Université Jean Mou li n (Lyon III)
Faculté de Philosophie
MYTHE AFRICAIN ET CONNAISSANCE DE SOI
Contribution à l'étudePhilo8ophiqu_e~
de la Pensée africaine&.~;r;iJÔÙNE@t'L/-r>,
ft:( ME"-:·
Â
t·r~~;
Thèse de Doctorat de 3ème G~~I~_
'elÎ
présentée par PAM ADO U - PAM'GlTQ'T.e~SY
._------.._---------
JURY
Mr DAGOGNET François
Professeur à l'Université de Lyon III
Mr TIUCA U D François
Professeur à j'Université de Lyon Hf
Mr BOURGEOlS Bernard
Professeur à l'Université de Lyon 111
I{apporteur
Sous- la Direction de
Monsieur le Professeur Bernard BOU RG EOIS
17
MAI
1982

"L'ami
de
la
sagesse
est
également
l'ami
des
my t n e s v ,
ARISTOTE

,1
A la
mémoire
de
mes
Parents,
Alphonse NGARADJOU et Véronique NGUfKI,
qui me donnèrent le
jour et m'initièrent aux
récits mythiques.
A Monseigneur AntOine-M~rie MAANICUS,
Ev@que
de Bangassou qui,
le premier,
guida mes pas sur
c
les voies arides de la connaissance de l'hqmme.
}\\ mes martres,
Raphael'KRASSEDE,
feu Michel NGOADE
.;:
et Soeur Suzanne de Mobaye,
par qui
j'appris à
m'exprimer en langue françiaise
en combinant les
lettres de l'alphabet.
A Soeur Marie-Christine et Soeur Marie de
Massabielle,
de
la Congrégation de
l'Immac~lée
Conception à Annecy,
qui m'entourèrent d'affection
et m'encouragèrent par tous les moyens à pousser
les études jusqu'au point où je me trouve aujov~d'
hui.
Tous ces hommes et f~mmes furent,
pour mon
jeune
~ge, des personnages mythiques dont les no~s, les
actes et les pensées m'ont mar.qué à jamais.


1
PLA N
D E TAI L L E
§
§
§
§

AVERTISSEMENT
1
-
INTRODUCTION GENERALE
.
3
1- Le
bien-fondé de
la recherche
.
6
2- Le
phénomène de
l'authenticité
.
8
3- Le phénomène de
la négritude
.
9
4- Mythe
et conte
"
"
..
11
5- L'objet de
la rech~rche .. , . . . . . • . . . . . . . . . .
19
6- Méthodologie
..
22
7- Difficultés inhérentes
à la recherche
. . . . .
23
8- Remerciements
.. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
28
-
PREMIERE PARTIE
LES POSïULATS THEORICO-METHODOLOGIQUES
32
1- Idées générales de civilisation et
de culture négra-africaine
. . . . . . . . . • . . . . . .
33
2- Le problème de
l'intégration culturelle
. . .
4':1
. v
3- L'intégration sociale
46
4- Les ~aits de
liaison interculturelle -
L'aire culturelle et
la civilisation
.
57
-
DEUXIE~E PARTIE
----- .;.;.;.;;.;..;;..;;;...-.
LE DISCOURS MYTHIQUE OU LA MYTHO}J09J,~,.:~
COMME SYSTEME CONCEPTUEL DU MO N'Ù:E"il. ,
~~"',
'1
7':·~),\\.
NEGRO-AFRICAIN' . . . • . . ~
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79

r.Ô,
1
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1
>1
2- Mythes des origines du mon\\j~e\\ou l~ '~':j
représentatï on de la condi tJ.on,,~g:tI},e'jIle
de
l t homme
:r,.•; t.r r s .: 0.>~~/·~
.
80
' .
t:'nÛ.rlt)ùY__ ~·
a... Esquisse de la conception reli'gi~eûs-è
négro-africaine ou la théogonie au sud
du
Sahara
~ ..
100
4- L'animisme comme dimension transcendante
de
la pensée africaine
.
107
5- Conception mythique
de la mort
.
114
6- La structuration de
la société,
llorgani-
sation techno-économique et
la nature du
pouvoir politique selon l'ordre mythique
..
127
7- L'hypothèse de
la nature
de
l'ethos
cul turel
de
la pensée africaine
. • . . . . . . . . .
131

-
TROrSIEME PARTIE
L'HOMME EN QUESTION DANS L'ESPACE MYTHIQUE
. . .
155
1-
La position de
la q u e s t i o n . . . . . . . . . . . . . . . .
156
2- La sexualité en tant que
catégorie de base
des cosmogonies négro-africaines
163
3- Les mutilations sexuelles et leur signi-
fication mythique· . . .
173
!O
• •
• • •
• • • • •
• • • • •
• •
• •
• •
/f-
Sexual i té et di vini té
191
1
5- Le désir de l'incesteicomme première
rupture de l'ordre cosmique
195
6- Pensée africaine et sexualité
199
- .QUA1B1.IJI1E fARTI~
DIMENSIONS ACTUELLES DU MYTHE ET DE LA PENSEE
DANS L'ESPACE MENTAL NEGRO-AFRICAIN
203
1- L'avènement de
l'Homo-technicus ou
l'effondrement des mithes africains
et des valeurs ancestrales
205
2- Mutation de
la condition humaine du
négro-africain
21~·:
3- Ancestralitê,
occidentalité,
africanité
220
4- Démythisation et crise culturelle dans
le monde négra-africain contemporain
• . . . . .
230
5- Culture et littérature négra-africaines
. . .
248
.
,
-
CONCLUSION GENERALE
. . . ~ . • . . . . . • . . . . . . . . . . . . . .
25 r
.
----...;..;.--~
-
BIBLIOGHAPHIE
. . . • . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . .
260

A VER T l
S SEM E N T
"Mythe africain et connaissance de soi",
un tel
titre témoignerait d'une prétention démesurée
si nous prétendions traiter de toutes les questions
qulil est susceptible de couvrir.
Notre propos est
plus modeste.
Il ne s'agit ~a~ d'aborder tous les
,
problèmes que pose le mythe'en tant que discours
et,
encore moins tous ceux qui se posent à lui.
Pour peu que l'on s'interroge un instant,
on s'aperçoit que
le terme de mythe réussit ce para-
doxe d'évoquer à la fois une notion vide de sens,
une image multiforme,
et une force
du verbe primor-
dial toute puissante. Pour lever ce paradoxe,
une
simple étude structurale et linguistique du discours
mythique s'avère inintéressante,
voire inutile.
Le phénomène de la structure du mythe,
par laquelle
se révèle l'existence du mythe même,
ne nous rensei-
gne pas sur son'contenu.
C'est donc qu'une étude
philosophique est nécessair~ pour rendre compte de
l'essence originelle des réalités exprimées dans le
verbe mythique. Certes,
toute étude dite philosophi-
que ne
jouit pas d'un grand crédit aujourd'hui.
Persuadé que ce mépris conduit à l'obscurantisme et
au manque de
jugement,
nous entendons au contraire
affirmer que le devoir de celui qui cherche est
d'abord de s'étonner.
Or,
l'étonnement est fondamen-
talement philosophique.
On trouvera ici une contribution.
Une contri-
bution,
c'est peut-être trop dire,
mais une tentative

•1 d'étude philosophique, en vue de décrypter certaines
significations du Verbe africain.
Quelques unes des
1
hypothèses auxqtiellèss'adresse cette étude pourront
sembler hâtives ou hasardeuses.
Que
le lecteur,
et
1
plus encore l'ami de la sagesse,
veuille donc bien
voir dans ce travail un simple essai de compréhen-
sion de la Pensée africaine,
dépourvu d'ambition.
1
f

. i
.'"'1'~
i
·1
1
1
1
1
INTRODUCTION GENERALE
"
f·f
Le mythe est,
de nos
jours,
un mot
à la mode.
Mais le
renouveau du mythe ne date pas d'aujourd'hui.
Depuis longtemps,
on s'était demandé quelle signifi-
cation pouvait cacher les mythes.
Ainsi au XVllè
siècle européen,
l'étude co~parée de la mythologie
paienne et des récits bibliques tourne
à la gloire
du peuple élu,
dont
la Sainte Bible serait la source
de
tous les mythes.
Et la mythologie ne
serait qu'un
vaste "plagiat" de
la Bible.
Au XVIIIè siècle,
les
missionna~res font faire dei grands progrès à l'étude
comparée des religions;
l'un d'eux,
le Père
i.·LAFITAU
a relevé des rapports frappants entre les mythes et
croyances des "sauvages amériquains" et la mythologie
d'HOMERE ou certains récits de
l~ Bible. Ces simili~
~udes l'incitent à admettre une révélation primitive
faite
à tous les peuples de la terre
(1).
Selon
l'Italien VICO,
les mythes sont nés de
l'imagination
enfantine des hommes primitifs, réduits à l'état de
sauvagerie par le Déluge.
S~ils ne renferment aucun
.
1
sens religieux,
ils constituent néanmoins des sortes
1
de
résumés figurés
de l'histoire primitive,
et les
bommes mythiques sont les symboles d'une
époque et
d'une société:
HOMERE, par exemple,
est "un être
i
collectif,
un symbole du peuple grec
racontant sa
propre histoire dans les chants nationaux"
(2).
(1)
P.
LAFITAU- Moeurs des Sauvages âMériquains Compa-
rées aux llioeurs des ~remiers temps,
Bibliothèque
missionnaire,
1724.
(2) J.
CHAIX-RUY- Oeuvres ~hoisies de VICO,
Paris,
PUF,
1946.

4
Mais de nombreux éc~ivains ont recours à des
mythes divers qu'ils chargent de 'porter et d'illustrer
leur pensée.
De ce fait,
SCHELLING proclamera que
!Iles créations mythiques,
par leur profondeur,
leur
durée et leur universalité,
ne sont comparables qu'à
la nature même".
Dans cette perspective,
les penseurs
contemporaine et les africanistes de toute
sorte qui
ont étudié les mythes en rapport
avec
la Pensée afri-
caine à la lumière de
la philosophie,
parviennent
presque toujours
à la même conclusion,
quelle
qu'a~t
été leur conviction initiqle.
FREUD nous a
appris à voir dans les mythes,
non point ~es fantaisies
gratuites ni des récits qui
relèvent oe
l'infantilisme,
mais des produits de notre
vie profonde qui en dévoilent
la vérité.
Le
mythe
d'Oedipe par exemple,
cesse d'être une fable
imaginée
par les Grecs menteurs et poètes,
et se
trouve pourvu
d'une vérité universelle et durable.
Dans ce même
ordre d'idées,
JUNG s'est attaché aux rapports entre
l'âme
individuelle et les mythes,
élaborant la notion
d'un "inconscient collectif",
fondement
de
la vérité
psychique. Il en est arrivé
à affirmer:
"le mythe,
c'est ce
dont un Père de
l'Eglise d i t :
quod ubique,
quod ab omnibus creditur
(1).
De sorte que celui qui
croit vivre
s~ns mythe ou en dehors de lui est une
exception"
(2).
Par ailleurs,
MIRCEA ELIADE é c r i t :
"Les mythes révèlent
les s t'r-uc t ur e s
du réel et les
multiples modes d'être dans le monde"
(3).
Par là,
ELIADE perçoit que
les mythes répondent
à un besoin
profond et sont par conséquent chargés d'une
signi-
fication aussi profonde.
( 1 )
Le
mythe est cru toujours,
partout et par tous.
( 2 )
q.G._JYNG- Métamo~phoses de l'Ame et ses Symboles,
Préfaêè de
la 4è Edition,
1950.
.
( 3 )
MIRCEA ELIADE- Mythes,
R~ves et Mystères,
Avant-
Propos,
1956.

1
. ! ' ',1
1
On retrouve c.e t t e même . idée évoquée par
1
Georges Ç!USDORF en ces termes
: " "Cette signification
.
i
vitale du mythe,
assurance sur:la vie,
assurance dans
la vie~ conjuration de l'angoisse et de la mort, expli-
1
que sa vive colo~ation a~fective~ Sans doute,
la cons-
cience mythique se développe en représentations,
en
r
recettes techniques.
Mais elle: est d'abord une ambiance
de
sentiment,
correspondant
à la recherche
des satis-
factions exigées par les besoins humains fondamen~
taux"
(1).
Mais déjà dans l'Antiquité gréco-latine,
PLATON savait ce qu'une
étude des mythes pquvait
apporter à une véritable humanité.
Il proposait que
les futurs Qitoyens de
sa république
idéale fussent
initiés à l'éducation littérair~ par le récit des
mythes,
plutôt que par les fa~ts bruts et les ensei-
gnementsprétendument rationn~ls. D'aille~rs, il
avait
souvent
recours aux mY~hes lorsque sa pensée se
hasardait
dans les domaines de l'eschatologie où la
preuve rigoureuse n'a plus de
force.
Le mythe était
donc,
pour lui,
la forme
d'affirmation,
voire de démons-
tration,
qui convient
à la conjecture ou à l'utopie.
ARISïOTE lui-même,
le maître de
la raison pure
ne disait-il
pas que
"l'ami de la sagesse est égalemen~
l'ami des mythes"
? Pourquoi cette brève étude fai?Bnt
référence
à la pensée occidentale et aux 'hilosophes
anciens ? E~t-ce pour montr~r que l'espace mental occi-
dental
reste
le modèle
su~ lequel notre analyse va se
.
,
r
fixer? Assurément non.
C'est dire -tout simplement que
l'étude que nous entrepreno~s ~ci s'inscrit dans un
vaste ensemble
intelligibleiet universel
mais sur-
I
)
tout que
le sujet.que nous traitons est d'importance.
(1)
G.
GUSDORF- Mythe et Mêtaphysique,
Paris,
Flamma-
rion,
1953.

,. .
. .
6
Car le développement de
toute
pensée doctrinale
a
lui-même ses antécédent~. La connaissance philoso-
phique est née de
la connaissance mythique.
Et toute
philosophie conserve toujours la nostalgie de
ses
origines mythiques.
Eu égard à ces nécessaires consi-
dérations,
quel est alors le bien-fondé de la pré-
sente
recherche
?
1 -
Le
bien-fondé de
la recherche -
Nous voudrions procéder ici
à un examen du
mythe africain en vue de montrer d'abord comment les
problèmes de
la nature
de
l'homme africain d'aujourd'
hui
se sont dégagés peu à peu d'une première saisie
.
du monde où l'univers du langage adhérait encore
à
la réalité des choses.
Trop souvent sourd à l'écho~
qui vient du fond des
~ges, l'Africain accueille le
mythe
comme
une fable
appelée
à le distraire
des con-
traintes de
l'existence,
comme une
évasion tentée
par l'imagination des lointalns ancêtres.
Inconscient
donc,
l'homme africain oublie que
le mythe choisit
le
symbole pour préserver une
réalité vécue.
C'est
pourquoi
le mythe est le
langage ouvert au passé,
voire
au présent et au futur.
Mais procéder à l'examen du mythe ne signifie
pas pour nous entreprendre
une
simple archéologie de
la connaissance mythique de
soi,
c'est-à-dire de
la
personnalité africaine,
et des choses du passé.
L'in-
térêt pour le passé n'est
ici qu'une
forme
de
la préo-
cupation du présent et de
l'avenir.
Car la volonté de
ressusciter le passé suppose aussi
la volonté d'un
homme
porté par .un intérêt majeur et qui
ihterrogela
mémoire d'autres hommes comme une affaire vitale. La
pathologie connait ces cas où l'homme sentant son ave-
nir coupé,
se retourne vers son passé pour le ressasser
,
indéfiniment comme
les vieillards.
Mais cet intérêt

6

. .
1
Car le développement de toùte l pensée doctrinale
a
lui-même ses antécéd~nt8. La connaissance philoso-
phique est née
de la cortnaissance mythique. Et toute
philosophie conserve
toujours
la nostalgie de
ses
origines mythiques.
Èu égard à ces nécessaires consi-
dérations,
quel
est alors le bien-fondé de
la pré-
sente
recherche
?
1 -
Le
bien-fondé de
la recherche -
Nous voudrions procéder ici
à un examen du
mythe africain en vue de montrer d'abord comment les
problèmes de
la nature de
l'homme africain d'aujourd'
hui se sont dégagés peu à peu d'une première saisie
du monde où l'univers du langage adhérait encore à
la réalité des choses.
Trop souvent
sourd à i'écho~
1
qui vient du fond des âges,
l'Africain accueille le
mythe
comme une fable
appelée
à le distraire des con-
traintes de
l'existence,
comme une évasion tentée
par l'imagination des
lointains ancêtres.
Inconscient
donc,
l'homme africain oublie que
le mythe choisit
le
symbole pour préserver une
réalité vécue.
C'est
pourquoi
le mythe est le langage ouvert au passé,
voire
au présent et au futur.
Mais procéder à l'examen du mythe ne signifie
pas pour nous entreprendre
une
simple archéologie de
la connaissance mythique
de
soi,
c'est-à-dire de la
personnalité africaine,
et dés choses du passé.
L'in-
térêt pour le passé n'est
ici
qu'une forme
de
la préo-
cupation du présent et de
l'avenir.
Car la volonté de
ressusciter le passé suppose: aussi
la volonté d'un
homme porté par un intérêt majeur et qui
ihterroge la
mémoire
d'autres hommes comme une affaire vitale. La
pathologie connait ces cas où l'homme
sentant
son ave-
nir coupé,
se
retourne vers son passé pour le ressasser
indéfiniment comme
les vieillards.
Mais cet intérêt

7
maladif déforme précisément le passé parce qu'il
le
,
vide
de
la dimension qui
l'emplissait de
richesse,
la dimension de
l'avenir.
Les:nostalgiques qui conju-
guent
tout
au passé oublient én général
que ce passé
fut
un présent plein d'intelligibilité.
Or ce qui retient notre
attention,
et surtout
ce qui a motivé
la présente recherche,
c'est que nous
nous sentons en
jeu nous-mêm~ avec
toute
l'actualité
de notre vie.
Et c'est pour mieux comprendre et con-
na!tre
les Africains d'aujourd'hui et nous conna!tre
nous-mêm~ que nous ressuscitons nos racines.
Nous
trouvant en péril
dans un monde en mutation,
nous
sommes appelés à scruter l'histoire de notre propre
espace mental pour mieux nous situer dans notre voya-
ge
à travers
le
temps et si possible,
retrouver ainsi
quelquc3raison de vivre
aujourd'hui et déterminer
1
quelque orientation pour L'avenir.
Parce que nous
1
nous sentons en question,
nou~ nous penchons sur l'ab!-
me de notre passé pour voir de quelle profondeur émer-
ge
la question de
l'homme de demain et si cette ques-
tion n'ébauche pas elle-même une
réponse.
Nous vou-
drions retrouver dans
le passé la dimention de
l'ave-
nir du monde négro-africain.
C'est pourquoi
la ~ensée
africaine actuelle ne pourra pas se séparer de
ses
racines par lesquelles ell~ montre,
en préparation,
le
relief de
l'avenir.
Conscienb du fait
que
l'Afrique noire est,
de nos
jours,
engagée dans ùne
aventure passionnante,
celle
de
la définition de
s~ .culture pour notre temps,
i
nous inscrivons notre trava~l dans la perspective d'une
africanité contemporaine,
en vue de mieux appréhender
l'avenir du monde négvo-afr~cain. Et c'est précisément
par rapport
à cet avenir que nous nous donnons pour
tâche
de mettre
à nu l'insuffisance du discours mythi-
que et son inadéquation aux réalités et
aux innovations
du monde moderne.

"
1

8
Comme
11 s'agit du passé,
du présent,
et
surtout de
l'avenir de
la pênsée
africaine,
il pa-
raît
indispensable
d'écarter d'ores et
déjà certai-
nes tendances
intellectUelles malsaines
qui
tendent
à déformer la recherche
globale et
à lui
imprimer
une fausse
direction.
Nous voulons parler du phéno-
mène de l'authenticité et de
la négritude.
Les points de vue
dévempppés plus haut
à
propos du bien-fondé
de
notre
analyse conduisent-
ils à épouser l'opinion de certains penseurs ou hom-
mes d'Etat
africains qui prônent
"le retour aux sour-
ces"
0 u
un e.- c e r t ai ne pol i t i que dit e
ct e l ' Il au the n t i ,...
cité"
? Il
convient de constater que
le
"retour à
la tradition africaine"
n'est pas
le
sursaut
spon-
tané d'une population qui,
du reste,
demeure fidêle
à ses valeurs ancestrales.
Mais
à travers toutes ces
revendications culturelles,
on perçoit clairement
que c'est la politique décidée en haut
lieu,
par des
citadins ayant
la nostalgie d'une civilisation authen-
tiquement
africaine.
Bien souvent,
ces
intellectuels
ou ces hommes d'Etat,
fortement
imprégnés par des
,
valeurs autres qu'africaines,
sont motivés par un
besoin d'afficher leur nostalgi~. Aujourd'hui on parle
d'honorer les ancêtres,
de
reprendre
des noms africains.
Tout cela n1est
rien que
du folklore.
Et
il serait
malhonnête d'ironiser en ignorant que ces gestes ré-
pondent
à des décennies d'humiliation et remettent en
cause
l'opposition manichéenne entre
ce qui
est
"sau-
vage"
et ce qui
est "évolué".
L'Afrique
Noire au :Sud
du Sahara se
trouve
aujourd'hui engagée,
comme d'au-
tres régions du monde,
sur la voie
irréversible du
progrès scientifique et
technique.
On ne
saurait ou-
blier que plus de
cinquante pour cent
des Africains
vivent dans des villes tant
soit peu modernes
;
et

1
,':.,,'.,,",
'~:';i-,';'': .~;) :·'~1:·1.·
,
1
9
1
que
la plupart
des
villes
africaines ont plus
de
cent
mille
habitants.
Il
y
a
déjà près de
trente
ans,
Georges BALANDIER invitait
l~ monde
à ne pas
succom-
ber à
certains mirages ethnographiques ou culturels
; :
à buts politiques
(1).
La politique
d'
l'authenticité"
:
1
est plus unè
réaction d'intellectuels et
autres Afri-
,
cains mal
parti~ contre le co16nialisme culturel qu'
; j
, .
un véritable
ressourcement.
Pourtant
i l
faut
reconnaî-
tre
que
le
"retour
au pays natal"
revendiqué
par
Aimé CESAIRE dès 1939 était
d'une
autre
portée,
parce
qu'il
répondait
à une
aspiration beaucoup plus profond8/
réelle
et
respectable.
Nous considérons
aujourd'hui
i
, ,
l'authenticité comme
un nouveau b~bcage qui
prolonge
, '
1
la nuit
coloniale
sur le
plan intellectuel
et
culturel.
, 1
Car les tenants de
cette
idée sont
eux-mêmes ballotés
11
entre
le modernisme et
leur "authenticité",
entre
il
i
l'imitation na ive
de
fo~mcs européennes et l'affirma-
:1
tion passionnée
d'une personnalité
africaine
qui
leur
échappe.
Nous pouvons dire
sans risque
de
nous
tromper
qu'ils éprouvent un complexe
d'admiration et
de
répul-
sion
à la fois
à
l'égard de
la ~ulture européenne. Ce
qu'il
faut
craindre
et chercher
à conjurer,
c'est
que
par ce
complexe,
certains
intellectuels et
certains
ii
responsables africains embarrassés ne menacent
le
~ud
li
du
Sahara d'une
sorte
d'apartheid culturelle.
!;
ii
3 -
Le
phénomène
de
la négritude
-
{
Il
en est
de
même
du concept
de négritude.
Exaltée et
défendue,
récupérée
et contestée,
ou même
reniée
purement et
simplement,
la négritude
ft
déchatné
des passions et
provoqué,
en
tout
cas,
d'étranges ma-
lentendus.
F~ce à la négritude historique qui
définnis-
sait et valorisait
les données
spécifiques de
l'identité
(l)G.
BALANDIER- Sociologie
des Brazzavilles Noires,
1955.

..
'. 1
.
1
des peuples noirs ~~x prises avec les violences socio-
culturelles et
qui
se présentait
comme
une
doctrine
de
combat désaliénante
(1);
on découvre
aujourd'hui
une néo-négritude
qui
se veut
apport
d'émotion cc
supplément d'âme et d'intuition
à l'occident.
Cette
fii
néo-négritude
a
récupéré
les
éléments disparates
d'une culture citadine Post-coloniale
qu'elle
a
abu-
sivement promue
au rang de
culture nationale.
1
~
CertŒ~ la négritiude en
tant
que manifeste
culturel,
a
fait
de
l'identité sociocultu~elle des
peuples d'Afrique
Noire
une
arme
d'émancipation et
un projet de
renaissance.
Elle
a,
en effet,
lutté
contre
l'européocentrisme et
les préjugés.
Elle
a
rejeté
l'acculturati6n,
l'assimilation et
l'aliéna-
tion.
Ell~ a désacralisé le paradigme culturel occi-
dental
jusque-là considéré
comme
archétype.
Elle
a
affirmé
UQCC
vigueur le
droit
à
la différence,
et
familiarisé
les Noirs
avec
la notion encore nouvelle
de
relativisme
culturel.
En donnant
ainsi
aux peuples
noirs une
conscience
claire d'eux-mêmes,
elle
a con-
tribué
à
les rattacher à
leur histoire
et
à leurs tra-
ditions culturelles.
En
somme,
la négritude a
consa-
cré
les valeurs nègres de
civilisation.
Cependant,
force
est
de
reconna!tre
que
la
négritude
est
dépassée
aujourd'hui
et
que
ses conclu-
sions n'ont
plus force
de
loi.
Comme
bon nombre
d'in-
tellectuels
africains,
nous estimons qu'elle n'a plus
de
rôle
historique en tant
qu'idéologie
de
combat et
projet de
renaissance
culturelle.
Elle
se
trouve
dans
une
impasse parce qu'empreinte
de
forte
coloration
politique.
Ces
tendances malsaines une
fois
écartées
du cadre
de notre
analyse,
il
nous est
loisible main-
tenant de
dégager
la différence
entre mythe et
conte.
(1)
La négritude chez DAMAS,
ROUMAIN~ FANON, CESAIRE,
était
un concept
de
libération nationale,
un con-
cept
éclaira~t, unifiant, à la recherche passionnée
d'identification de
l'homme noir profané par des
siècles de mépris.
, .

4 -
Mythc et Conte -
Pour la clarté
de
l'exposé qui
va suivre,
il
convient
d'écarter également
les contes,
légendes,
fables
et autres
récits populaires qui
sont
généra-
lement faciles
à comprendre parce que
les explica-
tions
qu'Ils donnent
sont,
pour la plupart,
transpa-
rents
et
se fondent
sur des
assertions combinées
dans un but pédagogique évident.
Ainsi
se présente
par exemple
le conte centrafricain:
"TERE
(1),
1
l'ARBRE-GENIE et
le
SCARABEE~ qui
dans
l'ensemble
i
est
un récit
destiné
à expliquer la nature de
cer-
tains comportements de
l'homme
dans
sa communauté.
Ce
conte est dit
comme suit
"Il fut
un temps où la famine
était
grande.
,
Téré avait beaucoup d'enfants et ne
trouvait
pas de
quoi
les nourrir.
Un
jour,
i l part en brousse et dé-
couvre un grand arbre
chargé de fruits commestibles.
Il en cueille quelques uns,
les
rapporte
à fua maison
et mange
avec
ses enfants.
Il
retourne
une
seconde
fois,
en rapporte
encore.
Mais
la faim tourmentait
toujours
ses petits.
".Je m'en vais cueillir encore
des
fruits"
ditTéré.
Une
fois
au pied de
l'arbre,; i l
s'empare de
deux ou
1
trois cailloux. I l
a beau les lancer contre l'arbre,
les fruits ne
tombent
pas.
Il
s'en retourne
tout
dépité.
Voici
qu'une
souche
le heurte en chemin et se met à lui parler :
"Téré,
dit-elle,
assieds-toi.
Mâche
de
la terre
douce
et
crache-la.
Mâche de
la terre amère
et avale-la.
Puis,
écoute bien:
va au bord du marigot
à côté,
(1)
TERE
est
le personnage
Rutour duquel
s'ordonnent
toutes
les actions dans la plupart des contes et
des mythes en République Centrafricaine.

" "!,
tu prendras deux caillou~ ddnf un dans une eau stag-
nante et
saumâtre,
l'autre
dans une eau courante et
claire.
Fais se~blant de
lancer le premier,
puis lance
contre
l'arbre
le
deuxième caillou,
et
tu verras".
Téré
revient
alors près
de
l'arbre,
lance
le
deuxième
caillou
;
et cette fois
le
génie
qui habi-
bait
l'arbre sort et descend
jusqu'à terre.
Il avait
de
gros yeux,
de
longues
griffes,
une
queue
démesurée.
A sa vue,
Téré prend peur et
se
sauve.
Mais le
génie
se
lance
à. sa poursuite
et
se met
à chanter
"Téré
a tué mes enfants et
i l veut me tuer par-dessus".
Térécourait toujours.
Il
rencontre heureu-
sement un éléphant
et
lui
dit
"Oncle
Eléphant,
sauve-moi
!"
-
"Viens t c t ,
iui
dit
l'éléphant,
entre
dans ma t;')ompe".
Téré entre dans
la trompe
de
l'élé-
phant.
Mais
le
génie,
arrivant au grand trot,
était
à
ses trousses.
Quand l'éléphant voit
le monstre,
il
pique
une peur panique et
dit
"Téré,
je t~en prie,
sors de ma trompe".
Téré
se
trou-
vait
à
l'entrée de
la trompe.
L'éléphant éternue
très
fort
et Téré est projeté bien loin dans
la brousse.
Il
se
relève,
se met
à courir et arrive chez le Sca-
rabée.
Le
scarabée était en train de
tresser des pa-
l
niers carrés pour vanner. Téré
lui dit
"Oncle Sca-
rabée,
sauve-moi
1"
-
"Qu'est-ce qu'il
t'arrive
7"
demande
le
Scarabée.
-
"C'est
l'Arbre-génie qui me poursuit".
-
"Entre
donc
dans
le panier qui
est
sur mon dos et
cache-toi bien
1".
Téré se
blottit donc
sous la carapace protec-
trice
du Scarabée.
Le
monstre
arrive et
s'enquiert
auprès de
celui-ci

.' ...
.'
\\ ~t·
.•
,
,','
. '.
~.: :.'
'j:" r
. ' .
"Où est.l'homme
qui s'est
réfugié chez toi
7"
i
-
"Il n'est pas
là"
répond le
Scarabée.
-
"Comment
1 on voi t
encore; ses traces
!"
.
' . '
-
"Il n'est pas là"
répète
:le
Scarabée.
1
.:
-
"Il est venu chez toi"
dit encore
l'Arbre-génie.
-
"Eh bien
!
Gériie,
puisque: tu insistes,
soulève
tous
'. ,
. .
~
les paniers qui
sont
ici,
pour voir si
Téré est
dedans
Mais ne
touche
pas
à
celui qui
est
sur
mon dos:
ma vie y est
attachée,
si
tu me
l'enlè-
ves,
je mourrai".
Le
monstre
soulève
tous les paniers
aucune
trace
de
Téré.
Alors
le
Scarabée
lui
dit
"Ote
tes
gros yeux, mets-les dans
tes mains et
je
te
livrerai
Téré".
Le
Génie
s'exécute.
~e Scarabée se lève preste-

1
ment
et
lÛi
envoie une
grande
giclée
de
venin en plein
dans
les yeux.
L'Arbre-géni~ se tord de douleur atroce
et pousse
des cris épouvantkbles.
i
"Téré,
sors vite,
so r s vit e " cri e leS car a bée .
Téré sort de
sa cachette,
attrape un
gros
.
'
bâton.
Le
Scarabée en prend un autre.
Ils
assènent
le
Génie de coups durs,
tant et si
bien qu'ils
le
tuent.
Le
Scarabée
di t
alors
:
'ITéré,
à présent,
fais
du. feu
pour que nous mangions
:
mais avant
tous apporte-moi
un couteau".
Aussit6t dit,
aussit6t fait.
Ils découpent
le
monstre
en petits morceaux èt mettent
la viande
sur
l~ fe~. ,I.IS la font 'cuire àl p dLnt •. "Oncle Scarabée,
dl t
Tare,
nous ni avons pas de 'sel,
comment
al10n8-
1
no u s
fa ire
7"
LeS car' ab é e
8 e lè v e,
1 an c e
une
g i clé e
1
de venin.
Ce
venin était comme
du sel.
Téré
le
ramasse
l,
et
saupoudre
la viande.
Ils1descendent
la mar~ite et
se mettent
à manger.
!.
i,
" 1 · '. i
,.,'

r.
14
Après
quoi,
le
Scarabée
recommence
à tresser
ses paniers.
Le
temps passe
et
i l
dit
à Téré
"Prends
le
reste
de
la viande
et mets-le
sur le
feu".
Téré
met
l a v i an d e
à
cu ire. Qu an d e I l e
est
à p oi nt,
Té r. é
dit
"Oncle
Scarabée,
viens
faire
gicler ton venin
1"
Le
Scarabée
se
lève,
vient prè§ de
la marmite
et
fait
gicler son venin~ Téré prerd le sel ainsi formé et
en saupoudre
la viande.
Il
descend
la marmite
mais
mange
tout
seul
la viande
comme
un
glouton et
s'en 'la
emportant
les paniers du
S~arabée.
!
Il
emporte
chez
lui
tous
les paniers
finis.
Et
raconte
à qui veut l'entendre que c'est lui qui
les
a
t r-e s s é s ,
alors
qu'il: ne
connait
rien au métier.
~"
",
1
Mais
i l
est
dans
son habitGde
de
raconter des mensonges
Puis
il
appelle
sa femme
et
dit
"Yassi,
j 1 étais
aJ..Lé~
en brousse
tresser ces paniers.
Prends-les,
'la les
vendre
au marché et
achète
du manioc pour nos enfants
"
f
~.
.
qui meurent
de
faim".
Ensuite,
i l 'la sous
un arbre
F:
avec
un panier et
reste
là à ne
rien faire.
Sa belle-
mère
vient
à passer
"Téré,
lui
dit-elle,
donne-moi
ce
panier car
je
n'a i
rie n pou r
van n e r" . '
"Laisse-moi
en
tresser un autre,
et
je te
le donne-
rai".
Il
fait
semblant de
tresser,
mais
i l
n'y
connait
rien.
"Oh belle-mère,
d i t - i l ,
pendant
que
je
travaille
à
tresser,
si
tu faisais
cuire
un cabri
et me
le
donnais
à manger,
je
te
tresserais ensuite un
magnifique panier que
toutes
tes compagnes
t'en-
vieront".
La belle-mère
tue
un
gros
cabri,
le
fait
cuire
et
le
donne
à manger à Téré qui
s'en régale
avec
goinfrerie.
Mais
de
panier point.
Sa belle-
mère
se
fâche,
retire
sa fille
et
jette
un sort
à
Téré
qui
fut
à
jamais couvert
de honte.
1· -
Voilà comment
la manie
d'imiter les
autres
a perdu Téré.
k
i
!1-'.,1
1.

,':",
~ '
l'
.
'1
1
\\
15
J
1
Cet exemple parmi
tant
d'autres nous
amène
à
faire
les remarques
suivantes.
D'abord,
le
conte
représente plus
généralement
l'expression même
des
rapports entre
le
domaine
des
comportements humains
et
le
cadre
socio-économique:
On trouve habituellement
dans
les contes africains des
details enfantins et
de
l'humouv gras,
dont
le
rôle est d'entretenir une
certaine
atmosphère de
gaieté
lors des veillées.
Car
une
des caractéristiques des contes africains est
qu'ils sont
dits pour faire
rire et
pour se détendre.
On y
tcouve en effet
un comique
délié,
une comédie
de
plus en plus grasse.
Ainsi,
celle où TERE,
qui
a cédé
à
la gourmandise
en mangeant
les crottes sucrées de
l'âne,
resfe pris par les mains et
les pieds dans
l'orifice postérieur du baudet.
Il
serait vraiment
superflu d'insister davantage
ici
sur le
contenu des
contes,
sans aborder celui
des mythes.
Quelle
diffé-
rence
fondamentale
y a-t-il
entre ceux-ci
et C8UX-
l à ?
Certains chercheurs orientés vers la psycho-
logie
des profondeurs insistent
sur les similitudes
qu'ils observent entre
les évènements
fantastiques
des mythes et ceux-qui
se présentent
dans
les contes
l'accomplissement des désirs,
la victoire
remportée
contre
tous
les rivaux,
la destruction des
ennemis.
Et
ils en concluent
que
l'un des
agréments
de cette
littérature
orale
africaine
réside
dans
le
fait
qu~
elle est
l'expression de
ce
qui,
normalement,
est
em-~
pêché d'accéder au conscient.
Cela revient
à dire
que
les scénarios,
dans
les contes comme dans
les
mythes,
sont
l'expression d'un psychodrame
qui
répond
chez
l'ê"tre humain à un besoin profond.
Tout homme
désire vivre
certaines situations périlleuses,
affron-
ter des épreuves exceptionnelles,
faire
son chemin
dans
l'autre monde.
Et
i l
pe1ut connaître
tout cela
au niveau de
sa vie
imaginative,
en écoutant
des

contes ou des mythes.
Dans
ce
sens,
les psychanalystes
freudiens
s'appliquent
à montrer quelle
sorte
de
maté-
riel
inconscient
refoulé
estjsous-jacent
dans
les
mythes comme
dans
les contes~ En outre,
ils
insistent
1
sur l'Idée
que
les personnages et
les
évènements des
histoires
dans
les contes et
les mythes,
sont
confor-
mes
aux archétypes psychologiques qu'ils
représen-
tent
et qu'ils .évoquent
symbol±quement
le besoin
qu'a l'homme
d'atteindre
un stade
supérieur d'inté-
gration du moi,
un renouvellement
interne
qui
s'ac-
complit
lorsque
les forces
inconscientes personnelles
sont
en mouvement.
8 ' i l
y
a
des
ressemblances
importantes entre
les mythes
et
les contes,
i l
existe
également
entre
eux des
différences
inhérentes.
Et
ceci
est capital.
Bien sOr,
on trouve
dans
les
deux
genres
les mêmes
1
personnages,
les mêmes
situations exemplaires,
ainsi
que
nous
l'avons
souligné
plus haut.
Mais
i l
subsiste
une
différence
e s s e n t Le Ll evd a n s
la façon
dont
ils
sont
communiqués,
et
aussi
dans
leur co,fl't-eil.Ü~Pour
Â~\\'-\\'-"'~0,,1'""".
s'exprimer simplement,
on peut dire
q~'Yle-S'er;';~~\\ment
dominant
transmis
par
le mythe
(1)
ifit/le
sUi~'anlt :
,
t)
C F, f\\1 E .j \\ :Le,
cette histoire
est
absolument
unique; "J-a'maYs-e'il'~
'"
.
/ ,~ij
n'aurait pu
arriver
à
ouelqu'un d t a u'tr e ,
ni
a--iklf./eurs.

,
~e;é
1
C
"
t
t
d . .
t e r-r-c f .

c·:>"I t'i
es
e v e n e me n
s
son
pre
r g i e u x ,
e r r a 'lan s,,-~::!3'
ne
pourraient
absolument
pas s'appliquer à
de
~imples
mo r t e Ls
c o mrn e vous
et nous.
S'il
en est
ainsi,
ce
n'est
pas
tellement
en raison
du caractère
divin des
évènements,
mais parce
qu'ils
sont
relatés
en
tant
que
tels.
Par opposition,
bien que
les évènements
qui
surviennent dans
les
con~es soient généralement
1
inhabituels et plus
qu'impro~ables, ils sont toujours
!
présentés comme
quelque
chose
de
tout
à fait
ordinaire,
(1)
Pour mieux
s'en~rendre compte et comprendre, s'en
référer
à
l'exemple
du mythe
TERE K020 20
(TERE
le Premier Homme),
dans le
Discours mythique
de
la
deuxième
partie
du présent
travail.

1
1
quelque chose
qui
peut arriver à n'importe
qui,
à vous,
à nous,
au voisin,
à l'occasion d'une promenade dans
1
la forêt,
au bord de
l'eau,
etc
Globalement,
dans
les contes,
les faits
les plus extraordinaires sont
1
racontés
comme
des
évènements banals quotidiens.
Autre
différence,
encore
plus significative
la conclusion dans
les mythes est presque
toujours
tragique,
alors qu'elle
est toujours heureuse
et mora-
lisante
dans
les contes.
Le mythe est,
pour ainsi dire,
pessimiste,
car dans
le mythe,
en général,
le
simple
mortel
est
trop faible
pour affronter
les défis
des
dieux.
En somme,
malgré
tous nos efforts,
nous ne
pouvons
jamais porter notre vie
à la hauteur de
ce
que notre
surmoi,
tel
qu'il est
représenté dans
les
mythes par
l~s aieux, semble exiger de nous. Plus
l'homme
essaye de plaire
aux Oieux,
plus
implacables
se
font
leurs exigences.
Quand un mortel encourt
la
disgrâce d'un dieu sans avoir rien faitjde
mal,
il
est
détruit
par ce
dieu suprême.
Le
pessim1s~e
des mythes
éclate
dans
l'histoire que
la.psychanalyse
freudienne
a
rendue
exemplaire par la tràgédie
d'Oedipe
(1).
Et
1
lorsqu'un homme s'est profondément
imprégné du contenu
d'un mythe véritable,
dela 6veille des
réactions
intel-
lectuelles et émotives puissantes chez lui,
à tel
point
1
qu'il
peut
procurer une
expérience
cathartique,
comme
·'1
\\
le
font,
selon l'enseignement
d'ARISTOTE,
toutes les
tragédies.
Quant au conte,
i l
est
plutôt optimiste,
parce
que
son objectif est
pédagogique
et
éducationnel.
Le
don te
joue,
en effet,
sa fonction
éducative
lorsqu'il
s'agit,
à
travers
lui,
d'apprendre
à l'enfant
à
se
situer dans
le milieu familial,
dans
le IlIonde
des
(1)
Pour étayer ce
propos,
nous présenterons ultérieu-
rement
le mythe
grec
dtO~dlpe, en comparaison ave6
le
mythe
africain TERE
KOZO 20
(TERE le Premier
Homme).

..I.ID·
'ft
1
0
"
~;-
,"
~~.
fi:
('.-
t ~
"
b
,.
choses et des réalités qui
l'entourent
et qu'il
peut
rencontrer t8t
ou tard.
Mais,
en concomitance,
la
spécificité de
l'action éducative des contes se
situe
aussi
sur le plan moral.
Dans les contes,
le
person-
nage principal y est
toujour~ explicitemeni ou impli-
citement
jugé,
condamné ou gracié.
Il
est
dit
que
TERE,
par exemple,
a
l'habitude
de
racontef des men-
"
songes.
Il
est voleur,
glouton,
trompeur.
Bref,
la
morale
des contes et
les
jugements de valeur portés
sur le
personnage principal
s'expriment
dans
la formu-
le
qui,
le plus souvent,
les termine
"La rage
d'imi-
ter les a.utres
a perdu TERE."
Pour terminer,
i l
faut
encore
apporter les
précisions suivantes pour accentuer la différence entre
::
mythe et conte.
Le conte
ali~ente l'imagination avec
des matériaux qui,
sous une
forme
symbolique,
suggè-
rent
à
l'enfant
qui
cherche
à conna!tre,
quel
genre
de
~b~tailles il aura à livrer pour se réaliser,
tout
en lui
garantissant une
issue
heureuse.
Les héros
mythiques offrent
d'excellentes
images,
favorables
au
développement du surmoi,
mais
les exigences qu'ils
personnifient
sont
si rigoureuses qu'elles découragent
l'enfant
dans
ses
tentatives de novice
tendant
à
accom-
plir l'intégration de
sa personnalité.
Tandis que
le
héros mythique
connait une
tr~nsfiguration dans une
vie
éternelle céleste,
le personnage principal
du
conte
est
promis
à une vie terrestre heureuse parmi
nous.
Le
héros des contes a beau vivre des évènements
extraordinaires,
i l n'en devient pas pour autant un
surhomme,
contrairement
au héros mythique.
En outre,
le héros
clp~o&nte vient à bout de tous ses problèmes,
en ce bas monde,
et non par quelque
récompense
récoltée
au ciel.
En
termes plus clairs,
les mythes mettent en
scène
des personnalités
idéales qui
agissent
selon
les exigences du surmoi,
tandis
que
les contes dépei-
gnent
une
intégration du moi
social
qui
permet une

'-'-"
.'
; ,:,:·?r.lr
.'!.
:1
'J
\\1
satisfaction convenable
de chaque être humain en situa-
l~
.,.
tion.
Cette
différence
souligne
assez
le contraste
entre
le pessimisme pénétrant
des mythes et
l'opti-
misme
fondamental
des contes.
C'est cette
différence
,
i'
lI'
décisive
qui met
le conte
à l'écart de notre analyse,
1.
et
nous autorise
à envisager dans les détails l'objet
de
notre
recherche
sur
: mythe
africain et
connai~­
sance de
soi.
5 -
L'objet
de
la recherche
-
- - - , - - - -
Au point
o~ nous en sommes,
i l
devient utile
et urgent de
définir d'abord le mythe
a~ant tou~autrc
investigation,
en vue
de
dégager clairement ce
que nous
o
recherchons par ce
travail.
Plusieurs définitions nous
sont proposées ou suggérées.
Et celles qu'on trouve
dans
les dictionnaires sont
fort
générales.
Ainsi
LITTRE,
confondant mythe
et mythologie,
dit
que c'est
"l'histoire des personnages divins
du polythéisme".
Georges BALANDIER,
dans
le
D~ctionnaire des Civili-~
sations Africaines, indique que
"les mythes sont
le
langage de
la tradition
. . .
Dans
le
syst~me des con-
naissances
transmises oralement,
ils constituent
l'élé-
ment principal
La pensée et
la connaissance mythi-
ques ne
se prêtent pas à une
analyse
sommaire.
Le
système
des mythes présente en quelque
sorte
des paliers
du savoir,
et chacun de
ceux-ci
oppose
des difficultés
d'accès
très
inégales
. . .
Par ailleurs,
les mythes
recèlent un savoir très composite ct
global.
Ils
associe~t en général une théorie de l'univers et de
la création
. . .
des connaissances résultant
de
l'expé-
rience,
des
thèmes
idéologiques
justifiant
les positions
acquises et
l'ordre
social
existant."
(1)
Quant au
,
vocabulaire
technique et
critique
de
la Philosophie,
(1)
BALANDIER G.- Dictionnaire des Civilisations'
Africaines,
Editions FeJnand HAZAN,
~'Paris, 1968i
,'",
.~.
"i
.Jaa"kT
=

20
on y
trouve
plusieurs
définitions dont nous ne
retien-
drons
que
celle-ci
"Exposition d'une
idée ou d'une
doctrine
sous une
forme
volontairement
poétique
et
narrative,

l'imagination se
donne
carrière
et mèle
ses
fantaisies
aux vérités
sous-jacentes,"
On pour-
rait
é
r.um
r-e r- indéfiniment
ces définitions
que
nous
é
acceptons toutes
sans nous
en
tenir à
aucune,
parce
i;
que
toutes ne
nous
sati~fonti pas entièrement. Par
~
i
contre,
l'étymologie même
du mot mythe est
assez
li
suggestive
pour notre
recherche
car elle s'inscrit
f
dans
la droite
ligne
de
la pensée
africaine
fondée
1
1
sur la Civilisation de
l'oralité.
En grec,
"muthos"
1
1
1
signifie
parole
ou récits oraux.
C'est
d'ailleurs ce
,
1
i
sene que
propose
GUSDORF quand i l
dit
"Le mythe
fait
signei
d'où
i l
signifiè.~Le terme grec muthos
signifie
dans
une
unité
indissociable
le mot
et
la
chose
dite.
Avec
les
signes,
i l
fait~~~~les
hSY··
I//V;:~
ch 0 se s
man i f est
es. "
(1)
Cet t e
dé f,~,i(ri\\.:'t~a~~1e do u-
é
r> 1
\\
~\\\\
d ' " 1
' 11: r-: C L1
);:\\1
ble
avantage
etre
c
aire
et
p r-e c.a s e-, ,:;;; c '\\es\\~
elle
il:: [
~$ 1 ("j
que nous vou 1 i ons
a t te indre"
Aus s L: no t re
é
t u'd.ê] ne
i
.'~,-~ \\
. /
:"':1
sera-t-elle point
un inventaire
de\\.'~\\~,~'U~YJ.~/défi-
1
,
"\\;.,."
'" /
nitions,
ni
de
tous
les mythes,
enc6r~lJl)m0).i'nS' de tous
~~~...
les
thèmes mythiques
qui
fo~rmillent dans la diaspora
intellectuelle africaine.
Ce
serait
là,
certes,
une
tâche
utile
et
difficile
à
réaliser,
qui permettrait
de
compléter les
études déjà existantes.
L'objet de
notre
recherche
est
autre.
En effet,
le
but que
nous nous
sommes
assigné
en entreprenant
la présente
recherche
est
de vérifier
cette hypothèse
que
nous
avons été
amené
à
concevoir,
et
qui
a
engendré
un faisceau
de
questionnements
"Il
est dit
que
les mythes
africains
sont
liés
à la
, '
p~emière connaissance que l'homme acquiert de lui-
(1)
GUSDORF G.
Mythe
et M~taphysique, Flammarion,
Paris,
1953.
i
1
l
,
....,-~~g:g;g
.. 1

21
1
m@me
et
de
son environnement.
Davantage
encore,
i l s
1
sont
la structure m@me de
cette
connaissance.
Cela
revient
à dire qu'à travers et par eux,
l'homme
africain s'afftrme' en afftrmant
une
dimension nou-
velle
du
réel,
un nouvel
ordre manifesté
par l'émer-
gence
d'une
nouvelle
prise de
conscience
de
soi."
Eu égard à cette hypothèse,
i l
s'agira pour nous
de
réfléchir aux questions
suivantes
-
Les
mythes
africains
qui
sont
dépositaires des plus
anciens
souvenirs
de
l'humahité africaine
sont-ils
réellement
la source
de
toute
connaissance
première
de
soi
?
-
Tout
être
humain peut-il
découvrir la vérité
de
son @tre",pans tout mythe
? '
-
Les mythes
tiémoignent-ils véritablement
d'un
invi-
sible
divin que
l'homme
a
pu capter depuis
des
temps
immémoriaux?
Ou
tout
simplement,
la pensée
mythique
africaine
sur la religion n'est-elle
qu'une
imagination collective
déposée
dans
le verbe
mythi-
que
africain
?
-
Enfin,
n'y
a-t-il
pas,
à
l'époque a;,~tuelle, dépasse.-;>,-r:")
ment
du mythe- africain par: d' autres mythes?
En
1
d'autres
termes,
au
XXè siècle,
toutes
les
innova-
,
tions
dans
les
domaines
scientifiques et
technolo-
giques ne
tendent-elles pas
à former de nouveaux
mythes
pour notre
africanité contemporaine? Aussi,
n'assistons-nous
pas maintenant
à
un nouveau moment
mythique
de
notre
histoire
?
Que
l'on ne
s'étonne
point
de
nous voir poser toutes
ces questions
qui,
depuis bientôt
quatre
ans,
ne
ces-
sent
de
harceler notre
esprit
et
de
g~ider nos recher-
ches.
Elles sont,
du
reste,
essentielit~ pour le pré-
sent
travail
dont
elles constituent
d'ailleUrs
l'ossa-
ture
même.

1
"
t·,
1
1
6 -
Méthodolo~~ -
1
Pour mener à bien l'examen de
l'ensemble de
ces questions qui
se trouveront
justifiées à posté-
riori
par les résultats de notre
réflexion,
nous com-
1
mencerons d'abord par situer le mythe~ africain dans
le décorum du débat
théorique
qui
secoue
actuellement
la pensée
africaine,
et qui
s'articule autour des
concepts de
culture,
civilisation et philosophie
africaines.
Pour ce faire,
nous cernerons ces concepts
fondamentaux en tant
que postulats dans
leur rapport
avec
les approches et les travaux de
quelques anthro-
pologues et
sociologues contemporains,
qui
se
sont
intéressés plus particulièrement
à la culture afri-
caine.
Ce
sera la première partie du travail.
L'étude
que nous au~ons faite
des postulats théoriques nous
permettra de
concerner la problématique essentielle
de
la 60nnaissance de
soi
à travers le discours mythi-
,
que.
Cette problématique qui
touche
à la constitution
même
de
l'être
africain,
concerne
la personnalité
négro-africaine qu'il
s'agit de
saisir dans
toutes les
dimensions.
C'est pourquoi
nos recherches
ici englo-
beront
la deuxième et
la troisième partie.
Nous ten-
terons enfin une
dernière
démarche
qui
sera un effort
de
discernement
à l'intérieur de
la pensée africaine.
Il
importera de montrer l'insuffisance
du discours
mythique en tant
que
facteur de
connaissance de
soi.
Ceci nous fera voir clairement
le
sens et
la portée du
mythe
africain dans le monde contemporain.
N'oublions
pas que nous assistons
à une mutation irréversible de
la condition humaine
africaine,
mutation dont nous
révèlerons
les causes lointaines et présentes.
Toutes
1
ces considérations nous conduiront à constater une
démythisation et une
crise
culturelle en Afrique
8~b­
saharienne.
En somme,
cerner,
concerner et discerner
le mythe africain comme
facteur
de connaissance de
soi,
constituent notre méthode
d'approche
qui
se veut
a
~postériori, comme nous l'avons déjà indiqué.
l "
.

23
7 -
Difficultés inhérentes
à la recherche
-
Mais pour mettre en application cette méthode,
et dès
les premiers linéaments que nous
avons tracés
de
ce
travail,
nous avons eu d'emblée
conscience
qu'il
s'agissait d'un sujet particulièrement délicat
et complexe,
qui
nous créérait beaucoup de
difficul-
tés.
Et cette prise de conscience
initiale n'a fait
que
se confirmer à mesure
que nous
avancions
dans
la
recherche.
Les nombreu~es difficultés que nous avons
rencontrées sont dues
à ~musieurs r~isons.
D'abord pour ce qui est
de
l'appréhension
de
la pensée africaine proprement dite,
nous
avons
,
. ..~.
, , 1
manque
de "beaucoup d'elements d'approche.
A l'atten-
tion du chercheur-philosophe
qui
veut
saisir une
pensée
africaine actuelle et même une
société afri-
caine
tout court,
soit dans
sa totalité,
soit dans
l'un de
ses aspects,
i l
s'impose un fait
premier et
fondamental
c'est que,
beaucoup plus que
d'une
pen-
sée assez homogène pour pouvoir la définir dans
son
identité et
son essence,
i l
s'agit en réalité d'un
système de pensée
hybride
qui,
à
tout moment et dans
toutes
ses dimensions
(sociale,
économique,
politique,
esthétique,
linguistique,
religieuse,
éthique . . . ),
présente un écartè~ement entre deux systèmes diffé-
rents de
culture.
D'une part,
les éléments ou les
valeurs
de
la culture
traditionnelle,
généralement
proscrits ou discrédités par l'implantation des Euro-
péens en Afrique Noire,
maïs ~yant encore cours dans les
villages ou la "brousse"
africaine.
Ces valeurs conti-
nuent
à exercer une emprise
réelle
au niveau de
l'in-
conscient,
chez tous
les Africains qui,
à quelque degré
que ce
soit,
se
sont
déjà convertis
à l~éthique"de
la
vie
occidentalea D'autre part,
les valeurs occidentales,
s'opposant
généralement
da~s leur esprit aux premières,
proposées et considérées comme modèles
idéaux par

'. /," :(1:
i
l ' é l i t e intellectuelle et
les populations citadines e n !
quête
de
changement.
Cet
état
de
choses provoque
l'exis-
tence de
toute
une
série de comportements et
de
person-
nalités intermédiaires entre
ceux ou celles que
p~ésen-
te nt
les
deux systèmes,
ce
qui
rend donc
extrêmement
délicate
la tâche
du philosophe
qui cherche encore
dans
les mythes
les
fondements et
l'essence
de
la per-
sonnalité africaine
actuelle.
C'est,
par conséquent,
une
gageure que de vouloir en entreprendre
l'étude
tant
soit peu exhaustive.
En
plus de
cette difficulté d'ordre
général,
nous nous
sommes heurté
au problème
de
la documenta-
tion.
Il
est
à noter que
les documents concernant
les
mythes africains
dans leur rapport
avec
la pensée afri-
caine,
sont pr~tiquement inexistants à
BANGUI
(R.C.A.),
lieu où nous avons mis au point notre
travail.
On note
cependant un foisonnement
d'écr~ts sur les contes,
légendes et fables
africains.
La plupart des livres et
documents que nous avons consultés
à propos de
notre
thème,
ont
tous' ou presque
tous
été
élaborés dans le
feu
de
l'occupation coloniale et
de
la christianisation
du continent noir.
Il faut' comprendre par là que
d~s
documents
résultent davantage de
la réflexion due
à
cette occupation et à cette christianisation, que d'étu-
des proprement philosophiques menées avec
toute
la
rigueur et
l'objectivité scientifique nécessaires.
Les
différences du degré de
formation ou de
sensibilisation
des divers auteurs aux pro~lèmes de
la pensée africaine
à travers
les mythes,
la diversité des idéologies qui
les animaient
et
l'européocentrisme,
voire
l'éthnocen-
trisme qui,
à cette époque,
présidait encore
à
ce
genre
de
travaux,
tout cela fait
que
les documents
écrits sur le
sujet que nous
t~aitons ont été subjec-
tivement élaborés,
tant au niv~au de la République
Centrafricaine,
qu'au niveau de
l'Afrique
sub-saharien-
ne
dans son ensemble.
Ces documents se contredisent

r
souvent
entre
eux ou traduisent visiblement
des a
prio-
ri
idéologiques.
Il est entendu que pour un travail
comme
le nôtre,
de
tels
écrits sont aussi
difficile-
ment maniables que
fortement
sujets à caution.
Cette
difficulté
se
complique
d'ailleurs par
l'absence
ou,
pour être
juste,
par la rareté des bi-
bliothèques orientées vers
la recherche.
En
effet,
les quelques
rares bibliothèques qui
existent princi-
palement
à Bangui,
capitale de
la République
Centra-
fricaine,
tell~Bcque le Centre Protestant pour la
Jeunesse
(C.P.J.),
le
Centre Jean XXIII,
le Centre
Culturel Américain,
le Centre Culturel
Français,
la
Bibliothèque Universitaire
(B.U.),
l'Institut Péda-
gogique
National
(I.P.N.),
l'Ecole Normale
Supérieure
-:
;\\
(E.N.S.),
regorgent de manuels scolaires.
Il
n'existe
aucune bibliothèque nationale
ni
municipale.
Il
est
quand m@me
déplorable
qu'un grand pays comme
la Répu-
blique Centrafricaine,
puisse manquer d'archives natio~
nales ou de
centre national
de documentation.
Tous ceux
qui
s'intéressent
à
la recherche
connaissent
l'impor-
tance
de
tels centres.
Mais personne ne
réagit positi-
vement.
A telle enseigne que pour entreprendre des re-
l
cherches ou des études sérieuses
à l'intérieur de
la
République Centrafricaine,
i l
faut
avoir recours
à
l'extérieur.
L60n comprend pourquoi,beaucoup d'intel-
lectuels ou de
chercheurs vivant
en Centrafrique
se
trouvent
enclavés et
se voient découragés.
C'est
ce
qui explique
l ' é t a t encore
larvaire
des
recherches de
toutes
sortes en R.C.A.
Il
nous
a donc
été difficile
de
constituer une
abondante bibliographie.
Ceci
a été
pour nous un véritable handicap,
car nous aurions voulu
appréhender le
phénomène
du mythe
et
de
la pensée afri-
caine dans
tous leurs
contours,
grâce
à une présenta-
tion aussi
exhaustive que possible
de
tous
les points
de
vue
de
tous
les auteurs.
Nous n'avons pu nous adon-
i
ner à une
telle
tâche
que
dans
un cadre extrêmement
réduit.
Ce
qui
par moments,
~ imposé à nos analyses

• ,"] t
. ",
un caractère
regrettablement
approximatif.AAyant ainsi
acquis une
conscience
aigucde
l'extrême délicatesse
de
notre
recherche en raison de
tous ces problèmes,
nous
avons estimé qu'il
convenait mieux d'interroger
les profondeurs de
la brousse
centrafricaine et
de
rechercher,
précisément
là,
un certain nombre
de
textes oraux d'origine mythique.
C'est ainsi
que nous
avons effectué plusieurs voy~ges à Bossangoa,
Bangassou,
Bambari,
Bouar,
Kaga-Bandoro
(11),
plusieurs années
durant,
pour nous
imprégner d~s réalités sur place et
requérir certaines informations sur le
contenu même
des mythes.
Ces voyages,
quoique
très
limités,
nous
ont permis d'établir la différence entre mythes et
contes,
et
apssi,
de mesurer la portée et
le contenu
du mythe
africain pour l'époque contemporaine et pour
l'avenir.
Outre
le Cameroun où nous avons effectué un
séjour d'un mois en 1976 et d'un mois également en 1980,
nous aurions voulu nous rendre dans d'autres pays afri-
cains.
Mais nos moyens étant
très limités,
nous n'avons
pu voyager ailleurs.
Nous
le
regrettons.
Cependant,
il
n'est pas absolument nécessaire de voyager partout pour
bien cerner Id
phénomène mythique
africain.
Nous avons
,
pensé que nous pouvions valablement nous
référer à
des
schémas théoriques d'analyse philosophique,
plutôt que
de
tomber dans un empirisme ethnographique
qui
se con-
tente
de
l'observation et de
la description du phénomè-
ne
à étudier.
Car l~ voie d'approche empirique,
caracté-
ristique propre de
la discipline ethnographique,
pour
légitime qu'elle
soit en elle~même, ne constitue jamais
cependant
que
le vestibule
et. la matière
première d'une
étude proprement philosophique.
Cette dernière exige en
effat que
les faits
rapportés soient traités analyti-
quement
grâce
àde sars postulats théorico-méthodolo-
giqucs soigneusement établis,
parce qu'elle vise
fond~­
mentalement,
par-delà la description des phénomènes,
(1)
Il
s'agit de quelques unes des villes en République
Ct:ntrafricaine.

27
à leur essence et à leur s1gnlfic~tion archétypale.
Face
à des exigences de ce
genre,
nous
avons
donc
éprouvé
le
besoin diélaborer des hypothèses
de
travail
qui
nous permettraient d'opérer avec
une
gran-
de
efficacité heuristique,
tant
pour une
circonscrip-
tion du champ d'étude,(ce
qui
a
eu pour corollaire
le
dépistage et
l'exp~lsion hors du domaine de l'inves-
tigation des
artéfacts propres
à brouiller les pistes
de
notre
recherche),
que
pour
l'analyse
philosophique
du phénomène mythique
lui-même.
En
dépit
des
diffi-
.!..
cuItés de
toutes
sortes
affrohtées,
deux
sources
alimentent
donc
principalement
ces pages
nos
recher-
chespe~sonnelles menées en Centrafrique comme au
Cameroun,
si une bibliographie à la mesure de nos
travaux,
constituée d'ouvrages de
forme
et
de
valeur
très
diverses,
auxquels nous
avons
emprunté,
outre de
nombreux exemples,
les réflexions
qui
nous
paraissaiemt
les plus
judicieuses,
parce
que
répondant
à notre
propre
expérience.
Pour les citations,
nous
renvoyons
évidemment
à leurs auteurs respectifs.
Mais
s1,
dans
les pages
du présent
travail,
des pensées
ou des
faits
ont
été
insérés
sans
que
mention
fut
faite
de
l'ouvrage
d'où
ils ont été
tirés,
les
auteurs voudront
bien nous en
excuser.
Nous
sommes
convainc~ que ces idées bien
souvent,
ne
sont pas
la propr~été d'un seul, mais de
plusieurs.
Loin,
par conséquent,
de
prétendre
à la
paternité
de
tous
les aspects
développés,
nous nous
sommes plutôt
efforcé·de
synthétiser avec
discernement
le
labeur d'un
grand nombre
de chercheurs
d'origines
diverses,
philosophes,
missionn~1res, anthropologues
et
autres.
Leurs conclusions,
passées au crible
de
notre
critique
et
de
notre
expérience,
n'ont
été
rete-
nues
que
dans
la mesure
où elles confirmaient nos pro-
pres hypothèses
ou conclusions.
Aucun lecteur,
souhai-

. t
r
28
l''~.HI!

1
'·,1
, .
,
1 .
tons-le,
ne nous
le
reprochera.
De plus,
nous avons
tenté
de
rationaliser quelque peu le vocabulaire,
car rien nlest plus décevant
que
de
trouver,
m@me
dans
les
ouvrages spécialisés,
des mots désignant
des
phénomènes très
différents
qui,
faute
d'avoir été bien
définis,
obscurcisse~t considérablement les problèmes.
En ce
qui
concerne
la graphie,
les noms propres
(de
clans;
tribus,
peuples,
etc
. . . )
ont
été,
au plu-
riel,
écrits
sans "s",
d'abord pour éviter une pro-
nonciation défectueuse,
ensuite parce
que,
dans
leurs
langues respectives ces mots forment
le
pluriel par
d'autres moyens.
Ainsi
par exemple,
i l
sera inutile
d'écrire
Banvou avec
"s",
puisque
le
préfixe
Ba est
justement la.~marque du pluriel
le
singulier Mountou,
auquel on adjoindrait
un
~Sl',
serait
encore plus ridi-
cule.
De même,
les noms communs qui
appartiennent
à
des
langues ou
à des dialectes centrafricains,
came-
rounais ou n6gro-africains plus
généralement,
ont
été
transcrits
sou~ fotme
invariable.
Tous les mots de
langue vernaculaire
figurent en écriture phonétique,
simplifiée
au maximum.
Chaque
lettre
représente
un son,
AHssi,
œonvient-il
de
lire
-
u
comme
en français
ou,
- S est toujours dur,
-
gb,
ngb,
kp
se
prononcent d'une
manière
qui
est
sans équivalent en français,
-
s
se
prononce
toujours dur quelle
que
soit
sa place
dans
le mot.
Ainsi
"Yamisi" ;devra se
prononcer
" y am i s si"
e t
non
" Yam i z i " .
8 -
Remerciements -
Ayant
ainsi
justifié notre
démarche
tout
au
long de
ces premières pages,
nous allons maintenant
tenter d'introduire
le
lecteur dans
les proplèmes
d'ordre
t~éorico-méthodologiques qui touchent à la
. "

1
29
1
1
culture et à la civilisation comme matrice
du mythe
africain.
Mais auparavant,
il nous reste l'agréable
devoir d'exprimer notre
reconnaissance
à
tous ceux qui,
1
de la "brousse i ' ou des villes centrafricaines et came-
rounaises,
par leur enseignement,
leurs conseils,
leurs
1
conversations amicales,
nous ont aidé à voir plus clair
dans les probièmes relatifs au thème
traité ici.
Pour
le parachèvement du présent travail,
nous
sommes rede-
1
vable~à plus de personnes,
physiques ou morales,
que
nous pouvons nous rappeler.
No:us désirons leur expri-
mer ici nos
remerciements,
bien que nous nous trouvons
dans l'impossibilité de mentionner la contribution
personnelle
de chacune d'entre elles.
Toutefois,
il
en est certaines que nous ne pouvons oublier.
En premier lieu,
nous voulons dire notre
gra-
titude à
la Faculté de Philosophie de Lyon, et en par-
ticulier à son Doyen qui nous a autorisé
à poursuivre
nos recherches.
Nous exprimons toute notre
reconnais-
I-
lq
sance
à son Responsable Administratif Monsieur J.M.
PASCAL.
C'est
grâce
à son amitié et
à
la oompréhension
qu'il
nous a constamment témoignée en nous informant
par des correspondances de notre
situation administra-
tive depuis 1978,
qu'il
nous est apparu nécessaire
de
nous dépêcher de conclure nos
travaux.
Nos remerciements s'adressent également
à
Monsieur le Ministre Centrafricain de
l'Education
Nationale,
le Lieutenant Colonel Antoine
GAMBI,
Prési-
,
dent de
l'Université de Bangui,
à Monsieur
le Recteur de
l'Université de Bangui,
le
Professeur Simon BEDAYA NGARO,
à Monsieur le Doyen de
la Faculté des Lettres et
Sciences Humaines de l'Université de Bangui,
Monsieur
SEHOULIA.
1
1
,
.,:.. .r
.....L
UWSI!i&Ull&&?MI&9&
~=;:œMR t:! !2

3D
'Ii;.
::1:
Nous remercions
très
sincèrement
toutes ces person-
nalités pour les encouragements,
les
sages conseils
et
les
aides morales
et
matérielles
qU'élleB0nous~bnt
apportés,
ainsi
que
pour l'intérêt
réel
dont
elles
ont
fait
preuve
à l'occasion des
rencontres
ou discus-
sions que
nous
avons
eues ensemble.
Nous nous
faisons
également un
réel
plaisir
ici
de
reconnaitre
l'aide
inappréciable
que
nous
a
apport6e
Monsieur Basile
KOUZOU,
Conservateur de
Bibliothèque,
et
actuel
Directeur de
la Bibli~thèque
Universitaire
de
Bangui.
Son dévouement
et
sa dispo-
nibilitô
nous
sont
"allés droit
au c o e u r v.j
comme
le
disent
généralemen~ les Africains pour exprimer leur
reconnaissa~ce envers une âme généreuse.
Non moindre
est
aussi
la dette
que
nous
devons
au Directeur de
l'Institut Pédagogique
Nation~l (IPN),
Monsieur Mathias NGOUANDJIKA.
Il
a
été
très
attentif
aux
as~ects d'ordre pratique de
la réalisation de
nos
travaux.
Malgr6
ses nombreuses
charges et
responsabi-
lités,
il
a
bien voulu nous
aider dans
un esprit
l'
l,'
pragmatique.
Qu'il
en soit
remercié.
l,
Ii1·
1l,
C'est,
par ailleurs,
avec
beaucoup d'égards
1
1·l,
que
nous
avons pris en considération
les
conseils de
1;
~
notre
ami
d'enfance
Fr6déric
NGUILE,
Docteur en
Scien-
ces de
l'Education.
C'est
lui
qui,
du
reste,
a
formulé
de
nombreuses
suggestions et Icritiques
utiles fondées
sur son expérience
personnelle.
Nous ne
saurions
terminer ce propos
sans dire
un mot
de
l'aide
dévouée
et
sans
limite
que
nous
a
apportée
Madame
PAMADOU Martine,
notre
épouse.
Nous
lui
devons,
en
grande
partie,
la r6alisaticn matérielle
de
cette
thèse.
En plus
du
travail,
combien pénible
de
lecture,
de
correction et
de
dactylographie
qu'elle
a
effectué de
longues heures
durant,
elle
a
été,
à tout
L
.i.A&;i;!L4. •~, ~L4!usœ ALi .

31
moment,
notre principale conseillère,
sans
l'insistance
et
la présence
de
laquelle ces pages n'auraient
peut-
~tre jamais été êcri~es.
Et
c'est
avec
un sentiment
de
respect
et
de
reconnaissance
tout
à la foie,
que
nous nous adressons
enfin à notre
Professe~r Monsieur Bernard BOURGEOIS
.
i
qui
fut,
pendant nos
études Gniversitaires
à Lyon,
,
~
·
1
_
de 1969
a 1975,
notre
initiateur dans
la quete philo-
i
sophique
des faits
humains et dont
la présence et
le
verbe
resteront
toujours vivants pour nous.
En
tant
,
que -Dd r-e c t e u r
de
cette t h è s e],
Cl est" lui
qu r vnous
a
permis,
en définitive,
d'achever notre
tâche,
alors
que nous v~vions des moments personnellement pénibles
et difficiles.
Notre
entreprise
est
donc
dOe
à. sa sin-
cère
amitié compréhensive,
à la sagacité de
ses conseil~
à sa bienveillance éclairée et finalement,
à
son huma-
nité.
Qu'il
soit
ici
assuré" en retour,
de notre
pro-
fonde
gratitude.
1
, !

32
PREMIERE
PARTIE
- - - - - - - - - - - - - - ! - -
i
1
LES
POSTULA'L'S
1
THEORICO -
METHODOLbGIQUES
* * *
*
~ ..
' 1. •
',
:'. '. ',.. ; ,
;/ .
,-,,;"':,"'-: .: .. .. ',; ~)I :'<i;, '1,. .
J.!
j ;;,_===;
&,!ttU;_W4J
Ê
u
l

."':'
··_,·f.
, .J
33
l
-
IDEES GENERALES DE CIVILISATION
ET DE CULTURE NEGRO-AFRICAINE
,~ :
~. J
.;' .
=========:::::=
Dans un travail
du
genre
de
celui que nou0
"1
entreprenons,
l'élaboration d'un corps de concepts
adéquats comme
outils d'analyse
des divers problèmes
que
nous aurons
à soulever s'avère capitale.
En effet,
si
déjà en soi,
la première démarche
de
toute
inves-
tigation scientifique
consiste dans
la détermination
de
son objet"et
l'élaboration d'un appareil
conceptuel,
~
.
l'analyse philosophique
d'un p~oblème s'inscrivant
dans
le cadre
d'une
discip~ine à l'objet fuyant comme
tel
est
particulièrement
~e cas pour l'anthropologie
culturelle,
exige
que
soient
trouvés
des concepts
analytiques qui,
grâce
à
des critères sars,
soIent
aussi
peu
interprétatifs que
possible.
Cette considération nous
a
amené
à tout mettre
en
oeuvre pour établir le
sens des concepts de Civili-
sation et de
culture africaine,
dans
le but d'inscrire
le problème
du mythe
que
nous traitons dans une
aire de
civilisation et de
culture bien d6finie
et d'en tirer,
dans le
corps de
la recherche,
des ~onclusions pleine-
ment valides.
Ce
problème
résolu,
nous nous
sommes
attelé ensuite
à celui des effets du mythe
dans l'inté-
gration sociale.
Au niveau de: la civilisation et de
la
culture
globale,
ce problème du mythe
dans
l'intégra-
tion sociale
a permis le
surgissement du concept d'ethos
culturel
auquel
nous
avons
attaché une
très
grande
im-
portance.En effet,
i l nous a
permis de,chercher quelles
sont
les valeurs autour desquelles gravite
la vie cultu-
relle
africaine
en général.
Et
au niveau de
la société
africaine prise
dans
sa globalité,
nous nous
sommes

34
demandé
dans quelle mesure
l'étude
d'un phénomène com-
me le mythe
touche effectivement
à
l'ensemble
du~ sys-
tème~ socio-culturel.
Malgré les récents développements des
recher-
ches dans
le
domaine
de
l'anthropologie
culturelle,
le
sens des
concepts
"civilisation ll
et
"culture", ainsi
que
les rapports que
ces deux notions entretiennent
et
soutiennent entre
elles,
restaient
encore
jusqu'à
un passé
assez
proche, imprécis et
lointain.
Cette
confusion est,
de
nos
jours, loin d'être
totalement
dissipée
dans de nombreux esprits.
La principale
raison
en est
que
~e terme de "civilisation"
en particulier,
a
été utilisé
dans un contexte colonialiste.
Les tra-
vaux anthropologiques du XIXè[ siècle et
du début
du
,
XXè siècle,
dont
les principaux auteurs
se
réclamaient
plus ou moins de
la théorie de
l'évolutionnisme unili-
néaire,
avaient posé
l'Europe
occidentale
comme
l'étape
la plus qchevée
du développement
actuel
de
l'humanité.
Dès
lors,
i l y eut une
ségrégation des peuples entre
les
"civilisés"
ou "évolués"
et
les
"ri o n
c Lv t Ld s
v
é
s "
ou
"sauvages",
suivant qu'ils
se
rapprochaient
de
l'étalon
occidental
ou qu'ils
traînaient
encore
loin derrière,
dans
les marécages enténébrés de
la barbarie.
Dans
cette perspective,
les anthropologues
avaient
cherché
à établir des critères objectifs permettant àe
ranger
les peuples dans
l'une
ou l'autre de ces deux catégories.
Le bien-fondé de cette entreprise de
hiérar-
chisation des
sociétés humairies,
ainsi
que
les divers
critères proposés
à cet
effe~, notamment l'écriture et
le
nivo~u de vie,
devaientetre mis en cause
et
frappés
de nullité par le mouvement culturaliste m~ndi~l qui,
dès son apparition,
s'était placé d'emblée
dans une
perspective
synchronique,
et
avait
inscrit
ses travaux
sous le
signe
du relativisme culturel.
Mais
les diffi-
cultés subsistaient quant au sens
à
donner aux concepts

IP:;.1
",11
.
de
civilisation et de
culture et
aux rapports
qui doi-
vent
les
régir.
Les
termes
d'aire
et
de
foyer
culturel
introduits par les diffusionnistes
allemands et
les
l '
:
multiples
théories proposées pour un découpage cultu-
rel
de
l'Afrique
Noire ou du nouveau monde,
bien qu'
11s:·n'aient pas provoqué
des
débats
autour des
deux
notions
qui
nous préoccupent,
les concernaient
cependant
.":,
"
implicitement
et
traduisaient
la difficulté du problème.
Il
revient
à Marcel MAUSS l'honneur d'avoir
projeté sur la question un
jour nouveau et
décisif.
L'anthropologue
français
avait
en effet proposé
de
voir
dans l'idée
de
civilisation une
entité culturelle com-
mune
à plusieurs sociétés
globales africaines.
De
ce
point
de
vue,
la civilisation transcende
les diverses
cultures d e st s o c t é t é s
nationa.les
ou ethniques. Et
dès
lors,
l'étude
de
ces
dernières est
indissociable
des
rappofts
qU'elles
soutiennent
entre elles.
Ainsi,
i l
"1,
apparait
que
la civilisation est
une
entité
dont
les
" '
détenteurs n'en sont
généralement pas conscients.
C'est
au chercheur qu'il
revient
de;déterminer ces vastes
,
unités
sur la base
des
ressemblances
significatives
','"
~
que
recèlent
entre elles un certain nombre
de
sociétés
ou d'ethnies
globales.
Quant
à la culture,
unité d'étude
favorite
de
tout chercheur appartenant
à n+1mporte
quelle disci-
pline,
elle
conStitue
une
réalité
dans
la société dont
les membres ont
généralement conscience.
En effet,
les
personnes qui
appartiennent
à
une m@me culture, ont cn
commun un même
patrimoine comprenant
une
langue,
des
objets matériels,
des
schèmes de
comportement,
d~s
institutions, des conceptions philosophiques et reli-
gieuses,
ainsi
que
des créations esthétiques.
De ce
fait,
elles se
sentent liées entre elles et forment
un
groupe
différent des
autres, et
le
cas échéant, font
bloc pour s'opposer à eux ou solliciter leur alliance,

1
36
J
mais ~oujcurs dans le but de sauvegarder et se mainte-
nir comme entité autonome et distincte.
L'analyse
succinte qui
précêde n'~vait d'autre
but que de
nous aider à
appréhender les
r0alitês cul-
turelles négra-africaines qui
forment
la toile de
fond
de
notre
6tude du mythe
et de
la pensée africaines.
La question qui
se pose d'emblée
pour approfondir cet
aspect
des choses est la suivatite
peut-on parler
d'unité culturelle,
et donc
d'unité
de
pensée africai-
ne
à propoa du monde négra-africain?
Si
oui,
à quelles
conditions peut se penser l'idée d'une
civilisation
africaine
ainsi
avancée
? Mais pour résoudr~ cette
question d'une mani~re convenable,
il
faut
traiter au
préalable
l~~problème suivant
qu'entendre
par Af~ique
Noire? A la lecture de cette
question,
et étant donné
la finalité
à laquelle elle est ordonnée,
on peut
~Yec
quelque
raison,
nous ~ccustr de pétition de principe.
En
définissant
en effet,
d'une manière ou d'une
autre,
l'Afrique
Noire,
c'est-à-dire~soit en délimitant les
sociétés sur lesquelles elle s'étend,
soit en op&rarit
sous le mode d'une analyse
conceptuelle,
ne
travail-
lons-nous pas sur ce qui
fait
précisément
l'objet de
la question,
et ne
tenons-nous pas déjà pour acquis
l'idée d'une
civilisation africaine,
alors qu'il
s'a&it
justement de
la discuter?
En
nous proposant de
réfléchir sur cette ques-
tion,
nous voulons en fait
partir d'un donné
existant,
à savoir un ensemble
de populations habitant
le conti-
nent africain mais localisé
au sud du Sahara,
et qu'on
a
coutume d'appeler négro-africain.
Le problème que
nous nous posons ici est alors celui
de dire quelles
s6nt ces populations
inventrices des mythes et de
la
pensée
dite
africaine,
qui
sont
la matière de
la pré-
sente étude.
En proposant une
telle problématique,
il
nous faut
ajouter aussit0taprès qu'il
ne s'agit nulle-
ment d'isoler culturellement
le monde
sub-saharien.

,
....
1
i
37
Une entreprise de
ce
génre ne
peut §tre qu'artificielle,
1
.
.
.
oar les population~ négro-afficaines quelles qu'elles
soient,
ont
toujou~s plus ou moins vécu en état de sym-
biose avec d'autres;
et
les très nombreuses migrations
dont
le sol africain a été le
théâtre,
ont mis en c~n­
tact des peuples différents.
Notre volonté est pltit6t
de chercher à cerner,
au moyen de critères physico L
linguistiques,
cet ensemble de populations à propds
desquelles peut se poser ainsi
le problème d'unit~
culturelle.
Aussi,
les races proprement négritiques
1
.
vivant ~u sud du Sahara .peuvent-elles se ramener à trois
grandsgroup~s
:
1°_ Les vrais nègres:
on a coutume d'appeler ainsi

..
...
i
l'ensemble~des poptilations qui occupent l'Afrique
occidentale,
dans
le vaste zone qui
s'étend de
l'em-
bouchure du Sénégal au Nigéria.
L'hétérogénéité de
leur milieu de vie qui va de
la forêt
dense aux plaines
sablonneuses
à caractère sahélien,
la divise en de~x
groupes sensiblement différerits
:
les vrais nègres de
la forêt
et les vrais nègres soudanais.
2°~ Les Bantu
:
ils occupent l'immense
territoire
s'étendant du Sud de
la ligne qui coupe
le continent
africain d'ouest en est,
c'est-à-dire de Douala à
l'embouchure de
la rivière T~n~ dans l'océan Indien,
en passant par le nord du lab Victoria.
Font désormais
partie de ce groupe,
depuis les travaux du linguiste
.
.
1
américain J.
GREENBERG,
les petits groupes de
la C6te
du golfe de
Guinée appelés t~aditionnellement Semi~
1
Bantu.
1
3°- Les Nilotes
:
ils sont fortement métissés d'Ethio-
piens et de Chamites,
et habitent
la région du Haut-
Ntl.
Ils comprennent aussi
un sous-groupe chamitisé
appelés
les Demi-Chamites.
l
.j
.: I
1
uaseLCRGZ 1& "

,,.
De cette
façon,
n'entrent
donc pas dans
le
monde
négro-africain d'abord les
races nord-africaines
qui
toutes,
de
l'arabe oriental
au berbère méditerra-
néen,
se
rattachent plutôt
aux cercles raciaux eura-
siatiques qu'au~ races proprement négritiques.
Ensuite,
il
y a
la race Pygmée.
Celle-ci englobe
les Négrilles
du Zaire,
du Gabon,
du Cameroun et de
Centrafrique.
C'est
une population essentiellement
sylvestre
qui
a
longtemps été considérée
comme
une
race noire minia-
turisée.
De nos
jours, les anthropologues s'accordent
à reconnaître
que
les Pygmées constituent une
race
', ..
spécifique.
Depuis les premières hypothèses de VALLOIS
allant dans
ce sens,
l'unanimité
s'est rapidement faite
là-dessus.
Et
les
travaux
de
LEROI-GHOURAN n'ont
fait
que
confirmer le point du vue
de VALLOIS.
Enfin,
on
c on s i d è r-oe c o mme
ne
faisant
pas partie
de
l'Afrique Noire
la race
Khoisane
qui
occupe
les vastes steppes salées·
et arides
de
l'Afrique du Sud.' A cette race
appartien-
nent
les Boschimans et les Hottentots qui
sont appa-
rentés aux premiers.
Si
certains auteurs
comme VALLOIS
distinguent encore mal
les Boschimans des Pygmées,
alors que
d'autres comme LEROI...:GHOURAN ont
insisté
sur
leur spécificité raciale,
i l nia
jamais été question
par contre
de
les rapprocher de
la race
nêgritique.
Il.,
i·:,,1'..'
Cette
distinction que nous avons faite
entre
. '·;i
les races qui
composent
l'Afrique Noire et celles qui
l,
lui
sont
étrangères est,
nous
le
reconnaissons une
fois
de
plus et nous y
insistons à dessein,
un peu arbitraire
et
relève
pour une bonne
part
de
la convention.
Entre
toutes
ces populations,
i l
y a toujours eu en effet d8S
,
échanges de
toutes sortes dOs
à des courants migratoires.
De plus la diffusion de
l'Islam dans
l'Afrique ~ub­
9aharienneatnsi
que
les multiples échanges culturels
et le métissage
entre d'une part
les races négritiques
et d'autre part
les Khoisans et
les Pygmées,
ont
opéré
un certain rapprochement
des mentalités.

1 •
'. i ,.' d .
,"
( , '.".'.
39
: '
:1 1-
1;: 1
Mais
seulement
dette
Afrique Noire
circonscrite
sur la base
de
crit~tesphysico~linguistiquesconstitue-
.
.
' 1
t-elle un
système cultur~l unique
fondement
de
la pensée
africaine
une
? Déjà quelqUes
€tudes
antérieures faites
sur l 'Afrique
No l r-e
ont
convié 'à répondre
à cet te
que s-
tion par la négative.
J.
BINET écrivait par exe!TÎt>iè
:
Il Dan s
l e
cas par tic u lie r
de
liA f ri que,
l a c 0 mp l (e'~ i t é
.
.
.
1
. \\:
d es
apports
culturels fait
que 'de
nombreuses civilisa-
'
tions
se
trouvent
juxtaposées
;
le
linguiste
a
décrit
une
multitude
de
langues et
i l 'doit
constater que
chaque
groupe
ethnique
demeure muré
dans
son idiome
. . .
L'atti-
tude
de
repli
sur
soi
de
la plupart
des
ethnies est
le
facteur
le
plus
important
;
les peuples
sont hostiles
à leurs voisins parce qu'ils estiment en être diffé~
": '
ji;'
rents et
pou~ marquer leur hostilité,
i l s refusent
de
"
copier usages
et
coutumes,
s'en tenant
exclusivement
à leurs façons.", (1)
De
son c ôjt é ,
AMADOU HAMPATE BA,
traduisant
la même
idée,
s' exp/rime
ainsi
;
"Y
a - t - i l
une
unité
de
l'Afrique,
pour qu'il
y ait
une
tradition
inexorablement valable
pour tdutes
les ethnies
afri-
caines
? Oui
et
non.
Autant
l'unité
africaine
est
réelle
en géographie,
autant
~lne saurait être ques-
tion d'une
tradition africaine
fondamentale
et
égalable,
valable pour toutes
les
ethniès africaines
. . .
Il ne
peut
y avoir en Afrique
une
seule
tradition
;
i l
Y en
a autant qu'il y a des ethnies."
(2)
On
retrouve
cette
même pensée
émise
par J.K.
ZERBO
en G€S
termes:
"Il
suffit de
regarder une
carte
ethnique
de
l'Afrique
Noire
pour constater cette
espèce
de
poussière
humaine
des
groupes culturels
ou des
groupes ethniques et
i l
ne
s'agit pas
seulement
de
di~férences de nuances, mais
des
différences
très
grandes.;"
(3)
Ce propos,
remar-
quons
le,
a été extrait du mêbe:ouvrage.
1
1
1
(1)
BINET
J.-.
L'Afrique
Noire
en
Question,
Marne.
(2)
et
(3)
-
in Tradition et ,Modernisme
en Afrique
~oire, Seuil,
Paris,
1965.
~:.'
1
r
..",i.E t:~:::t:.~:;_~:"~~-=-

;.
La faiblesse
d'analyse ethnologique et
la pau-
"
.
vreté de
l'outillage conceptuel
qui
se
lisent en fili~
grane
au travers de
ces affirmations n'autorisent pas
qu'on s'y arrête.
Le
seul
intérêt
qu'il y ait
à rappor-
ter des assertions de ce
genre est de
faire
prendre
conscience des dangers
inhérents à un empirisme ethno-
logique
total
qui
tient beaucoup moins à la nature
d'une
recherche particulière qu'au fait
d'un esprit
prétentieux qui
s'avise de
trancher des questions déli-
cates relatives
à
un domaine o~ il est notoirement
incompét~nt. Il est évident que de telles thèses émises
de façon
inconsidérée sont extrêmement dangereuses au
regard de certains problèmes qui préoccupent
l'Afrique
Noire
actuelle,
telle
l'unité de
pensée
à réaliser,
tel
le panafricanisme culturel
à promouvoir,
etc.
Qu'il y ait uhe civilisation n&gro-africaine
générale
s'incarnant dans les cultures des diverses sociétés,
selon les réalités humaines et naturelles qui
les
composent et les vi6issi.tudes deileur histoire person-
nelle,
la chose en soi ne
fait
aucun doute et nia jamais
été mise en cause par les chercheurs.
Bien que
les
sociétés africaines soient nombreuses,
et MBRDOCK en a
dénombré
jusqu'à 850,
le
souci de
grouper ces unités
socio-culturelles sous de vastes catégories a
toujours
été ?résent
chez les chercheurs dignes de foi
et en
oeuvre en Afrique.
,
, ,
La catégorie la plus vaste,
celle qui vise
à
englober toutes les cultures africaines,
a été proposée
de plusieurs manières.
JANHEINZ Jahn a
longtemps étudié
l'africanité.
Léa FROBENIUS s'est penché sur ce qu'il
appelait
la civilisation africaine.
Et la négritude,
a
travers
l'étude de
la biologie,
de
l'histoire,
de la
métaphysique et de
la sociologie,
s'est préocupée de
découvrir "l'essence particulière
des Noirs".
Chez
d'autres auteurs,
cette
recherche
sur la civilisation
négro-africaine qul
s'exprime dans les mythes des diver-
ses sociétés ou groupes,
sans être
absente ni
rejetée.
":1
. L~. ':":':'--= ~~~. c-: -:~ _::..r:
HiiiiUtaÎiiiit• • *M~_.,jit
MM:'

t
i
l ' .
41
a beaucoup moins préoccupé et,a fait
place
à une recher-
che proche
tout
aussi
importante
et
qui
consistait
à
g
découper l'Afrique en aires culturelles.
Ainsi
BAUMANN
et WESTERMANN,
sur la base d'une
reconstruction histo-
~
rique,
reconnaissent
au moins neuf civil isations a f r-L>
caines fondamentales
qui
apparaissent,
selon eux,
com-
me des cultures-mères.
De même,
M.M.J.
HERSKOVIT,
en
partant des
ressemblances culturelles,
divise
l'Afrique
en aires culturelles.
Enfin plus
récemment,
M.
MAQUET,
tout
en insistant
sur le fait
qu'il existe
une unité
culturelle du monde noir qui
est
du même
ordre
que
ce
que
l'on appelle
"civilisation occidentale"
ou "monde
musulman",
et en en donnant
certains
traits caracté-
ristiques,
reconnalt
cinq civilisations africaines, en
se fondant ~ur les facteurs spécifiquement socio-cultu-
r e Ls et non plus seulement hi:storico-géographiques.
Nous soulignerons plus loin l'importance de cette struc-
ture
culturelle
intermédiaire qu'est
l'aire culturelle.
Mais en attendant,
en quoi cQnsiste cette unité cultu-
relle
que nous recherchons comme base de
la pensée
négro-africaine
?
Cette question
à son tour ne manquera pas de
surprendre.
Puisque nous avons fait
état de
cette notion
de
civilisation négro-africaine chez les ethnologues
ayant
opéré en Afrique,
ne
suffit-il pas de
relever
l'ensemble des critères qui
ont amené ces derniers à la
poser comme existante? En vérité,
un tel
procédé serait
aussi
stérile
que
dangereux.
Les auteurs qui
se
sont
penchés sur les réalités socio-culturelles négro-afri-
caines,
et dont nous n'avons ,cité qu'une
infime partie,
n'ont
pas proposé des critères identiques
à ce sujet.
Du fait
en effet
que
l'on s'accorde,
à plusieurs,
à
reconna!tre
l'existence
d'une
entité quelconque,
i l ne
s'ensuit pas obligatoirement et
immédiatement une una-
nimité sur sa définition.
Les penseurs qui
optent par
exemple pour l'existence
d' une nature humaine,
ne
se" "
sont
jamais mis d'accord pour définir ce en quoi
elle

consistait.
Par ailleurs,
les multiples débats qui,
de
nos
jours encore,
se
déroulent sur l'idée d'une philo-
sophie négra-africaine,
et
les; nombreux plans qui ont
été proposés pour une division socio-culturelle de
l'Afrique Noire,
prouvent excellemment que
la défini-
tion de
l'unité culturelle du monde négra-africain ou
de
la civilisation africaine,
fait
encore problème.
Et c'est pourquoi
ce problème suscite
justement en
nous un vif intérêt.
Aussi,
devons~nous nous abstenir
de proposer,
en opérant sur le mode d'un é~ectisme
infantile,
des solutions toutes faites.
La seule mé-
thode féconde
nous
semble ici
de partir de certaines
données socio-culturelles,
tels que
les mythes,
de
relever les ressemblanceS significatives que ces don-
nées recèlent entre elles et cerner ainsi
ce
qui
sem-
ble être
leur unité conceptuelle commune.
Cette démar-
che nous permettra par la suit.e de proposer,
à titre
i
d' hypothèse,
le concept généri'que qui défini t
la
civilisation,
et partant
la pinsée négro-africaine.
i,
Ce
substratum que
l'on découvrirait
ainsi
comme
sous-jacent
à l'ensemble des manifestations
socio-culturelles des sociétés africaines,
servira à
traduire ce
qui fait
l'essence particulière des Noirs
et
qui
les différencie des peuples d'autres civilisa-
1
i
tions.
Il
servira également
à montrer en même
temps
.,
comment cette essence
a modelé
la personnalité des
Africains et
les a
amenés
à se connaître eux-mêmes
par delà les diversités des mi11eùx géographiques.
1
.,
Il en découlera bien évidemment
qu'il
existe un systè-
me d'interprétation du monde et un style de
rapports
avec
toutes les réalités connues qui
se retrouvent
à
peu près les mêmes.
Cette
tâc~e ainsi définie suppose
alors une
réflexion sur le plan théorique
général auto"
du problème
relatif à
l'intégration culturelle et so-
ciale.
pour appréhender la nature mythique de
la person-
nalité africaine,
sur laquelle nous devons opérer et

formes,
avait
lui
aussi
tenté de
refuser les effets
psychiques des mythes dans l'explication de certains
faits
sociaux ou de la personnalité individuelle et
collective des peuples.
Il
apparait
à ce stade comme
une
sociologie objectiviste.
Ainsi pour DURKHEIM par
exemple,
les faits
sociaux ne peuvent s'expliquer que
par les faits sociaux antérieurs,
et
jamais par des
faits psychiques profonds qui
relèvent d'une science
selon lui occulte.
La société étant autre chose
qu'une
collection d'individus,
les faits
sociaux ne
sont pas
de
simples extensions de phénomènes individuels.
Ils
sont originaux et com~e tels,
requièrent une méthode
d'approche propre.
Dans cette perspective,
la constitution de
l'unité synthétique de
la société s'opère alors
sur
un mode
causal,
par llaction d'un facteur prédomi-
nant
: on établit un ordre
de: dépendance et de
causa-
lité entre
les institutions globales comme
l'écono~i­
que,
le
juridique,
le religieux,
le politique et
l'éthique.
En partant de
l'une d'elles,
considérée
alors comme
fondement
génétique,
ün touche,
de proche
en proche, et dans un ordre de
descendance,
à toutes
les autres.
Il
s'agit donc
toujours de
ramener la tota-
lité de
la culture et,
par conséquent,
de
la pensée
à
l'unité en montrant comment elle s'origine
toute entiè-
re
à un facteur prédominant.
Dans le cadre de ces con-
ceptions,
le
facteur
le plus souvent
évoqué a été
l'éco-
nomique.
Ce premier fonctionnalisme
se heurte
lui
aussi
à bon nombre de difficultés.
Comme
le dit M.
DUFRESNE
:
"D'abord,
cette régression de
l'explication ne
s'exprime
nulle part par une
séquence définitive;
outre qu'il
faudrait
encore qu'un ordre de dérivations fu
institué
entre e l l e s ;
et en fait,
nous ne
rencontrons dans la
littérature sociologique ou dans l'histoire que
des
dérivations partielles,
des éléments de
la s é r i e : du
religieux au politique chez FEUERBACH,
du social
à
l'économique chez MARX,
du culturel en général
au géo-

45
graphique dans la géographie humaine,
du culturel
au
morphologique chez DURKHEIM ou HALBWACHS."
(1)
Mais à vrai dire,
les condamnations de
ce mou-
vement,
et particulièrement des thèses de DURKHEIM
relatives
à
la sociologie
génétique,
n'ont
qu'une valeur
historique.
Pour élaborer une
sociologie
scientifique:
DURKHEIM avait eu raison de s'opposer à la psychologie
individualiste
de
la fin du XIXè
siècle
qui eUt été
pour la sociologie naissante une
somme d'erreurs.
Si
l'auteur avait connu la psychanalyse, i l
aurait certai-
nement écrit d'une
tout
autre manière les
"Règles de
la
méthode
sociologique".
Nàus nous penchons sur ce problème de socio-
logie pour indiquer que pour la présente étude, elle
ne constitue pas
la voie
à
suivre.
Avec
l'époque moderne
et pour la question de
la culture et de
la pensée afri-
caine qui nous intéresse,
le problème de
l'intégration
culturelle
revêt deux aspects.
Il y
a
tout
d'abord un
point
de
vue fonctionnel
qui
a abouti
à l'élaboration
des fonctionnalismes
de MALINOWSKI et de RADrlIFFE-
BROWN.
Dans la perspective de
ces auteurs,
la significa-
tion
de
la culture réside dans la relation entre ses
divers éléments,
petits et
grands.
Sont donc
exclues
la possibilité d'une
étude
atomistique
des
traits cultu-
rels et la possibilité d'existence de
complexes culturels
accidentels ou fortuits.
Le
centre d'intérêt des recher-
ches de
ces auteurs est
le comportement social dans ses
formes
institutionnalisées telles que famille,
organi-
sation politique et économique, règles juridiques etc . . .
L'ensemble
de ces
institutions constitue ainsi les en-
grenages de
l'appareil social et fait
de
ce
dernier un
tout fonctionnel.
Le
deuxième point de vue,
compl&men-
taire
du premier,
peut être
qualifié de
thématique ou
(1)
DUFRESNE M.- La P~rsonnalité de Base,
P.U.F.,
Pari:3,1966.

46
configurationnel
et constitue
l'analogie
de
la méthode
psychologique.
Cette conception fait
de
l'unité des
aspects formels
de
la culture
commune,
un fait établi
à admettre
sans analyse.
En effet et
selon ce point de
vue,
au-delà de
toute
typologie,
on recherche
les buts
et
les objectifs par
lesquels
l'unité
institutionnelle
reçoit
sa coloration particulière.
Pour y parvenir,
"
.
i l
faut
explorer et
déchiffrer les traits culturels
pour en saisir la convergence.
,..'.~ -.
Ces deux aspects du problème de
l ' in t é g ra'tl 0 n
culturelle,
dès
lors
que
l'on établit
les conditions
à partir de s q ue Ll e s on en accepte la formulation,
constituent
les deux dimensions complémentaires de
toute
réal~té sociale et réfèrent au problème des rap-
ports civilisation -
culture.
En effet,
s ' i l
faut
tou-
jours
appréhender un système social
ou une
personnalité
globale
comme
dotée
d'une unité
interne
au moins
ten-
dancielle,
une
science
de
la culture,
sous peine
de
faire
de
cette
dernière
un système clos,
une
unité
artificielle
isolée pour des
raisons d'opportunité,
doit
rappo~ter tous les détails de
la tradition en les
mettant dans
une
relation significative
avec
n'importe
quel
autre
aspect
ou niveau de
la pensée,
que
ce
soit
à l'intérieur d'une même culture ou à l'extérieur.
La
tâche
qui
s'impose
de
ce
fait
au chercheur est d'éla-
borer,
dans
le
cadre d'une
approche
théorique,
une
formulation de
l'intégration sociale
au niveau de
chacune
des
deux
instances.
3 -
L'INTEGRATION SOCIALE
=:=:-:::===========
En
ce
sens,
les anthropologues de
l'époque
moderne
qui
ont
oeuvré en Afrique
Noire
ont toujours
attaché une
grande
importance
à l'interrelation des

:"1 '".' J
47
modèles
socio-culturels
à l'intérieur d'une société
donnée.
Cette préoccupation est
particulièrement évi-
dente
chez des
savants comme'BACHOFEN,
FUSTEL de
COULANGES, BOAS,
MALINOWSKI
et
RADCLIFFE-BROWN.
Mais
sans doute,
c'est chez ~œs trois derniers qu'il con-
vient
de chercher des formulations
significatives et
ouvrant la voie
à une
discussion
intéressante.
Ces
anthropologues,
abandonnant
en effet
l'évolutionnisme
unilinéaire
ainsi
que
les vastes reconstructions histo-
riques,
sien sont
tenus tout volontiers
à une perspec-
tive plutôt synchronique.
Le
postulat de
départ
ici
est que
les cultures ne
sont
pas de
simples agrégats
juxt~posés, mais des entités globales.
Il er- ressort
qu'un trait
culturel
comme
le phénomène du mythe ne
peut être compris qu'à l'intérieur du contexte cul tu-
1
rel qui lui a
donné naissance.
Aucun modèle
isolé ne
peut donc
avoir de
signification.
Si
ce postulat dans
une large mesure n'est rejeté par personne,
en revan-
che
les
constructions particulières auxquelles i l
a
donné
lieu ne
peuvent pas toujours être acceptées dans
leur intégralité.
Il
Y a
lieu à cet égard d'examiner en premier
lieu le fonctionnalisme
absolu da MALINOWSKI.
S'élevant
contre
l'étude
atomistique
des traits culturels d'une
société et contre
tous
les procédés en honneur chez
les évolutionnistes,
le
savant britannique propose
d'étudier chaque
phénomène
de
société en lui-même en
regroupant
les faits
et
en cherchant
à les expliquer
d'une manière
logique.
Selon cet ordre
d'idéè8,
i l
faut,
pour étudier un élément culturel,
se demander
pourquoi
i l
existe,
et quell~ contribution il apporte
dans la personnalité.
De cette manière,
on fait ress~r­
t i r sa nécessité en mettant
en lumière
la place qu'il
occupe.
Pour résoudre
ce
problème,
MALINOWSKI
suggère
de
rechercher à quels besoins chez les individus et
dans la société vient
répondre
l'élément culturel
considéré.
Dès lors i l
apparait
clairement qu'il ne

48
saurait y avoir de
complexes culturels fortuits ni de
modèles cultur~ls accidentels ou inutiles.
Tout
élé-
ment culturel existe parce
qu'il
répond à un besoin:
il
a
une
fonction
qui
justifie ~a présence dans l'édi-
fice
culturel,
de
sorte
que
l'analyse
anthropologique
se
ramène en fait
à une recherche des fonctions.
Dans
un article
intitulé "Culture",
MALINOWSKI
a
donné
exemple
de
ce
que
doit être une
analyse de ce
genre.
Il montre
par exemple
la façon dont
les objets maté-
riels utilisés dans une
société
répondent
à des besoins
physiologiques,
techniques,
économiques,
culturels et
religIeux.
Il
conclut qulil en est
ainsi
également de
n'importe quel
autre modèle culturel
tel que
l ' a r t ,
la magie ou le domaine conceptuel et cognitif du mythe.
Il
faut
reconnaître
à MALINOWSKI
le mérite
d'avoir,
le
premier,
tenté d'établir une méthode
scien-
tifique rigoureuse
d'analyse des sociétés dites primi-
tives.
Rompant complètement avec' l t évolutionnisme
unilinéaIre
dont
les méthodes d'analyse pouvaient
encore
inspirer le
sociologue
DURKHEIM malgré son désir
explicite de
rigueur scientifique,
i l déclare
insuffi-
sante
la seule observation des faits
sociaux et
présente
la culture
comme une
réalité vivante,
un ensemble orga-
nisé et intégré qui
en tant
que
tel,
est
à saisir essen-
tiellement dans sa logique
interne.
Mais déjà à ce
niveau de la doctrine
de
l'auteur,
des difficultés sur-
gissent.
En premier lieu,
quel
crédit accorder au postu-
lat
selon lequel
tous
les éléments culturels,
coutumes,
mythes,
institutions,
ou modèles de
comportement,
sont
fonctionnels pour le
système social
tout entier?
Certes,
l'on doit
reconnaître
à toute
société
un certain degré
d'homogénéité sans
laquelle elle
cons-
tituerait plus une entité sociale spécifique.
Mais
l'intégration culturelle varie en degré
selon l~ nivea~
de complexité et
l'histoire
des sociétés considérées
dans leur globalité.
De plus,
dans
le
problème de
la

49
dynamique
sociale,
il
ressort
de
l'analyse
de
différents
sociologues
tels
que
SIMMEL
et DAHRENDORF,
que
les cri-
ses
qui
se
produisent
au sein de
toute
société et
qui
correspondent,
suivant
leur intensité,
à
un c~rtain
degré
de
réajustement
ou
de
désajustement
social
sont,
non des
artéfacts
survenant dans
l'histoire
des
forma-
tions
sociales,
mais
des moments
inévitable~ qui
scan-
dent
le
devenir de
toute
société.
Elles constituent
de
ce
fa~t un des facteurs de composition de la réalité
sociale et
culturelle,
traduisant
ainsi
tout
a la fois
le
caractère
fondamentalement
approximatif des
agence-
men t s
s o ci aux,
1 a
non-parfai te: corre spondanc e
de
l'un
à l'autre
d~s divers niveaux du complexe socio-culturel.
,
De même,
ces analyses
traduisent
également
la tempora-
lité
différentielle
de
ces
divers niveaux
qui,
dans
le
procès de
transformation du substrat
considéré,
sont
générateurs
de
discordances plus
ou moins
accentuées.
D'aJtres sociologues comme
MERTON, dans
leur
critique,
fondée
ou non,
du fonctionnalisme
de
MALI-
NOWSKI,
laissent entendre
que
le
haut
degré
d'homo-
généité que
c~t auteur accorde aux sociétés est accep-
table,
dans
le
cas de
certaines sociétés dites archai-
ques.
Une
réserve
de
ce
genre,
peut-être
se
ressent
en-
core
des
thèses de
DURKHEIM et
LEVY-BRUHL,
selon les-
quelles
la variabilité
individuelle
dans
toute société,
et plus particulièrement
dans
les
sociétés dites primi-
tives,
est
une
quantité négligeable.
Nous
savons main-
tenant
que
deS
thèses ont
été
réfutées avec
succès par
des
savants comme
BOAS,
SCHMIDT,
THURNWALD et
JUNOD.
Depuis
leurs
travaux en effet,
i l
est
désormais admis
et
surtout
dans
les procès
de
la sociologie
génétique
et
de
la sociologie
des mutations que
l'importance
de
la personnalité
individuelle
ou sociale par sa dévia-
tion
de
la norme
traditionnelle
peut
devenir signifi-
cative par l'apport
de
nouveaux mythes
ou de
certaines
innovations
qui
font
irruption dans
la vie
en général.
Nous
aurions
d'ailleurs. à examiner ce problème
d'inno-

,~
,J;'l!j:.
1,0: '1
;,1' .
',IIJ
50
"
vations dans
la quatrième partie du présent travail.
Poursuivant notre
analyse
de
l'intégration
sociale
dans
le
sens
que nous venons de
tracer,
nous
'"
ferons
remarquer ceci.
MALINOWSKI lui-même
a,
du reste,
corroboré implicitement
cet aspect de
la réalité sociale.
Ce
qui
constitue une
heureuse
antithèse
à ses postulats
théoriques.
Alors
que beaucoup de
ses compatriotes
croyaient encore
à
la précision mécanique
du fonctionne-
ment
de
la loi
primitive,
i l
a,
dans ses études sur les
Trübriandais~ illustré par divers faits la façon dont
beaououp d'indigènes
échappaient
aux contraintes socia-
les au point; de
défier la t r a d t t t o n dictée
par le verbe
mythique.
C'est ainsi
qu'il
a
décrit
le père de
famille
,
trobtiandais
(1)
tiraillé douloureusement entre son Hmuur
paternel
et
le
droit
matrilinéaire
qui
favorise
les fils
de
sa soetir au détriment
des
siens propres. La person-
nalité du père,
sa force
de
caractère et
le
degré de
ses sentiments paternels sont
alors très
importants
dans
la résolution du conflit
qui
en résulte.
Ce
déca-
lage entre la théorie
et
la pratique constitue en fait
une
constante
dans
la méthode
de
MALINOWKKI.
~"
Un autre
trait
caractéristique du fonctionna-
!~.
lisme
de
ce
savant consiste
à Soutenir par ailleurs que
tout
élément culturel
remplit nécessairement une
fonction
et qu'il
est)
de
ce fait,
indispensable dans
la vie
sociale.
DURKHEIM déjà,
faisant
la différence entre
l ' u t i l i t é d'une
institution et
les causes historiques
de
son origine,
affirmait que
des phénomènes sociaux
peuvent exister sans qu'ils servent
à un besoin vital
et ceci,
soit parce qu'ils
sont des
survivances,
soit
parce qu'ils n'ont
jamais été utiles.
De
son côté,
Ralph LINTON qui
avait proposé
l'étude
de
tout élément
culturel
par sa forme,
sa signification et
sa fonction,
reconnait cependant que
l'élément culturel
en question
(1)
Habitants des
îles Tpobriands dans
le Pacifique.

51
peut
fort
bien ne
remplir aucun rôle
dans
la société.
En
affirmant
que
"plus on connaît
un certain type
de
civilisation,
moins on retrouve de
survivances".
Et
en
réponse
à une
critique
de
GRAEBNER,
que
les relations
fo~tuites entre les éléments culturels ne peuvent être
affirmées
qu'après qu'on ait
épuisé
"toutes les possi-
bilités d'expliquer la forme
et
la fonction
et
d'éta-
blir des
rapports entre
les différents éléments de
la
culture",
MALINOWSKI
fait
certainement preuve
de
dogma-
tisme.
On ne
saurait nier,
dans
toute
société, l'exis-
tence
de
"~omplexes accidentels ou fortuits",
à
titre
soit de survivances,
soit
de phénom~nes superfétatoires.
Enfin l'on doit
s'attendre
à trouver au cours d'une
étude
de
la culture
ou de
la pensée,
des
traits
intra-
duisibles comme
i l
en est
dans
toutes
les expériences
humaines.
Par ailleurs,
un autre
problème
important,
relatif à
l'approche de
la réalité
sociale
et
auquel
s'est
affronté
le
fonctionnalisme,
est
celui
de
l'histoi~
re.
Les
représentants du fonctionnalisme,
BOAS,
MALI-
NOWSKI et RADCLIFFE-BROWN ont,
à divers degrés,
rompu
avec
la tradition
jusque-là admise
dans
les travaux
anthropologiques des vastes constructions historiques.
Le
fonctionnalisme
s'est constitué principalement en
opposition à l'évolutionnisme
unilinéaire du XIXè
siècle.
Mettant
en lumière
la non-validité
scientifique des mé-
thodes et
des conclusions de ses grandes fresques
histo-
riques,
i l propose
à la place,
une méthode plus
rigou-
reuse
d'analyse
de
la société,
celle-ci
étant conçue
comme
une
unité
intégrée
à
saisir d'un point
de vue
plutôt
de
l'analyse
synchronique
des relations entre
ses éléments constitutifs,
dans
le présent.
Cette
ten-
dance
"morphologiste ll
met
son ambition
à
rendre
compte
de
la multiplicité des formes
d'organisation sociale
élaborées par l'homme,
et
à découvrir les cJmPlexes
culturels sans les forcer
à s'insérer dans quelque ordre
préétabli.

52
Une
autre
e~~son qui explique l'attitude
anhistorique du fonctionnalisme
est
le
fait que
les
sociétés dites archaiQues ou primitives n'ont
généra-
lement pas d'histoires connues.
S'élevant
alors
contre
l'attitude modérée
de
BOAS sur la question pour qui
i l
ne
suffit pas,
en matièr~ d'anthropologie,
de
saisir
ce
que
scntles choses,
tout en omettant
de
chercher
à
savoir comment elles sont
arrivées
à l'être,
MALI-
NOWSKI et
son école,
pour rejeter cette prise
de posi-
tion,
en considération de
la dimension historique
des
sociétés étudiées,
partaient de l'oeuvre même
de
BOAS
qui
démontrait
à leurs yeux,combien i l était décevant
de
s'attacher
à étudier tlcomment
les choses en s o n t
arrivées
à
être
ce qu 1 elles sont".
tIALINO'11SKI
tourne
donc
en déri~ion la reconstruction du passé.
Et
sur le
sujet,
i l
fait
preuve
d'une
position trop catégorique.
S'en tenant
à son fonctionnalisme
rigide,
i l nie,
bien
à tort,
llimportance
et
la signification des
survivances.
Celles-ci
contredisent
ses
thèses en conduisant
à admet-
tre
qu'il
puisse y
avoir une
institution sans fonction
sociale,
une
sorte
de
squelette priv~ d'utilité pratique.
Mais
i l
est
consolant
de
constater que
l~ pratique
de
ce
savant,
à propos du problème de l'histoire, ne confir-
me heureusement
pas
ses principes théoriques.
Ce
théori-
cien qui méprise
les pseudo reconstructions historiques,
ne peut
eD effet
sl~mpêcher, sur le terrain et le cas
échéant,
d e
t'aire
de
l:histoire,
même
s ' i l
le
fait
avec
l'excuse de ne
fairE
que
peu de
cas de
tout
parti
pris exagéré que
montrsnt
les
antiquaires ou les histo-
riens.
C'est
ainsi
qu'il
démontre que
le
taro a
précédé
plusieurs sortes d'ignames dans
llagri~ulture des indi-
gènes des
Iles Trobriand,
en raison de
sa prépondérance
dans
la magie horticole.
De
son côté RADCLIFFE-BROWN,
intransigeant,
au début,
sur ses positions anhistoriques,
peu à peu infléchi
sa doctrine vers l'acceptation de
l'histoire
comme vers
la reconpaissance
de
la personna-
lité humaine
inscrite
dans un ordre
du devenir.

53
Par ailleurs,
BOAS tout
en accordant
aux fac-
teurs historiques une prédominance certaine sur les
facteurs
géographiques,
et tout
en admettant qu'un
phénomène culturel n'est pleinement intelligible
qu'à
partir de
son passé,
faisait,
à cause de la complexité
de
ce passé des
réserves formelles
quant
à la possibi-
lité des reconstructions historiques.
Ayant
en horreur,
tant
les tableaux généralisés des diffusionnistes extré-
mistes que
les
schémas parallélistes,
le
savant s'en
tient
à cette
idée
que chaque
groupe
a son histoire
unique,
due en partie
à des causes in~ernes, et en
partie
à des influences externes.
Il
était du voeu de
BOAS de
se
détourner,
à
un point qui
frisait
la patho-
logie,
des idées
générales,
des perspectives de
synthèse
et de
l'établissement
de
lois culturelles valables.
Il
s'était
interdit
toute
reconstruction historique
sur
une
grande
échelle;
et
il n'a jamais recherché
les
séquences de
l'histoire de
la culture dans
son ensemble,
parce qu'il ne
voyait
la possibilité d'établir de
telles
séquences que pour une fraction
infime
de
la totalité
des peuples.
Cet aspect
de
la doctrine
de
BOAS, qui
s'est
prolongé et renforcé chez son disciple LOWIE,
rejoint
dans une
certaine mesure,
l'aspect
résolument
anti-
distributionnel
du fonctionnalisme
de MALINOWSKI.
Nous émettons,
pour notre part,
de sérieuses
réserves quant
à
la possibilité d'aborder sainement
l'étude me la réalité sociale avec d'une part cette
approche anhistorique
et antidistributionnelle du fonc-
tionnalisme
de MALINOWSKI
;
partagée en partie par
RADCLIFFE-BROWN,
et d'autre part
avec
le refus chez
BOAS des
généralisations chronologiques et
de
la recher-
che des lois culturelles.
Il est difficile
d'adme~tre
qu'une
analyse,
fut-elle
pertinente,
d'une
culture
unique,
avec
la seule
description synchronique de
ses
éléments constitutifs et
de
leurs relations fonction-
nelles, puisse,
en dehors de
la connaissance du proces-
sus historique
qui
a
abouti
à ces formes
actuelles,

54
donner
tout
son sens
à l~ réalité socio-culturelle,
lorsqu'on se désintéresse de
toute
investigation histo-
rique
sur la société étudiée,
ou que
l'on s'abstient
de
toute
démarche comparative
avec ce qui
se passe
ailleurs dans d'autres sociétés voisines ou éloignées.
On s'interdit du même
coup,
dans cette sorte de
replie-
ment,
d'atteindre
des vérités d'ordre
général. Une étu-
de
en profondeur d'une
société globale ne
peut
se dé-
partir de
la dimension diachronique.
Le problème,
certes,
se
complique considéra-
blement en même
temps qu'il
prend une
importance vitale,
pour les sotiétés au sujet desquelles,
comme
les socié-
tés négro-africaines anciennement colonisées,
on ne
dispose
généralement pas de
documents écrits
sur le
passé.
Depuis
le
temps de
leur occupation coloniale,
leur dynamique
sociale a eu pour moteur essentiel
l'im~act des forces venues de l'extérieur. Dans les
sociétés de
ce
type,
nous avons donc
obligatoirement
affaire
à
une
double
histoire
-
une histoire proprement ethnique
qui,
à partir des
récits mythiques,
décrit
les formations
sociales ori-
ginelles et
leur évolution dans le
temps,
-
une histoire
de
l'interférence
de ces formations
et
des modèles
socio-culturels introduits par la pénétra-
tion coloniale.
Pour le premier aspect de
cette dualité histo-
rique,
on peut pallier à
l'absence de
documents écrits
par le
stock des phénomènes établis grâce
aux récits
mythiques et
à la distribution géographique des élé-
ments culturels.
Depuis l'exemple de
TYLOR qui
réussit,
grâce
à des méthodes
de
ce
genre,
l'étude de
l'inven-
tion du soufflet
à piston dans
les régions voisines de
Madagascar,
i l est permis de
penser qu'elles condui-
sent
à une exactitude presque
tohale.
Nous ne pouvons

55
donc plus accepter la capitulation de MALINOWSKI
à pro-
pos de
l'histoire
des
sociétés sans écriture,
lorsqu'il
invoquait,
pour inviter à se
détourner de cette préoc~u­
pation,
la déficience de
l'histoire de certains cher-
cheurs.
Le
deuxième aspect,
lui,
ne
fait
pas problème,
du fait
qulil
a débuté i l y a moins d'un siècle pour
la plupart des pays africains,
et que
l'on dispose de
tous les documents nécessaires pour son étude et sous
tous les angles.
Et 'une
étude scientifique des sociétés
globales africaines exige
qu'on le situe par rapport
à cette double histoire.
Secondement,
une
étude
de
la société africaine,
à notre sens,
doit ~tre comparative.
Une culture
ou une
pensée quelle qu'elle
soit ne
se
rencontre
jamais dans
un état d'isolement absolu.
Elle est
toujours,
à quel-
que degré,
reliée
aux cultures voisines.
Et de ce point
de vue
l'ethnique n'est
jamais séparé de
l'interethni-
que.
C'est pourquoi,
nous p~uvons nous permettre désor-
mais de parler sans équivoque de pensée africaine,
de
culture
ou de civilisation africaine.
Car une culture
conçue comme un système clos est nécessairement une
unité
artificielle.
La méthode comparative qui a pour
but
l'étude
des caractéristiques comparables des com-
pl~x~s culturels en vue de dégager leur similitude ou
leur dissemblance,
joue un rôle de premier plan.dans
la reconstitution des phénomènes mythiques ou histo-
riques.
En
effet,
elle permet
l'interprétation ou la
compréhension des analogies culturelles
à deux niveaux
-
dans le CQ3 o~ une caractéristique culturelle se
retrouve
dans toutes
les cultures,
il
est probable'
qu'elle
résulte de
quelque
loi universellement opérante.
Elle est alors,
à ce
titre,
susceptible d'une
interpré-
tation standard
-
dans le
cas o~ elle ne se rencontre au contraire que
dans quelques cultures seulement,
deux éventualités

sont
à considérer:
tout d'abûrd si
la :aractéristique
en question
sc
rencontre
dans
une
20ne
continue,
le
phénomène
constitue
un cas
intéressant
du point
dB vue
de
l'anthropologie
génétique.
Il
invite
à penser que
cette caractéristique
s'est diffusée
à
partir d'un
centre d'origine,
où elle
accuse
un
développement
maximal
jusqu'à la périphérie
où son développement est
moindre.
Mais si
la zone de
distribution n'est pas co~­
tinue,
la présence
de
ce
complexe
culturel
est
due
probablement
aux mêmes causes,
à moins qu'elle ne ré-
sulte
d'emprunts.
Or dans
tous ces cas,
la méthode
distribu-
tionnelle
permet d'étudier comment
les complexes cultu-
rels
résultant
de
la diffusion de
l'emprunt en d'une
loi universelle,
évoluent
quant à
leur forme,
leur
fonction
et
leur signification et par l'action des
diverses contingences,
au
sein de
chacune
des
sociétés
dans
lesquelles ils se rencontrent.
Cela revêt
un inté-
rêt
évident pour
l'étude
de
la personnalité d'un peuple
à partir des
données mythiques.
De
plus,
pour la compré-
hension des cultures globales,
i l n'est pas sans inté-
rêt d'étudier les lJis ou tout
au moins les régularités
qui,
déterminant
l'acceptation ou le refus
d'emprunts
ou enfin
:les· "nanr.s q-s.i, président
à l'apparition de
complexes culturels similaires dans une
zone
discontinue
En fin
de
compte,
la réserve
de
BOAS quant
à la
possibilité
d'atteindre
des
lois
générales s'est tran~·
for mé e,
che z
son dis c i P 1 e
R,. L0 WlE,
e n une
a f fit'!.1 a t ion
excessive
de
l'impossih11ité d'atteindre
ces lois,
et
même
finalement
en une négation de
leur existence.
Ce
qui
aurait pu être
en somme un doute méthodique
sti-
mulant
la recherche,
a fini
par dégénérer en un scepti-
cisme
général
propre
à l'étouffer.
Si
dans
tout
ce
qui
se rapporte
à l'expérience humaine,
on ne peut à propre-
ment pas parler de
lois,
avec
la connotation détermi-
niste
que
ce concept
revêt
dans le domaine
de
la nature,

57
on àoit
cependant
affirmer l'existence de
certaines
régularités irréductibles qui
se
fondent
sur le
substrat de
la nature humaine.
Sans ces régularités~
ces invariants enfouis et dissimulés sous le polymor-
phisme
culturel,
le discours mythique n'a plus sa rai-
son d'être.
L'idée
de
ces invariants tapis sous les
diverses manifestations culturelles constitue d'ail-
leurs
l'assise
de
ce
discours mythique.
Celui-ci,
négligeant
l'accidentel
dans
la réalité
socio-cultu-
relle,
recherche
les aspect~d'im~utabilitéetde sta-
';""",..
.
'
.
.
bilité pouvant donn~r prise à une connaissance de soi.
Son ambition est
~inGi de
trouver le code
secret sous-
jacent aux manifestations socio-culturelles,
et de
découvrir les points de vue. fixes,
les facteurs perma-
nents dans
les encha!nement~ contrôlables de
l'activité
humaine.
C'est pourquoi
personne
ne peut mettre en
doute que
le
discours mythique
éonstitue un instrument
d'investigation et
de
connaissance de
la personnalité
africaine
globale.
Or,
tout ceci ne peut
s'effectuer
que
selon le mode des faits
de
liaison interculturels
dans une
aire culturelle pr~cise.
4 -
LES FAITS DE LIAISON INTERCULTURELS
L'AIRE CULTURELLE ET LA CIVILISATION
L'analyse théorique
que nous venons de
faire
nous a
permis d'étudier
à quelles conditions peut
se
passer l'intéeration d'une
société globale,
et comment
rendre pleinement
intelligibles ses modèles culturels.
Il
s'agit maintenant de
voir ce qui
rend compréhensible
à son tour~ ce tout intégré 4ue forme
la culture
d'une
société donnée.
Les thèmes d'histoire,
de
distribution
et de
diffusion qui ont
constitué l'ossature de
la
réflexion précédente nous ont conduit
à cette consta-

58
"'Ii
i' 1
tation qU'une
étude vraiment
satisfaisante de
la culture
exige
que,
par-delà la simple
analyse
synchronique
de
ses modèles constitutifs ainsi
que
de leurs inter con-
nexions fonctionnelles,
on introduise le
facteur psy-
chologique de
la com~réhenslbilit~. Or,
ce
facteur
semble
opérer en bartant de
l'intégration de
la société
à des unités plus vastes pour aboutir à la découverte
de
ce
qui
constitue son a priori
existentiel.
Quelles
sont donc
ces unités supra-culturelles qui
forment
une
vole d'approche
nécessaire
à l'intelfigibilité des
".,
. ~
systèmes socie-culturels particuliers? Les réalités
socio-culturelles existant dans plusieurs régions du
i .:
monde,
et particulièrement en Afrique
Noire,
ont permis
;1
'1 .i.
q.
".,
de
découvrir essentiellement deux sortes d'unités de ce
H
; 1:
type
l'aire culturelle et
la civilisation.
Mais qu'
1 ··i.
; ,
est-ce donc
qu'une
aire culturelle?
Le
conc~pt d'aire culturelle est susceptible
d'être pris dans de nombreuses acceptions,
selon le
système de
pensée et
les méthodes d'une
recherche par-
ticulière,
et eu égard surtout ~ux réalités culturelles
concrètes que
lion se propose
d'appréhender.
Pour mieux
cerner ce
concept,
nous allons le
référer essentielle~'
ment
au monde
négro-africain et
entendre par là l'ensem-
ble
formé
par les diverses
sociétés
globales qui,
en
raison de
la nature
du même milieu géographique qui
est
le
leur,
vivent de modèles socio-culturels ayant entre
eux des
resse~blances significatives.
Il
s'agit

d'une hypothàse
qui
s'appuie sur deux considérations
essentielles
la première
est que
toute
culture est
fonda~entalement un système d'adaptation d'un groupe
humain à un environnement,
le premier problème qui
se
pose
à tout
groupe étant en effet celui
de tirer du
milieu naturel 00 il
vit
les éléments nécessaires à sa
subsistance.
Il
s'ensuit un type
de
production qui,
s ' i l dépend pour une
large
part des
techniques d'expl~i­
tation dont dispose
la société,
est
cependant en rapport
immédiat
avec
les ressources naturelles que
recèle
le

59
milieu géographique.
A ce
titre,
i l
se retrouve
grosso-
modo
le
même
dans
toutes
les
sociétés qui
se partagent
le
même
milieu de
vie.
Ce
type
de
production
à son
tour oriente,
dans
une certaine mesure,
la formation
des
autres modèles
socio-culturels de
la société. Ainsi
l'organisation politique,
le
système
socio-juridique;
la pratique
culturelle,
les conceptions esthétiques,
etc
soutiennent
un rapport
évident
avec
le
système
d'exploitation du milieu naturel
ambiant,
et
à cet
égard,
comportent
des
caractéristiques similaires à
trav8rs toute
l'étendue
de
l'aire culturelle.
C'est ce
qui
apparait
dans
l'opinion de J.
MAQUET.:
liCe
sont,
di:~tl, les dünditions écologiques de
l'acquisition
des biens
. . .
qui
déterminent
la di~ension optimale
de
l'unité~de travail,
la bande,
et
aussi
celle
de
l'unité
sociale,
18 camp.
La bande
est
nomade
pour la
même
raison
:
i l
faut
se
déplacer lorsque
le
terroir
avoisinant
le
camp
ne peut plus fournir 8n suffisance
les produits naturels.
Les chasseurs ne possèdent pas
d'institutions politiques spécialisées,
car ils doivent
consacrer le principal
de
leurs
activités
à la recherche
de
la subsistance.
Ainsi
les
techniques d'acquisition
des chasseurs conditionnent négativement
les dimensions
du
groupe,
10
type
d'hatitat,
l'organisation de
l'auto-
rité
:
elles ~xcluent certaines possibilités 0population
à densité élevée,
sédentarité,
forme
étatique
et
centra-
lisée
du pouvoir).
Elles orientent
aussi
vers
certaines
formes
culburelles.
Ainsi,
les hommes
de
l'arc conçoi-
vent
la divinité
à partir de
leur expérience
existen~:
tiellc
de
la nature
qui
les environne
la. forêt,
la
savane
les nourrit,
les vêtit,
les abrite,
mais
sa vie
abondante
p8rsiste
quoi
qu'il
arrive
à
l'homme
de
même
le
dieu
suprême
est provident
et
bénéfique,
mais
lo.intain et
indifférent.
Il
est
inutile
de
le p r Le r-" (1)
(1)
MAQUET J.- Afrique
Noire,
in Encyclopedia Univer-
salis,
p.
405.

ï
"
: t1.
60
Cette
longue
citation de
J.
MAQUET nous montre
que
la deuxième
considération qui
inspàre
l'hypothèse
de
l'existence
d'aires culturelles au sens ou nous
avons défini
ce concept,
est
l'échange
de modèles cultu-
rels entre les
sociétés.
Aucune culture n'a
jamais
fonctionné
comme
un
système clos.
Il
y
a
toujours des
cont~cts entre les sociétés rendues partenaires de par
leur voisinage
naturel,
ce
qui
donne
lieu à des
emprunts
réciproques
dont
le
résultat est
de
provoquer une cer-
taine
homogénéité
socia-culturelle.
Nous retrouvons ces
idées
confirmées par HERSKOVITS lorsqu'il
é c r i t :
"La
culture
étant
apprise,
tout élément peut
en être pris
par des
individus ou par des
groupes d'individus
exposés
à des modes
d'action et
de
pensée
différents
des
leurs.
Les peuples
rapprochés ont
donc
de
plus
grandes chances
de
faire
des emprunts mutuels
que
d'autres.
Il y
aura
entre
eux plus de
contacts qu'il
n'yen aura
jamais
entre
les peuples éloignés.
Voilà pourquoi,
quand on
considère objectivement
les cultures,
on les voit
former
des
sortes
de
groupes qui
sont
assez homogènes pour qu'
on puisse
délimitér ces
régions
sur
la carte."
(1)
Si
les deux considérations que
nous venons
d'exposer
invitent
légitimement
à cette hypothèse de
It~xistence d'aires culturelles,
il
reste
cependant
un
problème
de
décantation du concept
à résoudre avant
de
procéder,
si
nous nous
le
proposons,
au découpage
cultu-
rel
d'une
région quelconque.
A quelles conditions est
admissible
le concept
d'aire
culturelle? Ces conditions
sont
à peu près
au nombre
de
deux et
réfèrent
aux consi-
dérations an question.
La première
condition est
le
re-
jet de
toute
idée
d'un déterminisme
géographique
impo-
sant à un
groupe
humain des modèles
socio-culturels et
un système d'interprétation du monde.
L'homme nlest
jamais absolument
déterminé par son environnement natu-
- - - , - - - -
(1)
HERSKOVITS M.J.-
Les bases de
l'Anthropologie
Culturelle,
PAYOT,
Paris,
1967,
p.
103.

61
rel.
Le détail
des
modèles
et
des
comportements
sociaux,
le
choix
des
ressources
D:3.turelles
à exploiter s
comme
celui
des
techniques
pour
le
faire,
diffèreront
toujours
entre
des peuples
habitant
un même
cadre
géü-physique,
car rien
de
tout
n'est
objectivement
impliqué
dans
ce
dernier.
Le
phénomène
de
sélectivité
est
donc
à la base
de
la formation
de
toute
culture
et
c'est
pourquoi
tout2
civilisation peut
être
qualifiée
d'irrationnelle,
ses
choix n'étant
jamais
fondés
sur des
raisons
objectives.
1;
Ceci
explique
à la fois
pourquoi
deux
s o ct é t é s
v o I s Ln es .
vivant
dans
des
conditions natJrelles
identiques,
comme
tel
est
le
cas
des Malinke
et
des
Peuls du
Fauta Djallon
en
Guinée,
ont
des
moeurs
très différentes)
et
pourquoi
un peuple
comme
les
Pygmées
témoigne
d'une
surprenante
homogénéité
de
caractéristiques
culturelles
à travers
toutes
les
régions
du monde
oG
i l
est dispersé.
M.
DUFRESNE
a
écrit
sur
cette
question
une
page
admirable.
"L'opinion courante,
j j . t - i l ,
ne
SOUf:,-
crit-elle
pas
à la primauté de
l'économiqua
lorsqu'elle
af:irme
que
l'opposition
des
intérêts
sc
reflête
dans
l c:-o
i ct é 0 l 0 e i e s o u
<11.1 e
l e
n i v ~\\ a u
cl e
vie
c 0 mln a n cte
1 e
g e n r' c
de
v i e ?
Davantage,
les
ressources
naturelles
du milieu
semblent
orienter
1,,:;-:.;
d e s t Lnr,
des
hommes ~
présider
au
cours
de
l'histoire
et
peser sur
toute
la culture . . .
On
peut
bien dire
que
la nature
du
sol
ct
du
climat,
jCJinte
à
l ' é t a t
de
la
technique s
détermine
la nature
ct u
t r a va i l 1
mai G Il 0 n I e
fa i t
que
1 e
t r a va i 1
cte s
cham p ,':;
soit
assigné
aux femmes
un chaInon
fait
défaut
dans
118xpl.ication causale,
ct
i l
faut
p e ut.s-ê t.r-e
la rompre
pour
introduire
la compréhension
~t,
par
exemple,
pour
invoquer
une
certaine
représentation
de
la
femme
selon
:;. EVl u e Ile,
s i as SOC i en t
ma g i que men t
f é min i t {;
e t
fer t 1. l i t (
I~'
\\
. :
ou
un
c c r t a i n. système
de
pensée
qui
a as o c I e le
pr e s t Lg e
i.:
aux
activités c\\qtsculines .
.r.' ;'~conomique ni est ni rigou-
l'
reusement
déterminé
ni
rigoureusement
déterminant . . .
i
La causalité
géographique
n'est
pas
impérieuse
et
ells
-j
s'estompe
à
mesure
qu'on descend
la série
des
effets
ct

62
qu'on arrive
aux comportements de
la vie
quotidienne.
De même
qu'on peut bien dire
que
le
milieu
aquatique
détermine
la morphologie
du poisson mais
pas
la variété
des espèces,
ou qu'un certain état physiologique orie-
te
le
caractère
de
l'individu,
mais
ne
suffit pas
G
expliquer tel
ou tel
de
ses
gestes
et pareillement
le
caractère
de
la culture n'a pas
toujours
de
rapports
directs
avec
le
genre
de
vie
Pour comprendre
l'en-
semble
des institutions,
i l
ne
suffit
pas
de
les
rap-
porter à l'action causale
d'un facteur
privilégié,
il
faut
introduire en
guise
de
cause prochaine,
un élément'
p s y c h o Lo g Lq u e
(1)
v
"
La deuxième
condition qui
rend recevable
l'hypothèse
du concept d'aire
culturelle
est
la nature
et
l'extension des
ressemblances
interculturelles que
l'on
invoque
pour
grouper
les
sociétés
globales
en
aires
de
civilisation.
Dans
l'étude
de
l'intégration
d'un système
socio-culturel
particulier,
tous
les mo-
dèles,
ainsi
que
leurs
interrelations fonctionnelles
doivent
être
rapportés.
Et même
dans
certaines appro-
ches expérimentales et dans
l'étude
de
la dynamique
sociale,
les biographies et
l'action des
individus
particuliers peuvent
être pertinentes pour une
meil-
leure
compréhension de
la pensée
et
de
la réalité
sociale.
Toutefois,
cela ne
revient pas
h dire
que
tous
les détails des
données
culturelles,
ou sont
obligatoi-
rement
e n r-ôl é s
dans
le vaste
réseau des
I n t e r-c o n n» v '
fonctionnelles
de
la société,
ou
revêtent
une
même
r.~l
importance
qui
les
rend également
significatifs de
la
1
i
vie
culturelle.
Mais pour appréhender une
aire
cultu-
rel18,
une
telle méthode n'est
plus possible.
Il
faut
partir en effet,
non plus
du détail
de
tous
les modèl
socio-culturels,
mais des
ressemblances
significative
entre
les niveaux stratégiques des cultures en pr~~'
(1)
DUFRESNE M.- La Personnalité de Base,
P.U.F.,
Paris,
190Q.

" r,
(j ...)
Quels
sont ces niveaux stratégiques
?
Les études qui
ont
été menées
sur le
problème
des rapports culture
-
civilisation
(ou plutôt cultur0-
aire culturelle)
ont montré
qu'il
existe,
au niveau de
chacune
des deux instances,
une
hiérardhie
fonction-
nelle
des critères
qui
les personnalise
et
dont
l'ordre
dans
l'une
est
l'inverse
de
ce
qu'il
est
dans
l'autre.
En
effet,
tandis
que
la culture
d'une
société
globale
particulière
se
caractérise,
par ordre
d'importance,
par la langue,
le
techno-économique,
le
système
30c10-
juridique,
l'esthétique
et
le
religieux,
on doit,
pour
appréhender l'aire
culturelle,
suivre
l'ordre
inverse
en partant du religieux pour aboutir
à
la langue.
Ainsi,
la culture
semble
se
caractériser par les modèles qui
évoluent
le
plus vite,
tandis
que
les
faits
de
liaison
t .
interculturelle
qui
constituent
l'aire
culturelle
com-
prendraient
davantage
les
réalités
immatérielles,
c'est-à-dire,
en fait,
toutes
choses,
qui
invitent
à
saisir les vastes catégories
supra-culturelles du point
de
vue
de
leur idée.
La réflexion
à
laquelle
nous
allons
nous adon-
ner bientôt
sur
l'idée
de
civilisation nous permettra
d'assumer cette
assertion.
Qu'il nous
suffise
pour
l'instant
de
àire
que pour circonscrire
une
aire
cultu-
relle,
on doit
négliger le
détail
des modèles et
des
,01
,.'
(.
conduites des
divers
systèmes
socio-culturels au pr0~'
des
grandes
lignes de
ressemblance
entre
les niveaux
les plu sim p o r-t an t s.
" L'a ire
cul tu r e Il e,
é cri tHE RS KOVTTS ,
n'est
pas
un groupement
conscient
de
soi.
C'est un
con-
cept,
que
ceux auxquels
i l
s'applique
seraient
sans
doute
les premiers
à
rejeter.
Elle
exige
une
vue
d'en-
semble du cadre
général
des
cultures particulières.
Il
faut
concentrer
son regard sur les grandes
lignes de
ressemblances ou de
dissemblances entre
les culturE~,
non sur les détails
considérer
l'ampleur de
la fres-
que
et non
la délicatesse
de
la miniature.
Lorsque

l'attention
se
porte
sur
les détails,
l ' a i r e culturells
disparaît dans
la masse
des
aspects
particuliers
Pour l'anthropologue~ l'aire
culturelle
est
un
instru-
ment
utile,
dérivant
empiriquement
des
données
et h rio>-
graphiques.
Mais
pour
les
gens
habitant
la
ré gi o n
prédomine
un type
ct 0 n n é
de
coutume,
e l l 0' n ' e x i ste p a. s ; (1 )
1
Qu! 8!] est-il maintenant
de
la c i v iL'i a a t. i.o r, '.
Nous
avons
défini
plus haut
cette notion,
en disant
qt
c te st l'ensemble constitué par le~, aires c u Lt u ro Ll es
"
d'une
région donnée.
Une
telle
définition
suppose
que
les
aires culturelles reconnues
comme
for~ant ensemb18
l'
une
m@me civili~ation
recèlent
des
bases
communes
qui
rendent
possible
ce
rapprochement.
Quelles
sont
ces
bases
communes
et
sous
quel
mode
appréhender
la notion
de
civilisation?
La
premi2r problème
dont
la réponse
conditionne
la solution du
deuxième,
se
~6sout sur la
base
de
cette constatation capitale
que
le
fait
Boci~l,
tout
comme
la personnalité
a
une
nature
essentiellemc:nt
mythique
c'est-à-dire
symbolique.
j
Que
le modèle
socie-culturel soit
éminemmcn~
symbolique,
cela en
soi
ne
fait
aucun
doute,
et
est
bien
plus
de
nature
à expliquer
la sélectivité
cultu-
relle
sur
laquelle
se
fonde
le
pluralisme
des
sociétés.
Il Danc-;
la plupart
des
représentations
collectives,
écrit
N •
MAUS S,
i I
ne
s' a f~ i t
p a ~3
d 1 un f::
r e pré sen t a t ion uni que
d'une
chese
unique, mais
d'une
représentation choisie
ar-b i t r-a i r-e me n t ,
ou plus
ou moins
arbitrairement,
pOI'·C'
signifier d'autres et
pour
commander des
pratiques il •
L'activité
de
l'esprit
humain
individuel
est
déjà en
elle-même
symbolique
les mécanismes psychologiques
ne
sont
que
des
symboles
élaborés
comme
tels dans
les
couches
les
plus
profondes
de
la conscience.
La spédi-
fioité
de
l'expérience humaine
par rapport
aux autres
( 1)
HE RS Kü VIT SM. J • -
L e ~'.B; ,"3 e s
ct e l ! A;i t h r 0 polo g i E;
C'lltur''211e,
FAYOT,
Paris,
1967.
j,\\
.J'-:':
'[1
',';'~

6S
espèces animales
réside
dans l'extens~on de
cette
apti-
tude
~ymbolique. .Et c'est, grâce à, Bll~ que l'homme est
. . . 'J,
.
.
.
arrivé
à exercer sur lanaJureun8."emprise si dispro-
...
. ;
- ' .
. '
'-",
' .
po rt i o n n é e
a s afo,pc':e, p h y.s l'q ue.·
Cc::tteaptitude
symbOliq~ede'l'esprit !lur.lain
l,
- . '
" .
,
ne
rés u l te
ce p en'ci a n t
pas d e I a . se u le
év 0 lut ion b i 0 log i -
que
elle
procède
aussi
de
l:intégration
sociale.
Seuls des
symboles permanents et
extérieurs
aux
états
psychologiques
individuels peuvcn~permettre la commu-
nion et la communication
entre
les
hommes.
De
ce
fait
symbolisme
et
société
sont
intimement
liés.
On ne
peut
considérer l'un
sans l'autre.
On peut
même
dire
avec
M.
MAUSS,
que
l'activité
de
l'esprit
collectif est
encore
plus
symbolique
que
celle
de
l'esprit
indivi-
duel.
Car la société élabore ses modèles
pour
les
seules
fins
essentielles qui
Gont
la communication et
la par-
ticipation.
De
ce
fait,
et par le
biais de
la sélecti-
vité
culturelle
qui
préside
aux choix de
ces
modèles,
on doit
poser que
ces derniers
sont
les formes
symbo-
liques des valeurs.
Toute
culture
est
donc
lourdement
chargée
de symboles et
~ travers ces symboles,
c'est
tout
l'univers
des valeurs
de
la culture
qui passe
dans
la réalité et devient
réalité.
En cela réside
d'ailleurs
lq finalit6
du discours
mythique.
A travers
lui,
c:est
la société
tout~entière qui s'exprime, qui dit ce qu'
elle
est,
ce
qu1elle veut
être
et
qui
livre
ainsi
sa
pensée
propre.
. j
Pour comprendre
donc
une
société,
i l
faut
faiTe
une
traduction symbolique
de ses modèles.
La façon
dont
son t
0 rg an i sé s I e s
sy s t ème E,
te chno-é c onomiq u e s ,
soc'lo-
juridiqucn,
la nature
des
conceptions
religieuses,
éthiques et
esthétiques,
les particularités morpholo-
giques,
ainsi
que
le
génie
général
d'imagination sont
essentiellement
l'expression des
valeurs
qui
consti-
tuent
la pensée d~ ce groupe ct révèlent son système
d'interprétation de
l'univers
et
des
hommes.
A cet
égard,

66
on voit
comment
est
fondamentalement
insuffisant8
pour
l ' i n t e l l i g i b i l i t é
d'une
culture
la
seule
description
synchroniquE
de
ses
m6dêles
constitutifs
et
de leurs
intercunnexions
fonctionnelles.
Comment
donc,
à l'aide
de
cet
n st r ume n t
c a p.it a l
q u t es t
la
s ymb o j Ls a t Lo n
des
. ï
modèles
culturels
transcrits
dans
le
discours
mythique,
procéder conçrè-temcnt
pour
comprendre u.ne
~ulture et
partant,
pour cerner
une
c i v i l i s a t i o n ?
Suivant
nos
analyses
antérieures,
si
l'6tude
de
la culture
d'une
société
globale
particuli~re doit
nous
conduire:
à saisir t c u s
les modèles
socio···cultu-·
reIs
dans
leurs
détails,
la recherche
au
njveau
d~
l ' a i r e
culturelle
a
pour objet
de
découvrir
les faits
de
liaison
interculturel1e,
ce
qui
amène
le chercheur
à dégager
les
grandes
lignes
de
ressemblances
8Gtre
les niveaux
de
la réalité
sociale
significatifs
de
la
vie
culturelle
de
ces
sociétés.
De
la sorte
et
dans
le
premier cas,
nous
avons
une description
Jes
réalités
matérielles
concrètement
observables,
tanrtis
que
dans
18
s e c o n d ,
i l
s t a g I t;
davantage
de
traduire
leur p e n s
e .
é
Ainsi,
le
chercheur attelé
à l'étude d'une
soci0tê
donnée
s'attachera,
en abordant
par exemple
à
travers
un ~ythe donné son système
de
parenté,
à
décrire
la
nomenclature
familiale
utilisée
ainsi
que
le
d~tail de~
comportements
0ffoctifs
entre
divers
membres
de
la
parenté.
Le chercheur qui veut déterminer une aire cul-
tu r e 11 e
9. u r- a
c G!TIi~\\ e
pré 0 ecu pat i Cin
d e s u b su fil e r s 0 U::; cet
amas
do
dfitails
ce
qui
peut
constituer
la caractéristi
que
du
système.
Il
püurra ainsi
découvrir
l'importance
capitale
d~s fRits
de
parentf
pour un
groupe
en montrant
comment
un
secteur
importa~t de
la vic
sociale
gravite
au t o u r- d e
ce
système.
Si
dans
un
groupe
v o i sin
où pOU1~·~
tant
12:
(6tails
de
la nomenclature
ct
des
comportements
(~ il t r e l e s
rn e rn b r e s
de
l a
p Ctr c n t
d
é
i f f ère nt,
_t 1
r o l è v c
l a rnê mo
importance
d c s
f a i t s
de
parenté,
i l
é
t a b Li t:
UD8
ressemblance
sivnificative
sous
ce
rapport
entre
le3
deux
groupes.
Si
la même
recherche
entreprise
au

67
niveau des autres
modèles
socio-culturels
(tc8hnique et
organisation économique,
religion,
éthique, esthétique .. )
donne
les mêmes résultats,
on peut
alors
affirmer que
les
deux groupes
et
tous
les autres
groupes qui
recè-
lent entre
eux
ces mêmes
ressemblances,
appartiennent
à une même
aire
cul t u r-e âLe , ,
Eu
égard
à ce
qui
précède,
nous
nous propo-
sons de
désigner par
le
concept
de
"paideuma"
ces
ca-
r a c t é ris t i que s i n ter cul t ure Il e s
qui
p e r met t 1.::' n t
d e
gr 0 U ..
per les cultures de
plusieurs
sociétés
globales
au
sein
d'u~e même aire culturelle.
Une
aire
culturelle com-
prendra ainsi
plusieurs paideumas
qu'on peut
retrouver
au niveau de
chaque
société particulière
avec,
chaque
fois,
des particularités
et des nuances
qui
sont
à
imputer au
tempérament
et
à
l'histoire
du
group8)
ainsi
qu'à la nature
de
son environnement physique.
Le
caractère essentiellement
symbolique
que
nous
avons
recon-
nu
au fait
social
et
par conséquent
à ses paideumas,
nous permet
à présent de
définir ce
qui
peut
grouper
plusieurs
aires culturelles dans
une même
civilisa-
tiorl.
En
élaborant
un modèle
socia-culturol
ou
un pai-
deuma,
une
société
ou
un
groupe
de
sociétés expriment
à ce niveau ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent 6tru.
')
Mais
un paideuma découvert
dans
une
aire
culturelle
donnée
peut
se
retrouver dans
une
autre
sous
une
forme
voil~e. Le phénomène est aisé à comprendre.
Si,
comme
nous
l'avons vu,
l'aire
culturelle
dérive
à
la fois
du
problème
vital
pour tout
groupe
humain,
i l
nous
faut
tirer de
la nature
ambiante
les
éléments nécessaires
à sa subsistance et des contacts entre
groupes voisins
d'où naissent
forcément
des
échanges
culturels.
Il
résulte
de cela que
deux
cultures
éloignées
dans
ltespa~
1 J

'i
cc:
et vivant:
dans
des milieux naturels d Ltf r-e n
é
t s
fie
peuvent
exprimer leur monde
de
valeurs
à travers les
mêmes modèles
matériels et
d'une
fa.çon
Ld e nt Lq u e .
IvIai~3
i l
demeure
fondamentalement
vrai
que
deux cultures
peuvent vivre
des
valeurs
identiques par-delà des dif-

férences
d'objets.
Car des
objets ou des comportem8~ts
différents
dans
leur forme
sont
susceptibles
de
véhi-
culer
la même
expression
symbolique,
et
donc
de
traduire
selon
l'ordre
du
discours mythique
des
conceptions
méta--
physiques
identiques.
C'est
ainsi
que
le
type
de
rap-
portR
que
l'on observe
chez
les
peuples pasteurs,
entre
l'homme
et
le
bétail,
et
chez
les peuples
agriculteurs,
entre
l'homme
et
la terre,
peut
signifier
la même
a t t i -
tude
fondamentale
de
l'homme
ct
envers
la nature
et
envers
le
congénère
humain.
Un
même
paideuma peut
donc
se
retrouver
dans
diverses
cultures,
mais
en
jouant
à
travers
des
objets matériels
différents.
Dès
lors
donc
qu'on
se
trouve
en présence
d'aires
culturelles
qui
ont
t 0 u tes
un no: n b r C
sig nif i c a t i f ct c; p a .i. de u ma ~)
ide n t .i q u es,
on
peut
affirmer
qu'elles
constituent
ensemble
une
civi-
lisation.
De
la sorte,
la 2ivilisation appara!t
comme
un
ensembl~ de
paideumas
que l'on peut
trouver sous-
jaccnts
aux mo d è Le s
s o c Lo
c u Lt u r-e l e
les
plus
significa-
c
t i f s
d 0
la vi~
culturelle
des
dive~ses sociétés glubales.
Mais comment
appréhender cette
civilisation?
Pou r
r é p o n d r e
à cet t E: Cl u <:: s t ion e t
pro p 0 S e r
110 -.
Cre
d o r-n i è re
hypothèse
t hé o r t q u e ,
nous
partirons
du fait
de
l'int0~ration culturelle déjà évoquée.
En
effet,
dans
nos
analys8s
antôrieures,
i l
nous
est
apparu
qu'une
société
globale
particulière,
pour constituer
une
entité
s o c i a I.c
d r st Ln c t e ,
doit
comporter un
certain degré
d'homo-··
gtSoéité.
Ce
qui
e i gnt fLc
q u i Ll
y
a
des
correspondances,
sinon entre
tous
ses
mo d
Le s
socio-culturels,
du
rno e n s
è
entre
ceux
qui
sont
significatifs
de
sa vie
culturells.
Or,
i l
en est
de
la civilisation
comme
d'une
société
globale
pQrticuli~re, une civilisation étant un cnsem-
bl~ de paideumas comme une
société
particulière
est
un
ensemble
de
modèles
socio-culturels.
A ce
t i t r e ,
i l
y
a
lieu aussi
de
poser le
principe
d'une
intégration mini-
male
de
la civilisation.
Cette
intégration
rendrait
compte
du
fait
que
les paideumas
supportent
de
coexister.
A t 0 u t
l ,,,,
moi n s ,
i l s ne
peu ven t
n il
s t i g n 0 r e r
n i
s e c 0 n t l' l:>-

69
dire
les
uns
les
autres.
I l
y
aurait
dans
ce
cas-là un
écartèlement
entre
les
paideumas
qui
aboutirait
à l'écla-
tement
des
structures
et
à
la disparition
de
l ' e n t i t é
sociale.
Nous
devons
poser
que
les paideumas
d'une
mê-
me
civilisation
traduisent
entre
eux
une
convergence
nécessaire.
La manière
de
comprendre
cette
convergence
est,
suivant
la
logique
et
la dynamique
même
de
notre
analyse
suggérée
par
la nature
des
paideumas.
Ceux-ci
étant
la
traduction
symbolique
des
niveaux
les
plus
importantE
de
la
réalité
socio-culturelle,
leur conver-
gence
semble
devoir ôtre
saisie
sous
le
mode
conceptuel
d 1 U TI P r i n ci peu n .i que
Cl u i
SOU:3 - t end
t 0 u tes
1 e s
s (1 ci été s
globales
constituant
la oivilisation.
Parv;::nu
à ce marnent c api t aL;
n01H3
p r o p o s o n s
de
d
s t g ne r- du
t er-rnc
d"'etho~; culturel
d e
la civil.isation"
é
LW
principe
moteur
de
ce
genre.
L'ethos culturel
d'une
civilisation sera donc
tout
à
la fois
ce
qui
constitue
la logique
et
l'unité
internes
d'une
culture
donnée,
,
1:
c'est-~-dirp ce
principe
unique
qui,
parce
qu'il
est
C li
é tilt
d c
lat e n c e
d an s
t 0 u s
les
m0 ct è les
l e 3
pI u f:,
:0; i g ni···
fi8atifs
de
la culture,
assure
l'interdépendance
des
cl .i. v e l' ::; é 1 é rn ':~ n t ,3
soc: i 0 - cul t ure l s e t
p e r met
à
lIe n sem b l e
de
llorganisatlon
sociale
de
se
présenter
comme
une
structure
cohérente
;
m~is aussi ce qui fait
le
lien
entre
plusieurs
sociétés
particulières
et
permet
de
les
grouper dans
la catégorie
sociale
la plus vaste
possible.
L'ethos
c u lt.ure I
de
la c.ivilisation est,
du
reste,
un
".
;no d è .1 e
cl' Ù
p rio r :L
e x i [3 t e n t i e l
qui
cor r e :-:: p 0 n d
a.3 s I~ z
exactement
à
l'approche
psychologique
de
la personnalit§.
De
même
que
celle-ci
a
un
certain profil
particulier dont
l'analyse
et
l'explicatiqn
causale
triées
des
mythes,
s on t
.i rn p u i s E; El nt e s
à
p u i s e r I a c
é
0 mpré he n s ion
qu' o n
c n a ,
.~. ~ ln ê rne
l a
C iv i l i s a t .i 0 n,
au - d e l à
de
t 0 u tes
ses
s é q 1) r, i~
régulièr8s
et
des
lois
sociologiques permettant
l'&labo-
ration
des
typologies,
a
un
espr.it
propre
dont
ces
dé-
marches
analytiques
et
objectives
ne
peuvent
donner
une
appréhension e x h a u s t Lv e ,
Le
concept
d'ethos culturel

70
'.i
(
j'\\
est
donc
n6n une
essence
logique,
mais une
essence
dyna-
mique
et vivante
en
somme,· une
idée
immanente
à
l':être
qui
permet de
le
connattre.
\\;
'i
• D~n s : Un sou ci. de e i art
no u s
vou l on s
à pré sen t
"1 ':
é
,
•.
faire
6 t i t d e q~elqUes uns desnombreu~ concepts propo-
'/
<3
s p a r
c e r
1
é
t a' i .':1 s e t h n 0 log u e S
p o u r <
l t é t u d e
ct e s
réa l i -
.
. .
.
~
tés socia-culturelles.
Ces concepts;
de
près
ou de
loin,
s'apparentent
àuxnotions
de
paideuma et
d'ethos
cultu-
.

, ' .
'
rel
que
n00s
v~nons de mettre à jour dans le cadre do
nos
concnptions théoriques.
Cette
approche
différen-
tielle
nous
permettra ainsi
de
préciser
à la fois
et
le
sens
et
la portée
de
ces deux notions,
de
façon
à
les
rendre
opérationnelles
le
plus possible.
Dans
cet
ordre
de
préoccupations,
le
premier
concept
que
nous
rencontrons est
celui
de
"foyer cultu-
relit.
HERSKOVITS,
qui
l ' u t i l i s e
dans
son o uv r a g e
"Le[:,'
bases
de
l'antbropologLe
culturelle",
auquel
nous
nous
sommes déjà référé,
le
définit
comme
étant
l'intérê~
dominant
d'un peuple
"C'est
le domaine,
d i t - i l ,
de
l ' a c t i vit é
0 u
ct e
l a c r 0 yan c e
ct0 nt
0 n
a l e
plu s con sei en···
ce,
dont
on discute
le plus
les valeurs
et
00 l'on dis-
cerne
les plus
grandes d i f f é r-e n c e s
de
structures." (1)
L'auteur voit
ainsi
dans
la
technologie
avancée
le
foyer
culturel
de
la civilisation euraméricaine contemporaine,
tandis
que
le
mysticisme,
sous
ce
rappo~·t, définirait
l'Europe
médiévale.
Bon nombre
de
travaux monographiques ont mis
en
lumière
le
fait
qu'un
peuple
accorde
beaucoup
d'imp0-
tance
à
un aspect
donné
de
la culture.
Des
travaux d'au-
teurs
différents ont
ainsi
~ontré que les Australiens
se
concentrent
particulièrement sur
les
structures
socia-
les,
lesquelles
tendent
alors
à marquer
les
autres
insti-
(1)
HERSKOVITS M.J.- op.
c i t . ,
p.
238.

71
tutions
de
la société. Chez
les
Todas
de
l'Inde,
le
l'foyer c u Lr-u r-e I."
serait
l'industrie
laitière
autour
de
laquelle
gravite
toute
la vie
culturelle
de
ce
peuple.
Toute
la vie
d'unB
société
apparait
donc
attachée
à ce
qui
constitue
son foyer
culturel,
au point que,
si
ce
dernier venait
à être menacé,
par exemple
en cas d'une
domination
étrangère,
i l
se produit
une
rétention par
des
voies
détournées.
Le
concept
~e foyer culturel ainsi défini nous
semble
d1abord
se
rapporter
à la culture d'une société
particulière
en
ce
qu'il
constitue
l'expression
d'un
modèle
vécu
consciemment
par un
groupe,
donc
sous une
forme
bien spécifique
et
précise.
L'industrie
du l a i t
chez
les
Todas par ex~mple~ n'aurait aucun équivalent
d'analyse
à ce
niveau.
De
plus,
i l
s'agit
avec
ce
ty~~
d'an~lyse d'une appréhension partielle de la rêalité
culturelle,
conduisant
à décrire
empiriquement
le modèle
le
plus
visible
que
livre
l'observation
la plus
immé-
diate.
Quelle
place
occupent
chez
les
Todas
la religion,
l a
nt agi e ,
l a
lut t e p 0 U l' 1 a
s u b sis t a n c e ? fil ê mes ' i l
:3 1 a v 8 .-
rai t,
au bout
du c ornp t e i
que
l'industrie
l a i tière
c ori s t L>-
tue
bien
l ' i n t é r ê t
dominant
des Todas,
i l
faudrait
ceper
dant
la saisir dans
se~ rapports avec
les niveaux straté-
giques
de
la vie
culturelle
du
groupe.
C'est
ainsi
qu'cn
Afrique
Noire
o~~certatn3 africanistes ont cru pouvoir
définir comme
foyer
culturel
la
religion,
i l
apparalt
impossible
d1étudier
cett~ dernière sans faire
immédia-
tement
le
lien entre
elle ct
des
falts
fondamentaux
comme
la très
grande
complexité ~es structures sociales,
l ' i ' ·
portance
capitale
des
fait~ de parenté,
la procréation
comme
valeur
sociale
suprême.
Si
bien qu'au bout d'une
telle
analyse
i l
est
permis de
se
demander
si
c'es~ réel-
lement
la religion
qui
constitue
encore
l'lntêr6t cen-
tral
des
Noirs
et
imprègne
de
son esprit
les autres
modèles
s o c Lc
c u l 't u r-e Ls ,
et même
s ' i l
faut
chercher ce
c
"foyer culturel"
au niveau
d e s
structures objectives.
Enfin,
le
c o nc c p t
en
q u e s t Lo n
n'étant
pas
un modèle de

1
72
taduc t i on
symbolique
de
la réalité
sociale,
reste
cn
~ssous du concept de paideuma.
Quelle
que
soi~ donc
~ validité dans le cadre des conceptions théoriques de
1.J.
HERSKOVITS,
le concept
de
lifoyer c u Lt u r e L"
pour
rous,
reste
limité
à l'analyse des modèl8s
socio-cultu-
'els et
de
leurs
interrelations fonctionnelles
dans
le
ladre
d'une
société
globale
particulière.
Or. rencontre
ausSi
le
condept
de
"culture
:achée",
utilisé par KLUCKHOHN,
en opposition
à "cultu-
~e ouverte". Nous savons <lu'au cours de son étude des
:ndiens Navaho,
l'auteur remarqua chez
les
indigènes
L'existence
de
sentiments qui
n'étaient pas
assez cons-
~ients pour être exprimés ouvertement.
Ainsi,
les
infor-
nateurs
de
l'anthropologue
se
refusaient
à
répondre
à
:oute question ayant
trait
à la ~orcellerie, et par ail-
Leurs,
le
savant
remarqu~ le
soin particulier avec
le-
iuel
les Navaho cachaient
leurs !èces et empêchaient
~utrui d'obtenir toute
ehose provenant
de
leurs
corps
~heveux, ongles,
etc.
KLUCKHOHN place
toutes
ces mani-
festations
sous
la rubi'ique
"peur des
intentions mal-
faisantes",
Il
décela un autre
élément
de
la culture
c ac b e
de
ces
gens dans
leur "méfiance
des
e x
é
t r-ê me s v ,
laquelle
consist~it surtout dans l'accusation de sorcel-
lerie
frappant
les personnes
très riches
ou
très pauvres.
J'après
l'auteur.
les
éléments de
c e t t ev v c u t t u r-e
cachée;'
font
partie
de
la culture
tout
autant
que
les modèles
verbalisés.
Dans
le
même ordre
d'idées
i l
famt mentionner
.,,
la notion de
"thème"
introduite
par OPLER.
Ce
dernier
3.
défini
ce
concept
ainsi
lion peut
identifier dans
..
toute
culture un nombre
limité
d'affirmations dynamiques,
~,.
:les thèmes,
et
i l
faut
chercher la clé
d.u
caractère,
de
Î'·
la structure
et
de
la direction des
cultures
particuliè-
l'1
1.
L
~es dans la nature,
l'expression et
les
relations
de
ces
thèmes.
Le
terme
"thèrn(;"
C:3t utilJsé
ici
dans un
sens
technique
tJour
indiquer un pO$tulat
ou une
position,

1 \\.:;
expresse
ou implicite,
et contrôlant en général
le
com-
portement ou stimulant
l'activité qui
est
tacitement
approuvée
ou déclarée
ouvertement dans
une
société. tI(l)
Tous cef, concepts de
l1 c u l t u r e
cachée"
et
de
"thème"
ont
en commun d'exprimer
l'idée
de
sentiments
sous-jacents
à la vie culturelle
d'un groupe,
rarement
verbalisée et conférant une
logique
interne
au compor-
tement
des membres.
A ce
t i t r e ,
nen
seulement
ils cons-
tituent
une
cla~se de concepts dont la validité ne fait
pas de
doute,
mais encore
ils
se
rapprochent de
ceux de
lIpaideuma n et d"'~3thos culturel"
que
nous avons p r-o p c s é e
plus haut.
Ce
rapprochement est cependant
du domaine
de
la nature
et non du degré.
Nous voulons
dire
par là que,
tandis que
les c o n c e p t s
de
"thème"
et
de
"culture ca-
chéè"
peuvent,
en théorie,
servir à dédouvrir les senti-
ments
sous-jacents
à tous
les
comportements culturelle-
ment modelés des membres d'une
société,
cc en quoi
il~
semblent ordonnés aux réalités socio-culturelles
des
sociétés particulières,
les notions
de
"paideuma" et
d'''ethos
culturel ll ,
tout
en obéissant
à la même démarche
analytique
saisissent essentiellement
des
faits
de
9
lia i son in ter cul tu r e 11 e.
Et
à c e t i t r e,
e Il es rre .p..c..<'l .•.
s'appliquer qu'aux niveaux de
la réalité sociale
qui
sont
les plus importants parce
qu'elles
la personnali-
sent.
Il
nous est possible
dès à présent de dresser
un organigramme présentant un modèle hiérarchique
d'ap-
préhension des
réalités culturelles d'un ensemble
social
donné,
ainsi
que
la base cr1tériologique qui préside b
son établissement.
l
-
SOCl~g GLOBALE
-
~éalité,or.tolOliqUe
UnQ.tm1t:e culturelle particulière nationale ou è t h r,; ~
(1)
OPLER- cit6 par J.M.
HERSKOVITS,
op.cit.
p.
145.

l ,:;
expresse ou implicite,
et contrôlant
en g6néral
le com-
portement ou stimulant
l'activité qui
est
tacitement
approuvée
ou déclaréo
ouvertement dans une
société."Cl)
Tous ces concepts de
"culture cachée"
et
de
"thème ll
ont
en commun d'exprimer
l'idée
de
sentiments
sous-jacents
à
la vie
culturelle
d'un
groupe,
rarement
verbalisée et conférant une
logique
interne
au compor-
tement des membres.
A ce
titre,
nen seulement
ils cons-
tituent
une
classe
de
concepts dont
la validité ne
fait
pas
de
dcute,
mais encore
ils
se
rapprochent
do
ceux de
lIpaideuma" e t
d'lt(~thos culturel: ' que nous avons p r-o p c s é s
plus haut.
Ce
rapprochement est cependant du domaine
de
la nature
et non du degré.
Nous voulons dire par là que,
tandis que
les c o n c e p t s
de
"thème"
et
de
"culture ca-
chée"
peuvent,
en théorie,
servir à dédouvrir les senti-
ments sous-jacents
à
tous les comportements culturelle-
ment modelés des membres d'une
société,
ce en quoi
lIE
semblent ordonnés aux réalités socio-culturelles des
sociétés particulières,
les notions de
"paideuma" et
d'''ethos
culturel",
tout
en obéissant
à la même démarche
analytique,
saisissent essentiellement des
faits
de
liaison i n ter cul t ure l l G •
Et
à ce
t i t re,
e Il e e rre:p"c:u...
s'appliquer qu'aux niveaux de
la réalité
sociale qui
sont les plus importants parce
qu'elles la personnali-
sent.
Il nous
est possible
dès à présent de
dresser
un organigramme présentant un modèle hiérarchique d'ap-
préhension des réalités culturelles d'un ensemble
social
donné,
ainsi
que
la base cr1tériologique
qui
préside
à
son établissement.
l
-
SOCI~I! GLOBALE
Réalité ontolO~iqUe
UnQWûté culturelle particulière nationale ou é t h nr ;
(1)
OPLER- cit6 par J.M.
HERSKOVITS,
op.cit.
p.
145.

7~
-
Eléments constitutifs:
Les modèles
sacia-culturels.
Mode de connaissance
Analyse de
l'ensemble des modèles
socio-culturels et
établissement des réseaux de connexions et d'inter-
connexions.
-
Facteu_r_s__d_c_"__Eersonnalisation
:
Mythe ou mythologie retraçant l'histoire des person-
nages du gr 0 u pee t
ct e s
me mbr es d ..~ l a s 0 c i été .
II -
AIRE CULTURELLE
- -....-
-
Réalité
ontoloE13~~ :
Un groupe
de
sociétés globales particulières.
-
Elémen!~_E~sti!~!lfS
Les paideumas.
Mode de
connaissance
Etablissement des ressemblances significatives,
au
moyen du discours mythique,
~ntre les divers niveaux
de
la vie
culturelle de caa~une des sociétés globales
particulières.
-
Facteurs de Rersonnalisa~~ :
Identité du milieu naturel
et échanges culturels
entre
les
sociétés constitutives.
III -
CIVILISATION
--
-
Réalité ontologique
Un groupe
d'aires cultur~lles.
- ~lé~~constitutifs
L'ethos culturel.

75
Mode
de
connaissance
- - - - - - - - - - - -
Découverte
du principe
unique
sous-jacent
aux divers
paideumas
des
aires culturelles constitutives.
Notre
hypothèse
du modèle
hiérarchique
des
entités
sociales d'un ensemble
régional
donné,
nous
four-
nit
cn même
temps,
tel
que
nous venons
de
l'exposer,
le
schéma adéquat
d'un
travail
en matière
d'étude
d'un fait
socia-culturel
particulier.
Lorsqu'il
s'agit
d'un com-
plexe
culturel,
on
doit
l'étudier,
non pas
dans
la soli-
tude
d'un
perpétuel
présent
ethnographique,
mais dans
sa
relation dynamique
et mythique
à ces divers ordres
de
réalité.
Cela veut
dire
qu'en
m@me
temps
qu'on étudie,
dans une
société
donnée,
un complexe
culturel
dans
ses
àspccts
formels
et fonctionnels,
il
faut
aussi
le
sai-
sir dans
sa relation vivante
aux
autres
complexes
à
.l'intérieur comme
à 11 e x t é r t e ur- de cette société, dans
son aspect
symbolique
avec
les paideumas de
l'aire cul-
turelle
et
avec
l'ethos culturel
de la civilisation.
Par ailleurs,
notre
hypothèse
révèle
l'existence
d'un mouvement
dialect~que dans
les
rapports entre
une
civilisation et
les d~verses sociétés particulières qui
la constituent.
Si
let ressemblances
significatives en-
tré
les diverses
cult~res traitées analytiquement
jus-
que
dans
leur aspect
9ymbolique,
déterminent
la civili-
sation dans
laquelle ~aignent ces dernières,
en revan-
c h e ,
le
concept
que
l'on doit
découvrir,
à
partir de
ces
ressemblances,
comme
constituant
l'esprit
de
la civi-
lisation,
son a
priori
existentiel
est
de
nature
à éclai-
rer
le
sens
des
divers complexes culturels.
Un
tel
type
d'approche
permet
en m&me temps d'étudier comment
ces
complexes ont
évolué~ au sein de chaque configuration
cul turelle
p a r t i c u j Lè r-e , à
travers
les
contingences du
milieu naturel
ct
les vicissitudes
de
l'histoire.
De
ce
fait,
i l
convient
d'accorder
à
la civilisation,
notamment
africaine,
une
priorité
logique parce
que

- - - _............
__ ._. __ . --
""""'====~~------_.
c'est
d'elle
que
procède
l'idée
de
pensée
africaine.
L'utilisation de
cette
hypothèse
de
l'existen-
(~P d' \\1 n
8 th 0 S
cul t u r 8 l
cl an ::s
t 0 u t e
c i. v i. l .i r; a t i. o n,
cl cm ;::.
le
sens
d'un principe
unique
sous-tendant
lBS
réali~
tés
vécues
les
plus
importantes,
siest
avérée
d'une
t c c o n d Lt
extraordinaire.
C'est
qu'elle
permet
h(~ureu·-·
é
seme~t d'i~t~oduire dan~ l'étude des sociétés, pa~­
delà l'analyse
objectiv l
des
structures
et
l'explica-
tion
causale,
le
facteur
cl&
de
la compréhension.
BOAS
q u L
,Ct va .i t
pat r' 0 n né;
[-;, ut h
13 E N i~ DIe T
a v a i, t
Pl: r ç: U
l 1 i rnp o r»
t an c e
c1u p r-o o j
me .
"En admettant,
ôcrivait-il,
qu'on
è
puisse
repérer
des
séquences
réguliêres
et
des
lois
sociologiques,
le
principal
problème
qui
subsiste est
de
comprendre
la
culture
comme
un
tout
ni
l'~istoire,
ni
les
lois
sociologiques
n'y sont
suffisantc~. Le
pro-
blème
est
essentiellement
psychologique
et
grêv~ de
toutes
les
dlfficulté~ inhérentes
à
l'invest~gation
clt::~ p h n o m n c s
c o mp Le x e c
dans
It:-:s
vies
des
Ln d i v i d u s.t'{L)
é
è
Ruth
BENEDICT elle-même,
même
si
elle n'est
pas
parvenue
exactement
à
la m~me hypothèse
que
nous
et n'a pas
suivi
tout
à fait
la même
démarche
analyti-
Que,
semble
cependant
avoir
pratiqué
la m6thode
suggé-
rée
par notre
hypothèse.
Etudiant,
en effet,
la vie
sociale
et
la pensée
des
Indiens
Pueblo
et des
Dabu,
elle
trouve,
pour
caractériser la civilisation de
l'un
et
l'autre
groupe,
des
concepts
empruntés
au
vocabu-
laire
nietzschéen
les
Indiens
Pueblo
auraient
un
type
de
civilisation appolanien,
marqué
par
la sérénité
qui
.l rup r è g n e
toute
la vie
sociale.
I l
n'existe
pas dans
ce
groupe
de
graves
perturbations ni
de
troubles ni
d'an-
goisses. Tout
y
est
ordonné
et
organisé
selon
l'ordre
mythique.
Le5 Dobu,
au contraire,
qui
ont
une
civilisa-
tion
de
type
dionysiaque,
vivent
dans
u~e
angoisse
in-
tense
ct
toute
leur vie
sociale
n'est
q~'une lutte con-
tre
les
dangers
qui
assaillent
l'individu
de
toutes
(l)BOAS F.- Général
Anthropology,
p.
5.

77
parts.
~'auteur,. ave~ Ces clés,
peut
alors
comprendre
.
. '
les
st i t
t
et
les
rr
t
cul tu'rellement
L n
u
L o . n . s
c
o r n p
o
e
m e ' n
s
mo de Lé s
d e s-vunœxr-e.t
des
autre~~.::'b:6hki'dérant, par· exem-
t
. '
;. :~": .'
.
.
.,
.
. . " ::~ ;'i; ~.<. ~;:.~,-.
:.
ple,
leurvie:sexue11e,
el1etrqüv'~" chez· les Puebla,
.,~I. >.:",
.' .': ,", ':',.: ."
.
:
···i ..... ':·\\/~:; .,~::.;,. ~{.,;~ !..• ~.:
dans
les
ri t~~s, .d'e fe r t; l i,té'.,q'uti;:10,:t:i)'i sen t
un
s yrnb o lis-
:,'.:
'1>:.;"
...... ",
-
! . , '
":;.~-1':<,~':.'.:':";'
.
me
sexuel ,dp.s.clànscs. t.ran.qu.il'?,l;.!s!<<:>:-u .Lc
symbolisene
joue
, • • ';
'.'
'. • ( ':
' .
. '
.
.
. ;.; . .' .
:). :~,
j.
':~, 1';
.
.
sans
entraîner:un8'exaltationsehsûelle
quelconque.
Bi en
que
l i a ut eu r"
$ 0 u s
ce
r ap p 0 r t ,
q u al i fie
cet te
ci vi -
lisation Puebla
de
puritain~, il
~'agit toutefois d'un
puritanisme
sans
angois~e 00 le refoulement de la signi-
fication
sexuelle
des
objets
cérémomiels ne
semble
pas
conduire
àdes
troubles
névrotiques.
Par contre,
chez
les Dobu, la sexualité
traduit
visiblement
une
attitude
de
belligérance
sexuelle
réciproque.
Le
mariage
sc
pr6-
sente
en effet
comme
une
lutte
institutionnalisée
des
sexes et
des
groupes
de
parenté.
L'homme
d'abord passe
une
année
dans
le
groupe
de
sa femme.
Et
là,
i l
est
'Yllaltraité,
battu,
burnilié
et soumis à toutes sortes de
corvées.
L'année
d'après,
c'est
le
tour de
la femme
qui,
allant
dans
le
groupe
de
son mari
y
est
traitée
presque
en ennemie.
Après
cette
approche
théorique
générale,
nous
nous
rroposons
maintenant
d'appliquer notre
hypothèse
au
cas concret
de
l'Afrique
Noire
qui
nous
concerne
directement.
En procédant
comme nous
l'avons
indiqué
dans
les
pages pr6cédentes,
nous
allons
nous
demander
quel
est
ce
principe
unique
qui
permet
de
discerner
l'Afrique
Noire
comme
dotée
d'une
unité
culturelle, et
ayant
de
cc
fait
sa propre
pensée
traduite
à
travers
une
entité
culturell~ comme les mondes occident~ou
musulman?
Aussi,
allons-nous
laisser de
cSté
le
pro-
blème
de
découpage
culturel
du continent
africain.
Car
cette
préoccupation sort
des
limites de notre
rech8rche.
Seul
le
discours
mythique
est
à même de nous conduire
sur la voie
de
la déCOUVerte
et
de
la connaissance onto-
logique
du monde
africain.

71
DEUXIEME
PARTIE
LE
DISCOURS
MYTHIQUE
OU
LP
MYTHOLOGIE
COMME
SYSTEME
CONCEPTUEL
DU
MONDE
NEGRO - AFRICAIN
* ~ *
"*

,
':,
79
l
-
CONSIDERATIONS GENERALES
'"
En entreprenant cette deuxième partie,
nous
n'avons nullement l'intention de faire une
étude exhaus-
tive de
la pensée négra-africaine.
Il
ne
sera même pas
dans notre propos de
déarire
de façon systématique tous
les domaines qui nous aideront
à cerner concrètement la
pensée
africaine.
Une
telle préoccup~tion suppose en
effet un travail d'une ampleur telle qu'il ne peut que
demander une étude particulière.
Or,
pour nous,
il
s'agit tout
simplement à présent de chercher une hypo-
thèse de
travail qui nous permette de cerner le mythe
africain en.;tant que facteur de conceptualisation et
de compréhension de l'univers africain.
Le
but des paragraphes qui
vont
suivre revient
IiiIl."
donc pratiquement
à esquisser l'analyse du contenu du
discours mythique,
et ses modèles socio-culturels les
plus significatifs.
Et à partir de
ces éléments,
dé-
duire
à titre d'hypothèse,
ce concept d'éthos culturel
qui,
en quelque
sorte constitue: le fondement
général
de la personnalité et de
la pensée du monde négro-afri-
cain.
Cette recherche
se fera,
à partir de quelques
récits mythiques,
au niveau de la conception religieuse,
de
structuration de la société,
de
l'organisation techno-
économique et de
la nature du pouvoir politique selon
l'ordre des mythologies africaines.

80
2 -
MYTHE DES ORIGINES DU MONDE
OU LA REPRESENTATION DE LA CONDITION
ORIGINELLE DE L'HOMME
============
En
dépit
de
l'opinion de
PARRINDER,
selon
la~
quelle
"dans
toute mythologie,
à
quelque continent
qu'elle
appartienne,
i l
faut
distinguer entre
grands
mythes et mythes mineurs"
(1),
les mythes
africains,
quelsqu'ils soient,
sont de
l'ordre
hégémügique
du ver-
be
et nous
livrent effectivement
un contenu spécifique.
C'est
seulement
leurs
interprétations qui
donnent
l ' i l -
lusion de
grands mythes,
chargés
de
significations ou
de
mythes mineurs,
insignifiants.
D'ailleurs,
l'histoire
de
leurs
interprétations et de
leur étude
comparée est
connue.
Des
théologiens y ont
reconnu
une
religion
allégorique
des ethnologues pseudo-philosophes y
ont
décelé une
vision primitive du monde
des
scientifiques,
une explication pré-logique
des phénomènes naturels
des
sociologues,
des modèles
imagés de
conduites exem-
plaires ou d6sapprouvé~
des psychologues et psycha-
nalystGs,
la projection de
désirs
inconscients.
Bref,
toutes ces interprétations ont
dévelüppé
leurs propres
idées cosr~nrl~es par l'intér6t particulier
et
l'orien-
tation de
leurs
auteurs.
Toutefois,
elles ont
eu en
commun de
voir dans 10 discours mythique
une
façon
ima-
ginaire pouvant
expliquer le monde humain.
L'approche
des mythes
s'y est
faite
à
peu près
toujours
dans
l'op-
tique
e u r-o p é o c e n t r Ls t e
ou ethnocentriste.
Or celui
ql]·;
c h e r-c h e à appréhender Lei.rnyt n e
tel
qu' i l
se présente
dans la civilisation africaine doit
saisir cette
notion
même
là 00 l'ethnocentrisme cesse
de
s'en occuper.
Car,
pensons-nous,
le mythe
est
bien autre chose
qu'une
sim-
ple
~bauche d'explication imaginaire du monde.
Le mythe
(1)
PARRINDER G.- Mythologies Africaines,
O.D.E.G.E.,
Paris,
1969,
p.
15.
1
1

81
peut en effet prendre
la forme
de
conscience collective
exprimant et
révélant
les attitudes et comportements
psychologiques du
groupe
humain et
ses aspirations.
Il
peut par exemple être
étiologique
et
alors vise
à
justifier la réalité
des phénomènes
inconnus de
l'homme
tels que
la maladie et
la naissance, ou
à confirmer
l'ordre social
existant
(caste,
noblesse,
roi
divin,
etc . . . ).
Enfin i l
peut ~tre purement métaphysique et
cherche]
par conséquent
à ordonner les
impératifs
les
plus
remarquables.
moteurs
des activités humaines com-
me l'amour,
la sexualité
que
nous aurons
à analyser
dAns
la troisième
partie
de
ce
travail.
D'une
mafiière
g6nérale,
les mythes africains
sc
présentent
sous forme
de
témoignages
oraux transmis
de
génération en génération.
Et
nous
pouvons
d'ores
et déjà souligner que
leur
caractéristique
commun6~
est de
dire
les origines du monde
et de
l'homme
con-
fronté
~ son environnement. Etant donné qu'ils exis-
tent en d'innombrables versions,
chaque
versicn subis-
sant
de
plus ou moins sensibles modifications dans
la
bouche de
tel
ou tel
narrateur,
i l
est
quasi
impossible
d'en entreprendre
une
reconstitution systématique.
Ce
que nous nous
proposons de
faire,
c'est de
reprendre,
pour les besoins de
la cause,
les quelques fragments
rapportés par des
cher8heurs dont
l'autorité ne
fait
aucun doute
au niveau de
l'Afrique
au sud du
Sahara.
Quelques exemples,
quoique
condensés et
schématisés
au maximum
feront
apparaître la richesse
et
la com-
t
plexité de
certaines ~ythologies africaines.
B.
H0LAS
rapporte
cn effet
que
le mythe
de
la
création Dogon opère avec
des
allégories et des
symbo-
1
les différents
et emprunte en marne
temps
des
trames épi-
1
ques diverses
(1).
La coexistence dans
l'esprit des
thêologiens Dogon de
la notion parfaitement
imperson-
1 nelle d'un dieu suprême célest~ et d'une autre qui le
présente
comme
un mâle,
mari J"aloux à
l'image
~
de
l'homme )
1 (1) HaLAS B.- In Diog~ne. numéro 48, Paris, Octobre -
Décembre
1964.
1

82
parait
confirmer la présence
de
deux
ou plusieurs
cou-
ches
culturelles d'ancienneté
inégale.
Suivant
les
recherches
de
HaLAS,
ce
dieu primordial
AMA oU AMMA,
sans
doute
~our meubler sa sombre solitude,
se
prit
un
jour
à lancer dans
l'espace
des boulettes
de
matière
tellurique
et
f i t
ainsi
les
astres.
Il
modela aussi
deux poteries
sphérIques,
l'une
ornée
de
spirales de
cuivre
rouge,
l'autre
de
spirales de
métal
blanc.
Ce
sont
le
soleil
qui
favorise
les
générations noires
et
la lune
qui
favorise
les
générations blanches.
Ensuite,
avec
de
l'argile,
le
potier divin créa la
terre,
son
épouse.
Mais
dès
les
premières
étreintes,
le
clitoris
de
cette
dernière,
représenté
par une
termitière
cathé-
drale,
se
dressa en rival
du phallus.
Elle
fut
écrasée
par AMMA et,
depuis,
toutes
les
femmes
doivent
être
excisées
en
signe
de
leur
soumission.
De
cette
première
union mouvementée
naquit
un
f i l s
ingrat
le
renard pâle,
YURUGU,
dont
le
mauvais
caractère
est
attribué
au fait
qu'il
fut
conçu par
une
mère
non excisée.
Ensuite,
l'arrosant
de
pluie,
AMMA
féconda
à nouveau la terre qui donna naissance
aux
jumeaux
NOMMa,
préfiguration du couple
humain,
mais
en vérité
pas
humain du
tout,
parce
qu'ils
avaient
les
yeux
rouges,
les membres
sans
articulations et
le
corps
couvert
de
poils
verts,
promesse
des végétations
futu-
res
sous
le
signe
desquelles
l'homme
agriculteur cons-
truira par
la suite
son
av~nir. Les
actions
mythiques
des
NOMMa auront des conséquences durables pour le monde.
C'est
ainsi
que
l'un
des
membres
du
couple
voyant
nue
sa mère-terre,
confectionna une
jupe
de
fibres
torsa-
dées,
humides,
de
baobab pour
la couvrir.
Malheureuse-
mant,
le YURUGU,
célibataire
en
quête
d'une
femme,
arra-
ch~ son vêtement à la terre et pénétra dans sa termi-
tière,
commettant
de
cette
manière
le
premier
inceste,
et
faisant
couler
le
premier sang menstruel
qui
teignit
de
rouge
les
fibres
de
la
jupe.
C'est
à pa~tir de ce
moment
qu'entrent
en
scène
les
enfants-génies
YEBAN,
1

83
conçus à cette
occasion,
de même
que
les ANDUMBULU,
enfants de
ces derniers.
Depuis
l'act~ incestueux,
la
terre
est devenue
impure,
indigne de
~on époux-martre
démiurge
qui
poursuit,
seul,
l'oeuvre de
la création.
Celle-ci
sera basée,
comme chez les BAMBARA,
sur un
plan de vingt-deux classes organiques.
Il
façonn~ tou-
jours avec
de
la terre
glaise,
le premier couple humain
qui
engendre
à son tour huit personnages
immortels,
bisexlés et parthênogènes.
De ces huit
ancêtres nais-
sent
luatre-vingts descendants
qui
se dispersent
dans
le monde et fondent
les principaux rameaux humains.
Les premiers huit
ancêtres sont
des
émanations
parfaites du grand NOMMO,
personnification de
l'eau
fécondante
de
la pluie et de
la parole
intelligente.
Après avoir subi de multiples métamorphoses au fond de
la termitière-matrice,
ils s'identifient au NOMMO en
le
. ~
rejoignant au ciel.
Les hommes,
groupés en huit
familles
subissent désormais
la mort,
châtiment d'une
rupture d'interdit.
Ils possèdent
un langage,
vivent des
huit
graines du fonio
(digitaria exilis en botanique),
luttent contre
les intrigues du renard pâle,
sacri-
fient
à leurs maîtres invisibles,
et pratiquent
les
industries que
leur avait
apprises
l'ancêtre forgeron.
Les huit
ancêtres primordiaux sont
les fondateurs
des
h\\lit principales familles
Dogon.
Huit
graines d'espèces
nourricières différentes,
nota~ent, furent réparties
entre ces dernières.
Après un dêsaccord autour de
ces
graines,
deux ancêtres voleurs du fonio ont dû quitter
le ciel et
rompre
l'équilibre du huit.
Alors
le premier
ancêtre,
instruit par l'un des NOMMü dans l'emploi du
verbe,
et par une miraculeuse
fourni,
dans
l'exécution
du métier de
tissage,
s'applique
à construir~ le panier
cosmique
qui
peut être compr1s comme
une
all&gorie
du
système
universel
Dogon.
L'anc~tre démiurge v~le ensui-
te
aux NOMMO le feu
sacré pour installer,
sur la ter-
rasse du panier cosmique,
la première forge.
C~ qui
irrite
les NOMMO.
Ils brisent
les membres
du coupable

84
et,
après l'avoir
jeté
à terre,
le condamnent au tra-
vail
des champs.
Par solidarité,
les autres sept aieux
descendent à leur tour du panier et s'établissent sur
la terre des hommes.
Alors un inoident
se produit avec
les deux derniers participants de
ce parachutage mas-
sif, lorsque
le huitième membre de
l'équipée arrive
è
destination avant
le
septième,
rompant ainsi
avec
l'or-
dre
des préséances.
Furieux,
ce
septième ancêtre prend
une décision.
Il
se métamorphose en un serpent que
les
homlnes
tuent et mangent en sacrifice.
Mais ce
septième
anc6tre ne
s'est offert
en victime bénévole qu'après
avoir avalé
le huitième membre du groupe possesseur
de
la parole.
Et
i l n'a pas,visiblement,
pu bien le
digérer,
car il
l ' a vomi aussit8t
sous forme
d'un amas
de pierres.
Pour expliquer l'organisation du monoe,
l'avè-
nement des races,
des civilisations humaines et
l'ori-
gine de
la mort,
les KONO de
la région de Nzerekore
en
Côte
d'Ivoire connaissent un mythe dont voici
le
résumé.
Au ctéput,
11 n'y avait
rien.
Dans l'obscur
infini boueux vivait le vieillard SA,
en compagnie de
sa femme
et de
son unique fille.
Un jour,
la divinité
ALATANGA, en tournée d'inspection,
vient visiter la
triste demeure et
adresse
à SA de vives remontrances
pour avoir créé un milieu inhabitable,
sans végétation,
sans lumière et sans ~res vivants.
Et pour remédier à
un tel état de choses,
ALATANGA respectueux du droit
d'aînesse,
demande
sur le champ'·l'autorisation de
SA.
Celle-ci lui étant accordée,
il
se met sans
tarder au
travail en commençant par la solidification de
la boue,
et
en finissant
par la mise en place de
la nature. Alors
le
grincheux SA,
satisfait des changements,
se
lie
d'ami-
tié avec
le brave artisan et lui offre une
large hospi-
talité.
C'est au cours de
ce séjour qu'ALATANGA tombe
amoureux de
la fille
de
SA et
la demande en mariage,
mais le père
refuse.
Comment faire?
ALATANGA s'entend

S r::
...)
alors
avec
l[~lue de son coeur
l'épouse
en secr€t
et,
j
afin d'échapper au courroux de
SA,
s'enfuit
avec
elle
au
loin.
Là, ils vivent
heureux et
donnent
naissance
à
sept
garçons et
sept
filles,
de
différentes coulevrs
de
peau,
et
parlant
des
langues
inconnues que
leups
parents étonnés ne
co~prennent point.
Ennuyé
et
poussé par son épouse,
ALATANGA,
qui
soupçonne
une vengeance
de
SA,
décide
après
quel~
ques hésitations d'aller consulter le vieux sage.
Le
beau-père
l'accueille
froidement.
comme
i l
se
doit,
et
avoue
qu'll
est
bien l'auteur du châtiment,
mais
ajoute,
enfin quelques
conseils pour régulariser quand môme
la
situation.
C'est
l'origi~e des
races humaines qui,
ob&issant aux dispositions
de
SAj
se dispersent
dans
tous
les coins
du monde,
mais
qui
continuent
de
vivre,
c o mm e
des vers,
dans
l ' o b s c u r-Lt
totale.
Sur
leur de-
é
mande,
ALATANGA,
désemparé
et
impuissant,
rct~:'ousse
chemin
sans
joie
vers
SA.
Mais comme
le
coeur lui man-
que,
i 1re j 0 L nt
son f 0 y e r,
e t
a p r è s
p ru ctente réf l ,~~ x ion ,
charge
deux oiseaux de
son entourage,
le
rollier et
le
coq,
d'aller voir SA à
sa place.
Après
183
avoir enten-
dus,
SA dit
aux deux envoyés
retournez
à
la maison,
je vous
donnerai
le chant et par ce
chant
tous
les ma-
tins vous
appelerez
la lumière du jour afin
que
les hom-
mes puissent,
pour assurer leur existence,
s'adonner
~
leurs besognes.
Punition suprême
et
innexorablc,
le
travail
nourricier est
invonté.
Dès
les
premiers appels
lancés par les
d8ux messagers,
le premier
jour se
lève,
le
premier soleil
appara!t
à l'horizon et
se met
en mou-
vement
sur la voûte céleste,
relayé
la nuit
par la lune
et
les étoiles.
Quand i l
a
fait
cela au bénéfice
de
ses
enfants,
SA
toujours
rancunier
lo' t
morb.i.de,
convoque
j
ALATANGA, car il
juge
le moment
venu
de
lui
r-é g l e r- ~:>on
compte.
Et
i l
lui
dit
"Tu m'as enlevé
mon
unique
fil-
le,
alors
que
moi
en retcur,
je
tlai
fait
du bien.
A
toi maintenant
de
me
rendre
service.
Comme
je
suis
privé
d'enfants,
tu devras m'offrir un des
tiens cha-

86
que
fois
que
je
t'en
demanderai.
C'est moi-même
qui
l~~
choisirai
par un signe
de
rêve
et ils devront toujours
obéir à mon
appell\\. Depuis,
par la faute
dfALATJ\\NGA,
la mort
décime
les populations
du monde.
Les
fractions
du
centre
du
Mali
cantonnées
autour de KorhoGo avec les Ticmbara en t6te,
affirment
que
la période
préparatoire
de
leur
genèse
dura
dix
jours.
En
s r mp Li f Lan t , le
schéma du
récit
se
résume
c oro -
me
suit
Le
premier
joor,
sorti
du néant,
KULOTIOLO
par
sa divine
parole,
érige
sa demeure
céleste
et
allu-
me
le
soleil
pour
l '
c
ê
ï
a i r-e r- le
jour. et
la lune
avec
les
étoiles pour qu!elle brille la nuit.
Le
deuxième
jour,
KVLOTI0LO
fait
descendre
une
parcelle
de
firmament.
créant
ainsi
la
t~rre et
é lev an t
l (; s
mon tl'lgn:~ -; .
Le
trcisi;sc
jour,
i l
envoie
la pluie
sur
la
terre,
et
fait
coule~ les eaux.
L~ qcatri&~2 jour, grâce a cette humidité,
la
végétation fait
son apparition.
L e
c i n Cl u i è rn C
j 0 U l',
l c
ct i ':: U C r é ~. lep rem i e :L'
homme,
plutôt
une
sorte
de
surhomme,
qui
porte
en l'oc-
currence
le
nom
dE
WVLOTO
de
grande
t a i l l e ,
robuste,
nu et
mortel,
mals
poss0dant
une
âme,
cet
être
ne
boit
que
l'eau,
expression symbolique de
la vie.
Le
sixième
jour, la
terre
se
peuple
d'animaux
et
les
cours
d'eau
s'animent
de
poissons.
Toutes
ces
cr~atur8S, ne donnaissant pas encore de besoins maté-
riels
et
ipoorant
le
maurtre,
vivent
en paix.
Le
septième
jour,
beaucoup
dp
changements

interviennent~ Les arbres se mettent à porter des fruits,
et
les
animaux
se
reproduisent.
WULOTO,
torturé
pour
la première
fois
par
la
faim,
goûte
aux
fruits,
devie~t
végérarien et
soumis
désormais
aux
lois physiologiques,
perd du m~~e coup sa condition de surhomms.
Le
huitième
jour,
pour
satisfaire
à ses
ins-
tincts,
WULOTO,
las de
chercher
au
loin
sa subsistance,
découvre
l : u t i l i t é
des
plantes
cultivées,
invente la
hou e
e t
ct e vie n t
a g r i cul t e ur.
Son
0 u t i 11 age ,
fa i t
d'a"-
bord de
bois,
est
plus
tard constitu~ de
pierres
emman-
chées,
enfin de
fer.
Un grand arbre appelé Séritigé,
fournit
alors
à WULOTO des fibres pour la fabrication
de
ses vôtements.
Le
neuvième
jour marque
l'éveil
de
l ' i n s t i n c t
sexuel.
Se
sentant
trop
seul,
WULOTO demande
au créa-
teur
de
lui
donner une
compagne.
Celle-ci
porte
le
nom
de
vIULONO,
aide
son mari
au
c h a.n p ,
et
au
coucher du
soleil
va boire
avec
lui
à la rivière.
Afin de
se
com-
prendre:
mutuellement,
les
deux p a r t e n a t r-e s
du
premier
c o up l e
e mp l o t e nt ,
pour
la première
fois,
un langage
articulé.
L(~ d Lx Lè mo
jour enfin,
les
deux
époux
s e
cuns-
truisent
un~ maison
aVGC
des
mottes
de
terre
et
du
chau-
me
pour
se
préserver des
intempéries.
Ains~ le premier ménage
est
fondé,
et
la créa-
tion
terminée.
Chez
1':;<3 ANYI
au
Ghana,
le
dieu
créateur ALUKO
NIAMIE
KADIO apparait en auteur solitaire des autres
dieux,
des hommes,
des
animaux et
des
choses.
Après
avoir cr66
le
monde,
il
descendit
un
jour de
son
logis
céleste,
visita la terre
et
enseigna aux humains
tout
ce
qu'il
leur
f a l l a i t
savoir pour vivre,
et
tout
cc
qu v i I . : d e v a.l e n t
cacher.

88
Le
mythe
de
la ~réation LOBr
imagine
la voûte
céleste
comme
une
calotte solide
habitée
par des
peu-
ples rouges et
reposant
sur la terre
qui
abrite
des
races noires.
Le personnage créateur est
à pein~ connu
quoique
logiquement
supposé.
Certains YORUBA de
l'ouest
disent
pour leur
part que
la terre
et
le
ciel
se
ressemblent
comme
la
calebasse et
son couvercle
qui
flottent
sur l'eau,
la
partie
immergée correspondant
à l'au-delà,
résidence~
des
forces
invisibles.
Les populations BANTU du Kavirondo,
elles,
affirment
que,
pour exécuter
l'énorme
travail
de
la
création,
leur dieu suprême
WELE
KHAKABA,
a
cru bon
de
s'adjoindre
deux assistants.
Ainsi
encadré,
il
met
d'abord deux
jours pour construire
sa maison
céleste,
y
compris
la lune,
soeur ainée,
et
le
soleil,
frère
cadet,
dont
les bagarres
quotidiennes
correspond~nt
à la succession des nuits et des
jours.
Il
solidifie
enfin le
sol
ct place
dessus,
out~e les
gros
animaux
tels
que
le
buffle,
l'éléphant,
l'hippopotame et
le
rhinocéros,
le premie~ )10mme que
les VUGUSU nomment
MWAMBU,
et
la première
femme
nommée
SELA.
C'est
de
leur union que
sont nés
les humains.
Pour les BAMBARA du Mali,
l'esprit
créateur
YO engendre
trois entités nomm~es respectivement FARO,
PEMBA et
TELIKO.
FARO,
le
premier du trio
est
le
maî-
tre
du Verbe.
Il
construit
sept
cieux correspondant
aux sept
parties de
la terre
qu'il
féconde. ensuite
sous forme
de
pluie.vivifiante.
TELIKO est
l'esprit de
l ' a i r qui,
liquéfié,
prête
sa vie
aux créatures et
con-
çoit
deux
jumelles aquatiques,
aieules
des pêcheurs
SORKO-BOZO,
les premiers des hommes.
Après
avoir
tour-
billonné pendant
sept ans,
PEMBA crée
la terre,
avec
ses montagnes et vallées,
puis se
transforme
en graine
de balansa,
l'acacia albida des botanistes,
et germe
en un arbre,
son avatar.
Avec
la poussière
môlée
de


sa salive,
PEMBA crée
une
femme,
MUSO KORONI,
et,
après
lui
avoir insufflé une
âme
et
un double,
8n fait
son
épouse.
Les
animaux et
les
plantes
sont
les
produits
de
ce
mariage.
Les hommes
nés
de
FARO,
mais
dépendant
matériellement
de
PEMBA,
vénéraien~ ce dernier.
Ils
étaient
immortels)
redevenant
des enfants
de
sep
ans
chaque
fois
qu'ils
atteignaient
l'âge
de
cinquante neuf
ans.
Ils vivaient nus,
m'avaient
pas
de
besoins physio-
logiques,
ne
parlaient ni
ne
travaillaient.
Folle
de
jalousie,
MUSa
KORONI
s'attaque
tout
droit
à la racine
du mal
et,
parcourant
le
pays,
mutile
les
parties
sexuelles des
hommes
et
des
femmes,
instituant par

l'obligation de
circoncision et
d'excision.
Désormais,
les malheurs,
les maladies
et
la mort
s'abattent
sur
1 t h um an i té
tout
entière.
Indomptable,
souillant
le
sol
de
son contact
impur,
MUSO
KORONI
se
rachète,
avant
d8
mourir,
en
enseignant
aux
hommes,
pour les
sauver de
la
faim,
les
techniques
agrico~es.
Le
rêgne
de
PEMBA q~i
devint
tyrannique
et
de
plus
en plus
sanguinaire,
cesse
lorsque
les
hommes,
aprês
avoir été
instruit~ dans l'utilisation du feu,
se
retournèrent
épuisés,
vers
FARO
qui
se
montra très
arrangeant
et
utile.
Il
donna notamment
aux
hommes,
pour assurer leur procréation,
des tomates
qui,
mangée~
se
transformaient miraculeusement
en
sang et
en foetu3.
De
la sorte,
les femmes
enfantèrent pendant
quelque
temps
des
jumeaux aux membres
soupl~s. La longévité
repris
et
le
travail
fut
banni.
Pas pour
longtemps,
car
se
sentant offusqué,
PEMBA rétablit
toutes
les misères,
mais
succombe
dans un
gigantesque
combat
contre
FARO.
Celui-ci
se
débarrasse
à
son tour du
trop
ambitieux
TELIKO qui
tente
de
s'emparer du pouvoir sur
le monde
entier.
Désormais,
mortels
et
pourvus
de membres
arti-
culés pour pouvoir exercer les
travaux de
subsistance,
les hommes
s o r. t
pris en pitié
pal' FATIO q u i ,
en
g u I s e
de
consolation,
leur
apprend
à parler.
Et
cela bien en-
tendu,
n1cst
pas
sans
causer d'autres
complications.

90
Les naissances deviennent unipares œt les
jumeaux un
bienfait exceptionnel.
Le
mythe des orig~nes du monde et de
l'homme
selon les MANIANKA,
importante fraction
du bloc
SENOUFO
au Chana,
attribue
le mérite de
tout
ce
qui
existe
à
un ancêtre divin nommé KELE,
ou puissance
immatérielle.
Chaque homme,
de
rn ê me
que
tous
les êtres vivants de la
te r re)
re ç 0 i 'le nt UlI'1e" partiE: ..de. cette pu:!.1sB<i:lI1CBimITkTt.2Érr..i:àI.l·c .
Et cette parcelle,
substance
indestructible est
appelée,
elle
aussi,
KELE.
Les HEREHO,
pasteurs nomades de
la partie aus-
t r a l e
ct u con t i e n n t,
po s s è cten t
un
au t rem y the
selon l e -
quel,
au moment 00 apparut
le premier être humain,
la
terre
était déjà converte de végétation et parcourue de
fleuves,
donc en état habitable.
Par la suite,
le
souf-
fle
divin dG la terre créa les qlJe;drupèdcs qui,
comme
l'homme
lui-même,
sortirent d'un orifice entrouvert et
dont
la sort~e donnait sur une rivAère.
Cet orifice
géniteur est nommé OMUMBORONGA.
Puis,
faisan~ appel
aux forces
du ciel,
le
souffle divin mit cn place
le
soleil,
la lune et
les étoiles.
Enfin,
nés de
la pre-
mièr0 pluie,
vinrent
les oiseaux,
les poissons,
et les
lombrics.
Aussi
fragmentaires
soient-ils,
de
tels mythes
dont nous n8
donnons
ici
qu'une bien faible
idée,
res-
tent sans doute
à découvrir en de
nombreux points
d'Afrique.
Et quel
que
soit
l'état actuel
de
leur con-
servation,
i l
se
dégage
dG ceux que
nous venons de
lire
plusieurs
indications.
Nous remarquerons d'abord que
ces mythes,
comme
tous
les mythes,
portent en eux la marque de
récits
oraux qui
racontent un évènement non pas contingent
mais originel,
puisque
l'évènement de
la cr6ation du
~.
,
1.
r:

91
monde
et de
l'hoffime
a
lieu dans un
temps non situable.
Ensui te,
ces mythes
r-è a urne n t
succintement
un processus
socio-culturel
complexe
étalé,
en réalité,
sur plusieurs
siècles.
Par ailleurs j
ils utilisent
dans
une
combinai-.
son irréductible,
d'une
part
la réversibilité
structu-
relle
du
langage
l'évènement est
actualisé
par
son
récit
d'autre
part,
l'irréversibilité diachronique
de
la parole
ce
q0i
est
raconté,
est
réalisé
défini-
tivement,
une
feis
pour toutes.
On peut être
tenté,
de
ce
fait,
d'induire
que
l'évènement
raconté est
à
la fois
passé et
toujoUrs
opérant
dans
le
présent.
Et on peut
conclure,
du
reste,
que
les mythes
sont,
en
général,
un trait
particulier des
cultures orales.
En
effet, avant
4~B'~ l'écriture alphabétique ne vide le langag8 de ré-
sonnance
multi-dimensionnelle,
chaque mot
utilisé dans
le mythe
est
en
lui-même un univers
social,
religieuX,
uneud1V~D~té du moment ou une révélation comme le perce-
vaient
les hommes
de
civilisation orale.
Nous
ferons
également
une
autre
remarque
selon
laquelle
les mythes en tant
que
discours
des
origines,
ne
peuvent
avoir des
témoins vivants.
Car on ne
leur
connait
point d'auteur.
D'O~ ils concernent toute une
société.
De
là vient
que
les origines quI ils
énoncent
ne
peuvent
que
se présentifier d'elles-mêmes.
Et
seule
la tradition
immémoriale peut
aussi
donner
la voix
à
leur me e s a g e
ou
aux modes
d'acquisition o t
d o connais-
sance
dont
ils sont porteurs.
Ces traits caractéristiques
sont
i~dissociables
d'une
autre
caractéristique.
Les mythes oeuvrent
ici
avec
des
signes concrets
tels
que
"boulette de
t e r r-e v ,
"terre
glaise",
"calebasse",
etc . . . ,
pour :faire passer
leur message.
Par leur caractère
concret,
ces signes
ressemblent
à
des
images
$ymboliques.
Certes,
on peut
considérer les mythes
afr~cains dans leur ensemble com-
me des discours
symboliquGs.
Mais
à condition de bien

92
s'entendre.
Les mythes,
selon nous,
ne
sym~olisent rien.
Seulement,
ils disent
et opèrent parce qu'ils disent
l'avênement des choses
à leur champ d'apparition.
Au
lieu d'être
symbole
d'autre
chose,
les mythes en tant
que
symbole
premier confèrent
aux choses leur densité
symbolique.
Càr toutes les choses que
les mythes dé-
cryptent,
puisent
leur essence significative dans
l'être
qu'ils font
surgir de
leur repli
propre.
Il
découle de
toutes ces remarques
que
les
mythes sont un univers de
discours qui
subsistent par
eux-mêmes,
tout
en étant
la parole
de
l'homme
sur les
choses,
le discours archétypal
qui
révèle
les sens pre-
miers des choses et des êtres.
En effet,
dans
les my-
thes en tant que
discours intemporels,
les choses et
les êtres se manifestent et
se dé-couvrent
dans leur
essentialité, et
l'homme
se
rend présent
au monde
en se
révélant
à lui-même,
c'est-à-dire en faisant
et en pre-
nant
connaissance de
soi-même cn tant
que maillon d'un
vaste ensemble
cosmique.
D'où l'on peut conférer aux
discours mythiques une dimension fondamentalement
ontc-
logique.
Car leur densité ontologique
tient
au fait
qu'ils projettent en
termes humains
les exigences pri-
mordiales de
l'être
dans
le monde,
et de
l'être
au
monde
à la fois.
Cela revient
à dire précisément que
l'homme,
par le
truchement
des mythes,
se
situe
dans
l'ensemble des choses et
se
trouve,
par là-même,
situé
dans son propre monde humain.
De
telle
sorte
que
la
signification première des mythes africains revient
à
manifester la réalité
dans
son essentialité en la si-
gnifiant,
c'est-à-dire en déposant
sur le
réel
brut
ses signes.
Mais dans un probl~me aussi complexe que flou
comme celui du mythe,
il
est impossible de
fuir
la
question posée par le
rapport
du contenu des mythes
à
l'objet que
ce contenu exprime.
Car l'expression que
traduisent
les mythes n'est peut-être pas forcément.
~

ëflSsYttt-Y1OUWW!N"'C'2U '
G'I'7" T!j fl..,!5:'::
93
appliquée
avec
une
entière précision sur les objets
qui elle désigne.
Il y
a
donc
lieu de
se méfier et
de
suspecter,
de
surcro!t,
le
discours mythique
comme
tel.
A ce
titre,
nous pouvons
atvrs nous demander dans quelle
mesure
le
discours mythique
livre
l'essence
des choses
et
des êtres comme nous
l'avons arfirmé plus haut déjà?
L'opinion selon laquelle
les choses ont
eu un
commencement ne va nuliement de
soi
comme
on
incline-
rait
à le croire.
Ici
se pose
effectivement le
problème
de
la vérité des mythes
africains,
sinon comment au-
raient-ils
trouvé créance
auprès des
générations
?
L'énoncé mythique,
concernant
l'origine
d'un phénomène
n'a pu reposer que sur la nature
particulière do phéno-
mène
lul-même, et
sur la découverte
profonde
de
la grande
importance qu'il
a
fallu accorder à
la formation du
phénomène
à son entrée dans le réel
sensible comme
quelqJe
chose
de
nouveau.
A cet égard,
nous pouvons
remarquer que
tout évènement se
distingue
toujours de
toutes les répétitions antérieures ou ultérieures com-
parables
à lui, par un caractère particulièrement
éton-
nant que
nous qualifions dans
les mythes
d'originel
ou
de créateur, et qui a

fortement
impressionner les
hommes.
A telle
enseigne
qu'ils l'ont rendu immémorial
et
intemporel
en le
récitant
de manière
rituelle
et
presque
sacrée.
Ainsi
la question de
la genèse du monde
et de
la condition originelle
de
l'homme n'a pu
j a i l l i r ,
pensons-nous,
que de
l'expérience première de
la nature
particulière des processvs créateurs.
Cela nous conduit
1.
J
à dire
que
les formateurs
du discours mythique
ont,
sans doute,
été des personnages civilisateurs qui
ont
connu par expérience personnelle
le moment originel
des
processus créateurs.
Ce
que disent
les mythes
a
da ~tre
effectivement
éprouvé par on ne
sait
qui.
Nous pouvons,
par conséquent,
admettre que
la signification symboli-
que portée en eux-m8mes par les mythes est
critère de
certitude.
En
sorte
que
la véracité
d'un
discours my-
thique
réside
à
la fois
dans son
impression sur l'homme

li
'."1
94
et en lui,
et dans son expression hors de
lui.
Mais pour pousser notre analyse du discours
mythique plus en profondeur,
il convient de
lire
à
présent le mythe 'de TERE KOZO ZO
(1),
en vue
d'en
dégager une esquisse de
la conception religieuse négro-
.. '~r
africaine.
1
1
., !
~ .'
l
'
i
,,
. :
,
1
(1)
C~ mythe est tiré de la cosmogonie Banda en Ré~u­
blique Centrafricaine par le
linguiste DIKI-KIDIRI.

95
TERE
KOZO
z o
TERE
LE
PREMI ER
HOMME
Avant
que
toute
chose
ne
soit
faite,
EYILlr-JGU
vivait
au
ciel
tout
seul.
Il
créa
le
firmament,
les
étoiles
et
t 0 u t
ce
que
porte
le
firrnament
il
créa
la
terre
comme
une
a s s i e t t e
plate.
1 1 p rit
le
ciel
qu'il
créa
auparavant,
le
déposa
par
dessus
la
terre
comme
une
cal e-
basse.
iY\\ais
r Le n
ne
poussait
encore
sl u r
la
t e r r e v t.
La
surface
de
la
terre
était
nue,
c o m m e la
clairière

l l o r,
fait
sécher
le
manioc,
en
saison
sèche.
Or
au
ciel,
EYILINGU
possédait
trois
ser-
viteurs
(qui
étaient
sous
ses
ordres
et
travaillaient
pour
fui)
NGAKOLA, sa
femme
YAMI5\\
et
leur
fille
YABADA.
EY1LINGU
leur
créa
un fl'ils
qu'il
chérit
beaucoup,
dénommé
TERE.
Un
jour,
une
dispute
éclata
entre
TERE
et
y A B A DA,
parce
que
YABADA
était
une
fille
belle
que
TERE
désirait
fortement.
li
:'
L-3
père
et
la
mère
de
YA8ADA
firent
compa-
ra ift r eTE REd c van t
1 e
Seigneur
EY 1 LI NGU.
La
discussion
suivit
son
cours
et
EYILINGU
conclut
en
disant
que
c'est
une
bonne
affaire
que
la
terre
ait
déjà
été
créée,
TERE
ira
y
vivre
tout
seul,
en
maître •
Il
s'y
rendra
tout
seul,
parce
qu'il
a
voulu
avoir
des
rapports
sexuels
avec
sa
soeur
y A. i3 A DA,
i 1 il e
,J) eut
plu s
r est e r
a u
cie 1 •
TERE
déclara
"Mals,
puisque
la
terre
est
si
austère,
comment
pourrai-je
y
vivre
tout
seul
?11
:
1

96
EYILINGU
lui
remit
une
grosse
calebasse,
non
encore
ouverte
et
lui
dit
"Cette
c a l e b a s s e
contient
les
"Semences"
de
t 0 u tes
1 es
c ho ses.
At tac he - toi
une
corde
il
la
taille.
Tiens
cc
tam-tam,
atta-
che
la
calebasse
à
la
corde
qui
te
sert
de
ceinture.
Si
je
te
descends
par
cette
corde,
dès
que
tu
auras
iéoulé
le
sol,
bats
du
t a rn>-
ta m
pour
que
je
puisse
couper
la
corde.
Après
quoi,
tu
sèmeras
tout
sur
la
terre,
selon
ta
convenance.
Mais
écoute
bien!
ne
bats
pas
du
tam-tam
avant
d'avoir
foulé
1e
S 0 l ,
Cet t e
cal e bas se
est
u n
0 e u f ~'
TERE
répondit
qu'il
a
bien
compris.
EY 1L 1 NGU
descendit
TERE,
descendit
TERE,
s o u d a l n ,
il
entendit
"Kudu
Kudu,
Kudu
Kudu,
Kudu
Kudu
!"
Ses
c he v eux
sc
d r e 5 s ère n t
et
j 1
dit
"Oh
TERE,
tu
n'as
pas
encore
arrivé
!"
Il
descendit
encore
TERE.uand,
quelques
instants
après,
il
en',:'_'ldit
à
nouveau
Il Ku du
Ku du,
Ku du
Ku du ,\\
Ku du
Ku d u
1"
,i"--
Seigneur
EYILINGOU
dit
"Le
coeur
TERE
tremble
comme
une
flamme
dans
le
vent!
Agi s s o n s
selon
son
bon
vouloir
'II
Il
coupa
la
corde.
Or
TERE
n'avait
p a s
encore
foulé
le
sol.
Il
tomba
comme
un
caillou,
la
calebasse
se
brisa.
Les
semences
de
toutes
choses
qui
s'y
t r 0 u va i en t
sc:
dé ver s ère n t
p~ 1e - r~ 8: e •
Las e men c e
du
ven t
5 e
déc h a Fn a d ' e m blé e ,
et
dispersa
n'importe
comment
les
autres
semences
sur
toute
la
terre.
La
semence
de
l'eau
coula
et
devint
un
grand
cours
d'eau.
i '
La
semence
du
gravier
tomba,
grandit
aussitot
ct
de v i nt
une
gr and e
mon t a 9 ne.
Toutes
les
s e rn e n c e s
firent
ainsi.
Il
n'ô:
fut
plus
possible
à
TERE
de
tout
semer
e n
ordre
comme
il
se
proposait
de
le
fuira.

97
C'est
pourquoi,
maintenant,
les
montagnes,
les
arbres,
les
a n i m a u x ,
les
forêts,
les
rivières,
etc,
s t e n t r
rn c l e n t
n'importe
com-
ê
men t •
Du
ciel,
EYILINGU
se
pencha
vers
ln
terre,
vit
le
désordre
qui
y
régnait
et
dit
"II
est
bon
de
ne
pas
laisser
TERE
tout
seul
dans
ce
désordre".
Il
envoya
I~ G A r<: 0 LAo r don n e r
t 0 u tes
1e 5
choses
du
monde.
NGAKOLA
descendit
sur
terre
accompagné
de
sa
femme
y AMI st,"" œtt des a
fille
Y A BAD A .
Il
s c
munit
de
diverses
couleurs,
en
marqua
chaque
chose,
selon
son
goût.
Le
monde
devint
ainsi
agréable.
Ainsi
les
feuilles
devinrent
vertes,
la
terre
de vin t 9:> it
no j r e ,
soi t
r 0 u g C,
50 i t
b 1an che
on
l'appelle
terre
noire,
rouge
et
blanche.
Ai ns i
chaque
animal,
chaque
oiseau,
chaque
fie ur
eut
sa
couleur
pour
l'embellir.
Après que
NGAKOLA eut
terminé ce travail,
i l s i 9 nif i a
à T 8 R E
iëllJlé:.:.
c'é t ait
1u i
dés 0 r mai s
le
maître
de
la
terre.
Or
la
calebasse
de
TERE
contenait,
o u t r e
les
d~mences des
choses,
celles
des
personnes.
SC 1 es t
pou r quo i,
mai n t e n a n t
i 1
y
a b c a oc 0 u p
,d'hommes
sur
la
terre.
Pour
ne
pas
que
des
hommes
puissent
encore
désirer
sa
fille
YABADA,
NGAKOLA
s'aménagea
une
demeure
appelée
"BADA"
dans
la
brousse
l'
con v i a
t 0 u t
1e
rn 0 n d e
d' Y ail e r i e
v 0 i r e t
recevoir
de
la
nourriture.
Mais,
chaque
fols
que
deux
personnes
s'y
r end aie nt,
N G A f< 0 LAI e s
a val ait
t 0 u tes
cieux ,
en
recrachait
seulement
une
et
réclamait
d'autres
personnes.
Il
en
fut
ainsi,
jusqu'à
ce
que
les
hommes
n'en
purent
plus.
TERE
dit
à
ses
semblables
"Si
nous
1a 1s-
sons
NGAKOLA
continuer
ainsi
il
nous
tuera
tous
jusqu'au
dernier.
Jéldis,
j'eus
des
différends
avec
lui,
d'est
pourquoi
il
a
rusé
pour
venir
ici
dans
le
but
de
nous
f a i r e
du
m a l !' •

98
Les
hommes
purent
tromper
la
vigilance
de
NGAKOLA et
1 ui
donner
de
1 a
boule
de
manioc
à
l'intérieur
de
laquelle
ils
avaient
mis
des
c a l l l o u x ,
il
les
avala
d'un
seul
bloc.
1/
eut
une
terrible
colique
ct
il
demanda
aux
hommes
de
fui
apporter
dos
médicaments.
Les
hommes
vinrent,
armés
de
sagaies,
de
couteaux,
criblèrent
NGAKOLA
de
coupe
et
le
tuèrent.
Mais
NGAKOLA
était
gros
comme
dix
élé-
phants
réunis.
Heureusement
pour
les
hommes,
que
le
cadavre
de
NGAKOLA
gÎsait
au
bord
de
l'eau,
car
Il
avait
construit
son
"BADA"
à proximité d'un
cours
d'eau.
Ils
creusèrent
donc
des
rigoles
jusque
eous
1 u i ,
Lie a u
s J y i n f j l-t ra,
rongea
le
sol
qui
s'effrita.
Ainsi,
le
cadavre
de
NGAKOlA
immergé
se
décomposa
et
il
subsista
un
grand
trou
sous
l'eau
à
cet
endroit.
C'est
pourquoi,
on
appelle
NGAKOLA,
Il N GA K 0 LAN GU".
Par c e
qu'à
sam 0 r t,
i 1
eut
comme
tombe
un
grand
trou
sous
l l e a u .
Après
cette
grande
querelle,
il
ne
resta
p J LI S
que
1a
f e m m e
d e
I\\l G A K 0 LA,
TE RE
et
YAclADA
la
soeur
de
TERE.
Les
autres
hommes
périrent
tous
un
à
un.
Finalement,
TERE
convia
YA8AOA
à
une
promenade
sur
toute
la
terre
pour
voir
comment
sont
les
choses.
Ils
marchèrent
longtemps,
longtemps, et
parvinrent
à
un
endroit
de
la
terre e
qu'ils
ne
connaissaient
pas.
Personne
n'y
habitait,
les
autres
hommes
étant
tous
morts.
1
il
Or,
depuis
deux
jours,
TEF<E
avait
envie
d'une
femme.
Il
réfléchit
longtemps
et
se
demanda
ce
o u "i 1 a l l a i t
faire
car
YABAOA
était
sa
soeur.
II
ii
"
C'est
EYILINGU
en
personne
Qui
lui
a
dit
11
.ri
qu'elle
étF,lit
sa
soeur.
S'il
a
des
rapports
,
,1
sexuels
avec
elle
et
que
cela
soulève
encore
il
une f a c h e u s e
affaire
pour
lui,
que
va-t-il
f a i r e ?
. ~
,1

, ·ji
i
1
0'"'
Par
ailleurs,
s'il
demande
à l'ABADA
de
le
satisfaire
et
qu'elfe
refuse
comme
autre-
f o i rs ,
n'aurn
t-il
pas
honte?
Ils
marchèrent
longtemps,
longtemps,
et
furent
surpris
par
la
nuit
t o rn b a ne e ,
comme
à
l'accoutumé.
C 0 m mec! ' hab i t u de,
TER E
d r e s s a i e
1i t
d e
l'ABADA
à
part
et
le
s i c n
aussi
à
part.
Au
milieu
de
li)
nuit,
TERE
fit
semblant
de
rêver
et
se
mit
à
crier.
YABI-,DA
inter-
rogea
"Qu'y-a-t-il
TERE
?"
TERE
resta
tranquille
et
dit
"Si
c'est
vraiment
toi
l'espl'it
de
notre
père
NGAI<OLA
que
j'ai
vu
dans
mon
rêve,
e t
qui
m'as
dit
de
partager
le
même
lit
que
ma
soeur
YABAD/~
sinon
tous
les
deux
nous
mourrons,
fais
que
,
. "
tes
paroles
se
réalisent.
YABADA,
à
c e s
mots,
prit
peur
et
dit
"Si
c'est
vraiment
le
fantôme
de
notre
père
qui
a
dit
cela
p r é c l s
rn c n t ,
viens
dormir
é
avec
moi
pour
ne
pas
que
nous
mourions
inutilement
I "
l'ASAD/..
elle-même
sc
leva
et
alla
se
coucher
auprès
de
TERE.
Or,
c'est
ce
que
recherchait
TERE.
D'où
il
prit
s a
soeur
pour
épouse
et
tous
de u x
engendrèrent
les
hommes
pour
peupler
la
terre.
Pour
empocher
qu'un
tel
acte
n e
sc
repro-
duise,
EYILINGU
édicta
une
loi
à
tous
les
hem mes,
1e u r i n ter dis 8 l] t, d e
pre n d r e l e urs
soeurs
c c m rn e
épouses
s'ils
ne
respectent
pas
c e t t o
loi,
toutes
leurs
races
périront 1
leur
espêce
se
d~c0mposera.
C'est
pourquoi,
jusqu'à
maintenant
on
ne
se
marie
pas
entre
frères
et
soeurs."

100
De
ce
mythe
Banda,
comme
de
bien
d'autres,
on
peut
dire
que
le monde
invisib18
néBro-africain
est
aussi
réel
que
le
monde
visible.
Les
hommes
vi-
vent,
pour ainsi
dire,
en
symbiose
avec
les
dieux
et
les
génies
qui
interviennent
directement
dans
la
vie
quotidienne.
Certes,
les
panthéons négra-africains
diffèrent
selon
les lieux,
mais
i l s
contiennent
pres-
que
toujours
un
ou
de2
dieux créateurs
et
souvent
un
héros
civilisateur,
ancêtre
divinisé
des
hommes.
Nous
pOU v 0 Il S
Ct v an c e rI: h y pot h è s e
Que
l e s u r· na t u rel
i ;:~ p.:' è {:~ n é
la pensée
africaine.
Ici
nous
entendons
par surnaLurel
le
monde
invisibls
au
ccmmun
des
mortels
qui
participe
tout
à la fois
à
l'ordre
de
la natur0.
C1est
aussi
le
domaine
(LèS
d i e u x ,
cl":.::;
e s p r Lt s
e t
des
ancêtres
d é f u n t s .
Sa
ré a t t t
est
mise
en
v i d en c e
par
1(:5
r-é ct ts mythi-
é
é
ques.
Cjest
p o u rq u o I
par
c e s
ré c t t s
mythiques,
c crnrn e
C é:: l 1..1 i d e
TEH :2:
K C Z 0
Z 0
que
110 U S
ven 0 n s
d e
li. r e , n 0 U S
pouvons v al a.b Le rne n t
faire
VDl:')
brève
e a q u l s s e
de
la
c o n c e p t t o n
r c Li gt e u ae
o e s
négro-a,fricains.
8
ESQUISSE DE LA CONCEP7ION RELIGIEUSE
NEGEO-j\\FnICAINE
OU LA
rEiE;()GONIEA..i
~:;UD DG SAi-JARf,
Les
th&oriciens
de
liafricanlsmc
ou
même
de
l ' (::thno;::;,g'je
o n t
cherche
a
e xp Lt q u e r-
l a n a t s s anc e
:3 c: n t .i. me n t
r f': l .i g i (; U x
r; t
1 (: s
for 1il S:3
qui i l
r':.: If S t
par
de::;
thé a r i f; f5
q U : j l n : C' ::; t
p ét E; .i nu t i l e
Cl ç ' : 0 r: n a î t r e.
En t',' C' f 'è';, )
prc3que
tous
les
anthropologues
qui
ont
effectué
des
r c che r che 2. ::, ur], ::L p C Tl :::: Ô C
n ,0 E!. r· e
t. C
f~ 0 n t a c C G r d (; s
~: r e _.
connaître
l':~;nportancc exceptionnelle que recouvre la
l' c: I i gl 0 n
,1an s
1;:,
v j, e
cl e ;:~
Af:' rie a i n s.
Pou r
SP El\\i CERp <,,~ .
exemple;
l!orlginc
de
la
reli8io~ est
à rech8rcher
d ar. s
le
culte
des
ar. c
t r-n s ,
l'f\\:fricain
ne
pouvant
ê

lOl
admettre
la transformation
du
vivant
cn mort
sans
qu'
i l
subsistc
quelque
chose.
C'est
ainsi
que
les
ancêtres
,....., r-. r~ ;-,
les
plus
lointains,
comme
NGAKOLA dans
le
mythe
d8
.l .t:, n.t,
KOZO
ZO,
seraient
passés
au rang de
dieux.
Clyde
KLTJCKHOHN,
da n s
son
ouvrage
intitulé
"[IHrror for
Man" l
après
avoir défini
l'idée
d1ethos
comme
le
thème
domi-
nant
auquel
peuvent
se
ramener
la plupart
des
thèmes
d'une
culture,
essaie
d1appliquer
ce
principe
à
l'Afr i
que
de
llouest.
Il
trouve
alors
que
dans
cette
régio"
"le
ressort
principal
de
la vie
sociale
est
la
r e l i -
g t o n! ,
(1)
De son C~t6, HSRSKOVITS,
dans
le
chapitre
des
"Bases de
l'Anthropologie
Culturelle"
consacré
à l létu-
de
du
concept
de
"centre
focal
c u Lt u r-e l."
donn(~ une
appréciation
similaire
des
cultures
de
liAfrique
occi-
dentale.
ilL 1 importance,
dit·-il,
des
éléments
de
l'ad-
p~~t focal
dans
les
cultures
oue~t-africainBs apparait
à
tout ethnologue
travaillant
cn Afrique occidentale.
On a vu que RATTRAY,
chez
les
Ashanti,
dut
étudier
leur religion
cvant
de
pouvoir
analyser
nettement
leur
~; t rue t ure pol i t i q u co. Là)
l ecu l t e
an ces t r al,
0 11 t r e l e s
croyances
dana
lea
dieux
et
la magie,
jouait
un
rôle
essentiel,
comme
partout
dans
la r~gion. Drs situations
sim i lai r e cc
do Ii li C li t
u n
~:i 2 Cl s
à
d \\ é:'1. ut r e s a s pee t s
ctG
l a
vie
1
1
o ue s t i- af r Lc a Ln e ,
L8;,',
dieux
du
ma r-c h
doivent
être
a p aL>
è
séa
si
lion
veut
que
les
champs
rapportent.
Le
forgeron
doit
adorer,
selan
les
règles,
les dieux
de
la forge,
s ' i l
ne
veut
pas
être
blessé
par
dus
étincelles,
0~
pour que
les
outils
qu'il
fabrique
soient
efficaces.
L'art
sert
principalement
à la religion,
sous
ses
f~~,
me :3
gr a ph :i. Cl u e e ,
P L a ~3 t i que sou
rn u sic ale s.
D <2
m me,
I a
ê
majorité
d0
ia littfrature
populaire
s'occupe
des
d t.e u x
et
de
Lo u r s
av e.nt u r-e a
d a n s
I.e
monde
d e s
homlOes.\\I(~.)
(1)
KLUCKH01IN
C.- IVJirror
for Mari ,
Traduction française
par Mure
Richelle
sous
le
titr0
Initiation
à
l ' An t h r-o p o Lo g i e " ,
Bruxelles,
1966.
( 2)
HE RS K0 VIT~; J.M. -
o p.
c i t.
p.
247.

Par
a:Llleurs,
dans
llllAfrique Noire Contern·-
poraine"
publiée sous la direction de f.;~.
MERLE,
J.cs
auteurs
parlant
cette
fois-ci
pour le
compte
de
toute
l'Afrique Noirs,
é
v o q ue n t
qu'
"il est impossible de
c o rnp r e ndr-c
"la voie africaine'!
si
l'on n è g Li g e
la pla··
ce
qu'y tient l~ sacré.
L'homme
a~ricain est
avant
tout
un croyant qui vit dans l'intimité des puissances invi-
sibles.
Lo
rite
tient
une
place
importante
dans
sa vic i
à
tel
po i n t
qu' i l s e
con f 0 n ct sou v e 11t
avec
les
te ch ni _.
ques
les
plus
"rationnelles",
et
qu'il
est
difficile
de
distinguer dans
son
comportement
la ligne
de parta-
ge
entre activités profanes et
s a c r-é e s
,
c
"
(1)
,1
Dans
le
m€me
ordre d'idées,
L.
VINCENT
THOMAS,
dans son ouvrage
"Les Religions d'Afrique
Noire ll ,
écrit
que
"sans
être
tout,
l:~ l'Gligion p è n è t r e
tout
et
le
Noir peut
se
définir
comme
l ' ê t r e
incurablement
rell~.~
i
gicux."
(2)
Enfin,
il,n'est pas sans a n té r
t
de
rap··
1
ê
1
porter cette
réflexion
d'un Africain qui,
d~plorant ce
qu'il
appelle
\\I1'érnoussement
de
l'antenne r81igieusf:;11
che z
ses
C 0 or, p ;;1. t r i 0 tes,
reg r e t te,
a v e c
ct C'. s a c c en t s
l y t, i .-
ques,
cette
vieille Afrique oG depuis des millénaires
::llh,)mm~:: 0
une
c r o y an c « quasi
mo n o Lf. t h i q ue
en
un
E't r e
Suprême. o.
Cc
pays
o~ l'id&e de Dieu plane comme une
f r a î c h e u r- b Le n f a i e an t e . . . .
Cette
terre
promise où
coulent le
l a i t
de
la foi
en
l'homme
et
le miel
de
l'amour dLv i n
I.~
i
"
( : - ; )
"1,
La
religion
occupe
donc
une
place
de
choix
dans
la vie
des
Africains.
Si
l'on pput
dire
autant
de
beaucoup
d'autres
peuples
et
en particulier des
ancjcn~
)
1
Hé b z eux qui
0 n t
v 0: c u
un e
exp ô rie ne i:; Hl Ys t i que
c xc ra 0 r-
dinaire
dans
le
cadre
d'une
révélation
surnaturelle,
,'l'
(1)
L'Afrique
~oire Contemporaine,
ARMAND COLIN,
sous
la d I r-e c t Lo n
de
\\'
j'il.
MEHLE.
p.
1~;7.
(2)
THOMAS L.V.- Les Religions d'Afrique
Noire,
FAYARD-
DENOEL,
Paris,
1969,
p.
5.
(3)
TCHOUANGA P.-
Dieu et
l'Afrique
in
Personnalité
Africaine
ct
Catholislsmo,
Préssnce
Africaine,
1968
p.
CS C::·C
89.

103
ou
encore
de
l'Antiquité
grêco-romainp
au
sujet
de
la-
quelle
FUSTEL
de
COULANGES
écrivait
qu'
1111
y
a dans
Rome
plus
de
àieux
que
de
ci t o y e n s '! ,
en
revanche,
la
théogonie
négro-africaine
recèle
une
double
caracté-
ristique
qui
fait
d'clle
un
système
tout
à
f a i t
ori-
ginal.
La première caractéristique est que
la con-
ception mythique
dG·la
religion négro-africaine
est
pratiquement
monoth6iste.
Cette
constatation qui
peut
sembler
anodins
~ppara!t dans toute son ampleur et
j
toute
sa
signification
lorsqu'on
f a i t
une
enquête
hlstorique
sur
la nature
de
ld divinité
chez
d'autres
peuples.
Et
si
l'on
sien
tient
précisément
aux
deux
peuples
que
nous
avons
mentio~nés plus haut,
on est
vite
surpris
du caractère
privé
et
domestique
de
la
ou
des
divinités
qui
y
étaient
adorées.
Ain_~;i, chez
Le s
hébreux,
YAHVJEH,
pourtant
pro-
clamé
très
tôt
oomme
Dieu
unique
et
tout
puissant,
fut
cl 1 abe-rd,
et:
p o n d an;
Lo n g t c rnp s
la
\\Ip2rt
d 'lléri tage"
de
la nation
nt
du
peuple
hébreux,
à
l'exclusion
des
n~_­
pl e ;e;
é t r an g ,:; r 3.
Lé). .S 0 c i é t: é
j u ive
é
t ait
e TI
f Cii t
une
co m-
mun au t
e t
é
h n i c c cr-e Lt g i e u s e
à laquelle
on ôtait agrégé
par
la c i r-cor.ct c i o n .
J.,(-;
culte
r en d u
à
YAHWEH
d e v at t
d'ailleurs
se
dérouler normalement
dans
le
temple
de
la ville
s&intc
de
Jérusalem.
Oublier
Jérusalem et
cha n ter
d o s
c an t i q LI 8 S
à y A JIWEH c: n}~ e r r \\:: é t r a li g ère é t il i t
presque
considéré
comme
un
blasphème.
C'est
que
le
Dieu
d' Israël
fut
connu
cl 1 abord
c o mm e
le
'IDiel]
pour n o u s '! ,
le
lib6rateur
du
peuplG
hèbr0u,
de
sa servitude
en
Egypte
pharaonique,
ct
non comme
le
Dieu
créateur
imper~
sonnel,
MaItre
de
tout
l'univGrs
et
Pêre
ds
tou~ les
h o mm e s .
AU:'3;Ji,
la p r Le r-e
.i.mp r-é c a t o t r-«
['(:'Iic:nt-clJ.c
souvent
sous
la plume
des
compositeurs
de
psaumes.
Ceux-
ci
excitent
YAHWEH à
venger
son
peuple
en
déroute en
exterminant
las
nations
paiennes
et
ennemies.
Une
telle
mentalité
devait
encore
avoir
lieu
jusqu'au
début
de

104
l'avènement de
Jésus Christ,
et ce,
malgré tous
les
thèmes universalistes
que
les divers prophètes avaient
accumulés dans
leurs oracles.
Ne voit-on pas les apô-
tres
sommés
de
répondre
devant
le peuple
juif pour
avoir baptisé des pa~ens non circoncis et
leur avoir
donné
l'Esprit
Saint? Ce
nlest
que
peu à peu qu'on
en vint
à l'idée de Yahweh,
Dieu universel,
soucieux
du salut de
tous
les hommes quels qu'ils
soient,
et
\\of
qui
n'a élu Israèl
que
pour être ce peuple
préparé
à
accueillir le
Rédempteur de
tous
les hommes en la per~
sonne de Jésus.
Dans l'Antiquite
gréco-romaine,
la conception
que
l'on se
faisait
des dieux est encore plus surpre-
nante.
L'idée
de dieu fut
avant
tout
celle d'une force
qui
protégeait personnellement
l'individu ou la famille.
Tous
les dieux grecs ou romains
ont
donc
été d'abord
des divinités domestiques.
Chacun avait,
pour ainsi
dire,
sa divinité.
Seul
un petit nombre
d'entre elles
devaient
être
élevées au rang de
dieux de
la êité.
Une
fois
ce
seuil
franchi,
les dieux ainsi
promus deve-
naient
l'objet d'un culte obligatoire pour tous
les ci-
toyens.
"Les
individus,
écrit G.
BARDY,
pourvus qu'ils
restent fidèles
aux cultes de
la Cité,
peuvent adorer
en particulier tous
les
dieux qu'il
leur phait d'adop-
ter.
Ils nlont
pas le droit
de
se dispenser des céré-
monies légalement obligatoires.
Car s'exclure
de
la
religion,
c'est s'exclure de
la cité.
Si
Souate est
"
condamné
à boire
la cigu~Z c'est sous prétexte qu'il ne
croit ~as aux dieux auxquels croit la cité d'~thènes et
qu'il
leur substitue
des divinités nouvelles.
Cette
condition remplie,
chacun reste
libre
de
choisir dans
le monde céleste
les protecteurs qu'il
veut
et de pra-
tiquer le culte qu'il
croit le meilleur."
(1)
Cette
religion officielle
reste par ~illeurs
limitée
à
l'enceinte
sacrée de
la cité ou dans l'enclos
(1)
BARDY G.- La Conversion au Christianisme
in Revue
de
Monde Chrétien,
1974

105
de
la cellule
familiale.
Le
citoyen qui
franchissait
les
saintes murailles
du
territoire
national
de
la cité
se
retrouvait
sans religion. L'esclave
était
frappé
de
la même
privation.
La loi
qui
ne
lui
reconnaît
aucun
droit
civil
ou religieux,

lui
permettait pas plus
le
mariaBe,
ni
ne
l'autorisait
à accéder aux cultes
nationaux.
Sous
ce
rapport
de
la nature
de
la divinité,
la conception religieuse
des
Négro-africains apparaît
nettement différente
de
ces deux
types
de
conception
que
nous venons
d'évoquer.
Les Nubiens
et
les
Egyptiens,
dont
la parenté
avec
l'Afrique
Noire
ne
fait plus
de
doute
de
nos
jours
(1),
st:::
sont élevés
de
bonne
heure
à l'idée d'un Dieu créateur de
l'univers et maître
de
tous
les
hommes.
Aucune
étude
anthropologique menée
jusqu'à présent en Afrique
Noire
n'a permis d'affirmer
qu'une
seule
société
africaine
ait vécu
au-dessous
de
cette
conception d'un Dieu créateur de
l'univers
que
révêlent
les mythes.
Néanmoins,
cc
Dieu est
générale-
ment
lointain et
très
sauvent difficilement
accessible
ou pratiquement
inaccessible.
On ne
s'adresse
à
lui
que
dans
des
circonstances exceptionnelles. En
temps
urdinaire,
on s'adresse
à
des
esprits ou ancGtres
qui
sont considérés comme
d e s
intermédiaires
e n t r o
le
Dieu
et
les hommes.
La deuxième
caractéristique d~
la pensée
reli-
gieuse
africaine,
c'est
que,
selon la connotation intrin-
sèque
du concept môme
de
religion,
la
religion en Afri-
que
traditionnelle
et
selon l'ordre mythique,
lie dans
un acte
intuitif,
l'homme
à l'homme,
l'homme
à
la divi-
nité et
aux
ancêtres morts,
et
l'homme
à
l'ensemble
de
l'édifice
cosmique.
C'est
ce
quadruple
lien qui
consti-
tue
l'assise
fondamentale
sur laquelle
repose
la con-
(1) Notamment
depuis
la publication des
travaux de
DIOP
(Cheikh Anta)
sur Nations
Nègres
et Culture,
Pré-
sence
Africainc
Paris,
1955.
1

106
duite
de
l'homme mythique.
L'acte religieux,
exprimé
dans le discours mythique,
ne
dissocie
pas
l'homme de
de
la divinité,
des ancêtres primordiaux,
et de
la na-
ture considérée comme
autant d'entités
individuées,
susceptibles d'être
appréhendées chacune
indépendamment
des autres.
Mais
il
les embrasse
toutes en une
seule
saisie globale
sous le rapport
de
lien
fondamental
qui
les unit et par rapport
auquel
elles se définissent
chacune.
(1)
De ce qui précède,
i l y
a lieu de considérer
en premier lieu le fait
que
selon la pensée
africaines
la religion lie intimement
l'homme
à
la nature.
Le
hègro-afrlcain ne pose pas cette dernière comme autre
dans son irréductible altérité.
La nature ne
lui
est
pas non plus éminqmment destinée.
I l
en est une
partie
intégrante mais non privilégiée.
Nature
et homme parti-
cipent tous deux à un même
équilibre cosmique.
Nous SClr}-·
mes donc
loin ici
de
la conception anthropocentrique de
llunivers chez
les occidentaux,
conception selon la-
quelle
l:homme
est le centre du monde,
conformément
l~ finalité
de
la création.
Parc~ qu'elle n'est pa3
spécifiquement autre chose,
la nnture
pour l'homme
négro-africainn'est
donc pas,
à
travers la conception
lnythique,
l'objet
d'une entreprise systématique visant
à la violer.
Si
l'homme
qui y
est
inséré est
obligé
cependant de
tirer d'elle
sa subsistance,
Il
doit no~
seulement le
faire
avec mesure,
mais
encor8
se
soucier
de
rendre
à l'environnement ce qu'il
lui
a
pris.
Le
sacrifice
rbpond pour une
large part
à cette nécessité
de
réajuster l'équilibre
de
l'univ2rs rompu
à
un cer-
tain degré par les emprunts de
l'homme
à
la nature.
L'homme
fait
donc
un avec
l'univers selon
l'ordre mythi-
que,
et participe
à l'existence d'un environnement
a u Cl u e l
i l
a pp art i en t
gr â c (~
à u 11 GYS t è I~i e
d ' a IIi an ces
( 1 )
On remarquera qu'cn langue bambara au j'''181i,
lié:
terme LA~)IRI qui
d
s
é
Lg n e
la religion,
~3 i g n i f i c>
a u c s t
.t i e n .

108
Théoriquement,
l'animisme n'est pas une
reli-
gion comme beaucoup de chercheurs et d'africanistes de
toutes sortes l'ont développé.
Nombreux sont en effet
les auteurs qui
ont trouvé dans
l'animisme une
expres-
sion primitive
de
la pensée
religieuse négro-africaine.
"Le mot
animisme,
écrit FROELICH,
définit
la croyance
en l'existence d'un principe
immatériel,
d'une
"fi;ne"
résidant
dans tous
les êtres et
toutes
les choses visi-
bles et
invisibles.
L'emploi de
ce
terme
est
justifié,
car cette croyance
se
retrouve
dans. toutes
les reli-
tions traditionnelles africaines." (1)
A-vant
d'être
sérieusement remise en questio~ par FRAZER, MAUSS et
la plupart des anthropologues modernes qui
suspectent
de
plus en plus le contenu du concept
animisme,
TYLOR
avait
déjà développé
cette notion dans laquelle
il:
voyait
l'origine des
religions.
Nous
émettons,
quant
à nous,
l'hypothèse
selon
laquelle
l'animisme n'est pas une
religion, ni
l'expres-
sion originelle
de
la conception religieuse négro-afri~
caine.
L'animisme est proprement une
attitude
de
la
pensée conceptuelle face
au monde.
Il
est en somme
une
manière
do
penser et
de
concevoir le monde
et
les cho-
ses en harmonie
avec
les comportements humains.
A ce
titre,
l'animisme
doit
être débarrassé
de
toutes les
connotations r e La g Le u se s
et para-mystiques.
La religion
est un e
0\\10se 1
l'animisme en est une
au t r e ,
Mais
avant
d'approfondir tant
soit peu notre
analyse
de
ce, concept,
évoquons d'abord le mythe
de
la souche
qui
int0rvient
dans la vie
des hommes.
Ainsi
au moins,
nous cernerons
les fondements
mythiques de
l'animisme comme
dimension
transCendante de
la pensée
africaine.
(1)
FROELICH J.C.- Animismes,
Editions de
l'Orante, Fari.,
1964,
p.
22.

109
su
ET
LA
SOUCHE
Autrefois,
il
n'y
avait
pas
d'hommes
sur
la
ter r e ,
S LI
e t
sa
f e rn m e
8 0 ..,,:G E R E
é t aie n t
1e s
seuls
à
y
h a b i t e r .
Mais;
BU-GERE
était
vieille
et
n'avait
pas
d'enfants,
SU
ne
l'aimait
plus.
Un
jour,
de
bon
matin,
SU
s'en
va
à
la
chasse
en
plein
coeur
de
la
brousse.
Il
1
1
chasse
en
vain
pas
le
moindre
gibier.
Oéjà
il
sien
retournait
chez
lui,
quand,
i 1.1
arr êt é
p r ès
d' un
roc he r,
i 1 a p e r ç u t
des
l j
jeunes
filles
qui
dansaient.
En
les
voyant,
il
s'"
m e t
à
trembler
de
tout
son
c o r p s
11
il
court
pour
les
attraper,
mais
les
jeunes
i .,
filles
s'enfuient.
j,'
SU
restait
seul
à
penser
sur
son
rocher
\\>'
IIBU-GERE
ne
m'a
pas
donné
d t e n f a n t s
si
je
pouvais
attraper
ces
jeunes
filles
et
les
con d u ire
dan s
m a
mai son
pou l'
e n
f air e
mes
femmes".
Il
se
met
en
route,
retourne
à
la
m a i s o n ',' une
souche
heurte
son
pied
d r o i t i
"Püurquoi,
di
SU,
as-tu
h e u r t
mon
pied
é
droit
?"
La
souche
lui
dit
"Qu'est-ce
qui
t'urrive
?
-VOiUl,
dit
SU,
j'ai
rencontré
des
jeunes
filles
je
vais
pour
les
prendre
en
me
voyant,
elles
s'enfuient.
-Mords
ma
tête"
dit
la
souche.
SU
iui
rn o r d
la
tête.
La
souche
lui
dit
"Ces
jeunes
filles
sont
des
é
t o i l e s
si
tu
veux
les
attraper,
sème
des
au ber gin e s
bl an che s
der r i ère
ta
mai son
quand
elles
a u r o n t
poussé)
reviens
me
trou-
ver.
SU
s'en
va
il
sème
des
a u b e r-q i n e s
noires.
Quand
les
aubergines
sont
sorties,
il
~a
re-
trouver
la
souche
liMa
tante,
j'ai
semé
des
1
aubergines
et
elles
sont
déjà
sorties.
-Va
chercher
de
la
liane
y a n r o
(1),
lui
dit
1<3
souche,
ct
presses-en
le
jus
sur
les
auber-
gin e SI'.
j'v) ais
S U
pre n d
d e I a
1 jan e
r 0 Li 9 c ,
la
presse,
en
verse
le
jus
sur
les
aubergines.
(Ï)-l~-ïi;~; Ya n r e est une plante grimpante
(Vitacée,
cissus
p r-o d u c t a ) ,

l 1 0
Les
étoiles
ne
regardent
pas
les
aubergines
noi res,
et 1es
ne
se
dérangent
pas
pour
c:el a.
SU
prend
sa
hache
pour
couper
la
souche.
La
souche
pousse
un
cri
"Un
mot
au
moins,
mon
neveu!
-Pourquoi
m'as-tu
trompé,
dit
SU,
ne
m t a s s- t u
pas
dit
de
semer
des
auber-
9 i ne 5
no ire s e t
d' y
ver s e r
f e
jus
d e i a
1jan e
rouge
?"
"Mais
non
rnon
neveu,
dit
la
souche,
ce
n'est
pas
ainsi
je
t'avais
dit
de
semer
des
a u b e r-q i n e s
blanches,
d'y
verser
le
jus
de
la
liane
yanre
tout
autour,
puis
de
tien
aller
et
de
te
coucher
à
l'écart",
"Quand
les
étoiles
descendront
dan s
le champ,
laisse-les
cueillir
des
aubergines
et
remplir
leur
panier;
puis,
tu
sortiras
tout
nu,
tu
les
chasseras
pour
qu'elles
s'élèvent
en
l'air
et
prennent
la
fuite.
Le
jus
de
la
liane
leur
collera
aux
pieds
et
elles
auront
de
la
peine
à s'envoler.
Prends-en
une,
laisse
les
autres
s'en
aller".
Cette
fois,
SU
a
bien
écouté
ce
que
lui
a
dit
fa
souche
et
il
exécute
ponctuellement
ses
ordres.
Au
milieu
de
la
nuit,
les
étoi-
les
descendent
pour
cueillir
des
aubergines.
SU
sort
tout
nu
derrière
elles.
Elles
s'ef-
for c e n t
d e s ' env ole r
;
SUe n
a ~t!) r a p e t roi s
et
laisse
les
autres
partir.
Il
les
emmène
dans
sa
maison.
Bientôt,
elles
1u i
don n e n t
des
e n fan t 5
;
1e
fil s
a rn é,
S U
l'appelle
KA-GERE;
le
second
BU-KATE
le
troisième
KAG-DAME.
(1)
SU
construit
une
nouvelle
maison
au
fond
de
son
enclos
il
y
loge
sa
première
femme
B U - G E t~ E,
A
par tir
d e
c e
j 0 u r - 1à,
1e 5
h 0 m -
mes
peuplèrent
la
terre.
C'est
pou!"
cela
que
nous
tous,
les
hommes
de
la
terre,
nous
sommes
les
fils
d e
SU
mais
les
étoiles
sont
nos
mères.
(1)
f<AGERE
spatule
en
bois
qui
sert
cJ
remuer
l a
pâte
dans
la
marmite.
BUKATE
cendre
de
sel
végétal
f< A GOA iv1 E
pot e él u
qui
5 u p P 0 rte
1e
9 r e nie r
à
mil.

111
A la lecture
de ce mythe et en réfléchissant~
nous constatons la présence dynamique
d'un facteur
essentiel
qui
joue pratiquement le
r81e de cataly-
suer~ Il s'agit, en s'en doute,
de
la souche
à
qui
l'on attribue
la parole et
un certain pouvoir animiste.
Quelle analyse
de
l'animisme pouvons-nous alors
faire
\\\\
à partir de
ce
prototype
?
\\
Il
cohvient de
souligner d'ores et déjà que
l'animisme
con~titue un mode d'appréhension de la réa-
lité.
De ce fait,
il
est la base et
le principe
qui
régissent
toutèS les attitudes et
tous
les comporte-
ments humains chez
les négro-africains.
L'animisme
reste
avant
tout une manifestation conceptuelle
du
"terroir tl
propre aux paiens.
Ce
dernier terme
qui,
littéralement,
veut dire
paysan et est entendu ici
dans son sens archétypal,
n'implique
aucune
apprécia-
tion péjorative
de
notre part.
Cette notion caracté-
rise
très fortement
la mentalité paysanne,
c'est-à-
dire celle des cultivateurs,
des pêcheurs et
des chas-
seurs qui
restent
très attachés
à la terre
d'o~
l'existence
des personnages chtoniens qu'ils décou-
vrent
dans la nature,
la fréquence
des
rites de
pré-
mices,
les
invocations adressées
à un objet daué d'in-
telligence i
ainsi
que
l'indique
le cas de
la souche.
Il
en résulte que
les hommes donnent
une
significa-
tion profonde
à
la terre
et aux objets qui
s'y ratta-
chent directement
ou indirectement.
D'ailleurs,
dans
la mentalité paysanne,
la terre
incessible n'appartient
à personne sinon à tous.
Elle
inclut chaque homme,
ani-
maux et végétaux dans
un mouvemont cyclique continu.
Mais comment cerner la notion meme
d'animisme
à
travers
toutes ces manifestations
?
Ce
terme vient
le plus simplement du v~rbe
animer qui
signifie donner vie,
force,
vigueur,
bref,
le souffle nécessaire
qui
implique
tout
mouvement ct
qui
dynamise
toutes choses.
C'est ce
souffle
qui har-

112
monise
tout
l'univers et
rend
intelligible
la nature
que
les
Grecs nommaient
déjà Pneuma.
Ce Pneuma ou ce
souffle vital
donne
un sens
à
tout
ce
qui
existe
dans
l'univers.
Il
n'y
a
que
les
interprétations
que
les
hommes
en font
qui
diffèrent
d'une
région
à
l'autre.
De
là vi~nt la concepticn animiste
au~h8ntiquement
africaine
selon laquelle
un
souffle vital
est
a t t r i -
bué non
seulement
aux hommes,
mai8
aussi
aux
animaux,
aux végétaux,
aux objets qui
semblent même
inanimés.
De
sorte
que
chaque
objet,
chaque
chose
est
classée
selon
son comportement
qui
interfère
avec
celui
de
l'homme.
L'animisme
est
une
théorie
conceptualiste
de
l'univers.
L'idée
maItresse
qui
constitue
la toile
de
fond
d9
cette
théorie
consiste
en ceci
que
le
souf-
fle
vital
qui
~QLntient l'homme en vie est soumis â
la même
loi
énergétique
et
dynamique
que
le Pneuma qui
anime
ou
donne
vie
aux autres
êtres
de
la nature.
C'est
cette
loi
qui
fait
l'harmonie
et
l'unité
ontologique
des
hommes et
de
l'univers,
des vivants
et
des morts.
Au
demeurant,
cette
idée
se
retrouve
lorsque
le Pneuma
qui
anime
chaque
chose,
qui
s'allume
en chaque
être
par
mesure
et
s'éteint
aussi
par mesure
comme
un feu,
vivi-
fie
sans cesse
les êtres et
les choses
dans
lesquelles
les deux contraires vie
-
mort
co-existent
parfaitement.
Ainsi
la vie
et
la mort
sont
un,
parce
que
l'homme vi-
vant
participe
en même
temps
de
la vie
et
de
la mort,
qui
sont
les deux
inséparables moitiés
d'une
seule
et
même
réalité.
Du reste,
ce
qui
fende
essentiellement
la théc
rie
animiste
réside
en ce qu'il
0x.Lste
un principe
vi-
t al
qui
ré g i t
les ph é nom è ne s
de
l a
na t ure.
Ce Il e - c i · , il
psut être
considérée
comme
une
longue
série
continue,
dont
tous
les
éléments,
à quelque degré
que
ce
soit,
sont
doués
d'un
souffle
intrinsèque
qui
les vivifie
effectivement.
Ce
souffle est
à~1a base
de
la vie
qui
se
déploie
en eux cn se
multipliant
sans
se
diviser,
c'est-à-dire en se
proliférant
grâce
â
son principe

1
113
fécondant.
En somme
la nature
n'est
qu'un souffle vital
permanent.
Et
c'est
cette
conception de
la nature
qui
fait
croire
que
les hommes ne meurent
pas complètement
et
que
leur vie
se prolonge
d'une
façon
ou d'une
autre.
C'est
encore
cette
théorie
qui
donne
à croire
que
cha-
que
chose de
la nature
parle
à
l'esprit
humain par une
sorte
d'attirance
sympathique.
D'où
le
respect
de
l'hom-
me envers
la nature environnante
qui
est,
elle-même,
souffle vital
englobant
l'homme
dans un processus néces-
saire,
parce
que
possédant
lui-même
ce principe vital.
Car i l ne
suffit
pas de
dire, comme
l ' a montré
le
Révé-
rend père
TEMPELS
(1),
que
la pensée
africaine
repose
essenticllement
sur l'idée
de
force,
et
que
l'être
est
doué
de
force,
qu'il
a
de
la force,
à
la manière
d'un
attribut.
Il
faut
aller,
suivant
la théorie
animistc,
jusqu'à identifier être
et
force.
Ainsi,
nous dirons
que
l'être est force
et
que
celle-ci
constitue
l'essen-
ce même
de l'être.
Les
incidences morales d'une
telle
conception sont,
on le
devine,
très
étendues et
nous
ne
saurions nous
apesantir sur leur commentaire.
Nous
indiquerons néanmoins
que
la perception du souffle
i:.
i
vital
ou du Pneuma est
la source, d'une
part de nombreux
interdits
qui
fondent
la loi morale
ct
délimitent
la
sphère
de
la liberté
et,
d'autre part
de
ce
qu'on nomme
généralement
rites et
autres manifestations culturelles,
dont
le but
évident
est
de
signifier constamment
ce
r~euma. Le devoir de
chaque
être
consistera donc
à
tout
mettre en oeuvre
pour communiquer ou
transmettre de
pneuma,
afin de ne point
rompre
l'ordre
et
l'harmonie
cosmiques.
Aussi,
faisant
partie
intégrante d'une
natu-
re
vivante,
le négro-africain,
fort
de
sa théorie,
est-
I~,.
'~'
il
amené
à veiller à
ses gestes et paroles,
à
respecter
les
interdits qui
régissent
ses rapports,
non
seulement
avec
ses semblables,
mais a,ussi
avec
les forces
envi-
ronnantes de
la nature.
Des considérations qui
précèdent,
nous
réité-
rons
donc
notre
hypothèse
selon
laquelle
l'animisme ne
(1)
TEMPELS P.- La Philosophie Bantoue,
Présence Afri-
caine,
Paris,
1949.

114
saurait être
en aucun cas une
forme
primitive de
reli-
gion.
Bien au contraire,
c'est de
lui que
procède
toute
attitude
religieuse.
Exprp.ssion de
l'harmonie et
de
l'ordre
entre
l'homme
et
la nature,
llanimisme est
aussi
expression de cette harmOIlie non moins
grande
et non moins nécessaire entre
les hommes vivants ou
morts.
C'est d'ailleurs cette conception qui
éclaire,
sous un angle nouveau le problème
tant préoccupant de
la mort.
5 - CONCEPTION MYTHIQUE
DE LA MORT
============
La mort est
l'une
des énigm06 de
l'univers
dont
tous
les peuples cherchent
à déceler le secret.
'! '
Chaque
décès
survenu parmi
les vivants,
outre
qu'il
réduit
leur nombre,
trouble profondément
leur équili-
bre psychique.
La vie biologique
semble gtre mise
en
échec
par la mort,
puisque
le
corps devient putresci-
ble et
de ce fait,
se
transforme.
Devant
de
tels évè-
nements,
quel
est
le
sentiment des Africains?
Quelle
est
leur conception de ce problème? C'est en nous
• .
1'
l' ! ~ •
, .
référant,
dans l'immédiat,
à ce
que
disent
les mythes
.:
1
1.;.
que nous pourrons essayer de
concerner ce phénomène.
I,i,!!
!\\!;ii·
111
1
" ,
',J!!11
!f!
\\ i:
1;,'
'j'l"
:1 .:

115
UN
DEM 1 URGE
au 1
RESSUSCITE
LES
MORTS
Un
jour,
une
femme
rassemble
des
calebas-
ses,
en
remplit
trois
paniers
carrés
puis,
avec
Si]
grélnde
fille,
va
les
vendre
au
vil-
1 a ge .
Oua n d e l l e S
son t S,'-J r i a
r 0 u t e e t
qu' e Ile S
ont
m a r c h
un
peu,
la
jeune
fille
qui
a
la
é
col i que,
dit
à
s a
9 r and::: m ère.:
'1 J'a i
env i e
dia Ile r'
a u x
cab i net s.
- 0 h
!
dit
1a
g r and -
mère,
cette
terre
n'est
que
de
I~ pierre,
.'
ne
fais
pas
dessus
prends
une
calebasse
et
fais
dedans".
L<'l
fille
prend
une
cale-
basse
et
fait
dedans.
Elle
continue
ainsi
tout
le
long
de
la
route,
jusqu'à
ce
qu'il
n'y
ait
plus
de
calebasse.
"Grand-mère,
dit-elle,
j'ai
encore
envie
d'aller
aux
cabinets.
-Cette
terre-là,
dit
la
grand-mère,
est
la
terre
de
tes
ancêtres,
tu
peux
faire
dessus,
il
ne
t~;arrivera pas
malheur".
La
fille
s'accroupit,
se
soulage.
Quand
elle
veut
se
relever,
ses
fesses
restent
collées
s u r I l a
pierre.
La
grand-mère
va
au
village,
prend
un
coupe-
coupe,
revient,
fixe
en
terre
un
paillasson
de
clôture,
élève
une
hutte
au-dessus
de
sa
fille.
Quand
elle
lui
apporte
a
manger,
elle
chante
"Mon
enfant,
signe
de
malheur
iVton
enfant,
signe
de
malheur
Pet i t
oiseau
ni c h é
au
mil i e u
du
gum,
Signe
de
malheur
;
Pet i t
oiseau,
descendant
de
Nojikoui,
~,
Signe
de
malheur
!"
L'a
je une
fille
1 u i
répond
en
chantant
"Maman,
je
sui s
1 à
Maman.,
je
sui s
1 à
Cet t e p i e r r e
est
1a p i e r r e
qui
colle
a u x
f esse s ,
Et
j'y
reste
fesses
collées,
Moi,
la
belle
jeune
fille,
Moi,
la
canne
à
sucre
élancée
Vais-je
toujours
rester
dans
ce
d é s e r t ?
Maman
!
Maman
! 11

116
Quand
elle
a
fini
de
chanter,
les
portes
s'ouvrent,
la
porte
de
la
clôture
et
celle
de
la
hutte
sa
mère
peut
entrer.
Elle
1 ui
donne
à
manger
et
referme
soigneusement
les
portes,
en
s'en
allant.
Un
jour,
le
lion
se
promenait
en
brousse
i 1
arr ive
der r i ère
1 a
h u t te,
è n!t: end
1 a
cha n -
son
et
sten
retourne.
Une
souche
le
heurte,
i l s urs <3 u t e e t
f ait
vol t e
f ace
pou r i a
f r a p p e r,
"Ne
me
frappe
pas,
dit
la
souche
assieds-
t o i ;
mâche
de
la
terre
douce
et
crache-la
mâche
de
la
terre
amère
et
avale-la".
-Le
lion
obéit.
"J'ltaintenant,
lui
dit
la
souche,
mets
un
gros
caillou
dans
le
feu,
qu'il
devienne
rouge
comme
la
braise
puis,
a v e l e
l e
v
'!

Le
lion
s t e n
va,
prend
un
petit
caillou,
le
fait
à
peine
noircir
au
feu,
l'avale
e t
posté
devant
1 a
porte
de
1il
hutte,
il
chante
"Mon
enfant,
signe
de
m a l h e u r
Lh
ivlon
enfant,
signe
de
malheur
Petit
oiseau
niché
au
milieu
du
gum,
(1)
Signe
de
malheur
Petit
oiseau,
descendant
de
Nojikoui
Signe
de
malheur
1"
Mais
il
a
gardé
sa
grOSSE;
voix
et
la
fille
lui
répond
l'Hé!
toi
l'homme
qui
chante,
tu
n'es
pas
ma
m
r e
è
'! •
LE:I ion
s' e n
r e t 0 u r n e
e n
cd 1 ère
pou r
f r a p p e r
la
souche.
"Ne
me
frappe
pas,
lui
dit-elle,
ne
t'avais-je
pas
dit
de
prendre
un
gros
caillou
et
de
bien
le
faire
rougir
au
feu".
Le
lion
s'en
va
vite,
prend
un
gros
caillou,
le
fait
rougir
comme
la
braise,
puis
l'avale
maintenant
sa
voix
e s t
changée.
QU<3nd
il
chante
d e v a n t
la
p o r t e
"Mon
enfant,
signe
de
malheur
Mon
enfant,
signe
de
malheur!
Petit
oiseau
nivhé
au
milieu
du
gu m ,
Signe
de
malheur
Pe t j t o i 5 eau,
des c end a nt
de
Nojikoui,
Signe
de
malheur
1 "
Sa
voix
est
devenue
douce
comme
celle
de
la
mère.
( 1)
GU Mes t
un a r bus t e
dei a
s a van e
dan 5
1a
régi 0 n
de Boss'3ngoa,
Nanabakassa
en
République
Centrafricaine.

117
La
fille
croit
que
c'est
sa
mère
et
chante
en
r(~pOn5e
,! tA a man,
je
sui s
1 à ! iv\\ a man,
je
sui s ' 1 à! !
Cette
pierre
est
la
pierre
qui
colle
aux
fesses,
et
j'y
reste
fesses
collées,
i\\1 0 i
1 a
belle
jeu n e f j Ile ,
iv\\ 0 i ,
i iJ
C a n n e
à
suc r e
é 1 3 n c é e
Vais-j''''
toujours
rester
dans
ce
d
s o r t
)
é
Ma m a n
!
('il a rn 3 n
l '1
La
porte
s'ouvre
l e
1 ion
entre,
1 LI i
sa ut e
à
la
S]orge
et
la
dévore.
La
mère
arrive,
e n t r e
par
ln
porte
r e s t è e
béante,
voit
les
r e s t e s
e n s n n q l a n t è s
de
sa
fille,
recule
d l h o r r-e u r-
,"ct
tombe
par
terre.
Puis,
elle
se
r e l
v e ,
prend
la
tête
de
sa
è
fille
et,:.; 1 f; n
v a
a u
p a y s
d u
f a b r i c a n t
d 1 h 0 m mes •
Elle
arrive
au
p i c d
du
ikirkiti
(1)
"l<'irkiti,
k i r k l t l ,
lui
dit·-elle,
ne
montres-tu
pas
la
route
.'1<JX
g e n s ? -Moi
qui
suis
là,
avec
mes
beaux
fruits
rouges,
répond
l'arbre,
quand
les
gens
passent,
cueillent
mes
fruits,
les
suc e nt::; 3 n s
v e r- 9 0 9 ne,
pou r il u 0 i
1e u r
mon t r e -
rai 5 - j c
1 a
r 0 u t e ? I l L a
f e. rn m e
p rit
u n
f r u i t 1
le
porte
à
sa
b o u c h e ,
puis
le
remit
dans
la
calebasse
s u r l l a
tête
de
sn
fille
et
passa
son
chemin.
E Ile
a r' r j v è
a u
pie d
d u
K i a • (2)
" K i a,
l, i a ,
d i t e-e Ll e
n e
montres-tu
pas
la
route
aux
g e n s ?
-:\\1oi
qui
suis

a v e c
mes
beaux
fruits
dorés,
r 8 p 0 n d l ' a r' b r e ,
qua n d i e 5
9 e n 5
pas sen t ,
cueillent
mes
fruits
et
les
sucent
sans
vergo-
gne,
pourquoi
leur
montrerais-je
la
route
)"
L a
f e ln :"(1 e c u e i 1l '2
U n
f r u i t , l e
p 0 rte
à
s a
b 0 u che
et
le
dépose
sur
la
tête
de
5<1
fille.
Elle
passe
au
pied
du
karité
(3)
"Yohu,
Yohu,
lui
dit-elle,
ne
montres-tu
pas
la
route
aux
g e n s ?
-Moi
qui
suis
là,
répond
l'arbre
et
qui
l a i s s e
tomber
mes
fruits
en
a b o n d a r- a e ,
quand
1e s
9 e n s p a 5 sen t ,
1e s r ' 1"' n rn il S sen t
e t
1e s
man -
gent
sans
vergogne,
pourquoi
leur
montrerais-
je la
r o u te
? "
La
f e m rn e
p r e n d
une
noix
de
karité
1a
p 0 rte
à
S;1
b 0 u che
e t
i a
dép 0 s e
dan s
1a
cal e-
basse.
(1)
Kirkiti
est
un
arbuste
épineux Gant
les
fruits
j e u n o s
et
acides
r e s s e rn b l e n t
par
la
s a v c u r
à
1 a
p r une Ile
s a li vag c
(01 a cac é es.
xi rn e n i ct am e r i ca na).
( 2)
1< i a est une
1 jan e
à c a o u t c hou C (1 ct n dol phi a h 0 u d c -
lot i i ) .
1
(3)
I<êlrité est
l'arbre
à beurre (butyrosp2rmum p a r k i i )
Yohu est
le
fruit
de
karité.
1

118
Elle
a r r i v e
enfin
au
pays
du
fabricant
d'hom-
mes.
Il
était
aux
champs.
Mais
sa
femme,
qui
était
il
la
maison,
lui
dit
"Quand
le
fabricant
d'hommes
viendra,
avec
une
botte
d'herbes
sur
les
fesses,
ne
te
moque
pas
de
lui,
cours
à
sa
rencontre
et
prends
lui
sa
botte.
S'il
te
dit
de
donner
de
l'herbe
aux
moutons,
donnes-en
aux
c a b rI s
s'il
te
dit
de
donner
de
l'eau
aux
poules,
donnes-en
aux
canards.
Bientôt
après,
le
fabricant
d'hommes
arriva
il
marchait
la
tête
en
bas
ct
portait
une
botte
d'herbes
sur
l e s
fesses.
La
femme
court
au
devant
de
lui,
décharge
sa
botte.
Le
fabri-
cant
d'hommes
lui
dit
de
la
porter
aux
mou-
tons,
elle
la
prend
et
la
donne
aux
c a b rl s .
Il
p u l s e
de
l'eau
c t
lui
dit
de
la
porter
aux
poules
elle
la
donne
aux
canards.
Puis,
il
lui
demande
"Quelle
hutte
veux-tu
que
je
t e
donne
pour
dormir?
Veux-tu
une
hutte
vide?
ou
bien
l'étable
à
chèvres
ou
encore
I~
poulailler?
-Je
suis
une
étran-
9 ère,
r é p 0 n dit
1 a
f e m me,
e t
t u e s i e
ma Ît r e
de
la
maison
donne-moi
la
hutte
que
tu
voudras
pour
y
coucher"
Le
fabricant
d'hom-
mes
lui
donna
une
belle
hutte
bien
propre.
Le
lendemain,
de
bon
matin,
il
lui
dit
"Va
en
b r cu s s e ,
ramasse
du
sable
sur
i e q u e l
aucun
oiseau
n'a
fienté,
casse
du
bois
mort
sur
lequel
aucun
oiseau
ne
s'est
o o s é !".
La
femme
s'en
va
en
brousse,
casse
du
bois
r.
mort
sur
lequel
aucun
oiseau
ne
s'était
ja-
mais
posé
et
ramasse
du
sable
sur
lequel
aucun
oiseau
n'avait
fienté.
Le fabricant
d'hommes
allume
du
feu,
y
pose
un
tesson
de
rn a r rn i t e ,
verse
le
sable
dedans.
Quand
le
sable
est
chaud,
il
dépose
la
tête
de
l'enfant
d e s s u r, ,
la
calcine
jusqu'à
ce
q u l c l l e
soit
bien
noire.
Puis
il
verse
le
tout
dans
le
mortier,
p re n d
son
pilon
et
pile
jusqu'à
rédui re
tout
en
poudre.
A 10 [' s ,
i 1 dit
à
1a
rn è f' e
" T i e il 5 - toi
p r- G t e l '1
et
donne
un
grand
coup
de
pilon
d e
toutes
ses
forces
"Wou . . . ou
l ' I
Les
Baya,
l e s
Badeguir,
1e s
IV: ,j n d j a s 0 r tir e n t
e n
fou 1e .
1 1
don n c
u n s e -
con d
cou p i e s
1'.1\\ U 5 ulm ans,
1E. S
E u r 0 p é e n s,
des
9 e n s
d ,-.;
t 0 u t e r ' ace
sor' tir I:~ n t
c n
fou 1e.
1 1 don n e
un
t r o l s I o m e
coup
\\ 8 S
i'·J1b;li,
les
c5ar::J,
les
Ngambai,
les
Ngi.1'T'li)
s o r t i re n t
en
foule.
Il
de-
;,1é1f1Ja
"Tu
fille
n'est
p a s
e n c o r e
l à ?
-Non,

119
" ,
\\1
dit-elle,
ma
fille
n'est
pas
là".
Il
frappa
encore
et,
cette
fois,
la
fille
apparut
toute
,,~H:'t'
seule
"Est-ce
bien
ta
f i l l e ?
-Oui",
dit
la
femme.
.. ~
Le
fabricant
d'hommes
prit
du
sésame
et
le
donna
à
1a
mère
en
d i san t
" V a - t - e n
rn a i n t e -
nant
dans
ton
village
si
quelque
chose
remue
derrière
toi,
ne
te
retourne
pas,
prends
un
peu
de
sésame
et
jette-le
par
des-
sus
ta
tête".
La
femme
prit
le
sésame
et
s'en
alla.
Quand
quelque
chose
remuait
der-
r i e r e
elle,
elle
jetait
du
sésame
et
ainsi
jusqu'à
ce
qu'au
village,
alors,
il
ne
lui
restait
plus
rien.
'.,'
Quand
elle
voulut
entrer
dans
sa
maison,
sa
fille
était

devant
elle.
De
joie,
elle
se
frappa
la
poitrine
et
la
prit
dans
ses
bras.
En
apprenant
la
nouvelle,
une
jeune
fille
attrapa
sa
mère,
l'égorgea,
laissa
le
corps
dans
la
maison,
mit
la
tête
dans
une
cale-
basse
et
partit
en
disant
"Ma
mère
était
vieille,
je
veux
J'emporter
là-bas
pour
qu'
elle
redevienne
comme
un
enfant".
Elle
marcha
longtemps,
puis
elle
arriva
au
pied
du
Kirkiti
"Kirkiti,
kirkiti,
dit- vile,
ne
montres-tu
pas
la
route
aux
gens?
-Moi
qui
me
tiens

avec
mes
beaux
fruits
rouges,
dit
l'arbre,
quand
les
passants
cuéillent
mes
fruits
et
les
sucent
sans
vergogne,
pourquoi
leur
montrerais-je
la
route
?"
La
jeune
fille
s'arrêta,
suça
des
kirkiti
tout
son
soûl
et
déposa
un
frui t
sur
1a
tête
de
sa
mère.
Elle
passa
plus
loin
et
arriva
au
pied
du
kia
"Kiél,
kia,
dit-elle,
ne
montres-tu
pas
la
route
aux
gens?
-Moi
qui
suis

avec
mes
beaux
fruits
dorés,
répondit
lIa r b r e ,
quand
les
passants
cueillent
mes
fruits
et
les
sucent
sans
vergogne,
pourquoi
leur
mon-
trerais-je
la
route
?I!
La
jeune
fille
s'arrêta,
suça
des
kia
tout
son
soûl,
puis
en
cueillit
un
dernier
qu'elle
déposa
sur
la
tête
de
sa
,
mer e .
En
continuant
son
chemin,
elle
arriva
devant
le
karité
"Yohu,
y o h u ,
lui
dit-clic,
ne
mon-
tres-tu
pas
la
route
aux
gens?
-Quand
mes
fruits
t o rn b e n t
en
abondance,
répondit
l'arbre,
que
les
passants
les
ramassent
e t v/ l c s
mangent
sans
vergogne,
pourquoi
leur
montrerais-je
la
route
?"
La
fille
s'3rrêta,
mangea
la
pulpe
des
noix
de
karité
tout
sor.
soûl,
puis
déposa
une

120
,
noix
sur
la
tête
de
sa
mer e .
Efle
marcha
encore
et
a r r-i v a
au
village
du
fabricant
d'hommes.
Il
était
aux
champs.
Mais
Ba
femme
lui
dit
"Quand
le
fabricant
Il;'
d'hommes
viendra,
ne
te
moque
pas
de
lui,
cours
à
sa
rencontre
et
décharge-le
de
son
fardeau
s'il
te
dit
de
porter
de
l'herbe
aux
cabris,
porte-la
aux
moutons;
s'il
te
dit
de
donner
à
boire
·'lUX
canards,
donne
à
boire
aux
poules".
Bientçt
après,
le
fabricant
d'hommes
revint
des
champs.
II
portait
une
botte
d'herbes
,
.,
sur
l e s
fesses
et
m a r c h a i- t
la
tête
en
bas.
Quand
la
fille
l'aperçut,
elle
éclata
d e
rire
i ./
et
dit
"Depuis
mon
enfance
jusqu'à
présent,
je
n'ai
j a m a i s
vu
un
homme
assez
fou
pour
marcher
la
t
t e
en
bas
ê
I "
Elle
riait
telle-
ment
qu'elle
en
tomba
par
terre
cependant,
elle
lui
prit
sa
botte
d'herbes.
Le
fabricant
d'hommes
lui
dit
"Va
et
donne
de
l'herbe
aux
cabris".
Elle
prit
l'herbe
et
la
donna
aux
cabris.
Il
puisa
de
l'eau,
et
1 u i
dit
de
donner
il
boire
aux
poules.
Elle
p rit
l'eau
et
donna
à boire
aux
poules.
Puis
il
lui
demanda
"0 1J
veux-tu
d o r m l r-
dans
une
hutte
bien
propre,
dans
J'étable
aux
chèvres
ou
dans
le
poulailler?
-Suis-
je
un
cabri,
répondit
la
fille,
pour
dormir
dans
l'étable,
ou
une
p o u l e
pour
dormir
dans
le
poulailler?
donne-moi
une
hutte
bien
propre".
Le
fabricant
d'hommes
la
fit
coucher
dans
l'étable.
Le
lendemain,
de
b o n
matin,
Il
lui
dit
"Va
en
brousse,
ramasse-moi
du
sable
sur
lequel
aucun
oiseau
n'a
fienté,
coupe-moi
du
bois
mort
sur
lequel
aucun
oiseau
ne
s'est
posé.
- A i e !
s'écria
la
fille,
quel
ordre
stupide
me
donnes-tu

?
A-t-on
jamais
vu
une
bran-
che
sur
laquelle
aucun
oiseau
ne
se
soit
perché?
Peut-on
trouver
du
sable
sur
lequel
aucun
oiseau
n'ait
fienté
7"
Elle
partit
en
brousse,
ramassa
le
premier
sable
qu'elle
t r o u v a ,
le
premier
bois
mort
venu
et
le
rap-
porta
au
fabricant
d'hommes.
Celui-ci
fit
du
feu,
y
posa
un
tesson
de
mar-
mite,
y
versa
te
sable,
déposa
le
crâne
par
dessus,
le
calcina
et
versa
le
tout
dans
le
mortier.
Puis
il
pila
jusqu'à
ce
que
tout
soit
en
poudre.
Alors,
il
lui
dit
"Tiens-
toi
prête
!"
Il
donna
un
grand
coup
de
pi Ion

121
" Wou
!"
Les
8 a y a,
1e s
Man d j i ,
1e s
fJ a d e §j<UJ i r
sortirent
en
foule.
Il
donna· un
second
coup
" WOU
!"
Les
i-A U GU 1man s , l e 5
EEu r 0 p é e n s
sor t i -
rent
en
foule.
Au
troisième
coup
les
Mbai,
les
Sara,
les
Ngama,
les
Ngambai
sortirent
en
multitude.
Il
lui
demanda
"Ta
mère
n'est
pas

?
-Non,
elle
n'y
est
pas",
dit
la'fille.
II
frappa
encore:
cette
fois,
la
mère
appa-
rut
toute
seule.
"C'est
bien
ta
mère
qui
est

?
- 0 u i ",
dit
1a
fille.
1 1 p rit
d u s és a m e
et
le
lui
donna
en
disant
"Va-t-en
mainte-
nant
au
village
si
quelque
chose
remue
der-
ri ère
toi,
ne
te
retourne
p a s ;
prends
un
peu
de
sésame
et
jette-le
par
dessus
ta
tête. §
-Quel
ordre
s t o p l d e
me
donnes-tu

!
dit
la
fille
si
quelque
chose
remue
derrière
moi 1
que
j e
mer e t 0 u r n e
e t
que
je
n e
v 0 i s
l' i en,
que
peu t - i 1 m' il r r ive r'
?"
Elle
se
mit
en
route
pour
son
village.
Quand
l e s
feuilles
remuèrent
derrière
elle,
elle
se
retourna,
prit
un
peu
de
sésame,
le
jeta
par
dessus
sa
tête
et
mangea
tout
le
reste.
Une
fois
arrivée
au
village,
elle
e n t r a
dans
sa
maison
sa
mère
était
là,
mais
des
taches
de
lèpre
couvraient
son
corps.

122
!
,f,
Il
Y a,
par ailleurs,
plusieurs
autres
récits
mythiques qui
retracent
la genèse même
de
la mort,
que
",1 ;
presque
tous tendent
à considérer comme
un
épiphéno-
mène.
Ainsi,
les KONO de
Sierra Léone,
racontent
qu'au début,
l'homme vivait
avec
sa femme
et
leur jeune
enfa~t. Ils avaient appris de leur ancêtre qu'aucun
d'eux ne
mourrait
et
que, lorsqu'ils
seraient
devenus
vieux,
leurs corps
se
couvriraient d'une
nouvelle
peau.
Un Esprit
divin qui
fabriquait
des peaux neuves
en fit
.
un ballot,
qu'il
confia au chien pour qu'il
portât
à
..~
l'homme.
Le
chien partit
avec
le ballot,
mais en che-
min,
i l
rencontra des
animaux qui
faisaient
un bon
repas de
riz.
Ils
invitèrent
le
chien qui
posa son
bagage
et
reçut
sa part
de
repas.
Tandis qu'il
man-
geait,
on lui
demanda ce
qu'il
y
avait dans
le ballot.
Il
répondit
que
c'était des peaux neuves qulil
était
chargé de porter aux hommes.
Le
serpent
qui
avait écou-
'1:
','

la conversation,
s'éclipsa sans bruit,
vola le
bal-
lot
et partagea les peaux avec
ses
semblab·les.
Le
chien dû avouer à
l'homme que
les peaux avaient
été*
volées et
tous
deux se rendirent
auprès
du fabricant
qui
déclara que
les stocks étaient
définitivement
épuisés.
Le
serpent,
quant
à lui,
garda les peaux et
les hommes se mirent
à mourir.
En châtiment,
le
ser-
p~nt fut chassé des villages et dut se réfugier pour
toujours dans un
trou.
Lorsqu'un homme
rencontre un
représentant de
cette
espèce,
i l met
tout
en oeuvre
pour le
tuer.
(1)
Les MBUNDU d'~~gola,
racontent
le
récit
de
deux frères,
dont
l'un,NGUNZE~ alors qu'il était
loin de
chez
luJ,
rêvE':
Que
l'autre
était mort.
Quand
Il
revint
au bercail,
i l
demanda qui
avait
tué
son
frère.
~~ môre lui répondit que c'était la mort. Le
garçon se
jura de
venger
son frère
et
alla voir un
forgeron pour qu'il
lui
confectionnât
un grand piège
li)~~ifiRIN;ER G.- Mythologies Africaines, a.D.E.G.E.
F'ar i s ,
1 S 6 9,
p.
54.

123
"
de
fer.
Il
plaça le piège
dans
la brousse,
le
survcillË
avec une
grande vigilance
et
la mort
tomba
dedans.
EIL:
supplia NGUNZA de
la libérer,
mais le j~une homme refu-
sa,
disant
que
la mort
tuait
les
siens sans pitié.
Mais
la mort nia le
fait
et déclama que
les hommes mouraient
toujours par leur propre
faute
ou par celle d'un tiers.
Si NGUNZA voulait bien la relâcher,
elle
lui
ferait vi-
siter son pays et veillerait sur lui.
NGUNZA accepta
1
l,'
'j' \\\\11

"1
et,
quatre
jours plus tard,
ils prirent
le
chemin du
pays de
la mort.
Au terme
du voyage,
la mort dit
à
son
compagnon d'observer les nouveaux arrivants.
Elle-même
les interrogeait,
leur demandant
qui
les avait
tués.
Certains répondaient
que c'était leur vanité,
d'autres
un mari
jaloux,
et
ainsi
de
suite.
Tous,
en tout
cas,
avaient péri
de
la main d'une
créature humaine et
i l
eut
été injuste
d'en blâmer la mort.
"
'"
La mort
dit
à NGUNZA qu'il
pouvait
aller à la
recherche
de
son frère
et NGUNZA fut
heureux de
retrou-
ver le
jeune homme
aussi
vivant
qu'il
l'avait
été sur
la terre.
NGUNZA déclara alors qu'ils allaient tous
deux regagner leur demeure
terrestre.
Mais,
à
sa grand2
surprise,
san frère
~efusa de partir,
afftrmant
qulil
était plus heureux au pays de
la mort.
NGUNZA s'en
revint seul
chez
lui,
mais avant
son départ,
la mort
l ,i
lui
fit
don des gra1~es de
toutes les plantes nourri-
cières que
l'on cultive
aujourd'hui
en Angola.
(t)
r.,
Ces récits mythiques ne
nous apprennent
appa-
remment
rien sur la mort en sa spécificité.
Cela montre
qu'en elle-m@me,
la mort
en tant
que phénomène,
est dif-
ficile
à
cerner puisqu'on ne peut pas en faire
une
dé-
monstration cohérente.
Par démonstration,
nous entendons
',Iii,
Iii'!
...1
,'II
des données controlables relatives à dos faits
que
l'on
(1)
PARRINDER G.- op.
cit.
p.
63.

124
peut obse~ver, des états mesurables et dès correlations
à établir.
Or,
c'est
toujours .p a r- rapport
à
la vie pré·-
sente ou "post mortem"
qu'on ~xamine la mort ou plutôt
ses effets,
mais
jamais la mo~t elle-même. C'est dire
.
i
. .
combien elle échappe
à la représentation humaine.
!
Toutefois,
les textes que nous venons d'expo-
..
ser donnent en quelque,sorte ~ne certaine o~ientation
i
à l'analyse
qu'ils suggèrent.
Pour commencer,
nous
remarquer~nsque la pensée africaine considère la mort
comme une naissance ou plus exactement comme une
re-
,
naissance. ·D'abord parce que, .comme
toute naissance,
elle est
toujours quelque
cho~e de nouveau. Ensuite,
1
parce
que
le
symbolisme du serpent qui
s'est emparé des
!
pGQux neuves indique
qu'à la mort,
l'homme
se
transfor-
me,
se mét~morphose. Et cettométamorphose marque la
transition d'un état de vie
à un autre état.
Notre
deuxième
remarque
est qu'on trouve dans
ces: récits,
notamment dans lei dernier,
cette conception
bien africaine
selon laquelle: la mort n'est
.t am a t >
Y'
turelle,
Elle
intervient toujours
à
la suite
de
quel-
que méfait h~main. A ce propos,
nous voudrions apporte~
la précision que cette derniè~e idée concerne en par-
ticulier le cas du décès d t un homme
adulte qui est
e r.-
core dans
la force
de
Gon
âge
adulte.
A cet [loge,
Or!
'.'
estime en effet que l'homme vigoureux,
fort
physique-
ment et psychologiquement
a acquis beaucoup de ri-
chesse et de renommée.
De ce fait,
il
s'attirera des
envies et des
jalousies qui causeront nécessairement
sa mort.
Il
faut
comprendre ~ar là que
les relations
inter-humaines sont parfois, let pourquoi pas souvent,
cause d'altérations et de dégradations psychique
et
1
.
physique.
De mGmeque
des éléments extérieurs
à nous,
tels que
de a
virus,
sont
sus~eptibles de
provoquer des
.
1
troubles et
affecter l'organisme.
Si
la mort
intervient
dans un cas comme dans l'autre,
les Africains disent
.
qu'elle
nécessairement provoquée.
Par contre,
on
h'.

125
dit du nourrisson qui meurt qu'il s'en est retourné
parce qu'il ne se plaisait pas en ce monde-ci.
Quant
au vieillard qui
rend son dernier soupir,
dans la séré-
,
nité,
on dit qu'il est parti
à la maison,
comme le dé-
clarent les FON? Les YORUBA, pour leur part,
affirment,
à propos de
leurs vieillards m,orts,
"qu'ils font
sem-
blant de n'être pas là ll •
Ce qui
signifie en d'autres
termes que l'homme vivant est cause de sa propre mort
dans laquelle i l est impliqué dès la naissance.
De
telle
sorte que la mort en tant que telle est insai-
sissable,
ou du moins,
elle ne représente pas un fac-
teur de négativité ou d'anéantissement.
La pensée afri-
caine n'admet pas la thèse de
la mort-anéantissement,
la ~ort-perte de l'homme,
comme on la conçoit en Occi-
dent.
Bien au contraire,
les Africains s'accordent
à
reconnaitre dans la mort une nouvelle source de vie,
comme l'indique la figure
symb;Olique du "don des grai-
nen de toutes les plantes nourrici~res~~ Ce qui revient
à dire qu'en fait,
la vie et la mort ne sont pas des
réalités opposées.
Tandis que
l'Occident ne voit plus
ses morts qu'à travers leurs oeuvres ou leur histoire,
,
la mort établissant une cloison étanche entre le monde
de
la vic ct celui d'outre-tombe,
l'Afrique Noire con-
çoit quant
à elle
la société comme une communauté où
vivent ensemble morts et vivants.
La mort,
en défini-
tive,
n'cGt pas une
rupture.
Elle n'instaure pas non
i
plus une
disparition ou une absence.
Elle est,
tout ~0~
IlIl
compte fait,
un passage permettant l'accès à un statut
\\'
ontologique supérieuri. D'o0 l'animisme
joue un grand
1:ii
rôle conceptuel.
Car les défunts continuent à parti-
ciper,
à part entière,
à la vie de la société.
Ils
assistent les vivants qui
les invoquent en toute cir-
i.
1
constance,
et recoivent d'eux ien retour,
hommage et
L
offrandes s ' i l s ont mérité de
leur vivant.
A telle
"
.1
enseigne que
les deux mondes,
celui des vivants et
!
celui des morts, dont on ne peut dire qu 1 il existe entre
eux une
ligne de démarcation bien distinctes
dialoguent
constamment et se contrôlent mutuellement.

126
Ce
lien vital
qui
unit
la société
aux ancêtres
morts
est
le
garant
le
plus
sûr de
Ilharmonie
qui doit
régner dans
les
rapports
entre
les
membres
v i.can t s .
Les ancêtres ont
édicté
un ensemble
de
règles
qui
doi-
vent
présider
à
c~s
rapports.
Chaque
individu,
selon
son statut et son rôle,
occupe
sous
un rapport
quel-
conque, une
place
spécifique
qui
lui vaut
des
devoirs
dont
i l
doit
s'acquitter et
des
droits
qui
doivent
~tre
respectés.
Il
existe Russi des règles concernant les
rapports
entre
les hommes et
le
r3ste
des
choses de
l'univers. Et
cet
aspect
rejoint
ce
que
nous
avon~ dit
plus haut
au
suj?t
de
l'animisme en tant
que
théorie
du
Pneuma vi tal.
L'ensemble
d e c
prescriptions
ances-
trales
qui
gouvernent
l'éthique
quotidienne
de
chaque
individu forme
le
décorum des
interdits de
la société.
c'est pourquoi
toute
violation des interdits entra!ne
en principe
un rite expiatoire ct purificatoire. Le
sacrifice
qui
est
presque
toujours
présent,
se
révèle
ainsi
uns
fois
de
plus comme un acte
réparateur visant
à un réajustement de
l'équilibre
cosmique.
Au
terme
de
cette
analyse
de
la conception re-
ligieuse négro-africaine et
de
l'animisme,
nous nous
sommes
fonùé
à voir dans
ces
deux cas
un paideuma
commun aux différentes aires culturelles de
llAfrique
Noire.
Ce paideuma est plus précisément
la
três
grandA
importance
du fait
religieux dans
la vie
sociale
des
Africains,et
la caractéristique
conceptuelle
de
leur
mentalité
sous
le
rapport
de
l'animisme
et
de
l'idée
que
les Africains
se
font
de
la mort.
La traduction en
termes
clairs da
ce
paideuma nous
semble
§tre
le
désir
chez
l'homme noir de
sc
soumettre
à un ordre
transcen-
dant mu par le
Pneuma vital.

127
6 -
LA STRUCTURATION DE LA SOCIETE
L'ORGANISATION
TECHNO-ECONOMIQUE
E Cl'
LANli T URE
DU
POU VOl Fi
POL l '~' j :Q 'JE
SELON
L'OEDRE MYTHIQUE
===:::==:'::=:=:'-:0==
L'6tude
0e
la conception
religieuse
et
de
l'an.i.misme3
travers
les mythes ne
pouvait
être
disso-
ciée
de
celle
des
[tructures
sociales.
Les mythes
expliquent
l'ordre
social.
Et
celui-ci
se
veut
le
reflet
d'une
réalité
mythique.
Les mythes
illustrent
et
matérialisent
les
fondements
mômes de l'autorité
ct
du p o u v o i r
p o l t t i quc ,
tout
en
stigmati~;ant llorga-
nisation techno-économique.
Dans
les pages qui
vont
sui v r c ,
J"1 0 \\.1 S
D. L L 0 ri~;
c h c-: r che T
Ô
cc <1 r- 8. C t r'~ )~L ,,", e r
t 0 U :c;
C E; S
aspects
dans
toute
leur co~plexité.
Dans
cet
ordre
d' td é e s ,
i l
Y
a d ' abord
Li e u
de
parler de
la parenté
Q,1C
laisse
t.r-ans p a r a
t r-e
le
î
discours
mythique.
L'extrême
importance
que
revêt cell r
ci
en Afrique
Noire
n'a
jamais échappé
à personne et
trouve
son fondement
dans
les mythes mômes.
La parenté
de ven u e
(;: f' l~ C c t I v e
par
l e t rue hem e nt
cl e ,:;;
my t 11 C [-; i
,:; C'
définit
comme
un
système opératoire
qui
organise
les
individus
au sein d'un
réseau
coordonné dl actions e t
de
réactlons mutuelles.
Mais chez
18S
négra-africains,
n-: n
se u l C !TIen t e e t t e p are nt é
e :f Î e c t ive
C 0 U VI' (;
une
ex t e n --
sion extraordinaire,
mais
encore
i l
y
a une nette pro-
pension
à assimiler
toute
personne
r-c n c o n t r-é o
une
à
catégorie
quelconque
de
la parenté.
C'est
ce
qui
expli-
que
que
dans
les mythes,
on n'hésite
pas
~ atas3imil~r
ou
à s'apparenter un
certain nombre
d'animaux mythi-
Cl 1.1 e s t e l s
que
l a t 0 r tue,
1: ct rai g née,
etc.
Pou r
Cl n
1. n cu. ..
vidu,
i l
y
a
ainsi
dans
un village
00 se marle la sGGur,
autant
de
beaux-parents,
de beaux-frères ou de
bclles-
soeurs
qu'il
s'y trouve
de
personnes
de
l'age
de
ses
parents
ou
de
son
âge.
S'agit-il
d'une
régl(;n 00 on

n'a
aucune
sorte
de
relation
avec
les
habitants?
Dans
ce
cas,
les
appellations
se
référant
aux
t~rmes de pa-
renté
sont
beaucoup
Plus
usitées
que
celles
d!ami
ou
de
monsieur,
dont
l'usage
est
signific~tiv~ment fort
restreint
dans
toute
l'Afrique
Noire
traditionnelle.
L ' té: n ~3 e ln b 1 c
ct e
c e p h
nom
n e
n c
peu t.
s
é
è
1 exp l i -.
quer
que
par
le
désir
d'englober
tout
le
monde
dans
un
r {\\ :'.; f}. ;,1 Il
do:,
r ,; l ::1 t i (l li c;
d ('
plu t:
('!'
plu ,';
V;) ,; t f'"
t
t
clc:
plu s
en plus
étroit
aussi.
Ce
qui
implique
le
refus
systé~
matique
de
concevoir
un
individu,
quelle
que
soit
sa
provenance,
ou un
groupe
d'individus
à n'importe
quel
ni ve a u
ci (~
l l ':: xi ste n c e s 0 c i ale
(c l an,
t l' I bu,
e ch nie,
nation
. . . ) comme ni ayant
f o n d arne n t a lc mc n t
rien
il
fa i J' (:;
a v e c
S o.i.
Cie s t
pou r quo i ,
par - ct c l à
les
re lat ion s
intcr-individuellc3,
les
sociétés
négra-africaines
e s
n a
é
t aie n t
p 0 r t
t u r (; .l 1 e rne Il t ,
par
l a
d Y LI 'oUfi i q u (~
cl,~
l,,,: u r
é
mentalité,
à
se
rapprocher
de
plus
en
plU3
cntre
elles,
en
dépassant
les
niveaux
tribal
et
ethnique,
pour
se
réaliser
au
sein d'entités
sociales
plu~ vastes.
Il
faut
donc,
par
prudence,
se
garder
de
l'idée
que
l~
S C: Il S
d e l a
par 0 n t: é
che ,.:
les
Af l' .i c si n s ,
a v c: c
la::; 0 m-
pl ex i t é
d e I a
0 t ru c tu r e
soc i al (; Cl u 1 11
é.1
(:~ n g t::: n cl rée,
était
condamné
à
disparattre
a
mesure
qu'apparaîtrait
le
mo d c r-i i i u rn..
avec
cc
qui
::::Cil!blc
0!~r'(,' ",.;,:
p a rn mèt.r-o a ,
à
savoir
l'industrialisation,
la division
sociale
la conscience
nationale
Cela doit
venir
probable-
ment
avec
J..(~~:-; nouvelles
t.e c n n o Lo g Le s
c o mrue
nous
a u r-o n s
à
l'analyser
dans
la
quatriôme
partie
du
présent
tra-
vail.
Tous
ces
phénomènes
ont
certes
fait
leur
appari-
t i 0 Il
(j .1 n :.;
l ' f, f r t Cl 1..1 C No i r. c
t r él rj i t ion n ('11 ('
:". n \\ l ;:.
l. p s
for -
rno r;
'1 u C
pou 'lai t a u t 0 ris o r
l (;j
~;:; t: .wd c:
cl e
cl è v e L () P P c mce n t
à
cha C U fi e
cl e s:
é p 0 que s e o n s L cl 6 r è .:; s 1
III Li.l c.,
l e
:>2 n G
p r c..-
fond
de
la parenté
n'a pas
été profondément ébranlé
encor,:;.
Avec
cette
importance
des
faits
de
p a re n t é
et
cette
aspiration
fondamentale
à se
réaliser
ense~-

129
bIe,
nous
sommes devant
un
autre
paideuma n~gro-afri­
cain.
Sa signification nous
semble
être
une
éthique
de
la personnalité africaine
qui
fait
reposer sur la
réalité effective
de
l'intercommunion l'essence
de
la
manifestation et de
la consistance
de
l'individu ~t
qui,
de
ce
fait,
se présente,
négativement comme un
r-e f u s
fondamental
et systématique
de
l ' id
e
d' in;Jtau-
é
ration d'une
quelconque
rupture
entre
l'homme
et
son
semblable.
L'humain
soutient un
rapport
vital
avec
l'humain.
En ce
qui
concerne
l'organisation tecl1no-
économique, nous
pouvons
dire
que
certaines constantes
dans
la vie
économique
des différentes
sociétés de
l'Afrique
Noire
traditionnelle
dérivent,
à
travers
la diversité des modèles matéri01s et
techniques
im-
posés par la diversité des milieux na~urels, de
l'uni-

et
de
l'esprit mythique
propre
à
la civilisation
négro-africaine.
Nous
avons constaté,
selon
l'ordre
du discours mythique,
que
l'homme
africain ne
s ' e s t i -
me pas
le
maître
de
l'univers et
de
la création.
L'uni-
vers et
lui
participent
à
un même
équilibre cosmique.
Il
ne
s'avise
donc
ni
d'assujétir l'univers pour son
confort,
ni
de
le
modeler
à
sa propre
image.
Loin
d'enlever quoi
que
ce
soit
à la nature par force,
et
d'une
façon
anarchique,
i l
ne
s'autorise
qu'à lui
faire
des emprunts discrets
qu'il
rembourse
aussitôt par des
actes sacrificiels.
La terre
cn premier lieu n'est pas
l'objet
d'une
appropriation individuelle-:
elle n'appar-
tient
ni
au
roi,
si puissant
soit-il,
ni
à une
famille
élémentaire
particulière.
Une
propriété
foncière
pou-
vant
conduire
à
la vente
ou à
quelque autre mode
d'alié-
nation de
la terre
ne
semble pas
transpara!trc
dans
le
discours mythique.
Bien au contraire,
il
y
a
seulement
usufruit
collectif de
la terre.
C'est
que
l'homme,
dit-
on,
nia pas créé
la terre,
i l
ne
peut
donc
ni
l'ache-
ter,
ni
la vendre,
ni
l'aliéner de
quelque manière
que
ce
soit.
Il
n'en est
que
le
d&positaire
provisoire.

130
D'ail10urs,
ce n'est
pas
l'homme
qui
est
le maître
de
la t0rre,
~Iest la terre qui est le maître de
l'homme.
Du côté des peuples pasteurs,
pour en venir au
problème
de
l'élevage,
on est
généralement
surpris de
la façon dont
l'homme
africain pasteur traite
le
bé-
tail.
Chez
les Peuls
ou Bororo en particulier,
un véri-
table
lien affectif unit
l'homme
à ses bêtes et empê-
che vêritabriment
l'homme
de
tuer un animal pour le
plaisir de
le
faire
ou m~me de
le vendre.
Chez
les
Bororo par exemple,
il
est
dit
dans
leur mythologie
que
le boeuf a
une
origine divine et
que,
par consé-
quent,
chaque
homme
a
un boeut qu/il
traite
à la maniè-
re
d'Un favori.
L'animal
dort
constamment près de
sa
hutte
et porte
son nom et ses
tatouages.
Lorsque
le
propriétaire meurt,
la peau de
la bête
lui
sert même
dp
linceul.
Il
y
a donc
une communauté dG
vie
intimo
entre
l'homme et
la bête.
De ce point
du vue,
tout
éle-
vage perd de
son caractère
économique.
Cette
attitude
économique peut être
traduite
négativement comme un
refus d'appropriation
individuel-
le,
d'exploitation systématique
dans le
sens économi-
que.
L'idée
de
thésauriser en s'appropriant
les
ressour-
ces
qu'offre
la nature
et
en exploitant,
le
cas échéant,
un élevage
quelconque,
n'a donc
pu investir la pensée
africaine.
On peut même
dire que
l'esprit mythique a
dicté
aux africains leurs méthodes de
travail.
Les
grands travaux ont
toujours été collectifs et
les so-
ciétés de
travaux horticoles
qui
se
confondaient
sou-
vent avec
les classes d'âge,
se
sont
rencontrées partout
en Afrique.
Il
découle
de cela que
dans
les sociétés afri-
caines
qui
connaissaient pourtant
une
certaine forme
de
division et
de
hiérarchie
soc~ale, prévalaient la
mise
en commun des
ressources
naturelles,
le
partage

131
communautairs
du fruit du travail collectif,
l'entraide
en tous points de vue,
et la solidarité sociale.
Le
négro-africain,
se sachant partie intégrante,
mais non
priviligiée du cosmos,
n'a élaboré aucune
technique
d'exploitation,
de domestication ou d'appropriation
de
l'univers ~mbiant. La nature du pouvoir sIen ressent
tout autant
à travers toute l'Afrique.
Ainsi,
à la
tête des royaumes a toujours régné un personnage sacré
à l'image
de~ personnages mythiques civilisateurs.
Le
monarque est
souvent considéré comme un être divin,
parce qu 1 il
appartient à 1.18·· dynastie fondatrice du
royaume.
Bi8D souvent i l est interdit au peuple de
le
voir et de
lui
parler.
Et généralement, i l partage son
pouvoir politique avec les plus vieux ou les plus an-
ciens de
son royaume,
ainsi ~ue le prévoient la plu-
part des mythp.s ....
Dans le cadre de cette deùxième partie de
.
, .
.
notre travail,
nous ne saurions traiter de façon exhaus-
tive et
jusque dans les moindres détails,
tous les as-
pects de
l'organisation techno-économique et de la na-
ture du pouvoir politique.
Mais à l'ai~~ de tous les
éléments que nous avons décelés grâce au discours
mythique,
nous allons à présent pouvoir proposer l'ana-
lyse de la nature de
l'ethos culturel qui
définit la
pensée spécifique négro-africaine.
Ainsi,
nous verrons
ce que peut être ce principe unique en son genre qui
est sous-jacent aux paideumas que nous venons de passer
en revu~ et qui explique leur interdépendance.
7 -
L'HYPOTHESE DE LA NATURE DE L'ETHOS
CULTUREL DE LA PENSEE AFRICAINE
:::':===========
Il Y a une importante tâche
à s'imposer pour
la définition de ce concept dans le cadre de la civi-
lisation africaine.
Il faut
en effet, en découvrant
le

132
système métaphysique
qui
sous-tend les diverses mani-
festations
socio-culturelles caractéristiques de
la
pensée africaine,
partir de cette ontologie fondamen-
tale qui permet une
interprétation cohérente originale
et un1fiante de
l'univers,
pour aboutir à
ses projec-
tions sociales.
Ce
faisant,
on montrera par là comment-
les institutions et les diverses conduites culturelle-
ment modelées de
la société africaine,
invitent Ilhom-
me,
dans ses rapports avec
toutes les réalités connues,
à un style de démarche inspiré dans ses grandes lignes
de
la vision mythique du monde commune
aux africains.
Eu égard à ce
~duéma méthodologique, il nous
est 16isible dé proposer notre hypothèse en commençant
par dire que
la civilisation négro-africaine nous sem-
ble être construite sur une métaphysique
de
l'être
qu'on peut connaître et appréhender comme
une vision
symbiotique de
l'être
sur le double plan existentiel et
fonctionnel.
Par là nous voulons dire que,
selon la
pensée africaine,
et dans le cadre de
l'analyse
théo-
rique
que nous avons faite
du concept de
civilisation,
l'être n'est pas individué,
mais n'existe et n'e~t
efficient, que
dans la mesure où i l est
intégré de proche
en proche et dans
l'ordre des phénomènes mythiques con-
Sidérés,
à l'ensemble de l'édifice cosmique.
Selon ce
principe,
une
société donnée
ne
se conçoit pas en dehors
du milieu dont elle dépend étroitement.
et qui
lui comm~
nique un certain souffle vital,
qui
est
~a consistance
et sa subsistance.
Dans l'ontologie négro-africaine,
loin que l'être puisse être considéré sous un quelcon-
que rapport comme
isolable de
tout
le
reste,
parce que
constituant une entité irréductiblem~nt renfermée dans
.~(
la pure identité avec soi,
i l
appara~t plutôt comme fon-
damentalement et existentiellement relié
à l'univers
ambiant et à tout
le cosmos.
En
d'autres mots,
il n'existe pas dans la pen-
sée africaine l'idée d'un être qui ne pourrait être
considéré qu'en soi œt pour soit
en raison de
sa signi-

133
fication et de
sa valeur intrinsèque.
L'être n'existe
dans toutes ses dimensions et sa totalité
que parce
qu'il
se
laisse
connaître
comme un des maillons de
l'immense
trame que constitue
l'univers. L'édifice
cosmique,
dans cette vision dû monde négro-afrisaine,
se présente comme une vaste fresque
architecturale
où chaque être connu est pris en considération,
non
pour ce qu'il est en soi,
mais selon la place
qu'il
~~
occupe dans
le
système cosmique.~nsi, il contribue
au sein de l'ensemble harmonieux et
fonctionnel
qu'
est le cosmos,
et dans la mesure
des potentialités
inhérentes à lui,
à l'équilibre général de
l'univers.
Si donc
l'être convient absolument à chacun
des éléments de
l'univers,
précisément parce
que cha-
que ~lément ne peut pas être détaché de tous les autres,
ou encore parce qu'il y a entre
eux une
implication
mutuelle
totale et nécessaire~ que devient l'idée
même
de la hiéraràhie des êtres selon la plupart des
mythes africains? L'être ne doit-il
pas ressembler
plut6t
à une sorte de foyer qui répandrait sa chaleur
et sa lumière sur tous les objets qui
l'entourent
proportionnellement à la distance
qui
les en sépare?
Chaque objet n'aurait-il pas pour l'être une capacité,
une puissance
de
réceptivité plus ou moins
grande qui
permettrait de
lui
assigner une place dans une
sorte
d'échelle ontologique? Nous ne
le pensons pas.
Car
l'être, selon l'ordre mythique
des choses,
ne mesure
pas ses dons.
Il
se donne
tout entier à chacun de
ses
membres.
Sa présence ne peut être que
totale.
C'est
seulement s1 on le considérait comme
distinct des ob-
jets auxquels i l
s'applique
qu'il pourrait se diviser
inégalement entre
ceux-ci,
comme
la lumière se répar-
t i t dans la diversité des éclairements.
A partir du
moment oà nous concevons Itidée d'une hiérarchie,
ce
n'est pas l'être même
que nous avons en vue,
ce
sont
ses qualités,
ce qul!l
y a en lui
de
différen~ et non
pas ce
qu'il y
a en lui
d'identique.

134
Mais dira-t-on,
ces qualités
sont
indiscerna-
bles de
l'être puisque nous ne voulons pas que l'être
soit une
propriété séparée.
Dès lors,
concevoir une
hiérarchie des qualités,
n::e~t-ce pas concevoir une
hiérarchie de
l'être
lui-même?
Nous répondrons
que
c'est parce que cette hiérarchie est
intérieure
à
l'être total
qu'elle n'affecte pas la nature de
celui-
ci.
Toute hiérarchie porte
sur des valeurs,
et
la plus
humble
de
toutes les valeurs a
sa place dans
l'&tre,
au même
titre
que
la plus haute.
Celui-ci
les contient
toutes.
Il
réserve
à
toutes
le même
accu0il
généreux.
Mais d'où provient alors
la différence
que nous fai-
sons entre elles? Cette différence
suppose
un critère
d'évaluation qui
ne peut pas être
l'être,
puisqu'il
n'y a
rien en dehors de
l'être,
et que
tout
est égal
devant
lui.
Mais
si nous prenons dans
l'ôtre
une
de
ses formes priviligiées et que nous
jugions de tout
le
reste
par rapport
à elle,
on comprend sans peine
comment nous pouvons constituer une
échelle hiérar-
chique
dont chaque
terme présente une valeur plus ou
moins
grande
à l'é[a~d du type que l'on aura adopté
comme
repère, selon qu'il
lui ressemblera plus ou moins,
qu'il
répondra plus ou moins bien à
ses besoins les
plus essentiels ou les plus délicats,
qu'il
sc
rappro-
chera plus ou moins de
la perfection propre
à ce type
et vers laquelle
il
tend
sans
jamais l'atteindre.
Mais
que
l'on change
de
repère
et
tous les termes de
la
hiérarchie prendront une valeur et un place nouvelles
dans une hiérarchie différente.
Il
est naturel
à l'homme de
tout
juger en
fonction de
lui-même.
Et
i l n'a tort que lorsqu'il
convertit en un ordre de
perfection ontologique
l'or-
dre
relatif des valeurs humaines.
Il
y
a des morldes
avec
lesquels l'homme
a peu de
contact et où i l
pénè-
tre
à peine.
Il
cherche
à restreindre
leur participa-
tion à l'existence dont ils ne seraient que des ébau-
ches ou des fragments
résiduels.
Mais c'est qu'ils ne

135
sont pas à sa mesure.
Que
l'on change
la mesure,
et
l'on découvrirait en eux une
abondance
infinie
o~
tou-
tes les lois de
la nature
trouveraient
une
application,
où des formes
les plus variées de
l ' a r t
le plus subtil
auraient
encore
à s'exercer,
où,
au dessous de
la
forme
apparente,
d'autres formes
qui
demeureront pcut-
être éternellement cachées,
ne
cesseraient de multi-
plier l'ingéniosité de
leurs combinaisons.
Ce qui doit
nous rendre prudent quand nous voulons
juger de
l'êt~e
à la mesure de
l'homme,
c'est que nous ne
sommes pas
moins
incapables de voir ce qui
nous surpasse
trop en
grandeur que
ce
qui
est trop
éloigné de nous par sa
petitesse,
et qu'ainsi nous mettons le chaos au sommet
de
l'échelle comme
à
l'autre bout.
Car la plupart des
mythes africains commencent toujours par le constat
d'un chaos primol~ial.
En résumé,
nous pouvons dire
qu'il
y
a
une
infinité d'échelles toutes également
situées dans
l'être.
Mais celui-ci
ne
se
rêgle
sur aucune d'elles.
Dans l'échelle
des
biens naturels par exemple,
l'ordre
des valeurs n'est pas
le même pour l'homme,
le chien
et
l'abeille.
Or l'être
total,
souverainement impartial
et fécond,
sans se
laisser entraîner par aucune
compli-
cité,
fournit
également
à
tous,
à
l'anImal
ct
~ l'hom-
me,
les moyens de
réaliser leur destinée
et de
discer-
ner en lui
des valeurs subjectives qu'il
justifie sans
être
incliné par elles.
A l'égard de
tout être fini,
qui,
sans même
qu'on
le
suppose
qualifié,
a
des inté-
rêts
à satisfa1re et
une
destinée
à remplir,
l'uniVers
incapable d'être embrassé par une
appréhension unique,
doit
apparattre
comme une
diversité
infinie
et
hiérar-
chisée
à
llinflni.
Mais chacun d e ss
Lé me nt s
de
c o t t c
é
diversité,
si on le prend en tant
qu'être
et dans son
adhérence
à l'être,
jouit d'une
existence
Ld e n t Lq u
à celle de tous les autres,
et même
la réalité de
ceux-
ci
se
trouve
déjà présente en lui par les relations
mutuelles qui
les unissent
solidairement
à l'intérieur

136
du même
tout.
Une
telle ontologie part donc
du fait
que
l'être existe et
jouit d'un statut particulier,
celui
attaché
l
la place qu'il
occupe
au sein de
l'univer3.
De la sorte,
la question ontologique dans
la philoso-
phie dite
africaine ne
sera jamais celle
de
savoir si
quelque
chose existe et quoi,
mais celle àe
connaître
l'être en tant
que
te l, et
le
lien vital par lequel
l'être
se
rattache aux êtres et
lui
permet de
se
mani-
fester en tant
qu'être.
A
ce
titre,
le modèle philoso-
phique occidental
du cogito cartésien est
on ne
peut
plus opposé
à la conception du monde
négra-africaine
fondée
sur les mythes.
En effet,
DESCARTES,
en défi--
nissant
son intuition du cogito,
prétendait
~alsir,
au sein d'un monde
dont
l'existence
était provisoire-
ment
révoquée en doute,
une
vérité première
qui
serait
l'existence d'uneci1ose pensante,
c'est-à-dire
sa
propre
individualité
saisie en dehors du
reste de
l'univers.
Si
l'on considère maintenant
les projections
de
cette métaphysique de
l'être
sur les réalités
socio-
culturelles de
la pensée africaine,
il
semble qu'on
puisse définir l'ethos culturel
de
la pensée africaine
comme
un idéal
de
co-naissance et
de participation
réciproque des êtres et des choses.
Nous voulons
signi-·
~ier par là que les rapports effectifs du négra-afri-
cain avec
toutes les
réalités existantes de
l'univers s
en partant de
l'ordre minéral
pour s'élever
jusqu'à
l'ordre humain,
sont caractérisés par l'absence d'un
langage mythique délibéré de mise
à distance de soi,
et
sont généralement mus par un même
principe que nous
avions déjà nommé
sous le vocable de
Pneuma ou souffle
vital.
La nature
de
tous
les modèles
socio-culturels
dont l'analyse nous a
permis d'élaborer le concept
que nous sommes en train d'exposer,
le démontre
aisé-
ment.
L'idée selon laquelle
tout
ce
qui
existe contri-

bue effectivement
à l'équilibre
général
du cosmos,
a
toujours présidé aux conduites des négra-africains
dans la nature
environnante.
Cela lui
a
interdit du
coup d'élaborer des modèles
institutionnels ct corn-
portementaux d'appropriation,
d'asservissement et de
manipulation outrancière
de n'importe
quelle
r~alitê
existante.
Vision symbiotique de
l'être
sur le plan de
l'ontologie
fondamentale
et participation réciproque
sur le plan de
s~~·projcctions sur les
structures
socio-culturelles,
tel
est
le concept qu'à titre
d'hypothèse nous proposons comme constituant
l'esse~ce
de
la pensée africaine
à partir de son espace mythique.
Cet ethos culturel
dùit
nous
servir d6sormais de
con-
cept de base pour l'ar~alyse et
l'appréhension des mo-
dèles socio-culturels ct de
la personnalité négro-afri-
caine.
Mais l'entreprise d'élaboration d'une hypothèse
de
recherche ne
s'arrête~pas d~s lors qu'on a prcpos6
cette dernière,
de
sorte
que,
pour peu qu'elle
appa-
raisse vraissemblablG;'i'on pourrait poursuivre
son
labeur dans une
sorte de béatitude
intellectuelle.
L~
chercheur doit
encore,
pour assurer
à sa th~sç quelque
consistance,
s'imposer comme
autre
tâche
de
confronter
ses idées aux travaux de
différents
auteurs.
Il
lui
faut,
de cette façon,
faire
état critique des diverses
hypothèses qui
ont pu être
avancées pour présider à des
investigations SG
rapportant ~u sujet qu'il
traite.
En considération de
cette nécessité et
de
la
nature de
cette
démarche
critique,
notr0
hypothèse
nous semble devoir 8tre d~nfrontée en tout premier
lieu à celle du concept de
force
vitale proposée
il
y
a une
trentaine d'années,
comme
constituant
l'esseDce
de
la civilisation négra-africaine.
Le
Révérend Pêre
TEMPELS qui
l ' a introduite et en a fait
une
étude
systématique dans
son fameux ouvrage
"La Philosophie
Bantoue"
l'avait,
comme ce
titre
l'indique,
définie

138
par rapport
à la sous-région des Bantu.
Nous
savons que
ce
travail
qui
représentait
en son
temps,
la première
tentative
de
définition rigoure~se de
la vision du
monde
chez
un groupe
africain,
a
suscité
un
immense
enthousiasme
chez
les intellectuels d'Afrique
Noire
et
chez
les
africanistes
en
général.
L'usage
qu'on en a
fait
à travers tout le continent pour en interpréter
les phénomènes socio-cultur01s permet
d'en ex~rapoler
les
th~ses à l'ensemble du monde négro-africain.
D'ail-
leurs,
l'auteur lui-même pensait
que
cette
"Pri
Lc s op h t e
â
Bantoue';
de
la force
vitale
serait
la ph i Lo s o p n i e
commu-
ne
à tous
les peuples
dits primitifs qui
vivent
encore
selon une
structure
sociale
de
type
clanique .II ;i·'trouvé
une
corroboration de
cette
assertion dans
le
térnoignage
du Professeur HERSKOVITS qui
avait
découvert
un
système
ont 0 log i que
i ct e n t i q u c, s o u s - j ace n t
à l a c 1..1 l t ure d e plu -
sieurs peuples d'Amérique
et du nouveau monde.
Le
?èrc TEMPEtS,
p o s t u Lan t
qu'à
la b a s o de
tout
groupe
sociql
existe
un système
logique
et
UD3
philosophie
positive
et
complète
de
l'univers~ se pro-
pose
d'en définir la nature d n e z
les
Bantu.
"Je me t'lat--
te,
écrit-lI,
de
pouvoir convaincre mes
lecteurs qu'une
vraie
philosophie
peut exister chez
l'indigène
et
qu'il
y
a
1 i e u
ct (~
l ct
che r che r . " ( 1)
Mê mes i
che z
1 e s
B Cln tu:) t
plus généralement
chez
tous
les peuples de
type
tradi~~
tionnel,
les principes àe
base
qui
composent
un
tel
3yst~me sont re]_a~ivemGnt simples,
i l s n'en
dériv~nt
pas moins d'une
ontologie
logiquemebt
cohérente.
Pour
parvenir
à cette conception monolithique de
l'univers,
ce
système métaphysique
sous-jacent
aux diverses mani-
festations
de
la culture
des Bantu,
l'auteur entendait
p a r t a r-
de
l ' c L h n o l o g i c .
'Lo u t e f o I e ,
c e t t e
d e r-n Lè r-r- ,
pour
ne
pas dégénérer en un folklore
vain,
doit
être
épaulée
sérieusement
par une
analyse philosophique
rigoureuse.
L~hypothêse que l'auteur propose sur cette base théori-
que est que
la conception de
la vie
chez
les
Bantu est
centrée
sur une
seule
valeur
la force
vitale.
Le.s
(1) TEMPELS P.- La Philosophie Bantoue, Présence Afri-
caine,
Paris,
1948,
p.
24.

139
langues négro-africaines ne
sont
toutes qu'un vaste
système de variations autour de
ce concept-clé.
La
vie,
la force,
vivre
fort,
énergie vitale . . .
sont au-
tant de
termes et d'expressions qui
saturent
le langa-
ge et
la pensée des Africains et procurent une
cohé-
rence
aux faits
et
gestes de
leur comportement quoti-
dien.
Chacun des êtres de
l'univers,
esprit,
corps
animé ou non,
a
sa force vitale
propre~ La force se
trouve par conséquent
indissociablement
liée
à l'être.
L'être est ce
qui
possède de
la force.
L'être est
la
force.
Par ailleurs,
cette notion de
force
qui
cons-
titue
l'essence de
l'être n'est pas une
entité stati-
que.
Elle est continuellement en passe,
comme
la JnE:l-
tière dans
le
système du matérialisme dialectique,
de
devenir autre,
non toutefois
sous le
rapport
de
la na-
ture,
mais sous celui
de
l'intensité.
Ce
statut fluc-
tuant de
l'être quant
à la quantité de
la force
dont
i l
dispose,
provient
de
ce
que
l'édifice cosmique cons-
titue une
immense
arène
où se déroule
le
jeu de
l'inter-
action des forces.
Une force
inférieure ne peut toute-
fois par elle seule,
agir sur une focce
supérieure.
Pour qu'elle
soit capable de
le faire,
i l
faut
qu'elle
soit manipulée par une
force
au moins égale
à celle qu'
on veut
influencer,
car l'une des caractéristiques de
aes forces est
qu'elles
sont
additives.
L'auteur de
"La Philosoph:Le Bantoue"
pense trou-
ver l'explication du phénomène totémique
en Afrique Noi-
re
dans cette interaction des forces.
L'adoption par un
groupe humain d'une caractéristique d'un groupe infé-
rieur s'expliquerait par l'analogie
Îondée
sur la place
relative occupée par chacun de ces grouPes dans sa pro-
pre classe.
Ainsi,
une société secrète qui
adopte comme
animal
totémique
la panthère,
s'attribue dans la société
des hommes,
le
rang que
la b@te
occupe en raison de
sa
force vitale,
dans l'échelle des classes d'animaux.

140
L'hypothèse du Père TEMPELS de
la force vitale
comme
ossature
de
la "Bhilosophie Bantoue"
a
fait
immensé-
ment fortune.
La large utilisation qui
en est faite
encore de nos
jours et
le
fait
qu'elle n'ait
jamais
été l'objet d'une
critique philosophique
rigoureuse,
mises
à part les fructueuses
réactions épidermiques
du Béninois Paulin HOUNTONDJI,
sont
de nature
à
lais-
ser croire qu'il
s'agit
là d'un acquis définitif.
Monsieur ALIOUNE DIOP,
préfaçant
l'ouvrage
du Père
TEMPELS à sa seconde
édition,
écrivait
IlVoici
un
livre essentiel
au Noir,
à
sa prise
de
conscience,
à
sa soif de
se
situer par rapport
à l'Europe.
Il
doit
être aussi
le
livre de
chevet
de
tous ceux
qui
se
préoccupent
de comprendre
l'Africain et
d'engager un
dialogue
avec
lui." Monsieur Fernand DEZY,
de
son cô-
té,
dans un article
IILes structures de
la société
archaique"
(1),
.i n t e r-p r-è t e
en
termes de
flux vital,
concept voisin de
celui
d'énergie vitale et dans
le-
quel
l'auteur voit,
à la suite de
TEMPELS le fondement
même
de
l'ontologie bantoue,
les
structures religieu-
ses et
socio-polittques de
l'Afrique Noire.
Il
con-
vient
de
signaler aussi
que CHEIKH ANTA DIOP dans
"L'Unité Culturelle de
l'Afrique Noire",
se
sert
de
conceptions identiques pour interpréter les
règles
relatives chez
les Africains
à
la royauté et
à
la
zoolâtrie.
Enfin,
de
très nombreux auteurs ont cru
pouvoir imputer à
la pensée
africaine en tant
qu'elle
est
régie par une
vision du monde
de
l'énergie vitale,
la rapidité et la facilité
avec
lesquelles l'homme
africain a
accueilli
et assimilé
la religion des mis-
sionnaires et
les canons culturels du monde occiden-
tal.
L'ouvrage du Père
TEMPELS doit
cette heureu-
se
fortume
surtout
au fait
qu'il
offrait une
théorie
séduisante
au
jeune mouvement
"Présence Africaine"
(1)
BEZY F.- In "Les Structures de
la Société Archai-
que",
Le
nouveau dossier de
l'Afrique,
MARABOUT-
Université,
1971.

141
à un moment ou celui-ci, Si efforçant de
poursuivre le
programme de
r0habilitation de
la civilisation négro-
africaine
inauguré par DUBOIS et
les Congrès Panafri-
cains,
était désireux de
donner
à ce
programme un0
assise doctrinale
grâce
à la publication d'ouvrages
jugés pertinents ad hoc.
C'est ainsi
que
la "Philoso-
phie Bantoue"
fut
publiée
avec
t'Nations Nègres et
Culture".
Mais au point
où nous sommes parvenu,
que
penser de cette hypothèse de
force
vitale?
Il
convient
tout
d'abord de
savoir gré au
père TEMPELS d'avoir osé
le premier,
affirmer et
essayer de
systématiser en un corps de
concepts la
pensée
d'une
logique
cohérente
sous-jacente
à l'orga-
nisation sociale et
au comportement
quotidien des
Négro-africains.
L'entreprise,
à cette époque,
appa-
rait presque héroique puisqu'elle est située au temps
fort
de
la colonisation et
de
l'action destructrice
des missionnaires.
Rappelons qu'une vingtaine d'années
seulement avant
la parution de
la "Philosophie Ban-
toue",
LEVY-BRUHL,
voulant
élucider le problème
des
équivalents prisitifs des concepts tels que ceux de
causalité,
de
loi,
de
logique,
et
de
contradiction,
n'avait-il pas découvert un modèle
spécifique de
mentalité primitive indifférente
à la logique des
civilisés? D'après les thèses de cet auteur dont
le
nom avait
reteriti
dans le monde entier,
la pensée pri-
mitive,
sans être anti-logique,
est pré-logique,
cn ce
sens qu'elle
confond totalement
les processus logiques
et non logiques.
Elle ne
tient nul
compte
du principe
de contradiction,
et quant
à celui de causalité,
les
causes ne comptent pas pour elle.
Plus près de nous dans
le
temps,
Monsieur
AUBIN,
médecin des hopitaux psychiatriques,
écrivant
cette fois-ci
pour le compte
spécifique des Noirs
d'Afrique,
déclare
"Les indigènes d'Afrique Noire
se
rapprochent
encore dans une
large mesure de la men-

142
talité primitive.
Chez eux,
les besoins physiq~es
(nutrition,
sexualité)
prennent une
place
àe
tout
premier plan.
La vivacité
de
leurs émotions et
leur
courte
durée~ l'indigence de
leur activité
intellec-
tuelle,
les font vivre
surtout
dans
le présent,
comme
les enfants.
Sensations et mouvements
résument
le plus
clair de
leur existence
et conditionnent
leur compor-
tement explosif et chaotique.
Leur idéation,
faite
surtout d'images concrètes,
à
peine
reliées par de
fragiles
liens
logiques,
se dissocie
facilement
et
facilite
la production d'illusions et d'hallucinations,
mais elle ne
permet
l'édification que de
thèmes variés
et simples."
(1)
Eu égard à cette
image
stéréotypée
du primi-
t i f en général
et de
l'Africain en particulier,
image
qui
avait fini
par investir la pensée
occidentale,
aussi bien populaire
que
scientifique,
"La Philosophie
Bantoue"
ne pouvait manquer de
susciter une
certaine
admiration.
Far ailleurs,
le Père TEMPELS
a
eu le néri-
te
d'éviter de
s'cn tenir à
l'aspect de
la brute maté-
rialité-
des phénomènes
sociaux chez
les Bantu.
Son
but
était de recherche~ par-delà les structures socia-
les et
les comportements,
la vision du monde
qui
les
sous-tend,
les explique,
les unifie
et
leur confère
une
logique
interne.
L1hypothèse
de
la force vitale
répondait
avec
satisfaction
~ cet objectif.
Mais
lorsque,
une
trentaine d'années
après sa
parution,
on relit
"La Philosophie
Bantoue lt
avec
l'es-
prit critique philosophique et avec
une
froide
objec-
tivité scientifique,
i l
est
difficile
d'attribuer le
1
grand succès qu'il
a
connu à
autre
chose
qu'à l'atmos-
phère
d'effervescence
intellectuelle et
polituque
qui,
à cette
époque,
marquait
le
jeune nationalisme
afri-
cain à la recherche
de bases doctrinales et qu~ de ce
(1)
AUBIN -
Manuel
de Psychiatrie,
P.U.F.,
1965.

143
fait,
l'exposait
à embrasser la premi~rc théorie venue.
Cela peut fort
bien se
comprendre.
Mais ce
qui
en re-
vanche ne
se comprend pas ou se comprend difficile-
ment,
c'est que
les thèses de
cet ouvrage
n'aient pas
été
jusqu'à présent
l'objet de vigoureuses
réfutations,
et
que
les essais de
critique
qu'elles ont
suscités,
n'aient pas, dans
la mesure
de
leur validité
ou t o u t
au
moins
afin d'inciter à
la recherche.
bénéficié d'une
large
diffusion dans
les milieux intellectuels afri-
cains.
C'est que
l'hypothèse
du père TEMPELS d'une
philosophie Bantoue
axée
sur la notion de
force
vita-
le apparaît
comme
irrecevable.
Sur le plan
i~801ogique d'abord,
l'auteur
pouvait s'illusionner, ou mieux donner l'illusion,
d'avoir quitté
le
sillage
de
l'évolutionnisme
tracé
par ses de van cie r san t h r 0 polo gue s,
mi ~-; S i 0 ri n a j, r es,
explorateurs et pacificateurs . . .
En fait,
son travail
est
saturé de
thèse5 ~lutionnistes. Le père TEMPELS
pense
que
l'ontologie qu'il
a découverte chez les
Bantu pourrait
fort
bien être
celle
de
tous
les pri-
mitifs et dG tous
les peuples de
type
classique.
De
cette
façon, "l a Philosophie Bantoue' serait,
non une
vision du monde propre aux
africains,
issue de
leur
tempérament,
modelée
par leur histoire,
6prouvée par
leur adaptation
au milieu naturel
ambiant et
objecti-
vée
dans
leurs
structures
socio-culturelles,
mais un
des
stades
de maturation inscrits
dans
les
gènes
de
l'humanité,
dépassé
depuis
longtemps par
les peuples
civilisés et vécu encore
par
tous
les peuples non civi-
lisés.
La seule différence
entre
le père
TEMPELS et
les tenants
de
l'évolutionnisme
unilinéaire classique,
une différence
qui
rend d'ailleurs
extrêmement
dange-
reuses
les thèses contenues dans
"La Philosophie Ban-
toue",
est que
les primitifs de
notre
auteur ne
sont
pa~ simplement des attardés dans le mouvement
général

Il
144
de
l'évolution de
l'humanité,
des hommes primordiaux
en qui
les peuples évolués peuvent voir
l'image
de
leurs ancêtres
les plus
lointains,
mais des êtres
dégénérés.
En effet,
alors
que
les primitifs de
TYLOR
ou de MORGAN sont
destinés
à évoluer naturellement
selon la dynamique
inscrite dans
la vie
des
sociétés
humaines,
en parcourant
chacune
de
toutes
les étapes
déjà franchies par les peuples civilisés,
ceux du Père
TEMPELS ont
besoin d'une chirurgie culturelle.
Car,
partis
d'une
r&v&lation originelle saine,
ils sc
sont
engagés par la suite
sur la fausse
piste des déductions
rationnelles erronées.
"L'évolution,
écrit-il}
partant
d'une philosophie
simple et passant par la conclusion
erronée de
l'interaction ontologique
des
forces,
vers
des cas d'application magique
toujours plus factices
et compliqués semble
constituer la trace
commune
de
l'histoire
de
la pensée des autres peuples
bantou ct,
peut-être bien,
de
tous
les peuples primitifs.~ (1)
C'est pourquoi
"il nous faut
remonter vers
les
s o u r c e s
jusqu'àu point où l'évolution des primitifs s'ost enga-
gée dans une voie
fausse
par des
déductions erronées,
et depuis ce point
de
départ valable,
reconstruire
uns
civilisation b ari t o u ';
(2)
Cette
"intervention chirurgicale".
si nous
pouvons nous exprimer ainsi,
consistera à
retrouver
la révélation prim~rdiale, tâche du reste
très f8cile,
et
lui faire
trouver son achèvement
total
dans
l~ philo-
sophie chrétienne,
la seule
philosophie
universellement
humaine et
qui
est
la toile
de
fond
de
la culture
occi-
dentale.
Le
souci
unique
du père TEMPELS est d1aider
tous ceux qui
ont
une
mi$sion civilisatrice
auprès des
Noirs.
Ceux-là à
qui
seuls est destiné
l'ouvrage,
doi-
vent
savoir "qulil nlest qu'un système de
philosophie
complet fournissant
une
explication satisfaisante
à
tous les problèmes de
la v i e :
c'est
la philosophie
(1)
TEMPELS P.- op.
cit.
p.
129.
(2)
Ibidem,
p.
141.

145
chrétienne"
et ceci
est
une vérité 'tellement
aveu-
g 1 an te" "q u ' i l
8 s t
in 0 u i
que
1 Ion do ive
se
rem e t t r e
en campagne
pour faire
accepter par les hommes de
ln
race blanche
que
la philosophie chrétienne
et
ses fon-
dements,
la loi
naturelle
et
la philosophie
unlv8rsel-
lement humaine
se
trouvent
à
la base
de
la culture
occidentale. Il (1) Partant de
cette
façon
sur la base
d'un refus
du relativisme
culturel
et
se
voulant
au
service
d'une
cause,
l'expansion de
la civilisation
occidentale par le biais de
la religion chrétienn~,
"La Philosophie
Bantoue"
ne
remplit
pas les conditions
fondamentales
à une
recherche véritable.
Sur le
terrain propre
d'une
anthropologie
culturelle
africaine,
18s faiblesses
de
l'ouvrage
sont manifestes.
La
confusion que
fait
constamment
l'auteur entre ontologie,
religion,
philosophie,
ma-
gie,
etc . . .
est
très
regrettable
et
irrite
le
lecteur
avetti.
Le
père
TEMPELS semble
employer indifférem-
ment
l'un ou l'autre
de
ces termes
au
point
qu'ils
paraissent
interchangeables et même
synonymes.
C'est
ainsi
qu'il
trouve
chez
les Bantu une
philosophie
universellement magique
dominant
leur pensée.
Plus
grave encore
est
le
fait
que
l'hypothèse
de
la force
vitale est déduite,
non de
l'examen minutieux des
réalités des Bantu,
mais
de
bases extrêmement fragi-
les et
très
peu significatives,
comme
la récurrence
sur les
lèvres des Bantu de
mots
exprimant
l'idée
de
force
vitale.
Cette
ontologie
de
force
vitale
semble
avoir été
lachée
gratuitement
de
l'arsenal
céleste
des systèmes métaphysiques
sur le peuple bantu.
Il
ne s'agit pas d'une
tradition vivante
qui
siest
éprou-
vée
au cours de
l'histoire
de
cc
groupe,
bien plus en-
core
les Bantu,
en adoptant
arbitrairement
l'ontologie
de
la force
vi tale,
ont
abandonné
la véri té p r-e mièt-«
qui
leur a
été octroyée
par une
divinité bienveil-
lante au profit de
ce
tissu de
fausses
déductions.
(1)
TEMPELS P.- op.
cit.
p.
153.

14G
Quant
à l'hypothèse
de
force
vitale elle-
même,
elle ne
saurait
être
soutenue
d'un bout
à
l'au-
tre.
D'abord elle
apparaît
comme
arbitrairement
impo-
sée aux Bantu.
S'il
s'agit d'une
notion accusant
une
fréquence
significative
dans
le
langage,
i l n'y a ~as
lieu, ni
de
choisir ce concept
plutôt
qu'un
autre
dnns
les
langues bantu,
ni
d'imputer aux
seuls Bantu le
substrat
métaphysique
sur lequel
elle
repose,
ni
même
de
l'attribuer plus
aux Bantu qu'à de
nombreux autres
peuples.
Sous
le
rapport
de
la métaphysique
de
la
force
vitale,
c'est
la presque
totalité des penseurs
de
l'Antiquité
grecque
qui
seraiènt
Bantu,
et
sûre-
ment plus Bantu que
les Bantu d'Afrique.
THALES,
HERACLITE,
PLOTIN,
ZENON . . .
ne
posaient-ils pa:;
le
principe
d'un univers matériel
qu'une
sorte
d'énergie
omniprésente,
partout
agissante,
traverse
et
anime?
ARISTOTE,
s'affrontant
au problème de
l'un et
du
multiple,
ne pose-t-il pas une matière,
substrat
du
changement,
privée
de
la forme
qu'elle
contient en
puissance,
et une
forme
qui
est
à
la fois
moteur et
finalité?
L'acte
étant meilleur que
la puissance,
et
dans
l'échelle des êtres,
l'acte pur Dieu possé-
dant le
plus haue
degr~ de
perfection,
toute
la phi-
losophie d'Aristote ne
tend-elle
pas
à
nous montrer
la nature
enti~re comme une puissance qui déploie un
immense effort pour aller vers
son
accomplissem~nt
total
?
Enfin,
les application~ pratiques que
le
Père TEMPELS a
pensé pouvoir faire
de
cette hypothèse
de
force
vitale
dans
la Vie
concrète
des
Bantu et
de
tous les africains, sont
difficilement
acceptables et
de
na~ure à masquer dangereusement certaines réalités.
Affirmer par GX8~ple que
le Noir a
accueilli
l'Euro-
péen comme
aîné parce
que
ce
dernier disposait
d'une
force
vitale
supérieure,
ce
qui
expliquerait
l'adop-
tion facile
par l'Afrique
Noire
de
la religion ct
des
modèles socia-culturels des Européens,
c'est
du coup
s'exposer à
ne
p~s pouvoir expliquer des phénomènes
comme
l'explosion,
depuis
le
début
du siêcle,
des
messianismes politico-religieux dans cette Afrique

147
Noire.
Or ces mouvements sont,
par-delà le
rejet
de
l'Européen,
l'expression profonde d'une
réaction popu-
laire contre
les menées des colons et des missionnai-
res,
jugées intolérables parce qu'offensant
la dignité
humaine.
Cela montre
que
l'accueil
réservé
par le Noir r
ou l'Européen,
à
sa religion et
à sa culture estimpu-
table,
non à une
prétendue
force
vitale
supérieure,
mais
à la xénophilie naturelle des Africains.
En
conclusion de
cette brêve critique,
i l
nous semble
que
l'hypothèse de
la force
vitale,
en
tant
que
piepre
angulaire
de
la philosophie bantoue,
est
irrecevable parce
qu'arbitraire,
et ne
prenant
appui
sur aucune base
anthropologique
ni
philosophique
sérieuse et claire.
L'apathie
que
nous avions
signalée
plus haut
face
aux thèses du Père TEMPELS qui,
à notre
avis,
auraient
dû être
l'objet de vigoureuses
réactions de
la part des
intellectuels africains,
s'explique,
nous
semble-t-il,
par des options doctrinales bien précises,
Beaucoup de
penseurs africains répugnent,
en effet,
à l'idée d'une philosophie spécifiqueQent négro-afri-
caine,
soit comme
sous-jacente
à la vision du monde
africain,
et parce
qu'étant encore
à l'état préconcep-
tuel,
soit alors comme
subsumée
sous un concept
uni-
que,
auquel
s'origine
la nature particulière
des
insti-
tutions,
des croyances,
et des schèmes de
comportement,
significatifs de
la Vi8
culturelle
des
sociétés négro-
africaines.
Ainsi,
lorsqu8
fut
ouverte
dans
la revue
"Présenc e
Afr i c ai ne"
1 a
rubrique
Il Ph il o s o p h i e ",
Monsieur
HOUNTONDJI
qui
en devenait
le
responsable,
délimitait
le
champ des
questions admises
à y figurer.
"Cette
rubrique,
écrivait-il,
accueillera tous
les articles de
critique et
de
réflexion philosophique dus
à
des Afri-
cains ou
à des non-Africains et susceptibles d'aidûr,

1
148
r directement ou indirectement, à la prise de conscience
des
réalités africaine$,
et
à leur mise en question
r
révolutionnaire.
Nous
tenons
toutefois
à préciser que
nous n'accepterons
aucun article
d'''ethnologie"
au
sens traditionnel
du mot,
et
encore moins des
"recher-
ches"
relevant
d'une:
"ethnologie
de
la culture",
c o mme
toutes celles qui
ont
tenté,
depuis
déjà des
dizaines
d'années,
de
dêfinir une
philosophie
africainespéci-
fique
qui
serait
inhérente
à tout Africain en gén6ral,
d'une
manière
implicite
et
inconsciente.
Car nous
avons
autre
chose
à
faire
qu'essayer de
dévrire,
ou mieux
imaginer,
à
l'usage
du public
européen,
une
pensée
afri-
caine
immUable,
éternellement
opposable
à celle de l'oc-
cident."
(1)
De
son côté,
Monsieur EBOUSSI,
dans
sa c r i t i -
que
de
l'ouvrage
du Père
TEMPELS,
écrit
"Les Dantou
parlent ce
qu'ils vivent
par leurs fables,
leurs pro-
verbes,
leurs mythes et
leurs
institutions.
Et
la paro-
le
qui
compose
~t divise ne se contente pas de réduire
tous
les phénomènes
à un élément commun.
Sa réduction
de
toutes
choses
à un
dénominateur commun aboutit
à
1 ' é v a c ua t ion ct e c e
qui
fa i t
l ' 0 r i gin a l i t é
ct e l 1 he 1Jill i () • • •
L'univers de
la force
est
d'abord celui
de
l'univocité
avant
de
devenir,
par sa fatalité
interne,
règne
de
l'équivocité.
Car le
multiple
est abandonné
à la dérive
sous le couvert
d'une
unique
appellation et prend sa
revanche."
(2)
Dans ces conditions on comprend
que
le
bien-fondé même
de
l'entreprise
du Père
TEMFELS ayant
été mis en cause,
n'ait
pas préoccupé beaucoup de
cher-
cheurs.
En réalité,
le problème
qui
est
ici
sou10vé
est
un dans
sa nature,
parce
qulil
s'agit
du
sens de
la totalité
d'une
civilisation.
Mais
i l
revêt
cepen-
( 1 )
HOUNTONDJI
P.-
In Présence Africaine
nO
66,
2ème
trimestre
1968.
( 2 )
EBOUSSI-
In Présence
Africaine nO
66,
2ème
t r i -
mestre 1968,
p.
12.

2:iF-ltTl-~I"-'fi·i«Wt
tJ'w-WrW?2fi"wtl"'Y-'Frt;:gm t ftCa W" U W 'YCy.,e.,-nenc
149
dant
deux faces
parce
qu'il
se
rapporte
aux
deux biais
d'approche
de
cette
réalité,
à
savoir:
l'ethnologie
et
la philosophie.
Pour ce
qui
est
d~ la première critique,
c8118
qui
rejette
sous
le
terme
désormais péjoratif d'athno-
philosophie
qui
est
la démarche
du Fère
TEMPELS,
i l y
a
lieu de
f~ire remarquer d'abord que le fait
de
déga-
ger,
à
travers
les diverses manifestations
socio-cul-
turelles
d'un groupe
donné,
la conception du monde
qui
les
sous-tend,
ne
se
ramène
en soi
ni
à en faire
une
essence
éternelle
et
immuable
en quelque
sorte
~ypostasiée, ni à dire qu'elle induit tous les moin-
dres faits
ct
gestes
de
l'individu parce
qu'inhérente
à tous les membres de
la société.
Parce
que
le
fait
soc i a l e s t é min I~ rrun e n t
s y rn bol i que,
e n t e n ct e z
par - 1 à
mythique,
la relative
intégration culturelle
sans la-
quelle
ne
peut
se
concevoir une
entité
culturelle
d'aucune
sorte,
suppose
toujours une
certaine vision
du monde
sous-jacente
à
l'ensemble
de
la vie
sociale
d'un groupe.
Mais
i l
importe de
souligner en même
temps
que
ce
système
original
d'interprétation du monde
qui
donne
sens à
la spécificité culturelle,
s ' i l
oriente
dans.:leurs
grandes
lignes
les comportements effectifs
des membres d'une
société donnée,
ne
signifie pas
l'iden
tité des réflexes
et
des
tempéraments.
L'iiréductibilité
des
idiosyncrasies
individuelles,
et
leur éventuelle
i~portance dans la réalité de la dynamique sociale n'ont
jamais cessé d'être
soulignées par les ethnologues,
soit
lorsqu'ils combattent
les
théories
qui
les mettent
en
cause,
soit
lorsqu'ils en font
un exposé
systématique.
C'est ainsI
que
beaucoup
d'auteurs
ont
réfuté
avec
for-
ce
des conceptions
anthropologiques
qui,
s'cn tenant
à
l'idée du fonctionnement
mécanique
de
la loi
primitive,
l'\\~fu fi aie n t
d' a ct met t r e l i e x i ste n c e
de
1 a
var i ab i l i té
l n -
dividuelle
au sein des
sociétés
archaiques.
Pour les

150
mêmes
raisons,
la théorie
de ~lpersonnalité de base de
KARDINER,
ainsi
que
d'autres modèles
théoriques
s'y
apparentant,
ont
été mis
à
rude
épreuve
par des criti-
ques qui
toutes faisaient
valoir qu'aucun
individu
n'est
jamais en contact
avec
la totalité
des
insti~u­
tions primaires du
groupe
dans
lequel
i l vit.
Anssi
est-il
significatif à
cet
égard
que
LINTON,
après avoir
déclaré
qu'un
individu quelconque
révèle,
à travers ses
réactions spontanées,
plus
la culture
à laquelle
il
appartient
que
sa propre personnalité,
reconnait peu
après que
"les possibilités de
variation individuelle
dans
le
comportement humain sont presque
illimitées".
Un peu plus
loin,
l'auteur explicite
sa pensée
sur le
problème
"Individu et
Société"
en ces
termes
"Aussi
soignée
qu'ait
été
la préparation de
l'individu,
aussi
réussi
son conditionnement,
i l
demeure
un organisme
distinct
avec
ses propres besoins et
avec
ses capaci-
tés de penser,
de
sentir et
d'agir en toute
indépen-
dance.
Il
conserve même
son individualité
à un degré
considérable.
Son
intégration
à
la société et
à
la
culture ne va pas plus loin que
les réponses
apprises,
et même
si
chez
l'adulte
celles-ci
englobent
la plus
grande
part
de
ce
que nous appelons
la personnalitê,
i l y a
encore une
grande part
de
l'individu qui
y échap-
pe.
Même
dans
les
sociétés et
las
cultures les plus
étroitement
intégrées,
i l
n'y
a
jamais deux individus
rigoureusement
semblables."
(1)
Bien plus,
c c rt a t n e s
découvertes modernes
dans
le
domaine
des
sciences humaines ont
invité
à voir
dans la philosophie un phénomène
fondamentalement
cul-
turel.
Les
recherches dans
le
domaine
linguistique
par
exemple,
ayant
conduit
à l'établissement des rapports
entre
langage
et philosophie,
ont
permis
de
découvrir
que
les divers
syst~mes philosophiques d'auteurs par-
(1)
LINTON R.-
The
Cultural
Background of Personnality,
traduit
par LYOTARD A.,
sous
le
t i t r e :
Le Fonde-
ment
Culturel
de
la Personnalité,
DUNOD,
Paris, 1968,

151
ticuliers dans une
so~iété donnée,
s'élaborent
toujours
sur la base
du schéma général
de
pensée
fourni
par la
langue qui
Y'est
parlée.
Des philosophes comme N!ET2CHE
et HEIDEGGER ont vu ainsi
dans
le
langage,
produit
de
la société et porteur d'une
vision du monde
particu-
lière
et homogène,
l'origine
de
la philosophie et
de
la pensée en général.
C'est que
la langue
fournit
d'elle-même
le
schéma de
la pensée,
du fait
qu'elle
comporte
en soi,
dans
sa structure m6me,
une
réflexion
effective
qui,
pour n'~trc pas consciente,
n'en Gst pas
moins réelle.
La tâche
du philosophe
est précisément
~lors de faire émergsr cette pensée' implititc dans la
sphère
de
la conscience.
On comprend
à cet
égard que
de
s t mp Le e
termes comme
"logos"
dans
l'Antiquité
gréco-
latine ou "être"
en Occident,
aient
suscité des
ques-
tions philosophiques fondamentales.
D'une manière
plus
générale
à la faveur de
la
découverte
permise par les
recherches anthropologiques,
du principe
de
la relativité
culturelle
généralisée,
on doit
reconnaître
aujourd'hui
que
la philosophie
est
un phénomène culturel.
Puisque
dès notre naissance,
notre
conduite
est
structur~e par la culture de notre
société,
que
nos
goûts
les plus profonds,
nos condui-
tes,
les
a priori
que
nous engageons
dans nos discours,
nos affirmations,
bref,
tous nos comportements l'':'T:l'i1-
tent pour la plüpart
et
pour ce
qu'ils ont
de
fonda-
mental,
à une
sorte d'inconscient
culturel.
Dês lors,
la réflexion philosophique
qui
se croyait
jusqu'ici
intemporelle et
autonome,
ne
devient-elle pas essen-
tiellement
relative,
située dans
un espace et
dans un
temps
réflétan+'
ainsi
les
grands moments d'une culture?
Quoi
qu'il
en soit,
i l est
acquis que
la philosophie,
ne pouvant plus se
concevoir comme
une
activité méta-
culturelle,
le philosophe
devrait
renoncer provisoi-
rement
au préjugé d'une
pensée
absolue,
à une philo-
sophie systématique ct universalisante
qui
prétendrait
boucler
toutes
les questions se posant
à
l'homme.
En

152
sorte
que
c'est
avec
le
relativisme
culturel
que
la
question de
la vérité peut
avoir quelque
significa-
tion.
La vérité doit
apparaître
comme
devant
se
cons-
truire
désormais par
le
dialogue
des
cultures.
c'est
à ce
titre
qu'on peut
parler par exem-
ple
d'une
philosophie
occidentale
au
sens primordial
d'une métaphysique
contenue
implicitement dans
les
structuressocio-culturelle~et
orientant
dans
une
large
part
le
comportement
des occidentaux.
Cette
métaphysique
appara!t
comme
bâtie
sur une
ontologie
de
la rupture
selon
laquelle
l'être
est
à appréhender
dans
son irréductible
spécificité,
parce
qu'il
n~ 50U-
tient pas de
lien fondamental
avec
l ' ê t r e .
L'être
s'op-
pose
à
l'être.
Il
est
incontestable
que
les divers
penseurs occidentaux n'ont
fai~ pour la plupar~ qu'
expliciter sous diverses
formes
CGt te
philosophie
de
la rupture
dans
leurs élaborations
systématiques.
Ainsi
DESCARTES,
le
fondateur
de
la philoso-
phie
occidentale moderne,
est
aussi
celui
qui,
par
l'expérience
du cogito,
a
le mieux exprimé cette
vi-
sion du monde.
L'évidence
première
et
fondamentale
sur laquelle
doit
reposer tout
l'édifice
du
savoir,
n'est-elle pas
la découverte
de
cet
être
pensant
sai-
si
dans
sa solitude
absolue
au sein d'un univers pro-
visoirement mais
totalement
mis
en doute?
Or cette
philosophie
du cogito
subjuguera
la pensée
occidentale
pendant une
longue
période.
Et
i l
faudra attendre
l'~vè­
ne ment
de
la phénoménologie,
pour qu'elle
soit
sérieu-
sement
remise
en question.
Qu'a fait
donc
fondamentale-
ment
cette
ph&noménologie
sinon
que
de
substituer,
avec
HUSSERL,
au
"cogito e r g o
s urn "
de
DESCARTES, le
"ego cogito
cogitatum",
instaurant
de
ce
fait
une
liaison essentielle entre
le
sujet
et
l'objet,
entre
la pensée
et
l ' ê t r e ?
Dans cette
liaison essentielle,
ces couples conceptuels
deviennent
indissociables
et
sans elle,
ni
la conscience,
ni
le
monde ne
ec n a i e n t

saisissables.
Sous sa forme
ontologique,
HEIDEGGER
a
pu
formuler
entre
autres
thèmes,
celui,
combien fonda-
mental,
de
l'être-au-monde,
c'est-à-dire
une
concep-
tion du mode
d'être
constitutif de
l'étant conscient
qui
ne
s'appréhende
plus
autrement
qu'en
relation avec
un monde
qui
lui
est présent
et
auquel
i l
est présent,
de
sorte
que
l'existence
de
ce
monde
niait
plus besoin
d'être
prouvée.
Sur le
plan des projections de
cette
ontolog~e
de
la rupture
sur
les
réalités
socio-culturelles des
occidentaux,
i l
est
clair que
ces derniers
arborent
dans
leur vie
sociale,
un modèle
de
hiérarchie
stra-
tificatrice.
Ce
concept
appelle
plusieurs
idées
con-
currence
économique,
rivalité
sociale,
recherche

profit
individuel,
activité
technico-scientifique
à
visée
expansionniste,
ethnocentrisme
invétéré
Il
n'empêche
pas
que
dans cette même
civilisation occi-
dentale
i l
y
ait
des organismes caritatifs,
des
hommes
qui,
au
grand étonnement
de
leurs
congénères,
vivent
d'un
idéal
de
générosité
incontestable.
Toutefois,
personne ne
peut mettre
en
doute
que
le mode
de
vi~
occidenta~, les
institutions et
les
comportements
quotidiens des hommes
traduisent
cette
philosophie
de
l'être
comme
essentiellement en rupture
avec
l ' ~tre.
En tout
état
de
cause,
l'idée
d'une
philoso-
phie
africaine
conçue
dans
le
cadre
des conceptions
théoriques contenues
dans
les mythes est
non seulement
valide,
mais encore
co~stitue la condition sine
qua
non d'une
élaboration des
systèmes discursifs et cri-
tiques par les penseurs
africains.
Le
lien de
ces con-
ceptions
issues
de
la pensée mythique
et
des pratiques
effectives qu'elles
suscitent
avec
la pensée
religieu-
se et
la structure
sociale
comme
corrolaire,
est bien
vis i b le.
E"t ..
i l e s t i n con tes t ab l e
que
Ile n sem b l '"3
ct e
tout
ceci
peut
être
interprété en termes
d'un principe
unique
qui
lui
est
sous-jacent.
Ainsi
les
in3titutions

15-4
et
les conduites culturellement modelées dans
la so-
ciété africaine,
ne
sont
qu'un vaste
système
de varia-
tions
autour d'un même
thème,
le
concept qui
constitue
l'ethos culturel
de
la civilisation négro-africaine,
à savoir
le Pneuma ou souffle vital
que véhicule
18
concept d'animisme
déjà évoqué.
Certes,
ce
que
nous
disons
ici vaut beaucoup plus pour un système
de pen-
sée critique
et
discurSif élabor~ que pour un système
ontologique sous-jacent
à l'ensemble de
la culture
d'une
société.
L'idée
que
nous avançons
ici
est
que,
pour autant
que
la notlon de
philosophie
africaine
soit
admise,
elle doit prendre pour point
d'~ppui
cette
unité conceptuelle autour de
laquelle
gravite-
rait,
selon la réalité de
l'intégration culturelle,
les modèles socio-culturels des Africai~s. Il nous
appara!t donc
parfaitement légitime
d'énoncer une
philosophie
africaine
à
l'intérieur d'une
pensée
glo-
bal~ et
de
ramener l'ensemble
des manifestations socio-
culturelles des Africains
à l'unité d'un principe qui
les sous-tend et
leur confère une
logique
interne.
A
condition qu'une
telle démarche
tienne
compte, et
du
caractère
approxi~atif de la réalité de l'intégration
culturelle, et de
l'irréductibilité des
idiosyncrasies
individuelles.
Autrement
dit,
les Africains,
pas plus
que d'autres peuples,
ne vivent dans
leur organisa-
tion économique,
par exemple,
le
contraire
de
ce
qu'
ils professent
dans
leurs croyances religieuses, ou
l'opposé des structures de vie
incluses dans
la natu-
re
du pouvoir politique ou le
système de parenté.
Les
éclaircissements que,
grâce
à ces critiques,
nous
avons tenté
d'apporter
à
notre
hypothèse
de
recherche
nOU3 permettent
à présent de poursuivre cette dernière,
sans autre
grave
raison d'inquiétude
que
le
fait
qu'
une hypothèse
repose
toujours
sur un terrain mouvant
et que
toute
rechûrche,
quel
que
soit
son champ d'in-
vestigation~ concerne,
en dernière analyse,
l'homme
en quête
de
soi.

155
TROI8IEME
PARTIE
-----------------
L'HOMME
EN
QUESTION
DANS _.L' ESPACE
MYTHI QUE
*
*
*
*

'.
j
t
..
1
156
L'appréhension du phénomène du mythe et de la
pensée africaine met en je~ la complexité et l'étendue
des' idées que nous verions e examiner. Nous avions sou-
ligné dans la première partie déjà à- quelles,exigences
théoriques ·devrait satisfaire une
recherche consacrée
à ce phénomène.
Ces exigences,
avons-nous ajouté,
dépassaient de
loin les p~ssibilités de notre investi-
gation.
Nous avons donc cerné la question du mythe
africain dans un cadre précis,
celui de notre propre
hypothèse confrontée à d,'autresthèses~
à l'intétieur
des limites qui
s'imposaient à nous.
Nous allons à.pré-
sent aborder une
autre dimension du problème,
à sa-
voir l'homme
aux prises avec
lui-même dans l'aventu-
re de
la découverte de soi.
Il faut
avouer ici que
nous ne pourrons analyser c~~'aspect de la rechèrche
sous tous les angles, pour la simple raison que l'étude
de
l'homme présente de multiples fac~ttes. Par ailleurs
le discours mythique
lui-même nous indique suffisamment
la direction à suivre.
L'homme est,
à certains égards
inachevé,
tant dans sa connaissance de
soi que
dans
son évolution propre.
Il existe même
des domaines in-
térieurs de l'h6mme et dans l~s relations d'homme à
homme
que
révèlent
le discours mythique en tant que
début d'une
science de l'homme et s'occupant de
la
"conditio":humana".
Cette "conditio hurn an a "
semble
. s'être épanouie dans le rele qu'a joué la'sexualité
dans les mythes de
l'origine du monde.
La questionpri-
mordiale qui va donc nou~préoccuper est celle-ci
Comment l'homme s'est-il,
sexuellement,
comporté dès
l'origine du monde?
1·'
l
-
LA POSITION DE LA QUESTION
------------
------------ .
i
La sexualité chez l';homme est un problème
entièrement humain et concerne la réflexion quelle
qu'elle soit,
parce qu'elle6ontribue pour une grande
1

157
part à connaître
l'homme.
Il
s'agit en effet,
dans cette
réalité,
non d'une
simple part dans
l'homme,
se situant
plus ou moins
à la périphérie de
la personnalité et
pouvant être dissociée~à volonté,
de
l'ensemble du
complexe humain.
Mais il
s'agit essentiellement d'une
dimension de
tout
l'humain.
S'enracinant dans le bio-
logique,
la sexualité est aussi
un ensemble de fait3
psycho-sociaux.
Une
telle conception implique naturel-
lement qu'elle ne peut être cernée que par la conjugai-
son d'approches diversifiées.
De la solution apportée
au problème de
la
sexualité dépendent, dans une
très
large mesure, les
conceptions que
l'on doit se faire
de
la structuration
de
la personnalité,
et surtout du fonctionnement
géné-
ral
de l'appareil psychique
de
l'homme
africain.
FREUD
n'avait-il pas distingué,
dans
la deuxième
théorie
des pulsions,
trois grands groupes d'instincts: l'ins-
tinct
sexuel,
l'instinct de mort et l'instinct de vie?
Le
fondateur de
la psychanalyse
avait
reconnu,
dès le
début de
ses recherches,
l'importance fondamentale
de
toutes ces pulsions instinctuelles dans la détermina-
tion du cours de
la vic
individuelle.
Mais il avait
toujours estimé que la pulsion sexuelle était de beau-
coup la pius importante,
et que de
son développement
dépendait l'essentiel de
la vie psychique de l'indivi-
du.
Grâce
à
la manière dont elle est canalisée et com-
prise,
la pulsion sexuelle façonne
en effet la struc-
ture de
la personnalité.
Car autour d'elle
s'ordonnent
les relations qui
structurent
la famille
humaine et
finalement
une
situation fondamentale
et universelle
de la dimension sociale.
Face
à l'universalité dont FREUD a doté la
pUlsion sexuelle au cours de l'ontogénie et des com-
plexes qu'elle
fait
nartre,
est pourtant posé un rela-
tivisme culturel
qui
autorise, soit à nier dans une
société donnée
l'existence de certains stades de cette

158
i
!
pulsion sexuelle,
ou de certaines de
ses formations
complexuelles,
soit
à leur recorinattre des modalités
d'apparttion et de fonctionnement
ainsi
qu'une valeur
traumatisante.
Pour parvenir 'donc
à une vue équili-
brée de cet important problème qui
est capital pour
notre recherche,
i l faUt
d'abord s'en référer à ce que
disent les textes mythiques eux-mêmes~
MYTHE
DOGON (1)
AM MAc réa
1e s
é toi 1es
e n
jet a n t
dan s I ' es p a-
ce
des
boulettes
de
terre.
Il
créa
le
soleil
et
la
lune
en
modelant
deux
poteries
blan-
ches,
'lune
entourée
d'une
spirale
de
cuivre
rouge,
l'autre
de
cuivre
blanc.
Les
Noirs
sont
nés
au
soleil.
Les
Blancs
sous
la
lune.
D'un
autre
boudin
de
terre
glaise,
AMMA
forma
1 a
terre
qui
est
une
femme,
allongée
du
Nord a u
Sud.
Une
fourmilière
est
son
sexe.
Une
termitière
son
clitoris.
AMMA
s'unit
à elle
en
abattant
son
clitoris.
Ce
fut
la p r e m l è r e excision.
Et
elle
donna
natssance
au
chacal.
Puis
naquirent
les
génies
NOMMa
aux
yeux
rouges,
au
corps
vert
et
aux
membres
sou-
pie s •
Un
des
NOMMa,
voyant
sa
mère
nue,
appor-
ta,
pous
la
vêtir,
des
fibres
en
torsades
qui
représentent
l'eau.
Le
chacal
cependant
pénétra
dans
la
fourmi-
lière,
commettant
ainsi
le
premier
inceste,
et
fa i san t
a pp a r a Ît r e l e ~ san 9
men st rue 1 Qui
teignait
les
fibres.
A
cause
de
cela
la
terre
est
devenue
impure.
AMMA
créa
alors
directement
des
êtres
hu-
m ai n s ,
tir é s
del'a r 9 Ile.
Ils
eu r e n t
cha c' un
en
eux
1e 5
deux
p r i n cl p es
m â 1e
et
f e m e Il e •
Mais
AMMA
leur
apprit
la
circoncision
et
( 1) Ra pp 0 r t é par Na'r cel GR l AU LEi n "D i e u d' Eau" •

159
Ile xci 5 ion qui d i st i n gue n t
1e s
s e xe 5 •
Un autre mythe rapporté par TCHICAYA U TAN'
SI raconte l'aventure hum aine originelle,
et présente
la sexualité de
l'homme comme essentiellement orien-
tée et ordonnée avarit tout
à la procréation.
En voici
le texte.
NKOLLE et LA PREM 1 ERE
EXPER 1ENCE SEXUELLE
NKOLLE
avait fini
de
construire
sa
maison.
Sa
femme
fit
du
feu
dans
la
maison

elle
avait
amené
du
bois.
Le
soir
tomba.
hlKOllE
enleva
de
ses
reins
1e
l Ede
p <: a u
d e
b ê t e
qu ' j. 1 a va j t
der r i ère •
NKOLLE
l'étendit
sur
le
sol
dans
sa
maison,
près
du
f e u , : Son
LE
de
peau
de
bête
devait
servir
de
lit
à sa
femme.
N K 0 L LEe nie v a l e
LEd e
p eau
cl e
b ê t e
q u' i 1
<3 V ait
d e van t ,
1 1 lIé tend i t
e n t r e l e
1i t
d e
B a
femme
et
le
mur
sur
le
sol
dans
sa
maison •.
Son
LEd e
p eau
d e
b ê t e
d e v ait
1u j
5 e r v i r
de,.
. 1i t •
NKOLLE
se
coucha
dessus
et
s'endormit.
Au
matin,
le
coq
chanta.
Comme
il
é t 8. i t
fatigué,
il
dormait
encore.
La
femme
sortit.
Elle
prit
un
bain
et
revint
dans
la
maison.
Elle
dit
à
NKOLLE
"Pour-
quoi
dors-tu
encore
?"
NKOLLE
d i t :
"Ja
suis
fatigué
de
ce
que
j'ai
fait
avec
toi."
Mais
le
matin
était
là.
Les
hommes
allèrent
à
la
chasse.
Màis
NKOLLE
était
toujours
fati-
gué.
NI<OLLE
n'alla
pas
il
la
chasse.
Bientôt
les
h o rn rn e s
revinrent
de
la
chasse
avec
le
butin. Les
femmes
rotirent
la
viande
du
butin.

160
L a
f e rn (" e
dit
à
N K 0 L L E
fI Qua n d i e
sol e i l s e
c o u c h e ,
\\es
poules
o n t r e nt
au
poulailler.
Pendant
16
nuit,
nous
devons
faire
deux
fois
ce
que
ri ou s
a v c n s
fait
à la
fin
de
la
nuit
dernière."
C'e s t
ce
que
dit
la
femme.
Ils
firent
ce
que
dit
1cl
f e rn rn e .
La
femme
était
très
jolie.
La
femme
était
très
belle.
Mai s
s e u 1s
N K 0 L LEe t
s a
f e m m e
f ais aie n t
c (~
q u l l l s
a v a l e n t
décidé
d e
faire.
Les
autres
femmes
e t
le s
a u t r e s
hommes
dormaient
seu-
lement.
Ils
ne
faisaient
rien
de
leur
nuit.
L a
f e m rrl e
d e
t-~ 1< 0 L LEd e ven él i t
d e
plu sen
plus
forte.
Ses
seins
b o m b a i e n t ,
Les
hommes
et
les
femmes
se
demandaient
"Qu',.
va-t-i\\
en
advenir
?"
/\\JKOLLE
r a s s e m b l a
tous
l e s
b o m m e s
dans
sa
maison
et
dit
"!\\lOU5
a u t r e s
hommes
sommes
différents
de
C2S
êtres
;:)
sacs."
-"C'est
l'évidence
même:',
répondirent
les
h o m rn e s .
Î'II< 0 L LEd i t
" A p p r 0 che z - vou s
d e
vot r e
f e ,:j -
me
la
nuit
et
vous
verrez
qu'un
autre
t r e
ê
v l e n d r a
de
votre
femme."
Un
des
hOrnrYJ8S
r a s s e m b l
s
dans
la
maison
é
de
NKOLU:::,
pour
être
instruit
de
cela,
Si approcha
de
sa
f e mrn e ,
Il
revint
vers
l e s
autres
hommes
confirmer
que
cela
t a i
é
t
bon.
Tous
les
hommes
allèrent
v e r s
leurs
femmes •.,
Tous
c o n n u r e ot
leurs
f c mrn e s ,
ET
ils
leur
dirent
"Pourquoi
ne
nous
l'avez-vous
pas
dit
plus
tôt
'I"
Les
femmes
répondirent
rI N 1 ê tes - vou s
p Cl s
des
ho m mes
?"
La
femme
de
NKOLLE rl'out
le
v e ri t r-e
gonflé
que
pendant
un
mois.
Après,
elle
donna
le
jour
a
un
fils.
Le
v l l La o o
él;;liii,·t
florissant.
Les
femmes
étaient
en
bonne
santé.
Il
y
avait
t 0 u t
ce
qu 1 i 1 fal-
lait
pour
la
r.o u r r-ir u r e
de
tous.
( 1 )
Ce
mythe,
pour
t r e
tant
soit
peu compris,
mérite
quel ..·
ê
ques explications
complémentaires.
Il
en
ressort
en
effet
que
NKOLLE est
le
tout
premier homme
à
faire
lu
(1)
TCHICAYA U TAM'SI- Les Légendes Africaines,
SEGHERS,
Par i s ,
1 968,
p.
35- 4 3 .

161
connaissance de
la femme.
En s'aventurant un jour loin
dans la forêt
sombre et mystérieuse au cours d'une
partie de chasse,
il
découvre un groupe de femmes
dans leur pays.
Celles-ci v6nt nues,
mais sont munies
de sacs et connaissent l ' a r t de
faire
le feu.
Elles
proposent à NKOLLE de
lui préparer un peu du produit
de sa chasse.
NKOLLE goûtant pour la première fois
de
la v1ande cuite,
la trouve
infiniment meilleure
que
la
viande crue
à laquelle lui et tous les siens étaient
habitués.
Il
en conserve un morceau et rentre chez lui,
s'en sert comme
appât pour convaincre ses concitoyens
de venir avec
lui
auprès des femmes.
Les hommes vont
donc
s'établir au pays des femmes et sans plus tarder,
leur font bénéficier de
leurs techniques proprememt
masculine~ dont principalement et avant tout
le cons-
truction des cases.
Le mythe
que nous allons exposer à présent a été
recueilli dans
le nord de
la République Centrafricaine.
Son intérêt est certain,
car i l est
d'une extraordi-
naire densité qui
recèle plusieurs éléments de
la cos-
mogonie négra-africaine.
Outre le dualisme
sexuel qui
y
est présenté de façon très explicite.
ce mythe nous
fait découvrir l'existence de
l'oeuf primordial et
l'importance du mil dans la fécondité
des peuples de
cette région.
LE MYTHE DU MIL ET DE L'OEUF
Au commencement LOA
et
SU
n'existaient
pas • . '
If
y
avait
seulement
des
semences
du
mil
blanc
et
du
mil
rouge.
Nos
ancêtres
disaient
que
c'est
le
mil
Qui
nous
a
créés.
Et
toute
la
ter r e
é t ait
cou ver t e
d e
mil.
C''es t
1e
mil
qui
a
posé
l' 0 e u f ,
l. 1 0 e u f
est
é cio s
:
de u x
hum a i ns
en
sont
sortis,
une
fille
et
un
garçon.
La
fille
s'appelle
LOA,
le
garçon
SU.
Le
mil
lui-même
les
a
mis
ensemble
pour
qu'ils
s'unissent
et
enfantent
d'autres
hommes.
"5

162
ont d'abord
e n q e n d r é
un
garçon,
puis
une
fil .....
le.
Quand
LOA
fut
de
nouveau
enceinte,
cette
fois,
e l l e
mit
au
monde
deux
j u m e e u x .
Puis
elle
mit
encore
au
monde
deux
jumeaux
une
fille
appelée
KC>RO,
un
garçon
qui
est
sorti
après,
son
nom
est
NGAKOUTOU
et
un
autre
9 a r ç 0 n
a p pel
N G A M 8 0 R.
5 U
e t
L 0 Ac 0 n t i -
é
nuaient
de
vivre
tous
deux
ensemble.
SU
dit
un
jour
"Moi
je
suis
un
homme
très
bon.
Toi,
LOA
ne
me
trompe
pas,
car
je
suis
ton
frère."
LOA
ré p o n d l t
"Toi
et
moi,
;10US
som mes
u n
a for s
c e
que
je
f ais,
n e
v a
pas
1e
d é t r ui r e
d € r r i ère
moi.
Ain s i n 0 u s
s ,~ r 0 n s
v rai me n t
uni s • "
Mais
SU
fit
sa
route
à part.
Il
disait
"Oui,
maintenant
nous
s o m rne s
unis."
En
réalité,
il
se
séparait
de
LOA.
LOA
dit
"Je
vais
f a i re
de
sorte
que
l e m rn l l
recouvre
toute
la
terre.
Ainsi
tous
les
hom-
·mes
pourront
manger."
-"Je
m'y
oppose,
rétorqua
SU.
Si
toute
la
terre
devient
du
mil,
je
ne
trouverai
plus
de
place
pour me
o r o rn e n e r-v "
-"II
n'en
sera
pas
ainsi,
dit
LOA."
SU
se
sépara
d'elle
et
s'en
a I l a
au
loin,
solitaire.
SU
maintenant
n'avait
qu'un
but
séparer
1e s
ho mm es
e nt r e
eux,
'e s r end r e di f f é r en t 5 •
SU,
a p r ès
a v 0 i r
c réé
les
hommes,
1es
avait
donc
rendus
différents.
Il
leur
avait
mis
la
tête
en
bas,
l ec.p h e l l u s
sous
l'ais-
selle,
et
aux
femmes
aussi,
l e vs e x e
sous
l'aisselle.
LOA
vit
que
cela
ne
convenait
pas.
"11
f a u t ,
dit L:. QA,
que
1es
ho m mes
ma r che nt
sur
1eu r s
pieds."
Les
hommes
remirent
la
tête
en
haut
et
march~rent sur leurs pieds.
Puis,
quand
les
femmes
pilaient
le
mil,
les
hommes
voyaient
leur
sexe
sous
le
bras.
LOA
dit
"Cela
ne
convient
pas".
Quand
les
hommes
débroussaient
les
champs,
le
phallus
venait
toucher'
leur
genou.
LOA
d i t :
l1Cela
ne
convient
pas".
C'est
pour
cela
que
le
phallus
des
hommes
et
le
sexe
des
femmes
furent
re p l a c
s
entre
leurs
cuisses.
é
Les
hommes
a v a i e n t
aussi
la
bouche
sur
la
nuque
et
les
y e u x
par
devant.
LOA
dit
IICeia
ne
convient
pas".
Et
LOA
mit
la
bou-
che
par
devant.

163
SU
se
mit
alors
en
colère
et
d i t :
"Pourquoi
donc
LOA
a-t-elle
ses
propres
yeux
sur
le
dessus
de
la
tête,
elle
qui
est
sortie
d'un
oeuf
comme
moi
?"
-"N'est-cc
pas
bien
comme
cela
?"
rétorqua
LOA."
Là-dessus,
ils
se
disputèrent.
LOA
disparu
et
r,3gagna
le
ciel,
abandonnant
les
hommes
à
SU."
Tous les mythes que nous venons de reproduire,
y compris celui de TERE KOZO ZO déjà évoqué dans l~s
première et deuxième parties de la présente recherche,
D0US
permebteqt~:ataément d'étudier d'abord la sexua-
lité en tant que base des cosmogonies négra-africai-
nes,
ensuite
le
rqle des divinités dans le
fondement
des règles de la vie
sexuelle,
et enfin,
le désir
de l'inceste qui
se manifeste dans la plupart des
mythes.
2
-
LA
SEXUALITE
EN TANT QUE CATEGORIE DE BASE
DES COSMOGONIES NEGRO - AFRICAINES
::::::===:!:==:::=:::====
La question que nous avons à examiner ici est cel-
le liée au comportement sexuel de
l'homme mythique,
comportement qui a déterminé le plus essentiel de
ses
activités.
En plus,
et comme corollaire,
i l nous faut
.,
savoir s ' i l existe ou non une
liberté sexuelle dans
l'ordre mythique.
Par exemple
les rapports constatés
entre TE RE et YABADA ou entre
SU et LOA ouv~Gnt-ils
toute large la porte au libre exerci~e plus ou moins
institutionnalisé de
la fonction
sexuelle? Le pro-
blème que nous soulevons ici est immense et,
bien
entendu,
délicat,
car i l entraîne des implications
sociales considérables.
D'ailleurs,
les considéra-
tions théoriques générales au sein desquelles il

••
J . "1
,
1
164
1 s'inscrit le prouvent suffisamment. C'est pourquoi
1 il nous faut nous adonner à une approche anthropo-
logique générale
de
la question.
r
Dans son ouvrage
"Sociologie et Psychanalyse ff ,
Roger BASTIDE a émis l'hypothèse de l'existençe dans
,
toute société d'une double sexualité.
Traitant,
dans
le cadre de
la sociologie génétique
du problème posé
par FREUD,
de la désexualisation de
la libido,
c'est-
à-dire de la pulsion sexuelle,
l'auteur estime que,
pour traiter de la question.
il convient d'introduire
une division dans cette pulsion sexuelle ou libido,
et distinguer en elle Dne sexualité libidineuse et
une sexualité sociale.
La sexualité libidineuse est
celle qui
répond au principe du plaisir de
la théorie
psychanalytique.
Elle est donc
individuelle,
et ne
poursuit aucun objectif.
La sexualité
sociale au
contraire de la première,
est une création de
la so-
ciété,
visant un but précis,
celui
de la multiplica-
tion.
Elle est par conséquent d'ordre mythique et
symbolique,
car elle constitue pour la société le
moyen,
selon la finalité
sociale unique,
de
signifier
matériellement ~t ri~uellement l'idée de solidarité,
d'agrégation et de
lien nécessaire entre
les indivi-
dus.
Elle répond,
dans cet ordre d'idées,
à une loi
cosmique,
celle de la nécessaire union pour la pro-
création.
"Notre point de départ,
écrit l'auteur,
c'est que
la sexualité qui
est contrôlée dans la plu-
part des sociétés primitives,
c'est la sexualit6 liée
à la nature,
c'est-à-dire à la procréation. il
(1)
L'auteur étaie
son hypothèse
sur le fait
que chez
beaucoup de peuples,
et particulièrement en Afrique
Noire,
l'acte
sexuel
dans sa signification sociale
appara!t,
sur la base du discours mythique,
comme
un symbole de
l'agrégation à la société et de
la
.
manifestation de la vie collective.
Ces considérations
(1)
BASTIDE R.- Sociologie et Psychanalyse,
Paris,
PUF,
p.
224.

165
amènent l'auteur à formuler son hypothèse d'une maniè-
re plus précis0
IINotre
idée,
écrit-il,
c'est que si
aujourd'hui
la sexualité est contrôlée dans tous les
domaines,
il a existé autrefois et il existe aujourd l
hui chez les peuples dits primitifs une sexualité
libre et à côté une sexualité sociale,
soumise &u
contraire de
la première,
à de nombreux tabous non
parce
que sexuelle,
mais
justement parce que diffé-
rente de
la sexualité,
mais essentiellement fbrme et
symbole d'agrégation sociale."
(1)
Une
telle assertion entra!ne de nombreu3es
incidences d'ordre sucio-culturel.
Mais nous référant
surtout aux textes mythiques relatifs à la vie sexuel-
le des Africains,
nous pouvons dégager un certain sta-
tut social
de
la femme.
QUel est
le
sens du rapport
homme-femme que dégagent les mythes dans leur ensemble?
Ou alors ces ~ythe8 ne conduisent-ils pas à l'appré-
hension de
la femme
comme objet de plaisir et esclave
pour l'homme?
Parlant des FAN du Gabon,
et par référence au
contenu des mythes qu'il avait étudiés,
E.
TREZENEM
écrivait ceci:
"La femme
doit la fidélité et l'obéis-
sance
les plus absolues à son mari,
qui a droit de
la
frapper.
La femme n'a aucune autorité dans le ménage,
elle ne possède en biens propres que ses ustensiles de
cuisine,
ses instruments pour la plantation et la pêche
elle n'a pas le
droit
de posséder des animaux."
(2)
G.
BALANDIER pense,
quant
à lui,
qu'on peut déduire de
la littérature mythique des Africains une certaine
infériorité de
la femme.
Cet auteur souligne en effet
certains usages qui expriment la situation mineure de
la femme
et de
la valeur sociale inférieure que
le
(1)
BASTIDE R.- op.
cit.
p.
230.
(2)
TREZENEM E.- "Notes Ethnographiques sur les Tribus
FAN du Moyen OGOOUE" in Journal de
la Société des
Africanistes,
t.
VII,
1936,
p.
90.

166
groupe lui accorde:
"La femme,
écrit-il,
n'a pas de
personnalité
juridique;
elle n'a pas de propriété
personnelle considérable,
plutôt des biens d'usage
elle n'accède pas aux successions;
elle est transmise
par l'héritage,
tout comme
les marchandises et riches-
ses diverses.
La femme
cependant,
est un bien d'une
nature spéciale:
elle est le bien par excellence,
un
capital créateur.
Source de produits et de
services
par ses diverses fonctions domestiques.
Source de puis-
sance par La procréation d'enfants concourant à la
défense du groupe ou procurant des alliances.
Source
d'a~liances ct de parenté: par son intermédiaire,
le
nombre de gens participant aux échanges de services
et de cadeaux pouvant accorder aide et assistance,
-
s'élargit."
(1)
Nous savons que ces thèmes -ont été
largement exploités devant l'auditoire africain,
les
missions chrétiennes et les éducateurs coloniaux.
Il
s'en est toujours suivi une grande préoccupation chez
les Africains qui,
à coups
de débats,
de déclarations
de toutes sortes,
d'articles ou de congrès,
ont eux-
mêmes ridiculisé et condamné les pratiques d'ordre·
mythique relatives au traitement de
la femme dans leurs
sociétés.
Les principales coutumes décriées en ce sens
étaient l'absence de consentement de la femme
dans tou-
te forme
d'union~ Il a semblé donc
à un moment en
Afrique Noire que
les élites africaines étaient spé-
cialement mobilisées pour la libération de la femme
n~ire. De leur côté,
les missions chrétiennes et les
administrations coloniales ont,
chacune avec ses pro-
pres moyens,
combattu certaines de ces coutumes. Au
Cameroun par exemple,
l'Eglise chrétienne avait
tou-
jours exigé des unions polygamiques qui se convertis-
saient,
le renvoi des femmes épousées après la pre-
mière union.
L'administration coloniale avait,
quant
à elle,
interdit la coutume selon laquelle il fallait
mettre la femme en gage.
(l)BALANDIER G.- "'Sociologie Actuelle de l'Afrique
Noire,
P.U.F.,
2è édition,
Paris,
1963, p.
120.

167
Toutes ces agitations passionnées et ces mesu-
res administratives ou religieuses ont
généralement
abouti
à des échecs ou à des catastrophes~ Elles
avaient ignoré, en effet, que ces coutumes constitu-
raient l'une des assises fondamentales de
la pensée
africaine,
et
qu'à ce
titre~leur suppression totale
et brutale
devait nécessai~ement provoquer des crises
en charne,
en mettant en cause
tout
l'équilibre social,
et donner lieu à des pratiques détournées.
Ainsi,
le
Congrês des femmes d'Afrique occidentale qui,
à partir
de
1959,
réclamait
à Bamako la suppression de
la püly~
garnie,
devait réaliser longtemps après seulement,
que
cette dernière ne
pouvait être abolie que
si
les con-
ditions socio-économiques qui
l'avaient
instaurée
étaient,
à leur tour,
remaniées de
fond en comble,
de
façon qu'il y
ait un autre
type d'équilibre social.
Par ailleurs,
l'interdiction de
la polygamie q contri-
bué puissamment et dangereusement à l'instabilité des
unions matrimonjales,
à la pratique de l'union à l'es-
sai,
et surtout
à la dégénerescence
générale
des moeurs.
De plus,
toutes ces interventions partaient
du principe
que
les coutumes qu'elles combattiient
étaient des mesures d'oppression et d'aliénation d Q
la
femme.
Ici,
une fois
de plus, une
saine et froide
appré-
hension des choses,
dépouillée de
toute prise de posi-
tion passionnelle,
ne
permet pas de
souscrire
à ces
thèses,
quelles que
attrayantes qu'elles
soient.
Elles
manifestent
toutes,
l'erreur monumentale qui
consiqte
à mesurer la valeur sociale de la femme africaine,
non
d'aprês la logique
interne du discours mythique,
mais
d'après la seule
éthique sociale occidentale fondée
sur des présupposés chrétiens.
De cette façon,
une
proposition est
toujours sous-jacente:
tout de qui
est
différent de
l'idéal
chrétien occidental
implique néccs~
sairement une
infériorisation de
la femme.
Or,
la poly-
gamie n'est ni nécessairement
en soi,
ni en fait
dans
le
langage des mythes la preuve
de
l'exploitation,
du

168
du mépris et de
l'esclavage de
la femme.
D'autre-part,
le statut social de
la femme
ne parait comme une mesu-
re d'infériorisation de
la femme
que
s ' i l est détaché
de l'ensemble du contexte social
qui
lui confère sa
signification.
Beaucoup de chercheurs occidentaux,
à partir
de
l'époque où l'anthropologie a
commencé à se dépar-
t i r du vieil
ethnocentrisme classique,
sont revenus
sur les thèses de
leurs devanciers à propos des
tradi-
tions africaines observées du point de vue des mythes.
Sur le problème qui nous préoccupe ici,
Denise PAU~ME
a pu ainsi écrire:
"Quelque soit le régime observé
(dans la littérature traditionnelle,
la condition des
femmes
(en Afrique Noire)
nlest ni
inférieure ni
supé-
rieure
à celle des hommes;
elle est différente,
elle
l'équilibre."
(1)
De même,
Annie LEBEUF fait
observer
que
"Les témoignages sont nombreux qui démontrent qu'
, \\
'1
en société vraiment
traditionnelle,
le
sort des
femmes
Il
n.l é t at r
pas" 81
misérable qu'ont cru pouvoir l'af'fir-
,
mer les Europ~ens qui débarquaient en Afrique et qu'en
i,
particulier,
la femme
accédait directement ou indirec-
1
tement aux affaires publiques,
occupant ainsi en main-
tes circonstances une place comparable
à celle qu'oc-
cupaient
les h ornme s c "
(2)
1-
De part et d'autre,
le
jugement de ces auteurs,
en particulier celui de D.
PAULME,
révèle un point de
vue d'une fécondité extraordinaire,
quoiquG
l'auteur
dans son étude,
ne
soit véritablement pas parvenue
à
l'assumer pleinement.
Celui-ci invite en effet
à ne
plus poser le problème du statut s~cial de la femme
africaine en
termes traditionnels de sa supériorité,
de
son égalité,
ou de son infériorité par rapport
à
(1)
PAULME D.-
F8mmes d'Afrique Noirb
,
Mouton et
Compagnie,
Paris,
1960,
p.
12.
(2)
LEBEUF A.- In "Rôle de
la Femme dans
l'Organisa-
tion Politique",
cité par HENRY,
L'Erotisme Afri-
cain,
PAVOT,
Paris,
1970,
p.
175.
",
r
l,
'1.
Il

1
169
1
1l'homme. Une telle problématique légitimement suggérée
par la société occidentale, qu t
d Ls p o s e
d'une culture
1o.béiss6nt sur le plan de l'organisation sociale, au
principe de
la hiérarchie stratificatrice,
échoue
à
appréhender la vraie nature des choses dans une Afri-
r que Noire où ce principe est celui de la réciprocité.
Selon l'ordre mythique,
il
y a entre
la femme
africaine
et
son partenaire masculin,
des rapports de complémen-
tarité et d'équilibre, qui
résultent de
la prise de
conscience par chaque sexe de
la foncière
altérité de
llautre.
Dans la société africaine en général,
et
d'après les textes mythiques exposés plus haut,
il y
a lieu de dire
que les faits s'établissent et se véri-
fient
ais~ment. Il faut,
par conséquent,
examiner
tout d'abord la façon dont
l'homme et la femme
sont
considérés dans leur identité différentielle d'être
bimlogique, en dehors de
l'insertion dans la vie socia-
le.
A
partir de
là,
l'on pourra comprendre aisément
aussi
la portée des mutilations sexuelles relatées
dans les textes mythiques,
en particulier celui de
SU
et LOI',.
Selon les considérations mythiques,
l'homme
est phyaiquement
fort, et la masculinité imprègne tous
son être parce qu'il .accomplit certains efforts qui
relè~~nt du domaine des dieux ou des héros civilisa~
.
!
teurs.
Endurant,
combatif et énergique,
il doit
se
surpasser perpétuellement et s'affirmer comme mâle.
C'est seulement ainsi
qu'il porte son identité, et est
apte
à concourir efficacement
à la subsistance et à la
défense du groupe
auquel
i l appartient.
Suivant toujours
l'esprit de
la littérature mythique,
une des caracté-
ristiques apparentes de la masculinité est que
l'homme
évite
toujours tout ce qui
a
trait
à la bassesse, comme
les commérages ou les mesquineries de
toutes sortes.
Mis à part le cas deTERE qu'on tourne délibérément
en ridicule pour un but pédagogique éVident,
il appa-
rai t
que 1 t h orm.sn e::
doi t
f ai re preuve
à chaque foi s

170
de bravoure et de noblesse dans ses sentiments et sa
conduite.
Le
langage mythique, apprend à chaque homme
à vaincre la peur,
la menace,
et
à affronter aV~c cou-
rage l'effort et la souffrance physique.
Dans cet
ordre d'idées,
de véritables écoles initiatiques de
virilité avaient été créées pour la mise en pratique
des idées contenues dans les mythes At véhiculées par
eux.
Il
apparaît par ~illeurs dans la plupart des my-
thes,que l'ingéniosité masculine devait permettre
à
l'homme de vaincre
toutes sortes d'obstacles que
les
é l é men t s
deI a na tu r e d r- e s sent sur son pas s age .
Sous le
rapport de
la force physique,
la fem-
me se reconnait,
quant
à elle,
limitée.
Et
très vrais-
semblablement cette
limite physique se répercute dans
les autres sphères de
la personnalité
(jugement,
force
morale,
stabilité dans la con~uite et les opinions,
etc . . . ).
Dans certains mythes,
on e n tre n d une
femme
dire
"Je ne sais rien devant un homme,
je suis aussi
stupide qu'une poule".
Un autre mythe exprime
$ymboli-
quement la même
chose en disant
:
fiLe
jet urinaire de
la femme,
durant
la miction,
ne peut traverser le tronc
d'arbre étendu
à terre".
Cela fait
curieusement penser
à la Bible qui, pour exprimer l'idée de virilité, ap-
pelle hommes "tous ceux qui
urinent contre
le mur".
L'on peut induire que
la société n'a institué pour la
femme
aucune
initiation comprenant des épreuves de
lut-
te
ou d'endurance.
C'est pourquoi la société africaine
supporte que
la femme
s'adonne à
toutes les formes
de
commérages,
car c'est l'exutoire naturel dont elle dis-
pose pour parer à son incapacité de lutter physiquement.
L'on comprend pourquoi
l'homme qui
cherche
à imiter la
femme dans cette voie s'attire les plus grands mépris
et est généralement regardé comme une
"femmelette".
Mais i l convient de souligner ici
que
l'homme
n'utilise pas son avantage physique pour écraser la
femme.
En Afrique,
l'homme
qui frappe
sa femme
s'en-


,-, .,
1 1 -'-
1
tûnd
toujours
dire,
~onformêment a la pensée mythique,
qu'il
est lui-même moins qu'une femme.
Par
là,
la
femme
envoie
le
mari
indigne
faire
ses
preuves,
en
matière
de
force
physique
avec
un
autre
mâle
du
grou-
pe.
S ' i l
arrive
qu'un
homme
ait
été humilié en ~e mesu-
rant
à un autre dans un combat singulier,
c~la lui
v a u t
ÛG':;
mo q u e r-Le r,
t e r i e s
q u l t l
n'osera plus
jamaiu
frapper
sa
femme,
de
peur
de
s'entendre
rappeler
C~
triste
incident.
Quoiqu'il
en
soit,
si
une
femme
su-
bit
Il e !Tl a u v ais
t r' ait e ln e n t s
cor po rel s
d e
l a
par t
ct e
son mari,
i l
lui
est
loisible
de
retourner
dan~ sa
famille
d'origine.
Le
mari
doit
venir
l ' y
chercher,
non
sans s'être
expliqué
devant
le
groupe
familial
de
son
épouse et
lui
faire
des
p r cme s s es assorties
d'une
amende
versée
à
ses beaux-parents.
Selon
l ' o r -
dre mythique,
la coutume
n'autorise
pas
qUE
la femme
qui
a qui. t t ê
son ma r i. ct ans
c e seo n dit ion f:- ai l l e u n
beau
jour réintégrer
le
domicile
conjugal
sans que
le
ma r I
soit
venu
la
r-e c h e r-c h e r-.
Le
t u t e ur
de
l'épou-
se
peut
se
sorvir de
ce
prétexte
pour
faire
divorcer
sa protég&e . . La
force
physique
de
l'homme
doit,
en
tout
état
de
cause,
servir
au
contraire
à
&me~voiller,
à co n qu
rLr-
e
é
t
à p r o t é g e r
la f e mm e .
C'pst
pourquoi,
pendant
les
~iançailles, l'homme
qui
vient
effectuer
quelques
travaux
dans
la famille
de
sa
future
conjoin-
te,
doit
faire
preuve
de
beaucoup
de
courage
et
d'ar-
d Po U l'.
I l
v 3. rn ê 1ne,
L0 r s q u ! 1 l
s' a ct 0 rI ne
à
l a
b le: S o g n 8 ,
jusqu'à refuser
toute
nourriture
et
mépriser
la
faim.
Ainsi,
Les parents de
la jeune
f i l l e
sont
assurés
qu~
le futur gendre saura pourvoir à la subsistan~~ ~.
femme,
~t
sera aussi
en
mesure
de
protéger
celle-ci
contre
tout
danger.
La
reconnaissance
de
cette
différence
biolo-
gique
entre
les
deux
sexes
~ présidé pour une lnrge
part
à Ja division
sexuelle
des
tâches.
La part
de
convention
qui
s'y rencontre
apparaIt
comme
s'0rigi-
nant aux conceptions mythlques des Africains.
Ainai,

172
si
c'est la femme
qui
défriche et
sème,
ce
qui
est
un
travail
rude et
très
disproportionné
à sa force
phy-
sique,
c'est pour qu'elle puisse
transmettre
à la
terr~
la
f&condité
dont
tout
son
~tre 8Ht impr6gnê. Mais
généralement,
J..' homme 'accomplit
les besognes
qui
exi-
gent
force
physique,
~ndurance,bravoure et sang7froid.
~ ,
,
\\
\\
r


'I\\insi' i l
prèparc
le
terrain pour
l e s
p La n t a t I o n a ,
1
,
chasse
et
pêche,
confectionne
les vêtements
dtecorce,
fabrique
les
armes,
e xt r-a i t
et
t r av at t Le
le
rn i n e r a l ,
construit habitations,
ponts en
liane
et ouvre
les
sentiers.
La femme,
qua~t à elle,
s'occupe des soins
de
l'enfant,
prépare
bien
sOr les aliments,
défriche
et .sème,
récolte
et
ramasse
le bois
à
o r-ü l e r ,
r a i t de
l a p Cl t c, rie,
a S sur e
l a c <:;r v é <; d' eau pot ab le,
e t
p 8 che
le
petit poisson.
Sous ce
rapport de
la
répartition
s e x u e Ll e
des
t fi. che s ,
1 t '.1 n i 0 Il cte
1 1 11 omme
e t
cte
l a f e rn m(~
apparaît
donc comme né~essaire et durable selon les
cas.
D 1 aut r-e s coutumes,
issues des mythes,
qui pnrai~3­
sent
liées
à la différence biologique des deux
sexes
concourent
aussi
à
leur ~istinction. Il
en
est ainsi
\\
en particulier du
syst~me de portage. Alors que les
.
\\
f e mm e spa rte n t
l E: S cha r g e S (3u r l a t
te,
l
ê
E: S
ho m!TI e e
11 e
1
.
le font
que
3ur les
êp~ules .
. La r~connaissance par chaque
sexe de
la fonciêre
altérité
de
l'autre
au
plan biologique,
a
donné
lieu
au sur pre n an t 'p hé nom è Tl e
11 n gui s t i que
du du a J. i sm e
f:' e -
x u e l ~
Celui-ci, qui
constitue
11 un
des cadres p r-Lnc i.>-
paux de
la vision négre-africaine du monde,
consiste
dan2
la classification:de
tous l~s êtres connus en
deux C l asses d és i g née s
par cle s
terme s
s e x u e 1.'3 .
Le
iJ l li,
~tonnant dans cette sexualisation de
toute
réalité
. con n u ~", es t
q u ' e Il e
s e
:f 0 n d e
cla van t age
El u r l e s a s pee t :.:;
ext~rieurs
rappelant
la masculinité
ou la féminité
d~ns
l'espèce
humaine, que
sur les facteurs proprement QGn-
tomo-physiologiques.
Or, dans
CG
dualisme
s e x ue L,
Le e
r6alités femelles ne sont pas du
tout méprisées.
La
société
africaine, qui
dispose
e n effet
d a n s
ses :T1Ul ti-

173
pIes langues de nombreux idiomes connotant l'idée de
faiblesse
et de force,
de supériorité et d'inféri~rité
de noblesse et de bassesse,
ou désignant les divers
paliers de
la graduation vers la perfection dans un
ordre quelconque,
ne les a pas utilisés pour appré-
hender ces réalités dans leurs rapports avec
les réall
tés mâles!
C'est qu'entre les deux ordres,
mâle et fe-
melle,
les rapports qui existent sont ceux de complé-
mentarité et d'équilihre,
et non de hiérarhhie ou de
disharmonie.
Nous venons d'observer que
la division sexuel
le des tâches et des modèles de conduite dans la vie
sociale des Africains, trouve son origine dans une vi-
sion mythique du monde,
selon laquelle l'ensemble des·
êtres du monde
se répartit en deux classes relevant
de deux principes complémentaires désignés en termes
s0xuels,
et selon laquelle la viabilité d'un être
.
exige qulil comporte obligatoirement dans son .fond
intime le genre sexuel opposé au sien.
Et la vie so-
ciale tout entière nous montre à l'oeuvre la reconna 1 ..
sance par la société de l'irréductible spécificité ont -
logique de chaque sexe par rapport à l'autre~
spécifi-
cité qui se fonde
sur leurs différences biologiques.
Ces différences biologiques sont de
surcroit,accent~ée
par ce qu'il est convenu d'appeler les mutilations
sexuelles.
3 -
LES MUTILATIONS SEXUELLES
ET LEUR SIGNIFICATION MYTHIQUE
==========.==
Avant d'aborder cet aspect
impo~tant de~a~l
sexuelle des Afric~ins, et qui concerne surtout la pé-
riode de
l'adolescence,
il convient de
rappeler briè-
vement le point de vue psychanalttique qui
touche de

174
très près l'occident.
Ainsi,
par comparaison,
nous pour
rons comprendre ce
qui va suivr~.
D'aprês la théorie psychanalytique en effet,
à la crise oedipienne succède,
dans la vie
libidinale
de l'enfant,
une période de
latence.
Celle-ci se tra-
ùuit par une diminution spectacula.ire des tendances
et des
intérêts sexuels,
phénomène dû à une baisse de
l'énergie
libidinale.
Si
toute conduite sexuelle ne
disparait pas,
il n'y a pas toutefois apparition d'une
nouvelle
forme
d'activité libidinale.
Celle-ci
se ré-
duit aux résidus d~s conduites sexuelles antérieures.
La période de
latence se
termine
aux environs de douze
ans et
à
cet âgo,
le
jeune homme
entre dans la phase
pubertaire.
Les freudiens orthodoxes,
dont
surtout
Anna FREUD,
y voient une période
de crise,
caracté-
risée par la reviviscence des processus pulsionnels,
et une augmentation de
la libido.
Une plus grande
quantité d'énergie libidinale est mise ainsi au servi-
ce de l'instinct.
Ce
qui
a pour effet de provoquer
l'apparition des manifestations agressives comme la
brutalitf,
la voracité,
la délinquance,
les tendances
orales et
anales,
etc . . .
On assiste
aussi
à la résur-
gence d'anciennes
tendances qui .semblaient avoir dispa-
ru.
Il
s'agit surtout des tendances oedipiennes,
castra-:
tian,
et chez la fille,
d~$ir de l'organe sexuel mascu-
lin,
le phallus.
Enfin,
on constate dos transformations
dans le moi
de l'individu.
Mieux organisé que dans les
stades antérieurs,
11
devient aussi plus intransigeant
et entre en relation vraie
avec
le ça et
le sur-moi.
De la sorte,
il dispose
de
tous les mécanismes de
défense
(refoulement,
déplacement,
négation,
. . . ) qui
lui permettent d'affronter des situations difficiles.
Enfin,
dans l'adolescence,
A.
FREUD voit une phase
mdrquée par des transformations quantitatives et quali-
tatives.
Par l'augmentation de l'énergie
libidinale
utilisable,
les pulsions sexuelles,
surtout chez le
garçon,
dominent
to~tes les autres,
et
les tendances

175
pré génital e s di s p a r-a i s s e n t
en t i è remen t . B . a r t an t
donc
du p r in c i p e, que
1 1 1 n div id u,
à cet t e p é rio d €,
vit sou 5
le
coup de
l'angoisse consécutive
à la nouvelle pous-
sée instinctuelle,
elle
avance la notion d'ascétisme
chez l'adolescent.
Celui-ci fuit
tout ce
qui
a une
légère connDtation sexuelle,
et
se
réfugie
dans les
conduites d~ sublimation.
Remarquons ici
qu~ les théories psychanaly-
tiques relatives
à ces trois périodes dont nous venons
de parler,
souffrent
d'une
grande
lacune,
et d'abord
dans
le c a d r-e même
des
s o c i é t é u occidentales par rap-
port auxquelles el188 ont été élaborées.
D'après ce
schéma analytique en cf~~t, le nil~e~ tient une place
tout
à fait négligeable.
Tout est expliqué par les
fluctuations
de
la quantité libtdinale dont
le
sujet
dispose.
Or les évènements extérieurs qui
se produi-
sent
à cette époque dans la vie de
l'enfant doivent
avoir un impact certain sui sa personnalité entière
en plaine
évolution.
Ses cont~cts avec l'extérieur se
multiplient et s'intensifient.
Il
s'adonne
à des acti-
vités variées et manifeste un plus grand désir de par-
ticipation au monde
des adulte~. Par ailleurs,
par
l'introjection des interdits C~ des idéaux imposés
par les parents et
le milieu proche,
sa socialisation
est devenue
effective,
et 11
s'est doté d'un nouveau
style de relation avec autrui.
S'il
se pose donc
des
p r-o b Lè mc s pulGionnFl:~, on n'est pas fondé à avancer
qu'ils
soient dus
à une plus ou moins grande quantité
libidinale
investie.
I l
semble plutôt que
la croissan-
cc physiologique,
en
remettant en question certains
aspects du moi,
peut
renforcer les buts instinctuels,
les préciser et mieux affirmer leur présence~
Quelle que soit
la position qu'on adopte
à
l'égard de
ce problème,
un seul
fait
demeure hors de
doute
dans la société occidentale.
L'enfant est
livré
à lui-même pour ce qui est de l'organisation et de

176
l'apprentiss~ge de sa vio sexu811e.
Il doit éviter
toute
allusion à la sé'x'la\\ité devant l'adulte et ce
!"l'est que dans le
cadre det: bandes de groupe d'âge,
qu'il
peut partager avec ses camarades des intérêts
ou des propos ayant
trait
à la sexualité.
Générale-
ment dans ces b~ndes, on se préoccupe des questions
sexuelles et particulièrement des caractéristiques
anatomiques du
sexe opposé.
On se
livre
à des dessins
érotiques et on :::,V:change des p t a t s anc-œ r e s
grossières.
La notion d'une éducation sexuelle orficiellement orga-
nisée demeure de
nos
jours encore en Occident embryon-
naire,
quoique
tout
le monde en voit
la nécessité et
l'opportunité.
Dans la société africaine considérée dans sa
globalité,
la phase pubertaire et l'adolescence
sont
~arquées dans la vie sexuelle dG l'enfant, par une
éducation sexuelle appropriée et organisée par la
société.
La sérénité dans laquelle l'Africain des deux
sexes
traverse ces périodes,
et l'absence de crises
caractéristiques qui
leur sont
spécifiquement atta-
chées,montrent qu'une fois
de plus cette société échap-
pe
au schéma analytique,
et
que
:~ psychanalyse doit
tenir compte de
l'impact des faits
socio-culturels.
sur la genèse de la personnalité.
Comment,
et selon
les conceptions mythiques,
appréhendait-on véritable-
ment ce phénomène? Vers l'âge de cinq ans,
la sépa-
ration des sexes intervenait dans la vie de
l'enfance
africaine,
et mettait fin
à la promiscuité initiale.
En
ce moment donc,
filles et
garçons cessent cie"':former
des groupes mixtes de
jeux.
Mais l'activité ludique
continue
à occuper tes deux sexes le plus clair de
leur temps.
En
s'adonnant au jeu,
l'enfant fait
sur-
tout l'apprentissage des activités d'adultes.
Ainsi,
lA
garçon s'initie
à l'art cyn6gétiqu2 en jouant aux
sagaies ~t à l'arc,
en fabriquant de petits pièges
pour attraper oiseaux et
rats,
ou en chassant
à l'arc
et
à la fronde
(lance-pierre).
De son côté,
la fille

joue
à la ménagère. Elle allume des foyers dans la cour
et
imite
les gestes qu'elle voit
sa mère
accomplir pen-
dant
la préparation des mets.
Il
existe cependant à
côté de ces
jeux éducatifs, des
jeux gratuits.
Et d'aut
part,
les enfants
reçoivent un enseignement des coutu-
mes et des techniques,
selon le
sexe,
à travers les
mythes qui
leur sont dits.
A cette même
époque,l'enfant fait
le plus
souvent connaissance avec des expériences nouvelles.
Il
quitte
la maison parentale pour aller loin du vil-
lage natal
subir des
épreuves initiatiques.
A partir
de
la période d'adolescence,
les
jeunes africains
étaient,
pour la plupart,
initiés au mystère de.la vie.
par un enseignement et des pratiques qui
étaient dis-
pensés dans le cadre
strict des cérémonies d'initia-
tions.
En quoi
consistait précisément
l'initiation?
Bien que
l'initiation soit une donnée culturelle
à
peu près universellement répandue,
si on se
réfère
à
ce que pratiquent
les
juifs,
les arabes et les popu-
lations des
Iles du Pacifique et
de
l'Amérique Centra-
I
le~elle n'a acquis nulle part plus qu'en Afrique Noire
un caractère distinctif et une dimension toute parti-
CUlière, que nous allons essayer de
cerner et de com-
prendre dans le cadre des mutilations sexuelles vou-
lues par l'ordre mythique.
Mais nous ne ferons pas
ici,
ni
une3description détaillée,
ni
un inventaire dg
toutes les théories relatives au phénomène
initiatique.
Anthropologues,
missionnaires et
autres chercheurs
africaniJtes ont ,depuis des dizaines d'années,décrit
avec plus ou moins d'exactitude ce
qu'ils avaient pu
observer lors de
leurs séjours en Afrique Noire.
Et,
sur ce plan,
i l n'est pas difficile d'amasser des
faits
(1).
L'important nous semble-il,
est de cerner
(1) On peut lire à ce sujet, entre autres ouvrages,
les
livres de :
LEENHARDT N. -
L' Ini t±ation chez Le s
Venda et les
So u t o s': ,
PAYOT,
Paris,
1930.
VERGIA TA. ]\\l • _. ,; Hi tes Sec r e t s
ct e s P r i mit ifs ct e
l'Oubangui' ,
PAYOT,
Paris,
1935.
ZAHAN D.-
'Société d'Initiation Bambara,
le Ndomo,
le Ko r-è': ,
Paris,
1060.

178
à présent ce concept afin d'en dégager la significa-
tion fondamentale,
parce que mythique.
Car parler d'ini-
tiation c'est,
pour beaucoup,
évoquer d'emblée dea
rites ésotétiques,
des cérémonies secrètes pendan~
lesquelles· l'homme serait abandonné entre
les mains
des sorciers malfaiteurs et assoifés de sang.
Pour
beaucoup encore,
l'initiation ne
rassemble que des
adeptes appartenant à des sectes ou sociétés initia-
tiques dont les buts seraient plus ôu moins aVoua~
bles,
puisqu'elles se
gardent bien de les pro~uire au
grand jour et dans un langage accessible
à tous.
Dans
cet ordre d'idées,
l'initiation apparaît bien vite
suspecte et inhumaine en fin de compte.
Or,
d~~s la
tradition africaine qui
suit pour ainsi dire
les
préceptes édictés par la littérature mythique. tout
semble concourir à la considérer dans sa port.e primi-
tive et principielle,
comme sous-tendant tout~ une
conception de
la vie,
un certain état d'espri~ que
tout homme doit
rechercher tout au long de aa vie.
Elle traduit donc la pensée fondamentale
africaine,
et ne
saurait
se
réduire ni simplement à une
secte,
ni
à une société secrète,
encore moins à d~s rites.
Elle est plus que
cel~ et déborde tout à la fois les
différentes formes de cérémonies qui
l'entourent.
Considérée dans son étymologie,
initiation,
du latin initium,
signifie commencement,
début.
Ainsi
compris,
ce terme traduit parfaitement ce
que
les
Banda de Centrafrique appellent
Ganza,;
les Sara du
Tchad,
Yondo
;
les Mitsogo du Gabon,
Evoui
les Bam-
bara du Mali,
Ndomo,
etc,
et qui caractérise tout à
fait
la3pétiode oü se pratiquent les mutilations
sexuelles.
Car tous ces vocables ont un dénominateur
commun,
à savoir qu'ils se
situent au polntde départ
et au seuil de l'âge adulte.
Oe ce fait,
on peut dire
qu'ils forment
un processus.
une voie importante vers
l'amélioration et l'accomplissement de
l'homme sur le
/
double plan biologique et psychologique.
En effet,

179
"
dans presque to~te l'Afrique Noire,
la premiè~ atces-
';1;
sion
à la maturité biologique qui prépare 1a maturité
psychologique,
se marque
par la circoncision chez les
garçons et
l'excision chez
les filles.
En le mar~uant
physi quemen t
en ce
tout premi e r
moment
d'une
eXP\\fj"i en-
ce vitale,
liée
à une incidence sexuelle dont le,sens
est d'assurer la pérennité
du
groupe,
la communauté
ethnique
conduit sur la voie de
la vie
son
jeune mem-
bre.
Sans doute y
a-t-il
dans
la circonsion et
l'ex-
cision,
qui
est
la suppression du clitoris,
un carac-
tère
pénible.
Mais par le
truchement' de cette
épr8u-
ve physique
existe
la volonté de
faire
mériter à
l ' i n i t i é
l'expérience vitale
qu'il
postule et d'autre
part,
l'idée
que
l'homme
doit
souffrir pour accéder
à plus de
connaissance de
soi
et
du monde.
Nous en-
tendons
donc par initiation la genèse
de
la connais-
sance de
_90-1,,:
et
le commencement de
la connais-
sance
de
la vie et du monde
en général.
Etant
donc
le
commencem~nt de la connaissanoe,
elle
est une pos-
sibilité offerte
à l'homme de retrouver dans son uni-
vers communautaire,
la signific~tion de
son propre
corps en tant
qu'organe
et
8n tant
qu'organisme.
C'est
ce
qui
explique
la voie bi?logique empruntée
par les pratiques
initiatiques.
2n somme,
l ' i n i t i a -
tion introduit
l'homme
prcgressiVement dans un certain
ordre
de
connaissance de
soi
et du monde
au sein du-
quel
i l
se
saisit
lui-même.
D'ailleurs,
dans l a l i t t é -
rature mythique
qui
fonde
les pr~tiques initiatiqueE,
on peut
lire
en filigrane
l'idée~e10n laquelle une
des composantes essentielles de
l'initiation est
la
mattrise
de
soi.
Autant
l'enfant peut se permettre
d'extérioriser ses réactions,
autant
l ' i n i t i é doit
pouvoir se
dominer physiquement.
Celui
qui
est maî-
tre
de
soi
est précisément celui
qui
a
su dominer
son propre corps en connaissance
de
cause.
C'est ce
que
fait
remarquer
Ca1am-.,
GRIAULE lorsqu'éi'ieécrit
à propos des Dogon
liSe montrer lâche
au moment de
la circoncision ou de
l'excision est pour les Dogon

'."
180
tellement
infâmant que cette conduite doit ' t r e tenue
secrète au village."
(1)
Chez
les Dogon comme ailleurs
on demande en effet
à ceux qu'on initie de se ~ominer
avec
courage,
de
se montrer insensible et
iridifférent
à
la souffrance.
Les précautions prises convergent
toutes vers cette
idée.
A telle enseigne que
l'obser-
vation de Dominique ~M est juste quand il dit qu'
Wen réalité la maîtrise de
soi est
la clé de voûte
de
toute
l'architecture éthique du Noir d'Afrique.
Elle est présente dans ses gestes et dans son compor-
tement
;
se
réalise dans son langage;
s'actualise
dans sa mentalité."
(2)
Il faut
signaler que
la pratique inittatique,
quoique
fondée
sur le plan de
l'éthique,
n'est nulle-
ment répandue dans tout
le continent noir.
Ainsi,
alors
que certaines ethnies soumettent leurs adoles-
1
cents soit
à la ptrconcision,
soit à l'excision qui
sont deux opérations èhirurgicales différentes,
les
Mobengé du Zaire,
les Gbing et les Abron de
la Basse
1
côte d'Ivoire,
les Mbali de
l'Angola,
les Kuku des
confins du Zaire,
les peuples du_Haut-Nil,
ainsi
que
~
quelques Bantu de
la région des Grands Lacs,
tels que
les Wabungu,
les Banyamwesi,
les W'eù:eke,
et bien d'au-
1
tres groupes encore,
ignorent la pratique ini~1atique.
Ce
qui n'est pas sans leur valoir parfois du mépris
de
la part des autres.
Le phénomène
se complique enco-
re plus par le fait
de la pratique élective de
l'une
ou l'autre
forme
de
la mutilation sexuelle suivant
les sociétés.
Assez
rares,
en effet,
sont les peuples
qui,
comme
les Mandja,
les Banda,
les Gbaya de Centra-
frique,
les Koniagé
de Guinée et
les Kikuyu du Kenya,
font
subir la mutilation sexuelle
aux deux sexes.
~
D'ordinaire,
c'est seulement un seul des deux sexes
qui est choisi pour subir l'opération.
Ainsi,
alors
~
(1)
GRIAULE C.-'t::thnologie et Langage",
GALLIMARD,
Paris,
1965,
p.
370.
(2)
ZAHAN D.-
Religion,
Spiritualité et Pensée
~
Africaine,
PAYOT,
Paris,
1970,
p.
239.
J_-----------------'----

18
que
1 e s Hue l a
ct e l a gr and e for ê t
é Q u ct t 0 ria le,
1 e s
cu-
ru n s i
ct u
Sou d an 1 0 cci den t al,
les
Sa ra,
les Gb ay a 7
les
Banda,
ainsi
que
toutes les
tribus du Haut
Sénégal
ont dhoisi
l'excision,
certaines autres
tribus de
Centrafrique,
comme
les Ngb~ka. les Ali,
les Banziri,
les
Sanga,
les
vakom a , les Nz a k a ra , et les Pahuin du
Gabon et du Cameroun ont opté plutôt pour la circon-
cision.
Il
est
à noter par ailleurs qu'il
appara!t
Lmp o s s i.b Le
ct 1 avancer- que l qu e chose de certain sur
l'origine
en Afrique
Noire de
ous mutilations
sexuel-
les.
Elles sont
sans
rapport
avec
l'Islam auquel elles
préexistent en Afrique
Noire m@me.
Et d'autre part,
bon nombre
de "tribus comme
les
Sanga,
les Bulaka ct
las Banzirl
de Centrafrique
les ont
adoptées tardive-
ment,
au contact de
leurs voisins.
Plusieurs hypothèses ont été avancées dans le
but d'expliquer le
sens de
la circoncision et de
l'exc -
sion.
Le
plus
souvent,
ces hypothèses ne peuvent pas
compter sur les explications fournies par ccux-là mêmo
qui pratiquent ces mutilations,
entendu qu'ils sont
incapables d'cn fournir
des
~aigons satisfaisantes.
La
première
explication quivlent naturellement
à l'espri
et
qui
est
le plus communément adm~se,consiste à voIr
dans
le phénomène des rites de pas~age marquant,
d~ns
la chair intime de
l'individu,
la fin de
la période
d'enfance
et
l'agrégation à la société des adultes.
Excision et circoncision sont alors dans ce câs
incor-
poréea aux cérémonies d'initiation pendant
lesquelles
les adolescents
reçoivent
un enseignement
relatii aux
traditions du groupe
et
subissent diverses épreuves
d'endurance.
Cette explication est
étayée par des fait
indiscutables.
Ainsi
dans
les ethnies de Centrafrique
que nous avons
citées plus haut,
à la fin de l'ini-
tiation ou Ganza chez
les Banda par exemple;
les
jeun~0
circondis et excisés,
devenue
adultes par l'opération,
doivent
tout
abandonner de
leur nnc~en statut d'enfan-
ce.
Cc
qui
se matérialise d'ailleurs entre autres cho-

182
ses par l'adoption d'un nouveau nom.
Chez les Fang du
Gabon,
j8
jeune circoncis ayant accédé au statut d'adul-
te,
est libéré de bon nombre
d'interdits,
surtout
sexuels et alimentaires inhérents à l'âge prépubertai-
re.
Chez
les Bakoko du Cameroun,
le circoncis change
de nom,
prend possession d'une case,
et
reçoit
sa
première femme
de
son père.
Toutefois,
l'examen attentif et minutieux de
cette hypothèse
soulève bien des difficultés quant
à
son bien-fondé,
D'abord chez beaucoup de peuples afri-
cains,
i l n'y a pour aucun des deux sexes ni
cérémonie
"
d'initiation,
ni mutilation sexuelle,
ni un temps d'édu-
cation fondamentale.
L'accession à
l'âge
adulte n'appa-
ra!t donc pas dans ces sociétés comme une
étape
stra-
tégique
qu'il
convient
de souligner par une cérémonie
spécifique.
Chez d'autres peuples comme ceux du Haut-
Nil,
les cérémonies d'initiation des adolesce~ts
existent bien,
mais comportent,
non plus des mutila-
tions sexuelles,
mais d'autres mutilations.
Ainsi,
les
Nuba et les Nadel
pratiquent
l'arrachage des dents
tandis
que
les Nuer et
les
Krazola marquent
de pro-
fondes
entailles le front
de
leurs
jeunes enfants.
D'un autre
côté,
chez ceux qui pratiquent
la circon-
cision ou l'excision ou les deux.
ces opérations
n'ont pas obligatoirement
lieu dans
le cadre des
ini-
tiations.
Chez
les Nkundo du Zaire par exemple,
la
circoncision est pratiquée
à des âges divers suivant
l'humeur des parents et
n'est
accompagnée ni de
fête,
ni
de
cérémonie.
Chez les N0abua,
toujours du Zaire,
la circoncision est pratiquée
soit quelques
jours seu-
lement après
la naissance,
soit
iq.1Uelqu(,:;;.temps après
l'enlèvement du cordon ombilical,
soit un peu avant
l'adolescence.
Chez les Koniagi
de
Guinée~ la circon-
cision est pratiquée vers
l'âge de dix ans,
et ne don-
ne
lieu qu'à de petites réjouissances familiales.
C'est
seulement
à l'âge
de
six-sept -
dix~nuit ans
que
l'adolescent sera initié et entrera dans
la

société des adultes.
Enfin,
chez
les peuples o~ la
circoncision et
l'excision étaient liées au cadre
ini~iatique, l'évolution des choses qui a amené la
disparition des cérémonies d'initiation,
n'a,
à notre
connaissance,
jamais mis fin
à la pratique des muti-
lations sexuelles et particulièrement à la circonci-
sion.
AinsL chez les Pahuin et les populations de
Guinée,
l'adolescent est circoncis à n'importe quel
âge,
pourvu que ce
soit
avant
l'apparition des pre-
miers
signes de
la puberté.
Il
s'agirait donc
ici
d'un simple cas d'autonomie fonctionnelle
d~s habi-
tudes.
Mais il
s'ensuit que
le problème du sens de
ces mutilations sexuelles se pose
avec d'autant plus
d'acuité.
Que signifie donc cette pratique qui
semble
n'être pas intrinsèquement liée aux cérémonies d'ini-
tiation ? Aurait-elle un but phyaiologique ?
La science médioo-hygiénique moderne
semble
voir dans la circoncision une mesure de propreté des-
tinée
à empêcher tout encrassement de
la partie
ren-
trée du gland chez l'homme.
Mais cette
rai~on ne peut
être avancée pour expliquer la pratique en question.
En effet,
les peuples qui
s'y livrent n'ont
jamais
expliqué le phénomène de cette manière.
Certes,
ceci
ne
saurait être un contre-argument décisif,
entendu
que les
gens connaissent
rarement
le sens vrai des
modèles socio-culturels qu'ils vivent.
Mais i l est
hors de doute qu'un tel
but est par trop dispropor-
tionné à l'opération,
et que de
toutes les manières,
il ne pourrait pas permettre de comprendre l'excision.
Si nous passons,
maintenant
au plan des expli-
cations fournies par ceux-là mêmes qui pratiquent les
mutilations sexuelles,
nous
rencontrons d'abord des
raisons d'ordre physiologique,
mais seulement pour la
clitoridectomie.
Dans certaines tribus,
l,'ablation du
clitoris est présentée comme une
technique
~~surant
la fécondité
et facilitant
l'accouchement.
Il
en est

184
ainsi
au nord du Togo où la pratique .e s t
générale,
si
.
.
"
. . '
on excepte certaines populations .c ornm e
les Kabré.
Pour les
Ko to koLi ,
l ' e x c t s Lone.au r-a i t
le pouvoir de'
,
. ' .
. ,
.
'
- ,
' . .
.~. . '
mu Lt t p l
er- ta,:<descendance. T,q\\ut.p:o,rteà c,roire que
à
cette eXPli.~c;a.ti'on' relève du ·"~;i;mpl;~p.rocessus de ratio-
nalisation .. 'i;ri:e'ffet,' dansce~~,': So':ciétés, ,la circonci-
sion,
l àoùe'l:J,.:e:: se' rencontre,'::h'::~:estpas l'objet 'd' une
"
"
,
explication. si mt l a r r-e.
Et, de
p I us;
les voisins
immé-
diats de
c:es populations ne pr a tLqu e n t
pas l'excision.
Les E we par e xe mp I.e , . au li eu d e I a
c l i t or i de c tom i e ,
se
contentent d'allonger les
grandes lèvres chez les
filles
de
dix ans,
De même
les Kabré
répugnent
à l'exci-
sion,
mais préparent
les
jeunes filles
à la féminité
e t à la pr06iéâtion par une
nourrlt~re abondante et
un enseignement adéquat des choses sexuelles.
Les Dogon de Bandiagara avaient
suggéré
à
Marcel
GRIAULE une
intéressante hypothèse
suivant la-
que,lle
la circoncision et l'excision auraient pour but
de
libérer l'homme et la femme
de
l'androgynie
qui
constitue
la condition de
tous les humèins à
leur nais-
sance.
Car d'après
la cosmogonie Dogon,
les premiers
hommes naissaient par couples de
jumeaux de
sexe oppo-
sé et aujourd'hui
encore
i l
demeure des
traces en cha-
cun des sexes,
de
cette
condition première~ La muti-
lation sexuelle a
donc
pour but d'assurer à
l'homme
et
à la femme la spécificité sexuelle intégrale et ori-
ginelle,
en libérant
l'un et
l'autre des
survivances
et
des
symboles du sexe
opposé qu'ils portent
à la
naissance.
Cette hypothèse,
sédu~sante en soi,
comporte
toutefois cette
grave
limite qu'elle ne peut valoir
que dans
le
cadre des sociétés relativement peu nom-
breuses où se pratiquent
les mutilations sexuelles
chez
les deux sexes.
A moins d'admettre
a
priori
que
la pratique n'est pas susceptible d'une
interpréta-
tion générale,
sinon chez
tous les peuples du monde,

.1" Y',II:
, 1i,1'
. ,
185
du moins
à l'intérieur d'une même
civilisation.
Ce qui
à notre avis limiterait dangereusement
la recherche et
les perspectives mêmcs de
l'anthropologie.
On ne peut
, "
s'en tenir
à l'explication des Dogon.
Il
serait peut-
',l'l
être plus fructueux d'abstraire du complexe
toutes
les particularités locales
(par exemple l'âge des can-
didats
à
l'opérqt:on,
l'incorporation ou non de celle-
ci
danG une cérémonie d'initiation et
l'existence ou
non de
la pratique pour les deux
sexes),
pour ne
rete-
nir que
ce qui
en constitue
le dénominateur commun et
l'essence,
à savoir le fait
que
dans une société,
les
Qembres,d0
l'un des sexes,
ou des deux sexe~ doivent
recevoir des marques indélé~iles dans leur chair intime.
Il
slagit là d'une pratique si peu naturelle qu'elle
semble
requérir une explication d'une très
grande
portée.
Dans la mesure où la circoncision et
l'exci-
sion sont un cas particulier du phénomène
général des
. ~·1· •
...
mutilations et déformations corporelles,
i l y
a
lieu
. ,l'
de
les expliquer tout d'abord dans ce cadre
général.
Or les mutilations et les déformations corporelles,
qu'elles
répondent
à des fins esthétiques ou initia-
tiques,
ou qu'elles visent
à souligner l'appartenance
à un groupe tribal ou ethnique ou à une association,
témoignent de
la tendance universellement opérante
chez l'homme
à se
recréer artificiellement
sur le plan
physique.
Il
s'agit,
en fonction des canons esthéti-
ques ou des conceptions magico-religieuses existant
chez un peuple,
d'imposer à l'apparence
extérieure de
l'homme des modifications ou des marques plus ou moins
indélébiles.
Ce phénomène probablement contemporain
,.10
de
l'humanité,
est 101n d'avoir disparu dans notre
vie moderne.
Si
les marques ou mutilations pratiquées
directement
sur la chair se rencontrent de moins en
moins,
i l
subsiste
toujours le lourd appareil
des soins
et de
la chirurgie esthétiques qui peuvent,
du reste,
répondc8
à d'autres préoccupations.
La jeune fille

186
modern8 de nos sociétés civilisées croit que
c'est de
l'esthétique lorsqu'elle
farde
et rougit
ses
joues,
peint
ses lèvres,
épile et crayonne
ses sourcils,
polit et émaille
ses ongles,
se
fait
onduler ou friser
les cheveux,
change
le teint de
s~peau. . .
Tandis que
l'homme de
son côté soumet le visage,
les cheveux,
ou
la calvitie
à divers traitements pour en corriger les
défauts.
Toutes ces pratiques participent
à la même
tendance,
profondément an~rée chez l'homme de ne pas
laisser la nature opérer toute
seule 00 que ce
soit.
Il s'agit donc
de
la modifier partout en lui
impri-
mant durablement
la marque de
l'action humaine.
Le
corps humain lui-m~mè n'échappe pas à cette entreprise,
ct c'est pourquoi
l'homm~ pour un but ou pour un autre,
"humanise"
son être physique en changeant quelque
c h o s e
de
son apparence extérieure.
Les mutilations sexuelles sont pour ainsi
dire
une
façon pour l'homme de se recréer sur le plan sexuelf
en ajoutant
à l'appareil génital tel qu'il est reçu de
la nature, une
touche
spGdifiquement humaine.
Mais à
l'inverse des autres marques corporelles,
et particu-
lièrement celles à visée esthétique ou devant indiquer
l'appartenance
à un groupe
quelconque
qui,
par défini-
tion,
sont pratiquées dans
le. but 'd'être vues,
voire
contemplées,
l'e~~cision et La c Lr-c o ne Ls Lo n , parce qu v ;.
elles sont pratiquées dans
la chair intime chez un peu-
ple qui
ne recèle
aucune
trace d'érotisme,
et que de
ce fait
elles ne soutiennent aucun lien avec un compor-
tement de
type épidéictique,
requièrent une explica-
tion beaucoup plus profonde.
D'autre part,
dans la
,l,
mesure où ceo opérations ne répondent ni
à un but ini-
tiatique ni
à un but physiologique,
cette explication
semble devoir &tre cherchée,
en dehors des f~its so-
ciaux visibles
ou des modèles conscients de la vie
c o g n i t Lv e du groupe, dans 11 étage inconscient de
la
pensée collective.

187
Pour comprendre
le phénomène des mutilations
sexuelles dans un tel
cadre,
il
importe de
connaître
dans ses
grandes lignes
le problème de
la sexualité
tel
que
le vit !'ensemble des peuples de
l'Afrique
Noire.
Il
apparatt
très clairement que
la sexualité
occupe chez les négra-africains 8t
selon des modalités
particulières,
une émorme place.
Marcel MAUSS avais
exprimé cette
idée en écrivant que
dans les sociétés
africaines,
tout
tocrne
autour du mâle et ds
la femel-
le.
En effet,
le phénomène
extraordinaire du dualisme
sexuel,
les innombrables
tabous et précautions qui
entourent l'exercice de
la fonction
sexuelle,
les pro-
priétés bénéfiques et maléfiques attribuées ~ux orga-
nes génitaux et
à leurs
sécrétions,
tout cela démon-
tre
que dans
lu. civilisation africaine,
la question de
la sexualité est
inscrite au centre de
la vie
indivi-
duelle et sociale.
Qu'il y
ait donc
une re-création de
l'homme
sur le plan sexuel
par une
opération sur les
organes
génitaux,
tout comme i l y a
une
re-création
esthétique de
l'homme au niveau de certaines parties
du corps exposées à la vue,
cela n'a rien qui
doive
surprendre.
Cette
intervention de
la culture sur la
nature
au plan sexuel ne
signifierait-elle pas alors
que
l'exercice de
la fonction
sexuelle,
dont
les orga-
nes génitaux sont
les maté~iaux, loin de comporter un
caractère anarchiqué
incontrglé et fantaisiste
auquel
condui!'~ient les
impulsions brutes de
la nature biolo-
gique de l'homme, doit
au contraire être soigneuse~ent
réglée en fonction des conceptions magico-religieuses
du groupe~et du but ultime
que
ce dernier lui assigné?
On voit les avantages d'un tel modêlc:d'expli-
cation.
Il permet
tout d'abord de comprendre
la cir-
concision et l'excision à l'intérieur du cadre général
du phénomène des mutilations ou des déformations cor-
porelles.
Si
on ne ~rend que le cas de celles de ces
opérations qui ont un but esthétique,
n'appara~t-il
pas avec
évidence
que,
selon le proverbe
"11 faut

187
Pour comprendre
le phénomène des mutilations
i
r •
sexuelles dans un tel
cadre,
il
importe de connaître
dans ses grandes lignes le problème
de
la sexualité
tel
que
le vit ~'ensemble des peuples de
l'Afrique
Noire.
Il
apparaît
très clair.ement que la sexualité
occupe
chez les négra-africains 8t selon des modalités
particulières,
une Bmarme place.
Marcel MAUSS avait
exprimé cette
idée en écrivant que dans les sociétés
africaines,
tout
tocrne
autour du mâle et de
la femel-
le.
En effet,
le phénomène
extraordinaire du dualisme
sexuel,
les innombrables tabous et précautions qui
entourent l'exercice de
la fonction
sexuelle,
les pro-
priétés bénéfiques et maléfiques attribuées aux orga-
nes génitaux et
à leurs sécrétions,
tout cela démon-
tre
que
dans la civilisation africaine,
la question de
la sexualité est
inscrite au centre de
la vie
indivi-
duelle et soc1a12.
Qu'il y
ait donc
une
re-création de
l'homme
sur le plan sexuel par une
opération sur les
organes génitaux,
tout comme
i l y
a une re-création
esthétique de
l'homme
au niveau de certaines parties
du corps exposées
à la vue,
cela nia rien qui
doive
surprendre.
Cette intervention de la culture sur la
nature
au plan sexuel ne
signifierait-elle pas alors
que
l'exercice de
la fonction
sexuelle,
dont
les orga-
nes génitaux sont
les maté~iaux, loin de comporter un
caractère anarchique
incontrglé et fantaisiste
auquel
condui!'~1ent les impulsions brutes de la nature biolo-
gique de
l'homme, doit
au contraire être soigneuse~ent
réglée en fonction des cohceptions magico-religieuses
du groupe.et du but ultime
que
ce dernier lui assignù
~
On voit les avantages d'un tel modèlc::d'expli-
cation.
Il permet
tout d'abord de comprendre
la cir-
concision et l'excision à l'intérieur du cadre général
du phénomène des mutilations ou des déformations cor-
porelles.
Si
on ne ~rend que
le cas de oelles de ces
opérations qui
ont un but esthétique,
n'appara:.t-il
pas avec
évidence
que.
selon le proverbe "il faut

188
souffrir pour être beau",
l'homme va
jusqu'à se
tortu-
rer le corps pour contrôler les développements anarchi-
ques de
la nature
sur son être physique extérieur?
Ceci permet de comprendre
l'accusation de négligence,
de paresse,
voir de pleutrerie qui
frappe
tous ceux
qui,
en se dérobant
aux
soins de
la propreté ou de
la beauté,
ne
souscrivent pas
à l'éthique sociale
sur ce point parce que,
véritablement,
ils ne veulent
pas se
faire
violence.
Pensons ici
aux souffrances
que doivent endurer ceux qui
se
soumettent au tatoua-
ge,
à l'arrachage des dents
. . .
Or c'est de
la même
manière et pour les mêmes raisons que
l'on traite
tous ceux qui,
parce qu'ils cèdent
à tous
le~ appels
naturels de
l'instinct,
versent dans la lascivité.
La
société aimerait qu'ils s'opposent aux poussées brutes
de
la pulsion et vivent
le modèle de dignité et d'in-
tégrité auquel
invite
l'éthique sociale.
Tout le
lan-
gage de
la morale
sexuelle
revient finalement
à expri-
mer cette idée
: ne parle-t-on pas en effet de dominer
ses passions,
réprimer les désirs mauvais,
maîtriser
son imagination? La circoncision et
l'excision sem-
blent donc 6tre la matérialisation du contrôle sur le t '
plan de la sexualité,
de
la culture
sur la nature.
c'est pourquoi
dans toutes les sociétés où
se pratiquent ces mutilations sexuelles,
l'interdic-
tion des rapports sexuels avant ces opérations est
toujours de
rizueur.
Par ailleurs,
on comprend aussi
aisément qu'à l'excision et
à la circoncision soit
toujours associé un enseignement complet sur la vie
sexuelle.
Les
jeunes gens qui
entrent dans l'âge de
l'activité sexuelle doivent
savoir, avant d'aborder
celle-ci,
non seulement les techniques matérielles de
l'acte sexuel
telles que
le
groupe
les pratique,
mais
aussi
les moments,
les lieux et
les partenaires indi~
qués pour des
rapports sexuels licites.
Chez certains
peuples comme les Babamba et
les Mindasa
du Congo,
les
jeunes filles
qui
recevaient cet enseignement

189
sexuel
devaient prêter serment de respecter toutes
les
restrictions que
la société imposait
à leur vie sexuel-
le.
Chez les Pahuin du Cameroun,
le candidat
à la cir-
concision devait,
avant
l'opération,
réussir un exa-
men sanctionnant ses connaissances du système de paren-
té du groupe afin qu'on soit sûr,
entre
autres choses
et surtout,
qu'il
connaissait bien toutes les catégo-
ries de
groupes dans lesquels
il
lui
était interdit. de
chercher des partenaires sexuels.
L'excision et la cj.~­
concision qui
couronnent cet enseignement apparaissent
81nsi
comme
le
signe matériel
de
la transmission et de
l'acceptation de
l'éthique
sexuelle de
la société afri-
caine.
Cette hypothèse explicative que nous avançons
au sujet des mutilations
sexuelles,permet de compren-
dre
les modalités
spécifiques que
ces opérations peu-
vent
revêtir dans
telle ou telle
société précise.
Qu'elles aient lieu aussitôt après la naissance,
ou
dans la prime enfance ou seulement au moment de
la
puberté,
la chose semble ne pas pouvoir faire
problème,
du moment où l'on sait que
dans
les sociétés africaine
cù la pratique est de
rigueur,
les rapports sexuels ne
sont
jamais autorisés avant la puberté.
L'exemple des
Koniagi
de Guinée aide
ici
à la pleine compréhension
du problème.
Alors que dans cette société la circon-
cision a
lieu vers l'âge de
dix ans,
c'est aussi
dix
ans plus tard que
le
jeune homme,
dans le c~d~e des
cérémonies initiatiques,
sera instruit dèS moeurs de
son groupe,
et participera dès ce moment-là à la vie
des adultes.
D'autre part,
que
les mutilations sexuelles
dans une
société donnée ne concernent que
l'un des
sexes ne
soulève plus dès
lors d'énormes difficultés
pour la compréhension du phénomène.
Dans la mesure

cette pratique est
le
symbole de
l'action de
la cul-
ture sur la nature
sexuelle de
l'homme, comme nous le

190
pensons,
i l
n'est pas absolument
obligatoire
que
tous
les deux sexes en soient marqués.
Bien plus même,
les
particulatités de
cette modalité de
la mutilation
sexuelle chez un peuple
comme
les Pahuin, peuvent nous
aider à mieux saisir le
sens du phénomène
sur lequel
nous discutons.
Chez les Pahuin en effet,
la circonci-
sion était pratiquée
de
façon
systématique.
Chez les
femmes, à qui
les rapports
sexuels étaient
sévèrement
interdits avant
l'apparition p e s
premières me r.s c r-ue s ,
l'excision n'était qu'une mesure
punitive
à l'encontre
des femmes convaincu~s des seuls délits d'ordre
sexuel,
lesquels se
réduisaient
pratiquement
à l'adultère et
à l'inceste.
Quelle autre
signification pourrait avoir
cette
sanction, sinon celle d'un rappel
violent
de
~.
l'éthique
sociale, sur la base d'une marque
indélébile
faite
dans l'organe corporel
responsable
de
la trans-
gression dont
on est puni?
Et dans ce cas,
l'excision
p r a t i q u é e
"à froid"
dans l'âge Ln f an t Ll e n t e s t
e t t e
c
pas un modèle
de
prévention sociale
contre
toute uti-
lisation anarchique et
incontrôlée des
réalités sexuel-
les
?
Loin donc
de pouvoir s'expliquer par des fai-
sons d'ordre physiologique,
ce
qui exposerait aux dif-
ficultés
insurmontables que nous avons signalées déjà,
les mutilations sexuelles en Afrique Noire
semblent
être plutôt un modèle
imposé par l'éthique mythique
qui
demeure dans
l'inconscient collectif.
Ce
modèle
de com-
portement mythique vise
aussi
à affirmer dramatiquement
dan s
l a c ha i r
in t i me ct e s
deux
s ut ~;: s , l a né ces s i t é
de
1 a
conformité de
la nature
à la culture négro-africaine.
Cependant,
cette
réalité humaine
inscrite au centre
des préoccupations de
la vie
individuelle et
de la vie
sociale,
semble être commandée par un ordre
divin •
. '
Dans presque toutes
les mythologies africaines,
i l est
souvent question d'une certaine corrélation de
la
sexualité et
des divinités.
Aussi,
convient-il mainte-
nant
d'examiner les rapports entre
sexualité et divi-
nité.

191
4 -
SEXUALITE ET DIVINITE
============
La mythologie négra-africaine confirme
le
mot de Marc e l
MAU S S se l on le que l "tou t
tourne
en Afr i·-
que Noire autour du mâle
et
de
la femelle".
(1)
En
abordant
ce problème
des
rapports entre
la sexualité
et
la divinité,
i l
convient de
faire
un importante
mise
au point.
La plupart
des héros
qui
sont mis en
oeuvre
dans
les mythes
évoqués plus haut,
ne doivent
pas être
considérés comme
des divinités.
Par exemple,
TERE,
SU et
LüA,
sont
loin d'accomplir des actes qui
rentrent
dans
l'ordre
de
la causalité des choses.
Ils
ne
sont
cause de
rien,
encore moins des hommes.
D'ail-
leurs,
à propos de la théologie primitive de
ce problè-
me des origines"
et pour éclairer le
rôle
que
l'on
attribue
à certaines divinités dans
la détermination
de
la vie
sexuelle
des hommes,
les opinions sent parta-
gées ainsi
que
l ' t n d Lq u e Evans PRITCHARD.
"lU ~'i 1 est
pas,
écrit-il j
en anthropologie
. . . ,
de
sujet
qui
sus-
cite plus de conflits d'opinion que
la théologie
pri-
mi t ive.
I l
ne
e » ait
pas
su rp r en an t
que,
p a rm i
c eux
qui
étudient
les religions comparées,
i l
y ait
désac-
cord sur
la signification des faits
rapportés par les
chercheurs sur le
terrain
;
mais parmi
ces chercheurs
eux-mêmes, i l
existe
fréquemment
un manque
total
d'una-
nimité quant
aux notions primitives
à l'intérieur
d'un même
domaine.
Le2 AZANDE,
établis
sur la ligne
de
partage
des eaux du Nil
et
du Congo,
constituent un
ex~mple à ce propos.
Les premiers voyageurs,
tels
les
SCHWEINFURTH et
les JUNKER,
ne nous
fournissent
que
peu d1informations
sur leurs
idées religieuses,
et,
parmi
ceux qui
plus tard
sont
entrés plus intimement
en contact
avec
les AZANDE,
le Colonel
BERTRAND fait
(l)MAUB~ M.- Manuel dlEthnologie, PAYOT, Paris, 1947,
p.
199.

192
de MBORI un héros culturel
de
l.a mythologie Zandé a
l'instar de
TURE à propos de
qui
existe un cycle
d'histoires amusantes que
lion raconte
aux enfants,
le
soir auprès du feu."
(1)
Le Major LARKEN,
cité par
E.
PRITCHARD,
nous dit que
"MBALI,
Dieu,
le créateur
de
toutes choses,
bonnes et mauvaises, semble être un
esprit qui
anime
tout et
dont
le
lieu de
résidence
est censé se
trouver à la source des cours d'eau qui
jaillissent à l'ombre de
ravins luxuriants ou dans les
grands arbres qui y poussent.
La bonne et
la mauvaise
fortune
déc6ulent de
lui
seul.
On ne
lui attribue au-
cun sens moral.
Les bonnes actions ne
lui
font
pas
davantage plaisir que
les mauvaises ne
le
fâchent.
C'est une
providence
aveugle
-
un Dieu de
la chance
que
l'on glorifie."
(2)
Poursuivant son enquête
sur le
rôlç des divinités et leur intervention dans la chose
sexuelle,
E.
PRITCHARD écrit encore:
l'D'autre part,
Monseigneur LAGAE et
le Capitaine PHILIPPS nous décri-
vent un Dieu personnel,
créateur et père
aimable,
sou-
verain et
juge moral de
l'univers que
les hommes prient
avec foi
et humilité.
HUTEREAU ne mentionne pas l'Etre
Suprême chez les Azande.
Peut-être,
ce qu'il écrit sur
les mauvais esprits appelés Bali nous aidera-t-il,
souligne E.
PRITCHARD,
à comprendre
la conception qu'
il
s~ fait de MBORI : certains défunts deviennent Bali
ou Engese Ingisi,
parcoureDt les plaines ou 13s forêts
la.nuit et s'attaquent aux perSOllnes isolées.
D'après
les indigènes,
le Dali est visible pendant un instant
pour la personne
qu'il
guette,
i l
a
llaspect d'un
être humain recouvert d'une peau de poisson."
(3)
Lorsque nous avions abordé le problème de
la religio-
sité africaine dans la deuxième partie de cette recher-
che,
il nous est
apparu qu'aucune société négro-afri-
caine n'a été indifférente au problème de Dieu ou des
( 1 )
PRITCHARD E.- Les Anthropologues face
à l'Histoire
et
à la Religion,
P.U.F.,
Paris,
1974,
p.
187-188.
( 2 )
Major LARKEN P.M.- cité par E.
PRITCHARD,
op.
cit.
p.
188.
( 3 )
PRITCHARD E.- op.
cit.
p;188.

193
divinités.
Mais le Dieu créateur des hommes est,
cepen-
dant,
si
lointain qu'on ne
l'invoque
que dans des cir-
constances exceptionnelles.
Parfois même
son nom n'est
pas couramment prononcé.
Dans la vie ordinaire,
les
Africains ont affaire aux mânes des ancêtres dont ils
sollicitent l'assistance notamment pour rendre fruc-
tueux leurs rapports
sexuels, et
à qui
ils rendent
hommage~par des sacrifices de
toutes sortes lorsqu'ils
ont eu gain de cause dans leur union sexuelle par la
procréation des
jumeaux par exempl~. Ces ancêtres,
pour la plupart mythologisés,
ont pu être confondus pari
les observateurs étrangers avec
la divinité dans cer-
.
i
tains groupes africains.
C'est
le cas qui
s'est produitl
dans la société des Pahuin où les missionnaires ont
1
pris le
"ZAMBE"
pour le Dieu créateur universel,
cepen-
da~t que pour les Pahuin eux-mêmes,
il n'était que le
premier homme,
l'ancêtre-moniteur à qui
remontent tou-
tes les générations.
L'unanimité n'est donc pas faite
sur une seule divinité qui
serait cause de tout et
qui
interviendrait de façon primordiale dans la vie
des hommes.
C'est ce point de vue
que falt
encore
remarquer PRITCHARD
:
rtCette diversité d'opinions précise-t-il,
ne
saurait être entièrement imputable à des convictions
religieuses ou
à leur absence,
mais doit être également
attribuée au caractère vague,
indéfini des faits,
qui
permet aux observateurs d'en opérer une
sélection émo-
tionnelle et intellectuelle.
Car si les notions azandê
relatives à l'Etre Suprême s'étaient exprimées en un
rituel organisé,
une
aussi
grande disparité d~epinions
n'aurait pu surgir.
C'est
là que
se
trouve
la principa-
le difficulté lorsqu'on veut
faire
un compte-rendu
objectif des notions azande
sur l'Etre
Supr8me.
Il
n'existe aucun mausolée}
ni
aucun autre àigne matériel
d'adûration
;
il n'y a qu'une
seule cérémonie publique
qui soit associée
à son nom et elle n'est célébrée
qu'en de
rares occasions.
Les prières sont des oraisons

194 1
jaculatoires individuelles et privées,
plus ou moins
stéréotypées;
et
il
n'existe
qu'un seul mythe
à son
sujet.
Le chercheur sur le terrain doit donc
se fier
à une
interprétation
judicieuse de ces rares indices,
corroborée par les commentaires des indigènes qui,
en
l'absence de doctrines bien définies,
sont souvent
obscurs et contradictoires."
(1)
Cette longue citation nous montre,
bien enten-
du,
que le dieu en tant
que créateur impersonnel est
presque
inexistant en Afrique Noire.
Dans les mytholo-
gies africaines dont
il
a
été
question plus h~ut, en
particulier dans TERE KOZO ZO,
EYILINGU est très pro-
che .de
l'homme.
Il
a tout mis
à son service.
Mais
TERE perturbe l'harmonie originelle en forniquant
avec
sa soeur YABADA.
On peut dire,
comme
le montrent clai-
rement certains autres mythes,
qu'à la suite de cette
transgression d'interdit,
le
d~eu s'éloigne des hommes
et
leur envoi~ l'épreuve de
la mort.
Du coup
la nature
est livrée au désordre et
les animaux nrobéissent plus
à l'homme.
En conséquence,
on peut affirmer sans risque
de
se
tromper que
la première
rupture, qui a
tant boule-
versé
la destinée de
l'homme, est
relative
à la sexua-
lité.
Ceci continue bien sOr,
à nous révéler l'impor-
tance du phénomène sexuel dans la vie des Africains.
1
!
Par ailleurs,
un peu partout
à travers l'Afri-
que Noire,
appara!t
la croyance en un c6uple d'ancg-
tres originels.
Les YORUBA par exemple,célèbrent
ainsi
un premier couple d'ancgtres fondateurs de la
tribu
:
ONDUDUA,
la déesse-mère et OBATALA,
le dieu-
ciel sont présentés accolés l'un à l'autre.
Les BALU-
BA,
quant
à eux,
croient
à un génie double,
KONGOLO,
représenté par deux serpents,
l'un mâle,
l'autre fe-
melle,
chacun habitant une
rivière différente.
Ils
se rencontrent de
temps à autre· pour s'accoupler,
au-
(1) PRITCHARD E.- Op.
cit.
p.
188-189.

195
dessus de
la terre,
ct c'est ce
qui
provoque et pro-
duit
l'arc-en-ciel.
Toujours chez
les
BALUBA,
le
génie
protecteur des chasseurs,
MUNHUNGU,
est bisexué.
Il
en est
de même
du
génie protecteur des
guerriers
KAMUKITIMA MIKETO,
dont
le nom signifie
"celui
qui
ne
craint pas les flèches".
Il
est personnifié par une
statuette
à double
face,
m~5~uline d'un côté,
féminine
de
l'autre.
On peut aussi
évoquer ici
la mythologie
soudanaise
qui
présente le
ciel
mâle,
fécondant
la
terre
femelle.
Ainsi,
partout dans
les mythologies
négra-africaines on voit
la sexualité présente.
Cette
dernière
apparaît
comme
une condition humaine
irré-
médiable
de
connaissance de
soi.
On doit
s'y soumettre
comme
les ancêtres fondateurs
des divers
groupes l'ont
fait.
Il
faut
maintenant
faire
un lien entre cette
remarque et
le phénomène de
l'inceste.
Pourquoi
une
violation flagrante
de cet
interdit?
5
-
LE DESIR DE L'INCESTE
COMME PREMIERE RUPTURE
DE L'ORDRE COSMIQUE
~~====~=====
Après ce
court chapitre
sur "sexualité et divi-
nité~, il nous est loisible à présent d'aborder l'épi-
neux problème de
l'inceste.
En étudiant en profondeur
la plupart des mythes africains,
et
en particulier
ceux que
nous avons mentionnés dans l~ première et
deuxième parties de notre
thèse,
nous pouvons émet-
tre
l'idée selon laquelle le
désir de
l'inceste tor-
ture
la pensée
africaine.
A telle
enseigne que
la
tendance
refoulée
resurgit
inconsciemment dans pres-
que
tous
les mythes.
Cette
hypothèse
se voit
corro-
borée par le fait
de
l'immense extension du
réseau de
parenté qui
interdit
à l'individu d'investir libidi-
nalement
les personnes de
son entourage.
Nous nous

196
sommes déjà attaché
à relever à quel point
le
respect
des rapports de parenté était controlé dans toutes
les sociétés africaines.
Le
résultat
de
la contrainte
parentale sur ce point précis de
l'éthique
sexuelle
est que
l'inceste
est
le délit
sexuel
le plus grave
qui
se
rencontre
le moins dans
les sociétés africai~
nes.
Ne peut-on pas voir alors dans ces mythes qui
accusent
une
telle
récurrence du
thème de
l'inceste
un souhait
inconscient de
la société de
se
libérer de
ce
tabou?
La question mérite d'être posée,
d'autant
plus que
dans quelques sociétés négro-africaines,
comme chez
les Banda par exemple,
TERE
qui
est devenu
si familier,
s'est rendu coupable d'un
inceste parti-
culièrement abominable,
en forniquant
avec
sa soeur
YABADA.
MALINOWSKI
avait cntrepris une
étude
simi-
laire
à
propos des Trobriandais dont nous avions déjà
parlé.
Il
découvrait,
à la suite du strict tabou qui
réglait
les rapports entre
le
frère
et
la soeur,
à
quel point
l'inceste
avec
la soeur préoccupait les
individus.
Aussi,
les mythes de
cette société fai-
saient appara!tre
avec une
fréquence
significative
l'idée
de
l'inceste avec
la soeur.
Par rapport au pro-
bl~me des Trobriandais, celui des Africains serait un
peu différent,
en ce
seJ1S qu'en Afrique,
l'interdit
de
l'incestè
ne
semble pas concerner préférentielle-
ment un degré donné de parenté.
Théoriquement
un acte
incestueux commis avec ~n membre de
la parenté élémen-
taire
aurait
la m~me importance qu'un autre commis avec
un membre de
la parenté plus large.
Pour répondre don~
à la question que nous nous étions posée ici,
i l
faut
que
les autres aspects de
la tradition orale
(contes,
épopées lyriques,
proverbes,
plaisanteries
. . . )
contri-
buent
à démontrer les traces d'un conflit de ce genre
dans
les profondeurs de
la pensée africaine.
Une
tel-
le
étude
sort des
limites du travail
que nous nous
sommes proposé et,
du reste,
étant donné
son extrême

197
délicatesse,
demandè~ait une recherche particull~re
et minutieuse.
Quel
que
soit
le
résultat auquel
par-
viendrait
cette
investigation,
i l
est
improbable que,
du point
de vue
de
la logique
des
sociétés
tradition-
ne Il e G,
ce
souhai t
de '_1 i b
r2.U sa t i on de
lié thi que
é
sexuelle
exprimé0
dans
les mythes
ait pu s'accompa-
gner,
toujours
sur
le plan de
la pensée
inconsciente
des Africains,
du désir de
lever toutes
les
restric-
tions
imposées
à l'exercice
d~la sexualité.
Mais en fin
de
compte,
i l
s'agit de
l'inces-
te
tel
que
le
considère
la conscience
sociale origi-
nelle
des
sociétés africaines.
C'est donc, non des
unions sexuelles entre des
individus
liés entre eux
par une parenté
chromosomique plus ou moins étroite,
la seule
reconnue
par la coutume,
mais des unions
qui mettent en cause
la règle
traditionnelle de
la
double exogamie.
De
la sorte,
fait
pr8ûve d'une
con-
duite
incestueuse
aux yeux des Africains,
une personne
qui prend pour partenaire sexuel
soit une
autre
person-
ne
de
son clan d'origine,
soit un conjoint de
sa pa-
renté
élémentaire ou large.
Il
faut
remarquer que
de~s
telles conduites étaient,
en réalité,
extrêmement
rares .dans les
sociétés
traditionnelles.
Et c'était
justement pour les prévenir que
le
langage mythiq~e
les diffusait
à profusion'. r..:i:ùo.~~jelle:sarrivaient à se
rencontrer,
i l
s'agissait
alors d'une
simple union
sexuelle passagère,
la société ne pouvant
supporter
que
cette:liaison aboutisse
au mariage.
Les coupables
d'un
tel
inceste étaient obligatoirement soumis à un
rite de purification et d·expiation extrêmement éprou-
vant,
car on estimait
qu'ils avaient contracté une
souillure morale et physique
très préjudiciable, et
à
leur propre
santé, et
à CélIe
de
la progéniture
issue
de
cette union socialement
condamnée, et
à celle de
la société
toute entière.
C'est par rapport
à ce
con-
texte
psycho~~ociologique traditionnel
qui
exerce en-
core une
emprise
réelle
sur la conscience des indivi-

198
dus qu'il
convient de
juger cet
inceste~ et non par
rapport
aux mécanismes biogénétiques objectivement
impliqués.
De nos
jours on assiste
à des cas,
de plus
en plus nombreux,
de
personnes qui,
contre vents et
marées,
s'avisent de
transgresser durablement cette
loi
traditionnelle.
De telles conduites relèvent
presque
toujours ou des franges marginales de
la so-
ciété,
ou de
la jeunesse qui,
en vertu d'une
certaine
position acquise dans le cadre des innovations appor-
tées par des métissages culturels,
estime pouvoir
s'affranchir de certaines règles ancestrales.
Les dangers objectifs que présente la généra-
lisation de
ces transgressions
sont plus qu'évidents.
Il
y
va d'abord de
l'intégration de
la société.
Le
clan étant,
comme cela nous est apparu,
la structure
sociale fondamentale,
entendu qu'il
constitue le
grou-
pe crganique
le plus complexe,
les unions sexuelles
intraclaniques portent directement atteinte
à l'ensem-
ble
de la structure
sociale,
parce qu'elles menacent
le clan dans
son existence même.
Par ailleurs,
l'in-
ceste met en cause
ilIa santé morale"
de
la société.
Si
la parenté clanique ne
joue plus dans la limitation
de
la vie
sexuell~, les jeunes, dès leur plus jeune
âge,
peuvent trouver dans. cet état de choses une
rai-
son parmi
d'autres pour se
livrer à des expériences
sexuelles débilitantes.
Enfin,
l'impact de cette
transgression dans le vécu psychologique
des "coupa-
bles"
est,
dar-s la plupart des cas,
visible.
En
effet,
le couple
qui
vit une
liaison amoureuse de ce
type
sait qu'il viole un interdit très
important du systè-
me moral
traditionnel,
et connait par conséquent
les
risques qu'il
encoure.
Ces risques sont
les sanctions
de
la
justice immanente définies par la société,
que
ce
soit les dégénerescences physiques ou mentales
pouvant frapper le couple
lui-même et sa progéniture,
ou toutes
les malédictions et
tous les mauvais sorts
qui
s'attachent à ces risques.
L'on sait qu'il en

----------r-
~~~-
~--~-- --~--~ ---~~--~-.
199
résulte dans
le psychisme des sujets une
tension émo-
tionnelle propre
à provoquer toutes sortes de pertur-
bations psychosomatiques.
C'est
à peu près la même
chose qui
se passe
lorsqu'un couple
transgresse
l'in-
terdit des rapports
sexuels avant
le
sevrage
du bébé
qui
est encore
au sein;
Mais dans ce cas précis,
ces
rapports ne peuvent,
objectivement,
porter atteinte
à la santé du nourrisson.
Enfin,
il
faut
noter que
le phénomène de
l'inceste constitue une
importante
source de
tension
entre
la jeunesse et les adultes.
Dans les campagnes
00 ces expériences affectent le plus la vie sociale,
ces derniers s'en plaignent amèrement, et voient dans
cette pratique
une des menaces les plus dangereuses
contre
le patrimoine
c u Lt u e c l
légué par les ancêtres.
De la sorte,
les personnes vivant une
union de ce
type
sont toujours mises au ban d'accusation de
la société.
6 -
PENSEE AfRICAINE ET SEXUALITE
------------
- - - - - - - - - - - -
En guise de
syntbêse,
i l convient de
souligner
que de
tout
ce
qu e nous avons avancé
sur la vie
'~",:...~.
sexuelle des Africains en général,
i l y
a
lieu de
tip0r une conception négro-africaine de
la sexualité.
Tout d'abord notre
réflexion s'est articulée
suivant
deux axes.
Dans la mesure
o~, comme nous nous sommes
efforcé de
le montrer,
la sexualité,
imprégnant
tout
dans l'homme,
constitue
une dimension entiè~e de
la
connaissance
intime de
l'humain,
nous nous sommes
donc
imposé d'indiquer comment
l'éthique sexuelle
des
sociétés africaines a pris place
au sein de
l~ur
système
général
d'interprétation du monde.
Ainsi,
nous avons pu la découvrir sous-jacente,
non seule-

200
.,,,
ment
à la nature particulière de
l'ensemble de
leurs
modèles socio-culturels,
mais surtout au contenu du
discours mythique.
Ensuite,
et eu égard à cela,
nous
avons pu faire
apparaître
grâce
à tous les traits et
détails observés et en étudiant leur point de conver-
gence,
le ~isage caractéristique que revêt dans les
mythes l'éthique de
la se~ualité. L'@tre,
dans toute
sa signification,
et en tant que
réalité connue,
n'étant
jamais saisi,
dans le cadre de la pensée afri-
caine,
comme une entité individuée,
mais uniquement
et fondamentalement comme
soutenant un rapport exis-
tentiel et fonctionnel. avec
l'ensemble du cosmos,
la
sexualité en Afrique Noire ne
const~tue pas,
de CG
fait,
une valeur autonome pouvant être détachée de
l'ensemble des autres valeurs et plus particulièrement
du complexe de la vie,
pour n'être considérée qu'en
elle-m3me
intrinsèquement.
Z B i e n au contraire,
elle
se révèle d'une ma-
niè~e générale chez les Africains comme la condition
naturelle et sine
q~a non de
tout ce qui est.
Consi-
déré
sur 10 plan de
la pure existence,
et pris dans
le
sens de ce
que nous appellericns l'apparaître de
l'être,
ce trait de la pensée africaine
s'exprime par
le principe de
la sexualisation systématique de toutes
les réalités connues.
L'être est
sexué
tout comme 11
n'existe que par le lien irréductible qui
l'attache
à l'univers environnant.
Sur le plan de
la viabilité
et de l'efficience de
l'être,
ce dernier,
en plus d~
fait
d'appartenir à l'une des deux classes sexuelles,
doit renfermer dans son fond
intime
le
genre
sexuel
opposé au sien.
Ce
deuxième aspect du même principe
nous introduit dans la notion de ·la complém~ntarité
des sexes tant ancrée dans la pensée africaine.
L'être
ne
s'accomplit pleinement qu'avec
l'être de
sexe oppo-
s
S i
b i e n que
l a no t ion de" c
é

é
l i bat volon t air e"e s t
inexistante en Afrique Noire.
En effet,
si
au niveau
des réalités inorganiques,
cet aspect des choses ne

201
peut être qu'exprimé
symboliquement dans
le
langage,
i l
devient en revanche un point de
l'éthique
sociale.
L'union de
l'homme et de
la femme,
ayant ainsi
ses
assises mythiques,
appara!t
tout
à la fois comme un
fait
naturel et un devoir moral.
Si
donc
l'être,
sur
le plan sexuel,
ne peut
se penser sans l'être,
la
sexualité en Afrique
Noire apparait
comme un espace
mental
o~ l'on peut ~aire la lecture de la pensée
africaine.
Car elle exprime,
à sa manière,
cette
idée
selon laquelle
l'3tre,
loin d'être perçu comme une
réalité indlvlduée,
n'existe et n'est considéré que
par le
lien fondamental
qui
l'unit de proche en pro-
che
à l'ensemble du système cosmique.
Ma~s si en règle générale,
d'après les con-
ceptions métaphysico-éthiques de
la société africaine,
un comportement
inapproprié vis-à-vis d'une
réalité
quelconque provoque
toujours certaines perturbations
dans l'ordre cosmique de
la na~ur~ et éventuellement
attire des malheurs sur la personne du coupable ou
sur les
siens,
l'intensité de
ces perturbations ct de
ces malheurs est décuplée en cas de violation de
l'éthi-
que
sexuelle.
C'est que
la sexualité en tant
qu'elle
constitue
la catégorie de base de
la cosmogonie
afri-
caine,
marque de
son empreinte toute
réalité existante
et
toute
la vie
sociale.
C'est le
sens de
l'organisa-
tion différentielle de
l'éducation selon les sexes,
de
la division sexuelle
des tâches des biens
à possé-
der et des modèles de
comportements.
Le
retentisse-
.ment dans le cosmos de
la transgression des
interdits
sexuels est donc
toujours
susceptible de
causer des
calamités aux proportions redoutables et
incalculables.
Et c'est préCisément cela qui
explique
à la fois, et
la rigueur, et
la minutie de
l'éthique
sexuelle.
C'est
pourquoi
le point de vue de Pierre ERNY que nous
reprodui sons 1 c i
doi t
i nv 1 ter
à approfondi r
sé ri eu·-
sement cette
question de
la sexuqlité.
ilLe thème
de
la sexualité,
affirme-t-il,
n'est ~as sans rapport~

202
avec celui de
la connaissance.
Ne dit-on pas dans les
cultures les plus diverses
"connaître" une
femme ou
y
un homme pour signifier les rapports sexuels? L'or-
gasme ne
cond0it-il pas
à une
sorte d'extase? N'est-
il pas dans
les traditions les plus diverses l'image
de
l'expérience mystique,
de
la connaissance
intime,
de
la fusion en l'Autre,
de
la rencon~re savoureuse
avec
l'Invisible? L'établissement du lien sexuel ne
conduit-il pas
à désirer,
à enlever les voiles,
à
dénuder,
à pénétrer,
à
jouir de
la possession de
l'objet,
autant de métaphores qui
s'appliquent
à la
quête du savoi~ ? Connaître n'est-ce pas naître à?
..
En aricédant à la sexualité,
l'individu a
le
sentiment
très net d'avoir franchi
une étape,
de
s'être ouvert
à un univers nouveau,
d'avoir lâché
quelque chose
de
lui-même en se
livrant
à l'autre.
Dans la mesure
où 11
suscite la vie,
i l s'engage sur le chemin qui
mène à l'état d'ancêt~e, et par le fait même se rap-
proche de
la mort.
Il
se met
au diapason de
la nature
qui,
elle aussi,
se renouvelle dans le courant de vie
qui ne cesse de
la traverser,
dans un cycle sans fin
de morts et d e
renaissances."
(1)
( 1)
ERNY
P. -
. LIE n fan t
e t
son Mil i eue n Af r i que No ire, ,
PAYOT,
Fa~is,
1972,
p.
242.

.
,
1
' .. '
203
QUATRIEME
PARTIE
-----------------
DIMENSIONS
ACTUELLES
DU MYTHE ET DE LA PENSEE
DANS L'ESPACE MENTAL NEGRO-AFRICAIN
*
*
*
*
1
1
1
1
1
.1.- '
-'->.L
-
1

204
A l a I u ml ère des con s i cté r ~ t .1 0 n s e t des 1:1 y po t h~­
ses développées dans
les parties précédentes,
nous DOU-.
vons avancer que
tout
au
long de notre
recherch~, ·nous
nous
sommes employé,
non sans
arrière
pensée,
à cerner
et
à discerner
le
discours mythique
en tant
qU~fonde­
ment
de
la pensée
africaine.
Car le
discours mythique,
pensons-nous,
a
constitué
les prémisses sur lesquelles
s'6tait
appuyée
la pensée africaine
traditionnelle.
Par ailleurs,
nous pouvons affirmer,
avec
la seule
cer-
titude
de
nous
tromper peut-être.
que
les mythes afri-
cains en tant
que
facteurs
régulateurs,
ont circonscrit
le
champ
d'action du négro-africain et
ont,
essentie~le­
ment modelé
aa personnalité,
tout
comme
son psychisme.
En analysant
quelques aspects
des divers mythes
q~e
nous
avons proposés dans
les pages antérieures,
n o u so-v o u'Ld o n c
amener finalement
le
lecteur à
se poser un probL~me d.ont
la discussion servira de propos à la prés~nte et dernière
partie de
notre
travail
=
dans quelle mesure
les mythes
africains,
tels
que nous
les avons présentés,
valent-ils-
encore
actuellsment
?
Et dans
leur forme
première,
o~t­
ils encore
force
de
loi
pour présider
à l'action du négro-
africain et
continuer,
par conskquent,
à modeler sa per-
sonnalité
dans
le monde
contemporain?
Nous avons
l ' i n -
tention de montrer ici
que
les mythes
africains
sont,
au j ou rd 1 hui,
f r a p p é s
d 1 1 n val i dit é spi r i t u e Il 8,
e u é g a l~ ct
à de nouvelles possibilités qui

sont
offertes aux
Africains et
qui
ont provoqué.
de
facto,
uno mutat~on de
leur condition humaine.
Sans
trop
tarder,
essayons d'ap-
porter des
justifications à ces assertions cn analysant
d'abord ces nouv011cs possibilités d'o~ procède
la muta-
~
tion de
la condition humaine négro-africaine.
Il
s'agit,
on s'en doute,
de
l'avènement de
l'Homo Technicus.
l
1
l
1
1

1-
205
1 -
LIAVENEMENT DE L'HOMO TECHNICU§
OU L'EFFONDREMENT DES MYTHES AFRICAINS
ET DES VALEURS ANCESTRALES
=====--==========
Par nouvelles possibilités nous
entendons tou-
te~la technologie moderne
qui
a
fatt
irruption,
~~ si pe
de
temps 9
dans
le monde
n
g r-oca rr-Lc.at n
et
qui
a,
quel-
é
que peu,
bouleversé
l ' o r d r-e de.s valeurs my th.a.ques en
perturbant fondamentalement
les modes
d'action ~n Afri-
que
au
sud du Sahara.
Comment
cette
technologie moderQc 9
dont
les caractéristiques ap p a r-a'Ft.r-on t
au fur
et
à mesure
de notre
étude,
a
pu affecter lW nature
de
l'action en
Afrique
Noire,
et
comment elle
a
pu
introduire dans
l'action
réalisée
sous sa domination une
différence
for-
melle
et
qualitative
d'avec
ce qui
précédait? A vrai
dire,
la question est de
distnnguer la technologie moder-
ne
des technologies archaiques
dans
le
sens heureux du
t e r-me s
Pour ce
faire,
reprenons
ce prologue
ct' un mythe
Banda qui
désrit
les pouvoirs et
les actions de
l'homme
et
qui
porte
une marque
technologique
IIDans
la forêt,
sur la montagne et
sur les e a ux,
l'homme
siest
impl~nté.
Tous
IGS
ans,
à
la s a i e o n
des
t o r-n ade s , aVE:C sa
pioche
i l
t r av a t j Le ,
re t o u r n c
et
écorche
la
terre
dont
i l
tire
sa nourriture.
A l'époque
des
feux
de
brousse,
i l
chasse et
capture au creux de
ses filets,
le
gibier de·s
bois et
des
savanes.
Nous
sommes
les inventeurs de
stratagèmes.
Nous attirons
dans nos pièges
le
gros
gibier
des plateaux.
Nous
avons cour-é
les cornes du buffle dans
le
plein de
sa force.
L'homme
dans
son
langage
s'est
tout
enseigné.

Il
a
construit
sa case
pour
s'abriter de
la
pluie.
Intrépide,
i l
a
tenu
tête
à ses ennemis,
grâce
à sa sagaie,
son bouclier,
sa lance
et
son
couteau
de
jet.
La nuit
duran~, il
les
a
façonn~s de ses mains
calleuses
dans
sa forge,
là-b&s
sur
la collins.
Joignant
son
intelligence
au
pouvoir
naturel
des végétaux,
i l
a
su
faire
face
aux maladies
les
plus
terribles.
Ivj a J. s
1 a
m0 r t,
j am a i 8
'1 a i n c u e,
est
t 0 u j 0 urs
l li .
Nos grands-pères ont
trouvé
le meilleur bois
pour construire
nos cases.
Dans le villag~ les hommes sont nombreux,
les
femmes
et
les
enfants
aussi,
qui
entendent
la
Vüix
des
coutumes.
L'homme
n'est
jamais
seul.
Celui
qui
vit
esscu16
à
l'entrée
du village
est
un
égoiste
prêt
~ abandonner les siens.
Son
coeur est
le
siège
de
sinistres projets.
Il
ne
peut
accompagner
son père
à la pêche
pour capturer
les
po~ssons de toute espèce avec
le hameçon ou le
f i l e t .
Ln
femme
qui va seule ne
saura
jamais
l ' a r t
de
la poteriE:.
36 111
n'y a pas de canari,
dans
quoi
les hommes
.
.
boiront
l'eau potablE;
?II
Cet hommage rendu à la technique chtonlenne~
fil a r ou é
cl E:
C 1:' a i n t c
à 1:
g
é
et r d
ct e ~3 peu vol r s e t
des
0 e uv r e s
de
l'homme,
annonce
l'irruption Violente
et
violatrice
de
celui-ci
dans
lA nature
brute.
L'impérieuse
invasion
d e
l ' h o mru e
dans
les
différents
s e ct e u r s
naturels
e s t
le
signe
de
son
ingéniosité
et
de
la technologie
sans
répit
mais
aussi, sa faculté
de
construire,
par
les pouvoirs
autodidactes
du
langage
et
donc
de
la pensée,
l'artéfact
de
son village,
constituent
le
foyer
de
son humanité mêm
En d'autrDs
termes,
viol
dG
~a nature
et
civilisation

207
vont
de
pai~. Tout tend à montrer que les deux se font
au mépris des
éléments naturels
le premier parce
qu'on
pénètre
en
~es éléments et qu'on dompt~ leurs créatures
l~ seconde par~e qu'on se protège de leur menace dans
l'abri
du village
et
des
coutumes.
Par
sa
technique,
l'ho~me plie certaines circonstances à sa volonté.
Et
cc
n'est
que
devant
la mort
qu'il
semble
demeurer
impuis
s a n t ,
Toutefois,
cc prologue
laisse
p c.r-c e r-
quelque
in-
quiétude.
Malgré-sa capacité technique
illimitée,
l'hom-
me
reste
inefficace
devant
les
éléments
dB
la nature.
C'est
précisémert
ce
qui
fait
l'audace
de
ses
intrusions
dan5
les
éléments naturels
et la patience de ceux-ci
devant
sa
téméritê.
Tout
cela
résiste
parce
que
les
incursions
de
l'homme
d ari s
la nature .n e
s e mo La i e rrt
vrai-
me~t pas menaçantes.
Les
aSsAuts
importuns
des
hommes
o'atteignaient pas
en profondeur
l'immutabilité
de
la
nature
qui
constituait
l ' a r r i è r e
plan de
toutes 1es
entreprises
humaines,
y
compris
leurs
intrusions
dans
cette
nature même.
Le village était la principale des
oeuvr0S
de
l'homme,
auquel
i l
avait
pu
donner une
cer-
taine
permanence
par les coutumes qu'il
s'efforçait
d'appliquer et
de
respecter.
Précaire
technologie
qui
pouvait
s'effondrer.
Aucune
certitude
à long terme ou
plut6t
la seule
certitude
à long terme consistait à
maintent~
la vic
du village
en permanence.
Ainsi
dans
la technologie
même
qu'il
possédriit
en propro,
l'homme
n'ex8rçait
qu'un
faible
pouVoir
de
contrôle.
Et
dans
1
sa p e r-man e n c e
s e u l c
sa 'li!",
préva.lai t .
~.
De ce
qui
pr6cède,
nous
pouvons
extraire
des
caractéristiques
significatives
de
l'action humaine.
1
Nous
pouvons,
eo effet,
dire
qUG
tout
rapport
au monde
des
choses portait
la ~arque de
la
technè
(1).
En
ce
qui
c o n c e r-ri a
l'action même,
J.' entité
di te
"homme"
et sa con-·
~.
dition
de
Dase
étaient
temm0s
pour d'essence
stable,
ct
non
s u ~-; ccp t i b l es ct ' ê t r e
\\il 0 d i fié e s p a r I a
tee h n è •
Lac 0 n-
1
duitü
qui
convenait
connaissait
des
critères
immédiats
c
'
et
une
réalisation presque
immédia.te.
ves
consequences
1
( 1 )
Sous
ce
vocable
d'origine
grecque,
nous
désignons
l'ensemble
de
savoir-faire
transmissible,
utile
quant
à ses résultats.
1
ICLI.'",,"A'''''''''''!1'''''''Ol .... L .

208
plus élolgnées n'étaient
pas entrevues avec
perspicacité.
Et
si
l'on peut
l'exprimer autrement,
la conduite des
actions était de
l'ordre
de
l ' i c i et du maintenant,
sui-
vant
les circonstances.
D'ailleurs,
le
contenu du dis-
cours mythique
s'en tenait
à ce mode d'action immédiate.
En cela nous pouvons
i~férer que l'homme africain par son
action immédiate,
attenüait pratiquement
tout
de
la na-
ture dispensatrice.
Pour mieux cerner la position de
C2
problème,
nous établirons ici
un parall~le avec un vieux
mythe
que
nous avons
tiré de
la mythologie
grecque.
Briè-
vement
résumé,
voici
comment
se présente
ce mythe de
pp ANDORE'~
La PANDORA originelle
fut,
selon les Grecs,
une déesse
de
la terre,
FANDORA voulant
signifier la
" dis pen s a tri c e
de
t 0 ut".
P A l'rD 0 REl a i G S a
t 01) s I e s ma u x
s'enfuir d'une
outre
ou d'une
jarre qu'elle
sut pour-
tant
renfermer avant
que
l'espoir puisse
s'en échapper.
L'hisiOoire de
l'homme
a.p o ELouLe n
débute
au moment
o
i.c e
ë . .
mythe de
PANDORE perd de
sa force.
C'est
l'histoire
d'une
sociétê au
cours de
laquelle des hommes
à l'esprit
prométhéen élevèrent
les
institutiOns
qui
devaient ènfer-
mer
les maux vagabonds.
C'est l'histoire du déclin de
l'espoir et de
la montée d'espérances
sans cesse
gran-
dissantes.
Mais pour comprendre cette évolution,
i l
nous
faut
redécouvrir
la différence entre
l'~spoir ct les
1
espGrances afin de
mieux comprendre
la situation actuel-
l
le
du n6gro-africain.
L'espoir dans
ton sens fcrt,
signi-
fie
une
foi
confiante dans
la bonté
de
la nature,
tandis
que
les espérances,
dans
le
sens où nous utiliserons ici
1
cc
terme,
veulent
dire
que
nous nous
fions
à d3S résul-
tats voulus et projetés par l'homme
lui-même.
Espérer,
l'
c ' est a t t '2 n ctr e
ct' U ~1 E: P ers 0 ri ne
qui e Il e no u s
f a s s e
und 0 n .
Avoir de~ espérancc:3 au contraire,
nous
fait
attendre
1
notre
satisfaction d'un processus prévisible
qui
produi-
ra ce
que
nous avons
lE
droit
de
demander.
1
Le
PANDORE du mythe,
ia
généreuse donatrice
originelle,fut envoyée
sur terre,
porteuse d'une
amphore
1
loP""

209
qui
contenait
~ous les maux et il ne s~y trouvait qu'un
seul
bienfait
l'espoir.
Or,
l'homme
traditionnel
vi-
vait
dans
le monde
de
l'espoir.
Pour
survivré,
i l
se
f i a i t
à la générosité de
la nature,
aux
dons
des
divi-
nités
dont
i l
s o l l I c i t a i t
la bonté
par
des
rites
parti-
culiers,
et
aux
talents
in3tinc;tifs
de
sa tribu.
Les
Grecs
de
l'époque
classique
cessèrent
de
parler
de
l'espoir;
i l s
commencèrent
de
le
remplacer
par
les
espé-
rances.
Ils crurent que PANDORE a~ait
à la fois
libéré
les
ma u x
('c
les
b t e n r a t t s ,
mais
i l s
ne
se
souvinrent
d'elle
que
pour
la bl~mer d'avoir laissé
s'enfuir
les
premiers
surtout,
i l s
oublièrent
que
la dispensatrice
ét ai t
a u s s i
la
gardienne
de
l'~spoir.
Ils
racontaient
l ' h i s t o i r e
de
deux
frères,
PROMETHEE et
EPIMETHEE.
Le premier prévint
le
second
de
se
méfier de
PANDURE.
Loin
de
suivre
ce
conseil,
EFIMETHEE préféra l'épouser.
Dans
la Grèce
classique,
l e
nom P. P If'Î E T Ii E E,
qui
sig n .i. fie
li cel u i
qui
f' e g a r d E:
der ..
rt è r e
lui",
prit
le
s e n s
de
sot.
A
cette
époque,
les
G
Grecs
p o s s ê d a t e n t
une
tournure
dl espri t
morale
et
miso-
gyne,
au
point
que
d'imaginer
PANDORE,
la premi~re femme,
les
soulevait
d'horreur.
I l s
construisirent
une
société
fondée
sur
J.a
raison
et
l'autorit6.
I l s
conçurent
et
élevèrent
des
institutions
qui
lciur
permettraient,
pen-
sai e il t - j. I ~~,
ct e
t ,ê:n .i r
('; li
l' C S P e c t
les In a u x
ré pan ctus
sur
la
terre
par
PANDORE.
I l s
découvrirent
qu'ils
avaiunt
le
püuvoi~ de façonner le monde et de le domestiquer
pour
s ati s r at r-e
à leurs besoins ct
à
leurs
désirs.
Et
sur CF.:
qu'il::;
ét a t e nt
c ap a o I.c u
d e
b â t Lr' et
de
créer di:,
leurs
mains,
i l s voulurent
modeler
leurs
besoins
et
Le
'-- c:
~.
f u t u r-e s
demandes
dE";
leurs
descendants.
I l s
sc
firent
bâtisseurs
et
législateurs,
créant
constitutions ct
o8uvres
d'art
pour
qu'elles
servent
d'exemples
aux
gêné-.
rations
à venir.
Alors
qu'il
suffisait
au
négro-a~ricain
traditionnel
de
participer
à
l'expérience
mythiqu~ pour
être
i n i t i é
au
savoir
d8
la société,
chez
les
Grecs,
l 1 ho mme
v é r i t ab l e s e
d {; f i Cl i t
C 0 mm e l ' e x cel l 8 n t
c i t C' yen

1. :
21
qui
par l'éducation s'est
soumis
aux
institutions éle-
vées par les ancêtres.
Le
passage
d'un monde
où l'on interprétait
les
rêves,
à un
autre

l'on rend des
oracle~ se reflète
dans
l'évolution du mythe.
Depuis des
temps
immémoriaux,
on délébrait
le
culte
de
la déesse
de
la terre
sur les
pentes du Parnasse.
C'était
là que
se
trouvait,
disait-
on,
le
centre,
le
nombril
de
la terre.
A Delphes,
qui
vient
du mot delphis,
la matrice,
dormait
GAIA,
la soeur
de
CHAOS et
d'EROS.
Son fils,
le dragon PYTHON,
veillait
sur ces
rêves
baignés de
la lumière
lunaire
et humide
de
rosée
jusqu'au
jour où APOLLON,
le
dieu-soleil,
le
bâtisseur de
Troie,
appara!t
à l'Orient,
vient
tuer le
dragon et
s'empare de
la caravane
de
GAIA.
Les prêtres
d'APOLLON s'établirent
dans
l'ancien
sanctuaire.
Ils
s'assurèrent
les
services d'une
vierge,
l'assirent
sur
un
trépied
au-dessus
du
nombril
fumant
de
la terre
et
la saoulèrent
de vapeurs.
Ils
transcrivirent
ses diva-
gations en hexamètres craculaires,
d'une
utilité
immé-
diate.
De
tout
le
Péloponnèse,
les hommes vinrent
sou-
mettre
leurs problèmes au
sanctuaire d'APOLLON.
Les
consultatioGS étaient
de
toute nature.
On
s'enquérait,
par Gxemple,
des mesures propres
à mettre un terme
à
une
peste
ou une
famine,
du choix d'une
constitution
qui
conviendrait
à Sparte,
de
l'emplacement
favorable
oG b~tir des cités qui,
plus
tard,
deviendraient
Byzance
ct Chalcédoine.
La flèche
qui
ne
dévie pas de
s a c 0 urs (:."
d c v .i. n t
l e s y mbol e
d' IÀJ.D 0 LLO N,
e t
tau t
c e
qui
le
concernait
fut
conçu comme
raisonnable
ct utile.
Lorsqu!;:
PLATON dans
son oeuvre
"La République"
décrit
l'Etat
J.d&al,'
i l
en b an n i t
déjà la musique popu-
laire,
Gt
seules
trouvent
grâce
à ses yeux la harpe et
la lyre
d'APOLLON,
parce
que
leurs cordes peuvent créer
'1 les ha r rn o nie s de 1 a née e s s i t é
E: t
C G Il e s
d e I a
1 i ber té,
celles
qui
conviennent
au citoyen".
Les citadins s'ef-
frayaient
de
la flnte
de
PANDORE et
de
son pouvoir
-.l:
. "

,
.
'
" !
r
l ' ,
f
" ,
, \\ .
"
,
211
d'éveiller les
instincts.
En somme,
l'homme
assumait
la responsabilité
1
des
lois sous lesquelles i l voulait vivre
et modelait
le
monde
à sa propre
image.
L'initiation primitive par
l'entremise
de
la terre
maternelle,
à
la vie mythique
s'était changée
en éducation du citoyen.
Le monde des
primitifs est
gouverné par le destin,
les éléments
de
la
nature
et
la nécessité.
En dérobant
le
feu
céleste,
PROMETHEE changeait
cela,
les faits
contraignants se "l
muaient en problèmes
à résoudre,
alors
qu'il
mettait en
doute
la nécessité et"défiait
le
destin.
L'homme pouvait
alors prendre
le
monde
au piège du réseau de
ses routes,
de
ses canaux,
de
ses ponts,
créer un décor
à sa mesure.
Il
prenait
conscience
de pouvoir affronter le destin,
de
changer la nature
et
de
façonner
le milieu 00 i l vivnai~
bien que
de
fut
encore
à ses risques et périls.
Or,
l'homme
contemporain veut
aller plus
loin.
Il
s'efforce
de
créer maintenant
le monde entier à
son
image.
Il
construit,
planifie
san environnement,
grâce
à la tech-
nologie.
Puis
i l
découvre
que
pour y parvenir,
i l
lui
faut
se
refaire
constamment,
afin de
s'insérer dans sa
propre
création.
La situation du négro-africain n'échapp
point
à cette évolution constatée dans
le mythe
grec.
Bien au oontraire,
elle
8St
toute
imprégnée des nouvel-
les p 0 s S i b i l i t é s a c tUE; l le S
Qui
l a c 0 n di t i 011 Tl e n t a u p 0 i nt
même
de
la transformer.
C'est pourquoi 1
de nos
jours,
nous
sommes placés devant
un fait
inéluctable,
l'enjeu
de
la mutation de
la condition humaine négro-africaine.

:/'.
..~
12
2 - MUTATION DE LA CONDITION HUMAINE
DU NEGRO-AFRICAIN
=============
De
ce
qui
précède,
nous
pouvons
tirer un ce
tain nombre
de
remarques
et
avancer quelques
hypothès
Car
i l
apparaît
nécessaire
de
résumer
ici
les
grands
traits
qui
caractérisent
la mutation dont
la conditio
humaine
négro-africaine
fait
l'objet.
De même
que
la
pensée
africaine
traditionnelle
était
c o mm a n d.ê e
par l
s
mythe~,
de
même
la pensée
africaine
contemporaine,
1
c'est-à-dire
du présent et
de
l'avenir,
devrait et
de-
vra s'accorder
à. la llouvelle condition de
l'humanité
africaine.
Selon les cosmogonies africaines
dont nous
avons
partiellement
tenp
compte
dans
le pr~sent trava~l,
la vie
en général, et
en particulier la vie humaine,
1
étaitdbasée
sur
la certitude de
la fixité
de
l~ condi-I
tian humaine.
Tout
devait
se
répéter
selon des
rites ~t
d e s
cul tes
cycliques, conformément
à
11 ordre
mythique.
Or,
nous
croyons aUJ'ourd'hui
à l'évolution de
la condi-
.
.
1
tion humaine
négra-africaine.
La sexualité,
ainsi
que 1
nOUG
l'avons montré,
était
fondamentalement
liâe
à
la
procréatioll.
Les Africains
la programment
de
nos
jour~
en fonction
des problèmes
sociaux ou démographiques
qJI
ils
r e ne 0 n t r en t, en u t i 1 i san t
mê me
0 uv e rte men t
des mé t ~ o _.
des contraceptives en dépit
des
tabous.
1
!
Nous pourrions valablement
borner là cette
1
dernière
partie de
notre
recherche.
Il
suffirait en
1
effet
de
rappoler,
à propos,
combien notr8
représenta~
tian de
la condition humaine
a
évolué,
et
combien 16évo-
t
r u c t-ô n c d e ...nos
conceptions mythiques
du monde
a
fait
du!
chemin.
Par ailleurs,
l'étude
d6taillée
de
la mutatio~
présentG
de
l'humanité africaine
exigerait des
centai~cs
l
.
1
1
1

213
de pages.
Et
nous
avons même
l'appréhension d'enfoncer
une porte
déjà ouverte par bien d'autres penseurs.
Il
s'avère
cependant nécessaire
de
rappeler,
en un dense
abrégé,
les
divers
aspects de
cette .métamorphose de
l'humanité africaine, qui
ont
le plus de
lien avec
la
pensée
africaine.
Le
changement
le plus apparent est
celui
de
la
condition économique
du négro-africain.
Ce
changement a
provoqué directement des mutations
sociales et même
démo-
graphiques.
Il
a,
toutefois,
lui-même
pour cause
une muta-
tion
intellectuelle
héritée de
l'Occident,
à savoir
l'apparition de
l'esprit
scientifique
expérimental.
Nous
observons que
causes et
conséquences s' e n c h e v
t r-e n t , Fifla-
ê
lement,
ce
sont
tous
les aspects de
la condtti6n du nfgro-
africain qui
ont
été,
sont
et
seront profondément modi-
fiés
:condition psychologique,
politique,
artistique,
religieuse,
voire ~iologique. Le progrès des techniques
de
production,
si minime
soit-il,
a
si
f.ortement
élevé
le volume
physique
des biens consommables,
et d'abord
des
subsistances,
que
les Africains
sont passés de
la
mi c r-o c é c o ncrm e
familiale
à
la mac~économie i.nterconti-
nentale.
Et
l'on peut
dire
que
les sociétés africaines
par-là,
peuvent
si
elles le
veulent,
assurer dès aujourd'
hui,
un minimum vital
à chacun d~.leurs membres.
L'élé-
vation du niveau
de
vie moyen et
l'assurance
collective
des
subsistances
sc
sont
accompagnées
de profondes modi-
fIcations
du
genre de vie.
L'humanité
africaine
tradi-
tionnelle
était paysanne.
Aujourd'hui,
elle
dispara!t
de
plus en plus par un phénomène
d'éclatement.
D'abord par
ce
qu'on
appAlle
l'exode
rural
qui,
depuis une
trentaine
d'années,
a
dépeuplé
toute
la
"brousse africaine".
De
nos
jours,
on ne
parle plus
tellement
de paysan ~u sens
ancestral
du terme, ~ais de technicien travaillant le
sol,
et possédant
des
connaissances,
même embryonnaires,
dans le
domaine
agronomique
ou botanique.
Et
ces techni-
ciens ont
une mentalité
de
plus en plus analogue
à celle

des autres
techniciens üu ouvriers spécialisés qui
tra-
1

214
vaillent
le
chocolat
au Cameroun ou
le
sucre
au Tchad,
en Côte
d'Ivoire,
au
Zaire
ou qui
travaillent encore
dans
les
banques,
les
assurances,
l'administration,
L
l'enseignement.
Grâce
au contenu
des mythes que nous
avons
traités,
on peut faire
remarquer
que
l'humanité
africaine
traditionnelle n'avait
que
des
obligations
rituelles
et
religieuses
envers des
divinités
à
l'es-
prit bénéfique
ou maléfique,
des
obligations des
fêtes
de
la vie
et
de
la mort.
Le négra-africain d'aujourd'
hui
a
rédui~ à peu de chose la durée de ses prières.
Il
a même
abandonné purement
et
simplement,
sinon la
plupar~ du moins la totalité de ses rites spirituels.
Pour lui,
les divinités
sont mortes
et
elles n'en finis-
sent pas de
mourir.
Si
la plupart d'entre
nos contempo-
rains
ont
encore
un dieu ou une
divibité
à qui
ils
ren-
dent peut-être
des
cultes,
peu nombreux sont
ceux
qui
pourront dire
ce
que
ce
dieu ou
cette
divinité
repré-
sente
véritablement.
Le
négro-africain de
notre
temps
a
également
réduit
à peu de
chose,
ses cérémonies de
deuils.
Ceux-ci
sc
transforment
d'ailleurs de
plus en
plus en activités mercantilistes.
Il
n'y a
qu'à voir la
masse monétair~ rûcueillie et
la vestimentaticn luxueu-
se
lors d'un porL
ou
d'un enièvement
de
deuil.
Partout
en Afrique
subsaharienne,
les
gens meurent de moins en
moins,
du fait
du prog~ês scientifique qui
les a mis
peu
à peu
à
l'abri
des
grandes
é~idémies. Ce même pro-
grês scientifique
surmonte
~t surmontera à l'avenir
b8aucoup
de
maladies et
de
déficiences.
La mort
recule
ma.ilIi. ben.anx a u x b 0 r n o s
ct8
l a
v i 8 .i Ile s se,
t Ll e
qui
r
g na i t
é
au coeur de
la vie
comm2
le
cimetière au
centre du vil-
lage.
Nul
ne
pourra nier
aujourd'hui
que
la mortalité
infantile
a
considérablement baissé.
La
chance
de
survie
des nourrissons négro-africains
a
décuplé.
Quel
autre
monde
était c e Lu L de
nos
grands-pères,
orphelins à
14 ans,
mariés
à 18 ou
20 ans,
morts ou veufs
à 30 ans,
ayant
vu naître
8
€;nfants
et mourir
6 dlentre
eux?
Alors
que,
de
plus en plUfy,
nos
contemporains négro-
africains ne
sont
orphelins
qu'à 35
ans et
plus,
qu'ils
..
,.'~
.."""
.... " .
Jf

..
·i. v
'1
, "
215
r~stent mariés de 20 à 25 années, qu'ils n'ont que 6
enfants mais ne
les perdent
qu'exceptionnellement
lors
des
accidents de
route
ou par noyade par exemple.
D'au-
tre part,
nos
ancêtres ne
connaissaient
pas,
pensons-
nous,
ce
que nous
appelons
aujourd'hui
les conflits de
'générations,
puisque
la moitié
des
garçons de 18 à
20
ans avaient
perdu leur père.
A l'heure
actuelle,
nous
avons,
par contre,
un double
conflit
de
générations
celui
de s
fils
de
18 ans contres les pères de 45 ans,
et
celui
des
fils
de
45
Hns
oontre
les père s
de
75
ans qui
souvent,
détiennent
encore
l'autorité patriarcale.
Abordant
d'autres
aspects de
la mutation de
la
condition de
l'humanité
africaine,
nous avançons cette
hypothèse,
dans
le
cadre de
la séxualité,
que
l'instinct
sexuel
suffisait autrefois
à fixer
le
nombre
des humains.
C'est,
pour ainsi
dire,
la fécondit& naturelle
qui
don-
nait
le nombre
des naissances.
Et
c'est
aussi
la morta-
lité naturelle
qui
fixait
le
nombre
des décès.
Or dans
les
sociétés africaines actuelles,
nulle
part mieux
qu'en matière
de
fécondité
ne
se constate
la nécessaire
substitution de
la déCision consciente
à
l'impulsion de
l'instinct
sexuel.
Jusqu'à une
époque
relativement
ré-
cente,
l'homme n'avait aucun pouvoir sur le nombre
des
hommes.
D'ailleurs,
ce nombre
ne' ~épendait comme celui
des
anImaux,
que
des condit{ons naturelles de
la vie
ambiante,
c'est-à-dire
des
fléaux,
des visiscitudGS
climatiques,
etc . . .
Aujourd'hui,
i l
incomb~ aux hommes
de
régler de
plus en plus
lü nombre
des hommes par le
procédé
du recensement.
En
ce
sens,
i l
est
du ressort
de
l'homme,
Gt
non plus
de
lR nature,
de
fixer
le
nom-
bre des hommes
selon ses besoins.
et
cela par des voies
d'autant
plus difficiles qu'elles exigent
à la fois des
décisions
globales
intergouvernementales et des déci-
s ion s i n t i me 2.,
à l 'é c h (; l l e
d Li
cou P l e
f am i lia l,où
s e
mêlent
les plus
complexes motivations du plaisir sexuél
1
ct
des attitud8S
social~3. De plus,
c'est
la connaissan-
ce
de
l'ensemble
des moyens de donner la vie
que
la
1
1...._...~.....,"'.>, ...R.... '" .' •

216
technique contemporaine ouvre aux négra-africains. Ai~si
c'est
la condition biologique,
non seulement
de
l'homme
lui-même,
mais
de
tous
les
êtres vivants
qui
est
sujette
St mutation,
et mise
progressivement
sous
la dépendance
ùe
la volonté collective des hommes.
En particulier
chez
l'homme
africain d'aujourd'hui,
et
surtout
compte-
tenu des nombreux problèmes d'ordre
socio-économique
que
rencontrent
182
citadins,
problème de
logement,
de
salaire,
d'emploi
par exemple,
la dissociation entre
le
plaisir sexuel
et
l'engendrement
appara!t
de
plus en
plus clairement.
En effet,
les négro-africains,
hommes
et femmes,
règlementent,
calculent de
plus en plus
leurs
conduites
sexuelles,
non
seulement
par
la chimie
et
la
physique
contraceptives,
pilules et
stérilet,
mais
aussi
par la connaissanc8 des processus de
l'hérédité.
En ce
domaine,
la
jeun(~sse africaine apprend déjà dans Le s
institutions
scolaires et
universitaires
que
les
souches
génétiques ne
sont pas
identiques et
que
des
solutions
eugéniques
s'ouvrent
dès aujourd'hui
à certains couples
stériles.
On mesure
ici
comment
la multiplication des
no u v cIl e ~:; IF';S:s::ï;t1tl:Ltils:: ouv.r- c n·t~· ;aus's"i:, ct e
n 0 U ve Ile s
p ers _.
pectives aux Africains et
façonnent
par voie
de" consé-
quence,
leur conception du monde
et
donc
leur pensée.
Car
la biologie
qui
est
aujourd'hui
à la base de
la
sexualité de s
h ommc s ,
Le u r
donne
des
êtres vivants et
d t e u x -cmê me s ,
des
Lm a g e s
inédites.
Elle
relie
plus forte-
ment
les hommes
qu'ils
no
le pensent,
aux mammifères,
ct par-delà,
à
la vic
n~imale et végétale,
même
à la
matière
inanimée.
Car les chairs,
les organes,
les mus-
cles humains
fon~tionnent comme ceux des aspèces qui
sont proches des hommes
et
gardent
en quelque
sorte
le
pli
des
formes
les plus
simples de
la vie.
On
se
rend
de
plus
en plus
compte
que
la chimie
organique humaine
est
la même
que
celle
de
tout
organisme.
D'autre part,
les Noirs d'aujourd'hui
découvrent
leur complexité et
leur autonomie,
c'est-à-dire
leur originalité
fondamen-
tale
en tant
q u t Ln d Lv Ld u
vivant
et
en tant
que
p e r s o n n e
ayant
ses propres caractêres.
Afin de
faire
progresser
<,40.
_ ,4 PI
.

217
notre
recherche,
nous pouvons
avancer cette
hypothèse
que
la condi tion p s y c h o Lo g Lq u e
du
négro-africain a
non ,;.c,
moins
changé
que
sa condition biologique.
Car
la pensée,
selon nous,
est beaucoup plus
enracinée
dans
le
biologi-
que
que
ne
le
pensaient nos
ancêtres
à travers leurs
conceptions mythiques des
choses.
Parlant
à présent de. la condition psychologi-
que
du
négro-africain,
nous
ferons
appel
au
souvenir~
de
nos connaissances
sur les découvertes de
FREUD,
con-
naissances acquises
grâce
à nos professeurs de
l'Univer-
sité
de
Lyon.
En effet,
d'après
l'enseignement que
ceux-
ci
nous
avaient
dispensé,
FREUD a
révélé
une
suite
de
réalités
psychiques
qui
sont'~pparues à l'origine non
seulement
incroyables,
mais
àU5Si
invraissemblables,
voire
absurdes
et
insensés.
C'est
après avoir confronté
le
contenu de
cet
enseignement
aux
réalités et
compor~
tements
afric~ins que nous oserons ici émettre just~
quelqu~s avis dépourvus de tout esprit d'autosuffisance
intellectuelle.
D'abord,
nous commencerons par une
sorte
de
critique
de
CE
que
nous
aurons
à observer chez FREUD
vivant
au siècle
du déterminisme
et
de
la relativité,
celui-ci
a
donné
à ses découvertes une expression trop
absolue,
par
trop
universelle.
I l
nous
a semblé, et en
vertu
de
certaines enquêtes menéès parmi
les Africains
lors de
nos
recherches,
qu'll
n'avait
pas compris que
certains processus d'élaboration de
la personnalité
pouvaient
être
prépondérants pour certains hommes,
sans
l ' ê t r e
pour d'autres.
Nous pouyons dire
que
le dogmatisme
t\\
et
la g é n é r-a Lta at Lo n
trop
peu .1Él1i1Jancés
ont
nui
à la com-
~"""~'.
préhension de
son enseignement
e~ de celui de8cs pre-
miers
disciples,
du moins dans
le
cadre
n6g~o-africain.
.
Cela étant,
'~' ...
nous
exprlmerons
a notre manière,
tûut
en
tenant
compt8
do
ce
qui
visnt
d'ôtre
dit
et
des
aspects
récents
de
1& psychologie,
de
la psychanalyse,
ce
qui
nous par2It
essentiel,
pour notre
propos,
dans
les décou-
vertes de
FREUD.

· .
218
En effet,
à
la suite
des
travaux
de
Pierre
AUGER et de Pierre VENDRYES
(1)
notamment,
i l
est
apparu
qu'il
existe
dans
le
cerveau
de
grosses molécules
orga-
niques
sans
communion
avec
la conscience,
déconnectées
du
circuit
norm~l de la pens~e claire~ mais cependant
vivantes
et
par
conséquent
capables
et
de prolifération
et d'action directe
(~t ceci sans pass8~ par le circuit
de
la pensée
claire)
sur
les
autres
molécules
cérébra-
les.
L'ensemble
de
ces molécules
forme
ce
que
FREUD
avait
nommé
le
subconscient.
Certaines
de
ces ~olécules
se
trouvent
en
état
de
souffrance
du
fait
que,
quoique
chargéei d'énergie,
elles ne
parviennent pas
à ent~er
dans
1 e
c i r 0' u i t
de
l a
pen sée
c 1 ai r e.
E 11 e e
peu ve'n t a l ors
engendrer des
circuits
secondaires
de
caractè~e trauma-
tique,
toujours
ig~orés de
la pansée
claire,
~ais la
paralysant,
la dégradant,
la
sollicitant
à son insu.
De
sorte
que
le
sujet
cherche
sans
s'en
rendre
compte,
à travers des processus souvent absolument
inattendus:
des exutoires,
des
compensations,
à défaut d'expression
directe
de
ces
pensées
ou de
cos
sentiments
refou)és.
C 1 o st
le
p h é n crn è n e
de
l ' Ln c o n s c i e rrt .
La possibili té.
d'existence
ou même l'existenc~ de tel18s molécules
dans
les
cerveaux
des hommes
et
c'est
cn cela
que
la
j
théorie
freudienne
nous
intéresse,
a
des
conséquences
pratiques
d'une
énorme
importancff,
cn particulier en ce
qui
concorne
les
problèmes d'ordre
fthi4u0.
En effet,
d'une
part
ces
sources
d'énergie,
ignorées,
niées,
mais
non
i mpu i :3 S 8 r: t; .:.:' s u t
qui
P ~ uv e nt
su b sis ter
des
ct i z ai n ë ::'l
d'années
sans
dépérir ct
même
çn
prolitérant,
engendrent
souvent
des
comportements
anormaux
ct
donc
immoraux,
en
réaction
ou
en
liaison
avec
des
évènements
antérieurs
oubliés.
Un évènement psychologique peut,
par conséquent:
avoir
à
long
term~ des conséquences importantes et impré-
vues.
D'autre
part,
cc
qui
est
plus
capital
encore, ~'est
que
FREUD a découvert cet inconsciont et sos effets à
long
terme,
à
p~rtir de crntraintes morales.
Beaucoup
de
ces
déconnexions
qui
font
~chapper certaines molécu-
les
à la conscience claire,
ont
pour origine
une
soumis-
(1)
AUGER P.
L'Homme
microscopique~
VENDRYES P.
fi0
et
Probabilité,
Coll),
Que
Sais-JE;
<, PUF, Paris.

219
sion
à
la 101
morale.
L'ob6issance
à la règle morale,
même
clairement
et
consciemment
acceptée,
peut
ainsi
c rée r
cl e s
r (2 feu lem e n t s
don t
1 1; ~3
e f f e t s
n 0 c ifs peu ven t
ne
se révéler
qu 1 cl lO!-l'!,
terme
et
p r-e n d r e
des formes a priori
étran~es. L'homme,
depuis FREUD,
a pris conscience d'une
nouvelle
dimension de
lui-même.
Il
ne peut
plus
~ttribuer
au
s a c r-Lf i c e
et
Q
la pénitence
par exemple,
les
valori-
sations systématiques
qu
e o c omp t a i t
la morale
occidenta-
v
l e t r a ct i .~ ion n r; 11 e . L e
moi n ;';
qu' o n
p u i E, s (3
ct ire,
cie st
qu~ cette no~velle possibilité a
des
inciidences
iné-
luctables
sur la condition humaine
négra-africaine.
Car à partir des étonnantes découvErtes de
FREUD,
la
psychologie
et
Ja psychanalyse
ant
continué
de
révéler
l'homm~ & luj.-m~me,
à
travers
le
complexe
d'Oedipe
ou
le
phénomène
de
l'inceste
dont
nous
avons
déjà eu l'occa-
sion de
parler.
Par
là aussi,
le
conflit
de
l'instindt
et
de
la civilisation est
devenu
apparent
les hommes
sont
tout', plus ou mo i n z
c omp a r ab Le s
à
des
chiens
d t ap p a r-»
tement
qui
ne
sont
que
des
loups plus
ou moins
façonné3
par leur cage.
Beaucoup
sont
bien conformés,
certains
moins,
d'autres point
du
tout.
Nous
savons
aussi
que
10
rôle
de la petite enfance,
Ifinfluence
décisive
de la
rnè r-e
e t
de ·l'amour maternel
dans
la
f o r-m a t Lo n
de
la
personnalité
sont
devenus choses
certaines.
L'équilibre::
du mo.i
et
des
autres,
la conscience
do
soi
et
du
réel
extérieur trouvent
leurs
fondements
essentiels avant
notre. troisième
arm é c
ct'
g c ,
A
la naissance,
tout
se
â
pas s ,j
c 0 mmc, s i l r;
no u v cau - n é
é
t a 1'~
un ô t r c:
uni que
c t
éternel
qui
dispose
de
l'univers.
En trois ans,
i l
ap p r-e n.cri qu 1 i"L
n ' est
q u 1 un
à l ' avcn·-
ê
t r e
précaire,
p La c é
tu~e parmi des millions d'autros êtres et d'autres qui
résistent,
qui
font
parfois
du bien mais
souvent
du mal.
Il
découvre
m&me qu'il
est
mortel.
A partir de
ces
insertions
de
la pensée
dans
la matière,
du psychol~gique dans la biologie,
on com-
~rendra aisément que cette extraordinaire accumulation
~8 découvertes relatives à la condition psychique, à la

220
pensée et au corps de
l'homme,
n'est qu'un aspect parti-
culier d~s nouvelles possibilités scientifiques.
Les
prog~ès de la technique et des scienées en général nous
donnent
à présent et nous donneron:
davantage
à l'avp-nir,
une connaissance du vivant et de
l'inanimé en exponen-
tielle croissance.
Cette connaissance de
soi
et des cho-
ses a,
inévitablement,
introd~it une rupture d'avec c811e
des mythes.
Il
est
inutile d'insister ici
sur les écarts
entre
les modes de connaissance mythiques et
la mêthode
expérimentale
qui
appelle,
elle,
l'enchevêtrement des
causes et des effets,
la cc~xistence de phénomènes auto-
nomes ayant chacun ~eu~ 'esp~ce et
leur temps propres.
Car nous n'avions
à rappeler ici que les mutations que
les nouvelles possibilités d'ordre technologiques ont
déjà entrainées pour la conception du monde des néGro~
africains.
Et ce
rappel,
nous n'avons aucune
diffuculté
à le fair0,
tant cette mutation a
touché
tous
12S
do-
maines de
la vie.
Surtout,
nous devons dans
les
lignes
qui
Guivent évoquer combien les nouvelles possibilités
technologiques ont déconsidéré les bases esienticlles
du patrimoine
culturel
africain et
frappé
ds naiveté
infantile
les conceptions mythiques du monde
qui
lui
étaient
liées.
Faut-il
encore
souligner que
ces nouvel-
les possibilités technologiques ont
rendu hybridesla
culture et
la civilisation n~gro-africaines, aupüint
même
que
tous
les cadres anciens ont
éclaté déjà ou
sont ~n train d'éclater,
de
s'effondrer et
toute
la
pensée africaine
aVéC.
3 -
ANCESTRALITE,
OCCIDENTALITE et AFRICANITE
======-=========
En dépit
de
cette mutation de
la condition
humaine négro-africaind résultant
des nouvelles possi-
bilités technologiques, que nous avons,
tant
soit peu,
évoquée plus haut,
i l
nous apparatt nécessaire de
sou-

221
ligner maintenant
dans quel
sens sc
situe
le patrimoine
culturel
ancestral.
Grâce
donc
aux nouvelles possibilités techno-
logiques qui
caractérisent et
orientent même
l'action
de
l'homo
technicus,
les négra-africains ont
instauré,
dans les villes comme dans
les villages de brousse,
une
lutte acharnée pour un mieux-être et un mieux-vivre.
Cette lutte
se traduit d'abord dans
la recherche,
dans
le maintien ou dans
l'augmentation de ce
qui
répond
aux besoins primaires et
immédiat~ de l'homme,
à Gav0ir
nourritures
logement,
habillement,
travail,
salaire,
puis activité de
l'esprit et délassement.
Mais à l'ar-
rière-fond d~ ces soucis quotidiens plus ou moins éle-
vés,
sous les innombrables aspects de la lutte pour
le mieux-être et le mieux-vivre,
des forces
cachées
mais non moins très réelles,
agissent et
font
agir les
négra-africains dans leur ensemble.
Ces forces cachées
se présentent
à la fois
sous forme
d'attirance et de
répugnance,
de
collision ct de comprehension.
Les
Africains modernes se
savent pas trop
d'oG ces forces
viennent,
ni
ce qu'elles sont,
ni
o~ elles vont. Bien
évidemment,
nous ne
faisons pas allusion à ces forces
incoercibles qui
posent
à toute personne humaine IGS
plus
graves questions sur le sens de
la vie,
sur l'au-
delà,
sur Dieu.
Outre ces forces
incoercibles,
d'autres
sont en activité dans
la vie
quotidienne des Africains.
En
ceux-ci,
deux forces,
deux courants ou deux énergiGs,
si
l'on préfère,
se rencontrent pour agir ensemble
deux forces dont
les composantes se correspondent 8t
s'opposent de façon
inextricable.
Elles se heurtent et
se complèt3nt
à la fois.
Et
les caractêrcs de
leur oppo-
sition ct de
leur complémentarité échappent
à toute
analyse conceptuelle,
du moins provisoirement.
Toutefois,
on peut avancer comme hypothèse
qu'il
se
trouve
chez
les Africains contemporains,
cette
force
fondamentale
qui
S8
traduit en patrimoin~ cul tu-
1
I.,,,,,,,,,.,,,.,,,,,,,,,,,.,,,,,."!,,_o:-,,, .w;

G ••

222
rel
ancestral.
C'est
la première force
que nous appel-
lerons,
pour les besoins de
la cause,
ancestralité.
Et
i l Y a
également cette énergie,
cette
irruptionirré-
sistible de
la culture et de
la civilisation occidentale~
qui
est
la seconde force
que nous appelons occidentalité.
C'est
à dessein que nous parlons de patrimoine culturel
ou d'ancestralité.
Car la culture
(1),
qui
est l'expres-
sion originale d'une
communauté humain~ déterminée à
travers ses croyances,
ses connaissances,
ses arts,
ses
aspirations et
ses conceptions du monde,
la culture,
disons-nous,
plonge
ses
racines et puise
son suc
dans
l ' homme tout
entier avec 'son p assé , Nous autres négro-
africains,
sommes,
bien entendu,
des personnes humaines
conditionnées et déterminées par notre
sol
natal,nos
climats faits de chaleur et de
séchererse,
par notre
genre d'alimentation et
de
travail,
et
surtout par toute
cette réalité psycho-biologique que nos ancêtre~ nous
ont
transmise
dans et par la vie,
réalité d'une
~omplexi­
té telle
que nous
la désignons par un concept dont
le
contenu est loin de nous être
bien connu,
ancestralité
ou patrimoine culturel
ancestral.
Cette ancestralité
qui
est
à la source des différences originales entre
les diverses cultures humaines,
tout un peuple peut ne
pas en être conscient,
comme aussi
bien il
peut s'en
faire
une
idée plus ou moins vague
grâce
à l'interro-
gation,
à
la réflexion et
à
la comparaison avec d'au-
tres cultures
grâce
surtout
aux héros mythiques dans
lesquels i l
se projette.
Ce
qui
est
impossible,
c'est
que
tout
le peuple
africain n'en subisse encore
l'in-
fluence
profonde et ne
se dirige
dans un sens ou dans
l
un autre
sous son impulsion très réelle.
Il
n'y a
aucune
peine
à
constater que
tous
les Africains vivent actuel-
1
lement de cette
ancestralité.
Si
l'on veut s'en faire
une ~dée un peu plus claire,
il
faut
préciser que
cette
1
ancestralité consiste cn une
forte
tendance,
imprimée
et dans la conscience,
à considérer la vie en général,
1
( 1 )
Nous reviendrons ultérieurement
sur cet important
concept pour lui
donner un contenu conforme
à
la
1
crise que
traverse le monde négro-africain actuel.
1'1,"'" ..
.-·N~.'"
w>
.

/
-
,......
~'
.
"" . .J
1
','~. ""
. ', '
"
.... ' ..'
~: ", 223
"t~.
;,.,
\\
à concevoir les hommes et les choses,
,à réagir devant
les évènements,
à
insister sur telles valeurs intellec-
tuel'les ou spirituelles,
b r-e r ,
à exprimer tout d'une
façon partlculièreet différentielle.
En
somme,
l'an-
cestralité est une manière d'être dans le monde et .au
monde, propre aux Africains du sud du Sahara, manière
héritée' dire,ctement des ancêtres.
Il sera ~bsolument
superflu de vouloir,
c~Qte que coOte, dé~ontrer i~i
avec des exemples à l'ap~ui que l'~nce,str~li~é mar~ue
et explique encore bon nombre des comportements des,
Africains dont
les oeuvres musicales,- les proverbes,
les coutumes . . .
en po~tent visiblement le,cachet.
Nous
aurons tout le
loisir d'expliciter les principes et les
caractéristiques de cette ancestralité dans nos tra--
vaux et recherche~ ultérieurs.
En attendant,' ~ous pou-
vons dire
~u'unechose est certaine:
les ~égro-afri-
cains ne pe'uvent pas ne pas vi~re cètte ~ncestralfté
transcendante tant que,du s~n.g africain 6oul"e dans .leurs.
"
j ' l
veines.
Mais voici
que ce legs,
ce patrimoine cultu-
rel qu'est l'ancestralité, set~ouve baigné et envahi
-
"
de part en part par une aut~e"forc~"dontl~o~iginèet
la source sont extrinsèques aux· négro-africains.
Cette·
force' venue d'ailleurs. est -st
puissante quei t o u t
l'être
.
. ' , .
,
de l'Africain en est
imprégné,
imb~. Nous voulons p~r-
1er de la culture et de
la civilisation occidentale~
". ' .~~
-r
ou de l'~ccidentalité. Avant d'en examiner les effets:
et leurs indidences qui
ont :affecté profondémenf les
1
sociétés négro-africaines dans leur être, :11
convient de
faire les remarques suivantes.
r
L'6ccidenta11t~ est aujburd'hui uneforce~ui,
"
considérée dans son ensemble,
est poussée par sondyna~
1
n1sme interne à
s'étendre
sans limites.
Et cette ex-
tension prend des formes qui ne relèvent plus de ce
que
1
l'on a appelé le colo'i'lialisrne' ou l'·impéri~lls·me·~:,ol~-,.
,
\\
,
. " .
.
! -'
.
,
" > "
,
' :
'
n t a i .
Celui-ci
supposait e n ve rf e t
que
soit mointenue la
1
-!
'i: - :
.
,,:
.
'. J . ~
\\ ' , .

'! .

1
225
sation.
En effet,
génératrice
d'une
civilisation abso-
lument
technicienne,
la société
industrielle
occidentale
possède,
de nos
jours,
une
telle
puissance
interne
qu'
elle-même n'a plus le pouvoir d'assigner des bornes
géographiques
à
la propagation de
ses
techniques.
~
telle
enseigne
que
la potentialité technicienne n'est
plus occidentale
elle est humaine,
c'est-à-dire
qu'
elle concerne
désormais
l'homme.
En ce
sens,
les pays
non industrialisés ou,
comme
l'on dit,
en voie
de
dév~­
loppement ne peuvent plus être considérés comme
une
sour-
ce d'enrichissement par les super-profits des pays
sur-
industrialisés.
Ces pays,
bien au contraire,
constituent
même
un obstacle
que
le
dynamisme pan-technicien se
doit
de
dépasser.
D'ailleurs,
n'a-t-il pas déjà débordé
les
limites de
notre planète
terre,
en entreprenant
la con-
quête
de
l'espace
interplanétaire? Aussi,
plus puis-
santes que
les intentions morales,
les calculs politi-
ques et les appétits
économiques d'antan,
les techniques
actuelles qui
constituent
l'essentiel
de
l'occidentali-
té,
ne
peuvent-elles satisfaire
au dynamismè
interne
qui
les emporte
et
qui
emporte
les peuples africains
contemporains
à leur suite,
qu'en s'implantant et en
s'installant
sur toute
la surface du
globe
terrestre.
Ainsi,
l'occidentallté,
cette
force
nouvelle
qui
agit
et fait
agir les Africains de
la fin
du XXê
siècle,peut répondre
approximativement
aux caractéris-
tiques suivantes.
D'abord
l'introduccion des adminis-
trations européennes avec
la démolition progressive
des structures
sociales,
du
systême patriarcal
et matri-
monial
des Africains de
jadis,
l'adoption des moyens
modernes de
locomotion et d'exploit~tion industrielle
ou agricole,
l'utilisation de
nouveaux instruments adap-
tés
à la science médi~ale, l'application de nouvelles
techniques dans
tous
les domaines,
bref,
une
civilisa-
tion occidentale omniprésente
qui
impose
un cadre,
un
mode de vie
et une
manière
d'être
tout
nouveaux.
De
plus,
la radio met
les Africains,
et
ceci
quotidienne-

226
ment,
au courant des évènements internationnaux.
Les
journaux et
revues de
toutes
sortes
les nourrissent
d'idées et de
concepts nouveaux,
en leur proposant
d'autres esthétiques,
d'autres morales.
Le
cinéma les
transporte
à travers l'univers par les actualités et
les documentaires.
La télévision
transpose
le monde
entier jusqu'en leur domicile
et
leur expose
tout
com-
me le
cinéma,
au moyen du langage
simple audio-visuel
compris de
tous,
de
nouvelles manières d'être
dans le
monde
et au
monde,
de
nouvelles manières de
considérer
la vie,
les hommes et
les choses,
l'amour,
l'argent.
Les voyages
intercontinentaux,
rendus possibles par les
nouveaux moyens rapides de
transports,
font
découvrir
aux Africains des
continents divers,
des mondes diffé-
rents et
souvent éblouissants.
Tout
cela métamorphose
profondément
leur vision du monde,
leur pensée.
Ajou-
tons
à cela la religion judéo-chrétienne que plusieurs
d'entre
eux professent
les études poursuivies duraqt
plusieurs ~nnées dans des universités occidentales avec
le développement
intellectuel
et
la remise
en cause
qu'
elles produisent.
Et
que
dire
de
l'influence des asso-
ciations de
tout
genre,
du
sport
et des compétitions
sportives
à l'échelle de notre planète? Que dire enfin
des agglomérations urbaines avec .1es situations concrè-
tes
très complexes qu'elles provoquent et
que nos
ancê-
tres et peut-être nos pères eux-mêmes,
ne pouvaient
même
pas avoir entrevu en songe
? Pour mieux cerner cet
étqt de
chose et
le
comprendre,
nous invitons le
lecteur
à se pencher sur le cas SENOUFO qu'évoque ici Bernard
HOLAS.
"Comme par le passé,
rapporte-t-il,
dominé par
la tradition,
l'homme
sénoufo connait,
au cours de
son
existence actuelle,
des états-dilemmes qui
lui
deman-
dent non
seulement un apport
supplémentaire d'énergie
physique
ou morale,
mais aussi
un changement d'optique
dans sa vision du monde.
La routine
quotidienne du villageois,
intégré

227
désorm~is dans un contexte politique supra-tribal,
natio-
nal,
subit alors de nombreusAs modifications:
le proces-
sus dynamique désormais engagé semble caractérisé par le
fléchissement
de la rigueur coutumière d'une part,
et
par un plus ample
étalage de
l'éventail d'expériences,
d'autre part.
D'ailleurs,
il
s'agit,
pour la plupart,
d'expériences
toutes nouvelles.
A cette période de
réajustements sociaux qui
ressemblent
à de véritables bouleversements de
l'ordre
établi,
la vieille
génération,
encore attachée au
genre
archaique d'existence collective,
embotte
tant bien que
mal
le pas aux impératifs du progrès.
Elle essaie par-
fois
de
louvoyer entre
les deux courants,
composant
avec
les
jeunes porteurs du flambeau:
d'autres fois,
elle
se
laisse
submerger sans trop opposer de
résistance.
Quoi
qu'il
en soit,
la sympathie
qu'elle manifeste
à
l'égard de
la poussée
révolutionnaire des évènement~
est rarement
sincère -
ce
qui
se
comprend.
Certaines
institutions coutumières,
en particulier,
s'assimilent
mal,
cherchant
à survivre,
même
mutilées.
Il
est
indéniable
que
la formation civique de
type
traditionnel,
reçue dans les divers collèges du
"poro",
exerce
toujours une
forte
emprise sur tous ceux
qui
sont p~ssés une fois par là.
Aujourd'hui
ébranlé
dans son fonctionnement
sinon dans
ses assises,
ce
système
initiatique était naguère un mécanisme omni-
puissant
qui
contrôlait
à peu près tous les dcmaines
d'action de
l'individu et de
la communauté.
Les oligar-
ches sénoufo,
ayant aa renoncer aux avantages matériel~
non négligeables qui
découlaient
de
leur position de
dirigeants,
en gardent naturellement
la nostalgie.
Quant
à
la jeune génération qui
ne compte
que
des personnes non initiées au poro
(ou
initiées impar-
faitement)
et
scolnrisées selon le modèle occidental,
elle constitue,
dans l'acception conventionnelle du mot,
une
société marginale.
En
effet,
ayant d'être parfaitement
intégrée
dans le monde moderne,
cette génération vient de consom-

228
mer une
rupture
pratiquement
inconditionnelle
d'avec
le
passé
et,
par conséquent,
se
retrouve
dans un
semblant
de
vide.
La rupture
apparaît,
à la vérité,
d'autant
plus
brutale,
d'autant
plus définitive,
que
ces
jeunes,
vague-
ment
instruits dans
les disciplines fondamentales
dis-
pensées selon le
programme
d'enseignement
français,
tant bien que
mal
adapté
à la mentalité africaine,
non
seulement ne
connaissent
que
peu de
leur propre
histoi-
re,
mais,
surtout,
ne
la sentent
plus.
Chez eux,
par
conséquent,
la sensation d'écartèlement
se
présente,
au
moins
théoriquement,
sous une
forme
moins aigue
que
chez
les anciens
des exceptions,
relativement
nombreu-
ses dans
le
fond
de
la zone
rurale,
résultent
sans doute
des
influences
rétrogrades
du milieu familial.
Les
grandes
agglomérations
favorisent
en re-
vanche
le
rythme
des
transformations
spirituelles et
intellectuelles,
qui
agissent
sur des
ensembles humains
compacts.
L'école
publique,
dont .la qualité
demeure
inégale
(comparée
à quelques rares établissements pri-
vés,
de
bonne
qualité,
mais ne possédant pas une
ampleur
suffisante),
s'avère
donc,
en
l'espèce,
moins un
instru-
ment
de
savoir qu'un agent
de
détribalisation,
ou,
si
l Ion ne
ré p u g n e
pas a u x
néo l o-gis mes,
de
déc u l t u rat ion l' ( 1 )
Cette
longue
citation de
Bernard HOLAS peut
avoir dérouté
le
lecteur,
quelle
qu'ait
été
son atten-
tion soutenue.
C'est pourquoi
nous ferons
intervenir
une
image
qui,
nous
le pensons,
ne
sera pas
superflue
pour la compréhension de
ce passage
qui
en réalité,
concerne
l'ensemble des Africains.
Ceux-ci
sont
en effet
engagés dans
le
courant
de
la vie moderne
comme portés
par un
fleuve
qui
en rendontre un autre.
Au point
o~
ils
sont,
les eaux des deux fleuves
se
heurtent
et
se
mélangent, tellement
qu'il
leur est
impossible
de
savoir
(1)
HOLAS B.-
La Pensée Africaine
Ed.
GEUTHNER,
Paris,
1972,
p.
466-467.

229
dans quel
sens coule
le
nouveau
fleuve
formé
par la
jonction des
deux
et
dans
quel
sens
i l
faut
aller.
Dans ce nouveau
fleuve
i l s doivent
nager pour vivre.
Alors
Ils nagent,
en
suivant
certains
qui
semblent
leur
montrer du doigt
la direction qu'ils
sentent
confusé-
ment.
En d'autres
termes,
la déculturation
qui
résulte
de
l'irruption de
la pan-technicité
occidentale
dans
la cul ture
africaine pose
de nombreux p r-ob Lèrne svà résou-
dre
au
fur et
à mesure
et
sans délai.
Les Africains
vivent
donc
dans un lieu et
en un
temps où
la situation
de
fait
les empêche
de vivre pleinement et
totalement
leur ancestrallté,
c'est-à-dire
tout
le
patrimoine
cul-
tu rel, a v e c
les réf l ex e sap pro p ri é s,lé gué par leu r :=;
<3 n-.
cêtres. ·D'où l'on
ressent un certain désarroi,
fait
de
tension tragique
et
d'écartèlement.
Mais en dépit
des multiples influences péné-
trantes
qui
agissent
sur eux,
et
ceci
dans
tous
les do-
maines,
i l
serait
tnexact
et
non objectif d'affirmer,
sans embage,
que
les Africains,
dans
leur ensemble,
ne
font
que
subir la déculturation
sans
se
poser des
ques-
tions.
Il
n'est pas inutile
d'affirmer par contre
qu'
ils
sont
des
êtres humains
comme
tout
le
monde,
et
donc
doués des mêmes facultés
reconnu~s aux hommes. En vertu
de
ce principe,
ils n~ peuvent pas ne pas réagir.
Leur
réaction n'est
certes pas de
l'ordre conceptualiste et
présentée
sous
la forme
d'un
système d'idées
clairement
élaborées.
Elle
est plutôt
de
l'ordre existentiel,
c'est-
à-dire
qu'elle
est vitale.
Et
c'est cette
nouvelle
atii-
tu cte , que
no u s a pp e 11 e r 0 n s
a f rie an i té, do nt
les car a c té -
ristiques résident
dans
une
exigence
de démythisation
conforme
à
la crise culturelle que
conna!t
le monde
négro-africain
contemporain.

230
4 -
DEMYTHISATION ET CRISE CULTURELLE
DANS LE MONDE NEGRO-AFRICAIN
CONTEMPORAIN
=====-==:::::::====
De nos
jours,
les négro-africains cherchent,
en effet,
une
issue nouvelle
pour mieux être et mieux
vivre,
abandonnant
du coup
les propositions et
les pré-
supposés mythiques d'antant.
Pour cela,
ils
se
regar-
dent entre eux,
s'imitent et
se corrigent.
De
l'occi-
dental
ils adoptent
ceci,
rejettent
cela.
Du patrimoine
culturel
ancestral,
ils
gardent ceci,
abandonnant
cela,
et peut-être pas de
la même manière
partout.
Si
nous
essayons de
faire
une
opération intellectuelle en nous
détachant de
notre
propre contexte pour mieux observer,
nous nous
rendons compte
que,
de
toute
évidence,
la
solution vitale
que
recherchent
les négro-africains
réside
dans ce nouveau type
de
vie africaine.
Il
est
à
remarquer que
la vie
n'a pas
ici
un sens physiologique.
C'est une
vie
dont- l'activité poursuit des fins
et qui
engendre des oeuvres psychiques.
D'elle procèdentd~s
créations culturelles au
sens le
plus large
du mot.
C'est
aussi
une vie dans un hori~o~ de
communautés
et ces communautés présentent d'ai1~e~rs des fpr~es de
degré
plus ou moins
simple
ou complexe,
telles
que
fû-
mille,
nation,
supernation.
En poussant plus en profon-
deur notre
enquête,
nous noterons que
la solution vita-
le
que
recherchent
les négro-africains
réside
également
dans ces nouvelles manières de
se comporter les uns
envers les autres,
ces nouvelles
attitudes devant
les
situations nouvelles créées par les nouvelles possibi-
lités
technologiques,
cette mentalité~actuelle qui
est
pour ainsi
dire
"dans l ' a i r " ,
ce,") nouveaux
goûts,
ces
nouvelles exigences,
ces nouveaux besoins et ce
langage
nouveau qui
conduisent
inéluctablement
à de
nouvelles
manières de
penser le monde
environnant.
Et c'est pré-
cisément
tout
cela qui
constitue
la toile de
fond de

231
la culture et
de
la civilisation négro-africaines contem
poraines.
De ce
qui
précède,
l'on peut comprendre aisé-
ment
que
les mythes
tels que
nous
les avons présentés
et
analysés
dans
les parties et
chapitres précédents,
ne
sont plus les catégories de base de
la pensée afri-
caine,
ni
ne
représentent plus les textes de
référence
pouvant dicter les oonduites à
tenir dans
le présent.
Pour certains,
les mythes africains dans leur forme
et
dans leur contenu n'ont plus aucun intérêt
que
da~s
l'ordre
de
la spéculation intellectuelle.
De ce
fait,
ils sont
donc
rangés,
pour étude,
dans ce
qu'il
est
convenu d'appeler en littérature
comparée
les "textes
oraux".
Pour beaucoup d'autres,
ils
son~ soit relégués
au second plan,
soit
oubliés purement
et
simplement.
Nous assistons donc
à un phénomène
très remarquable
l'apparition de
nouveaux mythes avec
de
nouvelles exi-
gences.
Les anciens cadres mythiques ne
suffisent pas
pour rendre
compte de
l'avènement des
sciences,
de
la
technologie
et
du savoir humain.
Aujourd'hui,
dire un
mythe
comme
TERE KOZO ZO à
des Africains,
hommes et
femmes,
en vue
de
modeler leur personnalité ou guider
leurs pas sur le
chemin du
savoir,
serait chose
ridi-
cule.
D'autant
que
les livres,
les documentaires,
le
cinéma,
la télévision,
les voyages
rapides nous
trans-
portent directement
au coeur de
la réalité même
à
con-
nattre.
Les mythes,
à un moment
donné,
étaient néces-
saires
à
l'éveil
de
la conscience humaine.
Une
tournure
une
qualité
et
une
nature d'imagination s'assimilant
des éléments merveilleux,
voilà en quoi
a
consisté la
création mythologique
africaine
qui,
i l
faut
le
recon-
nartre,
a baigné dans un milieu no~rricier très riche.
Certes,
cette création mythologique
a
imposé
la marque
de
son risthétique
et de
son éthique
à
l'espace mental
négro-africain.
Mais
la pensée humaine,
dans
son ensem-
ble,
a donné
le
jour à des personnages mythiques nou-
veaux.
Le
qualificatif mythique
nIa aucun sens péjora-

232
t i f ici.
Nous voulons
simplement
signifier par là que
certaines personnes ou personnalités ont
réussi par leurs
activités a
acquérir une
dimension intemporelle,
dépas-
sant même
les frontières
de
leurs propres nations.
Il
n'est
pas nécessaire
de
nous étendre
sur ce
cas,
car
les exemples ne manquent pas
les progrès scientifi-
ques entraînent
les mondes en même
temps que
les peu-
ples.
A tel
point
que
les mythes
africains,
sous peine
de
n'être
que de
froides
allégories,
n'ont
plus pour
rôle
que
d'aller capter la vie,
plus ~as à la source
premlere.
Et
puis,
ne
l'oublions pas,
l'essentiel de
la création mythologique africaine
a
résidé dans quel-
ques
thèmes obsédants dont
principalement
la sexualité
et
la divinité.
L'imagination mythique
des Africains
avait
donc
consisté
à maî~riser certaines hantises,
parce
que
les Africains eux-mêmes croyaient des choses
qui
n'avaient pas
de
contours.
En ce
sens,
leur imagi-
nation n'était
qu'une
bouche
d'ombre
d'où montaient,
sans cesse,
des épouvantes
en même
temps qu'elle
don-
nait
à ces épouvantes leur contenu psychique profond.
DI
où ces épouvantes avaient
revêtu une
valeur spiri-
tuelle
et
en quelque
sorte
religieuse.
L'ancestralité
trouvait
son fondement
dans
la faculté
mythologique.
L'africanité
ruine
aujourd'hui
les bases de
cette
fa-
culté.
Avec
l'africanité
qui
caractérise assez bien la
culture négra-africaine
contemporaine,
nous entrons
dans une
nouvelle
phase de
la pensée
africaine. Libre
à
chacun d'attribuer
à
cette
nouvelle
culture
négro-
africaine
les adjectifs qualificatifs "bâtarde",
"mé-
tisse",
"hybride"
Libre
aussi
à chacun de
traiter
de
"ratés",
"déclassés"
ou
"déracinés"
quelques uns de
ses protagonistes,
écrivains ou artistes.
Beaucoup ont
pensé
jusque
là que
les Africains étaierit définitivement
enfermés
dans un dilemme
ou reproduire
l'ancestralité
dans
toute
sa totalité et
qu'on pourrait
situer à peu
près au XIXè
siècle et
au début
de
xxè
siècle,
ou alors
recopier purement et
simplement
le
XXè siècle moderne
occidental
sans pouvoir être vraiment
africain.
Tous

233
ces
jugements montrent,
sans voiler quoi
que ce
soit,
que
la culture africaine contemporaine
traverse une
situ~tion de crise caractéristique.
Les Africains con-
naissent
aujourd'hui
une
crise culturelle
grave,
Nous
parlons de orise
culturelle
de notre époque et nous
allons essayer rapidement de
dire
ce que nous pensons
par là.
Nous appelons ici
crise
culturelle
quelque chose
que
l'on pourrait
tout
aussi bien appeler crise
géné-
rale
des cultures,
qui
tient au fait
que les divers
groupes humains négro-africains,
quelles que
soient
les
régions considérées
(Afrique
de
l'Est,
de
l'Ouest,
ou
du Centre
. . . ),
ont de plus en plus de difficulté d'ex-
primer par eux-mêmes un sens de
l'existence
reconnu
par eux comme
raison commune de
vivre et
suscitant
entre eux une
qualité de
la vie et une
joie de
vivre.
Si
la culture,
c'est
tout ce qui
donne
une
forme, .un
contenu et
un sens à
la vie
des hommes et aux activi-
tés humaines,
alors aujourd'hui
la culture ainsi
défi-
nie
est en crise,
en particulier du fait
que
des pou-
voirs et des
forces
extérieures déterminantes privent
les négro-africains du continent
noir de
toute capacité
propre de donner un
sens
à leur v~e et
à leurs activi-
tés.
Ceux-ci n'ont
pas la po~sibilité d'élaborer un
art de vie propre,
ni
la capacité de
résoudre
leurs
problèmes d'existence.
A quoi
cela t i e n t - i l ? Nous
n'allons pas faire
ici
un diagnostic complet,
qui
se-
rait pourtant
très instructif,
de
la crise
culturelle
1
que traverse
le monde négro-africain.
Il
suffit de
rappeler que
ce qui
arrive
aux Africains
tire
son ori-
[
gine
de
l'expansion occidentale,
et
n'a de
quoi ·sur-
prendre personne.
C'est bien le
résultat
logique et
nous dirions pres~ciinévitable d'un processus histori-
1
que
qui
caractérise précisément
le monde
occidental
[
celui
ou l'occident
rationaliste
s'est mis délibérément
au centre du monde,
à
la fois
dans
son esprit de
conquê-
~
tes et dans
sa manière
de
penser et de
vouloir.
C'est

23
le
temps
oG l'occident érige
son humanité en absolu.
Et
ceci
sera parfaitement exprimé par NOVALIS qui
dira
"Nous
sommes des missionnaire$,
nous
sommes appelés à
former culturellement
la terre
entière."
Il
n'est pas
sans intérêt de
rappeler dans
cet
ordre d'idées
la
philosophie
des Lumières.
En effet,
la philosophie
des
"-
Lumières
a
eu,
au ~YIIlè siècle,
une
idée
anthropocen-
trique
exclusive
selon laquelle
la raison est
toute
puissante pour comprendre parfaitement
l'ordre du monde
et
pour ma!triser
le~
.orces qui
le
composent.
Les hom-
mes des Lumières,
ainsi. que
leurs héritiers capitaliste
et ...arxistes,
ont
pris conscience
de
leur
réalité humai
ne,
individuelle,
puis collective, comme
entité autonome
s'accomplissant par elle-même
dans
la durée.
DésormAis,
l'homme tourne
autour de
son humanité qu'il
fait
nartre
par son propre mouvement,
pa~ sa
raison agissante et
par son action raisonnée.
Cette humanité s'appartient
à
elle seule.
Ne
tournant
plus autour de
Dieu qui
faisait
être
les autres humanitéE
jusque-là,
elle
n'est
plus
habitée par aucune
transcendance.
Dès lors
l'homme
n'a
plus pour vocation que
de poursuivre
des fins
immanen-
tes qu'il
est maître
de
façonner
à
son
gré.
Il Y a
là,
on s'en doute,
un
renversement
onto
logique
radical
et une
évolution
épistémologique,
l'un
1
1
et
l'autre
rendus possibles précisément par une
nouvel-
le mauière de
raisonner
à l'oeuvre depuis le XVlè et le
XVllè
siècle
L'esprit
scientifique
est un nouveau monde
de
savoir,qui va évacuer progressivement de
la connais-
sance
jugée certaine
toute
autre
approche
que
la sienne.
1
La méthode de
recherche,
d'expérimentation,
la capacité
l'
d'application et
d'intervention de
la science
ont~été
un puissant argument de
crédibilité
à cette nouvelle
vision du monde
de
l'homme
et ont
séduit
la pensée
1
africaine
dans presque
sa totalité,
puisqu'elle en est
profondément
affectée.
De nos
jours,
les explications
1:
scientifiques et
les applications pratiques qui
en déri-
vent ont permis une forme
totalement
nouvelle
d'emprise
~
1

235
sur la nature,
puis progressivement
sur la vie des hom-
mes africains eux-mêmes.
Cela a parfaitement
réussi
si
1'.on appelle
réussir,
des changements immédiats secto-
riels avantageux à des
groupes africains,
sans s'inter-
roger sur les conséquences globales humaines,
de
ces
changements appelés progrès.
Ces transformations ont
été poursuivies en s'appuyant
sur la croyance qu'elles
allaient bénéficier à tous.
C'est
là une nouvelle maniè-
re
d'être
au monde
selon laquelle
le but
réel
de
l'exis-
tence
sociale nlest p~
de
vivre pour un au-delà du
temps,
mais seulement et
exclusivement d'aménager ce
monde en vue
de
ce
que
l'on croit une
meilleure habi-
tation humaine,
exactement
selon le mot
de Max
FRISCHE
"La technologie e s t
l ' a r t d'arranger le monde pour ne
pas être
forcé
de
l'affronter."
Dès
lors,
l ' u t i l i t é est
devenue pour les négro-africains
la valeur suprême.
L'utilité et
l'efficacité vont
faire
du bonheur une
visée
temporelle,
catégorie motrice 'du développement
et
du devenir collectif.
G âce
au progrès scientifique
et
technique,
le bien-être va devenir accessible
à tous.
La poursuite du bonheur s'inscrit comme composante des
droits de
l'homme africain et devient,
pour ainsi
dire,
un devoir des divers
gouvernements.
Dans le c~ntexte
des pays fortement
industrialisés.et
avec
la volonté de
conquête et de puissance
qui
en découie,
les occiden-
taux ont progressivement accordé une
importance primor-
diale
à ce
qui
assurait
et
accroissait
leurs pouvoirs.
C'est cela qu'ils ont d'abord appelé progrès,
puis déve-
loppement.
Ainsi
l'économie est devenue
l'élément mo~
teur des
sociétés dites
sur-développées,
particulière-
ment par le biais du système
technico-industriel
et
d'échanges marchands.
L'économie,
non seulement est
devenue
la force
principale,
mais aussi
la valeur suprê-
me et
l'objectif ultime
à partir
duquel
tout
s'ordonne
et s'organise.
C'est
là où se
trouvent
les
fondements
les raisons et
les causes de
la crisé~culturelle négro-
africaine.
Car l'ordre économique
s'est ainsi
constitué
comme un vaste
système de productions,
d'anticipations

236
sociales et
de création de besoins, qui
a
cherché
sa pro-
pre
cohérence et
s'est voulu autonome
par rapport
au
res-
te
de
l'existence.
L'ordre
économique
a,
pour ainsi
di-
re,
asservi
l'ordre
culturel
africain.
Il
s'est érigé
en technostructure
globale
déterminante
des autres
champs de
l'existence
sociale.
En résumé,
on peut
dire
que
toutes
les
socié-
tés africaines au
sud du
Sahara,
telles
qu'elles
se
sont
constituées,
ont pri'
~gié comme les sociétés indus-
trielles,
un
type
de
ra t Lo n a Lt t é
purement
opératoire,
fondée
sur l'efficacité des
savoirs
techniques adoptés.
Elles croient,
tout
comme
les occidentaux,
en une capa-
cité
sans limite de maîtriser la nature
et
leur propre
devenir,
ceci
leur apparaissant
comme
condition suffi-
sante
d'une
bonne
vie
sociale.
C'est d'ailleurs ~our
cela qu'elles cherchent
à dé\\elopper,
coOte
que
coOte,
et
à outrance,
un système productif qui,
par la créa-
tion des besoins .et par 1-
consommation,
a
envahi
toute
l'existence
des négro-afr_cains.
A)nsi,
toute~ les so-
ciétés africaines vont
être progressivement
soumises
aux finalités
économiques.
On constate,
à cet effet,
que
les pouvoirs qui
orientent et
dirigent
ces dernières,
s e c 0 n ce nt r en t
en que l que s
ce nt r es. p ri vil
g i
é
é
s e t dom i -
nants de
plus en plus
identi~iés aux grands pouvoirs
politiques du monde
ou
les
super-puissances,
sèlon l'ex-
ression consacrée,
qui
étendent progressivement
leur
influence
sur toute~ les petites sociétés africaines
obligées de
suivre
l'impulsion dominante.
Il
s'agit
là,
on s'en doute,
d'un phénomène
global
que
nous considé-
rons comme anticulturel
et même profondément
antihum~in,
ce
qui
est
la même chose. Les caractères dominants de
cette situation qui
nous paraissent cristaliser la crise
culturelle de
notre
époque
peuvent
se regrouper sous les
composantes
que voici
à peu près
priorité absolue
de
la production de biens matériels et de
leur usage
détermination de
toute
l'existence
sociale par le
systè-
me productif dont
on accepte
les conséquences humaines

237
qu'il entraîne
quitte,
après coup,
à faire
un peu de
social pour att6nuer les effets négatifs
;
soumission
du polltico-culturel
à
l'économique,
sa finalisation
par la poursuite de
la richesse matérielle et de
la
puissance
renforcement
du pouvoir central
et de
l'exé-
cutif comme
nécessité socio-politique pour assurer le
fonctionnement
de
la grande machine économique et admi-
nistrative
l'interdépendance
de plus en plus grande
des
éléments de
cette mégamachine.
On peut inférer que
cette mégamachine
est une
force
terrible
qui
tue
les cultures.
On se plait
à dire
que
les valeurs spirituelles ne
sauraient
être vaincues
par la force.
Mais qu~nd cette force
s'est mise
au poste
de pilotage
des sociétés,
africaines notamment,
elle
anéantit
très vite et assez facilement
des multitudes
d'univers cultur~ls et tue éans rémission les capacités
internes des
groupes de
s'autodéterminer.
Il
n'y a
rien
au monde
de
si
précieux,
0e
si
fragile
qu'une
culture
de
tout un peuple.
Cette
naleur vitale d'un milieu
humain qui
exprime,
par ce
qu'il
fait,
ce
qu'il
chante
et ce
qu'il
est,
un sens partagé de
l'existence,
peut
être détruite
très
facilement.
Et elle est menacée
aujourd'hui
très sérieusement.
CaY" ce n'est
qu'après
avoir approfondi
de
telles analyses
sur les sociétés
en général
qu'on peut mieux se
rendre
compte en quoi
consiste
la crise de
la culture africaine dans laquelle
toutes les sociétés africaines
se
trouvent
prises.
Les
divers phénomènes de
déculturation,
les malaises psycho-
sociaux et les endémies socio-culturelles,
le développe-
ment exogène
sur le
corps
social
des pseudo-cultures
fabriquées
industriellement comme produits de
consomma-
tions culturelles provoqués,
tout
cela est
le
résultat
d'une
situation où prévalent de plus en plus la marchan-
dise,
le
système
technico-économique.
Nous sommes donc
dans un monde
où règne
avec
un pouvoir qua$i
absolu
la
force
brutale de
la mégamachine
technico-~conomique.
Après coup seulement,
on comprend la crise de
la culture

238
africaine
telle
que
nous conc8vons encore ce
concept
de
culture.
Mais si
grand que
soit
aujourd'hui
le
rôle
joué par les
techniques et
la mégamachine
technico-éco-
nomique,
c'est-à-dire par les modalités de
l'action
humaine en vue
de
la transformation délibérée de
la
matière
sous
toutes ses formes,
il
convient de ne pas
oublier que
l'homme ne doit
être
réduit
ni
à
ses
techni-
ques,
ni
aux produits de
ses techniques,
m~me s ' i l ve-
nait d'adopter celles-ci.
A l'uniformisation partielle
des
genres de vie par les techniques
répond l'aspiration
proprement
spirituelle
à l'unité de
l'homme.
Cette
aspiration a pré-existé
à l'invention des techniques
par les occidentaux et i l est
de
12 plus haute
impor-
tance
qu'elle
leur survive
actuellement.
Il
est d'ail-
leurs significatif que
l'uni~ormisation partielle
des
genres de vie provienne
du développement,
pour ainsi
dire,
anonyme
et
impersonnel
des
techniques,
tandis
que
la recherche
spirituelle
e
l'unité de
l'homme
n donné
Itéu aux plus hautes et
aux plus fortes
personnalisa-
tions de
l'histoire.
Sur le plan humain et ceci,
sous
d'autres cieux,
les personnalités des
fondateurs
de
religions et
des
grands mouvements -religieux,
les per-
sonnalités des fondateurs
d'écoles philosophiques, appa-
raissent historiquement
comme
des
sources singulières
d'une vie
spirituelle
se déployant d'emblée
au niveau
de
l'universel.
Cependant,
l'existence psycho-sociale
des négro-africains,
en tant
qui elle comporte des
traits
particuliers appartenant
à des peuples différents,
se
situe entre
le
développement
uniformisant
des
techni-
ques modernes et
l'élan spirituel vers
l'unité humaine
de
Le
pensée africaine.
C'est ce
niveau des particula-
rités des peuples négra-africains et de
leurs milieux
sociaux qu'il convient de prendre en considération
pour trouver un fondement
à
la nouvelle
culture r~égro­
africaine.
En
effet,
i l
n'y a
aucun doute
à admettre
que chaque peuple,
chaque milieu social possède
sa

239
manière propre
de
vivre
et
de
penser.
C'est ce
que
nous
appellerons
la culture d'un peuple
ou d'un milieu donné.
Dès
que
l'on prononce
ce mot
de
culture,
on est bien
obligé de
faire
appel
à des définitions.
Et
il
ne
sera
pas
inutile pour notre
propos
de
nous arrêter quelques
instants
sur la définition
que
nous
donnons
de
la nou-
velle
culture
africaine
au
sens le
plus
large
et 12
plus englobant
du
terme.
Nous
éliminerons ici
de
notre
champ
de
compréhension le
sens habituel
du mot
français:
"le fait,
selon le
Littré,
de
cultiver les
lettres,
les
sciences",
"l'instruction,
l'éducation",
ou même
parcc-
que
trop
restreinte,
la définition
de
la culture
par
"l'ensemble
des aspects
intellectuels d'une
civilisa-
tion'l.
Ce
n'est pas non plus
la définition originale
qu'en donne
la romancière
5=lma LAGEEHOF
lice
qui
sub-
siste
q un n d on a
oublié
tout
ce
qu'on avait
app r t s v ,
ni
celle
que
propose ARAGON:
l'La culture
est
sur le
chemin
que
les hommes parcourent
pour le bonheur,
un
trésor de
rêves
et
de
travaux,
de
souvenirs et
de
découvertes,
un trésor pour promouvoi; l'homme!'
Définitions
générales
qui
vont
se heurtant,
la. squ Ion veut
aller. plus en pro-
fondeur,
à
toutes
les catégories de
cultures
qu e
l'His-
toire verra naître
au cours
de
son
développement.
Par
contre,
pour la situation a c t ue Lle. de
l'Afrique No I r-e
au
sud du Sahara,
nous pouvons définir la nouvelle
cul tu-
reafricaine
comme
étant
l'accomplissement
solidaire
d'une
commune
destinée.
Le
sens
que
nous
donnons ici
à ce concept
permet
de
rejoindre
toutes
les expériences des
sociétés
africaines prises dans
leur ensemble. Car toute
société,
quelle
qu'elle
soit,
n'existe
que
par un faisceau
de
conditions matérielles et
immatérielles,
par un ensem-
ble d'objectifs intériorisés dans
les conduites,
par
une
raison commune
plus
ou moins
consciente de
vivre
et
d'être
ensemble.
C'est dire
que
la société négro-afri-
caine
actuelle
qui lise
tient"
dans un espace
donné et
bien localisé,
subsiste comme
réalité culturelle.
En ce

240
sens,
la culture
africaine,
pour nous,
n'est
pas autre
chose
que
l'expression
jaillissante de
tous
les aspects
de
la vie
en
société,
dans
la mesure
où i l s prennent
sens positif et valeur aux yeux des négro-africains eux-
mêmes.
En d'autres mots,
cette
culture
apparatt
comme
étant
l'expression commune
et
partagée
que
les Afri~ains
donnent
de
leur existence
contemporaine,
à
travers
des
activités complémentaires et
reconnues par eux tous
co~­
me vitales.
Ainsi
conçue,
elle
n'est
rien d'autre. que
la manifestation échang~e de
la nouvelle
qualité
de
la
vie
issue
des nouvelles
techniques propres au monde
moderne.
C' est
pourquoi,
la cul ture
qfricaine
a
ac q u I s
une
nouvelle
dimension définitionnelle
en
se pr&sentant
comme
le
partage
des
savoirs et
des pouvoirs COffimu~s
accessibles
à tous.
Il
faut
entendre
par là que
la cul=
tureafricaine
n'est
plus ce
que
l'on fait,
c'est-à-
dire
des produics culturels,
mais
ce
que
lion est ensem-
ble
grâce
à
la qualité
de
ce
4ui
est partagé et vécu.
Pour
résumer tout
cela,
nous pouvons dire
que,
finalement,
la culture
es
à
la fois
un ensemble
de
re-
présentations
et
un contexte
d'action,
c'est-à-dire
qu'elle
suppose
une
série
de moyens organisés de vivre
et de
donne~ sens à la vie, de façon à ce que chacun
dans
ses activités
se
sente
concerné et
partie prenante
de
la vie
sociale
gloQqle.
Ainsi
la culture
africaine,
pour nous,
S0us-tend et
structure
l'organisation
sociale
propre
aux Africains.
Elle
assure
donc
la cohésion de
la
société africaine
par
le
sens de
l'existence
qu'elle
donne,
parce qu'elle
est
un milieu
de
vie
dans
lequel
hommes
et
femmes
trouvent une
signification reconnue
à
ce
qu'ils sont.
Elle
assure
aussi
cette
cohésion par
l'ouverture
d'un champ
libre
à
des projets créateurs,
parce
que
la culture
africaine permet
à chacun d'avoir
des objectifs concrets qui
motivent pour l'action et
qui
seront
reconnus
par les autres au
triple plan du
tra-
vail,
des rapports humains et
des créativités.
Aussi,
la culture africaine
assume-t-elle deux fonctions

'~- ~\\
' , ' ,

1
241
essentielles et complémentaires
: enracinement et projet
collectif.
L'enracinement n'est pas ici fixation dans
un terroir.
mais conscience des Africains vivant ensem-
ble d'appartenir à une sorte d'oecumène naturel et social
dans le respect actif de son équilibre.
Le projet collec-
t i f est la raison commune de vivre ensemble,
finalisée
elle-même par quelques valeurs centrales qui
sont admi-
ses par la majorité des Africains.
Alors seulement,
la
culture af~icaine est mémoire de l'être africain histo-
rique et non retour à un passé mythique.
Elle est égale-
ment projet concret et dynamisme vers l'avenir et non
rêve d'une société idéale ou une utopie de la pensée
africaine.
C'est en ayant serré de plus près cette no-
tion de nouvelle culture africaine que nous pouvons à
présent dégager quelques conséquences pour notre réfle~
xion qui,
nous osons l'espérer,
contribueront d'une
façon décisive
à créer des attitudes nouvelles permet-
tant aux négro-africains d'affronter consciemment le
monde technico-économique.
En effet,
les négro-africains
sont appelés à faire peu à peu l'apprentissaze de nou-
velles valeurs.
Ils acquerront,
par la force
des choses,
ce que le Professeur BOURGEOIS ap~elait la mentalité
prométhéenne qui a fait
l'essor de
l'Occident.
Dans ses
cours sur HEGEL.
Monsieur BOURGEOIS avait fait
allusion
à un ancien mythe
grec dont s'étaient inspirées l'esthé-
tique et
la pensée hegeliennes,
pour nous expliquer les
origines lointaines de la vitalité spirituelle et cultu-
relle des Occidentaux,
ainsi que leur esprit d'invention.
Pour la comprkhension de ce qui va suivre,
nous résume-
rons brièvement ce mythe grec
rapporté par notre Profes-
seur,
et dont le souven'ir nous est resté vivace.
La mythologie grecque a donné naissance
à
OURANOS,
représentant le ciel et
toutes ses virtualités
créatives,
et
à GAIA,
la terre,
représentant toutes les
forces chtoniennes et magiques.
Cette différenciation

242
première engendre
la dualité existentielle,
laquelle
conduit à l'universelle
révélation de
la complémentarité
des énergies de
signes contraires.
Ainsi OURANOS et GAIA,
le ciel et la terr~. ,le haut et le bas,
la lumière et
les
ténèbres,
la plénitude et le
tourment,
sont
le double
aspect,
le double pgle d'une_même
réalité.
Le
lieu unis-
sant OURANOS et GAIA déclenchera les cyclones,
forces
chtoniennes aveugles,
déchaînées pour provoquer la sépa-
ration des eaux,
la formation des océans et
les éruptions
volcaniques,
prélude
à la naissance des continents.
Du
déchaînement
général et du brassage
gigantesque
se déga-
gèrent quatre éléments de base,
nécessaires
à la construc-
tion de
la matière
le
feu,
la terre,
l ' a i r et
l'eau.
Sous l'impulsion évolutive des cyclones se différen-
cièrent pour générer,
d'un côté les Cyclopes et les Héca-
tonchires,
géants à cent bras,
soumis à la hiérarchie
des dteux ordonnateurs de
grand plan cosmiqu~ et de
l'autre,
les Titans,
représentant
les forces têtues,
le
mental de la terre
s'opposant
à la lumière du ciel,
persuadés de pouvoir se passer du rythme de
l'esprit.
Pourtant une exception doit être
signalée,
celle de
PROMETHEE (1),
Titan qui
expia durement
son amour pour
les hommes,
auxquels il apporta le feu volé
aux dieux
du ciel,
pour éviter qu'ils ne to~bassent victimes des
Titans ses frères.
Le
drame-duel
ainsi
se noue.
OURANOS
met un terme
à la révolte des Titans et les jette dans
le Tartare,
mais CHRONOS,
le fils
le plus indomptable de
GAIA,
la terre,
se révolte
à son tour et détrône
son
père OURANOS,
imposant la dcmination du temps,
se vou-
lant arbitre des forces
opposées,
quoique
complémentai-
res dans le déroulement du cycle.
Non content de
son suc-
cès.
CHRONOS le
temps,
se sépare définitivement du ciel,
ce qui
l'oblige
à dévorer ses créations puisque l'éterni-

lui échappe.
GAIA,
la terre,
resta cependant unie à
OURANOS dont elle capta les émanations.
Ces émanations
(1)
Nous avions déjà partiellement présenté ce mythe
à propos de la distinction de
l'espoir et de
l'espé-
rance.

\\t-.
243
lui confêrèrent le don de fécondité.
CHRONOS s'étant
rendu maître du mental
de
la terre,
jeta dans la mer
les organes génitaux d'OURANOS et du sang répandu,
naquirent
les Erinnyes qui,
inexorablement,
poursuivi-,
rent de leur fureur ceux que
la domination du temps
rend oublieux de l'éternité.
Les Erinnyes figurent
le
complexe de culpabilité de
l'homme
soumis au temps et
dès lors,
cloué à l'espace.
incapable de
s'élever au-
dessus des limites qu'érige
son mental.
A l'intérieur
des
limites du menta~ que consolident toutes
les forces
obscures qui habitent
le subconscient,
se
situe
le royau-
me souterrain de HADES.
Le
pénétrer et en ressortir fut
le destin d'ORPHEE.
mais son mental
lui
joua un mauvais
tour.
Oublieux de sa promesse.
attiré peut-être par ce
qu'il
devait quitter.
il
se
retourna avant d'avoir
atteint
la lumière et,
à
jamais.
EURYDICE disparut.
Des
organes génitaux
jetés par CHRONOS à la mer.
naquit
la
plus belle des déesses
: APHRODITE.
Elle porte le nom
de l'écume de
la mer dont elle est
issue e~ déesse de
la génération,
elle représente non seulement les forces
irrépressibles de la reproduction, mais ijussi
leur subli-
mation par l'homm~ et cet aspect n'a rien à voir avec
l'érotisme
tel
qu'il est prôné de nos
jours.
L'épouse
de CHRONOS.
RHEA qui
s'identifie.à KYBELE,
déesse phry-
gienne des forces
de
la nature,
figure
la terre féconde.
Elle donna à son mari plusieurs enfants qu'il dévora
aussitôt.
Pour sauver son dernier-né,
ZEUS,
RHEA substi-
tua une pierre
à l'enfant et CHRONOS,
avide.
l'aval~ sans
s'apercevoir de
la substitution.
ZEUS devint adulte et
contraignit CHRONOS à "redonner vie
à ses frères et
à ses
soeurs.
De ce fait
l'esprit fut
réintronlsé et le temps
relégué à 5~ juste place.
Cela n'était pas pour plaire
aux Titans,
forces
obscures,
qui
s'acharnèrent pour
combattre l'esprit,
symbolisé par ZEUS.
Pour permettre
à celui-ci de
les vaincre,
les Cyclopes forgèrent
l'arme
victorieuse en
la trempant
dans le feu de
l'intellect.
Cette arme fut
l'éclair.
ZEUS,
par l'éclair de
l'esprit,
par le
jaillissement de
l'intuition,
si
l'on veut,

2~5
que
doit avoir le négro-africain d'aujourd'hui.
Nous
relevons
le fait
que
l'attitude prométhéenne est une
lnsati~faction permanente en face
des résultats acquis
volonté
de pousser plus avant
sa conquête,
sentiment
que
l'histoire n'est pas finie
et que
l'avenir ne
sau-
rait être
la réitération du passé.
Cette attitude cor-
respond adéquatement
à celle des négro-africains contem-
porains et se
trouve
aux antipodes de
l'attitude mythi-
que qui
commande
la répétition des mêmes gestes et l'im-
mobilité des comportements.
Changer les attitudes fonda-
mentales,
créer et
rechercher des valeurs nouvelles face
aux progrès techniques, telle est
la mission que
les négrc
africains doivent assigner à leur nouvelle
culture.
Mais
il est entendu qu'ils ne
doivent pas oublier les valeurs
d'universalité présentes au sein de
leurs cultures d'Ol'i-
gine.
C'est,
d'ailleurs,
ce dont
témoignent notamment
les oeuvres d'art nées des cultures africaines.
Car,
comme
toutes les oeuvres d'art,
elles visent
aussi
l'universel
humain à travers
la particularité culturelle
de
chaque peuple.
Cette idée peut
paraître
équivoque et
sembler introduire une
certaine contradiction'
Il n'en
est rien.
C'est
le développement
logique des idées que
nous avons émises
jusque-là qui poursuit
son chemin tout
en évoluant.
Nous
réitérons le ,f~it que
la culture
tra-
ditionnelle africaine ne
se maintiendra pas telle
qu'ell
était hier,
au cours du processus des progrès
techno-
économiques actuels.
Mais nous sommes aussi en droit de
penser que
l'irruption des nouvelles possibIlités techno
logiques dans la culture mythique africaine
suscitera
des adaptations différentes de
celles que
l'Occident
lui-même
a connues.
C'est pourquoi,
nous parlons de nou-
velle culture africaine.
En effet,
une
comparaison avec
certains développements
spirituels peut
sans doute
éclai
rer cette question.
On sait par exemple que
l'Afrique
Noire
a été
spirituellement bouleversé~ par la propaga-
tion du christianisme et de
l'islam.
Le
plus souvent,
ce
sont des Occidentaux qui,
à l'origine ont propagé
le christianisme,
et des Arabes qui,
à l'origine aussi,

246
ont propagé
l'islam dans
le
continent
noir.
Il
n'cn
est
pas moins vrai
que
là 00 ces
religions
se
sont
implan-
tées,
elles ont
été
intégrées
aux manières de
vivre
et
de penser,
c'est-à-dire
aux
cultures des peuples nêgro-
africains.
L'accession
à
l'universel
chrétien ou
islami-
que
s'est
accomplie
à la fois
à tcavers
des
ruptures
vis-à-vis
de
certaines traditions antérieures et
à tra-
vers des
fidélités
vis-à-vis de
certaines autres
tradi-
tions.
Mais ce
n'est
pas en faisant
d'un Camerounais
ou
d'un
Gabonais un Occidental
que
le
christianisme est
parvenu
à
le
gagner en profondeur.
Cci
n'est
pas non plus
en faisant
d'un
Sénégalais ou
d'un Nigérien un Arabe,
que
l'islam a
réussi
à le transformer en un authentique
musulman.
Il
existe
en vérité
des chrétientés africaines,
comme
il
existe
des
chrétientés européennes ou asiati-
ques.
Et
toutes participen~ à des degrés divers selon
les peuples,
à ce
que
comporte d'unique
le
christianisme.
De même,
il
existe
un
islam noir,
comme
i l
existe
un
islam blanc.
Et
à
l'intérieur de
chacun d'eux,
les
croyants participent,
à
des
degrés
divers,
selon
les
peuples,
~ l'unité coranique.
L'élan vers
l'unité
spi-
rituelle
de
l'homme
a
modifié
bien des
cultures
s~ns
pour autant
en ab o Li r- La v.ru l t Lp Li c l t é •
Il
importe
de
reconnaître
que
l'uniformisation partielle
jes genres
de
vie
résult~nt de la pantechnologie moderne ne doit,
ni
ne
peut
en profondeur,
abolir
la pluralité
des cult~­
res.
Certains économistes ont
fallacieusement
réduit
l'homme
à ce
que
l'on a
appelé
l'homo
oeconomicus.
Le
XXè siècle
finissant
serait
incompréhensible
s ' i l pré-
tendait
uniformiser
l'homme
en engendrant
partout
le
même homo
technicus.
Il
apparaît
ici
que
l'uniformisa-
tion des
ger~2s de
vie et
l'universalisation spirituelle
peuvent être
contradictoires,
en
tant
que
la seconde
reconnaît
l'unité
foncière
de
l'homme
sans détruire
sa
pluralité vivante,
c'est-à-dire
:la
p1UIî'rtl,1-t-~; -de. ses
cultures,
et en tant
que
la première, en détériorant
les cultures! r t aq ue
d'unifier une
humanité
déshumanisée
par l'uniformisation.
Beaucoup ont pensé
jusque-là que

247
les Africains étaient définitivement
enfermés dans un
dilemme
ou
reproduire
l'ancestralité
qu'on pourrait
situer à peu près au
XIXê
siêcle
et
au début
du
XX~
siècie,
ou alors
recopier purement
et
simplement
le
XXè siècle moderne
étranger
sans pouvoir ~tre vraiment
africain.
Eu égard aux
idées dévelpppées
antérieurement,
il
nous est
autorisé
d'avancer que
ce
dilemme
a
été
déjà vidé
de
son contenu.
Certes,
la nouvelle
culture
africaine
dont
nous parlons présente
une
physionomie
en-
core
imprécise
et peut-être méconnaissable.
Mais
i l
ne
faut
pas perdre
de vue
qu'elle
a
son cachet propre
elle n'est ni
asiatique,
ni
orientale,
ni
occidentale.
Et
le
fait
n'en demeure
pas moins certain
cette nou-
velle
culture négro-africaine
n'est
plus celle
du pas-
sé.
Elle est.
Et
elle
est par cela même
que
les négro-
africains
sont
dans
leur contemporanité.
Même
si
les
négro-africains
adoptaient non
seulement
les
techniques
issues dè
l'Europe
occidentale,
mais encore
les moeurs
et
les manières de
penser européennes,
i l
n'est pas
sOr
qu'ils
aboutiraient
à des équilibres sociaux valables
et
appropriés
à
leurs personnalités et
à
leur être.
Chaque
culture comporte
des
aspects,
pour ainsi
dire,
fermés
sur leur propre
p8rticularité,
et
d'autres as-
pects,
ouverts
sur l'universel.
Il
appartient
à chaque
peuple
d'adapter les premiers et
de
développer les
se-
conds pour que
le
développement
soit
en même
temps un
vrai
développement
culturel
et
spirituel.
Sans dout~
faut-il
dire
que
quelque chose
des
cultures ancestrales
et mythiques africaines est
en
train de mourir sous la
poussée
interne
d'énergies nouvelles et
sous
la pression
des novations
techniques, ainsi
que nous avons eu
à
le
dire
avec
insistance
déjà.
Mais cela est vrai
aussi
des
1
autres cultures de
par le
monde
entier.
Il
est
três pro-i
bable
que
ce
processus
suscite,
comme
nous
l'avons dit,
une nouvelle
culture
négro-africaine plus ouverte
sur
l'universel
que
l'ancestralité,
mais particulière~ néan-
moins
dans
son contenu et
dans
son expression.
Si,
com-
me nous
le pensons,
la nouvelle
culture négra-africaine
. _ - - - - - - _
....
... .....-..... "- -_....-,-.- ..

248
est une
totalité vivante,
elle doit
être traitée désor-
mais comme
telle.
Les Africains conscients de c~tte
réalité ont,
par conséquent,
mission de favoriser son
développement
interne
et
son acheminement vers des
équilibres nouveaux
qui
permettent
aux négro-africains
d'accéder réellement au monde moderne
technico-économi-
que
sans pour autant
renier
leur personnalité collec-
tive.
La littérature
africaine
telle
qu'elle apparaît
aujourd'hui,
et
selon les thèmes qu'elle développe,
peut-elle s'arroger le droit d'assumer cette mission?
5 -
CULTURE ET LITTERATURE
NEGRO-AFRICAINE
==========::::==
On se
souviendra,
et nous avions déjà noté
ceci dans l'introduction de
la présente
recherche,
que
toute
la littérature
consacrée
à la négritude était
très attachée
à l'entreprise de réhabilitation des civi-
lisations noires dont Aimé CESAIRE et Léopold Sédar
SENGHOR furent
les pionniers.
Remarquons que
cette lii~
térature a
été
illustrée 9ar de nombreuses oeuvres
poétiques,
romanesques et dramatiques de
grande
qualité.
Toutefois,
les conditions qui
ont présidé
à
l'émergence de
cette
littérature nègre
ont bien changé.
Et aujourd'hui,
vingt ans après
l'indépendance,
la nou-
velle
génération des
écrivains africains affronte une
société dans laquelle les problèmes économiques,
poli-
tiques et so'ciaux se posent
souvent
en termes radica-
lement différents.
Il
en résulte une
littérature dif-
férente,
aussi
bien par les
thèmes qu'elle aborde
que
par les circonstances dans
lesquelles elle
est écrite,
éditée et diffusée.
Au moment
où triomphait l'idée de
négritude,
dans les années cinquante,
la littérature
africaine d'expression française
était en effet desti-

249
née
en priorité
à un public européen, auquel elle se
proposait d'apporter
la preuve
de
la richesse
et
de
la
diversité
des civilisations noires.
"Nous étions alors
plongés,
remarque
Léopold Sédar
SENGHOR lors d'une
allo-
cution prononcée
à Madrid en 1978,
dans une
sorte
de
désespoir panique.
L'horizon était bouché.
Nulle
réfor-
me en perspective
et
les colonisateurs légitimaient
notre
dépendance
politique
et
économique par la théorie
de
la "table
rase".
Nous n'avions,
estimaient-ils,
rien
inventé,
rien créé,
ni
sculpté,
ni
p e i n t,
ni
chanté . . . ',1
Afin de
relever le
scandaleux défi
de
l'Occident,
les
poètes et
les artistes nègres ont
donc
opposé
au mépris
européen
l'image
bucolique
et parfois un peu
idéalisée
des
sociétés négro-africaines fondées
sur l'ordre my-
thique.
En réaction contre
la politique
d'assimilation
culturelle pratiquée
par la métropole,
la protestation
anti-colonialiste
des écrivains
s'est ainsi
trouvée
associée
à une exaltation du passé et du retour aux
sources sans doute
salutaire,
mais
qui
risquait
à
la
longue
de
fausser
l'image
de
l'Afrique.
C'est en réac-
tion contre
cette
vision trop
simpliste
d'une Afrique
uniforme
et
identique
du Nord au
Sud et
de
l'Est
à
l'Ouest
que
se
sont
insurgés un certain nombre
d'intGl-
lectuels parmi
lesquels
J,~
grand essayiste
Frantz FANON
qui
écrivait
"11
n'est
pas
inopportun,
pensons-nous,
de
rappeler qu'il
ne
8~urait exister de
culture
authen-
tique
que
nationale.
La culture
est d'abord expression
d'une
nation,
ses préférences,
ses
interdits,
ses va-
leurs,
ses modèles . . .
La condition d'existence
de
la
culture est
la libération nationale.
La renaissance
de
l'Etat.
La nation n'est
pas seulement
une
condition
de
la culture,
de
son effervescence,
de
son renouvelle-
ment
continué,
de
son approfondissement.
Elle
en est
une
exigence.
C'est
d'abord
le
combat pour l'existence
nationale
qui
débloque
la culture,
lui
ouvre
les portes
de
la création . . .
Si
l'homme est ce qu'il fait,
alors
nous dirons
que
la chose
la plus urgente
pour l'int81-
1-

250
lectuel
est
la construction de
sa nation."
(1)
Comme
le
Docteur F.
FANON,
la plupart
des
intellectuels afri-
cains
ont
donc
mis
l'accent
sur
le
lien qui
unit
l'hom-
me
de
culture
à
sa nation,
sur
le
lien de
causalité
réciproque
qui
relie
la culture
à la nation.
Mais
sans
qu'on puisse
évidemm~nt établir une
relation mécanique
de
cause
à
effet
entre
politique
~t
littérature,
les bouleversements
des vingt
dernières
années ont
profondément
affecté
l'évolution du mouve-
ment
littéraire
contemporain,
et
i l s en expliquent
les
grandes orientations.
Tandis
que
le
conflit
des
cultures
et

recherche
de
l'identité
constituaient
encore
i l
y
a
quelques années
les
thèmes privilégiés des
roman-
ciers,
i l
semble
qu'aujourd'hui
toute
leur attention
soit monopolisée
par l'évocation
d'une
société
en pleine
mutation.
Msnifestement,
les
indépendances
ont
déçu
Le s.
intellectuels et
c'est
sans
doute
la raison
pour
laquelle
les oeuvres
importantes
de
ces dernières &n-
nées,
particulièrement
dans
le
domaine
romanesque,
dres-
sent un
tableau de
f a i l l i t e .
La violence
et
l'oppression
exercées par
le
pouvoir,
tout
comme
l'exploitation
éhontée
des pauvres
et
des
plus démunis par une
poignée
de
parvenus
sans
scrupules,
sont
en
effet
des
termes
qui
conviennent
aussi
bien pour
décLire
le
roman
d'AHMADOU KOUROUMA,
les
.;oleils des
Indépendances (1970),
celui
d'ALIOUM FANTOURE,
le
Cercle
des
Tropiques
(19~2),
que
Xala
(1973)
de
SEMBENE OUSMANE ou Perpétue
(1972)
de
MON GO BETI,
pour nous
en
tenir
à ces quèlques exem-
ples
seulement.
Toutefois,
cette
expression du
désen-
chantement
voisine
encore
avec
l'évocation de
l'univBl's
traditionnel
qui,
visiblement,
fascine
bon nombre
d'écrivains
contemporains.
Sans doute,
faut-il
voir

le
reflet
de
préoccupations
toujours
actuelles dans
une
société

les croyances mythiques et
les comporte-
(1)
FANON F.-
"Racisme
et
Culture",
exposé
présenté
au
premier Congrès
des
Ecrivains et Artistes
Noirs
à Paris,
en septembre
1956.

l '
251
ments magiques
sont
loin d'avoir entièrement
disparu.
C'est
ainsi
que
le M~lien SEYDOU BADIAN qui,
avec
Sous
l'Orage
(1963)
abordait
déjà le
conflit entre
tradi-
tion et modernisme,
est
récemment
revenu
sur ce
thème
dans deux romans,
Le
Sang des
Masques
(1976)
et Noces
sacrées
(1977),
ou i l
s'attache
à revaloriser des atti-
tudes et
des modes
de
pensée
hérités
du passé.
Mais
l'univers décrit
par SEYDOU BADIAN n'a
r~en à voir avec
le
mythe
du bon sauvage,
car le miel
et
le
cailsédrat,
symboles
du bonheur et
du malheur de
la vie
s'y cô-
toient
dans
les mêmes
proportions qu'ailleurs.
La
seule
différence
est
qu'ici
les hommes
ont
su
garder
intacte
la croyance
mythique
qui
leur permet
d'exor-
ciser,
le moment venu,
les
démons
de
la démesure
techni-
que
et
de
restaurer dans
l'union
sacr~e l'équilibre
menacé
du
clan.
Il
n'~n va malheureusement pas de même
rtans
la ville,
contrepoint
de
la brousse
00
les
p8rson-
nages
de
SEYDOU BADIAN, en particulier NANDI
l'héroine
du
Sang des Masques,
découvrent
avec
stupéfaction un
monde
dans
lequel
le
mensonge,
la tricherie
et
la cor-
ruption
semblent
avoir définitivement
supplanté
les
vertus
traditionnelles.
Dans cette
oeuvre,
hommes et
femmes
se
distribuent
en petites
catégories
que
motive
essentiellement
l ' a t t r a i t de
l'argent.
Car,
dans
un
monde
00 l'ostentation est
reine,
c'est pour de
l'argent
que
les
fonctionnaires
usurpent
leur pouvDir et
que
les
femmes
se
prostituer~, tandis que d'habiles com-
merçants
s'arrangent
pour
tirer parti
des uns
et
des
autres.
Mais on
remarque
également
que
dans un
récit
aussi
satirique
et
critique
que
Les
Soleils des
Indé-
pendances,
KOUROUMA accorde
une
large
place
à
tous
les
tenants des
pouvoirs
occultes,
marabouts,
féticheurs
et
sorciers dont
l'influence
sur
la société
contempo-
raine,
même
urbanisée,
paraît
considérable
et
qui,
en
dernière
analyse,
co~stituent peut-être le
ressort
principal
de
l'action.
Cette
fascination
à l'égard d~
l'univers
traditionnel
u.'est
cependant pas
réservée

252
aux écrivains chevronnés.
Dans un ouvrage
récent
(1),

à la plume d'un
jeune
auteur Ivoirien,
AMADOU KONE,
le
lecteur est
invité
à
renouer avec
une
image
de
l'Afri-
que mystérieuse
dont
on pouvait penser qu'elle
apparte-
nait
à un passé
révolu.
Il
faudrait
aussi
noter que
la veinA
auto-
biographique
qui
a nourri
bon nombre
des premiers
ro-
mans africains,
tels L'Enfant
Noir de
CAMARA LAYE ou
Climbié
de
aernard DADIE,
n'est nullement
tarie
et
qu'elle
continue
à
inspirer des
oeuvres nouvelles.
Sans
doute,
ce phénomène n'est-il
pas entièrement
étranger
à la mode des "histoires de vie"
qui
fleurit
actuel.le-
ment en Europe
et
qui
se
traduit
par une
abondante pro-
duction de
littérature dite
"au magnétophone",
dans
la
mesure
00 elle
recueille
à
la source
et
à
l ' é t a t brut,
les confidences de
gens
simples que
rien ne
prédispo-
sait
à écrire
instituteurs
à la retraite,
prostituées
repenties,
politiciens au
rancart
. . .
Mais Ln dé p e n d arr.»
ment
d'éventuelles influences
occidentales,
on peut
estimer que
le public
africain prend plaisir à
la lectu-
re
d'oeuvres
sans fioritures,
écrites par des
hommes
qui
éprouvent
le besoin de
témoigner de
leurs expérien-
ces comme
le
fait
par exemple
SEYDOU TRAORE dans Vingt
Cinq Ans
d'Escalier ou La Vie
d'un Planton
(1975).
Enfin,
on peut observer chez
un certain nombre
d'écrivains
con tempo rai ns une
ne t te
-,,~ndance à ac corde r
plus d' im-
portance
â l'individu qu'au groupe
auquel
i l
appartient.
Cette
tendance vaut
la peine
d'être
remarquée,
Particu-
lièrement dans une
société

les structures communau-
taires demeurent encore
très fortes,
en dépit
du pro-
grès
technique et
de
l'évolution des moeurs,
et
où la
coutume
restreint
l'initiative
individuelle
quand elle
ne
la proscrit pas.
On doit
d'ailleurs
reconna!trG
que
les
individus
réfractaires
à la norme
sociale appartien-
nent
le plus
souvent
à
la classe
des
Hévolués", que
(1)
Il
s'agit
de
jusqu'au Seuil
de
l'Irréel'(1976).
,'.,

253
leurs études et parfois
leurs
séjours
à l'étranger
prédisposent
à ce
genre
de
conduite.
Ce
qui
est
toute-
fois
nouveau,
c'est
que
certains
romanciers,
comme
MUDIMBE dans Emtre
les Eaux
(1973),
o~ent mettre en
scène
de
tels personnages dans
des oeuvres
00 l'étude
psychologique
du héros
(1)
l'emporte
de
tr~s loir. sur
la peinture
du milieu
social.
Consciemment
ou non,
les
écrivains appartenant
à
la nouvelle
génération enten-
dent
en effet
échapper au déterminisme
qui
pesait
sur
12urs aînés,
condamnés
soit au
roman
social,
soit
au
reportage
ethnographique,
et
ils
estiment
avoir acquis
le
droit
à
la plus
totale
liberté
d'expression.
N'est-
ce
pas
là le
sens de
la boutade
du
poète Congolais
Gérald
TCHICAYA li TAM'SI,
refusant
d'être
"l'homme-
sandwich de
la négritude".
Au
fond,
il
nous
semble
que
les vrais problè-
mes
ae
situent
à un autre niveau et
qu'à l'heure
actuel-
le,
un double
projet
devnait
animer
les
intellectuels
africains
d'une
part
le besoin d'adapter leur théma-
tique,
d'autre
part
le
souci
majeur d'une
interrogati0n
qui
porte
s u r- la nouvell e
cul ture
né gro-afri c a i ne.
A
lire
bon nombre
de
penseurs et
auteurs contemporains,
on sB
rend compte
que
l'espace mental
africain est
devenu plus que
problématique.
De
ce
fait,
l'écriture
devrait
désormais prendre
en compte
un double
désir
d'universalisation et
d';nracinement
dans
un
socle
aux
contours ·à délimiter.
Or les écrivains négro-africains
ont déjà pris
un faux
départ
et
sont
en
train de
man-
quer
à leur mission de bâtisseurs de culture.
C'est
pourquoi
nous nous en référons
à un esprit philosophi-
que pour l'accomplissement
de
cette mission,
esprit
qui
se
résume
en une
attitude de
discernemen~ et non de pas-
sivit~ qui va de pair avec
la connaissance
et
la rc~
connaissance
de
soi.
Car afin
que
l'Afrique
puisse par-
venir
à sa complétude
à travers les nouvelles possibili-
(1)
Il
s'agit
ici
d'un pr~tre défroqué hésitant entre
Dieu et
la révolution.

--~'~'.--~--,,- -----
tés
technologiques,
i l
lui
faut
un socle
où accrocher
~ustement ses nouvelles capacités.
Ce
socle n'est pas
autre
chose
que
la pensée
africaine
démythisée
dont
cette présente
étude
entendait
établir certaines de
ses prémisses.
Et
si
celles-ci
ont
retenu
l'attention
du
lecteur,
alors nous
qui
voulons consacrer
le maxi-
mum de
notre
temps
à la réflexion philosophique,
avons
en,c ore
une
immense
tâche
à ac c ompl i r
qu i
o c c up e ra tou t e
notre existence.

255
CONCLUSION
GENERALE
Au terme
de
ce
travail
dont
les
résultats
ont été volontairement
simplifiés au point d'être
même
simplistes pour des
spécialistes de
la question afric~i­
ne,
nous
devons
sans
doute
constater humblement
que,
lorsque
nous nous exprimons sur le monde
négro-africain
et
sur les Africains eux-mêmes en cette
fin
du XXè siè-
cle,
nous
le
faisons
comme des béotiens de
l'âge
des
cavernes ou
l'âge
mythique,
qui
prennent ,leurs impres-
sions pour des
réalités et
leurs
interprétations sub-
jectives pour des expériences concluantes dans un~i­
vers qu'ils
croient
conna!tre.
Nous avons eu l'occasion
de
montrer néanmoins
qu'en
l'absence d'une
science méthodique,
le mythe afri-
cain
~ontenait sous son camouflage allégorique,
selon
le mot de
B.
HOLAS,
l'essentiel
des connaissances empi-
riques relatives à la nature
ambiante,
à l'homme et
à
l'univers tout entier.
L'optique employée dans
les
mythes africains en général procède
du concret
au méta-
physique.
Nous n~us sommes rendu compte qu'à caUS8 de
leur incroyable
richesse
th~matique: les mythologies
africaines constituent un champ
de
recherche difficile
et vaste.
Quoi
qu'il
en soit,
le
contenu même
des mythes
souffre
sous la charge de métaphores qui
font
d'eux
souvent plus une
belle
oeuvre
littéraire qu'un
système
véritablement philosophique.
Si
lion remonte
à
leur forme originelle
comme
nous l'avons
fait,
on remarquera que
de
toute manière,
un des principaux fondements
des mythes a
consisté en
ce
qu'ils ont
cherché
à accorder l'humanit6 négro-afri-
caine avec
les
rythmes du cosmos.
Ils l'ont
eff~ctive-

-~·--·T--
!
ment
fait
en enseignant
à cette humanité-là les modes
d'utilisation des
forces
que
le cosmos produit,
en
lui
ouvrant
les portes du
sacré
et
en lui
imposant
un éter-
nel
mouvement
cyclique
selon une
chronologie
qui
ne
relève pas de
ce monde.
Les mythes africains n'accom-
pliraient
qu'incomplètement
leur oeuvre
qui
est d'éta-
blir les assises
de
la connaissance de
soi
et
des
rap-
ports avec
les autres, s ' i l s ne préparaient pas
l'esprit
aux
transformations exigées par les mutilations
sexuel-
les.
Ces mythes nous o~t appris que pour s'accomplir
totalement,
l'homme est
tenu de
passer par une
transi-
tion initiatique.
Il
ne
suffit
pas d'être
soi-même.
On ne peut
devenir un être
humain complet,
riche
de
toutes ses possibilités
que
si,
tout
en étant
soi-
même,
on est
capable
et
heureux d'être
soi-même
avec
un autre
être.
C'est
l'enseignement
que nous
ont
donn6
les mythes
de
la sexualité africaine
en tant
que
caté-
gorie
de
base
de
la connaissance de
soi.
Pour atteindre
cet
état de
connaissance de
soi,
il
faut
en effet met-
tre
en
jeu les couches
les plus profondes de
notre per-
sonnalité.
Comme
toute
transformation qui
touche notre
être le plus
intime,
la sexualité offre des dangers
qu'il
faut
affronter, ct ~résente des problèmes psycho-
logiques qu'il
faut
rés(~dre. Les mythes africains
disent
qu'il
vient un m6ment
00 nous devons apprendre
ce
que nous ne
connaissions pas
jusque-là,
autrement
dit un moment
où nous
devons
cesser de
refouler notre
sexualité. En somme,
les mythes africains créaient une
atmosphère
sans
laquelle
la vie
aurait
été
impensable,
tout
comme
si
le monde
d'aujourd'hui
se
trouvait
sou-
dain privé de
bibliothèques 0t
de
tous
les livres de
science
et de savoir amassés par l'humanité
au
cours
des âges.
D'autant
que
ces
mythes étaient
généralement
la pr~rogative des grands-parents,
passés martres dans
l ' a r t de
dire
et
d'imaginer,
et qui
possédaient
à la
fois
la connaissance
et
l'habileté de
faire
ressortir
l'éthique
en des
termes
resplendissants.
Est-ce peut-·
être en ce
sens qu'il
fallait
comprendre l'affirmation

dlAIvlADOU HAMPATE BA selon laquelle
"un vieill.ard qui
meurt
est une
bibliothèque
qui
brClle"
?
Enfin,
nous
sentons
confusément
par-là qu'en
fait,
ce
n'est
pas
le vieillard africain
qui
meurt.
Ce
sont
les mythes eux-mêmes
qui
meurent
parce
que
leur
cadre
et
leur contenu,
devenus
insuffisants et
incom~
préhensibles,
ne
peuvent
ni
contenir ni
concerner notre
monde
contemporain.
Les penseurs et moralistes africains
ont donc
à repenser ce qui
était
communément admis
ût
proposé
jusqu'alors.
Ceci
dépasse
de
loin un
simple
problème
de
vocabulaire,
car c'est
une
nouvelle
exigen-
ce
dans
la connaissance
du
réel,
de
la matière
et
de
l'homme
que
le monde moderne nous propose.
Ainsi,
les
négra-africains
se
trouvent
face
à
de
nouveaux mythes.
Parmi
les mythes contemporains,
i l
y
a
la technologie
et
la science qui
créent,
de
façon excessive des besoins
d'ordre
t.e c n no
c o nom i c u e •.
La technologie
et
la s c i e r.c e
c
é
se
présentent
en effet
comme
l'espérance
utopique
des
désespérés que
les Africains
sont actuellement.
Espé-
rance
parce
que
la majorité
des Africains
contemporains
imagine
que
c'est par les
sciences et
les
techniques,
et
non plus par les mythE;
an o i e n s
que
pourront
se
rés 0 U d r e
t 0 u s
Le s
pro b l è rn e s
duc 0 n tir. e n t
no i r u t 0 p i -
que parce
que
la majorité des Pfricains,
même
techni-
quement qualifiés n'y
comprond
pas
grand'chose,
et
ne
ma î t r .il 'S G
P a c
e n cor e
rat ion ne 11 e rn en t
1 a. s i tua t ion
actuelle.
En proposant un certain nombre
d'hypothèses
à la suite de notre recherche,
nous
avions pour but
de
démythiser les mythes
africaine.
Et
nous
avions
l'inten-
tion de
récupérer
l'utopie
techno-scientifique
pour la
réintégrer dans
la sphère de
l'humain africain,
afin
que
la science
et
la technique,
en tant
que
nouveaux
mythes,
soient
à
son
service
au
lieu d'être
le
lieu
de
son aliénation.
Et
quanu
les
sociétés africaines
s'apercevront
que
le
mieux-être
et
le mieux-vivre ne
naissent pas du
reçu,
mais
de
ce
qu'elles décideront
et
feront
elles-mêmes,
aLors
seulement
le
contenu de

258
ces nouveaux mythes paurra servir le
prejet
de vie
collective
des
groupes négro-africains.
On
remarquera que
quand
les Africains commen-
cèrent
à intéresser les autres peuples du monde conte~­
porain d'Europe,
d'Asie
et
d'ailleurs,
ce
fut
en vertu
d'une
culture
qu'ils ne
possèdent plus, qu'ils
ont même
secouée
avec
un zèle
aveugle
comme
si
c'eut
été une
maladie
dangereuse.
Et pourtant
ils ne
surent
l'échan-
ger que
contre
le
délire
d'autres cultures.
Par
là,
ils
ont véritablement abouti
à Lr. t ê r-e s s e r- les autres peuples.
A l'époque
contemporaine,
l'homme
africain
est plus en danger que
lors même
de
l'écroulement
et
du
tourbillon chaotique
évoqués par les mythes africains
les plus anciens.
De
nouveaux mythes ont
fait
leur appa-
rition avec
s I n o n
les mêmes
dangers,
du moins
les même"
angoisses.
Qui
donc,
devant
ces
dangers
de
notre
temps,
se
fera
gardien et
chevalier,
se vouera au
service
de
l'humain,
trésor toujours sacré et
intouchable
qu'ont
lentement accumulé
et
façonné
les
générations mythiques?
Qui
donc
dressera
l'image
de
l'homme
africain,
alors que
chaque
africai~ Se .sent 11 .-mfffi~ tellement éloigné de
cette
image,
qu'il
tombe
a u jo u r-d t h u i
dans
le rué c an i am e
rigide
du modernisme
? Or,
i l
est
impossible
à présent
de
réduire
à
néant
notre
contemporanitépar un
saut
en
arrière.
Nous
en
resterons
donc au concept
d'africanité
auquel
les meilleurs
d'entre
nos
penseurs ont
attaché
tant de
dignes
idées ,chacun en sa Lan gu.e,•. Ainsi,
l ' afri-
canité
sera le
caractère
de
notre
nouvelle
culture
afri-
caine.
Mais
il
faut
noter que
ce
caractère n'est pas
inné
en nous,
car nous
devons
à chaque
époque
l'acqué-
r i r et
l'améliorer par un effort
de
reconstitution de
nouveaux mythes
à la masure de notre monde.
L'africanité
est donc
le
trésor et
le
fruit
de
tous
les négro-afri-~
cains.
C'est
pour ainsi
dire
l ' a r t de
notre
espèce

259
négro-africaine.
Et nous former à cette nouvelle dimen-
sion de
l'humanité africaine est une oeuvre dont
il
faut prendre conscience et
qu'il faut
poursuivre
inlas-
sablement.
Et
ce
faisant,
la pensée africaine mettra
en oeuvre un certain rapport au monde et
à soi-même.
Mais la face éclairée de
l'être humain africain ne
représente
jamais qu'une partie de
l'êt~e humain afri-
cain.
Par les recherches et
l'analyse philosophiques
que nous avons pu mener,
nous avons découvert que
la
culture africaine,
telle que nous l'avons définie,
dévoile certaines possibilités du négra-africain.
Et
l'importance exclusive qu'elle
leur reconnait
suscite
un déséquilibre entre les satisfactions et les insa-
tisfactions actuelles.
Nous nous trouvons par consé-
quent devant une perpétuelle
remise
en question qui
entraîne
la promotion de certaines valeurs af~icaines
au détriment de
certaines autres,
momentan6ment dis-
créditées.
L'espace mythique africain que
nOUG avons
prospecté et
interrogé s8mble être
l~ lieu d'un retour
éternel des exigences et des motivations, qui permet au
génie hum~in négro-africain de rechercher indéfiniment
sa propre
identité,
mais
~ travers l'incessant. renou-
vellement des formes mythiques.

, "
.,' ,l.~ 'f.
'.;'~.',
B l
B LlO G R A PHI E
§
§
§
§

261
OUVRAGES
RELATIFS
AU SUJET DE LA
RECHERCiŒ
ET A L'AFRIQUE
NOIRE
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