ne puisse se réaliser
sur une même place, le tireur et le tiré avaient l'obligation d'habiter dans
des endroits différents.
(1) Le capitulaire carolingien de NIKEGUE (806) avait défini l'usure comme
le fait d'exiger un remboursement supérieur à la somme pr@tée.
(2) RICHARDOT et SCHNAPPER - Histoire des faits économiques - Dalloz
1963 nO 138
(3) Fondés en 1462 par les Franciscains. Ceux-ci pr@taient sur gage à
10 % avec de l'argent que des bourgeois leur confiaient gratuitement.
21

De son cSté, le pouvoir royal s'éle"era Contre Itusure. De Saint
LOUIS A LOUIS XV, de nombreux édits et ordonnances viendront faire défense
de stipuler un intér~t pour pr$t d'argent (1).
Le principe de la prohibition était sanctionné avec sévérité. Si
l'Eglise prononçait l'excommunication au délinquant et frappait de nullité
la stipulation d'intér~t,
les pouvoirs publics (ordonnance de Blois) prévo-
yaient qu'en cas d'usure énonne, c1est~à-dire quand il y avait stipulation
excessive, la peine du bannissement s 1appliquerait. La confiscation de corps
et de biens était prévue en cas de récidive. Néanmoins, des exceptions furent
établies pour les prQts réalisés dans les grandes foires de Lyon et de
Champagne.
Ces exceptions ont été rapidement étendues par les juridictions
consulaires A tous les prQts relatifs A des opéra~ions usuraires.
18 - C1 es t à la Réforme que revient le mérite d'avoir pris position
contre la prohibition absolue du prQt à intérQt.
CALVIN montrera que 1 1 argent peut Qtre productif par
l'usage. L'em-
prunteur tire profit de l'argent qu'il a obtenu au moyen du pr~t, il est
donc équitable que le pr~teur participe au bénéfice. En consentant le pr~t,
il permet A celui qui le reçoit de s'en servir pour développer son activité
économique. (2)
Ainsi dès le 16e siècle, la distinction entre l'intérQt légitime et
l'intér~t excessif sera posée.
19 - Les 17e et lSe siècles verront les opinions les plus divergentes
s'affronter.
BOSSUET s'élève contre ce facteur de cupidité qu'est l'intérQt,
POTRIER fait appel à ARISTOTE, à 11Evangi1e et aux conciles pour soutenir
la nullité de toute stipulation d'intérQt.
(1) L'usure fut interdite pour la 1ère fois dans la législation séculière par
CHARLEMAGNE. Lors de son voyage à Rome à PBques 774, il avait reçu du Pape
des documents canoniques dont il s'inspira pour interdire l'usure aux lares
comme aux clercs en 789.
(2) CALVIN est sans dout le 1er à avoir donné au prQt à inté~t ses lettres
de théologie morale en annonçant le principe de sa liceité. Il n'approuve
pas pour autant le métier d'usurier car ceux qui l'exercent n'ont d'autre
souci que de " sucer le sang des autres".
22

TURGOT qui a été un ministre plus économiste que financier (1) pose
enfin clairement le problème en montra~ que l'argent est une marchandise néces-
saire à la vie économique et "que limiter le taux de l' intér~t revient à
rendre impossible une foule d'entreprises de commerce qui ne peuvent se faire
sans risque de capital".
Le prQteur comme tout propriétaire a le droit d'assortir de condi-
tions le transfert de son bien. Il peut donc réclamer un intér~t.
Plus tard, BENTHAM reprendra les arguments de TURGOT pour critiquer
le régime anglais du pr~t à intér@t.
Il importe d'ailleurs de remarquer qu'au 18e siècle, la prohibition
de l'intér~t était en fait 1ilnitée à l'usure énoone. D'autre part, l'Dnagi-
nation particulièrement fertile des pr@teurs avait depuis fort longtemps mis
au point de nombreux procédés afin d'obtenir le fruit de l'argent pr@té.
PARAGRAPHE 3 : LE DROIT INTERMEDIAIRE
20 ~ Influencés par les théories des physiocrates, les
révolution-
naires devaient mettre un terme à cet état de chose par un decret des
3 et 12 octobre 1789.
L'assemblée constituante déclara le pr@t à intér~t légitime et
donna au gouvernement le pouvoir de fixer le taux de ce1ui~ci.
L'assemblée faisait ainsi la distinction entre l'intér~t légitime
et l'intér@t illégitime ou morsure, mais elle ne changeait rien aux usages
du commerce d'après lesquels le taux était en général de 6 ~.
La limitation annoncée par la constituante se fit attendre en rai-
son des bouleversements politiques et économiques qui secouaient le pays.
Ce fut donc le régtme de la liberté qui règna alors.
21 ~ Une loi du 5 thermidor au IV précisa dans son article 1er :
" ... chaque citoyen sera libre de contracter comme bon lui semblera. Les
obligations qu'il aura souscrites seront exécutées dans les termes et va~
leurs stipu1és. 1I
A partir de ce texte, la jurisprudence devait proclamer la liberté
complète en matière d'intér@ts conventionnels (2).
(j) Edgard FAURE : La disgrftce de TURGOT Edi. 1961
(2) Civ. 20.2.1810
s. 1810.1.205.
23

La loi de 1789 était donc restée en vigueur. Il est intéressant cepen-
dant de signaler une divergence d1opinions entre plusieurs Cours d'Appel et
la Cour de Cassation; dans un arr@t du ) mai 1809, invoquant les decrets de
la Convention nationale, celle-ci prétendit que la loi de 1789 avait été
abrogée et étendit cette jurisprudence à tous les pr@ts antérieurs à la loi
du ) septembre 1807.
Aussitet donc, après la révolution de 1789 fut proclamée avec la
liberté du travail et de l'industrie, la légitimité du pr@t à intér@t. Cette
liberté de commerce de l'argent conduisit à des abus et alors une réaction
devant le problème qui appauvrissait une classe llnportante de la nation fut
jugée nécessaire. L'élaboration d'une législation s'imposait.
Il est évident que ceux qui abusent de la misère et de l'infortune
n'oseraient pas à la face des tribunaux réclamer le paiement de leurs scan-
daleux intér@ts usuraires.
Une vive controverse s'instaura alors entre les tenants d'un taux
légalement fixé et ceux qui voudraient que le taux de l'argent soit expres-
sément fixé par les parties sur la base de l'autonomie de la volonté con-
formément au régime du droit commun des contrats a
Le conseil dlEtat saisi à cet effet hésita longtemps entre la liber-
té totale et la limitation: c1était le début de la période des hésitations
et des errements (1).
Mais le
régime de la liberté totale ayant donné lieu à des abus
et à de véritables scandales, le législateur usa du pouvoir qui lui était
attribué et limita le taux de l'intér@t conventionnel en matière civile
et en matière commerciale.
SECTION
Il
LES HESITATIONS ET LES ERRDlENTS DU LEGISLATEUR FRANCAIS
A TRAVERS LES LOIS DU ) SEPTEMBRE 1807 DU 19.12.1850 ET
DU 12.01.1886.
22 - Le régime de'la liberté totale ayant donné lieu à des abus et à de
véritables scandales, le législateur usa du pouvoir qui lui était attribué
et limita le taux de l'intér@t conventionnel en matière civile et en matière
commerciale. Avec la loi du ) septembre 1807 qui réglemente véritablement
le pr@.t à in-t'êr~ts-, dispara!'t 'la' 'faculté laissée aux parties de déroger par
(1) PENANT 1946 page 77 et suivantes.
24

un accord de volonté
au taux l~gal comme c'~tait le cas sous l'empire de la
loi de 1803.
Cette "grande première" fut accueillie comme un bienfait par l'opinion
publique. Elle venait de mettre un terme à des pratiques scandaleuses que
le législateur antérieur avait autorisées et pour ainsi dire provoquées.
Cette loi est liée su maint'iende l'ordre social, à la restauration de la mo-
ralité publique, à la conservation de la propriété, à la sQreté du commerce.
En effet, on s'est vite aperçu qu'un taux excessif de l'argent ruine et at-
taque l'agriculture dans ses fondements et corrompt les véritables sources
de l'industrie. Le grand principe est celui de l'ordre social. et toutes les
fois qu'un objet a un rapport direct et ~édiat avec la société, il faut
la loi pour le réglémenter afin d'emp@cher que le corps social ne soit trou-
blé par les actes des particuliers. En un mot, il faut pourvoir à l'int~r@t
général, il faut que la bi ait cette visée, on ne peut pas, sous prétexte de
faire jouer le prinCipe de
l'autonomie de la volont~, détruire l'équilibre
entre les prestations. Donc cette loi de 1807 a pour but la suppression de
l'uaure et l'application d'une sanction civile et p~nale pour ceux qui vont
llenfreindre. Elle fixe à 5 ~ le taux de l'intér@t en matière civile et à
6 t en matière commerciale ; les sanctions p~nales ~taient uniquement d'ordre
pécuniaire.
Cette l~gislation est devenue l'objet de certaines critiques fondées
à la fois sur l'expérience et la réflexion, car non seulement des difficultés
ont surgi à l'application. mais aussi on lui reprochait sur le plan pénal,
d'instituer un d~lit de tendance et d'habitude
c'est pour cela, que l'in-
tervention du l~gislateur en 1850 aura un double but : apporter des préci-
sions dans le domaine de la sanction civile et aggraver la sanction p~nale
en ajoutant A l'amende une peine de six jours A six mois d1emprisonnement.
23 - Mais comme le souligne ~onsieur le Professeur GAVALDA (1)
lIcette Ugislation permit de dprimer les abus les plus criants, mais elle
était économiquement trop sUDpliste et inadaptée aux exigences du crédit
corzmercial" et c'est pour cela qu'une nouvelle loi intervient le 12.01.1886
pour libérer le taux de l'argènt en matière commerciale. Les commerçants
furent consid~r's comme mieux arDllh pour résister A une pression des taux
d'intér@ts qui devait arbitrer la concurrence bancaire.
(1) L'usure J.C.P. 1968 nO 2171
25

Plus tard, la
n~cessit~ de peDmettre aux civils, c'est-à-dire aux
particuliers non commerçants, de se procurer d'indispensables capitaux fit
m~e admettre à la fin de la première guerre mondiale, la liberté de taux
de pr@ts civils par la loi du 18 avril. Le délit d'usure faiblement réprllné
sur le plan pénal avait donc disparu.
La législation sur l'usure, en cette période, aura été très mobile j
le législateur perdait souvent de vue le but poursuivi. Certes, la loi est
faite pour régir des hommes et des sociétés auxquelles elle doit s'adapter
mais, quand elle change aussi souvent, comme c'est le cas de la législation
sur l'usure, nous n'exagerons rien en baptisant cette époque de celle d'hé-
sitations et d'errements en la matière.
Dans cette section, nous aurons à examiner le problème en trois
paragraphes successifs. Le régUne de l'usure ainsi que sa répression sous
l'empire de la loi du 3 septembre 1807, la loi du 19 décembre 1850 et ses
innovations par rapport à la législation antérieure et enfin, l'évolution
de la loi de 1850 et les crises qui se sont succédé
et qui vont contraindre
le législateur à une nouvelle d~finition de l'usure.
PARAGRAPHE 1 : LE REGIME ET LA REPRESSION DE L'USURE SOUS LI EMPIRE DE LA
LOI DU 3 SEPTEMBRE 1807
24 - Dans cette étude, on s'appliquera à dégager les traits direc-
teurs du texte dont le législateur français a pu valablement s'inspirer
pour entamer courageusement la lutte contre l'usure à l'époque coloniale
en Afrique par le decret du 22 septembre 1935, que nous étudierons spécia-
lement dans un chapitre ultérieur.
Certes, un travail n'est intéressant que dana la mesure où il ap-
prend quelque chose qu'on ne sache déjà. Une étude détaillée de ce texte
de loi a été faite à maintes repriaes par des juristes convaincus et rompus
à la tache (1), mais nous jugeons nécessaire de retracer dans ces grandes
lignes ladite loi à cause de son UDportance pour la suite de notre travail.
Pour la premi~re fois vraUDent, le législateur essaie de définir
(1) Voir bibliographie - GAVALDA
STOUFFLET
DELAGRANGE
ETC •••
26

l'usure et son domaine d'application ; il va essayer de dégager les éléments
constitutifs du délit sur le plan pénal et sur le plan civil. Il essaie égale-
ment de détenniner les stipulations qui entrent dans le champ d'application
de la loi (A).
Kais une disposition législative devient un voeu pieux si elle n'est
pas assortie de sanction. Llun des grands principes de cette loi étant celui
de la conservation de l'ordre social, toute
stipulation
d'intérlt dans les
pr@ts dépassant le taux légal doit ltre sanctionnée par un rétablissement
de cet équilibre social et ce sera l'objet des sanctions civiles (D).
L'usure nlest pas seulement un délit civil, des sanctions pénales
sont également prévues pour ramener dans le droit chemin ceux qui auraient
pris l'habitude de pr@ter à des taux usuraires. Panni les éléments consti-
tutifs de ce délit correctionnel. un élément doit retenir spécialement notre
attention: c'est l'élément d'habitude d'usure. (C).
A -
DEFINITION DE L'USURE ET DETERKINATION DES STIPULATIONS ENTRANT DANS
LE CHAMP D'APPLICATION DE LA LOI
25 ~ La loi du 3 septembre 1807 et celles qui l'ont suivie jusqu'en
1935 n'ont jamais réussi à définir en tennes précis et clairs, le délit d'u-
sure. La loi de 1807 a eu seulement le mérite dlen avoir dégagé les princi-
paux caractlres.
Cette loi fixe un max~um du taux d'intérlt au~delà duquel le prlt
est usuraire.
Ce max~um est fixé à 5 ~ en matière civile et à 6 ~ en matière
commerciale. La fixation de ces taux maxllDum n'est pas allée sans peine.
Elle a naturellement rencontré une vive opposition de ls part des députés
qui. fidèles à ls théorie de TURGOT et à son école, pensent que l'argent
est une marchsndise qu10n peut trafiquer comme toutes les autres et qulil
est juste que son prix varie suivant la loi de l'offre et de la demande (1)
mais le souvenir des sbus de l'ancienne législation est'encore trop frais
dans ls mémoire des citoyens pour que cette thèse puisse triompher dans
l'~édist.
Donc clest ls thèse de ceux qui reconnaissent que le taux excessif
de l'intérlt de l'srgent attsque la propriété dans ses fondements qulil
(1)
GAVALDA et STOUFFLET note précitée
27

mène l'agriculture à aa perte, qu'il emptche les propriétaires de faire des
améliorations utiles, qu'il corrompt les v~ritab1es sources de l'industrie,
que par sa pernicieuse facilité de procurer des gains considérables qui dé-
tournent les citoyens des professions utiles et modestes qui va l'emporter.
Il n'y aura plus variation du taux de llintér@t de l'argent selon
les besoins du moment comme c'était le cas sous l'empire de llancienne légis-
lation.
26 - Après une vive controverse entre la doctrine et la jurispru-
dence, llusure a été définie comme un profit i1l~gal que l'on retire d'une
somme d'argent pr@tée. En un mot, le fait d'exiger un intértt supérieur à
celui fixé par la loi constitue l'usure.
Ce profit, la loi le déclare illégal pour une double raison : en
premier lieu, il excède pour le prtteur le profit que la loi civile peDmBt
d'exiger et en second lieu, parce que ce profit s'il se renouvelle, constitue
une habitude et la loi pénale la qualifie de délit correctionnel.
Ces critères de distinction entre les prtts civils et les prats
commerciaux n'ont pas du tout été faciles à dégager. Cependant, le législa-
teur de 1886 avait estÙDé qu'en plus des textes de loi qui définissent les
notions de commerçant et d'acte de commerce, il y a une jurisprudence assez
abondante qui guide les magistrats dans la distinction dont il s'agit. Les
tribunaux sont habitués à faire cette distinction tous les jours lorsqu'il
s'agit de leur compétence sur un litige. Ils useront de cette compétence
sur un litige pour savoir si un pr@t est civil ou commercial.;·
Halgr~ cette affi~tion qui psra!t un peu
trop optüœiste, la loi
n'ayant pas défini clairement ce qu'elle entend par matière civile et matière
commerciale, la jurisprudence a souvent varié et donné naissance A plusieurs
systèmes et la doctrine est très divis~e de son c8té.
27 - En premier lieu, les tribunaux ont commencé A prendre en consi-
dération le caractère du pr@teur (1).
Selon cette thèse, tout prat fait ou consenti par un commerçant est
réalisé en matière commerciale quelle que soit la nature de l'emprunteur et
le caractère de l'opération A laquelle ces fonds pr@tés sont destinés. Cela
para!t très ambigu car, s'il est vrai que lorsqu'un commerçant engage son
(1) M. COUTURIER: l'usure - Mémoire sur l'usure présenté et soutenu A la fa-
culté de Dijon 1960
Req. 16 • 7 • 1872 DP. 1873 1 97 Civ. 27
Clv. 27.2.1864 S. 127
28

argent dans une opération commerciale, il court un risque, quel risque court-il
en pr@tant à un non commer~ant ?
En envisageant le problème purement sous l'angle des affaires, on
peut soutenir que le commer~ant court n~anmoins un risque en pr@tant à un
non commerçant
: il court le risque d'insolvabilité; le commer~ant aura
un procès difficile à soutenir dans le cas où il doit recourir aux tribunaux
pour recouvrer son argent car les modes de preuve seront civils, donc régle-
mentés, partant compliqués pour lui qui était habitué à la liberté de preuve
il faut ajouter à cela que lorsque le commer~ant qui a llhabitude de spécu-
ler immobilise son argent dans les mains d'un non commerçant, il y a là un
manque à gagner pour lui, manque à gagner qu'il faut compenser par un taux
d'intér~t plus élevé que celui pratiqué entre commer~ants.
28 - Devant ces difficultés, la deuxième hypothèse envisage de
prendre en considération le caract~re de llemprunteur. Il ressort donc de
la rédaction du texte que tout prIt consenti à un commerçant est commerCial
quelle que soit la qualité du pr@teur.
Si ce crit~re perœet au non commerçant de stipuler un taux d'intértt
"de 6 t dans un prIt qulil accorde à un commerçant, cela ne facilite que la
pratique de l'usure et d'ailleurs ultérieurement, avec la promulgation de
la loi du 12 avril 1886 qui suppr~e la l~itation du taux d'intér@t en ma-
tière commerciale, la loi sur l'usure peut @tre facilement contournée.
Mais ce crit~re a été pris en considération par les tribunaux pour
trancher plusieurs litiges concernant le pr@t usuraire.
Il a été mime jugé qu'une compagnie d'assurance faisant par ses
assurances à pr~, acte de commerce, doit à l'assuré les intér@ts de llin_
demnité au taux commercial, alors m8me que l'assurance est purement civile
au regard de l'assuré, que l'assurance, d'autre part, était en retard de
payer l'Îndemnité due pour un sinistre devait l'intértt légal de cette in-
demnité au taux commercial de 6 ~ alors que la police n'~oserait à l'as-
suré, en cas de retard du paiement de pr~ que l'intér@t à J ~.
Bien que ce critère ne soit pas dépourvu d'intér@t, il offre un mo-
yen facile aux usuriers d'échapper à la ripression en faisant les pr@ts sous
forme de lettre de change et autres, et de ce fait, de dépasser le taux légal
sans @tre puni et, finalement le système fut abandonné par la Jurisprudence.(l)
(1) Bourges, J mars 1854 D.P. 55 1 79 - 27. 7 - 1857 DP 57 168
Lyon 20 novembre 1857 , Jurisprudence générale 1 95
29

29 - Un 3e critère fut adopté par les tribunaux : les juges d:cident
alors de prendre en considération l'emploi des capitaux ou la destination des
fonds. Si un pr@t est fait en vue d'une op~ration commerciale, le pr@t sera
commercial. La Jurisprudence a tiré ce principe de la nature du gage qui peut
@tre civil ou commercial. Cette interprétation nlest pas sans faille: llem_
prunteur est maftre des fonds mis A sa disposition par le pr@teur. Ce n'est
pas le contrat de pr@t qui UDpose au pr@teur la destination qu'il doit donner
aux fonds qui lui sont accordés. Le pr@teur estÜDant que les fonds doivent
@tre employés au commerce peut appliquer un taux d'intér@t commercial mais
l'emprunteur a le droit d'employer les capitaux dont il est détenteur dans
des opérations civiles ou vice-versa.
Quant au pr@teur, en l'absence de stipulation expresse dans le
contrat de prat, sur quoi va-t-il fonder la destination des fonds pour ré-
clamer des intér@ts sur le taux commercial 7 En mati~re de commerce, tout
pr@t fait à un commerçant est réputé commercial ce qui nous ramène au pre-
mier critère de d~termination.
)0 - Après plusieurs hésitations, la Jurisprudence a décidé que le
prat est commercial dans les deux cas.
Donc en définitive, quand le capital emprunté doit @tre employé
dans une op~ration commerciale, il est fait en mati~re commerciale. Quand
le pr@t est consenti A un commerçant, il est réputé fait en matière commer-
ciale également. Il est pourtant regrettable que la loi de 1807 soit si floue
sur ce point. Quel que soit le cas, comme l'a soulign~ H. COUTURIER (1)
"les op~rations cemmerciales sont plus rénunératrices, elles permettent
donc A llemprunteur de payer un taux ~levéll.
L'article 3 de la loi de 1807 dispose: "Lorsqu'il sera prouvé que
le pr@t conventionnel a été fait à un taux excédant celui qui est fixé par
l'article 1er, le pr@teur sera condamné par le tribunal suivi de la contes-
tation à restituer cet excédent, slil l'a reçu, ou A souffrir la r~duction
sur le principal de la créance et pourra @tre renvoyé, s'il y a lieu, devant
le Tribunal correctionnel pour y @tre jugé conformément A l'article suivant
etc •••II •
(1) H. COUTURIER: l'Usure, ménoire présent~ A la faculté de droit de Dijon
1960.
JO

31 - Pour une partie de la doctrine. la loi du 3 septembre 1807. s'ap-
plique à tous les contrats concernant des opérationa de crédit car l'article
premier dit seulement" l'intédh conventionnel ne pourra exc~der, en matière
civile 51.. ni en matière cœmerciale 61:.". L'article premier n'a pas sp~cifié
les contrats auxquels s'applique la lUDitation du taux d'intérat, il n'a pas
procéd~ à une énumération lUDitative des opérations concernées. Cet article
semble parler d'intérat conventionnel en général. Pour les défenseurs de cette
thèse, si l'article 3 parle de prat. ce n'est qulà titre d'exemple et cela
simplement parce que c'est dans le contrat de pr@t d'argent que la stipulation
du taux d'intér@t est la plua fr~quente. la plus ordinaire.
32 - Par ailleurs, il est également soutenu que la loi du 3 septem-
bre 1807 ne concerne que les opérations dans lesquelles une personne ayant
besoin d'argent a recours à une autre personne. riche capitaliste, pour s'en
~rocurer et se met à 8a disposition totale dans une subordination qui fausse
le droit commun du contrat.
33 - Un troisième critère. celui que nous pouvons cautionner en nous
plaçant à l'époque de l'élaboration de la loi est celui qui soutient que la
loi n'a voulu protéger que les emprunteurs. Cela est vrai car cette loi a
pour finalité, la prohibition des pratiques usuraires, ces pratiques cons-
tituant un véritable scandale dans la société française de l'époque et dans
l'ancien droit, l'intér@t de l'argent n'intéressait que les prats.
Cette opinion ~tait d'ailleurs celle de POTHIER qui définissait sa
position à l'égard du problème: "ce n'est pas que dana le contrat de prih
que se commet l'usure proprement dite, les autres contrats Bont bien suscep-
tibles de différentes injustices et, en général. dans tous les contrats, il
y a une injustice lorsque llune des parties exige de l'autre quelque chose
de plus que le juste équivalent de ce que. par le contrat. elle lui a donné
ou s'est engagé à lUi donner. Nais l'usure proprement dite ne se commet que
dans le contrat de prat. Il nlest pas nécessaire que ce soit un contrat de
prat formel et explicite. Il suffit que l'intention secrète des parties ait
~té de faire un contrat de prat usuraire quoiqu'elles l'aient déguis~ sous
la fausse apparence d'autres contrats.
Ces contrats en ce cas, qui ne sont intervenus que pour couvrir et
déguiser le contrat de pr@t, que les parties avaient l'intention de faire,
sont réput&s n'@tre dans la v~rité que des contrats de prat et le lucre que
31

l'une des parties en retire est une véritable usurell • Cl)
Donc, bien que le titre de la loi porte l'Loi sur le taux d1intérlk,.l
ce titre ne dit pas que la loi s'applique à tous les contrats, dans lesquels
on peut prévoir un taux d'intér@t.
34 - Le problème fut trAs discuté pour ce qui concerne l'applica-
tion de cette loi à la clause pénale. En effet, les rAgles légales prohibant
l'usure auraient pu avoir effet sur l'intangibilité de la clause pénale puis-
qU'elles ont toujours eu outre, des sanctions pénales, pour sanCtion civile
une réduction des intér@ts comme nous le verrons à propos de cette loi de
1807 et des lois ultérieures. Mais la doctrine, tant du 1ge que du 20e siècle
se trouve très divisée.
Certains auteurs coome DELVINCOURT, DEX>LOKBE, estiment que la clause
pénale est toujours soumise à la loi sur l'usure car elle ouvre toute large
la porte aux fraudes. Sans entrer dans les détails puisque nous y reviendrons
par la suite, soulignons qu'à l'époque. la tendance dominante était bien que
le titre de
la loi porte le titre dont nous avons parlé, tout laisse croire
qu'il ne s'agit que de prIt à intér@t car la loi a voulu protéger l'emprun-
teur que le besoin d'argent pouvait amener A subir toutes les conditions oné-
reuses que la nécessité de l'heure l'obligeait à accepter.
35 - Dans les autres contrats comme la carte à crédit, on peut libre-
ment débattre les conditions du contrat et c'est plut8t le vendeur qui méri-
terait d'@tre protégé contre l'insolvabilité. On peut quelquefois ~tre forcé
de vendre mais jamais d'acheter. Selon Georges CLARETIE (2), on ne peut penser
que le débiteur est un individu et un individu prèssé par le besoin d'argent
et qui a subi les conditions de celui qui lui a accordé un délai pour payer.
Tout cela est contestable. car le besoin d'argent peut amener aussi à acheter
à crédit sans discuter le prix, un objet et de ce fait. @tre obligé de payer
une contrepartie onéreuse J le fait est particulièrement remarqué dans les
sociétés africaines quant àljurisprudence, sa position est
Constante. La
Cour de Cassation s'est toujours montrée réticente pour étendre l'application
(l) BUGUET T. 5 P. 60 et suivantes 1I0euvre de fOTHIER".
(2) Georges CLARETI! : L'usure en matière civile et pénale - Thèse de docto-
rat présentée en 1901 à l'Université de Paris.
32

de la loi du 3 septembre 1807 à des contrats autres que les opérations de
pr@ts (1) donc contrairement aux allégations de H. CLARETIE, cela n'est pas
très rationnel~ car les intér@ts stipulés dans les ventes à crédit au-dessus
du taux l~gal constituent bien des taux usuraires. Donc~ llinterprétation
donn~e par la Cour de Cassation est d'autant plus dangereuse et anti~sociale
qu'elle exclut en fait la
limitation du taux en matière de prat à la Con-
sommation alors que c'est, dans ce domaine~ que sévissent les intér@ts usu-
raires. Hais s'agissant d1une loi pénale, l'interpr~tation doit @tre restric-
tive et il y a lieu de croire que c1est
à ce
principe que la Cour de
Cassation a voulu obéIr en excluant du domaine de la loi les autres contrats
que le pr@t d'argent. En matière pénale, le raisonnement par analogie est
dangereux. La Jurisprudence est allée très loin et dans plusieurs d~cisions~
elle a autorisé la perception d'intér@ts dépassant le taux légal par cela
seul que le
pr@teur courrait~ par des circonstances de l'affaire, des ris-
ques. Dans les dites déCisions, la Cour de Cassation a fait une confusion
~noDme dans la notion de contrat aléatoire (2). Dans le langage du droit,
on
entend par là, non pas toutes les opérations dans lesquelles l'une des
parties court un
risque, soit en raison du caractère plus ou moins heureux
de l'entreprise en vue, mais seulement dans lesquels l'une des parties court
un risque dans lesquels la r~alisation ou la non réalisation d'un évènement
d~terminé peut faire Battre ou éteindre une créance qui
n'existerait pas ou
subsisterait sans
cela. Ainsi~ un pr@t ne mérite en droit~ la qualification
d'aléatoire qu'autant que l'accomplissement d'un évènement déterminé peut
avoir pour effet~ d'éteindre ou d'emp@cher de nattre la créance en rembour-
sement de la somme pr@tée. Donc, parce
que le domaine de la loi de 1807
est exigu, les usuriers sont à l'abri des poursuites car les ruses et les
astuces des usuriers revttent mille formes, que les tribunaux s'appliquent
à d~couvrir dans tous les contrats où elles peuvent se cacher. Dans plusieurs
domaines, les usuriers tiennent bon et c'est ainsi qu'ils ont réussi malgr~
la résistance des juges de fond A faire échapper la clause pénale insérée
dans un contrat de pr@t à la loi sur l'usure, hODmis la fraude A la loi, mais
il n'y a fraude à la loi que lorsque le
pr@teur savait. lors de la conclu-
sion du pr@t. que l'emprunteur ne pourrait rembourser A l'échéance et qu'il
aerait donc pratiquement obligé de payer la pénalité I~ette p~nalité n'était
(1) Caas. Requ@te 8 mars 1865 D. 1865 - 1 - 288
(2) Requtte 6 Déc. 1886 -87 - 1 - 419
D. 87_ 1- 312
Cass. Crim. 2 juin 1888 S. 89 1 393
33

pas alors réellement comminatoire, ~ia avait uniquement en vue de pe~ettre
au cr'ancier d'obtenir des
in.t6rats usuraires".
36 -
En résumé, la l~itation de l'intérlt semble ltre 'tablie
par la loi de 1807 sp'cialement au contrat de pr@t. Certes, cela n'est pas
dit expressément dans son texte, mais la loi n'a ' t ' faite que pour répr~er
les exigences des pr@teurs d'argent de l'époque et l'article 3, en r'vèle
la partie restreinte en disant d'une façon incidente que lorsqu'il sera prou~
vé que le prit conventionnel •••
Par conséquent, dans tout autre contrat que le
prit à int'r@t, l'in-
térlt conventionnel peut excéder le taux l'sai. Le d'lit d'usure ne peut
@tre constitué qulà l'occasion d'un prat (1). Ce délit sous certaines con-
ditions peut faire encourir à son auteur une double sanction, une sanction
p'nale et une sanction civile.
B - LES 5NiCTION5 CIVILES DE LA PROHIBITION LIlGALE
37 - L'article 3 de cette loi dispose: lorsqu'il sera prouvé que le
prat conventionnel a ét' fait à un taux excédant celui qui est fix' par l'ar-
ticle premier, le pr@teur sera condamn' par le tribunal saisi de la contes-
tation à restituer cet exc'dent s'il l'a reçu ou à souffrir la réduction sur
le principal de la dette.
La premilre remarque qu'on est amen' à faire 1.Dm'diatement est que
confo~ment à l'article 3, le l'sislateur de 1807 n'a pas condamné le prat
à intérlt mais il l'a tout simplement réslementé. En fixant un taux l~ite,
il a cré' un délit pour ceux qui le dépasse et c'est ce d'lit en tant que
violation d'une loi civile que nous sommes am'nés à examiner. Il est réalisé
lorsque le prlteur excède le profit que la loi pe~et d'exiger. On remarque
'salement que la stipulation d'un intérlt usuraire,
dans un contrat de prit,
nlest pas une cause de nul lit', toutefois si une op'ration n'était pas seu~
lement entac~e d'usure mais encore de fraude, elle pourrait @tre, à raison
de cette fraude, frappée d'une annulation complète.
38 - Lea seules sanctions encourues par l'usurier en cas de condam-
nation sont la restitution de l'int'rlt illégalement perçu, mais à la
(1) Cassation 13 mars 1899 D. 1900 1-5
34

condition qu'il soit prouvé qu'il a perçu des
intér@ts illégalement.
L'article 3 le dit ainsi
lorsqu'il sera prouvé que le prat conven-
tionnel a été fait à un taux excédant celui fixé par l'article premier, à res-
tituer etc ••• Le grand problème ici est celui de la preuve à faire par le
débiteur de l'existence du fait usuraire. La preuve du délit civil est tota-
lement différent du délit correctionnel d'usure que nous aurons A examiner
ailleurs car dans le délit d'usure correctionnel l'élément habitude est dé-
terminant tandis qu'ici, C'est-à-dire en matière de délit civil, un fait
unique d'usure m~e accidentel encore qu'il soit insuffisant pour constituer
un délit d'habitude d'usure peut @tre considéré comme suffisant pour obtenir
la restitution des intér@ts usuraires et
pour faire admettre au civil la
preuve testùnoniale de l'usure. La preuve est largement admise et il a été
jugé ~e qu'on peut prouver par témoins devant les tribunaux civils, et
sans qu'il soit besoin de
recourir A l'inscription du faux, qu'un contrat
portant constitution de rente est usuraire quoiqU'il n'existe aucun commen-
cement de preuve par écrit de cette allégation (1).
M8me au nombre des indices révélant le taux réel des intér@ts perçus
par le prtteur, les juges peuvent retenir les énonciations contenues sur les
livres de commerce de l'emprunteur lorsqu'elles sont contemporaines de
l'opération el1e-m1me et qu'il résulte des circonstances qu'elles ne peuvent
pas avoir été faites en vue des besoins de la cause.
39 - La loi étant avant tout destinée A la conservation de l'ordre
social et à la protection de la
petite classe, l'usure peut @tre mime prou_
vée contre le contenu d'un acte authentique. Ainsi, lorsqu'un débiteur at-
taque un acte notarié comme usuraire, le pr@teur peut opposer le consentement
qu'il lui a donné, mais ce consentement a été annihilé par le besoin de l'ar-
gent, la preuve ne sera pas admise (2). Il faut noter A ce sujet que la doc-
trine de l'époque avait soutenu que l'action ouverte à l'emprunteur victime
des
pratiques usuraires pour
réclamer les
intér@ts qulil aurait payés il-
légalement est fondée sur l'ordre public, ce qui fait que le consentement
de la victime n'est pas admis en matière de répétition des SQUMes perçues
d'une manière usuraire.
(1) Requtte 28 6 1821 J.G.
Pr@t d'intértt 259 5
(2) Toulouse 20 décembre 1840
35

- QUELLES SONT LES SANCTIONS CIVILES ?
40 - La restitution de c.e qui a été per~u a'J-dcl! de 11 intér@:t auto-
risé par la loi. S'il n'a rien per~u, 11 y a réducti.;('''' sur le capital de ce
qui lui est dO. La loi est très floue sur ce point, et clest la loi de 1850
qui lui apportera la lumière nécessaire. car avant la loi du 19 D'cembre 1850
on décidait généralement que le pr@teur qui a perçu des intér~ts usuraires
nlest passible de la réduction qu'à compter de la demande formée à ce sujet
par le débiteur ou ses ayant-droits et que par suite. aucune compensation
à raison de l'excédent des intér@ts au-dessus du taux légal nlavait pu coo-
pérer de droit avec le prinCipal avant cette demande. En bref. il y avait
de vives Controverses à propos des sommes sujettes à répétition. La Juris-
prudence a dégagé quelques solutions que la loi du 19 décembre 1850 s'ap-
pliquera à consacrer.
La loi du 3 septembre 1807 parle aussi de condamnation, ce qui
laisse supposer que le législateur laissait également au débiteur la faculté
d'obtenir de demander la condamnation à autre chose en plus de la restitution
de l'intér@t usuraire notamment la condamnation à des dommages-intér3ts
mais tous ces points baignaient dans une équivoque énorme que la loi du
19 décembre essaiera de lever.
Donc en conclusion, la stipulation d'intér@ts usuraires n'entratne
pas l'annulation du contrat usuraire. Il peut avoir des contrats valables
en eux~tme, llacte illégal ne donne lieu qu'à la restitution de l'intér@t
usuraire. Par ailleurs, l'article de la loi de 1807 ajoute que le prlteur
usuraire après sa condamnation au civil peut ttre renvoyé. s'il y a lieu
devant le tribunal correctionnel pour ttre jugé conformément à la loi. Ce
qui permet de
considérer le délit dlusure sous un double aspect. l'usure
en tant que violation d'une loi civile et l'usure comme violation d'une
loi pénale car en plus de llusure en matière civile que nous venons d'exa-
miner parce que si la perception de profit usuraire se renouvelle. elle
constitue un délit correctionnel que nous allons examiner.
C - LA CONSTITUTION ET LA REPRESSION DU DELIT D'USURE
41 - On a
reproché à la loi du 3 septembre 1807 d'avoir confondu
dans un m8me article l'action civile et l'action pénale et'd'après cet ar-
ticle 3. lorsque l'usurier est puni devant le tribunal civil. un élément
36

est important dans la constitution du délit d'usure, c'est-à-dire du délit
correctionnel; c'est l'élément d'habitude.
En effet, l'auteur de stipulations usuraires ne s'expose à une pour-
suite pénale que lorsqu'il fait de la pratique d'intér@ts usuraires, une
habitude. Ainsi, lorsque l'usurier est poursuivi devant le tribunal civil
suivant les dispositions qui ne sont pas d'ailleurs précises, le tribunal
civil suivant les dispositions de l'article 3 de la
loi du 3 septembre 1807,
le tribunal civil saisi doit donner au parquet un jugement, une indication
qui servira s'il y a habitude d'usure d'engager l'action publique en vue d'une
répression correctionnelle, c'est-à-dire faire renvoyer l'inculpé devant le
tribunal correctionnel. Il y a une confusion sur ce point quand la loi parle
du renvoi de l'usurier devant le tribunal compétent par le juge civil. Une
décision de condamnation devant le tribunal ne peut pas et ne doit pas 8tre
confondue avec une ordonnance de renvoi du juge d'instruction.
Comme l'a indiqué LARAUZA (1), jamais le tribunal civil ne peut
saisir le tribunal de police correctionnel de la connaissance d'un délit.
Bien mieux, alors m@me que les jugements civils auraient décidé que les pr8ts
n'étaient pas usuraires, aucun obstacle ne serait apporté de ce chef à l'exer-
cice de l'action publique, c'est un principe de droit pénal que les décisions
rendues au civil n'ont aucune influence sur les décisions des juridictions
répressives et l'exception de chose jugée n'est pas opposable en la matière.
Cette disposition équivoque de l'article 3 de la loi du 3 septembre
est regrettable. Mais il est incontestable que l'exercice de l'action publique
appartient au Ministère public en vertu des dispositions du code d'instruc-
tion crllninelle en vigueur à l'époque: "l'action pour l'application des
peines n'appartient qu'aux fonctionnaires auxquels elle
est confiée par la
loi et plus loin, les
procureurs de la république sont chargés de rechercher
et de poursuivre tous les délits dont la connaissance appartient aux tribu-
naux correctionnels et aux cours d'assise.
L'article de la loi dispose: IlTout individu prévenu de se livrer
habituellement à l'usure sera traduit devant le tribunal correctionnel ••• "
Il résulte de ce texte que seule, l'habitude de se livrer à la pra-
tique de l'usure constitue un délit. Ainsi, un fait de pr@t à 1ntér8t uauraire
ne suffit pas pour constater le délit d'usure. Il faut que l'habitude de
prêter dans ces conditions soit établie. Il faut qulil soit reconnu que di-
vers pr8ts ont été faits successivement à un taux excédant le maxllDum fixé
(1) Thèse du délit d'usure -René LARAUZA Bordeaux 1911
37

par la loi encore m@me que ces prats aient été consentis à une m~e personne.
42 - Les raisons qui ont poussé le législateur de 1807 à n'attacher
de peine correctionnelle qu'à l'habitude d'usure sont très simplea..,11 voudrait
éviter de punir ceux qui, de bonne foi et par le jeu des
difficultés que
présente parfois le calcul des intér~ts arrivent à dépasser le taux légal.
Pour un pr@t normal, la raison ne paratt pas fondée mais des complications
peuvent provenir dans le calcul du capital et de l'intér@t, le prat est
consenti par exemple en marchandises car pour savoir si le taux est usuraire,
il faut d'abord convertir en chiffres les deux composants du pr@t et des in_
térats stipulés mais la cS te de cette raison subsidiaire concernant quelques
rares pr@teurs mal avertis, il y a toute une classe de pr@teurs profession-
nels qui attirent les personnes pour une raison ou Une autre se trouvent
momentanément dans le besoin d'argent. Ces usuriers professionnels leur
consentent des pr~ts à un taux supérieur au taux légal. Ces prtteurs qui
savent profiter des occasions ont conscience qu'ils constituent la dernière
ressourCe pour leurs victimes qui sont au désarroi. Parfois, les taux mon-
tant jusqu'à 50 ~ et llemprunteur qui a besoin de 2 000 F va signer une re-
connaissance de dette de 3 000 F,
faute de
quoi il n~aura rien.
Contrairement à ce qu'affirme LARAUZA, les emprunteurs ne sont pas
forcément des débauchés ou des joueurs à qui il faut de l'argent pour satis-
faire une funeste passion (1), ils peuvent ~tre de petites gens qui, n'ayant
pas une surface financière suffisante pour s'adresser à une banque ou à un
établissement de crédit sont obligés de s'adresser à ces exploiteurs de mi-
sère et de pauvreté.
Donc,
comme l'a souligné la cour de cassation dans son arr@t du
27 février 1864, ce que le législateur a voulu punir ici, c'est le métier
d'usurier. Mais la loi nlayant pas défini clairement les faits nécessaires
pour constituer une habitude, le législateur a comme règle, laisse au juge,
le droit de faire usage de son pouvoir souverain d'appréciation dans chaque
cas d'espèce donc dans l'ilnpossibilité de fixer une règle invariable la déci-
sion des juges dépendra surtout des circonstances.
Certains auteurs tel que H. PETIT, dans leur hardiesse avaient
proposé de n'admettre l'habitude d'usure que lorsqu'il existait au moins
quatre pr@ts consentis à des taux usuraires.
(1) Thèse sur l'usure - déjà citée
38

Cette attitude du moins fantaisiste n'est basée sur aucun argument
juridique et n'est donc pas admise par les tribunaux.
43 - Donc, devant le silence de la loi, la plus grande latitude est
laissée au juge pour former son intime conviction. Le juge peut alors rejeter
des documents qui lui seront présentés car contrairement ! ce qui se passe
devant le tribunal civil dans le procès de l'usure, ici, il s'agit du procès
de l'usurier.
M@me devant un acte authentique, le juge peut procéder à des audi-
tions de témoins et le délit d'habitude d'usure peut @tre reten u m@me lors-
qU'il est en contradiction avec l'acte authentique, ainsi en a décidé la
cour de cassation.
Pour la cour de cassation, il appartient aux juges du fait de re-
chercher si les conventions intervenues entre les parties ne contenaient pas
une fraude aux prohibitions légales et que le juge avait alors le droit de
recourir à tout mode de preuve qui lui paraisse nécessaire pour la ~nifes­
tation de la vérité.
La notion d'habitude ne dépend pas du nombre de victimes ; il suffit
seulement de faits d'usure réitérés dont un seul emprunteur peut ~tre victime.
Si la m~ personne a emprunté plusieurs fois au m@me pr@teur, aux taux usu-
raires, l'infraction d'habitude d'usure est consommée, par contre, lorsqu'il
n'y a qu'un seul pr@t ayant donné lieu à plusieurs pereeptions d'intér~ts usu-
raires, le délit d'habitude d'usure n'est pas constitué bien que cela puisse
donner lieu à une sanction civile. Selon une jurisprudence bien établie à
l'époque, deux pr@ts usuraires sont la condition nécessaire et suffisante
d'habitude d'usure, c'est ainsi que la cour de cassation tout
en écartant
l'un des trois pr~ts usuraires retenus par les juges du fond, a pu maintenir
la condamnation pour délit d'habitude d'usure.
44 - rI faut souligner par ailleurs que la perception de l'intér@t
n'est pas nécessaire car le point de départ du fait usuraire est le contrat
qui peut ~tre écrit ou verbal et non la perception des intér~ts.
Deux contrats de pr~ts avec stipulations de taux d'intér~ts usuraires
suffisent pour constituer le délit correctionnel d'habitude d'usure.
Cet élément IIhabitudell retenu par la loi de 1807 comme élhnent dé-
tenœinant dans la constitution du délit
a compliqué la répression et a posé
de sérieux problèmes aux tribunaux notamment sur le plan des personnes
39

punissables
et plus spécialement en ce qui concerne la complicité.
Lorsqu'un usurier coupable est coupable d'habitude d'usure, a un
complice qui n'a commis qu'un seul fait usuraire, c'est-à-dire à un complice
qui n'a participé qu'à un seul contrat usuraire, ce complice serait~il puni
conformément au principe du droit pénal ? La loi du 3 septembre 1807 est muette
sur ce point : elle ne précise rien. On en a alors conclu que la complicité
sous certaines réserves, n'est pas punissable. Cette position n'est pas aussi
déplorable que le prétend H. ~:ZA car il faut tenir compte des circons-
tances propres au prévenu et au prétendu complice, car nous ne devons pas
perdre de vue qu'il s'agit surtout d'un délit d'habitude d'usure. Ne serait-il
pas plus déplorable de punir un tiers qui aurait participé à l'élaboration
d'un seul contrat de pr@t à intérat usuraire alors que l'auteur d'un seul
contrat de pr@t à intér@t usuraire alors que l'auteur principal quant à lui
était à son deuxième m~e à son cinquième coup ? Si le complice est puni
dans ce cas, sa situation est alors plus désavantageuse que celle de l'auteur
principal qui aurait commis au moins deux faits usuraires ne serait pas puni
pour le premier alors que le complice lui, le serait.
On ne peut admettre que la situation du complice soit plus sévèrement
punie que celle de l'auteur principal sans une disposition expresse de la
loi connue, c'est le cas en matière de complicité d'évasion. Il faut le re~
connattre, la question est plus délicate qu'on ne l'envisage à priori.
Si en effet, Benott a participé à l'élaboration d'un acte usuraire
commis par Armand et à un acte commis par Paul, il a bien participé à plu~
sieurs faits usuraires et cependant, il ne peut @tre recherché comme coupable
de complicité, alors m@me que Benott et Paul auraient, par d'autres pr@ts,
démontré leur habitude de l'usure et seraient poursuivis pour ce délit. Ce
principe est favorable au notaire qui après avoir rédigé plusieurs contrats
de pr@ts contenant des stipulations d'intér@ts usuraires en ne rédigeant
qu'un contrat par pr@teur, échapperait aux poursuites pénales.
45 - L'application de ce principe porte un coup dur à l'efficacité
de la loi de 1807 dont le but est la répression sévère de l'usure d'où
qu'elle vienne. Mais nous ne devons jamais perdre de vue que nous sommes en
matière pénale et que toute interprétation extensive quelqu'en soit le but
poursuivi est arbitraire. Par ailleurs, la complicité en la matière n'est
pas une hypothèse d'école. En pratique, les cas de complicité sont nombreux.
Sont considérés complices, les acheteurs complaisants qui d'accord, avec un

usurier prennent les marchandises livrées par le pr@teur à sa victUDe, les in-
dividus par l'inteDnédiaire desquels les pr0ts ont été conclus à un taux
usuraire. Ces éléments sont très llnportants car on les retrouve COnstamment
dans la
pratique africaine de llusure. Mais hélas, le législateur français
n'en tiendra pas compte dans llélaboration de la loi sur l'usure,_sur la
répression de l'usure en Afrique.
46 - Quand la conviction du juge est faite sur la culpabilité du
pr@teur, la loi du 3 septembre 1807 ne prévoit qu'une peine d'amende, amende
qui ne peut dépasser la moitié des capitaux prttés avec un taux usuraire.
Mais aussi s~ple que puisse parattre cette solution, il peut y avoir de
sérieuses difficultés dans la fixation de ce maxUDum d'amende lorsqu'il s'a-
git d'un pr@t usuraire qui a été renouvelé plusieurs fois car chaque renou-
vellement doit @tre considéré comme un nouveau pr@t. Mais après plusieurs
hésitations, la question est tranchée par un arr@t du 31 ~rs 1827 rendu
par la cour de cassation: "c'est le dernier montant des capitaux qui sera
pris en considération".
Pour les défenseurs de la thèse contraire, c'est-A-dire pour l'opi-
nion qui refuse l'évaluation des capitaux. on ne doit pas tenir compte des
renouvellements d'un m8me pr0t car pour eux la loi nia en vu que des sommes
réellement pr@tées, c'est-A-dire véritablement déboursées.
Tous les arguments ont été développés par le procureur général
DUPIN à l'occasion d'un pourvoi en ces tenues: "Les renouvellements peuvent-
ils @tre pris pour base de l'amende? Telle est la question. Il est néces-
saire ici de faire une distinction entre la convention nouvelle, le pr@t
nouveau et la somme pr@tée réellement. Sans doute, le renouvellement peut
avoir le caractère d'un pr~t nouveau et d'une nouvelle convention mais n'y
voit pas le déboursement d'un capital nouveau. Or, il faut remarquer que
la loi n'a pris pour base de fixation de llamende que le capital réellement
pr$té, sorti des mAins du pr$teur pour entrer dans celles de l'emprunteur,
la certaine quantité qui a été pr@tée et qui doit @tre rendue. Quel que soit
le nombre des renouvellements. si le capital pr@té est resté le ~e, s'il
a été laissé dans les mains de l'emprunteur, c'est ce capital seul qui devra
servir de base de calcul à l'amende. La loi, remarquons-le, a eu le double
but de retrancher les intérèts usuraires, d'isoler le capital. Or, je vous
le demande par le système de computation des renouvellements, n'arriverait-
on pas à priver l'usurier non seulement de la moitié ~is de tout son capital,
41

du double ou du triple même. En vain, dirait-on que la fixation de l'amende
étant livrée à l'appréciation du juge, ce juge aura soin de modérer la peine
suivant les circonstances.
Il suffit que l'abus soit possible que la cour de cassation ne
laisse pas subsister une interprétation qui pourrait y conduire et la motiver.
Dans tous les cas, alors qu'il y aurait doute sur l'interprétation
à donner &la loi de 1807, le doute se résout dans le sens le plus favorable
au condamné.
N'oubliez pas Messieurs que le système de l'arr@t attaqué ne repose
que sur une fiction qui tend à faire considérer le renouvellement comme un
prtt nouveau. Or, en matière pénale surtout, il ne faut s'attacher aux fic-
tions que lorsqu'elles sont écrites dans la loi. Mais la loi de 1807 est
muette à cet égard. Restons donc dans le texte et l'esprit de la 10i ••• II •
Malgré ce Ipns réquisitoire assez nourri, la cour de cassation
maintient sa jurisprudence antérieure et pour elle, le renouvellement étant
un pr~t nouveau, le capital renouvelé était bien un nouveau capital sur la
base duquel il faut calculer l'amende.
Comme on le voit, bien, la loi du 3 septembre 1807 n'a prévu que
la peine d'amende, la peine de prison n'est
encourue que lorsque le délit
dlusure a été combiné avec celui d'escroquerie.
L'inculpé retenu à la fois dans les liens de la
prévention des
délits d'usure et d'escroquerie ne bénéficie pas des dispositions de l'ar-
ticle 365 du code d'instruction crnninelle qui en général dispose qu'en cas
de poursuite pour infractions multiples, il nlest prononcé que la peine la
plus forte. La loi du 3 septembre 1807 déroge à ce principe et l'amende est
prononcée pour l'usure, la peine d'emprisonnement pour l'escroquerie.
Cette sévérité envers les exploiteurs de la misère et de la pauvre-
té des autres ne mérite aucune indulgence de la part de la société.
Cette première loi fondamentale dans le domaine de la répression
de l'usure restera avec ses lacunes et ses difficultés d'application jus-
qu'en 1850, date à laquelle le législateur interviendra de nouveau pour en
modifier le régûne. La nouvelle loi qui portera la date du 19 décembre 1850,
conservera l'essentiel de la loi de 1807. Il est à remarquer que la loi du
3 septembre 1807 est muette sur la récidive. Donc la
récidive au regard de
cette loi est inexistante. En bref, sous l'empire de la loi de 1807, la ré-
cidive n'est pas une circonstance aggravante.
42

47 - Le législateur français n'avait pas jugé nécessaire d'étendre
l'application de cette loi aux colonies et aux territoires placés sous tutelle.
Ces raisons avancées par K. Georges CLARETIE pour défendre la posi-
tion du législateur français sont les suivantes: l'argent plus rare dans
les colonies qu'en France et de surcrott il faut développer le commerce et
les transactions de toutes sortes.
Ces raisons ne nous paraissent pas convaincantes : la rareté de
l'argent fait rois ceux qui en sont les détenteurs. Ces capitalistes aux
mains desquelles se concentre l'argent ne vous pr~tent que lorsque vous
accepterez leurs conditions. Le fait de les laisser en eux-m3mes régler
leurs rapports au nom de la loi de la jungle est de nature à favoriser la
pratique de taux usuraires. Par ailleurs, prétendre que la loi de 1807 n'est
étendue en Afrique ~ cause des nécessités du développement du commerce ne
nous paratt pas exact car la loi de 1807 a pour hut principal, le retab1is-
sement d'un ordre social par une répression sévère de l'usure et cela quoi-
qu'il en coCte.
On ne peut prétendre qu'en France, le besoin de développement éco-
nomique n'était plus une nécessité de premier plan. Kais dans un autre ordre
d'idées, on remarque qul~ cette époque, la France n'avait pas étah1i un
plan spécial de développement économique de ses colonies, plan que pourrait
g~ner l'application de la loi de 1807 si on le rendait applicable en ces lieux.
Bien qu'il soit néanmoins vrai que le fait de limiter 1lintér~t de
l'argent ~ des taux soit inadaptés aux exigences de crédit commercial, nous
nous restons convaincus que si le législateur s'est abstenu d'étendre Cette
première grande loi de la répression de l'usure aux colonies et territoires
français d'outre-mer, c'est tout sump1ement que la France n'avait pas eu
le temps d'observer le phénomène usuraire dans ces contrées. Il ne
faut
jamais perdre de vue que le souci de la France en mati~re de législation
outre-mer a été d'adopter le droit au contexte local. Le législateur fran-
çais, en ce domaine, comme dans le domaine des obligations en général, n'a
pas voulu, soit par une intervention directe ~orter des institutions mé-
tropp1itaines, soit appliquer des systèmes originaux sans se préoccuper des
solutions africaines, l tout cela il faut ajouter que le domaine d'applica-
tion de la loi du J septembre 1807 semblait Itmiter aux seuls pr~ts d'argent
alors qu'à cette époque, les transactions commerciales dans la plupart des
contrées concernées se faisaient à base de trocs difficilement évaluables
en argent.
43

48 - Cette grande loi qui ~rque un départ pour la lutte contre
l'usure ne conna!tra pas une vie paisible bien qu'elle fOt accueillie à sa
promulgation comme un bienfait par l'opinion publique. Vite, elle devient
l'objet de certaines critiques fondées tout à la fois sur la réflexion et
l'exp&rience, et c'est dans cette atmosphère que sera élaborée la loi du
19 septembre 1850 ; non pas pour donner une nouvelle définition du délit
d'usure mais pour tirer les le~ons de l'expérience. Cette loi aura deux
objectifs: sur le plan des sanctions civiles, elle apportera les éclaircis-
sements nécessaires sur certains points restés flous et ambigus dans l'an_
cienne législation, et sur le plan pénal. la loi du 19 décembre 1850 ajouta
à la peine d'amende une peine de prison et incluera dans son corps la réci-
dive du délit dlhabitude d'usure.
,
PARAGIlAPIIE 2
DES INNOVATIONS APPORTEES PAR LA LOI DU 19 DECFJlBRE 1850
A - LES RAISONS DE L'INTERVENTION DU LEGISLATEUR
49 - Comme nous le disions plus haut, la législation du 3 septembre
1850 n'a pas été à l'abri des critiques. On lui reproche entre autre, de ne
faire du délit d'usure qu'un délit d'habitude, d'augmenter ainsi la diffi-
culté de la preuve judiciaire et d'assurer l'~unité à des faits qui, pour
~tre isolés n'en révèlent pas moins des usures parfois énormes, et toujours
coupables. On lui reproche par ailleurs de n'avoir pas prévu la récidive
trop commune en cette matière et de n'avoir pas cherché, par la perspective
d'une peine plus sévère à décourager l'usurier que la justice a déjà frappé.
On remarque, par ailleurs, que dans les provinces, les citoyens emprunteurs
sont devenus des proies faciles aux usuriers. cet état de choses réclame
des remèdes plus
efficaces contre un mal opiniStre. C'est dans ces condi_
tions qu'intervient la loi de 1850.
La proposition de bi telle qu'elle avait été présentée portant sur
deux points. l'un avait pour objet de substituer le fait sùnple d'usure au
fait complexe du délit d'habitude d'usure, l'autre de compléter la loi de
1807 et surtout d'établir une pénalité plus sévère contre les usuriers pro-
fessionnels. Cette proposition très s~le a pourtant donné lieu à de longs
et interminables débats. L'économie de toute la loi du 3 septembre fut ré-
examinée du fond en comble sous le triple point de vue moral, économique
et juridique.
44

Du point de vue moral, une fois de plus
les usuriers, furent con-
J
damnés car disait la commission, l'usure est un mal, c'est-a-dire que ceux
qui l'exercent sont des hommes méchants et ha!ssables.
Sur les autres points, rien n'a bougé car une proportion tendant
A la restauration de la liberté du taux d'intérit fut rejetée. Tous les ar-
guments avancés par les économistes
pour A défaut du mieux, plaider dans le
J
maintien de la loi (1) nlont pas prévalu et l'assemblée a décidé qu'il y a
lieu de maintenir la loi de 1807 (2). Un nouveau texte de loi fut élaboré
et adopté.
B - QUELLE EST L'EOONOHIE GENERALE DE LA NOUVELLE LOI ?
50 - La loi de 1850 qui a maintenu l'économie générale de la lo~
du 3 septembre 1807 en a complété les dispositions en même temps qu'elle
en aggrave les sanctions pénales et en étend le domaine répressif.
Les éléments constitutifs du délit d'habitude furent maintenus
car il ne faut toucher aux lois qu'avec une grande réserve et surtout il
ressort des débats que retenir le fait s~le d'usure comme élément néces-
saire et suffisant pour constituer le délit correctionnel d'usure favorise-
rait les débiteurs de mauvaise foi.
Ce fait deviendrait pour le débiteur de Mauvaise foi, une arme dont
i l lui serait trop facile d'abuser ; "le créancier dont le titre serait le
plus irréprochable pourrait, au moment oà il en poursuivrait l'exécution par
les voies légales, se voir tout à coup appelé en poUce correctionnelle".
Ce qUi'emp@Cherait beaucoup de placements et entraverait la circulation des
capitaux •
En définitive, les réformes et les innovations se situent A deux
.
.
niveaux : au niveau des sanctions civiles et au niveau des sanctions penales.
Certaines difficultés rencontrées par les cours et tribunaux dans
l'application de la loi de 1807 ont donc obligé le législateur à revenir à
la charge. Ces difficultés sont nombreuses mais nous étudions ici les prin-
cipales que dans la mesure où le législateur en tiendra compte dans les for-
mulations ultérieures, soit pour adapter le régÙDe de la lutte contre l'usure
aux circonstances économiques de la l'Métropole", soit pour élaborer une loi
(1) Lois nouvelles 1850 - page 494
(2) Vote A llasseoblée nationale en seconde lecture et 251 autres lois nou-
velles, page 494
1850
45

en matière d'usure pour les colonies et territoires sous mandat en Afrique.
51 - C'est ainsi que la loi du 19 décembre 1850~ plus nette que
celle du 3 septembre 1807, tranche le problème de la restitution de ce qui
a été perçu au-delà de l'intér~t permis par la bi.
La loi a puisé ses éléments dans une jurisprudence établie qui sti-
pule que l'imputation de l'intér@t usuraire devrait s'opérer d'abord sur les
intér@ts exigibles et subsidiairement sur le capital.
Une seconde difficulté toujours sur le plan civil fut résolue par
la loi de 1850 : le problème était le suivant : les intér8ts sujets à répé-
tition devaient-ils @tre eux-mGmes productifs dlintér@ts ?
La troisième question tranchée concerne la possibilité d'allouer
ou non des dommages-intértts résultant ,du fait usuraire. Cette question se-
ra l'objet de notre C.
Sur le plan p~nal, les innovations ont été faites: la loi a aggra-
vé la pénalité en ajoutant à la peine d'amende, une peine de prison qui
n'était encourue sous l'empire de l'ancienne loi lorsque le délit d'usure
était combiné avec celui d'escroquerie.
C - LES PRECISIONS APPORTEES DANS LE DOMAINE DES SANCTIONS CIVILES
52 - L'article premier de la loi du 19 décembre 1850 dispose:
lorsque dans une instance civile ou commerciale, il sera prouvé que le pr$t
,
conventionnel a été fait à un taux supérieur à celui fixé par la loi, les \\
perceptions excessives seront imputées de plein droit aux époques où elles \\
auront eu lieu sur les intér@ts légaux alors non échus et subsidiairement
sur le capital et intértt, le pr~teur sera condamné ~ la restitution des
sommes indtlment perçues avec les intér@ts du jour où ils auront été payés".
i l résulte de cet article premier que les dispositions de la loi
du 3 septembre 1807, que l'usure, n'entra!ne que la répétition des intértts
usuraires. L'acte en soi~e n'est mtme pas nul lorsque le pr@t usuraire
se
est déguisé sous la forme dlun ature contrat. Ils sont usés leur pouvoir sou-
verain d'appréciation tel que le leur reconnaissent les articles 1156 et
1157 et suivants pour rendre nul l'acte si ledit acte n'était pas seulement
entaché d'usure mais aussi constitue une fraude à la 101. En raison de cette
fraude, l'acte peut @tre frappé dlune annulation complète.
46

nonc. à part quelques cas marginaux où au fond ce n'est pas l'usure
qui eat aanctionnée, la seule et principale sanction qu'entratne un contrat
de pr@t d'argent avec un intér@t à taux usuraire c'est la répétition.
Lorsque les textes sont obscurs, cela am~ne le juge A préparer par
leur décision, la voie à une nouvelle évolution, les tribunaux ouvrent ainsi
généralement au législateur qui complète ou rectifie le texte de loi en in-
cluant au droit positif, la solution jurisprudentielle ainsi dégagée par les
juges. C'est ce que le légialateur de 1850 a fait en prenant pour son compte,
les solutions résultat de l'application de la loi de 1807 notamment de son
article 3.
53 .. Cette question de restitution est très délicate et la juris-
prudence a été très loin. S'agissant de la détennination des sommes sur les-
quelles devait porter la restitution, la cour de cassation avait m3me par
application de l'article 3 de la loi du 3 septembre 1807, jugé " que les in-
tér@ts produits par les intér@ts usuraires capitalisés dans un compte courant
sont sujets à répétition quoiqu'Us ne dépassent pas le taux légal". C'est
l'application du principe de la restitution d'un bien mal acquis et de ses
fruits, bien que justifiée moralement la restitution des intér@ts légaux
produits ne devrait se faire qu'après déduction des frais généraux afférents
à ce montant sinon la sanction devenait trop rigoureuse pour le pr@teur. Il
n'y aurait pas par là une snnple restitution mais aussi une condamnation à
des dammages-intér@ts supplémentaires.
Des éclaircissements ont été apportés dans un autre domaine : ces
lumières ont été nécessaires pour trancher une question concernant l'époque
de restitution des
intér@ts usuraires sujets à restitution. En effet, de-
vant la loi du 19 décembre 1850, on décidait généralement que le pr@teur qui
a perçu des
intér@ts usuraires n'est passible de la sanction de restitution
qu'à compter de la date de la demande en justice formée à ce sujet, par le
débiteur, c'est-à-dire par l'emprunteur qui prétend avoir été viotime de
l'usure.
En conséquence, le tribunal ne pouvait condamner le pr@teur usuraire
qu'au remboursement ou à l'nnputation sur le capital de l'intér@t payé par
le demandeur qu'à compter du jour de la demande en justice et non pas à comp-
ter du jour où cet excédent avait été illégalement perçu.
54 - La loi du 19 décembre 1850 en disposant nettement dans son
47

article premier (2e alin&a) que : IIsi la cr&ance est éteinte en capital et
int&rlts, le prlteur sera condamné à la restitution des sommes indOment per-
çues avec intérlts du jour où elles lui auraient été payées. ll , a clarifié
les d&bats et a mis fin aux controverses qui ont vu le jour à l'occasion
des diff&rentes décisions que
le tribunal était appelé à rendre sur la
question, d1une part, la compensation sl&tablit tmm&diatement entre les in-
térlts usuraires et les intérêts légaux d'abord, ensuite sur le capital jus-
qu'à concurrence des paiements successifs, d'autre part, les sommes perçues
par le pr!teur et provenant des intérlts usuraires portent intértt à compter
du jour où ils ont été payés. Il faut souligner qu'encore une fois, la juris-
prudence n'a pas &t& très nette dans ce domaine puisque la chambre civile,
par un jugement en date du 5 janvier 1859 avait décidé par ailleurs que
llintérlt des sommes à restituer court A compter de la demande en Justice.
Cette décision n'a pas respecté les dispositions de l'article premier de la
loi du 19 décembre 1850 qui semble avoir tranché le problème.
Décidément, on peut affi~er que la loi de 1850 est une preuve d'é-
puration car elle a en matière civile résolu le problème concernant la possi-
bilité d'allouer ou non des dommages-intér!ts à la victllne de l'usure en
plus des opérations de restitution ou de répétition.
En dehors de la restitution des intérlts usuraires, la stipulation
d'un int&rlt usuraire dans un contrat de pr@t d'argent peut donner lieu à
des dammages-intér!ts si le demandeur Justifie d'un préjudice spécial dis-
tinct de ces perceptions elles~@mes.
La charge de la preuve du préjudice subi obéIt aux règles de droit
commun et incombe naturellement au demandeur en la réparation.
55 _ Qu'est-ce que le demandeur aura à prouver 1 La question est
substile et ambigul ; prouver une proposition, c'est en démontrer l'exacti-
tude. La preuve est tout ce qui persuade l'esprit d'une vente dit DONAT. Et
comme l'a prévu l'article 1315 du code civil, celui qui réclame l'exécution
d'une obligation doit la prouverll • En régIe générale, celui qui se prétend
lésé par un fait peut directement porter son action devant le tribunal civil
tarritorialement compétent (compétence ratione Loci) ou bien il peut se cons-
tituer partie civile à l'occasion d'un proc~s pénal relatif au m@me fait.
Mais dans un arr8t rendu A propos de l'exercice de l'action civile
devant le tribunal correctionnel en matière d'usure: " a ttendu que l'action
civile en réparation d'un dommage causé par un fait quelconque de l'homme
46

est, de sa nature, dans les attributions de la juridiction civile, que les
articles premier et 3 du code d'instruction crLminelle n'autorisent à sai-
sir les tribunaux répressifs que lorsque le fait d'où natt le dommage, cons-
titue un délit, que ce caractère n'appartient qu'à l'habitude d'usure lorsque
les pr@ts ont lieu en
matière civile, que ce nlest pas de cette habitude,
fait comlexe et moral, que résulte le préjudice souffert par la partie pri~
vée maia bien des faits particuliers d'usure qui, isolément, ne constituent
pas un délit d'habitude d'usure (1).
Donc, par l'arrQt précité, la cour de cassation déclare
irrecevable
la constitution de partie civile devant une juridiction répressive en vue
de demander des dammages- intér@ts en réparation du préjudice que lui auraient
causé les paiements d'intér@ts usuraires. La position de la cour de cassa~
tion est très discutable, du moins pour @tre acceptable, elle doit @tre très
nuancée.
Il faut distinguer le cas où le préjudice subi résulte d'un cas
isolé d'usure, c'est~A-dire d'un seul prat usuraire et le cas où les dom-
mages-intér@ts réclamés résultent d'au moins deux pr@ts à intér@ts usuraires
consentis par l'usurier A un marne emprunteur.
Dans le premier cas, la constitution de partie civile n'est pas
recevable car un seul fait isolé ne constitue pas un délit d'habitude d'usure
et ne peut donner lieu à une poursuite pénale et ainsi lorsque l'élément
habitude résulte de plusieurs prats à un taux usuraire à différents emprun-
teurs dont aucun n'a été vict~e de deux pr@ts au moins, aucun de ces em-
prunteurs n'est recevable de leur constitution. Chaque fait particulier n'est
qu'un des éléments dont l'ensemble conatitue le délit d'habitude d'usure.
La position de la cour supr@me se défend bien sOr ce plan, bien
qu'elle soit combattue énergiquement par le procureur général DUPIN (2),
par certains auteurs tels que GARRAUD
et
MDRIN.
Hais, dans le cas où les faits ou éléments constitutifs du
délit
d'habitude d'usure prennent naissance dans des pr@ts à des taux usuraires
dont le bénéficiaire est un seul emprunteur, cet emprunteur devrait @tre
admis A se constituer partie civile devant le tribunal correctionnel au
cours du procès répreSSif. C'est sur ce point que la décision de la cour de
(1) Cour de cassation crLm. 20-1- IBBB D.P. tBBB - 1 - 329
(2) Précis de droit crLm. Se édition - Dict. de droit cr~. 4e volume.
49

cassation, qui ne fait aUCune nuance dans son arr@t, devient critiquable a
Comme on a pu le constater, tout au long du développement sur
l'étude de la question, le raIe des tribunaux dans cette guerre livrée aux
usuriers de ltépoque a été déteDninant,
mettant
le droit en accord avec
les faits, le juge a aidé le législateur à préciser la sanction civile car
nul nlignorait, à l'époque, les effets désastreux de l'usure, surtout dans
les campagnes et le petit commerce.
D .. AGGRAVATION DES SANCTIONS PENALES PREVUES PAR LA LOI DU 3 SEPTEMBRE 1807
56 ~ Comm~ nous le soulignions tout au
début, l'un des reproches
faits à la loi de 1807 est son Manque de sévérité : à cet effet, on lui re-
prochait de nlavoir pas prévu la récidive trop commune en cette matière, de
n l avoir pas cherché, par la perspective d'une peine plus sévère à décourager
ll us ur ier que la justice a frappé j en un Mot, on reproche à la loi d'avoir
surtout visé la réparation des effets pécuniaires, du comportement anti~so~
cial de l'usurier sans chercher à l'isoler de la société des honn@tes gens
du Moins temporairement a
Donc, le législateur bien que convaincu qulil ne faut toucher
aux lois existantes qu'avec précaution va réagir en aggravant les pénalités
prévues par la législation antérieure a
La loi de 1807 n'indiquait qu l une peine d'amende qui ne pouvait
excéder la moitié des capitaux pr~tés à usure, sauf lorsque llusure se com-
bine avec le délit dlescroqueriea La loi de 1850 est plus sévère. Elle rend
la peine de prison de 6 jours à 6 Mois d'emprisonnement obligatoire m8me s l il
n'y a pas escroquerie a
57 .. La loi du 19 décembre 1850 dispose expressément "le délit
d'habitude d1usure sera puni dlune amende qui pourra s'élever à la moitié ~s
capitaux prOtés
à"usurell , et, à cette disposition qui est celle prévue
dans la loi de 1807 et que nous avons déjà abondamment étudiée, notamment
en
ce qui concerne la détermination des critères de fixation de l'amende,
la nouvelle ajoute.aa et un emprisonnement de 6 jours à 6 Mob ll •
La peine d'emprisonnement qui était encourue lorsque le délit dtusu_
re était accompagné d'escroquerie avait non seulement un caractère faculta-
tif mais c l est que certains trouvaient dans son application une violation
du principe du cumul de peinea Il est néanmoins loisible au législateur,
50

compte tenu des circonstances qui ont présid~ A l'élaboration du texte de
loi, de d~roger, par une disposition expresse, à un principe général et tel
a été l'attitude adopt~e par le 1égis1steur de 1850, en disposant que s'il
résulte de la proc~dure qu'il y a escroquerie de la part du pr~teur, il sera
condamn~, outre l'amende, à un emprisonnement qui ne pourra pas dépasser
deux ans ll • La jurisprudence conforme à l'esprit du texte, a également 50U~
vent écarté le principe de non cumul des peines. La loi de 1850 a confi~é
cette d~rogation et a~et le cumul d'amende et d'emprisonnement.
D'ailleurs, la loi de 1850 a eu pour objet principal, la répression
plus sivère du délit d'habitude d'usure et si l'article 4 porte qu'en cas
d'escroquerie de la part du pr@teur, il sera passible des peines portées
dans l'article 405 du code p~nal, il ne faut pas en tirer cette conséquence
que le sens de cet article ~tant restrictif, le cumul de peine d'emprison-
nement et d'amende encouru pour le d~lit d'usure n'est autorisé que dans
ce cas
spécial. Cette exception s'étend à tous les délits consistant dans
des fraudes pratiquées envers l'emprunteur, que le délit d'abus de confiance
se lie à des pr@ts usuraires, etc ••• le principe prohibitif du cumul des
peines devient inapplicable.
Donc, cette peine d'emprisonnement qui était encourue uniquement
en cas d'escroquerie est étendue maintenant au délit d'usure mGmea
Une autre mesure de sévérité réclamée par l'opinion publique est
la r~cidive trop fréquente en la matière. Plusieurs voix se sont élevées
parmi les députés pour réclamer cette mesure. La récidive est maintenant
pr~vue et r~pr~ée dans la nouvelle loi j qui stipule: lI qu 'en cas de nDU-
veau d~lit d'usure, le coupable sera condamn~ aux maXDnum des peines pro-
nonc~es A l'encontre du délinquant prUDaire (c'est-A-dire les peines de
l'article 4) et elles pourront @tre é1ev~es jusqu'au double, sans
préjudice
des cas généraux de récidive prévus à l'article 57 et suivants du code pénal".
58 - Quelles sont les peines qu'encourt en principe le délinquant
prûnaire ?
Une peine d'amende pouvant st~lever A la Moitié des capitaux à usure
et une peine d'emprisonnement de 6 jours à 6 mois.
Suivant les dispositions qui réprDnent la
r~cidive, le r~cidiviste
encourt une peine d'amende pouvant s'élever jusqu'au montant des capitaux
pr@tés et à un an d'emprisonnement sauf pour le juge à faire jouer les cir-
constances atténuantes qui sont des possibilités laiss~es aux tribunaux
51

dl individualiser la peine. N'est~~l pas assez arbitraire de pennettre aux
tribunaux de faire jouer ce jeu dans ce domaine surtout lorsque lion sait
que les circonstances atténuantes sont des mesures purement judiciaires,
non définies par les textes et dont llappréciation eat par conséquent, lais-
s'e à l'appréciation discrétionnaire du juge. Il suffit seulement à celui-ci
de constater qu'il existe des circonstances atténuantes en la cause ou IIqulil
y a lieu de faire à l'inculpé une application modérée de la loill , le juge
n'est pas tenu de les motiver. D'ailleurs, les avocats le savent si bien
qu'ils ne manquent jamais de faire ressortir le repentir de leurs clients
la bonne foi, les certificats élogieux des employeurs, etc •••
On peut penser que l'admission de circonstances atténuantes peut
faire manquer le but visé par la loi qui est celui d'une répression plus
s'vère car par ce jeu, le juge peut en suivant les inspirations de sa cons-
cience" réduire la peine dl emprisonnement à un jour et la peine d'amende à
trois francs seulement, cela conformément à l'article 463 du code pénal.
59 - Le
législateur ne s'est pas seulement contenté de pr'voir
les peines encourues par les récidivistes, il siest efforcé de définir les
critères de la récidive du délit d'habitude d'usure.
Deux thèses se sont affrontées en la matière : quelques députés
estiment que pour qu'il y ait récidive, c'est-à-dire, qu'il y ait lieu à
une nouvelle poursuite, il doit suffire dlun seul fait nouveau prouvant
que le coupable a pers'véré dans une habitude dlusure malgré la
condamna-
tion qui l'a
déjà frappé. D'autres au
contraire, soutiennent que, pour
qu'il y ait récidive, il mut, depuis la première condamnation, des éléments
nouveaux capables de constituer le délit d'habitude d'usure, clest-à-dire
suivant la jurisprudence constante en la matière deux prtts nouveaux à in~
tértts au taux usuraire au moins.
Chacune de ces deux hypothèses ont leur mérite et leur défaut
car
si la seconde semble plus conforme aux principes généraux du droit pénal,
la première apparatt mieux répondre aux nécessités d'une
répression effi-
cace en matière dlusure, à la pensée morale de la loi de 1850, et on ne doit
pas perdre de vue que le but de cette réfonne est 11 instauration d'une ré-
pression plus sévère qu'elle ne l'était sous llempire de l'ancienne loi.
60 - Le ministre de la justice est intervenu dans la discussion
pour dire : "l a
présomption d'habitude se rattache pendant cinq ans au fait
52

isolé. Après cinq ans accomplis, nous
rentrons dans les termes généraux du
droit. Ce délit sui générisne peut plus exister et alors il faut purement
et stmplsnent des faits multiples constatant l'habitude d'usure". Cette in-
tervention du garde des sceaux qui reçut l'assenttment général constituera
la base des critères des faits de récidive (1).
En d~finitive, après une condamnation pour habitude d'usure, le
nouveau d6lit résulte dlun seul fait usuraire postérieur pourvu qulil soit
accompli dans le délai de cinq ans à compter de la première condamnation.
En résumé, deux points essentiels se dégagent de l'étude de la ré-
cidive qqi viant d'instituer la loi de 1850.
- La loi de 1850, tout en créant une récidive spéciale, nia pas
dérogé à la récidive de droit commun édictée par les articles 57 et 58 du
code pénal.
- Le juge qui n'admet pas les circonstances atténuantes
condamnera
l'usurier récidiviste à une peine pouvant atteindre la totalité des capitaux
pr@tés et â un emprisonnement pouvant aller jusqu'à un an.
Comme nous le verrons plus tard, tous les aménagements apportés
par
la loi de 1850, seront repris par le législateur dans le decret du
22 septembre 1935 relatif au délit d'usure et fixant le taux de l'intér~t
légal et le taux maxünum de l'intér8t conventionnel dans les colonies, notam-
ment en ses articles 2 et 3.
61 _ Enfin, comme peine facultative et complémentaire, la loi pré-
voit dans son article 5 que "dans tous les cas, et suivant la gravité des
circonstances, les tribunaux pourront ordonner,
au frais du cond~né, l'af-
fichage du jugement et son insertion par extrait dans un ou plusieurs jour-
naux du département par application de l'article 463 du code pénai ll • Cette
disposition portera certainement ses fruits car non seulement elle porte
atteinte au patrimoine du délinquant mais aUssi à son honneur et â sa répu-
tation.
Cette disposition de la loi de 1850 sera reprise par la plupart
des législations africaines après leur indépendance dans leur droit sur la
répression de llusure. Clest ainsi qu'on la retrouve dans llalinéa 3 de
l'article 325 du code pénal camerounais (2)
(1) lois annotées 19 décembre 1850 page 492 et suivantes
(2) loi nO 65 24 12 1965 entrée en vigueur le 1.10.1966
53

Un point essentiellement important mérite d'@tre souligné. Que ce
soit en matière civile, en matière commerciale ou pénale, le législateur
a laissé, dans Une large mesure, beaucoup de points au
pouvoir d'apprécia-
tion des juges et il est A noter que les juges de l'époque ont été à la
hauteur de leur tache. Mais cette loi ne connattra paa une existence pai-
sible bien qu'elle " permtt de réprimer les abus les plus criants de l'époque
elle écait économiquement trop simpliste et insdsptée aux exigences du cré-
dit commercial (1) donc n'arrive pas à amoindrir en tant que telle ces at-
teintes que porte au crédit d'usure. Considéré comme un handicap sérieux
A la vie des affaires, elle sera abrogée en matière commerciale par une
loi du 12 janvier 1886
qui libèrera le taux d'intér@t en cette matière.
La
nécessité de permettre aux civils de se procurer d'indispensables capi-
taux fit mime admettre, A la fin de la première guerre mondiale, la liberté
du taux des prats civils II et c'est ainsi que la loi du 18 avril 1918 sus-
prendra llapplication de cette loi. Sur le plan pénal, la répression du
délit d'usure avait donc disparu. Cette évolution de la loi de
1850 qui
aboutit A la libération du taux de l'intér@t en toutes matières sera l'ob-
jet du dernier parsgraphe de cette section 1
PARJ\\GRAPIlE 3
LA LOI DU 12 JANVIER 1886 ET LES DEBATS CONCERNANT LA
SUSPENSION DE LA LIMITATION DU TAUX D'INTERET EN MATIERE CIVILE
62 - Les partisans de la liberté du taux d'intér@t n'ont nullement
été découragés par la position intransigeante du législateur. Aussi la loi
de 1801. complétée et devenue la loi de 1850 a-t-elle été vivement critiquée
de part
et d'autre et cela durant tout le 1ge siécle. Les économistes de
l'école libérale condamnaient l'intervention du législateur comme g@nante
inefficace et dangereuse. Ces économistes pensaient que la crainte de se
voir poursuivi pour délit d'usure rendrait les pr@teur intraitables. Ils
considéraient également que la Itmitation du taux de l'intér@t, loin de
rendre service aux petits emprunteurs causait leur misère. Ne pouvant four-
nir de sOreté
réelle, ils trouvaient difficilement à emprunter au taux
légal les sommes nécessaires à la vie de leurs affaires.
(1) l'usure - GAVALDA
- JCP. 1968 - l - 1908
54

Après avoir réussi à &mietter son contenu par des lois particulières,
loi du 9 juin 1867 qui en prorogeant le privilège de
la banque,
l'autorise
dana son
article 8 " s i les circonstances l'exigent" à élever au-dessus de
6 ~ le taux de ses escomptes et l'int~r~t de ses avances ; loi du 6 juillet
1860 autorisant le crédit foncier à percevoir une commission en plus du
taux l~gal etc ••• , ils ont entrepris d'abroger toute la loi. Hais la tSche
n'aura pas ét~ facile et
ce
sera l'évolution lente et constante de cette
loi de 1850. Cette évolution aura ~té précitée par bien des crises qui ont
secou~ l'Europe à l'~poque : crises économiques et guerres. Une première
manche de victoire sera remport~e par les tenants de la liberté du taux de
l'intér$t, le 12
janvier 1886. A cette date fut votée, après un long débat,
une loi qui abrogeait, en matière commerciale, les dispositions des lois de
1850 et de 1807 car les commerçants furent considérés comme mieux annés
pour résister à une pression des taux d'intér$ts qui devait arbitrer la con-
currence bancaire.
63 - Le coup de grgce fut aasuré à cette loi de 1850 par une loi
du 18 avril 1918 qui devant la nécessité de
peDnettre aux non commerçants
de se procurer d'indispensables capitaux, fit admettre, à la fin de la pre-
mière guerre mondiale, la liberté des taux d'intér@ts en matière civile. La
répression de l'usure avait donc, de
ce fait, disparu.
A .. rolll~T A EVOLUE LA LOI DU 19 DECEMBRE 1850 ?
64 _ Comme il a été dit,
les adversaires de la l~itation du taux
d'intér$t continuaient leur lutte en faveur de la liberté
du taux de llin_
térAt en
toute matière. Ils soutiennent qu'il faut laisser les parties au
contrat,détenniner par elles~@mes les conditions de leur convention, en
vertu des principes du droit commun des contrats, car, prétendent-ils, les
contractants sont les meilleurs juges de leurs intér$ts. Une
proposition
de loi fut alors déposée dès 1885 aux fins d'une abrogation totale du taux
d'intédts.
Quels sont les motifs évoqués en faveur d'une abrvgation complète
des dispositions restrictives du taux de l'intér$t des
pr$ts d'argent?
Ces motifs, on peut les puiser dans les débats qui ont préc~dé le
vote de cette loi. Ces raisons seront, en grande majorité, d'ordre économique.
On prétend que les possesseurs de capitaux lorsqu'ils peuvent obtenir, pour
55

leurs placements, un intérftt plus rémunérateur que le taux légal (bons de
trésor ou reports) soit par des moyens plus
durables comme la rente sur
l'état, des titres d'entreprises garantis par ltétat, ces capitalistes ne
consentiront plus des pr@ts soumis à la loi sur la répression de l'usure.
Les citoyens respectueux de la loi s'abstiennent de consentir des pr@ts
qui
leur seraient préjudiciables. Les moins scrupuleux savent contourner la loi
et faire payer A l'emprunteur non seulement le taux no~l des marchés de
capitaux, mais aussi le risque des procédés illégaux auxquels ils doivent
recourir.
Finalement, le problème s divisé la chambre en trois clans : il
y a d'une part, ceux qui préconisent et défendent l'abrogation intégrale
de la loi sur la lUnitation du taux de l'intér@t en matière civile et drau~
t~e part, ceux qui désirent que l'abrogation du maxùmum légal du taux de
l'intértt se limite seulement aux pr@ts en matière commerciale et il y a,
enfin, ceux qui souhaitent le maintien du statuquo.
65 M Pour ceux qui souhaitent un retour A la liberté du
taux d'in-
térit, voici leur raisonnement; lorsque le pr@teur abandonne à l'emprun-
teur la jouissance d'un capital, il n'entend pas lui faire un don gratuit,
il a donc le droit de stipuler une
rénumération pour la privation qu'il
s'impose et pour sa participation aUX profits que l'emprunteur pourra obte-
nir par l'emploi qulil fera de la somme qu'il a empruntée. L'intér@t perçu
constitue pour le prtteur une
prime d'assurance pour
le risque qu'il court
en laissant son argent à un autre sans garantie absolue de remboursement.
Ces éléments de rémunération varient suivant les époques, lieux et las per-
sonnes. Comment le législateur aUra~t-il compétence pour apprécier et pour
déteEminer Une limite au-delA de laquelle l'emprunteur sera présumé n'avoir
aucun avantage A emprunter et le
pr@teur aucun droit A @tre rémunéré ?
Ils est~nt qu'il faut laisser les parties libres de juger des
conditions du contrat de prit d'un capital d'argent comme elles le sont des
conditions du pr@t de tout autre capital, maison, terre, instruments de traM
vail, denrées, etc •••
Ceux qui veulent voir dispara!tre les
restrictions avancent encore
que, sur le plan juridique, le maxllnum légal ~osé au pr@teur d'argent n'est
pas moins contraire aux principes du droit civil qui fait une large part à
l'autonomie de volonté. Pourquoi se demandent-ils, le propriétaire d'un
capital ÛDmobilier ou m8me de
tOUt capital mobilier autre que,l'argent
56

peut~il d~terminer librement la rémun~ration qu'il exige de son locataire .1
D'autres arguments ont
été également avanc~s pour justifier la nécessité
d'abroger toutes les bis qui lllDitent le taux d'intérat en matière de pr~t
d'argent.
66 - D'sutres
arguments ont
~té avancés en sens contraire pour
demander le maintien pur et shDple de la loi de 1807 telle qu'elle a été
complétée par la loi du 19 décembre 1850.
La solution qui finalement lla emporté
est celle qui lnnite l'a-
brogation du taux de l'intérat conventionnel au prlt fait en matière commer-
ciale. Les critères de distinction de prats en matière civile et en matière
commerciale ont été largement définis dans les précédentes sections qu'il
n'y a pas lieu d'y revenir.
Soulignons shDplement que pour motiver
cette distinction, prats
commerciaux et pr@ts civils, on fait observer qu'en matière commerciale, il
y a une concurrence qui s'établit dans les grands centres entre les pr@teurs
et les banquiers parce qu'il y a une abondance de capitaux et que les ban-
quiers one tout intér@t ~ ne pas laisser échapper une affaire. Il y a de ce
fait, un cours qui s'ÜDpose et ainsi l'emprunteur ne sera
pas contraint à
des conditions qu'on lui fera. Il en est autrement en matière civile où
l'ouvrier ou le petit propriétaire qui
a besoin d'argent nla pas à sa dis-
position des pr@teurs en assez grand nombre pour se faire concurrence, il
est obligé de s'adresser ~ tel ou tel usurier ou escompteur de sa
localité
ou d'une localité voisine qui seul, fera payer l'intér@t plus cher. Souvent
m3me, dans ce cas, l'emprunteur craignant de
perdre le peu de crédit qui
lui reste. demande le secret au prlteur qui
profite de la situation, pour
a~enter son exigence. L'ouvrier et le petit propriétaire ont ainsi besoin
d'@tre protégés. La liberté du taux de l'intér8t présenteront pour eux un
danger
permanent.
67 - Chacune des thèses ne convainc que partiellement. Ce n'est
pas parce qu'il s'agit de prats en matière commerciale ou civile que ban-
quiers et capitalistes VOnt se
multiplier ou se rarefier dans une contrée
donnée. S'ils sont rares, ils le seront en
toute occasion et la concurrence
~ui devrait déterminer le cours des intérats s'établira difficilement. H@me
s'ils sont en grand nombre, rien ne les emptche de s'organiser, de s'entendre
entre eux pour se réserver et observer une marge bénéficiaire dans leurs
57

multiples opérations antisociales et parfois scandaleuses bref, usuriers et
banquiers se feront toujours des politesses. D'ailleurs, comme on peut le
souligner, tous les commerçants se feront usuriers et tous les usuriers se
feront cQQœerçants.
La seule raison valable est la suivante: d'une part, le pret con-
senti au commerçant est destin~ à financer le plus souvent un investisse-
ment ou une affaire productive de bénéfice et là, il Y a possibilité de
gain pour llemprunteur. Cette possibilité variant avec le temps~ les lieux
et la nature des affaires, il y a lieu de laisser aux parties la possibilité
de déte~iner le taux de leur contrat en tenant compte des circonstances
propres au contrat, d'autre part, le preteur court le risque constsnt dO à
la mise en liquidation ou réglement judiciaire ~ventuel de son débiteur.
Et s'il n1y a pas préalablement eu nantissement sur le fond de commerce,
il risque de se voir payer en monnaie de faillite. Mais le pr@t civil en
g~néral, est souvent un pr@t à la consommation pour pallier soit une ou
deux récoltes mauvaises soit pour résoudre les difficultés d'une période
de soudure. Ces petits emprunteurs occasionnels m~ritent dl@tre protégés
par la société qui nia pas réussi à leur donner les moyens nécessaires pour
relever leurs revenus de vie. Donc, pour cela, la l~itation du taux de llin-
t~r@t est un impératif social.
68 - La nouvelle loi qui comprend un article unique fut alors vo-
tée. Elle dispose que
IILes lois du .3 septembre 1807 et du 19 décembre 1850 dans leurs
dispositions relatives à l'int~r@t conventionnel sont abrog~es en matière
de commerce. Elles restent en vigueur en maitère civile. 1I
Cette loi mérite de retenir quelque peu
notre attention, car elle
est riche de
conséquences.
Du fait du vote de cette loi, les articles premiers de la loi du
.3 septembre 1807 et premier de la loi du 19 décembre 1850 cessent de trouver
leur application en matière commerciale. De la confrontation du nouveau
texte avec les articles premiers des lois des J septembre 1807 et 19 décem-
bre 1850, il r~sulte qu'il n'y a eu qu'une abrogation très partielle dans
les tenœes précis de la loi
que la loi nouvelle
n'a modifié ni le
prin-
cipe, ni les taux d'intér@ts légaux. AinSi, lorsque les parties
n'ont pas
fixé expressément d'intér@t conventionnel, elles se trouvent plac~es sous
llempire de l'article 2 de la loi de 1807 et le débiteur paiera 5 ~ en
58

civile
matière et 6 t d'int~r@t en
matière commerciale. Lorsque la COnvention a
d~terminé un taux d'int~rlt supérieur au taux légal et que cette convention
prend fin mais que le d~biteur (l'emprunteur) ne
se libère pas, les lois
de 1807 et 1850 seront applicables pour le calcul des intérlts moratoires,
la convention a d~terminé llintértt en raison des circonstances et en tenant
compte de la valeur de l'argent telle que les parties l'ont appréciée pour
la durée du contrat. Au delà de ce terme, la valeur de l'argent peut atre
différente ~ les partiea nlayant rien pr~vu, rien décidé. le juge peut en-
demniser le
cr~ancier en lui allouant à
partir de la demande en justice,
llintér8t légal et cela nlest qu'une application des principes g~n'raux
du droit.
69 - En matière pénale, plus de poursuite,
quel que soit le taux
auquel l'argent est prlté, l'usure
ni aucun autre
délit. La grande dif-
ficulté désormais se situe au niveau de l'application.
Il faut d~terminer en quelle matière le prlt a ~t~ consenti. Est-
ee en matière civile ? !st-ce en matière commerciale ?
Nous avons pr~cis~ dans le premier paragraphe comment la juris-
prudence devant le silence de la loi, éclair~e par les travaux préparatoires
des lois des 3 septembre 1807 et 19 d~cembre 1850, avait résolu la question.
Il suffit de nous
résumer ici en rappelant un arrlt que la cour
de cassation a rendu en la matière.
"Attendu que les juges saisis d'une prévention d'usure ont le
devoir pour l'application de la loi nouvelle de 1886 et l'égale observa-
tion des deux dispositions bien distinctes qu'elle contient, de rechercher
dans les faits de la cause le caractère civil ou commercial des pr!ts,
quelles que soient les apparences dont ils sont entourés et la forme m~
dont ils ont pu ltre rev@.tus".
Les juges doivent donc faire usage de leur pouvoir souverain d'ap-
pr~ciation, ils doivent rechercher si les prêts consentis se rapportent en
réalit~ à des engagements et à des op~rations de matière commerciale ou
civile. Et leur décision est souveraine.
Ccmme i l a ~t~ écrit; lice qui donne, en général, à un acte, le ca-
ractère commercial, c'est la spéculation: toute opération faite dans un but
du trafic, avec l'intention d'en retirer un bénéfice, constitue un acte de
ccmnerce. (1)
(1) Dictionnaire de droit, Industrie et commerce.
59

B - SUSPENSION DE LA LIKITATION DU TAUX D'INTERET EN MATIERE CIVILE
70 - La loi de 1850 continuera donc à régir les prêts d'argent en
.ati~re civile. Hais cette loi destinée à protéger les intérêts des petits
prêteurs, s'est retournée contre eux. Tous les prêteurs banquiers et usuriers
ne pr8tent désonuais qu'aux hommes d'affaires car là les taux d'intér@ts
sont libres et les sp'culations vont bon train. A ce changement radical
d'attitude dans le comportement des prêteurs vient s'ajouter le boulever-
sement produit par la longueur de la premi~re guerre mondiale, les entraves
apportées à la libre circulation des capitaux, les besoins sans cesse gran-
dissants de 1"tat,etc •••
Devant la penurie d'argent engendrée par les guerres, l'état et
les communes 'taient amen's à emprunter A des taux usuraires, qui vont par-
fois jusqu'A 12 ~. Dans ces conditions, les propriétaires d'~eubles ruinés
par le moratoire, les agriculteurs grevés de frais dt exploitation de plus
en plus consid'rables, ne peuvent plus trouver de pr8teurs disposés à leur
consentir des prêts Civils sur la base du taux d'intérêt légal prévu à la
loi de 1807 et maintenu par les lois postérieures.
De ce fait, il devenait absolument nécessaire de suspendre It ap _
plication de la limitation du taux d'intérêt en matière civile.
L'article unique du projet de loi pr'senté à la chambre des dépu-
t's, le 8 juillet 1915, par le ministre de la justice de l'époque, est
ainsi conçu :
!lEst suspendue, pendant la durée de la guerre et jusqu'A une date
qui sera ftx'e par decret après la cessation des hostilités, l'application
de la loi du 3 septembre 1807 portant limitation du taux d'intér@t conven-
tionnel en matière civile."
Les justifications suivantes avaient été données par l'exposé des
motifs. Sans rechercher si, d'une mani~re générale, la fixation d'un maxi-
.um d'intérêt conventionnel ne constitue pas une protection plus apparente
que réelle pour l'emprunteur, obligé souvent de donner sous forme de com-
mission ou
de retenue ce qu'l ne paie pas sous forme d'intér@t, il est cons-
tant que, dans les cirConstances actuelles, la Illnitation du taux de l'in-
tér@t conventionnel A 5 ~ en mati~re civile est difficile à justifier alors
que les placements de premier ordre sont susceptibles d'être réalisés à des
taux plus rémunérateurs. Il devient donc presque ~ossible à un particulier
60

de trouver un capitaliste disposé à lui consentir un pr@t civil en respec-
tant lea prescriptions légalea.
Au cours des discuasions en commisaion, les membrea de ladite com-
misaion avaient remarqué que la fixation d'un taux fixe d'intér@t convention-
nel écrase l'emprunteur auaai bien en tempa de paix qu'en période de guerre
et qu1ainsi il vaudrait mieux aupprUDer tout a~lement les dispositions
des loia de 1807 et 1850 en ce qui Concerne ces l~itationa et en l~itant
dans le temps cette abrogation. Dans un projet d'article qu'elle substi-
tuait au projet gouvernemental, la commisaion prévoyait que la présente
suppreasion de l~itation du taux d'int'r@t aurait effet pendant cinq ans.
Finalement, après des hésitations et des controverses, toute
l~itation dans la durée a ' t ' rejet'e dans le projet définitif et ainsi,
aeules les Conditions du march' sont de nature 1 diterminer le d'lai et il
faut sien
remettre 1 une autre loi le soin de
disposer sur ce
point.
Ccmne l'e icrit H. CAPITANT (1) ~ " par 11 m@me, depuis 1918, l'u-
aure n'existe plus légalement. Si haut que soit le taux d'intér@t stipul',
quand bien m8me le pr@teur aurait abusi de l'ignorance ou de llitat de né-
cessit' de l'emprunteur, quand m8me il aurait exigi un taux bien supérieur
1 celui qui est normalement demandi, il n'y a pas acte usuraire ; la sti-
pulation est valable; le dibiteur est tenu de payer ce qu'il a promis.
Ainsi, le d'lit d'uaure evait compl~tement disparu en 1918 psr
le fait
de la suppression de la l~itation du taux de l'indr@t conventionnel. 1I
71 - Il feut cependant rappeler, et cela est ~ortant. que le
tsux d1int'r@t ligal est toujours applicable comme nous l'avions d'ailleurs
soulign', dans deux cas 1 en
premier lieu,
quand les parties avaient omis
de stipuler un
taux d'intér@t conventionnel, ce qui nous paratt exception-
nel, en second lieu, quand il s'agit d'allouer des intirlts moratoires à
un demandeur en justice, dana le cas où, 1 lléchience du pr@t, le débiteur
s'est abatenu de s'exicuter. Les intér@ts
conventionnels ne seraient plus
applicablea et c'est le taux ligal qui le serait 1 compter de la demande
en justice.
Comme nous l'avons constaté tout au long de cette étude, à llaube
de l'engagement de le lutte contre les exploiteurs de la mis~re et de la
(1) H. CAPITANT
,La répression du l'usure
O.K. 1935 pege 61 et suivantes
~1

pauvret~. moralistes. ~conomistes et financiers se sont mis d'accord pour
souligner les dangers des pratiques usuraires du point de vue général comme
de celui des particuliers. Le l~gislateur, jusqu'à présent. harcelé de part
en part par des consid~rations partisanes et intéress~es, n'a jamais su
choisir.
Cette forme malsaine de la charité ou technique de l'usurier qui
n'était et ne devait pas @tre un mécanisme no~l de financement a triomphé
sous la pression des capitalistes qui pr~tendent que la loi, loin de dêcou-
rager ou d'intÜDider les usuriers. les oblige plut8t à plus de précautions
pour ~chapper à la
répression. De l'anarchie de 1789, nous sommes arrivés
par les lois de 1807 puis de 1850 à la sévérité absolue. sans faille. De
ce sommet, nous avons amorcé une descente vertigineuse, aid~s dans notre
chute par des évènements tmprévus tels que la premi~re guerre mondiale et
les diff~rentes crises économiques de l'époque, pour revenir au point de
d~part. cest-A-dire à la libert~ totale dans les pr@ts d'argent à intér@t.
Voilà pourquoi nous avons qualifié cette période h~sitations et
errements des citoyens et de l'opinion publique qui ne savent pas exacte-
ment ce qu'ils demandent au l~gislateur, hésitations et errements du lé-
gislateur qui nia jamais .u choisir sa politique face aux m~faits de
l'usure. Pendant tout ce temps, comme nous le verrons, le législateur a
laissé l'Afrique A elle~e avec ses mis~res et pourtant dans ces contrées
lA. les transactions usuraires étaient tr~s pratiqu~es, soit au moyen du
l~étal précieux des blancsll , soit A l'aide de cauris et autres ou bien sUn-
plement sous fODDe de trocs. Les africains s'évertuaient avec la sagesse
des anciens et l'absolutisme de leurs rois de r~glementer les pr@ts à in-
tér@t avec les coutumes. Hais A cause de la multiplicité de ces coutumes,
c'était
une véritable loi de la jungle.
72 - Heureusement,
après une longue période de liberté des taux,
les pouvoirs publics, rompant avec le pass~, prenaient la décision de don-
ner une nouvelle définition de l'usure et de reprendre la lutte contre
l'usure. Cette nouvelle politique est instaurée par le décret du 8 aoQt 1935.
C'est également au cours de cette mime année 1935 que le législateur fran-
çais élabora la premi~re grande loi pour la
répression sur l'usure dans ses
colonies et dans les territoires sous son mandat. qui forment actuellement
1IO.C.A.M.
C'est ce d'cret-loi du 8 aoQt 1935 qui fera
l'objet de la section
62

SECTION
111 s
UNE NOlJVEIJ..E TENTATIVE DE LUTTE CONTRE L'USURE
LE DECRET-LOI DU 8 HlUT 1935
73 - Pendant la p~riode de retour A la liberté du taux convention-
nel d'int'r8t, c'est-A-dire depuis le 18 avril 1918, des abus ont 'té com-
mis. Cette liberté du taux de l'int~r8t aggravée par la grande crise 'co-
namique de 1929, appelait une taxation dea prftts d'argent. Partout, des
récriminations très vives s'élevaient contre des abus auxquels donnait
lieu la
libert~ de l'int'r8t conventionnel. Une tentative m@me a été
faite par un groupe parlementaire qui avait d~pos& une proposition de loi
en vue de r~tablir la l~itation du taux de l'int~rftt de l1argent, en 1934.
Dans l'exposé des motifs ces auteurs écrivaient: "la l~itation du taux
de l'int~t conventionnel en matilre civile est une n~cessité, une des
mesures les plus urgentes qui a'~osent pour pallier les cons~quences fft-
cheuses de la crise ~conamique actuellell • D'autre part, le taux excessif
de l'int'dt conventionnel est un facteur de vie chère et les emprunteurs
honn8tes se trouvent placis dans une situation plus que critique du fait
que le taux de leurs rentes en revenus divers d~inue alors que celui des
sommes eaprunt~es n'est
soumis A aucune r&glémentation restrictive. Ni
cette proposition, ni le projet gouvernemental du 22 mars 1935 ayant &galew
ment pour objectif le rétablissement du délit d1usure ne furent jamais dis-
cutés.
74 - Le gouvernement, conformément A la délégation de pouvoirs
confiie par la loi, am~nagea un nouveau rég~e de la répression de l'usure
pour mettre un frein A l'anarchie qui régnait dans ce domaine. C'est l'ob-
jet du décret-loi du 8 aoOt 1935.
On constatera A la fin de l'analyse de cette loi et à la lumière
de la pratique que la définition était sibylline et Bon epplication devait
s'avérer illusoire en particulier la r~férence A des pr8teurs de bonne foi
correspondant à une appréciation difficile A porter. Cela motivera le lé-
gislateur français et l'amènera l revenir A la charge pour définir encore
une fois une nouvelle politique de lutte Contre l'usure.
Aucune légialation n'est jamais parfaite ~édiatement ; le texte
idéal finit par na!tre du contact avec la pratique. Le législateur édicte
une mesure nouvelle quand l'individu visé, en s'efforçant de contourner
63

la première, par les moyens qu'il emploie, révèle les imperfections du texte
légal. On y r~die et la fraude cherche une autre voie. Ainsi de suite,
sans arr't, dans l'a~osphère douteuse des cabinets d'affaires et dans les
décisiona des tribunaux, le législateur puisera de nouvelles ressources
pour tendre vers la perfection. Ainsi, le décret~loi de 1933, une fois de
plus, n'aura été qu'une étape dans la recherche des voies et moyens pour
sévir contre l'usure sans pour autant porter atteinte à la politique de
crédit, l'une des conditions vitales du développement économique.
Ce décret~loi procède à des innovations. Tout d'abord à une nouvelle
définition de l'usure tout à fait différente
de la précédente et accro!t
le pouvoir dl appréciation du juge du fait dans la déte~ination des éléments
constitutifs du délit. Ceci fera l'objet de notre premier paragraphe.
Le domaine dlapplication de la loi sera plus étendu que celui qui
lui est dévolu dans les législations sntérieures (paragraphe 2). Enfin,
on pourra noter également des innovations dans le domaine des sanctions
(paragraphe 3).
PAlUrGRAPHE 1
; LES CARACTERES ET LES OONDITlONS DU DELlT D'USURE DANS
LE DECRET-LOI DU B AOUT 1935
A ~ DEFINITION DU DELIT D'USURE
73 ~ Les légialations antérieures à savoir la loi du 3 septembre
1807, celle du 19 décembre laBo étaient vraiment inadaptées aux exigences
de la vie des affaires. Par ailleurs, plusieurs pays européens avec lesquels
la France a des relations d'affaires abolirent la ltmitation du taux de
l'intérlt dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Ainsi, pour remédier à une ltmitation rigide du taux de l'intér@t
conventionnel qui s'adapte mal avec les fluctuations de la vie économique
étant donné que le loyer de l'argent varie suivant les périodes de prospé-
rité ou de crise, pour 8tre en accord avec les législateurs des pays voi~
sins qui ont abandonné presque tous,les l~itations du taux de l'intérat
conventionnel, il sera procédé à une nouvelle définition du délit d'usure.
Dorénavant, suivant l'article premier du décret-loi du a aont 1933.
l'uaure consistera dan~ le fait d'exiger un taux d'intér8t dépassant de plus
de la moitié le taux moyen pratiqué dans les mêmes conditions par des pr@.
64

teurs de bonne foi pour des opérations de crédit comportan'
ques que le prlt dont 11. s'agit. Llusure est donc "le fait Q~
prat un profit excessif, hors de proportion avec les conditions
de crédi tU.
Cette définition diff~re énoDmément de cette donnée par la loi
du 3 septembre 1607 et maintenue par la loi du 19 décembre 1850.
La loi du 3 septembre 1601 fixait le taux qui ne pouvait dépasser
5 ~ en mati~re civile et 6 ~ en mati~re commerciale.
Par contre, le législateur du décret-loi du 8 aoOt 1935 esttme
qulune règle inflexible ne pouvait pas st~oser dans tous les cas. Que
le développement m~ du commerce et de llindustrie exige une certaine sou-
plesse dans la déte~ination du taux de llintérlt.
76 - Cependant, une autre remarque s'impose,
c'est que la loi de
1935 a supprüné une difficulté pour la remplacer par une autre: la nouvelle
loi ne fait plus de distinction entre prQt ou opération en mati~re civile,
en revanche, elle introduit dans la législation sur ltusure la notion de
prtteur de bonne foi et de
prateur de mauvaise foi sans définir ce qulil
entend par prtteur de bonne foi.
Ces prlteurs de bonne foi sont naturellement les banques,
les
établissements de crédits ainsi que toute personne morale ou physique ré-
guli~rement agréée par la législation en vigueur.
71 • Hais le domaine dans lequel le décret de 1935 apporte une in~
novation ~ortante par rapport à la législation antérieure est celui de
la stipulation du taux dlintérlts excessifs. Pour savoir slil y 8 usure ou,
non le juge doit faire deux d6marches préalables ; il doit rechercher le taux
pratiqué dans les mimes conditions et ce sera le premier terme de comparai-
son. C'est le tribunal, en un mot, qui décidera par une comparaiaon entre
le taux exigé par le pr@teur et le taux normal demandé pour des risques ana-
logues, par des prlteurs de bonne foi, si la proportion indiquée se trouve
dépassée. Par exemple, si le taux effectif est de 14~, alors que le taux
pratiqué par la banque dans des opérations sna10gues est de 8 ~, le prlt
sera dtk lad. usuraire.
Hais la détermination du
taux effectif et du taux moyen n1est pas
sussi simple, comme nous venons d'en donner l'exemple.
6S

78 - Une dernière remarque s'impose avant d'examiner le raIe du
juge dans l'application de ce d~cret-loi ; l'article premier parle désor-
mais d'opérations de cr~dit au lieu de prtc d1argent comme c'~tait le ca~
dans llancienne législation. ce Qui ~larglt énormément le domaine d'appli-
cation de la loi.
Les usuriers sont très astucieux et c1est pour cela que le juge
doit ttre vigilant, faire preuve d'esprit de clairvoyance dans la détermi-
nation du taux de l'int~r@t. La justice ne peut !tre sauvegardée avec des
lois ainsi floues et ~récises Que celle du a soOt 1935 Que grftce à la
lucidlt~ d'esprit du praticien. Donc pour la détermination du taux effecR
tif dans un contrat litigieux soumis à son office, le juge ne doit pas
s'arr@ter au taux apparent, c'est-à-dire à celui Qui figure dans l'acte
officiel. Il est courant chez les pr@teurs, compte tenu des nécessités
urgentes dans lesquelles se trouvent leurs clients d1exiger des Ildessous
de table ", constitués de SCJJJlDes parfois très importantes. Le Juge doit
donc tenir compte de ces sammes irr~gulièrement reçues sous de fausses
d'nominations (commission. frais. timbres, etc ••• ) et qui constituent de
v'ritables int~r@ts occultes. Les astuces des usuriers pour ~chapper à la
loi sont multiples. On verra qu'elles le sont davantage en Afrique.
Prenons un exemple ; un emprunteur reçoit 30 000 F et signe une
reconnaissance de dette de 50 000 F. En plus des 20000 F per~us. le pr@-
teur exigera le taux moyen pratiqu6 par les pr~teurs de bonne foi pour des
op~rations de crédits analogues comportant les m@mes intér~ts pour rémuné-
rer les 30 000 F qui figurent dans llacte de
prtt. Si le taux
no~l
est de 10 t, le taux
effectif sera de :
20 000
x
100
+ 10 % =
76,667.
30 000
Le prtt est usuraire, mais si on s'arr@tait au taux apparent, le
pr@teur échapperait à la répression. Le plus souvent, les emprunteurs.
petites gens ne poss'dant pss de surface financière suffisante pour sol-
liciter le pr@t des 'tablissements agré's craignent de dénoncer le méça-
nisme dans la crainte de ne plus trouver de source de crédit dans les
p'riodes difficiles. C1est le cas en Afrique du cultivateur qui a investi
en semences, engrais etc et devait décaisser pour S8 nourriture et son
entretien sans rentrée de trésorerie jusqu'à la vente de sa récolte et qui
est obligé s'il ne veut pas beaucoup slendetter de s'exposer à l'entreprise
66

de l'usurier contre qui il se plaint rarement.
Quel doit @tre le pouvoir d'appréciation du juge de fait dans l'ap-
plication de la loi du 8 aoOt 1935 ?
B -
POUVOIR D'APPRECIATION DU JUGE
79 - Il appartenait donc aux juges de restituer au contrat sa véri-
table nature. C'est à lui qu'il appartient de déterminer souverainement le
taux effectif moyen pratiqué dans les m~es conditions par des pr'@teurs de
bonne foi.
Dans une espèce soumise à la chambre cr~inelle le 5 d~cembre 1946)
la cour de cassation avait décidé qu'aux termes du décret-loi du 8 aoOt 1935,
il Y a délit d1usure lorsque le pr~t conventionnel a été fait à un taux
effectif dépassant de plus de la moitié le taux moyen pratiqué dans les
m@mes conditions par des pr@teurs de bonne foi pour des opérations de cré-
dit comportant les m~s risques que le pr@t dont il s'agit, que la quali-
fication de prtme d'assurance donnée à une partie du taux de llintér@t d'un
pr@t ~éconnatt la règle suivant laquelle toute somme qui s'ajoute à l'in-
tér@t dlun prat, quelle qu'en soit la dénomination entre en ligne de compte
pour llapplication du décret-loi du 8 aoOt 1935 qu'ainsi l'arr@t attaqué
a violé Les textes visés au moyen
etc •••
Dans llespèce, la cour de cassation qui s'érige en juge de fait
pour la circonstance pour mettre fin aux tatonnements et aux égarements
des juges de fond se réserve, comme lia souligné H. COUTURIER (1)
"le droit de vérifier si les sommes complémentaires stipulées en plus de
l'intértt qui figurait officiellement dans le contrat constitue ou non le
paiement d'un service effectivement rendull •
Pour
la cour de cassation, la notion de taux effectif est une
application de la règle suivant laquelle "toute somme qui s'ajoute à llin_
tértt d'un pr@t, quelle que dénomination qu'on lui donne) entre en ligne
de compte.
60 - Avec le décret du 8 aoOt 1935, pour permettre à la cour de
cassation d'exercer éventuellement son contr81e.
le juge du fait doit se
(1) Memoire de doctorat Dijon 1966 op. cité page 38 et suivantes.
67

livrer à deux démarches : il doit rechercher le taux effectif et le taux
moyen pratiqué
par les pr@teurs de bonne foi dans des opérations analogues.
Par conséquent, il devra prendre en considération la nature commerciale ou
civile du pr~t, la qualité de l'emprunteur et celle du pr@teur, la région
où le pr@t a été fait. Il devra également tenir compte des risques de l'op~­
ration et en particulier, des garanties, des sQretés fournies par l'emprun-
teur. Ce faisant, le juge doit préciser et motiver sa décision. L'intér~t
de référencea doit ~tre celui pratiqué dans des conditions analogues par
des pr@teurs de bonne foi. Le juge ne devra pas tenir compte des intér~ts
exigés couramment par des usuriers notoires, les banquiers véreux, les agents
d'affaires suspects mais de ceux des capitalistes ou des banquiers qui cher-
chent non à exploiter leur prochain mais à faire fructifier les capitaux
ainsi écrivait GERVAIS (1). Cependant, notons que cette position H~~ERVAIS
para!t un peu superficielle, car llhonn@teté est exceptionnelle dans la
vie des affaires. Les juges auront du mal à trouver le prototype du prlteur
décrit par H. GERVAIS dans sa thèse.
Le juge doit définir le taux moyen.
Pour
définir le taux moyen, le juge doit faire appel aux deux
notions : celle d'opérations analogues et celle de pr@teur de bonne foi.
Le juge qui essaie de détenniner le taux moyen doit examiner des
conventions analogues à celles qui lui sont soumisea mais cela n'est pas
facile aux juges de l'époque qui nlavaient reçu qu'une formation de droit
pur. Leur formation ne les avait pas alors préparés à ces analyses finsn-
cièrea.
Pour déterminer le second élément viaé dans la définition du délit
d'usure, le juge doit rechercher le taux moyen pratiqué dans des opérations
effectuées dans les mtmes conditions et comportant les mimes risques.
81 _ Le législateur malheureusement. ne définit pas ce qulil en~
tend par ''rQ@mes conditions". La notion de tdm.es conditions est très vaste,
elle peut @tre fonction de la nature du contrat, c'est-à-dire civile ou
comme~ciale, de la
qualité des parties en cause, de la région où le ;r@t
a 'té fait, du secteur d'activité dans lequel le pr@t est destin' à finan-
cer et des conditions de garanties qui entourent le prlt.
(1) GERVAIS 1 La lünitation du
taux de l'intértt conventionnel
Thèse de doctorat Paris 1936
68

Le preœier élément important est la nature commerciale ou civile
du prtt. Si le taux moyen peut @tre plus é1évé en matière commerciale qu'en
mati~re civile) clest tout simplement parce que les opérations financières
sont plus rémunératrices pour l'emprunteur.
Quant aux risques, ils ne sont pas plus nombreux en matière commer-
ciale qu'en matière civile: si celui qui pr@te A un commer~ant court le
risque de rég1ement judiciaire ou de liquidation des biens dans lesquels
il peut 3tre payé en monnaie de faillite) il a quand marne une garantie,
c'est de prendre préalablement nantissement sur le fonds de
commerce et
par ailleurs, en pr~tant à un non commerçant, c'est-à-dire dans les prêts
en matière civile, A l'époque de la loi) il pouvait également se trouver
devant un client tombé en déconfiture et lA, il n'avait aucune garantie
solide. bien au contraire, le procès civil étant plus difficile A soutenir.
Malgré tout, il est généralement admis qu'il est légitime que les
conditions de pr@ts soient plus sévères en matière commerciale qu1en matière
civile. Donc) quant à Ce qui concerne la prise en considération de la nature
civile ou commerciale de llopération financée par le pr~t pour élucider la
notion de mtmes conditions, il faut sUnplem~nt, selon nous, se placer sous
l'angle du bénéfice possible que l'emprunteur peut tirer des sommes mises
à sa disposition par le pr@teur.
Dans une espèce soumise à la chambre des Requ~tes (1) la cour de
cassation a décidé que le caractère civil ou commercial d'un pr3t est uni-
quement fonction de la destination de la somme pr@tée. Il tmporte donc peu de
rechercher la nature m@me de l'opération et le but poursuivi par les parties.
Le taux moyen subit également l'influence des facteurs économiques
et politiques qui varient suivant les paya et les époques. Le taux ne sera
pas le m@me selon que le pr3t a été consenti en une période de crise écono-
mique ou non. Le juge doit tenir compte dans ses recherches des opérations
identiques. Ce taux moyen imposé par Certaines catégories de prftteurs s'ap
précie ais~ent car ce taux moyen est habituellement public. Pour certaines
organisations professionnelles, les intér@ts versés aux clients sont non
seulement publiés mais aussi commentés. Il slagit) en général, de conditions
minUna) de taux plafonds. En tout cas, ces taux peuvent servir de base A
l'est~tion du taux moyen au sens du décret-loi du 8 aoQt 1933. L'associa-
tion des banques est chargée d'assurer l'application de ces conditions.
(1) Casso Req. 12-6-1894
D.P. 1894
1 - 473
69

Il faut souligner que les banques et les établissements financiers sont des
entreprises contr8lées en vertu de textes sévères par la banque de France
et la commission de contrale des banques.
En un mot, le législateur laisse au juge le soin de déterminer
le taux normal dit Iltaux moyen" qui sera l'un des éléments constitutifs
du délit d'usure. Le juge fait usage de son pouvoir souverain dlapprécia-
tion.
La cour de cassation a confirmé la solution dans un arr@t du
6 mars 1963, en décidant qulil appartient aux juges du fond saisis de pour-
suite pour délit d'usure en application du décret-loi du 8 aoOt 1935, d'ap_
précier souverainement, d'après les éléments de preuve qu'ils ont à leur
disposition, le taux effectif de llintér@t exigé par le prévenu et le taux
moyen pratiqué dans les m@mes conditions par des pr@teurs de bonne foi pour
des opérations analogues comportant les m@mes risques. Les juges du fait
doivent obligatoirement fixer ce taux moyen pour permettre à la
cour de
cassation d'exercer un contr8le eventuel.
82 .. Qu1est-ce que 18 loi entend par " op érations de crédit com-
portant les œtmes risques ?
Il faut que le juge se demande quels sont les dangers que les ca-
pitaux pr@tés vont courir entre les mains de l'emprunteur en raison de la
situation personnelle du débiteur ou des conditions du milieu dans lequel
il op~re. On peut tout de m@me penser que les risques ne sont pas prévisibles
sinon ils ne seraient pas des risques. Il est néanmoins légitllne qulun in..
t'rat élevé vienne compenser le pr@t d'une somme d'argent qui est suscepti-
ble de subir des aléas extraordinairement du fait de son utilisation pour
une opér8tion ou par un homme sans grande expérience. La justification
économique et sociale de la position de ceux qui soutiennent qulil faudrait
exiger un taux d'intér@t fort chaque fOis qu'il y a risque de non rembour-
sement se résume ainsi : vous nl~tes pas sOr de réaliser une bonne affaire
pour cela nous exigeons un taux fort ou bien vous n'avez pas l'expérience
qu'il faut pour la branche d'activité que voUs voulez exercer, ou bien en-
fin parce que nous ne sommes pas du tout assurés que votre récolte sera
bonne A la fin de llannée et pour ces raisons on vous demande un taux d'in-
tér@t élevé. Non seulement cela semble aberrant, mais appara!t comme une
fraude A la loi. Si dans cette branche d'activité, les opérations rapportent
70

assez, le taux moyen doit @tre élevé mais le prêt a été cons
civile.
Après avoir pris en considération les conditions et les risques
inhérents aux opérations de crédit dont il s'agit, le juge doit chercher
à savoir si ce taux est celui pratiqué par les pr@teurs de bonne foi.
c - LA NOTION DE PRETEUR DE ~/
83 - L'intér@t type. c'est-à-dire le taux moyen, ne devra @tre que
celui pratiqué par les 'lpr@teurs de bonne foi". Le juge ne devra pas tenir
compte des intér@ts exigés m~e couramment par les usuriers notoires, les
banquiers véreux, les agents d'affaires suspects mais de ceux qui sont gé-
néralement pratiqués, stipulés par les capitalistes qui l~itent. dans une
mesure raisonnable, leur appétit de gain excessif. Les juges de l'époque,
dans leurs recherches du
taux moyen pratiqué par les pr@teurs de bonne foi
au moins pour les pr@ts agricoles, se renseignent auprès des chambres de
notaires pour connattre les taux moyens qui sont pratiqués dans leur re-
sort en Ce qui
concerne les pr~ts agricoles et hypothécaires, par exemple
le plus souvent les pr~ts constatés par les notaires sont des pr@ts consen-
tia par des pr@teurs de bonne foi et les notaires sont rarement complices
des usuriers et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles ces no-
taires ont eu, dans le temps à souffrir de la concurrence des agents d'af-
faires qui, eux, sont plus habituellement au service des pr@teurs de mau-
vaise foi (1).
Par ailleurs, bien avant que la cour de
cassation ne soit amenée
à donner une définition jurisprudentielle à la notion de bonne foi, le tri-
bunal correctionnel de Lille dans un jugement du 30 janvier 1939 en note
à la
gazette du palais 1939-1-1792, proposa la définition suivante
"un pr@teur de bonne foi doit s'entendre de
celui qui, compte tenu du
risque couru par le capital engagé, de l'état et des possibilités du mar-
ché financier et des frais généraux concernant la marche de l'entreprise,
retire de ses opérations de pr@t un profit ou un intér@t normal en rapport
avec ces él~entsn. Cette définition est valable dans une société évoluée
(1) Cass. Crtm. 3 fév. 1944 • J.C.P. 1944 - l - 417
C.A. Paris 9 février 1953 J.C.P. 1953
II
7596
71

qui suppose qu'il y a un peu partout des notaires (alors que dans la Répu-
blique POpulaire du Bénin il n'y a que 2 notaires ! ) et que surtout des
p~teurs acceptent leurs services d'une part et d'autre part, les critères
de risque sont trop subjectifs pour déterm1.ner l'existence de la bonne
foi
les conditions du march~ financier sont très variables voire d'une semaine
à l'autre à cause de l'instabilité monétaire et du jeu de la demande.
Pour la cour d'appel de Paris (1) deux caractères essentiels doi-
vent ~tre exigés d'un ''prftteur de bonne foi ll • En premier lieu, on ne saurait
consid~rer comme prftteurs de bonne foi des individus qui se concertent peur
pratiquer et maintenir des taux de pr~ts abusifs. Pour le cas où une entente
frauduleuse serait intervenue entre les banques ou asences d'affaires aux
fins d'établir des barèmes communs stipulant des taux hors de proportion
avec un profit no~l et dans le but de faire échec au teate pénal, il se-
rait possible au juse d'y parer et de trouver dans un calcul équitable du
taux dtintér~t les termes de comparaison nécessaires pour l'application du
décret-loi du 8 aoOt 1935.
D'ailleurs, la cour de cassation a reconnu ce pouvoir souverain
d'appréciation au juse du fond lorsqu'elle décide qu'en l'absence de ren-
seignement concernant le taux pratiqué dans les opérations de prftt d'une
nature identique à celle du pr@t incrtminé, le juse du fond peut rechercher
les éléments de comparaison dans les taux habituels de placement à l'époque,
en tenant compte des risques encourus par les capitaux ensagés. C'est ainsi
que le tribunal correctionnel a refusé la qualité de bonne foi à des cabi-
nets convenus d'appliquer des conditions semblables.
On ne saurait considérer comme étant de bonne foi, bien que fai-
sant profession habituelle d'effectuer des opérations de crédit à court
terme, ceux qui se soustraient volontairement au contrale de la commission
des bsnques en ne se faisant pas inscrire leur profession sur les listes
prévues par la loi du 14 juin 1941. Ils sont en état d'infraction, comme
faisant profession illicite de banquier ou d'établissement financier sans
y avoir été légalement autorisé.
Par ailleurs, certains pr@teurs s'entendent pour harmoniser leurs
tarifs usursires et chacun des membres de l'entente se prétend de bonne foi
(1) Paris 9 février J.C.P. 1953 Il
7596
72

en se référant à une pratique commune. Cette loi de groupe peut ~tre vicieuse
et la notion de bonne foi mise en cause (1).
Pour K. VASSOGNE "le fait pour une personne de consentir habituel-
lement des pr@ts à court teDme ou de faire de llescompte sans @tre inscrite
sur une liste des banques ou enregistrée comme établissement financier,
constitueraient la mauvaise foi 8U sens du décret-loi du 8 aoOt 1935, le
taux pratiqué par les officines ne saurait servir
de référence à l'estima_
tion du
taux moyenll • (2).
Halgré tout, le taux exorbitant est en général accepté par un dé-
biteur aux abois qui n'a pu trouver de pr@t dans des conditions plus avan-
tageuses. Comment, dès lors, qualifier d'usuraire ce taux puisque toute
comparaison est Unpossible.
84 - Pour déclarer usuraire le pr@t, il faudrait prendre en consi-
dération le point de vue économique de l'opération.
Ce pr@t va servir peut ~tre à un débiteur dont la situation com-
promise est obligée de poursuivre une activité qui a toute chance d'aggra-
ver sa déconfiture, d'aggraver le risque pour le crédit public mais la cour
de cassation est d'avis contraire. Pour la haute juridiction, lorsqulil est
Unpossible de découvrir le taux moyen effectivement pratiqué pour des opé-
rations de pr~t comportant les m@mes risques, il appsrtient au tribunal
d'apprécier lui~@me qu'un pr~teur placé dans ces conditions serait en droit
d1exiger" (3). Hais le doyen CARBQNNIER pense que dans ce cas Ille taux n'est
plus déteDminé par relation avec la pratique mais en soi et m@me abstraite-
ment ll •
La
notion de bonne foi laisse effectivement place à toutes les
spéculations possibles car il s'agit là de notion très subjective.
Comme l'a relevé H. le Professeur GAVALDA 1111 est vraiment
fS ..
cheux de laisser éventuellement proclamer, sur la base de la souveraineté
'......
des juges du fond, des taux de références très différents dans des situations
(1) 6 mai 1964 D 1965
468 notes GAVALDA
(2) Notes Paris 9-2-1953 J.C.P. 1953
II
- nO 7596
(3) Crim. 18 octobre 1946 - Gaz. Pal. 1946
235
73

financières identiques (1). Car ce pouvoir souverain non seulement porte
atteinte au principe de l'autonomie de volonté dans la conclusion d'un
contrat, comme nous le verrons par la suite, mais surtout il peut débou-
cher sur l'arbitraire.
Il faut alors désormais
rechercher les contrats qui entrent dans
le champ d'application du décret-loi du B ao~ut 1935. Il faut chercher
surtout A savoir si ce champ d'application, c l est MàMdire le domaine de la
nouvelle loi est plus ~tendu ou plus restreint que celui de la l~gislation
ant~rieure et clest l'objet du second paragraphe.
PARAGRAPHE II
; LES DOMAINES DI APPLICATION DU DECRET-LOI DU 8 AOUT 1935
85 _ Il est incontestable que, pour qu'il y ait un contrat
usuraire
il faut trois éléments: un pr@t conventionnel, un taux moyen (taux de ré-
férence) et un taux excessif (taux effectif) c'est-A-dire celui exigé par
le pr~teur comme rémun~rateur des capitaux pr@t~s. On vient dlanalyser les
deux premiers éléments et on a remarqué que clest une innovation par
rap-
port à la loi ancienne.
Llarticle
premier du d~cret-loi du 8 aoOt 1935 parle de pr~t con-
ventionnel.
Donc, comme BOUS llempire de la loi ant~rieure, la répression de
l'usure nlint~resse que les pr@ts conventionnels.
Gamme lia souligné M. le Professeur VASSEUR (2) -l'adjectif conven-
tionnel inséré dans le d~cret-loi du 8 aoOt 1935 et dans la loi du 3 septem-
bre 1807 est superfetatoire puisque tout p~t est un contrat ll
L'article 1892 du code civil dispose bien que le pr~t de consomma-
tion est un contrat par lequel l'une des parties livre ~ l'autre une cer-
taine quantité de choses qui se conscmment par l'usage etc ••• "
Le décret-loi du B aoOt 1935 est très vague et très flou sur ce
qu'il entend par pr~t. Il n'en d~termine ni la forme, ni le contenu.
Des controverses sont nées alors pour déterminer le domaine exact
d'application de la loi. Il y a ceux qui veulent qu'on le limite aux pr@ts
d'argent stricts sensu par
qulils donnent ~ la loi sur l'usure la préémi-
(1) GAVALDA ET STOUFFLET : limitation du taux d'intér~t
op. cité
nO 8 et suivants
(2) Usure
et pr@t d'argent - Revue Banque 1967 P. 458
nO 6
74

nence de llaspect pénal qui demande une interprétation stricte. Il y a éga-
lement ceux qui voudraient qulon étende le champ dlapplication de la loi
du 8 aoQt
1935 aux opérations assimilables aux pr@ts dlargent parce qulils
pensent que la 'législation sur llusure appartient au droit économique.
Camme lia fait remarquer M. le Professeur GAVALDA (1) l'intention
du législateur a été de retenir, dans des lUnites raisonnables, le loyer
de l'argent. Et que s'agissartde législation économique dans laquelle les) c:ry
infractions sont définies avec moins de précision que dans la législation
pénale classique, ~ cause de llévolution rapide en la matière, il serait
~
vraiment snnpliste de vouloir s'en tenir strictement aux conventions qui
semblent y ttre clairement mentionnées. Il semble préférable ~e pencher
du c8té de ceux qui soutiennent que la volonté du législateur serait d'é-
largir le domaine de la répression de llusure et d1atteindre autant que
possible toutes les opérations comportant un crédit en monnaie m~e si
elles ne s'analysent pas juridiquement en un prtt. Hais
il faut reater
dans les limites raisonnables ~ cause du caractère hybride du décret-loi
du 8 aoOt 1935 qui est à la fois une loi pénale et une loi économique. Nous
savons très bien que la loi pénale ni admet pas un raisonnement par analogie.
Avant de déterminer les contrats auxquels slappliquent les nou-
velles lois, il est nécessaire, dans le silence de la loi, de définir la
fonne que doit re~tir le contrat de pr@t conventionnel.
A - FORMES QUE DOIT
REVETIR LE CONTRAT DE PRET CONVENTIONNEL
86 - Nous savons que ce qui nlest pas défini dans une loi spéciale
obért au doit commun. Ainsi, le décret-loi du 8 aoOt 1935 n'ayant rien dit
quant à la fo~e du pr@t conventionnel,l'article 1907 du code civil trouve
son application dans ce domaine. Cet article dispose dans son dernier ali-
néa que "le taux d'intértt conventionel doit $tre fixé par écrit aussi
bien en
matière civile qulen matière cornmercialell • Le problème est alors
de savoir slil slagit d'une règle de forme ou de moyen de
preuve.
Les positions sont controversées : pour une bonne
partie de la
doctrine et de la jurisprudence, l'article 1907 du code civil édicte une
condition de validité du contrat, cfest-à-dire de validité de la stipulation
(1) GAVALDA
Op. Cit. nO 9 et 10
75


de 111nt~rtt conventionnel (1).
Certains
pr~tendent que le 1~gi81ateur édictait l'alinéa 2 de
l'article 1907 du code civil, aurait voulu par là contr81er llactivit~
des usuriers qulil Ifobligerait à travailler au grand-jourll • Cet argument
ne nous satisfait pas car les parties peuvent dans un écrit, indiqué un
taux dtintér@t qui n'est qu'apparent ~tant donné que rien ne les empQche
de stipuler un taux occulte qui ne figurerait pas dans l'acte de prêt.
D'ailleurs, si les parties omettent de mentionner le taux conventionnel,
le contrat n'est pas pour autant moins valable, la jurisprudence décide
que dans pareil cas, Il ya lieu de considérer que les parties sien remet-
tent au taux moyen pratiqué dans les mames conditions pour des opérations
de crédit comportant les m3mes risques que le pr@t dont il s'agit (2).
Il faut donc
voir dans l'exigence d'un écrit un moyen de preuve.
En droit
commun, si une personne réclame le paiement d'une somme d'argent,
le remboursement d'un pr@t par elle consenti, elle produira, en principe,
un écrit bien qu 1 0n dise qu'exceptionnellement la preuve puisse se faire
par témoins ou par présomptions.
La validité du contrat de pr@t obétt au principe de droit commun,
m~e si la classe n'est pas indiquée, le contrat n'est paémoins valable.
tel en a décidé le législateur dans l'article 1132 du code civil. Donc,
dans toua les cas, l'écrit qui constitue l'engagement des parties est vala-
ble en tant qu 1 instrument de preuve. Peu importe que le taux de l'intér@t
conventionnel y soit indiqué, dans le silence des parties ce taux est pré-
sumé. C'est le taux moyen habituellement pratiqué pour les opÉrations de
mftme nature. Le juge fera néanmoins appel à son pouvoir souverain d'appré-
ciation pour rechercher la volonté des parties. Hais le problème est plus
délicat en cas
de stipulation de taux variable de l'intértt conventionnel.
87
Nous verrons que, instruit par l'expérience métropolitaine,
le législateur français complètera le décret du 22 septembre 1935 destiné
à réprtmer l'usure dans les colonies françaises d'Afrique Noire et dans les
territoires du Togo et du Cam~roun par un autre décret du 9 octobre 1936
qui rendra en quelque sorte l'écrit et le visa obligatoires dans les pr@ts
(1) Traité pratique de droit civil
Ed. 1954 -
Tome XI nO 1151
(2) Requ@tes 19- 10 - 1937
Gaz. Pal. 1937
2 - 833
76

d'argent
entre particuliers. L'exigence du visa sera ur
validité du contrat du prat conventionnel. Hais un autr
la notion du taux conventionnel est celui du taux dlinte~~w
88 - Pour parer aux conséquences de l'érosion monétaire, les pr@_
teurs prennent souvent soin d1assortir leurs opérations de prat d 1 une clause
d'échelle mobile. Il s'agit de faire dépendre la dette et les intér@ts de
la variation du co~t de certaines denr~es ou indices économiques choisis
par les parties comme monnaie de compte. Ces clauses dites économiques se
référant au cours de certains prix et indices de détail ont été en général,
considérées comme valables mais la cour de cassation a émis deux réser~es
dont l'une intérease direct~nt les pr@ts d'argent. La première réserve
qui est psychologique, nlest pas prise en considération
10rsqu1il appa-
ra!t que le
but recherché est monéta1.re. La seconde con~iste pour la cour
de caasation A annuler toutes celles qui figuraient dans un contrat de pr~t
d1argent. La haute juridiction se référait ~ l'article 1895 du code civil
qui était considéré par elle comme étant d'ordre public. Cette jurisprudence
était très critiquée, on voit mal pourquoi la clause d'échelle mobile aurait
une valeur déterminante dans les prats d'argent et valeur supplétive dans
les autres contrats. Il fallut la promulgation des ordonnances des 30 sep-
tembre 1958 et 4 février 1959 pour que le législateur prenne position sur
la question (1).
M. VASSEUR
estime que cette interdiction, en vertu de l'article
1895 du code civil, est une barrière ~ llinflation monétaire.
Il semble que l'opinion de M. STARCK qui estime que la thèse an-
nulant le taux d'intérêt variable dans les pr~ts conventionnels d'argent
soit injuste. La dispropordon entre les sommes dues en vertu des contrats
autres que le
pr~t
et celles qui
résultent des pr~ts d'argent est trop
grande
pour que la nullité des clauses d1échelle mobile qui font varier
le taux de l'intér8t conventionnel dans ces derniers contrats joue le tele
de barrage contre le déferlement inflationniste résultant du principe 11
on n'arr8tepas un raz de marée avec des palissades".
D'autre part, si l'on proclame la nullité de ces clauses ,dans lea
prats, privés qu'ils seraient de la sauvegarde que leur procureraient les
clauses adm~ttant les taux variables et K STARCK de conclure: " c 'est un
4
(1) Revue trimestrielle de droit civil 1952 page 433
,. - t
l"~·l
77
~
,
.1

ruoyen infaillible pour arriver à la fermeture du "robinet" de crédit.
Le reauMe est pire que le mai ll •
89 .. Spectaculairement, il y eut un revirement de jurisprudence
Le 27 juin 1957, la chambre civile de la cour de cassation devait aamettre
la validité d'une clause de variation du taux d'intér@t stipulé dans un
pr@t d'a~ent indexé sur le prix du blé (1).
Deux principes se dégagent de cet arr@t
.. d1une part, l'article 1895 du code civil nlest pas d'ordre pu-
blic et dlautre part, la chambre civile a levé toutes les restrictions te-
nant au pr@t d'argent et à l'intention des parties. Cette atténuation des
restrictions antérieures évoluent progressivement Car plusieurs arr@ts ont
été rendus postérieurement par la cour de cassation dans le m3me sens (2)
La cour de cassation adopta la m@me position pour l'indexation sur les
"213 articles" en précisant que le fait que 1.fF·âH que cette clause se
combine avec un intér@t de 12 ~ n'implique pas llusure (3).
Il résulte alors de la jurisprudence que le pr@t d'argent nlétait
pas soumis à un régÜDe spécial par rapport aux autres contrats. C'eat dans
cette atmosphère que fut publiée llordonnance du 30 décembre 19S8 modifiée
par celle du 4 février 1959.
Apr~s avoir élucidé ces problèmes, voyons quel est le domaine d'ap-
plication de la loi c'est-à-dire les opérations de prtt qui entrent dans
le champ dlapplication de la nouvelle loi à llexception du pr@t d'argent.
B _
LE PRET DIARGENT ET LES OPERATIONS ASSIKILABLES
90 _
De tout temps, la limitation du taux conventionnel de l'in-
tér@t a eu son domaine
IllDité à quelques contrats. Celui de la législation
antérieure concernant uniquement les pr@ts d1argent, ce qui revient à dire
que les pr@teurs peuvent imposer, en toute liberté, à leurs clients éven-
tuels le taux de leur choix. Tout laisse croire que le texte parlant de res-
titution des soœnes indOment per'iues " 11 s'agit de pr@ts d1argent unique-
ment. A cela, il faut ajouter que le décret-loi du B aoOt 1935 était une
(1) civ. l~re
27 juin 1957
- D. 1957, 649 , note RIPERT
(2) CIV. 1ère 4.12.1962
D. 1963 P. 698
(3) CIV. 10 mai 1966
J.C.P. 1966
II
14871
78

exception au principe de la liberté des conventions prévues A l'article
1134 du
code civil, il doit ~tre interprété restrictivement et ne doit pas
s'~tendre A toutes les op~rations de prats A intér@ts. Hais on ne doit pas
s'arr~ter au sens litt~ral d'un texte de loi.
Qu1adviendrait-il dans le cas où le pr@teur, au lieu de remettre
de l1argent en espèce A son client, lui remettait des marchandises corres-
pondant au montant de la samme d'argent sollicitée 7 L'opération n'avait-
elle pas pour but de donner A ce client les moyens de se
procurer de
l'argent par la vente de ces objets et de déguiser ainsi un prit usuraire?
On remarque ainsi que les modalités et les conditions du contrat de pr~t
ne sont pas souvent clairement et sincèrement exprUn~es. Souvent les usu-
riers recourent A des combinaisons frauduleuses et à la simulation pour
échapper aux rigueurs de la loi pénale et aux sanctions civiles.
C'est cette mauvaise foi des usuriers qui oblige les tribunaux A
rechercher et à constater
les pr~ts usuraires sous quelque forme que l'on
cherche à les dissüœuler. Les juges se sont toujours évertués A rechercher
si l'apparence donn~e aux contrats correspondait à son économie. Il est,
en général, admis que la stmulation peut affecter soit le
contrat dans son
ensemble, qui est alors déguis~ en une opération autre que le prit, telle
la société, soit son objet.
Dans la convention susvisée tmposée par HARPAGON au malheureux
CLEANTE ne lit-on pas: IIDès 15000 Francs Qu'on demande, le pr~teur_ne
pourra compter en argent que 12 000 livres et pour les 1 000 écus
reG tant
(c'est-à-dire 3 000 francs). Il faudra que l'emprunteur prenne des hordes,
nippes et bijoux dont s'ensuit le mémoire et que ledit pr@teur a mis de
bonne foi, au plus modique prix qu'il lui a été possible 11 (il est question
notamment de trois gros mou~quets, de deux cannes, d'un luth veuf de ses
cordes, d'une peau de lézard, etc ••• ) (1)
Une série de procédés tendant à la d~naturation soit de la rémuné~
ration du prtteur, c'est-à-dire de l'intér@t effectif, soit à la d~natura­
tion du contrat m@me, posent de difficiles problèmes.
Il n'y a pas grand chose à dire sur le pr~t d'argent stricto sen-
su. La seule innovation ici c'est que, avec la l~gislation de 1935, le taux
conventi~.el est libre en matière civile comme en matière conventionnelle.
(1) Paul Julien DOLL - L'usure, le démarchage et la publicit~ en matière
de prats d'argent. Gaz. pal. 23 et 24 juin 1967. Doctrine P. 99 et suiv.
79

Sur ce point, la thèse de K. GERVAIS déjà citée a remarquablement
explicité le problème. K. COUTURIER a repris le probl~e d1une façon trè5
claire dans son mémoire également déjà
.cité.
Parmi les procédés les plus utili5és par les usuriers pour tenter
d'échapper à la loi sur l'u5ure, il faut souligner, en matière civile, le
contrat de '~HATRA
qui est d'ailleurs très très pratiqué dans n05 pays
d'Afrique. C'est llexemple de celui qui est en cours d1argent et qui va
se présenter à un marchand pour 50lliciter un prêt ; ce dernier, au lieu
de lui remettre la samme demandée, lui vend à crédit et A un prix très
élevé des marchandises que ce m@me marchand rachète au m8me instant A un
prix très dérisoire. La différence con5titue un bénéfice qui peut être
usuraire.
C'est le cas par. exemple d'un,homme qui a besoin d'argent et qui
se fait vendre A crédit une télévision A 80 000 CFA. Cette m8me télévision
est rachetée à llinstant même par 50n vendeur, argent comptant pour
60 000 CFA. La différence de 20 000 CFA constituera le crédit c1est-A-dire
le prêt qui sera payé supposé pendant 3 mois.
Un capital de 50 000 CFA pr8té rapportera en trois mois
20 000
x
4
x
100
=
133,33
% environ
60 000
Nul doute que ce taux ccmparé au taux moyen par des pr@:ts dans
de5 opérations de crédit soit usuraire.
En seconde forme de pr@:t déguisé qui nOU5 intéres5e est une forme
de contrat pignoratif. Llemprunteur remet en antichrèse un immeuble au pr@:-
teur en garantie de sa dette, lui donnant, en outre, la faculté d1en per~
cevoir les fruit5 en gui5e d 1intér8ts de la samme pr@:tée.
Si la somme pr@:tée est de 40 000 F et que le loyer mensuel est de
2 000 F, les 40 000 F rapporteraient alor5 un intér@:t annuel de
2 000 F
x
12
=
24 000 F •
Le taux de l'intér@:t conventionnel serait alors;
24000
x
100
40 000
Ce genre de contrat pignoratif porte aUS5i le nan de ''mortgagell
qui e5t une espèce de nantissement.
80

Ces deux foxmes de prlts nous intéressent particulièrement car,
quoique disparues en France, elles sont encore pratiquées en Afrique.
Le
oontrat de Mohatra se rencontre en pays africains de droit musul~
man où un taux d'int~r8t usuraire est interdit. C'est une hypocrisie in~
tellectuelle qui per.met de contourner les interdictions du coran comme nous
le verrons en étudiant le droit africain de l'usure.
Le l~gislateur sénégalais s'est inspiré, en 1970 de l'interpr~M
tation donnée par les tribunaux français au décret-loi de 1935 sur lléla_
boration de sa loi de r~pression sur l'usure.
91 -
Un autre type d'opération, bancaire celle-là, par laquelle
les prtteurs peuvent aussi masquer une manoeuvre usuraire est l'escanpte.
En effet, l'escompteur peut ltre tenté de gonfler son profit en prétendant
que l'escompte versé est justifié
par autre chose que le loyer de l'argent.
Quand y-a-t-il escompte ? Il Y a escompte quand le banquier verse avant
échéance au titulsire d'une créance ou à son ayant ca~se le montant de cette
cr~nce après prélèvement d1une somme d1argent ou à titre de service rendu.
La nature juridique de l'escompte a donné lieu à de nombreuses
controverses. Pour certains auteurs, il s'agit d'une cession de créance.
D'autres qualifient l'escompte d'achat des effets par le banquier. On a
également souter.u que l'escompte est un pr@t de nature particulière (1).
La question de la nature juridique de l'escompte s'est déjà posée
sous l'empire de la loi du 3 septembre 1807. Il s'agissait de savoir si la
l~itation du taux d'int~rSt prévue en mati~re de prlt d'argent à l'époque
s'appliquait également à l'escompte.
La jurisprudence ne l'avait pas admis mais, quelques années plus
tard, il y eut un revirement. Tout ce qu'on peut dire, clest qu'aujourd'hui
l'équivoque est lev~e surtout avec llarrlt rendu par la chambre cr~inelle
le 6 mai 1964 (2).
La position de la chambre cr~inelle était la suivante lIa ttendu
que l'escompte est une opération de cr~dit et non une sp~culation sur effet
de commerce, qu'il demeure pour l'essentiel, un prtt conventionnel dont
la retenue, op~r~e par l'escompteur que le montant de l'effet est un inté-
(1) RIVES-LANGE "Les problèmes juridiques posés par l'opération d'escomptell
Thèse Montpellier 1967
nO 60 et suivants
(2) Notes Crim. 6 msi 1964
D. 1965
p. 670
81

rOt et qu'ainsi la pratique, en matière d'escompte d'un taux d'intér@t
trop élevé constitue un violation du d'cret-loi du 8 aoOt 1935 ••• 11 •
D'ailleurs, cette position de la cour de cassation est celle prise par
plusieurs auteurs (1).
Cette décision qui fait suite 1 une autre plus ancienne rendue
par la chambre civile le
27 novembre 1943 (2) est d'une grande portée:
elle permet d'atteindre l'usurier.
Hais malgré cet effort des magistrats de se mettre
en accord
avec les réalités économiques, tout en sauvegardant l'aspect pénal du
décret du 8 aoOt 1935 par une interprétation pas trop extensive. les usu-
riers essaieront toujours de faire leur profit en faisant appel à d'autres
techniques qui semblent les protéger. C'est ainsi qu'ils ont recours à la
clause pénale sur laquelle nous dirons seulement quelques mots puisqu'A
l'heure où nous écrivons, A cause de l'article 1152 du code civil, la
question qui a tant agité le monde des juristes semble @tre tranchée.
C1est H. HALAMlE qui a fait l'une des meilleures synthèses de la question
"les règles légales prohibant l'usure, auraient pu avoir effet sur l'in..
tangibilité de la clause pénale. puisqu'elles ont toujours eu. en outre,
des sanctions pénales. pour sanction civile une réduction des intér@ts
usuraires. En effet. toute loi sur La répression de l'usure loi du
3 septembre 1807, celle du 19 décembre 1850 et de décret-loi du 8 aoOt
1935 ont tous prévu une
ré~uction des
intér@ts usuraires. A l'égard de
l'application de ces trois premières grandes lois en la matière. la doc-
trine
est très divisée et on remarque quatre systèmes : certains auteurs
soutiennent que la clause pénale est toujours soumise aux lois sur l'usure,
car cette clause ouvre la porte aux fraudes, c'est-à-dire à des pratiques
usuraires (3).
(1) AUBRY et RAU
T. 6
5e édition
(2) SIREY
1844
l
87
(3) DEl(JI.OHBES
524
nO
643
GERISENBERGER
Rev.
trim.
du Com. 1966
297
82

92
D'autres est~ent que ,la clause p~nale
sur l'usure parce que le débiteur qui a connaissance de l·~.
faute de n'avoir paa payé au terme convenu.
L'exemple donné A ce sujet par DEXH.oMBES ne nous convainc pas.
Selon cet auteur, lorsqu'on vous pr@te 40 000 F A la condition que vous les
rembouraiez A ll~ch~ance du remer~
en ayant soin de vous
pr~ciser que
lorsque vous ne remboursez pas dans ces conditions définies dans le con-
trat, vous devez rembourser 20 000 F qui repr~sentent la perte subie par
l'inex'cution du contrat par vous, il n'y a pas usure. Or, il semble bien
que le taux d'int'r@t étant sUp~rieur au taux moyen pratiqu~ dans les pr@ts
analogues, il y a d~lit d'usure. Pour d'autres enfin, la clause p'nale
échappe en principe, li. la l~gislation sour l'usure, sauf si le vrai but
.' '- ;:-:
,
poursuivi est l'augmentation de llintér@t.
{~( \\
/
Pour la jurisprudence de l'époque, la clause pénale ins~rée dans \\',
un contrat, ho~i fraude li. la loi, ne saurait ÜDpr~er au contrat un carac-
tère usuraire car la p~nalit~ n'est pas alors r~e1lement comminatoire mais
avait en vue de permettre au cr~ancier d'obtenir des intér@ts usuraires.
Cette argumentation semble inexacte Car la fraude li. la loi entratne la nul~
lité du oontrat tandis que la stipulation du taux usuraire par comparaison
de ce taux avec le taux moyen n'entratne pas la nullit~ du contrat de pr@t
mais seulement la r~duction des int'r@ts civils et l'application des sanc-
tions pénales.
Dans ce cas, le centrale que le législateur permet d'exercer sur
les clauses p~nales n'~tait donc qu'une partie très
restreinte. Il est
à souligner, m@me dans les législations postérieures sur l'usure que le
législateur n'a pas encore r~ussi li. r~soudre ce problème de l'applicabilité
de la loi sur l'usure à clause pénale qui devient un véritable scandale li.
notre époque où tout est domin~ par les acquisitions à crédit.
Il nous reste mainterant à envisager certains oontrats qui semblent
échapper au domaine du décret-loi du 8 aoOt 1935.
C - LES CXJl(TRATS QUT ECHAPPENT AU DECRET-LOI DU 8 AOUT 1935
93 - Au nombre de ces contrats figurent les prots aléatoires à
temp~rament •
83

Nous
sa'~ns également qu'échappent à la loi sur l'usure les pr~ts
qutune l~islation spéciale autorise è cet effet. C'est le cas en matière
d1hypothAque marit~e.
En général, les
prats aléatoires sont ceux comportattdes risques
le non rEmboursement. Ces risques peuvent résulter des conditions contrac ..
tuelles affectant le remboursement du capital et non des
risques de fait
résultant de la situation
financière de l'emprunteur. Le caractère aléa~
toire du prit peut également résulter du prat m@me qui a été con~enti en
vue dtun~ entreprise, étant convenu entre les parties que les inté~ts
seront proportionnés au bénéfice de l'entreprise.
La cour de cassation a toujours considéré que les appréciations
du caractère aléatoire du pr~t est une question de fait donc relevant du
pouvoir souverain dtapp~éciation du juge de fond.
Le conseiller NAST l'a rappelé à lloccasion d'une espèce que la
chambre criminelle a eu à connattre le 22 avril 1941 : ltéminent magistrat
rapporteur écrivait: llvotre jurisprudence a toujours décidé qu'il appar-
tient aux juges du fait dtapprécier, le caractère usuraire des contrats et
de décider, notamment que le prévenu a déguisé, sous l'apparence de contrats
aléatoires, de véritables pr~ts usuraires (1).
Il faut noter que, malgré la sagacité dont fait preuve les magis-
trats, en présence de conventions complexes, pour découvrir la véritable
nature des ~érations de crédit, lt~gination des usuriers est très fer-
tile.
Il faut noter cependant avec satisfaction que le législateur colo
nial a tenu compte de ce facteur important dans le décret du 22 septembre
1935 relatif à la
répression de llusure dans les colonies dlAfrique Noire,
au Togo et au Cameroun.
Certes, la jurisprudence et le législateur estllnent que le carac_
tère aléatoire ne permet pas, en effet, de savoir si le pr~teur a réalisé
de bonnes affaires, mais il permet tout de m@me , dans certa'ine c,as, de
savoir que ltemprunteur, lui a fait de mauvaises affaires et que, par
conséquent, il nlest pas normal de le laisser A la merci du priteur.
(1) Rapport NAST et arr@t de la chambre crnn. 22~ 4 -
1941 D. 1941
pages 71 et 72.
84

94 -
Un autre contrat ~portant qui semble échapper à la légis-
la_ion de 1935 est la vente à tempérament et les opérations ass~ilables.
Le décret-loi du B aoQt 1935 parle de prat et non de vente et c'est là une
lacune de cette législation. Ainsi, les usuriers essaient souvent de dis-
s~uler sous des ventes à tempérament de véritables contrats de prat à des
taux d'intér@t usuraire mais les Juges se sont toujours employés à recher-
cher si la qualification donnie par les parties au contrat correspond à
son économie et si le contrat n'est pas entaché de s~ulation frauduleuse.
Un prIt d'argent peut @tre qualifié opération de vente. Pourquoi
le li-
gislateur n'a-t-il pas jugé utile d'étendre le domaine de la loi à la vente
à crédit? La question reste sans réponse, car de tout temps, les ventes
à crédit ont existé. Pressé par le désir, l'homme privé du frein de la
dépense bmnédiate, est aisément imprudent. Tout conduit à le pousser vers
l'inconséquence : il est opttmiste, sa confiance dans l'avenir, la publi-
cité qui investit les esprits, la concurrence sociale l'invite à aligner,
sans attendre, son train de vie, sur
celui de ses relations, de ses voi-
sins. de ses collègues. Pour ces raisons et d'autres, le consommateur est
exposé aux ruses des usuriers. Au fond, la vente à crédit est une forme
d'usure dont le contr81e est difficile.
95 -
Signalons enfin une technique encore utilisée par l'usurier
pour contourner la loi : la reconnaissance de dette.
C'est un procédé courant mais difficile à cerner donc à com~attre.
L'usurier fait signer à l'emprunteur une reconnaissance de dette calculée
en tenant compte des intér@ts usuraires. Par exemple, le pr@teur fait si-
gner à son emprunteur une reconnaissance de
40 000 F alors que la somme
qui lui est effectivement remi.se est de 30 000 F. La différence 10 000 r
représente l'intér@t à un taux de 25 ~ en plus de llintér@t licite de
40 000 F qui sera conforme au taux moyen pratiqué par les pr@teurs de
bonne foi dans des opérations analogues. Si le taux d1intér@t convention-
nel est de 75 ~ et que l'intérlt apparent est de 6~, le pr@teur échappe-
ra au délit d'usure, alors que l'infraction est en fait, bel et bien cons-
tituée.
Le plus souvent la reconnaissance de dette ou le billet est rédigé
de la fa<Jon suivante: IIje reconnais devoir à X la sœme de 40 000 F que
je m'engage à lui rembourser au plus tard dans Y temps. (on indique une
85

date convenue ou llaposée, souvent les cas et le débiteur signe. Certes,
suivant l'article 1132 du code civil, la convention
nlest pas moins vala-
ble mais le débiteur peut rapporter la preuve qu'il slagit d'un prat
usuraire. Il peut prouver que l'argent qui lui est remis n'a pas atteint
le montant indiqué dans le
billet. La règle "contre un écrit, on ne peut
prouver que par écrit" ne joue pas en présence dlun billet non caus'. Ce
billet n'indiquant pss la cause de l'obligation, le débiteur qui conteste
par exemple le montant de la somme qui y est indiqu' ou qui évoque l'usure
n'émet pas de prétention contraire A un
écrit.
Bien que nous ayons à y revenir, signalons déjA que les deux tech-
niques de vente A crédit et de reconnaissance de dette au moyen dlun billet
non causé sont très utilisées par les usuriers en Afrique Noire. Ces usuriers
lA arrivent mtme A se faire remettre des chèques de garantie qu'ils do-
micilient
avec la complicité de certains agents des banques de la place
agents auxquels les usuriers font des cades9X substantiels en numéraires.
Nous n'avons mentionn' que les principaux contrats entrant dans
le champ d'application de la loi car les autres ont déjà fait l'objet de
nombreuses études et il ne sert A rien de répéter ce qui est d'jA su.
Cependant, une règle de droit devient unl\\roeu pieuxll si elle n'est pas es-
sorties de ssnctions. Notre étude serait donc incompl~te si nous laissions
de cèt~ les sanctions prévues par le d'cret-loi du 8 aoOt 1935.
PARNJRAPlIE
1 II
LES SANCTIONS
96
Il faut avant de distinguer les deux sanctions (civile
et pénale), remarquer que curieusement, le décret-loi du 8 aoOt 1935 ne
contient aucune disposition abrogeant les lois ant'rieures, notamment les
lois du 12 janvier 1886 suppr~ant la limitation du taux d'int~r@t en
matière
commerciale, celle du 18 avril la suspendant pour une période dé-
te~inée en mati~re civile, sinsi que les lois du 3 septembre 1807 et de
19 d~cembre 1850 sur l'usure.
Cette loi du 8 aoOt 1935 ne règle pas non plus explicitement le
sort des ccntrats en cours, c'est-A-dire le sort
des contrats conclus pen-
dant la p~riode inte~édiaire. Hais dans le silence d'une loi particulière
c'est les principes généraux du droit qui s'appliquent.
86

Quelles sont donc les sanctions qu'encourent les usuriers sous
llempire de la nouvelle? Nous dirons quelques mots sur la prescription de
l'usure qui
n'est plus un délit d'habitude mais qui est devenu
un d~lit
instantané.
A -
LES SANCTIONS CIVILES
97 -
Llarticle 1er du décret-loi du 8 aoOt 1935 dispose que
"10rsqu1un prtt conventionnel a été fait à un taux effectif dépassant de
plus de la moitié
le taux moyen pratiqué dans les opérations de même na-
ture, les perceptions excessives seront imputées de plein droit sur les
intér@ts normaux alors échus et subsidiairement sur le capital de la
criance". Par ailleurs, si la créance est éteinte en capital et int~r@ts,
le pr@teur sera condamné
à la restitution des sommes indOment perçues
avec int~r@ts du jour où elles auront été payées. 1I
On remarque que le législateur de 1935 a repris les dispositions
qulavaient pr~vues les lois du 3 septembre 1807 et du 19 d~cembre 1850.
La seule innovation viritable sur ce plan est que la nouvelle conception
de l'usure est plus souple que l'ancienne, puisqu'elle a pour base non
pas une application fatalement rigide d'un taux fix~ par la loi mais l'ap-
pr~ciation dlun taux moyen pratiqué dans des prats analogues variable
avec les circonstances auxquelles, par la force des choses, il est Cons-
tamment accordé.
Sur le plan des sanctions, au sens strict du terme, le législateur
nia pss tellement innové, il a repris les dispositions des législations an-
térieures ~ d'une part, llimportation a lieu de plein droit comme dans les
dispositions des lois de 180ï et de 1850. Hais si 11 importation est obli-
gatoire et peut slop~rer en dehors des parties, l'intervention du juge
est n~cessaire en cas de désaccord des parties. Le taux normal qui, une
fois dépassé, donne droit ~ la restitution ou à la réduction est obtenu
en majorant de moitié le taux moyen pratiqué dans les m@mes conditions
par les pr8teurs de bonne foi
Si donc le débiteur a déj~ acquitté tous les intér8ts usuraires
échus ou si les intérêts qui restent ~ payer sont inférieurs aux diverses
perceptions excessives dont il a ét~ victUue, l'imputation est effectu~e
sur le capital de la créance ; la cr&ance se trouve réduite au jour même
87

de la perception et ne produit plus d'intér@t que pour son montant ainsi
réduit.
Cependant il Y a un élément Unportant : c'est la façon nette et
claire dont a été décidée
désormais, la date à laquelle commenceront à
J
produire les intér@ts, les sommes indOment per~ues. Ce n1est plus la date
de la demande en justice, mais la date ~ laquelle ces sommes sont indO-
ment entrées dans le patrimoine du pr@teur usurier. Le taux de l'intér@t
à produire est s_,ns nul doute
le taux de l'int~r@t légal. Ici entre en-
J
cre en jeu la distinction selon que le pr@t est fait en matière civile
ou en matière commerciale, l'intér@t légal n'étant pas le même dans les
deux cas.
Tout comme sous l'empire des précédentes lois, bien çu'en opposi-
tion avec les prescriptions d'ordre public, le pr@t avec intér@ts usuraires
ne frappe pas de nullité la convention qui en ccnstitue la base. En d'autres
teDmes, l'usure n'entra!ne pas la nullité du contrat de pr@t moins que
l'opération ne soit pas seulement entachée d'usure mais aussi de fraude
s la loi. Dans ce dernier cas, l'opération pourrait @tre frappée d'une
annulation complète. C'est ainsi que celui qui conclut un contrat de pr@t
usuraire avec un débiteur, incapable d'honorer les clauses du COntrat com-
met une fraude ~ la loi. Dans ce cas, le cor.trat peut @tre annulé mais
ce n'est pss tellement la stipulation de ltint~r@t usuraire qui est le mo-
tif de llannulation mais bien plut8t le délit de fraude à la loi.
Quel est le tribunal comp~tent pour conna!tre de cette action
civile ?
Soua l'empire de decret-loi du 8 ao~ut 1935
la victime du d~lit
J
peut soit porter directement son affaire devant le tribunal civil comme
auparavant soit se constituer partie civile.
Dans le premier cas, quand le tribunal correctionnel n'est pas
encore saisi, la victUne saisit le tribunal de première instance devenu
aujourd'hui le tribunal de grande instance, la justice de paix ou le tri~
bunal de ccmmerce
selon les cas. Si le tribunal correctionnel est déj~ saiM
J
si, le juge civil doit surseoir à statuer jusqu'à ce que soit rendue la
décision du juge répressif.
L'interdiction de percevoir des intér@ts usuraires est une mesure
d'ordre public et aucune convention particulière intervenue entre les parties
88

ne peut y déroger. Les seules fins de non recevoir admises sont l'autorité
de la chose jugée et la prescription.
Il y a autorité de la chose jugée quand, par une décision devenue
définitive, l'emprunteur a été condamné au paiement des intértts qualifiés
usuraires.
L'article 2 dispose "dans le cas prévu
à llarticle précédent, le
prtteur sera, en outre, condamné à une amende de 100 à 500 francs. En cas
de récidive~ la peine sera d'un
emprisonnement de six jours à six mois et
d'une amende de 500 F à 1 000. Llusure est donc une infraction punie de
peine correctionnelle.
Le décret du 8aoÙt 1935 écarte désormais la condition d'habitude
des opérations usuraires qui avaient entravé la répression et il est nor-
mal qu'elle fllt supprimée.
B -
LES S.ANCTIONS PENALES
98 - On peut noter qu'avec la disparition de la condition d'habi-
tude, il n'y a plus de disparité entre le délit civil et le délit correc-
tionnel d'usure.
Le taux des prtteurs de bonne foi est
d'ailleurs essentiellement
variable suivant la nature de llopération et la conjoncture économique.
Sous l'empire du décret-loi du 8 aoAut 1935, pour prononcer une
condamnation pour délit d'usure, il est absolument nécessaire que le juge
du fait précise d'abord quel est le taux habituellement pratiqué pour des
opérations comportant les m8mes risques que le prtt incr~iné et qu'il
déclare ensuite que l'intérQt exigé par le prévenu dépassait de plus de la
moitié ledit taux. A ces deux éléments, slajoute naturellement llélément
intentionnel. Cet élément intentionnel résulte en général, des conditions
mQme dans lesquelles le prQt a été réalisé. La question peut cependant Qtre
posée, de savoir si les juges du fait pourraient procéder à la détermina-
tion du taux moyen et sur la seule déclaration du prévenu que les taux d'in-
tértt conventionnels
prat~qués par lui sont supérieurs aux taux limites
permis, décider qulil y a délit. Une telle méthode qui serait contraire
à la règle générale, selon laquelle si l'aveu prouve les faits confessés,
la reconnaissance par son auteur de la qualité pénale de ce fait ne com-
porte aucune valeur probante, parait ~tre implicitement condamnée en notre
89

matière par la cour de ca8sation. Il est pourtant surprenant que cette
mtme
cour de cassation a admis dans le domaine de la hausse illicite des
prix, qui n'est pas sans analogie avec l'usure, que par les seules décla-
rationa du prévenu, non seulement, du prix pratiqué mais du prix illicite,
les ~l~nts constitutifs de l'infraction sont réunis.
Appliquant à l'usure les précédents qu'elle a créés en matière
de prix, la jurisprudence se trouverait bien inspirée en abandonnant, tou-
tes les fois, du moins qu'elle se trouve en présence de prftts pratiqués
dans des conditions scandaleuses par des officines non inscrites sur la
liste des banques, ses exigences relatives à la détermination du prix mo-
yen par référence en trouvant motif suffisant à condamnation des aveux au
prévenu ou bien le fait relevé par les juges du
fond que lea taux dépas-
sent de toute évidence les taux légitUnes.
S'il est établi que le prftteur a commis une erreur excusable dans
l'appréciation du taux moy.en pratiqué par ses "parts" i l peut ltre renvoyé
des fins de poursuite mais peut' ltre amené à réparer les conséquences dom-
mageables de ses actes devant le tribunal civil à qui de droit.
La poursuite est exercée par le procureur de la république qui
peut, soit citer directement llinculpé devant le tribunal correctionnel,
soit
ouvrir une info~tion. En général, vu la nature, l'ouverture d1une
information est toujours nécessaire pour établir l'existence des divers
éléments constitutifs de l'infraction et souvent le recours à la mission
d'experts est indispensable.
Dans le cas d'un acquittement au p~nal, deux solutions sont possi-
bles ~ le prtteur a agi sous l'effet d'une erreur excusable par une mau~
vaise appréciation, par exemple du taux moyen pratiqué dans des opérations
analogues. Le prévenu sera renvoyé des fins de poursuite, mais llemprun-
teur sera rétabli dans ses droits par le tribunal civil, c'est-à-dire que
les intértts civils ind~ent perçus par le prlteur aeront restitués à
llaèprunteur c'est-à-dire
à la partie civile. Il s'agit du cas dans le-
quel le prlteur a effectivement indOment perçu des intérlts usuraires mais
par erreur excusable.
Rappelons qu~ l~s règles de la ccmplicité jouent telles qu"elles
aont prévues à l'article 60
du cod~ pénal.
90

La
loi du 8 aoOt 1935 ne dit rien de spécial sur les intermédi_
aires, cela suppose que les règles de la complicité et les autres textes
en la matière restent applicables.
Sur le plan des pénalités, le législasteur se montre moins sévère
que
celui de 1850. La peine de prison obligatoire à llenccntre du délin-
quant provisoire prévue par la loi du 19 décembre 1850 fut supprûué. Le
souci d'isoler de la société des honn@tes gens, l'usurier à Cause de son
comportement social, du moins temporairement, nlest plus tellement pris
en considêration.-Peut-@tre peut-on déceler dans cette attitude du légis-
lateur, le signe dlune meilleure compréhension du rele de la peine qui doit
plutBt chercher à corriger et à prévenir
la récidive qu'à punir.
Le décret-loi du 8 aoOt 1935 estUne à juste titre que les usuriers
étant des individus ftpres au gain, l'amende doit @tre élevée. Clest pour-
quoi, l'article 2 dudit décret prévoit pour les délinquants prün8ires con-
damnés pour délit d'usure, une peine dlamende allant de 100 à 5000 Francs.
On remarque que, par là, le
législateur a
mis l'accent sur l'aspect
éco-
nomique du délit d'usure plut8t que sur son aspect pénal.
99 _
La peine dlemprisonnement n'est encourue qu'en Cas de réci-
dive. La r~cidive dont il s'agit est la récidive légale telle qu'elle est
d~finie par les articles 58 et suivants du code pénal et ne se confond pas
avec la pratique habituelle de l'usure. Contrairement à ce que prescrivait
la légiElation antérieure, à savoir que, pour qu'il y ait récidive, un
nouveau délit devait @tre commis dans les cinq ans qui suivaient la pre-
mière condamnation, l'article 2 du d~cret du 8 aoOt 1935 ne renferme plus
cette réserve. Il y a récidive si le nouveau d~lit dlusure est commis avant
que la première condamnation soit effacée par llarmistie ou la r~habili­
tation.
En cas de récidive, la peine prévue est un emprisénnement de six
jours à six mois (1 1ancienne peine du d~linquant primaire dans la loi du
19 d~cembre 1850) et une amende de 500 à 10 000 Francs.
rI convient de noter que les nouvelles dispositions sanctionnent
aussi bien les pr@ts
cQmmerciaux que les pr@ts civils, ce qui est tout
à fait logique car l'usure est possible en matière de pr@ts c~erciaux
comme en pr@ts civils.
D'autres infractions peuvent se commettre à l'occasion de la pra-
91

tique de
l'usure, infractions que la loi du 8 aoOt 1935 n'a pas prévues.
Devant cette carence, diverses mesures législatives notamment les lois des
13 et 14 juin 1941, sont intervenues pour réglementer la profession ban-
caire et les établissements financiers (1).
Les organismes spécialisés dans les opérations de crédit à court
ou à moyen terme sont tenus.
- Soit d'obtenir leur enregistrement comme établissement finan-
cier s'ils les réalisent avec leurs ressources propres.
- Soit d'obtenir leur inscription sur la liste des banques s l i1s
effectuent ces opérations à 1 1aide des fonds reçus du public.
Ces deux conditions ne sont jamél_is remplies par les usuriers qui
encourent ainsi, sans @tre poursuivis dans la plupart des cas, les peines
prévues à cet effet. Les usuriers violent la deuxième prescription aux
teDmes de l'article 2 de la loi du 13 juin 1941.
Les usuriers, le plus souvent, n'opèrent pas uniquement avec leur
propre fortune, que1quefoie ils collectent des fonds de certains amis et
m@me de tiers qui veulent faire fructifier rapidement leurs économies par
cette voie malhonn8te que constitue l'usure. Or au sens de l'article 2 de
la loi du 13 juin 1941, ces fonds peuvent @tre considérés comme provenant
du public.
Les pr@teurs usuriers violent régulièrement et constamment la pre-
mière prescription quand bien m@me ils font leurs affaires avec leurs pro-
pres fonds comme dans le premier cas. Ces
pr@teurs de
mauvaise foi, ne
veulent jamais se faire inscrire ou se faire enregistrer soit comme banque,
soit comme établissement financier pour la bonne
raison qu'ils veulent
tout snnp1ement tenir cachés les profits qui ils tirent de leurs affaires
et échapper au fisc. Il y a là une autre infraction susceptible d'@tre com-
mise à l'occasion de
pratique de llusure c'est celle de la fraude fiscale,
les
infractions découlant de 1 1usure sont multiples.
(l) CABRILLAC
La réglémentation et 1 1 organisation de la profession ban-
caire et des professions touchant au crédit et au marché
financier
J.C.P.
1941
1
235
92

PARAGRAPHE
:
IV
LA PRESCRIPTION
100 ~
L'usure étant devenue délit simple, la
prescription doit
en principe, avoir pour point de départ, en confonnité des articles 637
et 638 du code d'instruction criminelle. le jour où le délit d'usure est
consOlIRD.é .-
Si plusieurs opérations, par exemple, sont successivement prati~
quées par le m8me prateur, chacune de ces opérations doit faire ccurir une
prescription distincte.
Selon le décret-loi du 8 aoOt 1935, pour le législateur, l'usure
existe et le délit est consommé dès qu'un pr@t avec un ta~a d'intértt Con_
ventionnel usuraire a été fait selon les modalités que nous connaissons.
C'est donc en principe, au jour où a été conclu le contrat stipulant un
taux d'intérlt usuraire que la
prescription commence à courir.
La solution est logique. si la convention en elle-m~e est usu-
raire car en cette matière, la question principale à laquelle il faut ré-
pondre est celle de savoir à quel moment le délit est consommé et quand
la
prescription a commencé à courir.
Le délit d'usure à vrai dire existe toujours dès le moment de la
convention usuraire, mais en faisant courir la prescription de l'action
publique dès la conclusion du COntrat parce que l'usure est un délit ins-
tantané,
bon nombre d'infractions peuvent se trouver prescrites si le dé-
lai de prescription est de 3 ans et que la perception dure plus de 5 ans
par exemple.
Ainsi. un contrat de prat à intér@t usuraire est conclu le 5 no-
vembre 1936. Le fait, c'est-à-dire l'infraction est découverte le 10 dé-
cembre 1940. Avec le système qui consiste à faire courir la prescription
de la date de conclusion du contrat usuraire. l'action se trouve
prescrite
mftme si les perceptions d'intér@ts usuraires ont commencé en 1939 et sont
encore en cours. C'est une lacune grave à laquelle vont essayer de remédier
les lois postérieures en faisant entrer dans le domaine de la prescription
en matière d'usure la théorie jurisprudentielle établie par la cour de cas~
sation et qui consiste à faire courir la prescription non pas à dater de
la conclu9ion du contrat usuraire mais du jour de la dernière perception
d'intérlts ou de capital car le délit d'usure est considérée comme une in-
fraction continue.
93

Mais. pour ce qui concerne la prescription de l'usure en matière
d'escompte. la jurisprudence a adopté une attitude différente.
En effet. la convention d'esccmpte conclue à l'origine peut ap~
para!tre comme normale. régulière. le délit d'usure n'apparaissant .que
lors de la réalisation de chaque opération effectuée en exécution de la
convention. C'est lors de chaque remise que l'escompteur décomptait inda-
ment des frais de commission et d'agio, d'encaissements qui n'avaient d'au-
tre motif et d'autre but que de faire payer au présentateur un intér@t
bien supérieur à celui qui est théoriquement indiqué, c1est-à-dire l'inté_
rat sur lequel ils
avaient tous deux fait l'accord. Donc le délit d'usure
n'est constitué pour chaque opération qu'au moment où cet intér@t usuraire
jusqu'alors imprévisible devait @tre décompté et appliqué au compte client.
Dans ces conditions, la prescription ne peut logiquement commencer à courir
qu'à l'occasion des diverses opérations de décomptes
et non à compter de
la conclusion du contrat. Il y a alors plusieurs dates de prescription
propres à chaq1!.e
opération d'encaissement et mftme si on faH quelque
analogie avec 1. position de 1. jurisprudence en matière d'abus de con...
fiance, on peut soutenir que le point de départ de la prescription est la
date à laquelle le client a pu avoir connaissance par la communication de
l'application abusive à son détriment. rl en est de même des délits d'abus
de biens sociaux. (1)
Cette position de la jurisprudence a été maintes fois confirmée
et c'est ainsi que la chambre criminelle avait décidé que le délai de pres-
cription de trois ans courait non du jour de la signature du contrat d'es-
compte mais de la date de remise des bordereaux d'effets à escompter (2).
Cette position de la cour de cassation correspond à la tendance jurispru-
dentielle générale d'allonger la durée de la prescription des actions en
matière pénale dans le but d'une répression plus efficace. Mais cette ten-
dance de la jurisprudence à
l'égard de l'usure commise à l'occasion des
opérations d'escompte semble s'écarter du régime ordinaire de la prescrip-
tion de l'usure car
llinfraction du décret-loi du 8 aoat 1935 est un délit
(1) C. Crlon1;
7 -
1
1944
Sirey
1944
(2) Crim.
10- 10- 1946
Gaz. Pal.
1946 2
235
94

instantané dont la
prescription commence à courir à partir de la date de
la conclusion du contrat de pr~t. (1).
Mais la ju~tification de cette position de la cour supr@me a été
clairement exprimée par K. le professeur GAVALDA : lieUe repose sur la
distinction de la convention générale d'escompte et des crédits d'escompte
liés à des remises déterminées d'effets. Malgré la convention générale,
le banquier reste, en effet, libre de rejeter tel ou tel effet d'escompte.
En l'escomptant avec des taux usuraires, il commet donc à chaque remise
éventuelle un délit différent (2).
Pour conclure cette troisième section, voyons quelle est la por-
tée pratique de cette loi du 8 aoOt 1935 que nous
avons voulu délibéré-
ment étudiée de façon précise à cause de son importance dans nos pays
d'Afrique, œr clest cette loi qui sera reprise à quelque chose près sous
le décret du 22 septembre 1935 décret qui réprbne le délit d1usure dans les
colonies françaises d'Afrique Noire.
Dans sa nature, cette nouvelle définition de l'usure est plus
souple que l'ancienne car
elle tient compte de la conjoncture économique
qui
varie rapidement. Elle rapproche le contrat usursire des contrats
léaionnaires, la lésion étant une disproportion entre la valeur normale
d1une chose qui est ici l'intértt généralement pratiqué dans les opérations
analogues par les pr@teurs de bonne foi et celle exigée dans le contrst
usuraire.
La loi du .8 aoOt 1935 met le droit français en harmonie svec la
législation de certains de ses voisins, notaœment avec le code suisse et
le code civil allemsnd.
Le - projet de code des obligations franco-italien de l'époque con-
tient une disposition analogue.
101 -
Sur le plan juridique interne, le domaine de la loi eppa··
ratt wubigu et étriqué, car non seulement, il n'englobe pas les ventes à
tempéramment à l'occasion desquelles, suivant divera procédés, se trouvent
(1) Crim.
24 - 3 - 65
D.
1965
434
(2) Crim. 6 novembre 1964
II
13
648
95

pl
consentis de nombreux pr@ts par des établissements
techniques èe créèits, telles que le factoring, le
p ent éga lement •
Par
a:f.lleurs, la recherche et la déten..._.
du taux moyen, taux de référence, apparatt fantaisiste. La •.
foi, une notion vraiment très importante, devrait @tre déte~inée pa~
101 elle m~e car les affaires sont les affai.res "et en affaires, l'hon-
n@teté est rare et rien
nlest donné par pure bonté drame (1).
Certes, pet: d'affai.res de délit d'usure ont été portées devant
les cours
et tribumlllx sous l'empire de cette 101 à en croire les statis-
tiques judiciaires (2) sous 'cette qualification, mais cela est dQ non seu-
lement au seul effet de la loi mais surtou~ au
refus des emprunteurs qui
ne veulent pas dénoncer les usuriers de peur de ne plus trouver d'autres
sources de financement dans les périodes de soudure ou de mauvaises récoltes.
Une
autre lacune
du décret-loi du 8 aoOt 1935 résulte de ce que
le législateur n'a rien prévu pour répr~er les agissements des intermédi-
aires qui étaient pourtan.t criant:a Ces pratiques non seulement ruinaient
les familles, mais elles pesaient lourdement sur le marché de l'argent
qu'elles perturbaient.
Cependant, cette loi du 8 aoOt 1935 servira de modèle pour le
décret du 22 septembre de la ~e année au législateur colonial par lequel
sera organisée la répression de l'usure en Afrique Noire avec tout ce qu'el-
le comporte de lacunes et dtünperfections.
Entre le décret-loi du
8 aoOt 1935 et le décret
du 22 septembre
1935, il s'est écoulé à peine un mois si bien que le législateur colonial
n'a pu tirer la leçon de l'expérience pour l'Afrique. Cette expérience
a poussé le législateur à donner une nouvelle définition de l'usure en
1966.
En 1966, les données politiques de l'Af~iqueJ c'est-à-dire l'iden-
tité politique, des colonies de l'époque du décret du 22 septembre a chan-
gé. Hais
cette loi française a fait ses preuves puisqu'elle demeure encore
en vigueur dans bon nombre d'états africains.
ZOTC/[[
L'usure en droit africain et français comparé.
C_te général de la justice 1974
96

CHAPITRE
II
;
EVOLUTION LEGISLATIVE DU DELIT D'USURE DANS LES
DroITS DES PAYS DIAFRIQl'E NOIRE AVANT ET PENDANT
LA PERIODE COLONIALE
Soutenir que l'usure a fait son apparition en Afrique Noire
avec l'arrivée des colonisateurs serait un
leurre. Cependant,
on pour-
rait
dire plus facilement que leur venue a favorisé le développement du
délit d'usure dans une certaine mesure à cause de l'afflux des nouveaux
biens de Consommation qui étaient demeurés jusque là inconnus des afri-
cains, tels que les tissus, le sucre avec lequel les africains prennent
l'habitude de remplacer le bon miel naturel et à cause également de la
circulation de la monnaie qui facilite désormais les échanges commerciaux
basés sur le troc.
D'autre part, on a continué de dire que le droit est le re-
flet d'une civilisation en m~e temps que celui de la position sociale
et économique dlun pays. Si ces affirmations sont admises par la communau-
té humaine, il est incontestable qu'à l'origine, alors m@me que llAfrique
Noire et Madagascar n 1 étaient pas imprégnés de civilisations occidentales,
l'Afrique et Madagascar avaient un d~oit. Ce droit était coutumier, tra-
ditionnel et formé dlun ensemble, de règles juridiques adaptées à llorga-
nisation sociale de l'époque selon la conception africaine. L'Afrique
avait bien un droit, mais ce droit n'était pas européen. Du reste, il ne
peut en .tre autrement sinon nous ne
saurons parler d'un droit tradition-
nel afriCain avec tous ses traits
qui lui sont spécifiques. D'autre part,
on peut noter à~s à présent que cette coutume africaine a évolué. Hais,
on peut se poser la question suivante : Cette coutume a-t-elle évolué
97

positivement ? Notre
réponse ne saurait ~tre catégorique, elle sera nuan-
cée, car tout ce que nous savons et dont on est certain, c'est que cette
coutume qui évolue tend à se confondre avec le droit d'origine occidentale
comme l'a si bien souligné Paul Gérard POUGOUE dans sa thèse (1).
Mais l'évolution ainsi subie par la coutume africaine n'en-
lève pas à celle-ci son caractère
de droit formant un élément de l'ordre
juridique des pays d'Afrique retenus pour notre étude
et
le professeur
GONIDEC avait vu juste quand il disait IIqu ,au lieu d'affirmer que rien
n'est droit dans les sociétés primitives, on peut soutenir que tout y est
droit"
(2).
En Afrique plus qu'ailleurs, les lois comme les oeuvres
d'art sont conditionnées par le milieu social autant que les hommes eux-
m~s. Le droit africain est inséparable de l'idée du devoir. Ce droit
traditionnel africain perte la marque indélébile de quelques grands con-
cepts. Par exemple, en Afrique, on préfère à l'égalité juridique, un
idéal de relations m@me en matière de
contrat fait de protection atten-
tive et de subordination juridique. Ainsi la norme juridique, même imbibée
de réligiosité et de morale, ne perd pas pour autant sa nature juridique
et si l'on admet cette approche d'ensemble du droit tel qu'on peut l'ap-
préhender dans la vie sociale, l'existence des droits africains ne fait
pas de doute et les échanges commerciaux existant et se faisant peut ~tre
en troc, il est indéniable qu'il existe bien un droit africain en matière
de p~t à intér~t.
Que ce soit en droits coutumiers Toucouleur, Ouolof du
Sénégal, Haoussa et Béribéri du Niger, que ce soit en droits coutumiers
du Togo, Nago et Fon du Bénin, le droit des pr~ts à intér~ts et de toutes
ces atteintes au droit du crédit est assez judicieusement organisé.
Par ailleurs, les différents codes des Reines de Madagascar
(code de Ranava~ona)promulgués en 1828, code des 305 articles sont
des
(1) Paul Gérard POUGOUE : La famille et la terre - Essai de contribution
à la systématisation du droit privé au Cameroun - Thèse pour le doc-
torat en droit présentée et soutenue à la fac.de droit de Bordeaux
(2) GONIDEC
(P.F.)
98

oeuvres d'art juridiques qui ne cessent guère d'étonner le monde.
Il faudra cependant noter qulil y eut dans
l'histoire colo-
niale. une période o~ tout allait vers 11unicité législative. Cette période
a été particulièrement marquée par une évolution vers l'assimilation.
C'était l'époque de l'union française. Les articles 1905 ~ 1914 de ce co
de sont consacrés aux pr@ts ~ intér@t. Comme on le verra. tout est flou
dans
ces articles qui semblent superfétatoires par rapport d 1une part
aux disposi~ du code civil français en matière de pr@t à intér@t et aux
decrets du 22 septembre 1935 et du 9 décembre 1936 organisant la
répression
de l'usure en Afrique Noire et à Madagascar.
Dans une première section, nous étudierons l'organisation
du pr@t ~ intér@t et la répression de l'usure en droits traditionnels
africains. Dans une
deuxième section, nous étudierons la répression de
l'usure par le législateur colonial. Le décret du 22 septembre 1935 relatif
au délit d'usure en Afrique et à Madagascar. La troisième section de ce
chapitre sera consacrée au
visa
des COntrats de pr~t et à la répression
de l'usure par le décret du 9 octobre 1936.
SECTION 1 :
L'ORGANISATION DU PRET A INTERET ET LA
REPRESSION
DE L'USURE EN DROITS TRADITIONNELS AFRICAINS
Les contrats coutumiers africains sont essentiellement basés
sur la bonne foi des parties, la bonne foi étant suffisante dans une so~
ciété dans laquelle chaque individu engageait par ses actes. tout son clan
toute sa collectivité familiale. Hais depuis que l'Afrique est envahie et
~régnée par ces influences étrangères, ce droit coutumier des contrats
a évolué conformément au principe individualiste de "chacun pour soi, et
déso~is chacun engage son honneur, son patrimoine, sa
responsabilité,
beaucoup plus que la collectivité familiale.
Alors la notion de bonne foi ne suffit plus à garantir la
bonne exécution des obligations, car la société a perdu dans une certaine
mesure le sens du respect des engagements. Les rois, les reines, les chefs
de clan, de tribus et mlme.des communautés réligieuses vont intervenir
99

pour réglémenter les transactions, et surtout pour lllniter les scandales
engendrés par la pratique des prtts usuraires.
Compte tenu de la diversité des coutumes d'Afrique et de
Madagascar, nous ne saurons les analyser toutes en matière de pr3t à in-
tér@t usuraire. Aussi, n1étudierons-nous que les plus représentatives,
celles qui sont les plus élaborées et qui s'appliquent surtout à une gran-
de partie de la population et enfin celles qui ont rési~té pour un temps
plus ou moins long au droit moderne.
Nous étudierons alors dans un premier paragraphe la pratique
de l'usure dans les populations islamisées d'Afrique Noire, et le deuxième
paragraphe sera consacré à l'étude du délit d'usure en droits traditionnels
africains et malgaches.
PARAGRAPHE l
LE DELIT D'USURE DANS LES RB:;IONS ISLAHISEES
D'AFRIQUE NOIRE
Tout comme au Moyen-Age, l'Eglise slopposa avec force au
prtt à intértt et défendit ce type de convention de fa~on absolue, le co-
ran caractérisé par la rigueur de
ses lois, interdit encore de nos jours
le prtt à intértt entre musuLmans, cependant, la coutume arrive à con-
tourner Ces genres de pr3ts qui se révèlent très soUvent usuraires. C'est
ainsi que l'usure se pratique au moyen des trocs :
au Mali ou au Sénégal
par exemple, lorsqulun paysan "anding ou Toucouleur a besoin d'argent, il
va trouver un pr3teur occasionnel ou professionnel qui va lui vendre pour
2000 F CFA une petite chèvre qui vaut en réalité 1 600 F CFA. Ce pauvre
paysan Kanding du Mali ou Toucouleur du Sénégal, ne méconnaissant pas la
valeur réelle de la chèvre qulil a achetée, se rendra sur la place du
marché pour la vendre au plus à 1 600 F CFA. Dans un délai convenu, entre
le prtteur et l'emprunteur, délai qui varie entre un et trois mois en
général, le paysan remboursera à son pr3teur souvent son voisin direct un
peu plus fortuné en qui il trouve son bienfaiteur le prix d'achat de la
chèvre c'est-à-dire les 2 000 CFA. Et en outre, il apportera à ce bien-
faiteur, un petit cadeau, des colas ou quelques mesures de milou de sor-
gho pour prouver sa reconnaissance.
100

Dans ce contrat J un taux d1intérlt n'a point été stipulé.
On en parle
mime pasJ-d'ailleurs J c'est une vente et il ne peut slagir
d'un pr@t à intérlt car le prophète Mahomet par l'intermédiaire du coran
l'a fODmellement prohibé. Cette forme de prlts usuraires est très courante
dans les régions islmnisées d'Afrique
Noire J où on la rencontre très sou~
vent au Maroc et en Algérie. Notons que cette pratique a été utilisée en
France au Moyen-Age pour contourner la prohibition du prtt à intér@t par
le droit canonique.
Essayons de calculer le taux d'intér@t exact dans cette vente
à crédit que nous venons d'évoquer ci-dessus. La chèvre a été vendue par
le prtteur à 2 000 CFA
alors qu'elle ne vaut en réalité que 1 600 CFA.
Donc J la majoration est de 400 CFA et prenons comme délai de
remboursement
trois mois. L'intér@t annuel produit par les
1 600 CFA représentant le
capital pd:té en réalité est
400
x
4
=
1 600 CFA
Le taux d'intértt annuel est donc:
1 600
x
100
100 'l.
1600
Ce taux d1intérlt conventionnel pratiqué est de 100 ~ ; il
est manifestement usuraire J et on trouve des taux conventionnels dépassant
m8me 3 00 ~ surtOUt si l'emprunteur se révèle au prlteur cŒlllle un débiteur
insolvable.
L'usure se pratique ainsi dans ces régions malgré la pro~
hibition de la loi coranique. Le taux déguisé dépend d'un certain nombre
de facteurs à savoir J le facteur temps par exemple J l'honnorabilité de
l'emprunteur, les liens de parenté et d'amitié, les rapports de voisina-
ge etc ••• Cependant J on peut noter que ce taux varie de 20 ~ (cas rare)
à jusqu'à 300 ~. Il est d'un minimum de 50 ~ si le prtt est consenti pour
une période d'au moins Un an. Donc en fin
de compte cette interdiction
du prlt A intér@t par le coran et les doctrines musulmanes ne fait que
favoriser l'usure sous toutes ses formes. Les transactions les plus cou-
rantes pour déguiser l'usure dans les régions islamisées dlAfrique sont
les avanCes de semence, la pratique de troc, les achats de récolte en
herbe etc •••
101

L.interdiction ab&olue du loyer de l'argent est encore plus
à la base des atteintes su droit du crédit, et entratne toutes sortes
d'abus. Les Ouolofs du Sénégal, les Dioulas de la Casamance pratiquent
l'usure~ On trouve pardoxalement chez ces populations ayant accepté le
coran, une grande résistance ~ toute mesure destinée i tarir
cette sour-
ce de bénéfice. On remarque également ces pratiques usuraires chez les
NagQ;
installés dans la région du Togo~
Afin d'emp@cher l'ingérence de la justice et de l'adminis-
tration coloniale de l'époque dans leurs opérations, ces musulmans usuriers
font ~tablir les titres par les adouls, de façon que ces affaires soient
jugées par le tribunal du Chrâa. Ce tribunal admet la face exécutoire des
obligations sous l'empire de l'autonomie de volonté sans rechercher si les
conventions avaient une cause juste. Dans la doctrine musuLmane, le prin-
cipe de l'autonomie de la volonté qui est d'ailleurs peu respecté trouve
son application ici. Pour les usuriers musulmans. l'astuce est bien trou-
vée : le coran disent_ils interdit absolument l'intér@t de l'argent, il
paralyse le commerce, le tribunal du Chr§a ne pouvant pas admettre l'in-
tér@t de l'argent, ignore l'existence juridique de l'usure et ne peut
juger que conformément aux termes du titre d'Adoul qui lui est présenté~
Cet acte est une reconnaissance de dette représentant la contre partie
de l'op~ration de vente déguisée~ Le tribunal du Chrla dans l'exercice
de sa mission ne peut que se conformer i
la volont~ clairement exprûnée
des parties~ l'Dieu a pends la vente et interdit le prlt à intérlt"~ Le
ChrIs excèderait sa
mission en recherchant si la vente qui est en réali-
té un acte simulé, cache un pr@t ou si le prlt est usuraire, l'intér@t
étant interdit par la loi coranique~ lei, la théorie de l'apparence trou-
ve toute son application~
Ainsi, la déformation particulière que donne l'habitude de
la caaiis tique, amène les juris tes du droit coranique A soutenir qu'il
est juridiquement ~ossible de combattre la pratique de l'usure ~arce
qu'elle est interdite par le coran, ce qui est d 1 ailleurs absurde. En un
mot, le tribunal appliquant le coran ne peut sanctionner la. pratique de
l'intér@t usuraire car sanctionner la pratique du taux usuraire en appli-
quant le droit musuLman serait violer cette loi car elle ne reconnatt pas
102

llus'age. Cette position du droit musulman a grandement favorisé la prati-
que des pr@ts usuraires. Seulement notons que les choses ont beaucoup chan-
gé depuis. Les tribunaux musulmans siègent de moins en moins et les gens
préfèrent régler leurs problèmes de façon amiable, d'où ils recherchent
la nature réelle de l'opération stipul~e dans le contrat et en cas d'inté-
r@t manifestement usuraire on
demande au prêteur de ne revendiquer que le
capital pr@té tout en lui faisant un peu de morale, ou bien les parties
au contrat portent tout simplement l'affaire 8 la gendarmerie ou devant
le juge de paix.
A vrai
dire, A examiner les choses de près, il semble que
la doctrine et la jurisprudence musuLmane ont mal interprété le coran.
Elles ont confondu ~'int~r@t et l'usure de façon à autoriser la continua-
tion de la pratique de l'usure, pratique qui favorisait une classe de pri-
vilégi~s et ces genres de confusion, dlinterpr~tation rigide et sans sou-
plesse des docteurs musulmans est monnaie courant. C'est le cas de la pro-
hibition absolue de llebsorption de l'alcool par les musulmans ou l'inter-
diction de manger le cochon. Les docteurs musuLmans parlent d'une prohi.
bition systématique et absolue de l'absorption de l'alcool alors que
para!t-il, le co~an n.urait interdit que l'usage abusif des boissons al-
coolisées.
En effet, en ce qui concerne les prêts usuraires, le verset
125 de la sourate III était ainsi libellé "0 croyants, ne vous livrez pas
à l'usure, en portant la solIll1e au double et toujours au double".
On voit nettement que le coran
n'interdit pas la pratique
du prat à intértt, mais il interdit de porter le mOntant de l'intér@t au
double ou au triple du montant du pr@t consenti. Dlailleurs, on peut noter
que le verset 125 de la sourate III est trop indulgente. S'il faut porter
le taux d'intér@t au double avant qulil y ait usuraire, je trouve que c'est
aller trop loin, et c'est déjà favorisé l'usure car un intér@t de 20 % est
d~jà usuraire aux vues de la plupart des législations occidentales ce qui
est tout A fait juste et raisonnable. En
plus de cette souplesse, plu-
t8t natve que réaliste, les docteurs musulmans se permettent d'interpré-
ter ce verset 125 à leur façon. Remarquons qu'ils n'ont pas tout à fait
tort, car devant une telle loi on se demanderait slil ne faut pas inter·
103

dire carrément la pratique du pr~t à intér~t, vue la rigidité et le carac_
tère non supplétif des lois musuLmanes. Enfin le tort revient à notre avis
à la jurisprudence musulmane qui ne tient pas compte de la théorie de la
sllDulation en recherchant la véritable qualification des contrats qui lui
sont soumis.
Cette interprétation erronée du coran est regrettable car
elle confère aux usuriers une sorte d'impunité permanente et totale. Sous
prétexte de favoriser le commerce qui nlest d'ailleurs pas organisé, les
docteurs de la loi" se mettent tacitement au service d'une infime partie
de la population en rejetant la grande maue dans' la misère, cette masse
qui est constamment victtœe des pr.atiques usuraires. En examinant le ver-
set 125 de la sourate Illon constate qu'il est clair que le Coran auto-
rise un taux conventionnel d'inté~~ts qui
ne peut
dépasser 99 % car la
"loi sacrée ll interdit de doubler la somme pr~tée c'est-à-dire de pratiquer
un taux d'intér~t de 100 %. Ce taux de 99 % permis suffit largement
pour
les besoins du commerce et ainsi le pr@teur peut m@me arriver par absor-
ber tous les biens de son débiteur au moyen de l'avance d'une petite sOm-
me d'argent. D'où on peut se demander si la pratique de l'usure, peut-elle
donc ~tre sanctionnée dans les régions islamisées de l'Afrique Noire où
le coran est interprété à la façon de chaque secte.
La réponse est affiDnative, car l'usure peut ~tre réprimée
dans les régions islamisées sans qu'il y ait violation du coran et cela
les cadis le savent très bien. Ils savent parfaitement à quoi s'en tenir
pour découvrir la véritable nature des opérations usuraires que leurs
auteurs dissimulent sous les apparences de vente, de pr@ts en nature. Ces
affaires n'ont aucun secret pour eux, ils peuvent facilement obtenir des
renseignements sur le cours des marchandises à l'époque où les engagements
ont
été contractés et établis le caractère usuraire de l'opération. Ma-
IheureusaDent, ils ne procèdent pas à ces genres d'opérations et consi-
dèrent toujours qu'ils
s'acquittent loyalement de leur mission de gar-
diens de "la loi sacrée" en exigeant purement et simplement le paiement
de la somme inscrite dans la note de reconnaissance de dette. Les cadis
se basent sur le principe de l'autonomie de la volonté. Ils considèrent
que le contrat a été librement élaboré par les parties et que chacun a
le droit de
vendre au prix qu'il veut du moment m. l'acheteur et le
104

vendeur
sont d'accord sur le prix et la chose.
Cette jurisprudence du Chr§a est basée sur une interprétation
volontairement erronée. de plusieurs versets du coran comme nous l'avons
souligné à propos du verset 125 de la sourate III.
En plus du verset 125 susvisé
le verset 276 de la sourate
J
II stipule que la vente est une pratique dans laquelle les usuriers prati-
quent les pr@ts usuraires au moyen de la vente parce que ce verset 276
autorise la vente et condamne l'usure. Après avoir stipulé dans son ali~
néa premier "Dieu autorise la vente" le coran ajoute dans ce verset 276
toujours que "ceux qui mangent le produit de l'usure. se lèveront le
jour de la résurrection comme souillés. Dieu autorise la vente mais in-
terdit l'usure. Ceux qui retourneront
1 l'usure, seront livrés au feuil.
Donc le
verset 125 qui interdit de porter la somme d'ar-
gent arrttée au double SQUS peine de tomber dans le délit d'usure complète
valablement le verset 276 de la sourate II.
On peut en conclure que est usuraire tout pr~t consenti
avec un taux d'intér~t conventionnel supérieur à 99"t quoique cette limite
à 99 ~ laisse beaucoup A désirer et est d'ailleurs absurde, car ctaurait
été mieux de ne pas du tout fixer de taux légal. Hais ce qui est troublant
et confwaprès cette analyse. c'est que cette disposition du verset 125
de la sourate III est restée un véritable voeu pieux. puisqu'elle n'est
assortie d'aucune sanction positive. du moins matérielle. La sanction,
c'est-A-dire le
feu auquel sera livré tout usurier est d'essence méta-
physique
réligieux. cette sanction est extraterrestre et concerne l'au-
J
delA j en un mot. c'est l'enfer, cela veut dire que les usuriers tout
comme tous ceux qui auront commis d~ graves péchés iront à l'enfer et
ici aller 1 l'enfer c'est @tre livré au feu. Il faut d'abord croire à
l'au-delà, au jugement dernier, A la
résurrection. pour concevoir l'exis-
tence d'une telle sanction; et ce n'est point un usurier omnibulé par le
désir d'accumuler de l'argent qui tiendra compte d'une telle sanction im-
matérielle. Et mame, si l'on considère que le feu dont parle le verset
276 de la sourate II est la prison. ce serait vraiment tirer les choses
par les cheveux et on ne doit pas perdre de vue qu'on est en matière pé_
nale et que dans ce domaine, les raisonnements par analogie sont arbi-
traires, dangereux, voire interdits.
105

C'est dans ce désordre social qu'opèrent usuriers et emprun-
teurs jusqu'en 1935 date de l'intervention de la première loi du coloni-
sateur pour réglémenter la pratique du pr~t d1argent et le délit d'usure
dans ces colonies et territoires, d'Afrique.
Le droit doit répondre aux besoins des populations J mais
les tribunaux de cadis n'ont jamais cherché à adapter leur jurisprudence
à la lumière du temps. Ils ont ainsi délibérément favorisé la pratique
des pr~ts usuraires sous leurs formes les plus hypocrites J des plus dan-
geureuses compte tenu de llinégalité sociale dont la pratique de l'usure
peut ~tre l'une des sources car en portant ainsi le montant du pr~t con~
senti au double 99 ~ le pr~teur finirait par absorber tout le patrûnoine
de son débiteur au moyen de l'avance d'une petite somme d'argent et faire
de ce dernier ce qu'il veut.
PARAGRAPHE 2
-
LA REPRESSION DE L'USURE EN DroITS TRADITIONNElS
AFRICAINS ET DANS LE DROIT COUT1.JHIER KAI.GACHE
La structure économique de la vie indigène étant très s~­
ple J la technique des contrats en droits coutumiers africains est très
pauvre voire simpliste. Les démarcations entre les différents contrats
ne sont pas aussi nettes qu'en droit français. Comme nous allons le re~
marquer plus loin J la caractéristique de base en matière de contrat est
la bonne foi et le respect de la parole donnée (pacta sunt servanda).
En Afrique J comme à MadagascarJ la coutume disait ; "1es
obligations contractées lient les parties à la faveur d'un mariage" ou
mieux encore " c 'est par les pieds que l'on enchatne les boeufs J mais que
c'est par la bouche que les homMes se lient. Ce proverbe dendi fait al-
lusion d'une façon explicite à la corde avec laquelle on entrave le boeuf
qui doit ~tre abattu J l'antmal sentant que tous ses efforts pour se dé-
gager seraient vains J ne lutte plus. Comme ce boeuf entravé et vaincu J
celui qui s'est lié par sa parole ne peut se soustraire à ses obligations.
Qu'il s'effectue en espèce ou en nature. le pr~t domine la
vie de l'africain: pauvre et surtout imprévoyant, l'africain espère que
l'avenir lui apporte la solution nécessaire à ses difficultés. Il vit
106

au jour Le Jour j et se laisse prendre dans un engrenage d'obligations dont
finalement il ne peut plus se dégager. Dans ce deuxième paragraphe nous
étudierons dans un premier tempSj la répression de l'usure dans certaines
coutUlDes africaines dans un deuxième sous-paragraple nous étudierons la
répression de l'usure dans le droit coutumier malgache.
! .~
A -
LA REPRESSION DE L'USURE DANS CERTAINES COUTUNES AFRICAINES i
---
Dans les coutumes africaines
l'usure n'a jamais été claire-
J
ment définie. Chaque cas de pr@t est Jugé suivant les circonstances qui
ont présidé à la conclusion du contrat de prQt qui en constitue la base.
C'est en quelque sorte les usages du milieu qui déterminent le caractère
usuraire du pr@t. L'élément moral et social constitue aussi un facteur
non négligeable dans la qualification du fait. Néanmoins
certains taux
J
conventionnels ont été établis par l'usage et sont rentrés dans les moeurs.
Cet élément moral social
et l'usage du milieu peuvent @tre comparés
à
J
la notion * d'opérations analogues ou d'opérations de crédit pratiquées
dans les m~es conditions insérée dans l'article 1er du décret-loi
du
8 aoOt 1935 pour la répression de l'usure en France
élément qu'on retrou-
J
vera
également dans le décret du 22 septembre 1935 relatif à la répression
de l'usure en Afrique et à Madagascar.
Contrairement
au point de vue de H. WlEKE (1) qui soutient
J
l'usure est une méthode colonialiste de jeter dans la misère la
masse
laborieuse paysanne" on peut objecter que l'usure est une conséquence de
la misère des populations concernées et il est en m@me temps l'une des
causes non négligeables de cette misère. Certes le colonisateur a subs-
titué à l'économie de subsistance l'économie de profit, l'économie moné-
taire.
Il a ainsi accru la circulation monétaire jusque là inf~e,
mais l'histoire africaine et malgache offre bien des témoignages concer-
nant l'existence du phénomène usuraire avant la colonisation. D'autre part,
nous ne saurons pas partager égaleqent le point de vue
H. ZOTCHI(2) qui
(1) WlDlE (II.)
(2) ZOTCHI (K) op. cité p.
107

rejette systématiquement la thèse de K. WIEHE selon laquelle ltusure serait
une cause de la misère qui sévit dans les populations africaines, car
comme on
l'avait montré dans le premier paragraphe de cette section, le
fait de pr@ter à des taux usuraires ne peut qu'appauvrir encore plus le
débiteur qui se retrouvera plus misérable encore, d'où en résumé, on peut
dire, qu'en raison des bas revenus des africains, de la pénurie des capi-
taux et surtout de l'nœprévoyance et de cette mentalité caractérisant les
populations des pays sous-développés, les emprunteurs acceptent des taux
exorbitants. L'usure est bien une conséquence et l'une des causes de la
misère des peuples concernés.
Quel est le domaine d'application de l'usure ?
En droit traditionnel africain, il est rare de stipuler
des intér@ts moratoires dans
un contrat de vente à crédit. L'intér$t
moratoire ne sera fixé que si le litige de non remboursement en matière
de vente est porté devant le chef du village ou devant le chef réligieux.
Ainsi, donc on peut avancer que l'usure est surtout pratiquée dans le
domaine du preto
Nous aVOns montré dans notre premier paragraphe que le Co~
ran interdit l'intér$t dans les pr$ts d'argent, ce qui fait qulau
Sénégal, la pratique de pr@t à intér@t ni existe guère que chez les Sérères
(annœistes ou catholiques) où elle est assez rare : Hais la naissance de
besoins nouveaux a créé des dépenses nouvelles auxquelles le Sérère ne
peut faire face que par l'emprunt. Lorsqu'un chef de famille a besoin de
mil parce que sa récolte est mauvaise, il va trouver un autre cultivateur
qu'une récolte abondante a favorisé ou plus souvent un commerçant (en
général un libano-syrien) pour lui emprunter la quantité nécessaire ou
de l'argent remboursable à la récolte suivante majorée des intér@ts.
Si l'emprunteur reçoit pour passer cette période de "vache
maigre" l()() kg de mil par exemple, i l pourra, à la récolte rembourser
800 kg ou m8me une tonne de mil. Le chef de tribu est seul habilité avec
son conseil à apprécier llÜDnoralité ou l'aspect anti-social de l'opéra-
tion.
L'emprunteur peu
mercantile voit en cette opération unique-
ment un service qui lui est rendu étant donné qu'il a pu trouver une solu-
tion à ses difficultés. Le malheureux emprunteur ignorant l'aspect
108

économique de l'acte ne d~noncera presque jamais celui qu'il continue à
consid'rer comme son bienfaiteur.
Chez les Sérères du Sénégal, on justifie la pratique de ces
taux usuraires par les gros risques courus par le prêteur, cela est d'au~
tant plus juste que dans ces_contrées, la population est très mobile et
un emprunteur peut disparattre après avoir contracté un prêt important.
Mais le taux d'intérêt n'ayant pas la fonction d'intér@t moratoire, on
voit mal en quoi cela peut constituer une garantie de bonne ex~cution des
obligations que le contrat de pr@t met à la charge de l'emprunteur. Cela
paràtt incompr~hensible. Mais on admet tout de m~e que l'aléa justifie
une élévation du taux de llintér@t.
Au S~né8al, comme dans plusieurs territoires africains,
quand l'emprunteur se sent incapable de restituer l'objet prêté (dans le
cas de prêt à usage) ou de rembourser la somme due (dans le cas de prat
1
à la consommation), à cause des intérêts énormes qu'il doit payer. il dé-
clare qulil s'agit dlune vente et non dlun prêt à intérêt. 5i le débiteur
arrive à aoutenir son argumentation jusqu'au bout. un d'lai lui est ac-
1
!
cordé pour payer uniquement la valeur de l'objet. tout cela est possible
!,
car le plus souvent les contrats sont oraux, sans t~oin, et ayant pour
i
base unique. la bonne foi. et le respect de la parole donnée.
A la République Populaire du Bénin, (Ex-Dahomey). pays de
vieilles civilisations. appelé aussi Ille quartier latin de l'Afriquell • le
prêt dlargent et d'autres denr~es alUDentaires ou mobilières est prati-
qué. A ceté de ce syst~e classique de prêt existe également une autre
fonne de pr@t qulon retrouve au togo. C'est le prat d'argent avec louage
d'ouvriers combiné avec une forme de prat sur gage.
Le pr@t à intér@t est surtout organisé et pratiqué dans le
sud de la république populaire du Bénin (ex-Dahomey). C'est surtout les
Yoruba, les Nagos • les GoUns et les Ouémlnou de la région de Porto-Nova
du moins de la province de l'Ouémé qui ont surtout le monopole de ces
pratiques anti-sociales.
Si le pr@teur est un commer~ant porto-novien. il stipulera
le plus souvent un taux usuraire mais il peut également réclamer la mise
en gage chez lui d'un fils de son débiteur jusqulau remboursement. du
109

capital. Le travail fourni par l'enfant quelle que soit la durée ne
prendra fin qu'avec le remboursement total de la somme pr@tée. Le travail
fourni par l'enfant est considéré comme l'intér@t de ce capital. Il y eut
des mises en gage qui ont duré plusieurs années pour des montants déri-
soires. cette pratique est très en vogue au Ghana m@me A l'heure actuelle.
Cette pratique semble contraire à la déclaration universelle
des droits de l'homme. Selon M. ROBERT André (1) beaucoup de famille des
cantons de S~to, Adjara, Tari se livraient constamment et couramment, =ais
de fa~on clandestine A cette pratique avec la caution même de certains
chefs de tribus. Pour une somme de 5 000 CFA, l'enfant placé en gage peut
travailler au moins pendant un an. Si le travail de l'enfant est évalué
A 50 F CFA par jour comme c'était la règle dans les travaux champ@tres,
l'intér@t annuel produit par les 5 000 F CFA serait de 18 000 F CFA, le
taux conventionnel de l'intér@t serait alors de 360 ~. En effet, dans les
coutumes fon, arzo et nago d'Allada, Abomey
etc ••• le pr@t A intér@t
s'effectue sans contrat écrit. Le pr@teur a toute latitude pour exiger
un taux qui peut aller jusqu'A 400 ~ quelle que soit la durée du pr@t. Le
régime paratt ltre un peu liA la t@te du cI1ent ll •
Les exemples peuvent @tre multipliés.
Le prat consenti par un agriculteur est rarement assorti
de stipulation d'intér@t usuraire, comme le commer~ant et cela pour cacher
dessein: il préfère recevoir en gage une fille ou un fils de son débi-
teur. Le travail de l'ouvrier en gage n'est nullement libératoire. Telle
est la rigueur de cette coutume qui est en violation de l'arr@té général
de 1915.
A llépoque du roi Toffa de Porto-Nove, si le gagé se sau-
vait, la journée d'absence était monayée et son montant était ajouté au
capital à rembourser.
Camme dans les autres territoires et colonies administrés
par la France, cet état de chose persistera jusqu'à llintervention des
lois coloniales sur l'usure et le prat sur gage.
En C8te dlIvoire, le domaine intéressant la pratique du pr@t
à int~r@t est vaste. Il intéresse même le domaine de pr@t des instruments
agricoles. La coutume n'ignore pas le délit d'usure mais l'intér@t mora-
toire que fixe les juridictions traditionnelles semble apporter de l'eau
(1) IlOBEIlT André
Evolution des coutumes de l'Ouest africain encyclopédie
d'outre-mer.
110

au moulin de ceux qui pratiquent des taux usuraires.
Par la décision nO 6 rendue par le tribunal du 1er degré de
Dabon en 1950, un débiteur a été cond~né à verser à son créancier un in-
tér8t de 500 F CFA par mois pour une somme de 8 500 F qu'il reste lui
devoir, soit un intér3t annuel de 500 F x
12
=
6 000 F CFA et le taux
d 1intér3t conventionnel serait de plus de 70 ~. On pourrait objecter dans
une certaine mesure que m~e ces tribunaux coutumiers sont à la base des
pratiques usuraires, car 70 % est un taux manifestement usuraire.
Une autre convention de pr3t d1argent a été conclue en
1957 à Dahon pour un somme de 1 800 000 F remboursable après six mois
avec un intér@t de 75 000 CFA d'où 1 800 000 produirait un intér8t annuel
de 150 000 CFA.
En CSte d'Ivoire que le pr~t soit consenti pour un mois ou
une
année, le pr~teur exige toujours le m@me mOntant du loyer de 1 1argent.
Ce taux d'intér8t é1évé se justifie au regard de la
coutume par le peu
de confiance que témoigne l'emprunteur et les juges traditionnels enté-
rinent les conventions de prIt avec les taux d'intér3t conventionnel très
anorœaux •
Au Bénin, dans les coutumes aIzo et adja, le débiteur est
tenu de travailler
bénévolement dans les plantations de son créancier
sans que les effets puissent se faire ressentir ni sur le capital ni sur
les intér@ts à échoir.
Dans les coutumes des haoussas de Sokoto ou de Kano du
Nigéria, et dans les coutumes du Niger, le taux d 1 intér8t est en général
de 100 %. Le pr3t uauraire est admis par la coutuœe haoussa mais il est
interdit par le coran. Il est vrai que les haoussa et les djerœans du
Niger SOnt il majorité musulmans, mais leurs coutumes demeurent profondé-
ment influencées par leur grand fétiche vénéré le Bori qui ne semble pas
interdire la pratique des prats il intérat usuraire. De toute les fa~ons
cette interdiction par la loi coranique du prtt à intér@t usuraire est
peu efficace mtme dans les régions où les populations sont de grands mu-
su~ns croyants et pratiquants, car ces pr3ts à intér3t sont souvent
déguisés.
Le taux moyen pratiqué pour les prats d'argent est de 50 %
tandis que le taux de 100 ~ est souvent appliqué en matière de pr~t de
111

denrées et d'autres choses mobilières. Si le pr~teur n'est pas remboursé
dans les délais fixés dans le contrat (ces délais sont d'ailleurs le plus
souvent fixés unilatéralement par le prlteur) l'intérlt échu est-capitalisé
et commence à porter intérlt au taux initialement prévu.
En général, au Niger, les vict~es de l'usure sont les petites
gens des campagnes et les petits salariés qui slévertuent à vivre au-des-
sus de leurs moyens.
Bien que les haoussas (qu'on retrou'te d'ailleurs dans
tous
les pays d'Afrique) soient reconnUs comme de grands commerçants, il nly a
pas de différences notoires entre un pr~t en matière civile (la ruwa)
et l'intérlt perçu à la suite dlun pret commercial.
Ce problème du pret à intérlt usuraire a eu à se poser de
façon particulièrement cruciale au Togo et
au Cameroun. En effet, ces
deux pays ont eu à etre en contact très t8t avec les grands navigateurs
et commerçants et ils ont eu plusieurs mattres. Surtout les togolais qui
ont été plus en contact avec les premiers navigateurs et commerçants bré-
siliens, portugais, espagnols etc ••• ont de bonne heure acquis l'esprit
mercantile. Tout pour eux est une occasion de profit, de spéCUlation. La
pratique des prets à intéret usuraire s'est vite installée au Togo et
connatt encore son apogée à l 'heure actuelle avec les l'Nanans Benz ll sur-
tout dans les ventes à tempérament. On la pratique dans toutes les régions
mais aucune coutume n'a su réglémenter le prlt à intérlt ou la vente à
crédit qui sant les occasions de pratiques usuraires les plus scandaleuses.
Les taux d'intérrts pratiqués atteignent couramment SOO à 600 ~.
Avant que la France ne reçoive mandat d'administrer le Togo
tout était laissé à l'autonomie de la volonté, à l'accord mutuel réalisé
entre les parties. A vrai dire, les éléments du contrat de pret ou de
vente à crédit n'étaient jamais librement discutés et admis dlun commun
accord. En effet, quand les contractants n'ont pas
une position drégali-
té économique et sociale, il en résulte que le plus fort impose son point
de vue au plus faible: l'emprunteur pressé par le besoin est obligé de
vouloir ce que le plus fort est libre de lui imposer.
112

Cependant, malgré ce désordre, on peut noter qu'au centre
et
au fond du Togo, Une ethnie nommée Ewé a essayé de réglémenter le
pr@t à intér8t dans sa coutume.
Dans la coutume Ewé, il Y a usure lorsque le taux d'inté~
conventionnel pratiqué pour un pr8t de durée minUnum d'un an dépasse
100 1. La fixation du taux d'intér@t dépend surtout de la durée du pr@t
mais aucune différence n'existe entre le taux d'intér8t en matière civile
et en matière commerciale.
Ici au moins le facteur temps entre en ligne de compte. L'u-
nité de mesure du temps de l'~runt est l'année civile. Lorsqu'on consent
un pr@t de 10 000 F CFA le 22 mars 1978, le 22 mars 1979, l'emprunteur
devra rembourser au créancier, une somme de 20 000 F. ~is, si le pr@t
n'a duré que six mois, le prtteur ne se fera rembourser que 10 000 F
plus 5 000 soit 15 000 F CFA capital et intér@ts réunis. C'est déjà faire
un pas que de tenir compte du facteur temps.
Un pr@teur qui exigerait aU-delà du taux de 100 1 quelle
que soit la nature du pr@t et l'urgence dans laquelle se trouve llem~
prunteur violerait la coutume Ewé en la matière et serait passible des
sanctions prévues à cet effet. Cette règle est respectée du moins par la
majorité des Ewés, car elle est rentrée dans les moeurs.
Quelles sont donc les sanctions pour violation du droit
traditionnel ?
Les sanctions pour fait d'usure varient d'un état à Un autre
et d'une coutume à une autre.
On tient aussi compte pour fixer la sanc-
tion, du domaine d'activité oc plut8t èe l'opération que le pr@t est des-
tiné à financer.
En gén~ral, il n'y a pas de sanctions objectivement déter-
minées comme en droit français. Dans certaines coutumes, les sanctions
sont plus sévères pour le pr@teur quand les fonds consentis sont destinés
à financer des évènements tmprévus tel que le décès ou la maladie subite
~.de l'emprunteur ou d'un membre de sa famille, mais si les pr@ts consentis
ont servi à financer des évènements prévisibles tel le mariage, le baptlme
etc ••• quel que soit le taux exorbitant appliqué, les juges tradition-
nels font jouer les clauses du contrat sur la base de l'autonomie de la
volonté. Tout au plus le pr@teur sera condamné mais avec de larges cir-
113

.constances atténuantes. ~is quelquefois, les parties engagent la procé~
dure entre elles par une sorte de réglement de comptes. Au Niger, par
exemple, quand la dette est formellement niée par le débiteur, le créan-
cier s'empare d'un bien de ce débiteur (ya faskara) afin que celui-ci se
plaigne et que l'affaire soit portée devant les juges. Il y a là une sorte
de saisie rudimentaire voire sauvage.
Dans tous les cas, la sanction est surtout
civile. Le pr@~
teur est condamné civilement A restituer à son débiteur la samme d'argent
qu'il a indOment per~ue au regard de la coutume et du groupe social au
sein duquel il vit. Il est également condamné pénalement à une peine d'a~
mende au profit du juge et de son conseil pour la peine qu'ils se sont
donné A régler cette affaire qui a failli troubler l'ordre social établi
depuis le temps des anc@tres. Celui qui perd son procès perd aussi la
somme qu'il avait avancée au début de l'affaire. Quant au gagnant, la
somme avancée lui est restituée séance tenante moins les dons au trSne
en guise de remerciements.
En cete d'Ivoire, la haute juridiction locale d'appel se re-
fuse à reconna!tre une pratique qu'elle considère comme contraire
à.l'or-
dre public et nuisible dans le domaine économique, mais bien rares sont
les affaires de ce genre qui parviennent jusqu'à elle. Hais dans la grande
maj~ité des cas, les coutumes africai~signorent le délit d'usure tel
qulil est conçu en France. Souvent d'ailleurs, le créancier est autorisé
A poursuivre le recouvrement de sa créance usuraire et mArne les frais de
recouvrement.
En résumé, on peut affirmer que la situation qui prévalait
en Afrique Noire avant l'intervention du législateur colonial en matière
de pr@t usuraire est comparable à celle qui sévissait après la révolution
française et avant l'intervention de la loi du 3 septembre 1807. D'ailleurs,
qui étaient usuriers? C'étaient les grands notables de l'époque qui cons-
tituaient un rentable pouvoir de pression sur le pouvoir politique comme
c'est d'ailleurs encore le cas aujourd'hui avec toutefois, les complica-
tions engendrées par l'economie de profit.
L'usure, cette pratique honteuse, d'exploitation de l'h~e
par l'homme est ruineuse si bien que certains petits fonctionnaires ont
114

toute leur carrière hypothéquée chez l'usurier. Et il faut noter d'ailleurs
que ces dettes usuraires ne se prescrivent jamais et passent de père en
fils.
En principe, avec la promulgation du décret de 1931, rela-
tif à la justice indigène et instituant le principe de la prescription
quinquenale en matière civile et commerciale, les tègles coutumières
doivent @tre considérées comme abrogées mais en fait, il n'en est rien
la coutume ignore la prescription car comme le dit un proverbe africain
"la case peut brlller mais la dette ne brOle pas".
En pays Béribéri du Niger, les contractants ont l'obliga-
tion d'éxécuter leurs prestations car le principe est que ilIa maladie
a mangé le village, a tué les vaches, a tué l'homme et la femme: mais
la dette n'est pas mortell , cette imprescriptibilité des dettES est favo-
rable à l'usurier puisque
cette pratique anti-sociale nlest que rarement
et fantaisistement sanctionnée.
C'est dans ce désordre
social que continueront usuriers
et emprunteurs jusqu'en 1935 date de la première intervention du légis-
lateur pour réglementer la pratique du pr~t à intér@t d'argent et du
délit d'usure avec son
décret du 22 septembre 1935. Comme nous
allons
le constater dans notre deuxième sous-paragraphe,
'il en est autrement
à ~dagascar. Toutes les reines qui se sont succédé dans la grande tle,
ont livré une guerre sans merci non seu1.ement à la
pratique de l'usure
mais à tout ce qui porte atteinte au droit de crédit.
B - LA REPRESSION DE LIUSURE DANS LE DROIT OOUTUHIER HALGACHE
A ~dagascarJ l'origine du pr~t d'argent remonte très loin
dans le temps. L'histoire malgache offre bien des témoignages concernant
le pr~t usursire dans l'Ile avant la colonisation française et le droit
malgache précolonial se préoccupera sérieusement de la réglémentation du
pr@t à intér~t pour limiter les abus des
pr~teurs.
Le roi Andrianamprinimrina qui a
présidé au destin de
Madagascar de 1787 à 1810 dans un de ses célèbres discours définit ainsi
les taux d'intédts conventionnels tolérables; " s i l'argent constitue
l'intér@t et si l'intér@t mensuel de la piastre (=5 francs CFA = 10 centi-
mes français) est d'un vingt-quatrième de la piastre (voamena), pour
115

deux mois les intértts s'élèvent à un douzième de piastre (roavoemena),
pour trois à un huitième de piastre (sikajy) pour quatre mois à un sixiè-
me etc ••• (1).
L'oeuvre la plus spectaculaire est le code des 305 articles
édicté par la reine Ranavalona II qui Itmita le taux d'intér8t convention-
nel à 24 % au lieu de 50 % retenu sous le roi AndrianamiprinÛDerina. A
noter que les femmes ont souvent eu à prendre des initiatives très posi-
tives.
Ce code des 305 articles décida que l'accord intervenu entre
les parties devait @tre transcrit par l'autorité qui prélevait pour le
compte de l'état le douzième de l'intértt convenu entre les parties. Mal-
gré ces l~itations assorties de sanctions et d'autres mesures répressi-
ves, l'usure demeurant
le plus grand fléau social à Madagascar.
Le pr@t d'intértt revit une 1mportance pratique considérable
à Madagascar, il a lieu non seulement en vue d'entreprises commerciales,
mais surtout lorsque les gens se trouvent dans
une situation g~née, soit
parce qu'ils doivent rembourser une dette arrivée à échéance, soit parce
qu'ils doivent effectuer des achats qui ne souffrent pas d'attente, soit
enfin, parce qU'ils doivent payer leurs ÜDp8ts.
Il y a lieu d'analyser dans
les dispositions du code des
305 articles, en quoi consiste l'usure en droit coutumier malgache et
comment ce délit était sanctionné avant l'intervention du législateur
colonial en la matière.
A Madagascar, où la recherche du profit dans les transac-
tions est vite entrée dans les moeurs, la pratique des pr@ts usuraires
constitueront un grand danger. Tout le monde courait après la fortune.
Un proverbe malgache dit ; Il Par un trafic d'intér~t sordide, slil est
mesquin, splendide, s'il est conSidérable, il mut gagner de l'argent et
de surcro!t, les contrats se faisaient comme en Afrique Noire, sur la
base de la bonne foi et de l'autonomie de volonté. Il ne pouvait en ~tre
(1) R. P. Halzac
Histoire du royaume Hova Tananarive 1912
ÜDprtmerie catholique N.E.T. Thebault.
116

autrement pour un droit essentiellement oral au départ.Par un .kabory (dis-
cours) vers
1800, le roi Andrianamiprin~ra, aurait proclamé : les ac-
cords conclus entre le ptlteur et l'emprunteur, voilà la première loi •••
Respectez scrupuleusement vos engagements réciproques car si les boeufs
se laissent prendre par les cornes, les hommes se laissent prendre par
leur Langue. Vous ne devez ni ne pouvez vous soustraire aux engagements
que vous avez pris (1). Ce Kabory, ce discours poursuivait
:
" s i
vous
J
prenez de l'argent à intér@t et que vous ne versez pas au complet l'inté-
r@t dQ à votre créancier, vous aurez trahi vos engagements, le créancier
qui vous demandera en vain d'@tre payé, s 1 i1 requiert mon intervention,
sera payé sur vos biens, si vous n'en possédez point, pour le d'sintéresser J
je vous vendrai comme esclave et pré1everai sur le montant de la vente
l'argent nécessaire (2)" a En un mot, le roi recommande à ses sujets le
respect de la parole don née. Cet état de choses prouve clairement que les
affaires de pr@ts d l argent avec intér~t constituaient de véritables cer_
cles vicieux auxquels les autorités traditionnelles à une certaine époque
cautionneraient natvement.
A Madagascar, le pr@t d'argent peut rev@tir un caractère
gratuit ou onéreux selon qU'il a été consenti sans rémunération aucune
ou au
contraire, avec une rémunération spéciale que l'emprunteur s'oblige
à verser périodiquement au
prêteur, rémunération dont le montant varie
suivant l'ÜDportance de la samme pr~tée et la durée du pr@ta La somme
pr@tée dite capital, prend en malgache le nom de rini-vo1a (mère de l'ar-
gent) et la rémunération dite intérêts a le nom de zana~bo1a (enfants
de l'argent) C'est l'existence ou la non-existence de cet intér~t pério-
dique que doit payer l'emprunteur qui détermine le caractère onéreux ou
gratuit du pr@t d'argenta
Cependant, à Kadagascar, le critérium n'a pas une portée
abso1uea En effet, le droit malgache conna!t un pr~t d'argent exclusif
de toute stipulation dtintér@ts mais qui ne rev~t pas moins un
caractère
(1) L'histoire des Rois TaV. page 684 et suivantes
(2) Julien: Institutions malgaches Ta Il page 287
117

onéreux puisque un bien affecté à la garantie du pr@t est transmis en la
possession du créancier prtteur, lequel en a la jouissance pleine et
entière jusqu'à l'époque du remboursement sans que les fruits et re~enus
qu'il perçoit s'~utent sur le capital. Celui-ci, doit ~tre restitué
dans son intégralité A la date fixée par les parties. Cette forme de prit
à intér~t. s'appelle cantrat de féhivava ou fehivava tout court. Il s\\git
là d'une institution suigénéris en droit malgache, d'un contrat qui nia
pas son analogue en droit français si bien que le mot fehivava qui le
d~signe est intraduisible en français. Nous verrons qU'il n'y a pas de
pratique plus usuraire que ce contrat féhivava.
Le code des 305 articles publié sous la reine Ranavalona
par une réglémentation du pr@t A intér~t et la lbnitation du taux d1in_
tértt dont le dépassement sera érigé en délit d'usure assorti de sanc-
tions va porter un frein aux effets néfastes de cette exploitation de la
classe pauvre par la classe riche.
L'article 107 dudit code réglémente le pr~t conventionnel
entre malgaches et fixe le D1aXbnun du taux conventionnel à 24 '%.. Ce taux
est ~ératif : son dépassement constitue une infraction aux lois du
royaune.
Donc à Madagascar, en 1887, tout pr@t consenti à un taux
d'int~rlt conventionnel dépassant
24 ~ constitue le délit d'usure.
Antérieurement, à la promulgation des 305 articles, les malgaches avaient
coutume de conclure entre eux des
contrats de pr@ts à des taux exorbi-
tants et clest pour cette raison que la reine a prescrit la rétroactivité
des effets de l'article 161 aux pr@ts consentis antérieurement à son en-
trée en vigueur à condition que le remboursement ne soit déjà effectué.
Le m@me article 161 édicte des pénalités qui frappent aussi
bien le pr@teur que l'emprunteur.
Celui qui
aura pr@té de l'argent à un taux d'intértt supé-
rieur à 24 '%. aura son capital confisqué au profit d e l'état : par exem-
ple, un citoyen qui aura prtté 10 000 F cfa à un taux conventionnel su-
périeur A 24 ~ sera frappé en quelque sorte d'une amende de 10 000 Fcfa
aU trésor-public. Quant à l'emprunteur qui aura pris de l'argent à un
taux d1intér@t conventionnel supérieur à 24 '%., il sera
puni d'une amende
de cinq boeufs et de cinq piastres avec conversion facultative des boeufs
118

en
monnaie à raison de 2 piastres pour un boeuf. Cette amende qui s'éle~
vait à 75 francs or à l'époque était difficile à payer. Si l'emprunteur
ne peut les payer, il est jeté en prison à raison d'une moitié de piastre
par jour jusqu'à concurrence du montant
de l'smende, soit d'une peine
de l'emprisonnement de 150 jours.
La loi n'a pas prévu de circonstances atténuantes. Que l'une
des parties soit de bonne foi, elle exécutait malgré tout
sa peine. Le
taux d'intér@t est le m~e que le prat ait été consenti en matière civile
ou en matière commerciale. Cette unification du taux d'intér@t est justi-
fiée. D'une part, le commerce n'avait pas en ces contrées, l'ampleur qu'il
a atteint à l'époque actuelle et d'autre part, cela évite des fraudes car
l'emprunteur est, libre une fois en possession des capitaux qui lui sont
octroyés de les utiliser en matière civile ou en matière commerciale.
Sur le plan de la répression, il y a également une confu-
sion entre les sanctions civiles et les sanctions pénales, car la confis-
cation du capital 'pr@té est en m@me temps civile et pénale.
Quel est le domaine de la loi ?
La loi coutumière a un champ d'application très vaste. Elle
concerne tOUtes
les opérations de pr~t à intér~t. Elle s'applique m8me
aux champs de cultures. Pour éviter les pressions et les fraudes, la
reine a prescrit une condition de forme qui est l'enregistrement. C'est
ainsi que les articles 16 et 17 des instructions au gouverneur pour l'ap-
plication du nouveau code prévoyaient que :
"Si une personne emprunte de l'argent à une autre, l'enregistrement sera
fait par le gouverneur de la circonscription où se trouve le domicile
réel de l'emprunteur et si les biens donnés en garantie par ce dernier
se trouvent dans la circonscription d'un autre gouverneur, vous l'avise-
rez (1).
Bien que cet enregistrement aille à l'encontre du caractère
des pr@ts familiaux, sa finalité qui est, d'une part de peDnettre
aux autorités responsables de suivre la bonne marche des affaires et
(1) Article 17 du code des 305 articles.
119

d'autre part de garantir la sincérité et la liberté des parties au con-
trat et surtout d'éviter toute supercherie e~t noble.
Il faut souligner que sous la reine Ranavolona Il, le pr~t
est si organisé que m@me une procédure judiciaire de remboursement est
institué. C'est ainsi que lorsque le remboursement d'un pr~t est ordon-
né par voie judiciaire, le débiteur qui nia pas respecté le tenne était
condamné à rembo~ser le double de la somme pr@tée. La moitié clest-à-
dire le montant de la créance originaire va au créancier, l'autre moitié
étant versée à la
reine à titre d'amende au royaume qui en restituait
la moitié au cr'ancier à titre d'intér@t.
Par exemple, si Radrialamina pr@te 15 000 F à Rabevohitra
à un taux de 20 ~ (taux qui n'est pas usuraire au regard de l'article
167 du lIcode des 305 articles", à l'échéance, solt au bout d'un an, si
Rabevohitra est cité en justice, pour honorer l'échéance, il sera con-
damné à payer d'une part 15 000 F à Radrailamina et 15 000 F à titre d'a_
mende au royaume. La reine restitue à son tour 7 500 F au demandeur créan-
cier à titre d'intér@t. On remarque que 15 000 F ont apporté 7 500 en un
an, cela correspond à' un taux de 50 ~ • Ce taux curieusement est usuraire
au regard de l'article 167 du code des "305", peut-on en déduire que
lorsqu'un emprunteur a bénéficié d'un pr@t sans intér@t mais pour diverses
raisons, il n'a pas respecté l'échéance, il peut se voir appliqué un taux
usuraire à
titre de sanction? Répondre par l'affi~ative serait exact
car ce taux de 50 ~ reptésente les intér@ts moratoires pour le
deman-
deur. S'il ressort des documents versés aux débats eux~~6, la preuve
que le non remboursement de la SOMme est imputable à un cas de force
majeure. le débiteur peut bénéficier de larges circonstances atténuantes
un nouveau délai lui est accordé.
Il faut noter qu'à c~té de cette diaposition coutumière
relative à la répression de l'usure. un arr@té du gouverneur colonial
en date du 2 décembre 1898, était également promulgué et réglementait
le taux d'intérft: en matière de pr@t à Madagascar.
Son article 1er est ainsi libellé : 'aans les colonies et
à Madagascar, la convention sur l'intér@t de l'argent fait la loi des
parties ce qui signifie qu'à compter de
cette date, le taux d'lntêr@t
était libre.
120

L'article 2 du mftme arr@té disposait : Il à défaut de
convention et entre toutes les personnes, européens et malgaches, l'in-
térftt légal sera fixé à 12 ~ tant en matière civile qu'en matière com-
mercialea"
Donc en cette période à
Madagascar, les parties fixent
librement le taux d'intértt conventionnel et cela sans limitation. Le
taux
légal de 12 ~ mentionné à l'article 2 du présent arr$té n'inter-
vient que lorsque les parties ont omis de fixer un taux d'intér@t Con-
ventionnel ou bien lorsqu'il nia pas
été possible de déterminer par
tous moyens le taux d'intértt sur lequel les parties s'étaient enten-
dues lors de la conclusion du contrat.
En 1906, l'arr@té du 2 décembre 1898 fut abrogé et rem-
placé par un nouvel arr@té du 25 avril 1906. Ce nouveau texte reprit
dans son article 1er, les dispositions contenues dans l'article 1er
de texte auquel il vient d'@tre substituéa Le nouvel arr@té d~clare
notsœment que le taux d'intér@t conventionnel en matière de pr@t était
libre, mais qu'à défaut de la fixation d'un taux par les parties, le
taux légal est de 9 ~ tant en matière civile qu'en matière cammercialea
Peut-on alors avancer qu'il y a conflit entre les disposi-
tions' du code coutumier des ")05 articles" et les présents textes de
llarr@té du 2 décembre 1898 ? A première vue on
est tenté de répondre
par l'affinmative mais ce serait une réponse hative et erronée.
Les deux arr@tés en déclarant le taux conventionnel en
matière d'argent et autre opération ass~ilable libre n'interdisent pas
aux citoyens malgaches de se conformer aux règles de leur statut per-
sonnel c'est-à-dire aux dispositioŒcoutumières. En déclarant le taux
d'intér@t conventionnel libre, cela signifie que les malgaches sont
libres de se conformer à leurs lois coutumières dans l'élaboration de
leur convention, si la coutume fixe le taux d'intér@t maximwn conven-
tionnel à 24 ~ les parties au contrat en jouissant de leur liberté
conventionnelle, ne peuvent pas crever le plafond sans commettre de dé-
lit d'usure au regard de la coutwnea Cela est valable entre une conven-
tion de pr@t intervenue entre malgache a Le taux légal de 12 ~ leur serait
applicable que lorsqu'en cas de conflit relatif à un pr@t dans lequel
le taux conventionnel n'aurait pas été déterminé, les parties auraient
porté le litige devant une juridiction de droit modernea On peut en
121

conclure que les textes (arr@tés) susvisés ne dérogent en rien aux
dispositions de l'article 161 du code des 1130511 relatif à la répression
du délit d'usure entre malgaches.
Le
taux d'intér@t conventionnel est-il libre dans un
prit d'argent entre un malgache et un étranger et entre étrangers?
Si un ma1gacbe et un français concluent un pr@t d'argent que1 sera it le
taux max~um autorisé ?
Le français
nlétant pas régi par le droit coutumier mal-
gache, la loi applicable est le droit moderne et la prenière réponse
que lion serait tenté de donner est que le taux d'intér@t est libre
conformément à 11 article 1er de l'arr@té du 25 avril 1906, ou du 2 fé-
vrier 1898. Il en serait de m8me pour un Contrat entre deux étrangers
r~sidant à Madagascar.
Mais les autorités politiques coutumières peuvent opposer
l'ordre public à tous et l'application des dispositions du code des
"305" dans les contrats en détachant les conventions de leurs auteurs.
Elles ne l'ont jamais fait et les tribunaux malgaches ont toujours
appliqué les dispositions du code des 1130511 dans les litiges relatifs
aux pr@ts à intér@ts conventionnels entre malgaches. Dans les autres
cas, ils ont toujours appliqué les dispositions de 1 l arr@té du 2 décem-
bre 1898 reprises par l l ardté du 25 avril 1906 ..<
Cette loi coutumière restera en vigueur avec les peines
qui
repr1ment le délit d'usure notamment la confiscation du capital
pr@té A un taux usuraire au profit du royaume jusqu'en 1898. A cette
date, la confiscation de tous les biens prévue par le m@me code à l'ar-
ticle 23 pour des infractions différentes (vol, abus de confiance,etc ••• )
fut abrogée. De 1898 à 1935, l'intér@t conventionnel en matière de prIt
sera libre pour tous, l'usure restera nnpunie. Il est à remarquer qu'à
cette m~e époque en France, les lois de 1807 et de 1850 relatives A
la repression du délit d'usure furent suspendues ou purement abrogées.
Ces lois étaient abrogées en matière commerciale et suspendues en matière
civile. Cette répression ne sera plus reprise par le législateur colo-
nial dans le décret du 22 septembre 1935 relatif à la répression du
délit d'usure dans les colonies, au Cameroun et au
Togo. Les autres
éléments constitutifs du délit d'usure en droit coutumier vont dispa-
rattre avec le décret du 30 avril 1946 qui supprüa8 la coutume en matière
122

pénale dans les colonies au Cameroun et au Togo.
La reine Ranavalona
ainsi que les souverains qui l'ont
précédée avaient voulu pour les malgaches une société plus juste dans
laquelle le plus fort ne devrait pas chercher A étouffer le plus faible.
Les souverains malssches supportaient difficilement de voir cSte à cSte
des gens qui vivent d'àbondance et dlsutres, cousus de dette qui res-
pirent la misère et baignent dans la pauvreté.
Malgré cet effort louable, llusurier n'est point désa~ê.
Le mot piété A l'un des Fugger en 1588 sur les banquiers gtnois peut
être appliqué aux usuriers tnalgaches de 11 époque : "ils laissent les
théologiens chanter et parler mais nlen font pas moins leurs affaires.(1)
~'est dans ce désordre que le législateur interviendra avec le décret
du 22 septsnbre 1935 relatif au délit dlusure en Afrique Noire et A
Madagascar.
Rappelons qulen droit coutumier africain et malgache,
les délits comme les dettes ne se prescrivent pas.
SECTION
2
LA REPRESSION DE L'USURE PAR LE LEGISLATEUR COLONIAL :
LE DECRET DU 22 SEPTEMBRE 1935 RELATIF AU DELIT DIUSURE.
EN AFRIQUE ET A IlADAGASCAR
"Les lois doivent ~tre tellement propres au peuple pour
lequel elles sont faites, que c'est un grand hasard si celles d'une
nation peuvent convenir à une autre. Elles doivent @tre relatives
au physique du pays, au climat brOlant ou tempéré, aU genre de vie du
peuple, laboureur,
chasseur ou pasteur. Elles doivent se rapporter
au degré de liberté que la constitution peut souffrir, à la r~ligion
des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leurs nombres
leur camnerce, leurs moeurs, leurs manières ••• c l est dans toutes ces
vues qulil faut les considérer. Ces rapports forment ensemble ce que
l'on appelle lIesprit des lois".
Montesquieu :"Esprit des Loisl! Livre l Chapitre III.
Ll un des problèmes tmportants qui a eu à se poser aux
colons fran~ais a ~té celui de la législation.
(1) L'usure
article de M.C. GAVALDA J.C.P. 1966 1 21 71
123

Le législateur colonial s'est vite trouvé devant un di~
1emne : 11app1ication pure et simple aux colonies et territoires placés
sous le mandat de la France, de la 1ég~ation française métropolitaine.
C'est le système de 1 l assimi1ation, soit la coexistence de la législa-
tion traditionnelle et de la législation du colonisateur
mais cette
coexistence peut-elle @tre pacifique? Soit enfin, l'application d'une
loi spécialement élaborée pour les colonies. Le législateur français
a h~sité pendant longtemps entre ces trois thèses surtout en matière
de droit privé.
Dans le domaine des obligations, le législateur inter-
viendra à plusieurs reprises avant la loi de 1935. Avec l'évolution
de llAfrique dans le domaine des affaires où lion a dépassé en matière
contractuelle le cadre restreint social entre gens qui se connaissent
le contrat verbal apparatt inadapté. Le législateur, par le décret du
2 mai 1906, institua un mode de constatation écrite des conventions pas~
sées entre indigènes dans les colonies. Ce texte poursuit
un double
but
: il substitue à l'accord verbal, l'écrit qui constate les formes
solennelles exig~es par la coutume.
L'article
en ordonnant que llécrit soit établi devant
le chef de la circonscription administrative cherche à établir la
liberté et la sincérité des parties au contrat. Cette position sera
plus tard reprise dans la loi du 9 octobre 1936 en matière de lutte
contre l'usure. Ce décret a choqué
la psychologie du petit payeur de
la brousse
qui à l'instar des paysans du monde entier nlaUne pas par
esprit de méfiance qu'un étranger se m@le de ses affaires.
Après ce décret du 2 mai 1906,
qui n'a pas connu une
grande portée pratique parmi les masses africaines, le législateur
colonial est revenu à la charge pour s'attaquer à l'usure qui constitue
une véritable plaie des pays sous-développés.
En effet, un mois et demi après le retabltssement de la
lUnitation du taux d1intér@t en matière de pr@t d'argent en métropole
par la promulgation du décret~10i du 8 aoOt 1935 modifié par le décret
du 30 octobre 1935, le législateur a pensé à ses colonies et territoires
sous mandat dlAfrique et de Madagascar : il prit alors le décret du
22 septembre
1935 relatif au d~lit d1usure et fixa le taux de llintérat
124

légal et le taux maximum de l'intér~t conventionnel dans les colonies
au Cameroun et au Togo.
L'analyse de ce décret du 22 septembre 1935 fera l'objet
de notre étude dans la deuxième section de notre chapitre, section qui
se subdivisera à SOn tour en trois paragraphes afférents successivement
au domaine d'application du décret, aux sanctions prévues par ce décret
et enfin aux modalités de la prescription.
P~~HE 1
LE DOMAINE D'APPLICATION DU DECRET DU 22 SEPTEMBRE 1935
Ce décret du 22 septembre 1935 reflète dans une certaine
mesure et sllnultanément les deux conceptions du délit d'usure en droit
français. L'article premier du décret décide qu'en matière civile, il
ne pourra @tre stipulé un taux dlintér@t supérieur à 8 % llan, tandis
que l'article 3 concernant les pr~ts en matière crnmmerciale défend les
pr~ts consentis à un tarif effectif dépassant de plus de moitié le taux
moyen pratiqué dans les mamescondittons par des pr@teurs de bonne foi
pour des opérations de crédit comportant le m@me risque que le pr~t
dont il s'agit.
A - DEFINITION DE L'USURE DANS LE DECRET DU 22 SEPTEMBRE 1935
Pour la définition du délit d'usure en matière commerciale
le législateur colonial reprend la définition du m@me délit en matière
civile comme en matière commerciale par l'article 1er du
décret-loi
du 8 aoOt 1935. Pour le délit d'usure en Afrique les notions de pr@-
teur de bonne fot, d'opération de crédit analogue réapparaissent.
Pour ce qui concerne la définition du délit d'usure en
matière civile, le système du décret du 22 septembre 1935
tient à la
loi du 3 septembre 1807 modifiée par celle du 19 décembre 1850. Comme
dans les lois de 1807 et de 1850, un taux max~ fixe dont le dépas-
sement constitue le délit d'usure est déte~iné par la loi en matière
civile; c'est 8 ~.
Pour quelles raisons le législateur colonial a-t-il fixé
le taux maximum de l'intér@t conventionnel dont le dépassement retien-
125

drait son auteur dans les liens de la prévention du délit d'usure à 8 %
en matière civile.
On pourrait avancer peut ~tre une raison sociale. Un pr~t
consenti à un taux élevé est de nature à miner les emprunteurs qui sont
très nombreux. Les uns empruntent parce que la récolte de l'année est
mauvaise ou parce qu'ils doivent célébrer un mariage pompeux: d'autres
empruntent pendant la période de perception des imp8ts par les agents
de l'état. On a vu des chefs de canton se déplacer à l'occasion de la
perception des ûnp8ts accompagnés d'un usurier et dlun
,garde. Celui
qui ne trouvait pas le montant de ce qu'il devait payer au fisc, s'adres-
sait sur place à l'usurie~ui s'acquittait de ce devoir civique à la
place du malheureux à un taux dlintér@t pouvant aller jusqu'à 100 ~
l'an. On peut également penser ou p1ut8t soutenir qu'en fixant à 81.
le maxtmum du taux d'intér~t conventionnel, le législateur a voulu stm-
p1ement se conformer au niveau de revenu des paysans qui n'ont pas assez
de ressources pour rémunérer le capital qui leur est pr~té avec un ln-
tér@t très élevé.
Les colonies et les territoires sous mandat se trouvent
dans la m~e zone monétaire si bien qu'en matière d'inflation ou d'é-
rosion monétaire ce qui affecte la métropole rejaillit indubitablement
sur la vie économique des colonies. On ne voit pas très bien pour quelle
raison valable le législateur colonial de 1935 a d'une part maintenu
un taux d'intér~t conventionnel dont le dépassement constitue le délit
d'usure dans la législation africaineàors qu'il l'a supprtmé dans la
législation de la
métropole, et d'autre part, ce n'est pas rendre ser-
vice à l'emprunteur que de faire une distinction entre le régime de
pr@t en matière commerciale et en matière civile. L'étude du droit
coutumier en matière de pr~t à intér@t nous a suffisamment renseignés.
Que ce soit en Afrique Noire ou à Madagascar. il n1existe aucune dis-
tinction entre le pr~t d'argent en matière civile ou en matière commer-
ciale tant du point de vue de l'emprunteur que du pr~teur. La fixation
à 8 ~ du taux maxtmum de llintér@t conventionnel apparâtt arbitraire
car elle ne repose sur aUCune base solide. Il est rare que les
pr@ts
consentis entre particuliers comportent
un taux d'intér@t ne dépassant
pas le taux légal maximum de 8 ~ et à Madagascar. Les taux minima
126

pratiqués oscillent en général entre 25 et 50 % llan. Là alors il s'agit
de prats entre parents ou amis où llacte est considéré comme un geste de
bienfaisance. A Madagascar, ce taux atteint souvent 100 % (1). Un pr~t
consenti au taux d'intér~t conventionnel de a % est qualifié en Afrique
Noire et à Madagascar par les spéculateurs comme un cadeau, un véritable
pr~t sans intértt.
La double définition du délit d'usure dans
le décret
du 22 septembre 1935 ne sert pas la cause de llemprunteur que le décret
est pourtant destiné à protéger. En instituant à eSté d'un taux limité
à a t en matière civile, un taux illimité en matière commerciale, c'est
priver le particulier d'une source de crédit or, son bas revenu l'oblige
souvent à recourir à ce mode de crédit pour des raisons multiples ; les
dots, les noces, les funérailles, l'entretien de parents malades ou pau-
vres. Le petit fonctionnaire de la ville ou le paysan a d'autres obliga-
tions sociales qui l'obligent à recourir à l'usurier. Les membres de sa
famille peuvent @tre subitement atteints d'une maladie et 1ui-m~e peut
se trouver engagé dans des litiges ~obiliers nécessitant le versement
de frais de justice, recours à un géomètre pour la levée du plan du ter-
rain, objet de litige etc •••
Le taux d1intér@t conventionnel dont le maximum à ne
pas dépasser étant fixé à a % en matière civile, les nécessiteux ne trou-
veraient plus de pr~teur car ce taux paratt trop faible pour intéresser
le pr~teur particulier qui trouvera toujours un emprunteur, lui offrant
mdeux. On peut penser que le souci du législateur était d'éloigner les
masses paysannes et des petits fonctionnaires l'usurier en décourageant
ce
dernier par un taux d'intértt très bas qU'il ne pourrait dépasser
sans tomber dans le délit d'usure. Si telle était son intention
, le
décret du 22 septembre 1935 devrait
@tre llmnédiatement suivi d'autres
sources de crédit plus viables, notamment des crédits sociaux or, il a
été fait que de tUDides tentatives dans ce domaine.
(1) C. DELIKlBE
la monnaie, le crédit, la banque et le change à Mada-
gascar.
Revue de Madagascar 1905 p. 484 et suivantes.
127

Les résultats de cette l~itation du taux maxVmum de
l'intérQt conventionnel sont négatifs car les pratiques usuraires qui en-
richissent les possédants au détriment du travail productif, sont plus
particulièrement liées dans les sociétés africaines où elles sévissent
à l'existence de certains facteurs sociologiques et économiques notam-
ment au niveau de vie relativement bas, rendant les disponibilités pri-
v~es peu abondantes, le marché de l'argent itant dominé par la demande
en face d'une offre insuffisante. Ceux qui recourent à l'usure ont à
peine le strict nécessaire et ne peuvent jamais mettre de l'argent ou
la récolte de caté pour les mauvais jours et les imprévus. Il faut noter
aussi une organisation insuffisante de la production et de la commercia-
lisation des produits de base. Ne peuvent réaliser des gains substantiels
que les agriculteurs possédant des terres propices aux cultures indus-
trielles tel le café et le cacao, le bois ou la banane que le coloni-
sateur trouve intér@t à exporter vers la métropole et pour qu'aucune
note ne manque au tableau économique du paysan de l'époque, il faut ajou-
ter à tout cela une mauvaise organisation du crédit.
Les banques ne prQtent qu'aux riches. Ainsi donc bien
que le taux d1intér@t pratiqué par les banques soit plus raisonnable,
le petit fonctionnaire ou le paysan qui ne présente aucune surface fi~
nancière pouvant servir de garantie, se demande ce qu'il faut faire.
Dans sa détresse, l'emprunteur qui redoute l'usurier, le supplie parfois
d'intervenir sachant toutefois quels sont les risques et les dangers aux-
quels il slexpose dans l'avenir, mais pour l'emprunteur, c'est le présent
qui compte. Nous pensons qulil ne faut pas se leurrer t si la détermina-
tion dlun taux d'intér@t maximum en matière de prQt conventionnel nra
pas porté ses fruits où le crédit est pourtant plus abondant, on voit mal
comment il peut constituer Un élément efficace de lutte contre l'usure
en Afrique Noire où l'argent est rare.
L'article 2 du décret du 22 septembre 1935 reprend les
dispositions de l'article 1er du décret-loi du 8 aoOt 1935 modifié par
le décret du 30 octobre de la m@me année. Ainsi qu'il a été écrit au
sujet de la définition du délit d'usure en matière civile, en matière
128

commerciale, le législateur de 1935 pour les colonies nia pas déterminé
un plafond fixe d'intér~t conventionnel. Il a considéré que le risque cou-
ru par le pr~teur varie dans de grandes proportions selon le genre d-opé-
ration financée. Il a seulement pr~cisé que le pr@t ne devait
pas ~tre
consenti à un taux effectif dépassant de plus de moitié le taux moyen pra-
tiqué dans les atmes conditions par des pr~teurs de bonne foi pour des opé-
rations de crédit comportant les m~s risques.
En Frsnce
métropolitaine
comme dans les colonies, les parties
ne peuvent fixer le taux dlint~r~t conventionnel que eu égard au taux
moyen pratiqué dans les opérations analogues et comportant les m~es ris-
ques que le pr~t dont il s'agit par des pr@teurs de bonne foi. Si le légis-
lateur a introduit cette disposidbn dans le décret de 1935 c'est dans le
but de développer les transactions commerciales et amorcer ainsi un départ
de l'activité industrielle. Hais la liberté du taux de l'intér~t conven-
tionnel ne profite pas aux autochtones qui sont, mis à part Quelques quel-
ques fonctionnaires, de simples agriculteurs donc ce décret du 22 septembre
1935 n'a pas atteint son but car comme le dit si bien RIPERT "Pour qu'une
loi vive. il faut qu'elle soit reine dans le milieu juridique" .. Ce décret
a manqué à sa vocation, celle de prot~ger efficacement les emprunteurs qui
sont éternellement dans le besoin en Afrique.
Comme en ~tropole, c'est aux juges que revient la charge ou
plut8t la responsabilité de définir ce qu'on entend par pr~teur de bonne
foi, il est hors de doute et cela une jurisprudence c~n~tante l'a confirmé
que les pr~teurs de bonne foi sont les établissements bancaires et fi-
nanciers r~gulièrement agr~és et dont le taux d1intér!t sont constamment
contrSlés par la banque de France.
Si le taux pratiqué par une banque da~~ Un pr~t agricole à long
te~e est de 10 ~, le prfteur particulier Qui, dans les m3mes conditions
et pour financer des opérations de mame nature prete de llargent à 16 %
tombe dans les liens de la prévention du délit d'usure.
Donc dans un procès. pour appr~cier si les ~léments constitutifs
du délit d'usure sont réunis, les tribunaux sont compétents pour déterminer
le taux moyen pratiqu~ sur la base des éléments d'appr~ciation identiques
à ceux qui servent habituellement aux tribunaux en France puisque tous ont
129

pour régulatrice de leur jurisprudence, la cour de cassation mais ils ne
doivent pas perdre de vue que ces éléments d1appréciatimpeuvent varier
suivant les garanties présentées qui ne sont pas forcément les m~es en
France et en Afrique ou à Madagascar par l'emprunteur et surtout suivant
les circonstances de temps et de lieu.
Enfin. le taux de l'intér@t légal est fixé à 5
% en matière
civile et à 6 ~ en matière commerciale par l'article 7 dudit décret-loi.
Ce taux légal qui était initialement fixé en France par le décret-loi du
8 aoQt 1935 à 4 ~ en matière civile et 5 ~ en matière commerciale a été
par un décret nO 59 - 967, du 5 aoQt 1959 aligné sur les dispositions de
la loi coloniale. c'est-à-dire porté à 5 % en matière civile et à 6 % en
matière commerciale.
En France, comme dans les colonies, au Togo et au Cameroun, ce
taux légal
s'applique dans deux cas ; il s'applique en premier lieu
quand les parties Ont omis ou ont été dans l'impossibilité de convenir d'un
taux d'intér@t conventionnel, en second lieu, il sert de base en cas d'as_
signation en justice ou de mise
en demeure de taux de calcul de l'intér@t
moratoire.
Après avoir défini ainsi ce que le décret du 22 septembre entend
par délit d'usure, tant en matière civile qu'en matière commerciale, nous
allons essayer de déterminer quelles sont les stipulations qui entrent
dans le champ d'application de ce décret qui constitue la première grande
loi de lutte contre l'usure en Afrique noire francophone et à Madagascar.
B - CHAMP D'APPLICATION DU DECRET DU 22 SEPTEMBRE 1935
Le domaine de décret para!t restreint comme celui du décret -
loi du 8 aoQt relatif à l'usure en France.
La loi sur l'usure est une dérogation au principe défini dans
l'article 1134 du code civil et au principe de l'autonomie de volonté. A
cette dérogation, il faut ajouter le caractère hybride de la loi à la fois
économique et pénal. Donc bien que la loi parle tout simplement de pr@t,
il est
de jurisprudence constante qu'il ne s'agit que de pr@t d'argent
et d'opérations assUnilables.
130

Quant à ce qui concerne les prtts d'argent proprement dits, il
n'y a pas d'importantes remarques à formuler. En plus, des opérations as-
similables au pr~t d'argent avec intér@ts antérieurement étudiées avec le
décret-loi du B aoQt 1935 pour la répression de l'usure en France, d'autres
pratiques ont cours en Afrique et à Madagascar. Le plus souvent, le ma-
gistrat peu averti n'en décèle pas la
nature et laisse l'usurier pour-
suivre son dessein malhonn@te. Certaines de ces pratiques usuraires, ont
été longuement analysées également à l'occasion du droit coutumier de
l'usure.
En effet, le contrat du ItFehiavavall qui est une institution
sui genéris en droit malgache et qui est appelé "Awuba" au Togo est très
pratiqué sur toute la c8te du Bénin : un contrat de pr@t à intér~t est
conclu entre les parties avec parfois un taux d1intér@t conventionnel in-
férieur à B % qui est le maXllnum autorisé par le décret du 22 septembre
1935. Mais en plus de cet intér@t apparent, le pr@t est garanti par un
UDœeuble dont le bailleur de fonds perçoit les loyers. Cette perception
qui est souvent très élevée constitue pour le pr@teur la compensation d'un
manque à gagner. Le créancier gagiste jouit des droits de propriétaire
sauf qu'il ne peut vendre l'immeuble. En attendant qu'il récupère le capi-
tal prtté sans intér@t avec un intér@t souvent
inférieur à B % (ce qui
est surprenant en Afrique) il percevra les fruits du gage, s'il s'agit
d'un bmneuble d'habitation, il percevra les loyers qui sont souvent supé-
rieurs à la somme d'argent pr~tée.
La pratique de mortes-pension ou de mort gage est interdite
en France le 20 eont 1907 et très utilisée en Afrique par les commerçants
surtout. C'est surtout sous forme de pr@ts de campagne et de soudure pen-
dant la mauvaise saison qu'on les retrouve
L'avance peut prendre diverses formes -Le paysan qui a besoin
d'argent se fait avancer le fond nécessaire par un commerçant de la place
à qui il promet de le rembourser en nature. L'acheteur de produit avance
50 000 CFA à un agriculteur qui voudrait reparer sa
maison d'habitation
avant la saison des pluies. Le pauvre paysan doit payer par exemple, avec
les kilogrammes de café ou de mil, à raison de 40 F le kilogramme alors
que le cont normal est de 75 F voire 100 F le Kg. Il paiera au moment de
131

la récolte. Le commerçant acheteur qui est homme d'affaires sait que les
cours des produits ne baissent jamais sensiblement et qu'il fera toujours
une bonne affaire au moment de la récolte si le prix d'achat du Kg aux
producteurs est fixé officiellement à
100 F. Le débiteur cédera sa récolte
moins de moitié prix jusqu'à concurrence de la somme pr8tée, il rendra
alors:
50 000
=
1 250 KG
de milou de café représentant une
40
somme de 125 000 F soit un taux d'intértt conventionnel de près de 300 %
l'an.
Il Y a enCore une pratique scandaleuse pour tourner la loi.
L'usurier qui est un riche commerçant ou propriétaire souvent des commer-
cants libano-syriens au Sénégal ou parfois même un haut fonctionnaire
de son état, contracte auprès des banquiers ou dlautres organismes de cré-
dit,des emprunts importants. Les établissements bancaires lui font confiance
il peut constituer hypothèque ou sur traitement s'il s'agit d'un fonction-
naire, est un gage suffisant. Les pr~ts peuvent lui @tre consentis à 8 %
sinon à un taux inférieur. L'usurier redistribue UDméd1atement le montant
de son emprunt souvent entre de petits fonctionnaires ambitieux qui ne
peuvent joindre les deux-bouts du mois parce qu'ils ont pris la mauvaise
habitude de vivre au-dessus de leurs moyens ; des commerçants ou entre des
ouvriers, la liste de "victimesll serait très longue. Ces débiteurs sous-
crivent des billets dont le libellé est faux et paient d'avance des inté-
r8ts de 25 à 30 ~; Le débiteur souscrit un billet pour 15 000 franc CFA
mais reçoit si le taux d'intér@t Convenu est de 25 % pOur les trois mois
au bout desquels doit ttre honorée la
dernière échéance de
15 000 F
~ 3 750 F Ce qui revient à dire que 11 250 F
ont rapporté en 6 mois un
intér@t de 3 750 F CFA soit 7500 F l'an. Le taux de l'intér@t convention-
nel serait de plus de 65 ~
l'ari. Nous remarquons par là que le décret
du 22 septembre 1935 loin d'abaisser le taux de l'argent nlest qu'un coup
dlépée dans l'eau. L' usurier africain au malgache nia pas moins d'astuces
que son collègue de France pour se
jouer de la loi.
Parfois llusurier accepte des chèques de garantie antidatés
dont le montant représente le capital et l'intérêt réunis. Voici comment
se déroule l'opération. Après avoir convenu du montant de l'argent dont
a besoin l'emprunteur et du taux de l'intér@t le plus souvent imposé par
le prtteur, le débiteur signe et laisse à son créancier un certain nombre
132

de chèques contre l'argent, aucun papier n'est signé. Cette pratique est
en usage dans tous les états africains. Pire encore, le pr~teur peut ver~
ser à son client, tmmédiatement la moitié de la somme dont ce dernier a
besoin en lui promettant de lui verser à la fin du mois. Le capital commence
à produire de l'intérêt alo~s m8me qu'il n'était entièrement débloqué à
l'emprunteur.
Voici un exemple pratique
: Jean
voudrait acheter un vespa
à crédit ~is à cause de son traitement qui lui suffit à peine, il n'a
pas d'argent pour verser l'acompte que la maison de crédit lui demande.
Il va donc trouver un usurier de la place qui lui prête les 75 000 F dont
il a
besoin. Le pr3teur lui dit en plus I~on cher frère et ami, je vous
rends service malgré mes difficultés de trésorerie. Mais c'est un taux
de 400 F pour 1 000 F et par mois. Nous allons donc faire le calcul comme
vous ne me payez le tout qu'au bout de 3 mois, voici ce que vous me devez
en définitive :
M
au départ. vous me devez 105 000 F soit le capital 75 000 F
et Itfntér@t de 30 000 F (400 x 75), si vous me payez à la fin du mois,
Pour cette fin, du mois, vous me laissez un chèque de 45 000 P, il reste
alors 60 000 F à payer ausmentés des intérêts de 400
par mois et pour
1000 F de capital pr@té) soit au total 84 000 pour lesquels vous me lais-
sez 2 chèques 42 000 P • Je vous fais cadeau des intérêts du 3e mois par
ce que-vous êtes jeune et VOus devez avoir beaucoup de dépenses. En fin
de compte, le débiteur aura payé en tout: 45 000 F (1er chèque) plus
84 0000 F (les deux derniers chèques) soit une somme de 129 000 F et le
comble c'est qu'il n'aura même pas reçu les 75000 F d'un seul coup. Un
capital de 75 000
F CFA aura rapporté au
bout de 3 mois, un intértt de
54 000 F CFA. En un an, l'intér@t produit serait de 216 000 F soit un
taux d'intértt conventionnel de 28,8 %. Cela est un fait vécu et ce n'est
pas un isolé. Quelquef6is, au lieu d'accepter des chèques, post~datésJ les
prêteurs se font octroyer par leur client) des délégations sur leur solde
de fonctionnaire. Cette sorte d'anatocisme déguisé qui consiste à faire
produire intérêts aux intérêts non payés à l'échéance au moyen de la capi~
talisation des intérêts échus et m@me des intér@ts à venir est un fléau
,qui mine les familles en Afrique. Aux termes de l'article 1954 du code
civil, les conventions d'anatocisme ne sont possibles que lorsqu'il
133

s'agit
d'intérlts dus au moins pour
pour une année (1).
Le magistrat africain ou français exerçant en Afrique ou à
Madagascar, doit faire preuve de lucidité d'esprit, user de son
pouvoir
sauverain d'appréciation pour restituer aux contrats leur vraie nature,
recourir au besoin à la mission de l'expert pour l'éclairer, car les usu-
riers trouvent toujours dans leurs ~gination des procédés sous lesquels
ils cachent les contrats usuraires et ils guettent chaque occasion pour
avoir leurs clients.
COOIDe l'a dit GRANDET: " le regard d'un homme accoutumé à
tirer de ses capitaux un intér@t énocme contracté nécessairement des mou-
vements fructifs, avides et mystérieux. Financièrement parlant, K. GRANDET
tenait du tigre et du boa : il savait se coucher, se blottir, envisager
longtemps sa proie, sauter au-dessus, puis il ouvrait sa gueule et sa bour
se, y engloutissait une charge d'~us et se couchait tranquillement, comme
le se:rpent qui digère, impassible, froid, méthodique" (2).
Il Y a une autre forme d'usure qui celle-là échappe complètement
à la répression bien qu'il s'agisse d'un pr~t, c'est le louage de terrain
de culture ou le métayage dont a parlé d'une façon détaillée René DUMONT (3)
Bien que le point de vue de H. René DUMONT soit un peu exagéré, il y a
tout de mftme une part de vérité dans son rapport qu'il a présenté sur
Madagascar. Ce qu'il a observé à Madagascar est valable dans toute l'Afrique
noire : K. René DUMONT rapporte les faits suivants de
Madagascar :
Ille métayer reçoit un hectare de terrain labouré par le propriétaire qui
fournit les semences. Il obtient 1500 KG de Paddy et le partage de la
récolte se fait par moitié entre le métayer et le propriétaire du terrain.
Il verse ainsi 750 kg de paddy à 10 francs soit 7 500 F CFA, lui ayant
emprunté 1 000 F pour son entretien en attendant la moisson, il lui rem-
bourse 280 kg de paddy soit IBo kg ou 1 BoO F en 6 mois pour 1 000 F soit
360 '%. l'an. Il L'usure sévit dans tous les états africains
sous focme
d'avance sur la récolte alliée au commerce de traite dont elle prolonge
la nocivité.
Les paysans vendent leur Ilblé en gerbell surtout s'agissant
des cultures industrielles. Les paysans de la région du sud et du centre
(1) Clv. 19 - 10 38 0.11. 561
(2) L'Afrique Noire est mal partie par R. DUMONT Page 115 et suivantes
(3) L'Afrique Noire est mal partie par R. DUMONT Page 115 et suivantes
134

du Togo vendent leur récolte de cacao et de café sous fODne dtavance sur
la récolte future, tout comme le font leurs homologues du S~négal pour
Itarachide ou ceux du Dahomey
pour le coton, le café
ou le paLmier à
huile. Cette p~riode d'attente constitue l'époque où Iton se livre à It u _
surier.
Le louage du terrain de culture associé au système de méta-
yage et aux avances sur les récoltes futures constituent de bonnes oc-
casions de pratiques usuraires mais semblent échapper au champ dtappli_
cation de la loi du 22
septembre 1935 qui comme le décret loi du
8 aoQt 1935 ne concerne que les pr~ts d'argent. Toutes ces pratiques
usuraires sans forme juridique très bien définie, avec la complicité ac-
tive qu'apporte le plus souvent l'emprunteur à son pr~teur qutil consi-
dère beaucoup plus comme un bienfaiteur qu'un exploiteur, l~itent Itef-
ficacité de la réglementation et facilitent la dissimulation de l'usure.
Dans les contrées où les échanges se font aussi bien en trocs
qu'en espèces où llusure loin dt~tre un problème marginal constitue plu-
t8t l'une des préoccupations des autorités responsables parce qu'il
entrave le crédit et l'économie, le décret devrait explicitement ~tre
étendu aux pr~ts de toute nature.
Le décret d'une part, n'englobe pas tous les pr~ts et dtautre
part ne concerne pas les ventes à crédit, son champ d'application se trouve
très limité.
Le législateur colonial s'est rendu compte après un an d1exis-
tenee de ce décret que les prêts avec un taux dlintér~t conventionnel
usuraire avait multipli~ et c'est pour cette raison qutil a pris un dé-
cret le 9 octobre 1936. Ce décret comme le premier avait pour but de
barrer autant que possible la voie à la pratique de llusure en détermi-
nant les formes dans lesquelles les contrats de pr@ts d1argent doivent
@tre conclus pour avoir une existence légale.
Mais avant d'analyser dans le détail l'économie du décret du
9 octobre 1936, voyons quelles sont les sanctions encourues par ceux qui
violent les articles 1 et 3 du 22 septembre 1935.
135

C - LES SANCTIONS
Comme dans le décret-loi du 8 aoOt 1935 relatif à l'usure en
Metropole, le législateur édicte deux sortes de sanctions à l'encontre
de l'usurier, une sanction civile et des sanctions pénales.
La sanction civile consiste en une répétition ou en une ÜDpu-
tation sur le capital qui reste dO, des sommes perçues en sus du taux
plafond autorisé
il n'y a sur ce point aucune innovation
par rapport
au décret-loi du 8 aoOt 1935.
Le délit d'usure ayant gardé ici le caract~re du délit ins-
tantané, sur le plan général comme sur le plan civil, la constitution de
partie.civile est possible car ici moins qu'en France, les victlines d'usure
dénoncent rarement les prtteurs qu'ils considèrent
en général cQmme des
bienfaiteurs.
Ce décret souffre de la m@me lacune que celle décidée dans le
décret loi du 8 aoOt 1935 : il n'a pas réglé le sort des contrats en cours
pendant la période qui a précédé la promulgation de ce premier décret de
répression de l'usure. Nais dans le silence d'une loi particulière, c'est
le droit commun qui s'applique. Ici en effet, deux intér@ts contradictoires
sont en présence. La sécurité des contrats et l'intér@t social c'est à
dire l'ordre public. Ainsi, bien que le décret avait anis d'abroger les
les législations anciennes en la matière, l'intér@t social commande l'ap-
plication du nouveau texte au contrat de prêts en cours.
Sur le plan de la sanction civile, quelques remarques s'im-
posent: contrairement au délit civil du décret-loi du 8 aoOt 1935 dont
les éléments constitutifs en matière civile comme en mati~re commerciale
sont l'existence d'un contrat de p~t, l'appréciation d'un taux moyen
pratiqué dans des prêts analogues et de l'existence de l'élément inten-
tionnel dans le décret-loi du 22 septembre, il faut distinguer le délit
civil en matière civile d'une part et le délit civil en matière camner-
ciale d'autre part.
Le délit civil en matière civile maintient le système rigide
de taux d'intér@t conventionnel fixe de la loi du 3 septembre 1807 qui
ne tient pas compte des conditions économiques. Mais dans le souci de
développement des transactions
commerciales, le législateur a reconduit
136

dans le décret du 22 septembre 1935 les dispositions de l'article 1er
du décret_loi du B aoOt de la mame année.
Aucune remarque particulière ne slÜDpose ici quant à ce qui
concerne le tribunal compétent et la procédure de restitution ou de répé-
tition des
intér~ts indOment perçus par le pr@teur. La jurisprudence dont
nous avons abondamment fait état à l'occasion de l'étude de la loi fran-
çaise du B aoOt
reste pleinement valable dans les colonies, d'ailleurs
il ne pouvait en ~tre autrement.
Sur le plan des sanctions pénales, l'article 4 dispose que
celui qui sera prévenu du délit d'usure sera condamné A une peine d'amen-
de de 24 000
~ 1 200 000 francs d'amende. En cas de récidive, la peine
sera un emprisonnement de six jours et d'une peine d'amende de 120 000
à 2 4(X)()00 franc s.
Mais -avant d'en arriver à la fixation de la peine, peine
d'emprisonnement ou peine d'amende, disons quelques mots sur la procédure.
Il faut rappeler que le délit d'usure étant devenu ici comme
dans le décret-loi du 8 aoOt 1935, un délit instantané, lequel est con~
sa3mé par le fait mftme de la convention intervenue, l'emprunteur vict~e
des pr@ts usuraires peut choisir le terrain repressif (constitution de
partie civile dans un procès pénal, soit devant le juge d'instruction pour
rompre llinertie du ministère public) pour demander la réparation du pré-
judice qu1il aurait subi. Hais en principe, en matière pénale du délit
d'usure, l'opportunité des poursuites incombe au ministère public.
Le problème auquel se trouvera confronté le juge de l'époque,
celui de la preuve. Ce pxoblème de recherche de la preuve se révèle par-
ticulièrement délicat en matière d'usure aussi bien en ce qui concerne
la recherche de la
preuve proprement dite sur stade de l'enqu@te
préli-
minaire demandée par le ministère public ou de l'information qu'~ propos
de l'appréciation de ces preuves au cours du jugement. La jurisprudence
de la cour de cassation selon laquelle le juge apprécie en toute liberté
la valeur des preuves recueillies pour la répression du délit d'usure
sur la base de l'intime conviction sans @tre lié par les preuves légales
a été d'une grande utilité dans des colonies où les moyens de preuves
légales sont difficiles à réunir. Le juge a donc le devoir et le droit
137

de procéder donc à toute investigation pour la manifestation de la vérité
Ce devoir s'tmpose à lui lorsqu'il a entre ses mains un dossier de
délit
d'usure, car, dans ce procès, les parties apparaissent inégales; il Y a
d'un c8té l'usurier, en raison de son habileté qui est sOr d'avoir pris
toutes les précautions nécessaires pour dissimuler l'infraction telle
la rédaction de reconnaissance de dette ou encore l'acceptation de chè~
post-datés ou de délégation de solde. Il y a de l'autre cSté,
l'emprunteur inexpérilDenté qui se sachant désaDmé à l'avance, choisit
le terrain pénal pour obtenir réparation du préjudice qu'il a subi car
il demeure convaincu que dans un procès pénal le juge ne reste pas pas-
sif dans la recherche et l'administration de la preuve (1). Le juge
peut ~tre amené à ordonner des transports, des perquisitions et des sai-
sies au cours desquelles il peut découvrir beaucoup de choses.
Le juge doit utiliser les moyens que la loi met à sa dispo~
sition pour déjouer les moyens frauduleux utilisés par l'usurier. Il
peut recourir à l'expertise pour déterminer le taux moyen. Comme nous
l'avons souligné à propos du décret-loi du 8 aoOt
1935, "1 es sünulations
employées par le prévenu c'est~à-dire l'usurier ne peuvent le soustraire
aux dispositions des lois pénales sur l'usure, lesquelles dérogent à la
liberté des conventions et aux règles de droit civil dans une certaine
mesure notamment sur la force probante des actes authentiques. Cette ju-
risprudence stricte et résolue dans les colonies et territoires sous
mandat, ce fléau que constitue l'usure aussi
bien sur le plan indivi-
duel que pour toute la société. Cette volonté de la cour de cassation
de faciliter la
recherche et la répression du délit d'usure se manifeste
également en la recevabilité de la preuvp
par témoin en matière d'usure.
Pour que le décret puisse produire quelques effets, le juge
doit faire preuve de sagacité et de perspicacité.
Quelles sont les peines encourues par le prévenu d'usure dans
le décret du 22 septembre 1935 ?
Elles sont données par l'article 4 du décret.
Les peines encourues par un délinquant prünaire sont unique-
ment constituées de peines d'amende allant de 24 000 à 1 200000 francs.
(1) Jean-MIchel GUTH Aspect juridique du délit d'usure à Madagascar
Penant 1962 page 695 et suivantes.
138

Ici c'est le même régüne que dans décret-loi du e aoQt 1935.
A notre avis, cette peine parait inadaptée à la nature de l'africain.
L'africain est plus sensible à tout ce qui porte atteinte à son honneur
à son prestige qu'à son patrimoine.
Le système de peines de la loi du 19 décembre 1850 qui même
pour les délinquan~pr1maires avait associé une peine privative de liber-
té à une peine d'rmende semble plus adaptée au type africain. Sans pré-
tention, on peut avancer que le législateur n'a pas fait preuve d'ima_
gination tout simplement parce qu'il recherchait une solution de facilité.
Le délinquant récidiviste encourait quant à lui, entre la peine
d'amende dont le minimum est fixé à 120 000 F soit cinq fois le minimum
encouru par le prévenu primaire et le maximum à 2 400 000 francs soit le
double du maximum encouru par le délinquant primaire, une pelne d'empri-
sonnement de 6 jours à 6 mois. C'est encore le principe du décret du
8 aoOt qui est reconduit dans ce décret. Le taux d'amende très élevé
semble irréel dans des pays où l'argent est rare. Le législateur colonial
aurait pu sllmplement réétudier le système coutumier malgache du code des
305 articles qui avait préconisé la confiscation du capital par un usurier
recidiviste qui aurait pu prévoir la cond~nation à~ peine d'amende
s'élevant au double du capital pr@té au taux usuraire augmenté des inté-
r@ts régulièrément per~us las s~es indOment à lui
verser étant déjà
restituées au profit de la partie civile, et en plus de cela, on pourrait
le condamner encore à une servitude pénale~ La
loi doit @tre adaptée
au peuple auquel elle est destinée. Comment peut-on condamner à 120 000 F
un individu qui aurait pr@té en matière civile successivement 25 000 F
(première condamnation) puis 20 000 F (2e condamnation) surtout s'il a
agi sur l'insistance de la victUœe elle-m~.
En Afrique cela est fréquent,
l'emprunteur, vu le besoin pres-
sant dans lequel il se trouve, propose des taux usuraires au pr@teur
dans le but unique de trouver sur l'heure des liquidités pour faire face
aux besoins. Ces observations sont si v~aies que le magistrat instruc-
teur qui slil est français sera étonné quand en fin de déposition à la
question traditionnelle ,"vous constituez-vous partie civile ? Réclamez-
vous des dommages intér@ts 1 Il La vict~e lui
aura répondu par la né-
gative,pourtant, cela est fréquent en Afrique, car la victüne a peur de
139

llusurier.
Ces quelques remarques sur le r8le de la victDme dans le délit
d'usure rejoignent celles de N.B. HENDELSON
qui estime que dans la
lutte contre la cr~inalité, il est un facteur qui est demeuré longtemps
ignoré; la victime. Le grand juriste israelien esttme que la victime
loin dt~tre considéré comme un élément passif peut jouer un rôle actif
dans la réalisation du délit dont elle est la victUne. La victUne peut
former ainsi avec le prévenu le responsable apparent "le couple pénal".
Cet élément couple pénal devrait ~tre pris en considération
pour le législateur colonial dans la détermination des pénalités sanC-
tionnant le délit d'usure en Afrique Noire et à Madagascar où l'emprun-
teur va trouver l'usurier pour le supplier de lui trouver afin de le
"sauverll , le tirer d'embarras financier. Nous reviendrons sur cette ques-
tion de la victUnologie qui est très très commerciale en Afrique.
Le législateur aurait pu instituer des peines d'amendes A
ltencontre des emprunteurs qui se seraient de leur propre gré, adressés
à un usurier pour contracter des emprunts à un taux d'intér~t convention-
nel dépassant 8 % en matière civile ou dépassant de plus de la moitié,
le taux moyen pratiqué dans des opérations analogues par des pr~teurs
de bonne foi. Le législateur dahoméen dans une ordonnance relative à la
répression des pratiques usuraires ya pensék
Le décret du 22 SEPTEMBRE n'a rien prévu pour sanction des
agissements des intermédiaires dont les activités sont pourtant dé ter-
nantes dans la réalisation du délit d'usure. La jurisprudence les a sou-
vent considérés comme des complices.
Après un an de vie, le décret du 22 septembre 1935 s'est
révélé peu efficace, alors que ce décret est encore en vigueur dans
certains pays d'Afrique !! ••• Les pr@ts clandestins se sont multipliés
Le législateur une fois encore va intervenir par le décret du 9 octobre
1936 qui rendra l 1 enregistrement du contrat de pr~t d'argent obligatoire.
C'est le syst~e du visa et ce sera l'objet de la section III
140

SECTION
3
LE VISA DES CONTRATS DE PRET D'ARGENT ET LA REPRESSION
DE L'USURE DANS LE DECRET DU 9 OCTOBRE 1936
Le décret du 9
octobre 1936 poursuit la même finalité que
le decret du 22 septembre 1935. Il concourt A la lutte contre l'usure.
Le législateur colonial siest assigné pour mission de barrer autant que
possible la route à la pratique de l'usure en déterminant lee formes dans
lesquelles les contrats de pr@t d'argent sous seing privé doivent être
conclus pour avoir une existence légale.
On peut dire que le décret du 9 octobre 1936 constitue les
conditions de fo~
du prat d'argent et le décret du 22 septembre 1935 ••
les conditions de fond. Il faut rechercher à savoir quel est l'objet du
visa et quels sont les agents habitués à le donner. Ce serait l'objet du
premier paragraphe de cette section. On dégagera ensuite la position de
la jurisprudence sur le problème. Enfin on dira quelques mots sur les
modalités de la prescription dans ce décret du 9 octobre 1936.
PARAGRAPHE 1 - LE BUT DU DECRET DU 9 OCTOBRE 1936
L'article preœier du décret du 9 octobre 1936 dispose que
"les actes sous seings privés constituant des pr@ts d'argent devront @tre
soumis au visa d'un fonctionnaire habileté A cet effet, par arr~té du
chef de groupe de colonies, de la colonie ou du territoire considéré.
Le 1égisiateur a laissé le soin au chef de groupe de colonies
ou du chef de territoire de désigner les fonctionnaires dOnt la prohibité
et la sincérité et l'honnêteté ont été constatées pour recevoir ou p1u-
t8t pour donner leur visa aux actes de pr@ts d'argent.
Cette mission a été en général confi~e aux chefs des circons-
criptions administratives ou des chefs de subdivisions administratives (1)
ou aux receveurs ou délégués des domaines aux greffiers et aux chefs de
districts (2).
Les fonctionnaires susvisés opposent leur visa sur les actes
(1) Arr@té du 8.12.1936 relatif à la répres6ion de l'usure en A.O.F.
J.O. A.C.F. 1936 page 1210
(2) Arrêté du 12.4.1937 relatif ~ l'application du décret du 9 octobre
1936 à Madagascar.
141

sou. seins privé qui leur sont présentés.
Le visa a pour tout de certifier que par devant le fonction~
naire les signatur~s ont été échangées entre les parties qu'il y a eu un
accord libre de volonté. en second lieu que les espèces ont été comptées
et enfin que la samme d'argent ainsi comptée et remise l
l'emprunteur
correspondait sans retenue ni commission à celle mentionnée au contrat
de pr~t.
L'article 1er stipule également que cette formalité de visa
est également applicable à toutes opérations dont le but disSUDUlé est
le pr~t d'argent. Cette sUnulation ayant pour but de faire échapper l'acte
frauduleux aux sanctions du décret qui sont la nullité au contrat, une
nullité d'ordre public.
Cette formalité de visa appara~it trop sUnpliste pour ~tre
d'une quelconque efficacité. Ce sont surtout les usuriers professionnels
qui ont recours l La fonnalité du visa. En s'y conformant, ils assurent
leur droit, leur impunité sans que les formalités prescrites les emp~chent
en pratique de dissUDuler leurs opérations usuraires. le plus souvent
avec la complicité de leurs victimes. Il a été d'ailleurs remarqué que
ces prescriptions bien qU'Unpératives furent constamment méconnues ou
bafouées. dans leur esprit: l'acte de pr~t peut @tre bien établi et
signé par les parties au contrat, et visé par le fonctionnaire compétent,
la somme remise réellement à l'emprunteur mais aussit8t rentrés chez eux,
emprunteur et pr~teur se confonnaient aux conditions et aux taux d'in-
tér~t conventionnel convenus dans une contre-lettre.
Ainsi la somme d'argent remise à l'emprunteur devant l'agent
au moment du visa se voyait emputée de prélèvements habituels correspon-
dant aux intér~ts usuraires convenus d'avance.
D'ailleurs, les fonctionnaires habiletés à donner le visa qui
trouvent cette responsabilité encombrante opposaient souvent une mention
de pure forme sans aucune vérification préalable.
Ici. encore, le législateur a agi sans psychologie: lIil a
ignoré que pour l'Africain. aller chez l'usurier pour emprunter de l'ar-
gent est une atteinte à son honneur. presqu'en somme une véritable humi-
liation qu'il est obligé de supporter à cause des nécessités d'argent
qui s'Unposent à lui. L'emprunteur africain préfère traiter avec l'usurier
seul avec un taux d'intér~t élevé plut6t que d'aller étaler sa misère
lU

au grand jour au bureau du chef de la circonscription administrative ou
A la
mairiee Les contrats clandestins vont se multiplier de plus belle
malgré le décret rendant le visa obligatoire : ce décret n'a eu que des
effets illusoires.
Certains avaient soutenu que le visa est une atteinte A l'au-
tonomie de la volonté, c'est~A-dire A une atteinte A la liberté contrae-
tuelle mais le conseil d'Etat avait répondu d'une façon peu convaincante
le conseil d'état soutient qu'en raison de l'intér~t public qui slatta-
che A la répression de l'usure, un décret a pu légalement restreindre
la liberté des transactions civiles et commerciales en instituant un
contrale de l'administration sur les conditions dans lesquelles sont con-
sentie les prêts d'argent (1). Il faut noter que ce visa est institué
uniqueœent pour régler les rapports entre particuliers en matière de pr~t
d'argente Ce qui fait que l'article 3 du décret du 9 octobre 1936 a dis-
pensé du visa prescrit A l'article 1er, les opérations de certains éta-
blisseœents qui avaient reçu en quelque sorte l'agrément des autorités
de l'état avant de s'établir. Il en est ainsi de la Banque dl Indochine
la banque de Madagascar
la banque de l'Afrique Occidentale française et
l
la banque de la Guyane françaisee La ~ dispense de visa des actes
est accordée aux organi~s pr~teurs ayant le rég~e d'établissements
publics placés sous le contr8le de l'état. Nous avons en troisième lieu 1
des établissements placés sous le rég~e administratif du crédit agricole
mutuel, du crédit au petit et moyen commerce
à la petite et moyenne
l
industrie, du crédit maritime mutuel, du crédit de l'artisanat. Il y a
enfin les établissements de crédit inscrits sur une liste dressée par
le gouvernement.
Selon le conseil d'état (2) " s i le gouverne:u.ent ne peut fa-
voriser certains établissements en libérant leur crédit de toute sur R
veillance, il lui appartient de fixer les diverses modalités de contrale
exercées sur les prêteurs et en particulier de dispenser du visa les éta-
blissements assujettis à un régûœe administratif ou A une surveillance
spécialisée"e
(1) CeE e 28 mai 1943 Penant 1946 page 77
(2) CeE. 28 mai 1943 Penant 1946 page 77
143

On considère ces établissements qui ont obtenu la dispense
étant contr81~ par
des organes de l'état et qui adressent périodique-
ment des rapports aux organes de contr81e niant pas besoin de cette for-
malité qui serait superfétatoire pour eux.
En résum~, les usuriers peuvent tirer de la loi destinée à
les frapper une sécurité accrue puisque le contrat ayant obtenu le visa
leur sert d'~cran, de derrière lesquels peuvent se passer bien de choses~
Quant à l'emprunteur de mauvaise foi, il peut trouver dans le décret
du 9 octobre 1936 un appui à ses agiss~nts malhonn@tes.
On peut penser égal~nt que la dispense de visa dont béné-
ficient les banques
les ~tablissements financiers et certains établis-
J
semenœde crédits sociaux
et mutuels est justifiée pour plusieurs rai-
sons : en plus de celles déjà invoquées, on peut penser que Ce sont des
connaisseurs en mati~re de crédit qui s'adressent à ces institutions,
des spéculateurs ou des mutuelles bien organisés qui n'ont pas besoin
d'une protection spéciale.
Il faut noter également que la jurisprudence avait considéra~
blement lbnit~ le domaine de ce décret qu'il ne s'appliquait pas aux
prlts en nature qui sont pourtant bnportants dans ces contr~es où la
monnaie
est très souvent rare. Elle avait également jJge que le décret
ne s'appliquait pas aux actes notari~s qui sont des actes authentiques
c'est-à-dire qu'un contrat de pr@t d'argent devant un notaire n'a plus
besoin de visa. Le droit prétorien dispense également des formalités
de visa, les pr@ts commerciaux et notamment les effets de commerce.
Tout cela est compréhensible car dans la vie des affaires, on a besoin
d'aller vite et le fait de recourir chaque fois au visa retardait enor-
mément la bonne marche des affaires surtout que les coutures de commerce
ont une force probante solide. Si telle est la situation, quelle est a-
lors la portée pratique et juridique du décret du 9 octobre 1936 ?
PARAGRAPHE 2 : LE OOKAlNE D'APPLICATION DU DECRET DU 9 OCTOBRE 1936
Aux tennes du décret du 9 octobre 1936, toutes conventions
portant sur des prlts d'argent non revttues du visa prévu dans le decret
144

susvisé sont nulles de plein droit, comme réalisées en violation d'une
disposition d'ordre public. L'ordre public social ou l'ordre public éco-
nomique, le décret n'a donné aucune précision, il faut néanmoins ratta-
cher cet ordre public à une mesure de protection sociale dela classe
défavorisée. Bien que dans le fond, le décret soit inadapté aux moeurs
des sociétés qu'il est appelé ~ régir, on peut soutenir que c'est une
initiative heureuse
du législateur qui complète valablement le décret
du 22 septembre 1935, ce qui avait manqué au décret-loi du 8 aoOt 1935
relatif à la répressicndu délit d'usure en France ~ la m~e époque.
La jurisprudence considère que le débiteur ne peut pas se
prévaloir de cette absence de visa pour prétendre que le paiement qU'il
a effectué a été fait pour une cause contraire à la loi ou à l'ordre pu-
blic, le contrat étant en lui~~ parfaitement licite. Par suite et doit
@tre ordonné le remboursement effectivement reçu avec les intér@ts de
droit. Voici quelques uns des motifs sur lesquels la cour d'appel de
Madagascar a basé sa décision (1) :
Il
• • •
Attendu qu'à Madagascar, le contrat de pr@t est réglé-
menté d'une part par le
code civil et d'autre part, par les décrets
des 22 septembre 1935 et 9 octobre 1936, qu'il résulte de ces disposi-
tions que les contrats de pr@ts autres que ceux qui sont consentis par
certains établissements bancaires cessent d'ttre consensuels et sont dé-
SODDais solennels ; que la comparution des parties devant un fonction-
naire habileté à constater dès leur accord, le versement de la somme
d1argBBt et La concordance de cette somme avec celle mentionnée à l'acte
est un élément constitutif de la convention en l'absence de laquelle cel-
le-ci ne natt pas ~ la vie juridique. que si dans le langage juridique
l'expression nullité de plein droit est Un synonyme de nullité absolue
et tant8t d'inexistence, il apparatt tant du texte que de l'intention
du législateur, que la nullité de plein droit prévue à l'article 2 equi-
vaut à l'inexistence de l'acte, que du rapport de présentation ne laisse
aucun doute à ce sujet " ••• qU'il suit de là que le contrat de prtt
sous seing privé non rev~tu du visa exigé par le décret de 1936 et répu-
té n'avoir pas été fait et n'a pas d'existence légale, qu'il est sans
(1) C.A. Madagascar 14 mars 1945 Penant 1949 Page 76
145

effet entre les parties, qulil n'admet aucune confirmation, que le juge
ne peut que constater son inexistence, que telle est l'unique portée du
d~cret du 9 octobre 1936 que c'est improprement que ce texte est intitu-
lé "decret relatif à la répression de
l'usurell , que l'on rechercherait
vainement
en dehors des dispositions Concernant le visa tmposé aux con-
trats de pr@ts d'argent, une prohibition ou une interdiction quelconque
qu'il a eu pour but non re reprtmer l'usure mais de la prévenir en ren-
dant dans l'intérêt social, la conclusion des contrats de pr@ts d'argent
difficile et en exigeant l'intervention d'un fonctionnaire pour consta-
ter la renise du capital tel qu'il est stipulé dans l'acte".
-La cour d'appel dans cette m8me décision dit qu'il est inexact
de soutenir que la nullité pr~vue par ce texte repose sur une prescrip-
tion de fraude, puisque la nullité atteindrait même les prats qui de lla_
veu de l'emprunteur ou des résultats d'enquête ~eraient soumis à un taux
d'intérét conventionnel inférieur ou égal au taux d'intér@t conventionnel
maxUnum du seul fait que de tels prtts n'ont pas obtenu le visa.
Dans cet arr@t ~ortant, la cour a examiné à fond la portée
pratique du décret du 9 octobre dont il a comparé les effets avec ceux
du précédent d~c~et du 22 septembre 1935.
" ••• Considérant en effet que le contrat de prtt avec ou sans
stipulation d'intér~t est une opération parfaitement licite, que bien
mieux, le decret du 22 septembre 1935 relatif au délit d'usure n'annule
pas le COntrat de prtt usuraire, le prtteur a une action non seulement
pour le remboursement du capital mais encore pour le paiement des inté-
rets dont le taux est ramené au taux normal, qu'il serait dans ces con-
ditions paradoxal en cas de pr~t non soumis au visa, de faire au pr~teur
qui peut @tre de bonne foi, et qui aura prêté sans 1ntér'@t, soit avec
intér@t inférieur ou égal au maxnnum fixé, une situation pire que celle
réservée par le décret du 22 septembre 1935 au pr~teur convaincu d'usure.
Donc, en conclusion, la cour d'appel à tiadagascar refuse de
voir dans le manquement aux règles, du visa une nullité absolue du con-
trat de pr@t d'argent.
Hais dans d'autres états ls situation n'est pas pareille.
En Afrique Equatoriale, Pacte sous seing privé qui constate un prêt
d'argent, m&n.e s'il est passé entre les parties sous le régtme commun
146

des contrats. doit ~tre soumis au visa sans peine de nullité d'ordre
public (1).
Ce défaut de visa annule non seulement la convention de pr~t
mais également celle de la novation intervenue postérieurement. L'emprun-
teur est tenu de restituer bmnédiatement le montant de l'argent perçu
pour avoir encaissé sans cause des sommes d'argent auxquelles il n'a pas
droit.
Les juridictions de l'Afrique Occidentale sont plus nuancées
dans leur position qui a été d'anleurs confirmée par la cour de cassa-
tion (2).
Les actes sous seing privé renfe~nt un pr!t d'argent doivent
!tre visés par le chef de la circonscription administrative sous peine
de nullité mais le juge doit rechercher la commune intention des parties
avant de qualifier llacte.
La cour d'appel d'Abidjan a rendu le 29 novembre 1968 un
arr~t qui n'a pas annulé un contrat non visé. Elle pense que la régu-
larité des opérations de pr!t nécessite l'intervention du fonctionnaire
au visa. Voici comment elle a interprété le décret du 9 octobre 1936
" Aux termes du décret du ·9 octobre
1936, est nulle de plein droit
toute convention de pr~t d'argent constatée par un acte sous seing pri-
vé qui ne porterait pas le visa du fonctionnaire habileté. visa qui a
pour objet de certifier la régularité des opérations de pr!t. En ce
cas, le débiteur ne peut @tre contraint qu1au remboursement de la
samme d 1argent.(3)
Cette position de la cour d'appel d'Abidjan signifie que gi
même la somme de l'emprunteur reconna!t devant le tribunal est infé-
rieure au mOntant que porte l'acte sous seing privé. Cet emprunteur ne
paiera que la soœme reconnue devant les juges.
Cette position de la cour d'appel d'Abidjan dans cette déci_
sion de 1968 est conforme au point de vue de H. DE SOTO qui écrivait
(1) Tribunal de Fort-Archambault 18.10.1958 Penant 1959 page 340
(2) Cassation Civ. 10.2.1958 Laramic Mohamed
Penant 1958
(3) Cour d'appel d'Abidjan 29 novembre 1968
Penant 1969
147

"Les prtteurs sont généralement gens habiles et c'est par une inflexible
sévérité à leur égard que l'on écartera le spectre de l'usure, peut ~tre
certains emprunteurs de mauvaise foi en profiteronb-ils, mais l'intér~t
social en cause est assez important pour que l'on oublie de pareilles
et sans doute peu nombreuses injustes. Peu importe que l'emprunteur avoue
son ellprunt, l'esprit de la loi s'oppose à toute répétition" (1).
De portée donc très lnnitée. ces textes du 22 septembre 1935
et du 9 octobre 1936, édictés pour protéger l'emprunteur n'ont pas atp
teint leur but, même dans le domaine de leur application. A notre con-
naissance, ce texte n'a reçu aucune application dans certains pays com-
me le ToeP ou le Dahomey où compte tenu de l'intensité des transactions
commerciales, les pr@ts d'argent sont très pratiques.
Avant de conclure cette analyse, du droit de l'usure pendant
la période coloniale, disons quelques mots sur la prescription du
délit d'usure.
PARN:; RAP IlE
3
LES MODALITES DE LA PRESCRIPTION DANS LE DECRET DU
22 SEPTEMBRE 1935 ET DU 9 OCTOBRE 1936
Rappelons brièvement c~ent se prescrivait le délit d'usure
dans les deux lois françaises dont la combinaison a donné le décret du
22 septembre 1935.
Dans la loi du 19 décembre 1850, le délit d'usure était un
délit d'habitude, il en résultait que la prescription de l'action pup
blique ne commençait à courir qu'à partir du dernier acte constitutif
de l'infraction. Cela rendait aisées les poursuites et le ministère pu-
blic prenait tout son temps.
Bien
que le délit d'usure soit devenue un délit d'occasion
la cour de cassation après plusieurs errements décide en 1946 (2) que
(1) DE SOTO
Note sous cass. civ. 19 janvier 1955 Penant 1955 page 211
(2) Cass. crnn. 18.10.1946 et 5.12.1946 Sirey 1948 - 65 note Bruzin
148

le point de d~part du délai de prescription en matière d'usure se pla~
çait à la date de chaque remise avec un taux d1intérlt conventionnel
usuraire. Ce revirement de jurisprudence constitue un apport précieux
à la répression de l'usure un pays où l'on sait si bien cacher les se-
crets. Cela peDnet spécialement la
poursuite des usuriers si rusés qui
cherchaient à s'abriter derrière le paravent de la prescription de l'u-
sure à la façon des délits in~tantanés. Dans un but de repression sévère
et de protection des citoyens, l'usure bien que délit instantané se
prescrit comme un délit continu comme l'abus de confiance ou l'escro-
querie.
La doctrine a par ailleurs, approuvé en général cette orien-
tation qui permettait de garantir une meilleure protection judiciaire
des victimes de ces catégories de délinquants habiles et plus dangereux
sur le plan économique et social que les voleurs, ou les auteurs de
coups et blessures. (1)
Il Y a lieu de citer ici une espèce particulièrement signi~
ficative qui a été jugée à Madagascar en 1957. Dans cette affaire le
prévenu soutenait que la convention usuraire avait été signée le
14 mars 1953 et que le délit d'usure étant instantané le délit se trou-
vait prescrit au moment où les poursuites étaient engagées contre lui,
c'est~-dire à la date du 1er mars 1957.
Voici l'argumentation que le tribunal a soutenu pour mainte-
nir le prévenu dans les liens de la prévention.
IIAttendu que chaque fois que l'emprunteur verse des intérats
calculés sur un taux interdit, l'usurier qui les accepte a gardé jusqu'au
dernier moment la possibilité de renouer au taux prohibé que c'est
seulement lors de l'encaissement des intér~ts qu'appara!t le caractère
usuraire du taux pratiqué et que se consONme l'infraction, que si le
délit d'usure est un délit instantané, lorsque la perception des
inté-
rats usuraires est concomittante à la convention et à la remise du
capital, il est un délit continu lorsque la perception de ces intér~ts
(1) Tribunal de Tananarive Jugement nO 875 du 5 juillet 1957;
149

s'échelonne dans le temps postérieurement à la convention".
Compte tenu de cette évolution jurisprudentielle, le délit
d'usure se prescrit A trois ans mais le délai de prescription commence
A courir à compter du jour du dernier versement d'intérlts usuraires,
cette attitude étant adoptée dans le but d'une politique plus sévère.
VoilA en quelque sorte le cadre étriqué du décret du 22
septembre 1935 conjugué avec celui du 9 octobre 1936 et les effets ont
pu produire sur la pratique de l'usure dans les colonies françaises
de l'époque devenues aujourd'hui les états membres de l'QCAY.
La fronce a peut @tre compris le mal que constitue l'usure,
un mal malicieux qui essaie de fixer 50n champ d'action partout et c'est
pour cette raison que l'usure sera combattue partout m~e à travers les
l~gislations sur l'organisation du crédit. Il en est ainsi de llaccep-
tation en connaissance de cause d'un chèque sans provision et anti-daté.
Cette inCrÙDination a été instituée pour plusieurs raisons dont l'une
et non des moindres est de lutter contre les maooeuvres des usuriers qui
en se faisant remettre par les emprunteurs pr@ts à tout, des chèques
sans provision, disposaient ainsi, A l'échéance, dlun moyen de pression
efficace: la menace du dépet d1une plainte était un argument de poids
auprès de l'emprunteur (1). La réception de ce chèque m~e si le dit
chèque nlest pas mis en circulation constitue un délit auquel s'expose
un usurier (2).
Souvent, aussi le délit d'usure se cumule avec l'infraction
à la législation réglementant la profession bancaire et les professions
qui sly rattachent.
En effet, dans beaucoup de cas, les usuriers agissent en
violation des dispositions de la loi du 13 juin 1947 article 21 et 27
comme effectuant des opérations de crédit à court et moyen tenDe sans
que leurs entreprises soient régulièrement enrégistrées.
(1) LARGUIER
: Droit pénal des affaires - collection 4
page 117
(2) Crim. 23 mars 1965 B
84;
150

Que 'peut-on conclure à l'issue de cette brève analyse de la
politique coloniale de la
France en matière d'usure ?
La première remarque qu'on est port~ A faire c'est que la
France a certes appr~hendé en temps opportun la pratique de l'usure
dans ses colonies, mais la lutte contre l'usure n'a pas été menée d'une
manière coordonnée. Elle a été t~ide et de principe car~s deux grands
décrets du 22.9.1935 et du 9a1Qa1936 non seulement sont inadaptées aux
moeurs des populations d'Afrique Noire mais surtout les sanctions de
leurs violations ont été faibles presque inexistentes. Bien qu'elles
aient été assorties de sanctions sévères dans la plupart des cas. elles
sont demeurées comme des voeux p!euxaLes lois édictées dans le cadre
de la législation économique et bancaire et qui indirectement sanction-
naient les pratiques usuraires ont en plus d'efficacitéa
L'usure loin de regresser n'a fait qu'un bond en avant mal-
gré les lois sur la
répressiona
La répression pour ltre efficace doit 8tre doublée de la
lutte pr~ventive qui consiste à relever le niveau notoirement bas des
revenus des paysans et· des agents
des bureaux ou ateliersa Oans ce do-
maine aussi, il y a eu des amorces par la création de coopératives. de
sociétés indig~nes de prévoyance, de crédits mutuelsa
Aussi bien pour le decret loi de 8 aoOt 1935 relatif au
d~lit d'usure en France que pour les décrets du 22 septembre 1935 et
du 9 octobre 1936 réprimant le délit d'usure en Afrique, la
répression
était paralysée par le cadre étroit que leur désignait la loia
Jusqu 1 en 1946, les dispositions coutumières qui restaient
encore en vigueur en matière pénale étaient en conflit avec la légis-
lation coloniale en droit coutumier dans toutes les colonies concernées
le
délit d'usure était imprescriptible alors qu'en droit français elle
se prescrit au bout de trois ansa
Camme on l'a souligné en 1946, une loi a abrogé les coutumes
en ~tière pénale si bien qu'il n'était plus possible de parler dans ce
domaine de conflit entre la coutume etles lois sur l'usure.
Avec l'évolution des structures économiques de ces territoires
la législation sur l'usure qui avait un aspect p1ut6t pénal qu'économi-
que appara!t dépassée et nécessitait une profonde adaptation. Durant les
151

dernières années de la colonisation
la répression a été conduite avec
J
diverses fortunes et une énergie plus ou moins soutenue car le crédit
usuraire a envahi tous les secteurs économiques à cause de l'inadapta-
tion de l'ancienne loi qui était très rigide et qui n'avait pas envisagé
l'évolution postérieure de la conjoncture économique.
Jusqu'en 1966
aucune autre loi n'a plus été promulguée ni
J
en France ni eutreeomer en la matière
En 1960. les ex-colonies françaises et territoire du Came ..
roun et du Togo ont accédé à leur souveraineté internationale. La mis-
sion de la France dans le domaine de la législation est achevée car
légiférer est Un
attribut de l'indépendance politique et cet attribut
appartient désormais aux nouveaux responsables de ces jeunes états.
Quelles attitudes
vont adopter les jeunes états africains
devant le problème capital de l'usure !
L'analyse ultérieure des nouvelles lois promulguées dans les
états à propos de l'usure
le dira.
152

CHAPITRE
III
LE REGIME ACTUEL DU DELIT D'USURE
DANS LES PAYS D'AFRIQUE NOIRE
Dans les deux premiers chapitres, nous avons pris le soin
de retracer minutieusement l'histoire du délit d'usure en France et dans
les pays d'Afrique retenus pour notre étude. Un aperçu historique de Ce
grave délit était indispensable pour une meilleure compréhension de notre
sujet. En effet, le décret du 22 septembre 1935 n 1est qu'une copie
presque confonne (malgré bien sOr quelques tllnides efforts d'adaptation
pour les populations qu'ils devait régir), du décret-loi du 8 aoOt 1935
destiné à r~pr~er les pratiques usuraires en France. Ce décret du
8 aoOt 1935 n'est en r~alité qu'une combinaison des lois du 3 septembre
1807 et du 19 décembre 1850. D'autre part, ce décret du 22 septembre 1935
demeure encore en vigueur dans un certain nombre de pays d'Afrique
francophone tel que le Togo, le Niger, l'empire centrafricain, d'où
l'étude du droit de l'usure dans les droits positifs africains commande
cette analyse approfondie des lois du 8 septembre 1807, du 19 décembre
1850, du 8 aoOt 1935 et enfin du décret du 22 septembre 1935.
Pour des raisons de souveraineté nationale, cette ~portante
oeuvre du législateur français
n'est pas étendue aux territoires
d'Afrique Noire et de Hadagascar devenus politiquement états souverains
depuis 1960. La France a donc laissé ces jeunes états à eux-m~es avec
les décrets du 22 septembre 1935 et du 9 octobre 1936 pour instruments
de lutte contre l1usure.
Quelles sont les attitudes adoptées par les législateurs
africains devant ce problème llnportant des pratiques usuraires ?
Halgré~s efforts du législateur colonial d'adapter le droit
aux moeurs des communautés africaines et malgaches, il existe une vie
juridique occulte, traditionnelle où le législateur n'a pu exercer
153

d'influence
et SUr laquelle elle a plaqué une législation mal adaptée.
Aussi toUt le monde est unanDme pour Econnattre que les décrets des
22 septembre 1935 et 9 octobre 1936 relatifs A la répression de l'usure
en Afrique et à Madagascar n'ont pas atteint leur finalité : l'usure
loin de régresser n'a fait que s'accrottre davantage. Le cadre exigu de
ces lois ne permet point malgré la détermination des magistrats, répri-
mer toutes les pratiques usuraires dont une bonne partie échappe aux
dispositions des textes susvisés qui semblent concerner seulement les
pr~ts d'argent et les opérations assimilables. On constate en effet
en Afrique et à Madagascar qu'à eSté du pr~t d'argent classique rem-
boursable en argent, existent dans les campagnes surtout des pr@ts
d'argent remboursables en nature et des pr~ts de denrées consommables
également remboursables en nature dans des disp5tporti6n~ énonnes. Par
exemple un pr@t de 35 000 F consenti à un paysan pendant la période de
soudure peut ~tre remboursé quatre mois plus
tard en nature dans les
régions d'Allada
Tori etc ••• avec du café au cours de 30 francs le
J
kilo
le pr@teur sachant pertinemment que le cours de café ne descen -
J
dra jamais à 30 francs le kilo, le cours le plus~bas connu jusqu'à
cette époque étant de 60 francs
Pressés par les besoins de liquidités, les emprunteurs accep-
tent les conditions sans discutera Si à la recolte, le cours officiel
est de 70 francs comme c'est le cas en général, au Bénin, l'emprunteur
livrera quand m3me sa récolte au pr~teur à raison de 30 francs soit
500 kilo de café pour 15000 F. Ces 500 kilo de café au cours nonnal
de 70 francs le kilo devra rapporter à l'emprunteur une somme de
35 000 francs. En quatre mois, llusurier réalise un bénéfice de
35 000 - 15 000 = 22 000 Francs CFA soit un taux conventionnel de
400 ~ alors que le taux max~um de l'intér~t conventionnel autorisé
par le décret du 22 septembre 1935 est de B 10a
Cet exemple reste vala-
ble pour d'autres pr@ts en nature. La nature de ce contrat de pr@t sans
stipulation de taux de l'intér~t conventionnel en argent semble échapper
au champ d'action du décret du 22 septembre 1935a
Les états africains ont accédé à la souveraineté internatio-
nale depuis bientet 20 ans, et nous savons que l'un des attributs de
cette souveraineté est le pouvoir de légiférer.
154

Dès l'aube de cette période d'indépendance, da'
pays d'Afrique, des populations conscientes des méfaits de L __
assurent leur appui aux responsables politiques pour continuer la lutte
c'est ainsi qu'à Madagascar des motions politiques sont votées pour de-
mander au gouvernement en place d'accélérer la lutte contre ce fléau
social et économique.
"Considérant que les taux de l 'usure pratiqu~par les capi-
talistes éhontés qui profitent du dénuement de nos paysans, de nos tra-
vailleurs, de nos ouvriers et qui sous la couleur d'un secours apporté
ne voient que le profit et le rapport de leurs capitaux,
"Condamne énergiquement llusure comme étant une méthode colo-
nialiste de jeter dans la misère, la masse laborieuse, appuie sans ré-
serve le gouvernement dans la lutte qu'il mène pour protéger les pay-
sans et les ouvriers contre l'intér~t égotste des usuriers quels qui ils
soient".
Sans toutefois vouloir entrer dans l'analyse détaillée de
cette résolution, on constate néanmoins que l'usure n'est pas un pro-
blème marginal en Afrique et à Madagascar.
_'--
Quelles sont donc les attitudes adoptées par les responsables
africains face à cet important problème de lutte
contre l'usure?
Devant le problème de l'usure, les états africains et mal-
'1
i
gaches ont adopté trois att1tude~----d1fférentes. Il y a d'un eSté ceux qui
ont gardé le statu quo, c'est-à-dire ceux qui restent soumis à la lé-
gislation antérieure à l'accession à la souveraineté internationale.
On a ensuite les états qui ont cru pouvoir résoudre le problème des
pratiques usuraires dans le cadre des nouveaux codes pénaux alors qU'il~
niant fait que reprendre sUDplement certaines dispositions du décret
!
du 22 septembre 1935. Enfin, on distingue une troisième catégorie d'éta~
qui avec un peu plus de volonté et d'initiative ont essayé d'édicter
de véritables codes.
Les lois relatives au pr@t et à la ltmitation du taux d'in-
tér@t conventionnel ; dans ce troisième chapitre, nous
étudierons dans
une première section la répression de llusure dans les états encore ré-
gis par
la législation coloniale. On peut noter deux sortes d'attitude
de la part de ces états qui n'ont
voulu faire preuve d'aucune
155

initiative
pour lutter contre l\\Bure représentant cependant un fléau
social dans les états africains. Il y a d'une part ceUX qui ont gardé
purement et simplement le décret du 22 septembre 1935 et du 9 octobre
1936, c'est le cas de la CSte d'Ivoire, du Togo par exemple.
D'autre
part, il y a une deuxième catégorie d'état qui pensent avoir cerner
le problème des pratiques usuraires en destinant à la question deux
oU trois articles au maximum, articles qui ne sont q'une copie conforme
des dispositions du décret du 22 septembre 1935.
Dans la deux1ème section, nous analyserons les nouvelles
sénégalaises, dahoméennes, et malgaches en matière de lutte répressive
contre l'usure. Enfin la troisième section de notre chapitre sera con-
sacrée A l'analyse de la portée pratique de toutes ces mesures adoptées
par les nouveaux dirigeants africains A la t@te de leurs nouveaux états.
SECTION l
: LA REPRESSION DE L'USURE DANS LES ETATS ENOORE REelS
PAR LA LB;ISLATION COLONIALE DE L'USURE
Ha1gré les carences et les insuffisances des décrets des
22 septembre 1935 et 9 octobre 1936, certains états africains, n'ont
pas jusqu'à ce jour, réussi ~ adapter la législation sur l'usure aux
réalités économiques et sociales de l'évolution. Pourtant, dans ces
états, l'usure se pratique à une grande échelle et m8me sur la place
publique. Au nombre de ces états se trouvent pour ce qui concerne le
cadre territorial de cette étude, le Togo, la C6te d'Ivoire, la Haute-
Volta et le Cameroun. Peut-bn penser que ces états sont restés dans
cet état de léthargie juridique soit par désintéressement du problème
ou par manque d'initiative, soit bien que conscients des méfaits des
pratiques usuraires, ces états se refusent délibérement à affronter le
problème pour des raisons de politique intérieure ? Il serait trop t6t
de trouver une réponse valable à ces multiples questions. La suite, de
l'analyse fournira peut ~tre une réponse adéquate.
Au Togo, par exemple. l'usure se pratique au vu des autorités
publiques et parfois m8me avec la complicité tacite de certains services
publics. Clest le cas par exemple des revendeuses de tissus appelées
"Nana Ben:r;" qui pratiquent l.'usure A un dégré très élevé dans les ventes
156

à tempérament qu'elles consentent à leurs clients. Voici un exemple très
simple: une pièce de tissu "Waxll dont le prix au comptant serait de
6 000 F CFA revient pour 9 000 F si elle est vendue à crédit payable
au bout de trois mois. Avec cet exemple, 11intér~t conventionnel serait
de 200 %. Si l'on considère que le taux de l'argent dans ces opérations
analogues pratiquées par les maisons de la (iace
soumises au contr81e
régulier des pouvoirs publics ne dépassent guère 25 % on est en droit
de crier au scandale, cependant de telles opérations ne sont pas punies
parce qu'elles échappent au domaine de la loi du 22 septembre 1935.
Il faut ajouter à cette carence législative cette liberté des commer-
~antes qui ne sont pas toutes obligées de s'inscrire au régistre du
commerce et ces genres de pratiques se rencontrent dans tous
les états
d'Afrique.
PARAGRAPHE 1 - LA REPRESSION DE L'USURE DANS LES ETATS ENCRE REGIS
PAR LE DECRET DE 22 SEPTEMBRE 1935.
Comme nous l'avons mentionné dans notre introduction, cer-
tains états tels que le Togo, la CSte d'Ivoire, la Haute"Volta et le
Cameroun sont hélas, encore régis par le décret du 22 septembre 1935.
Pourtant, les pratiques usuraires ne sont pas ~oins importantes surtout
en ~tière de vente à tempérament qui n'a pas été réglementée par le
décre t susvisé.
Car au Togo, les ventes à tempérament sont devenues le
moyen le plus souvent courant de transactions que ce soit dans le domaine
de 11 habitation ou d'achat de véhicules ou autres, tout se vend et
s'achète à crédit. Les autorités responsables ne sont jamais interve-
nues pour réglementer le loyer de l'achat ou plutSt le coat du crédit
accordé pour le financement de telles opérations.
Les établissements de crédit de la place ne sont nullement
inquiétés car leur activité quelle que condamnable que cela puisse
para!tre sur le plan social et économique, ne tombent pas sous le coup
ni du décret du 22 septembre 1935 ni du décret du 9 octobre 1936 qui
demeurent les seules en vigueur en la matière au Togo. Le décret du
22 septembre réprime les pratiques usuraires dans les pr@ts et non dans
les ventes à tempérament. L'impunité des usuriers résulte d'un vide
157

législatif dans ce domaine. Le fait est indéniable.
Le décret du 9 octobre 1936 qui demande dans
son article
premier " que toute convention de prQt d'argent doit ~tre soumise
8U
visa d'un fonctionnaire Il est resté dans les oubliettes étant donné
que peu œraisons dêjà exposées, cette loi n'a jamais reçu du moins au
Togo. une seule application. Depuis 1964, jusqu'à ce jour, un seul ju-
gement a été rendu relatif au délit d'usure au Togo, pourtant les usu-
riers eux. poursuivent couramment leurs clients qui n'arrivent pas à
honorer leurs échéances. Les pr~teurs présentent leurs requ~tes SOus
forme de recouvrement de petites créances. Et ce qui est encore plus
déplorable, c'est qu'au cours des procès du genre, les emprunteurs ne
dénoncent pas les prQteurs car ces victUnes pensent qu'ils ne savent
pas ce que l'avenir leur réserve et qu'il n'est pas prudent de ·'demon-
ter le robine& après s'y Qtre désaltérélJ •
Les usuriers constituent au Togo, un véritable réseau infer-
nal dont les agences occultes se trouvent dans les banques, les centres
de chèques postaux. Certains agents de ces organismes financiers se
chargent de placer les chèques postdatés que les usuriers avaient soin
d'exiger de leurs victimes lors dela conclusion des contrats de pr~t.
L'obligation pour les magistrats d'interpréter restrictivement le dé-
crét du 22 septembre 1935 qui est avant tout une loi pénale, ne permet
pas aux juges d'atteindre aisément et de punir les agissements usuraires
dont la qualification pénale est difficile. Certains usuriers exigent
m@me des cessions sur solde dont le prélèvement est assuré par le
ser-
vice du Trésor au profit de l'usurier.
Devant l'acuité du problème de l'usure, le gouvernement to-
golais a réagi vigoureusement en ordonnant au service du trésor de
suspendre
les prélèvements opérés au profit des usuriers sur la base
des cessions sur solde consenties par les emprunteurs au profit de leurs
créanciers. Cette décision n'est d'ailleurs que verbale et nia été sui-
vie d'aucune mesure législative ou réglémentaire. Cette mesure porte
plutet un coup grave à la liberté contractuelle car elle annule un ac-
cord de volonté intervenu entre deux individus. Nais elle trouve sa jus-
tification dens l'ordre public ·de protection sociale entre deux indi-
vidus dont l'un est dans le besoin et l'autre dans l'opulence, c'est
la liberté qui opprUne et c'est la loi qui libère.
158

Cette mesure verbale n'indique pas de quelle manière le pr~­
teur pourra récupérer au moins le capital qu'il a pr@té à un taux d'in-
tér@t illicite. La mesure ne dit pas non plus si le capital reste acquis
sans contre-partie par l'emprunteur.
Sur le plan pratique, cette mesure, loin de constituer une
arme efficace de lutte contre l'usure est insignifiante pour le présent
inopérante et d'aucune utilité pour l'avenir.
Elle
est insignifiante pour le présent parce qu'elle ne pro-
tège qu'une infnne partie de la population contre les pratiques usuraires
les salariés de l'état relevant du trésor public; c'est-à-dire ceux
des agents de l'état qui avaient consenti des cessions sur solde à leurs
créanciers. Les autres salariés de l'état qui avaient convenu'avec leurs
créanciers d1autres modes de réglements ne sont pas touchés par la
mesure gouvernementale de lutte contre les usuriers. Ni les citoyens
du secteur privé, ni ceux des professions libérales, ni les paysans qui
forment la majeure partie, de la population ne sont protégés. Une me-
sure de lutte conte l'usure doit~ser normalement à protéger le plus
grand nombre possible de citoyens surtout la classe la plus démunie,
tel n1est pas le cas ici.
La mesure est inopérante et sans utilité pour llavenir et
cela est clair car les pr@teurs, gens intélligents et avertis n'accep-
teront plus de cessions sur solde comme mode de réglement de ce qui
leur est dQ. rIs se replieront désormais sur l'acceptation de chèques
anti-datés avec lesquels ils ont moins de problèmes grAce à la colla-
boration coupable de leurs agents qu'ils ont auprès des banques et éta-
blissements financiers de la place.
Bien que le chèque ne soit pas un instrument de crédit et que
l'acceptation d'un chèque antidaté équivaut en quelque sorte à l'accep-
tation de chèque sans provision, les usuriers arrivent presque toujours
à tirer leur épingle du jeu, avec les chèques antidatés. Certes, quel-
ques emprunteurs avertis et déloyaux, pour se jouer de leurs pr~teurs
trop cupides, après avoir signé à leur créancier toute une série de
chèques correspondant à des échéances postérieures, fenment leur compte
bancaire ou postal si bien
que les chèques se trouvent sans provision.
Dans des cas pareils, l'usurier averti par ses intermédiaires, ne pré-
sente plus les chèques sous peine dl@tre inculpé d'acceptation de
159

chèques sans provision soit il les détruit. soit il les règle à 1~i8ble
avec le d~biteur.
Par ailleurs, plus de la moitié des usuriers est constituée
par les feœmes revendeuses ou commerça~tes de la capitale et des villes
de llintérieur réunies en associations puissantes. Cette ass0d8tion
foDDe un véritable groupe de pression sur le plan politique aux intér!ts
duquel on ne peut s'attaquer sans mQrement réfléchir. Ces revendeuses
de tissu encore appeUes 'tana benz ll parce que la plupart d'entre elles
sortent en mercedès benz, sont à la base de la misère de leu~concito­
yets'avec la bénédiction des autorités publiques; étant donné qu'elles
bénéficient d'un régime fiscal qui ne pe~et pas de les imposer sur
les bénéfices qu'elles réalisent malhonn~tement
.•
Les pouvoirs publics ont encore mis en garde ceux qui expIai
tent la misère des auces : le président de la républque togolaise a
insisté sur sa déte~ination de livrer une lutte sans merci aux usu-
riers lors de l'inauguration de la
télévision togolaise le
31 juillet 1973 (1)
• Hais cette daction du gouvernement pleine de
bonne volont~ sur le plan social et économique est demeur~e une inten~
tian car elle n'est suivie d'aucune·.réforme Ugislative du système
en vigueur qui est presque inOpérant parce que dépass~.
On se rappelle qu1un conseil national du cr~dit (CNC) est
institu~ au Togo depuis 1965.
Selon l'article 33 de la loi susvisée. le conseil national
du crédit a pour r8le d'~tudier tous les problèmes et toutes les mesures
susceptibles d'aider le gouvernement A définir et à appliquer une poli-
tique de cr~dit confo~e aux intér!ts nationaux mais ce conseil national
de crédit siest plong~ dans une l~thargie incroyable si bien que lion
est en droit de se demander si ce conseil existe effectivement. Le con-
seil national de cr~dit reste insensible aux abus opérés par les éta-
blissements de cr~dit de la place. ce conseil ne propose rien au gou-
vernement pour amorcer une lutte répressive contre les pratiques usu-
raires si flagrantes au Togo.
La situation au point de vue pratiques usuraires est iden-
tique en Haute Volt&.et en Cete d'Ivoire.
(1) Loi n 0 65-13 du 21 juillet 1965 - article 148 à 154 J.O.T.
du 2 aoOt 1965
160 -16J

En Haute Volta, la situation apparatt d'ailleurs pire
qulau Togo du fait de Itappartenance de la majeure partie de la popu-
lation à l'Islam. Dans ce pays, on prétend à tort que le coran inter-
dit ttusure et dans les milieux traditionne~ il est difficile de com~
battre un mal dont on feint d1ignorer l'existence. La misère qui cause
l'usure est là. favorisée par la sévérité de la nature qui ne permet
guère une récolte abondante. Sous Iteffet de la disette, la classe
possédante fait la loi. Les tribunaux assistent aux phénomènes usuraires
tmpuissants car ils
ne peuvent pas se saisir eux~s et pourtant,
le ministère public peut au nom de llordre public de protection sociale
et de direction économique déclencher l'action publique.
D'autre part, la Haute Volta n'a rien rénové de llancienne
législation sauf qu1elle s'est contentée de réglémenter la pratique du
crédit bail comme tous les autres états d'ailleurs.
La situation est également la m8me en CSte d'Ivoire. Le
ministre de l'~conomie est quelquefois saisi de doléances de victimes
de prtts à des taux d'intér~ts conventionnels usuraires. Ces victimes
sont généralement de petits fonctionnaires. Les tribunaux ont eu égale·
ment à connattre plusieurs affaires relatives au délit d'usure. Nais
ici comme ailleurs, on a l'tmpression que les pouvoirs publics sont
conscients de la gravité du mal mais que s~lement ils rédoutent la
réaction des usuriers qui avec la puissance de llargent forment
de
v~ritables groupes de pressoir sur le plan de la politique intérieure.
Cependant on peut noter que la cSte d'Ivoire semble quand
m8me plus avancé que le Togo et la Haute Volta dans la recherche des
armes juridiques pour amorcer une nouvelle lutte répressive contre
l'usure. Selon le directeur des études et de la législation au minis~
tère ivoirien de la justice, une commission de travail groupant des
représentants du ministère de la justice et ceux de l'administration
des finances doit se réunir depuis le mois de novembre 1976 pour étu-
dier un texte nouveau qui viendrait en remplacement des décrets du
22 septembre 1935 et du 9 octobre 1936 relatifs a la r~pression de
l'usure et au contrat de prIt d'argent dans les ex_colonies fran~aises
d'Afrique noire. Les projets de textes ne sont pas parvenus à un stade
avancé et c'est pour cette raison qulil n'en est pas fait étatœns
la présente étude.
162

Il est néanmoins souhaitable que la future législation ivoirienne
pour la répression de l'usure s'inspire largement
de la loi française du
28 décembre 1966 sur la m~ matière surtout en ce qui concerne la définition
de l'usure, la détermination des éléments devant entrer dans le calcul du
taux de référence et le taux effectif global j surtout que le conseil natio~
nal de crédit ait un rSle dynamique à jouer dans la déte~ination du taux
de référence. Le législateur ivoirien ne doit jamais oublier que les prati-
ques usuraires dans les jeunes économies, est un virus qu'il faut anéantir
de bonne heure~ Qu'il comprenne que le développement de la production entre
tenu par une consommation raisonnable dépend de l'équilibre du crédit, en
bref, le législateur ivoirien doit s'efforcer de donner une définition ration-
nelle de l'usure et
aborder le problème en terme économique et repressif
à la fois car les anciennes lois encore en vigueur non seulement sont inef-
ficaces du point de vue répressif parce qu'elles ne permettent plus-d'at-
teindre toutes les pratiques usuraires de notre époque mais surtout elles
sont économiquement trop sùnplicistes et inadaptées aux exigences du crédit
c~rcial dont ces états ont actuellement besoin.
La seule consolation qu'on a à les maintenir c'estqu'elles
opèrent tout de mime une parfaite intégration législative entre les états
qui les ont maintenues J la qualification du délit d'usure étant la m~e
dans tous les trois états, les conflits de lois sont inexistants en matière
du délit dtusure. C'est l~ l'un des aspects positifs de l'oeuvre coloniale
de la France qui mérite d'@tre souligné; cette intégration législative s'est
manifestée également en matière du droit du travail avec le code de travail
de 1952 qui est un chef-d'oeuvre. Il mérite dt@tre souligné que c'est là un
facteur d'unité africaine que les africains sont en train de perdre en subs-
tituant à ces lois, des micro-législations SQUS la poussée démographique et
illusoire d'un nationalisme étroit et vide de portée pratique.
Quant au Cameroun, pour toute législation en matière de lutte
répressive de l'usure, cet ancien état sous mandat français a consacré à
cet important problème un seul article de la loi nO 67 - 1 du 12 juin 1967
portant institution du code pénal camerounais.
Par l'article 325, le législateur camerounais a abrogé l'arti-
cle 4 du décret du 22 septembre 1935 instituant ainsi de nouvelles pénalités
en matière du délit d'usure~ Le nouvel article dispose
qu'est puni d'une
163

peine dtamende de 5 000 F à 100 000 F le pr~teur qui exige ou reçoit des in-
tér@ts ou autres retributions supérieures aux taux fixés par la loi
pour
des pr@ts de m@me nature.
L'alinéa 2 du m@me article a rendu la peine de prison obliga-
toire et aussi doublé la peine d'amende en cas de récidive.
En déclarant ensuite que l'article 4 du décret du
22 septembre
1935 est abrogé, le législateur confirme implicitement le maintien en vigueur
du reste du décret du 22 septembre 1935 et celui du 9 octobre 1936.
Deux tennes doiYent retenir l'attention et susciter des remar-
ques dans la formulation de l'article 325. Cet article déclare le pr@teur
qui exige ou reçoit des intér@ts ou autres rétributions supérieures aux
taux fixés par la loi pour des pr@ts de m@me nature.
Exiger des intér@ts ou autres rétributions c'est demander comme
chose due ou récla~r arbitrairement et autoritairement des intér@ts en fai-
sant pression sur l'emprunteur, en exploitant ainsi, la nécessité dans la-
quelle il se trouve. On peut considérer que le pr~teur exige des intér@ts
supérieurs aux taux conventionnels maxllnUM autorisé par la loi lorsqu'il
insère dans l'instrumention un loyer de l'argent est~é à un taux illicite
les pr@teurs exigent également un
taux supérieur au taux autorisé lorsque
sans d 1autres dénominations, il oblige son débiteur à lui verser des s~es
d'argent qui ne correspondent à aUcun service rendu dans le cadre de l'opé-
ration de pr@t dont il s'agit. Tout cela n'est qu'une confirmation d'une ju-
ridiction bien assise de la chambre cr~inelle de la cour de cassation qui
avait décidé par un arr@t du 5 décembre 1946 que la qualification de prime
d 1assurance d~nnée à une partie du taux de l'intér@t reconna!t la règle sui-
vant laquelle toute somme qui s1 a joute à l'intér@t entre en ligne de compte
quelque dénomination qu'on lui donne.
La deuxième remarque est celle qui consiste à se demander ce que
le législateur entend par d'autres retributions supérieures aux taux fixés
par la loi pour des pr@ts de m8me nature. Cette disposition fait penser aux
pr@ts en argent
ou autres choses mobilières remboursables en nature. Dans
ces genres de stipulation, du seul fait qu'il n'y a dans le contrat un taux
d 1intérlt chiffré le pr~teur en profite pour exiger des rémunérations en na-
ture qui après évaluation par expert revèlent des taux usuraires.
Les législatèurs dahoméens, malgaches et sénégalais ont prévu
164

dans leurs législations, sur l'usure des
dispositions analogues mais beau-
coup plus explicites. "3i$ le Cameroun ayant gardé le décret du 22 septembre
1935 qui ne sanctionne les pratiques que dans les pr@ts d'argent, on ne voit
pas très bien si la rétribution en nature peut tomber sous le coup de la loi
puisqu'aucun taux maximum n'est fixé dans ce cas. Il y a certainement sur
ce point une confusion. Au lieu de faire des replatrages législatifs, vu
l'importance du problème, il serait préférable de renouveler la législation
en tenant compte de l'évolution économique et des pratiques usuraires locales
afin de les mettre sous le coup de la nouvelle loi.
Il faut bien le reconnattre ; compte tenu des objectifs actuels
du développement des états africains) le décret du 22 septembre a fait son
temps et réclame sa place dans les archives des lois hors d'usage.
Tous les états africains doivent prendre conscience qu'un dé-
veloppement harmonieux dépend d'une saine politique de crédit et il n'y
pas de politique viable en matière de crédit sans un contrale permanent et
clairvoyant du loyer de l'argent ce n'est pas seulement un problème social
mais c'est 6urtout un problème économique et juridique.
PARAGRAPHE 2
:
LA REPRESSION DE L'USURE DANS LES BTATS QUI ONT ADOPTE
DE NOUVEAUX CODES PENAUX
j
Dès leur accession à la souveraineté internationale, certains
1
états africains se sont empressés d'établir un ordre juridique nouveau en
!
matière pénale, par la publication hStive de codes pénaux nouveaux qui en
1
réalité ne sont que des copies conformes du corle pénal français.
j
Certains états ont abordé le problème des pratiques usuraires
dans les nouveaux codes. C'est le cas du Niger, de la république centrafri-
caine et du Gabon. A vrai dire, ces états n'ont fait qu'effreiner le pro-
1
blème, car les pratiques usuraires sont si importantes qu'on ne peut jamais
l'analyser à fond et lui trouver une solution convenable dans les colonnes
de deux ou trois articles du code pénal.
A - DEFINITION DU D!LlT D'USURE DANS LES NOUVEAUX CODES PENAUX
L'article 287 du code pénal centrafricain ne fait que repren-
dre la définition donnée par le décret du 22 septembre 1935. En effet,
165

selon le législateur centrafricain, l'usure consiste dans un pr~t conven-
tionnel fait à un taux effectif dépassant de plus de la moitié, le taux
moyén pratiqué dans les m@mes conditions par les pr~teurs de bonne foi.
Cette définition a été reprise par le Niger dans l'article
364 du code pénal en termes identiques sans un mot de plus.
Quant au législateur gabonais, llquiconque fera un pr~t conven-
tionnel à un taux effectif dépassant de plus du quart
le taux moyen prati-
qué dans les m!mes conditions par les pr~teurs de bonne foi pour des opéra-
tion de crédit comportant les mêmes risques, sera retenu dans les liens de
la prévention du délit d'usure.
Hais une remarque est à faire, c'est que tous ces codes sont
élaborés juste apr~. la période des indépendances donc bien avant la réforme
française du 28 déceubre 1966 relative à la répression de l'usure. Le Niger
et la république centrafricaine ont promulgué leurs codes en 1961 et le
Gabon a élaboré le ~ien en 1963.
On remarque
qulil n'a plus une double définition de l'sure
distinguant d'une part une définition de l'usure en matière civile et de
l'autre, l'ùsure en mati~re commerciale. Les trois législations Consacrent
une définition uniforme de l'usure. Les législateurs nigériens, gabonais
et centrafricains ont ressenti les méfaits de la fixation dlun taux d'inté-
rtt rigid~. Ils ont compris que la fixation d'un taux plafond
rigide para-
lYSeEBit lléconomie, ralentirait la consommation et par ailleurs que les
prêteurs en profiteraient pour exiger le maximum du taux autorisé. La dif-
férenciation de la définition du taux dlintér~t usuraire en matière civile
et en mati~re commerciale ne débouchait sur aUCune réalité concrète tendant
à la protection de l'emprunteur. L'examen des travaux préparatoires de la
loi française nO 66 10 10 du 28 décembre 1966 fait ressortir que diverses
propositions avaient suggéré lors des débats, la fixation d'un taux piafond
de 18 ~. Si ces propositions ont été rejetéés, c'est que les législateurs
français dans leur majorité avaient compris que cette fixation rigide était
incompatible avec les réalités économiques et les variations de taux et des
frais du loyer de llargent avec la nature des Opérations que le crédit est
destiné à financer surtout en cette période d'érosion monétaire. Donc, en
supprtmant le système de fixation, de taux rigide comme lia fait le
légis-
lateur colontal en matière de crédit civil,
le législateur suit le courant
de l'évolution, surtout il faur remarquer qu'un taux fixe cadre mal avec
166

les contrats de prlts en Afrique où le montant des crédits consentis est sou-
vent peu considérable.
Une seconde remarque qui s'impose et qu'on n'a pas manqué de
souligner maintes fois déjà est la référence aux taux pratiqués par les prQ~
teurs de bonne foi. On s'est longuement attardé au cours de l'analyse du dé-
cret du 22 septembre 1935 sur ll~ression qui caractérise cette notion de
prlteur de bonne foi à cause de son aspect subjectif.
Le l~gislateur fran~ais a renoncé dans une certaine mesure à
prendre comme taux de référence, le taux pratiqué par les prQteurs de bonne
foi dont la loi nia jamais donné une définition exacte j le législateur
est conscient du caractère évasif dela définition
et la notion d'opérations
de crédit comportant les m3mes risques n'est pas facile à déterminer.
On ne comprend pas du tout, pour quelles raisons, les législa-
teurs nigériens, gabonais et centrafricains maintiennent dans la nouvelle
définition de l'usure, l'une des plus grandes imperfections du décret-loi
du 8 aoOt 1935 et du décret du 22 septembre 1935, imperfection dont la
France, quant à elle, a réussi à se débarrasser par une formulation judicieuse
de l'article 1er de la loi du 28 décembre relative à la répression de lIUSU_
re. Il est particulièrement grave de maintenir dans des codes pénaux des dé-
finitions aussi impr'cises que la notion de pr@teur de bonne foi dont l'in_
terprétation pourrait conduire inévitablement à l'arbitraire. Et pourtant
plus qu1en France, les conventions de prlts sont si hétéroclites qu'il est
presque ~possible de trouver à chaque opération de crédit un taux de réfé-
rence parmi les taux d'intérlts pratiquâs par les banques et les établisse-
ments financiers admis par la jurisprudence comme étant les pr@teurs de
bonne foi. En réalité, dans les pays d'Afrique plus qu'ailleurs où chacun
cherche à s'enrichir UDpitoyablement et immensément au détrtment d'un moins
fortuné, peut-on parler dlun prtteur du bonne foi 1
Les législateurs du Niger, du Gabon et de la république centra-
fricaine n'ayant pas cette fois encore réussi à définir ce qu'elles entendent
par prtteurs de bonne foi, toute la jurisprudence établie sous l'empire des
législations
antérieures demeure en vigueur.
Tout laisse penser que les législateurs concernés ont soit man-
qué d:initiative. soit d'inspiration ou tout s~lement se sentant vaincus
ou débordés par le problème de l'usure qui se pratique pourtant ouvertement.
167

ils se sont contentés de ces dispositions laconiques reprises de force à
l'ancienne législation coloniale comme un trompe-l'oeil.
Du reste, i l est irréfutable que certains responsables africains
en bien de domaines font beaucoup plus de tapages qu'ils n'oeuvrent effec-
tivement pour le relèvement du niveau de vie de la masse ; il est inconce-
vable que dans des pays en voie de développement
où le problème de crédit
se pose avec acuité, on se contente d'expédier la question de lutte contre
l'usure c'est-à_dire en un mot le problame du taux de loyer de l'argent
dans deux ou trois lignes d'un code pénal. Le développement de la produc-
tion et la stabilisation de la vente dépendent dans une grande meSUre du
i,, taux de llintér~t du crédit. Les objectifs du développement économique et
,
la répression plus efficace de l'usure réclament une définition plus précise
et plus rationnelle de l'usure.
Le magistrat africain doit faire preuve de sagacité et de lu-
1
cidité d'esprit plus que son collègue français dont la tSche est allégée
désonDais avec la loi du 28 décembre 1966 pour discerner les vrais pr@teurs
de bonne foi des simulacres. Les magistrats doivent s'intéresser davantage
du droit bancaire, ~tre des juristes d'affaires car leur responsabilité est
grande dans la lutte contre l'usure à
cause de la carence d'imagination et
du peu dlintér~t du législateur en matière de la législation sur l'usure.
B - LE DOKAINE D'APPLICATION ET LES tlJDALITES DE LA REPRESSION DU DELIT
D'USURE AU NIGER, AU GABON ET DANS L'EMPIRE CENTRAFRICAIN
A l'exception du code pénal nigérien qui parle de pr~t conven-
tionnel d'argent, les dispositions gabonaises et centrafricaines mentionnent
simplement "pr@t corcventionnel" sans rien spécifier.
Donc en premier lieu, il
apparatt clair, que tout sous l'em-
pire du décret du 22 septembre 1935 ou sous le régüne de la législation
fran~8ise du 28 décembre 1966, les législateurs nigériens, gabonais et cen-
trafricains ont fait entrer dans le domaine de l'usure les taux d'intér@t
conventionnels pratiqu& à l'occasion des contrats de pr@t.
Ce qui mérite dl~tre souligné est que le législateur nigérien
non seulement a lLœité le domaine de la loi de larépression des pratiques
usuraires au contrat de pr~tsJ ~is surtout cette lUnitation du taux de
l'tntér@t conventionnel concerne uniquement les pr@ts d'argent. On élünine
168

ainsi du domaine de la loi, toutes les autres formes de pr~t couramment uti-
lisées en Afrique dans ce pays où l'argent est rare. se trouve naturellement
hors du domaine de la loi, les pr~ts en denrées consommables remboursables
en nature, les pr~ts de main-d'oeuvre, les pr~ts de terrain de culture ou
le métayage. Le Niger est comme la plupart des états d'Afrique inter-tropi-
cale, un pays où les transactions commerciales restent à l'état embryonnaire
où la classe pôssédante exploite la misère de la masse de la population et
où enfin, les récoltes sont très irrégulières à cause des caprices de la
nature; sécheresse prolongée emp~chant plantes et b~tes de trouver l'eau
nécessaire à leur accroissement normal, pluie abondante, diluvienne, déme-
surément prolongée anéantissant toutes les récoltes d'une année. Tous ces
facteurs font du Niger un terrain favorable aux pratiques usuraires.
Avec une législation aussi ambigUe, il va sans dire que les
magistrats doivent user à fond de leur pouvoir souverain d'appréciation afin
de restituer aux conventions leur vraie nature sinon la législation relative
à la répression des pratiques usuraires qui doivent ~tre courantes à cause
du bas revenu des populations et de la concentration des richesses entre les
mains d'une poignée de personnes. Il y a là une grande difficulté pour les
magistrats qui sont partagés entre le désir justifié de recherche et la jus-
tice sociale qui est la finalité du droit et l'obligation pour eux de res-
pecter le principe du d~oit pénal. Les magistrats doivent faire preuve d'une
grande sagacité dans l'application d'une législation si laconique afin
d'étendre un peu plus le domaine d'application de la loi.
Quant aux législations gabonaises et centrafricaines, elles
ne spécifient pas de quelles catégories de pr~ts il s'agit mais l'impréci-
sion du texte est favorable à une meilleure répression des pratiques usu-
raires pourvu que l'opération dans laquelle est stipulé le taux illicite
ait la nature d'un pr~t. Hais si lion
profitait de Ilnnprécision de la loi
pour étendre la limitation du taux de l'intér~t conventionnel aux autres
pr~ts en nature et remboursables en nature. Quel serait le taux de référence ?
Les pr~teurs de bonne foi qui sont suivant une jurisprudence constante, les
banques et établissements ne pr~tent pas en nature et ne font pas rembourser
en nature afin qu'il y ait un taux de référence pour chaque cas de pr~ts.
Devant cette difficulté pratique, on peut rechercher une sa lu-
169

tian de facilité et conclure qu'à vrai dire ici aussi la IDmitation du taux
dlintér~t n'intéresse que les pr~ts d'argent. Hais on peut pousser plus loin
et sur la base de certains principes du droit civil essayer d1évaluer les
pr@ts et les remboursements en nature pour déterminer le taux de l'intérêt
conventionnel de l'opération en espèces.
Voici un exemple pratique: lorsqu'un paysan emprunte à son
voisin 3 sacs de
mars pendant la période de soudure remboursables 4 mois
plus tard à raison de 2 sacs pour un, il remettra à son voisin à l'échéance
c'est-à-dire à la récolte 6 sacs, donc on peut est~er que l'intérêt est
100 ~. Le pr~t est donc usuraire ; mais le calcul devient plus délicat si
le pr~teur remboursait 5 sacs pour 3 qui lui sont pr@tés , il faudrait alors
procéder à l'évaluation des produits en se référant au cours des produits
à deux époques.
La première opération consisterait à évaluer les 3 sacs prêtés
au moment du contrat de pr~t. Si le sac de mars vala~ à cette période
1 200 F, on considère alors que le pr@t consenti est de 3 600 la somme à
rembourser serait de 9 000 • En faisant un peu d'arithmétique, on se
rend
compte que 3 600 ont remboursé en 4 mois, 5 400 et l'intér~t annuel produit
serait de 16 200 francs. Le taux de llintér~t conventionnel serait de 150 %
Si l'on se réfère aux bénéfices réalisés par les marchés de la place pour des
opérations analogues comportant le même risque, on peut savoir si ce taux
d'intér~t conventionnel est usuraire ou non. Mais pour en arriver là, le
juge doit recourir à la mission des experts en la matière, il faudra alors
faire confiance aux conmerçants de la place qui deviennent alors "des experts
ad'hoc.
Il faut du reste, assimiler aux pr@ts des opérations assUni-
lables à ce genre de convention de crédit telles quelles ont été étudiées
à l'occasion de l'étude des décrets-lois du 8 aoOt 1935 dans la législation
française et décret du 22 septembre 1935 de la législation coloniale.
Une deuxième remarque importante
qui ressort de l'examen du
domaine assigné par les trois législations prises ensemble est la suivante
les dispositions éparses prises par les législations en question ne marquent
aucune évolution par rappport à la
législation coloniale.
Elles ne
per-
mettent pas non plus de contr81er le crédit, de contenir le loyer de l'ar-
gent dans des proportions raisonnables car leur domaine restreint est favo-
rable aux activités comportant des pratiques usuraires sans que les auteurs
170

de telles pratiques puissent ~tre inquiétés par la loi sur la répression
en vigueur.
K@me dans le domaine de la répression pure, les lois nigériennes
gabonaises et centrafricaines semblent insuffisantes comme on va le cons-
tater en étudiant l'organisation et les poursuites et de la répression en
matières d'usure.
En ce qui concerne la prescription, la jurisprudence établie
sous l'empire de la législation antérieure reste valable en ce sens que l'u-
sure reste un délit instantané mais se prescrit comme un délit continu. Ainsi,
comme dans la nouvelle loi française, de 1966, le délai de prescription de
l'action publique continue à courir, à compter du jour de la dernière per~
ception soit de l'inœr@t, soit du capital.
Certains états ont eu une prise de conscience plus poussée
du danger que représente pour les jeunes états, la pratique accentuée de
l'usure aussi bien sur le plan social que sur le plan économique. Ces états
ont essayé d'élaborer de véritables lois pour réglémenter les taux d'inté-
r~ts dans les opérations de pr~ts d'argent et de crédit. Bien que ces lois
ne soient pas sans critiques, elles représentent néanmoins une manifestation
concrète de la volonté de ces états de combat~re le mal, car il faut le re-
connattre, l'usure représente une véritable plaie sociale pour l'Afrique.
Madagascar a promulgué une ordonnance relative à la répression
de l'usure en 1962, soit quatre ans avant la législation française actuelle,
les lois sénégalaises et dahoméennes sur la limitation du taux de l'intér~t
conventionnel et la répression de l'usure furent promulguées respectivement
en 1970 et 1973.
La section qui va suivre sera consacrée à l'étude comparative
de ces lois entre elles et parfois avec la loi française du 28 décembre 1966
relative à la m8me matière.
SECTION
II
LES NOUVELLES LOIS AFRICAINES EN KATIERE DE LUTTE REPRES-
SIVE CONTRE L'USURE
Comme on n'a cessé de le souligner, les décrets des 22 sep-
tembre 1935 et 9 octobre 1936 relatifs au délit d'usure et fixant le taux
rnaxilnum de l'intêr@t conventionnel applicables dans les colonies au Togo,
et au Cameroun n'avaient pas été d'une grande efficacité. Les raisons sont
171

connues de tous: inadaptation, champ d'application trop restreint etc •••
Les législateurs malgaches, sénégalais et dahoméens (actuelle-
ment béninois) ont essayé chacun à leur tour de dégager une nouvelle défini-
tion de l'usure pour resorber le mal que causait ce fléau social et écono-
mique qu'est l'usure.
PARAGRAPHE 1 - LA REGLEHENTATION DU DELIT D'USURE PAR trOROONNANCE
llAI.GACHE DU 8 AOUT 1962
La réforme malgache a été réalisée par une ordonnnance en date
du 8 aoOt 1962 portant fixation du taux de l'intérQt légal et du taux maxi-
mum de l'intérat conventionnel et réglémentation des pr@ts et répression
de l'usure.
En effet, le gouvernement malgache ayant bénéficié d'une délé-
gation de pouvoir par une loi de l'assemblée nationale malgache, en date
du 26 mai 1962, en a profité
pour résoudre certains problèmes qui se po-
saient au nouvel état avec acuité entre autres, celui des pratiques usu-
raires à Hadagascar. Les autorités malgaches ont donc pris cette mesure
dans le but de freiner l'activité nuisible des usuriers, de protéger les
particuliers obligés d'emprunter et d'orienter les capitaux vers les inves-
tissements susceptibles de contribuer au développpement économique du pays
Peut-Atre par manque d'initiative ou par négligence partielle de l'aspect
économique du problème, cette réfoDne n'a pas été aussi profonde que celle
réalisée par le Sénégal dans le m~e domaine en 1970 relative à la répres-
sion des opérations usuraires et aux taux d'intérat conventionnel (1).
Le législateur malgache maintient la double définition du délit
d'usure
comme c'était le cas dans le décret du 22 septembre 1935. Ainsi,
après avoir décidé de maintenir le taux légal A 5 % en matière civile et
6 ~ en matière commerciale comme cela l'était sous l'empire de décret sus-
visé, les articles 2 et 3 sont consacrés à la nouvelle définition du délit
d'usure en
droit malgache d'après l'article 2, est usuraire llintérat con-
(1) Loi nO 7025 du 27.6.70 rektive
la répression des opérations usuraires
au Sénégal J.O. Sénégal du 18.7.1970 page 684 et suivantes
172

ventionnel dépassant 12 ~ en matière civile.
Quant à l'article 3 de cette mame loi, il dispose qu'en matière
commerciale, il est interdit de stipuler au taux d'intér~t conventionnel dé-
passant de plus du quart, le taux moyen pratiqué dans les m@mes conditions
par des pr.teurs de bonne foi pour des opérations analogues en matière de
crédit comportant leâ mêmes risques que le pr@t dont il s'agit. Le législa_
teur bien que convaincu de la nécessité de conserver au taux d'inté~t une
certaine souplesse, il appara!t pour le législateur malgache néceésaire de
fixer à 25 ~ au lieu de 50 ~ fixé dans le décret du 22 septembre 1935, la
marge pouvant dépasser le taux moyen pratiqué par les pr.teurs de bonne foi
pour des opérations de cr'dit comportant les m@mes risques car il juge exces~
sive la marge de 50 ~ autorisé par le décret du 22 septembre 1935.
Pour ce qui concerne la l~itation du taux de llintér~t con-
ventionnel en matière commerciale à Madagascar, l'article 3 de lrordonnance
nO 62 016 dispose qu'en cette matière, il est interdit de stipuler un taux
d'intér~t dépassant de plus du quart le taux moyen pratiqué
dans les m@mes
conditions
par les pr.teurs de bonne foi pour des opérations de crédit
comportant les mOmes risques que le pr~t dont il s'agit. Le législateur
n'a fait preuve d1aucune innovation par
rapport au décret du 22 ~eptembre
1935. Il s'est contenté de ramener à 25 % la marge pouvant dépasser le taux
moyen pratiqué par les pr.teurs de bonne foi sans qu'il y ait délit d'usure.
Il r'sulte des travaux préparatoires que la marge de 50 % retenue par l'an-
cienne législation aurait été jugée excessive. (1)
Cn remarque en examinant la loi malgache qu'elle comporte les
m@mes erreurs que le décret du 22 septembre 1935 entre autres, elle ne dé-
finit pas ce qu'elle entend par prlteur de bonne foi. Selon l'exposé des mo-
tifs, le législateur s'est avoué incapable de définir juridiquement cette
notion. Il aurait mieux fait de le supprtmer carrément comme l'a fait plus
tard, le législateur français dans une certaine mesure.
Le législateur maintient cette notion de pr~teur de bonne foi
pour des raisons qu10n arrive pas à percevoir clairement. Dans l'exposé des
motifs, on se contente de faire référence à une définition jurisprudentielle
selon laquelle le pr~teur de bonne foi est celui qui, compte tenu du
(1) J. O. Répw ~lgache du 1er septembre 1962 page 1709.
173

risque couru par le capital engagé de l'état et des possibilités du marché
financier et des frais généraux concernant la marche de l'entreprise, retire
de ces opérations de pr@ts un profit ou intér@t normal en rapport avec ces
éléments (1).
Nul n'ignore qœcette notion de bonne foi ne laisse place à une
estimation objective.
La législation malgache dans la recherche d'un peu plus de pré~
cision pouvait tout de même retenir lDmitativement comme pr@teur de bonne
foi, les banques et les établissements financiers agréés, par le conseil
national de crédit.
L'on peut ~tre amené à se poser la question de savoir pourquoi
le législateur malgache fait-il confiance à ses magistrats pour apprécier
souverainement les éléments de la cause qui leur est soumise pour déterminer
ce que l'on entend par pr@teurs de bonne foi au lieu de le définir lui~~e
dans les disposition~de la loi?
On peut penser que si le législateur ne se réfère pas direc-
tement au taux pratiqué par les banques comme taux moyen effectif de réfé~
rence c'est pour la sllnple raison que la,plupart des banques établies dans
l'!le, sont des sociétés étrangères installées à Madagascar pour~aliser
des profits etqu1il n'est pas normal de s'appuyer sur leur pratique pour
combattre un mal vieux comme le monde et qui constitue particulièrement à
Madagascar
une plaie sociale. On peut également estimer que l'objectif
primordial du législateur
malgache est une répression plus sévère et le
législateur fait confiance au magistrat dont l'intégrité professionnelle
est parmi les moins contestées.
Cette confiance au magistrat e st par ailleurs confirmée par
le
soin que le législateur laisse encore aux cours et tribunaux d'use~
de leur compétence pour déterminer le taux moyen pratiqué dans les m@mes
conditions par les pr@teurs de bonne foi dans les opérations de crédit
comportant les m~s risques que le pr@t dont le litige leur est soumis.
En refusant de laisser le soin ~ un organe économique, en oc-
curence le conseil national de crédit de déterminer et de publier ce taux
les pouvoirs publics malgaches confirment le caractère très répressif de
(1) Exposé des motifs de l'ordonnance 623-016 J.O. R.H. 1.9.62 page 1709
174

cette nouvelle loi sur l'usure.
On peut conclure que sur le plan de la définition du délit
dtusure, le législateur malgache tout comme son homologue dahoméen comme
on le verra dans les paragraphes suivants, nlont réalisé que de ttmides
progrès. Ils ont tellement l'esprit braqué sur l'aspect répressif de la
législation qu'ils en ont négligé l'aspect économique. A la fin des comptes
le but répressif aussi ne sera pas atteint car les aspects économique et
répressif constituent un véritable tanden dont l'équilibre est la condition
de l'éfficacité de la législation en la matière.
Toutes les trois législations ont prévu les éléments qui doi~
vent ~tre pris en considération pour le calcul du taux de référence.
L'article 8 de la loi malgache dispose que le taux effectj.f
doit ~tre calculé ccmpte tenu du taux apparent stipulé et d;--i::~ommes
qui sous quelque dénomination que ce soit, si cette somme ne constitue pas
la rémunération dlun service distinct du pr~t ou du crédit accordé. Ainsi
devrait ~tre inclus dans le calcul de l'intér@t réel les frais de commission
de dossiers, de renouvellement, de primes d'assurances, agios, frais d'en-
caissement etC ••• Le législateur malgache entérine ainsi une jurisprudence
fortement établie sous l'empire de la législation coloniale en la matière.
En ce qui concerne le taux de référence, clest celui pratiqué
par les prtteurs de bonne foi compte tenu du risque couru par le capital
engagé et des possibilités du marché. Ici la loi est muette et on peut
penser que les éléments de calculs sont également les m~es que pour le cal-
cul du taux précédent.
En ce qui concerne le champ d'application de l'ordonnance mal-
gache du B aoOt 1962 on peut noter que, comme ses homologues sénégalais,
dahoméens, le législateur malgache semble avoir été beaucoup plus inspiré
dans la déteDnination des conventions entrant dans le champ d'application
des nouvelles lois sur ltusure qU'il ne l'a~ été dans la définition du
délit d'usure.
Toutes ces législations distinguent d'une part les
p1@ta
d'argent et les opérations ass~ilables et d'autre par les crédits consen-
tis à l'occasion des ventes à tempérament (Sénégal), les opérations de vente
ou de troc à crédit <Madagascar et Dehamey).
En ce qui concerne les pr@ts d'argent et opérations assbnila-
175

bles la loi malgache dispose que la loi s'applique aux
pr~ts d'argent en
principe mais elle peut slappliquer également en matière de pr~t portant
sur les denrées ou autres choses mobilières.
Le législateur malgache a tenu compte ici des réalités locales
En effet, à eSté du pr~t classique d 1argent et les opérations classiques
de crédit (ouverture de compte, opérations d'escompte factoring etc ••• )
tel que cela résulte de l'ancienne jurisprudence fortement établie, et qui
surtout dlusage dans les villes, il èXiste dans
les villages où les paysans
nlont pas souvent dans les mains de l'argent liquide, des pr~ts d'argent
remboursables en argent ou en denrée~K. René DUMONT a bien observé ce phé-
nomène au cours de ces multiples séjours en Afrique. Cet auteur objectif
n'a
rien exagéré quand il raconte comment le paysan dlAfrique noire est
étouffé par les tentacules
de l'usurier qui oblige le paysan à céder
une bonne partie de sa récolte contne une somme insignifiante qulil a reçue
au début de l'année agricole. R. DUMONT en avançant un taux dlintér@t con-
ventionnel de 325 ~ est dans la moyenne.
Il existe également des pr@ts en nature remboursables en na·
ture à des taux qui peuvent, eu égard à la monnaie de compte choisie
aller
J
à 10 et mtme 300 %. Ainsi le paysan dans le besoin d'argent engage à vil
prix sa récolte à venir. Et ce qui lui restera ne lui permettant pas de
survivre
avec sa famille Jusqu'à la prochaine récolte, il s'engage dans
un processus sans fin qui lui retirera le meilleur profit de son travail.
Ces réalités africaines nlont guère échappé aux législations du Dahomey,
et de ~dagascar. Tout cela est bien étudié mais personnellement nous ne
voyons pas très bien pour quelles raisons, le législateur malgache assi-
mile les pr@ts portant sur denrées ou autres choses mobilières qui se pra-
tiquent surtout entre les gens de condition modeste aux opérations commer-
cbles.
Un paysan qui pr@te deux sacs de mil à son voisin qui n'a pas
fait une récolte abondante à cause des intempéries en lui adjoignant de lui
rembourser 6 mois après 3 sacs ne fait aucune opération œcommerce au sens
juridique du terme. Le législateur a inclu les opérations de pr~t, de con-
sommations à titre onéreux dans le domaine de la loi sur l'usure car le
but essentiel de la loi sur l'usure est la protection de llempunteur, du
consommateur. Slil y a une définition double du délit d'usure comme c'est
la cas il faut toujours choisir la définition ta plus favorable à 11emprun-
176

teur.
Il est indéniable que ce n'est pas la définition du délit d'u-
sure en matière caDnerciale faisant appel à la notion ~vasive et subjective
de prtteur de bonne foi pour déterminer le taux de référence qui appara!t
la mieux indiquée pour protéger l'emprunteur.
Qu'en est-il de l'activité des inte~diaires dans les trois
législations 1
Le législateur malgache nia pas passé sous silence ce point
dans sa loi de 1962. Ainsi, quiconque apporte son concours m~e indirecte-
ment à la conclusion d'un prtt usuraire ou d'un prtt dont le taux conven-
tionnel deviendrait illicite du fait de ce concours sera puni comme l'au-o
teur principal. Sont également assllnilés aux prtts usuraires les crédits
consentis à l'occasion des ventes à crédit sous toutes leurs variantes.
A Madagascar, ces intermédiaires sont nombreux et représentent
une espèce d'agents qui déborde de beaucoup le cadre traditionnel et légal
de La complicité punissable. Au regard du droit civil. Ces intermédiaires
sont tous ceux qui interviennent de quelques manières que ce soit pour fa-
ciliter la conclusion d'un contrat, en langage répressif, ce sont ceux qui d
directement ou ümnédiatement interviennent dans la perpétuation du délit
d'usure.
Nul n'ignore en Afrique et à Madagascar que ces intermédiaires
,
loin de se consacrer uniquement à des tSches de mise en relations des em-
prunteurs avec les prtteurs, s'intéressent aussi à d'autres opérations telles
que les achats et ventes de terrain locations de maisons, commerce de tous
les objets, aide en VC~ de trouver une situation. Ce que M. GUTH a observé
A propos des intermédiaires à Madagascar est valable dans une large mesure
pour toute l'Afrique Noire.
Ce
magistrat qui a été en poste durant plusieurs années à
Madagascar écrivait :"Les intemédiaires qui n'ont point de bureau 'se
retouvent presque tous dans les environs de "Zana", la place du grand mar..
ché de Tananarive, fréquentée par les usuriers comme par tous ceux qui sont
en qutte d'argent. Les intermédiaires sont les seuls à conna!tre ces deux
catégories: l'emprunteur ,va donc exposer à l'intermédiaire la somme réelle
dont il a besoin, celle qulil pourra rembourser compte tenu des intérêts
usuraires, toujours per~us d'avance et intégrés dans le montant de pr@t et
les autres modalités de prtt (date d'emp~unt. époque du remboursement.
177

garanties, l'intermédiaire, étudie alors l'affaire, se renseigne sur la
moralité et la solvabilité de l'emprunteur, puis rencontre tel ou tel usu~
rier. Son raIe peut slarr~ter à ce stade des opérations, il peut aussi con~
tinuer. L'intermédiaire ira sur place (s'il y a garantie hypothécaire) es-
timer la valeur du terrain ou de l'~euble et assignera parfois le pr~teur
et l'emprunteur jusqu'aux services de
l'enrigistrement ou au bureau du
notaire. En récompense, il percevra
une commission, le plus souvent de
llemprunteur, rarement de l'usurier, qui se montre toujours chiche!!. (1)
Comment peut-on élaborer une loi en vue de la répression des
pratiques usuraires et ne pas réglementer de fa~on claire et précise les ac-
tivités de ces agents dangereux s'il faut ajouter à ce qu'avait écrit
K. GUTH, le raIe actuel joué par ces intermédiaires dans les ventes à crédit.
Par ailleurs, en ce qui concerne les conditions de forme des
opérations de crédit, dans la loi de 1962, le législateur malgache a suppri-
mé la formalité de visa prévue par le décret du 9 octobre 1936. Le légis-
Lateur malgache a constaté que la jurisprudence ayant décidé que ce texte
ne s'applique ni aux actes notariés, ni aux prtts commerciaux et notamment
aux effets de commerce et que se sont surtout les usuriers d'habitude, con-
naissant mieux qtequiconque leurs droits et leurs obligations qui ont recours
à la formalité de visa pour camoufler leurs opérations usuraires. Cette at-
titude se justifie surtout pour d'autres raisons, l'expérience prouve en
effet que dans La grande majorité des cas, les prtteurs occasionnels qui
sont les plus nombreux s'abstiennent de soumettre soit par souci d'économie
de temps, soit par ignorance et surtout par répugnance d'aller devant le
fonctionnaire 'ad'hoc, avec un parent ou un ami dans le besoin.
Ces prtteurs de bonne foi risquent de se voir opposer un jour
par des pr@teurs peu scrupuleux {'exception tirée du crédit du 9 octobre 1936.
Le
point de vue du législateur malgache appara!t exact et mé-
rite dl@tre partagé; il ne sert à rien d'alourdir l'arsenal législatif de
documents qui au lieu d'atteindre leur finalité ne peuvent produire que
des effets contraires et nuisibles à la société.
A Madagascar, après l'abrogation des anciens décrets des 22
septembre 1935 et 9 octobre 1936, les contrats relatifs aux prfts d'argent
et aux
ventes à tempérament sont soumis aux conditions de forme de droit
(1) Michel GUTH
aspects humains et juridiques du délit d'usure à Madagascar
Penant 1962 D. 257.
178

commun des obligationa.
En ce qui concerne les poursuites, il y a lieu de distinguer
ici les personnes punissables d'une part, la procédure et les
sanctions
d'autre part.
En ce qui concerne les personnes puniasables, la loi malgache
incrÜDine dans son article 5 l'auteur du délit, c'est-à-dire le pr~teur.
En parlant de pr~teur, la loi désigne toute catégorie de personnes morales
et physiques; il peut s'agir d'un sUnple particulier qui par une convention
met un crédit à la disposition à chsrge de le lui rembourser avec ou sans
intér~t, le pr~teur peut s'entendre également ici comme un établissement
bancaire ou un établissement financier qui se chargent du financement à
crédit à l'occasion d'une vente à tempérament. Viennent ensuite les complices
au sens où l'entend le droit commun. Ces complices sont donc ceux qui ont
aidé de diverses manières à la réslisation du contrat portsnt la stipulation
usuraire. On dit communément que le complice est puni de la même peine que
l'suteur principal mais cela se révèle faux j les complices seront pour-
suivis et punis m@me si l'auteur principal échappe à la poursuite en raison
de circonstances qui lui sont propres (minorité pénale et l'état de démence
chez l'adulte).
Quelles sont les sanctions pénales ?
A Madagascar, le délinquant prbnaire non usurier d'habitude
encourt un emprisonnement de 6 mois à 2 ans et une amende de 100 à 1000000 F
où l'une seulement de ces deux peines. L'amende pourra toujours ttre portée
jusqu'au montant de la somme pr~tée.
Comme en droit françsia, des peines accessoires et complémen-
taires sont prévues dans les trois législstions, au Dshomey et à Madagsscar,
ellœsont identiques. Elles sont l'interdiction de séjour ou l'expulsion et
ont nature de mesure administrative.
La législation malgache est sntérieure à la loi française du
2B décembre 1966 si bien que le législateur malgache n'a pas eu à s'inspirer
de cette loi.
Quelles sont les sanctions civiles encourues dans un délit
d'usure 1
Les législateurs africains et malgsches n'ont pas innové grand
chose sur ce plan. Presque tous
, à l'exception de la loi senégalsise se
sont contentés de reprendre les dispositions contenues dans le décret du
179

22 sept~bre 1935 et repris dans la loi française du 28 décembL~
PARR;RAPHE 2 .. LES tlJDALITES DE LA REPRESSION DES PRATIQUES USURAIRES
DANS LA LOI SENffiALAISE DU 28 JUILLET 1970
Parmi les états qui ont compris que la pratique de l'usure re-
présente un danger
pour les jeunes états on peut citer le Sénégal, qui a
élaboré une véritable loi pour réglementer les taux d'intér$ts dans les
opérations de pr$ts d1argent et de crédit. Comme
nous essaierons de le
montrer tout au long de notre étude, la réforme malgache nia pas été aussi
profonde que
celle réalisée par le Sénégal dans le m~e domaine en 1970
relative à la répression des opératio~s usuraires et aux taux dJintér@t
conventionnel (1) • On peut penser que la réfonne sénégalaise étant inter..
venue quatre ans après la loi française du 28 décembre 1966, le légidateur
,
sénégalais a pu tirer quelques le~ons de l'expérience fran~aise.
A -
LA DEFINITION DU DELIT D'USURE DANS LA LEGISLATION SENEGALAISE
1
Clest l'article 10 de la loi nO 70~26 du 27 juin qui a abrogé
Î
et remplacé l'article 541 du code des obligations ·civiles et commerciales
qui donne cette définition =
'~n toute matière, le taux effectif global d'intér$t convention..
nel A peine de nullité absolue de la stipulation ne peut dépasser de plus
du quart le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent
par les banques et établissements financiers agréés pour les opérations
de m9me nature comportant des risques analogues sans pouvoir jamais excé-
der 15 '" 11 an ou 8 '" en cas de prlt indexés".
Le législateur sénégalais a repris pour son compte mais en
partie seulement, la définition de l'usure telle qu'elle'a été donnée dans
l'alinéa 1er de l'article 1er de la loi du 28 décembre 1966 en prenant pour
taux de référence_ les taux pratiqués par les banques et les établissements
financiers au cours du trimestre précédent, ce qui suppose que ce taux est
régulièrement publ~é
sous le contrale dlun organis~e public. Par ailleurs)
(1) Loi nO 7026 du 27.6.70 relative è la répression des opérations usuraires
J. o. Sénégal du 18.7.70 page 684 et suivantes.
180

la notion de risquœanalogues à laquelle se réfère la loi sénégalaise n'est
pas très heureuse car la loi sur la répression de l'usure n'est pas seule-
ment une disposition pour le contr8le du crédit mais c'est aussi une loi
pénale
et en matière pénale les raisonnements par analogie ne sont pas con~
seillés sinon sont en principe interdits, il faut souligner qu'ici, l'ana-
logie jouant en faveur du prévenu, le risque d'une répression arbitraire
peut @tre évité.
La seconde remarque c'est que la loi sénégalaise fixe, afin
de combattre l'usure,
un taux max~ de 15 t l'an ou de 8 t en cas de pr~t
indexé.
En fixant un taux plafond à 15 % dans le prat
normal et à 8 %
en cas de prtt indexé, cela revient à dire que le taux pratiqué par les
banques et les établissements financiers ne seraient pris en considération
que lorsque ce taux est inférieur ou égal à 15 ~ et à 8 ~ suivant qu'il
s'agisse d'un prtt indexé ou non. Cette définition avec la référence au taux
pratiqué par les prtteurs agréés (banques et établissements financiers) a
l'avantage d'emptcher les prtteurs part~uliersà vouloir atteindre automa-
tiquement le plafond autorisé. Ls publication trimestrielle des taux pra~
tiqués par les banques et établissements financiers agréés est là
pour
freiner si ces taux nlat~eignent pas 15 % ou 8 ~ suivant les cas.
Ce qui est déjà appréCiable, c1est que le législateur sénéga-
lais s'est inspiré de la loi française mais avec une adaptation au contexte
national : il n'a pas voulu prendre
tout simplement pour taux de référence
les taux pratiqués par les établissements agréés en fixant un pfâfond dont
le dépassement non seulement constituerait le délit d'usure mais surtout,
il annule la stipulation, il a voulu protéger les gens de condition modeste
qui emprunte souvent de petites sommes d'argent. Si l'on ajoute une part
importante des frais fixes à l'intér@t conventionnel proprement dit sans
limitation, la charge de ces emprunteurs serait lourde.
Les responsables sénégalais ont compris que se sont les prats
consentis aux personnes dont les revenus sont de plus modestes qui doivent
faire l'objet de la plus grande vigilance: les ouvriers, les manoeuvres,
bref tous ceux qui font appel au crédit à la consommation pour se procurer
des objets dont ils ont besoin. Par exemple, finir de bfttir une maison, ma-
rier un fils, ·se'porter au secours d'un parent malade, payer les frais
d'études d'un fils éloigné. Ces emprunteurs sont exploités dans des condi-
181

tions invraisemblabes. On ne cessera jamais de se pose~ cette question :
pourquoi fixer dans un texte de loi ce plafond dont la modification inévi-
table dans llavenir ne serait pas aisée compte tenu dela procédure l~gis~
lative. Par ailleurs, sur quels critères le législateur s'est-il basé pour
fixer A 15 ~ et 8 ~ les taux plafonds ?
Tout comme les législations malgache et dahoméenne, la légis-
lation sénégalaise a prévu les éléments qui doivent ~tre pris en considé-
ration pour le calcul du taux de référence. En effet, la loi
sénégalaise
précise en son article 10 alinéa 3, le mode de calcul du taux effectif
global.
ilLe taux effectif dlintér~t est calculé en tenant compte des
frais, commissions et rémunérations de toute nature m!me justifié par des
débours réels ou versés à des tiers· et s'il y a lieu, des modalités d1amor-
tissement échelonné du pr~t, en cas d'indexations licites du pr~t, le taux
effectif est apprécié sans tenir compte des majorations de remboursement
du capital résultant des variations de l'indice."
Ce mode de calcul est identique à celui retenu par la loi fran-
~aise du 28 décembre 1966 notamment en son article 3 alinéa 1. En France,
le régûue actuel de la répression de l'usure pour la détermination du taux
effectif caDme du taux de référence, on ajoute A l'intér~t proprement dit,
les m@mes éléments que ceux retenus par l'article 10 de la loi sénégalaise.
En incluant parmi les éléments de calcul, les débours réels, l'ancienne
jurisprudence selon laquelle certaines dépenses étaient exclues des éléments
de calcul devient caduque.
B ~ LE OOHAINE D'APPLICATION DE LA NOUVELLE LOI SENEGALAISE REPRIlIANT
LES PRATIQUES USURAIRES.
La loi sénégalaise du 27 juin 1970 distingue d'une part les
pr~ts d'argent et les opé~ations assimilables et d1autze part, les crédits
consentis A l'occasion de ventes à tempé~ament.
Le législateur sénégalais tout comme ses homologues malgache
et dahoméen, a visé les crédits accordés à l'occasion de ventes A tempé-
rament, et des ventes A crédit.
La
séparation entre vendeùr et pr~teur née au début du siècle
a envahi l'Afrique, le financier spécialisé dans le financement des ventes
182

à crédit "le marchand de crédit" a trouvé un terrain fertile en Afrique
où les besoins du développement, le manque
de capitaux, le bas revenu
et surtout le goOt des dépenses ostentatoires poussent davantage les gens
à acheter à crédit.
Les législateurs conscients des risques que courent leurs ci-
toyens et avertis des ruses dont les établissBJents font usage pour rendre
le crédit plus cher veulent limiter le loyer de l'argent en soumettant ces
genres d'opérations à la législation sur l'usure. Donc dans tous les trois
états, la législation sur la répression de l'usure englobe désormais les
pr@ts d'argent ou au sens large du terme les ventes à crédit et les ventes
à tempérament.
Les ventes à crédit englobe aussi bien celle dont la fraction
de prix est payable à terme mais en une seule échéance que les ventes dont
une fraction du prix est payable par mensualités.
Hais le terme de vente ~ tempérament utilisé par le législa-
teur sénégalais semble éléminer du champ d'application de la législation
sur l'uaure, les crédits accordés à l'occasion des ventes dont la partie
du prix qui nlest pas versée au comptant doit
ttre versée en une seule
échéance.
Le Sénégal a élargi encore le domaine d'application de la loi
à certaines opérations d'achat qui dissUnulent en fait des pratiques usu~
raires. La 19i sénégalaise dispose en son article 2 !lest puni des rn.@mes
peines quiconque rachète sciemment une chose mobilière, qu'il ait été ou
non vendeur initial de cette chose, à un prix inférieur de plus de 10 %
au prix que la chose a été payée, déduction faite dans ce qernier cas des
charges du crédit". Le législateur veut réprimer ici la pratique "du Harki"
sur laquelle on reviendra ultérieurement.
Cependant, un terme est ünportant ici, c'est d'adverbe sciem~
ment. Il faut qulen achetant la chose, l'acquéreur ait su qu'il achète un
article dont la valeur est inférieure à 10 % à son prix normal. Il faut
qu'il ait agi en toute connaissance de cause.
Deux cas sont surtout envisagés et ce sont les plus courants
en Afrique, surtout dans les régions islamisés comme au Sénégal et au
Halt.
En premier lieu
celui qui vend un objet à crédit qu1il ra-
chète lui-mftme aussit8t au comptant, c'est une pratique africaine pas
183

certainement très répandue en Europe. Cette pratique est surtout utilisée
en pays islamisé pour contourner la prétendue interdiction de la pratique
des prtts à intértts par le coran. Le macanisme se déroule en deux stades
l'emprunteur se pr~sente A un riche commerçant de la place pour solliciter
la liquidité dont il a besoin. Ce négociant feignant de manquer de liqui-
dit~ propose à son interlocu1eur des marchandises qu'il a entreposées
dans aes magasins que ce dernier pourra écouler sur le marohé à un prix
plus bas pour se procurer de l'argent qui lui est nécessaire. Le négociant
peut céder les choses A son co-contractant au double du prix marchand et
ensuite le malheureux va essayer de vendre ces marchandises à Un prix dé-
risoire. Lem~ négociant peut, par l'inte~édiaire d'un des siens ra-
cheter Ces produits à un prix inf~rieur à 20 % ou 25 % du prix initial
de ces objets j un sac de mil qui coQte initialement 2 500 francs CFA peut
ttre revendu 1500 ou 2000 F et 8tre racheté par le vendeur initial.
Cette pratique est couramment utilisée dans les masses afri-
caines islamisées pour tourner la prohibition de l'usure car des musul-
m8ns pr~tendent que le coran interdit l'usure mais autorise la vente. Il
n'appartient pas au Chria de rechercher si cette vente cache un prat, ni
si le pr8t est
usuraire, cela conduirait à discuter le taux de l'intér3t.
C'est cette façon de diss~uler les intentions usuraires sous des appa-
rences de contrats normaux que le législateur sénégalaia veut sanctionner
en retenant dans les liens de la prévention du délit d'usure quiconque
rachète sciemment une chose mobilière à un prix inférieur de plus de la %
au prix initial, de cette chose •
En deuxième lieu, le l~gislateur ass~ile au délit d'usure
quiconque même non vendeur initial de cette chose qui l'accepte à un prix
inf~rieur de plus de la % au prix que la chose a été payée par celui
qui la cède ou au prix que celui-ci s'est engagé A payer déduction faite
dans ce dernier cas des charges du crédit.
Dans ce second cas, m@me si le nouvel acquéreur n'en a pas
~té le vendeur initial, il suffit qu'il ait su que la somme d'argent qu'il
verse au vendeur de la chose qu'il acquiert est inf~rieur de plus de la %
A la valeur de la chose pour ttre inculpé du délit d'usure.
Ce second cas doit ttre mentionné dans toutea les législa-
tions africaines sur l'usure, car la nécessité du besoin, porte les afri-
cains A accepter toutes les conditions pouvant leur permettre de se procurer
184

de l'argent. Ils cèdent ainsi des champs, des maisons, des bijoux contre
des sommes qui ne représentent mAme pas la moitié de la valeur du bien
dont ils se dépouillent. En ville, la pratique de l'usure et certains
usages pervers du crédit, consistent à acheter pour un prix dérisoire
un objet neuf, réfrigérateurs, mobylettes, radio etc ••• à une personne
qui vient de l'acheter à crédit et souvent même n'en a pas pris livraison
mais dans l'obligation de se procurer de llargent, est obligé de la céder
à
n'llmporte quel prix.
Dans les milieux ruraux du Sénégal surtout dans les régions
du sin salaam, l'opération consiste en cession de créance à Un prix déri-
soire, des créances que possèdent les producteurs d·araChides sur les
coopératives auxquelles ils ont livré des graines partiellement payées
A la livraison ; ces commerçants usuriers se cantonnent souvent dans le
crédit de soudure, pr~ts de substance couvrant au mieux une récolte, avan~
ces pour achat de petit
équipement sont rares.
Les taux d'intér@t pratiqués varient souvent entre 100 à
300 ~. Ce sont ces abus des besoins et l'ignorance de llemprunteur que le
législateur sénégalais de 1970 a bien voulu sanctionner.
Il y a abus des besoins de l'emprunteur lorsque celui-ci
pour faire face à certaines difficultés pécuniaires n'est pas à m~ de
rechercher avec sérénité, pondération et
réflexion les moyens les plus
raisonnables et les moins onéreux pour se tirer de ses embarras
financiers
Il neest cependant pas nécessaire que sa situation financière soit en pé-
ril ou qu'il se trouve en état de nécessité, qu'à tort ou à raison, il
juge idlpérieux.
On peut parler d'abus de l'ignorance de l'emprunteur lorsque
celui-ci de condition modeste et peu versé dans les affaires a été trom-
pé par la complexité du pr@t qu'il a contracté et ne s'est pas rendu compte
A l'origine de l'engagement qu'il lui est imposé. Dans ces cas, l'affir-
mation de l'emprunteur qu'il n'a pas été abusé ne doit nonnalement pas
@tre retenu comme un motif de relaxe de llusurier.
C'est pour protéger l'emprunteur de la sollicitation malhon-
n@te dont celui-ci est souvent l'objet de la part du pr@teur qui exploite
l'ignorance de son contractant que le législateur sénégalais a préCisé
dans l'article 5 de sa législation de 1970 que ilIa victime du délit d1u_
sure ne peut en aucun cas @tre
poursuivie comme complice. Cet article 5
195

prate beaucoup A discussion? Nous en conna!trons les raisons dans nos dé-
veloppements ultérieurs.
Qu'en est-il de l'activité des intermédiaires dans la légis-
lation s&négalaise ?
Les législateurs sénégalais, malgaches et dahoméens ont
clairement défini le cas des complices. Le législateur sénégalais l'a
fait dans l'article 1er de la loi de 1970, celui du Dahomey dans llarticle7
de
l'ordonnance
du 24 aoOt 1973 et le législateur malgache n'a pas
passé sous silence ce point dans sa loi de 1962. Ainsi, quiconque apporte
son concours m8me indirectement à la conclusion dlun pr~t usuraire ou d'un
prtt dont le taux conventionnel deviendrait illicite du fait de ce con-
cours sera puni comme l'auteur principal. Sont également assimilés aux
pr~ts usuraires les crédits consentis à l'accasion des ventes à crédit
sous toutes leurs variantes.
Le législateur sénégalais semble avoir consacré l'article 6
plus spécialement aux intermédiaires~ Cet article dispose que
II quiconque apporte sciemment de
quelque manière à quelque titre que ce
soit, son concours directement ou indirectement. son concours à toute opé-
ration dont le but démontré serait de réaliser d'une manière déguisée soit
à la vente à tempérament soit au pr~t d'argent et toutes les opérations
qui leur sont assimilables.
Cette disposition laisse une large marge d'appréciation au
juge de fait car contrairement au législateur français qui a énuméré puis
réglémenté les activités de certains intermédiatres qui sont A priori
censés @tre ceux visés par
la loi. En Afrique plus qu'en France, le juge
doit agir avec beaucoup de circonspection et de sagacité car le principe
selon lequel nul n'est censé ignorer la loi ne correspond pas à la réalité
d'une part par les gens illétrés qui représentent en général 90 % de la
population et qui souvent sont mal informés, ils peuvent de ce fait, con-
duire un ami en difficulté d'argent chez un usurier dans le but unique
de rendre à cet ami un service, d'autre part, le sentimentalisme oblige
les citoyens à se porter au secours de leur voisin tout en sachant qu'ils
courent des risques d'inculpation de délit d'usure.
L'adverbe sciemme~pris ici à la lettre peut donner lieu à
des applications arbitraires. Le législateur devrait distinguer si les
186

opérations usuraires ont rapporté ou non, un profit quelconque à l'inter~
médiaire. Si l'intermédiaire a tiré de l'opération usuraire des commissions
m@me raisonnables, il encourt indubitablement les pénalités qui frappent
les activités des intermédiaires mais la décision du tribunal doit @tre
un relaxe. Si la procédure est au stade de llinforrnation, le juge d'ins~
truction doit rendre une ordonnance de non-lieu suivie de classement sans
suite au niveau du parquet.
Du reste, la preuve qulil y a participation dlun tiers à la
réalisation du prtt dont il s'agit avec stipulation d'un taux d'intérQt
conventionnel prohibitif, incombe à l'accusation ctest~à-dire au minis~
tère public. Il lui incombe de donner une qualification pénale à l'in~
fraction.
Le législateur sénégalais retient dans les liens du délit
d'usure les directeurs ou les administrateurs de toute société, associa-
tion, coopérative, de collectivité ou toute autre personne morale qui
personnellement dans l'exercice de leur fonction,
commettent sciemment
des
actes assllnilables aux pratiques usuraires telles quelles sont défi~
nies dans les articles 1, 2, 3 ou 6 de la loi du 27 juin 1970 relative
à la répression des opirations usuraires au Sénégal.
Les poursuites pour délit dlusure peuvent ttre également
diclenchées contre ces m~es directeurs et administrateurs s'ils laissent
sciemment dans le cadre des liens de subordination qui les régissent,
toute personne ,eoumise à leur autorité ou à leur contr8le contrevenir
aux dispositions des articles 1, 2, 3 ou 6.
Clest là un effort appréciable car les associations, les
sociétés de crédit mutuel et les coopératives sont les intitutions de
développement économique les mieux adaptées aux structures sociales les
moins favorisées pour trouver des sources de crédit nécessaire à leurs
activités, s'il faut que les personnes chargées de la direction de ces
instruments de développement sien servent pour exploiter ceux qui s'adres~
sent à elles au lieu de les aider, se serait détourner. ces organisations
de leur finalité. Donc la loi sénégalaise sur l'usure après sl@tre insw
pirée de la loi française de 1966 sur llusure en ce qui concerne la dé~
finition de l'usure, s'en est un peu écartée en ce qui concerne les per-
sonnes punissables pour pratiques usuraires pour retrouver les réalités
locales.
187

Enfin, la législation sur l'usure élaborée par le Sénégal
en 1970 retient la responsabilité solidaire des entreprises, associations
coopératives, collectivités en toute personne morale pour les condamnations
civiles retenues à. la charge de leurs préposés et collaborateurs à l'oc-
casion des délits d'usure. Ces personnes morales sont ainsi solidaire_
ment responsables des amendes, confiscations, frais dommages-intérlts
et toutes condamnations pécuniaires prononcées contre leurs dirigeants
leurs préposés et leurs collaborateurs.
~
Bien que le législateur sénégalais n'ait pas consacré dans
sa législation sur l'usure, une section spéciale à la rég1émentation de
l'activité des intermédiaires en matière d'opérations de crédit, de cer-
tains placements et ventes à tempérament comme l'a fait son homologue
fran~ais, il a tout de m@me réfléchi à fond au problème et lui a trouvé
quelques solutions
pas trop précises. Le reste est de la compétence des
magistrats qui doivent user de leur pouvoir souverain d'appréciation
pour élucider chaque cas d'espèces et prendre les sanctions qui s'imposent.
C _ POURSUITES ET REPRESSIONS DANS LA LOI SENEGALAISE DE 1970
Le législateur sénégalais de 1970 énumère dans les articles
1,2,3, 6, et 7 lœpersonnes punissables à l'occasion du délit d'usure.
Il y a en premier lieu, celui qui prlte à un taux d'intér@t
conventionnel supérieur au taux maximum autorisé et celui qui apporte
,
son concours rnllme indirect a la réalisation d'un tel pr@t.
I1y a ensuite ceux qui apportent leur concours pour la
réalisation d'une opération de crédit régulière au marnent de la conclu-
sion avec un taux d1intér@t conventionnel licite. Si à la longue, ce
taux devient illicite, ils peuvent @tre poursuivis pour délit d'usure.
La loi sénégalaise retient également dans les liens de
délit d'usure ceux qui achètent des choses mobilières à un prix inférieur
de plus de 10 1. de leur prix no~l. Rappelons que ce cas a ~é prévu
par le législateur fran~ais de 1966 en matière de répression du délit
d'usure.
Par ailleurs, sans avoir réussi à réglementer l'activité
de ceux qui interviennent à quelque titre que ce soit dans la réalisation
d'un pr@t ou d'une vente à tempérament, la loi a néanmoins énuméré en
188

ses articles 6 et 7 ceUX qui peuvent @tre poursuivis à titre personnel
ou comme responsables civils des auteurs effectifs de l'acte comportant
une stipulation usuraire.
Le législateur sénégalais a mis un accent particulier sur
l'activité des inteonédiaires.
En plus des opérations claesiques qui conduisent au délit
il Y a certains agissements de dirigeants de société, d'association, de
coopératives, de collectivités ou de toute personne morale qui renferR
ment ou favorisent des pratiques usuraires. Ces dirigeants seront punis
slils ont agi sciemment et personnellement ou bien lorsqu'ils ont sous
leurs ordres les opérations usuraires.
Le législateur sénégalais n'a pas dressé comme l'a fait
son homologue français dans la loi de 1966, la liste des agents de
publicité et des demarcheurs des maisons de commerce qui sillonnent nos
villes et nos campagnes surprenant la bonne foi des petits fonctionnaires
et des paysans qui voudraient mener une vie décente sans avoir hélAs
les moyens.
Ces agents intermédiaires, par une publicité bien organisée
profitent de llignorance des fonctionnaires de la brousse ou des paysans
au moment des abondances de récolte, pour leur faire signer des contrats
de vente pour des pacotilles qu'ils paient à prix d'or aVec des conditions
de paiement échelonnées. Par exemple, un transistor qui coOte effective-
ment 15 000 CFA est présenté par l'agent vendeur à l'acheteur comme coOR
tant seulement
2 000 F par mois et cela pendant 12 mois seulement. Le
législateur sénégalais a voulu sévir contre de tels agissements. Ces
agents peuvent 8tre inculpés d1avoir fait de la propagande ou de la pu-
blicité en vue d'offrir ou de conseiller de pr@ts d'argent ou des achats
à tempérament en violation de l'article 6 de la loi nO 70 26 du 27 juin
1970 sachant pertinemment que l'opération comporte un taux d'intér8t usu-
raire.
Les sanctions encourues sont de deux ordres.
Pour le législateur sénégalais, la seule sanction civile
en matière de contrat usuraire est la nullité absolue de la stipulation
L'alinéa .3 de l'article 10 dispose" qu'en toute matière, le taux effec-
tif global d'intér@t conventionnel A peine de nullité absolue de la sti-
pulation en peut dépasser de lfus du quart le taux de référence. l '
189

Chaque
fois que le taux d'intér@t stipulé est. usuraire,
il sera
nul de nullité absolue. Il en résulte indubitablement que les
sommes d'argent versées par le débiteur à son créancier au titre des
intér8ts échus doivent lui @tre restituées comme étant indOment payées.
Quel est alors le sort du contrat dans lequel était stipulé
un intér~t conventionnel illicite et qui est nul du fait des dispositions
de la loi ?
Le législateur sénégalais est muet sur ce point. La stipu-
lation du taux d'intér@t a été pour le prlteur la condition ilnpulsive
et déte~inante à la conclusion du contrat. Que ce soit sous l'effet
de la nécessité ou le résultat d'un consentement libre, l'emprunteur
avait apparemment accepté les conditions du ~rché, l'annulation du taux
d'intérlt usuraire devrait normalement entratner celle du contrat de pr@t
car "toutes conditions d'une chose prohibée par la loi est nulle et rend
nulle la convention, qui en dépend", il en est ainsi lorsque la stipula-
tion du taux de l'intér~t conventionnel a été dans l'esprit des parties
surtout du pr~teur ou de l'établissement du crédit, la condition de la
conclusion du contrat de pr@t et que la suppression de ce taux d'intér@t
aurait pour conséquence de bouleverser l'économie du contrat.
Nous pensons que cette disposition insérée dans la loi séné-
galaise devrait ~tre plus claire et plus nuancée : nous pensons person-
nellement qu'il existe quelque analogie entre un taux d'intér@t inséré
dans un contrat de pr~t et la clause d'indexation dans un contrat et
l'étude très fouillée faite par le professeur GHESTIN (1) à cet effet,
peut nous @tre très utile pour élucider notre analyse.
S'il s'agit d'un pr@t d'argent payable en une seule fois,
avec un loyer d'argent illicite, si l'irrégularité a été découverte avant
lléchéance, les intér~ts usuraires
ne seront pas payés et le contrat
devrait @tre annulé. Le terme tambe et le capital devient exigible. Si le
débiteur n'est pas en mesure de payer les intér@ts moratoires seront dus
désonnais mais sur la base du taux légal en lloccurence de 5 % si le
contrat de pr@t a été fait en matière civile et de 6 % s'il est réalisé
(1) K. Jacques GHESTIN
: note sous casso Civ. 3e
24 juin 1971
J.C.P. 1972 - II - N 17 191
1%

en matière commerciale. L'emprunteur devra payer le capital
que le contrat
soit valab~e ou non.
Hais s'il s'agit de contrat de prit d'argent avec paiements
échelonnés ou d'une vente à tempérament, si la demande est formulée avant
la dernière échéance, la demande devra avoir des effets retroactifs. Le
créancier devra restituer intégralement à son débiteur les sommes qulil
perçues au titre des intérSts et toutes les échéances à venir deviennent
également exigibles théoriquement, mais le débiteur demande de bénéficier
à continuer à payer suivant les prévisions de contrat, il doit ~tre astreint
aux intérits moratoires sur la base du taux légal (ardCle 9 de la loi du
27 juin 1970).
Le législateur sénégalais avait bien dit dans son article
9 alinéa 2 que "1es parties fixent conventionnellement le taux dlintér~t Il
et s'il intervient dans ce domaine où devrait jouer llautonomie de la vo-
lonté. c'est avec une idée de justice sociale, c'est-à-dire
avec le sou-
ci de protéger l'emprunteur. Il a voulu faire sentir à l'usurier que si
dans la loi de la jungle, les gros animaux mangent les plus petits. il y a
toujours un plus gros qu'eux. Cette idée de justice sociale était liée à
celle qu'équilibre, il y a démesure en privant le priteur de tout bénéfice
du seul fait qulil ait stipulé dans le Contrat de' prit un intér~t usuraire
La mesure serait de réduire au taux d'intér~ légal, tout taux dlintér~t
conventionnel usuraire. Le pr~teur serait rémunéré sur la base du strict
minUnum légal car annuler purement et simplement la stipulation usuraire
serait l'injustice car c'est l'excès dans la mesure où l'emprunteur lui
aurait tiré profit du capital qui aurait été mis à sa disposition par
un pr~teur certes trop cupide.
La victime d'une vente par elle. effectuée à un prix infé-
rieur de 10 70 au prix nODmal, à titre de dommages-intérQts a droit au com-
plément du prix licite minDnum. Est-ce que cette disposition signifie que
ce dédommagement de la victime doit itre automatique. c'est-à-dire le juge
est-il obligé de le prononcer d'office. Nous estDnons nécessaire que
.la
victime fasse une demande en se constituant partie civile et qu'il rapporte
au besoin la preuve de llexistence du préjudice qu'il prétend avoir subi.
191

Quelles sont les sanctions pénales ?
En ce qui concerne les sansctions pénales, la législation
sénégalaise siest contentée de reprendre les dispositions de l'article 1er
de la loi du 30 aoOt 1947 (article 1er alinéa 30) sur l'assainissement des
professions commerciales, comme peines accessoires.
La loi a prévu également des peines complémentaires tout
comme l'a fait la loi française du 28 décembre 1966. Elles sont de deux
sortes :
- insertion et affichage des jugements de condamnation puis
fermeture de l'entreprise et en plus de cela, la loi laisse au tribunal
la possibilité d'ordonner la confiscation du capital
- l'article 8 de la loi prévoit et peut ordonner la con-
fiscation de la
chose mobilière ayant servi à commettre le délit tel qu'il
résulte de l'article 2 de ladite loi. Le tribunal peut également prononcer
pour un an au max~um la fermeture de l'entreprise qui se livre, quels
que soient sa forme et son statut à l'une des activités répr~ées aux
articles 1, 2, 3, et 6 de la présente loi.
PARAGRAPHE 3
LA REFORME DAlIJJ!fEENNE DU DROIT DE L'USURE
La plus récente des réformes de la loi de répression sur
l'usure et de la l~itation du taux de l'intérftt conventionnel a été la
réfo~e dahoméenne réalisée le 24 aoOt 1973 (1). Bien que promulguée en
pleint crise économique où l'érosion monétaire n'éparePe aucune économie,
cette loi dahoméenne n'a fait aucune preuve d'innovation et n'est qu'une
copie presque conforme des décrets du 22 septembre 1935 et du 9 octobre 36.
A - LA NOlNElLE DEFINITION DU DELIT D'USURE DANS LA LOI DU 24 AOUT 1973
Le législateur dahoméen après
avoir porté le taux de l'in-
térêt légal à 17 ~ en matière civile et à 13 % en matière commerciale,
s'est efforcé de donner une nouvelle définition du délit d'usure.
(1) L'ordonnance nO 73 58 du 24.8.73 portant réglementation de l'usure
au Dahomey
J. O. R.D. du 15.9.1973.
192

Llordonnance dahoméenne du 24 aoOt 1973 définit l'usure com-
me un taux d1intértt conventionnel dépassant 15 %. Cette définition de
1 1 usure est valable en toutes matières (civile et commerciale).
On conna!t parfaitement la définition du d~lit d'usure dans
la loi française, cette définition diffère donc de celles retenues dans
l'ordonnance dahoméenne du 24 aoQt 1973. En effet, selon l'article 1er
de la loi du 28
décembre 1966, l'existence du délit d'usure résulte de
la comparaison du taux effectif global et du taux de référence telle qu'elle
est définie par la loi suivant la nature de l'opération que le crédit con-
senti a servi à financer. Le dépassement des taux de référence à l'occa-
sion de l'un des contrats entrant dans le champ d'application de la nou-
velle loi constitue désormais en France, le délit d'usure. Le législateur
fait prévaloir ainsi le caractère économique de la loi sur son aspect
répressif qui réclame des taux plafonds nets et clairs. Cet aspect écono-
mique de lutte contre l'usure "ne devrait pas cependant échapper aux res-
ponsables des pays en voie de développement surtout dans une législation
relative à la politique de crédit et au loyer de l'argent. Certes, ils ont
vu le problème mais ne llont pas suffisamment étudié· • Ils ont tout Slln-
p1ement estimé que, compte tenu de llétat du marché de
largent au moment
de llé1aboration de leur loi respective, il suffirait pour intéresser le
prtteur en général, d'élever sensiblement le taux fixe de l'intér@t dont le
maxLmum conventionnel était fixé à 8 10 en matière civile par le décret
du 22 septembre 1935. Ainsi, prétendant encourager le pr@teur à rester
dans la légalité et éventuellement à renoncer pour sa propre tranquillité
à enfeindre la loi, le taux plafond de l'intértt conventionnel a été porté
par le législateur malgache à 12 % et par le législateur dahoméen à 15 %
En agissant de la sorte
le législateur dahoméen nia pas été plus inspiré
que son homologue malgache.
Le législateur dahoméen de 1973 est moins excusable que son
homologue malgache pour deux raisons : En 1962, quand le législateur mal-
gache a élaboré la loi sur l'usure, l'inflation n'était pas aussu accentuée
qu'il l'est en 1973, année au cours de laquelle le législateur dahoméen
a
promulgué sa
loi avec un taux conventionnel fixe, autrement dit, en
1962, 1 1 érosion monétaire n'avait pas atteint la vitesse à laquelle elle
se manifeste actuellement. La deuxième raison qui pousse à dire que le
législateur dahoméen a eu une vue très simpliste du problème de la limita-
193

tion du taux d'intértt conventionnel est qu'il n'a pas sérieusement tra-
vaillé la question alors qulil a eu la chance d'avoir sous ses yeux, les
législations française
et aénagalaise relatives A
la réglémentation du
taux conventionnel et à la répression de l'usute.
Ces lois française et sénégalaise sans ttre parfaites sont
tout de m3me des modèles très avancés dont on peut valablement s'inspirer.
Par ailleurs. la fixation d'un taux d'intér@t conventionnel
fixe présent un certain nombre d'inconvénients que les autorités malgaches
et dahoméennes semblent avoir perdu de vue bien qu'elles les aient vécus
sous llempire des lois antérieures coloniales. En matière civile à
Madagascar et en toutes matières au Dahomey, les pr@teurs auront tendance
à se situer juste à la lùnite des taux de 12 ~ et de
15 % dont le dépas-
sement constitue le délit d1usure. d'autre part. il n'est pas de bonne
technique
l~gislative de fixer par la loi un taux qui normalement est
soumis aux aléas du marché monétaire qui peut devenir dérisoire ou trop
fort au bout d'un moment aveC la dévaluation mon~taire.
Le loyer de l'argent évolue en fonction des circonstances
des besoins du marché et des possibilités de l'épargne. Il faut reconnattre
que la fixation d'un taux d'intértt rigide apparatt arbitraire car elle
ne repose sur aucune donnée concrète.
Il n'est pas souhaitable de d~terminer un taux fixe quel
qu'il soit, parce qu'en matière de crédit. une certsine souplesse est
nécessaire en raison de ls nature des secteurs auxquels il s'applique. Et
précisément. le rale du conseil National du crédit est de faire varier
ce- taux en fonction des opérations de cr~dit qui sont e1les~s très
diverses. Quelques unes de ses opérations comportent des risques importants
ainsi que des frais supplémentaires.
En refusant de laisser le soin à un organe économique en
l'occurence le conseil national de crédit de d~terminer et de publier ce
taux. les pouvoirs publics malgaches et dahoméens confi~nt le caractère
très répressif de cette nouvelle loi sur l'usure.
On peut en conclure que sur le plan de la définition du
d~lit d'usure, le législateur dahoméen n'a r~a1isé que de tùnides progrès
il a tellement l'esprit braqué sur l'aspect répressif de la législation
qu'ils sont nég1ig~ d'aspect économique. A h fin des comptes, le but ré-
pressif sussi ne sera pas atteint car les aspect économique et repressif
194

constituent un véritalbe tandem dont lléquilibre est la condition de l'éf-
ficacité de la législation en la matière.
L'article 10 de la loi dahoméenne de répression de l'usure
dispose également que le taux effectif doit @tre calculé compte tenu du
taux apparent stipulé et de toutes sommes qui, sous quelque dénonciation
que ce soit, ne constitue pas la rémunération d'un service distinct du
pret ou crédit accordé.
Cette définition manquait de souplesse mais cela se justi-
fie: celui qui exploite l'état de g@ne ou les difficultés matérielles
ou encore la légèrete, llinexpérience ou la faiblesse de caractère de son
prochain en se faisant promettre ou accorder par lui, en échange dlune
prestation pécuniaire ou autre, des avantages patrùnoniaux en dispropor-
tion évidente avec celle-ci mérite dl@tre sévèrement puni.
B - LES TYPES DE CONVENTION ENTRANT DANS LE CHAMP D'APPLICATION DE'
LA NOUVELLE LOI DAHJHEENNE SUR LI USURE
La législation dahoméenne distingue d'une part les pr@ts
d'argent et les opérations assùnilables et d1autre part, les opérations
de vente ou de troc A crédit.
a) les prtts d'argent et les opérations assimilables :
La loi dahoméenne déte~ine également en ses articles 8
et 9 les contrats qui entrent dans le domaine de la loi. Sont également
assimilés aux pr@ts dlargent, les prets portant sur les denréesou autres
choses mobilières
Le législateur dahoméen a tenu compte des réalités locales
en effet, à eSté du pr@t classique d'argent et les opérations classiques
de crédit (ouverture de compte, opérations d'escompte, factoring etc ••• )
tel que cela résulte de l'ancienne jurisprudence fortement établie et qui
est
surtout d'usage dans les villes, il existe dans les villages où les
paysans n'ont pas souvent dans les mains de l'argent liquide des pr@ts
d'argent remboursables en argent ou en denrées.
b) La législation dahoméenne tout comme les législations
malgache et sénégalaise vise les crédits accordés A lloccasion des ventes
à tempérament et des ventes à crédit.
195

Les législations dahoméenne et malgache respectivement en
leur article 9 et 7 parlent d'opérations de vente A crédit ou de troc et
la loi sénégalaise en son article 1er, alinéa 3 assnnile aux pr~ts d'argent
les crédits accordés A l'occasion des ventes à tempérament.
En ce qui concerne les conditions de forme, l'ordonnance
dahoméenne en date du 24 aoOt 1973 portant réglémentation de l'usure au
Dahomey a maintenu cette fo~lité de visa avec les effets
et les consé-
quences qu'on lui connaissait sous l'empire du décret du 9 octobre 1936,
à savoir
la nullité tout simplement de la convention. Cette ordonnance
dahoméenne s'attire ainsi les observations que nous avions formulées à cet
effet à l'occasion de l'étude dudit décret.
C - LES POURSUITES ET LES
REPRESSIONS
On distinguera les personnes punissables d'une part, la
procédure et les sanctions d'autre part.
Quelles sont les personnes
punissables?
L'article 7 de la loi dahoméenne dispose que : Il les pr@-
teurs ainsi que leurs complices contrevenant à l'article 2 ci~dessu5 pour~
ront en outre ttre condamnés à un emprisonnement de un à cinq ans, et à une
amende de 100 000 A 1 000 000 Francs ou à l'une de ces deux peines seule-
ment. L'amende pourra toujours @tre portée jusqu'au montant de la somme
prttée.
En parlant de prtteur, la loi désigne toute catégorie de
personnes morales et physiques
il peut s'agir d'un s~p1e particulier qui
par une convention met un crédit A la disposition à charge de le lui rem-
bourser avec ou sans intértt j le prtteur peut s'entendre également comme
un établissement bancaire ou un établissement financier qui se chargent du
financement
A crédit A l'occasion d'une vente à tempérament. Viennent en-
suite les complices au sens où l'entend le droit commun. Ces complices sont
donc ceux qui ont aidé de diverses manières à la réalisation du contrat por-
tant la stipulation usuraire.
Cependant tout comme le législateur malgache, le législa-
teur dahoméen (béninois) est muet sur le cas des intermédiaires. Nul doute
qulil les assimile aux complices mais clest une vue simpliste de la question
car comme on lia remarqué dans la section précédente, les intermédiaires
.%

représentent le plus souvent une figuration complexe qui déborde la défini~
tion légale de la complicité punissable. On peut aussi penser que les légis-
lateurs malgaches et dahoméens laissent aux magistrats le soin de trouver
avec leur pouvoir souverain d'appréciation, une qualification pénale à cha-
que cas d1espèce. On
remarque que ces complices ne sont punissables que
lorsqu'ils ont agi sciemment c'est-à-dire dans la connaissance du caractère
illicite des actes à la réalisation desquels ila concourent. C'est au minis_
tère public qu'incombe la charge de la preuve, clest à lui de démontrer que
la personne inculpée comme complice est de mauvaise foi.
Les sanctions encourues sont de deux ordres
i l faut
distinguer les sanctions civiles et les sanctions pénales •
Sur le plan des sanctions civiles, quelques remarques mé-
ritent dl@tre soulignées.
Le légialateur a maintenu la nullité de contrat de pr@t
d'argent pour défaut de visa. Il reprend ainsi pour son compte sans en sous-
traire un seul mot, les dispositions du décret du 9 octobre 1936.
L'article 6 de la loi dahoméenne stipule par ailleurs que
"l'emprunteur qui, en connaissance de cause, aura contracté un emprunt usu-
raire, n'est pas recevable à reclamer au pr@teur plus que la restitution
stipulée à l'article 5 et ce m&e article 6 dispose que Il en particulier,
i l ne peut prétendre à des dOlDllages-intér@ts à l'encontre du pr@teur".
La loi voudrait lutter contre les emprunteurs de mauvaise
foi car "nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude". Cette disposition
laisse également apparattre clairement que les victimes d'usure peuvent
demander des dommages-intértts en plus de la restitution de la somme d'ar-
gent qui elles auraient indOment versées à leurs créanciers en réparation
du préjudice qu1elles ont subi. Ces victbnes doivent nopmalement apporter
une qualification de leur demande.
Quelles sont les sanctions pénales ?
La législation dahoméenne relative à la repression pénale
de l'usure distingue les délinquants primaires et les délinquants pr~ires
d'habitude.
Le délinquant prnnaire non usurier dlhabitude encourt un
emprisonnement de 6 mois à 2 ans et une amende de 100 à 1 000 000 Francs
ou llune seulement de ces deux peines.
L'amende pourra toujours @tre portée jusqu'au montant de
197

de la somme pr@tée. La peine d'emprisonnement peut aller de 1 à 5 ans.
A propoa de ces sanctions pénales une remarque est à faire
Les peines d'amende sont exagérément élevées et semblent en contradiction
flagrante avec les réalités économiques des états concernés. Le minünum de
la peine d'amende est de 100 000 franC. Il est ridicule de condamner à
200 000 F CFA un individu qui aurait pr@té à son voisin pour lui venir en
aide (à un taux usuraire bien sOr) une somme de 25 000 Franc. Par ailleurs,
les législateurs ont amis de spécifier dans quels cas la peine d'amende
doit ou peut elle porter jusqu'au montant du capital pr@té.
Les législations dahoméenne et malgache réintroduisent dans
La répression de l'usure la notion du délit d'habitude retenue par la loi
française de 1807 relative à la répression de llusure. Tout le monde sait
que cette notion a posé de sérieux problèmes aux tribunaux notamment sur le
plan des personnes punissables surtout en matière de complicité.
Le souci des responsables de ces états est de punir, assez
sévèrement ceux qui, par ruse ou par malice échappent souvent à l'action
de la justice bien qulils aient violoé la loi. Les délinquants, bien que
primaires, dans une certaine mesure sont considérés comme des récidivistes,
en conséquence, la peine dl emprisonnement sera toujours prononcée contre
eux avec exclusion de circonstances atténuantes, en outre, ils ne bénéfi-
cient pas de sursis.
Quelles sont les sanctions civiles encourues dans un délit
dlusure ?
La législation dahoméenne tout comme les législations mal-
gache et sénégalaise n'ont pas innové grand chose sur ce plan.
Presque toutes, à l'exception de la loi sénégalaise, se sont
contentées de reprendre les dispositions contenues dans le décret du
22 septembre 1935 et repris dans la loi française du 28 décembre 1966. Il
Y a lieu néanmoins de rappeler que la sanction dont frappée une convention
contenant une stipulation usuraire n'est pas la nullité qui
obligerait
1 1emprunteur à restituer UDrnédiatement le capital qui lui était consenti.
La loi se borne à réduire au taux normal les intér@ts
usuraires avec fa-
culté pour l'emprunteur d'invoquer la compensation entre ce qu'il a versé
de trop et les intér@ts échus et les intér@ts non payés. Hais cette com-
pensation sur le plan économique n'est pas très exact. Deux obligations
monétaires de dates différentes et voire de la m~e date représentent juri-
198

diquement et économiquement des valeurs différentes, alors m8me que les condi-
tions exigées par les articles 1289 et 1290 du code civil seraient réunies.
La compensation entre des intértts échus il ya 6 mois et ceux à venir cons-
titue un faux calcul; économiquement, un franc de 1969 n'a pas la m~e
valeur qu'un franc de 1970. Cela Be comprend tr~s bien avec les effets de
la déva1uBtion de lB monnaie. Certes, le droit positif de notre époque per-
siste A se convaincre qu'on peut soustraire des dettes de datas différentes.
Du reste, les sommes indOment versées au prtteur du fait
du taux de l'intér3t conventionnel illicite dans le contrat sont restituées
à l'emprunteur par les procédés étudiés avec les décrets du 22 septembre 1935
et avec la loi française du 8 aoCt 1935.
Mais on peut se poser la question suivante ? Y-a-t-il ou
non restitution du capital ?
Bien que le législateur soit muet sur une éventuelle
res~
titution,s'agissant d'un contrat réel, la nullité de la stipulation doit
3tre normalement impuissante à effacer le fait que des fonds ont été effec-
tivement remis A l'emprunteur, qulil a eu la jouissance pendant un temps
plus ou moins long et que finalement il détient sans cause la chose d'autrio.
La sanction civile dans ce cas oit consister à priver le
prtteur de tous
les intértts m~e
normaux auxquels il pourrait prétendre
s'il n'avait pas voulu ttre très cupide. Par ailleurs, cette restitution
s'tmposait ~e non seulement en vertu de l'accord intervenu entre les
parties, mais parce qulil ya eu paiement de l'ind~ut il ya alors lieu
d'obliger l'emprunteur à restituer le capital qu'il a reçu et cela confor-
mément aux articles 1237 et 1132 et 1133 du code civil. Clest dans cet es~
prit que les magistrats africains doivent interpréter les dispositions de
leurs lois respectives.
Dans le cas de la nullité du contrat m@me pour absence de
visa c'est le cas dans la législation dahoméenne, la restitution du capital
slimpose pour les m@mes raisons que celles évoquées ci-dessus.
Que ce soit dans la nullité de la stipulation d'intér3t
conventionnel ou dans la nullité du contrat lui~@me pour absence de visa,
le fait de dispenser llaccipeins d'avoir à payer les intér3ts stipulés au
contrat constitue déjà une sanction A l'encontre du prtteur. Il va sans
dire que les sCretés pour garantir le remboursement du pr3t tombent par voie
de conséquence.
199

Mais on peut raisonnablement penser que cette attitude est
inopportune dans le cadre d'une politique de lutte efficace contre les pra~
tiques usur3ires, il est permis de penser que la meilleure manière de
sévir
contre les usuriers serait de leur laisser entrevoir le risque de n'~tre
jamais remboursés en cas de dépassement du taux d'intér!t conventionnel au~
torisé ou lorsqu' ils violeraient les conditions de forme exigées pour les
conventions de prat ou de vente à tempérament bien que cela apparaisse in~
juste et choquant. Mais la question qu'on peut toujours se poser est celle
de savoir si les nouvelles lois peuvent ~elles atteindre leur finalité en
supprtmant l'usure et les usurier&?
On peut en douter surtout quand il
s'agit de la pratique de l'usure
non organisée, de l'usurier opérant au
stade artisanal, accordant des prêts à une pers$nne qui n'a pas d'autre
mode de crédit soit parce qu'elle ni a pas de surface financière pour pou-
voir lui servir de garantie devant les établissements fianciers et les ban-
ques agréés de la place, soit parce que sa propre activité est illicite.
Sans ~tre d'un pess~isme exagéré, nous partageons les points
de vue due Monsieur le Député SPENALE qui d~clarait "Il est pratiquement
impossible de supprllDer complètement l'usure. Il y aura toujours des gens
qui manqueront dans l'~tat actuel des condidbns d'accès au crédit, de garan-
tie ou de surface fiancière ou bien confrontés d'une façon imprévisible avec
des difficult~s majeures et une situation désespérée, iront se jeter eux-
mtmes dans les serres de l'usure

Donc la vraie lutte contre l'usure surtout dans nos pays
en voie de développement doit ~tre préventive, car il est plus facile de
prévenir
un mal que de chercher à le guérir. Cette lutte préventive a été
amorcée depuis les temps coloniaux, mais avant d'en arriver là, nous essaie-
rons d'analyser dans une section trois, quelle est la portée pratique des
différentes mesures adoptées par les dirigeants 3fricains à la t~te de leurs
jeunes états, tout en n'oubliant pas de donner nos appréciations critiques.
200

SECTION
III
PORTEE PRATIQUE DES MESURES ADOPTEES PAR LES DIRIGEANTS
AFRICAINS
APPRECIATIONS CRITIt1JES DE CES MESURES
Comme nous avons essayé de le montrer dans les chapitres
précédents, malgré un certain effort du législateur colonial, on peut re-
connattre que les décrets du 22 septembre 1936 et du 9 octobre 1936 rela-
tifs l la répression de l'usure en Afrique et à Madagascar, n'ont pas at-
teint leur finalité. Llusure loin de régresser n'a fait que slaccrottre
davantage. Dans les communautés africaines et malgaches, il existe une vie
juridique occulte, traditionnelle où le législateur colonial nIa pu exer-
cer d'influence et sur laquelle elle a plaqué une législation mal adaptée.
En outre le cadre
exigu de ces décrets ne permet point malgré la déter-
mination des magistrats, de réprtmer toutes les pratiques usuraires dont
une bonne
partie échappe aux dispositions des textes susvisés qui semblent
concerner seulement les pr@ts d'argent et les opérations assimilables.
Avant de faire la critique des différentes mesures adop-
tées par les dirigeants africains dans un paragraphe deuxième
nous essaie-
J
rons d1abord d'étuclier dans un premier paragraphe quelles sont les carac-
téristiques communes de ces mesures susvisées.
PARAGRAPHE
1
CARACTERISTIQUES COMMUNES DES DIFFERENTES MESURES
ADOPTEES PAR LES DIRIGEANTS AFRICAINS
Les différentes
mesures adoptées par les dirigeants des
pays d'Afrique Noire peuvent @tre qualifiées de négatives en matière de
lutte répressive contre les pratiques usuraires.
Dans le domaine législatif en général, les états de l'Afrique
noire accusent un retard vrallnent inexcusable. On dirait que les législa-
teurs africains manquent d'esprit d'initiative, d'inspiration et de réalis-
me, surtout dans
le domaine pénal et en ce qui concerne le domaine de
pr~t à intér@t, la plupart de nos états ont maintenu les plus grandes lln-
perfections du décret. loi du a aoOt 1935 et du décret du 22 septembre 1935.
En effet, dès leur accession à la souveraineté interna-
tionale, certains états africains se sont empressés d1établir un ordre ju-
ridique nouveau en matière pénale par la publication h9tive de codes pé-
naux nouveaux qui en réalité ne sont que des copies conformes du code pénal
201

français. C'est le cas du Niger, de l'empire centrafricain et du Gabon. A
vrai dire, Ces états nlont fais que leurrer le problème ùe l'usure est
si important qu'on ne peut jamais llanalyser à fond et lui trouver une
solution convenable dans les colonnes de deux ou trois articles du code
pénal.
Quant à la Haute volta, elle n'a rien rénové de l'ancienne
l~gislation sauf qu'elle siest contentée de réglementer la pratique du cré-
dit bail c~e tous les autres états d'ailleurs.
Pour toute législation nouvelle en matière de lutte répres-
sive de l'usure, l'état du Cameroun a consacré à cet important problème
un seul article de la hi nO 67 1 du 12 juin 1967 portant institution du
code pénal camerounais. Par llarticle 325 le législateur camerounais a abro-
gé llarticle 4 du décret du 22 septembre 1935 instituant ainsi de nouvelles
pénalités en mati~re de délit d1usure.
Ces états ayant repris les dispositions du décret du
8 aoOt 1935 et du décret du 22 septembre 1935, le problème posé par la
notion de bonne foi demeure intact car il n'avait pas été résolu par le
législateur français de 1935.
De m~e le problème de l'application du taux dlintér~t aux
ventes à crédit n'est résolu par aucune législation africaine. C'est un
retard inexcusable pour le Sénégal et surtout pour le Bénin qui ont promul-
gué leurs lois respectives relatives à la répression de l'usure, après
le décret-loi du 28 décembre 1966 relatif à la répression des opérations
usuraires en France.
En parcourant rapidement le Contrat type que la société
togolaise de crédit automobile (STOCA) fait signer aux acheteurs de véhi-
cules automobiles à crédit, opérations dont cette société semble détenir
le monopole au Togo, on remarque des clauses léonines
et pourtant cette
société
a été théoriquement agréée par le Ministère des Finances après
avis du conseil national du crédit. On lit dans l'article 2 de ce contrat
type, que l'acheteur ayant versé au vendeur la partie payable au comptant,
le solde restant dO est majoré des agios et frais de crédit à la charge
de l'acheteur. Nulle part, il n'est stipulé clairement le taux du loyer
de_
l'argent
permettant d'apprécier le taux effectif global pratiqué par
llétablissement de crédit. La dernière loi française relative à la répression
de llusure est pourtant très nette sur ce point et peut servir de base de
202

départ pour une réforme qui s'impose. Car "imitation n'est pas esclavage.
En effet, l'article 3 de la loi française du 28 décembre 1966 dispose que
"dans tOllS les cas, pour déterminer le taux effectif global conrne pour celle
du taux effectif pris comme r~férence, sont ajoutés aux intér2ts, les frais,
.
i
ou.
COlllllllSS ons
remunérations de toutes natures directes ou indirectes y compris
ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires. Donc le législateur ne lais-
se aucun frais à la charge de l'acheteur comme le fait la STOCA. La 5TOCA
aurait opéré en France qu'elle aurait agi en violation de la loi du
28 décembre 1966 et on peut affirmer sans abus de langage qu'on rencontre
en général dans nos états que des genres de contrat type de la STQCA.
En bref, dans le domaine repressif et surtout en matière
de lutte rép~cssive, contre l'usure, les législations africaines accusent
en général un retard inexcusable. La vente à tempérament et les opérations
assunilables ainsi que la profession des intennédiaires en matière de cré-
dit n'ont point été réglémentées pour les législations africaines.
~acifisme et manque d'innovation sont les termes qui carac-
térisent la législation africaine en matière de la réglémentation des pr@ts
d'argent. Les juristes africains pourtant avertis des réalités africaines
préfèrent tout sonfier aux juges et aux professeurs de droit européeu •••
Quelles sont donc les consignes de ces caractéristiques
négatives des mesures adoptées par les dirigeants africains. Ceci fera
l'objet de not:e deuxième ct dernier pa ragraphe.
PARAGRAPHE
2
APPLICATIONS CRITIQUES DE CES MEsURES AOOPTEES PAR
LES DIRIGEANTS AFRICAINS.
Les conséquences des caractéristiques négatives des légis-
lations à la répression de l'usure en Afrique Noire se traduisent :
A ~ PAR lmE DESADAPTATION DE LA LEGISLATION DE L'USURE AUX REALITES
AFRICAINES
Les mesures adoptées sont vraiment insignifiantes pour le
présent, car n'oublions pas que l'usure se pratique de nos jours en Afrique
encore sur les places publiques et C;s mesures sont d'ailleurs d'aucune
utilité pou~ l'avenir.
203

Il est irréfutable que certains responsables africains en
bien de domaines, font beaucoup plus de tapage qu'ils n'oeuvrent effective-
ment pour le rélèvement du niveau de vie de la masse il est inconcevable
que dans des pays en voie de développement où le problème de crédit se pose
avec acuité, on se contente d'expédier la ~lestion de lutte contre l'usure
c'est-à-dire en un mot le problème du taux du loyer de l'argent dans deux
ou trois lignes d'un Cv de pénal, en recopi~nt les dispositions, les termes
d'une législation surannée et dépassée tant au point de vue juridique qu'é_
conomique.
Tout laisse penser que les législations concernées ont
soit manqué d'initiatives soit l'inspiration ou tout simplement se sentant
vaincues ou débordées pa~ le problème de l'usure qui se pratique pourtant
ouvertement, ils se sont contentés de ces dispositions laconiques reprises
de force à l'ancienne législation coloniale comme un trompe-lloeil.
Raisonnablement, les législations africaines relatives
à la
répressior de l'usure devraient aller
au-delà des opérations que la
loi française
a inclues dans le damainé de la limitation du taux de l'in-
térQt ; en plus des pr~ts et des ventes à tempérament, les légisLations
africaines devraient nécessairement étendre le domaine d'appLication de la
loi; les opérations de trocs qui occupent eLC0re une place non négligeable
dans les transactions cornmercLIies, dans les sot" Létés africaines compte
tenu de l'état de nos économies.
D'autre part, les législateursaf'c.icains auraient pu adopter
la m~e atti~ude que son homologuL frans~is et énumérer assez nettement
les dif férents proc.agonistes (dérJarcheurs, représen tants, intermédiaires,
agents àe publici~é et autres ), Il est plus 1ue jamais nécessaire que la
lutte ~lengAge également contre ceux qui parcv~rent vilLes et vilLages dans
le seul but de faire signer aux masses ignorantes ni importe quel contrat
~ui ne porte ni le montant de l'0pération, ni le loyer de l'argent. On se
contente souvent d'indiquer les mensualités pour app~ter les natfs, les
ignorants.
Il est donc urgent que tout législateur africain en matière
de loi sur la répression des pratiques usuraires insère dans Les corps des
ciites lois, une disposition Ana10gue à l'article 6 selon laquelLe qUiconque
consent à autrui un pr~t usuraire ou apporte sciemment à queLque titre que ce
soit, dire~tP.ment ou indirectement son concours à l'obtention ou à l'octroi
204

d1un pr@t usuraire ou de nature à le devenir serait retenu dans les liens
de la prévention d'un délit d'usure. Comme l'a fait le législateur français
en coasacrant toute une section à la réglémentation de llactivité de cer-
tains intermédiaires intervenant entre prêteurs et emprunteurs, du démar-
chage et de la publicité en matière de pr~t d'argent et de certains place-
ments de fonds de financements de ventes à tempérament, le législateur afri-
cain doit pour le développement de la société africaine tant sur le plan
économique que sur le plan social tendre ses efforts dans le même sens.
B - LA
CONSEQUENCE DE CETTE DES ADAPTATION DE LA LEGISLATION DE
L'USURE
EN
AFRIQUE,
C'est qu'on peut noter une solide implantation des usu-
riers un peu partout en Afrique, ceux-ci oeuvrant en plein jour et sur
les places publiques.
Sur ce point, le législateur béninois moins excusable que
ses homologues africains, notamment le législateur malgache, centrafricain
nig~rien, gabonais, ivoirien,etc •• car, il a eu la chance d'avoir sous les
yeux les législations française et sénégalaise relatives à la réglémenta-
tion du taux de l'int~r~t conventionnel et à la
répression
de l'usure.
Ces lois française et sénégalaise sant ~tre parfaites, sont tout de m~e
des modèles très avancés dont on peut valablement slinspirer tout en les
adaptant au contexte local.
205

TITRE
Il
LA DELINQUANCE DE L'l!JlPRUNTmJR
Nous venons de voir dans le titre premier de notre travail
que dans le contrat de prat A intirlt ou dans la vente 1 crédit, l'une des
parties au contrat c'eBt~l-dire le preteur ou le
criancier peut commettre
une grave atteinte au droit du crédit qui est le délit d'usure BOUS toutes
ses formes. Pour ttre complet, noua allons montrer combien ce preteur ou ce
vendeur peut ttre également vict~e des machineries de son cocontractant.
En un IIlOt, le débiteur euprunteur ou le débiteur acheteur peut ttre lui aus"
si victime des atteintes au droit du crédit.
Nous varrons que ce débiteur africain est beaucoup plus
victUne deI. socité, qu1infractaur de la législation afférente au crédit.
Il est pris dans un tel ensrenage, dans un conflit social qulil ne pourra
que commettre soit inconsciemment, soit en pleine connaissance de cause
des infractions aff'rentes A la l'gislation du cr'dit, car A force d'ltre
dans le besoin pressant d'avoir des liquidit's, il tentera dlavoir ce dont
il a besoin en passant par tous les moyens
que ces moyans soient bons ou
mauvais~ Tel que l'obtention frauduleuse du cr'dit (chapitre 1), les d'~
tournements du cr'dit (chapitra II) et il finira par porter atteinte aux
garanties qulil pr'sentera lui-m&œe afin d10btanir ce cr'dit (chapitre lll)~
206

CHAPITRE
1
OBTENTION FRAUDULEUSE DU CREDIT
Dans nos pays d'Afrique Noire, le revenu moyen par habitant est
très faibl~~)Ha18 ma18r~ cette situation, beaucoup de personnes par goOt de
luxe et dfsir de parattre se livrent à des dépenses ~odér~e8. Cette men-
talité se manifeste notamment à l'occasion des cfrémonies familiales de
bapt@me, de la circoncision, de la communion solennelle, des fi.ne.tiles.
du mariage, du retour de pfl~rina8e aux lieux saints, du décès et des inhuma-
tions etc ••• Or pour effectuer coOte que coOte de telles d~pensesJ notamment
en achetant des biens de consommation tr~s onéreux, certaines personnes n'hé-
sitent pas à se procurer des fonds ou du crédit par des procédés irréguliers
Le premier moyen utilisé consiste à s'endetter en recourant à des
pratiques commercialea prohib~es, A ssvoir les c~ques sans provision, cons-
titution de faux doasiers
aupr~s des organismes de banque afin d'obtenir
du crédit (section 1) et ce qui est alarmant c'est que les poursuites sont
inefficaces A cause d'abord de la 8~nlralisation des pratiques et surtout
Acause de llinsolvabilit~ caronique des personnes vis~ea (Section Il).
SECTION
1
UN MECANISME D'OBTENTION DU CREDIT
L'EHISSION DE CHEQUE SANS PROVISION
Le premier moyen et de loin le plus efficace pour obtenir le crédit
est l'utiliaation de chAque comme instrument de crédit. Cea nécesaiteux arri-
vent ainsi A détourner le cbAque de aon objet habituel, il n'est plus un
instrument de pa~nt maia plut8t un objet de crédit.
(1) Au Sénégal par exemple, le revenu brut annuel, par habitant est environ
55 000 CFA soit 1 100 FF (camp tes économiques 1969-1970 - Direction des sta-
tistiques, ministère das finances et des affaires ~conomiques de la r~publique
du Sénégal page 8 - tableau nO 9)
207

Nous ~tudierons dans un premier paragraphe les éléments matériels
et intentionnels de l'infraction et dsns un deuxième psragrsphe, nous étu-
dierons les poursuites.
PARAGRAPHE
1
; LES
ELEMENTS CONSTITUTIFS DE LI INFRACTION
La situation anormale et sla~nte qui tient A la fr~quence des
émissions et des acceptstions de chèques sans provision et par cons~quent,
à l'u~ilisation habituelle du chèque comme instrument de crédit et non plus
de paiement a ~té souvent dénoncée. On peut se r~férer sur ce point à l'opi-
nion exprimée par K. KEBA M'BAYE premier pdsident de la cour supr@me du
S~négal : "l1énission de chèque ssns provision est en voie de d~venir au
Sénégal un véritable fléau ••• Certains créanciers, pour se constituer une
garsntie, en provoquent la fabrication sous ls fo~e de chèques post-datés
et attendent la fin
du mois pour en toucher le montant.
Le d~biteur (l'em-
prunteur) lui, n'a aucune intention de respecter ses engagements. Et c'est
ainsi dit-ont que chaque fin du mois est lloccasion dlune véritable course
de vitesse entre les tireurs et les bénéficiaires de chèques postdat~s, pour
llappropriation de La provision constitu~e par le virement du salaire men-
suel du débiteur. La lutte est ~videmment in~gale. Le gagnant de la course
est souvent le b&néficiaire, tel commerçant de la place A qui l'aide éven-
tuelle, non d~sintéressée bien sOr de l'employ~ de banque chargé de faire
payer le chèque postdaté au moment mime où le virement est effectué vient
apporter un avantage certain ••• " (1)
Il Y a non seulement atteinte au droit du crédit car si certains
créanciers vigilants arrivent quand mime A se faire payer avec la complicité
des agents des banques ou P.T.T. beaucoup se font avoir facilement et ne se
voient jamais remboursés la somme qu'ils ont pr@tée ou le prix de
ce qu'ils
ort vendu. Bref, cOlllDent se constitue
cett.e infraction. On distinguera
d'une part, les ~léments matériels et d'autre part, 11 élément moral.
(1) Allocation prononc~e le 10 novembre 1971 lors
de la rentr~e solennelle
des cours et tribunaux par H. KEBA premier pr~sident de la cour supr@me du
S'nég.l.
208

A - LES ELElŒNT5 IIATERIEU;
L'émission de
chèque sans provision préalable, suffisante et
disponible suppose que soient analysés les deux éléments de celle~ci qui
concernent l'éœission et celui relatif A la
provision.
s) L 1 éuisslon du chàque :
Comme l'a sl bien noté Monsieur KEBA N'BAYE l'énission de chèque
et surtout l'émission de chèque sans provision est une monnaie courante en
Afrique Noire. 51 certaines personnes le font parce qu'elles y sont plus
ou moins Obligées, ayant un besoin pressant d'argent, d'autres le font par
.
pur snobisme. Surtout les jeunes employés ou les jeunes cadres n'hésitent
pas à remettre dans
les mains de leurs jeunes mattresses des chèques signés
en blanc afin que celles-ci retirent le montant qu'il leur faut ainsi c'est
une façon de prouver qulils sont riches. Parfois, aussi, A force de s'endet-
ter au pràs des usuriers de la place, ceux-ci finissen~ par exiger des chèques
de garantie antidat~s dont le montant repr~sente le capital et llintértt
réunis. Après svoir convenir du montant de l'argent dont a besoin l'emprun-
teur et du taux de l'int~rtt le plus souvent UDposé par
le prtteur, le débi-
teur aigne et laisse à son créancier un certain nombre de chèques correspon-
dant au nombre d'~Chéances convenues, de toutes les façons
dans la plupsrt
des cas surtout quand il s'agit des jeunes gens qui savent qu'ils n'ont au-
cune intention de respecter leur engagement ceux-ci exigent des chèques sans
provision obtenant tout de m@me leur crédit,
l'argent dont ils ont besoin
et portant ainsi atteinte au droit de
l'usurier.
Nous savons que l'énission suppose la signature du tireur, ici de
l'emprunteur, mtme si Is somme a ~t~ laiss~e en blanc et la remise du chèque
à son b~n~ficiaire ou à un ~ndataire ce qui compte est la perte de mattrise
du chèque par le tireur.
C'est en effet, au moment où le tireur ae déssaisit du chèque que
le danger social de la circulstion d'un chèque sans provision se manifeste
C'est donc la
mise en circulation du chèque qui constitue l'émission, et
l'infraction existe par cons'quent mime si le tireur remet le titre A un
mandataire celui-ci par exemple, devant atteindre la r~alisation d'une con-
dition qui llhabituerait à endosser le chèque au profit du bénéficiaire reél,
ce qui transfo~rait le chèque instrument de paiement, en un instrument de
209

crédit •
b) Le deuxième
élément matériel de llinfraction est l'absence de
provision préalable, suffisante et disponible. En effet, la provision qui
ne peut consister que daDa un dép8t monétaire, doit A etre préalable clest-
à-dire qu'elle doit exister au moment
de l'émission (qui n'est pas forcément
le moment de la date portée sur le chèque suffisante et disponible).
La provision doit aussi ltre disponible, puisque llémission du chè
que en transfère la propriété au bénéficiaire.
Si nous tenons compte uniquement de ces éléments matériels, nous
dirons que le délit d'émission de chèque sans provision sera réalisé dans
la plupart des cas en Afrique, car les emprunteurs sont par définition in-
solvables, ils n'ont presque jamais de disponibilité, s'ils ont recours aux
emprunts pour subvenir à leurs besoins c'est qu l ils n'ont pas cette dispo~
nibilité, d'ailleurs les gens vivent en général au jour le jour en Afrique,
peu de gens pensent au lendemain.
B .. LI ELDŒNT II>RAL
L'émission de chèque sans provision a toujours été en Afrique
une infraction non intentionnelle. Elle est plut8t considérée comme une simple
infraction d'imprudence. L'intention de nuire, de porter atteinte au d~it
d'autrui
n'est pas requise comme la proconise la loi de 1975 (art. 66 du dé-
cret 1). Les trloonaux africains repriment m&1e la simple émission imprudente,
car la tendance actuelle est un renforcement de la r6pression en matière d'é-
mission de chèque sans provision, vu la généralisation de cette pratique mal-
saine qui constitue au mime titre que l'usure un fléau social dans nos pays
en voie de développement. D'ailleurs, il serait inutile d'exiger une telle
condition car les emprunteurs, les auteurs d'émission de chèques sans pro~
vision agissent sciemment sachant qu'ils portent atteinte au droit de pro -
priété du bénéficiaire du chèque et m&me du tiré dans certains cas, car il
faut
@tre de mauvaise foi pour vouloir rembouraer un pr@t qu l on a contracté
en usant d'un chèque 88ns provision.
210

PARAGRAPaE II
1
LES MESURES REPRESSIVES
Bien que dans les pays dlAfrique Noire francophone la tendance
actuelle du droit pénal soit le renforcement de la répression cr~inelle, les
l'sislateurs africains n'ont pas en ginéral innové en matière de la répression
du délit de chèque sans provision. H@me ceux qui sont les plus avancés en ma-
tiAre Ugislative tel que le Bénin et le Sénégal) nlont' .fait que reprendre les
dispositions de l'article 66 du décret loi du 30 octobre 1935 dans leur code
pénal, ce fut le cas du Sénégal dont les dispositions de l'article
380 du code pénal sont identiques à celles de l'article 66 du décret 101
du 30 octobre 1935 qui stipule que:
IISont passibles de peines de lIescroquerie prévues par l'article
405 (alinéa 1er) du code pénal.
1 - Ceux qui avec llintention de porter atteinte aux droits dlau-
trui soit émettent un ch~que sans provision pr'alable. suffisante et disponi-
ble soit retirent apr~s llémission tout ou partie dela provision. soit font
d'fense au tir' de payer.
2 - Ceux qui en connaissance de cause. acceptent de recevoir ou
endoasent un chèque émis dans les conditions d'finies au 1er du pr'sent ar_
ticle.
Si les sanctions p'nales sont inefficaces car les infracteurs
assez astucieux signent en s'n'ral un ch~que d'un montant inf'rieur à 5 000 F
soit 100 FF donc non punissables. les sanctions civiles demeurent lettre morte
car les d'biteurs ne peuvent en s'n'raI pas payer les amendes dont ils sont
passibles à cause de cette pauvret' chronique et ils ont souvent des biens
insaisissables, le strict min~um n'cessa ire pour leur survie.
Bien que le tireur dlun ch~que sans provision dispose d'un d'lai
de 15 jours à partir de llinjonction qui lui est adress'e parle banquier,
pour.
r'gler le montant dQ chèque ou constituer provision suffisante (il doit
r'gulariser tous les chèques émis sans provision pendant ce délai : il 'chap-
pe ainsi à l'interdiction bancaire d'émettre des chàques. Hais cette r'gulari-
sation nlest pas possible lorsque le tireur a d'jà utilis4 cette facult' au
cours de l'ann'e pr'cédant l'incident, ou est d'jà frapp4 dlune interdiction
dlémettre des chèques émanant dlun banquier ou d1une juridiction, le tireur
de ch~que africain en gén'ral insolvable chronique ne pourra pss b'n4ficier
de cette faveur
211

Si la répression pénale et civile est insuffisante pour juguler
le mal, nous pensons que la meilleure des solutions clest dlattaquer les pro-
blèmes des atteintes à leurs racines m8me, qu'on associe A la lutte répres-
sive une lutte préventive efficace qui doit se traduire dlune part par la
condamnation des mentalit~s traditionnelles ou attitudes liées à la stagna-
tion ~conomique, et d'autre part par des mesures tendant A relever le niveau
de vie des populations.
Le deuxième moyen irrégulier dlobtention du cr~dit en Afrique Noire
c'est d'avoir recours ~ la violence. Il ne s'agit pas d'une violence physique
ce qui serait d'ailleurs préférable car on pourrait ainsi poursuivre les au-
teura de cette
violence, mais il s'agit plutSt des menace& • Heureusement
que ce -oyen d'obtention frauduleux de crédit est assez rare.
.
SECTION
I l
OBTENTION DU CREOIT PAR VIOLENCE
Les mécanismes aont très stmples. Celui qui veut se faire consen-
tir un prat se pr~sente au guichet d'une banque, et sladresse à un agent de
la banque en général un jeune, un nouveau venu qulil conna!t bien. Il remet
à cet agent sa demande accompagn~e de pièces justificatives. Le problème qui
se pose c'est que ces pièces aont soit en g~n~ral faussœou falsifiées ou soit
elles sont insuffisantea pour pouvoir obtenir le prtt. Le réquérant en est
d'ailleurs bien conscient. Llagent se rendant compte de 11 irrégularité de
cette situation, refuse par principe de donner son accord. L'emprunteur,
bien que sachant qu'il ~tait dans une situation irrégulière, ne cache pas son
m~contentement. Il va trouver les amis ou les parents de ce jeune agent pour
leur faire part de son m~contentement vis A vis du jeune homme qui refuse
de lui octroyer le prat. Il dira aux proches de cet agent qu'ils ont int~rtt
A mettre leur t1fils ll en garde qu'il est après tout un africain et ne doit pas
se ccmporter comme un blanc.Que slil est A la place dlun Ilblanc ll aujourdlhui
Cl est grlce A eux sea a!n~s qui llont la fssé poursuivre et "réussir A ses exa...
mens. Qulfl l'a vu na!tre et grandir A aes yeux. Qu'il ne lui a pas demand~
de lui donner 11 argent gratuitement, qulil lui s tout si~lement demandé de
lui accorder Un prat qu'il est-sQr
et certain de rembourser ssns faute, et
212

qu'à cause des pièces insignifiantes qui manquaient ce jeune homme lui a ré_
pondu par la négative, ce qui lia vraiment touché. Qulil ne peut pas s'at-
tendre à une telle ingratitude de la part d'un enfant à qui il donnait
5 francs CfA (10 centimes français) de temps en temps quand il allait à
l'école! Les personnes auprès de qui cet emprunteur a parlé iront trouver
cet agent pour lui faire part des menaces de ce dernier. Ila lui diront de
se méfier de ce monsieur et que s'il tient à sa vie et à celle de ses enfants
il a intérlt à lui accorder le prlt. Que d'ailleurs, l'argent de la banque
ne lui appartient pas etqu'ila comprennent mal sa reticence à vouloir déblo-
quer le crédit. En général devant ces menaces et suivant les conseils de ses
p~ches, cet agent finira par céder au chantage
et accordera le prlt qui se-
ra difficilement remboursable. Et clest ainai que s'éparpille parfois l'argent
des contribuables,
de la collectivité, de l'état au détriment de certaines
personnes peu scrupuleuaes qui usent de certains pouvoirs persuasifs. Cette
infraction bien que voisine de l'escroquerie sera
difficilement repr~ble
car llagent nia aucune preuve de la contrainte morale qu'il a subie. L'em_
prunteur n'est pas venu le voir pour lui parler directement. et d'autre part,
il ne lia pas menacé en tant que tel devant êes proches, il l'a tout simple
ment
mis en garde et cela suffit largement pour effrayer les parents. En prin-
cipe, c'est plutet l'agent m@me qu'on devrait poursuivre au regard de la loi,
car il a commis une erreur ou une ÛDprudence. Hais comme il est sans doute
l'un des pat~ns de la banque il s'arrangera.
Comme on peut le remarquer c'est une infraction qu'on ne peut ren-
contrer qu'en Afrique noire où les gens sont encore supertitieux, croyant
à des forces surnaturelles, à la magie, à la sorcellerie. Heureusement que
ces cas sont en général rares et n'arrivent qu'aux jeunes gens qui vie~ent
fraichement de l'étranger etqui s'estüaent avoir dépassé les problèmes de la
supertition.
CHAPITRE
II
LES DETOURNEMENTS DE CREDIT
Nous venons de voir dans le chapitre précédent que certaines per~
sonnes imprévoyantes ou désireuses de vivre au-dessus deleurs moyens, au lieu
d'aller frapper à la porte des usuriers, trouvent plus commode de s'enrichir
213

au détrÜ»ent des banques et organisme de crédit, usant de toutes les manoeuvres
frauduleuses possibles pour obtenir l'argent dont ils ont besoin. Par
contre,
d'autres infractions en matière
de crédit sont le fait de particuliers qui
ou bien s'abstiennent frauduleusement de s'acquitter des sœDmes dont ils
sont débiteurs envers les organismes pr~teurs, ou bien abusent des pr$ts dont
ils bénéficient de la part de ces organismes.
Da~s une première section, nous étudierons les détournements en
matière de pr$t à un intêr$t et dans la deuxième section nous essaierons de
montrer combien les personnes décidées à trouver de l'argent dont ils ont
besoin peuvent également commettre des infractions en achetant à crédit.
SECTION 1
LES DETOURNDIENTS EN KATIERE DE PRET A INTERET
Cette infraction que l'on rencontre dans toute sorte de crédit,
que cela soit dans le crédit automobile, foncier etc ••• Nous étudierons dans
un premier paragraphe les él~nts constitutifs de l'infraction et dans le
second paragraphe nous verrons les modalités dela répression.
PARAGRAPHE
1
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE L'INFRACTION
Les détournements dans le pr~t à intér@t comporte trois éléments
constitutifs. Il faut tout d'abord que le débiteur ait bénéficié de la part
de l'état, ou des organismes de crédit d'une avance, dlun pr@t, d'un aval
ou d'une garantie sous une forme quelconque.
Il faut ensuite que llintéressé, le débiteur ait employé tout ou
partie des sommes d'argent pr$tées ou avancées à des fins ou dans des condi-
tions autre que celles prévues au contrat de pr@t et d'avance.
Il faut ensuite l'intention coupable. La preuve de cet élément
moral est facilitée dans presque toutes les législations africaines en rai-
son de la fréquence de ces détournements. Par exemple, le code pénal sénégalais
décide dans ces articles 385 et 387 que le débiteur est punissable du seul
fait qu'à la demande de l'organisme créancier, il ne justifie pas de l'utilisa
tian des sommes reçues ou ne les représente pas.
214

On rencontre souvent ce genre d'infraction dans le crédit foncier
Il est évident qu'un prftt accordé pour la construction d'une maison et qui est
utilisé dans des dépenses de consommation, constitution de dot, mariage, etc
sera difficilement remboursable et le problème qui se pose et qu'on examine-
ra dans le troisième chapitre, clest que llorganisme prftteur, la collectivité
ou m~e llétat rie trouvera rien à confisquer puisque la maison
ne sera
m@me pas construite. Il se contentera plut8t du terrain qui ne conte pas tel-
lement cher dans nos pays dlAfrique Noire. Clest une véritable atteinte en
matière
de crédit foncier, llDmobilier car comment peut~on savoir qu'un tel
pr@teur ne détoumera pas le pr@t qlli
lui est accordé de sa destination
initiale et c'est la raison pour laquelle la plupart des législateurs afri-
cains repriment sévèrement ces genres d'agissements frauduleux.
PAlMGRAPHE
2
LES IIlDALITES DE LA
REPRESSION
Bien que cette infraction étant voisine de l'abus de confiance,
le renforcement de la politique crimin elle dans le sens de la sévérité,
conduit la plupart des l~gislateurs africains à prévoir pour ces agissements
frauduleux des pénalités plus sévères que celles de l'âbus de confiance. Les
peines vont en général de un an
à cinq ans de prison et 100~00 à 1 000 000
de francs CFA dlamende.
En outre les articles 386 et 387 du code pénal appliquent les m@mes
peines lorsqu lune personne a obtenu ou tenté d'obtenir par certains procédés
un pr@t, une avance, un aval ou une garantie de llétat ou des organismes de
crédit. Il faut que 11 intéressé ait fait une fausse déclaration, ou qu'il
ait fourni un faux renseignement, un faux certificat ou une fausse attesta-
tion. Ces procédés se confondent souvent avec ceux prévus en matière d'escro-
querie~ Néanmoins, ils sont tant8t plu~ larges puisqu'ils englobent le simple
mensonge, tantêt plus étroits puisqu1ils ne visent pas les manoeuvres fraudu-
leuses quelconques mais seulement la fourniture de faux documents.
Et c'est également dans le sens du renforcement de la lutte pour
la défense de la fortune privée et publique que dans le code pénal tchadien
llabus de confiance est désormais constitué
dès qu'il y a dissipation ou dé-
tournement quel que soit le contrat en vertu duquel la chose avait été con-
fiée à moins qu'il ne s'agisse dlun prat de consommation (article 318).
215

L'appauvrissement volontaire du débiteur est désovmais pénalement
réprimé par l'article 310 du code pénal qui frappe des
peines de l'escroque-
rie. quiconque, dans l'intention de faire fraude aux droits de ses créanciers
aura, depuis l'éch&ance de sa dette. la sommation de payer ou l'introduction
de l'instance judiciaire. dissimulé, détourné ou dissipé par quelque moyen
que ce soit tout ou partie de son patr~oine.
Le code précise que "la poursuite ne pourra ~tre exercée que sur
la plainte de l'intéressé et sera arr~tée par le paiement de la dette ou l'exé_
cution de l'obligation par
le débiteur lui~~e ou par tout autre personne
pour lu1. l '
En ce qui concerne le détournement de pr~t, 11 article 319 du code
pénal tchadien
devait frapper des peines de l'abus de confiance, les béBéfi-
ciaires d'un pr~t consenti par une collectivité ou un établissement public
ou par un organisme couvert par la garantie des pouvoirs publics qui utilise-
raient les sommes prttées à des fins ou dans des conditions autres que celles
qui avaient été stipulées, les m~es peines étant appliquées à celui qui dis-
pose contrairement aux stipulations du contrat du produit des opérations en
vue desquelles le pr~t aura été consenti. Hais cette disposition semble avoir
été complètement négligée par les autorités, nntamment par la Banque de dé-
veloppement-du Tchad. si l'on en juge par le nombre extrGmement faible de
poursuites depuis 1967. Elle aurait pourtant permis de sanctionner les fonc-
tionnaires qui ayant obtenu un pr~t en vue d'une construction, slentendent
avec l'entrepreneur et se font reverser par lui une partie du pr~t qu'ils
utilisent pour l'achat de biens de consommation.
Toujours au Tchad, un autre texte seulement très peu répressif con-
trairement au précédent, le décret nO 75 du 28 avril 1960 sanctionne la ces-
sion et le non remboursement des graines de semence avancées aux planteurs.
Ce texte déclare incessibles ou insaisissables les graines de se-
mence avancées aux travailleurs par les sociétés mutuelles, rurales, les coo-
pératives ou tout autre
organisme ou société habilitée par le gouvernement
à distribuer les dites semences aux planteurs. (article 1 du décret).
Tout auteur. co-auteur ou complice de cession est passible d'une
amende de 500
à 2 000 F cfa et d'un emprisonnement de un à dix jours ou de
l'une de ces deux peines seulement. Est passible de m~espeines le cultiva-
teur qui, hors le cas de force majeure ne
restitue pas à l'organisme trai-
teur la quantité de semence
qui lui a été avancée augmentée de 15 %,
et
216

celui qui par malveillance nég1ige~ non-observation des réglements aura
laissé détériorer ou disparattre les semences qui lui ont été confiées en
vue de leur utilisation (article 3).
Ce texte présente plusieurs originalités, il est le premier à
faire du non-remboursement de
pr~t (et il serait plus exact de parler de
dép8t forcé de semence que de pr~t de semence) une infraction. Le cultiva_
teur est de plus obligé de restituer plus qu'il ne lui a
été pr~té est
tenu
pénalement responsable de la dét~rioration des semences. Condamné, il nia pas
possibilité de faire appel ée qui pe~et au juge de paix de faire purger la
peine lnJmédiatement.
En contrepartie le texte apparatt peu sévère. Il est d 1 ai11eurs,
peu appliqué. Cette obligation de pousser la culture du cotongns pour autant
négliger les cultures vivrières classiques, la nécessité d'accrottre la pro-
duction dlarachide pour alimenter les deux huileries créées dans le pays
et celle du blé pour faire face à l"augmentation très
importante de la con-
sommation du pays dans les grands centres urbains, va sans doute amener le
gouvernement à accrottre son effort de mécanisation et de fo~tion déjà cam-
mencéet l'obligeza sans doute à ~laborer une législation pénale plus effica-
ce contre les cultivateurs inertes ou récalcitrants ou peu réceptifs aux ar-
guments vantant les bienfaits de la croissance.
SECTION II
:
LES DETOURNEMENTS DANS .LA VENTE A CREDIT
Cette
infraction bien que voisine du délit dt~sure est beaucoup
plus originale de celui-ci. Elle est beaucoup plus fréquente dans
les ré-
gions islamisées où le pr9t à intér~t est prohibé et c'est pour cela qulon
la trouvera beaucoup plus au Kali et au Sénégal qui sont des pays où au moins
80 ~ de la population est musulman. Elle est connue au Sénégal sous le nom
de OOU1n.
Le mécanisme est le suivant : une personne ayant un besoin immé-
diat dlargent achète à tempé~~ament chez. un commerçant un objet neuf en géné..
ral un appareil électro-ménager et le revend sur le champ au comptant à un
prix très faible par exemple la moitié de sa valeur, soit au commerçant lui-
mème soit à un tiers. Grace à cette revente, l'intéressé perçoit ûnmédiate-
217

ment les liquidités mais il se trouve par contre endetté pour un montant bien
plus élevé. Plus rarement le premier achat est effectué au comptant, le prix
est payé, mais l'acheteur ayant besoin d'argent revend peu après cette marR
chandise à bas prix.
Le législateur sanctionne comme opération usuraire la pratique
odieuse consistant à abuser
des besoins d'autrui en lui rachetant des objets
mobiliers bien au-dessous de leur valeur réelle.
Pour que l ' infraction soit constituée il faut que le prix de ra-
chat so~ inférieur de plus de 10 ~ au prix auquel la chose a été payée par
ce1~ qui la cède ou au prix de celui qui s'est engagé à payer, déduction faite
dans ce dernier cas des charges du crédit.
Toutefois, la loi considère comme
licite Ille prix qui n'est pas inférieur de plus de 10 '7~ au prix auquel se
vendrait la chose sur le marché ou 8U prix réglementaire ". Cette disposition
est destinée à ne pas ganer celui qui veut revendre avec une réduction
bn-
portante une chose
achetée trop chère. Par ailleurs, il n'y a pas d'infrac-
tion lorsque 1I0pération de rachflt a été Il autorisée ou validée par une ordon-
nance
motivée du président du tribunal de première instance saisi ~ur requ@~
te écrite" oU lorsqu'il slagit d'une Il vente de biens meubles organisée ou
contr81ée par 11 autorité publi quel!.
Les sanctions sont les mtmes que dans le cas de prQt usuraire, et
e11ess'étendent dans les m8mes conditions aux intermédiaires, aux dirigeants
d'entreprise etaux proposés. Les pénalités encourues pour tous ces agissements
sont sévères. Elles consistent en un emprisonnement de deux mois à deux ans
et une amende de 36 000 à 2 Millions de francs ou l'une de ces deux peines
seulement.
Le
tribunal peut en outre ordonner la confiscation de la chose
mobilière ayant servi à commettre le délit. En fin la victûne a droit, à tiR
tre de dommages-intérOts au complément du prix
licite minûnum.
En ce qui concerne les détournements dans la vente à crédit, la
deuxième opération incrnninée est voisine de la précédente, du Bouki. Elle
concerne la cession à bas prix d'une créance non litigieuse contre un débi-
teur solvab~e. La pratique visée par la loi pénale est courante dans le monde
rural. Par exemple, un paysan livre sa récolte d1arachides à un office de com-
mercialisation, reçoit en contre partie un bon à échéance, mais pressé de
toucher oe l'argent, cède cette créance à bas prix à un tiers. Il est évident
218

que le cessionnaire, du fait que la créance ne présente pas de difficulté de
recouvrement ne court aucun risque et'
retire de l'opération un bénéfice
abusif.
L'infraction est- constituœlorsque le prix de cessîon est înfé-
rieur de plus de 10 % , au montant de la créance diminuée éventuellement des
intérets au taux
légal courant du jour de la cession à la date d'exigibilité
de la créance. Toutefois, le délit disparatt lorsque la cession est
autorisée
ou validée en justice ou lorsqu'elle est organisée ou contr8lée par l'auto-
rité publique. Les pénalités sont les m8mes que dans le cas du Bouki,
et la
victime a également droit à titre de dommages-intérêts au complément du prix
licite minimum.
Nous savons que le droit du crédit devrait c~mprendre non seule-
ment les opérations juridiques de crédit, mais également les sOretés envisa-
gées comme moyens de crédit, d'où pour ttre complet nous serons amenés à dire
quelques mots sur les infractions que peut
commettre le débfteur à propos
de ces sOretés.
CHAPITRE III
ATTEINTES QUANT AUX GARANTIES PRESENTEES PAR LE DEBITEUR
Si tout crédit n'est pas nécessairement garanti,certains créanciers
les banques et les organismes de crédit exigent une garantie eti1s ont le
choix sous réserve de ce que peut leur offrir le débiteur entre deux catégo-
ries de sOretés, soit une sOreté réelle soit une sOreté
personnelle.
Les sOretés
réelles peuvent consister dans une hypothèque, dans
un nantissement de fonds de commerce, nantissement du matériel
d~uipement
gage
sur marchandise etc ••• si les infractions sont rares en matière d'hy-
pothèque, pour des raisons qu'on n'ignore pas (fo~ljtés è'ep~~g1strement,
de
publicit~, elles sontpar contre plus nombreuses en matière de d~tourne­
ments d'objets gagés (section 1).
Quant aux sO=etés personnelles, leur sort n'estpas plus viable car
en général ceux qui s'engagent à ca~tionner les preteurs, finissent souvent
par payer à la place de ces derniers (section II).
219

SECTION l
LES DETOURNEMENTS D'OBJETS GAGES
Il ne faut surtout pas confondre ici l'infraction dont il s'agit
et l'abus de confiance par détournement de la chose remise en gage. Il s'agit
dans l'abus de confiance, du détournement par le créancier à qui le débiteur
remet le gage de la chose remise et dont le créancier détenteur ni était pas ;'.
proprlétalre~ Il s'agit ici du détournement de la chose par son propriétaire
m~ qui
l'a donnée en gage. au créancier et sur laquelle, resté propriétaire
il ne peut donc commettre de vol : d'où ici encore, la nécessité d'une incri_
mination spéciale, punie dans la plupart des codes africains des peines du
vol simple, plus sévères que celles de l'abus de confiance, etqui suppose un
gage et un détournement.
PARAGRAPHE
1 -
LE CACE
L'existence d'un gage est la conditionipréa1ab1e de 1 1 infractioL
quelle que soit d'ailleurs la forme civile ou commerciale de ce gage, quelle
que soie sa valeur juridique, quelle que soit sa nature conventionnelle ou
légale, quel que soit son régime .. Le délit existe que l'(1tojet soi!. mis ElIl
possession du créancier, comme dans la théorie classique du gage, ou qu'il
soit laissé entre les mains du débiteur c~mme dans les formes modernes et
importantes du gage sans dépossession
que sont par exemple le nantissement
des éléments du fonds de commerce ou le gage en cas de vente à crédit de
véhicules.
En Afrique, l'objet du gage est très diversifié .. Cela peut aller
du simple
paglte eI' coton jusqu'à la personne m@nLe du débiteur. Dans les
régions dePorto-Novo, les débiteurs placent en général leurs enfants gar~
çons ou filles en gage de leur dtlu(o. t't quand n!ô: p'ont pas è. I H,fants ils
SP placent eux~~s en personne.
En ce qui concerne les objets gagés, c'est souvent par le sentllnent
que les débiteurs arrivent à tromper la vigilance de leurs créanc1ers. Ils
irDnt pa~
exemple trouver ces derniers pour leur dire qui 'il leur faut à
tout prix cet objet pour des raisons qu'ils prendront soin d'inventer et qui
ne seront PélS m(>itl~ plausibles. tTne fois le bien récupéré, ils feront tout
pour n~ plus le redonner à ce créancier trompé, puisque eux ils ont déjà l'argent
220

dont ils ont besoin. Cela arrive souvent aux usuriers et c'est la raison
pour
laquelle certains usuriers avertis préfèrent accepter comme gage des jeunes
gens qui viendront travailler gratuitement pour eux ou des jeunes filles dont
ils pourront faire ce qu'ils veulent ~ les marier eux-m~es, ou les donner
en mariage camw~
olils étaient
les parents de la fille. Mais ce qui arri-
ve le plus souvent c'est que les enfants p~acés chez le prateur se sauvent
et l'objet du gage disparatt ainsi. Ici encore ceux qui sont avertis prennent
leurs précautions et la journée de travail effectuée par l'enfant est chif~
frée en monnaie et tant que ce pauvre
enfant n'aura pas rempli les obliga-
tions contractées par ses parents, c'est-à-dire travailler pendant le temps
convenu, la dette demearera redevable, d'où en cas de fuite, les enfants sont
souvent recherchés par leurs propres parents et
ramenés auprès du pr8teur.
En ce qui concerne les objets donnés en gage
toujours, il arrive
également parfois que le donneur en gage nia pas la qualité de propriétaire
cas très critique mais néanmoins très fréquent, c'estle cas par exemple d'une
personne qui a emprunté une veste pour se faire photographier etqui donne cette
veste en gage pour l'achat d'un transistor.
En ce qui concerne le gage en cas de vente à crédit de véhicules,
ils arrive souvent
que le débiteur ne pouvant mame plus s'acheter de l'es-
sence dans sa voiture ou ne pouvant plus faire ~éparer la voiture en panne,
l'abandonne purement et simplsment chez le garagiste llnpayé, alors que cette
voiture a été l'objet de gage pour obtenir le crédit. Ou bien, cas plus fré-
quent, il revend purement et simplement la
voiture objet du gage sans se
soucier de désintéresser le créancier.
PARAGRAPHE
2
:
LIELEllENT H)RAL
Ici l'intention coupable est facile à démontrer. Il faut 8tre
vraiment de mauvaise foi pour agir de la sorte. D'ailleurs en général, une
simple légèrete peut constituer l'intention. C'est ainsi que la cour d' Eli-
sabethville a condamné ~ 2 000 Pcfa d'amende celui qui a emprunté une veste
pour se faire photographier et qui a donné la veste fil gage pour l'achat d'un
transistor.
Il arrive souvent également que les débiteurs refusent de resti-
tuer le bien donné en gage. Tout ceci ne peut qu'être qualifié de mauvaise
foi.
221

SECTION
II
ATTEINTES DANS LES SURETES PERSONNELLES
Si les cautions deviennent de plus en plus rares en Afrique, c'est
que les gens ont compris que dans la plupart des cas, c'est les cautions qui
finissent par rembourser les dettes dont elles sont garantes.
Souvent ce n'estpas par mauvaise foi que les gens n'arrivent pas
à rembourser le crédit qu'ils se font accorder. C'est surtout par imprudence
et surtout à cause de la conjoncture
économique et de la m3n talité des po~
puLations. Certaines personnes confondent en général, pr@t et don et surtout
quand elles obtiennent les pr@ts dee organismes de l'état, d'où la lutte ré-
pressive ne pourra avoir que des effets l~ités. Pour juguler le mal, il
faudra plutSt chercher à lutter contre lesmbitudes liées au sous dévelop~
pement. C'est pourquoi, la plupart des législateurs africains, conscients
que ces pratiques malsaines de La vie des affaires s'expliquent par les men-
talités traditionnelles, n'hésitent pas pour transformer ces dernières à
recourir ~8alement à des procédés préventifs et répressifs.
CONCLUSION DE LA PREM[ERE PARTIE
Il est pratiquement Uupossible d'éradiquer complètement les infrac-
tions en matière de crédit. Il y aura toujoura des gens qui manqueront dans
l'état actuel des conditions d'accès au cr~dit, de garantie ou de surface
financière ou bien confrontés d'une façon nnprévisible avec des difficultés
majeures, et une situation désespérée, seront obligés d'aller trouver des
usuriers.
Dlautre part, l'absence de propension à l'épargne qui caractérise
une grande partie de la population le go~t de luxe et le désir de parattre
sont la cause d'un certain nombre d'infractions perturbatrices de la vie éco-
nomique. Donc A cSté de la lutte répressive qui a été très tSt retenue par
les dirigeants des pays d'Afrique, une lutte
préventive doit occuper égale-
ment une place importante. Certes, cette lutte préventive a été amorcée depuis
222

les temps coloniaux et poursuivie par les nouveaux dirigeants africains, mais
pour @tre vraünent éfficace Cette lutte préventive devrait
tenir compte des
aspirations et des habitudes des populations concernées. Il ne suffit pas
de créer des banques, des
offices de commercialisation qui ne rend ent
service qu'à une miuorité de personnes celles qui ne sont d1 ailleurs pas tel-
lement dans le besoin •
Nous pensons que la véritable lutte contre ces infractions ~Œ
matière de crédit doit s'insérer dans le cadre global de la politique du
crédit. Elle doit se traduire par une lutte acharnée contre toutes mentalités
négatives liées au sous développement, telles que l'oisiveté, la mendicité,
le ch6mage déguisé, des dépenses fastidieuses et tmproductives et ppr le
développement des moyens d'obtention de crédit qui peuvent @tre à la portée
de tout le monde. Et c'est dans cette optique que nous allons préconiser
en priorité, la réglémentation des "Esu" qui sont une sorte de mutuelle un
groupement de personnes
qui s'octroient mutuellement du crédit par un sys-
tème de rotation qui est spécifique à chaque groupe. C1est une pratique assez
répandue dans la plupart des pays d'Afrique Noire. Ces "Esull également ap ..
pelées tontines ou ristournes permettent à ses membres d'obtenir du
crédit
gratuit ou vraiment peu coQteux.
223

DEUXIEME
PARTIE
L A
PRE VEN T ION
224

En Afrique Noire comme à f~adagascar, l'usure se pratique à une grande
échelle et le plus souvent les mesures répressives les plus draconniennes n'ar-
rivent pas à décourager ni l'usurier qui trouve dans cette exploitation de
l'Homme par l'Hamme un avantage certain, ni les exploités, c'est-à-dire les
victimes qui dans leur désarroi et dans l'impossibilité de trouver d'autres
solutions à leurs problèmes courent eux-mêmes au devant de leur misêre.
Quant aux auteurs de détournements de crédits de gage, l'immédiat les
préoccupe à telle enseigne que le reste leur paraIt secondaire.
A notre avis, le moyen le plus efficace de lutter contre ces atteintes
au droit du crédit c'est d'une part, de prévenir les maux en mettant un accent
particulier sur la lutte préventive, d'autre part en d~veloppant et en règle-
mentant une pratique fort ancienne d'Obtention gratuite du crédit, pratique
qu'on retrouve dans presque tous les états d'Afrique Noire et qui est connue
sous différentes appellations. Le ESU en YORUBA,le OSOKUE
ou SOKUE ou ADJOKUE
enfin, la TONTINE dans les états francophones, et CLUB OF CONTRIBUTIONS dans
les états anglophones. Une bonne règlementation de cette tontine constituera
certainement un remède aux atteintes au droit du crédit, car les méthodes tra-
ditionnelles de lutte préventive mises sur pied par les pouvoirs publis telles
que l'implantation des organismes de crédit, la lutte répressive. la lutte
contre certaines habitudes du sous-développement, etc ••• se révèlent ineffi-
caces, soit parce que ces méthodes comportent des vices, soit parce qu'elles
rencontrent beaucoup d'obstacles dans les coutumes traditionnelles africaines.
Par contre la tontine est une mesure fort ancienne, acceptée et prati-
quée par la majorité des populations africaines. Elle se constitue spontané-
ment et marche bien dans 80\\ des cas. Certes, cette pratique comporte égale-
ment certains abus et c'est la raison pour laquelle nous disions qu'une bonne
règlementation de cette tontine par les puissances publiques fera d'elle un
instrument efficace de lutte contre les atteintes au droit du crédit. Il est
dommage que les dirigeants et les législateurs africains ne se soient pas pen-
chés sur la question, alors que des ministres même font partie des associa-
tions dites tontines, et ce qui est paradoxal, c'est que certains pays dans
lesquels la pratique de la tontine a pris sa source et est fort répandue. se
permettent de la prohiber à cause des abus qu'elle entra1ne parfois. Cependant
225

cette interdiction n'empêche pas la tontine de se développer. C'est
le cas du Nigéria. Heureusement d'autres pays tels que la République populaire
du Benin (ex Dahomey) définit et réprime certaines infractions en matière
d'association dites tontines dans une loi nO 63-6 du 26 Juin 1963. D'autres
pays tels que le Togo, le Congo etc ••• , bien que la pratique de la tontine y
soit répandue, n'en parlent même pas dans leurs législations.
Nous étudierons dans un titre premier, en quoi les associations dites
tontines peuvent-elles constituer un instrument efficace de lutte contre les
infractions en matière de crédit, et dans un titre II, nous essaierons de pré-
coniser des améliorations aux méthodes utilisées jusque là dans la lutte pré-
ventive cantre ces atteintes aff~rentes à la législation du crédit.
226

TITRE
1
LES "ESU" OU TCNl'INES INSTRUMENT DE Ll1rI'E
EFFICACE CCNl'RE LES ATl'EINTES AU DROIT DU CREDIT
Dans ce titre premier, notre première démarche aura pour but d'étudier
l'origine et l'évolution
historique des opérations tontinières en Afrique,
en quoi cette tontine peut-elle constituer un objet efficace de lutte contre
llusure et les infractions assimilées. Ceci constituera l'objet de notre pre-
mier chapitre.
Dans le deuxième chapitre, nous étuderons 1 1 organisation des ESU en-
core appelés lCitelllO , Natt ou Pari,notamment comment sont-elles constituées
et comment fonctionnent-elles.
Le troisième chapitre sera consacré à un essai de théorie juridique
de la tontine africaine, car préconisant la réglementation de la tontine afri-
caine par les puissances publiques, il est nécessaire de doter cette tontine
d'un statut juridique.
CHAPITRE
1
LI IDEE DE TCNl'INE ET SOO EVOLt1rIOO HISTORIQUE EN FRANCE ET EN AFRIQUE
Le mot tontine d'origine européenne a perdu son sens etymoloqique en
Afrique. En effet la définition du mot tontine en Europe et particulièrement
en France, diffère complètement de celle qu'on peut lui attribuer en Afrique.
Certes, les tontines en Afrique
et en Europe ont un certain nombre de points
communs, ce qui explique sans doute leur dénomination commune, mais les diffé-
rences qui les opposent sont également très importantes. Les tontines africai-
nes n'ont pas le même objet ni la mème finalité que les tontines en Europe.
D'autre part, les tontines en Afrique sont essentiellement d'initiative privée
alors qu'en France, on rencontre des tontines privées et des tontines publiques.
Dans une première section nous
tenterons de donner une définition des
227

tontines en France et en Afrique noire. Dans la deuxième section nous étudie-
rons leur évolution historique et dans la troisième section, nous analyserons
llobjet de la tontine en Afrique.
SECl'ION 1 • - ESSAI DE DEFINITION.
paragraphe I. - DEFDUTION DE LA TONTINE EN EUROPE.
En Europe et plus précisément en France, la tontine constitue un
contr~t aléatoire entre des capitalistes ou des propriétaires qui fournissent
chacun une mise en convenant que les parts des prémourants profiteront aux
survivants. "Une association tontinière dit Merlin, est la réunion de créan-
ciers de rentes perpétuelles ou viagères formées sous la condition que les
rentes des prédécédés accroltront aux survivants soit en totalité, soit jus-
qu 1 à une certaine part convenue".
"Elle n'est pas (Dalloz, Société na 146) collDIle une soci~té cré6e pour
l'action; elle ne tend pas â accro1tre la puissance productive par l'union des
forces individuelles et à conquérir ainsi un bénéfice C01lDDUIl qui doive ~tre
partagé. C'est une association purement passive dont le capital, toujours iden-
tique, se répartit diversement au fur et â mesure des décès qui diminuent le
nombre des parties prenantes. Si chacun des contractants se propose de réali-
ser un bénéfice, celui-ci ne résulte pas de l'exploitation d'un fonds commun,
et en tout cas il nleet pas partageable entre les contractions",
"Dans une tontine, disait M. le Comte de Hauterive, au Conseil d'Etat
en l80e, la somme des capitaux une fois déterminée, reste toujours la même;
ils ne sont sujets à aucune chance, ni susceptibles d'aucune amélioration, et
llindustrie, le temps et la fortune ne peuvent rien changer à leur mesure, une
tontine ne présente ni travail, ni produit, ni concurrence; c'est une simple
convention par laquelle les sociétaireS s'engagent à souffrir, au détriment
de leurs héritiers naturels, le partage de leur intérêt dans l'association,
entre ceux de leurs coassociés qui sont destinés à leur survivre, et ce parta-
ge est en même temps la seule opération des personnes qui sont chargées d'ad-
lIlinistrer l' association" •
1
Enfin la tontine, quelle que soit la variété de ses combinaisons,
l', consiste dans la répartition finale deg cotisations au profit des survivantSl
, c'est une sorte de loterie funêbre où les morts paient pour les vivants. Pour
,
228

que l'affaire soit fructueuse, i l faut que la mort ait fait de nombreuses vic-
tbnes (1).
Chacun des associés s~cule donc sur le nombre des décès qui peuvent
se produire pendant la durée de l'association. Si la mort multiplie les décès,
l'opération sera bonne; dans le cas contraire, elle sera médiocre
Chaque as-
socié a donc intérét, pour que sa part soit plus forte, à ce que le nombre des
co-partageants, au jour de la répartition, soit le plus petit possible.Autre-
ment dit, il a intérêt, à la disparition de ses co-associés, puisque se sont
les dépouilles des disparus que se partagent les survivants en se réjouissant,
qu'une bonne épidémie vienne éclaircir leurs rangs. Les bénéfices que procure
une tontine sont basés sur le malheur d'autrui.
DOnc, d'une façon générale, on entend par tontine en France, toute
opération financiére faite en commun par plusieurs personnes, et dont le béné-
fice est subordonné à une condition de survie ou de décès.
Les combinaisons de ce genre peuvent varier à l'infini. En principe,
pourtant, elles se ramênent à cinq types indiqués par M. LEGOYT dans le dic-
tionnaire d'économie politique:
1. - "Accroissement du revenu sans aliénation du capital", l'intérêt
produit par les mises sociales étant réparti. aux époques fixées par le
contrat, entre les seuls sociétaires survivants, et à l'expiration de la so-
ciété, le capital des mises retournant aux souscripteurs ou à leurs ayants
droit.
2. - "Accroissement du revenu avec accroissement du capital", l'inté-
rêt produit par les mises sociales se répartissant aux époques fixées et à
l'expiration de la société, le capital des mises étant réparti entre les seuls
survivants.
3. - "Accroissement du capital sans aliénation du revenu", les arréra-
ges des mises sociales étant, jusqu'au terme de l'association, servis chaque
année aux souscripteurs et â leurs ayants droit, mais le capital des mises
n'étant réparti, à l'expiration de la société, qu'entre les seuls sociétaires
survivants.
(1) CHASTNET (G.), Chambre des députés, séance du 23 Février 1904.
229

4. - "Accroissement du capital avec aliénation totale ou partielle du
revenu"; en cas d'aliénation totale du revenu, l'intérêt produit par les mi-
ses sociales s'ajoute successivement au capital jusqu'au terme de l'associa-
tion; en cas d'aliénation partielle du revenu, les souscripteurs jouissent,
leur vie durant, de l'int~rêt des mises sociales, et ce n'est qu'à partir de
leur décès que le revenu s'ajoute au capital; dans les deux cas, le capital
des mises, réuni au capital provenant de l'accumulation du revenu, est répar-
ti entre les seuls soci~taires survivants.
5. - "Formation d'un capital par l'accumulation du revenu sans aliéna-
tion du capital des mises", le capital produit par les mises sociales retour-
nant aux souscripteurs ou à leurs ayants droit, tandis que le capital formé
par l'accumulation du revenu est réparti entre les seuls soci~taires survi-
vants.
Aujourd'hui, la coutume et la l~gislation ne connaissent plus que les
"sociétés
à forme tantinières tl , entreprises privées qui prennent, vis à vis
de leurs assurés, l'engagement basé sur la durée de la vie humaine, de répar-
tir, après un certain temps, entre les seuls adhérents vivants, ou entre les
seuls adhérents décédés, les fonds tontiniers provenant des primes perçues,
accrues de leurs intérêts, déduction faite des frais de gestion.
L'ensemble des assur~s qui contribuent à former un même fond forme
une association.
Parmi les personnes qui ~nt engagées dans les associations, il y a lieu
de distinquer
le souscripteur, ou personne qui contracte et qui effectue le paiement des
primes.
- l'assuré, ou personne sur la tête de qui repose l'assurance.
- le bénéficiaire, ou personne au profit de qui est faite l'assurance.
Ces trois qualités peuvent se trouver réunies en une seule personne.
Toutefois, dans les assurances en cas de décès, le bénéficiaire est forcément
distinct de l'assuré.
Le mot tontine a un sens large et un sens étroit. Au sens large, on
désigne ainsi toute op~ration financière bas~e sur la durée de la vie humaine.
c'est ainsi que la tantine a pu d~signer une forme spéciale d'emprunts d'état.
Des opérations de remboursement sous forme d'annuités viagères, des rentes per-
230

pétuelles qui furent très pratiquées en Angleterre, toutes les combinaisons
d'assurance sur la vie en cas de mort ou en cas de vie, les diverses assuran-
ces par l'Etat, les caisses de retraites pour la vieillesse rentrent dans cet-
te acception très large de la tontine qui peut être qualifiée ici de tontine
publique.
Au sens plus étroit dans une acception plus courante, on donne ce nom
à toute opération financière qui a pour objet de mettre en commun des fonds
destinés à ètre partagés entre les sociétaires survivants à une époque déter-
minée d'avance ou à être attribués au dernier d'entre eux. C'est en somme une
opération financière consistant dans la formation d'une espèce de cagnotte,
d'une masse indivise faite en commun par plusieurs personnes qui versent des
cotisations et dont le profit dépend pour chacune d'elles d'une condition de
survie. Se sont là des tontines privées.
Contrairement aux tontines européennes, comme nous le verrons dans nos
développements ultérieurs, les tontines africaines sont essentiellement d'ini-
tiative privée. L'Etat n'a rien à voir dans cette association dite tontine.
Il ne s'y mèle pas. Certes, il y a des personnalités qui font partie des asso-
ciations dites tontines, mais cela n'a vraiment rien à voir avec les tontines
publiques françaises.
Cette définition de la tontine européenne étant précisée, nous étudie-
rons de façon très sommaire, en quoi consistent les tontines publiques (A) et
dans un deuxième sous-paragraphe, nous essaierons de voir si les tontines pri-
vées européennes sont identiques aux tontines africaines qui, elles, sont des
tontines privées.
A. - LES TONTINES PUBLIQUES ET EMPRUNTS TONTINIERS.
Quand Mazarin prit le pouvoir, les finances de la France étaient en
très mauvais état. Des emprunts avaient dÜ être é~s à des taux exorbitants,
atteignant 20, 25 et mème 50 pour 100. A plusieurs reprises le trésor dut sus-
pendre ses paiements. La situation était très embarrassée
et l'Etat avait
perdu toute espèce de crédit. Cependant les besoins d'argent étaient immenses.
C'est alors que Lorenzo Tonti proposa à Mazarin le plan d'emprunt basé sur le
système tontinier. Il y avait eu, paraît-il, un essai en petit en Italie, ter-
re classique des combinaisons financières et des loteries~ Il y avait entière-
ment réussi.
231

Le cardinal, confiant dans l'app&t tendu ainsi aux pr~teurs, adopta
le projet, persuadé que l'intér~t viager considérable et l'espèce de jeu qu'on
leur faisait entrevoir attireraient en foule les souscripteurs. Un arrêt du
Conseil de Novembre 1653 ordonnait une première application du nouveau systè-
me et créait la tontine royale. Ce fut la naissance des tontines publiques.
On lisait dans le préambule de cet édit que le roi, très désireux de
rembourser les rentes constituées sur l'BOtel de Ville, émettait un emprunt
de 1.250.000 livres de rentes viagères à 5%. C'était un emprunt au capital de
25.000.000.
Voici quel était le système appliqué. Les souscripteurs étaient divi-
sés
d'après leur &ge en dix classes distinctes. L'emprunt se décomposait en-
tre dix fonds ou séries de 125.000 livres de rentes chacune correspondant aux
dix classes. Dans la première on comprenait les enfants des deux sexes jus-
qu'à 7 ans, dans la seconde ceux de 7 à 14 ans, et ainsi de suite dans les
huit autres classes par intervalles de 7 ans jusqu'à 63 ans. La dixième classe
comprenait les personnes âgées de 63 et au-dessus. Pour être admis dans la
classe correspondant à son age, chaque prêteur devait payer une somme de 300
livres dont l'Etat lui servait un intérêt à 5 pour 100. Dans chaque classe la
part des prémou~ants accroissait celles des survivants, mais dans chaque clas-
se seulement.
Au décès du dernier titulaire de chaque série, la réversion s'effec-
tuait au profit du Trésor.
Cet édit ne fut pas accepté par le Parlement et ne put dès lors être
appliqué. Dans le dictionnaire des finances de M. Léon Say, on trouve cepen-
dant une erreur à ce sujet; on y lit : ~que les prévisions de Tonti et de Ma-
zarin furent déjouées : soit que le public ne comprit
pas les avantages de
l'opération nouvelle, soit qu'il fat encore effrayé par le spectre des réduc-
tions de quartier, il ne répondit que très mollement aux offres qu'on lui fai-
sait et la société ne tarda pas à sombrer sous le poids de cette indifférence".
Il n'y avait eu, au contraire, aucune société au moins apparente fondée.
Le financier napolitain avait cependant escompté à bon droit les res-
sources que son système était capable de fournir au Trésor. La combinaison fut
en effet reprise plus tard et elle eu un plein succès en 1689 et 1696. Elle
232

échoua cependant en 1709. Le système de Tonti avait cependant le tort de ne
faire aucun avantage aux classes formées des gens ~gés qui devaient perdre
leur capital au profit de l'Etat au bout d'un temps relativement très court,
et qui néanmoins ne touchaient, comme les prêteurs des classes jeunes, qu'un
intérêt de S,.
En 1689, Pontchartrain devait renouveler cette premiêre tentative avor-
tée; par conséquent, il était impossible d'apprécier la valeur. A ce moment,
les finances de la France étaient une fois de plus épuisées par les guerres
que termina le traité d'Angsbourg. A
bout d'expédients financiers, Louis XIV
décida d'ouvrir une tontine. Elle était de 1.400.000 livres de rentes viagères.
Chaque souscripteur devait verser, comme dans le premier projet de 1653, 300
livres. Les titulaires des rentes étaient répartis en quatorze classes au lieu
de dix. Chaque classe correspondait donc ~ 100.000 livres de rente. Le taux
de l'intérêt, au lieu d'être fixe, variait avec la classe. Il partait toujours
d'un minimum de 5' servi aux jeunes, mais il s'élevait jusqu'au terme de
12,50' servi pour les deux dernières classes au-dessus de 60 ans. Pour faire
partie de cette tontine, il fallait être Français et produire un acte de bap-
tème en bonne et dQe forme.
cet emprunt eut un rapide succès, les souscripteurs accourent en grand
nombre et l'emprunt fut même couvert plusieurs fois. Cette tontine se tennina
en 1726 par le décès d'une veuve âgée de 96 ans. Au mo~ent de sa mort l'Etat
lui servait une rente de 73.500 livres. Donc cette tontine était en réalité
une forme nouvelle de la loterie qui devait d'autant mieux réussir, disait son
inventeur, "que chacun croit vivre beaucoup plus longtemps que les autres",
chacun croyait donc avoir la chance de vivre longtemps. Si cette chance se ré-
alisait, l'heureux gagnant était assuré d'une vieillesse dorée. Comme nous le
verrons, cette tontine publique n'a vraiment aucun point commun avec nos ton-
tines africaines qui semblent être plutôt, à notre avis, une institution sui
generis n'ayant point son équivalent en droit français.
Il Y
eut plusieurs tontines publiques en France. p~ exemple celle
de 1696, celle de 1734 qui se distingue des précédentes par des différences
assez sensibles. La dernière tontine (publique) ou royale est celle dite "ton-
tine des gens de mer" créée en Février 1763. Mais l'Etat s'aperçut très vite
que le système était onéreux pour ses finances. L'intérêt qu'il était obligé
233

de servir aux prêteurs était une lourde charge A cause de son taux très élevé
canparativement â celui des rentes perpétuelles. Le paiement intégral de la
totalité des arrérages risquait de se prolonger très loin A cause de la clas-
se de reversibi1ité.
Fonbonnais écrit dans ses recherches et considérations sur les finan-
ces de la France : "ne tous les expédients de Finances, c'est peut-être le
plus onéreux pour l'Etat, puisqu'il faut presque un siècle pour éteindre une
tontine dont les intérêts sont pourtant d'ordinaire A un très fort denier."
Aussi la déclaratiOn royale du 21 Novembre 1762 défendit pour l'avenir "toute
nouvelle tontine, en rente viagère, portant accroissement au-dessus du dernier
primitivement constitué".
En 1720, le 18 Janvier, un arrét du Conseil alla même plus loin et
supprima purement et simplement toutes les tontines du gouvernement encore en
cours. Bref, voyons dans un second sous-paragraphe, si les tontines privées
ont connu un meilleur sort.
B. - LES T<NrlNES PR.IVEES EN FRANCE.
En France, bien que l'arr~t de 1770 interdise la création de tontines
par l'Etat et supprime
au mépris des engagement
passés, toutes celles enco-
re existantes, on note parallèlement un développement des tontines privées qui
furent longtemps en France, la seule forme de l'assurance sur la vie. Elles
devaient vite atteindre un immense succès et la plus célèbre d'entre elles,la
Caisse Lafargue, a constitué une tentative très remarquable.
Un certain nombre de tontines privées se formêrent avant 1793 et l'on
manque de renseignements A leur endroit. Les deux tontines anciennes sur les-
quelles nous ayons des données exactes, sont celles du Pacte Social et des Em-
ployés et Artisans.
La tontine dite du Pacte Social fut fondée par un nommé Tolozé. Elle
embrassait deux sociétés distinctes. La première société était dite société
des assignats et fut fondée en 1792 pour être close en 1796. Elle était divi-
sée en six classes qui devaient se composer chacune de 50.000 actions au moins.
La première classe comprenait les actionnaires de moins de 20 ans, la deuxiê-
me ceux âgés de 20 A 35 ans, la troisiême ceux de 35 à 45 ans,la quatrième
234

ceux de 45 à 55 ans, la cinquième ceux de 55 à 65 ans, la sixième enfin ceux
âgés de plus de 65 ans. Les Ages devaient se compter à partir du 1er Novembre
1792 en rétrogradant. Les actions appartenant à un actionnaire décédé devaient
accroltre la masse de la classe à laquelle il appartenait. Quand, par le décès
du dernier actionnaire, une classe venait à disparaltre, les biens lui appar-
tenant étaient dévolus aux autres classes et partagés également entre elles.
Quand, par suite de ces extinctions successives, il ne restait plus que cin-
quante actionnaires, les quatre cinquièmes de la fortune de la société de-
vaient se partager entre eux. Un article des statuts prévoyait même la faculté
pour les actionnaires, quand leur nombre aurait été réduit à 100, de se réunir
et de décider qu'il y avait lieu de déclarer dissoute la société et de se par-
tager les quatre cinquièmes. Le dernier cinquième était réservé au fondateur
et à ses ayants cause. Les fonds de la tontine devaient être employés à l'achat
d'immeubles. Chaque action portait un intérêt de 3\\ à compter du 1er Avril 1793,
mais en fait cet intérêt ne fut pas payé.
Comme nous le montrerons dans notre étude, ces tontines dites du Pac-
te Social fondé par le nommé Tolozé, ainsi que les tontines des Employés et
Artisans, et surtout la Caisse Lafarge, ces tontines privées françaises ont
tout de même un certain point commun qui peut expliquer dans une certaine me-
sure la similitude du terme tontine dans les deux pays.
La tontine des Employés et Artisans se compose de deux sociétés dis-
tinctes qui eurent le même fondateur, M. Guerin. Ce dernier était tout à la
fois fondateur-directeur.
Ces deux sociétés eurent le même Conseil d'Administration avec à sa
tête M. le Comte Languinais, sénateur.
Toutes les deux avaient pour but de transformer les cotisations des
souscripteurs en rentes sur l'Etat. Dans le prospectus de l'émission, M.Guerin
insiste sur l'excellence de ce système et le compare aux tontines basées sur
des acquisitions d'immeubles qui entralnent les ambarras de la gestion d'une
grande masse de propriétés foncières et se retrouvent toujours plus ou moins
à la merci des administrateurs. La première fut ouverte le 24 Janvier lB02 et
fermée le 19 Juin 1804. La seconde ouvrit le 2 Janvier 1806 et fut fermée le
10 Octobre 1808. Inutile de parler ici de la constitution et du fonctionnement
de cette tontine des Employés et Artisans qui, à quelque chose près, est pres-
235

que conforme â l'organisation du Pacte Social.
Le 1er Avril 1797 fut instituée une nouvelle tontine sous le nom de
Caisse Lafarge ou Caisse d'Epargne et de Bienfaisance. Cette tontine a été sous
l'Ancien ~gime et au commencement du XIxème siècle, la tentative la plus
considérable qui ait été faite en France du système des associations mutuelles
sur la vie.
Lafarge, par l'intermédiaire de l'abbé Goutte, présenta son projet à
l'Assemblée Constituante en 1790. Contrairement au système rationnel qui consis-
te à former des classes différentes suivant les ages et à y proportionner les
bénéfices, on y voyait l'enfant concourir avec le vieillard. L'Assemblée reje-
ta la proposition, mais Lafarge ne se tint pas pour battu. Peu de temps après,
il ouvrit, sous le nom de "Caisse d'Epargne et de Bienfaisance", une société
de survie. Elle commençait ses opérations le 24 Aont 1791, et le 30 Mars de
l'année suivante, la souscription était close. La loi du 7 Janvier 1791 avait
assuré aux auteurs la propriété de leurs décuvertes dans tous les genres d' in-
dustrie. Le 22 Aodt, Lafarge prenait un brevet d'invention de cinq ans pour un
établissement financier.
Plus de 60 millions furent engagés dans cette vaste opération. Les mi-
ses de 90 francs chacune étaient placées en rentes sur l'Etat. Chaque action
était viagère sur la tête de l'actionnaire ou sur celle indiquée par
le sous-
cripteur. Le prix de chaque action était payable soit en une seule fois. soit
en dix ans à raison de neuf livres chaque année. En cas d'interruption de la
nourriture de l'action jusqu'à paiement intégral, il y avait déchéance
du
fractionnaire et les sommes par lui versées étaient acquises à la tontine. Les
titulaires formaient une société; l'accumulation des parts et les arrérages
devaient produire des rentes. Ces rentes, divisées en portions de 45 francs,
seraient d'abord, par voie de tirage au sort, attribuées à une partie des ac-
tions (une sur dix à l'origine) puis à toutes, pour en jouir successivement
jusqu'à la mort du souscripteur. Un tirage annuel était prévu: une action sur
dix devait gagner un lot. Les parts des prédécédés accroissaient aux survivants
jusqu'à ce que chacun d'eux jouisse d'une rente de 3.000 francs; au-delà de
cette somme, l'extinction profitait â l'Etat.
Il n'y eut pas des tontines qu'en France. La tontine eu son origine en
Italie et Jacques
MOULIN parle dans sa thèse des tontines d'Anvers, de Naples,
236

etc •..
(1).
Nous venons d'essayer de définir ce qu'est la tontine en France et
d'étudier de façon sommaire comment cette tontine est organisée, afin de pou-
voir faire une étude comparative de cette institution qui porte le même nom
en France qu'en Afrique, tout en désignant deux pratiques qui se ressemblent
fort peu.
Paragraphe II. - LES TONTINES SONT ESSENTIELLEMENT D'INITIATIVE PRIV'E:E EN
!'FRIQUE.
Comme nous l'avions montré dans le premier paragraphe, en France les
premiêres tontines étaient publiques. C'était une sorte d'emprunt public que
lançait l'Etat ou le pouvoir royal. Par la suite, il s'est développé bien sûr
des tontines privées qui ont d'ailleurs eu plus de succês que les premiëres.
Dans la plupart des Etats africains où les populations connaissent les opéra-
tions tontiniéres, nOus verrons que les puissances publiques ne s'y mêlent
point et que leur rare intervention , par exemple au Benin, se limite à un~(
réglementation de ces associations dites tontines.
, ,
(
\\ !
A. - DEFINITION DES "ESU" OU TONTINES EN AFRIQUE.
Le "Esu" ou tontine est une des institutions économiques des Yorubas.
Elle est ensuite répandue et fortement ~créée dans les moeurs de la plupart
des populations africaines.
Le "Esu" possède des éléments qui ressemblent à l'Union du Crédit ou
Crédit Mutuel, à un type d'assurance, ou encore à un club d'épargnants quoi-
qu'il se distingue de tout ceci.
Nous pouvons définir le "Esu" comme une sorte de fondation à laquelle
un groupe d'individus donne une contribution monétaire à intervalles fixes, la
somme de ce qui a été donné par le groupe est attribuée à chacun des membres
par rotation.
Dans le dictionnaire Yaruba,le "Esu" est défini comme étant un club or-
(1) MOULIN (J.). - Des tontines.- Thèse pour le doctorat présentée et soutenue
le 10 Juin 1903,
237

9anis~ pour les besoins des membres en vue d'une assistance pour les questions
d'argent (1). Cette définition, bien que donnant une idée de l'institution,
souffre néanmoins d'imprécisions. Elle est un peu trop schématique, trop som-
maire. Les associations dites tontines appelées Esu en Ycruba sont certainement
un club organisé pour un groupe de personnes désirant se donner mutuellement
assistance en cas de besoin d'argent, mais le dictionnaire aurait pu nous don-
ner une vue globale de l'organisation ou du fonctionnement de cette associa-
tion. Bref, la définition de Johnson (S.}
a la qualit~ d'être plus complète.
En effet cet auteur qui s'est beaucoup intéressé A l'histoire des ycrUbas défi-
nit le Esu comme tel: "Le Esu est une coutume universelle qui consiste â met-
tre ensemble en club un certain nombre de personnes pour une aide monétaire"
(2). Jusque là on peut dire qu'il n'a fait que reprendre â quelque chose près
la définition donnée par le dictionnaire Yaruba,mais seulement il ne s'est pas
arrêté la. Il ajoute que : "Une somme fixe accept4e de tous est donnée par cha-
cun à période fixe, généralement une semaine, sous la direction d'Un président.
Le total ainsi acquis est attribu~ à chaque membre selon un système de rotation.
Ceci permet à un homme de peu de moyens, de faire en une fois une dépense qui
réclame une importante samme d'argent." (2).
De C$8 deux définitions, i l ressort que le Esu ou associations dites
tontines a pour but essentiel de prêter un secours mutuel à ses adhérents.
Mais il y a un second rOle que joue le Esu, et c'est 1) le plus important. Il
est une grande institution de crédit comme l'ad'all1eurs reconnu Bascom (3);
11 trouve qu'il est en même temps un instrument efficace de lutte contre l'usu-
re, contre toutes les infractions en matière de crédit.
En effet le Esu est un moyen d'obtention gratuit du crédit, car c'est
l'ensemble des quote - parts de chaque membre du Egu qui est attribué à un
adhérent selon un système de rotation qui varie selon chaque association.
En dehors des Y~as,on trouve une excellente description de cette
(1) Church Missionary Society, 1937. Dictionary of the YcrubaLanguage, 1913.-
Ed. C.M.S. Bookshop,
(2)
JOHNSON (s.). - The history of the Yorubas,London, 1921.
(3) BASCQM (W. R.) . - The Socioloqical RaIe of the YC%1Jba cult group. 1944, Amer
Antrop.Ass.Memoir 63.
238

institution chez les NUpe avoisinant oü elle est connue sous le nom de dashi,
et Adashi chez les ~ssas qui représentent une importante ethnie qu'on retrou-
ve dans presque tous les pays d'Afrique. Les Ibos du Nigéria n'ignorent pas
également cette institution fort répandue sur toute la Côte du Benin où elle
se pratique essentiellement sous les mêmes formes.
Elle a été également remarquée chez les noirs de Trinidad où elle est
connue sous le nom de"ESUSU"et oô elle est reconnue sans aucun doute comme un
atavisme africain qui peut remonter â des origines Yocuba(l). Au Nigéria, le
Esu est communément connu en Anglais sous le terme de "club de contribution":
"Contributions club". Cependant le Esu diff~re d'un club en ce que tous les
groupes ou tous les membres des Esu n'organisent pas de réunions où les adhé-
rents pourront se rencontrer. D'ailleurs dans certaines associations dites ton-
tines, les membres ne se connaissent pas et même il arrive que "la tête du grou-
pe du Esu "Olo~ Esu"
ne soit pas connu de tous les membres du Esu.Le terme
Esu qui vient de Eso '" fruit veut dire ethymologiquement en yC%Uba proliferation,
quelque chose qui se multiplie, qui donne des fruits et cela peut nous faire
penser au sens figuré A une société, une fondation, A un groupe d'épargnants
en vue de s'entraider mutuellement en cas de besoin d'argent d'un membre. Mais
comme nous allons essayer de le démonter dans les chapitres qui vont suivre,
le Esu n'est point une société. certaines ethnies du fond de la République du
Benin (ancien Dahomey) en l'occurence les Gauns et les FOns n'ont pas tort
d'appeler les Essu Adjonon ou Adjokué, ce qui veut dire fond de roulement.
B. - BIEN QUE CES"ESU· OU TONTINES SOIENT ESSENTIELLEMENT D'INITIATIVE
PRIVEE, ELLES COMPORTENT NEANMOINS DEUX VARIANTES.
Au Benin et dans les pays 'ior\\has on distingue en effet deux sortes de
Esu
- Le Esu dont l'adhésion est ouverte â tout le monde,
- Le Esu dont l'adhésion est restreinte, basée sur un certain intitus
personae.
Dans les tontines ouvertes, qui sont très répandues et peuvent avoir
la taille ou la dimension d'un village, le système d'adhésion est très simple.
Un "olory EsU", c'est-A-dire le fondateur, fiXe un montant, une quote-part que
chaque membre de la tontine cotisera A une période fixe que retiendra ce fon-
239

dateur. Ceux qui sont intéressés viennent s'as~cier spontanément mais à condi-
tion de ne pas avoir une réputation
de débiteur insolvable chronique. Dans
les Esus ouverts l'intérét personnel n'est pas très aigué. D'ailleurs les mem-
bres d'un Esu ouvert se rencontrent rarement et ne se connaissent pas le plus
souvent. Ils ne connaissent pas toujours le père de la tontine, celui qui est
à la tête, ils ne
connaissent que la personne à qui ils doivent remettre leurs
COntributions qui est le Président du sous-groupe. On les appelle aussi les
adjoints ou les secrétaires du père de la tontine. Chaque Président du sous-
groupe possède la liste et l'adresse des membres à qui il doit rendre visite
â
la période a laquelle il faut payer les cotisations. En général les membres
les plus sérieux viennent s'acquitter spontanément de leur quote-part sans que
le Président du sous-groupe ne soit obligé d'aller chez eux .
• Dans les Esu fermés, le problème est plus complexe. Cette forme de
tontine ressemble plutôt a une société de personnes cm l'intitus personae
y
est très fort. La constitution de cette variante de Esu est minutieusement ré-
glementé. Nous aurons l'occasion d'en parler de long en large dans le deuxiè-
me chapitre de ce titre premier. Mais déjà, nous retenons que cette forme de
tontine donne lieu à des rencontres très fréquentes, des réunions oü les mem-
bres discutent des décisions à prendre.
A l'intérieur de ce Esu fermé on peut noter des variantes. Il y a des
Esu fermés qui sont constitués en vue de célébrer une fête, un mariage. On le
rencontre en général chez les jeunes filles ou les jeunes gens. N'ayant pas de
souc~majeurs, ils cotisent une certaine
somme
à intervalles fixes, tout jus-
te pour s'acheter des vêtements qu'ils portent a l'occasion d'une fête qu'ils
veulent organiser. AveC l'ensemble de leurs contributions respectives, ils
vont s'acheter des vètements, du moins se mettre tous en uniforme le jour qu'ils
aurOnt retenu, puis avec le reste de l'argent, i~prendront un orchestre, loue-
ront la place destinée pour la manifestation et feront un grand banquet. Ils
prennent la précaution de s'associer en Esu pour ne pas avoir à aller frapper
à
la porte des usuriers afin d'avoir de l'argent nécessaire pour une entreprise
imporducttve. De plus, tous ne sont pas riches et il doivent prendre un ou deux
ans à 'l'avance des précautions. Cette association donne lieu à de très fréquen-
tes réunions. Les membres se connaissent bien, ont souvent des affinités. Ce
sont en général des jeunes gens d'un quartier ou des jeunes filles de telle
240

grande famille. En gén~ral, ils ont à la tête du Esu une personne plus agée,
joui9sant d'une certaine honorabilité.
La deuxième variante du Esu fermé e9t davantage basée sur une idée
d'entraide mutuelle, d'as9istance en cas de besoin d'argent. Les membres de
ce Esu ge connaissent très bien aussi; se sont tantôt les membre9 d'une même
famille ou d'une même maison, (car n'oublions pas qu'en Afrique la famille est
très étendue)ou tantôt des personnes qui exercent le même métier, qui sont
dans le même corps. Au Benin on~ouve sOUvent la tontine de9 membres du corps
enseignant. celui des instituteurs. des professeurs. Le Esu des gendarmes est
très c~lèbre à Cotonou, également celui des revendeurs de tissus, etc •.• La
constitution et le fonctionnewent de ces Esu fermés donnent lieu à des règle-
mentations particulières que nous aurons l'occasion d'étudier minutieusement
dans les chapitres qui vont suivre. Mais pour l'instant, ayant un aperçu de ce
qu'est la tontine en France et en Afrique, nous essaierons de montrer dans le
paragraphe suivant si une comparaison des opérations tontinières est possible
dans les deux continents.
paragraphe III. - COMPARAISON DE LA TONTINE AFRICAINE AVEC LA TONTINE FRANCAISE
A. - LES DIFFERENCES.
De part leur définition respective en France et en Afrique, nous sa-
vons que le mot tontine,du moins le principe tontinier et les opérations ton-
tinières , ne se pratiquent pas de la même façon dans les deux pays.
En Afrique, les tontines que nous appelons Esu sont essentiellement
d'initiative privée. Les puissances publiques n'ont rien à voir dans les opé-
rations tontinières. A la limite, certains gouvernements tels que celui du Ni-
géria o~ le Esu est enracin~ dans les moeurs des populations, est intervenu
pour interdire la pratique du Esu qui a donné lieu à certains abus, mais no-
tons que cette interdiction n'a eu aucun effet sur la pratique de ces "contri-
butions clubs" qui, selon nos derniers informateurs, auraient connu son apogée
à cause du développement du commerce depuis la fin de la guerre civile qui a
déchiré ce pays pendant près de cinq ans. D'autres pays tels que la République
Populaire du Benin (ancien Dahomey) intervient tout juste pour définir et ré-
primer certaines infractions en matière d'associations dites "tontines" (1).
(1) Loi n063-4 définissant et réprimant certaines infractions en matière d'as-
sociations dites tontines, J.O.R.D.
241

Cet unique article stipule que: "seront punis d'un emprisonnement de
six mois A deux ans et d'une amende de cinquante mille francs à un million de
franc15 ceux qui, faisant partie d'une association dite "tontine" ou de tout
autre groupement destin~ à procurer des avantages en nature ou en numéraire à
seS membres, auront, de mauvaise foi, refusé de fournir leur quote-part après
avoir bénéficié des prestations auxquelles leur donnait droit leur participa-
tion."
Cette définition donnée par l'unique article de la loi dahoméenne nO
63-4, sans être très complète (puisqu'elle ne définit pas en tant que telle
ce qu'est une association dite tontine), a tout de même le mérite de réprimer
ceux qui auraient de mauvaise foi, refusé de fournir leur quote-part après
avoir bénéficié des prestations auxquelles leur donnait droit leur participa-
tion. De par cette intervention du législateur dahoméen de 1963, il est aisé
de comprendre que les tontines africaines sont loin d'être toute opération ba-
sée sur la durée de la vie humaine, d'être une opération qui a pour objet de
mettre en CCUllIlun des fonds destinés à être partagés entre les sociétaires sur-
vivants à une époque déterminée d'avance ou à être attribués au dernier d'en-
tre eux. Bien différente de la tontine française qui constitue un contrat alé-
atoire entre des capitalistes qui fournissent chacun une mise en convenant que
les parts des prémourants profiteront aux survivants, les associations dites
tontines en Afrique, se présentent comme une sorte de club dont les membres
donnent une contribution à intervalles fixes, la somme de ce qui a été donné
par le groupe étant attribuée à chacun des membres par rotation, en vue d'une
assistance pour les besoins d'argent. Donc en Afrique les tontines ne sont
point des opérations basées sur la chance ou le hasard. Ce n'est pas comme en
France une sorte de loterie funèbre où les morts paient pour les vivants. Au
contraire, en Afrique, le souhait des sociétaires d'une association dite ton-
tine est que tous les membres se portent bien afin que l'opération se poursui-
ve bien jusqu'à son terme, car camne nous le montrerons dans nos développe-
ments ultérieurs, la mort d'un membre d'un"Esu dit fermé" peut en traIner la
dissolution de cette association. Cependant le seul aléa que l'on peut noter
dans les tontines africaines,
c'est le risque d'insolvabilité de certains mem-
bres qui peuvent être soit de mauvaise foi, soit avoir des difficultés de tré-
sorerie, mais ce risque est prévisible dans la plupart des cas. Donc, en Afri-
que, les membres d'une tontine, au lieu de spêeuler sur le nombre de décès
qui peuvent se produire pendant la durée de l'association {car en France si la
242

mort multiplie les décès l'opération sera bonne, et dans le cas contraire elle
sera médiocre), les sociétaires d'un Esu doivent et ont intérêt à souhaiter
une bonne santé à leurs co-contractants. D'ailleurs les liens familiaux, ami-
caux ou encore l'esprit de solidarité et d'assistance mutuelles qui les unis
sent doivent commander un tel souhait. Bref notons que si nous étions en Fran-
ce en cette période nous ne serions guère séduits par un tel genre d'opéra-
tions tontinières.
Mais on peut se poser la question suivante. D'oü vient alors la simi-
litude de terme malgré tant de différences qui opposent les opérations tonti-
nières françaises et africaines ? En effet, comme nous allons essayer de le
montrer dans notre deuxième sous-paragraphe, les tontines africaines et fran-
çaises ont bien certains points communs, ce qui explique sans doute que les
africains aient emprunté le terme tontine pour désigner les opérations tonti-
nières qu'ils pratiquent à leur manière avec une telle originalité qu'on peut
dire que la tontine en Afrique est une institution sui generis n'ayant point
son équivalent en droit français.
B.
- LA RESSEMBLANCE.
Nous savons désormais ce que constitue la tontine en France. C'est
l'abandon par les prédécédés, et nous tenons à bien préciser que c'est l'aban-
don gratuit, sans compensation, de leur part éventuelle dans le fonds commun;
les fonds versés par l'adhérent au moment de son entrée en société l'ont été
non à titre de dépOt, mais d'aliénation. La société, la collectivité, l'Etat,
en sont devenus propriétaires, de même que l'adhérent est devenu propriétaire
du fonds commun. Alors qu'en Afrique les associations dites tontines sont des
groupements destinés à procurer des avantages en nature ou en numéraire à ses
membres, à porter secours, assistance aux membres qui seront dans le besoin
d'argent. C'est un moyen pour se procurer du crédit peu coQteux voire gratuit.
Ceci est très important dans nos pays oü les usuriers opèrent en plein jour et
sur les places publiques. Ces tontines se révèlent ainsi comme un instrument
de lutte efficace contre toute infraction en matière de crédit. On verra plus
loin que ces associations dites tontines, une fois bien règlementées, ne peu-
vent procurer que des avantages à ses membres. Malgré les différences qui les
opposent, on peut néanmoins noter certains points communs entre les opérations
tontiniêres en France et en Afrique.
243

De par leur définition respective, s'il ressort que la tontine afri-
caine et la tontine française sont toutes les deux des opérations financières,
des contrats onéreux, l'une africaine basée sur une idée d'entraide et d'asis-
tance mutuelle en cas de besoin d'argent, l'autre française est fondée sur
des combinaisons aléatoires dans lesquelles entre comme base principale les
chances de mortalité.
Ces deux genres de tontines ne sont pas comme une société créée pour
l'action. Elles ne tendent pas à accroltre la puissance productive par l'union
des forces individuelles et à conquérir ainsi un bénéfice commun qui doive être
partagé. Elles sont toutes les deux des associations purement passives dont le
capital toujours identique se répartit diversement (en France au fur et à me-
sure des décès qui diminuent le nombre des parties prenantes, en Afrique entre
les sociétaires par intervalles fixes selon un système de rotation qui varie
d'une association à une autre).
Quant A leur nature juridique, on peut déjà avancer que ces opérations
tontinières françaises et africaines ne sont ni des sociétés civiles ou commer-
ciales, ni des sociétés en participation, ni des mutuelles d'assurance. Elles
seraient sans doute des
sociétés
de type particulier.
Cette comparaison venant d'être faite de façon assez sommaire, voyons
quelle est l'origine de ces deux sortes de tontine. Les tontines africaines
auraient-elles une origine en France, en Europe en général, ce n'est pas Sari
ou bien s'agit-il tout simplement d'une usurpation de terme retenu et utilisé
dans presque toute l'Afrique francophone A cause des ressemblances que nous
venons de relever ? Cette deuxième alternative nous semble plus convaincante,
et c'est ce que nous allOns essayer de montrer dans la section qui va suivre.
SECTION Il. -
APERCUS HISTORIQUES DE LA TOOTINE.
Après avoir tenté de donner une définition des tontines en Europe et
en Afrique, nous étudierons également de façon assez sommaire l'évolution his-
torique et chronologique de ces deux sortes de tontines en montrant quels liens
elles ont entre elles.
244

Paragraphe 1. - EVOLUI'ION HISTORIQUE DE LA TCNt'INE EN FRANCE.
S'il fallait trouver des ancêtres même indirects aux tontines françai-
ses, c'est peut être au-delà de la Manche et des Alpes qu'il faudrait les cher-
cher.
On a tenté de faire remonter l'idée des tontines aux Guildes Anglo-
saxonnes et à la célèbre casualty-assurance de la Chambre Maritime d'Assurance
en Grande-Bretagne. Par un certain oeté, les mécanismes tontiniers, premiers
emprunts A caractère viager, ne 11 o ublions pas, s'y trouvent déjà préfigurés
puisque, déjà la vie du roi ou des grands hommes est utilisée pour fixer les
limites du contrat. On y trouve aussi, quoique fort imprécis, un certain jeu
de "solidarité" qui nlest pas sans annoncer les classes tontinières françaises
et même le principe tontinier africain.
En Italie également si l'on en croit Lorenzo Tonti, le père des tonti-
nes, il aurait existé des sortes de tontines ayant rencontré un franc succès.
A vrai dire, n'ayant pu consulter d'archives italiennes complètes, je niai
trouvé (et les bibliographS des tontines ne semble guère avoir été plus heu-
reux) aucun document concernant ces emprunts italiens qui semblent être nés de
l'imagination de financiers privés et dont les formes et caractères ne nous
sont point connus.
Il est hors de doute que ce sont elles en tout cas qui ont inspiré un
financier italien Lorenzo TOnti le projet d'emprunt public qu'il soumet A Ma-
zarin en 1653.
Les tontines, dès leur naissance, à l'état d'idée apparaissent comme
un expédient financier A vrai dire fort séduisant pour un gouvernement dont la
trésorerie est chancelante.
c'est qu'alors la situation de la France, la trésorerie française,
souffrent d'une crise très grave. Les impdts sont insuffisants et rentrent
mal; on doit suspendre partiellement les paiements, multiplier les emprunts
perpétuels, gaqér sur les ressources les plus rares. On en vient pour obtenir
de l'arqent frais â offrir aux prêteurs éventuels des taux d'intérêt considé-
rables et ruineux allant de 20\\ à 50\\.
245

En l'an 1653_ le roi se propose, écrit un technicien des finances de
Louis XV, 64 ans plus tard (1), de rembourser une portion considérable des
rentes de l'HOtelœ Ville, et d'ajouter; "on cherche les moyens propres A
réunir dans ce dessein, sans trop altérer les revenus de l'Etat et sans préju-
dicier aux propriétaires de rentes .•• ".
Plusieurs mémoires sont présentés aux conseils .•• notamment celui de
Tonti, homme versé dans ces fortes connaissances.
"Non seulement ajoute le Roy (1 bis) dans son livre, le projet de Ton-
ti tend au remboursement d'une portion considérable de rentes, mais aussi à
enrichir les particuliers."
Lorenzo Tonti, il est vrai, apporte une formule neuve. Avec elle, es-
time-t-il les capitalistes et surtout les petits épargnants seront incités à
apporter! l'Etat de l'argent frais, car l'emprunt tontinier leur offre des
avantages multiples, intérêt important, séduction du viager, attrait d'une 10-
ter ie de la vie.
"Si dans une vraie loterie, les gens ne sont guère persuadés qu'ils
vont gagner, par contre dit Tant!, chacun croit au fond, vivre plus longtemps
que les autres et pense être bénéficiaire des plus-values que les emprunts à
forme tontiniêre offrent aux survivants."
Donc la tontine fut introduite en France par cet Italien du nom de Lo-
renzo Tonti. Voyons brièvement qui était cet homme.
Lorenzo Tonti est un ancien banquier Napolitain qui, fuyant l'Italie
après la Révolution de Masaniello (2) vint se fixer en France vers le milieu
du XVllème siècle. La combinaison financière qu'il apportait vers 1648 au Car-
dinal Mazarin devait, en prenant son nom, le rendre célèbre. Il put en trouver
(l,Ibis) Mémoires sur le contrôle des rentes de Le Roy.- Ed. Le Mercier,
Mai 1717.
(2) ~aniello (PcurTomasso Aniello), pêcheur de Naples, né en 1622 dans Amalfi,
se mit en 1647 à la tète du peuple insurgé contre les receveurs des impOts,
assiéger le vie-roi (DuC d'Arcos) dans son palais, et le força à le recon-
naltre comme Gouverneur. Pendant 7 jours il fut maltre de Naples qu'il rem-
plit de massacres; mais des émissaires du vice-roi l'assassinèrent dana un
mouvement populaire. Il est le héros de deux opéras intitulès Masaniello
et la MUette de Portici.
246

l'inspiration dans les anciennes institutions italiennes: les Honte delle 00-
ti que nous n'avons pas pu hélas consulter. Ces établissements, contre un ver-
sement fixe opéré A la naissance des enfants, s'engageaient à leur verser, le
jour de leur dix-huitième année, une somme convenue assez importante, mais
sous la condition expresse de leur survie A cette date.
Tonti appliqua aux emprunts d'Etat cette canbinaison d'assurance en
cas de vie, pensant attirer ainsi au Trésor public des capitaux de prêteurs à
qui l'on promettait, en échange l et durant leur vie, en plus des revenus de
leurs capitaux, les rentes afférentes aux versements de leurs corentiers décé-
dés. Si l'idée de jeu devait ainsi intervenir au profit des particuliers sur-
vivants, l'intérêt de l'opération.n'était pas moindre pour l'Etat lui-même. Il
ne reversait qu'en partie, sur les têtes survivantes, les arrérages servis à
ses rentiers décédés. Une mortalité favorable
c'est-à-dire rapide, de ses ren-
l
tiers, lui valait un amortissement partiel de sa dette viagère. Mazarin, adap-
tant l'idée, créa en 1653 la tontine Royale, emprunt de 1.250.000 livres de
rentes viagères. Le Parlement refusa d'enregistrer l'édit royal. Une seconde
tentative, en 1656, en vue de construire un pont de pierre et une pompe en fa-
ce des Tuileries, resta théorique comme la première.
L'application pratique du système ne fut réalisée que par Louis XIV,
en 1689 et en 1696. Une tontine de 1709 échoua en raison de la misère publique
qui empêcha de réunir les souscriptions nécessaires. D'autres tontines furent
émises en 1733, en 1734, en 1743, celle-ci avec adjonction de loterie, l'Etat
s'attribuant en général la moitié de la part des prêmourants. Les tontines sui-
i vantes de 1744, 1745, 1759 et 1763 eurent un vif succès. Mais le système inspi-
1 r~ par Tonti, si séduisant qu'il apparat à l'emprunteur, se heurtait à un fac-
1
i teur encore inconnu: l'indétermination et l'élévation possible des intérêts â
lservir. L'expédient, écrit Forbonnais, est des plus onéreux, "puisqu'il faut
'lpresque un siècle pour éteindre une tontine dont les intérêts sont pourtant
d'ordinaire à un très fort denier. Il Le calcul de la valeur des rentes viagèt:es
i
1 ne
fut en effet établi qu'en 1761, en Hollande, par le grand pensionnaire Jean
1
{ de witt,et resta très longtemps sinon ignoré en France, du moins sens applica-
1
1 tian pratique.
Devant ces inconvénients graves, une déclaration royale de 1763 finit
247

1.
r
par interdire toute création de tontines à l'avenir, et un arrêt du Conseil
de 1770 abolit celles existantes, les convertissant en rentes viagères non re-
versibles indéfiniment sur les têtes survivantes. Une dernière tontine fut
pourtant autorisée par le roi, en 1785, au profit du duc d'Orléans. La conven-
tion établit, en l'an III, une tontine nationale, suspendue dès l'an IV. De-
puis ce moment, l'institution a cessé d'être publique et est devenue unique-
ment une combinaison privée dont l'une, la Caisse Lafarge, demeure la plus cé-
lèbre. Elle eut, au XIXême siècle. autour de 1840, un regain de succès, mais
donna beaucoup de désillusions.
Comme nous venons de le montrer, il est assez aisé de constater que
les tontines françaises ont bien leur origine en Italie, ayant été introduiteg
en France par ce banquier de Naples. D'autre part, noug avong vu que la combi-
jaigon financière appelée tontine vient du nom de gon inventeur, du moins de
celui qui l'a introduite en France, Lorenzo Tonti. Donc il serait aberrant de
notre part de penser que le mot tontine a son origine en Afrique. bien que se-
lon les informateurs, les Eeus ou associations dites tontines existeraient bien
avant la ~riode coloniale, voire avant l'apparition de la monnaie. Alors il
ne serait pas impertinent de se poser la question de savoir d'o~ vient cette
synonymie des termes tontines qui ne signifient pas les mêmes institutions, en
France et en Afrique. Il serait prématuré de faire une suggestion sans avoir
auparavant essayé de faire un bref aperçu historique des Esus ou associations
dites tontines en Afrique. Ceci constituera notre deuxième paragraphe.
paragraphe II. - APEBCUS HISTORIQUES DES"ESUS"0U"1\\SSQCIATIONS DITES TONTINES
EN AFRIQUE."
Les associations dites tontines ont sans doute leur origine chez les
Yaubas qui sont connus dans toute l'Afrique pour leur sens des affaires et
pour leur esprit d'entraide et de solidarité, surtout entre les membres d'une
même famille. Il est donc tout â fait normal qu'on pense, tout comme william
R. B1\\SCOH, que le Esu a ses racines chez les Yorubas.
En effet se sont les ~as qui détiennent en général le monopole du
commerce au Nigéria, au Benin, au Gabon, en COte d'Ivoire, bref un peu partout
en Afrique, sauf au Sénégal oÜ ils sont évincés par les Libanos-Syriens. Ce
qui caractérise surtout ce peuple, c'est leur esprit de solidarité, de secours
248

mutuel. Donc les Yombas ayant un sens aigu des affaires, ont vite compris que
seul le crédit gratuit ou vraiment peu coUteux est le seul moyen de pouvoir
démarrer sans trop grande difficulté dans les affaires. Il est donc normal que
ce peuple cherche et trouve WJ, moyen efficace, un remède pour pallier aux mé-
faits des pratiques usurières, pour lutter contre les infractions en matière
de crédit. Alors, comme il nous serait
aisé de le mOntrer, les "Esus" ou "as-
sociations dites tontines"seraient nées de l'initiative des Yorubas originai-
res du Sud du Nigéria, berceau de la civilisation négro-africaine.
D'ailleurs, le mot "Esu" vient de Eso signifiant en Yruba fruit, bien
que assez déformé, assez mutilé est retenu sur presque toute la c~te du Benin
pour dé8igner ce que les lettrés appellent tontine. Par exemple, les fons qui
sont des populations habitant le Sud de la Républ ique du Benin (ancien Daho-
,
,
Mey) disent "Oso .. ou "Sokue" qui signifie Esu dans leur dialecte. C'est tout
simplement une déformation du mot Esu qui a donné Osa ou S6 tout court, ce qui
ne veut rien dire en fon. D'autre part, chez les NUpEBet les Haoussas qui sont
les peuples voisins de Haoussas, le "Esu" est connu sous le nom de dashi et
adashi qui signifie cotisation en ~oruba,Le Esu est également remarqué che~
les noirs de Trinidad oü il est connu sous le nom de Esusu ou susu autre dé-
formation du mot initial Esu qui est reconnu sans aucun doute comme un atavis-
me africain ne pouvant remonter qu'à des origines Yorubas.
Maintenant que nous savons A peu près l'origine des Esus, vers quelle
période peut-on situer son apparition en Afrique ou du moins chez les Yorubas
qui en sont les précurseurs ?
Selon les informateurs, il parai trait que les Esus existeraient et se-
raient pratiqués dans le royaume ~a d'Ifé, d'Oyo, d'Ibadan et du Benin,
bien avant l'apparition de la monnaie. A cette période assez mal connue d'ail-
leurs, le Esu se faisait déjà de plusieurs manières. Tout au début, il se pra-
tiquait sous forme de trocs. Il parait que chaque jour du marché d'Oyo ou
d'Ifé, un grOUpe de femmes ou d'hommes 'bmbas venant échanger leurs produits
avec ceux dont ils avaient besoin, s'entendaient pour donner chacun une cer-
taine quantité de leur marchandise fiXée à l'avance selon un barème qu'ils ont
retenu d'un commun accord, à un d'entre eux qui était dans le besoin. Ce der-
nier s'engage à cotiser de la même façon le jour du marché suivant pour une
249

deuxième personne faisant partie du groupe et dont se serait le tour, et ceci
jusqu"
ce qu'il rembourse ce qu'il a reçu. Ce serait, selon nous, la forme
embryonnaire de la tontine africaine. En général ce qui a été cotisé est remis
& un Ignaegbé ou un babaêgbê, ce qui signifie littéralement en ~uba la mère
ou le pêre de l'association, termes toujours retenus jusqu'! nos jours pour
désigner le pêre ou la mêre de la tontine.
Puis il yale "Eeu" qui se pratiquait avec des cauris qui sont des es-
pèces de coquilles qui représentaient la monnaie dans presque toute l'Afrique.
D'ailleurs on utilise encore de nos jours ces carris camne monnaie dans les ré-
gion& les plus reculées de la Baute Volta. Ici il n'y a rien d'original à dire
sauf que le Esu se pratique sous les mêmes formes que nous connaissons aujourd'-
hui avec ces cauris dont le cours était quand mêlne assez uniforme.
On pourra donc déduire que le Esu ou association dite tontine existait
déj' en Afrique bien avant la colonisation du continent. Et nous avons bien un
exemple concret : les Noirs de Trinidad, les Antillais et surtout les Brési-
liens, tous ces peuples qui sont les descendants d'anciens esclaves africains,
connaissent et pratiquent toujours le "Esu". Bien que déportés dans des conti-
nents tout à fait différents des leurs, ces noirs américains, et surtout ces
brésiliens, ont tenu à garder dans la plupart des cas leurs coutumes, ce qui
est d'ailleurs appréciable et louable. Ainsi donc on peut penser, sans souffrir
de trop de chauvinisme, que les "Esu" ou associations dites tontines sont des
pratiques authentiquement africaines ayant leurs racines chez les Yo~ubas,com­
me l'affirme d'ailleurs aussi le grand. 8Ocioloque William R. BASCOM (1) qui
s'est beaucoup intfressé aux coutumes Yorubas.
Cette optique des Esua ou associations dites tontines ayant été éluci-
dée, une question demeure néanmoins toujours intacte, c'est celle de savoir
d 'oil vient alors le mot tontine :
Compte tenu de nos premiêres explications et de la façon dont nous sa-
vons que les choses se passent en général en Afrique, on peut faire la sugges-
tion suivante. Nous savons que pendant toute la ptriode coloniale, la plupart
des postes de commandement, 6 savoir la gendarmerie, la police, la justice, etc.
étaient tenus par des colons blancs qui avaient souvent des interprêtes autoch-
250

tones. Selon nous, et c'est une opinion qui nous est personnelle et n'engage
que nous seules, il se pourrait qu'un jour, un juge, un chef de la Brigade
de la gendarmerie ou un CClIIIDandant de cercle (ancien sous-préfet) ait A con-
naltre un litige né A l'occasion d'un Esu. L'interprète ayant relaté les faits
A son interlocuteur, qui est soit un juge d'instruction ou un gendarme, ce der-
nier fait une corrélation avec les opérations tontinières françaises qu'il
connaissait et qui étaient rêpandues un peu partout en Burope aUKXIIIême et
XIVême siècles, a pu déduire qu'il s'agissait d'un litige né à l'occasion d'Une
tontine, voulant à tout prix trouver un êquivalent au mot Esu qui est plutOt,
selon nous, une institution sui generis n'ayant point son êquivalent en droit
français. OU tout s~lement ce serait l'interprète africain qui, ayant enten-
du déjà parler de tontine, a essayé de traduire le mot Esu en 50 ou Adjokue
en français, en le désignant sous la dénomination du mot tontine et on pense,
avec toutefois des réserves, sans rien affirmer, que c'est de cette façon que
le Esu ~~a devenu une institution de crédit en Afrique serait désormais connu
sOUs le nom de tontine dans toute l'Afrique Noire francophone.
cet aperçu historique ayant été sOlllDllirement retracé, voyons dans une
section troisième quel est l'objet des tontines en Afrique.
SECTIctI III. - LE Bt1l' DES TONTINES EN AFRIQUE'
Compte tenu de la définition des associations dites tontines en Afri-
que, nous savons que si ces Esus sont bien règlamentés, ils ne peuvent procu-
rer que des avantages A ses 'membres. Nous examinerons donc le premier avanta-
ge dans le premier paragraphe de cette section troisième.
Paragraphe 1. - LE ESU, OBJET EFFICACE DE Lt1I'TE COHr'RE LES INFRACTIONS EN
_TIERS DE CREDIT.
Nous savons que les"Esus" sont en Afrique un moyen d'obtenir du crédit
gratuit ou peu co11tewc et ceci est très important dans un continent 0\\1 les
usuriers opèrent en plein jour et sur les places publiques, et où les popula-
tions inconscientes, courent elles-mêmes au-devant de leur propre misère, pas-
sant par tous les DOyens pour obtenir les liquidit~s dont elles ont besoin.
Ainsi, le "Esu" dont on a voulu d~libérêment faire une étude détaillée
251

à cause de son importance dans la lutte préventive contre les atteintes au
droit du crédit en Afrique Noire, constitue à nos yeux un objet efficace de
lutte contre les mentalités négatives et attardées des populations sous-déve-
lpppées. Les membres d'un "Esu", étant obligés de payer réguliêrement leur
contribution à une période fixe, seront obligés de mettre de cdté une certai-
ne somme pour ne pas être mal vus par les autres adhérents. Cette somme cons-
titue une forme d'épargne A laquelle ils ne penseraient pas s'ils n'étaient
pas membres d'un "Esu". Ainsi donc, le
"Esu" oblige ses membres A lutter
contre l'imprévoyance, il les éduque, les entraîne à épargner, à acquérir cet
esprit d'épargne qui nous fait tant défaut en Afrique Noire et qui constitue
l'essence même du crédit.
Donc,le premier objet des "Esu" est la réduction du coat du crédit
qui devient nul ou vraiment nettement moins cher. Les membres du Esu en s'as-
sociant pour s'octroyer mutuellement du crédit, suppriment ainsi les intermé-
diaires, les agios et toutes charges occasionnées par le prêt qu'une banque
ou un établissement de crédit leur accorderait, sans parler des usuriers afri-
cains qui, sans hésiter, fixe leur taux d'intérêt 'parfois jusqu'A 200 ou 400 \\.
D'ol1 les "Esu" contribuent A une amélioration de la qualité de la vie de ses
membres car ces derniers, sans réaliser directement un bénéfice, font néanmoins
des économies qui contribueront à relever leur niveau de vie. Avec cette som-
me qu'il aura perçue, le membre pourra s'acheter des engrais, des grains pour
la semence, préparer la rentrée scolaire de ses enfants, débuter dans le com-
merce comme c'est le plus souvent le cas chez les femmes beninoises et togo-
laises. C'est pour cette raison que les
çouns et les fons du Sud du Benin ap-
pellent également le "Esu" Adjokue ou Adjonon, ce qui signifie fonds de roule-
ment dans ces dialectes, d'oil le "Esu" touten avant un objet économique ou un
but social. Il contribue ainsi indirectement au relèvement du niveau social
de ses membres, tout en les incitant à épargner.
Bien que le mobile des membres d'un Esu soit différent car les besoins
de chacun des membres ne peuvent pas étre les mêmes, le Esu a essentiellement
pour objet une réduction du coat du crédit et aussi une entraIde mutuelle des
adhérents en cas de besoin d'argent. Nous savons que les occasions pouvant don-
ner lieu à la constitution d'un Esu sont fort nombreuses: mariage, constitu-
tion de dot, enlèvement de deuil, constitution d'un fond de roulement, prépa-
252

ration de la rentrée scolaire des enfants, enterrement d'un parent. Si les mo-
biles ayant entralné chaque membre d'un Esu sont différents et multiples, il
n'en deœ:ure pas moins que l'objet principal du Esu soit louable, car il a
pour but de cantribuer au développement éconOlll1que et social de ses IBeIIlhres.
Au lieu de les interdire COIIlID8 le font certains gouvernements ! cause des
abus dant ils peuvent Itre la source, on devrait l!sinstitutionnaliser et les
règlementer, car fis sont nécessair. dans nos pays d'Afrique Noire o~ les sur-
faces financières des populations sont en gén'ral nulles.
Au lieu d'interdire le Esu, les autorit's nigérianes devraient commen-
cer a. lutter cantre la corruption qui slivit dans tous les domaines au Nigéria,
car le Esu, cœme nous venons de le montrer, n'est pas contraire a. l'ordre pu-
blic n1 aux bonnes moeurs. Il est licite et règlement' dans le droit béninois
car les Esu ou associations dites tontines pr'sentent un intér't certain pour
ses membres et pour le pays.
Nous avons d.fini le "Esu" CCGlID8 une sorte de fondation A laquelle un
groupe d'individus donne une contribution monétaire a. intervalles fixes A cha-
cun d'eux par rotations, et dans le dictionnaire Y<JLÛ)a, le Eau est d.fini CCllD.-
ma 'tant un club organisé pour les besoins des membres en vue d'une assistance
pour les questions d'argent.
cette d'finition attire les remarques suivantes :
1) L'objet dea "Eeus" est limité exclusiveJDent a. l'octroi mutuel du
crédit par ses membres.
2) Seules lee personnes qui sont membres du "EaU" sont habilitées A
user des services de cette asSOCiation, qui est ici l'octroi du
crédit peu co11tewt.
En un mot, les "Esus" ne peuvent traiter qu'avec leurs membres et seuls
les adhérents peuvent user de ses services. On peut noter également que c'est
l'application intégrale des principes coop'ratifs de la dOuble qualité et de
l'exclusivisJDe. Nous reviendrons sur ce point dans nos dliveloppements ult'-
rieurs.
Si l'objet des "Esu" est limité exclusivement a. l'octroi d'un crédit
ne revenant pas cher, par contre, ce crédit accordé peut être un crédit de
253

production et de consClIIIIDation (le mobile des gens qui adhèrent dans les "Esus"
sont fort multiples : cela va de la construction d'une maison à la préparation
de la ;rentrée scolaire ou la constitution d'une dot).
Paragraphe II. - LES TClfI'IHES BIEN REGLEMENTEES NE CCMPORl'ENT QUE DES AVNfl'A-
GES POUR SBS MEMBRES.
Dans une association dite tontine en Afrique, 11 y a en général deux
sortes d'adh~rents •
on y rencontre ceux qui sont dans le besoin pressant dl argent. On peut
penser que c'est cette catégorie de personnes qui profitent de tous les avan-
tages du Beu. Ceci est vrai dans un sens, car ces derniers, à cause de leur
situation financière assez réduite, ne peuvent pas s'adresser aux banques ou
organismes de crédit de la place. S 1 ils ne trouvaient pas à faire partie d'un
"Esu", qui se pencherait sur leur sort et essaierait de les satisfaire le plus
tôt poss:1l::lle,
leur seul recours serait d'aller frapper A la porte des usu-
riers ou bien de procéder à un détournement.
D'autre part, on peut également remarquer que ceux qui disposent d'ar-
gent et n'ont point de besoins immédiats, nlen retirent pas moins d'avantages
que les premiers, car chez eux, le Bsu développera l'esprit de solidarité, de
la vie cClllllunautaire, dont on a vraiment besoin dans ce monde actuel devenu
presque une jungle 00 le plus fort cherche A avaler le plus faible. Nous pré-
férons d'ailleurs cette forme d'aide, d'assistance mutuelle, à l'aumOne que
la religion musulmane préconise 1 ses adeptes.
Mais, n'oublions surtout pas que tout ceci n'est possible que grâce à
une bonne rêglementation, une bonne organisation du "Bsu" ou association dite
tontine. Il faut que les membres soient de bonne fol. Une obligation de bonne
foi, de rectitude et de loyauté doit présider ces "Esus Oi ou opérations tonti-
niêres en Afrique.
254

CHAPITRE II
ORGANISATICIf DU "8SU" OU TQl'l'INE
Le -Esu" est une inetitution de cr'dft chez les Yorubas.Nous avons
relev' les multiples avantages dont peuvent b'n'ficier ses membres grâce A
une minutieuse orqanisation basée surtout sur Wle notion de bonne foi et une
obligation de loyaut' et de rectitude.
S'il est int'ressant de préconiser les "Esus" ou associations dites
tontines comme un moyen efficace de lutte contre les infractions en matière
de cr'dit, il est éqalement nécessaire d'étudier son organisation afin de pou-
voir pr'coniser des remèdes en cas d'abus dans la gestion de ces associations.
Nous étudierons successivement
1
- La constitution des aSBociations dites tontines,
II - Le fonctionnement des "Bsus·,
III- La dissolution des "Esus·.
,
SECTION 1 • - LA CClfSTI'l't1I'tClf DES "ESUS" OU ASSCCIATIClfS DITES TQl'l'INES.
ces règles de constitution de ces associations sont très simples. Les
conditions de forme sont inexistantes et les conditions de fond sont réduites
au strict minimum.
Paragraphe 1. - LES CctfDITIQNS DE FORME.
Elles sont casi-inexistantes. La constitution de la tontine dans les
états d'Afrique francophone retenus pour notre étude ne donne lieu à aucune
rèqlementation. Elle nlest soumise a aUCWle autorisation préalable des autori-
tés locales. L'acte constitutif ou "statut" nlest guère exigé par les qouver-
nementa qui ne se mêlent pas a ce genre d'opération pourtant très sOr en Afri-
que.
Aucune formalit' de publicité n'est prévue, cependant on peut noter
une dynamique publicité orale faite par les fondateurs du "Esu· afin de trou-
ver les futurs membres.
255

Notons que n'importe quelle occasion peut donner lieu a. un "Esu"
constitution de dot, mariage, baptême, enlèvement de deuil, construction de
maison, fW'l4railles, constibJ.tion d'W'l fonds de roulement. achat d'une voitu-
re et même pr4paration de la rentr4e scolaire des enfants, n'oublions pas que
la pauvreté est a. son comble dans certains milieux africains.
Vu l'importance de cette insti tution dans la vie de la plupart des
africains, il serait souhaitable que les puissances publiques surveillent un
peu plus la constitution et le fonctionnement de ces "EBus".
paragraphe II. - LES CONDITIONS DE POND.
Elles sont réduites au strict min~; cependant deux idées dominent
dans les "Esus" fenn4s : l'inti tus
personae
et la responsabilité indéfinie
des membres.
A. - CCtiSENTEMENT ET CAPACITE.
En ce qui concerne le consentement, pour les "BSUS" fermês, llerreur
sur la personne aura certainement un caractère déterminant, car le "Esu" fer-
m6 est une association qui a 4t4 conclue intitus personae.
En ce qui concerne la capacit4, aucune condition d'Age ntest exigée.
Le mineur non êmancip4, la femme et le mari, pourront faire partie d'une asso-
ciation dite tontine. La capacité de faire le cCllllD8rce n'est point exigée.
Seuls, les aliénés ne sont pas admis dans ces associations.
Egalement, il n'y a plus aucune inC'OlZlP&tibilit4 : les gendarmes, les
agents de police, les juges, les fonctionnaires, font souvent partie des "Bsu§
avec des civils ou des COIIlIIerçants.
B. - CHOIX DES MEMBRES.
Le choix des memtlres d'un "Jl:8U" est basé sur le système de l'intitus
pereonae.Dans les "Esus" ferMs, le choix slopire de façon très sévère, tandis
que dans les "Esus" ouverts, c'est tout Simplement le système d'adhésion qui
est retenu dans presque toute l'Afrique Noire. Le fondateur ou le père de la.
tontine ouverte fixe W'le certaine SClllD8 que lee futurs membres doivent payer
256

1par intervalles fixes selon un système de rotation qui varie d 'un qroupe .! un
autre. Ceux qui se sentent capables de payer une telle contribUtion et qui
sont intêre88ês pour une raison ou une autre par ces tontines, manifestent leur
d'sir de faire partie de l'association en donnant leurs nom et adresse au pè-
1
1 re 0\\1 A la mêre de la tontine.
Mais cependant, que cela soit dans les "Esus"
j fenJês 0\\1 ouverts, le choix des membree est tout de mime basê sur un critère
'l' de
801vabl11t~L Ceux qui ont la rêputation d'être un débiteur solvable chroni-
. que ne sont pas admis dana les "Bsus".
1
c. - DIMENSION D'UN "ESU".
Quant A la taille ou la dimension d'un "Eau·, elle varie selon le ca-
l pital social. c'&st-A-dire l'ensemble des contributions des apports de chaque
~ membre, ainsi que selon le ncabre des membres.
En ce qui concerne ces contributions. aucun minimum n'est flxê par la
loi et par les coutumes. Les quote-parts varient selon les associations, les
idécisions de tous les membres dans les ~BSUSR fermés, et selon la volonté du
i fondateur ou du président de l'association dite tontine dans les "Esus" ouverts.
Les contributions ne peuvent qu'être en espèces. Aucun apport en natu-
re, en jouissance ni en industrie n'est accepté dans ces associations dites
tontines.
Donc, le nombre des êpargnants, la taille des contributions et la du-
r " des intervalles oil elles doivent être faites varient d'un groupe" un au-
tre. Pour les besoins d'un exemple, imaginons un cas simple :
- vinqt membres donnent chacun une contribution de 100 francs CFA par
mois. A la fin des vinqt mois qui siqnifieront le terme du cycle dans ce cas
précis, chaque membre aura donné 2.000 francs et par la même occasion aura re-
t;ju en retour 2.000 francs CFA qu'il aura cotisés, disons éparqnés. En théorie
tout au moins, chaque membre aura ret;ju en retour une somme éqale a sa part de
contrrbution durant le cycle. Il n'aura donc ni qaqné, ni perdu, mais l'avan-
tage des membres aura été plutOt de disposer d'une somme importante pour des
dépenses ou achats trop chers ou pour éponqer
des dettes de taille importante.
En outre, on essaie de payer les membres a temps quand ils manifestent le dé-
sir de satisfaire un besoin pressant. La taille de la contribution varie larqe-
ment d'un groupe de ~EsuR a un autre. Bien que les contributions de 50 Francs,
257

100 Frs •.• 1.0CXI Fra, soient probablement les quotitês les plus communes, on
trouve 'galement des ftEsus" à contributions très êlevêes allant de 10.0CXI Frs
CFA A 5OO.0CXI Fra.CFA par mois.
Lea contributions sont gên4ralement mensuelles, bimensuelles (tollS les
quinze jours selon le ddccmpte Yoruba), tous les huit jours, tous les quatre
jours et même tous les jours pour les "Eaua" de faible contribution. De toutes
les façons, tout intervalle peut Itre retenu. Ainsi, les fetlllDEls du march'
d'If' au Nig'ria ont un groupe de "Esu" qui leur est propre, avec des contri-
butions d'un demi penny ou un penny par jour. Les marchandes de Dantdc..pa à
Cotonou (R'p. populaire du Benin) cotisent en gêndral 250 Frs.CFA tous les
jours oà a lieu le marchê, c'est-à~ire tous les quatre jours.
La durée du cycle d'pend à la fois du temps entre deux contributions
et du nombre des membres. Plusieurs -Esu" a Ifé avec huit jours d'intervalle,
peuvent atteindre quatre ou cinq années de cycle, ce qui donnerait il peu près
200 personnes COJIIIl.e membres. Certains "Esu" ouverts arrivent à avoir la dimen-
sion d'un village entier, par ex~e les marchandes so de Tori-BossltOt dans
le sud du Bên1n.
La valeur du fond collecbê est proportionnelle au nombre des membres;
aussi, le nombre des membres est-il directement l i ' & la valeur du fond. si
par exemple 18 membres acceptent de composer un "Esu" avec une contribution de
100 Fra. par exemple, en g'ndral deux d'entre eux
se porteront volontaires
pour payer 200 Frs. chaCWl. afin de porter la valeur du fond à 2.CXlO Fra.CFA.
Le nombre d'adh'sions n'a pas besoin d'Itre le ~e que le nombre de membres
effectifs. Un individu peut prendre plus d'une adhésion, et de ce fait payer
. plus d'une contribution et recevoir plus d'une collecte par cycle. A l'inverse,
1une adhdsion peut être prise par deux ou plusieurs individus, lesquels a'par'-
lment, ne peuvent payer seuls une contribution. Ainai la contribution de 1.200
i Frs. CFA peut être divisée entre deux personnes qui paieront 600 Frs. chacun,
1 entre trois personnes dont deux paieront 300 ~s. chacun et le troisième, plus
,
1 fortuné, acceptera de payer 600 Fra. ou' tout s1.lll.plement trois personnes qui
;j paieront 400 Frs. C.F.A. chacune.
,
Il Y a plu.ieurs combinaisons, plusieUrs d1v1sibilibês d'un même c~te
258

d'adhésion S\\U' plusieurs membre., ce qui rapproche les -Bsus" de la tontine
française. Quand il faut recevoir les fonds, les membres ont une collecte pro-
portionnelle A leur contribution. Chaque membre du -Bsu" reçoit exactement ce
qu'il a donné. Le système est simple, plein d'avantages, car cela suscite les
personnes A épargner, ce qui est très important chez nous,les africains aimant
souvent vivre au jour le jour, ignorant tout imprévu. Selon la coutume et sur-
tout les usages, un haume pauvre ne peut et ne doit pas participer A plusieurs
groupes de "Bsus" A fortes contribUtions, alors qu'un hOlDllle riche ne doit pas
participer a la fois A plusieurs "Bsus- de faibles contributions.
Les plus grands groupes de "Bsus" sont divisés en plusieurs sous-grou-
pes. (ona) que les anglophOnes appellent "rades- et qui sont nWlléroUs 1, 2, 3.
4 selon l'ordre dans lequel ils encaissent les fonds qui sont répartis ensuite
dans les sous-groupes. Prenons toujours un e.ample très simple : considérons
qu'il Y a quatre sous-groupes de cinq membres chacun. L'ordre dans lequel le
fond mensuel de 2.000 Frs. est reçu par les vingt membres peut être représenté
comme suit :
nO 1
nO 2
nO 3
nO 4
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
Il
12
13
14
15
16
17
18
19
20
Un individu peut prendre plusieurs adhésions, de ~me que plusieurs
,1personnes peuvent partager la même adhésion.
Si nous voulons étudier de façon assez minutieuse les conditions de
j fond d1un "Bau", c'est surtout pour montrer que ces associations dites tonti-
j nea en Afrique bien qu 1ayant des points ccmmna avec les tontines françaises,
1 diffèrent l'une' de l'autre au point de vue de la constitution et surtout du
,'jfonctionnement qui fera l'objet de notre deuxième section.
259

SECTION II. - LB FafC'I'IONNEMENT DES -aBUS" ou TœI'INES.
Les rêgles de fonctionnement d'un "Esu" ont été minutieusement fixées
par les coutumes et les usages des populations pratiquant cette opération. Les
rêgles varient selon les types de "Esu". La situation et les pouvoirs des di-
%igeants, des fondateurs, ne sont pas les mêmes selon que l'on est dan!! une
tontine fe%Dlêe ou ouverte. Il en est de ml_ des pouvoirs des membres du "Eeu".
Voyons dans un premier paragraphe que11s est la situation de ces dirigeants ou
père, mère des associations dites tontines.
Paragraphe 1. - LA SITUATION DES DIRIGEANTS D'UN "E5{J".
A. - DESIGNATION DES DIRIGEANTS.
En %êg1e g4nérale, Be sont les fondateurs du "Esu" qui en deviennent
les dirigeants.
En principe, n':lmporte qui peut créer un "Esu", dès lors qu'il trouve
des personnes désirant s'associer 1 lui. Il a tout simplement 1 faire part a
ses amis de ses propositions, et ceux qui désirent se joindre 1 lui indiquent
leur intention. Ces derniers informent 1 leur tour leurs connaissances du "Esu"
proposé, et'ce11es qui sont intAressêes expriment leur dêsir de s'y joindre.
Le fondateur devient alors le dirigeant, le prêsident du "Esu" (olori Esu) et
devient alors responsable de la gestion de la sociêtê, du paiement des contri-
butions par les membres et de la rotation des sous-groupes. Les amis du fonda-
teur qui lui ont directement donnê leur accord au d'Part deviennent "Président
des rades (ou olo%i cna) c'est-I-dire président des sous-qroupes~ et peuvent
être nommés également responsables des collectes et du partage des fonds A l'in-
térieur des BOUs-groupes. Ce mode de désignation des pères et mêres des asso-
ciations dites tontines n'est valable que pour les "Esus" ouverts.
Dans les "Esus" f_rmês, surtout 1 contribution ê1evée, les critêres de
désignation sont plus sévères. On tient en géné%a1 CaDpte ds l'honnor8bil1té,
de la solvabil1tA, du prestiqu_ du futur président du -Bsu". Dans certains
"E:sus" fermés on va jusqu'a consulter les o-=1es notamment le FI OU l'Ifl avant
j de nœmer celui qui présidera 1 la d__tiné_ et 1 la bonne marche du "Esu". Par-
1 fois, c'est un jeune garçon sag_ ou une jeune fille wpposêe et reconnue vierge
260

qui doit voir dans une cale1:lasse contanant de l'eau le visage ou le nom de la
personne qui sera bien placée pour etre président ou présidente. Enfin tout
ceci rentre déj4 dans le domaine de la su.pertition car nous n'y comprenons
vraiment rien.
La désignation des autres dirigeants, sous-chefs, secrétaires, tréso-
riers, ete •.• se fait par le dirigeant, le fondateur dans les REsue R ouverts,
et par l'ensemble des membres du ·Bsu· dans les tontines fermées.
Certains ·Eaus· ouverts peuvent inclure des membres de cinq cantone
par exemple, et les sous-groupes peuvent correspondre aux circonscriptions ur-
baines. Quand, en plus, le montant du fond est très élevé, dans ce cas seule-
ment et bien qu'il s'agisse d'un "Bsu· ouvert, un "devin" est appel4! pour choi-
sir le vice-président de chaque circonscription urbaine, afin que l'on soit
sOI d'en choisir un qui ne se serve pas du fond.
B. - REVoc:ATIOH ET DEMISSION DBS RESPONSIlBLES DU "BSUR •
Les responsable d'un REsu" ne sont pas révocables ad nutum. En général
cette révocation est tris rare dans les "Esus· ouverts. Quand le ~ésident
,d'un REsu" ouvert COIDIIMIt une faute lourde, un grand détournement, l'associa-
i tion est purement et simplement dissouta, car les membres refusent de continuer
1
1 de payer leurs contributions, ce qui entraine le plus souvent la dissolution
t de l'association dite tontine.
1
1
1
Par contre, dans les "Esus" fermés oa. les membres se connaissent très
bien car ils se réunissent très souvent, une révocation du père ou de la mère
1de la tontine peut intervenir par mésintelligence au sein de l'association.
1
En ce qui concerne la démission, les présidents ou les présidentes des
1
1
\\ sous-groupes sont libres de donner leur déllission pour des raisons de mésen-
j tente au sein du qroupe san. etre pour autant amend4!s, mais notons que cela
,
1 n'arrive pas souvent.
C. - RBMUNERATION DES DIlUGEANTS.
Les présidents et vice-présidents des "BsusR fermés ne font 9énérale-
1ment aucun profit. Il. ont seulement le privtllge d'etre reconnu comme préat-
1
l dent du groupe ou du sous-qroupe, et la satisfaction du respect de leur autori-
261

té vis-A-vis des membres desquels ils peuvent considérer ou rejeter leurs re-
quêtes leur suffit.
Dans quelques "Esus" ouverts par contre, les membres qui le désirent
peuvent donner une contribution supplêmentaire A la fin de chaque cycle, la-
quelle est partagée entre les différents présidents. Toutefois certains indi-
vidus font des affaires en tant que président d'un ~Esu"ouvert, aussi les pra-
tiques utilisées par ces professionnels sont réputées ne pas être admises dans
les "Esus" fermés ou dans les nEsus" des salariés
des gens qui se connaissent
bien.
Ces ~atiques sont considérées sans scrupules et sont d'autant plus dif-
ficiles à prévenir qu'elles se font plus ou moins de façon occulte.
Elles
consistent en ce que le
président s'octroie un ou deux fonds pendant un cycle.
Il est désagréable qu'un président s'octroie trois fonds dans un cycle et le
plus souvent, il se fait prendre. ce qui entraIne le mécontentement du groupe.
Quand un groupe de "Esu" a un grand nombre d'illett:rés parmi ses mem-
bres (au moins 80~ de la population africaine sont encore analphabètesl) et
que ces adhérents donnent de petites contributions journalières, il est très
difficile pour eux d'empêcher le président de s'attribuer un ou deux tours sup-
plémentaires. Souvent si un des membres remarque que sa part a baissé, qu'il
a cotisé cinq fois son penny et qu 1 11 n'en reçoit que quatre, quand il prend
le fond, il ne peut pas être certain que la différence n'est pas dOe A un mau-
vais calcul de sa part. Il est souvent difficile, voire impossible de prouver
combien de fois, le membre a effectivement cotisé. Un tel cas ne peut être tra-
duit devant une cour. Néanmoins A la fin du cycle, ceux qui soupçonnent le pré-
sident de manipulation frauduleuse peuvent quitter le groupe. Les membres des
"Esus" sont protégés contre les présidents malhonnêtes et peu scrupuleux par
les règles de retrait du groupe et par le fait que le président sait qu'il per-
dra ses membres s'U est trop gourmand. Une autre pratique plus aiguê des pré-
sidents professionnels des "Esus" ouverts est de s'octroyer le premier tour
pour eux-mêmes, prétextant constituer une réserve contre les défaillants, mais
affectent plutôt le fond pour leur propre besoin.
Si les dirigeants des "Esus" fermés ne font généralement aucun profit,
comme nous l'avons montré, i18 ne s~ privent guère de rémunération sous quel-
que forme que ce soit. Mais on peut objecter qu'elles sont infimes par rapport
aux profits exhorbitants et illicites des usuriers africains,
et malgré cette
262

pratique de rémunération dans les "Esus" ouverts, notre recommandation pour
ces genres d'opérations demeurent toujours valable. Après cet aperçu assez som-
maire de la situation des dirigeants, voyons quels sont leurs pouvoirs et leur
responsabilité.
paragraphe II. - POUVOIRS ET RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS.
A. - POUVOIRS.
Ces dirigeants ont le devoir de collecter les contributions de chaque
i membre. Les membres donnent leurs quote-parts au président du sous-groupe et
j peuvent même avoir des rapports directs aveC le président de la tontine. Les
1j présidents des sous-groupes donnent leurs collectes au président du groupe,
i eu égard de ce qu'ils ont reçu selon l'ordre (le numérotage) de leur sous-grou-
1pe, et ils remettent ce qu'ils ont collecté aux membres de leur sous-groupe,
1toujours en tenant compte du systême de rotation. Le président du groupe peut
j déléguer une bonne part de son autorité aux présidents des sous-groupes,
les
,\\rendant responsables de la bonne marche de l'association, d'une cotisation cor-
I!recte entre les intervalles. Dans certains cas, le président du groupe ne con-
J nait même pas l'identité des membres.
Néanmoins, on connait des "Esus" ail les
j présidents refusent d'organiser leur association en sous-groupes, tiennent à
J connaitre personnellement chaque membre, et font directement eux-mêmes leurs
collectes des fonds.
1
1
Un membre qui a un besoin urgent d'argent pour couvrir un achat spéci-
1
! fique ou une dette, peut faire appel a. son président ou au président du sous-
1 groupe pour qu'on lui attribue le fond de la collecte en priorité, même si son
,jtour n'est pas encore arrivé. A moins que le président du sous-groupe ne sente
1
J qu'il est pris en défaut ou que le besoin du membre requérant le fond ne néces-
1 site aucune urgence, le fond lui est payé dès que le tour de son sous-groupe
1arrive. C'est là un avantage appréciable de faire partie d'un "Esu" oU associa-
j tion dite tontine. Bref, selon les informateurs, l'ordre de rotation du fond
!1 ne devrait pas être ébranlé ni rompu pour des raisons de besoins individuels.
,
j cependant, l'application de ce principe a été traitée avec considération par
j les présidents des sous-groupes. Quand les dirigeants de l'association ont à
!oonnaitre ces genres de problèmes, ils épousent plutÔt la cause de la nécessi-
i té, c'est-à-dire du besoin urgent, que celle du respect d'un ordre donné de ro-
I
263

tation. Selon le principe de (owoesukan)
(qui est vraiment difficile 3 tra-
duire. Litt~ralement, cela veut dire: "selon le principe de la main du Esu");
quand plusieurs demandes arrivent en même temps, le pr~sident du sous-groupe
peut soit satisfaire le premier demandeur, soit faire un partage entre deux
ou plusieurs membres. L'individu qui fait cet appel, cette demande, est g~n~­
lralement prêt à accepter ces deux alternatives ou,dans le cas contraire, 3
1
lvoir sa requête rejet~e. Seuls quelques pr~sidents de sous-groupes très peu
jconsidérés d'ailleurs, n'attribueront A un membre des fonds spéciaux dont il
1 aura besoin sur
le moment, n'en serait même pas la totalité du fond, du moins
lIa moiti~, le tiers ou le quart de celui-ci. Si le fond est ainsi partagé en-
,
ltre deux ou plusieurs des membres, chacun d'eux percevra encore de nouveau un
,
1 fond qu'on partagera entre eux avant la fin du cycle,
afin que chacun reçoive
jce qu'il a cotisé. Cette sorte de partage entre plusieurs membres est encoura-
1
19~ par certains présidents des "rades" des sous-groupes, afin d'éliminer les
rl risques d'insolvabilité une fois qu'un membre aura reçu son fond.
i
Le membre qui reçoit le fond, doit continuer de payer régulièrement sa
iîcontrlbution jusqu'A la fin du cycle. A la fin du cycle, il est libre de quit-
jter le groupe s'il le désire.
r
1
Quand un membre est pris 3 défaut pendant un cycle durant lequel il a
reçu tout ou partie du fond, le président de gon sous-groupe lui demande de re-
verser la part qu'il a perçue en trop au regard de sa contribution. Si le con-
trevenant ne peut payer, on peut l'assigner en justice pour enrichissement sans
i{cause (en se fondant sur l'action de in remverso) et le juge coutumier pourra
1
Ile juger pour insolvabilité. Comme dans le cas de dettes impayées, il est im-
jposslble de recouvrir la somme jusqu'a ce que la Cour donne gain de cause au
!groupe, toutefois on n'ajoute pas les frais de poursuite a cette dette impayée.
jAussi le père de la tontine essaie-t-il de résoudre le problème en dehors de
1
lIa Cour. Certains pr~sident de "Esu" préconise de garder la première collecte
jde chaque cycle pour couvrir les frais occasionnés par les membres pris en dé-
1faut. Dans certains cas, le déficit est couvert par un tour de contribution
jqui n'est pas versé.
Quand un membre est pris en d~faut durant le cycle alors qu'il n'a rien
jreçu encore, ou qu'il a cotisé plus qu'il n'a reçu, il ne perd pas ce qu'il a
r
r
264

donné en surplus. Il fait appel au père de la tontine pour ce qui lui est da,
et à la fin du cycle, il est remboursé de la somme vers~e en trop. Ils peuvent
exclure du groupe un membre qui se révèle insolvable ou de mauvaise foi.
B. - RESPONSABILITE.
En ce qui concerne la responsabilité de ces dirigeants, nous savons
qu'en cas de mauvaise foi d'un membre qui se révèle insolvable, les présidents
essaient de résoudre dans un premier temps le problème à l'amiable. Quand ils
1 ne trouvent vraiment pas de solution viable, acceptable, ils traduisent le
i membre défaillant devant le tribunal coutumier qui condamnera ce dernier sur
,
\\ la base de l'action de in rem verso.
Cependant, il arrive que les dirigeants eux-mêmes détournent les fonds
qu'ils ont collectés. Cela peut arriver aussi bien dans un IIEsu" fermé que
dans un "Esu" ouvert. Ces détournements sont assez fréquents et rendent les
~as méfiants quant à constituer des groupes avec les étrangers. D'oO la ré-
putation du président du "Esu" est une considération importante pour la cons-
titution de l'association. Dans le but de savoir que leur argent est dans de
bonnes mains. les gens n'acceptent d'adhérer que dans le groupe de quelqu'un
dont la réputation d'honnêteté est absolument établie. Il est pratiquement im-
possible pour un homme malhonnête de fonder un grOUpe de "Esu".
Dès le moment
00 les individus se joignent aux sous-groupes et ignorent qui est à la tête du
groupe, ils s'en inquiètent à juste titre.
Quand c'est le père ou la mère de la tontine qui détourne les fonds,
en général l'affaire se termine devant le juge, et ceci entraIne le plus sou-
,1
~t
vent la dissolution de ~'association:'
Nous venons d'étudier les pouvoirs et la responsabilité des dirigeants
des "Esus" ou associations di tes tontines. Pour compléter, nous verrons de fa-
çon assez sommaire quelles sont les prérogatives et le devoir des membres de
cette association.
265

paragraphe III. - LES PREROGATIVES ET LES DEVOIRS DES MEMBRES D'UN "ESU".
A. - LES DEVOIRS DES MEMBRES DU "ESU".
Les membres ont le devoir de payer régulièrement leurs contributions
au père, à la mère de la tontine ou au président de leur sous-groupe dans les
tontines ouvertes à tout le monde.
Généralement, le président du "Esu" fait la collecte et la
remise du
fond en effectuant une série de marques sur les murs de sa chambre. De nos
jours, un membre instruit du groupe sert de clerc, ou de trésorier, et tient
les comptes, même si souvent cela n'empêche pas les membres de ne pas payer.
Le président professionnel peut attendre tranquillement chez lui que
les présidents des sous-groupes lui apportent les cotisations. Mais en princi-
pe, les membres ont le devoir d'apporter directement leurs quote-parts. Dans
les "Esus" ouverts dit encore de professionnel, car le père de la tontine en
fait souvent une profession, les membres de la tontine se rencontrent très ra-
rement. Ils ne sont soumis à aucune obligation de se réunir. Tout ce qu'on
leur demande, c'est de payer leurs cotisations et d'attendre leur tour pour
percevoir le fruit de leur épargne.
Tandis que dans les "Esus" fermés, des non professionnels, les membres
tiennent très souvent des réunions très régulières. Ces réunions sont connues

sous le nom de najo esu" et la maison dans laquelle elles ont lieu s'appelle

"ilé Esu". Les cotisations sont payées à ces réunions. A la fin de chacune
d'elle, le père ou la mère de la tontine appelée encore" Iyalé Esu" fixe la
date d'une autre réunion en n'omettant pas de donner l'ordre du jour aux mem-
bres de ce groupe. A l'issue de chaque réunion, les membres peuvent mange~,
chanter et danser ensemble avant de se quitter, bien que cela ne soit pas une
pratique universelle. Si la réunion prévoit un repas, les membres apportent
des provisions et des boissons, ou bien ils cotisent une petite samme à part,
ou prélèvent sur le fond de la tontine pour s'acheter des victuailles desti-
nées à cette réunion.
266

B. - LES PREROGATIVES DES MEMBRES DU "ESU".
Quant aUJe prérogatives dont peuvent jouir les membres d'un "Esu", elles
se manifestent de deUJe façons :
a) ~~~~_!!_~!~!~!~~_~~~_~~~~:e~~~'
• Dans les "Esus" fermés, restreints, limités entre des
personnes qui se sont choisies, les membres disposent d'un grand pouvoir pour
fixer leurs contributions. Toutes les décisions sont prises dans des réunions.
Pour qu'une décision soit retenue, il faut un accord de la majorité des mem-
bres, voire un accord unanime. Lors des réunions périodiques de ces "Esus", le
pêre ou la mère de la tontine fait des propositions et chaque membre a droit
à la parole. C'est à l'issue des débats qu'on retient généralement le montant
de chaque quote-part et que chaque membre manifeste son intention, s'il souhai-
te prendre deUJe adhésions ou trois, ou n'étant pas assez riche, s'il préfère
s'unir avec un autre membre pour se partager une quote-part. Par exemple, si
la contribution est fixée à 100.000 Frs. CFA, deUJe personnes peuvent s'enten-
dre pour la payer ensemble, c'est-A-dire verser chacune 50.000 Frs. CFA par
mois. Le membre qui aura payé à la fin de chaque mois deUJe quo te-parts A lui
seul recevra, quand son tour arrivera, 2 Millions de Frs. CFA. Bref, tout se
jour lors de ces réunions.
• Dans les "Esus" ouverts, les membres ont plutôt un pou-
voir très limité. Les réunions sont très rares et les membres se connaissent
à peine.
Dans les "Esus" ouverts A tout le monde, comme c'est
le système d'adhésion, pour connaltre l'ordre dans lequel on doit remettre à
chaque adhérent ce qu'il aura cotisé, de façon à être théoriquement justes,
les dirigeants de l'association dite tontine procède à plusieurs tirages au
sort. On découpe des petits papiers sur lesquels sont écrits les noms de cha-
que membre, un jeune enfant vient procéder au tirage. On désigne de préférence
un jeune enfant parce qu'on suppose qu'il est encore p~et n'a pas encore com-
mis beaucoup de péchés.
• Dans les "Bsus" fermés, toutes les décisions se pren-
267

nent par accord amiable de tous les membres. Chaque membre expose ses problè-
mes, et en général, on essaie de satisfaire d'abord ceux qui sont le plus dans
le besoin.
Connaissant à peu prês comment fonctionne un "Esu", voyons également
comment il peut prendre fin.
SECTION III. - LA FIN OU LA DISSOLUTION DES "ESUS" OU ASSOCIATIONS DITES
TOm'INES.
paragraphe 1. - PAR L'ARRIVEE DU TERME •
• Dans les "Esus" ouverts, les dirigeants peuvent décider de re-
commancer un autre "Esu" s'ils en sont contents •
• Dans les "Esus" fermés, il arrive três souvent que les membres
par un accord unanime, décident d'organiser une autre association. A propos
de ces "Esus" fermés, je peux vous parler d'un "Esu" restreint fondé vers
1927 par une certaine Humami, qui devient automatiquement Ignalé Esu ou la mê-
re de la tontine. C'était un groupe limité ayant pour membres exclusifs les
jeunes filles d'une grande famille d'Ifé. Ce "Esu" est célêbre par le record
de longévité qu'il a battu. Il a duré plus de dix ans. Selon les informateurs,
ce "Esu" aurait terminé six cycles en Septembre 1937, et les dirigeants uni-
quement des femmes, ont attendu le début de la saison de cacao, quand les gens
ont un peu plus d'argent, pour commencer un nouveau cycle.
Paragraphe II. - PAR MESltrrELLIGENCE AU SEIN DU "ESU" OU TONTINE.
I l arrive souvent qu'on ne puisse plus continuer ces opérations tonti-
niêres pour une raison ou une autre. On ne peut pas toujours avoir ce que l'on
souhaite. Notons cependant que la mésentente au sein du groupe n'entralne pas
d'office la dissolution de celui-ci. La coutume et les usages ont prévu plu-
sieurs solutions pour pallier à ces genres d'inconvénients.
Par exemple, la cession entre vifs et la transmission à cause de mort
IDIlt librement admises et pratiquées dans les deux formes de "EsU", même dans
268

les "Esus" fermés où les membres se sont choisis en se basant sur des critères
sévères, où l'intituspersonae est assez fort.
Par exemple, quand un membre fait défaut, on essaie de le remplacer,
ou bien l'un des membres prend son adhésion afin qu'on ne diminue pas la va-
leur du fond, ou bien dans les "Esus" fermés, quand on ne trouve pas une per-
sonne répondant aux critères du groupe, on continue le "Esu" sans le défaillant.
Quand un membre manque, on dit dans les pays anglophones, en l'occu-
rence au Nigéria, que ce membre est mort sur "la rade". C'est la traduction en
'bnba de "Oku s1 ona", il est mort en cours de route. QUand un individu com-
mence aVec cinq adhésions et qu'il trouve nécessaire de réduire sa contribu-
tion A l'équivalent de deux adhésions, on considère que trois membres "sont
morts en cours de route". Ce dernier reçoit le fond deux fois durant le cyle
et perçoit le complément, c'est-A-dire ce qU'il cotisé quand il avait accepté
cinq adhésions, A la fin du cycle. QUand un grand nombre devient défaillant
et s'abstient de payer ses contributions, quand il y a vraiment mésentente au
sein du groupe, le "Esu" est dissout. Chaque membre réclame alors sa part de
cotisation. Cette requête est envoyée au président du "Esu" qui les paie en
retour pour leur part respective durant le cycle incomplet. Souvent, dans ces
cas, tout ne se termine pas aussi bien.
Nous venons d'étudier l'organisation des "Essus" ou associations dites
tontines. Nous savons désormais que c'est une institution de crédit gratuit
ou peu coQteux, fortement enracinée dans les moeurs de la plupart des popula-
tions africaines. Le "EsuOl comporte pas mal d'avantages pour ses membres.
Quand un individu a besoin d'assistance financiêre, s'il est membre d'un "Esu",
il fait plutOt appel à son prêsident afin qu'on lui avance un peu d'argent,
plutOt que d'aller trouver un usurier à qui il paierait des intérêts exorbi-
tants en nature ou en espêces, ou A qui il donnerait son cacao en gage, ou se
mettrait lui-même en gage ou l'un de ses enfants, fille ou garçon, peu importe.
A cause de l'imprévoyance des africains, A cause de la limitation des
possibilités d'investissement et d'épargne, à cause de la cherté des taux d'in-
térêts, le "Esu" est appelé A jouer un rOle important dans l'économie africai-
ne. Il ne montre aucun signe de déclin malgré l'influence européenne qui ne
269

cesse de s'accroitre dans tous les domaines dans nos pays, et c'est pour ces
raisons que nous allons essayer de batir un statut juridique des tontines afri-
caines afin de pouvoir préconiser des remèdes aux abus dont elles sont parfois
victimes.
270

CHAPITRE III
ESSAI D'UNE THEORIE JURIDIQUE DES "ESUS"
DITES TeNI'INES EN AFRIQUE
Quels sont les éléments essentiels qui caractérisent les "Esus" ou
associations dites tontines en Afrique? Nous avons eu l'occasion d'en parler
de façon assez sommaire dans notre premier chapitre.
Nous savons que les "Esus", bien que distincts des tontines françaises,
ont néanmoins un certain nombre de points communs qui expliquent en partie
leur dénomination commune.
D'après un arrêt de la Cour de Cassation du 25 Février lB73, ce qui
caractérise les associations de la nature des tontines françaises, c'est l'or-
ganisation d'une opération financière fondée sur des combinaisons aléatoires
dans lesquelles entrent comme base principale les chances de mortalité. Les
caractères des associations tontinières disait au sujet de cet arrêt M. l'Avo-
cat Général BLANCHE, sont ceux-ci :
1. - Durée indéterminée puisqu'elles ne prennent fin que par la mort
du dernier associé.
2. - But de réunir des fonds destinés à être placés et à produire des
intérêts, et accroissement à répartir entre les associés.
3. - Profit aléatoire consistant dans l'accroissement des revenus, mê-
me de capitaux, que les survivants trouvent dans les rentes des
prédécédés.
Enfin, dans un autre arrêt, la Cour de Cassation qualifie la tontine:
"une combinaison dans laquelle les adhérents, au mcment 011 l'association se
forme, ont aliéné leur droit de propriété sur leurs mises, au profit de la
masse et du dernier survivant, en se réservant en retour l'éventualité du
droit de survie".
271

D'après ces différentes définitions, les deux traits caractéristiques
de la tontine sont :
1. - Accroissement au profit des survivants des parts versées par les
participants décédés.
2. - Survie d'une partie des souscripteurs.
Alors que le "Esu" ou association dite tontine au Benin est un club
organisé pour les besoins de ses membres, en vue d'une assistance pour les
questions d'argent. C'est une sorte de fondation a laquelle un groupe d'indi-
vidus donne une contribution monétaire a intervalles fixes, la somme de ce qui
a été donnée par le groupe est attribuée a chacun des membres par un système
de rotation spécifique a chaque groupe. Donc, le "Esu" est plutôt caractérisé
par un esprit de solidarité, d'entraide mutuelle qui doit présider les rela-
tions unissant le groupe, contrairement A ce qu'on peut noter dans les tonti-
nes africaines.
D'après leurs différentes définitions, il ressort que les deux insti-
tutions dites tontines, l'une française, l'autre africàine, sont toutes les
deux des contrats successifs A titre onéreux. La tontine française est aléa-
toire alors que les "Esus" ou associations dites tontines en Afrique sont da-
vantage des contrats commutatifs. Elles ne sont pas des sociétés civiles ou
commerciales, ni des sociétés en participation, ni des sociétés d'assurance
mutuelle.
La tontine française étant souvent présentée comme une société d'assu-
rance mutuelle sur la vie ou comme une association en cas de décès, est bien
différente de toutes ces institutions, car lorsqu'on ouvre un ouvrage général
sur les assurances vie et qu'on y cherche le chapitre que l'on a coutume de
consacrer aux tontines françaises, on y trouve presque toujours une comparai-
son en trois points avec l'assurance sur la vie que l'on pourrait résumer ain-
si :
- la tontine est une opération immorale, de cupidité personnelle,
égolste,
- l'assurance, au contraire, est une opération de prévoyance,de soli-
darité, essentiellement morale et altruiste.
272

- les "Esus" et les combinaisons tontinières françaises seraient des
Jssociations de type particulier, ayant leurs traits spécifiques les différen-
i
tiant l'une de l'autre.
!
Nous étudierons dans ce troisième et dernier chapitre consacré à un
tssai de théorie juridique des tontines africaines, plusieurs points subdivi-
rés en trois secteurs.
l
Les caractères distinctifs des "Esus" ou tontines en Afrique,
II
La nature et les régimes juridiques des "Esus",
III
De la règlementation des sociétés d'entraide mutuelle.
i~TION I. - CARACI'ERES DISTINCTIFS DES "ESUS" OU TONTINES EN AFRIQUE.
i
Nous savons désormais que les "Esus" ou associations dites tontines
~n Afrique Noire, ayant un certain nombre de points communs avec les tontines
trançaises, ont néanmoins des caractéristiques qui leur sont spécifiques.
'il
D'après l'article 1101 du code civil, nous savons que le "contrat est
ne convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une
u plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose".
De cette définition donnée par l'article 1101 du code civil, il res-
art sans aucune équivoque que les "Esus" sont un contrat. Mais dans quelles
atégories de contrats peut-on les classer? Ceci fera l'objet de notre pre-
ier paragraphe dans lequel nous tenterons de faire un essai de classification
es "Esus" ou associations dites tontines, en les envisageant quant aux condi-
ions de validité relatives à la forme et au fond, quant à leur contenu et à
,~eur interprétation.
1
273

paragraphe I. - ESSAI DE ClASSIFICATION DES "BSUS" OU TONTINES EN AFRIQUE NOIRE.
A. - CLASSIFICATION FONDEE SUR LES CONDITIONS DE VALIDITE RELATIVES
A LA FORME ET AU FOND.
~~~_!~~~-~~!!~!!~.
Les "Esus" ou associations dites tontines sOnt un contrat consensuel
qui se forme valablement en l'absence de toute formalité en Afrique. Les au-
torités et les puissances publiques ne se mêlent pas des conditions de leur
formation. L'accord des volontés suffit, manifesté d'une façon quelconque. Il
peut s'agir d'un accord expresse, verbal ou d'un accord tacite manifesté par
le paiement de la premiêre contribution par exemple.
Les "Esus" qui sont donc un contrat essentiellement consensuel se dis-
tinguent des contrats solennels qui pour leur formation outre l'accord des vo-
lontés, exigent une formalité spéciale. Ils se distinguent également des
contrats réels qui outre l'accord des parties, la remise de la chose objet du
contrat est nécessaire à leur formation.
2) Classification des "Esus" tirées de leurs conditions de fonds.
Comme dans tout contrat, la condition de fond essentielle â la forma-
tion d'un "Esu" ou association dite tontine, est la volonté des parties, des
adhérents. Mais il faudra faire une distinction, selon qu'il s'agisse d'un
"Esu" fermé ou d'un "Beu" ouvert â tout le monde.
Dans les "Esus" fermés, ou l'intitus personae est très poussé, nous
savons que pour leur formation, le consentement et la voie dee adhérents sont
prépondérants. Toutes les décisions sont prises au sein dee réunions qui se
tiennent de façon três réguliêre. Pour ce type de "Esu", on peut parler de
contrat de gré à gré. Par exemple, la fixation des quote-parts, des contribu-
tions à payer par les adhérents par intervalles fixes, est discutée selon des
méthodes assez démocratiques lors des réunions.
(vote, prise en compte. consi-
dérations des situations de certains membres, etc .•• ) de sorte que la fixation
de cette contribution et surtout la désignation des membres qui seront les pre-
274

miers satisfaits sont largement débattues lors des réunions que nous pouvons
appeler valablement assemblées; donc nous pouvons affirmer que le "Esu" fermé
est un contrat de gré! gré.
Quant au "Esu" ouvert! tout le monde, nous ne saurons être aussi af-
firmatifs. Si nous ne pouvons pas
dire
de façon catégorique qu'il est un
contrat d'adhésion, car il n'est pas tout à fait cela, nous pouvons dire néan-
moins qu'il est tout de même fondé selon un système d'adhésion. S'il existe au
sein d'un "Esu" ouvert une égalité symbolique qu'on peut qualifier de théori-
que, la possibilité de libre discussion qu'on remarque dans les "Esus" fermés
se rencontre rarement. En effet, par exemple c'est le fondateur ou du moins
en général le père ou la mère de la tontine qui fixe le montant des quote-parts
à payer et de façon assez paternaliste il s'actro~en général les deux premiers
tours, prétextant que c'est pour faire face aux frais de gestion ou à l'insol-
vabilité de certains membres. Donc dès le départ, ceux qui veulent faire par-
tie du "Esu" fermé n'ont aucun bénéfice de discussion en ce qui concerne la
fixation des contributions et le rang qu'ils occuperont quant à la perception
des cotisations. Ou bien ils acceptent ce qui a été décidé par les fondateurs
et ils deviennent membres du "Esu" ouvert, ou bien les conditions de formation
ne leur plaisent pas et ils ne feront pas partie de ce "Esu", du moins pour
cette fois là. Donc c'est à prendre ou à laisser, une sorte de système d'adhé-
sion pré-établi. Tout comme les grands magasins fixent des prix qui ne sau-
raient être débattus, et tout comme il est impossible pour un ouvrier isolé,
de faire modifier les conditions de travail imposées par l'entreprise, les mem-
bres d'un "Esu" ouvert ne sauraient débattre la fixation des contributions
qu'ils auront à payer. C'est un peu un système d'adhésion et on pourrait dire
d'un "Esu" ouvert qu'il est un "contrat d'adhésion".
Nous mettons contrat
d'adhésion entre guillemets car ce n'est pas tout à fait exact à notre avis.
Le membre du "Esu" ouvert garde la possibilité de ne pas adhérer, de ne pas
contracter. S'il contracte, c'est qu'il le veut. Sans doute n'a-t-il pas la
faculté de discuter, mais le problème est de savoir 9i le contrat implique né-
cessairement une libre et égale discussion. Nous pensons qu'il veuille plutôt
agir selon ses intérêts. Si les conditions fixées par les fondateurs convien-
nent à un membre, celui-ci adhérera sans protocole. Dans le cas contraire, il
s'abstiendra.
275

Bien que les "Esus" ou associations dites tontines soient un
contrat multilatéral ou plurilatéral faisant appel à un certain nombre d'indi-
vidus, ils ne sauraient être qualifiés de contrats collectifs. Ils demeurent
des contrats individuels car ils ne lient que des personnes ayant donné leur
consentement par elles-mêmes ou par leurs représentants.
Les "Esus" sont donc des contrats individuels et non des contrats
collectifs qui, contrairement au principe de l'effet relatif des conventions,
lient un groupe de personnes sans que leur consentement soit nécessaire; par
exemple la convention collective du travail.
B.
-
CLASSIFICATION DES "ESUS" D'APRES LEUR CONTENU.
Les "Esus" sont des contrats synallagmatiques faisant montre des obli-
gations à la charge de tous les membres. Cela implique que chacun des contrac-
tants, chacun des membres du "Esu" peut bénéficier de l'exception
non aûim-
pleti contractus permettant de repousser l'action de son co-contractant qui
n'offre pas d'exécuter ses propres obligations. Ce dernier peut demander la
résolution du contrat quand l'un des membres refuse l'exécution, etc .•.
Les "Esus" sont également des contrats à titre onéreux et commutatifs.
Dans les "Esus" fermés ou ouverts à tout le monde, chaque membre recherche un
avantage qui est ici la réalisation d'un gain pécunière. d'une économie.
Les "Esus" sont des contrats commutatifs car les avantages de chacun
des membres peuvent être appréciés au moment de la formation de l'association,
contrairement aux tontines françaises et européennes qui sont plutôt des combi-
naisons aléatoires dans lesquelles les parties veulent courir une chance de
gain ou de perte en spéculant sur le nombre des prémourants ou des survivants.
Enfin, les "Esus" sont des contrats successifs car leur exécution
s'étale sur un certain laps de temps. On a connu des exemples de "Esus" qui
ont duré plus de dix ans à Oyo, berceau de la civilisation Yoruba. La durée
d'un "Esu" est tr~s variable et dépend d'un certain nombre de facteurs, à sa-
voir le nombre des membres, leur intention, la nature du "Esu", etc ... On trou-
ve
des cycles de "Esus" qui durent une semaine, un mois, un an. La périod.e
276

des fêtes ou des recettes, tout dépend de la volonté des membres du "Esu" qui,
à l'arrivé du terme, peuvent décider s'ils vont recommencer un autre cycle et
ainsi de suite, mais cela n'est possible bien sür que lorsqu'il y a entente
au sein du groupe.
C. - CLASSIFICATION DES "ESUS" FONDEE SUR LEUR INTERPRETATION.
Comme nous l'avions montré dans nos développements antérieurs, les
"Esus" sont un groupement de personnes qu'on peut qualifier de "Sui-generis"
n'ayant vraiment pas son équivalent en droit français. Donc on peut penser que
le "Esu" fait partie de la catégorie des contrats dits inommés que JOSSERAND
qualifiait de contrats sur mesure pour les opposer aux contrats de "confection"
(1) •
Après cet essai de classification sommaire des "Esus", avant d'analy-
ser leur nature juridique, nous allons d'abord examiner s'ils peuvent être
considérés comme une assurance mutuelle.
Paragraphe II. - LE "ESU" OU TONTINE AFRICAINE PEUT-IL ETRE CONSIDERE COMME
UNE ASSURANCE MUTUELLE.
Notre réponse sera catégorique. Le "Esu" n'est pas une compagnie d'as-
surance mutuelle.
Dans la mutualité, il y a dit ASTRESSE "contribution de tous les asso-
ciés, en vue d'Une distribution à laquelle ils ont droit tous, par eux-mêmes
ou par deux ayants droit ". Qui dit mutualité dit mise en commun, pour un cer-
tain nombre d'individus exposés à des risques semblables, de cotisations des-
tinées à les indemniser réciproquement de leurs sinistres, ces cotisations de-
vant leur faire retour dans le cas oü elles exèderaient leurs charges. Si le
"Esu" peut être considéré ccmme une mutuelle (car dans le "Esu" il y a groupe-
,
i ment d'un certain nombre d'individus exposés A des risques semblables, ici le
(1)
28 Avril 1971 GAZ. Pal.1971-1-1381
(A propos d'un contrat d'en-
seignement par correspondance) annulant le jugement du Tribunal d'Ins-
tance de Paris du 3 Octobre 1168 6.A2.Pal.1968-2-34S, et note Doncet.
277

le fait de pouvoir rentrer dans le fonds qu'ils ont cotisé) il ne peut être
qualifié d'assurance mutuelle, car dans cette dernière il y a répartition
d'une perte et non partage d'un bénéfice. Les mutualistes s'associent donc
pour atténuer le dommage subi par un seul; ils réparent tous par l'association
la perte qu'a subie l'un d'eux; ils souffrent tous des malheurs survenus dans
la mutualité. Chaque membre est à la fois assureur des autres et assuré par
eux. Les membres d'un "Esu" concourent tous à la formation d'un fonds commun,
mais seulement dans le but de se procurer du crédit gratuit ou beaucoup moins
cher que celui distribué par les organismes spécialisés dans ces genres d'opé-
ration. Il y a certes, dans le "Esu", une assistance mutuelle en vue de s'ai-
der en cas de besoin d'argent, mais cette assistance s'arrête là et ne va pas
plus loin. Les membres d'un "Esu" n'entendent pas réparer la perte qu'aura su-
bie le groupe ou l'Un de ses membres pour une raison ou une autre, par exem-
ple le détournement du fonds par l'un des dirigeants, ou l'insolvabilité d'un
des adhérents après avoir perçu plus qu'il n'a cotisé. Dans le "Esu" il y a
mutualité dans le profit qui n'est pas un gain pécunière à proprement parlé,
mais plutôt une aide, un moyen d'obtenir du crédit peu coQteux, mais il n'y a
pas mutualité dans les charges, les pertes. Donc le "Esu" ne peut être consi-
déré comme une assurance mutuelle.
Les tontines en France, concourent toutes également, à la formation
d'un fonds commun, mais seuls, certains adhérents, quelques survivants du grou-
pe au terme de l'association, profiteront du bénéfice. Les tontines françaises
ne peuvent non plus être des société d'assurance mutuelle. Elles seraient une
singulière mutualité où chaque associé aurait intérêt au décès ou à la déché-
ance de ses co-sociétairesl
Les "Esus" ou tontines africaines ne satisfaisant pas aux critères
d'une assurance mutuelle, quelle peut donc être sa qualification juridique?
De la nature juridique des "Esus" dépendront leurs régimes juridiques et tou-
tes les conséquences qui en découleront, ce qui est três important à notre
avis et mérite d'être étudié de façon assez minutieuse dans la section qui va
suivre.
278

SECTION II . - STATUT JURIDIQUE DES ftESUS" 00 Tctn'INES EN AFRIQUE l.
Le statut juridique du "Esu" doit nous permettre d'établir u
tion três nette entre l'institution à laquelle il se rapporte et toute autre
institution. C'est l'étude de la nature juridique du "Esu" qui fera l'objet
de notre premier paragraphe.
Le statut juridique doit également définir le régime juridique, c'est-
à-dire un ensemble de règles spécifiques de structure, de fonctionnement et
d'organisation propres à l'institution.
paragraphe 1. - NATURE JURIDIQUE DES "ESOS" OU TONTINE EN AFRIQOE NOIRE.
A. - LES "ESUS" SERAIENT-ILS DES SOCIETES?
Prenant conscience du groupement que constitue le "Esu" en dehors du
contrat multilatéral ou plurilatéral qui lui a donné naissance, on peut y voir
autre chose qu'un contrat. On peut prétendre expliquer la nature juridique du
"Esu" par"la théorie de l'institution". On entend par institution: "une réu-
nion de personnes organisée d'une maniêre stable autour d'un intérêt commun".
Elle implique donc une subordination de droits et intérêts privés aux fins
qu'il s'agit de réaliser, dans le "Esu" s'octroyer mutuellement du crédit peu
coûteux.
On peut également voir dans le "Esu" la réalité d'un groupement sujet
de droit qui se forme par un acte collectif, différent de la conception contrac-
tuelle classique, car l'accord de volonté des adhérents se détermine en fonc-
tion de l'intérêt commun qui est ici l'obtention d'un crédit gratuit ou vrai-
ment pas cher. On pourra également parler d'un contrat d'organisation. Mais
qu'on qualifie le "Esu" d'institution ou de groupement ou encore d'un contrat
,
d'organisation, le problème n'est qu'à moitié résolu, car toutes ces notions
sont encore assez vagues et souffrent d'imprécision et de rigueur. A notre
avis, la véritable question sera de savoir si les "Esus" sont des sociétés ou
des associations. Notre démarche ne sera pas simple. Hais nous pouvons commen-
cer par affirmer que les "Esus" ne sont ni
des sociétés ni des associations.
279

A. - LES "ESUS" ou TONTINES AFRICAINES NE SONT PAS DES SOCIETES.
Le "Esu" nlest pas une société pure et simpleio En effet, suivant l'ar-
ticle 1832 du code civil, "la société est un contrat par lequel deux ou plu-
sieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun dans la vue de
) partager le bénéfice qui pourra en résulter'l. Pour qu'il y ait société, il
faut donc :
1) Que chaque partie fasse un apport,
2) Que les parties, en réunissant leurs apports, aient pour but
de réaliser des bénéfices à partager entre elles,
3) Qu'elles aient eu la volonté de former entre elles une socié
té (affectio societatis).
Dans toute sorte de société, les parties se proposent de réaliser des
bénéfices et de
partager ces bénéfices quand ils seront réalisés. Ce qui ca-
ractérise la société proprement dite, c'est SOn but lucratif. Tels associés
slentendent et agissent en commun pour gagner de l'argent et se partager des
bénéfices. Le mot société implique groupement de personnes pour un travail à
effectuer, mise en commun d'une chose avec possibilité de bénéfices, mais il
suppose aussi éventualité des pertes pouvant subvenir dans les opérations de
la société. 'ILa nécessité, pour qu'il y ait contrat de société, dit M.GUILLAUD
dans son traité du contrat de société, que les parties aient voulu faire un
bénéfice et le partager conduit à décider qu'il ne peut y avoir de société
dans le "Esu". Dans cette association, les parties mettent en commun un capi-
tal constitué par l'ensemble de leurs contributions, en convenant que ce capi-
tal sera réparti par intervalles fixes selon un système de rotations, ou mem-
bre dont ce serait le tour. Dans ce contrat de l'Esu". il Y a bien une chose
mise en commun, mais les parties ne se proposent pas de faire un bénéfice en
spéculant avec le capital mis en commun. C'est ce capital lui-même qui sera
réparti entre les membres du "Esu" suivant le système de rotation qu'ils au-
raient retenu. Si on met dans le contrat tontinier une chose en commun pour
que cette dernière soit, après, redistribuée entre les co-contractants, la
volonté de réaliser un bénéfice avec ces quote-parts n'existe pas. Nous ne
trouvons dans les "Esus" ni les éléments de fait, ni les éléments de droit
qui sOnt caractéristiques du contrat de société, ni travail, ni produit, ni
concurrence. Il y a seulement partage de l'avoir social. Pas d'idée de tirer
280

du capital mis en commun un bénéfice quelconque au moyen de spéculation. On ne
veut pas tenir compte de petites rémunérations que s'octroient parfois les
présidents des "Esus" ouverts; on ne tend pas à faire fructifier ce capital.
L'unique objet des "Esus" est de faire profiter à ses membres l'obtention d'un
crédit gratuit ou vraiment peu coQteux par rapport â ce qu'on trouve en géné-
ral en Afrique. Dans le "Esu", rien de nouveau, rien de produit: donc pas de
société, car celle-ci est essentiellement un agent de production, une puissan-
ce créatrice. L'ensemble des contributions constituant le capital des "Esus"
est invariable, aucune collaboration ne tend â le faire fructifier.
Le "Esu" ne pourrait répondre aux critères d'une société, ne peut être
qualifié comme telle. Donc malgré son objet qui pourrait ètre civil ou commer-
cial, malgré toutes les formes dont il pourra se revêtir, le "Esu" ne saura
être une société civile ou commerciale.
Serait-il alors une société en participation 7 Nous avons pensé à une
telle comparaison à cause de la terminologie juridique qui sur ce point est
parfois indécise. Le législateur lui-même emploie les mots société et associa-
tion sans se soucier de leur sens : une association en participation est une
société!
(1).
La loi de 1966 dans son article 419 a tranché la question de savoir
si la participation est une association ou une société en disposant que :
"la société en participation n'existe que dans les rapports entre associés et
ne se révèle pas au tiers. Elle n'a pas la personnalité morale, n'est pas sou-
l
mise â publicité et peut être prouvée par tous les moyens". En un mot la loi
prend soin de dire que la société n'est qu'un contrat liant les parties, une
société dans laquelle les associés ne veulent pas créer une personne morale.
Par suite, il n'y a ni siège social, ni raison sociale, ni patrimoine social.
Bien que le "Esu" ressemble en de nombreux points à une société en participa-
tion (le "Esu" n'ayant pas de personnalité morale, de patrimoine social car
l'ensemble des contributions appartient aux membres du "Esu", n'ayant pas non
(1) Le code du commerce puis la loi du 24 Juin 1921, ont utilisé l'expression
association ou participation. La loi de 1966 parle de société (article
419 et s.).
281

plus de raison sociale ni de siège social) n'est pas davantage une société de
participation. Le "Esu" n'est pas constitué dans le but de réaliser des béné-
fices et de les répartir entre ses membres.Les membres du "Esu" n'ont pas l'in--
tention de contribuer aux pertes; ils n'ont d'ailleurs pas la volonté de col-
laborer à l'entreprise d'une manière active et sur un pied d'égalité. En un
mot, les membres d'un "Esu" n'ont pas vraiment l'intention de former une socié-
té ou "affectio societatis". Le "Esu" ne peut donc ~tre qualifié de société
et a fortiori d'une société en participation.
Le "ESl"
ne pouvant pas être.
une société civile ou commerciale, ou
une société en participation, quelle peut donc être sa nature juridique ?
Sont-ce alors des associations ? Puisque le droit privé ne permet en principe
que deux grandes formes de groupements, soit la forme d'association (prise au
sens large) (1), soit la forme de société.
La doctrine, la jurisprudence et la loi ont soigneusement distingué
ces deux grands groupes de personnes morales, non sans difficultés, ni polémi-
ques. Nous savons qu'une société et une association se ressemblent en ce
qu'elles sont toutes deux des groupements de personnes formés pour atteindre
des buts déterminés. La distinction que l'on fait entre elles repose sur la
différence de leur but. En effet la loi du 1er Juillet 1901 définit dans son
article 1er l'association comme la convention par laquelle deux ou plusieurs
personnes mettent leurs activités en commun dans un but autre que celui de
partager les bénéfices. Elle est régie quant à sa validité par les principes
généraux du droit applicables aux contrats et aux obligations et l'article 2
de la même loi complète en disposant que "les associations de personnes pour-
ront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable, mais
elles ne jouiront de la capacité juridique que si elles se sont conformées aux
disposi tions de l'article 5."
Il ressort de ces définitions qu'une association est un groupement de
pere onnes ou groupements de biens formés par des apports ou des cotisations
ayant un but autre que le partage des bénéfices.
(1) Nous faisons en effet rentrer dans ce groupe les associations culturelles,
les syndicats profeesionnels et les fondations.
282

Le critère légal résultant de l'article 1er de la loi du 1er Juillet
1901 est le but désintéressé, non lucratif qui doit caractériser une associa-
tion qui ne doit pas rechercher le partage de bénéfice. Or, nous savons que
la jurisprudence ne s'est pas référée à l'avantage économique positif; elle
a pris en consédération le bénéfice et le partage de ce bénéfice entre les
membres, en même temps que la contribution de ces derniers aux pertes. Elle a
défini le bénéfice par:
"la recherche d'un gain matériel ou pécunière qui ac-
crott la fortune des associés". En effet la jurisprudence s'est affirmée sur
la nature de groupements ayant pour objet de procurer à leurs membres certains
avantages sans qu'il y ait pour eux de gain pécunière. Un arrêt des Chambres
réunies, du 11 Mars 1914
(0.1914.1.257 note Janvier 5.1918-1919-1103)
a déci-
dé qu'une caisse coopérative de crédit ayant pour objet de permettre à ses
membres des emprunts à un taux d'intérêt réduit n'est pas une société mais
plutOt une association.
Maintenant que nous connaissons les critères distinctifs d'une asso-
ciation, voyons si nous pouvons être d'accord avec le législateur dahoméen de
1963 qui qualifie le "Esu" d'association. En effet, la loi dahoméenne n"
4 du
26 Juin 1963, définissant et réprimant certaines infractions en matière d'as-
sociation dites "Tontines"
(Voir J.O. du 17.7.1963) parle clairement d'asso-
ciation. Dans ce seul et unique article, le législateur dahoméen de 1963 qua-
lifie sans équivoque les "Esus" d'association. Le "Esu" ou tontine africaine
répond-il vratment aux critères distinctifs d'une association?
Nous savons que le "Esu" est bien un groupement de personnes donnant
une cotisation ~ période fixe, l'ensemble de la cotisation étant attribué à
chaque membre selon un système de rotation. C'est un groupement de personnes
qui se proposent d'octroyer mutuellement et directement du crédit gratuit ou
vraiment à un taux d'intérêt très réduit, supprimant ainsi les intermédiaires
et les charges qui rendraient le crédit très coüteux. Il est vrai que le "Esu"
présenté sous cette forme n'est pas dénudé de toute idée d'intérêt. Son but
ne nous parait pas si désintéressé que cela. certes, le but des adhérents
n'est pas systématiquement la recherche et le partage des bénéfices, mais i l
ne demeure pas moins, qu'ils désirent avant tout un avantage économique. Ils
souhaitent réaliser des économies en supprimant les intermédiaires en s'ac-
cordant ainsi mutuellement aide et assistance en cas de besoin d'argent. Si
283

nous reprenons l'arrêt de principe de la Caisse de Manigod où la COur de Cas-
sation toutes Chambres réunies a décidé que la Caisse de Manigod était une as-
sociation, car elle avait un but autre que de partager des bénéfices, nous
n'hésiterons pas un seul instant à qualifier les "Esus" d'associations, comme
l'a fait le législateur beninois
(du Benin = eX-Dahomey) car les conditions
de constitution et de fonctionnement d'un "Esu" sont presque identiques à cel-
les de la Caisse de Manigod. Rappelons d'ailleurs briêvement les faits.
C'est
une affaire qui se passait dans la petite commune de Manigod (Haute Savoie)
avant 1914.
Il s'agissait d'une coopérative parois sale de crédit qui avait été
créée:
"La Caisse rurale de la commune de Manigod". Elle avait pour but de
consentir â ses membres des prëts d'argent A un intérêt plus faible que le
taux normal. Ce taux ne dépassait pas celui qu'elle versait elle-même A cer-
tains de ses membres auxquels elle empruntait de l'argent. Elle se contentait
seulement de majorer l'intérêt pour ses frais de gestion. Le taux qu'elle ver-
sait pour l'argent que ses membres lui prêtaient était généralement de 2,5%
et celui que les membres qui lui empruntaient de l'argent lui versaient était
de 2,60%, la différence représentant ses frais de gestion. C'est dans ces
conditions que la Caisse de Manigod porta son acte de constitution A l'admi-
nistration de l'Enregistrement qui prétendit le taxer comme s ' i l s'agissait
d'un acte de société, en lui réclamant un droit proportionnel d'apport, alors
que la Caisse prétendait seulement verser un droit fixe de l'ordre de 2 F. à
l'époque, et que dans l'autre cas, avec un droit proportionnel, i l fallait
verser 5 F. Mais pour cet intérêt vraiment modique, on entra en litige et ce-
la dura huit ans. Il s'ensuivit en effet un procês entre la Caisse et l'Enre-
gistrement devant le tribunal d'Annecy tout d'abord, qui décidé qu'il y avait
société. Mais la Cour de Cassation cassa ce jugement et renvoya l'affaire de-
vant le tribunal de Thonon qui décida, comme le tribunal d'Annecy, qu'il y
avait société. C'est ce dernier jugement qui fut cassé par la Cour de Cassa-
tion, mais cette fois-ci toutes Chambres réunies. Elle rendit l'arrêt de prin-
cipe du Il Mars 1914 en décidant que la Caisse de Manigod était une associa-
tion, car elle avait un but autre que de partager des bénéfices.
La Cour:
- Sur le moyen unique du pourvoi, vu les articles 1832 du
Code civil et paragraphe 1er de la loi du 1er Juillet 1901, "Attendu que l'ex-
pression "bénéfices" a le même sens que dans les deux textes et s'entend d'un
gain pécuniêre ou d'un gain matériel qui ajouterait â la fortune des associés,
284

que dès lors la différence qui distingue la société d'une association consis-
te en ce que la première comporte essentiellement comme condition de son exis-
tence la répartition que la seconde exclut nécessairement,
Attendu que la Caisse rurale de Manigod, société coopérative de crédit à capi-
tal variable, constitue non une société, mais une association,
Attendu, en effet que des qualités du jugement attaqué et de l'acte du 26 Mars
1905 qui Y est visé, il résulte que cette Caisse n'a été créée que pour pro-
curer à ses adhérents le crédit qui leur est nécessaire pour leurs exploita-
tions; que les associés ne possèdent pas d'actions, ne font aucun versement
et ne reçoivent pas de dividendes
(article 14 des statuts) que la société em-
prunte, soit à ses membres, soit à des étrangers, les capitaux strictement
nécessaires à la réalisation des emprunts contractés par ses membres (article
15) et qu'elle prête des capitaux à ces derniers à l'exclusion de tous autres,
mais seulement en vue d'un usage déterminé et jugé utile par le conseil d'ad-
ministration qui est tenu de surveiller l'emploi (article 16),
Attendu que cet ensemble de dispositions démontre que le seul avantage ainsi
assuré aux associés de la Caisse consiste dans la faculté de leur emprunter
des capitaux moyennant un taux d'intérêt le plus réduit possible.
De ces attendus, nous constatons que la Caisse rurale de Manigod,qua-
lifiée comme une association par la Cour de Cassation, est organisée presque
de la même façon que les "Esus". D'OÜ, on pourrait admettre sans difficulté
que les "Esus" ou tontines africaines sont ou peuvent être qualifiées d'asso-
ciations si les données actuelles du droit positif ne nous obligent pas à nous
rendre compte que le critère basé sur la recherche et le partage de bénéfice
pris au sens étroit du terme, ne s'est pas révélé suffisant pour distinguer
la société d'une association, la tendance actuelle étant l'élargissement de
la notion de société. En effet depuis, la solution stricte de 1914 a été tem-
pérée par quelques décisions plus souples. Ainsi, :Es société; de construction
d'immeubles ont été considérées comme des sociétés (1). Un certain nombre de
futurs propriétaires se réunissent en société pour construire un immeuble.
A l'expiration de la société, les divers appartements seront répartis entre
les associés. La jurisprudence a considéré qu'il y avait mise en commun de
(1)
Requête 21.12.1931, D.P. 1932.1.49.
284 bis

sommes d'argent en vue de la répartition et que celle-ci était un gain maté-
riel. En réalité, ces épargnants se sont groupés pour construire un immeuble
à leur usage et non pour réaliser un bénéfice. La loi du 28 Juin 1938 s'est
prononcée finalement en faveur de la société et cette solution a été reprise
par la loi du 16 Juillet 1971. Il Y a ainsi une tendance à élargir la notion
de société au détriment de celle d'association. La Cour de Cassation a égale-
ment considéré comme sociétés, les coopératives constituées entre agriculteurs
pour la vente de leurs produits. Elle a admis três facilement que ces coopé-
ratives distribuaient des bénéfices à leurs membres (1). Mais le législateur
est allé encore plus loin. Il a décidé, dans la loi du la Septembre 1947 por-
tant statut général de la coopération, que toutes les coopératives sont des
sociétés alors que leur objet n'est pas le partage d'un dividende en argent,
mais la réduction des prix de revient des produits fa Œiqués par leurs mem-
bres ou l'amélioration de leurs conditions de production de vente. La formule
de l'arrêt de 1914 ne suffit donc plus pour expliquer le droit positif, d'où
toutes ces controverses législatives, doctrinales et jurisprudentielles
Ne
serait-il pas plus logique d'adopter plutOt une classification tripartite com-
me le préconise Hr. le Professeur Jean DERRUPPE(2), classification qui serait
la suivante :
- Société qui vise à réaliser un bénéfice au sens étroit du mot.
- Association qui n'a aucun but patrimonial.
- Groupement qui a un intérêt patrimonial autre que la réalisation
d'un bénéfice (exemple: les coopératives).
Selon cette classification, nous n'aurons pas du mal à faire entrer
notre "Esu" dans les groupements ayant un intérêt patrimonial autre que la
réalisation d'un bénéfice, car notre "Esu" répond sans aucune équivoque aux
critères d'une coopérative et peut être qualifié en tant que telle, car les
membres d'un "Esu" n'ayant pas pour but essentiel la recherche et le partage
de bénéfice, réalisent tout de même une économie, ne serait-ce que modique en
(1)Requête 16 Nov. 1936, D.M. 1937.1.
.28 Mai 1946 D 1946.344.
(2)Cours de Droit commercial 1978-79, pp. 14 et s. Publié avec l'autorisation
de J.DERRuPPE, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences Economi-
ques de l'Université de Bordeaux 1.
285

s'octroyant mutuellement du crédit selon un système rotatif propre à chaque
membre, suppr~nt ainsi tout intermédiaire, tout frais de gestion qui vien-
drait alourdir le Laux d'intérêt du crédit s'il était octroyé par un établis-
sement spécialisé dans de telles opérations. Mai si l'on qualifie le "Esu" de
coopérative donc,régi
par la loi du 10 Septembre 1947 portant statut général
de la coopération qui a décidé que toutes les coopératives sont des sociétés,
le "Esu" ne peut être considéré que comme une coopérative de type particulier
qu'on pourra~classer difficilement sous la rubrique des sociétés, car dans
le MEsu", il n'y a pas non seulement recherche et partage de bénéfice, mais
non plus distribution d'une ristourne d'un trop perçu comme c'est le cas dans
la plupart des coopératives. Les membres du "Esu" reçoivent exactement ce
qu'ils ont cotisé et parfois un peu moins quand les dirigeants s'octroient une
ou deux quote-parts destinées au frais de gestion. Le "Esu", bien qu'ayant un
but économique (contribuant à l'amélioration de l'octroi du crédit), a plus
d'une association que d'une société. Il a un but social, similaire à celui de
nombreuses associations (il tend au relèvement du niveau de vis social de ses
membres), et d'autre part, il a des caractères altruistes répOndant bien â
ceux des associations. N'oublions pas de le préciser, les membres d'Un "Esu"
ne reçoivent aucune ristourne d'Un trop perçu, mais en général le montant
exact de ce qu'ils ont cotisé. Donc, i l vaut mieux adopter cette classifica-
tion tripartite
en plaçant le "Esu" dans le groupement qui a un intérêt pa-
trimonial autre que la réalisation d'un bénéfice. en l'occurence dans les
coopératives. Il serait toute de même souhaitable de doter le "Esu" d'un régi-
me juridique particulier vu son caractère hybride.
Si la formule de l'arrêt de 1914 ne suffit plus pour expliquer le
droit positif, si le critère basé sur la recherche et le partage du bénéfice
ne suffit plus
pour faire la distinction entre une société et une associa-
tion, nous ne pourrons que préconiser la classification tripartite
et placer
le "Esu" dans les groupements ayant un intérêt patrimonial autre que la réali-
sation d'un bénéfice. Nous dirons donc que le "Esu" est plutôt une coopèrati-
ve qu'on doit soumettre à un régime particulier.
D'ailleurs certaines législations étrangères connaissent cette classi-
fication tripartite. En France, le législateur l'a pratiquement consacré en
édictant une législation spéciale pour les coopératives et pour les groupe-
286

ments mutualistes. L'ordonnance du 23 Septembre 1967, autorisant la création
des groupements d'intérêt économique, a donné un nouvel intérêt à cette divi-
sion tripartite. Ces groupements ont la personnalité morale, mais ils sont
différents des sociétés car ils n'ont pas pour but de réaliser des bénéfices.
Ils diffèrent aussi des associations par leur but patrimonial ou profession-
nel qui rejoint les intérêts pécunières des participants et par leur pleine
capacité juridique. En outre à l'occasion de l'examen d'un projet de réforme
du statut des sociétés civiles, i l a été proposé de modifier l'article 1832
du Code civil pour étendre le critère trop étroit résultant de la notion de
bénéfice.
Le texte sux lequel les deux assemblées parlementaires semblent devoir
se mettre d'accord (il fait partie de ceux qui doivent être examinés par la
Commission mixte paritaire) se présente ainsi :
"La société est un contrat .•. en vue de partager le bénéfice au de
profiter de l'économie ou de tout autre avantage matériel qui pourra en résul-
ter •.• " C'est prendre le contre-pied de la jurisprudence Manigod. C'est aussi
rejoindre le critère retenu par le traité de la C.E.E.
(article 58) qui repo-
se sur le but lucratif, expression qui a été entendue comme visant toute ac-
tivité économique rémunérée. Avec ce nouveau critère, les groupements coopé-
ratifs et mutualistes seront des sociétésl les groupements d'intér~t économi-
que aussi.
Si nous admettons que le "Esu" ou le "Kitemo" ou le "Tema" est une
coopérative, quel serait alors son régime juridique ? Sera-t-il régi systéma-
tiquement par la loi du 10 Septembre 1947 qui a défini les coopératives comme
étant des sociétés?
(article 1).
Paragraphe II. - LE REGIME JURIDIQUE DES "ESUS" ou "TEMO".
Etant donné leur nature juridique particulière,
i l semble bien que
les "Esus" constituent, malgré le silence de la plupart des législateurs afri-
cains, sauf celui du Benin qui l'a qualifié d'association, un type nouveau de
société, ou un type nouveau d'association. Nous espérons pouvoir démontrer le
bien fondé de cette solution en analysant le régime juridique de ces "Esus".
287

Mais d'ores et d~jà, nous pouvons apporter deux confirmations probantes de
notre affirmation.
1) Nous avons pu, lors de notre analyse de l'organisation des "Esus",
constater les nombreuses dérogations apportées par les rêgles régissant les
"Esus" à telle ou telle règle du Droit des Sociétés.
2) La plupart des types de sociétés sont incompatibles avec les cou-
tumes et règles régissant les "Esus".
A. -
INCOMPATIBILITE DES COUTUMES REGISSANT LES "ESUS"AVEC CERTAINS
TYPES DE SOCIETES.
Nous avons pu dégager, soit dans notre introduction, soit au cours de
notre étude analytique des "Esus" ou Tontines ou encore Ristournes, certaines
règmes essentielles de notre institution, qui traduisent ses caractères spéci-
fiques et par conséquent, auxquelles i l ne peut être dérog~. Dès lors, certai-
nes de ces règles empêchent les "Esus" d'adopter certains types de sociétés
déjà connus.
Il en est ainsi :
- Des sociétés en nom collectif: en effet, dans celles-ci, l'un des
associés doit avoir la qualité du commerçant et tous les associés le devien-
nent, ce qui n'est d'ailleurs pas obligatoire dans les "Esus" et n'est pas
forcément l'intérêt des membres du "Esu". De plus, les parts sociales sont in-
cessibles, ce qui n'est pas le cas dans les "Esus" ail les membres pouvaient
quitter à tout moment. Enfin, le gérant de la socièté en nom collectif est un
gérant statutaire et dans ce cas i l est irrévocable. ce qui est contraire au
principe démocratique des "Esus". De plus dans ce type de société, le retrait
ou le décès d'un associe entraîne de plein droit la dissolution de la société.
ce qui est contraire à la nature institutionnelle des "Temo" et ce qui empê-
cherait de respecter la liberté de retrait qui doit obligatoirement exister
dans les "Esus".
- Des sociétés en commandite oü les commanditaires sont commerçants
ce qui présente le même inconvénient que dans les sociétés en nom collectif.
De plus. ~tant une société de personnes, le retrait volontaire ou le décês
288

d'un commanditaire entraIne légalement la dissolution de la société.
Ces deux sociétés présentent en outre un inconvénient sérieux, qui
est celui de la responsabilité illimitée des associés. Si cela n'est contrai-
re à aucun principe régissant les "Esus", i l n'en demeure pas moins que pour
les "Esus"ouverts qui ont une certaine importance et oü les membres ne se
connaissent pas en général, i l sera difficile d'exiger d'eux qu'ils acceptent
une pareille responsabilité. Dans la majorité des cas, la responsabilité des
membres du "Esu" est en fait limité au montant de ce qu'ilS ont cotisé.
Il existe un troisième type de société qui peut difficilement convenir
aux "Esus". Il s'agit des sociétés â responsabilité limitée. Il y a en effet
dans ces deux sociétés antinomie sur plusieurs points.
1 - En ce qui concerne le montant nominal des parts sociales et du ca-
pital, l'article 6 de la loi du 7.5.1925, modifié par le décret du 9.8.1953,
exige un capital minimum de 1.000.000 de francs divisé en parts sociales d'une
valeur nominale qui ne peut être inférieure à 5.000. Or pour la constitution
des "Esus", aucun capital minimum n'est exigé.
2 -
La S.A.R.L. est dirigée par un ou plusieurs gérants
jouissant de
pouvoirs três étendus. S'ils sont nommés par les statuts de la société. ils
ne sont révocables que pour des causes légitimes
(art. 2,
3 - Loi de 1925),
c'est-à-dire que la décision de révocation prise par la majorité des associés
peut être, de la part du gérant, l'objet d'un recours devant le Tribunal qui
en appréciera les motifs indiqués. Cœprincipes sont en opposition complète
avec les régles démocratiques des "Esus".
Nous avons dit que les "Esus" étaient plutôt des coopératives de type
particulier, mais bien qu'étant par certains c6tés des associations, i l serait
plutôt souhaitable, de par leur but économique, qu'ils prennent la forme de
société, ce qui leur donnerait une plus grande capacité et de plus grandes
possibilités d'action que la forme d'association. Cependant devant ces nom-
breuses incompatibilités avec les divers types de sociétés que nous venons
d'examiner, nous pensons plutôt que c'est la forme anonyme qui lui convient
le mieux. Certes, i l faudra prévoir des dérogations aux différentes règles
prévues pour ce type de société, mais i l n'en reste pas moins que cette forme
289

est celle qui permet le mieux de sauvegarder les principales règles et coutu-
mes régissant les "Esus" en Afrique Noire. Etant donné donc leur caractère au-
tonome au sein du droit des sociétés, les "Esus" pourront prendre la forme qui
convient le mieux à leur but, à leurs activités et à leurs principes. Les "Esus"
ne devront donc pas être obligatoirement soumises à un type de société déjà
existant. si nous préconisons la forme anonyme qui est déjà définie, i l est
bien évident que les règles générales qui en découlent, si elles sont contrai-
res à celles posées par les "Esus" ou les Kitemo (Congo), ou Natt (Sénégal),
doivent être écoutées. Donc, en résumé, en cas de conflit entre le droit des
sociétés et le droit des "Esus" ou tontines africaines, la règle "speciala
generalibus derogant" joue pleinement en faveur de ce dernier.
Devant cet état de fait et compte tenu de notre souci constant de ba-
ser nos raisonnements sur les solutions de la pratique, nous construisons le
régime juridique des "Esus" en nous inspirant en partie des sociétés anonymes.
Nous avions vu que les "Esus" comportaient deux variantes, qu'à coté
des "Esus" ouverts à tout le monde, les "Esus" dont la constitution n'exige
pas de conditions d'intitus personae trop importantes, existent les "Esus"
fermés dont le choix des membres s'opérait de façon assez stricte. Bien qu'a-
yant une nature juridique unique, c'est-à-dire que les "Esus" sont des coopé-
ratives de type particulier, on pourra préconiser un régime dualiste,et donc
les conditions de constitution et de fonctionnement ne seraient pas les mêmes
que dans le "Esu" fermé ou dans le "Esu" ouvert.
Les "Esus" ouverts â tout le roonde qui devront être connus sous la dé-
nomination de Société d'entraide mutuelle à responsabilité limitée, auront un
caractère hybride mixte. Ils se comporteront un peu comme des S.A.R.L., ayant
à la fois des traits de société de capitaux et des sociétés de personnes.
C'est l'une des raisons qui nous amènent à qualifier le "Esu" de société de
type particulier.
Quant aux "Esus" fermés que nous appelons désormais Société d'entrai-
de mutuelle à responsabilité étendue, nous dirons plutôt qu'ils ressemblent
davantage aux société de personnes. Bien qu'on note un certain "intitus per-
sonae" lors de la constitution de ce type de "Esu", nous avons vu que contrai-
290

rement à ce qui se passe dans les sociétés de personnes (société en nom col-
lectif) que les parts sont librement transmissibles et cessibles. D'où les
"Esus" ne peuvent être qualifiés que comme des sociétés de type particulier
n'ayant vraiment pas leur équivalent en droit français, et bien que nous op-
tons pour le "Esu" une forme anonyme,
ils ne peuvent être qualifiés de so-
ciétés anonymes à part entière et les règles de constitution et de fonction-
nement doivent leur
demeurer spécifiques.
Les "Esus" ou
sociétésd'entraite mutuelle de crédit sont basés sur un
esprit de solidarité, d'assistance mutuelle pour les besoins d'argent, donc
la notion de bonne foi doit présider ces genres d'opération. La violation de
cette notion de bonne foi sera d'autant plus sévèrement punie que nous aurons
affaire à un "Esu" fermé, qu'à un "Esu" ouvert à tout le monde.
Les conséquences de cette dualité
de régime juridique des "Esus" ne
seront pas négligeables. Les conditions de constitution ne seront pas les mê-
mes ainsi que les sanctions en cas de violation de règles et coutume régissant
ces sociétés de type particulier.
Les conditions de constitution d'un "Esu" fermé seront moins sévères
que celles d'un "Esu" ouvert où les dirigeants se comportent souvent comme
des professionnels, abusant parfois de leurs droits et prérogatives.
En ce qui concerne les sanctions en cas de violations des coutumes et
usages règlementant les "Esus", il faudra également faire la ra:ct des choses
ici. Dans
ces "Esus" ou sociétés d'entraide mutuelle, bien que le capital
soit variable, les contributions ou cotisations étaient librement cessibles
entre vifs, transmissibles à cause de mort et réductibles selon la volonté
des membres; il ne faudra surtout pas que les membres abusent de cet état de
choses, ni qu'ils entralnent la dissolution d'une si bonne et utile institu-
tion en refusant de payer leurs quete-parts sans raisons légitimes. C1est pour-
quoi, nous préconisons que les membres soient tenus à une obligation de bonne
foi, de rectitude et de loyauté qui doit présider à la formation et à l'exécu-
tion des conventions.
Il est évident que les membres d1un "Esu" fermé qui auront manqué aux
291

règles de bonne foi seront sévèrement sanctionnés par ~apport à
ouvert à tout le monde. QU'entend-on par cette obligation de born
prendra ici un aspect bien spécifique. Elle n'impose pas de ne pa~
contrat (c'est-à-dire par exemple demander à sortir du "Esu" quand
.;st vrai-
ment dans l'incapacité de continuer à payer ses contributions, alors qu'on n'a
pas encore perçu le fonds, ou bien.quand les dirigeants ont commis une faute
lourde dans leur gestion), mais cette obligation de bonne foi oommande de ne
pas mettre fin lorsqu'on a suscité chez les partenaires la confiance dans la
continuation et qu'on a vraiment aucune raison léqitime de s'abstenir de payer
les contributions, surtout quand on a déjà perçu plus que ce qu'on a cotisé.
La faute qu'on mentionne ici peut être la mauvaise foi ou la légèreté.
Un exeuple de légèreté serait de sortir du "Esu" de façon intempestive. L'in-
tention de mise n'est d'ailleurs pas requise, surtout dans les "Esus" fermés
oü tout est fondé sur l'intitus personae. Les membres qui seront responsables
de ces ruptures fautives seront sanctionnés par la responsabilité civile dé-
lictuelle fondée sur l'article 1382 du code civil, car ils auront commis une
faute ~sera aisé de démontrer, ou bien ils peuvent être également sanction-
nés par la responsabilité civile contractuelle parce qu'ils auraient manqué
aux obligations de rectitude et de loyauté qui doivent présider une bonne exé-
cution des obligations qu'ils ont contractées.
Maintenant que les problèmes de la nature juridique et des régimes ju-
ridiques des "Esus" ou "Temo" ou "Natt" sont presque résolus, voyons quelle
peut
être la réglementation de ces sociétés d'entraide mutuelle.
SECTION uT - LA REGLEMENTATION DES "ESUS" OU SOCIETE D'Em'RAITE MUTU~LLE~
Les "Esus" étant qualifiées de coopératives, doivent obligatoirement
prendre la forme de société, ce qui leur donne une plus grande capacité et
de plus grandes possibilités d'action que-la forme d'association. Donc étant
une société, le "Esu" sera doté d'une personnalité morale, et doit se confor-
mer à certaines exigences requises pour la constitution des sociétés, ne se-
rait-ce que celles qui lui seraient utiles. D' OÜ les formalités entraineront
une intervention des pouvoirs publics qui auront alors un certain droit de re-
gard sur ces opérations tontinières qui ont toujours été réglementées unique-
292

ment par les coutumes des lieux oü elles sont pratiqu~es. Comme nous le ver-
rons et essaierons de le montrer, cette intervention des pouvoirs publics ne
sera pas si n~gative que cela puisse parattre a priori.
Paragraphe 1. - NECESSITE D'UNE INTERVENTION LIMITEE DES POUVOIRS PUBLICS.
Afin de pouvoir limiter certains abus qu'on rencontre parfois au cours
de la vie des "Esus", une intervention, ne serait-ce que limitée des puissan-
ces publiques serait souhaitable.
Une déclaration à la Préfecture ou aux Greffes du Tribunal de Commer-
ce lors des formalités de constitution doit être exigée par les gouvernements
afin qu'ils puissent opérer un contrOle, car un contrOle a posteriori.ne garan-
tirait rien du tout. Il faut que ce contrOle soit préventif. Il aura pour but
de vérifier par exemple la solvabilité des membres du "Esu", l'honorabilité
des dirigeants, etc ••• Nous préconisons vivement ce contrOle préventif afin
qu'il ne vienne pas constater une situation irrémédiable; il ne faut pas qu'il
soit le médecin des morts. Ce contrOle de l'Etat ne doit pas intervenir alors
que la faute a ét~ déjà commise, quand par exemple l'argent des épargnants a
déjà disparu de la caisse, délapidé par des dirigeants peu scrupuleux. Ce
contrOle de l'Etat ne doit pas être un garde fou
. C'est d'ailleurs ce qu'on
reproche à la loi dahoméenne n° 4 du 26 Juin 1963 qui n'intervient que pour
répr !.mer les infractions en matière d"associatioll3 dites tontines", ainsi qu'elle
qualifie le "Esu". NotonS que la loi dahoméenne n'a pas tort de qualifier le
"Esu" d'association,car tout compte fait, le "Esu" ressemble plus à une aSSO-
ciation qU'à une société, mais étant une coop4rative, et étant donné que tou-
tes les coopératives sont désormais des soci~t~s, d'après l'article 1° de la
loi du 10 Septerobre-1947, nous ne saurons les qualifier autrement que comme
des sociétés tout en les dotant d'un régime plus souple, intermédiaire.
Une formalité de publicité sera également souhaitable, afin que les
"Esu" soient connus de tous, car ils manient après tout de l'argent qui est
parfois d'un montant non négligeable et il faut être prudent et vigilant en
matière d'argent.
293

B. - CETI'E INTERVENTION DES PUISSANCES PUBLIQUES EST EGALEMENT NECES-
SAIRE AFIN QUE CES DERNIERES PUISSENT APPORrER DES REMEDES EN CAS
D'ABUS DANS LA GESTION DES "ESUS.
Un contrôle préventif devrait suffire pour résoudre tous ces problè-
mes d'abus, mais on sait qu'on ne peut prévoir tous les agissements des per-
sonnes décidées à détourner ou à être de mauvaise foi. Ainsi, les frais de
gestion ne devraient pas être perçus en bloc, surtout dans les "Esus" ouverts
dits de professionnels où les dirigeants peu scrupuleux s'attribuent un ou
deux tours de cotisations, prétextant constituer une réserve contre les dé-
faillants, surtout qu'en général on rencontre des "Esus" al). la plupart des
membres sont des illétrés. Nous pensons qu'avec un contrôle sévêre des gouver-
nements, ces pratiques malhonnêtes devraient s'atténuer. Il faudra que les di-
rigeants des "Esus" tiennent un registre sur lequel seront mentionnés les noms
de tous les adhérents, ainsi que les contributions que ces derniers devront
payer, et chaque fois qu'ils auront versé leurs cotisations, on leur remettra
un reçu ou un récépissé attestant qu'ils sont en règle, car les sommes énormes
que se font allouer les dirigeants des "Esus" n'ont aucun rapport avec ce que
conte réellement cette gestion. Le système tontinier africain, surtout celui
des "Esus" ouverts dits de professionnels, a trop souvent permis à leurs diri-
geants de faire sortir les économies de la poche des épargnants dans les leurs.
Ce système est pour eux une opération avantageuse au point de vue commercial,
mais il n'y a aucun rapport entre les opérations de ce genre et le domaine de
la mutualité et de la philantrop~e. Il est donc souhaitable que les gouverne-
ments luttent efficacement entre ces genres de manoeuvres frauduleuses qui en-
traînent une méfiance de la part de beaucoup de personnes qui préfèrent trai-
ter avec les banques que d'adhérer <-lUX "Esus" ou sociétés à forme tontinière.
D'autre part, les fondateurs des "Esus" ne craignent pas de faire à
leurs clients (leurs futurs partenaires) dont ils sollicitent les adhésions,
des promesses de résultats merveilleux, telles que de leur attribuer un fonds
dès qu'ils manifesteront le besoin, qu'ils occuperont par exemple un bon rang,
qu'il n'y aura aucun prélèvement, etc •.. Bref, ils grossissent intentionnelle-
ment et démesurément le système de répartition des fonds à tous les membres
pris séparément af~n de les inciter à adhérer. par exemple, ils vont promettre
à deux ou trois personnes dont ils savent qu'elles
ont un besoin urgent de
294

se procurer de l'argent, qu'elles seront en deuxième position pour percevoir
la totalité des contributions qu'auront cotisées par exemple vingt membres du
"Esu". C'est tentant et c'est également une solution de facilité pour avoir
l'argent dont on a besoin, mais comment plusieurs personnes peuvent occuper
le même rang dans la perception de la totalité d'un fonds? C'est plutôt dif-
ficile â démontrer. Il arrive même que dans certains "Esus" des sociétaires
n'aient pas reçu les sommes qu'ils avaient déboursées, et c'est là qu'on peut
féliciter tout de même l'intervention dahoméenne qui est le seul à notre con-
naissance à avoir eu le mérite d'assayer d'élaborer une loi réprimant des in-
fractions en matière d'associatioœdites tontines, comme l~qualifie la loi
dahoméenne. Le gouvernement du Nigéria a adopté une attitude plutôt négative
vis-à-vis des agissements frauduleux en matière de ce qu'ils appellent "club
of contribution". Ce gouvernement a tout simplement interdit la pratique des
"Esu" bien que ces "Esus" aient pris racine chez les Yorubas et chez les peu-
ples avoisinants constituant la majorité de la population nigériane. Mais no-
tons que cette interdiction n'a pas du tout empêché la formation des "Esus"
qui connaissent encore de nos jours un développement sans précédent, malgré
tous les abus qu'ils peuvent comporter, dans ce pays où la corruption est à
son comble. Donc les pères des "Esus" ne doivent pas laisser le public dans
l'ignorance quant à la marche de leurs opérations et aux résultats à espérer.
Le législateur
béninois a voulu remédier à cet inconvénient, mais le résul-
tat n'a pas été atteint, ce qui est d'ailleur à prévoir, car ce n'est pas dans
un seul article qu'on peut lutter efficacement contre une pratique si utile,
si importante et qui est profondément enracinée dans les moeurs des popula-
tions. Il faut que les dirigeants africains, ainsi que les législateurs afri-
cains prennent la peine de réglementer ces "Esus", afin qu'on évite le plus
possible des litiges à propos des "Esus", litige qui n'a que pour cause l'in-
solvabilité des membres. C'est d'ailleurs le cas dans l'affaire N'GANA contre
KIONZO Joachim. Dans cette affaire, le jugement du Tribunal de Grande Instance
de Brazzaville du 26 Mars 1977 condamne le nommé KIDNZO Joachim à payer des
contributions dues. (voir rÔle civil nO 120, répertoire nO 229).
Résumons en peu de mots les reproches que nous faisons aux "Esus" ou
tontines africaines, reproches dont nous espérons qu'un contrôle vigilant des
pouvoirs publics va pouvoir faire disparaltre : promesses exagérées et fan-
taisistes, prélèvement exagérées en faveur de leurs dirigeants irresponsables
295

et malhonnêtes, divergences d'intérêt entre dirigeants et adhérents, coups
qu'ils portent A l'épargne en la détournant d'une meilleure utilisation de
ses moyens et en laissant aux adhérents désillusionnés l'amertume et la dé-
ception.
Après avoir étudié la règlementation des "Esus" ou sociétés à forme
tontiniêre africaines, il ne nous reste plus qu'à examiner les quelques pro-
blêmes fiscaux relatifs à ces "Esus" ou "Natt" comme les appellent les Séné-
galais.
Paragraphe II. - DU REGIME FISCAL DES "ESUS" OU SOCIETES D'ENTRAIDE MUTUELLE.
Ayant souhaité une intervention bien que limitée de l'Etat, il est
évident que ce contrOle des pouvoirs publics ne se fera jamais gratuitement.
Cette intervention entralnera inévitablement celle du fisc.
Dans le droit béninois qui a qualifié les "Esus" d'associations, le
problème de fiscalité ne se posera guère. Il suffira de soumettre les "Esus"
au régime fiscal des associations. Par exemple, lors des formalités de la
constitution des "Esus", l'administration de l'enregistrement ne doit pas les
taxer comme s'il s'agissait de sociétés, leur réclamant un droit proportionnel
d'apport. L'administration de l'enregistrement doit réclamer aux fondateurs
des "Esus" un droit fixe qui ne doit pas être très élevé, afin de constituer
une charge supplémentaire qui viendrait alourdir les charges préexistantes.
Surtout dans les "Esus" restreints, le principe doit être celui dlune taxe
fixe et vraiment modique.
296

TITRE II
ESSAI DE CONTRIBUTIOW A L'AMELIORATION DES METHODES TRADITIONNELLES
UTILISEES DANS LA LUnE PREVENTIVE CONTRE LES INFRACTIONS EN MATIERE
DE CREDIT
Dans le titre premier de notre travail, noua avons montré
cou:anent les associations d'entraide 1IDJtuelle dites
"tontines" ..
peuvent constituer un objet efficace de lutte contre l'usure et toutes les
infractions en mati~re de crédit.
Cependant ce serait une utopie de notre
part de croire que ces associations à el!~~ule8 peuvent constituer un remède
à ces maux qui ne ce8a~nt de sévir dans nos pays.
La lutte répressive, bien que son pouvoir intimidant soit
limité
n'en constitue pas moina une méthode et n'oublions pas que les pou-
voirs publics n'ont pas été inertes devant ces atteintes qui sont un véritable
fléau social en Afrique. Ils ont essayé d'apporter des remèdes à ces maux,mais'
ces méthodes comportent certes des vices~et
Botre travail serait incomplet SL
nous n'examinons pas ces méthodes et les vices qu'elles comportent afin de
préconiser des solithns adéquates-pour une lutte efficace contre ces atteintes.
Comme nous l'avions montré dans le titre premier de la deu-
xi~me partie de notre travail, les associations de crédit et d'entraide mutuel-
le dites"
tontines
"ne présentent que des avantages si elles sont bien organi-
sé~.C'est vraiment l'un des remèdes efficace contre la violation à la légis-
lation afférente au crédit. Hais le probl~me qui se pose est que tout le monde
en Afrique ne veut pas, ou ne peut pas être membre d'une association dite
"
Ceux qui ne veulent pas faire partie d'une tontine ont
certes des raisons tout à fait plausibles. D'abord ce sont des gens qui ne

29'

aont pas nécessiteux. qui ne sont pas dans le besoin urgent de trouver de l'ar-
gent. D'autre part, ils sont méfiance, car i1e ont peur soit des détournements
, des pères ou mères des tontines (ce qui arrive souvent) ou Boit que certains
.Ii:~.e... de." ESUS "se révèlent par la suite insolvables et qu'ils soient
l'incapacité de payer leurs contributions (peur du moins qui est tout à
jfait légitime car avec tous ces aléaa, ils ne sont pas sars de rentrer dans
Iles fonds qu'ils auraient cotisé30)
surtout que cette épargne plutôt consei-
l
Ituée dans le but d' aider 1 ne leur apportera aucun frui t.
Ces derniers préfè-
!rent donc déposer leur argent dans une banque, à la Caisse d'épargne et peu-
~eDt par la suite obtenir du crédit s'i18 en éprouvent le besoin, mais cette
~ois en payant des raispns , mais ils sont tout de même plus rassur~s. Donc
!

.
~ ces cat~gor1es de personnes. 11 faudra trouver des solutions plus ad~quates
~ leur préférence. Il faudra pr~coni8er. une bonne organisation. une bonne ré-

~lementation des institutions et organismes du crédit auxquels ils pr~fèrent
~ 1 adresser •
1
1
!

Par contre, on rencontre également une deuxième catégorie
.e personnes qui ~prouvent le vif d~sir de faîre partie d'un"
ESU
"ou
1
~8Sociation dite IItontÏ1ne Il. mais ils ne peuvent pas parce qulils ne sont pas
~ccept~s dans ces clubs plus ou moins ferm~s, basés quand même quelque peu
)ur des conditions de solvabilité. d'honorabilité, en un mot sur leur capacit~
~e(pouvoir s'acquitter de leur quote-parts. Pour toutes ces raisons. ces mêmes
,~rsonnes qui sont ~ses à l'écart des associations tontini~res • sont également
tefoulées par les banques et sont obligée; dl aller frapper à la porte des usuriers.
Pour cette deuxi~me catégorîe
de personnes, il faudra trouver
;es solutîons adéquates à leurs situations, et on sait que l'adhésion dans une
jssociation dite IItont ine Il ne constitue pas un remède, car ils n'y seront pas
ldmis.

Toutes ces situations particulières nous conduisent l ~tudier
~ns un chapitre premier les causes manifestes de ces infractions en mati~re du
~édit.
298

Dans le deuxième cpapitre. nous étudierons les m~thodes utilisées
par les puissances politiques afin d'analyaer les risques qu'ils comportent
et dans le troisième et dernier chapttre nous pr~coniserons des solutions des-
tinées l améliorer ces traditionnelles méthodes.
CHAPITRE 1
LES CAUSES DES~INFRACTIONS EN HATIERE DU CREDIT
,
Dans ce chapitre premier, nous allons essayer de mon-
jtrer pourquoi ces atteintes au droit du cr~dit sont encore si importantes en
!
!Afrique 1 La pratique de l'uaure a presque disparu dans les sociétés françai-
,ises, nous disons presque car si l'usure entre particuliers a disparu, l'usure
jinstitutionnelle, celle qu'on trouve dans les établissements de crédit ou de
!vente l tempérament se pratique encore sous des formes camouflées au moyen de
jcertaines clauses habilement insérées dans les contrats de vente ou de prêts.
'Mais elle est moins virulente en France qu'en Afrique où les usuriers opèrent
,en plein jour et sur la plaoe_ publique. Les causes de la pratique de l'usure
jsont multiples et varient selon que l'on se place sur le point de vue de l'u-
jsurier ou de l'emprunteur victime.
Comme nous allons essayer de le montrer, un certain nombre
'~e facteurs communs en occurence la mis~re avec toutes ces cons~quences,
le manque du sens de l'économie, l'imprévoyance et ce désir inhumain d'exploi-
tation de l'Homme par l'Homme chez les pr@teurs. seront h la base de ces at-
teintes à la législation afférente au crédit. (SECTION 1)
Cependant des facteurs spécifiques à ces infractions du droit
du crédit ne sont guère n~gligeables et feront l'objet de notre étude dans la
deuxi~me section de notre chapitre.
299

SECTION l - fACTEURS cOMMUNS AUX AUTEURS DES INFRACTIONS EN MATIERE DU CREDI"T
Pour ftre efficace, la lutte contre l'usure doit @tre men~e de
concert sur tous les fron~c'est - à - dire que non seulement la luttre répres-
sive doit être doubl~e de la lutte préventive, mais il faut surtout travailler
la mentalité de ceux qui croient pouvoir vivre au jour le jour en pensant que
chaque jour amène son pain.
i Paragraphe l
- Les facteuT6 exogène§.
.
Les facteurs exogènes sont li~s le plus souvent à la situation
du sous-développement dans laquelle vivent les populations concernées.
Dans nos pays d'Afrique dits en voie de développement, on remar-
que avec amertume que la proportion de la main d'oeuvre inemployée est écra-
sante, surtout dans le milieu rural, la question se pose un peu de façon dif-
férente dans les milieux urbains où les gens font semblant de s'occuper.
La population potentielle active n'est ni totalement au travail,
ni employée à temps complet et la partie occupée ~ un emploi n'atteint pas le
rendement optimum attendu.
En d'autres termes, il s'agit de la présence du
chomige effectif et du chômage déguisé. La population potentielle active n'est
pas employée à temps complet. Dans le milieu rural
béninois, en ce qui concer-
ne le nombre de jo~rnées de travail, on note que:
- Dans le Centre on compte environ 130 jours de travail effectif pour les
deux saisons agricoles, dont 25 jours de plein emploi et 105 jours de sous-em-
ploi dans le nord du Bénin (ancien DAHOMEY), on estime à 120 jours minimum et
160 jours maximum le travail effectif.
Le manque à gagner est également da ~ la faible productivité du
travail en milieu rural. Cette faible productivité est due dlune part ~ la
paresse, d'autre part aux techniques de productions qui aont demeurées dans
la plupart des ("'.as prLmitives (coupe-coupe, Houe,,-_) et surtout à :t.'usagf
300

de l'engrais organique qui est inconnu car les agriculteurs n'élèvent pas
leur bétail, il le confient aux bergers p~eulhs .
Ce sous-emploi, ce ch8mage effectif et déguisé entraîne un pou-
voir d'achat très faible. Le paysan arrive difficilement à subvenir à aes
besoins et est souvent obligé d'aller frapper à la porte de l'usurier. Une
deuxième conséquence et celle là plus grave, de ce chômage, est l'exode
rural très massif - Partout les jeunes gens et les filles désespérés accourent
dans les villes pou y chercher du travail. En attendant de trouver ce travail
ils se mettent à la charge d'un frère, cousin, soeur tante, qui a déjà du mal
à satisfaire les besoins de sa famille. Bref cet exode rural a pour conséquen-
de directe d'entraîner et de développer un parasitisme déplorable dans les
villes.
La nature de parasitiPme qui s'emploie plus couramment dans le
langage médical, a fait son apparition en économie pour caractériser les
méfaits très larges de la famille en Afrique. Alors qu'en Europe Occidentale
la famille se limite au père et à la mère auxquels il faut ajouter les en-
fants, en Afrique, c'est toute la lignée parentale qui est comptée dans la
cellule familiale. s'il est permis de voir là une valeur morale d'entraide
incontestable, les répercussions d'un point de vue économique sont par con-
tre désastreusesdaDs la mesure où ce système cultive l'esprit de fainéantis-
me et par conséquent de parasitisme à partir du moment où des personnes bien
valides, n'hésitent pas A vivre aux crochets par exemple d'un parent qui est
occupé à un emploi. De telleipratiques ont leurs origines dans l'existence
du chômage persistant dans les régions du Sud et dans une partie du Centre du
Bénin où les jeunes gens n'hésitent pas à monter dans les grandes villes et sur-
tout dans la capitale économique COTONOU. N'oublions pas que l'une des causes
fondamentales de ce parasitisme doit être recherch~ dms
le problème démogra-
phique (le taux de croissance annuel de nos pays est situé aux environs de 2,2%
Ce parasitisme humain entraîne un niveau de vie extrêment bas et un endettement
chronique des familles.>
Ces facteurs exogènes qui sont à la base de la misère des populations
concernées sont dues à l'ignorance liée A l'analphabétisation encore assez imr
portante en Afrique Noire
(Au moins 75% des populations africaines ne savent
ni lire ni écrire!).
301

Paragraphe II - Les facteurs
endogènes
Ils sont les plus graves, les plus importants et sont li~s
à la mentalité et aux habitudes des habitants des pays sous-développés. Si
certains de ces facteurs sont excusables d'autres par contre doivent ~tre
combattus violemment car ils sont à la base de la pauvreté des populations de
nos pays.
a/ - Les facteurs qui peuvent être excusés car liés à l'ignorance des
populations concernées.
c'est tout d'abord la croyance à la magie noire, à plusieurs
~ieux, bref la plupart des africains pratiquent_1esyncrétisme qui entraine des
l d~penses fabuleuses. ruineuses et stériles - Essayons de nous expliquer - Je
,~ous parlerai du syncr~tisme actuel et de celui du Bénin que nous connaissons
jassez bien - Les croyances traditionnelles b~ninoises offrent de nombreux points
lcommuns avec les religions import~es (Islam et Christianisme) un ajustement ~­
jtait possible. Il est notamment possible de remarquer un certain nombre de ca-
~
ltégories regroupant les forces surnaturelles auxquelles croient les peuples
~én~nois. La croyance en un grand Dieu (HAHOU chez les fans du bas DAHOMEY,
~lOWOWN chez les Yoribas, Irikp~ chez les dendis du Nord.).
,
! La croyance en une multitude de génies protecteurs,
la croyance en la puissan-
·
i ce collective des gén~rations passées se concrétisent dans le culte des anc~-
ltres, entrainent des dépenses ruineuses pour les familles et ne peuvent qu1ag-
Igraver l'état d'insolvahilité et de pauvreté chronique dans lesquels vivent
i
jperpétuellement nos frères. Au BENIN J on peut noter un syncrétisme quant à
;
lIa forme qui n'a d'ailleurs rien de critiquable. C'est par exemple dans la
lrégion porto-novienne
. le curé dahoméen et ses fidèles s'adressent à Dieu
,
-
,rans les paroisses catholiques en des formes qui rappelleraient trait pour trait
;l'invocation du VAUDOU - Mais c'est surtout le fond de la religion au BENIN
:(ex DAHOMEY) qui est fait de syncrétisme condamnable. entrainant la ruine des
1
lfamilles. l'impossibilité d'~pargner et toute a les infractions en matière du
·~rédit.
l
La soci~t~ DAHOMEENNE voudrait accepter les religions impor-
·
~~es. mais elle, n'entend pas non plus rejeter totalement la religion
382

i traditionnelle qui l'a d~jà trop marqu6e- LIon assiste donc à une attitude hy-
pocrite.L'innovation religieuse est toujours acceptée
au moins en apparence,
mais i l s'agit bel et bien d'une acceptst10n apparente. En voici un exemple
au DAHOMEY qui date de 1931 -
Un missionnaire français fut consterné en appre-
nant La défection d'un de ses plus anciens convertis qu'il croyait très pro-
fondément croyant
Il
J'avais cru qu'il n'avait qu'une femme, je découvris
qulil n'en avait bien qu'une, mais une dans chaque quartier de la ville "!
Une femme dans chaque quartier ne peut être que ruineux pour ce pauvre homme -
,:eela entrainera une famille nombreuse trop grande dont il aura du mal à s'oc-
cuper convenablement, on peut être sûr que cet homme est cousu de dettes ! En
plus de cette grande famille qu'il a cré~ede sa propre main, il faudra comp-
j ter 1e~ poulets, les moutons et voire les boeufs qu'il doit sacr1fier de tem~s
:J en temps pour epaiser certaines divinit~s pour les mines de sa famille. Hais
1pour bien comprendre tout cela. il faut se rappeler la conception dynamique que
i le dahom~en a du monde: l'Univers est en perp~tuel changement, l'homme peut
1 modifier et en m~e temps d~fier les puissances surnaturelles - Il existe de
j nombreux g~nies favorisant lea acquiaitions de la même façon qu'il existe des
1 g~nies remettant en question lea choaes acquises. tDonc. il faut ~tre en bons
1 termes avec ces génies. à qui on n'offre des offrandes substantielles. qui ne
. peut qu'agqraver l'état d'insolvabilité des Dahoméens.
1
,
bl Les facteurs inexcusables
C'est le snobisme. le d~sir d'imitation, le goût des dépenses
fastidieuses, improductives, stériles qu'on rencontre un peu partout.
Par exemple à l'occasion d'un mariage
la conatitut1on,de la
~ot entraîne des dépenses ruineuses pour les familles et surtout pour le pau-
vre pr~tendant. le montant extrêment ~levé de la dot a de graves conséquences.
Il favorise la polygamie des vieux qui seuls diaposent de l'argent. et il
est également une importante source d'exode rural. Hais surtout. la dot cons-
titue un gaspillage d'une importante fraction de l'épargne paysanne dispon1ble
qui se transforme ainsi en consommation somptuaire tpagnes et bijoux de paco-
tilles nour les jeunes filles. boissons diverses pour les vieux.
303

Il existe encore dans certaines régions d'Afrique la pra-
itique des marchandages des jeunes filles au plus offrant
S'il y a concurrence
,(entre deux jeunes gens qui Be disputent une jeune fille, si l'un aeB jeunes
1gens peut faire une dépense pour montrer qu'il eBt plus influent que l'autre,
1

jautomat1quement, il devient l'époux - A quoi rime tout ceci, à deB dépenses
(insensées
On rencontre également la pratique de l'achat de femme et
d'enfants " ce qui n'est pa8 moins ruineux et qui est de sur-
crot t absurde : "Une femme qui n' a pas d'enfants 1 achète cOllDDe elles disent,
la marie à son mari
ou à un homme de 8a famille, son frère peu fortuné par
)exeruple - Tous les enfants de cette femme achetée deviennent automatiquement
,
lles enfants de l'acheteuse.
Ainsi donc, faire de grosses dépenses pour le maria~e, les
1cérémonies de
retrait de deuil. de la pratique deB revenants- (de ceux qui SOnt
jmorts et qui reviennent sur la terre) etc ... est une source de 'd~nstr8tion
jlde talent. Il est très nécessaire de se préparer pour de grosses dépenses ri-
,
jtuelles et être glorifié par la population), alors que ces dépenses empêchent
]la constitution d'une épargne, et favorisent au contraire une misère chron1que
,
,voire la commission des enfractions en matière du crédit.
Si certains facteurs sont communs aux infracteurs à la lé-
tgis1ation afférente au crédit. certains facteurs leur
sont spécifiques, et
Jsont loin d'être négligeables.
!SECTION II. - FACTEURS SPECIFIQUES AUX AUTEURS DES INFRACTIONS EN MATIERE DE
CREDIT
Les auteurs des infractions en matière du crédit, à savoir
le créancier véreux, usurier. et le débiteur ou l'emprunteur victime sont
tous pouss~s à commettre leurs d~lits pour des raisons d'ordre économique
et financier.
Pour l'usurier par exemple, c'est Un moyen de réaliser des
304

gains substantiels - Henri DURAND, a relev~ quelques uns des motifs qU1 pous-
sent les gens à recourir à l'usurier et les conséquences qui peuvent en résul-
ter j voici ce qu'il écrivait à ce sujet: " les usuriers acculent à la ruine
le petit paysan qui a fait une mauvaise r~colte et qui emprunte pour tenir
jusqu'à la prochaine: ilspoussent le fils de fa~lle à gaspiller l'h~ritage
avant la mort du père en lui prêtant de quoi "faire noce"- ils conduisent à
la banqueroute l'artisan qui essaie de devenir industriel ou le petit c~
merçant
dont l'~pouge a trop de goOt pour les chAles de cachemire et les
réceptions à la IIbougie" 0) - les prêteurs peu scrupuleux trouvent dans
leurs pratiques antisociales une source de réaliser d'énormes bénéfices
Voyons dans un premier paragraphe quels sont les avantages que peuvent leur
apporter ces pratiques usuraires.
Paragraphe 1 - Les fac;ay;s propres aux auteurs du délit d'usur~.
L'usurier tirant un avantage certain de ces pratiques inhu-
maines, fera tout comme
le dit si bien Henri DURAND. pour attirer ses victi-
mes qui justement se trouvent dans le désarroi et croient trouver en lui un
service. Que cela soit en Afrique ou en France. la pratique de l'usure cons-
titue à celui qui s'y adonne, une source de financement de son entreprise.
L'usu~e forme avec la fraude fiscale ce que les hommes
d'affaires appellent le crédit noir - Les opérations usuraires sont un moyen
efficace pour les possesseurs de capitaux pour obtenir facilement d'impor-
tants revenus que le prêt soit en espèces ou en nature.
La tentation est grande pour le pr~teur d'abuser d'une
i
position ~conomique forte pour profiter des ga1ns substantiels.
Dans les pays économiquement avanc~s oü les stipulations
usuraires se dissimulent dans les contrats de ventes à temp~rament. l'op~ra­
tion est très lucrative. car ces ~tablis8ements de cr~dits fonctionnent avec
l
la bénédiction financière des banques de la place. Dès lors on comprend ai-
sément pourquoi une banque se refuse de prêter A son client l'argent dont il
a besoin pour acheter un poste radio, de télévision, et l'oriente vers un
établissement spécialis~ qui lui r~clamera un taux de 45% au Lieu de 15%
(1) H. DUKAND "L'abondance à cr~dit" Ed. Seuil lY66, page ll3 et suivantes
305

qui est celui pratiqu~ par les banques - les banques savent que les profits ré-
alisés par les ~tablissements de crédit tombent dans leur caisse; elles savent
en outre que par des techniques spécialisées. le taux apparent sera rarement
usuraire j ces établissement r~alisent des bénéfices sur la base des taux d'in-
térêts prohibitifs sans être jamais poursuivis pour d~lit d'usure.
Dans un petit livre qu'il a publi~ et qui n'a certainement
pas eu du succès dans les milieux d'affaires. M.DURAND a essayé de démontrer
l'importance du profit que procurent au pr~teurs les opérations usuraires -
voici ce qu'il écrivait à cet effet : Si pour un prêt de 1200 Francs au taux
de 15% payable en 13 mensualités, les tables d'intér~t composés indiqueront
une mensU81it~s de 108.JO Francs environ, En décomposant les mensua1it~s on
trouve qu'à la fin du premier mois. l'emprunteur verse lY8,JO francs. soit
un intérêt A 15% de 1.200 Francs et le solde soit 108.30 Frs - 15 fre =
Y3.30 Francs - A la fin du second mois, l'emprunteur verse encore 108,30
francs, mais cette fois, l'intér~t à 1)% n'est plus dO que sur le capital
non' rembours~, c'est-à-dire sur 1l0b,70 francs. cet int~r.êt,!est'::'de 13,80 Frs
et le capital remboursé est 94,50 Frs - Ainsi de suite. les versementaCompren-
nent une part d§croissante d'intérêts et une part croissante en capital •• en fin de
compte, on aboutit A trois constatations. en premier lieu, l'emprunteur aura
rembours~ en tout l299,bO Francs, soit pratiquement 1300 frs , ce qui donne
un taux de 8,33% - Mais ce taux n'est qu'illusion puisque comme on l' a vu, le
taux pratiqué e~t de 1)%. En r~alit~ le capital prêté pour le banquier pour
finsncer l'opération s'il était de 1200 francs pour le premier mois n'est plus
que de 1106 Frs,70 le second mois, en calculant sur 12 mois, la moyenne res-
1
tant due, c'est-A-dire le découvert n'atteint environ que 66) Frs et non
120U fra. En effectuant le calcul, on retrouve 15% "(1) En conclusion, nous
pouvons dire que si un barême de crédit li. 1. consommation fait apparaitre
un taux d'inUret de 8%, le taux réel de l'inUrêt est presque le double de
ce taux appare'nt ce qU1 représente un gain substantiel 'Pour le pr~teur,
Un autre moyen employé par les usurier surtout en Afrique
consiste à calculer globalement lea intér~ts A ~choir et à les ajouter au
capital prêté avant de calculer les échéances. Par exemple une somme de 500,
000 franccs cFA est prêt~ pour financer l'achat d'unevoit.urel et payable en
24 mois et cela au taux de 20%. La société de crédit calcule l'intér~t de
deux ans et l'ajoute aux 5UO.UOO francs avant de calculer les échéances. L'in-
306

>OO,OOU x 2u = lUOO.OOU Frcs CFA. et l'intérêt pour deux
tér@t annuel est de - lOu-
ans serait : 10U.000 CFA CFA x 2
2uO OUOO CFA, La somme totale la rembourser
aerait alors de SOU.OUO + ZOO.OOO ~ 700.UOO Frs CFA. Par ce procédé le pr@-
teur réaliae des gains énorme a car bien que le capital diminue chaque mois par
les échéances successivea, il n'en est pas tenu compte dans le calcul des in-
tér@ts a payer par le débiteur. Il y a encore Hl. une source d'enrichissement
malhonnêtel pour le prêteur. On peut multiplier les exemples,
Les meaures prisea par la législation du 28 Déeembre 19b6
relative la l'usure et par certaines lois africaines, notamment la loi sénéga-
laise n D 702b du 27.b,7u relativé la la répreasion dea opérations usuraires (J.O.
Sénégal du 18.- 7.- 1~70 page 684 et suivantes), en vue de dim1nuer le coat
du crédit en intégrant dans lea éléments de calcul du taux de l'intérêt effec-
tif global, les frais, lea commissions et autres,tendent en réalité la réduire
la
marge des bénéfices occultes du pr~teur qui y trouve une source intarissa-
ble de financement de son entreprise.
Nous venons de voir que la pratique de l'usure constitue li
celui qui a'y adonne une source de financement de son entreprise, mais on peut
noter Que eea opérations usuraires apportent dea avantages en nature li l' usu-
rier afr1ca1n. ~lle permet par exemple la const1tution d'une main d'oeuvre
gratuite avec les enfants donnés en gage par le débiteur. Parfois la défaut
d'enfants la l'3ge de remplir ces tâches, le débiteur se place lui-m~me comme
gage. Il sera Convenu entre lui et son prêteur qu'il travaillera par exemple
deux Jours par sema1ne sur le champ de celui qu'il croit être son bienfaiteur.
Ou bien, autre solution defac'liité'
c'est de donner gratuitement en mariage à
cet usurier sa fille en mariage. Si la fille est trés jeune, ses parents la
placeront chez l'une des femmea de l'usurier qU1 ach~vera son éducation en
lui apprenant les habitudes de son futur mari, ou bien on la placera chez une
parente assez proche de l'usurier. Ce sont des prat1ques que l'on rencontre
tr~s souvent de nos jours en Afrique, notamment chez les Haoussa du Nigéria.
Nous venons d'étudier de façon assez sommaire les ra1sons
pour lesquelles, les auteurs du délit d'usure ne penseront pas à abandonner
leurs pratiques inhuma1nes, notre travail serait incomplet si nous n'examinons
i pas dans un deuxiémee'paragraphe les facteurs qui conduisent le débiteur la com-
mettre toutes ces fraudes afin d'obtenir du crédit et surtout les raisons pour
lesquelles il n'hésite pas la aller V01r l'usurier.
%7

Paragraphe Il - Les facteurs spécif19ues au d'~biteur, auteur d'1nfraction
en matière de crédit.
Le recours de l'emprunteur l l'usurier aux maneouvres frau-
duleuses afin d'obtenir du crédit. a également des causes économiques, L'usure
est causée par un décalage permanent et considérable entre les besoins courants
en numéraires d'une part, le volume et la répartition des disponibilités exis-
tantes d'autre part. Elle entratne la difficulté de créer une épargne parmi les
masses paysannes - Il est donc possible de tourne~ les l01s théoriquement effi-
caces quand, eu égard à l'urgence de ses besoins, l'emprunteur est contra1nt
d'aller frapper à la porte de l'usurier. Tant qu'il y aura de la misère, il y
aura des infractions afférentes à la legislation du crédit. ~usure. détourne-
ment du crédit. etc ••. Les conditions qui mènent l l'endettement sont no~
breuses : la product10n agricole nécessite toujours une Dériode d'attenœ',
Pendant cette période. il faut assurer des responsabilités soc1ales souvent
très lourdes et urgentes: leB dots, les mariages. les funérailles, l'entretien
deB parents malades ou qui sont dépourvus de moyens ; autant de responsab1lités
auxquelles on ne peut se déroDer et qui ne peuvent paB attendre la moiBBon
future "ou~ qu'on leur trouve une Bolution - la Beule voie rapide et sûre est
le recourB à l'usurier et ceci surtout dans leB milieux ruraux. Les taux d'in-
térêt sont calculés par les usuriers de façon que tout le bénéfice de la ré-
colte leur revienne. Une autre cause est l'obligation pour le paysan de met-
tre en vente ses produits par l'intermédiaire du commerçont
qui a fourni
le crédit, met le cultivateur dans une position extrêmement faible pour né-
gocier et lui enlève toute possibilité d'accroître ses recettes et s'orienter
vers des déDouchés plus profitables.
D'autre part_ une pression particulière s'exerce sur les
producteurs et et les amène à vendre leurs récoltes 1mmèdiatement au moment
de l'abondance quand le prix est au niveau le nlua bas alors que la possibi-
lité de conserver leurs récoltes le plus longtemps
possible permet aux agri-
culteurs de les vendre plus chères. Dans les régions proprices aux culturès
1ndustrielles. c'est-à-dire aux cultureB ouvertes au march~-extérieu~ies
cult1vateurs sont A la merci des intermédiairès et même, dans une certaine
mesure des offices de commercialisation.
Dans les villages retirés de brous-
se, l'acheteur de produit, c'est-à-dire l'intermédiaire est en même temps
30B

boutiquier local - Il pousse le paysan l s'endetter, lui facilite la période
de soudure en lui faisant cr~dit à un taux usuraire et se fait payer ensuite
sur la r~colte, tout concourt à l'enrichissement de l'interm~diaire et à l'ap-
pauvrissement de l'agriculteur, l'action de l'interm~diaire usurier est faci-
lit~e par l'absence de marché local et la difficult~ qu'~prouve l'agriculteur
pour se rendre au march~ de la ville avec son produit OÜ il pnurrait l'~cou­
1er à juste prix. Le paysan n'a pas non plus les moyens appropriés pour stoc-
ker sa r~colte afin de la vendre au moment où les cours seraient un peu plus
~lev~s. On se souvient que le fait est si vrai, si populaire au S~n~gal oü le
l~gislateur aoucieux de prot~ger les victimes, a assimilé, dans la législation
de 1970 relative à la r~pression de l'usure, au d~lit d'usure le fait d'ache-
ter ou de racheter sciemment une chose mob1lière à un prix infér1eur de plus
de 10% du prix de son vrai prix. En Afrique Noire. l'homme ne sachant pas li-
miter ses d~penses est aisément imprudent. Tout le pousse vers l'inconséquence
de son geste pour l'avenir: sa tendance l l'optimisme, sa confiance dans l'a-
venir, la publicité qui investit les esprits. la concurrence sociale qui l'in-
vite à aligner sans attendre son train de vie sur celui de ses relations. Entre
la tentation qui peut être imm~diatement satisfaite et le total des privations
futures qui repr~sente l'endettement, les pressions psycholog1ques ne sont
pas égales. Ainsi pour une petite somme reçue pendant la période de soudure
des paysans vendent
"leur blé en gerbe", les salari~s hypothèquent leur car-
rière en remboursant chaque mois plus de la moitié de leur traitement à l'usu-
rier à cause d'une petite somme qui leur était consentie. soit au début de
leur carrière, soit à l'occasion d'une maladie subite d'un parent. d'un mariage
ou d'un év~nement imprévu. Cette somme leur était consentie à un taux usuraire
et chaque mois l'intérêt non rembours~ est capitalisé - Bref autant de facteurs
qui poussent les gens à s'endetter ~ternellement ou à commettre des fraudes
de tous genres afin d'obtenir des liquidités nécessaires pour leurs besoins ur-
gents.
Pouss~s par le besoin et la mis~re dQs aux bas revenus. les
l
emprunteurs composés en g~n~ral de paysans et de petits salariés se laissent
exploiter sans rien dire avec une sorte de r~signation à leur condition. Le
comportement de l'emprunteur se caractérise par une Bollicitation incessante
dont sont l'objet les prêteurs. On a noté que le fait pour le prêteur de se
309

faire ainai prier est une manoeuvre de8tin~e 4 faire apprécier davantage ses
services pour exiger une r~munération très ~levée du prêt Qu'il consent.
Cela est incontestable dans la mesure où l'emprunteur considère celui Qui l'ex-
ploite comme son bienfaiteur et par une discrétion totale et une complicité
de fait rend presque impossible toute poursuite judiciaire Que le ministère
public serait en droit de déclencher contre ce pr@teur bu ce vendeur à crédit
pour le délit d'usure ou pour d'autres inculpations pénales. D'où en dehors
des facteurs qui sont d'ordre économique, financier. on peut également par-
ler des facteurs spécifiquement li~s à l'état de victime du débiteur. C'est le
fait par exemple d'acheter un poste radio et de le revendre sur le champ ~
moitié prix ~ la personne chez qui on vient de l'acheter à crédit. C'est par
exemple la pratique du Bouki dont le législateur sénégalais a express~ment
prévu et réprimé dans son article 9 de la loi du 27 juin 1970 - Il Y a tout un
tas de mécanismes Qui sont propres à ces débiteurs, ~ ces auteurs de détourne-
ments de crédit ou de gage, Qu'on peut se demander dans une certaine mesure si
ces victimes ne sont-elles pas elles-mêmes coupables, si elles ne sont pas
victimes de leur propre turpitude, d'où il est nécessaire de consid~rer le
couple p~nal que forme l'infracteur et la victime, ici le cr~ancier et le
débiteur. Notons d'ailleurs qu1en ce Qui concerne les infractions en matière
de cr~dit en Afrique. le couper pénal prend vraiment un aspect spécifique. car
l'infracteur et 1. victime bien loin d'@tre des adversaires se comprennent bien
du moins la victime qui est dans le besoin urgent d'avoir de l'argent trouve
en la personne de celui Qui l'exploite son bienfaiteur, et le dénonce rarement.
Donc. ici la victime n'est pas pour autant innocente, pas plus que l'infrac-
teur également, c'est un facteur très important dont les législateurs africains
doivent tenir compte dans la lutte répressive et préventive contre les infrac-
tions en matière du crédit.
310

CHAPITRE II
LES EFFORTS DES POUVOIRS PUBLICS DANS LA LUTTE PREVENTIVE
CONTRE LES ATl'EINTES AU DROIT DE
CREDIT
Il a été souligné l plusieurs reprises qu'en mati~re d!infraction
relative. au crédit que la lutte répressive sans la lutte préventive n'est qu'une
utopie. Donc pour que la pratique de l'usure, des détournements de tous gen-
res en mati~re de crédit soit sensiblement freinés. il faudra organiser une
lutte préventive assez rigoureuse dans tous les domaines.
Si les pratiques usuraires 8lav~rent comme l'ultime se-
cours des paysans ou des salariés africains. c'est parce que ceux-ci ne peu-
vent faire appel à une autre source de crédit. Les lois destinées à proté-
ger les victimes sont indispensables, mais ne sauraient constituer l elles seu-
les les solutions aux probl~mes pos~s par les infractions en mati~re du cré-
dit - Ces lois ne repr~sentent qu'une ~tape dans la lutte. La solution rési-
de esaentiellement dans la création ou l'am~lioration de mécanismes institu-
tionels de crédit qui soient moins on~reux et que par leur orientation répon-
dent aux besoins et contribuent à l'~lévation du niveau de vie des populations.
Ces solutions n'ont point échappé à ceux qui ont eu l diriger nos pays. Les
puissances coloniales ont tout d'abord essayé d'attaquer le mal en sa racine
en instituant une scolarisation obligatoire. Puis, elles ont cré~ et multipli~
les institutions du crédit social et du cr~dit mutuel qui ont eu. quoique pas
spectaculaires. un certain nombre de résultats positifs.
Le colonisateur n'a certainement pas atteint ses objectifs,
mais cette exp~rience en terre africaine est une leçon aux nouveaux responsa-
bles africains qui doivent comprendre qu'il est assez rare que l'action du
crédit social et du crédit mutuel en tant que moyen de lutte contre les les
infractiona en mati~re du crédit puisse réussir, si lion s'attaquait aux
problèmes isolement. mais que plut8t cette action doit tenir compte de la
311

situation dans son ensemble. Donc au moment de leur accession à la souveraine-
t~ internationale, les nouveaux ~tats africains vont recueillir dans leur suc-
cession cet arsenal de lutte pr~ventive contre les atteintes au droit du cr~­
dit en ce qu'elle comporte de passif et d'actif.
L'accession à la souverainet~ nationale n'a pas supprim~
la mis~e des paysans bien au contraire de nouveaux problèmes vont se poser
tel celui du d~veloppement global.
Dans tous les états, les organismes de cr~dit mutuel et so-
cial seront maintenus et adapt~s
à la nouvelle situation et c'est ainsi que
le crédit social sera transformé en banque nationale de d~veloppement.
Le crédit mutuel va aubir des modifications de structures
assez importantes. De nouveaux instruments de développement seront crées no-
tamment des offices pour la commercialisation des produits agricoles.
Nous serons amenés à examiner dans une première section
quelles sont les mesures prises par les anciennes puissances coloniales dans la
lutte pr~ventive de ces infractions en matiàre du cr~dit. et dans une ~euxième
section nous analyserons les efforts entrepris par les dirigeants africains à
la t~te de leurs nouveaux ~tats.
SECTIDN 1
- LES MESURES PRISES PAR LES PUISSANCES COLONIALES DANS LA LUTTE
PREVENTIVE CONTRE LES ATTEINTES AU DROIT DU CREDIT.
Dans les pays en voie de d~veloppement, les exploitations
sont trop petites pour subvenir aux besoins des familles. La pénurie de cr~dit
peut trouver une solution ,ar les intéress~s eux-mêmes. ils peuvent en effet
r~soudre le problème en s'entraidant, et en coop~rant les uns avec les autres,
par exemple en s'associant dansl'"ESU" ou association dite "TONTINE" qui quand
elle est bien réglementée ne comporte que des avantages pour ses membres. Mais
comme nous l'avions montré dans notre titre premier, la tontine. ne peut r~­
soudre à elle seule tous les problèmes relatifs aux infractions en matière du
312

crédit, car comme nous le savons, tout le monde ne veut pas, ou ne peut pas
être membre d'une association dite tontine pour des raisons que nous avions
déj~ évoquées. Donc le colonisateur trouve en arrivant en Afrique, une organi-
sation socio-économique simple, mais solide, hiérarchisée. basée sur la pro-
priété collective et l'esprit d 1 entraide. Que cela soit sur la Côte du Bénin,
à l'intérieur du continent et à MadagascBr, on trouve des sociétés mutuelles
de travaux des champs connues en Afrique sous le vocable de syndicat de 'tra -
vail, les associations de pêche avec embarcations et matériels collectifs, puis
enfin les associations mutuelles de financement dirigées en fait contre les
infractions en mati~re du crédit notsmment contre l'usure.
Le colonisateur va, sans avoir hésité. devant les intérêts
en cause, utiliser cette mentalité neutraliste africaine pour construire des
institutions efficaces afin d'aider les masses africaines les moins favorisées
~ relever leur niveau de vie afin de les mettre autant que possible à l'abri
de la mis~re excessive, phénom~ne qui pousse indubitablement vers les services
de l'usurier qui reviennent tràs chers, ou à commettre les fraudes de toutes
sortes 1 pour avoir les liquidités dont il ont besoin.
La France va donc instituer en Afrique des institutions de
créditoutuel et de crédit social. Nous étudierons dans un preuner paragraphe
le crédit mutuel et dans un second paragraphe le crédit social.
Paragraphe l
Le crédit mutuel
Les traditions africaines et l'esprit communautaire ont
facili~ à la base la compréhension et l'acceptation de l'organisation mutus-
liste respectueuse en Afrique Noire.
Dans la recherche des voies et moyens pouvant permettre
la mise à la disposition des agriculteurs d'Afrique et de Madagascar, à un
taux normal de crédit leur permettant d'améliorer les conditions de leur
j production. puis de commercialiser librement cette production sans faire
appel à des commerçants pr~teurs pratiquant des taux uaurairea et achetant
les produits à des conditions tr~s désavantageuses pour les vendeurs, la
313

France opta pour la formule du crédit mutuel. C'est ainsi qu'elle créa par
un décret en date du 29 juin 1960, les sociétés de prévoyance de secours et
de prêts mutuels. plus simplement appelées Sociétés de Prévoyances ou S.P.
Ces sociétésavaient pour but de conatituer des r~serves de graines pour les
distribuer aux sociétaires lors des semailles, d'acheter des instruments
agricoles qui seraient prêtés ensuite ou c~d~s aux soci~taire, de secourir
les sociétaires atteints par la maladie on les accidents, de pr~munir contre
les conséquence de la sécheresse, des inondations et autres fléaux naturels.
Dans plusieurs territoires, au Sénégal en particulier, ces
sociétés réalisèrent des prêts de graines d'arachides; les prêts devant en
principe être remboursés lors de la campagne suivante, majorés d'une boni-
fication statutaire qui était en général de 20%
A partir de 1926, furent également créées dans tous les
territoires constituant alors l'Afrique Occidentale d'expression française des
caisses locales et enfin, cet ensemble par arrêté du gouverneur général (1)
un office de la Production et de Crédit Agricole. L'institution fut étendue
à Madagascar.Cette fois-ci- leur chaap~ d'action fut élargi; l'institution
prend la dénomination de société indigène de Prévoyance et de Secours et de
mutuelles agricoles. Les moyens de ressources sont constitués par les cotisa-
tions des subventions de l'Etat.
Puis se constitua, un réseau plus ou moins dense
de pe-
tites mutuelles de crédit, coopératives de crédit groupant le plus souvent
quelques dizaines de sociétaires seulement et créées sous la forme de
sociétés civiles, de personnes et à capital variable. La formule fut d'abord
expérimentée au Cameroun, ensuite au TOGO, en C8te d'Ivoire et au BENIN, ex
DAHOMEY) et enfin à Madagascar. La première coopérative de crédit mutuel
(C.C.H.) fut constituée à BAFOU (CAMEROUN) en 1955 sous le vocable de "Mutuel-
le" de base"
Devant le résultat positif obtenu au cours des premières an-
nées, d'autres mutuelles naquirent à travers tout le Cameroun notamment dans
la zone cacaoyère.
Quant au
taux d'intér~t
pratiqué, il ne doit servir qu'à
couvrir des commissions.Ce taux d'intérêt est inférieur à 8% qui était le ma-
ximum autorisé pour le décret du 22 septembre 1935. La coopérative de crédit
mutuel peut octroyer trois sortes de crédits : il y a d'une part les crédits
'lI) Journal Officiel de l'AOF du Il janvier 1930
314

en cinq ans et plus de cinq ans dans les r~gions particuli~rement sous-d~vel­
loppéea,ces crédi~pouvaient être accordés pour la création d'exploitation
familiale, pour l'achat de bétail et de matériel l traction animale. Le taux
d'intérêt conventionnel de ces cr~dits est en moyenne de 3% La seconde gaté-
gorie concerne les crédits à moyen terme pour la rénovation de plantation, du
gros matéril ou pour l'amélioration de l'Habitat. Le taux d'int~rêt appliqué
dans ce deuxi~me cas eat de 4% - Enfin pour les prêts ~ rentabilité rapide, le
taux d'intérêt est fixé à 5% • La coopérative de cr~dit mutuel a connu un
grand succ~s - Pour le dernier exercice avant l'indépendance, c'est-l-dire
celui de l'année 1959-60, les 2.235.000 mutuelles groupant 30.508 membres
avaient accordé 60.773 pour 948.607.000 F CFA.
C'eat en s'inspirant de l'exp~rience positive réalisée
en Cameroun qu'ont été créées au TOGO des mutuelles de base financées par le
crédit du TOGO, lui-même relié au départ a la caisse centrale de coopérative
économique.
En cOte d'Ivoire, les coopératives agricoles s'étaient as-
signées pour finalité d'aider leura membres à trouver du crédit à un taux
d'intérêt raisonnable. Les coopératives agricoles pratiquaient alors, les
coopératives agricoles pratiqcaient alors le cautionnement mutuel, de la
collecte des fonds qu'elles redistribuaient entre leurs membres suivant leurs
besoins respectifs. Elles assuraient également la commercialisation - le sys-
tème facilitant le remboursement des prêts sur les ventes des récoltes -
Les agriculteirs pouvant avoir de l'argent aisément pour les besoins les
plus urgents n'avâient que rarement recours l l'usure ou l ces fraudes
pour obtenir des liquidités.
c'est également de l'expérience du TOGO que se sont inspi-
rées les réalisations du DAHOMEy en matériel de crédit sous l'initiative de
la banque du BENIN. En 1957, la coopérative des éleveurs de
en une union des Mutuelles après avoir préalablement transformé ces 35 sections
vi llageoises
en "mutue Iles de base". L'expérience qui· a donné des résulta ts
satisfaisants audépart fut poursuivie dans la r~gion de DASSA-ZOUME, cette
fois avec moins de succ~s, mais elle fut généralisée en toute région. Les
crédits consentis par les mutuelles de base portaient essentiellement sur le
préconditonnement des récoltes avant leur cotlllDE!rcialîsation (ricin, arachide.
coton, etc .• ) mais quelques prêts pour investissements furent consentis pour
315

pour achat d'outillage agricole. Le manque d'encadrement a compromis un fonc-·
tionnement ratione1 de ces mutuelles.
A ~dagascart les r~a1isations coop~rativesJ notamment en
matière de cr~dit, s'inspirèrent l la fois de l'e~p~rience cameronnaise et
su "Fokoilo1ona Il (1) - Le cr~dit de Madagascar cr~~ par la Caisse Centrale
de Coop~ration Economique avait
institu~ en 1959. les Soci~t~s Agricoles
<S.C.A.AM) form~es à 11~chelon des villages et même des simples hameaux. Les
Sociétés avaient pour objectif de garantir solidairement les engagements sous-
crits par les emprunteurs, de susciter le sens de l'épargne en md1ieu rural et
aussi de faire naitre un esprit propre à la constitution ultérieure de coopé-
rative de groupage et de commercialiaation des produits agricoles.
Nous venons de voir que ces soci~t~s ou coopératives de cré-
dit mutuel avaient eu un grand succàs dU surtout à l'esprit communautaire et
coop~ratif qui caract~rise les africains en g~n~ral. Mais en outre parallà1e-
ment au cr~dit mutuel, le colonisateur français avait ~ga1ement institu~ le
cr~dit social qui serait encore plus efficace que le premier. L'examen
de ce cr~dit social fera l'objet de notre deuxiàme paragraphe.
Paragraphe II - Le cr~dit social, instrument efficace de lutte contre les in-
fractions en matiàre de cr~dit.
Apràs la deuxième guerre mondiale, de nouvelles structures
seront encore mises en place grAce surtout l l'action de la Caisse Centrale
de la France d'Outre-Mer devenue devenue par la suite la Caisse Centrale de
coop~ration économdque. Cette nouvelle formule de cr~dit qui diffère de cel-
le de la Caisse Centrale de Cr~dit Agricole Mutuel sera plus efficace qye la
pr~cédente. La Caisse centrale de la France d'Outre-Mer constitue dans chaque
territoire une société de cr~dit et un r~seau plus ou moins important selon
le territoire ou l'Etat. La formation de ces crédits sociaux
a
~t~ jug~e
absolument n~cessaire par les responsables du d~veloppement ~conomique et
social de ces territoires. Il s'agissait en fait de cr~er en Afrique Noire des
Institutions de Cr~dit spécialis~s, adapt~e8 d'une part aux tAches nécessi-
t~es par l'expansion économique et d'autre part aux prob1àmes posés par la
complexité de structures ~conomiques et locales. Ce fut les soci~t~s
316

de Crédit Social.
La France devant les difficultés d'acc~s au crédit bancaire
avait estimé qu'il fallait trouver une forme de crédit souple adaptée aux
besoins du rel~vement du niveau de vie des masses africaines qui constituaient
habituellement le lot le plus important des victimes des usuriers. L'initia-
tive prise le 8 Mai 1949. Va s l échelonner jusqu'au 16 AoQt 1947
Les premi~res sociétés de Crédit Social furent le crédit
de l'A.E:~ et le crédit du Cameroun en mai 1949. Cinq ans plus tard, d'au-
tres sociétés de crédit social virent le jour en Afrique Occidentale, et fu-
rent successivement, la Banque du BENIN (1954). le crédit de la Côte d'Ivoire
(1955), le crédit de la Guinée 1955), du TOGO et du Soudan(Mali)1956), de la
Haute-Volta et du Niger en 1957. puis le Crédit de Madagascar.
Ces organismes de crédit social créés à l'aide de
capitaux publics l partir de 1949 devaient répondre au double souci d'élévation
du niveau de vie et de développement économique par la distribution de cré-
dit selon des normes nouvelles, dans les secteurs-clés où les banques com-
merciales à la recherche du gros profit ne pouvaient exercer une action satis
faiaante et cela à des taux d'intérêts raisonnables. Avec la souplesse qui
a caractérisé le fonctionnement de ces organismes qui pratiquaient en fait une
lutte préventive en mati~re d'atteinte au droit du crédit, ils ont pu con-
server une suffisante indépendance afin d'être efficaces et rentables.
Les organismes de crédit social avaient pour mission d'in-
tervenir dans les secteurs immobilier. agricole, petit équipement, et arti-
sanal. Ainsi. le salarié,
ou llAgriculteur au lieu de s'adresser aux usuriers
parce qu'il n'a pas acc~s au crédit bancaire à causes des observations main-
tes fois énumérées. s'adressait directement à ces organismes de crédit social
qui pouvait financer la construction, s'agissant de conatruction nouvelle,
ou apporter l'amélioration nécessaire s'il s'agisssit de l'Habitat tradition-
nel.
Les garanties de remboursement sont souples. Elles Bont
obtenues soit par délégation de solde soit par le versement direct du montant
317

des prêts aux entrepreneurs avec contr6le technique de la réalisation des tra-
vaux, la garantie peut être ~8alement fournie par l'aval de l'employeur. Mais
l'intervention des cr~dits sociaux a également servi la cause de ceux
qui cherchaient ~ améliorer une habitation de type traditionnel. C'est cette
dernière formule qui a eu le plus grand succès car elle intéresse une clientè-
le plus vaste.
Mais le cr~dit immobilier n'a pas eu des finances ~ cause
de certaines défaillances de fonctionnement. Le contr61e de l'utilisation des
prêts se réduisent souvent au visa d"agents complaisants irresponsables.
Bon nombre d'emprunteursavaient gaspillé les sommes mises ~ leur disposition
bénéficiant de la compliciti active ou passive du personnel. Ainsi au Séné-
gal par exemple, lors de la suppression de l'office local, le pourcentage des
impayés ~tait de l'ordre de 42% par rapport au nombre des débiteurs et de
11,6% par rapport au ~nt8ltinitial des crédits alloués (1) Malgré ces ca-
rences, malgré la modicité des résultats acquis par les crédits sociaux en
1Do!ltière d'aménagement de l' Habitat Afric.ain. eu égard l
l' immensiU des be-
soins, on peut néanmoins soutenir que le crédit ljmmo~ilier a été
important puisque grlce ~ son action, beaucoup d'africains ne possédant que de
faibles garanties ont bénéficié de la modernisation de leur logement.
Quant aux crédits pour acquisition de petit équipement,
leurs distributions n'ont pas donné lieu ~ des difficultés particulières en
raison de la faiblesse des riqques et de la limitation de ces opérations ~
une'·clientèle solvable. Les avances consenties furent destinées l aider li.
l'installation des familles et ~ doter~elles-ci de biens durables ou semi-
durables, tels que les moyens de transport (achat de bicyclette, mobylette
vespa, etc .• )La répartition de ces crédits telle qu'elle était au BENIN
(ex DAHOMEY) le 30 juin 1959 peut être considérée comme une préfiguration de
la situation dans la plupart des territoires.
Guy ROSIER
Essai sur les Sociétéa de cr~dit social en Afrique Noire -
Thèse pour le doctorat es-Sciences Economiques - Université
de DAKAR 7 Hai 1962.
318

- Equipement en moyen de transport
63,7%
- Equipement m~nager : 18,7%
Poste radio et appareil de musique 8,~%
- Machine à coudre 8,8%
Comme on l'a soulign~, ce cr~dit n'a ~t~ consenti qu'à
des personnes pr~sentant une certaine garantie de solvabilit~ - L'action
du cr~dit au petit ~quipement est assorti de certeines conditions. Ainsi
pour pouvoir b~n~ficier de ce cr~dit, il faut en preuder lieu avoir un e~
ploi stable, de ce fait pouvait pr~tendre à l'attribution de ce prêt
les salari~s des secteurs public et priv~, les non salari~s pour pr~tendre
à un cr~dit doivent fournir une caution solvable. Les pr@ts ne sont jamais
accord~s en vue d'acquisition de biens de consommation car aucune possibili-
t~s de r~cup~ration ou de prix en gage ne serait alors possible. Le plafond
des prêts est fix~ au triple du revenu mensuel de l'emprunteur sans que le
montant puisse exc~der 100 000 Frs CFA dans certains territoires. ~nfin le
.!
temps d'amortissement total est fix~ à un an et l'apport personnel de l'em-
prunteur doit atteindre 30% du prix de l'objet dont l'achat est envisag~.
Malgr~ ces quelques restrictions qui avaient été jugées n~cessaires pour la
réussite de l'entreprise, le crédit au petit ~quipement a rendu de grands ser-
vices à beaucoup de gens. C'~tait une arme efficace de lutte contre les infrac-
tions en matière de cr~dit - Malgr~ la mauvaise attitude de certains africains
qui avaient confondus ces prêts destin~s A les aider avec des dons, ces
cr~dits survivront jusqu'A l'accession de oos pays à l'ind~pendance politique,
D'sutre part, le colonissteur français était convaincu que
le développement écono~que de l'Afrique qui est l'une des conditions n~ces­
saires pour mettre les populations A l'abri du besoin urgent qui les pousse
à recourir au crédit usuraire, aux fraudes de toutes sortes, passe par le
développement de l'agriculture - Ainsi en raison de la structure essentiel-
lement agricole de l'~conomie africaine, des frais et des goulots d'étrangle-
ments qui entravent son d~veloppement, les cr~dits s~ciaux au niveau de chaque t~r­
ritoire ou groupe de territoires se sont sérieusement préoccupés de l'amélio-
ration des conditions de production et de commercialisation des produits.
318

Pour assurer la modernisation de l'exploitation des cr~dits
à moyen terme furent consentis, tibn seulement des pr@ts individuels, à des
agriculteurs et à des groupement de producteurs, mais surtout des mutuelles
de cr~dit et coopératives ont été cr~es grAce au crédit social institué dans
chaque territoire sous forme de soci~té de cr~dit d'itat.
Le colonisateur français a modernis~ et institutionalis~
la vie communautaire qui caractérise les sociétés traditionnelles africaines
pour la création du crédit social et des cr~dits mutuels. Les gouvern~s et
les spuvernants africains ont une part de responsabilité chacun de leur caté
dans la réussite de l'entreprise. L'~volution écono~que d'un Etat s'apprécie
par rapport au niveau de vie de sa population. C'est après tout une question
de justice sociale. Heureusement certains responsables semblent l'avoir com-
pris et ont continué l'oeuvre entreprise par le colonisateur en multipliant
les institutions du cr~dit mutuel et du cr~dit social) tout cela destin~ à
fournir aux agriculteurs et aux salari~s les moyens de se procurer du crédit
à un taux d'intér@t raisonnable ou bien pour trouver des sources de finance-
ment de leurs affaires sans grande difficulté. Cet obectif sera-t-il atteint?
c'est ce q~ nous étudierons dans la deuxi~me section de ce chapitre.
SECTION II - LES EFFORtS ENTREPRIS pAR LES DIRIGEANtS AFRICAINS DANS LA LUTTE
PREVENTIVE CONTRE LES INFRACTIONS EN HATIERE DE CREDIt.
Au moment de leur accession a la souverainet~ internationa-
le) les nouveaux ~tats africains vont recueillir dans leur succession cet ar-
sensl de lutte préventive contre l'usure en ce qu'elle comporte de passif et
d'actif. Dans tous les ~tats) les organismes de crédit mutuel et social se-
ront maintenus mais adaptés à la nouvelle situation et c'est ainsi que le cr~­
dit social sera transformé en "Banque Nationale de D~veloppement".
Le crédit mutuel va subir des modifications de structures
assez importantes. De nouveaux instruments de développement seront cré~s
notamment des offices pour la commercialisation de la production.
320

Les nouveaux dirigeants africains vont continuer dans
un premier temps la politique française en dl!veloppant les institutions de
crl!dit et dans un second temps ils crl!eront des offices de commercialisation
destinl!s à freiner ces infractions en matière de crl!dit.
Paragraphe l - Dl!veloppement des institutions de crl!dit.
Les institutions de crl!dit mutuel et de crédit social
conçues et organisées par le colonisateur ont l'avantage deposséder une con-
nsissance approndie de toutes les composantes. de toutes les donnl!es de la
situation l!conomique et sociale, des pays dans lesquels elles ont étl! ins-
tal1l!es - Les organismes de crédit sociaux' et de crédits 'tllUtuels connaissent
ce qui est viable et ce qui est voué à l'l!chec.
Le colonisateur n'a certainement pas atteint ses objec-
tifs mais cette expérience en terre africaine est une leçon aux nouveaux res-
ponsables africains qui ont compris du moins. qui doivent comprendre qu'il
est assez rare que l'action du crédit social et du crédit mutuel en tant que
moyen de lutte contre les infractions en matière de crédit puisse réussir
si l'on s'attaquait aux problèmes isolément, mais que plut6t cette action
doit tenir compte de la situation dans son ensemble. Ainsi don~, il Re sera
nullement question de falre une l!tude dl!taillée sur l'organisation. l'admi-
nistration. le régime juriqique et le fonctionnement de ces institutions dont
le nombre qui dl!passe la centaine ne cesae d'accrottre au fur et à mesure que
les états prennent en conscience la gravitl! du problème du sous-dl!veloppe-
ment. L'accent est donc mis aujourd'hui sur la conquête de la souveraine-
tl! l!conomique sous laquelle l'indl!pendance politique serait vidl!e de son
contenu dynsmique.
Les organismes de crédit social qu'on vient d'l!tudier '
dans les "grames
lignes ont été trans formés en banques de développement;
il y eut naturellement un changement de raison sociale et une participation
majoritaire dans la constitution du capital des Etats.
C'est ainsi que le Cameroun dispose de 75,5% du capital
social de la Banque Cameronnaise de développement, l'empire centrafricain
63,2% de la Banque Centrafricaine de Dl!veloppement, le Bénin (ex Dahomey)
32 1,

et le TOGO détiennent respectivement 55,4% et 60% du capital social de leurs
banques de développement. La Côte d'Ivoire fait quand même exception à la
règle car elle ne détient que 21,1% du capital social de la BaOGue lvoirienne de
développement Industriel (B.I.D.I.'
En lan~ant une lutte contre la mis~re et le sous-dévelop-
pement sur une grande envergure. allant au del~ des actions dépassant les
capacités des anciens crédits sociaux et mutuels, les dirigeants africains
semblent décidés de continuer la lutte préventive contre les infractions
en matière de crédit':' l 'a~umetation de M. Guy ROSIER selon laquelle" dans
bon nombre de pays, la réforme des crédits sociaux a été jugée indispensable
pour le seul motif qu'il n'était plus possible de garder telles quelles les
institutions existantes même si le fonctionnement apparaissait satisfaisant "(1)
est injustifiée et factice. s'il est certain que les banquee de développement
se sont vues confirmer les attributions initiales des crédits sociaux. leurs
fonctions se sont étendues. Elles se sont étendues. Elles ont poursuivi les
opérations de lutte contre la misère, source de tous les maux, par l'octroi
aux orgaBismes et particuliers de crédit agricole car les dirigeants africains
s'ignorent point que d'une part le revenu national en Afrique et à Madagascar
est formé pour l'essentiel des ressources triées de quelques produits primai-
res agricoles ou forestiers destinés à l'exportation; café, cacao en côte d'i-
voire, cameroun et TOGO. arachide~ au Sén'gal, du coton et du palmier à
Huile à la République Populaire du Bénin Populaire ~u Bénin etc •..
Les Banques de développement vont oonsentiir également des
crédits immobiliers comme le faisait l'ancien crédit social; il est à noter
l.Cl.
que dans certains pays, "les prêts l l'habitat sont accordés à moyen ou
à long terme, mais les bénéfici~~r.restent les mAmes que dans le cas de l'an-
cien crédit au petit équipement, une partie des clients de la banque de dévelop-
pement du Tchad et de la Banque Nationale de d~veloppement centrafricain est
constitu~e par les parlementaires et les hauts fonctionnaires de l'adminis-
tration. Ces banques ont eu d'ailleurs parfois des déboires à leur sujet
soit
que le parlement ait ~té dissout, soit que ces fonctionnaires aient été limo-
gés. Les institutions doivent comprendre que pour @tre efficace et atteindre
leur finalité, elles doivent rester indépendantes vis-l-vis du pouvoir po-
litique. Mais dans certains états comme le Bénin. le TOGO dans leur ~ssion
de lutte contre les infractions en mstière de crédit, la BID {Banque Togolai-
322

se de développement ), la BBD (Banque Béninoise de développement) ont eu
d'heureuses initiatives. En
effet.
depuis quelques années, ces deux banques
ont institué un crédit à la conaommation dit "crédit de dépannage". Ce crédit
dont le plafond est limité à 65.000 francs CFA est destin& à venir en aide
aux parents d'él~ves en difficultés d'argent pour assurer la rentrée scolaire
ou universitaire de leurs enfants. La demande pour l'obtention de ce crédit
qui est remboursable en six mensualités égales doit contenir nécessairement
un certificat de scolarité destiné à prouver que le demandeur a bel et bien
inscrit un ou des enfants dans un établissement scolaire.
Comme toujours, les probl~mes de garantie de payement sont
venus amoindrir l'effet de cette belle initiative et a sérieusement limité
la partie de ce crédit en tant qu'instrument de lutte contre les atteintes
au droit du crédit - les paysans et les artisans qui forment environ ~O% des
populations dans la plupart des Etats africains qui ont également des enfants
à l'école et qui ont des moyens de ressources tr~s aléatoires donc des re-
venus moin~ assurés n'ont pas accès à ce crédit - ce crédit n'a donc pas
une grande portée puisqu'il n'atteint que moins du quart de la population
ce crédit sans être certes condamnable accentue une inégalité sociale que
tous les efforts doivent tendre à bannir - l'adage selon lequel "on ne prête
qu'au riche" se trouve dans une certaine mesure confirmée.
Des objectifs analogues sont poursuivis par d'autres ban-
ques nationales de développement, mais la Banque Sénégalaise de dévelop-
pement, quant à elle présente une originalité : elle tente par une promotio~
rapide de l'épargne paysanne de réduire puis de supprimer les crédits de
soudure en espèces, mais en produits en nature. livrés à l'office de commer-
cialisation.
D'autre part, dans leur mdssion de distribution de crédit,
la majorité des banques nationales de développement s'efforcent de pratiquer
une politique d'assainissement du taux d'intérêt ou de commission très réduit
en ce qui concerne les prêts consentis aux petits producteurs- Ainsi en Afri-
que"Noire et à Madagascar, les banques de développement tiennent compte pour
323

la fixation du taux d'intér~t ou de commission de la nature de l'opération que
le pr~t consenti est destiné à financer, du temps d'amortissement), des garan-
ties de remboursement. Donc les critères sur lesquels on ge base pour fixer
les taux d'in~rêts sont déterminés pour chaque catégorie de prêt. Par exe~
pIe le r~glement intérieur de la Banque Camercunnaisede développement établit
que pour les crédit de soudure, donc à court terme, le taux d'intérêt qui
est déterminé pour chaque opération par le conseil d'a4~nistration ne peut
dépasser le taux d'escompte de plus de 2.~%. Les taux d'intérêt varie égale-
ment suivant qu'il s'agit de prêts consentis aux entreprises des travaux
agricoles ou de prêt à l'équipement.
Les crédits aux entreprises sont asujettis à un intérêt
annuel déterminé suivaDt la nature de l'opération que le fonds doit finan-
cer, ainsi, les taux d'intérêt sont de 4% si l'opération est d'ordre social,
5% si l'objectif économique l'emporte sur l'intérêt social et de 6% si le
but poursuivi est commercial.
En prenant ainsi conscience du problème de sous-développe-
ment, les dirigeants africains ont du même coup entamé indirectement mais
efficacement une lutte pour prévenir les causes qui poussent à recourir au
service cynique de l'usurier. Hais les banques nationales de développement
ne sont pas les seules A se jeter corps et Ame dans la bataille de lutte
contre les infractions en matière de crédit. D'autres organismes de crédit
social sont mis en place parmi lesquels se situent les Ranques Nationales A-
gricoles et les Caisses Rationales de crédit agricole.
Presque tous lee états africains ont actuellement une
banque ou une caisse spéciale pour le développement agricole. L'existence
d'un outil spécial disposant des moyens financiers adéquats et ayant une
connaissance approndie des problèmes agricoles a constitué ces derniers temps
une préoccupation
des responsables africains et malgaches. Cette banque qui
est alimenté par d'autres organismes de crédit social accorde aux paysans
et aux groupements de paysans et à tous ceux qui désirent procéder à des
investissements dans l'agriculture, des pr~ts. à court et à ·œoyen terme _
324

Parmi les prêts à court terme, il faut distinguer les prêts de soudure (avances
consenties oux coop~ratives pour leur permettre de faire face entre deux r~col­
tes à divers besoins. Les prêts de campagne en vue d'acquisition de moyens de
production notamment des engrais dont l'utilisation est en voie de Vût3ari~atioft
active partout en Afrique Noire et enfin les prêts pour la commercialisation
du caf~ et du cacaco en Côte d'Ivoire pour ainsi bénéficier de 18 prime de
collecte. La finalité de cette catégorie de prêt est de familiariser l'agricul-
teur avec des pratiques bancaires, de le désendetter vis-A-vis du commerçant
prêteur usurier et aussi d'inciter A la restructuration de la profession ter-
rienne par regroupement coopératif
Ainsi en cÔte d'Ivoire. la Banque Natio-
nale pour le d~veloppement agricole apporte aux sociét~s de développement
qui le d~sire son appui technique pour la gestion financière et comptable.
j Parall~lement des groupements A vocation coopérative ont été encouragées par
i la BNDA (Banque Nationale de développement agricole), pour l'octroi de cr~dits
lA ces collectivités professionnelles. Il est int~ressant de noter, toujours
;
1 au niveau de la Côte d'Ivoire que
les crédits d'investissement garantis et sOu-
i tenus par la BNDA prennent de plus en plus part A l'action de relèvement des
; cultures en vue de l'amélioration du niveau de vie de la classe moyenne.
Bien que les al~as climatiques ne permettent pas toujours
,aux emprunteurs d'honorer les ~chéances. l'action entreprise par la Caisse
1
!Nationale du Crédit Agricole doit être poursuivie et encourag~e. Mais en
jAfrique, la lutte préventive contre les infractions en matière de cr~dit n'est
Ipaa seulement l'affaire des Banques Nationales de Développement ou des caisses
1nationales de cr~dit agricoles. D'autrea sociét~s ou organismes d'intervention
,
1ont ét~ mis sur pied au niveau de chaque ~tat. les uns à caract~re neutralis-
i
:tes, les autres ont un rÔle purement d'intervention, mais fonctionnent avec
(les fonds des banques et cr~dit d'autres institutions.
jParagraphe Il - âutres organismes d'intervention dans la lutte pr~ventive
cont~e les infractions en matière de cr~dit.
D'autres organismes d'intervention en faveur des classes
idéfavorisées afin de leur procurer au moins le minimum vital afin de les
325

mettre à l'abri dw besoin urgent ne cesaent de voir le jcrur.
La Rt:!!publique Populaire du B't:!!nin (ex DAHOMEY) a crét:!! la SONADER ,
dont l'action tend essentiellement l crt:!!er des pal~raie8 ~derneB dans le
périmètre dt:!!limitt:!! comme convenant au palmier l l'huile. L'es plantations
réalist:!!es sont gt:!!rées et exploitéés par des coopératives obligatoires organisées
pour les besoins de-la cause. Depuis près de dix ans, la SONADER s'occcupe
ausso des zones de cultures vivrières et de l'organieation des soc {étés coopt:!!-
rat ives en gént:!!ral. La SONADER ~labore elle-uême ses projets de financewent
dont les crédits sont assurés par le F.E.D. et le F.A.C
Pour aider à l'expansion et à l'exploitation de la culture du coton
ou des arachides, une s~it:!!té française du développe~nt du textile) apporte
son concours efficace aux producteurs de coton et d'arachides. Elle fait du cré-
:dit agricole sous forme d'avance de campagne et se rembourse lors de la Commer-
,cialisation qu'elle assure également. Elle 8 décidt:!! t:!!galement de monter des
isociétés coopératives, mais les résultats acquis dans ce domaine ne sont pas
~des plus heureux. La C.F.D.T. accroit la production et par lA le revenu de
;l'agriculteur par son sytème d'encadBswent rapprocé dans les zones l dt:!!velo~
,!p~r e' de tournées fréquentes.
,
Au Gabon les coopératiVEs de matériel et d'exploitation COMEX. d'assis-
~ance technique aux petits producteurs gabonnais. dispensent aux forestiers
,
Bides en espèces et en métériel ainsi que des pri~s d'installation afin de leur
trouver des moyens de vivre en attendant l'exploitation de leur plantation.
326

Le Gabon bénéficie en outre des services d'une société héritée de
l'époque coloniale qui s'occupe de la rénovation et de l'entretien des
plantations d'OKOUME. Trois Sociétés SOGABOL. PALH-HEVEA pr~s de LAMBERE
et COODALHO, se partagent les responsabilités de financement et de commercia-
lisation du palmier à huile et
ses
sous-produits. L'action actuelle des au-
torités publiques vise non seulement. améliorer le sort du paysan, mais égale-
ment une augaentation des rendements agricoles. La Cote d'Ivoire par exemple
la SODEPALM- (Société de: développement du palmier). Palmindustrie, Palmivoire
sont mises en place pour intervenir aux côtés des planteurs de palmiers et
de cocotiers (coopératives ou individus) pour les aider, les soutenir, afin
de porter un coup dur à la mis~re par une ressource abondante. A la fin de
1975, 90% des surfaces de plantations prévues au plan palmier étaient réali-
sées et la production de ces plantations en rapport dépassant 200 000 tonnes
de régimes représentant 40 000 tonnes d'huile. Par ailleurs une dizaine d'hui-
leries fonctionnent sous les auspices du groupe SODEPALH pour la transforma-
tion et la commercialisation de la production. Ainsi non seulement on obtient
une abondante récolt~mais le produit de cette récolte est commercialisé à
un juste prix éloignant ainsi du producteur à tous les points de vue le spec-
tre de l'usurier.
Le secteur traditionnel et les petits salariés souffrent d'un manque
de ressources qui nuit au développement harmonieux et qui les empêche de met-
tre de l'argent de côté pour les jours difficiles et les imprévus. Cette si-
tuation provient de plusieurs facteurs parmi lesquels, la production cycli-
que et aléatoire fortement dépendante des variations climatiques, le marché
organisé et soumis à une grande fluctuation des prix , de la production tech-
nologiquement peu avancée et s'effectuant sur de petites dimensions faute
d'organisation. Ces caractéristiques situent les difficultés de l'exploitsnt
agricole africain. ainsi que celle des banquiers qui hésitent à procéder au
financement des exploitations agricoles ou à consentir des crédits aux agri-
culteurs qui ne présentent pas en principe de garanties sérieuses de rem-
boursement à cause d'une rentabilité souvent précaire. Ainsi au niveau de
l'exploitation, il se pose des problèmes de regroupement des hommes, des
terres et du matériel.
Pour fsire face énergiquement et efficacement à ce problème le gou-
vernement sénégalais a mis en place des centres régionaux d'assistance pour
le développement (C.R.A.D.) ayant pour mission d'encourager par une assistance
327

~ncière, les paysans à se regrouper en coopérative, les C.R.A.D. distribuent
les semences des engrais et des fongicides aux coopératives. reçoivent éga-
lement -~ur capital social. servant ainsi de relais A la Banque sénégalaise
de développement
(B.S.D.); les C.R.A.D.) assurent aussi la collecte et le
transport des productions rurales au profit de l'office de commercialisation,
les paysans ainsi organisés peuvent obtenir facilement des emprunts auprès de
la Banque Sénégalaise de développement.
Mais organiser la production par l'éducation de l'agriculteur ou
de l'artisan, s'occuper de ses problèmes sociaux en lui octroyant des crédits
sociaux (immobilier. petit équipement etc .. ) inciter et encourager les produc-
teurs à se regrouper en coopératives afin d'obtenir des récoltes abondantes
en qualité et en quantité, voilà quelques uns des moyens de lutte préventive
contre les infractions en matière de crédit, mais tout cela manquerait
surtout si cette abondante moisson ne procure pas de ressources substantielles
au paysan ou à l'artisan, la nécessité s'est donc fait sentir de supprimer le
service vicieux et intéressé des prêteurs ou venàeurs qui dans leur recher-
che insatiable de profit se refus~ d'acheter les productions à leur juste
prix. Tous les états d'Afrique Noire Francopnone - ont mis en place des of-
fices de commercialisation destinés donc à éliminer ces pr~teurs peu scru-
puleux et à utiliser le cours des produits. Ainsi donc en matière de commer-
cialisation, l'action des autorités publiques ne se borne pas à un encadre-
ment des producteurs, elles tendent à se substituer à l'initiative privée
Ainsi furent crées au niveau de chaque Etat et même au niveau de certaines
organisations régionales, des offices de commercialisation des produits agri-
coles. Ces organismes différèrent des services publics en ce qu ils ont
des responsabilités et des pouvoirs étendus en même temps qu'une grande au-
tonomie de gestion et de fonctionnement.
Les offices de commercialisation ont donc remplacé les maisons de
commerce qui se chargeraient de l'exportation dans l'unique but de réaliser
le plus gros bénéfice possible ~me au détriment des producteurs qui accusent
constamment un manque à gagner. Mais dans la plupart des cas, ces maisons
de commerce deviennent des agents de collecte, c'est-~-dire des acheteurs
agréés par l'office qui leur paie des primes à la collecte fixées d'avance par
kilogramme. La création des offices de commercialisation et de stabilisation
dans un
pays en voie développement est pleinement justifiée par la fai-
328

blesse des coopératives et l'impossibilité dans laquelle elles se trouvent de
concurrencer les commerçants privés sur les ~rchés libres où les cours sont
variablesetlarèglementation inexistante. Elles trouvent alors des conditions
favorables en devenant des agents agréés des offices de commercialisation qu~
peut leur procurer un avantage financier du double point de vue crédit et
rentabilité car les primes à la collecte aD lieu d'aller aux maisons de com-
merce tombent dans les caisses de la coopérative au; profit de leurs membres.
L'intentention des autorités publiques est non seulement de s~abiliser les
prix afin de permettre aux producteurs d'atablir leur propre individuel dévelop-
pement au niveau des ménages, mais surtout de stimuler la produ~tinn en offrant
aux producteurs des prix d'achat assez raisonnables à la récolte.
Depuis l'année 1967, la commercialisation des arachides du Sénégal
est confiée à des établissements publics: l'Office National de coopération
et d'Assistance pour le développement (ONCAn) et l'office de commercialisation
agricole du Sénégal (L'OCAS).
L'ONCAn s'occupe plus spécialement de la commercialisation avec
l'achat auX producteurs et assure également le transport d'une fraction i~
portante de la production vers les centres de décortication. Il faut re~rquer
que les producteurs du secteur primaire livrés à eux-mêmes n'ont aucune
audience auprès des banques ne trouvent aucune garantie de remhoursement pou-
vant les encourager ~ leur faire crédit 1 moins que ces agriculteurs ne s'orga-
nisent en coopératives de production, malheureusement, le manque de formation
des membres et la recherche de l'intérêt personnel emp@chent ces coopérati-
ves à connaitre l'~anouissement qu'on peut attendre d'elles. Mais les autorités
sénéngalaises ne sont pas les seules à organiser des offices de commerciali-
sation des produits agricoles.
Les dirigeants du B~nin confient à deux organismes le soin de comr
mercialiser la production agricole de la république populaire du Bénin.
Ces organismes de commercialisation se substituent aux sociétés de tràits
(CJr.A., SCOA. SG.G.G.) qui commercialisaient tous les produits sous l'an-
cienrégime. A cette époque les prix étaient fixés psr le gouverneur de la
colonie et la chambre de commerce qui représentaient l'inter@t de ces socié-
tés étrangères en place.
329

La commercialisation des produits agricoles du Bénin est donc confiée
à la S.N.A.H.D.A. et à l'o.C,A.D.
(devenue très récemment la SOCAB) office
puis société de commercialisation des produits agricoles du Bénin.)
A ces deux organismes on peut joindre dans une certaine mesure la
C.Y.D.T. On peut alors se résumer en disant que la commercialisation est assu-
rée par la SNARDA pour les produits du palmier. à l'huile et à l'huile d'ara-
chide, la CFDT pour le coton, et l'OCAD,. récemment SOCAB pour les autres pro-
duits agricoles.
La SNAHDA a le monopole de l'exportation de toutes les huiles
produites sur l'étendue nationale du DAHOMEY. elle s'occupe de la commer-
cialisation de ces huiles et de tous les produits dérivés ainsi que la commer-
cialisation des arachides. Elle travaille en relation avec les coopératives
de producteurs créées et organisées sous l'égide de la SONADER
qui comme on l'a vue est une société de crédit social qui intervient sur le
plan de la production. La SNAHDA a le monopole de lle~ploitation
et de la commercialisation de ces produits. Son action conjuguée avec celle
de la SONADER à encourager et soutenir les planteurs de palmiers et d'ara-
chides afin que ces agriculteurs tirent le meilleur profit de leur travail.
La SNAHDA gère l'ensemble des huileries du Bénin.
Quant à la SOCAB. elle est un établissement public à caractère in-
dividuel, industriel créé en 1962, elle a pour objet de veiller en les pre-
nant elle-même en charge au bon fonctionnement des circuits de commerciali-
sation tant en ce qui concerne les produits agricoles au Bénin que les pro-
duits importés nécessaires à l'agriculture. La SOCAB peut acheter, exporter
les produits locaux et créer des points de vente des produits importés.
Mais contrairement à la SNAHOA. il ne dispose d'sucun monopole et est pour
tous ces rOles en concurrence avec le commerce traditionnel. Son action est
surtout prononcée dans le nord du BENIN où le commerce traditionnel est à
l'état embryonnaire. La SOCAB fonctionne essentiellement sur crédit obteuu
auprès des établissements bancaires installés au Bénin. Ainsi, la SOCAB aide
à commercialiser leurs récoltes à un juste prix et à peu de frais, mais sur-
tout elle fournit aux consommateurs de l'intérieur des prix de grande consom-
mation à des prix raisonnables.
En bref, selon les autorités b4ninaises, la SNAHDA et la SOCAB
330

ont pour objectif d'assurer aux producteurs l'écoulement de leur récolte à
un juste prix, d'assurer une distribution réguliàre à des prix normaux
des produits de consommation (locaux ou importés) dans le monde rural et
de prospecter les marchés étrangers en vue de placement des produits béni~~:
Mais dans la pratique, l'action de ces organismes n'a pas l'expansion nécessai-
re faute de moyens, mais ces organismes se défendent bien avec les moyens de
bord. La SOCAB n'a cessé d'agir sur les cours de plusieurs produits pour
diminuer la spéculation. Pour la construction des silos. la SOCAB aide les
paysans à conserver leurs récoltes pendant la pfriode d'abondance où le cours
baisse à cause de la loi du marché étant donné pendant les dites périodes
l'offre est supérieure à la demande. Ce conditionnement permet aux paysans
d'écouler leurs récoltes plus tard quand les prix seront plus élevés. Ils peu-
vent avoir assez d'argent et ne plus avoir à recourir tout le temps à l'usu-
rier pour peu
qu'ils fassent un bon calcul économique.
Il faut ajouter à ces deux organismes de commercialisation la
C.F.D.T. (Compagnie Française des Textiles) qui s'intéresse plus spéciale-
ment à la culture et à la commercialisation des arachides et du coton.pour
stimuler la production, la C.F.D.T. fait da crédit agricole sous forme
d'avances de campagne et se rembourse lors de la commercialisation qu'elle
assure ,également. La C.F.D.T. accroit ainsi la production par un système d'en-
cadrement rapproché dans les zones à développer ct des tournées d'inspection
fréquentes.
Au TOGO, la commercialisation des produits agricoles est assurée
par l'office des produits agricoles du TOGO (L' JPAT) créée le 22 Juin 1954
Il a le monopole de l'exportation et de la vente du cacao, du coton, des
arachides. palmistes, coprah. kapok Karité et ricin. L'OPAT assure ainsi
la relève des caisses de stabiliGation crées par la France en 1954. En sa
qualité d'organisme
de commercialisation. l'OPAT tixe autoritairement les
prix d'achat des produits aux agriculteurs, désigne les acheteurs agr~s pro-
cède à la détermination de marge bénéficiaire de ses acheteurs et à la fixa-
tion des périodes pendant lesquelles la commercialisation de ces produits est
autorisée .
Au Niger, ê'est- 11 une société nigérienne de commercialisation (La
SONARA) Société anonyme paraction d'économiste qu'est confié
le mono-
pole d'exportation des arachides qui constitue la principale ressource agri-
331

cole du Niger, mis l part l'élevage. La SONARA. a permis une organisation sa-
tisfaisante de la commercialisation de l'arachide particulièrement par la
compression des frais intermédiaires entre l'achat au producteur et l'exporta-
tion. La SONARA achète les arachides à des coopératives ou à des organismes
stockeurs agréés. Ceux-ci achètent au détail et stockent
aux
lieux de mar-
chés officiels dans la limite des quotas annuels qui leur ont été accordés.
Ces quotas sont calculés d'après la moyenne des tonnages qu'ils avaient ache-
tés cu cours des troia dernières années avant la mise en place de la SONATRA.
les stockeurs perçoivent une commission à la tonne fixée par llétat. Le bé-
néfice dégagé est soumis à des impÔts et taxes et qui servent notamment à ali-
menter le fonds d'investissement agricole et la caisse de stabilisation des
pri:::des produits du Niger. La SONi\\RA a réussi a en garantir un prix supé-
rieur au cours mondial sur le marché français.
Le Gabon lui a confié la commercialisation de ses produits agricoles
à deux organismes; c'est ainsi que l'OBAE (Office des bois de l'Afrique Equato-
riale) achète les gommes aux exploitants qui lui liVrent l'intégralité de
leur production. Le monopole dont jouit l'OnAE lui confère une position de force
dans la discussion avec les acheteurs et lui permet d'obtenir des tarifs
de pr~t intéressants auprès des compagnies maritimes. Le deuxième organisme
s'occupe de la commercialisation des produits agricoles. C'est l'office national
de commercialisation agricole (L'ONGA). Il est né après la dissolution de la
Société gabonaise de développement rural (SGDR), l'ONCA fait des prêts
aux agriculteurs le plus souvent en nature et se rembourse au moment de la
commercialisation avec un taux d'intérêt presque symbolique. Non seulement
l'ONCA se préoccupe d'une bonne commercialisation de produits agricoles
du Gabon à l'étranger; mais aussi. il organise un emeilleure"circulation des .'
produits de consommation locale à l'intérieur du pays. Il assure également
une première transformation de certains produits gabonais avec leur expo~ta­
tion . C'est le cas de décorticage par exemple.
Qu'il sagisse de l'OPAT ou de l'ONCA, de SOcAB ou de tout organis
me de commercialisation, même de ceux que nous n'avons
pas, vnS,
telle
que la SONAJUCdu NIGER. qui achète les arachides à des coopératives ou à
des stockeurs agréés, tous ces organismes en plus de leur attribution prin-
cipales qui est l'achat et la reven~ des produits agricoles, certains de ces
offices assurent d'autres responsabilités accessoires, mais inhérentes à
leur natures, conditionnement, stockage, transport, première transformation,
332

agricole sous forme de crédit de campagne et vente h prix contant de produits
importés.
Au niveau même des états, des tentatives d'union commerciale étaient
amorcées depuis 1964. C'est ainsi que la première coopérative africaine inter-
états étant mise en place h NIAMEY (NIGER) Elle
réunissait la Haute Volta,
le MAli, le DAHOMEY (aujourd'hui le Bénin) et le TOGO). La pensée de cette
première coopérative inter -Etats Afrimî,ns était née d'un
triple souci
de permettre grâce à l'importance de commandea jointes, d'obtenir des prix
meilleurs tout en échappant à tout risque de concurrence déloyale, dimi-
nuer le caOt de plusieurs services d'achats nationaux et diminuer les frais
de fonctionnement
de la coopérative pour chaque état. La finalité de tous
ces efferts est le relèvement du niveau de vie
de la ~sse, permettre à ces
populations de beaucoup produire. tirer le meilleur profit de la commercia-
lisation à un juste prix de leurs produits afin de réaliser des épargnes pour
les joure difficiles. ces jours qué guettent impatiéroment les usuriers
pour réaliser leur cunique dessein qui est d'exploiter: la pauvreté et la
misère de leurs clients.
Tous ces organismes. banques de développement, caisses agricoles
offices de commerciBlisation, etc .. fonctionnent - ils effectivement pourla finaliU
sus-indiquée. C'est ce que nous essaierons de dégager dans le dernier
chapitre de ce titre second de nOt~e travail.
333

CHAPITRE I I I
CONTRIBUTION A L'AMELIORATION DES METHODES UTILISEES DANS LA
LUTTE PREVENTIVE CONTRE LES INFRACTIONS EN MATURE DE CREDIT
Nous saVODS qu'avec l'accession à la souveraineté internationale, les
dirigeants africains n'ont pas hésité à continué la politique coloniale en
mati~re de crédit. Des organismes d'intervention dans la lutte préventive
contre les infractions en m8tière de crédit fonctionnent dans chaque état
francophone dl Afrique Noire et de Madagascar. Bien que l'activité de ces
organismes variait suivant les données économiques et sociales des régions
o~ ils opéraient, cette activité comprenait notamment cinq secteurs : le
secteur immobilier, le crédit social (crédit au petit équipement), le crédit
artisanal, le crédit agricole et surtout la commercialisation des produits
agricoles. Comme les banques d'affaires installées en Afrique, ces crédits
avaient le défaut de ne pouvoir consentir des prOts qu'aux personnes physi-
ques ou morales qui présentaient de solides garanties de remboursement et
cette capacité de remboursement s'appréciait surtout au moment où llemprQot
est. sollicité et rarement eu égard au rendement de l'opération que le prêt
était destiné
à financer. Donc seuls pouvaient bénéficier de ces crédits, les
africains aisés et surtout les hommes d'affaires européens installés en Afri-
que. Des offices de commercialisation Ont été crées au niveau de chaque état
Dl~
~e~Gaine
pays comme le Sénégal, les commerçants pr@teurs qui
Bont engénéral les sociétés commerciales ou les usuriers s)'n:rlibanais ont été
remplacés par les coopératives. Mais très tat on s'est rendu compte que ces
organismes deviaient des voies qu'ils devaient suivre en tant qu'instruments
de lutte contre les infractions en matière de crédit. En un mot; ils ne
rendent pas les services qu'on est en droit d'attendre d'eux dans leur vo-
cation d'organismes de crédit populaire: lee banques de développe~ent n'arri-
vent pas à mettre le crédit à la portée de tous, par ailleurs, il ressort
de quelques rapports dont on fait déjà mention dans cette étude que les offices
de commercialisation ne servent que partiellement la cause des producteurs.
Dans une première section. nous analyserons les vices de fonction-
nement des méthodes pratiquées par les puissances publiques et dans la
deuxième section, nous proposerons des mesures qui nous semblent plus effi-
caces dans la lutte préventive contre ces infractions en matière de crédit.
334

SECTION 1 -
LES VICES DE FONCTIONNEMENT DES TRADITIONNELLES MEnIODES DE LUTTE
PREVENTIVE CONTRE LES INFRACTIONS EN 'KATIERE DE CIlEDI!
Que ce soit au niveau des organismes de crédit ou des organismes d'in-
tervention, plullieurll vices décelé5 dans leur fonctionnement - entre autres la
politisation de ces organismes, les critères d'octroi des prêts, la faiblesse
des moyens d'action. le but plus ou moins intéressé des offices de commerciali-
sation.
Dans un premier paragraphe, nous essaierons de dégager et d'analyser les
pratiques qui vicient le fonctionnement de ces institutions de crédit et
dana le second paragraphe. nous étudierons les obstacles empêchant les offices
de commercialisation d'atteindre lt~t finàlité
Paragrapne 1 . - Les vices de fonctionnement des institutions de crédit
En Afrique Hoire. toutes les banques de développement sont très po-
litisées. ce qui entrave énormément leur fonctionnement objectif. En général
des responsables politiques exercent des pressions sur la vie des banques,
de sorte que le Directeur d'une banque de développement doit ~aer à la fois
de diplomatie et de fermeté. 1a diplomatie doit céder à la fermet& chaque
fois qu'une menace d'intervention politique Ile précise car s'il
appartient
à une autorité politique quelconque de définit l'orientation générale de la
banque de développement. ce n'est pas à elle de juger de l'opportunité d'uDe
opération de crédit surtout quand il s'agit de consent~r du crédit ou de
proc~der au financement d'un projet présenté par un particulier ou une per-
sonne morale. Seule doit jouer pour tous les candidàts au crédit la procé-
dure impersonnelle relatiVe à l'instruction des dossiers, la libéralisation
des prêts en nature ou en espèces. le contrÔle du remboursement et de l'uti-
lisation des sommes avancées aux fins prévues,tela qu'ils figurent dans la rédac-
tion du formulaire de la demande. Le directeur de la Banque doit résister
à toutes les pressions d'où quelles viennent, destinées à l'obliger à ac-
corder des prêts compte tenu de la position politique du demartdeurenayant
325

également pOur but de l'amener à rejeter une demande digne d'intériE pour la
seule raie on que la personnalité du demandeur déplait aux responsables poli-
tiques. Hais convenant que tout ceci n'est pas facile, surtout si le pauvre
directeur reçoit des menaces de mort, ou de danger en cas de non satisfaction
du demandeur de prêt.
Ces genres de procédé gênent énormément le bon fonctionnement de
ces banques qui ont pris la rel~ve des anciens crédits sociaux avec l'objec-
tif de mieux faire. Selon M. Jean Ma~ Spiro. une grande partie des clients
de la banque de Développement du Congo-Bra~aville. pour des prêts à l'Habitat
est conatituée par des parlementaires ou des hauts fonctionnaires de l'adminis-
tration. Ces banques ont eu parfois des déboires à leur sujet, soit que le par-
lement soit dissout, soit que ces hauts fonctionnaires aient été limogés, et
M. Jean Marie SPIRO de cone lure "c' es t· :là un des aspec ts néga ti fs d'une trop
grande dépendance des pouvoirs publics et des influences politiques (1)
En fin de compte ceux qui ont besoin de crédit pour améliorer le niveau de
leur revenus en sont privés et so~t contraints de s'adonner à des prêts en-
tre particùliérs
où le loyerde l 'argen~tt dépasse 200%, ou bien ils vont re-
courir à des maneouvres de toutes sortes pour obtenir des liquidités.
Les influences politiques et la dépendance des pouvoirs publics ne
constituent pas le seul vice de fonctionnement de la Banque dans son rBle;
un autre vice, non moins important est que les prêts sont liés étroitement
aux revenus. aux salaires, au niveau de vie des emprunteurs. Cette
position de la Banque de développement se justifie apparemment pour une ra1-
son tr~s simple : la Banque de développement est en général un intermédiaire
entre le conaommateur et les détenteurs de capitaux, à savoir la Caisse
Centrale de Coopération Economique, les banques centrales et les crédits
consentis par ces banques de développement sont des prêts et ne peuvent être
confondus avec des dons. Ils doivent donc être rembpursés à plus ou moins
longue échéance, il faut donc en garantir le remboursement.
(1) Jean Marie SPIRO : Les banques de développement et le crédit aux petits
producteurs en Afrique Noire : Lj~rairie DRQZ 1960 - 73, rue du Cardi-
nal Lemoine PARIS.
336

si la banque se souciait trop de cet aspect financier de ses responsabilités,
elles rte prêteraient qu'à ceux qui présentent des garanties de remboursement,
mais elle manquerait à sa vocation car elle ne serait plus un instrument de
lutte contre le sous-développement et les infrsctions en matière de crédit.
Ces banques de développement se trouvent donc deva~t un dilemne : il y a un
le problème des sQretés de crédit dlune part et d'autre part ces banques se
trouvent confrontées à l'impératif du développement.
Le troisième vice que l'on décèle dans le fonctionnement des ban-
ques est l'inauffisance des moyens mis à la disposition des banques de dévelop-
pement,surtout leA moyens financiers. Les banques ne peuvent jouer réellement
leur rôle qu'avec un capital assez suffisant. Tous les observateurs déploient
cette carence de lOOyens suffisants ,des banques de développ~ment
En Vue de financer toutes les opération concourant au développement écono-
mique donc au relèvement du niveau de revenu des populations une banque
de développement es~ en principe autorisée à mobiliser les ressources tant in-
ternes qu'externes.Donc en plus de ses fonctions propres. la banque de dévelop-
pement peut recourir pour financer les projets qui lui sont soumis et qu'elle
a retenus à des emprunts. Les banques de développement sont Butoris~à des
emprunts d'origine étrangàre et d'origine nationale. Les sources d'emprunts
des banques de développement à l'étranger sont très importants. Mais si le
réseau international fonctionne très bien, il n'en est pas de même en ce qui
concerne les sources nationales d'emprunt. On remarque que les statuts de la
plupart des banques de développement ne leur permettent pBS de recevoir di-
rect~ment les fonds provenant de l'épargne spontanée, mais elles pensent le
faire BU moyen des dépats effectués par les caisses d'épargne locales.
Mais on remarque qu'aucun texte n'obligeant les'caisses d'épargne à effectuer
les dits d~pats dans une banque de développement. ces caisses préfèrent dé-
poser leurs fonds où elieR trouvent en plus d'une ouverture suffisante des
rendements élevés. Il y a là un sérieux handicap qu'il faudra lever, il faut
d'une part permettre aux banques de développement de s'adresser directement
aux épargnants en cas de difficultés de trésorerie. C'est une question d'éduca-
tion de la masse.
On remarque d'autre part cn Afrique Noire surtout, que certains hauts
fonctionnaires et la plupart de ceux qui exercent une fonction politique pr~­
[ère nt déposer leurs économies ou le fruit de leurs détournements
337

une banque très loin de leur pays souvent dans les banques Buisses au lieu de
les d~p08er dans une banque locale aux fins
du développement économique du
pays. Cette fuite volontaire des capitaux est très critiquable car c'est uo
mBnque mBoifeste de civisme et de patriotisme.- Aiosi mal ~quipées. les ban-
ques de développement ne donnent pas le rendement qu'on est en droit d'atten-
dre d'elles. Elles son obligées de limiter A un montant dérisoire afin de satis-
faire le monde le montant des avances qu'elles consentent à ceux qui s'adres-
sent à elles pour obtenir du crédit. Les Banques de développement ne cons-
tituent pas encore le crédit populaire destiné A aider les petits revenus.
Quel investissement peut-on réaliser avec 75 000 ou 50 000 CFA en cette période
d'inflation et pourtant ce sont là quelques plafonds de crédit servis par des
banques de développement en vue de rénovation de champs de caféiers ou de
palmiers à huile etc ..•
Nous venons d'étudier de façon assez sommaire quelques obstacles entra-
vant les institutions de crédit à satisfaire l'objectif qu'elles se sont assi-
gnées, c'est-à-dir~ contribuer à relever le niveau de vie des populations,
pour être complet, nous examinerons dans le second paragraphe si les offices
de commercialisation permettent aux producteurs de réaliser un meilleur profit.
Paragraphe Il - Les vices de fonctionnement dans l'organisation des offices
de commercialisation
Dans le cadre d'une politique de stabilisation des prix des prOduits
agricoles, presque tous les états africains et malgache ont créé des organis-
mes de commercialisation avec une participation souvent majoritaire de l'état.
Il n'est pas sans importance de rappeler le but essentiel d'une offre de
commercialisation qui doit être presque toujours d'améliorer la situation éco-
nomique des producteurs agricoles ayant à faire à lui. Mais à examiner de près
les offices de commercialisation,dans nos jeunes états constituent plut8t
un établissement public industriel et commercial avec une autonomie de déci-
sion très réduite. Les représentante des producteurs qui sont choisis le plus
souvent sur des bases arbitraires ne représentent qu!eux-m!mes à l'exception
des représentants des organisations coopératives . Le plus souvent ces repré-
sentantsdes producteurs sont des chefs de canton ou des personnalités politi-
338

ques sans qualification adéquate si bien q'ue ces prétendus représentan.t ne
font que mine de figurants. Ils sont mal préparés pour assurer leurs res-
ponsabilités ; par exemple ils admettent apr~s une discussion superficielle
toutes les décisions du président directeur général qui ne représente que
les intérêts du gouvernement qui peut mettre fin à ces fonctions à tout mo-
ment. Ces représentants des producteurs ne discutent effectivement ni de la
fixation des prix d'achat des produits aux agriculteurs. ni du choix des ache-
teurs agrées. La détermination des prix d'achat des produits aux agriculteurs
est très important pour le paysan; lui seul lui permet de se rendre à l'évi-
dence eu égard à l'importance de sa récolte s'il peut amortir ses dettes de
l'année sans avoir à recourir aux services du pr@teur usurier ou de la vente
à tempérament. Il faut noter que cette structure n'est certes pas uniforme
dans tous les états puisque le Directeur Général de t,Office de Conunercia1isation
au Benin n'est pas un fonctionnaire. mais en règle générale c'est le cas au
sein de la plupart des conseils d'administration des offices de commerciali-
sation, les intérêts immédiats ~es agriculteurs semblent relégués à l'arrière
plan.
Pour que les offices de commercialisation jouent efficacement leur
raIe d'instrument de lutte contre les infractions en matière de crédit, il
est nécessaire que les producteurs participent par l'intermédiaire de leurs
représentants démocratiquement désignés par eux
au fonctionnement de ces
organismes. Toutes les coopératives de producteurs dqivent être associées
étroitement à la vie de l'office car c\\est pour elles et grâce aux produc-
teurs que ces organismes sont institués.
Le fait pour les coopératives d"@tre admises en qualité d'acheteurs
agréés pour la collecte des producteurs afin de bénéficier de la prime arr@-
tée par l'office au profit de la caisse coopérative est un progrès, mais ce-
la ne suffit guère car même dans ce domaine, elles sont commencées par d'au-
tres organismes d1état qui leur enlèvent tout le marché.
Cependant il ne suffit pas seulement que les offices soient bien
structurés pour donner les résultats qu'on est en droit d'attendre d'eux, mais
il faut plutôt qu'ils ne soient pas déviés de leur but dont la vraie finali-
té est la relève du niveau de revenu de la couche sociale la plus défavorisée.
339

c'est-à-dire des paysans. Ainsi les offices de commercialisation des produits
et de stabilisation peuvent sensiblement augmenter les encouragements à la
production et r~duire les obstacles à la consommation en supprimant les variations
saisonni~res et annuelles des prix. Ils peuvent ainsi opérer des prél~vements
les ann~es où les récoltes sont très bonnes et des reversements quand les ré-
coltes sont mauvaises. Mais pour faire face à leur fonction de caisse de stabi-
lisation, les offices oublient trop souvent qu'ils doivent rechercher avant
tout à am~liorer la situation économique et sociale des producteurs. Dans nos
pays en voie de développement les offices ayant le monopole de l'exportation
fixent autoritairement le prix d'achat aux agriculteurs. Des rapports d'ex-
perts rév~lent que'·les ressources financières des offices de commercialisation
sont assurées par la différence entre un prix de soutien des produits exportés
et le prix mondial lorsque ce dernier est supérieur au premier, dans le cas
contraire. c'est l'office qui débourse les sommes nécessaires pour soutenir
le cours. Ce qU1 est étonnant c'est que ces offices réalisent toujours de
substantiels bénéfices. L'agriculteur est exploité doublement. La premi~re
fois par l'acheteur agréé, c'est-à-dire la personne physique ou morale qui
procède à la collecte pour le compte de l'office qui perçoit une prime et
la seconde fois par l'office qui couramment fixe le prix d'achat aux agricul-
teurs de façon à réaliser d'énormes bénéfices à l'écoulement du produit sur
le marché international. Ceci est constamment valable pour certains produits
de grande valeur commerciale comme le café et le cacao. Un rapport du Minis-
t~re français de la coopération dressé en 1971 et publié en Octobre 1972 révèle
qu'entre les années 1968 et 1971, le prix de soutien des produits café et
cacao surtout, ·.. ftt inférieur au prix ~ndial. ce qui a permis à l'office de
réaliser pendant quatre aes des bénéfices sur les planteurs de café et de
cacao. On aborde ainsi le problème de l'orientation et de la destination des
bénéfices réalisés par les offices de commercialisation. En principe, ces
bénéfices servent à soutenir le cours des produits pendant les périodes de
baisse sensible.
Au Niger, les bénéfices sont soumis à des impÔts et taxes dont l'E-
tat varie librement les taux et qui servent à alimenter le fonds d'investis-
sement agricole et la caisse de stabilisation des prix des produits du Niger l
la destination du bénéfice restant n'est pas justifié. En général les offres
proc~dent à des prix de participation dans les sociétés naissantes, investis-
34C

sent dans l'immobilier pour le financement de construction d'hôtels de tou-
risme. C'est bien là un moyen ~conomdquement intelligent de ne paS immObiliser
les fonds et de participer à des investissements sociaux, mais est-ce là la
vocation première d'un office de commercialisation surtout si les fonds ainsi
investis proviennent de profits réalis~s sur des agriculteurs qui jusqu'à ce
jour n'ont pas le minimum vital parce qu'ils ont des terres qu'ils ne peuvent
pas exploiter faute de moyens adapt~s. Daus certains pays comme le Cameroun
et le S~négal. des efforts sont faits et on assiste à la g~néralisation de
la culture attelée, dam d'autres on est demeuré aU stade d'expérimentation.
Les bénéfices réalis~s_ par les offices servent dans une très faible propor-
tion à renflouer sous forme de pr~t les organismes ayant pour objectif l'accrois-
sement de la production, mais surtout ce qui est déplorable, c'est que les gou-
vernements obtiennent souvent sur ces fonds des prêts à long terme qui servent
à couvrir les déficits courants de leurs budgets, de sorte Que les fonds sont
souvent détournés de leurs premders objectifs et les producteurs vendant aux of-
fices doivent plus que les autres contribuer au développement général et aux
dépenses du gouvernement, et cette politique négative ne peut contribuer à
apporter une solution aux problèmes des infractions en matière de crédit.
Pour que les offices de commercialisation et de stabilisation ser-
vent réellement la cause des agriculteurs, les aident à relever le niveau
de leur revenu, il. faut rendre un peu plus les offices aux agriculteurs avec
la tutelle et l'encadrement nécessaire des pouvoirs publics qui contrôleront
tout de façon plus dynamique. Ce nlest qu'à ce prix que l'on pourra remédier
aux vices qui caract~risent le fonctionnement actuel des offices de commercia-
lisation qui les emp~chent de jouer pleinement leur raIe d'instrument de
lutte préventive contre les infractions en matière de crédit.
Pour combattre efficacement ces infractions en matière de crédit,
il
~ut les cerner sur tous les fronts. Comme nous n'avons point cesser de le
rép~ter, la lutte répressive pour être efficace doit ~tre doubl&e d'une lutte
préventive qui requiert la mobilisation de tous les instrumenta de production.
car la lutte contre les atteintœau droit de crédit doit ~tre avant tout une
lutte contre la misère, contre le niveau de vie très bas des populations.
Notre ambition n'est point de remettre en cause les institutions existantes.
mais nous essaierons plutôt de rechercher et de préconiser les voies et moyens
adéquats pour lutter efficacement contre ces infractions en matière de crédit
dans notre deuxième et dernière section.
341

SECTION II - LES SOLUTIONS PROPOSEES
ilLe seul idéal que puisse se proposer la raison
humaine est d'améliorer ce qui existe, or c'est
de la réalité seule qu'on peut apprendre les amé-
liorations qu'elle die lame"
E. DURKHEIM - Division du Travail social p. 33.
Il n'est pas sans importance de rappeler que le but essentield'une
banque de développement et d'un office de commercialisation doit être d'amé-
liorer la situation économique des producteurs agricoles. Dans nos pays écono-
miquement attardés, les objectifs peuvent englober en même temps que la com-
mercialisation le développement de la production dans son ensemble et l'ac-
croissement de l'exportation. Nous savons d'autre part que tout ceci n'est
possible sans une éducation de la masse paysanne représentant 75% des popu-
lations des pays d'Afriques Noire et que l'agriculture représente l'une des
sources de richesse de nos pays. Ainsi donc, nous eommenr.erQn8par proposer
d'abord dans un premier paragraphe une meilleure organisation des organismes
d'intervention dans la lutte préventive contre les infractions en matière
de crédit.
Paragraphe l - Lutte acharnée contre les mentalités et les habitudes négative~
des populations d'Afrique Noire.
Les mentalités et les habitudes négatives dont nous allons parler et
qu'il faut à tout prix combattre ont pour source l'ignorance dans laquelle
sombre la majeure partie des populations des pays sous-développés. On sait
que de nos jours encore au moins 60% des populations de l'Afrique Noire
sont des analphabètes. Malgré les efforts de colonisateurs et des nouveaux
dirigeants africains, on rencontre encore de grandes réticences dans le do-
maine de la scolarisation qui est demeurée plutôt réservée à certaines cou-
ches sociales pour la plupart urbaines et dans bon nombre de familles afri-

caines, la fille ne doit pas aller à l'~cole. On ne peut pas imaginer combien
ceci est négatif pour le développement économique et psychique de la population.
Les gens sombrent dans une ignorance totale qui les emmn~ne à croire à tout
ce qui se présente à eux, telles que les pratiques " vaudoulesquel:l' du vaudou,
le culte des ancêtres qui entrainent des dépenses énormes et stériles et ce-
C1 certains exploitateu~s de la faiblesse d'esprit de leurs concitoyens l'ont
compris et essaient de l'entret~nirscrupuleusement.C'est le cas de la secte
des MolU"iilel bien implantée au Sénégal. le. Marabout ou le chef religieux de
la secte explique a ses adeptes qu'ils n'ont plus besoin de leur salut,
qu'il leur garantit qu'il les emmenera~ciel. Ceux-ci sont ainsi dispe~és de
la prière qui pourtant fait communiquer les autres musulmans avec leur Diéu
unique. Ce souci du marabout n'est pas gratuit et mérite récompense. Quant il
prie pour ses fidèles, ceux-ci peinent pour lui. Les adeptes, la plupart
jeunes, travaillent de longues années gratuitement au service du Marabout.
Ce qui était au départ une entreprise d'éducation religieuse, de disciples
qui s'instruisent est transformé en chantier de travail dans l'ambiance d'un
quasi-esclavage. Les parents les habillent, le marabout se contente de leur
fournir du milou seulement des champs où ceux-ci le produisent. Il décide
souverainement à quel Age, psrfois quarante ans, ces fidèles seront libérés
pour fonder un foyer. Il leur donne alors une femme, un lieu de résidence en
leur pr~tant pour s'installer une partie de l'argent qu'ils ont gagné à son
service. La plus grande partie des revenus de ces pauvres adeptes permet au
marabout de vivre somptueusement. d'acheter de nombreuses femmes et pour ne
pas tarir cette importante source de revenus illicites et injustes, le grand
Kalife de tOUBA (Sénégal) interdisait le dispensaire, l'école primaire qui
sont pourtant des leviers d'émancipation. D'ailleurs ces marabouts sont très
réservés vis-à-vis des mouvements d'animation rurale si prometteurs dans nos
pays, car ils risquent d'éveiller les esclaves "volontaires Il à une sorte de
"conscience sociale" • D'où nous devrons lutter pour une implantation de l'é-
cole primaire dans les coins les plus reculés de nos villages d'Afrique Noire
que les enfants n'aient pas à parcourir quatre fois dix ou vingt kilomètres
par jour afin d'aller suivre des cours, ce qui décourage les enfants et les
parents déjà peu décidés. On n'a pas besoins de beaucoup de moyens pour
disposer de ces écoles - La saison sèche, quand il ne pleut pas, l'ombre
d'un arbre pourrait suffire. Il devra s'agir d'une sorte améliorée d'éduca-
343

ition de base, d'alphabétisation fonctionnelle incluant problèmes ~conomique5
et sociaux donnée en partie en langue du pays et surtout ouverte à tous, aux
jeunes comme aux adultes. Il ne faudrait surtout pas oublier le travail de
la terre dont les enfants doivent ètre habitués et aimer.)'agriculture
étant
l'une des sources de reichesse de notre pays. Cette école doit être étroite-
]ment liée à une formationprofessionnelle pour ceux qui ne seront pas doués
1dans les études et qui d'habitude vont s'ajouter aux chômeurs des villes.
Il faudra accélérer la formation des encadreurs de base. Ceux-ci
ldevront être très proches des paysans à qui ils devront apporter beaucoup
jd'amitié et de doigté pour leur montrer les avantages et même la nécessité
jde la discipline des terroirs. du bétail et des techniques qu'impose l'agri-
(culture moderne.
La formation des animateurs et des animatrices s'avère tr~s impor-
1tante et urgen~. Ceux-ci devront expliquer à la populationles méfaits de la
iparesse, du chômage déguisé, du parasitime, et surtout le manque du sens de
!ltéconomie et l'asservissement des femmes surtout dans certains régions
:islamisées où les hommes passent la plupart de la journée A la mosquée.
,
ICes animatrices devraient apprendre aux femmes à mieux nourrir leurs enfants
,
'A leur donner une alimentation équilibrée car nous savons que la malnutrition
;est également une source de la faiblesse des productions, donc des revenus,
;ce qui entraine un recours vers l'usurier en cas de besoin urgent. Bref tant
ide petits facteurs qui sont loin d'ètre négligeables.
'.
D'autres pratiques tr~s répandues en Afrique Noire doivent être
,vigoureusement combattues.
C'est d'abord le cas de la corruption, des détournements qU1 cons-
,tituent un obstacle essentiel au développement de nos pays Il un proverbe
an-
iglais dit "le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument". La
]brusque accession au pouvoir sans contrôle a troublé certains esprits et
le sens moral. La corruption et les détournements étaient certes con-
;nues du milieu colonial,mais depuis la période des indépendances, elles sem-
1blent prendre dans certains pays d'Afrique Noire des proportions effarantes.
iLe Cameroun a constitué pour la combattre des commissions criminelles, mais
"il ne semble pas certain que les enquêtes aient pu remonter haut dans la hié-
344

hiérarchie. D'autre part, il est temps qu'on comprenne en Afrique que les
haines raciales, le tribalisme, le régionalisme que certains ont intérêt à
entretenir afin de pouvoir diviser pour régner cDnstituent une lourde menance
pour le développement économique de nos pays. L'horreur de la guerre du BIAFRA
illustre bien les conséquences négatives qu~ peuvent engendrer de telles émeu-
tespcpulaiTes. C'est souvent la population jeune, active qui patiuent en géné-
ral, les champs de plantations devenant des champs de bataille. La disette et
les épidémies sont les conséquences inévitables de ces rivalités tribales qui
ne peuvent que freiner le développement économique des pays d'Afrique Noire.
D'où une pris~ de conscience est nécessaire. - Les dirigeants devraient préco-
niser l'ardeur au travail, la solidarité dans tous les do~ines et non donner
des exemples de violence, d'agression comme certains en ont l'apanage.
Nous devons retenir que la priorité doit ~tre donnée à l'alpha-
bétisation des jeunes et des adultes, au développement d'une agriculture et
d'une industie moderne ec nationalisée.
Paragraphe Il . - Par une meilleure organisation de la distribution du crédit
Nous savons qu'en général les banques de développement et organis-
mes de crédit ne prêtent qu'à ceux qui présentent des sOre tés de rembourse-
,ment assez solides. Cette politique des banques qui consiste à n1apporter un
concours réel qu'à ceux qui ont une situation finBnci~re assez bonne pour
'offrir une garantie suffisante implique que sont d'office écarter de leur
:client~le les nons salariés et les petits producteurs qui ne sont pas aisés.
;Pour que les banques de développeœent jouent efficace~ent leur rele de cré-
!dit populaire, pour que leur service de crédit soit accessible aux couches
,
:sociales les plus déshérit~e8 !lanS risque de non remboursement, à notre
:avis, i l faut deux conditions: llassistance technique aux bénéficiaires des
Iservices de la banque et le cautionnement des sociétés mutuelles de crédit
et de coopératives de producteurs. C'est le défaut d'assistance technique et
le manque de formation chez les coopérateurs qui avaient causé l'échec du cré-
dit agricole alors que les coopérateurs avaient pourtant connu des débute
::45

prometteurs au Cameroun et au Togo (1). En outre si les sQretés réelles sont
possibles en milieu urbain, elles ont presque inexistsntes en milieu rural où
la notion de grande famille s'identifiant à la notion de propriété collec-
tive, l'obtention 'du titre foncier est difficile. car elle requiert l'accord
; de toute la grande famille. Et c1est pour cette raison que nous allona pré-
coniser en priorité un développement des coopératives agricoles qui doit se
! traduire par l'adoption de modèles coopératifs nouveaux. Par exemple créer des
!mutuelles villageoises de vingt, trente ou même cinquante membres regoupés
jau sein de ces coopératives de production et de commercialisation. Au sein de
,
j ces mutuelles villageoises, il ne faudra pas hésiter à confier le maximum de
lresponsabilités aux coopérateurs, car ce qui compte avant tout c'est le degré
1ide participation et d1organisation des paysansi et une telle participation
i:ne peut être obtenue que par l'exercice réel des responsabilités. Mais il
;faut que ces mutuelles soient constituées par des personnes appartenant
là la même catégorie sociale ou professionnelle, ayant des intér~ts de même
inature et exerçant la même activité au sein de la communauté, afin qu'une cer-
:taine discipline (condition né~essaire pour la pérennité des actions du groupe)
~puisse exister au sein de la coopérative.
Comme nous l'avions fait remarquer dès le départ. il nous parait
!indispensable de lier le crédit à la commercialisation afin d'accrottre les
'garanties de l'organisme bancaire.
La viabilité et la vitalité ainsi que la rentabilité d'un système
1
~de crédit ne sont assurées que si lesopérations qui en découlent sont associées
jaux opérations de commercialisation dont le bon aboutissement garantit le
'remboursement des prêts. D'où nécessité d'uncrédit supervisé qui suppose la
_mise à la disposition des cultivateurs des moyens de production qui leur sont
_nécessair~au moment même où ils doivent être utilisés. Leur réalisation tien-
:8ra compte dans une certaine mesure des besoins de subsistance des familles
·de producteurs et s'accompagne d'une action permanente de formation et d'assis-
:tance technique. Ellepostule enfin une certaine organisation de la commmercia-
~isation et la mise en oeuvre d'un système de récupération des pr~ts.
Ce qui caractérise I·e revenu agricole dans les pays pauvres c'est
~on irrégularité et sa précarité, ctest aussi ce caractère très vari~cle du
~olurne qui en est disponible dans les milieux ruraux démunis. Voilà qui ex-
;(1) Jean Marie SPIRO : Les banques de développement et le crédit aux producteurs
Librairue DROZ - 13, rue du Cardinal~oine - PARIS, page 66
345

plique le rythme insuffisant du remboursement des prêts. Nous avons vu dans
nos développements antérieurs comment les actions des innombrables intermé-
diaires et usuriers concourent à l'accroissement continu de l'endettement d'où
pour mobiliser les petites disponibilités nécesaaires au remboursement pris
à l'épargne, il est nécessaire de lier le crédit à la commercialisation.
c'est en conséquence mettre en place un système efficace de la commerciali-
sation des produits obtenua à partir du travail et des moyens financés en
~
partie par le crédit, d10ù nécessité des coopératives de production et de
commercialisation qui contribuent à supprimer ces interm4diaires qu10n ren-
contre dans toutes les branches d'activité en Afrique.
Si nous avons voulu mettre un accent particulter sur les coopérati-
ves agricoles (l'agriculture constituant de loin
le aecteur le plus impor-
tant en Afrique Noire). nous n'allons pas oublier de préconiser une réorgani-
sation du commerce traditionnel qui présente également un intérêt non négli-
geable. Il serait vivement souhaitable que les petits commerçants, artisans
ou autres professions libérales se regroupent en petites et moyennes entre-
prises. Ils pourront alors se constituer un fonds de garantie au moyen de
versements dans le cadre d'une société de caution mutuelle. Les groupemen~
peuvent ouvrir des comptes courants d'associés dont l'apport est indéniable
en tant que source de financement des affaires et moyens de garantie de
remboursement auprès des banques et organismes financiers.
En conclusion, nOus dirons que la formation de l'épargne à partir
du crédit est une opération viable à la condition qu'elle se fonde sur des
organismes qui appliquent un programme et se réalise avec la participation
et l'engagement des coopérateurs qui sont soutenus par uu effort réel d'assis-
tance administr~iv. et technique~is qui sont responsables de la gestion de
leur entreprise coopérative.
347

CONCLUSION
Au terme de cette étude des infractions en matière de crédit, compte
tenu de l'importance du problème dans les pays de l'Afrique Noire, il con-
vient de chercher à avoir une vue d'ensemble de la question afin de faire des
propositions contrètes dans les quelques lignes qui vont suivre en guise de
conclusion.
En ce qu~ concerne la répression de ces infractions notamment des
pratiques usuraires qui constituent de loin l'infraction la plus importante,
on a pu distinguer trois grandes périodes, la période avant la colonisation,
la période coloniale et la troisi~me période est la période de Itaccession
des ~tats africains à la souverainet~ internationale.
La premi~re période qu'on peut qualifier de confuse est faite de dis-
parités et de contradictions dans les coutumes d'une région à une autre, de
sorte que malgré les efforts de certains souverains les taux d'int~rêts con-
ventionnels étaient exhorbitants et étaient déterminés suivant les circons-
tances et à la tête des clients.
La deuxième période. la période coloniale fut marquée par la régle-
mentation de la répression du délit d'usure et infractions assimilées
par le décret du 22 Septembre lY35. complété par celui du 9 octobre 1936.
Au cours de notre étude, nous avions montré que ces deux décrets n'avaient
qu'une portée pratique très limitée parce qu'ils apparaissaient inadaptées
aux réalités africaines, les champs d'application de ces décrets étant res-
treints, ils ne permettaient pas de réprimer certaines pratiques qu'ils ne
prévoyaient pas - Pendant cette deuxième période, la lutte préventive nta pas
connu non plus un meilleur sort. Cette lutte préventive s'est traduite un
peu partout par l'institution de crédit mutuel; Mais dans la plupart de ces
états les usagers de ces crédits, n'ont pas pu tirer le meilleur parti des
prêts qu~
leur étaient octroyés. Par exemple la plus grande partie des crédits
mis à la disposition de l'agriculture avaient été utilisés pour couvrir les
dépenses des biens de consommation au lieu d'être employés dans
des investis-
sements productifs. On dirait parfois que certaines personnes confondent le
prêt avec le don.
J48

Puis vint la p~riode des ind~pendances - les nouveaux dirigeants
africains ont essay~ de poursuivre l'oeuvre entreprise par les puissances co-
loniales. Comme on a fait remarqu~ dans notre ~tude, la plupart des ~tats afri-
cains à l'exception du S~n~gal n'avaient pas tellement innov~ en la matière.
Les 1~gislateur8 africains ont repris dans leurs codes des dispositions du dé-
cret du 22 septembre 1935 et du 9 Octobre 1936 avec tout ce qu'ils comportent
d'imperfections, tel le probl~e de la notion de bonne foi qui est demeuré in-
tact. la réglementation des intermédiaires qui nIa pas ét~ prévue etc .. la seule
innovation qu'on a pu remarquer dans la plupart de ces législations est une
tendance au renforcement des p~nalités ce qui nlest d'ailleurs pas systématique-
ment la meilleure solution. En effet le désir excessif de sévir contre ces
infractions font perdre de vue à certains législateurs l'aspect économique de
la réglementation da créditpcontre car fixer dans un texte. un taux d'inté-
r@t rigide dont le dépassement constituerait le délit d'usure. c'est mal rému-
nérer les capitaux. c'est favoriser les fraudes ainsi servir mal les intérêts
des emprunteurs que des détenteurs de capitaux, c'est-à-dire les pr~teurs
personnes pnysiques ou morales et c'est là l'une des principales lacunes de
la plupart des législations africaines.
Pour freiner ces pratiques malsaines de la vie des affaires, il faut
par exemple inciter les agents de contrOle des prix à d~noncer les pratiques
usuraires dont ils auraient eu connaissance au cours de l'exercice de leurs
fonctions. Dans le même ordre d'idée, il est nécessaire de punir des ~mes
peines (comme l'a fait le législateur sénégalais pour la pratique du "BOUlCI").
ceux qui en connaissance de cause, pour financer des dépenses prévisibles
et
ne revêtant aucune urgence (mariage, constitution de dot ect .. ) solliciteraient
ou bien accepteraient du crédit sous toutes ces formes à des taux d'intérêts
usuraires.
Il est également souhaitable de pr~coniser une prescription extinc-
tive très courte de l'action en recouvrement des intérêts produits par le ca-
pital prêté. Cette prescription extinctive éviterait aux emprunteurs l'ac-
cumulation écrasante des dettes. Cette disposition découragerait ainsi les
usuriers qui par cette procédure d'accumulation arrivent à se faire céder
une partie importante du patrimoine de leurs débiteurs.
349

Mais nous savons que la r~pression p~nale de ces
diff~rentes infractions en matière de cr~dit est à elle s~ule~ insuffisante
pour juguler le mal. C'est pourquoi la plupart des l~gislateurs africains cons-
cients que ces agissements frauduleux s'expliquent par les mentalités tra-
ditionnelles n'h~8itent pas pour transformer ces dernières à recourir ~gale­
ment A des procédés préventifs qui sont encore timides pour ~tre efficaces.
C'est pourquoi nous proposons :
- de réformer les mentalit~s vis-A-vis de l'épargne en prenant des mesu-
res plus énergiques pour lutter contre les d~tournements de crédit, à savoir
les mariages pompeux, funérailles de plusieurs semaines etc •.
- lutter contre la paresse, le sous-emploi, le ch6mage déguisé. le
parasitisme.
Mais il ne faudra pas perdre de vue que pour être efficace, la lutte
contre toutes ces infractions en matière de crédit doit être menée sur tous
les fronts. Elle doit se traduire par le développement des mesures sociales
favorisant le relèvement du niveau de vie des populations car n'oublions pas
que ces infractions ont en g~néral pour cause la misère. l'imprévoyance et
le désir de s'enrichir facilement. il faudra donc développer les institutions
de cr~dit de crédit social et de crédit mutuel et r~vi8er les conditions d'oc-
troi de prêt afin de les adaptater aux réalités locales.
- les pouvoirs publics doivent mettre un accent particulier sur le rôle
des coop~ratives et des sociétés mututelles- Instituer et favoriser l'expan-
sion des "ESU", encore appelés tontine ou 'i- "Ristour~'qui sont l'un des moyens
les plus accessibles d'obtention du crédit peu coo.teux par
la plupart de
ceux qui en sont dans le besoin.
Les méthodes de lutte ainsi préconis~es nous paraissent riches de
possibilités qui n'ont pu être complètement exploit~es eu ~gard A l'ampleur
et A la complexité du sujet ainsi qu'à la dimension nécessairement limitée de
cette recherche.
3S 0

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363

T A BLE
DES
MATIERES
o
1NT RODUCTI O,~
PREMIERE PARTIE
=""=============
LA REPRESSION DES INFRACTIONS EN MATIERE DE CREDIT
13
TITRE 1
La délinquance du créancier
le délit d'usure
17
CHAPITRE 1
Evolution législative en délit d'usure en France
18
SECTION 1 - L'EVOLUTION LEGISLATIVE EN DELIT DE L'ANTIQUITE
AU 19ême SIECLE
19
Paragraphe 1 - L'antiquité
19
Paragraphe 2 - LI ancien dro; t
20
Paragraphe 3 - Le droit intermêdiaire
23
SECTION II - LES HESITATIONS ET LES ERRErlENTS DU LEGISLATEUR
FR~~CAIS A TRAVERS LES LOIS du 3 Septembre 1807
du 19 Décembre 1850 et du 12 Janvier 1886.
24
Paragraphe 1 - Le regime et la repression de l'usure sous
l'empire de la loi du 3 septembre 1807.
26
Para9raphe 2 - Des innovations apportées par la loi du 19
décembre 1350.
44
Paragraphe 3 - La loi du 12 Janvier 1886 et les débats concer-
nant la suspension de la limitation du taux d'intérêt en
matière civile.
54
SECTION III - UrIE NOUVELLE TENTATIVE DE LUTTE CONTRE L'USURE
LE DECRET-LOI DU 8 AOUT 1935.
63
Paragraphe 1 - Les caractères et les conditions du délit d1usure
dans le décret-loi du 8 Août 1935.
64
Paragraphe 2 - Les domaines d'application du décret-loi du
8 Août 1935.
74
Paragraphe 3 - Les sancti ons
86
364

Pages
Paragraphe 4 - La prescription
93
CHAPITRE II
EVOLUTION LEGISLATIVE DU DELIT D'USURE DANS LES DROITS DES
PAYS O'AFRIQUE NOIRE AVANT ET PENDANT LA PERIODE COLONIALE.
97
SECTION 1 - L'ORGANISATION DU PRET A INTERET ET LA REPRESSION
DE L'USURE EN DROITS TRADITIONNELS AFRICAINS
99
Paragraphe 1 - Le délit d1usure dans les rêgions islamisées
dlAfrique Noire.
100
Paragraphe 2 - La repression de llusure en droits traditionnels
africains et dans le droit coutumier malgache
106
SECTION II - LA REPRESSION DE L'USURE PAR LE LEGISLATEUR
COLONIAL - LE OECRET DU 22 SEPTEr~RE 1935 RELATIF
AU OELIT D'USURE EN AFRIQUE ET A r~nAGASCAR.
123
Paragraphe 1 - Le domaine d'application du décret du 22
Septembre 1935.
125
SECTION 111- LE VISA DES CONTRATS DE PRET D'ARGENT ET LA
REPRESSION DE L'USURE DANS LE DECRET DU 9 OCTOBRE
1936.
141
Paragraphe 1 - Le but du décret du 9 OCtobre 1936
141
Paragraphe 2 - Le domaine d'application du décret
144
du 9 Octobre 1936.
Paragraphe 3 - Les modalités de la prescription dans le décret
du 22 Septembre 1935 et du 9 Octobre 1936
148
CHAP ITRE 1II
LE REGIME ACTUEL DU DELIT D'USURE DANS LES PAYS D'AFRIQUE NOIRE
153
SECTION 1 - LA REPRESSION DE L'USURE DANS LES ETATS ENCORE
REGIS PAR LA LEGISLATIO~ COLONIALE DE L'USURE
156
Paragraphe 1 - La repression de llusure dans les états encore
regis par le décret du 22 septembre 1935.
157
Paragraphe 2 - la repression de l'usure dans les états qui ont
adopté de nouveaux codes penaux.
365

Pages
SECTION II - LES NOUVELLES LOIS AFRICAINES EN MATIERE DE LUTTE
REPRESSIVE CONTRE L'USURE
171
Paragraphe 1 - La réglementation du délit d1usure par
l'ordonnance malgache du 8 Aoat 1962.
172
Paragraphe 2 - Les modalités de la repression des pratiques
usuraires dans la loi sénégalaise du 28 Juillet 1979.
180
Para9raphe 3 - La réfonne dahomêenne du droit de l'usure
192
SECTION III - PORTEE PRATIQUE DES MESURES ADOPTEES PAR LES
DIRIGEANTS AFRICAINS.
APPRECIATIONS CRITIQUES DE CES r1ESURES
202
Paragraphe 1 - Caractéristiques communes des différentes
mesures adoptées par les dirigeants africains.
202
Paragraphe 2 - Appréciations critiques de ces mesures
adoptées par les dirigeants africains.
203
TITRE II -
La délinquance du débiteur
206
CHAPITRE 1
Obtention frauduleuse du crédit
207
SECTION 1 - UN l·lECANISME D'OBTENTION FRAUDULEUX DU CREDIT;
L'EMISSION DE CHEQUE SANS PROVISION
207
Paragraphe 1 - Les éléments constit~tifs de 1 1 infraction
208
Paragraphe 2 - Les mesures repressives
2U
SECTION II - OBTENTION DU CREDIT PAR VIDLENCE
212
CHAPITRE II
Les détournements de crédit
213
SECTION 1 - LES DETOURNEMENTS EN MATIERE DE PRET A INTERET
214
Paragraphe l - Les éléments constitutifs de llinfraction
214
366

Pages
Paragraphe 2 - Les modalités de la repress;on
215
SECTION II
- LES DETOURNEMENTS DANS LA VENTE A CREDIT
217
CHAPITRE III
Atteintes quant aux garanties presentées par le débiteur
219
SECTION
1 - LES DETOURNEMENTS D'OBJETS GAGES
220
Paragraphe 1 - Le gage
220
Paragraphe 2 - L'élément moral
221
SECTIDN II - ATTEINTES DANS LES SURETES PERSONNELLES
222
CONCLUSION DE LA PRE~mRE PARTIE
222
----------
DEUXIEME
PARTIE
================
LA PREVENTION
TITRE 1
Les "Esus" ou tontines africaines - instrUlœnt de lutte efficace
contre les infractions en matière de crédit
227
CHAPITRE 1
L'idée de tontine et son évolution historique en France et
en Afrique
227
SECTION 1 - ESSAI DE DEFINITION
228
Paragraphe 1 - Définition de la tontine en Europe
228
Paragraphe 2 - Les tontines privées sont essentiellement
d'initiative privée en Afrique
237
Paragraphe 3 - Comparaison de la tontine africaine avec
la tontine française
241
367

Pages
SECTION
II - APERCUS HISTORIQUES DE LA TONTINE
244
Paragraphe 1 - Evolution historique de la tontine en France
245
Paragraphe 2 - Aperçu historique des "Esus" en Afrique
248
SECTION III - LE BUT DES TONTINES EN AFRIQUE
251
Paragraphe 1 - L'Esu objet efficace de lutte contre les
infractions en matière de credit
251
Paragraphe 2 - Les tontines bien réglementées ne comportent
que des avantages pour ses mentlres
254
CHAPITRE II
Organisation des "Esus" ou tontines
255
SECTION 1
- LA CONSTITUTIDIi DES "ESUS"
255
Paragraphe 1 - Les conditions de formes
255
Paragraphe 2 - Les conditions de fond
256
SECTION II
LE FONCTIONNEMENT DES "ESUS" DU TONTINES
260
Paragra"he 1 - La situation des dirigeants d'un "Esu"
260
Paragraphe 2 - Pouvoirs et responsabilitê des dirigeants
263
Paragraphe 3 - Les prérogatives et les devoirs des membres
d'un "Esu"
266
SECTION 1II - LA FIN DU LA DISSOLUTION DES "ESUS" OU TONTINES
268
Paragraphe 1 - Par 1 'arrivêe du tenme
268
Paragraphe 2 - Par mésintelligence au sein du "Esu"
268
CHAP IT RE 1II
Essai d'une thêorie juridique des "Esus" ou tontines en Afrique
271
SECTION 1 - CARACTERES DISTINCTIFS DES "ESUS" OU TONTINES EN
AFRIQUE NOIRE
273
Paragraphe 1 - Essai de classification des "Esus"
274
Paragraphe 2 - Le "Esu" ou tontine africaine peut-il être
considêré comme une assurance mutuelle?
277
368

Pages
SECTION II - STATUT JURIDIQUE OES "ESUS" OU TONTINE EN
279
AFRIQUE NOIRE
Paragraphe 1 - Nature juridique des "Esus"
279
Paragraphe 2 - Le régime juridique des "Esus"
287
SECTION III - LA REGLErfENTATION OES "ESUS" EN SOCIETE D'ENTRAIDE
rlUTUELLE
292
Paragraphe 1 - Nécessité d'une intervention limitée des
pouvoirs publics
293
Paragraphe 2 - Du régime fiscal des "[SUS" en société
d'entraide mutuelle
296
TITRE II
ESSAI DE CONTRIBUTION AL' AMELIORATION OES rlETHOOES TRAOITIONNELLES
UTILISEES OANS LA LUTTE PREVENTIVE CONTRE LES INFRACTIONS EN rlATIERE
DE CREDIT
297
chapitre 1
les causes des infractions en matière du crédit
299
SECTION 1
- FACTEURS COMMUNS AUX AUTEURS DES INFRACTIONS EN
tlATI ERE DU CREDIT
300
Paragraphe 1 - les facteurs
exogènes
300
Paragraphe 2 - Les facteurs endogènes
302
SECTION II - FACTEURS SPECIFIQUES AUX AUTEURS DES INFRACTIONS EN
I1ATIERE DE CREDIT
304
Paragraphe 1 - les facteurs propres aux auteurs du délit d'usure
305
Paragraphe 2 - les facteurs spécifiques au débiteur. auteur
dl infraction en matière de crédit
308
CHAPITRE II
les efforts des Pouvoîrs publics dans la lutte prêventîve contre
les atteintes au droit de crêdit
311
369

Pages
SECTION
1 - LES I~SURES PRISES PAR LES PUISSANCES COL1NIALES
DANS LA LUTTE PREVENTIVE CONTRE LES ATTEINTES AU
DROIT DU CREDIT
312
Paragraphe 1 - Le Credit tlutuel
313
Paragraphe 2 - Le Crédit Social. instrument efficace de lutte
contre les infractions en matière de crédit
316
SECTION II - LES EFFORTS ENTREPRIS PAR LES DIRIGEANTS AFRICAINS
DANS LA LUTTE PREVENTIVE CONTRE LES INFRACTIONS
EN MATIERE DE CREDIT
320
Paragraphe 1 - Développement des institutions de crédit
321
Paragraphe 2 - Autres organismes d'intervention dans la lutte
préventive contre les infractions en matière de crédit
325
CHAPITRE 1Il
Contribution à l'amélioration des méthodes utilisées dans lalutte
préventive contre les infractions en matière de crédit
334
SECTION 1 - LES VICES DE FONCTIONNEMENT DES TRADITIONNELLES
METHODES DE LUTTE PREVENTIVE CONTRE LES INFRACTIONS
EN !·1ATIERE DE CREDIT
335
Paragraphe 1 - Les vices de fonctionnement des institutions
de crédit.
335
Paragraphe 2 - Les vices de fonctionnement dans l'organisation
des offices de commercialisation
338
.
,
SECTION II - LES SOLUTIONS PROYOSEE?
. ,
342
Paragraphe 1 - Lutte achanlée contre-.' •• mental~tés et les
habitudes négatives des populations d'Afrique .rIoire
342
Paragraphe 2 - Pour une meilleure OrganiSa~' de la distribution
du credi t.
345
CONCLUSIONS
34B
BIBLIOGRAPHIE
351
TABLE DES MATIERES
o
370