UNIVERSITE DE PARIS XII
CENTRE D'ETUDES ET DE RECHERCHES
SUR LES CIVILISATIONS ET LITTERATURES
D'EXPRESSION FRANCAISE
IMAGES DE L'AFRIQUE
SAMORY ET L'EMPIRE DU OUASSOULOU
VUS PAR LA PRESSE FRANCAISE 1882-1898
THESE POUR LE DOCTORAT DE 3eme CYCLE
PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT PAR
GBALE Oapleu Lazare
aRECTEURS DE RECHERCHES
M. JOUANNY
M. J.CHE VRIER
JUIN -1985

- 3 -
L7 N T R 0 DUC T ION
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L'étude de l'image de l'Afrique dans la littérature
depuis les premiers contacts des Européens avec ce continent
,
A
suscite de nos jours un intéret certain. De nombreux chercheurs
se sont attachés à élucider tel ou tel aspect de la question.
La présente étude veut cerner l'image de Samory (1) et de
l'Empire du Ouassoulou dans la presse française entre 1880 et
Notre propos n'est pas de procéder à une analyse his-
torique des rapports entre l'Empire de l'Almanr
~:llIlory et la
France à travers la presse de ce dernier pays.
Notre problématique tient en quelques points centraux
entretenant entre eux des relations dia1ectio.'les et quj nI' .se'-'·
vent être isolés les uns des autres.
(1) On rencontre également l'orthographe
"Samori".

- 4 -
L'image d~ Samory et de l'Empire du Ouassoulou dans
la presse française des deux dernières décennies du XIX ème
siècle est négative. L'image globale de ce pays qui ressort
des journaux français~ qu'elle concerne le cadre naturel~
l'Almamy Samory ou l'ensemble des autres habitants est frappée
du sceau de la négativité.
Sur le plan thérnatique~ il existe une similitude en-
tre la littérature romanesque consacrée à l'Afrique occidentale
à la fin du siècle dernier et celle consacrée par la presse
française de la même époque à l'Almamy Samory et à son Empire.
La simiJitude n'est pas exclusivement thématique.
Elle dépasse le niveau des thèmes pour se traduire dans le
contenu.
Le thème du "nègre sauvage"~ par exemple~ se retrouve
d!ns la presse et-dans les ouvrages étudiés. Le contenu des
developpements qui lui sont consacrés se rejoignent dans les
deux cas.
L'image de Samory et de l'Empire du OUassoulou dans
la presse française des vingt dernières années du XIX ème
siècle révèle des comparaisons explicites ou implicites avec
celle de la France. L'image de la France construite à cOté
de celle de Samory et de son Empire et en ~pposition à
elle est une image positive. La presse française
tire la lÉ-
gitimation de la conquête de l'Empire du Ouassoulou de cette
opposition.

- 5 -
Mais la conquête de l'Empire du Ouassoulou par la
France est en réalité déterminée par des mObiles économiques.
Ce sont ces mobiles
qui déterminent la représentation généra-
le de ce pays. Dans cette représentation
il faut faire la
l
part du mythe et de la réalité.
- Place et rôle de Samory dans l'histoire
Un bref historique s'avère nécessaire afin de déter-
miner la place de l'Almamy Samory dans l'histoire.
Selon les historienS I les marins de Dieppe et de
Rouen déb~rquent au Sénégal pès le X]V ème siècle.
Dans l'histoire de l'expansion coloniale de la France l
ils accordent une place importante à François Ier
colignYI
l
Henri IV I Richelieu
Colbert. Ils les rangent
en effet
parmi
l
l
l
ceux qui ont le plus oeuvré à la construction de l'empire
colonial français. A la mort de Colbert en 16831 cet empire
dont fait partie le Sénégal est vaste et puissant.
Sous le gouvernement d'André Brue (1697-1723)1 la
France consolide son impJ Flntation '1t' Sénégal. Mais f> le suite
de la guerre de sept ans (1755-1762) 1 le Sénégal pas~,e
sous
contrôle anglais. Il repasse sous domination française en 1779
grâce à l'action du duc de Lauzun et de Vaudreuil pour retom-
ber sous domination anglaise en 1809 à la suite de la défaite
de Napoléon 1er.

- 6 -
En 18171 le Traité de Paris restitue à la France
le Sénégal qui ne comprend alors que peu de comptoirs. La
Méduse qui fit naufrage en 1816 acheminait dans la colonie
les moyens en hommes et en matériels nécessaires à sa mise
en valeur.
L'exploitation du Sénégal s'accélère sous le Second
Empire. En 1854
Napoléon III nomme Faidherbe gouverneur du
1
Sénégal. Le gouvernement de Faidherbe qui dure jusqu'en 1865
est décisif non seulement pour le Sénégal mais également pour
toute llAfrique occidentale. En effet
Faidherbe élabore et
l
commence. à mettre en oeuvre un plan de pénétration de l'Afri-
que .occidentale à partir des possessions françaises du Séné-
gal. Les avantages multiples d'une telle eptreprise ne font
alors aucun doute pour l'officier français. Les récits des
rares explorateurs qui ont pénétré ces régions l - Mongo Park l
Réné Caillé - 1 le confortent dans ses convictions.
Faidherbe décide de créer une voie de pénétration
jusqu'au Niger par la fondation de forts. Les rapports et les
travaux cartographiques du lieutenant de vaisseau Eugène Mage
de tenter de ral:'-ier El-Hadj-Omar à la France confirment ses
vues.
Le rappel de Faidherbe en Franc~ à la fin de l'année
1865 ne lui permet pas de mettre entièremènt son projet à
exécution.

- 7 -
Tributaires de la situation politique en France l
les activités colonisatrices de la France au Sénégal connais-
sent un ralentissement considérable en raison de la guerre de
1870 et de la Commune de Paris (18 Mars 1871 - Juin 1871).
Le 14 Juin 1876
Brière de l'Isle succède à Faidher-
1
be au poste de gouverneur général du Sénégal. En 18791 il re-
prend en main le grand projet de Faidherbe.
Dans la réalisation du plan de pénétration des terri-
toires inconnus de l'Est
les troupes françaises se heurtent en
l
1882 à Samory Ben Lakhanfia Emir-EI-Moulmenin
Empereur du Ouas-
l
soulou. L'histoire des origines de Samory n'a pas encore été défi-
n~tivement éclaircie. Dans cette partie de l'Afrique où dominait
la-tradition orale
les témoins ont depuis longtemps disparu.
l
La plupart des documents dont dispose le chercheur sont ceux pro-
duits par les Européens.
L'insuffisance d: ces sources appara!t à travers les
nornbreuses contradictions qui se font jour d'un auteur à un
autre. Péroz qui participa à différentes campagnes contre Samo-
ry ou à des missions auprès de lui affirme que l'Almamy est le
à une Camara du nom de Sokhona" et qU'il est !lé à Sanankoro (1).
C'est par contre Bissandougou que Binger désigne comme lieu de
naissance de Samory l
"d'un Mandé-Dioula et d'une Malinké 1
pauvres gens vivant du commerce peu lucratif du kola. 1I
(1) Péroz
Etienne
Au Soudan français
Paris
Calmann -
l
l
l
l
Lévy 1 1889.

- 8 -
Si Delafosse affirme qu'il est né à Sanankoro~ il indique~
pour sa part~ que "son père était un Manding du Konyan (1)."
Selon Yves Person qui prétend mettre de l'ordre dans ce chaos~
Samory est né à Manya:nbaladugu~ village de ses ancêtres~ "aux
approches de 1830"~ de Laafia Turé et d'une Kamara nommée
Masorona Kamara. Son père "avait abandonné la vie aventureuse
du colporteur pour s'enfermer paisiblement dans son village
natal et se livrer aux cultes pa!ens du terroir (2)."
Il existe plusieurs légendes sur l'origine de la
puissance de Samory. De toutes celles rapportées par différents
auteurs sur cet épisode de la vie de l'Almamy~ une seule sem-
ble cependant s'imposer. Nous en livrons l'essentiel.
Un jour que le commerce l'a éloigné de son village~
les guerriers de Séré-Bréma (3) détruisent son village natal et
enlèvent sa mère. Person indique que la capture de Masorona se
situe "vraissemblablement au dé·)ut de 1853."
( 1 ) Delafosse~ Haut - Sénégal. T.II P. 343.
(2 ) Person~ Yves~ §aJ11:.~TJ:..J._~ne rév_~luti.9D._9yul_s!:~
N!mes~ Imprimerie Barnier~ 1969. Tl.
P. 245
(3) La plupart des historiens écrivent "Sori Ibrahim" ou "Sori
Ibrahima". Ce nom se rencontre dans la presse française
sous ces formes. Selon Yves Person dont nous avons utilisé
la transcription~ Séré-Bréma était le premier ministre de
Séré-Burlay.

- 9 -
Quand Samory apprend la nouvelle 1
i l
décide de se
mettre au service du souverain qui a réduit sa mère en escla-
vage pour racheter sa liberté.
La légende affirme que Samory- reste sept ans
sept
l
mois et sept jours au service du geôlier de sa mère à Madina.
A la mort de Séré - BurlaYI son frère Séré-Bréma
qui lui succède entreprend de liquider physiquement le guer-
rier puissant et fort populaire qu'est devenu Samory. Mais ce
dernier
mis au courant du complot qui se tra~e dans l'ombre
l
contre lui
s'enfuit avec sa mère dont il avait largement ra-
l
.
cheté la liberté. Elle meurt quelque temps plus tard et est
enterrée à Dumbadu (1). c'est ainsi que commence l'épopée de
Samory qui aboutit à la création d'un vaste et puissant Empire
s'étendant sur les deux rives du Niger.-
Samory est l'adversaire le plu~ redoutable que la
France a eu à combat cre pour établir scm ;'''-8émonie au Soudan.
A partir de 1882 jusqu'à sa capture le 29 Septembre 1898
une
1
lutte pleine de revers et de rebondissements oppose la France
à l'Almamy Samory. Nous nous contentons ici d'indiquer les
principaux épisodes de cette guerre qui dure près de deux
décénnies.
En février 1882
le~
1
à Kéniéra
sOfas de Samory af-
l
frontent les troupes coloniales françaises qui sont sous les
ordres du colonel Borgnis-Desbordes.
(1) Pers on affirme que la tombe de Masorona existe toujours
dans cette localité qui se trouve en Guinée.

-
10 -
En 1883~ les deux armées ennemies se battent sous
les murs naissants du fort de Bamako.
Selon Yves Person~ il n'y a pas moins de vingt sept
engagements en 1885 entre les sofas de Samory et les détache-
ments français qui sont~ à cette époque~ sous la direction du
colonel Combes.
En 1886~ le colonel Frey~ nouveau Commandant supé-
rieur du Haut-Fleuve~ se heurte à Samory au nord-ouest de
Niagassola. Cette même année~ des négociations de paix s'enga-
gent entre le colonel Frey et l'Almamy Samory. Une ambassade
= commandéé par le capitaine Tournier est envoyée.à l'Empereur.
~ Les "négociations aboutissent à là conclusion du traité de Kénié-
~ba-Koura le 28 Mars 1886. La mission repart avec le Prince
_ Karamoko que son père accepte d'envoyer en visite officielle en
France.
Mais le traité de Kéniéba-Koura ne répond pas aux
: objectifs de la France car ~ écri t Péroz~ il "confirmait en
-quelque sorte les droits du chef noir sur le Bouré et le
Manding. Accepter pareil traité~ c'était nous fermer à jamais
la librenaviga'ci.j'" du flE:uve supérieur ~ et étouffer à sa
naissance même la prospérité future de nos établissements de
Niagassola et de Bamakou (1)."
(1)
Péroz~ Etienne. Au Soudan français~ Paris~ Calmann
Lévy
Editeur~ 1889. P.9

-
11 -
Gallièni affirme l quant à lui l que le traité que
Samory "avait consenti laissait planer une fâcheuse équivo-
que (1)."
Toutes les dispositions avaient cependant été prises
par les militaires français pour que les négociations l "ouver-
tes sous la menace d'une forte colonne massée tout entière à
quelques lieues de sa frontière l et qui d'un moment à l'autre
pouvait envahir (2)" l'Empire de SamorYI aboutissent à un
traité favorable à la France.
Le ministre de la marine l au nom du gouvernement
français,'déeide donc d'envoyer une nouvelle mission auprès de
l'Almamy pour tenter d'obtenir un traité encOre plus avanta-
geux pour la France. L'objectif de cette mission est "d'arra-
cher par la persuasion à l'Almamy Samory ses plus belles pro-
vinces (3)"1 celles de la rive gauche du Niger l sans condition
et de placer son Empire sous le protectorat de la France.
La nouvelle mission évite soigneusement d'arriver à
Bissandougou en même temps que le Prince Karamoko qui n'a pas
encore regagné la capitale de l'Empire après son séjour en
France carl écrit Féroz l "l'impression profonde qu 1 e.vaieut
rapportée de leur voyage en France les envoyés de l'Almamy se
serait mal traduite et n'aurait pas eu le temps de se graver
dans son esprit (4)." Les pourparlers entre Samory et les re-
présentants de la France se terminent par la signature de la con-
vention de Bissandougou le 28 Mars 1887.
(1) Le Tour du Monde l 23 Novembre 1889
~2) Pérozl E•• op. cit. P. 14
3) Péroz l E•• op. cit. P. 15
4) Péroz l E•• op. cit. P. 86

-
12 -
La convention de Bissandougou est renouvelée par
Archinard le 27 Février 1889 par un nouveau traité.
En 1891~ Archinard décide d'engager une action vigou-
reuse contre Samory.-A partir de cette année jusqu'en 1893~ de
multiples affrontements se produisent entre les sofas de Samory
et les colonnes françaises dirigées successivement par Archinard~
Humbert et Combes.
En 1894~ l'Almamy menace Kong. Le gouverne~ent fr~~çais
décide d'envoyer une expédition contre lui. Mais celle-ci se
termine par un désastre et le rappel du colonel Monteil qui la
comm_ande le 14 Mars ~895. Grièvement blessé à la ja~be gauche~
l'officier est rapatrié. Le ministère des Colonies avait~ au
départ ~ démenti la défaite de la colonne ~ affirm~~t que "la
colonne Monteil n'a ja~ais été en dar-ger et qu'elle n'a pas eu~
par conséquent~ à être sauvée (1)."
La défaite infligée: à la colonne Monteil par les guerriers de
Samory provoque une vive polémique en France. Elle donne lieu
à des débats houleux à la Ch~~bre des députés en Mars et en
"La vérité~ c'est qu'on a mis fin à ma missicn par suite d'une
odieuse conspiration (sic). Me voici en France~ nous verrons
bien qui aura raison~ de mes adversaires ou de moi (2)."
(1)
Le Temps~ 4 Avril 1895
(2)
Le Temps~ 19 Mai 1895

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L'Almamy Samory est surpris le 29 Septembre 1898
dans son campement près de Guélémou. Il tente de s'enfuir
mais il ne peut s'échapper eu égard à la supériorité numéri-
que de ses assaillants. Il est fait prisonnier et déporté au
Gabon sur l'!le de N'Djolé où il meurt le 2 Juin 1900. La cap-
ture de Samory met fin à l'Empire du Ouassoulou et à sa farou-
che résistance à la pénétration française au Soudan.
En dépit de l'accuité des luttes entre partisans et
adversaires de la République et des différentes "affaires"
- l'affaire Boulanger •. le scandale des décorations. le scanda-
le de Panama. l'affaire Dreyfus. les attentats anarchistes.
Fachoda. etc ••• -
une place importante a été consacrée à la
lutte de la France contre Samory par la presse française des
vingt dernières années du XIX ème siècle.
- Essai de définition de l'image
Qu'entendons-nous par "image" ? Un grand nombre de
théoriciens
ont tendance à n'envisager l'image que dans sa
seule expression iconographique. Ils ne considèrent comme ima-
ges que les seules formes picturales. Ils ne parlent de l'image
qu'en tant que message figuré. l'image telle que la dessine le
pinceau du dessinateur par exemple. Aussi ces théoriciens par-
lent-ils du texte et de l'image comme de deux choses entrete-
nant des relations de complémentarité ou d'opposition lorqu'il
ne s'agit pas d'une pure et simple existence de l'un à côté de
l'autre. Certes. la nature des rapports entre le texte et
l'image peut revêtir l'une ou l'autre des formes indiquées.

- 14 -
Cependant
n'accepter de parler d'image que lorsqu'il y a mes-
l
sage iconographique
c'est ignorer une quantité importante de
l
ses modes d'expression.
On ne peut réduire l'image au message iconographique
sans exclure arbitrairement une foule considérable de ses modes
d'expression. Cette fa~on de voir est réductrice
mutilante.
l
L'image n'est pas exclusivement visuelle. Nos sen-
sations sont des images du monde extérieur. Nos sens nous
transmettent l'image d'un objet donné. Ils nous permettent
d'accéder à l'image de cet objet. L'image peut
par conséquent
l
l
.
être olfactive
sonore
tactile
etc ••• La voix que l'on en-
l
l
l
tend sur un disque est
par exemple
l'image de la voix d'un
l
l
chanteur.
Le texte est porteur d'un message auquel accède
celui qui le décode. Il véhicule une ou plusieurs images de ce
qui constitue son objet. On ne peut doucI à priori
opposer ~~
l
texte et l'image.
L'image disp9se de véhicules multiples. Le discours
écrit
le discours oral
l'iconographie sont autant de véhi-
l
l
cules de l'image.
Dans la soc~été contemporaine
le développement pro-
l
digieux des techniques a considérablement accru les moyens de
diffusion de l'image. La radio
le cinéma
la vidéo
l'ordina-
l
l
l
teur
le téléphone
les journaux ••• assurent une diffusion
l
l
massive de l'image et-surune échelle de plus en plus vaste.

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L'image que véhicule le texte est la représentation
par les sens de sOi-même, d'autrui, d'une bête, d'~~e chose,
d'un phénomène, d'une société, etc .••
L'image peut être ou
ne pas être un reflet fidèle de son objet. Elle peut refléter
ou non les qualités intrinsèques de son objet. Dans la néga-
tive, la capacité corrective des sens permet de s'en aperce-
voir. Elle peut être également le produit de l'imagination.
- La presse
"le quatrième pouvoir"
La constitution du corpus qui a servi à l'étude de
l'image ~e Samory et de son Empire s'est faite à
partir de journaux publiés dans les deux dernières décennies
du XIX ème siècle. Ce corpus comprend des textes et des élé-
ments iconographiques (dessins et photographies).
Aujourd'hui, la presse écrite représente une puis-
sance considérable. Le c: !.'·~loppement des moyens de communica-
tion, le bond prodigieux des transports ferroviaire, automo-
bile, aérien, maritime assurent aux journaux une diffusion
rapide dans le monde. Paris est à l'heure actuelle à quelques
heures de Moscou, Pékin, Abidjan, Buenos-Aires ou New-york.
Des moyens de plus en plus sophistiqués permettent d'acheminer
les informations d'un bout à l'autre de la planète à une vites-
se qui ne pouvait être soupçonnée il y a seulement quelques
dizaines d'années. A tel point que la presse est plus que
jalllais considérée comme un "quatrième pouvoir."

- 16
La presse écrite a commencé son irrésistible ascen-
sion au XIX ème siècle. Elle avait déjà acquis une telle puis-
sance à la fin de ce siècle qu'un prélat, monseigneur Kettler,
a pu dire que "si Saint-Paul revenait de nos Jours, il se
ferait journaliste (1)."
Les
historiens de la presse sont unanimes pour
dire que la presse française a connu un grand développement à
la fin du XIX ème et au début du XX ème siècle.
Selon Raymond Manevy, la presse française n'a ;Jas
connu uné période de développement comparable ~ celle de la
Troisième République, de 1870 au début de la première Guerre
Mondiale (2). Belanger, Godechot, Guiral et Terrou situent
"l'apogée de la presse française" entre 1880 E1t 1914 (3).
D'après une évaluation statistique, -le nombre des
journaux en France passe de 3.800 en 1882 à 6.-000 en 18S 2 ;
soit une augmentation de 2.200 journaux en dix ans.
'(1) SoleilhR~. Pa')l. L8 Grand levier, Paris, Librairie BJairiot,
1906. Préface de Drumont, P. VII.
(2) Manery, Raymond. La presse de la IIIème République, Paris,
J. Foret, Editeur, 1955.
(3) Belanger, c., Godechot, Guiral, Terrou.
Histoire générale de la presse française,
T. III. De 1871 à 1940, Paris, P.U.F., 1972.

- 17 -
Les journaux quotidiens et périodiques publiés à
Paris depuis 1869 s'accroissent considérablement. De 500# le
nombre des journaux passe à 1.400 en 1885# à 1.655 deux ans
plus t~rd et à 1.998 en 1891.
Selon Henri Avenel# il existe à Paris en 1895# 152
quotidiens# 724 hebdomadaires# 864 mensuels# 319 bimensuels (1) ••
Le tirage des quotidiens atteint des chiffres records. Le Petit
Journal tire à un million d'exemplaires# le Petit Parisien à
500.000 exemplaires# le Figaro à 80.000 exemplaires. L'Illus-
tration passe de 37. 000 exemplaires en 1891 à 48.000 en 1899.
De 1881 à 1914# le tirage des quotidiens est multiplié
par 2#5 à Paris et par 4 ou 5 en province.
Les causes de ce développement de la presse sont multi-
pIes. Nous ne retenons que celles qui nous paraissent essentiel-
les. La fin du XIX ème siècle correspond en France au passage
du capitalisme prém' -, ~poliste au capitalisme monopoliste.
Les techniques nouvelles entra1nent un développement industriel
d'une grande envergure •
.ùali~ 1-ç QOlJlalne de l-d. presse # le maté!'iel ne composi-
tion# de clichage et d'impression se perfectionne sans cesse.
L'utilisation de la linotype et de la rotative offre des pos-
sibilit;és de tirages élevés. Le télégraphe et le téléphone
permettent une réception plus rapide des dépêches en provenan-
ce du monde entier.
(1) Avenel# Henri. Le Monde des journaux en 1895# Paris#
Li~rairies Imprimeries réunies# 1895.

- 18 -
Le développement des moyens de transport, à l'image
des réseaux ferroviaires, permet une meilleure distribution
des journaux qui parviennent même dans les hameaux les plus
reculés.
Le brassage de la population rurale et urbaine,
sans supprimer la différence entre la ville et la ca~pagne,
contribue au développement de la presse dont les lecteurs
s'accroissent en raison des effets de la loi sur l'enseignement
obligatoire, la!c et gratuit.
Mais ce sont sur les conséquences d'une autre loi
que les historiens de la presse s'arrêtent davantage. Il
s'agit de la loi du 29 Juillet 1881 qui réalise un pas impor~
tant dans le sens des libertés politiques en matière de presse.
Le pouvoir avait toujours manifesté une extrême mé-
fiance à l'égard de la presse. Sous la Restauration, sous la
Monarchie de Juil~et ou sous le Second ~'pire, elle fut l'objet
d'une surveillance étroite.
Après la chute de Napoléon III, le gouvernement de
la Défense Nationale prit des mesures en faveur de la presse
les 10 et 27 Octobre 1870. Il en résulta la suppression de
l'impôt du timbre et du cautionnement. Mais des mesures de
surveillance prises par le gouverneur de Paris puis par le
ministre intervinrent le mois suivant. Après la défaite de la
Commune de Paris, l'Assemblée Nationale rétablit le caution-
nement pour tous les journaux politiques.

- 19 -
c'est dans ce contexte qu'intervient la loi du
29 Juillet 1881. Dans son article premier du chapitre l rela-
tif à l'imprimerie et à la librairie~ elle stipule: "L'impri-
merie et ~a librairie sont libres."
Cette disposition s'étend
à toutes les activités connexes telles que le colportage et
l'affichage. La loi supprime l'autorisation préalable~ le cau-
tionnement et reconna!t le droit à la femme de devenir gérante
d'un journal ••• Elle unifie la législation en matière de pres-
se en abr~geant quarante-deux lois~ décrets~ ordonnances et
arrêtés antérieurs.
,:La loi du 29 Juillet 1881 a l'avantage considérable
à cette époque de mettre de l'ordre dans la confusion entrete-
nue par l!inextricable législation produite par les gouver~e­
ments successifs et de doter la France d'une loi uniq~e.
-Les attentats anarchistes entra!nent le vote de lois
restrictives connues dans l'histoire sous le nom de "lois scé-
lérates. ":
Cependant~
il est indéniable que la loi du 29 Juillet
1881 a contribué à l'épanouissement de la presse à la fin du
XIX ème siècle par les dispositions nouvelles qu'elle a ins-
taurées.
_ C'est à ce stade de développement que les journaux
français-vont produire et diffuser massivement l'image de
Samory et de l'Empire du Ouassoulou.

- 20 -
Les journaux que nous avons d~pouillés repr~~,e~~ent
différents courants politiques de l'~poque. Ils vont des Or-
ganes des partis dynastiques à ceux des radicaux en passa;;t
par ceux représentant les républicains "opportunistes".
Nous en citons quelques uns.
Le Temps représente presqu'une institution à l'épo-_
que. Porte-parole officieux des gouvernements des républicains
"opportunistes", partisan r~solu de l'expansion coloniale cie
la France, il soutient la politique de Jules Ferry
sa
chute le 31 Mars 1885.
Après la chute du "Tonkinois", le journal d'Adrien
Hébrard dont les pouvoirs se sont accrus avec le renouvslleme·:t
de la
Société du quotidien le 29 Mars 1882, n'en cont~nue
pas moins de soutenir toutes les entreprises coloniales fran- ~
çaises. "Pl1JS que jamais, le Temps était l'organe du mouvement-
colonial et, outre une masse d'informations originales, il
apportait toute une série de justifications doctrinales Ou
poli tiques à l'impérialisme français (1)", ~crit Pierre Albert
qui définE - l'-,.... ("' l' , t,..\\~~..• ''"'n
i..é.
., • ....,
....... .1:-' .... ... .-
pclitiq~e du quotidien entre
(1) Albert, Pierre. Tables du journal Le Temps (1889-1891),
Paris, Editions du C.N.R.S., 1972.

-
21
-
Pour la période qui nous intéresse et
bien
après, les choix du journal par rapport à la quest:o~ colo-
niale ne changent pas. Opposé aux fractions monarch~stes de
la bourgeoisie française, Le Temps est hostile au socialis~e
et veut préserver la République des "hérésies politiques du
socialisme."
La Dépêche du Midi, journal radical, est un échan-
tillon de la presse de province. Ce journal qui p~blie sou-
vent des articles signés par des personnalités du Pfr~i radi-
cal, exerce une influence considérable dans le Mic;i de la
France à' ce~te époque. Face à l'influence de ce quotidien
dans un aussi grand nombre de régions, l'écrivain c~~holique
et conservateur Soleilhac note: "J'ai voyagé deux années de
suite dans ees contrées et j'ai fait cette constatation déses-
pérante : La Dépêche est envoyée à tous les cafés ou h0tels
sans exception et on la voit aux mains de huit lecte'.œs sur
dix (1)." Les propos d~sespé~é~ .:0 cet homme en disent long
sur l'influence intellectuelle du journal dans une graLde
partie de la France.
tré" est bonapartiste. L'hebdomadaire de Garcias et ',oJilli&'ll
de Marsanges proclame dès sa réapparition que la "rédaction
fera toujo~rs son devoir et emploiera tout son zèle à la dé-
fense des idées conservatrices qui seules peuvent sauver la
France des griffes républicaines
(2)."
(1)
Sole1l-hac, P•• op. cit. P. 79.
(2)
Belanger, C•• op. cit. T.III. p. 387

-
22 -
Au mo~ent de sa réapparition, l'hebdomadaire bonépa~tiste est
farouchement opposé aux "campagnes lointaines."
Des journaux spécialisés tels que Les Tablettes
coloniales, Le Bulletin du Comité de l'Afrique fri3.saise, Le
Bulletin de l'Union coloniale, La Quinzaine coloniale, :,a
Dépêche coloniale ont été d'une utilité certaine.
Notre choix s'est également porté sur des magazines
dits d'information générale comme Le Tour du Monde, :"a Re\\Pue
""-_._-"----
des Deux Mondes, Le Magasin Pittoresque, L'Illust::':.?':é:i.9~, \\,':,c ..
Créée depuis 1843, L'Illustration était un journal
luxueux et sa "lecture constituait une sorte de consécration
sociale (l)." Faucher estime que l'hebdomadaire "porta des
lustres durant le renom et le prestige de la Fr2~ce d~~s le
monde
entier
(2)".
De nombreux autres Journaux ont été consu~~ss :
Le Figaro, La Patrie, La Justice, Le Petit Journal il1ustré,
Le Don Quichotte, Le Pilori, Le Voltaire, Le Courrier frBES.ais,
!~eu~.ll~, L_1 ~n_~i-Pl"~ss~ef!..,_~tc •••
(1) Belanger, c •• op. cit. T.IlI. P. 387
(2) Faucher, Jean-André. Le quatrième pouvoir, Paris
Bditions Jacquemart, 1957. P. 63.

Comme on peut le constater ~ la presse s ",'::l ;,j_,::.:"c:ee
politique illustré n'a pas été écartée. La caricat"clr'é! CC:1S-
titue une arme politique dont l'efficacité est tr<:s gr!!I.de
à cette épOque. Même de nos jours elle n'a pas perdu de s~n
efficacité. ~uotidiens et périodiques sont de plus e~ plu3
nombreux à s'attacher les services d'un ou plusieurs carica-
turistes. Lethève écrit que la période qui va de 1380 a~
début de la première Guerre Mondiale représente "une t:ériode
exceptionnelle (1)" pour les journaux illustrés. Les pr>0c-:'es
des techniques de reproduction rendent en effet : .:o3s' -;:)::'e :_ 8-
naissance d'une grande quantité de journaux illust::--·"'c'.
Le 1)on ~uichotte~ est un journal républ1ca:'..n f,:mié
à Bordeaux en 187~ par Gilbert-Martin. Le journal do~t il
est le principal .dessinateur s'installe à Paris en 1:37.
Interrompue en 1880~ la parution du Pilori, "jok~nal
satiriqL~ Ulustré", reprend en 1886. Armand Mariot 've, rédac-
teur en chef de l]hebdomadaire, et ses amis du Pilori se d{fi-
nissent dans le premier numéro paru le 25 Avril 1886 co~ne
des "ennemis irréconciliables de la République aujourd'hui,
demain et toujours. Nous nous jetons, écrivent-ils~ dans la
mêlée politique en poussant un cri de guerre acharné contre
tout ce qui touche au régime actuel."
(1) Faucher, Jean-André. Le quatrième pouvoir~ Paris~
Editions Jacquemart, 1957. p. 63.

•. ::4 -
En attendant la chute de la République et PO-":l" m: Ec';_X la pré-
parer, les "soldats d'avant-garde" du Pilori CCL" lv;:-:'c leur
programme par ces mots: "chauffons les fers, il y a bien des
forçats à marquer (1)." Le Pilori est en outre fC:Jcièrement
anti-sémite et considère les juifs "comme un lllor:'el p{ril
pour la nationalité française (2)."
Nous n'avons pas jugé utile d'allonger o",,-cre r;,esure
la liste des journaux. ~n effet, d'un point de v-,:e c.112J1titatif,
lire davantage eût été inutile. L'étude n'en é."T:<: p.S été
enrichie qualitativement. Au-delà d'un certain scu-' '~, les arti-
.
cles n'étaient plus qu'une reproduct ion des mê::J8 S '_oc :':::e s. Une
accumulation malgré ce constat manifeste d'appauvr:s:?ment de
l'information n'aurait abouti qu'à un allongement ~~htile du
corpus et de la bibliographie.
Le lecteur constatera qu'aucun organe ,soc::'::'iste
ou anarchiste ne figure parmi caux que nous avons c~
. 0
Au début des années 1880, le mouvement o'clvrier fran-
çais qui avait subi des pertes énormes en 1871, surtout pen-
dant la "semaine s8.D<;la.':te" .. se réorganise. DaI15 c:1c.-)"-res
pays européens il connait cependant des progrès importants.
(1) Le Pilori, 25 Avril 1886.
(2) Le Pilori, 9 Mai 1886.

- 25 -
En Allemagne, par exemple, l'utilisation du suffra-
ge universel permet de se rendre compte des succès du Parti
ouvrier, malgré la loi d'exception contre les socialistes du
21 Octobre 1878 abrogée le premier Octobre 1890. Entre 1871
et 1890, le Parti ouvrier allemand passe de 102.000 voix à
1.427. 00 0 voix. Il est le plus fort de tous les partis ou-
vriers de tous les pays.
L'immensité du champ d'investigation imposait un
choix. Cependant, et sans que cela suffise à préjuger de ce que
eût pu être le contenu de l'image de Samory et de so~ Empire
dans la ~resse socialiste, l'opinion des adeptes de Karl
Marx et Friedrich Engels sur la question coloniale était con-
nue. Les deux théoriciens du socialisme scientifiq~e réc1a-·
maient le droit des peuples colonisés à l'autOdétermination.
Dans ses articles sur la colonisation britanique en Inde,
Marx écrivait déjà en Juin 1853 que "l'Angleterre a détruit
les fonre~ents du régime social de l'Inde (1)." Au mois de
Juillet de la même année, il ajoutait : "Tout ce que la bour-
geoisie anglaise sera obligée de faire en Inde n'émancipera
ni n'améliorera substantiellement la condition sociale de la
Qasse j~ ~0uv~~1 Û~· ~~ci depeno non seulement des forces
prOductives, mais de leur appropriation par le peuple (ê.)."
(1) Marx, Karl. La domination britanique en Inde, Oeuvres
choisies, i'larx-Engels, Moscou, Editions du Progrès,
1970. T.l.
p. 509.
(2) Marx Karl. Les résultats éventuels de la domination bri~ani­
que en Inde. Oeuvres choisies Marx-Engels, op._cit. p. 518.

- 26
Le Congrès socialiste de Londres en Août 1896 avait
réaffirmé le principe de la libre disposition pour les peuples
coloniSés.
C'est par rapport à ce principe et l'ensemble des
principes essentiels de la doctrine de Marx que Edouard
Bernstein l par exemple l fut dénoncé comme un rénégat. En effet l .
Berr.stein affirmait que la critique des conquêtes coloniales
était justifiée tant qu'elle portait sur les méthodes. "Tout
ici est dans la manière"l car écrivait-ill "une civilisation
évoluée al en définitive des droits supérieurs (1)."
Les anarchistes ont eux aussi à cette même époque l
crée e~ animé beaucoup de journaux. Le Révolté l un de leurs
organes l devient la Révolte en 1888. Ses principaux rédacteurs
sont Kropotkine l Elisée Reclus l Jean Grave. Après une dispari-
tion consécutive à la répression l ce journal repara!t en Avril
1895 sous le titre Les Te!nps mO_9~ y<_~. Il y a également Le Pè-
re Peiriard et des revues telles L'En Dehors de ZO d'AxaI etc ••
-
Il Y a là un vaste champ à explorer.
journawc dépouillés n'épuise pas notre corpus qui compreLd
également des ouvrages tirés de la production romanesque de
la fin du siècle passé.
(1) Bernstein l Edouard. Les présupposés du socialisme (1899)1
Paris l Editions du Seuil l 1974. P. 2 02-2°3

- 27 -
Pour soutenir notre thèse sur les ~imilitudes entre
les journaux et un certain nombre dlouvrages, nous ne pouvions
étudier la totalité de la littérature romanesque consacrée à
l'Afrique dans les vingt dernières années du XIX ème siècle. -
Eu égard à sa densité, mieux valait s'atteler à soutenir notre
thèse à partir d'kn nombre relativement restreint de romans au
lieu de traiter superficiellement de tous. Un choix s'imposait.
Nous llavons opéré. Il sIest porté sur les livres dont l'action
se situe en Afrique. Dans la masse des ouvrages ainsi détermi~
nés, nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux
livres ~ui parlent de llAfrique occidentale, clest-à-dire de
la pa~~ie' de ce continent où sIest constitué l'Empire du Ouas~
soulou.
Notre choix sIest porté sur Le Roman dlun spahi (1)
de Pierre Loti, Julien Viaud de son vrai nom. Loti est un
surnom qulon lui aurait donné à Tahiti "du nom dlune fleur du-
Pacifique". Publié en 1881, ce roman obtint un grand <1l8Cès.
Son auteur, ce marin qui combattit pour la "mère-patrie" pen-:
dant la première Guerre Mondiale bien qulil fût à la retraite~
eut droit à des obsèques nationales quand il mourut en 1923.
(1) Loti, Pierre. Le Roman dlun spahi, Paris, Calmann-Levy,
Le Livre de Poche, 1974.

- 28 -
Font également partie de notre choix Le Sergent
Simplet aux colonies (1) de Paul d'Ivoi~ Aventures d'un gamin
de Paris au pays des lions (2) de Louis Boussenard. Ce der-
nier titre~fait partie d'une série - Le Tour du Monde d'un
gamin de Paris~ Aventure d'un gamin de Paris en Océanie~ etc •• -
qui remporta beaucoup de succès.
Mais la qualification de roman ne s'applique pas à
toutes les oeuvres que nous avOns choisies d'étudier. Certai-
nes s'apparentent plutôt à la nouvelle Ou au récit de voyage
et rassemblent les souvenirs~ les impressions personnelles
d'un aut~ur~ "Sous forme de nouvelles~ de tableaux~ et~ par-
fois_même~ ?e brefs croquis~ j'ai tenté de condenser mes sen-
sations soudanaises'I~ écrit Paul Bonnetain dans la dédicace à
Armand Delacroix de son livre intitulé Dans la brousse (3).
Pa~l Bonnetain~ correspondant de gùerre du Figaro pendant la
c~~pagne du· Tonkin effectue un vOyage au Soudan en 1892 -
1893 avec Cil femme et sa fille.
(1) Ivoi~ Paul d'. Le Sergent Simplet aux colonies~ Paris~
E:::itio;-:::o Jules 'l'allai1dier ~ 1;;49.
(2) Boussenard~ Louis. Aventures d'un gamin de Paris au pays
des lions~ Paris~ Librairie Illustrée, 1886.
(3) Bonnetain, Paul. Dans la brousse, Paris, Alphonse Lemerre,
Editeur; 1894.

- 29 -
A
Raymonde Bonnetain publie la meme année que son
mari un livre intitulé Une Française au Soudan (1). Il est
directement inspiré de ses notes de voyage.
Martyrs lointains et Au pays de~ fétiches (2) ne
méritent pas non plus d'être classés comme des romans. Vigné
d'Octon, leur auteur, collabore au Figaro, au Gaulois, au
Temps, à La Revue Bleue, à L'Illustration. Il séjourne quatre _
années en Afrique. Député de 1893 à 1903, il intervient fré-
quemmentdans les débats à la Chambre des députés sur les
.
colonies.
Librairies Imprimeries réunies, 1894.
(2) Octon, Vigné d'. - Au pays des fétiches, Paris,
Alphonse Lemerre, Editeur, 1891.
- Martyrs lointains, Paris, Ernest
Flammarion, Editeur, 1891

-
)0 -
L'IMAGE
DU
PAYS

- 31 -
CHAPITRr.: PREMIER
I~1ŒNSITr.: ET HOSTILITE DU PAYS
l. L'EMPIRE DU OUASSOULOU
UN PAYS IjI"JI'..ENSE ET LOINTAIN
L'r.:mpire du Ouassoulou est repr@seuté par la presse
franç~ise des vingt dernières ~~ées du XIX ème siècle co~~e
un pays immense qui s'étend sur les deux rives du Niger. Il
apparai..; aux publicistes comme un vaste Empire qt.:i se dresse
sur le chemin des Français dans leur pénétratioD de l'Afrique
occidentale à partir du Sénégal.
La Justice représente 11 Empire de l' Jürnamy Samory
comme un "empire grand comme la France, qui va de la Gambie
anglaise jusqu'au pays des Ashantis, du Ségou jusqu'aux envi-
rous de Sierra-Leone (1)."
(1) La J~stice, 22 Août 1886.

- 33 -
=1:" U~nF.1.YS Lf-.ID FT HOSTIL-S II
- _ . _ - - - - - - ~ ~ - - _ . _ -
Le paysage de ce vaste et lointain Empire est, la
plupart du temps, représenté comme un paysage laid, triste
et hostile.
Certes de temps à autre, les journalistes qui, du
reste, s'attardent fort peu sur la description du paysage,
consacrent quelques lignes à tel beau village ou à tel joli
paysage. C'est le cas de Kérouané présenté cornme un "beau
vil:èage protégé p2.r le tata récemment construit par Sal10ry (1)."
"De Bissandougou à San~~oro, écrit L~ T~~ps, le
pays est très beau et très pitoresque ; les villages, bien
construits, sont d' lL'1e propreté remarquable (2)."
Se fondê.r"~ s',r les rapports du lie·.ltena:~-: colorel
H'J.mbert, La F.é:JUbli.9.:~~ ::rancaise écrit que "le paj's qui
s'étend dans la vallée du ~Ulo, de Bissando'"p")U à Sanankoro,
qUOique dévasté et rendu désert par Samory, est le plus beau
que l'on ait encore parcouru
au Soudan (3)."
(1) La Patrie, 29 F4vrier 1892.
(2) Le Temps, 28 Février 1892.
(3) La République franjLaise
5 Février 1892
J

Ce paysa~e q~i se~ble captiver l'att~ntion de
Dubois est ~galeme~t très bea~. "Puis brusquement, note-t-il,
avec un caprice ou un impromptu tout féminins, la ~ature
change de tableau. Une légère montée. Une cascade de rochers
entre lesquels la verdure remplace l'écume jaillissante. ~es
végétations d'un vert vivace. St bientôt Q~e délicieuse riviè-
re coulant au large sous l'ombrage. Il y a là une façon de
pont suspendu, bien curieux et bien tentant, qui, pour la tra-
versée, me l'ai t ab~doGler et le gué et me", cheval (1). n
Le regarè de ~~bois es~ d'aut~it plus ca?tivé ~~r
ce morcéail de verdure li~.xl<ria"t
que la plupart des ;èôjsages
qU'il a traversés jus;u'alors l'ont fra~pé par leur laideur.
En effet la laideur et l'hostiJité sont les deux aspects domi-
nac:.ts de l' im2.Le du paysE:.:>~ de l'-:;mpire du OUê.ssoulou. Une
12:'deur et urie "cr::'stesse d-'J8S sL;.rto~t .. selon les pL:bl:':'cis~es..
à l'action destructrice qil'exercent Sac,ory et ses sofas sur
la ,,-,cure. F~lix Dubois contemplant le paysage du Ho,-"ré écrit
"D'heure en hec;re nous traversons d'anciens villages, aux
ruines nombreuses qui indiquent une population autrefois très
dense ••• Quelle est donc triste cette chevauchée à travers
les cités èéflli~tes et les arbres noircis, avec, au moindre
souffle de vent, une atmospbère saturée de cendres à respi-
rer (2)." Selon la presse. la nature du Ouassoulou subit donc
des dégats qui l'enlaidissent en raison de l'état de guerre
1.....
....
".,., "\\
l
'":l ~ ')~....,;:)
_
-:::....
' ' ' ( o . \\..1 '-'<J.
......
1:'... .1...:-8
a
( l ) ,1.. ~._~.,}_~ ~.>;.j_~-.l:!" -'.~ '~~~~
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l ,,~, ~~-_;' _·::..:·;~.:__,~.~;.-.l ~~~
~! :,,-,.u '....'
.... -., _.

-
)5 -
J..:. ~.
l.J}1 P:.:? 2, C:··L~.T,j~) OU S?,T =S2E~~ DES r·~.('.LJ\\D l SS p~=;:::-: =-:=: =- F:\\..1 .s:~S
---_.__
.._-_._.__
.._---_._.-
._--.~-----_
._._----_.~_._-----_
Au point de vue climatique. l'Empire du Ouassoulou
...
app&ralt à travers les journaux comme un pays très chaud.
L'image qU'ils en ont propasée est celle d'un pays où il fait
une "chaleur de four".
Le soleil est lli~animement désigné comme la source
de cette chaleur. Dubois s'effraie de ce "soleil qui. en cette
heure de midi tombe en vibrations du ciel blanc. coule de son
une f~~tasia des sofas èe S~mory. Ds son
un o:':C::'cier
!'ranc;ais qui COmmSJ1è.e li!"! pJste édj. fié sur les territoires pris
5. .3a:no!'y constate : "r'Îa bonne santé résiste à ce rude climat
pas lliî accès de fièvre depuis que j'y suis. ~ais quelle cha-
bien qu'après les torna6es ; mais quel épouvlli,tatle pt(ncmène
c'est à croire que tout va être emporté par l'o~iragan. tout
détruit par la fou~re et les paquets è'eau qui s'abattent sur
le sol. Et ce sera ainsi jusqu'en OctObre (2)." Le "rude cli-
mat" du pays où il se trouve en poste cause bien des ennuis ~
leur l'exaspère nuit et jo~r. mais 11 redoute les tornades qui
p01...rtant lui rendent le climat quelque peu supportable.
( l )
(2)

- 36 -
Des ~aJa~ies de toutes so~tes constituent pour la
~~ess~ les conséquences inéluctables d'un tel cli~at. La
~i2vre est l'~~e de ces maladies. Ainsi Le ?~tit Journal
:'JlustC'é 10'Je le courage èe ces soldats que "menacent les
fièvres pernicieuses autant que les embûches tra~tressés de
r.os ennemis (1).11 Dans un article où il tente de démentir les
r~~eurs persistantes qui font état de la défaite de la colonne
Eonte:l de Kong contre Samory, La Pa~rie de Lucien Millevoye
~eprend quasiment les mêmes ter~es que le supplément i~lustré
.plus à cr&indre que l'erwemi. Tous les jours, ~,e nouvelle
mort par maladie est à déplorer (2) "écrit ce quotidien.
Les fièvres et d'autres mala~:'es telles que l'ané-
;,,::'e, la èysanterie etc.
fr'aI.l.ça::.s en part:'culier. à er! croire les publicist(;s. A Kan-
,
le colonel Archinard est "épuisé p2.r de os accès de fièvre
q'~i ne le quittaient pas depuis quelques jours U). " Dubois
et ses compagnons de la mission Brosselard Faidherbe revien-
nsnt du périple qui les a conduit
jusque d~~s l'Empire du
0","s;30ulou "minés pa~' les fièvr2s".
Il éprouve pour la
~~eilli~re fois ce que c'est que ':ne plus se reconna!tre'l en
se rega~dant dans la glace.
(. )
, l
(::.:)

- 3~ -
fais~ie:-l:' saillje deux yelLx" ••• des
se trou~aient des po~~ettes" des joues" un menton. 3e décou-
re~ent détachses du crâne, et au milieu de la face, à la place
des lèvres sir,ueuses et colorées, deux s~,mples lig:1es, bla.'1-
~'a~4mie vous étrei~~ encore, et ffiai~te:1~'1t le corps retarde
3~r le ~ervsau : on veut saisir un o~jet et le bras re~o~-
après l~lr Y~~ne tent2tive pour aller jusq~lau Nige~ en tra-
C ~l--~'-~"e
:.1.
'y;-J '...... _.. q .......
C\\~aSfOU:oU a~ 2e:~n D~~cis} exerc~ ses plus mauvaises in~:uences.
On r2'-rouv _ . (;i l'image développée à propos du Daho-
,r,ey é~U lf,,:-me,,t G( sa conquê:e. En effet, Vit,-né d'Octon, député
"e
_.
l_ ':':era1'1-
. . . .
:..4.
'-"}
a èéc2.aré que les soldats franc;ais, da.r:s ce
~a7sl~boivE~t l'eau dss ~arres infectes o~ se lavent les n~-
gres. Ils sont diric6s ~~r les h5pi~aux de la cSte o~ ~ls
" ç,ê'l', '
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L'IMAGE DES HO~~S ET DES
FEMMES DE L'EMPIRE DU OUASSOULOU

- 40 -
CHAPITRE PREMIER
L'IMAGE
DE
SAMORY
I. SAMORY, UN ADVERSAIRE REDOUTABLE
Toutes opinions politiques confondues, les journaux
français de la fin du XIX ème siècle affirment que l'Almamy
Samory a été un adversaire :r'ec- '~able de la France dans sa
conquête militaire de l'Afrique occidentale. Les références
sont nombreuses qui soulignent cette vérité unaniment admise.
'lEnfin ! la. lùl'\\:'Wle s! est montrée à mon égaru d \\ une
gentillesse exceptionnelle. Samory est pris et le premier
Européen qui a eu la chance de l'appréhender, c'est votre ser-
viteur (1)", écrit le sergent Bratières à Etienne Coyne, chef
du secrétariat particulier du ministre du commerce.
(1) Le Temps, 6 Décembre 1898.

- 41 -
Les propos de Bratières rectifient la première version offi-
cielle qui attribuait
la capture de Samory au lieutenant
Jacquin.
"Les journaux ont dû vous appr~ndre la grande nou-
velle ! ••• Nous avons pris Samory. Je pourrais même dire:
j'ai pris Samory; au surplus, Je suis proposé d'office pour
la croix", écrit pour sa part Jacquin à ses parents. Il dis·
pute manifestement l'honneur de la capture de Samory à Bra-
tières. L'Almamy fut pour la France un adversaire si redouta-
ble et si redouté que Bratières et Jacquin se sentent parti-
culièrement honorés d'avoir directement participé à l'opéra-
.
tion décisive qui a abouti à sa capture.
Pour le Bulletin du Comité de l'Afrique Française
(B.C.A.F.), la capture de Samory est une '~nouvelle sensation-
nelle (1)."
Le gouvernement français et ses représentants en
Afrique occidentale accordent à l'évenement toute l'importance
qu'il mérite. Le gouverneur général Chaudié consacre un rap-
port officiel aux opérations finales de la colonne
du comman-
dant rIe Lar'tigu.e. Il. y qualifie la capture Samory de "remar-
quable succès dont n03 troupes ont le droit d'être fières, et
pour lequel le gouverneur général est heureux de renouveler
ici et de rappeler les félicitations qui letlr ont été adressées
par le gouvernement de la République (2)."
(1) B.C.A.F., Novembre 1898.
(2) Le Temps, 1~ Décembre 1898.

- 42 -
Chaudié ne fait pas preuve d'exagération et l'on peut consi-
dérer que son enthousiasme est sincère. Avec Samory, en effet,
dispara!t un adversaire redoutable de la pénétration française
au Soudan.
Le Figaro parle du "puissant monarque nègre Samory,
so~verain absolu dans le Haut-Niger (1)."
La Patrie en difru-
secune représentation qui ne peut passer sous silence la puis-
sance de l'ennemi de la France. "Samory est une physionomie
c
remarquable comme guerrier noir ! Tous les moyens de nous com-
battre, il les conna!t et les utilise. Nous le battons à cha-
que rencontre mais il développe une somme extraordinaire de
tenacité et de résistance (2).11
L'organe monarchiste de Lucien
Mill~voye qui n'éprouve pourtant aucune sympathie pour l'Alma-
my est irrité par son lIénervante résistance ()" ou par sa
IIrésistance des plus opiniatres (4).1.
(1) Le Figaro, 11 Août 1886.
(2) La Patrie, 11 Février 1895.
()
La Patrie, 15 Février 1895
(4 ) La Patrie, 2) Février 1895.

- 43 -
Des expressions telles que le "puissant Almamy (1)",
"notre vieil et terrible adversaire soudanais (2)", "Samory,
l'ennemi le plus redoutable de l'influence française au Soudan (3) Il
ou de "chef redouté du Soudan occidental " qui na acquis en Fran-
ce une véritable célébri té (4)", etc.,
sont fréquentes dans
la presse de l'époque quand elle aborde la question de la lutte
entre
Samory et les troupes coloniales françaises.
Cela est si vrai que Le TeMps reconna!t que "les journaux
louent sa bravoure, sa grande science militaire (5)".
Maurice Ordinaire note que Samory est "le dernier obs-
tacle qui subsiste actuellement à la pacification et à l'explOi-
tation du bassin supérieur du Niger (6).11
En Mars 1898, Rouire écrit les lignes qui suivent à
propos de celui que Vigné d'Octon considère comme lI un ennemi
redoutable ll :
liA part Samory, ce roi vagabond dont les Etats se
déplacent sans cesse, il n'existe plus en face de nous un pot en-
".
tat nègre qui ose lever la tête. Tout a cédé à nos armes. T0ut
se tait. Nous sommes complètement les oa!tres de la vallée du
moyen Niger (7)."
(1 ) ~e Temps, 28 Août 1889.
(en Le Temps, 'd7 Mai 1895
(3) Le Magasin Pittoresque, supplément au numéro du 1er Novembre
1898
(4) Le Magasin Pittoresque, supplément au numéro du 1er Mai 1895
(5 ) Le Temps, 12 Décembre 1898.
(6) La République française, 9 Février 189'd.
(7) La Revue des Deux Mondes, 15 Octobre 1898.

- 44 -
Un premier aspect de l'image de Samory dans la pres-
se des deux dernières décénies du XIXème siècle est nettement
révélé : Samory est un ennemi redoutable qui veut, par une
résistance tenace, soustraire son pays à l'occupation françai-
se.
AUCun historien ne défend une opinion contraire.
Les lettres de Jacquin et de Bratières publiées par la presse
nous ont déjà permis de nous arrêter sur les sentiments qU'ils
ont éprouvés à la suite de la capture de l'Almamy_Samory.
Une autre lettre dévoile une dimension supplémen-
taire de.la force des sentiments provoqués par l'évènement;
il s'agit de celle du commandant de Lartigue à Gouraud à qui
il avait confié, par l'ordre nO 437, le commandement de la
reconnaissance qui a surpris et f ait prisonnier l~Almamy.
L'officier avoue qU'il a "pleuré de joien et de
plaisir en lisart la lettre de Gouraud qui lui a annoncé "Ja
bonne nouvelle (1)."
Il fait part à Gouraud de sa: certitude
qu'on ne pourra rien refuser aux officiers et sous~officiers
qui ont participé à la "glorieuse action."
(1) Gouraud, Général. AU Soudan, Paris, Editions Pierre
Tisné, 1939. P. 215

- 45 -
II. LE PHYSIQUE DE SAMORY
Pendant les
années qu'a duré la lutte de
la France contre Samoryl la presse a souvent proposé à l'opi-
nion des portraits du souverain. Les portraits de l'Almamy
ont été très nombreux dans les journaux quelques années
après le début de la guerre et après sa capture. L'essentiel
des articles qui ont servi à l'élaboration de cette partie
proviennent de ces deux périodes.
En l'absence de document de référence précis l les
journalistes ne partagent pas la même opinion sur l'âge réel
de Samory. Pour la m~me année 1886
Le Tempsl par exemple
1
l
donne deux âges différents à Samory. En Août 1886
le journal
1
écrit qU"'il a aUjourd'hui quarante-cinq ans (1)."
Un peu
plus de deux mois plus tard l le même journal affirme que
"l'Alma.'llY paraît avoir une quarantaine d'années ".
Binger rencontre Samory en 1888 au cours ~~ son
voyage d'exploration au Niger alors qU'il assiégeait Sikasso l
la capitale de son ennemi Tiéba. Dans le récit de son explo-
ration l il écrit que Samory est un "homme d'une cinquantaine
d'années (c:) ". La.Just.ice quaY1t 2a. elle éc2it en 183G qu:ll
est âgé de "quarante-cinq ans "
(1) Le TempSI 18 Août 1886.
(2) Le Tour du Monde l 30 Janvier 1889.

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En général les journaux représentent l'Almamy comme
un homme d'une grande taille. Ainsi, le jOurnal d'Adrien Hébrard
note qU'il est un "homme de très haute taille plus grand
qu'Omar-Diali qui a déjà bien près de six pieds (1)". Omar-
Diali qui sert ici de référence fit pa~tie de la suite du Prin-
ce Karamoko pendant sa visite officielle en France en 1886.
Aucune discordance n'apparatt entre les journaux sur cet aspect.
Les observations des explorateurs ou des officiers qui ont ap-
proché Samory ne rompent pas cette unanimité. Binger, par exem-
ple, écrit qU'il est grand.
Le visage de Samory occupe une place de choix dans
ses portr'aits. "Ses traits sont un peu aurs, et, contrairement
aux hommes de sa race, il a le nez long~ et aminci (2)" indique
encore Binger. Pour La Justice de Clémenceau, "son visage est
beau, son regard pénétrant ••• Le bord de ses paupières est
recouvert d'un fond argenté (3)". Le Temps note que le visage
de l'Almamy est "encadré par un turban dont les extrémités se
re j oif;... ·,;üt sous le menton (4)."
( 1) ~~~, 18 I.l.OD.t 1886.
(2) Le Tour du Monde, 1889.
(3 ) La Justice, cc Août 1886
(4 ) Le Temps, 3 Novembre 1886.

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Quelques publicistes s'attardent sur les yeux du
Souverain. l1L'oeil, d'une profondeur étrange, est fortement
enchassé ; un enduit argenté borde les paupières et donne
au regard un éclat extraordinaire (1)", L'intérêt porté aux
yeux de Samory n'est pas fortuit. Le produit argenté sur les
paupières donne,selon certains journaux, l'illusion d'agran-
dir ses yeux. Ils n'hésitent pas à écrire que Samory utilise
son regard ainsi transformé comme une arme psychOlogique pour
impressionner ses interlocuteurs.
Mais le visage de Samory nia pas été dépeint de la
même façon par les journalistes et même par ceux qui l'ont
rencontré ~ Voici ce qu' écrit par exemple l'administrateur
colonial Nebout qui, envoyé auprès de l'Almamy en tant que
négociateur, eut une entrevue avec lui le 5 Octobre 1897 à
Dabakala en eate d'Ivoire. "Il a le nez épaté, les lèvres
fines et porte la barbe au menton. Ses joues aux pommettes
saillantes - caractéristiques de la race malinké - sont
rasées (:2) ."
Il faut remaio~;lE:r que l'administrateur Nebout
n'a pas vu le même nez que l'explorateur Binger dix ans plus
tat. L'un a vu un "nez épaté" là où l'autre a plut8t observé
"un nez long et aminci."
(1) Le Temps, 3 Novembre 1886.
(2) Le Temps, 15 Octobre 1898.

- 48 -
L'habillemer.t de Samory est décrit avec force dé-
tails. "n porte chez lui des robes (boubous) toujours très
blanches et à la guerre des boubous jaunes qui disparaissent
presque entièrement sous des cachets de cuir à amulettes (1).11
La Justice (2) reprend quasiment les m~mes termes que Le
Temps.
Binger se distingue des autres en insistant, quant à
lui, sur la valeur des vêtements de Samory. Ainsi il estime
que le "grand doroké en florence mauve" dont il est habillé
est de "qualité inférieure (3)", "Sur les épaules, écrit-il
encore, i l porte négligemment un ha!k de bas prix. 1t
Dans les dernières années de son règne, llAlmamy
appara!t de plus en plus comme un homme vieillissant. "Samory
est actuellement un homme d'une soixantaine d'années", obser-
ve Nebout.
Des termes tels que "vieil almamy"; II v ieux guer-
rier", "vieux conquérant tl , etc ••• reviennent dé plus en plus
souvent dans les articles qui lui sont consacré$.
On pourrait multi~lier les détails que la presse
a fournis sur Samory entre 1882 et 1898. Mais ils ne présen-
tent aucun intér~t.
La physionomie de 11 Almal"üy est apparu "agréable"
au journal d'Adrien Hébrard qui remarque que "tout en lui
dénote l'intelligence (4)".
(1 ) Le Temps, 18 AoUt 1886.
(2) La Justice, 22 AoUt 1886.
(3) Le Tour du Monde, 30 Janvier 1891. Voir Le Tour du Monde,
1er semestre 1891, Paris, Librairie Hachette et Cie.1891.P~
(4) Le Temps, 3 Novembre 1886.

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Nebout est du m~me avis que le Temps. Il écrit que la phy-
sionomie de Samory "est pleine d'une bonhomie souriante et
révèle un homme énergique et intelligent. lI
Binger a m~me
trouvé son extérieur "plut6t affable que dur" et la Justice
lui trouve un "maintien marqué de la souple dignité orien-
tale Cl) li.
Sous le rapport physique, la presse a diffusé de
l'Almamy Samory l'image d'un grand et bel homme, intelligent,
énergique. Certains de ses traits, selon les publicistes,
marquent une rupture avec ceux des "hommes de sa race". Il Y
aurait donc dans SOn cas une rupture avec une norme anatomi-
que qui serait propre à sa race. C'est l'image dominante et
elle n'a pas connu de boulversement radical jusqu'à la cap-
ture de Samory.
L'image de Samory n'est pas restée statique. Elle
a évolué dans le temps. Ainsi l'image du physique de Samory
er 1'38<:' n'est pas identique à celle du lIviei~,n homme de 1898.
Le Tour du Monde du 7 Juin 189 0 publie un dessin de Riou
représentant Samory. L'Almamy y apparatt plus jeune (voir
page 50).
Cependant les qualités essentielles de l'homme ne
semblent pas avoir beaucoup souffert de l'érosion du temps.
Les personnes qui l'ont rencontré dans les dernières années
de son règne ne lui dénient point l'énergie et l'intelligence
qu'on lui reconnaissait au début des années 1880.
(1) La Justice, 22 Août 1886.


- 51 -
Le jour de sa capture
par exemple
il trouve encOre les
l
l
ressources physiques nécessaires pour échapper "par un
brusque crochet (1)" au tirailleur auxiliaire Filifing
Ké!ta qui tente de s'emparer de sa personne.
,"
(1) Le 'J.'emps,1 12 Décembre 1898

- 52 -
III. SAMORY LE MUSULMAN
Samory est également représenté comme un adepte de
la religion de Mahomet. Dans les premières années de la guer-
re engagée par la France contre lui l de nombreux journaux
~ont systématiquement précéder le nom de l'Almamy des termes
de "faux prophète (1)". Les historiens ont abondamment con-
firmé que l'Almamy était un musulman.
Cependant 1 la presse française ne consacre pas
èeaucoup de commentaires aux croyances de Samory en dehors
de nombreuses mais brêves allusions. Ainsi le lieutenant
Jacquin affirme quel avant d'être capturé dans ce qui fut son
,.,
dernier campement l SamorYI "surpris l s'enfuit au travers du
campement 1 ses feuilles du Koran à la main (2)". Concernant
lB même év~ementl Chaudié note que SamorYI ce matin-Ià l
"'1.isait le Koran devant sa case ()) Il.
Dans La Revue de Paris l André Mévil souligne à sa
manière la piété de Sa'l1ory en affirmant qu' ",près sa victoire
sur Sory-Ibrahim l l'Almamy ne l'aurait pas mis à mort ma~
l'aurait condamné "à prier éternellement Dieu pour le succès
de ses armes l espérant que les prières du marabout seraient
efficaces auprès d'Allah l grand ma!tre d(~ la victoire (4).11
(1) Voir par exemple Le Temps de 6 Août 18851 26 Janvier 1886 1
27 Janvier 1886 1 25 Mars 1886 1 etc •••
(~) Le TempSI 7 Décembre 1898.
(3) Le Tempsl 12 Décembre 1898.
(4) La Revue de Paris l citée par Le FigarOl 14 Août 1898.

- 53 -
Un aspect supplémentaire de l'image de Samory se
trouve ainsi mis en lumière: c'est un musulman d'une grande
dévotion. Goureaud confirme cette image de l'Almamy quand il
écrit que peu après sa capture" Samory demande fila permission
de faire son salam et le fait solennellement (1)."
Quant à Binger" il prête de biens mauvaises manières
à Samory et à son fils Karamoko. selon lui" ils "n'ont de
prince" bien entendu" que le qualificatif dont quelques-uns
de nos journaJ.lXles ont honorés pendant le séjour de Karamoko
à Paris." Samory "prend ma pipe dans la poche de mon dolman et
la porte à sa bouche ll " écrit-il. Il accuse en outre l'Almamy
de vouloir enrôler ses domestiques dans son armée et de cher-
cher -à s'approprier la couverture de l'un d'entre eux. IIJ'en
suis honteux pour eux (2)"" conclut Binger. Sa conclusion està
la mesure de la profonde antipathie qu'il voue à Samory:
(1) Gouraud. op. cit. p. 205
(2) Le Tour du Monde" 30 Janvier 1891.
Voir Le Tour du
Monde" 1er semestre 1891" Paris" Hachette et Cie" 18~1.
P. 32.

- 54 -
IV. SAMORY
UNIl BELLIQUEUX Il
Généralement, la presse française rejette sur
Samory la responsabilité du déclenchement de la guerre en-
tre l'Empire du Ouassoulou et la France. Cette affirmation
se fonde essentiellement sur un seul fait. Le journal Le
Temps, porte-parole officieux du gouvernement et dont le sou-
tien aux campagnes coloniales était de notori~té,y revient
très régulièrement. Selon ce journal et ses confrères, le
colonel Borgnis-Desbordes envoya en mission auprès de Samory
en 1881 un sous-lieutenant indigène nommé Alakamessa. Sa mis-
sion consistait à savoir "si Samory voulait se porter sur la
rive gauche du Niger et menacer notre expansion vers le Sou-
dan. Samory éconduisit notre envoyé (1)." L'Illustration met
l'accent sur le fait que Alakamessa fut "fort mal reçu" et ne
put rentrer "sain et sauf que grâce à son sang-froid et à son
courage (2)". Selon cette thèse qui est la thèse officielle,
Samory poursuivit ses conquêtes et assiégea Kéniéra "dont l'oc-
cupation était menaçante pour la sécurité de nos nouvelles pos-
sessions" et dont les habitants "nous demandèrent du '""eCOurs (3)".
La lutte fut donc engagée par la France contre l'Empire du
Ouassoulou.
(1) Le Temps, 2 Février 1892.
(2) L'Illustration, 3 Mars 1883.
(3) Le Tem~, 15 Octobre 1898.

- 55 -
L'essentiel de l'argumentation tient en trois
pOints. Primo, Samory a éconduit l'envoyé de Borgnis-Des-
bordes, officier représentant la France. Secondo, l'occupa-
tion de Kéniéra menaçe la sécurité des possessions françai-
ses. Tierto, les habitants de Kéniéra sollicitent le secours
de la France. Cette argumentation qui sert encore aujourd'hui
de prétexte à la négation de la liberté des peuples de dispo-
ser d'eux-même met en relief un autre aspect de l'image de
Samory dans la presse française. Elle donne de l'Empereur du
Ouassoulou l'image d'un homme belliqueux qui, en renvoyant
l'émissaire de Borgnis-Desbordes, a déclenché la guerre entre
la France et l'Empire du Ouassoulou. L'Almamy, selon la pres-
se française, en porte l'entière responsabilité.
Nous reviendrons plus loin sur cette thèse qui pré-
sente l'envahisseur comme une victime innocente entratnée
malgré elle dans une guerre qu'elle n'a pas vo~lu. Ce qui im-
porte surtout ici, c'est la nature de la guerre.

- 56 -
v. SAMORY : UN"SANGUINAIRE~ UN"ESCLAVA.GISTE~ UN
"
fi
INCElJDIAlRE.
L'essentiel de la représentation de Samory dans la
presse française réside dans l'image de sanguinaire qu'elle
lui a tissée.
Dès l'engagement entre l'armée française et les
sofas de Samory à Kéniéra le 25 Février 1882~ l'Almamy est
représenté comme un exterminateur. Le Temps~ organe officieux
du gouvernement~ dans son Bulletin du jour du 20 Avril 1882
présente en ces termes le "chef redouté" qui devient ainsi
un nouvel adversaire de la France dans cette partie de
l'Afrique
"La ville de Kéniéra était assiégée depuis sept
mois par un chef indigène nommé Samory~ qui menace de deve-
nir dans cette région du Haut-Niger et du Bakoy~ ce qu'on
été ailleurs les sultans de Ségou~ EI-Hadj-Omar et son fils
Ahmadou~ ces grands exterminateurs dont le lieutenant de vais-
seau Mage a raconté les exploits et décrit les ravages. Le
colonel Desbordes voulait sauver Kéniéra. Malheureusement la
ville é~ait prise lorsqu'il arriva. Ses habitants avaient été
massacrés ou réduits en esclavage suivant la méthode ô'EI-
Hadj-ûmô.!' (1)."
(1) Le Temps~ 20 Avril 1882.

- 57 -
El-Hadj-Omar avait été un adversaire redoutable de
la France sous le Second Empire. Faidherbe~ le promoteur du
projet de pénétration de l'Afrique occidentale à partir du
Sénégal~ n'avait pu réduire sa résistance à la colonisation
française. Son fils Ahmadou qui lui succéda
conti-
nuait à l'époque à s'opposer à la main-mise de la France sur
les territoires que lui avait légués son père. Le sulta!1 de
Ségou, en son temps, avait été représenté comme un extermi-
nateur d'hommes et la même image était attachée au nom de son
fils. La comparaison qu'établit le journal est donc lourde de
signification. Sa fonction est d'associer l'image de El-Hadj-
Omar et de son fils Ahmadou à celle de Samory. Il établit une
relation d'équivalence entre les deux images. Au début du pas-
sage cité, le journal d'Adrien Hébrard affirme que Samory
"menace de devenir" comme les sultants de Ségou. A la fin du
même passage~ il indique que l'Almamy utilise les mêmes métho-
des que El-Hadj-Omar. Il y a déjà 'me similitude entre les
deux personnages ne serait-ce qu'a~ niveau des méthodes. Il
s'agit, dès le début du conflit, de construire une image
négative de 0amory.
La plupart des journaux observent la même attitude.
L'Illustration~ par exemple, écrit que la ville de Kénièra
avait été obligée de se rendre par manque de ressou~ces en
raison de la longueur du siège imposé par Samory qui "ran-
çonnait" la région.

- 58 -
Selon l'hebdomadaire, "Samory l'avait brulée et emmené en
captivité tous les habitants à l'exception des chefs et des
notables qu'il ne pouvait espérer réduire à l'esclavage: il
les avait brûlés vivants 1 (1)"
Dans les deux passages courts que nous avons cités,
figurent des termes qui ne dispara!tront plus des évocations
du chef du Ouassoulou. Des mots ou des expressions comme
"exterminateur", "massacré", "réduits en esclavage", "brûlé",
"emmené en captivité", etc.
reviendront constamment dans la
construction de l'image de Samory. Cette image sera sans cesse
alimentée au fur et à mesure du développement des opérations
militaires de la France contre l'Almamy.
L'année 1886 voit cependant un infléchissement de
l'image de Samory dans la presse. En Novembre de cette année,
Le Temps publie un long article qui relate la réception d'une
mission française par Samory. Ce fut une "réception splendide",
note-t-il. Il écrit que pendant toute la durée de son séjour
à Kénièba-Koura "les plus grands honneurs n'ont cessé d'être
rendus à l'ambassade. Samory l'a traitée avec munificence et
une largesse toutes royales, qui s'étendaient jusqu'aux der-
niers des serviteurs". En conclusion, le journal d'Adrien
Hébrard écrit : "Tel est le récit de la réception de la mis-
sion fra~çaise par le conquéra~t africain, l'homme
extraor-
dinaire dont le pouvoir s'étend sur un immense territoire.
(1) L'Illustration, 17 Mars 1883.

- 59 -
En quelques jours il a su conquérir la sympathie de nos of-
ficiers par sa franchise~ sa loyauté~ par le charme de sa
personne. Et si la légende l'a présenté à nous pendant long-
temps sous les traits d'un de ces hommes de guerre qui ne
laissent que des ruines derrière eux~ elle a exagéré la
cruauté de Samory (1)."
Les lignes qui précèdent ne néces-
sitent guère de longs commentaires. Leur clarté qui se suffit
à elle -m~me traduit l'attitude du journal envers Samory
après la signature du traité de Kénièba-Koura et la visite
ce Karamoko à Paris. Le quotidien fait l'avoeu de son igno-
rance. Il avoue que l'image de cruauté de Samory qu'il a cons-
truite et diffusée pendant plusieurs années n'était bâtie que
sur la légende. Cette image ne reposait ni sur des faits et
gestes objectifs ni sur une connaissance réelle de celui
qu'il prétendait dépeindre.
L'image que le journal propage de Samory à partir
d'événements réels et non plus légendaires ~ontredit en tous
points la première. Il renie la représentation de cruauté de
Samory estimant qu'elle est non seulement fondée sur la lé-
gende mais qu'elle est également exagérée. A cette représen-
tation il substitue celle à'un homme hospitalier~ sympathi-
que, franc~ loyal. L'auteur de l'article est même frappé par
le charme de la personne de Sallory qui est qualifié d' "homme
extraordinaire". Samory n'est plus représenté comme l'émule de
EI-Hadj-Omar.
(1) Le Temps~ 3 Novembre 1886.

- 60 -
Les
autres quotidiens et périodiques français
publient des dépgches officielles et des articles relatifs
au traité de Kén1èba-Koura. Le Voltaire et La Justice publient
par exemple des dépgches qui louent les avantages que le trai-
té fait à la France.
On constate donc que l'image de Samory subit un in-
fléchissement qui est perceptible même dans les communiqués
officiels. Certes elle ne subit pas une mutation radicale.
Les attaques contre Samory ne disparaissent pas subitement
des colonnes des journaux. Un mouvement est cependant percep-
tible. On constate une évolution dans la représentation de
Samory. Il est man1feste que l'image que le pouvoir veut don-
ner de Samory n'est plus la même qu'en 1882.
Après 1890 et nonobstant la signature d'un traité
en plars 1889 entre la France et l'Empire du Ouassoulou1
on ne retrouve plus de tend~~ce un tant soit peu favorable à
Samory dans la presse francaise. L'attitude d'un journal com-
me Le Temps où la représentation de l'Almamy avait subit un
infléchiss~ment après lE traité de Kénièba-Koura est ré' éla-
trice à ce sujet. L'image que le pouvoir donne de l'Almamy
change également de façon inèéniable.

- 61 -
Au mois d'Avril 1891
Le Journal Officiel cité par
1
Le Temps écrit que Archinard l le commandant supérieur du Sou-
dan l s'est rendu dans la région de Siguiri pour savoir les
intentions de Samory dont "l'attitude semblait laisser à
désirer (1)."
Après la prise de Kanh:an la même a..-mée 1 Le Journal
Officiel
du Sénégal jus fi fie la décision de Archinard de
"prendre l'offensive" contre Samory par le fait que"l'attitude
de ce chef l était ••• loin d'être correcte à no~re égard. Dans
le sud l poursuit ce journal l il faisait ravager le Kounian et
le Tamiso et arrêter la mission topographique du capitaine
Brosselard ;
( ••• ) il laissait les sofas franchir le Djoliba
et piller aux environs de Kagamba (2).11
La plupart des journaux reproduisent partiellement
ou entièrement cette littérature officielle. Da~s la presse l
l'image de Samory "l'exterminateur!ll !Ile ravageur"l "le piL.eur"
revient au premier plan.
L'i-l.lmamy Samory n'est plus l'"homme extlaordinaire!l
dont Le Temps not~~ment se plaisait à louer la générosité
après Kéniéba-Koura et le séjour du Prince Karamoko en France.
(1) Le TempSI 4 Avril 1891.
(2) Le Tempsl 20 Juin 1891.

- 6~ -
Telle a été, depuis une vingtaine d'années l'exis-
tence de Sa.:nQry (l)." Il faut s' arr~ter sur cette citation
capitale. Elle est un échantillon de ces nombreux articles pu-
bliés par la presse et qui ont tissé l'image de Samory. Le
Temps reprend la comparaison qu'il aV2it établie au commence-
ment de la g~erre. Sans les nommer, il rappelle les similitu-
des qui, selon lui, existent entre EI-Hadj-Omar, Ahmadou et
Samory. D'après le journal, Samory. à l'image de tous ces con-
quérants qui fondent des e.npires "en surface", utilise des
méthodes qU'il décrit avec minutie. Il procède par "l'envahis-
sement", le "pillage", l'''incendie'', l'''extermination'' ; 11
est un Il sanguinaire Il qui inspire la IIterreur".
(1) Le Temos, 2 Février 189~

- 63 -
Tous ces termes employés par Le Temps pour décrire les proc~­
dés de guerre de Samory évoquent la mort. Ils sont porteurs de
l'idée de sanq et de mort. Ils la véhiculent avec insistance.
L'image de Samory l'"exterminateur" s'enrichit. Il utilise~
selon le quotidien d'Adrien Hébrard~ tous les procédés possi-
bles pour parvenir à ses fins. Les mots de "sanguinaire"~
"pilleur"~ "incendiaire" sont des mots à très haute fréquence
dans les Journaux et dans les écrits où il est question de
Samory. Une observation attentive des écrits des publicistes
confirme largement cette assertion.
Cet autre article du journal Le Temps
corrobore
l'analyse précédente. Lorsque Clozel occupe Bondoukou le 5
Décembre 1897~ la ville l1était loin de la splendeur où l'a-
vait trouvée Binger. La ville~ grande et bien Qâtie~ qui a
plus d'un lcllomètre de l'Est à l'Ouest~ a été pillée par les
bandes de Samory ••• Vingt crânes~ b:!.ancnissant 2,'''; soleil sur
la route de Didiani~ indiquent que le Napoléon no~r~ comme on
l' appelle parfois~ a des procédés sommaires de gO:1vernement (1)."
A
en croire le journal~ rien ne subsiste derrière Samory. Les
villes et les régions les plus prospères perdent ~eur prospé-
rité dès que Samory y passe. Le
contraste établ~t volontaire-
ment par le quotidien est saisissant. La prospérité que con-
naissait la ville de Bondoukou par le passé s'oppose à l'état
de ruine où elle se trouve aujourd'hui. Il y a ~,e juxtaposi-
tion de deux clichés qui ne semblent pas représe~ter le même
objet. Les "vingt crânes blanchissant au soleil" expriment à
eux seuls la force du contraste.
(1) Le Temps~ 13 janvier 1898.

- 64 -
Les autres quotidiens et périodiques développent l~
même image de Samory. La Patrie, organe monarchiste, dépeint
Samory "ravageant et dévastant tout le pays sur son passage (1).11
Le Figaro dépeint également llAlmamy comme un lIexter-
minateur sanguinaire". Au lendemain
de la capture de Samory,
ce journal écrit que "Samory ne maintenait sa pui ssance que
par la terreur. Lui et ses hordes ne subsistaient que par la
guerre continuelle. Et quelles guerres ! toutes accompagnées
de razzias, de pillages, d'inc~ndies et de massacres. Lorsqu'-
ils tombaient sur un village, ils pillaient et brulaient."
Pour compléter son portrait de Samory, le quotidien ajoute
"cet homme qui, dans ses courses incessantes, ne semait sur
son passage que la destruction et la mort, a une ~~e pleine de
cruauté ! (2) " •
Selon La Républioue française, lorsque les troupes
coloniales françaises entrent à Bissandougou, le 12 J~lvier
1892, après avoir battu les sofas de Samory, ce dernier
"s'étai t enfui vers Parabaté., à huit kilomètres au : ld de
Bissandougou, ravageant et dévastant tout le pays sur son pas-
sage (3)."
( 1 ) La Patrie, 4 Février 1392
(2) Le Figaro, 14 Octobre 1898.
(3) La République française, 4 Février 1892.

- 65 -
La Justic~, l'organe du Parti radical de Clémenceau,
continue de reproduire in exter.so des articles publiés par le
quotidien d'Adrien Hébrard (1). De même, il ne cesse de publier
ceux du Journal Officiel qui traitent de la lutte contre Samo-
ry au Soudan. La Justice propage ainsi l'image repoussante de
Samory que le pouvoir veut imposer à l'opinion publique fran-
çaise et internationale. Cette image correspond aQ
propres
convictions du journal radical qui écrit en 1886 que Samory
"vient à bout de ses adversaires par la famine (2)."
Il ne
s'agit donc pas d'un simple phénomène de reproduction d'une
image sans qU'il y ait adhésion consciente. Pour L'Illustration,
partisan de l'expansion colonial, l'Almamy est un "potentat".
Le Magasin Pittoresque partage le même avis. La Revue des Deux
Mondes quali:'ie Samory de "monstre (3)" ; les peuples fondent
sous lui (4) "ajoute-t-elle.
Le "monstre", le "potentat" est évidem!:lent un esc12-
vagiste pour la presse. Tous les journaux clouent au pilori
l'esclavagiste Samory. Nous n'en citerons que quelques uns.
L'Empereur du Ouassoulou, selon Le Figaro, se livre à la "chas-
se aux esclavages" car après le pillage d'un village, "les
vieillards et les enfants étaient mis à mort, les hommes vali-
des et les fe~mes étaie~t emme~4s e~ captivité (5)
(1 ) Voir par exemple La Justice des 5 ?évrier, 10 Juin,
15 Juin 1892, etc •••
La Justice, 22 AoGt 1886.
La Revue des De~x Mondes, 1er ~ai 1898.
La Revue des Deux ;'londes, 1er i<1ai 1898
Le ?igaro, 14 Octobre 1898

- 66 -
Binger dans son récit intitulé Dans la bouche du
Niger s'attarde sur l'imar,e de Samory le "marchand d'escla-
ves". Il se livre même à des calculs et estime à "à peu près
800" par mois le nombre de captifs que doit "dépenser" Samo-
ry pour se procurer la quantité considérable de poudre -
"1.000 lcilos par semaine environ (1)" - qu'il consomme avec
son armée. "Pour l'achat des chevaux, c'est encore pis" note
Binger et il procède à des estimations en se basant sur le
fait qu'à Ouolosébougo'.l ou ai~leurs, "le plus bas prix d'un
cheval" est de huit esclaves et le plus élevé de vingt quatre.
Selon Le Temps, en dehors de ses dix à douze mille
sofas, Samory "traîne une foule de captifs et de captives qui
est évaluée à une cinquantaine de mille individus (2)."
Les journaux publient les témoi~ages des Européens,
civils ou militaires, qui ont, au moins une fois, renco~itré
Samory et qui, par conséquent, sont supposés en avoir une
meilleure co~naissance. Quelques u~s de ces personna~es ont
déjà été cités. C'est le cas de Binger qui cJns:dère que Samo-
ry est un "souverain despote" mû par une "sotte varlité" ; il a
commis "des èéprédations dans la boucle du ~Hger", affirme
l'explorateur qui souligne la nécessité d'"orga~iser les peu-
plades terrJrisées ())".
( 1 ) Le Tour du ''londe, /'0 ~évrier 1891.
(2) Le Temps, 4 Septe".bre 1898
(3) La Patrie, 17 Octobre 1898

- 67 -
L'Union Républicaine de Fontainebleau publie pour
sa part la lettre d'un capitaine nommé Philippe. POtr cet of-
ficier, Samory, "ce fauve africain, digne successeur de El-
Hadj-Omar" sème la terreu.
au Soudan. "Sa piste n'était
qu'une tra!née de cadavres et, ma foi,
je crois avoir vu le
spectacle de l'horrible à son apogée". Puis il poursuit sa
narration de la campagne du mois de l.ovembre 1693. "La tacti-
que de Samory, je l'ai dit consiste à fuir, mais rien ne sub-
siste derrière lui: on se croirait d~~s un pays de l'histoire
ancinenne où les hordes, passant comme un ouragan de fer et de
feu, ne laissaient derrière elles que la destruction.
Dans chaque village suspect (trois ou quatre mille
habitants), la population importante mâle est massacrée (sept
à huit cents individus) - les enfants ne se comptent pas, ça
s' é~ras9 a'~ hasard, le reste est emmené comme caDtif - et le
vil~3.ge est livré aux :'l3lJ:r.1es.
Il faut suivre, comme nous l'avons fait, cette bande
fuyant avec son butin Lumain ; tout ce qui ne peut sui vr·e es\\:,
mcssacré ; l'enfant que sa mère ne peut plus cOlltinuer à porter,
'eté au travers des buissons. Un ges~e de rÉbellion arc:ène le meu
tre, et encore si ces mall:.eureux étaient achevés; mais tout
cela ~eurt lenter.1ent, de faim, de seif, de soif sur~out (1,.'1
(1) Le TemDs, 25 Mars 1894.

- 68 -
Il nous a paru utile de citer les passages essentiels de
cette "intéressante lettre" comme le dit Le Temps. Son ('on-
tenu ne renouvelle nullement l'image de Samory. Elle utilise
la terminologie que tous les publicistes ont employée pour
dépeindre l'Almamy. Le capitaine introduit certes une compa-
raison entre Samory et ses sofas d'une part et les hordes de
"l'histoire ancienne" d'autr2 part. Mais on retrouve sous sa
plume la comparaison avec EI-Hadj-Omar et tous les termes
évoquant le sang et la mort. Par les détails qu'il souligne,
l'Officier veut apporter un éclairage cru à l'image de Samory
qui, selon lui, ne mérite pas d'être rangé parmi les êtres hu-
nains mais parmi les bêtes sauvages, les fauves.
Journalistes, explorateurs, voyageurs et officiers
français ont donné plus d'un surnom à celui dont la résistance
tenace a fait échec pendant plusieurs années à l'expansi~n
2::Jloriale fran('aise au Soudan. On l'appelle quelque:'ois "le
Napoléon noir" indique Le Temps qui stigmatise "son passage à
l'Attila dans la haute vallée du Niger, dans les bassins de
la Comoé et de la Volta (1\\."
Quant au journal radical La
JéDêche du "1idi J il a:'firme que .samory fut pour les noirs dl:
Soudan "un Attila doublé d'un Barbe-Bleue"·
Les
surnoms ne manquent donc pas ,a s a~ory,
'"
me me s ils sont par-
fois c.J:""itestés par ce,.u:-là mêmes ;~J.l nt avaient". pas :~!:~
t:~ -~
les utiliser.
(1) Le Temps, 14 Octobre 18g8.

- 69 -
Ainsi. Le Figaro qui. en 1886. appelait l'Almamy "l'Alexan-
'1re du Soudan" sans commentaire aucun et avec une belle assu-
rance apporte en 1898. après la défaite de Samory. une nuance
significative à son jugement. "On a fait à Samory beaucoup
trop d'honneurs quand on l'a appelé "l'Alexandre noir" ; con-
quérant. il l'est sans doute. mais il est surtout un pillard
qui ne combat que pour tirer un profit personnel de ses vic-
toires. un trafiquant qui dévaste un pays pour faire la chas-
se aux esclaves et pour s'enrichir de leur vente (1)."
Binger est plus lapidaire mais non moins catégorique dans son
jugement
"On a été jusqu'à qualifier Samory d'''Alexandre du
Soudan". On aurait mieux fait de le traiter de pourvoyeurs
d'esclaves (<!)."
Tous ces surnoms ne sont pas le fruit d'un simple
jeu de l'espr~t. Ils ont une signification profonde qU'il
nous se~ble ihopportun de laisser dans l'ombre. Ce sont des
raccourcis qui permettent de dépeindre le personnage de Samo-
ry en peu de mots. Ils fixent l'image de l t Almarny d'un trait
vif et s"ggestif. Ces sur~oms renvoient à des personnages
historiques 01..' rr-;thologiques. L'ir.tention en -..:tilisant ces
comparaisons est d ' attribuer à Sar'1ory les qualités et s:.œ-
tout les défauts des personnages q-..:i ont porté ces noms.
(1) Le Fi~aro.
4 Octobre 1898.
(<!) Le Tour du Monde. 6 Février 1391. Voir Le Tour du Monde
Paris. Librairie Hachette et ~ieJ 1391. P. 34.

- 70 -
Le surnom d'Attila donné à Samory est révélateur
à ce sujet. Les Huns avec à 'eur t3te Attila leur chef se
lancèrent sur la Gaule au V ème siècle. Une réputation de ra-
vageur est attachée au nom de Attila qu'on appelait le "fléau
de Dieu". La légende affirme même que l'herbe ne repoussait
plus là où il était passé. La comparaison de Samory avec
Attila n'est donc pas fortuite. Elle renvoie à l'image d'un
personnage que le lecteur moyen du journal connait. Son adhé-
sion ~; l'image qt1' on donne du personnage est constalllment
01-
licitée. Le Temps rend d'ailleurs la compréhension du lecteur
très aisée quand il écrit à propos de Samory que "son passage
à l'Attila dans la haute valée du Niger, dans les bassins de
la Comoé et de la Volta n'a été qu'une oeuvre néfaste de rava-
ges et de dépopulation (1)."
Le journal d'Adrien Hébrard qUi, visiblement, trouve
insup}: Jrtable la 10T1gue résistance de Samory à la coloni,-,ation
française espère que Hsi lente soit la marche de la vengeance,
elle finira bien par s'abattre, accablante, sur le repaire de
b~'Ces féroces (2) Il que représente le pays contrôlé par Samory.
:Sn 189ê, Le Temps préconise Il une campa;;ile qu'il fau-
dra s'efforcer de rendre décisive (3)" contre Sa~ory et ses
sofas. 2n effet pour ce quotidi~n, l'une des tâches du com~ar,-
da.'lt sèlpé:::,ieur du Soudan devra consister en ilIa liquidatio!"',
des opérations militaires" contre Sa'TIory.
(1) Le Temps, 14 Octobre 1898.
(ê) Le Te~Ds, 7 Avril 1898.
U) Le Te~ps~ ê Février 1892.

- 71 -
Doutant de la valeur des traités, ces "papiers" qui "ne résol-
vent pas les problèmes" mais "en ajournent la solution", Le
Temps qui se déclare partisan d'une "politique d'expansion
pacifique" ajoute: "Mais nous n'hésitons pas à reconnattre
que le système de la paix à tout prix a ses dangers parce
qu'il donne à l'opinion publique une sécurité trompeuse et
l'expose à des "surprises" préjudiciables à tous les intérêts
politiques, économiques, militaires et financiers (1)."
Jus~~'à la capture de Samory, la presse s'emploie à
développer et à propager 11 image de Samory le "sanguinaire",
l '''exterminateur''. Les journaux utilisent les moindres oppor-
tunités qui leur sont offertes pour enraciner cette image
dans ~a conscience de l'opinion publique.
(1) Le Temps, 28 Juillet 1892

- 72 -
VI.
"TOUS LES CHEMINS SONT BEAUX QUAND SAMORY EST AU BOUT."
Surpris dans son campement près de Guélémou le 29
Septembre 1898 par la reconnaissance commandée par Gouraud,
l'Almamy Samory s'enfuit à pied. Ses nombreux assaillants se
lancent à ses trousses. Les tirailleurs lui crient "110 !
110 ! (halte) Samory !" Finalement i l est saisi par Bratières
et remis entre les mains de Jacquin. Cet officier raconte dans
une lettre à ses parents comment il obtint la reddition des
sofas de Samory : "Et je reviens triomphalement au devant du
gros de la colonne, tenant d'une main Samory et de l'autre
mon revolver dont je le menace en lui ordonnant de faire
déposer les armes. Quelques instants après, tout son monde
faisait sa soumission (1)." Samory est traité comme un terro-
riste. Jacquin l'utilise comme otage pour obtenir la soumis-
sion de ses troupes. Les autorités françaises décident de le
conduire à Kayes, chef-lieu du Soudan, en traversant les te~'­
ritoires sur lesquels il avait éribé son Empire afin d'iFpres-
sionner les populations. Le convoi part de Kankan le 6 2iovem-
bre et arrive à Siguiri le 16 Novembre 1898.
L'arrestation de l'Almamy constitue une victoire
indé~üable des troupes coloniales françaises.
Vs déclara-
tions de '.'i.ctoire des représentants de la Fr~'1ce citées pl'~s
haut en sont une preuve. Ils ~esurent toutes les c 'nséquences
bénéfiques que l'utilisation de cet atout peut a'loir pour la
colonisation française au Soudan.
(1) Le ~emps,
7
~écembre 1898.

- 73 -
Ainsi, la traversée du Soudan par Samory, depuis
le lieu de sa capture jusqu'à :'ayes, est organisée de la
façon la plus propice à intimider les populations des terri-
toires traversés. Le résultat escompté par les autorités
françaises est de montrer que la puissance de la France a eu
raison de celui dont le seul nom inspirait le respect au
Soudan. Il s'agit de convaincre les habitants du Soudan de
la force de la France afin de les inciter à une obéissance
totale.
A l'opposé, les autorités françaises cherchent à
propager l'image de Samory le "sanguinaire" désormais captif
et donc impuissant face à la France.
Un dessin réalisé d'après une photograpr.ie et pu-
blié par L'Illustration du 21 Janvier 1899 montre l'Al~amy
Samory à son arrivée à Kita. Il est tout de blanc vêtu et
porte un long t'Jrban auto'J! de la tête et du cou e t ' s t
chaussé de bottes. Sur sa gaLche et légèrement en retrait,
un tirailleur, ba!Qnnette au cano'~J surveille attentivement
les évolutions de l'Almamy.
(Voir P. 74)

74
"'
"
1....... . . ,
1" ••,...... -
, .. ,,~. . . . . #
. . . .
,
. . . . . . . . "

- 75 -
La capture de l'Almarny est un événement qui permet
aux journa11ctes et aux caricaturistes de donner libre cours
à leur imagination. Une imagination débordante qui se mani-
feste chez les uns par la production de récits imaginaires l
chez les autres par la réalisation de peintures tout aussi
fantastiques de l'événement.
Dans le supplément illustré du Petit Journal
par
l
exemple 1 un dessinateur imagine que l a capture de l ' Almarny a
été réalisée après une chevauchée endiablée à travers champ.
(Voir P. 89). Le dessin publié par ce journal le ;1) Octobre
1898 représente Samory à cheval
le turban dans le vent
l'air
l
l
épouvanté
poursuivi par deux cavaliers français menaçants.
l
Les deux cavaliers représentent les assaillants français de
l'Almarny. L'un d'entre eux a son sabre levé sur lui et le
tient au collet. La légende dont la fonction est ici de ren-
~orcer l'i~age picturale indique: "Capture de Samory par le
lieutenant Jacquin". Il ne s'agit ici que d'une vision pure-
ment fantastique de la capt,œe de Sa.llory par les forces fran-
çaises.
La capture de Samory n'apporte guère de mod~fica­
~ion à son image dans la presse française. Le gouverne~ent
et ses représe~t~ts au Soudan ne modifient pas
}oin de là
l
l
l'image de l' Al:na.'.'ç qU'ils ont prop3.gée des années durant •

- 76 -
"Ainsi s'est trouvé terminée la carrière de celui
qui} pendant plus de quinze ans} n'avait établi et conservé
sa puissance néfaste qu'en portant la ruine et la mort da~s
les régions les plus riches du Soudan. Ne subsistant que par
le pillage et le massacre} il s'était trouvé constamment
devant nous} adversaire irréductible •••
(1)". C'est en ces
termes que le gouverneur général Chaudié dépeint Samory
dans son rapport officiel sur les opérations finales de la
colonne qui l'a capturé.
"Tous les chemins sont beaux quand Samory est au
bout 1 (2)."
L'expression est de GouraUd. Elle conclut sa
réponse aux inquiétudes du médécin qui décline "toute res-
ponsabilité" devant le mauvais état des pistes empruntées par
la troupe lancée à la poursuite de Samory. Elle révèle l'inté-
rêt qu'en tant qu'officier français il accorde à l'anéantisse-
ment de la résistance de Samory par les troupes coloniales fran-
Le 22 Décembre 1898) "une émouvante cérémonie" est
.Jrga'1isée à Kayes. Sa ~olennité perlilet d'apprécier à sa jus-
te valeur l'importance que la France attache à la défaite de
S~~ory. "Les trou;es formaient le carré. Tous les fonction-
~aires} tous les o~ficiers} tous les colons avaie~t été con-
voqués. Une gr2-de partie d, la population n0ire ét2.it
accourue (3)."
(1) Le Temps) 1~ Décembre 1898.
(2) Gouraud} op. cit. P.
197.
(3) L'Illustration} 4 Février 1899.

- 77 -
Le général Trentini~n prononce la sentence après
"un discours bien fait pour iLlpressionner les nègres."
"samory, dit le général dont l'ancien capitaine Mouh8.Jl1adou
Racine traduisait au fur et à mesure, à très haute voix, les
paroles, - Samory, tu as été le plus cruel des hommes qui se
soient vus au Soudan ; tu as agi comme une b~te féroce. Toi
et ceux qui ont été les instruments de tes crimes, vous de-
vriez périr de la mort la plus terrible ••• "
Le général
Trentinian prononce, au nom du gouvernement, la déportation
sur une terre lointaine d'Afrique à l'encontre de Samory, de
son fils Saranké Mory et de Morifindiam son ami et conseiller.
L'Illustration publie deux photographies prises le
jour de la condamnation de Samory. L'une montre le général
Trentinian entouré des plus hautes autorités coloniales du
Soudan. Le casque colonial orne presque toutes les t~tes de
ces dignitaires. L'autre montre l' Almamy Samory p~ndant la
lecture de la se~tence par le bé~éral Trentinian. Les deux
documents icono5Taph~ques apportent un éclairage co~plémen­
taire au tableau. (Voir pages
113 et 114).
Les autorités f~~~çaises infligent à Samory le trai-
tement d'un vulgaire bandit. Il est châtié pour l'exemple.
Le châti~ent est destiné à Itimp~essionner les nègres lt
à frap-
J
per leur eS;Jrit. Le gouver'el1ent espère ainsi déco'.1ra6er
toute vélléité àe résistance à la colonisation française dans
cette partie de l'Afrique.

-78 -
Il espère décourager tous ceux qui seraient tentés d'imiter
l'exemple de Samory. Le déploiement de forces et la solen-
nité de la cérémonie ne sont que des moyens qui servent cet
objectif. Le pouvoir développe donc toujours la même image
de Samory. On retrouve dans les propos de Chaudié et de
Trentinian la plupart des termes qui ont toujours servi à
la construction de l'image de l'Almamy : "puissance néfaste",
"ruine", "pillage", "massacre", "cruel", "bête féroce", l'cri-
mes", "mort", etc •••
La récurence n'est pas due au hasard;
elle est voulue. L'image de "criminel" de Samory le poursui-
vra jusque dans son exil.

- 79 -
CONCLUSION
PARTI~
La presse française des vingt dernières années du
XIX ème siècle représente Samory sous les traits d'un poten-
tat musulman l belliqueux
esclavagiste qui accomplit une
1
oeuvre de destruction et d'extermination au Soudan par le
massacre l le pilla~el l'i~ce~0ie. Cette image de sanguinaire
ne subit pas de modification fondame~tale jusqu'à la défaite
de Samory et la disparition de l'Srnpire du Ouassoulou. Le
léger infléchissement co~staté ~n 1886 à la suite de la si-
gna-ure iu traité de Kéniéba-:.,)ura et de la visite du prince
Karamol<o en France ne cürrespoLd pas à un changeme~t des ba-
ses de la représentation Samory. Il est purement circonstan-
tiel et ne corres~ond pas à la ,,~i~s~îce d'~ne véritabJe
image àe substitution.

- 80 -
Les quotidiens et les périodiques dépouillés, sans distino-
tian de tendances politiques, contribuent à l'élaboration
et à la diffusion de cet aspect de l'image de S~~~ry. Les
Les journaux monarchistes tels que Le Figaro, La Patrie,
etc.
ou radicaux tels
que La Dépêche du Midi, La Justice
diffusent une image de Samory qui, dans son contenu, est
identique à celle propagée par lES jour~aux qui ont défen-
du les conqu~tes coloniales sans jamais se démentir.

- 81 -
VII.
SAMORY
UN AMI DES ANGLAIS
La représentation de S~aO~y co~~e un ~~i des An-
glais constitue un autre aspect de son image dans la presse
française.
A la fin de la campagne militaire française contre
l'Empire du Ouassoulou en 1892, Le Temps écrit que la c&npa-
gne de l'année suivante sera
plus difficile encore "car
Samory s'est rapproché de Sierra-Leone (1)." La proximité de
la colcuie anglaise de Sierra-Leone est un sujet de préoccu-
pation constante pour les journaux. Ils en parlent très sou-
vent car elle facilite, selon eux, le développement de l'~~i­
tié entre Samory et l'Angleterre. Quotidiens et périodiques
contiennent une abond~Dte énumération de ce qu'ils considè-
re~t comme les m~lifestations les plus significatives de
cette ~~itié depuis 1882.
Les rapports amicaux entre les deux pays s'expri-
ment, à en croire les publicistes, de différentes faço~s et
en diverses occasions. Ils se nouent surtout, selon e'~, par
l'intermédiaire des représentants de sa ma:esté brit~,ique
en Sierra-Leone. En Juin 1885, alors qU~ les deux armées ad-
verses s'affrontent depuis plus de trois a~s, Le Temps écrit
que "le gouverneur &îglais de Sierra-Leone, sir Sa.1JUeJ Rowe,
reçoit sollennelement le principal lieutenant de Sa~ory, le
chef Linganfoli qui vient de s'établir avec ses troupes sur
le Haut-Niger.
(1) Le Temps, 10 Juin 1892.

- 82 -
Linganfoli entre à Freetown sa.lué par vingt et un coups de
canons!
(1)."
Les relations amicales entre ~amory et les Anglais
continuent, selon la presse, lorsque par les traites de 1886
et 1887, les deux protagonistes concluent la paix. "Pendant
ce temps, écr::..t le journal d'Adrien Hébrard, les autorités
de Sierra-Ieone ne restaient pas inactives." Le même quoti-
dien affirme qu'en Mars 1887, Sir Samuel Rowe, gouv~rneur de
Sierra-Léone, envoie le major Festing en mission auprès je
Samory. Comme preuve de ses assertions sur la volonté arlglai-
se de nuire aux intérêts français, Le Temps cite un passage
du rapport de Festing où il dit not~~ment
"
j'avais
été prié d'envoyer à Samory une lettre de l'administrateur
en chef de Sierra-Leone...
Je fis parvenir cette lettre
avec un présent de 25 livres sterling en argent et quelques
pièces d'étoffe (2)."
La presse parle en o~tre du don d'un fauteuil fait
à Sx~ory par les Anglais en 1892. Il s'agit pour elle d'lli,e
mfu~ifestation de plus de la complicité entre les deux cou-
ronnes. "Le :;]onarque, o-"serve 12 Justice, a déclaré à l'en-
voyé britanique que ce fauteuil ne lui était d'aucune utili-
té" parce que les ?rançais ne lui 12.issaient pas ~e te~ps àe
s'as.seoir
(3) • Il
Plusieurs j o~r~au.:. parlerOflt d'un . _rôEe"
offert ;:>ar le gouverneur anglais Quahle-Jones au lI pro tégé
devenu rebelle (4).
Le Temps, 10 Décembre 1898.
Le Temos, 10 Décembre 1898.
La Justice, 2ô Juillet 1392
Le Temns, 10 Décembre 1898

- 83 -
L'attitude qu'aurait observée Samory en recevant le don n'a
que pel d' impo:'tance a11X yeux des pLlbli~istes. Ce qui leur
importe et qU'ils mettent en exergue c'est l'acte l le don
d'un trône" à un "rebelle" l ennemi de la France surtout
lorsque le gouverneur incriminé rencontre la même année
Kémoko-Bilali l "un des principaux lieutenants de Samory."
Le voyage l selon la presse l d'envoyés de Samory en
Angleterre contribue à le faire apparattre davantage comme
un ami des Anglais. Pour l'agence Havas l ("·es "représentants
plus ou moins officiels de Samory" qui s'embarquent pour
Liverpool ••• vont en Angleterre pour s'entendre avec le gou-
vernement britanique relativement à certaines questions con-
cernant le pays de Samory ou Samadou."
Ce vOyage est l tou-
jours selon l'a6encel la conséquence des efforts déployés par
les agents du gouver!1ement anglais et par les "traitants de
Sierra-Léone...
en vue de lier les intérêts de S~~ory à
ceux de la colonie an~laise (1). If
Pour l'agence Havas l
"cela ne saurait tirer à conséquence."
Ce sont surtout les relations commerciales que la
presse française considère comme les manifestations les plus
impOrtantes de l'amitié entre Sa~ory et les Anglais. Certes l
elle s'expri.'TI8 sc:.r '~au':;res plans co~me nous l'avons indiqèlé.
j'lais les éche:.;:-;es de délégations et d ' amabilités de toutes
sortes n'ont pour but que de consolider les relations écono-
miques.
(1) Le TernoS
28 Octobre 189~.
J

- 84 -
A en juger par la quantité et le contenu des arti-
cles qu'elle consacre à ce sujet. les ventes d'armes repré-
sentent pour la presse l'expression la plus dangereuse pour
les intérêts français de l'amité entre Samory et les Anglais.
Le Temps reprenant un article de la Saint-James Gazette
écrit que Alfred Jones. négociant de Liverpool et membre de
le. Chambre de Commerce de cette v:lle a "offert à la reine
Victoria une magnifique autruche provenant de chez Samory (1 )."
Mais si le journal procolonial d'Adrien Hébrard signale le
passage Je Itoiseau de la cour royale du Ouassoulou à celle
d'Angleterre. c'est pour stigmatiser l'attitude du gouverne-
ment anglais qui "pratique. à l'égard des marchands d'armes
de Sierra-Leone. la politique de ce quadrupède.n(Sic). Il voit
une complicité entre les marchands d'armes de Sierra-Leone et
le gouvernement anglais. Samory a "pu massacrer des centaines
de mille hommes"
grâce à l'Angleterre car. écri t =~mile Auzon,
"ses co:;]me:,';ant s l' on t d'"
e,Ja
'(2)."
arme
L' armer.Jent de Samory
par les Anglais ne fait non plus aucun doute pour Le Magasin
Pittoresqu.2, et La Patrie notamment. "On attend incessamment
des canons-revolvers sortant des manufactures de Manchester"
écrit l'organe de Lucien Millevoye. Plus que tous les autres
journaux. Le Temns dénonce constamment ces ventes d'armes.
Il écrit par exemple que Samory "avait reçu ••• les armes
nécessaires pO'lr sa lutte cont:':",= nous (3)" :J'''; cF~'::': est "cl8
,..
plus en plus pUiSS~lG par les conquêtes qu'il
fait grace aux
armes et aux munitions reçues par l'entremise des traitants
de Sierra-Leone (4)."
(1) Le Temps. 30 Septembre 1892.
(2) La Revue des Deux Mondes~ 1er Mai 1898.
(3) Le Temps. 30 Septembre 1b92
(4 ) Le Temps. 10 Décembre 1898.

- 85 -
Les journaux français nourrissent la conviction
que l'Almamy Samory aurait été rapidement vaincu par la
France si les Anglais ne lui fournissaient pas d'armes.
itOn prétend mÊime que Samory se serait déjà rendu .. à l'exem-
ple de Béhanzin .. s'il n'avait été encouragé dans sa résistan-
ce par nos voisins de Sierra-Leone" et l'auteur des propos
qui précèdent ajoute entre parenthèses : "nos lecteurs de-
vinent aisément que Sierra-Leone est colonie anglaise (1)."
On mesure aisément l'acuité des rivalités entre la France et
l'Angleterre à cette époque. L'auteur suppose au départ que
ses lecteurs reconnattront l'Angleterre sans qU'il ait besoin
de la nommer.
Les journaux français ne fondent pas leurs accusa-
tions contre l'Angleterre sur la seule question des livrai-
sons d'armes. Ils sont également convaincus que les Anglais
conse~llent l'Alm~y Samory. Ainsi .. La Patrie indique que les
agents de Samory "ont trouvé auprès des Anglais "une condes-
cendance fâcheuse et des conseils que leur mattre n'a que
trop suivis (2)."
Le.Temp~ affirme de son c8té que Samory
reçoit des "conseils politiques" des Anglais.
(1) Le Magasin Pittoresque .. supplément 1er Mai 1895
(2) La Patrie .. 20 Janvier 1892.

- 86 -
Pendant toute la durée de la lutte contre Samory,
le gouvernement français est particulièrement attentif à la
question de la circulation des armes dans l'Empi~e du Ouas-
soulou. Il impose des restrictions à ses propres échanges
avec l'Empire de l'Almamy dans ce domaine. Les autorités
françaises veillent, par exemple, à ce que des armes perfec-
tionnées ne tombent entre les mains de Samory et des ses
sofas. On trouve une illustration de cette attitude dans la
surveillance dont Karamoko, le fils de Samory, est l'objet
lors de ses achats d'armes à Bordeaux. "Tous ces achats se
faisaient sous la surveillance du capitaine Péroz, le gouver-
nement ne voulant pas laisser pénétrer dans l'Empire de Sa-
mory des armes de guerre autres que celles fabriquées en
Fran~e, et qu'il peut à volonté rendre inutiles en suppri-
mant l'envoi de munitions (1)."
Comme le montre cette phra-
se du "porte-parole officieux" du gouvernement, la France
désir9 à cette époque détenir le monopole de la vente des
armes de guerre à l'Empire du Ouassoulou afin de pouvoir en
priver l'armée de Samory si les événements l'exigent. La Pa-
trie
.a encore plus ]oin et s'élève contre la vente des
"armes hors de serv1~e à tout le monde", ce qui permet aux
"mercantis anglais - nos bons amis - de les revendre "aux
noirs qui nous fusillent avec. Ce sont toujours des balles
françaises qui nous frappent (2)."
(1) Le Temps, 7 Septembre 1886.
(2) La Patrie, 17 Octobre 1898.

- 87 -
Après la capture de Samory par les troupes colonia-
les françaises, le quotidien monarchiste ne manque pas de
rappeler les relations commerciales de l'Angleterre avec lui.
"C'est un bon client que perdent les Anglais car Samory leur
achetait ses fusils à tir rapide et ses munitions. C'est tout
le tort que la capture de l'Almamy peut leur causer (1)."
Tous les journaux consultés représentent Samory com-
me un ami des Anglais. Les propos
prgtés à un chef sofa de
Sarr.~ry par Félix Dubois dans son livre La vie noire se veulent
une preuve manifeste de la complicité entre Samory et ses
sujets d'une part et les Anglais d'autre part. Voici, repro-
duite par Dubois
la réponse du chef sofa, subordonné de
l
Kémoko-Bilali
tels que les lui rapportent des messagers de
l
Lamadon,
commandant de Benty : "Nous n'aimons pas les Fran-
çais
nous en avons peur. Quand ils prennent un sofa, ils
l
l'emploient à porter des pierres, à construire des routes et
des maisons
nous ne les aimons pas du tout. Il n'y a que
les Anzlais qui soient bons pour nouS
qui nous fournissent
1
de la poudre, des fusils. Ils ne nous font pas de mal aussi
n'en faisons-nous pas à leurs caravanes. Il n'en sera pas de
même pour celles qui vont chez vous (2)."
Dubois note un
peu plus loin qu'une "grande caravane anglaise" ée dirigeant
vers la Sierra-Leone "n'avait été n~ lament inquiétée par
les sofas."
(1) La Patrie, 17 Octobre 1898.
(2) L'Illustration, 22 Octobre 1892

- 88 -
CONCLUSION
PARTIELLE
Un aspect supplémentaire vient ainsi étoffer l'ima-
ge de l'Almamy Samory dans la presse française. Les journaux
le représentent comme un allié des Anglais dont il reçoit des
armes. Ce dernier aspect de la représentation de Samory vient
s'ajouter à ceux que nous avons déjà développés. Chacun de ces
aspects représente un pan de l'édifice construit par la presse
pendant plusieurs années. Le contenu de l' ima~e je l' E::lpereur
va de Sé,..llory l r enne;ni belliqueux et redoutable à Sa:nory le
sanguinaire, l'incendiaire, l'esclavagiste dont le bras est
ar~é par l'Angleterre. L'image ainsi obtenue est largement
négative car elle est cor.sciem~ent et essentiellement tissée
avec èes élé;;1ç;nts dont l'association ne peut inéh,c-cableme:lt
débou~ller que sur un tel résul-cat. Ces éléments sor.~, pour la
plupart, tes élé~er:.ts de cL;.lpabilisatiorc. L' Al113D1Y Sainory est
rendu responsable dé. 1::'11ages, d'incendies, de razzias, j'é-
pouvantables massacres, ôe collaboration avec l' enrcemi an-
glais
etc .••
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Capture de Samory par le ueutenant Jacquin

- 90 -
CHAPITRE
II
L'IMAGE
DE DIAOULE KARAMOKO
~. KAR~MOKO E~ VISITE OFFICIELLE EN FRANCE
Excepté S~~ory, le Prince Diaoulé Karamoko est
l'homme de l'2mpire du Ouassoulou auquel la presse française
consacre le pl~s de c~ace dans ses colonnes. Samory eut pour-
tant beaucoup d'enfants. Les journaux regorgent d'ailleurs
sur le~r total
exact de chiffres divers. Certains ~'hésitent
pas à se contredire. Le Temps, par exemple, en avan~e deux.
Il affirme d'abord que l'Alm~~y a soixante trOis enfants,
puis qu'il n'en a qu'une quarantaine. Mais les journaux fran-
çais n'ont ja~ais autant parlé d'un autre enfant de Samory.

- 91 -
Plusieurs fils de Samory ont pourtant été de grands
guerriers et ont dirigé d'importants détachements de son ar-
mée. Selon la presse l c'est un fils de Samory qui a dirigé
les opérations militaires des sofas dans le combat où ont
péri Braulot et Bumas en 1898. Des personnages de premier
plan de l'Empire sont quasiment ignorés par la presse. Il en
est ainsi de Morifindiam qui était pourtant un conseiller
écouté de l'Almamy. La sentence prononcée contre Samory
après sa capture le frappe également. En effet l lorsque le
22 Décembre 1898
le général Trentinian déclare à l'Empereur
1
qU'il sera déporté "sur une terre d'Afrique si lointaine
qu'on ignorera" sOn nom l il ajoute: "ton fils l saranké Mory
et Morifindiaml ton principal conseillerl te suivront."
Si la presse française parle abondamment de Kara-
moko l c'est en raison de la visite officielle qu'il a effec-
tuée en France du 9 Août au 5 Septembre 1886. Les publicistes
ont eu l'occasion d'observer directement un Prince de l'Empire
du Ouassoulou.
c'est au moment de la signature du traité de Kéniéba-
Koura que Samory accepte non "sans peine" d'envoyer son fils
en Fr~~ce. "C'est la meilleure preuve qu'il pouvait nous don-
ner de ses bonnes dispositions envers nous et de sa confiance ll
affirme le capitaine Tournier àe l'infanterie de marine. Le
jour du àépart de la mission qui est placée sous le commande-
ment du capitaine Tournier l Samory montre qU'il a "beaucoup
d'affection pour sOn fils. 11

- 92 -
Le capitaine Tournier décrit comme suit la cérémonie d'adieux
qui a eu lieu au bord ct'
Bafing, un affluent du Niger, où
Samory a tenu à accompagner la mission: "Là, il nous fit ses
adieux, puis il embrassa longuement son fils, et, pour nous
cacher qu'il pleurait, sauta d'un bond sur son cheval et par-
tit à fond de train. Quant au pauvre Karamoko, il sanglotait
à fendre l'âme dans la pirogue qui nous emportait (1)."
Embarqués à Saint-Louis à bord de l'Equateur, un
paquebot des Messageries maritimes, karamoko et sa suite
arrivent à Bordeaux le 9 Août 1886. Le Prince est officielle-
ment reçu par les autorités municipales de la ville. Le I l
Août, il occupe avec sa suite le wagon-salon numéro 9 du
train rapide de 7 heures 10 minutes à destination de Paris
où il arrive à 4 heures 53 minutes. Reçus par Dubard, inspec-
teur de marine, chef du secrétariat de l'administration des
COlonies, le Prince et sa suite sont conduits au Grand Hôtel
où onze chambres, un salon et une salle à manger sont mis à
leur disposition au second étage du côté de la place de l'opé-
ra.
Le jeune Prince est accompagné d'une suite impor-
tante. Elle comprend deux ministres de l'Almamy, Offiar Dialli
et Tassilmanka (2).
Deux a~is d'enfance de Karamoko, Famodou
et Louine Roba, fils de deux hauts personnages de l'entourage
de Samory y figurent.
Le Voltaire, 14 Août 1886.
On rencontre également dans la presse l'orthographe
Tassolmanka à propos du même personnage.

- 93 -
Un marabout l Sidiki l chargé de veiller "tout spécialement"
sur le Prince l et un domestique du nom de Kounian en font
également partie. La mission oomprend en outre le capitaine
Mamadou Racine l chevalier de la Légion d'honneur qui sert
"vaill~ent la France depuis vingt six ans (1)"1 Allassane
Dia l "l'interprète le plus remarquable de tout le Soudan"1
"auquel la France n'est pas moins redevable (2)" car il sau-
va la vie du docteur Tautin lors de la mission du capitaine
Galliéni dans le Haut-Niger en 1880-1881 et celle du lieute-
nant colonel Prey qu'un captif ~aillit poignarder. Mohmady
un commerçant de Niagassola qui fut un intermédiaire entre
l'Almamy Samory et le lieutenant Péroz est également du vo-
voyage.
La réception du Prince Karamoko par l'amiral Aubel
ministre de la marine l par le ministre de la guerre l le célè-
bre général Boulanger l par Jules GréVYI président de la Répu-
blique l sa visite au musée de la danse l à l'OpéraI sa présen-
ce aux manoeuvres militaires de Châlon l etc.
sont autant
d'événements qui remplissent des colonnes entières des jour-
naux de l'époque.
Karamoko et les membres de sa suite sont en effet
un élément de curiosité en ce mois d'Août 1886.
"La présence
d'un noble étranger" va rendre "physionomie et couleur" à
Paris ; "Et voilà l la curiosité boulevardière alimentée
pour quelques semaines.
(1) Le Tempsl 13 Août 1886.
(2) L'Illustration l éà Août 1886.

- 94 -
All Right 1 (1) " ironise Le Figaro. Le correspondant du jOur-
nal Le Temps à Bordeaux écrit que le jour du départ de Karamo-
ko~ "il y avait foule devant les embarcadères et devant l'hô-
tel" depuis huit heures,bien que le Prince et les membres de
sa suite ne soient sortis qu'à dix heures et demie. "On a
crié: Bon voyage 1 Au revoir 1 Vive Karamoko 1" écrit le
journaliste. Le Prince
et sa suite répondent par "Abarka~
Abarka (merci)" en agitant la main tandis que le Patriote
les transporte à Pauillac où attend le paquebot l'Equateur
des Messageries maritimes. Du reste "depuis le matin Karamoko
et sa suite qui parcouraient la ville en voiturE: découverte"
excitaient "partout sur leur passage un vif sentiment de cu-
riosité (2)."
Cette curiosité donne lieu à des articles en tous
genres On épille les moindres faits et gestes du Prince.
Chacun les interprète selon sa propre inspiration et
sa
propre imagination. Tout ce qui se passe dans l'entourage
im~édlat de Karamoko n'échappe pas à la perspicacité des
reporters. Karamoko est une proie facile. Un humour d'un
goût parfois douteux est dÉ~ersé sur l'adolescent. On s'en
apercevra dans les pages q",i suivent. Ainsi à propcs d'une
photographie faite à Kara~OKO et sa suite, Le TemDS raconte
qu'un huissier déclarant agir au nom du Prince a dé~endu au
Dhotographe "de mettre en vente, Ou seulement en exh:"bition,
"le portrait dudi t sieur Kararnoko son réq uérant" sous ;.;eine
de dommages-intér@ts (3)."
(1) Le Fi garo, 11 Août 1886.
(2 '1 Le Temps, 7 Septembre 1386.
/ - '1
~),
Le Temos, 29 AOût 1886.

- 95 -
La visite officielle de Karamoko en France sert
~galement de prétexte aux luttes politiques entre les partis.
Les républicains s'en servent pour attaquer leurs adversaires
monarchistes; ces derniers en font autant.
Le Prince Karamoko arrive en France quelques semai-
nes après l'expulsion des princes frill~çais du territoire na-
tional. Au mois de Mars 1886 1 pendant que le débat sur l'ex-
pulsion des princes a lieu à la Ch~mbre des députés
les jour-
l
naux monarchistes dénoncent les "proscripteurs".
"Les princes
les gène nt parce que les princes conservent aux yeux des mas-
ses ce prestige qui appartient aux âmes d'élite (1)" écrit La
Jeune Garde. La loi adoptée le Il Juin 1886
outre l'expulsion
1
du territoire national
interdit aux princes d'entrer dans
l
l'armée ou d'exercer une fonction publique. La visite offi-
cielle du Prince Kara:no~:o en France dans cette période appa-
raît comme une insul~e aux monarchistes fr~~çais.
La bataille politique consécutive à cette expulsio~
n'était pas encore apaisée au mois d'Août 1886. Ainsi Le Vol-
taire i~agine une cOJversation portfu!t sur l'expulsion des
princes entre Karamo;,:o et les j:ersonnes qui lui servent de
guides•.~.;Jprenant qu r on reprochait aux princes "de préparer la
guerre civile pour renverser le gouvernement"1 Le Voltaire
imagine l'étonnement du fils de Samory et lui fait dire
"Et l'on n'a pas exigé d'eux des garantis en leur laissant
toute liberté de poursuivre leurs desseins au-delà des fron-
tières (2)1"
(1) Le J~~~~ Gar52, 14 Mars 1236 •
._) 1*- V6TfaTr-è-1 16 _~_oût 1886.

- 96 -
Les paroles que l'auteur de l'article met dans la bouche de
Kararnoko réflètent son opinion propre. Telle est également
l'opinion d'un grand nombre de républicains qui considèrent
que la simple expulsion sans aucune garantie des prétendants
royalistes ne met pas la République à l'abri de leurs menées
conspiratrices.
Une partie de la presse des fractions monarchistes
de la bourgeoisie française s'élève contre la visite officiel-
le d'un prince noir en Franc~. Nous y reviendrons plus loin
en tentant de saisir l'image de Karamoko qui en découle. Elle
utilise également cette visite comme prétexte pour attaquer
la République. Ainsi La Patrie espère que le Prince du Ouas-
soulou emportera dans son pays d'autres souvenirs que celui
de la "dame Mariane" dont le "portrait excessivement flatté"
couvre les pièces de cinq francs qU'il a fait demandées à la
banque. Le 3 Septembre 1886, le prince effectue une visite
d'adieu au ministère de la marine où le secrétaire d'Etat de
la Porte lui remet les présents du président de la République.
La Patrie saisit cette occasion pour lancer une attaque viru-
lente contre Jules Grévy. "Cette fois encore, écrit le jc'ur-
nal, M. Grévy ne s'est pas ruiné et il n'a pas été obligé de
vendre un de ses immeubles pour acheter les bibelots insigni-
fiants dont il a fait cadeau au fils de Samory."

- 97 -
Au nombre de ces présents, le quotidien cite une carabine de
tir, un casque et le "f~~eux et inévitable vase de Sèvres (1)
que notre gouvernement offre à tous les étrangers." Il insis-
te sur ce qu'il considère comme l'avarice des républicains
et note avec humour qu'avec ces "objets hétéroclites" le prin-
ce pourra s'établir "marchand de bric-à-brac" si des événe-
ments imprévus l'écartaient du pouvoir.
lorgane monarchiste
conclut : "Le jeune Karamoko a quitté Paris, ce matin, empor-
tant ces bibelots et une piêtre idée de la générosité du gou-
vernement républicain (2)."
(1) C'est sGrement une partie de ces présents qui tomba entre
les mains des Français à la s~ite d'une opération menée en
Février 1892 contre Samory sous la direction du colonel
Humbert. Dans un article intitulé Au Niger - Une opération
contre Sa~ory et publié par La Revue de Pa~is le 15 Jfu~vier
1895, Péroz énu~ère les prises faites par les troupes colo-
niales à 11 issue de l' opératir·-l. Outre une quantité impor-
tante d'armes, de munitions et de provisions, Péroz cite
"des glaces, des consoles, des bassines en cuivre" deux
vases de Sè,res, un buste de M. Grévy en pâte tendre de
Sèvres, une boîte à !'lèlsiqèle, des pagnes :nulticél':"ores ••• "
(2) La Patrie, 4 Septembre 1886.

- 98 -
II.
LE PHYSIQUE DE KARAMOKO
Les chronique~rs français ne dissimulent pas la joie
qu'ils épouvent à dépeindre, à "croquer Il le fils de Samory que 1&
courrier f.rançai!l. par ignorance, appelle le "sultan
d'une
peuplade nègre du Congo (1).11
Dans Le Voltaire, un certain
t--laurice Français écrit par exemple qu 'Ilil y a d 'heureux moments,
quoi qu'on dise, dans la vie des journalistes ll • Il donne l'ex-
plication de ce qu'il appelle IId'heureux moments ll quelques
lignes plus haut. En effet, il écrit parlant de Kara:noko qu'fl on
n'a pas tous les jours la satisfaction de frayer avec un prince,
moins encore avec un prince noir, et je suis sûr que nombre de
~es lecteurs envient eh ce moment les prérogatives jont jouis-
sent les chroniqueurs.
On n'est pas fâché, poursuit-il, qu~i que citoyen
ô'üne république de serrer la ma:c.n d'un futur monarque (2).fl
Comme daI1s le cas de Sarnory, l'âge donné 3. Karal1O!{O
-,-arie souvent ct 'un orgar1e de presse à un autre. L' :::llustration
èonne dix-sept ans à ce flprince africain authentiq;,,;e (3) Il que
La Patrie considère CO:Tl":1e flle plus jeune et, par conséquent,
_'= Dlus cr.éri (4)fl des fils de l'Almamy. Il arrive qu'un même
jO'..lrnal donne deux âges différents à Kara.mo.:o. On peut citer
Le Temps, Le ~igaro, etc •••
(1) Le Courrier francais, 15 août 1886.
(2) Le Vol taire, 14 Août 1886.
(3) L'Illustration, 21 Août 1886.
l':, \\
La Patrie, 23
"
'
.
'18'
<"T
AOU1:
10 !J.

- 99 -
Le Figaro par exemple écrit le 11 Août 1886 qu'il a flvingt
ms environ fl ; mais six jours plus tard, le même journal af-
firme qu'" i l n'a que dix-sept ans (1) ". C'est ce dernier chi f-
fre qui est généralement admis par la plupart des journaux.
Le portrait physique de Karamoko tel qu'on le trou-
ve dans la grande majorité des journaux est parf~itement résu-
mé par trois quotidiens : Le Temps, Le Figaro, Le Voltaire.
Le Figaro dépeint le "petit roi noir (2)" comme suit : "taille
moyenne; bien fait de sa r~rsonne ; air éveillé ; oeil intel-
ligent et fureteur (3)."
Le Voltaire de son côté affirme que
"sa figure est très intelligente" et qU'il "semble générale-
~ent intimidé, ce qui n'a rien de particulièrement surprenant,
étant donné son changement de vie subit et le grandiose de tout
ce qui l'entoure en ce moment (4)."
"n para!t d'une intelli-
gence très vive" écrit Le Temps qui conclut que Karamoko appar-
tient à fl UL"1 des plus beaux types de sa race (5)."
Le portrait de Karamoko fait par ces trOis quotidiens
est représentatif de celui dressé par la grande majorité des
journaux. C'est la représentation dominante.
(1 ) Le Figaro, 17 Août 1886.
(2) La Justice, 22 Août 1886.
(3) Le Figaro, 11 Août 1886.
(4 ) Le Voltaire, 14 Août 1886.
(5) Le Temps, 13 Août 1886.

- 100 -
Mais à côté de cette image, il en existe une autre. Certes
elle est élaborée par une minorité de journaux mais elle n'en
a pas moins existé et influencé une partie de l'opinion pu-
blique française. La Justice fut un des propagateurs de cette
image~ Dans sa description de Karamoko "ce jeune jus d'encreU)"
comme l'appelle Le Pilori, le journal de Clémenceau parle de
"son nez épaté, ses narines obliques, ses grosses lèvres, son
teint nuancé de rouge."
L'image ainsi construite contredit la
première.
L'habillement de Karamoko a été un objet de curiosité
constante pour les chroniqueurs. "Karamoko porte avec mâle élé-
gance le costume national du Ouassoulou. Il n'a voulu faire sur
ce point aucune concession à la mode européenne (2)". La Patrie
insiste également sur "le costume national qui se compose d'un
vaste pantalon serré à la cheville et au-dessus d'une longue
chemise en riche tissu (3)." Adepte de l'exotisme bon marché,
Le Figaro note avec une satisfaction visible : "Au point de
vue pittoresque, on ne peut que l'applaudir (4)".
ilLe prince
est vêtu d'un cafetant de soie verte brochée d'or qui est un
objet de prix ; sous cette tunique il porte une robe en étoffe
blanche qui tombe jusqu'à ses pieds
il est chaussé de bottes
en cuir rouge ornées de dessins. Il est coiffé d'un turban où
brillent des plaques d' arger.t.
(1) Le Pilori, 12 Septembre 1886.
(2) Le Figaro, 11 Août 1886.
()) La Patrie, 13 Août 1886.
(4) Le Figaro, 11 Août 1886.

-
101 -
Dans ses appartements, il pOrte le fez i ses cheveux sont dis-
posés en nattes (1)".
C'est, à quelques d~tails près, la des-
cription de l'habillement de Karamoko que l'on retrouve dans
les journaux qui se sont int~ress~s à la visite du prince en
'rance. Le Voltaire publie presque mot pour mot le même por-
trait vestimentaire du fils de Samory.
Le prince" ce "négrillon" est richement vêtu i
l'or
et l'argent donnent un éclat royal à sa mise. Selon Le Vol-
taire, les filles ne restent pas ~r.~ifférentes devant un tel
étalage de richesses. "Décidément, écrit ce quotidien" le
prince Karamoko est le lion du jour. Toutes nos belles petites
se laissent séduire par les plaques d'argent de son turban(2)."
A propos de cette même coiffure Le Figaro écrit qu'elle "con-
siste en une espèce de casque, fait de plaques d'argent ciselé
qui contiennent chacune une amulette destinée à protéger le
jeune prince contre les balles des ennemis et contre les ~~-
léfices des sorciers (3)."
Ce journal ne peut s'empêcher
d'établir une comparaison entre les us~ges français en matière
de mode et ceux de Karamoko. Ainsi, il indique, à propos de
son pantalon et de son boubou, que "contrairement à nos usa-
ges, le pantalon est dessous et la chemise dessus. Affaire
de lattitude (4)."
L'auteur de l'article puise ses référen-
ces dans les normes frança~.ses en matière d'habillement.
(1) Le Temps" 13 Août 1886
(2) Le Voltaire, 17 Août 1886
(3) Le Figaro, Il Août 188~
(4) Le Figaro, 11 Août 1880

-
102 -
Il
en conclut que la mise de Ka!'arnoko est primitive. "C'est
dans cet appareil primitif quo ItS Parisiens vOnt ê~re admis
à contempler cet enfant du désert. n
Toujours aussi friand
d'exotisme
le collaborateur du Figaro
ajoute : "il eût été
bien regretable, n'est-ce pas, qU'il y introduis!t ~ne modi-
fication quelconque ."
L'Illustration du 21 Août 1886 publie en preMière
page un portrait du Prince Karamo]<o réalisé par Gut!;. On y
voit la fameuse coiffure du Prince dont les journaux affir-
ment qu'elle fut un objet de curiosité constar.te et qu'elle
exerça une attraction particulière sur les Parisiennes. Le
message iconographique et le message graphique entretienGent
ici des rapports de complé~e~tarité. (Voir P. 121)
Un autographe du Prince orne le portrait publié
par L' Il,1 ustration. Kara;no~éo a, en effet, écrit son nO!:1 de
sa propre main sur l'oeuvre de Guth.
L'image de Karamoko sur le plan physiqUE apparaît
clairement. C'est celle d'un bel adolescent richtment vêtu
à la mode de son pays.

-
103
III.
Kn.HA~l(1I\\O: UN ADOLESCENT PIEUX ET CHASTE
L'ensemble des journaux consultés donnent de Kara~oko
l'image d'un adolescent pieux, fidèle aux préceptes dela reli-
gion musulmane. Au Grand Hôtel 11 respecte les prescriptions de
la religion de Mahomet. Il ne manque pas une seule des cinq
priè:-es quotidier.nes qu'ordonne le Coran.
uLever à cinq heures
et" après les ablutions, 1 a prière (1)" écrit L'Illustration.
L'alimentation du prince est strictement conforme aux
prescriptions du livre saint. Il mange de la viande rotie. Mais
il ne la consomme uque si les animaux ont été tués par son mara-
bout (2)".
Le Temps fournit les m~mes renseignements en y appor~
tant quelques précisions supplémentaires. "11 se nourrit de vi-
andes roties. C'est le marabout qui doit égorger les animaux qui
sont servis sur sa table : hier il a ainsi sacrifié plusieurs
poulets (3)".
En outre, Karamoko ne boit Uni vins ni liqueurs(4)'\\
Mais c'est surtout sur les precriptions eyant trait à
la chasteté que la presse insiste particulièrement. C'est l'lma-
ge de Kar~oko le musulman chaste qui est nourrit avec force
détails. Le correspondant particulier du quotidien d'Adrien
Hébrard à Borjeaux révèle qu'avant de quitter la l<rance, l'in-
terprète de Karamoko
Alassane-Dia lui a "déclaré, non sans
une certaine indignation, que la plupart des incidents dont on
s'est plu, dans la press~ boulevardière, à enjoliver le voyage
de son mattre, sont inventés de toutes pièces ou fortement exa-
gés (5)".

-
104 -
Doit-on considérer Le Figaro~ L'Illustration~
Le Volt~ire,
La Patrie~ La Justice~ etc.
comme fais&nt partie de ce que
le correspondant du Temps nomme la "presse boulevardière" ?
Comment faire aujOurd'hui la part de l'invention et de l'exa-
gération par rapport à des faits qui se sont produits depuis
près d'un siècle? C'est l'une. des difficultés du chercheur.
Mais s'il est difficile de classer les journaux cités plus
haut dans la "presse boulevardière"~ cela ne signifie nulle-
ment qu'ils soient à priori insoupçonnables d'exagération ou
d'invention par rapport à un événement donné. L'abondance des
articles consacrés à cet aspect de l'image de Diaoulé-Karamoko
interdit de les passer sous silence.
Les journaux s'accordent pOur dire que le fils de
Samory est chaste et qu'il obéit à l'enseignement du Coran
qui dit que "jusqu'à vingt ans~ un croyant doit rester stric-
tement célibataire (1)". L'Illustration ajoute que "c'est avec
la plus profonde i~différence qu'il a affronté toutes les séduc-
tions des écuyères~ à l'hippodrome~ au foyer de la danse et à
l'Opéra". Le Voltaire surenchérit sur les raisons de cette in-
différence de Karamoko devant toutes ces femmes qui essayent
de le séduire : "Il a promis de rapporter à Samory père sa rose
intacte; il l'a juré. Jusqu'à vingt ans~ à celles qui ont les
yeux en coulisse ( ••• ) il doit répondre: tu n'auras pas ma
rose (2)."
(1) L'Illustration~ 21 Août 1886.
(2) Le Voltaire~ 20 Août 1886.

-
105 -
Les journaux décrivent avec beaucoup de ~étails tou-
tes ] es ~entati'les de séduction auxquelles KaramoKo a dû faire
face. Dans Le Voltaire un certain Zadig cite l'exemple de tou-
tes ces "belles petites" qui, "voulant se faire valoir, débu-
tent ainsi : "PrLiCe, j'ai vingt-deux, vingt-trois ou vingt
cinq ans" •••
Mais, poursuit-il, comme dans son pays, les femmes
de cet âge sont déjà vieilles et usées, les déclarations brû-
lantes qui suivent laissent le beau nègre absolument froid (1)".
Le même journal explique que le prince n'a pas succombé aux
tentations sur la scène de l'Eden Théâtre. "Au milieu de toutes
ces demoiselles en tutus et maillots roses, Karamoko avait eu
un lé;er frisson de pujeur. Des farceurs ont assuré qu'il
aVait r'Jugi quand une danseuse lui a dit: "Tu es beau, Koko !"
Et une autre ayant levé la ja~be, il aurait murmuré : Shocking
( .•• ) Si sauvage et si moral ! (2)".
Cinq jours plus t6t, le
même journal avait écrit dans son compte rendu de la visite du
prince à l'Eden Théâtre: "Je vous en prie, mesdames du corps
de ballet, ménagez la jeunesse de Karamoko ! Tout noir qu'il
est de peau, à voir son attitude on le devine blanc comme
neige (3)."
(1 ) Le voltaire, 17 Août 1886.
(2) Le Voltaire, 20 Août 1886.
(3) Le Voltaire, 14 Août 1886

-
106 -
Le Figaro assure que le prince "est littéralement
assailli de lettreS
de bouquets
de photographies et de
I
l
propositions plus malhonnètes les unes que les autres.
A chaque instant ce sont des visites de dames d'un
certain âge que le marabout laisse entrer sans défiance
à
l
cause de leur air vénérable et qui
sous prétexte de montrer
l
au Prince des dentelles et des bijoux
essaient de lui glis-
l
ser une invitation à la plus dangereuse des valses. Fort heu-
reusement
le Prince ne comprend pas". Cette situation
selon
l
l
le journal, finit par mettre le marabout "sur les dents". Il
prend des mesures rigoureuses pour interdire l'accès de la
chambre du Prince aux intrus
aux courtisanes. Ainsi un cer-
l
tain Edouard Philippe "un jeune artificier bien connu" est
chassé par le marabout qui menace de l'empaler "immédiatement"
s'il ne quitte pas les lieux.
Selon la presse. Karamoko résiste à tous les charmes,
à toutes les provocations même si Le FigEro affirme qu'il au-
rait bien voulu être à la place du capitaine Mamadou Racine l
lors de la visite au foyer de la danse. "Il av ai t de petites
mines pudiques
drôles comme tout
au milieu de ces demoisel-
l
l
les qui papillonnaient auteur de lui comme un essaim d'almées
blanches. De temps en temps il jetait un regard d'envie sur le
capitaine Racine
qui madrigalisait dans un groupe de ju~es
l
courtes attirées vers sa croix de la Légion d'Honneur comme
des papillons vers la bougie.

- 107 -
Et mélancoliquem.nt~ il soupirait à l'oreille du
colonel Frey.
- Il est bien heureux~ le capitaine 1 Il n'a pas juré 1
Tout un poème de continence chaste dans ces quatre mots (1)."
Le 14 Août 1886~ Le Voltaire écrit que Mamadou Racine a adres-
sé "de gracieux compliments" aux dames de l'Eden Théâtre et
ajoute: "Sur ma parole~ il a même pincé le menton à l'une
d'elles (2)."
Nous aurions pu allonger la liste des citat~ons
puisées dans la multitude d'articles que la presse française
consacre à la chasteté de Karamoko. Les tentatives faites par
les Parisiennes pour briser la chasteté du Prince ont été
fort nombreuses. Mais~ selon la presse~ elles se sont toutes
soldées par un échec.
Que peut-on retenir en g~ise de conclusion de cette
partie ? Des diverses aventures du ~eune adolescent à Paris et
de la délectation évidente avec laquelle les journaux les ont
narrées~ il ressort l'image d'un adolescent d'une piété irré-
prochable. La piété: ous semble ici l'élément essentiel. Kara-
moko est représenté comme un musulman fidèle~
respectueux des
enseignements du Coran. Sur ce point l'image de Karamoko ren-
contre celle de son père Samory qui est représenté par la
presse comme un musulman fervent. L'adolescent oppose une ré-
sistance tenace à toutes les tentations.
(1) Le Figaro~ 17 Août 1886.
( 2 )
LeVa l t'i j c- '", l 4 J..n~ -:
1 p, 6 6.

-
108 -
Il traverse l s~ns y laisser une parcelle de sa
chasteté l toutes les provocations des dames à l'Eden Tj~âtrel
au foyer de la danse l au Grand-Hatel etc •••
L'image de
Karamoko l l'adolescent pieux est dominante.

- 109 -
IV. KARAMOKO"L'IGNORANT"
Le Prince Kar~noko est en outre représenté par les
publicistes comme un adolescent ignorant.
Ce qui frappe tout d'abord ceux qui l'approchent,
c'est sa méconnaissance de la langue française.
"( ••• ) Le
jeune Diaoulé est d'une ignorance crasse en français. Bonjour ••
Bonsoir ••• Va bien ••• Merci •••
C'est à ces quelques locutions
que se borne à peu près tout son vocabulaire (1)."
On peut
pourtant parier que l'auteur de ces mots - un certain Parisis -
ne savait pas un traïtre mot de la langue maternelle de Kara-
moko. Faisant allusion aux lacunes du Prince en français, un
autre journaliste écrit que "si attrayante que soit une con-
versation avec UGe altesse royaie, fût-elle même de couleur
aussi foncée, les difficultés qu'elle présente ne laissent
pas de me rebuter assez vite •••
(2)
Le Temps indique égale-
ment
le les cormaissa:-,ces du Prince en fra.<-:çais se Ijmi teEt
à quelques mots tels nI'ierci, bonjour, bonsoir". Il révèle
q 'au cours de sa visite au musée de peinture de la mairie
de Bordeaux, Kara7101(o s'est "arrêté très longuemer.t 11 d vant
une copie du Naufrage de -a Méduse de Géricault. Les expli-
catioEs nécessaires l~i ont été fournies. Le capitaine Tour-
r"lier 11ü rappelant la souscription de cent francs qu 1 il
avait versée à bord de l'~quateur à la Société de sauvetage
des naufragés lui a fait dire : "voilà pour quoi vous avez
souscrit; c'est pour contribuer à sauver les malheureux
qui se trouvent dans la même situation (3).11
Le Figaro, Il Août 1886.
Le Voltaire, 14 AoGt 1886.
Le Temps, 12 AaSt 1886.

- 110 -
Les publicistes ne sont pas les seuls à taxer Kara-
mol{o r' 1 ignorance Les organisateurs du voyage du Frirl:::e tien-
ne nt compte de cette considération. On s'aperçoit que c'est
un facteur qui intervient dans la planification officielle
de son séjour en France. Le Temps indique que Diaoulé Karamo-
1'::0
"visitera les Gobelins. On cor;;p'c,e aussi le condu::'re à
Lyon pour lui montrer comment se fabriquent nos étoffes de
soie, afin d'effacer en lui et chez ceux de sa race le préju-
gé que c'est le diable qui nous les envoie (1)."
Le Volta::'re
est beaucoup plus catégorique quand il parle du voyage à Lyon
qui figure dans le programme officiel du séjour de Karamoko
en France. "On tient à lui montrer comment se fabrique la
soie ; un des préjugés de son pays est de croire que la soie
nous vient du diable ! Nouveau Thomas, Karamoko tier-.t à voir
pour être convaincu (2)." Manifestement les organisa'c,eurs at-
tachent une grande imDortance à la visite d'..l "jeur:.e -:;a-Jvage (3)"
a~x ir-.dustries textiles
de Lyon.
L'ignor&~ce de Kara~oko, si abondaùment décrite dans
ses manifesta'c,ions les plus diverses, n'est pas pour la presse
:'ra."lçaise un phénomène conjonctureL Elle est prése:-_tée co:nme
le produit de l'inintelligence de Kan :oko.
(1 ')
Le Ternas, A.oût 183ô
,
(2) Le Voltaire,
~
~:::>
AoGt 1336.
(3) Le Figaro, Il A,ût 1886.

-
111 -
Nous n'hésitons pas ici à reproduirt', malgré sa longueur,
un passage de l'article je Geoffrov Gustave intitulé l'Kar~-
- -
,.
moko fils de Samory" et publié par La Justice dans sa livrai-
son du 22 AoUt 1886. "Le prince soudanais Karamoko est pro-
mené de cirque en hippodrome et de concert en théâtre. On
fait défiler devant lui les chevaux savants et les appri-
voisées, les amazones en robes bleues et les chasseurs en
habits rouges. Pour distraire le petit roi noir, les sonneurs
de cors s'époumonnent sur les pis~es sablées et les prest~-
digitateurs escamotent des femmes assises sur des fauteuils,
les cantatrices vocalisent devant le trou du souffleur et
les danseuses fléchissent sur leurs pointes avec des airs
d'extase. L'Africain est guidé comme un touriste à travers
les places et les avenues. On lui montre les champs-Elysées
et le Trocadéro, la Seine et le Boulevard.
De fait, on ne peut g'.lère lui montrer que cela, 0 ..
perdrait ses paroles et le temps de l'interprête à vouloir lui
expliquer les forces intellectuelles et la physionomie morale
de la société française. Quel co~~entaire, si éloquent qU'il
soit, lui feraIt ad~ettre, si grande Que soit ~a volo~té
j'a~rr3~~re, que la civilisation, sur le point de l'univers
où il se trouve, n'est pas seulement représentée par un jar-
din bien tenue, une voiture bien attelée, une table bien ser-
vie, un théâtre bien éclairé ! Quels efforts réussiraient à
lui faire entrevoir qU'il est des oeuvres abstraites, des
transformations de la réalité en mots et en phrases, qui ont
influé sur la vie spirituelle et physique de ce peuple !

-
112 -
~uel ingénieux enseignement lui montrerait le rapport qui
existe entre la barrière qui clôt un champ et une parole
prononcée un jour à la tribune d'une Assemblée! Il n'y
faut pas songer. Le cerveau du prince n'est pas apte à
percevoir l'action qu'a pu exercer un livre de pensées si-
gné Pascal, un discours prononcé par Mirabeau, un roman
observé par Balzac, un volume de poésies rêvé par Hugo,
une Histoire évoquée par Michelet. La puissance des idées,
déjà mystérieuse pour ceux qui l'exercent et pour ceux qui
la ressentent, ne lui appara!t pas, même obscurément. Il
n'est encore frappé que du pouvoir grossier des sorciers,
mages, griots et marabouts et il ne sait pas que c'est là
le commencement des religions qui aboutiront à des philoso-
phies à travers les tyrannies et les révoltes. Tous les
philosophes, tous les politiques, tous :es écrivains ne
parviendraient pas à lui dire par des mots, à lui faire
comprendre par des exemples, ce que c'est exactement que
le passé de la France et quelle nouvelle société est sortie
de la Révolution ! La Révolution ! Kara~oko en est encore
à Attila."

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113 -
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- 115 -
L'opinion de G. Geoffroy est repr~sentative de celle
de la majorité de ses cODfrères sur cette question. Pour l~
journaliste du quotidien radical, l'ignorance du fils de
Samory devant certains faits ou certains phénomènes n'est
pas due à l'appartenance à une autre culture. Son ignorance
est présentée comme congénitale. Elle est présentée comme la
conséquence d'une inaptitude cérébrale innée et irrémédiable.
Dans ces conditions, et toujours selon Geoffroy, ni la "volon-
té d'apprendre" du Prince, ni celle d'autrui à l'enseigner ne
peuvent produire de résultats positifs. La force des idées
"ne lui apparatt pas, même obscurément". Seuls le merveil-
leux, la fantastique peuvent exercer un attrait sur l'esprit
de Kararnoko, affirme La Justice.
Le Fio;aro est du même avis. "Le seul spectacle qui
l'ait réellement impressionné, c'est à l'Eden, l'escamotage
de la femme par Buatier de Kolta. Cela s'explique par l'ac-
tion superstitieuse que le merveilleux exerce sur ces âmes
primitives (1)."
"Le petit roi noir" en est encore à l'époque d'Attila. Et si
l'on suit rigoureusement le raisonnement de Geoffroy, il en
restera {ternellement à Attila.
(1) Le Figaro, 17 Août 1886.

- 116 -
Pour la presse, l'étonnement et l'émerveillement
sont les mani~e3tations palpables de l'ignorance de Kar~~o­
ko depuis qU'il a quitté les terres de son père.
"Le prince et sa suite marchent, depuis leur départ, de sur-
prise en surprise (1)."
Le ~igaro, constatant l'émerveille-
ment quasi permanent du Prin~e devant tout ce qu'il voit, con-
clut que les gens auxquels l'amiral Aube a confié la charge
de distraire ale jeune sauvage, n'auront pas de peine à g87,ner
leur argent" car "il abuse d'un mot, qui para!t jouer un
grand rôle dans sa langue maternelle. A propos de tout et de
rien, il s'exclame : Kabako ! ce qui en ouassoulien, signifie
prodige, miracle! C'est par ce mot qu'il exprime son étonne-
ment de tout ce qu'il voit, et tout ce qU'il voit est pour
lui sujet d'étonnement (2)."
L'émerveillement du jeune Prince s'est manifesté
dès les premières étapes de son voyage. C'est à Kayes, une
ville du Soudan, que commencent les surprises du Prince. Il
y voit "pour la première fois des maisons" et il en est tout
étonné. A Saint-Louis qui, selon Le Voltaire, était déjà
"une ville presque européenne, ce fut de la stupéfaction (3). Il
Le Figaro traduit à sa manière les sentiments de l'adolescent
dans cette ville.
(1) Le Voltaire, 14 Août 1886.
(2) Le Figaro, 11 Août 1886.
(3) Le Voltaire, 14 Août 1886.

- 117 -
"n s'est pâmé devant la première maison de Saint-Louis •••
Kabako !"
C'est dans cette même ville qU'il découvre à
l'hôtel ce qu'est une glace toujours selon Le Figaro i
"( ••• )
en s'apercevant dans une glace, il s'était confondu devant
son image en interminables salamalecs (1)."
Parisis exprime de façon très expressive l'attitude
du Prince à bord du paquebot l'Equateur des Messageries mari-
times. "Qua..'1d il a senti marcher le navire qui l' emporta.i t
vers la France, il s'est livré sur le pont à la plus étour-
dissante pantomime ponctuée de Kabako ! frénétiques.
(2)."
Quant au Voltaire il affirme que Diaoulé-Laramoko et sa suite
"n'eurent guère le temps de rien voir" à bord de l'Equateur
parce qU'''ils furent tous horriblement malades (3)."
c'est dans le train rapide qui le conduit de Bordeaux
à Paris que Karamoko éprouve l'une des fascinations ]~s
lus
violentes mais aussi les plus spectaculaires de son séjour en
France. La vitesse du train, la vue des nombreuses villes qui
jalonnent le trajet le plongent dans un ahurissement total.
Le Temps traduit mieux que tous les autres journaux les senti-
ments de Karamoko à bord du train. "L 1 étonnement de Karamoko J
qua..'1d il est monté pour la première 1'0: s en chemiL de fer,
lors de son départ àe Bordeaux, a été lndescriptib:e.
(1) Le Figaro, Il Août 1886.
(2) Le Figaro, Il Août 1886.
(3) Le Voltaire, 14 Août 1886.

- 118 -
Il ne comprenait pas comment il pouvait se faire que les ar-
bres, les maisons, les champs défilassent ainsI devant lui,
et quand on lui dit que sa voiture faisait plus de chemin en
une heure qu'une caravane de chameaux en deux jours, il n'en
pouvait croire ses oreilles. Lorsqu'il apercevait sur le par-
cours du train des maisons penchées sur une hauteur, rocher
ou colline, il ne pouvait se défendre d'un mouvement de fra-
yeur : "Regardez-donc, disait-il, ces maisons vont tomber sur
nous et nous écraser (1)."
La fascination et la peur se mê-
lent étroitement ici.
Les objets d'émerveillement et de fascination du
Prince sont encore plus nombreux à Paris. "Paris et ses mer-
veilles les ont plongés dans l'effarement" écrit Le Voltaire
à propos du Prince et des membres de sa suite. L'étonnement
de Karamoko commence dès son arrivée au Grand Hôtel. L'ascen-
seur de l'établissement lui cause beauco~p de frayeur. En
~ffet lorsqu'on l'amène près de l'engin, il refuse de monter
dans la cage. Un nommé Dubard prend alors place le premier
dans l'ascenseur. Ce n'est qu'à partir de ce moment que Kara-
moko consent à y monter. Il s'assied aussitôt auprès des
autres occupants.
L'étonne~ent de Karaùoko ne fait que s'emplifier à
l'Eden Théitre. "Là, ça a failli mal tourner, raconte Le
Voltaire.
(1) Le Temps, 7 Septembre 1886.

- 119 -
Le jeune prince devant le fameux tour de M. de Kolta~ qui
escamote una femme ~ a ouvert des yeux i::lmenses et une bouehe
plus immense encore. Il avait quelque envie de s'en aller~
n'étant qu'à moitié rassuré. Le jeune prince moricaud se de-
mandait évidemment s'il n'allait pas être enlevé à son tour.
Il a fallu lui faire boire un verre d'eru pour le remettre (1)."
Le Figaro cite un autre sujet d'étonnement du fils
de l'Almamy Samory : "C'est surtout devant les spécimens de la
civilisation d.rtistique que se manifeste l'ahuriss'O'ment ingé-
nu de Karamoko. Une statue~ un buste, par exemple, ne sont
pas ~ ses yeux des oeuvres d'art, mais des individualités
mortes (2)
Ce que la presse française de l'époque étudiée con-
s::'dère comme de l'ignorance constitue un asper't majeur de
1.' i'11aFTe d'.l P,..ince Diaoulé Kara.mo]{o.
(1) Le Voltaire,
14 Août 1886.
(2) Le ?igaro,
Il Août 1886.

-
120 -
v. KARAMOKO, UN GUERRIER PASSIONNE PAR LES ARMES
Un autre aspect de l'image de Karamoko qu'on ne sau-
rait laisser dans l'ombre est celui du guerrier. En effet, la
presse française met en évidence l'image guerrière du fils de
Samory. Karamoko, selon les journaux, est initié très t8t au
métier des armes. Il n'échappe donc pas au sort des enfants
mâles du Ouassoulou auxquels l'on donne une formation militai-
re dès qu'ils sont en mesure de porter les armes en raison de
l'état de belligérence quasi permanent dans :equel l'Empire
vit avec ses voisins. Les troupes coloniales françaises font
partie du cercle des ennemis de l'Almamy Samory.
Le Figaro explique que si le Prince a pris "un vif
plaisir" aux exercices équestres et aux jeux cynégétiques lors
de sa visite au Cirque et à l'hippOdrome, Jn ne peut par con-
tre affirmer "qu'une émotion quelconque ait remué Itâme de ce
centaure."
En effet, pour ce journal, on ne peut oser pareil-
l ~ affirmation à propos de Karamoko, "ce ~entaure, dompteur de
fauve ( ••• ) ce farouche Nemrod, habitué dès l'enfance à se
trouver la nuit, les yeux dans les yeux, avec les lions et
les panthères (1)."
On croirait, à lire Le Figaro, que Kara-
moko a subi une éducation spartiate. Il accentue l'image guer-
rière du Prince quand i l écrit qU'il lIjouit parmi les siens
d'une légendaire réputation d'audace et de bravoure et passe
pour un des meilleurs guerriers de San'ory (2). Il
(1) Le Figaro, 17 Août 1886.
(2) Le Figaro, 11 Août 1886.

-121-

-
122 -
Le quotidien met même en garde celui qui
se laissant abuser
J
par "ses apparences inoffensives
serait tenter de "marcher
J
sur l'orteil" du Prince. Il indique que l'auteur d'une telle
imprudence "ferait illico connaissance avec sa petite hachet-
te d'argent, insigne de sa haute situation militaire
dont il
J
ne se sépare jamais."
Selon la presse
Kararnoko n'est pas seulement un
J
guerrier rompu au maniement des armes ; il est également un
excellent cavalier. Le capitaine Tournier décrit dans les
colonnes du Voltaire la cérémonie qui marque l'arrivée de
Karamoko à Kéniéba-Koura d'oÙ il doit se rendre en France
en visite officielle. Elle donne lieu à "une fantasia éche-
velée que Karamoko termine seul" et qui permet à l'officier
français d'observer ses immenses qualités de cavalier.
"Le prince est un cavalier merveilleux
affirme-t-il
J
J capable
de tous les tours de force possibles (1 ).fI
Le Prince dont
La Justice écrit qu'il "est d'une race de guerriers" déploie
"tous ses talents" pendant cette fantasia.
Ce guerrier
"cavalier merveilleux"J est passionné
J
par les armes et par tout ce qui touche à la guerre en général.
Il est tellement fasciné par toutes les armes qU'il ne résiste
pas au désir de s'en procurer le maxim~~. Ainsi
la presse le
J
montre à la revue de Châlons fasciné p~r ce qui se passe
sous ses yeux.
(1) Le Voltaire
14 Août 1886.
J

- 125 -
L'acquisition d'un nombre aussi important de sabres
et de fusils de to~tes sortes n'appaise pas, comme on serait
tenté de le penser, la passion du jeune Prince. Le samedi
soir, prétextant la fatigue pour justifier son refus d'assis-
ter à la représentation de Michel Strogoff, il trompe la vi-
gilance des membres de la mission et sort d~ l'hôtel. Le capi-
taine Tournier et le capitaine Mamadou Racine le recherchent
en vain. Lorsqu'ils reviennent de leurs recherches, ils trou-
vent Karamoko dans sa chambre. Il leur explique qu'il était
sorti pour contempler les vitrines des armuriers. Manifeste-
ment, les visites faites le matin et l'après-midi à plusieurs
armuriers de la ville n'ont eu pour effet que d'aiguiser da-
vantage les sentiments qui portent le Prince vers les armes.
Il rêve d'introduire dans l'Empire du Ouassoulou les armes
les plus belles et les plus performantes de France.
L'image de Karamoko le guerrier est acce,-tuée par la
part active qU'il prend plus tard dans la lutte contre l'en-
vahisseur français. La République française écrit, par exem-
ple, que le 11 Janvier 1892, au marigot de Sombéko, les trou-
pes coloniales françaises livrent ba+aille à un détachement
de sofas commandé par Kara~oko (1) Plusieurs autres journaux
en parlent.
(1) La Républiaue frfu~çais~: 9 Février 1892.

- 126 -
CONCLUSION
PARTIELLE
L'image de Karamoko dans la presse française comprend
plusieurs facettes. Premièrement, Karamoko est représenté, dans
la grande majorité des cas, comme un bel adolescent. Bien qu'-
elle ne soit pas dominante, l'image du Prince représenté comme
un jeune homme laid mérite d'êt~e signalée. Deuxièmement, Ka-
rw~oko est dépeint comme un musulman d'ill~e chasteté à toutç
épreuve. Troisièmement, le fils de Samory est représenté par
la presse française comme un être ignorant et inintelligent,
incapable par nature de tout effort intellectuel. Quatrième-
ment, il est dépeint sous les traits d'un guerrier intrépide,
initié au métier des armes dès son plus jeune âge et chez qui
la passion des armes est l'un des sentimfnts domin~nts.
Quotidiens et périodiques, indépendamment de leurs
opinions politiques, développent ces différents aspects de
l'image du Prince Karamoko.

-
127 -
CHAPI'J"'iE
III
L'IMAGE
DES
SOFAS
Il a été beaClcoup question de l'armée de Sa:nor~ da,s
la presse française des vingt dernii"res année du XIX è'TIe siè-
cle. Cela ne p~ùt surprendre quand on sait que les relations
entre la France et celui qui a régné sur un vaste ~mpire au
Soudan ont été marquées~ pour l'essentiel~ par la guerre. Une
guerre où les accalmies entre 1882 et 1898 ont été de courte
durée.
Un mot revient constamment sous la plume des publi-
cistes pour désigner cette armée : sofas.

- 128 -
Textuellement. s.lon le dooteur Taut1n. sota veut dire ·p~r.
du oheval. paletrenier (1)". Ainsi l.s journaux parlent le
plus souvent d•• engagements entre l.s troupes françaises et
les "sotas de Samory". En réalité. 1•• sotas ne oonstituaient
qu'un oorps de l'armée de l'Empereur. Ils étaient parmi l'éli-
te de cette armée et avaient la guerre pour fonction. Quelle
image la presse ditruse-t-elle des sotas ?
(1) Cité par Binger in Le Tour du Monde, 1er semestre 1891,
Paris, Lib. Hachette, 1891.

- 129 -
1. LES SOPAS : DES "BANDES". "UN RAMASSI S DE
TOUTES LES RACES NEORES DU SOUDAN".
Selon Binger, les sofas "sont recrutés parmi les
garçons et les jeunes gens pris dans des ~azzias de villages.
Mais ces recrues ne deviennent pas des sofas dès leur enrole-
ment. On les désigne d'abord sous l'appelation bilakoro. Ce
n'est qu'après avoir participé à plusieurs expéditions qu'ils
accèdent au "grade" de sofa.
Les sofas se recrutent "au hasard des conquêtes, in-
dique Félix Dubois. Parmi les captifs, les chefs font un choix.
Les hommes jeunes et vigoureux viennent grossir leurs troupes,
et les autres sont vendus. Leurs bandes forment donc un ramas-
sis de toutes les races nègres du Soudan. Il y a des Sarakoulés,
des Bambaras, des Wolofs à côté de Timénés et de Malinkés. Ceux
de nos gens que nous avons pris au Sénégal retrouvent parmi eux
des "pays (1)".
Comment la presse dépeint-elle l'habillement des so-
fas ? A en croire Dubois, ils n'ont pour tout costume "pres -
que invariablement" qu'une veste et "une culot te très C0c"!"te".
Ils ont aux bras des anneaux qui constituent avec "quelques
gris-gris .•. les seuls 0rnements de leur tenue."
(1) L'Illustration, 26 Novembre 1892.

-
1)0 -
Le capitaine Philippe écrit avec mépris que les
sofas se couvrent de "gris-gris et d'imbécilités grotesques
pour aller en guerre (1)." L'administrateur Nebout donne une
description beaucoup plus généra~de l'armée "bigarrée" de
Samory. "Son armée offre un coup d'oeil peu banal: tuniques.
dolmans, vestons, redingotes, habits, chéchias, képis, cha-
peaux et casquettes divers s'y donnent rendez-vous et for-
ment un ensemble dont la vue pour un Européen ne manque pas
d'être risible (2)."
Les sofas sont musulmans. "115 sont musulmans, il
est vrai, mais très tièdes." Et plus bas Dubois évoque "cer-
taines tartufferies" des chefs sofas qui "ne manquent pas les
salams du matin au soir, et lorsque. en public, on leur propo-
se un verre de rhum ou d'absinthe. ils le repoussent avec des
bestes effarés, mais c'est pour le réclamer instamment en ca-
chette. sous prétexte de maladie ou pour leur cheval "qui a
des cO 1 "
lques '.
(3)".
(1) Le Temps. 25 r<1ars 1894
(2) Le Temps. 15 Octobre 1898
(3) L'Illustration. 26 Novembre 1892.

- 131 -
II. LES SaPAS
Il
1.
DES GUERRIERS CRUELS
La presse ~rançaise nropage de ces ~uerriers l'ima-
ge d'hommes dont la cruauté est inaccessible à la pitié. Cette
représentation accompagne presque toujours l'évocation de leur
nom. La représentation des sofas sous les traits d'hommes
cruels et barbares appara!t dès les premiers moments de la
guerre contre les troupes françaises. Samory, nous l'avons vu,
a été représenté comme un "roitelet sanguinaire" par la presse
française. Les sofas qui sont considérés comme ses hommes de
main se voient appliquer la même représentation. On retrou.~,
appliqués aux sofas, la quasi totalité des épithètes qui ont
servi à la construction de l'image de l'Almamy.
Ils sont représentés comme des incendiaires. Dans
une lettre anonyme en provenance de Kankan et publiée par
Le Te~, on peut lire qu'au moment oÙ les troupes coloniales
fra~~3isss slernnarent de cette localité, elle "n'était plus
qu'un amas de ruines fumantes ••. Les sofas brûlaient tous les
villages sur leur ligne de retraite (1)." D'après les jour-
naux, ils n'en sont pas à leur premier incendie de village.
Ils les ont déjà désigné comme les incendiaires de Kéniéra,
de Bamako et de bien d'autres localités. Le capitaine Philippe
affirme que la destruction par le feu est une méthode dont
l'util:sa:ion est systéma:ique de la part d~s sofas de Samory.
"Chaque village suspect" "est livré aux flammes (2)".
(1) Le Temps, 31 Mai 1891.
(2) Le Temps, 25 Mars 1894.

- 132 -
Dubois les repr~sente aveo la m;me oertitude oomme des incen-
diaires semant le fe~ sur leur pass~ge. "Le cternin mène par
une brousse brû1ée~ triste~ déso14e. L'incendie a barr4 la
route d'innombrables troncs d'arbres oarbonis4s qui partout
mettent une bordure noire autour des tableaux les mieux soi-
gnés de la nature. et l'or qu1en poudre fine le soleil laisse
tomber à profusion ne parvient pas à avoir raison de oe oadre
funèbre. Les soras ont enoore par ioi de vilaine besogne sur
. la conscience (1).·
Les sofas sont dépeintsoomme des guerriers sangui-
naires à qui le sentiment de pitié est étranger. Ces "hordes"
qui "tuent·~ qui "massacrentn~ qui néorasent"~ etc ••• en ap-
plication de "la tactique de Samory" leur chef~ ce sont les
"terribles Sofas" qui sont "comme tous les noirs en général~
cruels et l~ches (2)."
Tous "leurs forfaits" conduisent à
considérer les sofas con~e des oJerriers qui accomplissent au
SOudan une "oeuvre de destruction."
Quelques semaines après la capture de l'Almamy Samo-
ry~ le gouverneur Chaudié décrit comme suit~ dans son rapport
officiel~ le pays traversé par Samory et ses sofas : "L'état
du pays était d'une indescriptible horreur
dans les chemins
défoncés. coupés de marigots vaseux. l'air était empesté par
les émanations des cadavres abandonnés ; tous les villages sans
exception. où trois mois auparavant les bandes féroces de Sa-
mory avaient promené leur terreur étaient à l'état de ruines
(1) L'Illustration. 26 Novembre 1892.
(2) Le Temps. 25 Mars 1894.

- 133 -
lamentables, le plus souvent oompl~tement ras~s, enoombr4.
d'ossements, de cadavre!! décomposé!'!, au milieu desQuels res-
taient encore quelques habitants h~bét~8 et décharnés (1).-
On se croirait au lendemain d'un oataolysme.
Voici la description que fait Dubois après un passa-
ge des soras, "ce fléau des pays du Niger" : "Et maintenant
dans les mélanooliques heures du crépuscule, de tout cela ne
reste plus qu'un désert lugubre. Pas un ~tre qui viennent au-
devant de nou~ ; homme ou animal, tout ce qui n'a pu s'enfuir
a été razzié par les Sofas: tout oe qu'ils n'ont pu emporter,
ils l'ont saccagé, détruit, brUlé. Ce n'est partout que ruine
et désolation ( ••• ) Et si l'oeil lassé de ce spectacle désolant
se lève pour chercher au loin de moins tristes impressions, ce
n'est encore que ruines et ruines qu'il découvre aux confins
de la petite plaine (2)."
Guerriers au service de l'Almamy Samory, l'image des
sofas, dans la presse française, rejoint sur plusieurs points
celle de leur mattre. Ils sont représentés comme des hommes
enrolés au hasard des conquêtes de l'Empereur et entratnés
pour semer la mort au Soudan. L'image dominante qu'en diffuse
la presse française qu'elle soit "opposée ou favorable aux
conquêtes coloniales est celle de guerriers impitoyables qui
sêment la terreur par le fer et par le feu.
(1) Le Temps, 12 Décembre 1892.
(2) L'Illustration, 19 Novembre 1892.

- 134 -
Ce sont des hommes d'un autre âge, des "terroristes". "C'est
enoore l~ Moyen-Age qu'il importe d'évoquer pour faire oom-
prendre les sofas • Ils ne représentent en effet rien autre
chose que ces bandes de routiers, de soudards et de re!tres
qui dévastaient l'Europe avant le sixiàme siècle, et, sous
prétexte de guerres de religion, pillaient et tuaient papis-
tes comme huguenots (1)."
Gustave Geoffroy remonte encore
plus loin dans le temps. En effet, pour lui, "deux humanités
sont mises en présence" dans oette guerre entre les troupes
françaises et "les bandes armées du Soudan" car "il existe
une séparation de quinze siècle (2)"
entre elles. Il lui
semble "qu'une armée régulière du XIX ème siècle rencontre
une horde attardée des anciennes invasions barbares oonseillée
par de fins et cruels diplomates."
Ainsi les journaux qui
n'ont jamais caché que la politique coloniale emporte leur
adhésion et un rédacteur de La Justice de Clémenceau, le pour-
fendeur de Jules Ferry, le "Tonkinois",
se réjoignent dans
leurs opinions sur les sofas de l'Empereur Samory.
L'Illustration du 22 Octobre 1892 publie un dessin
inachevé d'Adrien Marie représentant un cavalier sofa. Cette
représentation du sofa ne coincide pas avec celle qu'en donne
Dubois. (Voir P. 135)
(1) L'Illustration, 26 Novembre 1892.
(2) La Justice, 22 Août 1886.

-
135 -
....
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, ' t
.. _-

- 136 -
III. LES M)EURS DES SO'AS
Les sofas. selon Dubois, ont des moeurs bizarres.
Voici en quels termes il décrit une fantasia des sefas ~ la-
quelle il assiste. "comment rapporter ce spectacle ? A propre-
ment dir~. c'est la parodie de la fantasla, c'est-~-dlre quel-
que chose de presque lmpossible ~ raconter, comme toutes les
parodies; c'est la troupe de Buffalo-Bill passée au cirage,
et vue encore dans le ridicule d'une glace convexe. Mais com-
ment rendre en même temps le sérieux et le sollennel avec le-
quel s'accomplit cette bouffonnerie? C'est à s'arracher les
cheveux!"
Et l'auteur de décrire "ce charivari" qui tient
lieu de musique, ces chefs sofas qui ont "l'air avinés", ces
sofas qui se livrent à "une série de singeries", tant6t gam-
badant, "riant dans les grandes largeurs de leur bouche et
exhibant avec complaisance la seule partie blanche de leur
individu, une incommensurable raClgée de dents" et tant6t pivo-
tfu'1t "comme des toupies (1 )".
Les sofas de Sa~ory sont rarement présentés comme
un C0rps faisant partie d'une armée structurée et disciplinée.
L'armée de l'Almamy était pourtant hiérarchisée et disciplinée.
Les descriptions qu'en ont faites les officiers ou les explo-
rateurs français qui l'ont observée de près sont édifiantes à
ce sujet. Péroz a longuement décrit les différents corps de
l'armée de Samory.
(l) L'Illustration.
26 Novembre 1892.

- 137 -
Les historiens tels Yves Person, Marcel Chaillet, etc.
four-
nissent d'abor.dantes informations sur l'armée de l'Empereur
du Ouassoulou. Binger qui séjourna auprès de l'Almamy pendant
le siège de Sikasso, la capitale de Bon adversaire Tiéba, in-
dique les différentes appelations sous lesquelles on désigne
les guerriers bien que, selon lui, il n'existe pas "de grades
bien définis ll • Il distingue : "le) le ~ ~ (qui ne porte
pas de pantalon, mais le bila, comme son nom l'indique) est
une sorte de vélite". Ils sont recrutés dans les villages
vaincus et initlés au métier des armes. "2e) Le Kourousitigui
est un guerrier d'un âge raisonnable; il est marié et n'est
soldat que momentanément • Il

3e) le sofa. C'est le bilakoro
qui devient sofa après plusieurs expéditions.
4e) Le Sofa-
kong est "à la tête des sofas."
Il s'agit d'un sofa qui s'est
distingué dans une expédition et à qui le chef confie le com-
mandement de quelques hommes "pour le r~compenser (1)".
5e)
Le Kélétigui ou Kongtigui. Il dirige, selon Binger, le terri-
toire en tant de paix et effectue la mobilisation de sa région
quand une guerre ~Lent à éclater.
Cette armée dispose des instruments Décessaires aux
sonneries comme le boudolo, corne d'antilope percée près de
l'extrémité, le bourou qui est une défense d'éléphant. Mais,
toujours selon Binger, le tabala, une sorte de tambour, est
le vrai instrument utilisé pour donner des ordres. Les griots
en obtiennent "une douzaine de batteries différentes."
(1) Le Tour du Monde,
6 Février 1891.

- 138 -
L'administrateur Nebout écrit que dans l'armée de
l'Almamy. les commandements 3e font en français, "ce qui,
ajoute-t-il. prouve que beauooup de nos tirailleurs souda-
nais y ont trouvé asile et s'y sont faits instructeurs (1)".
Après la capture de Samory, une dépêche datée de Saint-Louis
du Sénégal. le 13 Octobre mentionne que "le vieil ennemi de
la France" a "équipé et instruit à l'européenne un corps d'é-
lite, les Sofas. qui se battent réellement bien et nous ont
fait souvent du mal (2)."
Binger n'en conteste pas moins que l'armée de S~~ory
en soit une. "On voit que cette sOi-disant armée n'est qu'une
bande
bonne à jeter l'épouvante parmi de petites peuplades.
mais incapable d'inspirer aucune crainte à des troupes ins-
trui~es à l'européenne et possédant une arme à tir rapide (3)."
L'armée de S~~ory n'est donc pour Binger "qu'une soi-dis~~t
armée". Elle n'est qu'une "bande".
c'est par ce terme de "bande" que tous les journaux
désignent l'armée de S~~ory dans la majorité des cas. Ils l'u-
tilisent systématiquement. Ce terme se retrouve également dans
la littérature officielle.
(1) Le Temps. 15 Octobre 1898.
(2 ) La Dépêche du Midi. 10 Octobre 1898.
(3) Le Tour du Monde. 6 Février 1891.

- 139 -
On rencontre avec une forte fréquenoe dans les ar-
ticles et dans les communiqués off1c1els~ des expressions
comme "bandes féroces"~ "bandes de Samory"~ "bandes armées"~
Achef de bandes"~ etc.
Toutes ces expressions renvoient à
la notion d'inorganisation. Binger exprime bien cette image
d'inorganisation qu'on veut imposer à l'opinion quand il par-
le de la Asoi-disant armée" qui n'est qu'une bande qui terro-
risent "les petites peuplades".
Al' image de "bandes" inorganisées est liée celle du
grand nombre. L'image de la multitude est toujours présente.
Des expressions telles que "bandes importantes", "plusieurs
bandes"~ "hordes sauvages"~ "hordes attardées" reviennent fré-
quemment dans les articles de presse.
La représentation des "trop fameux sofas (1)" dans
la presse française est totalement négative. Rien chez ces
guerriers n'attire la sympathie ou l'admiration des journalis-
tes, des voyageurs ou des soldats français. Hommes de ~~erre,
c1est presque exclusivement sur leurs actes en tant que guer-
riers que se ~onde la représentation qu1en donnent les jour-
naux français. La cruauté dont la presse affirme que les sofas
font preuve est au coeur de cette image
(1) Le Magasin Pittoresque, supplément au numéro du
1er Mai 1895.

- 140 -
CHAPITRE
IV
LA GRANDE MASSE DES HABITANTS DE
L'EMPIRE DU OUASSOULOU
1. UN "TROUPEAU HUMAIN"
Si, comme on l'a vu dans les chapitres précédents,
la presse s'est intéressée de très près à S~~ory et à son
fils Kararnoko, elle n'a pas iF10ré les habitants de l'Empire
du Ouassoulou. Bien entendu les publicistes ne font pas mon-
tre du même zèle que lors de la visite officielle du Prince
Karamoko en France. Le Prince est considéré comme l'héritier
probable de Samory et dépeint comme tel.

- 141 -
Les habitants de l'Empire du Ouassoulou sont, quant
à eux, représentés par la pr~sse comme une masse anonyme, pas-
sive, soumise et obtempérant aveuglément aux ordres du chef.
Samor:r est un "potentat noir" et les habi tanta de son Empire
représentent un "troupeau d'hommes noirs asservis à son joug(l)"
affirme Le Figaro.
L'idée de soumission et d'obé!ssance sous la contrain-
te est présente dans tous les textes qui parlent des habitants
du Ouassoulou. Le capitaine Philippe regrettant que l'Almamy
n'ait pas été poursuivi lors d'un combat contre lui au début
de l'année 1894 écrit que "Sa~ory avait pourtant peu d'avance
et poussait en avant de lui un troupeau humain considérable,
singulièrement gênant pour une marche rapide (2)."
Le Temps
est du même avis que l'officier français car, selon lui,
Samory "tra!ne une foule de captifs et de captives qui est
évaluée à une cinquantaine Je mille individus" qui constituent
de véritables "impédimenta humains (3)". Le même journal re-
vient un peu plus de trois semaines plus tard sur la même idée :
"Avec les femmes, les enfants et les esclaves que les bandes
traînen~ avec elles, on
peut évaluer à une cinquantaine de
mille il,di vidus la masse qui marchait vers la république ue
Libéria (4)."
(1) Le Figaro, 11 Août 1886.
(2) Le Temps, 25 Mars 1894.
(3) Le Temps, 4 Septembre 1898.
(4 ) Le Temps, 27 Novembre 1898.

- 142 -
Henri Hamoise plaint oes "milliers d'hommes l de femmes et
d'enfants ll qui suivent Sa~oryl "toute une population group'e
autour du chef et attachée à sa fortune (1)."
Une chose saute aux yeux à la lecture des passages
de la presse où il est question des habitants de l'Empire du
Ouassoulou ; c'est l'utilisation de termes qui traduisent
l'idée d'une contrainte permanente s'exerçant d'une manière
ou d'une autre sur eux. Des termes tels "pousser"1 "tra!ner"1
"suivre ll l etc ••• qui reviennent régulièrement rende~~ bien
cette notion d'obligation l de contrainte. La masse l la multi-
tude est soumise à la volonté d'un seul homme l Samory.
(1) Le ~igarol 14 Octobre 1898.

-
14) -
II.
LE GRIOT ET L'ALBINOS
Dans cette multitude anonyme~ quelques individus
accrochent de temps à autre le regard du journaliste ou de
l'écrivain soit parce qu'ils exercent une fonction partiou-
lière dont le oaractère exotique ne laisse pas indifférent~
soit parce que leur apparence extérieure les distingue des
autres.
c'est le cas du griot. "Barde à la voix d'airain"~
écrit Dubois pour caractériser celui qU'il a vu à une fanta-
sia des sofas de Samory. "Les griots sont à la fois les bouf-
fons~ les fous et les trouba.dours de ce Moyen-Age noir. Com-
me les artisans~ ils forment une caste spéciale et fermée
mais très mal famée. Car, poursuit Dubois, s'ils vivent du
produit de leurs bouffonneries, de leurs flatteries et de
leurs improvisations, ils ne dédaignent pas non plus les pe-
tits revenus qu'ils peuvent tirer des moeurs faciles de leurs
femmes ou de leurs filles (1)."
Mreme s'il reconnaît qU'il
fait "preuve en général d'une intelligence peu commune", le
griot est représenté par Dubois comme un personnage qui vit
aux dépens de "quelque riche personnage", comme un souteneur.
"Jamais il ne travaille", écrit-il. Cette appréciation n'est
pas propre à Dubois. C'est l'opinion dominante sur les griots.
On ne parle guère du r61e social du griot.
(1) L'Illust~ation, 26 Novembre 1892.

- 144 -
L'albinos non plus ne passe pas inaper~u. Dubois
et ses compae;nons aperçoivent-ils dans la garde pe"sonnelle
de Kémoko-B:Dali quelqu'un "dont les cheveux blonds
la tête
J
J
les bras et les jambes nuance clair de lune tra11chent inopi-
nément 51::- le noir luisant du .rang" ? Ils tressaillent à
l'idée q1;:'::..::. s'agit peut être d'un prisonnier eur·:;péen
ils
sont vite .:'!!.ssurés ; ce n'est qu'une méprise ca.r "ni ce front
saillant~ ni ce nez enfoncé ne sont d'un bl~îc. C'est ~î nè-
gre albinos ll • Ils avaient déjà rencontré des "nègre~ ~,
c'est-à-dire mouchetés aux mainS
aux bras et a.ux j~~bes de
J
tâches blanches."

- 145 -
III. L'IGNORANCE DES HABITANTS DU OUASSOULOU
La presse a consacré de nombreux articles à ce qu'elle
a appelé "l'émerveillement", "l'ignorance" de Karamoko parti-
culièrement lors de son sé,1our en !"rance. Les habitants du
Ouassoulou ne bénéficient pas d'un meilleur traitement. Ils
sont représentés comme des ignorants, des inintelligents.
La presse des vingt dernières années du XIX ème
siècle est pleine de descriptions de scènes où les sujets de
Samory sont présentés comme tels. En voici quelqup~ échantil-
lons.
Le jour où le Prince soudanais quitte Bordeaux pour
regagner son pays, le correspondant particulier du journal
Le Temps se livre à un inventaire des divers présents que lui
ont offerts ses hôtes. Parmi les cadeaux offerts par l'amiral
Aube au prince figure une glace à biseau encadré d'argent.
L'auteur écrit qu'il "aura un vif succès sur les rives du Ni-
ger, où on n'a pas dû souvent en voir de pareilles (1)."
Le
correspondant du journal d'Adrien Hébrard mentionne en s'ex-
clamant par un "ô comble de joie" une botte à musique que le
capitaine Tournier è9stine à Sa~ory. L'émerveillement de l'ha-
bitant du OuassoulJu qui, selon la presse, ~ésulte de son
ignorance est mis en relief à travers ces différents faits.
De nombreux articles soulignent également l'inquié-
tude des habitants de l'Empire.
(1' Le Temps, 7 Septembre 1886.

- 146 -
Ainsi~ au Grand Hôtel à Paris~ lorsque~ apr~s quelques
mou-
vements d'hésitation~ le Prince Karamoko se r~soud à prendre
place dans l'ascenseur qui doit l'emmener au deuxième ~tage
où des appartements ont été retenus pour la délégation offi-
cielle qu'il conduit~ une "inquiétude ••• extrême" s'empare
d'Oumar-Dialli. Il croit que son Maitre d1spara!t pour tou-
jours quand 11 le voit "ainsi enlevé dans un instrument que
rien ne faisait mouvoir en apparence (1)".
c'est dans le train qui les conduit de Bordeaux à
Paris que les délégués de l'Almamy éprouvent incontestablement
la plus grosse frayeur de leur visite en France. Elle les
saisit au passage du premier tunel. "Rien ne saurait peindre
l'effroi de Karamoko et de sa suite" écrit le correspondant
du Temps. "Tous se sont jetés du eSté du capitaine Tournier~
comme lancés par un même ressort~ s'accrochant à lui~ le pre-
n~~t par le cou et poussant des hurlements à semer l'épouvan-
te parmi tout le convoi (2)".
La crédulité des habitants du Ouassoulou est mise
en exergue par les journaux. Elle est présentée comme une
conséquence inéluctable de leur ignorance.
(1) Le Temps~ 13 Août 1886.
(2) Le Temps~ 7 Septembre 1886.

- 147 -
A Salliya dans l'Empire du Ouassoulou, Dubois et ses
compagnons demandent à rencontrer Alpha Oumarou, eelui qui ré-
gnait sur le royaume du Rouré avant que aelui-ci ne fÛt conquis
par les sofas de Samory. Il représente à leurs yeux "l'autorité
légitime du pays". Un traité de protectorat est signé et on lui
achète même trois sacs de riz. Mais l'ancien roi ne semble pas
tout à fait satisfait. A la question : "es-tu content ?" Il
répond .• "- Oui, ( •.• ) seulement je voudrais bien encore médé-
cine pour vieillesse ••• "
D'après les explications fournies par
l'interprête, les Français comprennent qU'il s'agit de "quel-
que liqueur Brown-Sequard ••• ou tout au moins de pastilles can-
tharides •••
Naturellement, ajoute Dubois, nous n'avons pas cet
article-là dans notre pacotille."
Mais selon l'auteur, "aux
malheurs de ce pauvre vieillard" ils ne veulent point ajouter
de déception. Alos, "avec du biscuit détrempé, beaucoup de poi-
vre et de poudre de moutarde, on lui fabrique une douzaine de
grosses pi11u1es."
L'attitude de Dubois et de ses amis est
caractéristique de la mentalité de ceux qu'on appelait les"co-
10niaux". Cette mentalité se fonde sur le principe absurde
selon lequel le noir serait crédule parce qu'incapable pe~ na-
ture de sortir de la nuit de l'ignorance. Dans leurs bagages
ils ont de la pacotille, des objets de peu de valeur qU'ils des-
tinent aux noirs des régions d'Afrique qu'ils vont traverser.
Ils sont fidèles en cela à la plupart de ceux qui les ont précé-
dé en Afrique. Ce comportement n'est pas nouveau en effet.

- 148 -
Pendant la traite des noirs l les esclavagistes eu-
ropéens échangeaient déjà un noir contre une rasade d'eau de
vie. Dubois et ses amis se livrent d'autant plus cyniquement
à leur farce aux dépens de Alpha-Oumarou qU'ils sont persuadés
1
que le vieil homme ne saura pas distinguer une li ueur ou des
pastilles de grossières pillules confectionnées à l'aide de
biscuit détrempé l de poivre et de moutarde. Ils se gaussent
de sa crédulité. "Après ça l qu'il se débrouille 1" écrit Dubois
qui s'empresse d'ajouter: "En somme l il a la foi l n'est-ce
pas? et la foi soulève des montagnes .••• "
N'est-ce pas être
ignorant que de croire aux facultés thérapeutiques de pillules
grossières ?
Mais les journaux vont plus loin. A partir de l'exem-
ple des habitants de l'Empire du Ouassouloul ils posent la
question de l'intelligence des noirs en général. Il ne s'agit
plus seulement de la femme ou l'homme habitant l'Empire de
Samory mais du noir en général l qu'il vive en Afrique ou ail-
leurs. Ainsi La Patrie affirme que comme tous les noirs l les
habitants du Ouassoulou ont des "intelligences enfantines et
mal équilibrées (1)".
Leur esprit l selon la presse l ne peut
être sensible qu'aux tours de passe-passe du prestidigitateur.
C'est le cas du Prince Diaoulé Kara~oko à l'Eden Théâtre. Un
certain Magen J. A. dans un article intitulé Les surprises
d'un nègre l écrit que "nos prétendues splendeurs doivent sem-
ble~ extraordinairement ridicules" aux "enfants du désert"
qu'on emmène à Paris.
(1) La Patrie, 23 Mai 1891

- 149 -
"Ce qU'ils voient de la vie de Paris n'éveille en eux que des
idées très confuses" ~crit-il. A l'appui de ses assertions il
cite l'exemple de oe Prince afrioain qu'on amena en Franoe
une douzaine d'anr;ées plus tSt. On lui fit visiter les monu-
ments. On le promena dans les musées, au Palais Bourbon, au
Sénat. On le mena au théâtre "où il ronflait de façon à épou-
vanter les lions de l'Atlas". A son retour dans son pays,
"dans le désert natal", le Prince répondit à un explorateur
qui lui demandait ce qui l'avait le plus frappé à Paris, il
répondit que c'est l'homme "qui joue à la clarinette par le
nez (l)".
Pour Gustave Geoffroy dans La Justice de Clémenceau,
on ne peut montrer que "ce qui est décor et mode" aux habi-
tants du Ouassoulou. Comme Karamoko, ils n'ont pas les aptitu-
des intellectuelles nécessaires pour aller au-delà du décor,
de la mode. Une quinzaine de siècles sépare, selon lui, les
habitants du Soudan des Français. Le Soudanais représente
"l'homme d'autrelois
qui
continue à vivre auprès de l'homme
d'aujourd'hui (2)".
(1) Le Voltaire, 16 Août 1886.
(2) La Justice, 22 Août 1886.

-
150 -
IV.
LES MOEURS DES H~ITANTS DE L'EMPIRE
DU OUASSOUIJ)U
Evidemment, les moeurs des habitants de l'Empire de
l'Almamy Samory succite~t une vive curiosité chez les publi-
cistes. Bien sOr ils ne leur consacrent pas autant d'attention
que dans les récits de voyage où dans les ouvrages spéciali-
sés. En dehors de~ moeurs "sanguinaires", "sauvages" pr@tées
à Samory et à ses sofas,
les descriptions des autres moeurs
des habitants de cette partie du Soud~~ ne sont pas très nom-
breuses. De temps à autre, quelques lignes dans le récit d'une
réception, d'une négociation ou d'une bataille décrivent telle
ou telle coutume, telle ou telle pratique.
On apprend ainsi que des sujets de Samory sont des
adeptes de la religion musulmane. A Paris, "toutes les person-
nes de la suite du prince portent à la main une sorte de vase
clos en fer-bla.~c" qui ne les quitte jamais et qui renferme
l'eau qulils utilisent pour faire "les ablutio~s intimes
qu'a prescrites Mal'-:>:1et et auxquels ils :le ma.'1quent jamais (1)".
Dans son récit de voyage, Dubois s'arrête plus lon-
~ue~ent sur le palabre. Il décrit notamment le palabre que
ses compagnons et lui ont avec Kémeko-Bilali et qui marque la
fin prématurée de leur mission d'exploration.
(1) Le Temns, 13 Août 1886.

- 151 -
En effet Kémoko-Bilali, serviteur de Samory, applique à la
lettre et sans concession aucune l'ordre de l'Alma~y qui sti-
pule que "les blancs ne doivent pas aller jusqu'au Djoliba".
"Le palabre ••• nI est, d'après Dubois, qu'une orgie de bavar-
dage, accommodée d'un brin de solennité. Il est à eux ce
qu'est pour nous, et le parlement, et le journal, et le Con-
seil de guerre, et la Cour d'assises, etc ••• bien d'autres
choses encore."
Comme on le voit, l'auteur de La vie noire
ne perçoit le palabre que par rapport aux moeurs françaises.
Il n'est pas saisi et analysé en tant qu'institution s'inté-
grant dans un ensemble de pratiques sociales qui expriment
ur.e vision globale du monde. C'est une démarche tout à fait
sommaire.
La presse fr~~çaise cite l'anthropophagie au nombre
des moeurs qu'elle attribue aux habitants de l'Empire du Ouas-
SOLlou. Le Te~ps parle de "populations inhospitalières et mê-
:'1e anthropophages (1)" dans la région où se sont 11 vrés les
derniers combats entre les sofas e~ les troupes fr~~ça1ses.
Le journal procolonialiste d'Adrien Hébrard cite les "Ouobés,
ir.hosuitaliers et 2T,thropophages comme les Lôs et leurs congé-
r.ères de la fôrêt" qui arrêtèrent en 1897 le lieute:1ant Blon-
diaux. Le liè:utenant Jacq,ün qui poursuit Sa'llorv décrit un
ca"'lpement abandan'lé de Sa'llOr'T où il arrive le 28 Septembre
1898. "Il n' 'T reste que les malheureux affamés qui mangent
les plus faibles pour vivre (2)."
(1) Le Temos, 4 Septembre 1898.
(2) Le Temns, 7 Décembre 1898.

- 152 -
L'anthropophacie est un ~léMert constant dans le litt~rature
consacrée à l'Afriq'..:e noire à la fin da XIX ème siècle.
Les journaux ne s'attardent guère sur les habitudes
culinaires des habitants de cette région d'Afrique occidenta-
le. Cependant les remarques faites par les voyageurs ou les
militaires français qui ont séjourné dans l'Empire de Samory
indiquent clairement l'image dominante sur cet aspect de la
vie de ses habitants. Voici en quels termes Dubois décrit les
plats q-!i. par hospitalité. sont servis à la mission dont il
fai t partie à son arrivée à Simangaréa oÙ elle doit conférer
avec Kémoko-Bilali : "A peine avons-nous mis pied à terre.
qu'on nous apporte en d'immenses calebasses du riz cuit. chaud
et assaisonné de sauces aux couleurs douteuses. flairant
l'huile rance. le fin du fin de l'art culinaire noir (1)."
Dégo~tante. répugnante. telle est l'image qui domine dans la
presse française en ce qui concerne l'alimentation des habi-
tants du Ouassoulou.
Les journaux français donnent des moeurs des gens de
l'Empire de l'Almamy une image dévalorisante et dégradante.
Les publicistes ne se livrent cependant à aucune étude scien-
tifique de ces moeurs. Ils en brossent une description sommai-
re dont ils déduisent des conclusions non moins sommaires mais
qui se veulent des vérités décisives.
(1) L' Illustratiol. 26 Novembre 1892.

- 153 -
v. LES ~EMMES DE L'EMPIRE DU OUASSOULOU
Dans la multitude anonyme des h~bit~~ts des Etats
de S~~ory~ il y a les femmes. Un sous-chapitre mérite de leur
être consacré en dépit du peu de place qu'elles occupent dans
les dizaines d'artioles qui ont constitué notre corpus. En
effet~ dans toute la masse des textes analysés~ la portion
congrue revient aux femmes. Elles n'apparaissent qu'à l'om-
bre des ho~~es. On n'en parle que par rapport aux hommes.
Les captives font partie de ce "troupeau h~~ain"
que "tra!ne" Samory. Dan~ la composition de la "maison" du
sofa~ telle que la donne Dubois figure une captive qui exécu-
te toutes les tâches pénibles et qui exerce la fonction de
porteuse pendant les longs et fréquents déplacements. La fem-
me ici n'est citée qu'en sa qualité de captive du chef sofa.
Les femmes sont avant tout considérées par les pu-
blicistes comme les épouses des hommes. C'est surtout à ce
titre qu'elles sont mentionnées par la presse. Il ne s'agit
évidemment pas des épouses des simples sujets. Les femmes
auxquelles quelques passages sont consacrés sont les épouses
des dignitaires de l'Empire~ de ceux qui occupent ~~ rang
élevé dans la hiérarchie sociale. Félix Dubots cite la ou les
femmes du chef sofa parmi les personnes qui composent sa "mai-
son". La fe~~e est mentionnée ici parce qu'elle est la femme
du chef sofa. C'est l'unique qualité qui lui vaut d'être citée
comme si elle n'avait pas une existeLce en dehors du chef
sofa.

- 154 -
Il en va de même des femmes de Samory. Leur nombre
a constitué un objet de vive curiositG. Chaque voyageur, sol-
dat ou journaliste y est allé de son chiffre. D'auouns ont
parlé d'une centaine de femmes. Le très colonialiste journal
Le Temos par exemple affirme que "Samory a dans son sérail
une centaine de femmes choisies parmi les plus jolies des
Etats (1)".
Certains, plus modestes, ont pa:-lé d'une qua-
rantaine ou d'une cinquantaine de femmes. Le capitaine Tour-
nier en a vu douze autour de Samory lors de la cérémonie d'ar-
rivée de Karamoko à Kéniéba-Koura d'oÙ il devait se rendre en
visite en France (2). Dans le long article qu'il consacre à
la réception de l'ambassade française et aux diverses cérémo-
nies qui entourent les négociations et la signature du traité
de Kéniéba-Koura, les seules présences féminines dont fait
état le rédacteur du Temps sont celles des femmes de Samory.
"
Et derrière le divan, écrit-il dans sa description des
personnages qui composent l'entourage de l'Almamy le jour de
la réception solennelle, affaissées littéralement sous le
poids des ornements en or massif, ses femmes praférées, non-
chalamment étendues (3)". On notera que les femmes ont pris
place derrière le "divan élevé" sur lequel Samory est assis.
Toutes les femmes de l'Empereur n'ont pas bénéficié de l'hon-
neur de figurer dans son entourage immédiat à l'occasion de
cette cérémonie sole~~elle.
(1) Le Temps, 18 Août 1886.
(2) Le Voltaire, 14 Août 1886.
(3) Le Temps, 7 Décembre 1898.

- 155 -
c'est l'une d'entre elles, Saragué, la femme pr~f~rée du sul-
tant, qui apporte "l'eau de l'hospitalit~" destinée à Péroz,
chef de la mission fra; çaise. L'~vocation des femmes dans cet
article fort long se réduit à cinq lignes.
Le jour où l'Alm~~y est fait prisonnier, le lieute-
nant Jacquin remarque dans son campement "un petit village où
sont logées les femmes de Samory" qui portent "aux oreilles et
au coup de gros bijoux (1)".
La femme eppara!t en outre dans la presse lorsqu'elle
exerce un métier, u~e fonction qui attire le regard de l'Euro-
péen en quête de cu~iosités exotiques. La presse a, par exemple,
beaucoup parlé des "terribles Amazones ll du Dahomey. Les Amazo-
nes étaient des femmes comme les autres. C'est le métier qu'-
elles exerçaient et la place particulière qu'elles occupdent
de ce fait auprès du roi et dans la hiérarchie du royaume qui
en faisaient un sujet permanent d'intérêt. Le contraste est
saisissant f:1tre l'abondante littérature consacrée par la pres-
se aux Amazones et le peu de cas qu'elle fait de la masse des
"femmes indigènes" du roya~~e du Dahomey.
La femme que Dubois dépeint dans le passage suivant
est le type même de ces femmes qui captent l'attention de
l'observateur occidental en raison du caractère insolite de
leurs fonctions.
(1) Le Temps, 7 Décembre 1898.

- 156 -
"Mais à peine avons-nous commencé notre dialogue mimée que de
la case so~t une femme qui vient s'accroupir aux pieds de Si.-
8éké, à mes côt~s. Je n'en reviens pas d'étonnement. Jamais je
n'ai vu une femme se mêler avec une semblable liberté à la
vie extérieu~e d'un noir. Et j'examine plus attentivement ce
phénomène. Mais c'est qu'elle est très bien cette nègresse !
Que dis-je ! Elle est jolie dans son genre et dans sa couleur.
Rien d'humble, ni d'abaissé, ni d'animalisé dans sa figure. Le
regard luit franc et singulièrement intelligent. La bouche mê-
me est une révélation, cette bouche qui s'ondule en lignes de
volupté.
Et quelle coquetterie! Des plaques d'~~neaux d'or,
de pièces d'argent, et des boucles d'ambre bariolent l'ébène
de ses cheveux. Un foulard rouge en diadème autour du front.
Des colliers de corail et d'ambre au cou. Les chevilles et les
poignets cerclés d'or et d'argent. Enfin, drapée de provocante
façon, la gorge et le torse dans une longue étoffe blanche
striée d'écarlate (n."
Décidément cette femme captive l'at-
tention du voyageur. C'est le moins qu'on puisse dire. Il la
distingue d'emblée àe la masse des femmes noires qu'il Il ren-
contrées depuis son arrivée d~~s le pays. Il l'isole des au-
tres femmes. Il en fait une exception. Il la distingue des
autres femmes, d'une part, en raison de son comportement;
elle se mêle avec "liberté" à la vie extérieure ct 1 un :"oJ.r".
(l' L'Illustration, 26 Novembre 1892.

- 157 -
Devant Sisséké "elle prend des poses serpentines, déploie de
petites manières chattes, l'ento11re d'attentions tlt de oeli-
neries ••• On dirait le premier quartier d'une lune de miel
européenne 1"
Dubois lui offre avec empressement "quelques
bracelets et autres colifichets". D'autre part, son apparence
extérieure, sa morphologie la différencie des autres femmes.
Elle n'a rien "d'animalisé" dans la figure. Cette remarque
est très importante dans la mesure où elle insinue que la fem-
me noire a quelque chose "d'animalisé" dB.>.'1s la figure. Les
rapprochements avec la bête sont nombreuses dans les portraits
faits par Dubois des hommes et des femmes rencontrés dans les
pavs traversés avant d'atteindre les territoires qui sont sous
le contrôle àe Samory. Cette femme quant à elle nIa rien à
voir avec l'animal. Dubois J'e tarit pas d'éloges sur sa bouche
voluptueuse, sa coquetterie. L'or, l'argent, le corail, l'a~­
bre rehaussent l'éclat de sa mise. "Elle est jolie dans son
g;enre et dans sa couleur" dit Dubois car pour lui, bien enten-
d
" t '
,
,
u, cette femme ne Deut e re comparee a une bla.'1che. Cette crea-
ture qui "aime ou fe::1t d'aimer comme une blanchet! est une bërio-
te.
Lorsque rien ne peut attirer l'attention sur elle, la
femme de -:c 1 ~pire du Ouassoulo'..l reste daEs la foule anon:lme àes
sujets de Sar;1ory. Dans cette masse que Sal10ry "pousse t! devant
lui da.'1s ses exodes, la presse la représente comme un être de
conditio~ inférieure. On l'achète comme une vulgaire marchandise.

- 158 -
On l'offre en ~uise de nrésent comme un objet ou une b&te.
Le ,journal Le Te~1DS se référant à l'importanCf des femmes de
Samory d'un point de VLe strictement quantitatif écrit
"Il est d'usage que. quand 11 se rend dans un village. on lui
en donne une (1)".
L'époux se fait également un plaisir. par hospitali-
té. de mettre ses épouses à la disposition de ses visiteurs.
Dubois raconte par exemple comment Adrien Marie et lui ne pu-
rent.pour des raisons d'hygiène profiter des largesses de
leur h6te d'un soir.
L'image de la femme dans la littérature consacrée
par la presse française à l'Empire du Ouassoulou est celle
d 'lm être inférie\\"r qui vit dans une dépendance quasi totale
vis-à-vis de l'homme. Elle n'occupe aucun poste de décision.
Marchandise ou présent selon le bon vJuloir de l'homme. elle
appara!t comme un être docile. soumise à 30n maître. l'homme.
Exclue de tout poste de responsabilité. elle appara!t comme
un objet sexuel destiné à la satisfaction des instincts libi-
dineux du mâle et à la procréation ~fin d'assurer la conti-
nuité de la descendance. Sa ~orce de travail est également
utilisée.
(1) Le Temps. 18 Août 1886.

- 159 -
CONCLUSION PARTIELLE
Pour clore ce chapitre
il nous semble nécessaire
3
d'établir un compendium des aspects essentiels de l'image de
la masse des hommes et des femmes de l'Empire du Ouassoulou.
Ces hommes et ces femmes représentent
selon la
3
presse
une masse anonyme dénuée de toute volonté et que Sa-
3
mory manipule à sa guise.
c'est une masse ie nègres qui manquent aux règles
d'hygiène les plus élémentaires et qui "sentent mauvais".
Ainsi Dubois parle du "sourd et pénétrfu~t relent qu'exhale
cette masse
l'insupportable odeur du noir
horrible a~algame
3
3
d'huile rance
de sueur et de je ne sais quoi!
(l )".
3
(1) L'Illustration
1er Octobre 1892.
3

- 160 -
c'est cette "insupportable odeur du noir" qui empêche Dubois
et Adrien Marie "d'user dans une trop large mesure de l'hos-
pitalit~" d'un de leurs hôte~, c'est-à-dire de satisfaire
leur libido aux dépens de ses femmes qui par "d'extraordinai-
res conversations par gestes et par mimique" avaient, selon
l'auteur, fait "comprendre de plus en plus nettement qu'elles
aussi brûlaient ••• (1)".
Une odeur à laquelle seuls des nerfs
solides permettent de résister.
Les hommes et les femmes de l'Empire sont représen-
tés comme des ignorants, des superstitieux.
Dans cet Empire, les femmes, selon les publicistes,
sont considérées comme des êtres inférieurs par nature. Les
hommes en disposent comme du bétail. Ils les achètent, les
vendent ou les offrent à volonté.
(1) L'Illustration, 22 Octobre 1892.

-
161 -
Z7 RDISIEME
L/))ARTIE
-0--0--0--0--0--0--0--0-
SIMILITUDES ENTRE LA LITTERATURE CONSACREE
PAR LA PRESSE FRANCAISE A SAMORY ET A L'EMPIRE
DU OUASSOULOU ENTRE 1880 ET 1898 ET QUELQUES
OUVRAGES PUELlES EN ~ANCE A LA MEME EPOQUE.

- 162 -
La plupart des thèmes que l'~tude de 11image de
Samory et de l'Empire du Ouassoulou a permis de mettre en
lumière se retrouvent dans la litt~rature romanesque consa-
crée à l'Afrique à la même époque. Certes leur apparition
n'est pas liée à l'étude du même objet et des différences
aussi bien quantitatives que qualitatives existent dans
,
leurs developpements.

- 163 -
CHAPITRE
PREMIER
LE THEME DE L'HOSPITALITE DE LA NATURE
1. QUELQUES ILOTS DE BEAUTE
Malgré la place relativement restreinte qui lui a
été consacrée par la presse française entre 1880 et 1698, la
nature de l'Empire du Ouassoulou a été représentée comme une
nature hostile. Dans les oeuvres étudié~s et dans lesquelles
la pl~me de l'écrivain ou du voyageur s'est attardée beau-
coup plus longuement sur la description du paysage, que ne
pouvait le faire celle du correspondant de guerre, l'image
dominante est également celle de l'hostilité de la nature.

- 164 -
L'intérêt, ici, est qu'il ne s'agit plus seulement de l'Empire
du Ouassoulou. Le ch~~p spatial de l'étude s'élarglt et embras-
se la partie oocidentale de l'Afrique.
Certes, de temps à autre, tel écrivain s'arrête un
instant sur la beauté d'un paysage. Il le dépeint en quelques
lignes et ressort le contraste fulgurant qU'il ·forme avec son
environnement immédiat. Ainsi, à bord de l'Ardent, le vapeur
qui le conduit dans le Rio-Nunez, Vigné d'Octon observe que les
palmiers qui défilent sous ses yeux ne sont pas desséchés com-
me ceux qU'il a vus aux environs de Dakar et de Saint-Louis
mais qu'ils sont "au contraire très verts et remplis d'une sève
puissante (1)."
Raymonde Bonnetain note que Gorée est "un joli
petit tlot rocheux (2)."
En bâteau sur le Niger, elle écrit
"A noter seulement de joli les vols de pintades (3)."
Plus
,
loin elle note encore
"il est joli ce coin du Backoi ....
A nos pieds, la rivière glauque et calme réflét~~t des verdures
d'aspect européen."
Tous les bambous et les lianes de l'endroit
lui "semblaient être artificiels .. importés par la fantaisie d'un
propriétaire occidental voulant se rappeler ses voyages (4)."
On touche ici à une caractéristique notable de la grande majo-
rité des descriptions des paysages dont la beauté frappe les
écrivains. Il y a presque toujours une mise en rapport de ces
paysages avec ceux de l'Europe et de la France en particulier.
(1) Octon, Vigné d'. Au pays des fétiches. P. 14.
(2) Bonnetain, R. op. cit. P. 18.
(3) Bonnetain, R. op. cit. P. 106.
(4) Bonnetain, R. op. cit. P. 252

- 165 -
S'ils sont beaux~ c'est parce qU'ils ressemblent aux paysages
européens. C'est encore R. Bo~~etain qui fournit un exemple
supplémentaire de cet ~tat d'esprit. "Puis nous marchons sous
bois - un bois européen de douze à quinze ans. Paysage autom-
nal dL~S nos jeunes futaies deFr~~ce. Rien d'exotique. Je
cherche malgré moi nos b~~yères. Quelques fleurs sans feuilles~
telles des champignons~ montrent au ras du sol leurs clochet-
tes jaunes~ de la forme de nos liserons (1)." La voyageuse ne
retrouve dans ce paysage aucune expression vivante de ses
canons exotiques. Elle recherche sous les Tropiques les élé-
ments qu'on retrouve dans un paysage automnal en France.
Elle recherche des bruyères même si elle se doute qu'elle n'en
trouvera point. Elle rencontre seulement la forme du liseron
mais pas le liseron lui-même. Le parfum des "espèces de mimo-
sas épineux" lui rappelle les mimosas de France. Bonnetain
recherche le paysage français d&~s ceLui de l'Afrique. Seule
une identificatio~ totale du paysage africain à celui qu'elle
a connu en Europe pourrait réaliser en Afrique sa conception
de la beauté de la r.ature. Mais ce rêve ne deviendra pas réa-
lité car les éléments nécessaires à sa matérialisation fOnt
défaut sous cette latitude.
(1) Bonnetain~ R. op. cit. P. 262.

- 166 -
..
" "
..
II. LAIDEUR ET HOSTILITE DU PAYSAGE APRICAIN
En dehors de ces rares exceptions, le paysage afri-
cain APparatt comme laid, triste et hostile. Loti commence le
premier chapitre du Roman d'un spahi par une description du
Sahara, "la grande mer sans eau" ou le "Bled-el-Ateuch", le
pays de la soif. Un peu plus loin, il donne une description
du paysage. "Au loin, à perte de vue, des marécages, couverts
de la triste vég~tation des palétuviers ; ainsi est tout ce
pays d'Afrique, depuis la rive gauche jusqu'aux confins inac-
cessibles de la Guinée (1)."
Les sens~~ions, les impressions
qu'inspirent le paysage africain à Vigné d'Octon ne diffèrent
pas de celles de Loti. Il le trouve "profondément triste".
"De son austère monotonie, écrit-il, s'exhale une impression
poignante (2)."
Dans les bois, les personnages de Boussenard doivent
mener une lutte incessante contre tout ce qui les entoure.
C'est le cas de celui-ci, "tiraillé par les lianes, empêtré
par les racines, accroché par les épines, balafré par les
herbes coupantes, aveuglé par la sueur, suffoqué par la cha-
leur, lardé par les insectes (3)."
La tristesse du paysage
se double donc d'une terrible hostilité. Boussenard vient d'en
donner une image.
(1) Loti, Pierre. Le Roman d'un spahi, Le livre de Poche,
Paris, 1974. P. 76.
(2) Octon, Vigné d', Au pays des fétiches.
P. 210.
(3) Boussenard, L. op. cit. P. 22.

- 167 -
Mais en matière d'hostilité de la nature, c'est
sans conte.te Vigné d'Octon qui produit la description la
plus saisissante quand il parle de cette "morne végétation
de plantes épineuses à la sombre livrée : aloès aux feuilles
rigides et armées de dards vénéneux, cactus étalant d'inom-
brables raquettes aux dents acérées, figuiers de Barbarie
dont les fruits âpres, acides, se hérissent de minuscules
piquants (1)." On ne peut, en effet, imaginer paysage plus
hostile et plus repoussant. La description de cette "flore
rébarbative et hirsute" ressemble fort à celle d'une armée
en campagne. Le choix même du vocabulaire n'est pas fait pour
dissiper cette impression. Les feuilles des aloès sont "armées
de dards" ; les cactus ont des "raquettes aux dents acérées".
On croirait que la nature a sélectionné les espèces végétales
pour ne laisser cro!tre à cet endroit de l'Afrique que celles
qui sont les plus da.'1gereuses. Comme par hasard, il n'y a
dans ce coin que des aloès, des cactus, des figuiers de
Barbarie etc .••
Dans ces "pays lointains ll , la nature, même 1arsqu'-
elle est belle comme à Madagascar où séjourne Marcel Dalvan
dit Simplet, comporte des dangers qui guettent l'Européen.
Ainsi le héros de Paul d'Ivoi et son ami Claude Bérard qui
vient d'être libéré après avoir participé à la ca~pa&1e du
~ahomey doivent se méfier de la nature.
(1) Octon, Vigné d'. Mart:.rrs lointains. P. 29.

- 168 -
c'est à ce prix qu'ils peuvent espérer retrouver Antonin
Ribor afin de sauver définitivement Yvonne Ribor qui est
victime de Canetègne l homme d'affaires verreux de Lyon. Ils
doivent par exemple éviter le contact de la "plante-tonnerre"
car "quand on la touchel on ressent une commotion électrique
quelquefois assez forte pour déterminer la mort" fait dire
l'auteur à l'un de ses personnages l Ikara!nilo.
Selon Boussenard l qui s'aventure dans la f0~êt afri-
caine risque une suffocation mortelle. Dans le sous-bois l
"l'atmosphère devient lourde l fade l saturée d'humidité, au
point de ne plus fournir aux organes respiratoires qu'un élé-
ment vicié par les exhalaisons qui s'échappent des terrains en
décomposition (1)". L'Européen n'est pas seulement menacé dans
son physique; l'air pollué et donc irrespirable qui circule
dans cet environnement risque de Pa.! alyser ses organes vi taux.
Mais les écrivains ne se limitent pas aux impressions
et aux sensations que leur inspire
la vue d'ensemble du pay-
sage. Leurs regards s'attachent à tel aspect particulier l à
tel détail. Ils le dissèquent et livrent au lecteur ce qui
leur semble en être les caractéristiques. C'est ainsi que le
baObab par exemple ne passe jamais inaperçu. On en rencontre
maintes descriptions dans les romans qui situent partiellement
ou entièrement leur action en Afrique.
(1) Boussenard, Louis. op. cit. P. 28.

- 169 -
Celle que nous livre Vigné d'Ooton est d'une d'une oocasserie
sublime. "L'ombre d'un baobab 1 quelle chimère 1 Et combien
facétieux les voyageurs qui l dans leurs livres l ont parl~ de
la frondaison touffue l de la grandiose majesté de oe roi des
forêts africaines 1 Hélas 1 le baobab n'est qu'un arbre bouf-
fil rugeux l poussiéreuxl bête à force de nodosités burlesques.
Ses branches toujours nueS I avec leurs fruits oblongs penchés
vers la terraI ont l'air de pleurer des larmes qui ne tombent
jamais ••• Aussi l'ombre du baobab est-elle la conception la
plus fantastique l la plus imaginaire qui soit sortie de la
cervelle d'un explorateur trop malin ou d'un touriste aveu-
gle (1)."
Vigné d'Octon se veut un observateur plus attentif
et plus objectif. Il s'insurge contre les balivernes racontées
à propos du baobab par les voyageurs. Ce ne sont pour lui que
visions imaginaires et fantastiques. En le lisant on se croit
tour à tour en présence d'un être humain laid et détesté Cù
d'un animal i~~onde.
....
Pour P. Bonnetain qui repouss~ certainement au meme
titre que Vigné d'Octon les "mensonges" des voyageurs l le
baobab est d'ailleurs un animal. Il l'affirme explicitement
dans sa peinture de cet arbre sur lequel le vautour se pose
de temps à autre. Mais "l'énorme baobab l parti
le vautour l
retombe l plus laid l plus noueux l à la tristesse de sa diffor-
mité l hippopota~e et non plus arbre (2)."
Sous la plume de
Bonnetain l le baObab subit une mutation aussi surprenante que
radicale. Il passe de l'espèce végétale à l'espèce animale.
La comparaison est fort hardie.
(1) Octon, Vigné d'.
Au pavs des fétiches. P. 214
(2) Bonnetain, P. op. cit. P. 33.

- 170 -
L'arbre, cet "hippopotMle" domine "l'ignoble brousse"
dont l'hostilité n'a pas échappé à sa femme.
"Mais cette brous-
se morne, ces verdures rabou~ries, roties par le ciel, ces nè-
gres pareils aux quadrumanes des ménageries, cet inhospitalier
aspect de l'eau, du ciel, du paysage et des êtres me troublent
un peu. Et je suis obligée de réfléchir pour ne pas en vouloir
aux illustrateurs du Tour du Monde...
Il faut qu'il y ait
Afrique et Afrique, pour que leurs dessins ne soient pas men-
songers ! (1)". Manifestement pour R. Bonnetain les points
d'attraction sent d'une grande rareté dans la nature. Rien ou
presque ne trouve grâce à ses yeux. La verdure, le ciel, l'eau,
tous ces termes sont accompa~nés d'un qualificatif qui leur
donne une valeur négative. Elle estime avoir été trompée par
les illustrateurs d'un journal comme Le Tour du Mo~de. C'est
so~ expérience personnelle en cours qui est la source de cette
désillusion. Elle ne retrouve pas les charmes tant vfu~tés de
l'Afrique. "Oh ! ce fle'~ve ! ••• s' exclame-t-elle en parlant
du Niger. Il faut le voir pour comprendre ! ••. Ce n'est pas
de l'eau qui coule, mais d'? l'étain en fusion (2L tr
Il n'est
Das besoin de souligner l'e~agération qui est évide~te ici.
Une observation du p~'sage alors qu'elle se trouve e~ bateau
su:, le fleuve lui inspire les mots suivants: "C'e!3t "randiose
si on veut...
Ca n'est Des b-:;au."
C-:; "pa:'sage rébarbeti ;...
,
'
"t
n est pas a son gou .
(1) Bon~etain, R.
op. cit. P. 117
(2) Bonnetain, R. op. cit. P. 94.

- 171 -
Pour les romanciers et les voyageurs, ce paysage
hostile est le repère de bêtes aussi dangereuses les unes que
les autres : reptiles, fauves, animaux de toutes sortes. Qu'il
s'agisse de "ces affreux ca!mans dont la vue vous fait frison-
ner de dégoût autant que de peur (1)" ou des "immondes vautours
chauves l1 qui sont de "voraces amateurs de charognes (2)" ou en-
core èe "la bande affa~ée (3)" d'animaux qui dévorent les corps
de Fatou et de Jean. Sur terre, dans l'eau ou dans les airs
les écr::'vains
prétendent que le danger est omniprésent.
Dans l'eau il n'y a pas que les caïmans dont la vue
épouvante tant madame Bonnetain ; il Y a également les croco-
diles dont les I1 machoires affamées" produisent des claquements.
"Il n'est pas enfin jusqu'à leur souffle ardent, écrit Bousse-
nard, s'exhalant de leur gorge avec une écoeurante odeur de
m~sc, jusqu'à l'éclair luisant dans leurs gros yeux immobiles
qui n' ndiquent une convoitis:! féroce (4)."
Dans la forêt il y a aussi des gorilles comme celui
aux "mâchoires énormes, aux longues dents jaunes, croisées com-
me des défenses, claquent violemment" et qui a enlevé madame
Barbanton. "Un rictus bestial contracte sa face, cette mons-
trueuse caricature du visage humain (5)."
(1) Bonnetain, R. op. cit. P. 106.
(2) Octon, Vigné d'. Au pavs des fétiches. P. 214.
(3) Lot i, P. op. ci t. P. 28 L
(4) Boussenard, Louis. op. cit. P. 153.
(5) Boussenard. op. cit. P. 153

- 172
Les villes ~e rompent pas la laide~r du paysage.
"Pas joli l joli l ce patvre Kayes 1 constate R. Bonnetain.
Avec quelques plantations d'arbres chaque année on l'aurait
rendu
moins laid et malsain (1)." Auparavant l en traversant
la banlieue de Kayes l "ce Gennevilliers africain" 1 elle avait
~crit : "je crois comprendre ce que c'est que l'exil (2).11
(1) Bor~etainl H. op. cit. p. 126
(2) Bonnetain l R. op. cit. p. 117

- 173 -
CHAPITRE
II
Il
"
LE THEMΠDU CLIMAT MALSAIN ET DES MALADIES PERNICIEUSES
I. UN CLIMAT MALSAIN - LE SOLEIL
"UN MON["TRE"
Le thème du caractère malsain du climat et des mala-
dies en tout genre qu'il provoque occupe une large plac~ dans
les oeuvres étudiées. Les développements de ce thème y sont
plus abondants que dans la littérature consacrée par la pres-
se à l'Empire du Ouassoulou.

- 174 -
Pour oe qui est du climat. c'est incontestablement du
soleil qU'il est le plus question. On retrouve tous les lieux
communs de ce qu'on appele le roman exotique. "Le soleil darde
d'aplomb la lumière torride (1)" écrit Loti. R. Bonnetain par-
le de la "féroce lumière (2)". P. Bonnetain. son mari. dépeint
quant à lui. le "ciel trop bleu" d'oÙ "il tombe une haleine de
four" qui "grille
à travers le coutil. hors de l'abri du cas-
que (3) Il les omoplates des Européens. Les auteurs ont même re-
cours aux images pour mieux rendre les sentiments que leur ins-
pire
ce soleil d'Afrique. Ainsi on lit ici que le pays est
"brûlé par un soleil dévorant (4)" ; là on découvre que "la mor-
sure plus aigüe du féroce soleil" se fait sentir à travers le
casque de Julien Grenelle. chef de gare à la station "Ravin de
l'Hyène" au Soudan. Paul d'Ivoi qui reprend la même image parle
de "la terrible mOrsure du soleil (5)". Vigné d'Octon craint
l'"insolation mortelle" qui peut être la conséquence de ce
"soleil de feu qui ne fléchit jamais. avec une température acca-
blante (6)."
(n Loti. op. c1t. P. 59
(2) Bonnetain. R. op. clt. P. 210
(3) Bonnetain. P. op. clt. P. 24
(4 ) Loti. op. cit. P. 32
(5) Ivoi. Paul d' • op. cit. P. 306
(6) Octon. Vigné d'. Au pays des fétiches. P. 10.

- 175 -
Le
"
meme auteur dans Martyrs lointains se livre ~
la description d'un coucher de soleil. Généralement le8 cou-
chers de soleil sont repr~senté8 comme un des plus beaux mo-
ments de la journée. Les couchers de soleil au Sénégal vus
par d'Octon sont presque des apocalypses. "Oh 1 ces couchers
ardents de l'astre dans des horizons désolés 1 ce manteau
rouge, uniformément rouge, effroyablement rouge, dont il se
revêt à cette heure et qU'il jette sur le steppe silencieux
et sur les marres empoisonnées !
Ohl ce dernier et douloureux baiser dont il ensan-
glante la terre après l'avoir brûlée, humée, éventrée, calci-
née depuis l'aurore! (1)".
Paul Bonnetain qui, comme on l'a vu, a la comparai-
son facile, pousse l'analogie jusqu'à un terme inatendu. Le
"Soleil" n'est plus un simple astre: c'est un "Monstre" dont
la perpendiculaire lumière crible le sol de coups de sabre
lumineux. Des blocs d'oxide de fer saignent parmi les termi-
tières (2)."
Une fois de plus la mutation est opérée. Le
soleil est devenu sous la plume de ce fonctionnaire colonial
un "Monstre" qui fait "saigner" le sol à coups de sabre.
Même la mort ne permet pas, selon R. Bonnetain d'é-
chapper définitivement à ce "Monstre".
"C'est mourir deux
fois que de mourir ici ••• oh ! ce soleil, ce horrible soleil
qui vous grille encore dans la terre !•• (3)
(1) Octon, Vigné d'. Martyrs lointains. P. 75
(2 ). Bonnetain, P. op. cit. P. 33.
(3) Bonnetain, R. op. cit. P. 84.

- 176 -
Les desoriptions de l'orage rejoignent celles que
l'on rencontre dans la plupart des romans consacrés à l'Afri-
que dès qU'il s'agit de SOn climat. L'orage est, semble-t-il,
l'un des phénomènes qui ont le plus impressionné les écrivains
europ~ens. Loti nous fournit une description expressive de la
"première tornade" dans Le roman d'un spahi. "Oh! la première
tornade 1•••
Dans un ciel immobile, plombé, une sorte de dôme
sombre, un étrange signe du ciel monte de l'horizon.
Cela monte, monte toujours, affectant des formes inusitées, ef-
frayantes. On dirait d'abord l'éruption d'un volcan gigantes-
que, l'explosion de tout un monde. ( .•• ) Les artistes qui ont
peint le déluge, les cataclysmes du Inonde primitif, n'ont pas
imaginé d'aspects aussi fantastiques, de ciels aussi terrifiants.
( ..• ) Puis tout à coup une grande rafale terrible,
un coup de
fouet formidable couche les arbres, les herbes •••
(1)".
Paul Bonnetain insIste autant que Loti sur la sou-
daineté et la violence de la "première tornade de l'année".
Elle se manifeste par "des zigzags d'éclairs ft qui déchirent
l'étendue et "dont la lueur poursuit les derniers tourbillons(2)."
Mais pour Bonnetain, la violence du phénomène est aussi sou-
daine qu'éphémère car " ••• ces fureurs tout de suite épuisent
leur déluge. Une dernière avalanche s'ab!me sur la plaine (3)."
(1) Loti, op. cit. P. 83
(2) Bonnetain, P. op. cit. P. 106
(3) Bonnetain, P. op. cit. p. 106.

- 177 -
II. LES MALADIES PERNICIEUSES. LA ~IEVRE r
LA "PALE GUEUSE".
Les auteurs d~peignent abondamment les oons~quenoes
de oe olimat sur les Europ~ens. Ils déorivent aveo le souoi
d'éluder le moins de détails possibles leurs oorps frappés
par les différentes maladies qui sévissent dans ces pays. La
fièvre
la "pâle gueuse (1)" en est une. "L'on sent sourdre de
l
ce sol spongieux l'invisible nuage chargé des miasmes de la
fièvre (2)"1 observe Boussenard. D'Octon souligne "la mélancolie
~es vastes marigots d'ou la fièvre s'exhale en épaisse buée(3)~
...'
Les moustiques apparaissent comme des transmetteurs
de maladies. Vigné d'Octon met l'accent sur la fulgugance de
leur action. "La bise qui souffle maintenant des marécages, en
nous apportant une écoeurante odeur d'oeufs pourris, jette sur
le pont du navire des essaims de moustiques : quelques instants
après, nous avons tous les mains enflées et des visages de va-
rioleux (4)."
Leurs piqûres, selon Boussenard, produisent
"l'effet de dard de feu (5)."
La fièvre fait de nombreuses victimes parmi les Euro-
péens. A l'hôpital maritime de Saint-Louis Vigné d'Octon voit
"des adolscents, petits marsouins que la fièvre tordit dès
leurs premiers pas en Afrique (6)."
(1) Octon, vign~ d'. Au pays des fétiches P. 111.
(2) Boussenard, L. Op. cit. P. 28.
(3) Octon, Vigné d'. Au pays des fétiches. P. 21.
(4) Octon, vigné dt. Au pays des fétiches. P. 24
(5) Boussenard, op. ci. P. 212.
(6) Octon, Vigné dt. Martyrs lOintains. P. 2.

- 178 -
Jean Peyral, le héros de Loti, attrape la fièvre alors qu'il
est affaiblit par la blessure morale provoquée par la trahi-
son de sa mattresse, la mOlatresse Cora j
" • • •
après oette
surexcitation d'un jour, le lendemain vint la fièvre. Le
lendemain, on le coucha inerte dans un brancard, sur son
pauvre petit matelas gris, pour le porter à l'h8pital (1)."
M. R••• , ce "pauvre garçon", souffre de "la billieuse
hématurique, la petite fièvre jaune, non contagieuse comme la
grande, mais meurtrière (2)."
Devant les erfets produits sur
son mari par la fièvre, R. Bonnetain s'exclame: " ••• mais si
vous voyiez sa pauvre figure ! c'est affreux ce que la maladie
démolit vite un blanc, ici, en quelques heures!
(3)."
Boussenard considère la fièvre jaune comme un "fléau
mortel aux Européens (4)".
Son héros Victor Guyon dit Friquet
qui "largue tout" pour partir vers d'autres aventures avec ses
amis André Brévane et Pilibert Barbanton en est victime. "Les
souffrances
du Parisien étaient d'a:ltant plus vives, qu'il
n'était pas encore acclimaté. Son s~~g généreux d'Européen
fra!chement débarque, se résolvait e~ ur.e sueur continue qui
::,oulait sur son corps, des cheveux à la plante des pieds (5)."
(l) Loti. op. cit. P. 58.
(2) Bonnetain, R. op. cit. P. 254.
(3) Bonnetain, R. op. cit. P. 348.
(4 ) Boussenard. op. cit. P. 133.
(5) Boussenard. 00. cit. P. 212.

- 179 -
Mais ~riquet doit quitter la rade de Free-Town où est amaré
le yatch l'Antilope-Bleue pour partir à travers la forêt tro-
picale à la recherche de son ami Barbanton qui a quitté le
yatch sans en avertir ses compagnons d'aventure.
L'anémie frappe aussi les Européens. A Podor, poste
français, les traitants sont "jaunis par la fièvre et l 'ané-
mie (1)". Raymonde Bonnetain vante avec beaucoup de suffisance
sa résistance à cette maladie. "Je ne suis pas malade, parce
que j~ ne veux pas l'être, mais l'anémie me terrasse. A chaque
repas je me lève de table pour aller vomir! (2)"
Son époux
trace un bref portrait de ce "sous-off" dont le rire découvre
"entre les lèvres pâles des gencives anémiées" et qui dit,
fais~~t allusion à un camarade qui vient de décéder
"vinr-:t
mois de Soudan, c'est assez ! ••• Pas envie de faire comme
Durand, moi: du rabiot à la mo:,t ! ••• (3)".
Selon BonnetaiD, l'Européen, dans ce contexte ou
l'hostilité domine dans son environnement quotidien, est la
cible d'un mal qu'il ne peut éviter, la Soudanite. Ss femme
la dé~init comme suit
"Alors, on s'ennuit, et, pour tuer le
temps, on potine. Les militaires appellent ici du nom ex~res-
sif de Soudanite une maladie qui consiste justement à se ven-
ISer d
't
udl
"
ennUl
d
en me 'lsances, en '
.. '
11
lmoavlences, e r , quere~~es (4\\"
,.
(n Loti. op. cit. P. 240.
(2) Bonnetain, R. op. ci t. P. 366.
(3) Bonnetain, P. op. ci t. P. 21.
(4 ) Bonnetain, R. op. cit. P. 160.

- 181 -
Un peu plus loin, le même auteur note à propos du printemps :
"C'était bien un printemps - mais un printemps de là-bas, ra-
pide, enfièvr~, avec des odeurs énervantes, des lourdeurs
d'orage (1)."
Sur cette question,P. Bonnetain procède également
par contraste. Le rapprochement entre le printemps -
"c'est
le mois où, chez nous, fleurissent les lilas" - et la rigueur
du climat au Soudan où, à la même époque, "l'eau n'est plus"
est frappant par le contraste qU'il révèle. Mais il faut lais-
ser le mot de la fin à Vigné d'Octon. "Le soleil qui - dans
les pays d'occident - fait éclore les fleurs dans les champs
et le sourire sur les lèvres des hommes, détruit, consume,
flétrit sans jamais féconder. Ce père de la vie et de la joie
est ici le père de la tristesse et de la mort. Il rend stérile
la terre dont il ouvre les flancs, brOle le sang des hommes et
la sève des arbres (2)."
A en croire l'auteur des lignes qui
précèdent, les effets du SOleil changent radicalement en fonc-
tion de l'espace géographique. Les termes "éclore", "fleurs",
"sourire", s'opposent fondamentalement aux termes "détruit",
"consume", "flétrit", "tristesse", "stérile", "brOlé" etc •••
Chacun de ces termes évoque une notion bien précise
la mort
ou la vie. En occident, le soleil donne la vie ; au Soudan il
n'apporte que la mort. La redondance des termes qui évoquent
la mort n'est pas fortuite. Elle traduit la volonté de l'au-
teur d'insister sur le caractère extrèmement nocif du climat
du Soudan.
(1) Lot. op. cit. P. 89.
(2) Octon, Vigné d'.
Au pays des fétiches. P. 4.

- 182 -
c'est à se demander si, par une contrainte quelconque, on
obligeait l'Europ'en ~ s'aventurer dans oe. pays si déori's.
Le thème de l'insalubrité du olimat et des maladies
qui en découlent s'exprime
avec beauooup plus d'ampleur dans
les oeuvres sur lesquelles s'est porté notre choix. C'est à
l'Afrique occidentale dans son ensemble que les auteurs éten-
dent les caractèr~s élim~tiques hostiles et leurs effets pa-
thologiques sur l'organisme humain,celu~ de l'E~~opéen en
particu~ierJ SUr cette question, l'image qui ressort des
livres étudiés est négative.

- 183 -
CHAPITRE
III
LE THEME DU NEGRE "LAID", "PARESSEUX", "GCURMAND" MAIS CONTENT
ET PLUS PROCHE DU SINGE QUE DE L'HOMME. C'EST UN ETRE "CRUEL".
Dans les livres que nous avons étUdiés, il est impor-
tant de remarquer qu'il n'est que très peu question des popu-
lations des pays d'Afrique occidentale où se situe leur action.
On rencontre et on ne parle des "indigè~es" que parce qu'ils se
trouvent sur
l'itinéraire du héros ou des héros.
Ils n'appa-
~aissent qu'à l'o~bre de ces derniers o~ lorsqu'ils sont au
ce~tre d'activités ou de manifestations qui ne peuvent laisser
l'Européen indifférent. C'est le cas de Fatou-Gaye la mattresse
de Jean Peyral, des cuisiniers, des porteurs, des guerriers,
des danseuses de bamboula etc .••
La plupart du temps, les ha-
bitants de ces pays sont dans l'anonymat de la "multitude",
de ces "immenses fourmilières humaines" (l) que Loti voit au
Sénégal.
(l) Loti. op. cit. P.
la.

- 184 -
I. LA "LAIDEUR" DU NEGRE
Dans la peinture que font les écrivains des habi-
tants des contrées où ils séjournent ou que traversent leurs
héros blancs, le noir est, dans la majorité des cas, repré-
senté comme un ~tre laid.
La beauté physique d'un individu arrête quelquefois
le regard de l'écrivain. Fatou-Gaye, par exemple, "était bien
jolie". Selon Loti, elle n'avait "rien de ces faces épatées
et lippues de certains peuplades africaines". Elle avait
"un petit nez droit et fin, avec des narines minces, un peu
pincées et très mobiles, une bouche correcte et gracieuse ;
avec des dents admirables; et puis, surtout, de grands yeux
d'émail bleuitre .•• (1)"
Un peu plus loin, il ajoute que
"souple et cambrée", la démarche de Fatou-Gaye avait "ce ba-
lancement de hanches que les femmes africaines semblent avoir
emprunté aux grands félins de leur ra:rs ; quand elle passait,
avec une draperie blanche de mousseline .jetée en péplwn sur
sa poitrine et ses épaules rondes, elle était d'une perfec-
tion antique; quand elle dormait, les bras relevés au-dessus
de la tête, elle avait une grâce d'a'!1phore (2)."
Sous ce por-
trait plut8t flatteur de Fatou-Gaye ~isent des sentiments obs-
curs que nous découvrirons olus loin.
(1) Loti.
op. cit. P. 114.
(2) Loti.
op. cit. P. 145.

- 185 -
Nyaor-Fall, le spahi noir, était "un géant africain
de la magnifique race Fouta-Diallonké 1 singulière figure im-
passible
aveo un fin profil arabe et un sourire mystique à
l
demeure sur ses lèvres minces : une belle statue de marbre
noir (1)."
L'enfant Nalou que décrit Vigné d'Octon est égale-
ment très beau. "Il n'a point
comme tous les négrillons déjà
l
vus, le nez écrasé, les mâchoires saillantes et les lèvres
épaisses, mais tous ses traits sont d'une finesse, d'une régu-
larité que nous n'avions point trouvées ailleurs (2)."
Pour le même auteur, les femmes des tribus "Naloues
et Landoumanes" sont coquettes. "La jeune fille nalou avec ses
traits relativement fins, l'ovale régulier de son visage, sa
taille souple, est certainement la plus agréable des soudanien-
nes (3)."
Il s'agit en somme de l'exception qui confirme la
règle et dont l'explication ne tarde pas à intervenir trois
pages plus loin. Selon Vigné d'Octon, les originaires de ces
tribus "ont dans leurs veines du sang des Peulhs, leurs mat-
tres de naguère."
Les Peulhs sont en effet des hommes à qui
la plupart des romanciers attribuent de belles qualités mor-
phologiques qui n'existent pas, selon eux, chez les autres
noirs.
(1) Loti. op. cit. P. 38.
(2) Octon, Vigné d'. Martyrs lointains. P. 47
(3) Octon, V. d'. Martyrs lointains. P. 53.

- 186 -
D'après eux, les Peulhs sont plus beaux et leurs traits dif-
f~rent de ceux des autres. "Tenez, s'écrie Paul d'Ivoi, regar-
dez ces femmes
grandes, 41anoées, les membres fuselés et le
visage brun mais régulier ( ••• ) Rien chez les indigènes ne
rappelait le profil bestial du nègre (1).-
Raymonde Bonnetain
donne la même image des Peulhs. "Ils ont des traits presque
européens (2)", écrit-elle.
La dentition est une des rares parties du noir dont
la beauté est vantée par les écrivains. La blancheur des dents
du noir séduit et exerce une sorte de fascination sur l'Euro-
péen. Loti parle de ces petites esclaves dont les éclats de
rire découvrent "des rangées magnifiques de dents blanches,
dans des gencives d'un gros rouge de pivoine (3)."
R. Bonne-
tain qui dédaigne foncièrement les noirs laisse pourtant sa
fille Renée utiliser un cure-dents pour se nettoyer les dents
comme les enfants noirs car ce "système" donne "d'excellents
résultats". "Nègres et négresses, affirme-t-elle, ont la plus
belle dentition du monde (4)."
(1) Ivoi Paul d'. op. cit. P. ~4
(2) Bonnetain, R. op. cit. P.
147.
(3) Loti, P. op. cit. P. 117
(4) Bonneta1n, R. op. cit. P. 174.

- 187 -
En dehors de ces éléments peu fréquents, c'est la
laideur des noirs qui domine dans la peinture qu'on en fait
dans les oeuvres étudiées. Vigné d'Octon s'attarde lourdement
sur la laideur de la jeune fille dont Samba-Diop fit son épou-
se. Il écrit qu'elle "était laide à faire peur (1)". Il fait
un portrait terrifiant de oette pauvre esclave. "Un nez large,
écrasé s'étalait au-dessus d'une bouche immense qui montrait,
en s'ouvrant, de longues incisives Obliquement plantées. Les
yeux ~~~nes, aux paupières flétries, éraillées et brûlées par
le sable, brillaient, sous le front étroit et luisant, de l'é-
clat louche des lumières mourantes. Les cheveux embroussaillés
tombaient sur la nuque en pendeloques sales et terreuses, ex-
halant l'odeur âcre du beurre du Galern. Des oreilles aux car-
tilages boursouflés, percés de plusieurs trous, pendaient des
objets bizarres: brins de paille, petites coquilles univalves.
anneaux de fer ou de cuivre, dents de tigre; tout ce qui dans
ce pays, constitue la parure des misérables.
Cette parure ajoutait encore à la sauvage laideur
de cette figure noire, que la petite vérole avait agrémentée
d'innombrables tâches cuivrées. Tout en elle était hideux, jus-
qu'au bourrelet rosâtre de ses lèvres (2)."
Cette longue ci-
tation est un échantillon de la littérature produite par les
romanciers, les voyageurs, les explorateurs, etc.
(1) Octon, v.
d'. Ma~tvrs lointains. P. 95.
(2) Octon, V. dl. Martyrs lointains. P. 78 - 79.

- 188 -
sur la laideur du noir. On y retrouve tous les éléments qui
reviennent inévitalement dans cette littérature. Le nez "écra-
sé", la bouche "immense", etc •••
La saleté ne caractérise pas
seulementles
cheveux mais
la personne tout entière. L'au-
teur ne parle plus seulement de laideur, il emploie le quali-
ficatif "hideux" qui a une puissance d'évocation beaucoup plus
forte
; l'image de l'esclave est rendue plus repoussante en-
core. Dans le portrait de la femme de Samba-Diop, même les dents
ne sont pas belles.
Mais on croirait se trouver en face de la laideur
personnifiée quand on lit la description que P. Bonnetain fait
de ce "blanc" qu'un propiétaire d'esclaves, qui le comptait
parmi ses sujets, rouait de coups aux c~is de "Hue donc, le
blanc t ••• Hue donc !II, fier d'avoir un captif "blanc". Alors,
Bonnetain, irrité, s'avance et lève sa cravache sur le "mar-
chand de chair h"J.maine ll qUi, épouvanté, "aussitôt s'écrasa"
comme la panthère qU'il avait croisé quelque temps plus tôt.
Cet être n'est qU'U:-l "nèi1;re blanc", un simple albinos souda-
nais, un affreux monst~e, dont la face et le torse, décolorés
par endroit, semblaient tatoués de lèpre, mangés de mOisissu-
res, dont la peau enfin, avec son piC';ll1ent malade, rappelait
invinciblement les fi~ures neintes au seuil de certaines ba-
raques de foire, contrefaçons
de musée Dupuytren, "visibles
pour les hommes seulement"!
R. Bonnetain en voit également
un que l'interprète lui annonce en dis~~t " ••• nous avons
aussi des blancs !".

- 189 -
Elle s'exclame d'horreur en apercevant l'individu en question
"Hélas ! ledit blanc était tin horrible albinos, grêlé, pres-
que aveugle - un malinké, m'a-t-on dit (1)."
C'est dans des
circonstances presque analogues que Dubois a rencontré un al-
bin0s dans l'Empire du Ouaeeoulou.
L'image du noir telle qu'elle ressort de la peinture
qu'en font les auteurs étudiés est celle d'un être laid. Une
laideur qui se définit par comparaison au blanc. Les critères
de détermination de la bauté vu de la laideur sont fixés par
les auteurs à partir d'un modèle qui est le blanc. Pour eux ce
modèle ne peut être choisi nulle parc ailleurs. C'est sur la
base des canons qui sont les leurs que ces écrivains jugent de
la beauté ou de la laideur des Africains. N'est jugé beau que
ce qui se rapproche du type européen. La beauté ou la laideur
d'un
homme ou d'une femme d'Afrique se mesure à la distance
qui le sépare sur le plan morphologique de leur modèle euro-
péen. Plus on s'en rapproche et plus on est beau selon eux.
Plus on s'en éloigne et plus on ~st laid. Il ne saurait exister,
selon eux, d'autres critères, d'autres canons de détermination
de la beauté physique d'un homme ou d'une femme. Ce manichéisme
absurde s'exprime de façon constante.
(1) Bonnetain, R. op. cit. P. 293.

-
190 -
II. LE NOIR
ET
LA
~ETE
D'ailleurs, pour nos écrivains, l'homme et la femme
noirs sont plus proches de la bête que de l'être humain. Les
rapprochements du noir avec des bêtes de toutes sortes sont
innombrables.
Les comparaisons ou les assimilations au chien sont
fréquentes.
R. Bonnetain ne peut tolérer que sa fille Renée
ait pour compagnons de jeux les enfants noirs de son âge.
"On a beau être en Afrique, il est diff1~11e de lui tolérer
de pareils camarades 1" écrit-elle. Elle décide alors "de lui
acheter une poupée noire, une poupée vivante, une petite es-
clave que je libèrerai, que je décrasserai et que je soignerai
bien (1)."
Plus tard, faisant allusion à l'attachement de la
petite esclave à sa fille, elle écrit
"Belvinda se prête à
tout. C'est un bon chien (2)."
Il va sans dire qu'on ne peut
parler de libération à propos d'un être humain qui est acheté
pour être ravalé au rang de la bête. Bonnetain procède même à
une chosification de Belvinda. Quant à son ~oy Mahmadi, un Sa-
racolet "suavement laid", elle considère qU'il "a de bons yeux
de jeune chien (3)."
Vigné d'Octon assure que le tirailleur Samba-Diop
répond toujours "ouaou ! Ouaou
espèce d'aboiement qui, en
ouolof, signifie: oui (4)."
Bonnetain, R. op. cit. P. 145 - 146.
Binnetain, R. 0p. cit. P. 226.
B')nnetain, R. 8p. cit. P. 132.
Oct,n, V. d'. Mart"rs l'intains. P. 99.

-
191 -
Jean Pryral ne réserve pas un meilleur sort à Fatou-
Gaye qui est pourtant devenue sa mattresse après lui avoir
sauvé la vie. "Jean aimait-il Fatou-Gaye ? interroge Loti. Il
n'en savait trop rien lUi-même. le pauvre spahi. Il la consi-
dérait. du reste. comme un être inférieur. l'égal à peu près
de son laobé jaune ; "
Il ne se souciait guère de ce qui pou-
vait constituer les préoccupations de "cette petite âme noire.
noire - noire comme son enveloppe de Khassonkée .•• Mais il
avait conscience aussi de ce dévouement de chien pour son mat-
tre, adoration de nègre pour son fétiche (1)."
Plus loin.
Loti écrit qu'elle était "comme un chien couché aux pieds de
ses mattres (2)."
Les comparaisons avec le chat sont elles aussi très
fréquentes. Jean Pe;rral caresse Fatou-Gaye qui lui a évité
une "insolation mortelle" en abritant sa tête à l'ombre d'une
ét::lffe "absolument comme il S'y prenait pour gratter la nuque
du gros matou câlin qui, à la caserne. venait la nuit se pele-
t::lnner sur son lit de soldat ... (3'"
Ces "petites négresses"
d~nt fait état L0ti S0nt comme de "jeu~es chats (4'".
( 1, L::>ti. op. cit. P. 145.
(2' L::>ti.
op. cH. P. 252.
(3' Loti. op. ci t. P. 55.
(il' Loti. op.
cH. P. 121.

-
192 -
Les comparaisons ne se limitent pas seulement au
chien et au chat. Les écrivains les établissent entre le noir
et des b~tes diverses. Fatou, selon Loti, pousse "une espèce
de râlement de fauve, terminé en éclat de rire nerveux, et
suivi par des sanglots lorsque Peyral accepte la permutation
avec le spahi Boyer et renonce par conséquent à son départ
pour l'Algérie en passant par la France.
R. Bonnetain approuve les militaires qui traitent
les cuisiniers noirs "en jeunes animaux, qu'ils sont d'ail-
leurs (1).11
La vue des pieds d'un noir lui arrache une ex-
clamation d'horreur "Ah! ces pieds, l'horreur de ces pieds ! •••
Je ne m'y habituerai jamais. Notre nègre est propre comme la
grande majorité des noirs, dont le bain au fleuve est au moins
quotidien, pour les deux sexes, mais la marche et le SOleil ont
transformé ces extrémités humaines en je ne sais quelles pattes
de bête. Encore les singes ont-ils au moins du poil qui cache
leurs doigts, tandis que ces pieds-ci s'étalent librement, lar-
ges et longs, non pas noirs, mais gris, couleur hippopota~e,
ron~és, noueux, pareils en un mot à des souches, à des racines,
comme j'en prête volontiers au baobab! (2)"
On sIen aperçoit
aisément, R. Bonnetain ne recule devant rien dans la construc-
tiOll de ses a.nalo'!ies. La comparaison qu'elle établit au départ
entre les pieds de ce noir et les pattes d'une bête évol~e très
rapidement. Au bout du compte il ne subsiste qulQ~e comparai-
son entre les pieds humains et l'arbre; les pieds sont pareils
à des souches, à des racines de baobab.
(1) Bonnetain, Ro op. cit. P. 132.
(2) Bonnetair'., R. op. cit. P. 133.

- 193 -
c'est "l'horreur" des pieds de cet homme qui conduit au dépas-
sement de la comparaison avec la bête et qui fait nattre l'as-
similation à l'arbre. En effet~ même les pattes de la bête qu'-
est le singe sont~ selon Bonnetain~ esthétiquement supérieures
aux pieds de l'être humain. La comparaison avec la bête de-
vient donc inopérante car elle ne peut plus traduire l'image
que Bonnetain veut transmettre.
La comparaison du noir avec le singe est quasi perma-
nente. Elle est présente dans tous les livres que nous aVOns
étudiés. Loti trouve que des piroguiers sénégalais ont des
"faces de gorilles (1)". A Dakar, Vigné d'Octon voit lui aussi
de "grands diables noirs à faces simiesques (2)."
Tous les au-
teurs retenus, sans exception aucune, établissent une ar.alog:e
anatomique, gestuelle, vocele, etc •• entre le noir et Je sin~e.
Vif1;T1.é ci 'ù0t;on observe des "tirailJ eur's ind::!gènes accroupis en
de simiesques postures (3)."
Boussenard écrit pour sa part:
"BientOt une douzaine de noirs,
armés de piques et de fusils de
traite, débouchèrent dans la clairière, criant, hurlant~ gesti-
culant comme un clan de singes ivres de vin de palme (4)."
(1) Loti. op. cit. P. 10.
(2) Octon, V. d' • Au pays des fétiches. P. 212.
(3) Octon, V. d' • Martyrs lointains, P. 14.
(4 ) Boussenard. op. cit. P. 17.

- 194 -
Loti d'peint en des termes analogues l les guerriers
de Boubakar-Ségou auxquels douze spah~ envoyés en éclaireurs
vont inévitablement livrer une bataille d'sespér'e. "En même
tempsl trente têtes sinistres émergeaient des herbes l trente
démons
noirs l couverts de boue l bondissaient l en grimaçant
de leurs dents blanches l comme des singes en fureur (1)."
Jean Peyral périra d'ailleurs dans ce combat et ne reverra
plus jamais ses Cévennes natales.
A la vue d'un musicien hova qu'on lui présente comme
étant un troubadour l Simplet l le héros de Paul d'Ivoi l s'ex-
clame
" - Ce singe ? (2)"
Paul Bonnetain s'amuse des "pué-
rilités simiesques (3)" des noirs.
"Une macaque nommée Bafoulabé-Diop (4)" : c'est
ainsi que Loti qualifie la femme qui a suivi Fatou-Gaye après
que Jean l'eut renvoyée pour avoir vendu la vieille montre que
son père lui avait offerte. Il parle en outre de ces pileuses
qui mêlent aux bruits des pilons dans les mortiers "le concert
de leurs voix aigües qui semblent sortir de gosiers
de sin-
ges (5)" ou encore des bruits provoqués par de "petites escla-
ves"1 "des cris l des mines l des grimaces l des espiègleries
nègres à rendre des points à des ouistitis (6)."
(1) Loti. op. cit. P. 264.
(2) Ivoi l PaulI d'. op. cit. P. 294.
(3) Bonnetain l P. op. cit. P. 71.
(4) Loti. op. cit. P. 210
(5) Loti. op. cit. P. 116.
(6) Loti. op. cit. P. 117

- 195 -
Les pieds et les mains sont parmi les parties du
corps du noir qui intriguent le plus les écrivains. Nous
avons indiqué plus haut les sentiments d'horreur que les
pieds du noir inspirent à R. Bonnetain. Les mains lui inspi-
rent des sentiments au moins aussi horribles. -Je n'ai pas
parlé des pieds~ presque toujours nus~ donc plats et laids.
La main est petite~ effrayante~ un peu noire au-dessus~ bl~~­
che-jaune plut8t - en dedans~ - simiesque. Et à ce propos~ je
ne me suis pas encore habituée à voir~ à table~ les mains des
domestiques~ ces pattes de singe~ qui~ tout à coup~ surgissent
à c8té de vous~ sur la nappe~ pour prendre votre assiette 1••• (1)"
La qualité de ma!tresse de Jean Peyral ne met pas
Fatou à l'abri du mépris. Elle ne jouit pas de plus de consi-
dération que les autres noirs. Jean n'accorde aucune importance~
aucune valeur à sa liaison avec Fatou. On a vu qU'il la consi-
dère comme un ~tre inférieur et la met "à peu près" au m~me ni-
veau que son chien. Fatou est ni plus ni moins un objet de sa-
tisfaction des instincts libidineux du héros de Loti. Elle est
un objet sexuel pour Jean Peyral. Et s'il "se laissait aller
par instants à gâter Fatou" comme le jour où il la prit dans
ses bras pour la mettre à bord du navire de Gorée~ c'était uni-
quement "- par besoin de chérir quelqu'un -~ par besoin de ten-
dresse~ et faute de mieux (2)."
(1) Bonnetain~ R. op. cit. P. 87
(2) Loti. op. cit. P. 190.

- 196 -
Le h~ros de Loti oonsidère Fatou comme un singe et la vue de
ses mains prvvoque ohez lui des r~actions identiques à celles
de R. Bonnetain. "Il n'aimait pas voir le dedans des mains de
Fatou, qui lui causait, malgré lui, une vilaine impression
froide de pattes de singe. Les.mains étaient pourtant petites,
délicates - et reliées au bras rond par un poignet très fin.
Mais oette décoloration intérieure, oes doigts teintés mi-par-
tie, avaient quelque chose de pas humain qui était effrayant (1)."
Il n'va pas que les mains de Fatou qui lui rappelle de "mys-
térieuses ressemblances". Il y a aussi des intonations de sa
voix "d'un fausset étrange~ "certaines poses et certains ges-
tes inquiétants". Même s'il s'y est "habitué", il n'en appelle
pas moins Fatou d'un nom "yolOf qui signifiait
peti te fille
singe". Un jour, "d'un air convaincu" il exprime ses conclu-
sions sans détour. "Toi tout à fait même chose comme singe! .•• "
La protestation vexée de Fatou ne peut rien changer aux conclu-
s10ns du spahi. "Ah! Tjean ! dit-elle. Toi n 'y a pas dire CO':1-
me ça, mo~ bl~~c ! D'abord, singe, lui ~'y a pas conna!t m~~iè-
re pour parler, et moi conna!t très bien!
(2)".
Fatou est donc pour Jean une bête, un singe. Ma1s
Loti ne pousse pas son raisonnement jusqu'au bout car s1 Fa-
tou est une guenon, il doit avouer que son héros entretient
des rapports sexuels avec une bête.
Quelquefois, la nature
des liens qu1 l'attachent à Fatou révolte Jean Peyral.
(1) Loti. op. cit. P.
134.
(2) Loti, op.
cit. P. 135.

- 197 -
"Quelquefois~ indique Loti~ sa grande fierté se réveillait~ sa
dignité d'homme blanc se révoltait (1)."
Il la rue de coups
à l'aide de sa cravache "marquant des raies d'Où jaillissaient
le sang" quand il s'aperçoit qu'elle a vendu la vieille montre
que son père lui avait donnée.' Il la chasse. "Va-t-en III"
Il éprouve un grand sentiment de déliv~ance après le départ de
Fatou. "Il lui semblait d'ailleurs qu'il av ai t retrouvé sa
dignité d'homme blanc~ souillée par le contact de cette chair
noire ; ces enni"~ements passés~ cette fièvre des sens surex-
cités par le climat d'Afrique~ ne lui inspirait plus~ quand il
regardait e:1 arrière~ qu'un dégoût profond (2)."
Il peut en-
fin espérer gagner les galons de maréchal de logis que ses su-
périeurs lui avaient toujours refusés en raison de sa liaison
avec Fatou. Il doit désormais adopter une attitude succeptible
de réhabiliter sa "dignité d'homme blanc".
Paul Bonnetain et Loti assimilent les pas de danse
et les mouvements qu'effectuent des danseuses à des gestes de
singes.
"Certains soirs de lune, écri t Bonnetain~ elles dar.-
saient au son au tam-tam. Une fureur les faisait tourner, dé-
hanchées~ convulsives~ tourner~ tourner encore. Ou bien elles
s'offraient la danse volOff~ l'obscène pantomime des guenons
noires caricatuY'ant leurs passives et lubriq'.les a'1'1ours (3)."
( 1) Loti. op. cit. p. 145.
(2) Loti. op. ci t. P. 210.
(3) Bonnetain. P. op. cit. P. 79.

- 198 -
Dans la description qu' i) fait de la bamboula Lot.i
observp le !"las d'une danseuse qui, lent au (iéDart, "s'accé-
lère bient8t jusqu'à la frénésie; on dirait les trémousse-
ments d'un singe fou, les contorsions d'une possédée (1)."
Rien ou presque n'échappe à la comparaison avec le
singe. La comparaison dont les deux termes sont le noir et le
singe appara!t avec une grande fréquence. Selon les auteurs
que nous avons indiqués, il n'y a pas une partie du corps du
noir qui ne rappelle le singe. Son visage, ses mains, ses pieds,
etc.
Mais les gestes, la voix sont également, selon eux, com-
parables à ceux du singe.
(1) Loti. op. cit. P.
125.

- 199 -
III. LE NOIR "PARESSEUX", "MEN~?EUR", "GOURMAND"
A - LA PARESSE DU NOIR
On retrouve par ailleurs dans oes livres tous les
st~réotypes sur les noirs ; le 8t~réorype du noir paresseux
par exemple.
R. Bonnetain note que parmi les noirs qui sont au
servioe de sa famille, les "boys sont peu stylés" et pares-
seux; "et puis, l'apathie du noir, sa paresse, découragent
les meilleures volontés, à ce que m'affirment des Soudanais
d'expérience (1)", indique la voyageuse. Parlant de Mahmadi,
elle écrit: "je l'ai découvert entêté et paresseux comme
tous ceux de sa race (2)".
Elle avoue même qu'elle se trouve
dans l'obligation de refaire le travail de ses serviteurs.
"Le matin, ils sont incapables de quoi que ce soit. Ces hébé-
tés dorment en marchant, ne trouvant rien dans l'obscurité,
me font mourir d'impatience. Je n'ai jamais vu pareils amateurs
de sommeil (3). lt
Pierre Loti a la même opinion que Bonnetain.
Selon lui, Fatou "était incapable d'aucun travail (4)."
Les griots sont égale.nent traités de paresseux. "Les
griots sont les gens du monde les plus philosophiques et les
plus paresseux ; ils mènent la vie errante et ne se soucient
jamais du lendemain (5)."
( 1 ) Bonnetain, R. op. cit. P. 129
(2) Bonnetain, R. op. cit. P. 132
0) Bonnetain, R. op. clt. P. 261
(4) Loti. op. clt. P. 115
(5) Loti. op. cit. P. 122

- 200 -
Les noirs, en plus de leur laideur qui selon les
écrivains, les rapproche plus du singe que de l'homme, appa-
raissent dono comme des êtres paresseux par nature.
R. Bon-
netain en est oonvaincue ; c'est dono avec beauooup d'emphase
qu'elle rapporte la scène où son mari frappe des porteurs qui
lui ont fait parvenir leurs charges avec retard; " ••• mon
mari décoche en pleine figure du nègre un ooup de poing anglo-
saxon, o'est-à-dire magistral, - ça ne m'étonnerait pas qU'il
ait des dents oassées (1)."
Le châtiment atteint les six por-
teurs incriminés. Un châtiment à la manière anglo-saxonne oom-
me le dit Bonnetain qui ne trouve pas de mots assez forts pour
vanter la bravoure de son époux. Son triomphe est cependant
sans gloire car il ne se heurte à aucune résistance.
L'intérêt du fait s'accrott quand Bonnetain le consi-
dère comme relevant de l'application d'une théorie. Une de ces
"théories" comme on en découvre sous la plume de certains écri-
vains au sujet de ce qu'ils appellent la mentalité du noir;
une mentalité qui serait propre au noir et qui serait invaria-
ble d'un noir à un autre sans distinction aucune.Bonnetain
énonce la sienne après avoir invité le lecteur à ne pas se hâ-
ter de juger la conduite de son mari. "Le noir a un sentiment
extraordinaire de la justice. Fautif, il attend et reçoit stoi-
quement son châtiment, vous méprise, si vous ne le lui infli-
gez pas, mais ne vous pardonne pas non plus si vous le châtiez
sans motif (2)."
(1) Bonnetain, R. op. cit. P. 354.

-
201 -
Elle veut conférer un caractère uni verse l à sa "théorie".
Son champ d'application ne se limite donc pas pour elle aux
six porteurs mais à tous les noirs en général. Cette préten-
due universalité se veut une justification du comportement
de son époux.
B - LE NOIR "MENTEUR", "VOLEUR", ET "GOURMAND"
D'autres stéréotypes comme ceux du noir menteur,
voleur, gourmand se rencontrent souvent dans les livres choi-
s:s.
A Ja;(ar où il doit en princ ipe s' e':1barquer pour
l' ."'.l::;é _'ie, Jea..'L o'Jblie u;) insta.'1t devar.t les larmes et les
:":)cto~., "avec 13. facil:'..té de me~sor:~e 0'11 caractérise sa
"""'~e
.. __ -'
(",
c:... "
U'1 jO;.lr, on s' a~Jercoit q'.le le médai lIon de marJ.ame
E=.."bar;t 0" Q'_'1 crtient ur ~illet de loterie a disparu. Bous-
s~:1arè écrit que Sounrro
l'a dérobé avec "cette absence com-
~:~te de ser.s ~oral qui caractér:se la convoitise du r~~re (3'."

- 202 -
Certains Maures n'inspirent que la haine à Loti.
Il s'agit des "Maures de la tribu des Braknas ou des Tzarazas -
bandits, pillards, détrousseurs de caravanes -, la pire de
toutes les races africaines (1)."
Dama, le cuisinier que garde R. Bonnetain parce
qu'elle ne peut "faire autrement" est, d'après elle, "la fri-
pouille la plus fripouille qu'on puisse voir.'1
Elle affirme
qU'il est "sale comme la saleté en personne, et voleur, et
menteur, invraissemblablement (2)."
En plus "il rate toujours"
ses plats.
Les références à la gourmandise des noirs SODt fort
nombreuses et se retrouvent i~variablement chez les différents
au~eurs. A l'issue de sa victoire sur son rival dans la course
au trône d'une tribu en Sierra-Leone grâce à l'aide décisive
de deux FranGais, Soungoya et les siens ingurgitent, d'après
Boussenard, de graJldes quanti tés d'alcool. "Les calebasses de
bière circulent à la ronde, et tous, grands et petits, mâles
et femelles, avalent avec leur glot.<tonnerie d'animaux la li-
que'.lr fermentée (3). Il
La femme de Bonnetain supporte difficilement le spec-
tacle qu'offrent les noirs quand ils prennent leur repas.
(1 ~ Loti, op. cit. P. 237.
(2' Bonnotain, R. op. cit. P. 147.
i3' BOl:ssena!'d, OC'. c-i.-t. P. 275.

- 203 -
"Et quelle répugnante façon de manger ! ••• " s'exclame la voya-
geuse à Matam. "Accroupis autour de l'énorme calebasse, tous
ces gens, ma!tres et captifs, y nuisent avec les dol~ts, for-
ment des boulettes g!'osslères outils s'empifrent. C'est à le-,·
,~
ver le coeur! (1)"
Ce qu'elle considère comme la gloutonne-
rie des noirs la pousse à écrire que les trente-six noirs que
comprend leur caravane représentent "36 double-estomacs 1(2)"
On retrouve également l'inévitable image du noir qui
serait toujours content. La "gaité nègre" s'exprime par exem-
ple à travers le tlgros rire de bonne bête" du caporal Samba-
Diop à qui le capitaine Birard dit en su1se de "plaisanterie"
" - Bonjour gorille, comment va ta guenon? (3)"
Paul Bonne-
tain parle de l' "éternelle bonne humeur (4)" du noir. Sa femme
exprime la même idée de façon plus pittoresque dans sa descrip-
tion de cette case où "grouille une négraille bon enfant, de
vrais singes apprivoisés qui rient tout le temps (5)."
(1) Bonnetain, R. op. cit. P. 88
(2) Bonnetain, R. op. cit. P. 294
(3) Octon, V. d' . Martyrs lointains. P. 98.
(4 ) Bonnetain, P. op. cit. P. 71-
(5) Bonnetain, R. op. cit. P. 59.

- 204 -
N. LE NOIR EST "PEU INTELLIGENT".
C'EST UN "ETHE INFERIEUR".
Les noirs, selon R. Bonnetain, sont de "grands en-
fants (1)" d~pourvus d'intelligence. "Le sOleil seul leur rend
le peu d'inte1l1g.n~e qu'ils possèdent (2)" assure-t-elle.
P. Bonnetain partage fondamentalement cette conception m~me
s'il ne confère pas le m~me raIe au soleil. Le noir, selon ce
fonctionnaire colonial, montre parfois quelques instants d'in-
telligence. "Et puis, un éclair
d'intelligence, parfois affi-
nait la puérilité de son rire perpéruel ; et d'autres fois
aussi, son dévouement tentait de l'emporter sur sa paresse (3)."
Mais si Paul Bonnetain relève ces quelques rares instants qui
interviennent "parfois" comme un éclair dans la vie du noir,
c'est pour mieux mettre en relief la soi-disant inintelligence
de tous ceux qui sont de la race noire. C'est la rareté de
l'''éclair
d'intelligence" qui lui confère une valeur qui sort
de l'ordinaire. Bonnetain n'indique pas seulement la rareté de
l'instant d'intelligence du noir. Il s'exprime avec la volonté
de marquer sa soudaineté et son caractère fugitif. Crest un
"éclair" soudain, éphémère. Pour Bonnetain, le noir n'est géné-
ralement pas doué d'intelligence. Il est inintelligent. Selonllui,
seul un
"éclair
d'intelligence" traverse parfois son cer-
veau et se traduit dans ses actes.
Le noir est considéré comme un être inférieur. Les
multiples assimilations à la bête que nous avons relevées lais-
saient prévoir une telle évolution de la pensée de leurs au-
teurs. :11es étaient grosses d'une telle conclusion.
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- 205
Jean Peyral, le héros de Loti, arrive à la conclu-
sion que Fatou n'est pas différente d'une guenon. Lorsque la
guerre contre Boubakar-Ségou nécessite l'envoi d'une oolonne
oontre lui, Jean en fait partie. Fatou qui lui est restée
fidèle s'arrange pour l'accompagner dans cette campagne. Sur
le pont du Falémé qui s'appr~te à lever l'encre, elle montre
à Jean le fils qu'elle a eu de lui. "Tjean \\ ••• ne veux-tu
pas regarder ton fils? (1)" lui crie-t-elle. wL'enfant n'a-
vait pas voulu du sang de sa mère, il était tout entier de
celui de Jean", écrit Loti dans sa description du nourrisson.
Puis il ajoute que l'enfant avait "une expression déjà grave -
comme cherchant à comprendre ce qu'il était venu faire dans la
vie, et comment son sang des Cévennes se trouvait mêlé à cette
impure race noire (2)."
Loti va ainsi jusqu'au bout de ses
convictions: la race noire est une race "impure". C'est une
"race inférieure".
Dans un passage de Dans la brousse de Paul Bonnetain,
une altercation oppose le maréchal des logis Rémillot au briga-
dier Ver~:. Ce dernier est rendu furieux par le simple fait que
Mahmadou 3emba "son inférieur par le sang, mais son égal par le
grade (3)" ait été témoin de l'algarade. Quelque temps plus tard,
agacé par les sifflements de Mahmadou Semba, il lui jette à la
figure les mots suivants : "Te tairas-tu, sale bougnoule ?"
(1 ) Loti, op. cit. P. 242
(2) Loti, op. cit. P. 243
(3) Bor:~~~ainJ P. op. cit. P. 115.

- 206 -
L'idée de l'inf~riorité oong4nitale du noir par rapport au
blanc est une fois de plus olairement exprim4e ioi. Aujour-
d'hui# les progrès des sciences en général# de la g4nétique
en particulier, permettent de mesurer le fossé considérable
qui sépare cette conception rétrograde de la vérité soienti-
fique.
Les idées de R. Bonnetain porte la marque de l'obs-
curantisme. Sur la question de la prétendue infériorité du
noir par rapport au blanc du fait de la simple différence de
couleur de la peau# elle ne recule pas devant le ridicule. Il
est vrai qu'elle nous y a habitué. Elle décide en effet d'iso-
ler totalement Belvinda# la petite esclave noire# la "poupée
vivante" qu'elle a achetée pour sa fille Renée# des domesti-
ques noirs pour éviter qu'elle ne "tourne" mal. "De la sorte#
écrit-elle# elle n'apprendra pas à nous détester ou à nous
voler# et ne sera pas pervertie."
Elle étaye ses fausses cer-
titudes par une argumentation d'un simplisme ridicule. L'ex-
périence des officiers qui ont servi en Afrique aurait montré
que les enfants ramenés en France "tournent" bien quand Ils
sont "achetés" en bas âge "et peu avant le départ# quand# en
un mot# la valetaille de couleur n'a pas eu le temps de les
vicier (1)."
Ainsi# pour Bonnetain# le contact avec les noirs
est source de dangers certains. Il provoque, selon elle# une
contagion par laquelle le noir transmet toutes ses tares con-
génitales telles que le mensonge# le vol# la paresse# etc ••
(1) Bonnetain# R. op. cit. ?
216.

- 207 -
Le contact avec oe qu'elle appelle avec m~pris "la valetaille
de couleur" pervertit l vioie. La perversion et le vioe sont
définis comme
les oons~quence8 in~luctables auxquelles qui-
conque noue des oontaots avec la "valetaille de oouleur" ne
peut ~ohapper. Mais comment madame Bonnetain peut-elle préser-
ver la petite esclave noire
de
la perversion et du vice
quand elle définit ces maux comme étant inhérents à la "race
inférieure" qu'est la race noire ?
Comment R. Bonnetain peut-
elle éviter à Belvinda d'être à la fois voleuse l menteuse l pa-
resseuse l gourmande quand elle affirme dans ses théories qui
violent la science que le noir en général possède tous ces
défauts dès sa naiss~~cel par nature ?

-
208 -
v.
LA CRUAUTE DU NOIR
Le thème de la cruauté du noir a fait l'objet d'un
long développement dans les chapitres précédents. Aussi ne
nous y attarderons-nous pas afin d'éviter des redondances
inutiles et lassantes. Cette attitude se justifie d'autant
plus à nos yeux que l'on retrouve dans les livres les procé-
dés utilisés dans la presse pour dépeindre la cruauté de Samo-
ry ou des sofas. On y retrouve les razzias, les incendies,
les égorgements, l'esclavage ••• La représentation du noir
dans ces livres rassemble tous les stéréotypes qui le présentent
comme un homme d'une cruauté inimaginable.
On rencontre d'aille~lrs àans les livres de la famille
Bonnetain des références directes à l' Almarny Samor:' et à ses
sofas. Paul Bonnetain fait de brèves allusions à la campagne
du colonel Combes qui fait "la chasse aux sofas de Samory (1)."
Pour Raymonde Bonnetain, Samory est un "féroce roitelet nègre".
"Il empoigne toute la population, les hommes libres et leurs
captifs, les femmes et les enf~Dts, et 'la les vendre ailleurs
(la plupart du temps dans la colonie an~laise de Sierra-Leone),
co~tre des chevaux et des armes ~ répétition que les bons An-
glais tierL'ient à sa disposition, toujours (2)."
C'est l'imase
de Sa~ory le cruel esclava~iste qui est développée ici par les
Bonnetain.
(1~ Bonnetain, P. op. cit. P. 181.
Voir aussi P. 177
(2) BOt-.r'sté.i:--.
R.
0\\:,.
c~t. P. '70.
J

- 209 -
Deux épisodes tirés
de deux livres différents ont
l'avantage, d'une part, de nous épargner de longues répéti-
tions et d'~tre, d'autre part, représentatifs de tout. ce qui
est écrit sur la cruàuté du noir.
Le premier est tiré du livre de Vigné d'Octon inti-
tulé Au pays des fétiches.
Dans le Rio-Nunez, les Français
prennent fait et cause pour Yourah-Towel dans la querelle qui
l'oppose à Bokary-Katinou et qui entrave le commerce dans
cette région. Et pourtant l'un et l'autre proclament leur ami-
tié pour la France. Mais le rétablisse~ent des conditions in-
F'rar.c~ et nécessite la ~israritio,. de l 'c;r; des cle'lx so:verains
ri vau:-:. Avec l'aide des guerriers de Yo~),:"ah T'lace~ sous le co:n-
r:1andement c'1.e son neveu Dinah-Salifou, les villages qui obéis-
sent à Bokary sont bombardés par l'artillerie française et
détruits. C'est à ce moment que, selon l'auteur, les partisans
de Yourah se livrent aux atrocités qU'il déplore dans l'intro-
duction de son livre. "Allez donc parler convention de Genève
à des sauvages qui prennent un plaisir extrême à martyriser les
blessés et à mutiler ignoblement les morts ! (1) Il
A la page
suivante. Vigné d'Octon ajoute: "Là j'assiste au plus horrible
spectacle qui se soit jamais réflété en des prunelles de civi-
lisé".
Quel est donc ce spectacle qui, selon lui, est l'oeuvre
des "auxiliaires de Dinah-Salifou" ?
dt.
Au
d9S ~éti~hes. P. 92

- 210 -
Voioila description qu'il en fait. "6
la triste, la lugubre,
l'épouvantable besogne que oes gens-l~ accomplissent, un ~oume
de plaisir aux lèvres 1 L'un deux, en ricanant, ~ventr. une
femme mourante et s'amuse ~ lui oasser les dents sous ses ta-
)Pns ; un autre émascule voluptueusement une sorte d'Heroule
qui râle encore et dont les deux bras carbonisés demandent
grâce."
Aucune allusion n'est faite à la France. L'auteur met
en épingle la cruauté de ceux qu'il désigne avec mépris et suf-
fisance "ces gens-là". Cependant on ne peut, dans cette affaire,
dégager la responsabilité de la France qui a organisé ce massa-
cre pour les besoins de son commerce. C'est l'artillerie fran-
çaise qui bombarde et détruit les villages. C'est l'effet des-
tructeur des bombes qui rend possible la victoire des alliés
des Français.
Le deuxième épisode est tiré du roman de Boussenard
intitulé Aventures d'un gamin de Paris au pays des lions.
Soungoya, celui-là même qui avait dérobé le médaillon de mada-
me Barbanton, après avoir chassé son rival du trône tant con-
voité et après avoir fait bastonner ses malheureux ennemis,
s'apprête à donner l'ordre de les décapiter à ses guerriers.
Barbanton s'élance et, pour essayer de l'en dissuader, lui
dit: " - Voyons, tu as habité parmi les blancs ••• tu sais
bien qu'ils respectent l'ennemi vaincu ••• "
Mais cette inter-
vention n'empêche nullement le nouveau monarque de mettre son
projet à exécution. liA ces mots, le misérable lève son sabre
sur le mo~arque déchu et lui abat la tête d'un seul coup !( ••• )

-
211 -
Au moment où roule la tite du chef, oinq cents lames s'abat-
tent avec un bruit hideux de couperet •••
( ••• ) De longs jets de sang pouss~s par les derniers
spasmes du coeur, jaillissent des artères carotides ouvertes,
s'épandent en ombrelles de pompe, et ruissellent en pluie rou-
ge sur les bourreaux •••
On clapote dans un bourbier de sang."
Selon Boussenard, les deux Européens témoins occulaires de la
scène ne peuvent supporter ce spectacle plus longtemps. Ils
détournent la t~te et vont se réfugier dans les cases qui ont
été mises à leur disposition. Mais la cruauté des noirs ne
s'estompent pas pour autant car "l' éventrement" succède aux
agissements précédents. Les entrailles sont arrachées, "les
coeurs enlevés palpitants des poitrines et dévorés par les
vainqueurs ivres d'alcool et de sang 1 (1)"
Ces deux épisodes suffisent, il nous semble, à met-
tre en lumière cet aspect de la représentation du noir dans
les oeuvres retenues. Le noir a l'image d'un homme cruel, fé-
roce. Sa cruauté et sa férocité s'apparentent à celles de la
bête. N'est-il pas, du reste, constamment assimilé à la bête ?
Dans le premier passage cité, l'auteur insiste sur
le plaisir qU'éprouvent, selon lui, les guerriers de Dinah
Salifou dans l'accomplissement des massacres. Il affirme qU'ilS
ont uœ "écume de plaisir aux lèvres".
(1) Bo~sse~ard. op. cit. PP. 276 - 277 - 278.

- 212 -
D'après Vigné d'Ooton l l'un "ricane" en ~ventrant une femme
et "s'amuse" à lui briser les dents. Un autre guerrier "émas-
cule voluptueusement" un ennemi qui "r~le encore". Le passage
est tout entier b~ti sur une opposition. Il y a d'une part la
joie et le plaisir de tuer l d'autre partI les souffrances
atroces des victimes. La femme qu'on éventre est "mourante"1
l'"l1ercule" qu'on "émascule" a les "bras carbonisés" et im-
plore le pardon des vainqueurs. Cette opposition fait surgir
l'image de guerriers noirs inaccessibles à la pitié. Vigné
d'ucton les fait appara1tre comme des hommes d'un cynisme
incommensurable.
L'image du !loir impitoyable pour le vaincu ressurgit
de nouveau ici. Bousse~ard introduit une comparaison avec les
blancs qui, eux, épargnent les vaincus. Elle est brève mais sa
force de suggestion n'en est pas moins grande. L'auteur cherche
à donner à son récit une puissance d'évocation telle que le lec-
teur s'imagine que la scène se déroule sO~s ses yeux. L'utili-
sation de termes ou d'expressions comme "bruits hideux de cou-
peret"l "longs jets de sang", "derniers spasmes du coeur",
"01 uie rouge", "bourreaux", "bourbier de sang" vise cet objec-
tif. Boussenard fait intervenir l'anthropophagie dans son ré-
cit. Il indique que les coeurs encOre "palpitants" des vaincus
sont "dévorés" par les vainqueurs. C'est un véritable festin
sanglant qU'il dépeint. L'alcool et le sang sont source d'ivres-
se. L'anthropophagie et la cruauté sont indissociables dans le
tableau de Boussenard. La cruauté est au service de l'anthropo-

- 213 -
CONCLUSION
PARTIELLE
L'identité thématique entre la litt8rature consacrée
par la presse française à S~~ory et à l'Empire du Ouassoulou
et les sept livr~s sur lesquels s'est porté notre choix s'est
exprimée de façon manifeste tout au long de cette partie de
not~e étude. Au-delà de la simple identité thématique~ les
journaux et les livre~ choisis se rejoignent sur le contenu
de leu~s représentations. Publicistes~ romanciers~ voyageurs~
etc.
font appel aux mêm~clichés pour représenter l'Afrique
sous différents aspects. Nous disons "l'Afrique" car bien
qu'il s'agisse la plupart du te~ps de l'Afrique occidentale
et nlus particulièrement du Soudan~ ils étendent leurs conclu--
sions abusives à l'Af~ique entière.

- 214 -
Dans les sept livres, l'Afrique, ce "pays immense"
aux "lointains infinis (1)", r~unit tous les maux. Selon leurs
auteurs, son Dav~aqe hostile ~ache une faune dangereuse i son
climat insupportable est mortel pour l'Europ~en i des maladies
pernicieuses plus dangereuses les unes que les autres y sévis-
sent. Et ce ne sont pas les tlots de beauté signalés ici ou là
qui sont succeptibles de tr0ubler cette image qui est l'image
dominante. Une première identité de thêmes et de contenu se
révèle sur ces différents aspects avec la littérature produite
par les journaux sur l'Empire du Ouassoulou.
Dans l'image du noir d'Afrique que nous avons saisie
à travers sept oeuvres de la littérature des vingt dernières
années du XIX ème siècle, on retrouve tou.
les stéréotypes qui
fleurissent à cette époque. Le noir appara!t le plus souvent
dans ces livres comme un être laid, menteur, glouton, voleur,
paresseux. On peut noter~ concernant ce dernier cliché, l'exis-
tence à cette même époque de l'expression "travailler comme un
nègre". Contrairement à l'image du noir paresseux, cette ex-
pression se réfère au courage du n~ir, à ses q;alités de tra-
vailleur courageux. Le premier sté:·~otype rentre en conc;radic-
tion avec le second. ~ais les bâtisseurs de stéréotypes ne rE-
culent devant aucune contradic~ion. Ils se nourrisse~t de préju-
gés et non de science. Les chapitres précédents en ont apporté
la preuve sur plusieurs points.
(1) Loti. op. cit. P. 235

- 215 -
Comme le dit si justement Laurence Bardin, le stéréo-
type ·correspond à une mesure d'économie dans la perception de
la réalité puisqu'une composition sémantique toute prête, géné-
ralement tr~s concrète et imagée, organisée autour de qu~lque~
éléments symboliques simples, vient immédiatement remplacer ou
.orienter l'information objective ou la perception réelle (1)."
Le noir est également représenté sous les traits
d'un être cruel.
Dans les parties précédentes de notre étude, nous
avons montré l'existence de ces mêmes clichés dans les textes
consacrés par la presse française à Samory et à son Empire.
Le cliché du noir laid a été développé avec insistance. La si-
militude des portraits de l'albinos établis avec un réel sen-
timent de dégoOt par Dubois, Paul Bonnetain et Raymonde Bonne-
tain est frappante. Dans la presse, Samory et les sofas ser-
vent à illustrer l'image du noir cruel et impitoyable. La si-
mi1itude des thèmes et des contenus dans les formes de 1itté-
rature envisagées est, une fois encore, indéniable.
L'image du noir vu par les alteurs des livres étudiés
se rapproche et parfois se confond avec celle de la bête, du
singe par exemple, sur les plans morphologique, vocal, gestuel,
etc ••
La prétendue inintelligence du noir jointe à ces "carac-
téristiques" en font, selon eux, un être d'une "race impure",
un "être inférieur". Cette représentation du noir appara!t
également àans la pr'esse française de l'époque.
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- - ,
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"

- 216 -
Pierre Loti, Boussenard, Raymonde et Paul Bonnetain,
Vigné d'Ooton et Paul d'Ivoi se sont étendus sur oes différents
aspeots de la représentation du noir. Les défauts qu'ils lui
pr~tent sont .. eelQn.,eux, inscrits dans la nature m;me du noir.
Pour toutes ces raisons, l'Afrique est une "terre d'exil".
Selon Vigné d'Octon et Loti, par exemple, le Sénégal est une
"terre d'exil" (1). Plus qu'une "terre d'exil" l'Afrique appa-
ra!t chez eux comme une "terre de mort."
Dans la préface de
Martys lointains, Vigné d'Octon parle de "cette Afrique où tout
est monstrueux, les passions comme les plantes et les b~tes.
AFRICA PORTENTOSA."
Il affirme m~me qu'une fois rentré en Fran-
ce après avoir séjourné en Afrique. il faut "des années et des
années" pour que "le sang coule rouge et pur dans les veines(2)".
Pour lui le Soudan dont il parle plus particulièrement est une
"TERRE DE MORT" où poussent "non plus les germes féconds de la
vie. mais les germes de la mort et de la folie."
c'est la même image que Paul Bonnetain donne du Sou-
dan. A Kayes. l'auteur raconte une vente aux enchères d'affaires
ayant appartenu à ées défunts mais qu'on ne peut envoyer à leurs
fa~illes. Bonnetain égrène longuement les noms de ceux qui sont
norts. ùurand. Henriot, etc.
"officiers, sous-officiers, qu'a
tués le Soudan. sinon la balle (anglaise) d'un sofa de Samory
ou d'Ahmadou (3)." Le Soudan est une terre où meurent les fils
de la Fr~Dce. c'est une terre de mort, selon Bonnetain. Vi~né
d'Octon •••
l' Loti. P. op. cit. P. 130 - Octon V. d'. Martyrs lointains.P.2
2) Octa~J "il.
dl.
op.
c~~. P. VIII.

-
217 -
Loti, dépeignant les effets de ce qu'il nomme le
"printemps nègre", fait les marnes observations à propos du
Sénégal. "Chez les hommes, le sang qui bouillonnait était
noir; chez les piantés 'la sève qui montait était empoison-
née ; les fleurs avaient des parfums dangereux, et les bates
étaient gonflées de venin (1) ••• "
Plantes, bates et hommes
sont réunis dans le marne opprobre.
Paul Bonnetain est horrifié par le "Soudan maudit (2)"
et Loti considère l'Afrique comme la "terre de Cham (3)", "ce
pays maudit, qui n'a sûrement jamais reçu la visite du Bon
Dieu! (4)"
On fait donc appel au surnaturel pour tenter d'ex-
pliquer les défauts qu'on attribue au noir.
Selon le mythe de la Génèse, Cham fut le fils cadet
de Noé. Noé eut trois fils - Sem, Cham et Japhet - et selon la
Bible, "c'est leur postérité qui peupla la terre". Cham vit la
nudité de son père Noé un jour que ce dernier, ennivré, s'était
dévatu dans sa tente. Cham rapporta ce qu'il avait vu à ses
deux frères çui cachèrent la nudité de leur père en prenant les
précautions nécessaires pour ne point la voir.
(1) Loti. op. cite P. 97.
(2) Bonnetain, P. op. cit. P. 130.
D) Loti. op. cit. P. 95.
(:+ ) Loti. op.
'
..!
+-
L.:..:..\\.I.
P. 135.

-
218 -
Lorsqu'il apprit ce qui s'était passé après la disparition
des effets de l'alcool, Noé maudit une partie de la descen-
dance de Cham~C'est une partie de la descendance frappée
par la malédiotion qui aurait, selon le mythe de la Génèse,
peuplé l'Afrique. La justification divine apparatt ici comme
une justification bien facile et bien commode. Le mythe de la
Génèse a pour fonction de couvrir de l'épais·manteau divin
des faits et gestes dont les mobiles résident bien sur te~re
et non au ciel.

- 219 -
QUATRIEME
PARTIE
- 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 -
L'IMAGE DE LA FRANCE - SES RAPPORTS AVEC CELLE DE
SAMORY ET DE L'EMPIRE DU OUASSOULOU.

- 220 -
CHAPITRE
PREMIER
LA FRANCE
UN "BEAU PAYS"
1. LA BEAUTE DU PAYSAGE
L'image de l'Afrique, ce pays "sauvage" habité
par
des "êtres inférieurs" s'oppose à l'image de la France que
construisent journalistes, romanciers, voyageurs, militaires •••
L'opposition est constante. L'évo~ation de la "douce France"
permet aux écrivains et à leurs héros de se transporter en
esprit hOrs de la "terre d'exil" qu'est l'Afrique pour eux.
Ils éVOquent la beauté du pays, ses paysages splendides et ses
fe~~es auxquelles ils donnent des formes sculpturales.

- 221 -
Les romans et les récits de voyage renferment de
nombreux passages sur ces sujets. "Combien je les regrette,
ici, nos muriers, nos amandiers en fleurs, nos platanes, nos
ch~taigniers et nos oliviers toujours verts ; ils font vral-
ment de l'ombre et donnent de la fra!oheur dans les journ~es
d'été (1)" s'écrie Vign~ d'Octon après avoir longuement ob-
servé et dépeint la "laideur" d'un baobab. Le paysage de
France évoqué tranche toujours par sa luxuriante verdure
sur celui de cette "Afrique maudite."
(1) Octon, V. d'. Au pays des fétiches. P.2l4

- 222 -
II. SOUVENIRS DE FRANCE DANS UN "PAYS MAUDIT"
La vision des femmes noires r4vei1le le souvenir de
celles de France. "En regardant passer les n~gresses aux faces
de guenon" dont les mamelles flasques ballottent sous leurs
boubous sordides" dont la chevelure laineuse est engluée de
beurre de Ga1am" tristement on évoque les frais minois" les
blondes et les brunes qui jadis égayèrent les folles soirées
de la taverne et de la brasserie (1)."
La "laideur" des nè-
gresses que les formes de leurs vis~ges rapprochent" selon
Vigné d'Octon" plus du singe que de l'homme met
en relief
"les frais minois"" la beauté des blondes et des brunes que
l'auteur a connues Jaü:::. Ce passa:;e" rar Sa. constY'uc'Clon et,
par sOn contenu est l'échantillon ~gme de ceux qui abondent
da~s les livres dont l'action se situe en Afrique. Sa construc-
tion repose sur une dualité. Il y a" d'une part" la femme noire
et d'autre part la femme blanche. L'une est la représentation
vivante de la laideur" l'autre celle de la beauté. En dehors
de quelques exceptions" c'est ce schém~ que l'on retrouve la
plupart du temps.
Le souvenir de l'gtre aimé" de la femme Ou de la
fiancée revient sans cesse. Jean Peyral se rappelle sa fiancée
Jeanne Merry restée en France" dans les Cévennes. La pensée de
Etienne Fulcrand Crébassat se tourne entièrement vers sa fia~­
cée ou plut3t sa "promise" Marion" surtout lorsqu'il reçoit
une lettre d'elle.

-
223 -
Julien Grenelle l chef de gare quelque part au Soudan se sou-
vient de ses lectures à la bibliothèque municipale du village
de Saint-Rémy. Il se remémore les lectures de Jules Vernes qui
l'avaient tant fait r~verl les Marguerite l les Louise l les
Jul1a l ses Il compagnes des promenades à Saint-Rémy (1) ".
Dans cette Afrique "terre d'exil"1 il suffit de peu
de choses pour que des souvenirs enfouis dans la mémoire ressur-
gissent. Raymonde Bonnetain aperçoit-elle des tourterelles ?
IIIci comme ailleurs elles abondent l et en les entendant l note
t-elle l je pouvais me croire en Seine-et-Oise l dans mon jardin
de jadis l àev~ lt la volière (2).11
Vic;né d'Octon entel1l4-il des
voix délirantes ou cauchemardesques ce soldats à l'h6pital ma-
ritime de Saint-Louis ?
Chaque voix par son accent lui rappelle
un coin de France. Les unes s'élèvent "dans le plus pur ar~ot de
Montmartre "1 qui regrettent "la butte natale et ses joyeux mou-
lins"l d'autres délirent "en bas breton". Mais de toutes ces
voix une seule porte l'émotion de l'auteur à son comble. "Sou-
d a i nI
'
a l '
_ ext ' '
reml t '
e d e l a
I I
sa~_el
'b
Vl
ra 1_e rud e parler cévér:oJ I
et en ma mê.in tremblante le fanal oscilla. l·ion coeur battit
sous la vision rapide des garrigues oi j'étais né et du clocher
à l'ombre duquel j'avais gr~~di.
(1) Bonnetain l P. op. cit. P. 81.
(2) Bonnetain l R. op. cit. P. 273.

- 224 -
Oh 1 ce patois du terroir entendu dans un pays lointain,
quelle puissance d'évocation ne possède-t-il pas sur l'âme
et les sens de l'exilé 1"
La voix qui fait ainsi frissonner
l'auteur est celle de Crébassat, soldat de deuxième classe
qui souffre de la fièvre paludéenne. C'est un p~tre de la val-
lée natale de l'auteur, "aussi, pas un coin de montag~e, pas
un ravin, un ruisselet où vagabondait son délire (1)" qui ne
lui rot connu. La "voix aigüe" d'une flutte parvient-elle jUs-
qU'à ses oreilles alors que la colonne dont il fait partie cam-
pe dans la plaine de Dialamkar ? Elle lui rappelle "un ces airs
plaintifs" des bergers de son pays. Après quelque moment de
doute, il écrit : "c'étaient bien les notes du galoubet cévé-
nol", "cette cantilène des pâtres de Larzac" qui montaient dans
la nuit, sorties de la flutte de Crébassat. Jean Peyral est lui
aussi originaire oes Cévennes et les souvenirs de ce pays le
bercent dans ses moments de détresse.
Un marin
breton sent "un frisson glacer son échine"
ql'and il entend un "kénavo 1"
Il croit être en présence d' "un
pays". Mais ses espoirs sont déçus car il s'agit seulement
d'un soldat qui fut en garnison à Brest et qui n'a pas oublié
ce mot de la langue bretonne (2).
(1) Octon, V. dl. Martyrs lointains.
P. 3 - 4.
. )
\\C

- 2~5 -
CHAPITRE
II
LES REPRESENTANTS DE LA FRANCE EN AFRIQUE~
LA "TERRE MAUDITE"
1. LES REPRESENTANTS DE LA FRANCE
LES SOLDATS
Les représentants de la France
ce "beau pays"~ dans
l
ces "contrées lointaines" d'Afrique occidentale~ ce sont d'a-
bord et surtout les soldats.
Les administrateurs civils furent l'objet d'attaques
fréqUentes de la part de certains écrivains et journalistes.
Ainsi
si Vigné d'Octon couvre d'éloges les "braves soldats"
l
qui sont prêts à sacrifier leur vie au Sénégal~ il n'éprouve
ras la mgme sympathie pour les administrateurs civils.

- 226 -
c'est le cas de ce "petit homme barbu et moustachu qu'il dé-
peint. "Il est coiffé d'un képi de préfet l exhibe fièrement
un superbe dolman de générall et tra!ne avec fracas sur le
pont un sabre de cavalerie. C'est l'administrateur civil du
Cercle : un boulevardier décavé qu'un ami influent a rep~ché
et expédié à la cSte d'Afrique l brodé et chamarré sur toutes
les coutures. Il est aussi terrible que petit l ne parle que
mitraille, vengeance, châtiment exemplaire (1)".
On retrouve ici les critiques des opposants aux campagnes
coloniales; les critiques contre ces gens qu'on envoie faire
fortune aux colonies parce qu'ils peuvent être pistonnés par
quelqu'un de bien placé dans l'administration. Mais le débat
entre les partisans de l'administration civile et ceux de
l'administration militaire n'atteint pas, dans la période
étudiée, l'ampleur et la violence qU'il a connues dans le cas
de l'Algérie notamment.
Les soldats français, qu'ils soient explorateurs ou
aux prises avec les résistants dans telle ou tel~e réEion du
globe, sont représentés dans la presse et dans la littérature
romanesque comme le::
:éri tables représentants de la France.
Au Soudan~ dès les premiers combats de 1882 entre
les soldats frança:
,t les sofas de l'Almamy Samory, le lieu-
tenant-colonel Borgo_s-Desbordes, commandant des troupes fran-
çaises est dépeint comme le représentant de la France.
(1) Octon~ V. dl. Au Davs des fétiches. op. cit. P. 75

- 227 -
Le Temps
loue l '"expédition très hardie" qu'il a effectuée
dans le but de dissiper les "bruits sinistres" qu'on faisait
courir sur les Français et" par conséquent" de faire lIrespec-
ter le nom de la France dans cette région que nous devrons
occuper plus tard (1)". La marche "hardie" de Desbordes et de
sa colonne" "avant-garde vigoureuse de la France", fait" se-
lon le journal, "honneur au drapeau".
L'article du Journal Officiel que reprend
la plu-
part des Journaux diffuse
cette même image de Desbordes et
des SOl r'ats français, représentants de la France. TOl,s ceux
q~i, après Desbordes mè~eront la lutte contre Sa~ory bénéfi-
cieront de cette image. Tous les Journaux leur donnent cette
image.
Charles de Mazade écrit que la France lia trouvé de
hardis explorateurs qui ont ouvert la route. Elle a eu pour
la servir au Soudan même - puisqu'il s'agit surtout du Soudan
dans ces derniers débats - elle a eu tous ces vaillants hommes,
ces chefs de colonnes expéditionnaires, les Borgnis-Desbordes,
les Boilève, les Combes, les Frey, les Galliéni, les Archi-
nard, aujo'Jrd'hui le ~olonel Humbert (2)."
(1) Le Temps, 20 Avril 1882.
( ") \\
1::0, H9\\Ti..19 dss Deux. ',10::-:;23.
15 p.vril 1092.

- 228 -
Dans les romans~ les explorateurs~ les offi~iers et les autres
soldats ont également l'image de représentants de la France.
Aussi R. Bonnatain est·elle s~andalisée de voir des soldats
français voyager dans le même wagon que des noirs. "Dans le
train qui rous a amenés~ j'ai vu avec indignation que de mal·
heureux soldats~ des marsouins
voyagent en 3ème classe (et
l
quelle 3ème classe !) avec des noirs~ et de la dernière caté·
gorie.
Ja~ais les Anglais ne traiteraient ainsi leurs hom-
mes ( ••• )
Ces ma.lheureux ..• e;,fermés au mili~u de la puar:te
nér:raille. dans une ét;:ve atroce! Comment veut-on qU'ils se
portent bien?
Que l'indigène les respecte? (1)'1
Ce voyage
de marsouins français en 3ème classe avec la "puante négrail-
le" ne correspond pas à l'idée qu'elle se fait de la Fr~~ce et
de ses soldats. Pour elle~ le prestige des représentants de la
France ne peut que s'en ressentir.
Plus tard. Ernest Psi chari écrira~ parlant de la Fran-
ce : IINous ne sommes oas dt s touristes ni des machines à enre-
gistrer des sensations~ ni des collectionneurs d'état d'âme."
Et il définit ainsi la mission des conquéraDts dont il ~onsi-
èère qu'il ~ait par~~e
IINous connaissons la tache Qti nous a
été mesurée. Nous sommes pénétrés de l'idée que la FraDce~ c'est
nous. Nous savons qu'un seul homme représente. pour des milliers
d'êtres la France tout entière (2).11
1) Bonr:etai". R. op . ~it. P. 39
. "
?2~C~2~~J ~rnest.

- 229 -
II. LES "VAILLANTS SOLDATS" FRANCAIS
Journalistes et écrivains célèbrent unanimement le
courage, la vaillance des soldats qui représentent la "mère-
patrie" sur les, "terres maudi tes~'
Ils décri vent les souffran-
4
ces endurées, les privations et les sacrifices consentis par
eux pour faire "honneur au drapeau" de la France. "Ce que vous
ne pourrez jamais imaginer ••• ce sont les souffrances physi-
ques et morales que nous avons endurées pendant les neuf jours
où nous avons été cernés au tata de Niafadié par les contin-
gents de Samory ••• Pendant cinq jours nous avons eu pour toute
ration 250 grammes de mais et un litre d'eau de pluie souillée
de l'urine de nos mulets (1)" écrit un soldat ayant pris part
à des combats contre
l'Almamy. La Patrie de son côté affirme
"Quel dévouement, quel amour du devoir, quelle énergie morale
aussi ne faut-il pas à nos officiers pour affronter et mener
simplement, vaillemment, comme ils le font, cette existence de
fatigues, de solitude, de privation et de continuels dangers !
Puissent-ils savoir, au moins, combien nous les admirons, com-
bien nous sommes fiers d'eux (2)."
Tous les journaux, indépendamment de leurs opinions
sur les expéditions coloniales, rendent hommage aux représen-
tants de la France pour leurs qualités physiques et morales.
(1) Le Temps, 18 Décembre 1885.
(2) La Patrie, 28 Septembre 1898.

- 230 -
Le suppl~ment illustr~ du Petit Journal l dans un article inti-
tulé Au Soudan français l parle de "ces braves enfants de la
France l qui vont au-devant de tous les p~rils pour l'honneur
du drapeau •••
Ila.sont perpétuellement en état de guerre et
le "garde-à-vous" est pour eux un avertissement qui retentit
à chaque minute •••
Nous ne saurions donc montrer trop de sym-
pathie à nos hérolques petits soldats des colonies (1)."
Le Pilori qualifie Monteil qui fut commandant de la colonne de
Kong d'"énergique officier (2)."
Quant au Magasin Pittoresque.
Monteil est pour lui "l'un des ouvriers de la première heure de
la pénétration française au Soudan U)."
Le Vicomte Eugène
Melchior de Vogüe parle dans La Revue des Deux Mondes "des pro-
diges réalisés par nos explorateurs et de "lointaines merveil-
les" à la suite de l'exploration de Monteil. Emile Auzon est
plein d'admiration pour l'"esprit de suite" des officiers d'A-
frique l "ces sabres inintelligen~ comme disent quelques politi-
ques et humanistes (4)."
Le journal radical l La Dépêche du
Midi loue "l'intelligence et ••• l'énergie de ces deux vaillants
Français" que sont le lieutenant Blondiaux et l'adjudant Not
après leur mission dans l'ouest de la Cate d'Ivoire.
Même à l'époque où s'expriment dans la presse les op-
positions aux "aventures lOintaines"l les soldats français font
rarement l'objet d'attaques.
(1 ) Le Petit Journal 1l1ustré l 7 Novembre 1891.
(2) Le Pilori, 3 l'jars 1895.
(3) LA ~1a.;:asin Pittoresque, supp. du 1er Novembre lS98.
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- 231 -
Après les événements du Tonkin, les soldats sont f~tés k leur
retour en France. Ce sont les gouvernants
qui sont incrimi-
nés. uNous avons ~té avec enthousiasme les braves marins et
soldats qui revenaient de là-bas, apr~s y avoir fait vaillam-
ment leur devoir. Mais l'hommage que tous les patriotes ont
été heureux de leur rendre ne s'adressait, nous l'avons dit
alors l qu'à eux m;mes et à eux seuls. Ce que nous saluions de
nos vivats l en regardant défiler les troupes du Tonkin l c'é-
tait l'intrépidité et ies vertus militaires des soldats fran-
çais. Rien dans cette ovation ne s'adressait à ceux dont la
politique l à notre avis imprévoyante et folle l les avait en-
voyés là-bas (1)."
Cet article dans La Justice de Clémenceau
salue "l'intrépidité U et les qualités mili.taires du soldat fran-
çais. Ce que l'on cherche à mettre en avant ce sont le courage
et la vaillance des représentants de la France dans la guerre.
Plus tard l le journal radical continuera la célébration de l'ex-
plorateur ou du soldat.
A propos de la réception à l'Hôtel Continental
de
l'explorateur Mizon l qui se définit comme "un propagateur du
commerc~ et de la science"l Paul Degouy écrit que "pour rien
au monde l ••• nous ne voudrions l 1ci
avoir l'air de contester
l
le mérite de ce vaillant officier (2)".
(1) La Justice l 16 Août 1886.

-
232 -
Trois jours plus tard~ le r'daoteur en chef du journal~ Camille
Pelletan~ affirme qU'''il ne peut exister qu'un sentiment en
France~ pour les hommes d'intelligence et d'énergie qui vont
porter le nom de Français au loin~ au péril de leur vie (1)."
Léon Millot dans La Dép~che du Midi estime qu'on "peut bl~er
ces expéditions ruineuses ••• et ressentir une indéfectible ad-
miration pour les hardis explorateurs comme le capitaine Mar-
chand ••• (2)"
Dans les romans~ les récits de voyage ou les nouvel-
les~ la bravoure~ l'intelligence~ l'esprit de sacrifice du sol-
dat français sont égale~ent célébrés~ même dans les livres qui
se veulent une critique des "expéditions lointaines". Ainsi~
Crébassat~ le pâtre des Cévennes~ se retrouve encerclé de nom-
breux guerriers noirs armés de lances~ de sabres et de fusils
à pierre. Convaincu qu'il ne peut se sauver et afin d'éviter
le massacre de toute la compagnie ~ il n 'hési te "pas à faire le
sacrifice de sa vie". Il tire son sabre-baionnette et il se rue
"la pointe en avant~ Il tomb~1 la poitrine trouée par les lan-
ces (3)." Crébassat est donc tué mais la compagr ie est sauvée
par la bravoure qui l'a poussé jusqu'au sacrifice de sa per-
sonne.
(1) La Justice~ 1er Juiller 1892.
(3) Oc +-o'~
il
--; 1
....
"'J.,
.........
loin~ains. p. 79.

- 2.3.3 -
III. LA MULTITUDE CONTRE LE PETIT NOMBRE
La vaillance et le courage de ces "Draves soldats"
sont d'autant plus remarquables qu'ils triomphent toujours,
selon les publicistes, d'adversaires numériquement supérieurs.
Dès 1882, l'idée de ~ces inégales sur le plan numé-
rique est présente dans l'article que le Journal Officiel con-
sacre aux opérations militaires contre Samory. En face des
nombreux sofas de Samory, il n'y a, selon le journal, qu'une
"petite colonne" se composant d'''une compagnie de tirailleurs
indigènes, une section d'artillerie, un peloton de spahis et
quelques fantassins européens (1)". Samory est cependant "ra-
pidement mis en fuite avec tout son monde" nonobstant le désé-
qulibre numérique.
Trois ans plus tard, un soldat ayant pris part à la
campagne contre Samory note qu'"à Komondo, dans le Bouré, nous
étions 80 contre 3 ou 4.000. La sitUation a été si tendue à un
moment que les âniers, infirmiers et médecins ont fait le coup
de feu (2)."
Paul Degouy ne cache pas son admiration pour ces
guerres où "une poignée de braves tient tête à un ennemi vingt
fois supérieur en nombre (3)".
A Kong, Le Temps note, pour sa
part, qu'il y avait 350 hommes contre 10 à 12.000 sofas (4);
(1 ) Le Temps, 20 Avril 1882.
(2) Le Temps, 18 Décembre 1885.
(3~ La Justice, 1+ p.vril 1892.
(4 \\
, .. Le Tel1Ds, 29 tJuin 1895.

- 2~ -
Un peu plus de trois ans plus tard, Audéou, dans un
rapport publi~ par Le Journal Officiel de la eSte oooidentale
d'Afriaue, revient sur l'opération de Kong (1). Celui qui oap-
tura Béhanzin parle des "bandes de Samory" qui aS8i~geaient
la ville de Kong. Il y a oonstamment pr~sent le thème de la
multitude qui s'oppose au "petit nombre". Ainsi pour -délivrer"
Kong des "bandes de Samory", on forme une "colonne légère" pla-
cée sous les ordres du commandant Pineau. Le terme de "bandes"
s'oppose ici à celui de "colonne légère". Audéou, dans ce rap-
port, emploie à deux reprises les mots "bandes de Samory".
Le combat livré, d'après lui, par les soldats français numéri-
quement inférieurs contre les "bandes ennemies" suppose qu'ils
sont doués de qualités physiques et militaires supérieures à
celles des sofas. Nous avons déjà montré que le terme de "ban-
des" est presque systématiquement utilisé pour désigner l'ar-
mée de Samory.
Dans sa rubrique Nouvelles coloniales, La République
française publie un article intitulé : La campagne contre Samo-
~. Selon ce journal, en Jarvier 1892, le lieutenant-colonel
Humbert livre bataille à Samory en personne à L:iamanko. La no-
tion de supériorité numérique des sofas est présente dans le
propos du journal. "Après une lutte très vive et malgré la supé-
riorité du nombre des sofas de Samory disposant d'un millier de
fusils à tir rapide, l'avantage resta en notre faveur et l'enne-
mi fut complètell:ent repoussé (2)."
(1) Le Te~Ds, 13 Nove~bre 1098.

- 235 -
Au lendemain de la capture de l'Almamy, Binger d~­
clare à La Patrie que "d'après le petit nombre des officiers,
il y a tout lieu de supposer que oe fait d'armes a ét~ accom-
pli par une force'relativem6~t restreinte (1)."
On pourrait
multiplier les citations sur cette question.
Tous les journaux dépouillés, sans distinction poli-
tique, insistent chaque fois sur cette notion du "petit nom-
bre" de soldats français opposé à la "multitude" des sOfas de
Samory. Cette opposition met en valeur la bravoure et le coura-
ge du soldat français. Elle valorise l'action des combattants
français auxquels le rapport de force est défavorable sur le
plan numérique. Selon les journalistes, les romanciers ••• , les
représentants de la France triomphent toujours nonobstant ce
déséquilibre numérique. La victoire ainsi acquise est d'autant
plus méritoire qu'elle l'a été aux dépens d'adversaires plus
nombreux.
Au courage et à la bravoure des officiers et de tous
les soldats français, la presse joint leur pa:fai te ma!trise
de l'art militaire. Ainsi elle souligne par exemple "la rnétrCl-
de employée ces derniers temps" et qui a eu pour résultat la
"brillante opération" qui règle défini ti verne nt la "question
3amory" •
(1) La Patrie, 14 Octobre 1898.

- 236 -
La méthode en question a consisté, d'une part, à procéder
"par des raids effectués pendant l'hivernage" plut8t que de
diriger contre l'adversaire "une forte colonne au oours de
la saison sèche", à fonder des postes "assez forts pour ré-
sister à une attaque de vive force des sofas (1)" d'autre
part. L'armée françaiseapparatt comme un corps scientifique-
ment structuré et dont la science militaire sait s'adapter aux
conditions particulières des pays où elle combat.
L'image de l'officier, de l'explorateur, du combat-
tant français ainsi tissée est une image valorisée. Ces hommes
sont représentés comme des êtres exceptionnels jouissant de
qualités physiques, morales et intellectuelles hors du commun.
Ils sont représentés comme des hommes courageux, braves, tena-
ces et intelligents qui n'hésitent pas à aller au-devant du
danger; leurs qualités physiques et morales sont d'autant
plus remarquables qu'ils opèrent dans des "contrées lointaines".
Ces contrées sont non seulement éloignées et immenses mais elles
sont également hostiles. Leur nature, leur climat "insalubre",
leurs "maladies pernicieuses" constitu8~t autant d'obstacles
que les "braves soldats" de la France doivent vainc!'e. Leur
image est une image valorisée. Elle est valorisante pour l'ima-
ge de la France dont ils sont considérés comme les représentants
dans les différentes régions du globe.
(1) Le Te~ps, 14 Octobre 1898.

- 237 -
Les soldats y représentent le "drapeau national". Ils doivent
défendre "l'honneurll de ce drapeau partout où il est engagé.
Ils agissent et parlent au nom de la France. Ils sont la
France.
Les soldats sont par conséquent des héros auxquels
la "mère-patrie" et son gouvernement ne manquent jamais de
témoigner leur gratitude. Ainsi en 1892
le sous-sécrétaire
1
d'Etat aux colonies adresse "ses plus vives félicitations à
M. le lieutenant-colonel Humbert. ainsi qu'aux officiers et
h0rnrnes de troupe placés sous ses or~res. pour la bravoure. la
tenacité et le dévouement dont tous ont fait preuve pendant
~ette campagne". Cette note publiée par plusieurs quotidiens
et périodiques montre que le pouvoir ne laisse passer aucune
opportunité d'entretenir l'image de bravoure et de tenacité
du soldat français.
A son retour en France à l'issue de son exploration.
une réception grandiose est organisée à l'H6tel de ville en
l'honneur de l'-lizon. Il est introduit dans la salle du c:mseil.
précédé par deux huissiers. tandis que la musique de la garderépu-
blicaine
joue La Marseillaise (1). Une cérémonie est organi-
sée pour célébrer le mgme Mizon à l'Hôtel Continenta=. Binger
et d'a~tres explorateurs ont eu droit aux mgmes honneurs.

- 238 -
La capture de l'Almamy Samory donne lieu à des ma-
nifestations d'ent~ousiasme. Ceux qui y ont participé sont
honorés comme des héros. Binger affirme qu'on ne doit pas
"ménager nos plus chaleureuses félicitations à ces vaillants
qui, dans ces lointaines et périlleuses contrées, combattent
pour l'honneur du drapeau et pour augmenter notre empire
colonial Cl)."
Le gouvernement, par l'intermédiaire de Chaudié,
est plus élo~ieux. "Le gouvernement a déjà su reconna!tre les
services re~dus d~~s cette circonstance avec une infatigable
activité et u:!e abné,,;atic.:'"l de tous l~s instants, au milieoJ de
fati 0ues et de privations sans nombre, par les commandants de
Lartigue et Pineau et les vaillants officiers et soldats pla-
cés sous leurs ordres. C'est à eux, à leurs efforts persévé-
rants, à leur habileté et à leur courage qu'est d3 le remar-
quable succès dont nos troupes ont le droit d'être fièref, et
pour lequel le souvernenr général est heurellX rie rer'ou'leller
ici et de ra~Deler les fe~icitations qui leur o~;~ été adressées
par le gouvernement de la République (2);"
(1) La Patrie, 14 Octobre 1898.
(2) Le Temps, 12 Décembre 1898.

- 239 -
CONCLUSION
PARTI~LLE
Dans les premiers chapitres, nous avons déterminé
l'étendue et le contenu du champ de représentation de l'Empire
du Ouassoulou. Les images de Samory et de son Empire tissées
des années durant par la presse française sont d'une grande
multiplicité. Elles embrassent un vaste champ d'objets. La
nature, les hommes et leurs moeurs, les rapports de l'Empire
avec d'autres pays, etc., sont autant de sujets dont nous avons
cerné l'image. Vu
par la presse frfulçaise de la fin du siècle
dernier, l'Emp1r~ du Ouassoulou apparaît comme un Empire re-
groupant des hommes sauvages qui, sous la direction d'un "po-
tentat" s~îguinaire, incendiaire, esclavagiste, ne vivent que
par les pillages et les razzias effectués dans une notable
partie de l'Afriaue occidentale.

- 240 -
La France est représentée comme un beau pays dont
les représentants dans les colonies e~ général, au SOudan en
particulier, font preuve d'une grande générosité dans l'effort,
de courage et de tenacité. L'image de l'Empire du Ouassoulou ..
contre lequel elle lutte se situe à l'opposé de la sienne.
Elle est négative. Tous les aspects de cette image contribuent
à la dévaloriser. Son Empereur, l'Almamy Samory est représenté
comme un être sans moral qui ne sait que faire couler le sang,
incendier, ravager ••• C'est un Attila, un Barbe-Bleue, etc ••
Les sofas sont représentés par la presse comme des "bandes
cruelles ll exécCltant les ordres de Sa'llory et semant la mort et
la désolation sur leur passage. Les habitants apparaissent com-
me des hommes IIsauvages" aux mOeurs rétrogrades. Il y a une op-
position constante de cette image dévalorisée et déshumanisée à
celle de la France qui est représentée com'lle l'incarnation de
grandes qualités physiques et morales.
Cette opposition ambivalente revient consta'llment. Il
y a redondance et chaque retour d~ la même ambivalence à tra-
vers les textes apporte un élément qui en enrichit le contenu.
Elle repose sur l'opposition de deux représentations qui sont
sensées incarner le Bien d'une part, le Mal d'autre part. L'in-
carnation du Mal est pour la presse l'Empire du Ouassoulou et
son chef, celle du Bien étant la France et ses "braves soldats".
Il y a d'un côté la barbarie, le sang et de l'autre le courage,
l'intelligence dans la lutte contre le Mal.

- 241 -
Ce même manichéisme est ressorti de l'analyse des
sept livres indiqués plus haut. Dans ces livres, l'incarna-
tiun du Mal n'est plus seulement l'Empire du OUassoulou mais
l'Afrique entière. L'incarnation du Bien reste constant
c'est la France.

-
242 -
LZ::....INQUIEME
LI» ARTIE
-0--0--0--0--0--0--0--0-
LA IIMISSION CIVILI3ATRICE II DE LA FRANCE

-
24) -
CHAPITRE
PREMIER
LIACCOMPLISSEMENT DE LA "MISSION CIVILISATRICE"
EN AFRIQUE.
I.
LA CONQUETE COLONIALE DE LIEMPIRE DU OUASSOULOU :
UN "DEVOIR" IMPOSE
PAR LA "MISSION CIVILISATRICE"
La mise en opposition des deux images de la France
d1une partI de Samory et de son Empire d1autre part n1épuise
pas le message. L1opposition des deux représentations respec-
tivement positive et négative recèle elle-mgme un message.
Cette opposition devient signifiante. L1image de llhomme du
Ouassoulou se mythifie.

- 244 -
Les deux images dans leur relation deviennent des signifiants.
Comm~ le mythe dont elles proo~dentl elles véhioulent un mes-
sage.
Dans oette région de l'Afrique l les repr~sentants de
la France l les "vaillants officiers et soldats"1 n'apparais-
sent plus oomme de simples combattants
oe sont des "héros
civilisateurs". La presse les représente comme les agents ac-
tirs
courageux et habiles dans l'accomplissement de la "mis-
l
sion civilisatrice" de la France au Soudan. Leur rôle
selon
l
les publicistes
est de faire dispara!tre l'Empire du Ouassou-
l
lou et Samory qui s'opposent à la lfmission civilisatrice" de la
France au Soudan. Leur action appara!t comme s'inscrivant dans
une oeuvre dont la finalité est la disparition de Samory et de
l'Empire du Ouassoulou
obstacles à la propagation de la "ci-
l
vilisation française" au Soudan. Après la capture de SamorYI
une voix autorisée n'affirme-t-elle pas qu'il constituait un
"obstacle acharné à notre oeuvre de civilisation et de progrès!'?
Cette même voix officielle n'a,joute-t-elle pas que lfdébarrasser
de ce redoutable ennemi
la France peut aujourd'hui poursuivre
l
en paix la mission laborieuse et féconde qu'elle s'est donnée
en Afrique Occidentale (1)" en y consacrant les ressources qui
étaient affectées à la "pacification" ?
Le rôle que prétend
jouer la France dans cette partie du globe se trouve ainsi dé-
fini par Chaud1é dans des termes qui ne souffrent aucune a~bi-
guité : il s'a,;:;it è'une"mission civilisatricel!.

- 245 -
Du reste
dès le départI c'est l'objectif que la
l
presse assigne aux soldats de la France. L'éditorialiste du
Temps écrit
par exemple, que la France arrachera la région
l
où Borgnis-Desbordes vient d'engager les "hostilités contre
Samory "à la barbarie (1)".
L'idée de l'accomplissement par la France d'une "mis-
sion civilisatrice" sera entretenue par les journaux durant
toute la période de la lutte contre Samory. "Ajourd'hui il
nous est permis d'espérer qu'à la période de luttes qui a si-
gnalé les premières années de notre établissement dans le Haut-
Sénégal, va succéder u~e période d'apaisement et d'or~anisation
pendant laquelle la France pourra poursuivre en paix sa mission
civilisatrice dans les régions naguère inconnues, ouvertes au-
jourd'hui à ses explorateurs et à son commerce (2)."
C'est en
ces termes que La Justice de Clémenceau définit en 1886 la mis-
sion de la Fr~~ce d~~s le Haut-Sénégal. Le quotidien espère
que la visite o:'ficielle en COurs du fils de Samory en France
contribuera à créer les conditions propices à l'accomplisse-
ment de cette "mission civilisatrice".
"11 faut civiliser promptement les peuples noirs (3)"
écrit La Patrie un des organes des fractions dynastiques de la
bourgeoisie française.
(1) Le Temps, 20 Avril 1882.
(2) La Justice, 15 Août 1886.
(~) La Patrie, 23 ~ai 1891.

- 246 -
En Avril 1892, aprds le discours ~ la Chambre du
comte de Mun qui marque nettement l'abandon de ses positions
antérieures d'opposition de forme aux "aventures lointaines",
de Mazade affirme que le comte a tracé "le tableau ou pour
mieux dire le poème de l'extension civilisatrice de la ~ance
dans ces régions de barbarie noire (1)."
Le journal d'Adrien Hébrard, "organe officieux du
gouvernement" n'a jamais cess~ de vanter la "mission civilisa-
trice" de la France dans sa lutte contre Samory. Il l'invoque
une fois encore lorsqu'il écrit, à propos de la marche de la
colonne Combes, que "nos intérêts" - c'est-à-dire ceux de la
France - "qui sont ceux de la civilisation Il
commandent de
mettre fin aux activités "des marchands de fusils à tir rapide"
que sont les traitants anglais.
Journaux monarchistes, radicaux, républicains "op-
portunistes", qU'ils aient été ou non opposés aux "expéditions
lointaines" à un moment donné, ont représenté la France comme
une nation qui accomplit une "mission civilisatrice" non seule-
ment au Soudan mais sur toute la planête.
(1) La Revue des Deux Mondes, 15 Avril 1892.

- 247 -
II. LE "HEROS CIVILISATEUR" CONTRE SAMORY
A - LE "HEROS CIVILISATEUR" DANS LA PRESSE
Dans oes pays où, selon la presse, règne la -barba-
rie" se dresse la stature du "héros civilisateur" au service
de la France. Face à. Samory le "sanguinaire", "l'esclavagiste",
se dresse le "héros civilisateur" français dont les vertus phy-
siques et ~orales sont tant vantées par les publicistes.
Sur le plan physique, il est représenté non seulement
par eux mais également par le pouvoir comme un homme fort et
résistant. Sa résistance physique ne s'effondre que très rare-
ment nonobstant l'adversité permanente que constituent la na-
ture, le climat, les maladies, le guerrier ennemi, etc.
Sur le plan moral et intellectuel, la presse et le
pouvoir le dépeignent comme un être courageux, habile, tenace,
intelligent.
Les qualificatifs utilisés pour le dépeindre sont
d'une si grande variété que nous ne sommes pas certain d'en
avoir fait une énumération exhaustive. C'est grâce à ces quali-
tés des "héros" que s'accomplit, selon la presse, la "mission
civilisatrice" de la France au Soudan contre l'Almany Samory
et l'Empire du Ouassoulou.
L'un des aspects de cette "mission" consiste, selon
la presse, en la libération des esclaves.

- 248 -
Les "vaillants offioiers et soldats n français, indique-t-elle,
libèrent les hommes et les femmes r'duits en esolavage par
Samory. Binger développe cet aspeot de la nmission civilisa-
trice" de la Franoe dans les colonnes de La Patrie. IIPensez
donc que cette opération contre Samory nous a fait briser les
fers de plus de cinquante mille prisonniers capturés par ce-
lui-ci, un peu partout au Soudan. Il faut que ces gens-là
soient par nos soins renvoyés dans leurs villages. Et naturel-
lement nous ne pouvons les faire voyager sans assurer leur sub-
sistance : vous voyez que la tâche est loin d'être aisée.
Dans cette masse d1individus I il y en aura une par-
tie qui certainement préférera rester sous notre égide. Nous
seronS I dans cecas
obligés de créer des villes et des villa-
l
ges
de les administrer et de leur fournir les moyens matériels
l
de pouvoir subvenir aux besoins de leur existence (1)." Cette
"masse" constitue surtout
et Binger le diraI une force de
l
travail gratuite ou très bon marché que la France exploitera
férocement.
Les représentants du gouvernement sur la côte occi-
dentale d'Afrique insistent également sur cette question. Dans
~ne dépgche au ministre des colonies
le gouverneur général
l
indique : "Dans toute la ré:i Y., la colon.r1e du lieutenant
doel~fel••• est accueillie a,ec e~thousiasme par le~ popula-
tiQY1~ '::errQ?:'is~es par les bandes de Samory (2)."
r)r-;"
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- 249 -
La colonne pourchassait l'Almamy dans la région du CavalYI à
la frontière entre la Cate d'Ivoire et le Libéria.
Un mois plus tard l le journal d'Adrien Hébrard qui
décrit les conditions dans lesquelles s'est opérée l'arresta-
tiOn de Samory indique que les raids contre lui furent multi-
pliés. "Par leur nombre l note-t-til encore l On a donné confian-
ce aux populations voisines l sûres de trouver aide et protec-
tion chez les officiers français (1)."
La "mission civilisa-
trice" se revèle l dans son aspect qui nous occupe l comme un
acte de délivrance. La France l selon la presse l redonne aux
pO'::Lèlations des réo:ion" conquises la liberté que Sa....nory leur
avait co~fisquée. La France est représentée par la presse et
par le pouvoir comme un pays qui est synonyme de liberté.
WoelffeJ est salué "avec enthousiasme" par des ~ens "terrori-
sés". La terreur l selon le raisonnement du pouvoir l ré!3:nait
donc Darmi ces populations avant l'intervention de l'officier
frarccais. L'action de la colonne contre la source de la terreLlr.
c'est-à-dire c~ntre Sa~ory et les sofas l provoque "lfenthousis-
'!le" des pODulations. La colonne l selon le représentant du gou-
verne~entl aDporte la liberté car elle annihile les conditions
antérieures où régnait la "terreur" installée par l' Almamy.
Les a~tions de la France l selon la presse l inspirent
confian-
ce aux Dopulations des régions où elle opère contre Sa~ory. Par
ailleurs l en plus de la confiance qu'elle apporte l elle "aide"

-
250 -
La capture de l'Almamy es~ exploitée par la presse
pour mettre une fois de plus en exergue la "mission civIlisa-
trice" de 1 a .!''rance. Avant même que le sort officiel de Samo-
ry ne soit connu~ elle commence à parler de la "cl~ence" dont
fera preuve la France. La presse monarchiste met en exergue la
magnanimité de la France. "Il est probable ••• que la France se
montrera aussi généreuse vis-à-vis de Samory qu'elle l'a été à
l'égard d'Abd-EI-Kader. Comme celui qui fut pendant dix ans un
ennemi acharné~ Samory sera loyalement traité ; mais il ira
finir ses jours en exil Cl)". Le journal de Lucien Millevoye
oppose ici les méthodes du "sanguinaire" Samory à celles de la
France~ "nation civilisée" et investie d'une "mission civilisa-
trice". Elle se montre "généreuse" et "loyale" là ou Samory se
serait montré impitoyable. Pour le quotidien dynastique~ c'est
faire preuve de générosité et de loyalisme envers l'Almamy que
de l'envoyer "finir ses jours en exil".
Le Temps est moins nuancé que son confrère. Samory
"ira~ indique-t-il~ comme l'émir Add-EI-Kader~ comme Béhanzin~
comme Ranavalo ••• ~ comme tous les adversaires que la France a
loyalement et royalement traités~ finir ses jours sur quelque
terre d'exil (2)."
L'exil qu'il préconise pour Samory consti-
tue pour le quotidien un traitement non seulement "loyal" mais
également "royal".
(1) La Patrie. 14 Octobre 1898.
(2) Le m~~-s
J.t: .. I}J
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~
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O';-'~b~c,
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10.98
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- 251 -
Le général Trentinian l le Jour où il signifie offi-
ciellement à Samory la sentence que le gouvernement a arr~tée
contre lui l revient sur la magnanimité de la France "civilisée D•
Il affirme que Samory la "b~te féroce" et les "instruments" de
ses Dcrimes" devraient Dpérir de la mort la plus terrible.
Mais l ajoute-t-il l les braves Français qui t'ont fait prison-
nier t'ayant promis la viel ainsi qu'à tous les tienS
le gou-
I
vernement français l dans sa parfaite loyauté l a décidé que vous
auriez la vie sauve et que vous seriez déportés sur une terre
d'Afrique si lointaine qu'on ignorera ton nom et tes forfaits(l)~
L'analyse manichéenne se retrouve ici dans le discours
officiel. Il y a d'une part la France "civilisée" et "généreuse"
et d'autre part Sarnoryl la "bête féroce". L'un des objectifs de
ce discours fait de contrastes est de faire appara!tre cons-
ciemment une disproportion entre la "faute" commise et le ch~ti­
ment prononcé. Trentinian fait appara!tre le "crime" dont l'Al-
marny serait responsable comme recouvrant une extrème gravité.
Quant au ch~timentl il le présente comme un acte de clémence.
En somme l se serait un verdict clé~eDt pour un crime qui méri-
terait une sévérité plus grande.
r'lais l laisse entendre Trenti-
nian l si la punition est si "légère" pour un
"crime" aussi
grave 1 c'est parce que la France qui accomplit une "oeuvre
civilisatrice" au Soudan ne saurait sortir de ce rôle.
(1) L'IllustratioD
4 Février 1899.
I

- 252 -
B -
LE "HEROS CIVILISATEUR" DANS LES OUVRAGES
ETUDIES
Dans la 11tt~rature romanesque et dans les r'c1ts
que des voyageurs ramènent du Soudan à la fin du siècle der-
nier~ on retrouve le thème de la "mission civi11satrice" de
la France.
La stature du "h~ros civilisateur" "beau et grand et
fort" domine dans la plupart de ces ouvrages. Ainsi appara!t
le héros de Pierre Loti, Jean Peyral~ "ce beau spahi dlAfrique~
qui semble taillé pour jouer les grands raIes d'amoureux de
:nélodra;lles (1)".
Raymonde Bonnetain semble se ranger elle-même parmi
ces héros chargés de faire pénétrer la "civilisation" dans ces
terres inconnues et "sauvages". Dans le récit de son vOyage au
Soudan que, selon elle, "aucune fe:nme bla"nhe r,'avait encoc-e
te:cté", elle nous fait con:-':aître l'opinion du comma,'1da..'1t supé-
rieur du Soudan, le colonel Archinard, quand il apprend que
Paul Bonnetain est accomna~né de sa femme. Dans un premier té-
lé~amme, il s'élève contre cette compa~nie car "Soudan pas fait
pour femme du monde."
Mais, écrit R. Bonnetain, "M. le général
Boc-gnis-Desbordes intervient alors pour télégraphier au colonel
q'~'e je n'étais Das une banale mondaine, verseuse de thé et de
êotins de five o'clock, mais bien une bOnne petite francaise
cOt:.ra:ceuse, très anzlo-saxonne qua:-Jd il le fallait, etc ••• (2)"
( ,
\\
Loti, oD.~it. P.
17

- 253 -
On notera au passa~e l'ima~e que l'auteur donne des Françaises
et le rapport de cette image avec celle de la femme anglo-sa-
xonne.
Le "héros civilisateur" accomplit sa mission malgré
les rigueurs du climat sur ces "terres de mort". C'est le cas
de Jean Peyral ou de ces "vieux sénégalais" rentrés en France
avec "••• le teint have et terreux", les "traits émaciés" et
les "prunelles jaunes", cvllséquences visibles du climat sur
eux. Vi~né d'Octon cite encOre J'exemple de ces soldats de
l'!lot de Cabane, "1:'auvres Detits far,tassins !" qui "ont si
ment venus de France, ne prenne~t coint la peine de plon~er
l eur d arct dans ces peaux fl asques
"
e" .,1aU:les ( 1) • "
L'alimentation constitue un obstacle supplémentaire
auquel les officiers et soldats fran~ais doivent faire face.
R. Bonnetain parle des "horreurs va:!"iées" que leur préparent
les cuisiniers noirs. "Les premiers ~emps, me dit-on, les 1e~-
nes gens ~oQtent à tout, avec Je be~ anpétit
té"1e Fra-~ce ; puis leur estO!'!1ac se révolte, exi:;e d'J Vic'~~-,
:;re ~l'
;;1
2:- "'--~p""o"""''''O
"",j ._,
G
.... l:::
'--'-......
l
.... ' "'-Pl1~
u,..I. ... ~
.... e •
B-'-'rr ! (c'" écrit-elle.
(1 ~ Octon, V. d'. Au pays des fétiches. P. 9
(2) Bonnetain, R. op. ciL P. 130

- 254 -
La difficult~ des conditions de vie n'altère pas
cependant les qualit~s du héros qui incarne la France, à en
croire les auteurs des livres retenus. Il fait preuve d'une
grande disponibilité et reste prêt à servir la France à tout
moment.
Vigné d'Octon dépeint des soldats qui s'ennuient et
qui sont victimes de ce qu'il appelle le "spleen colonial" fau-
te de combat. Aussi, lorsqu'une guerre entre les peuples du
Rio-Nunez trouble le commerce de la région et qu'il faut "sé-
vir énergiquement et ••• frapper l'esprit des indigènes par un
considérable déploiement de forces", l'auteur s'écrie: "Soyez
bénis, Bagas, Nalous et Landoumans du Nunez, qui nous arrachez
à l'absinthe et aux dominos, cette double incarnation du spleen
colonial (1)."
Ce sont des hommes d'action. L'immobilisme, se-
lon lui, ne leur sied guère.
Entre deux combats contre Samory, Péroz avoue en 1892:
"le désoeuvrement m'a poussé à tirer quelques coups de Winches-
ter sur ces hôtes "père des eaux (2).11
Il s'agit d'oiseaux.
Péroz est heureux de casser 1I1l aile d'un beau canard". Rouire
exprime la m~me idée dans La RerJe des Deux Mondes.
(1) Octon, V. d'. Au pays des fétiches. P. 12.
(2) Rev1.Je de Peris, 15 Janvier 1895.

- 255 -
En effet l il souligne que le soldat français n'aime pas l'i-
naction ; "et au fond du Soudan l sur les confins du d~sertl
à des milliers de kilomètres de la mère-patrie l cette inaction
doit peser mortellement sur lui l abandonn~ à lUi-même ••• (l)"
Plus tard l Ernest Psichari vantera lui aussi l ce
"héros civilisateur" dont l'existence est "le ramassement d'une
belle viel tout entière tendue vers l'action et ivre de s'im-
moler l d'une belle vie droite l sans d~viation, sans ornements l
où il n'y a rien à retrancher ni à ajouter" et dont la "mis-
sion" est "d'imposer la France (2)".
Ces portraits du "h~ros civilisateur" ressemblent
étrangement à ceux l abondamment diffusés à la même ~poquel des
explorateurs et des officiers français s'étant illustrés par
leurs découvertes ou sur les champs de batailles dans les co-
lonies. Dans un gros volume l Louis Boussenard fait par exemple
les récits des expéditions de plusieurs explorateurs dans dif-
férentes contrées du globe.
Dans un ouvrage au titre évocateur de Aventures pé-
rils et découvertes des voyageurs à travers le Monde l Bousse-
nard l qui qualifie Samory de "sauvage monarque"l trace le por-
trait de René Caillé en des termes qui traduisent une évidente
admiration.
(1) La Revue des ~eux ~lo~des. 15 Octobre 1898.
.
(2) Fsichari, ~rnest. op cit. P.
...,.
~
C1.i_

- 256 -
Orphelin de bonne heure, il indique que Ren' Ca111~ "offre
cette particularit~ touchante, qU'il d'buta ig' de 16 ans,
sans moyens p~cuni~res, presque sans instruotion, et qU'il
réussit, par son 'nergie seule, à entreprendre et à mener à
bien un des voyages les plus 'tonnants dont fassent mention
les annales de g~ographie (1)."
L'auteur des Aventures d'un gamin de Paris fait éga-
lement le portrait de Binger. Voici en quels termes il parle
de lui : "Trente-deux ans à peine, fils de ces oeuvres, ne dp.-
vant rien qu'à son travail et à son mérite. Engagé volontaire
à 18 ans aux chasseurs à pied, sous-officier élève à Saint-
Maixent, sous-lieutenant d'infanterie de marine en 1880. Passe
au Sénégal en 1881, y reste six années consécutives, employées
presque exclusivement à des excursions dans l'intérieur. Rentre
en France ••• puis, saisi de la nostalgie du Sénégal, retourne
à ses fleuves, à ses marigots, à ses fièvres, à ses embûches,
et prépare la grande expédition qui le place au premier rang
des explorateurs contemporains (2)."
La vulgarisatior. des por-
traits de ces hommes célèbres qui, selon leurs zélateurs, ne
devaient rien à personne et qui n'avaient, au départ, que leur
courage, -leur énergie ont sûrement fait rêver à l'époque nom-
bre de jeunes gens épris d'aventures.
(1) Boussenard, Louis. Aventures, périls et découvertes des
voyageurs à Travers le Monde. Librairie Illustrée,
Paris. 1894. P. 336.
(2) Boussenard, L. ODe cit. P. 411.

- 257 -
L'exemple de ces "self made men", sans oesse pousser vers l'ao-
tion a une force d'attraction certaine. Ces portraits influen-
cèrent sans doute le portrait du "h4ros civilisateurW dans la
littérature romanesque et dans la presse.
Les idées dominantes en histoire pr8naient également
la "mission civilisatrice" de la France dans le monde. Driault
parmi tant d'autres la célèbre avec enthousiasme et ferveur.
"La France .. st la plus grande puissance morale, la seule puis-
sance morale du monde. Elle est la seule éducatrice des peu-
ples ; elle est la conscience morale de l'humanité; et c'est
un empire que nul désastre ne lui ravira (1)."
Nous ne nous sommes arrêtés que sur quelques aspects
de la "mission civilisatrice" de la France au Soudan tels qu'
ils apparaissent dans la presse et le discours officiels.
La fonction de l'image de la France et de celle de
Samory et de son Empire, opposées dans un manichéisme perma-
nent, ne fait guère de doute quand elles deviennent elles-mê-
mes des signifiants. Par l'image qu'elle a diffusé de chacun
d'eux, la presse des vingt dernières années du XIX ème siècle
a voulu conférer des droits à un pays sur un autre. ~lle a
voulu conférer des droits à la France sur l'Empire du Ouassou-
lou.
(1) ~riault. J.-3 •• Problè~es pOlitiaues et sociaux de la
fin du XIX ème siècle, Paris. Félix Alcan, Editeur, 1900.

- 258 -
L'Empire de l'Almamy Samory étant représenté oomme un repère
d'hommes "sauvages", "barbares", "sanguinaires", la Franoe,
nation "civilisée" est, de ce fait, considérée comme nantie
de droits sur lul. La conquête coloniale de l'Empire du Ouas-
soulou n'appara!t plus seulement comme un droit, elle devient
un devoir. Qu'elle concerne la nature, les hommes ou leurs us
et coutumes, l'image diffusée de llEmpire de Samory a une fonc-
tion indéniable : celle de légitimer et de justifier sa conquê-
te par la France.
La justification et la légitimation de la conquête
de l'2mpire de Sa~ory se fonde sur la certitude entretenle Da~
__ ~re3s~ et selon laquelle la ?ran~e a':rait le droit et mgme
~~ devoir è'apporter~ dans un élan philanthropique~ la "Civili-
sation"
à un peuple qui n'en aurait pas. La liquidation de
Sa~ory pt de l'Empire du Ouassoulou est présentée comme l'uni-
que moyen d'y Darvenir. C'est ainsi que peut se définir la
fonction d'ima~es qui plon~ent leurs racines dans des mythes
ar:ciens.

- 259 -
CONCLUSION
PARTIELLE
Selon la presse française de la fin du XIX ème siè-
cle, la "mission civilisatrice", fruit de la philanthropie et
de la générosité de la France, constitue donc le mobile déter-
minant de la conquête de l'Empire du Ouassoulou.
L'accomplissement d6 cette "mission civilisatrice"
ne se limite pas uniquement à la destruction de l'Empire de
l'Almamy Samory. En effet, publicistes, hommes politiques,
historiens, romanciers, voyageurs sont unanimes pour affirmer
que la France a le devoir d'accomplir la "mission fl dont elle
est investie sur toute la surface de la planète. D'aucuns con-
sidèrent qu'il s'agit d'une mission divine.

-
260 -
~IXIE~Œ
PARTIE
-0--0--0--0--0--0-
LA "MISSION CIVILISATRICE II : UNE MYSTIFICATION POUR
MASQUER LES MOBILES FONDAI1ENTAUX DE LA COLONISATION.

- 261 -
CHAPITRE
PREMIER
LES MOBILES FONDAMENTAUX DE LA CONQUETE DE L'EMPIRE
DU OUASSOULOU SONT ECONOMIQUES.
I. LA PRESSE ET LES MOBILES ECONOMIQUES DE LA CONQUETE DE
L'EMPIRE DU OUASSOULOU.
La guerre menée par la France contre l'Almamy Samory
a été présentée par des publicistes~ des romanciers~ des his-
toriens~... comme faisant partie d'une "mission civilisatrice"
dont ce pays serait investi en Afrique et ailleurs. D'aucuns
ont même conféré un caractère divin à cette "mission". En réa-
lité et en dépit de ce discours lénifiant et mystificateur~ la
politique de la canonnière menée par la France afin d'annexer
certaines parties du monde est déterminée par des mobiles éco-
r:.o:niqueso

- 262 -
La longue "guerre d'extermination" menée contre Samory et
l'Empire du OUassoulou par la France est déterminée par les
mêmes mobiles. Les représentants successifs de la France au
Soudan ne se sont pas battus pendant si longtemps oontre
Samory dans un but philanthropique et absolument désintéres-
sé comme on l'a trop souvent prétendu.
Lorsque la lutte militaire contre Samory commence
réellement en 1882# les débats soulevés par la campagne de
Tunisie sont encore présents dans les esprits. L'opposition
d'une partie des partis politiques français aux "campagnes
coloniales" est très vive. Les partis représentant les frac-
tions monarchistes de la bourgeoisie française s'élèvent avec
véhémence contre les "aventures lointaines" dans lesquelles#
selon eux
le gouvernement dilapide inutilement "l'or et le
1
sang" des ll'rançais. Le parti radical de Clémenceau est égale-
ment hostile aux "aventures" des gouvernements "opport1.ll11stes".
Dès cette année-là cependant
les objectifs écono-
l
::Jiques pou!'suivis pa!' la l"rance dans sa lutte contre l'Empi!'e
~euse de la "mission civilisatrice" dont la presse les envelop-
ne. Cela est perceptible dans les journaux comme Le Temps ou
L'IIJust""ation par exemDle dont le soutien a rarement fait défaut
~l qouve!'nement d~Ds sa Dolitique coloniale.

- 263 -
Dès la bataille de Kéniéra,
le journal d'Adrien
Hébrard écrit: "L'ouverture du Soudan au commerce français
par un chemin de fer reliant le Haut-Niger au Sénégal, est
une des plus grandes entreprises de notre époque. Ce projet
suppose l'établissement préalable de la domination francaise
dans la région qui s'étend du Haut-Sénégal au cours supérieur
du Niger (1)."
Malgré le déguisement que sont les références
au respect du "nom de la France", à "l'avant-garde vigoureuse
de la France"
qui se bat pour "l'honneur du drapeau" contre
la "barbarie", les buts économiques qui sont les forces motri-
ces déterminantes de l'ensase~ent ~ilitaire de la Fr~~ce con-
tre l'Al~a~y Sa~ory apparaissent clairement.
L'Illustration qui, une année plus tôt, affirmait
que le "projet granduose du :;énéral Faidherbe permetrait à des
ouvriers de "tracer des routes et des caravanes voya~er sans
enco~bre, apportant à nos comptoirs les produits du Soudan (2)"
et Le Te~ps définissent nette~ent l'enjeu de la lutte qui com-
:nerce au Soud~~ contre l'Empire de Samory
il est économique.
La Fr~Dce veut ouvrir le Soudan au commerce francais. Elle
ve'J.t réaliser une main-mise économique sur les territoires où
s'est. cOY'stitué l'Emoire du OUassoulou.
(1) Le Te~Ds, 20 Avril 1882.

- 264 -
Le Myre de Villiers qui se définit lui-m~me comme
"partisan et agent de la colonisation (1)" justifie l'impé-
rialisme français par le fait quel face à la saturation de
l'Europe l la France ne peut l sans se vouer à une mort certai-
ne l ne pas suiv~e le mouvement où sont engagées les autres
puissances européennes.
Après 1890
c'est dans un bel ensemble que la quasi
1
totalité des journaux font référence aux intér~ts économiques
que la France peut attendre de la colonisation. C'est pourquoi
ils demandent la destruction de l'Empire du Ouassoulou qui est
un obstacle à la colonisation du Soudan.
La presse dynastique réclame "des encouragements au
commerce"l de la "fructueuse colonisation" car "le Soudan n'est
pas une pépinière à épaulettes l mais une terre riche et fertile
o~ le commerce et l'industrie doivent @tre appelés ••• (2)"
La Dép@che du Mi~~ demande une exploitation des colo-
nies françaises l comme la Guyane. Vantant les mérites de la
mission Blondiaux qui vient d'explorer les régions au nord de
la République du Libéria l La Dép@che du Midi souligne leur im-
portance économique : "les productions naturelles de ces paysl
qui se composent de caoutchouc l de kola l de diverses essences l
etc •••
avec le défrichement des for@ts
1
l qui est une conséquen-
ce de la civilisation l f~ront de ces régions une des plus bel-
les conqu@tes du continent africain (3)."

- 265 -
Le Ma9;asin Pittoresque affirme, pour sa cart, que
le pays conquis par Combes pendant la campa~ne 1892 - 1893
contre Samory se présente SOU3 des aus~ices très favorables
car "soumise à l'autorité d'Européens, cette résion ne tarde-
ra pas à dédommager des efforts qui avaient été faits pour Sa
pacification
(1)"
La Revue des Deux Mondes, anrès avoir fait le tour
des produits qui se trouvent dans ce "Soudan si C'o::voité de
nos iours", s'exclame en ranpeJant les "tristes aOG"-'é"iation.s
ct' il v a quir:ze ans" : "que de produits irmorés a2-o:""s s' ex"or-
Quant au .io1.:~n_al Le Te":"os, sa~s .~arnais se :,érne"ltir,
il conti::ue de di:""e que les 0010n:es doivent con.tribuer au
Les eXDlora':eurs et 2-es o:'ficie-'-'s fran(>ais ne fon.t
a".F~s':,io": é-·:')~_:'--:;ia~ ~ ~~ ':'O~~'-' ~'~e jec, "-~4""essi ~,~s ,~'? r::'tre t?'C'o-
-
-
La ~;?V~l::? ~2.s
. - ,-,- ,.: -'~ ~
-----
- • - ' . ~ -, -
•..; ,J

- 266 -
Après la capture de Samory, Binger, conscient de l'importance
de la force de travail que représentent les nombrel1ses popula-
tions de l'Empire du Ouassoulou qui vient d'être vaincu, affir-
me qu'il faut l'utiliser "pour construire des routes et expli-
ter les immenses richesses en caoutchouc, graines oléagineuses,
etc, qui croissent dans ces régions (1)." En Août 1890, à la
suite de la signature de la convention franco-anglaise, le mê-
me Binger déclare, faisant allusion aux richesses du Soudanl
"on absorbera au profit de la France une multitude de produits
d'une richesse et d'une diversité extrêmes (2)." On pourrait
multiplier les citatio~s sur ce point.
Faidherbe, l'auteur du plan de pénétration du Soudan,
avait clairement indiqué que les mobiles économiques sont les
mobiles profonds de l'entreprise.
Les motivations économiques de la conquête du Soudan
apparaissent dans le discours des dirigefuîts de la III ème Répu-
blique, même s'ils tentent de le dissimuler à l'opinio~ publi-
que par des envolées sur la Ifmission civilisatrice lf de la France.
Jules Ferry qui joua un rôle important dans la conception et
l'application de la politique coloniale de la France déclarait
"La cOncurrence est de plus e~ plus ardente entre les nations
européennes pour se disputer ces débouchés lointains •••
, 0:r, Q
.J.
' •. -.
- ' •

- 267 -
Les nécessités d'une production industrielle incessamment
croissante et tenue de s'accrottre sous peine de mort; la
recherche de marchés inexplorés, ••• tout pousse les nations
civilisées à transporter sur le terrain plus large et plus
fécond des entreprises lOintaines leurs anciennes rivali-
tés (1)."
Au banquet annuel de l'Union coloniale française en
1895, Chautemps, ministre des Colonies, s'écrie en réponse au
discours de Mercet : "Messieurs, le ministre des Colonies,
~algré ses préoccupations multiples ••• est tenu de se considé-
rer ava~t tout comme un second ministre du commerce (bravos
~rolongés). Gouverneurs, masistrats et fonctionnaires de tous
crdres, officiers de terre et de mer, ne sont que les moyens:
le commerçant seul est la force •••
crest donc pour faciliter son oeuvre, pour faciliter
la mission du commerçant, que l'organisation de nos colonies
doit être conçue dans un bref délai ••• (2)"
Point n'est besoin
de multiplier les citations qui prennent le contre-pied des
thèses qui n'accordent qu'un rôle secondaire aux mobiles éco-
~omiques dans l'explication de la colonisation.
(l) Ferry, Jules. Discours et opinions de Jules Ferry,
Paris, A. Colin, 1893 - 1898. T. P.
P. 526
\\~) Bulletin d; Co~ité de l'AfriQue fran~aise. Juillet 1395.

- 268 -
II. LES MOBILES ECONOMIQUES DANS LES TRAITES SIGNES
PAR LA FRANCE EN AFRIQUE OCCIDENTALE.
Un examen attentif des traités et conventions con-
clus par la France au Soudan avec trois de ses principaux
adversaires permet de mettre en évidence l'importance que la
France accorde au développement du commerce.
Il convient de remarquer que les deux parties signa-
taires de ces traités et conventions n'étaient guère sur un
pied d'égalité. L'égalité et la liberté dont la proclamation
ostentatoire figure dans certains traités n'avaient d'existen-
ce que sur le papier.
Péroz l'avoue à propos de l'attitude observée pendMlt
les négociations avec Sa;nory. "r'ialgré la puiss ance àe Sa'Tiory et
la gr&~de étendue de son empire, nous avons toujours traité avec
lui en affir~&~t hautement la supériorité et la con je sc endance
Le +;~aité de :~éniél)a-Ko1jl"a est conclu da:~s des condi-
tin~s o~ on rp peut 1i~e oue l'é~a'ité existe. La ~artie fran-
caise a tOl:t "]is en Oe'1'.r~e DOl:.r o'l'il en soit ai;.si.

- 269 -
Péroz l le chef de la mission l révèle qU'il massa des troupes
françaises non loin du lieu où se déroulaient les négociations
afin que leur présence constitue une menace pesante et perma-
nente pour l'Almamy. Il escomptait ainsi influencer le jugement
de Samory dans un sens favorable aux intérêts de la France.
Après la signature du traité de Kéniéba-Koura l Gallié-
ni décide d'envoyer une nouvelle ambassade à Samory carl selon
lui l ce traité comporte "une ficheuse équivoque". "••• j'avais
songé à envoyer à l'Alma~y une ambassade l chargée de lui impo-
ser ma manière de voir (1)" 1 écrit-il. La direction de l' ambas-
sade est confiée au capitaine Péroz.
Les négociations de Bissandougou entre l'Almamy Samo-
ry et les représentants de la France offrent un autre exemple
des méthodes utilisées par les officiers français pour réduire
leurs interlocuteurs au rôle de figurant~.
Galliéni est informé à Bad'L~bé des difficultés qu'é-
pouvent Péroz et ceux qui l'accompagnent d~~s les négociations
avec Samory. De cette localité l il adresse aussitôt une lettre
à l'Almamy.
"Je prévenais Samory que tout atermoiement de sa
part
entra!nerait la rupture des négociations et le retour im-
médiat de la mission sur la rive gauche du Niger l où je la
retrouverais l dans peu de jours l avec mé. colonne (2)."
(1) Le Tour du Monde l 23 Novembre 1889. Deux campagnes au Soudan
~'r3.nc· ai s pa~ 12 l ~ e~Jt2naY.. t- colone l
Gê.. l l i-2:-.'· •
(2 \\ Le Tour du [-'lond el l il Décembre 1889. j)e1jX c a""lD'" 'o:e:-,s au So~~­
-..l~_l .f'~a.lçai3 ;:'2.~ 2-2 lie'--~te:r~2.~--...:-~olo:-.el
G::~ l.ié: :!.-.

- 270 -
Galliéni traite l'Empereur du OUassoulou de façon cavalière et
hautaine. On ne peut plus 3 dans ces conditionS3 parler de négo-
ciations. Galliéni exprime un diktat. L'Almamy Samory est sommé
de s'y plier. Galliéni écrit d'ailleurs sar,s ambages qU'il vou-
lait amener l'Almamy "à subir nos volontés" c'est-a-dire celles
du gouvernement Pran,ais.
Avant même C!'-18 la lettreie son sUDé~ie'\\r hiérarchi-
que ne parvienne à son rlestinataire 3 Péroz or"':anise un strata-
gD"18
~rossier dans le clessein d'impressionner Sa'71orv.
r:é:-o-:iations par les Franc-a's OT: veulenT, touT "~en'jre sans rien
r'O:l:ler en retour 3 les apostronhe viole'!1'1ent et ':)""1 iql'emen". Il
a8C'j,se Galliéni et Péroz "de :l'être que des intric:a'îts cherc'la:1t
à obtenir quelque i'TlDortante récompense en lui arrachar:t ses
c'est alors que P2;'OZ met son nla.n i exécu'-ion pou.'!",
selon lui 3 relever Je presti ~e de la France lI-:-ravement atteint
aux 'reux de tous et aux :'e'Jx même de l' Al:na"Tlv.
"Le soir
'"
r::e:ne,
affir;ne Péroz 3 toute la ~issio~J
e~ ré~J arnai -: de lui une a~è.=-2.-:::e s~·le:-.. ~~elle. Je :7larcl:ais en tê-
te, aya~t ~ ~es cat~~ le joctel~r ?ras 0t le lie~~te~a~t Plat.
-
,
~_''''"> --0
~
" .
'::l -- ,-,,:;)
r ; . ' '- ..... _~_ c~
~ . ~ -' J
~
_ .
~~
-:::: ;: ... -,~. -,

-
271 -
En fin mes hui t tirai Heurs fermaient 1e cortère.
c'est dans cet anparat que nous arrivâmes devant
l'Almamv, étendu sur so~ rlivan. Il était entouré de ses cOur-
tisans, de 200 hommes de sa garde, le fusil haut."
Samba prend la parole. "Almamy émir Samory ben Lak-
hanfia, écoute ! Le capitaine va parler, par ma bouche, au
nom de la France, qu'il représente ici! Il va te lire le trai-
té que le cr-~f des Frar.cais lui a ordonné de te ~aite si~ner
Tu en écouteras tous les arti"les : enS')ite tu réfléchiras!
PUiS, si, comm'? ce 'TJat-i:"., tu adresses au représe:1t;a.Tlt de la
De et le j"a"ea'~ q"i. SJY1t, ':'s"r:L2"s lui, insigne -le ~? ,..,i~sion,
9t
4ette~a les i~bris ~ ~e5 pi2ds ! Ce S2ra a=o~'~J e:~tre les
L',.l!:la'7JY é~o_'~'? r'e "'-laIent exorde" sans mot dire.
Après la lecture du traité, Péroz lui fait dire les paroles
Sc,iva.l'1tes : "Almamy-érJir Samory, tu as entendu la volonté du
chef des Frfu~çais ; voici une cop~e du traité; médite-là
Pour moi, j~ retourne à mon car..pement. J I y attendrai ta réponse
jusqu'a~ huitième jour, au salifa.na. Si à ce moment tu ne nous
as pas exprimé les regrets que tu dois éprouver d'avoir offensé
la Frfu'1Ce en ma persor::-le, si tu n'as pas cherché un terrain de
conciliation pour que ~ous reprenions nos négociations sur les
bases de ce traité, je quitterai ton empire, et malheur aux
l"

- 272 -
c'est dans ces conditions qu'est signée la convention
de Bissandougou. Les Français arrivent dans la capitale de
l'Almamy dans l'intention de lui faire signer par tous les moyens
un traité déjà rédigé.
Péroz déclara plus tard qu'il était prêt à abattre
Samory s'il avait donné l'ordre à ses guerriers de s'attaquer
aux membres de l'ambassade.
Le traité du 18 Juin 1888 sjgné avec ie Kénédougou est
conclu dans des conditions analogues. Rouard de Card écrit que
Tiéba qui subissait un sièr;e "très long et très pénible .•• sen-
tit le besoin de chercher un appui auprès du Gouvernement fran-
çais (1)."
Les repréSLntants de Tiéba qui viennent à Ba~ako si-
gnent un vieux projet de traité rédigé par Galliéni et que Sep-
tans
sOrt de ses tiroir~ pour la circonstance. Galliéni a choi-
si le :Doment de nouer des contacts avec Tiéba en tOllte connais-
s~nce 4e cause. Il conna!t l'état de guerre qui prévaut entre
lui et Sa~ory. Il sait que dans l'espoir d'un appui militaire
décisif des Fr~nçais contre son eThnemi, Tiéba acceptera la mise
de ses possessions so~s protectorat fr~ncais sans aucune réti-
cenee. Le traité n'est donc pas né~ocié et signé dans des condi-
tions o~ l'égalité des deux parties est effective.
, .. op. cit.
~

- 273 -
La convention signée le 28 Mars 1887 et par laquelle
l'Almamy place ses "Etats présents et à venir~ sous le protec-
torat de la France" montre l'intérêt accordé au commerce. Son
article 3 stipule : Il - Le commerce français est entièrement
libre et indemne de tout droit d'entrée~ de sortie~ de passage
ou de séjour sur les voies terrestres~ fluviales ou maritimes
de l'empire de l'Almamy Samory~ émir-el-Moulmenin.
Il est de même pour le commerce des Etats de l'Alma-
my dans les limites de
nos possessions sénégaliennes."
La li-
berté d'aller et de venir sans qu'un imp6t d'aucune sorte ne
leur soit réclamé est procla~ée d~~s les mêmes termes par le
traité de Niakha~ signé le 21 Février 1889. L'article 7 de ce
traité reprend les mêmes mots que l'article 3 de la concention
précédente entre les deux pays à deux exceptions près ; le ter-
me d' II Almamy ll n'est pas repris et II s énégaliennes" devient "séné-
galaises ll •
Le traité avec Tiéb~ consacre un article particulière-
ment dense aux activités économiques de la France dans les Kéné-
r'!ougou. IIArticle 6. - Le commerce se fera lib:--ement sur le pied
de la plus parfaite éga_ité entre les habitants du Kénédougou
et les Français ou autres indigènes placés sous le protectorat
de la France. Le roi protégera tout spécialement les commerçants
fr~~çais en favoris~~t leurs transactions non seulement avec le
Kénédougou mais encore ~vec tous les autres Etats vOisins du Ké-
nédougou Il •

-
27l~ -
Ce traité cont on se rend parfaitement compte qU'il a été con-
clu sans que les deux parties soient "sur le pied de la plus
parfaite égalité" réduit considérablement la souveraineté in-
terne et externe du Fa~a Tiéba. Une protection spéciale est
exigée pour les commerçants français afin que leurs transac-
tions puissent s'effectuer dans la plus grande quiétude.
L'article premier du traité de Gouri signé le 12 Mai
1887 stipule que le Sulr;an Ahmadou et Galliéni "persuadés que
la richesse et la prospérité des vastes régions du Soudan dé-
pendent de la cessation des guerres continuelles qui dévas-
~ cOGserver e~~re leurs pays res-
mercial du Soudan."
Les traités relatifs au Fouta-Djallon, au Sénégal, au
Dahomey, à Madagascar, ~ la Côte d'Ivoire ,tc., révèlent sans
exception le caractère déterminant de l'économie d~~s la poli-
tique menée par la Fra~cE dans ces régions.
Dans le cas de la Côte d'Ivoire, les traités conclus
le 13 Novembre 1888 par Treich-Laplène avec le roi Adjimin
" ro i du pays de l'Ab!"ou (1) et du Bondou!{Qu", le 10 Janvier 1889
par Binger avec Kararnol{Q Oulé Ouattara "chei.' de la ville et du
Days de Kong", par Treich-Laplène avec Bénié-~ua'l1ié "roi du
pays Bettié", le 25 Juin 1887 par le même Treich-Laplène avec
A~Oacon tlroi du Days ~e l'!ndénié t', stipule~t tous Que le
...
.' ~
:
-
,.
,~-,...
-;.:::::.

- 275 -
"commerce se fera librement" dans les territoires concernés.
La même expression se retrouve in extenso dans chacun ne ces
traités.
Il va sans dire que dans ces traités comme dans tous
ceux que nous avons envisagés, la liberté du commerce signifie
la libération des relations commerciales de leurs entraves et
leur soumission aux normes du système capitaliste. Les clauses
militaires de ces traités visent à la création Ou au maintien
des conditions nécessaires à l'établissement de la domination
éco~omique de ~a France dans ces pays.
La créaton des voies de communication - ro~tes, che-
mins de fer, voies fluviales, etc ••• - répond au souci d'exploi-
tation économique. Les traités conclus par la France au Soudan
contiennent presque toujours des clauses rela'~ives aux voies de
communication. L'intérêt sans cesse croissant accordé par la
France au développement des chemins de fer not&mment montre l'im-
portanc~ que revêtent les voies de communication r,vur la réali-
S2tion des projets d'exploitation économique du Soudan. La plus
petite mission prend toujours soin d'incl~re 1es dispositions
sur les voies de communicacion en général, sur les chemins de
fer en partic~lier, dans le traité le plus anodin conclu avec
tel ou tel petit roi. Ainsi la mission officielle de Brosselard
Faidherbe dont font partie F. D~bois e~ A. Marie, signe un trai-
té le 2 Février 1891 à Ouosso avec un roi nommé Fodé qui avait
été battu par Samory et qui, par conséquent, ne disDosait plus
"d 1 èlne pop'cllation heurec:se de bé-

- 276 -
Ce traité qui n'a dorr aucune importance stipule clairement
que des terrains devront être mis à la disposition de la
France~ "si le gouvernement veut ouvrir des routes ou créer
des chemins de fer dans le pays pour les besoins du commerce."
Faidherbe avait déjà perçu le rSle essentiel des
voies de communication dans la conquête et l'exploitation éco-
nomique du Soudan. Récusant la création de "voies commerciales
impossibles" à travers le Sahara~ "un pavs maudit"~ il indi-
quai t
: "Il faut~ anrès avoir repoussé El Had,i Omar du bassin
d') SénércaJ ~ s'il ose s l.! nrésenter de nouveau ~ aller fonder un
é""abJissement. "ers Ba"'1r1ako'l, sur le raut Ni:-e!', e:1 le reliant
~ ~lédiT1e à 3é'1oudéèo'l Dar ')'1e lic:ne de Dos'ces d:sta,ts de 25 à 30
l;e')es~ et dont le premier doit être à Be,foulabé : ••• puis s'em-
avec les Ar,p;lais. Ce ,,'est oas là des e:ltreprises faciles, mais
ce so~t de nobles entreprises (1)."
Faidherbe écrivait ces
mots à ,:ne époque où la pl",oart de ses :,ontemDora'",:s "le réali-
saient cas la nécessité de la construc~io'1 de voies de commu-
~icatio~ à ~ravers Je Soudan. A la fi~ des a,nées 1870 et ~l dé-
1y+ ,-les a'1~ées
1880, :' e dévelopnemert du caDitaUsme er. France
'"'1DOSe comr1e U'1e nécess'té imDérfeuse ce qui r'aoparaissait nas
(
l
\\
:;'I.-,~ ,..:j1,.::::. ......hQ
P':> ..... ~-:-:
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J
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- 277 -
La construction du chemin de fer devient capitale pour le déve-
loppement du commerce français au Soudan. Dans ces pays où les
moyens de transports sont encore rudimentaires
arriérés
le
l
l
chemin de fer permet de faire pénétrer la marchandise dans le
hameau le plus reculé. On ne s'imagine pas aujourd'hui
à l'ère
l
du train à grande vitesse (T.G.V.)I des avions supersoniques
comme le Concorde
l'importance du rale des transports ferro-
l
viaires à cette époque en Afrique occidentale. Sur le vieux
continent
les chpmins de fer se développaient dans des pro-
l
portions considérables.

- 278 -
III. QUELQUES TACTIQUES UTILISEES P!R LA FRANCE POUR
ATTEINDRE SES OBJECTIFS ECONOMIQUES.
Pour réaliser la conquête du Soudan que les intérêts
de la France command~nt, les gouvernements français utilisent
tous les moyens possibles dans les vingt dernières années du
siècle dernier. Ils y utilisent par exemple une tactique qU'ils
ont déjà utilisé ailleurs: l'organisation des pays conquis au-
tour de rois fantoches pour isoler Samory et l'Empire du Ouas-
soulou afin de mieux les combattre. C'est ce que Etienne, le
sous-secrétaire d'Etat aux colonies appelle "une organisation
solide et raisonnée des provinces qui seront données à nous"
d~,s les instructions qu'il do,~e le 16 Septembre 1890 au lieu-
tenant-colonel Hu~bert avant son départ au Soudan po~r assurer
l'intérim de Archinard. "C'est là, pour ainsi dire, déclare
Etienne, la plus importante de votre tâche. En procédant dans
cet ordre d'idées, d'après les mêmes principes que ceux suivis
par votre prédécesseur dans l'organisaticn de Kaarta et du Sé-
gou, c'est-à-dire en plaçant autant que possible, à la tête des
pays conquis, des descendants des anciens chefs dépossédés par
Sa.n;ory, vous aure z c~c'ée sur chacun de ces points u"
no~' au de
résistances qui nous garantira contre tout retour o:iensif de ce
dernier.
c'est pour nous le seul moyen d'éviter qu'aussitôt
après la retraite de la colonne, Samory Ile vierme réoccuper
les territoires que nous lui aurions arrachés quelque temps

- 279 -
J'appelle votre plus sérieuse attention sur ce côté
pratique et durable de votre oeuvre qui primel à mes yeux I ce
que l'autre pourra avoir de plus brillant (1)."
Archinard l
le prédécesseur de Humbert, avait effectivement appliqué à la
lettre les recommandations du gouvernement en créant "divers
empires noirs qui nous doivent tout et resteront nos alliés(2)".
Ce système est donc utilisé au Soudan. Le ~ouverne­
ment place auprès de chacun des rois fantoches un résident
chargé de défendre les "intérêts supérieurs de la France". La
réalité du pouvoir est, bien entendu,détenu par le résident fran-
çais. "Ils ont diviser pour ré~:;ner ())" affirme La Revue des
Deux Mondes à propos des représentants de la Fr~Dce.
Après la chute de Ségou en Janvier 1890 et la défaite
de Ahmadou l ses anciennes possessions SOGt réorganisées selon
ce système. L'administration du Sansanding est confiée à Mademba l
un ancien fonctioDEaire du service des télégraphes du Sénégal.
Gouraud affirme qu'il était un des "meilleurs agents politiques(4)"
de Archinard. A la tête de ce qui reste du royaume de Ségou l le
gouvernement place le "Fama" Bodian l un membre de l'ancienne fa-
mille royale vaincue et détrônée par El-Hadj-Omar (5)".
( 1 ) Le TempsI 22 Janvier 189é! •
(2) Le TempSI 21 Juillet 1891
()) La Revue des Deux [·Iondes 1 1er J'l," •
..,al 1898.
(4) GOl1raud 1 op. cit. P. 94
(5) T _ ~2:~
"t
;),--..,-
L~
::3 .1
25 ,'"a.rs l.-.......:1:J.

-
280 -
Le capitaine Briquelot qui a l'également la haute main sur les
affaires du royaume de Mademba (1)" est nommé auprès du "Fama"
Bodian comme résident de France. Le royaume est di visé en neuf
provinces. L'administration de chacune d'elles est confiée à
un gouverneur ~ "un homme de confiance ~ généralement un ancien
Bambara que les bandes d'Ahmadou avaient jadis emmené comme cap-
tif au Kaarta (2).11
Au sud~ le royaume de Dinguiray est confié
à Aguibou~ frère d'Ahmadou mais "rallié définitivement" à la
cause de la Fra;.ce. Le sous-lieutenant Ma~~tz remplit auprès de
lui les fonctior.s de résident.
A;-rès la ,-'r~se de Y.a:\\.:ar par les tro'J-pes colo:~ales
fTa~Gaises, u~ certai~ B~'e que Le Journal Officiel du ~éné~al
appelle "l'ancie:". chef du pa:,,'s de Kankar:" est installé sur le
trône de ce pa''-s. A la suite de cette opératior:, Ba"e, selon le
même journal, "est allé remercier Iv]. le lieutenant-colonel Archi-
nard et l':i a ass'lré que sa personne, ses bier-;s et son pays sont
à la Fra':1ce et r~e:l qu'à la ?rance (3)."
L'alli~_ce de la France avec Tiéba s'inscrit dans la
"
me me logique. Les fonctions que Quiqu~~don et Marcha':1d remplis-
se,-t auprès de 1'.:i sont déterminantes. Tiéba joue un rôle consi-
r'érabJe dans la tactique de la France lorsqu'elle décide "d'en
finir" avec l' Almam:- Sa,rJ1orv • Nous y reviendro!1S plus loin.
(
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So 1.
--,--_.'

Tm 3 ces vassaux que le gouvernement français nomme
ne sont pas, bien ente:ldu, inamovibles. Leur maintien ou leur
révoco.tion est fonction de leur aptitude à défendre les inté-
rêts de la France dans les régions dont l'administration leur
est nominalement confiée. Ils sont révoqués sans autre forme
de procès dès qU'ils ne sont plus en mesure de garantir
les
intérêts économiques et politiques de leur mattre frallçais.
Ainsi Archinard destitue Bodian en raison des nombreux soulè-
vements qui se produisent contre lui et qui mettent en péril
la domination française dans la région. Un officier français,
le lieutenant Huillard, a même trouver la mort dans l'une de
ces insurrectio~s. Bodi&~ dont une note de l'ad~inistration
des colonies a~firme qu'il a été l'traité avec honneurs et é-
gards" est donc renvoyé et un commandant de cercle est nommé
à sa place. "Bodian était âgé et sans fortune. Pour vivre et
faire vivre sa cour famélique, il préssurait ses nouveaux su-
jets" écrit Le Temps. Il était devenu un ~bstacle au maintien
de la domination française dans cette partie du Soudan. Sa
destitution était dès lors inéluctable. Sous maints rapports
l'analogie avec des événements qui se produisent à notre épo-
que en Afrique e~ ailleurs dans le monde est frappante.
On po~rrait s'étendre longue~ent sur les différentes
tactiques utilisées par la Fr&~ce pour réaliser la conquête du
Soudan.

_
'J8';'
-
~
....
CONCLUSION
PARTIELLE
Les mobiles économiques sont les mobiles déterminants
de la politique de conquête coloniale entreprise par la France
au Soudan et dans diverses contrées de la planète. C'est la ba-
se ~atérielle qui est la force ~otrice de la politique de con-
quête coloniale menée par ce pays contre ll2mpire du Ouassoulou.
D~DS les vingt dernières années du XIX ème siècle~ on
se trouve dans une époque originale de la politique coloniale.
Cette époque est liée à l'étape récente du développement du capi-
talisme~ celle du capital financier. La lutte pour le partage
territorial du globe s'est parti~ulièrement intensifiée dans les
vingt dernières ?2nées de ce siècle. Le développement prodigieux
de l'industrie des puissances européennes nécessitait non seule-
-

~ ~
, 1 '
(18:3
(~'_'()Ch).<:;(.çS.

- 283 -
Plus le capitalisme se développait, plus le besoin de matières
premières et de débouchés s'accroissait. La compétition entre
les pays capitalistes pour la recherche des sources de matières
premières et de débouchés s'accentuait également. Elle s'accen-
tuait non seulement autour des territoires qui étaient connus
pour la richesse de leur sous-sol mais également autour de ceux
qui étaient des sources possibles de matières premières. Le dé-
veloppement de la technique rendait en effet possible la pros-
pection et l'exploith~ion des matières premières dans les con-
trées les plus lointaines et les plus inaccessibles à priori.
Au Souda..'1, les dix dernières années du XIX ème siÈ;le
~orrespondent à l'accentuation de l'action de la France. La si-
gnature du traité franco-anglais d'Août 1890 lui laisse les
mains libres dans cette région d'Afrique. Binger déclara à l'In-
dépendance belge que " grâce aux territoires concédés à la France
par ce traité, l'Algérie se trouve relliée au Sénégal d'une part,
et au golfe de Guinée de l'autre, jusqu'au Grand-Bassam qui de-
vient, en quelque sorte, le point terminus de la France de ce
eSté ; on pourre donc se rendre du Grand-Bassam à Alger Sa..-LS
quitter un seul instant la terre française. 11
Poursuivant son
co~mentaire, celui qui devait gtre trois ans plus tard le pre-
mier gouverneur de la Côte d'Ivoire ajoutait que sur le plan
pO=-itique, IIl a Fra;:ce
doit
asseoire détinitive::Je,.t sa do;ni-
T:3-tion
toutes ces peuplades qui ne demandent pas mieux que
d'être régentées. 1I

- 284 -
CH~FITn;:;
II
L'IMAGE D~S PUISSANCES EUROPEffifJNES RIVALES D~ LA
FRANCE DANS LA COURSE AUX COLCiHES
Les PUiss81ces européennes rivales de la ~rance dans
la cOurse aux color.ies nL jouissent pas n'une bonne image dans
la p:'esse. Nous dége.gerons l'image de l' Angleterre ~ de l'Italie
e~ de l'Allemagne.

- 285 -
1. L'IMAGE D~ L'ANGLETERRE
Si Samory est dépeint par la presse co~e nun bon
client"~ l'Angleterre est représentée comme le marchand qui
livre les armes au "sanguinaire" Almamy.
Les Anglais sont représentés comme des "mercantis"~
des marchands de canons qui violent la réglementation interna-
tionale sur les ventes d'armes. La presse française dénonce la
violation par l'Angleterre des articles 8 et 9 de l'Acte géné-
ral de Bruxelles qui stipulent ~ entre autres, q'le l r importatio:1
des armes est ninterdite daTS les territoires compris entre le
;?Je Darall~le nord e:-, le 22e parall~le s~-~d. 11
Emile p.nzor: da~s
La Hevue des Deux :·!ondes dé,:once la vioJ.atian dL,: a'Jtre Acte~
cel..li de Berlin. "Les Arglais arment Samory ~ malgré l'Acte de
Berlin (l)"~ indique-t-il.
La polémique~ par journaux interposés~ est quelquefois
t~~s vive. Le Times èe Londres~ par exemple~ s'élève contre
l'idée d'une sanction contre l'Anp-:leterre. "L'idée d'infliger
au ""m:vernemerct bri tari que ur, blâme par ce motif que des armes
sJnt subrepticemert importées et fourrcies au chef Samarv par
des marcha:lds an.r-lais rend presq'.le impossible d'espérer q')e les
~a-('ais aie"":': ja"TIa= s 1es ""'leS ra':ion:-:elles dans tOè:te a:':"aire
o~ ils s'imasir:ert que le~rs inter~ts sont affect~s•••
(1) La Revue des Deuxlondes~ 1er "lai 18g8.

- 286 -
Si, après tout, les commerçants anglais enfreignent les con-
ventiolls de Bruxelles ou d'autres en important des armes dans
le pays de Samory, ils le font sur une terre française, et
c'est donc l'affaire de la France de les en empgcher (l)."
En réponse à son honorable confrère britanique, Le Temps sou-
ligne "1 'ignorance que le Times para!t vouloir affecter", et,
lui rappelant les articles 8 et 9 de l'Acte général de Bruxel-
les, lui signifie que selon le vieil adage, "nul n'est censé
i~~orer la loi."
A la f1r rlu XIX ~me si~"leJ l'Afrique occidentale
~lest pas le seul t~~itre o~ se ma~ifeste les rivalités e~tre
la ~a'lce et l' Ar.rleterre. Le pa:vs de sa Ma.iesté la rei::e
Victoria est prése~t dans d'autres régions d'Afrique et du mon-
de. ~on action en différents points du qlobe est utilisée par
la presse française pour la représe~ter comme un pavs d'un
mercantilisme extrème qui ne recule devant aucune cruauté pour
réaliser ses desseins.
Au nombre des mo:rens auxquels l'Angleterre a recours,
la presse cite et ~é",-o:-'ce l'utilisatior, des missionnaires com-
me age~ts de l'exp~~sion coloniale anglaise. L'hebdomadaire
bonapartiste Le PilO~i écrit que "ses missionnaires sont autant
de commiS-'!O;ra'!eè1rS en poli tique et en marc"".a:ldises C:~)."
(-,) Le. Tê me~ ci té par ~e Te~, 10 Juh, 1892.
(2) Le_ }~l.~~~J
12 .·,ai 1::,95.

- 287 -
Au m()1rs a11BB1 vjrll1e~t q1Je Le PUori, l'rebdomada~re répub11-
0ai 1'1 Le Don Quichotte a:'firme que l'Angleterl'e,
"Pulsant son zèle évangélique
Dans la Bible des sacripants,
Dévotement elJe pratique
La morale du ~uet-ape:1s (1)."
En somme, la presse française refuse aux missionnaires
anglais ce qu'elle accorde volontiers à ceux de la ?rance. En
effet, au plus fort de la lutte contre les congrégations reli-
gieuses en France, les zouvernernents républicains pratiquaient
G~ns les colo~ies l'alliance du sabre et du go ~pillon.
Dans Le Triboulet du 3 Avril 1898, Gaglio:1o plaide en
faveur des missions catholiques et dénonce les esprits secta1-
res qU~ "refusent des subsides aux missionnaire.:;."
Pour lui, la
phrase de Gambetta "1 r anti-cléricalL,:ne n'est pas CL, article
d'exportation" est puissamment vrai" car "catholique, est, au-
delà des :ners, synon)-:le de France, et p..'otestant, d'Angleterre."
A l'appui de sa thèse, il affirme que le capitaine Luguard brû-
lait les missions des Pères Blancs de Lavigerie sur les rives
d-cl Niger parce qu' lien bon piétiste et patriote anglais" il sa-
vait qu'elles constituaient "les précurseurs et l'av~~t-garde de
la domination effective de la France."

- 288 -
La Congrégation des Pères Blancs du cardinal Lavige-
rie bénéficiait du soutien des gouvernements r~publicains dans
l'accomplissement de son action "apostolique"
en Afrique.
A la mort du cardinal Lavigerie
le très républicain
l
Petit Journal illustré écrit que ilIa France et le monde vien-
nent de perdre un des hommes qui ont le plus honoré notre temps."
L'hommage au cardinal est unanime tant dans la presse monarchis-
te que républicaine. La presse républicaine loue l'homme qui
s'était rallié à la République. Mais ce qu'on célèbre surtout l
c'est l'action de "l'illustre prélat" en faveur de l'expansion
:'rançaise en Afri::,Je et da!1s le monde. "Ses efforts pour le dé-
veloppement de l'influence française en Afrique ont été immen-
ses et couronnés de succès (1)"
note Le Petit Journal Illustré.
Voyant les gens du désert venir écouter le Père Hac-
quart
ancien secrétaire du cardinal Lavigerie
le commandant
l
l
Joffre traduisait à sa manière la collusion entre l'administra-
tion coloniale et les missionnaires lorsqu'il déclarait:
"Laissez-les venir chez les Pères cette a1née ; ils viendront
che z nous l'armée prochaine (2)."
Mais c'est surtout sur le thème de l'utilisation de la
force brutale et de la cruauté comme moyens
pour réaliser son
expfu~sion coloniale que les journaux français bâtissent l'image
de l'Angleterre.
,
(
)
\\ -
Le Petit Jo~rnal il~ustréJ ::.7 Décembre 1392.

- 289 -
Au moment des rivalités franco-britaniques à propos
de Madagascar. La Patrie écrit : tlLa puissance qui ose nous
adresser de tels conseils s'est acquis un renom universel de
froide crùauté .. d'implacable égoïsme (1)."
Le journal monar-
chiste énumère ce qu'il considère comme les caractéristiques
fondamentales des Anglais. "La race anglo-saxonne ne sait ni
pardonner. ni oublier: ses ressentiments sont féroces. sa mé-
moire est impitoyable. Elle règne en supprimant les vaincus.
Elle n'établit sa domination que sur des montagnes de ruine=
et sur des pyramides de cadavres."
Il fait appel à Voltaire
pour mieux dépeindre l' .'\\ngleterre. tiC' est au bourreau. a écrit
Voltaire. qu'il appartiendrait d'écrire l'histoire de l'Angle-
terre. car c'est lui qui en a terminé toutes les tragédies."
Se fondant enfin sur le cas de l'Irlande "conquise tra!trese-
ment" où on "brûle légalement la cabane du tenancier insolvable"
et où "on exproprie brutalellent de leurs misérables asiles des
:":1i.:'..liers de r:a":.heu!'eux qui n'ont pl..: payer la taxe féodale".
Ll..:cien r·:illevoye conclut : "Q.uan.d un gouvernement porte à ses
flancs. dans son seir:. ne ~/'-'-les [jantes e-c::e te_s re:no"ds.
~~~~~1.·~SJ iJ_ perd le d~oi~ rie stapDitoyer sur les faibles,
ôa:.",S ct' autres "avs ; et il devient fatale:TIent ridic~11e dans
le raIe d'avo~at des or8r1~és.'1
, . \\
.
.
"
~ r ...... ..; :
.-~ " ~
- ~

-
290 -
Ces propos riont ]a violellce peut surprendre aujour-
d'hui étaient fréquents d~ls le contexte historique de ]'épo-
que. L'image d'une An::;]eterre perfide et inhumaine s'étale
dans ]e3 colonnes des journaux.
La crise 2J1P;lo-portugaise de 18QO offre une opportu-
nité de plus aux journaux français (i' alimenter cette ima.'ëe.
Les Tablettes coloniales, or~ane d'une association Oeuvrant
pour l'expansion coloniale de la France dans le mo~de, affirme
àans son troisiè'Je n'l.7Iéro : "Nous croyions n' avoir pl us une
faisant peu de cas 4~s consid~ratioDS sU~1érie~r2s jo~t doivent
s'insnirer, dans =-e',;"s actes, les nations c~.vilisées.
Serait-ce donc aussi une politique de détroussE~rs de
ç-rands chemins, ê.':ec cette différence, toute à l'ho!',n.our de ces
derniers, qu'e'lx ~~ ~o~~s cOllre~t q,leJques risq,os en s'a~ta-
. -..., --
,-'.:' 1
::e,'s' ? E: 1attaque ~'-..:' aLlx faibles et aux désarmés (1)."
Le fai-
ble dans cette aff2.ire, c'est le Portugal q'~i a "le bon droit"
te son
selo~ le jo~rnal, et qui a été victime d'un "guet-
apens diplomatique" de la part de sOn "puissant adversaire",
l'Angleterre, en "viOlation flagrante des conventions l1 interna-
tionales.
/ ~ '\\
T '" '""
..n .... "h 1 Cl ~ ~ c.. :-
- -..-----

- 291 -
Le Pilori de son caté affirme que ce pays "tend à
tout accaparer à son profit, règle manu militari les plus mes-
quines questions d'intérêt, abuse de sa force avec les faibles,
pratique avec les forts une politique tortueuse,r et fustige le
mercantilisme de l'Angleterre "une des conditions de son exis-
tence (1)."
Lorsqu'éclate l'affaire J~~esson, la presse française
utilise cet épisode maccabre parmi tant d'autres de la coloni-
sation pour étayer ses certitudes sur la "race anglo-saxonne".
Il s'agit de l'affaire déclenchée par un lieutenant anglais
nommé Ja-nesso:l qui éch2..'1",ea en Afrique quatre mouchoirs contre
une jeune fille qu'il offrit à des noirs qui la dépecèrent et la
mangè- er,t tandis que lui dessinait la scène. Sous le titre "scè-
ne de ca...'îibalisme bri taniauel1, le journal d'Arman I·lariotte note
que "tandis que ces bons noirs croquaient à belles dents da...'îs la
chair jeune de leur victime, impassible, Jamesson se contentait,
lui, de croquer la scène en détail (2)."
Le Don Quichotte du borjelais Gilbert-Martin écrit une
philip;ique contre l'Angleterre dont les explorateurs prétendent
porter la civilisation sur les "lointains rivages l1 mais dont les
I1 rô l es
civilisateurs" consistent (':.DS les pillages et les massa-
cres (3).
(1) Le Pilori, 12 ~ai 1895
(2) Le Pilori, 23 Nove~bre 1890

-
292
La presse française accuse les Anglais de vouloir
tout prendre. Dubois écrit, par exemple, lorsque la mission
dont il fait partie approche d'une colonie anglaise que I1Sier-
ra-Leone n'est pas loin, et les appétits anglais sont toujours
en éveil (1)."
Les journaux français ne manquent pas une occasion
de célébrer les défaites anglaises en Afrique Ou ailleurs. En
effet, la prp~se française met autant de ferveur à célébrer les
revers anglais qu'elle met d'obstination à couvrir du manteau
du silence les défaites des troupes coloniales françaises contre
les sofas de l'Almamy SaTlory. ;\\ la suite de la défaite d'"J.r;e co-
lom;e ar,glaise dans le Trc.r:svaal en 1896, Guillaui.iet aJrlonce que
le "peuple de vautours" a teDté en vain "une nouvelle rapine" et
que "le Transvaal, purgé de la canaille anglaise, a retrouvs
l'oràre (2)."
L'ima~e de l'Angleterre propagée par les journaux fran-
çais depuis La Justice de :lémenceau jusqu'à L'Autorité èe Paul
de Cassagnac en passant par Le Temps. ~e XIXème si~cle, etc.
est celle d'un pays mErcantile, cruel, perfide. L'Ane- oterre
pour les journaux français, c'est la I1 per fide Albion;
Les rivalités entre la Fr~nce et l'Angleterre pour
l'acquisition de nOuveaux territoires ont été nombreuses d~ls
les deux dernières décénies du XIX ème siècle. La crise de Fa-
-
--_.'---'-_.~
-~-----
, .
.

- 293 -
Chamberlain, chef du colonial office, a traduit par
une métaphore les rivalités franco-britaniques au Soudan en dé-
clarant que "la France s'ingéniait à marcher sur la queue du
lion bri tanique (1). Il
Bien entendu, le journal dl Adrien Hé-
brard s'est fait un devoir de "protester contre cette légende"
et de citer des faits pour établir la collaboration de l'Angle-
terre avec Samory afin de défendre la "situation morC'.le" de la
France "aux yeux des juges impartiaux."
Au lendemain de la sigr.ature de la co~ve~t:o~ franco-
b:,itar:ique d'AoD.t 1890, charune des deux Cluissances se v8.-'1te
~'CY1 êt!',? la g:rar'!.cle bér-éficiaire. Ro~~ir2 juC\\e ce tr2.i~.é "2.3522
Salisbu!"'v se moque "jes terres légères" du Sahara qLii SOI,t aban-
do~nées à la F!"'an~e et raille "le COq ~aulois qui ai~e à ~rat-
':e'" le sable à la f'la...-üe duquel on avait fourni ample matière (2)."
Q:1ant au ~oc;verne~ent fr8.-'1Gais, il voit da.."1s "la cor.ve~tion
tout aUGre chose qc;'un octroi qratuit d'immenses zo~es déserGi-
""es .
~.......
"
Face à lIAn~~eterre, la "perfide Albion", la cresse
:'rancaj.se demande q,'e l'Europe cl)alisée prenne des sanctions.
"';r C'
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------_._.- ---
'1\\ Le J'emps, lu uécembre 1898.
--.", - , . -~
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'_

Lors de la crise anglo-portugaise, I·~s Tablettes coloniales
écr:vent que " s i l'Europe ne s'émeut pas de cette brutalité
sans excuse, elle, commettra non seulement un acte de fai-
blesse, mais une faute impardonnable ll et souhaite de tout son
coeur qu'une "leçon de savoir vivre" soit infligée à la II per-
fide Albion."

- 295 -
II.
L'IMAGE DE L'ITALIE
Sur le terrain des conqu8tes coloniales. l'Italie
est une rivale de la France que la presse ne ménage pas.
Crispi qui fut chef du gouvernement italien
est souvent l' ob.1et d'attaques pour son "hostilité systémati-
que" à la France. Camille Pelletan. le r<Jdacteur en chef de La
Justice. l'organe du Parti radical. écrit à son propos que
"l'Italie n'a pas à s'étonner de ses mésaventures : elle a été
gouvernée des années entières par un homme aussi dépourvu de
sens commun que de moralité (1 )."
La Tunisie est. pendr~t longtemps. une pomme de discor-
de e:,tre l'Italie et la ?T'EL":e. Le traité d
Bardo si::né e ,tre
la ?rance et le Bey de Tu~is ne met pas un ter~2 à ce que la
presse française considère co~;;;e les pétentions injustifiées de
l'Italie sur la Tunisie. Ainsi. Le Don Quichotte de Gilbert -
f'!artin écrit en 1892 que c'est le "colon italien" q.;.i souffle à
l'indi~ène "sa chanson de circonstance: - Tu s'Juffres, mon
vieil a~i. Tunisien de mon coe~r ! C'est la faute des Français.
chier.s de Frar,çais (2)."
L'It:...lie est représentée par la Dresse fra!';çaise des
vingt derni8res années comme un pays qui i triGue. qui conspire
contre les intérêts de la Fra~:e.
(1) La Justice. 31 Mai 1291.
(2' :on Quichotte.
10 ~vril !S9~.

- 296 -
III.
L'n1/\\GE D~ LtALLZr'lAGN~
Mais parmi les pays signataires de la Triple Alliance,
c'est surtout contre l' Allema<;ne que s'acharnent les journa'.;.x
français. L'Allemagne, c'est l'''exécré vainqueur (1)" de 1870
qui a amputé la "mère-patrie" de l'Alsace et de la Lorraine,
deux de ses "plus belles" provinces. "L'Alsace-Lorraine annexées,
c'est un boulet aux flancs de l'Allemagne ••• On n'enchatne pas
impunément un peuple jadis libre pour en faire une horde d'es-
claves (2)", écrit Armand Mariotte. Dans les dernières années
du XIX ème siècle, la halne contre l'Allemagne reste vivace et
se manifeste quasi-quotidien~e~ent dans la presse. Toutes les
occasions sont bonnes pour dénoncer l'ennemi •
.n.ir'si, une campagne iL';;e'lse est ~enée dans la p:'esse
f:'ançaise contre la bière allem~~je.
",.:dors que nos aïeux s'éméchaient d'Argenteuil
Ce vin sec et
:'rançais, qu'on ~e boit pas à l'oeil! Nous nous empoisonnorls
èe leur bière allemande ! Où le salicylate émer~e en contre-
ba:1de (3)", proclame la légende d' \\L'le caricature dirigée con-
':re la bière allema~de. Le salicylate éta.'lt un acide, la bière
allemande est donc acc~sée de produire les m@mes effets que
cet acide sur l'organisme de ceux qui la consomment. La 511-
~ouette invite les Français à s'en détourner au profit de
l t alcool de leurs aïeux afin de causer U:1 préjudice commercial
è. l'.lUlemagne.
(11 DOL Q~ichotte. 4 Décembre 1892.
'"2\\
T r~
'2~ ly-..,-..,. ~,-'--""c.
".
'~Cl~7-·c>,'--:h....... c-
"-' -
_ •. ~. _. -
-
.., -.J
~
-
-
_-

- 297 -
L'hostilité à l'égard de l'Allemagne va jusqu'à des
célébrations de joie dans les Journaux 4uand un personnage
important vient à décéder dans ce pays. Ainsi à la mort du
prince Frédér:;'(;-Charles et de de Manteuffel en 1885# plusieurs
journaux ne dissimulent pas le plaisir que leur procurent ces
deux disparitions. "Si le cadavre d'un ennemi sent toujours
bon# les cadavres de deux ennemis sentent encore meilleur."
L'auteur de l'article qui avoue que son nez a "frétillé d'aise"
en apprenant la nouvelle# salue "avec joie la mort de Frédéric
Charles et de de M~~teuffel nos vainqueurs inhu~ains de 1870 -
1871 (l)."
S'adressa:lt à la mort, la "Camarde", il l'exhorte
lions te dODGer le coup de main qui rendra à la mère-patrie nos
frontières d'Alsace et de Lorraine (2)."
':'.)'J~ les "aricaturistes franc ais qui le Y'enrésente'èt n-..esque
toujours coiffé d'un casque à lointp.
lorsqu'il meurt en 18g8,
dèS Damphlets d'une violence inouie saLuent l'événe~ent. Dans
La S:..lho'..:ette du 7 Août 189c.# ur:e carica':cœe de Bobb i:-it'l~e
"Pavoisor:s !!!" est aCè:Jr:1pa::mée de la lé::ende suivaI'.te
rrll insultait nos morts de son rire •••
FraEçais de 3()~ trépns :-: 1 aYOI".s que jote ~~l coeur !!!"
1 , . ,
...
-" !
.,
~_ r'\\
.
~ .L.. -
.::.>
':) "
-.-. -- -- -" .._+._-'

- 298 -
Mercoire ajoute pour sa part: "Non requiescat in pa~e III
Ne le laissons pas reposer en paix l le féroce boucher de 70
qui poursuivit jusqu'en leur tombe l de sa haine gallophobel de
san rire de soudard l nos chers morts tombés sous les balles
prussiennes (1)."
L'extrgme violence de ces propos montre que
vinst huit ans après la défaite l la blessure qu'elle a causée
au nationalisme français reste toujours frai che. On rêve de
revanche.
c'est au nom de cette revanche que bea~2aup de jour-
y,aux se SOr1t élévés contre les "ca'Tlpa::r1es lointai:~es" qui dé-
"è.i::"e b18'-,8 des Vos§':es". Les rivalités er1tre la ?c'a:~C'e et l',L;-
1e:na,;-,e da:-;s la course a,lX colonies r1'ont fait que raviver la
haine cte la presse franc:aise contre ce pays. TO'Jte défaite all,,-
~a:1de en Afrique est montée en épingle et les Alle~ar1ds repré-
se'ltés comme des envahisseè:rs. Ainsi après la dé:'aîte subie en
Afrique orientale par l'ex~édition du capitaine Zalewski en
1391
Le Petit Journal illu~tré représente des saldé.ts allemands
1
el-.to·'J.rés ce guerriers no::rs
nr::2.~,sac:ra..r"J.t copieusel1'Sr..c: les enva:his-
"A,rès avoir ass'iré leur unité en E,rODe l ils se sont
~rus les '7Iaîtres ,iu mO;1de" ér>rit le;oèlrna1 qui i;:jiq'Je que
2ttaque .::;é',érale cO:1tre "les Allemands
qui
O;1t besoil' de co1o-
:1ies pour écouler l~urs produits industr_els si i~parfaits que

- 299 -
les nations civilis~es n'en veulent plus. puis il faut qu'ils
casent les malheureux qui naissent en si grand nombre chez eux
et n'y peuvent vivre à cause de la pauvreté du pays. pauvreté
augmentée par les frais de guerre trop lourds pour nos vain-
queurs (1)."
Le journal note encore que "la stupeur a ~t~ gran-
de en Allemagne; songez donc. des nègres."
On notera le mépris
pour les noirs contenu dans cette dernière phrase. Il y aurait
donc un d~shonneur. une honte à gtre vaincu par des nègres. Ce
déshonneur. cette honte frappent par conséquent l'Allemagne vain-
cue par des nègres d'Afrique orientale.
Au Soudan des rivalités ne mettent pas seJle~ent aux
prises la France et l'Angleterre: L'Allemagne qui a également
besoin de colonies. eu égard à son développement industriel. se
trouve engagée dans la compétition en Afrique occidentale. Le
journal Le Temps le dit clairement quand il écrit qu'''une action
énergique
de la France
était devenue nécessaire pour empgcher
les missions anglaises et allemandes de nous suppl~~ter dans des
résions géographiquement dévolues à notre prééminence pçiiti-
que (2)."
~n Afrique occidentale. l'Allemagne possède à l'épo-
que le TOGol~~à et aspire à un agrandissement de ses possessions
jusqu'au Niger. L'accord franco-allem~~d signé le 23 Juillet
1897 pa::' Bar,otaux et ~e Munster s'il complète l'arran:sel1ent de
188ô et fixe la frontière du Dahomey et du Togo. n'arrête pas
définitivement les conflits coloniaux entre les de~x pays.
1
-:
\\

- 300 -
On peut en résumé dire que l'Allemagne est repré-
sentée comme un pays qui a amputé la France de deux provinces
et qui, en Afrique, agresse les peuples.
Dans les vingt dernières années du XIX ème siècle,
plus les rivalités coloniales s'aiguisent et plus l'image que
la presse diffuse des puissances rivales de la France est néga-
tive. La crise de Fachoda, par les développements qu'elle en-
tra!ne è~ls la représentation de l'Angleterre, fournit une preu-
ve de cette assertion.
Il ne fa~t ~as> bieD entendu, laisser àfJ,S llo~bre
les causes sociales de la politique coloniale. Certes le sou-
dan n'a pas été ce qu'on a appelé une "colonie de peuplement".
Mais les causes sociales ne doivent pas cependar.i:: être ignorées
dans une explication globale de l'expansion coloniale.

-
)01 -
- 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 -
LES GROUPES vi PRESSION FAVORABLES A ~'EXPANSION
COLONIALE.
LEUR ROLE DANS LA CONSTRUCTION ~E
L' :U':AGE D.2: S.r:.:·:ORY ET DE L' E!'lPIRE DU OUASSOULOU

-
?f)2 -
CHAPITRE
PREMIER
LES GROUPES DE PR~SSION QUI ENCOURAGENT
LtEXPt~SION COLONIALE FRANCAISE.
1.
LE PARTI COLONIAL
Les intérêts qui sont en jeu sont si puiss~~ts que
les activités des groupements occultes ou non favorables à
l'eXpfu'1sioD coloniale fr~~çaise gagnent en Ltensi té à cette
époque.
Les Sociétés de Géographie dont les actions en faveur
de la colonisation sont de notoriété multiplient les pressions
s~r les différents gouvernements.

- 303 -
Elles sont actives non seulement à Paris mais également en pro-
vince. Entre 1881 et 1886, le Bulletin de la Société de Géogra-
phie de Lille publie des récits de la conquête du Soudan dus
aux plumes de Faidherbe et Brosselexd Faidherbe notamment. Ces
textes sont publiés sous le titre Le Soudan français.
Après 1890 se manifeste puissamment ce qui est connu
dans l'histoire sous l'appelation de parti colonial. Une défini-
tion concise de ce parti s'impose afin d'éviter toute confusion,
notamment avec l'acception courante du terme "parti". Par parti
cOlonial, il ne faut pas entendre un parti politique comme ceux
que nous connaissons a~jourd'hui, en France par ex~~ple. Le par-
ti colonial regroupe des hom~es qui nlont guère cac~é leurs opi-
nions dynastiques, des républicains "opportunistes", etc.
et
des associations. Tous ces individus et toutes ces associations
ont en commun leur conviction de la nécessité de l'expansion
cololliale de la France. On parle de parti colonial com:ne on par-
le à l'éJoque de parti x,ti-républicain pour désig~er tous ceux
q'.ii, orgaIüsés ou no:"
sont opposés à la forme réP'-.:blicaine de
gCJverne~ent. Le parti colonial est un rassem~leme~t j'individus
et d'associations dont les plus i~port&~ts furent les groupes
coloniaux à la '::;hamb~'e des Députés et au Sénat, = e '.::omité de
A - ~ COMITE DE L'AFRIQUE FRANCAISE
~- - '- - - -- -

- 304 -
A l'origine du Comité de l'Afrique française se trouvent des per-
sonnes ani~ées "d'un zèle patriote" qui~ pour la plupart~ ont
déjà or~anisé l'expédition de Paul Crampel et de Mizon en Afri-
que centrale et qui en ont favorisé d'autres. "Nous assistons,
à un spectacle unique dans l'histoire: le parta~e réel d'un
continent à peine connu~ par certaines nations civilisées d'Eu-
rope. Dans ce parta~e~ la Fr~~ce a droit à la plus large
part ... (l)"
Ainsi s'expriment les fondateurs du C.A.F. dans
ce qui peut être considéré comme leur manifeste. ADrès avoir
i~sisté sur la nécessité des initiatives telles q~e les expédi-
tions afin de développer le commerce franqais da~s les ré~ions
placées sous l'influe':ce de la ?rance ~ ils e:: i:~:;iq"e:-:t le b'_'t
"Le Comité de l'Afrique :'ra:<'aise s'e:'forcera~ ;:ar tous les
mo'-e:-ls en son pouvoir ~ r.e dé':elopper l' infl uence fra"lcaise dar.s
l'Afrique de l'Ouest~ du Centre et du ~ord."
Sans nier l'importance de l'action du ~ouvernement
dans ce domaine~ les fo~dateurs ont conscience de ses limites.
"Mais il est certaines initiatives qU'il (le gouvernement) ne
ne')+: prendre sans incorvérlent et qui peuvent~ ~l contraire~
~tre utilemer~ orises Dar u~ comité indépenda"lt. libre d'atta-
r
l'
es off'ir-ielles(2) .. " Ds ,iustifie'1t éê"alement la créatior ct"
Eel0n e~~~ avec la pers_~-r&~ce nJcessaire e~ r~ti~re rie poli-
ti:';e coloniale.
l'aris,
1 :80 1
- -
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p
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-~ ---------'- --' .,

-
}:)5 -
Des personnalités diverses appartiennent au Comité de
l'Afrique franç~ise : le capitaine Binger
le général Borgnis-
l
Desbordes
F. Crouan
vice-président de la la chambre de commer-
l
l
ce de Nantes
le général Derrécagaix
chef du service géographi-
l
l
que au ministère de la guerre
Félix Faure
député du Havre qui
l
l
sera élu président de la République après l'assassinat de Sadi
Carnot
le général Gallifet qui fut surnommé le "bourreau de la
l
Commune" en raison de la répression sanglante qu'il dirigea con-
tre les insurgés en Juin 1871. Beaucoup d'autres personnalités
se retrouvent également dans le C.A.F. : Gauthiot
secrétaire
l
général de la Société de géographie commerciale l
Adrien Hébrard
sénateur
directeur du journal Le TempSI
l
l
Paul Leroy-Beaulieu
Léon Permezel
le grand banquier lyonnais
l
l
membre de la chambre de commerce de Lyon
Joseph Reinach direc-
l
teur politique de La République française
le député de Marseil-
l
leI Jean-Charles Roux qui fut selon Brunschwig président du Con-
seil d'Administration de la Compagnie Transatlantique
le vice-
l
a~iral Vignes chef d'état-major général du ministre de la marine.
Le Prince d'Aremberg en est élu président; il occupe
ce poste jusqu'en 1912. Siegfried
député du Havre et Melchior
l
de VogUe sont élus vice-;:Jrésidents. Le secrétariat gér.éral échoit
à Hypolitte Percher plus connu sous le pseudonyme de Harry Alis
t~,dis que les postes de trésorier et àe trésorier adjoint re-
v~en~ent respectivement à Armand Templier de la Librairie Hachet-
te et à Georges Pati~ot qui "fut administrateur de la Compagnie
èe Suez".

-
)06 -
Par sa composition, le C.A.F. comprenrl des représen-
tants des milieux industriel, bancaire, commercial, militaire,
littéraire, etc ••
Les ressources du Comité proviennent de "dons
et souscriptions". "Tout souscripteur d'une som~e quelconque
devient membre." "Dès sa constitution, écrit Harry Alis, le Co-
mité de l'Afrique française a pu, grâce à de généreux concours,
disposer de ressources assez considérables."
Le secrétaire géné-
ral du Comité contredit ainsi Brunschwig qui, pour soutenir sa
thèse du peu d'implication des intérêts économiques dans la nais-
sance du C.A.F. n'hésite pas à affirmer qu'il "ne fut jamais ri-
che (1)". Brunschwig fournit cependant des chiffres qui démentent
ses propres assertions. Il affir;:le qu'e:1 1891 le 2 •.".• F. encaisse
158.280,05 fr~jcs au titre des adhésions et 29.321,10 francs au
titre de la souscription spécialE lancée en faveur de la pour-
suite de la mission Champel. Parmi les souscripteurs on trouve
le baron de Rotschild, la Maison Hachette, le duc d'Aumale, Le
Temns, la Société d'Encouragenent pour le Commerce franç2is
d'Exportation, etc ••
La composition du Comité et la liste de q~elques ULS
:es souscripteGrs permettent de se faire une idée exacte des
milieux qui favorisent l'expan,s.on coloniale française en Afri-
que. Des industriels, des banquiers tel le baron de Rotschild,
des anciens membres du gouvernement cotoient des ijéologues de
la colonisation comme Paul Leroy-Beaulieu auteur du fameux De
la colo:1isation chez les neuples modernes.

- 307 -
Le Comité organise des missions d'exploration. Entre
1891 et 1906~ les subventions ac~ordées à diverses missions en
Afrique s'élèvent, selon Brunschwig,à 460.000 francs. Dans son
organe~ le Bulletin du comité de l'Afrique française~ il déve-
loppe une propagande intense en faveur des conqu@tes coloniales.
En février 1892~ les membres du Comité se félicitent du fait que
Le Bulletin est "un excellent instrument de propagande et de vul-
garisation". En outre~ les conférenciers du Comité sillonnent la
France.
B - LE GROUPE COLONIAL
A LA CHAMBRS DES DEPUTES
Le groupe colorüal à la Cha..l1bre des députés qui voit
le jour en Juillet 1892 c07Jprend des républicains de toutes
nuances~ des royalistes ralliés à la République et des parlemen-
taires dont les convictions dynastiques n'ont pas en80re été
enta..l1ées par l'Encyclique du Pape Léon XIII. Le groupe est pré-
sidé par ~ugène Etienne~ ancien sous-secrétaire d'~tat aux
Colonies. Le prince d'Aremberg~ président du C.A.F. et l'al1iral
Vallon~ éJ1cien gouverne'..Œ' j~ Séné;;al ~ député àu du Séné=~,l en
SO~1t les vice-préside:,~s ~e secrétariat est assuré par Martineau
et Saint-Germain~ député d'Oran enlTerie~ le ques~a~r éta1~
annonce la création écrit au'il est compos~ "de députés sié-
':ee::t s'.\\r les b~cs les ::J}us àivers~
mais tous réurüs Dar le

- 308 -
3runschwig
fournit des détails sur la composition du
groupe.
Il établit une classification en fonction des tendances
politiques de ses membres. Il tente en outre d'opérer des re-
groupements à partir des professions exercées par les députés.
Ces re~roupements nous semblent arbitraires et peuvent conduire
à des erreurs d'appréciation. Etienne et Delcassé par exemple
qui furent d'actifs sous-secrétaires d'Etat aux Colonies sont
respectivement classés comme journaliste et iri~é~ie~~. Nos ap-
rréhensio~s trouve~~ tln fondement dans la déductio- que tire
Brunchwi~ de cette classification nar profession. Il ~~~it, en
miques (II."
Il n'est ~as forcément besoin d'être ~~ industriel,
un banquie~ pour être le représentant d'intérêts éco~omiques
Gonnés. On peut bien être avocat,
jourraliste ou i~ -:énieur et
être le ~eDrésentar;: au Darleme-,t 0:1 ailleurs des intérêts oe
J.a classs: bou!"'r-çeoi.c:~ :-'a~ e):e:;;p12. Etie!"'~!"":~ J
Tfle
':~'?.!' ai'11~ .-ll.: ra~­
'::.
0:>~O,·-::..~~_1t CO:?Y10 _ tê:::'~·81ê.::':, Cl]2.~2.9s ~)e~~,~·.I."éJ r~ ~elcassé b=-8~-';
qU'~Lt~1~: ~'0S~'~~:~vemeD~ journaliste et ing~nieur pa~ formatio~
o~t, dur~lt leur passa:e d2D.
les ministères en t:r,t que sous-
secrétaires d'Etat aux colonies, mis en oeuvre une politique con-
forme à des intérêts économiques donnés. Le résultat de "13 né-
gociants, industriels, armateurs" co,,:;re ~
avocats, Il
journa-
listes) etc.
,
obtenu par Brunchwi~ s~r la base de sa classifi-
cation ne constitue donc pas un critère scientifique pour con-
-,
\\

- 309 -
c - LE GROUPE COLONIAL AU Sh~AT
Le groupe colonial au Sénat se constitue en février
1898. Le sénateur de la Seine-Inférieur
Siegfried occupe le
poste de président. Des personnalités importantes figurent par-
mi ses membres dont Wadindton
Freycinet
tous deux anciens
l
l
présidents du Conseil sous la présidence de Jules Grévy. Cons-
tans
Tirman
Peytral
etc.
l
l
l
1
appartiennent également au groupe.
D - L'UNION COLONIALE
L'Union colo~iale qui fait é~alement par:ie des grou-
pes de pression en ~aveur de l'impérialisme frfu~~2is est fondée
en Août 1893. Il regroupe essentiellement des ind~striels, des
commerçants et des banquiers qui ont des intérêts dans les pos-
sessions coloniales de la France. L'article des statuts de l'U-
nio'1 coloniale fixant les conditions d'adhésion stipule: "Pour
être admis à faire partie de l'Association à titre de membre
sociétaire, il faut être Français et avoir la 5i tJ.ation de chef 1
administrateur, directeur ou fondé de pouvoir de maisons ou so-
ciétés faisant d' _,ne marlière sui vie des affaires cirectes dans
les colonies !r~lçaises ou pays de protectorat ou d'influence
:i'rar1çaise (1)."
(1) Bulletin de l'Union coloniale,
10 Avril 1897.

- 310 -
Le Bulletin du C.A.F. parle de la naissance "d'un
syndicat des principales maisons ayant des intérêts dans nos
colonies (1)."
Les statuts de l'Union coloniale en indiquent
du reste très clairement les objectifs. L'association se fixe
pour but dans son article 2 de "recherche:, tous les moyens
propres à assurer le développement. la prospérité et la dé fen-
se des diverses branches du Commerce et de l'Industrie dans les
Colonies. Pays de Protectorat et Pays d'Influence française.
d'organiser le groupement de ses représentants et de concentrer
leurs efforta en vue de la protection de leurs intérêts (2)."
Le premier nu~éro du Bulletin de l'Union coloniale
donne la liste du groupe dirigeant de l'association. Mercet. de
la banque Perrier frères, administrateur du Comptoir d'escompte
occupe le poste de président. Le Cesne. directeur à Paris de la
Compagnie de la Côte occidentale d'Afrique occupe celui de se-
crétaire, etc. Parmi les membres on trouve Albert Cousin. direc-
teur de la SOciété agricole et commerciale de la Casamance,
Verdif':;.' de La Rochelle qui détient des intérêts immenses en
Côte d'IvoirE ••• Ce sont de püissants intérêts économiques qui
sont à la base de la création de l'Union coloniale.
Comme les autres grOtines de pression. elle organise
une pro9agande intense en faveur de la colonisation fr~~çaise.
Ses org~~es. le Bulletin de l'Union coloniale française qui
devient en 1897 La Quinzaine coloniale jouent un rôle considé-
rable da~s cette oeuvre •
,..,
.,
--, .
'
-'
, .~ ......~ .....
~,0'_""v
,
\\

- 311 -
Elle organise des conférences qu'animent les personnalités les
plus célèbres du parti colonial : Etienne, Delcassé, Chaillet-
Bert, Leroy-Beaulieu, Melchior de Vogüe •••
La propagande de
l'Union en direction des étudiants se fait plus systématique
avec l'ouverture à la Sorbonne d'un Cours libre d'enseignement
colonial destiné aux étudiants des facultés et des grandes éco-
les. L'Union coloniale organise des d!ners mensuels, des ban-
quets annuels puis plus tard des Congrès coloniaux réunissant
des personnalités du parti colonial. De nombreux discours sont
prononcés à ces occasions qui soulignent la nécçssité des cam-
pagnes coloniales.
quatrième qui est présidé par André 19bon, ministre des Colonies,
~!ercet ne tarit pas d'éloges sur Ifl a grande famille coloniale lf
devant un auditoir ravi: If ••• nous sommes les servi'ceurs d'une
même et crande cause, la cause coloniale, et que l'idée de pa-
.
~rle,
" t
aon l ' " d
l
'
ee coloniale n'es~ qu'une des for~es, offre à
r:os esprits et
à nos coeurs un terrain d'entente et d 'ur,ion( 1). If
Lebo!1, pour sa part, p rIe de If ce grar1d mouvement j'O;:i!îio.. u:8
'10"18
avez su créer ciaI1S notre pay!: en faveur de la~2.".,se ,,010-
c'est sous le patronnage de l'Union que se créent la
Société d'émigration des femmes en Avr'l 1897 et la Ligue co1o-
nia1e de la Jeunesse.
(
Î
\\

-
312 -
Charles Noufflard est élu président de la Ligue dont la devise
est "Education, Propagande, Assistance."
IILa Ligue Coloniale
de la Jeunesse, en groupant et en disciplinant les forces de
demain, pourra devenir la récompense palpable de celles qui
s'emploient aujourd'hui si noblement à préparer une ère de pros-
péri té à la France par la mise en oeuvre de ses colonies (1)."
Ces mots de Charles Nouffard en disent long sur sO~ attachement
à l'expansion coloniale de la France.
L'observation attentive de ces organisations met en
évidence un élément qui mérite d'être souligné; il s'agit de
leur interpénétration. On constate en effet que Siesfried, pr~­
si dent du groupe coloniéil au Sénat est vice-préside,::- du C.!-\\. F.
Le Prince d'Aremberg, président du C.A.F. est vice-président du
groupe colonial à la Cha~bre des députés. Etienne, ~~cien sous-
secrétaire d'Etat aux Colonies, se retrouve au groupe colonial
au Palais Bourbon dont il ass~~e la présidence et au Comité du
;\\laroc, filiale elle-même du Comité de l'Afrique frar.çaise.
Gauthiot, secrétaire général de la Société de géographie commer-
ciale est également membre du C.A.F.
Charles Roux, ~embre du
:.A.F. accédera plus tard à la présidence de l'Unio~ coloniale.
Le baron Hulot secrétaire général de la Société de géographie
se retrouve également au C.A.P.
(1) Quinzaine coloniale, 25 Juillet 1897.

- 313 -
A la fin du XIX ème siècle, le parti colonial est
un puissant groupe de pression dont la théorie et la prati-
que ont pour objectif d'intensifier, par tous les moyens,
les activités impérialistes de la France dans le monde. Les
gouvernements de l'époque ne peuvent l'ignorer et encore
moins se soustraire à sa pression. Au premier b~'quet annuel
de l'Union coloniale le 6 Juin 1894, Mercet affirme, en pré-
sence de Delcassé, ministre des Colonies : "Je tiens à dire
que le commerce et l'industrie aux colonies ne sont pas les
quelques mercantis qu'on a tant décriés, c'est un groupe com-
pact, puissant et chaque jour plus nombreux, qui a ses tradi-
tions de droiture et j'exactitude et qui, comme :e reste de
nos citoyens, contribue à la grandeur et au bon ::,e:-,O::1 de rlotre
pays ••• (1 ) Il
(1) Cité par Brunschwig. op. cit. P.133

- 314 -
II. LES GROUPES DE PRESSION ET LEUR INFLUENCE
SUR LA PRESSE.
Le facteur que constitue la puissance du parti colo-
nial et de tous les autres groupes de pression ne peut être
ignoré dans l'étude de l'image de Samory et de l'Empire du
Ouassoulou dans la presse française à la fin du siècle dernier.
Les liens de ces gro~pes de pression avec la presse sont nom-
breux et on imagine aisément l'influence qu'ils ont pu exercer
sur elle.
~t~ di~p~teur ~u Jou~~al des D~bats, l'un des bastions des Soci~­
tés de G~o'raDhie. Patinot, tr~sorier adjoint du C.A.F., a éga-
lement Été directeur du "1ême jour"alo Le s~"ateur Adrien Hébrard,
~e~bre du C.A.Fo est directeur du .'o~rnal Le Temps. On retrouve
~aturellemer.t Le Temps parmi les souscripteurs du Co~ité. Le
déDuté Joseph Reinach, membre du C.A.F, est directeur politique
de La R~Dublique francaise. Arm~~d Te~plier du C.A.F. est direc-
teur de Hachette qui occupe une place de choix d~ns le domaine
de l'édition. Gauthiot, secrétaire gé"éral de la ::;ociét(: de géo-
n'aphie cO!71r.ierciale dirip"e les p'.lblications de cette or~anisa-
+:i on.

-315 -
Ce facteur est d'autant moins néglip;eable qu'à la
même époque, le scandale de Panama a révélé l'influence des
~oupes de pression sur la presse et le raIe qu'ils peuvent
lui faire jouer lorsqu'elle est sous leur influence.
A la suite de la réussite du percement du canal de
~uez qui en fait un homme d'une grande célébrité, Ferdinand de
Lesseps conçoit un autre projet tout aussi granduose : le per-
cement de l'isthme de Panama. Pour réunir les fonds nécessaires
à Ja réalisation dC) nroiet, il fait aDoel à l'épar-::ne francaise.
Mais }'entrenrise slav~re fort diffi~ile eu é-ard à 'a nattlre
<é':é '" ':;a'lé.:!., elle décide de dissimuler la réalité des faits
ali public afin qu'il co:-,tinue de croire qu'il s' asi t d'un place-
::lent avaèltageux.
Plüsie;lrs jo"~rnaux, parmi les plus gra..'1ds c:e l' épo-
q~e, sont 9ayés pOür se livrer à ce qui peut être co~sidéré co~­
~e de la publicité mensongère. Les bénéficiaires des subsides se
dé;:;ensent sans compter pOur vanter les avantases fictifs de ces
placements. Par des sollicitations multiples ils entretie~nent
si bien la con;ianc8 de l'épargne fra..'1çaise da'1s la réussite de
l'entreprise que l'emprunt rapporte 109 millions en 1882, 171
millions en 1883, 159 ~illions en 1884, 206 millions en 1886.

-
316 -
Mais en 1889 J la Compagnie dépose son bilan et le
scandale éclate. Le dossier du Conseiller Prinet et le rap-
port de l'expert FloryJ remis au procureur en Juin 1892 sont
accablants pour la presse. Il y est indiqué par exemple que
"la presse avait reçu 24 millions dans une seule distribu-
tion (1)."
Le président du Conseil Floquet avait touché
300.000 francs destinés aux journaux dont il avait le soutien.
L'enquête parlementaire révèle que le sénateur Adrien Hébrard J
directeur du journal Le TempSJ avait touché entre 1.500.000 et
1.600.000 francs.
L 'histoire a ét:alemc.t révélé qu'à la :ir, du XIX ème
et au débt't du XX ème siècle J le gouvernement tsaris:;e allié de
la France avait corrompu une partie de la presse française par
l'intermédiaire d'un groupe de pression organisé autour de Ar-
thur Raffalovitch. Conseiller secret du ministère des Finances
russe à Paris J ce nersonnage était chargé de distribuer des sub-
sides aux journaux français afin qU'ils tiennent des propos fa-
vorables à la Russie tsariste et particulièreme~t aux emprunts
russes. E~ 1904 Raffalovitc~ écrit à son ministre de tutelle :
"Pour les six premiers mois J l'abominable vénalité de la presse
fran~aise aura absorbé (en dehors de la publicité de l'emprunt
de 800 millions)J une somme de six cent mille francs J dont les
banqt;iers ont fourni la :noitié (2). Il
Cl ~ [·;Od12.110 J Réné. L'" ["esse DO:lrrie J Paris J Librairie
~op~laireJ 18)5. ~. ~ - ~.

- 317 -
Il est un autre élément qu'on ne saurait passé sous
silence lorsque l'on parle de la presse: il s'agit du raIe
des agences de presse. La quasi dépendance dans laquelle elles
maintiennent la plupart des journaux en font de véritables puis-
sances. L'agence Havas fondée en 1835 est l'une des plus ancien-
nes du monde. Honoré de Balzac avait perçu et analysé avec per-
tinence
son raIe. fiLe public peut croire qU'il y a plusieurs
journaux, mais il n'y a, en définitive, qu'un seul journal •••
M. Havas a une agence que personne n'a intér~t à di-
vulguer, ni les ministères ni les journaux d'opposition. Voici
pourqü.oi : :-1. Havas a des corresponda:,ces dans le mo:~je entier
il reçoit tous les jo~rn~ux rie tous les pays du globe, lui le
Dremier •••
A leur insu, ou de science certaine, les journaux
n'ont que ce que le premier ministre leur laisse publier •••
Comprenez-vous maintenant la pauvre uniformité des nouvelles
étrangères dans tous les journaux ! Chacun teint en blanc, en
vert, en rouge ou er, bleu la nouvelle que lui envoie M. Havas,
ce Ma!tre-Jacques de la presse. Sur ce point il n'y a qu'un
seul journal fait par lui, et à la source duquel puisent tous
les journaux •••
N. Havas, cette providence des journaux de Paris, est
aussi celle des journaux de province ••• Ainsi de m~me qU'il n'y
a qu'un seul journal à Paris, il n'y a qu'un seul journal pour
les dépa~~e~ents.

- 318 -
M. Havas est le pr~te-nom du Ministère. Voilà le mécanisme
de cette immense machine appelée le journalisme (1)."
Ces mots de Balzac étaient vrais pour les vingt dernières an-
nées du XIX ème siècle en raison des réalités de l'époque.
Ils n'ont rien perdu de leur véracité et de leur actualité de
nos jours.
A la fin du XIX ème siècle, beaucoup de joarnaux res-
tent tributaires de l'Agence Havas, surtout pour les informa-
tions en provenance de l'étranger. Ils sont ainsi dépendants de
l'Agence Havas pour les informations relatives à la guerre menée
2U Soud~~ par la France contre l'Almamy S~~ory et l'Empire du
Ouassoulou. Elles ne parviennent aux Journaux qu'après leur pas-
sage à travers la grille de filtrage d'Havas. Ce filtrage est
déterminé par les intér~ts qui la soutiennent. Des accords avec
les agences étrangères accroissent le monopole de l'Agence Ha-
vas. C'est ce que Modiano appelle lice formidable trust de la
,

. ,
fi
pensee lmprlmee •
L'apparition des groupes de pression dans les deux
dernières décénnies du ~IX ème siècle et l'intensification de
leur action sont liées a·.l développer.lent du mode de production.
Leur i~fluence sur la presse est indéniable.
_ 0
,)
~,-
.
.:..-.
'- - -

- 319 -
L7-/UITIEME
L/)ARTIE
- 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 -
L'ZVOLUTION D3 LA PR3SSE : DE L'OPPOSITION AUX
"AVENTURES LOINTAINES"
AUX .':'..'NCOURAG:;'f;'::-:NTS A
LA LUTTE CO:JTRE SAMORY ET LI EMPIRE DU OUASSOULOU

- 320 -
CHAPI~RE
PREMIER
L '.2;"v"OLUTION D.s:3 JOURlhUX r'10~JARCHISTSS :ST RLiDICoUX
La conquête de It~mpire du Ouassoulou est déterminée
d~~s les deux dernières décénnies du ~iècle dernier par des mo-
biles économiques et r.O:1 pa' des considérations phylantropi-
ques. Dans ces conditions, l'image de Samory et dt
s~n Empire
:;or.struite et diffusée par la presse française n'est due fon-
damentale~ent ni à l'h~meur de tel journaliste, ni à l'animosi-
té particulière que tel officier ou tel chef de p~r0l nourrirait

-
)21 -
Ce sont les conditions économiques qui expliquent l'image de
SamorYI de son Empire et le processus de son évolution. Crest
à partir de cette base et de ses caractéristiques particulières
en France qu'il faut chercher à saisir l révolution des journaux
monarchistes et radicaux d'une certaine opposition aux "aventu-
res lointaines" à leur acceptatjon et à leur encouragement.
L'analyse de ces organes fait appara!tre ces deux attitudes
distinctes faces aux campagnes coloniales en général et face à
la guerre de la France contre Samory en particulier.

- 32<:: -
1.
L'EVOLU1ION DES JOURNAUX MONARCHISTES
Examinons d'abord l'évolution des journaux apparte-
nant aux fractions monarchistes de la bourgeoisie.
Au moment de sa réapparition en 1886, Le Pilori ne
cache pas son hostilité aux campagnes coloniales. Le journal
d'Armand Mariotte fonde son opposition sur le thème du "gâchis".
Selon le journal, le Tonkin, par exemple, est non seulement une
"terre arrosée du sang de nos soldats" mais également un pays
où le gouverneme~~ républicain dilapide l'argent du contribua-
ble français.
"Ah ! ce qu'il en faut de l'argent pour payer la
débauche de fonctionnaires qu'on a envoyée là-bas! Tout ce qui
en Frw1ce, n'était plus bon à rien; déclassés, décavés, gommeux
à conseil judiciaire, to~t cela a été exporté là-bas avec des
grades, des titres, des appointements fabuleux (1)."
Le Tonkin
qui est considéré comme le symbole des expéditions coloniales
sert encore d'exemple à Armand Mariotte pour dénoncer ceux qui
"s'engraissent" du sa.'1g des soldats, "ces ••• Constants qui vont
en Indo-Chine comme Souverneur et qui gouvernent si bien leurs
affaires personnelles qU'ils rentrent en France avec des wagons
chargés d'objets précieux; ces ferrystes qui s'enrichissent à
mesure que le pays s'appauvrie (1)."
On retrouve ici des argu-
ments qui sont également développés dans la littérature romanes-

- 323 -
En 1890 au moment où s'accélèrent les campagnes mi-
litaires de la France contre Béhanzin au Dahomey~ Le Pilori
,..
fustige les "publicistes devoués
qui
entonnent en meme temps
l'hymme national sur les droits de la civilisation sur la bar-
barie" pour mystifier "le bon public". L'hebdomadaire dénonce
mgme nomémentLe Temps
d'Adrien Hébrard. Après avoir souligné
ce qu'il appelle la fertilité du Dahomey en "égorgements~ en
fièvres et en maladies de toutes sortes"~ Savignac écrit:
"Nous estimons que c'est assez d'un Tonkin~ et qu'il faut vrai-
ment ~tre doué d'une rare irnprud~-ce po~r ess~yer ae nous ber-
~er encore avec les vieilles re~Ialnes sur le dranea~ compro~is
e~ l'honneur Dational engagé •.•
Si nous avons rendu Fer~' à ses c~ères études~ ce
n'étai t pas dans l'intention de le remplacer par Etien'.e (1)."
L'anti-sémitisrne du périodique lui sert également
d'arme co'.tre les ca.'npagnes coloniales. Ainsi~ à pr'pos du Da-
~ome~r~ Le Pilori accuse EtieDne~ le sous-secrétaire d'Etat aux
colonies d'être "l'élu des Juifs d'Ora."1 dont 11 a pa:.-é le con-
cO'.lrs électoral avec des décoratio'Cs variées."
iiue ce s('·i t au Soudan~ contre l' Almamv Sa~ory ~ au Da-
homev~ le "Tonkin d'Afrique" ou ailleurs~ Le Pilori s'oppose
aux ca~pagnes coloni~les 0a~s lesquelles les républicains gas-
pillent~ selon l'li~ le sa~,",: et l''3.rgent des "Francais de France".
L' enne:ni ~ Dour l'ü~ se trouve a'.,-delà de la "li~,e bleue des

-
524 -
Dès 1892 cepe'ldant, une évolution très nette en fa-
veur des campagnes coloniales apparatt dans les articles du
périodique monarchiste.
Le 10 Avril 1892, l'éditorialiste du Pilori pose clai-
rement la question de la guerre contre Béhanzin au Dahomey en
termes de choix à effect~er entre deux conduites possibles
"A que} parti doit-on s'arr~ter ? Faut-il partir, faut-il res-
ter?"
Sa réponse est tout aussi claire. Il faut "re:ioncer au
système des petits paqnets" affirme-':;-il ; "il fa':t frapper vi te
et fort", 11 faut lien finir Il avec le Dahomey. Aucune équivoque
r 'est possible; Le Pilori estime qu'il faut rester au Dahomey.
Une semaine plus tard le journal repre~i les
'"
memes ar-
guments. "Le gouvernement a, selon lui, engagé 1 '~onr.eur de la
France simultanément àa.'1S quatre aventures" contre Béhanzin au
Dahomey, contre Sa.llory au Soudan, au Toni\\:in et à :·:adagascar.
Il considère que cet e:lgagement a été fait avec "légèreté", le
gouvernement étant "certain qu'au moment du danger la fibre pa-
triotique vibrerait et qu'il obtiendrait des chambres les cré-
dits nécessa~res (l).'!
Le journal évoque ensuite l'urgence qui,
lorsQue 1I1'honneur du drapeau" est engagé "a raison de toutes
les hésitations ll • C'est, selon lui, le cas au Soudan où le colo-
l'leI Humbert, en guerre contre Samory, "annonce avoir perd-cl la
moitié de ses Officiers, déclare sa situation com;romise, avoue
q,--:' il n'est pas sûr de tenir ses postes et réclame des secours
/ , \\
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~"':lr'l""".!
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l?Q'-1.
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J.,..J\\..,.:
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_
_ .... c.

- 325 -
L'hebdomadaire d'Armand Mariotte exhorte les députés monarchis-
t~s à voter les crédits car "il faut frapper vite et fort" con-
tre Béhanzin et Samory.
Le changement d'attitude du journal face aux conqu~tes
coloniales est on ne peut plus clair. Les accusations lancées
contre le gouvernement qui aurait imposé un choix cornélien en-
tre une reculade et l'honneur du drapeau ne peut masquer le re-
noncement du Pilori aux critiques contre les campagnes coloniales.
Le temps où Le Pilori écrivait qU'il ne se laisserait pas abuser
par "les vieilles rengaînes" sur "l'honneur national" est bien
r~volu. Il est égaleme~t r~volu le temps où il appelait "les
vrais représentants du pays", c'est-à-dire les parlementaires
monarchistes, à "faire ~chec" aux "nouvelles fantaisies colo-
ni ales de sous-Tonkino:-s arnateurs de produi ts des Tropiques (1). "
Les d~put~s monarchistes votent du reste les cr~dits demand~s
par l~ gouvernement. Ces d~put~s avaient contribu~ à la chute
du cabinet de Jules Ferry à la suite de l'affaire de Lans-Son.
~~me en 1891, La Patrie critique encore le "raIe fas-
tidieux de Cassandre (2)" que la France remplit au Soudan.
Ne reconnaissant "aucune utilit~ à cette dernière ca~pagne con-
tre Samory", le journal de Lucien Millevoye cO!1sidère que ce
qui a ~t~ fait depuis trois ans au Souda..'1 "a tO'ùjours ét~ aussi
désastreux qu'inutile", malgr~ "de lourds sacrifices et beaucoup
de sang vers~."
Il pr~conise par conséquent "les moyens de la
douceur" comme moyens d'action au SOè'daI1.
( l )
,., -.) ~
T".
" ' - Q
---=--.~,
-,

- 326 -
L'évolution du journal dynastique en faveur de l'ex-
pansion coloniale se manifeste cependant nettement l'année sui-
vante lors de la discussion au Parlement des crédits nécessaires
pour résoudre la question du Dahomey. Les péripéties de la lutte
contre Samory rendent le problème des crédits plus complexe. La
Patrie déplore les hésitations du Parlement qui "ne sait pas au
juste s'lI est pour ou contre l'expansion coloniale rt et qui vou-
drait un gouvernement qui "prendrait beaucoup de territoires
sans jamais lui demander ni un soldat ni un centime."
"La meil-
leure solution de la question'! selon le journal dynastique est
de "s'emparer de sOn auguste majesté noire et de la fusiller
sans a;.,;tre forme de procès (1)."
Le q).oticiien procède à une
destrJction des fondements sur lesquels s'était app~yée son op-
position aux "avar,tures lointaines rt • Naguère hostile au rt gas -
pillage" du sang et de l'or français, il affirme e:1 1892 qu 1 on
ne peut acquérir de territoires nouveaux sans engager des soldats
et de l'argent. Renonçant aux "moyens de la douceur" qu'il pré-
conisalt encore en 1891, il récl~~e la mise à mort de Béhanzin.
La Patrie ne cessera plus d'apporter un soutien sans faille à
l'expansion coloniale française.
Ainsi, le quotidien applaudit la constitution d'un
groupe colonial à la Char;1bre des députés. Autrefois si prompt
à exploiter la moindre difficulté des soldats fr&~çais dans les
ca~pagnes coloniales, le journal de Lucien Millevoye, va jus-
qu'à dé:nentir les n ..uneurs alarmai'1tes aui circulent sur le sort
}

- 3'27 -
"Il n'y a rien au Soudan, on peut l'affirmer, depuis le 4 Jan-
vier (1)". Deux jours après le débat
sur la colonne Monteil à
la Chambre, le rédacteur en chef du journal dans un long arti-
cle affirme que la constitution d'''un grand empire français"
est une Itoeuvre de patriotisme". Puis dénonçant l'''école poli-
tique" qui, en France, "réprouve l'extension coloniale comme
une sorte de diminution de notre vigueur en Europe et qui nous
dit: "Entre l'Afrique et l'Alsace il faut choisir !", l'auteur
de l'article affirme: "Mais en laissant périmer notre droit
vis-à-vis de l'Angleterre au coeur de l'Afrique, serions-nous
en meilleure post~re pour empêcher l'Allemagne de le proscrire
c .. .l\\lsilce-Lorraine ~ (~)"
Le r3.11ie:;]e;',t du j00.r;:al ;,. la caèlse
des cOflqu'3tes colo:;ia~.es est totale et les arg'..:::lents qu 1 il uti-
lIse a~raie t pu servir ~ lui r{pondre quelques ml~ées plus t8t
a0. !10mer:t des événements de Tunisie ou du Tonkin.
Le Figaro, autre journal mor',rchiste, C'Y',;-a!t w'e évo-
DrODOs de Fer~y, "l'homme sinistre", que la ruerre du Tonkin est
"sa ":1.1erre à lui (3)".
:Sn 1898 :Jar contre, Le FÜ;aro se féli-
cite de la canture de Swnory et mesure 2es avanta~es que le com-
merce francais en Afrique Occidentale peut en retirer.
en La Patrie, :..>'i
- /
Février 1895.
(2) La Patrie, 30 Juin J 895.
(3) Le ?i. ~ê.:!"'O
-:;1
J
/ '
_'.iars 1885.

- 328 -
Après 1890~ i l y a un ral1iement indéniable des jour-
naux monarchistes aux thèses des partisans de l'expansion colo-
niale de la France. Certains d'entre eux adhérent par exemple
à la thèse de la formation d'une armée coloniale composée de
volontaires~ distincte de celle de la métropole~ et prête à
être opérationnelle dans n'importe lequel des territoires sous
domination française si les intérêts français s'y trouvent me-
nacés. Seul un tel choix éviterait~ selon les adeptes de cette
thèse~ le système des "petits paquets"~ c'est-~-dire l'expédi-
tion d'un régiment~ d'un bataillon de "quelqi'es centaines d'ho~-
Le rallie:nent des monarchistes aux Car:lDar-r:es colonia-
les se traduit é~ale~ent à cette époque à la Chanb~e des députés
et a'l Sénat où les représentants des partis è.y:-~astiques aba.'1don-
ner.t leur atti tude c~itique des anr.ées précéjentes.

- 329 -
II. L'EVOLUTION DES JOURNAUX RADICAUX
La justice de Clémenceau a été, elle aussi, une ad-
versaire des "aventures lointaines" que Camille Pelletan, son
rédacteur en chef, considère comme "des fautes monarchiques
commises par les ministères républicains."
Pour l'orr;ane du
Parti radical, ce qui caractérise le ministère Ferry c'est
"à l'extérieur les aventures lointaines". Clémenceau par son
fameux discours à la Cha;:lbre des députés le 31 Mars 1885 a
précipité la chute du ministère Ferry. "Messieurs, je ne viens
~as répondre à M. le Président du Conseil. J'estime qll'à l'heu-
re présente aucc;Cl débat ne peut pl'Js s'eY1;"[a~8r e!1tre le minis-
cette Chambre (.:1. D~} audi .ssement il l' extrS:ne-:auc:,e. ) ( ••• ~
Oui, tout débat est fini entre nous ; ~aus ne voulons
p1'."s vous entendre, nous ne pou-ions plus discuter avec vous des
~rands intér~ts de la oatrie. (Très bien ! Très bien ! et ap-
plaudissements à l'extrgme~auche.)
Nous ne vous connaissons plus et nous ne voulons plus
vo~.JS conn&!tre. (Applat:.dissements sur les m~mes bancs~ (1). n
Selo~ Le Temps, le sort du cabinet "était décidé avant la séar-
ce ; il ne s'a~!ssait nlus que de sa~~ir co~ment il tomberait(~~
(:::-)
"
- ~ "n~ 1
.•. - --

- 330 -
La Justice s'oppose aux "expéditions lointaines"
au nom des m@mes principes que les organes dynastiques.
"••• On dilapide les finances, ••• on creuse le déficit et ...
on désarme à l'heure où s'aggrave dans oes proportions redou-
tables la situation diplomatique du continent! (1)" écrit
S. Pichon. La position du journal évoluera jusqu'à la dispa-
rition totale de ces critiques.
Un autre journal radical, La Dép~che du Midi suit le
même
itinéraire. Léon Millot y dénonce par exemple en 1898,
cette politique d'expansion qui gaspille les vies humaines et
les millions au Tonldn, au Da..h.omey, au Soudan ••• " et invoque
"l'intérêt primordial de la patrie démellbrée, et qui aurait be-
soin d'avoir toutes ses forces sous les mains le jour où une
guerre européenne viendrait ~ éclater (2)."
L'évolution des partis et des orga..,es monarchistes et
radicaux peut égalel1ent s'observer à travers
q~elques articles
du Temps. ~n Juillet 1892, après l'accueil enthousiaste réservé
au lieutenant Mizon au retour d'une des ses missions d'explora-
tion, Le Temps écrit que les "applaudissements d'aujourd'hui"
ne peuvent pas ne pas évoquer la pensée "de toutes les attaques,
de toutes les calomnies, de toutes les injures diri~ées depuis
vingt a..~s contre notre exp~,sion coloniale, non seulement par
des adversaires de !"lOS institutions mais aussi par nombre de ré-
publicains (3)."
(
_ !l"-"_
-, \\
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1.0~J.
~
_
,_J
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• ....:....:... __
- :

- 331 -
c'est ce que Le Tempsl d'accord avec Jules FerrYI appelle le
"retour de l'opinion."
A la suite de la discussion au Parlement du budget
général des colonies en Février 18931 il consacre un long ar-
ticle au mgme sujet. "La séance d'hier à la Chambre aura sa
place dans l'histoire de notre pOlitique coloniale. Elle mar-
que le terme de la période militante où le gouvernement devait
emporter de haute lutte l au sein du Parlement l les crédits né-
cessaires à nos possessions d'outre-mer."
Le Temps en déduit
que la politique coloniale n'est donc pl1.:s la "grande calomniée"
qu'elle a été pendant longter;lps. Il note que les parle~entaires
àes partis monarchistes "se sont bieD gardés de prendre l'atti-
tude intransigear.te d'autrefois et de proposer ces solutions
radicales qU'ils préconisaient il y a peu de temps encore."
"L'extrgme-gauche s'est tue" indique encore le quotidien. Cette
indication cOncerne les députés radicaux car à l'époque Clémen-
ceau et ses amis étaient classés à l'extrême-gauche. Le Temps
conclut que la "réserve des uns l le silence des a~tres" ne peu-
vent gtre attribués qu'à "cette conviction intime l que la France
:e peut rester étral1gère au mouvement d'expansion coloniale qui
entraîne actuellement tous les grands peuples d'Europe (1)."
(1' Le Te~DSI 6 ?évrier 1893.

- 332 -
En cette année 1893, on est en effet loin des temps où, Paul
de Cassagnac, interrompant Gambetta, le président du Conseil,
qui exhortait les députés à méditer les conséquences qu'au-
raient pour la France le retrait du "pavillon" de la France
de Tunisie, lui lançait de son banc: "il ne fallait pas y
aller!
(1)"
(1) Gambetta, Léon. Discours et plaidoyers pOlitiques, Paris,
G. Charpentier, Editeur, 1884. T. 10. P. 100.

- 333 -
III. CHAUVINISME N'EST PAS ANTICOLONIALISME
L'analyse de l'évolution des journaux envisagés doit
être menée jusqu'à son terme. L'opposition de la presse mOnar-
chiste et radicale à l'expansion coloniale de la France dans
les vingt dernières années du XIX ème siècle n'est guère
pro-
fonde. Elle ne porte que sur la forme. A considérer le fond de
la question, organes monarchistes et radicaux se rejoignent.
Camille Pelletan pouvait en 1892, railler le comte de Mun et,
lui rappelant le Tonkin et la Tunisie, écrire : ""I.ui donc fut,
contre les aventures, plus ferme, plus ::'ntraitable ?" ; il
pouvait invoquer son "étrange pirouette" et lui demander, iro-
nique : "y aurait-il deux comtes de MUll ? Hvez-vous un ~omo~yme
qui vous a précédé à votre banc? ( ••• ) ~vez-vous, co~me Saint-
Paul, trouvé votre chemi:-l de Damas ? .stes-vous un converti ?"
il pouvait déplorer que "la majeure partie de la droite" se
soit ralliée aux "aven-.:ures lointaines", cela ne changeait en
rien la similitude fondamentale de la théorie des partis monar-
chistes, du parti radica~ et de leur presse sur la question
coloniale.
Avant son ralliement, la presse radicale et monar-
chiste avait combattu "les gaspillages" finarlciers et humains
qu'entraînaie:i'c;, selon elle, "les guerres coSte'..:ses et lointai-
nes", corrolaires inévi t ables de l'expar.sion color.iale. Ja,'TIais
cepend3nt les journaux dynastiques et radicaux ne se sont op-
posés à la COlo:-Lisatiol~ en tS'l.t que s~Tstè;;]e.

- 334 -
Ils se sont toujours exclusivement situés du point de vue des
intérets c:e la "mère-pàL'ie" éimput88 de l'_,lsé:tce et de la
Lorrhine et dO:lt la s~curité en Europe était, selon eux, com-
promise par les "aventures polit:qlles" sans pour autant remet-
tre en cause ]a colonisation. Leur position théorique n'était
donc pas différente - quant au fond - de celle de journaux
comme Le Temps que Ca~ille Pelletan appelait dédaigneusement
"ami des expéditions lointaines (1)" ou comme L'Illustration,
La Revue de Géographie, etc ••• Ces derniers avaient le mérite
de ne pas s'embar~asser des questions de forme.
C'::l.l de ':':lé::ienceau, le
"tol:lbeur cie cabinet", n'évoquait ';uère
le principe de la libre disposition pour les Days colonisés.
L'Alsérie, la Tunisie, la Guyane, 1'2 Séné~al, etG
étaient
des colo:.ies francaises et acceDtées comme telles. Il n'était
cuère fait ~ention de leur autoàé~ermination. C~:iJle Pelletar
se conte:-,':ait, par exe:nple, de critiquer dac'ls La Dé:oêcre ô;.:
A propos d~ So~dan, La Justice ~~r:t : "s1 les effectifs sont
Co~tento~s-nous de ce que nOLIS avo~s
; et alors il ne sera pas
récessa1re de voter de nouvea"Jx crédits (3)."
~ r ';'-
1. 'v,:/ ,--'.

- 335 -
Le ,journal de Clémenceau ne s'oppose pas à la colonisation du
Sénér;al, du Soudan ••• Il rjemande seulement qu'on se contente
de ce qu'on a en raison du "gâchis" que constituerait, pour la
l'mère-patrie", le vote des crédits nécessaires à l'extension
des possessions dans ~ette rép;ion d'Afrique. Dans les Journaux
radicaux on retrouve donc le mêlle mépris des peuples qui subis-
se~t la colonisation que dans la presse monarchiste et dans cel-
le qui a toujours soutenu, sans réserve d'aucune sorte, l'expan-
sion coloniale de la France. Dans La Justice S. Pichon, Dour
étayer s0n oppositiori atèX campa:::-nes coloniaJes, rar1e des Fran-
çais co:nme Francis GarC"'ier, Cra'Tlpel, Ri viè;rl? •• qui f:J"t :norts
dans ces campagnes et "dont la vie nous serait plus précieuse
E;e pO'clr leur malheur et sans pro:'i t pour nous (1)."
Nous n'avons parlé 10i~,g'.iement que de la presse monar-
clüste et radicale mais il ne :'aut pas oublier tous les jO:lrnaux
républicains qui, sa.'1s être for;damentalement contre la colonisa-
tion, prirent nette:ne:'lt position contre le "r;âch:, s" des campa-
gT.es coloniales avant de S'y rallier. Parmi ces Journaux on peut
ranger Le Don Quichotte de Gilbert-l,jartin. Le 13 f.'lai 1881, il
Dublie une caricature intitulée "Elle a encore du bicens" qui
représente une solide l'Jariane musclée tenant à bout de bras le
Bey de Tunis. Cinq mois plus tard, quand la crise tunisien~e de-
vient aisüe, Gilbert-"lartin estime lui aussi que "llor et le
sa.'1g (2)" de la Fra"ce s-Jnt dilapidés en Tunisie par la faute de
-
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- ))6 -
"Le vent apporte de là-bas
Un écho sombre et lamentable ..
Et le désert sur nos soldats
Etend son grand linceul de sable."
En 189~ .. parlant des campagnes coloniales le rédac-
teur de l'hebdomadaire écrit que "lorsque le vin est tiré ( ••• )
il faut ••• le boire .. et nOn pas à demi (1)."
Il encourage la
campagne militaire contre
"Béhanzin .. qu'on a surnommé
Chez nous Boule-de-suie."
Les historiens situent la disparition des oppositions
aux campasnes colo~iales
entre 1890 et 1895. Celle des jour-
naux dynastiques et radic~ux ne saurait être qualifier d'anti-
colonialisme. Elle n'était qu'u~e des formes d'ex~ression du
chauvinis!!ie français •
(- \\ I~
.!.é Octobre
~ -
~ '~)-':.

- 337 -
- 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 -
LA REALITE
ET
L'IMAGE

- 338 -
CHiWITR~
PR.2>;L~R
LE DECALAGE ENTRE LA REALITE ET L'IMAGE
Lé, I:/.UESTIOE ü.c: L':LD:2:NTITE DE L'STRE ET DE L'IMAGE
Dans cette dernière partie de notre étude. il s'agit
àe poser la questio0 de l'identité de l'être et de l'image
par
~.. examen scrupuleux de l' imace de Samory et de son 2'llpire ct 'une
~~~t. de celle de la France d'autre part. La seconde est positi-
ve. Toutes les deux sont détermi~ées en dernière analyse par des
~)biles économiques.

La presse française lorsqu'elle pose de façon absolu-
ment manichéellne les deux images de l'Empire du Ouassoulou et
de la France n'explique rien. Elle ne se soucie pas de le faire.
L'objectif n'est pas de savoir si l'image est conforme à la réa-
lité. Elle ne se pose pas la question de l'identité de l'@tre
et de la pensée. Le souci ne se manifeste point de savoir si
l'image bâtie et propagée de Samory et de l'Empire du Ouassou-
lou réflète fidèlement leur réalité matérielle. Les images des
hommes et des femmes~ de leurs moeurs sont-elles des représen-
tations qui réflètent la réalité objective ? La r~ponse à cette
question ne préoccupe guère. c'est ~ ce niveau précisément que
se pose la question du décalage entre le mythe et la réalité.
à"cl "èi vorce accablant de l a connaissance et de la r:1:;~l101o::;ie(1 )".
=1 s'agit de la question des rapports entre l'image e~ la réali-
té matérielle dont elle est sensée @tre le reflet.
Le mythe de l'infériorité congénitale du noir n'est
pas né à la fin du siècle dernier. Les thèses de Gobineau sur
la prétendue infériorité de la "race noire" par rapport à la
1!race blanche1! n'ont pas disp"..ru avec le siècle qui les a vu
naître. Des théories tendant
à
fonder l'ordre du monde sur la
di~férence des races se sont exprimées au XXème siècle.
Il se trouve encore des gens pour discourir sur la
soi-disant infériorité congénitale du noir alors que les progrès
considérables de la science. de la génétique not~mment. ont de-
p~is longtemps apporté la preuve de la stupidité de ces concep-
tio~s obscu~ar~tistes.
-' :, '-./
- ' , . ' J
~ .... -
......... ' J
~ -~ -
- ' .
- .

- 340 -
On peut par exemple citer les travaux remarquables d'un géné-
ticien contemporain, Albert Jacquart. Mais le mythe demeure
bien que la science ait apporté la preuve irréfutable du men-
songe de son message. Il se nourrit de l'ignorance. Il fleurit
sur l'ignorance. Le divorce entre cette image mythique du noir
et ce qU'il est en réalité est profond.

-
)41 -
II. CHOIX ET EXCLUSION DANS LE PROCESSUS DE CONSTRUCTION
DE L'IMAGE
La question de l'identité de l'image et de la réali-
té nOus amène à en aborder une autre qui n'est pas moins impor-
tante; il s'agit du caractère subjectif de l'image.
Dans le processus de la formation de la représenta-
tioll de Samory et de son Empire, le producteur de Ifimage opère
un choix dans Ifespace e~ dans le temps. Il sélectionne un cer-
tain nombre d'éléments matériels ou moraux qU'il utilise dans
la construction de l'ima~e de l'Almamy et de son Empire. Dans
le cas de Samory par exe,iple, il est indéniable que les élér:li':,t.s
qui ,lor.ii:lent dans la sélection opérée dar;s le temps et dans l'es-
;;ace sont la "1";1)erre", le "piJlase ll ,
l'lIince:ldie ll , les "massa-
cres", l"'esclavage". Ces éléments et d'autres qui évoquent tous
sans exception le sar~:!, la destruction, le crir.Je, la confisca-
tian de la liberté, etc •• , o~t servi à la forr.Jatio~ de l'ima~e
de SarrJory le "sançr'Jinaire li. Le résultat ainsi obte!l1J. est celui
'lO',lJ ';
par le :,roducteur de l' imarre. L' imap;e de Samor;T et celle
de l'u:livers da~s lequel il se meut sont celles voul~es par
l'émetteur en vue de la transmission d'un messa~e dO:lné.
Un autre exemnle permet de mesurer l'importance de la
sé~ection effectuée par le producteur sur le résultat final. Il
s' a7i t d'une caricature de Bé'anzi~, Dubliée par Le Don ,-\\uicrotte
ri"
ô 'Jo"embre 1392. 0n " voit 'J.'"', Béha:lzir dont les tra: '::s exnri-

-
~42 -
Il tient une canne. Un crâne humain est accroché au bout de
celle-ci. Ce sont les seuls éléments qui composent la carica-
ture. Cela suppose que Gilbert Martin a opéré un choix dans
le temps et dans l'espace en fonction du messarse qU'il veut
transmettre à ses lecteurs. Ol" peut même, sans se tromper,
d~re qll' il est évident qu'il a effectué un choix. Ch acl1n des
él éments retenus trad'ü ts '1~ as!",ect particulier de " ima,:,;e de
Béhanzil".• OE peut résumer l'ima~e qulil veut propar-:er de lui
de la manière suivante : Béhanzin est laid. Béhanzin est un
sanguinaire. En outre, Gilbert-Martin renforce la signification
de l'image par le texte qui acco~pagne la caricat~re et où Bé-
l·.2.::.?,::'n es:; :;raité cie
"b3.n::::' t retors", "menteur, S2.:-l;·.ll:,c._re et
L'image diffusée de l' 3mpire èu Ouassoulou et de
l'Alma~y Sa~ory par tel ou tel publiciste, historien, roman-
cier, no~velliste est subjective. Elle réflète la conception
du monde, l'idéologie de sor. auteur.
A -
LE BEHBEYA-J!\\ZZ ET L' mAGE DE SMIOP-!
En 1970, un disq~e intitulé ~e~ard sur le passé (1)
~ut dédié par Le Bembeya-Jazz National de Guinée et son chan-
:;eur vedette de l'époque De~ba Camara à l'Almamy Samory. Par
ce moyen, une image de l'Almamy fut proposée au public.
(1) 3ec:beY2.-Jazz ?Jationc:.l, ?e,,;ard sur le passé, C:0:-.2.:::-:;,

- 343 -
La partie du message oral dite en français présente des carac-
téristiques intéressantes. Tous les termes employés polarisent
l'attention de l'auditeur sur les qualités militaires de Samo-
ry et les nombreux revers qU'il fit subir aux officiers repré-
santant la France qui furent successivement ses adversai~es.
En sus de ses talents de guerriers intrépide, le message chan-
té ou récité par Demba Camara met en relief les qualités hu-
maines de l'Almamy : l'amour filial profond porté à sa mère
qui le poussa à se constituer prisonnier pour obtenir sa mise
en liberté, la fidélité à la parole donnée et l'amitié qui le
liait à Morifidia,71 Diabaté. Nous citons ci-dessous un extrait
de ce messa~e.
Il ... Alors il (Samory) s'installa 3. ,sana;:,{Qro 1,0:l
sans avoir pris la ferme résolution de mettre fin aux querel-
'_es intestines qui ravageaient son pays. Déjà, il avait perçu
le danger de la division et la grave menace que représentait
pour l'avenir de son peuple le débarquement des troupes de
conquête coloniale sur les côtes africaines. Grâce à sa bra-
voure et à son ~ntelligence, de 1870 à 1875, il réussit à ras-
f2mbler sous fon au~or~té les multiples chefs de la régioD qui
s'épuisaient en l ~--,ttes fratricides. En unifiant le pays, il y
ra'Jena la paix et la prospérité. r.1usulman pieux, il fit cons-
truire partout àes :!1osquées et détruire les fétiches. Il sur-
veillai t lui-même la scolarisation des enfants ••• Il

- 344 -
Dans cet extrait l Samory est présenté par le Bembeya-
Jazz comme un personnage ayant une conscience aigUe des inté-
r~ts -supérieurs de son pays et de son peuple. C'est au nom de .
son pays et de son peuple qU'il met fin aux "luttes fratrici-
des"l opère l'unification l ramène "la paix et la prospérité"
et combat les troupes coloniales françaises.
Le Bembeya-Jazz oppose cette image positive l valori-
sante de l'Almamy à celle du roi "sanguinaire et sauvage" que
l'on a attribuée à l'Empereur du Ouassoulou. L'image de la
France l par contre l est totalement négative. C'est la trahison
qui est rendue responsable àe la capture de l'Almamy. Le 29
Septembre 1898
"au petit matin
1
l à la faveur d'une brume épais-
sel un détachement français que les sofas prirent pour de négo-
ciateurs (1)" le capture. On est loin du courage l de la tenaci-
té des "vaillants officiers et soldats" invoqués par la presse
et les représentants du gouvernement français. On est en pré-
sence de deux images opposées qui se veulent la représentation
d'événements mettant en scène les mêmes acteurs l dans le m~me
espace et dans la même époque historique.
(1) Bembeya-Jazz National l op. cit.

- 345 -
B - L'IMAGE DE LA FRANCE
CHOIX ET EVICTIONS
L'image de la France diffusée par la presse au mo-
ment de la lutte contre Samory est le fruit d'une sélection
opérée par ceux qui l'ont bâtie. L'on a déjà cerné cette ima-
ge dont les éléments dominants se rapportent à la "mission
civilisatrice" dont la France serait investie en Afrique et
dans le monde. Une analyse fréquentielle met en évidence un
emploi constant et quasi systématique de termes évocant le
courage~ la bravoure~ la magnanimité~ la liberté dès qu'il
s'agit de la théorie et de la pratique de ceux qui représen-
tent la France dans la guerre contre Samory. Il y a une sélec-
tion qui traduit un choix. Ce choix suppose l'éviction~ l'ex-
clusion d'un certain nombre d'éléments qui contredisent l'ima~e
recherchée.
Ainsi~ on a llimpression en parcourant la presse
française que les troupes françaises n'ont jamais connu la dé-
faite contre les sofas de Samory. Cette attitude est très nette
au moment de l'affaire de la colonne de Kong dirigée par Monteil
et dans bien d'autres cas.
Un autre élément dont l'éviction est manifeste est
le nombre considérable des morts que la France fit au Soudan.
L'impression qui prévaut à la lecture de la presse est celle
d''..ILe Fra--ce do::.t les représenta:lts n'auraient ja'7lais tué per-
sonce. Lorsque les jO'.lrnaux parlent des morts, ils n 'en parlent

- .346 -
Quand ils ne sont pas l'oeuvre de ces "bandeS"1 ce sont les
"alliés indigènes" de la France qui en sont rendus responsa-
bles.
Il est pourtant induscutabl~ que les troupes fran-
çaises firent des milliers de morts dans la guerre contre
l'Empire du Ouassoulou. La supériorité des troupes coloniales
sur le plan de l'armement en est une des causes déterminantes.
Les journaux vantent par exemple les effets destructeurs du
fusil français dans les combats aUÀ colonies. Ils reconnais-
sent l'infériorité des guerriers de l'Almamy en matière d'ar-
mement. Relatant les combats d'une colonne commandée par
Combes contre Samory, Péroz écrit: HIl nous para!t hors de
doute que si son armement avait correspondu à son habileté
manoeuvrière et à la vigueur de ses attaques ••• la colonne
expéditionnnaire eût disparu sans laisser la moindre trace,
et sans qu'un seul homme échappât à un épouvantable massacre."
Il ajoute que tant que les guerriers soud~~ais ne seront
"armés que de fusils lisses ou d'armep de différents mOdèles,
dont ils ne sauront pas tirer parti, tout commandant de colon-
ne ••• n'aura relativement rien à craindre devant leurs atta-
ques furieuses (1)."
(1) Péroz, Etienne, Tactique dans le Soudan, Paris,
Librairie Militaire de L. Baudoin et Cie, imp.-
:2:di te':!'s J
1890.
P.
69 - 70.

- 347 -
Cependant dans son zèle pour oélébrer la "mission
civilisatrice" de la France, la presse laisse quelquefois
échapper involontairement des informations qui dévoilent la
face"cachée de l.'image de la France. Ainsi, selon Rouire, une
"pOlitique belliqueuse"' succède à la "pOlitique d'influence
pacifique" après 1890. Dans sa description admirative de la
"période de conquête ••• héroïque" dont le récit, selon lui,
"est une véri table ép6pée~"1l affirme qu 1 "après Ahmadou, on
s'attaque à Samory, et l'on entame contre lui une guerre d'ex-
termination. ( ••• ) Bissandougou, capitale de Samory, est in-
cendiée en 1891 (1)."
Toujours aussi admiratif il poursuit :
"Au cor.unencement de 1898, nous nous tournons contre Babemba,
le successeur de Tièba, nous incendions sa capitale, et, lui
tué, nous annexons ses Etats."
Vigné d'Octon dans ses protestations contre les for-
mes de la colonisation note qu'''une fois le village pris, incen-
dié, le tata rasé, détruit de fond en comble" il ne faut pas
tolérer les "cruautés" des "alliés indigènes" car ce n'est pas
de cette façon "que nous inculquerons à ces sauvages les rudi-
ments de notre civilisation (2)."
A en croire V. d'Octon, les "braves soldats" fran-
çais en incendiant en rasant et en détruisant "de fond en com-
ble" les villages ne commettent aucune cruauté.
Cl) L~ ~evue des Deux ~ondes, 15 OctObre 1898.
(2) O~~o~J V. dl, Au pa7S des f~tic~:es. P. VI.

- 348 -
Rouire et Vigné d'Octon
bien que ce ne soit pas
l
leur intention
mettent au compte des représentants de la
l
France l'utilisation de procédés dont la presse n'avait attri-
bué l'emploi qu'aux seuls hommes aux ordres de l'Almamy Samory.
Seul l'Empereur du Ouassoulou a été dépeint par les journaux
comme un exterminateur
un incendiaire
raseur de villages •••
l
l
En réalité
les troupes françaises dans leur "guerre d'exter-
l
mination" contre Samory rasaient
incendiaient et détruisaient
l
les villages et les tata de "fond en comble". Maints officiers
et historiens en apportent des confirmations multiples.
Dans un livre intitulé La tactique au Soudan. Quel-
ques co~bats et énisodes de ~uerre remarquables et publié en
1890 et dont on ne peut dire qu'il a été ignoré de la presse
puisqu'il a été publié par La Revue maritime et coloniale
le
l
capitaine Péroz qui participa à plusieurs campagnes contre
Samory fournit des indications précises sur l'utilisation
par
l
les officiers français
de méthodes diverses d'extermination
l
au Soudan. VOici ce qu'il écrit de l'utilisation de i'incendie
au cours des attaques contre les positions ennemies : "L'incen-
die est u~ puissant auxiliaire pOur l'attaque. Beaucoup de vil-
la~es sont couverts en chal~e et en bambous très secs ; le feu
~is sur ;)~ des points du village se propage rapidement et chas-
se devant lui les Jéfenseu~s qui
malgré tout leur courage
sont
l
J
obli~és de fuir la fournaise qui éclate en un clin d'oeil. Aussi l
en choisissant le point d'attaque
devra-t-on tenir compte au
l

- 349 -
Dans ces conditions, le moindre torchis de paille enflamm~ jet~
sur un toit propage rapidement dans le village un violent incen-
die, grâce auquel on s'en rendra mattre facilement. En consé-
quence, toute colonne d'assaut devra être munie, le cas échéant,
d'allumettes et de quelques torchis d'herbes sèches, alourdies
par un caillou, de façon à pouvoir être jetées à quelque distan-
ce (1)."
L'auteur ne parle que des "défenseurs", c'est-à-dire
des guerriers des villages incendiés. Il reste muet sur le sort
des femmes, des vieillards et des enfants qUi, pour la plupart
d'entre eux, deviennent certainement la proie des flammes.
On se retrouve isi devant un exemD]e L'armi d'au+:""es
o~ l'utilisatio~ Dar les m~mes Drotaqonistes des ~êmes procédés
dans la ."ê."e-;ue""re aboutit à ] a c:wstrè:ction par la presse de
jeux i'1la:::es riiamétralement opposées. L'incendie lorsqu'il est
causé par les soldats fra.l1çais dans leur "guerre d'exterminationl!
contre
l'Almamy S~mory est présenté comme participant de la
"conquête héroïquel!, de la "véritable épopée" de la France au
Soudan. Il en va de même lorsque le feu sert à détruire Sikasso
la capitale de l'allié défunt Tiéba que la France poussa si SOu-
vent contre Samory. Vigné d'Octon cite, en fait, l'incendie et
la destruction totale des villages parmi les moyens nécessaires
à la réalisation de la I!mission civilisatricel! de la France.
L'incendie et la destruction "de fond en comblel! des villages
ne constituent pas des "cruautésl! lorsqu'ils sont l'oeuvre de
soldats français.
(1) Péroz.1 2._" op. cit.
P.
138.

Les incendiaires et les destructeurs français sont, au contrai-
re, aur~olés du titre de "h~ros civilisateurs" au service de la
"mission civilisatrice" de la France. C'est en allumant des in-
cendies que les "braves soldats" français pr~tendent arracher
le Soudan "aux brandons incendiaires" de Samory. Dans ce cas,
l'incendie est présent~ comme un moyen de propagation de la
"Civilisation". Par contre, l'utilisation de l'incendie, quand
elle est mise au oompte de Samory, est présentée par la presse
comme une manifestation de l'absence de "Civilisation".
Un dernier exemple montre la sélection opérée par la
presse dans l'édification de l'image de la France. La presse
tente d'accréditer l'idée selon laquelle la guerre entre la
France et Samory n'aurait reprise en 1891 qu'en raison du ca-
ractère belliqueux de ce dernier.
Au mois d'Avril, Le Temps, reprenant un article du
Jourr:al Officiel, affirme que Archinard "doit séjourner quel-
que tenps dans la région de Siguiri pour se rendre compte des
véritables intentions de notre protégé Samory, dont l'attitude
semblait laisser ~ désirer (1)."
Quelque temps après, les jour-
naux annoncent la prise de Kankan, le 7 Avril 1891 par les trou-
pes coloniales françaises.
La presse met ce qu'elle considère comme le bellicis-
me de S~~ory au centre de toute son explication de la reprise de
la guerre contre celui avec lequel la France a signé deux traités
et ~~.e ~o~ve~tion entre 1886 et 1389 •
.' ,
\\
":'"
-'----=-'--_. .'

- .351 -
Un examen attentif de la presse des semaines précé-
dentes permet cependant de se rendre compte de la fausseté
des accusations portées contre Samory. On y découvre, en effet,
la relation de faits qui contredisent la thèse de la responsa-
bilité exclusive de l'Almamy dans la reprise de la guerre. Le
Temps d'Adrien Hébrard indique, par exemple, que "le colonel
Archinard s'est dirigé sur Kinian afin de surveiller les agis-
sements de Samory et de donner un appui moral à notre allié
Tiéh~. qui est aux prises avec l'almamy (1). Il
Neuf jours plus
tard, le même journal écrit que Kinian qui était assiégée "par
notre allié Tiéba, assisté du capitaine Quiquandon de l'infan-
terie de marine" a été enlevée. C'est encore le "porte-parole
officieux" du gouvernement qui, sans le vouloir, apporte un
éclairage indéniable dans la situation quand il parle de la
reprise de la "lutte ouverte" contre Samory (2).
L'expression 1I1u tte ouverte" est employée à bon es-
cient par le journal. En effet, l'objectif de la France est de
lutter contre Samory par tous les moyens jusqu'à sa disparition
tota::l= • L'exécution du projet de Faidherbe ne suppose-t-elle pas
la destruction totale des Empires des différents souverains qui
règnent dans cette partie de l'Afrique! Cela explique le peu
d'importance que les représentants de la France accordent aux
traités ou conventions signés par la France avec ces rois.
( l ) Le r'71 .....,Y"\\ ...
Q
..... ...... -j1:'.;:)~
10 ;"-7ars 1891.
(2) Le TerllPs ~ 28 p~ -,lri l
1891.

- 352 -
Tout au plus les considèrent-ils comme des accords qui permet-
tent à la France de fourbir ses armes pour mieux progresser
dans sa "guerre d'extermination".
Après la prise de posses-
sion de la rive gauche dont la cession a été obtenue de l'Al-
mamy~ la France vise déjà les possessions de Samory situées
sur la rive droite du Niger. Ce n'est pas seulement la rive
gauche que veut la France mais tout~ tout l'Empire du Ouassou-
loue L'encre de la Convention de Bissandougou a à peine séchée
qu'elle commence à agir dans ce sens.
Après la signature de cette convention~ Samory procè-
de à une grande mobilisation en vue de réduire un adversaire
redoutable qui a nom Tiéba~ roi du Kénédougou. Les premiers
combats des sofas contre les guerriers de Tiéba se situent pro-
bablement au mois de juin 1887. Sikasso~ la capitale du Kéné-
dougou est assiégée. C'est pendant ce siège que Binger séjourne
dans les campements de Samory. L'Almamy se retire avec ses trou-
pes en Août 1888 S~lS que Sikasso ait été prise et Tièba vaincu.
Pendant que le siège de Sikasso mobilise l'essentiel
de l'armée de Samory ~ Galliéni~ nommé commandant supérieur du
SOudan français le 1er AoUt 1886 en remplacement de Frey, diri~e
une ccoloC',.,e cont.,..,e Si C;'.liri pou!" y bâtl.,.., un fort
Cette atti
0
tuèe
est con~.,..,ai.,..,e aux p.,..,omesses faites à Samory.

- 353 -
La conception que Galliéni a de ses rapports avec
Samory~ ce "chef nègre"~ ne laisse aucune place à l't§quivo-
que. "Notre politique ••• en ces régions a toujours eu pour
objet de morceler la puissance des principaux chefs et de di-
minuer leurs moyens d'action. C'est le but général à tracer
dans notre attitude vis-à-vis de Samory (1)."
C'est en ces
termes qU'il formule ses instructions à Péroz avant la mission
qui aboutit à la convention de Bissandougou. Fidèle à ses vues
sur l'expansion française au Soudan~ Galliéni n'accorde que
fort peu d'importance à cette convention et i: écrit quelque
te'llps après sa signature que "la seule politique à suivre vis-
à-vis de ce chef est de le faire disparattre (1)."
Il va agir
contre Samory avec l'appui du gouvernement au sein duquel Eu-
gène Etienne vient j'être nommé sous-secrétaire d'Etat aux
Colonies.
Il occupe donc Siguiri qui fait partie des possessions
de l'Almamy et y édifie un fort alors"que ce dernier campe sous
les murs de Sikasso. La non construction de forts sur les rives
d~ fleuve avait pourtant été~ selon Person~ l'exigence majeure
è~ Samory pendant les négociations de la convention. Les ambas-
sadeurs de la France lui en avaient donné l'assurance. Bien en-
tendu, les journaux feignent d'ignorer les dispositions de la
convention et rejette la responsabilité de l'occupation de Si-
~~iri, en violation des promesses faites à Samory sur ce dernier.
l , \\
Cit~ nar 'Yves Pe",:",son in Sê~'l1!)Y'i, une révolution r'I-")J_a. ,
o~
".~
T.2 P. 702.

- 354 -
On est tent~ de demander au Temps comment Samory a pu avoir
à Siguiri. une attitude qui "laisse à d~sirer" puisqu'il n'y
~tait pas. En effet l on sait qu'à cette ~poque l'Almamy assi~­
geait Sikasso l la capitale de son adversaire Tièba.
Selon les historiens l Galli~ni ne se contente pas de
l'occupation de Siguiri. Il s'emploie ensuite à succiter la
subversion sur la rive droite du Niger l c'est-à-dire dans les
régions que la convention de Bissandougou reconnatt comme ~tant
sous la suzeraineté de Samory. "La subversion française"
- se-
lon les termes de Yves Person -
s'étend d'autant plus rapide-
~ent que l'Almamy est absorbé par la guerre contre Tiéba. La
plupart des journaux font preuve d'un mutisme significatif sur
l'explication profonde de ces événements. Ce mutisme est voulu.
La presse française élude en outre la signification
véritable d'un événement qui se situe également dans la période
de la guerre de Samory contre Tiéba. Il s'agit du traité signé
par la France avec le Fama du Kénédougou sous l'égide de Gallié-
ni. En effet l à cette même époque l des négociations discrètes
sont engagées par Galliéni avec Tiéba. Binger avait déjà entamé
des pourparlers avec le Fama lors de sa mission d'exploration.
Pendant ce tempsl l'''allié tl Samory à qui la France refuse un
soutien militaire assiège Sikasso. Ces négociations sécrètes
s'avèrent fructueuses car une a~bassade de Tiéba comprenant son
fils Amadou
Bembasi-Tyeni et le griot Umaru arrive auprès des
1
a1.;torités frar,caises.

- 355 -
Un trait6 est signé le 18 Juin 1888 à Bamako par le capitaine
Septans, le commandant de cette looalité, avec les envoy6s du
roi du Kénédougou. Le traité de Bamako traduit l'appui de la
France à Tiéba car elle redoute une victoire de Samory. Il
constitue en outre une violation de la part de la France des
clauses militaires du traité de Kéniéba-Koura du 28 Mars 1886
et de la convention de Bissandougou du 28 Mars 1887.
L'attitude de duplicité de la France n'est point sou-
lignée parles journaux. La France, par le traité de Bamako,
s'engage à défendre Tiéba et le Kénédougou sur le plan militaire.
Il in~ugure une ère de collaboration de Tiéba avec la France con-
tre S~~ory. Un résident français est nommé auprès du F&~a.
Au cours de la campagne militaire française de 1890-
1891 contre Samory, Tiéba joue pleinement son rôle d'allié de
la France. Les termes de "lutte ouverte" utilisés par Le Temps
pren~e~t ici toute leur signification. En effet, c'est par la
personne de Tiéba interposée que les représentants de la France
continuent la guerre contre Samory. C'est une vieille tactique
que la France avait utilisé en d'autres temps et en d'autres
lieux pour asseoire sa domination. Lorsque Archinard, rompant
les traités de paix, décide d'engager une action décisive contre
l'Almamy, la France demande à Tiéba d'ouvrir un deuxième front
sur l'une des frontières du Ouassoulou. Au cOurs de cette campa-
gne, "Tiéba auprès duquel avait été détaché le capitaine Q.ui-
quandon, fit une diversion sur la frontière orientale des Etats
de l ' P-.lmamy.

- 356 -
Après avoir enlevé deux villages
Loutiana et Koulila
il vint
l
l
mettre le siège devant Kinian (1)".
Kinian ne se rend que le
7 Mars 1891. Le siège avait été mis six mois plus tSt en Octo-
bre 1890 devant cette "ville vassale de T1éba.révoltée contre
son mattre (2)" et soutenue par
Samory. Quiquandon
représen-
l
tant de la France. a aidé le roi de Sikasso à réduire la révol-
te et ce dernier est "reconnaissant au capitaine de ses bons
Offices". "Il s'est incliné en public devant lui
rendant ain-
l
si à la France un hommRge solennel (3)."
La France a donc poursuivi la guerre contre Samory en
dépit des traités et de la convention passés avec lui. Elle mène
cette guerre durant toute une période par personne interposée.
Le soutien actif accordé à Tiéba auprès de qui Quiquandon remplit
les fonctions de résident pour le pousser dans des opérations
militaires contre l'Almamy en est une preuve indéniable. La Fran-
ce exhorte par exemple Tiéba à opérer une diversion sur un autre
front au moment où les troupes françaises s'apprêtent à lancer
~e offensive générale contre les sofas de Samory.
Archinard engage ensuite la "lutte ouverte" en atta-
q~ant Kankan au mois d'Avril 1891. Archinard confirme d'ailleurs
cette vision des faits. Rés~~ant ses propos à l'issue d'un en-
tretien
Le Temps écrit
"Quant à la campagne contre Samory.
i
ses résultats. d'après le colonel (il s'agit d'Archinard). ont
été encore plus importants. surtout au point de vue commercial.
, '-, î
,- , Roua~d de Card~ E•. Les trai:és de rrotectorat conclus par
la Frs~ce en Afrique (1870-1892). Paris. A. Pedone. Editeur.
1897.
\\
T
-
- J

- 357 -
Du reste~ les ressources de la colonie ne permettaient plus de
supporter l'état de paix armée dans lequel Ahmadou et Samory
nous forçaient à vivre~ et~ de toute façon~ leur disparition
était devenue nécessaire. Il fallait en finir. C'est ce que
le colonel a fai t en marchant sur Kankan et Bissandougou (1)."
Ces propos sont d'une limpidité qui rend tout commentaire super-
flu.
Les avoeux d'Archinard n'empêchent pas la plupart des
.lournaux de continuer à porter contre Samory des acc'..:sations
qui n'ont aucun fonàement. Certains historiens retiennent ces
fausses accusations comme l'explication fondamenta1e de ce~te
période de la ~Jerre de la ~rance contre l'Empire du OUassoulou.
Yves Person porte un jl1gement sévère sur l'attitude de
la France en général et celle de Galliéni en particulier durant
cette période.
"L'intervention indiscrète et sans scrupule de
Galliéni pendant la guerre de Sikasso avait mis en effet le con-
q~érant à deux doigts de sa per~e. Les événements de 1885 lui
avaient ensei~é la puissance des Français, mais ceux-ci fai-
saient à présent la démonstration de leur mauvaise foi. Samory
perdait ainsi ses dernières illusions (2)."

- 358 -
Nous arrêtons là l' énumél'ation des faits historiques
qui ont été évincés du choix de la presse pour élaborer la re-
présentation de la France. Leur éviction est consciente car ils
ne s'harmonisent pas avec l'image de la France proposée à la
consommation de l'opinion publique. Ces faits dont l'objectivi-
té ne souffre aucune contestation ne correspondent pas à l'image
de la France pays "civilisé" investie d'une "mission civilisa-
trice" en Afrique.

- 359 -
~ ONCLUSION
GENERALE
- 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 - - 0 -
La presse française des vingt dernières années du
XIXème siècle a couvert Samory et l'Empire du Ouassoulou du
voile épais de la négativité. L'image négative de l'Almamy
S~~orJr et de son pays a été révélée da~s ses multiples compo-
santes.
L'étude de sept ouvrages publiés dans les deux der-
nières décén1es du XIXème siècle a mis en lumière la récurrence
des thèmes développés d~~s la littérature consacrée par la pres-
se française de la même époque à l'Empire du OUassoulou. Il y
a non seulement une récurrence des thèmes mais également une
identité notoire au niveau du contenu de leurs développements
dans des genres aussi divers que la presse~ le roman~ la nou-
velle ou le r~c~t de voya~e.

Dans les journaux et dans les ouvrages étudi~s, le
noir est animalisé au point de ne plus être homme. L'humanité
lui est contestée, refusée. Il est tant8t chien, tant8t chat,
tant8t singe. Une hiérarchisation inéluctable en découle qui
pose comme base une prétendue infériorité congénitale du noir
par rapport au blanc.
Une image positive de la France est construite en
opposition à l'image négative de Samory et de son E~~ire. La
dithyrambe et l'apologie sont une constante dans le discours
produit par les journalistes, les romanciers, les voyageurs,
etc. , pour dépeindre la France dans ses différents aspects.
Des rapports permanents de comparaisons implicites ou
explicites existent entre ces deux représentations. L'objectif
ainsi recherché est la mise en évidence de la "mission civili-
satrice" de la France au Soudan contre Samory. Il y a une re-
cherche constante de légitimation de la colonisation fr~çaise
dans cette partie de l'Afrique. Cette "mission civilisatrice"
est unanimement proclamée. Ses apologistes opèrent une sélec-
tion des épisodes de l'histoire qui se fonde sur l'exclusion
de ceux qui sont succeptibles de porter ombrage au tableau mi-
rifique.
En réalité c'est d~~s le développement du mode de
production capitaliste qU'il faut chercher les forces motrices
fo~àa~ent21es Ge l~
A
cO~;.quete de } '2mpire du OUassoulo~.

- )61 -
Ce mode de production constitue la base qui détermine en der-
nière instancp son image dans la presse française. La préten-
due philantropique "mission civilisatrice" n'a ici qu'une fonc-
tion de mystification. Comme le dit Driault~ l'impérialisme
est "le caractère dominant de la fin du XIXème siècle."
Le développement du capitalisme et la "course homé-
rique" qui s'ensuit
entre les puissances européennes pour
l'acquisition de colonies expliquent~ dans une large mesure~
les représentations né~a~ives de l'Angleterre~ de l'Italie et
d'? l'Allema::;n'é'. Ropire p.,...ésaceait rjes guerres futures de repar-
ta~e (lu. m00rle qpe r"Y'~aient en "'ermes les ~'i val i rés effré0p.es
er.tre les nays eUY'oDéens à la fin du XIXème siècle lorsqu'il
écrivait : "Alors~ renattront peut-gtre ces ":'.1erres où l'on
taille dans la chair vive du voisin."
La littérature dominante en France dans les conditions
économiques de la fin du XIXème siècle a renforcé la tendance
aux conqugtes coloniales.
A cette époque~ en effet. l'expansion coloniale est
un terrain de prédilection où s'exprime le nationalisme bour-
~eois avec tout ce qU'il comporte d'exirence d'excJusivisme.
On a pu s'en rendre compte dans notre étude.
Le nationalisme bour~eois est le caractère domin~1t
de la li ttératl<re fran~êise de la fin dl< sièc~e der!'ier. Il a

- 362 -
Ce nationalisme se traduit, premièrement, par la
proclamation et la défense des vieux mots d'ordre de l'époque
du servage. Il s'illustre dans la défense de la politique des
vieilles traditions féodales.
Deuxièmement il se traduit par la haine contre les
étrangers, plus particulièrement les Juifs. La fin du XIXème
siècle a vu la prolifération de campagnes d'excitation contre
les étrangers. La France juive de Edouard Drumont, directeur
de La Libre Parole, remporta un grand succès. "Les Juifs,
écrivait-il, sont un péril pour la nationalité francaise."
Co"tre le Juif, "ce venin", il notait e::,core : "Le Sé:cite est
merca:"tile, cupide intrir;uant, subtil, rusé; l'Arien est en-
thousiaste, héro!que, chevaleresque, désintéressé, franc, con-
fiant jusqu'à la na1veté. Le Sémite est terrien, ne voyant
guère rien au-delà de la vie présente; l'Arien est un fils du
ciel, sans cesse nréoccupé d'aspirations supérieures
l'un
vi t dans la réalité, l'autre da'1s ]' idéa2. (1 ~ • "
L'Af:'aiè'e DreY:"-1S a vli l'un des déchatneme:its les
pl~s violents de l'antisémitisme du XIXème siècle en France.
Troisièmement ce nationalisme bourgeois prane une po-
litique de chauvinisme et de conqugte des territoires étrangers.
(1) Drumont, Edouard. La Frcillce Juive, Paris, 3ditions Popu-
laires, V. Palm6, 1333. P. Il.

La littérature de oette époque regorge de campagnes en faveur
de la guerre, de rodomantades et de clameurs sur la "mission
civilisatrice" de la France dans le monde. La constitution
d'un grand empire colonial "plus grand que l'empire allemand"
représente, selon Driault, "une des formes de la revanche."
L'essence de ce nationalisme, de ce patriotisme bour-
geois, c'est le soutien de la réaction à l'intérieur de la Fran-
ce et l'encouragement a~ pillages coloniaux à l'extérieur.
Maurice Barrès et Charles Maurras ont incarné ce nationalisme.
L'image n'est pas toujours ressemblance. Il convient
donc de ne pas confondre la réalité et l'image.
L'image de Samory et des habitants de l'Empire du
Ouassoulou prend sa source dans des mythes anciens. Les jour-
nalistes les dépeignent avec leurs préjugés.
La survivance de ces mythes anciens dans la littéra-
ture produite par la presse sur l'Empire du Ouassoulou conduit
à s'interroger sur les conditions de leur apparition.
Tout peut être l'objet de mythe. La formation sociale
constitue un élément fondamental dans l'étude de la naissance,
du développement, de la survie ou de la disparition de tout
mythe. Le mythe naît dans une formation sociale où domine un
er:se~ble j2 ~aJ.eursJ dTi~~es. n
peut d's"'aY'at+-Y''''
_
.'-
_
_ v_......
o,,~,..,ri
.Jo. ........ ~ ... '-"-
,,'ef'-
'"-'
....

- 364 -
Mais le mythe est un message comme le dit Roland
Barthes. Comme tel~ il rec~le une idée ou un ensemble d'idées.
Et les idées n'évoluent pas toujours au même rythme que la
base matérielle sur laquelle elles se sont érigées. Un mythe
apparu dans une formation sociale donnée peut~ par conséquent~
survivre à celle-ci. S'il n'est pas de nature à remettre en
cause les fondements du nouveau système~ ce dernier le nourrit
à son tour~ l'entretient~ l'invente sans cesse. L'histoire
fournit des exemples d'hommes qui sont montés à l'assaut d'un
ordre ancien en s'attaquant~ entre autres~ aux mythes qU'il a
crées mais qui se sont empressés de les proclamer vérités ab-
solues~ une fois leur oeuvre accomplie. Des mythes antiques et
médiévaux prospèrent encore de nos jours.
Le mythe du "nègre sauvage" ~ par exemple ~ n'étai t
pas de nature à bouleverser le mode de prOduction existant en
France dans les vingt dernières années du XIXème siècle. Il
contribuait~ au contraire~ à créer les conditions favorables
à son développement. Les conditions de sa mort n'étaient pas
créées mais celles de sa survie existaient.
Dans son application à Samory et à l'Empire du Ouas-
soulou~ on ne peut dire que ce mythe a été renouvelé. Malgré
l'importance tant du point de vue de l'étendue que de celui du
contenu du champ de représentation de l'Almamy et de son Empire~
il n'y pas eu renouvellement des mythes se rapportaDt à l'Afri-
qU9
et au nèSre. La presse de la p6riode étudiée a repris et
2~çlifi4 ces mythes.

- 365 -
La fonction de ces mythes est de conférer le sceau
de l'universalité au monde tel qu'ils le décrivent. Ils pré-
tendent fixer l'ordre universel et immuable du monde. Un ordre
selon lequel la France serait un pays "civilisé" qui aurait le
droit et le devoir de procéder à la destruction de l'Empire du
Ouassoulou dans l'accomplissement de sa "mission civilisatrice"
au Soudan. Le monde est ainsi ordonné et hiérarchisé. Il n'y
aurait pas d'autre ordre possible en dehors de celui-là. Hors
cet ordre~ il n'y aurait que
désordre.

- 366 -
~
N
N
E
X
E
S
-o--o--o--~--o--o--o-

- )67 -
ANNEXE
l
Convention conclue le 28 Mars 1887 entre l'Almamy
Samory et les représent.ants de la France.
Entre le gouvernement de la République fra~çaise~
représer.té par le l~e'.:tena'!t-colo"el Galliéni et l' Almam'T
Samory be:; La]{ka""cfi a~ émir-e l-iVlo"lmer;i r •
Art. 1. - Le fleuve le Niger (Dioliba) jusqu'à Tigui-
biri~ la rivière de Bafing: ou Tankisso~ de Tiguiribi à ses
sources~ servent de ligne de démarcation et de frontière e~tre
les possessions françaises dans le Souda~~ d'une part~ et les
Etats de l'almam~T Sarnor:'~ émir-el-!'loulmer;in~ de l'autre.
Art. 2. - L'almarnv Samory~ émir-el-Moulmenin se place~
lui~ ses ~éritiers qui sont dans l'ordre de progéniture~ et ses
Etats présents et à venir~ sous le protectorat de la France.
Art. ). - Le commerce fra~çais est entièrement libre
et indem:;e de tout droit d'entrée~ de sortie~ de passage ou de
sé 401Jr s':r les voies terrestres~ fl'lVia:-es 0'1 maritimes de
l'empire ':ie l 'alma.;n-; '::;a.r.)or·c~ émir-el-;;o·.:=-~e:-,i~.•

- 368 -
Il est de marne pour le commeroe des Etats de l'al-
mamy dans les limites de nos possessions sénégaliennes.
Art. 4. - Tout aote~ convention ou stipulation con-
traire aux trois articles ci-dessus sont et demeurent abrogés.
Art. 5. - La presente convention est exécutoire du
jour de sa ratification par le gouvernement de la République
française.
Fait à Bissandougou (Toron)~ le 28 Mars 1887.
En foi de quoi ont signé : Marie-Etienne Péroz~
capitaine d'infanterie de marine~ chef de la mission du Ouas-
soulou~ accrédité auprès de l'almamy Samory, émir-el-MoulmeniD;
Dr P. - F. - L. Fras~ médecin de 2ème classe~ officier d'aca-
démie~ membre de la mission; J.-Y.-X. Plat~ sous-lieutenant
d'infanterie de marine~ membre de la mission; Samba Ibrahima
Diavara~ inter~rète de 1ère classe.
Péroz
(en arabe) Almamy Samory~ émir-el-Moulmenin
Fras
(en arabe) Amouna~ 1er ministre
Plat
Samba Ibrahima
(en arabe) Modi Fiam Diam, ministre
Yu et certifié :
Gal1ié:ü

ANNEXErr
Traité conclu le 21 Février 1889 avec Samory, Emir
du Ouassoulou.
Entre le gouvernement de la République française,
représenté par le chef d'escadron d'artillerie de marine Archi-
nard, commandant supérieur du Soudan français, et l'almamy
Samory ben Lakhanfia, émir-el-Moulmenin a été conclu le traité
suivant :
Art. 1. - Le fleuve le Niger (Dioliba) depuis ses
sources, sert de ligne de démarcation et de frontière entre les
possessions françaises dans le Soudan, d'une part, et les états
de l'almamy Samory, émir-el-MoulmeniD, de l'autre.
Art. 2. - L'almamy Samory, émir-el-Moulmenin, se place
lui, ses héritiers qui sont dans l'ordre de progéniture, et ses
états présents et à venir sous le protectorat de la France.
Art. 3. - Les Français et l'Almamy conservent leur
liberté d'action d~~s les rapports avec les territoires non com-
pris dans le traité et qui n'ont aucun traité passé avec l'une
ou l'autre des parties.

- 370 -
Art. 4. - En aucun cas~ les troupes de l'une des
parties contractantes ne pourront franchir le Niger sans au-
torisation de l'autre partie.
Les Français et l'almamy s'engagent à empêcher toute
incursion de bandes armées d'une rive sur l'autre.
Art. 5. - La navigation du Niger est libre.
Art. 6. - L'almamy Samory~ émi~-el-Moulmenin~ s'enga-
ge à donner à l'avenir à tout voyageur français aide et protec-
tion dans toute l'étendue de son territoire. Cet en~a~ement est
réciproque de notre part pour les sujets de l'almamy.
Art. 7. - Le commerce français est entièrement libre
et indemne de tout droit d'entrée~ de sortie~ de passage ou de
séjour sur les voies terrestres~ fluviales ou maritimes de l'em-
pire de Samory~ émir-el-moulmenin. Il en est de même pour le com-
merce des ~tats de l'Almamy dans lds limites de nos possessions
sénégalaises.
Art. 8. - L'Almamy s'engage à favoriser le commerce
des caravanes venant du Haut-Sénégal et à faire son possible
pour que les marchandises provenant de son pays soient dirigées
vers les escales françaises.

- 371 -
Art. 9. - Tout traité l acte l clausel convention ou
stipulation antérieurs au présent traité sont et demeurent
abrogés.
Art. 10. - Le présent traité est exécutoire du jour
même de la signature par les deux parties l mais il ne devien-
dra définitif que du jour de la ratification par le gouverne-
ment de la République française.
Fait à Niakha
le 21 Février 1889
l
Samory
Archinard
(Signatures des témoins)

- 372 -
A N N E X E
III
A la Chambre des députés~ à la séance du 26 Juin
1895~ Le Hérissé célèbre la bravoure de Monteil et de ses hom-
mes. Dans la bouche du député le désastre subit par la colonne
Monteil face aux sofas de Samory se transforme en une victoire.
Monteil grièvement blessé fut rapatrié. C'est un ç~hantillon
de cette littérature où le soldat français~ le "héros civili-
sateur" n'est jamais vaincu. La défaite la plus cinglante est
présentée comme une victoire.
Le Hérissé. "C ... ) La veille~ en effet~ se rendant
compte de l'importance de cette position~ Samory était venu
s'établir à Sokola-Dioulasso. Car il ne faut pas prendre pour
un sauvage ce conquérant africain: c'est un homme de guerre,
un soldat expérimenté~ au dire de tous ceux qui l'ont appro-
chÉ. Il avait découvert cette position et était venu l'occuper~
donnant l'ordre à toutes les colonnes qui marchaient dans la
direction de l'est~ du nord~ du sud~ de s'y trouver le lende-
main 8 Mars~ à la pointe du jour.
Le lendemain matin~ en effet~ la colonne Monteil~
malgré le succès de la veille, vit arriver de droite, de gau-
che~ en avant, en arrière~ les différentes colonnes èes sofas

- 373 -
Il faut avoir entendu raconter cette terrible jour-
née par les officiers qui ont fait partie de cette colonne 1
Ils comptèrent un à un les Sofas qui défilaient sur les hau-
teurs voisines et se rapprochaient de plus en plus.
Pendant toute la matinée, ils en comptèrent plus
DE 12.000. A ce moment, il y eut dans la colonne Monteil un
sentiment poignant d'angoisse, mais enfin chacun fit son de-
voir. Le colonel remonta le moral de ses troupes ; on est pr@t
à se faire tuer jusqu'au dernier lorsque Samory, étonné par la
hardiesse de notre marche, demande à ouvrir des né~ociations.
Les pourparlers durent quatre jours ; le 13 Mars, les négocia-
tions sont rompues, Samory déclarant qu'en matière d'amitié
blanche, il ne compte que sur les Anglais, qui l'ont déjà aidé.
A quatre heures du soir, il ouvre le feu: 12.000 Sofas forment
un cercle de fer autour de la petite colonne francaise. Alors,
7tessieurs, nos soldats font des prodiges; on voit cette colonne
Monteil marcher de l'avant, se reformer, reprendre carrément le
chemin qui avait été suivi en partie par S~~ory, ruiner, dévas-
ter sur son passage les approvisionnements qui avaient été réu-
n!s vers le sud par l'Alm~'! et retourner sur ses pas pour dé-
poser ses blessés et refaire ses approvisionnements dans la
direction de Satama.
Messieurs, on a appelé cela une dé~aite, un échec.
Non ! il Y a eu une marche stratégique nettement déterm!née
pa~ le c0~o~el I·lontei~J q~l a. consist~ ~ se porter e~ a~r~~re

- 374 -
c'est avec une bravoure sans é~ale que nos troupes,
du 3 au 17 Mars, ont livré dix-huit combats; qu'on les a vues
repousser l'ennemi, le battre chaque fois, sans que jamais il
y ait eu le moindre danger pour la colonne elle-même.
(Applau-
dissements. )
Voilà ce qu'a fait la colonne Monteil.
Lorsque le colonel, blessé dans l'un des précédents
combats, porté sur un hamac, au milieu de ses troupes, conser-
va.l1t son commandement malgré de vives don]eurs, arriva à Satama,
av lieu de trouver les ercourar:ements dus à sa belle c8nduite
et à celle de sa color:r,e, q"e ':;ro').'le-t-il " IJ tro'-.'ve :'.' orr1re
brutal de rappel parti d'ici le 21 fevrier, alors qu'il n'y
aVait, au moment où cet ordre était parti, aucune raison pour
le justifier:'

- 375 -
A N N ~ X E IV
Ce portrait du capitaine Gouraud est paru dans Le
Matin du 15 Octobre 1898. Il constitue un échantillon du por-
trai t du "héros civilisateur". Il s'intitule : Vainqueur de
Samory.
"Nous avons beau nous dénigrer nous-mêmes et pren-
dre le monde entier à témoin de notre dignité à chaq~e instant,
il nous arrive d'apprendre que des fils de notre race continuent
les traditions glorieuses de leurs a!nés, honorent le drapeau et
ajoutent un peu plus de gloire au patrimoine de la France.
Tandis que nos troupiers montent mélancoliquement la
garde, à Paris, autour des moindres chantiers où des terrassiers
manient la pioche, où des maçons gâchent le plâtre, où des pui-
satiers creusent la terre, ils ont au loin des camarades qui
poursuivent obscurement sans "galerie" pour les observer, les
plus formidables travaux, et nous n'apprenons leurs noms et
nous ne nous souvenons même qU'ils existent que lorsqu'une dé-
pêche nous révèle à l'improviste les hauts faits qu'ils ont
accomplis.
Qui connaissait, il y a quelques jours, le capitaine
:io'lraud ? Le voilà célèbre

- 376 -
c'est un homme de trente et un ans à peine - March~d~
lui aussi~ n'en a que 36 - et~ sans ostentation~ sans p1ainte~
presque sans récompense~ il a déjà marqué sa trace sur cette
terre d'Afrique~ où il vient de prendre Samory~ par des actes
de courage~ de dévouement et d'habileté assez éclatants pour
illustrer toute une carrière de soldat C••• )
Avec la petite troupe qu'il commandait~ le capitaine
Gouraud~ aidé du lieutenant Jacquin~ vient d'enlever en p1einp
saison d'hivernage le vieil a1ma~y avec toute sa smala et les
derniers de ses sofas~ amenant ainsi la pacification de l'ouest
africain.
N'est-elle pas admirable en sa simplicité~ cette car-
rière d'officier? De quelle émotion profonde ne se sent-on pas
saisi quand on songe à cet incess~~t effort soutenu à travers
les misères~ les privations~ les souffrances~ les périls par un
hom~e qui a sacrifié toutes les joies de sa jeunesse à la réali-
sation d'un idéal glorieux entrevu dès l'enfance?
Quelle consolation pour nos coeurs français de songer
qu'ils sont légion dans notre armée~ les hommes capables~ comme
le capitaine Gouraud~ de don~er leur vie à l'accomplissement du
devoir effrayant qu'ils sont assigné! Pour un qui réussit~ com-
me notre héros~ et qui atteint son but~ combien d'autres atten-
dent avec impatience 1'0ccasion de se battre et de mourir~ s'il
le faut~ pour ajouter un fleuron àe plus à la couronne de cette
vieille ?rar;ce~ infatic:able à se calomnier ,II

- 377 -
A N N E
X E
v
Nous publions ci-dessous quelques extraits du fameux
discours du comte Albert de Mun à la tribune de la Chambre des
députés le 7 Avril 1892 et don on parla beaucoup dans la presse.
L'adhésion du député aux thèses coloniales est sans équivoque
et il rappelle une vérité indiscutable: l'alliance du sabre et
du goupillon.
- M. Le comte Albert de Mun.
l'Je ne viens pas ici en ennemi de la politique colo-
niale ; j'en suis au contraire un partisan déterminé •••
( ••• ) 8i au contraire vous pensez, avec moi, que la
France a dans l'Afrique occidentale une grande tâche à remplir,
un raIe auquel elle ne peut pas se dérober à cause de ses tra-
ditions (Applaudissements au centre et sur divers bancs à droi-
te), à cause de son intérêt et de son influence dans le monde,
à cause du mouvement économique qui emporte le globe entier,
si vous avez cette pensée, il faut la dire hautement à la tri-
bune, afin que le pays tout entier l'entende et que, l'ayant
entendue, il vous suive de bon coeur ••.
( .•. ) Est-ce que vous ne voyez pas la grande poussée
de :'~~rope vers le continent africain (Très bien! Très bie~ !)

- 378 -
Est-ce que vous ne voyez pas qu'elle s'y précipite tout enti~­
re et que, dans ce grand mouvement, dans cette évolution éco-
nomique et sociale qui emporte toutes les nations, c'est à qui
arrivera le premier pour chercher au coeur du continent noir
les débouchés, les revanches commerciales que l'Europe ne trou-
ve plus ailleurs? (Applaudissements.)
Est-ce que vous ne voyez pas que déjà, nous avons per-
du bien du temps et bien du terrain? ( ••• )
- Camille Pelletan~Vous oubliiez
tout cela au moment
où vous traitiez de criminels ceux qui faisaient des expéditio~s
:loL:t8.2.:ies, et vous '1O'1.s e:--, sO"Jve:lez maintenant que J '10'.:8 ra:,!"'è"')-
res (Applaudissements à l'extrême gauche. - Réclama+-ions à droite
et au centre.)"
A la suite d'une autre interruption de Camille Pelletan
q~i parle de "l'accord de la spéculation et des missions reli-
gieuses", le comte Albert de Mun affirme
"( ••• ) Mais, enfin, puisque vous parlez des missions
religieuses, dont je ne disais rien, eh bien, oui, tout le monde
le sait aussi bien que moi, c'est un indispensable élément de
co:lonisation, c'est le principal moyen d'établir l'influence et
l'action de la France d~~s ces contrées lointaines; comme l'é-
crivait le capitaine Binger : "ce n'est pas quelques missionnai-
res, c'est une lé.Q:ion qu'il nous faudrait au Souda". (Très bien!

- 379 -
A N N E X E
VI
Paul de Cassagnac, député monarch" ste et publiciste
célèbre, répète, à la séance du 7 Avril 1892 à la Chambre des
députés, l'essentiel de l'argumentation des fractions dynasti-
ques de la bourgeoisie française quand elles s'opposaient aux
"aventures lointaines". Il a les yeux fixés sur le Rhin. Clé-
r.Jenceau disait, qua.,t à lui, qu' i. l a lps "veux fixés sur la
carte de Fran.ce". Pau] de CassaR:nac n'est pas un anticolonia-
" - M. Paul Ge Cassar:nac -
( ••• ) filon !"onorable a::li
!l'l.
de f'1un est partisan de la poli tique coloniale à outra!lCe ;
moi, j'en s'.11s l'adversaire résolu, acharné et en très peu de
r.Jots je VallS indique pourquoi.
Ta:"';; q'.le la ~ance sera dans la si tuation prése:lte,
tant qu'elle sera menacée sur ses fronti~res et qu'elle n'ffi'ra
'Jas reconquis saY' ü:té::rralité, je m'opposerai à ce q')'un rép:i-
ment et un seul million sortent du pays, rour être ~asp:llé e~
ry!re perte à l'étranqer, sur des pla~es a~ssi lointaines qu'in-
~écondes. (Tr~s bien ! à droite, )
Je consid~re que nOtiS n'avons ~as trop de tou'es nos
.. -
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- )80 -
Voilà la raisor. qui me détermine à repousser toute
idée de politique coloniale. Cette raison se résume en un seul
mot: l'égo!sme complet. absolu de mOn patriotisme. (Approba-
tion à droite.)
Le jour où la France n'aura plus aucun péril à la
frontière. prenez l'Afrique. prenez l'Asie. prenez tout ce que
vous voudrez ; mais, en attendant, gardez la France. parce que
le danger est près et qu'il est inutile d'aller le chercher au
Soudan, parce qU'il ne faut pas aller le chercher a~ Tonkin,
~~rsqu'il est tout prês de nous. sur le Rhin! (Très bien!
-:rès bie:, !)".

- 381 -
A N N E X E
VII
Le passage suivant est extrait de l'intervention de
Camille Pelletan lors de la discussion, à la Chambre des dépu-
tés, du projet de loi concernant les crédits supplémentaires
pour le Soudan. Voici le climat du Soudan vu par le député ra-
dical le 11 Avril 189~o
" - Camille Pelletan - C••• ) Nous verrons alors, pièces en
mains, ce que ces belles conquêtes coûtent d'existences de
Français qui succombe~t loin des leurs, au milieu d'u~e déso-
lation brûlante, trop peu ayant la consolation au moins de tom-
ber avec l'ivresse héroïque du combat, la plupart se sentant
lentement dévorés par tous ces ennemis invisibles qui circulent
dans l'air empoisonné, jour par jour, lambeau par lambeau, en
sorte qlJe sur vingt artilleurs envoyés au Sénégal, au bout de
quelques mois, il en reste un debout
sur une compagnie d'in-
fanterie de ~arine, sur cent hommes, au bout de quelques mois
il en reste deux. Il ne faut pas dire que ce climat de mort
décime les Européens, il les extermine. II

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L'f-i.'ctorité
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Bulletin
f'rê.n~aise
3 -
Bulletin de l'Union Coloniale
il - Le Courrier français
5 - La DéDêche
.
coloniale
".
0
- La Dépêche d'J ;'1idi
7
- Le Don ~uic~otte
.
8 - Le ?ir-aro
9 -
L'Illustration
10 -
La Jeu~e Garde
- -
~ -
l i -
La Justice
- - . ---.---~._-----

- :85 -
1 'f -
La Patrie
15 - Le Petit Journal illustré
16 -
Le Pilori
17 -
La \\:(,uinzaine color:iale
18 -
La République frar,raise
19 -
La Revue de Paris
20 - La Revue des Deux 1I1ondes
<:'1 -
La Silhouette
22 - Les Tabl ettes C'o"1J:!:a~es
C'3 - Le Temps
<:,4 - Le Tour du r.:or:è. e
<:'5 -
Le Triboulet
~
<:'J
Le Voltaire
-

-
394
TABL>~
DSS
ILLUSTRATIONS
Page
L'Alma~y Samory: - ~essin de Riou, d'après un croquis
du lie'-ltena:1t P l a t . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
50
L'arrivée de Sa110ry à Kit2, Soucia:-: français • .ssTlor;,-.
J'après une photograpr,ie _'éce::Joent f a i t e . . . . . . . . . . . . . .
7l!
- Capture de Sa~ory par le lieuten~~t Jacquin •.••••.••••.•
89
Le général Trentinia'1, lieutei.ant-gouverneur du Soudan
fran9ais, proDonce la sentence e:1vo;,.-ant Samory en exil ••
I13
se:lte:~r:;e dl exil
114
Le ?rince Dioulé :~ar~~o~;o. Ge,ssin d'après ::ature, :.j2.r
pril:..ce . . . . . . • . . . . . . . . . .
I d
-..., .~ ....
.
-
. r " _" _~ .=..
-- --'
.-::-.

- 595 -
27 ABLE DES L7)L)ATIERES
- 0 - 0 - 0 - 0 - 0 - 0 - 0 - 0 - 0 - 0 - 0 - 0 - 0 -
Pac-e
~
~:·:?hO:=JlJCT:::::C)\\J. • .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. • .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
~
PREMIER.::; PARTIE
C11:.'\\PITR.tc: PR-'IER -
ni,>1.::NSIT::: .::,T HOSTILIT2 DU PA.YS.
31
0
0 . 0 . 0 0
1
L''':;mpire du Ouassoulou : un pays imT'":'2i-se
0
et lointain
..
31
II. li .. pays "1
'd
al
t
e, r:.os t 'l l "
e
..
33
111
Un pc.ys chaud où sévissent des malad es
0
pernicieuses . . . . . . . . • • • • . • . • • . . . • . • . • . . . . . . . . • .
35
DEUXIEME PARTIE
LI Ii'lAG2: :.J2S :-IOl';;,1.::S ET D":;~
?.:::r;:·:ss DU OU.i\\SSOULOU

II. Le phy:s:que de Samory......................
45
III. Samory le musulman .•••••••••.•••••.••.•.••.
52
IV. Samory
fi
"
un be I l iq ueux •••••••••••••••••••••
54
V. Sai:. :>ry
Il
i
..
Il
i
Il
un sangu naire, un esclavag ste,
l
unl'incendiaire: ••••••••••••••••••••••••••••
56
VI.
"Tous les chemins sont beaux quand Samory
est au bout n • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
72
Conclusio~ partielle ••••.•••..••••.••....••
79
VII.
Sa'llory
....:n arni des Anglais ••••••.•••••••••
81
Conclusion p a r t i e l l e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
88
C:-:.~.PTTR'::: II - L' nl.:::~ lE KA"'.MDKO
1. Kara'lloko en visite officielle en ~ra~ce.....
90
II. Le physiCi'.;.e de Kararnoko.....................
98
III. Kara1oko
un 3.dolescent pieux et chaste....
J)3
I~I. Kara-noko ll~ 'i snorant': • • • • • • • . . . . . • • . • . • . • • • • •
1'89
V. lCararnolw, un guerrier passion:lé p2.r les arr'1es.
120
Conclusio:1 partielle ••••••••••••.
.......... L:~6
~
CH..F '::TR~ III - L' L-JE Ji:) SO?A::J
.L •
Les soi,,-.3
des "bandes".
"Un ra(üa, .si s de
toutes l,=s races nègres dû Soudan~t..........
129
T T
,..i.. ......
Les so:'2..3
âe3 g:J.erriers Itcr:-lelsl~ •••••••••••
131
Les ~o~_~~s des sO~~s•••••••••.••••.•••••••.•

-
397 -
CHAPITm; IV -
LA GR.I\\NDE ~';/\\S~)E DES HABITANT~' DE L' t;MPIRE
DU OUASSOULOU
1. Un "troupea1l hUJnain rr ••••••••••••••••••••••
140
II. Le e;riot et l'albinos .....................
143
nI. L'ir:norance des habitants du Ouassoulou •••
145
IV. Les moeurs àes habitants du Ouassoulou ••••
150
V. Les femmes de l'Empire du Ouassoulou ••••••
153
Conclusion partielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
159
TROISIEME PARTIE
.~=I'=L:::TUDES E"'::'Rc"; L.L\\ LITTEHATTl.'ΠCfJ::SACREE
PAR LA PRc_.::>ë':-: F?A'rCAISE A .:JA'·;ORY :.'1' LI ::;;'.PTRl';
LJU OUA.:.oSO'JLOU E';TRE 1830 ET 1S9J ~T ~UELloi.ôs
OUVRfl.Gi:S PUBLIE.s EN ?Rk;CE A LA flEM':: EPOQUt:
CtJAPITRE PRKIIER -
LE THEf·'IE DE L 'HOSTTLITE Le; LA NA?'JRE
... - .
l..!..07"·S
de bea.l_'~·éo •••• ••••••••••••••
II. "La."::'de'.'r" et""rostilité"ô" pa;vsaC'e a:'ricaiY'....
166
I. ~~n c}imat"rJalsai:l'; Le soleil : "._~~ mo~s'::""rer;
173
II.
Les maladies pernicieuses. La fièvl'e : la
"pâle ~~je'}se".. g,oo"iI'oo, •••• ,.,..........
177

- 398 -
CHAPITRE III - LE THEME DU NEGRE "LAID", "PARESSEUX",
"GOURMAND" 1 MAIS CONTENT ET PLUS PROCHE
DU SING1!: QUE DE L'HOMME. C'EST UN ETRE
"CRUELII •
I. La "laideur" du nè gre. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
184
II. Le noir et la bête...........................
190
III. Le noir "paresseux", "menteur ll ,
"gourmand"...
199
IV. Le noir est "peu intelligent". C'est un lIêtre
inférieur" • • • • . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
204
v. La cruauté du noir...........................
208
Conclusion partielle.........................
213
QUATRIEME PARTIE
L'IMAGE DE LA FRANCE. SES RAPPORTS AVEC CELLE
DE SAMORY ET DE L'EMPIRE DU OUASSOULOU
CH J.\\ PITRE PREfVJ l t:R - =L~A,-,-?R:.:_:.:AN=C=E'-'-_U.=..N~....:"B::.~=f<':..:.AU.::...-;:,.P:..:.AY.=...:::.S"
I. La beauté du paysage ••••••••••••••••••••••••••
220
II. Souvenirs de France dans un "pays maudit" •••••
222
CHAPITRE II - LES REPR~St:NTANTS DE LA FRANCE EN AFRIQUE,
LA "TERRE MAUDITE"
I. Les représentants de la France: les soldats..
225
rI,
Les II vaillants solàats" français..............
229
III. La multitude contre le petit nombre •••••••••••
233
Co~clusion ~;artielle •••.••.•••••••••••••..••••
239

-
)99 -
CINQUIEME PARTIE
LA "MISSION CIVILISATRICE" DE LA FRANCE
CHAPITRE PREMIER - L'ACCOMPLISSEMENT DE LA "MISSION CIVILI-
SATRICE" DE LA FRANCE EN AFRIQUE
1. La conquête coloniale de l'Empire du Ouassoulou:
un "devoir" imposé par la "mission civilisa-
trlce"..........................................
243
II. Le "~éros civilisateur" contre Samory ••••••••••
247
Conclusion partielle •••••••••••••••••••••••••••
259
SIXIE]IJli PARTI~
LA "jviISSION CIVILISATRICE lI : UNE MYSTIFICATION
POUR t'!ASQUER LES MOBILES FONDAMENTAUX DE LA COLO-
NISATION
CHAPITRE PREt·EER - LES MOBILES FONDAMThTTAUX DE LA CONQUETE
DE L'EMPIRE DU OUASSOULOU SONT ECONOMIQUES
1. La presse et les mobiles économiques de la con-
quête de l'Empire du Ouassoulou ••••••••••••••••
261
II. Les mobiles économiques dans les traités si-
gnés par la France en Afrique occidentale •••••
268
III. Quelques tactiques utilisées par la France
pour atteindre ses objectifs économiques ••••••
278
Co~clusion partielle •.•.••..••••••..•••.•••.••
282

-
400 -
CHAPITRE II - L'IMAGE DES PUISSANCES EUROPEENNES RIVALES
DE LA FRANCE DANS LA COURSE AUX COLONIES
1. L'image de l'Angleterre •••••••••••••••••••••••
285
I I . L'image de l'Italie •••••••••••••••••••••••••••
295
I I I . L'image de l'Allemagne ••••••••••.•••••••••••••
296
SEPl'IEME PARTIE
LES GROUPES DE PRESSION FAVORABLES A L'EXPANSION
COLONIALE. LEUR ROLE DANS LA CONSTRUCTION DE
L'IMAGE DE SAMORY El' DE L'EMPIRE DU OUASSOULOU
CHAPITRE PREMIER - LES GROUPES DE PRESSION QUI ENCOURAGENT
L'EXPANSION COLONIALE FRANCAISE
I. Le parti colonial.............................
302
II. Les groupes de pression et leur influence sur
la presse.....................................
314
HUITIEME PARTIE
L'E~OLUTION DE LA PRESSE: DE L'OPPOSITION AUX
"AVENTURES LOINTAINES" AUX ENCOURAGEMENTS A-LA
LUTTE CONTRE SAi'10RY El' L'EMPIRE DU OUASSOULOU
CHAPITR~ PREMIER - L'EVOLUTION DES JOUfu~AUX MONARCHISTES
ET RADICAUX •• "
320
Cl



















• •

1. L'évolution des journaux monarchistes •••••••••
322
II. L'évolution àes journaux radica~x•••••••••.•••
329
TTT .
"" . '- "-
C-" ~uviJ'ifi"le "lest pas anticolo~ialisme••••••••
333

- 401 -
NEUVIEME PARTIE
LA REALITE ET L'IMAGE
CHAPITRE PREMIER - LE DECALAGE ENTRE LA REALITE ET L'IMAGE
1. La question de l'identité de l'être et de
l'image . . . . . . • . . . . • . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . .
II. Choix et exclusion dans le processus de cons-
truction de l'image . . . . . . • • • . . . . . . . . . . . . • . . . . . .
341
Conclusion générale ••••.•••••••••••••••••••••••
359
Aill'JEXES ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••
366
BIBLIOGRAPG lE ••••••••••••••••••••••••••••••••.•••••••••••
TABLE DES ILLUSTRATIONS ••••••••••••••••••••••••••••••••••
39 4