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MOULIN
LYUN III
FI\\CULI [ [JE l'IHLOSLJPIII E
L'HISTOIRE DES SCiENCES
DANS LA Pl~NSEE:
D'AUGUSTE COMTE
LE PRODLU1E DE lA SClENCE t1UIJERNE EN AHI ~1I\\;.. ,
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SOUS ln lHrccllun oc 1·1. le professeur
l'rnnçul~ UAGUGNfl
Lyon,
,Jilin
],085

pages
2°) Science et écriture
. . . . . . . . . . • . • • 312·
3°) Science et société africaine
. . . . .
324
CONCLUSION
••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• •• "335
BIBLIOGRAPHIE
••••••••••••••••••••••••••••••••••••••. 341

INTRODUCTION
Le positivisme:
La doctrine méconnue d'un
penseur célèbre.
"
. . .
Je dis à ceux qui veulent s'instruire
tenez-vous en à Auguste COMTE comme à une
Bible,
pendant dix ans
•.. "
ALAIN,
Propos sur l'éducation,
propos 74,
282
Aujourd'hui,
l'histoire des sciences occupe au sein de
la pensée philosophique une place de choix.
Alors que dans un
passé relativement récent le philosophe
oubliant l'antique
tradition de THALES,
de PYTHAGORE et de PLATON qui faisaient des
sciences
(math&matiques) un grand art aux ressources inépuisa-
bles,
le princip0 d'explication de l'Univers ou la propédeutique
au monde des Idées ---
avait cru bon, face au développement et
à
l'exigence d'autonomie des sciences, de se détacher peu à peu
de l'activité du savant,
de nos jours,
un grand nombre de philo-
sophes s'occupent,
en France du moins, tant de l'histoire géné-
rale des sciences que de celle des sciences particulières
mathématique~, physiques, biologie etc ..•
L'intérêt croissant pour cette nouvelle discipline nous
incite à nous poser les questions suivantes: Qu'est-ce que
l'histoire des Sciences? Quelle est son orientation actuelle
en Occident? Quelle peut être son utilité pour une civilisation
"non-scientifique " ?
C'est pour tenter de répondre à ces interrogations que
nous nous proposons d'étudier la pensée d'un philosophe dont
l'oeuvre a connu cette heureuse destinée d'apparaître aux yeux
de la quasi totalité de ses exegètes comme l'une de celles'cjuiau-
ront le plus stimulé ce qu'il y a de plus vivant en matière
d'histoire des sciences en France:
La pensée d'Auguste COMTE.
a) Ouvrez,
en effet, n'importe quel manuel, même élémen-
taire,
de l'histoire de la philosophie:
vous y trouverez un
imposant chapitre sur le positivisme.
A quel étudiant appren-
drait-on quelque chose en disant qu'Auguste COMTE est né en ... /

- 6 -
1798 à Montpellie~ (et mo~t le 5 septemb~e 1857 à Pa~is)o~
il fit de b~illantes études de mathématiques au lycée avant
d'êt~e ~eçu à l'Ecole Polytechnique; qu'il fut l'auteur du
Cou~s de philosophie positive (leçons professées et publiées
en six volumes de 1826 à 18~2), du Système de politique posi-
tive (pubiéen quatre
tomes de 1851 à 1854) et du Catéchisme
positiviste (1852)
; et que les deux évènements capitaux, dans
sa vie,
furent sa folie passagère,
et la pure et fervente amitié
qu'il conçut pour Clotilde de VAUX,
au cours d'une "année sans
pa~eille'l ? Quel intellectuel n'a entendu parler de la loi des
trois états et de son complément indispensable,
la classifi-
cation des sciences ?
Et pourtant,
le positivisme se prête à chaque lecture et
à chaque époque à de nouvelles découve~tes. Certes, c'est une
loi commune que toute oeuvre de grande envergure
(artistique,
scientifique,
philosophique) ne survit que gr§ce à sa réactuali-
sation continue,
et que tout chef-d'oeuvre n'est
jamais qu'une
introduction donnant lieu à une infinité d'interprétations,
de
ré-inventions.
Mais autant une lecture appliquée de l'oeuvre de
DESCARTES,
de BACHELARD ou de ROUSSEAU donne l'occasion de se
rappeler,
de vérifier ou d'approfondir la connaissance qu'on en
avait déjà
; autant une étude du positivisme
réserve des sur-
prises lorsqu'elle est poussée au-delà des deux premières leçons
du Cours de philosophie positive.
Le lecteur se retrouve alors
dans une situation analogue à celle d'un touriste en présence
d'un immense musée construit suivant une architecture,
avec une
entrée,
une sortie et des allées reliant tous les compartiments
mais dont il ne peut ouvrir toutes les portes uniquement avec
les deux clés
(loi des trois états et classification des Science:
fournies par le guide.
Le positivisme est une philosophie étrangE
Tout le monde croit pouvoi~ en parler, et très peu sont ceux
qui soupçonnent ses richesses et ses dimensions réelles.
Cette situation tient aussi bien au style de l'auteur
qu'à la nature de l'oeuvre.
En effet,
comme le souligne fort
justement Sarah KOFMAN,
Auguste COMTE écrit mal,
et même très
mal.
Il illustre à bien des égards le parti pris philosophique
qui consiste à sacrifier l'expression sur l'autel de la concepti,
C'est par là que l'ami de la sagesse se distingue du sophiste,
le mattre menteur,
qui privilégie la réthorique au détriment.../

de l'essentiel. Mais c'est aussi ce qui rend les profondeurs
du positivisme inaccessibles au public. Les textes de COMTE sont
ardus,
techniques,
reblltants.
Il en a
lui-même conscience,
le
regrette parfois et s'en justifie sou0ent.
Le lecteur de notre travail doit donc s'armer de courage
car ce dernier est à
l'image des textes de COMTE que nous ci-
tons du reste abondamment,
peut-être trop abondamment.
Mais que
faire
lorsqu'on doit exposer une théorie -
plus souvent solli-
citée que citée -
qui a fait l'objet de mille et une perver-
sions ? Nous avons donc voulu suivre BU plus pr~s les textes
originaux de l'auteur de façon à ne leur faire dire rien d'au-
tre que ce qu'ils disent,
et à rester par conséquent fidèle à
la pensée la plus précise qui soit.
Nous avons en cela respecté
la recommandation d'ALAIN selon laquelle "il faut suivre pas à
pas les amples leçons du Cours de philosophie positive; faute
de quoi on croira savoir ce que c'est que le positivisme,
et
on ne le saura point du tout"
(1).
Car autant le style est l'ebarbatif, autant l'oeuvre est
gigantesque et polymorphe.
Le Cours à
lui seul est constitué
de soixante leçons (chacun des six tomes comportant environ
400 pages), tandis que chacun des quatre tomes du Système
compte 700 pages environ.
En outre,
se voulant une totalisation
de l'expérience humaine,
le système positiviste touche à tous
les domaines du savoir
en sorte que le lecteur est souvent
amené à se demander si les derniers travaux de COMTE ne consti-
tuent pas une palinodie des premiers. Tous ces éléments
concourent à faire du fondateur de la sociologie un génie
reconnu à
la pensée méconnue,
son étude nécessitant un savoir
encyclopédique.
b) On pourrait alors se demander s ' i l n'est pas inexact r
pour qui,
comme nous,
n'est ni scientifique ni historien d'abor-
der le problème de
l'histoire des sciences de la façon dont
nous entendons le faire,
c'est-à-dire, à
travers l'étude du
positivisme. Ce qui nous autorise une telle approche,
ce sont
les données suivantes: 1°)
Nous ne pensons pas -
Auguste COMTE
non plus - que l'histoire des sciences relève exclusivement de
la compétence de l'homme de science. 2°) Auguste COMTE est un
guide de prédilection parce qu'il est le père de l'épistémologie
française contemporaine.
. . . 1
(1) Alain,
"Comte"
dans Idées,
Hartmann,
1939.

- 8 -
Certes, le scientifique dispose de beaucoup d'atouts pour
mener à bien l'histoire des Bciences puisqu'il est capable
d'approfondir par l~i-même toutes les questions qu'il a à ren-
contrer au cours de son travaLI. C'est du reste ce qui explique
que des scientifiques tels que BERTHELOT (les origines de l'Al-
chimie), EINSTEIN (L'évolution de la notion de pesanteur) ou
CAVAILLES (La formation de la théorie abstraite des ensembles)
aient pu produire d'excellents travaux dans ce domaine; et que
les tenants de l'épistémologie contemporaine - BACHELARD, POPPER,
KUHN, FOUCAULT, CANGUILHEM, DAGOGNET - ne soient venus à la
philosophie qu'après s'être initiés à une au moins des sciences
fondamentales.
Mais il faut reconnaître qu'il ne suffit pas d'être savant
pour être un bon historien des sciences. Ce travail exige d'abord
qu'on veuille s'adonner à l'histoire, c'est-à-dire développer
en soi le sens de l'histoire et acquérir des connaissances
auxiliaires à cette discipline telles que l'enquête,
le traite-
ment des documents, les méthodes quantitives, autant de choses
qui risqueraient de distraire l'esprit du savant occupé à sa
discipline. Mais il faut aussi et surtout une théorie de la
science, une épistémologie, c'est-à-dire une philosophie.
On pourrait alors croire peut-être bien dire en posant
que c'est à l'historien pur qu'il revient le droit de s'occuper
de l'histoire des sciences. Mais là également, il faudrait noter
que si ce dernier dispose des instruments de travail, il n'en
maîtrise pas nécessairement l'objet. Car comment un historien
auquel fèrait défaut des connaissances scientifiques et philo-
sophiques seralt-il en mesure d'utiliser de façon adéquate les
données de ses recherches. L'histoire des sciences n'étant pas
purement narrative, son étude nécesiite au préalable des inter-
rogations sur les objets, les méthodes et les finalités des
sciences, autant
de questions qui sont du ressort de la philo-
sophie. Dans ces conditions, peut-on refuser au philosophe
de
prendre appui sur un encyclopédiste de talent pour réfléchir
sur la science, un des domaines de l'activité humaine, en ayant
conscience de son historicité?
Par aIlleurs,
le choix de COMTE comme repère fondamental
pour une étude de l'histoire des scIences se justifie par le
fait que toute l'historique de l'histoire des sciences en France
.. ./

- 9 -
est liée, en dernière analyse, à celle du positivisme. Car il
n'est pas un seul épistémologue de ce pays dont les travaux ne
puissent gtre rattachés de près ou de loin à ceux de COMTE, en
sorte que nous pouvons risquer cette affirmation: depuis ce
penseur,
l'histoire des sciences en France n'a plllS connu de
"création", ce mot étant entendu comme élaboration d'un système
nouveau et original. Pour nous, COMTE est à l'épistémologie et
à l'histoire des sciences ce que HEGEL est à la philosophie de
l'histoire, FREUD à la psychanalyse, MARX à la science de l'his-
toire : un maître peut gtre dépassé mais dont l'ombre plane
irrésistiblement sur tous les esprits.
D'illustres penseurs se sont, du reste, avant nous, avisés
de l'influence de la pensée de COMTE sur l'histoire des sciences
en Europe. C'est ainsi que Paul TANNERY, grand penseur du début
du siècle que CANGUILflEM considère comme "le premier et le plus
éminent"
des martres français en histoire des sciences, se ré-
clame lui-mgme de la doctrine comtiste dont le grand mérite, à
ses yeux, est d'avoir mis sur pied le concept même de science
positive.
"Quiconque s'est familiarisé avec ce concept, dit-il,
a subi l'influence positiviste au sens large du mot, quand mgme
il rejetterait tout ce qui, dans la doctrine comtiste, appartient
à un autre ordre d'idées. On peut à ce point de vue être positi-
viste sans le savoir"
; on pourrait ajouter : "et même sans le
vouloir".
Nous serons amenés à montrer, _ en effet, que des penseurs
qui se définissent eux-marnes comme des détracteurs du positivisme
(RENOUVIER, M. SERRES) ne sont pas moins positivistes à leur
insu et contre leur gré. Par exemple, ce qui caractérise l'épis-
témologie de MEYERSON, c'est son non-positivisme ouvert. Il
considère l'oeuvre de COMTE comme un échec, une entreprise
entièrement à reprendre.
"Nous avons voulu, dit-il, en suivant
un programme tracé mais non réalisé par Auguste COMTE, parvenir
a posteriori à connaître les principes a prioriques qui dirigent
notre pensée dans son effort vers la réalité"
(1).
C'est ainsi que MEYERSON s'efforce d'indiquer une direction
de la marche de l' inte 1 Hgence autre que celle tracée par la loi
des trois états et la classification des sciences, et de trouver
à la science un objet autre que la recherche des lois et de
l'utile. Deux arguments principaux courent tout au long de ses
... /
(1)
Meyerson, Identité et réalité, pur, 1932, p. 8.

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MOULIN
LYON III
rACUl'lE DE PHlLDSOPfllE
- - - -
L'HISTOHiE DES SCIENCES
DANS LA PENSEE
D'AUGUfîTE COMTE
LE FROBtEi'lE !JE LA SCl.ENCE tEJJ)E!<;1[ EN AFF [QUE:
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(Oinbacté)
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Sous la dIrection de M, le proFesseur
fra!lçlJis Dr\\CUGULT
Lyon,
cll.(in
1985


- 10 -
tr'avaux : 1 0 )
La science exige le concept (le "chose". Car' les
lois n'expr'iment que des r'apPor'ts existant
entr'e les objets
cr'éés par' l'entendement. Saisir' des r'apPor'ts, c'est saisir' des
sensations,
lesquelles ne sont pas objectives, et donc ne sont
pas scientifiques. 2 0 )
La Science ne vise pas l!action mais
l'explication. Cette idée est confirmée, aux yeux de MEYERSON,
par les philosophes : PLATON, ARISTOTE, MONTAIGNE, SPINOZA
par
les savants: JACOBI, WfIEWELL, Claude BERNARD, H. POINCARE
et par les faits scientifiques:
la réapparition r'épétée du
finalisme en biologie, la théor'ie de PLANCK pr'ivilégiant l'hypo-
thèse en vue de l'explication dans les sciences physiques etc ..•
Cependant, malgr'é ces cr'itiques, ou peut-êtr'e en r'aison de celles-
ci, MEYERSON est de beaucoup r'edevable à COMTE.
Par' ailleur's, d'une façon schématique,
le pr'oblème de
l'histoire des Sciences peut êtr'e conçu sous la fOr'me d'un débat
entre les partisans d'une théorie continuiste de l'histoir'e
d'une par't ; et les tenants 'd'une théor'ie de l'histoir'e envisagée
comme compor'tant des "r'évolutions", des "mutations", des "coupur'es
d"autr'e part. La pr'emièr'e position
inaugurée par COMTE est
aussi celle de MEYERSON et de DUHEM
la seconde, celle de toute
la lignée de BACHELARD, de CANGUILHEM et de KUHN ; quoique KOYRE
et FOUCAULT (sur'tout dans l'Ar'chéologie du Savoir') aient plutôt
tendance à osciller' entr'e ces deux gr'andes or'ientations. Ce qui
"".,
,,'"""
est cer'tain, c'est que tous ces penseuç~.se r'eclam~nt d'une
f.'-~ "
, "
épistémologie "anti" ou "non-positivis-j;er'"
Or' il',appar'a!t, à
fv
c,,··
Ii
l'analyse, que chacun de ces deux cour'ants ',ne_ s'est: développé
\\-;;\\
-"
que par' r'apport à la doctrine de COMTE,~, 1 \\ un pour la prolonger,
/('~ " ,
.--;/, "')li
l'autre pour s'y opposer.
'?"e'--
"cH:'
~.. r:~,:;:"
.
C'est en ce sens que Paul TANNERY a pu'écrire qu'il est
impossible de faire oeuvre d'histoire des sciences sans un recour:
quelconque au positivisme: "On peut, dit-il, nier la possibilité
ou la convenanGe de 1al). 'histoire des Sciences] traiter actuel-
lement ; on peut s'en faire une tout autre conception que celle
d'Auguste COMTE; il n'en reste pas moins indubitable que, du
moment où cet immortel penseur est le seul qui ait cherché à
soumettre cette histoire à des lois,
il faut bien que quiconque
veut la traiter soit pour ou contre lui"
(1). Vision pr'ophétique,
puisque les catégories qu'il a élaborées sont présentes dan~ •• /
(1)Paul Tannery, Mémoires scientifigues, TX, éd.Privat cf Gauthier,
coll. Sciences modernes, Toulouse et Paris, 1930, p. 119.

-
11 -
presque tous les débats contenlporains non seulement des socio-
logues,
des philosophes et des biologistes,
mais aussi des chi-
mistes,
des mathématiciens et des politologues.
cl Dévoilons à présent notre modique ambition.
A propos
de la doctrine positiviste elle-même,
nous n'entendons pas à
proprement parler soutenir une thèse inédite.
Qu'on ne s'attende
pas à
trouver dans les lignes qui vont suivre des thèmes autres
que ceùx qu'on pourrait rencontrer chez n'importe quel commenta-
teur de COMTE ou dans n'importe quel ouvrage d'histoire des
sciences. Nous évoluons sur des pistes anciennes;
nous reprenons
des problèmes déjà soulevés que nous articulons à notre manière,
en essayant de les traiter sous un éclairage nouveau.
D'une ma-
nière générale nous voulons parvenir à cette conclusion que
"
l'histoire des sciences chez Auguste COMTE est une composante
de la science de l'histoire, c'est-à-dire,
de la "physique
sociale"
dont les deux vecteurs principaux sont la sociologie
et l'histoire.
Dans ce contexte,
nous serons amenés,
d'une part à élucider
le concept de progès,
concept organisateur de la
théorie posi-
tiviste de l'histoire et à définir la méthode positive à tra-
vers ses diverses manifestations dans les sciences fondamentales
et d'autre part à faire l'épreuve de cette méthode dans les sci-
ences contemporaines.
Nous montrerons en nous appuyant sur les
travaux de éACHELARD,
de CANGUILHEM et deM.
DAGOGNET, non seu-
lement que COMTE était bien au courant des sciences de son époque,
surtout de la chimie et la biologie encore embryonnaires au XIXe
sièCle,
mais encore que la plupart des prévisions qu'il a faites
se sont avérées conformes à la réalité.
Puis,
à la lumière ~e la science et de l'épistémologie
occidentales,
nous nous efforcerons de définir les principes
élémentaires d'une science et d'une épistémologie africaines.
Ici non plus,
nous n'avons la prétention de soutenir un dogme.
Car nous sommes conscients du fait que dans l'état actuel'de
l'activité théorique en Afrique,
l'exercice auquel nous entendons
nous livrer n'est possible que sous la forme d'un essai.
Or en
quoi consiste un essai,
sinon dans le fait de 'présenter un point
de vue,
de poser un problème bien défini auquel on essaie d'ap-
porter des solutions personnelles,
qui ne sont pas nécessairement
les meilleures pour tous les esprits.
Dans un essaI,
l'erreur
... /

-
12 -
n'est pas de mise, puisqu'il ne s'agit pas d'une somme de vé-
rités établies, mais d'un constat, d'un catalogue d'impressions_.
Somme toute, partant du postulat qu'il n'y a pas de "sci-
ence positive africaine",
(même s'il Y a une science tradi tion-
nelle africaine), et que l'existence de cette science est actuel-
lement une nécessité pour le continent, nous nous posons la
question suivante: "II quelles conditions une science positive
africaine est-elle possible? " Notre réponse:
"II condition de
savoir ce qui la rend jusqu'alors impossible". Cette réponse
renvoie à son tour à la question principielle de l'épistémologie
africaine
: Queis sont les obstacles à la naissance de la sci-
ence positive africaine?
Par ces interrogations, nous entendons introduire une nou-
velle perspective d'analyse dans le débat philosophique sur la
science africaine, débat qui s'était limité jusqu'alors à la
polémique entre les tenants des thèses ethnocentristes occiden-
tales qui expliquent le dénuement de l'Ilfrique au plan de la
science par la tare héréditaire du prinlitif dont l'esprit est
dépourvu des catégories génératrices du savoir scientifique ;
et les négrologues qui,
voulant réhabiliter l'homme Noir, démon-
trent que la science positive est d'origine africaine. Nous nous
attacherons obstinément à cette idée que la science africaine
est devant nous et que l'épistémologie africaine ne peut l'aider
à voir le jour que si elle se distingue d'un exhibitionnisme
culturel.
/
Comme on peut le voir, notre prétention n'est pas de sou-
tenir deux thèses en une. Le second volet de notre développement
n'est qu'une implication du premier. Nous partons de l'idée
comtiste selon laquelle l'histoire des sciences est indissociablE
de celle des autres sphères d'activités d'une société, pour
rechercher à travers l'histoire et la sociologie de l'Afrique,
les éléments explicatifs du vide théorique qui s'observe actuel-
lement sur ce continent. Et ce qui nous tient véritablement à
coeur, c'est moins l'illustration que nous allons donner de
l'épistémologie africaine, c'est moins les causes que nous allon:
déceler par no~s-mêlnes. que la nouvelle orientation que nous
proposons pour la réflexion sur la science en IIfrique.
L'objet de notre travail étant défini, la démarche à suivrl
en découle, et s'articule autour de quatre points principaux .
.../

- 13 -
Dans un p~elnie~ temps, nous reche~che~ons les fondements théo~i­
ques du positivisme. Sans p~êtend~e ~econstitue~ toute la gen~se
de cette doct~ine, nous nous emploie~ons à situe~ l'histoi~e
des sciences dal18 l'ensemble de
l'oeuv~e de COMTE, elle-même
définie pa~ ~appo~t au cou~ant intellectuel de l'époque.
Il
s'agi~a à cet effet de répe~to~ie~ succinctement les p~incipaux
maté~iaux emp~untés pa~ l'auteu~ du Cours à la constellation
intellectuelle du si~cle des Lumi~~es. Nous p~océde~ons ensuite
à une analyse de la philosophie positiviste de l'histoi~e de
l'humanité dont celle des sciences n'est qu'une composante.
Quel est le cheminement et l'impo~tance de la ~aison dans l'hls -
toi~e ? En quoi consiste le noeud de la dialectique de l'o~d~e
et du p~og~~s. de la statique et de la dynamique? Le dévelop-
pement des sciences est-il conçu suivant le mod~le mathématique
des suites ~écu~~entes ou en ~éfé~ence au mod~le o~ganiciste
du développement emb~yologique ? Telles sont les inte~~ogations
sur lesquelles nous nous effo~ce~ons de jete~ quelques lumiè~es.
Puis, à pa~ti~ des questions suivantes: De quoi l'histoi~e
positiviste des Sciences est-elle l'histoire?
En quoi cette
histoi~e se distingue-t-elle d'une exposition ch~onologique et
d'une p~ésentation dogmatique des sciences ?Nous essayerons
de déte~mine~ l'objet et la méthode de l'histoi~e des Sciences
chez Auguste COMTE.
Enfin,
p~enant un peu de libe~té visà-vis
de not~e guide, nous esquisse~ons les p~incipes élémentai~es
d'une épistémologie et d'une science positive af~icaines.

Première partIe
LES
FON D E MEN T 5
D E
L A
DOCTRINE

- 15-
.ohapi tre l : LA SYSTEMATISATION DE L'EXISTENCE HUMAINE
Il n'est plus nécessaire de nos jours - heureusement -
d'insister sur l'un!. té de la pensée de COMTE (1). C'est une idée
désormais
admise
de tous que dans cette doctrine, la synthèse
théorique dépend de l'unité affective, qui lui fournit son prin-
cipe, et se lie à la coordination pratique qui lui assigne sa
destination. Le Cours est un prélude à la Religion de l'Humanité.'
Cette indivisibilité du positivisme rend vain tout effort de
comprendre une partie quelconque de ce système en l'isolant de
l'ensemble de l'itinéraire spirituelle de son auteur. La pensée de
COMTE est un édifice bâti suivant un ordre déterminé. C'est pour-
quoi nous avons cru nécessaire de faire précéder la conception
philosophique des sciences et de leur histoire par quelques consi-
dérations sur le système dont elle n'est qu'un élément.
'-':" .
.. ~.~:.:...~
1°) Le point de départ
St-SIMON - dont nous indiquerons, tout au long de ce·
chapitre, l'influence de la pensée sur les idées de COMTE -
montrait, avec la perspicacité qui le caractérise, que c'est
des grandes crises que
naissent les grands hommes. "Les grandes
pensées, les grandes révolutions scientifiques sont les résul-
tats des grandes fermentations morales. C'est dans les crises
morales les plus fortes que se forment les plus grands hommes.
L'esprit humain était encore tout agité de la secousse qu'il
avait reçue de LUTHER, quand DESCARTES a organisé son système.
La tourmente était à peine finie en Angleterre qu'on a vu
paraître LOCKE et N~gTON. Quels prodigieux résultats scienti-
fiques ne doit-on pas attendre de la fermentation causée par
la Révolution française!" (2)
Littré, entre autres, a
soutenu l'idée que la deuxième partie
de l'oeuvre de son maître, y compris son testament, est
enta-·
chée des séquelles de la maladie mentale dont il a souffert peu
avant son élaboration. Cette erreur d'interprétation se trouve
aujourd'hui rectifiée grâce aux travaux de penseurs tels que
. '
,,',
Ducassé, Pierre Arnaud, J. Lacroix •••
A.Comte lui-m~e nous
prévient à maintes reprises .contre une telle méprise(ncitarnmen~·.,
dans la lettre à de Blainville du 27 février 1826 "Ma conceptlon
de la politique comme physique sociale, et la loi que j'ai dé-
couverte sur les trois états successifs de l'esprit humain ne
sont qu'une seule et m~me pensée, considérée sous les deux points':
de vue distincts de méthode et de science"
St-Simon, Mémoire sur la science de l'homme, pp. 147 - 148.

- 16 -
En effet, la Révolution Française est pour l'histoire des
idées, et plus particulièrement celle du positivisme, à la fois
un évènement et un avènement. Elle est un évènement parce qu'elle
a ouvert la voie à une situation socio-politique particulière-
ment critique. Malgré la chute de l'Ancien Régime, cette révo-
lution n'a eu pour conséquence immédiate que des changements de
régimes politiques, les systèmes qu'elle a tenté de bâtir
s'étant écroulés les uns après les autres (Convention de 1781,
celle de 1792; dictature de ROBESPIERRE en 1794), pour débou-
cher sur les ,guerres napoléoniennes. "I l faut connaitre le
caractère particulier de cette situation, écrit M. de MONLOSIER
il consiste dans une succession perpétuelle de crises commandées
elles-m~es par une succession perpétuelle de maux •••
La
France n'échappe jamais d'un abîme que pour tomber dans un autre
abîme. Elle se trouve aujourd'hui dans le m6ne labyrinthe des
révolutions et des constitutions où elle était il y a vingt ans.
La dernière ne semble se présenter que pour ouvrir la porte à
une nouvelle" (1).
La Révolution est un avènement parce que c'est de la
recherche des solutions sinon définitives, du moins plus dura-
bles',aux problèmes sociaux qu'elle a causés que le positivisme
a vu le jour. Il est à noter qu'à cette époque, la science
étai t encore à ses débuts,
malgré la montée de la fièvre de
la découverte et de l'invention. La chimie venait de naître
des cendres de l'alchimie sous l'impulsion des savants tels
que BERTHELOT, DALTON, GAY LUSSAC, MARIOTTE ••• La biôlogie
qui jusqu'en ce moment rassemblait les matériaux indispensables
à sa fondation venait d'éclore avec BICHAT, suivi quelques
temps après de GALL, de BROUSSAIS, de LAMARCK et d'autres enCOre.
Mais la haine du passé (caractéristique du XVIIIe siècle et du
déb~ du XIXe siècle) empêchait encore la découverte des lois
des phénomènes sociaux, et ce, malgré les efforts de l'école
dirigée par de MAISTRE. L'un des "prestigieux résultats séien-
tifiques" découlant de la Révolution Française a été, sans
doute, la fondation de la sociologie et l'élaboration du posi-
tivisme avec A. COMTE.
(1)M. de Monlosier, Des désordres actuels de la France et des
moyens d'y remédier, p. 15. A propos de la Révolut10n Française
et~e son importance dans la naissance du positivisme on pourra
lire avec intérêt: La
eunesse d'Au uste Comte et la formation
du positivisme d'Henr1 Gou 1er.
surtout le TIll •

- 17 -
S'inspirant des écrits de St-SIMON (1), les Réflexions
de COMTE l'amenèrent, dès 1816, à la conviction qu'à cette
révoluti.on poli.tique doit succéder une réforme des institutions
et des moeurs, laquelle exige à son tour une refonte des opinions.
"Ce n'est pas aux lecteurs de cet ouvrage, dit-il dès la pre-
mière leçon du Cours, que je croirai jamais devoir prouver que
les idées gouvernent et bouleversent le monde, ou en d'autres
termes, que to~t le mécanisme social repose finalement sur des
opinions. Ils savent surtout que la grande crise politique et
morale des soci0tés actuelles tient, en dernière analyse, à
l'anarchie intellectuelle"
(2).
.../
(1)On sait que Comte n'a nommé comme son précurseur philosophique
que Condorcet à qui il rend toute justice et toute reconnais-
sance; et qu'il s'est refusé de rendre le m~me hommage à St-
Simon dont il a pourtant été le secrétaire. "Séduit par lui,
vers la fin de ma vingtième année, dit-il dans la préface du
TIll du Cours, mon enthousiasme jusqu'alors appliqué aux morts,
me disposa blentôt à lui rapporter toutes les conceptions qui
surgirent en moi pendant la durée de nos relations. Quand cette
illusion fut assez dissipée, je reconnus qu'une telle liaison
n'avait comporté, d'autre résultat que d'entraver mes médita-
tions spontanées antérieurement guidées par Condorcet, sans me
procurer d'ailleurs aucune acquisition (nous soulignons). Tandis
que dlvers contacts personnels me flrent alors obtenir des
éclaircissements secondaires, dont je me plus toujours à pro-
clamer les sources, celui-là résulta- dépourvu de tou te ef ficaci té,
réelle ou logique". A notre avis, ce jugement sévère de Comte
sur son maître ne se mesure que par l'ampleur de l'enjeu, C'est
le titre du fondateur du positivisme qu'il s'agit de défendre.
Car l'homologie entre les deux pensées est manifeste, m~me si
Comte, par sa grande connaissance scientifique, par la rigueur
de sa méthode et l'ampleur de son érudition a enrichi les voies
déjà tracées par St-Simon (certains textes tels que celui de
l'Industrie par exemple, ont été attribués tantôt à l'un, tantôt
à l'autre), Tous les deux ont eu un projet fondé sur l'espérance
que l'humanité. éclairée par la science, peut assurer le bonheur
de l'individu. Et G. Dumas a certainement vu juste lorsqu'il
écrivait: "Dans l'histoire des idées, St-Simon, avec sa pro-
duction désordonnée, ses livres inachevés, ses théories incomplète
apparaîtra toujours comme la première ébauche de Comte, ébauche
vague par endroits, hâtivement-dessinée par ailleurs, jamais
bien arr~tée dans ses lignes, puissante et géniale pourtant.
Sans lui, Auguste Comte aurait sans doute écrit et pensé, mais
jamais il n'eut certainement fondé la philosophie positive, ni
la religion de l'humanité".
(G. Dumas, Psychologie de deux
messies positivistes
Paris, 1905. p. 9).
(2)Philosophie première, Hermann, 1975, p. 38.

-
18 -
COMTE part donc du postulat qu'en toutes choses, la
théorie doit précéder la pratique, que tout régime social
est, de quelque manière, une application d'un système d'idées,
et que, par conséquent il est impossible d'instituer un régime
fiable, sans avoir auparavent mis sur pied le nouveau système
d'idées auquel il doit correspondre. La révolution philoso-
phique doit précéder la révolution politique et l'éclairer.
C'est en vue d'établir le nouveau système philosophique
préalable à la paix sociale que l'auteur, dans ses Ecrits de
Jeunesse va procéder à une autopsie de la société de son
époque. Toute société, constate-t-il, est régie par deux. prin-
cipes contradictoires: le bouleversement anarchique et l'or-
ganisation, la destruction d'un régime et la construction
d'un nouveau système. Tandis que le premier est facteur de
crise et de désordre, le second, qui gouverne et ordonne,
ouvre la voie à une situation paisible. Il aboutit à une cons-
tatation voisine de celle de DUNOYER qui écrit : "Il est pour
les peuples deux situations extrêmes qui semblent également
déplorables: l'une est celle d'un peuple absolument station-
naire ; l'autre celle d'un peuple tout à fait en révolution.
L'immobilisme du premier est ordinairement un signe certain
qu'il est retenu dans les chaines du despotism~ et de la supers-
tition. Les mouvements convulsifs du second indiquent assez
qu'il est livré à tous les désordres de l'anarchie. L'un tient
fortement à ses usages les plus puérils, à ses pratiques les
plus superstitieuses; l'autre ne tient pas même aux maximes
les plus fondamentales de l'ordre social; l'un est aveugle-
ment entraîné par l'habitude; l'autre ne cède qu'au mouvement
déréglé de ses .passions. Tous deux, au reste, sont excessi-
vement misérables et souvent l'on ne saurait dire quel est le
plus digne de pitié" (1)
Certes, les luttes et les contestations révolutionnaires
qu'a connues l'Europe, ont eu en leur temps une val~ur,posi-
tive parce qu'elles ont permis de remettre en question un
système social suranné : le système féodal. Seulement ces
soulèvements ne devaient être qu'une phase transitoire devant
déboucher sur un système nouveau. Malheureusement, la révolte
s'est perennisée et elle est devenue dysfonctionnelle au
point même de favoriser le maintien de "l'Ancien régime"
qu'elle voulait éliminer. La crise actuelle de la société
tient au fait que lé principe d'organisation n'.a pas encore
(1)
Dunoyer
Le Censeur, T 3. pp. 42 - 43

- 19 -
pris le dessus sur le principe de turbulence; qu'une nouvelle
tendance n'a pas encore réussi à prendre le pas sur la révo-
lution devenue "la maladie infantile" de l'époque. La crise
tient A l'absence d'un consensus social.
Car, si en trente ans après la Révolution, dix consti-
tutions républicaines se sont succédées les unes aux autres,
c'est parce que les deux catégories sociales en présence A
savoir, les peuples et les rois, unanimes sur le fait qu'une
réorganisation sociale s'impose, divergent sur la manière dont
il faut procéder. Les premiers sont mus par le principe de
déstabilisation et de renouvellement, les seconds par le prin-
cipe d'organisation et de conservation. Tandis que les rois,
méconnaissant l'irréversibilité de l'histoire et les progrès
de la science préconisent un retour en arrière, c'est-A-dire
au féodalisme, les peuples pensent au contraire que la réforme
sociale passe pat' la poursuite dans la lancée révolutionnaire
dont ils sont les instigateurs, alors qu'ils ignorent les condi-
tions fondamentales requises pour reconstruire d'une façon adé-
quate la société. Les rois, malgré leur prudence sont inaptes A
concevoir une organisation appropriée A l'état de développement
de la société; la manière de procéder des peuples s'avère
également défectueuse, malgré les c10ctrines nouvelles qu'ils
proposent, car la prétention de construire, de façon spontanée
dans un laps de temps très court, toute l'économie d'un système
social dans son développement intégral et définitif, est illu-
soire, parce que incompatible avec la faiblesse de l'esprit
humain. Le désordre actuel tient, en dernier ressort, à la
coexistence de ces deux tenaances contradictoires, A l'absence
d'une doctrine sociale commune. "Notre mal le plus grave
consiste en effet, dans cette divergence qui existe maintenant
entre tous les esprits relativement A toutes les maximes fonda-
mentales dont la fixité est la première condition d'un véritable
ordre social. Tant que les intelligences individuelles n'auront
pas adhéré par un assentiment unanime A un certain nombre
d'idées générales capables de former une doctrine sociale
commune, on ne peut se dissimuler que l'état des nations restera,
de toute nécessité, essentiellement révolutionnaire, malgré
.. .1

- 20 -
tous les palliatifs politiques qui pourront être adoptés, et
ne comportera réellement que des institutions provisoires" (1)
2°) La réforme intellectuelle
Pour réorganiser la société il faut donc commencer par
réorganiser le système des idées qui doit s'appliquer aux
institutions. Pas d'unité sociale sans unité mentale. Mais
comment réformer le savoir si on ne conna1t pas ses caracté-
ristiques présentes? Il s'avère donc nécessaire d'étudier
tout d'abord "l'état philosophique de l'Europe". Car si nous
pouvons nous rendre compte de l'état présent de cet ordre
d'idées, nous saurons avec certitude le point de maturité où
se trouve aujourd'hui la politique et ce qu'il nous est rai-
sonnabl~ment permis d'entreprendre pour l'amélioration de
l'ordre social
(2).
Une période de crise, dans laquelle se foisonnent des
idées qui ne pctrviennent ni à se cristalliser, ni à se systé-
matiser, tel est, actuellement, l'état philosophique de l'Eu-
rope. Et cette errance intellectuelle tient au fait qu'il y a
actuellement un décalage entre les opinions et l'état de déve-
loppement du Continent. Il y a, en termes marxistes, dyshar-
monie entre les forces productives et les rapports de produc-
tion, entre l'infrastructure et la super~·f~~cture.)L'industri-
alisation de l'Europe est allée de pai/t((vec l'~b;a\\lement des
1"
~,,~
1 .. ~
idées féodales et mi l i taires Sans qu' el'le n' aï~{' encore pu
asseoir un mode de pensée qui lui soi t \\~'~éq0{<~' est
pas besoin d'être fort éclairé pour s'a~~que cet état
provient de ce que le système qui a lié les iâèes morales et
politiques pendant vingt et deux siècles est détruit aujourd'-
hui, sans qu'il ait été remplacé par un autre" (3)
. ..1
(1) A. Comte - Philosophie première, Hermann, 1975, p. 38.
Dans les Ecrits de Jeunesse, Comte écrivait déjà "La
seule révolution qui nous convlenne, c'est la révolution
philosophique, un changement de système dans les idées ; la
révolution politique, le changement dans les institutions ne
peut venir qu'après". p. 72
(2) ibid, p. 77.
(3) ibidem

-
21
-
La conséquence de cette situation, c'est l'absence d'une
philosophie unitaire devant orienter nos actions.
Car de mode
de pensées il y en a, paradoxalement, à la fois trop et pas
assez: trop, parce qu'à la même époque coexistent des visions
du monde très variées et contradictoires ; pas assez parce
que la dernière forme philosophique, la seu~qui est appelée à
prévaloir conformément à l'ordre des choses et à l'état de déve-
loppement de l'Europe, n'a pas encore réussi à embrasser tous
les phénomènes, de façon à soumettre tous les esprits. " ••• je
crois pouvoir résumer exactement toutes les observations rela-
tives à la situation actuelle de la société, en disant simple-
ment que le désordre intellectuel tient, en dernière analyse,
à l'emploi simultané de trai.s philosophies radicalement incompa-
tibles : la philosophie théologique, la philosophie métaphysique
et la philosophie positive" (1)
La réforme intellectuelle suppose donc l'instauration
d'une nouvelle forme de pensée dont la tâche sera d'inventorier
tout le savoir humain et de le transformer en un système homo-
gène et cohérent, de façon à ce que les individus puissent
s'accorder SUl' les m~es questions, et qu'il se crée une unité
intellectuelle, En somme, plutÔt que de s'en tenir à une réponse
politique comme l'ont fait ses prédécesseurs de MAISTRE et
Louis de BONALD, respectivement le Plan d'un nouvel équilibre
de l'Europe, et dans les Réflexions sur l'intérêt général de
l'Europ~, COMTE s'évertue, tout en recourant au cadre parle-
mentaire, à asseoir la société future dans un système philoso-
phique non encore existant, et dont la constitu~ion requiert
deux conditions fondamentales.
a) La première consiste à compléter les idées positives par
l'extension de la méthode scientifique aux phénomènes qu'elle
n'a pas encore réussi à embrasser, c'est-à-dire les phénomènes
sociaux. Il s'agit par la fondation de la science de l'homme
ou i, la physique sociale", de réal iser l'idéal kant ien selon
lequel les phénomènes sociaux doivent être regardés comme aussi
réductibles à des lois naturelles que les autres phénomènes de
l'univers. C'est à cette condition qu'on peut asseoir une poli-
tique positive ou scientifique. "A l'époque o~ le régime social
(1)"colArs"I in Philosophie première, Hermann, 1975, p. 39.

cesse d'être fondé sur la loi du plus fort, pour se gouverner
uniquement d'après la loi des intér~ts communs, la politique,
considérée comme une branche de la connaissance humaine, doit
entièrement changer de caractère : elle ne doit plus avoir
d'autre but que la recherche du mode le plus avantageux sui-
vant lequel les hommes peuvent combiner leurs efforts, et elle
doit ~tre traitée uniquement par la méthode employée par les
autres sciences, c'est-à-dire la méthode d'observation. c'est
là ce que nous entendons par la politique positive, car nous
pensons qu'une fois la politique cultivée dans cet esprit et
de cette manière, elle méritera de prendre place au rang des
sciencès, et d'~tre regardée non comme aussi avancée, mais
comme aussi posi tive que l'astronomie, la chimie et la physio-
logie" (1)
Fonder "la physique sociale", telle est donc la première
mission que se donne A. C0l1TE qui écrit dans la troisième
lettre à M. d'EICHTHAL du 5 aoOt 1824 : "La véritable société
scientifique n'est pas encore tout à fait mare. Sans doute je
saisirai toutes les occasions de déterminer sa formation immé-
diate. Ce sera la grande affaire pratique de ma vie, mais
j'ai peu d'e.spoir d'y parvenir tout de suite". (2) Car pour
y parvenir il .faut d'abord étudier les sciences existantes de
façon à s'imprégner de leur méthode, puis saisir les lois qui
gouvernent la marche de l'humanité afin de prévoir le sens à
donner à nos activités futures. Ce projet est l'objet du Cours,
dont les trois premiers volumes essaient de dégager les carac-
tères de l'esprit positif à travers une exposition minùtieuse
des diverses sciences, tandis que les trois derniers tomes
instituent "la physique sociale" par l'application, aux faits
sociaux, des conclusions tirées des études précédentes. Dans
le Cours, COMTE amorce la réalisation d'un programme dont les
grandes lignes avaient été définies une dizaine d'années plus
tôt, notamment dans le Plan des travaux nécessaires pour réor-
ganiser la société publié en 1822.
. ..1
(1)\\\\La politique considérée comme science,/lEcrits de Jeunesse,
Ed. Mouton, 1970.
(2) Telle est la mission que s'était donné St-Simon, notamment
dans son Mémoire sur la science de l'homme, bien qu'il aurait
préféré volontiers l'expression "physiologie sociale" ou .
1
physiologie tout court/ à celle de "physique sociale".

- 23
En effet, dans cet "opuscule fondamental", l'auteur
affirmai t que le renouvellement des idées relève de la compé-
tence de "ceux qui ont l'éducation", c'est-à-dire ceux qui
savent raisonner et observer
selon le modèle scientifique :
les savants (1), lesquels sont destinés à constituer le nou-
veau pouvoir spirituel. C'est à eux que revient le droit et
le devoir de substituer leur savoir, le savoir positif, à la
théologie et à la métaphysique : et de remplacer le but mili-
taire de l'ancien système par le but industriel du nouveau.
Ils sont les plus
habilités à reformer l'ensemble de nos
connaissances dans le but de l'unité intellectuelle parce que,
théoriciens par définition, détenteurs d'un langage universel
et d'idées communes, ils forment "une véritable coalition,
compacte, active, dont tous les membres s'entendent et se
correspondent d'un bout à l'autre de l'Europe."
b) La seconde condition, c'est la constitution d'une encyclo-
pédie des idées positives. Le savant réformateur des idées,
donc de la société, ne doit pas se contenter de compléter le
registre des connaissances scientifiques par la fondation de
la science des faits sociaux. Il a aussi pour tâche, une fois
toutes les idées positives constituées, de leur trouver un
nouvel arr.311gement, d'élaborer une combinaison qui ait son
principe et ses faits, et qui constitue un tout régulier. Le
renouvellement des idées étant insuffisant pour la restaurati
sociale, le savant doit élaborer une science génératrice de l
poli.tique nouvelle. Et le but de cette science est d'inven-
torier, de structurer, bref de systématiser toutes les connai
sance9 positives.
Mais alors la question se pose de savoir à quels savants
physiciens, mathématiciens, biologistes ou astronomes -
revient-il le droit d'effectuer cette systématisation. Quelle
est cette nouvelle science qu'ils élaboreront par cette opé-
ration ~ A la première interrogation, COMTE répond, surtout
•••
Dans les lettres d'un habitant de Genève, St-Simon signalait
également l'2mportance des Savants dans la Société moderne
en tant que devant constituer le futur pouvoir spirituel. Il
va jusqu'à affirmer: "il faut que les physiologistes chasser
de leur société les philosophes, les moralistes et les méta-
physiciens"

- 24 -
dans le premier système : cette oeuvre exige le concours de
plusieurs esprits. "c'est l'ensemble du corps scientifique
qui est appelé à diriger les travaux théoriques généraux dont
la nécessité vient d'être constatée". Mais à prendre les mots
à la lettre, on s'expose à un contresens. Car par l'expression
"ensemble du corps scientifique", COMTE n'entend pas un collège
de savants constitué des hommes de science de son époque, mais
une nouvelle catégorie de savants qui, tout en n'étant spécia-
listes d'aucune des sciences déjà existantes, seraient pbly-
scientifiques~ Les savants dont il est question, ce sont ceux
qui se sont initiés à la méthode scientifique et non des spé-
cialistes d'une discipline: "Nous comprenons ici au nombre de
savants, conformément à l'usage ordinaire, les hommes qui,
sans consacrer leur vie à la culture spéciale d'aucune science
d'observation, possède la capacité scientifique, et ont fait
de l'ensemble des connaissances positives une étude assez
approfondie pour s'être pénétr~s de leur esprit et s'~tre fami-
liarisés avec les pincipales lois des phénomènes naturels" (1)
Le politique chez COMTE, c'est donc "le philosophe",
mais le philosophe tel qu'il est défini par cet auteur, c'est-
à-dire l'encyclopédiste. Chez COMTE, dit GILSON, "qui dit
philosophie dit encyclopédie et qui dit encyclopédie dit
en-
semble
de cO.'lnaissances homogènes (2). L'auteur insiste clai-
rement sur cette idée
que c'est au nouveau philosophe et non
au savant actuel d'effectuer la synthèse finale, dans la lettre
à VALLAT du 8 septembre 1824 ~ "J en' ai pas prét endu et je ne
prétends pas que les savants actuels doivent ~tre mis immédia-

tement à la politique ( ••• ). C'est la méthode employée par les
astronomes, les physiciens, les chimistes et les physiOlogistes,
qui doit être appliquée à la poli tique théorique ( ••• ) et non
les individus eux-m~es, qui y sont impropres dans leur état
actuel". En un mot, la science des sciences, celle qui condi-
tionne la restauration intellectuelle, et par conséquent so-
ciale, c'est le"nouveau système philosophique", la philosophie
positive ou "Science des idées générales et de leur influence":
.../
(1) Système de politique positive, T l, p. 92
(2) Gilson, la philosophie d'après A. Comte, p. 367

- 25 .
"sur quoi voulez-vous asseoir la politique, si vous n'avez
pas de philosophie, si vous n'avez pas de morale, s'il n'y a
pas une idée quelconque ou de foi quelconque ou de démonstra-
tion qui soumettent tous les ·esprits, qui leur serve de ral-
liement, et qui les rendent susceptibles d'une volonté commune.
Car c'est par dessus tout, ce qui est nécessaire, et c'est là
précisément ce qui nous manque; c'est ce qui ruine d'avance
toutes vos belles et chimériques institutions ; avant de créer
la liberté, une chose est absolument indispensable : faisons
la phi losophie de la liberté" (1).
Mais cette totalisation de la connaissance n'est-elle
pas elle-m~e chimérique 7 Disposons-nous d'un paramètre pour
jauger le caractère exhaustif du dénombrement des éléments à
réunir 7 La connaissance humaine étant en perpétuel devenir,
parviendra-t-on jamais à en faire la synthèse définitive 7
COMTE qui a évalué d'une manière très lucide la portée de son
entreprise reconnaît qu'elle était impossible jusqu'à lui
(c'est-à-dire jusqu'à St-SIMON) à cause de l'incomplétude des
idées positives. Mais la liste de celles-ci étant aujuourd'hui
close avec la fondation de la physique sociale, cette systéma-
tisation s'avère non seulement possible, mais nécessaire "•••
Tout en concevant que l'organisation d'un nouveau système phi-
losophique est indispensable et qu'une réunion d'efforts est
nécessaire pour l'exécuter, on demandera peut-~tre si le moment
est précisément arrivé d'employer ce moyen 7 oui, car c'est là
l'unique chose qui nous reste à faire. Les éléments du système
positif existent isolés; il ne s'agit que de les rassembler,
de produire la conception générale, et c'est pour cela qu'il
faut une réunion d'efforts" (2).
3°) La Systématisation
S'il est un mot qui résume avec le plus de fidélité la
méthode philosophique de COMTE c'est,ce nous semble, le mot
systématisation qui court tout au long de ses ouvrages. Et la
passion de l'auteur du cours pour cette opération s'explique,
• e,
(1) Ecrits de Jeunesse, Ed. Mouton, 1970, p. 78.
(2) ibid. p. 45.

-
2b -
pour une grande part, par l'influence, sur sa pensée, du
courant intellectuel de son époque.
En effet, le XIxe siècle ne fut pas seulement l'ère des
crises sociales. Elle fut aussi (surtout dans sa deuxième
moitié)
le moment, pour l'esprit, du bilan et de la récapi-
tulation. Après les grandes inventions et les grandes décou-
vertes - l a découverte de la terre désacralisée et devenue
objet d'exploration et de science ; le couronnement des recher-
ches de COULOMB, de NEWTON ••• ; les efforts en mécanique
(avec l'essor de la balistique), en astronomie, en barologie __
il s'agissait de ramasser tous les acquis humains et d'en
constituer une complète encyclopédie. Le monde tout entier
était conçu comme un système dans lequel il fallait saisir des
constances au-delà des disparités, lesquelles ne
représentent,
en fait que des variations périodiques.
Tous les grands esprits de l'époque, DIDEROT, d'ALEMBERT,
KANT, HEGEL •••• et St-SIMON et COMTE (1) partageaient la
commune conviction que les changements, les évolutions, de
quelque nature qu'ils soient, recouvrent des constantes, des
invariants. Bref, tout se passe comme si dans la période allant
de la crise sociale à sa solution, le savoir subissait la
dictature de la systématisation, opération intellectuelle
considérée comme la tendance la plus naturelle de l'homme.
"L'homme, écrivait St-SIMON, est si enclin à systématiser,
c'est-à-dire à coordonner les idées qu'il produit et les faits
qu'il observ.?, il a un si vif désir de connaitre la liaison
qui existe entre l'objet qui l'occupe et l'ensemble des choses,
qu'une idée, qu'un fait isolé, quelque intéressant qu'il soit,
est très froidement accueilli, s'il n'est point généralisé,
en cas que son essence soit la particularité".(2)
••
(1) St-Simon, Introduction aux travaux du XIXe siècle p. 216
(2) Une telle affirmation peut donner lieu à un débat philosophiqu
très important parce qu'elle comporte beaucoup de philosophème
elle postule l'existence d'une tendance natul"elle chez l'homme
(ce qui est contestable) ; fait du désir Ge-l'unité cette
tendance (une affirmation gratuite)
: et insinue l'idée de la
Science caractérisée par la généralisation et le respect du
principe d'identité (c'est l'objet de la polémique entre
G. Bachelard et E. Meyerson).

- 27 -
Dans le Traité des Syst~mes, ouvrage de référence de
COMTE, CONDILLAC avant St-SIMON définissait le système:
"un système n'est autre chose que la disposition des diffé~
rentes parties d'un art ou d'une science dans un ordre où
elles se tiennent toutes mutuellement, et où les dernières
s'expliquent par les premières ~ •• ". Et,ajoutait-il un peu
plus loin, "une science bien traitée est un système bien fait.
Or dans un système il y a en général deux
choses, les prin-
cipes et les conséquences ( ••• ) lorsqu'on se met en peine des
principes, ce qui est assez ordinaire, les systèmes se font
tout seuls •.. Observez l' espri t humain, vous verrez dans chaque
siècle,que tout est système, chez le peuple comme chez le
philosophe" (1).
Ainsi, pour COMTE, comme pour ses contemporains, penser,
c'est ordonner; rationaliser, c'est unifier; l'unification
est la forme d'explication la plus parfaite. Le philosophe
est un architecte, un constructeur de système (2). Le projet
philosophique de COMTE est un retour au cartésianisme qui
n'est en fait qu'un retour à l'Antiquité grecque. Car si
l'auteur du Discours est le premier à 'promettre explicitement
un système général rationnel et confirmé par l'expérience,
c'est aux penseurs grecs SOCRl'iTE et ARISTOTE que revient le
mérite d'avoir inauguré le savoir unifié, en commençant par
lier systématiquement les idées qui jusqu'à eux n'avaient été
qu'accolées; même si SOCRATE a eu tort d'avoir développé la
métaphysique. "Ainsi les travaux de SOCRATE et ses successeurs
peuvent être considérés, à volonté, comme destructeurs et
comme organL;ateurs." (3)
Car si les deux élèves de SOCRATE, PLATON et ARISTOTE
divergent dans leur conception du monde, ils sont tous d'accord
.. .1
(1) Condillac, Traité des systèmes in Corpus général des philO-
sophes français, Paris, PUF, 1947, p. 121 et p. 216.
(2) st Simon et Comte comparent eux-m~es leur système à un édifice.
Le premier écrit dans l'Introduction aux travaux du XIxe siècle
p. 143 ,"Je me représente l'anclen système comme un vaste bâti
ment couronné d'une construction élevée telle qu'un clocher
dominant une église ... "; et le second dans les Ecrits de J euness
p. 45 "Pour bâtir sur un terrain encombré, il faut commencer
par le déblayer, c'est ce qu'ont fait les philosphes depuis
Bacon ; mais en même temps ils ont construit les matériaux d'un
bâtiment nouveau. C'est à nous de les rassembler, de les lier
et d'élever l'édifice".
(3) Ecrits de Jeunesse, p. 44.

- 28
pour considérer la philosophie comme un savoir unifié, coor-
donné, systématisé. Le positivisme, sur ce point, est donc la
version moderne de cette forme de pensée, puisqu'il n'est en
fait ni une science, ni m~me une philosophie des sciences, mais
une philosophie tout court. Nulle part, dans le Cours, dans le
système ou dans le Catéchisme, COMTE ne remet en cause la
définition traditionnelle de la philosophie. Son but essentiel,
c'est la systématisation de la vie humaine. "J'emploie le mot
philosophie dans l'acception que lui donnaient les anciens et
particulièrement ARISTOTE, comme désignant le système ~énéral
des conceptions humaines ; et en ajoutant le mot positive,
j'annonce què je considère cette manière spéciale de philosophe
qui consiste à envisager les théories, dans quelque ordre
d'idées que ce soit, comme ayant pour objet la coordination des
faits observés, ce qui constitue le troisième et dernier état
de la philosophie générale". Et dans le système il précise:
"La vraie philosophie se propose de systématiser, autant que
possible, toute l'existence humaine, individuelle et surtout
collective, contemplée à la fois dans les trois ordres de
phénomènes qui la caractérisent, pensées, sentiments et actes"
(1). En un mot, l'entreprise de COMTE est une entreprise de
synthèse qui se présente sous deux formes.
4°) synthèse objective et synthèse subjective
a) Ce qui caractérise la doctrine de l'auteur du Cours,
c'est donc, de toute évidence, le primat de la synthèse sur
l'analyse, du tout sur la partie. Les productions intellec-
tuelles, scientifiques, esthétiques et techniques suivent la
même marche qui consiste invariablement à "induire pour déduir
afin de construire". Le début de toute méditation est synthé-
tique, pui~:qu'on part toujours de la contemplation d'images
concrètes. L'achèvement du travail mental doit l'~tre aussi;
on doit déboucher sur une image théorique. Mais alors, quel
est le modèle de référence de COMTE ?
.. '
(1) cf. Cours, Avertissement et Discours sur l'ensemble du posi-
tivisme, Paris, Société positiviste internationale, 1907,
p. 8. (c'est nous qui soulignons).

- 29 -
Depuis le XI Xe siècle, trois modèles de synthèse se
sont succédés: le modèle biologique qui consid~re l'homme
comme un €otre
vivant, un organisme dont les attributs
(psychisme, groupe, langage) sont pensés en termes de fonction
suivi du modèle économique qui fait de l'homme et ses activités
le lieu de conflits manifestes ou latents ; et enfin le modèle
linguistique qui a pour centre d'analyse la recherche des
significations des discours et des actes. "On pourrait peut-
être retracer toute l'histoire des sciences humaines depuis
le XIXe siècle, à partir de ces trois modèles. Ils ont couvert
en effet tout le devenir puisqu'on peut suivre depuis plus
d'un siècle la dynastie de leur privilège: le règne d'abord
du modèle biologique ( ••• ) : puis vient le règne du modèle
économique : et enfin, - tout comme FREUD vient après COMTE
et MARX - commence le règne du système philologique ( ••• ) et
linguistique ( ... )" (1). La base de la théorie positiviste de
la synthèse est donc à rechercher dans le domaine biologique.
En effet, la vie comme objet de la biologie ne se
définit pas par opposition à la mort, mais par une synthèse
entre le vivant et son milieu, deux éléments inséparables
dans la philosophie biologique d'A. COMTE. Il faut noter qu'à
l'époque du fondateur du positivisme, de BLAINVILLE venait de
faire la synthèse-des conceptions statique et dynamique. Et
"cette systématisation était alors devenue le principal besoin
de la partie synthétique de la philosophie naturelle. Elle
convenait donc à l'esprit le plus coordinateur qui ait cultivé
la biologie depuis ARISTOTE, si l'on excepte BICHAT, dont
l'universelle prééminence, autant déductive qu'inductive,
exclut toute comparaison." (2).Ce que COMTE retient de la
biologie d'a~ors, c'est la conciliation de l'ordre et du
progrès, du statique et du dynamique: le primat de l~orga­
nisme sur l'organe, et la corrélation nécessaire entre les
différentes parties du vivant: car en biologie, l'étude des
détails n'a d'intérêt que si elle conduit à dégager la notiop
de l'ensemble: et l'état systématique de la biologie tient
au fait qu'elle considère chaque fonction comme le résultat.../
(1) M. Foucault. Les Mots et les choses, p. 371
(2) Système de politique positive l, p. 643.

d'une relation déterminée entre le milieu et l'organisme,
entre le monde extérieur et .le monde intérieur, entre l'ob-
jectif et le subjectif.
b) Pour se faire une idée assez précise des rapports
entre l'objectif et le subjectif et du sens de ces termes
dans la théorie de COMTE, un rapprochement s'impose, auto-
risé par l'auteur lui-m~me, et sans lequel sa pensée perdrait
une grande partie de sa signification, surtout à partir de la
58e leçon, leçon qui est à la charnière de la synthèse objec-
tive et de la synthèse subjective. Il s'agit évidemment de
KANT et de la similitude. ou en tout cas de l'analogie'.qui
existe entre les idées de la Critique de la raison pure ou
de la Critique du Jugement, et celles du père du positivisme.
certes, COMTE qui n'a lu KANT que dans l'Opuscule de 1784
(grâce à M. d'EICHTHAL). (1) n'a dQ ~tre au courant de l'en-
semble de sa conception que "d'après quelques renseignements
très imparfaits "comme il le dit lui-m~me à STUART MILL le
23 décembre 1843 : "le dernier penseur éminent quim'ait pré-
cédé, KANT, autant que j'en puisse juger sans l'avoir lu, en
devinantrl'ensemble de sa conception d'après quelques rensei-
gnements imparfaits, me paraît n'avoir manqué la constitution
finale de la philosophie, dont il s'est à divers égards tant
approché, que par cette irréparable lacune qui d'ailleurs ne
pouvait ~tre comblée que sous la secrète impulsion logique du
grand ébranlement révolutionnaire" (2). En outre, le Français
dont les connaissances philosophiques étaient limitées, ne
disposait pas de tous les termes techniques dont s'est servi
l'homme de KBnigsberg. Toutefois des rapprochements fort
éclairants peuvent s'opérer entre ces deux auteurs.
Les travaux des penseurs, depuis ARISTOTE jusqu'à HUME
ont permis de distinguer, à propos de la connaissance humaine
et de la réalité, les deux parties systématisées par KANT SOU!
(1) cf. lettr,e à Gustave d' Eitchthal du 5 aoQt 1924
(2) Il est à n.:.ter que Comte ne lisait pas allemand.

- 31 -
les termes d'objectif et de suhjectif (1), J,a matière de
toute connaissance provient de l'expérience, c'est-à-dire,
du monde extérieur, Il n'y a rien dans l'esprit, disait les
Anciens, qui n'ait d'abord été dans les sens, Sont donc
objectifs pour eux les matériaux qui existent hors de l'esprit
et indépendamment de la connaissance qu'en a le sujet pensant,
Mais, dit KANT, c'est grâce à des cadres innés de l'esprit, à
savoir, "les formes a priori de la sensibilité" (espace et
temps, conditi.ons de l'expérience), et "les catégories de
l'entendement" (quantité, 'lualité, relation, modalité) que
ces matériaux (en tant que "phénomène" et non sous forme
"nouménale") vont prendre forme et rationalité~ Ces cadres
sont subjectifs. Le propre de l'entendement, c'est la faculté
de synthèse (2). Mais la réalité n'a pour nous aucune existence
obj ect ive en dehors de l' act ivi té du suj et ; nous sommes dans
l'impossibilité de connattre la chose en soi car, si le phénomèn.
n'est pas une apparence mais une apparition, il n'est saisi
que d'une façon refractée, à travers les "lunettes" que cons-
tituent nos sens. Ainsi, KANT concilie l'extérieur et l'inté-
rieur, l'objectif et le subjectif. Car, des deux faces de la
réalité ainsi distinguées, "aucune n'est préférable à l'autre.
Sans la sensibilité aucune connaissance ne nous ~rait donnée,
sans l'entendement nul concept ne serait pensé. Des idées sans
matière sont vides, des intuitions sans concepts sont aveugles'(~
COMTE résume cette théorie kantienne de la connaissance
par ce qu'il appelle "La célèbre conception de la double réalité
..-,
"8ette explication,
celle de Leibniz
qui se bornait réellement
à mieux développer l~ maxime d'Aristote, fut· complétée par Kant,
d'après son immortelle distinction entre les deux réalités,
objective et ~ubj~ctiv~, de chaque conception humaine".
Catéchisme, f"J.am, rnb, p. 85
Pour comprendre cette théorie "il faut d'abord recourir à la
lumineuse distinction gén'érale ébauchée par Kant entre les deux
points de vue obj (~ct if et subj ect if, propres à une étude quel-
conque"
Discours sur l'esprlt positif, 1ère éd. 1898, p. 37.
(2) Kant définit la synthèse da.ns la cri tique de la Raison P)Jre ;
"j'entends par synthèse, d;~ns le sens le plus général de ce mot,
l'acte d'ajouter lrune-à l'autre diverses représentations et
d'en comprendre la diversité dans une connaissance" PUF, 1971,
p.
92.
Kant. Crit.iqu~: de la Raison J'ure, Flammarion, p. 110 -

à la fois objective et subjective", sans que sa théorie ne

soit une copie de celle de son prédéces~eur. Entre les deux
penseurs, il faut distinguer héritages de mots et héritages
d'idées; et consi.dérer les approximations terminologiques
chez le second, comme révélant des points de vue nouveaux,
des dépassements des idées kantiennes, et non comme leurs
simulacres. D'ailleurs, les deux auteurs ne partent pas des
mêmes interrogations. La question à laquelle KANT s'est ef-
forcé de répondre, à ce niveau est : "que pouvons-nous connaî-
tre 7", tandis que celle qui a préoccupé COMTE est, à notre
avis: "qu'avons-nous besoin de connaître 7". Ce qui est point
d'arrivée pour le premier est pour le second, sinon tout à
fait un point de départ, du moins un point de relais.
Ceci dit, COMTE s'appuie délibérément sur la théorie
kantienne de la connaissance à partir de la 58e leçon du
Cours. Seulement, il y introduit un paralogisme. Les termes
objectif et subjectif sont pris dans leur acception ordinaire
telle que nous les avons défini plus haut, chez les Anciens -
acception dans laquelle le monde des objets n'est pas considéré
comme un produit de l'activité de l'esprit parce qu'on lui
suppose une existence indépendante de son idée. Or cette
conception n'est pas exactement celle de KANT. Ce dernier,
en disant que la réalité est à la fois objective et subjective,
entend autre chose que ce que pense COMTE. L'Allemand veut
signifier que la réalité doit son objectivité à l'activité du
sujet universel, alors que le Français comprend qu'il y a deux
aspects constitutifs de la réalité : le monde extérieur et
l'homme. Ce qui amène ce dernier à établir une équation terme
à
terme, entre d'une part l'objectif et "la constitution exté-
rieure", et d'autre part le subjectif et "la constitution inté-
rieure". Et c'est sur la base de cette équation que COMTE a
été conduit à réduire to~e l'existence à la relation organisme
milieu. L'auteur est très explicite à ce propos :"Toutes nos
spéculations quelconques sont donc profondément affectées
aussi bien que tous les autres phénomènes de la vie par la
constitution extérieure qui en détermine le résultat personnel,
sans que nous puissions jamais établir, en chaque cas, une
exacte appréciation partielle de l'influence uniquement propre
à chacun de ces deux inséparables éléments de nos impressions
et de nos pensées"
(1).
• •• 1
(1) Cours de philosophie positive, VI,
p. 671

- 33 -
-- La synthèse objective, objet des six volumes du Cours
de philosophie positive est donc celle qui vise la saisie de
l'ordre extérieur. Car la nature n'est pas chaotique. Elle est
régie par un ordre que la science peut nous révéler, à condi-
tion qu'elle cesse d'être une vaine recherche des causes pour
se donner pour but la découverte des lois, c'est-à-dire, des
relations nécessaires et invariables qui existent entre les
phénomènes. Pour saisir l'ordre extérieur, il faut donc pro-
céder à une étude des diverses sciences afin de dégager la
méthode scientifique qui, dans un premier temps, se confond
avec la méthode objective, laquelle a pour modèle la première
des sciences, celle qu'admirait DESCARTES, celui "qui entre-
prit d'abord la plus forte construction objective qui ait
jamais été conçue"
(1)
: les mathématiques. La synthèse objec-
tive est, à quelques nuances près, le Discours de la méthode
de COMTE. A quelques nuances près, parce que, pour le père du
positivisme, il n'y a pas de méthode scientifique en soi.
D'abord parce que chaque science utilise, compte tenu de son
objet, une méthode spécifique. Ensuite et surtout parce que
la méthode qu'utilisent les diverses sciences ne leur appar-
tient pas. Elle est empruntée à l'esprit scientifique, à
l'esprit positif.
C'est pourquoi la méthode positive est en
d'autres termes l'étude de l'esprit, de ses manifestations, de
ses cheminements. Dans cette synthèse caractérisée par la pré-
éminence de l'esprit, la démarche consiste, après avoir établi
une distinction entre l'abstrait et le concret, à aller de la
connaissance du monde à celle de l'homme, du plus simple au
plus complexe. Il s'agit d'abord de découvrir les lois des
phénomènes, puis de compléter la liste des productions de
l'esprit, productions qui sont insérées dans un tout cohérent.
En un mot, la synthèse objective, c'est la systémati-
sation des pensées sous l'égide de l'esprit mathématique, de
la logique scientifique. Elle constitue la fondation épistémo-
logiqUe du positivisme (que nous examinerons plus en détail
ultérieurement) et comporte deux mouvements: d'abord l'obser-
vation du monde - objet: c'est le contenu des tomes l, II et
III du Cours de philosophie positive ou encore "la philos~phie
. ..1
(1) Système de politi~ue positive, t l, p. 583.

- 34 -
première". Puis le passage du monde à l' homme-obj et avec la
fondation de la "physique sociale"
: c'est l'objet des tomes
IV, V et VI du Cours. Ce qui caractéris~ ces deux mouvements,
c'est l'étude objective des phénomènes (monde et homme consi-
dérés comme objet) ; et surtout le passage du concret à l'abs-
trait. Dans la "philosophie première"
le monde concret est
aI'préhendé par les sciences physiques et naturelles comme
abstrait, tandis que dans la sociologie, c'est l'homme concret
qui est ainsi traité.
-- La synthèse subjective, objet du système de politique
positive (1) vise au contraire
l'ordre intérieur. Caracté-
risée par la prééminence du coeur, cette synthèse, dont la
démarche consiste à aller de l'homme vers le monde, à appré-
hender le monde et l'homme abstraits comme conc~ets,
a pour
but la systématisation des principes de l'existence humaine,
c'est-à-dire l'amour et l'humanité. Car ce qui doit orienter
nos actions, ce n'est pas l'intelligence mais le sentiment.
Mais la synthèse subjective n'est ni un retour à la métaphy-
sique, ni une légitimation de la psychologie en tant que
quiétude de la vie intérieure. Ces deux formes de pensée
constituent au contraire les cibles de prédilection de COMTE.
Il s'agit ici d'une subjectivité éclairée par l'esprit avec
lequel elle entretient des
rapports privilégiés. Mais quels
rapports ?
Nous en venons à la définition de la synthèse positive,
celle qui établit les rapports entre les synthèses objective
et subjective. A ce propos, un retour au rapprochement entre
KANT et COMTE s'impose. Le premier, avons nous dit, s'est
efforcé de mettre fin au débat stérile entre les empiristes
(comme J. LOCKE) et les idéalistes (comme LEIBNITZ) en conci-
liant l'extérieur et l'intérieur. Autour de la 58e leçon du
Cours, COMTE a compris qu'il devait quitter le point de vue
passif de la théorie pour la participation plus active de
l'amour qui doit être animé par la foi. Seulement, il est
. . .1
(1) Il fallt noter que le point de vue subjectif est abordé à
partir de la 58e leçon du Cours, qu'il se précise à partir
du système, el se développe dans tous lesèécrits de maturité
de COMTE: le Discours sur l'es~rit positif, le catéchisme
positiviste et surtout la sfnth se subjective dont, malheu-
reusement, l'auteur ne publla que le premler tome avant sa
mort.

- 35 -
demeuré d'une façon confuse dans le sillage de la pensée de
KANT puisqu' il!:' es t. lui iJllSS i, efforcé de tenir la balance
égale entre l'objectif et le subjectif.
Mais il apparatt à l'analyse que le but ultime de la
synthèse positive n'est pas l'établissement d'une quelconque
complémentarité entre l' abstrai t et le concret. Le compromis
établi dans la 58e leçon entre l'objectif et le subjectif
n'est que provisoire; et c'est à tort que des interpr~tes
autorisés de COMTE, tels que P. DUCASSE dans Méthode et
Intuition et G. DAVY (1) Y ont vu le but final de la synthèse
positive. C'est pourquoi P. ARNAUD dans le Nouveau Dieu pense
qu'il est plus judicieux de situer la forme achevée de la
synthèse subjective à partir du système de politique positive.
Dans cet ouvrage, dit-il, la relation entre l'objectif et le
subjectif est ainsi établie: entre
l'ordre extérieur et
l'ordre intérieur, il n'y a de relation ni de coexistence, ni
de complémentarité. L'ordre subjectif ne se juxtapose pas à
l'ordre objectif comme un élément qui en vaut un autre. Le
second "succède" au premier (2), se substitue à lui. La cons-
titution de la synthèse su_bjective suppose forcément l'inter-
diction de toute dichotomie. Il n'y a plus d'un côté, la
réalité telle que la science objective, et surtout les savants
de son époque, en dévoilerait l'essence grSce à la méthode
ana lyt ique ; et de l'autre, l'intériorité. le point de vue
humain, qui serait le champ de la morale et de la religion.
Certes, le point de vue objectif, tel qu'il apparatt dans le
cours était nécessaire à un moment donné, en tant que régissant
les études préliminaires, en tant que fondation de l'édifice.
Mais une fois cette phase préliminaire achevée, le modèle
scientifique est égalemen t "radicalement épuisé". (3)
Il nous semble toutefois que cette controverse entre
DUCASSE et DAVY d'une part, et ARNAUD de l'autre, est auto-
risée par les textes de COMTE qui insistent tantôt sur l'idée
.../
(l) cf : P. Ducassé, Méthode et Intuition, p. 6 et G. Davy, Revue
philosophique, numéro spêclal, 1958, p. 58
(2) Système de politique positive - t II, p. 337.
(3)
ibid.
t l, p. 73 cf. Arnaud, le Nouveau
Dieu,Vrin, 1973, pp. 533 - 34.

- 36 -
de "succession" (dans le système), tantôt sur celle de "conci-
liation" (dans
le Discours sur l'ensemble du positivisme qui
pourtant est un prélude au système). A not re avis, le point
sur lequel on gagnerait à mettre l'emphase, c'est la nécessaire
"subordination" de la synthèse objective à la synthèse sub-
jective dans la phase ultime du positivisme.
précisons. La synthèse objective est provisoire parce
que, synthèse au premier degré, elle ne répond pas au problème
essentiel de COMTE qui est, faut-il le rappeler, "en quoi
consiste le noeud fondamental du problème de l'Humanité ?"
Elle s'avère pour la résolution de ce problème,une condition
nécessaire mais non suffisante, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord parce que la science est relative et que par
conséquent, une coordination objective absolue est impossible.
C'est pour avoir méconnu ce caractère fondamental de la connais-
sance scientifique que les savants de son époque ont nourri, au
départ, l'espoir de trouver obj ectivement, en de;lOrs de l' huma-
nité, le principe coordinateur des pensées. Ayant renoncé à
trouver une volonté extérieure gouvernant le monde, ils ont
cru, obnibulé par la recherche des lois, qu'ilS pourraient
découvrir un phénomène dont les autres seraient déduits;'
"L'insuffisante éducation des Savants actuels nous a donné lieu
de signaler, à ce sujet, surtout chez les
géomètres, une
aberration trop commune, radiCalement funeste à' la véritable
rationalité, par suite d'une vicieuse exagération qui dispose
à chercher partout, d'après de vaines hypothèses, une chimé-
rique unité" (1). Il ne saurait y avoir un NEWTON des pensées,
pas plus qu'il n'y a un "NEWTON du brin d'herbe".
Et à supposer que le savant prenne conscience du carac-
tère relatif de son savoir, et qu'il considère la recherche .. .1
(1) Cours, T VI, p. 648 - cette critique dont on trouvera de
longs développements dans la synthèse subjective, s'adresse
aussi indirectement à St-Simon qui pensait (comme nous le
verrons plus loin) qu'on pouvait substituer la loi de Newton
à l'idée de Dieu. Car cette loi permet non seulement de cal-
culer avec une approximation suffisante (pour l'époque) les
mouvements des corps célestes, mais aussi de saisir, objecti-
vement, les liens entre toute une série de phénomènes terres-
tres comme les marées, la précession des équinoxes etc •••
Si donc, pensaient les savants, on découvrait une autre loi
qui permettait d'embrasser non seulement les cas particuliers,
mais la totnlité des phénomènes de l'univers. on aurait atteint
le but supttme de la science.

- 37 -
des lois comme une approximation de la réalité, cette nouvelle
attitude demeurerait insuffisante pour la réforme intellec-
tuelle requise pour l'ordre social universel. Car la science,
de quelque façon qu'on la considère peut donner lieu à une
culture illimitée. Que de théories ont été et continuent
d'être découv·ertes sur le seul phénomène de la masse! (1)
En
un mot nos conceptions sur le monde extérieur n'ont cessé de
s'élargir; mais elles ne sont que depuis peu satisfaisantes.
En outre, parce que les savants étudient un ordre exté-
rieur à l'homme, ils tendent de plus en plus vers la spécia-
lisation. Or se spécialiser, c'est se resserrer dans les
limites exigées par l'objet unique de son étude, au risque
de s'égarer dans des minuties qui ne sont pas de nature à
favoriser l'unité mentale. Moralité: le savant traditionnel
doit @tre écarté de la politique, car on peut avoir un esprit
scientifique, on peut m@me passer condamnation sur toute
tentative de coordination objective absolue, et cependant
consacrer sans le savoir la perpétu_elle dispersion des
pensées. La synthèse objective, telle qu'elle apparaît dans
"la philosophie première" est incapable de résouJre le problème
fondamental de l'humanité, car la science n'est ni toute la
connaissance, ni m@me la destination exclusive de l'intelli-
gence. Elle n'épuise pas le réel. Il n'y a pas de science qui
ne soit en réal ité inférieure à sa défini tion : "Relativement
à la marche de la rationalité, l'incompétence de la science
fondamentale est assez caractérisée par son impuissance à
susciter, et son insuffisance à représenter, le résumé géné-
ral (induire pour déduire, afin de construire) exclusivement
émané du suprême domaine encyClopédique" (2)
Dans le meilleur des cas, la naissance de la science de
l'homme pouvait montrer, comme elle l'a fait du reste, la
nécessaire subordination de la synthèse objective à sa desti-
nation sociale. Cette nouvelle science amène, sans doute, à
concevoir le perfectionnement de l'espèce humaine comme la
destination de toute ~ctivité intellectuelle ou pratique.
Elle permet m~me de se représenter le caractère général
de ce perfectionnement qui doit résulter, comme nous l'avons.. .1
(1) cf. G. Bachelard, la philosophie du non, analyse du concept
de masse.
(Ii) Discours sur l'ensemble du positivisme, 1900, p. 735

- 38 -
indiqué, de l'ajustement des idées aux exigences des forces
productives. "La coordination positive de tout le domaine
intellectuel se trouve ainsi d'autant mieux assurée que cette
création de la science sociale, en complétant l'essor de nos
conceptions réelles, leur imprime aussi le caractère systé-
matique qui leur manquait encore, en offrant nécessairement
le seul lien universel qu'elles comportent". (1)
Mais force est de reconnaître que la systématisation
des pensées n'est pas la systématisation de l'existence humaine,
laquelle existence comporte trois dimensions : pensée, sen-
timent et acte. "Mais une telle coordination serait encore
16in de présenter l'entière universalité sans laquelle le
positivisme resterait impropre à remplacer entièrement le
théologisme dans le gouvernement spirituel de l'humanité. Car
elle n'embrasserait point la partie vraiment prépondérante de
toute existence humaine, la vie affective".(2)
C'est pourquoi dans la synthèse subjective COMTE fait
une grande part au coeur. La fàiblesse de notre intelligence
et la force de nos instincts égoïstes (contenus dans l'ordre
extérieur) sont tels qu'il est impossible de contenir les
divagations théoriques sans avoir systématisé le principe de
l'existence humaine, c'est-à-dire, l'amour (3). Sertes, la
raison a un impact bénéfique sur le coeur. Elle éclaire son
exercice à l'aide des indications du passé sur l'avenir. Le
dehors règle le dedans, l'extérieur fournit à l'intérieur
"l'aliment, le stimulant et le régulateur" de ses actions. Le
cerveau doit être le reflet fidèle de l'ordre naturel.
Mais l'esprit qui n'a que de la lumière et à qui il
manque de l'impulsion doit se subordonner au coeur, source de
l'inspiration. Il n'est donc pas destiné à régner mais à .. .1
(1) Discours sur l'ensemble du positivisme, 1900, p. 12
(2)
ibid - c'est nous qui soulignons
(3) C'est surtout après "l'année sans pareille'~ celle qui a connu
sa relation avec Clotilde de Vaux, que Comte saisira l'impor-
tance de l'amour dans l'existence humaine. Il exhalte la poésie
et fait de la femme aussi bien que du prolétaire les associés
privilégiés du positivisme; la femme parce qu'elle incarne
l'affectivité, le prolétaire parce que son esprit est comme
une table rase. "le positivisme religieux commença réellement
••• quand mon coeur prononça inopinément la sentence
caractéristique
on ne peut pas toujours penser, mais on peut
toujours aimer"
5e Société Clotilde, p. 140.

- 39 -
servir le sentiment, sans le subir. "En effet, si le coeur
doit toujours poser des questions, c'est tORjours à l'esprit
qu'il appartient de les résoadre ••• En un mot, l'esprit doit
toujours ~tre le ministre du coeur et jamais son esclave" (1)
Et la mission du coeur n'est pas de consoler l'esprit mais de
le retenir sur la pente fatale où il glisse quand il oublie
sa vraie vocation. Son rôle fondamental est, tout en empêchant
l'intelligence de "trahir" l'Humanité, d'inspirer "l'amour pour
autrui". En ce sens, la synthèse subj ecti ve débouche sur la
morale positj're à laquelle doit ~tre subordonnée la politique
et dont le principe fondamental est le primat de l'altruisme
sur l'égo'isme. "Le positivisme conçoit l'art moral comme
consistant à faire, autant que possible, prévaloir les ins-
tincts sympathiques sur les pulsions égoïstes, la sociabilité
sur la personnalité"(2). Or toute morale suppose un être
supérieur qui garantisse la table de ses valeurs. Le positi-
visme suppose donc une religion.
5 0) La religion
Peu avant sa mort, S t~ S HION résumait en ces termes
l'ensemble de ses travaux : "J'ai voulu essayer, comme tout
le monde, de systématiser la philosophie de Dieu ; je voulais
descendre successivement du phénomène univers au phénomène
solaire, de celui-ci au phénomène terrestre ; ec enfin à
l'étude de l'espèce considérée comme une dépendance du phé-
nomène sublunaire, et déduire de cette étude les lois de
l'organisation sociale, objet primitif et essentiel de mes
recherches"
(3). Le programme de COMTE est analogue à celui
de son maître, même s'il en diffère dans l'exécution. Et s'il
est un mot qui a concentré le plus de philippiques contre
l'auteur du Catéchisme, c'est bien le mot religion, concept
organisateur de ses écrits de maturité (4).
. . .1
(1) ibid pp. 19 - 20
(2) ibid p. 97
(3) cité par H. Gouhier, La jeunesse d'A. Comte ••• ,Vrin,1960,
T II,
p. 273
(4) cf. Ecrits de Littré. Renouvier par exp~ple écrivait en 1897
dans le T IV de la philosophie analytique de l'histoire à la
page 226 : "La rellglon posltlvlste est la partie la plus
intéressante du positivisme. Elle en compose une phase seconde
qui est la plus violente et la plus extraordinaire négation de
la ph.ase première". tl es t évident que ce penseur n'a pas
compnsle positivisme de Comte.

- 40 -
En effet, l'époque corltemporaine consacre la déroute de
la divinité. Le développement des sciences est allé de pair
avec la désagrégation de l'idée de Dieu. C'est ce que consta-
tait déjà St-SIMON pour qui l'histoire moderne se compose de
deux moments: le premier dominé par les déductions de l'es-
prit prioricien organisant le monde sous le règne de Dieu ;
et le second (l'actuel) occupé par les analyses de l'esprit
postéricien qui élabore peu à peu l'univers sans Dieu (1).
Or pour COMTE, ce qui caractérise l'état irréligieux, c'est
l'absence de sentiments communs, et d'opinions acquérant
l'adhésion de tous les esprits; bref l'indisçipline de la vie
pratique. Sans transcendant, tout est permis. L'irréligiosité
est
donc ce qui fournit le caractère de la situation de
l'époque et le bonheur serait illusoire tant qu'on ne sera
paS arrivé à un état religieux permanent. C'est pourquoi, pour
COMTE, le problème de la régénération de la société se résume,
en dernier ressort, dans ce seul mot de religion. Qu'est-ce
alors que la religion positiviste?
Pour y répondre, il convient de saisir les relations
entre COMTE et ses prédécesseurs, St-SIMON et HEGEL, en matière
de religion. Pour le premier, la religion n'a pas pour carac-
téristique essentielle l'adoration de Dieu. Elle est le système
à travers lequel les hommes d'une époque, les savants surtout,
se représentent J'univers; et elle apparaît lorsque le savoir
s'unifie pour devenir une synthèse totale du monde.
Certes, l'idée de Dieu relève d'une tendance scientifique,
celle qui consiste à instituer
le primat de l'unité sur la
pluralité. C'est peut-être pour cette raison'qu'elle a pu être
admise par de grands esprits comme GALILEE, BACON et DESCARTES,
ceux-ci n'ayant pas encore découvert un principe unique capable
d'embrasser les multiples aspects de la réalité. Mais de nos
jours, la religion peut et doit s'affranchir de l'idée de Dieu •
.../
St Simon
Travail sur la gravitation, cf. pages 200, 207, 210,
217 ; et Introduction aux travaux du XIXe siècle, p. 216
"Il est faclle d'ètabllr solldement i'opinlon que l'esprit
humain ne doit les grands progrès qu'il a faits pendant les
derniers siècles dans les sciences mathématiques et physiques
qu'à l'attiédissement de sa croyance en Dieu."

- 41 -
Pour ce faire,
trois conditions sont requises : a) il faut
arriver à trouver un nouveau principe de synthèse totale ;
b) en vérifier l'exactitude; c) lier le tout dans un ensemble
cohérent. Aujourd' hui, toutes ces condi t ions son t réunies
puisque: a) NEWTON a découvert une loi dont le caractère
unitaire est plus fort et plus probant que l'idée de Dieu~
" •••
L'idée de gravitation universelle était celle qui
devait servir de base au système scientifique et par suite
au nouveau sys tème religieux"; (1) b) l'exact itude de cette
loi a été confirmée par LAGRANGE, LAPLACE et BERTHOLLET ;
c) reste à lui, St-SIMON, d'élaborer la nouvelle synthèse qui
donnera naissance à la religion positive, une religion sans
Dieu. En un mot, pour cet auteur, la pensée religieuse (un
des systèmes d'application qui constituent, avec la morale et
la politique, la science générale) est l'application des
\\
idées philosophiques à l'humanité, de façon à assurer le
rayonnement des valeurs positives dans les âmes et les sociétés.
c'est le sens de la célèbre formule: "les religions n'ont
jamais été, n'ont jamais pu être autre chose que des systèmes
philosophiques matérialisés" (2)
Si COMTE fait également du spécialiste l'ennemi de la
religion, s'il oeuvre à l'élaboration d'une religion démontrée
qui a pour assise la philosophie, il ne suit pas son ma!tre
dans la substitution d'une loi scientifique
à l'idée de Dieu.
Il n'adopte pas non plus la position de HEGEL qui développe
dans la Vie de Jésus, Positivité de la religion chrétienne,
l'Esprit du christianisme et son destin, une théorie de la
religion positive.
En effet, HEGEL qui admire la cité grecque dans laquelle
l'homme a vécu en harmonie avec le tout, et qui déplore le fait
que depuis le Moyen-âge la religion fie pénètre plus assez les
âmes, se pose la question suivante : "à quelle condition une
religion peut être vivante ?" La recherche des éléments de
. . .1
(1) Introduction aux travaux du XIXe siècle, p. 211
(2) Lettres philosophiques et sentimentales, première édition
p. 115

- 42 -
réponse l'amène à opposer la religion positive à la religion
naturelle (1). L~ première est une religion historique en ce
sens qu'elle ajoute quelque chose à ce que peut donner la
raison humaine. La religion positive relève non pas de la
"raison constituante", mais de la "raison constituée", c'est-
à-dire, d'une vision du monde propre à un moment donné du
temps. cette religion est "objective" au sens premier du terme,
c'est-à-dire qu'elle est extérieure à la raison et s'impose à
elle: c'est une donnée. Elle est en quelque sorte, ce dont
parle KANT dans la Religion dans les limites de la simple
raison : "une religion positive implique des sentiments qui
sont plus ou moins imprimés par contrainte dans les Smes ; des
actes qui sont l'effet d'un commandement et le résultat d'une
obéissance et sont accomplis sans intérêt direct"
La reLigion meurt lorsqu'elle devient positive. Car
devenue "supra ou anti-naturelle", faisant de Dieu un maitre,
elle est extérieure à l'homme en qui elle développe des sen-
timents d'esclave. La positivité, "cet élément historique se
nomme en général autorité~ certes, lorsqu'elle est organique,

c'est-à-dire lorsqu'elle constitue un passé toujours présent
qui se concilie avec la raison, la religion positive perd 90n
caractère abstrait pour devenir adéquate à la richesse concrête
de la vie. Autrement, elle est à condamner (et est effecti-
vement condamnée par HEGEL) parce qu'elle souille la raison en
dépendant d'une individualité historique.I'La religion chré-
tienne est une religion qui n'était pas positive originairement,
elle a pu
seulement le devenir; elle reste alors seulement un
héritage du passé'~ dit-il dans la Positivité de la religion
chrétienne. Et l'exemple du donné positif dans cette religion,
c'est la personne même du Christ qui enseigne et agit, qui
parle de sa propre individualité et fait des miracles, et
auquel les disciples s'attachent. C'est donc avec le Christ
qu'on est passé de la religion naturelle à une religion positive
. . .1
(1) Cette distinction était, du reste, courante au XVIIIe siècle
00 "le positif"
s'opposait par définition au "naturel" (droit
positif opposé au droit naturel). Chez Hegel la positivité a
une double acception: l'une péjorative, l'autre laudative.
Elle est comme la mémoire. LorsqU'elle est inorganique et
séparée, elle est le passé qui n'a
plus de présence authen-
tique. Dans ce premier sens, le donné positif est un élément
mort parce que dépendant de l'individualité historique. Lors-
qu'elle est vivante et organique, elle est le passé toujours
présent.

- 43 -
En résumé à la question : "à quelle condition une reli-
gion peut Itre vivante?
la réponse de HEGEL est : à condi-
tion qu'elle soit naturelle et non positive, subjective et non
objective, émanée du coeur et non d'une théorisation quelconque.
La religion positive est une religion pervertie. Elle "se
laisse mettre en ordre dans la t~te, elle se laisse mettre en
système, présenter en un livre, transporter aux autres par la
parole; la religion subjective s'extériorise seulement dans
les sentiments et dans les actes" (1).
Apparemment, la théorie
comtiste de la religion semble
se situer aux antipodes de celle de la religion authentique
chez HEGEL puisque la religion positiviste est construite
rationnellement, "se laisse mettre en système, présenter en
un livre". Mais, à notre avis, il ne s'agit que d'une appa-
rence, et les deux théories, à l'analyse, se revèlent plus
voisines qu'on ne serait tenté de le penser. Elles procèdent
toutes deux, par des arguments différents, à la critique de
la religion rë','élée et de sa conception de Dieu, sans pour
autant renier l'importance de la religion tout court. Toutes
deux font reposer "la vraie religion"
sur un principe subjec-
tif : le coeur. l,es divergences entre COMTE et HEGEl, en ma-
tière de religion ne tiertnent qu'à leur interrogation de départ,
aux présupposés fondamentaux de leur doctrine et surtout à
leur conception de la notion de positivité: chez HEGEL,~posi­
tif~tend à signifier surtout objectif, extérieur à l'esprit,
Il
1/
alors que pour COMTE positif englobe, comme nous l'avons indi-
qué, à la fois l'objectif et le subjectif, avec, dans sa phase
ultime, la prépondérance du second principe sur le premier.
En fait, ce que condamne COMTE, c'est la tendance à la
réduction. La métaphysiql~e es t aberrante parce qu'elle mécon-
nait la réalité. Le savant de son époque est un ~étaphysicien
qui s'ignore parce qu'il privilégie la matière au détriment
de l'esprit. Or le propre de la religion, c'est de favoriser
l'exercice de l'agir, du sentir et du penser sans l'écrase-
ment de l'un par l'autre. Elle est le lieu d'une union intime
entre le subjectif et l'objectif. Car le mot religion, "le
mieux composé peut-être de tous les termes humains", dérive .. .1
(1) C'est nous qui soulignons.

-
44 -
de religare qui signifie en latin "relier". Etymologiquement,
"il indique l'état de complète unité qui distingue notre exis-
tence, à la fois personnelle et sociale, quand toutes ses
parties, tant morales que physiques, convergent habituellement
vers une destination commune"
(1). Rejetant le surnaturel,
indépendante de toute foi spéciale, la religion est conçue
comme une double synthèse.
La première vise l'unité personnelle et sociale. Car
les attributs humains sont à la fois si multiples et si variés
que "tout homme diffère successivement de 11-li-m~e autant
qu'il diffère des autres". La religion "consiste donc à régler
les natures individuelles, à rallier les individualités" (2)
à partir de la systématisation de l'ascendant naturel du
sentiment sur l'intelligence et l'activité.
La seconde synthèse, celle qui instaure l'amour universel,
consi~te à lier cette systématisation à une existence supé-
rieure afin d~ la rendre plus stable. Elle découle de la décou-
verte, en dehors des personnalités individuelles, d'une supré-
matie inéluctable, objet de cet amour. Ce transcendant, ce
"nouveau Dieu", c'est le Grand-Etre ou l'Humanité"
qui vient
éliminer irrévocablement celle
[l'idée] de Dieu, pour cons-
tituer une unité définitive plus complète et plus durable que
l'unité provisoire du régime initial" (3).
C'est ce qui explique l'attitude de COMTE vis-à-vis du
protestantisme et du catholicisme. Il trouve la première très
dangereuse parce qu'elle privilégie l'intérieur sur l'exté-
rieur (4). Le catholicisme l'est aussi: il privilégie l'exté-
rieur sur l'intérieur. Mais il est l'allié du positivisme
parce qu'il est organique. On sait que si, contrairement à
HEGEL, COMTE admire le Moyen-âge, c'est parce que cette époque
a connu une bonne organisation politique sous l'impulsion
philosophique de la religion(S). Le catholicisme est le pré-
curseur du positivisme qui en constitue le dépassement. "En.../
(1) catéchisme positiviste, Flammarion, 1966, p. S9 (premier entreti
(2) ibid. p. 60
(3) Discours sur l'ensemble du positivisme, p. 349.
(4) Comte est contre Cromwell et Guillaume d'Orange.
(S) cf. Cours, T V - Dans le Testament p. 9, Comte écrit "Je'me
suis toujours félicité d'~tre né dans le catholicisme, hors
duquel ma mission aurait difficilement surgi par suite des
dangers intellectuels et moraux propres à l'éducation protes-
tante et déiste".

- 45 -
célébrant dignement les mérites et les bienfaits du catholi-
cisme, l'ensemble du culte positiviste fera nettement appré-
cier combien l'unité fondée sur l'amour de l'humanité sur-
passe, à tous égards, celle que comportait l'amour de Dieu •••
La synthèse chrétienne n'embrassait réellement que la vie
affective: elle repoussait l'imagination et craignait la
raison; ce qui ne lui permettait qu'un ascendant contesté
et passager ••• Le Nouveau Grand-Etre. ne craint pas l'examen,
et n'entrave pas l'imagination"
(1).
En dernière analyse, c'est l'Humanité qui constitue le
creuset o~ viennent se fondre toutes les conceptions positives.
Elle représente la forme ultime de la systématisation de
l'existence humaine, puisqu'elle est la seule réalité spéci-
fiquement humaine. L'individu n'est qu'une notion évanescente.
"Sous le rapport statique aussi bien que sous l'aspect dyna-
mique, l'homme proprement dit n'est qu'une pure abstraction.
Il n'y a de réel que l'humanité, surtout dans l'ordre intellec-
tuel et moral"
(2).
"L'homme proprement dit n'existe pas, il ne p~ut exister
que l'humanité, puisque tout notre développement est dtl à la
société sous quelque rapport qu'on l'envisage ••• ~ (3).
Systématisation finale , elle est un idéal qui fonde, scien-
tifiquement, la morale et une religion terrestre, c'est-à-dire
une religion qui postule un monde sans paradis ni enfer, et
qui garantit cependant à l'homme l'immortalité promise par la
théologie traditionnelle. D'une façon positive, on ne peut
espérer acquérir l'immortalité qu'en se prolongeant par l'es-
pèce, qu!en établissant une solidarité entre tous les hommes,
qu'en incorporêmt l'Humanité qui est intemporelle puisqu'elle
est "l'ensemble des êtres humains, passés; futurs et présents".
(4) C'est en ce qu'on peut comprendre que l'Humanité ne soit
pas seulement un principe scientifique de systématisation mais
que, comme la notion de Dieu, et m~me plus que celle-ci, elle
soit sacrée, donc l'objet d'un culte. Pour construire la cité
positiviste il faut que le savant, c'est-à-dire le nouveau .../
(1) Discours sur l'ensemble du positivisme, pp. 372 - 373.
(2) Cours, 57e leçon
(3) Discours sur l'esprit positif, p. 250 et 59.
(4) Catéchisme, Flammarion, 1966, p. 78,
(2e entretien)

- 46 -
philosophe, devienne prêtre ou que le prêtre devienne philo-
sophe. Telle est la solution finale au problème social.
Récapitulons.Le point de départ de l'entreprise philo-
sophique de COMT8 a été: Comment guérir réellement, et non
pas seulement cliniquement, le mal social dont souffre l' 8urope
d'après la Révolution? Pour soigner efficacement il faut
diagnostiquer. l,a maladie tient au désordre intellectuel, le-
quel dépend à son tour
de la coexistence de plusieurs modes
de pensée' contradictoires. Le traitement se fait en deux
temps: l'unification des pensées, puis la fondation de la
politique nouvelle. La théorie avant la pratique, la réforme
spirituelle précède la réforme temporelle ; la révolution
philosophique avant la révolution politique déterminée par
la religion de l'Humanité. Le politique ~t le religieux ne
sauraient se représenter comme des domaines réellement séparés,
pas plus que comme des plans sllperposés ou se succédant dans
une construction idéale de l'existence sociale. La "santé" de
la société exige une politique d'essence religieuse, c'est-à-
dire une politique qui aspire à ~tre
systématisée comme
religion. Sa~s la religion, la politique "art fondamental",
manquerait son "but"
qui est ,l'établissement de la paix
universelle à partir de la coordination de "tous nos efforts
au service du véritable Etre suprême" (1). C'est donc dans
cette dialectique du politique et du religieux que réside le
noeud fondamental du problème de l'humanité. Les éléments
moteurs de l'édifice intellectuel de COMTE peuvent se figurer
par le tableau suivant :
.../
(1) cf. Système de politique positive, T l

- 47 -
Synthèse obj ecti 'le
Synthèse subjective
Système de politique
Cours de philosophie positive
:
positive, catéchisme
;
positiviste
:
Philosophie premièr';! physique sociale
Tomes I, II, III
:Tomes IV, V, VI
Observation du
:passage du monde à
Déploiement de
monde - objet
:l'homme - objet
l'homme au monde
:
1ère opératioYI :
:2e opération :
3e opération :
Le monde concret
:L'homme concret
Le monele et l'homme
appréhendé commp
:appréhendé comme
abstraits appréhendés
abstrait : les
:abstriüt : la
comme concrets :
.
sciences physiques :fondation de la
la religion
et naturelles.
;sociologie.
Histoire des sciences
politique positive.
Synthèse oos.i.tïve ou systématisation de l'existence humaine
Au terme de ce chapitre, nous n'avons pas la prétention
d'avoir résumé, en quelques pages, l'oeuvre gigantesque de
COMTE. Nous nous sommes efforcé
tout simplement de caracté-
riser l'ensemble du positivisme de façon à mieux situer le
champ de notre investigation au
sein de la vaste entreprise
philosophique de l'auteur. Nous avons voulu attirer l'attentiol
sur le fait que le positivisme se compose "essentiellement
d'une philosophie et d'une politique"
(1) et que l'objet de
notre préoccupation est la première partie qui est essentiel-
lement une philosophie de l'histoire des' sciences.
(1) Système de politique positive, T I.

- 48 -
Chapitre II:LES SOURCES DES IDEES DE COMTE EN HISTOIRE DES SCIENCES
Il n'est pas de notre intention, dans ce chapitre, de
faire la genèse du positivisme. Une telle étude est, certes,
nécessaire. Mais non seulement elle nous éloignerait de l'objet
de notre préoccupation, mais encore elle existe déjà sous la
plume d'éminents penseurs qui ont pour noms: LITTRE, Pierre
ARNAUD et surtout Henri GOUHIER qui y a consacré un imposant
ouvrage de trois volumes: La Jeunesse d'Auguste COMTE et la
formation du positivisme. De même nous avons jugé nécessaire de
situer l'histoire des sciences dans l'ensemble du système comtiste,
de même nous nouS proposons, ici, de présent er une série de tra-
vaux dont la connaissance nous semble indispensable à l'intelli-
gence de l'aspect de la pensée positiviste qui nous préoccupe. Les
auteurs auxquels nouS nous référons ne sont pas ceux qui ont as-
suré la formation directe de COMTE. Il ne s'agira ni d'ARAGO, ni
de Daniel ENCONTRE ni même de st-SIMON. peu importe donc la na-
ture des relations que le polytechnicien a pu entretenir avec eux,
et la connaissance qu'il a pu avoir de leurs pensées. L'intérêt
des travaux que nous voulons éveiller, à la suite d'autres penseurs,·
mais à notre manière, est de rappeler que le génie n'est pas une
émergence "ex-~ihilo", mais la consécration de certaines idées
qui existaient déjà, sous forme de pressentiments. Le positivis~e,
malgré la force d'innovation de son auteur, a été, comme tout
chef-d'oeuvre, pressenti, préparé voire parfois annoncé par la
constellation intellectuelle des XVllIème et XIXème siècles. Et
COMTE lui-même, qui prend souvent le so in d'indiquer ses précur-
..swrs dans chacun des domaines de sa réflexion, ne voit point dans
le fait de lui attribuer des devanciers une manière de ternir sa
dignité ou de minimiser son originalité. Au contraire, il pense
que "plus nous aurons de précédents, mieux nous vaudrons ; il
faut être vu comme ancien pour être bien ancré dans les esprits"(1).
C'est donc afin de mieux situer la théorie comtiste de l'histoire
des sciences dans le courant intellectuel.de son époque que nous
passerons en revue, et uniquement sous le jour qui nous concerne,
les travaux de KANT, de F'ONTENELLE, de TURGOT et de CONDORCET,
l'ordre de présentation étant fonction non pas de l'ordre chronQ-
logique de leur apparition, mais de la préoccupation des auteurs
et de l'ampleur des liens de leurs pensées avec l'histoire posi-
tiviste des sciences.
.../
(1) cf. Lettre à G. M. d'Eichthal du 5 août 1824.

- 49 -
1 0 )
KANT: L'idée d'une histoj.re universelle
En présentant KANT comme prédécesseur de COMTE en
histoire des sciences, nouS avons conscience du fait que
nous donnons asile à des objections : KANT n'est ni historien,
ni épistémologue. Car, m~me si dans la Critique de la Raison
Pure aussi bien que dans les Prolégomènes l'une de ses pré-
occupations essentielles a été de savoir à quelle condition
la science pure de la nature est possible, afin de tirer de
la réponse à cette interrogation les fondements d'une méta-
physique conçue Comme science, il ne peut ~tre classé, sans
équivoque, au rang des hommes de sciences, encore moins à
celui des historiens des sciences. En outre, à supposer m~me
qu'il ait été épistémologue, nous avons souligné que, de
l'aveu de COMTE lui-ml'-me, il n'avait qu'une connaissance
très limitée de la pensée de son contemporain en raison de
la barrière linguistique qui les sépare.
Il est évident que pour qui réduit le kantisme aux
trois Critiques - pour qui ignore que l'homme de KOENI5BERG,
malgré l'ordre de production et de présentation suivi dans
ses oeuvres majeures, a manifesté certains aspects de sa
pensée dans des opuscules - faire de cette doctrine l'ébauche
du positivisme est une entreprise hasardeuse. Comprendre notre
démarche suppose donc qu'on sorte d'une vue étroite sur la
pensée de KANT et qu'on
appréhende à sa juste mesure son
ampleur et son auréole.
En effet, en 1784, dans un opuscule intitulé: Idée
d'une histoi~e universelle au point de vue cosmopolite,
l'auteur des ~Titiques procède à une véritable théorisation
de l'histoire abstraite. L'histoire y est définie selon son
étymologie
latine
"hi s toria", c'est-à-dire, comme un récit,
une description des événements relatifs à l'espèce humaine (1).
L'histoire de la nature n'est pas seulement possible. Elle a
déjà fait l'objet de plusieurs travaux dont les plus importants
sont ceux de FORSTER sur l'origine des Nègres et ceux "du
. .. 1
(1) Kant, la philosoehie de l'histoire, Editions Gonthier,
Bibliothèque Mêdlations, Parls, 1981, p. 133

- 50 -
célèbre LINNE:". La méthode de cette forme d'histoire consiste
à remonter l'enchaînement entre certaines dispositions actuel-
les des objets et ce qui a P'1 être leur cause dans le passé.
Les lois de ces causes ne doivent pas être inventées mais
déduites de ce qui se présente à notre observation, des forces
réelles de la nature.
Dans cet opuscule, 00 KANT se plaint de "l'insouciance
avec laquelle on laisse dans d'autres cas chevaucher les li-
mites des sciences les unes par dessus les autres" (1), il
montre que pour fonder une science, il faut définir son champ
d'investigation. car chaque fois que cette opération est
effectuée, "c'est souvent une lumière tou.te nouvelle qui se
lève pour les sciences". Le premier point commun à KANT et à
COMTE:, c'est qu'ils sont tous deux soucieux de systématiser
le savoir, mais aussi de fonder des sciences autres que celles
de la nature. Autant l'auteur du Cours veut faire de la socio-
logie, de la politique et de l'histoire/des sciences, autant
son contemporain, malgré sa connaissance scientifique très
limitée, a pour ambition de fonder une histoire et une méta-
physique scientifiques~ E:t les principes de l'histoire ainsi
conçue sont présentées dans cet opuscule sous la forme de neuf
propositions. Qu'on nous permette d'en présenter les points
principaux.
La première affirmation qui a une résonnance positi-
viste, c'est que tous les faits sociaux, nos façons de penser,
de sentir et d'agir, sont régis par des lois constantes,
dessein de la nature. "Quel que soit le concept qu 1 on se fait,
du point de vue métaphysique, de la liberté ,du vouloir, ses
manifestations phénoménales, les actions humaines, n'en sont
pas moins dèterminées, exactement comme tout évènement naturel,
selon les loi~ universelles de la nature". (2) E:t l'histoire
de l'humanité n'est rien d'autre que l'accomplissement de ces
lois, de ce plan caché de la nature qui a un cours régulier
et que l'historien peut découvrir. De cette deuxième idée
fondam\\~ntale selon laquelle l'histoire, le progrès, n'est que
le déploiement de l' orclre naturelle (idée éminemment comtiste),
-1
(1) ibid
(2) ibid p. 26

- 51 -
il déduit qlJe les générations antéri.eures travaillent pour
les générations postérieures parce que le Cours de l'histoire
se présente sous la forme d'une série continue. Grâce à
l'histoire scientifique, le cheminement de l'humanité, dont
les lois ne sont pas données dans la connaissance empirique
"pourra néanmoins être connu dans l'ensemble de l'espèce
sous l'aspect d'un développement continu, bien 'lue lent, de
ses dispositions originelles"
(1).
Mais l'une des caractéristiques de KANT, c'est que,
conscient de ses propres aptitudes intellectuell~s, il ne
prétend jamais élaborer par lui-même,et définitivement, les
connaissances scientifiques. Pour la métaphysique comme pour
l'histoire, il ~e contente de présenter ses travaux plutôt
sous forme d'esquisses que sous forme de systèmes constitués.
Partout, il élabore des "prolégomènes". Il présente toujours
une science dans laquelle pour la plupart des questions, il
reste des parties "en blanc".
Dans la seconde préface à la Critique de la raison pure,
il s'est autorisé d'une histoire des sciences (physique et
mathématique) pour justifier le nouveau rapport qu'il établit
entre le connu et le connaître. Il y définit le moteur des
révolutions des techniques de la pensée. La mathématique dont
le grand promoteur est THAI,ES doit produire ses objets de
démonstration tandis que la physique avec GALILEE et TORICELLI
doit élaborer ses objets d'expérience comme produit de la
marche de la raison, comme résultat des initiatives de la
raison. Mais dans l'impossibilité de penser l'histoire des
catégories de la raison sous le modèle du progrès du XIXe siècle,
il a commis l'erreur de croire qu'il pouvait abstraire des
mathématiques d'8UCLIDE ou de la physique de NEWTON un tableau
des contraintes et des règles absolues et définitives des
connaissances.
Outre cet essai condensé en quelques lignes dans cette
préface, KANT s'avoue incapable de trouver par lui-m~me le
résultat de ce dont il a fait l'hypothèse, à savoir qu'il y a
un déterminisme historique. Aussi écrit-il: "Nous allons voir
.. .1
(1) ibid

- 52 -
s'il nous sera possible de trouver
un fil conducteur pour
une telle histoire, puis nous laisserons à la nature ce soin
de produire l'homme capable de rédiger l'histoire selon ce
principe. N'a-t-elle pas produit un K8PLER qui, d'étonnante
façon, soumit les orbites excentriques des planètes à des lois
déterminées, et un NEWTON qui expliqua ces lois en fonction
d'un principe général de la nature? Il (1J
Il nous paraît juste d'affirmer que COMTE est à KANT
ce que NEWTON est à KEPLER, avec cette seule différence que
la découverte de la loi de l'enchaînement des faits histo-
riques par l'auteur du Cours est antérieure à sa connaissance
des jalons posés par l'Allemand. Ce qui n'a pas empêché COMTE
d'accueillir la traduction de cet opuscule de KANT avec beau-
coup d'enthousiasme tout en regrettant de ne l'avoir pas connu
plus tôt. La lettre à d' E:ICHTHAL du 10 décembre 1824 est, à
ce propos, très expressive: "J'ai lu et relu avec un plaisir
infini le petit traité de KANT; il est prestigieux pour
l'époque, et m~e si je l'avais connu six ou sept ans plus
tôt, il m'aurait épargné de la peine. Je suis charmé que vous
l'ayez traduit; il peut très efficacement contribuer à pré-
parer les esprits à la philosophie positive. La conception
générale ou au moins la méthode y est encore métaphysique.
Mais les détails montrent à chaque instant l'esprit positif.
J'avais toujours regardé KANT non seulement comme une très
forte tête, mais comme le métaphysicien le plus rapproché de
la philosophie positive ( ••• J Si CONDORCET avait eu connais-
sance de cet écrit, ce que je ne crois pas, il lui resterait
bien peu de méri te ( ••• J. Pour moi, je ne me trouve jusqu'à
présent, après cette lecture, d'autre valeur que celle d'avoir
systématisé et arr~té la conception ébauchée par KANT à mon
insu, ce que je dois à l'éducation scientifique ( ••• J. Je suis
bien aise d'avoir fait connaissance avec HSGEL ( ... J; il est
bien moins fort que KANT".
L'hégélianisme a eu, en effet, un écho favorable auprès
de l'auteur du Cours qui ne l'a connu également que de façon
superficiel1f', par le truchement de M. d'EICHTHAL. Nous ne
saurions dire avec exactitude lequel des textes de HEGEL tomba
sous les Y~lX de COMTE. Il est toutefois curieux de constater...
(1 J ibid p. 28

- 53 -
qu'un lecteur de HEGEL fasse très peu cas de l'idée de dialec-
tique sous-jacente à toute la doctrine hégélienne de l'histoire.
Ce qui nous porte à croire que COMTP. méconnaît des écrits
comme la phénoménologie de l'esprit. Autrement, il en ferait
cas darls le Cours, ne serait-ce que pour en rejeter les idées,
puisque la lettre de COMTE est antérieure à la rédaction de
cet ouvrage. Nous pensons toutefois, avec pour seule certi-
tude de nous tromper, que M. d'ErCHTHAL a da faire lire à son
ami des idées très voisines de celles contenues dans La Raison
dans l'histoire et dans La Philosophie du droit qui dévelop-
pent le concept d'histoire universelle.
Car l'objet du premier livre s'apparente à la préoccupa-
tion de COMT8. HEGEL y fait de "l'histoire philosophique"
qu'il distingue de "l'histoire originelle"
et de"l'histoire
réfléchie". La seconde est celle des historiens qui, comme
H8RODOTE, décrivent les actions, lès événements et les situa-
tions vécus. Cette histoire ne doit pas être confondue avec
la tradition orale (mythe, chants populaires, poèmes) parce
que "la véritable histoire objective d'un peuple commence
lorsqu'elle devient aussi une histoire écrite"(1). La dernière
manière d'écrire l'histoire, l'histoire réfléchie, c'est la
reconstruction présente d'un passé lointain. Le passé très
reculé y est traité comme actuel en esprit.
Quant à l'histoire philosophique, objet du livre, elle
cherche à connaître l'8sprit ou la Raison ou l'Idée dans sa
marche en avant et dans son rôle de guide. Pour COMTE comme
pour HEG8L (qui est également un maître de la systématisation)
le moteur de l'histoire, ce n'est pas véritablement. l'ensemble
des pratiques sociales ou l'économie: c'est l'esprit. "La
Raison gouverne le monde et, par conséquent, l'histoire uni-
versell.e s'es t elle aussi développée ra tionnellement" (2).
On peut donc en saisir la marche. En d'autres termes, l'esprit
et le cours de son éVOlution, telle est l'essence de l'histoire
qui est conçue comme un progrès.
J,e progrès émanant de la contradiction résolue, de la
synthèse entre un état et son contraire, est une impulsion
vers le mü,'ux, vers la perfectihilité, lIais ce terme qui
.../
(1) Hegel; La Raison dans l'histoire, Paris 1965, Plon, ed. 10-18,
p. 25
(2) ibid. 1'.49. "Les idées gouvernent et bouleversent le monde"
dit Comte. Il faut rappeler toutefois cette différence gue
chez Hegel l'Idée ou la Raison, c'est l'éternel, le divin.

- 54 -
désigne surt0ut l'évolution de l'esprit, est impropre pour
caractériser les changements opérés doms le monde organique.
Car le r'~incipe fondamental de l'évolution (le même que
chez COMTE), c'est qu'il y a A la base de la marche vers le
plus parfait une disposition initiale et interne, une donnée
qui existe en soi et dont la réalisation dans l'existence
constitue le progrès.
Or cette donnée première, cette existence immédiate
fait défaut aux objets naturels organiques. Certes, HEGEL ne
nie pas l'existence d'une progression graduelle dans la série
des formes naturelles. J,es obj ets organiques on t même un prin-
cipe interne invariable; le germe, d'où découlent les diffé-
rents organes qui constituent à leur tour l'organisme, "si
bien que chaque degré est une transformation du degré précédent,
un principe supérieur issu du dépassement et du déclin du
degré précédent"
(1). L'individu organique s'auto-produit, se
fait ce qu'il est en soi. Entre le concert et sa réalisation,
entre le germe déterminé et son existence, il n'y a aucune
différence de nature, aucune intervention. Le changement se
présente comme un mouvement circulaire, une répétition du même.
On ne saurait en dire autant de l'esprit. Certes, l'es-
prit n'est aussi "que ce qu'il fait, et il fait ce qu'il est
en soi". Mais le passage de la détermination à la réalisation
s'opère dans le concept, c'est-à-dire par l'intermédiaire de
la volonté et de la conscience. Car "la définition générale
du progrès est que celui-ci consti.tue une succession d'étapes
(Stufenfolge) de la conscience"
(2). On comprend pourquoi,
alors que dans l'Esprit chaque changement est un progrès,
l'espèce, dans la nature, ne fait aucun progrès.
En outre, dans le monde organique, les moments du pro-
cessus de progression graduelle sont di.sjoints ou du moins ne
sont perçus que par l'esprit. Au niveau spirituel les moments
du progrès sont continus, les formations supérieures étant
préparées par celles qui les précèdent. Et HEGEL établit la
trajectoire de l'esprit sous la forme de ce qu'on appelle chez
COMTE la loi des trois états. Donnons-lui la parole: "L'homme
commence par être enfant avec une conscience obscure du monde
.../
(1) ibid p. 182
(2) ibid p. 183

- 55 -
et de lui-m~me. Nous savons qu'en partant de cette conscience
empirique, i l doit parcourir plusieurs étapes avant d'arriver
au savoir de ce qu'il est en soi. L'enfant commence par la
perception sensible; en partant de là l'homme passe à l'étape
de la représentation générale, puis à celle de la conception
rationnelle et parvient enfin à connaître l'âme des choses,
leur véritable nature"
(1).
Il convient pour terminer cette parenthèse autorisée
par COMTE, de souligner que dans cet ordre de succession, où
le progrès est conçu comme passage du moins parfait au plus
parfait. HEGEL recommande de ne pas accorder à l'imparfait
une valeur purement négative. 811e est la condition de la
possibilité du parfait. Le premier stade est à la fois germe
et tendance (FRIEE), à la fois "dynamis" et "potentia" selon
les mots d'ARISTOTE. L'imparfait, c'est à la fois la force et
la puissance créatrice du parfait. Encore une fois, nous
n'avons aucune cert i tude que CO~lT8 ai t eu connaissance de ce
texte de IlEG81,. Mais ce qui importe, c'est cette évidence à
laquelle nous conduit l'analyse: I1EG81, est un positiviste
avant la lettre et COMTE: un hégélien, peut-Ihre il son insu.
A la lumière de ces données, on peut se demander pour-
quoi KANT est jugé supérieur à 118GEL ? Plusieurs hypothèses
s'offrent à la réflexion. Il est permis de penser par exemple,
comme certains, que cette lettre a été écrite sous l'effet
des premières impressions et que COMTE: a exagéré la portée de
cet opuscule qui du reste, d'un point de vue positivisme,
comporte des imperfections. Par exemple, s'il est positiviste
de concevoir, avec KANT, l'histoire comme un ,phénomène soumis
à des lois naturelles,
le fondement qu'il donne à ses lois, à
savoir que la nature a horreur de l'acte gratuit, eSt un pré-
supposé métaphysique, donc non-positiviste. De plus, si KANT
a découvert le principe de l'histoire, il a méconnu la loi de
la marche de l'humanité, la loi des trois états. Le comtisme
est donc bien plus qll'u~e simple systématisation de "la concep-
tion ébauchée par KANT".
On pourrait allssi penser que le polytechnicien a mieux
compris la pensée de KANT que celle de son compatriote, en
raison de la complexité des idées de celui-ci en matière ..../
(1) ibid p. 184.

- 56 -
d'histoire; idées qui ne sont pas de nature à enchanter le
positiviste, à cause de l'équation établie entre l'Esprit et
Dieu.
Ce qui est certain, c'est qu'il existe une grande homo-
logie entre certains aspects du kantisme et l'histoire comtiste
des sciences, homologie qui se situe parfois au-delà de cet
opuscule. Par exemple, dans la Préface à la critique de la
raison pure, KANT présente l'histoire du savoir sur un tableau
qui montre l'itinéraire suivi par le savoir scientifique jus-
qu'à lui. Du stade de la préscience, l'humanitéa accédé pro-
gressivement à la connaissance scientifique avec.la logique
d'ARISTOTE, puis la géométrie de 'l'HALES. la physique de GALILEE
et enfin la chimie de STAHL. Reste à KANT d'inaugurer la méta-
physique scientifique.
Dans la première leçon du Cours COMTE trace un tableau
analogue. La connaissance scientifique s'est accomplie graduel-
lement, à partir des travaux d'ARISTOTE et de l'école d'ALEXAN-
DRIE, et depuis que les Arabes ont introduit les sciences natu-
relles en Europe Occidentale. Mais l'on n'est sorti de la pré-
science ou mieux de l'anti-science (la théologie et la méta-
physique). que depuis la naissance des concept ions de BACON,
de DESCARTES et de GALILE:E (1).
. - _.._.
Logique
Géométrie
Physique
Chimie
Métaphysiqu
~"Aristote
1
"'-
1
" '~_
1
1
1
1
1
1
PRESCIENCES
-""-""'1"'-- Thalès
1
1
1
" - , . . .
1
1
~"--..~
1
,,! Galilée
SCIENCE
-,-...,~
'1
'-'::::"---'-'::::
~-
Kan'
" - -
T_
.. .1
(1) Cours, 1ère leçon, T l, philosophie première, Hermann,
1975. p. 27.
Les deux tableaux ont été présentés par M. Serres ibid, p. 28.

- 57 -
1
AGES TI! F'OI;OGIQUE
1
Aristote
ET ~lETAPHYSIQUF.
1
1
+
1
~
Ecole d'Alexandrie
1
HISTOIRE
1
1
1
,
"
"cao, Golilé, ,
1
1
1
Descartes
AGE POSITIF
1
1
"
1
1
Fourier
1
/ - - - - - - - +
DOGME
Blainville
1
omte
.11 est donc indéniable que le kantisme a été l'un des
maillons les plus importants qui ont ouvert la porte au posi-
tivisme.
F.t c'est à juste titre que LTTTRE écrit
: "
•••
L'opuscule de KANT,
s ' i l n'entre pas dans la série où est
passé M. COMTE, entre par o~ a passé la philosophie positive
c'en est un des plus importants prodromes, un de ceux qui
annonçaient le mieux l'oeuvre de COMTE encore enfermée dans
l'avenir
•••
C'est un vrai précurseur,
i l ànnonce la lumière"(,
2°) FONTENELLE,
pionnier de l'histoire df's Sciences
L'impact de la pensée de FONTENELLE sur le positivisme
est plus importi'mt que celui du kantisme qu'elle précède
pourtant d'environ deux siècles. La raison en est que, comme
chez COMTE,
l'histoire des sciences dans la doctrine de
FONTENELLE est fondée sur une épistémologie,
ainsi que le
montre CANGUTLHEM dans un article:
"FON'l'ENELI,E, philosophe
et historien des sciences"
(2).
.../
(1) Littré, A. Comte et la philosophie positive, p. '56.
(2) cf.
: Canguilhem:
Etudes d'histoire et de philosophie des
Sciences,
paris,
1975, pp. 51 - 58

- 58 -
Les vues de FONT~NELLE ~ur les sciences et leur histoire
procèdent directement de l'épistémologie cartésienne: "Il
faut, di t-·D, toujours admirer DESCARTRS et le suivre quelques
fois". 81les apparaissent sur deux points
le rôle de l'expé-
rience dans la constitution de la science et la déduction en
histoire.
a) Dans l'oeuvre de FONTEN8LL8 - comme dans celles de DESCARTES
et de COMTE - le fait scientifique est consacré par son expres-
sion mathématique. 8t cette condition est valable pour tous
les domaines du savoir. "Si toute la nature consiste dans les
combinaisons innombrables des figures et des mouvements, la
géométrie qui, seule, peut calculer
les mouvements et déter-
miner les fiuures devient i.ndispensablement nécessaire à la
physique et c'est ce qui parait visiblement dans les systèmes
des corps pesarlts, dans les
réflexions et dans les refractions
de la lumière, dans l'équili.bre des li.queurs, dans la mécani.que
des organes des animaux, enfin dans toutes les matières de la
physique qui sont susceptibles de précision : car pour celles
qu'on ne peut amener à ce degré de clarté, comme la fermen-
tation des liqueurs, les maladies des animaux etc ••• Ce n'est
pas que la géométrie n'y domine, mais c'est qU'elle y devient
obscure et presque impénétrable par la trop grande complication
des mouvements et des figures ••• " (1) C'est dire que les
mathématiques sont applicables à la biologie, même si dans ce
domaine, des précautions doivent ~tre prises en raison de la
spécificité du vivant.
FONTENELI,E admet par ailleurs 'lue le déterminisme est
la règle de tous les phénomènes. Mais une de ces idées dont
COMTE fera fortune est que la science a pour but de·systéma-
tiser des donné;.s, de les ordonner, de déterminer les rapports
qui existent entre eux. Des faits qui coexistent isolément, ne
sont pas plus l~ne science que des membres disloqués ne sont
un corps. Il n'y a de science que dans l'unification des faits
qui s'éclairent totalement par leur relation. Il formule son
idéal scientifique en ces termes : "Le temps viendra peut-~tre
que l'on joindra en un corps régulier ces membres épars. Pot
s'ils sont tels qu'on le souhai.te, ils s'assembleront en quel-
que sorte d'eux-m~es. Plusieurs vérités séparées, dès qu'elles
.../
(1 )l'préface de l' histoire de l'Académie des sciences" in oeuvres
de Fontenelle T X, p. 24

- 59 -
sont en assez grand nombre, offrent si vivement à l'esprit
leurs rapports et leur mutuelle dépendance, qu'il semble
qu'après avoir été détachées par une espèce de violence les
unes des autres, elles cherchent mutuellement à s'unir"
(1).
S'il est vrai que FONTENELLE ne rejette pas encore
totalement l'explication par les causes, il met l'accent sur
le fait que le souci de la science est la découverte de
l'ordre et de la cohésion. Il ne suffit pas de découvrir des
vérités. Il faut encore comprendre l'ordre dans lequel doi-
vent être présentées les vérités découvertes. Et un système
est d'autant plllS parfait que la cohésion de ses parties est
plus forte. A titre d'exemple, en physique, FONTENELLE nous
présente, dans un dialogue avec une marquise, un système des
Mondes. Nous n'entrerons pas dans les détails du discovrs.
NOlIS retiendr'ons seulement qu'il y développe des thèmes qui,
sous une autre forme, se retrouvent dans la pensée comtiste.
Il affirme par exemple l'existence d'un ordre de la nature:
"Il est surprenant que l'ordre de la nature, tout admirable
qu'il est, ne roule que sur des choses si simples" (2); et
le privilège de l'observation sur l'imagination, quoiqu'il
se soi.t efforcé de présenter par ailleurs des idées physiques
propres à contenter à la fois la raison et l'imagination:
"L'imagination, dit-il, n'est pas propre à aller plus loin
que les yeux".
Enfin, FONTENELLE rejette,comme COMTE le fera, la
logique classique: "Ce qu'on appelle communément la logique
m'a toujours paru un art assez imparfait : vous n'y apprenez
ni quelle est la nature de la raison humaine, ni. quels sont
les moyens dont elle se sert dans ses recherches, ni quelles
sont les bornes que Dieu doit prendre selon les différentes
fins qu'eile se propose"
(3). Mais le point sur lequel le
rapprochement entre les deux penseurs se dessine avec le plus
de netteté, c'est l'importance qu'ils accordent tous les deux
à l'histoire dans leur théorie de la connaissance.
. . .1
(1) ibid
(2) Entretiens sur la pluralité des Mondes Paris 5 ed, 1703, p. 31
(3) Cité par Canguilhem, op cit. p. 54

- 60 -
b) L'au teur du _5ys tÈô~~~s Nond~ pose, en effet, comme prin-
cipe, que pour comprendre Ull événement ou une situation,
l'esprit raisonne toujours du connu à l'inconnu. De même,
l'historien, en présence d'un certain nombre de faits en rend
raison en assimilant l'inconnu, c'est-à-dire le passé et le
futur, à ce qui lui est connu présentement. Après avoir signalé
les erreurs des démarches inductives, il fonde la connaissance
historique sur la déduction. Il est vrai que COMTE ne voit
pas exactement les choses de la mème façon que FONTENELLE. Il
pense que c'est par rapport au passé et à l'avenir que le
présent doit Qtre appréhendé. "Au lieu de dire: le passé, le
présent et l'avenir, il faui dire; le passé, l'avenir et.le
présent. Ce n'est en effet, que lorsque par le passé on a
conçu l'avenir, qu'on peut revenir utilement sur le présent,
qui n'est qu'un point, de façon à saisir son véritable carac-
tère" (1). Mais dans le Cours, il montre le danger qu'il y a
de procéder d~ l'inconnu au connu.
D.3.ns une étude intitulée "Sur l'Histoire" (Oeuvres,.T IX),
FONTENELI,E: expos.~ les différentes formes prises par la méthode
inductive en histoire, et ce qui, dans chaque forme, est
lacunaire. L'hisnire inductive a commencé par la mythologie
dans laquelle, pour expliquer par exemple le tonnerre, on
représent(~ un Dieu de figure humaine lançant des flèches de
feu. A ce stade, tous les événements sont ramenés à la nature,
toutes les causes empruntées aux objets familiers. Cette fabu-
lation repose, selon lui, sur l'ignorance. Quand un peu de
lumière dissipa les ténèbres (deuxième phase), le public s'in-
téressa à des fictions qu'alimentaient déjà la poésie et la
peinture ; si bien que les historiens conservèrent la méthode.
Puis par lassitude, on se détourna des fictions (troisième
phase). Les savants admirent les fantaisies dans l'art oü
l'imagination peut s'exercer sans dommage, mais les proscri-
virent en histoire. On aima "raisonner sur les actions des
homme~, en pénétrer les motifs et connaitre les caractères".
Mais ces nouvelles données n'avaient pas plus de mérite que
les contes fabuleux. Elles sont toutes des produits de l'ima-
gination. Le goOt du vrai ne suffit pas pOlIT déterminer la
vérité dans les sciences. 8nfin (quatrième stade), confondant
. . .1
(1) A. Comte, Plan des travaux nécessaires pour réorganiser
la Société pp. 122 - 123

- 64 -
Tf:RRASSON, au préjugé de la supérioI'i té des Anci.ens dans sa
Disgressi.on sllr J es Anciens et les Moderne" (16(16) comme
dans son Histoire des Oracles (1687). De même que COMTE
établira une correspondance de la loi des troi.s états dans
l'individu et dans J'espèce humaine, et affirmera le carac-
tère définitif de l'Sge positif, de même FONTENELLE établit
une égalité entre les esprits et affirme le progrès perpétuel
de la science. L'histoire des sciences n'est pas celle des
décadences. Elle est l'histoire du m@me esprit qui grandit
progressivement, mais qui. ne vieillira jamais. "En un mot, rI
ne parait pas que les Anciens aient pu faire davantage pour
leur temps. Ils ont fait ce que nos bons esprits auraient fait
en leur place: et s'ils étAient à la nôtre, il est à croire
qu'ils auraient les mêmes vues que nous. Tout cela est une
suite, de l'égalité naturelle des esprits et de la succession
nécessaire des découvertes"
(1)
et force est de reconnaître
"que les hommes ne dégénéreront jamais et que les vues saines
de tous les bons esprits qlli se Sllccèdent s'ajouteront les
unes aux autres".
En définitive, FONTENEt,LE apparaît comme le pionnier
de l'histoire des sciences presqu'inconnue avant le XVIIIe
siècle. Malgré les imperfections qu'on pourrait ça et là
déceler dans son oeuvre gi.yantesque, malgré l'existence à son
époque de penseurs plus doués et plus instruits en matière
d'histoire des sciences, nous devons admettre, avec CANGUILHEM,
que ses travail:< ont servi de modèle et de stimulant aux his-
toriens des sciences du siècle suivant tels que de la CHAPELLE
qui a écrit le Traité des sections côniques et des courbes
anciennes (1750, MONTUCLA auteur de l'Histoire des mathéma-
tiques (1758), SAVERIE:N qui a publié l'Histoire des progrès
de l'esprit humain dans le" Sciences exactes (1758) ou TURGOT
auteur du Discours sur les progrès successifs de l'esprit
humain (1750), Bref, FONTENELLE est le penseur par lequel
passe nécessairement l'histoire positiviste des Sciences. Il
est à COMTE ce qlle celui-ci est aux épistémologues français
contemporains: \\ln père spirituel,
. . .1
(1) ibid. p. 9.

- 61 -
science et
éruditi.on, les histori.ens accumulèrent les
détails et les d~tes. Mais, se demande FONTENELLE, à quoi
sert-il d'ol'prendre "exactem('tlt l'histoi.re de tontes les
pendules de Paris, en quel
temps et par quel ollvrier chacune
a été faite, combien de temps et combien de fois chacune
s'est déréglée, lesquelles sonnent plus clair que les autres ?"
(1). Les faits par eux-mêmes sont aveusrles ; ils empruntent
leur lumière cl la condition de l' homme. En termes comtistes,
les faits sont relatifs à notre situation et à
.notre orga-
nisotion ; ils doivent être expliqués pol' leuI)S"conditions
d'existence". On stérilise donc l'histoire, et toute science,
lorsqu'on la réduit à Iln répertoire de faits. TOllte connais-
sance fondée sur des êtres imaginaires ne peut, elle-même,
qu'@tre imaginaire, donc non - scientifique.
L'histoire scientifique doit partir du principe de
déterminisme, et sa démarche consiste à descendre des prin-
cipes aux conséquences. C'est d'ailleurs pour donner le modèle
de ce que doit être cette étude qu'il a écrit une histoire qui
ruine une ancienne connaissance chimérique: l'ottribution des
oracles aux démons; et qui établit un fait:
l'imposture des
prêtres pa1ens. FONTENELLE écrit: "Quelqu'un qui aurait bien
de l'esprit, en considérant simplement la nature humaine,
devinerait toute l'histoire passé et toute l'histoire avenir,
sans avoir jamais entendu parler d'aucun évènemeont" (2),
Il ne faut bien sûr pas entendre par là qu'on doit
renoncer à écrire l'histoire; ou qu'en science, il faut
ignorer les faits pour s'attacher aux essences et à leurs lois.
Il est clair qu'on ne peut opérer des déductions en histoire
que s'il y a une histoire. Or il n'y a pas d'histoire sans
évènements. La science, bien que n'étant l'os une accumulation
de phénomènes observés s'appuie sur des faits. Mais 10 déduc-
tion des évènements n'e~ opplicable que si la science de
l'homme est suffisamment avoncée. Dans cette doctrine comme
dans le positivisme, science, histoire et sociologie sont
intimement liées: " ••• il est bon que l'histoire accompagne-
et fortifie la connaissance 'lue nous pourrons avoir de l'homme.
Elle nous fera pour ainsi (lire voir l'homme en détail, après
que la morale nous l'aura fait voir en gros, et ce qui sera .../
(1) oeuvres de Fontenelle, 1757, T IX, p. 367.
(2) ibid, p. 365.

- 62 -
peut-être échappé â nos réflexions générales, des exemples
et des faits particuliers nous le rendrons"
(1).
.
'
Chez FONTENELLE
ébauche de Cm1TE
et, sous un certain
rapport, de BACHELARD
la meilleure connaissance de la science
est celle qui se fonde sur
son histoire, car l'histoire des
sciences nous offre le spectacle des opinions et des passions
qui entrent dans la compréhension du caractère de l'homme,
oü prennent naissance les idées scientifiques. Elle montre
comment les idées se produisent et s'annoblissent, comment
des erreurs s'établissent par l'ignorance, comment elles se
répandent par leurs enchaînements, comment parfois elles se
maintiennent par le respect de la tradition (2). L'intérêt de
l'histoire des sciences, est,
tout en nous révélant l'ordre
de progression des sciences, de nous indiquer les "épines" à
éviter. Elle nous fait prendre conscience des égarements de
l'esprit, donc de sa faillibilité.
"L'esprit est moins capa-
ble d'erreur,
dès qu'il sait et à quel point et en combien
de manières~l
en est capable"
(3). L'insécurité est le
caractère inhérent à toute recherchf' scientifique. La raison
scientifiquE est une raison "imprudente" dira BACHELARD. Et
c'est grâce à l'histoire que,
selon FONTENELLE,
l'on saisit
dans les sciences,
les tentatives avortées qui sont la base
des rectifications et qui permettent, par voie d'approxima-
tions successives, de perfectionner ou d'étendre la science.
C'est elle qui nous permet de comprendre que les erreurs sont
le moteur des progrès scientifique~qu'ellesont un. intér@t
positif, à titre d'éprellve, c'est-à-dire de moyen de connais-
sance.
c) FONTENELLE: pour qui le cartésianisme n'emp~che pas l'his-
toricisme, ne s'est pas contenté de définir la méthode scien-
tifique en histoire et de montrer l'intér@t de l'histoire des
sciences. si COMTE cite souvent ses Entretiens sur la plura-
lité des mondes1notamment dans le Traité philosophique d'as-
tronomie populaire et dans le troisième volume tiu Système de
politique positive,
c'est surtout parce qu'il a développé
une théorie de l'histoire fondée sur l'idée de progrès. En
effet, après avoir insisté dans son Dialogue avec les morts
(1683) sur l'idée qu'il y a dans la nature un ordre constant,
.../
ibid. p. 369
cf. à ce sujet. Gaston Bachelard. La formation de l'esprit
scientifique
Oeuvres de Fontenelle, op cit. p. 370

- 63 -
il s'attache à souligner dans les Entretiens (1686)
les progrès
de la science,
l'accumulation du savoir et de l'expérience en
vue de la domination de la nature.
Pour cet auteur,
il n'y a aucune inconséquence à affir-
mer d'un c6té l'existence d'un ordre permanent,
et de l'autre
l'existence d'un progrès constant. L'histoire est un progrès
dont la loi dérive de l'ordre de la nature.
Les idées ancien-
nes sont causes des nouvelles et influenront à leur tOllr sur
d'autres;"on s'en persuade encore par un certain ordre naturel,
par une liaison facile qui se trouve entre les propositions
anciennes et les nouvelles".
Et quelques pages plus loin il
ajoute dans des termes repris par COMTE :
"il y a un ordre
qui règle nos progrès. Chaque connaissance ne se développe
qu'après qu'un certain nombre de connaissances précédentes se
sont développées,
et quand son tour pour éclore est venu".
Aucune théorie,
aucune pré' tique n'es t vra:i.men t
rév01ut ionnaire,
et ne peut i ntervert il" l'ordre des d,oses. Ce n'est pas par
hasard que,
au sujet de la pesanteur, GALl LEE succède à
ARISTOTE et précède NEWTON. à qui succède EINSTEIN. C'est que
le point d'arrivée de l'un est nécessaire pour le démarrage
de l'autre. Dans la préface à l'Analyse des infiniment petits
du Marquis de HOSPITAL, FONTENELLE é c r i t :
"Pour ne parler
que des 11athÉ'matiques dont il est seulement ici question,
M. DE:SCARTES commença où les Anciens avaient fini, et débuta
par la solution d'un problème où PAPPUS dit qu'ils étaient
tous demeurés".
Et plus loin;
"Au défaut de ce calcul est
survenu celui du célèbre M. LEIBNITZ; et ce savant géomètre
a commencé où M. BARROW et les autres avaient fini"
(1).
Ainsi donc,
les Modernes
doivent dépasser les Anciens
dans les domaines 00 ils se sont heurtés à des difficultés.
Mais i l ne faut point y voi.r une supériorité des Modernes sur
les Anci.ens. Sur le plan intellectuel,
i l y a identité entre
l'homme passé et présent. Le progrès intellectuel est régi
par un prinCipe fondamental: "le principe de conservation de
la quantité de gênie~ L'histoire de l'esprit est une histoire
de l'évolution,
non de la catastrophe ou de la rupture. Le
génie de EINSTEIN n'est ni supérieur ni inférieur à celui de
ses prédécesseurs. FONTF:NEl,LE s'en prend vivement. avant
'''/
(1) op. cit. pp. 10 -
11
et p. 13.

- 65 -
3°) TURGOT et la loi des trois états
Emboîtant le pas à PONTENELLE, TURGOT développe une
philosophie de l'histoire des sciences qui met en relief
l'enchaînement des générations et la filiation des choses.
C'est à lui que se refèrent le plus souvent les détracteurs
de COMTE pour lui ôter son titre d'inventeur de la loi des
trois états de l'esprit humain. Homme
de science et haut
fonctionnaire d'Etat,
son intérêt pour les problèmes sociaux
de l'époque l'amenèrent à préparer en 1748 un projet de
réponse à une question posée par l'Académie de Soissons,
Recherches sur les causes des progrès et de la décadence des
sciences et des arts ou réflexions sur l'histoire des progrès
de l'esprit humain. Des notes de ce projet. va naître un ou-

vrage important deux ans plus tard
: Tableau philosophique
des progrès de l'esprit humain.
1.' idée maîtresse de TURGOT est que la sllccession hi.s-
torique des choses est telle que chaque étape clérive de ce] le
qui l'a précédée. "Tous les âGes sont encha5"nés les uns aux
autres par une suite de causes .et d'effets qui
lient l'état
précédent du monde à tous ceux 'lui l'ont précédé. Les siGnes
arbitraires dll langage et de ]'écritllre en donnant aux hommEs
le moyen de s'assurer la possession de leurs idées et de les
communiquer aux autres, ont formé de toutes les connaissancps
particulières un trésor commu~ qu'une génération transmet à
l'autre,
ainsi qu'un héritaoe toujours aU[Jmenté des dÉ'coèl-
vertes de chaque siècle;
et le [Jenre humain,
considéré depuis
son origine paraît aux yeux d'un philosophe,
un tOèlt immense,
qui,
lui-m@rne,
a,
comme cha'lue individu,
son enfance et ~es
progrès"
(1).
La découverte de l'écriture est donc ce qui garantit la
pérennisation de l'homme à travers l'humanité,
que CmiTE
défini t
jl1stement comme " l'ensemble des hommes passés, présents
et futurs: TURGOT et COMTE rejoignent ainsi PASCAL qui est
présenté dans le Discours sur l'es!,rit positif comme ayant
éballché la première notion rationnelle du progrès humain,
notion étrangère cl la philosophie du début du XVIIe siècle (2) •
..../
(1) Turgot. 2e discours sur les progrès successifs de l'esprit
humain,
1750,
ln Oeuvres,
Paris,
1808,
p. 52.
(2) cf. Discours sur l'esprit positif,
p.
93

- 66 -
L'humanité, dans lellr théorie est conçue comme un seul homme
ainsi que l'affirme l'auteur
des Pensées: " ••• La m~me
chose arrive dans la succession des hommes que dans les ages
différents d'un particulier. De sorte que toute la suite des
hommes, pendant le cours rle tant de siècles, doit ~tre consi-
dérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend
continuellement" (1).
Ainsi, l'état actuel du monde, par la variété sans borne
des cultures qui la composent, nous revèle, dans un tableau
synoptique les mouvements, les vestiges de tous les pas de
l'esprit humain, les chemins parcourus et toutes les étapes
par lesquelles il a passé. Cet état est un tableau renfermant
l'histoire de tous les ages de l'humanité. Et c'est l'étude
de ce parcours difficultueux mais continu qui fait l'objet
des ouvrages de TURGOT tels que le Plan de deux discours sur
l'histoire universelle, le premier portant sur la formation
des gouvernements et le mélange des nations, le second sur
les progrès de l'esprit humain. Mais, c'est dans le Discours
sur les avantages que l'établissement du Christianisme a pro-
curé au genre humain, allocution prononcée à la Sorbonne le
3 juillet 1750 qu'il résume, dans un passage devenu célèbre,
l'évolution de l'intelligence en des termes qui indiquent,
incontestablement, la loi des trois états revendiquée par
COMTE. Ce passage est le suivant: "Avant de connaître la
liaison des effets physiqlAes entre eux, il n'y eut rien de
plus naturel que de supposer qu'ils étaient produits par des
~tres intelligents, invisibles et semblables à nous ; car à
quoi auraient-ils ressemblé? Tout ce qui arrivait sans que
les hommes y eussent part, eut son'Dieu, auquel la crainte ou
l'espérance lit bientôt rendre un culte, et ce culte fut en-
core imaginé d'après les égards qu'on pouvait avoir pour les
hommes plus puissants; car les dieux n'étaient que des hommes
plus ou moins parfaits, selon qu'ils étaient l'ouvrage d'un
siècle plus ou moins éclairé sur les vraies perfections de
l' huma ni té. Quand les phi losophes eurent reconnu l'absurdité
de ces fables, sans avoir acqui.s néanmoins de vraies lumières
sur l'histoire naturelle, ils imaginèrent d'expliquer les
causes des phénomènes par des expressions abstraites, comme.../
(1) Pascal, Pensées, 1650, p. 80.

- 67 -
essences et faCilItés: expressioŒqui cependant n'expliquaient
rien et dont on raisonn.1it comme si ell'ê's eussent été des
êtres, de nouvelles divinités substituées aux anciennes. On
suivit ces analogies et on m\\lltiplia les facultés pour rendre
raison de chaque effet. Ce ne fut que bien plus tard, ènobservanf
l'action mécanique, que les mathématiques purent développer
t
l ,
"
.
' f '
,,( 1)
e
exper1ence verl 1er

"'homologie entre ce passage L1e TURGOT et ceux de COMTE
sur la marche de l'intelligence est si frappante qu'on est
tenté de faire de la pensée positiviste le simulacre de celle
llu siècle précédent. RENOUVIER, par exemple,affirmE' dans la
critique philosophique (2) que cm1TE a introduit des paralo-
gismes dans la thèse de TURGOT qu'il reproduit: car, pense-
t-il, la préoccupation du précurseur a été, à travers l'étude
de l'histoire, de réfléchir sur la marche de l'esprit humain
et sur la science, rien de plus.
Or la première erreur de COMT8, selon RENOUVIER, c'est
d'avoir compris q,>e TURGOT établit une incompatibilité entre
l'esprit positif et la philosophie en général, conçue comme
réflexion sur les principes ét les causes. Certes, le progrès
de l'esprit va de pair
avec la dégradation progressive de la
métaphy~ique dont la méthode est surannée. Mais la condamna-
tion d'une forme <le métaphysique ne signifie pas l'abolition
de la philosophie dans son ensemble. La preuve, nous dit
RENOUVIER, c'est que dans l'essai de classification des
sciences de TURGOT figure la métaphysique en tant que mode
d'investigation des premiers principes de l'être.
. . .1
(1) Turgot, op. cit. in Oeuvres de Turgot, ed. 1809, T II
Cette idèe est "ainsi exprimée par Bonald dans
la première ,oartie de la législation primitive: "la société
passe, ainsi que l'homme par plusleurs états différents ••• ;
la société a comme l'individu, son enfance, son adolescence~
sa virilité". laIe se retrO\\we également chez Burdin qui
conçoit aussi le progrès de l'espèce comme identique à celui
de l'individu. l,'enfant, d'abord artisan, devient artiste à
l'âge de la puberté. Au-delà de vingt-cinq ans il a l'esprit
militaire qui cède place, à partir de quarante ans, à un
esprit plus spéculatif, plus scientifique.
(2) cf. Critique philosophique nO la,
1881.

- 68 -
Notons que l'auteur du Tableau philosophique pensait
comme le positivisme que toute science doit s'affranchir de
l'emprise de l'imagination et s'appuyer sur le modèle mathé-
matique."Nous ne rlous lassons pas de répéter, dit-il, avec
ceux qui désirent sincèrement le progrès de la civilisation,
qu'il faut toujours revenir sincèrement aux faits ; que tout
à la longue, peut se compter, se mesurer, et par conséquent
~tre soustrait, au mo"i.ns en grande partie, il l'empire de
l'imagination" (1). Il pensait m~me que la morale et la
politique ne peuvent devenir des sciences que si elles étaient
soumises au calcul. C'est, du reste, sous son i.mpulsion que
CONDORCET s'efforcera de soumettre le calcul des probabi-
lités aux sciences humaines.
En outre i.l a procédé à une classification des sciences
(excepté la morale et la politique) qu'il subdivise en
sciences de combinaison (les mathématiques) et en sciences
d'observations (les sciences physiques). L'objet de ces
dernières n'est pas la saisie d'une suite d'idées et de
rapports, mais celle de faits et d'idées qui ont un objet
existant, et dont la vérité consiste dans la conformité de
nos représentations mentales avec cet objet. Les
sciences
physiques
désignent donc che~ TURGOT à la fois "logique"
et
"métaphysique": "Sous le nom de sciences physiques, je
comprends la logique qui est la connaissance des opérations
de notre esprit et la généralisation de nos idées ; la
métaphysique qui s'occupe de la nature et de l'origine des
êtres; et enfin la physique proprement dite qui observe
l'action des corps les uns sur les autres, et les causes de
l'enchaînement des phénomènes sensibles" (2).
La deuxième erreur de COMTE, selon RENOUVIER, c'est
son interprétation du concept de l'esprit positif. Dans sa
loi, il se limite strictement à la réflexion sur le progrès
des connaissances scientifiques. "Ce ne fut que bien plus
tard, en observant l'action mécanique, que les mathématiques
purent développer et l'expérience vérifier. Voilà pourquoi
la physique n'a cessé de dégénérer en mauvaise métaphysique
qu'après qu'un long progrès dans les arts et dans la chimie.../
(1)
Turgot, Traité élémentaire ••• , 1816, p. 263.
(2)
Deuxième discours
•••
cité par Renouvier, op. cit.

- 69 -
eût multiplié la combinaison d("s corps" (1). Chez TURGOT,
l'esprit positif cléS'lgne uni.quement le développement des
sciences positives. Il n'existe pas de tous les temps, il
devient. Ce qUl est le contraire de la théorie de COMTE.
C'est par la rectification de ces deux erreurs supposées
du positivisme que RENOUVIER entend reproduire la pensée de
TURGOT clans sa pureté, et défendre la philosophie"et la théo-
logie contre les assauts de COMTE. La fausseté cle l'inter-
prétation se vérifie par
la coexistence à l'époque contem-
poraine des trois modes de pensées considérées comme contra-
dictoi.res, exclusives l'une de l'autre. L'unité de la pensée
doit consister, comme l'affirmera plus tard Alexémdre KOYRE,
dans la synthèse entre religion, philosophie et science, et
non clans la substitution de la dernière forme de pensée aux
deux premières. En définitive, conclut RENOUVIER,
"il reste
à TURGOT la gloiré' ëlssez, gr.3nde d'avoir bien c1~m"'lé la nature
du progrès clans l'esprit positif, tracé la marche de l'esprit,
des fictions de la théologie i.maginaire, puis des abstractions
réalistes de la "mauvaise métaphysique/
à la bonne méthode
des sciences expérimentales, esquissé par conséquent la loi
des trois états dClns ce qu'elle a de vr<li. Pot il reste à
Auuuste COMTE et à ses précurseurs autre que TURGOT, l'in-
contestable propriété de l'erreur qui consiste, au no~ de
cette loi mal entendue,
transfortée hors de son ressort, à
vouloir bannir de l'esprit humain l.es spéculations et les
croyances don t les obj ets appart ï.ennen t à la phi losophie et
à la théologie"
(2).
A notre <lvis, si RENOUVIER a saisi le sens de la pensée
de TURGOT, si l' hommage qu' U. llll rend d'avoir ouvert la por-
te à une théorie du progrès postulant la loi des trois états
est légitime, son interprétation du positivisme de COMTE,
elle, est lacunaire. Tl faut remarquer d'ailleurs que ce
grand détracteur du père du positivisme s'est toujours révélé
comme l'un de cellX qui ont le moins compris sa doctrine. On
le voit par ~x~mple se demander si le Cours de philosophie
positive est ,,:,ncore au courant de la science, alors que COMTE
s'est voulu un al1i.llyste des sciences de son époque et non un
futuriste. Ailleurs, il perçoit une contradiction flagrante .../
(1) Oeuvres,
.•• op. ci t.
(2) Renouvier, op. cit., p. 27

- 70 -
entre les deux aspects de la pensée de COMTE, pensée dont
l'unité n'est ?Jus à démontrer 0e nos jours • .
Dans le cas présent, il est évident que la théorie qu'il
oppose à celle ùe TURGOT n'est pas le positivisme. Car comment
cette doctrine peut-elle nier la philosophie si elle se défi-
ni t elle-m~me comme une philosophie? i,e Cours n'est pas une
science, mais une philosophi.e a11 sens premier du terme. Le
positivisme, comme le platonisme, ne confie-t-il pas au
philosophe - spéciâliste des gén6ralités ou prêtre de l'Huma-
nité - la direchon de la cité? Pent-on parler légitimement
du positivisme de COMTE si on ionore qne son but ultime est
la fondation d'nne religion?
Mettons-nous donc à l'évidence: la loi des trois états
de TURGOT est bien celle reprise par COMTE. Et c'est à RENOU-
VIER que revient le tort de
n'avoir pas compris que la diffé-
rence entre ces denx penseurs dans la conception de l'histoire
des sciences tient à l'évolution ori.ginale de l'allteur du
Cours plu tôt gu' à la trahison cIe la pensée de TURGOT par ce
dernier.
En effet, l'écri.vain du XJXe siècle a pris de la dis-
tance par rapport à son prédécesseur sur trois points que
souligne LITTRE. La marche de l' humanité, simple obj et de
méditation chez TURGOT, devient avec COMTE une loi à la fois
sociologique et historique dont les implications sont clai-
rement définies. En outre, alors que le premier n'établit
aucun rapport réel entre l'évoluti.on de l'esprit et une es-
quisse du développement humain, le second en fera le fonde-
ment de toute la série historique. Erifin, TURGOT ignorait que
cette déco\\lverte était la clé de voute d'nn nouveau mode de
connaissance. COMTE s'en est saisi pour élaborer la philosoyhie
positive.
Tous ces éléments constituent sans doute des raisons
qui, entre autres, justifient le fait que COMTE s'est montré
plus redevable à CONDORCET qu'à TURGOT à qui revient pourtant
l'honneur d'avoir guidé ses pas vers l'un des éléments fonda-
mentaux de sa doctrine: la loi des trois états.
. . .1

- 71 -
4°) CONDORCET : précurseur imm~diat de COMTE.
Elève et ami de TURGOT à qui il a consacré un ouvrage,
Vie de TURGO'i> CONDORCET est défini par COMTE comme son "pré-
décesseur imm6'.iat", c'est-à-dire celui qui avant St-SIMON,
et mieux que lui, a orienté ses "méditations spontanées". Car
il est le premier à comprendre que le couronnement de la sci-
ence et son but immédiat, c'est la connaissance de l'homme,
noeud du bonheur et du perfect ionnement de l' humanité (1). Il
est éga.lement l'un de ceux dont la théorie de l'histoire pose
le fuieux les jalons de la sociologie, condition de la possi-
bilité de l'histoire des sciences.
C'est dans l'Esq"isse d'un tableau des progrès de
l'esprit humain que CONDORCET présente cette théorie de
l'histoire. Le but de l'ouvrage est défini dès les premières
lignes : "Ce tableau est clonc historique, puisque, assuj etti
à de perpétuelles variations, i l se forme par J'observation
successive des sociétés hlJmaines aux différentes époques
qu'elles ont parcourues. Il doit présenter l'ordre des chan-
gements, exposer l'influence qu' exerce chaque instant sur
l'instant qui lui succède, et montrer ainsi, dans les modi-
fications qu'a reçues l'espèce humaine, en se renouvelant
sans cesse au milieu de l'immensité des siècles, la marche
qu'elle a suivie, les pas qu'elle a faits vers la vérité ou
le bo nheur. Ces observations s "r ce que l' homme a été, sur ce
qu'il est aujourd'hui, conduiront
ensuite aux moyens d'assurer
et d'accélérer les nouveaux progrès que sa nature lui permet
d'espérer encore. Tel est le but de l'ouvrage que j'ai entre-
pris ••• " (2).
La courbe des progrès de l'homme que CONDORCET dessine
dans ce tableau est simple, mais significative. En m~me temps
qu'elle nous présente l'histoire de la société humaine divi-
sée en périodes, elle relate à la fois l'histoire des tech-
niques, des sciences, de la philosophie, du droit, de la
religion. Les tro'is premières époques correspondent à la for-
mation de relations sociales et de systèmes économiques orga-·
nisés : exploitation de l'ho®ne par l'homme, division sociale
.../
(1) "On verra combien, si cette science était plus répandue, plllS
cultivée, elle contribuerait et au bonheur et au perfection-
nement de l'esppce humaine" écrit-il dans le Traité d'économie
politique, ;.'e édition, p. 13.
(2) Oeuvres de Co..ndorcet,
t VI, 18'17, pp. 12 - 13.

- 72 -
du travail, séparation ville - campagne. Elle est close par
l'inventioll de l'écriture qui ouvre en même temps une nouvelle
ère de l'intelligence. J,a quatrième et la cinquième époques
voient le dév~lorpement de la philosophie et la constitution
progressive des sciences. Les sixième et septième périodes
qui marquent la décadence de
la raison sont caractérisées
par les luttes des forces sociales rétrogrades jusqu'à ce
que l'invention cle l'imprimerie consacre la victoire de la
connaissance scientifique. Les trois dernières époques sont
celles de la marche des lumières.
Cette Esquisse laisse apparaître d'une façon très frap-
pante, l'idée reprise par COMTE d'une liaison explicite entre
les formes de la vie sociale et les progrès de la connaissance
scientifique. L'histoire des sciences est inséparable de
l'histoire de l'humanité. Les grandes étapes de l'intelligence
sont directement conditionnées par l'invention cles techniques
matérielles (écriture, imprimerie) ou l'avènement de nouvelles
structures sociales.
En outre, COMTF. et CONDORCET partagent la commune
conviction que c'est dans l'histoire que s'enracine la nouvelle
science de la société, dans la mesure o~ l'histoire lui four-
nit un recensement cles progrès et des erreurs de l'homme à
la recherche de la véri té et du bonheur. C' es t donc elle qui.
fournit à la sociologie sa base scientifique car "si l'homme
peut prédire avec une assurance presque entière les phéno-
mènes dont il connaît les lois ; si lors même qu'elles lui
sont inconnues, il peut, d'après l'expérience du passé prévoir
avec une grande probabilité les évènements de l'avenir
pourquoi regarderait-on comme une entreprise chimérique, celle
de tracer, avec quelque vraisemblance, le
tableau des des-
tinées futures de l'espèce humaine, d'après les résultats de
son histoire 7"
(1).
a) La doctrine cle CONDORCET comporte deux axes: une épisté-
mologie et une phi.losophie de l'histoire. Le modèle de la
connaissance scientifique, ce sont les mathématiques dont le
MARQUIS eut très t6t conscience de l'historicité. Il distingue
deux domaines de la connaissance scientifique selon les espèces
.../
(1) Esquisse .oo, op. cit., p. 239

- 73 -
de certitude qll'on pent obtenir;
selon que cette certitude
est un prodnit clu ré1isonnement ou qu'elle dépend de l'intui-
tion.
Ainsi les mathématiques pures et la métaphysique sont
des évidences intuitives,
tandis que les vérités de l'expé-
rience ne sont que des probabilités. Les sciences expérimen-
tales sont à la fois des vérités de raisonnements et des
vérités de faits car "la nature suit des lois invariables
et
[ . . . J les phénomènes observés nous ont fait connaître
ces lois".
CONDORCET pense comme c1' I\\Lf':I.lfJ8RT qu' i l Y a lm ordre et
une unité de la nature, mais qui ne sont pas immédiatement
perçus. Tous les êtres,
tous les objets de nos connaissances
ont entre eux des liaisons 'lUi nous échappent. Lé' tâche du
philosophe est de reconstituer la continuité des différentes
parties de la chaîne par la découverte de liaisons de plus
en plus général.es entre les faits observés, c'est-à-dire,
la
découverte de lois générales. Le philosophe des sciences est
un constructeur de système puisq'le les sciences se tiennent
par une chaîne q\\.\\i urü t chacune d'el le à
tau tes 1 es autres.
Elles se prêtent Iles S0COl11'S mutuels. Dans le Fragment sur
l'Atlantide il écrit:"il est de l'int&r@t de la vbrité que
Lles sciences] se réuniss(~nt toutes, parce qu'il n'en est
pas une qui ne tienne à tOlites les autres parties du système
scientifique par une dépendance l'lus 0\\1 moins immédiate. Il
n'est pas une o~ l'on p'iisse rompre la chaîne sans nuire aux
deux portions que l'on aurait séparées"
(1).
La tâche de l' historien (les sciences est double. Il
doit d'abord découvrir les conditions du progrès de la connQis-
sance scientifique,
à savoir:
le mode d'application d'une
science à l'autre et le rôle organisateur de cette application
étendre ensuite le domaine de la connaissance au moyen de
l'application d'une science i\\ l'autre, ou de l'une ou l'autre
des.sciences constituées il de nouveaux
travaux. Il doit,
comme le dira COMT8, compléter l'échell.e encyclopédique.
C'est pourquoi CONDOT,CE:T se prop0se cl' intégrer un obj et
jusque-là en dehors de ~'encyclopérlie scientifique:
le fait
politique et social.
Rien n'interdit i\\ la science sociale
d'acquérir la m@me certitude que toute science expérimentale •
. . .1
(1) op. ciL ln oeuvres t VI, p. 607 et suivantes.

- 74 -
Théoriquement, le statut de J'ollservateur est le même dans
toutes les sciences expér:i.ment"les. :La seule di.fférence entre
les sciences sociales et les éliltres sciences expérimentales,
c'est que l'observateur félit lui-même partie de ce qu'il
observe. 8t cette différence impose une distincti.on entre
deux types de propositions probables:
les propositions ~
siques et les propositions hypothéti(l'Jes. Les dernières sont
celles des sciences soci.ales. 8Jles comportent une crédibi-
litR moindre (1).
Mais l' "'1cien étudiant de m"thématiques au collège de
Navarre dont les premi.ers trélvaux ont porté, jusqu'en 1772,
sur l'élnalyse abstraite (le calcul intégral) pense qu'on peut
évaluer le degré de confiance dont dispose les propositions
hypothètiques à partir d'un traitement mathématique. La nou-
velle science n'est ni une "physiologie sociale"
(St-SIMON~
ni une "physique sociale"
(COMT8);mais une mathématique so-
ciale. Cette appeléltion et· son explication sont données dans
un texte posthume publié le 22 juin 1795 dans le Journal
d'instruction socii'lle. "Comme toutes ces applications [celles
des mathématiques J
sont
immédiatement relatives aux inté-
r@ts sociaux ou à l'analyse ~es opérations de l'esprit humain,
et qlle, dans ce dernier
C,3S,
elles n'ont encore pOllr objet
que l'homme perfectionné par la société, j'ai crn qlle le nom
de mathématique sociale était celui qui convenait le mieux ,,\\
cette science". Puis à la s'lite : "Je préfère le mot mathé-
ma tique, quoique actuellement hors d'usage au singul ier, à
ceux d'arithmétique, de géométrie, d'analyse, parce que ceux-
ci indiquent une partie des mathématiques, ou des méthodes
qu'elles emploient, et qu'il s'agit de l'applici'ltion de l'al-
gèbre ou de la géométrie, comme celle de l'arithmétique, qu'il
s'agit d'applications dans lesquelles toutes les méthodes
peuvent être employées ••• ft. Et enfin "Je préfère le mot
sociale aux mots morale ou politi.que, parce que le sens de
ces derniers mots est moins étendu et moins précis" (2).
Mais comment soumettre à un traitement mathématique des
propositions vagues et i.ndéterminées ? Il faut renoncer "aux
vérités rigoureusement prouvées" et plélcer déli.bérément les
sciences humai.nes dons le domai.ne ôv probable. Lél mathématique
. . .1
(1) cf. Discours de réception •••• p. 392 et suivantes.
(2) Op. ci.t. élrt. J.

- 75 -
sociale, c'est l'application ,lu calcul des probabilités aux
faits sociaux.
ValéatoirR est la catéoori.e fondamentale
d'une science des contlu:i.tes. L'homme est "Homo aleator", son
étude suppose une science du ri.sqlJe et du motif de croire.
Dans le Tableau génér,Ü de la Science, CONDORCE:T dis-
tingue trois sections dR la mathématique sociale. "Les hommes,
les choses, ou ;) la fois les hommes et les choses"
1. l' homme
a)
l'homme individu
b) les opérations de l'esprit humain
2. l,'s choses
Réducti.on des choses ~ une mesure commune.
Calcul des valeurs.
3. L'homme et les cYJOses
-
E:lle a l'homme pour objet lorsqu'elle traite par exemple
des taux de mortalité, des avantages d'un mode d'élection
etc~ .•
E:lle a les choses pour objet lorsqu'elle évalue par exemple
les bénéfices d'une loterie,
les règles de gestion d'une
assurance etc ...
Elle a les hOlnmes et les choses pour objet lorsqu'elle
traite par exemple lIes rentes viagères,
cles assurances sur
la vi.e etc ... Sn un mot le calcul des probabilités est
"l'organon" cIe toute sc:i.ence. Et les mathématiques sont si
importantes que leur histoir~ constitue le miroir le plus
fidèle de l'histoire des progrès de l'esprit humain. C'est
pourquoi,
tout comme COMTE: luttera pour ia création d'une
"chaire d'Hi.stoire Générale des Sciences", CONDORCET a
vivement souhaité l'existence, au quatrième degré,
d'une
"chaire d'application du calcul aux sciences morale et
politique".
Dans l'Essai (p. 120 et suiv.), CONDORCET donne un exem-
ple de l'application des probabilités à la théorie de l'opi-
nion dans le Vote,
Borda, dans le Mémoire de l'Académie
Royale des sciences,(1781, p. 657 et suiv.) a étudié avant
CONDORCET l'aspiration particulière des électeurs. Selon lui,
il n'est
pas toujours vrai que clans une élection au scrutin
•••

- 76 -
la pluralité des voix indique toujours le voeu des électeurs.
Cette idél~ n'est vrai que
l<D>Ts'lu'on n'a que deux électeurs:
Par exemple, 21 votants ont à choisir entre 3 candidats A.B.C.
13 préfèrent B à A et C à A.
8 préfèrent A à B et A à C.
Dans l'ensemble de l'opinion I.e nombre de voix de A est
inférieur ,,\\ ceux (le 8 et C. Nais il suffit qu'on procède à un
vote à la majorité ordinaire et que parmi les 13 votants qui
préfèrent B et C à A, 1 votent B, C, A (mettent Bau-dessus
de C) et que 6 votent C, B, Il (mettent C
au-dessus de B) pour
que A ait la majorité des voix quoique l'opinion des électeurs
lui soit défavorable. C'est
le paradoxe de Borda.
CONDORCET reprend cet exemple en s'appuyant sur la pro-,
babilité : Si on a par exemple 3 candidats A, B, C, on a 6
opinions possbles : a) A>B
b) B>C
c) C> A
d) B>A
e)
C>B
f) A>C,
et l'opinion collective qui obtient la majorité sera
A >
B,
B> C C > A.
C'est ce que d'aucuns appellent l'effet CONDORCET.
La méthode scientifique de CONDORCET comporte trois
voies principales: une théorie de l'analyse: les "méthodes
techniques", c'est-à-dire, l'art de systématiser afin de mieux
percevoir les rapports: et surtout une théorie du langage.
Une science bien élaborée est une langue bien faite. L'imper-
fection du langage est un obstacle épistémologique et explique
le retard qu'accus'ë'nt la morale et la politique sur les autres
. . .1

- 77 -
sciences. Dans l' 8s r!uisse, il écrit : "Une des premières bases
de toute philosophie est de former pour chaque science une
langue exacte et précise, où chaque signe représente une idée
bien déterminée, bien circonscrite, et de parvenir à bien
déterminer, bien circonscrire l",'s idées".
Auguste COMTE reprendra cette idée dans la vingt-hui-
tième leçon du Cours. Il estime que CONDORCET exagère de
quelque peu l'importance dl' langage. Il est des sciences dont
le progrès n'a guère nécessité la modificatioh du langage. Le
mot rayon par exemple utilisé en optique pour l'idée de
l'émission est encore valable dans la théorie des ondulations.
TOI)tefois,
"pour opérer com!'lètement cette importante réforme,
(la réforme scientifique
J le langage scientifique aura
lui-m~me besoin d' ~tre convenablement épuré ••• " (1).
Enfin, JI \\ll1F' des intentions
profondes de l'i.ntelli-
gence scientifique che~ CONDORCET est d'~tre utilitaire.
Rendre cOinpte ,l'une découverte, d'une théorie importante,
d'un nouveau système de lois, d'une révolution sociale ou
politique, c'est en m(;,me temps déterminer quels ont été leurs
résultats concrets pour l'intér~t général. Ce n'est que <le
cette manière que la recherche des connaissances a un sens.
Et CONDORCET donne un exemple souvent repris par COMT8 pour
qui "utiJe" est l'ull des principaux i!ttributs dll mot "positif"~
"Le matelot, qu'une exacte observation de la longitude pré-
serve du naufrage, doit la vie à une théorie qui, par li!
chaIne de vérités, remonte à des découvertes faites dans
l'école de PI.ATON et ensevelies pendant vingt siècles dans
une entière inutilité"
(2).
b) La théorie de J'histoire selOl1 l'auteur de l'Esquisse
nous semble, se réswner en trois assertions principales : il
y a identité entre le dêveloppement de l'humanité et celui
de l'individu; l'espèce humaine est soumise à une perfecti-
bilité indéfinie ; et enfin le savoir est le moteur de l'his-
toire.
Comme la plupart de ses contemporains, CONDORCET pense,
en effet, que l'humanité est comparable il un seul homme qui.
vit et qui dure. Elle progresse comme un individu qui non
seulement grandit, mais améliore ses facultés par l'accumu-
lation de l'expérience sous le modèle de la récurrence.
.../
(1) Cours, philosophie première, Hartmann, 1975, p. 460.
(2) Esquisse, 1933, p. 202. Auguste Comte écrira :"J'ai une sou-
verraine aversion pour les traVill,lX scientifiques dont je
n'aperçois pas claJ.rernent l'util~té".

- 78 -
"Ce progrès est soumis avx mê-mes lois générales qui s'observe
dans le développement individuel de nos facultés, puisqu'il
est le résultil.t de ce développement, considéré en m~me temps
dans un grand nombre d'individus réunis en société. Mais le
résultat de chaque instant dépend de celui qu'offraient les
instants précédents ; il inflne sur celui des instants qui
doivent suivre"
(1).
L'originalité de sa doctrine réside surtout dans l'affir-
mation selon laquelle le perfectionnement de l'homme est sans
limite. L'ordre des changements est nécessaire et ininter-
rompu; et cette idée du perfectionnement indéfini de l'homme
a vu le jour au cours de la neuvième époque. "8nfin, on y vit
se développer une doctrine nouvelle qui devait porter le
dernier coup à l'édifice déjà chancelant des préjugés: celle
de la perfectibilité indéfinie de l'espèce humaine, doctrine
dont TURGOT, PRICE et PRJESTI.,EY ont été les premiers et les
plus illustres apôtres" (2).
Cette idée est originale parce que, contrairement à
ROUSSi':i\\U qui opposait la faclJ1té de perfectionnement à la
nature en voy"nt dans le progrès des sciences et des arts
l'origine de l'inégalité qui ramène l'homme à l,n degré infé-
rieur à l'état de nature; à la différence de cet auteur, et
même de HEGEL, qui décèle dans la marche de l' humani té des
hauts et des bas; pour CONDORCET, le progrès, - fonction de
la dialectique de la raison et ,le lA nat\\l.re dt une part, du
dominant et dll dominé (ou du savant et de l'ignorant) d'autre
part - présente une courbe continue, linéaire et indéfinie.
"Sans doute, ces proorès pourront suivre une marche plus ou
moins rapide, mais elle doit ~tre continue et jamais rétro-
grade tant que la terre occurera la même place dans le système
de l'univers, et que les lois génér~les Je ce système ne pro-
duiront ni un bouleversement uénéra1, ni (les changements qui
ne· permettraient pIns à l'espc~ce humaine d'y conserver,d'y
déployer les mêmes facu 1 tés, d' Y trouver les m0mes ressources ".
(3)
Il prend même de la clis tance par rapport à TURGOT qui
voyait dans le perfectionnement de l'espèce humaine, des oscil-
lations, malgré la continuité. "Les progrès ,quoique nécessai.res
....
(1)01'. cit. ~. 76.
(2)
ibid, p. 166 L'Esquisse est un ouvrage dont "le résultat sera
de montrer par les faits, comme rar le raisonnement, que la
nature n'a marqué aucun terme au perfectionnement des facultés
humaines"
(3) ibid, p. 77

- 79 -
son t en tremêlés <Je d{'cadences fréqllen tes, par l es évènements
et les révolutions qui viennent les interrompre".
CONDORCET fait chemin à pilrt
parce que
ni
SAINT-
SIMON, ni COMTE par la suite ne donneront leur aval à cette
idée. Le premier, qui recomposeril un nouveau tableau en cinq
périodes cdractérisées chilclme par la direction du raison-
nement dans les sciences, reproche à son prédécesseur d'avoir
"exagéré l'emploi ql~'il a fait du principe de perfectibilité"
en imaginant cette perfectibilité indéfinie. L'hnmanité, comme
chaque individu, grandit. Or qui dit vie dit mort. De ce fait,
l'humanité vieillit et meurt. De nos jours, il y a certaines
mentalités 'lui se détruisent à l'instar de certaines aptitudes
du vivant 'lui disparaissent. L'histoire de St-SIMON est une
histoire bi.ologique qui affirme 'lue la marche de l'esprit ne
suit pas une li.une droite continuellement monUlnte. Elle suit
une courbe (.,).
La troisiême assertion,
enfin, 'lui. constitue la théorie
de l' histoire de CONDORCET, est 'lue le perfectionnement réel
de l'homme est d'essence intellectuelle. Certes, l'histoire
de l'humanit~ est répartie sur plusieurs fronts: art, tech-
nique, morale, science, politique. Mais le développement des
sciences condi.t:ionne tous les autres. De même que MARX fait
de l'économie le moteur de J'histoire, de la même façon
CONDORCET pense 'lue la science qui entretient avec ses appli-
cations une relation dialectique est le premier facteur du
progrès humain. Le Tableau est un aperçu synopt:j([ue du déploie-
ment
des sciences: "Nous chercherons surtout à suivre cette
marche du génie des sciences, 'l"i tantet descendant d'une
théorie abstraite et profonde à ses applications savantes et
délicates, simplifiant ensuite ses moyens, les perfectionnant
aux besoins, finit par répêlndre ses bienfaits sur les pra-
tiques les plus vulgaires ; et tantôt réveillé par les besoins
de cette pratique même, va chercher (lans les spéculations les
plus élevées, les ressources 'lue les connaissances communes
auraient refusées" (2).
.../
(1)"Les circonstances uénérales dans lesq"elles Condorcet s'est
trouvé, lui ont échauffé la t~te ••• " écrit St-Simon. Comte
qui refu92 la théorie du progrès indéfini sans toutefois ad-
mettre celle de la mort emprunte la plupart de ses critiques
de la doctrine de Condorcet à l'Introduction aux travaux du
XI Xe siècle de son maître.
(2) Esquisse, p. 239

- 80 -
Le progr~s en histoire est donc correlatif au progrès
des connaissances scientifiques puisque les perfectionnements
techniques, mor,}ux et politi-']\\~es consistent à devenir scien-
tifiques. On devient meilleur à mesure qu'on est éclairé par
la science. Car "les proorès des sciences assurent les progrès
de l'art d' ins truire qui enx-mêmes accélèrent ensuit e ceux
des sciences; et cette influence réciproque, dont l'action
se renouvell e sClns cesse, do:t t être placée av nombre des
causes les plus actives, les plus puissantes du perfection-
nement de l'espèce hnmaine" (1). 8t CONDORCET de déclarer
dans une formule qui aurait pu être attribuée à COMTE:
"Toutes les erreurs politiqnes, en morale, ont pour base des
erreurs philosophiques, qlÜ fè] les-mêmes sont liées à des er-
reurs physiques".
COMTE consacre de noml1reuses pages à l'analyse de la
doctrine cle CONDORCET. Dn simple 01lj et cl," mécliti1tion en été
1817,
elle devient objet cle criti.que lorsque, secrétaire de
St-SIMON, COMTE entreprit de fonder la physique sociale.
"] 'éta is parvenu
') sentir à la
fois la portée et l' insuf-
fisance de la grande tentative de CONDORCE:T"7 dit-i1 7dans la
préface du sixième volume <ln Cours. C'est ai.nsi que dans les
Opuscules, dans le Cours (à partir de la quarante-septième
leçon) et dans le Syst'~me, COMTE présente son précurseur
comme étant à la fois "illustre et malheureux" (2).
Il est n:alheur~lx parce qlle maloré son génie, son succès
et son originalité; bien que ses observations éclairent sous
un jour à la fois nouveùu et heureux les aperçus de PRICE et
de PRIE;STLSY, son oeuvre comporte beaucoup de vices et doit,
par conséquent, Atre complètement reprise dans une perspective
plus scientifique.
/
• • •
(1) "Aujourd'hui, écrit Condorcet, un jeune homme, au sortir de
nos écoles, sait, en mathématique, au-delà de ce que Newton
avait appris par cle profoncles études, ou découvert par son
génie"
ibid. 231.
(2)~Depuis Montesquieu, le seul pas important qu'ait fait jusqu'-
ici la conception fondamentale de la sociologie est dO à
l'illustre et malheureux Condorcet, dans son ouvrage sur
l'Esquisse cl' un tablei'tu histori'111e sur les pro l'ès de l'es rit
umaln" P YSJ.quc soc:Lale
Hermann, 1975 p.

,
1

-
81
-
Toute science vise A saisir les rapports entre les
faits, à établir une loi. Or le Tableau de Condorcet n'éta-
blit aucune loi. Il est purement descriptif, I,'auteur s'est
contenté de découper d'une façon arbitraire les différentes
périodes qui ont ensuite été carélctérisées, sans preuve, par
des évènements donnés: écriture, imprimerie, industrie etc ••
Il s'agit d'un améllgame
de Faits dont on ne saisit pas
l'enchaînement. CONDORCIIT n'a donc pas atteint son but qui
est de constituer une science de la société. Il en a posé le
principe essentiel, mais a manqué de s'eng"ger sur le chemin
qu'il a tracé. Ce qui fait défaut à cet auteur, c'est ce que
MONTESQUIEU a bien saisi:
l'esprit des lois. Certes les deux
entreprises sont des échecs et ont en commun ce défaut d'ap-
partenir au XVIIIe siècle. Nais HONTESQUI8U a l ' avantage
d'avoir compris que la politi([lw scientifique passe par la
mise en évidence des lois (le l'enchaînement des faits poli-
tiques "Pour la première fois ••• ,l'idée de loi se trouve
enfin directement définie, envers tOllS les sujets possibles,
même poli tiques ••• " (1).
En outre, non seulement CONDORCE:T a posé que le progrès
suit indéfiniment une ligne droite, mais encore il fait clu
calcul des probélbi l i tés le fondement des sciences sociales,
tout comme si les faits sociaux étaient quantifiables. Les
mathématiques président à l'étude des phénomènes inorganiques.
Mais à mesure qu'on se rapproche de la saisie du phénomène
humain, sa prépondérance diminue. Les ma thématiques doivent
céder la"présid"nce"à la sociologie et non lui imposer leurs
règles. A maintes reprises, COMTE dénonce ce qui est l'idéal
de la science sociale chez CONDORC8T, c'est-à-dire "cette
prétention d'un grand nombre cle géomètres à rendre positives
leurs études sociales d'après une subordination chimérique à
l' illusoire théorie mathématique des chances". A ce niveau,
COMTE marque une régression incontestable sur lél pensée cle
CONDORCET.
En rev"nche, il est nettement en avance sur celui-ci
en biologie dont il lui reproche cl'avoir méconnu l'importance.
Le XIXe siècle a vu l'essor de "1" saine biologie ••• dont
CONDORC8T n'a pu être temoin"l elit-il. D'al) tre p"rt l'histoire,
critiquée et non observée, source de déclamations littéraires
.../
(1) physique sociale, Hartl""nn, 1975, p. 85

- 82 -
et non de loi scientifique, présente un progrès ankylosé par
la défiance quasi-maladive du passé par l'auteur du Tableau.
Toutefois, CCJNDOI,Cr,il' est i.l.llJstre parce qu'il est l'un
des premiers a comprendre qlle la civilisation suit une marche
progressive et (lUe les éléments s'emboîtent les lins dans les
autres "suivant des lois naturelles que peut dévoiler l'obser-
va t ion phi losophique du l") ssé, et qu i détermine pour chaque
époque, d'une manière entièrement positive, les perfection-
nements que l'état social est appelé ,\\ éprouver, soit dans
ses parties, soit dans son ensemble. Non seulement CONDORCET
a conçu par là le moyen de donner à la politique '.ne vraie
théorie positive, mais il a tenté d'établir cette théorie en
exécutant l'ouvrage intitulé: Esquisse d'un tableau historique
sur les progrès de l' espri t humain, don t le titre seul et
l'introduction suffiraient pOllr assurer à son auteur l'hon-
neur éternel d'avoir créé cette grande idée philosophique"(1).
F.n définitive, CONDORCET, en histoire des sciences,
n'est pas plus brillant que FONTENET.LE et TURGOT. Mais il est,
des penseurs du siècle, celui qui a le plus donné son impul-
sion à la naissance de la sociologie, condition de la possi-
bilité cle l'histoire des Sciences. A ce titre, il. est bien
le "prédécesseur immédiat"
de COMTE.
(1) Dans la réflexion Sur les travaux politiques' de Condorcet
de 1819, c'est-à-dire avant la découverte de la 101 des
trois états, il écriva i t
: "Quel éloge qu'on puisse jamais
faire à l'idée de Condorcet, de l'entreprise conçue et
projetée par lui, on sera toujours fort au-dessous de la
vérité. Effectivement il ne peut y avoir, en politique, de
plus élevé, de plus fort, de plus philosophique, que la
considération de l'ensemble et de l'enchaînement des progrès
de l'esprit humain".

Deuxième partie
LE:
CHEI-1INEMENT
Dr:
1.' 8SPRIT
et
L' EVOLUTION
DES
CONNAISSANCr,S

- 84 -
DêllS
1.'1 Pensée et ] e mO~:~'::.l2!,
8r'~RGSON cUstingve deux
man-Lères d'ilborder la pensèe d'un philo30phe : "en faire le tOl~r"
ou "s'y instililer" (1).
En faire l~ tOln:, c'est considérpr l'oeuvre comme un
édifice bati suivant un plan dGnt il faut relever la 10giql1e et
reconnaître les matéri..ll1x de sc>n ('lilboration en indiquant· leur
source. C'est ce que no 1.1 '3 nvons fai.t <lons la J'remi~re parti.e de
cet exposé où nOLIs nOllS sommes "fforcé, d'abord de présenter
succinctement les contours et ')' nl'chi teetur'" dl) rosi ti.visme dont
l'histoire des sciences constitlJe l~ fondation; p\\lis d'éveiller
un certain nombre de tl'éJVill1X qU.i en sont les sources. Nous avons
ainsi été amené à définir les deux démarches complémentaires qui
caractérisent Id rnéthode pQsitiviste : la synthèse ol)jective et
la synthèse subjective,
lesquelles concourent à la constitution
ùe la réligion <le l'Huma'1ité ;
I>"n(li.s que l'ilnalyse des écrits
de KANT, de FONT8NF.U,!':, dé' TURGOT et de CONDOf\\CE'I' n01'S a donné
une idée du cour-311tintellectuel dans ]e'[I).el b~igne le comtisme,
COl>rant qui témoigne cl' un intérêt profond pour la connai.5sance
scientifi~IJe saisie A travers l'hi.stoire, plIe-même conçue comme
un progrès.
S'y inst.31JpT',
c'est.
;:1près ëfvoi.r fini ù'~n fai.re le
tour,
nouer une cert,oi.ne aff.i.nit(' aVE'C :Lo <:loctr:ine ; la cerner
de plus près,
1,l
retol1rnpr clilW; tontr",; ses l'ilCettes, en filiI'e
Hne étude] i.néair'p. C'est ;') cel!:l:>
tt1crlE: (lue
nous nOl1S proposons
de nous livrr:-Y' ~ pr{~s(?Y]t. N(d:r{~ ("j('f11arche sprn tern,:l:l.re. En pY'Q-
m.Ler l.i.eu,
nODS
ex,lJn"i.nerf)ns
J'·i.mpC)r'tr1nce 0.t
lFl rnarche de l'espr-j,t
(l,ln,';'.
l"h-i.st:o"ir0..
Pll"ÎS
nnll':>
J'nh;~,"?r'verOt1S ;"\\ 'l'oeuv:rJ;! dans J.a
connil i. ssance :cici.en tif i'[1l(' ilvarlt d'analyser,
en clerniE'r lieu, ce
(]ue nous apr)(~1.ons 1110 (:ontinll"Î.sm~~ rp:î.stémologique" chez Auguste
cowrE.

Ch,lpi tre
III
[,1\\ RI\\TSON DMJS L'lnSTOIR8
Le positivisme entretient avec 1 'histoire des liens
privilé0i.és 'lue CO!'l'['8 rappelle ;; maintes repri.s0s. Car si
le point. dE' dépi'lrt d0 son E'ntre[)rise philosophique a été la
politiqlle, c'est pélr l'hi.sl:nire 'lue s'est poursll'Ï.vie l'?~la­
boration de l'ensemble de sa doctrine;
et cela en raison du
fait que l'intérêt dE' COHTE pOllr l'histoire a éU' contempo-
rain de sa préoccupation pOlIr les problèmes sociaux. Dès
l'Ecole,
i.l avait associ.é l' étl-,cle de cette discipline à celle
des mathématiques. sa réflexion portai~
déjà sur les révb=
lutions cl'Ji se sont prodll'i.t0s en 8u1'ope pt en Amérique, ainsi
que sur les constitutions 'lIJi en sont résl.ltées.
D'ailleurs, chez Cml1'E, poli.t.i.clU(' et hi.stoi.l'e sont si
intimement liées qu'il a parIais
tendance il les confondre.
La physi']ue sociale est dans un contexte une politique scien-
tifique, dans un autre une histoire scientifi.c{l)'~ qui peut
prendre le même caractère que les alltres sciences à la seule
condition de divorcer avec la littérature. Dans le quatrième
voiume du Cours, véritable pllilosophie de l'histoire,
il
écrit:
"La science histo~ique en général et la science poli-
tique rationnellement trai.tée, co'[ncident en général,
en
toute nécessi.té".
C'est ainsi '[u'en 1919,
après la médi.tation des écrits
histori'jues de CONDORC8T et de l' l';sprit: des lois de MONTES-
QUIEU,
après la lecture de l'Histoire de l'Angleterre de HUME,
de l' His toire de Charles QUTNT ,-le ROnrmTON,
le j eune CO~ITE,
critiquant les historiens cle son époque, 'l'HOUE'I' notamment,
et constatant qu'il manque encore à l'histoire des bases
scientifiques solides, annonçait que cette discipline sera
la "science sacrée" du XIXe siècle:
"le siècle actuel,
écrit-
il, sera principalement caractérisé par l'irrévocable prépon-
dérance de l'histoire, en politique, en philosophie et même
en poésie".
Le positivisme est donc avant tOllt une philosophie de
l'histoire, mÉ'me s ' i l ne l'est pas essentiellement. Il veut
fonder une science de l'histoire à partir de l'histoire des
sciences qui e~;t indissociable de celle des ensembles pratiques
. . .1

- 86 -
et cles formations sociales. L'histoire des sciences est le
miroir fidêl~ de ceJ.le de l'humanité dont elle n'est,pourtant,
qu'une cornpos,lIlte. C'est pourquoi, dans le but de cerner la
doctrine de l'histoire des sciences, nous nous proposons de
scruter les textes de COHTE qui, sans qu'il soit nécessaire-
ment besoin de les solliciter expriment une thèse implicite
ou explicite, sur la notion de progrès, la marche de l'esprit
et l'évolution des sciences, la méthode histo~ique, bref sur
l'histoire oénérale de l'humanité.
1°) L'intellectualisme de COMTE
Nous avons vu que les prédécesseurs du posi. tivisme,
FONTENELLE, HEGEl., CONDORCF;T ••• ,
établissaient une
corré-
lation
entre l'h·i.stoi.re cle J'humanité et celle de l'esprit.
Il en est de m@me che~ COMTE. Dans sa doctrine o~ tout se
tient,
les sciences et les techniques,
l'économie et la poli-
tique, Ja vie sociale et Jes considêrations esthêtiques,
COl'HE, dans ses réflexions sur J'histoire, se place à deux
points de vue distincts -
le point de vue intellectuel et le
point de vue social - et perçoit sous chacun de ces points
de VIle des évolutions abstraitement distinctes et concrète-
ment solidaires (1). l,p point de Vile intelJectuel s'attache
à l'analyse des évollitions phiJosophique~ religieuse, scien-
tifique, esthétique et incJ'lstrielle ; tandis 'lue le point de
vue social s'intéresse aux évoll1tions politi'lue et morale.
Ces (Jifférents secteurs 'lui conconrent é\\ l'orientation
dn cours de l'histoire ne sont ni jnxtaposées ni harmonieuses.
Parfois il y ," ina(l(~(j1_'at:i.on
en tre l'êta t de.1' nn de ces sec-
teurs et les normes en vigueuT. F.n termes ?;conomi'lues, il peut
arriver que les rapports de productions soient en avance 011
en retard sur les forces l,rod'lctives, c'est-à-dire,que les
institutions ne s'accordent pilS avec l'état d'avancement des
opinions, de la technolo9ie etc ... Il y a alors crise.
Hais il Y a toujours entre les idées scientifiques, les
oeuvres d'art, les institutieJns politi'lues et les moeurs une
certaine tendance il l' é'luDibre. C'est ce sur quoi veut insis-
ter A. COl'HS ]ors'lue dans la 'luarante-huitième leçon ou dans
la cinquante-sixième, il parle de l'importance de "l'ordre ...1
(1) On pOllrra s'" référer notammen t
au Cours, T IV, "18e leçon
T V, 51e leçon ou T VI, 56e leçon.

- 87 -
des harmonies". l,a tâche du philosophe attentif aux progrès
de l'humanité est donc de chercher, à chaque époque de l'his-
toire (d'une saci.été ou de l'humanité) quel est le secteur le
plus révolutionnaire, c'est-à-dire quel est le domaine où le
progrès entraîne celui des autres et qui représente, par
conséquent, l'élément histoirque de l'époque. 'T'elle est l'une
des questions qui font l'objet de la cinquante-unième leçon
du Cours: "Malgré l'inévitable solidarité qui règne sans cesse
parmi les différents éléments de notre évolution sociale, i l
faut bien aussi 'lue, au milieu de leurs mutuelles réactions
continues, l'un de ces ordres généraux du progrès soit spon-
tanément prépondérant, de manière à imprimer habituellement à
tous les autres une indispensable impulsion primitive, quoi-
que lui-même doive recevoir, à son tour, de leur propre évo-
lution, un essor nouveau"
(1).
Connaître l'histoire, c'est donc @tre témoin de cette
dialectique permanente, des ir,teractions perpétuelles entre
les différents éléments de l'évolution sociale. Mais, c'est
surtout connaître la marche de l'esprit, car quelle que soit
la diversité des évolutions concrètes, quel que soit le pri-
vilège (toujours passager) de tel ou tel secteur social, il
reste que ces évolutions particulières expriment toutes, sous
des rapports différents, une m~me éVOlution principale: celle
de l'esprit. Philosophie, art, religion ou science, malgré
leurs différences spécifiques, ne sont, comme le dit HEGEL,
que la manifestation de l'esprit. Ces différentes branches d~
savoir représentent ce que COMTE appelle dans le Cours les
"diverses sphères d' act:\\ vi t f," de l' int elligence, de la même
intelligence. A ce propos, les mots de l'auteur sont sans
équivoque:
"Il suffit de llistinguer l'élément social dont
le développement pourrait être le mieux conçu, abstraction
faite de celui de tous les autres, malgré leur universelle
connexité nécessaire, tandis que la notion s'en reproduirait,
au contraire, inévitablement dans la considération directe du
développement de ceux-ci. A ce caractère doublement décisif,
on ne saurait hésiter à placer en première ligne l'évolution
intellectuelle comme principe n':'cessairement prépondérant de
l'évolution Je l'humanité" (2)
/
•••
(1) 51e leçon, Cours, 'T'IV, 1ère édition, pp. 517 - 518.
(2) Ibid., (c'est nous qlli soulignons).

- 88 -
Tel est le sens de cette expression inattendue :"l'in-
tellectualisme de COMTE". Car m@me si l'auteur ne méconnait
pas la ré"'lité conernte qu'il intègre du reste solidement au
processus historique, sa théorie de l'histoire est dominée
par celle de l'esprit. Il y a 1)111" constante dans la diversité
des pensées du XIXe siècle : la recherche du premier moteur
cle l'histoir,c>. Pour t~I\\RX c'est l'économie. Pour HEGEL et COMTE
c'est l,'esprit qui dirige et "gouverne le monde". N'est-ce pas
dans le désordt'(' intellectuel que le second trouve la source
de l'anarchie sociale à laquelle il cherche remède? N'est-ce
pas le progrès des connaissances qui a entratné l'industria-
lisation de l'Occident et qlli, en perfectionnant les techni-
ques a provoqué la construction des manufactures et la nais-
sance des différentes cJ.asses ?
C'est donc établi: CUII1['.l'cndre l'histoire d'une des
branches de l'activi.té hum;,ine (l'histoire des sciences en
l'occurrenc<:>), c'est d'élhorcl et: ,"van!: tout, étudier l'histoire
générale de l'esprit humain. "I\\insi, d'après
l'évidente
nécessi té sc:i.entifi(\\ue de coopdonner l'ensemble de l'analyse
historique par r'"l'por!: ;) unlO (,volut'ion prépond{,rante, afin de
prévenir la confusion et l'obSC1)rité '1"1" tOllte autre marche
produirait inévi.tablement, soit cli'lns l'expositio'l, soit milme
dans la conception, d'un tel
système de cléveloppements soli-
daires et simul tanés, nons (levons évidemment choisir ici,
•••
l'histoire générale de l'esprit humain, comme gvide naturel
et permanen t de toute étude historiqll(O de l' humani té" (1).
Mais prenons garde; l'histoire de l'esprit n'est pas
non plus arbitraire.
l'lIe est soumise à des règles scienti-
fiques. La représentativité est de rigueur. Il importe ici
également 'Ive l'histo:den dr~cèle, i\\ chaque époque de l'his-
toire, ~Iel est le secteur de l'activitê de l'esprit le plus
dominant. La règle
il fal)t s'attacher aux prodllctions intel-
lectuelles les plus générales et les plus abstraites de façon
à mieux saisir les facultés mentales les plus éminentes. De
nos jours, il va s'en dire que ce secteur prédominant, c'est
la science. En d'au trt's termes la démarche de lù réflexion
comtiste est 10 suivi'lnte : J,'histoire des sciences est le
reflet fidèle de l'hi.stoire de l'esprit 'lui, elle-milme, dirige
l'histoire de l'humanité. Moralité: chez COMTE, l'histoire . . .1
(1) ibid, p. 519 - 520

des Sciences est une histoire scientifique.
Cette position intellectualiste est surprenante dans la
mesure 00, lors'Iu'on parle de positivisme, on s'attend plutôt
à un privilège (les "phénomènes observés", à une théorie au
service de l'empirisme, ou tout au moins, du réalisme. On sait
que le positivisme tourne le dos à l'idéalisme en raison de
la faiblesse des facul tés intellectuelles que CONTE croit
suffisamment établie par les études de GALL (1).
Si malgré la reconnaissance de cette faiblesse de l'in-
telligence, rappelée à maintes reprises dans la cinquante-
unième leçon, CmITp. soutient avec véhémence la prépondérance
de l'histoire intellectuelle, c'est que cette tare de l'es-
prit ne contredit pas sa suprématie. Il suffit de s'entendre
sur la nature de l'intelligence, de la concevoir comme n'étant
ni un réservoir d'idées constituant une substance spirituelje
(DESCARTES ou LeIBNITZ), HL un système de catégories consti'-
tuant un sujet transcendantal
(ARISTOTe ou KANT)
; mais comme
étant "l' aptitucle ,~ moclifier sa conduite, conformément aux
circonstances de chaque cas"
(2). L'esprit, c'est la faculté
d'adaptation aux si.tuations.
On compre",l ~onc, par tout CR 'lui sui t, pourquoi notre
étude qui porte slœ l'histoire des sciences s'ouvre sur une
analyse de l'histoire de l'esprit. Les sciences n'ont, par
elles-mêmes auc'me histoire. l,eUT nai~,sance et leur dévelop-
pement sont fonctions de la marche générale de l'esprit, de
l'esprit positif.
2°) La marche de l'espr~t positif.
"Une conception ql.lelconque ne peut être bien connue que
par son histoire" (3). La conception cle l'esprit positif, ce-
lui qui est à l'oeuvre dans les sciences, ne fait pas excep-
tion à la règle. Cet esprit relève de l'histoire. Mais cette
affirmation devenue vIllgaire mérite,
toutefois, qu'on s'y
arrête. Car elle a été plus souvent répétée qu'elle n'a été
comprise.
.../
(1) cf. Cours, 45 leçon, philosophie première, Hermann, 1975,
p. 851
et suiv.
(2) ibid.
(3) ibid, p. 21.

- 90 -
Ell effet, en p0rl~nt de l'historicité de l'esprit posi-
tif, on i\\.10".plus SOI).'1ent I:·,pnsl~.' c'l: affirrnè flue l'esprit posi-
tif est un proc1ui.t CIe l'hi.stoi.rr~.
Dans ce sens, son histoire
serait cOTllJ"al'ab10, P'3r ro'xemple, Cl celle (le la machine ;?t vapeur,
avec la date de son "pr,ar'ition, son inventeur,
les perfection-
n!~m(=Y1ts (l'~:i. y ont (,té 1ntro(]uÎ.ts au fil cl~s années. Ainsi
l'esprit positif serait al'pdru au siècle ùes l.um:i.ères, après
]a dissipath,n (les t',w~bres (le] 'obscurantisme. L'histoire
de l' hvmani té' pourrai. t t,tre <:li.v isée en clell.x périodes. Celle
de l'esprit préscientifique qui va du début de l'humanité
jusqu'au miliell e1u elix-septième siècle,
et la période scien-
tifique qui 'la de ce dernier point à nos jours. Une telle
interprétation est, du reste, autorisée par des textes de
COI1TE pris hors d(>. leur cr.-.nt:ext:e. Il écrit notamment dans le
Cours;"
... Vu qu'il comd.r"nt de fixer une époql)e pour éviter
la divaaation des iclC'es, j ' indiql~erai celle d~, grand mouv~".,
ment imprimé à l'esprit humain, 11 y a deux slecles, par
~
l'action combinée des préceptes de BACON, des conceptions de
DESCARTES, et <Jes déc01lverl:es (le GALILEP., comme le moment où
la philosophi.e positive a commencé il se prononcer dans le
monde en 0Pl'osition évillente avec l' espri.t théologique et
métaphysique" (1). 'l'ont y est:
et la (late, et les inventeurs.
Cependant.
rien n'est p]11S fatlx qu' llne te11e interpré-
tation de l'esprit positif (hélas souvent professée dans nos
lycées et consi.gnée dans des manuels Scoli'\\ires). Car faire
de l'esprit positif le rrodl1it d'une évoll)tion historiq,.e 011
de certaines circonst.Jnces, c'est non selllement s'écarter de
la doctrine [Jositiviste, mai.s c'est
aussi et
su.rtout ouvrir
la voie cl l'),istoricisme et/ou ,'t des ~;péculations oiseuses.
Retenons cet enseianement capital: le Cours, en tant
que résumé des phases de l'histoire du développement intégral
de l'esprit humain dans ses "diverses sphères d'activité", ne
consti tlle pas Ime (Jenèse de l' espri t positif. On ne peut pas
plus chercher l'origine de l'espl'it scientifique qu'on ne peut
faire la genèse de l'humanité (Oll tout: simplement du langage).
Cet esprit existe de tous les temps sous forme potentielle.
Le Cours ne s'es t borné qu';) en mon trer l'impact graduel sur
les connai.ssances humaines et sur leurs applications. BACON,
DESCARTES et GJÎLIL[~E n'ont T-"3S inventé (ils ne J'ont m~me pas
.../
(1) Philosophie première,_ HarLmarm,
1975, p. 27.

- 91 -
inauguré) l' eSl'ri t l'osi tif comme NFèflTON et LEIBNIZ ont i.nventé
le calcul infini tésimë'l ou IJUYGHENS, l' horlo']e oscillatoire.
De cet esprit qui leur préexiste ils n'ont assuré que le dé-
veloppement,
profitant (le la faveur des conditions sociales
et intellectu'2JJes. COI'ITE insiste souvent sur J'impossibilité
et l'inconséqll("nce (le dater l'ë'pparition de J'esprit positif.
Il écrit clans la première leçon:
"Il est impossible d'ass:i.-
gner l'origine précise cle cette révol.ution ; car on n'en
peut
dire avec ex,'1ct:i.tucle, comme de tous les autres évènements humains,
qu'elle s'est ëlccomplie cons tamment (le plus en plus,
parti-
culièrement deplüs les travaux d' J\\RISTü1'E et cle l'école
d'J\\LEXi\\NDRI8,
et ",nsuite (lepuis l'introduction des sciences
naturel.) es dans l'Europe Occ:i.dentale par les J\\rabes" (1).
Entendons-nous donc bien. ],'espri.t positif est contem-
porain elE" l'humanité. Nême s ' i l n'a été consacré et systéma-
tisé ';n'i~ U!w époque de l'histoire, il a été de tous les temps
associé à toutes les conditions d'existence,
al1ssi pri.mitives
soient-elles, voire à cE"lles cles animaux supérieurs. J\\-t-on
attendu la découverte dE" la loi d' J\\RCHnmDE: pour fabriquer
des pirogues'? De nos jOllrs encore les guérisseurs tradition-
nels d'J\\frique ont-ils besoin de la connaissance des principes
actifs des plantes ponr les utiliser A des fins thérapeutiques
On déplaçi'lit les corps lourds avant la théorie du levier ; la
pesée préexis t e ,\\ ROVERBAL. L' obj et du Cours es t de montrer
le progrès de l'esprit posi.tif Cjlli, de ses premières positions
00 il était subordonné A la passion,
A l'imagination et à la
déraison, s'est, dans une sorte de lutte pour l'existence,
affirmé d'abord,
pOlir prendre ensuite position sur le trône
du savoir, 00 il est appelé ~ régner sans partage.
Ce n'est qu'A l.a lumière de cette remarque que, ce
nOlis semble, 1;, loi. historique de C01'lTP. sur les progrès de
l'espri.t humain peut être comprise dans sa juste mesure.
cette loi,
qui ra!'l'elle ;\\ bien des égards celle de TURGOT
reprise par St-SIMON, a été formulée clès 1822 dans le Plan
des travaux nécessaires pour réorganiser la société, présen-
tÉ'e quelques années plus tarel clans les Considérations philo-
sophi.ques sur l'2S sciences et les savants. Elle s'énonce comme
sui.t dans la premü~re leçon du Cours :"En étudiant le dévelop-
pement total de l'intelligence humaine dans ses diverses
. . .1
(1) ibid.

- 92-
sphères d'activité, depuis son premi.el' essor le plus simple
jusqu'.') nos jour e"
je crois élvoir découvert une grande loi
fondamentale, à laquelle i.1 est aSo,"jetti par une nécessité
invariable, et 'jld. me semi)üè pouvoir être solidement établiCo',
soit sur les preuvfês rationnelles fournies par la connaissance
de notre organisation, soit sur les vérifications historiques
résultant d'un examen attentif dll passé. Cette loi consiste
en ce que chacune de nos conceptions principal.es, chaque
branche de nos connaissances, passe successivement par trois
états théol'iqllE~s différents: L'état théologique ou fictif
l'état métaphysi.ClIJe ou abstr,lit ; J'état scientifique ou
positif. P.n d',l11l:res termes,
l'esprit humain, pal' sa na tUT Co' ,
emploie successivement dans chacune de ses recherches trois
méthodes de ph.Î.losopher, drmt le cé1l'actère est essentiellement
différent et même -radicaJement opposé; d'abord la méthode
théologique, ensuite la méthode métaphysique et enfin la mé-
thode positive. De là trois sortes de philosophies, ou de
systèmes généraux de conceptions S'Jl' l'ensemble des phéno-
mènes, qui s'excluent mutuellement:
la première est le point
de départ r:écessaire de l'intelligence humaine; la troisième
son état fixe et définitif; la seconde est uniquement des-
tinée à servi.r de transition.
"Dans l' ét,lt théologique, l'esprit humain, dirigeant
essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres,
les causes prBnières et finales de t01JS les effets iui le
frappent,
en lJn Illot vers les connaissances absolues, se repré-
sente les phénomi'nes comme produits par l'action directe et
continue d'agents surnélturels l'lus ou moins nomhreux, dont
:1.' intervention arbi traire explique tou.tes les imomalies appa-
rentes de l'Ilnivers.
"Dans l'état métaphysique, qui n'est au fond qu'une
simple modification générale dll premier, les agents surnatu-
rels sont remplacés par (les forces abstraites, véritables
entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers
êtres du monde, et conçues comme capables d'engendrer par
elles-mêmes tous les phénornènr"s observés, dont l'explication
consiste alors à assigner pour chacun l'entité cOl'respondante.
'Enfin, dans l'état positif, l'esprit humain, reconnaissant
l'impossibilité d'obtenir des notions absolues, renonce à
chercher l'origine et la destination de l'univers, et à
•• ,1

- 93 -
connaitre les causes intimes des phénomènes, pour s'attacher
uniquement ,) découvrir, par :1 'lisage combiné du raisonnement
et de l'observation, leurs lois effectives, c'est-à-dire leurs
relations invariables de succession et de similitude. L'expli-
cation des f.'lits, réduite alors ;1 ses termes réeJs, n'est plus
désormais que la liaison établie entre les divers phénomènes
particuliers et quelques f.'lits généraux dont les progrès de
la science tendent de pllls en p111s .) diminuer le nombre" (1).
On nous pardonnera d'avoir cité si longuement ce passage
du Cours. Mais cette loi est si importante dans Ja pensée
positiviste et a fait l'objet d'interprétations si contradic-
toires que nous pensons que, 1,0 mettre intégralement sous les
yeux du lecteur est la meilleure manière d'éluder les contro-
verses. C'est i1ussi le meilleur témoignage que nous puissions
apporter aux propos que nous avancerons nous-mêmes sur cette
loi.
Précisons tout d'abord que cette formule, mi1lgré son
extension, ne comporte pas la totalité des détails sur la
loi. Il faudra y ajouter les précisions que COMTE apporte sur
l'esprit théoJogique dans Je Discours sur J'esprit positif.
En effet, J'état théoJogiq~e comporte à son tour trois phases.
La première cotlstitue le fétichisme (en voie de disparition
selon l'auteur) qui diffère très peu de l'état mental des
animaux supérieurs et dont le degré ultime est l'adoration
des astres. A ce stade, l'activité de l'esprit humain consiste
"surtout à attribuer à tous les corps extérieurs une vie
essentiellement analogue à la nôtre, mais presque toujours
plus énergique, d'après leur action ordinairement plus puis-
sante" (2).
La seconde phase, c'est le polythéisme qu'il serait
très erroné de confondre avec le fétichisme. Tandis que le
premier stade se caractérise par la prépondérance du sentiment
et de l'instinct, celui-ci consacre le règne de la fiction.
Cet esprit persiste encore chez la majorité des hommes des
trois races et représente l'état théologique tel que décrit
dans le Cours. La troisième enfin, le monothéisme constitue
une transition entre l'age théologique et l'age métaphysique,
.. .1
Cours, première leçon, in philosophie première, Hermann,
1975,pp. 21 -22.
(2) Discours sur l'esprit positif, Paris, Vrin, 1974, p. 4. Il
IiÏtlt noter la concordance entre la description du fétichisme
et celle du premier stage par Turgot.

- 94 -
puisque l'explication par les causes surnaturelles commence
par céder le pas à l'ontologie.
En définitive,
la loi historique découverte par COMTE
se présente comme suit
1°) Etat théologique
2°) Etat métaphysique 3'Etat positif
(ou fictif)
(ou abstrait)
(ou réel)
fétichisme
-
polythéïsme
- monothéIsme
Elle a donné lieu,
comme nous l'avons souligné, à beaucoup
de controverses. D'aucuns,
LE:VY-BRUIlL notamment, ont cru
devoir l'enfermer dans un dilnmne. Car si elle était le
produit d'une induction,
sa validité serait précaire parce
qu'elle comporterait tous les vices inhérents à cette méthode.
i,e dénombrement n'est jamais complet et une observation
future péut démentir la I,résente. Si au contraire,
elle
était posée a priori,
aJ.ors elle perdrait sa valeur scienti-
fique,
car une loi est par définition une théorie démontrée
et non une conjecture. Dans les deux cas,
sa rigueur n'est
pas garantie et elle ne révèle pas la nécessité naturelle
ou logique que COMTE lui accorde.
D'autres,
Pierre DUCASSE en l'occurrence,
en se référant
aux explications de la cinquante-unième leçon du Cours
; au
Plan et aux s::~!nsidérations, pensent que la loi est légi ti-
mement fondée.
Elle est le résultat non d'une observation,
mais d'une intuition qui n'est autre chose que la perception
par l'esprit,
d'une liaison nécessaire entre deux idées.
Sans verser dans un psychologisme introspectif,
COMTE nous
invite à saisir "l'inévitable nécessité d'une telle évolution"
par l'observation de nos histoires individuelles:
"Ce n'est
pas ici le lieu de démontrer spécialement cette loi fondamen-
tale du développement de l'esprit humain. Cette évolution
générale de l.'esprit humain peut d'ailleurs être aisément
constatée aujourd'hui, d'une manière très sensi.ble,
quoique
indirecte,
en considérant le cléveloppement de l'intelligence
individuelle. Chacun de nous,
en contemplant sa propre histoire~
ne se souvient-il pas qu'il a été successivement,
quant à ses
.../

- 95
notions les plus importantes, théologien dans son enfance,
métaphysicien dans sa j~unesse et physicien dans sa virilité?
Cette vérification est facile alljourcl'Illli pour tous les
espri ts au niveau de leur siècle" (1).
Nous ne nous engagerons pas dans ce débat, à notre avis,
périmé,~ force d'être ress,3ssé. Il nous semble qu'on gagnerait
plutôt a porter l'emphase sur les caractéristiques de chacun
des stades de l'esprit humain, et surtout à élucider les re-
lations qui les lient les uns aux autres. En d'autres termes,
la question qui va nous préoccuper dans les prochains chapitres
sera la suivante: "dans l'oeuvre de COI'lTE, les processus his-
toriques sont-ils pensés en termes cle rupture ou en termes de
continuité"?
Avant cl'y répondre, déterminons les éléments de
différenciation entre la connaissance scientifique et les
connaissances théologique et métaphysi.q1le.
(1) Cours, op. cit. p. 22.
Les principaux exposés de la loi des trois états se trouvent
dans le Plan des travaux nécessaires
our or aniser la
société
1 rI' ec. p. 100
;
ans les Consl
ratIons Po, ilo-
sophlques sur les sciences et les savants ; dans le système
de polltlque pOSItIve (surtout le T IV)
; dans les Opuscules
de la phJ.Iosoph.le sociale; dans le Cours 1ère leçon, (Hermann,
p. 21 - 22, 1975) ; et au début du Discours sur l'esprit
positif (Vrin, p. 4 et
).
Pour les commentaires sur la loi, voir notamment : Lucien Lévy-
Bruhl, 1;) Philosophie d'Auguste Comte (Alcan, 1900), Pierre
Arnaud, la Phllosophle d'A. Comte (1969, p. 57 et sutv.).
Mourelos, l,' E istemoloc le
ositlve et la critique Me ersonienne
(21' c lapltre , Renouvler : "La 10].
es trOIS _tats'
ln
crit'ique philosophique (op. cit), Nichel Serres, Hermès
(la traauction et l'interférence).
Enfin, on trouvera un bilan de certaines remarques et criti'lues
provoquées par la loi dans : Henri. de Lubac, le Drame de
l'humani.sme athée, 'Pari.s, SP8S, 3e éd. 19115, 2e partie, chap. r.
'.

- 96 -
Chapitre IV
1.1';5 r;ARACTERISTIQlJ[o;S DE: LA CONN4JSSANCF:
SCI8N'rIPIQUE : différ~nce entre bon sens commun
Etudes d'histoire
et de l'1hilnsopl-l i.0 cl!?s scienc0.s rlffirme '11H? "sans r~lati.on ri
l'histoire des sciences une ~pistémolooie serait lIn doublet
parfaitement ~urerflu de la scierlce dont elle rrétendr~it
discourir"
(1). Cette vérité, d'obédience comtiste,du reste,
en appelle une autre : tOlite histoi.re cles sciences, si elle
veut être autre chose qll'I1ne simple narréltion, d'yit prendre
appui. sur une épistémologie (2i. cmrrE: a hien conscience de
ce lien intime entre J'histoire des sciences et lél philosophie
des sciences,
lélquelle est définie comme J'étude des règles
f'?t des opérations de 1.' espr:i t
;;
l'oeuvre clans
les sc"i.ence3.
Ces dern·Lères SC' Ci'lrac téri sent l'êlr leurs ohj et s,
leurs mé tho-
des,
Jeurs règlp.s (p)e nous rOllvons saisl.r pAr unp. nbservation
hien menée sur la maniêre dont procèdC' chacune d'elle. "Ces
règles, ces méthodes, ces élrtifices, dit-il délns la lettre à
VALLAT du 2"1 septemhre 1819, composent dêlnS charlue science ce
qlle j'appelle sa philosophi.e". r:t comme toutes les sciences
ont leur philosophie p~rticuliêre, en prenànt ce qu'il y a de
commun;; chacun"',
"on aurait la philosophie gén{Télle de toutes
les sciences, la ~;ellle logi'lue vi'llélble". Arrêtons-nous un
instant sur ce qu'il y a de commun à toutes les sciences.
la)
La méthode scientifique
La théorie positiviste de la science procède, comme celle
de PONTENELGE, de l'é[listémologie cartésienne. Gecteur du
.;./
(1)
Etudes d'histoire et de philosophie des Sciences, Vrin, p. 12.
(2) Nous employons le mot"épistémologie"délns le sens où le défi-
nissélit Emile Meyerson dans Idntité et rtealité, comme l'équi-
valent de la philosophie des SClences "I.e présent ouvrage,
dit-il, appartient par sa méthode all domaine de la philosophie
des sciences on épistémologi_e suivant un terme suffisamment
approprié et qui tend ,\\ devenir conrant" (Paris, Vrin, 1908,
Préface). C'est du reste dans le même sens que l'emploient les
Allemands (Parfois dans des projets différents) Fichte (Wissen-
schaftslehre
= théorie de la science)
et Husserl, et les
Anglais (Epistemology).

- 97 -
Discours de Iii méthode et acJrnirélteur ,le son auteur (1), COHTE
se sert des règles qu'il prescrit: l'analyse, L'1 synthèse,
la révision. La d~marche consistant è aller du connu A l'in-
connu,
la vi11ellr heuristique de J'ordre, la (list-Î.nction du
concret et de l'abstra·it, sont a"tant de thèmes cartésiens
qui se retrouvent c1c1ns le l'')s:i. t:i.visme.
Hais ce qui fait de COMTE l'hêritier incontestable de

DESCARTE:S, c'est leur' COlmn])ne conviction qu'on ['ellt considérer
"les phénomènes de tous les ordres Comme soum:lS par eux-m~mes
à des lois mathématiques" (2). En effet, pour l'auteur du
Discours et des Principes, la seule voie 'lni conduise à la
connaissance scientifique, c'est l'application de là méthode
des mathématiques dont les raisonnements, se poursuivant avec
une rigueur inflexible, nous ['ermettent, d'interférences en
interférences, de saisir les vérités dans les domaines les
plus complexes, avec une nécessité aussi rigoureuse que celle
des engrenages d'un mécanisme. Cette méthode est universel-
lement valable. Elle est applicable à toutes sciences.
Tout lecteur du premier Discours de la méthode sait que,
jetant par dessus bord toutes les connaissances pour leur
incertitude, Descartes excepte les mathématiques de cette
prescription générale. Il signale dans "la règle II'' des
~Regulae que parmi les sciences connues, seules l'arithmétique
et la géométrie sont exemptes de fausseté et d'incertitude.
Aussi est-ce à l'analyse des géomètres, à l'algèbre et à la
logique qu'il demande "une méthode qui, comprenant leurs avan-
tages. sera exempte de leurs défauts. Car, parmi tous ceux qui
ont cherché la vérité dans les sciences, les .seuls mathémati-
ciens ont pu trouver quelques démonstrations, c'est-à-dire
des raisons certaines et évidentes"
(3).
• •• 1
(1) Descartes est considéré par Comte comme l'homme qui "entre-
prit d'abord la plus forte construction objective"
(Système
TI, p. 583). I.' esprit positif "ne fut pleinement caractêrisé
que.quand l'incomparable Descartes fonda l'harmonie générale
entre les conceptions abstraites et les conceptions concrètes,
jusqu'alors incohérentes, malgré leurs réactions partielles.
Philosophiquement envisagée, cette combinaison décisive pré-
pare la construction directe de la vraie hiérarchie encyclo-
pédique, en offrant le plus complet exemple de la subordina-
tion systématique de chaque science envers les spéculations
les plus simples et les plus générales"
(ibid., p. 466).
(2) Cours, T 1, 3e leçon.
(3) Descartes, Discours II, paragraphe 6.

- 98 -
Et c'est la "règle IV"
des Regulae qui nous renseigne
sur l'application des mathématiques à toutes les sciences.
"Il existe, dit-il, une science générale qui explique tout
ce qu'on peut chercher sur l'ordre et la mesure, sans les
appliquer à une matièré déterminée. Cette science est la
mathématique universelle ••• ". C'est
pour montrer la portée
de sa méthode fondée sur les mathématiques qu'il a inséré
brièvement quelques éléments de métaphysique, de physique et
de médecine dans le premier Discours, ouvrage dont la publi-
cation était suivie de deux chapitres de physique, la Diop-
trique et les Météores, et de trois livres de géométrie
présentés comme des essais de cette méthode • Cette variété
de l'application atteste, aux yeux de Descartes, de la fé-
condité et de la valeur de la méthode mathématique. Il exprime
ce sentiment dans la lettre à Mersenne de décembre 1637 :
"J'ai seulement tâché par la Dioptrique et par les Météores
de persuader que ma méthode est meilleure que l'ordinaire,
mais je prétends l'avoir démontré par ma géométrie"
(1)
En un mot, dans l'intention de Descartes, la méthode
mathématique, par sa rationalité, a une portée universelle.
Et la pratique de cette science fournit à l'esprit, par les
démonstrations, une rigueur et une objectivité qui l'accou-
tument"""à se repaître de vérités et ne se contenter point de
fausses raisons"
(2).
. ..1
(1) Recherche de la vérité par la lumière naturelle, Adam et
Tannery, T l, p. 270.
Dans le Discours II, il écrit au sujet de la méthode mathé-
matique : "Ce qui me contentait le plus en cette méthode,
était que par elle, j'étais assuré d'user en.tout de ma rai-
son, sinon parfaitement, au moins le mieux qui fut en mon
pouvoir; outre que je sentais, en la pratiquant, que mon
esprit s'accoutumait peu à peu à concevoir plus nettement
et plus distinctement ses objets, et que, ne l'ayant point
assujettie à aucune matière particulière, je me promettais
de l'appliquer aussi utilement aux difficultés des autres
sciences que j'avais fait de celles de l'algèbre".
(2) Pour les rapports entre Descartes et Comte, cf. Pierre Ducassé,
Méthode et intuition chez. Comte et Kremer-Marietti. Le concept
de science p(ï:~~tive (chap. "l'encadrement cartésien").

- 99 -
Tel est également le point de vue de COHTE. Les mathé-
matiques constituent la véritable logique positive. "C'est
là uniquement, dit-il dans la troisième leçon du Cours, qu'on
doit chercher à connaître avec précision la méthode générale
que l'esprit humain emploie constamment di1ns toutes ses
recherches positives; parce que nulle part ailleurs les
questions ne sont résolues d'une manière aussi complète, et
les déductions prolongées aussi loin avec une sévérité rigou-
reuse"
(1). C'est donc à leur école que l'on doit apprendre
la théorie et la pratique du raisonnement.
certes, COMTE insiste, dans le sixième volume du Cours
notamment, sur le fait que la méthode scientifique ne saurait
être étudiée hors des recherches où les savants les emploient.
Tout ce qui s'apprend d'une science ne s'apprend vraiment
que par la pratique ; en sorte que tout enseignement des
méthodes scientifiques de façon abstraite est une entreprise
stérile. La preuve, c'est que la méthode scientifique est
beaucoup mieux connue par l'étude d'une seule science positive
.que par la lecture du Novum organum ou du Discours de la
méthode. C'est pourquoi Descartes n'a jamais séparé les règles
de sa méthode de leurs applications dans les sciences (2).
Il Y a cependant une méthode positive qui comporte deux
axes
une partie théorique et une partie pratique. La pre-
mière, tout en prenant de la distance par rapport à la psy-
chologie introspective (l'esprit ne pouvant à la fois penser
et se regarder penser (3)) postule l'existence de deux voies
possibles par lesquelles peut s'effectuer l'investigation
positive des phénomènes. Sans discourir sur les principes de
la logique traditionnelle (principes d'identité, de contra-
diction, de raison suffisante etc ••• ), on peut se placer du
point de vue statique ou du point de vue dynamique.
.../
(1) Cours, 1, 3e leçon, p. 108
(2) "L'algèbre, écrit d'Alembert dans le Discours préliminaire
de l'Encyclopédie, a reçu entre les mains de Descartes de
nouveaux accroissements ( ••• ) Hais ce qui a surtout immor-
talisé le non de ce grEmd homme, c'est l'application qu'il
a su faire de l'algèbre à la géométrie, à la physique ••• ".
(3) Cours, T III, ·15e leçon, Hermann, 1975, p. 853 et suivantes.

- 100 -
La deuxième partie qui est la véritable théorie de la
méthode - puisque COMTE lui-même appelle la. cinquante-huitième
~
~
.
.leçon du Cours son Discours de la méthode - consiste, au-delà
de la diversité des méthodes scientifiques, à en saisir
"l'esprit d'ensemble" en raison de l'unité des sciences. Cette
méthode comporte trois opérations fondamentales :
a) Elle établit une distinction entre les connaissances
théoriques et les exigences pratiques pour ne s'occuper
que des premières ;
b) Elle proscrit les considérations esthétiques et subjectives
de l'investigation scientifique objective;
c) Elle sépare les sciences en sciences concrètes et sciences
abstraites pour ne s'intéresser qu'aux dernières.
C'est donc évident: la méthode positive est une réédi-
tion de la méthode cartésienne. Son but est à l'instar de
l'analyse de Descartes, de généraliser l'esprit de la méthode
mathématique, c'est-à-dire, de remonter du plus simple au plus
complexe, du connu à l'inconnu; même si COMTE, contrairement
à son prédécesseur, se garde de transformer, par cette géné-
ralisation,la méthode mathématique en méthode "universelle".
Les mathématiques ne sont pas/en effet, le modèle général et
unique de la méthode positive (qui est à la fois objective
et subjective). Elles ne sont que le prototype de cette méthode
considérée dans sa partie objective. C'est d'ailleurs en ce
sens que "positif" n'est pas·strictus sensus" synonyme de
"science" ou de "scientifique". ~lais, même si les mathéma-
tiques constituellt"l'état initial"
de la méthode positive
qu'il ne faut pas confondre avec "l'état final", elles sont
les conn.liss,lnces qn:i font le mi."nx s,li.s.i.r les cOn<l:i.tions
fon<1ëtll\\entale'J d"
1.a
';clence 1'0:I.l.I:l.vt'!.
Nul ,,''''9t
l,o'Jlt.Lv19te
s'il n'est mathématicien. La science mathématique, base de
l'échelle encyclopécl'i.que, "instrument le plus puissant de
l'esprit humain" est dans sa partie abstraite "la seule qui
soi~ purement instrumentale, n'étant autre chose qu'une
immense extellsion admirable de la logique naturelle à un
certain degré de déduction"
(1).
Et c'est ici que s'établit la première différence
(voire l'opposition) entre la connaissance scientifique et.. .1
(1) Philosophie première, 2e leçon, pp. 92 - 93.

- 101 -
les autres formes de connaissance. L'esprit théologique et
l'esprit métaphysique, en raison de leur objet et de leur
méthode tournent délibérément le dos aux connaissances rigou-
reusement démontrées, donc aux mathématiques. COMTE le sou-
ligne dans la deuxième partie du Discours sur l'esprit positif
"Mais quand la positivité rationnelle, bornée d'abord à
d' humblës recherches mathémat iques, que la théologie avait
.
.
-
dédaigné d'atteindre spécialement, a commencé à s'étendre à
l'étude directe de la nature, surtout par les théories astro-
nomiqùes, la collision est devenue inévitable, quoique lente,
en vertu du contraste fondamental, à la fois scientifique et
logique, dès lors progressivement développé entre les deux
ordres d'idées" (1).
2°) Définition et objet de la science positive
a) KREHER-MARIETTI (Ang'~ le), dans son ouvrage : Le Concept
de la science positive s'est efforcé de définir la science
positive à partir de sa généalogie. Absente des travaux
d'avant 1743, l'expression "science positive" serait apparue
pour la première fois sous la plume de JUVENEL de CARLENCAS
dans ses Essais sur l'histoire des belles-lettres, des sciences
et des arts dont la préface, véritable première apologie de
l'histoire des sciences. mentionne à propos de l'histoire
naturelle: "N'attendons pas de la physique d'autres progrès
que ceux q~'on fera dans l'hist6ire naturelle. On comprend
sous ce nom toutes les sciences positives et fondées sur
l'expérience. qui regardent la cosmographie. c'est-à-dire la
construction de l'Univers et de ses parties. l'Anatomie des
plantes et des animaux. et les Arts qui produisent des chan-
gements considérables dans les Etres naturelles" (2)
Puis, on le retrouvera chez J. P. F DELEUZE dans Eudoxe -
Entretiens sur l'étude des sciences, des lettres et de la
'.
philosophie. L'auteur qui distingue les sciences de tradition
des sciences d'observation ou sciences positives, écrit :
"Loin qu'il soit à propos de chercher à découvrir soi-m~me
ce qui est déjà connu. il faut au contraire prendre les sci-
ences au degré où elles sont parvenues, et rie les étudier que
.../ '
(1) Discours ••• , Vrin, 1974, pp. 51 - 52
(2) Juvenel de Carlencas. Essais •••• Lyon. Les Frères Duplain,
2vol., ed. 1749, T l, pp. 361-362, cité par Krener-Marietti.

-
102 -
dans les ouvraçË!s les plus modernes, parce que dans les
sciences positives, on élague de jour en jour quelques erreurs
et voilà en quoi consiste
la différence entre la méthode
qu'il convient de suivre pour l'étude des sciences de tra-
dition, et pour celles d'observation"
(1).
Mais l'emploi de cette expression ne sera généralisé
qu'après les écrits de COMTE qui n'en fera usage pour la
première fois qu'en 1819 ùans l'article sur la liberté de
presse (2), puis dans La politique considérée comme science.
'~insi, écrit-il, la politique n'a pu mériter d'être consi-
dérée comme science, ou,
du moins, comme une science positive,
car une branch'2 quelconque de nos connaissances n'est digne
de ce nom qu'autant qu'elle se fonde uniquement sur des faits
observés" (3).
Equivalent d'histoire naturelle chez le premier, de
science d'observation chez le second, la science positive
apparaît chez COMTE non seulement comme une connaissance qui
part des faits, mais comme un savoir lié au réel, lequel doit
être connu en vue d'être transformé. C'est de ce sens que
dérivent les néologismes "positiviste" et "positivisme" qui
seront admis par l'Académie Française en 1878.
,
Et si COMTE sent la nécessité d'user de cette expres-
sion/C'est
afin d'insister sur la différence qu'il entend
établir entre la connaissance scientifique et les connaissances
théologique et métaphysique. L'usage du syntagme "science
positive"
relève d'une volonté délibérée d'établir une dicho-
tomie entre la conception antique de la science, de la
"Scientia", en tant que savoir en général (donc incluant
l'ontologie et la théologie) et la conception moderne de la
science en tant que mode spécifique de la connaissance, carac-
térisée par la généralité, la précision, la recherche des . . .1
(1) cité par Krener-Marietti.
(2) rI écrit dans cet article : "Je me demande si les sciences
positives marcheraient bien rapidement avec la condition, de
la plupart des savants qui la cultivent, de ne pouvoir publier
que des traités, et de ne pouvoir pas insérer dans les jour-
naux scientif~;ques leurs observations isolées""8crits de
Jeunesse p. 157
(3) ibid. pp. 468 - 469.

-
103 -
. relations, ],'usage de la mesure •••
Par ce syntagme, COMTE
exclut donc .3. priori la science platonicienne par exemple
qui consiste
dans la contemplation intuitive par l'âme des
essences intelligibles, "la noesis", opposée à la "doxa":
Le terme "les sciences qui n'avait d'abord été appliqué
qu'aux spéculations théologiques et métaphysiques et plus
tard, aux recherches de pure érudition qu'elles ont engen-
drées ( ••• ) ne désigne plus aujourd'hui, quand il est isolé,
même dans l'acception vulgaire, que les connaissances posi-
1
tives"
(1). Ce n'est que dans ce sens que l'expression
"science positive" n'est pas un pléonasme, bien que pour
COMTE, il n'y ait de science que positive.
b) Cela étant dit, COMTE adopte la définition que
d'AL~lBERT donne de la science dans le Discours préliminaire
à l'Encyclopédie
et dans l'Essai sur les éléments de philo-
.~..21!}lL2 011 '11..1 ."1C1<:dpn;'\\t1!: Cr"'It1111 C1 nh.i n '- J •." rll::-CC)I.lV0r.l:~ (les rrlpports
gt-mél'ilUX
<[ul
exl.:JiJ'Ilt
elltre
1..,,, 1'1,t"wll,/'",es c1e J,-t llalUI'e.
Cette idée av~it été d6velol'pée avant COMTE, et dans des
termes très voisins des sien:! 1>,'lr nIu'!' dê.1tlS le~J M~~langes
lit téraires et scient iriques: "Le véri table obj et des sciences
physiques n'est pas la recherche des causes premières, mais
la recherche des lois suivant lesquelles les phénomènes sont
produits. !,orsqu'on explique le mouvement des corps célestes
par le principe de la pesanteur, on ne considère point ce
principe comme une 'lu a li té occulte nùturellement inhérente
à la matière, mais comme une loi générale suivant laquelle
les phénomènes ont lieu réellement. Et cette loi une fois
prouvée par les faits on s'en sert comme d'un moyen de décou-
verte pour trouver les rapports mutuels de tous les phénomènes,
pour en prévoir les époques et la durée, non pas d'une manière
incertaine et vague, mais numériquement et avec la dernière
précision. L'attraction universelle ainsi établie, ainsi
vérifiée, devient elle-même un fait. La cause seule en est
occulte, et les mathématiques ne sont nullement obligées de
la définir parce qu'elles n'ont aucun besoin de sa connais-
sance pour découvrir et assigner les lois particulières des
phénomènes qui seules ont de l'intérêt pour nous" (2)
.. .1
(1)
ibid.p.331
(2)
Biot, op. cit., Paris, 1858 pp. 112 - 113

Cette formule comporte tous les éléments de définition
de la science positive: la proscription des causes, la re-
cherche des lois, la prévision, la certitude; en m~me temps
qu'elle fait penser au cartésianisme. D'ailleurs, CLAUDEL dans
le Discours c11~ la méthode de DESCARTES au XIXe siècle suivi
d'une application didactique ou Tableau des fonctions arith-
métiques établit une équation terme à terme entre la définition
comtiste de la science positive et celle de DESCARTES, le
doute chez le second étant remplacé par l'opposition chez le
premier "De toutes parts, dit-il, on oppose:
au chimérique, le réel
à l'oiseux,
l'utile
au vague, le précis
à détruire, organiser
à la personnalité, la neutralité
aux droits, les devoLrs
au moi, le nous" (1).
Somme toute, l'objet de la science positive, comme sa
méthode, est défini par opposition aux objets des connais-
sances théologique et métaphysique. Les études scientifiques
"sont strictement circonscrites à l'analyse des phénomènes
pour découvrir leurs lois effectives, c'est-à-dire leurs
relations constantes de succession et de similitude et ne
peuvent nullement concerner leur nature intime, ni leur
cause, ou première ou finale, ni leur mode essentiel de
production" (2).
3°) Un légalisme acausaliste 7
Arr~tons-nous à présent sur la différence entre l'objet
des deux premiers modes de connaissance : "la cause;' et celui
de la science positive, "la loi."
a) On a coutume d'affirmer, depuis ARISTOTE, que conna~­
tre vraiment, c'est connaître par la cause. Pour savoir réel-
lement ce qu'est une table, il ne suffit pas de la décrire;
il faut en connaître la cause matérielle (le bois, le métal
etc •• ), la cause formelle (carrée, circulaire ••• ), la cause
.../
(1)
Claudel,op. cit, Paris, Victor Dalmont, avril 1856, p. 51.
cité par tremer-Marietti dans le Concept de Science positive.
(2) Cours, TIl, 28e leçon. Pour ces attributs du mot relatif aux-
quels il faut ajouter "relatif" se référer au Di.scours sur
l'esprit positif et au Discours pré liminaire.

-
105 -
efficiente (le menuisier,
le premier moteur ••• ), et la cause
finale (ce.à quoi elle est destinée). Telle est la théorie
aristotélicienne des quatre causes que doit connaître le can-
didat au baccalauréat de philosophie (1).
La constatation de l'existence d'un ordre de la nature
revélé par la science naissante amène des penseurs, ceux du
XVIIIe siècle en l'occurrence, à réfléchir sur le concept de
loi assimilé à la notion de cause. L'ordre naturel étant pour
eux un principe inné qu'il faut rapporter à la sagesse d'une
Providence, ils ont le plus souvent trouvé dans la notion de
cause le fondement métaphysique de la science. Ainsi, dans
les conceptions théologique
et métaphysique , expliquer un
phénomène, c'est en chercher la loi ou la cause, laquelle
renvoie au premier moteur. L'ordre de la nature est donc
conforme à l'ordre démiurgique ou divin.
SPINOZA ne fait-il pas de Dieu le principe de légalité
et de causalité? Cause de soi,
Dieu est à la fois cause
efficiente, cause première, cause immanente. ~Dieu agit par
les seules lois de sa na ture et sans subi.r aucune contrainte".
La nature, conçue de telle sorte que chaque cause appelle un
effet, est une perfection absolue. Tout y est nécessité, tout
y a été arrangé pour le mieux. Dans la nature, "les choses
n'ont pu être produites par Dieu d'aucune manière autre et
dans un ordre autre, que de la manière et dans l'ordre où
elles ont été produites" (2).
La mécanique moderne eut elle-même longtemps recours à
ce principe métaphysique. DESCARTES, malgré son aversion pour
les causes finales, établit une correspondançe entre la cause
.. .1
(1) cf. Léon Brunschvicg: L'ex~érience humaine et la causalité
physique. Chap. "La notion
e cause chez Arlstote".
(2) Spinoza, Ethique I, propositions XVI, XXXVI et surtout XXXIII,
Garnier, T 1 L'occasionalisme de Malebranche émettait déjà
des propositions voisines de celles de Comte. Car affirme
Brunschvicg dans l' EX~érience •••, p. 2'1'1, "si le positivisme
implique ces deux con ltlons : d'une part l'élimination sys-
tématique de toute spéculation sur la cause en tant que cause,
d'autre part la définition des lois comme relation de fonc-
tion entre coefficients expérimentalement attribués aux
phénomènes, il est exact, en effet, de dire que l'occasiona-
lisme de Malebranche, c'est déjà le positivisme sous une forme
qu'on pourrait dire définitive".

- 106 -
d'un phénomène et sa loi, laquelle est assimilée à la volonté
divine. D'ailleurs on le voit, au sujet des lois de la connais-
sance des mouvements, procéder à une explication par des cau-
.
.
ses finales. Puisque, selon lui, la quantité de mouvement mise
par Dieu dans la nature
s'y conserve identique, quelle que
soit sa direction,:il. déduit de cette hypothèse des lois qui,
aujourd'hui, s'avèrent bien métaphysiques.
NEWTON, celui dont la découverte est souvent présentée
par COf1TE comme le prototype de la loi scientifique, n'a pu
non plus se débarrasser de ces considérations théologico-
métaphysiques. Car pour expliquer l'arrangement des planètes
et la conservation de cet ordre, il a eu recours à un prin-
cipe suprême: Dieu. Toutefois, il n'admet pas la théorie de
la nécessité de LEIBNITZ. Dieu selon lui est infiniment libre
et omnipotent. Et toutes les choses n'existent d'une certaine
manière et dans un certain ordre que parce qu'il les a voulu
ainsi. Par exemple la disposition des éléments du système
solaire ne dérive d'aucune nécessité. Elle dépend uniquement
des caprices de Dieu. Entre Dieu et sa créature, il y a une
relation de causalité, mais non de légalité.
Si COMTE relègue la notion de cause pour se référer au
concept de loi, c'est pour une raison, celle-là même qui l'a
amené à adopter le syntagme de "Science positive" : le souci
de distinguer la conception positiviste de la science des
spéculations théologique et
métaphysique sur cette dernière.
Et cette position avait été préparée par BIOT, d'ALEMBERT,
CABANIS etc •••, autant d'auteurs de référence du positivisme.
Leurs propos en feront foi.
Par exemple, LAPLACE condamne IR recours, en science,
aux causes finales et aux causes efficientes. "parcourons,
dit-il, l'histoire des progrès de l'esprit humain et de ses
erreurs : nous y verrons
les causes finales reculées cons-
tamment aux bornes de ses connaissances". Et au sujet des
causes efficientes: "Les causes premières et la nature intime
des choses nous serons éternellement inconnues" (1).
CABANIS tient des propos analogues: "J'ignore les
causes". Ce que je sais, c'est que "L'observation m'apprend. . .1
(1) Laplace, Oeuvres complètes, 1884, LVI, p. 480 (pour la
première idée) et Mécanique analytique, 1815, p. 6.

- 107 -
que tout s'opère dans la nature d'une manière régulière et
constante ; que dans des circonstances absolument semblables,
les faits sont toujours les mêmes". En revanche, la recherche
des causes prêtent à confusion. "Ce mot de cause ne doit point
nous faire regarder les phénomènes de la nature comme contenus
les uns dans les autres, comme tour à tour engendrés et engen-
dreurs. Car il n'existe véritablement pour nous que des faits,
qui se présentent ou simultanément ou dans un ordre successif.
Tout ce que peut
l'observation raisonnée est d'établir entre
eux des rapports d'analogie ou de différence, d'indépendance
réciproque ou de subordination et d'enchaînement. Deux faits
se ressemblent ou ils diffèrent, ils paraissent toujours en-
sembles, ou ils surviennent souvent isolés. Si nous voyons
un fait arriver constamment à la suite d'un autre, nous disons
que le premier est l'effet, le second la cause. Mais ces noms
ne leur donnent pas de qualités nouvelles : ils expriment
seulement l'ordre de leur succession" (1)
Enfin, dans le même ordre d'idées, la physique est
ainsi présentée par d' ALEt1BERT dans l' Encyclopédie : "Il
serait à souhaiter que les Mécaniciens reconnaissent enfin
bien distinctement que nous ne connaissons rien dans le mou-
vement que le mouvement même, c'est-à-dire l'espace parcouru
et le temps employé pour le parcourir, et que les causes
métaphysiques nous sont inconnues ••• Un corps en pousse un
autre, c'est-à-dire ce corps est en mouvement, il en rencontre
un autre, il doit nécessairement arriver du changement à
cette occasion dans l'état des deux corps, à cause de leur
impénétrabilité: l'on détermine les principes de ces lois
par des principes certains, et l'on regarde ~n conséquence
le corps choquant comme la cause du mouvement du corps choqué.
Mais cette façon de parJ.er est impropre. La cause métaphy-
sique, la vraie cause nous est i.nconnue".
La multiplication de ces citations n'a pour but ni de
légitimer la position de COM'rE par la cauti.on des anciens,
ni même seulement de montrer que sa pensée a été préformée.
Nous avons surtout voulu attirer l'attention sur le fait
qu'aucun de ces adversaires de la cause ne nie en fait son
existence. Elle est seulement ou chassée du domaine de la
science, ou considérée comme inaccessible à ses outils.
.../
(1) Cabanis, Coup d'oeil sur les révolutions et sur la réforme
de la médeclne, ParlS
An XII, p. 150.

-
108 -
b) Voyons de plus près comment se présente cette oppo-
sition de la cause et de la loi dans la doctrine de COMTE.
Cette pensée renferme deux affirmations capitales: d'une part,
le principe suprême de la science positive, Son "dogme fonda-
mental'~ est que la nature requiert un ordre, et que par consé-
quent, "tous les phénomènes quelconques, inorganiques ou or~
ganiques, physiques ou moraux, individuels ou sociaux, sont
assuj etti.s d'une manière continue à des lois rigoureusement
invariables" (1). D'autre part, la science élague la notion
de cause. Elle ne peut "nullement concerner leur [les phéno-
mènes] nature intime, ni leur cause, ou première ou finale,
ni leur mode essentiel de production".
La conciliation de ces deux principes ne va pas sans
problème. Car l'idée de loi n'implique-t-elle pas intrinsè-
quement celle :le cause? On pourrait raisonner de la sorte:
qui dit loi naturelle dit ordre spontané de la nature. Or qui
dit ordre de la nature dit déterminisme ou causalité, et qui
dit causalité dit premier moteur.
N-:Jtons au passage que c'est à ce problème que s'est vu
confronté Gaston BACHE:J,ARD dans le développement de sa théorie
de la science. Après avoir affirmé dans ses écrits de jeunesse,
notamment dans l'Essai sur la connaissance approchée, que
"la nature requiert un ordre" (2), il s'est vu par la suite
obligé de changer d'opinion pour éviter de verser dans des
spéculations ontologiques. C'est ainsi que chez BACHELARD
qui nie l'existence d'un déterminisme naturel, le réel naturel
est présenté corrune étant désordonné, irrationnel et complè-
tement à reconstruire par la raison. Dans cette épistémologie,
la science ne cherche pas à "découvrir des lois"
qui préexis-
teraient, mais les construit. La science ordonne le réel • . . .1
Comte parle souvent de "l'admirable économie naturelle".
Dans le Cours T II il manifeste son admiration pour cet ordre
"Peut-on réellement concevoir, dans l'ensemble des phénomènes
naturels un plus merveilleux spectacle que cette convergence
régulière et continue d'une immensité d'individus ••• "; et
dans le T IV, "on ne saurai t trop respectueusement admirer
cette universelle disposition naturelle, première base de
toute société".
(2) Bachelard, op. cit, p. 290.

-
109 -
Si Auguste Cml'l'E n'adopte ni la position qui sera plus
tard celle de BI\\CIIELI\\RD (le rejet du déterminisme naturel),
ni celle de ses devanciers (assimilation de la loi et de la
cause), s'il développe une théorie de la science qui se pré-
sente à première vue comme un légalisme acausaliste, on dé-
couvre,à l'analyse/que dans la science positive, la loi ne
s'oppose pas à la cause comme le positif au négatif. La preuve,
c'est que l'auteur établit lui-m~me, et à maintes reprises,
des relations causales. N'affirme-t-il pas que pour réorga-
niser la société il faut d'abord connaître la~caus~/de sa
crise ? Des expressions co~ne "La cause essentielle de ces
hautes différences", "la cause générale de ces importants
résultats", "à cause de l'immensité bien constatée de l' in-
tervalle", fourmillent dans le Cours et dans le Système.
En fait, COHTE ne rejette donc pas entièrement les
causes finales. Il leur donne seulement une signification
autre que celle des théologiens et des métaphysiciens.
D'abord, si avec ces derniers il affirme l'existence d'un
ordre de la nature, le principe dont il part diffère du leur.
Pour la pensée non-positiviste, le principe de l'existence
de l'ordre de la nature se fonde sur une déduction. On part
d'un être tout puissant, la Nature, Dieu ou la Providence,
pour déduire de ses vertus (sa nécessité intrinsèque ou ses
caprices) l'existence d'un déterminisme dans la nature. Alors
que chez COHTE, ce principe se fonde sur une induction. Il
ne s'agit plus de partir du ciel vers la terre, mais de faire,
si on peut ainsi dire, le mouvement inverse. L'idée de l'exis-
tence d'un ordre naturel a son point de départ dans les dé-
couvertes scientifiques. Ce n'est que lorsquè les travaux de
l'astronomie mathématique ont revélé et confirmé l'invaria-
bilité des lois de certains phénomènes, parfois ~rès complexes,
que le positivisme
a
postulé
l'existence d'un ordre dans
tous les phénomènes. En d'autres termes, dans les pensées
métaphysique et théologique, c'est le principe des causes ou
lois, relié au divin ou non, qui est la condition de la possi-
bilité de la science. Dans le positivisme, ce sont les pro-
grès des sciences qui fondent et confirment progressivement
le principe des lois. COMTE le dit clairement dans la lettre
à H. PAPOT du 8 mai 1851
: "Le dogme le plus fondamental de
la philosophie positive, c'est-à-dire le principe de l'assu-
jettissement de tous les phénomènes réels à des lois invariables,
.. ../

- 110 -
ne résulte certainement que d'une immense i.nduction, sans
vraiment être déduit d'aucune notion quelconque".
C'est en ce sens que la découverte de NBNTON est d'un
grand intérêt pour le positiviste. Malgré
son recours, par
ailleurs, à une explication de l'ordre de la nature par les
caprices de Dieu, sa découverte aussi bien qlle sa démarche
sont positives. Sa loi de la gravitation n'a pas été déduite
de la sagesse de la Providence. Au contraire c'est celle-ci
qui a été induite à partir de la loi, elle-même conçue indé-
pendamment de toute force occulte. La formule de NEWTON est
une véritable loi parce qu'avec lui, "l'emploi de ce terme a
le précieux avantage d'indiquer strictement un simple fait
général, mathématiquement constaté, sans aucune vaine recher-
che de la nature intime ét de la cause première de cette action
céleste ni de cette pesanteur terrestre". La théorie de NElITON
est donc le modèle de la loi scientifique. Elle fait de l'as-
tronomie "plus science qu'autre science" parce qu'elle inau-
gure la recherche des rapports réels entre les objets.
Entre COMTE d'une part, et les théologiens et les méta-
physiciens de l'autre, il y a donc une différence de principe
qui a pour conséquence deux conceptions différentes de l'ordre
de la nature. puisque cet ordre, dans la doctrine théologique
est déduit d'un principe parfait, il est lui-même parfait. La
position de COMTE est tout autre: la nature n'est pas chao-
tique, mais son ordre est modifiable parce qu'étant d'une
grande imperfection. L'ordre de la nature est "une fatalité
modifiable". La perfection infinie que la nature nous présente
superficiellement est illusoire. NEWTON l'a bien confirmé en
montrant que les éléments du système solaire ne sont pas dis-
posés de la façon la plus merveilleuse. D'ailleurs, les savants
sont capables de faire mieux que la nature. Il leur suffit de
procéder comme BROCA (qui a tenté de relier l'homme aux autres
primates par des anthropoïdes hypothétiques) en prenant "pour
objet d'exercice intellectuel la conception directe d'un ni-
veau de mécanisme animal". Sonune toute, COMTE pense, comme
BACHELARD pensera plus tard, qu'il y a un primat de l'ordre
rationnel sur l'ordre naturel, et que les inventions humaines
depuis les simples appareils mécaniques jusqu'aux organisations
sociales défient ce que l'économie naturelle peut offrir de
plus parfait.
."/

- 111-
puisque le principe de causalité a pour fondement
l'ordre de la nature, une nouvelle conception de cet ordre
conduit à repenser ce princire. Le rejet de l'ordre métaphy-
sique de la nature entraîne la relégation de la causalité
métaphysique. Et COMTE, fidèle à l'idée adoptée selon laquelle
"on ne détruit que ce que l'on remplace"
va substituer à cette
forme de causalité surannée un principe positif qui en garde
les éléments compatibles avec la méthode scientifique: c'est
le principe des conditions d'existence. Comme le note M. SERRES,
COMTE remplace les causes et les substances par les lois et
les circonstances de production des phénomènes. " ••• dans
nos explications positives, même les plus parfaites, nous
n'avons nullement l'intention d'expliquer les causes généra-
trices des phénomènes, puisque nous ne ferons alors jamais
que reculer la difficulté, mais seulement d'analyser avec
exactitude les circonstances de leur production, et de les
rattacher les uns aux autres par des relations normales de
succession" (1).
Mais que faut-il entendre par "conditions d'existence"
d'un objet? Plutôt que d'affirr!1er que les êtres ont été faits
les uns en vne des autres, le positivisme part du constat que
l' existence C\\.'~s êtres dépend à chaque fois de deux choses
leur constitution et le milieu ou encore les conditions
d'existence. Et pa?milieuNil entend "non seulement le fluide
o~ l'organisme est plongé, mais en général, l'ensemble total
des circonstances extérieures d'un genre quelconque nécessaire
à l'existence de chaque organisme déterminé" (2). Le posi ti-
visme s'interdit donc de définir les choses comme si elles
étaient des monades, c'est-à-dire, sans relation avec les
circonstances qui les font être. Comme dans le monde des vi-
vants, il y a dans la nature une sorte de causalité réciproque
entre les parties. C'est pourquoi, "on cessera de définir le
vivant par l'assemblage de ses organes comme si ceux-ci pou-
vaîent exister isolés ••• ".
. .. /
(1) Cours, 1ère leçon, Hartmann, 1975, p. 26.
(2) Op. cit. TIll, p. 682 (en note). cf. G. Canguilhem, "Le vivant
et son milieu"
in Connaissance de la vie. (nous y reviendrons)

-
112 -
En définitive, il apparait que COMTE ne proscrit pas
véritablement la recherche des causes finales dans les sci-
ences. Il pense seulement que ce concept d'obédience théolo-
,
.
gico - métaphysique est impropre d'un point de vue positiviste.
Aussi a-t-il voulu le transformer pour mieux l'adapter à la
science positive, comme il le dit dans l'Opuscule de 1822 :
"La doctrine des causes finales a été convertie par les phy-
siologistes dans le principe des conditions d'existence"
(1).
Entre les causes et les lois il n'y a qu'une différence
d'intention. LaEecherche des causes vise l'explication (2)'
tandis que celle des lois débouche sur l'établissement des
liens. La première conduit au premier moteur ou la Providence,
la seconde caractérise la science. "La prétendue cause finale
se réduirait donc ici, comme dans toutes les occasions ana-
logues à cette remarque puérile: il n'y a d'astres habités
que ceux qui sont habitables. On entre en un mot, dans le
principe des conditions d'existence, qui est la vraie trans-
formation positive de la doctrine des causes finales, et dont
la portée et la fécondité sont bien sOr supérieures"
(3)
Il convient de préciser que COMTE distingue deux sortes
de lois: les premières sont les lois des phénomènes, c'est-
à-dire, celles que l'on découvre dans les sciences fondamen-
tales et qui "ont du type : VI = RI"t.
Les secondes ou lois
encyclopédique3 sont celles qui vont au-delà des premières
limitées à l'activité des spécialistes, pour chercher ce qui
fait l'unité des découvertes particulières. En d'autres termes,
ce sont les lois que découvre la philosophie positive entendue
comme la science des sciences, comme la recherche des rapports
entre lES différentes sciences fondamentales.' Par exemple, la
philosophie positive découvre que c'est sur la base d'un même
principe que travaillent la.mécanique qui lie le mouvement à
. . .1
(1) Cette transformation avait été esquissée par Diderot et Hume.
cf. Système IV, appendice.
(2) C'est là un des points sur lesquels se focalisent les criti-
ques d'Emile Meyerson à A. Comte. Voir notamment !Se l'expli-
cation dans les Sciences. La position de Comte est admise par
G. Bachelard.
(3) Cours, T II, pp. 26 - 27.

- 113 -
l'équilibre, la biologie qui associe organisme et milieu,
anatomie et physiologie, la sociologie qui expliqu~ ses faits
par rapport à la statique et à la dynamique. Ce principe per-
manent de la loi scientifique, c'est bien le principe des
conditions d'existence.
Mais que l'on considère l'une ou l'autre des deux lois
ainsi distinguées, la doctrine des causes et celle des lois
ne sont pas en "opposition ouverte" puisqu'elles ne se posent
pas les mêmes questions: la· première s'interroge sur le
"pourquoi" des choses tandis que la seconde pose la question
du"comment" (1).
4°) Le sens du réalisme positiviste
a) Dans la recherche des éléments de différenciation
entre la science positive et les connaissances théologique et
métaphysique, nous venons de mettre en lumière deux caracté-
ristiques fondamentales de la science: l'application de la
méthode mathématique et la recherche des lois. Mais parmi les
différents caractères du mot "positif" énumérés dans le Dis-
cours sur l'esprit positif et dans le Discours sur l'ensemble
du positivisme, à savoir: réel, utile, organique, précis,,:,
certain, relatif, il en est un qui ordônne tous
les autres,
':j.,
et qui mérite d'être élucidé: c'est le "réel".
"
:.
Le statut du réel dans la connaissance est,en effet, le
lieu d'une préoccupation très ancienne à laquelle le dévelop-
pement de la scümce a donné une accui té particulière. Tous
les efforts de l'homme pour savoir ce qu'est la connaissance
"1
se sont heurtés au problème de savoir, ce qui, ,dans toute
connaissance émane de l'homme lui-mêne - de sa raison, de sa
. )
,
mémoire ou de son imagination - et ce dont il faut au contraire
trouver l'origine dans les phénomènes naturels, dans les choses
du monde extérieur. L'homme s'est souvent posé la question
; .
suivante
dans l'activité scientifique, imposons-nous sans
,.
contrainte les lois de notre esprit aux choses, ou au contraire,
sommes-nous obligés d'obéir à la nature qui nous dicte des
nécessités? En d'autres termes, la loi, fonction essentielle
de la science, est-elle un acte de création de la raison (ou
de l'imagination) ou est-ce une exposition passive des faits.../
(1) Discours sur l'esprit positif, p. 53.
ri

-
114 -
tels qu'ils se présentent à notre observation. Après le débat
classique - entre les idéalistes qui, à la suite de PLATON,
font de la réalité un simple reflet des idées et les empi-
ristes (BACON, J. LOCKE, HUME) pour qui nos connaissances
dérivent de l'expérience; et après KANT qui concilie ces
deux premières tendances en montrant que l'homme ne peut
conna~tre que le monde qu'il a lui-même contribué à construire
le problème du statut du réel s'est transporté du territoire
de la philosophie métaphysique sur le terrain de la pensée
positiviste.
Si Auguste COMTE a une aversion pour la métaphysique,
c'est surtout à cause de son caractère unitaire et réducteur,
c'est parce qu'elle se fonde sur un seul principe. Dans un
sens large, "métaphysique" signifie chez lui tout ce qui
sépare. C'est donc l'attribut aussi bien de celui qui privi-
légie uniquement la matière, que de celui qui pose le primat
de l'esprit. En ce sens le savant de tendance baconienne est
un métaphysicien qui s'ignore. D'un point de vue positif,
toute prétention de faire la part du sujet et celle de l'objet
dans la connaissance scientifique est une entreprise vaine j
la loi scientifique n'étant le produit exclusif ni de l'un,
ni de l'autre. Privi légier l' obj et., ctes t tomber dans l'empi-
risme. Adopter la position inverse, c'est verser dans le mys-
ticisme ou l' ·idéalisme. Aucune de ces deux orientations
philosophiques ne représente la tendance réelle de la science
positive. Le positivisme est un réalisme, c'est-à-dire une
philosophie à double entrée, un lieu où s'établit un dialogue
serré entre l'esprit et l'expérience. Il occupe, par rapport
à l'empirisme et au mysticisme une position centrale. Nous
proposons, conformément à un programme bachelardien (1), mais
à partir d'une typologie différente de la .sienne
de repré-
senter la position de CO~ITE sur le tableau suivant :
Mysticisme
t
Idéalisme
t
Positivisme ou réalisme
4t
Mat é ·
·
r~al~sme
(pragmatisme )
-t,.
Empirisme
.. .1
(1) Cf. Gaston Bachelard, Le rationalisme appliqué, Pu F, 1975,
p. 5.

- 115-
b) !oe_r~e.!. ~ ~ysticisme ~t_d~ :l:-·:ij.é~l~m~ ~bs.91~.
*" positif signifie réel, contraire d'imaginaire: "Consi-
déré d'abord dans son acception la plus ancienne et la plus
commune, le mot positif désigne le réel, par opposition au
chimérique. Sous ce rapport, il convient pleinement au nouvel
esprit philosophique, ainsi caractérisé d'après sa constante
consécration aux recherches vraiment accessibles à notre in-
telligence~ à l'exclusion permanente des impénétrables mys-
tères dont s'occupait surtout son enfance" (1). La science
positive proscrit toute connaissance non vérifiable, toute
hypo-khèse transcendantale. Elle'consacre la fin de la science
aritotélicienne et des sciences dites curieuses puisqu'elle
se méfie des empiètements de l'imagination, laquelle constitue
ce que BACHELARD appellera un "obstacle épistémologique".
COMTE part donc en guerre contre ceux qui, comme EULER/
inventent des "fluides chimériques" pour expliquer le mode
général de production des mouvements célestes. Il ne cesse
de railler le "fameux songe astronomique de KEPLER", et
regrette que les physiciens ne procèdent pas comme les astro-
nomes qui, depuis
NEWTON, ont abandonné les études sur les
agents, sur les tourbillons cartésiens notamment. "Pourquoi,
s'interroge-t-il, les physiciens n'imiteraient-ils pas cette
admirable circonspection? pourquoi comme les astronomes, ne
borneraient-ils pas les hypothèses à porter uniquement sur
les circonstances encore inconnues des phénomènes ou sur leurs
lois ignorées, et jamais sur leur mode de production, néces-
sairement inaccessible à notre intelligence ? Quelle peut ~tre
l'utilité de ces conceptions fantastiques, qui jouent encore
un si grand r6le, sur les fluides et les éthers imaginaires
auxquels on rapporte les phénomènes de la chaleur,. de la lu-
mière, de l'électricité et
du magnétisme? Ce mélange intime
de réalités et de chimères ne doit-il pas, de toute nécessité,
fausser profondèment les notions esseetielles de la physique,
engendrer des débats sans issue, et inspirer à beaucoup d'es-
prits une répugnance, naturelle quoique funeste, pour une
étude qui offre un caractère arbitraire? "(2).
Des exemples abondent en effet, dans la Formation de
l'esprit scientique de G. BACHELARD, qui illustrent cette .../
(1) Discours sur l'esprit positif, Vrin, 1974, p. 64.
(2) Cours, TIl, 28e leçon, Hermann, 1975, p. 458.

-
116 -
intrusion de l'imagination dans la connaissance scientifique
des XVIIIe et XIXe siècles. On se d~mandait par exemple :
est-il vrai que les feux follets disparaissent vers minuit?
(1780). Et sans recours à une vérification expérimentale, on
dissertait: oui, et cette disparition des feux follets s'ex-
plique par le froid qui, devenant plus grand à cette heure
entraîne une si grande condensation des exhalaisons (produc-
trices de
ces feux) qui ne peuvent se maintenir dans l'air.
peut-être même que ce froid les dépouille de leur charge
électrique qui, en produisant la fermentation, occasionnait
la lumière. Ou encore on se demandait : est-ce vrai que les
feux follets poursuivent les personnes qui tentent de les
fuir? Et la réponse était : oui, parce que la nature ayant
horreur du vide, les feux sont ravivés par l'air qui vient
occuper l'espace que le fugitif laisse derrière lui (1).
Le positivisme s'érige contre ce type d'explication
déjà condamné par DESCARTES: "Rien n'est plus inepte, disait
l'auteur des Règles, que de discuter audacieusement sur les
secrets de la nature, l'influence des cieux sur notre monde
inférieur, la prédilection de l'avenir et choses semblables,
comme beaucoup de gens le font, sans avoir pourtant jamais
cherché s'il est au pouvoir de la raison humaine de faire ces
découvertes" (2).
Cette condamnation des chimères s'inscrit du reste,
dans la tradition philosophique occidentale qui s'est affir-
mée, dès le platonisme, comme instauratrice du primat de
1
l'idée
sur l'image. Malgré l'exception qui est faite dans
la République à trois catégories d'artistes -l'artiste-phi-
losophe qui 9iffère du sophiste parce qu'il exhalte la vertu.. .f
'(1) cf. Saury (Docteur en médecine) Précis de ph~sique, 1780,
TIl, p. 37 cité par G. Bachelard, la Format~on de l'esprit
scientifique, p. 40.
Le positivisme a perçu, avant la lettre, le rôle des obstacles
épistémologiques
dans la connaissance scientifique. Il en
ènumére beaucoul? dans ses ouvrages : "une tentative quelconque,
même purement f~ctive, pour concevoir le mode de production
des phénomènes, est nécessairement illusoire et directement
opposée au véritable esprit scientifique". Cours, op. cit.
p. 461. Cette tentative présente "Le grave ~nconvénient de
détourner notre attention du véritable objet de nos recher-
ches" etc ...
(2) Descartes, Règles II, Oeuvres de Descartes, Adam et Tannery,
T X, pp. 365 - 366.

- 117 -
et indique le chemin qui mène au Bien ; le peintre-géomètre
ou le musicien-physicien (maître de l'art abstrait) qui ne
s'attachent qu'aux structures et aux relations; et l'art
de l'Egypte antique qui par une déformation du réel recher-
che l'immuable-l'artiste, d'une manière générale, doit être
chassé
de la cité parce qu'il est un faiseur d'illusions,
Fuyons sans relâche les images, parce qu'elles sont des copies,
donc des traductions, donc des trahisons. L'image du lit,
quel simulacre ! une double falsification, un lit au troisième
degré. Car il y a d'abord le vrai lit, l'Idée de lit, l'absolu
du monde intelligible. Puis celui qui est réalisé par l'ar-
tisan, le menuisier, simple reflet du premier. Enfin celui
qui est reproduit sur une toile par l'artiste, la copie d'un
reflet. Moralité: "L'imitation est donc loin du vrai et si
elle façonne tous les objets, c'est, semble-t-il, parce qu'-
elle ne touche qu'à une petite partie de
chacun, laquelle
n'est d'ailleurs.qu'une ombre" (~).
Tous les philosophes occidentaux, ou presque, chacun à
sa manière, reprend la même thèse. "Maîtresse d'erreur et de
fausseté", l'image se présente dans les Pensées comme une
"superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît à la
contrôler et à la dominer pour montrer comme elle peut en
toute chose".
Elle constitue, selon le mot de SPINOZA la
connaissance du "premier genre" dont il faut se débarrasser
pour accéder à la science. Nul n'a donc pu se détacher de
l'ombre de PLATON, ni MALEBRANCHE, ni ALAIN, ni TAINE, ni
SARTRE, ni même G. BACHELARD. Et c'est bien sur l'auteur de
'f
la République que s'al' Igne FREUD lorsqu'il émet, dans une
belle page de MoIse et le monothélsme, l'hypothèse selon la-
quelle la spiritualité abstraite qui a perm~ le développement
de la science aurait trouvé son origine dans la mise des ima-
ges à l'arrière plan de l'activité intellectuelle. Car selon
le père de la psychanalyse, ce sont les images, liées au
"principe de plaisir" et opposées au "principe de féalité"
qui auraient dété,urné l'esprit humain du concept scientifique.
Auguste COMTE n'est donc pas seul. Sa théorie fait l'unanimité
il faut chasser les chimères de la science.
Mais aucune unanimité n'est jamais totale et absolue •.../
(1) République, livre X, 598 c., cité par M. Dagognet, la philO-
sophie de l'image, Vrin, 1984, p. 26.

- 118 -
Les magistrats sont d'accord, la sentence est prononcée. Mais
les avocats sont là, et l'appel est toujours possible. L'un
d'entre eux s'appelle paul VALERY: "Une image, dit-il, est
plus qu'une image et parfois plus que la chose dont elle est
l'image". M. DAGOGNET est son adepte.
Ce penseur, en effet, dont l'ensemble des thèses épis-
témologiques se situe dans le cadre de l'épistémologie posi-
tiviste (valeur heuristique de l'ordre et de la classification,
importance de la méthode mathématique, la science comme ins-
trument de pouvoir sur le réel), prend une distance vis-à-vis
de cette doctrine, notamment dans son dernier ouvrage, La
philosophie de l'image, dont l'objet essentiel est de prendre
la défense de l'image contre toute la lignée des philosophes
iconoclastes, de PLATON à J. P. SARTRE, en passant par BACHE-
LARD; et d'esquisser d'une façon originale, un rapport intime
entre l'art et la science.
Il n'est pas de l'objet de notre propos d'examiner ici
toutes les orientations et tous les détailS de son oeuvre
déjà considérable. (ce travail reste à faire). Qu'il nous
soit toutefois permis de le suivre un moment sur le chemin
anti-positiviste de la réhabilitation de l'image dans l'acti-
vité scientifique.
Certes, il n'est nullement de son intention de réduire
le scientifique au chimérique. Par image, il entend surtout
la représentation, le figuratif, l'ens6nble des procédés
grâce auxquels je dois projeter et rendre lisible ce qui était
d'abord caché et qui est isomorphe. En d'autres termes, l'ima-
ge dont il est ici question, c'est la réalité vue à travers
certaines formes. Produit de l'imagination, elle relève plus
de l'imagerie que de l'imaqinaire. Et c'est à partir de cette
conception qu'il lance le ton dans le premier chapitre du
livre: "Non seulement nous entendons montrer que "l'imagerie"
accompagne la science et parfois la définit - jugement déjà
difficile à soutenir et à introduire - mais aussi qU'elle ne
mérite pas la défaveur générale qui l'a frappée ••• n (1). En
effet, les connaissances scientifique et encyclopédique du
maître lui ont permis de voir que les sciences physiques, la
biologie, les sciences humaines, la médecine, la technologie
contemporaines sont fondées sur le visualisable.
. . .1
(1) op. cit. p. 19.

- 119 -
Car c'est une erreur de croire que sur une toile, sur
une carte, sur Lln schéma on y trouve que ce qu'on y a mis.
Raisonner ainsi, c'est ne pas comprendre que le tracé à une
vertu créatrice ou inventive, qu'il se métamorphose, qu'il
enseigne. L'image est à la fois porteuse et créatrice de sens.
Cette idée se vérifie par exemple en biologie - Le phi-
losophe est médecin - où l'auteur trouve ce qu'il appelle le
modèle d'une "authentique image". Il s'agit de l'image chromo-
somique, celle enfermée dans le noyau à 2 n chromosomes des
cellules de la drosophile, lesquels se divisent en n chromo""'
somes, évitant le gigantisme dû. à la polyplo'ldie. Et l'authen-
tique image, "c'est précisément ces 2 n ou ce n, sa moitié,
parce que le ruban chromosomial détient la totalité de la
drosophile même; celle-ci se contente de· grossir et de pro-
jeter ce que lui dite le noyau". Ce prototype correspond à la
définition de l'image telle que nous l'avons donnép plus haut
"Nous définissons l'image d'un élément l'associé de cet éiément
par une application ou à travers une fonction" (1).
(
Enfin, c'est à la technoiogie contemporaine que M. DAGO-
GNET emprunte ses armes les plus efficaces contre l'iconoclasme
scientifique. Non seulement de nos jours il y a des labora-
toires de création des formes. mais encore toute la technologie
moderne, depuis les travaux de MARAY.
est
tributaire
des
images. La médecine moderne ne peut se passer de la radiogra-
phie, de l'électro-cardiographie •••• pas plus que les sciences
humaines ne peuvent se passer de la psychographie, de la socio-
graphie etc ••• "Toute la médecine réside, selon nous. dans
cette volonté: inventer des moyens qui permettent d'explorer.
de répérer et de visualiser les profondeurs. là où tapit le
morbide" (2). malgré les limites et les dif.ficul tés que comporte
. ..1
(1) ibid, p. 49. on lira avec intérêt la Théorie générale des
formes et l'Anatomie d'un épistémologue (ouvrage collectif
sous la direct~oii de G. canguÜhem).
(2) ibid, p. 104.

- 120 -
ce procédé. Par exemple la "photographie de l'invisible" par
les rayons X permet, sans intervention chirurgicale et sans
trop nuire à l'organisme, d'explorer son architecture, de
lire les diverses manifestations de la vie intérieure.
Bref, on lie peut pas aujourd'hui soutenir avec COMTE
qu'il est impossible à la fois d'agir et de se voir agir,
comme si
ni le miroir, ni le magnétoscope n'existaient.
L'image, loin d'être un simple résidu de la réalité, cons-
titue l'aiguillon indispensable de la raison scientifique,
le but de la science n'étant plus de recopier le réel mais
de le reconstruire artificiellement ."Ma force, aime à dire
M. DAGOGNET, c'est la technologie qui l'a rendue possible".
Connaître scientifiquement, c'est donc représenter, extério-
riser ; c'est connaître par l'image, par cette image anathé-
matisée par A. COMTE et qui pourtant permet de saisir le
plus à partir du moins.
~ Ceci dit, le positN·~me s'oppose aussi à l'idéalisme
absolu pour qui l'esprit, considéré comme une faculté de
schèmes a priori et absolus, dispose du pouvoir de s'imposer
aux choses. Sans nier le r5le de l'esprit dans l'acquisition
des connaissances scientifiques, A. COMTE recuse la doctrine
des idées innées. Toute connaissance réelle porte sur les
phénomènes et doit se ramener à un fait, particulier ou géné-
ral. L'esprit ne peut tirer aucune connaissance de son propre
fond
(comme le soutient par exemple LEIBNITZ); il ne peut
penser comme si les phénomènes n'existaient pas. Entre l'es-
prit théologico-métaphysique et l'esprit positif il y a, cer-
tes, quelques constantes (1). Mais, celui-ci est évolutif et
se perfectionne à mesure qu'il se débarrasse des chimères
pour se mettre à l'écoute de l'expérience.
Le positivisme, sans être une philosophie anti-intel-
lectualiste, établit que dans l'activité scientifique, l'es-
prit ne légifère pas, il ne porte pas des jugements sans appel.
Il n'est pas absolu. C'est pourquoi les···mathématiques ne
doivent pas être considérées comme le tout de la science, bien
qu'elles soient le reflet fidèle de sa méthode. Car elles ne
sont qu'un langage abstrait, un simple produit a priori du
sujet pensant, alors que l'objet des sciences de la nature, .. .1
(1) On pourra lire avec intérêt: Julien Benda, De quelques
constantes de l'esprit humain.

-
121 -
ce sont plutôt les phénomènes. Four aboutir à la connaissance
scientifique, il faut que celles-ci s'appliquent aux choses.
Fo,ur épuiser la réalité, il faut mathématiser le sensible.
Et si les mathématiques sont universelles, c'est justement
parce qu'elles appauvrissent la réalité. En un mot, "plus
nous devons considérer la géométrie comme étant aujourd'hui
essentiellement analytique, plus il était nécessaire de pré-
munir les esprits contre cette exagération abusive de l'es-
prit mathématique, suivant laquelle on prétendrait se dis-
penser de toute observation géométrique proprement dite, en
établissant sur de pures abstractions algébriques les fonde-
ments même de cette science naturelle".
Les lois scientifiques supposent donc des phénomènes
dont l'étude suit une logique. D'abord, "plus les phénomènes
deviennent complexes, plus augmentent aussi, en nombre, nos
moyens de les étudier". Ce qui explique que chaque science
utilise une méthode différente compte tenu de son objet, et
qu'il faut associer un plus grand nombre de méthodes en bio-
logie qu'en mathématique. Ensuite, "plUS les phénomènes devien-
nent complexes, plus ils sont modifiables". L'intervention
humaine est plus aisée et plus efficace dans les phénomènes
sociaux que dans les phénomènes astronomiques. C'est cette
maléabilité des phénomènes sociaux qui offusque les lois
invariables auxquelles ils sont soumis. Enfin, "plus les
phénomènes sont complexes, plus ils sont imparfaits" : l'ordre
qui régit le système solaire est doté d'une perfection plus
grande que celui des phénomènes organiques et sociaux. Ce qui
explique d'ailleurs que les
lois astronomiques SG:mt plus
précises que celles des deux autres phénomènes.,
c) ~~iiÊns~_~_1~~sar~-2~_1~~E1~1~p~_~!_~~_P~!~~~~~~~~~'
D'aucuns, J. S. MILL et E. MEYERSON notamment, ont cru
voir dans ,cette condamnation de l'imagination et de l'idéa-
lisme transcendantal; l'adhésion de COMTE à l'empirisme.
C'est ainsi que l'auteur de De l'explication dans les Sciences,
accuse "BACON et COMTE", la théorie "empiriste ou positiviste"
(1) d'avoir négligé le rôle du raisonnement dans l'activité .. .1
(1) E. Meyerson : De l'explication dans les Sciences, Fayot, 1921,
,p. 162. On notera l'assimilation des deux auteurs et de leur
doctrine.

scientifique. Dans le positivisme, dit-il, "L'expérience
est tout, elle est véritablement la science entière, puis-
que la science n'est qu'un recueil d~ lois, et que celles-
ci ne sont à leur tour que des expériences généralisées.
Quant aux mathématiques, CONTE ne les exclut point, mais il
réduit leur rôle, en les subordonnant entièrement à l'expé-
rience". C'est la raison pour laquelle, malgré sa carrière
mathématique, il arrive à CONTE de protester, comme BACON,
contre les empiètements des mathématiciens en physique et
en biologie. Bref, selon MEYERSON, "en exagérant constamment
le rôle de l'expérience et en s'appliquant, par contre, à
laisser le plus possible dans l'ombre celui de la déd~ction,
A. COMTE travestit les véritables tendances de la recherche
scientifique ••• Si nous faisons de la science, c'est aussi,
c'est surtout pour savoir, pour comprendre. Or, comprendre,
nous ne le pouvons qu'en raisonnant" ('1).
En fait,
les critiques que MEYERSON adresse à l'empi-
risme ne sont pas sans fondement. On sait que BACON fait de
l'expérience la source exclusive des connaissances scienti-
fiques. C'est par de simples observations, par une simple
accumulation des données de l'expérience que l'on parvient
à la découverte des lois. Et c'est en vue de réduire le r61e
des hypothèses dans l'activité du savant qu'il a élaboré
dans le livre premier du Novwn Organum des artifices, des
schèmes dont la finalité est de laisser "peu d'avantage à
la pénétration et à la vigueur des espri ts" (2).
Mais force est de reconnaître que l'activité scienti-
fique ne se déroule pas suivant le principe de BACON dont
l'application n'a donné lieu directement à aucune découverte.
Nombreux sont d'ailleurs des savants de son époque qui ont
nié la valeur heuristique de ses schèmes et ont reconnu la
nécessité, dans les recherches scientifiques, d'avoir recours
soit à l'imagination, soit à des connaissances scientifiques
préalables. Déjà en 1786, GUYTON de MORVEAU mettait ses
contemporains en garde contre le fétichisme des faits. "Je
ne me dissimule pas,
écrivait-il, qu'il y a une foule de
gens qui ne cessent de crier, des faits ! des faits ! Le
moment n'est pas venu de s'occuper des théories. Ce langage n'est
.. .1
( 1) ibid, p. 241.
(2) F. Bacon, Novum Orqanum, livre 1er, alph. 61.

-
123 -
conforme ni à la raison, ni à l'opinion de ces hommes dont
notre siècle s'honore:
••• les BUFFON, les FRANKLIN, les
MACQUER, les BERG~lAN, les PRIESTLEY, les LAVOISIER, etc •• "(l).
MEYERSON a donc raison de s'en prendre à l'empirisme.
Mais sa théorie pèche par l'assimilation de celui-ci au posi-
tivisme. Car si le réalisme de COMTE s'oppose au mysticisme et
à l'idéalisme, il tente également d'éviter l'écueil de l'em-
pirisme. "La science se compose de lois et
non de faits"(2).
Même si le positivisme reconnaît à F. BACON le mérite d'avoir
soustrait les recherches scientifiques de l'emprise des spé-
culations oiseuses, il ne le condamne pas moins pour sa ré-
duction de la science à l'observation des phénomènes. Les
leçons du Cours fourmillent de passages où COMTE ne cesse de
montrer que l'empirisme du type baconien est incapable de
rendre compte des richesses et de la signification profonde
de l'activité scientifique. Partout, il évoque l'importance
des idées dans la découverte des lois. Il écrit par exemple,
dès la première leçon du Cours : "Tous les bons esprits
répètent, depuis BACON, qu'il n'y a de connaissances réelles
que celles qui reposent sur les faits observés. Cette maxime
fondamentale est évidemment incontestable, si on l'applique,
comme il convient, à l'état viril de notre intelligence".
Seulement, cette idée sous cette forme, est insout~nable.
"Car si, d'un côté, toute théorie positive doit nécessairement
~tre fondée sur des observations, il est également sensible,
d'un autre côté, que, pour se livrer à l'observation, notre
esprit a besoin d'une théorie quelconque. Si, en contemplant
les phénomènes, nous ne les rattachions point immédiatement
à quelques principes, non seulement il nous serait impossible
de combiner ces observations isolées, et, par conséquent,
d'en tirer aucun fruit, mais nous serions même entièrement
incapables de les retenir; et le plus souvent, les faits .. .1
(1) Guytonde MOI:'veal, Enc);'clopédie méthodique, chimie, pharmacie
et métallurgie, Parls, 1786, Vol l, p. 3.
(2) Cours, Hermann, 1975, p. 23.

- 124 -
resteraient inaperçus sous nos yeux" (1).
L'ordre de la nature ne suffit donc pas à garantir,
m~me par l'observation la plus appliquée, l'établissement des
lois. Il faut que l'esprit aille au-devant de cet ordre en
prenant la mesure et en lui prêtant attention. Et lorsque
COMTE rédigeait le Cours, cette idée faisait époque. On la
retrouvait chez BERTHOLLE'T dans son Essai sur la mécanique
chimique (1803)
; chez un autre chimiste, Humphy DAVY qui
écrit: "ce n'est qu'en formulant des théories, et en les
comparant aux faits que nous pouvons espérer découvrir le
vrai système de la nature" (2). Et SODDY dans The parents
of Radium montre les erreurs auxquelles on s'expose en fai-
sant confiance aux faits observés. Car, dit-il, si les cher~
cheurs n'avaient pas de théorie pour guider leurs recherches,
s'ils s'étaient fiés à ce qui tombe sous leurs sens, n'au-
raient-ils pas considéré le "radium" comme le fils du "rho-
dium" (3)Z
L'observation scientifique diffère donc de l'obser-
vation vulgaire dans laquelle les phénomènes sont surtout
des objets de curiosité, d'émerveillement. La Tour de Pise
passe inaperçue a~x yeux du vulgaire. En revanche, l'obser-
vation scientifique provient de la contradiction entre le
phénomène immédiat et une idée préalable. On observe, scien-
tifiquement,d'autant mieux qu'on est instruit, car plus on
sait et plus il y a à savoir. On sait par exemple que tous
les corps brÛlés perdent une partie de leur poids. Mais il
se fait que le poids du plomb brÛlé augmente. Ce fait est en
contradiction avec la théorie scientifique de la pl:logis-
tique. Il suscite alors l'observation du savant. L'observa-
tion du vulgaire est selon le mot de Claude BERNARD passive
celle du savant active (4).
. . .1
(1) ibid. L'une des conditions de la possibilité de la science
"puisée dans la nature même du suj et, consist e dans le besoin,
à toute époque, d'une théorie quelconque pour lier les faits,
combiné avec l'impossibilité évidente, pour l'esprit humain
à son origine, de se former des théories d'après les obser-
vations".
(2) Encyclopedia Britannica, ge éd., art. Davy p. 847.
(3) Soddy, Tlie parent); of Radium. Scientia, V, 1909, p. 269.
'(4) Claude Bernard, Introduction à la Médecine expérimentale,
paris, Flammarion, 1966, p. 34.

Moralité: les faits par eux-mêmes ne disent rien. Il
n'y a pas de phénomènes scientifiques a priori. c'est l'es-
prit qui, par l'intérêt qu'il leur accorde, par le traitement
auquel il les soumet" leur confère la scientificité. Et "ceux
qui font consister les sciences dans la simple accumulation
des faits observés, n'ont qu'à considérer avec quelque atten-
tion l'astronomie, pour sentir combien leur pensée est étroite
et superficielle". Les faits astronomiques sont si simples
qu'ilS intéressent peu a priori. Seules leurs liaisons ration-
nelles en font des faits scientifiques. La preuve, c'est que
la suite des observations empiriques des Egyptiens et des
Chaldéens (1) sur le ciel n'a pas débouché sur la naissance
de la science astronomique. Celle-ci n'a été réellement
ébauchée que lôrsque les philosophes grecs (Ioniens et Eléates
en l'occurrence), en faisant moins cas de l'accumulation des
observations directes, ont commencé à ramener le phénomène
général du mouvement diurne à quelques lois rationnelles.
De là, le sens de l'affirmation de COMTE selon laquelle
l'histoire des sciences se résume, en dernière analyse, à
l'histoire de l'esprit humain. Ce qui change d'une époque à
l'autre, d'un lieu à un autre, ce ne sont ·pas tant les phé-
nomènes qlle le mode de pensée qui s' y applique. De tous les
temps les corps tombent, et toujours de la même façon. Mais
ce phénomène invariable en lui-même se présente sous plusieurs
aspects en tant que fait scientifique, et donne lieu à des
théories non exclusives mais fort différentes. Le même fait
est traduit tour à tour en termes de "grave", puis de "pesan-
teur", puis de "gravitation universelle" avant d'être perçu
comme "relatif". ALAIN et Jules LAGNEAU ont raison:
perce-
voir, c'est déjà juger. L'observation est un acte intellec-
tuel (2).
. . .1
Paul Tannery et Alexandre Koyré ont consacré un certain
nombre d'ouvrages à l'étude de la science des Anciens.
(2) cf. Alain. Eléments de philosophie. notamment sa réflexion
sur le cube. Jiaffll~e que le cubê~a six faces et douze
arêtes. Mais je ne vois jamais immédiatement les six faces
. et les douze arêtes à la fois. Ce n'est que parle jugement,
une extrapolation de l'intuition sensible, que je pose cette
affirmation.
cf. aussi J. Lagneau, "Cours sur le jugement" in Célèbres
leçons.

- 126 -
Dans "la philosophie mathématique", COHTE va jusqu'à
développer une thèse qui se situe aux antipodes de celle de
BACON. Ce dernier voulait que ses schèmes dispensent du re-
cours à l'esprit dans l'activité scientifique. Or pour COMTE
le but de la science positive est de prévoir, c'est-à-dire de
parvenir, en s'abstenant de l'expérience immédiate, à déduire
les lois des phénomènes les unes des autres : "Science, d'oü
prévoyance". Il déclare dans la troisième leçon: "On peut
même dire généralement que la science est essentiellement
destinée à dispenser, aUant que le comportent les divers
phénomènes, de toute observation directe, en permettant de
déduire du plus petit nombre possible de données immédiates,
le plus grand nombre possible de résultats"(1).
Gaston BACHELARD, qui reproche à COHTE d'avoir fait une
trop grande part à l'expérience dans sa théorie de la science,
reprend, notamment dans le Rationalisme apDliqué, cette théo-
rie
comtiste de la prépondérance du rationnel sur l'expéri-
~
mental. La science doit non seulement faire très peu cas de
l'observation i.Tmédiate, mais encore elle doit "déréaliser"
son objet. Dans la connaissance scientifique, c'est la raison
qui informe les phénomènes et non l'inverse. Il s'agit de
construire un monde à l'image de la raison. C'est par un
dépassement progressif de l'intuition sensible qu'on accède
graduellement à la science.
Et les exemples ne manquent pas dans la scjence moderne
pour étayer cette idée. L'un .des plus instructifs est celui
du '-condensateur~ BACHELARD montre comment on est passé pro-
gressivement de la notion de bouteille à celle de condensa-
teur. On s'est d'abord dégagé de tous les attributs empiristes,
de tout ce qui constitue une surcharge concrète. La notion de
.. .1
(1) Philosophie première, Hermann, p. 71. Dans le T VI, il écrit
"L'esprlt pOSltlf, sans méconnattre la prépondérance de la
réalité directement constatée, tend à agrandir le domaine
rationnel au dépens de l'expérimental, en substituant la pré-
vision des phénomènes à leur expbration immédiate". On peut
à priori affirmer que la somme des angles d'un triangle est
égal à deux droits. C'est que "toute science a pour but la
prévoyance", c'est-à-dire que "toute science tend à substituer
la déduction à l'expérimental, la connaissance rationnelle à
l'empirique" cf. Cours II et III.

- 127 -
"bouteille", puis celle de "grosseur" ou "volume" furent tour
à tour éliminées pour laisser place à un concept vraiment
rationnel du condensateur, à une loi qui se formule
·C
Ks
• Cette loi ne présente que des relations entre S
= 4fi'ë
la surface d'une armature, e : l'épaisseur de l'isolant et
K : le pouvoir dielectrique de l'isolant (1).
C'est donc acquis: pour C0l1TE comme pour BACHELARD, la
science ne se fonde pas sur les phénomènes observés, elle
s'en dégage. Le réel scientifique est une réalisation ration-
nelle et non pas le donné immédiat de l'expérience. Celle-ci
n'est pas un juge. Elle n'est qu'un simple guide.
~ Cette importance reconnue de l'esprit dans l'activité
scientifique appelle aussi celle de l'imagination. La science
est l'établissement des relations entre les phénomènes. Or
ces relations ne s'offrent pas spontanément à l'observation.
Elles sont d'abord cachées, "Il n'y a de science, dit BACHELARD,
que de ce qui est caché". Pour saisir ces relations, il faut
donc toujours commencer par les supposer ; il faut commencer
par faire des r:.ypothèses.
La vingt-hllitième leçon du Cours développe la théorie
de l'hypothèse considérée "comme un puissant et indispensable
auxiliaire de notre étude de la nature". Il y a deux manières
de découvrir les lois des phénomènes: l'induction ou la dé-
duction. On peut procéder à une analyse rationnelle des phé-
nomènes directement observés, ou tirer ces lois d'un ensemble
de lois plus général déjà établi. Mais quelle que soit la
démarche, on ne peut se passer des hypothèses •. Le savant
imagine d'abord la loi avant de l'établir. "Sans cet heureux
détour, dont les méthodes d'approximation des géomètres ont
primitivement suggeré l'idée générale, la découverte effective
des lois générales serait évidemment impossible, pour peu que
. . .1
(1) Gaston Bachelard, le Rationalisme appliqué, P.U.F. 1975,
p. 147 et suivantes.
Dans une analyse sur la pythagoricité du triange rectangle
(ibid p. 86 et suiv.) il soutient que le but de la science
est la prévision. "On aurait du prévoir" dit-il, p. 96 •

,
-~

le cas présentât de complication"
(1).
Cette leçon, véritable anticipation sur les travaux de
Claude BERNARD, trace les grandes lignes de la méthode expé-
rimentale. Elle est définie : "Tel fait est encore peu connu,
ou telle loi est ignorée : on forme alors à cet égard une
hypothèse, le plus possible en harmonie avec l'ensemble des
données déjà acquises ; et la science, pouvant ainsi se
développer librement, fini t toujours par conduire à de nou-
velles conséquences observables, susceptibles de' confirmer
ou d'infirmer, sans aucune équivoque la"supposition primitive"(2)
On sait du reste que le Cours est un ouvrage de réfé-
rence de Claude BERNARD qui emprunte des concepts positivistes,
mais qui rejoint surtout COHTE dans la critique de F. BACON
et dans l'affirmation du rôle de l'hypothèse dans les décou-
vertes scientifiques. Qu'on nous permette de rappeler quelques
passages du célèbre physiologiste, passages qui auraient pu
être attribués à son prédécesseur. BACON, dit-il, "n'était
pas un savant. Il n'a point compris le mécanisme de la méthode
expérimentale". Aussi a-t-il adopté vis-à-vis de l'esprit une
attitude négative. Or, l'activité scientifique prouve que
cette méthode se fonde sur la vérification des idées soumises
ou suggérées. Dans ce sens, "La méthode expérimentale, consi-
dérée en elle-mÊ'ne, n'est rien d'autre qu'un raisonnement à
l'aide duquel nous soumettons nos idées à l'expérimentation
des faits" (3). Elle n'est en quelque sorte que la logique
appliquée à la coordination des phénomènes de la nàture pour
en découvrir les lois.
Selon Claude BERNARD, l'objet de la méthode expérimen-
tale est de disposer, suivant un ordre logique, "tous les
faits observés directement ou provoqués par l'expérimentation
en vue de les faire servir de vérification à une idée préconçue
idée préconçue qui n'est en réalité, qu'une anticipation lo-
gique de notre esprit sur des phénomènes inconnus". Instituer
. . .1
(1) Philosophie première, Hermann, p. 457.
(2) ibid
458
(3) Claude Bernard, Introduction à la médecine expérimentale,
ed. Sertillanges, Parls, 1900, p. 7.

- 129 -
une expérience, c'est chercher à contrôler une idée qui, elle,
est une réponse à une question posée, dit-il dans la leçon
d'ouverture de son cours au Collège de France. C'est donc
l'idée, et non les phénomènes qui "constituent ••• le point de
départ ou le primum movens de tout raisonnement scientifique".
C'est elle le principe de l'invention, et c'est pourquoi le
chercheur doit "donner libre cours à son imagination" (1).
En revanche, continue le père de la méthode expérimen-
tale, l'attachement aveugle aux faits présente le même danger
que l'explication par les Causes chimériques. Un phénomène
isolé est incompréhensible, il "n'est rien par lui-même, il
ne vaut que par l'idée qui s'y rattache, ou par la preuve.
qu'il fournit. Bref
un fait n'est scientifique que s'il se
rattache
d'une manière nécessaire à des conditions d'exis-
tence déterminées " (2).
Seulement, prenons garde. Dans l'intention de COMTE. la
reconnaissance de l'importance de l'hypothèse ne signifie pas
véritablement la réhabilitation de l'imagination. Car il faut
distinguer hypothèse scientifique et conjectùre, celle-ci
étant entendue comme supposition nébuleuse. Dans la conjecture,
impossible à soumettre à la vérification, le réel est encore
subordonné à l'imaginaire. C'est le cas, par exemple, de
l'hypothèse du "fluide sonore de l'illustre LAMARCK".
La vingt--hui tième leçon répertorie des i llus ions analo-
gues prises au XVIIIe siède pour des hypothèses scientifiques.
On constate. par exemple, qu'un corps chauffé se dilate. Plu-
tôt que de procéder à une expérimentation à partir d'une
supposition rationnelle, et d'établir une loi mathématique
des rapports entre la chaleur et la dilatation~ on cherche
par des suppositions chimériques à expliquer ce phénomène.
On imagine alors qu'il y a un fluide interposé dans les inter-
valles moléculaires qui tend à les augmenter, à créer plus
d'espacement entre les molécules. Une telle supposition est,
aux yeux de COMTE, vouée a priori à ne jamais @tre vérifiée.
Car il faudrait encore se demander pourquoi ce fluide se di-
late, d'où lui vient cette élasticité (3). L'hypothèse;
.. .1
(1) Leçon de physiologie expérimentale, Paris, 1855, p. 21
(2) Introduction •••• loc. cit, p. 85.
(3) Philosophie première, op. cit., 28e leçon. p. 459

-
130 -
nécessaire dans les sciences quand elle est convenablement
conçue, devient nuisible lorsqu'elle prétend atteindre ce
qui en soi n'est accessible n.L au raisonnement, ni à l'obser-
vation.
Quant à l'hypothèse scientifique, elle est tout autre.
Elle est d'essence rationnelle et conforme aux exigences de
l'esprit positif. "En d'autres termes, les hypothèses vrai-
ment philosophiques doivent constamment présenter le carac-
tère de simple anticipation sur ce que l'expérience et le
raisonnement auraient pu dévoiler immédiatement, si les cir-
constances du problème eussent été plus favorables". Le cri-
tère fondamental de l'hypothèse scientifique, c'est sa néces-
saire soumission à la vérification, son caractère positif,
c'est-à-dire, non transcendantal.
En résumé, l'esprit, dans la connaissance scientifique
a un double rôle: lier les phénomènes, et formuler les hypo-
"
Il
thèses. Mais celles-ci consistent
à aller au-devant des faits,
pas"au-delà~ D'où/des deux sortes d'hypothèses distinguées
par COMTE, les premières seules méritent véritablement cette
appelation. "Les diverses hypothèses employées aujourd'hui
par les physiciens doivent être soigneusement distinguées en
deux classes: les unes jusqu'ici peu multipliées sont sim-
plement relatives aux lois des phénomènes ; les autres dont
le rôle actuel est beaucoup plus étendu, concernent la déter-
mination des agents généraux auxquels on rapporte les diffé-
rents genres d'effets naturels. Or d'après la règle fondamen-
tale posée ci-de,ssus, les premières sont seules admissibles;
les secondes, essentiellement chimériques, ont un caractère
anti-scientifique, et ne peuvent désormais qu'entraver radi-
calement le progrès réel de la physique, bien loin de le
favoriser" (1).
A notre avis, cette distinction, quoique judicieuse,
appelle quelques interrogations. COMTE définit clairement les
éléments de différenciation entre les deux catégories d'hypo-
thèses: l'une est vérifiable, l'autre imaginaire, l'une vise
le lien, l'autre l'explication. Mais comment le savant, aussi
instruit soit-il, peut-il, a priori, dans ses représentations,
dans les réponses provisoires aux problèmes que lui posent .../
(1) ibid.

les faits, distinguer celles qui sont susceptibles de véri-
fication de celles qui ~e le sont pas, celles qui conduisent
à l'établissement des rapports de celles qui visent les es-
sences ? s'il est de la définition d'une hypothèse de n'être
que "hypo - thèse" c'est-à-dire, ce qui n'étant pas encore
thèse peut le devenir,ou non. selon qu'il est confirmé ou
infirmé par l'expérimentation; alors, comment savoir, avant
toute vérification, que l'idée de la pression atmosphérique
de TORICELLI est une hypothèse scientifique, tandis que celle
1
r,
du fluide entre les intervalles moléèulaires est une conjec-
i
ture ? Quelle différence d'esprit ou de méthode, faut-il
établir entre imaginer comme LAHARCK l'existence "des ondes
sonores", et supposer, comme NEI-ITON, l'existence d'une attrac-
i
tion universelle, au risque de poser le problème de l'origine
.i,,
de cette attraction? NOUS pensons qu'entre ces deux suppo-
j
sitions, il n'y a qu'une différence, et celle-ci est a posté-
i
1
riori : la première a été infirmée par
l'expérience, la
J
seconde cbnfirmée par elle.
Malgré ces interrogations, cette distinction comtiste
constitue l'ébauche de la séparation bachelardienne entre
l'imagination nocturne et l'imagination diurne. La première,
celle de l'artiste, qui enrichit le côté subjectif et affec-
tif de la culture, mais qui présente des images singulières,
J!
est à éliminer de l'activité scientifique. La seconde est
plutôt un aiguillon de la raison: elle l'excite au combat,
garantit son dynamisme, permet de supposer une nouvelle forme
d'intelligibilité. Elle est la source de l'hypothèse, de
}
l'invention.
. 1
1
En définitive, il suit de tout ce que nous venons de
j
dire, que COMTE n'est ni idéaliste, ni matérialiste (1) ou.
\\
../
1
(1) Il écrit dans le Système, p. 50, au sujet du matérialisme:
i
"C'est dans une telle exagération, que consiste, à mes yeux,
l'aberration scientifique à laquelle l'instruction publique
applique sans injustice la qualification de matérialisme,
parce qu'elle tend, en effet, à dégrader toujours les plus
nobles spéculations en les assimilant aux plus grossières •••
En ce sens, le matérialisme constitue un danger inhérent à
l'initiation scientifique".
,
J
i

-
132 -
empiriste. Il résume lui-m~me ses travaux du Cours en ces
termes : "Cette notion générale de la vraie nature des re-
cherches positives quelconques nous a spontanément conduit,
d'après une juste appréciation des conditions essentielles
propre à chaque cas scientifique, à déterminer partout les
attributions respectives de l'observation et du raisonnement,
de manière à éviter également les deux écueils opposés de
l'empirisme et du mysticisme entre lesquels doivent constam-
ment cheminer les connaissances réelles. D'une part, nous
avons ainsi consacré la maxime, devenue, depuis, BACON, si
heureusement vulgaire, sur la nécessité continue de prendre
les faits observés pour base, directe ou indirecte. mais
toujours seule décisive, de toute saine spéculation ( ••• )
Mais d'une autre part, nous avons pareillement écarté les
irrationnelles dispositions, aujourd'hui trop communes, qui
réduiraient la science à une stérile accumulation de faits
incohérents ; car nous avons reconnu, en tout genre que la
véritable science, appréciée d'après cette prévision ration-
nelle qui caractérise sa principale supériorité envers la
pure érudition, se compose essentiellement de lois et non de
faits, quoique ceux-ci soient indispensables à leur établis-
sement et à leur sanction: en sorte qu'aucun fait isolé ne
saurait ~tre vraiment incorporé à la science" (1).
d) f~2E~E~!i~~_~~!E~_!~-E~i~~~_~!_!~~~~Ei~~~~
~ Par rapport aux différentes philosophies de la connais-
sance scientifique, le positivisme occupe donc une position
centrale. Il procède de l'intention de rendre compte, grâce
à un dialogue établi entre la raison et l'expérience, de la
réalité vécue, d.? sa condition générale autant que de ses
aspects particuliers. L'objet de la philosophie positive,
son fond, c'est "le réel des @tres connus". La loi scienti-
fique implique perpétuellement un compromis "entre les deux
nécessités opposées, également impérieuses, d'observer préala-
blement pour parvenir à des conceptions convenables. et de
concevoir d'abord des théories quelconques pour entreprendre
avec efficacité des otservations suivies". Il n'est de l'in-
tention du savant ni de faire, ni de refaire l'ordre du monde,
les lois de la nature. Il ne les reçoit pas non plus tout fait •
. ..1
(1) Cours, T II, Hermann, 1975. 28e leçon.

i
- 133 -
C'est par un effort long et ~i.fflcult'leux que l'esprit humain
les dégage progressivement de ce qui est donné. La loi scien-
tifique natt donc ~e la coopération entre l'ordre intellec-
tuel et l'ordre de la nature. Elle "résulte du concours néces-
saire entre le dehors et le dedans. Les lois, c'est-à-dire les
faits généraux, ne sont jamais que des hypothèses confirmées
par l'observation. si l'harmonie n'existait nullement hors
de nOl1s, notre eSl'rit serait entièrement incapable de la re-
cevoir, mais en al)CUn cas, elle ne se vérifie qu'autant que
nous la suppo sons" (1).
C'est donc cette complémentarité entre le sujet et
l'objet qui caractérise le "réalisme positiviste", qui fonde
la science et en définit le caractère relatif. Ce réalisme
inaugure une nouvelle théorie de la connaissance scientifique
qui est devenue de nos jours la pierre angulaire de l'épisté-
mologie française contemporaine. Nul avant COi'lTE, ni DESCARTES
ni d' ALEHBERT, malgré les r{,férences faites ici et là à la
double origine ;\\ la foi.s emF,iricil'e <?t rationnelle du savoir
scientifique, n'avait su uni.fier par la constitution d'une
méthode "bidrome" les deux sources cle la connaissance dans
un mouvement constructif. Nous avons vu que DESCARTES, sans
méconna1tre l'importance de l'exl,érience fait reposer la
science sur une base essenti.ellernent rationnelle. 15' ALEMBERT
souligne,dans l'Encyclopêclie.] 'origine empirique des notions
scientifiques et le rGle de l'analyse rationnelle dans leur
construction, sans s'apercevoi.r que les deux s'interpénètrent
et s'enrichissent mutuellement.
COHTE, corltrairement à ses devanciers, établit une
complémentarité méthodique entre la raison et l'expérience,
complémentarité qui se manifeste tout au long de ses écrits
à travers l'harnDnie conçue comme résultant du soutien réci-
proque entre le concret et l'abstrait, l'objectif et le sub-
jectif, le dedans et le dehors,
l'organisme et le milieu, la
pensée et l'action. C'est ce soutien qui assure le progrès
des sciences. Et c'est pour avoir méconnu ce caractère essen-
tiel de la connaissance scientifique que les philosophes se
sont livrés à des activités stériles comme la correction par
LEIBNITZ de l'axiome d'ARISTOTE,
i.l n'y a rien di'lns l'esprit
qui n'akd'aburd été dans les sens. POllr le positivisme,
.../
(1) Système de politique positive, T II

- 134 -
empirisme et myst'icisme (et icléëllisme) pelJVent se tourner
le dos, raison et expérience se donnent la main.
Cette théorie cl'\\'ne philosophie dialoguée
est reprise
par L. BRUNSCHVICG et G. B/\\CHEL/\\RD qui l'affinent en l'adap-
tant à la science contemporaine. Le l'rem'Ler qui. reproche à
COMTE, d'avoir négJ.i96 Je calcul des probabilités et d'avoir
dédaigné la phys:Lque qui. en fait usage, ne cache pas son
admiration pour l'autelJr d\\] Cours d'ëlvoi.r tiré de l'étude
des ma théma t igues de L/\\GR!\\NGE,
la concept ion d'une méthode
concrète-abstraite, d'une matllématique qui est une sorte de
science naturelle, qui s'efforce de faire corps avec le réel.
En effet,
après avoir distingué, à la fin de la deuxième
leçon du Cours,
la mAthématioue abstraite, plJrement instrumen-
tale, et la mathématique concrète, COMTE affirme que ces disci-
plines, "Ja géométrie et la nlécanique, doivent ~tre envisa-
gées comme de véritables sci.ences naturelles fondées ••• sur
l'observation." C'est du reste sur elles que les autres
Sciences doivent prendre appui parce qll'elJeS associent intiment
expérience et raison; parce que, nées de 1 'ohse.rvation directe,
elles s'efforcent autant que possible (le s'en dégager, pour se
poursuivre en clécluctions ra t"i.onnelles.
Dans la qllatri.ème leçon, Cm'1T8 défi.nit l' abstrai.t et le
concret .~ partir de la not'i.on de fonction empruntép à L/\\GRANGF.
avec référence ;) L818N11'Z et aux BER.NOULLI (Jean et Jacques).
Les foncti.ons ahstraites sont celles qui présentent des reln-
tions établies entre grandeurs, sans J'i.ndication cles phéno-
mènes r0eJs qui ont c:l)nc1',i.t ~ 10 construction de ces relations.
Les fonctions concr~tes sont au contraire, celles dans les-
quelles le mode de dépendance est situé dans le cas physique
déterminé où il a lie\\l.
t1iLlS,
remarque l'auteur, Je l'remiF'r type (le fonction
est indissociable du second. L'abstraction permet de saisir
le mode cle dépendance '1"i. r(~git les phénomènes concrets, mais
les fonctions ont elles-mêmF's comll'\\encé d'abord par être
concrètes. Les exemples pï.J.J.ulent dans les mathématiques pour
le prouver. J\\ujoufc1' hui les puissances x!h et i' sont admises
comme des foncti.ons purement i'.bstraites. Elles semblent échap-
per aux données empiriques. Et pourtant celles-ci ont été
nécessaires pour qu'on en arrive à cette abstraction. Pour .../

- 135 -
les géomètres ,je l'antiquité, elles étaient des fonctions
exclusivement concrètes eXI'rimant la relation de la super-
l'
, Il
\\1
1 ..
à
ficie d'un carre ou du volume d'un cu)e par rapport,
la
longueur de leur c6té. Il
a fallu attendre les travaux de
VIETE et de DESCARTES pour passer de cette conception empi-
rique à une formule rationnelle qui permet désormais de se
passer des données concrètes à savoir le carré et le cube.
*Léon BRUNSCHVICG dans son petit livre Héritage d' i.dées
et héritage de mots, soutient une thèse analogue, c'est-à-dire,
révélant la coopération de l'expérience et de la raison dans
les mathématiques. La notion de nombre négatif est purement
rationnelle puisque, concrètement, elle n'a pas de référent.
D'ailleurs elle contredit J'évidence empirique suivant la-
quelle le tout est plus gnlY1<1 que lCl partie, ]'llic;que la somme
de - 2 et de - 7 donne - 9; En outre, la multiplication dans
l'ensemble des nombres négi\\i:ifs défie A la fois l'empirisme
(immédiat et le rationi'llisrne absolu. Comment expliquer par
exemple que (-2) X (-7) donnent + 1<1 ? Il faut que la raison
et l'expérience s'associent pour trouver la réponse.
La raison peut à elle seule, résoudre par exemple le
produit de 3 par ~. Mais remplClçons le nombre 3 par son équi-
valent (5 - 2) et 4 par (11 - 7). Le résultat est toujours le
même, mais non le procédé. Car lorsqu'on a:(5 - 2) X (11 - 7)
les trois premières opérations sont rationnellement évidentes
5 X 11 = 55 ; 5 X-7 = - 35 ;-2 X 11 = -22. Mais rien ne nous
autorise a priori à dire que~ - 2 X - 7 = + 14.
Tout ce qui rne permet cette opération, c'est qu'en
consultant l'expérience, je me rends compte .que si. je disais
que - 2 X - 7 = - 14, j'aurais 55 - 35 - 21 - 14, ce qui donne
- 25 et non 12. En revanche, je constate qu'en admettant que
- 2 X - 7 = + 1~ j'aboutis à 12. Conséquence: entre les di-
verses combinaisons que la raison est capable de former,
l'expérience peut fournir à l'esprit ce qu'il ne peut pas
tirer de lui-mi'>me, c'est-à-cl1re, un"r.ritère de décision~ une
preuve, qui lui donne la garantie qu'il use légitime de son
pouvoir constituant (1). Conclusion: "Le calcul des nombres
négatifs demeure une discipline artificielle et stérile, à
moins qu'elle ne soit reli6e au calcul des nombres positifs.../
(1) L. Brunschvicg Héritage d'idées et Héritage de mots, Paris
PUF,
1 950,
p. 23.
- ~érience humaine et lu causalité physique, Alcan, 1949,
~84.

- 136 -
gr8ce à l'équation en soi injustifiable et même incompréhen-
sible
(- a) X ( - bl = ab. Cette équation,ne peut résultat
à aucun degrÉ' d'une démons tra tion apodict ique ; elle est in-
troduite dans la science à titre de faits, sans altérer en
rien pourtant l'exactitude, en assurant la fécondité du rai-
sonnement. Et par là s'éclaire de la plus grande lumière la
thèse gue nous avons à coeur d'établir: la mathématique unit
rationalité et objectivité comme des fonctions solidaires et
réciproques qui ne peuvent se séparer l'une de l'autre, parce
que, contrairement au double rêv<? du réalisme dogmatique, la
r3.tional.i,té ne peut se transcender dans l'abSOlU d'une raison,
dans la pure évidence, pas plus ql)e l'objectivité dans 'l'ab-
solu, dans l'appréhension immédiate" (1).
Et c'est le constat di" cette double origine empirico-
rationnelle de la mathémati'lue qui permet à BRUNSCHVICC
d'établir une analogie ent1'0 i\\1l(;USTE et EINSTEIN dans leur
conception de la géométrie,. Ce qlle EINSTEIN appelle la géo-
métrie pratique n'est rien d'autre que ce que son prédécesseur
désigne comme une science naturelle, c'est-à-dire les mathé-
matiques dont les énoncés reposent essentiellement Sl.lr l'in-
duction de l'expérience et non plus seulement sur des dé duc-
t ions log igues,
Il est vrai. que DRUNoCllVICG a apporté des approfond'Ls-
sements, qu'il a diversifié et renouvelé les perspectives de
COMTE en s'inspirant des sciences contemporaines. Mais, dans
leurs grandes lignes, l'Expérience hllmaine et la causalité
physique et les gt,"pes de la philosophie Tnêlthématique pour-
suivent les objectifs tracés par le Cours de philosphie posi-
tive que BRUNSCHVICG cite d'ailleurs constamment êomme dans
ce passage : "Plus nous devons considérer la géométrie Comme
étant aujourd'hlli essentiellement analytique, plus il était
nécessaire de prémunir les esprits contre cette exagération
abusive de l'analyse mathématique, suivant laquelle on préten-
dait se di.spenser de toute observation géométriqlJe proprement
dite, en généralisant sur de pures abstractions algébriques
les fondements mène cJe cette science naturelle" (3).
.. .1
(1) cf. Einstein, la géométrie et l'expérience, trad. Solovine,
1921 pp. 5 - G
(2) Les Etapes,Alcan,1947, p. 294.

-
137 -
* Gaston BACHELARD, à la suite de son maître, reprend sous
un jour nouveau,
la relation établie par A. COMTE entre la
géométrie et l'algèbre,
entre J.e concret et l'abstrait. Après
une citation du système de politique positiv~, il not~ que
"dans bien des problèmes,
i l semble que le mathématicien tota-
lise deux ratio~alismes, il pense sur un double régistre, algé-
briquement et géométriquement
••• A l'usage on sent bien que
les mots concret et abstrait prennent une signification dans
cette double situation" (1).
Mais tandis que pour COMTE, dans J.a science, on procède
du concret à l'abstrait, BACIH:I,ARD établit entre les deux une
relation non plus de complémentarité mais de dialectique au sens
d'actions réciproques. Entre les deux i l y a "échange d'appli-
cation". On peut étudier le mouvement d'une géométrie qui
s'applique algébriquement et celui d'une algèbre qui S'applique
géométriquement. Il est aujourd' hui difficile de l~rocéder comme
le Cours, c'est-à-dire de préciser, de l'algèbre et de la géomé-
trie,
laquelle est plus concrète que l'autre. Entre les deux il
s'est installé de nos jours ce que BACIIELARD appelle un bilin-
guisme. Et "cela semblera très naturel à qui voudra se mettre
à la discipline du rationalisme appliqué en s'installant en un
centre dialectique à double flèche où se formulent les corre-
lations de l' abs trait
""
~ concret. Alors le géométrique
n'est pas plus concret que l'algébrique;
l'algébrique n'est pas
plus abstrait que le géométrique. ~e géométrique et l'algébrique
échangent leurs puissances rationalistes d'invention"
(2).
Le Rationalisme appliqué et le Matérialisme rationnel
regorgent d'exemples empruntés à l'électricité et à la mécanique
La théorie de FOURIER sur les mouvements vibratoires,
la piezo-
électricité -- qui illustrent cette thèse commune à BACHELARD et
A. COMTE,
et qui consiste à placer l'activité scientifique sur
le double registre de la raison et de l'expérience. MOURELQS,
qui a été sensible à l'analogie entre les deux pensées a eu
raiSOn d'écrire dans l'Epistémologie positive et la critique
Meyersonienne : "Le positivisme d'A. COMTE,
se ramène donc, en
dernière analyse,
à une épistémologie dialoguée,
à un mouvement
de va-et-vient entre l'expérience et la raison, dans toutes les
directions dans lesquelles cette épistémologie s'engage. Il
constitue une sorte de prélude aux thèses modernes du
. ..1
(1) Bachelard,
le Rationalisme appliqué,
p.
157.
(2) ibid, p. 158.
(3) Mourelos, op. ·:::i t, PUF,
1962,
p. 197.

-
138 -
rationalisme appliqué"
(1).
En résumé, le réalisme positiviste, fondement de la
science positive, se définit par le refus des étiquettes :
mysticisme, idéalisme, matérialisme, pragmatisme, empirisme.
Dans cette doctrine de la science, raison et expérience sont
conçues com~e ne pouvant s'isoler, au risque de se tourner
le dos: elles sont relatives l'une à l'autre, condamnées
à la symbiose, ou plus exactement, peut-être destinées à
s'aider mutuel.lement comme les deux mains qui, dans la théorie
sto1cienne de la connaissance, s'étreignent, mais qui demeu-
rent jointes.
.,
:
.:
,.;
(1) Maurelas, al'. cit,
PUP, 1962, p. 197.
. ,'.

- 139 -
Chapitre V
LB CONTINUISME EPISTEMOLOGIQUE
Le posi tivisme conçol t l' hi.s taire comme une impulsion
vers la perfectibilité, un progrès vers le mieux, le plus
parfait. ~1ais il y ct deux 'nanières de concevoir le progrès
\\1
,

~
l'
..

Il

comme une evolutl0n ou comme une revolutlon. La premlère
tendance est celle de CO~lTI, : le progrès scientifique est
une évolution. Or, qui dit évolution dit continuité, c'est-
à-dire, exclllt la rupture, la génération spontanée et ins-
tantanée. C'est du moins ainsi que le mot est défini par
André LALANDE:
"Evolution: Sens A. Développement d'un prin-
cipe interne qui, d'abord latent, finit par se manifester à
l'extérieur". Et le Vocabulaire technique et critique de la
philosophie lui donne un second sens : "Transformation lente
et graduelle". Puis vient un sens D, plus complexe que les
deux premiers : "Transformation dirigée en un sens constant,
011
parcourant une série d'étapes dont on J,eut assigner d'avan~
ce la succession". Quoique ce troisième sens soit le seul qui
convienne véri tablement él la doctrine comtiste, une chose est
certaine: dans les trois cas, l'évollltion est présentée
comme une miulière d'exprimer la continuité (lu clevenir. Nous
employons donc l'expression "continuisme épistémologique"
en
opposition à la "rlll'tl)re ('pistémolog L'lue" de Gaston BACffELARD,
auteur qui conçoit le devenir des Sciences en terme de cou-
pure. Il importe dOliC de s'arr@ter un moment sur le concept
de progrès que COMTE qllalifi.e comme le "dogme vraiment fonda-
mental de la sagesse humiline, soit prêltique, soit théorique".
1°) Ordre et progrès
Le positivisme, avons-nous dit, admet l'existence d'un
ordre fondamental de la nature. Or qui. dit ordre de la nature
postule l'existence de lois invariables, donc d'une nature
fixe, permanente et stable comme l'atome de DE1'1OCRITE, les
. essences platoniciennes ou l' Etrf' de PARl1f'NIDE. A priori,
l'ordre :s'oppose au devenir. N'y a-t-il donc pas inconséquence
à admettre l'existence d'un ordre dans une nature soumise au
progrès 7 Le changement ne risque-t-il pas de devenir pour cet
ordre une fact~lr de désagrégation, une source de dysharmonie ?
En un mot, une phi.losophi.e peut-elle être, sans cinconvénient,
à la fois philosophie du progrès et philosophie de l'ordre 7

- 140 -
Dans l'Gsl'r:i.t de CONTE,
l,] concil..Lation de l'ordre et
du progrès n'est contradictoire que pour l'esprit non posi-
tiviste qui, de même qu'il lui est impossible de concevoir
une vérité autrement qu'immuable,
a beaucoup de peine à se
représenter un ordre autrement que stable. D'un point de vue
positiviste,
l'ordre, dans quelque domaine qu'on le conçoit
n'est pas plus éternel qu'absolu. C'est ainsi que, de même
que GASSENDI dans De Motu élabore un relativisme sur le fond
d'une nature immuable,
telle que la conçoit l'épicurisme, de
même C0l1T8 bât i t
sa théorie du progrès sur le fond de l'ordre.
"Notre marche ne peut jamais prendre un caractère vraiment
positif qu'en reposant à la fois sur la théorie de l'ordre
et sur celle du progrès,
seuJfc'S capables de nous préserver,
l'un de l'arbitraire,
l'autre de l'absolu"
(1).
Qu'est-ce alors que le progrès? c'est le déploiement,
le déroulement.
le développement de ce 'lui existait déjà sous
une forme virtuelle. Le progrès, selon J'image de J30SS UET,
est ,} l'ordre de ce que la or,3ine est i\\ la plante. Ce qui
suit ne contredit pas ce qui précède puisque ce qui précède
contenait déj;:, ce qui suit. Ordre et progrès ne sont pas
incompatibles car,
en réalité,
l'ordre est toujours présent
tout entier à chaque
instant cle son devenir. Le posi tivisme
est une philosophie 0') essence ct c1ev'ènir ne s'opposent pas,
où la genèse temporaire n'est en fait: que la prise de cons-
cience progressive d'une essence. D'OÙ son aJlhorisme
Le
progrès n'est que le développement de l'ordre.
"Ordre et progrès",
cette devise positivisLe est l'ex-
pression de la dialectique entre le statique et le dynamique.
C'est l'évolution qui dévoile l'unité;
la plante révèle les
articulations entre les branches,
les feuilles,
les fleurs
et les fruits,
le tout contenu dans la graine. Dans le Dis-
cours sur l'esprit positif, C0!1TE écrit:
"Par cela même 'lue
le progrès ne constitue,
à tous égards,
que le développement
de l'ordre,
seul
il en offre aussi la manifestation décisive".
En ce sens,
"L'ordre devient alors la condition permanente du
progrès,
tandis que le progrès constitue le but continu de
l'ordre ll •
Cette devise est aussi une pièce innovatrice dans la
conception du devenir si on excepte lE'S travaux cie FONTENELLE
et de PASCAL. Certes,
l'idée n'était pas totalement étrangère
/
•••
(1) Système de politique positive, p. 3.

- 141
-
à des prédecesseurs de COI'lT8 c;onllne GOD';IIN pour qui l' histoire
de l'humanité est associée à celle de l'univers,
et qui
conseille d'étudi,er l'esprit à travers ses productions sui-
vant les lois de l'univers. ~lai,5 non seulement elle n'a ja-
mais étê formulée de façon explicite, mais encore,
la conci-
liation de l'ordre et du progrès apparaissait comme "contra-
dictoire chez les principaux penseurs du XVIIIe siècle,
sans
excepter l' ('minent VICO".
De toute façon A. COMTE la revendique autant qu'il se
proclame l'inventeur lIe la loi des trois états
: "Nulle phi-
losophie antérieure,
écrit-il, n'a pu concevoir l'ordre au-
trement que conune immobile. Ce qui rend une telle conception
entièrement inapplicable à la politique moderne. Seul apte à
toujours écarrer l'absolu sans jamais introduire l'arbitraire,
l'esprit positif doit donc fournir l'unique notion de l'ordre
qui convienne à notre civilisation progressive". Quelques
lignes a1)paravant,
i l écrivait:
"Tous ces aperçus permettent
maintenant d'apprécier conmlent l'ensemble des caractères qui
doivent distinguer cette puissance régénératrice se résume
spontanélnent par sa devise fondamentale,
à la fois philoso-
phique et politique (ordre et progr~s) que je m'honorerai
toujours d'avoir créée et proclamée"
(1).
Cette idée de la correlation nécessaire entre l'exis-
tence et le mouvement,
entre la puissance et l'acte a été
d'abord ébauchée clans les étlAdes des phénomènes physiques et
chimiques,
avant d'être rnieux appréhendée dans les théories
biologiques par la complémentarité de l'anatomie et de la
physiologie. Pu:[s,
après ce clouble prélude qui en garantit
la fiabilité théorique, dans les sciences, ce principe s'êtend
aux spéc~lations sociales qui 11)i procurent son efficacité
pratique.
Et en concevant le progrès comme continu, cm·nE à la
suite de CONDORC8T, rompt avec la conception antique du temps
cyclique. En réalité,
cette conception ne pouvait pas s'im-
poser avant le développenent des sciences d'o~ elle dérive.
Les beaux-arts,
préoccupation essentielle des penseurs avant
le XVIIIe siècle ne permettai('nt pas de percevoir les activités
humaines comme vouées à la perfectibilité. J,a notion de pro-
grès est donc datée.
Elle est ]1';'0. au milieu du XVIDe siècle,
/
...
Société posi-

- 142 -
lorsque la science et l'indllstrie ont d~voilé la vraie nature
et la vraie desti.nati.on cl", J'rJll.manité. "Les plus éminents
penseurs ne pouvaient en effet, concevoir réellement, il y
un siècle, une progression conti.nlle, et l'humanité leur sem-
blai t condamnée ëlU mouvement cî.rcl;lai re et oscillatoire" (1).
Pour le positivisme, le but perpétuel de l'existence,
c'est le perfectionnement universel, l'amélioration continue
et graduelle, affectant d'abord notre condition matériel et
physique, puis nos Facultés et productions intellectuelles et
enfin notre vie morale. Seuls les deux premiers degrés de
l'évolution sont l'apanage de l'humanité. Le développement
matériel se retrouve aussi chez les animaux. ce perfection-
nement est le (léveloppement ,.le l'ordre. "Par une profonde
appréciation, le positivisme représente directement le pro-
grès humain comme consistant toujours dans le simple dévelop-
pement de l'ordre Fonclamentêll (l'li contient nécessairement le
germe de tous les progrès possibles. La saine théorie de notre
nature, individuelle ou collective, démontre que le Cours de
nos transformations quelconques ne peut jamais constituer qu'-
une évolution sans comporter aucune création. Ce principe
général est pleinement confirmé par l'ensemble de l'apprécia-
tion historique, qui dévoil", toujours les racines antérieures
de chaque mutation accomplie, jusqu'à indiquer le plus grossier
état primitif comme l'ébauche rudimentaire de tous les perfec-
tionnements ultérieurs" (2).
Mais, à dire vrai, au XIXe siècle,
concevoir le progrès
comme développement (Je l'ordre n'êta i t pas une en treprise
aussi nouvelle que le déclare Cm1TE. NDdMI\\N par exemple,
(en 1845) dans son Essai sur le développement de la doctrine
chrétienne avait une conception analogue de l'histoire. Il
montrait également que 1",·. progrès est une croissar.:::e temporelle
dont chaque moment contient déjà l'ensemble et reste en conti-
nuité avec tout ce qu'il ne peut explic1tement exprimer. Le
progrès, c'est l'élucidation de l'implicite. L'idée n'est pas
un ensemble dont certaines parties seraient cachées et que
l'histoire dévoilerait morceau par morceau. Continuité et
préexistence sont constitutives du progrès. On peut, disait-il,
définir un vrai développement comme celui qui se maintient dans
la ligne des développements antécédants, comme étant en réalité
ces antécédents mêmes, avec qu elque chose de plus (3). Comme 1\\: .. /
(1)Discours préliminaire, Système, p. 63.
(2)ibid, p. 112 (c'est nous qUl soulignons)
(3)Newman, op. cit. p. 350.

- 143 -
COMTE, il établissait une identit0 de nature entre les idées
nouvelles et les vieux principes
"Les vieux principes ré-
apparaissaient sous de nouvelles formes et l'idée change avec
eux afin de demeurer iclenti'lue. Tt chan[Jes with them; in
order to remain the same"
(1).
La différence spécifique entre la théorie comtiste ~l
progrès et celle
de ses con temporai ns, celle de CONDORC81'
notamment, c'est que,
tout en admet tan t et en prj.vi légiant
le mouvement continu,
tout en voyant dans le progr~s le che-
minement de la civilisation lié ,~ celni cIe l'esprit, COl1TE
n'admet pas l'idée de "perfectibilité indéfinie"
chère à son
prédécesseur et à presquE' tout e
la cons tella t ion :l.nt ellec-
tuelle cIe l'époque : TURGOT, PRICF., PRIESTLEY etc ••• Pour
CONDORCET, avons-nous dit,
la science est révolutionnaire,
cr est-<~-dire que les progrès de la civilisation sont fonc-
tions de ceux cIe l' espri t, donc des connaissances. Et comme
le perfectionnement de notre savoir est illimité, celui de
la civilisation l'est aussi, nécessairement.
Partant
des m~mes prémisses, COMTE en arrive à une
conclusion différente. L'histoire générale qui manifeste la
marche continUE de l'humanité dépend de la situation histo-
rique en Occident, telle que la science et l'industrie per-
mettent de l' obs erver. Seulemen t, l' espri t humain ne progresse
pas indéfiniment. Il ne va pas ,3n-delà du stade positif. Tout
se passe comme si che7, COHrE, il y a un point de l'histoire
où il n'y a plus d'histoire. Le progrès a des bornes. Il se
déroule dans l'intervalle ouvert ,\\ l'état fétich:i.ste et fermé
à l'état positif.
Mais il nous semble que cette interprétation, quoique
juste, et qui se retrouve sous la plume d'éminents penseurs
tels que P. ARNAUD et KRENER-HARTE:TTI, mérit e d' ~tre nuancée.
La limite des états de l'esprit humain, c'est-à-dire de
l'impact de chacun de trois modes de pensée sur les consciences,
n'est pas la limite aux progrès des connaissances. Sinon, une
connaissance deviendrait absolue une fois positive, ce qui
est contràire à l'esprit du positivisme. En d'autres termes,
il n'y a pas un quatrième état de l'esprit. Mais les connais-
sances scientifiques, également positives, ne sont pas au .. .1
(1) ibid, p. 253. l,ire J. Guitton, la philosophie de Newman

-
144 -
même niveau de développement. C01'lTF. reconnclÎt qu';) son époque
les sciences physiques étaient l'lus avancées que la biologie,
elle-même:! plus développée que l"
sociologie. Une connaissance
rel a t ive n'admet pa s de bornes. T,a différence entre CONDORCET
et COMTE nous semble résider plutôt dans la méthode d'approche
de l'histoire. Le premier procècle il une division de l'histoire
pn des périodes qui caractérisent des modes de pensée, des
découvertes scientifiques et techniques, des sytèmes sociaux
alors que le second travaille sur un double clavier : d'une
part, les états de l'esprit et l'ordre de succession des
sciences ayant respectivement pour limite le stade positif
et la sociologie, et d'autre l'art; au sein de chaque science,
la découverte indéfinie des lois des phénomènes.
Somme toute, le progr'~s est conçu par COMTE: comme "une
révolution qui n'en a pas J'l''' (1), c'est-i1-dire comme une
transformation continue. L'histoire des sciences admet des
évolutions, norl des créations; elle est l'histoire de la
préformation et non celle de l'épigenèse.
2°) Continuité entre le bon sens commun et la connaissance
scientifique
A llre la loi des trois états, on a d'abord l'impression
qu'elle présente les progrès de l'esprit humain en termes de
rupture. Nons venons du reste de montrer que du point de vue
de la méthode Et de la doctrine l'esprit théoloqique et
l'esprit métapllysique sont incompatibles avec l'esprit posi-
tif. COMTE le dit expressément. Les trois états correspondent
à "trois méthodes de philosopher,
dont le caractère est
essentiellement différent et m/'lme radicalement opposé." Mais
malgré cette exclusion mutueIJ.e, les trois états se succèdent
continûment. Entre l'état init:ia1 et l'état final,
il n'y a
pas de rupture mais continuité, P1liS'11)0 l'état métaphysique
ne sert que c1e"transition';ou n'est qu'une simple"modification"
générale de l'état théologique. Elucidons davantage le carac-
tère de ce second age dont la position clétermine les rapports
entre les 5ges extr~m~s.
Précisons tout d'abord qu' i l. serai t erroné de croire,
d'après des express:i.rFls comme : "la seconde est lmiquement .. '/
(1) On a coutlll)1e de pri2ter ce jell cl'2 mot ~\\ Henri Bergson.
Nous ne disposons d'aucune soure'2 certaine.

- 145 -
destinée il servir de transition" ou "L'état métaphysique
( ••• ) n'est au fond qu'une simple modification u&nérale du
premier",'quc la métaphysique n'a commencé il exister qu'à
un moment de l'histoire, et qu'elle correspond à l'obscuran-
tisme. La preuve en est 'lue ce 'lui aux yeux des devanciers
de COMTE dans la conception de la 10i ùes trois états (TURGOT
et SAINT-SIMON par exemple) était du ressort de l'esprit
positif est"relegué au rang de la métaphysique par l'auteur
du Cours pour qui les travaux des penseurs du XVIIIe siécle
tels que HELVETIUS, ROUSS8AU, VOJ~TAIRE: sont à la science ce
que la théorie des tourbillons ùe DESCARTES était à ces
penseurs. Autant dire que ce qui caractérise une pensée méta-
physique, ce n'est pas la date de son apparition, mais sa
doctrine et sa méthode; en sorte qu'on est en droit d'affir-
mer, comme nous l'avons fait pour l'esprit positif, que
l'esprit métaphysique il exisl:é de tons les temps, qu'on en
trouve les traces, ilussi min·i.mes soi.ent-elles, chez les grecs
antiques ilnssi bien que chez les contemporains.
a) J~a métaphysi.que occupe dans le cheminement de l'es-
prit une position critique en ce sens qu'elle est il la fois
nécessaire et dangerense, qu'elle obéit à la fois à une logi-
que de position et à une 10gique d'opposition.
E11e est nécessaire
parce que l'esprit ayant horreur
des changements brusques, il a fa11u nécessairement une
étape transitoire entre le stade primitif et le stade scien-
tifique. La métaphysique joue ce rôle il merveil1e puisque ses
explications mi-positives, mi-théologiques consacrent le
déclin de la recherche des causes surnaturelles sans se fonder
totalement sur l'observation des phénomènes. C'est ainsi que
"plusieurs siècles avant que l'essor scientifique permît
d'apprécier directement cette opposition radicale [entre
l'esprit théologique et l'esprit scientifique ] ' la transi-
tion métaphysique avait tenté, sous sa secrète impulslon, de
restreindre, au sein même du monothéisme, l'ascendant de la
théologie, en faisant abstraitement prévaloir, dans la der-
nière période du moyen-âge, la célèbre doctrine scolastique
qui assujettit l'action effective du premiet moteur suprême
à des lois invariables, qu'il aurait primitivement établies
en s'interdisant de jamais les changer. Mais cette sorte de
transaction spontanée entre le principe théologiq~e et le .../

- 146 -
principe positif ne comportait, évidemment, qu'une existence
passagère, propre à facilitRr davantage le déclin de l'un
et le triomphe 0e l'autre"
(1).
En son tellps, la
métaphysique était donc un état nor-
mal. Elle est comme la féodalité qui n'est devenue dysfonc-
tionnelle que lorsque ses institutions sont entrées en
désaccord avec les nOl~velles valeurs instaurées par le
développement de la science et l'industrie. Elle est comme
la Révolution qui n'est devenue patholog:lque que lorsql(elle
s'est poursuivie au moment o~ elle devait ~éder le pas à ~n
nouveau système politique. C'est du moins ce que (lit COMTE
qui prévilégie le progrès sans mépriser le passé, dans la
lettre il VALLAT du 8 septembre 1824 au sujet de la féodalité.,:
"Je suis très convaincu qu'elle était dans son temps une
institution non seulement excellente mais indispensable
absolument, et '[lli a eu la plus grande et la plus utile
influence sur le développement de l.a société européenne
sans prétendre pour cela qu'elle soit bonne aujourd'hui, ce
qui serait tomber dans l'absolu avec lequel l'esprit de mon
ouvrage en profondément antipathique".
Nécessaire à titre de trans'ition, la métaphysique est
dangereuse voire aberrante lorsqu'on la considère en elle-
même, du point de vue de sa méthode. Son premier vice, c'est
qu'elle e~t une pensée réductrice, se fondant Sur un seul
principe au grand risque de séparer ce qui, suivant l'ordre
naturel, devrait ~tre uni: le sujet et l'objet, l'homme et
le monde, "Je dehors et le declans" (2). Non seulement elle
consacre le règne de l'absolu, mais encore elle instaure la
dysharmonie Li où le positivisme voit l'unité. C'est en ce
sens 'lune nous disions que le savant est un métaphysicien
.
qU1 S " ],gnore.
En outre, elle détruit sans construire alors qu'il est
de règle, dans le positivisme, de ne détruire "que ce que
l'on remplace". D'a:i.llenrs elle correspond ci l'adolescence. . .1
Discours sur l'esprit gositif, pp. 58 - 59. A la page 183,
Il écrit: "r,n chacun
es êtres métaphysiques, inhérents au
corps correspondant sans se confondre avec lui, l'esprit
peut, à volonté, selon qu'i.l est plus près de l'état théolo-
gique 011 de l'esprit positif, voir ou une véritable émanation
de la pl)issance slArnaturelle 011 Ilne simple domination abs-
traite du phénonlène considéré".
cf. François Dagognet, II? nombrl? et le lieu, Vrin 1984,
pp. 78 - 813. "le dehors I?t le dedans".

- 147 -
de l'esprit et i.l '.'st ,je la nature ck cet âge,
intermédiaire
entre les r~veries de l'enfance et la saoesse de l'âge adulte,
de présenter des signes de turbulence, d'instabilité et d'in-
discipline.
"Perùant ses anciens principes sans en acquérir
les nouvea1lX Ja raison humaine fut alors obligée de construire
provisoirement une doctrine n,sgat'ive '1ui n'elJt jamais de pa-
reil,
en systématisant l'absence de l'ordre" dit COMTE dans
le troisième volume du Système. Ce stade,
"lJne sorte de malël-
di" chronique naturellement intérieure à notre évolution men-
tale,
individuelle ou collective,
entre l'enfance et la viri-
lité"
est le domaine du possible, donc la porte ouverte à
l'imprévisible (1).
b) Ce q~il convient de retenir, c'est que l'âge méta-
physique, malgré son caractère critique,
n'introduit pas une
rupture dans le développement des connaissances, Son existence
n'est pas le signe d'11ne discontinuité entre la connaissance
vulgaire et la connaissance scientifique. Il retarde l'avè-
nement des différentes branches du savoi,r ,3 lël positivité sans
les interromp.re dans leur marche inéluctable. L'état positif
est ]'élboutissement normal d'un étélt cl'esprit dont les pré-
ludes se trouvent (lans l'étélt théologique.
Bref "ri.en ne peut
dispenser l'esprit hl.mëlin,
pas plus personnel que social, de
Commencer par le fétichisme,
puisque cet état surgit sponta-
nément avant que notre raison admette aucune intervention,
empirique ou systématique et m@me antérieurement au langage
artificiel. Quoique l'autre extrémité de la progression théo-
rique puisse ~tre modifiée davantage,
jamais on n'emp~chera
notre intelligence d'aboutir à
la pl.eine po~itivité, si son
exercice dure suffisamment"
(2).
ç~r
COMTE insiste suffisammenScette idée dans le troisième
chapitre du ~~scours sur l'esprit positif. Mais autant il
est impitoyable à l'égard de la métaphysique,
autant i l se
montre tolérant vis-à-vis de la théologie,
surtout du féti-
chisme. D'un point de vue positiviste,
la sagesse Commune est
imparfaite, mais sans reproche.
Elle doit être dépassée par
la science sans être condamnée ni reniée.
Entre la "raison
publique"
et la connaissance scientifique,
il y a une diffé-
rence de degrê et non de nature,
la seconde n'étant qu'un
••• /
(1) cf. Sarah Ko-fman,
Aberrùtion,
Je devenir -
femme d'Auguste
Comte,
Paris, Flammarion,
1978.
(2) Systènle, t III, pp. 76 - 77.

-
148 -
.
l I t sr ('Cl' '1"
'..11.\\'1\\11"'.. "s.·,',"!,l"'. p.. xtcnsi.on rnétho-
"slmp. e pro.on9Plilen'
k . n . ,
c . · ' "
dique" de 1<'1 premi.ère.
En fait,
la scif'nce n'él ('n elle-même nl. son point de
départ,
ni son point d'arrivée. Tous les deux sont empruntés
au bon sens vulgaire d'où elle élllane. Lil connaissance du
vulgaire ne se foncle-t-elle IJas sur l'observation spontanée
de relations constantes entre les phénomènes les plus simples?
On constate qu'un liquide placé sur le feu atteint l'ébulli-
tion au bout d'un certain teml's.
Alors on étilblit que la
chaleur est la CalJSe de cet te ébullition:
un rilFPort entre
deux phénomènes empiriques. Les Anciens (Ioniens surtout)
étaient de grands observateurs soucieux de découvrir de~
rapports constants (parfois des principes uniques) entre les
choses. Tout dérivait de l'eau,
de l'air, du feu,
de la terre,
ou tout était changeant ou in~uable etc ••• N'était-ce l'ilS là
une ébauche des lois de la nature qui donnaient
parfois lieu
à des prévisions utiles comme celle de l'éclipse faite par
THALES ?
Il Y a donc connexité entre les deux extr@mités de
la pensée humaine.
La connaissance scientifique co1ncide avec
les premiers exercices pratiques de la raison humaine ; et si
la derni.ère doit se substitlJer à l'ancienne, c'est parce que
celle-ci,
eu égard à son procédé,
est appelée à ~tre mise en
défaut JJar la complexité des phénomènes. Autrement dit,
l'en-
semble des attributs de la science SOllt les mêmes que ceux du
bon sens vulgaire.
"ce sont,
cle part et d'autre,
le mêmf' point
de
départ expérimental,
le m~me but de lier et de prévoir,
la m~me préoccupation continue de la réalité,
la même inten-
tion finale d'utilité"
(1).
l,a connaissance scientifique n'est
que la rationalisation des lois empiriques qu'on découvre dans
la pratique quotidienne, et elle ne se distingue de la connais-
sance vulgaire -
qui du reste constitue un moyen de contr61e
emp~chant le savant de s'égarer dans des abstractions sllper-
flues -
que parce qu'elle est abstraite, générale et systé-
matique tandis que celle-ci est attachée à l'aspect concret
des choses.
.../
(1) Discours sur l'esprit positif, op. cit, pp. 70 -
71. Dans
la 40e leçon du Cours, on l i t :
"le sentiment comme toutes
les aspirations prImitives de notre intelligence n'avait
réellement besoin que d'être profondément rectifi.é par la
philosophie positive qui ne sallrait le détruire".

- 149 -
C'est pourquoi le voell de COMTE a été de mettre sur
pied une pédagogie positive dont le Discours sur l'esprit
positif serait l'introduction et qui aurait pour but soit de
substituer à la métaphysique une forme de transition moins
aberrante,
soi t de supprimé'r les phases interm(~c1iaires entre
les deux pôles normaux du savoir, cle façon;} ce qu'on puisse
passer cl:irectement "des hah).l:ucles purement fétichistes aux
dispositions vraiment scientifiques,
en concevant son état
[
l'état de l'esprit
J initial comme une première approxi-
mation de la réalité"
(1). Ce traité de pédagogie (destiné
aux femmes et aux prolétaiJ'es) que la mort n'a pas permis à
COMTE de rédiger, devait contenir des préceptes qui,
en
supprimant les médiations,
instaureraient la société positive
oü chacun se serait fanliliarisé avec les méthodes qu'emploient
les différentes sciences.
En d'autres termes,
l'esprit théo-
logique est la meilleure préparation à l'esprit positif,
et
"entre tes dela termes opposés,
la vitesse avec l~quelle sont
parcourus les états qui les lient graduelJ.ement comporte assez
d'augmentation pour équivaloir à la suppression de certaines
phases intermédiaires et même de toutes".
Et pour ce faire,
il faut procéder à une réforme de l'éducation car "le passage
immédiat du polythé1sme au positivisme se r('aliser<l fréquem-
ment dans l'évolution personnelle même spontanée,
quand l'édu-
cation occidentale sera dignement réorganisée, comme divers
exemples l'indiquent déjà"
(2).
La marche de l'esprit humëlin peut se représenter comme
suit
Esprit
l
Abstrait
Esprit métaphysique
I I
r
Esprit positif
Bon_s_e_n_s_iu19aire
1
\\
-->7- réel
.../
Système,t Ill,
p.
85
ibid,
p. 77 lire conunentaire de Sarah
Kofman.
Aberration,
le devenir-femme
d'Auguste Comte.

- 150 -
Ces deux sch émas méri t en t ,'1 pei ne d' ê't re commen tés.
L'esprit scientifique y est repr0'senté~ comme un retour au
bon sens commun, mais comme un "retour sélectif" : la carac-
téristique principale des deux phases étan,t le lien intime
entre l'esprit et la réalité. En revanche, l'êtat métaphy-
sique y apparaît comme étant insolite. Il diffère des deux
autres par la séparation qu'il établit entre l'esprit et le
réel.
En définitive, il n'y a véritablement que deux états
de l'esprit humain: l'état théologique et l'état positif.
Entre les deux un état bizarre, d'une "inquiétante étrangeté",
une sorte de Unheimlichlceit selon le mot de GOETHE
un état
indésirable et heureusement éphémère. Le positivisme est un
néo-fétichisme (1), UI1 fétichisme supé'rieur, achevé, en rai-
son de la "profonde identité mentale des savants avec la
masse populaire". La science est l'ap,ônage de l 'homme qui
n'échappe pas à la loi de l'éternel retour nietzschéen, même
lorsqu'ayant pris conscience de sa faculté de perfectibilité,
il condamne l'éternel retour cyclique.
C'est peut-être le lieu de rappeler que cette théorie
de la continuité historique et de l'identité entre le bon
sens commun et la connaissance scientifique est partagée par
les successeurs de COnTE, ItI~l11e parfois pol' ses détracteurs
comme MEYERSON et DUHE~l.
L'une (les thèses maîtresses de MEYERSON, en effet, est
qu'il y a continuité entre la connaissance Commune et la
connaissance scientifique. La raison ne subit aucune méta-
morphose. Elle est· toujours i,dentique à elle-même, partout
animé d'un même désir, d'une même soif de comprendre, de
s'expliquer le réel". La raison scientifique est explication,
.../
(1) cf.' Madelaine David : "La notion de fétichisme chez A. Comte
et l'oeuvre du président de Bosses.
Du culte des dieux féti-
ches" in ReV1,c.e d'Histoire des religions. avril-juin, 1967.
G. Canguilhem "llistoire des religions et histoire des sciences
dans la théorie du fétichisme d'A. Comte"
in Etudes d'histoire
et de philosophie des sciences.
1". Dagognet,
le Nombre et le
lieu, Vrin, 1984, Introduction,
p. 11 et suivantes.

- 151 -
j
recherche d'une causalité, c'est-à-dire d'une persistance du
temps, sorte de déformation du conséquent dans l'antécédant/
Expliquer, c'est identifier, appréhencler les obj ets comme
identiques dans le temps. Un fait est expliqué dans la mesure
00 l'on parvient à montrer qu'il existait déjà dans l'état
de chose précédent, car on ne peut déduire d'une chose que
ce qui y était déjà. L'explication est tautologique.
Evidemment, l'ensemble de l'épistémologie meyersonienne
se situe aux antipodes du positivisme; ce qui n'emp@che pas
les deux philosophes de se rejoindre dans la conception de
l'histoire de l'esprit comme excluant la discontinuité.
C'est du reste le m(',me type de relation qui lie l' épis-
témologie de DmlEM à celle d'A. COMTE. Il n'est pas de notre
propos ici d'examiner directement la considérable épistémo-
~
logie de Pierre DUAEM, épistémOlogie qui, paradoxalement,
j
1
vise à consolider la métaphysique, et à légitimer la philo-
sophie théologique. L'histoire et la philosophie des sciences
sont pour ce savant chrétien des moyens de préserver les
droits cléricaux. Il le dit clairement dans son article
"physique de croyant"
dont le titre est déjà révélateur de
son dessein.
Il importe toutefois de montrer que, si d'un point de
vue comti.ste un système 2\\ la fois scientificj-ue, théologique
et métaphysique est un monstre intellectuel, l'histoire duhé-
mienne de la science est très voisine de celle du positivisme.
Elle est ce que cl'aucllns appellent un "positivisme métaphy-
..
sique". La Renaissance cst souvent présentée comme la période
où la connaissance scienti.f:i.cjlh' s' est constituée "ex-nihilo"
après un rejet des connaissarlces religieuses et métaphysiques.
L' obj et des travaux de DUA EH es t de prendre le contre-pied
de cette théorie, el: de montrer 'lue les concepts scientifiques
qui ont vu le jour pendant cette période ne sont pas des émer-
gences de connaissances nIais des données préformées, préparées
par les siècles antérieurs. C'est dans le Moyen-âge qu'il faut
chercher les Origines de la Statique tout comme celles des
autres sciences du siècle suivant. Car dit-il, "l'étude des
. ,,
origines de la Statique nous a conduit ••• à une conclusion
au fur et à m",,,ure que nous avons poussé nos études histori-
ques plus en avant et en des directions plus variées, cette
conclusion s'est imposée à notre esprit avec une force crois-
sante j aussi oserons-nous la formuler dans sa pleine généralité
.../

-
152 -
La science mécanique et physique, dont s'ênorgueillissent ~
bon droit les temps modernes, découle, raI' une suite inter-
rompue de perfectionnements, A peine sensibles, des doctrines
professées au sein des écoles du Moyen-Age ; les prétendues
révolutions intellectuelles n'ont été, le plus souvent, que
des évolution"
lentes et longuement préparées ; les soi-disant
renaissùnces Cine des réactions fréquemment injustes et sté-
riles ; le resp'2ct de la tradition est une condition essen-
tielle du progrès scientifique"
(1).
Dans un autre ouvrage, l'Evoluti6n de la Mécanique,
l'auteur spécifie davantage ce qu'il entend par histoire
des scie'.1ces, et ce, il travers des textes qui,
iSOlés, au-
raient pu ~tre attribués à FONTENELLE ou à COMTE. Dans l'his-
toire des sciences, il n'y a ni création, ni saut brusque, ni
discontinuité. Cette histoire est plutôt une évolution lente
"le développement de la l1éc,lni'lllc est donc proprement une
évolution ; chacun des stades de cette évolution est le co-
rollaire naturel des stades qui l'ont précédé, il est gros
des stades qui le suivront"
(2). Il s'agit d'une histoire
comparable à ln croissance imperceptible du vivant.
Mais alors, quelle est la
tâche de l'historien 7 Comme
chez Cot1TE, elle consiste il écl,lirer le présent il partir du
passé et à prévoir le futur grâce aux données présentes. Il
s'agit d'établ.ir cet ordre: le passé, le futur et le présent.
L'histoire est soumise au déterminisme, c'est-à-dire ici, à
une évolution non créatrice. D'ailleurs l'auteur insiste sur
l'opposition entre ces deux termes, et nie que GALILEE soit
le créateur de la Dynamique moderne. Car "une théorie physiq~e
n'est point le produit soudain d'une création; elle est le
résultat lent et progressif d'une évolution" (3).
3°) L'ordre de progression des connai.ssances
La loi des trois états décrit une évolution conforme à
la nature de l'esprit humain et identique dans toutes les
branches de nos connaissances. "••• chaque branche de nos
connaissances passe successiventent par trois 6tats théoriques " •
Seulement, pour parler légitimement d'une "nature de l'esprit...
.
/
(1) Duhem : Origines de la statique, Tome l, Préface, p. 111-
(2)
L'Evolution de la nécanique, 1903, p. 346.
(3)
La théorie physique, son objet, sa structure, 1906, p. 337.

- 153 -
humain" e!t d'une marche identique dans chaque branche denos
connaissances • il faut qUE' toutes les branches de ces
connaissances aient été distinguées. En d'autres termes, la
loi des trois états de l'esprit humain n'est une lo~ que si
une classification de toutes les sciences positives permet
de la vérifier historiquement. Si l'on établit par exemple
qu'il existe un nombre déterminé de sciences, et qu'on arrive
à vérifier cette! loi dans chacune de ces sciences, alors on
pourrait s'assurer qu'elle est bien la loi naturelle du déve-
loppement de l'esprit humain. Car il n'y a plus à craindre
l'avènement d'une science Sl'l'plr'mentaire qui vi.endrait compL'o-
mettre son un:iversali té et. par "11 i.te, lui enlever son carac-
tère de loi naturelle. La théorie des divers états de l'esprit
appelle celle de la classiFication des sciences que nous allons
examiner à présent.
a)
NDns 0.vons établ:i
ql~0. la ph:Closoph"Le !)ositiviste. se
définit comme la science de3 généralités, la science des
sciences. Son but est de sai.sir l'unité qui existe entre les
différentes branéhres dtl savo·i.r, uni tè sans laql,elle on ne
saurait mettre fin il l'anarchie intellectvelle. La vraie
philosophie doit systématiser le savoir humain par l'établis-
sement de l'ordre encyclopédique, par la classification. Cet
ordre est en même temps dOllé d'une valeur épistémique, d'une
vertu heuristir[l.leLl est inventeur et créatelJr. C'est en
rangeant les sciences qu'on s'aperçoit qu'elles se succèdent
suivant une 10gieJue naturelle, et qu'on découvre des sciences
nouvell es. La classifica tion d(,bouche sur l' invent ion qui est
à son to"r la condition d'une meilleure classification.
certes, COMTE n'a nullement la I)rétention de se poser
en pionnier de la taxinomie. Avant la rédaction du Covrs, il
avait eu l'occasion de s'imprégner de plusieurs théories de
la classification. Il affirme lui-m~me n'être parvenu au
résumé général de l'!listoire des sciences que par l'adoption
de la méthode de la Classification employée par les natura-
listes de son époque. On lit dans la éleuxième leçon: "La
théorie générale des classifications établie dans ces derniers
temps par les travalJx philosophiques (les botanistes et des
zoologistes permet d'espérer un succès réel dans un semblable
travail, en nous offrant un guide certain par le véritable
principe fondamental de l'art de classer, qui n'avait jamais. ..1

-
154 -
été conçu disti.nctemenl: jus'lll'aJors" (1).
On sait par ailleurs qu'il a eu sous les yeux les
travaux de JUS::lt~U ,] 'lui. il r"lit remonter, dans le Système,
le départ de la théorie de la cl~ssification ; ceux de CUVIER,
BERTHELOT, de BL/IINVILLE, VICQ d'AZYR, 1JACON, d'ALEH1JERT ; le
!'tanuel du libraire et de l'amatenr des livres (1810) de
Jacques-Charles
BRUNET,
8udoxe. Entretiens §'ir l'étude des
Sciences, des lettres et de la philosophie (1810) de J. P. F
DELEUZE '"
autant de travaux qui constitllent des efforts
prépositivistes de classification des choses et du savoir.
Par exe~ple, DELEUZE se propose d'établir lIn parallèle
entre la Classification des sciellces et celle des livres.
Après avoir emprunté, dans le premier entretien, la défini-
tion de la philosophie à d'AL81'lBERT, il procède dans le
second entretien à une divislon
du Cours d'étude de l'homme
de lettres. Il distingue d'abord les études primaires, à
savoir, celles des connaissances exactes dans la pluDart des
sciences ; puis les études élémentaires qui sont : la logique,
les mathématiques, le dessin, la chronologie, la géographie,
les principes dll droit positif, ].es langues anciennes et les
vivantes.
Dans cet entretien il montre que, al,prendre, c'est faire
des fiches et des tableaux éClairants. Il. faut dans un premier
temps une table alphabéti.que des mots et des paragraphes. Et
"outre cette table destinée pOlir votre recueil de note, il
vous sera utile d'en faire une seconde, 'lui, par une simple
indication de chapitre ou de page, VOliS rappelle ce que vous
aurez trouvé de remarquable dans tous les livres que vous
aurez parcourus (2). Au troisi.ème entretien, critiquant la
classification des sciences telle que la présente BACON dans
l'Encyclopédie, il divise l,'s sciences en deux classes :
celle des sciences de tradition et celle des sciences d'obser-
vation.
.../
(1) Cours de l,'hilosophie posltive, T l, p. '1'1
(Hermann, 1975).
Il ècrivalt dans le l'Lm pp. 136 - 137 : "Les naturalistes
étant de tO\\lS les s,~vants ceux '11' l ont à former les classi-
fications les plus étendues et les plus difficiles, c'est
entre leurs mains 'lue la méthoOe gênérale de la cl,assification
a da faire ses plus grands progrès".
(2) Op. cit. t 1, pp. 191 - 192.

- 155 -
Laissons de cOté les détails de ces Entretiens. Retenons
seulement que,
dans cet ouvrage,
partout,
les analyses sont
faites dans le souci de la recherche de l'ordre et de la classe.
Sa nomenclature définit les caractéristiques principales des
connaissances à classer,
les principes en vertu desquels les
classifications sont faites,
mais surtollt la liste de ce que
nous connaissons et éventuellement, celle de ce qui nous reste
à connaître.
Mais selon M. SERRES,
la classification comtiste est sur-
tout une généralisation du principe de d'ALEMBERT. Cet auteur,
en effet,
a beaucoup marqué le père du positivisme par son
épistémologie qui est une somme de la pensée de DESCARTES et de
la philosophie anglaise représentée à J'époque par BACON,
LOCKE
et NEWTON,
qui se trouve consignée dans ses deux ouvrages fonda-
mentaux:
Le Discours préliminaire à l'Encyclopédie,
et l'Essai
sur les (!léments de philosophie, et qui comporte deux axes
principaux:
la systématisation des connaissances et l'analyse
de leurs principes de base. "L'ouvrage que nous commençons ( ••• )
a deux objets; comme encyclopédie, i l doit exposer autant qu'il
est possible,
l'ordre de l'enchaînement des connaissances hu-
maines
; comme dictionnaire raisonné des sciences, des arts et
des métiers, il doit contenir sur cflaque science et sur chaque
art,
soit libéral, soit mécanique,
des principes généraux,
qui
en sont la base, et les détails les plus essentiels, qui en
font le corps et la substance" (1).
Après avoir distingué deux catégories de connaissances
les directes et les réfléchies
, après avoir fait de la recherche
des lois l'objet de la science, et divisé conformémenti 14
classification de BACON les connaissances suivant trois facultés
la mémoire,
la raison et l'imagination; après avoir enfin
établi des distinctions judicieuses entre connaissance du
premier genre et celle du second genre,
entre certitude et
évidence;
il reconstitue l'origine de chacune des sciences de
son époque en les faisant découler les unes des autres. La première,
née de la recherche du futile par l'homme privé de l'utile,
c'est la Physique ou étude de la nature;
laquelle a donné lieu
à des réflexions sur les propriétés de l'étendlle ou la Géométrie
qui à son tour livre des éléments entre lesquels il faut cher-
cher des rapports,
faire des calculs:
.../
(1)d'Alembert, Oeuvres philosophiques,
1ère édition,
t
T, p. 184.

- 156 -
telle est liorigine de l'Arithmétique. Quant à l'Algèbre,
elle naîtra de la généralisation et de la simplifi.cation des
combinaisons arithmétiques. Ainsi,
c'est par le passage
successif dll concret ~ l'abstrai.t que J.'on a été arnené à
l'élaboration des sciences abstraites. Puis,
ces sciences
une fois constituées,
l'on est passé aux sciences concrètes
en appliquant les abstraites à des ~tres matériels. Ce qui
a permis la constitution de la Mécanique ou étude des lois
de l'équilibre et du mouvement, à l'Astronomie etc ...
b) C'est en s'inspirant de tous ces travaux que COMTE
entreprend la classification des sciences de son époque. Mais
pourquoi ajouter une nouvelle classification à la longue liste
de celles déjà existantes? (1).
La deuxième leçon du Cours et la correspondance de COMTE
avec GUIZOT nous en donnent la réponse. Il n'est pas du
dessein du p03itivisme de critiquer chacun des essais de
Classification qui ont précédé le sien. Il constate seulement
que, d'une façon générale,
toutes sont lacunaires. Elles
p~chent par manque "d'homogénéité" en sorte qu'on a autant de
Classifications que de classificateurs. Et la raison en est
simple:
non seulement la plupart des classificateurs des
sciences ne sont pas scientifiql,es mais encore le savoir
lui-m~me, objet de l'ordonnancement, se trouve dans un état
d'incohérence, 00 cohabitent connaissances théologiques,
métaphysiques et positives. "Comment, se demande le philosophe,
parvenir à disposer,
dans un système unique, des conceptions
aussi profondément contradictoires ?"
. ..1
(1)
Il serait oiseux de vouloir établir la liste exhaustive de
tous les essais de classification des connaissances. Depuis
Bacon 1605, on a eu notamment,
les Classifications de Naudé
en 1643, de Jean Garnier en 1678, d'Isma~l Boilleau en 1679,
Gabriel Martin en 1705, Guillaume de Bure 1763, Aleth Fremont
1794, Jacques-charles Brunet 1810, Thomas Hartwe11 Horne 1814
(Il est difficile de savoir si la classification du British
Museum écrit en 1836, donc postérieur au Cours commencé en
1826 a été connue par Comte), Ilegel notamment dans le Précis
de l'Enc cIo édie des Sciences
hiloso hiques en 1817 (Vrin,
1952, p. 39 , Ampere :
Essal sur la p J.losop ie des sciences
en ex osition anal tique d'une Classlfication naturelle de
toutes les connalssances
umalnes et Essal sur la classl l
catlon des sciences 1898, Herbert Spencer: The classification
of SClences; London 1864, Piaget etc •..

- 157 -
En clair, f'OUl' reprendre la classification des sciences,
COMTE part des présupposés suivants : les diverses branches de
la science sont issues d'un tronc unique. Sans qu'elles ne
soient réductibles les unes aux alltres, elles doivent être
conçues comme homogènes parce qu'ayant la même destination et
étant subordonnées aux mêmes progrès. Les divisions établies
entre elles sont artificielles même si elles ne sont pas arbi-
traires.
Seulement, cette unité n'est perceptible
que parce que
de nos jours, tous les secteurs du savoir sont parvenus au
stade positif. Au moment où les prédécesseurs de COMTE procé-
daient à leurs classifications, toutes les connaissances
étaient déjà positives, sauf une: celle des faits sociaux.
Il fallait donc que cette science ultime soit fondée pour
qu'on ptisse découvrir l'uni té de la science. Car comment
saisir l'unité il'un ensemble lorsqu'il y a des él.éments man-
quants ?
C'est donc, en dernière analyse, à défaut de cette
science révélatrice de l'unité d'ensemble ~Je toutes les
classifications des sciences avant l'avènement du positivisme
se sont soldés, aux yeux de COnTE, par un échec. "C'est une
difficulté contre laquelle sont venus échouer nécessairement
tous les classificateurs, sans qu'aucun l'ait aperçue distinc-
tement. Il était bien sensible néanmoins, pour quiconque eût
bien connu la véritable situation de l'esprit humain, qu'une
telle entreprise était prématurée, et qu'elle ne pouvait être
tentée avec succès que lorsque tontes nos conceptions princi-
pales seraient devenues positives" (1).
Et si COMTE prend appui sur la classificati0n des natu-
ralistes, c'est qu'elle est la seule qui, selon lui, se fonde
sur un principe vraiment scientifique. Elle montre que la
classification doit être faite à partir d'une observation, à
partir d'une étude approfondie des objets à classer. Elle doit
être "déterminée par les affinités réelles et l'enchaînement
naturel qu'ils présentent'~
et non a priori, à p;;Jrtir d'un
principe purement logique comme celui adopté par AMPERE. En
un mot, la Classification comtiste des sciences vise à refléter
.../
(1) Cours, 2e leçon, Hermann, 1975, r'. "111.

-
158 -
les rapports rée.1s entre l",s sciences (1).
C'est pourquoi H.SE:Rl<)'·S. compare 1\\. conTE classifiant
les sciences à un physicien dOllt les faits seraient les théories
scientifiques. Puisque l'histoire positiviste des sciences se
veut, être ce que des contemporains comme SI\\DOVSKY ou VON BER-
TALANFFY ont appelé la "Scienda Scientarum",
J' auteur d'HERMES
écrit: "La classification est autant ql)'on le veut, une tra-
j ectoire légale poi.nt par point, un ordre du monl.1e unifié Jieu
par lieu, une diffusion étucHée élément par élément. Dès lors,
l'épistémologie positiviste,
tl')(~lIIatisant les sciences comme
celles-ci thématisent les phénmnèrles, prenant' ponr faits
(les 'gram]s faits logiques ou g~'néraux) les théories, n'est
autre chose qu'une science natl1l'r:'lle des sciences, une science
naturelle des faits théories"
(2).
Dans l'impossibilité dl' IGS classGl' toutes,
COt-ITE fait
un tri entre les différentes sciences de son époque. Après
avoir dj.stingué les scienceslll)r0tiq.]e~'des sciences \\héoriques~
il écarte les premières, conformément au projet de F.
BACON
dans la philosophie première. "Il est éviclent que c'est seu-
lement des connaissances théoriques qu'il doi t être question
( ••• ) ; car il ne s'agit point d'observer le système entier
des notions h~maines mais uniquement celui des conceptions
fondamentales ~ur les divers ordres de phénomènes, qui four-
nissent une base solide il toutes nos autres combinaisons quel-
conques, et qui ne sont, il leur tour, fondées sur aucun sys-
tème intellectuel antécéclent" (3).
Puis, au sein des sciences théoriques, il distingue les
.
" b
.
"d
SClences a straltes
es sci erlces "concrètes"; .les dernières
la zoologie, la botanique, la médecine, la minéralogie •••
subissant le même sort que les sciences pratiques. En défini-
tive la classification comtiste des sciences ne porte que sur
le~; sciences dites fondamentales, c'est-il-dire, celles qui
sont il la fois théoriques et abstraites.
.../
Cette idée avait été déjà eXI'rimée dans le Plan. Le principe
"consiste en ce 'lue l'ordre des uénérCllités des llifférents
degrés de division soit, autant que possible, exactement
conforme il celui des rapports observés entre les phénomènes
naturels"
Piaget, du reste, acl0l,te CG principe des biologistes
qui à ses yeux "présente ce grilnd intprêt logique de constituer
un édifice formel,
parfai temen t cohéren t. ••• "
Hermè s 1 II,
p. 174 •
Philosophie première, Herrnnnn, p. 45.

- 159 -
Enfin, cette classification se veut conforme à la règle
cartésienlle selon laquelle, d~ns chaque étude, il faut tou-
jours procéder du simple au pIns complexe, et découvrir les
termes inconnus et l~lr position dans un système l'ai rapport
à des termes connus et leur l'laCé:'. "C'est donc par l' étÎJde
des phénomènes les plus généraux et les plus simples qu'il
faut commencer, en procédant ensuite successivement jusqu'aux
phénomènes les plus particuliers et les plus compliqués, si
l'on veut concevoir la philosophie naturf'lle d'une manière
vraiment méthodique"
(1). L'ordre de dépendance des sciences
résulte de l'ordre de dépendance des phénomènes dont elles
s'occupent. Et le principe rationnel de ces objets est le
degré de simplicité ou de généralité.
En défini tive, la loi ,les "relations nécessaires" entre
les sciences fondamentales se formule comme suit :
a) les sciences s'emboîtent l.es un"s dans les autres et trou-
vent leur aboutissement dans la sociologie.
b) Elles s'éclairent réciproqnement. La matJlématique par
exemple offre le spécimen de l' orch'e rationnel tandis q!.le
la biologie nOliS présente celui de l'articulation organique.
c) Le but de la classification est principalpment de rendre
plus sensible la correspondance entre l'ordre rationnel et
l'ordre de dépendance des sciences qui, dans le Cours, sont
au nombre de cinq: l'astronomie, la physiq1le, la chimie,
la physiologie et la physique sociale (2).
Mais il Eaudra noter que le nombre des sciences varie
d'un ouvrage il l'autre entre cinq et sept, selon qu'on omet
ou qu'on ajoute la mathématicjue et/ou la morale. Par exemple,
la fin de la deuxième leçon d1l Cours présente six sciences
fondamentales (en incluant la mathématique), tandis que le
"septième entretien"
du catéchisme positiviste en distingue
sept, la dernière étant la nmrale.~ Dans cet ouvrage, la
classification est la suivante :
.../
(1)
ibid, 1'.54.
(2)
ibid, p. 58.

- 160 -
(-
i mathématique
"Til
-;
(
p, )
Sciences prélimi-
Etude de la
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G'fSl:ro-
'1 )
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Etude de l'hornrne(
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I~' )
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\\
L
L
--.J
---->
Les sept sciences ou sept"clegrés encyclopédiques" sont
mathéma tique,
as tronomie,
rhysique, chimie, bi,o logi.e, socio-
logie, morille.
c) NOus ne nOliS arrêterons pas ici aux différentes cri-
tiques formulées contre cette classificàtion par LITTRE,
RENOUVIER, DAUDHI,
PIAGET ••• On pourr.o à ce propos se référer
à. l'ouvrage de LEVY-BRUHL : La philosophie positive d'Auguste
COHTE. Nous noterons simplement qu'e l'une des critiques les
plus sévères, celle d'Ilerbert SPENCER a porté sur l'exclusion
faite par CO~lT8 des sciences concrètes; et que c'est pour
n'avoir pas éü' i.lttentif\\<i(ou pour avoir oublié) cette précêlU-
tion du Cours que Paul TANNERY a pu, clans son art i.cle "Auguste
COMTE et l' hi stoire cles Sciences~' reprocher à COMTE d'avoir
négligé la médecine dans sa classification.
Il nous semble toutefois intéressant de nous arrêter un
moment sur les critiques de '1. SERRES, tant il est vrai qu'il
apparaît aujourd' hui conune l'apôtre de l'épistémologie anti-
positiviste. D'aborù,l'i.luteur d'BERNES conteste la valeur
heuristique de cette classificati.on. COMTE,
selon lui, s'est
contenté de constituer un catalogue. Il procède comme le
collectionneur de ce que 11. DI'LOCIIE: appelle "le musée tradi-
tionnel". Il s'amuse à inventorier des "faits théories"
qu'il
range dans des Drilles construi.tes de fi'lçon arbitrai.re : il
récapitule. Or récapituler, inventorier, ce n'est pas inventer.
A. COMTE n'est pas un génie créateur,
il n'est qu'un esprit
éclectique et systématique. En tant qu'un "bilan", sa classi-
fication n'a tout au plus qu'une valeur pédagogique: elle
.. .1

-
161
-
est une classification d'école. Or Il'entre à la Sorbonne qu'un
savoir déjà sclérosé. Ainsi que le' CCH1';tate TANN8RY,
le savoir
qu'on enseigne est toujours en retard sur l'état présent des
recherches, sur :te sovoir en
tY'ï1.Î.n de :.;(~ fa"i.re.
8n IHl mot,
se-
Ion S8RRES,
"la dominante socio-historique du classement de
CO~lTE garantirait alors son efficacité dans l'enseignement,
dans la tradition, dans le relais
; ou la transmi3sion,
le
long des générations et p,3r une institution sociale, de la
retombée des inventions:
classement des classes d'école.
Cela d'autant plus qu'il est un bilan, comme le Cours le
montre assez, non le prochlit d'un art invenienc1i"
(1).
En outre,
le projet de COMTE de faire c1e l'histoire des
sciences "la science des sciences" ne lui parai:t pas évident.
Car, i l ne s'agirait plus de s'occuper (lu discours scientifi.-
que lui-même, mais d'ordonnancer dans un système plus ou
moins cohérent, des miettes de ce discours. La question de·
.<
SERRES e s t :
Comment l'auto-classement de la Classification
est-il possible? " Tels sont ~ ses yeuy,
le paradoxe et l'absur-
dité que comporte le projet comtiste d'une classification des
sciences. En un mot,
pour l'auteur ù'HIIRI·mS,
la "scientia
scientarum"
est une entreprise contradictoire et impossible.
Car "il existerait alors Ulle science (critique,
positiviste
••• ) de ces principes,
une langue bien formée,
propre à les
exprimer de façon p'?rtinente. Snppose?
le problème résolu en
rigueur,
il existerait une science de la classification ( ••• ),
région à classer,
aussitôt constituée comme science. ce para-
doxe est le premier mot de ce que la théorie affiche théori-
quement d'elle-même:
sa limitation, lin des secrets, peut-
être de sa fuite en avant. La science replique ou dl~plique
sur soi la scientia scientarum : le génitif objectif glisse
au subjectif"
(2).
Mais, c'est devenu une leçon de l'histoire des idées:
aucun sceptique ne peut aller jusqu'au bout de son scepticisme.
Et ii suffit de suivre M. SERRES dans ses propres lignes pour
le prendre en flagranf délit d'admiration pour le Cours,
pour-
tant qualifié de mort-né. Il déclare:
"il nous manque un
Allguste COMTE". Son encyclopé,lie révèlerait le lieu de la
crise de notre savoir,
"parce qn'elle récapitUle, et le savoir
.../
(1) Hermès II, de "l'interférence", p. 20.
(2)
ibid, p. 21.

-
162 -
exhaustif de l'auteur y est rarement en défaut: d'oü la
meilleure somme d'un présent et de sorl passé; parce qu'elle
interdit ce qui, pour nous, est devenl] sorl avenir, et la sa-
gacité de l'auteur y est insurpélssable : il perçoit d'une
manière fulgurante ce qui sera, pour le barrer aussitôt" (1).
Autant reconnaître avec
t1. DAGOGNET que classer, c'est
déjà connaître; ordonner c'est déjà rationaliser; la ratio-
nalité scientifique est classificatrice puisque, inventorier,
c'est déjà créer les conditions de l'invention. Le catalogue
n'est pas, comme Je pense SERRES, un cimetière. Il est tout
l'inverse. "Le catalogue (ou le magasin) n'est pas une faTIa-
cieuse commodité, encore mOlns un pauvre cimetière, mais la
condition m~me de nouvell',s conquêtes et d'lm réel savoir"(2).
La nomenclature, la taxinomie garantie Jes progrès de la
science parce qu'elle éclaire, parce qu'elle se propose de
dire mieux, et surtout de ~ire vite.
Nous reviendrons sur cette problématique au suj et de la
classification dans les sciences, notamment en biologie et en
chimie. Pour l' instan t soulignons que Cot1TE lui-même accorde
une importance capitale à sa classification dont il définit
les propriétés essentielles dans la denxième leçon du Cours.
D'abord, elle est conforme à la filiation entre les
sciences, filiation admise par les savants de son époque.
Ensuite, elle est vérifiée par. l'histoire des sciences de
ces deux derniers siècles qui la trouve·en accord avec l'ordre
effectif de développement des différentes sciences. Aujourd'-
hui, dit cm':TE, 1 histoire des Sciences "conçoit, en effet,
que toute l' {tude rationnelle de chaque science fondamentale,
exigeant la culture préalable de toutes celles qui la précè-
dent dans notre hiérarchie encyclopédique, n'a pu faire de
progrès réels et prendre son véritable caractère, qu'après
qu'un grand nombre des sciences antérieures relatives à des
phénomènes plus· généraux, plus abstraits, moins compliqués
et indépendants des autres. C'est donc dans cet ordre que la
progression, qnoique simultanée, a <.111 avoir lieu" (3).
En troisième lieu, c(=tte classification permet de per-
cevoir avec exactitude la perfection relative des différentes
sciences. Car si toutes les sciences ont le même degré de .. .1
ibid, p. 159.
F. Dagognet
Le Catalogue de la Vie, Paris, 1970, p. 70.
;:.P;:.h",i:.;l=-o=-=.s.;:o...p.;:h;:.l:::.·.::e----,p.;:r:..e",m=i..:;è;;:r:..:;.e , 0 p. c:: i t. p. 5 9 •

- 163 -
certitude elles n'ont pas toutes le m~me degré de préclslon,
lequel esl: fonction l1e l' obj et (1' 0tu(1c (1). Plus les phéno-
mènes étudiés sont simples, moins ils dépendent des autres
et plus les sciencRs qui s'y 'Papl"Jrtent sont prÉ'cises. Ainsi,
les mathématiques sont plus précises 'lue les sciences phy-
siGues, et celles-ci plus que la biologie et la sociologie.
Enfin, la classification ëI une vëlleur pédagogique. Elle dé-
termine le plan à suivre pour une éducation rat:i.onnelle
il faut d'abord s 'i.rli. tier aux sci.cènces les plus simples et
procéder,
gradlAeJ.lerrlent,
à
l'al~r:r'entissage d8S sci.ences les
plus complexes; "Je dois néanmoins ici, tOlJjours sous le
rapport de la méthode, insister spéciëllement sur le besoin,
pour la connaissance, non seulement d'étudier philosophique-
ment toutes les diverses sciences fondamentëlles, mëlis de les
étudier suivant l'ordre encyclopédique établi dans cette
leçon" (2).
En définitive, quelles que soient les critiques que le
philosophe contemporain peut, il. tort ou à raison, adresser à
la classification des sciences ébauchée par les encyclopédis<tes
et réaménëlgée par COMTE, rien ne saura Gter à cette entreprise
sa légimité et surtout son caractère opératoire dans les
sciences et leur histoire. A l'époque contemporaine o~ l'on
assiste il. une multiplication démentielle des données de la
connaissance, la Classification s'avère plus que jëlmais néces-
saire. L'ordinateur procède-t-il d'ëlillellrs autrement? Sa
méthode: collecter, ordonner. créer (3). Comme le dit fort
iÏustem,~nt H. DAGOGNET, ce qui importe aujourd'hui, c'est moins
d'acquérir des connaissances nouvelles 'lue de birm gérer
celles que nous possédons déjà. Et ,) cette fin,
la classifi-
cation est une méthode privilégiée.
.../
(1) "Une proposition tout à fait absurde peut être extrêmement
précise, conune si l'on disait, par exemple, que la somme des
angles d'un triangle est égale à deux droits;
et une propo-
sition très certaine peut ne comporter qu'une précision très
médiocre, comme lorsqu'on affirme, par exemple, que tout
homme mourra". ibid, p. 60
(2) ibid, p. 62.
(3) F. Dagognet, H0moire pour l'avenir.

- 164 -
C'est donc à juste titre que (les épistérnologues contem-
porains, comme M. DAGOGNET et FLINT, se sont efforcés de
réhahili ter cette métJJOde, en insistant sur l'idée que le
lien d'une science à l'autre, lil clésignation et j,'articulation
de ce lien, la recomposition de la chaîne du savoir, est le
meilleur moyen de comprendre les idées scientifiques du passé,
et de se faire une idée de celles du futur. C'est pourquoi de
nos jours, des congrès sC' succèdent aux congrès, qui s'effor-
cent de poser les jalons d'une science des sciences, d'une
science générale de la classification des sciences, des livres
etc ••• Et nous sOnwes en droit d'affirmer que l'herméneutique
de M. SERRES, avec sa défiance quasi-maladive de la "scientia
scientarum", marque une réuression très nette sur la pensée
de COMTE.
4°) Le modèle de l'évolution
Nous venons d'établir par la loi des trois états et la
classification des Sciences que l'histoire des sciences estcell
d'Une évolution. que le progrès est le développement de l'ordre.
Nous venons de faire le constat du contimlisme épistémolo-
gique à partir de la connexité entre le bon sens public et la
connaissance scientifique, et (le l,l succession naturelle des
sciences les unes aux autres. ],'es[lrit positif a existé de
tous les tel"ps pour ne s'imposer aux consciences que lorsque
les conditions lili ont été favorables. Il ne résulte pas
d'une épigenèse. De la m@me façon, toutes les branches de la
connaissance ont toujours ,"xisté, sc sont m@me développées
simultanément pour n'arriver chacun'? à la scientificité véri-,
table que lorsque leur moment est venu d'éclore. L'ordre
d'accession des connaissances à la positivité n'est pas l'or-
dre de leur exis t ence en tan t que savoir. HIPPOCRATE préexiste
à NEI-lTON même si la physique en tant que science est anté-
rieure à la biologie.
Hais alors, si l'histoire des sciences décrit une évolution,
quel est le modèle de cette évolution? En d'autres termes,
considérée sous son aspect statique, et dans sa partie objec-
tive, ,la science est à l'image des mathématiques. A quel
modèle faut-il se référer lorsqu'on l'envisage sous son aspect
dynamique ?
L'histoire positiviste des sciences a donné lieu à des .../

- 165 -
interprétations différentes, opposant les tenants de la
théorie b:i::ilogiste de l'évolution (CI\\NGUILHEl1, I\\RNI\\UD) à ceux
de la théorie mëlthématique (SERRRS, KREHER-HI\\RIETTI). Exa-
minons leurs "œgumen ts.
a) Dans ses articles:
"Histoire et embryologie: le
progrès en tant que développement selon I\\uguste CONTE," et
"Histoire des religions et histoire des sciences dans la
théori'2 du fétichisme d'l\\u~!uste CONTE", G. CI\\NGUILHEl1 sou-
tient la thèse suivante: L'évolution est conçue chez Cm'lTE
selon le modèle biologique. I\\utant sa conceptir)Yl de la bio-
logie est élaborée en fonction de sa théorie du progrès,
autant celle-ci repose sur le modèle du développement embryo-
logique.
CI\\NGUILHEr1 précise d' a1Jc'nl que:' si le posi tivisme con<;oi t
le progrès comme une évolution, i.l n'pst pas <2volutionni.ste
au sens où le sont par exemple 1,I\\MI\\RCK et DI\\R\\HN. Il n'est
pas "transformiste': En effel, contrairement ~l LU'NE ou à
CUVIER qui concevaient les espèces d'êtres vivants comme
fixe:'s,
LN11\\RCK et DI\\R':!IN admettent non seulement que la
nature change:', lnais que les esp~ces se transforment lentement
les unes dans les autres. Entre l'individu contemporain et
son ancêtre il y a une différence de culture, mais aussi de
structur~en ce sens qu'il y a des modifications qui affec-
tent leur structure génétiq1Je. Par exemple, sur le plan
anatomique, la différence est énorme entre la girafe et
l'hippopotame qui sont pourtant des anima1Jx de même ancêtre,
cette filiation étëlnt v<2rifiée par les sept vertèbres cons-
titutifs de leur cou. En outre, à en croire DARWIN, la girafe
serait à l'origine un petit herbivore dont le cou ne se se-
rait allongé qu'à la suite d'un effort constant vers les hauts
feuillages;
efFort qui s'est poursuivi sans relâche à tra-
vers
les génér,Jt"Lons sUcccss"i.ves P.t qui est
imposé rar "la
lutte pour l' E'x·lstence" et "la sélection naturelle". Cette
théorie, généralement admise aujourd'hui par les savants,
surtout après les travaux de HENDEL, de LYSSENKO etc ...
caractérise l'évol1Jtion comme une modification, une transfor-
mation de l'ordre et non son déploiement. Entre l'homme du
paléolithique ct celui de Cro-Magnon, c'est-à-dire nous, il
ya une modification morphologiq1Je considérable (1).
.../
(1) cf. Lamarck: philosophie zoologique, 1809, et Darwin, De
l'origine des ~spèces, 1859.

- 166 -
On vo:Lt: bien que CO/nE, qui con'laissait "l'illustre
LAMARCK", ne p(IJvait pas admettre, sans amendements, cette
théorie de l'évolution en biologie, sans violer le principe
du progrès tel qu'il le conçoit, c'est-à-dire en tarit que
déploiement et non transformation de l'ordre. "L'opinion de
l'instabilité des espèces est Ilne darlgereuse émanation du
matérialisme cosHlologique, d'après une irrationnelle exagé-
ration de la r~action vita10 des milieux inertes, qui n'a
jamais été bien conçue"
(1).
En f'evancl1e, il admet dans sa philosophie biologique
tous les arguments en faveur cl e sa thÉ'orie du progrès. C'est
ainsi qu'il accorde crédit, par exemple, .3 la loi de LN1ARCK
selon laquelle la rél'étition automatise les capacités que
nous acquérons,
lesquelles sont naturalisées par l'hérédité,
puisque cette théorie confirme l'existence d'un progrès dans
le domaine de la vie tout en montrant qu'il y a identité
entre la nature des êtres vivants et leur perfectionnement.
C'est également pour les mêmes raisons 'I"e CO!'lTE salue les
découvertes de GALL sur le cerveau, découverteB qui, tout en
refutant l'aspect négatif du lalnarckisme, confirme le positi-
visme par l'affirmation de l'innéité des aptitudes et plus
généralement des fonctions 'll,i ne son1: donc pas des produits
d'une é~pigénèse.
si n' sntrent dans la l'lIi lO';ophi," biologique de COMTE·
que des concep tians qui, COllime cê'lles <le BLAINVILLE svr la
statique et la dynamique, présentent cles argumcmts en faveur
de sathéorie du progr~s, on peut ég~lement dire que sa phi-
losophie de l'histoire présente l'esprit et les sciences se
comportant comme le vivant. Philosophie de l'hi.stoire et
philosophie biologique entretiennent dans le positivisme des
relations dialectiques. L'évolution y est présentée suivant
le modèl e de développement du ::renne. Or ([II' es t-ce que le
germe dans les doctrines organicistes ? Il est toujours perçu
comme l'unité des contraires. Le germe de la drosophile:
contient tout le progré'lmme cle 1<:1 drosophile-m"\\re et celui
de l'insecte qlli sera,
Comme l'écrit très jU9Ement Alexandre
KOYRE dans la Philosophie de Jacob BOEllHE : "L'idée de germe
est, en effet, un mystérium ... "~lle est Ime véritable union
des cCJl'1trair,03, mêmes des contradictoires. Le germe est,
.../
(1) Système, t
I, p. 593.

- 167 -
pourrait-on dire, ce qu'il n'est pas. Il est déjà ce qu'il
n'est pas encore, ce qu'il sera sCèulement. JI l'est,
puisque
alltrement il ne pourrait le devenir. Il ne l'est point, puis-
que aut~ement commer,t le deviendrait-il? 1,1" germe est, en
m~me temps, et ],~. "rnat"i.è.re" qlli évolue et la "pu.1.ssance ll qui
la fait évoluer. Ll' (Jerme agit sur lui,-m?>me. Il est un causa
sui ; sinon celle de son être, (lu moins celle de son dévelop-
pemen t"
(1).
C'est cette image du germe 'lui présicle, selon CII.NGUILHEl-l,
à l'analyse historique chez COMTE. Qu'est-ce que le fétichisme?
C' est"l' assimilation spontanée cle la nature morte à la vivante".
C'est "la confusion entre le monde i.norgêlnique et le monde
vivant". II. ce titre ce n'est ni véritablement cle J'animisme,
ni de J'anthropo·'tnorpl1isme puisqu'il est aussi J'ap,;nage des
animaux supéri<>uro] : "c'est plutôt un biomorphisme". c'est-à-
dire, une explication des cho'O'es à partir clu vivant. (2)
En outre,
le fétichisme,
c'est le germe cl'Ol) sort la
science posi.tivl'. I,'histoire n'est que Je passage il l'acte
d'une virtualité, d'un "prograw.me" initial. C'est l'image du
germe qui dissi.pe une.foi.s pO'lr toute l'apparente opposition
entre la connaissance scientifique et J.e bon sens vulgaire.
"On n'a peut-être pas as",ez insisté sllr le fait que,
selon
COMTE,
la mise en marche de l'hi~toire par une illusion pro-
pulslve est nécessaire à l'avènemê'nt de l'esprit positif."
C'est ce qlli, du reste,
fait Clue l'histoire positiviste des
Sciences est une science cle l'histoire; puisqu'on peut prévoir,
déduire la suite clu cours cle la science à partir cles données
présentes.
En définitive, selon CJ\\NGUTLHEl-I, c'est l'image de l'orga-
nisme qui illustre le mieux l'évoluti.on cllez COMTE. Le concept
de germe montre bien que le Cours ne reconstruit pas les
grands évènements scientifiques dans l'espace des géoinètres,
mais dans le temps des plantes et des animaux. Et ce temps est
conçu de telle façon que l'avenir soit rréfigufé dans le présent
0.t que l'histori.en puisse du moins s'accommoder d'un' devenir
relativement prévisible. La conclusion cle CII.NGUILHE'M est sans
équivoque:
"Le résultat est une phi.losophie de l'histoire des
sciences dont les principes directeurs sont
. ..1
(1) op. cit. p. 131.
(2) canguilhem,
Etudes d'histoire et de philosophi.e des sciences,
\\
p. 82.
1
"

-
168 -
d 'ori~;i ne bioloU i.<[1l>? ot crnbryoloui'llJ(' sp{'cialement. i\\ll XVIIIe
siècle,
les progrès (lc~ l' espr:i t
humai.n étaient pT0sentés
comme d.e~; :i.nvE~nt:ions, c'est-:\\-cJ:i..rc comnH:; des victoires non
préalabl('me11t uar;)nties. S',.1(.)I1 COIH'E 10 progrès est 'le déve-
loppement de w'rllie c; vivGlllts n'a] t?'rant pas profondément leur
structure. Si COMTE est matl,ém~tlcien par sa formation,
i l
est biologiste par S~ seconde clll~lœe et r~r décision, sinon
par destinat.Lr)rJ. ~1(J'Ls le1 !xÎ.u.loCji<2 ;~\\ l,:l'luellc se. ref0.re COHTE
est préforrnist>? ct non transformiste. La thé~or.ie c]u fétich-Lsme,
c'est la pièce :Lrldi.s[1ellSable J'ulle conceptioll lJ"i.oJogique de
l'histo:i.re,
éldbor0:0 il l'époque Fl~me uù l'h"Lstoire commence à
p~nétl'er en 1JLolo~Jiell (1).
Celte inlerprétation de la pensé"" positiviste corrê'S-
pond, du resle,
;\\ la concepli.cm cle l' {ô\\loJul: Lon au XIXe siAcle
"
l
' ]
.
.
en
g~tlera,
011
_~l
Vl.8 cle
débordant les catr\\lo:r:i.cs ):~I::.llJlénF1tici_f~l'lnes. D~lns toutes les
conceptions Je Il}-IJ.stclire,
:1.lilrla9R·r-i(~ dlJ Dernle ~tait A l~
mode.
NEW~L!Î.N 5'('11 '?SL servi. : ilL'? c1':~v(~l.or)pement ••• r(~!Jré.~(;,nl.:e
1(1 ~Jel'mination
(~t la matur,Jt:Con Je î[lH::-~lqlle véri_ t:~~ ••• 1\\, H/\\.r~lELIN
égaJ.emerJt
:
"Le uerme Dl"le fois dO!lnf,
le dévelol)!1emerlt est
0'1
tencl ;\\ êl:r,' cont. i.nu". Ü;'lt'lé; son Sysi:.~Jlle de DF:3C{dnES,
il
montr!~~ (Tue su:l.v:r'e 11(~v(llFL·i()n <.lIFn(~ doctrine, c'est aller du
germe au syst0J11E.' :
"En foit (le doctrines comme (~n fait d'êtres
vivanls, ce '[ui ec:;t premier au sens rati.onnel du mot,
c'est
la chose parf,J:i.te et non p,JS le ge)'i>\\e, ou plutôt,
afin de
rester dans le temps, cc.::: (PXl est prC:'rnier c'est bit~n le germe,
mais un germe qui. n'est pas lJn(~ pvrc et si.rnple condit"Ï..on
élÉ·meilt~:i.re. Il l'orle en lui. d6jci l'ilE'e cr6dlrice, la notion
du
tout.
Par cons{'Ql,elll,
l'historien des doctr:i.ncs ne doit
pas se faire f.Jute de, les exposer (]"ns leur ordre systémati'jllC,
et s ' i l pn vent p.xpl:i_qu(~Y' le dt~velt)ppeJnent. c'est le germ(=
qu'il doit poursuivre,
le ~1C'rme qui esi: d(,jA une anticipation
de la forme systômêttique 'r (2). C'est dans CE:' SC?l1S que d',Jucuns
ont pu (lire 'lue la re1.igion de ]'htHll,"ln.i.té &t-ait en germe dans
la synthèse objective.
b) Ha.is celte C01IC('pt i.on J'.' J'("volution ne fait pas
J'unanimité (1ê'S l'ililc)éiul'he'c;. nE:RCSIJN par exernl'] l", Jans la
Pensb" E't le t-iol.':va'lt net justel:IRnl: en 9'lr(1e contrê' cette'
théoriE' 'lui. con(]":Lt ,'1 la
recherche des SOU1'CE'S. "Volontiers,
.../
(1) ibid, ]'. 98.
(2.) Bamelin, op. cil, pp. 17 - 18.

- 169 -
di t-il, nous fiourons la doctrinCè - n&lnl" si. c'est celle du
maitre - comme iss~e de philosophies antérieures et comme
représentant un mon1E::-~nt d'unl::; t'~v(llut:Lon.
Certes,nous n'avons
pas tOllt il fai. t
tort, CëJr UlIC' ph ilosophie ressemble 'plutôt
à un orgélnisme qu t à. 1111 asse.mbla0e, et il vaut erlco.re mieux
parler d'évol'ltion CJnt,:~ de ~~Olllpos:i.t.i.onll. nais si la biologie
offre un modè.l2 de l' ,',voluti.on J'lus eXilct 'Ille lil mécanique,
BERGSON estiml" 'lu'clle n'est l'ilS tout à fait adéquate car
"elle attribue i'l l' histoi.re de la pl'nsée plus de continuité
qu t il ne s'en trouve T'éell~JllC:'nt Il (1).
M. SERRES et KREM8R-MARIETTI,
en partant de préoccupa-
t ions clif fi':ren t es, p'3rviennen t i\\ cl es conclusion:; onalogues
L'histoire positiviste des sciences décrit llne évolution,
donc ,.ne continuité. Mais l.'interprétation organiciste de
cet te thécorie y m'.'t plus cl,,: continl\\:i.té que C0I1TE Jl1i-mÉ'me
n'en a mi.s.
C('rtes, COllirne d'habituch~,
i.l co,t: dcs textes (le COHTE
qui sont de natuI'e à dérouter ses interprêtes. Ce passage
"
ChaCLll1 de nous,
en cont0mplanl:
sa propre histoire,
ne
se souvient-il l'as qu' il a (~lé successivement théologi.en dans
son enfi:1nce, mé'lil[.'hysicÜ:n dans sa jeunesse et .E!2.zsicien dans
sa virili.té ?" peut '~\\Toque:t:' une croissiJnc(o biologique, donc
une continuité l'ilrLlile. Or s ' i l "'tail ,lu c1es5ei.n de CONTE
d'exclure de 5,1 th'::orie du proGrès (les crises et des inno-
vations, non seulement il
olArait des comnles à rendre à ses
cont empora ins HE:GEL et !·1/\\RX, ma is encoreô s<] théori(o rest erai t
inintelligible puisqu'il souligne,
lui-m@me,
des antagonismes
entre les différents él~ats
cle l'esprit humain:
"En cl'autrres
termes,
l'esprit humain,
par sa nature,
emploie successivement
dans chacune cle ses recherches trois méthodes de philosopher,
dont le caractère est essenti,,,11pllient différent et m~me radi.-
calement opposé ( ••• ) De là trois sortes de l,hilosophies ou
de sys tèmes généraux cIe conc,"pt ion SI11' l' ens emble des phéno-
mènes quis\\:>xclllé'nt mutuellcment .• " (2).
Ce dernier passëlge,
nOlLS
(li t
SE1<RF,S,
suffit t1 montrer
que l'histo:i.re clf':';s sc:ï.cnces c~.st C0110. c]'une continuité oscil-
latoire,
a(lJllett(:lnl~ Ù(2S crises, mG!rne soi. elle exclut des regres-
sions.
Et Fne cunti.nuité CO!Jl]lorl:ant tl12S
-i.nnov<'ltions et de~ ... 1
(1) op. cit, p. 1~1.
(2) Cours, op. cit.,
p. 21.

- 170 -
appas i t-ions relève des mu tl'I,"illêll~ i '1'.1<";. C' es t clone la méconnais-
sance des proFr'.i.étôs du C;:.llCld
infinit(~s:i.1l1c11 qui. amène des
philosophes à voir duns la théorie positiviste de l'histoire
une illustration organici.ste. "Lu pratique du calcul infini-
tésimal, dit-il, dans la rIote A l'édition de 1975, a sans
doute appris il ]' ,J1ÜellT
E-tUI11'E 1 (lU' 1Jr1 l'rocc'SSl)S continu
pouvait rencontret',
dans son cours,
dG:; cclractéristiqves
difft~rent(~~;, OI)PC)S"~c~s, exc11.lsj.vp's. Qlu~l(l(le ChOS0 s'évanouit
en son corltr~.il·p, C0 (lui [laratt si di.ffi.cile aux pllilosophes
est pourtant d'expérience courante:
la variation continue
d'un paramètre, dans l'intégration des équations différen-
tielles, par exemple, ou ail.lenrs,
pent donner lieu à des
fonctions différentes, op;'osées, exclusives. C'eo.t d'ailleurs
sur lJn cas
très s.i.1ni)J.e de ce genre,
la variation d'inter-
section aux deux nappes (1' IHl cône, que PASCAL avait découvert
sa logi.<[ue dl! pour et du contre.
La loi des trois états est
certai_nement uné' fonction, une trajectoire, un parcours •••
à var:iable on i\\ pnramètre continu, mais elle prend ici ou là
des allnres différentes, opposées, exclusivf.?s. Il faut atten-
dre l'ollbli par les philosophes, de ces pratiques, pourtant
élémentaires, pOlAr assistJèr à la pêlrl:-ition si curieuse des
logiques du continll et des
lo()iqlles de .l'opposition" (1).
peut-être faut-il soulisner tout de suite, et indépen-
damment de l'interprétation du positivisme, qu'il est diffi-
cile de s011tenir avec M. 3RRP8S que la contradiction a tou-
jours été exclue de Ja cont:Lnll.i.té pêlT' les philosophes;
car
ce serai t pens el' COIllIllO si Tl EEI\\CLI'l'ID, EHPEDOCLID ct HEGEL
n'ava:ient l)~S existé. Toutefo:is, sn r0marqu~ sur 1~ th6or:ie
de l'évolution n'ost pas dénuée de fondement,
et mérite d'~tre
prise en considération.
l), ..\\\\~.'
Il s~rail: erroné,
en (~ffet, c1(~ percevoir l'évolution
chez. CONTE comme étant rectiligne. Il s'auit bien d'une
marche continue, mais d'une contilluité qui ne peut se formuler
sous le mode: y = ax + b. II s'agirait plut6t d'une fonction
en escalier qui ne comporte aucune coupure rndicale, mais qui
admet des variations, cles irrégularités. Il nous semble que
le mathématicien sOllcieux de représenter par un graphique la
théorie de l' (lvolution chez COiiTE doit avoir en vile non pas
la figure nO 1 mais la f·igure nO 2.
.../
(1)
ibid.

-
171
-
y
x - 7 f (x) = p (x<x)
y
~1
1
~
cl
1
1
..
1
1
1
__+
.
;> x
1
!
--7'
X
l''
1
1" 2
Ainsi on ,ll).rait
x <x1
<x2
...
4.,6 comme étant les
différentes acc[l!isi tions (le l'esprit rangées par ordre crois-
sant. En un mo1:,
la science COllst:ltue un tout, llne unité dont
les différentes branches convergent vers la sociologie qui
rÉvèle cette unit(,. On a donc plutôt "ffClire ,) une fonction
de répartition. 1\\uguste COHTE le dit clairelTient
:
l'évolution
se prés'2nte comme "une s,lite d'osci.JJati.ons progressives plus
ou moins étenrJlJes et plus ou moins lente'"
en cje,,;,Cl et au delà
d'une llgne moyenne,
conlparabl.e ~ celles que présente le mÉca-
ni:,me de la locomotion"
(1).
Ce qu'il nous senli)le fonc1ament,l:i
de souli.!Jner, c'est
qu'il est hors cle question cle concE,vo:i.r J'histoire des sciences
comme cOll1porta;lt (j<::,s re'lre'isions. 1\\ut.'mt cette hi.stoire exclllt
1() création,
,:ll.llant elle bannit la eJéc-J.clence. J;;Jm,~is la science
ne sa.urait êtr(~ caqse de la ré~rcssi.on (lll sovoir. Cette :i.dé(~
fait,
du reste,
l'UneJn"i.rni.t(; cl0.S pen~~e.1Jrs
Clll0-1s qUf~ soient
Jeurs tcnJanccs et leurs cho:ix épi.st6mologi.ques. JJ'histoire
des sciences est
toujours J'llistoire des progrès de la connais-
sance •. Gaston iJ1\\CllELARD,
pourtant champion de J"~pistémologie
de la rLlpture,
soutient d,In:; l'1\\ctivité rat·lonaliste de la
physique contcmpor'ainc et dans l'Engagement .t'ati.onal·lste la
même thèse:
l'histoire des sciences est un récit des accrois-
sements du. nombre, ,les vRrit('s.
l\\ la di.fN:rence ,le l'histoire
d'une civilisati.on, de J0 philosophie OH de l'art,
"l'histoire
des sciE:nces ne pellt être une hist:oiI'l~ COll1.'lIe les autres. Du
fait nl~me que ].3 Scicllce évolue dans le sens d'Ull progrès mani-
feste,
l'histoire des sciences est n~cessairement la détermi-
nation des successives valeurs de progrès de la pensée scien-
vr0irn r,nt é:cri.t nne histoi.re,
une large /
...

-
172 -
histoirl~, d'une Cl('cDdence (JI~ la 1)(::t1sr~(~ .':-~c.i.r:nt:iF·i.(lllell (1).
S~l].emetlt, st-i.l est vrai (Ille nOtAS avons affaire à une
fonction toujours croissante?, cc,tte croissance n'est pas
toujours homogène. C'est l'rwr'luoi i l faudrait se méfier (le
l'imagerie dLl germe '111·L ris'jue dE' nOl,lS faire at tribuer à
,',-.'
J.'évoJ.ution posi.tiviste u~e croi.ssance rectiJ.:igne. A ce
propos,
CO~lTE lui-même nOIlé> met en g<J1'(le (lans le Plan:
le pro~rrès des scir::~.nces1 comm~ Il La marche (Je la. civiJ isa tian
ne Si CX('cut(~ pll'~; i) propr0rw~nt
1)01"10(',
(·,uivùnt
un~ lia n 0.
droite"
(2).
~lais j l f"ut <Jvo\\)er '1"e cet aroument du mathématiciE'n,
si judicieux qu'il
soit, ne S'OIJpOSe pas réellement à la
théorie biologique. Car l'évolution physiologique n'obéit-
elle pas à la nl~ne loi 7 Le l'é\\ssage d'un âge à un autre
n'implique-t-il pas, sur le j)lan l,hysiologique, des diffé-
rences, voire (les mèt,)morp\\)oses ? L'adolescent diffère de
l'enfant par J.e3 sècretions hormonales,
les conséquences de
celles-ci sur la voix,
le système pilaire,
les
organes géni-
taux etc ... La vieillesse, opposée à l.'adolescence, est comme
un retour à l'enfance avec la faiblesse de certaines fonctions
(la ménopause par exemple che? :1 a felllmC'~). Il s' aoit ici éga-
le~ent, et ~ tous les niveaux, de différence et d'exclusion
dans 1;:1 continnité,
sa~lS qu'il soit nécessairement question
d'une É:pigénE'se.
Toujours es t-i l qne c' es t sur Cé, même aroument ma thé-
matique 'lue s'appuie KREHER-HARlr:;TTI pour contester l'inter-
prétation organicLste de la théori~ de l'évolution chez COMTE.
A son avis.
cctt(~ conc~ptjon r~pose 51)..1"' le modèle des suites
récurrentes.
Cette idée ne manque pas non plus c1e fondement lorsqu'on
sait que le positivisme est,
jus(]ue (L,ns unE' ceJtaine mesure,
un néo-cartésianisme et que pour l'auteur du Discours les
connaissances s'enchaînent suivant un ordre mathématique.
L'unité (lu savoir sst celle d'un schbl\\a spatial, celle d'un
mécanisme qui se complété' en se compl.iquant, d'un lieu vide
à combler par adj onctions Sllccess ives. Les véri tés scien ti-
fi 'lues sont récurrentes, c'esl:-à-dir'ê qu'elles (]{~coulent les
unes des autres
: ce passage du deuxième Discours est très .../
(1) cf. L'Activité rationaliste ... ,11"1' chapitre et l'Engagement
rationaliste, p. 138 etsuivantes.
(2) op. cit. p. 120 (c'est nous qui soulignons)

-
173 -
connu
:
"Ces 10n~Jll('S chaînRs de raison toutes simples et
faciles,
dont lc,; séomètn"," ont CCJlll:llllle de SR SRi'viI' pour
"
.
f
'1
" d -
0 -
,
parven1.r a leur's plllS
'aCl es ucmon'3tratlons, m avalent
onne
occasion de m' .trn"loi.ner 'lu€'
toute,; les choses 'lui peuvent
tomber sous la COri112:Ï.ssanç[= des honni1C:~s s' enl:rcs1.li.vent en même
façon,
et que,
[)OUrvIl scu18nent
'lll'on s'abstienne d'en rece-
voir aucune ilou.r vr~ie 41Ji rlC 1.e soi_t, et C[U'Orl garde l'ordre
requis 11on.r lc~s c1éùu.l.l--e les unps cl 0::; r:lutr<?s f
i l n' y peut en
avoir dp si l~.I.oi9rll~'es auyqnellcs (~nrin on ne parvienne ni de
si cachées qu'en ne découvre'.
Et .J e ne flls pas beallcoup en
peine de chercher par lcscl'.'eJ.les il
ètaj.t besoin de commencer.
Car je savais déjà 'lue c'était raI' l~s l,llls Sil'lples et les
pIns aisées ,', coml,lLtpe"
(-1). L,l systémêlUsêltion 1ogiq\\l.e de
la science se fait clonc SOl.IS fOrll10 clR synthèse progressive,
suivant le modèle InC1th'~lIIai:i'I')C', ,lvec cette chfférence 'lue
chez CQt·1TE,
j.l Ile suffit l"':; de p,~loC011I'.i.T' les sc-ionces par
ordre, llIê1i s d'y ;ljovter ,'1 cl:a<]Il'.' fois les maillons manquan.ts
jusrru'(J la sciellce rin'::lle : lrl :-~ociOl()a-i_0.
r'lais Rn pnrlë1l1t du mueJèJ C' des Sll-i_tes réclJrrentes che'?,
COHTE,
I~R8l"lER-t'I/\\Tnr';'l'TI l',,n,~;c plut6t ,1 JCl rc~c\\.lrrence histo-
riquE' du type b ..,clH'l ",rclien
(2).
lên e{f'ct,
ICl pl1:i.1.osophie de
BACHELl\\RD,
une (~'pi~3témolooie de lA rnl)t1)r~J pos~ 0 maintGs
reprises le probl\\2H:e Je son l'al'port avr~c l'histoire des sci-
ences.
A un0' ilouvelle épistémologie (loi t correspondre une
nouvelle pcr.3pectivc lle l 'histo.î_rc ùes sciences.
Et cett~
nouve:Ue ùri. "'1 l:,'lt ion, c'est 1 'histoire récurrente qui est
essentiellement unI? 11istoi.r(è cli.alecti'll.le,
rresqu' êlU sens
hégelien du tenne.
Dans le passé de la :;cience,
nOI.IS dit BACHELARD,
il Y
a des faits 'lui bloquent la nlarcl1l? l'rogressive de la connais-
sance Rctuelle. Ces é16m~nts n0gatifs,"J.es obstacJ.es épisté-
mologiques'; doivent ~tre détectés à t:i.tre de 1'Ol'o1'ssoir et à
ti tre de l',"ssè l'ér.i.lllé. I-\\ai s i l y a un héri tC1ge du passé qui
dE'meure actuell e. Lc" scienl:ifi.'Iue ne peut pas f,~,i:re table
rase des aCCjll;sit:i.ol\\s antérieures. l,a
théorie (1", la relati-
vité de EINSTEIN no nie pas celle de la gravitation univer-
selle cle NS\\-JTUH 'lui l\\ \\ a pas (lc"men ti celle la pesanteur de ...,/
(1) C'est nous qui soulignons.
(2) cf. Kremer-Hari.etti,
l'Anthropologie posi tiviste d'Auguste
Corn te,
p. 1 30 •

- 174 -
GALILEE. Les prelll"i.èr'''s découvertes ont an contraire servi de
point de départ pour la découverte des dernières. Ainsi,
tandis que la théorie aristot~licienne des corps graves se
range dans un passé périmé,
:l'hypothèse de la phlogistique
0')
les traV31.lY de PLANCK sur le calor:;.que constitlUont le
passé tlctl)(:~~ (le lô 3cil;;:nc'~~ ; CclT' mêlTlf? Si ils comportent des
données ~ réaménager,
ils sont encore porteurs, de nos jours,
des indices de scientificité. Ils doivent donc 0tre regardés
comme des éléments de 1I1'histotre Silnctionnée".
En tt~rJlles clairs,
J'h'istoire récurrente selon BACHELARD,
c'est celle qui juge la fonn,ltion progressive de la vérité
scientifiqu.e, 0;:nI3 le passé,
2\\ la Inm:i.ère des données scien-
tifiq'",s présentes. c'e"t J 'hi.stoir0 'lUi cerne le jeu répété,
la di.alecti.'lue constélYlU> d,co l'histoire périmée et de l'his-
toire sanctionnée par Ja science moderne. Et si
c'est à la
science contcmporaille do léuiférer,
al.ors,
l'us']Ue de LI
récurrence no peut être fUllc1(~ '?n droit 'lue si C'2ttc science
a atteint un certai.n deuré d"
maturité [Jrâce "".lquel elle peut
reconnaître la l1iér<lrchi.e d'oS valeurs épistémolo[Jiqucs, Clfin
de mieux percevoir la véritable fili0tiondes données scien-
tifiques.
En un mot,
l'histoire récurrente,
c'est l'histoire
de NIETZSCHE: ql'.c cits du. reste B/\\CHELARD
: "Ce n'est que par
la l'Jus urë'.lJde fOL'CC du pré,sent 'lue éloi t êlre interprêté le
passes"
(1).
Tel est le modèle h:1.o3toriqne il la'luellc KREHER-HARIETTI
compare la théorie de coYr~. Car qu'est-ce qllC 1'" récurrence 7
Sinon l' inducc1.on d'un élCement il PiU'I:.].r des éléments qui le
précèdent.
Il s'agil,
à partir de la valeur connue d'un élé-
ment n, de conclure à la vah'u.r d'un autee' él?"n1f'nt qui le
sl.lccèdc n + 1
;
de !lasser aux tous :1 partir dl) quelconque.
Et l'êluteu:r sollic:i.te le.':.> textes (le CO!'·'lTE. "l'esprit positif,
en vertu de sa fl.:1ture ém-Lnc::rnmcnt reJElli.ve, peut seul rl~pré­
sentGr convenabJemcnt tout~s les il.l',~ndes époques histori~~
comme ,Jutant th: rl1,:]~:.;('s <.l(~'l:crminée::'; II 'vne même ôvolution fon-
damentale, (J0 chacune ré~vJ_te de ]_0 rr~cédentG et prépare la
SuiVëHlte selon d(~s :lois
i_flv{:lriablc:;l1
(2). Cl) ~ncore dans le
Plan;
"Pour C'té1blil' une' loi,
:1.1 ne suffit pas d'un terme,
car il en fêll.~t au moi'I,,; Lrois, afi.n 'ILlC! la liaison, découverte
(1)
L'Activité rationaliste, p. 2~.
(2)
Discours sur l'esprit poc1itif,
Vrin 1974, pp. 96 -
97.

- 175 -
par lu COmpéll'.:Ji.~:;(.Hl (11.:--'3 C1P.l1X pT'p.Jn-i0J'~)
(~t:. v('-r.-i.f:i.ée par le troi-
sième puisse s~:~rvir ,~
trouvc:l' 1(:.' ~;ld.v'::ll1t J
ce. qui ·~st le but
de t ou t e l 0 i"
(1).
nous
pcnson~, (111n. :1 ,]
til/'r_)r-i.-:.~ (l(~ KJ<F:t-lPP.-!v1I\\P.IETTI, COmme
celle de son
pr6(1{cQ~~S011r, 0~0r:Ltc ~'~tre accue:i.llj.e Favora-
blement, mais nC)]'l sans qucJqU(!3 r'éserveS. Que l' imêlgerie de la
récurl'enc(~ l1l()tll(~~mé1t-i.que .soil: sous-jacC'nte (1 la doctrine
comtiste <..le l'h5.stoil'e <..le.t.:; .t3cipl1ces,
soit.
Les sciences se
succèdent les unE'S aux ,Jutres svi vi:m 1: 1.'.\\1 orl1re clé terminé,
les premières prér\\ari1l1t les suivimtf's. Hais €'ntre
l'histoire
récurrente ùe cmiTE et celle cle BACHELARD,
il nous emble
qu'il y a un pas clifficile t\\ franclür.
Non selilcmeilt le pllilo-
sophe corlt~nporain d0cèle d~ns l'llistoire des scierlces des
ruptures, mais encore i l ne s'intéresse ~l'au présent ùe la
science,
lequel sert à sélectionner dans le passf les éléments
il détruire et ceux qui son t iJ sanctionner comme passé actuel.
Il juge hasardeuse toute spéculation SUI' le futur de la science.
Or selon COnTE,
le présent a l'\\1 rôle presqlle subalterne.
Il ne doit ~tre jugé que par le passé et le futur qui pré-
occupe b(eau.coup l'c\\l\\teur clu Cours. Aussi "au lieu de dire:
le passé,
le pr(~sent et l'avenir,
i l
faut dire:
112 pClssé,
l'avenir et le I)r~3eJlt. Ce n'est,
en effAt,
qlle l.orsgue par
le rasé, on a conçl1 J.'aveni.r,
'lU'Otl
pCl~t revenir utilenlent
SLloT' le prÉ's(?nt,
qu.-i. nfl~st
poi.nt,
de fêlçon à sé:lisir son véri-
table caractère" (2).
c)Mais en eXrosarlt l.es J0UX illterlJrétati.ons du modèle
positiv-Lste de l'(~v()lution, nOlJ.S avons Sll'ctout vOIJlu nOI)S
acheminer lentement veors urw interrocration qui nous paraît
fondamentale:
comment expJ.j(lu('r que (l('s penseurs aussi, émi-
nents que Gec.'rges C/\\NGUILHSH et i"l. SERRES,
,,,, partir de 1.' ana-
lyse cle la mÊ.Ii'"
th0or'i.e comtiste cle l'histoire/soient parvenus
à des conclusiOlls élussi divergentes ~
La première réponse,
la p:lus bêln,~l(? aUSSI., est qu'aucune
perception n'est jamais n~ltre. Jnterrr~ter. c'est déjà juger.
c'est créer notre représentation personnelle de ce que nous
tradv.lsons.
Les choses nf:~ snr1t ri.en ~n et par ~11es-mg'mes. /
.../
(1) op. cit, Pp.
121 -
122.
(Pour la réccllrrence matl1é>rnatiqup on
pourra se référer aux travaux de poinuar~ ou av Traité de
logique cle Goblot).
(2) ibicl, 122 - 123.

- 176 -
NOlJS
les voyons non pas \\:"lles 'l','elles sont, rnai.s telles gue
nous ll~s fa-l.sons être à part-i.r (le no~; cat'~~oY'ie.s su.bjectives.
Aussi pourrons-no1Js dire ql1e (:,:,I:te cJiveT'(jE'nce ti ent à la. for-
mati.on de~; (lep:, pen.sclJrs,
,\\
leu!"
P1"-i.v·i.1.··~oc ép-i.st~·:moloOi.que,
,'1 leur modèle de r(~.U,rence .,: C/l,I·JGUILIH;i! est lJ i.oloo iste,
M. SERRES nlathématj.ci0rl.
Hais il Y .) l'Jus.
Il nous semble que la
th(~orie orga-
niciste
et
la th&orie mathê,natique de l'évolution n'appa-
raissent comme di.vergentes ']Lle !'èlrce qu'on n'a pas bien perçu,
ou tout all moins parce 'l'J'on n'"
pas suffisamment insisté sur
le fait que la concept ion cornti.ste de J 'llistoire incorpore il.
la fois les deuy mocE,Ies, bi.olooi.'lue et mèlth0matiqlle.
Préci.sons.
Aucune ùes Cl f-2'UY
th{:ories que nOl,lS venons
d t ù.!1rllyser ni '~st erron~~(~. !'jai,s al\\CUne des <..lel)Y ne peut so.
récla.mer la représentante fidèle et légitime de lèl thêorir
positiviste de l'évolution.
l.a thêorie organici.ste décrit
mieux qrl.e lD
seconde Je proces5\\J3 conttnq ùu cheminement de
l'espr·i.t humé:lin. Ha.is ell(:? insi'-..~te p~l.l ~:'1Jr l'ordre de succes-
sion des sciences quj. est plutôt l,ln ordre récllrr0nt.
En re-
vanche la concPf'ti.on :nathé·rnclt:i.'11le nous livre plus fidèlement
lZI courbe de 1':1
ch,~î.lle. du s"voi.r san~; trop fai.re cas de la
corlnexi·té n6cessa'[re ~ntl'~ le stade irliti~l. 0t
:Le stade fi.nal,
entre J e ff~t·i.cl) i.sm-.':"' et le pf):;i.l i.visJne.
Auguste COr,1TC,
CE::t
ennf:....mi d(;'l la réduction,
de la rens{:,c
monodrome,
est mé:'th(~m,ltici.en (-le formati.on,
et b:iol.ogi.ste de
vocation. Sa th(~oric cie l'évolution rCèf12te les èlellx tendances
qui ~')e complètent rnul:ueIlf:2T:lent,
t~t qui pO\\Jr être divergentes
ne sont ni c')ntraires ni cont-ra.di_ctoires. D'unc~ fa~~on schéma-
tique,
nOl1'3 pensons 'ILle la .loi cles trois états éI été conçue
suiv"nt lE' modèle bi.oloyi'111e tanùis '1\\)e la class:i. fication
obéit plutôt au modèle matli('JI)<,tique (même si.,
comme méthode,
elle a été surtOll.t emlH'untép aux bi.olQ~i.stes). Entre ces deux
piJ.liers du positivi sme,
'il y "
ll.nc sorte d'osmose Cjui 17," nons
autoric;e jns l'out· autant .~ J es confondre. CONTE: J.ui-même a
conscience lle "] a difficDJ \\:(~C> i_nsLJnnontab.le ll (lue pr(~sente l'i.n-
terprét0t'[on (Je sa théc'ric Je J'0v()11Ition si orl n'a ]Jas ~n
vue,
et S'LM1)] L'~lnè'lient, ln îu-i. de':)
t:r'o"i.s étuts cl: la théorie de
la class-i.ficélt'loll. Donnons lu.i. la p,lr(llf~ : Hl n loi générale
qui domine tOIJte CE'tt(~ Il i.stoire, et que j'ai exposée dans la
ler;on préchlente,
172
peut ('·trl' convenablement entendue, si on
.../

- 177 -
ne la combine [,oint cl2ns l' ,Jppli.c'3tion Avec la formule ency-
Clo[)éd:i.que que nous VCllon.s cl'(::tablir.', Car,
c'est suivant
l'ordre énoncé pal' cett,," fornnrlc' 'Ill'" les différentes théories
humaines ont: élttE-~int succc~-.;siv(~rn(:'llt, c..l'(~lbord l'~~t:é.lt'théolo­
gique,
ensui te l' {'tat mé'tal;hy,-'i,'1ue,
et (,nfin l' (,t,Jt positi:f.
"
si. l'on n0 ti.ont P,;-lS c()rn['t(:~ dan:; 1'U3;300 l1e III ]r)i de cette
l,I.,·
progression né;cessëli.re, on l',=ncontrerê) souv(~nt clr::)s difficultés
"
l,
cl'\\J_i_
parr:lttront in:]lJrmont0bJ cs,
C,tr
.L l
est clair (l\\H~ l'état
théologi.quc ou l ' t':'tù.t métaphys i_que de cc.rtël i.Des théories fon-
damentales a dO t r::11lporai.rcrnent coTnc-i.dcr et n q\\l(~J qlJefoi.s
coïncidé (ên effet ,3VI'C l'éL:at positif ,Je celles 'lui leur sont
antérieures eJ,Jns nntre syst:{~JlH~ l~l"lcyclopédique, ce goï. tend ~
jeter sur la vél'iJiciltLc'n (l,; la loi. gblérê\\le llne obscurité
qu'on ne peut dissiper 'lU'" p,or la cJassifi,cation précédente'~(1/)
,1
Or,
la plupart des intcrprêt05 du Inodèle de l' évo1uti,on
histori'1u1' chez COHTE se bornent Oll la loi cles trois états,
ou ,i celle de la cJac:s'Li'i,cal:ion, ou al1X deux mais pn les mé-
langeant confusément. 1'1"2S peu insistent: sur l'idée que la
tfJéorie comtiste ',10 joue SI!T deux claviers distincts mais
dont les sons s' accorc'ent. Très peu se représentent l' évoluti~on
des sciences svivant un reg Lstrc à dOllhle entrée, avec en
abcisse l'ordre de slJccessioJ'l des sei.prlees, l'ordre récurrerlt,
et en ordonnée H~s états clé' l'esprit llUrni'l'i,n analogues aux
stades du déve1oPI,emcnt biologL'1ue de J'individu.
S t a cl e po s i t Lf
stad" métaphysique
- 7
- --
Stade théologique
-- - --;:.-/
-~
7'
()
CJ'
Ij)
:::>'
o
i---'·
t!
o
Cl
0
'",
u,
(Cl
o
iD
r"
,-"
iD
o
m
(Cl
'",
rD
.../
(1) 2e leçon,
rinlosoplne preml,ère llartlll.Jnn,
1 975, p. 59.

- 178 -
Que n01..J-s :révèlc~ ce ta.blcall ?
D'abord,
les dc'uy axe~~ do l' évolut ion
: vert icalement
les trois états de j'esprit, et Ilorizontalement les sciences
représenl:ées sui.vont l'ordr':o che' Je'uY' succession.
F:nsuite,
la
coincidctlCe e!ltre :1 'l~t0t r~sitLf de certaines sc·iences fonda-
~ ,
mentales et l'eSt"i: thsoloOi.(lUO 0\\' rnét"physi.que des sciences
postérieures. Cette co1'lcidence est reJlrésentée par toute
ligne horizonaJe A p0rtir cJll stade positif cJ'une quelconque
des sciences.
Par exemple le stade !,ositif de la mathématique
correspond au sl:ad0 lhéoJ.o~J i.qtle de la socioloUi ~ tandis que
le stade positif de la physiqlJe co1ncic1e avec le stade mêta-
physiclue de lu biologie.
En troi.siôme li.eu l'évolution n'est
pas Ilne ligne droite:
elle comporte des variati"ns. Enfin et
surtout, on y retrOIJve lc?s Jellx bornes inlang:lbJ.es de lt&vo_
lution. La théorie cOlntistc n'est pas celle de IR perfecti-
bilité indéfinie. Les SÇ:i.CllCCS se 51lccèdent les unes aux au-
tres JUSqU'';l la sc·i.encc fi.nê\\l~ quteJl: la. sociologie. D'un
al~trc c6t~, toutes l~s
brarlc}l~S dt} savo-i.1' tendent vers un
but fi.nal,
v~rs 11n sL:Jle Hlti.nH~ : ln. ~llade positi_f oÙ elles
sont également scientifi~ues.
Ce rnêlri'Jne cntr0 .l!:-~s (leu:- mod'~les (le l'évolution consti-
tutifs de liJ théorie pos:i.tivisL(ê d.', l'hi.stoi.re ne nouS semble
pas avoir ('t:() snff·i..3amment èluciclé.
PùI' exemplr:,
Hichel PICI-ll\\NT,
en sout~nant ql.u~~:Je carté~~i(~nL~~m0 nll::st pas llnf~ philosophi.0
anhistor.i.que et (lU.' F'll(~ cOln].Jor.l:e I1n~ l:ltr:~orie cll) pr'ngrès ~l
la']lAellc se l'l,Fère Il. COliT!',
a clistin9\\lé CRS d('uy mnd"?les,
sans Jilettre l'emrhase sur' leur l·lécess~ire correlation, et en
ayant
t~nJartce ~ trO[l dif.férencLer le lno(l~le dE' l'accurnulation
du modèle de l'(:volution.
Il (::c.rit
:
lll\\i.usi
cntr.:::nchJ,
le pro-
grès s'énonce selOl) deux r(--;!)I'{~s~~ntr} t ·î.Ol"lS t
le p lus souvent
~ntrecroi~(:;e.s, COI:l1llf~ aCCl.n[ltlJ."ltion~ ou corilrne ~volntion ou
déveJoppemellt. Or (l1)'On se réfère rJ
l'ltne on à
l'autre,
on
trouvera encore ,]. chaqvc fois une illustration ca.rtésienne".
Et il l'oursuit cetl:e ùnulysEC pour ùé>finir lE' modèle de l'accumu-
lation suj.v~nt J.'illloge Je J.a cl1~ine (catena sc·Lentiarum), et
le modèle de l'évoll"l::ion sl.l:Lv2lnt deux langages:
Le langage
"cosmolo;jiq1)(~11 fo'tl'-lè sur unE' sorte (1 1 attraction universelle
des vérités
; .,t Je langage biologi(l1.1~' '1'11. fai t clu progrès le
développement conti.nu clu contenu du germe.
.../

- 179 -
t1ais,
r~<J(lns Jes deuy C'::lS, selon les deuX' moeJèles,
l ' histoire s' "'cri. t comme un têlblc,;)u
:
Jél success·ion est tout
entière donnée ;'j voir selon une ['erspr-xlive, ou du moins à
revoir:
le ti',blp,lu est une reVIl(' lles (l{,couvertes et des
"
0
pro~rr~_s. ùlll"
l E.-~ t-21 bJ
~ .cau,
.:t 1 ,Y a '(J 1 <71 1:"01S coprE:'s(~nce de
O '
,
s
(~lp.rnents ~l.: é;es th'-~mes, t:,t bomogènéit(: ('~es plans" (1).
H.
FIC;!I\\NT a clonc touché ,lu l1cyi.gt ce qu·i. nous
tient à coeur
sans Çl.IIElr jU3'~_"J_',JU DOll!.: (Ju Chl?lwi.n qu' LI a tracé. S3 théorie
n'est pas faUS5E:~. Hais nOU~:i ,::Jvons voulu lù cont"i.uller en mon-
trant 'lue COt1TE: reprencl les rJeux TnOllèJes 'lui viennent d' €;tre
distingués,
nOll pus l'Ollf' les isoler 011 les mettre cGte à côte,
mais pour les conjugller duns Ull tubleau 00 ils s'0clairent
mutuell"~mcnt•
N01JS
risc[uons dOYIC celte CO~lC].l~s.iorl
l' histr)ire posi-
ti"iste des sciences se veut Ilne histoire de J'0vollltion,
non
de J.a gérlé:rat-ioll Sl)Orlt2ll1ée ; Je la
COllt·i.ntlj.té,
110n de la
r'uI,ture.
l'lais cett(~ continui.t(, ntp~,l Cotl(·;ue ni. exclusivement
sui.vant le modèle bioJ.09iq1.10 (lu rJf~v~l('["'p(:?rn(-::'nt dG l'embryon,
ni uniqll0.111ent
en ré,rôrenc(= ;)
lr.J
r/?cvr.'.t'0.llc(:." Tl1i1thénl;.1ti(lue.
811e
(~st fOrlclée sur le ~nol1è]e posil:i.vist~ (J(~ l'~volul:i.(ltl qFi. est
une synthèse C10S (Je1.Jx mod~lcs
prl~cé(lenl:s.
5°) La critiqu~ 0u continuisme êrist&mologiqu~
Nous ne saurions
terminer ce chapitre sl'r ce 'lue nous
avons appelé le continlli.sme 0pistémologique sans indiquer une
autre orientation de l'histoire des sciences située aux anti-
podes de cC'llrô clll l'ositivisme.
1\\ucune notion p!ùlosoplli.que ne fai.t l'obj0.t d'une défi-
nition univoque.
L'lli.stoire n'échappe pas .3. cettrc, règle. On
sait
que B8RGSON,
tOllt en concevant l'histoire conme la
reconstitution (l'une évolution ne, l,) perçoit pas sous le mod,.'>le
de la continuité. 1\\u contraire,
il y introduit le point de vue
de la d:i.scontillu:i.té. Qu'est-ce 'Jlle 1 'intllition pOl1r cet autellr ?
Ce n'est pas l'Il simple résicll1 cl" ].) perception comme le pense,
entre autres,
I\\L1\\IN. C'est une donllée cr~;)tr·ice. Si elle est
ineffable,
c'c..,,~t lli.en pour ,Icuy l'élisons: parce que son ex-
trême simplici tf' J,~ ~OllS tr',]'j t cl~ l'emp:i.r(; cIe la pl?nsée discur-
sive, majs ùvss:i. ct Sll..rt01.1t,
parc0. Cll.H~, en vertu (Je:' sa nOlr-
veauté,
elle ne peut s'exprin'er por lÏé'S mots,
sans perdre une .../
(1)M. Fichant et M. Pecheuy : Sur l'histoire dc~ Sciences,
Maspéro,
pp. 58 - 59.

-
180 -
grande partie de sa signification. L'intuition est donc une
crÉ'ati.on (lont Lt11CUne i~vol1}tion ne pel.lt rendre comrte. N8\\'lTON
est lourd de son passé, certes. Mais i l a aussi des intuitions,
c'est-à-dire ,les "donnf'es immédiates de la conscience" 'lui
échappent: rJ. 1,' l:;mpc:i,sf2 des acquis:Î.tions antérieures. Dans les
','
Deux Sources de:: la ['locale et de la Religion,
dans l'Intuition
philosophique, et llill1S l ' E:volution Crèil\\:rice,
le ùevenir,
quoiqu'évolutif,
est présenté comme une improvisation. C'est
ùu reste ]e sens réel lle "J' Evoluh.on"
à la(i'Jelle on ajoute
l'adjectif contradictoire, "créatrice". 8ERG~ON le dit en des
mots sans é'lui.vo'lues
: "/\\ ~;uivre ]07 fil conducteur des faits
et des analogies, on arrive l)ien pl,utGt ~ une 6vOllJtion dis-
continl..1(7,
qui proc~d'2 par ~~auL:s ••• " (1).
De nos jour.s, on Cl cOl,ll:uli\\c? de di.viser les (~pistémolo8'ues
français
en dcu.Y catf::~1ories 5(~lon qu'ils sont nf..'G 01). anti-
positivistes. Domini.cpu2 LECOllP:T pé1.r (:::xemple,
(-Jans nne critiJJu0
de l'épi::~tt~rnol(2.[i.~, u('f.in·i.l~ ;:d.tlsi
le l:T'él_"U: C01\\nnU[1 entre
lMCHEL/\\RD (hié;I:Ol'icll el: ph5.1osophe ûeé; 3ci.enccs physiques),
CI\\I'IGUILlIEt·! (historien ('t r,h:iJoé;upllC de la bi010ai.,,) et H.
FOUCAULT (qui rcf11O.;0' l'l'tiquette c1'èp:iC'U:mologlie ct se définit
comme "archèoloQuc: du savoir")
: Il Le tl'~J i. t corrl!l1un (Jon t nous
parlons r::-:.;t
p1U:3 r(:cl
et plll~;; pt'ofond,
i_l C'')llSt.itur..:: leur point
d'accord et
I:ient ,j leur "posi tion" COJllllllJne en philosophie •••
Pour ]e dire bri·è,'lement,
en le formulémt provlsoirement sous
forme n(;Oé1tive, ·LI rési.<le ùans leur IInon-pos:i.ti.v.i.sme" radical
et eJéli.béré. Ce non-.posi t5.v·i.sl11e in.:lIlguré par B/\\CHELARD, en m2me
temps '1\\)' il nOI.IS p.Jca'i't fOI'lnc-.'l' 1(' "c:i.JTlcnt" de la tradition 'llii
unit nos trois auteur~"
la c1isti.nglJ.i2 de tout Cé' qui se pra-
tique ailleurs sous le nom r.l'''('~pistèrnologiJlue'' ••• '' (2). Le n011-
positivisme commlln, c'est
]e refus du continuisme
'épisté-
mologique.
A dire vr,'j.1.,
l'épistémolonie de 1,:1 rllpturf?,
dont on a
coutLUne de fix,or 1<" point de dépArt en France à la pensée de
BACHELARD cl
{:t~ exprirn(:e sinll..l] tëln~:ment, m,:d_s s{~rarôment,
'PaT
l'auteur de lA l'llilo;;ophi.e lliLJJD-ll,
Léon BPUNSCllVICG et /\\lex-
andl!e
KOYPE. Ce clernier,
en effet,
r:rond rarti pout' HEYERSON
.../
(1) Les deux :)('''rCe'1 de li) j·lorale pt de la Religion, P.U.F ..
p. 132,
(c'est nous qui soulignons)
(2) op. cit, p. 8.

-
181
-
contre 1\\119\\\\ste COHTE.
Il s' cn preml
tout d'abord ,', la loi
des trois états (·'t SUl'tUllt au re.iet pos:itiviste dé' la théo-
logie et de la nlé,tcll'llysi'lue 21 l'3rrièrC' plan de l'activité
scientifique.
11 !'ense (lU' i.l
exj.st'~ uni' uni té de la pensée,
et que celle-ci l'éside non p~s dans la sllorématie d'un mode
de pensée sur les C\\litres, mais dans le mélange de la théologie,
de la métaphys:i'lne (~t de 10. science. Il écri t dans ses Etudes
d'histoires d~ J.a pensée 5cientifiqlle "Dès le début de mes
recherches,
j ' ai (~I:(: insp:iré par la conviction de l'unité de
la pensée humaine, particulièrC'ment de ses forr:1es les plus
hautes;
i l m'a semblé impossible de séparer en compartiments
étanches,
l'histoire de la pensée philosophique et celle de
·la pensée religieuse d,ms lil(luelle baigne toujours la première,
soit pour s'en inc;pirer,
soit povr s'y opposer". IDt i l ajoute
plus loin:
"J'ai ,]fi rapi(ll'~fI(ènt me convaincre qu'il était
pareill~nent impossible de négliger l'étude de la structure
de la pensée scientiFique"
(1).
Après avoir montré que la science,
en toute rigueur est
indéfinissable parce qu'elJe est la condition de toute défi-
niti.on
; après <'Ivoi.!' in(1j'II.l<; qu'ellé' n'(.'st mêm'ë' PêlS l'objet
d'acquisitions,
KOYIΠaffirme que si J'llistoire n'est pas
regressive;
ell~ n'est pas
non
plus une aCCUn111]ati.on patiente
des faits.
Lecteur de M8YERSON ~t de DRUNSCHVICa,
i l veut
surtolJt étudif=:'l' Ille chc1Jlinc!(\\~nt de la pensée dans le mouvement
même dé' son activi té-: cl'éatrice",
c'est-à-dire, montrer que
l'histoire des sciencé's est Faite à la fois de continuité et
de discontinuil0. D~ns les Etudes Galiléennes, cette disconti-
nui.té est :i.llustréc pdl' ce qu' .Î.l appelle les "révolutions
scientifiques",
la révolllt.i.on copernicienne l;ar exemple.
Une révolution scientifique, dit-il n'est
pas faite de
mutations brusqllcs,
ni de COllVé'rsioils de penséc,
mais d'in-
flexions.
L'histo:ire est di,ll,:,ct:ÎJ[IIC'
:
"a di.scontinuité doit
êtr~ penséE~ SU!' un fond de continuitô, comme une dérivée.
L'histoj.re des
sciences n'csl:
ras
l~e ~ celle des t~chniques,
mais i\\ ceJle ,le lil li\\(,taphysitlue,
de l' nntolouie. Toute révo-
lution 5cientiLi'Iue est lIn'-, 1',"vol1.1ti'_'u théori([1.lc,
elle est
llétermin(:-c pùl' llrl Ch,:n10G1YH?nL rjt(.)J)t010G.i.2. Dans son étud.e de
la révoluti.on sc.i.0fltif:iqlle ~ l'~g0 classique, KOYRE montre
comment une nOllvfè,Jle ontolo(Jie s'est subst:ituée il l'ontologie
..'/
( 1)
Koyré , op. c i t , pp.
11
-
1 ') •

- 182 -
trad-Ltionnel1c .. ]}'lns cet tl~ ù~~rl1 îJ~t,("
(JI)
S(~ représente le
cosmos COjrm~ hiér,}x'cl1 i.q'.l(~rn(~nt: nr<.lc>nnC~, les parties,
ciel et
terre,
C01l1m\\~~ s{r\\,':U\\(~P3 et sou!wi.s(-~s ~'\\ (1(~3 lcd.s différ'r::ntes.
La n01wel.le onl:0 1og:i.c au conl~raj_r8 fon(le '!.~ notion d'uni.vers
qui imf,lique UIF" fusion dll ciel
et de la t!?rre,
et nne iden-
tit~ de::> 10.1.5. Lù f'Î.l"i"l.tic)n h-i,~31~(Yr.:i.(jll(: cl{~cri_l~c [l')X' COI·lITE,
qqi
sépare sciel1ce ct OYltoJ.ooi.e e~t dr)nc 0rrOlléQ.
C~rtr::s,KCJYPY partrlOr:' ~\\i.rr~c CIJI-1TE cett0 conv'lcti.on que la
sciE'nc~ n' est pCl~; absollJC el: rlU' c~lle np. se cannat t Til:i.eux que
par son histoire. Mais il rejette l'id0e positiviste selon
laquelle l'ètuclc du passé vls(~ il ~:claiI'er le présent. Pour
lui,
l'histoi.re ,le la science ne nous a:i.e]'" pAS à comprendre
la science prcésente, mais selllenlent ,i comprendre '11.1' il existe
Hn
avenir,
ql~e l'ét,Jt <lE~ la J1ens(~!e n'est jamn·Ls achevé, si
bien qu' i l es~ trop tôt, ll\\è)J.qr(' la na'isc;,)nce de J,) soc~,ologie,
pour :Le !)enser dans utl syst~lne 0l1Cycl.01'é(liqu~. Cette idée est
clairement eXjll'i.I!I'~(' clans D!.I f-lon<le clos i\\ 1.' Univers infini.
"En effet, dit-il,
Jil sci'ènce ne lilarche pas (le vC'rités (léfi.-
n:itives acquis,?s ,'i d antres ,1(-,couvertes défi.ni tives. La science
est progrès,
acl1eminollcllt vers .le vrai;
Sël vaJeur est dans
son clynamisrne (lui ne laisse rien -Lmmob:i.Je et sur place
et
l'étllde de cet effort ùe la pens,',e humai.n'" dans sa lutte po)-'.r
la
connaissance du .l.'(::el pé'u.t sc=nle n0tlS l~cla.i.rcr ~:;I,lr le sens
mêrne d(~ son dyna.misme,
sur lf-~ scn~, des not:i.ons fondamentales
,!u'elle empJoi ; et la vision dll passé nous aiùera à définir
des normes 2\\T"pl.i.Cé_1bJ.~s ddt\\S 11 ~\\v{.-':'nit''' (1).
D'oü
Je SI~rttlJt de J'creenT' cl'Jn5..:; :l'histoire des sci.ences.
PonT
KOYR8,
] 1 hi.stoire étant (1i.scontinl1F?,
comportant: des crises,
(les révollltiollS,
la p",ns'''e Cjl'i se trolrll'C a autant de val('ur
épistémologiCjuE? que celle 'lui a.tteint l,~ vcérité, '~ar la véri.té
n'est pas l.Jne qUClli té intrins'2quc de la. pensée, mais une réus-
site. La pensée scü~ntifiqlle n',,,st pas plus raisonnable que la
pensée métaphysique,
la vraie pas plus que la fausse. L'erreur
est certes ce qu'il fallait 6viter, mais plIe cst aussi ce
qu'on ne pouvait éviter.
Lcl
courbc~ d(~ },l pensée s'acheminant
vers le vrai n'est j'as continue •. BlJe est scandée Je crises.
C'est à travers les el'r'.:~urs t.pH~ la flensée
progrc:;se vers la
vérité. L'c-r.reul' n'(?st pas [me .cülJe, unc' lacun(l ; elle cst
au contraire 1111 excès, une ~é)rleSl1re. Elle n'est pas à propre-
ment parler une ré~.;i5tëlnce, e11e cst une insi,stance. L'erreur
.../
(1) op. cil.

-
183 -
n'est souvent qu'une vérité ancienne (ju'il faut abandonner,
conformémen t ,) une ,lxiorna tiqu,,! donnée,
pour cléc(wvrir de
nouvelles vériLés.
La vérité n'est dOlIC pas,
en science, une
donnée,
pour découvrir de nouvelles vérités. Elle est une
erreur rectifiée,
redressé~. En un mot, pour cette épisté-
mologie de la discontinuité,
l'historien des sciences soucieux
de retrouver le cheminement de la pensée, c10it considérer
l'erreur comme étéHlL le pl Ir; souvent plus instructive que la
vérité. L'histoire des sciences n'est 'li celle de l'identité,
ni celle de la continuité, mais celle d'une aventure de
l'esprit. Elle n'est pas "une chronologie de découvertes,
ou,
inversement,
un ca I;alogue d'erreurs,
(Jraveyarct of forgotten
theories, mais l'histoire d'une aventure extraordinaire, celle
de l'esprit humain Iloursuivant obstinément, malgré les échecs
constants, un j)ut impossible à atteindre,
celui de la compré-
hension.
ou mieux, de la rationalisation du réel. Histoire
dans laquelle, cle ce fait même,
les erreurs,
les échecs sont
aussi instructifs, aussi intéressants,
et mêmc aussi dignede
respect que les succès"
(1).
Mais revenons l'lutGL à Gaston BACHELA0) gui a le plus
influencé l'histoire et la philosophie des sciences en France
au XXe siècle,
et arrêtons-nous un moment sur les objections,
plus fulgurantes et plus directes, qu'il adresse à l'épisté-
mologie de la continuité.
En réfléchissant sur la pensée de COMTE et sur celle de
M8YERSON,
BilCfJ F:LiI RD découvr<" en tre l es deux un point commun
la solidarité entre l)ne thèse concernant la
théorie de la
connaissance, ce qlle nous avons appelé le réali~me, et une
thèse de l'histoire des sciences, celle que nous avons définie
comme un conLinuisme. Car dans les deux doctrines,
et malgré
leur opposition sur des points de détail,
la continuité histo-
rique se fonde sur l'homo,lénéité de la connaissance commune et
~,
de. la connaissance sei entifique. La Célèbre notion de "rupture '1
épistémologique" s'attaque donc aussi bien à la théorie de
l'identité entre le bon sens public et la connaissance positive;
qu'à celle d'une continuité qui fait des découvertes scienti-
fiques présentes les résultats des
théories antérieures.
. . .1
(1) ibid.

-
184 -
Le ton de la poléinj.que ('~,t lilllcé, dès la Formation de
l'esprit scientifique:"
Accéder ~ la science, c'est, spiri-
tuellement r,3jounir,
c'est accepUc'I' ime mutat·Lon brusque qui
doi t
contredire le passé" (1). Les c1é,cOllvertes scientifiques
ne sont Jlas lAne recl:if·Lc~ti.orl
de la cOflnaissance commune,
celle-ci est au contraire un nh~taclp 0ni~t~mnloaique dont
la science doit se dél)~rra3ser.
Mais c'est d0J"IS J.e RatinrlaJ.:ismc al)pliqu6 (Il]e ces cri-
tiques '.lont plllS :incisives. Il y consacre un charitre à
l'ètu.de dl? la
l!cQnnais:~ance conllH1.lnE0" et de ICI l'connai.ssance
scientifi'llle", étude qui ['art cle l' histoire pO',itiviste des
sciences. DACllEJ,A]([) commenC<ê cl' abord l'al' rendre hommage à
son prédécess·eur. "En f a i t , i l n'y a l-'ilS de culture scienti-
fique sans une réalisation des olJligations du positivisme.
Il faut passer par le posltivisme l'our le dépasser. Pour nous
qui voulons c1ét E'I'Ini ner l rô,s camI i. t ions épis témologiques du
progrès sci"'ntifi'jue nous (h~vo)Js tenir comme positif le
positivisme par opposition .lU car;Jct,',re "rétroorade" des
philosophies ,'c' 1<'1 natvrc,
signée de :1;) métaphysi'[ue idéaliste,
le mot "rétrogr.lcJc" étant ['1:'is 'lans son sens comtien bien
déterminé"
(2).
Ha.is de nos jours, le continuisme
(~pistémologique est
insOvt'2nable car,
i l suffit ,le> jeter un COllp d'oeil sur le
développement dc's scienceél physi.,!uc:l et chim.iqnes pour S(é
rendre conlpte qu'elles se caractèrisellt comme des domaines
épistémologiques 'lui l'ompeiJ t nettemrô't1 t ,lvec liJ connaissancE'
vulgaire. J~ous ne sommes plus .1Q ~:;I=a("I(-~ de la science pos:i.ti-
viste. Et ce nouveau caractère de la science ~,i est lIn dé-
pass,o,ment dé' celle de l'épo'lue ,Je COI·l'l' 1': ,loit oblioer le
philosophe à admettre que nous sommes,
au XXe siècle,
au
"quatrième Sl:('lclp"'du dé'veloppeJ1lent (lu savoir.
"Nous croyons
donc que du fait dE's révollltions scientifiques ront~lporaines
on puisse parl",r, (1.:\\I1S Je stylE' de lé' phi.losophie corntienne,
d'une qua_~~jèmp:.._T.i~~i.'~cle,
] ps tro i s premières correspondant ,)
l'Anti.qu.ité,
au HOYi=?n-l\\ge,
aHX
Temps i<Ioc1ern~s. Cette quatrième
période:
l'époquc contemporaine COW30mrne précisement la
rupture entre conllaj ssa.i1ce commune i?l: connai.E~s{)nCc
scienti-
fique,
entre exp(,rience CCHililiune et technique scientifique" (3); •
.../
(1)
BacheIanl. La. Formation <le l'esprit ',;cientifiqllc, Vrin,
1980,
p. 14
'
(2)
Le Ral:ionalisJ!le '"l'pl:LqW~, l'.IJ.F., 1975, ]'. 101].
(3)
ibid p. 102.

- 185 -
de montrf_~:C (iU~ CUHTE t ' ï.lal së:lisi
1 'hi_31:oi.re des sciences de
' . , .
son tr~l1IpS." Att XIXe si.'~cl'", il y .Jv.3it conti.mütl' entre la
connaiss;:1l1C(.~ COl1ITllUn(~ f~t= ] a conna i.3sancc~ scientifj qu0. On pou-
vait
se conL0ntr::,.r,
~l 11(~;I-'O(1U(;_' (111 positi.vi.SJlH~,
dc-~ ù(~termi.ner
J(~S poids .Jtor1Î(!Ii1'S des cor'ps ;, l'ilrtir de la techn1qlle de la
balanc",.
puisq1.\\l" la scienc'·' cle ]'AVOIS.n~p sur J.a')')elle prenel
arpui
IF'::
positivisme de la b0JtlY\\CC est (~n liaison continue
avec les techniq1.\\es traditionnelles de l~ pesée. Dans la
chim:i e de LAVOISIER,
lil ,,1256,·, cl" chloYl.Jre de socH.um 'le cli.ff,'>.:re
pas de cC?lle,
d,3J1S
13 vi.l~ COIlI]'ltH10,
(lu
sf~l de cui:;jne. Entre
lire le poids s\\)r l'aig\\J:i.lle chI J'l,sin' '.l'I.me ba1.ancro, .] l'oeil
nu,
et
le J i.rE? sur lc:~ même "i.nsLl'l.11nent 1I1,';11.S ovec 1)r1 mi.croscopp,
i l y El ident:i.tf~
cle. J.]
Ilpens~'(~ clG' 1,~\\ nleSl.lre"
;
i l Y a conti-
nui.té enL:re le bon sens vulU(:I'ire ct la connai.s'.:iFJnce scienti-
figue (1).
r''Ia:i.s,
n(n~s llit D.f\\CHr:~I,(\\l~U, LI f2St illadrni.s:-;,i.hle qDe dE~S
]J\\·liJ.osO!)tles dtl
XXe s:i.ècle C0tlt~'i.r)l.leltt (le souten·i.x' Iii m~me ttJèse
à propos de le! sci.ence cont0J!i110raine, car,
lIles c()nti.nuiste~;
i'liment .'1 réfléch'ir sur les or-i.Clines.
i.ls s(ojourn<,nt 'Jans la
ZOfle él.&mellta:Lrc Ge l~ SCieJ'lce. Les l'rogrès sc·ieJltj.fi.qt~es
furent d'abord lents,
très l<'1.\\l:s. Plus lents ils sont,
plllS
conti'luistes ils r~raissent. ~t ~omme la s~ience sort lente-
ment du corps <les connaissances communes,
on croi.t .:lvoir la
certitucle définitive de la conti.nuité d\\1 savoir COTnmlln et clu
savoir scientj fique.
En SOtllP1C',
voici J. t ay-Lom(~ cl' 0:r5.stémoJ.oo:i.0
posée par les cont·i.lHlistf:'s : ]'U·i.S'lIH' les clébuts sont lenl:s.
les procrrès sont continus. Le:' philosoj;!le ne va pas pluS loin.
Il croit inutil.e de sllivre les tf:'l1IpS nOuveaux,
les temps où.../
Dans la Form,Jtion cIe l'esprit sci,'ntifir )l)<2. Bachelard établit
la loi des trois ,:;l:at:s de 11',sprLt scientlfique : cf. PP.6-9
a)
Etêlt présci:=0..~ifi'E~, (~ntigllité jllSQU'ilU XVIIIe si.ècle)
c'est l'etat concret 01) }'f?'''I·'ri.t s'anilise des premi.ères
imélges~pI10')lr)l)F~e-et s' ,~lppr.-le sur l)nr:? rll:1.1osophie 010-
r'Lfiant la l~atl)re. C'est ·l.'~nle pu0ri.le ou n1ondai.ne,
animée
par la curiosité nn1ve.
b)
Puis l'Et,Jt 'ic.iJ:nti.fi'IIJ.'· (fin X\\fIIl'ô :;iècle. début XIXe s.)
ou l,~'t cunct'(~L-,~1b:-;'.:r·,)i,L 11~-::sprj.t
adjoint à l'expé-
rience pl:~'::J~~-cres scFL?:;n~ls. s;èr)n\\f~;~r'i.(]u?s. Cl est l'âme J7as-
toralf?',
f.Lxf~e clE~ son cl0Sfrtt,:itl.SliI0, Tlltn1(1)lle dan~,' ·sa pr~ml.êre
abstraction.
c) Enfin,
le Nouvel esprit sci.ent:ifi.11iJ.e,
(en 1905) avec la
Relativité elnstem.'=nne ')111 !'ostille le dynamisme de la
raison scienti.fiquf:'. C'est encore l'état ,Jbstrait où l'es-
prit se détache de l'irltl'ition. C'est 1 13n,e en mal d'ahs-
traire ct de quintessencier.

-
186 -
précisément le-=:; I!T09r:::~s sCiCtltifLques 5::c1,ltent de toutes
parts, f':.1:ï sant nècess,:]"i.rr:mf'nl,: "1:'c:l'::lter'" l' {~p:i.st811101o0ie
traùitionnc,lle"
(1).
Le positi.v Lsme doi t être ùôpass'~ non pas en tant que
philosophie erronôr.~, r.1.=]i.~> ~~t1
tant (jlJ.(~ pellsé:e surannée, péri-
mée,
in,lctuel1e,
qui. doit c'~ùer le P,)S il ll.n quatrir.'>me staùe
(le l'évolution }lUll1rl"i.ne.
"Comrnent ùcc{.'(:lCl' ù'F.:"i.l1p-llrs au qua.-
trièlne étJt si J{;j~ 011 ne .r(~alise pas bietl J.'iJl1roptance du
troi.sième,
le sens rn(,me de l ' <"tat posi tiviste ?
••• C'est
donc à partir de la positi.vité de l'expérience scientifique
propre aIl tro"Lsi.ènle 6tat dp l'êpisté;l'olog"Le comti_0nne ~111il
nous faudra dé.fi.n:i.l' le sens profon(](,nlCnl: instrurnental et
rationali.ste de l' exp,sriencé' ~:cient:ifi'lue. Nous verrons ( ••• )
une opposition avec la COIHltJ i.ssanc(~ COI1lr\\1\\l.ne (lui ajme les
cosmol09i.r2S ri'pieles"
(2).
Le pos-l1:-i.v i..':3Iilf? dr:J.!. t
~tr'e déJ1a::;s~~! en ra'i..son mÊ:lne (lu
(JèpassPlnent de la science ros·i.tivp. par l·.l sC-lC'nce conternrl0-
ra i.ne. p('\\t' 0y.c~mrl1f'~ en (~l{~ct:r'i.ci.l:é-; 0\\1 C':tl f;·lcctroYll.'ll.le, on n(~­
pèse pl.us COll]l!](? dans ]a ch-ï.nLi C? lrJ\\lÜi s·i.0nn(~. Le t.rt.
ct
la
pp:-:-;ée des i::;ot:opr::'s s:I[)pos~nl~ U)"l(> t~chn'ifil.u~ ·i.!lr1 i,rr:cte qui. rC1mpt
\\
avec le proc{c1,0 trac1itionnp1..
E:ntrc li\\ !J,llanee et le spectJ'Os--
c<Jpe de massp.,
inc1i~;p(~ns'lblp. l'c,ur cett" techni.'lv ro , il n 'y a
pas continlli.té, 1T1n.i.s ruptnrc.
I!L(~s traj(:?ctoires qui permettent
d(~ séparc:r l(~s isotopes dans 1(' spectroscopp ùe rn,;,\\3Sf? n' E~X·i.S­
tent PèlS clans la niJtlll'C
·il Llut les prodv..ire techniquement.
Elles sont ùc:'s th(:or'2JOes réLfiL'S. Nous !Jurons Ô. montrer que
ce que l'homme f'Ti.t
dans l)t1C tecl1n'i_qllc~ scicnt:Lfiql)~ de la
41latriènl0 l)éric,dc n'exj.ste pas dans la nature et rl'est même
pas une sUlte lVlto.J:'elle des phénom~n.c~; ni)tl1rels" (3).
11ais ,"lors comment montrer,
et o;l'rtO\\!t faire admettre
aux esprits contemporains d~j~ marrlués par le sceau de la loi
des trois états (le ClJIlTE,
clonc de la I:héorie de la continui té
hi s tor:i.'1ue,
l ' i.lk'e cl' un", J'up turp épis l:émo lo()iquc ? Comment
expliq\\!er au coloriste et au teinturier que la photographie
en coul euy ll n ' est na.s en continllité avec'1la photographip sans
coulellr ?
POUT' Y parveni,.':
i l f;"11)llr?il_l::
,~.lrrivc:r ?l fr.:1\\.re compren-
dre la (l·i.ffér~nce lLlli existe Cl'ltrp l'orrtinatic)n ]·i.néai.re des
couleurs "'1 phys ique ct l' o ['cl j n,3 ti.on circulaire' <J es couleurs.../
(1) Le Matérialisme rationnpl, P.U.F ••
p. 209
(2)
Rationalisme ••• , op. cit,
p. 101).
(3) ibid, p. 103.

- 187 -
en biolosri.e, pllis l'uniformi.té <Je,; pri.nci.pes de radiation etc ••
En un mot,
le moyen le l'lus efficilcé' cle "montrer 1,) di.sconti-
Imité de l'évolution nJllI:ülièrr', (èt de l'évolution de la tech-
n i.JllH~ rnOc1(~l'ne ;~l lVJ~;t: SCi.Cllt-i.fiqllP," Cl (~::;t dl analy:::;er certai ns
procédés préc:i::; ~t simples (Jc~~ 1,71 science el: ûG la
technolo~~i.e
,"
con t emporê.l.in es ..
A C0 pr~opo s,
l'exemple très simple (le la"m.'lchine ," C(1)-
dr~'est éclairailt. Sc)n itlvellt-ion a nécessité ltne théorisation
qui abandonne la techniqUlo trëlditionnelle de couture. Cette
machine a trouv?' S,3 rali.onLll·i.sal::i.on quanù,
partant de donné(!s
scientifiques,
"on a rompu avec les essais d' inl'Ï ter le geste
(le la coué<C'llSC',
fonc1,}nt la culture sur une nouvelle base".
Plus écJai.rant erlcorc ~st J.'exern!)l_~~ pIllé, souvent ci.tp,
1
1
..
'J
.
Il

(. e
cl
IFlrrlpe e._ectt'Ji_llle.
Tout
ce '11):1 perrnp.t d" c1é'ügner la
lampe d' EDISON (~t Jêl J ampe o J.'r.li na ire sous le même vocable
de "lampe", c'est JeuY' bn!:,
c'est l'l~~,aue ClU'Oll en fai.t
toutes c1(-;lJX servent: (1 (-:c'/'.3irer lorsqu'il y a obsCI.rité. Ha:i.s,
autant entre la
techn.i.Cju<? de la pesé,:, l,}voisiennc At c"lle
de la ménagère il y avait d la fois un:i.tG du but et unité de
pensé(:l
(ou d!-~ techn.i.']l.le),
ê1ut<1nt
el1tr(~ ces cleu;,- J,lrnpes il
n 'y a
aUCllne
pens(~l~::: cûlllirlUJ1C::.
llu XVIIIe si.ècle,
la sCi.'.ol'lce nëll:ureJle cle l'électricité
n'avù:Î.t P'iS donné J·i.el.~ cl C12t:t:e .t'Upt:ll:r0. Il y avaLt: équ.iva1ence
entre le feu,
l'èlcctri.cité ct la lwl1i',~ee, en sorte que l'abbé
J3ElêTHüLON pouvai.t c16cJarer : "Le flllicle électriJIIV? est le fcu
.modifié, ou,
co qui r(~vi.ent au m(}mG,
IHl
fluide l:'lnaloguc au
feu et Ft la lumière; Cëlr il a avec eux de grands rapports,
ceux d'éclairer, (le br.i.l:lrèr,
d'enflammer et cle brûler, ou de
fondre certains coeps
: phénomènes qlli prouvent que sa natllre
est ceIle clll fp'1),
l'ui sqne ses effets gfmérau.x sont les mêmp.s
mais qu'il est le feu modifié, [Iuisqu'il en diffère à quel-
ques égé3rc1s"
(1).
Dans ce contexte, on pOUV21i.t expl·i.quel' toutes les décou-
vertes sci(;l]t:ifi.'1ues et les
i.nvpntüms techniques par les
intuiti',)ns na1vp.s dont le:-:; premières ne SOllt que I1de simples
modj_fic,]tiollS g~;[l'~c.:llo.s". i\\v;J"i_t-Oll I)e::;oin d'(~xpJ.Lql)eT le? méca-
nisme dc~ la lt1rlflc' ,\\ p{trol(:~ ,.
~llur-:.; on se r(~feTai.t au bâton
de résille qui c1epuis le; I:~'ml's tr'.~s recuJ.{,s serV,}i.'2nt à faire
/
• •
· 1
(1) L'abbé 8ertholon,
J " l
" ' 1
, , '
. ,
J
c.'.ectrJ_clte Ct::-_'S
V~:getaHx,
Cl.te par
Bachelard,
ibid,
p. 1U6.

-
188 -
Jes torches. l'Tou te~~ ce~3 nbsl?t'V':1 ti'')n~; 1 d2H1:; le style empirique
clu XV 1 l l (; si f~C le 1 p r'OUiJ en t l;1 con t.L nu "i. l:(~ Ù e l ' cxréri ence
commune ~t de l' p.x1't~ri~nce scientif .tql).0".
Hais la sci'~nce fi10rJC'.L'"'rH:~ (J rr.::~.fnrrn(~
pl'ofond0~ment
cette
conception de ](:\\ 1,}ll1pC. D~t:lboc<.1 grâc(-:~ .:i 1)n(~~ rffcrme de la
notion (le cOln\\)usl.:-i.on pn1"' 1'::1
cl1·.~mie dp l'oxygène,
la combustion
est d~:mat:r~ri'~lJ:i.'~)(:>0., (-"YlIe n(~ suppose p11.15 n{::ce~;.s':l.i.Tt~mp-nt
une
substance Com)Htstiblc : :l"
bois,
le e'l.'1rbon el:c ••• 8n olltr0,
la
scienc(~ "2st d€:vellue
\\lflC
IIphénom~notechniqu.f-:-II,Fondée 5VY
une technique l'DtioilnelJe insp:irèe pé1.r d,os lois milthématiJJlles.
La lampe êlectri~ne incandescente ne se comprend plus par lil
quantité de bâ.t.:on
{.le rés:i.n(7~ ni. par UrlP "modif.i.cùtion ll de
cette conception. l'OllI' corr'!Jrendre son fonctionnelnpnt,
il faut
faire un "clétOllI';' il fùut oublier let technique traditionnelle
pour une étl1ùe :r'E!lat'ionnf-~lJ(~ pl.lrement al0~brique. L'ampoule
,
b '
1\\
t "
,~
,
.
.
electriqL)e est Lin o'Jet élJscrô.èt-concTct, re01 pilr la 101 (1,0
~
JOULE dont
la form1l1e pst
:
':.7
RI t.
(\\:!:
Émergie,
R : rési stance,
I :
in ten:;i t~),
t :
t0nlps).
Par cette Formule,
ilIa clJlt.:tlr~~ 0hstraite n barré les
])remières intuitions concrètes. On ne c1it plvs - on pense à
peine -
que dIt feu ê'l: de li} lumièrr,' ci.rculent dons le fila-
ment èblollissant. L'expJ.i.cation techniqlle va à contre-sens
ùe l'cXFéri(~nc(= subst.:lnti.ù-listr::;Il. Et l.'~rsrjlllil arrive de
parler de la résistance c.1l1
fil,
on se ref~re encore à une
formule ê.lgÉ'\\)riqup.
R
--
(' ~ • ( (-': r,'èsistiviH, dv mèt.il1,
l
: longul'ur (lu fil,
s
spc tion C111 f ;.1) •
C'est clone établi
la science contemporaine ne répond
plus il lil vision eomtiste llce la conU.nu:i.té entré' le bon sens
vulgaire et lil conl1i.1issance scientifi.quc. "La lampe élec-
trique il fil incandescent rompt vraiment avec toutes les
techni.'111es de l'éclairilge en uSilge dans toute l'humanité
jusqu'au XIXe siècle. Dans toutes les anciennes techniques,
pour éclil:LrE,r i:l
faut brûler une matière. Dans la lampe
d'EDISON,
l'aI't
technique est d'Bnp~cher qu'une matière ne
braIe. L'ancienne technique est une technique de combustion.
La nouvelle techni~ue est llne technique de non-combustion" (1) •
.../
(1)
ibid, p. 105.

-
189 -
8'1 définitive,
il ~pparaît que nulle part, sous la
plume dl" DACHELARD, on ne retrouve des propos réellement anti-
positivistes. Le comt'i.slne ~st ce,rtes ~ revo:L~, ~ réada]>ter ;
mais il n'est pas ;\\ rejeter c:olnme le ~leyersonisme. Le posi-
tiv.i.s1lle est
Su.:rëlnrH~, il n'(~~sl: P':lS lacunuirp.. Il 0st élU bache-
lal'disme ce que 10. f~~tic:hi.sJ~lf::~
(~~3t élU ]lositiv:ï.sm(?
La pensée
de BACH8Li\\RD n'est: pas U:H, ,':'I)ist{'molou:L,o non-positivit(' au
sons où c~~t autcur parle I!<] 1 (~p.i.stémologi.0 non-c,'1rtésienne".
Contrëlirernent
,\\ }'opini011 D,·'~nÔré'llerncnt ;;l,r11'l'lisc,
l(·~ phi.losophe
contempurain 0.:;1.:,
non rù~. r?l opposer, rnrlis il considérer comme
le conl::i.nuëlteur -
qu,;ltr.i.èlilf:: p(:>riode -
de l'al.ll:ellr du Cours.
Le bachelard.i.sm(' est lin néo-positivisme. Av.ssi concluons-nous
cet examen pêlr 1)'1(' formule l,ùr,Jdoxale :
La théorie de la
ruptllre épistérnologi.qllCô <le Gêlston BACHELARD n'est pas en
rupture mais en cunt:i.nui t~, ,JV~C cel lé' du continuisrne épis-
térrologique ,l'Auguste CO!1'l'E.

o B JET
E T
11 E T Il 0
D E
DE
L'HISTOIRE
DES
SCIENCES

- 191 -
~hapitre VI;ORDRES D'EXPOSITION DES SCIE:NCES ET HISTOIRE: DES SCIENCES
Si dans la première partie de ce travail notre intention
principale a été de la ire le tour de la pensée de COMTE,' elle nous
a permis aussi de l'l'pondre à une (les questions principielles que
suppose une telle étude: Pourquoi l'histoire des sciences? La
réponse a été: parce qu'elle est la propédeutique indispensable
à
la constitution de la physique sociale et de la Religion de
l'Humanité. Pour fonder la sociologie sur la base des méthodes
employées dans les sciences c1éj,'\\ consti tuées, il faut au préalable
connaître ces méthodes. Et comme une conception quelconque n'est
bien conrlue que par son histoire, c'est par l'histoire des sciences
que nous aVOI1S le plus de chance de connaItre la méthode scienti-
fique qui, rappelons-le, ne se résume pas à la méthode mathéma-
tique. L'histoire des sci.ences est donc, dans le positivisme, un
moyen et non une fin.
Dans la partie précédente, l'esquisse de l.a théorie
positiviste de l'flistoire rlOUS a révélé que l'histoire des sciences
chez COMTE: est celle de l'esprit positif qui, au dernier stade ,de
l'humanité, substitue son objet et sa méUlOde à ceux des savoi.rs
théologique et métaphysi'l\\,e. Nous voulons ,) présent pOUrSIl1.Vre
notre installation dans cette pensée par une dèfin1.tion plus pré-
cise de l'objet et de la Inêthode de l'histoire positiviste des
sciences.
Georges CANGUILllE:N Cl montré dans l'introduction à ses
Etudes d'histoire et de philosophie
des sciences que même si
l'histoire des sciences entretient avec la science une relation
essentielle, il serait erroné de faire de l'objet de l'histoire
des sciences l'objet de la science. L'histoire des sciences n'a
pas un objet univoqtle, intrinsèque et a priori. "!"'objet de l'his-
torien des sciences ne peut être déJ.imité que par une décision
qui lui assigne son intérêt et son importance. Il l'est d'ailleurs,
au fond,
toujours, m~ne dans le cas 00 cette décision n'obéit
qu'à une' traùition observée sans critique. Soit un exemple, celui
de l'histoire de l'introduction et de l'extensiorl des mathématiques
probabilitaires dans la biologie et les sciences de l'homme au
XIXe siècle. L'objet de cette llistoire ne relève d'aucune des
sciences constituées au XIXe siècle ; il ne correspond à aucun
objet naturel dont la connaissance serait la réplique ou le pléo-
nasme descriptif. Par conséquent, l'historien des sciences constitue
.../

-
192 -
lui-même un objet à partir de l'état actuel des sciences biolo-
giques et humaines ••• " ('1)
C'est ce que fait A. COMTE. Il ne veut pas traiter des
Sciences en spécialiste et l'objet de l'histoire des sciences
qu'il pratique n'est pas une des sciences particulières de son
époque. Il part seulement de l'idée qu'il y a une certaine unité
t~s
entre toutes/branches du savoir puisque toutes cherchent à dé-
couvrir des rapports nécessaires et intemporels entre les phéno-
mènes; et que cette unité vient de ce qu'elles sont la mani-
festation du même esprit, l'esprit
positif. La fondation de la
sociologie et la classification des sciences sont les données
qui conditionnent l'histoire des sciences dont l'objet est, en
fin de compte, la saisie de l'unité des sciences: la sociologie,
parce qu'elle complète l'écllelle encyclollédique et contribue de
ce fait à la découverte de cette
unité; la classification,
parce qu'elle montre que les sciences s'emboîtent les unes dans
les autres et s'éclairent réciproquement, permettant ainsi a
l'histoire des sciences de rendre plus sensible la correspon-
dance qu'il y a entre l'ordre de dépendance des sciences et
l'ordre rationnel.
Tel est donc l'objet de l'histoire des sciLnces chez
COMTE, et tel est aussi l'argument que l'auteur a souvent avancé
pour montrer la nécessité de créer une Chaire d'Histoire Générale
des Sciences au Collège de France. Voici ce qu'il écrivait au
ministre GUIZOT: "C'est seulement aujourd'hui qu'une telle chaire
pouvait être convenablement établie, puisque, avant notre sièCle,
les diverses branches fondamentales de la philosophie naturelle
n'avaient point encore acquis leur caractère définitif et n'avaient
pas manifesté leurs relations nécessaires ••• Dans cet état de
notre intelligence, la science humaine en ce qu'elle a de positif,
peut donc être envisagée conme une, et par conséquent, son his-
toire peut dès l,ors être cOnçue. Impossible sans cette unité,
l'histoire des sciences tend réciproquement à rendre l'unité
scientifique plus complète et plus sensible" (2). C'est donc
clair: L'histoire des sciences, c'est l'histoire de l'unité
de la science, c'est-a-dire, colle de l'osprit positif.
.../
-------_~._--_._--------
- - - - - - -
(1) op. cit, p. 18.
(2) Pour toute la correspondance entre Comte et M. Guizot ou
M. d'Eichthal
•••
Voir Littré, Auguste Comte et le posi-
tivisme.

- 193 -
DE BLAINVILLE, dans son Introduction aux principes géné-
raux d'anatomie comparé~, a généralisé à tous les ordres de
sciences une distinction propre à la science mécanique
: la sta-
tique et la dynami'lue : le premier terme désignant la partie de
cette science qui étudie l'équilibre des forces agissant au repos,
abstraction faite de leur devenir,
le second terme indiquant
celle qui,
s'intéressant aux transformations, traite des forces
dans leur rapport é\\VC:>C les corps en mouvement. Auguste COMTE
épouse cette conception qui lui
sert de méthode d'approche des
sei ences.
C'est ainsi qu'il définit le
Cours de philosophie posi-
tive comme une étude dynamique des sciences, c'est-à-dire, comme
un Cours d'histoire des sciences en opposition à une étude sta-
tique qui serait leur connaissance dans des coupes instantanées.
Car tous les êtres doivent ~tre étudiés selon ces deux points de
vue:
a) Le point de vue sL:ltique : "leur étude ne peut consister
que dans la détermination des conditions organiques dont elles
dépendent;
elle forme ainsi une partie essentielle de l'anatomie
et de la physiologie"; b)
le point de vue dynamique:
"tout se
réduit à étudier la marche effective de l'esprit humain en exer-
cice,
par l'examen des procédés réellement employés pour obtenir
les diverses connaissances exactes qu'il a déjà acquises, ce qui
constitue essentiellement l'objet de ce cours de philosophie
positive, ainsi que je l'ai définie dans ce discours"
(1).
Soulignons ait p,assage qlte cette distinction est du reste
adoptée par la plupa~t de ceux qui se sont intéressés à l'étude
de la pensée, guel gltc soit le domaine de leur investigation. On
a toujours distingué le point de vue du système, c'est-à-dire,
l'essentiel de la pensée
telle qu'elle se donne à saisir hors
de son histoire,
telle qu'elle se détache sur le fond plUS ou
moins éClairant de son panorama lüstorique , du point de vue
historique, c'est-à-dire l'analyse des oeuvres prises dans leur
succession chronologj.que, en rappelant les étapes de leur cons-
truction, On sait qu'un contemporain de COMTE (et aussi du XXe
siècle), Octave HAHELJN, au teur du Sys tème d'ARISTOTE et du Sys-
tème de DESCARTES,
écrivait dans ce dernier ouvrage:
"Il y a
évidemment deux sortes d'ordres pour l'étude d'une doctrine
l'ordre chronologique suivant lec[uel elle s'est produite,
l'ordre
.../
\\ 1) Philosophie première, Hermann,
1ère leçon, p. 33.

-194 -
systématique qu'elle présente une l'ois consti.tuée. Personne ne
niera que l'historien doit faire connaître l'un et l'autre."
Mais le problème qui se pose dès lors est celui de "savoir s ' i l
y a lieu de chois:ir entre les dC'ux,
et lequel des deux -il faut
choisir lorsqu'on veut faire c.omprendre et,
autant que possible,
expliquer la pensée de 1.' auteur que l'on expose"
(1). La diffé-
rence entre COMTE et son prédécesseur réside dans le fait que
pour l'auteur du Système de DESCARTES l'ordre systématique seul
nous révèle "les raisons d'Gtre d'une doctrine",
l'ordre chrono-
logique nous
maintenant
au niveau de "ses conditions préalables";
tandis que l'auteur du Cours privilégie au contraire l'étude
historique. Mais ils se rejoignent sur les deux modes essentiels
d'exposition des connaissances:
"toute science doit être exposée
suivant deux méthodes essentiellement distinctes, dont tout autre
mode d'exposition Ile saurait être qu'une combinaison,
la marche
historique et la marche dogmatique"
(2).
1°) Ordre d'exposition historique et ordre d'exposition
~Jmat:i.que.
a) C'est surtout dans la deuxième leçon du Cours que
COMTE développe de façon précise sa conception de l'histoire
des sciences. Il y définit l'ordre d'exposition historique
comme le procédé qui consiste,
en suivant autant que possible
le même cheminement que l'esprit à l'oeuvre dans l'acte
d'acquisition du savoir,
à
exposer les connaissances selon
l'ordre de leur formation.
le mot formation étant employé
dans le sens devenu cèlèbre dans l'épistémologie française
contemporaine sous les plumes de BACHELARD : La formation de
l'esprit scientifique, de CANGUILH~I; La fonnation du concept
de réflexe, de CAVAILLES;
Remarques sur la formation de la
théorie abstraite des ensembles etc •••
Qu'est-ce à dire? Soit l'étude d'une science nouvelle.
Etant donné le nombre très réduit de documents dans ce do-
maine,
l'exposition historique consiste uniquement à présenter
chronologiquement les découvertes déjà faites. Qu'était par
exemple,
au début de notre siècle,
l'étude de la sociologie?
Rien d'autre que l'apprentissage dans l'ordre de leur forma-
t ion des théories de CONDORCET, de S'f-S IMON,
de TAINE etc •••
"C'est ainsi par exemple,
que l'éducation d'un géomètre dans. ..1
(1) op. cit. pp. 16 -
17.
(2)
Philosophie première, op. cit.
p. 50.

- 195 -
l'antiquité consistait simplement dans l'étude successive du
très petit nombre de traités originaux produits jusqu'alors
sur les diverses parties de la géométrie, ce qui se réduisait
essentiellement aux écrits d' ARCHIMEDE et d'APOLLONIUS
; tan-
dis qu'au contri1i.r<:' un géomètre moderne a communément terminé
son édua.tion,sat6 élvoit' lu un seul ouvrage original,
excepté
relativement aux découvertes les plus récentes,
qu'on ne peut
connaitre que l,aI' ce moyen"
(1).
On sait, gr~ce aux travaux de Paul TANNERY,
le débat qui
••
a opposé Gustaf ENES'I'ROM à Mauritz CANTOR au sujet de l'his-
toire de la mathématique pure.
Le premier,
spécialiste de
cette science, dans un livre sur l'histoire dŒmathématiques
définit cette histoire comme l'étude de la filiation des doc-
trines et des idées mathématiques suivant l'ordre de succession
chronologique des découvertes. ~lauritz CANTOR lui répond en
notant qu'il faut distinguer "histoire de la mathématique" et
"histoire de la mathématique".
La première écriture est celle
qui correspond au désir de ENESTROM. Elle est une histoire
spéciale et abstraite,
qui exclut les éléments concernant les
circonstances extérieures qui ont pu influer sur son dévelop-
pement. Elle est destinée uniquement à la société savante et
constitue un "type extrême" de l'histoire des sciences.
Quant à l'histoire de la mathématique,
elle est celle
dans laquelle la mathématique fournit la matière première cl
la réflexion,
mais qui ne doit pas être exclusivement des-
tinée au spécialiste.
Elle ne doit pas être conçue comme si
les mathématiques étaient produites "ex-nihilo"
et jouissaient
d'une indépendance vis-à-vis des autres Sciences et par rap-
port aux techniques,
et aux autres valeurs culturelles. Dans
l'histoire de la matllématique,
"le tableau de la vie civilisée
sert de fonds,
et sur ce fonds se dégagent en pleine lumière
les traits mathém,)tiques qui le caractérisent et qui servent
à leur tour eux-mêmes à éclairer les fonds"
(2).
CANTOR montre enfin que cette distinction s'impose par
le fait que la conception EnestrOmienne de l'histoire des
sciences -
qui correspond à ce que COMTE appelle l'ordre
d'exposition historique des sciences -
est non pas fausse mais
trop restrictive,
en ce sens qu'elle ne peut convenir à une .../
(1) ibid, p. 51.
(2) cité par Paul Tannery, Mémoires scientifiques, T X,
p. 173.

- 196 -
science assez développée. En d'autres termes, malgré les
efforts de l'historj.en pour établir les liens de filiation
des idées et mettre en lumière l'enchaînement des découvertes,
l'éparpillement chronologique des données est un inconvénient
qui devient d'autant plus sensible que les matiêres s'accrois-
sent davantage et que la science se développe dans des direc-
tions de plus en plus nombreuses et de plus en plus diver-
gentes. Ce procédé comporte donc beaucoup plus d'inconvénients
que d'avantages.
Augl.lste COMTE: développe une thèse analogue à celle de
CANTOR.
Il pense que le mode d'exposition historique est bien
le procédé approprié à l'étude d'une science naissance:
"car i l présente cette propriété de n'exiger,
pour l'exposi-
tion des connaissances, aucun nouveau travail distinct de
celui de leur formation,
Loute la didactique se réduisant
alors à étudier successiveml''1t, dans l'ordre chronologique,
les divers ouvrages originaux qui ont contribué aux progrès
de la science"
(1). ~îais ce procédé devient impraticable à
mesure que la science progresse et atteint un certain seuil
de maturité. C'est alors seulement que devient possible et
nécessaire le second procédé,
l'ordre d'expositi.on dogmatique.
Notons que cette distinction établiè par CDMTE entre les
deux ordres d'exposition paraît précaire aux yeux de M. SE:RRES
qui pense que J'exemple des géomètres constitue plutôt une
infirmation, un "contre-exemple". de ce que l'auteur entend
démontrer,
et ce, pour deux raisons. D'abord, (Ht-il,
les
~léments d' E:UCI,lDE on tété uti l isés il des fi ns pédagogiques
d'ALEXANDRIE: à l'5ge classique et constituent pourtant un
,
.. -
"manuel dogmatique et condensé d' histoire". L'exemple comtiste
s'avère donc tardif et s'expli'lue par la "mauvaise foi",
la
volonté délibérée de l'auteur,
qui répugne au formalisme et à
l'axiomatique, de refouler E:UCLIDE: de la pensée d'une époque
dont il est, du reste,
ignorant. En outre,
les grands traités
de mathématique du XIXe siècle, ceux de LAPLACE et de LAGRANGE
par exemple, récapiLulent l'histoire de la mathématique,
en
même temps qu' ils présentent les leçons de cette Science. En
un mot,
non seulement des contemporains de COMTE continuaient
à exposer les sciences suivant l'ordre d'exposition historique
mais aussi ils associaient à la fois ce procédé et l'ordre
d'exposition dogmatique.
" ' /
(1) Cours, op. cit, p. 50.

- 197 -
b) Quoi qu' il en soit, COMTE: définit l'ordre d' exposi-
tion dogmatique comme le procédé qui vise la systématisation
de la science telle qu'elle "pourrait être conçue aujourd'hui
par un esprit, qui, placé au point de vue convenable, et pourvu
de connaissances suffisantes, s'occuperait à refaire la science
dans son ensemble"
(1). Or, toute systématisation suppose
qu'on dispose de tous les éléments constitutifs de l'ensemble
à présenter selon un ordre logique. Comment, par exemple,
exposer d'une façon systématique la chimie prélavoisienne
encore enfouie dans les ténèbres de la métaphysique? Aussi,
de m@me que l'unité de la science ne pouvait @tre sensible
que lorsque toutes les branches du savoir sont parvenues au
stade positif, de la même façon,
le mode d'exposition dogma-
tique n'est applicable qu'à une science ayant atteint un cer-
tain degré de développement.
L'avantage du mode d'exposition dogmatique est de cons-
tituer un raccout:'ci, en ce sens qu'il nous dispense, en pré-
sence de nouvelles théories, d'apprendre successivement tou-
tes les découvertes antérieures dont la trace de la filiation
s'émousse avec le temps. Ce procédé est donc le plus adapté
à l'éducation moderne, celui qui convient le mieux à l'état
de perfectionnement de notre intelligence, puisque "le pro-
blème général de J'éducation intellectuelle consiste à faire
parvenir, en peu d'années, lm seul entendement, le plus souvent
médiocre, au même point de développement quia été atteint,
dans une longue suite de siècles, par un grand nombre de gé-
nies supérieurs appliquant successivement, pendant leur vie
entière, toutes leurs forces à l'étude d'un m@me sujet"(2).
Toutefois, une difficulté entrave la bonne application
de l'exposition suivant l'ordre dogmatique: la relativité
de la science. Car toute systématisation dogmatique suppose
une unité définitive, dogmatique étant synonyme d'absolu. Or
si toutes les sciences sont positives au même titre, cela ne
signifie pas pour autant que le devenir d'une stience positi-
vement constituée ost fermé dans l'unité de la science. Une
loi scientifique n'est jamais vraie que sous certaines condi-
tions. Elle ne l'est jamais absolument. Le cours régulier de
l'histoire finit toujours p'3r révéler les insuffisances d'une
théorie qui, à une époque donnée, paraissait exhaustive et
/
• • •
(1) ibid.
(2) ibid p. 51.

-
198 -
immuable. Le réel est infiniment plus grand que le rationnel,
en sorte que son analyse, comme le note LEIBNITZ, va à l'infini.
La science, domaine (le la "connaissance approchée" ne
fournit que des approximations plus ou moins parfaites. Dans
ses réflexions sur l'astronomie, COMTE montre comment la loi
de NEWTON s'est substituée à celle de GI\\LILEE et se demande
s ' i l n'y aura pas à l'avenir une théorie qui enlèvera à cette
loi le caractère absolu 'lu' il a au. XIXe siècle. Nous savons
aujourd'hui que NEWTON est dépassé par EINSTEIN,
et l'on est
bien obligé de reconnaitre que la saisie de la notion de pe-
santeur n'est pas terminée; car l'histoire des sciences nous
force à admettre que les théories ne sont que provisoires et
que toutes seront remplacées par d'autres qui permettront la
découverte et l'explication de nouveaux phénomènes que les
anciennes théories n'avaient pas réussi a saisir.
Dans ces conditions,
l'ordre dogmatique est toujours à
refaire parce qu'il incorpore continuellement des éléments qui
jadis étaient du ressort de l'ordre d'exposition historique,
tandis que les découvertes nouvelles échappent à son emprise.
Conséquence:
"l'ordl'e dogmatique ne peut,
en effet,
être suivi
d'une manière tout il fait rigoureuse; car par cela même qu'il
exige une nouvelle élaboration des connaissances acquises, i l
n'est point applicable,
à chaque époque de la science, auY
part ies récen:men t formées,
don t
l'étude ne comporte qu'un or-
dre essentiellement historique"(l).
2°) Ordre d'exposition historique et histoire des sciences.
Les deux métllodes d'approche des sciences ci-dessus
mentionnées varient en sens inverses l'un de l'autre;
"à me-
sure que la science fait des progrès,
l'ordre historique d'ex-
position devient de plus en plus impraticable,
par la trop
longue suite d'intermédiaires qu'il obligerait l'esprit à par-
courir;
tandis que l 'or'dre dogmatique devient de plus en plus
possible,
en même temps que nécessaire,
parce que de nouvelles
COllceptions permettent de présenter les découvertes antérieures
sous un poi.nt de vue pl1\\s direct"
(2). Se pose alors la question
d'HI\\HELIN
: Lequel des deux modes d'approche faut-il privilégier
.../
(l)ibid.
(2)ibid.

- 199 -
Cette qllestion aurait été simple si le mode d'exposition
dogmatique était parfait puisqu'il. est celui qui correspond le
mieux à l'état actuel. de la science. seulement i l
est lacunaire
non pas uni(luement en raison de la relativité de la science,
mais aussi
parce qu'il laisse ignorer le processus réel de la
formation des connaissances humaines, processus dont l'intel-
ligence est d'une grande importance pour tout esprit philoso-
phique.
Sur ce point, c'est Georges CANGUILHEM qui se révèle plus
positiviste que COMTE. Certes,
i l ne voit pas l'histoire des
sciences SOIIS le même angle que l'auteur du Cours. Non seule-
ment cette histoire cllez lui admet des ruptures, mais encore
son objet n'est paS la saisie des manifestations de l'esprit
positif, mais plutot l'analyse des concepts:
"l'histoire des
sciences, dit-il,
peut sans doute distinguer et admettre plu-
sj.eurs
niVealJX
d'objets dans
le domaine
théori.qlle spécifique
qu'elle constitue: document à cataloguer;
instruments et
techniques à décrire ; méthodes et questions à interpréter
concepts à analyser et à critiquer. Cette de~nière tâche seule
confère aux précédentes la dignité d'ilistoire des sciences.
Ironiser sur l' importanc<2 acc'Jrdée aux concepts
est plus aisé
que de comprendre pourquoi sans eux i l n'est pas de science ..• ".
Cette idée a été illustrée par c0'rta.ins de ses trav,lUy. maj curs,
notamment la Forrn,"tion du concept de réflexe aux XVIIe et au
XVIIIe siècles.
Mais ce qu'il convient de retenir dans le cadre de notre
travail, c'esr que C!'.NGUlLIl8H montre, comme COMTE,
les limites
du mode d'exjJo~,ition dogmatique, l'objet de toute épistémo-
logie étant néc,'ssairement historique. Il en donne la preuve
dans la Connaissance de la vie au sujet de l'expérimentation en
biologie où il s'élève contre l'enseignement dogmatique des
théories. Dans une leçon sur la contraction musculaire, dit-il,
un ensei,]nant ëroit avoir réussi son cours, établit expérimen-
talement un fait scientifique,
lorsqu'il a réalisé l'expérience
Classique qui consiste à isoler un muscle dans un vase contenant
de l'eau et à montrer que sous l'effet d'une excitation élec-
trique,
la contracti.on du muscle n'entra!ne aucune variation du
niveau initial du Ijquide.
Il tire ainsi la conclusion de cette
expérience : la contraction est une modification de la forme du
muscle qui n'entraîne pas une variation de son volume.
.../

-
200 -
Mais, remarque CANGUILHEM, "c'est un fait épistémologique
qu'un fait expérimental ainsi enseigné n'a aucun sens b:illlogique.
C'est ainsi et c'est ainsi". Car l'enseignement dogmatique
coupe cette expérience de son origine, de son contexte. Pour
que ce fait ait un sens scientifique véritable, il faut lui
donner une dimension histori'!ue ; il faut remonter au premier
qui ait eu l'idée d'une expérience de cette sorte, c'est-à-dire,
SWi\\MMER[M~1 (1637-1COO) 'lui, contre les théorieo; de source galé-
ni.que et stolcienne du XVIIe siècl.e, av,li.t voul.u établir par
cette démonstrùtion 'lue le muscle qui se contracte n'acquiert
ùucune substance supplémentaire. L'expérience de la contraction
du muscle plongé dans un liquide, considérée isolément de.ce
débat, figée dans une pédagogie anhistorique, perd une grande
partie de sa signification. Toute épistémologie porte sur une
vérité historique. Elle tourne le dos à une pédagogie dogmatique.
Toutefois, la reconnai3sance des inconvénients de l'ordre
dogmatique ne signifie pas pour autant que co~rE privilégie
l'ordre historique. Celni-ci à son tour est lacunaire. "Cette
considération
~ur l'ordre dogmatiqUe~ aurait, à mes yeux;
beaucoup de poids, si elle était réellement un motif en faveur
de l'ordre historique. Mais il est aisé de voir qu'il n'y a
qu'une relation apparente entre étudier une Science en suivant
le mode dit historique, et connaître véritablement l'histoire
effective de cette Science". L' histoire des sciences ne se
réduit donc pas à une exposition chronologique des découvertes.
Les monogr<1phies des disciplines et surtout des inventeurs ne
sont que des découpages <1rbit1.'ai.res qui offusquent l'histoire
réelle des sciences. "C'est pourquoi, tous les documents re-
cueillis jusqu'ici sur l'histoire des mathématiques, de l'astro-
nomie, de la médecine etc ••• quelque précieux qu'ils soient, ne
peuvent être regardés que comme des matériaux." Et il ajoute
plus loin: "Le prétendu ordre ~listoi'ique d'exposition, même
quand il pourrait être suivi rigoureusement pour les détails de
chaque scienCE en particulier, serait déjà purement hypothétique
et abstrait so~s le rBpport le plus important ••• Bien loin de
mettre en éviden<:e la véritable histoire de la science, il
t~ndrait
à en faire concevoir une opinion très fausse"
(1).
Il est, encore lJne fois de plus, intêressant de constater
que CANGUILHEM, pour des raisons différentes, s'attaque égale-
ment à l'histoire des sciences conçue comme une présentation
/
• • •
(l)Cours, op. cit. p. 52.

- 201
-
chronologique dES faits. On peut, dit le philosophe contemporain,
sans trop de dégâts, découper,
selon les périodes de l'histoire
générale,
l'histoire chronologique des instruments et des résul-
tats. On peut même procéder de la sorte lorsqu'il
s'agit de
faire la biographie d'un savant. Mais lorsqu'on veut faire
l'histoire des vérités scientifiques, alors i l faut partir d'un
paramètre autre que l'ordre chronologique traditionnel. "Le
temps de l'histoire des sciences ne saurait être un filet
laté-
ral du cours général du temps
••• Le temps de l'avènement de
la vérité scientifique,
le temps de la véri -
fication,
a une
liquidité ou une viscosité différentes pour les disciplines
différentes aux mêmes périodes de l'histoire générale ••• Ainsi
l'histoire des sciences,
l'histoire du rapport progressif de
l'intelligence à la vérité,
secrète elle-même son temps,
et
elle le fait différemment selon le moment du progrès à partir
du moment o~ elle se donne pour tâche de raviver, dans les
discours théoriques antérieurs, ce que le langage du jour per-
met encore de comprendre"
(1). D'où la critique de la recherche
des précurseurs qui découle de l'alignement de l'histoire de
la science sur la science,
de la
sui)stitution du temps logique
des relations de vérité au temps historique de leur invention.
En un mot, CANGUILHEM pense que le discours sur la
succession chronologique des découvertes scientifiques ne rend
pas compte de l'histoire effective des sciences. Le carctère
lacunaire de ces traités qui prétendent suivre le cours du
temps s'illustre par l' histoi.re du concept de réflexe qui fait
apparaitre des filiations inattendues, bouscule la chronologie
traditionnelle et établit de nouvelles périodisations. Dans la
première partie de cet: ouvrage,
l'auteur établit
~11e, contrai-
rement à ce que serait tentée de soutenir une histoire chrono-
logique,
le concept de réflexe n'est pas apparu dans le domaine
de la biologie"mécaniste"; et que ce concept ne pouvait pas
avoir é té formé par DESCARTES. "La format ion du concept de
réflexe trouvait son princi.pal obstacle dans la physiologie
cartésienne du côté des théories relatives au mouvement des
esprits dans le nerf et dans le muscle. Parce que les esprits
ne jouent de rôle selon lui,
que dans la phase centrifuge de
la déterminab.on du mouvement involontaLre,
parce que le
mou-
vement du cerV,,,é\\u vers le muscle est un mouvement SallS retour,
DESCARTES ne pouvait concevoir
que le transport de quelque .../
(1)Etudes d'Histoire et de philosophie des Sciences, p. 20.

- 202 -
influx de la périphérie vers le centre puisse @tre renvoyé ou
réfléchi ve:t.~_ son point de départ" (1). Moralité : non seu-
lement en aucun moment un tel mouvement n'est-'pensé par DES-
CARTES, mais encore jamais le mot réflexe n'apparaît dans les
textes cartésiens analysés par CANGUILHEM.
Cette théorie est plut8t apparue là oü les historiens
traditionnels l'attendaient le moins:
elle relève d'une phy-
siologie de tendance"vitaliste"qui assimile la vie à la lu-
mière,
et qui par conséquent peut concevoir le concept de
réflexe à l'image du mouvement de réflexion de la lumière.
C'est donc à des noms inconnus ou oubliés: ceux de Thomas
WILLIS de la faculté de médecine à Londres (1621-1675) et.du
Tchécoslovaque G.
PROCHASKA,
professeur d'anatomie (1749-1820)
qu'il faut se référer pour trouver l'origine de ce concept. Et
pour comprendre la cause de cet oubli,
i l faut faire appel à
des données poli tiques,
notammen t
à Duno 1S Raymond qui privi-
légie à Berlin la pensée de Dr:SCARTES dans le but de ternir la
valeur de PROCIlASKI\\.
Mais,
qu'on ne s'y méprenne pas. En montrant que CANGUILHEM
et 1\\. COMTE se rejoignent dans la critique de l'ordre d'exposi-
tion dogmatique et de l'ordre d'exposition historique, nous
n'avons nullement l'intention d'établir qu'ils ont la m~me
conception de l'histoire des sciences. Sous un certàin angle,
les objections que le philosophe contemporain adresse à l'his-
toire chronologique touchent également la conception positiviste
de l'histoire. si COl1'rE n'admet pas totalement la présentation
suivant la filiation des théories, c'est moins parce que cette
filiation est inapte à rendre compte de l'enchaînement réel
des découvertes; c'est moins parce qu'il pense que le temps
des vérités scielltifiques diffère de celui de l'histoire géné-
rale,
que par-ce que cette histoire isole les sciences de l'en-
semble de leurs conditions d'existence.
En d'autres termes, chez COMTE,
l'histoire réelle des
sciences se distinHue de l'exposition historique, chronologique,
des théories scientifiques,
non pas tant parce que la première
bouleverse le temps de la seconde,
que parce que celle-ci est
moins éclairante que celle-L\\. "Le prétendu ordre historique
d'exposition, même quand i l pourrait être suivi rigoureusement
pour les détails de chaque science en particulier, serait déjà
. . .1
(I)La Formation du concept de réflexe, p. 51.

- 203 -
purement hypothétique et abstr~it sous le rapport le plus
important,
en ce qu'il considérerait: le développement de cette
science comme isolé"
(1).
Il n'en est p~s de même de l'histoire réelle des sciences
qui a deux buts essentiels
organiser la science de façon à
en révéler l'unité; faire du développement des sciences une
composante de l'histoire de l'Humanité. Car en fait,
il y a
une correlation entre les diverses sciences d'une part, et
une dépendance entre les progrès des Sciences et le dévelop-
pement des autres sphères d'activité:
industrie, esthétique,
technique, morale. d'autre part. "Il en résulte donc de là
qu'on ne peut connaître la véritable histoire d'une science,
c'est-à-dire la formation réelle des découvertes dont elle se
compose,
qu'en étudiant, d'une manière générale et directe
l'histoire de l'Humanité" (2).
L'histoire réelle des sciences est donc du type de ce que
CANTOR a appelé par la suite "l'histoire de la mathématique",
celle qui mOntre que "le tableau de la vie civilisée sert de
fonds"
sur lequel se dégage les traits fondamentaux de la
science. C'est une histoire très connexe dont aucune mono-
graphie ne peut rendre compte. Et Auguste COMTE T1ense que
seule une Histoire Générale des Sciences peut embrasser tout
le paysage historique d'une science. Elle seule peut révéler
les conditions réelles d'existence d'une science qui se déve-
loppe au milieu aussi bien des techniques, des arts, des
situations économiques et sociales, que des phénomènes cultu-
rels et religieux.
conséquence: connaître vraiment une science, c'est lé'.
connaître par son histoire réelle incluse dans l'Histoire
Générale des Sciences,
elle-m@me composante de l'Histoire
Générale de J' flum;Uli té. Or une tell e connaissance n'est pos-
sible que quand la science a atteint sa maturité, c'est-à-dire,
quand elle n'est plus exposable suivant l'ordre historique.
D'oü cette conclusion un peu paradoxale : L'hi.stoire réelle
d'une science n'est .possible que lorsque Son étude par le mode
d'exposition his\\orique est devenue impossible; ou, ce qui
revient au même, on ne peut faire l'histoire réelle d'une
science que lorsque, par le mode d'exposition dogmatique, on
peut montrer qu'elle constitue avec les autres sciences et ••• 1
(1) Cours, op. cit, p. 52.
(2) ibid. (c'est nous qui soulignons).

-
204 -
les autres sphères d'activi.té un tout unitaire. Mais i l fau-
drait se garder de confondre l'histoire réelle des sciences
et l'exposition des sciences suivant l'ordre dogmatique. La
première "doi t
êl:re conçue comme entièrement séparée de l'étude
propre et dogmatiqLle de la science,
sans laquelle même cette
histoire ne serait pas intelligible".
En dernière analyse, chez COMTE,
l'histoire des sciences
est à l'histoire de l'Humanité ce qu'une contrée importante
est à un vaste continent. Le récit du devenir de la science
ne relève donc pas de l'activité du scientifique pur,
puisque
ce récit échappe à la science telle qu'elle existait avant
l'autellr du C02:~"s. Seul le sociologue,
le scientifique de
l'Humanité,
pel.tt sai';ir véritablement le progrès d'une science
en l'intégrant dans l'histoire des ensembles pratiques et des
formations sociales ; en en faisant une composante de la sci-
ence de l'histoire.
3°) Histoire des sciences '"t histoire de l'Humanité
C'est dans les QI'uscules de jeunesse et non dans le Cours
que nous allons dans un premier temps chercher une illustration
de l'histoire des sciences a1.nsi définie,
c'est-à-dire situant
la science dans
l'ensemble des pratiques sociales,
économiques,
politiques
; et des techniclues.
Dans le Plan des
travaux nécessai.res pour réorganiser la
société COMTE met au jour l'analogie entre la marche de la
science et celle de la société qui n'en est que l'extension
générale. Si l'histoire des sciences n'est qu'une région de
celle de l'Humanité,
la première est également le modèle de la
seconde. Donnons-lui plutôt la parole:
"Ou 'on étudie la fon-
dation du système féodnl et théologique,
révolution absolument
de même nature que celle de l'époque actuelle.
Bien loin que
la const i tution de cC' sys tème ait été produi te d'un seul jet,
elle n'a pris sa forme propre et définitive qu'au onzième siècle,
c'est-à-dire plus de cinq siècles après le triomphe général de
la doctrine chrétienne dans l'Europe Occidentale,
et l'établis-
sement complet des peuples ùu Nord dans l'Empire d'Occident"(1).
Il en est de mQme de la science dont les théories ne
s'imposent pas spontanément aux esprits et dont toutes les im-
plications et les applications des découvertes ne se révèlen~•• /
(1)Plan des travaux nécessaires
.. .., p. 74 •

-
205 -
qu'au fil du temps. ],'examen de la marche d'une Science à
partir d'un nouveau principe dévoile mieux l'analogie entre
l'histoire des Sci.ences et J'histoire génér.lle de l'Humanité.
"Qu'on observe,
en effet,
la manière dont il procède'dans ces
cas amlogues, mais infinimc'nt plus simples. Quand une science
quelconque se reconstitue d'i-,près une théorie nouvelle, déjà
suffisamment prér'arée,
le princi pe général se produit,
se
discute et s'étahlit J'abord; c'est ensuite par un long
enchaînement de travaux qLl'on parvient à former,
pour toutes
les parties de la science, une coordination que personne, à
l'origine, n'aurait été en état de concevoir, pas même l'in-
venteur du principe. C'est ainsi par exemple, qu'après que
NEWTON eut découvert la loi de la gravitation universelle,
il
fallut près d'ull siècle de travaux très difficiles, de la part
de tous les gérnnètres de l'Europe, pour donner à l'astronomie
physique la cons ti tu tion qui devait résulter de cette loi" (1) •
Dans la sommaire ilppréciation de l'ensemble du passé
moderne, COMTE retrilce la marche de la science telle qu'elle
apparaît dans le Cours, mais à la lumière des données écono-
miques et politiques qui ont concouru à son développement. Il
distingue d'abord les deux sortes d'histoires qui constituent
l'histoire générale de l'Humanité,
à savoir, "l'hi :>toire sérielle;'
cel.Le des séries et des progrès, celle que nous avons analysée
au début de la deuxième .partie de ce travail,pour mettre en
relief les rapports entre l'esprit et les autres sphères d'ac-
tivité ; et"l'histoire profonde;' ce]]e des faits réels non ma-
nifestes, donc imperceptibles par les histoires superficielles.
Ces deux types d'histoires concourent à montrer que toutes les
connaissances,
ainsi que toute l'action des hommes,
n'est qu'-
un exercice spontané cle l'esprit positif, c'est-à-dire, une
application des lois de l'histoire;
qu'aucun des secteurs
d'activité ne peut et ne doit @tre pensé séparément
; et que
par conséquent,
l'ordre scientifique comme "l'ordre POlitiqt1e
n'est et ne peut être que l'expression de l'ordre social".
D'où l'ùbsurdité à concevoir isolément l'histoire des sciences,
à faire dériver d'elle les autres mouvements historiques,
sans
montrer qu'elle y reçoit également son impulsion(2).
L'histoire sérielle corrige les lacunes de toutes les
histoires non positivistes, même celles écrites par des penseurs
éminents. Rappelons-nous le reproche que Cm1TE fai t
à MONTESQUIEU
... /
(1)ibid.
(2)ibid, p. 107.

- 206 -
" ••• les faits politiques n'ont pas été vraiment liés par
MONTESQUIEU, comme ils doivent l'être dans toute science
positive. Ils n'ont été que ,rapprochés d'après des vues
hypothétiques, contraire. le plus souvent, à leurs rapports
réels"(1). Dans ces cOllditions, il est impossible de mettre
au jour les rapports entre politique, économie, industrie et
science. L'histoire générale non-positiviste a toujours été
ce que COHT8 a appelé. au sujet de la science, une exposition
suivant l'ordre historique, c'est-à-dire une simple description
chronologique. Parce qu'elle :L~ole, l'histoire des historiens
n'est pas l'histoire réelle de l'Humanité, celle qui englobe
l 'histoire réelle (les sciences. "Tous les ouvrages historiques
écrits jusqu'à ce jour, même les plus recommandables, n'ont eu
essentiellement, et n'ont dQ avoir de toute nécessité, que le
caractère d'annales, c'est-à-dire de description et de disposi-
tion chronologique d'une certaine suite de faits particuliers,
plus ou moins importants et plus ou moins exacts, mais toujours
isolés entre eux" (2).
L'histoir'c profonde, en revanche, retrace la marche réelle
des sciences à partir de l'histoire générale de la société, un
peu sous le modèle de l'analyse qui sera celle de MARX, et qui
situe le système des idées dans le jeu combiné des forces pro-
ductives et des rapports de productions ; de la dialectique
entre la superstructure, la structure et l'infrastructure. Si
les idées de COMTE sur ce point ont eu une destinée bien moins
heureuse que celles de son contemporain, c'est, ce nous semble,
pour une grande part, parce qu'elles étaient prématurées et
enfouies dans les archives de la revue l'Organisateur où elles
ont été présentées, du reste, sous la signature de ST-SIMON.
Soit 1"01' exemple l' histoire réelle des Scien~es au' Moyen-ige
COHTE nous montre d'abord que celle-ci est inséparable de l'his-
toire de l' écollomie de cette époque. "Les meilleurs historiens
qui aient traité de cette époque, dit-il, en ont fait ressortir
un exemple frappant, en indiquant l'action incontestable qu'-
exerça sur ce point la grande extension donnée au commerce, et
conséquemment il la science et à l'industrie, par la découverte
de l'Amérique et ùu passage aux Indes par le Cap de Bonne-Es-
pérance, laquelle était elle-même une suite des progrès des
arts industriels combinés avec ceux des sciences d'observëtion"(3)
• • •
(1)ibid p. 132
(2)ibid p. 168.
(3)Sommaire appréciation •••• p. 62.

- 207 -
L'histoire des sciences de cette époque est également
indissociable de celle des institutions politiques et religi-
euses, de la dynamique sociale due à l'interaction des communes
et des travailleurs.
"Quant au pouvoir temporel, c'est au on-
zième et au douzième siècle ql~' a commencé l'affranchissement
des communes. Quant au pouvoir spirituel, c'est à peu près en
même temps que les sciences positives ont été introduites en
Europe par les Arabes"
(').
Du XIe au XIVe sièCle,
l'on assiste à un privilège de la
connaissance scie'ltifique qui devient l'arme des travailleurs
contre les seigneurs,
qui sert de fondement idéologique au
mouvemen t communal,
lui-même f é\\Vorisé par l'essor de l'industrie,
l'expansion économique et l'action des corporations. C'est
ainsi que "chaque capacité a combattu corps à corps le pouvoir
correspondan t,
et (ce qui méri te d'être remln'qué) dans les
raisonnements employés alors par la capacité scientifique pour
renverser les doc trin 'èS théo log iques, c'est dans la théologie
elle-même qu'elle se regarda d'abord comme obligée de prendre
ses bases, ou dU moins elle se crût obligée de les accommoder
à la manière théologique" (2). On comprend ainsi mieux pourqUOI
les connaissances scientifiques de cette époque furent entachées
des considérations non scientifiques que la science a élagué
progressivement,
et que l'épistémologie du type bachelardien
s'est efforcée d'extirper. Ces données nous éclairent également
sur l'analogie entre mouvements politiques et considérations
scientifiques : de même que 1 es communes,
au I~oyen-Age s'étaient
mises, en Angleterre du côté des Lords contre les rois,
et qu'en
France elles s'étaient associées à la royauté contre la féoda-
l i t é ; de même les sav,1nts de cette époque employèrent le dis-
cours théologique pour l~ présentation de leurs théories,
tan-
dis que les philosophes, G/\\SSENDI et HALEBRANCHE notamment,
s'efforcèrent de rapprocher raison et foi,
science et religion.
La lutte des communes
contre l'autorité,
celle des capa-
cités scientifiques et industrielles contre les pouvoirs tempo-
rels et spirituels,
telles sont les données politiques et soci-
ales auxquelles i l faut ramener les premiers pas de l'activité
scientifique car,
"ne pouvanl: songer à rentrer en partage de
l'autorité, ni m~me à se soustraire au despotisme collectif,
les communes ne tiendront qu'à profiter du degré de liberté
individuelle qu'elles avaient obtenu, pour développer le plus
/
• • •
(1)ibid, p. 44.
(2)i.bid, p. 61.

- 208 -
possible la capacité industrielle et la capacité scienti-
fique"
(1).
Enfin,
la sécuralisation de la science po~itive à cette
époque est à met tre à l'actif de l'affranchissement des communes,
affranchissement grâce auquel les hommes de sciences et les
masses populaires, dans le souci commun de transformer la
nature afin d'en devenir "maîtres et possesseurs", vont
s'efforcer,
les uns de connaître les lois des phénomènes
naturels,
les autres d'appliquer les théories découvertes
par les premiers à la production des objets nécessaires, utiles
ou agréables. L'action des communes est donc,
pour une grande
part,
explicative de l'extension des connaissances positives,
et de l'impact de l'esprit positif sur les consciences,
lequel
se manifeste par le rejet de l'autorité. C'est pourquoi l'épo-
que où les connaissances ont commencé à devenir vraiment posi-
tive "doit @tre rapportée à BACON, qui a donné le premier
signal de cette grande révolution
; à GALILEE,
son contemporain,
qui en a donné le premier exemple,
et enfin à DESCARTES. qui
a irrévocablement détruit dans les esprits le joug de l'auto-
rité en matière scientifique"
(2).
Dans la vingtième leçon du Cours, c'est à l'histoire des
instruments qu'est subordonnée,
ou du moins corrélée,
l'his-
toire de la mesure des allgles en astronomie. Le développement
de cette mesure "est relatif au perfectionnement des ins-
tn,men ts". Les as tronomes du Hoyen-Age qui employaien t des
instruments gigantesques ne sont parvenus qu'à de piètres
résultats. Pour que se précise la mesure des angles en astro-
nomie,
et que par conséquent cette Science à la suite de
l'impulsion de NE:VlTON se hisse pu rang des sciences positives,
i~_ a fallu que Jean-Baptiste HORIN (1585-1656) remplace les
alidades et les pinnules des astronomes arabGs
par le téles-
cope. Cette mesure se précisera davantage,
trente ans plus
tard, grâce au réticule de Adrien AUZOUT (1622-1691)
qui permet
de définir et de déterminer la ligne de visée.
Enfin en
1757, John DOLLOND (1706-1761) mettra au point le premier ob-
jectif achromatique par association d'une lentille convexe de
flint et d'une lentille concave de crown afin d'augmenter
sensiblement la netteté des observations astronomiques.
. . .1
(1) ibid,
p. 81.
(2)
ibid,
p. 93.

-
209 -
Il convient de souligner que cette conception de l'his-
toire des sciences est très actuelle et trouve ses défenseurs,
implicites ou explicites, parmi de nombreux épistémologues
contemporains. A ce propos, nous ne trouvons mieux à faire
que de renvoyer le lecteur à l'ouvrage de G. CANGUILHEM :
Idéologie et rationalité dans l'histoire des science~ de la
vie ou à celui de J. P. CIl AUBON ; Découvertes scientifiques
~.pensée POlitique au XIXe siècle. Tout le monde conviendra
toutefois avec nous qu'on ne peut comprendre réellement l'en-
treprise scientifique de LYSSENKO qu'à la lumière du stali-
nisme ; que les noms de certains produits scientifiques sont
liés à des faits POlitiques; ']ue le blocage ou le progrès
de certains procédés scientifiques sont fonction
des valeurs
éthiques (la vivisection ou l'insémination artificielle du
spermatozoïde dans le vagin par exemple)
et que l'essor de
la science contemporaine dépend des progrès techniques et
technologiques,
eux-mêmes 11<'>s à la concurrence entre les
deux blocs. C'est donc établi:
J.'histoire réelle des sciences
est une composante de la science de l'histoire ou la "physique
sociale" •

-
210 -
Chapitre VII:L'HISTOIRE DES SCIENCES FONDAMEN'rALES
Nous pensons ê\\voir suffisamment défini le ,hamp et la
méthode d'investigation de l'histoire posLtiViste des sciences,
méthode clont nous avons présenté l'illustration'
peut-ê-tre un
peu trop succinctement -
telle qu'elle apparatt dans les travaux
mineurs de COMTE. Mais si la finalité principale de l'étude de
l'histoire des sciences est la connaissance de la méthode posi-
tive universelle à appliquer à l'étude des faits sociaux, c'est
clans l'examen des sciences fondamentales que COHTE pense avoir
le plus de chance de découvrir les différentes composantes de
cette méthode.
"Nous considérons donc avec beaucoup de soin
l'histoire réelle des sciences fondamentales qui vont ê-tre le
sujet de nos méditations"
(1), Car "la méthode positive univer-
selle, malgré son invariabilité nécessaire, ne saurait ê-tre vrai-
ment connue,
sous tous ses aspects importants,
que par l'examen
approfondi de to~s les divers éléments de la hiérarchie scienti-
fique ; car chacun d'eux possède,
par sa nature,
la propriété
exclusive d',l développer spécialement chacun des grands procédés
logiques dont la méthode est composée"
(2). Nous consignerons
donc dans les lignes qui vont suivre quelques considérations sur
l' histoire réelle de" scienc("s fonclamentales
, obj et des six
tomes du Cours de philosophie positive.
Certes, nous nous exposons àdeux objections principales:
a) En réalité, ces volumes traitent beaucoup plus de la philosophie
des sciences que de l'histoire des sciences(3)~ ~n d'autres
.../
(1)
PhilOSophi~_l~remiè~r:.~, Ilermann, 1975, t J. 2e leçon, p.52-53.
(2) ibid, T I l l , 40e leçon.
(3) A. Comte écrit au sujet du premier volume du Cours "le carac-
tère général de cet ouvrage est essentiellement dogmatique"
cf. 27e leçon, p. 435
(note); Cela n'empêche qu'il s'appuie
sur l'histoire des sciences. Car "c'est surtout pour avoir
voulu isoler ces deux aspects indivisibles d'une mê-me pensée
fondamentale que (les espr.its d'une haute portée,
très instruits
d'ailleurs dans les principales sciences naturelles, se sont
néanmoins OCCUI)és avec si peu d'efficacité de la philosophie
des sciences,
et n'ont abouti qu'à produire de vains systèmes
de classifications scientifiques, fondés sur les considérations
essentiellement ùTbitraires,
et qui,
dans leur ensemble, sont
aussi radicalenent illusoires et éphémères que presque tous
ceux journellement constrHÎ.ts par les encyclopédistes méta-
physiciens les plus dépourvus de toutes connaissances positives,
H. Ampère vient cl' en donner un illustre exemple,
malheureusement
irrécusable
par son Essai sur la philosophie des Sciences:'
28e leçon,
note, p. 4~

- 211 -
termes, ,10US nous engageons à exposer une épistémologie his-
,"
torique et non llne histoire épistémologique.
,1
b) Notre travail à ce niveau risque d'être un doublet inutile
~
des commentaires de nos maîtres, tant il est vrai que cette
partie de l'oeuvre de COMTE a souvent fait l'objet d'une
attention pi\\rticul:i.ère, voire 'èxclusive. Paul T/\\NNERY, Lucien
LEVY - BRUHL et beaucoup d' illl tres encore lui ont consacré chacun
des études assez exhal1stivos. /\\ ces deux objections nous répon-
dons: a) Dilns l'oouvre de COMTE, science et histoire sont deux
notions connexes : la philosophie des sciences, c; est en même
"
temps celle des sciences selon leur histoire . .'·
b) Une lecture
n'en empêche pas une autre, pour peu qu' on se si tue sous un
nngle nouveau. Les nouvelles théories dérivent moins de l'ana-
lyse de nouveaux ol)jets que de l'originalité des questions
posées et des méthodes adoptées.
Qu'il nous soit donc permis de solliciter les textes de
COMTE; qui illustrent sa pratique de l'histoire des sciences fonda-
mentales, textes que nous éclairerons à la lumière des travaux
d'épistémolO~ueg contemporains. /\\ cet effet, nous passerons en
,,,,
revue chacune des sciences suivant l'ordre de leur succession à
savoir: la mathématique, ],'astronomie, la physique, la chimie,
'.
la biologie et la socololagic (objet des trois derniers volumes du
Cours).
1°)
La mathématique (1)
a) J.a mathématique, la plus ancienne, la plus parfaite et
la plus abstraite de toutes les sciences fondamentales est
celle par laquelle la philosophie positive a commencé à se
former. /\\yant comporté de tous les temps la méthode positive
elle n'est sortie de sa préhistoire pour se constituer véri-
tablement qu' avec LEIBNITZ et NEI-ITON après la' grande impulsion
de DESC/\\RTES. "/\\ la vérité, c'est seulement au commencement
du siècle dernier que les diverses conceptions fondamentales
qui constituEllt cette grande science ont pris chacune assez de
développement pour que le véritable esprit de l'ensemble pût
se manifester clairement"
(2)
. .. 1
(1)"J'emploierai souvent cette expression au singulier, note
Auguste Comte, comme l'a proposé Condorcet, afin d'indiquer
avec plus d'énergie l'esprit d'unité dans lequel je conçois
la science". Philosophie première, p. 66.
('~)ibjd, p. 65,

- 212 -
Au ,noment o~ COMTE entreprIt d'écrire sa philosophie
mathématique,
plusieurs théories faisaient époque. LAGRANGE
(1736-1813) était revenu, dès 1785 par ses Recherches d'analyse
indéterminée, en 1798, par un ~ssai sur la théorie des nombres
et par la Théorie des fonctions analytiques, aux spéculations
antiques et pythagorIciennes, sur ce qu'on appelle la science pure
des nombres,
laquelle Ile se confond ni avec l'alg~bre, ni avec
l'arithmétique proprement dIte. Gaspard MONGE (1746-1818) avait
mis sur pied les fondements de la géonlétrie desc~lptlve. Héritier
d'EULER et ~récurseur de GAUSS, d'ABEL et de JACOBI, LEGENDRE
s'était illustré par ses travaux sur l'intégration de quelques
équations aux différentielles partielles (1787), sur les trans-
cendantes elliptigues (1793). La cOllception comtlste des mathé-
matiques se présente comme un bilan de l'ensemble des poInts de
vue de toute cette génération précédente.
Depui s i\\fUSTO'l'E,
la ma 1;IH'iBllatique
a été déJinie comme
étant"la sciènce des~andeurs, ou, ce qui est plus positif, la
scIence qui a pOUl' ob;jet la mesure des grandeurs"
(1). COMTE
reproche à la scolastique l'ilnportance qu'elle accorde en mathé-
matique à la notion de ~esure.Car celle-ci fait penser générale-
ment à la comparaison i,nmédiate de plusIeurs grandeul's à partir
d'une grandeur prise pour ullité. Or, nous dit COMTE,
la mathéma-
tique ne s'est réellement Jorlnée qu'à partir du moment o~,
reconnaissant la difficulté,
voire l'impossibilité, de toujours
superposer les objets de notre cOllnalssance,
l'esprit humain a
renoncé à la mesure directe des grandeurs pour se tourner vers
la recherche de leurs relati2!:!.~. Tel est l'objet précis de la
mathématique.
"Nous sommes donc parvenus maintenant à définir
avec exactitude la scIence Inathématique, en lui assignant pour
but la mesure indirecte des g~andeurs, et disant qu'on s'y propose
constammen t de dé tet'miner les~andeurs les unes par les au tres,
d·'après les relations pt'écis.es gui existent entre elles"
(2).
La science mathématique se divise en deux parties fondamen-
tales : la mathématique concr~te et la mathématique abstraite:
1 0) Mathématique concr_~te
2°) Mathélnatique abstraite
ou générale
ou spéciale
Q~~~~~~!! (synt~étique, analytiqlJe) Calcul (arithmétique,
et ~~9~~!9~~
(statique, dynamique) ------
algèbre, analyse)
Objet: relations des pllénolnènes.
Objet: équations numériques .
. . . 1
(1) ibid, p. 66.
(2) ibid, p. 70.

- 213 -
En effet, réfléchir sur la philosophie mathématique de
COMTE, c'est avant tout saisir la relation de l'a.bstrait et
du concret. N~e de l'art de la mesure des grandeurs - des
besoins de l'arpentage pour la géométrie et de la nécessité
d'utiliser la force motrice pour la mécanique -
la mathéma-
tique concrè te a pour obj et les phénomènes observés : tandis
que la partie abstraite,
simple "organon", s'élevant au-dessus
des objets directement observés, s'attache à la détermination
des relations numériques.
Ce qui caractérise les recherches de la mathématique
abstraite, c'est qu'elles portent sur des"équations: à condi-
tion de bien définir cette dernière notion. Par équation on
entend souvent toute sorte de relation d'égalité entre deux
fonctions quelconques de grandeurs considérées. Mais s ' i l est
indéniable que toute équation est une relation d'égalité,
il
faut reconnattre que toute relation d'égalité n'est pas néces-
sairement une véritable équation. Il n'y a équation réelle
que pour des fonctions abstraites. On pourra donc "désormais
définir, d'une manière exacte et suffisamment approfondie,
toute équation: une relation d'égalité entre deux fonctions
abstraites de grandeurs considérées"
(1).
Ainsi se dessine clairement la différence entre l'abstrait
et le concret
: "lLE!'ior~,
les fonctions que j'appelle abs=
traites sont celles qui expriment entre des grandeurs un mode
de dépendance qu'on peut concevoir uniquement entre nombres,
sans qu'il soi t besoin d'indiquer aucun phénomène quelconque
oü il se trouve réalisé. Je nomme au contraire, fonctions
concrètes celJ.es pour lesquelles le mode de dépendance exprimé
ne peut @tre défini ni conçu qu'en assignant un cas physique
déterminé, géométrique, mécanique, ou de tout autre nature,
dans lequel il ait eff'ë'ctivement lieu"
(2).
Historiquement, depuis DESCARTES,
les progrès de la par-
tie abstraite ont été souvent dus au développement de la par-
tie concrète. Les m,'l thérnati.'jues trouvent leur racine dans les
phénomènes empiricl"P5. La notion de cercle,
l'idee de point ou
de ligne n'étaient,
à l'origine, que des fonctions concrètes.
COMTE procède minu tieusemen t à l'analyse et à la défini tion de
chacune des subdivisions des deux grandes branches de la sci-
ence mathématique. Il distingue d'abord le calcul et l'algèbre
••
(1) 4e leçon,
p. 85.
(2) ibid.

-
214 -
" ••• l'algèbre peut se définir, en général, comme ayant pour
objet la résolution des équations", tandis que"l'arithmétique
peut @tre définie comme destinée à l'évaluation des fonctions.
Puis il présente la géométrie comme n'étant ni "la science
de l'étendue", ni "la mesure de l'étendue", mais comme ayant
pour objet de ramener toutes les comparaisons des figures à
des comparaisons de lignes droites. En d'autres termes, "on
peut se formej~ une idée très nette de la science géométrique,
conçue dans son ensemble, en lui assignant pour destination
générale de réduire finalement les comparaisons de toutes
les espèces d'étendue, volumes, surfaces ou lignes, à de
simples comparaisons de lignes droites ••• " (1). Quant à
la mécanique, encore sous l'emprise de la métaphysique, son
objet n'est pas la force, c'est-à-dire la cause du mouvement,
mais le mouvement ,c'est-à-dire l'effet de la force dont elle
cherche les lois. Elle se sllbdivise en statique et en dyna-
mique.
b) Nous n'entrerons pas davantage dans les
détails épis-
témologiques au risque de nous écarter de l'objet de notre
préoccupation. Mettons surtout l'accent sur l'analyse histo-
rique.
Elle se retrouve à tous les niveaux, et comme une appli-
cation des orientations, des grandes lignes,définies"dans la
deuxième leçon que COHTE rappelle, du reste, par moments,
no tammen t au suj et des liens entre la méthocle géométrique des
anciens et celle des modernes: "Je ne dois point, à ce sujet,
tenir compte ici des avantages que peut présenter cette ex-
tension habituelle ae la méthode géométrique des anciens all-
delà de la destination nécessaire qui lui est propre, par la
connaissance plus profonde qu'on acquiert ainsi de cette mé-
thode, et par lil comparaison instructive qui en résulte avec
la méthode moderne. Ce sont là des qualités qui, dans l'étude
d'une science quelconque, apPilrtiennent à la marche que nous
avons nommée historique, et auxquelles il faut savoir renoncer
franchement, quand on a bien reconnu la nécessité de suivre
la marche vraiment doomatiql,e. Après avoir conçu toutes les
parties d'une science de la manière la plus rationnelle, nous
savons combien il importe, pour compléter cette éducation;
d'étudier l'histoire de la science, et par conséquent, de
comparer exactement les diverses méthodes que l'esprit humain
.../
(1)
10e leçon, op. cit, p. 160.

-
215 -
a successivement empJoyées ; mais ces deux séries d'études
doivent ~tre, en général, comme nous J'avons vu, soigneusement
séparées: Cependant, dans·le cas dont il's"~git ici, la méthode
géométrique des modernes est peut-être encore trop récente
pour qu'il ne convienne pas, afin de la mieux caractériser par
la comparaison, de traiter d'abord, suivant la méthode des
anciens, certaines questions qui, par leur nature, doivent
rentrer rationnellement dans la géométrie moderne" (1).
Par exeJ,'ple, c'est par un aperçu sur l'histoire générale
du calcul des fonc tions indirec tes que COMTE nous in trodui t
à"l'analyse transcendantale" en mathématique. Il trouve d'abord
son premier germe dans le procédé employé par les géomètres
grecs sous le nom de "méthode d'exhaustion", sans pour autant
faire des anciens les "précurseurs" des modernes. Car "quelque
incontestable que soit cette filiation des
idées, on lui
donnerait une importance fort exagérée, en voyant dans cette
méthode d'exhaustion l'équivalent réel de nos m§thodes modernes,
comme l'ont fait plusieurs géomètres"
(2). Car les solutions
des anciens, faute de moyens rationnels pour la détennination
des limites des relations primitives, n'étaient pas soumises
à des règles abstraites et invariables.
C'est au géomètre f'ERt1AT que revient le mérite, grâce à
sa méthode des maxima et des minima, d'avoir ébauché la for-
mation véritable de l'analyse transcendantale, s~lr une base
abstraite. Mais avec cet auteur, l'analyse était encore dans
le flou des termes et des notations. Après quelques modifi-
cations apportées à la conception de PERMAT par WALLIS et
surtout BARROW, on est arrivé à la conception positive du cal-
cul infinitésimal dont les grandes bases ont été définies
simultanément, mais séparément, par LEIBNITZ et NEWTON. Enfin,
l'analyse transcendantale trouvera sa forme la plus haute et
la plus pure dans la théorie de LAGRANGE qui en fait un système
purement algébrique.
/
• • •
(1) 11e leçon, 1'.173.
(2) 6e leçon, p. 10[3. U
serait intéressant de lire les remarques
d'Alexandre Koyré et celles de G. Cangtlilh em au suj et de la
recherche des l:E.~.curseur:§. en h:i.s toire des sciences.

- 216 -
-1
·-i
'1
Mais,
à dire vral, dans l'ensemble de la philosophie
mathématique de COMTE,
les analyses historiques Sllr les
mathémiltiques pures (calcul et géométrie)
sont non seulement
insuffisantes, mais encore d'une faiblesse notoire. C'est
ainsi 'Ille M. SERRES note à.maintes reprises cette carence
dans des formules cOllllIIe : "L'inFormation historique de COMTE
n'est pas sûre" ou,
à propos de la six'ième leçon :
"On a
remarqué dans
tout l'exposé qui
précède,
l'absence totale de
toute information historique sur l'oeuvre de LEIBNITZ. Le
texte est plutGt dogmatique ou pédagogique".
Commentant ses analyses sur les théories de MONGE et de
LAGRANGE, M. SERRES écrit
: "Autant A. COMTE a raison de dé-
signer la classification comme un horizon possible de telle
discipline pré::ise et de toute science en général,
autant
l'histoire lui donne tort Sltr les principes où il fonde ses
espoirs,
en ma théma tique. Ces pri ncipes se trouven t chez les
savants cont~nporains du type GALOIS ou ABEL"
et non chez les
au teurs de référence,
LAGRANGE ou 1-IONGE. Ces derniers forment
1
. ,
"
,
des bilans d'une science antérieure,
les premiers dégagent des
concepts pour un bilan à venir. Les quatorze premières leçons
du Cours marquent la fin de la science Classique et sont,
en
partie, responsables de son prolongement dans l'enseignement
universitaire.
Elles sont un cimetière:
l'humanité,
là aussi,
est faite de plus de morts que de vivants.
Or la science a,
aussi,
retourné cet aphorisme:
i l y a plus de savants en exer-
~,
cice, désormais, qlJt~u tonllJeau l1 (1).
c)
En revanche,
les analyses historiques sur la mécanique
1
sont à la fois plus abondantes et plus précises, même s ' i l
reprend le plus souvent,de son aveu, des exposés déjà faits
par LAGRANGE,
notamment dJ.né, sa Mécanique analytique (2). C'est
ainsi que, après avoir distingué les deux parties essentielles
de la mécanique,
i l justifie sa théorie par l'histoire géné~
raIe dont le principe consiste à partir du simple au complexe,
de la statique d'ARCIIINE:DE il la dynamique de GALILEE.
"L'impor-
tance de cette division, dit-il, est bien vérifiée par l'his-
toire générale du développement effectif de l'esprit humain •••• / ..
(1) 4e leçon, voir note 18,
p. 225.
(2)
"On peut suivre,
dans la Mécanique analytique,
l'histoire
générale de cette série de travallx,
que l,agrange a présentée
d'une manière si profondément intéressante pour l'étude de la
marche progressive de l'esprit humain". 17e leçon,
p. 277.

-
217 -
Nous voyons/en effet,
que les anciens avaient acquis quelques
connaissances fondamentales très essentielles relatives à
l'équilibre,
soit des solides,
soit des fluides.
comme on le
voit surtout par les belles recherches d'ARCHIM8D8,
quoiqu'ils
fussent encore fort éloignés de posséder une statique ration-
nelle vraiment complète. Au contraire,
ils ignoraient entière-
ment la dynamique, même la
p:tus élémentaire;
la première
création de cette Science toute moderne est due 21 GALILEE"(1).
Résumant la onzième partie de la Mécanique analvtique,
A. COMTE montre que la mécauique s'est développée selon trois
stades:
a) D'abord la fondation de la statique par ARCHIMEDE
et STEVIN;
le premier par la recherche de la conditiond'équi-
libre de deux poids suspendus aux deux extrémités d'un levier,
et par sa théorie : "tout corps plongé dans un fluide perd une
partie de scn poids égale al"
poids du fluide déplacé";
le
second par sa théorie relative à l'équilibre du système de deux
poids,
posés 'lllI' deux plans inclinés. b) Puis vient la dyna-
mi que fondée ~"or GALILlôE don t la méthode permi t à VARIGNON de
découvrir la théorie de l'équilibre des forces appliquées en
un même point
; et à d' AL E:MI3 F;RT de concevoir le principe qui
porte son nom. c)
Et enfin appaI'a7t la théorie de LAGRANGE où
la statique fonde la dynamique.
Après cet aperçu sur l'histoire de la mécanique en général,
COMTE revient sur l'histoire de la dynamique qui correspond,
à
ses ye)1x,
à l'histoire générale du principe de d'ALEHBERT (2).
Ce principe fut d'abord entrevu par Jacques BERNOULLI, mais
son véritable germe se trouve dans la seconde loi du mouvement
de NEWTON présentée sous le nom "d'égalité de la réaction à
l'action". Fuis le contenu (lu Traité de dynamique de d'ALEHBERT
fut réaménagé par IIEI<J.1MIN,
et surtout pClr EULER.
Enfin LAGRANGE
combine dynalnique et statiqlle,
le principe de d'~LEMBERT et le
principe des vitesses virtuelles.
"Telle est la combinaison
conçue par LAGRANGE,
et
si admirablement développée dans sa
Mécanique analytique,
qui
a élevé la science générale de la
mécanique abstraite au plus haut degré de perfection que l'es-
prit humain puisse ambitionner sous le rapport logique ••• "(3)
. . .1
(1) ibid,
p. 2T1.
(2)
"Le principe de d' ALE~lBERT consiste proprement en ce que •••
les quantités de mouvement perdues ou gagnées par les différents
corps du système dans leur réaction,
se font nécessairement
équilibre •••• ". ne leçon,
p. 278.
(3) ibid,
p. 279.

-
218 -
Ce recours constant à l'histoire pour distinguer et
élucider les différentes parties de la mécanique, et la pré-
cision plus ou moins grande des renseignements, donnent à
penser, comme le note SERRES, que, dans l'ensemble de sa phi-
losophie mathématiqlJe, "COMTE semble mieux averti de la méca-
nique, et de son histoire, que des mathématiques et de la leur".
d) En effet, nous ne saurons terminer cet exposé sur la
pensée mathémati'iue sans dire un mot sur le calcul des proba-
bilités auquel l'auteur n'a fait aucune mention dans ce premier
volume, et qui est à l'origine de beaucoup de philippiques
contre lui. Dans la vingt-septième leçon (deuxième volume),
après avoir montré que ces "préjugés des chances" ont été
d'abord conçus par Daniel BERNOULLI, et "péniblement complétée
ensuite par LAPLACE", il ajoute une note qui mérité d'être
présentée, telle qu'elle, aux yeux dlJ lecteur, parce que se
passant de commentaire : "Depuis la publication du premier
volume de cet ouvrage, plusieurs bons esprits m'ayant demandé
pourquoi, en y traitant de la philosophie mathématique, je
n' avais nulh~nent considéré l'analyse des probabilités, je
crois devoir indiquer ici sommairement, mais avec franchise,
mon principal motif à ce suj et.
..............
.
.
"Le calcul des probabilités ne me semble avoir été réellement,
pour ses illustres inventeurs, qu'un texte commode à d'ingé-
ni eux el: cl if fici les problèmes numériques, qui n'en conserven t
pas moins toute leur valeur abstraite, comme des théories
analytiques dont il a été ensuite l'occasion, ou, si l'on veut,
l'origine. Quant à la conception philosophique sur laquelle
repose une telle doctrine, je la crois radicalement fausse et
susceptible de conduire aux plus lourdes conséquences. Je ne
parle pas seulement d(O l' ilppl:i.cation évidemment illusoire
qu'on a souvent tenté d'en faire au prétendu perfectionnement
des sciences sociales: ces essais nécessairement chimériques,
seront caractérisés dans la dernière partie de c~t ouvrage.
C'est la notion fOlldamentale de probabilité évaluée, qui me
semble directement irrationnelle et même sophistique : je la
regarde comme essentiellement impropre à régler notre conduite
en aucun cas, si ce n'est tout au plus dans le jeu
de hasard.
Elle nous amènerait habituellement, dans la pratique, à rejeter,
comme numériquement invraisemblables, des évènements qui vont
pourtant s'accomplir. On s'y proposE" le problème insoluble .../

- 219 -
de suppléer à la suspension du jugement,
si nécessaire en
tant d'occasions.
Les applications utiles qui semblent lui
être dues,
le simple bon sens, dont cette doctrine a souvent
faussé les aperçus,
les avait toujours clairement indiquées
d'avance.
"Ouoique ces assertions soient purement négatives,
je reconnais
aujourd'hui qu'elles ont trop d'utilité pratique pour que je
ne doive pas consacrer à cette discussion une leçon spéciale
dans ma Philosophi.e mathématique,
si jamais cet ouvrage comporte
une seconde édition"
Cl).
Mais queJ.les que soient les imperfections de sa pensée,
quels que soient les démentis que l'histoire moderne appor-
tera à certaines de ses vues,
i l demeure que COMTE a réalisé
une synthèse monumentale de la science mathématique de son
époque,
synthèse présentée à travers le paysage historique de
cette Science. C'est également sur un fonds historique qu'il
peint le tableau de l'astronomie cont<:>mporaine.
2°) L'astronomie
Si au XIXe siècle,
les mathématiciens français ont laissé à
l'histoire des noms comme LAGRANGE, D'ALEMl]r:RT, MONGE,
LEGENDRE,
GALOIS,
les astronolnes ne leur cèdent en rien et soutiennent
avec eux une légitime comparaison quant à ce qui concerne leur
influence sur l'histoire positiviste des sciences. Les travaux
de LAPLACE sont à l'astronomie française de cette époque ce
que la théorie de N8'tlTON est à la mécanique céleste.
Ils sont
consignés dans l ' E:xposi tion du Système du monde (1796) et
dans le Traité de mécanique céleste publié en cinq parties de
1799 à 1825. D'autres penseurs faisaient également figure de
proue. On sait que c'est à cette époque que BRISON préconisa
qll'on choisisse comme unité de poids,
le poids d'un volume
déterminé d'or,
d'argent ou d'eau distillée,
et que la dernière
fut adoptée. On sait également que c'est à la suite des me-
sures effectuées par ~lECI1AlN, de I10cJez <'l Barcelone, et par
DELAMBRE:, de Dunkerqne à Rodez.,
(lu'une commission présidée par
LAPLACE déposa aux Archives l'étalon de platine de la mesure
appelée mètre sur prol'osition du député PIllEUX. Aussi l'his-
toire comtiste de l'astronomie mettra-t-elle l'accent sur le
développement de la mesure du poids, du volume, du temps et
des angles.
.../
(1) 27e leçon, p. 435.

- 220 -
t
aux mathématiques dans l'ordre encyclopédique,
l'astronomie se l'lace en tête des sciences naturelles, et
aurai t même pu prét endre il la" présidence"des sc-;.ences posi-
tives si ce poste n'était convoité par l'histoire et la socio-
logie. Toujours est-il 'Ive "l'astronomie est unanimement
placée aujourd'hui il la tête des sciences naturelles. Elle
mérite cette suprématie,
1°) par le perfectionnement de son
caractère scientifique; 2°) par l'importance prépondérante
des lois qu'elle nous dévoile"
(1).
"Application des mathématiques au cas céleste", elle a
pour mérite essentiel d'avoir habitué l'esprit humain à ob-
server,
en se plaçant au dehors des êtres entièrement indé-
pendants de lui
; et aussi d'avoir pour la première fois
imposé à l'esprit le spectacle d'un ordre et d'une constance.
Elle est la science qui mérite l'attribut de "réel" en ce sens
qu'elle n'est ni purement empirique, ni purement abstraite et
formelle. 'l'out en gardarlt les vertus de la mathématique,
elle
ajoute quelque chose de plus il la méthode positive:
l'obser-
vation. Car, qu'est-ce qu'un fait astronomique? "rien autre
chose habituellement que:
tel astre a été vu à tel instant
précis et sous tel an91e bien mesuré".
Vobservation se compose de trois procédés différents:
la constatation directe des phénomènes tels qu'ils se présen-
tent naturellement, c'est-à-dire,
l'observation proprement
dite ; un examen du phénomène provoqué artificiellement pour
faciliter l'exploration, c'est-à-dire, l'expérience;
et
enfin la comEilraison. Tandis que la physique et la chimie
utilisent ces trois procédés il la fois,
l'astronomie ne se
sert que du premier,
l'expérience (ici au sens d'expérimen-
tatioll) et la comparaison directe sur les astres étant impos-
sibles. C'est grâce à la combinaison de ce procédé et de l'éla-
boration mathématique qu'on obtient des lois exactes et ration-
nelles sur l'état de notre système à une époque donnée;
qu'on
peut prévoir avec une certaine précision, par quelques calculs
trigonométriques ou par des procédés graphiques, une éclipse,
ou tout simplement,
l'instant du lever du soleil. "Aucune par-
tie de la philosophie naturelle ne peut manifester avec plus
de force la vérité de cet axiome fondamental
: toute science
a pour but la prévoyance,
qui distingue la science réelle de
la simple érudition"
(2),
la science positive des spéculations
" .",
(1) 1912 leçon,
p. 306.
(2)
ibid,
p. 308.

-
221
-
théologico-métaphysiques.
Toute science dérivant de celles qui la précèdent,
l'astronomie, ma] gré son priv:i.lège de l'observation et son
usage des hypothèses au sens scientifique du terme, dépend
de la géométrie et de la mécanique,
non de la physique ou de
la chimie. D'o~ ces deux parties essentielles: l'astronomie
géométrique ou ~ométrie céleste et l'astronomie mécanique ou
la mécanique céleste. "D'après les considérations précédentes,
je crois donc pouvoir définir l'astronomie avec précision,
et
néanmoins d'une Inanière assez large,
en lui assignant pour
objet de découvrir les lois des phénomènes géométriques et des
phénomènes mécaniques que nous présentent les corps célestes"(l)
En effet,
l'astronomie n'a pas vu le jour avec les obser-
vations faites par "les prêtres d'Egypte ou de la Chaldée"
sur le ciel. Elle n'a pris naissance qu'avec les premiers
philosophes grecs .Son fondateur es t
"le grand HIPPARQUE"
(160-
120 av. ].C.?) qui,
selon S'l'RAHON,
aurait utilisé le premier
les longitudes terrestres,
et les latitudes,
c'est-à-dire,
les climats; et 'lui selon P'l'OJ,EMEE,
aurait déterminé les
longitudes par l'oi)servation des éclipses de lunes,
et les
latitudes par la constitution des tables donnant la longueur
des mêridiens (2). Mais l'astronomie n'est devenue positive
qu'avec NE\\-lTON dont la loi est en astronomie ce que le prin-
cipe de LAGRANGE: est en nlécanique. Somme toute,
"aujourd'hui,
pour les esprits familiarisés de bonne heure avec la vraie
philosophie astronomique,
les cieux ne racontent plus d'autre
gloire que celle d'HIPPARQUE, de KEPL!~R, de NEWTON,
et de tous
ceux qui on·:: concouru à en établir les lois"
(3);
LAPLACE,
DELAMBRE,
LACAULE,
SAVARY •••
La vingtième leçon du Cours est une véritable épistémo-
logie historique de l'observation et de la connaissance appro-
chée. Deux ordres de faits ont concouru au perfectionnement
des connaissances astronomiques:
le perf·ectionllement des
instruments et la rectification successive des idées erronées.
a)
Le premier instrument ayant été,
dans l'antiquité
grecque; d'un précieux secours pour l'investig~tion astrono-
mique, C'E5t le .8l1omon qui servait,
à partir des ombres solaires
. . .1
(1) ibid, p. 303.
(2) D'aucuns attribuent cette dernière découverte à Thalès.
(3)
ibid, p.
305.

- 222 -
et lunaires,
à évaluer aussi bien le temps que certaines dis-
tances angulaires. C'est le cas de l'instrument connu sous le
nom d'hémisphère creu~ de Dérose. Mais,
les procédés gnomiques
comportaiel'lt l.lni:.' "l,Jeune assez
grî.lVe
:
:rIs ne garclntissaient
pas l'exactitude des mesures,
en raison de la pénombre qui
offusque la vraie longueur de l'ombre,
et qui affecte les di-
,.
verses distances au zénith. Après Dominique CASSINI (1625-1712),
le gnomon a été abandonné l,our des procédés plus exacts sépa-
rant
la mesure du temps de celle des angles.
Nême si "le p]l.lS j'arfûit: de tous Jes chronomètres est Je
ciel lui-même",
les instruments sont nécessaires en astronomie
J
pour la mesure exacte dll temps. Après l'usage,
par les anciens, ,.
des mouvements physioJogiques
: nombre de pulsations chez un
"
homme normal,
nonlbre de pas réglés ou de sons vocaux ••• ,
"
comme moyens chronümétriqnes
; on utilisa le mouvement produit
.
par la pesanteur dans l'écoulement des liquides qui furent
.0'
par ]a suite rE'mplacés,
au MlJyen-Age par des solides, c'est-à-'
dire,
par des horloges fondées sur la descente verticale des
poids
; sans pour alItant parveni.r à une mesure rationnelle dll
temps.
"Le problème chronomét~ique fondamental n'était donc
nullement réSOlu jusqu'à ce que la création de la dynamique
rationnelle par Je génie de GAl,ILE:r, eut conduit il découvrir,
sans une modiFj.cat·Lon capi.taJe de m01JVement
natl~rGl des
corps
pesants,
1.a. parfc:~ite r~gu1én"it~é
qn'on avait jusqü'alors vai-
nemen t cherchéC'''
(1).
Auguste CO~l'l'f'; montre comment l'on est passé de la pendule
de GALILE:E: à l'invention de l'horloge de HUYGHENS fondée sur
le principe du rnouvC'ment oscillatoire,
et qui constitue le
prototype de l'horloge astronomique jusqu'au XIXe siècle,
la-
quelle n'a s~bi que deux modifications non structurelles
:
,
La diminu tion du fro t temen t et la correction des irrégulari tés. ·;1
L'histoire de,; instruments cle mesure est,
aux yeux de COMTE,
. "
le modèle de l'histoire générale dans laquelle connaissances
scientifi'jues et problèmes prat:iques s'expliquent les uns par
les autres.
"L'h:i.sto:ire,
impossible à développer ici, de la
solution de ce beau problèmC' par les immortels travaux
d'HUYGHENS devient: un des p.lus admirables exemplC's de cette
relation intime et nécessaire qui fait dépendre les questions
pratiques les plus simples en apparence des plus éminentes
recherches scientifiques"
(2)
.../.,
(1) 20e leçon,
p. 319.
(
j.'
(2)
ibid.
; ~,
----"

-
223 -
L'hi.stoire de la mesure des angles,
qui va de l'usage
des alidades et des pinnules au Moyen-Age,
à l'invention de
la lunette méridienne de ROIô~1ER, et dont nous avons donné
un exposé dans le chapitre précédent,
en est une seconde
preuve.
b)
Le cléveloppClllent de le,
technique détermine les progrès
scientifiques. Mais ces derniers progrès auraient été impossi-
bles sans des
théories permettant cle remédier à certaines
erreurs inhérentes aux instruments cle mesure.
Il faut distin-
guer cleux sortes de rectifi.cations
:
les unes,
indépendantes
de la connaissance approfondie des faits astrono~iques,
tiennent à la position de l'observateur;
tandis que les au-
tres sont liées à la connaissance des théories astronomiques.
Et COMTE illustre ce développement sur la base des rectifi-
cations, c'est-à-dire,
des approximatiorls, a)
par l'histoire
des problèmes posés par les réfractions astronomiques, his-
toire qui va cle KEPl,ER,
ignorant de la théorie cles sinus, à
LAPLACE dont les
théories sont encore actuelles;
b)
par l'his-
toire des prol)lêmes posés par les paral.laxes
; c) et enfin
par celle des
tableaux et des catalogues d'étoiles.
A travers ces différents exposés se dégage l'idée que
l'histoire d'une Science n'est pas chaotique,
et qu't'Ile ne
commence qu'i\\ partir d'un moment déterminé avant lequel elle
n'a qu'une préhistoire,
et après lequel aucun retour n'est
admissible.
"On peut aisément résumer,
sous ce rapport,
l'en-
semble des progrès dCplJis l'origine de la science d'après ce
simple rapprochement
: en
ce qui concerne les mesures 8l1gulai.ms
par exenple,
les anciens observaient à la précision d'un degré
tout au plus
; TYCHO-BRAHE parvint le premier il pouvoir répondre
ordinairement d'une minute,
et les modernes ont porté la pré-
cision habituelle jusqu'aux secondes •. Ce dernier perfection-
nement est \\~ellement récent que toutes les observations qui
remontent au-delà d'un siècle à partir d'aujourd'hui, c'est-à-
dire qui sont antérieures à l'époque de BRADLEY, de LACAILLE
et de MAYER,
doivent être regardées comme inadmissibles dans
la formation exacte des théories astronomiques actuelles,
attendu qu'eUes n'ont point la précision qu'on y exige aujourd'
hui"
(1)
.../
(1)
ibid,
p. 330.
.. - --- ---- --, ...~-

-
224 -
c)
Il serait difficile,
et peut-~tre oiseux, de procéder
à unc analyse allssi pous,sée de tous les textes de COMTE sur
l'astronomie,
textes qui s'étalent sur les sept leçons consé-
cutives à celles que nous venons d'exposer,
et qui sont le
plus souvent inspirés de l'Histoire de l'astronomie au dix-
hui tième siècle de DELAMBRE:.
NOLIS examine~ons
toutcfois les considérations historiques
de COMTE sur la théorie de la gravitation,
tant i l est vrai
que l'auteur considère la 10i de Nr::'.'iTON comme l'~ modèle de la
10L positive.
l,a vin9t-quatrièrne leçon consac~ée
à cet examen fait
reposer la pos:itivité de la mécanique céleste sur l'élimina-
tion de la réflexion sur le mode de production du mouvement.
Une telle spéculation relève de la métaphysique dans laquelle
s'est abimé KEPLER en ce qui concerne l'intensité de la force,
quoiqu'il ait été le premier à ébaucher ce qui f"ra plus tard
la gloire de NE\\·j'['ON. si 'ŒJ'LP.R aVùit compris, comme BOUI,LIAUD
(1605-1694)
que sù conception des rayons attract.ifs était
chimérique,
il aurait été incontestablement le précurseur de
l'Anglais, car i l a le mérite d'avoir poussé très loin l'inter-
prétation dynamique des lois de la géométrie céleste. Ce qui
fait que "les vrai.S précurseurs de NDin'ON,
sous ce rapport,
sont HUYGHENS, et surtout Gi\\LILt~E;, comme fondateurs de la
dynamique. Néanmoins, on peut remarquer avec intérêt comment
le génie de Kr::rLER ( .•• ),
en constituant définitivement 1a
géométrie céleste, osa s'élùncer dùns la carrière,
toute dif-
férente et alors inaccessible,
de J.a mécanique céleste,
que
la marche générale de l'esprit humain réservait si impérieuse~
ment à ses héritiers:
succession d'efforts,
dont l'histoire
des sciences ne présente peut-être, dans
tout son ensemble,
aucun exemple aussi prononcé"
(1).
Les travaux de KEPLER comportent, en effet,
trois grandes
lois
: la première démontre que toutes le planètes tendent
continuellement vers le soleil
; la seconde affirme que cette
tendance chanoe avec la distànce au soleil,
et inversement à
son carré
; et enfin la dernière montre que cette tendance,
pour une même distance,
est toujours proportionnelle à la masse
de chaque planète.
C'est cette troisième loi de KEPLE:R que NEWTON prend pour
. . .1
(1) 24e leçon,
p.
380.

- 225 -
base de la première esquisse de sa conception,
puisqu'il
commence par considérer les mouvements comme c:irculaires et
uniformes. t'lùis mal!:J"t'é la perspicacité des vues de HUYGHENS,
un problème demeurùit insolvable : comment la variation de
l'action solaire s'accord~-t-elle avec la nature géométrique
découverte par K8PLER ? C~ problème ne pouvait être résolu
complètement qu'avec le secours de l'analyse différentielle
dont les inventeurs sont, comme on le sait,
NEWTON et LEIBNITZ.
NEWTON fut ainsi amené,
par un ].ong effort de recherche,
par une grande disponibilité d'esprit et surtout par un cou-
rage exemplaire,
à établir une identité de nature entre la
pesanteur et la force accélératrice des astres. Mais i l fut
non seulement obl:i.9é de renoncer ))iJ.rfois à certaines parties
importantes de sa découverte en raison des erreurs de la
science de son époque, mais encore, on dut procéder à une
correction de l'un des concepts moteurs de sa théorie,
le
concept d'attraction,
pour mieux rendre compte de la positi-
vité de sa conception.
En effet,
"J'emploi du malheureux mot
attraction
beau-
coup trop prodlgué par NEWTON et tous ses successeurs "donnait
lieu à l'objection suivante: Comment peut-on parler d'une
tendance continllelle vers le soleil, c'est-à-dire, d'une attrac-
tion,
si on sait que la plLmète se rapproche progressivement
du soleil pendant une moitié df" sa réVOlution,
et s'en éloigne
graduellement dans l'autre partie de son orbite? Ce fait ne
nous amène-t-il pas à penser plut6t qu'il y a tant6t attrac-
tion et tant8t répulsion? C'est afin de donner un énoncé
clair, mathématiClue, débarrassé de toute considération méta-
physique, de l'action du soleil sur les planètes,
et de celle
des planètes sur leurs satellites,
qu'on a crée l'expression
gravit~tion universelle dont la pesanteur n'est qu'un cas par-
ticulier,
et dont la loi se formule:
(1)
ièm m'
p ~ J-"'--
Et Auguste COMTE de concJ.ure : "Telle est la marche profondémen
rationnelle suivi'2 à cet égard par NEWTON,
sauf que,
pour plus
de clarté.
j'ai cru devoir l'indiquer en ordre inverse, ce qui
..-/
(1) Ce sont "l'illustre Jean Bernoulli et le Sage Fontenelle"
qui ont "puissamment contribué ••• à épurer le caractère
primitif de la pensée fondamentale de Newton,
en détruisant
l'apparence métaphysique qui altérait la réalité admirable
de sa sublime découverte". ibid, p. 389.

- 226 -
est en soi fort différent.
L'histoire de ce beau travail nous
présente une anecdote très :Lntéressante,
qui caractérise for-
tement l'admirable sévérité de la méthode philosophique
constamment suivie, avec une si sage énergie,
par le grand
NEWTON. On sait que"
dans ses premières recherch'.:>S,
i l avait
employé une valeur erronée du rayon de la terre, déduite
d'une mauvaise meSIH'e exècu,tée un pelJ avant lui en Angleterre
il en résult3it une différence assez sensible entre les deux
nombres qui (\\evaient parfa'itement coïncider. NEWTON eut le
rare courage plJilOsophique de renoncer,
d'après cela seulet
pendant longtemps,
à cette partie importante de sa conception
générale,
jusqu'à ce que PICARD eût enfin opéré la mesure
exacte de la terre,
ce qui
permit à NEWTON de constater la
profonde justesse de sa pensée primitive"
(1).
Certes, cet exposé historique comporte quelques lacunes.
M. SERRES en dénombre trois principales:
la première est
l'importance qu'il accorde à la vue dans l'investigation as-
tronomique.
La radio-astronomie,
dit l'auteur d'HER~1ES, peut
exister pour des i'ldividus aveugles,
et la science moderne a
mis en évidence l'existence d'astres obscurs.
En deuxième lieu,
COMTE a eu tort de récuser la physique et la chimie de l'étude
des corps célestes et de ne rattacher l'astronomie qu'à la
géométrie et à la mécanique. Car :La science contemporaine en
apportant un démenti à cette conception ébranle par le même
fait
tout l'édifice encyclopédique,
puisque le rang de l'as-
trolw,ni ..,·
est compromis.
En effet, depuis l'analyse des spéctres,
la physique (plus précisément l'astrophysique) n'a cessé de
s'immiscer dans les problèmes astronomiques._Enfin, en ce qui
concerne la limitation spatiale, alors que la science fait,
de nos jours, de moins en moins cas de la mécanique du système
solaire,
l' astrci~ie sidérale, elle, gagne du terrain. Mais
cette perception de la doctrine de COMTE par un oeil contem-
porain n'altère en rien le sublime mérite de cette analyse de
la ~cience astronomique,
science plus parfaite que celle des
corps inorganiques que nous allons examiner à présent.
.../
(1) ibid, p. 387.

- 227 -
3 0 )
La physique
a)
Le rang de la physique dans l'échelle encyclopédique
tient à son ohjet et à sa méthode.
A son objet parce que les
phénomènes dont:
(~J·]I? ~.;Ioccupe :.:;ont p:Jus compli(lués que ceux
de l'astronomie,
et qu'il est irrationnel de procéder du
complexe au simple; à sa méthode parce que l'ensemble des
théorles célestes,
fondé sur I.e modèle mathématique, constitue
un prélude nécessaire à l'étude rationnelle de la physique
terrestre,
étude qui ajoute à ]'observat.ion proprement dite,
les deux autres procédés de l'art d'observer,
à savoir,
l'expérimentation et la comparaison.
Définir l'objet de la physique, c'est d'abord la di~tinguer
de la chimie a'/ec laquelle elle traite en commun des phéno-
mènes inorganiques, de la"m,}tière:' Trois critères de distinc-
tion sont à consi.dérer
1°)
Physlque
2°) Chimie
-
Recllerches 9énéral'';s.
-
Recherches S~Q,:iales.
-
Etude des masses.
-
"~tude des molécules.
- Corps invariants (molécules
-
Corps altérables (changemerlts
inaltérables).
d'états).
Ouoique cette distinction ne soit pas définitivement
tranchée,
et qu'il y ait des phénomènes tels que les faits
magnétiques qui semblent Qtre clu ressort des deux sciences à
la fois,
les études physiqlJes portent surtout sur la masse
de phénomènes quelconques dont
la constitution est inaltérable,
tandis que les analyses chimiques ont pour objet les molécules
dont la composit.i.on est constamment modifiée; Ceci dit, on
peut définir 1" ~'hys.l(lue comme la science clont l'objet consiste
"à étudier les lois qui régissent les propriétés générales des
corps, ordinairement envisa9és en masse,
et constamment placés
dans des circonstances susce!ltibles de maintenir intacte la
compositi.on de leurs molécules,
et même,
le plus souvent,
leur
état d'agrégation"; et dont le but final est de "prévoir,
le
plus exactement possible,
tous les phénomènes que présentera
un COrjlS placé dans un ensemble quelconque de circonstances
données"(l).
Les diverses branches de la physique sont, dans l'ordre
définitif de leur succession:
la barologi.e,
la thermologie
.. ... /
(1) 2812 leçon,
p. 4116.

- 228 -
(expression empruntée;', FOUillE),),
l'acoustique,
l'optique et
l'électrologie (mot inventé par COMTE).
Si les mathématiques nous ont initié aux conditions
élémentaires
de la positivité, et si l'astronomie inaugure
l'étude réelle de
La Ylature,
c'est la méthode expérimentale
qui se développe avec la science physique.
b)
Il faut noter <l'Je la physique,
sous l' üd'luence de
GALILE8 au XVIIe siècle et de NEWTON du XVIIIe siècle, était
en plein essor ail début du XIXe siècle:
beaucoup de savants,
une multitude de découvertes. FRESNEL (1788-1827),
qu'on
pourrait appeler le "NE'J1TON de l'optique", avait,
par ses
travaux sur la propagation des ondes, édifié (de 1815 à 1824)
une théorie générale de la diffraction, établi les lois de
l'interférence,
sur lesquelles il avait travaillé en 1819
avec ARAGO. N1PERE (1775-1836),
s'était illustré de son cÔté
comme le "NE'Il'l'C'N de 1.' électrici té", selon l'expression de
t1AXWELL,
bénéficiant de la découverte du courant électrique
par l'italien GALVANI qui a travaillé sur les conditions des
contractions musculaires des grenouilles (vers 1790); de cette
même découverte faHe par VOLTA dans des conditions différentes
des résultats de l'électrolyse de l'eau accomplie pOur la pre-
mière fois
(en 1800)
par DAVY qui,
sept ans plus tard, dé-
composa la potasse et la soude
; des travaux de BERZELIUS,
véritable prélude â l'électrochimie;
et enfin,
en 1820, des
théories du danois DERSl'F.D qui,
le premier, constata que le
courant électrique fait dévier l'aiguille aimantée. Dans son
ouvrage : Théorie ,les phénomènes électrodynamiques
uniquement
~éduite de l'expérienc,::, et dans d'autres traités,
le lyonnais
avait établi judicieusement,
la distinction entre l'électri-
cité '~tatique·et l'êlectricité'~ynalniqud: montré que les cou-
rants de même sens s'attirent tandis que les électricités de
même signe se repoussent,
et indiqué qu'il y a des phénomènes
"électromagnétiqued' (ce que démontre OERSTED, c'est-à-dire,
actions des courants sur les aimants); mais aussi des phéno-
,
",
d
.
" (
.
d
)
menes electro ynamlques
actIons
es courants sur les courants •
C'est à la méme époque qu'étaient publiés les travaux de
Benjamin TlIOl1S0N ; (le GAY-LlJSSAC (177')-1850)
sur le coefficient
de la dilatation des gaz
; de MARIOTTE, de FOURIER sur la
propagation de la chaleur dans la Théorie analytique de la
chaleur,
(1822)
et dp CARNOT (1796-1832) dans les Réflexions
sur la puissance motrice du feu et les machines propres à
.../

- 229 -
développer cette puissance:
de TORRICELLI (1644) dans les
Expériences nouvelles touchant le vide; DU FAY, de FARADAY,
de COl,mm (Recherches sur la meilleure manière de fabriquer
des aiguilles aimilntées)
etc ... autant de "bons esprits" et
de "théories positives" 'jtJi ont alimenté la réflexion de COMTE
sur l'histoire (les science~.
L'histoire de la physL'lue 1I0US instruit surtout sur les
victoires de l'cspr:it posit·i.f sur l'eé~prit métaphysique, sur
l'abandon progressif des hypothèses chimériques au profit des
suppositions scientifiques. L'histoire de l'hypothèse carté-
sienne des tourbillons en est une !'reuve. Ces fameux tour-
billons, de nos jours refoulés à l'arrière plan des considé-
rations scientifiques ont été,
au départ,
un puissant aiguillon
pour le développement de l'esprit scientifique,
puisque
DESCARTES avait le mérite d'introduire l'idée d'un mécanisme
là 00 tous ces contemporaills,
KEPLER inclus,
ne voyaient que
des âmes et leurs actions. Mais toute théorie n'est jamais
que provisoire et doit céder le pas,
le moment venu,
à des
théories nouvelles.
Les Savants, dit BACHELARD,
sont utiles
dans la j,remière moitié de leur vie et nuisibles dans la
seconde, puisqu'ils deviennent porteurs de valeurs SClérosées.
C'est ainsi que lorsque naquit la vraie mécaniqlJe céleste avec
la théorie de la gravitation de NEWTON,
la doctrine des tour-
billons devi.ht rétrograde,
alors qu'elle continuait d'être
soutenue pardes el5pritschevronœs c'est-à-dire, figés,
jusqu'à
ce que le nouvel esprit scientifique s'imposa à toutes les
consciences. La cartésianisme a été donc une transition néces-
saire entre les spéculations théologico-métaphysiques et les
considérations réellement scientifiques. Cette histoire est
un bel exemple de la trilogie caractéristique de la marche de
l'esprit créant les théories scientifiques:
"L'i1i.stoire ration-
nelle de cette grande hypothèse est ce qu'on peut trouver de
plus propre à éclaircir l'ensemble de la question actuelle:
car,
ici,
l'analyse peut porter nettement sur une opération
philosophique complètement achevée, 00 nous suivons aisément
aujourd'hui l'enchaînement des trois phases essentielles,
la
création de l'hypothèse,
son usage temporaire indispensable,
et enfin son rejet définitif quand elle a eu rempli sa desti-
nation réelle"
(1).
. . .1
(1)
ibid, p. 462.

- 229 -
développer cette puissance; de TORRICELLI (1644) dans les
Expériences nouvelles
touchant le vide ; DUFAY, de FARADAY,
de COLOMB (Recherches sur la meilleure manière de fabriquer
des aiglÜlles aimantées)
etc ••• autant de "bons esprits" et
de "théories positives"
qu~ ont alimenté la réflexion de COMTE
sur l'hj.stoi.re des science~.
L'histoire de la physique nous instruit surtout sur les
victoires de l'esprit positif sur l'esl,rit métaphysique, sur
l'abandon progressif des hypothèses chimériques au profit des
suppositions scientifiques. L'histoire de l'hypothèse carté-
sienne des tourbillons en est une preuve. Ces fameux tour-
billons, de nos jours refoulés à l'arrière plan des considé-
rations scientifiques ont été,
au départ,
un puissant aiguillon
pour le développement de l'esprit scientifique,
puisque
DESCARTES avait le mérite d'introduire l'idée d'un mécanisme
là où
tous ces contemporains,
KEPLER inclus,
ne voyaient que
des âmes et 1.eurs actions. Mais toute théorie n'est jamais
que provisoire et doit céder le pas,
le moment venu,
à des
théories nouvelles. Les Savants,
di t
BACHELARD,
sont utiles
dans la première moitié de leur vie et nuisibles dans la
seconde,
puisqu'ils devienllent porteurs de val&urs sclérosées.
C'est ainsi que lorsque naquit la vraie mécanique céleste avec
la théorie de la gravitation de N8'dTON,
la doctrine des tour-
billons devint rétrograde,
alors qu'elle continuait d'être
sout enue par des espri ts. chev comés c' es t-à.-dire. figés
, jusqu'à
ce que le nouvel esprit scientifique s'imposa à toutes les
consciences. La cartésianisme a été donc une transition néces-
saire entre les sl,éculations théologico-métaphysiques et les
considérations réellement scientifiques. Cette histoire est
un bel exemple de la trilogie caractéristique de la marche de
l'esprit créant les tllêories scientifiques:
"L'histoire ration-
nelle de cette grande hypothèse est ce qu'on peul: trouver de
plus propre à éclaircir l'ensemble de la question actuelle:
car,
ici,
l'analyse peut porter nettement sur une opération
philosophique cOJn!"lètement achevée, où nous suivons aisément
aujourd'hui. l'enchaînement des
trois phases essentielles,
la
création de l'hypothèse,
son usage temporaire indispensable,
et enfin son rejet définitif quand elle a eu rempli sa desti-
nation réelle"
(1).
..'/
(1) ibid, p. 462.

- 230 -
Cette loi const,Hée en astronomi.e peut également s'ob-
server en physique, notamment en ce qui concerne l'étude de
la pesanteur où la théorie dc' GAf,IL8J, fa.it office de loi
transitoire. En effet, ARISTOTE, "celui de tous les anciens
penseurs qui fut le moins
éloigné de la philosophie posi-
tive", malgré son élection de la pensée métaphysique, fut le
premier à nous fourni.r une théorie sur l'accélération natu-
relle de la chute des corps pesants. A défaut de la théorie
générale des mouvements variés, on dut admettre l'hypothèse
aristotélicienne d'après laquelle la vitesse d'un corps qui
tombe croît proportionnellement à l'espace parcouru. Mais
cette conception clonnai t à penser que l' intensi té de la. pesan-
teur augmentait pendant le tenps de la chute. Ce que GALILEE
refusa, à juste titre, en postulant l'invariabilité de l'éner-
gie de la gravité, et en reconnaissant que la vitesse et
l'espace sont nécessairement rroportionnels,
l'un au temps
écoulé, l'autre à son carré. Cette théorie fut vérifiée de
deux manières
par l'observation directe de la chute d'un
corps, ou par le ralentissement de la chute, grâce à un plan
incliné ou fi l'instrument d' ATvIOOD. Cette loi constitue la
transi tion en tre la théori e d'ARISTOTE et celle de NE,'VITON.
Ce qui eco;l: valable pour l'histoire de la barologie l'est
aussi pour celle de l'optique. Partout il y a eu, à un moment
donné du développement de la science, alternance entre les
spéculations métaphysiques et les considérations positives.
Aucun des savants fondateurs de l'optique jusqu' i~ NE\\'ITON n'a
échappé à cette règle générale. Chacun d'eux est parti d'une
hypothèse chimérique sur la nature de la lumière,"Un tel
contraste est spécialement remiJrquable chez 1.e grand NEWTON,
qui, par son admirable doctrine de la gravitation universelle,
" ' p
avait élevé d'une manière irrévocable la
conception
fondamentale de la philosophie moderne au-dessus de l'état où
le cartésianisme l'avait placée, en constituant l'inanité
radicale de toutes les études dirigées vers la nature intime
et le mode de prOcltlctioll (les phénomènes, et en assignant
désormais, comme seul but nécessaire des efforts scientifiques
vraiment rationnels, l'exacte réduction d'un système plus ou
moins étendu de faits particuliers à un fait unique et général.
Ce même NEI"TON, dont l'exclamation favorite était: 0
physique
garde-toi de la métaphysique! s'est laissé entraîner, dans la
.../

-
231
-
théorie des phênomènes lumineux, par les ancienne~ habitudes
philosophiques, jusqu'a la personnification formelle de la
lumière, envisagée comme une substance distincte et indépen-
dante du corps lumineux ; ce qui constitue évidemment une
conception tout aussi mêt~~hystqUe que pourrait l'être celle
de la gravité, si. 011 lui attribuait une existence propre,
isolée du corps gr,witilnt" (1).
c'est l'histoire de la l:hermologie qui fournit à August~
CmlTE: le modèle de la tlléorie positive en physique: la Théorie
analytique de lù chaleur de FOURIER. Lù règle d'or en phy-
sique est, rappelons-le, 'lue "toute hypothèse sci.entifique,
afin d'être réellement jugeable, doit exclusivement porter
sur les lois des phénomènes, et ,lamai.s sur leur mode de pro-
duction". Cette règle est bien observée par POURIE:R qui a su,
mieux que quiconque, appliq:,er les mathématiques à la science
naturelle, tout ell se maint011ant à djst~nce de la métaphy-
sique. 11 écrit dDIiS le premi.er vollune de son ouvrage: "Les
causes primordiales ne nous sont point connues ; mais elles
sont assujetties ;j des lois s;m!'les et constantes que l'on
peut découvrir par J'observation et dont l'étude est l'objet
de la philosol'hi.e naturelle" (2).
En parvenallt à apl'liqller directement l'analyse mathéma-
tique aui faits d'expérience, sans passer par le biais de la
mécanique ou de la géométrie, FOURIER s'est illustré, aux
yeux de COMTE, par une double originalité : la création mathé-
matique et la m6thod~ physique. Voici comment FOURIER définit
la théorie analytique de la cllaleur
"Les principes de cette
théorie sont déduits, com:ne ceux de la mécanique rationnelle,
d'un très petit nombre de faits primordiaux, dont les géomètres
ne considêrent point les causes, mais qu'ils admettent comme
résultallt des observations communes et confinnées par toutes
les expériences. Les éq ua t ions <J if férenti ell es de la propa-
gation de la chaleur expriment les conditions les plus géné-
rale~, et ramènent les questions physiques a des problèmes
/
•••
(1) 33ème leçon, pp. 530-531-
(2) Fourier, Discau)'": prél:im:i.ni'ltre i) la Théorie i'lllalytique de la
chaleur, Oeuvres. t
J.
18"81l, p XV.
Parlant de cette tlléoric, Comte déclare dans la 31e leçon
"Je ne crains l'OS dé' prononcer, comme si j'étais ;\\ dix siècles
d'aujourd'hui, que, depuis la théorie de la gravitation, aucune
création mathématique n'a eu plus de valeur et de portée que
celle-ci, quant aux progrès généraux de la philosophie natu-
relle".

- 232 -
d'analyse pure, ce qui est proprement l'objet de la théorie".
Et i l ajoute plus loin:
"L'étl,de approfondie cle la nature
est la source l.~ 1'1115 féconde de la découverte mathématique"(1).
Par cette apl'lication de l.a mathématique au réel, FOURIER
a dissilJé les nuages ontologiques qui entouraient la philo-
sophie naturelle.
Il a m~me contribué â épurer le langage
scientifique,
une des conditions du progrès de ce savoir. Par
exemple,
avant lui,
les physiciens,
sous l'unique nom de
conductibilité, avaient confondu deux propriétés thermolo-
giques en réalité
très différentes. On désignait par le m~me
concept la propriété qu'a un corps d'admettre ou d'émettre de
la chaleur,
et J.a facili.té plus ou moins grande qu'il a de
propager â l'intérieur de sa masse les modifications survenues
â sa surface. FOURIER proposa cle désigner la première propriété
par le concept de l'énétrabLLi té et la seconde par celui de
perméabilité.
En un mot, FUURIER a présenté une interprétation
de la théorie physique exempte de toute incertitude et de tou-
te obscurité. Avec cet auteur,
en physiql1e, on ne demande plus
autre chose que des relations générales, revêtues de toute la
précision que comportent les méthodes de mesure et de calcul.
Il a ainsi réalisé un exploit inégalé,
'li par LAPLACE dont les
travaux se situent encore dans une position à mi-chemin entre
la science positive ct la métaphysique; ni,
bien SaI', par
NEVITON.
En définitive, même si C01'l'fE qui a bien saisi les travaux
de FOURIER -
G.
Bl\\CHELARD, dans son Etude sur lf:évolution d'un
problème de phys~'lue : la propagation thermique, notamment au
chapitre IV,
confirme cette assertion,
et donne raison à A.
COMTE sur les points de leur divergence -
a méconnu la portée
de certains travaux,
les recherches de REGNAULT sur la loi de
MARIOTTE en l'occurrence,
j I
a constitué pour la science phy-
sique un important dossier de référence,
dont les idées ont
été le plus souvent empruntées sans @tre citées,
et que nombre
d'historiens des sciences contemporaines ne peuvent se passer
de parcourir.
.../
(1) Ibid, pp. XXI - XXII.

- 233 -
'10) La chimie
a)
Une autre partie de l'oeuvre de COHTE que nul épisté-
mologue ne pourrait passer sous silence, c'est l'ensemble des
idées contenues dans le troisième volume du Cours consacré.
pour une grande part,
à l'étude de la chimie.
Trois raisons fondamenl:i1les,
selon M. DAGOGNET,
expli-
quent la passion
d'Iluguste COMTE pour la chimie:
elle est
la "science d'une matérial·i.l:é organis&e et ordonnée".
le
dernier bastion de la pensée onta.logique,
et enfin la science
de l'utile, celle de l'industrie. Il cel à nous pens6ns qu'il
faut ajouter trois autres raisons non moins importantes
:
le
rapprochement (le cette science II celle des
faits sociaux que
COMTE entend fonder;
son apprentissage par l'auteur en auto-
didacte ; et enfin son adolescence à l'époque du Cours.
En effet,
la chimie était encore ~lbryonnaire à l'époque,
malgré ce 'Ille BERTHELOT a al'pelé la "Pévolution chimique" du
XVIIIe siècle,
et qui. s'est effectuée sous l'égLcJe de LIIVOISIER
(1),
lequel a lui-m~me cu comme émules STNIL, PRIESTLEY et
SCIIEELE: qui furenl: 1e5 premiers à clécouvrir l'oxygène;
et
CIIVENDISH qui le premLer effectua la synthèse de l'eau. Cette
discipline vellait à peille de naître des cendres de la méta-
physique avec l'auteur du 'l'rai té de chimie qui,
en plUS de
l'approfondissement de l'étude de lù calcination et de la ré-
duction,
ù établi. la première théorie posi tive de la combi-
naison chimique en mettant l'accent sur l'acidification.
(oxys = acide, d'où oxygène = générateur d'acide, comme hydro-
gène = générateur d'calI). Ces vues de LAVOISIER furent
le
soubassement de la nomenclature de Guy de MORVEAU fondée sur
"
la double notion .de l'acide et de la base. PROUST et DALTON
avai.ent égal"ment développé respectivement les théories des
"proportions définies "et celles des "proportions multiples",
fondements de la théorie des équivalents. Mais le maitre à
penser de COMTE est sans aucun doute l3ERTHOLLET qui, dans son
.../
-_...._-;,.;..-------------------------=--............._-
(1) Cette révolution a éclaté avec l'affirmation de Lavoisier,
devenue vulgaire:
"Rien ne se crée,
ni dans les opérations
de l'art, ni dans celles de la nature,
et l'on peut poser en
principe que, dans toute opération,
il y a une égale quantité
de matière avant et après l'opérùtion ; que la qualité et la
quantité des principes sont les mêmes et qu'il n'y a que des
changements, des modifications". cité par ~1. Dagognet, Philo-
sophie première, Hermann,
1975, p. 565.

- 234 -
Essai de statique chimique notamment (1803),
a établi une
affinité entre les phénomènes chimiques et les phénomènes
physiques. Le cléveloppement très concis, mais extrêmement
suggestif de COM'l');; sur les idées chimiques de son époque fait
le tour des travaux de DALTON sur le poids atomique ; de
\\oIALLASTON sur les équivalents; de GAY-LUSSAC et de HUMBOLDT
(1805)
sur l'état gazeux; d'AVOGADRO (1811)
et AMPERE (1814)
sur l'établissement de la distinction entre les molécules et
les a tomes
; de 1] l';[(7,T':Ll 115 ,
CI\\-E:VREUf"
cle FOURCROY etc •••
D'abord la définition.
La chimie est la science qui a
pour objet l'étlHle des "lois des phénomènes de ccmposition
et de décomposition,
qui résultent de l'action moléculaire
et spécifique des diverses substances,
naturelles ou arti-
ficielles,
les unes sur les autres". Son but final:
"étant
donné les propriétés de tous les corps simples,
trouver celles
de tous les composés qu'ils peuvent former"
(1).
La division
rationnelle de la chimi.e est donc relative à la composition
et à la décomposition,
et non à la distinction irrationnelle,
aux yeux de COMTE, entre la chiJ'iÜe oruanique et la chimie
inorganique.
b)
l'our qui s'intéresse ,3. l'aspect historique de l'analyse
comtiste, un passage,
plus que les autres,
retient spontané-
ment l'attention:
la trente-septième leçon, celle qui traite
de la doctrine des proportions défini.es. Sans entrer dans des
détails de spécialistes, retenons en gros que c'est la doc-
trine qui établit l'existence de rapports constants et éva-
luables entre les différents éléments constitutifs d'un corps
chimique. Par exemple,
le méthane,
l'éthylène,
l'acétylène,
le benzène sont dE'S hydrocarbures et leurs formules présentent
l'hydrogène et le carbone dans des "proportions définies"
CII
-·,. CI12··~ CH2~ C
11
-ou C
HG
etc ••• En un mot, c'est la
4
2
2
6
doctrine qui soutient que dans tous les composés vrais,
la
nature associe les éléments constituants en proportions plus
ou moins fix·es et rigoureuses.
Pour avoir de l'eau i l faut
deux atomes d'hydrogène et un atome d'oxygène.
Si la réflexion sur la composition des substances n'avait
pas été absente des travaux des anciens tels que HERACLITE,
EHPEDOCLE, DE:MOCRITE et surtout ARISTü'rE,
le développement
réel dE: la science chimique ne s'es t
amorcé qu' avec les travaux
.../
(1)
35e leçon,
ibid,
pp. 571
-
572.

- 235 -
de RICHTER et de BE~PHOLL~r. Car c'est à partir de la loi
du premier:" fondemen t des pro port ions chi mi ques, qu'on a
commencé par af fcc ter chaque subs tance ch'{mI'que d'un coef-
fi.cient fixe et spécifique
opération qui a permis à ce
savant d'établir plus tard la table des équivalents chimiques •
."
Malgré quelques points de di.vergence entre BERTHOLLE'P et
RICHTER - et Entre DERTIlOLLET et PROUST - l'auteur de la
~tati'lue chimjque apparaît élllX yeux de COMTE comme l'équi-
valent de F'OURIlDT, en physique : "Il importe de reconnaître
cette belle théorie de BE~rfIOLLET comme ayant été indispen-
sable pour fonder l'É'tvc1e qénérale des proporti.ons chimiques"
(1). Car, avec ses travaux,
la chimie se débarrasse entière-
ment des spéculations métaphysiques
du genre de celles qui
portent: sur Jes l·c\\ffinités ll . Désormais,
les moùifications
des proportions et le sew; de la réaction chimique vont
s'expliquer par les"c.i.rcOll.stances":
la concentration:,
le
temps,
la température; et non plus par des entités abstraites.
"J'ai fait voir par des expériences directes, écrit-il dans
cet ouvrage, que les combiJlaisons, qui étaient considérées
comme produites par les affinités électives auxquelles on
attribuait le plus de supériorité, cédaient à d'autres que
l'on reqardait comme inférieures, pourvu qu'on affaiblit
les circonstances qU:L tendaient à maintenir les premières"(2).
La chimie, placée par ce savant sous la tutelle de la méca-
nique, a donc rompu avec le principe de l'affinité grSce au-
quel II.RIS'fOTE expliqua.i t
l('~ mouvement des corps graves veT'S
la terre et celui. des légers vers le ciel. Et comme qui. dit
loi ra ti.onnelle di. t prévi,s:i.on, c' es t avec BERTIlOl,LET que la
chi~ie a acquis ce caractère indisl,ensable de la positivité.
On peut a priori. savoir, que dans des conditions normales,
la combinaison d'url acide et d'une base donne du sel et de
l'eau : c'est: ] e règne ùu déterminisme. C' est à partir des
découvertes de ces deux savants 'lue la chimie numérique
prendra un grand essor avec "la conception systématique de
M.
DI\\.LTüN" et les "belles séries de recherches expérimentales
de M.M. BERZF:LI1TS, GI\\.Y-LUSSI\\.C, et \\vI\\.LLI\\.STON".
"Tels sont, à la fois,
l'enchaînement rationnel et la
filiation historique des diverses séries de recherches prin-
cipales dont l'influence combinée a finalement produit la
/
• • •
(1)
37e leçon, p. 611.
(2)
Berthollet, Statique chimique, t
l,
p. 77, cité par M.Dagognet,
op. cit. r. ')6'1.

- 236 -
constitution actuelle de la chimie numérique, en permettant
de représenter,
par un nombre invariable affecté à chacun
des différents corps élémentaires,
leurs rapports fondamen-
taux d'équivalence chimique, d'où,
par des formules très
simples,
expression s inlm,~c1ia tes c1es
loIs
ci-c1essus
indiquées, on passe ajsélnen~ à la composition numérique pro-
pre à chaque combinaison" (1). La chimie est une science
naissante. C'est donc ici que l'ordre d'exposition historique
se montre plus fructueux.
c) Venons en à la méthode. En raison de sa maturité tar-
dive,
la chimie se contente surtout de développer les méthodes
ayant fait leur preuve en physique. Toutefois,
elle est un
terrain très fertile pour le développement de l'art de la
nomenclatlJre,
aboutissement de l' ilnalyse,
la synthèse,
l'obser-
vation et l'expérimentation. "Il existe, dans le domaine de
la méthode posi tive, une pi.lrtie fort importante,
quoique jus-
qu'ici trop peu appréciée,
et que la chimie était, ce me semble,
spécialement destinée à porter au plus haut dégré de perfection.
Il s'agit non de la théorie des classifications, assez mal
entendue par les chi~mistes, m,lis de l'art général des nomen-

clatures rationrlelles,
qui en est tOllt à fait indépendant,
ct
dont la chimie,
par la natlJre m~me de son obj et, doit présen-
ter de plus parfaits modèles qu'aucune autre science fondamen-
tale"
(2).
Le chimiste positiviste doit donc se mettre à l'école
des naturalistes afin d'acquérir une connaissance approfondie
de la théorie des classifications, de manière à ne verser ni
dans les systématisations métaphysiques à vocation réductrice,
ni dans les classifIcations aristotéliciennes. Il doit avoir
Comme guides les 1: ra vaux de l,J\\vOIS 1ER, de GUYTON ce HORVEAU,
de FOURCROY,
d'AMI'E:EF:,
ùe BERTHOLLET ••• On sait,
en effet,
en
quoi a consLsté la combinatoire (Je LAVOISIEE. Le savant à
d'abord répéré les éléments premiers aLi-delà desquels il est
impossible de remonter.
Il a décodé quatre éléments très sim-
pIes:
la chaleur,
la lumière,
l'oxygène et l'hydrogène,
à
partir desquels les autres peuvent être obtenus par combinaison.
Les éléments premiers des anciens
: eau,
air,
terre et feu
sont donc déjà des corps composés. Après les simples,
il éta-
blit la liste ~les radicaux: le chlore,
le soufre etc . . . .
. . .1
(1) 37e leçon, p. 61"1.
(2) 35e leçon, p. 581].

- 237 -
Tous les radicaux,
lors'lu'ils sont réunis à l'oxygène donnent
l'acide et ainsi. de suite (1).
si l'analyse de COMTE sur une chimie qui venait à peine
d'éclore constitue un dossier de référence pour les épisté-
mologues contemporains, c'est surtout parce que l'histoire
lui donne raison pour san élection de la classification
comme méthode privilégiée de la chimie, voire de la science.
Ne le voit-on pas déclarer,
dès le l'lan :
"Connaître la
classification, c'est conna~tre la science, au moins dans
.[ sa partie la plUé> importante"; ou encore "la classification
chimique est la science elle-même, condensée dans son résumé
le plus substantiel".
Qu'on nous permette donc de jallger l'importance de la
Classification dans 1'1 chimie contemporaine en prenant appui
sur deux épistémologues contemporains
: G.
BACHE;LARD et
M. François DAGOCNET.
Dans la deuxième partie de ce travail,
nol15 avons développé
la théorie dagognétienne de la classification dans les sci-
ences ..
Nous avons montré c[U~ pour
cet auteur la valeur heu-
ristique de cette méthode tient au fait qu'elle nous dévoile
l'oreJre et les cases "en b:Lanc"
; qu'elle nous permet d'aller
vite en nous révelant le plus à partir du moins. Sans r1en
ôter il la nouveauté des repères tracés par Je philosophe
lyonnais,notamment dims Ecriture êt Iconographie et Tableaux
et langase de la chimie,
iJ est intéressant de constater que
COMTE ne disait ras autre chose. Le chimiste doit faire en
sorte "(lUe La nomenclature rationnelle puisse être à la fois
claire, rapide et compl~te, de façon à contribuer profon-
dément au progrès général de la science. Toutes les considé-
rations chimiques sont nécessairement dominées, d'une manière
directe et incontestable,
par une s8.1e notion prépondérante,
. . .1
(1)
En 1816,
Ampère écrivait d,ans les Annales de chimie:
"Il me
paraî t
qu' on ,Jo i. t
s' ce fforcer de bannir de la chimie les
cJassifications artificielles et commencer par assigner à
chaque corps simple la place (111'i1 doit occuper dans l'ordre
naturel,
en
1(·~ comparant successivement (1 tous les autres et
le réunissant à ceux qui s'en rapprochent
par un plus grand
grand.nombre de caractère commun ••••• "
cité par M. Dagognet,
op. c:Lt, p. 576.

- 238 -
celle de la composition
:
le but propre de la science, comme
je l'ai établi,
est précisément de tout rallier à ce carac-
'.' tère suprême". Et il poursui t.:
"Ainsi,
le nom svs tématique
de chaque cor[1s,
cn Lüsant directement connaître sa compo-
sition,
peut ais,,,nent indiquer,
d'abord, un juste aperçu
général,
et ensuite, un résumé fidèle quoique concis, de
l'ensemble de son histoi.re chimique;
et par la nature même
de la science,
plus elle fera de progrès vers sa destination
fondamentale,
plus cette double propriété de sa nomenclature
devra inévit"blem~;nt se développer" (1).
Vision rrophétique qui explique le fait
que G. BACHELARD
ait consacré un grand nombre de pages du Plurali~me cohérent
dans la chimie contemporaine à la
citation du Cours dont il
justifie l'ensemble des thèses.
C'est ainsi que dans le del1xième chapitre de cet ouvrage
"pureté et composition",
i l procède à une analyse des liens
entre une substance et ses attributs,
et montre que le plus
grand progrès de la chimie a consisté à soumettre l'expérience
au critère de la pesée et
auY
i.dées d'analyse et de synthèse,
deux procédés 'l" 'on ne peut inverser.
"II.
COl-1TE a eu raison
de signaler la difficulté d'inverser expérimentalement ces
deux méthodes si clifU'rente" phi.losophi.quement" (ht-il, car
dans la synthèse i l y a augmentation de poids,
tandis que dans
l'analyse il y il plut8t diminution du poids. Puis i l cite le
Cours sur la préclsion en chimi.e. "si
•• , l'exiscence d'un
nombre détennirlé de combinaisorls distinctes entre des éléments
identiqlles paraissait devoir interdire l'établissement d'aucune
loi constante sur le~ compositions et les décompositions, il
faut reconnaître,
par une considération plus' approfondie,
que,
dans une semblable rlypothèse, ces divers composés successifs
auraient nécessairement des propriétés très peu différentes,
en sorte qu'iI n'importerait: guère de pouvoir les distinguer
avec une scrupuleuse précision. Les termes d'une série (de
combinaisons) qui seraient vraiment caractérisés par des pro-
priétés très tranchées se trouveraient,
par cela même, comme
t
l'établit la théorie de BERTf{OLL"~T, assujettis,
en général,
à
!
des proportions définies
•••• lIinsi
la précision chimique
resterait encore '~(J".l'èment possible,
là où elle acquiert une
véritable importance,
et ne cesserait d'être permise qu'à
l'égard des cas où elle n'aurait aUCune valeur essentielTe"(2) •


1
(1) 35e leçon,
p.
585.
(2) Cours,
t
III, cité par Bachelard, op. cit,
pp. 52 -
53.

- 239 -
fi part'i.r du
I:rotsi.ème cllapitre,
DflCllELARD entame une
histoire de la classification ell chimie, histoire gui justi-
fie les vues d'? C(]~l'n: qu' il é'IO'jl.'.e très souvent, nous obli-
geant ainsi à Je citer longu~nent.
Dans l'examen des travaux d'un chimiste du XIXe siècle,
Auguste LAURENT (18'15),
BACllELARD insiste sur trois idées
chères à A. COMTE:
la)
La
chimie, comme toute science posi-
tive,
ne se borne pas il la (kscription des phénomènes observés.
2 0 )
Elle établit des rapports entre les éléments considérés.
"Une classification,
~crit LAURENT à GERHARDT, doit offrir une
I série de rapports". 30 ) . La chimie moderne nous permet de pré-
voir. Une classification chimique doit nous conduire, non seu-
lement à ordonner les expériences, mais aussi à créer des
substances toutes nouvelles,
à l'révoir des faits nouveaux.
Supposons par exemple,
nous dit GERHARDT,
qu'on ignore
le point d'ébullition de J'acide prOIJionique. On peut indiquer
a priori ce point,
grace à la classification, si on le cannait
déjà pour d'autres acides de la série à Jaquelle il appartient.
Or ici,
le point d' ébulli han des homologues de l'acide 1'1'0-
pionique est conllU. On sait que
:
L'acide formiqlJe bout à 100 0
l,lac.i.cle
ac(:I:"i.que bo IJ t
'\\
12()0
L'acide propion:i que bout A
?
L'acide butyrique bout à 16'1 0
L'acide vi1lér.ique bau t à 1'15 0
L'acide caprolque bout à 202 0
Ces points d'ébullition permettent de prédire gue, dans des
condi tions normales,
l'acide propionique bout aux environs
de 140 0
(1).
A. LAURENT, chimiste d'obédience positiviste est,
aux
yeux de l'auteur de la Pormation de l'esprit scientifique,célui
qui a le lnieux exécuté l'art de la nomenclature tel que le
définit COMTE, c'est-à-dire, comme une disposition qui ne
classe pas les substances selon le.modèlco aristotélicien du
genre prochain, mais à partir de deux coordonnées,
l'une
correspondant à une lLsne horizontale,
l'autre à une ligne
verticale. "Je viens d'acheter,
écrit LAURENT à GERHARDT, un
long et large registre dans lequel je vais essayer de faire
rentrer mes séries verticalement et vos homologues horizon-
talement"(2').
. . .1
(1)
Exemple de Gerhardt, ci té par Dachelard,
p. 7'1.
(2)
ibid,
p. 77.

- 240 -
Si les premières tentatives de classification chimique
ont été peu fructueuses,
c'est surtout parce qu'elles étaient
réductrices. FOURCROY a pris comme unique critère de sa classi-
fication la faculté plus ou Inoins grande des éléments d'être
"acidifiables",
tClndis que THI'NARD (1813) s'est surtout fié
à l'affinité de,; métaux pour l'oxygène.
Et c'est CONTE qui,
selon BACHELARD,
a été le prem:i.er à percevoir la nécessité
d'une synthèse générale clans la Classification chimique:
"Auguste CONTE a fort bien apprécié ce qu'il y a de spécial
dans le problème des classifications chimiques"
: i l faut
considérer l'ensemble c1es propriétés des corps chimiques.
Et
il cite à nouveau ce passage du Cours : on peut "poser en
principe que la hiérarchie des substances élémentaires ne doit
pas &tre uniluement déterminée par la seule considération de
leurs propres caractères essentiels, mais aussi par celle, non
moins indispensable,
quoique indirecte, des principaux phéno-
mènes relatifs aux composés qu'elles forment.
Ainsi conçue,
cette question est une des plus capitales que puisse présenter
la philosophie chimique: bornée,
au contraire,
à l'examen
direct des corps simples,
elle offrirait aussi peu d'intérêt
que de rationalité
; car,
en soi-même,
il importe assez peu,
sans doute,
suivant quel ordre conventionnel on procéderait
à l'étude successive de ces cinquante-six corps, dont les his-
toires propres sont nécessairement indépendantes"
(1).
d) "Cet esprit chimique" défini par Cor~TE, et longuement
préparé petr les travélux de Dur~!\\S (1828), de DESPRETZ (1830),
de HOEPER (18~1) et de BAUDRIMONT (1844) trouve sa réalisation
la plus parfaite dans la classification des él~nents établie
par MENDELESff
(1834-190~); Classification dont on nous auto-
risera de dire quelques mots,
en négligeant,. non sans regret,
maintes remarques de détails,
pour ne faire ressortir que
l'essentiel qui. ne peut passer in,"perçu aux yeux dl> philo-
sophe (2).
.../
(1) ibid,
p.
82.
(2) Menc1éléeff ou Mendeléev Dimitri Ivanovitch est un chimiste
russe qui,
le premier,
a émis l'idée de la gazéification sou-
terraine de la h0u.i.lle.
f.n philosophe,
i l se disai t "réaliste".
En plus de la dêcouverte de la loi périodique des éléments,
i l mit,
en physique, un. terme à l'oppositiorr entre les liquides
et les gaz,
et apporta des rectifications à la loi de Mariotte
dont il montra le caractère relatif.

-
241
-
MENDELEEFF commence par considérer un élément monovalent.
Il essaie ensuite de déterminer les combinaisons des différents
.r,~···.~,·
._ ~
éléments dont il dispose avec cet élément ~onovalent. Ce qui
lui donne huit types de combinaisons. Soit, par exemple,
X
l'élément monovalent c.LassificatelŒ ; et soit R. les élé-
l
ments à clc,sser. Ces éléments p. vont former i0ec l'éIément X,
1.
huit groupes fonctionnels, c'est-à-dire, les
hUL t combinaisons
suivantes
R
X
R
X2
'.c x3 , l'?~ x~
R
5
6
7
xB
'a
" b
- ,
'
' u '
'e X
, R f
X
,Ièg X ,Rh
hfin d'obtenir une classification complète et rationnelle,
MENDELEEFF prend comme critère le poids atomique des éléments.
En présence des 65 él~nents chimiques déjà découverts à cette
époque, il s'efforce de les localiser dans une grille à deux
entrées: horizontalement, on a la période ou la série qui
comporte les substances de poids atomiques voisins mais aux
propriétés ch:imiql!.es très éloignées; verti.calement, on a,
au contraire, J.es corps ëlUX poids atomiques très différents
et aux propriétés chimiques analogues. En d'autres termes, le
tableau comporte les deux entrées suivantes:
(1)
, . . - - - - , - - - - - - - - - - -
période ou Série
- · - - - 1 - - - -
Q)
~
~:
a
r·1
o
lJ
Ce gui importe dans une classification, ce sont les familles,
c'est-à-dire ici, la disposition verticale. Et la classifi-
cation est dite périodique parce qu'on est obligé de changer
de colonne après la huitième case. De ce tableau, il tire la
loi périodique des f~]ément~; qui s'exprime en 1869 : "Les pro-
priétés des corps simples, comme les formes et les propriétés
des combinaisons sont une fonction périodique de la grandeur
du poids atomique". Sa formule moderne est: Les propriétés
des corps sont en fonction périodique du numéro d'ordre ou de
la charge du noyau atomique (2).
• •• f
(1) cf. Dagognet, Tableaux et langages de la chimie, p. 114.
(2) Il faut noter gue la masse de l'atome est étl'o;i,tement liée à la
charge du noyau qui est l'équivalent du poids atomique chez
Mendeléeff •

- 242 -
Mais, ce qu'Il faut surtout retenir - et c'est ce
qui
est pelJt-être Je plus intéress~nt du point de vue philoso-
phique -
c'est
que, contrairement à la classification de
N8WLANDS (1865) qui ne laissait aucune place libre sur le
tableau, celle de MENDELEEFF comporte des cases vides oû
doivent se ranger des éléments non encore découverts. Ces
cases "en blanc"
suscitèrent, en effet, des recherches qui
aboutirent à des clécouvertes confirmant la prévision du Russe.
C'est ainsi que dans la sixième édition des Principes de
chimie, son auteur note que LGCOQ de BOISBAUDRAN (1875) a
découvert le gaUi.um 'lui est identiql1e il ]'éka - aluminium,
que NILSON (1879) a isolé le scandinnl, l'équivalent de l'éka -
bore, et que vIINKL,!::R (1816) a déterm·1.né le germanium de même
nature 'lue l'éka - siliciu~ ..
M. DAGOG!I~r
aime à souliyner l'iMp~rtance historique de
la découverte et: surtout de la dénominOltion de ces trois
derniers éléments. L'histoire des sciences est indissociable
de celle des autres prati~ues sociales, des institutions po-
litiques et idéologi'lues. Con~rairement aux idées reçues, la
science n'est pas apolitique. C'est ainsi que LECOQ de BOIS-
BAUDRAN étant Français, les Allemands ont cru voir dans"la
dénomination de sa découverte, "gallium", une référence au
coq gaulois. Aussi, nationajisme oblige, n'ont-ils pas hésité
à relever le défi en bd'pt: i S2 l t l' élémen t de WINKr,ER "germa-
nium". Les Scanùinaves se re..'usant d'être des restes emboî-
teront le pas aux Allemands, d'oû le nom patriotique de
"Scanùium" pour l'élément (le iHLSON.
Notons que tous les élémeJits chimiques mis en évidence
depuis plus d'un demi-siècle ont trouvé, le plus souvent, et
avec une facilité étonnante, leur place dans les cases qui
leur étaient destinées par Mt:NDE:LEEPF. On sait par exemple
que le masurium correspond exactement au numéro '13 du tableau,
le rhénium au numéro 75,
tous deux isolés en 1925 par le
docteur NODDACK ; que l'illjnilJm découvert par IIOPKINS se
place au numéro 61
; et qu'enfin l'élément 87 a été reconnu
en 1930 par AJ,LISON et tlURPHY.
. . .1

I~-"--~·_---------_·_----~
1';\\IH.L\\11 IH: 1.,\\ 1"(lI\\1FNCL\\TIIHE CIII:\\II()UE
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CO~II11NÊ":S SANS
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.\\ '1':(;
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1H;;t:OI\\ Il'1 IS(':FS
C\\U HUl)I)(-;
1,'(IXYI./·Nl·;
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(j,lL ,lJ'LlIÎqlJe
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0) Sllh~I:lI1CCS
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1\\ + )Il ~. IV
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C\\LI>RIOt/E
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cJXYCI'::NF. SllR
AI.LI,\\(~F.,"-"
i
Hr\\SF..';
~
Gaz
(lU II~s Acides
Addcs grlleux
.sd~
CLASSIFICATlON rÉRlODIQUE DE l\\IENDÉLÉEFF
ClROUI'E Il
IGROUI'I:: III
GRUI)I'1\\ IV
(lIlQUPE \\'
GROUPE VI
(iIWllI'E VIII
(,llOUPE VII1
GR. Cl
2
Il
Ile
1
10
2
Li
Be
Il
N
o
Ne
2
3
NB
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"
........ .;.;.;.:->
4
"""''''21----1--1
lalllllllllid~s "
"
60
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"
6'
"
"
"
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"
"
70
71
Cc
l'r
l'Id
Pm
Sm
Eu
Gd
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Dy
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- - . - ,,---- (jj- '.-- -,,-- ''6'-- .,- -,,-- ,,-- ~ ~- ~. ï<il-
actinides '"Th "r.
U
Np
rll
Am
Cm
Dk
cr
E~
Fm
Md
l'lu
urnmdcs
cu rides
cf. F. DAGOGNET
Tableaux et langages de la chimie, p. 112
et sq
/

- 244 -
Mais i l Y a plus. A bien observer le tableau, on a
l'impression que M8NDELEEFF a vi.olé le principe qu'il a lui-
m?>me établi. Car commellt E,xplicluer que plusieurs éléments
soient localisés au même endroit? Par exemple,
apfès la
découverte du radium et celle de la radio-activité,
le nombre
des élémerlts radio-actifs avait si rapidement augmenté qu'il
n'y avait plus de place sur le tableau période pour les conte-
nir tous. Des études prouvèrent par la suite que les éléments
radio-actifs qui n'ont pu ~tre classés avaient des poids ato-
miques presque sembJables à ceux de certains éléments déjà
localisés sur le tableau.
Il fallait donc les mettre ensemble
si on ne tenait pas à allonger le tableau initial au risque
de le pervertir. "l)uisque, dit BERTHOUD,
la position d'un élé-
ment est détermi.Ti';'e par l'(~nsemble de ses propriétés,
il est
clair que les éléments chi.rnJguement identiques doivent occuper
la m~me place. Le petit nombre de cases disponibles cesse
donc d'~tre un obstacle à y faire entrer tous les éléments
radio-actifs".
Gt c'est la uénéralisation de cette solution
trouvée pour les radio-éléments à tous les autres éléments,
c'est-à-dire,
la localisation des éléments dits "sub-chimiques"
dans une m?>me case,
à la m~me place du Système période, qui a
vàlu à cette caté[]orie cl'éJ,0ments le nom d'isotopes.
Nous ne suivrons pas davantage G. BACHELARD et M. DAGOGNET
dans la recherche de toutes les retombées scientifiques de
la classification de I1ENDELEEFF. Nous passerons donc sous
silence des travaux comme ceux de THOMPSON sur les propriétés
de l'atome,
pour tirer queJques leçons de cette histoire de
la taxinomie.
D'abord, MENDELEEFF a introduit en chimie un instrument
heuristique de grande portée, un outil de prévision qui hisse
cette science au rang de la positivité. La preuve:
les pro-
priétés des corps découverts par la sui te co'i.ncident avec
celles prédites par le sùvant. Par exemple,
le poids atomique
du germanium est ùe 72,6 au lieu de 72 comme prévu par MENDE-
L8EFF. En outre,
le Russe a porté un coup mortel à l'agnosti-
cisme. Il n'y a rien qui ne puisse être connu de l'homme. La
raison bouscule sans cesse le royaume du mystère. Mais par sa
loi,
i l a surtout contribué, comme i l le souligne lui-mi'!!me
dans les Principes de chimie,
à asseoir le déterminisme dans
cette Science,
par l'élilnination du hasard. Sans la loi pério-
dique, écrit MGNDELGEFF,
la découverte de nouveuux éléments
.. .1

- 245 -
"
••• ne pouvait ~;e faire qu'au moyen de l'observation •••
Seul le hasard aveugle, une perspi.cacité et un don d'obser-
vation particuliers aboutissaient à la découverte de nouveaux
éléments
•••
La loi.. de la IJéI'iodicité ouvre,
sous ce rapport,
une nouvelle voLe ••• " (1). Somme toute,
à nos yeux,
l'his-
toire de la classification chi.mique est le modèle de l'his-
toire des sci ences. 'l'ou t s' y
trouve pris en considération :
les données purement sc:ientifiques,
l'influence des progrès
techniques,
l'ingérence de l'idéologie. Dans le domaine de
la chimie,
le tablea1' périodique est ce que nous proposons
d'appeler un phénom~ne épistén~logique total au sens 00 Marcel
MAUSS parle de "phénomène social total".
En dernière analyse,
il ressort de ce qui suit -
n'en
déplaise à M. SERRES -
que l'histoire confirme l'élection·
comtiste de la taxinomie, comme art d'inventer et non seule-
ment d'inventorier ou de collecter.
Il est du reste curieux
de constater que c'est dans la chimie encore au stade embry-
onnaire au début du siècle passé,
et l'our laquelle le profes-
seur de mathématique était censé être le moins préjJaré,
que
les analyses et les proj ections de COMTE se sont révélées à
la fois
très incisives et conformes à la réalité. Certes, i l
a bien pu se tromper sur certains points. comme du reste
nombre de chimistes de son épo'lue. On sait par exemple qu'il
s'est opposé à la théorie atomistique et qu'il a joué à
l'équilibriste aLl sujet cle la fixité des "proportions". Mais
n'étai t-ce pas en s' applJyan t à chaq,,," fois sur l'un ou l'au-
tre des chimistes contemporains:
ClmVlèEUI."
BERTHOLLET ou
BERZELIUS? Il a même eu peut-être tort de récuser la chimie
organique dont il juge la constitution d'irrationnelle et de
nuisible. Toutefois,
i l faudra reconnaître que dans ses gran-
des lignes,
la science moderne n'a pas démenti les indications
du Caurs. De cette science naissante i l a su saisir le vrai
visage,
et c'est à juste titre que M. DAGOGNET écrit:
"Il
nous semble en fin de compte,
qu'Augsute COMTE est entré dans
le vif des polémiques qui divisaient les chimistes au début
du dix-neuvième si~c~e. Il n'a pas craint de prendre position
•••
Le cours de philosophie poqitive a su discerner les
tendances les l'lus fructueuses, opérer un audacieux partage
entre ce qui lui parait retardataire et ce qui,
en revanche,
forme déj à un ensemble cohéren t, nouveau.
Et le Cours défini t
un prodige, dans la manière où,
le plus souvent,
Auguste COMTE
trie équi tablement"
(2).
-1
(1) Mendéléeff,
principes de chimie,
Ge édition,
p. 390.
(2) Ph:f.losophie première,
Préfè~~ t TIl, Hermann, 1975. p. 56'1.
_._----_:- ..-- ..:__.."_.

- 246
5°)
La bioJoUi(~
a)
La seconde science encore en germe dans laquelle
l'intuition de conTE; s'est révéJ{~e sans défaut, c'est celle
des corps orcrani'lues dont l'examen domine ]e trosi~me volume
du Cours. Si lo['squ'i]
solJ,icitait la création d'une chaire
d'Histoire Géllérale des Sciences au Collège de France COMTE
ne songeait point à la hiologie dont il fait très peu cas
dans ses oeuvres de j 'cunesse ; et si c'est il LM1ARCK en France
et il TREVTRANUS err AJlplnagne qu'appartient le mérite d'avoir
introdui t
simultanément, m,1is séparément,
le mot biologie en
18ü2
;
c'est il COMTS que revient l'honneur d'en avoir géné-
ralisé l'usage,
Em
11;';' donnèlnt une définition qui
la distingue
de la physiologie:
"Ainsi,
quoique la philosorhi.e positive
['I,isse quelquefois é['rouver le hesoin d'emplover la dénomi-
nation de biologie pour dési(Jner somma:i.rement l'ensemble de
l'étude réelle des corps
vi.vants,
envis~gés sous tous les
aspects généraux qui leur sont propres, on doit cependant
réserver soi.gncHs0m~nt cette :importante ex.pres::'>Ï.on comme titre
spécial de la partie vraiment fondamentale de cette immense
étude, o~ les recherches sont à la fois spéculatives et abs-
traites"
Cl).
!~n dl aIJtres termes, les sci.ences ch:~ la vie se
composent de trois branches
: ]' ani'ltomie,
ICI physi.olog.ie et
In biotê1.x:1~, "le nom de biolDgie
étant: consacrf' ~ désigner
leur ensemble".
Le concept organisateur de la philosophie biologique de
COMTE, c'est la notion de vie dont la première définition
positive a été èbauchéc par
BICHAT:
"La vie, c'est l'ensemble
des fonctions qui rèsistent il
la mort". ~lai.s malheureusemcmt
l'ensemble de la conception de ce granel physiologiste est
insati:sfai.sant p,]l'ce qu' il met dos à èlos les lois du monde
organique ,~t CCLIX du monde .inorganique. COM'I'E le corrige donc
par LAMAJ,CK en inc;j st an t sur l'idée que la condi tion primor-
diale de la vic, c'est la cC'imexion intime entre l'organisme
et le miJieu.
"C'est de l' .,ction réciproque de ces deux élé-
ments que résultent inévitablement tous
les divers phénomènes
vitaux,
nan Sf'lllement animaux, comme on le pense d'ordinaire,
mais aussi organiques.
Il
s'ensui.t aussitôt que le grand pro-
blème permanent de la biolo~lie positive doit consister à établir,
pour tous les cas, d'après le moindre nombre possible de cas
invariables, une exacte harmonie scientifique entre ces deux.../
(1) 40e leçon,
pp. 742-7'13.

- 247-
inséparables puissances du conflit vltal. et de l'acte même
qui le constitue,
préalablement ,o;nalysé ; en un mot,
à lier
constamment, <'l'une manière non seulement générale, mais aussi
spéciale,
la doubJ.e idée d'organe et de.milieu ave~ l'idée de
fonction"
(1).
1'. importe (Je n~)ter que si Georges CMJGUIUrE:~1 s'attache
à maintes reprises à l'an21yse de la philosophie de COMTE,
Cl est
moins parce qu'il aclmi.re cet auteur
Comme hj.storien
des sciences,
que par'ce 'lu'il voit en lui "le plus illl,lstre
représentant de l'école de Montpellier en phiJ.osophie biolo-
gique,
sinon en biologie"
; c'est-à-dire le continuateur de
BICHIIT et de DIIRTlICZ. lIussi le voit-on insister (Jans la·
Connaissance dl) vi.vaJ1t Sur les rapports entre l'le vivant et
son milieu",
ce dernier mot ayant ch~z COMTE une signification
bien définie
"je ferai Gl,·,ormais,
en biologie,
[usage J du
mot milieu,
pour désigner ''l'éclalement, cl' une manière nette
et rapide,
non seulement le fluide 00 l'organisme est plongé,
mais en général.
l' ("l)sembJe total des ci.rconstances extérieures,
d'un genre quelconque,
nécessaires à l'existence de chaque
organisme déterminé".
Et il a même le sen timent cJ'@tre l' infu~
seur de cette notion dans les conceptions biologiques
: "ceux
qui auront suFfisamment m~;d·i.té sur le rôle capital que cloi.t
remplir,
dans toute biologie j:Jositive,
l'idée correspondêmte,
ne me reprocherons pas,
Sêlll,;
doute,
l'introduction de cette
expression nouvelle"
(2).
Mais J'histoire clu concept cle mi.lieu que CIINGUILHEM trace
clans ce chapitre nous montre que ce n'est l'as réellement à
CO~jTE que revient ](0 mérite qu'il revendique. Terme mécanique
dans les écrits de d'ALEMDERT et DIDEROT,
la nol:ion de mi.lieu
apparaît en mécani.']ue avec NEl;iTON,
et ne fu t
introdui te en
biologie,
uniquement
él.U
pluriel,
quI avec
LJ\\['1J\\RCK,
disciple de
BUFFON; pour Ile trouver son usage effectif que chez DE BLAIN-
VILLE. Il. COM'fE n'en il donc fait usage au singulier
qu'à la
suite de
Geoffroy SIlIllT-lIII.IIIRE 'lui s'en était
servi comme
terme abstrait sept ans l'Jus tôt.
Importé dans la littérature
par BIILZIIC en 'l 81\\2,
ce terme dé'vient, avec la race et le momen t,
le troisième principe d'explication analytique cle l'histoire
chez TIIJNE qui l'infusera clans les pensées biologiques
de GIARD,
LI': DANTEC, HOUSSIIY, CONSTANTIN,
Gaston BONNIER,
ROUr,Ey3
....
(1)
ibid,
p. 682.
(2)
ibid, note de l'auteur.
\\
(3) Canguilhem,
la connaissance du vivant,
pp. 129-130 cf. Cours
'13° leçon.

..'
- 248 -
Voici ce qu'écrit CANGUILHEM commentant la théorie comtiste
du milieu:
"Lee; uri.gines newtoniennes de la notion de milieu
suffisent donc à rendre compte de la signification mécanique
initiale de cette notion et de l'usage qui en a d'abord été
fait. C'est si vrai qU'Auguste COMTE proposa en 1838, dans
la XLème leçcn de ,;on Cour's de philosopl'lie positive, une
théorie biologique généra I.e du milieu ••• Mais on voit aussi
chez COMTE,
qui a le senti.ment net de l'origine de la notion,
en même temps que de la portée qu'il veut lui conférer en
biologie,
que l'usage de la notion va rester dominé précisé-
ment j'ar cette ori.girle méc~nique de la notion,
sinon du terme.
En effet,
i l est
tout à fait intéressant de rePlôrquer qu'Au-
guste COMTE est S1,1' le point de former une conception dialec-
tique des rapports entre l'organisme et le milieu. On fait
état ici des passages où Auguste COHTf': défini t
le rapport de
"l'organisme approprié" et du "milieu favorable",
comme un
conflit de puissances" dont l'~cte est constitué, par la fonc-
tion" (1). COWl'J': aFfirme,
en effet,
ql1'i.l y a inl:eraction
entre un organisme et son systèrne ambiant.
CANGUILHE~1, dont l'int(~rêt pour le vitalisme est mani-
feste,
déplore le fait que COMTE minimi.se l'action de l'orga-
nisme sur le lr.ilieu,
fuit qui
tient: à ce qu'iL conçoit cette
relation en référence au principe newtonien de l'action ~t de
la réaction. Tel est du reste,
le sens de la formule mathé-
matique de la relation du milieu et de l'orgallisme : Dans un
mi lieu donné,
"é tan t donné l' org ane ou la mod i.fi.ca t ion org~
nique,
trouver la fonction ou l'ôcte,
et réciproquement".
COMTE se montre mécaniste parce qu'il verse dans une quanti-
fication excessive de lu qualité de l'organisme,
puisque les
données qui constituent le milieu sont, d'après lui,
"la pe-
santeur,
la pression de l'air et de l'eau,
le mouvement,
la
chaleur,
l'électricité,
les espèces chimiques".
Et G. CANGUIL-
HEM de conclure sur cette an,31yse du. concept
de milieu chez
COMTE; :
"En résumé,
le bénéFice d'un his torique même sommaire
de l'importation en biologie du terme de milieu, dans les
premières années du XIXème sièCle, c'est de rendre compte de
l'acception origi.nairement stri.ctement mécaniste de ce terme.
S'il apparaît chez. COMTE,
le soupçon d'une acception authen-
tiquement biologique et d'un usage plus souple,
i l cède immé-
diatement devant le prestige de la mécanique,
science exacte ••• /
(1) ibid, p. 133.

-
249 -
fondant
la prévision sur le calcul.
La théorie du milieu
apparait nettement à COMT8 comme une variante du projet
fondamental que le Cours de philosophie positiv~ s'efforce
de remplir : le moncle d'abord,
l ' homme ensui te : aller du
monde à l'homme.
L'idée de subordination du mécanique au
vital telle que la formuleront
plus
tar~, sous forme de mythes,
le Système de Politique positive et la Synthèse subjective,
Sl
elle est: pri'sulllée,
est né,"lmo:ins délibérément refoulée"
(1)
b) Mais qu'on 'le s'y méprenne pas. si COMT8 pose l'exis-
tence d'un détermirli.sme en biologie (2),
s ' i l admet dans une
certaine mesure l'emploi des mathématiques dans ce domaine (3),
cela ne signifie pas pour autant qu'il est mécaniste dans
l'ensemble de sa conception de la biologie. Car autant il
admire NE\\vTON,
autant il se montre prudent par rapport aux
vertus de la mathématique. On sait que BICHAT, dans les
Recherches notamment,
refuse l'application des mathématiques,
science du stable, à la connaissance <:le la vie.
Tl écrit:
"L'invariabili.té des lois (lui président aux phénomènes phy-
siques permet de soumettre au calcul toutes les sciences qui
en sont l'objet:
têlndis qu'app1iqué",s au'" actes de la vie,
les mathématiques ne peuvent jamais offrir des formules géné-
raIes".
r,;t plus loin: "L' instabi.l:ité.. des forces vitales a été
l'écueil
o~ sont venus échouer tous l.es calculs des physiciens
médecins des siècles passés"
(II).
Sur ce point -
et c'est ce qui fascine CANGUILHEM
Auguste CmITE donne son aval à BTCIIAT et à de BLI\\TNVTLL8.
Les phénomènes vivants échappent par leur nature au nombre ..'/
40e leçon,
p. 6811.
"Placé dans un système donné de circonstances extérieures, un
organisme défini doit toujours agir d'une manière nécessaire-
ment déterminée; et en sens inverse,
la même aCl:ion ne saurait
être produite idenLiquement par des organismes vraiment dis-
tincts". ibid.
" ; •. on ne peut conteSl:er qu'une judicieuse application des
notions fondanlentales de la géométrie et de la mécanique ne
devienne directement nécessaire pour bien comprendre,
soit la
structure,
soit le jeu,
d'un appareil aussi compliqué que
l'organisme vivant,
surtout dans les animaux".
ibid,
p. 725.
Art. VIT,
chal'.
T.

-
250 -
et à la mesure exacte.
"Sous ce seul point de vue scienti-
fique, on doit,
à ce sujet, commencer par reconnaître h~u­
ternent la profonde justesse de l'énergique reprobation
prononcée par I,lusieurs biologistes philosophes et surtout
par le granù BICliAT C()l\\t,'(' I:onte tentative d'a.pplication
effective et spéciale des trléories mathémat:iques aux ques-
tions physiologiques"
(1).
Et il ajonte à la pa0e suivante
"Ainsi,
aucune id(:e de nombres fixes,
à plus forte raison
de lois numéri'1ues.
et surtout enfin d'investigation mathé-
matique, ne peut être regardée comme compatible avec le
caractère fondamental des recherches biologiques".
Aussi. s'élève-t-il contre l'invasion de la médecine. par
les staU.sti'iues. En effet, i\\ la suite des travaux de GRAUNT
(1620-1674)
q~i s'est efforcé de recenser les différentes
causes de décès,
et de Daniel BERNOULLI qui a effectué une
étude de probabi,lil:é sur 12\\ vari.ole,
l'on assistait à un
empire de plus en plus gratld du calcul sur la médecine. Les
travaux, notamment, de Francis BISSET HOvlKINS,
publiés dans
Elements of medical statisUcs (1829) ou ùe PINEL,
la Cli-
nique expérimentale (1802) faisai'2nt époqlle.
l'our COHTE; qui
rejoi.nt les iùées de CADANIS dans Du denré de certitude de
--_.-
la médecine (180J),
"llne telle méthode, s ' i l est permis de
lui accorder ce nom,
ne serait réellement autre chose que
l'empiri.sme absolll,
déguisé sous de frivoles apparences
ma théma tiques" (::».
Toutefois,
l'llsaSlc des instruments techniques est forte-
ment conseillé p,'1r C:O~1Trê.
Plus les objets d'une ',cience sont
complexes, et plus augmentent nos moyens de les étudier.
L'observa tion empiri.'lue ne ùonnan t pas lieu à une connaissance
scientifique,
l'emploi des instruments est indispensable pour
suppléer à la faiblesse de nos perceptions,
surtout en ce
'lui concerne la vision. Car observer, ce n'est pas voir.
. . .1
(1)
40e
leçon,
p. 721-
(2)
ibid, p. 7211. cf. Comm"ntaire de Canguilhem,
Etudes, p. 79
et sq : "le concq't de molécule organique ou d' ai1Iiiïalicule
composant d' lm vivant complexe véhi.cul<:> une analogie dange-
reuse entre la ch.imie et la biologi.e".

- 251 -
C'est faire une investigation de données plurisensorielles
par des artifices
techniques.
Le microSCOIJe,
par exemple,
est le bienveml en biologie.
8t François-Vincent RASPAIL
(1794-1878),
l',)n des premiers en France à appliquer le
microscope
à cette époque beallcoup pl.us un objet de fan-
tasmagorie qU"Jninstrument d'investi~Jation scientifique -
à l'étude des êtres organisés,
a eu raison d'écrlre que
"les NOLLE'J',
les IJI\\KER,
les SPI\\LLI\\NZI\\NI,
les FONTANA,
les
HOOKE:,
les BUFFON,
et
tant de physiciens
célèbres
••• n'ont
jamais manqué d'employer cet instrumenl:". Le souhait de COMTE
est que tous les sens pnié;sent être prolongés, doublés d' ins-
truments analogllcS. "Il faut même concevoir par analogie que
tous les autres sens,
sans en excepter le toucher,
seraient
toujours probablement susceJ,tibles de donner lieu à de sem-
blables artifices,
qui pOllrront un jOllr être suggérés à
l' inquiète ~~agaci té des explorateurs par une théorie plus
rationnelle et
j,lus complète des sensations correspondantes,
ce qui ilchèvel'ait le système,
à peine ébauché, de nos moyens
factices d'observations direct:es"
(1).
c)
Le secolld mode d'investigation scientifique,
après
l'observation, c'est l'expérimentation. L'application de ce
procédé propre allX sciences des corps inorgi1niques en bio-
logie est à la foJ.s indispensable et dangereuse.
Elle susci te 121 méfiance de COMTE parce qu' elle consiste,
pour un phénomène donné,
à modifier les condi.tions premières,
afin d'observer
les transformations qne cette modification
introduit dans le phénomène. ELie consiste à placer le phéno-
mène dans une situation créée artificiellement. Une bonne
expérimentation snppose donc deux conditions fondamentales.:
"1 0 )
que le chi1ngement produi t soit pleinement compatible avec
l ' exi s tence du phénomène étudié,
sans quo i
la réponse serait
purement négative; 2°)
que les deux cas comparés ne différent
exactement que 50llS un seul point de vue ••• ". Or la nature
des phénomènes biologiques ne se prête pas à ces deux condi-
tions. On ne peut pas altérer le milieu sans en même temps
perturber le fonctionnement de l'organisme.
En outre,
un mor-
ceau de calcaire conserve les mêmes propriétés que la roche-
mère. Il n'en va de m0me lorsqu'on sépare un organe quelconque
d'un organisme.
Il y a entre les différentes parties des êtres
vivants une corrélation si grande 'lue toute expérimentation . . .1
(1) ibid.

-
252 -
risque de troubler,
de suspendre,
voire de faire cesser
Ir accomplissement norm"l des fonctions vi tal.es.
"Un orga-
nisme quelconque constitue,
par sa nature,
un tOllt nécessai-
rement inclivisi.hle 'lue nous décomposons cl' après un simple
artifice intel.J.ectllel.•
afin de mieux connaître,
et en ayant
toujours en vue une recomposition ultérieure"
(1).
La
tradition expérimentale n'est donc pas â l'abri de
la fantaisie;
ce qlü exp11(we que la plupart des
tentatives
n'ont eu pour résult:at que (J'encombrer la science des futilités.
Continuateur de DE lJLAHlVILLf':, cr)MTE: é c r i t :
"Vêlrt expéri-
mental proprement d·i t offr" encore i\\ la ch·imie une ressource
capitale. Mais dans les études des corps vivants,
la nature
des phénomènes me pcu'a~lt opposer directement des obstacles
presque insurmontables à toute large et féconde application
d'un tel procédé; ou,
du moins,
c'est par des moyens d'un
autre ordre que clait ~tre surtout poursuivi le perfectionnement
essentiel cle la science b:i.ologi'lue"
(2).
Mais l'expérimentation a fait
ses preuves clans les inves-
tigations 00 elle a été appliqlJée judicieusement. C'est grâce
à elle que William HARVEY (1578-1657) a fait ses découvertes
sur la circulaT.ion clu sang;
que HALLER a pu cli:;tinguer
l'irritabilité de la sensibilité d'origine nerVetlSe ; 'lue
SPALLANZANI a réussi à établir 'lue la digestion 51lppose tou-
jours l'intervention du suc srastri'lue ; que BIClIAI' découvri.t
que le mouvement dl' sang entretient la vie du cerveau et du
poumon chez les animaux
;
el: 'lu' enfin LEGALLOIS
(1770-1814),
par les recherches conduites au laboratoire sur le système
nerveux des animaux a réussi à localiser le centre respiratoire
sur le blllbe. L'E,xl'érimentation rationnelle peut donc contri-
buer au développement de la biologie. "Le soin que j'ai pris
ici d'indiquer sommairement 'lue1.ques nOllvelles vues philOSO-
phiques rela t ives ,JU pel' fec Uonnemen t
général deI' expérimen-
tation bilogique doit,
ce me semble,
sllffisamment constater
que je regarde l'art expérimental comme pOllvant,
en effet,
concourir efficacement aux vrais progr~s ultérieurs de l'étllde
. . .1
(1) Comte reprend cette idée de Cuvier :
"toutes les parties
d'un corps vivant sont liées;
elles ne peuvent agir qu'autant
qu'elles agj.ssent ensernble. Vouloir en séparer lJne de la masse,
c'est le rapporter dans l'ordre des substances mortes, c'est
en changer entièrement l'essence", cf.
Préface de leçons d'ana-
tomie comparée.
(2) 40e leçon p. 390.

- 253 -
des cor ps v i v MIl: s" (1).
Il exi.ste m€'me
une autre piste d'investigation non encore
suffisamment exploitée par les biologistes et qui,
aux yeux
de COMTE,
pourrait donner des
r'É'sultats bien mei lIeurs que
l'expérience artificielle: c'est la méthode pathOlogique
suggérée par GROUSSAIS et qui porte sur deux choses
:
les
maladies et les monstruoé;ités
; l'état pathologique ne dif-
férant pas radicalement de l'état physiologique. L'expéri-
mentation consiste moins à
provoquer des situations qu'à
choisir judicieusement les cas représentatifs, donc révéla-
teurs. Or l'examen de nombreuses maladies, ceLles du système
nerveux en l ' occllrrence,
nous offre un moyen inestimable de
cerner les lois (le l'organ·i.sme normal.
En d'autres termes,
l'étude du "pathologique" est le meilleur moyen de connaître
le "normal". La maladie est une expéri.ence naturelle,
elle
préserve de l'arbitraire des procédés de laboratoire.
Il faut noter 'lue cette pl'udence de COMTE vis-à-vis de
l'expérimentation se retrouve également chez ses deux grands
héri tiers
: Claude BElmAJW et Georges CANGUILHE:~I. Le premier
qui admet aussi. une connexi.on intime entre l'organe et 10
milieu,
et qui est sans aucun doute le consécr,Jteur de la
méthode expérim<':ntale,
nous met en garde contre l'esprit
mécaniste En bioloQie,
à cause de la spécificité du vivant.
~
èL .l4.'Q,\\;".di2. de..
Il écrit dans l'Introduction j
la n\\édecine expérimentale:
li;
"Il faut donc bien savoir que,
si l'on décompose l'organisme
vivant en isolant ses diverses parties, ce n'est que pour la
facilité de l.'analyse expérimentale,
et non point pour les
concevoir séparément. En effét,
quand on veut donner à une
propri.étê physiologique sa valeur et sa véritaille signification
il faut toujours la raEF'0rter à l'ensemble et ne tirer de
conclusion définitive 'lue rel,ltivernenl: à ses effets dans cet
l'nsemble •••
Il est juste cle dire sans doute,
'lue les parties
constituantes de l'organisme sont inséparables physiologiquemen1
l~s unes des autres, et que toutes concourent à un résultat
vital commun, mais on ne saurait conclure de là qu'il ne faut
pas anaJyser la machine vivante comme on analyse une machine
brute dont toutes les partü,s ont également un rôle à remplir
dans un ensemble"
(2)
: J.égitimité de l'alJproche expérimentale,
du vivant, mais aussi difficultés.
• •• J
(1) ibid, pp. 693 - 69L1
(2)
Claude Bernard, op. cit,
1966, cf.
p. 100 et sq.

· : ~"
,
',~
- 254 -
Telle est ('éplement la thèse de G. CANGUILJl!':11, dans le
premier chapitre ~e la Connai.ssance dtl vivant: "l'expéri-
mentation en biologie animale". Dans ce texte,
il fait de
COMTE le précurseur Je Claude BERNARD, et s'arr@telongtemps
sur la quaranti.ème leçon du COL~S ~ont iJ cite le passage
relatif aux deux conditions de l'expérimentation rationnelle,
et à l'impossi.bili.té de leur réalisation complète en biologie.
Puis, à partir des difficultés relevées par ces deux penseurs,
iJ. examine ".les préca1Jti_ons rné1:hodologiclues or:igi.nales"
que
doit suivre le biologiste,
lesquelles dérivent de quatre
caractères fondamenl:aux pr()pres atlX phénomènes bioJogiques
leur spécificité,
la diversité des indivi~us, J.a totalité de
l'organisme et enfin leur irréversibilité:
leur spécifici.t<".
[J,noce qu'en biologie toute qénéralisation
est ,'lbusive,
en S(lrte qu'il aurait ét:é souhaitable que tou-
te loi expét'i.ttl(enL:l1 e porl:e, en plus du nom de ';on auteur,
celui de l'aniloal Iltilisè l'our l'expérience: J.a drosophile
pour l'hérédil:é, 10. cilien pour le réflexe el:c ••• "L'impor-
tant ici est qu' ,"\\Jcune acquisition de caractère expérimental
ne peut être généralisée sans d'expresses résQrves, qu'il
s'agisse de stl'Uctllres, (le fünction~; et de comportements,
soit d'une variété à une autre dans une m@me espèce, soit
d'une esp'i:'ce à l'autre,
.soit de l'anirnal à l'homme'·
(1).
la d·i.vcrsi~é des j,ndividus, parce qu'elle rose le prohlème
du choix de l'individu représentatif de son eSI,èce. tant il
est vrai qu'il est oiseux d'établir a priori l'identité
complète de deux organismes individuelS. L'identification
par e:<:emple de l'or9"nisme dIJ Cobaye à celu.i de l'I,omme
(en raison de J.3 température de leur corps), ou tout simple-
ment d'un individu X à un individu y n'est que théorique;
en sortè' que,
"dé même qu'en physique l'utilisation apparem-
ment ingénue, d'un instrlJlllent comme la loupe implique l'adhé-
sion, ainsi que l'a montré DUHI':I1, <J une théorie, de même en
biologie, l'utilisation d'un rat Glane élevé par la Wistar
Institution ilnplique l'adhésion à la génétique et au mendé-
lisme qui restent quand même, aujourd'hui encore, des
---_._----_._-._--------
(1 )Canguilhcrn,
10 C(~ll'HJr-ii:;.sance de 1.:1 Vle, Vrin,
1~80, p. 27.

- 255 -
théories" (1).
En outre,
l'organisme est un tOlit indissociable,
La ques-
tion de CANG[JILHr;;t'L : "Sst-iJ. possible dt analyser le déter-
minisme d'lAn
pll~nornèllc en }Iisolant, Iluisqu'on opère sur
un tout qu'alt~re en tant que tel tOlite tentative de pré-
lèvement ? ". La correlation nécessaire entre les différents
organes d'un orSJemisrne,
et surtout la polyvalence de pres-
que tous les organes nous conduit à cette conclusion : dans
le domaine dv vivant,
séparer c'est déformer; la structure
prime l'élément.
Enfin, le dernier caractère qvi complique l'expérimentation
en biolog-Le, c'est _l'irréversibiLiI:é dès phénomènes vitaux.
Tout le monde s01it qu'un oellf coagUlé par l'ébvlition ne
reprend pas ses propriétés initiales en se refroidissant,
et qu'un adulte ne peut devenir enfant. A cela il faudrait
ajouter la remarque dé' Claude BERNARD selon laquelle le
m~rtle aninlal n'est pas comparable à lui.-même selon les mo-
ments 00 on l'examir,e ; et celle de CANGUILHEM qui pose
que l'expérimentation sur l'homme,
à la différence de celle
sur les corps inorganiques, va au-delà des problèmes tech-
niques pour poser celui des valeurs : L'homme est-i.l une
fin ou un moyen, une personne 011 un objet? (2).
Les travaux de Claude B8RNARD et de G. CANGUILHEM conf ir-
m"nt donc '_:ette thèse de Cm1TE: : l' exp{~rirnentation en biologie
n'est ni ilLit.lle, ni impossible: "malgré cette sévère appré-
ciation philosophique de l'art expérimental appliqué aux re-
cherches physio logiques,
p,'r50nne ne conel ura,
j'espère. que
je veuille, d'une ,nanière absolue condamner son bon usage en
biologie". Mais e11-'o doi t être appliquée avec !)eaucoup de
circonspection; elle doit nécessair~nent respecter la spéci-
ficité des phénomèlles bioloyiques.
...,
(1) ibid, p. 29. Claude Bernar(] écrit:
"Vous dites qu'en phy-
siologie Jes résuJ tats SODe identiques quand on se réfère
à des c0ndi t ions identiqueê,. Je ni.e qu'il en soit ainsi.
Cela est eXdct pOLlT la nature brute,
...... mais quand la vie
intervient, on a 1:,eClu /'Itre (1,')ns des conditions identiques,
les résultats liE;uvent f:~tre différents".
Oeuvres (je C_:_;ju<Je.lJe~,:c1, Paris, Ibilœre, 1881, p. 76.
(2) ibid, p. 38. On pour~a lire avec intér@t les écrits de
Mounier (Emmanuel).

- 256 -
d)
Il aurai t é t é ' souhai I:able" de procéder à une étude
linéaire des analyses extrêmement lucides de CO!',!':'r. dans la
quarante-troisième leçon o~ il présente l'histoire de la
biologie du début du XVIIIe siècle jusqu'à BICHAT et à de
BLAINVILLE; dans la leçon suivante o~, s'appuyant sur les
doctrines de CABANIS et de GALL,
il développe une admirable
théorie sur la vie animale ; et surtout dans la dernière
leçon du troisième tome 'l'Ji annonce les couleurs de la phy-
sique sociale et dans laquelle se manifeste,
notamment,
l'hostilité du positivisme au psycholDgisme et à l'anthro-
pologisme trach ti.onnels, ceux qui apparaissent par exemple
dans les théories de Dr.SCARfE:S 011 de CONDILLAC. Mais nous
passerons sous silence ces thèmes que nous aurons l'occasion
de rencontrer par âilleurs,
pour creuser à fond la troisième
méthode essentielle de la l,ioJogie après l'observation et
l'expérimentation, c'est-A-dire l'art de comparer,
et son
corrolaire,
l'art cle classer. Car "la philosophie biologique
doit être regardée comme directement destinée,
par sa nature,
à perfectionner, 011,
pour mieux uir""
à développer, deux des
plus importantes facultés élémentaires cl", l'esprit humain,
dont aucune autre branche fondamentale de la philosophie
naturelle ne pouvait permettre la libre et pleine évolution.
Je veux parler de l'ar.t comp"ratif proprement dit, et de
l'art de classer,
gui, malgré leur correlation nécessaire,
sont néa,nmoins parfaitement distincts"
(1).
La méthocle compara'tive n'est rien d'autre que ce que
Geoffroy SAINT-HILAIRE a appelé d,ms les Pri.nci.pes de phiJo-
sophie zoOlo8isue la "théorie des analogues"
; puisqu'elle
consiste à mettre dans un ordre hiérarchique la grande diver-
sité des sujets dont s'occupe la biologie, c'est-à-dire à
concevoir tous les cas envisagés domme devant ~tre radicale-
ment analog1les pour ne considérer les différences gue comme
de simples modific,:ltions relal:ives aux caractéristiques des
organes. Quoiqu'il soit difficile d", préciser l'inventeur de
cette méthode qui a atteint son plus haut degré de p~rfection
avec CUVIER et de BL/\\INVILLI"
l'ordre u'enchaînement naturel
des comparaisons biologiques est le suivant
: "1°) Comparaison
entre les div",rses parties lle chaque organisme déterminé; 2°)
Comparaison entre les sexes
;
JO) Comparaison entre les di-
verSes phases que présente l'ensemble clu développement;
.../
(1) 40e
leçon, p. 732.
(2)
ibid, p. 702.

- 257 -
4°) Comparaison enLre les différentes races ou variétés de
chaque espèce;
5°)
enfin,
eL al" plus h~ut degré, comparaison
entre tous les organismes de Iii hiérarchie biologique"
(1).
Quant à l'art (le la. class:i.ficotion,
dont rlOl 1 S avons
montré l'importance en chimie et qui se retrouve,
en mathé-
matique, dans la conception de MONGE sur la classification
des surfaces en familles naturelles suivant leur mode de
génération,
elle est une Til(~I:hocle essentiellement hiol.ogiqlJe.
"Quelle que soi.t l ' :impOl"tance cles remarques éln210gues aux-
quelles peuvent aussi donner lieu les diverses branches de
la philosophie inorgani.que,
et notamment la science chimique,
on doit incontestablement reconnaître que le principal dévelop-
pement philosophique de If art de classer étai t nécessairement
réservé à la science biologique"
(2)
et ce,
pour deux rai-
sons essentielles: d'ab0rcl à cause de la. multiplicité et de
la diversité des êtres donl: elle s'occupe;
ensuite parce que
plus les él~nents à classer entretiennent entre E'lJX des rap-
ports très diverses,
pIns leur classification est facile et
parfai te. La preuve en est 'Ille la classification des anj.maux
est bien m'2:î.lleur~ qlle celle c1es végél:a1Jx parce (}W2 les orga-
nismes animaux,
plus variés et plus complexes,
se prêtent
mieux à ce procédé. Gt la classification zoologi'iue d'ARISTOTE,
aussi imparfaite qu'elle ait été,
était de loin supérieure
aux Classifications phytologiques modernes.
Mais si le père de l'ordonnancement des êtres en·genre~
"famille" et 'LIasse'; est i.ncontestabLement ARISTOTE,
notamment
dans bés part Les des an:Î.rnaux et fhstoire dps animaux,
l'ori-
gine dE J.a ClëlSS Lfica tion ra tionnelle remonte,
dans la biologie
positive,
aux "ura.mls travaux de Bernard de JUSSIEU et de LINNE".
Cet art a été ensuite développé par LAMARCK et cie BLAINVILLE.
Nous avons eu l'occasion, au sujet de la chimie, de défi-
nlr le"positivisme dagognétien"comme consistant surtout dans
le privilège de la classification dans les sciences. Cette
assertion se confirme 101'qu'on I,arcourt ses écrits sur la bio-
Logie,
nota~lent le ca.talogne de la vie. Dans cet ouvrage il
dOllne,
dans une certaine mesure,
son aval à l.a thèse comtiste
de la classification.
Il veut défendre la taxinomie contre ses
adversaires et montrer que le vivant est lin langage que l'on
peut décoder.
La classif·i.cation. c'est l'autre nom
1
Il
• •
(1)
ibid,
p. 732.
(2)
ibid,
p. 732.

-
258 -
de la sciencl',v(,;re (le lé]
r','1I:irm,lli.tr', pn f1énér,JJI'. ])0 mÊ'me
COMTE demande ,lU savant:-rhi.loso]Jhe de se repaître cie la mé-
thode des natul'éll:istes, de mÊ'me 1'1. OI\\GOGNET pense (lue cette
f02me de rati.onaU.té est cel le qlli
présiclera ,l toutes les
activités humaines.
IID~couv.rons notre ambition ùÉ"~rnesurée,
d i t - i l :
essayer cle montrer 'lae la vi.eille biologi.e, celle
d'ARISTOTE,
de 1'1I1':OPlIR.ASTf' el: cle LINNE,
et: alJssi
celle de
leurs successeurs, .forme une leçon indisperlsable aux cadres
et principalement c:l\\JX ernrJJnyés de ID. soc Lf::té DlDùerne, aux
fonctionnai.res des services nublics,
tous cie plus en plus
nombreux"
(1).
Plli.S i l s' adrr"sse directement
à ceux qui, comme 1"1. SERRES,
ont tendance à sitller la classification dans une position
subalterne.
"Et p(1I1r revenir sur l'objecti'Jn sourde de ceux
qui dévaluent
la
t,~xinornie, si.gnalons (p~e nous aurons plu-
sieurs fois
l'occasion d'en si.gnaler l ' importance.
Avec et à
travers elle se joue la Société. On a
longtemps affirmé que
l'amour des collecl:ions,
l'étude des
fleurs
(herbiers,
jar-
dins,
cabinets) occupaient des ~mes sacerdotales, sensibles
aux merveilles d"we nature profuse.
Remarque insuffisante,
puisque la science du rangement,
la cartographie des croduc-
tians v6gétaJ.es Ou arlimaJ_es
trarlsformera directelnent l'économie,
renouvellera les marchés,
inquiétera les rois et leurs conseil-
lers.
NOll5 .ne
noterons ras asse?,
:
Le magasin ne se borne pas
à ramasser ni à étaler.
Noi.
la s:Lmple ,"joie de posséder, ni
l'esthétiql.l''' du specti'lCle,
ni. l'attachement A l'inconnu,
l'exo-
tique ou le curiellx. Il implique sllrtout la volonté secrète
de maîtriser la nature. On tend à lui dérober son plan; on
vise à s'emparer de sa logique.
8t il en jaillira abondance et
richesse"
(2). Dans le domaine df, la philosophie biologique,
H. DAGOGtmT est à I\\uguste COI~TE ce que ZENON d'EJJ8E est à
PARHENIDE
un hér.itier,
mais aussi un prolongatellr. Aussi le
catalogue de la vie constitue-t-il une véritable histoire de
la taxinomie (;'1 bota./nique et en biologie animale au XVIIIe
siècle.
.../
(1)
François Dagognet,
Catalogue de la vie,
P.U.F.,1970,
p. 5.
Les idées-forces de ce livre se trouvent commentées par
M. Jacques Lambert clans un at.'ticle
: "classer vaut pour décou-
vrin,
coder vaut pour inventer"
in Anatomie d'lln épistémologue,
Vrin,
1981),
pp.
23-35.
(2)
i b i d , p . l l .

- 259 -
~ En botaA1:lCjlle 1.1 nous éc I.aire sllr les travaux allant de
TOURNEFOPT .) DI':SF'ON'L'i\\Tfms. 1,,) clilSS.i.fication phytotologique
~-".-
.
. !
.
~
s'est cl'abord ll€lu,tée
,Hl
problème de l'indice' de distri.bution,
c'est-ê-dire, du critère d'ordonnancement des végétaux. TOUR-
NEFORT,
L.INNE et cle JIJS~,IE;U,
chacun .J Sil manière, choisira un
élément classificateul' aya,'t ,)n rapport immédiat avec la graine.
C'est ainsi Cjue TOI.JRNE:F'ORT fa.it de la"corolle"(les pétales)
l'équivalent végétal de l'embryon anilnal. Certes, le germe est
la forme condensée du végétal. Mais il dépend lui-m§me de la
fleur, élément nOllrri.cier et déterminant. "Il semble, dit-il,
que les fleurs sont encore plus propres que les semences pour
établir les classes des plantes, à cause que ces partiesatta-
chent la vue plllS agréablement
L,a fleur ••• semble être
faite,
dans la plupart des plantes, pour préparer les sucs
qui doi.ve.,t servir de première nourriture à ces embryons, et
ce sont ces sucs qui commencent le développement de ces m~mes
embryons
•••. "
(1). Se référant I:ilntôt au nombre des pétales,
C/r!çsijir,arion des Ilf!r;éfaI1x (d'nprès 1'ounNRll onTj
Classes
'
l'
[ 1. ~::,~~pallirllr.
r\\:gu I~r('s
2.lnlllOdihuli.
mono-
rorlllcs.
pl't<'lh:s [ irr{:gll- [3. (lersonlH:c.<:..
lièrcs
fi, J."ddées.
!i. Cr llci(MII1C~
G. H.llsneée5
r<,gUllùI'CS
? ~hllh(\\lIJf~rl's..
[ fl. CMyophylléc!'l.
jlC'l\\Y-
9. Lillno~cs.
l
pél::l (!<;
[10 P.fipiliona-
[
irrégl!.
Cl'PS
lièrc3
1t Allomalcs.
12. FI(l~cllleu!':cS.
lIerhes
r,OlllpO~l~r.S : pll1!;~ellrs co- Cl. f)(~lI1i-l1o!:ic\\l·
l-::
à !leurs
,.vlle511un~ li Il calice.. . .. .
Iell~e!': .
[
..s
1'.. I1mliécs.
t-o
15. A {~tillllil\\cs .
.~m~
l
[ 1G. Snn::> nûUfS.
VI
_ <;f\\ns péta cs
1? Snlls neurs
~
<11
nÎ graines.
00
~
lsons l'ôtalcs
[:~: ~I~;I~~~~~~~"
~ t~lm~s
[un scul pétale
20. MonoptHales.
o ." .. t:urs lplHn.lées.
[rt,glllièrCS
21. Ho!!aeées.
à
phlSICUI\\ pélales
irrégu-
22. l'apiliona.
C
fières
cées.
Cf. Catalogue de la vie
p. 3'1.
(1)
Tournefort,
Elémen ts de botarL.--i.que ou méthode pour connaître
les plantes, t
l,
1797, p. 102 cité par M. Dagognet,op. cit,
p. 31.

-
260 -
tantôl: à leurs ·,-":>5i.l:ion5 av;] 10111'5 formes,
ou tablant sur
des analogies,
il obtient le tableau ci-joint. Malgré les
critiques adressées à TOURNI':F'ORT et qui portent notamment sur
la substitution de la
j,étale au germe sur les cases-rebus et
les dédoublements mal assurés de
son système,
1.1 a
le mérite
d'avoir épuré le langage biologi.que.
Le système de LJNNE ne sera pas radicalement différent de
celui de son prédécesseur. Dans sa Phi losophie bot')~'lique, il
souligne l'importance du système,
de l'ordre.
"Le Système,
dit-
il,
est pour la boti'\\"~n:i.que le fil d'Ariane sans leql.lel elle
est un chaos ••.
Le système indique les J,lantes,
même celles
dont i l n'a pas fait mention,
ce que ne p~lt jamais faire
l'énul1léri'ltion d'un catalogue"
(1). Il a'.1opte comme critère de
Classification l'organe de reproduction
"Hoi,
j'ai travaillé
le système sexue!,
suivant le nombre,
la proportion et la si-
tuation des étam·ines pë;r ré'l'I'ort aux pistils". Voici son
tableau
'-'~"-.,
1
1. .MQn:lntlric.
~I)l\\e Hnminc
'
.
II. DiamIrie.
1Jr:lI)(,.
étamincs
.
III. Trinnrlrie.
1'1'111:-;
• . . • . . . . • • , •.••
IV. Tétrnnolric.
Qlln,l,rc
.
V. Penlnntlrie.
Cll1'l
.
Moins
VI. Hcxandrio.
Six
.
d'J vingt
VII. IIcptandric.
Sl:pt
.
f;I<lIlIIIlf;S
VII J. Octanllric.
!luit
.
JX. Ennéandrie.
-l'~lnmincs
Neuf
'
X. Der:.andrie.
'~l~ale~
llix
_
.
XI. DodccanJrie.
t:lltroelle~
Ùç oll7.e à dix-lleuf Ctamines
.
f..
Vil'Rl
[-
XII. Icosandrie.
?
Adhérentes ail
Non
~:l1ir;e
.
l ..
XliI. Polyandrie.
adl1érclll~
lrtl111\\n('~
Adherentes au réçeptndc
.
on JI 'IS
_
ent.l'e eux
\\.lllatre ét.amines, don!. Jeux plus lon-
TQujOllrR
])ell:'< é:aminr,s
XlV. Dirlynamie.
gues
.
réunis
plo!; .-;our{,i;-s
Hi~ étamines, dont quatre plus Ion·
dans
quo les autres
XV. Tétradynamie ..
~~lles
.
la 1Il~IlIC
fleur
4
non <lflhi'irelllc5 l
X VI. Monadelphi6.
Etnmil1cs
PM [-'l'OUles en un faisceau
.
XVII. Diodelphi•.
les
En deux r~isceaux
.
XVIII. Polyadelphie.
. '·1
filets
l':n plusieurs r:lisce:lIlx
.
Adhèrent!':.
~H pl"d
.
X IX. Syngcllésio.
Visibles
enlre eux
mais mitre (·Iles
Par It'S IIlllhères
.
XX. Gynandrie.
El.:llT1iilP.~ IIflh{;rentes nll pislil 011 posée,; Fiur lui
.
rl,ANT',l!I
X XI. M oncccio.
A
Non réunis
XXII. Diœcie.
onCA~p..s
dan9
SfP.XUY.LS
XX II 1. Polygamie.
la mème neUf
l:Flcnrs 1ll:1lescl remellf'R r.ur 10 m~lI\\e ilHlh·jtlu .
FIf1!lr3 ",l1Ies ct. rcmcll~s ~ur deux inllivirius rliITércnL,; ..
Fleurs tantùl lllAles, femelles, ou herm:Jphrodilcs, sur un,
deux 0\\1 trois inrli'o'hlus
.
.
X X IV. Cryplognmic.
-~
cf. Catalogue de la vie
p.
38
Philosoph·Le bo léL-llique , p. 5. cité par Dagognet, op. cil.
p. 37.
·1i

-
261
-
si LINN8 P2commence TOURN8fORf,
en revanche.
ADANSON,
grSce à son Voyage au Sétlé~ s'oppose aux deux premiers
classificateurs,
en se présentant comme le "EINSTEIN de la
botanique". JI Y introdllit la relativité et combat l 'euro-
péanocentrIsme
pas de nomenclature rigide,
pas de langage
universel.
Un argument cle poids contre le premier:
"Il y a
plus de la moitié des plantes étrangères qui ne fleurissent
pas sous nos climats"
(1).
Un autre contre le second:
"Les
végétaux forment,
au lieu de mulets, des espèces vraies et
franches,
qui se reproduIsent
••• Delà,
la difficulté de
définir quels sant les corps primitifs de la création,
quels
sont ceux qui,
paJ' la slJccessiolJ de la reproduction, ont pu
être changôs
.•.•
(2).
Quant à Antoine-Laurent de JUSSIEU,
i l rapproche la bota-
nique de la chimie en fondant sa classification sur les coty-
lédons et la topologie des étamines. Avec lui,
écrit M.
DAGOGNr,'r,
"ce n'est: pas la couleur,
l'aspect ou J'état d'un
corps qui méri t: 12 j ama LS de le définir, ma is l'invariabilité
de ses capacités (la réactivité), surtout la constance de
ses composés (combinaison)"
(3) •
• 1,H{cx ftlp.r/lOdi Ordines Na!ttrales Complectentis ~
Clau.
Acotyledones
_
.
1
8t.nminn
hypngyna
.
11
1l1onocoty)pdones.....
.. .
pC~'igyna
.
III
[
cplv,yna
.
IV
Stalllina
cpigyna
.
V
Aperalae
pcrigyna
.
VI
[
hypogyna
VII
COI'GlIn.
hypngynf\\
.
VIII
,
p"dg)'n,
.
IX f
;
,
MOllo('efaiae
epigyn:l [llllthCI'!S COII-
Dicotylctlones.
nl.lr:ll~ ....
X.
[
anthc.ri~ <.Iis-
tinct.il'1. .. .
Xl i
Slainina
cpigyna
".
XIl
1'olypr:rnrur:
hypt)R'yna
.
XIII il
[
perlgyna
'
.
XIV !
Diclines 'irrcgul;lrcs
.
XV 1
1. (Acolyledl'nie)
VI. l'cri~tarninio
XI. Corysanl.hérie l
rT. .M (mohj'p(l~D'nio
VII. lIypostn.mi.nio
XII. EpipHalie
,:.
11 L MOlloj1lJrigYlliû
VII I. lIypocorollic
XIII. lIypopélalie ''!.
IV. M('lllocpj~{j'nie
1 X. l'cricorollic
XIV. Pcripélalio
..J-
H'
V. Epir,lulIlinie
X. Synanlhéric
XV. Diclinie. ~
'",#
(1)
Adanson, Famille d85 plantes, p. 1 93, ibid, p. 44.
-----
(2)
ibid,
p. 157 c:i té ibid, p. Ll5.
(3 )
ibid,
p. 5LJ •

-
262 -
Et l'auteur boucle l.'analyse de la
taxinomie phytologique
par l'examen des
travaux de DESFONTAINES et de son élève
A. P. de CANDOLLE qui ont su embrasser dans un système cohé-
rent l'ensemble des divers points de vues que nous Venons de
présenter,
en établissant de façon lumineuse une correspon-
dance entre la graine et la plante (le tronc,
les feuilles
••• ),
la mi.niature et son agrandissement,
le laterlt et le manifeste,
le "dedans" et le "dehors".
* E n biologie animale, ce sont les travaux des auteurs de
référence de COMTE:
VICQ d'AZYR.
CUVIER. Geoffroy SAINT-HILAIRE,
qui retiennent l'attention de Il. DAGOGm:r. Nous dispenserons
le lect eur des clétails de l'ana lyse extrêmemen t séri euse et
lucide que l'épistémologue contemporain fait de chacune de ces
théories.
Nous nous bornerons à signaler que ses vues recou-
pent et éclairent sous un jour rlOllveau les exposés du Cours,
notamment dans les quarante-unième et quarante-deuxième leçons.
Sa conclusion témoigne Je l'identité de leur dessein malgré les
légères différences dans SOli exécution. La nomenclature,
" •••
cet te science prem:i.è l'e du d i.e tionnaire et de la j us te dénomi-
nation animale,
apparemment bien extér'ieure à la biologie,
en
assurera cependant le progrès. La zoologie va devoir sa vie
au livre,
au musée ou même à la ménagerie. Le catalogue (ou le
magasin) n'est pas une falVlcieuse commodité,
encore moins un
pauvre cimetière, mais la condition Inême de nouvelles conquêtes
et d'un réel savoir. A travers notre exalnen de la constitution
de la systématique,
nous pensons arriver à cette idée, cDhtraire
à un solide préjugé
que le monde,
dans sa profession,
n'a
pas été rapetissé,
ni enfermé dans le livre au prix de mutila-
tions, mais qu'à l'inverse le livre le r~veillera et l'appro-
fondira. Tout à fait paradoxalement,
en même temps qu'il sou-
mettait les faunes aux normes exigu~s de notre voix et de notre
alphabet,
le catalogue les réveillait"(l).
En définitive.
nous sommes loin d'avoir épuisé le contenu
de la philosophie biologique d'Auguste COMTE:.
Notre intention
n'est du reste pas la.
En l'régentant les textes du Cours à la
lumière des écr:i.ts de GCèorse c; CANGUn,In;~l et de M. François
DAGOGNEJl' -
tenants contemporains de l'Él'istémoloqie biologique
française -
nous avons surtout voulu montrer deux choses
: .../
(1)
ibid, p; 70.

- 263 -
la justesse et l'actualité des vues de COMTE en biologie.
Nous avons voulu amener le lecteur à cette évidence que non
seulement COM1'E a compris la biologie encore embryonnaire de
son époque, mai.s encore i l a développé une philosophie biolo-
gique qui,
tout en nous éclairant sur sa conception de l'his-
toire des sciences,
a ell,
et continue d'avoir une importance
considérable dans les débats philosophiques,
psychologiques,
médicaux et biologiques. N'est-ce pas dans les critiques que
COMTE,
s'appuyant sur GALL,
adresse à LAMARCK au sujet d'un
déterminisme intégral de l'animal par le milieu gue nombre de
psychologues contemporains empruntent leurs arguments contre
le behaviourisme? Comprendre la théorie de Claude BERNARD,
la biologie phénoménologique de GOLSTEIN,
la pensée de TAINE,
celle des médécins SEGOND ou ROBIN,
c'est côtoyer les idées
positivistes en biologi.e.
Et Paul TANNE:RY a eu raison de dire
que les vues de COMTE en biologie sont plus judicieuses que
son é1'nalyse des mathématique""
Sel
discipline de l'ormation.
"Peut-être, ajoute-t-il,
est-il permis ùe se demander si, dans
la sociologie de l'avenir,
la trace de l'oeuvre d'Auguste COMTE
restera marquée plus profondément qu'en biologie"
(1).
6°) La sociologie
De la physique sociale. consacrée surtout dans les pages
très touffues des trois derniers volumes du Cours de Philo-
sophie positive et dans ceJ.les du Système de pOlitique positive,
et qui constitue l'aboutissement de l'entreprise intelle<:tuelle
de COMTE,
nous ne dirons que quelques mots et: ne donnerons par
conséquent qu'un aperçu très approxima tir , n?tre brièveté
étant autorisée per le développement que nous avons fait;
dans la première partie, de l'ensemble du positivisme,
et par
l'abondance des ouvrages consacrés exclusivement à cette étude.
a) Nous avons pOGé, dans la pat'tie précédente, que l'his-
toire des sciences est une composante de la sociologie. C'est
ici le lieu de justifIer davantage cette affirmation.
Nous
aurons atteint ce but sI nous arrivons à montrer que la socio-
logie en tant q'Je science se fonde sur la méthode historigue
et qu'elle envisage les diver'ses sphères de l 'activité humai~e·
comme formant
un tout organique.
. . . 1
(1)
Paul TBnnery, Mémoires Scientifiques, 'TX,
Edouard Privat
1930, 1'.202.

- 264 -
S'il a fallu attend~e la quarante-septIème leçon pour voir
apparaître le mot "sociologie", autre nom de la "mathématique
sociale"
de CONDORC~T et de la "physiologie sociale"
de SAINT-
SIMON,
l'idée d'une science sociale constitue, comme nous l'avons
montré,
le point de départ de la réflexion de COMTE, sous la
dénomination de "physique sociale", dont le quatrième volume du
système nous donne la déLinition précise
"J'entends par physique
sociale la science qui a pour objet propre l'étude des phénomènes
sociaux, considérés dans le même esp~it que les phénomènes astro-
nomiques, physiques, chimiques et physiologiques, c'est-à-dire
COmme assujettis à des lois invariables, dont la découverte est
le but spécial de ses recherches. Ainsi, elle se propose direc-
tement d'expliqcnr, avec le plus de précision possible,
le grand
phénomène du développement de l'espèce humaine, envisagé dans
toutes ses parties essentielles; c'est-à-dire de découvrir par
quel enchaînement nécessaire de transformations successives le
genre humain, en partant d'un état à peine supérieur à celui des
Sociétés des grands singes, a été conduit graduellement au point
oG il se trouve aujollrd'hui dans l'Europe civilisée. L'esprit de
cette science consiste surtout à voir, dans l'étude approfondie
du passé,
la véritable explication du présent et la manifestation
générale de l'avenir. Envisageant toujours les faits sociaux, non
comme des sujets d'admIration ou de crItique, mais comme des su-
jets d'observation elle s'occupe uniquement d'établir leurs
relations mutuelles, et de saisir l'influence exercée par chacun
d'eux sur l'ensemble du développement humain. Dans ses rapports
avec la pratique, écartant des diverses institutio~s toute idée
absolue de bien ou de mal, elle les regarde comme constamment
relatives à l'état déterminé de la société, et ,variables avec
lui ... En un Inot, dans cet ordre de phénomène comme dans tout
autre,
la science conduit à la prévoyance, et la prévoyance permet
de régulariser l' ac Uon"
(1).
Ce passage résume les deux idées-forces de la quarante-
huitième leçon du Cours à savoir
: a) les phénomènes sociaux
peuvent être étudiés 2~ectivement, c'est-à-dire à partir de... /
(1) Système de politique positive,
t.
IV, appendice, p. 150.

- 265 -
l'observation. Il s'agit en quelque sorte du maître-mot de
DURKHEIM dans,les Règles de la méthode sociologique: "il faut
étudier les faits sociaux comme les choses". b) C'est dans la
méthode historigue 'I"e réside la base de la méthode sociologique
(1). Une science positive de la société n'est donc pas plus irréa-
lisable que rie l'étaIt une chinlie ou une biologie positive, et
l'objet de la sociologie, sixième et dernière branche du savoir
encyclopédique, c'est l'l1isl;oire ; puisqu'elle se propose de
découvrir l'enchaInemenl; des I;ransformal;ions du genre humain du
stade "des grands singes" jusqu'à celui de "l'Europe civilisée".
Il ce propos, les mots de COMTE: dans le Cou's. sont éga lement saos
équivoques. Il écril; notammenl; : "la nouvelle philosophie poli-
tique, consacrant, d'après un libre examen rationnel,
les an-
ciennes indications de la raison publique,
restitue enfin à
l'histoire l'entière plénitude de ses droits scientifiques pour
servir de première base indispensable des sages spéculations
sociales"
(2).
En effet, en raison de la totalité, de la globalité et
surtout de la solidarité qui caractérisent les faits sociaux,
on ne saurait étudier séparément les diverses branches de l'ac-
tivité humaine. Car si
le but de la sociologie est de nous aider
à comprendre ce qu'est la civlisation,
celle-ci se cOI.pose jus-
tement de plusieurs éléments indissociables à savoir : "la
science, les beaux-arts et l'industrie". D'où,
pour comprendre
les phénomènes sociaux, il nous faut résoudre à étudier égale-
ment tous les facteurs déterminants, à tâcher de les faire en-
trer tous, autant que faire se peut, dans le cadre de la science"
nouvelle.
"Toùte idée i,;olée des divees éléments sociaux est
donc,
par la natllre de la science,
profondément irrationnelle,
et doit demeurer essentiellement stérile •... deux donc qui
s'efforcent aujourd'Ilui de dépecer encore davantage le système
des étUdes sociales pal' une aveugle imitation du morcellement
méthodique propre aux sciences inorganiques tombent donc dans
une aberration capitale"
(3). Or,
pour tenir compte de tous ·l-es·
éléments sociaux, il faut deux choses: a) étudier de façon
synchronique, dans une coupe instantanée de la société,
les élé-
ments qui concourent à la régulation sociale, grâce auxquels
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - s' établi·t'
(1) Physique sociale, Hermann, 1975, t
IV, 48e leçon (note J.P.
. .. f
Enth6ven), p. 148 et sq.
(2) ibid.
(3) ibid.

- 266 -
"le consensus"socüll : la famille,
la division du travail,
le
gouvernement etc .. , b) Saisir la marche simultanée de tous ces
éléments correlatifs ~ partir d'une étude diachronique. De là,
l'aversion de COMTE pour toute étude spécialisée du genre
"L'histoire des sciences mathématiques en Italie au XVIIe siècle".
Car une telle étude pêclle à un triple point :de vue: elle isole
la Inath~nlatlq\\Je i"taJ.ienrle de cell.es des autres pays comme si
elle disposait d'une ceptaine autononlie ; elle isole cette sci-
ence à un slèa~donné des mathélnatiques des siècles antéri~u~s
comme si elle était une cl.'éation "ex-nihilo"
; enfin,eH.e isole
la science mathélnatique des autres sciences d'une part, et des
autres sphères d'activlté de l'autre.
"La seule conception "du
sujet suffit, dit COM~'E, à mes yeux,pour tém6igner évidemment
une profonde ignorance du vrai caractère de l'histoire" (1).
Cette néc'-'ssité :impéri.euse de tenir compte de tous les"
facteurs détermill~nts est aussi celle qui préside à la division -
d'abord contestée,
puis admise comme provisoire - de la science
sociale en statique sociale et dynamique sociale ; la première
portant sur l'ensemble des illstitutions dont le jeu concourt à la
conservation de l'ensemble de la société, la seconde ayant pour
objet la découverte des lois de l'évlution. A. COMTE écrit dans
la quarante huitième leçon:
"Il faut avant tout étendl'e convena-
blement, à l'ensemble des phénomènes sociaux,
une diètinction
scientifique vrainlent fondamentale,
que j'ai établie et employée
danS toutes les partIes de ce traité, et principalement en philo-
sophie biologique, comme radicalement applicable, par sa nature
à des phéncllI~nes qlJelconques, et surtout à tous cellX que ~euvent
présenter les corps vivants, en considérant Bépcirélilent,mals tou-
jours en vue d'une exocte coot'Cl.inati.on systérnati"que, l'état sta-
tigue et l'état ~ynamique. de ctlaque sujet d'études positives" • . . .!
(1) ibid, p. 149. " ... on Ile saurait s'abstenir de condamner haute-
ment l'irrationnelle limitation du sujet à une seule nation et
à un seul siècle, dans un travail qui, au lieu du modeste titre
d'AnMale~, est ambitieusement qualifié d'Ilistolre. Comme si le§.
prol;rès mathématiques faits d'un cOté des Alpes ava"lent 'pu être"
indépendants de ~eux accomplis simultanément, d' unei~anière si
élninente, de l'autre cDté ; et comlne si d'ailleurs l'état géomé-
trique du dix-septième siècle avait pu s'isoler de l'ensemble du
progrès antérieur"
(voir Ilote).

- 267 -
Et i l ajoute plus loi.n : "En sociologie,
la décomposition doit
s'opérer d'une Inanière parfaitenlent analogue, et non moins
prononcée, en distinguant radicalement,à l'égard de chaque
sujet politique, entre l'étude fondamentale des conditions
d'existence d'une société et celle des lois de son mouvement
continu. Cette diffél.'ence.· me semble dès à présent, assez carac-
térisée pour me pernlettre de prévoir que dans lasuite
son
développement spontané pourra dOl.lner lieu à décomposer habi-
tuellement la pllysique sociale en deux sciences principales,
sous les noms, par exemple, de statique sociale et de dynamique
sociale, aussi essentiellement distinctes l'une de l'autre que
le sont aujout'Cj'hui J'allatoniÏ.e et la physiologie individuelle"(1).
Il suffit d'analyser Je contenu de ces propos pour se
faire une idée plus exacte de l'objet de la sociologie. Celle-ci
a pour objet l'étude de la marche de la civilisation, c'est-à-
dire,
l'observation du passé afin d'en déduire les tendances
du présent vers le futur.
Sous cet angle, elle se confond avec
l'histoire scientifique, le contraire de l'histoire événementielle,
laquelle se complatt dans l'adnliratiol.l et la critique. Or toute
connaissance du non-Etre suppose celle de l'Etre. L'étude du
changement social implique donc celle de la statique sociale.
Et cette idée est d'autant vpaie que le progrès n'est que le
développement de l'opdre. Mouvement social et réalité sociale
sont indissociables et non-exclusifs l'un de l'autre. Grace à un
effort d'abstraction,
la sociologie étudie les conditions d'exis-
tence d'une société, et les lois de son mouvement.
b) La statique sociale n'est donc rien d'autre que la
science de la société considérée comme un "ordre". Elle consi-
dère l 'ol'dre n"tu>:el ~l travers plusieurs paramètres:
le sexe,
l'âge,
la race etc ... , sans pour autant prendre l'individu comme
base de la société. La société est comme le vivarlt dont l'élément
premier est la cellule (qui est déjà un composé). Elle est un
ensemble de tissus et d'organes. "L'organisme collectif reste
donc essentiellement composé, d'abord des familles qui en consti-
tuent les vrais élémellts, puis des classes ou castes qui forment
ses propres tissus, et enfin des cités ou communes qui sont ses
véritables organes"
(2).
... /
(1) ibid,pp. 109-110.
(2) Système, t
II, p. 2813.

- 268 -
La cellule sociale, c'est dOlrc la famille et non l'indi-
vidu. Dans cllaque communauté, g~oupement de familles,
il y a une
division sociale dll t~avall ; division qui c~ée entre. les indi-
vidus des solidarités que DURKHEIM dans la Division sociale du
t~avail dlstlnguer'a en "solidarité mécanique" et "solidarité
organique". De là,
la nécessité, dans chaque société complexe,
d'un gouve~nement, d'un ~ouvoir qui,
indiquant aux individus
(divisés selon l~ur spécialité) des devoirs et atténuant 'leur
sentiment du droit, coordonrle les dive~ses activités de cette
société. Quant aux castes et classes qui constituent les tissus
sociaux, COMTE ell distingue trois so~tes
la caste de l'action
matérielle composée des prolétaires et des chefs irldividuels ;
celle de l'action intellectuelle avec en tête les savants, suivis
des prêt~es et des sages; et enfin la caste d'action
intellectuelle et ù 'Lllfluence lllo~ale. celle du gen~e féminin
(mè~es, épouses, filles, soeul's). De' là, la division établie pa~
MONTESQUIEU entre le pouvoi~ temporel et le pouvoir spirituel ;
mais aussi l'importallce du langage, moyen de communication e~~re
les individus et inst~ument de pérennisation des acquis de la
civilisation (écriture). Enfin, afin de mieux garanti~ l'harmonie
et l'intég~ation sociales, conditions indispensables à l'accom-
plissement de .'. 'Humanité,
"les cités et les communes" doivent
être regroupées dans des Etats à dimensions très ~éduites. En
d' autr'es te~mes, la sociologie vise l'amour de l' Humani té, mais
elle montre l'inconvénient de l'ouvertu~e des frontières (un des
objectifs de la C.S.E) et de la constitution des empires colo-
niaux.
C'est ainsi que
tout en plaidant, comme PROUDHON et MARX,
pour la cause des p~olétai~es qui sont "campés" au lieu d'êt~e
"logés", COMTE développe une thèse à la fois actûelle et;utopique:
"la dissolution B~aduelle du système colonial depuis l'indépen-I
dance amé~icaine 'l'est au forld que le début d'une Irrévocable
1
dIslocation de toutes les domina Lions trop vastes qui su~gissent
1
depuis la ~upture du lien cattlolique. Dans l'o~dre final les Etats.
1
occidentalJx n'auront pas une éterldue norluahsupérieure à celle
i
que nous offrGllt lllaintenant le) Toscane, la GelgiqllC!,
la Hollande
et bienLOt la SIcIle,
la Sardaigrre etc ... Une population d'un à
trois millions d'habitants, au
taux ordinaire de soixante pa~
kilomètre ca~ré, constItue en effet l'extension convenable aux
Etats vraiment libres. Car on ne doit qualifie~ aInsi que ceux ... / ~

- 269 -
dont toutes les parties sont réunies, sans aucune violence, par
le sentiment spontané d'ulle active solidarité". Et il poursuit
plus loin: "Avant la .fln du XIXe siècle, 18 République française
se trouvera librement décomposée en 17 républiques indépendantès,
formées chacune de clnq dép8rtements 8ctuels. L8 prochaine sépa-
ration de l'Irlande doit ellsuite conduire ~ rompre les liens
artificiels qui réunissent aujourd'hui l'Ecosse, et même le pays
de Galles, à l'Angleterre proprement dite. Une senlblable décompo-
sition s'opérant dans tous les Etats trop vastes,
le Portugal
et l'Islande, si nulle division n'y surgit, formeront,
au début
du siècle suivant,
les plus grandes républiques de l'Occident"(1).
Si la sociologie dans sa partie statique prend appui sur
la biologie, elle est en grande partie greffée sur l'histoire.
Par la dynamique sociale, la sociologie de COMTE prend de la
distance par rapport aux telltatives scierttifiques de CONDORCET
et de ST-SIMON, et par rapport ~ l'idéologie de DESTUTT de TRACY.
Par là,
la physique 'sociale '3'0 clistingue également de la biolo-
gie de CABANIS qui offrait Ull substitut positif à la psychologie
traditionnelle,
t01Jt en se montrant sensible à l'aspect dyna-
utique des faits sociaux, par la p"éférence de la physiologie à
l'anatomie. La sociologie se distingue de cette théorie biolo-
gique parce ce q\\l'elle q"itte le domaine de la vie en général,
pour péri~t~er au coeur de la réalité spécifique cie la vie so-
ciale, c'est-à-dire de la durée historique, effleurée mais non
cernée par l'8Jteur des Rapports du physique et du moral de
l'homme.
Sans l'étude cles conditions d'existence sociale, la socio-
logie se confondrait entièrement avec l'histoire puisque, en
dernière analyse,
"toutes les questions sociales ne sont que
des questtons de temps";
en sorte que "]a dynamique sociale
constitue ~illalement le principal objet de 18 science". Ceci
est d'8utant vrai que l'Humanité, objet de la sOGiolo~ie prélude
~ 111 religion, n'est pas une donnée ilnmédiate. Elle est consti-
tuée, comme nous l'avons dit, de l'enseml)]e des hommes de toutes
les races et de toutes les couleurs actuellement vivants; mais
aussi de l'ensemble des hommes qui ont vécu et ont concouru, ... /
(1)
catéchisme positiviste, 3e partie. Comte viole un des principes
du positivisme: s'attacher aux phénomènes observ6s, mais pour
respecter un autre principe: la science doit pré~oir.

- 270 -
par leur' obsel'vae.ion des t'ègles mot'ales ou par "leu'r découverte},
au progrès de l'espèce humaine; et enfin l'enseloble deshornmes
non erlcore vivants,
lnais
qui. nécessairement le seront.
Et comme
l'ensemble cles ,i10I'Cr3 8yant contl'ibué 8U perfectIonnement de notrE
espèce est plus grancl que celui de ceux qui vivent à une époque
donnée,
"l'IJumani.té est constituée de plus de morts que cie vI-
vants".
D'oil la n6cessi.té cie la méthode historique.
En ouere la I"arct,e de la civilisation correspond exactemen
à celle de l 'espl'it humai.n,
laquelle est mise en évidence par
la loi des troIs états. Il Il'y a donc pas de hasal'd dans la
succession des faits socIaux. Ils sont soumis au déterminIsme
historique: le nouveau vient cie l'ancien,
le nouveau chasse
l'ancien pour devenir par la suite un ancIen qui sera chassé
par un nouveau. AinsI, de Illême qu'il n'y a que deux états de
l'esprit, l'état théologique et l'état positif,
la métaphysique
n'étant qu'un état t['ansitoil'e ; de mêllie la civIlisation se
caractérise dans sa phase théologique par la théocratie et
l'esprit mil) bÜ t'e, , et clans son âge positif par la sociocratie
et l'esprit industl'iel. Le st8de métaphysiqlle est une période
critique qui consacle la destruction progressive des institution
théocratIques et milItaires, et l'élaboration graduelle d'ins-
titutiollS sociocratlljucs et industrielles. Moralité: c'est à la
lumi~re de cette loi historique que nous pouvons comprendre
l'état do la civilisation dans une coupe Instantan~e. Et si le
XIXe sIècle est celui de la sociologie, elle est du même coup
celui de l 'ldstoil'e,
toutee, cleux étant des sciences sacrées.
Delà, le sellS cle la proclamation de COMTE dans le préambule du
troisième volume du ~ystème de pol.i.tique positive: "le si~cle
actuel sera pr'incipalemertt caractérisé pat' l'irrévocable prépon-
dérance de l'histoire, en pllilosophie, en politique et même en
poésie. Cette universelle Bupr61natie du point cie vue hIstorique'
constItue à la fois le principe essentiel du positivismè et S9n
résultat général
... Le
véritable esprit historIque est donc
naturellement universel ...
l'histoire deviendra bientOt la
science sacrée"
('}). C'est uonc en tant qu'elle est apparentée
à l' his t,oil'e scien t.i.fique qUe") la soc.i.olog:Le englobe l' hIstoire
des sciences.
(1)
Système, t
III, pp. 1 - 2.

- 271
-
c) Mais .i.l convient ùe ,signaler que cette idée riracqJ!.e:t pas
,
l'adhésion de tbus les esprits. 8mile DURKHEIM, celui qui est
incontestablement ie plus grand héritier contemporain de la
sociologie de CO~lTE:, nie que celui-ci ait usé de la' méthode
historique dans la physiclue sociale, et renvoie l'histoir~ dans
le champ de la plLLlosopllie pure. Dans les Règles de la méthode
sociologi~. sans affirmet' que la sociologie répugne à l'his-
toire, DURKHEIM pose que cette science doit prendre de la dis-
tance par rapport à l'histoire, se suffire à elle-même afin de
mériter le monopole de l'explication scielltifique de l'humain.
Voici ses arguments contre A. COMTE. Puisque chez cet aûteur,
le phénomène socü,l "n'est au fond qu'un simple développement
de l'hûmanité sans aucune création de facultés quelconques",
alors tous les fa.tts sociaux peuvent se ùéduire de la nature
humaine dont ils dérivent puisque "toutes les dispositions
effectives que l'observation sociologique pourra successivement
dévoiler devront se retrouver, au moins en gerlne, dans ce type
primordial que la biologie a construit par avance pour la socio-
logie"
(1).
Entre les lois du progrès et la nature humaine il
n'y a qu'un rapport analytique. Et DURKHEIM d'invoquer ce texte
du Courfi,: "Aucune loi de succession sociale,
indiquée même
avec toute l'autorité possible par la méthode historique, ne
devra être finalement admise qu'après avoir été rationnellement
rattachée d'une manière directe ou indirecte, mals toujours
incontestable, à la théorie positive de la nature".
Pour DURI,HEIM dunc,
la phl.losophie de l' histoire ne peut
devenir sciellce. An contraire elle t'enie la science. Refusant
de distinguer ce que COMTE en sociologie appelle la méthode
historique, c'cst-~-dire le recours à l'histoire en tant que
moyen de vérificatioll, et sa philosophie de l'histoire;,~l
donne congé aux deux pe~spectives et souligne une palinodie
entre le mod~le bioJ.ogique et le modèle historique. On peut
lire dans let; nègles ,. "Tout cela n'est que pure philosophie,
viciée de finalisme et de psychologie, ces deux erreurs soli-
daires". Méconnaissant, ou oubliant, la connexité intime établie
par COMTE entre 18' statique et l~ dynamique, il ajoute
"les
évènements actuels de ]a vie sociale dériveraient non de l'état
actuel de la socl~té,lnais des év~nements antérieurs, des pré-
cédents histO,riques, et les explications sociologiques
... /
(1)
Durkheim, les R~gles de la méthode sociologique, 2e édition,
p. 97 et sq.

- 272 -
consisteraient exclusivement à rattacher
le passé au prése~t
Il faudrait alors aelmettl'e Ulle tendance interne qui pousse
l'humanité à dépasser sans cesse les
-'
résultats acquis, soit pour
se réaliser compl~tement, soit pour accroître son bonheur; et
l'objet ele la sociologie serait ele retrouver l'ordre selon lequel
s'est développée cette tellelance"
(1).
Devons-nous donc ['enoncer à notre interprétation de la
sociologie de COMT~ et par conséquent de sa doctrine de l'histoire
des sciences? l'lon. Car l'inte['prétation des R~~..§., malgré le
génie de son auteur, ne corl'espond pas, en toute rigueur, avec
les textes de COMTE cel'nés dans toute leur ampleur. La preuve nous
en
est donnée pa r J. S. MILL, notammen t dans Au~s te COMTE et le
positivisme et dans la Logique eles Sciences morales.
MILL, èneffet, se l'eruse d'assinliler la loi des trois
états
à un pur principe ele philosophie de l'histoire. Il s'ef-
force de préciser le rOle de l'observation historique dans l'ex-
plication scientifique du fBi~,u6cial. Auguste COMTE n'est ni
VICO qui assigne au progrès une loi propre et indépendante, ni
BENTHAM qui réduit le social à l'historique. Il n'use des faits
de l'histoire que dans un dessein de vérification. Déduction
historique et nature 11\\lnlaine sont indissociables. Nous pouvons
par exemple, elit-il, inférer d'une évidence historique que le
gouvernement monarchique ou aristocratique ou majoritaire, quand
il est sans contl'Ole, devient tyrannique. Mais cette générali-
sation ne sera bien fondée q\\lequand on aura montré en plus
l'infirmité de la nature humaine et l'impossibilité de maintenir
la prédominance de 18 raison et de la conscience sur les tendances
égoïstes. Il écrit dans A. COMTE et le positivisme:
"Les êtres
humains eux-nIAmes, des lois naturelles desquels les faits de
l'histoire dépendent,
ne sont pas des Iltres hum~insabstraits ou
universels, mais des êtres humains historiq~es que la société
humaine a déjà formés et faits ce qu'ils sont"
(2).
C'est de ne clair: histoire et sociologie, tout en ayant
leur rOle respectif sont nécessairement complémerltaires. L'his-
toire fournit les lois empiriques de la société que la sociologie
établit et lie aux lois de la nature humaine. En sorte que lors-
qu'une loi sociologique suggérée par le témoignage de l'histoire
... 1
(1)
ibid, p. 116.
(2)
J.S.Mill. A~ Comte et le positivisme, 1ère édition, 1'.84.

- 273 -
contredit ce que nous savons de la Ilature humaine, il faut la
considérer commE' erronée. Elle ne mérite le nom de loi socio-
logique que s'il y a accord entre données de la nature humaine
et données histo!"iques. La méthode sociologique par excellence,
c'est le recoul'S à la méthode histol'ique.
"Le seul penseur qui
se soit efforcé (le défInir' 1"1 méthode de la sociologie, M.COMTE
... consid~re la science sociale comme consistallt essentiellement
en généralisations tirées de l'histoire et vérifiées, mais non
pas suggérées tout d'abord, par la déduction fondée sur les lois
de la nature humaine"
(1).
Nous n'insIsterons davantage ni sur les critiques de
DURKliEIM, ni sur les éloges de J.S. MILL. Nous retiendr9nsuni-
quement que si l'astronomie a développé l'observation,
les sci-
ences physiques la méthode expérimentale,
la biologie la méthode
comparative,
la méthode quI s'ajoute, avec la sociologie, à la
chaîne des pl'océdéc,; constitutIfs cie La méthode posItive, c'est
la méthode historique. On ne sauraIt sépal'er ou opposer nature
et culture. "La bIologie nous garde de l'irréalité humaine, la
sociologie et l'histoire de l'irréalité historique". La socio-
logie, si elle veut Atre une science, ne peut tourner le dos à
l'histoire. Ne voit-or' pasDUaKII~IM apr'ès les brutales copdamna-
tions des Règles,
recourir luI-même à l'explIcation hIstorique
dans son étude snI' la .prohibi tian de l'inceste?
Il écrit:
"Les croyances et les habItudes qui semblellt lm plus propres à
expliquer et à justifIer notre horreur de l'inceste ne s'expli-
quent ni ne se justifient elles-mêmes que parce que les causes
dont elles dépendent sont dans le passé". Il soutient même par
end roi t des idées analogues '" celles de COMTE':
"Four bien
comprendre une pratIque ou une institution, une règle juridique
ou morale, il est nécessaIre de relnonter aussi près que possible
de ses orIgines prerni~res. Car il y a entre ce qu'elle est ac-
tuellement et ce qu'elle a été, une étroite solidarité".
Farlant du cas particulier de l'inceste,il écrit: "Il n'est
pas douteux que les dispositions de nos codes, relatives aux
mariages entre parents ne se rattachent aux pratiques exoga-
miques par une série contInue d'intermédiaires, de même que
notre organisatIon domestique actuelle se relie à celle du clan".
Certes, une institution se transforme au fil du temps. Mais 1
remarqUe l' aU!:'èur,
"ces transformations à leur tour dépendent
... 1
(1)
Logigue des sciences morales, Logique VI, chap. IX.

- 274 -
de ce qu'était le point de départ; il en est des phénom~nes
sociaux comme des pllénom~nes organiques. Si le sens dans lequel
ils doivent se développer n'est pas fatalement prédéterminé
par les prop['1étéco q1li les caractérisent à leur naissance, celle:
ci ne 18issent pas cl' avait' une influence profonde sur toute la
suite de leur déveloPllEment"
(1).
On nous p8rclonnera d'avoir cité longuement le sociologue
contemporain. M8is la solllGitation de ces textes était néces-
saire pour accorder les instruments sue cette note prop~sée 'pae
COMTE; enracinée dans la nature pae la biologie,
la sociologie
n'acquiert sa spéGificité, en tant que science, que dans la
c1ll tuee, laquelle ["clève d,·, l' l'lis toi ['e. S1 la sociologie tient
à la fois à la spécificité et à l'objectivité,
si elle tient à
ne sacrifiee ni la science à l'honlme ni l'ilomme à la science,
aloes il lui fout adoptee le chemin indiqué
pae COMTE et qui
consiste à associer l'hIstoire à la science. C'est à nos yeux,
en ce sens que COMTG est ['éellement le père de la sociologie.
Ca[' sans être i'esquisse d'aucune sociologie particulière, sa
physique sociale corlstltue une ébauclle plus ou moins précise de
l'ethnologie hl.storique de GR~EONER du fonctionalisme de MALI-
NOWSKI, dll StructuralIsme de LEVI-STRAUSS, b['ef des diverses
orientations de la. sociologie contempOraine •
.~
••
Les ty()i.s premi.ères parti.es nous ont permis respectivement
de caractériser l'histoire des sciences chez COMTE par rapport
à l'ensen,ble du positivisme et par rapport à ses précurseurs
puis de suivre le cheminement de la raison dans son activité
d'acquisition de la connaissance scientifique; et enfin de
définir la méthode positive à travers ses applications dans les
différentes sc1ellces fonclamentales. Ce qui ressort de ces ana-
lyses c'est que le positivisme est llne philosophie anthropolo-
gique puisque l'étude de l'homme (individuel et collectif)
constitue son point de départ et son point d'arrivée; en sorte
que l'histoire des sciences se présente comme une composante de
. . .1
(1) cf. G. Davy,
la sociologie d'Emile Durkheim.

- 275 -
l'histoire de l'humanité,
qui
exclut la discontinuité,
et dont
le principe essentiel e s t :
"Ordre et progrès". Il nous semble
maintenant permis ue prenure un l'eu de liberté vis-à-vis d'A;·
COMTE afin de faire l'épreuve ue sa conception de l'histoire
des sciences clans une société "non-scientifique",
entendu par
là une société dont la science ne répond pas en toute rigueur
aux caractél'i:;tiques de la science positive:
la société négro-
africaine.
Notre démarche sera binaire. Dans un premier temps
nous procéderons à un exposé systématique du débat qui oppose
certains ethnologues et épistémologues européens d'une part,
et
des négrologues de l'autre,
à propos de l'existence d'une sci-
ence positive afric"Iine.
Nous présenterons ensuite la nouvelle
perspective d'analyse que nous entendons introduire dans le
débat philosophique Sllr la science africaine,
en montrant en
quoi elle se distingue des orientations suivies précédemment.

Quatrième partie
HISTOIRE
DES
SCIENCES
et
CIVILISATION
NEGRO -
AFRICAINE
(Eléments pour une épistémoloqie africaine)

- 277
-
Chapi tre
VIII
LI~
DEBAT
''l'lutOt que de
revendiquer ~ cor et ~ cri
l'existence d'ulle philosophie africaine qui nous
dispenserait pOI]r toujours de philosopher,
nous
serIons donc mieux inspirés de nous employer
patiemment,
méthodiquement,
~ promouvoir ce
qu'on pourr8it appeler une Science africaine.
Ce n'est pas de la philosophie,
c'est d'abord
de la science que l'Afrique a besoin. Si la
phIlosophIe peut aussi la servir,
c'est seule-
ment dans la mesure o~ elle pourra contribuer
à libérer,
sur ce continent,
une véritable tra-
dition théorique,
une tradition scientifique
ouverte,
maîtresse de ses probl~mes et de ses
thèmes,
dans la lnesure aussi o~ elle pourra,
une
fois cette tradition instaurée,
contribuer d'une
manière ou d'une autre à son enrichissement".
Paulin J.
HOUNTONDJI,
Sur la "philosophie
aft'icaine" ,
Paris,
M~spéro, 19BO;p.124i
Les efforts des penseurs - -
épistémologues,
sociologues
anthropologues,
historiens,
psychologues - -
pour définir les
caractéristiques de la science ou pour comprendre pourquoi les
manières de penser,
de sentir et d'agir de l'Africain,
du Kanak,
de l'Indien •..
diffèrent de celles de l'Européen ont donné
lieu le plus souvent à une distinction entre la mentalité primi-
tive,
sauvage,
illogique,
prélogique,
préscientifique d'une
part, et la mentalité moderne,
civilisée,
logique,
scientifique
de l'autre.
Pendant longtelnps le problèlDe épistémologique de
base a
été l'analyse du cheminement de l'esprit dans son passage
de la pensée irrationnelle à la science,
tandis que les sciences
sociales s'employaient à découvrir les catégories de la "pensée
sauvage".
Dans la seconde moitié de notre siècle,
la naissance
d'une élite intellectuelle dans les sociétés "indigènes"
et le
développement des mouvements nationalistes ont conduit à une'
remise en question de ces cadres d'analyses jugés à la fois
inopérants et ethnocentriques.
L'effort des intellectuels afri-
cains a
été,
dans le cadre du mouvement de la Négritude,
d'affir-
mer l'identité du Noir,
et d~ montrer, à partir d'une réécriture
de l'histoire du continent,
non seulement que l'Afrique
.../

:-..,..
-
278 -
a une c:lvil i.sation propre qui n'il rien ;J envier à celles des
autres continents, niais encore qu'elle a un vestige scienti-
fique dans la mesure où elle a eu clans l'Antiquité un apport
à la science aussi important (lue cel.ui de la Grèce antique.
1
.
Notre intentlon ici n'est ni de refuter, ni de justifier
l'une ou l'autre de ces deux tendances. Nous ne voulons pas non
plus, à proprement parler1défendre un dogme. Nous nous proposons
seulement de gli.sser dclllS ce débat ph:i.losophi.glle ulle perspective
<l'analyse principielle qui, méilli'oureusement, a été relativement
négligée. Nous voulons montl."2r' que le vrai problème n'est pas
de savoir si oui. 01) non l'Africain est, dans des conditions
analogues, capable de réflexion au m~me titre que l'Européen
- c'est désormais une évidence - ni de chercher à prouver ou à
nier l'apport de l'Afrique à la science. Nous pensons que les
multiples débats que suscite le problème d'une science africaine
(ou d'une manière plus générale du développement de l'Afrique)
gagneraient en clarté, si au lieu de s'évertuer à développer
des considérati.ons idéologiques, on partait de ce constat objec-
/
tif que, depuis environ trois siècles que la "science positive"
1
existe et se développe à un rythme accéléré, on cannait très
i
peu de découvertes dans ce domaine qui portent le sceau authen-
tique de l'africanité ; et si on se demandait quels ont été les
faits détenninants dans la naissance et le progrès de la science
en Qçcident:,.et 'lue.lles sont les factellrs 'llJ.i. s'opposent à
J.'avènemcnt d'une sc:i.pncc a.fr:i.cai.ne.
Nous nous aventl)rons en terrain miné, mais il faut accepter
de prendre le rlsqu~. Nous convenOns d'ailleurs avec le lecteur
'lue notre ambiti.on est démesurée. Elle l'est parce 'lue nous
voulons aborder une perspective d'analyse qui non seulement est
difficile à introcl,Li.re et à souteni.r, nl'1:î.s aussi. nécessite pour
g,tre convenablement cerné un ouvrage tout entier et une grande
connaissance en histojre et en science. En raison de notre
:î.ncompétence, nOl)S nous bornerons à poser un certaln nombre
d'interrogations, ~ indiquer lIn certain nombre de passerelles,
en laissant: le soi.n ,) cles homw's plus autorisés cl' édifier, de
compléter et de perfectionller le chantier dont nous voulons
poser les jalons. 8n d'autres termes notre ambition est de
définir les conditions élémentaires cl'une science africaine à
venir.
.../

- 279,-
Nous nous attacherons ollstinément à une idée fondamentale
si nous voulons réfléchir efficacenlent sur les conditions de
l' la possibilité d'une science africaine, il nous faut d'abord
i
définir avec précision les
obstacles qlli se sont opposés,
et
qlli continuent de S'oPlloser à son éclosion.
Comme on peut le voir,
nou" éludons le problème axiolo-
Hique de savoir s ' i l est ou non nécessaire que l'Afrique emboîte
le pas à l'Occident'quitte à assimiler des valeurs dénoncées de
plus en plus en SUTope comme négatiVes,
et à perdre les valeurs
africaines - altruisme,
humanisme,
religiosj,té-de plus en plus
reconnues comme positives. Nous écartons ce débat non pas parce-
qu'il manque d'intér0t,
mais parce que nous entendons partir
d'un postulat: L'Afrique,
si elle ne veut pas dépendre éternel-
l.ement de l'extérieur pour son existence et sa survie doit
développer une science et une technologi,e modernes,
en y intro-
duisant les restes de son vestige culturel non antinomiques.
Car si la civilisi1tion négro-ar:ri.caine veut être à la fois
"traditionnelle" et scientifique,
elle ne sera ni l'une ni
l'autre. Il faut choisir ou périr. Et i l faut opter pour la
seconde voie non pas par admiration mais par nécessité histo-
,
rique. Aprèstout le vandalisme qu'a subi l'Afrique,
la chasse
aux précurseurs de la science (en Egypte) ou la résurrection
d'un passé d'or,
lorsqu'elles ne sont pas des entreprises uto-
piques,
ne relèvent pliis que de l'activité du griot ou du poète.
Elles ne constituent plus la préoccupation du scientifique,
du
politicien et dtÎ. philosophe afri.cilins. Le monde contemporain
n' est plu~, celui dans lequel chaque peuple vivait en aUtarcie.
Et nous sommes obligés de tenir compte du déterminisme histo-
rique auqllel
nul conti.nent ne l'eut se soustraire,
ni. 1. 'Occident
impérialiste,
ni l'Afrique dominée. Cette leçon déjà bien assi-
milée dans certains pays d'Asie et d'Amérique latine doit pré-
sider à toute réflexion sur la destinée du continent africain.
Par "Science africaine" nous n'entendons pas une science
i
spéciale, différente de la science qui "réstde" actuellement
1
:
en Occident et qui est le produit de l'effort de toute
,
l'huma~
! nité. Il ne s'agit pas d'une science dans 1~ Science qui serait
une science occulte ou une "mau:i.e noire". Nons entendons par
cette expression une science positive africaine,
c'est-à-dire
un ensemble de recherches et de découvertes faites par des
Africains qui se sont familiarisés avec l'esprit et les méthodes
.../

scientifiques actlJellement en vigueur.
Une telle science n'est
LI..
possible que si nous déterminons au préalable ce qui,rend
jusqu'alors impossible. Et nous espérons arriver à cette
conclusion que la sjtuation actuelle de l'Afrique ne peut se
comprendre qu'à partir d'une analyse multifactorielle faisant
entrer en ligne de compte des données sociologiques, historiques,
économiques, mais que l'ensemble de ces éléments peuvent se
regrouper autour de deux facteurs dominants et déterminants
L'absence de l'écriture,
et
l'organisation sociale.
Mais aV<:lnt de développer chacun de ces points, on nous
permettra de présenter les tll~mes principaux du déb<:lt classique
sur la position de Ja civilisation négro-africaine par rapport
à la science, de façon à rendre plus sensible la nouveauté, mais
surtout l'intér~t de la perspective d'analyse que nous proposons.
1°) Négation d'une culture scientifique négra-africaine
a)
La culture négro-africaine est-elle, ou l'eut-elle ~tre
une culture scienti.fiqlle ? Tels sont en quelque sorte les termes
en lesquels s'est posé le problème des rapports entre la culture
occident<:lle et la pensée primitive. La théorie la plus citée
qui établit une dichotolnie entre la mentalité primitive et J.a
pensée logique est celle de LEVY-!RUHL.
l,a pensée des peuples
inférieurs s'oppose à la science parce qu'elle est illogique,
parce qu'elJ.e est insensible à la contradiction:
le Gin du Togo
s'identifie au python,
le Kanak continue d'avoir foi en l'effi-
cacité de sa pr'lt.i.que fétichiste ml?me si elle est démentie par
l'expérience. De In~me que chez COMTE la science suppose l'abandon
de la théologie et de la métaphysiql.le, de même chez
tous les
penseurs de la lignée de LEVY-I3RUHL cette connaissance suppose
un passage de l'irrationalité à la rationalité. I3RUNSCHVICG
oppose dans l'Exj'érience humaine et la causalité physique la
pensée préscientifique ô la pensée sci.entifique ; Robin HORTON
s'inspirant de POPPER c1istin~jue situation fermée et situation
ouverte ; LEVI-STRAUSS recourt au dualisme pensée sauvage ou
froide,
et pensée domestique al! chaude.
Ce clernier auteur,
tout en établissant 'lue toutes les
démarches intellectuelles sont positives à des degrés différents,
tout en montrant cumme Auguste COl'1TE et MALINOWSKY la présence
d'un élément "scientif·i.que" dans les sociétés sauvages, ne montre
pas moins que ces deux modes intellectuels se situent aux anti-
podes l'un de Uautre. La pensée sauvage est caractéristique du
.. ·f

-
281 -
néolithique tandis rlue la pensée domestiquée est moderne;
la
première est mystique,
concrète et magique,
la seconde abstraite
et scientifique;
le premier peuple est constitué de bricoleurs
qui utilisent des signes et dont la pensée intemporelle est
fondée sur l'intuition sensible,
l'imagination et ~a perception
tandis que la société domestiquée est celle des ingénieurs qui
usent des concepts et dont la pensée est plutÔt historique. Il
écrit
"Certes,
les propriétés accessibles à la pensée sauvage
ne sont pas les m~mes q'le celles qui retiennent l'attention des
savants. Selon chaque cas,
le monde physique est abordé par des
bouts opposés:
L'un suprêmement concret,
l'autre supr~mement
abstrait,
et soit so"s l'an~jJ.e des qualités sensibles, soit
sous celui des propriétés formelles"
(1). Le point commun entre
tous ces
théoriciens de tendances différentes et parfois contra-
dictoires, c'est q'l'ils raisonnent
tous comme si les esprits
humains différa ient dans leur structure, comme si la "monture ll
de la mentalité prin,itive était construite autrement que celle
de la pensée moderne. Aussi voit-on Eugène MANGIN comparer
l'esprit de l'enfant Européen ~ celui des Africains:
"Le Mossi
ne sait pas chercher le pourquoi des choses,
et alors que les
petits enfants de chez nous sont raisonneurs et nous embarrassent
parfois par leurs '1"estiotls, un ;-losS1.
ne se demande jamais:
comment cela se f a i t - i l ? Fourrl"oi est-ce ainsi et pas autrement?
La première réponse lui suffit
••• Ce manque de réflexion est
cause ûe son retard ûans la civilisation" (2).
b) N'insistons pas davantage sur ces théories qui,
quoique
significatives, ou parce que l'étant, ont été ressassées à sa-
tiété. Examinons pllltOt certaines thèses de biologistes et de
psychologues dort on parle très peu,
et qui établissent scienti-
fiquement la supériorité de l'intelligence de l'Européen sur
celle de l'Africain; qui justifient par des données expérimen-
tales l' inapti tude du Noir à accéder au m~me ûegré d'abstraction
que le Blanc. On sait que pour ST-SIMON les égalitaristes sou-
tiennent des
"atroci.tés épouvantables" lorsgu'ils affirment
l'identité de la structure des esprits humains, car "s'ils avaient
consulté les physiologistes,
ils auraient appris que le Nègre,
/
...
(1) Levi-Strauss:
LiJJ)ens{èe sallvage,
paris,
Plon,
1962,
p. 356.
(2) Citf' par Levy-Bruhl,
:La mentalité primitive,
pur, 1947, p. 9.
Li Te éga lemen t
:
les fone t ions m01ltale<; dans les sociétés
inféri eures.

-
282 -
d'après son organisati.on. n'est pas susceptible à condition
égale d'éducation, c1'~tre élevé cl l.a m~me l1iJ.utel.lr d'intelligence
que les Européens" (1). l,',Jb';ence cl'une science africaine est
/
donc fonction de'll'orSl3n"i.::;':ltion" biolosrique du Noir.
Cette thèse conjecturée au début du XIXe siècle a été
confirmée par de nomhrell~,eé; recherches expérimentaleé;. D'aucuns
ont pris comme paramètre d'analyse le poiels du cerveau des indi-
v.i.dus des deux races. J 15 ont ainsi montré que l'encéphale de
la femme pèse moins que celui de l'homme, celui de l'Africain
moins que celui de l' E:IH'opéen. nrmCA par exemple en est arrivé
aux résultats suivants : (2)
Encéphale de D~ancs
................ 1360 g •
"
<le J aun es d' lnclochine
.... 1235 g.
"
cl e Noirs div ~~'rs
.......... 12L1 0 g •
Tandis que PEARL récapitule certairls résultats de 18L19 à 1904
dans le tableau suivant:
(3)
'.Auteurs
Noi.rs
GuropÉ'(~ns
+ - - - - - - .
1 - - - - - - - r - - - - - - - - - - - - _ - } -
Nombr"
:Poicls du
:Nombre
:Poic1s du
dl i nd ivj.chs: COPVPétU
: cl t inù:i.vid1b: cerveau
.~.
:MOETON 18'19
8'1
13GO ~J •
32
1'189 g.
: PEACOCK
.
1 865 :
':1
1295
16
1'165 g.
: lJ\\JCKWOETH :
1904 :
1380 g.
1500 g.
:WALDEYER
.
l'
1.1
1894 :
12
1 ·1 LI 8 ~J •
Ces Scientifiques dêdui3ent de cette différence de poids la
di.fférence des intelligence:;. C'est ainsi que HERTON établit
par exemple que l'j.ntelljgence du Noir représente 91 % de celle
du Blanc; pour FEACOCK, elle est de 88,4 %.
. . .1
(2 )

- 283 -
D'alltres S0 ~ont intéressés plutôt à la capacité crSnienne.
Ici égaleme.Ylt des différences ont été relevées. Par exemple,
Win~Jate TODD dan,,, Cr:9JLLùl capacity and linear dimensions in
White and Negro présente les résultats suivants:
Blancs
;
1')8
(167 hommes et 31 femmes) •
- - - -
3
hommes
moyenne
--
1 .391 cm
-
3
Lemmes
"
=
1 .232 cm
Noirs
:
10"1
( 87 hommes et 17 l' emmes ) •
3
hommes
mOYf~nne
=
1 .350 cm
3
femmes
"
=
1 .221 cm
D'autres enfin ont considéré la forme du cerveau. TODD
par exemple écrit:"Non seulement lm grand nombre de crSnes
nègres sont plus développés 2u sommet que dans les régions
frorltale et occipitale, niais ils ont également des contours
transversaux très différents cle ceux des Blancs!! (1).
c) Mais,
i l n'y a pas que la biologie qlli. donne raison à
LEVY-BRUIIL et à SAINT-SIMON. Des tests psychologirjUes ont égale-
ment démontré la tare intellectuelle du Nègre. En effet,
le
fait qu'il y ait peu de Noir ayant exercé une influence histo-
rique importante et durable,
le fait que l'histoire ne signale
l'existence d'aucun Africain du talent de NEWTON Oll de EINSTEIN
a suscité,
i'i juste- l:i.tJ.'c,
la cllriosi.té de beaucoup de psycho-
logues dont les analyses prouvent qu'il ne peut y avoir de
génie Noir. Aux USA i l Y avait en 1966 environ 382 études
confirmant cette th?,se.
Par exemple, une étude faite en 1945 donnait le résultat
suivan t
:
Q.
l
Noir
96,28
Blanc
105,22
Une autre en 1')60 présentait
Noir
90,79
Blanc
107,33
Conclusioll :
à proportions égales,
on a toujours plus de Blancs
très intelligents CIlle de Noirs très intelligents. La preuve en
est que peu de Noirs ont acquis une notoriété dans le domaine
scientifique;
en sorte que J.e généticien J. B. S.fIALDANE a pu
déclarer :
"le seul Africain des tropiques qui ait fait une
découverte importante est pascal LISSOUBA : i l a découvert un .../
(l)Wingate Todd, Cranial ca!Jacity and linear dimensions in White
and Negro,
pp. 176 laU.

- 284 -
nouveau phénomène 9énél:ique",le phénomène de convC2rsion géné-
tique,
à la facuJ.té des sciences d'Orsay. Et cet auteur est
sceptique quant 11 la l'ossibili té cl' avoir un Noir de ce genre
en physique:
"A mon avis,
écrit-il,
les Africains des tropiques
coml'tent plus de biologtistes potentiels que de physiciens
pot(Ontiels"
(1).
Dans un article publié dans la Revue de psychologie des
pC2uples, Gér'ard \\HNTTiINGER l'clrvient ;) une conclusion qui mérite
d'1'>tre transcrLte
-
-
intéClt'alement
~I
-
:
"si nous devons considérer
l'intelligFnce de l'homme blanc,
nous dirons que son attitlJde
intellectuelle est essentiellenlent une attitude abstraite,
conscientielle et voJitionnelle. Produit d'une civilisation
remarquablement conceptuelle,
l'intelligence du Blanc use lar-
gement du mécanislne de l'abstraction dans ses efforts successifs
vers la réalité concrète. Dépassant le donné sensible,
en tant
qu'entité synthétique,
elle se meut prpsque exclusi.vement sur le
plan des valeurs qu'elle élabore grâce à sa faculté de pouvoir
modeler le réel
( ••• ).
L'intelligence abstraite dépasse ainsi
le stade syncrétique et analytique de la perception. Elle est
capable d'effectuer des synthèses et de construire des concepts.
Si nous comparons à cette démarche intellectuelle le comportement
intellectuel du Noir,
tel qu'il nouS a été possiblp de l'étudier,
par le trl)chement des
tests de la pensée conceptuelle,
nous
constatons que ce comportement s'exprime dans une démarche ne
dépassant que rarenlent le stade syncrétique et anaJ.ytique de la
perception. Rivé à une vision solidaire de la réalité sensible,
le Noir est également incapable d'effectuer un détour d'analyse
et d'approcher la réalité autrement 'lue comme une entité synthé-
tique ( ••• ). Les Noirs qui réussissent cependant à briser la
"Gestalt" que consti,tue pour eux la ré,alité sensiLJle n'attej,gnent
pas moins,
à un moment, un plafond qu'il leur est impossible de
dépasser ( ••• ) L'infériorité intellectuelle du Noi~ s'explique
donc par l)n comportement mental profondément conditionné par une
attitude concrète intuitive,
et rivé à la perception syncrétique
de la réalité sensible. Par conséquent,
la presque totalité des
Noirs est incapable d' effectlJer une opération mentale selon le
procédé classique de l'abstraction et de manier simultanément 'des
relations conceptl)elles opposées. Chez le Noir,
la connaissance
. . .1
(1) J .B.S Haldane, "Considérations éthiques" in L'homme et son
avenir,
ed.
Laffont Gonthier,
1968,
p. 240.

-
285 -
proprement int~llectuelle et les efforts voulus et orientés
vers la réflexion sont moins fréquents que chez l'honune blanc"(l).
d)
Il Y a lieu de se demander l'intérêt que nous avons
ici à reprendre l,our notre comllte,
et avec autant d'insistance,
des thèses déjà présentées par cj'autres auteurs. On s'en avisera
à la lecture du deuxième volet d'arguments. Pour le moment,
retenons ceci;
ql!.e CéS différentes
thèses -
dont le point
commun est l'explication de la différence entre la connaissance
magico-empirique de l'flfricain et la connaissance scientifique
de l'Occidental par nne différence des mentalités ou des intel-
ligences -
soient ôlaborées sur un fond d'idéologie ou d'ethno-
centrisme,
cela ne fait aucun doute. Mais elles ne méritent pas
moins d'être prises en considération, car elles ne manquent pas
de sens. Il est indéniable que d'Ufle manière générale (quoique
_ ':of
cette généralisation so:Lt abw::ive)
il y a une carence
die
s,vants
con Li-L-més
e.1l
Aft-Ique
[,oiLe
La démarche de leurs
auteurs répond à unt'! certaüuo louique. Si à partir de deux ma-
tériaux identiques on confectionne deux objets différents,
n'est-on pas en droit de penser que c'est dans la structure
.
de la machine de confection que réside la différence 7 Par
.../
(l)Gérard WintrinSJer,
"Considérat:ion sur l'intelljclCnce du Noir"
in Revue de psychologie des peuples, 1955, pp. iU-19 •
,.
'"..
I~
'"
, '"

'"
~
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;; '"
§ '10
'"
'""..
"."0·46· !iO- ---
fi60· 6Q- 65· 10· 76· eo 85· 00· 91'> 100.105.110.115.170.175.130.135.
44
49
54
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BU 94
99 104 IQg '14 119 124 129 I~ LN
hgurL' J.
Ih'pJrlilil'll du QI d'enfallt~ noiI~ e'\\ blancs urigirHli/t" ùu sud-esl
d,~<:. EJal'l·Unis (~elon W.A. Kenneùy cl coll 1. CC\\ (oulbc\\, les
pJm ù)l1rHrrS du gcmc, (Olll apparaÎtre un Jécal:tpl' de QI de
l'ordre de, 20 puinls.
J

-
Zélb
-
exemple, de tous les temps et en tous ,lieux il pleut. Si ce
même phénomène entraîne en Occident "la naissance de la météo-
rologie et en Afrique le cul.te des ancêtres, ne faut-il pas
rechercher cette divergence dans l'organon de la pensée de ces
deux civilisatiOlls ?
Mais pour gltre logiques, ces théories ne sont pas néces-
sairement vraies. BlIes reposent beaucoup plus sur des suppo-
sitions ou des raisonnements que sur des démonstrations. Or le
réel est irréductible au rationneL Elles p~chent mffite parfois
dans l'établissement dl=5 relalions causales. Que le cerveau du
Blanc soit plus lO'.\\I'd ou plus volumineux que celui du Noir,
c'est un résultat scientifique probable. Il y a d'ailleurs beau-
coup d'autres différences physiologiques entre ces deux espèces
de m~me genre: la pigmentati.on de la peau, J!a couleur des yeux,
le système pilaire, la fo~ne du nez et des lèvres, le timbre
vocal etc ••• Mais de là, inf~rer l'existence d'une différence
d'intelligence. il y a un abîme. Ces théories sont évanescentes
non parce qu'on peut en montrer la fausseté, mais parce qu'on
ne peut en démontrer la vérilC:ité. L'absence des raisons de nier
n'est pas un motif de croire. En un mot, elles repos~nt sur des
variables nébuleuses: la structure de l'esprit ou le coeffi-
cient intellectuel.
2°) La réplique des.néiEologues
a) Nous avons promis d'expliquer les raisons de notre
,~.
-"-_. -~
insistance: sur les arguments historiques, biologiques et psycho-
logiques en faveur de l'idée selon laquelle la mentalité noire
n'est pas et ne peut pas ~tre en conformité avec l'esprit
'; scientifique.'·c'est que sans référence à ces thèses, on ne
saurait comprendre l'acharnement de certains intellectuels ~irs
à affirmer l'identité de la civilisation négro-africaine dans
les années 1930. En effet, la Négritude, "la seule idéolOgi~"Cjue,
selon SENGHOR, l'Afrique noire puisse opposer aux idéologies
occidentales", n'e~t rien d'autre que la conscience et la reven-
dication des Nègres troublés, scandalisés et humiliés par les
thèses que nous venons d~ développer. Le but de ce mouvement a
été de s'élever contre la logique coloniale qui justifie sa
domination par l'histoire, la biologie et la psychologie, en
définissant le Noir en terme de négativité.
La Négritude, en s'efforçant de contester le jugement de
.../

- 287 -
valeur auquel la réalité noire était soumise à cette époque a
été amené à adopter le maniché1sme traditionnel de la pensée
européenne. Ces premiers intellectuels, adoptant les schémas
du débat occidental, iront jUSqll'à emprunter les éléments
idéologiques sur lesquels ils reposent.
L'une des réactions les plus connues est celle d'Aimé
CESAIRE qui s'adresse aux anciens esclaves noirs des Antilles,
notamment dans la Iragédie du ~oi Christophe et dans le Cahier
d'un retolAI' au P,~ys nata~. Il y peint le Noir comme incapable
de connaissance scientifique et d'inventions techniques, et
voué à subir les tortures du martre.
Les Noirs, ce sont
\\\\ Ceux qui n'ont inventé ni la poudre
[ni la boussole
Ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur
[ni l'électricité
Ceux qui n'ont exploré ni les mers
[ni le ciel
Mais ils savent en ces moindres recoins
[}e pays de souffrance
Ceux qui n'ont connu de voyages que de
[déracinements
Ceux qui se sont assouplis aux
agenouillements
Ceux qu'on domestiqua et christianisa
Ceux qu'on inocula d'abâtardissement
tams-tams de mains vides
tams-tams inanes de mains sonores
tams-tams burlesques de trahisons tabides
tiède petit matin de chaleurs et de peurs
ancestrales. Il
Aimé CESAIRE, SENGROR, Birago DIOP, et bien d'autres
encore ne cherchent donc pas à montrer que le Noir peut accéder
au m~e titre que le Blanc au savoir scientifique. AU contraire,
ils insistent sur les qualités sensibles des peuples noirs et
opposent, cmrune les idéologies contre lesquelles ils entendent
s'élever, ces qualités sensibles aux capacités d'abstraction et
d'intelligence conceptuelle. Pour SENGHOR par exemple, l'art est
le propre du Noir, la science celui du Blanc. D' où. sa formule
célèbre: "L'émotion est nègre et la raison hellène". Il énumére
en ces termes les valeurs spécifiques de la Négrftude. "Une sen-
sibilité profonde, s'accompagnant d'une réactivité immédiate,
.,., ./

- 288 -
ca~acté~istique des "fluctuants" auxquels appa~tiennent le Nég~o­
Af~icain, comm~ d'ailleu~s le Japonais (ce qui ne l'a pas empêché
de s'intég~e~ ~apidement à la civilisation indust~ielle) ; une
puissance d'émotion conduisant à l'assimilation intuitive de
l'objet, du monde exté~ieur ; cette ~aison s'oppose à la ~aison
discu~sive du Blanc Eu~opéen, à l'analyse objective et concep-
tuelle qui inte~pose un éc~an ent~e l'homnle et le monde exté~ieu~.
Le Noi~ procède pa~ induction et intuition"
(1). Dans la perspec-
tive comtiste,
le Noi~ se~ait donc l'équivalent de la femme et
du prolétai~e, le Blanc c~iui de l'homme.
b) Un autre cou~ant de la négritude va ~efuter ces thèses
qui consistent à établir une dichotomie ent~e la pensée Nèg~e
et la ~aison du Blé'l1C. L'objectif de ce cou~ant est de mont~e~
que, cont~ai~ement aux idées ~eçues, l'Af~ique no-i're a une' civi-
lisation et une histàire,
laquelle a été délibé~emment falsifiée.
L'un des a~gumel1ts g~âce auxquels on a souvent nié l'exis-
tence d'une civilisation africaine, c'est l'absence d'une écri-
tu~e nég~o-af~icaine. HEGEL nous a averti : l'histoi~e d'un
peuple ne devient une histoire réelle que lo~squ'elle est écrite.
De nombreux histo~iens Noi~s vont s'attaque~ à cette thèse
hégélienne jugée d'eth~ocentriste ca~ l'éo~itu~e n'est pas, à
leu~s yeux,
le seul mode de conse~vation et de t~ansmission du
pat~imoine culturel. Nie~ l'histoi~e af~icaine, c'est méconna!t~e
la "t~adition o~ale", le ~ele du "g~iot", la valeu~ heu~istique
des contes, des mythes et des ~ites. De nos jou~s l'ivoirien
NYAGORA BOA s'effo~ce
d'asseoi~
la d~u~logie ou l'étude des
tam-tams qui, pa~ la ~igidité de leu~ contenu, peuvent dévoile~
des données histo~iques inopinées. Ces moyens de communication
constituent à leu~s yeux des substituts valables de l'éc~itu~e,
puisqu'ils ont pe~mis à KI-ZERBO de ~ééc~i~e l'histoi~e géné~ale
de l'Af~igue nol~e, à AMADOU AMPATE-BA de ~econstitue~ l'histoi~e
de l'Empi~e Peuhl du Macina, à CORNEVIN d'éc~i~e
l'histoi~e géné-
~ale de l'Af~igue et celle du Togo.
Mais d'aut~es histo~iens mont~e~ont que l'idée même de
l'inexistence d'une éc~ltu~e nég~o-af~icaine est e~~onée. Ca~
out~e les hié~oglyphes de l'Egypte des pha~aons, la plupa~t des
g~ands foyers de civilisation de l'Af~ique noi~e ont eu une
éc~itu~e. C'est l'une des tllèses p~incipales de Théophille OBENGA
dans l'Af~ique dans l'antiquité, ouv~age dans lequel il affi~me
... /
(1) Sengho~, Inte~view, le Monde, 31 janvie~ 1968.

- 289 -
également -
(avec référence il des ClLlteLlrs de notoriété tels
que Charles DAR\\YlNi!. 'l'llE:ILI,AJW de CI1ARDIN) que non seulement
l'Afrique est le berceau de l'humanité, mais qu'encore l'Occident
lui doit la plupart des acquis dont il se vante aujoufd'hui
d'~tre l'inventeur. "La civilisation néolith:i"que de l'Europe
occidentale paraIt déri.ver dirEctement <Jes civilisClt-Lons néoli-
thiques de l ' 13gyc'te cl du non1 de 1.' i\\friq\\)ç>. qui. l,ü étaient
très antérieures el:,
pr:Lncipalement, du type culturel de !~érimde,
qui a, de m~me, fortement influencé la civilisation lacustre
suisse de la première période des palafittes"
(1).
C'est dans le (lixième cÎlapitre de cet ouvrage que sont
présentés les "Systèm'c's graphique': africains". NOLIS nous pro-
posons de mettre quelques-nns cl 'G'rnre eux à la portée du lecteur.
On y retrouve le système employé par les Yoruba du sud du Nigéria
actuel (emplacement des brillants royaumes du Bénin, d'Ifé et
d'Dyo), une éCl'iture symbolique, Ar6k~, à partir de cordelettes
à Cauris (2).
.../
Nicolas Lahovary
:
Les ~el)p l~ etl"ro pél2ns,
leur Ea ssé ethno-
logique et
leurs
parPlltis rec:l.proques d'~lprès les de~nl~res
recherches sanguines et anthropologlqueS. clté par Obenga
op. cit.
Darwinf :
"il esl: pt'Ob,lble qve nos ancË?tres primitifs ont
vécu sur 1e continent i'lfricain p1utôt que partout aillevrs"
la descenclance dé' l' homme et la sélection sexue:L1e.
(2)Tous les syslèmes grëlplùques qLle nous présentons ont été tirés
de l'ouvrage de Théophille Obenga.

. ,
-
290 -
LETTRES nCIUTES
EN (l1"(1/IiJ (YORUBA) .
Il Y a égi'llcTIlé'nl: l'{~criturc
. - ]'
9 .1. C;?111C 1.,
celle ql)i se
retrouve dèUlS la région actuF.'lle du Kenya, notamment chez le
Kikuyu
qui a été décol)vprte en 1910 p;lr vi. S. CORESBY et
d'autres cherch(ôurs. GUc est ùPI'<lrentée al~x hiéroglyphes et
constitl~e un systènle de jlictographie. Voici quelques-uns de
ses signes.
. .. /

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291
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araignée
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abeille
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la rosée
'·9:'1.'
t1TIJJt L'liseur de {1
pluie
Mais le système ]f' plus élaboré semble avoir été
l'écriture
Vë>i
dont SE' servaLent les anciens habi.tants de
la région actuellE' comprise entre Krim et Dulu, i1UX environs
de Monrovia. Ce système aurait connu le stade phonétique
syllabique. Voici ce que rapportent les recherches de S.W.
KOE:LLE,
J. L. vITL'.;ON 'êt s. fi. \\vYNROOP.
.../

PHONETIC
CHART ;,~-,- -6F
VAl
CH A RACTERS~
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SIGNES GRAPHIQUES VAl.
0Ve print this cha..-t as reccived, bat we susp~Ct that the sound
denoted by 'Il is ren.Ily the 14 in ft rule • -
not that usuully heard
• Thcse vowels hnve the sounds of - a as ah, é as in they. è as in net. {
in • tube ., ""hich is a coll'lbination of y and u. -
Ed.)
as in pin, () as in old, " as in not, Ü as in tube.

,1
-
293
c) l1ais le négrologue le plus illustj~e d~ns le déman-
tèlement des idéologies occidentales est sans aucun doute le
Sénégalais Cheikh tmt.a. DIOP. Il nous inté~sse particulièrement
parce qu'il soutient une thèse inédite et insolite. Dans la
quatrième partie de son ouvrage : Civilisation et barbarie,
partie inti tulée "apport de l' I\\frir.[ue à l' humanité en sciences
et en philosophie", il montre que c'est une falsificution de
l'histoire que de faire remonter l'origine de i~civilisation
scientifique occidentale à la civilisation grecque antique, car
c'est raisonner conune si la civilisation de l'Egypte antique
n'avait pas été la source d'où presque tous les Grecs, scienti-
fiques comme philosophes, ont tiré .la~ sève
de leurs théories.
Y-a-t-il un seul d'entre eux qui avant d'acquérir une certaine
notoriété ne s'est familiarisé soit directement (par un voyage)
soit indirectement à la pensée égyptienne? D'où sa thèse: non
seulement le Noir est capable d'abstraction scientifique au
mê!me titre que le Blanc, mais encore toute la science dont
s'enorguieillissent aujourd'hui les Qccidentaux est d'origine
négro-africaine.
Il montre d'abord que l'influence de l'Egypte sur la
civilisation occidentale est indéniable. La ville de Delphes en
Grèce fut créée par un Ethiopien, DELPHOS, vers 520 - 490 avant
J. C., lequel NEGRI'; était représenté sur les pièces de monnaie
de l'époque. Les premiers éléments néolithiques: polissage,
céramique, tissage, premiers animaux domestiques, et premières
techniques de l'agriculture ont été introduits en Occident par
les Egyptiens. Selon James Henry BREASTlill de l'Université de
Chicago, "Les EUropéens de la période post-glacière menèrent
longtemps une vie misérable au sein d'une culture hostile ( ••• ).
si ce mode d'exi3tence se transforma graduellement, ce fut sous
l'empire
des' "inEluences venues de l'extérieur, en grande partie,
sans doute, de l'Afrique du Nord. Il est possible que des rive-
Tains du Nil à l'humeur vagabonde aient parcouru l'Afrique du
Nord et soient passés en EUrope par le détroit de Gibraltar"( 1).
Cette idée est confirmée par GURVITCH:
"la civilisation négro-
africaine o. donné au monde entier une extraordinaire vitalité
et rigueur. Toutes les conceptions vitales, religieuses comme
philosophiques, sont, j'en suis cOllvaincu, sorties de cette source.
La civilisation de l'Egypte ancienne ne serait pas possible sans
le grand exemple de la culture négra-africaine, et elle n'en
fut, très probablement, que la sublimation".
. . .1
(1) J. H. Breasted. La conqu@te de la civilisation, Payot, 1945,
p. 40.

294 -
Puis i l procède à un inventaire minutieut< du legs de
l'Afrique à l'occident en science, et propose une réécriture
de l'histoire des sciences en Occident.
* En mathématique: Si les Romains, pionniers du savoir
juridique n'ont pratiquement rien apporté aux sciences exactes,
ce n'est pas dans l'organisation interne de leur société qu'il
faut en chercher la raison. C'est parce qu'ils ont été moins en
contact avec les Egyptiens que les Grecs qui, eux, ont été de
grands scientifiques.
'-,-. En géométrie, la plupart des "prétendues découvertes qui
ont fait la célébrité des savants grecs, tels ARCIfIMEDE et
PYTHAGORE "avaient été déj à trouvées par les Egyptiens. Comme
Paul VER EECKE, il accuse ARCnHlEDE de malhonnèteté intellec-
tuelle : "En effet, écrit paul, si le traité de la méthode
mécanique, récemment mis au jour, est venu nous révéler le
secret de quelques-unes des plus belles découvertes du grand
géomètre, il n'a cependant soulevé qu'un coin du voile qui
recouvre la genèse d'un grand nombre de propositions, lesquelles,
démontrées par une double réduction à l'absurde, suppose malgré
tout une notion préalable, obtenu.es par des moyens sur lesquels
ARCHIMEDE a gardé le silence, ou atteinte par des voies que
nous sui II-ons encore de nos jours, mais sur lesquelles il aurait
effacé soigneusement la trace de ses pas"(1).
Par exemple, le papyrus de Moscou montre que la formule de
2
la surf ace de la sphère : S = 4
'1'( R
démon trée par ARCHIHED E
avait été déjà établie deux mille ans plus tOt par les Egyptiens
qui connaissaient également la formule exacte de la surface du
2
cercle
S =
Tl R
avec une valeur de TI = 3,16 ; et la longueur
de la circonférence
l =
21\\ p.. Par ailleurs, cl' autres exercices
du mème papyrus, revèlent la connaiss·;lnce dans cette partie de
2
l'Afrique de la formule du volume de la pyramide: V =_~ a ,
puisqu'ils connaissaient la formule du tronc de pyramide
=+ 2
2
V
(a
+ ab + b ). En conséquence/ces connaissances scien-
tifiques ~t!gyptienn'"s ont été usurpées parARCHIMEDE auteur des
livres tels: De la Spllère et d~cylindre, De la mesure du cercle.
Et DIOP d'ajouter ironiquement:
"En effet, ARCHIMEDE, dans ce
dernier livre, en calculant la valeur de 11:' = 3,14 n'a fait nulle
part allusion à la valeur très voisine de
11' = 3,16 trouvée par
les Egyptiens deux mille ans avant lui. Il ne se doutait pas
.../
(1) Cheikh Anta Diop, civilisation ou barbarie? Présence Africaine,
1981, pp. 293-298.

- 295 -
qu'un papyrus éGYptien apprendrait accidentellement la vérité
7 de la postérité" (1). Il en va de mË!me du contenu de son traité
v
,7
De l'équilibre des plans ou leur centre de gravité,
ARCHIMEDE
n'y invente rien, ni la théorie du levier, ni celle du vis sans
fin, ni celle de la balance. Il y transcrit, selon DIODORE de
Sicile, les connaissances acquises pendant son voyage en Egypte.
Car, écrit STRUVE, "Les plans des Egyptiens sont aussi exacts
que ceux des ingénieurs modernes".
Et l'exemple d' I\\RCIIHIEDE n'es t pas un cas isolé. Diogène
LAERCE et PROCLUS soulignent que THALES fut le premier élève
grec des Egyptiens qui introduisit la géométrie en Grèce à son
retour. (2)
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Probl61T1lt nO 53 du P"pyrus fiMnd. la céh",brl'l figUle supposlInt 11'1 CQnnlliuftnco du théorèmo do Thalàg. lT. E. Peet : The Rhind
Matllematical Papyrus, pl. P.)
.
C'est THI\\LES qui, après avoir enseigné son savoir à son
élève PYTHI\\GORE lui aurai t conseillé
d'aller en Egypte où il
séjourna 22 ans, le temps de s'initier à la géométrie et à
l'astronomie. C'est donc à tort qu'on lui attribue le théorème
qui porte son nom. P. H. MICHETJ écrit: "Enoncée ou non par
P)~HAGORE lui-m~me ( ••• ) la relation ( ••• ) était d'ailleurs
connue depuis longtemps ùes Egyptiens et des Babyloniens, qui
l'avaient vérifiée pOUl' certains cas. Il restait ~ généraliser
la formule, et à la démontrer géométriquement, sans recours au .../
(1) ibid, p. 301. Cet argument nous paraît fort contestable, puis-
que l'histoire des sciences nous apprend par exemple que New~bri
et Leibnitz ont découvert la m~me théorie mathématique, le cal-
cul infinitésima~, sans que l'un n'ait connaissance de la décou-
verte de l'autre.
(2) ibid, p. 311 - cf également Eugène Guernier : L'apport de
l'Afrique à la pensée humaine, Paris, Payot, 1952.

"
')
- 296 -
nombre. Le progrès décisif fut accompli, selon toute vraisem-
blance, conjointement avec la découverte des irrationnels, à
l'occasion d'umproblème ne portant pas de solu~ion numérique,
celui de la duplication du carré. On doit démontrer à la fois
l'incommensurabilité de la diagonale avec le ceté (ou de l'hypo-
thénuse du trian~-rectangle isocèle avec ses cathètes) et le
fait que le carré construit sur cette diagonale équivalait au
double du carré primitif" (1). Telle est donc la source du
théorème sur le triangle rectangle :
A
AB 2 + BC 2 = AC 2
BL---------~C
En algèbre et en arithmétique, l'auteur fait remonter
également à l'Egypte antique (à partir d'exemples précis), le
calcul des séries mathématiques, celui des équations (premier
et deuxième degré), les opérations sur les fractions etc •••
k
-* En Astronomie, c'est dans le papyrus démotique"CARLBERG
que 'Cheikh Anta DIOP trouve les arguments en faveur de sa thèse.
C'est aux Egyptiens que nous devons le calendrier à peine modifié
que nous utilisons de nos jours. Ce sont eux qui ont divisé
l'année en trois saisons de quatre mois (en observant la nature),
le mois en trois semaines de dix jours. Ils ont établi la divi-
sion périodique de l'année en 365 jours, c'est-à-dire, 12 mois
de 30 jours, soit 360 jours "plus les 5 jours épagomènes, corres-
pondant chacun à la naissance d'un des dieux égyptiens suivants :
Osiris, Isis, Horus, Seth, Nephtys" ; ils ont inventé le jour
de 24 heures (2) et une multitude d'instruments de mesure astro-
nomique: fil à plomb, gnomon, obélisques, cadrans solaires,
armilles, clepsydres •••
~
La médecine Égyptienne, à laquelle ~e réfèrent constamment
THEOPHRASTE, DIOSCORIDE, GALIEN, et dont sera héritier HIPPOCRATE'
se pratiquait à trois niveaux:
.../
(1) ibid, pp. 310-312.
(2) ibid, p. 356.

- 297 -
1°) Celui des magiciens et des médecins (à la fois) qui eurent
pour la première fois l'idée de prendre le pouls,idée qu'on
attribue fautivement à HEROPHILE d'Alexandrie.
2°) Celui des spécialistes et des généralistes formés le plus
souvent dans des centres hospitaliers appelés "maisons de vie".
3°) Celui enfin de médecins fonctionnaires qui dispensaient des
soins gratuits. D'une manière générale, ils ont été les premiers
à mettre sur pied des techniques de chirurgie osseuse, à trouver
des procédés de traitement de la luxation, et à pratiquer des
points de suture ou à utiliser des attelles de bois pour
refermer les fractures. "Les chirurgiens égyptiens, écrit
G. LEFEBVRE, avait atteint le sommet de leur art dès l'époque
memphite, du moins dans le domaine de la chirurgie osseuse :
tout est à admirer chez eux, l'ingéniosité, le bon sens" (1).
~
L'histoire de la Chimie doit ~tre également refaite. On
doit d'abord commencer par montrer que l'étymologie mème du
mot "chimie" est de source égyptienne. Ce mot vient de kemit
qui signifie noire, en référence aux procédés de cuissons et
de distillations propres aux "Laboratoires" de ce pays. Ce n'est
pas un hasard si BERTHELOT que COMTE considère comme l'un des
pionniers de la chimie a consacré à la chimie égyptie~ne un
mémoire, chimie qui avait permis le développement d'une métallur-
gie du fer.
~
Enfin,
Cheikh Anta DIOP souligne le fondement mathématique
de l'Architecture égyptienne, et le caractère abstrait de son
art. Voici quelques images révélatrices de cette architecture
et de cet art tant admiré par PLATON qui, comme tous ces contem-
porains a effectué un voyage d'étude en Egypte.
. . .1
(1) G. Lefebvre, La médecine égyptienne, cité ibid, p. 362 •
. .- ...;,

- 2!W' -
"
.
Que l' Egyptl' antique ait connu réellement cette brillante
civilisation dont fait état la thèse de DIOP, et que cette civi-
lisation ait eu un grand impact sur la civilisation hellénique,
personne ne songe à le nier. Jean BRUN dans Les présocratiques
revient constamment sur cette idée. Mais alors, quel rapport
y a-t-il entre l'Egypte et l'Afrique noire? ou encore, au nom
de quoi Cheikh Ahta DIOP revendique-t-il la civilisation de
l'Egypte antique sous l'étiquette de civilisation négro-aficaine ?
Cette question en appelle une autre ':
"qui étaient les
Egyptiens ? " Là-dessus, DIOP va aussi loin que sont allés les
idéologues occidentaux. Comme eux -- DIOP possède de solides
connaissances scientifiques -- il organise ses arguments autour
de données biologiques et historiques. Après des expériences
faites sur des momies à la faculté des Sciences de l'Université
de Dakar à l'aide du carbone 14, il en arrive à une conclusion
établissant une filiation entre la civilisation négro-africaine
et la civilisation de l'Egypte antique. Dans Antériorité des
civilisations nègres : mythe ou réalité historique? il distingue
qeux catégories de races noires: 1°) une race nègre à cheveux
lisses représentée en Asie par les Dravidiens, en Afrique noire
par certains Nubiens, les Toubbous ou Teddas (Niger, Tchad,
Sahara méridional), certains Somaliens, et quelques Ethiopiens
de l' antiqui té '; et 2 0) une race nègre à cheveux crépus qui sont
une évolution et une adaptation de l'espèce. D'où sa thèse
formulée dans sa globalité : la science qui fait actuellement
la fierté de l'Occident est d'origine négro-africaine, parce
que les Egyptiens étaient des Nègres; "Les Egyptiens avaient
la peau noire, écrit-il, au m~me titre que les Nègres actuels,
statiquement parlant. J'affirme ceci sur la base de mes propres
investigations. A cet effet, j'ài fait des prélèvements düment
numérotés, Sur les momies égyptiennes trouvées par MARIETTE;
ils sont conservés dans notre laboratoire de l'IFAN à la dis-
position
de tous les chercheurs qui s'intéressent à la question~1)
i
l,
,
Cette thèse, aux yeux de l'auteur, est d'ailleurs confirmée
par la plupart des textes des Anciens qu'il sollicite. HERODOTE,
le plus ancien des historiens lui donne raison:
"Hanifestement,
les Colchidiens sont de race égyptienne ••• Je l'avais conjecturé
moi-m~me d'après deux indices: d'abord parce qu'ils ont la peau
noire et les cheveux crépus ( ••• ) ensuite et avec plus d'autorité,
.. .1
(1) Diop, Antériorité des civilisations nègres, présence africaine,
1967, p. 32.

pour la raison que, seuls parmi les hommes, les Colchidiens,
les Egyptiens et les'Ethiopiens ~atiquent la circoncision depuis
l'origine •••• " (1). ARISTOTE fait une affirmation analogue:
"ceux qui sont trop noirs sont couards, ceci s'applique,aux
Egyptiens et aux E~hiopiens" (2). LUCIEN qui a vécu vers 125
après J. C. déërit un jeune Egyptien de la sorte': "LYCINUS :
ce garçon n'est pas seulement noir mais il est lippu aussi et
a les jambes trop gr@les •••• "(3). APOLLODORE (premier siècle
après J. C.) nous donne l'origine du nom Egypte:"Egyptos subjuga
le pays des pieds noirs et l'appela Egypte d'après son propre
nom". ESCHYLE dans une tragédie, les suppliantes, (525-456) ?
avant J. C. présentant DANAOS fuyant avec ses filles, les
Danaldes, poursuivi par son frère EGYPTOS et ses fils les Egyp-
tiades écrit:
"Je distingue l'équipage avec ses membres noirs
sortant des tuniques blanches". AMl-IIEN MARCELLIN décrit les
habitants de ce pays: " ••• les Egyptiens sont pour la plupart
bruns et noirs, l'aspect sinistre, gr@les et secs, emportés dans
tous leurs mouvements, enclin à la controverse et aux revendi-
cations". ACHILLE, STRABON, DIODORE de CICILE ••• sont autant
de penseurs dont les textes ont été éveillés par Cheikh Anta DIOP
pour montrer que les Egyptiens étaient des Nègres. Nous faisons
gr~ce au lect-eur du contenu des autres arguments tels que la
parenté grammaticale de l'égyptien ancien et des langues nègres,
de l'affinité entre les totémismes égyptien et noir.
Comme on peut le voir, les thèses des négrologues, aussi
judicieuses soient-elles (surtout les dernières) ne sont pas
moins idéologiques et moins racistes que celles qu'elles combattent
La négritude est un mouvement du "ressentiment" au sens nietz-
schéen du terme. Par rapport aux Africains, elle constitue une
arme à double tranchant. Les thèses que nous venons d'exposer
ont le mérite de contrecarrer l'effet de l'anathème fulminée
contre l'homme noir et sa culture par certaines idéologies
occidentales. Elles redressent l'image du Nègre désormais réha-
bilité par-delà l'humiliation qu'il a subie jusque-là. A la
limite, on pourrait soutenir que l'oeuvre de C0êikh Anta DIOP,
en révelant à l'Africain qu'il a été le précurseur de la science
et de la technologie moderne, contribue à lui faire prendre
confiance en lui-m@me, et à le lancer dans l'entreprise scienti-
fique dont il se sait désormais capable.
. . .1
(1) Hérodote, Livre II, 104, cité ibid, pp. 35-36.
(2) ibid.
(3) ibid, p. 37.

Mais, à Y regarder de près, la Négritude sous sa forme
'première est de nos jours dysfonctionnelle. Elle est un "opium"
du peuple africain parce qu'elle le console au lieu de l'in~
quiéter, elle l'endort au lieu de l'inciter au travail. Faut-
il penser que sa familiarité avec "le surréalisme" l'a rendue
irréaliste 7 Toujours est-il qu'elle ne pose pas les problèmes
dans le sens des besoins actuels de l'Afrique. L'heure n'est
plus à une prétendue authenticité ou affirmation de l'identité
par le réveil des "vaudu",par l'exhibition d'un passé
préhis-
torique
glorieux, autant' d'activités qui privilégient le fol-
klorique au détriment de l'essentiel. La connaissance de l'his-
toire n'est nécessaire que pour autant qu'elle nous éclaire sur
la façon de b~tir le présent et le futur,en nous dévoilant les
erreurs du passé à éviter. L'histoire ne vaudrait pas une heure
de peine si elle devait servir uniquement de miroir, ou si elle
devait nous inviter à un retour non-sélectif au passé. Le cours
du temps ne remonte pas. Méfions-nous donc de toute doctrine
passéiste.
Nous ne voulons pas signifier par là que les thèses de
SENGHOR, d'Aimé CESAIRE, de Théophille OBr~NGA, de ,Cheikh Anta
DIOP, n'ont pas de sens. Elles étaient même nécessaires à une
époque donnée. Nous ne considérons pas non pILIS l'affirmation
de l'identité comme une entreprise vaine. Nous disons seulement
que la meilleure façon d'imposer son image, c'est de se montrer
à la hauteur des t~ches qui nous incombent aujourd'hui, c'est-
à-dire, "ici et maintenant", et non de revendiquer à cor et à
cri la civilisation "égyptienne et antique". Nous devons nous
rendre à l'évidence que de nos jours, nous dépendons entièrement
de l'Occident pour notre survie. Nous sommes en situation et le
vrai problème est : "Comment nous en sortir 7" Nous devons
comprendre que les voies qui mènent à la solution du problème
actuel de l'Afrique ne sont à rechercher ni dans "la philosophie
de l'autruche", nl uniquement dans la sl.lbl:i.mation de nos énergies
dans la musique et le sport. Affirmer son identité, c'est oser
penser et vivre en conformité avec les données scientifiques,
économiques, technologiques, sociales et culturelles de son
époque. En d'autres termps, l'identité d'lAn pelAple s'impose.
COlllllle
le di t l,olé SOYINI,A, :UIl
tiSLe
Ile I":oclallle pas
sa·
I I ·

1"
tlgrltuc2.
Le Japonais a-t-il besoin aujourd'hui de recourir
à son passé pour imposer respect 7 "Toute révolution, dit Marcien
TOWA, est auto-révolution et auto-transformation". Et notre
.. .1

_ 301
confrère ADOTEVI Sl;anlslas i\\ raison d'{ècrire qu'autilnt la
négritude dans les premiers temps fut capable de soulever les
espérances de la jeunesse africaine colonisée, ~ltant elle
s'est révélée incapable d'y répondre depuis les indépendances.
Il explique à juste titre ce paradoxe de la "vision fixiste
du Nègre" que la négritude contenait
en germe et qui a contribué
à l'égarer "dans une qu~te forcenée des coutumes, traditions,
modes d'apparaître, au lieu de faire face aux problèmes de
l' heure" (1).
Bref, par le culte du passé africain qui, en fait, est
presque perdu, ou du moins profondément altéré, nous courons
le risque de prendre les moyens pour les fins. Nous devons voir
clairement que cette tentative (à la limite de la violence) de
retour en arrière, parfois mitigée par le terme de "recours",
est en fin de compte, inefficace et parfois désastreuse. Elle
est une stratégie de mobilisation politique, non un programme
réel de développement du savoir et de la technologie. Et ceux
qui s'égarent dans cette attitude - osons le dire - commettent
une erreur de jugement: ils s'enferment dans l'illusion qu'on
peut disposer de la vie sans au préalable la maîtriser.
(1) cf. Adotévi Stanislas: Négritude et négrologues et Marcien
Towa, Essai sur la problèmatlque phllosophique dans l'Afrique
actuelle.

_
J02
Chapitre
.IX
L 'OHIENTATlON
DE: "L'EPISTEMOLOGIE
AFHICAINE"
Par "épistémologie
africaine"
nous entendons la réflexion
philosophique
Dur les conditions de la possibilité, de
la
science ,,\\oderne, en Afrique.
Nous employons le mot épisté-
mologie dans son sens courant,
celui qu'on retrouve par exemple
chez MEYERSON et qui signifie philosophie des sciences.
Nous
lui ajoutons "africaine" pour préciser qu'elle a un caractère
spécifique en raison de son champ d'application.
L'épistémologie
africaine est une composante de
l'épistémologie générale,
"un rationalisme régional" qui plonge ses racines dans le
rationalisme scientifique universel.
Ce qui la caractérise,
c'est qu'elle est une philosophie de l'absence.
Alors que
l'éoistémologue Occidental se penche sur les éléments déter-
minants ,dans la formation d'une science qui existe déjà
(les
indicateurs,
les obstacles,
les paradoxes,
les révolutions
épistémologiques), tandis qu'il s'interroge sur les méthodes
de l~'a\\1,~ance, sa finalité etc ... ; l'épistémologue africain
doit/réfléchir sur un objet non encore existant, déterminer les
causes de sa pénurie èt les conditions de sa naissance. de Sa '
naturalisation._
Comme on peut le voir,
nous voulons éviter les deux
déviations que
constituent l'européanocentrisme et l'africano-
centrisme.
Nous prenons de la distance aussi bien par rapport
aux théories de LEVY-BRUHL, des biologistes et psychologues
occidentaux que par rapport aux thèses des négrologues classiques
Ces deux écoles apportent des solutions
justes à des problèmes
surannés,
désuets.
Réfléchir sur la science africaine,
ce n'est
ni dénigrer la civilisation négro-africaine en la rejetant 'au
vestiaire de la connaissance scientifique,
ni faire de cette
civilisa_,tion la matrice de la science'. C'est poser cette forme e
de savoir comme étant devant nous et non derrière ou avec nous,
et se demander comment l'atteindre.
Ni la science ni l'épisté-
mologie africaines n'existent encore. Toutes deux sont entière-
ment à faire. Cheikh Anta DIOP est à notre avis celui qui a
élaboré un projet fécond pour une étude de l'histoire de la
pensée scientifique en Afrique.
Mais son entreprise est à
... /

_JOJ
_
reprendre et à réoyienter dans la nouvelle perspective que nous
proposons. M. DlOP e~t passéiste. sà question est: Quel est
l'apport de l'Afrique à l'humanité en Science 7 Notre interro-
gation est plutôt orientée vers l'aveni.r.:
A quelles tonditions
une science·,africaine est-elle possible 7 Il nous présente un
rétroviselJr au moment où il nous faut plutôt avancer. Il a
montré avec dextérité que le dénuement actuel de l'Afrique en
Science et en technologie,
Join d'~tre originalte, est l'effet
d'une décadence. Nous nous proposons de savoir quels sont les
éléments déterminants de cette régression, ou plus précisément,
quels sont les facteurs explicatifs de ce dénuement 7
1°) Discussion sur deux obstacles présumés
L'une des prescriptions fondamentales de la sagesse des
Anciens est
"Primum vivere, deinde philosophar~' (vivre d'abord,
philosopher ensltite). L'homme confronté au problème de la survie
est incapable de se livrer avec efficacité à une activité spé-
culative. Or aucun peuple n'a autant souffert.- et ne souffre
autant -
que le peuple~ir africain des vicissitudes de l'exis-
tence : hostilité
de la nature (deux déserts sur le continent,
ceux du Sahara et du Kalahi'lri,
ingratitude des terres etc . . . ).
et oppression étrangère (esclavage et colonisation). On pourrait
donc expliquer la pénurie de savants négro-africains par ces
deux facteurs qui s'opposent i'\\ l'exercice d'une activité intel-
lectuelle de grande envergure,
parce ql\\(" privatifs de loisir.
Essayons de pousser cette thèse jusclu'à ses conséquences ultimes.
a) ~2~~~!~2~~_~~!~~~~~~~_~_2~~!~~~~_2~_~!~~~~~~!_2
* Il existe une opinion selon laquelle les différences entre
les cultures sont fonctions des différences entre les milieux
dans lesquels elles naissent et se développent. Et une autre
idée commune voudrait que les grandes civilisations apparaissent
dans les milieux qui offrent à l'homme des conditions de vie
exceptionnellement facile. Ainsi,
si la science s'est développée
en Occident, c'est parce que la nature généreuse dispense les
homm'2s d'un grand effort pour assurer leur survie,
et favorise
par conséquent l'éclosion de ce mode de connaissance. L'Egypte
était considéré par les Grecs con~e le paradis,
le jardin d'Eden,
le pays le plus fertile du monde où il suffisait de semer les
graines pour avoir les récoltes souhaitées. H8RODOTE, s'inspirant
de l'école de médecine d'HIPPOCHATf"
écrivait:
"Le climat où
vivent les Egyptiens est opposé
[au climat du monde hellénique]
.. -:

304 "
et,
lm outre,
li:! n,)turc de leur fleuve est unique. Cela explique
pourquoi les Egyptiens ont établi pour eux-mg,mes des usages et
des coutumes qui,
pour la plupart,
sont tout à l'opposé de ceux
du reste de l'humanité"
(1). L'S9ypte était donc perçu comme
l'endroit le plus indiqué pOllr ilccueilli.r la première génération
de l'homme puisque tout s'y trouvait à portée de la main. Voilà
pourquoi i l a été le foyer d'une brillante civilisation dont
l'une des caractéristiques a été l'ébauche de la science. Dans
Les formes élémentaires de l.a vie religieuse,
DURKHSIM ne
s'éloigne pas de cette position puisqu'il établit un lien entre
l'hostilité de la nature et la léthargie intellectuelle qui
"est nécessairement à son maximum chez le primitif. Cet Fc'tre
débile,
qui a tant de mal à disputer sa vie contre toute~ les
forces qui l'assaillent,
n'a pas de quoi faire du luxe en
matière de spéculation" (2).
C'est également dans les effets néfastes de la natilre,
dans la difficulté qu'a le Noir à lutter contre les obstacles
que lui oppose son milieu naturel que Cheikh Ante. DIOP trouve
l'explication des caractéristiques de la culture nègre. Dans
Nations nègres E.t cultures,
i l montre notamment que si l'Africain
est féticheur et non scientifique, c'est parce ql~e la nature lui
impose une conception plus pratique des choses. C'est pourquoi
pour le Noir,
"le symbole doit produire le semblable; ainsi
l'on taillilit dans la pierre les deux sexes pour i.nviter les .../
Hérodote II,
33. Camille Arambourg soutient une thèse analogue
"Il semble désormais difficile (le soutenir que l'origine de
l'humani.té et de son évolution aient eu lieu ailleurs qu'en
Afrique
•••
Déjà la succession et l'abondance sur le "conti-
nent noir" de toutes les industries humaines,
depuis la Pebble
culture
[ ••• ]
jusqu'au Néolithi.que,
et leur situation en
place dans les divers travaux du quaternaire me paraissent un
argument suffisamment pertinent. AI.jourd'hui,
tous les stades
physiques de l'h\\lmanité y sont rnnnl~S, associés à leurs industries
respectives,
et s'y succèdent en
série ordonnée et progressive
[
•••
]
• Tout d'ailleurs sur ce continent concourt à en faire
un centre idéal d'évolution,
particulièrement ses hauts plateaux
"
de la région des grands lacs où sont réunies les conditions
Climatiques,
sanitaires et vivières idéales:
tout ce qu'il faut
pour imaginer cet Selen d'où nous serons partis". "L'Hominurn
fossile d'Oldoway" in Bulletin de la société préhistorique
française,
t
LVII. Pasco 3 4,
1960,
p. 227.
(2) op. cit.,
PUF,
196e,
p. 82.

_
305
_
divinités à s'unir afin qllr la vêgétation qui entretient la vie
du peuple pousse. Ainsi,
c'est le souci d'assurer son existence
matérielle ql\\i a incité l'homme à ces pratiques. L'instinct vital,
le matérialisme archal'lue,
ne pouvait 'lU'" prendre cette forme
transposée,
déguisée,
d'une mét"physi que qui évoh'era sans
interrupt-ion jUSql" à l'idéalisme"
(1).
Cette théorie n'est pas fausse. C'est une idée communément
admise aujo1lrd'hui qu'il y a une infillence de J'éco-système sur
la vie psychique et intellectuel.le des hommes. Marcel MAUSS
montre très bien comment
la façon de penser,
de sentir et d'agir
des esqu i.maux es t dé termi née par 1 es varia tions sa isonnières.
LEROI-GOURHAN,
dans Milieu et techniques,
nOliS renseigne sur les
facteurs géhérateurs des tech"iqlles et des instruments. Il est
également aisé de constater que le tYi~e de l'habitilt en Afrique:
huttes,
cases en terre battl10,
toit de chaume, est fonction du
climat;
et que les steppes de l'Eurasie,
de l'Arabie et de
l'Afrique du Nord sont occupées par des peuples nomades dont le
mode de vie présente une uniformité incontestable à travers leur
moyen de locomotion (chameaux)
et leur uniforme. Il existe aussi
des exemples qui confirment la correlation entre la généresité
de la nature pt l'apparition d'une brillante civilisation. Ainsi
dans certaines contrées du monde (bassin du Tigre et de l'Eu-
phrate,
bassin de l'Indus) on a des conditions naturelles ana-
logues,
sur plusieurs points importants,
à celui de l'Egypte
antique:
désert environnant,
climat clément,
alluvions,
pluies
abondantes. Et chacune de ces régions a été le foyer de grandes
civilisations analoglles à celle de l'Egypte antique.
"* Mais cette thèse ne peut être soutenue jllsqu'all bout, On
connaît des régions qui présentent les mêmes caractéristiques
que l'Egypte,
l'Euphrate et J'Incllls,mais dont
les ressources
n'ont pas été uti.lisées par leurs sociétés à la même fin. Pendant
longtemps la vallée de Rio Grande,
du Colorado du Sud-ouest
malgré les énormes potentialités 11J'elles renferment sont restées,
au plan de l.a c-\\.v"i.l.i.sali.on des Yones sJ.non mr)rtes. du moins
anodines. Il a fallu attendre l'arrivée d'un autre peuple,
les
Européens,
pour que ces
régions soient mises en valeur.
Et on
pourrait multiplier ainsi les exemples où un type particulier
d'environnement a été mis à profit par une société tandis qu'un
autre peuple,
avec les mênles l'otentiels est arrivé à de bien
piètres résultats pratiques et intellectuels.
.../
(1)Nations nègres et cultures,
éd. Africaine,
195~, p. 242.

Moralité:
les conditions n~turelles ne constituent pas
11ne fatalité et ne peuvent en aucune manière ~tre considérées
comme cause de l'absence de la sci.ence africaine. Comme le dit
fort justement LACHELIER,
c'est l'homme qui humanise la nature
et non l'inverse.
Et cette leçon de MARX est bien connue: c'est
l'homme qui,
par son initiative et son travail,
rend un milieu
favorable ou non ê
tel 011 tel type d'activité.
En un mot,
a
priori,
"aucun produit de la natl)re ne peut être considéré
comme une
ressource naturelle tant que l'homme ne le veut pas
pour son usage et ne possède les moyens de
les exploiter. Par
conséquent un pays fertile,
marécageux,
n'est pas une ressource
naturelle si J'homme ne peut le drainer et le cultiver" (1).
Cet argument des conditions naturelles p~che en ce qu'il néglige
le génie des Egyptiens et l'effort prodigieux qu'ils ont fourni
pour transformer la jungle de l'époque en terre fertile.
JI
prend l'effet pour la cause.
Sans rejeter l'influence du m.i.lieu naturel sur la vie
intellectuelle,
nous sommes encl ·i.n à rnili ter plutôt en faveur
de l'argument d'Arnold TOYNBEE qlli inverse les données du pro-
blème. Ce ne sont pas les régions hOSI)itali~rooqui favorisent
la réflexion intellectuelle, mais l"e éontraire. Nous avons suffi-
samment montré que les théories scientifiques naissent le plus
souvent des efforts de l'homme pour résoudre l~s problèmes que
lui posent les faits.
Et nous ne pouvons nous empêcher d'évoquer,
en faveur de cètte thèse,
un souvenir d'enfance. Il était de
coutume dans le'. écoles primaires de l'Afrique occidentale
Prançaise de faire lire ou réciter un texte de A. DAVESNE,
retraçant l'origine des civili.sations. Ce texte montrait que
le développement scientifique et technologique de l'Occident
tient à J. 'hostilité de la nature,
tandis que le dénnement de
l'Afrique au plan de ces deux valeurs relève de la générosité
du continent,
lequel
offre gracieusement des gibiers,
des racines,
des fruits,
et présente un climat propice au loisir:
tam-tam,
chants etc ... Idéologie coloniale,
certes, mais pleine d'ensei-
gnement.
Passons de la légende ~ la réalité. Le cas de l'Etat
d'Isra~l est très souvent cité comme exemple de maîtrise de la
nature par l'homme grace à son
ini.tiative et ê sa volonté. Ne
faisons pas grand cas de cet exemple parce qu'on cbjectera que
. . .1
(1)cf. The social sciences in Historical stuc1y,
NeW-York,
1954.

_ .307
cet effort scienhfique et techni.'1ue ne vient PëlS des juifs
mais plutôt. de~ américains. Mais comment comprendre aujourd'hui
les origine's cle la grandeur scientifique et -technologique des
Ll. S. A. sans se référer à l'effort surhumain des "pionniers"
pour défier tous les obstacles auxql1els ils ont été confrontés
sur le-nouveau continent 7 L'érosion du sol attique n'a-t-elle
pas été pour les Athéniens un stimulant ql1i les a conduit à la
maîtrise de toute la mer Egée 7 Empruntons à TOYNBEE un bel
exemple 00 l'hostil.ité du milieu a été un stimulant à la nais-
S§nce de la science et de la technique.
La sécheresse de la
région de ceylan vers le Ve siècle après J. C. a stimulé les
Cinghalais à mettre au point un remarquable système d'irrigation
qui a consisté à construire des
t'éset'voirs gr,!1ce ;\\ des procédés
'lui, de nos jours encore, défient la compétence d'ingénieurs
modernes.
"si l'on rappelle,
par exemple,
écrit PAKEMAN,
que le
réservoir dit Minneriya avait (et a)
plusieurs kilomètres de
long et près de quinze mètres de haut,
il est manifeste qu'il
ël fëlliu emplover une puissance de travail consi.dérable et orga-
nisée avec grand soin. Ce réservoir spécial
a,
qUëlnd il est
rempli d'eau,
une superficie de prés de deux hectares
C.·. J
Il était alimenté par un canal de plus de quarante kilomètres
de long,
creusé au IVe siècle
[aprèS Jésus-Christ]
• Lln autre
canal, qui approvisionne l'Anuradhapura,
avait plus de quatre-
2
vingt-six kilomètres de long et irriguait 465 km
environ. Pour
les vingt-sept premiers kilomètres de ce canal,
la pente n'est
que de 8,14 cm par kilomètre,
ce qui montre fort à propos
l'habilèté deo~ spécialistes de l'irrigation en ces temps-là"(1).
La preuve de l'effort des Cinghalais en est qu'après la dispa-
rition de cette dynastie à la suite des guerres du XIe siècle,
la région de Ceylan est retombée dans son aridité de départ.
D'00 l'affirmation de TOYNBEE:
"Le stimulant de la civilisation
croît en proportion de l'hostilité du milieu" ou encore,
"Actéfi plus grand,
stimulant j'lus grand",
bref. les besoins
créent les moyens.
Il apparaît que la thèse des conditions naturelles est
incapable de rendre compte de la situation actuelle de l'Afrique •
.../
(1)CeyJ?n!
Londres,
1964,
p.
35~ cf~ A•. Toynbee.: Changement et
tradItIon,
Payot,
1969,
La CIVIIJ.satJ.on à ] 'epreuve,
Gall. 1951,
Les
rands mouvements rle l'lllsto 1 re,
EJ.sevler, Bruxelles,
1975
et la gran e aV0nture
e l
umanlt<?,
Elsevier,
1977.

-3.9§" -
On a affaire ici à une situation absurde. Car quelle que soit
la façon dont est considéré le milieu physique africain dans
son ensemble -
idfèal ou hostile -
on en arrive à cette m~me
conclusion qu'jJ
devrait engendrer la science et la
technique
idéal,
il devrait favoriser leur éclosion; hostiJe,
i l devrait
les stimuler. La situation actuelh' de l'I\\frique eSI: dans tous
les cas un paradoxe historique.
b) La domination étrannère : handicap ou avantane ?
;
"*
-------------------~------------------------~---
1
1
.<
L'un des arguments les plus avancés de nos jours pour
expliquer la carence de l'Afrique tant dans le domaine scienti-
fiqw2 que dans les autres sphères d' activi té est la domination
étrangère qu'elle subit depuis plusieurs siècles.
En effet,
pour
penser convenablement,
i l faut disposer de soi-même et avoir les
moyens requis pour la recherche scientifique. Or l'Africain semble
~tre privé de ces deux conditions fondamentales de la science.
Il est difficile de nos jours de dire avec exactitude ce
que serait ce continent s ' i l n'av,lit en aucun contact avec
l'Occident. Il est difficile d'évaluer avec précision les avan-
tages et les inconvênients de l.a colonisation. Toutefois,
l'ob-
servation des peuples dont le contact avec le conquérant a été
presqu' inexistant,les pygmê~sen l'occurrence (dont les civili-
sations au 15e siècle étaient des moins brillantes du continent),
donne à penser que les Africains contemporains (lorsqu'ils ne
sont pas passés par les écoles occidentales) marquent une régressic
nette sur leurs ancêtres qui disposaient au moins d'un savoir et
d'un savoir-faire, fussent-ils élémentaires,
leur permettant de
subvenir à leurs besoins de :."époque.
En un mot,
il y a tout lieu
de croire que ~~ans l'entreprise expansionriiste de l' B1lrope,
la
science occidentale et le savoir africain auraient connu des
destinées autres que celles que nous observons aujourd'hui. Mais
i l ne s'agit là que d'une supposition.
Ce qui semble certain, c'est que l'esclavage a été un
obstacle de taille au développement de la civilisltion négro-
africaine,
et plus particulièrement à la naissance de la science
africaine. D'abord,
i l faudra noter que la science positive ne
s'es t développée r0~el lemen t en Occiden t qu'au siècle des lumières,
alors que lil traite négrière a commencé au XVe siècle,
et bien
avant. Et Auguste COMTE a suffisamm~nt montré le rôle du commerce
et de la découvertc" de l' Am(èrique dans le:; progrès de la science
...

- JO~
pour qu'on puisse rio'quer' cette' affir'mation : la science ne
s'est développée (et ne continue de se développer) en Occident
qu'au détriment de la science et de la technique africaines.
Précisons.
Pour qu'il y ait science i l faut un certain
rayonnement culturel, une organisation sociale viable et une
densité sociale importante. Or J.a traite des nègres a eu pour
coro lIa ire la des tabilisa t ion cl es empires et royallmes de l'époque,
le dépeuplement massif d"
continent et,
par conséquent,
la para-
lysie de la civilisation tout
entière.
Certes,
le phénomène de l'esclavage n'a pas été importé.
L'Afrique précoloniale connaissait des sociétés esclavagistes
telles que l'empire clu Handing. En outre la société Athénienne,
celle-là m~me qui a développé une brillante civilisation scienti-
fique,
était esclavagiste. On sait d'ailleurs qu'ARISTOTE légi-
timait cette pratique (1). Seulpment,
i l ya une différence énorme
entre l'esclavage au sein d'un peuple et J'esclavage d'un peuple.
A l'intérieur d'une société,
ce mode d'organisation constitue
une sorte de division sociale clu travail laquelle peut ~tre à
l'actif de la science et des autres sph~res d'activité. En revanche,
l '('sclavage (l'un peuple consiste fi rÉ!cluire l'ensemble de ce peuple
il l'état servile. Pire encore il été le cas particulier de la
"traite négri.ère" 'lui a consisté li déporter les individus sur un
ilutre continent.
8mpruntons très succinctement quelques données au rapport
des travaux de l'O. N. U. sur
La traite négrière du XVall XIXe
siècle. si l'on doit tenir cOlTlpte de toute la période pendant
laquelle s'est déroulé ce commerce,
et de toutps les voies d'ex-
portation (celle de l'Afrique (lu Nord et du Hoyen-Orient,
celle
de la mer Rouge,et celle de l'Atlantique)
si l'on doit tenir
compte des facteurs
tels que les pertes subies lors des captures
et durant les trajets terrestres en Afrique, ainsi que les décès
survenus pendant les transports milritimes,
les experts estiment
(sans l'unanimité:
les pertes subies par l'Afrique pendant les
quatre siècles de la traite négrière à 210 millions d'~tres
humains (2).
Et si l'on sait en plus que dans les sociétés
.../
(1)Platon a été,
après la rédaction de la République,
esclave,
racheté et affranchi.
(2)01'. cit,
1979, p. 220. Il serait intéressant de COmparer ce chiffre
à ceux des d~,x guerres mondiales réllnies, guerres au cours des-
quplles la participation africaine n'est pas négligeable. Il faut
noter égil~ement ql~e toute l'Afrique,
l'Afrique Blanche comprise,
compte aUJourd'hul enVlron 350 rnillions d'âmes.

.\\
-
J 1Q.
.:;..
africaines les connaissances ~taient h0riditaires et se trans-
mettaient par voie orale,
alors on compr~nd davantage l'impact
de cette décimation cle plusieurs générations sur la vie cultu-
relle de l'Afrique.
L'esclava~e aboli, le continent noir affaibl.i par cette
lH"morragie humaine devait faire face aux armées coloniales. Que
d'empires et de royaum<"s ont été ravagés par les armées de
FAIDHERBE, de GALLIENI, de STANLEY, de LIVINGSTONE et de bi.en
d'autres encore!
Que de Noirs sont tombés sous les canons de
l'envahisseur!
Que d'éléments culturels ont été ensevelis
.".
.
Il
- • •
,
pendant un siècle de colonisation!
Il n'est pas de l'objet de
notre propos de retracer toute l'Odyssée du peuple Noir. Aussi
passerons-nous sous silence le problème de l'ordre économique
mondial contemporain et <l'autres obstacles extérieurs qui empê-
chent la science africaine de voir le jour. Arrêtons-nous
seulement pour le moment à cette constatation:
La traite des
esclaves et la COlonisation,
fonclements sur lesquels reposèrent
", :
(et reposent)
la science,
l'industrie et le commer~e des pays
européens ont,
comme le dit HARX (lans le capital,
"englouti des
millions d'hommes de race africaine". Elles constituent un
puissant obstacle à la science africaine.
On pourrai t se clemander s:i
cette "nalyse ne procède pas
du même esprit que les travaux de Cheildl Anta DIOf'. A cela nous
répondons par la négative. [,a différence entre le passé qu'il
évoque et celui dont nous faisons cas ici c'est que la civili-
sation de l'Egypte antique pour l'Africain contemporain est un
passé péri.mé tandis que la traite négrière et la colonisation
sont des p,lssés toujours présents sous cl' autres formes et expli-
quent,
entre autres,
le vide scientifique et technique du continent
"* 1<lais il convient de noter que, prise comme fin et non comme
moyen, cette constatation à laquelle nous venons d'aboutir devient
à son tour un obstacle épistémOlogique. Elle renferme ce virus
de la ~égritude qui consiste à célébrer et à justifier l'Africain
au lieu de l'inciter au travail. C'est une erreur pour l'iiltel-
Jèctuel africain de c~oire que le probl~lne du continent est
résolu lorsqu'il s'est donné bonne conscience en justifiant ses
malheurs par la domination étrangère. Il est temps de comprendre
que cette domination, ail lieu d'être sentie et vécue comme une
fatalité,
devrait plutôt constituc?r un stimulant au travail et'
à la réflexion. Les obstacles épist<"molog'ique", sont dialectiquement
1
• •
4

.. .'
. - -':,.
~ ';';, ~·I·
... ~

-3''-,_
des moteurs épistémologiques. Car l'histoire nous apprend
qu'un peuple oPI,rimé, humilié,
tend toujours à réagir au défi.
En Europe, les Latins,
longtemps dominés par les Grecs, n'ont
fini par être ce qu'ils sont aujourd'hui que parce qu'ils ont
su assumer et approfondir la science et la technique de leurs
maîtres,
lesquels sont eux-mêmes héritiers de d'autres civili-
sations. Et ce n'est pas par hasard si de nos jours l'influence
des juifs dans le monde est considérable : grande bourgeoisie
américaine, MARX, FREUD, EINSTEIN etc ••.
La réaction à ce défi,
la levée de l'obstacle de la domi-
nation ne consiste ni à prouver notre innocence par des décla-
rations tapageuses, ni à compter sur la bonté divine ou s~r la
générosité de lup~esseur. La science africaine dépend de nous,
de notre esprit d'initiative et de la volonté avec laquelle
nous entreprenons de la fonder. Cette science n'est possible
que si nous écoutons la leçon de la Grande Royale de ':Cheikh'
Amidou KANE dans l'Aventure ambiguë qui nous recommande non pas
de tourner le dos à la science occidentale, mais au contraire,
d'aller à "l'école du Blanc"
et d'assimiler autant que faire se
peut sa connaissance et sa technologie en vue, sinon de les
dépasser, du moins de tendre vers elles. C'est à cette seule
condition, par "la ruse de la raison"
(pour employer cette
expression de HEGEL) que nous avons le plus de chance de conver-
tir ce qui aujourd'hui apparaît comme un obstacle en facteur
posi tif.
Dans cette analyse à la fois superficielle et cavalière
nous avons reconnu que les conditions climatiques et pédolo-
giques de l'Afrique (plus de la moitié du continent est privé
d'écou-lement vers la mer) et l'oppression étrangère ne sont pas
de nature à favoriser une effervescence intellectuelle ; mais
que ces arguments ont le fâcheux inconvénient de figer la culture
et d'endormir les consciences. Aussi avons-nous donné notre
aval.à la thèse Toynbéenne selon laquelle les obstacles, au lieu
de nous désarmer doIvent nous stimuler à l'action et à la ré-
flexion.
Certes,on pourra nous rétorquer qu'au delà d'un certain
seuil, on atteint un point où le défi devient si fort qu'il est
totalement imposuible d'y répondre avec succès. Mais il faut
reconnaître qu'aucun obstacle physique ou social n'est insur-
montable en soi. Par exemple, les efforts de l'homme primitif ... ,

_,312<=
(Paléolithique,
Néolithique,
l'§ge du bronze,
l'§ge du feu)
pour dominer la forêt de l'Europe du Nord ont été vains. Mais
cela ne prouve pas que la résistance de cette forêt est abso-
lument excessive.
La preuve en est qu'elle a été ma!trisée par
la suite par d'autres civilisations.
En outre,
la domination
du monde syrien et iranien par l'hellénisme a entraîné plusieurs
tentatives pour répondre au défi,
tentatives qui se sont soldées
par des échecs jusqu'à la réaction islamique qui,
elle, a été
• !.
une réussite.
Pourquoi ce qui a été observé ailleurs ne p6~rrait-
il pas se réaliser en Afrique?
Ainsi,
si nous ne voulons pas fuir nos responsabilités,
si nous voulons nous faire une idée objective des obstacles à
.
la science africaine,
il semble que c'est vers des facteurs
endogènes à la civilisation négro-africaine qu'il faudrait que
nous nous tournions.
Et le facteur le plus déterminant est sans
aucun doute l'absence de l'écriture.
2°) Science et écriture
Dans son ouvrage intitulé Sur la
"philosophie africaine",
notre confrère béninois, M.
Paulin HOUNTONDJI,
à qui nous rendons
ici hommage même si nous n'adhérons pas entièrement à l'ensemble
de ses vues,
a perçu d'une fa çon fulgurante
les termes en les-
quels se posent les questions réelles sur la philosophie et la
science africaines.
Il écri t
notamment
:
"La condition première
de la science elle-même,
c'est l'écriture.
Il est difficile
d'imaginer une civilisation scientifique qui ne soit pas une
civilisation de l'écriture, difficile d'imaginer une tradition
scientifique dans une société où le savoir ne se transmettrait
que par voie orale.
Les civilisations africaines ne ~vaient
donc pas donner naissance à une science, au sens le plus strict
et le plus rigoureux du terme,
aussi
longtemps qu'elles n'avaient
pas subi la mutation profonde dont elle nous offre aujourd'hui
le spectacle, mutation qui,
les travaillant à l'intérieur,
les 1
transfOrme
petit à petit en civilisation de l'écrit"(1).
.../
(1)
Paulin Hountondji,
sur la
"philosophie africaine",
Maspéro,
1976,
Nous ne partageons pas,
entre autres,
sa défiance catégorique de
l'ethnologie. On se reportera également avec intérêt aux ouvrages
de F.
Dagognet:
Ecriture et icono ra hie;
Marshall Mcluhan
La Galaxie Gutenberg
2 tomes chez Gallimard), Jack Goody:
La
Raison graphi~, Derrida, De la grammatologie, J. Bertin:
Sémiologie graphique,
Peirce:
Ecrits sur les signes, autant de
travaux dont 10uS nous sommes inspiré •

-)13
Nous nous proposons de prolonger cet auteur qui ne s'est contenté
que d'une remarque aussi rapide que perspicace,
l'objet de sa
préoccupation étant plutOt la définition de la pllilosophie afri-
caine dans son ensernble, laquelle est indissociable de la science
africaine. En d'autres termes,
il s'agit ici de montrer le rôle
de l'écriture dans l'acquisition et la transmission du savoir
scientifique, de façon à justifier l'idée énoncée mais non suf-
fisamment démontrée par M. HOUNTONDJI.
al Certes, cette démonstration ne va pas sans quelques
problèmes. Théopilille OBENGA pourra objecter que la distinction
de LEVI-STRAUSS entre les sociétés occidentales et les sociétés
primitives dites sans écriture est erronée puisque le dixième
cha~itre de son ouvrage principal regorge de systèmes graphiques
négro-africains. Nous mettons également au rang de nos adversaires
Jacques DSRRIDA qui, dans la Grammatokgie étend le concept
d'écriture (souvent limité à la graphique), à la parole qui,
grâce à un jeu identique, est un moyen d'expression et de commu-
nication aussi fiable que l'écriture matérielle. L'opposition
écriture-parole n'est donc pas une évidence.
Et à supposer que nous arrivions à établir ces deux propo-
sitions : 1°) L'écriture diffère de la parole, 2°) Les sociétés
africaines sont sans écriture;
il resterait encore à montrer
que l'écriture a une fonction heuristique - ce qui ne va pas de
soi, puisque la tradition philosophique a plutôt tendance à sou-
tenir le contraire. Nous mettons donc contre nous d'éminents
penseurs tels que PLATON, ROUSSEAU et BERGSON qui, au-delà de la
déversité de leurs théories, partagent~ette conviction que
l'écriture,parce qu'elle extériorise et matérialis~,
fige et
dilue la pensée. PLATON inverserait volontiers les termes de notre
thèse en montrant que le "medium" le plus fécond c'~st la parole,
non l'écriture, forme pervertie du souvenir. THEUTH, en inventant
l'écriture (les chiffres et les lettres) a doté les hommes ~'un
instrument de reminiscence très dangereux croyant leur fournir
U(1
mQY,~n d,'Jn,scrire et de conserver :OdèJement les souvenirs.
Elle objectivise ce qui est par nature subjectif. Suivons le débat
entre THEUTH et le roi THAMOUS dans le Phèdre au sujet de l'écri-
ture : "Voilà, dit THEUTH,
la connaissance, ô Roi, qui procura
aux Egyptiens plus de science et plus de souvenirs ; car le défaut
de mémoire et le manque de science ont trouvé leur remède !"
Et
le roi de répondre:
" ... Et voilà maintenant que toi, en ta
qualité de père des lettres de l'écriture, tu te plais à doter
~
• • 1

-
314, -
ton enfant d'un pouvoir contraire à celui qu'il possède. Car
cette invention,
en dispensant les hommes d'exercer leur mémoire,
produira l'oubli dans l'âme deceux qui en ont acquis la connais-
sance;
en tant que,
confiants dans l'écriture,
ils chercheront
au dehors,
grâce à des caractères étrangers, non point au-dedans
et grâce à eux-mêmes,
le moyen de se ressouvenir;
en conséquence,
ce n'est pas pour la mémoire,
mais pour la procédure du ressou-
venir que tu as
trouvé un remède. Quant à la science, c'en est
l'illusion,
non la réalité,
que tu procures à tes élèves:
lorsqu'en effet, avec toi,
ils auront réussi,
sans enseignement,
à se pourvoir d'une information abondante,
ils se croiront
compétents en une quantité de choses, alors qu'ils sont, dans
la plupart,
incompétents
; insupportables en outre dans leur
commerce,
parce que, au lieu d'être savants,
c'est savants
d'illusion qu'ils sont devenus"
(1).
PLATON dément donc notre affirmation selon laquelle le
remède au dénuement de l'Afrique au plan de la science est l'acqui-
oition.et la développement rle ltécriture.
.
. , '
" , /
Il est suivi dans cette posit 1 on par SAINT-
THOMAS D'ACQUIN qui attire notre attention sur le fait que les
vrais mattres,
PYTHAGORE,
SOCRATE et le CHRIST n'aient pas
confié leur enseignement à l'écriture, ce moyen de communication
an9thématisé par ROUSSEAU qui célèbre plut~t les vertus de la
parole (2). Que ce soit dans l'Essai sur les données immédiates
de la conscience ou dans Matière et Mémoire,
BERGSON insiste sur
la différence de nature entre la pensée,
le mouvanb,et sa repré-
sentation,
la chose.
L'intuition,
la vraie pensée est ineffable
elle est pervertie par la spatialisation,
par l'écriture.
b) Tous ces éléments nous contraignent à mieux préciser
notre pensée.
Nous ne disons pas:
une pensée n'est scientifique
que lorsqu'elle est écrite.
Nous ne disons pas non plus que
l'existence de l'écriture est une condition suffisante pour
qu'il y ait science. Nous disons seulement que l'absence de
l'écriture est un obstacle majeur à l'éclosion de ce savoir puis-
que sans l'écriture certaines pensées sont impensables. Que
... /
(1) Phèdre, Traduction Léon Robin,
Pléiade, Oeuvres complètes,
Vol.II.
(c'est nous qui soulignons).
Platon ajoute plus loin "L'écriture
a un grave inconvénient,
tout comme la peinture.
Les produits
de la peinture sont comme s'ils étaient vivants,
mais pose-leur
une question,
ils gardent gravement le silence.
Il en est de
même des discours écrits".
(2) cf notamment Essai sur l'origine des langues.

- J 15
l'Afrique ait connu une civilisation de l'écriture à
l'époque
préhistorique,
nous ne le refutons pas.
Mais nous constatons
qu'en dehors des peuples islamisés qui utilisent l'écriture
arabe,
en dehors de l'écriture occidentale introduite par le
colon,
la civilisation négro-africaine est,
depuis des siècles,
une civilisation essentiellement orale.
Et malgré la subtilité
de Jacques DERRIDA,
il est difficile de soutenir jusqu'au bout
que l'écriture se réduit à
la parole et que les deux outils ont
le même effet sur la pensée et la culture.
D'ailleurs,
l'auteur
en a bien conscience
l'écriture n'est pas la reproduction de
la parole. Elle permet de mieux pénétrer la pensée,
et on ne
pense pas de la même manière oralement que par écrit.
Il faut
peut-être reconnaître avec Rapha§l PIVIDAL que "la naissance
de l'écriture s'accompagne d'une transformation de la parole ( . . . )
La parole d'un peuple d'écriture n'est plus la même. C'est un
langage annexe,
subordonné à l'écrit.
Un langage sans importance,
sans pouvoir
( . . . ).
Ainsi parle-t-on à tort et à travers et
sans qu'à cet acte soit donné le moindre poids. Les gens parlent
à table,
au café,
dans la rue.
Ils se dédisent,
mentent,
ne se
souviennent plus des mots.
Et surtout ils ne disent plus rien.
Ce qui est jugé important ne passe plus par la parole. La parole
n'est plus que conversation,
échange anodin.
Elle n'est dans
notre société,
jamais en rapport avec la vérité,
et la preuve:
La science ne se sert que de l'écriture"(1).
Enfin nous ne rejetons pas le
troisième type d'objection,
celui qui montre avec PLATON et les néo-platoniciens que l'écri-
ture fixe
le sens,
l'appauvrit et le décompose;
ce:ui qui sou-
ligne le caractère manipulateur de la graphique,
laquelle peut
enfermer dans l'exégèse répétée et le commentaire stérile. Mais
nous voulons soutenir que d'un autre côté,
elle est inventive.
Traduire,
ce n'est pas toujours trahir,
c'est parfois créer. La
preuve, c'est qu'il y a une correlation entre les grandes 6tapes
de la science et celles du développement des moyens de communi-
cation graphiques.
La science a progressé à mesure que la parole
s'est doublée de l'écriture et que celle-ci s'est affinée.
On
a eu d'abord la pictographie qui,
en représentant les êtres par
des symboles
(celles des gicindi par exemple), a
remédié à cer-
tains manques de la parole qui
lui préexiste,
sans pour autant
... /
(1)
Rapha§l Pividal,
la Maison de l'écriture,
Seuil,
1976,
p.25.

pe~mett~e d'exp~ime~ efficacelnent les états de la vie inté~ieu~e.
Puis il y a eu l'hié~oglyphe qui a joué un ~Ole impo~tant dans
l'ébauche de la science pa~ les ~gyptiens, même si elle pêchait
enco~e pa~ son manque de cla~té. Un des plus g~ands actes c~éateu~s
de l'humanité fut pa~ la suite l'invention de l'idéog~amme, en-
semble de signes conventionnels qui ne sont pas nécessai~ement
figu~atifs, mais qui ont une signification identique pou~ tous
les memb~es lett~és de la société. L'avantage de cette éc~itu~e,
c'est qu'une idée et un signe peuvent êt~e associés en pe~manence
Sort inconvénient,
c'est que les signes sont nécessai~ement nom-
b~eux, moins maléables et moins unive~sels que l'alphabet qui
n'exp~ime plus des notions ~igides et pa~ticuliè~es, mais g~ave
à la fois
le son et le sens.
Somme toutes,
pa~mi les g~andes
découve~tes qui ont ~évolutionné la science, la machine à éc~i~e,
l'imp~ime~ie et l'o~dinateu~ occupent une place de choix. Ca~
non seulement la pa~ole sans l'éc~itu~e est moins c~éat~ice, mais
enco~e elle est exposée àtoutee les confusions qui ~ésultent de
l'homonymie ou de l'homophonie.
Seul le contexterne
pe~met de
comp~end~e le sens des deux ph~ases suivantes p~ésentées o~alement
"Les mair.es';doivent se soucie~ de la scola~isation des enfants";
et "les mè~es doivent se soucie~ de la scola~isation des enfants".
L'éc~itu~e est donc à la fois po~teuse et c~éat~ice de sens.
c)~Paulin HOUNTONDJI avance une aut~e idée qui mé~ite
d'êt~e évoquée en faveu~ de not~e thèse. Faute d'un conse~vatoi~e
maté~iel, la t~adition o~ale,pa~ "peu~ de l'oubli", pa~ "peu~
des défaillances de la mémoi~e", consac~e ses éne~gies à "p~é­
se~ve~" le savoi~ acquis et est pa~ conséquent peu disposé à la
"c~itique". La t~adition éc~ite au cont~ai~e délègue les fonctions
de la mémoi~e à un suppo~t maté~iel et libè~e l'esp~it qui peut
dès lo~s ent~ep~end~e d'aut~es aventu~es. Une civilisation o~ale
est donc dogmatique tandis qu'une civilisation éc~ite est c~iti­
que (2).
... /
(1 ) 0.1' (.It:, 1':1'31-

-311- -
Cette idée mérite d'être prise en
considération parce
qu'elle comporte des ilnplications qui vont au-delà de celles
perçues,
ou du moins exprimées,par son auteur.
Elle explique
la différence entre la civilisation négro-aficaine non scienti-
fique et la civilisation occidentale par le fait que l'une est
"critique"
et l'autre "passive";
ce qui rejoint les observations
de LEVY-BRUHL.
Seulement tandis que l'auteur de la
Mentalité
primitive y voit une différence des esprits,
des n,entalités,
le
Béninois lie plutOt cette différence méthodologique à
la disparité
des moyens de communication. En d'autres termes,
la culture négro-
africaine est passive non pas tant par le manque de certaines
catégories de la réflexion que par le manque d'instruments appro-
priés à l'exercice réflexif qu'on appelle la critique.
La nature des progr~s en général, et des progrès de la pensée
en particulier,
ne se donne donc à saisir que dans l'examen des
moyens de communication car "le contenant vaut davantage que le
contenu puisqu51-1" détermine et en décide.
La mani~re de transmettre
se réfléchit sur la mati~re transmise"
(1).
Au lieu donc de dire
"prélogique" et "logique" il faudrait peut-être dire "oral" et
"écrit". Au lieu de spéculer sur les styles cognitifs, on gagnerait
plutOt à analyser les "médium",
les canaux d'expression et de
transmission du savoir car une culture est avant tout une série
d'actes de communication. On ne peut dissocier un mode de pensée
et son mode de production ou de reproduction.
Ainsi,
le trcisi~me chapitre de la Raison graphigue de GOODY
nous montr~t~.il en quoi l'écriture favorise l'esprit critique et
contribue au développement de la connaissance.
Il soutient contre
KUHN et avec POPPER que le développement de la scienue est fonction
de l'esprit critique,
lui-même lié à l'écriture."Plus précisément,
dit-il,
l'écriture,
surtout l'écriture alphabétique rendit possible
une façon d'examiner le discours grâce à
la forme semi-permanente
qu'elle~onncitau message oral. Ce moyen d'inspection dU discours
permit d'accroître le champ de l'activité critique,
favorisa
la
rationalité,
l'attitude sceptique,
la pensée logique
( . . . ) Les
possibilités de l'esprit critique s'accrurent du fait que le dis-
cours se trouvait ainsi déployé devant les yeux;
simultanément
s'accrut la possibilité d'accumuler des connaissances abstraites,
parce que l'écriture modifiait la nature de la communication en
l'étendant au-delà du sim~le contact personnel et transformait les
conditions du stockage de l'information".
Et il poursuit dans des
termes tr~s voisins de ceux det-\\.HOUNTONDJI
:
"Le probl~me de la .. ..j
(1) F.
Dagognet,op.
cit,
p.e

- J18
--
mémorisation cessa de dominer la vie intellectuelle;
l'esprit
humain put s'appliquer à l'étude d'un
'texte'
statique,libéré
des entraves propres aux conditions dynamiques de
'l'énonciation',
ce qui permit à
l'homme de prendre du recul par rapport à sa
1
création etde l'examiner de manière plus abstraite,
plus géné-
i
raIe,
plus
'rationnelle'
.. ~" (1).
Il est clair que l'écriture permet une "ouverture"
sur
les cultures et les époques.
Une idée formulée par écrit se
prête mieux à
l'examen critique,
parce qu'elle peut être décompo-
sée et recomposée à volonté,
parce qu'elle ne s'évanouit pas
totalement avec le contexte. Elle est plus abstraite car plus
dépersonnalisée et plus intemporelle.
Empruntons encore àCOODY
un exemple révélateur du rôle de l'écriture dans la formation
de l'esprit critique.
Pour KUHN,
dans La structure
des révo-
lutions sciéntLf.i.=Jue.s., toute science a
pour fondement un paradigme
dont les changements entraînent des révolutions.
Margaret
MASTERMAN constate que le concept oraganisateur des thèses de
KUHN,
le concept de "paradigme"
comporte vingt et un sens diffé-
rents qui peuvent se regrouper en trois principaux sens selon
qu'il s'agit de paradigmes métaphysiques,
sociologiques ou arti-
ficiellement construits. KUHN accepte la critique de Margaret
et clarifie davantage ce concept dont les ambig~ités n'ont été
perçues que grâce à un examen graphique des textes qui le conte-
naient.
Comment aurait-on pu parvenir à ce résultat s ' i l n'avait
été question que d'un discours oral?
On pourrait énumérer indéfiniment des exemples de ce genre
dans le domaine des sciences expérimentales. Penser scientifi-
quement,
ce n'est pas seulement observer,
raisonner ou même ... /
·(1)
op. cit,
pp. 86-87. Kuhn dans Conjectures and refutations sou-
tient-ûne thèse contraire. L'écriture et le débat critique ne
sont d'aucun intérêt pour la connaissance scientifique car,
"déjà à
l'époque hellénistique,
les mabt-ématiques,
l'astronomie,
la statique et l'optique dans sa partie géométrique avaient
abanronœ.ce mode de discours
[le débat critique] et étaient
passées à
la résolution de problèmes précis.
D'autres sciences
de plus en plus ont franchi ce même seuil. En un sens ( . . . )
c'est précisément l'abandon du discours critique qui marque le
passage à la science. Dès que,
dans un champ donné,
on a atteint
ce stade,
le discours critique ne réapparaît que dans les moments
de crise,
quand les bases y sont de nouveau en péril"
Londres,
1963,
p.
148 cité par Coody,
p.
101.

.J~9, -
.-
mesurer
(d'ailleurs la mesure exacte suppose déjà l'écriture) .
C'est aussi et surtout écrire et réécrire. Les révolutions
scientifiques ne sont pas seulement des révolutions de labo-
ratoire.
Elles relèvent aussi des changements scripturaux.
L'écriture nous éclaire,
dévoile l'inconnu,
i~pose de nouvelles
expériences qui donnent lieu à de nouvelles théories scienti-
fiques.
En d'autres termes,
l'histoire d'une théorie scienti-
fique,
c'est l'histoire de ses différentes formes de représen-
tation.
Par exemple,
on peut saisir l'histoire des découvertes
sur l'eau en observant ses différentes formulations:
••
H - O - H ;
H OH;
H -
~O~- H'
..
H - 0 -
H
'
- - : ...
chacune de ces représentations révélant un type particulier
de rationalisme.
L'écriture diffère suivant qu'on tient compte
des combinaisons atomiques,
des valences,
des électrons etc ...
Comment effectuer de telles opérations dans une culture essen-
tiellement orale?
Un exemple plus éclairant de la valeur heuristique de
l'écriture dans la rationalité scientifique nous est fourni
par M.
DAGOGNET au sujet du sucre de raisin ou l'hexose de for-
6
12
mule C
H
0 6 . Son objectif : montrer comment la chimie "se
tourne en science de l'écriture". Ce corps dont l'ancienne
appe~ation
6
"hydrate de carbone"
C
(H 0)6 était fausse
(l'eau
2
ne s'unissant jamais au carbone) a été représenté par Emile
FISCHER de la façon suivante :
La contestation de cette représentation par TOLLENS
permit de découvrir l'existence de deux nouveaux éléments
dissimulés en raison de leur pouvoir de rotation qui entraîne
rapidement leur confusion.
"D'où cette illumination quel'écri-
ture vient de favoriser
: nous étions assurés par elle qu'ils
étaient là, mais, antérieurement,
dans l'ignorance,
ils ne
pouvaient ni être cherchés ni assumés"
(1).
De là,
l'abandon •.. f
(1) Ecriture et iconographie,
p.
120.

_
320
_
de la ~ep~ésentation linéai~e pou~ une ~ep~ésentation cyclique.
;H
Voici la fo~mule de TOLLENS.
2
CH
OH ---$---------<11/>----_----
OH
' - - - - - - 0 - - - - - - - - - '
Puis celle-ci fut dépassée pa~ la ~ep~ésentation plus
,
adéquate de~HAWORTH en 1926.
CH
OH
°
-l/ 1
,0l-H
0
C
OH
3
~J) -glycopy~anose
oR
Pa~ la suite la biochimie p~ésenta
une aut~e figu~e
~évelant davantage les modes de liaison et la ~éactivité molé-
culai~e. Comp~end~e un co~ps chimique, c'est saisi~ son ossa-
tu~e, son a~chitectu~e. Le chimiste doit constamment réécrire
sa fo~mule. C'est la figu~e de la "chaise" qui ~ep~ésente le
mieux lEI constitution du suc~e de ~aisin (1).
CH
OH
H
2
a
OH
H
.1
H
C
OH
H
OH
(1)
ibid,
121.

-~~'::-
C'est donc établi: La ~aison scientifique est essentiel-
lement g~aphique, même si elle n'est pas que cela. "Et jamais
not~e thèse n'a ~eçu une telle confi~mation : la t~ansfo~mation
des éc~itu~es définit intég~alement la déma~che expé~imentale et
ses p~ouesses. Le symbole cesse enfin d'êt~e un moyen de fixation,
de ~appel ou de dédoublement : il est de mieux en mieux un "co~ps
idéal"
qu'on peut manipule~ di~ectement. Plus il s'idéalise dans
des g~aphèmes amenuisés,
plus ces de~nie~s s'éloignent d'une
~ep~ésentation-~eflet, enco~e t~op cha~gée et p~oche de ce qu'elle
copie,
plus ils favo~isent un t~aitement info~matique et automa-
tisé des st~uctu~es chimiques et de leu~s capacités. D'ailleu~s,
au cou~s de son histoi~e, la chimie a moins p~og~essé à coup
d'expé~iences ou d'analyses, dans la patience des lentes distil-
,
lations ou des f~actionnements, que pa~ un ~enoncement à ses Codes
et le ~ecou~s à des notations ca~actédstiques" (1).
d) Voyons à p~ésent plus spécifiquement comment l'absence
de l'éc~itu~e obst~ue les voies de la scientificité en Af~ique.
Autant il est juste de pa~le~ de pénu~ie de savants su~ ce conti-
nent, autant il se~ait inexact de pense~ qu'il n'y a ni savoi~ ni
savoi~-fai~e p~op~e à la civilisation nég~o-af~icaine. Il existe
des activités intellectuelles t~ès c~éat~ices dans des sociétés
sans éc~itu~e. Il est de nos jou~s inutile d'insiste~ su~ l'au~éole
de "l'a~t nèg~e " dans le monde : musique, peintu~e, poésie. Il
suffi~ait decomp~end~e (sans t~adui~e) le fond et la fo~me des
p~opos d'un g~io1;, du chant du be~ge~, des pa~oles
de la be~ceus
de la vie~ge, du gue~~ie~, de l'o~phelin, de la veuve etc ... ; il
suffi~ait même de saisi~ de l'inté~ieu~ le contenu d'un conte ou
d'un mythe pou~ se ~end~e compte de la teneu~ de l'activité intel-
lectuelle dans les sociétés dites p~imitives. Dans nomb~e de ces
sociétés,
"les vieux",
les so~cie~s et les féticheu~s constituent
un vé~itable "intelligentsia". Et l'un des signes de l'activité
intellectuelle est la ~eligiosité. une des p~emiè~es fo~mes d'abs-
t~action. C'est à juste tit~e que DURKHEIM éc~it dans Les fo~mes
élémentai~es de la vie ~eligieuse : "Il n'est pas de ~eligion qui
ne soit une cosmologie en même temps qu'une spéculation su~ le
divin. Si la philosophie et les sciences sont nées de la ~eligion,
c'est que la ~eligion elle-même a commencé pa~ teni~ lieu de
science et de philosophie"
(2).
... /
(1)
ibid,
p. 124.
(2) Du~kheim, Les fo~mes ..• , 1968, pur, pp. 12 - 13.

322
Si donc malgré cette intense activité
intellectuelle l'on
n'est pas parvenu à
une culture scientifique,
c'est bien en rai-
son de l'absence de l'écriture qui paralyse la théorisation
rationnelle et la transmission du patrimoine culturel. Qu'est-ce
à dire? Il a été, et il est encore de nos jours, des techniques
qui auraient pu donner lieu à des théories scientifiques.
Par
exemple, au Togo,
et dans beaucoup de sociétés africaines,
l'hé-
patite virale (l'ictère ou encore la jaunisse) non encore bien
)I1aitrisée par la médecine occidentale,
se 90ignerai\\: .. SOU9 uriQ de ees
te
c OUlihe
.,-?f'l'Q~·e grippe ordinaire à partir de certaines plantes médicinales,
et sans aucun recours à des procédés magiquesou fétichistes.Il en
est de même de l'hémorroïde et de beaucoup de maladies tropicales.
De même la pratique de la chirurgie traditionnelle est assez
répandue en Afrique.
Par exemple, chez les Anofom de Mango (Togo)
la tribu des Kambara est réputée pour le traitement des fractures
grâce à des procédés aussi simples qu'efficaces.
Seulement la différence est énorme entre la démarche du
guérisseur africain et celle du médecin moderne.
Le premier sait,
pour l'avoir appris de ses parents que telle plante produit tel
effet.
Il ne théorise ni sur le principe actif de la plante,
ni
sur les différentes causes des maladies. Ceci entraîne deux consé-
quences
: Primo,
il s'attaque le plus souvent aux symptômes et
non aux causes des maladies.
Et comme plusieurs maladies peuvent
présenter des symptômes analogues,
le traitement est souvent arbi-
traire,
la porte étant ainsi ouverte à des rechutes,
à des réci-
dives. Secundo,
la méconnaissance des vertus réelles des plantes
font de lui le scientifique d'un seul
lieu.
Amenez-le dans un
endroit présentant une végétation différente de celle qu'il connait
et il est désorienté,
même si cette nouvelle végétation comporte
des plantes de la même famille que celles dont il a
l'habitude de
se servir.
Pourquoi le guérisseur africain,
malgré son talent ne
peut-il pas passer de cette forme de connaissance à un savoir scien-
tifique ? C'est en raison de l'outil de réflexion qu'il utilise,
lequel le maintient au niveau d'un savoir purement empirique.
Connaitre les familles des plantes,
leurs principes actifs,
les
différentes formes et causes des maladies, c'est déjà répertorier,
classifier. Or comment se retrouver mentalement face à
la multitude
desbhénomènes considérés? L'écriture s'avère donc indispensable
..
pour ce genre d'opération.
... /

En out~e,' occupé à ~eteni~, uniquement pa~ la mémo~isation,
les plantes et les maladies,
le gué~isseu~ af~icain est peu
disposé à découv~i~ de nouvelles méthodes et de nouveaux p~o­
duits thé~apeutiques. Les p~og~ès dans ce contexte sont donc
t~ès lents et les ~évolutions p~esqu'inexistantes.La logique de
la conse~vation p~ime su~ celle de l'invention. A suppose~ main-
tenant que pa~ un génie individuel, un gué~isseu~ pa~vienne à
faire une découve~te ou une invention. A défaut de pouvoi~
l'éc~i~e, le ~ésultat de ses ~eche~ches a peu de chance d'êt~e
connu et ~isque de ~este~ dans l'anonymat ou de dispa~a!t~e avec
lui.
La situation est analogue dans le domaine des mathématiques.
Nous avons connu pe~sonnellement des t~ibus qui, à une époque
enco~e ~écente, savaient à peine compte~ au-delà du nomb~e vingt
que constitue la somme des dix doigts et des dix o~teils de
l'homme. Mais ho~mis ces exceptions,
l'Af~icain, d'une maniè~e
géné~ale, sait bien compte~, peut-êt~e mieux compte~ mentalement
que l'Eu~opéen. Voici pa~ exemple comment les Anofom de Mango
(ou les Haoussa) conlptent ~apidement une g~ande quantité de noix
de cola. Nous p~écisons"noix de cola" pa~ce que la façon de
compte~ dépend de l'objet compté et du but du comptage. Dans ce
cas p~écis, on peut s'inté~esser au nomb~e ~éel de noix.
L'opé-
~ation consiste alo~s à p~end~e le nomb~e 10 comme unité et à
mett~e de ceté un Relit caillou à chaque fois que ce nomb~e est
atteint.
Il suffi~a à la fin de "multiplie~" le nomb~e de cailloux
obtenu pa~ 10 pou~ avoi~ le nomb~e de noix de cola comptés.
L'unité peut deveni~ 100 ou 1000, selon la quantité de choses
à compte~,
et cette unité peut êt~e ~ep~ésentée pa~ un batonnet,
un t~ait dans le sable etc ... Lo~sque les noix de cola sont des-
tinées pa~ exe~ple à une cé~émonie (bap~mes, décès, ma~iages),
l'unité de base communément adoptée est la "calebasse"
c'est-à-
di~e 40 noix. Et selon les circonstances, on peut utilise~ "le
panie~", "le sac"
. . . autant de p~océdés qui pe~mettent de compte~
juste et vi te.
- - - - - - - - - -
\\
J .

- 324
----=----
, '
Conclusion
La mémoir'e et l'intelligence sont souvent mises
"
en défaut par' la éomplexité des phénomènes et de cer'taines opé-
r'ations.
Il y a un seuil au-delà duquel la r'a\\50n doit êtr'e pr'O-
longée par' des instr'uments par'mi lesquels l'écr'itur'e occupe une
place de choix. Car' son absence en limitant l'exer'cice intel-
lectuel à une pr'ise sur' le concr'et, à un intér'êt pOUr' l'utile
".
et l'immédiat, constitue un obstacle majeur' à la cr'éation de
valeur's nouvelles et au stockage des données acquises pour' un
":...-
emploi ul tér'ieur' (1). Il est indéniable que l'adoption des chif- :;
fr'es ar'ab~es par les Occidentaux a per'mis le développement de
l'ar'ithmétique. Car' il est plus aisé d'effectuer' une opér'ation
du genr'e 88 X 34 avec les chiffr'es ar'abes qu'avec les chiffr'es
r'omains (LXXXVIII et XXXIV). De même on gagn~ en clar'té en tr'a-
vaillant SUr' des var'iables abstr'aites X,
Y, Z qu'en comptant des .,
caur'is, des cailloux ou des chameaux.
. r,'
Nous r'ejoignons donc,
par' une autr'e voie,
l'affir'mation
d'Auguste COMTE:
la r'évolution intellectuelle doit pr'écéder' et
éclair'er' toutes les autr'es fOr'mes de r'évolutions auxquelles elle>
pr'éside. Si le développement scientifique est l'une des meilleur'es
issues de l'Afr'ique (par'ce qu'elle déter'mine les développements
économique et technique dont elle dépend),
l'écr'itur'e est l'une
des conditions de la possibilité de la science. La r'aison,scien- .',
tifique est essentiellement .scr'iptur'ale, gr'aphique, et plus le
médium est adéquat, plus élaborée est la connaissance qu'il
véhicule et dét'~r'mine. La solution du pr'oblème actuel de l'Afr'ique
passe donc nécessair'ement par' l'instr'uction et l'alphabétisation:'
30) Science et Société afr'icaine
Nous abor'dons une' imménse.question que nous ne pouvons qu'-
effleur'er ici à notr'e gr'and r'egr'et. Il s'agit, confor'mément au
:'
pr'ogr'amme comtiste, de déceler' dans l'ensemble des pr'atiques
sociales les obstacles à la fois multiples et connéxes auxquels
se heur'te' le dévelop~ement
de la science positive en Afr'ique
... / :
.',
On pour'r'a se r'éfér'er' aux tr'avaux fOr't éclair'ants de Jack Goody
sur' les Lo Dagaa du Ghana et les YOr'uba du Nigér'ia.

-
325
o~ l'impact de l'esprit positif sur les consciences varie
sensibleloerlt d'un pays à l'autre suivant l'histoire, la popu-
lation, l'étendue du pays, la structure sociale et l'évolution
poli tique.
Ii est certaIn que l'influence de la science et la techni~~
que sur l'économie,
la santé, la socIété a contribué à répandre,
d~s les indépendances,
l'idée que les pays africains doivent
mettre sur pied llne politique nationale en faveur de la science.
Car tous les intellectuels africains sont unanimes pour reconnaî-
tre que le monde a changé depuis l'époque o~ l'on pouvait se
contenter des produits de la chasse et de la cueillette, et
qu'il serait aujourd'hui mal à propos de procéder comme le tri-
bunal révolutionnaire français qui,il y a quelquea siècles,
condamna LAVOISIER à la guillotine sous prétexte que "la Répu-
blique n'a pas besoin de savants". Mais tr~s peu semblent être
ceux qui ont compris que pour faire de la société africainè une
société scientifique, il faut naturaliser cette forme de connais-
sance dans le sol et dans la culture du continent,par l'~veil
au niveau national d'une conscience sociale de la science. Car
c'est à l'absence de cette conscience qû'il faut attribuer la
situation actuelle de l'Afrique du point de vue de l'élaboration
théorique. Au sentiment de la dignité, de l'identité et de l'in~
dépendance que voulait éveiller la négritude classique, nous
substituons (ou plutOt ajoutDns)
la conscience de la science,
impératif catégorique de l'époque.
Pour qu'il y aIt une science africaine,
il faut d'abord
instaurer ce que M. HOUNTONLl,JI appelle "une tradi tion scienti-
fique africairle'~ Et selon George BASALLA, la naturalisation de
la science positive dans un pays non européen quelconque se fait
en trois étapes ou trois stades successifs qui se chevauchent.
"Au cours de la première étape, la société ou la nation non
scientifique fournit une source à la science européenne. Par
'non scientifique',
il faut entendre ici l'absence de science
occidentale moder'ile et non pas celle d'une pensée scientifique
indigène ancienne, comme celle qu'on trouve en Chine ou en Inde ••
La deuxième étape est une période de science coloniale,et au
cours de la troisième se parachève le processus d'implantation
tandis qu'essaie de s'instaurer une tradition ou une culture
scientifique indépendante" (1)
(1)
George Basalla,
"The spread of western science",
in Science,
nO 156, 1967, pp. 611-620.

_ 326
La p~emiè~e phase est celle que nous avons déc~ite plus
haut et qu~ montrait en quoi l'esclavage et l'exploitation colo-
" ..,
.
'
~'.
niale ont "favorisé le développement de la science en Occident
tout en sapant les bases de la cultu~e af~icaine. Nous sommes
actuellement au deuxième stade,
le stade scientifique néo-colo-
nial oG l'infime mino~ité ouve~te su~ la science est o~ientée
exclusivement ve~s une cultu~e étrangè~e. Ce que nous réclamons
pou~ l'Af~ique actuelle, c'est la t~oisièlne étape, celle qui
ver~a la naissance de la science af~icaine et dont les caracté-
~istiques dans des conditions idéales sont ainsi ~ésumées pa~
BASALLA : L'homme de science af~icain "a)
...
~eC0v~a p~esque
toute sa fo~mation scientifique dans son p~op~e pays; b) Sa
p~ofession lui vaud~a, dans ce pays, un ce~tain ~espect et il
pou~~a même y gagne~ sa vie en l'exe~çant ; c) il t~ouve~a un
stimulant intellectuel dans le cad~e même de la communauté scien-
tifique en expansion à laquelle il appa~tient ; d) il pou~~a
facilement
communique~ ses idées à ses conf~è~es, tant dans son
pays qu'à l'ét~anger ; e) il se~a mieux à même d'ent~eprendre
le déf~ichement de nouveaux domaines de l'activité scientifiquei
et enfin f)
i l pourra s ' i l accomplit des t~avaux de valeur excep-
tionnelle,
espé~e~ voi~ ses effo~ts ~écompensés dans son p~op~e
pays,
soit pa~ des o~ganismes scientifiques nationaux, soit pa~
le gouve~nement" (1)
Cette desc~iption d'o~d~e géné~al,qu'elle soit exacte ou
non,
soulève un certain nomb~e de p~oblèmes que nous nous p~o­
posons d'examine~. L'histoi~e nous app~end que dans ce~tains pays
aux Etats-Unis d'Alné~ique pa~ exemple,
l'esprit positif s'est
établi à l'époque coloniale dans le p~olongement de la t~adition
scientifique anglaise,
mais n'a p~is son plein esso~ qu'ap~ès
l'indépendance. Le Japon,
jamais colonisé mais jusqu'à une époque
enco~e ~écente sous-développé, a ~éalisé un bond spectaculai~e,
en t~ès peu de temps, dans le domaine scientifique. Dans ce~tains
pays latino-amé~icains l'implantation de la science et des tech-
niqties mode~nes s'est faite géné~alement au cou~s de la pé~iode
coloniale mai3 ne s'est développée pleinement que dans les vingt
de~niè~es années. Quant à l'Af~ique, elle semble demeu~e~ en
ma~ge de tous ces schémas tracés.
Dans ce contexte,ii semble aussi inté~essant qu'inst~uctif,
pou~ se fai~e une idée assez p~écise des obstacles à la science
af~icaine, d'étudie~ plus spécifiquement le modèle histo~ique de
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - _ ...
(1)
ibid.

l'implantation de la science sur ce continent, l'adhésion des
populations ~ la Science, la tradition de la liberté d'expression
. i "
;',
dans les pays, la survivance de certaines pratiques incomplt/lbles
avec ce mode de connaissance.
a)
~~~~~~~~~_~~~~e!~~~~~~~~_~~_!~_~~~~~~~_~~_~f~~g~~
~
Avant le contact avec l'Occident,les Africains avaient,
avons-nous
dit, des sav·oirs et des
savoir-fairesqui leur
c-'
étaient propres et qui avaient des liens étroits ~vec les valeurs
morales et religieuses. Les travaux de DAVIDSON: L'Afrique avant
les Blancs, de Cheikh Anta DIOP:
Nations n~greB et cultures ou
du prêtre Eric de ROSNY : Les yeux de ma ch~vre nous renseignent
assez sur ce qu'on pourrait appeler "l'ancienne tradition scien-
tifique africaine" dont l'une des caractéristiques essentielles
est l'ésotérisme. Venant se greffer sur cette tradition, la sci-
ence moderne, introduite par les colons dans une autre langue,
et le plus souvent
par le truchement d'une autre religion, a
d'abord provoqué la méfiance des populations africaines. La tra-
dition scientifique occidentale est donc, dans l'esprit des
africains, non traditionnelle. Nous nous souvenons ~ une époque
encore récente, de la difficulté qu'il y avait ~ convaincre une
grande majorité des individus de se faire soigner dans les hOpi-
taux modernes.
La science positive, par sa nature, s'oppose donc ~ l'an-
cienne tradition scientifique africaine. Ce qui explique que
pendant longtemps, elle n'a pas trouvé d'écho dans les diffé-
rentes couches de la société africaine. A l'époque coloniale,
l'introduction de la science positive dans ce continent semble,
sur le plan politique et social, s'être heurtée ~ trois obsta-
cles principaux: a) Tout d'abord, elle s'est trouvée isolée en
raison de la langue qui la véhicule.
b) Ensuite, elle n'a été
effectivement introduite et appliquée que dans la mesure o~ elle
servait les intérêts coloniaux. Les textes sur l'objectif de
l'enseignement dans les colonies sont tr~s explicites ~ ce sujet.
Par exemple, BREVIE, Gouverneur Général de l'A.O.F. écrivait:
"Le devoir colonial et les nécessités politiques et économiques
imposent à notre oeuvre d'éducation une double tache: il s'agit
C..• ) de former des cadres indig~nes qui sont destinés ~ devenir
nos auxiliaires dans tous les domaines '"
Au point de vue poli-
tique, il s'agit de faire connaître aux indig~nes nos efforts
.. . f

- ne., -
et nos intentions de les pattachep à
leup place,
à
la vie
fpançaise.
Au point de vue 6conomique enfin,
il s'agit de pPé-
papep les ppoduc:teups et les consommateups de demain"
(1).
C)
Enfin,
l'enseignement de la science visait à assupep une
fopmation supep[icielle dans plusieups disciplines,
plutOt
qu'à cpéep un état d'espPit qui conduise l'Afpicain à voip en
elle un instpument de tpansfopmation intellectuelle,
économique
et sociale.
~
En paison de ses liens avec le système colonial,
la science
positive, au début des indépendances, a d'abopd été l'objet de
suspicion chez des nationalistes. C'est peut-êtpe ce qui explique
que cep tains d'entpe eux ont cpu qu'il fallait lui toupneple
dos au ppofit de l'art et des anciennes. valeurs
tpaditionnelles.
Toujours est-il que de nos jours encore, au lieu d'encouragep
l'élaboration d'une science africaine dont on se servipait comme
d'une arme dans la lutte contre le sous-développeœent,
nombpe
de dirigeants afpicains ppéfèrent,
sinon l'éviter,
du moins lui
accordep une place subaltepne,
poup s'appuyer papfois exagérément
sur l'optique sociale et les valeurs du passé. On réinterprète
alops des données dites authentiques de manière à
les cadrer
avec les besoins de l'heure.
La Science se trouve ainsi sacrifiée
sup l'autel de l'idéologie du consensus social. Ce n'est un se-
cpet poup personne
:
la science est révolutionnaire.
Par ailleurs,
n'étant pas une affaipe individuelle,
le
développement
de la science dans un pays nécessite le concoups
de plusieups esprits.
Pour qu'il y ait science,
il faut que soit
possible un dialogue scientifique,
il faut
qu'il y ait échanges
d'informations scientifiques,
et la conscience nationale est
l'une des conditions de ces échanges.
Or,non seulement le continent se trouve génépalement
morcelé en de petits Etats,
mais encore il est difficile de
paplep v6ritablement de nations africaines.
Car la nation suppose
que les individus ont conscience d'appartenip à la même commu-
nauté,
d'être liés par le même destin;
et qu'ils conjuguent
leups efforts poup le bien de leur pays;
ce qu'on retrouve peu
en Afrique.
D'o~ l'extrême difficulté de mettre sup pied des
associations scientifiques viables,
dans lesquelles les individus
tpanscendent des considépations tribales poup se donner objecti-
vemen t
la main.
. .. /
(1)
Bulletin de l'e~seignement en A.O.F., nO 74, p. 83.

L'tlistoire des scIences en Occident montre que le nationa-
lisme joue un rOie import<:ltlt dans le dialogue scientifique et
dans les variations de l'importance relative accordée aux diffé-
rentes disciplines,
tout erl favorisa'lt l'apparition de tendances
nouvelles. Nationalisme ne signifie pas nécessairement isolation-
nisme. Malgré leurs différences idéologiques, Soviétiques et Amé~
ricains se mettent parfois· à la même table pour discuter des
_'.··
'_".'7.problèmes scientifique,s, et Inettre au point des projets telle
la recherche météorologique mondiale. D'ailleurs,il semble
que la poiitiq~e isolationniste poursuivie par la Russie, et à
une époque par ]a Chille, se soit traduite par une conscience
accrue des problèmes n8tionaux et une interaction sociale plus
marquée sur le plan national. Une telle situation peut être sans
effet direct sur le développement proprement dit de la science,
mais elle peut influer considérablelnent sur l'infrastructure
nationale et sur la créatiall d'une communauté scientifique dyna-
mique et COllsciente de sa valeur.
Bref, l'un des obstacles ~ la science africaine, c'est la
survivance du tribalislne préjudiciable au nationalisme et à la
conjugaison des efforts. Car s'il est vrai que les sociétés
africaines tendellt de plus en plus vers les sociétés occidentales,
elles n'en sont pas encore totalement à ce stade. ~t il importe
beaucoup, dans l'analyse des conditions sociales de la science
africaine, de tenir compte des structures sociales qui sont
encore les plus pr{'gnantes, à savoir, les groupes ethniques
l'ethnie
étant entendue comme un groupe d'individus plus ou moinE
nombrellx, ullis par la langlJe, la culture et parfois par la reli-
gion, et qui vivellt sur un territoire défini, ou qui sont dis-'
persés dans une l'égion. Car l'esprit de tribalisme est opposé à
l'esprit scientifique parce que sectait'e, autarcique.
(Au Togo
par exemple on a plus d'une quarantaine d 'ethnies .p2.ur~n.~.p0p.:r.:~~
lation (le moins de trois mill.ions d 'habi tants),
.', ;,' .""'''.' ,<~",~,:;
*' La science suppose donc l'unité nationale, mais aussi et
surtout l'esprit de controverse, de contradiction. La science
africaine, cOllsidérée dans son processus d'acquisition effective
du savoir et non dans son résultat, n'est possible que s'il
s'instaure SUt' ce continenl; un climat favorable à la discussion
des Africains entre eux-mêmes.
l'C'est seulement ainsi, écrit
M. Paulin HOUNTONDJI, que nous pourrons promouvoir en Afrique... /

-
"330
-
un véritable mouvement scientifique, et mettre fin à ce vide
théorique effroyable qui ne cesse de se creuser chaque jour
davantage, dans une population lasse, indifférente aux probl~mes
théoriques, dont elle ne voit même plus l'intérêt".
Et le philosophe béninois de poursuivre:
"L,a science naît
de la discussion et en vit. Si nous voulons que nos pays se
l'approprient un jour, il nous appartient d'y créer un milieu
humain dans lequel et par lequel les probl~mes les plus divers
pourront être débattus librement, et o~ ces discussions pourront
être non moins librement enregistrées, diffusées grace à l'écri-
ture, pour être soumises à l'appréciation de tous et transmises
aux générations futures, qui fel'on t beaucoup mieux que nou·s, à
n'en pas douter.
"Cela suppose, on le voit,
la libel'té d'expression. Une
libel'té que tant de régimes politiques s'efforcent: aujourd'hui
d'étouffer, à des degrés divel's. Mais cela veut dire, précisément,
que la responsabilité du philosophe africain (comme de celle de
tout homme de science afl'icain) débol'de infiniment le cadre
étroit de sa discipline, et qu'il ne peut se payer le luxe d'un
apolitisme satisfait, d'une complaisance tl'anquille à l'égard du
désordre établI - à moins de se renier lui-même comme philosophe,
et comme homme. En d'autl'es terllles, la libération théorique du
discours philosophique suppose une libération
politique ..•
L'avenir est à ce prIx"
(1).
Qu!o~ n'aille pas nous faire dil'e que nous souhaitons que le
philosophe (ou l'homme de science) deviellne dirigeant africain
ou que le dirigeant africain devienne scientifique. Nous dénonçons,
du reste, cette attitude de l'intellectuel africain qui, devenu
étranger aux réalités de son pays à la suite d'une longue coupure,
se crott pourtant et nécessairement plus capable que d'autres de
diriger la cité. Un docteur en électronique n'est pas nécessai-
l'ement un bon Chef d'Etat (quoiqu'il en ait les dispositions).
Ce que nous voulons souligner, c'est que la science est
impossible sans la confrontation des pensées, sans la controverse.
La science suppose une cel'talne fornle de démocl'atie. Nous insis-
tons sur "une certaine forme de démocratie" parce que la Russie
considérée comme l'un des pays les moins démocratiques du monde
... /
(1)
Paulin Hountondji, sur "la philosophie africaine", Maspéro,1980,
pp. 36-37. cf. ~également Louis Althusser: Pour lire Marx, Lénine
et la phi.losopt&2, Réponse à John Lewis, Eléments d'auto-critique.

JJ1
-
est la première puissance mondiale, en concurrence avec les
U.S.A. considéré cOlnme l'un des plus démocratiques. Et nous
croyons profondément que la démocratie africaine indispensable
à la science africaine a comme conditions préalables le recul
des bornes du tribalisme et le développement de l'instruction.
Il nous semble que nous somnles en présence d'un cercle, tout
cercle n'étant pas nécessairement vicieux.
b) Attitude scientifigue et obsession du nUlnineux.
------------------ ----------------------------
Malgré l'impact des "grandes rel:igions" (islam, christia-
nisme) sur la civilisation négra-africaine, la grande majorité
de la population du continent est animiste. Magie, invocation
des ancêtres, fétichisme,
tels sont les pratiques auxquelles
recourt const3mment le Noir pour résoudre ses problèmes de la
vie quotidienne et expliquer les phénomènes qui l'entourent.
Le fétichisme est pour la majorité des populations de nos cam-
pagnes et de nos villes ce que la science et la technique sont
pour les occidentaux et l'élite africaine. Et les descriptions
que fait A. COMTE de cet état d'esprit nous paraissent si justes
que nous pensons pouvoir nous en passer ici.
Il n'est pas de notre intention - on s'en doute - de faire
ressortir le carctère irrationnel ou illogique de cet attachement
au sacré. Existe-t-il d'ailleurs une société qui puisse s'en
passer? Nous constatons seulement que la science ne naît et
ne progresse que par le renouvellement des illusions prémières,
en bousculant certains interdits sociaux, tlléoriques ou religieux
L'explication du tonnerre par "HEVIESSO",
le dieu de la foudre,
nous dispense de la recherche d'un autre type d'explication.
Le python étant l'ancêtre du Gin (Ewé, mina, adja du Togo, du
Bénin, du Ghana),
toute expérimentation scientifique sur cet
animal n'est-elle pas a priori un sacrilège? La considération
de l'homme comme un être sacré n'est-elle pas l'une des raisons
qui ont bloqué pendant longtemps la naissance des scierces sociales,
M. DELOCHE dans son dernier ouvrage MusQ.llLogica montre avec dex-
térité en quoi la sacralisation de l'oeuvre d'ar't par le musée
traditionnel est un obstacle à la naissance d'une science de
l'art et d'un musée scientifique,calculique (1).
. .. 1
(1) Deloche, Museologica, Vrin, 1985, premier chapitre,
l'L'obsession
du sacré".

-
332
-
L'histol~e enseIgne, en effet,que le t~iomphe de la
science en~Occident estpassépa~ ce que Ma~ WEBER appelle le
"désenchantement du monde ll
quI
n'est pas nécessairement
la dis-
pa~ition (Ju ~ellgleux mais son cantonnement clans une petIte pa~t
de la vle quotldlenne ou dans un secteu~ spéciallsé.
Il y eut
sépa~atlon de l'Eglise et de l'Etat; des penseu~s s'éve~tuè~ent
à démont~e~ logiquement et scientifiquement l'existence de
Dieu etc . . . L'av~nement de la science af~icaine est lié à la
~est~iction des bo~nes du fétichism~à la ~éduction de l'impact
de l'animisme s«~ les consciences individuelles et collectives.
Quoiqu'il serait difficile de considé~e~ une société sans
~eligion, puisque le ~eligieux nous pa~art constitue~ une .dimen-
sion nécessai~~ de la condition humaine,
il nous semble qu'on
peut tolé~e~ une aut~e façon de considé~er les anclt~es, les
êt~es qui nous entourent, sans ~emett~e en question l'o~d~e
social dans son enselnble,
sans ent~aine~ l'effond~ement de la
civilisation.
L'humanité n'a rien pe~du en empiétant su~ les
tabous nés le plus souvent de la conscience et de l'ho~~eu~ de
la mo~t, puisque la science lui fou~nit g~aduellement le p~in­
cipe d'explication auquel elle est attachée.
A v~ai di~e,le féticll1sme ne constitue~ait pas un obstacle
en soi s ' i l n'exe~çait SOll Influence que sur les p~ofanes. L'in-
convénient, c'est
qu'il a un impact t~ès impo~tant su~ les
hommes de science eux-mêmes,
en so~te que, d'une maniè~e géné-
~ale, t~ès peu de sclentlfiques af~icalns (en plus du manque de
moyens)
ont l'esprit scientifique.
Ils connaissent la science
dans ses ~ésultats et la méconnalssent dans son p~ocessus. Elle
est pou~ eux un gagne-pain, non un mode de savoi~ ou un moyen
d'investigation.
Cela s'explique par l'ambiance culturelle au
sein de laquelle ils ont évolué.
Il est clair qu'une communauté
scientifique qui prend naissance dans. le vase clos de nos uni-
versités encore sous-équipées ne peut que se replie~ sur elle-
mIme au risque de perdre son efficacité, faute de liens avec
des institutions extérieures et avec l'indust~ie. Aussi la
grande majo~ité des hommes qui
t~availlent en Af~ique dans le
secteu~ scientifique ne c~oient pas v~aiment à la scIence.
Il n'y a pas de quoi s'étonner de la situation actuelle
du continent au point de vue de la science si l'on sait le cré-
dit dont bénéficient encore les magiciens,
les féticheurs et
... /

-
]]3'
-
les marabouts (le cas du Sénégal est typique) auprès des biolo-
gistes, des agronomes, des Illédecins africains. 8voquons pour
illustrer l'attitude du scientifique africain cet article d'un
envoyé spécial du ~conomic tilnes aux Indes : "Plan de 120 mil-
lions de roupies (16 millions de dollars) pour apaiser les dieux
de la guerre.
" ... Afin cie L'encll"C~ l'l'opice les dieux de la guerre un
extraordinaire KotIchandi Mahayagna aura lieu vers le milieu de
l'année 1969, aux environs de Rejkot, et coQtera entre 100 et
120 millions de roupies (entre 13 et 16 millions de dollars).
Cette dépense équIvaut au prix de revient d'une immense fabrique
de produits chimi~ues ou de constructions mécaniques.
"D8.ns le feu sacl'ificieI qui brQIera pendant vingt et un
jours,on jettera 100.000 maunds (375 tonnes) de riz (valant
environ 9 nl.UlIons de roup.ies, c'est-à-dire 1,2 millions de
dollars), 350.000 maunds (1.312 tonnes) de !-il (valant 24 mil-
lions de roupies c'est-à-dIre 3,2 millions de dollars), 25.000
maunds (94 tonnes) de ghée (valant 13.900.000 roupi s, c'est-
à-dire 1,9 millions de dollars) et 50.000 maunds (187 tonnes)
d'orge
(valant 1 miLlion de roupies, c'est-à-dire 0,13 millions
de dollars)
Les fonctions sacerdot8.les seront exercées par
125.000 brahmanes, le grand prêtre sera SI1RI, 1008 LAKSHMAN
CHAITANYA Bf1AHMACIIAHI 11AIIAHAJ SIIf1I I\\ASHI.JI, qui a déjà organisé
l'an derniér un Lakshachandi Mahayagna à 8ihore (Gujarat)"(1).
Laissons de c6té 1.' illlpol'tailce que repl'ésente cette fortune
pour l'économie de l'un des pays les [,lus affam~s du monde.
Gardons-nous également de nous prononcer sur le caractère
rationnel ou irrationnel de cette cérémonie qu'on retrouve
fréquemment,
à une échelle réduite, dans .les sociétés africaines.
Ce qu'il iloporte 0e souligner, c'est la manière dont le problème
a été posé et résolu,
et la complaisance des homlnes de science
qui n'ollt presque jamais une initiative analo~ue en vue de pro-
mouvoir la recherche scielltifique. Et quand bietl même certains
d'entre eux viendr8.iellt à y songer,
leur projet n'aurait pas la
même chance d'aboutir.
A cette obsession de la masse et des scientifiques pour
le nllmineux,
il faudrait ajouter l'attitude de ces derniers,
notamment à l'ég8.l'd des techniciens.
Autant ils admettent et
respectent les féticheurs et les marabouts, autant ils ont un
... /
(1) cf. Economie times,
15 janvier 1969.

- 'JJ4 -
mépris pour le travail manuel. Pendant longtemps, peu d'Afri-
cains instruits aspiraient à devenir techniciens. Tous ceux
qui pouvaient espérer faire des études poussées souhaitaient
s'orienter vers les sciences fondamentales plutOt que vers
leurs applications pratiques. En outre, les établissem~ntsà
vocation technique Oflt tendance à accentuer l'aspect théorique
de leur enseignement faute de matériels adéquats (laboratoire,.
usines ••• l. Or,c'est dans la pratique qu'on peut espérer faire
de nouvelles découvertes.
En définitlve. il senlble que la conscience de la science
et la volonté scientifique ne soient pas encore suffisamment
développées sur le continent africain. Les hommes de science
ne semblent pas, pour la plupart, pleinement conscientjde la
tâche qui leur incombe.
Ils sont dans une situation analogue à
celle de l'âne de Buridan. Ils ne savent pas s'il faut tourner
le dos à la modernité pour épouser les pratiques ancestrales,
ou s'il faut au contraire se lancer dans la voie du renouveau
quitte à ha 10uer certaines valeurs établies. Ce qui est certain,
c'est que nombre d'en tre eux -
restreignant le rOle de la
science considérée uniquement comme une discipline théorique,
non comme un instrument de transformation intellectuelle et
sociale'j
cantonnés dans le domaine étroit de leur spéciaii té,
plus préoccupés par leur avancement que par l'avancement de la
science -
,sont. paralysés, du point de vue culturel, par leur
attachement et celui des populations aux pratiques religieuses.
Or, nous n'avons pas peur de le déclarer,
la nouvelle science
africaine ne peut se poser qu'en s'opposant à "l'ancienne science
africaine".
Qu'on ne nous attribue pas la naIveté de penser que, pour
favoriser le développement de la science,
il faille faire table
rase de l'idéologie politique, des structures sociales existantes
(les tribusl, de la religion etc •.. Nous avons mis l'accent sur
ce qui bloque la science, non sur ce qu'il faut faire pour la
promouvoir. Nous faisons un diagnostic, nous ne prescrivons pas
une ordonnance. Car nous pensons comme Auguste COMTE qu'une
conscience claire des causes d'un mal constitue déjà une étape
/
importan te vers son "feeaclica tian.

CON C LUS ION
Ainsi se trouve eScjuiIosée la doctrine comtiste de l 'his-
toire des sciences, doctrine agréée par certains, anathématisée
par d'autres, mais dont la réussite est partout et toujours
assurée. Religion de l'Ilumanité et religion de la science (Sci-
entisme),
le posItIvIsme ouvre l'ère d'une ilistcire des sciences
qui a ses lettres de noblesse, et quI se caractérise par le refus
des étiquel;tes cla.sslques qui lu:l sont le plus souvent assignées.
Lorsqu'on l'li fait parfots l'étrange reproche d'être idéaliste
pour avoir exagéré l'importance de la synthèse subjective dans
la connaIssance et l'action,
Auguste COMTE répond:
un idéalisme
fondé sur l'observatiçn des faits réels. Lorsqu'au contraire on
le taxe de matérialiste en raison du crédit accordé aux faits
ernpiriques dans la science,
ii rétorque: un empirisme rationnel,
puisque le positivisme est aV811t tout une philosophie de l'esprit,
si par esprit on entelld non pas le cogito cartésien, mais la
culture humaine envisagée comme étant toujours en devenir.
Seule science capable de constituer et de révéler l'unité
du savoir, la sociologle est la "science sacrée" dans laquelle
l'hIstoIre des sciences plonge ses racInes, puisque celle-ci a
pour objet l'étude de l'unité de la science,
laquelle se donne
à saisir à travers la cOlltlnuité entre la connaissance commune
et la conllaissance scientifique d'une part; et la succession
logIque des sciences fondalnentales suivant un ordre de généralité
décroissallte et de sim~licIté croi.ssante, d'autre part.
Nul phIlosophe avant Auguste COMTE n'avait autant insisté
sur l'idée que le développement des sciences est lié à celui de
l'esprit positif qui existe do tous les temps et qui, en raison
de l'invariabilit~ dos espèces, est demeuré le mQlno, pour ne
parvenir à l'actualIsatIon entl~re de ses puissances qu'au siècle
des L~mières, à la faveur de l'infrastructure, de la structure
et de la superstructllre de cette époque. Nul avant lui n'avait
développé avec autent d'ing~niüsité une théorie de l'histoire
générale des sciences qui ne se veuIlle pas Ulle recherche du
point de départ absolu de la science, ou une théorie de l'épi-
genèse, mais qui se présente, en dernière analyse, comme une
philosophie de l'histoire de l'esprIt posItif à travers les
sciences.
... /

_ 336.
_
-.'
Une telle conception de l'histoire des sciences a pour
principe et pour conséquence la dialectique de l'ordre et du
progrès, de la statIque et de la dynamique, de la logique et de
la chronologie
; dIalectIque dans laquelle la loi des trois
états et la classifIcation des sciences s'éclairent mutuel-
lement, et grâce à laquelle on peut célébrer le présent et le
futur sans méprIser le [18ssé.
L'examell de cette doctrine nous a donné l'occasion de nous
interroger sur la finalité de l'hIstoire des sciences. Ce qui
ressort des analyses contenues dans la dernière partie du tra-
vaIl précédent, c'est que la connaissance de cette histoire est
plus importante pour une cIvilisation non scientifique que pour
l'Occident. Car, cOllvaincus que la culture de toute société est
détermInée par une infime minorIté de la population: l'élite
intellectuelle, économqie ou politique, nous constatons qu'en
Occident les savants qui sont ~ensés ~tre les plus concernés
par l'histoire des scIences s'y intéressent très peu, tout comme
les technIciens sont irldifférents à l'histoire des technIques
et les artIstes à celle de l'art. Les savants qui s'emploient
à l'étude de l'histoire des scIetlces ne le font ie plus souvent
que par curiosIté, en ce sens qu'il la considère comme 4n violon
d'Ingres et non comme un instrument de développement de leur
savoIr.
La raison en est sImple : Le progrès des sciences est indé-
pendant de la connaissance de leur histoire. C'est du reste
l'une des différences fondamentales entre la science et la phi-
losophie. L'hi,;toire de la pllilosophle, lorsqu'elle n'est pas
1
purement évenementlelle, est elle-même philosophie, donc tou-
jours actuelle; alors que celle des sciences s'occupe d'un
objet (réflexion sur les instruments,
les méthodes et les fina-
lités de la scIence, analyse cle concept) extéI'ieur à l'activité
du savant. L'ilistoire de la philosophie est un stimulant pour
la c['éa tion plli. losophique pilece qu'en tre le penseur antique et
le philosophe contemporalll il y a héritage d'esprit et héritage
de méthode, en sorte qu'il est difficile, dans ce dOloaine, de
parler véritablement de progrès;
tandis qu'entre le scientifique
contemporain et ceux des siècles passés il n'y a communauté ni
de langage, ni de I1lél:I1O(1e.
Certes,
le savarlt contemporain ne fait pas table rase des
découvertes antérieures. Leur maîtrise est même nécessaire pour
... /

"
.....
l'exercice de SB fonction puisque son activité consiste à pro-
longer ou à élaguer les anciennes théories, et qu'il se sert
des instruments qui, selon le mot de BACHELARD, 50nt des an-
ciennes
Il tlléories
!Ilat:ér·lali~~éest\\.
Seulement, en raison du développement actuel de toutes
les branches de la science,
le savant contemporain n'apprend sa
discipline que suivant l'ordre d'exposition dogmatique. Or l'un
des enseigllements capitaux de COMTE est que plus une science
se développe, plus s'étend et s'enrichit le champ de son passé,
et moins celui qui s'en occupe a les moyens et le besoin de
connattre ce passé. L'étudiant en chimie de nos jours est plus
savant que LAVOISIER. Aussi,
pour le savant contemporain, seul
importe le passé récent encore accessible. L'ordre d'exposition
historique est devenu impossible, l'histoire des sciences inu-
tile. En un mot, plus le progrès des sciences est intense, et
moins les savants s'intéressent à leur histoire qui leur pré-
sente un passé périmé. 1'elle nous emble Itre la destinée de
l'histoire des sciences en Occident.
En revanche, divulguée d'une
~8çon judicieuse, cette
histoire peut présellter un double intérlt pour les sociétés
non-scientifiques. D'abord, elle peut exercer sur les popu-
lations de formation lJon-scientifique le même effet que celui
qu'elle pourrait avoir sur les populations occidentales du même
type. Notre vie quotidienne étant de plus en plus reglée par
les sciences (mêlne en Afrique),
leur histoire a une fonction
éducative ce~tnine, en ce sens qu'elle peut dispenser une infor-
mation scientifique capable de créer et de développer chez les
populations profanes une conscience sociale de la science :
ses tenants et ses aboutissants, ses instruments, ses méthodes
et sa finalité.
Bref, elle peut ouvrir les esprits et les hori-
zons, sortir certains intellectuels de leur sommeil dogmatique
qui consiste à se réfugier derrière le paravent tranquillisant
de la tradition, et à tourner délibérément le dos à l'histoire
unverselle dont le cours est désormais indissociable de la mar-
che de la science.
Mais l'tlistoire des sciences peut aussi et surtout contri-
buer au développement
de l'esprit scientifique chez des Afri-
cains ayant acquis Ulle connaissance scientifique. Car le savoir
scientifique est une chose,
l'esprit scientifique en est une... /

- JJ~ _ -
autre, puisque celui-cl requIert surtout des qualités morales
disponibilité d'esprit, probité, courage, esprit critique. En
outre, en montrant comment les théories scientifiques se pro-
duisent, se per~ectionnent et s'encha1nent ; en révelant le
chemin parcouru par l'Occident, les erreurs commIses et les
victoires acquises,
les obstacles épistémologiques et les fac-
teurs du prop,rès scientl1'lque,
l'histoIre des sciences peut
indiquer au scientl~ique africain les épines à évIter et les
éléments de sa culture à conserver pour la fondation et le
développement de la science africaine. Elle peut permettre à
l'Afrique de faire (comme le Japon) unprogrès par bond dans le
domaine de la science et de la technologie
réalisant ainsi le
programme inachevé de COMTE qui consistait à pourvoir à l'huma-
nité les moyens de passer directement des attitudes fétichistes
aux connaissances scientifiques en éludant certains égarements
de l'esprit.
D'o~ l'importance du r61e du philosophe africain. Même s'il
n'est pas nécessairement plus éclairé que les autres intellec-
tuels, sa tAche doit ~tre, contrairement à ce que pensent les
négrologues, de favoriser l'acculturation de son peuple, ce mot
étant entendu dans son acception la plus large. L'acculturation
de l'Africain contemporain s'ilnpose par le fait qu'il doit se
débarrasser de certaines valeurs surallnées de sa culture, c'est-
à dire, des valeurs incompatIbles avec
les conditions d'exis-
tence de l'époque. Il ne doit pas craindre de s'ouvrir sur les
autres cultures (ad ~ vers, aller vers), de s'accaparer et
d'assumer sans complexe la culture scientifique qui est le pro-
duit de l'effort de toute l'humanité, mOme si elle ne rayonne
!'
aujourd'huI qu'en Occident.
,
,
Il doit adopter la science,
la transforlner et la développer
à sa manière non pas parce que la culture scientifique est pré-
férable à la sienne d'un point de vue axiologique, mais parce
qu'elle est aujourd'hui dominante et déterminante; parce qu'elle:
est la culture de l'époque et qu'il faut vivre avec son temps.
D'ailleurs les autres continents, pour parvenir à la prospérité
qu'on leur cannait aujourd'hui, n'ont pas procédé autrement.
"L'Europe, nous dit M. HOUNTONDJI, n'est aujourd'hui ce qu'elle
est que pour avoir assumé)puis transformé l'héritage culturel
d'autres peuples, au premier rang desquels un peuple de notre
",
continent: l'Egypte antique - Rien ne doit nous empêcher aujourd'
hui d'accomplir le chemin inverse. Nous devons à tout prix
.. . 1

- JJ9 • -
libérer notre pensée du ghetto africaniste o~ on a voulu l'en-
fermer. Sortir à toute force de notre prison intellectuelle.
Ouvrir une br~che dans l'espace clos de nos fantasmes collectifs,
pour y laisser surgir la question théorique. Et cette question,
la partager en priorité avec nos fr~res immédiats"
(1).
Nous ne sommes pas naifs au point de croire, suivant les
catégories traditionnelles occidentales, que les sociétés dites
primitives sont figées, dépourvues de dynamisme interne, et
qu'elles ne peuvent connaître de changements véritables que si
elles reçoivent leur' impulsion de l'extérieur.
Toutefois,
force est de reconna1tre que la dynamique sociale nécessaire
au développement de l'Afrique doit résulter d'une dialectique
entre les données exog~nes et les facteurs endog~nes. L'exigence
de dévèloppement impose à notre continent un effort combiné
d'exportation et d'importation. Mais ce que nous devons importer,
ce ne sont pas seulement les capitaux et les biens d'équipement.
Ce sont aussi et surtout le savoir et le savoir-fair~ ; car nos
"mati~res premi~res" ne nous profiteront réellement que si nous
cultivons notre "matière grise" dans le sens de l'évolution
actuelle de l'humanité. Pour bien produire, il faut d'abord
instruire.
... /
(1)
Itinéraire de la science de Bes origines à nos jours selon
Sarton dans
A Guide ~o the history of Science, The Ronald
press company, New York, 1952.

_ 340
Ce n'cé,t donc qu'en tant que "messager" de la culture
techno-scient.ifique et animateur éclairé d'un dialogue, à l'in-
térieur du continent, sur les conditions d'existence
des popu-
lations que le philosophe africain peut espérer vraiment contri-
buer à l'instauration de la tradition théorique nécessaire au
développement de l'Afrique. Car c'est à cette seule condition
qu'il mettra un terme à l'ancienne forme d'acculturation qui
consiste à consommer européen,à s'efforcer de penser en africain,
ou à prétendre penser en africain uniquement à partir des caté-
gories occidentales. L'histoIre des sciences est l'issue g~Ace à
'laquelle on peut être, sans con tradlction ni dysfonction, à la
fois africain et philosophe sans verser nécessairement dans un
exhibitonnisme culturel, sans se laisser prendre au pi~ge qui
a longtemps consisté à développer sur notre continent une litté-
rature orientée vers la satisfaction du goOt exotique du coloni-
sateur, et détournée des problèmes réels auxquels fait face le
continent noir. Car de m~me les cultures industrielles (arachide,
café, cacao, coton) ont été ln,posées au détriment des cultures
vlvri~res dont nos populations ont le plus besoin, de même
l'Africain,pendant longtemps, n'a été invité à écrire que pour
le public occidental.
En prenant appui sur l'histoire des sciences,le philosophe
africain devient "philoscphe" au sens platonicien du terme sans
rien perdre de son atteibl1t d'africain.
Il devIent celui qui,
après avoir contemplé les Idées, fait un retour à la caverne
afin de paetager aV'2C ses pair": s
la lumière du monde intelli-
gible, lumière dont ils se gardent toutefois d'être les esclaves.
En un mot, l'histoiee des sciences est le lieu du double mouve-
ment philosophique du détachement et de l'engagement, de
,) 1l'acculturation en vue d'une meilleure enculturation. Elle est
l'instrument par lequel le philosophe aEricain peut se faire
l'émule d'Auguste COMTE en orIentant le développement de l'Afri-
que .suivant le mod~le de la conciliation de "l'ordre et du
progl'ès" .

,
"
'
B I l l L T 0 G f1 A P Il l
E:
Cette bi~liographle n'est pas un répertoire exhaustif
de tous les ouv~ages ou articles cités dans l'étude précédente
elle en omet certains et en cIte d'autres dont il n'a pas été
fait expressélnent melltion. Elle comporte trois volets : les
ouvrages d'Auguste COMT"~ ; des écrits sur le positlvisme, sur
l'épistémologie et l'ilisloire des sciences en général; et un
certain nombre de textes principaux susceptibles d'être utilisés
dans le cadre d'une étude de l'histoire des idées en Afrique.
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Présentation et notes par Ang~le Kremer-'
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