UNIVERSITE PAUL VALERY - MONTPELLIER III
ARTS et LETTRES, LANGUES et SCIENCES HUMAINES
ROMAN ET THEATRE
LECTURE
DE NOTRE-DAME DE PARIS
THESE
pOU!l .te VoctoJta..t de 3ème c.tjc1..e
(UftéJta..tU!Le et Civ..Lü./.:, a.-t.[o n F!UU1ç.CLL6 el.>
Option Modvme et ConX.e.mpoJta.ineJ
présentée et soutenue devant
l'Université Paul Valéry C0>'l~;;;:L ::).::;··:~',_J,.;i.j Î:Y itIALG!\\CHt:
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~--------
sous la direction de Monsieur Claude GELY
JURY
Madame
LAURENTI
Professeur
Président
Monsieur
GELY
Professeur
Rapporteur
Monsieur
FIZAINE
Professeur
Assesseur
- JUIN 1985 -
,II.;
....:....~.....

D E D ICA C E
A ma défunte tante bien-aimée
Mboui Ndong Marie.
A mes parents : Abessolo Onenang Simon et Oye Obounou Claire
pour leurs judicieux conseils : ils ont dévelop~é
en moi le goût pour les études.
A Ngou Ovono Albert, mon mari, pour tout ce qu'il a endu~é
et à qui je dois beaucoup.
A ma fille Mengue Me Ngou Pénina.
A ma grand-mère et homonyme Ntsame Mezui Thérèse.
A mon oncle Ebozogo Obounou Désiré.
A mes frères et soeurs.

A V A N T ~ PRO ~ 0 S

A V A N T -
PRO P 0 S
Choisir Victor HUGO comme sujet de recherche
signifie
pour nous aller à la découverte d'un inconnu et décrypter un as-
pect nouveau de sa création romanesque.
Bien plus,
travailler sur cet écrivain ne peut que nous
donner l'occasion de nous élever au-dessus d'un certain secta-
risme culturel et exprimer une ouverture, qui,
non seulement fa~
vorise un élargissement des connaissances, mais neus offre aussi
la possibilité d'accéder à d'autres formes de pensée. Bref, elle
écarte du danger de l'ethnocentrisme et constitue une source évi-
dente d'enrichissement.
C'est d'ailleurs l'esprit éclectique et cosmopolite de
HUGO qui nous a particulièrement séduite. On sait qu'il est tou-
jours allé au-delà des frontières;
c'est un écrivain universel
(1). Nous devons ainsi une grande reconnaissance à M.
DUCOUX
Philippe, maître assistant à l'Université du GABON, qui,
le pre-
mier,
nous a proposé ce sujet.
M.
FIZAINE nous a toujours fourni d'utiles et précieux
renseignements,
nous lui exprimons notre profonde gratitude.
Nous n'avons garde d'oublier M. GELY, qui a bien vou-
lu assumer la direction de ce travail. Son esprit de compréhen-
sion,
sa gentillesse et son calme,
nous ont été d'un grand pro-
fit.
Qu'il trouve ici nos sincères remerciements pour tout ce
qu'il a fait pour nous.
(1)
Il aimait dire
:
"Jla~me :touo .feo on.feJ..f.o eA: :tnuteo R.eo pCL:ttUe6. Je
0UÙ .fe comba:t:tan:t de6
gnaVl.deo nêven-<eo."

l
1 NT R0 DUC T ION
"Van~ tou~ le~ f1.oman~ de l'au-
teuf1. de ~~Bla1 et de l~~f1.èc!
BOf1.qia, ~l ~ a un df1.ame, ma~~
-~~-. -
i l 6aut quelqu'un POUf1. l'en
tif1.ef1.. Il
Le Rappel,
26 d~Qembf1.e
1881

2
l
N T R 0 DUC T ION
Victor HUGO apparaît comme l'écrivain le plus gigan-
tesque du XIXème siècle et même des générations qui ont suivi.
Aucun genre ne l'a laissé indifférent: poésie,
théâtre,
roman.
C'est en novembre 1828 qu'il signe un contrat avec l'éditeur
GOSSELIN pour écrire Notre-Dame de Paris. Mais i l sera retar-
dé par sa production théâtrale et par la bataille d'He~~
i l ne peut donc honorer son contrat. Stimulé par les qriefs et
les menaces de son éditeur,
il se consacre avec zèle à la ré-
daction du roman dès juillet 1830.
Cependant,
notre propos ici n'est pas de nous appe-
santir sur la préparation de Notre-Dame de Paris,
le Victor
Hugo raconté. donne des renseignements plus précis et plus com-
plets à ce sujet. Mais on pourrait tout de même se poser la
question de savoir si la concomitance de la création théâtrale
et romanesque,
n'aurait pas influencé HUGO et ne l'aurait pas
conduit à transformer le lecteur de son roman en spectateur.
Qui plus est,
le roman se veut par essence, un genre ouvert;
il peut toucher à des domaines les plus divers et s'approprier
les procédés des autres genres;
" ... R-ien ne.. .f' e..mrJêc.he d'uLi.fi.M.1l
à '.'Je...6 PIlO{J/Le...6 Mn'.'J, .ta de..'.'Jc.!Lipt,<-on, .ta nalULa;Uon, .te.. dllame.., .t' ~Hai., .te..
c.omme..Yl-t~e.., .te.. mono.togue.., .te.. ~c.o~, ~ d'~e à '.'Jon qllé toull à tou~
'.'J~muUaVlémen.:t, 6ab.fe, wto~e, apo.togue.., i.dylle, C.Mo~qUe.., c.onte.., épo-
rJée : auc.une.. rJ~e..'.'Jc.!LirJt~on,
aucune.. rJ~o~b-i-t.{on ne v-ie..nt .te.. umde../L daM
.te_ c.ho.{x d'uYl '.'Juje..t, d'un déc.oll, d'un tempo, d'w'! e'.'Jpac.e...,."(I)
Partant du principe que le roman se caractérise par
son hétérogénéité et par sa tendance à puiser impudemment sa
substance dans les autres genres,
nous avons pensé qu'il serait
intéressant d'étudier les rapports que Notre-Dame de Paris en-
tretient avec le théâtre.
Déjà en 1824 dans un article sur Quen-
(1)
Marthe ROBERT,
Roman des origines et origines du roman,
Grasset,
1972, p.
15.
-------------------

3
tin Durward,
HUGO formulai t
son idéal romanesque
: "Apltè-6 le, ItO-
man p-L.ttoltC'.-6C[ue, mw plto-6aA:que de (l)aU(l1t SCOTT, .{f lte~te-'1a un aut-'1e ItO-
man à c.ltéelt, pfu-6 be.au et plu.-6 compfet -6efon nou-6. C'e-6t le Itoman, a ia
60J...-6 dltame et épopée, Itéef. maù J...déa.f., \\)-'1aA... maù g-'1and, qu-<- eY1châ.Melta
WaUe,'L SCOTT daM Homèlte". ( ] ).
Un tel programme paraît cur ieux à
première vue mais ne manque pas d'originalité.
L'intérêt de notre travail est donc essentiellement
littéraire: voir comment dans une sorte de syncrétisme,
l'é-
crivain mêle le dramatique au romanesque.
A vrai dire,
personne ne s'est encore interrogé sur
cette question.
Nous entrons,
si nous osons le dire, dans une
terre inexplorée. Toutefois, quelques critiques et essayistes
ont fait des allusions sur ce sujet mais sans aller dans les
détails. C'est par exemple, Anne UBERSFELD qui propose cette
remarque
: "Not-'1e-Dame de PaltJ...-6 e-6t i' une de-6 ma:t/t-<C.e-6 du théât-'1e." (2) .
Cette citation appelle une double interprétation: d'une part,
elle peut signifier que le roman de Notre-Dame de Paris est
prédisposé à des interprétations théâtrales diverses,
et, de
l'autre, qu'il r'~cèle une abondance insoupçonnée de orocédés
dramatiques.
Ces procédés n'apparaissent pas d'une manière
fragmentaire et sporadique dans le roman, mais avec une fré-
quence étonnante. Mais nous ne voudrions pas affirmer par là
que HUGO a voulu écrire une pièce de théâtre en écrivant son
roman;
une telle affirmation s'avèrerait abusive.
Il nous semble que cette oeuvre romanesque appelle
plusieurs niveaux de lecture. Comme dit Jacques SEEBACPER :
"dan-6 ce Itoman 6aJ...t de coUag(lJ.J e;t de b-tga-'1/tul1e,J.J ( ... ) )')0,5 un mot quA... ne
éJoJ...t emp/tuVlté, paJ.J une. ph/tMe quA... ne -5' -tn-5c/t.{\\)e daM une --intelttextualité
compJ::exe."(3l.
En effet,
la lecture de certains passaqes et l'é-
vocation d'un certain nombre de thèmes font penser à des caté-
gories théâtrales bien précises.
Le théâtre est présent dans Notre-Dame de Paris à bien
- - - - - ---------------
(1)
Littérature et philosophie mêlées, Nelson,
p.
76.
Souliqné
par nous.
(2)
Anne UBERSFELD,
Le Roi et le bouffon,
n.
102.
(3)
Jacques SEEBACHER, Notre-Dame de Paris,
Gallimard,
1975, D.
1081.

4
d'autres endroits;
il apparaît souvent dans les répliques et
dans le sens comique que HUGO utilise et prête volontiers à
ses personnages. Les indications scéniques -
attitudes et po-
sitions du corps dans l'espace -
sont nombreuses,
Notre étude consistera donc à dégager les éléments
du roman qui semblent relever du monde du théâtre.
Pour donner
du poids à notre propos,
nous aurons souvent recours à des
exemples précis. Nous nous intéresserons d'abord au problème du
genre, c'est-à-dire que nous tenterons de définir les notions
de théâtre et de roman dans un contexte général,
avant d'étu-
dier les réflexions de HUGO sur le genre romanesque. Nous ver-
rons ensuite comment le talent de metteur en scène de Victor
HUGO trouve son expression dans le roman, Enfin,
nous aborde-
rons l'héritage théâtral de l'écrivain, entendons par là, cer-
tains ressorts de la tragédie, quelques composantes du mélo-
drame, et les réminiscences de l'opéra.

5
PRE MIE RE
PAR T 1 E
ESQUISSE DE DEFINITION DU GENRE

6
PRE MIE R E
PAR T l
E
ESQUISSE DE DEFINITION DU GENRE
I.
REFLEXION SUR LE ROMAN ET LE THEATRE
Quand on entreprend une étude sur le roman et le thé-
âtre,
le besoin s'impose de caractériser les deux 0enres.
En
fait,
ce qui va nous
intéresser ici est ur. problème de structu-
re
: de quelle manière et avec quelle matière sont constitués
le texte romanesque et le texte théâtral
? Mais notre tâche ne
sera pas toujours aisée;
les
théories sur l ' a r t théâtral sorit
d'une grande diversité et varient suivant les époques et les
écoles littéraires.
En cela,
la question du théâtre est souvent
complexe.
Louis JOUVET signale à ce sujet: !ID", tou~Ü'mp~ en Ll
pa'1ti5 et dù,cufé duthéât:((J.
It f1' (J.~t prtr,Y'VJrw, aut('utr, act(Ju.'1, .~p(/cta:t(Ju'I,
qU{ nf' M,U nl ;nvt1lr trmp,~ C,'l;t-ique rt ro:thé:t.tc;rl'J. Pt[cf\\rM(Ju/( dr ti:tfé,'la-
:tU'H' eu
rie dic{{cn.
m(':uJ.L{.~{v, déco'1atru,''1 Ou PC!,'l.t[uqU{(J'1, chacun II out[ fr
thééd''1(J dr.) ('P,(fI(i'f7.),
chacl.U1 {{,'lf' d(J,~ COVIC-tu.){"rl~••. "(]).
Comment faire alors un choix objectif et efficace de-
vant une telle diversité?
Etymologiquement,
théâtre vient du qrec
"theatron"
le lieu où l'on voit
(et de dram2;
action).
Le théâtre est donc
comme l' écri t
Henri GOUHIER
"Ac:tierl, e.,t ac,tù'n de.,):tinéc. à de.VCfL{)l
P''1é)CJI,te pClL ta g/Lâcc. de,ta :uJ_p'1é.) cI7tat.(UIl ... " (2) .
En ce qui concerne le roman,
on peut observer qu'il
a
toujours été le parent pauvre dans
l'histoire de la littéra-
ture,
d'où
l'absence d'une théorie officielle du
roman
"L((JV7!l(!
_\\{(Il,~ (,O,1'M tJ!léétabfie"[3i.
En effet,
ce sont les romanciers eux-mê-
- - - - - - - - _ . - - - - ._-- .---_._-----------~------_._-,-----_._--
(1)
~~chitecture et dramaturqie, Edition, d'Aujourd'hui, p.
9.
(2)
Henri GOUHIER,
Le théâtre et l'existence,
"Librairie nhilo-
sophique J.
Vrin",
1973,
~. 111, e-tpaul GINESTIF,R dans Le
théâtre contemporajn dans
le rLonoe
:
"L'action est l'essen-
cedU théâtre", p. 124.
(3)
Henri COULET,
Le roman
jusqu'à la révolution,
r
t.
l,
p.
8.

7
mes qui ont toujours tenté d'élaborer les théories du genre,
mais ces théories,
contradictoires pour la plupart, chanqent
tout comme pour le théâtre,
en fonction de l'époque et de la
personnalité des théoriciens.
Compte tenu de cette pluralité
d'opinions sur les deux genres,
nous nous limiterons à des con-
sidérations d'ordre général.
Comment se déf ini t
alors le roman ?
: "Patt oppo~Lt.{(>n
à la f-<-ngua tat-<-na, lanque. éctt-i.tr.!, tangue ~avante, Oyl dé~-i.qYla-<-t au rXeme.
~-<-ècle. ~ou~ .fe. nom de .f~Ylgua ttomaYla le. la:t-<-n abâtattdi couttamment pattlé ~utt
.f' empüe ttomaYl ( ... ). Au début du XII ème ~~èc1.e, te ttomanz e~t UM. laYlgur.!
vulga-<-tte. patttée. daJ16 Re. Nottd, ou b-<-eYl daYl~ le. ~lidi, dan~ tou~ le~ cM UYle.
laYlgue. v.{vaYlte qui .6'Oppo~e. au laXin. D'où le Mcond ~eYl~ du mot ttOman :
texte. eYl .fangue vulga.ttte qu~ tté~ut:te. de la tttaduc:t-i.oYl ou du ttemaniement
d'un te xte tat.{nj pu~ patt Uyl gUM emeYlt de M.Yl~ accompli au m<..tùu du XII ème
~'{èc.fe, ttéc.{t 6ad dittectemeYlt eYl fangue "ttomaYle.". De ttomaYlZ e~t déttA.vé le
vefLbe ttomanc.{yfL qui 6-<-gYl-<-!1Ù au début du XII !ème ~-<-ècfe : ":t!1adu-<-tte du la-
tiYl eYl 6ttança-<-~",
PIÛ6 au début du XrVème. ~acfe. : "fLac.onteA e.n 6ttaYlçaJ...6"
(1).
Cette longue ci tation laisse voir l ' étymologie et l ' évo-
lution du mot roman qui du reste,
n'est nas três différent du
sens contemporain :
"Oeut·tte d' .imag.{na.:t.-iC'Vl eYl pfLo~e, a~~ez .fongue., qui
pttéoe.Ylte. et 6ai.t vivtre dan~ un m-<.Ueu de~ pe.f1MYlna!1e~ dOYlYlé~ comme. !T.ée.f~,
f101L-6 ~cUt cOl1na.{;ttte .fl!Uf1 p~ycho.fog.{e.,
teutt de~L{n, .feutt6 aventutte6."(21.
La première opposition notable entre le roman et le
théâtre se situe au niveau des rêgles.
Le théâtre est réqi par
un ensemble de rêgles précises tandis que le roman n'est 0éfi-
ni par aucune règle stricte
"L' eMaA. nad au XVII ème. .6~ècle pOLLf1.
lu.t tttnuvefL de~ ttègle.6 a échoué: le f10man ne peut pao ~'autotti.6ett de mo-
dèle/., aYlt-<-que.6 comme ceux qu-i. OYlt donné à la tttagéd'{e. et aux ptt-i.nc;pate~
6ottme~ de po éù e. à palt t.-itt du XVHme. ,~-<-è cf.e. ( ... ) .f.e dtto~t de. ptt at--i.q u ett une
.-imi.tat.{ol1 QU-<- !lai.:t à fa 60ù eM..ichJ...Mement, émuta.:t~on et hommage." (3) .
Le romancier dispose donc d'une plus qrande liberté
de création par rapport au dramaturqe
:
1J.{.f v~t touioutt6 .e.'aLLteUf1.
(1)
Henri COULET,
op.
cit.,
t.
l,
p.
8.
(2)
Nous empruntons cette définition au dictionnaire ROBERT.
(3)
Henri COULET, op.
cit.,
t.
l,
p.
8.

8
d'un acte aJtb-UAMlle, {l. e-6·f ub'Le de c.!Lée'L ou de ne pa-6 c'LéeJt, de cJtéeJt
cec-<- ou de cJtée'L autlLe chOM. EVI de'LY1A-ef/ 'LeMOf/t, 'LA-eVl VI' e.xùte que pa'L-
ce qu'il .t'a l'ou.[u e,t C(lmme i l f'a voufu ... "(I). De ce fait,
un lourd
discrédit pèse sur le roman;
beaucoup de critiques en viennent
même à se demander si le roman constitue ou non un genre lit-
téraire.
Ce qui est certain pourtant, c'est que l'absence qua-
si totale d'une poétique de base, donne une grande perméabili-
té au genre romanesque.
BAKHTINE a très bien observé ce phéno-
mène
: "Le 'Loman pe'Lme:t d' {Vlt'Lodu-<-'Le, daVl-6 M'VI ent-<-té toute-6 e-6pèce-6 de
geWte-6, taVlt ~téf/aÙle-6 (nouveile-6, poé-6-<-e-6, p('ème-6, -6aynète-6) qu'ext!la-
fdté'La-<-'Le-6
(étude-6 de moeU'L-6, texte-6 !lhétollA-que-6, Mù.ntA-D-<-que-6, 'LefA--
g-<-eux, etc ... ). EVI p!l-<-VI c--<-pe, VI' -<-mpoll.tC' quet geVl'Le peut -6' -<-Ylt'Lodu-<-'Le dan-6
ta -6t'Luctu!le d'un 'LOmaVl,
et -i-f. VI'e.-6t guè!le 6ac-i-f.e de découv!l{'L UVI M.ut ~reVl­
!le quA- n'a-<-t pao été, UVI JOU'L ou t'aut'Le -iVlco'Lpof/é paIL UVI auteUf/ ou un au-
t!le." (2).
L' élastici du genre romanesque le place parmi les
genres hybrides,
le jugement de BAKHTINE en témoigne et établit
le bien-fondé du choix de notre sujet.
Ce qu'on peut observer en effet, c'est que le théâtre
et le roman ont un dénominateur commun
: ils sont tous deux des
oeuvres de fiction.
Dans l'un comme dans l'autre,
les specta-
teurs ou les lecteurs découvrent les réalités de la condition
humaine
: souffrance, vie, mort,
etc ... :
"On VIe peut mécoVlVla2;t'Le
qu'à t'Lavell-6 t'h,üto-<-f/e de not'Le fA-ttéllo.tUf/e, écrit Pierre MOREAU, .te.
théatf/e et te 'Loman a-ient meVlé de-6 eX-<--6tence-6 pa'La-f.fè.te-6, -6uA-v-<- .ta m~me
évo.tut-<-on, -6ub-<- te-6 meme-6 -<-Vl6-f.upnce-6 et -6(' uc-<-ent cofo!lé-6 de-6 m~me-6 !le1.tet-6
chaVlgeaYlu. CORNEI LLE a eVl t'Laqédù-6 .te mOVlde que d'URFE avai..t mù e.VI
!lomaVl-6; ~lme de fa FAYETTE a m-06 eVl IlOmaVl-6 .te. mOVlde que RACINE met:ta-it
eVl
t'LagéMe-6; au XVII Ume -6-<-(5cfe, .te-6 tecteuf/-6 qU{ -6' attI!Vld'LÜMA-eVlt aux ma.t-
heu'L-6 de C.ta!l-iMe Haf/Cowl! ou de Paméfa, p.teU'L(({eVlt aux coméd-<-p-6 fa'Lmoy((VI-
teo et aux d'Lamp-6 bOU!lgeO-<--6" (3) .
Bien que le roman et le théâtre aient
pour vocation de communiquer avec nous,
il convient de noter que
les formes d'expression utilisées par l'un et par l'autre sont
(1)
Henri COULET,
Le roman jusqu'à la révolution,
t.
l ,
r. 8.
(2)
MikhaII BAKHTINE,
Esthétique et théorie du roman,
p.
140.
(3)
Revue de~_~~~~.r00ndes, 1923, p. 685.

9
souvent divergentes.
Le propre du r~man est de raconter et d'a-
nalyser.
Pierre Aimé TOUCHARD souligne parfaitement l'obligation
du romancier à mettre l'analyse au premier plan quand il oppose
le personnage de théâtre et celui du roman :
Le peft-6(JvzYlage de
J) • • •
!temavz e.J.Jt toujou!tJ.J uvz c.avzdi..dat à .fa né\\'fto-6e, et fe !tomaVi VI 1 e-6t guèfte que
fe Jréc.~t de f' éuofu.t..ton d' une vzé\\l!to,~e \\'eft-6 Mn pa!toxyome. C' e-6t POU!Lquo-t
fa méthode du ftomanueft e-6t auaVl.:t tout f' aVl.afyoe.
Le peJr-6uVlVlage de théâ-
.t!Le eot aUMi UVi né\\l!to-6é : maü {1 t' 1!-6:t au dépa!tt; au momeVlt où a -6e pfté-
-6eVL.te à nouo -6a névfto-6e e-6t déjà étabfie, et eUe -6e pfté-6eVlte comme UVI élé-
meVL:t COYlJ.ltitu:tÙ,VlYlÛ de Mn caftac..tèfte." ( 7) •
Cela revient à dire que le rôle du romancier n'est pas
d'offrir une vue globale et suggestive de ses personnages,
il
est tenu de les présenter d'une manière assez détaillée, afin
qu'on puisse suivre leur évolution physique et psychique. En
général,
le romancier peut consacrer des pages entières à dé-
crire par exemple,
la naissance d'un personnage,
à présenter
son milieu social,
et à analyser le début de ses bons ou de ses
mauvais sentiments,
bref,
à
donner une quantité suffisante d'in-
formations pour éviter une impression de mystère et de doute
dans l'esprit du lecteur.
Pour que le romancier puisse bien mener son récit en
donnant le plus de détails possibles,
il lui faudra du temps.
De ce point de vue là,
le roman est 'un genre où le temps s'é-
coule avec une certaine lenteur.
Par contre,
le théâtre montre-
ra très rapidement ce que le texte romanesque détaillera et ana-
lysera.
En cela,
le théâtre est l'art de l'économie,
de la so-
briété.
Il est synthétique parce qu'il est limité par les im-
pératifs de temps
:
"Ce. qu{. d.i.66é!tencÙ' eMen.tÜ.flemeVl.t le théât!te du
fIoman,
écrit Jean-Louis BARRAULT, c. ' e-6.t fa notùlVl de tempo. Le fIoman
eJ.J.t uV) Jrécit, pfu-6 ou mO-tVl6 {.mag{.Vlé qu.{ M' défloufe Md au paMé, MI.(;t au
pJrr.-6evlt, oo.i.;t daHJ.J ta 6.f.ctù,VI. IR. or ccmjugue comme fe veut f' éc!t.i.uc;..{n. Le
théât!te fu.i,
eot fa !te-cJréatù'vz d'uVie oducdùm qui.. VI!! peut 6(' \\}{.ufIe daVl.-6
fe rY1L)eVL.t : uVle !tep!téoentaüovz."(2). En effet,
dans une durée rédui-
__
~ - - _ .
. _ - - . _ - - - - - - - .
(1)
Pierre Aimé TOUCHARD,
L'Amateur de théâtre ou la rèqle du
jeu,
Seuil,
1949 et 1952,
p.
131.
.
(2)
Le roman adapté au théâtre,
in Cahiers BARRAULT nO
91, p.
32.

10
te,
le dramaturge fait connaître en même temps le décor,
les
costumes,
les gestes et les paroles de ses personnages sans
faire de commentaires qui risqueraient d'alourdir le texte
et de prendre énormément de temps.
Il est bien entendu que ce
qui est présenté de façon suggestive sera concrètement montré
aux spectateurs. Ainsi par opposition au roman qui est écrit
pour être lu,
l'apanage exclusif du texte théâtral réside dans
la représentation
(1).
Etant donné que le roman n'est pas soumis à une exi-
gence temporelle,
il a une continuité linéaire, une structure
qui n'est pas celle du théâtre.
La linéarité du roman n'exige
aucun découpage entre les chapitres,
par contre, obligation
est faite au dramaturge de découper son texte en actes et én
scènes,
parfois en tableaux,
afin de ne pas déborder sur le
peu de temps dont il dispose.
Un autre élément s'impose au théâtre et n'est pas
une nécessité absolue dans le roman:
le dialogue.
Le dramatur-
ge es t
un
"c1fr.{{..s te qui.. l'Oi..t .ta l'Ù' Ou p.tu.tôt 1/ eJ1tend" .ta v.i..e MJu.s
flo!Lme
de COnVe!LM;{:.{oVl<-, de !Lépi.i..que.s, clr cli..aioÇjue.s.
La qu 'tf exp!L.i..me e.st .ta
v.<e pa!L.tée : quù,'nqw:, ,6'VMCl..ie au théât'te (l'e.VI treVld compte."r2) En
fait,
les personnages peuvent ne pas parler dans le roman
et lais-
sent la parole au narrateuF dont le rôle est de raconter l'his-
toire et de rapporter les sentiments et les paroles de ses dif-
férents personnages. Mais on est parfois surpris de la grande
place faite aux dialogues dans certains romans.
Or,
la parole
d'un personnage adressée à un autre personnage relève de la re-
présentation et n'est plus le fait de l'univers romanesque où
~~~J'f!or-
_
,~Q..kAINF'
l'~~:_'-;"~·-"'~-'---~~'Ô7'-':'i,..'>:-,-,_.---~-----~
(l) "La !Leptr é-!J eVltat..io VI n' e.st pa~~'u,V;; .s," trte d\\'\\~'d'{M de qu..i -!J'a J(lute à .t' oeu vIte ;
.ta !LI! ptr. é.s i2V1t(1tùJV/ :ti ent à i'~~e L!:J~ db eVlmihne d~J ',\\.:th éât:!Le· .{' (1 ru vtr e cl'tamaJ:.<·q ui2
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e-!Jt 6ade p(JUtr. êttre f((Jptr.éMVI~tée : ce:t:tr-.{rVl:teVlt.ir;VI .ta dé6..iVl.i..t. Sal'l-!J cette
i..Vlti2V1tù!VI a, 'd auf(a UVI d..ia~~'9u\\~,t UVI .te;;t~.;;)~,e..i • .6U!L .tr papùtr.,
~
(1
n!Lr f:.e..s
appaJt eVlc (J,6 cl uVI (1 utif( aq e t hea';f,'ta.t~~trke:VI d:,~,(;ûd'te". Vo i r Hen ri GOU HIER,
L'essence du théâtre, Aub\\'e~~'~<'":>'r:t'ai(lDe, 1968, p. 27.
(2)
Henri BONNET,
Roman et poésie.
Essai sur l'esthétig~e de~
genres.
p.
48.

I l
"L'au~~u~ ~~t un ~imp~~ t~mo~n q~ ~appo~~ de~ 6ait~; ~~~ pe~~onnag~~ ne
pa~eVLt pa~; f~,~ ~èg~e~ M'nt cefre~ du rj~Mi 1U.~:to~que. En tzevanche, dan-6
~~ dtzam~, ~'hi~to~~e n'e~t ra~ tzarpo~t~e, efie -6e d~tzou~e devant VLo~ yeux
(même ~~ nou~ ne flai~OVL-6 que ~itze ~a r~~cel; ~t n'y a pa~ de natz~atA.on,
~e ~écd e-6.t conte.nu dan~ R.e~ tzépfù{ue~ de~ petzMnnage~." [7) •
Si le théâtre et le roman se distinguent dans leurs
qualités fondamentales en ce sens que le texte théâtral,
laco-
nique et sobre est fait pour être représenté,
et le texte roma-
nesque,
analytique,
n'a de valeur qu'en soi,
il n'en demeure
pas moins vrai qu'ils se rejoignent car ils procurent un cer-
tain plaisir à ceux qui veulent y goûter.
Henri BONNET l'a
souligné:
"Le rfaù~tz que je che!lche daM ~e~ Femme~ -6avan~e-6, le BM-
b~etz de Sév~~R.e, Ch~etz~on,
Le~ Cotzbeaux ou ~a Mai~on de Poupée, n'e-6t
guètze d~6~étzent de cefu~ que me ptz..ocutze .te.fie ~cène de BALZAC ou de DICKENS",
( 2) •
Après avoir distingué les modalités de chaque genre,
le besoin s'impose de nous tourner du côté de Victor HUGO lui-
même pour voir son esthétique romanesque.
HUGO souligne d'ailleurs la nécessité de tenir comp-
te des "façons de voir" de l'écrivain qui, au lieu d'être dé-
pourvues d'intérêt,
constituent un instrument d'information
et d'éclaircissement.
nOn ne \\,ù~.te guè~e fe~ ca\\le~ d'un éd~.f1ùe dont
on a patz..coutzu ee,~ ~affe-6 vt quand on mange fe 6tzu~t de f'a!lbtzv., on M Mu-
peu de fa ttac.üze. 01 ( 3) .
(1)
Tzvetan TOOOROV,
Les catégories du récit littéraire,
p.
144.
Mais pour Aristote
:
IJTout poème e0t tzéclt td;~qéo.{~) d'èvl5.nemen:to
pa-6-6é-6, rtz..é0ent-6 ou a uVVL~tz; ce ttéc~t au -6en-6 fatz..ge·peut rtzendtze ttzo~-6
~otzme-6 : M·U putzement natztzat-<'w rhap-té d-<.é.creû.-6), Mi.U: m-<'mét-<'que (d-<'a
m~ml5.-6eô6l, c' e-6t-à-djAe, comme au théât~e. patz v(!~e de d-<'afoque,~ eVLt~e
feA petzM nnage-6. Mit "m; xte" c' v0t-à-d.<-tze en 6a-<.t aftehnée," tantôt
''réc-i~, tantôt d-i.aioCjue. comme chrz Homètze." Ci té par Gérard GENETTE
dans
: ~~trodu~tion à l'architext~, p.
14.
( 2)
op.
c it: ., p.
47.
(3)
Voir au début de la préface de Cromwell.

12
II.
LA THEORIE HUGOLIENNE DU ROMAN
Avant d'aborder les opinions de Victor HUGO propre-
ment dites,
nous voudrions rappeler que le roman est un genre
mineur à côté du genre noble qu'est le théâtre quand HUGO com-
mence sa carrière littéraire.
Le roman à cette époque, "ILeôte ce
gen!Le mép!7.-lJ.>é, deJ.>tiné de tout tempô à R'amuMment deô 6emmeô, touJOU!7.J.>
ôuppoMeô oÙ-lueô e !7.omaneôqueô, et à celuJ... du peu,Y)R..e, quand il M-<-t uILe
BALZAC RuJ...-mê,me ne MuhaJ...te-t-u paf., ôatù6aAJte égaiement ia ducheMe et
ôa 6emme de chambILe ? Et --éR.. eôt UfLaA qL~e c' e,ôt ce pubuc quJ... aJ.>ôulLe pa!7. ôa
demande R' eÛôtenc e du fLoman, dont on ne MUfLaAt néguge!7. la vJ...e un peu
honteuM . .. "( 1) •
Mais le roman qu'on tient pour un genre inférieur rem-
porte un grand succès à
l'époque romantique. Reconnu comme un
genre sans contraintes,il se trouve à la disposition des roman-
tiques qui réclament un art sans règles;
ils apprécient la sou-
plesse de son action et la diversité des éléments qui le com-
posent.
La forme romanesque qui connaît à cette époque
une vo-
p
gue considérable est le roman historique.
La génération d'alors,
avide de nouveautés et de pit-
toresque,
l'avait acclamé avec enthousiasme~ "Ce fut piuô qu'un
ôuccèô : cr f1ut un evzg(luement. écrit Louis Maigron. Une généfLatù'n tout
enLüILe en deiiwufLa éb€ouJ...e
eJ ôédude. "lviod,üteô et ducheôôe-6", depu,ü €e
J.>~mpRe peupRe Juôqu' à f' éi-<te J...nteR€ectueRie
et a!l:tütique de Ra nat-<-on,
tout ôub~t fa 6a-6c~nat~on et Re p!Le6tJ...ge. 1/ (2).
En effet, venu de l'é-
tranger,
le roman historique bouleverse la conception habituel-
le qu'on se faisait du roman.
Son art consistait à faire de
l'histoire le sujet même du roman et à offrir une image assez
exacte de l'époque choisie.
En 1820,
HUGO se plaint de la mAdiocrité et de la sé-
cheresse qui règnent sur la scène littéraire;
il semble dans
une attente fébrile,
ou peu s'en faut,
d'un rOman de Walter
SCOTT : "L'année 1:'i.Jté!laJ...!Lf' ô' LU/nonce méd-<-oc!lement. Aucun LivfLe impoJttavJt,
(1)
Rose FORTASSIER,
Le roman français au 19ème s~ècle, n.
28.
(2)
Louis MAIGRON,
Le roman historique à l'époque romantique,
Champion,
1912,
p.
51.
'

13
aucune. paJto.te. nOUe.; tU-e.n qLU e.l'Ulûgne., tU-e.n qu-<' émwve.. H MJtut te.mp~
ce.pe.ndant que que.iqu 1 un MJJttÂ;t de .ta 6ou.te U d~<.:t : me. vo-<-ià! ( ... 1. On
nou~ pJtome~ ie. Mona~tè~~, nouveau Jroman de WaJ:;teJr SCOTT. Tant. m-<-e.ux! qu'il
~e. hâte., caJt tou~ no~ 6~euJt~ ~e.mbient ~o~~édé~ de ia Itage. de.~ mauva-<-~
Jtomal'Ul . .. " (]). L'Ecossais a été en effet, une véri table révéla-
tion; c'est lui qui a favorisé une sorte d'éveil de la cons-
cience nationale.
Les peintures variées et pittoresques qu'il offrait
de l'Ecosse et du Moyen-Age ont séduit plus d'un lecteur. Qui
plus est,
elles s'opposaient à l'art classique fondé essentiel-
lement sur la psychologie et l'analyse. Cette remarque de Michel
RAIMOND révèle les qualités du roman de SCOTT : "Le Jroman de Wa-f-
teJt. SCOTT 0édu.ùail beaucoup de iecteu~ palt .ta véJt-<-té qu' J...t manJ..6utaJ..t.
dal'Ul ia Jté~uJt!lect.J..(Jn du paMé. H 6a-<-~aJ..t. Jtev-<.vlte une. époque ~toJt.-<-que.,
montJtaJ..t. ~e~ moeult~ et ~e.~ cltoyance~, pe-<'gnaJ..t. ~e~ d-<-66éltenxe~ cia~~u ~o­
cJ..aie~. H donna-<-t une. -<--m,YJoJttance nowJe.iie au menu peupie., ju~qùe.~ià mépJtj-
~é dan~ ie. Itoman. SCOTT accoJtda·(;t au décoJt une. aXXe.nÛon pMucuüèJte; -<..t
~'atiMdu:t à décJt.J..Jteie co~t.ume de M~ peJtMnnage~; bJt.e6, -<'i compo~ut.
de.~ tabie.aux d' HùtoJ..!te an.(.mé~ de v-<--ve~ cou.teuJt~." r 2).
Ainsi, des écri-
vains français et pas des moindres Gnt produit des romans his-
toriques. VIGNY publia Cinq Mars; ~ERIMEE, Chronique du_Règne
de Charles IX;
BALZAC, ~es Chouans;
et HUGO
(même s ' i l s'est
défendu d'avoir écrit un roman historique)
publia Notre-Dame
de Paris. Mais une chose reste pourtant sûre,
HUGO admirait
beaucoup Walter SCOTT,
son compte rendu dithyrambique sur l'E-
cossais dans le Conservateur littéraire en témoigne parfaite-
ment.
En effet, ce qui retient d'abord l'attention quand on l i t
l'article de HUGO, c'est son goût pour l'Histoire, pour la cou-
leur locale.
Il considère qu'il est important de remonter à
la
source du monde moderne
et approuve dans 9~entin Durward, l'in-
tégration d'éléments colorés,
nets,
propres à susciter un monde
(1)
Victor HUGO,
Littérature et Dhilosophie mêlées,
Nelson,
pp.
110-111.
.
(2) Michel RAIMOND,
Le roman depuis la révolution,
p,
20.

14
dans toute sa spécificité et dans toute sa srandeur : "(IJCLUeJL
SCOTT a -6u pu-i.-oeJL aux MUJtceo de -ta natuJte e;t de -ta ~)é!lilé un geMe in-
COVl.YlU,
qLU ut nouve.au paJtce qu'.li -6e 6ad au.Mi ancùn qu'if -te veut.
WCLUeJL SCOTT at-tie à fa n~nu.:t;eu.oe exac.:ti:tude deo chAonique-6 fa majeo-
tueu-6e gJtandeu.Jt de f' hZ.otoiJte et -t' intéJtê:t pJteMant du Jtoman; gén-<".e pu.i-6-
oant et cultieux qui devine -te paMé; pinceau vJtai qui tJtace un poJt:tJt~
6idèfe d'apJtè-6 une ombJte connU-6e, e;t nou.o 6oJtc.e à Jteconn~:tJte ce que nou-6
n'a~)on6 pa-6 vu .. . "(I).
HUGO définit d'autre part, l'objectif que tout ro-
mancier doit essayer de poursuivre : l1ExpltimeJt dan6 une 6abfe inté-
Jtu-6ante une vélti.:té u~e. Et, une 60ù ce.:t:te idée 6cmdamentafe choùie,
ce.:t:te explication inventée, f' auteu.Jt ne dod-u pa-6 cheJtcheJt, pou.Jt -ta dé-
ve-topp eJt , un mode d'exécu.tion qu.; Jtende -6on Jtoman -6emb-tabfe à -ta vie, -t'i-
mdation au modè-te ?"(2).
HUGO semble partisan d'un type de romani celui où
la vie est dépeinte sous toutes ses formes.
Cette idée revien-
dra avec insistance dans la Préface de Cromwell quand l'écri-
vain donnera la définition du drame. En cela,
les idées de Vic-
tor HUGO romancier se rapprochent de celles du dramaturge.
Il
y a comme une sorte de lien nécessaire, d'osmose entre la no-
tion de drame et celle de roman dans l'esprit de Victor HUGO.
Cette constante à fusionner les deux senres apparaît
déjà dans l'article sur Quentin Durward quand HUGO emploie sans
cesse le vocable "acteurs" pour désigner les personnages de
roman,
et drame pour roman.
Une telle assimilation quoique sur-
prenante, ne manque pas d'originalité.
HUGO aspire également à un renouvellement dans la com-
position du roman et réagit contre certaines formes romanesques.
On reconnaîtra dans le propos du romancier,
le dédain et la ré-
futation du roman épistolaire et du roman narratif : "Supp0-6on-6
donc. qu'au ILoman na!tILa:t-<'6. i.e -6emb-te qu'on a·Lt Mmgé à tout, excepté à
f' intéJtêt, en adoptant -t' ab-6uJtde uMge. de 6a/iJte p!lécédeJt chaque chap;:tJte
d'un Mmma;ILe, MUlJent :tftè-6 détMi-fé, qui e-6t comme -te ILéc-<".t du ILécd, -6up-
(1) Victor HUGO, op. cit., pp.
230-231.
(2)
Ibidem p.
233.

15
pO~Onh qu'au ~oman ép~tot~~e, dont ta 60nme même intendit toute véhé-
menc.e e"t tou;te ~ap-ùüté, un eopJU;t c.~éateu.~ ~ub~Wue. te !roman dttama;tique,
dan~ tequel t'ac.tion imaginai~e ~e dé~oute en tableaux v~~ et vaJUé~,
c.omme ~e déJroutent te~ événement~ ~éel~ de ta vie; qui ne c.onn~~e d'au-
~e divi~ion que celte de~ di66éJrente~ ~c.ène~ à développe~; qui en6in,
Md un long d~ame, où Le/!> de~c!riptionh ~upptéeJraien;f aux déc.o~ationh et
aux co~tume.o, où te~ peMonnageo po~!raient ~ e re,,{nd~e pM eux-me.meo, e;t
~e)Yté~ente~, pM .feu~,~ c.hoc.!.> dJ..v~ e;t muLtipüé.~, touteo leo 6oJrmeo de
t'idée unique de t'ouv~age I ... l. Ayant à votJre d~po~i;tion teo ~e~~o~
pitto~eoqueo, e;t en quelque naÇon magJ..que.o, du dJr~~, vou.o pouJrJrez l~­
~en deJr~,tè~e ta ~c.ène c.e~ mille détail!.> o~eux ... "(7). Cette citation
peut sembler bien longue, mais nous avons pensé qu'il est né-
cessaire de la prendre telle quelle,
afin d'aller jusqu'au
bout dans la pensée de l'auteur. Chaque phrase, chaque mot est
d'importance, puisqu'il révèle l'intention de HUGO de rompre
avec une conception romanesque qu'il juge absurde et rébarba-
tive.
Quand HUGO parle du roman épistolaire,
il fait sans
doute allusion à la tradition épistolaire du XVIIIème siècle,
et pense notamment aux !:iaisons dangereuses de LACLOS ou aux
Lettres Pers~nes de MONTESQUIEU. Cet échange de lettres entre
personnages manque de vivacité et se situe à la limite de la
monotonie. HUGO le compare d'ai lleurs à
"de R.abotieu.oeo conv~~a­
t;'o~!> de M~d!.>-muw"
pour traduire sa désapprobation.
Un autre
type de roman ne semble pas convenir à Victor HUGO; c'est le
roman narratif, c'est-à-dire ce roman où l'auteur raconte les
bonnes ou les mauvaises aventures de son personnage, au fur et
à mesure que ce dernier se déplace,
et qui n'ont pas toujours
..
un lien entre elles. Ce type de récit fait songer au roman pi-
caresque où "le picaro" va de ville en ville ou de pays en pays
et confie ses propres réflexions,
ses sentiments, bref,
ses a-
ventures.
HUGO a dû penser à Don Quichotte ou même à Gil Blas
~
de LESAGE. Cela est d'autant plus vrai qu'il compare LESAGE à
(1) Victor HUGO, op. cit.,
p.
236.
Souligné par nous.
Le voca~
bulaire de HUGO illustre bien son intention de rapprocher
roman et théâtre.

16
Walter SCOTT et place l'Ecossais nettement au-dessus du Fran-
çais : "LE SAGE, c.e me -6embte, e-.ot ptlL6 -6p,Uu:..tuef, Wa.L:tvc SCOTT e-6t ptlL6
OtU.g,Ù1~t; t'Lm exc.ute à Jtac.on:teJt te-6 aven:tUfte-6 d'ul1 homme, t'autfte mUe
à -t' YUAto-tJte d'ul1 -tI1Mv,i-du -ta pun:tLLfte de tout UI1 peupte, de tout UI1 -6-tè-
c.te; -te piLem-tvc ,5e ~ de toute vé~é de ueux, de moeUlU>, d' ~to-tJte;
te -6ec.oYl.d, ,5c.JtuputeLLM.Jl1en:t Mdète. à c.ette véJtdé même, t~i- do-Lt t' éc.t~
mag-tque de -6e-6 tabteaux." Il]
HUGO souhaite aussi que la facture du récit romanes-
que soit différente de celle du roman narratif;
au lieu d'être
un ensemble d'événements qui se succèdent,
il sera divisé en
tableaux, comme dans une pièce de théâtre.
Comment ne pas pen-
ser à l'influence de Walter SCOTT dans la manière dont HUGO en-
visage d'agencer son récit? Michel RAIMOND a noté cette influ-
ence
"C'e-6t daYl.-6 fa nac.tuJte même du Jtéc~t que t'appoltt de Wa.L:tvc SCOTT
a été te p-tU-6 c.ol1-6-tdéJtabte : au Jtéc.d uYl.é~Jte c.oYl.-6tdué d'ép~~ode-6 ~uc.­
c.e-6-6-tn-6, SCOTT -6ub-6tduCLU UYl. Jtéc.d don:t te-6 ép~ode-6, au ueu d' UJte a-
jouté-6 te-6 ul1-6 aux autfte-6 -6aYl.-6 gJtaYl.de ~gueUft, deVeYl.CL~en:t eYl. quuque -6oltte
c.oYl.veJtgen:t-6, c.hac.uYl. d'eux c.on:t~buan:t à n~e pJtogJte-6-6VC t'ac.t-ton. Wa.L:tvc
SCOTT Jtemptaç~ te JtomaYl. Yl.MJta.Un p~Jt te !romal1 dJt~a.ûque don:t HUGO e;t
BALZAC OYl.t tftè-6 v~e c.omp~ fa Yl.ouveauté e;t t'~n:téJtêt.
Le Jtom~Yl.~eJt -6'~­
tach~ à l1e plté-6en:teJt eYl. dét~ que -teô -6c.èYl.eô e-6-6e~ette-6, qu'~-t Jteu~
eVltJte e.tte-6 pM quetque-6 c.hap-ttJte-6 de -6obJte Yl.MJta.UOYl. .. ,"(2).
Il nous
faut examiner la construction du récit dans Notre-Darne de Paris
avant d'étudier les reflets du drame romantique. Ce récit est-
il agencé comme un récit romanesque? Ou bien,
évoque-t-il par
certains côtés la structure dramatique que professe Victor HUGO ?
Henri MESCHONNIC répond à cette question et affirme : "LoYl.g dtrame
et tabteaux M'n:t maYl..ié/5 pM UI1 mon:tJteUft qu.-t l10ue e;t déYl.oue te-6 évéYl.emen:t-6,
te-6 paM-toYl.-6."(3). Aux yeux de MESCHONNIC,
HUGO a perdu le statut
de simple romancier;
il fait figure de meneur de jeu et dirige
les opérations: c'est le metteur en scène du roman.
Nous au-
rons l'occasion d'y revenir dans la deuxième partie de ce travail.
(1) Victor HUGO, op.
cit.,
pp.
108-109.
(2) Michel RAIMOND, ~~_cit.,
pp.
20-21.
(3)
Henri MESCHONNIC, Ecrire H~~, p.
73.

17
III. LES TECHNIQUES DE CONSTRUCTION DU RECIT
A. L'économie du temps romanesq~~
La lecture de Notre-Dame de Paris dévoile que les pro-
cédés narratifs que Victor HUGO emploie sont ceux du "roman dra-
matique". L'écrivain ne semble pas préoccupé de la règle habi-
tuelle qui fait du roman un art de la narration, du discours,
Nous dénotons au contraire, un récit jalonné d'ellipses, de
coups de théâtre et de coïncidences. Et chose plus étrange dans
un roman,
HUGO se garde de décrire la vie de ses personnages
dès qu'ils apparaissent.
En effet,
l'écrivain se contente de présenter les per-
sonnages entièrement formés et engagés dans l'action;
i l y a
absence de toute antériorité, de tout contexte biographique,
Ni leurs traits intellectuels,
ni leurs traits moraux ne sont
esquissés,
seul le comportement intéresse HUGO, mais il n'en
fait aucun commentaire. Enveloppés j'une sorte de mystère,
ils
donnent l'impression d'être envoyés au milieu de l'action com-
me par un coup de baguette magique,
sans préparation préalable,
à
la manière des personnages de théâtre. (1)
Le portrait de Gringoire par exemple, correspond au
refus de Victor HUGO de donner une quantité de renseignements
qui aideraient le lecteur à situer et à comprendre le personna-
ge. Nous n'avons de lui qu'une image fugace,
quelconque: "UY!
~nd{v~du qu~ ~~ t~n~ ~n d~çà d~ ta bat~~ad~ da~ t'~pa~e ta~~~é ~b~e
autau~ d~ ta tabt~ d~ m~b~~, et qu~ p~onn~ n'av~ ~n~o~~ ap~~çu, tan~
~a tangue et m~Y!~~ pe~~onn~ é~ comptè~~m~~ ab~é~ d~ ~out ~ayon v~uet
p~ .e~ d{amèu~ dll pil-i~ auquû il étail adoMé, ~et ~nd{v~du, fuo Y!6-no~,
g~and, ma-ig~~, btê-m~, btand, j~un~ ~n~o~~, quo~qu~ déjà ~dé au f,~o~ et
--------------------------~~------.--
(1)
"Au théâÂ/'L~ (... ) t~ p~!LMnna9~ ~~ p~é~~~~ ~omm~ un~ ~C'mm~ d' ~nd{~~~
et d~ ~~pè~~/s - ~~~ a~t~/s et /SM ~c.~ - qu.~ n~ ~o~ p~~~~ptibt~~
qu~ d~ .e' ~xtéfL.<"~M et q(t~ ~~nd~n~ d' wc. ~Vltéq~é~ da~ Wl dM~nUM
phy~~qu~ gtoba.t tout en fJotent~aedé, p~qu'il~ ~~~a m~ ~n o~uv~~
Mt·'L ~~èn~/I.
Voir Robert ABIRACHED, Cr ise du personnaqe dans
le théâtre moderne,
p.
56.

18
aux jouu, ave.c du ye.LLX b.tU.liavz:t6 d
Lme. bouche. -6 0 LuUaVl-te., vUu d'une.
-6~9e. no~~e. ~âpée. d lU-6tAée. de. v~~e.-6-6e., -6'app~ocha de. ta table. de.
mMb~e. d
nd un -6~9ne. au pauv~e. p~e.nt ... " r 7). Nous n'avons ici
qu'un croquis succinct mais frappant du personnage,
Il a suf-
fi
à
HUGO de suggérer les caractéristiques physiques pour
individualiser Gringoire.
Cette description sobre ne répond
nullement à la manière du romancier, qui est souvent appelé
à
entrer dans les plus petits détails pour donner de la consis-
tance et de l'existence au personnage.
HUGO semble redouter
l'analyse exhaustive que nécessite la vie d'un personnage ro-
manesque, et choisit plutôt le laconisme.
Ce raisonnement vaut aussi pour Quasimodo, Esmeral-
da et Dom Claude. Quand le prêtre entre en scène,
c'est sous
un aspect menaçant. Nous ne savons pas d'où il vient, ni même
qui il est,
il s'impose à nous immédiatement, comme une appa-
rition, et mieux encore,
comme une énigme
"C'ét~ une. n~gu~e.
d' homme., aU-6tè~e., cabne. d
Mmb~e.. Ce.t homme. doVl-t le. CO-6twne. ét~ caché
~ ta 6oute. QU~ .e 1 e.Vl-tou~~, ne. pMa.iJ.>-6~ pa-6 avo~ ptU-6 de. :tJte.nte. c~nQ
aM; ce.pe.ndaVl-t ~ étau chauve., à pe/tne. av~-~ aux te.mpe.-6 Que.tQue-6 tou~­
6e.-6 de. che.ve.ux ~a~u e.t déjà 9~i-6; -6on 6~oY~ lMge. d
haut comme.nç~ à -6e.
c~e.U-6e.~ de. ~du; mai-6 dan-6 -6e.-6 ye.ux e.nnoncé-6 éclatad une. je.une~-6e. e.x:tJta-
o~Mna;./1.e., UVLe v-te. a!7.de.nte., une. pM-6ion p~o 6onde.. " (2)
Cette présentation synoptique laisse le lecteur sur
sa faim;
il se pose des questions sur cet "homme" au regard
étrange : à quoi pense-t-il dans cette attitude figée et quel-
le est la nature de sa contemplation? Autant de questions qui
demeurent sans réponse.
Seuls quelques traits physiques sont
esquissés,
HUGO n'a pas besoin d'en dire plus.
Plus intéressant est le cas de l'Egyptienne, car elle
--------------------~o_o_~~-~~,,_~.-.
, - ' - -
(1)
N.D.P.I,
II,
p.
24.
Nous utilisons l'édition Gallimard pré-
sentée par Jacques SEEBACHER,
Paris,
1975. La première indi-
cation chiffrée correspond au livre,
la deuxième au chapitre.
(2)
Ibidem 2,
III,
pp.
63-64.
On doit observer le vocabulaire
de Victor HUGO.
En effet, pour désigner ses personnages,
il
a sans cesse recours aux mots:
"individu",
"anonyme",
"hom-
me".
Cela renvoie au besoin de ménager le "suspense".

19
apparaît d'emblée dans le tourbillon de la danse. Bien qu'elle
s'impose à nos yeux par la danse, elle reste impénétrable.
HU-
GO se limite à des qualificatifs, à une description extérieure
concise pour donner l'allure générale du personnage
(1)
: "EUe-
n'é.tcUA: peu., gfLande-, mcu:.-6 ille- -te- -6e-mb-tLU.;t, .tant -6a :]'-tne- .tcu:.ue- -6 ' Uanç.LU.;t
haJLdJ..me-nt. EUe- é.ta-i...t bfLu.ne-, m~ on de-v-tnLU.;t QU.c -te- joufL -6a pe-au de-vLU.;t
avo-tfL ce- be-au fLe-Md dOfLé de.-6 Anda-toU-6e.-6 d
de.-6 Roma-tne--6."(2j, Les specta-
teurs et le lecteur en sont réduits aux interrogations et aux
conjectures les plus diverses.
Pour Gringoire, "C'e.-6t. u.ne- -6Maman-
efAe., c ' e.-6t. une. nymphe., c ' e.-6.t une- dée.-6-6e., C' e.-6.t une. bacchante. du mont Mé-ta-
née.n. Il (3).
Frollo,
incapable de percer le mystère de cette dan-
seuse pense : "d y a de- -ta -60fLCe.Ue-fL-te. -tà-de.-6-6 0 Lt-6 Il (4). Et la recluse,
haineuse,
lance à la bohémienne : liT' e-n -tfLeu.,-.tu, -6aute.fLille. d'Egyp-
..te. ?" ( 5) •
Quant à Quasimodo,
le lecteur l'aperçoit aussi en
pleine action dès la première apparition : il participe au con-
cours de grimaces à l'issue duquel il est élu pape et scandé
par des cris de la foule.
Comme pour les autres personnaqes,
on est privé de l'analyse évolutive du sonneur. On se trouve
en présence d'un être aussi difforme que sibyllin,
Il y a lieu de constater aussi les dénominations gé-
nériques des personnages
: Pierre Grin0oire, Quasimodo, Claude
Frollo,
Esmeralda, ressemblent à des personnages qui remplis-
sent la fonction d'acteurs.
Pr0gressivement,
ils se dévoilent
à
nous,
au fur et à mesure que l'intrique se déroulera,
Georqes
PIROUE signale très justement le caractère énigmatique, partant
théâtral, des personnacres de HUGO : "Tantôt. gfLOM-te-M, t.antô.t MLVam-
me.nt ménagé-6, mMadfLoil..-O, r)abfL-tQué-6 OLt chaJLgé-6 d' un -6e.n-6 pfL06ond, Ce.-6 -tnco-
(1)
André BELLES SORT a fort bien noté cette constante chez HUGO
d' 0ffr ir une série d'images physiques, et de se désintéres-
ser de la psychologie :
"HUGO e-6t. -tncompafLab-te. daiM -te- po!Lt.fLLU.;t
phY-6-tQue. 1... ). Alcu:.-6 -te po!Lt.fLLU.;t mOfLM e.-6.t -tn~ éfl.-te.LtfL. HUGO 0 b-6 e.fLve- mM
-te--6 CaJLact.èfLe.-6; -t-t ne. pénèt.fLe. peu., dan-6 -te.-6 âme.-6. T-t n ' e.-6t. peu., un bon
connaÙ-6e.ufL d' homme-6.
La 6ofLme., -te fLe.üe-6, -ta COU-te.UfL, -te. :tJtLU.;t p~o­
fLe.-6QW:'.. , -t'anecdot.e- -6-tgn-t6-tccU:..tve., vndà Mn domcu:.ne.". Voir dans Vic-
tor HUGO,
Essai sur son oeuvre, p.
107.
( 2 )
N.D.P.
2,
III, p.
63.
-._--
( 3 )
Ibidem
( 4 )
Ibidem p.
64.
- - - -
( 5 )
Ibidem p.
65.
- - - - -

20
grU;to!.J en;tJz.eilen.n.ent -fe !.JU/.)peYl.J.J (!.J-ie.). Iû eu.guMent -fa e.wUo!.J-ué du -fee.-
;teult, exU:ten.:t !.Ja peJt,6p-ie.ac.J.;té, augmentent Mn. a;t;teYLtion. vMu~e. PJUvé
de JteYl.J.Jugn.ement!.J !.JM -f'-in.e.on.n.u qui v-ient de ùa-ifte illuption., !.JuJt !.Je.J.J Jte-
-fation.!.J, !.Je.J.J ti:tJte.J.J, !.Je!.J oe.e.upatiOYl.J.J, !.Jon. pa!.J!.Jé, !.Je!.J pen.!.Jée.J.J, on. n.'en. e!.J;t
que p-fU!.J !.JeYl.J.J-ib-fe à !.Jon. a!.Jpee.;t phY!.J-ique. I-f e~6;te paJte.e qu'~ n.ou!.J -in.-
t/t-igue. C' e!.J;t LLVl JtébU!.J à dée.h..Z 66JteJt, un. h..ZéJto g-fyphe à dée.JtypteJt ( ••. ). A
n.oteJt éga-fement que e.e mode de n.MJtation. e.J.J;t e.a-fqué !.Jult -fe théiittLe, en.
~e -fe.J.J même.J.J e66w, pJtoe.uJte -fe même p-faM-ift, -f' ac.;teWt en;tJz.e !.JWt -fe p-fa-
;teau. " ( 7) •
Ce jugement péremptoire donne l'idée d'une mise en
scène recherchée par Victor HUGO.
On est loin des romans clas-
siques du type de la Princesse de Clèves où les approches ana-
lytiques sont de rigueur. Mais la force de concentration qu'on
retrouve dans la présentation des différents personnages fait
du récit hugolien un récit réduit,
ramassé, plein de "suspense".
On pourrait comparer le récit dans Notre-Dame de Pa-
ris au phénomène de la diastole et de la sY>:8J,.e,:.! Qu'est-ce à
dire? D'abord,
HUGO a souvent recours aux~àigressi6ns qui cor-
l~ /
',.\\
respondent à des moments de pause dans lé -:'rjé,ci.t. Ensuite,
il
f-' l' ~ ''1 '11 r:
. ; ' l
procède à une contraction temporelle du {~c\\i~c"'ès~i-~jdire que
son récit est élagué et se compose essenàiel~ement/d~)passages
"
,~
·~Z
qui parlent aux yeux et qui semblent s'intég~~~eP~p~~le cadre
-"~~
qu'il veut bâtir
(scènes pittoresques ou divertissantes). Or,
la loi capitale à
laquelle devrait être soumis tout romancier
c'est de respecter la chronologie, afin que le lecteur puisse
bien suivre la progression des personnages et de l'action.
Mais HUGO s'est soustrait à ce mode de récit,
i l a
plutôt suivi le caractère dramatique du roman de SCOTT gui se
caractérise par le passage à l'essentiel. Le recours à des rac-
courcis de langage traduit parfaitement le désir de taire cer-
tains éléments.
Les expressions "en un clin d'oeil",
"les an-
-------------------------,--~----.-_.-.-_.-
(1)
Georges PIROUE, op. cit.,
p.
141.

21
nées ont passé",
"plusieurs semaines se sont écoulées",
"au
bout de quelques instants",
"nous renonçons à peindre" sont
elliptiques.
HUGO aurait-il pris conscience de ce caractère pro-
pre au théâtre qui consiste à rétrécir le texte? L'écrivain
s'ingénie par exemple,
à réduire le temps au livre quatrième
où nous passons du coq_à-l'âne.
En effet,
l'enfance de Quasi-
modo est énoncée brièvement, et quelques pages plus loin, nous
voilà face à un Quasimodo devenu grand et sonneur de cloches
:
"OJt, e.n J 482, QU1UJ..unodo avw gJtanCÜ. Tt Uw de.ve.nu de.ptUo ptU-6.-i.e.uJl.-6 an-
q
n~~ -6onne.U!t de. NotJte.-Vame. (.•. l. Ave.~ te. te.mp-6 .{.t -6'~tw 6oJtm~ je. ne. -6~
que.t ue.n .-i.nt..<.me. qM un.-i.Mw te. Mnne.u.Jt il t ' ~gWe. ( ..• J. NotJte.-Vame. a-
vw ~t~ -6U~~~-6.-i.ve.me.nt pouJt tM, -6e.ton qu 1 i l gJtanCÜô-6w e.t -6e. d~ve.top­
pw, t'oe.u6, te. n.-i.d, ta m~on, ta patJt.,[e., t'un.-i.Ve.M."(J).
Georges PI-
ROUE a relevé la tendance chez HUGO à contracter le cours du
réci t
: "Ce.tte. ~atùJYl de. ta Jte.pJt~-6e.ntM.{.on ~~e. ta cü6M~uU~ de
-6U~~~-6.-i.on. Le. Jt~~.{.t hugoue.n -6e. d~Jtou.te. paft -6a~~ade.-6. On -6aute. d'une vue.
il une. autlte.. Tt 6aut -6aM ~e.-6-6e. a~~ommode.Jt Mn .-i.nte.tUge.Yl~e. il ~~ bond-6,
-6upp-CéeJt paJtt' .,[mag.-i.nM.{.on e.t ta Jt~on aux e.llip-6~ de. ta naJtJtM.{.on (... l.
La v.-i.e. ne. noU-6 ~t uvJt~e. que. MU-6 6oJtme. d' .-i.mmobil.{.t~-6 tJtè--6 ~oU!tt~ que.
nOU-6 avoYl-6 à aMo~.-i.e.Jt e.ntJte. e.tteA. Le. te.mp-6 nou-6 ~t donn~ d~~ompo-6~ e.t
~ 1 ~t raJt te. ptU-6 .-i.neonnu de notJte. aet.{.vd~ me.ntale. que. ~e.t .-i.ne.xpJt.{.m~ e.t
~e. non-,ùnage. ~t Jt~tdu~." (2) .
Si HUGO prend des libertés avec le temps et le préci-
pite, c'est pour donner du mouvement à son récit; d'où cette
impression de fausseté et de superficialité caractéristique de
l'univers du théatre. N'oublions pas aussi que Victor HUGO est
talonné par GOSSELIN quand i l se met à écrire Notre-Dame de
-.--~~-_._-
Paris.
Aussi,
s'efforce-t-il de domestiquer ou de réduire le
temps en racontant son histoire dans une durée très courte. La
(1)
N.D.P.
4,
III, pp.
147-148. Souligné par nous pour traduire
la rapidité avec laquelle Quasimodo a grandi. On n'a pas eu
connaissance étape par étape de l'évolution biologique du
bossu.
Il est déjà constitué en 1482. L'indication de la da-
te n'est qu'un simulacre d'objectivité.
(2)
Georges PIROUE, ~. cit., p. 167.

22
transposition théâtrale d'un tel récit serait commode puis-
qu'il fait appel à la magie de la suggestion et du laconisme
propres à l'art dramatique.
Les coups de théâtre dont le rôle est d'accroître
l'intérêt de l'action sont liés à cette accélération tempo-
relle du récit qui entraîne les personnages à leur insu.
Il est bien évident que le texte romanesque offri-
rait un terrain moins favorable à l'intégration des revire-
','
ments brusques et douteux que ceux de Notré-Dame de Paris
(1).
~
Ces coups de théâtre expliquent que le temps est organisé par
l'auteur lui-même.
Il est important par exemple, que Quasimodo sauve la
Esmeralda au moment où les bourreaux s'apprêtent à l'exécuter
" ... ToLLt à coup, au moment où .f.e-6 va.f.e..t-6 du mcû.tJr.e du oeuvJz.u -6e fu.,.
pO-6aient à exécuteJz. .f.'oJz.dJz.e 6.f.egmatique de ChaJz.mo.f.ue, ~ enjamba f.a ba.f.U-6-
tJz.adede .f.a ga.f.eJUe, -6aiJ.:>d .f.a cOJz.de du p-zed-6, du genoux et du maiM,
puù cm .f.e vd cou.f.eJz. -6uJz. f.a 6açade comme une goutte de p.f.U--<-e qu--<- gW-6 e
.f.e .f.ong d' une v~e, COl1JUA ve'W .f.u deux bC'uJz.Jz.eaux avec f.a vdu-6e d'un
chat tombé d'un tod [... ). Ce.f.a -6e 6d avec une te.f..f.e Jz.ap-zddé que-6-z
c'eû.:t é.té. .f.a nud, on eût pu toLLt vo-ZJz. à .f.a .f.um--tèJz.e d' un -6eu.f. é.c.f.w," (2).
Les expressions "tout à coup",
"rapidité",
"avec la vitesse
d'un chat",
caractérisent ce temps qui est celui de la surpri-
se, du mouvement, de la rapidité.
Mais les retournements imprévus ne conduisent pas
toujours à une fin heureuse,
ils suscitent parfois stupeur et
trouble profond.
Par exemple, Claude Frollo est choqué de re-
voir Phoebus qu'il croyait mort et enterré : "En ce moment, .f.e m-z-
-6é.Jz.abf.e aJz.ch--td--tacJz.e f.eva .f.a tête mach--tna.f.ement, et vd à f.'autJz.e boLLt de
.f.a p.f.ace, au ba.f.con du .f.og~ Gonde.f.auJUeA, .f.e capdaine debo~t pJz.è-6 de
F.f.euJz.-de-LY-6· If. chance.f.a, pa-6-6a f.a main -6uJz. -6e-6 yeux, Jz.egaJz.da encoJz.e,
mUtLmMa une ma.f.éd--tcuon et tou-6 M-!.l tJz.ad-6 -6e conb!.actèJz.ent v-zo-C.emmeM," (3)
( 1) "If. n' y a pa-6 nécu-6dé de coup de théâtfLe daM Madame BovaJz.y M mê.me
dan-6 f.e Rou~e et .f.e No-ZJz., encoJz.e mo-zM dan-6 .f.a P!z.incu-6e de' C.f.èvu. Le
coup de théiitlle appaJz.uent -6péuMquemenA: au-:théwe".
Voir p. Aimé
TüUCHARD, op.
cit., p.
126.
(2)
~.D.P. 8, VI, pp. 348-349.
(3)
Ibidem p.
346.

23
Ce "coup de théâtre" est destiné à relancer l'action;
la Esmeralda retrouvera un sens à la vie mais pas pour long-
temps,
puisque l'archer du roi ne fera rien pour rémédier à
la situation. Quant à Frollo, désillusionné,
il est plus que
jamais déterminé à laisser mourir la bohémienne et lui crie
avec dépit: "Eh b~e.n.! me.u.M to~! ( ... ). PVl.J.Jon.n.e. n.e. t' aulta" (7 J •
Un coup de théâtre survient encore au moment où la
Sachette du Trou aux Rats exulte de joie pour avoir retrouvé
sa fille.
Son rôle est de faire éclater un coup de tonnerre
dans un ciel serein : liEn. c.e. mome.n.-t, .ta .toge.tte. Jtete.~ d'un. c.üque.-
ru d' aJtm~ et d' un. ga-top de. c.he.vaux qM -6e.mb.t~ de.bouc.he.Jt du Pon.-t NotJte.-
Dame. et -6' avan.c.e.Jt de. p.tM en. p.tM -6U1t .te. qucU. "Sauve.z~mo~!
-6auve.z~moi!
ma mèJte.! .tu voilà q~ v~e.n.n.e.n.-t!"(2). Mais la recluse ne cvmprend
rien à ce revirement inexplicable de la situation, et se prend
d'un rire effrayant: 11H01 Ho! n.on.! c.'ut un. Jtê.ve. que. tu me. fu .tà.
Ah! ou~1 je. .t' aUlt~ pe.Jtdue., c.ûa aUJtw dUIte. qMn.Ze. aM, et p~ je. .ta
Jt e.tJto uv e.JtcU-6, et c.ûa duit e.Jtw un.e. nU.n.ute.. . . " (3 J •
Assurément on comprend la consternation de la malheu-
reuse, et on peut croire au plus pur arbitraire de Victor HUGO
dont le but est de surprendre non seulement le lecteur, mais
aussi les personnages.
Il se préoccupe moins de fonder son ré-
cit sur des éléments et des faits vraisemblables, La réflexion
quelque peu radicale mais non moins éclairante de Georges PIROUE
traduit l'immédiateté avec laquelle surviennent certains événe-
ments dans le récit hugolien :
"MM~.te. te.mp-6 n.e. -6' e.c.ou.te. pM dl un.
c.oult-6 e.ga-f, m~ pJroc.ède. pM -6auM, 6ail.t~, 6~-6uJte.-6, c.M-6U1t~, mut~oM
~pJtév~~b.teh. C'~t .t'oUltagan., .ta te.mpUe, .ta c.atMtJtophe., .e'e.bou-fe.me.n.-t,
.ee. c.atac..e Y-6 me., .ta Jtévo.tution., .ea -6Ubve.MÙm, qu~ mèn.e.n.-t .te. mon.de., Le. te.mp-6
Jtoman.uque. hugo.e~en. ut apoc.a-typ.:Uque., .. " r 4) . .Mais il n'empêche pas
que cette "tempête", cette "subversion" donnent au récit un ca-
ractère animé et mouvementé qu'on ne peut trouver qu'au théâtre,
(l)
N. D • P.
8, VI,
p.
346.
(2)
Ibidem 9,
l,
475.
(3)
Ibidem
(4)
Georges PIROUE, op. cit.,
p.
154.

24
Nous avons déjà remarqué que Victor HUGO se veut
l'organisateur de son récit. Ainsi on assiste dans Notr~-D~me
de Paris à de véritables chassés-croisés des personnages, Le
récit hugolien ressemble à un puzzle dont on doit réunir les
morceaux.
Par exemple,
la Esmeralda et sa mère se cherchent,
une attente est latente d'un bout à l'autre du récit.
HUGO
n'a prévu leur rencontre qu'au moment où les soldats sont à
1
la recherche de la jeune fille,
après avoir infliaé un long
"suspense" au lecteur.
D'autre part,
l'écrivain s'applique à créer des liens entre ses
personnages,
c' est-à-dire qu'il Y a toujours un élément ou 1 ils ont
en commun et qui va les pousser dans leur action sans qu'ils s'en doutent,
HUGO s'est arrangé pour que Quasimodo sauve la vie
à la bohémienne au moment de l'amende honorable. N'est-il pas
le substitut de la Esmeralda et responsable malgré lui de tous
les malheurs dont elle est victime ? Le hasard
(HUGO lui-même)
a voulu que ces deux enfants infortunés s'entraident et soient
aimés par un même homme
: Claude Frollo.
En somme,
les descriptions laconiques,
les coups de
théâtre,
les bonds dans le temps et les coïncidences consti-
tuent des entorses que Victor HUGO fait subir à son récit. Con-
formément à l'idéal qu'il se fixait dans l'article sur Quentin
Durward,
il a laissé de côté ce qu'il considère comme
"m-eUe. dé-
tM1~ o~e.ux rz..t blaM-lto.ur..M que. .f.e. naJVLa.te.uJt obugé de ~LUVJte. ~e.~ ac.~te.uJt~
pa~ à pM c.omme. de~ e.Yl6a~ aux t.w-<-èJte~, do-lt e.xpo~e.Jt fongue.me.I1.t, ~'il
ve.u.t ê;Vte. ûa-<-Jt ... 1/ (1). Il s'est évertué à ne présenter que "dM
tJtad~ pJto6ond~ e.t .6ouda-<-n.6"(2j de ses personnages, et des scènes
qui peuvent faire
jaillir le plus grand intérêt dramatique,
Le récit de Victor HUGO n'est pas construit dans une
successivité linéaire.
HUGO a bien suivi, une fois de plus, la
(1) Victor HUGO, Littérature et philosophie mêlées,
p.
236.
(2)
Ibidem

25
méthode qu'il avait préconisée dans son étude sur Walter SCOTT
Notre-Dame de Paris est constitué d'une série de tableaux et
de scènes
(l).
Jacques SEEBACHER observe à ce suj et : "On a, à
jUi)-te- tiVr..e-, lLe-malLqué qlte- .t'ae.uon de- No:t!Le--Vame- I.>e. délLoufe- e-n quûqüe-I.>
jOUlLnée.l:J, qéU Mn:t e.omme- .te-l.> ac.:te-I.> du c:iJLame-"(2). L'idée de découpage
en tableaux et en scènes permet à HUGO de se situer en limi-
tant l'action de ses personnages dans une durée et dans un ca-
dre bien déterminés.
En vérité,
le découpage opéré minutieuse-
ment par l'écrivain fait de son récit,
un récit qui tend au ca-
nevas,
au schéma.
C'est encore une technique qui consiste à
fracturer,
à diviser le texte en brisant son unité. A chaque
action correspond une "scène". Toutes les subdivisions en l i -
vres et en chapitres qu'on retrouve dans le roman possèdent
un titre.
On peut noter que Victor HUGO procède de la même ma-
nière dans ses pièces
chaque acte possède un titre qui annon-
ce ce qui va suivre.
Nous avons
jugé utile de relever les tableaux clefs
dont se compose le roman.
A l'intérieur de ces tableaux se re-
flètent des scènes aussi théatrales les unes que les autres.
Tableau 1. La grande salle où se déroule le spectacle du Bon
jugement de Madame la Vierqe.
Scène 1. Concours de grimaces
Scène 2.
Danse de la Esmeralda.
Tableau 2.
La Fête des fous
Scène 1. La procession
Scène 2.
La destitution de Quasimodo:
i l est dé-
possédé de ses insignes pontificaux.
Tableau 3. La Cour des Miracles
(1)
Ce procédé est inhabituel dans un roman
:
"Le- dée.oupage- (.,.)
e-n 1.> c)zne-I.> n' e.l:J-t do ne. que- .ta -tJr.adue.tùm v--u, uille., .ta :t-Jr.aducûo n éûa-
tan:te- ct lLévé.ta:tJUce- de- e.e- qIL<- appMw e.omme- .te- plLOplLe- du :thééU:Jtel',
Cf.
Pierre Aimé TOUCHARD,
op.
cit.,
p.
126.
(2)
Jacques SEEBACHER, op.
cit.,
p.
1062.

26
Scène l. La filature de Gringoire
Scène 2.
L'épreuve du mannequin
Scène 3 . La cruche cassée
Scène 4 . Une nuit de noces.
Tableau 4.
La flagellation de Quasimodo
Scène 1. Quasimodo moqué et insulté
Scène 2. Esmeralda donne à boire au bossu
(cette
scène a inspiré plus d'un graveur).
Tableau 5.
L'amende honorable de la bohémienn~
Scène 1. La désillusion de Frollo
Scène 2, L'intervention inopinée de Quasimodo
Scène 3. Claude Frollo s'introduit dans la cel-
lule de l'Egyptienne et deuxième inter-
vention du bossu.
Tableau 6. L'assaut de Notre-Dame.
Tableau 7. Le petit soulier et la mort de la bohémienne
Scène 1. Frollo livre la Esmeralda à la recluse
Scène 2.
Les retrouvailles
Scène 3. Les soldats sont à la recherche de l'E-
gyptienne
Scène 4.
Les implorations de Gudule
Scène 5.
Le pilori
Scène 6. Quasimodo précipite Frollo dans le vide.
Tous ces tableaux et toutes ces scènes,
par leur vi-
vacité et leur présence, restent incrustés dans notre mémoire.
Ils conviennent au talent de dessinateur de Victor HUGO.
Rappe-
lons qu'il a toujours été attiré par les arts ~lastiques: il
admire les grands peintres comme Albert DORER, REMBR'z\\"1"'<T',
Cli-LLOT,
GOYA et se trouve entouré de peintres; DEVERIA, BOULANGER et
bien d'autres. Jean B.
8APQERE parle d'une influence probable
de REMBRANDT sur HUGO quand il fait la description de la Fête

27
des fous qui ouvre le roman. (1)
Le découpage en tableaux serait d'une part,
l'idée
du peintre, et de l'autre, celle du dramaturge.
Personne ne
pourrait contester ces talents à Victor HUGO.
PIROUE fait un rapprochement entre le découpage opé-
ré dans les romans de HUGO et le travail d'un architecte qui
travaille par étapes et qui prévoit la durée de son travail
:
"1 ci encolLe., -f' e.J.Jthétique. théÔvtfla-€.e.
mCLILque. de. Mn -6ce.au -€.' unive.tL-6 hugolie.n.
P-€.U-6
que. COILneiUe. et Shaf2.e-6pe.Me. dan-6 -€.e.UM
p~èce-6, Hugo dan-6 -6e.J.J ftoman-6
ma-€.mène.
-€.e.
te.mp-6. I-€.
pftocède pM ac.te.-6 et -6cène.J.J, pM tab-€.eaux
( .. ,). Alié-
né aux m~èfte.-6 -€.oU!tde~ qu'~ manie., ~ COn-6tIL~ e.n aILchite.c.te. pM COILp-6
de bât-DI1e.n.U tant b~en que. ma-€. ajU-6té-6."
L'allusion à SHAKESPEARE et CORNEILLE n'est pas gra-
tui te : ils sont des génies que HUGO n'a jamais cessé d'admirer
et incarnent une idée de grandeur et de révolution à ses yeux.
Nous dirons pour finir ce chacitre que les divers as-
pects du récit hugolien que nous venons de voir semblent bien
s'adapter au projet de Victor HUGO d'écrire un "roman dramati-
que".
Si ce type de roman a connu une grande vogue à l'époa.ue
romantique,
c'est parce qu'il se situe aux antipodes du roman
traditionnel d'analyse. Qui plus est,
sa structure même,
évite
la monotonie et offre un intérêt toujours croissant au lecteur.
0)
Cf. La revue de la lîttérature comparée de 1923,
"Victor
HUGO et les arts plastiques",
par J.B.
BARRERE.

28
IV.
LES REFLETS DU DRAME ROMANTIQUE DANS NOTRE-DAME DE PARIS
Préliminaire
On n'imagine pas que l'on puisse parler de Notre-Dam~
de Paris sans évoquer le romantisme.
En fait,
ce roman a vu le
jour en pleine bataille romantique et il n'est pas hardi d'ima-
giner
"une Mue d' o-6mo-6e enbz.e t' --tnopiJw.uon dtLamatique e.:t t'éc/utuILe
ILomane.-6que à cette date chez HUGO"(J).
Pendant cette période, une fer-
mentation profonde fait bouillonner les esprits;
les jeunes é-
crivains cherchent la forme d'art capable de convenir à leur
sensibilité.
Et surtout,
ils veulent transposer les acquis po-
litiques et sociaux de la Révolution dans le domaine littéraire.
Leur objectif premier sera alors de se débarrasser des dogmes
et des règles qui endiguent le génie et définiront le romantis~
me comme
"te pILote.-6tanu-6me daM te-6 te.ttfle.-6 e.t te.-6 am" (2) .
Mais nous abordons une époque où les théories et les
tendances littéraires sont les plus diverses et les plus con-
tradictoires
:
"V~pute-6 enttLe te.-6 0éné!1ation-6, dMpute à t' -i.nté!U.-ell.IL
d'une mê.me génétLation : .f.'h.-t-6toüe du !1omaVLD:-6me o66/L-i-fla Ce.-6 -6pectacte.-6 ... "
(3).
Le caractère multiforme et épars de la nouvelle école n'est
pas sans embarrasser; de là la difficulté de donner une défini-
tion nette et précise du romantisme. A cet égard,
le témoigna-
ge de DELECLUZE présente un grand intérêt;
il exprime parfaite-
ment le manque de coordination et surtout, le tâtonnement de la
jeune école
:
"Nou-6 aVOVl-6 bava!1dé pendant deux aVl-6 -6utL cu UetLnet -6u-
jet, -6aM pouvo--ttL déte.!LnU.VleIL -6u/Ltout en quo--t c.oVl-6ùte te geMe ILomant--tque.
Le-6 op-i-nù'M à cet égMd Ua--teVlt beaucoup ptU-6 VlomblLeuM'-6 que ceux qLU pM-
ta-i-eVlt, catL, VlOVl -6el~emen;t dan-6 .f.e mê.me mo~, daVl-6 ta même -6ema--tVle, ma.u
daM ta meme -6éaVlce, ChaCUVl de nOU-6 vww d'op--tVl{.oVl .. ,"(4).
NETTEMENT, adversaire du romantisme, abonde dans le
(1)
Anne UBERSFELD, Le roi et le bouffon,
p.
32,
(2)
VITET, article du Globe,
avril 1825.
(3)
Pierre MARTINO, L'époque romantique en France 1815~1830, p, 7.
(4)
E.J. DELECLUZE, Journal,
2 janvier 1827.

29
même sens que DELECLUZE et déclare : "qu'à pa.JLÜJl de J 830, il de-
venM-t impoMible de :tJWLtVeA dan-6 l' é-c.ole .!lcmal1uou.e une -thé-o.llie de l' aJL:t
qLL-t lU;(: quelque c.ho-6e de p.!lé-c.ù."fl). On assiste à la publication de
plusieurs manifestes qui font retentir les propres opinions de
chacun sur l'art. On pourrait pour mémoire,
en citer quelques-
uns. GUIRAUD publie Nos doctrines
(1824); DESCHAMPS, La guerre
en temps de paix
(1824); HUGO, Préface de Cromwell
(1827); SAIN-
TE-BEUVE, Tableau historique et critique de la poésie française
et du théâtre français au XVIème siècle
(1828); VIGNY, Ré!.!.§:-
xions sur la vérité dans l'art et lettre à Lord::::::
(1829).
Tous ces manifestes malgré leur disparité, ont une
revendication commune:
la liberté dans l'art et l'instauration
d'une littérature nouvelle qui coïncide avec les réalités du
moment. Dans l'ensemble,
les artistes non seulement vont s'ef-
forcer de définir leur école, mais aussi,
chercheront à établir
d'une manière concrète les fondements du théâtre nouveau:
le
drame romantique.
S'agissant du drame romantique, LANSON fait une re-
marque très significative, qui rend compte de la variabilité
du genre : chaque écrivain romantique, objet des prétentions et
des influences diverses, va disposer d'une dramaturgie qui lui
est propre:
"Le d'rarne .!lomantique,
écrit-il, e/.>-t une -6!fn-thè-6e !.>,{. VM-
-te qu'elle e-6-t plu.:tôt une c.on6u-6ion géVlé.!lCÛ-e, un .!le.:tou.!l à la pl[im~ûve ,(Vl-
dé-te.!lm~Vla:tioVl, eVl !.>O.!l.:te que dè-6 le/.> p.!le~e.!l-6 e/.>J.>~ qu'il!.> Ûe.!lOVlt, le/.> 1[0-
maVluqu0~ en a.!l.lliveJwyU: .:tout !.>~mplemen-t à o.!lgaVliJ.>e.!l le dl[ame c.hac.uVl J.>e,cclVl
MVl .:tempé.!lament e.:t Mn géVlie." (2).
Néanmoins,
nous n'avons pas la
prétention d'étudier la forme du drame romantique dans son con-
texte général;
l'étendue et le foisonnement de ce théâtre n'est
guère pour faciliter une telle entreprise.
Ce qui nous paraît important, c'est de voir corr~ent
certaines théories énoncées dans la Préface de Cromwell, pren-
(1)
Cité par D.O.
EVANS dans Le drame moderne à l'époque roman~
tiqu~, p.
10.
(2)
Histoire de la littérature française,
p.
975, cité par D.O.
EVANS, ~J2..:.. cit., p.
323.

30
nent forme dans la création romanesque de Victor HUGO. On peut
constater en effet que le raisonnement de HUGO sur le drame,
loin d'être purement théorique,
s'insère sensiblement dans le
roman
: bien des détails nous semblent en corrélation étroite
avec l'esthétique du drame.
Ce phénomène de filiation ne doit pas trop surpren-
dre; Notre-Dame de Paris n'a-t-il pas été conçu aux environs
de 1827, date de la tumultueuse préface 7
Voyons la définition que Victor HUGO donne du drame :
"
SHAKESPEARE, C'e.!.lt -te. V!Lame.; e.t -te. dJr.ame. qui Sond oouo un même. MuSMe.
-te. gJtote.oque. e.t -te. oubtzme., -te. te.~b-te e.t -te. bou66on, ta tJta9é~e e.t -ta
comé~e., -te. dJr.ame. e.!.lt -te. caJtactè!Le p!Lop!Le de. ta tJtoioième. poéo~e., de. ta
~é!Latu.Jte actue.-tte. r ... ). Vano te. dJtame, te.-t qu'on pe.u.t, oinon -t'e.xécute.!L,
du moino te conceuoifL, tout 0' enchcûVle. e.t oe déduit ainoi que. dano -ta !Léw-
té. Le. coJtpo y joue. oon !Lô-te comme -t'âme; e.t te.o Romme.o e.t -te.4 évéVlemento,
mio en jeu paJt ce. doubte. age.nt, paooe.nt tou!L à tou!L bou66ono e.t te.!LfLib-teo,
que.-tque6où te.~b-te.o e.t bou66oVlo tout e.vzoe.mbte.." (J l
Plus tard, Victor HUGO redira dans William
Shakespeare :
"Le dttame eot déconce/1.;tant. Tt dé!Loute. te.o âme.o 6aib-teo,
Ce.-fa ue.nt à Mn ubiquité; te. d!Lc{me. c{ touo -te.o hOIGtzOVlo." (2)
Il est important de souligner que SHAKESPEARE appa-
raît comme le symbole des temps modernes, de la révolution ara-
matique. Nombreux sont les écrivains de la génération romanti-
que qui ont reconnu en lui une grandeur extraordinaire. Dans
la Préface de Cromwell,
le nom de SHAKESPEARE revient avec une
insistance particulière. Et dans WilliamSha~espeare :
"ShaR.e.o-
peMe., e.n e.66e.t, a méJtité, ainoi que. toLiO -te.o poète.!.l v!Laime.nt gJtaVldo, ce.:t
é-toge. d'êtJte. oe.mb-tab-te. à -ta C!Léat~on. ~U'e.!.lt -ta c!Léation ? B~e.n et mat,
joie e.t de.u.i-t; homme. e~t 6emme., !LugiMe.me.nt e.t chanooVl, aigte e.t vautouJt,
éc-taiJt e.t !Layon, ab~e. et 6!Le.-fOVl, montagne. e.t vat-tée., amou!L ex haine.,
haut ct bao" r 3).
A en croire HUGO, c'est la hardiesse de mêler
dans son oeuvre les facettes de la nature qui font de SHAKES-
PEARE un grand poète. On n'aura pas été sans remarquer combien
(1)
Maurice SOURIAU,
La Préface de Cromwell, pp.
213-215.
(2)
Victor HUGO,
William Shakespeare, p.
110.
( 3 )
lb i d e~. p . 1 8 0 .

31
cette recherche de la réalité est complexe mais non moins in-
téressante. Elle se reflète dans N?tre-Dame de Paris et trouve
son explication dans le grotesque.
A. Rendre compte de la réalité
1.
~§;_grQ!;§;ê9~§;
La théorie du grctesque est capitale dans la pensée
hugolienne. Nous serions même portée à croire que le grotesque
représente le pivot de l'esthétique du drame puisqu'il s'oppo-
se à la notion du beau et à l'harmonie prônés par le classicis-
me.
HUGO le précise lui-même et indique que le grotesque cons-
titue la différence fondamentale entre la littérature classi-
que et la littérature moderne
: "AùuJ.., vo~à Wl PJtùLcJ..pe étJtangVL
à l'antiquJ..té, un type nouveau J..~~tJtoduJ..t da~ la poé~J..e; e.t, comme une
con~on de pl~ dan~ i'ê.~e modi6J..e l'ê.tJte, vo~à une 60Jtme quJ.. ~e dé-
vûoppe daM l'aJ[):. Ce. type, c'eot le 9Jtote~que. Cette 6olLme, c'e.ot€.a
co-
médJ..e.
Et J..cJ.. qu'~ nou~ ~oJ..t peJtmJ..~ d'J..n~~tVL; caJt nou~ venon~ d'J..n-
diqueJt le ~~aJ..t calLacté~t~que, la di66éJtence quJ.. ~épaJte, à notJte av~,
l'au modeJtne de l'aJ[): awque, la 60Jtme actueffe de la 60Jtme molLte, .. " (1) .
Non seulement le grotesque occupe le premier rang et joue un
rôle immense dans la pensée moderne, mais il est aussi
"une de~
~upJtême.o beauté~ du dfLame. Ii n'en e.ot pa~ ~euiement une convenance, ~
e.ot Muvent une néce.o~Ué" (2) .
Cependant, c'est une chose très surprenante que HUGO
n'ait pas défini clairement une notion à laquelle il accordait
une si grande importance, en traçant éventuellement les limites
de ce principe original. Est-ce un oubli, ou bien l'écrivain
s'est-il délibérément interdit de le faire? Ce qui apparaît
de façon évidente dans la Préface, c'est que Victor HUGO se li-
mite à l'énumération des types et des exemples auxquels le 9ro-
(1)
Maurice SOURIAU, or. cit., p.
192.
(2)
Ibidem,
p.
230.

32
tesque peut être appliqué : " ... le. gtwte..oque. a Wl tz.ôle. ~me.Me., If
y e..ot patLtout; d'une. patLt, ~t citée. le. cü6n0tz.me. e.t l' hollible., de. l' ŒlL-ttLe.,
le. comique. e.t le. bou6 non. If âtache. autoult de. la tz.eLtg~on mille .6upe.M,U-
UOM O,'Ug-Ùla1.e..6; au;to ult de la po ê.où. rn<.Lte. ~ag~natio M p-éttotz.e..6 que!.J" . (J l
C' est le grotesque qui prendra également : "toM lu ~d~culu,
toute..o le..6 ùl]~~té,s, tou.tu lu lcude.uM r ... ), C'e..ot à lM que. tz.e.v~en­
MOVl;t lu pa!.J.6~OM, lu v~ce..6, te.o c~mu; c' e..6t lu~ qM .6e.tz.a lux~e.ux,
tz.ampan.t, gOlUlmand, avatLe., pe.tz.Mde., btz.o Mflo n, hIJPo~e.. C'ut lM q~
.6e.tz.a toutz. à tou.tz. Tago, TatLtunne., Ba!.J~e., PoloYJ.;(u.6, Hatz.pagon, Batz.tholo,
Fa1..6tann, Scap~n, hgatLo. Le beau n'a qu'un type; le la,éd en a ~le,"(2J
Ou bien,
HUGO se contente d'utiliser des termes métaphoriques
pour désigner le grotesque
:
"une. ~mla!.J~on, une ~tz.upuon, un débotz.-
de.me.nt; c' e..ot un tO!l.!l.e.n.t qM a tz.ompu .6a cügue" (3), Une telle accumula-
tion d'images et d'illustrations est stupéfiante: au lieu d'ap-
porter des précisions sûres,
elle ouvre sur une équivoque,
cel-
le de la signification réelle du grotesque.
C'est à
juste titre
que Anne UBERSFELD fait cette réflexion
: "Le. gtz.ote..6que hugoue.n
échappe au code cu-Uulte.l, ~ déconcetz.-te, ~ détz.oute" (4). Ce qui laisse
à penser que le grotesque,
sous la plume de Victor HUGO,
a un
aspect protéiforme,
polysémique:
i l englobe des acceptions les
plus diverses et les moins convergentes. Mais comment existe-
t - i l dans Notre-Dame de Paris ?
Il apparaît sous différentes formes qu'il convient
de préciser et de nuancer.
Le grotesque,
c'est d'abord le corps,
la matière. Des critiques sont d'accord pour affirmer que HUGO
est
"poète non de l'âme, m~ de. la mauèlte (5), Souvent cette matière
s'oppose à l'idéal,
au beau.
Par exemple,
le décor même de No-
tre-Dame de Paris se manifeste sous une forme grotesque,
Il est
bien évident que le romancier présente la cathédrale comme un
édifice "majestueux et sublime", mais i l n'en demeure pas moins
(1) Maurice SOURIAU,
op.
cit.,
p.
199.
(2)
Ibidem p.
207.
(3)
Ibidem p.
208.
(4)
Anne UBERSFELD,
op.
cit., p.
70.
(5)
Cité par Anne UBERSFELD, ~~~!., p. 136.

33
que cette merveille gothique offre un aspect sinistre et laid,
dû sans doute à l'aspérité de ses contours et aux dégradations
dont elle a été l'objet:
" ... TILo~ MILteo de- ILavageo dé-MguILe-nt au-
joulLd' hu-é -t' aILchd:e-ctu/te- gOtMqUe-. R-tdeo u ve-fLJl.ue-,s ài.' é-p-tde.-!Lme-, c' e-6t
-t' oe-uvlLe- dLt teJnp-6, vO-t~s de- 6w, bILut~é--6, co VltU-6-tOVl-6 , &fI.ac.:tu.!Le-6, c' eot
-t' Oe-uvILe- deo fI.é-vo-tU;t-Ü'Vl-6 de-puù Lu.:the-IL jU/)qu' à Mbwbeau. Mutu..auoM, am-
pu.:taUc'Vl-6, fu-tocaUOVl de- -ta me-mbILuJte-, ILe-~tau.!LaUon-6,
c' u t -te- tlLava,U
gILe-C, ILoma-én U
bMbaILe- de-6 pILO Il eM eUM -6 el.o Vl V-<..:t!Luv e- u V~g Vlo-te" ( 1) •
On pourrait être surpris de voir que Victor HUGO pro-
cède à une personnification de l'église. Elle a des excroissan-
ces maladives :
"Rides",
"verrues",
"contusions",
":f:ractures",
"amputations" qui s'appliqueraient davantage au corps humain
qu'à un objet inanimé. Cette assimilation de la cathédrale à
l'homme renforce sa laideur physique. Ayant perdu ses belles
formes originales, elle fait bien triste figure et devient
"-ta ILugue-U/)e- cathé-dlLa,fe" (2) , avec une
"dille- hu.m~de u .t.omblLe- . .. ," (3) .
Elle n'est pas seulement monstrueuse et informe,
son allure
insolite et mystérieuse lui donne un visage terrible, donc gro-
tesque.
Notre-Darne est peuplée de statues qui représentent tour
à tour des évêques, des monstres, des saints, des démons.
Au-
tour d'elle,
le peuple entretient de nombreuses superstitions
"A-tOIL-6, d~a-tent -teo VO-t-6Ùleo, toute -t'é-gwe- pILe.VlU:t quel.que cho-6e de- &an-
ta-6t-<-que-, de -6UILnatuILe--t, d' hOfI./Ub-te-; deo ye-ux e-t de--6 boucheo -6' Y OUVILa-te-nt
çà u Rà; Ovl e-nte-nda-<..:t aboye.IL -teo CMe-M, Ru gu~é\\}ILe--6, -te--6 taJw.t.queo de
p-te-!L!Le qM \\!uUe-nt jouIL et Vl~t, -te- cou te-ndu u -ta gueul.e OLtVeILte, au-
tOUfI. de- -ta mon.t.t!Lue.u-6e cathédILa-te ... "(4).
La Cour des Miracles, bas-fonds peuplé d'individus
laids de corps et d'esprit, présente un décor grotesque. Lors-
que Victor HUGO décrit ladite Cour,
il exclut tou~e spiritua-
lité,
tout idéal. Les éléments pittoresques de ce refuge mar-
ginal sont horribles et laids
: " ... Deo 6eux, autouIL deoque-t.t. ûou!t-:
(1)
N.D.P.,
3,
l ,
pp.
109-110. C'est l'auteur qui souligne,
( 2)
Ibidem 4 ,
III, p. 149.
( 3 )
Ibidem p.
148.
( 4 )
Ibidem 4 ,
IV,
p.
154.

34
nULf.cUe.vU: du, 9/l0 up U, é..tJwng u"
Ij bJUUcU e. vU: çà e.t fà.
Tout c e-fa aUcUt,
ve.ncUt, cJvicUt.
( ... ). Lu, mcUn6, fu, tUe.6 de. ce.tte. 60u,fe., no-Ute. J.>u/l fe.
Sond f~ne.ux, Ij dé..coupcUe.vU: miffe. gu,te.J.> b~Za!l!lu,.
Pail mome.l1tJ.>, J.>un fe.
J.>of, où ~e.mbfcUt fa ~a!lté.. deJ.> 6eux, m~ée. à de. g/landu, omb/leJ.> ~ndén~­
MeJ.>, on pouvcUt voilt pMJ.>e!l un ch~en qu~ /lu,J.>embfadà un homme, un hom-
me qLU /lu,J.>embfcUt à un c~en ( ... J. C'é..tcUt comme un nouveau monde, ~n­
connu, ~noLU., ~660/lme, /leptife, 60u/lmiflavu:, 6avU:Mûque." [J)
HUGO apporte un soin particulier dans le choix de
ses adjectifs;
ils ont tous une force suggestive.
S'il éta-
blit un rapport délibéré entre l'homme et la bête, c'est pour
mieux faire ressortir le grotesque de ce monde à part, avec
ses corollaires;
laideur, vulgarité et absurdité.
Le grotesque,
c'est aussi l'excessif,
la démesure.
Claude Frollo représente parfaitement ce type de grotesque.
Pourquoi le prêtre est-il grotesque? parce qu'il éprouve une
passion vorace et contre nature pour une jeune bohémienne.
Qu'on en juge par cet exemple!: " ... Ecou;te., je ;t' cU J.>~vù danJ.>
fa chamb/le. de dou.!e.U!l. Je. t'a;' vu déJ.>hab~e./l e.t maMe.11. de.~-nue. pail fu,
mcUn6 ùtnamu, du toulzme.n;te.U/l. J'cU vu ton p;'e.d, ce. pùd où j'euMe. voufu
POUIt un empilte. dé..poJ.>e!l LU'!. J.>e.uf b~eA e.t mou/l-Ut, ce. p;'ed Mu,o fe.que-f je.
J.>e.I1ÛIt~ avec tant de. dé..iice.J.> J.>'é..C/lMe!l ma t~te, je. l'cU vu e.nJ.>e.!z!ze.!z
dan6 f' hO/lJvibfe. blzode.qu;'n q~ n~ du, me.mb/leJ.> d'un U!ze v;'vavU: une. boue
J.>anCjfavU:e. " ( 2)
HUGO n'hésite pas à utiliser les mots qu'il faut pour
dire l'amour brûlant et vicié du prêtre.
Il va s'agir pour lui
de choquer les convenances, de bouleverser la règle de la bien-
séance en présentant la passion ridicule et exacerbée d'un hom-
me issu d'un rang social noble.
Cette tendance à railler les
gens respectables a souvent été reprochée à Victor HUGO.
On peut
par exemple,
lire cette cr i tique dans l,' Ul tra
: "'"
If Cj a chez
Hugo une ;tendance. fJo!lt J.>~nguiiè/le a vo-Ut fa na~U/le e.t fa J.>oc~é..té J.>ouJ.> fe
J.>e.ul po;'vU: de vue de feuIl ~Ho!lmdé.. phlj.o~que et mOl1.afe r •.. ). Son .olj.otème
d/lamat~que. /lepoJ.>e -OcL/l ce:t:te .idé..e r ... J; feJ.> .oen.t.UneYLt-O nobfe,o e.t é,fevéJ.>
(1)
N.D.P.
2,
VI,
pp.
82-83.
(2 )
Ibidem a,
IV,
p.
327.
(

35
c-hez -te!.J êtJz.e~ vili e;t abje-w e;t -te!.J pM~-tOM bM~e!.J, hon.teMe!.J e;t c-JU.-
m-tnû-f..e!.J c-hez -te!.J peJ"U~ 0 nnag e!.J -te!.J p-tu~ Jte~ pec.té~ e;t -te~ p-tL(~ ém-trlen06 de
-t'oJtdJte Mc--ta-f.."(7).
Jehan Frollo et Gringoire peuvent être classés dans
la lignée du grotesque
: ils appartiennent dans un premier
temps à
la gueuserie,
ensuite,
ils disposent d'une verve comi-
que particulière. Gringoire déploie son talent de saltimban-
que dans les coins de rue parisiens, chaises et chat entre les
mâchoires,
à
la grande joie des badauds qui rient de cette scè-
ne excentrique.
Au milieu de la horde fourmillante de la Cour
des Miracles, on lui fait passer une épreuve au cours de la-
quelle le philosophe dit une prière comique,
partant,
grotes-
que
:
"Oh! dÙcU:t-il :tout bM, e!.JJ:-il pOM-tb-te que ma v-te dépende de -ta
mo-tndJte de~ v~bna:tion~ du mo~ndJte de c-e!.J gJte-f..o~! Oh! ajouta-t:t-il -te~
mcUM jo~n.te~, MlY!.netieJ.>, ne Mlnnez pM! e.--toc-het.te!.J, ne e.-toc-hez pM! gJte-
-to:t~, ne gJtetoUez pM 11 (2).
Au grotesque comique de Gr ingoire et
de Jehan,
nous voudrions rattacher celui des personnages de
la Cour des Miracles dont les noms ont une tonalité amusante
et suggestive
:
"Clopin Trouillefou, Colette la Charonne,
Eli-
sabeth Trouvain,
Simone Jodouyne, Marie Piédebou,
Thonne la
Longue,
Bérarde Fanouel, Michelle Genaille,
Claude Ronge-Oreil-
le!, Mathurine Girorou" (3).
On retrouve le grotesque comique dans le jugement de
Quasimodo.
En effet,
une sorte d'incommunicabilité s'instaure
entre l'accusé et le juge:
le juge est sourd,
l'accusé aussi.
Dans son infirmité,
le juge apparaît comme une sorte de méca-
nique qui pose des questions sans tenir compte des réponses.
Le comique naît surtout du contraste entre la noblesse de sa
situation et sa surdité.
Ici,
HUGO semble mettre en cause l'in-
décence et le grotesque de l'ordre social représenté par la
justice.
D'autre part, derrière cette comédie,
se dessine l'un
des fils conducteurs du romantisme:
le conflit de générations.
( l )
Cité par Anne UBERSFELD, ?p_._ci t. , p. 182.
( 2 ) N.D.P.
2, VI,
p.
92.
(3)
Ibidem p.
94.
- - - -

36
L'écrivain peint métaphoriquement son époque;
le juge c'est
le vieillard ridicule, qui veut assumer des hautes responsa-
bilités sans en être capable.
Quasimodo est pourtant le paran-
gon du grotesque.
Son image correspond admirablement au type
du grotesque tel que Victor HUGO le décrit dans la Préface de
Cromwell.
En lui se combinent le difforme,
l'horrible,
le bouf-
fon;
i l a
toutes les infirmités,
toutes les laideurs,
Il est
à la fois
sourd, cagneux,
bossu, borgne. Pensons à la scène
de la chapelle du Palais de Justice, qu'on juge ensuite du
portrait grotesque du sonneur de cloches
: "Une. gJtOMe. :tUe héw-
~ée. de. che.ve.ux Jtoux; e.n.:tJte. f~ de.ux épaufe.~ une. bo~~e. énoJtme. don.:t fe. con-
:tJte.-coup ~e. nwM;t ~e.nti.Jl pM-de.van.:t; un ~1J~:tème. de. CLÛM~ e.:t de jambe.~
~J.. é:tJtange.me.n.:t nOMvolJé~ qu' ûf~ ne. pouvaJ..e.n.:t ~e. :touche.![ que. pM .e.~ ge.-
noux; e.:t, vu~ de. nace., Jte.~~e.mbfa{e.n.:t à de.ux cJtoJ..4~a~ de 6au~f.e.e.~ qLÛ
~e. Jte.joJ..gne.n.:t pM fa poJ..gnée.; de. faJtge.~ pJ..e.~, de.~ mcUn~ mon~:tJtue.~~; e.:t,
ave.c :t('ute. cetie. d.tn6o~té, je. ne. ~aJ..4 quûfe. affuJte. de. vJ..gue.uJt, d'agJ..U-
:té e.:t de. couJtage. ... " (7). Quasimodo est d'une laideur si monstrueuse
qu'il se trouve en parfaite harmonie avec la cathédrale. Dans
cette harmonie entre l'église et l'être humain,
i l y a comme
la présence consolatrice de la mère pour son enfant : "Se.~ angfe~
~~a~ ~'e.mboZ:taJ..e.n:t r ... ) aux angfe~ Jten.:tJta~ de f'éd.t1J..ce., e~ J...e. rrua-
~J..modo) e.n ~e.mbfM;t non ~e.ufeme.n.:t f'habJ..:tan.:t, mw e.ncoJte. fe. co~te.nu na:tu-
JteL On pouJtJtcU:t pJte.~que d.tJte qu' ,û e.n avM;t pJt.i~ fa nOfLme, comme. fe. coLi-
maçon pJtend fa noJtme. de. ~a coquitte.. C'é:tM;t ~a de.me.uJte., ~on :tJtou, ~on e.n~
ve.foppe.. H IJ aveUt e.n.:tJte. fa vJ..e..<ile. égwe. e.:t fLÛ une. .ôympatlU.e. J..Mlinc-
live., :tant d'a6nJ..nJ..:té~ magn~qu~, :tan.:t d'a66J..nJ..:té~ maté![J..ef.e.~, qu'i.e. IJ
adhéJtcU-t e.n quûque. MJt-te comme. fa :to!L:tue à Mn écaJ..f.e.e.." (2) •
HUGO accentue la difformité du sonneur en le compa-
rant presque toujours au monde animal
: Quasimodo ne respire
pas,
i l souffle;
sa tête ressemble à " ... ceile. d~ f~on!.) quJ.. on.:t
eux aLLMJ.. une. C!Uvu.èJte. e.:t pa~ de. cou'! f 3) . N'es t-ce pas l'aspect redou-
(1) N.D.P. l, V, pp. 51-52. Rappelons que Victor HUGO a toujours re-
cherché une signification interne aux noms propres qu'il
utilise. Quasimodo signifierait:
un être incomplet, une
ébauche,
une sorte d' Il à peu près ".
..
(2)
Ibidem 4,
III,
pp.
148-149.
(3)
Ibidem 8, VI,
p.
349.

37
table d'une bête humaine qu'on entrevoit encore dans cet exem-
ple ?: "QLLMVnodo pw atoM t'a.Jl.fVi.è/te.-gMde., e.:t -6u~v~:t t' Mc.lû~aCfte à
/te.CUf.OVL-6, t/tapu, ha/L9ne.LLX, mOn-6:t!tue.LLX, hé~-6-6é, /tcunM-6an:t -6e.6 me.mb/trJ5,
f.échaVl.:t -6rJ5 déne.l1-6e.-6 de. ,::'ClI1gue./t, gftondan:t comme. Lme. bê-te6auve, ct ~mp~­
mantd' ~mm('nM,::' (1 -6 c~c..e.atJ..(J n-6 à ta 6(J ute avec Lm 9 eA:t e ou UVI /te 9Md, " (1) .
Ce portrait physique ne peut que faire peur, d'où le qrotesque
terrible de Quasimodo.
La constante de l'imagination hugolien-
ne qui consiste à créer des grotesques proches de la bestiali-
té n'a pas plu à tout le monde. C'est le cas par exemple de
ROLLE qui écrit dans le National :
"fi..!Jt VJ...c.to/t HUGO aJ..me. ce.:t:te. e-6pè.-
ce. m~xte, J...ndé:te.ftm~née qu~ n'e.-6:t n~ t'homme. vu ta bUe." (2) . ROLLE fait aussi
un rapprochement intéressant entre Caliban de Shakespeare et
certains personnages grotesques de Victor HUGO : "POM TftJ...bo uf.ct ,
M. V~c.tOft HUGO t'a mode.té -6u/t -6on :type accou:twné. M. HUGO n'a qU'Lm :type.
pou/t te. ta.'<'d, ~f. a pw Ca.f.J...ban à Shaf2e.-6pe.Me., e.:t e.I1-6U,éte. i l a épMpilté
C~ban dan-6 -6e-6 d/tame.-6 e.t -6e.-6 ftoman-6. Han
d'I-6tande., Qua-6Vnodo ~e/t,
T~boute:t, :tou-6 (IVI:t e.mp/tuVl/té qLLetque. chqM. à Cauban". (3)
De son côté, Anne UBERSFELD établit une parenté d'a-
bord physique, ensuite morale entre Quasimodo et Triboulet :
"Le. Ue.Vl phy,::,J...qLLe. i:'.VL:t!Le. Qua-6J...modo e.:t T,uboute:t e.-6t :tftOP vJ...-6J...bte. pOUft qu' OVI
Y ~MÙ:te.,
écrit-elle, ta ta.J...de.u/t, ta bOMe., f.'hOJtJte.M J...11-6,ÛVLc:t'<'ve
qu' ~n6p-0'te. R.e.LLlt -6e.uf. Mpe.ct; ta paltevz:té de teu/1 -6/étLL~(1n molta.f.e (Mutu-
de, chM-te-té 6o/tcée., amou/t maf.he.ulteux, ~Vlvoe.on:tulte méchance.téJ n'e-6:t guè-
fte. mo~n-6 6ftappaVL:te." (4).
Mais un au tre point semble réunir ces per-
sonnages contrefaits : ils sont tous les deux des grotesques
bouffons. A la seule différence que Triboulet est le bouffon
du roi, et Quasimodo,
le bouffon du peuple.
En effet, Quasimo-
do a pour rôle d'égayer la morosité des badauds de Paris; c'est
l'outil du rire par excellence. Le rire que provoque une per-
sonne difforme peut sembler pervers de nos jours, mais au Moyen~
Age,
il n'avait rien de choquant.
Il n'était pas rare de voir
( 1) ~ D. P.
2,
IV,
p.
7 1 .
(2)
Cité par Anne UBERSFELD, ~~~it., p. 134.
(3)
Ib~dem. C'est l'auteur qui souliqne.
( 4 ) lb idem p.
1 Dl .

38
-'~' .", :'.
:..,,·;7<.... \\·'j'
-
t' ",'1
â!~~tte époque, dans les familles aristocratiques, des êtres
anormaux chargés d'amuser. C'est ce rôle antinomique "d'amu~
seur monstrueux" que Quasim0do remplit dans le roman.
On se souvient que le peuple a déserté le mystère
pour aller voir Quasimodo la "qrimace". Le costume dont il
est revêtu et les cris de joie de la liesse populaire, font
de lui un bouffon accompli
: "0.uand c.e;t;te. e-opèc.e. de. c.ljc..tope. pMu;t
~u~ le. ~e.~ de. la c.hape.lle., ~mmobife., t~apu, e.t p~e.~que. a~~~ lMge. que.
hau;t, c.a~é pM la b~e., comme ~ un 9~and homme, à ~on ~u~out m~,pa~~
~ouge. e.t v~o.te.t, ~e.mé de. c.ampa~.tle.~ d'Mge.nt, et ~~ou;t à la pe.~6e.~on
de. ~a laide.u~, .ta populac.e. .te. ~e.c.onnut ~~ le. c.hamp e.t ~'éc.~~a d'une. vo~x
"c.'~t Qua~~modo, le. Mnne.u~ de. cloc.h~! c.'e~t ().ua~~odo .te. bo~gne.! Qua~
~~odo le. banc.M! Noël, Noël." (7) . Le peuple le porte aussi tôt en
triomphe et promène son bouffon dans les rues et les carrefours
de Paris. Mais on est frappé par la joie amère que le bossu
éprouve. Serait-il conscient de l'ingratitude de son rôle et
de sa situation de souffre-douleur?
Ce qui paraît évident, c'est que le sonneur est bouf-
fon malgré lui;
il sait qu'on rit de sa bosse, de ses épaules
calleuses et velues.
Il fait figure de bouffon victime du sa-
disme du peuple. La distorsion entre le bouffon hugolien et
son air tragique a toujours prêté le flanc à la critique, ain-
si le Journal du Commerce remarque à propos du Roi s'amuse:
"Que ~~g~6.{.e. (... ) c.e bou66on qu~ ne 6ad jam~ ~~e., dont.ta mMotte
e.~t un pO~9nMd, qUA.. joue avec. un c.ada~I~e., et tou;t c.e.t éc.ha6audage. de.
mon~~uo~ilé~, d'hoM.euM, quA. ne. p~oduùe.nt que..te dégoû;t et l'enn~."(2J
Alexandre DUVAL reproche à HUGO : "la ~.te.Me. de. V00 joye.ux 6ou!.l."
(3).
Formule paradoxale certes, mais elle traduit bien le ma-
laise et le parallélisme des bouffons de Victor HUGO. Ce mélan-
ge de tons peut effectivement heurter la sensibilité du lecteur
ou du spectateur, mais il constitue le substrat même du drame
qui serait un miroir où se reflètent et s'associent les élé~
(1)
N.D.P.
1, V,
p.
52.
Souligné dans le texte.
(2)
Cité par Anne UBERSFELD, ~~~it., p.
133.
(3)
Ibidem

39
ments les plus opposés et les plus variés
"
If 5VLcU.;t pM-6VL
à c.haque. ~V1J.J,taVLt f'aucL{;toùLe. du -6éJUeLLX au lL-Ute., de.-6 e.xUto.;t{OM bouùù o-
ne.!.l aux émotion-6 déc.hùwVLte-6, du g!Lave au doux, du pf~ant au -6évèJte.." ( 1]
L'antithèse est un procédé rhétorique cher à l'esprit
romantique.
SCHELEGEL l'a bien vu dans son Cours de littératu-
re dramatique :
"L' e.-6p!LA./t !Lomantique. -6e. pfcÛ/t dan-6 un Jtapp!Loc.hemen): c.on-
tinue.,t de.-6 cho-6e.-6 ,te.!.l p,tU-6 oppo-6ée.-6. La nMuJte. e.t ,t'au, ,ta poé-6ù et ,ta
pJtO-6e., ,te -6é~eLLX U ,ta p,t~antwe., ,te. Muve.lUA et ,te. pJteMent~ent;
,te-6
~dée.-6 ab-6tlLcU.;te-6 ~t ,te.-6 -6e.Mation-6, ,ta v~e U ,ta moJtt -6e. Jtéun~Mnt et -6e.
c.onùonde.nt de ,ta maiUèJte ,ta p,tU-6 .i..nUme. daM ,te ge.n!Le. Jtomanuque." [2) . Mais
pour Victor HUGO,
l'antithèse est plus qu'une simple fiqure de
style, c'est un principe fondamental de l'art en général et du
drame en particulier. L'expression antithétique résulte de l'i-
dée de lutte, d'une vision conflictuelle du monde : "Du JOU!L
,te. c.~tiavl~Mle. a cL{;t à ,t' homme. : Tu e.-6 doub,te., tu e.-6 c.ompo-6é de. deux e-
tfLe.!.l, ,t'un péJt~Mab,te, ,t'autlLe ~mmoue.,t, ,t'un c.hMne,t, ,t'aut!Le. éthé!Lé, ,t'un
enc.haZné pM ,te.-6 appétA./t-6, ,te.-6 be.-6o~n-6 u ,te.-6 pa-6-6~OV1J.J, ,t'aut!Le e.mpo!Lté
-6uJt ,te.-6 a~.e.e.-6 de ,t' eVLthoU-6~a-6me. [ ... ), de c.e JOLLJt ,te dJtame. a été c.Jtéé,
E-6t-c.e aL~le c.ho-6e en e6éu que. c.e c.ontftMte de. tOU-6 ,te.-6 Jo~, que c.e.tte.
,tutte de tOU-6 ,te.-6 ..tvt-6tantf.> entlLe. deux p~nc.~pe.-6 oppo-6é-6 qu~ Mnt touJouJt-6
en pJté-6 e.nc e. dan-6 ,ta v~e., e.t q~ -6 e. dùpute.nt f' homme. dep~ ,te be.!Lc.e.au
JUf.>qu'à,ta tombe ?"(3). Cette dualité de la vie,
HUGO s'est effor-
cé de la refléter dans son théâtre, ainsi que dans ~?tre=Qame
de Paris; quand i l présente ses personnages et les différentes
situations dans lesquelles ils vont être impliqués.
a)
Les personnages
(1)
Maurice SOURIAU,
op.
cit.,
p.
312.
(2)
Son Cours de littérature dramatique a été traduit en 18]4
pour Mme Necker de SAUSSURE,
cou;ine de Mme de STAEL.
(3)
Maurice SOURIAU,
op.
cit., pp.
222-223.

40
Qu'il nous suffise de remarquer que les per~onnages
de Notre-Dame de Paris sont complexes, multiples,
ils consti-
tuent de véritables antithèses.
Ce jeu de l'antithèse est pour
Victor HUGO un moyen d'attirer l'attention sur l'être et le
paraître,
l'apparence et la réalité du bien et du mal
(1).
C'est ainsi que Claude Frollo offre l'image d'un prêtre chas-
te,
intègre et équilibré, mais la réalité est tout autre
: le
coeur de l'archidiacre bouillonne de concupiscence et de per-
versité. On verra de quelle manière odieuse il fomentera des
complots pour anéantir celle qu'il prétend aimer.
HUGO prête
à Jehan Frollo une réflexion qui témoigne de la nature ambi-
valente de Dom Claude : "L' enve,toppe auJ.>tèlte e-t g,tac.za.-e.e de aaude
FltoUo, cetie fllto-<'de -6uJr6ace de veft-tu e-6CMpé.e e-t ùlacceM.zb,te, avw
toujouM -tltompé. Jeh.an. Le joyeux é.coueJt n' avw jam~ Mngé. à ce qu'il
Y a de ,tave bo~,tante, 6uJt.-leu-6e e-t pltononde MuJ.> ,te nltont de nûge de
,t'Etna. " (2). L' anti thèse concerne auss i Phoebus de Cha teaupers;
adonis du roman,
il est jeune, élégant et noble, mais il n'al-
lie pas la beauté physique à
la beauté morale.
Sa beauté s'op-
pose en effet,
à
sa désinvolture impertinente et à son hypocri-
sie. Ajoutons à ces deux travers, la dureté de coeur et la vul-
garité.
La Esmeralda qu'on croyait toute pure et innocente
représente pourtant une antithèse,
Elle raY0nne de beauté cer-
tes, mais derrière elle,
se cache un danqer,
une fatalité.
A
ce sujet Claude Frollo constate : "La cJré.a-tulte qu-<. Ua-d -6ou-6 me-6
yeux avw ce-tte beauté. -6ulthumeU-ne qu-<' ne peu;t veiUtt que du cù,t ou de .e' en-
6elt. Ce n'é.ta,Lt pa-6 ,tà une -6.zmp,te nille fJa,tte avec un peu de no-tlte teJrlte,
et pauvJrement é.c,t~é.e à .e'.znté.Jr.zeUlt pM ,te vacillant Itayon d'une âme de
nemme . C'é.tw un ange! m~ de té.nèbJre-6, mCL0) de 6,tamme e-t non de ,tum-iè-
Ite. " ( 3) •
(1)
"VC01-6 tou-6 ,te-6 CM,
ce qu..z e-6t c,ta-<.Jt, c' e-6t que ,ta dupuc.z,té. du -6ujet
e-6t .COV!-6~A-.:tutive du dltame. S'.{,t y a dltame, c'e-6t qu'il y a nJrac.:tulte
du je--6uje.:t, 1Jractulte .zn-6uppoft-tab,te e-t qui, pltov~oiJtemen.:t comb,té.e paJr
~e men-6onge et ,te ma-6que, Jré.c,tame d'êtlte lté-6o,tue au Vl,tveau du Itappoft-t
avec ,t'au-0"Ie." Cf.
Anne UBERSFELD,
o~ cit., p. 481, C'est
l'auteur qui souligne.
-
----
(2)
N.D.P.
7,
IV, pp.
268-269.
(3)
Ibidem 8,
IV, p.
324.

41
D'autre part, on se tromperait si on pensait que la
beauté des formes physiques signifie forcément la beauté de
l'âme. Les traits physiques les plus harmonieux cachent par-
fois un esprit retors voire crapuleux. En revanche,
la diffor-
mité physique peut révéler la beauté de l'âme.
En effet,
Qua-
simodo est ce personnage d'une laideur repoussante, mais sa
laideur se trouve compensée par la générosité et la bonté;
il
est à la fois grotesque et sublime, bête et anqe. On s'aperçoit
qu'il va à la rescousse de l'infortunée Egyptienne;
le réprou-
vé deviendra donc le héros après son acte al truiste
: "AfoJt-6 le.-6
Se.mme.-6 tU..ue.nt e;t ple.U/1Ue.nt, la 6oule. t.Jtép<-gnad: d'e.nthoM-i.Mme. c.aJt en
c.e. mome.nt--tà ()uM-i.modo avad: \\lJtume.nt -6a be.auté. Il é-t.ad: beau, lu.-i., c.et.
oJtphe~n, c.et. enùant tftouvé-, c.e Jtebut, ~ -6e -6entad: aU9~~t.e e~ ùoJtt., ~
Jtega'ldad: eV! 6ac.e c.eüe MC.-i.é-t.é- dont. ~ é-t.ad: bann-i. . .. " ( J J
La grandeur d'âme du bossu n'est pas occasionnelle;
elle semble une valeur innée. Le sonneur est grand dans sa gé-
nérosité comme dans sa laideur. L'exemple qui suit ne démontre-
t-il pas sa bonté?:
"Quelqlte-6 moment-6 apJtè-6, Jtev-i.nt appoJttant un
paquet. qu'-i.-t jet.a à -6eo p-i.ed~. C'é-t.uent deo v~t.ement-6 que deo 1emmeo c.ha-
Jtdableo avuent dé-pooé- pouJt eUe alt ,!>e~ de -t'é-glùe ( ... ). EUe ac.he-
vct-Lt à peA.-ne (de oe Vê:tAA) qu'eUe v-i.t. Jtevenbt Oua-6-i.modo. Il pouad: un
pcm-i.eJt Mu,!> un bJtM et. lU'! mat.el.ao Muo l 1 a~e. Il U avMt. dan-6 le parJ-i.eJt
une b(Jute~ûle, du peUn, e~t quelqupo pJtovùùJno. Il pO-6a le pavUeJt à t.eJtJte,
et. d-<.t. : "Mangez". If é-t.end-i.t. le. matel.c0!> -6uJt la daUe,
e;t dd: : "VoJtme,z".
C'é-t.ad Mn pJtopJte ltepa-6, c.' é--tut. Mn pJtopJte ,[Ü que -te MnneLLJt de c-tocheo
avad: é-t.é chetr.c.heJt."[Z). De par son T)hysique,
C)uasimodo est inhu-
main, mais il incarne l'humanité et l'abnégation, C'est sa na-
ture complexe qui fait d'ailleurs son a t t r a i t :
i l est tout
aussi capable de faire peur, de faire rire et de faire pleurer.
Si HUGO excelle à présenter ses personnaa,es sous des
éclairages divers,
il sait aussi les opposer entre eux,
Il y
a par exemple,
un contraste saisissant entre Frollo et Esmeral-
da.
L'Egyptienne est symbole de liberté, de fraîcheur et de pu-
(1)
N.D.P.
8, VI,
p.
349.
( 2 )
Ibidem 9,
II,
p.
3?J4.

42
reté.
Libre de ses mouvements, elle peut entrer et sortir de
la Cour des Miracles sans être inquiétée. Elle occupe la place
de Grève et le Parvis de Notre-Dame sous le regard admiratif
de la foule parisienne. A l'opposé,
se situe Claude Frollo qui
souffre de claustrophobie sous les voûtes ténébreuses de la
cathédrale vidée de ses chrétiens, aigri, vieux avant l'âge,
prisonnier de ses recherches alchimiques, donnant l'impression
d'un mal de vivre très profond.
Antithèse brutale encore entre les habitants du cloa-
que humain de la Cour des Miracles et la bohémienne.
Il est
vrai qu'on la voit rarement avec les truands, ~ais la promis-
cuité entre leur laideur physique et morale et la lumière ex-
térieure et intérieure qu'elle dégage, relève de l'antithèse~
On imagine mal cette fille vertueuse dans cet univers où tout
intrus s'englue. Telle une apparition, on la voit entrer chez
les gueux : "Cefte ILMe c/1éa:tuILe. paILcUMaA;t e.XV1.CVL jl1J.>que dan,j .ta CoulL
de,j MVLac.te.~ Mn e.mpVLe. de. chMme. U de. be.auté. MgoUe.M e.t aILgouèlLe.-6
,je ILangecUe.YlÂ. douce.me.nt à ~on paMage.,
et .te.UIL~ bILuta.e.e.-6 M9uILe~ ~'épa­
nOUM-6cUe.YlÂ. à MI1 ILe.gMd." ( 1). Quas imodo se prête également à ces
effets de contraste
sa force herculéenne s'oppose à la fra-
gilité de la Esmeralda
"U te.naA;t .ta jeune. 6~Ue toute. pa.tpaante.
-6u-6pe.ndue à M~ mcun-6 ca.tte.U-6e/.J cc'mme. une. dILapetUe. b.tanche.; maù ~.e ta
polLtaA;t ave.c taYlÂ. de pILécauuon qu'~! pa~aù-6a~~ cILcUndILe. de .ta b~e!L
ou de. .ta nan"'IL. On ('.lit ~ qu'il le.YlÂ.aA;t que. c'ê-taA;t Lme cho-6e. déuc~t(',
e.XqLU-6e. et pILéc~('UM, 6~e POUIL d'cwt~e.-6 ma~M que. .te/.) ~~e.nne.-6."(2)
Un dernier aspect oppose les deux personnages:
l'un
est horriblement laid,
l'autre extrêmement belle;
ils sont com-
me l'eau et le feu.
Pendant que le b0ssu est cloué au pilori
et vilipendé par les badauds,
la Esmeralda va à son secours
et lui donne à boire,
sous les regards hébétés de la foule.
HUGO trouve dans ce geste et dans le contraste qui en ressort,
un charme singulier : "C'e.ût été pa!Lt(,ut un -6pe.ctacte. tOLLchant que
(1)
N.D.P.
2,
VI,
p.
95.
(2)
IÈidem 8, VI,
p.
349.

43
ce.:tte- be1.te- 6-Ul.e-, 6Jtcûche-, pUlLe-, chevunante-, U -6i Saibte- e-vt me-me- te-mp-6,
aiMi pie-L0jeme-nX accouJtue- ctLL -6e-COLV1J.l de- tant de- mi6èJte-, de- di110Jtmité U
de- méchancdé. SuJt un pitou, ce- -6pe-ctac!e- étaiX -6ubume-." (1),
La beau-
té de l'un sert de repoussoir à la laideur de l'autre,
Bien
plus, la présence de l'Egyptienne dans la cathédrale amène
Quasimodo à prendre réellement conscience de sa difformité
"Jamai-6 je- n'ai vu ma taide-UlL comme- à pJté-6e-nt. Quand je- me- compatr.e- à vou-6,
j'ai pilié de mO-t, pau\\'Jte- ma!he-utr.e-ux mOMtJte- que- je- -6U~! Je- do~ V(Ju6
6aiJte- .t'e-~6u d'une- b~e, dite--6.
- Vou-6, vou-6 ~te--6 un Jtayon de- -6ot~Lf, une- goutte- de- Jto-6ée-, un chant d'oi~
M,au! - 1\\loi, je- -6LL~ quetque cho/je- d'aûûJte-ux, ni homme-, ni animat, un je-
ne- -6~ quoi ptU-6 dUlL, p!U-6 bouté aux pie-d-6 e-t ,YJtU-6 dit5û0Jtme qLL' un cail-
tou" (2)
On voit bien que Victor HUGO ne recule pas devant
les contrastes les plus hardis. Comment le ferait-il? Ce se-
rait trahir le fondement même du drame qui est né de l'anti-
nomie et qui,
à son tour,
doit mettre en valeur l'opposition
irréductible entre le beau et le laid,
le bon et le mauvais,
le bien et le mal.
b)
Les situations
Il est vrai que le romancier offre une vision anti-
thétique des personnages et des rapports qu'ils entretiennent
les uns les autres sur le plan physique et moral. Mais ces
personnages peuvent vivre des situations diamétralement oppo-
sées qui les amènent à passer d'un état positif à un état né-
gatif ou inversement. Cela est d'abord valable pour la Esme-
ralda. Dès le début du livre,
elle rayonne d'une beauté éblouis-
sante et possède tous les attributs qui font d'elle l'objet
d'amour par excellence.
Le contraste est violent quelques pa-
ges plus loin entre sa splendeur de déesse du début et la livi-
dité extrême de son teint quand elle paraît devant les juqes :
(1)
N.D.P.
6,
V,
p.
233.
(2)
Ibidem 9,
III,
p.
367.

44
"EUe é-taJJ:. pâle; J.>~ c.heveux, au;tJr.en0i!.> J.>-i.. g!Lac.-i..eu.J.>emevt:t natié-J.> e;t pCLil..-
-te;té-J.> de J.>equi_nJ.>, tomba-ient en dé-M!LdtLe, J.>~ -tèV!LeJ.> é-ta-ient b-teueJ.>; J.>eJ.>
!jeux c.!L<wx eH!LaycU.evt:t. Hé--tctJ.,!"(l). De plus,
la créature céleste
devient un agneau sacrifié; on est choqué de voir cette sé-
millante jeune fille avec une horrible corde autour du cou.
Son bourreau Frollo a bien vu quand i l oppose les deux situa-
tions vécues par l'Egyptienne
"U y eu.:t un au.:t!Le momeY1.J:. où tout
en !L-i..aY1.J:. d-i..aboliquement J.>U!l -tLL-L-mê.me, ~ J.>e !Lep!Lé-J.>enta à -ta 6oi!.> -ta EJ.>me-
!La-fda c.omme -i..-t -t'avaJJ:. vue -te p!Lem-<..e!L jou.Jt, v-i..ve, -i..nJ.>o uc.-<..aY1.J:.e , joyeL~e,
pMée, dallJ.>aY1.J:.e, CLil..é-e, hMmon-<-w,se, et -ta EJ.>me!La-tda du de.Jtnie.Jt jOU!L, en
c.hemi!.>e, e;t -ta c.o!Lde au c.ou, moY1.J:.aY1.J:. -tentemenx, avec. J.>eJ.> p-i..edo nu,s, -t'é-
chet,fe angu-teuJ.>e du g-i..bet; ~ ,se 6-i..gu.Jta ce doub-te tab-teau d'une te~e 1a-
çon qu'a pouMa un c.!L-i.. teJvli_b-te" (2) . Plus loin encore,
le vaste
cercle de danse que la bohémienne crée au début,
s'oppose à
l'extinction finale,
à la mort cruelle
:
"~uM--imodo a-fO!LJ.> !Le-te\\!a
f' oeil ,stilL f' é-gypueY1.ne dCJY1.J:. ~ voyaiJ:. fe COILpJ.> J.>u,spendu au g-i..bet, nILém-i../t
au -to{.n Mu,s ,sa !lobe b-tanche de,s de.Jtn-<-eM :t!LeMaillementJ.> de f' agon-i..e. , . "
(3) •
Quand il s'agit d'antithèse,
Quasimodo n'est jamais
absent. Elu pape des fous au début du roman et porté 9ar la
liesse populaire, on constate
que le même peuple qui, quel-
ques heures auparavant l'avait acclamé et applaudi,
l'accable
de méchancetés
: "tvk€fe
aLL-t!Le,s {.nju!Le,s pfeuva-ienx, e.;t -teJ.> hué-e,s, et
-t~ -i..mp!Lé-cat-ionJ.> et -te,s ~e,s, et te.,s p-i..e!L!L~ çà e;t -tà."(4). Très rapi-
dement, cette haine vis-à-vis de la difforme créature se trans-
forme en une ovation bruyante qu'on ne réserve qu'à des indi-
vidus respectables
" ... Et d-i..x mille appfaud--iMemenu de main,s b--i-
!Lent é.tince-tell de jo--ie e;t de 1ù!Lté -t' oe.~ L{Y1.{.que de ~uM-<..modo," (5). Ce
goût pour HUGO des choses et des situations les plus opposées
est aux antipodes de l'esthétique classique fondée sur l'har-
(1)
N.D.P.
8,
1,
p.
306.
( 2 ) Ibidem 8, 1, pp. 353-354.
( 3 ) Ibidem Il, III, p. 497.
- - - -
( 4 ) Ibidem 6, IV, p. 230.
(5 ) Ibidem 8, VI, p. 349.
- - - -

45
monie et la mesure.
Or,
i l s'agit pour Victor HUGO de dépasser
le monolithisme classique, qui est monocorde et fausse la réa-
lité.
Le drame
" ... 0uVILe.ta YLatuILe, p~ ouvlLe .t'âme; U YLu.e..e.e LUnae.
à c.u hOftüoYL. Le d!tcune c' eJ.J-t .ta v-te, e-t.ta v-te c' e-6-tto(L,t . •. " ( 7)
Le drame étant un genre qui se veut expressif,
on
n'est pas surpris de voir HUGO accorder de l'importance à l'o-
riginalité,
au caractéristique.
J. MALLION observe que Victor
HUGO et ses contemporains, dans l'histoire du Moyen-Age,
s'in-
téressaient aux ''singularités''. (2).
Il nous appartient mainte-
nant d'étudier un thème qui était très à la mode à l'époque
romantique et que Victor HUGO évoque dans la Préface
:
la cou-
leur locale.
3.
La couleur locale
Face au monde monotone et sclérosé dans lequel ils
vivaient,
les écrivains romantiques aspiraient à un ailleurs,
qui comprendrait des aspects différents les uns des autres.
Ils se sont pris un vif intérêt pour la couleur locale
(3)
dont Walter SCOTT a
été l'initiateur.
Comme l'écrit Pierre MAR-
TINO : " ... I.e. eJ.Jt ''le-6poYLJ.Jab.te du goû-t pClM-tOYLYLé qu' OYL eut a.toM pOUfL .teJ.J
deMlL-tpti()YLJ.J; il a pouM é .te>-6 au-teufL,~ ve!LJ.J .t' é-tude du pM-6é. de .teuM paY-6,
il .teu,'l a applL-t-6 à co~tet[ .teJ.J v~u.t.te-6 ~-tO>tILeJ.J de ~aç.oYL v~va~e et dfLa-
mat~que."(4).
Aussi,
est-on unanime à reconnaître que l'une des
grandes tendances des romantiques était la réhabilitation du
passé
(5).
Mais ils vouaient une sorte de culte au Moyen-Aqe
(1)
William Shakespeare,
p.
I l l .
(2)
Cité par Léon CELLIER dans sa préface de No~re~Dame de Pa~
ris.
Flammarion,
p.
22.
(3)
La couleur locale peut se définir cOffiIT1e".t' eYL-6embte de.J.J UMM
extélL-teUM c.a!Lac.téfL~a~ .te-6 peMOYLYLageA et .te-6 c.ho-6e-6 dan-6 UYL lieu,
dan-6 UYL -temp-6 donné".
Cf.
le dictionnaire ROBERT.
(4)
Pierre MARTINO,
op.
cit.,
p.
26.
(5)
Pour Anne UBERSFELD, "~.t YL' e.J.J-t pa-6 de. p~ece de HUGO cii. YLe ~~gu''le
MU-6 (me 1otr.me ou Mu-6 .t'au:tAe
( ... ) .ta pILéMnc.e obMda~e du' pM,~é
( ... ). La pILé-6enc.e du paMé eJ.Jtzf1Cüquée dcm-6 .ta ILégù et .te-6 objeu,
YLon ~eu.teme~t paIL .te,5.c.0-6-tumeJ.J à .t'aYL:t:"i.que, mw -6U!L-tout, paIL .te c.a-
!Lete.-te.ILe. oouve~ gILa-tu-<-.:t de.-6 meub.te.J.J démodé-6, de-6 châteaux en tt~ne-6
U
de-6 atl.J11O.-iA~e-6 -6~gVle ÙloC.!LU daYLJ.J .ta cha~ e-t .t' ~-to~e de-6 ptto-t~­
goMJ.J-teJ.J . Il
op.
ci t.,
p.
594.

46
chrétien.
L'aspiration persistante à exhumer le Koyen-Aoe se-
rait un défi que le génie romantique lance à la rationalité
classique qui a vilipendé et négligé cette période. Maria LEY-
DEUTSCH donne une raison tout à fait plausible Dour expliquer
l'engouement des romantiques pour le Mr wen-}'I,qe
: "le moyen-âge
aveux connu te~ co~~te~, l~ v~~~o~ et le~ ~onge~, à la ~eche~che de~­
que.l~ l~ ~omantique~ ~'achMne.nt."( 1)
On sait que Victor HUGO s'est documenté avant d'é-
crire son ouvrage.
Il a lu Collin de PLANCY: Dictionnaire in-
fernal.
Il a lu également:
Le théâtre des Antiguités de Paris
de Jacques DU BREUL, et Henri SAUVAL qu'il cite d'ailleurs dans
le roman.
Dans une lettre à GOSSELIN,
HUGO précise le but véri-
table du roman
: "c' ~t une pe.-intMe. de. PCVLÙ au XVème. ~-iècle e.t du XVème.
~-iècle. à p~opo~ de Pa~~. Lou~ XI y 1~gu~e. dan~ un chap~~e. C'e~t fu~ qu-i cé-
te.~m-Lne. le. dénoue.ment. Le üv~e. n'a aucune. p~éte.n-t;'on ~~:to~.-ique., ~-i ce.
n'e~t de pe~ndne. ave.c quelque ~c-ience. et que.lque. con~c-ience, m~ u~que.-
me.nt pa~ apeAçu~ et pM échappée~, l'état de~ moe.un~, d~ c~ouance~, de~
lo~, de.~ CVLt~, de la c-il)~~ation enMn au XVème ~/Lècle. S'il a un mé~-t-
te, c'e.~t d'ét~e. oe.uv~e d'~mag~natiort; de. capn-ice.
et de. 6ant~ù."(2)
Il est vrai que dans Notre-Dame de Paris,
HUGO a évi-
té de mettre au premier plan les grands événements historiques
de l'époque. Mais il a utilisé l'histoire comme une toile de
fond pour garantir l'effet de réel chez le lecteur.
Il s'est
donc attaché à faire revivre des faits qui présentaient un ca-
ractère marginal,
spécifique.
Il ne faut pas perdre de vue
l'objet du drame qui est de faire
"vrai"
: "Le Marne. do~t ê.t~e. tr.a-
d-icale.ment -imp~égrté de cefte. coule.u~ d~ temp~; elle. do~t en que.fque Mnte.
y êtne. dan~ l'~, de. 6açon qu'Ort ne. ~'apenço~ve qu'e.n y erttnartt et qu'ert
Mntan-t (IU'Ort a chartgé de. ~-ièc.e.e e.t d'atmo~phè~el/(3). En effet, bien des
détails dans Notre-Dame de Paris suffisent à démontrer que le
romancier a l'intention de dépayser le lecteur en le plongeant
(1)
Maria LEY-DEUTSCH,
Le gueux chez Victor Hugo, p.
102.
(2)
HUGO, Correspondance,
Paris 1897.
(3)
Maurice SOURIAU, op.
cit.,
p.
266.

47
dans un climat
tout médiéval.
Les tableaux caractéristiques
de cette période sont esquissés avec une verve qui est per-
sonnelle à
l'écrivain. Par exemple,
la procession de la fête
des fous est une grande fête populaire qui,
au Moyen-Age, don-
nait l'occasion à toutes les couches sociales de se divertir
et de renverser les valeurs les plus sacrées. Jacques HEERS
en donne un aperçu très attachant:
"FUe.J.J popufa.-é!le.J.J de c.Mac.:tèJu!.
pILO 6a.ne ou 'Le.-Ugüux, J.S' ac.compagncUen;t de ILéjou-éMance.J.J et de d-éveJdÂ..Me-
menU de touteJ.S M!l,teJ.S : banquw, beLwefL-ée/.), batJ.S. LeJ.S cé'LémOVl~~~ Jteu-
g~euJ.S e.J.J, feJ.S J.S pectac.feJ.S étcUent tJtèJ.S J.S OU. vent .t' OccM·tOn de ma~6eJ.Sta;UoVlJ.S
J.Spontanée.J.J de/.) ûoufeJ.S, p.tu.--6 ou mO~M ucenc.teUl.le/.); fe/.) jeux du théâ:t!le J.Sa-
cILé mê.me pILencUen;t une. illuILe tJtèJ.S ub!le et pe!lmU:Ca..ü.nt de tOU!LneIL en dvu-
J.S~on te.t ou te-f peMo VlVlage, te.t OL{ te.t pouvo~." 1J) • Dans N?tre-Dame
de Paris,
c'est le pouvoir clérical qui est parodié:
Quasimo-
do est élu pape des fous.
La couleur locale est également jus-
te dans la présentation de la Cour des Miracles,
royaume de la
pègre médiévale : "HUGO, oVlf.e J.Sent b~eVl, e/.)t 6a.milie!l. atle.c .teJ.S ~a~eJ.S
méd-ééva.teJ.S de .ta gueuJ.SefL-ée. I.t COVlVuût .t' (tVeL{g.te. qu-é l'Oa, .te boa'eux qu~
CoUILt, le cu.t-de- ja.Ue qu~ danJ.Se. LeJ.S mét~e,'u.J ab/.)uILde/.), qu,t VM-te/U J.Sefon
.te vent, U
Mmb.te .teJ.S avo~ étud-ééJ.S : fe naILqLwù qu-é dé&cUt en û.nf,.taVlt
.teJ.S baVldageJ.S de.. oa ,1auMe b.teMuILe, .te p~èt!Le qLU, !.lcUn et v~90u!l.euX, dé-
gouJtd,é,t Mn genou d' wûjambùte, emmcULf.oUé depu-éo .te ma.:t.iVl de mUR.e u-
ga:tL{!le.J.J ( ... ). Toute/~ le/~ t!lOmpell~eO, touüo .teJ.S pILo~eJ.SJ.S-<-oM dùpMa.te!.l
~t abJ.SU!Lde.J.J de/.) "en6w1-t6 de Gille", ,u .te..o conl1a.z:t."(2)
Mais HUGO s'applique aussi à faire connaître le vo-
cabulaire et les jurons d'époque:
"mort diable!",
"Ventre Dieu!",
"Par la miséricorde du diable!",
"Sang Dieu!",
"bédieul",
"Corps
de Dieu!",
"nombril de Belzébuth!",
"nom d'un pape!",
"mort-
christ!",
"ventre et boyaux!",
etc.
Ce pittoresque sert à si-
tuer les personnages socialement et à donner des traits d'une
esquisse psychologique immédiate;
il est d'une telle expressi-
vité qu'il fait naître le sourire. Par ailleurs,
l'assaut de la
cathédrale par les truands est une donnée historique;
HUGO n'a
(1)
Jacques HEERS, Jeux et joutes dans les sociétés d'occident
à
la fin du moyen-âge. p.
119.
(2)
Maria LEY-DEUTSCH, op.
cit., p.
115.

48
pas omis de le peindre,
sans doute à cause de son caractère
spectaculaire. (1)
Il importe d'observer que Victor HUGO s'est plus
attaché à la couleur locale extérieure, c'est-à-dire aux élé-
ments qui sont matériellement présents : présentation du mys-
tère,
procession du pape des fous,
Cour des Miracles, assaut
de la cathédrale
(2). Mais c'est une conception de l'art qu'on
voit à travers toutes ces notations concrètes
goût pour le
spectacle coloré,
désir d'être compris par le lecteur~ L'opi-
nion de Maria LEY-DEUTSCH est éclairante et rejoint notre étu-
de
: elle signale cette inclination de Victor HUGO à ne pas ré-
sister au spectacle et à l'aspect purement extérieur de ses
personnages
: "-tu gueux à "f' .LtauevlYle" ont cL-LopalLu de vw:tJte v-Lo-LOI1,
e;t -6e -tfLaVl-6nOfLHlent eVl gueux b-Len v-LvaV!t-6,
el1 ChUlL ~t el1 0-6, HlcU6 gMdant
ul1e a-t--fulLe de peMoV!Vlage.-6 de thé-âtlLe ( ... ). C-tOpiVl TILou~Uehou,
-tu gueux
de -ta COulL du J\\kILac-tu, tou-6 ont UI1 a-6pect thé-â:tJta-t : vi-Oage-6 al1oltmaux,
hâi-t-tol1-6 aJtt-LMc-Le-t-6, toute -ta müèlLe el1 "-6pectac-te".
Le côté- exceM-LfJ de
ce-6 gueux VlOU-6 -6emb-te veVl~lL de -ta Itampe. HUGO, adm~lLab-te "metteu!I eV! -6cè-
l1e" pJté-palLe, Con-6c-LemmeVLt OLé ,<-I1COV!-6c-LemmeVLt -6U peJtMVll1agu. U pOMède
paJt exce-t-tence -te doVl de 6a-LJte plLe-66entA-tt -teuIL dttame inûme pM -te côté-
exté-lLieulL, et d'autlLe pMt, ~-t uM de ce coté- exté-Jt-i.eu!I POUIL acceVltuelt -t'é--
Vl~gme deo exi-OteVlc(J-6. AvaVlt d(J complLendJte, Ovl tte-6te ~IIappé- devaVlt -6011 v~­
-6age.. "(3)
Il est clair que Victor HUGO a cherché à faire re-
vivre une époque bien déterminée
: le Moyen-Age.
Il possède ces
( 1)
Comme l'indique Maria LEY-DEUTSCH : "Dè-6 l' aj 6!IaVlchi-06emeVLt du
Communu, -te-6 gueux a;t;taqu~tent -t' Egwejiû bOfLmMeVlt une upèce de
"p-iLtMUe" à -ta -60-tde
de-6 bouJtgeoi-O, qu-i. oe MlIvMeVlt d'eLéx comme du
pÜe-6 e
66ùac e iVl-6tJtumeVLt de_ -t(JUJt futtej -te-6 (JXp-tOŒ de cu "b~.gaV!d-6"
-6-LgI1A-MMeVlt maMaClLe-6 e.t pil!agu", ~. cit. p, 128.
(2)
"L' Mt de .e' é-CIt,<-VMVl, d' ul1e. -6i lligouJte.u-6 e pui-O-6ance à 6a-LJte vo-LJt -te-6
lLé-~é--6 exté-JtüulLe-6, écrit Louis MAIGRON, né-giige \\Jo-tontùA-6 -t'-Ln-
té-lLieult, i l Vl'é-c-taitte qU(J -te-6 -6ulL6ace-6 -6aVl-6 pé-Vlé-uelL juoqu'au-deMoU-6 ... "
Voir dans le Roman historique,
p.
335.
Et il continue dans
le même ordre d' idées
: "C'e-6t ul1e hab-i.-tude, une -LmpéJt-Leuoe néce-6-
-6dé d' a.t:t~Jtetl. -tu yeux MelL tOLet, de tout 6we lLemMoue!L
de tout AM-
' I I
' i ,
u
lLe VO,l/t.
Ibidem p.
348.
( 3 ) op.
ci t . ,
p.
431.

49
mots évocateurs qui vous transportent tout d'un coup au sein
d'une époque révolue.
Pourtant,
la couleur locale dont il sou-
haitait imprégner son drame se limite à de grands tableaux,
à des faits exceptionnels auxquels il ajoute un ton spectacu-
laire et poétique.
D'autre part, bien que l'action se situe au Moyen-
Age, on peut supposer que Victor HUGO ressuscite le passé pour
mieux expliquer et dénoncer le présent. On a l'impression que
l'écrivain profite d'une mise en scène du passé pour mettre
en lumière certaines réalités de son époque. Ainsi,
les per-
sonnages du roman nous semblent plus des héros romantiques que
des personnages représentatifs du Moyen-Age,
B.
Les héros du drame romantique
"Le dJr..ame f{omanuque ~f1tègJr..e leo c.oVLtJr..aJ.J-teo à l'âme. de /.'>M
peMOYlnage.o" (7).
De ce point de vue-là,
la quasi totali té des
personnages de Notre-Dame de Paris sont éminemment romanti-
ques parce qu'ils présentent deux ou plusieurs natures con-
tradictoires
(2). Mais parmi tous ces personnages, deux appa-
raissent comme de véritables héros de drame: Quasimodo et la
bohémienne. Sans doute parce qu'ils sont tous les deux victi-
mes d'une société barbare,
et semblent frappés d'une sorte
d'ostracisme.
Personne ne peut nier la fréquence avec laquelle le
thème de l'homme mis au ban d'une société hostile revient dans
l'oeuvre de Victor HUGO qui a une prédilection marquée pour les
bannis,
les faibles,
les persécutés, et s'efforce presque tou-
jours de les réhabiliter, mais non sans déchaîner des réactions
(1)
Jean-Yves TADIE,
Introduction à la vie littéraire du XIXème
siècle,
Bordas,
1970,
p.
2 4 . - - - - - - -
(2)
Voir supra
le chapitre consacré aux antithèses des person-
nages.

50
parfois très vives
(1).
On retrouve déjà dans Cromwell et dans Hernani ce
thème de la proscription, de l'exil.
Toutefois,
Quasimodo et
la bohémienne ne se trouvent pas dans la même situation que
Lord Ormond ou Hernani, mais ils font figure d'exilés parmi
les hommes puisqu'ils sont en conflit perpétuel avec le monde
dans lequel ils vivent.
De par ses origines inconnues,
Esmeralda est une
jeune fille marginale,
isolée "c'e.-6:t UVle. mathe.Ulte.LL6e. c/Léa:tulte., -6aVl-6
pa:tJt~e., ,~aVl-6 6amUle., -6aVl-6 6olje.Jt." [2). Certes, les truands de la
Cour des Miracles la vénèrent et la protègent, mais une gran-
de solitude semble peser sur cette créature candide et sans
défense.
Sa liberté sera mise en jeu par Dom Claude qui la fe-
ra condamner à mort parce qu'elle aurait refusé ses avances
salaces. Au tribunal,
elle est seule contre tou~
accusée de
meurtre et de sorcellerie.
Son incapacité à se défendre contre
un appareil
judiciaire incoercible fait d'elle une héroïne ro-
mantique.
De plus,
l'amour éthéré qu'elle voue à Phoebus est
tout romantique,
La jeune fille n'est pas une seule fois ef-
fleurée par une idée impure vis-à-vis ne Phoebus;
c'est un lien
idéal et pur qui l'unit au soldat. On pourrait rapprocher son
amour pour Phoebus de celui de Marion pour Didier,
D'autre part,
le sentiment d'incoID~unicabilité et
de rejet dont souffre le sonneur de cloches accentue son appar-
tenance au drame.
Sa situation à côté de celle de l'Eqyptienne,
est plus dramatique
: personne ne veut de cette bête humaine.
(1)
MONNAY,
ROLLE et PLANCHE,
indignés,
écrivent au sujet de
Ruy Blas
:
"M. VÙto/t HUGO Vle. -6' a/tltUe./ta~:t-il. pa-6 dan-6 ce.:t:te c.aVlO-
r~atioVl de :tou:te-6 ~e.-6 ~pu/te:té-6 e:t de :tou:te-6 ~e-6 ~a~deUlto ? Nou~ COvl-
Vl~MVl-6 M. Vi...c:tOIt HUGO; fL~e.n Vle. fLépugVle à oa mu-6e.. Apltè-6 ~e. baVl~,
ta pM-6.:tU:LLée. ex ~e. bOMU, VO~C~ ve~/t ~e taqu~. M. Vi...c:tOlt HUGO Vle
tieVld/t~-d pM e.n /téM/t\\}(J pOLL!t -6a p/toc.ha-i..v!e. cano~wation que1.que.
-6c./t06u~eux, ou bi...en UYI de. ce.-6 i...Vldu-6.tJUû-6 Vloe-tufLVle-6 qui... von:t, ~a ~aVl­
:te.fLVle. à R.a mMVl, 6ou.i.lian:t ~e./~ i...mpUlte:té-6 de.-6 vi...R..te.-6 à ~' aVlg~e. de.).) mu-
-6on-6".
Article du National, cité par Anne UBERSFELD, op.
cit.
p.
342.
-".....-'-~.
(2)
N.D.P.
9,
II,
p.
365.

51
La cathédrale et ses cloches sont les seuls objets avec les-
quels Quasimodo peut dialoguer. Mais ces objets inanimés ne
suffisent pas à égayer sa vie de souffrances.
Il se sent tou-
jours honni de tous;
les actes qu'il accomplit sont aratuits
et n'apportent aucun changement à son état d'infériorité ori-
ginelle.
Pourtant,
il porte un amour aussi profond que pur
à la Esmeralda.
Le dévouement dont il fait preuve et la con-
ception qu'il a de l'amour font de lui un héros romantique:
"Ma-U l'le /.)(i!ltez de t'égllie vU joUfl vU vlLU;t. Vou/.) MJUeZ pe.Jtdue.~ OV! vou/oS
tueJtcU.;t e.t je mou!Uta.U,." (1 J Et il continue sur un ton sublime et
dévoué : "Ecoutez, JtepJta-il, quand it ne cJtaign-U: plu)., que cette tMme
/.) 1 échappât,
no u/.) avo VI./.) tà de/.) tOu..Jt.6 b,i-en haute/.), un homme qui en tombeJLcU.;t
MJtcU.;t moU avant de toucheJL te pavé; quand il vou/.) plaitta que j'en tombe,
vou/.) n'aulU'z pM mê.me un mot à ditte, W1 coup d'oeil /.)u6MJra~"(2)
Cette déclaration émouvante est un signe irréfuta-
ble d'amour total; Quasimodo serait prêt à sacrifier sa vie
pour la bohémienne. Mais impuissant, il assistera désespéré
à
la mort de sa protégée. Plus tard, on trouvera leurs deux
squelettes entrelacés dans la cave de Montfaucon.
Par cette image symbolique, HUGO scelle à jamais
l'amitié de deux êtres dont les destinées se ressemblent et
s'unissent dans la mort. Frappés d'anathème et enfants aban-
donnés,
ils n'ont pas pu se faire une place dans la société,
Mais indépendamment de leur situation de parias,
ils sont auréolés et promus au rang de héros
: ils meurent en
préservant une intégrité morale et une grandeur incontestables.
Au personnage de Quasimodo correspond celui d'Hernani qui s'em-
poisonne avec Dona Sol,
sa bien-aimée. Les deux couples
: Her-
nani/Dona Sol, Quasimodo/Esmeralda meurent dans une sorte d'a-
pothéose, dans la gloire.
Un autre point curieux apparaît dans Notre-Dame de
Paris
HUGO met en avant son talent de metteur en scène.
(1)
!,!.D.P.
9, II, p.
365.
(2)
Ibidem 9,
III,
p.
368.

52
DEUX lEM E PAR T l E
HUGO METTEUR EN SCENE DANS NOTRE-DAME DE P~RIS

53
D EUX l E M E
PAR T l
E
HUGO METTEUR EN SCENE DANS NOTRE-D~ME DE PARIS
I.
ETUDE DE LA MISE EN SCENE
1. L'importance du mot "regard"
Le titre de cette partie,
il faut le reconnaître,
peut surprendre et m~me choquer. Le terme de metteur en scène
renvoie communément au domaine théâtral ou cinématographique,
or Notre-Dame de Paris est une oeuvre romanesque. A cette ob-
jection, nous pouvons répondre que ce sont l'abondance de cer-
tains procédés liés à l'esthétique théâtrale et la place pri-
vilégiée accordée à certains mots qui nous permetteht d'attri-
buer délibérément le rôle de metteur en scène au romancier.
En effet, il est aisé de constater que Victor HUGO, auteur dra-
matique, met à profit dans le roman,
son expérience et ses dons
d'homme de théâtre. C'est lui qui organise tout et donne l'im-
pression qu'un véritable spectacle se joue devant le lecteur.
Les attitudes,
les mouvements,
les postures des personnages et
les décors dans lesquels ils doivent se mouvoir sont du ressort
du démiurge
(1). D'ailleurs,la personnalité de metteur en scè-
ne de l'écrivain ne nous est pas tout à fait inconnue. Nous ap-
prenons qu'il s'intéressait volontiers à la mise en scène de
ses pièces et qu'il travaillait avec ses acteurs en leur dic-
tant l'intonation qu'il fallait
: "Un jOUll., au c.omme-nc.eme-nt du :Vr.o-<--
,6;.ème- ac.t:e- [de Ruy B-ta~). M. V.{c.t:OtL HUGO. :Vr.ouvant: qLLe- de-l.lX ac.t:e-u!t/'} ,6e- p-ta-
ça-<-ent meLt, M
-te-va poufr. eLtle-tL -te-,6 p-tac.e-!t lM-même-. I l ét:aA.;t à pûne- de-bout:
(1)
HUGO est le créateur d'un monde;
il offre un caractère d'a-
nimation et de représentation à sa description romanesque,
grâce à son sens du relief.

54
qu 1 une .tMge baJlAe de 6eJL tomba de .ta voûA:e p!Léwémen.t -6UIL .te 6auteuil-
qu'il qLU.;t:taJ/t. San-6 .ta 6aute de -6e-6 actewT.~, i l étcU;t tué !Lude." r 7) ,
On sait aussi que Victor HUGO "ne veut pM que .6e6 acteUIL.6 a.J.ent
covlYIuMance de .feUIL texte autan.t que pM -6a .fec.tUILe à ùu : i l a .fe MU-
c~ tfLè-6 v~6 non -6eu.teme~t de -6uggé!LeJL à -6e-6 acteu~ .fa p!LemleILe ~age de
.feU!L note, mU-6 de ne p~ .fe-6 .f~-6eJL -6e 6uILe de .feuIL pe~onnage une ~dée
p!Léconçue liée à.fa maMe de-6 conve~o~ et de-6 emp.fo~ tfLad-iuonnw." (2)
Ces exemples soulignent les qualités de metteur en
scène qui caractérisent Victor HUGO:
la rigueur,
la minutie
dans les détails et surtout,
le coup d'oeil.
Pour en rester
sur le plan visuel, donc théâtral,
tout le monde s'accorde à
reconnaître que la faculté maîtresse de Victor HUGO réside
dans l'acte de voir.
Elle correspond au besoin de sa nature,
de son tempérament qui consiste à noter et à enregistrer ce
qu'il voit.
Non seulement i l enregistre tous les détails, mais
i l est capable de les faire rejaillir en leur donnant un carac~
tère concret. Voir et donner à voir constituent donc une des
passions de l'écrivain. Des témoignages sur l'acuité visuelle
de Victor HUGO sont nombreux.
Rémy de GOURMONT voit en lui ".fe
type v~ue.f p!Le-6que pU!L" (3) .
Fernand GREGH écrit au sujet du sty-
le de Notre-Dame de Paris
: "C'e/.Jt tà qu' i l ~naugu!Le ce -6:ty.fe éton-
nant; v~-6ue.e., p.fa-6uque, p.fe-iYl. de ILeUe6 de cOL~eUIL, qu~ -6eILa .fe -6~en,
ce -6 ty.f e. "p.fa.ouque" comme dJJLa un jOU!L, eYl pflote-6:taYlt, .fe boVl NISARV q~
n'aU!La pa-6 tout à 6cU;t totLt : i l y a UYle ma:té~aUté de .fa -6p~uaL{;té
chez HUGO. La phJL~e a que.e.que cho-6e de -6o.f~de, e.-f..te a meme de-6 bO-6-6e-6 et
de-6 !LeYltILa~u,
e.e..fe -6e :t<~eYlt debout da~ .t"e-6pace."[4).
Et Charles BAUDOUIN : "La6~9vUn~catiOYl de .f' ou.f, dan-6
.ff'. mOYlde -6ymbo.f~qu.e de HUGO, e-6t de-6 p.fU-6 chMgée-6. I.e. 6aut -6avo~ d'abo!Ld
(1)
Cité par Anne UBERSFELD dans le Roi et le Bouffon, p.
334,
(2)
Ibidem. "SUIL .f' ~mp(!!L:taYl.ce. du ILô.fe de HUGO dan-6 .fa m~ e en M.èYle, é-
cr i tAnne UBERSFELD, UYle .feÂ-:t!Lf'. de CROSNIER -6aYl-6 date appotLte de6
~nd~catioYl.-6 ~n.té!LeMaYlte-6. C' e-6:t à HUGO qu'~.f demaYlde .ff' deM-<.Yl de-6
cO-6tume-6 et de-6 znMca-t~OYl-6 pILéc~ e-6 -6uIL .fe-6 décOM." Cf: p.
60.
(3)
Le problème du style,
Paris 1907, p.
52. Cité par Marianna
CARLSON dans L'art du romancier dans les Travailleurs de la
Mer.
p.
3 . -
(4)
Fernand GREGH,
L'oeuvre de Victor HUGO,
p.
378.

55
que. .t' ou.t pui,MaVLt, au même. ;t{;;t;r.e. que. .te. "n/toVLt déme-6uJz.é", /te.p/té-6e.VLte.
pou/t .tui .t'une. de.-6 -6upéftiof!.AÂé-6 Mt/t .te-6quelie.-6 il COMVLuÙJ-U: de bonne.
he.u/te. -6on -6lj-6tème. compenM.-te.u/t, -6a /te.vanche. -6u/t -6e-6 in6éftioJvLtê.-6 oJug.-t-
ne,Ue.-6. I.e. 6ut toujouM 6ie./t de -6a vue. e.xce.puonnû.te.; .ta pu,{J.>-6ance. de.
-6on imag~naUon v,{J.>uû.te., .te. cMactè/te 6oJz..tement V~-6ue.e., v,{J.>~onn~~e. de
-6on Mt, ont été te!.teme.VLt Muugné-6 pM tou'-o -6e-6 c!L-Luque-6. ~ . " ( 1) ~
Cette sensation visuelle énergique et profonde se
précise dans Notre-Darne de Paris d'une manière étonnante.
En
effet,
le regard y prend une importance considérable;
les mots
"oeil",
"spectacle",
"spectateurs",
"observer" viennent enco-
re élargir le champ sémantique de
l'regard''~ On se tromperait
si on voyait une simple fantaisie dans l'utilisation réitérée
de ces vocables,
puisque tout,
chez un écrivain est porteur
de sens.
Nous avons choisi de mettre au point deux tableaux
visant précisément à montrer la fréquence obsessionnelle des
mots liés au domaine visuel.
VUE
Verbes
Verbes
regardant P.
11
reaarder
p.
225
regardant p.
11
regarder
p.
241
regardait p.
29
regarde
p.
242
regardait p.
39
regardait
p.
251
regardait p.
46
regardait
p.
251
regarde
p.
49
regarda
p.
253
regarder
p.
55
regarde
p.
258
regardent p.
62
regardent
p.
285
regarder
p.
64
reoardent
p.
285
regarda
p.
75
regardent
p.
322
regardaient p.
85
regarde
p.
323
regarder
p.
101
regardent
p.
372
regardait p.
202
regardez
p.
388
regardent p.
207
regardent
p,
475
regardaient p.
219
regardent
p.
493
(1)
Charles BAUDOUIN,
~~~hanalyse de Victor HUGO, Armand Colin,
1972, pp.
64- 6 5 .

56
VUE
Verbes
Verbes
regardait
p.
495
contemplait
p.
197
regardait
p.
495
contempler
p.
200
regarder
p.
496
contemplait
p,
251
contempler
p,
375
voir
p.
375
voir
p.
375
remarquer
p,
200
voyait
P.
375
examiner
P. 348
voyait
p.
498
Noms
Noms
regards
p.
15
spectacle
p.
I l
regards
p.
16
spectacle
p.
I l
regards
p.
17
spectacle
p.
16
regards
p.
24
spectacle
p,
30
regards
p.
46
spectacle
p.
34
regards
p.
63
spectacle
p,
35
regard
p.
220
spectacle
p,
42
regard
p.
220
spectacle
p.
43
regard
p.
230
spectacle
p.
48
regard
p.
242
spectacle
p,
62
regard
p.
246
spectacle
p.
201
regard fixe p.
251
spectacle
p.
218
regard redoutable p.
251
spectacle
p.
219
regards
p.
256
spectacle
p.
219
regard
p.
258
spectacle
p.
226
regard
p.
260
spectacle
p.
233
regard
p.
261
spectacle
p,
246
regard
p.
341
spectacle
p.
301
regards
p.
353
spectacle
p.
340
regard
p.
373
spectacle
p, 341
regard
p.
493
spectacle
p.
375
spectacle
p.
492

57
VUE
Noms
spectateurs p.
30
spectateurs p.
41
spectateurs p.
42
spectateur
p.
50
spectateur
p.
50
spectateurs p.
54
spectateurs p.
62
spectateurs p.
67
spectateurs p.
224
spectateurs p.
243
spectateurs p.
246
spectateurs p,
246
spectateurs p.
342
spectateurs p.
346
oeil
p.
242
oeil
p.
251
oeil
p.
406
oeil
p.
493
oeil
p.
497
contemplation p.
63
contemplation p,
347
contemplation p.
493

58
Ces tableaux montrent que l'univers romanesque s'est mué en
un univers visuel, donc théâtral.
L'excellence de sa vue
(1),
on s'en doute bien, pré-
dispose HUGO à être homme de théâtre,
aussi bien auteur, met-
teur en scène, qu'acteur. Acteur,
i l l'a été au Jardin des
f
Feuillantines où i l jouait la comédie avec ses __ '
reres,
et à
la pension CORDIER avec ses camarades. On sait aussi que ses
premiers textes sont théâtraux
(2).
Qu'il nous soit permis de penser que c'est son sens
d'observation et de représentation qui explique la propension
de l'écrivain à insérer des scènes qui ressemblent à des scè-
nes de théâtre dans Notre-Darne de Paris. L'impression qu'on
a d'assister à un spectacle est corroborée par HUGO lui~même
quand il écrit au début de l'ouvrage
:
"Aux pouu, aux ôeVlme-6,
aux fUCa!tYle-6, -6UII fu tod-6, 1ÎoLl.ltm~Uaient de-6 mifuelt/') de bonnu MgLl.-
!te.-6 boutzgeoÜe/.). catme-6 e;t honnê):e/.) , ltegMdant te pa1a,{l"
lIegMdant fa
cohue. eA: VI' en demandant pM da\\lantage_i CM b-t.en du geM à Paw -6e COVl-
tenteVlt du -6pectac1.e de-6-6pec;tcdeult/s, et c' ut dé.jà POUII VlOU-6 une cho-6e
tlIè-6 cu~euM qu' LlVIe mU!la«fe delItziè.!te -faqueUe ~e -6e pal,-6~~efqu~~~­
-6e" (3). On l i t d'autre part :
"C'éta~t en e66et un twte -6pecta-
(1)
D'après le Victor Huqo raconté.
"i-f fui altü.\\la un .fOUit é.tant
tout en6ant et étève Cle1.a pen-6Ùm COIIMe!t, de m-ieux dÙûngue!l à
f' oe~ nu te-6 cMac~è!te-6 d'uVle eMûgVle bOU é.toiqnée que -6e/.) cama-
!tadu ne. pouvaient
fe 6ailte avec une tOlIgn~e matIine, ce quJ.. tui
va-fut un étoge. où te_ "1Ié.pé.~eU!l" m« :tout Mn e/.)plI« : "fa -fongue
vue, c ' e-6t ta vôtlte". Ci té par Léopold MABILLEAU dans "Le
sens de la vue chez Victor Hugo". Voir Revue des deux
mondes, octobre 1890.
(2)
L'enfer sur terre et Le château du diable.
(3)
N.D.P.
l,
l
, p.
11. Souligné par nous.

59
c..te. que. c.e..ttU qtU.6 ' 0 66Jr..ad aux. ye.ux. de..6 de.ux. 6e.mmM, pe.f'l.dan;t qu 1 e..t.tu
lle.gevr.diUe.n;t .6aVl..6 bouge.!l rU .6OU66.te.!l à .ta .tuc.evr.f'l.e. g-UUée. du TIlOU aux.
RaM" ( 1), ou " ... .te. .6pe.dac..te. qtU y at;tuLad:. e.n c.e. mome.n;t tou.6 .te..6
lle.gevr.d.6 . .. " (2 J,
et " ... Uf'l. glloupe. de. .6pe.date.uM qtU .6 1 a!l!lomiu.6W à
.t r e.n;toufl" (3), ou enfin ".te..6 .6pe.date.UM p.tac.é.6 aux. 6ef'l.UltM pouviUen;t
ape.!lc.evoÂ..A au 6of'l.d du tombe.!leau .6e..6 Jambe..6 f'l.ue..6., ."(4), L'occurrence
des termes " spectateurs" et "spectacle" suppose- indubi tablement qu 1 i l Y
a jeu théâtral; les mots "foule",
"public",
"peuple",
"assis-
tants" sont là pour étayer cette affirmation. Tout le monde
sait qu'au théâtre,
la présence des spectateurs n'est pas
une contingence, mais bien une nécessité absolue. Sans elle,
rien ne peut s'y faire:
"Le .6pedateufl, C.'Mt-,à.-cLUte.te. témo-tf'l. :
au théâtfle c.omme. daVl..6 .ta v-te., Uf'l. évéf'l.e.me.n;t qu-i. .6e. Pa4.6e. .6af'l..6 témo-tf'l. Mt
plle..6que c.omme. .6'-t.t f'l.'avw pa4 eu ~e.u ( ... ). Uf'l. peMOf'l.f'l.age. de. théatfle.,
.6-t .te. .6pe.c.tate.ufl .tu-i. 1le.6u.6e .6on adhé.6-tof'l., e..6t c.Qmme. Uf'l. ac.c.U.6é qtU f'l.'a
pM de. plle.uve..6 pOufl .6e. dé 6e.f'l.dfle_
-t.f e..6t à .ftU .6e.u.f hnpu-t.6.6an;t à C.Of'l.-,
viUf'l.c.!le.. A-tVl..6-t .fa pu-t.6.6af'l.c.e. d'une. oeuvJte. dflama.ti.que. Mt-,e..t.te. cLUtedemen;t
dépe.f'l.dan;te de .t' adhé.6-to f'l. du .6 pe.date.ull . .• " ( 5J •
Comment ne pas apercevoir alors l'inclination des
personnages de Notre~Dame de Paris à avoir les yeux braqués
sur une scène ou un personnage bien déterminé ? Leur regard
et celui du lecteur s'interpénètrent;
il y a comme une sorte
de coopération virtuelle avec les personnages. Parfois, ce
jeu de regards devient si complexe que les regardants devien-
nent les regardés;
jamais leurs regards ne se croisent : Clau-
de Frollo découvre Quasimodo occupé à observer la bohémienne,
mais le sourd ne le voit pas.
Il faut également signaler que la Esmeralda est le
personnage le plus regardé du roman. Chacun des regards mon~
( 1 )
N.D.P.
6,
III,
p.
2.19.
( 2 )
Ibidem p.
218.
- ~ . -
( 3 )
Ibidem 7 ,
IV,
p.
26l.
( 4 )
Ibidem 8, VI, p. 342.
( 5 ) Pierre Aimé TOUCHARD, o.p. ci t. , p. 147. C'est l'auteur
qui souligne.

60
tre un aspect de la bohémienne.
Il y a ceux qui l'épient
(Frollo et la Sachette), ceux qui l'admirent
(la foule et
Quasimodo). Frollo,
prtr exemple,
se trouve dans une atti-
tude contemplative devant les gestes gracieux de la danseu-
se, mais on ne saurait affirmer que son regard soit des olus
admiratifs
:
"Un homme en ennet, é;taJ.;t ac.c.oudé !.luIL -fa ba.-fU!.ltJr.ade
c.u-fminan;te de -fa ;toUfL !.lepten;ttLiona.-fe, donnan;t !.luIL -fa GILève. C'é;taJ.;t un
pILwe. On futinguaJ.;t nettemen;t Mn c.o!.ltume et !.lon vi!.lage appuyé !.luJ1.
!.l e!.l deux mcUYL6. Du ILe!.lte, i-f ne bOL~g eiU-t no n p-fM qu'une !.lta.;tue. So n
ow
Mx.e p-fo ng eaJ.;t daYL6 -fa p-fac e. " ( 1) .
Les expressions "il ne bougeait non plus",
"son
oeil fixe"
traduisent la position étale de Dom Claude. Le
prêtre semble avoir perdu tout souffle vital; hypnotisé et
absorbé,
il se laisse envahir par le charme indicible de la
Esmeralda. Mais avoir "le visage appuyé sur ses deux mains"
est un signe de désespoir inhérent à la frustration.
D'autre part,
le regard que Frollo pose sur la Es-
meralda est un regard scrutateur;
il essaie d'élucider l'é-
nigme qui se cache derrière la jeune fille.
En effet, Frollo
dans lequel HUGO s'est projeté "ne ·6e c.onten;te pM de voitL; Mn
JregMd in;teILtroge. e.t !.lemb-fe toujouM vou-foitL a.!L!Lac.heIL aux c.ho!.le!.l -feuIL
mY!.ltè'te ... " ( 2) .
Mais Dom Claude n'arrive pas à donner son éclairage
véritable à l'Egyptienne mystérieuse. Dévoré par la passion,
la jalousie et le désir de mieux percevoir la Esmeralda, il
prend Phoebus en filature
jusqu'au bouge de la Falourdel et
se cache dans un réduit pour observer les deux jeunes gens
:
"U y avai;t à -fa )'Joue. veILmou-fue de Mn bouge une nen;te M!.lez -fMge, U
y c.olla MVl vi/.lage. De c.ette ûaçon i-f pouvaJ.;t voitL tou;t c.e qui !.le PM""
!.lai;t dan!.l -fa c.hambILe voi!.line." ( 3 J
Le rôle de voyeur du prêtre est associé ici à un
complexe : celui de ne pouvoir être aimé. Mais la polarisa-
(1)
N.D.P.
7, 1, p.
242.
(2)
Voir Charles BAUDOUIN, op. cit., p.
82,
(3)
N.D.P.
7, VIII,
p.
292.

61
tion de son regard sur un point unique donne l'impression
qu'il assiste à une scène théâtrale. Cela est d'autant plus
vrai pour Phoebus qui se doute de la présence du prêtre et
joue par conséquent,
le jeu de l'amour. Tout se passe com-
me si le soldat voulait prouver quelque chose. Pris de ver-
tige devant le désir de posséder la jeune fille,
il emploie
tous les termes affectueux possibles et imaginables pour
lui montrer qu'il l'aime. Or,
tout le monde sait qu'il n'en
est rien.
Le philosophe Pierre Gringoire pense sans arrêt au
théâtre;
il est même l'auteur d'une pièce que nous aurons
l'occasion de voir plus loin. Mais il sait aussi se mettre
à
la place du spectateur, d'abord dans sa propre pièce.
En-
suite,
il confie avec humour qu'il a regardé - d'une maniè-
re incongrue bien évidemment -
la bohémienne dans son inti-
mi té : "Une aubr.{J 6o.-L6 ( ••• ), r a.J.. Jrega.JLdé avant de me C.OUC.hVL palt .te.
tnou de ~a ~ennuJre, et j'a~ b~en vu R.a pR.u~ dé~c~eu~e dame en c.hem~e
f[iM ad jama.-L6 6aJ.;t C.tU.VL .ta ~ang.te d'un .til MLL~ Mn p~ed nu" (J), Ici,
on retrouve ce que Charles BAUDOUIN appelle
".te c.omp.texe ~pec.­
tac.u.tMne" (Z).
Pour Gr ingoire,
le besoin et le plais ir de voir
ce qui ne doit pas être vu est une sorte de compensation de
son abstinence sexuelle.
En effet,
ayant contracté un mariage
platonique,
le philosophe accepte sa condition avec stoïcisme.
Mais il ne rate pas une occasion de jeter un simple reoard sur
les formes harmonieuses et "délicieuses" de "sa femme".
Le mo-
tif du pied nu est directement lié à ce complexe
(3).
Qu'on se souvienne éqalement de Quasimodo!
Bien que sourd,
il a une vue claire. Avec son oeil unique,
i l lui arrive très souvent
d'être témoin de plusieurs scènes.
Par exemple,
il adhère plus
intensément que jamais et plus gue personne d'autre,
au spec-
0) N.D.~. 7, II, p. 258. C'est nous qui soulignons.
(2)
Charles BAUDOUIN, op. cit.,
p.
66.
(3)
Ib~dem p. 75. ,"U ~'ag~t ~uJrtC'u-t d'un dé~Vr. néplLté. c.')upab.te, de
VO.{A et de ~avo.{.n, d' ul'te c.uJU.o~.u-é ..tYl.-te.tr~te .. . ".

62
tacle de danse de la Esmeralda
(Quasimodo fasciné et élec-
trisé, en vient à oublier ses cloches)
: " ... U -6' atUtUa,
tOW1Yla -te. dO-6 au c.a.JUUon, e.-t -6'ac.c.tr.oupd de.tr.!uèj1.e. -t'auve.nt d'atr.do..we.,
e.n 6~xant -6utr. -ta dalUe.u-6e. ce. tr.e.gatr.d tr.ê.ve.utr., te.Vld!T.e. e.:t doux, qu.~ aVM:t
déjà une. !:,o..w étonné -t' attdud~ae.tr.e." ( 1).
Le regard du sonneur a une
dimension affective et sensuelle,
il n'est pas interdit de
penser à la naissance d'une douloureuse histoire d'amour.
Non seulement i l assiste rêveur,
à la danse de l'Egyptien-
ne, mais on le retrouvera dans la galerie des statues des
rois :
"P~onne. n'avad enc.otr.e. tr.e.matr.qué, dan-6 -ta ga-t~e. de.-6 -6tatue.-6
de.-6 tr.o..w, -6c.u-f.pté-6 ~mé~ate.ment au-de.-MU-6 de.-6 og~vu du potr.:tail, un
-6pe.c.tate.utr. é:ttr.ange. q~ avad tou;(: exam~né j1.1.-6qu' a-toM ave.c. une tû-te
~paM~b~é, ave.c un c.ou -6~ te.ndu, ave.c. un v~age. -6~ ~6notr.me., que.,
-6alU -6on ac.c.ou:ttr.e.me.nt m~~paft~ tr.ouge. e.-:t v~o-te.t, on e.ût pu -te. ptr.e.nd!T.e. poutr.
un de c.e.-6 molU:ttr.e.-6 de. p~e!(!(e. paft -ta gue.u-f.e. dur{uu-6 -6e. dégotr.ge.nt depu.-W
-6~X C.e.n:th alU -tu -tonguu gou~ètr.e.-6 de. -ta c.athédtr.a-te.. Ce. -6pe.ctate.utr. n'a-
..
vad ~e.n petr.du de. c.e qu~ -6' étad paMé de.p~-6 m~~ de.vant -te. poJt.,tau
de. No:ttr.e.-Vame ( ... ), ~ -6'étad ~-6 à tr.e.gatr.de.-tt :ttr.anqu~emen:t,
et à -6~6­
6-tett de. temp-6 e.n te.mp-6 quand un me.-tt-te paMad de.vant -t~." (2), Avec
une touche ironique, HUGO donne des n~tations précises sur
l'allure générale de Quasimodo. Le geste théâtral "cou ten~
du" et l'expression "un visage si difforme" sont pour renfor~
cer l'extrême laideur du sonneur.
Est plus touchant encore, le regard admiratif et en-
vieux de Quasimodo à Phoebus et Fleur-de-Lys gui
"paf[~M~ent
-6 ' abando nYl.etr. à un noJr.t tel1dtr.e. tUe. à tUe" : "n.ua-6~mo do M-6..wtM:t d'en
ba-6 à c.et:te -6c.ène. d'autant p-tU-6 g!(a~e.L~e. à vo~ qu'e~e Vl'éta~t pa-6 6~-
te. poutr. ~ttr.e. vue.. U c.o nte.mp-tMt c.e. bo nhe.utr., c.e.:tte be.alLté avec. ame.tr.:tume" (3) .
On reconnaît une fois encore le motif du "complexe soectacu-
laire" qu'on avait déjà noté chez Frollo et Gringoire, La ten-
(1)
N.D.P.
7,
IV,
p.
261.
(2)
Ibidem 8, VI, p.
348. Nous soulignons ces quatre termes
pour attirer l'attention du lecteur sur leur occurrence
on ne p~utrlus signifiante. Nous pensons qu'ils sont pres-
que touJours écrits et pensés en référence au monde du
théâtre.
( 3)
N. D . P.
9,
IV,
p.
3 75 .

63
dance au "voyeurisme" de ces trois personnages se rattache
à un sentiment de frustration,
et à un besoin d'y remédier
par un regard coupable,
à la limite de l'impudeur. On COID-
prend d'ailleurs l'amertume de Quasimodo;
la laideur de son
corps constitue un obstacle important à la jouissance des
délices de l'amour;
il n'est réduit qu'à être voyeur. Mais
c'est la dimension théâtrale de leur regard qui nous importe
le plus;
le regard n'est~il pas lié à l'essence même du thé~
âtre? Le vaste mouvement de foule qui s'écoule hors du pa-
lais de justice et s'empresse d'aller voir la danseuse qui
entre en scène ne rappelle-t-il pas le public qui va à un
spectacle ?
2. La fréquence d'un vocabulaire scénigue
L'impression qui reste après la lecture de Notre~Da~
lne de Paris c'est que ce roman entretient un réel rapport de
dépendance avec le théâtre.
Il n'est que d'examiner la fré~
quence du vocabulaire technique pour s'en convaincre. En ef-
fet,
HUGO emploie sans arrêt,
trop sans doute pour que ce
soit involontaire, un vocabulaire théâtral. Pour un écrivain
qui avait foi en la puissance évocatrice des mots, une telle
récurrence ne saurait être gratuite. Nous admettons donc le
caractère conscient et volontaire de ce vocabulaire et adhé-
rons à la formule de Charles MAURON quand il d i t :
"DaM l' é-
nohm~ majohité de~ ~a~, tou~ t~~ mo~ d'un t~xte ~ont é~~~ ~Qu4 t~ con-
thôt~ d~ la votonté. L~Uh atX~bu~ un~ ohigin~ invotontaiA~ con0titu~­
hW un~ int~hphétat{.on toujC'Uh~ hé~u0abtL"(1).
Ce qui signifie en
clair qu'un écrivain ne met jamais rien au hasard dans son
texte;
tout porte un sens bien précis.
Les mots "prologue",
"acteur",
"scène",
"exposition",
"péripétie",
"entracte",
"comédie",
"théâtre",
"auditoire", etc.
tendent à tirer No-
(1)
Charles MAURON, Des métaphores obsédantes au mythe per-
sonnel, p.
30.

64
tre-Dame de Paris de son contexte romanesque et seraient à
leur place dans une pièce de théâtre.
Les phrases
: "S-t ma.-<-nte.na~ .te. .te.ue.u!t, apJtè~ avo-t!t con-
temp.té cwe. ~cène. v-tve et clt-tMde qLÛ ~ e joue. ~uJt tOM .tu pO-tI1U de .ta
p-tace., poJtte. ~u 11.e.~McL6 ve.M cWe. antique. miU.6ol1 de.m-t-gotruque..,." (7),
et
"Cu pal1.o-tu Uue.~ pOllJt UM-t d-t'Le, .te. po-i~ de. jQI1~on de de.ux
~cènU qui ~' Uaie.~ ju~que.-.tà détJe.-toppéu pMa.ilè.te.me.~ daM -te. même. mo-
ment, chacune. ~u!L Mn théô.;tJLe. pMticuUe.I1. ... " (2) nous amènent au thé-
âtre et indiquent clairement le climat que Victor HUGO a l'in-
tention de suggérer. Mais notre attention s'est portée parti-
culièrement sur les mots "applaudir" et "applaudissement".
Ils reviennent en leitmotiv.
L'accumulation des phrases: "Un
tOl1ne.Me. d'app-taud-tMe.menU; mUé à une. pJtod-ig-te.lL6e. a,cc.tarnQ..-Ûon" (3), ou
". .. miU.6 -tU app,faud-tM e.me.nu édatèJte.nt et couv~e.~ -ta moJto~ e. e.xc-ta-
mat-ton" (4),
ou encore "D-tx mii.,fe ba.-Ue.me.vz;U de mUM MI1.e.l1t Wnc.e.-fe.!t
de. jO-te e:t de Me.Jtté .t'oeU uMque de. QUMimodo"(5) , ou enfin
"Cepe.n-
da~ -ta c.ohue app-taufu~a.-a avec. de/.) éc.{:a.-U de ~e .. ," (6)
est
parlan-
te
en soi et souligne
l'ambiance théâtrale que nous avons
déjà notée plus haut.
L'applaudissement est un signe de satis-
faction et de joie qui découle d'une familiarité entre les
participants et ceux qui jouent. Certès,
toute pièce théâtra-
le met souvent ceux qui la regardent face à
leurs préoccupa-
tions, mais il n'en reste pas moins que la distraction s'in-
sère dans l'éthique même du théâtre.
Si le peuple parisien
se divertit sans cesse,
c'est que Victor HUGO a créé de très
nombreuses scènes cocasses qui suscitent son admiration,
ses
applaudissements ou son indignation.
La scène de la pyramide
de chaise et de chat qui bascule sur les spectateurs au mo-
ment où Gringoire tente une acrobatie,
provoque des huées
( l )
N.D.P.
6,
II,
p.
200. C'est nous qui soulignons,
( 2)
Ibidem 6,
IV,
p.
225.
( 3 ) Ibidem l , V, p. 51.
( 4 )
Ibidem 2,
III,
p.
65.
( 5 )
Ibidem 8, VI,
p.
349.
( 6 )
Ibidem 2,
III,
p.
401.

65
assourdissantes
: " ... La c.h.cUAe e;t I.e c.hctt tombè/tent rUe~mê.I.e -6Wt
I.a tUe de-6 M-6.-05tan.t-6, au m.LUeu d'une huée ineilinguibI.e" [1).
"Huées",
"cris",
"trépignement",
"acclamations" sont une preuve évi-
dente de cette communication et de cette communion specta-
teurs/acteurs propres au théâtre
(2).
La dimension théâtra-
le que Victor HUGO donne à plusieurs scènes se rattache, on
,peut le supposer,
à
son esprit ludique.
En effet, plusieurs de ses contemporains qui l'ont
approché ont été frappés par sa jovialité. Voici par exem-
ple, ce qu'en dit SAINTE-BEUVE avec une pointe d'ironie:
'lgai, pJte-6que tJtop gai". Et FONTENAY au cours d'une visite qu'il
lui rend à la campagne l'été 1836 le trouve:
"En c.hem.-05e, c.'ut-
à-dilte vUu d' un pugnoift de -6a 6e.mme, e;t -6upeJtbe de ga2:té'I.
VINET si-
gnale en 1843,
sa "gaîté d'écolier". JANIN le peint commelJun
v.-05age aMnabI.e, un Muflifte 6ac.ue, une opuf.ente ga2té, un gfl.and tUJte Jl •
Et lui-même évoquant ces parties de fou-rire à la maison, ces
émeutes de joie quand les enfants exultent de voir le père
se mêler à leurs jeux
"raf[ que.f.que 6antai-6ie inattendue e;t 6oUe." (3)
Mais ni les mots liés au domaine du théâtre, ni l'hu-
meur joyeuse ne sauraient être suffisants pour Victor HUGO.
Il imaginera d'autres procédés capables de retenir l'atten-
tion du lecteur et excellera à décrire de façon poignante et
spectaculaire,
les mouvements,
les attitudes et les gestes
des différents personnages.
3.
La multitude des indications gestuelles
L'art théâtral se définit par deux fonctions essen-
(1)
N.D.P.
7,
II,
p.
252,
(2)
Henri GOUHIER déf ini t
le théâtre en ces termes
: "U tj
a théâtJte I.o~qu'if. tj a -6pec.tac.I.e, I.o~que I.e-6 hommu -6e div~~e.n.t
en deux gJtoupu : c.eux qui JtegaJtdent et c.eux que I.'on JtegaJtde, "
Voir dans L'Essence du théâtre.p.
147 t
(3)
Cité par Henri GUILLEMIN, dans Victor Hugo par lui-même,
Seu il,
1951, p.
28.

66
tielles
:
le gestuel et le verbal. Dans le cas de Notre-n,ame
de Paris,
i l apparaît que HUGO privilégie la première com-
posante. Privilégier le geste signifie que le corps en ac-
tion frappe plus que la parole,
parce qu'il s'adresse essen-
tiellement à
la vue et très peu à l'intellect,
Il est par
conséquent plus compréhensible et établit un lien plus di-
rect entre les personnages et le lecteur, (1).
Cela ne veut
pas dire que la parole est inexistante dans Notre-Dame de
Paris.
Nous voulons tout simplement souligner que HUGO s'ef-
force toujours de donner une certaine expressivité aux ges-
tes des personnages afin de les rendre sensibles au lecteur,
PIROUE a noté l'inclination de Victor HUGO à
"visualiser"
les scènes et les gestes des personnages
: "Mai..-6 :ta.nt que cu
p~onnage~ ~ont en ~cène, quei1e p~~~ence! E:t ~ Y ~ont ~ouvent. Au
p~emie~ deg~~, :tout d'abo~d, le lec:teu~ ~:tant afo~~ le public ~~~6 à
l' o~che~tJr..e. D' e.xuao~cünaùl.u mu ~e d~noulent devant lui, dont la
W:t~~a:tMe &oMn~ peu d' e.xemplu." (2)
Une autre réflexion du même auteur et du même type
n'est pas moins éclairante et va dans le sens de notre étu-
de
:
"ki.~~ l' un~ve~ hugolien, plM que ~omane~que e:t m~me po~tique,
p(~~ êtne un ~pec:tacle :théâ:t~af b~en cu~eux. On cOYlnaZ:t le6 co~:tu~
me~ , le6 a:tt~tude~, lu exp~u~~on6. Le~ jeux de ~cène ~ont ~ncüqué~
e:t lu ph~a~e~ à d~e ~c~~u, ~~d~e~, ~au6 exception, à un :t~è~ ~~
:tOYlnan.:t pe~ Ylomb~e de ~épLi.que~." r 3J
N'est-ce pas son ingéniosité et sa virtuosité qui
conduisent HUGO à faire faire des gestes quelque peu arti-
ficiels voire conventionnels à ses personnages ? GOETHE
l'exprime clairement mais avec une note d'agressivité:
"J'ai
lu, ce~ jo~ deJr..n~e~, No:t~e-Dame de p~ ( •.. 1. C'u:t le liv~e le
(1)
Denis BABLET pense avec raison que
1/ L' oeuv~e
:th~~a.le \\J~­
~able e~.t ~~ti~~e à 6~app~ no~ ~ e~, et plu~ pMUcufiè-'l,eme.nt
le plM Ov<..gLUJ.:Je d en:t~e. eux : la vue'l. Voir dans Esthétique
générale du décor de théâtre de ~870 à 1914~ Paris,
C.N.R.S.,
p.
290.
.
(2)
Georges PIROUE,
op.
cit., p. 142. L'utilisation du mot
"mimes" semble un indice révélateur.
(3)
~. cit., p. 226.

67
plu!" abom-tnable qiU aJ.;t jamaM, été éc.JU;t ( ... ). Se.-6 M-t-cLWan..t pe.Jt,5on-
nag e.-6 ne. -60 n..t pM de.-6 homme.-6 en c.hcUA et e.n 0-6, maM, de. pauvJte.-6 man-to n-
ne.tt.e.-6 en bO-05 que. l' aute.Ult Jte.mue à -60 n gJté, en leM ù~an..t tcUAe. to u-
te.-6 -60Ue.-6 de. c.ontOft-6-tOM et de gtUmac.e.-6 et en vue. d'obte.YL-i-'L c.e. qu'-tl
-6e. pJtopO-6e.. Quelle. dJtô-te d'épopée. où non -6e.u.le.me.nt un üvJte. paJtw e.-6t
pOM-tble mw où on le tJtouve. -6uppouable e.t même d-tv~-6an..t." (J)
Pour émettre une telle opinion sur le roman, GOETHE
a dû garder présente à l'esprit,
la scène du concours de gri-
maces qui est à notre avis,
le meilleur exemple de gestes
artificiels. Qui plus est, ce concours semble issu d'une
tradition flamande.
Il n'en demeure pas moins qu'il relève
de la représentation et plus précisément de la mimique.
Afin de mettre en relief le caractère peu ordinai-
re de ce jeu de physionomies, HUGO observe sans aller dans
les détails
: "u y avaJ.;t daM c.e -6pe.c.tac.le [ .. ,) je. ne. -6W quelle.
p~-6anc.e. d'e.Y1.-tv'Leme.n..t et de nMc.-tnatùm don..t d
-6e.JtcUt d-t OMc.de. de
donne.Jt une -tdée. au lec.teuJt de no-6 jOUlt-6 et de. no-6 -6alon-6, Qu'on -6e 6-t-
gMe une -6éJt-i.e. de vùage.-6 pJté-6e.ntan..t -6uc.c.e.M-tvemen..t toute.-6 le/.) 60Jtme.-6
géométJt-tque.-6, dep~ le t~~ang-te jUJ.,qu'au tJtapèze, de.p~ le c.Ône. JUJ.,-
qu'au polyèdJte.; toute.-6 le.-6 expJteM-toM hUmMne.-6 ( ... 1 tou-6 le.-6 âge.-6 de..,.
p~ le-6 Jt-i.de.-6 du nouveau-né jUJ.,qu'aux Jt-i.de.-6 de la v.{~e moJt-i.bonde..,."
(2).
Toute la pantomime des concurrents et toutes les for-
mes qu'ils donnent à leurs grimaces s'imposent à notre ima-
gination de façon immédiate.
Mais en général, HUGO relève davantage les gestes
naturels et spontanés; ceux qui ont pour r~le de traduire
les états d'ame des personnages.
Par exemple,
l'attitude de
Quasimodo face à son père adoptif est scénique,
les gestes
de ce dernier le sont encore davantage
:
"u (QuM-ûnodo) 6d
un bond jU-6qu'au pJtêt'Le, le Jteganda, ~ tomba à genoux. Le. pJt~e lU-<-
MJtac.ha -6a tia'Le., lU-<- bJt-i.-6a -6a c./tOMe., lU-<- lac.éJta -6a c.hape de. c.ünquan..t.
Qua-6..unodo 'Le-6ta à ge.I1OUX, baù-6a la tUe e.t jO-tgn-tt le.-6 mMM, p~ d
(1)
Conversations de GOETHE avec ECKERMANN,
Gall.
20ème éd.
1949,
p.
530,
(2)
N.D.P.
l, V,
p.
48.

68
-6' étabW e-n:tJr..e- e-ux W1 man.ge- cüa1ogue- de- -6ign.e.--6 e--t de- g~te.--6, C.M YU
t'un. n.i t'a~e- n.e- p~ait. Le- p~~e-, de-bout, ~~, me-n.açan.t, imp~­
~wx; QuMimodo, p~O-6te-ILn.~, hwnbte-, -6uppuan.t" (J).
Le plaisir de
voir est marqué dans cette scène par l'emploi du passé sim-
ple qui lui donne un caractère vivant.
Les gestes des deux
protagonistes jaillissent avec une spontanéité et une pré-
sence dignes d'une scène de théâtre.
"Arracha sa tiare",
"brisa sa crosse",
"lui lacéra sa chape de clinquant"; les
actions se succèdent avec une rigueur et une rapidité vou-
lues par HUGO. Le rythme ternaire marque parfaitement la
netteté et la rapidité des gestes. Nous distinguons claire-
ment la position de chacun;
l'un est debout,
l'autre à ge-
noux. Ces postures figées sont non seulement th~âtrales, mais
elles ont aussi une portée symbolique : elles déterminent
les rapports qui existent entre les deux personnages. A tra-
vers les gestes de Quasimodo, on l i t son état de dépendance
et sa faiblesse vis-à-vis de l'archidiacre. L'agenouillement,
la tête baissée et les mains jointes sont un moyen pour le
sourd de reconnaître ses torts et de se faire pardonner.
Il
est d'ailleurs presque toujours obligé de s'exprimer ~ar des
gestes pour se faire comprendre à cause de sa surdité.
Ce
n'est donc pas un hasard si HUGO le présente souvent dans
des scènes où l'expression physique et gestuelle sont impor-
tantes
: "Quan.d te- pauvILe- Mn.n.e-uIL de- c.toc.h~ était de-ve-n.u Mu~d, a
-6' ê-to.;;t étabti e-n.tne- ,fiLZ d
Ctaude- un.e tan.gue- de- -6ign.e.--6, mY-6té~e-lL-6e-
e-t complL~e- d'e-ux -6e-u.-fb. 'Ve- c.e--tte- 6açon, t'Mchidiac~e- ~ta~t te- -6e-u-f
é.tJœ ave-c. -fe-quû Quct-6Dnodo eût c.on.MJtvé c.ommun.ic.at,{.on." (2) •
La Sachet te est une "morte-vivante", elle est re-
marquable par son immobilité; les retrouvailles avec sa fil~
le vont changer son attitude figée en une sorte de gaieté
inhabituelle.
La joie qu'elle exprime et les mouvements
qu'elle fait sont peints avec une précision et une clarté
qui donnent à cette scène, un caractère visuel et vivant
:
(1) N.D.P. 2,
IV, p. 70.
(2) Ibidem 4, IV, p. 155.

69
"QuaVld -6a nille. nu):. daVlJ.> la c.e.f..f..u1.e., ille. la pO-6a douc.e.me.nt à te.Jr.Jr.e.,
puif.> e.f..f..e. la ~e.p~, et la pontaVlt daVlJ.> -6~ b~aô c.omme. -6i c.e. Vl'était
toujo~ que. -6a petite. AgVlè-6, e.f..f..e. af..lait et Ve.Vlait daVlJ.> l'~oite. lo-
ge., ~v~e., no~ce.Vlée., joye.U-6e., c.~ant, c.haVltant, b~ant -6a nille., lui
pMf..ant, éclatant de. JviAe., 60Vldant e.Vl lMm~, le. tou):. à la no,iJ.:, et ave.c
e.mpoue.ment. " ( 1)
Cette scène conserve l'aspect d'une action réelle:
tout y
est animation,
présence.
On Dourrait la comparer à un court ta-
bleau dans lequel intervient -
comme le dit P. Aimé TOUCHARD -
un fait spécifiquement théâtral;
c'est le corns qui entre en jeu
non seulement par ses qestes et ses mouvements, mais encore Dar
la place qu'il occupe sur le plateau
(2).
Les moindres gestes
et attitudes de la recluse s'offrent à la vue et deviennent par
conséquent théâtraux à cause de la raDidité avec laquelle ils
sont exécutés.
L'utilisation du participe présent accentue l'ef-
fet de réel que présente cette scène,
Touchant tableau encore que celui où la Sachette
essaie de défendre dents et ongles,
sa fille contre les sol-
dats de Louis XI
: "Elle ~~ta Uvl mome.nt -6aVl!.> p~Vt. Se.u1.e.ment eUe.
tnMc.haLt à glIaVlM pM daM la c.e.f..f..u1.e., et -6' MJr.Uait pM inte.~t!aUe-6
pou~ -6'~ache~ de-6 poigVlée-6 de. cheve.ux gJr.i!.> qu'e.f..te déchi~ait eVl-6uite.
avec -6~ dent-6." r 3]. N'est-ce pas là le propos d'un homme de
théâtre? HUGO prête à la recluse la mobilité et l'énergie
d'un acteur. Le fait de s'arracher les cheveux traduit son
état de grande dépression et de colère noire.
La virtuosité
de cette scène est renforcée par le laconisme du style.
L'attitude de Claude Frollo est le résultat d'une
grande déception.
En proie à une passion violente,
le prêtre
ne reçoit de l'être aimé que des injures et des sarcasmes,
Voici comment HUGO le présente juste après avoir subi les
railleries de la Esmeralda : "ToU-t à c.oup, -û -6' a66aù4a ÔWl. lui-
me.me comme. que.tque c.ho-6e. qui -6' éc~oule., et de.me.U!l.a à te.IIJte. -6aM mouve.~
(1) N.D.P. 11, l, p. 473.
(2)
Pierre Aimé TOUCHARD,
op.
cit., p.
204,
(3)
N.D.P.
Il,
l,
p.
476.

70
ment, fa tUe danô fe-6 genoux." (J)
Il Y a adéquation entre le geste et les sentiments
du personnagei
son geste est l'expression d'un désespoir
profond.
A ces scènes qui ont un effet direct sur le lecteur,
on pourrait rattacher les déplacements des personnages;
ils
peuvent correspondre à leur entrée ou à leur sortie sur scè-
ne. Dans les détails du récit,
on voit HUGO,
auteur dramati-
que,
annoncer l'entrée ou la sortie d'un personnage:
L'ou-
verture d'une porte est plus qu'une ouverture complaisante
d'un décor,
elle suppose presque toujours l'entrée d'un per-
sonnage. On sait par exemple qu'un personnage entre en scène
au chapitre V,
livre 7 : "Jehan -6e he.n.6onç.a !.>olL6 fe nOUhneau et fa
poJtte -6' ouvlrd" (2).
HUGO précise même le costume du nouveau ve-
nu en ces termes
: "Le peh-6onnage qe.u. ent!La avM;t une !Lobe nQVLe et
fa rru.ne Mmblre" ( 3)
D'autre part,
dans l'appartement luxueux de la veu-
ve de Gondelaurier, Fleur-de-Lys tombe évanouie après s'ê-
tre rendu compte que la boh€mienne
a quelques sentiments pour
Phoebus. Tout le monde se sent bouleversé.
La fin de cette
scène est assimilable à celle d'un acte ou d'une scène de
théâtre;
tous les personnages sortent,
la scène reste vide.
Comme s ' i l voulait marquer la fin du spectacle, Victor HUGO
écrit
"La E-6me!Lafda !Lama-6-6a en un cun d'ow .teJ.J mafencontJ!.eMe-6
fe:U!LeJ.J,
od -6-i.gne à Djali, et MMd pM une poMe, tetncü/.> qu'on e.m.,.
1
poMait FfeuJt-de-LY-6 pM f'autJte.
Le capda-i-ne Phoebu-6, tte-6té !.>e,uf., hé"
-6-i.ta un mome,nt entlre feJ.J deux po Me!.> ; r~ -i.f. -6 e.u.vd .ta bO hém-i.enne, " ( 4 J
Et dans la chambre de Louis XI entre un personnage hagard
". .. La pOJrte -6 ' ouvJU..t et dovma paMage à un nouveetu r~onnage, qe.u.
-6 e ph éc-i.pda to Ld en CMé dan.!.> .ta chamb!Le en cJU..ant
Il $VLe!
S-i./te! -i.f.
Y a un e -6 édd-i.o n de po pufcUJte daM Paw"." ( 5 )
(1)
N.D.P.
I l ,
l ,
p.
468.
( 2 )
Ibidem 7, V, p. 274.
( 3 )
Ibidem
(4 )
Ibidem 7 ,
l ,
p.
249.
( 5 )
Ibidem 10, V,
p.
436.

71
Pour les trois exemples que nous venons de donner,
la porte n'est pas du tout un obstacle, elle joue au con-
traire,
le rôle d'inclusion et d'exclusion qu'on trouve au
théâtre.
Les personnages entrent quand c'est leur tour de
jouer, et rentrent dans la coulisse après avoir rempli leur
rôle.
Plus intéressant est le jeu de l'apparition et de
la disparition auquel se livrent Dom Claude et Quasimodo.
On voit le prêtre disparaître et reparaître dans le cachot
où la bohémienne est enfermée: ilLe pJtU.Jr..e avaÂÂ. :tJr.ébuc.hé à l'e.!.l-
ca1ieJt. Il dégagea en ~~enc.e ~e.!.l p~ed~ de.!.l p~ de ~a Jtobe, JtepJt~t
~a lanteJtne, e.t ~e mu à monteJt .fentement le~ mMche.!.l qM mena~ent à
la poue; ~ Jtouv/tU cute poue, e.t ~oJt;tu, Tou,t à coup la Jeune Ml-
le vU JtepMaitJte ~a t~te, e.f.fe. avaÂÂ. une expJte.!.l~~on épouvantab.fe, e.t
~l .fu~ c~a a\\.!ec un Ilâle de Jtage e.t de déM!~PO~ : IIJe te ~ qu' ~
eJ.Jt mou! Il'' (J)
Dans cet exemple,
tout est mouvement,
il suffit de
regarder les verbes
"trébucher",
"dégager",
"monter",
"rou-
vrir",
"sortir", pour en avoir la confirmation~ Comme spec-
tateur virtuel,
le lecteur garde présentes à l'esprit, tou-
tes les actions du prêtre et essaie d'imaginer la manière
dont elles peuvent être actualisées,
Les allées et venues de
Quasimodo font aussi penser aux sorties et entrées d'un per-
sonnage de théâtre
:
'JCependant, ((pltè~ quelque~ m~nu,te.~ de ~omphe,
QUah~odo ~'étaÂÂ. bJtu~que.ment en60ncé dan~ l'ég~e avec J.Jon 6aJtdeau.
Le peup-ee. amouJteux de tou,te pJtoue.!.l~e, le cheJtchaÂÂ. deA !1wx MuJ.J .fa ne6
(... 1. Tout à coup on le VU Jt.epalta.Ztfte à l' une de~ ex:tJr.émué~ de la
gMllie de.!.l Jto~ de Ftr.ance, ~ .fa :tJr.aveMa en COUllant comme un ~MeMé,
en élevant ~a conquUe daM ~e.!.l bJta~ e.t en c.~ant : "A~~le!lJ, La. 60ule
éclata. de nouveau en applau~~e.me~, La gMe~e pMcoUllue, ~ ~ e Jte-
plongea daM .e' ~ntétr.{.eutr. de. .f' é.gu~e. Un momen~ apJtè.~ ~-e Itepaftut ~Ull -ea
plate-6otr.me ~upé~euJte, toujouM l'é.gyp~enne da.n~ ~e~ btr.a~, toujoutr.~
coutr.ant avec 6oue, toujoU!r..~ c..Jr.A-ant "A~{..fe.!". Et la 6ou.fe applau~~aÂÂ.,
EnMn ~ 6d une :tJr.o~'{è.me app'~oYL. .. "( 2)
(l)
N. D. P.
8,
IV,
p.
330.
(2)
Ibidem 8, VI,
p.
350. C'est nous qui soulignons,

72
Comment ne pas croire qu'on est au théâtre devant
une telle scène d'agitation et d'exaltation? Le peuple se-
rait le public de théâtre dont les yeux admiratifs sont fi-
xés sur Quasimodo qui a réalisé une belle performance. Tous
ses gestes et les réactions de la foule suscitent une at-
mosphère bien théâtrale.
En fait,
HUGO ne prive pas le lecteur du plaisir
de voir.
Il utilise au contraire toutes les ressources pos-
sibles pour arriver à donner une impression de réalité aux
scènes qu'il décrit. Nous avons vu dans les différents exem-
ples choisis des êtres vivants, qui jubilent ou pleurent;
ils ont une mobilité exceptionnelle qui rappelle les acteurs
de théâtre. De plus,
leur présence, leur mimique suscitent
chez le lecteur, de la joie, de la pitié et ,même de l'angois-
se. La clarté des gestes et attitudes proposés par HUGO n'est
pas faite pour compliquer la tâche aux éventuels .metteurs en
scène qui seraient tentés d'adapter le roman au théâtre.
Ils
n'auront qu'à suivre les jalons déjà posés par le romancier
pour composer une fresque d'attitudes, Combien plus surpre-
nante est l'insertion au début du roman, d'une pièce de thé-
âtre! Elle dévoile l'intention de l'auteur de donner une au-
tre portée à' ce début romanesque.
4. Un microcosme théâtral dans le macrocosme romanessue
Ouvrir un roman sur une représentation théâtrale
est un phénomène tout à fait nouveau. C'est lorsque nous
nous attendons à la présentation biographique des personna-
ges que Victor HUGO décide de la substituer à une représen-
tation scénique. Pour emprunter une expression d'André GIDE,
nous parlerons d'une construction en "abyme", c'est-à-dire
que Notre-Dame de Paris ressemble à un grand tableau, une
sorte de miroir dans lequel se reflète une scène d'intérieur
qui lui apporte une certaine force dramatique.
HUGO voudrait-
il par ce procédé,
rendre compte de la vie médiévale qui

73
était ponctuée par une série de fêtes et de représentations
théâtrales? Une chose est sûre pourtant,
l'insertion du
mystère dans le roman est divertissante et enrichissante,
Divertissante puisqu'elle constitue une sorte de préambule
à ce qui doit suivre,
Progressivement,
cette note de gaieté
va disparaître pour faire place à un climat plus sinistre.
Enrichissante aussi parce qu'il s'agit d'une forme dramati-
que tombée en désuétude aujourd'hui, mais non moins origi~
nale
: le mystère.
Comme l'indique le dictionnaire ROBERT:
"!e- mY-6tè/te- ~t un. ge-n.lte- théma1. qui mutw e-n. u.èn.e- d~ -6ujW
Ite-.,.
ug;'e-ux".
Il était souvent organisé à l'occasion d'une fête
solennelle ou lors de la réception d'une éminente personna-
lité, comme c'est le cas dans Notre-Dame de Paris où on re-
çoit les ambassadeurs flamands.
Des centaines de spectateurs
allaient y assister pour s'arracher aux affres et aux angois-
ses de la vie quotidienne. C'est par exemple cette foule
grouillante qui attend impatiemment le début du
Bon juge-
ment de Mme la Vierge
: "Bon. n.omblre de- c.~ hon.n.Ue--6 c.Ll.!lJ.wx glre--
!oLta.-<-e-n.:t dè--6 !e- po;'n.t du jouir de-vaYlt !e gltan.d de-glté du Pa!~; que!-
qu~-un.-6 m~me a66;'Jrma--<-e-n.:t avo~ paJ.)-6é !a n.u.;.;t e-Yl :t!tave-!t-6 de- !a gltaYlde-
poJr..:te- pOu.ft êtte.e- -6ÛJL-6 d'en.:t!te.1t !e--6
plte-m.-te-It-6."(J)
D'autre part,
le mystère se déroule dans un espace
clos,
tout l'ensemble du dispositif est révélé
: "C'e-6t -6ulr
!a table de mate.blte- que de-vw, -6UOn. !'u-6age-, ~:t!te ltepltéM.n.:té!e- my~tè.­
Ite-. E!le- avw été i:LU.po-6ée pOlllt c.ua dè-6 !e- mwn.; -6a ~c.he mMc.he- de
mate.blte-, toute- Itayée. pate. !e-o ta!on.-6 de- !a baJ.)oc.he, ~uppoJr..:tw UYle c.age
de- c.haltpente aMe-z é!evée-, dont!a -6ult6ac.e. -6upé~eulte-, ac.c.~~;'b!e- aux
lte-galrd-6 de- toute- !a -6a.!!e, devo..-<-t oe-IrV~ de- théQtlre-, e-t dont !';'Yl~é~e-u.te.,
maJ.)qué pate. d~ tap~-6 ~e-~, devad te-Mte. ue-u de- v~ua.-<-te.e. aux pelUlon..-
n.age--6 de !a p;'è.c.e. Un.e éc.hûle-, n.cü.ve-me-n.:t p!ac.ée- e-n. dehoM, devw éta-
bffi !a c.ommUMc.won. e.n.:tlte !a ,~c.è-n.e- e-t !e- v~u~e-, e-t pte.Ue-!t o~ Ito;'-
d~ ec.huoM aux e-n.:t!té~ c.omme- aux Mlli~" r 2). L'espace scèniaue
semble d'une richesse frappante et peu commune,
Si nous pou-
(1)
N.D.P.
l ,
l,
p.
15.
(2)
Ibidem pp.
14-15.

74
vons nous permettre une remarque,
tout le dispositif scéni-
que est visible par le spectateur et le lecteur,
il ne nous
laisse rien ignorer, pas même l'échelle des entrées et des
sorties. Ce système serait par exemple inconcevable dans
la tragédie classique, qui maintenait l'écart sur tous les
plans entre le spectateur et la scène, afin d'entretenir
l'illusion théâtrale.
Ici,
la confusion entre la scène et
la salle est un des traits caractéristiques du mystère de
Gringoire. On constate en effet, qu'une sorte de communion
inhabituelle s'établit entre invités, acteurs et spectateurs.
Celui qui sert de trait d'union entre la salle et la scène
est directement intégré dans l'action et s'appelle Jupiter.
On le voit qui s'adresse aux spectateurs comme un prologue
en les invi tant à la patience et à l'indulgence
"Silence!
Silence!
[... J. Me.h.6-teuJW lell boUJtgeo-L6 et melldemo-L6eUe.o. le-.o bouJtgeo-t..,
J.> e.6,
nou..0 devo M
avoVc. l' ho nneuJt de dé.cfameJt et JtepJtéJ.> en.:te.Jt devan.:t S.
EM. M. le caJtdinaf une ~è.6 befle moJt~é., qui a nom: Le.?on juge..,
men.:t de ~lme la ViefLge ~f~i-~. C' e.6t moi qu.i oMo JupileJt! Son Eminenc..e
ac..compagne en c..e momen.:t l'amb~.6ade ~è.6 honoJtable de M. le duc.. d'Au-
tJt-i.c..he; laquûfe e-.ot Jtetenue, à l' heuJte qu'if eJ.>t, à éc..outeJt ta haJtan..,·
gue M. le Jtec..teuJt de f'UniveM~té., à fa poue Baudeto."(J)
Ce qui frappe d'emblée, c'est qu'on voit l'acteur
avant le début du spectacle; système qui peut para1tre étran-
ge de nos
jours! Mais pour le peuple médiéval, cela ne de-
vait nullement être choquant : ce procédé ne pouvait gue ren-
forcer l'intimité et la familiarité avec le spectateur.
La
harangue de Jupiter est bien celle d'un meneur de jeu, elle
sert à créer un premier contact entre le public et le spec-
tacle.
Ce lien est encore plus solide sur le plan physique;
Jupiter parle à l'assistance dans son costume d'acteur dont
HUGO apprécie la beauté : " ... Le CO.6tume du J.>ugneu.Jt JupileJt Ua-i.-t
cou beau, et n' ava-i.-t p~ peu c..on.:t~bué à cafmeJt la 60ule e.n a:tU.!tant
toute .6on attention. JupileJt éta-i.-t vêtu d'~ne b~gandine c..ouvefLte de
vefouJW no~Jt, à clou.6 doJté.6; if éta-i.-t c..oi66é d'un bic..oquet 9aJtn~ de bou-
(1)
N.D.R. l, l, p. 22.

75
tOY1.J.J d'evtge.nt donéf.J; U, n'UcUt te. nouge. U ta.CjnOMe. bevtbe. qui c.ou-
vncU.e.nt c.hac.un une. mo-UA..é de. Mn v-Loage., n'UcUt te. noute.au de. c.CVtton
doné, f.Je.mé de. pMf.Je.quiUe.J.J U tout hé.WM. de. tarUène.J.J de. clinquant
qu'~ poJttcUt à ta maA.n U daY1.J.J teque.t te.f.J ye.ux e.xe.nc.éf.J ne.c.onncU.J.Jf.Jaie.nt
a-L6éme.nt ta Ùoudne., n'étcUt M.f.J pJ..e.dJ.J c.ouie.un de. c.haJ../t eX e.Yl.!tubannéf.J
à ta gne.c.que. ... "(])
Mais le point le plus intéressant, c'est la confu-
sion qui règne dans la grande salle.
Il semble que dans cet
univers clos,
les rôles soient bien répartis, mais ils ne
sont pas toujours respectés,
Il n'y a pas ce fossé qu'on
voit dans les théatres aujourd'hui entre les regardants et
les regardés.
Le lecteur arrive à peine à distinguer les ac-
teurs des spectateurs. Tout se mêle dans cette pièce; les
cris,
le trépignement de la foule,
la demande d'aumône du
mendiant,
les lazzi de Jehan,
l'entrée intempestive du car-
dinal deviennent des spectacles dans le spectacle. Un moin-
dre incident détourne l'attention du peuple et offre un spec~
table supplémentaire en interrompant brusquement la pièce
initiale.
Par exemple,
l'étrange intimité qui s'établit en-
tre Jacques Coppenole, chaussetier du roi et le mendiant
Trouillefou,
écarte les spectateurs de la représentation du
mystère et provoque la dissipation générale. Afin de tradui-
re l'originalité et le caractère spectaculaire de cette scè-
ne subsidiaire, HUGO choisit une antithèse saisissante;
" ... Le. c.hacLMe.t-<-e.n U te. matJ..ngne.ux f.Je. m.{./te.nt à c.au.J.Je.n à \\/Q-<-x baMe.,
e.n f.Je. te.nant te.J.J maJ..yzJ., daY1.J.J -f.e.J.J maiYlf.J, tand;'J.J que. te.J.J gue.rUUe.J.J de. eto ~
p~Yl. Tno~te.{,ou étatée.f.J J.JUJt te. dJtap d'on de. t'e4t/tade 6~a-<-ent t'e.6-
nU d'une c.he~e. J.JU/t une onange."(2).
Le grand désordre qu'on voit dans la salle est en
relation avec l'âme de cette assemblée aux réactions impré~
visibles et puériles. On a l'impression qu'elle s'occupe da-
vantage des incidents multiples qui se produisent autour
d'elle que de la pièce théatrale elle-même,
(1)
N,D.P.
l ,
II, p.
23.
(2)
Ibidem l,
IV, p.
41.

76
Pour éviter que sa pièce ne s'évanouisse dans la
cohue, Pierre Gringoire s'adresse directement à ses acteurs -
cela constitue aussi une nouveauté -
en leur intimant l'or-
dre de recommencer le jeu. Grâce aux interventions du drama-
turge malchanceux,
le mystère arrive à tenir bon
face à la
cohue, mais il est de nouveau perturbé par de curieuses ir-
ruptions qui en appellent d'autres, L'idée saugrenue de Cop-
penole par exemple, n'était pas pour exhorter le peuple à
suivre la moralité jusqu'au bout. C'est elle qui va l'inci-
ter à s'en détourner à tout jamais : "MUI-6-i.eU!t.-6 tUl bOU!1.geo-i.-6
et hobeneaux de P~ ( •.. ). J'-i.gnone -6-i. ~'Ult ~e que vo~ appetez
un mY-6tène; ma-i.-6 ~e n'e-6.t pa-6 amuoant ( ... 1. On m'ava-tt pnom~-6 une 6~~
te de~ 60u-6, une ~tec~on du pape. Nouo avon-O n~tne pape de.6 60U-6 à
Gand, et en ~eta VlO~ ne Mlmme~ pM en Mn-tène, ~fLo-i.x-V-i.eu! Ma-i.-6 vo~u
~omme no~ 6a-i.-6on-6. On oe nMoembte une ~ohue, ~omme -i.~-i., Pu-i.-6 ~ha~un
à Min toun tla pM-6e.n -6a tUe pM un tfLou et 6a-tt une g~ma~e aux autnUl.
Cûu-i. qu-i. 6a-tt ta pt~ tMde, à t' a~c.1amation de to~, e.-6t Uu pape.
( ... ). Qu'en dile.-6-vouo, me.M~eUfL-6 te-6 boungeo-i.-6 7" (J), Sur cette in-
vitation adressée aussi bien aux acteurs qu'aux spectateurs,
la foule abandonne le mystère pour regarder un spectacle de
tout autre nature:
le concours de grimaces. Nul doute que
l'élection du pape des fous
rappelle le fou ou le diable
qui, dans le cours même de la représentation de certains mys-
tères,
semaient la joie et la confusion au milieu de la fou-
le. Cette confusion a pris une telle ampleur dans la p~ece
de Gringoire que le dramaturge s'y mêle en participant mal-
gré lui au concours de grimaces
: "pu-i.-6 -6e pnomenant à gfLanev., pa-6
devant ta .tabte de manbfLe, i l tu; pnena-tt du 6antW-i.UI d'etUen appa..,
ncûVte à -6on toufL à ta tu~Mne de ta ~hapeUe, ne 6ût..,~e que (-'oun avo-i.n
te pta-i.-6-UL de 6~e ta g!l'-<:ma~e à ~e peupte -i.ngnat. Il (2). L' atti tude du
poète est celle d'un auteur qui n'a plus rien à perdre ou à
gagner. Malgré tous les efforts déployés pour mener la pièce
à bien,
les grimaces l'ont quand même emporté sur la litté-
( 1)
N. D . P •
l ,
IV,
pp.
46- 47 .
(2)
Ibidem l, V, p.
50.

77
rature. Mais on a eu tout de même l'occasion de voir de quel-
le manière était organisé le mystère.
En effet, on a pu se
rendre compte que le spectacle théâtral à cette époque, n'est
pas ressenti comme un jeu auquel le soectateur se sent étran-
ger;
il le place au contraire dans une position qui lui per-
met d'être actif et non passif. Cette création collective
dans laquelle chacun a sa part du jeu
est singulière et in-
dique la prédominance du ludique dans cet univers du mystère.
Nous avons jeté un coup d'oeil sur la "moralité" de
Gringoire. Force nous est de revenir au génie créateur de
Victor HUGO pour étudier le décor qu'il a opéré dans Notre-
Darne de Paris. Ce décor comprend; les lieux scénigues, les
costumes,
l'éclairage et le bruitage.
II. L'ATTENTION APPORTEE AU DECOR
A. Les lieux scéniques
Nous appelons lieux scéniques, les endroits con-
crets où le jeu dramatique soigneusement élaboré par HUGO
doit se jouer. Ces cadres sont des lieux successifs consti-
tuant de grands ensembles et correspondent à un décor qui
a été planté. On sait que le lieu dramatique occupe une pla-
ce primordiale chez HUGO, qui en définit l'importance dans
la préface de Cromwell
"On commence. à compfLe.ndtLe de. no-6 jouJt-6,
que. la localité e.xacte. e.-6t un de.-6 pfLe.~e.JL-6 éléme.nt-6 de. la fLéalité, Le.-6
pe.JL-6onnage.-6 pafLlant-6 ou ag,'LManM ne. -6ont pa-6 le.-6 -6e.u-t6 qu-<' {ifLave.nt
daM l' e.-6pW du -6pe.ctate.utz. la 6-<'dèle. e.mpfLunte. de.-6 6~ ~ Le. ue.u où.
telle. cata-6tJLophe. -6 ' e.-6-f paMée. e.n de.v-<'e.nt un témo-<'n t~ble et -<'Mé~
paJLable.; et l' ab-6e.nce. de. ceUe. MUe. de peJL-6ormage. muet décomplète.fLa-<.t
daM le. dtLame. le.-6 pt'-U-6 gfLande.-6 -6cèYlu de. l'hWto.<Ae. Le poète. 0-6e.fLcU:t~
i l aMa-6-6ÙtefL Rùûo Œ-<.UeU!L-6 que. daYl-6 la chambfLe. de. Mcuue. Stuatz.t ?
po-<'gYlaJ1de.fL He.nfLlj IV a-iileuM que. daYl-6 cette. flUe. de. la Fe.!LfLoYlne.-'U.e., tou-
te. ob-6tJLuée de. haquet-6 et de. VOdufLe.-6 ? .. " (1).
Ici HUGO s'écarte de
l'esthétique classique qui se contentait d'évoquer,vaguement
(1)
Maurice SOURIAU, op.cit., pp.
234~235.

78
le lieu où se déroule l'action sans le décrire.
Il recherche
au contraire un lieu organisé de telle manière qu'il devient
difficile de douter de son existence. On retrouve là le goût
de la couleur locale, des descriptions détaillées et pitto-
resques.
Bref, un désir sans cesse croissant de fournir un
lieu scenlque vrai et représentatif
(1).
Dans Notre-Dame de Paris,
l'envie de créer un décor
précis est indéniable.
Les lieux sont clos et ouverts.
Sou-
vent,
i l y a adéquation entre le lieu et les gens qui y
jou-
ent, et même pourrait-on dire,
avec les actions qui s'y com-
mettent. Les changements de lieux indiquent la fin d'un ta-
bleau ou d'une scène.
La place de Grève par exemple,
fait
figure de lieu scénique ouvert.
Elle servira de théâtre à
des spectacles les plus divers.
Est-il besoin de rappeler
que l'ensemble de la société médiévale prenait plaisir à as-
sister à des spectacles publics en plein air qu'offraient
funambules,
acrobates,
bateleurs,
bourreaux? La place de
Grève s'apparente donc à un champ dramatique élargi,

ceux qui
jouent doivent se déplacer librement.
Ce lieu
privilégié attiLe une foule toujours croissante et sera choi-
si pour la procession du pape des fous,
la flagellation de
Quasimodo, la danse et la condamnation à mort de l'Eqyptien-
ne :
"C'é:taÂ-t, comme aujoultd' hUÂ-, un :tJwpèze Â-!tltéguuc-fT. bO!T.dé d'un cô-
té pafT. ~e qua~, et de~ :tltO~~ autltr~ palt une ~élt~R de maÂ-~on~ haute~,
étltode~ et oomblt~. Le JOUit, on pOWJW admÂ-!telt ia. vafT.)été de ~e~ éd-<--
6-<ce~, tOM Mu~pté~ en pÂ-efT.ltr ou en bo~, e:t pltéMntaYlÂ: déjà de cC'm-
p~e;u éc.hanüilOM de~ dÂ-veltM~ afT.c.h-<-:tectultu dome~ûqur~ du Moyen-A,qe,
en ltC-montant du qu-<-nûème au onûème ~-<èc.~e ( .•. ), Au c.en:tlte du c.ôté
(1)
Le témoignage de Charles SECHAN,
l'un des grands déco-
rateurs romantiques,
est intéressant
: "Sou~ i' Â-n6~uenc.e
d~ p~èc.r~ Itomanûque~ de HUGO et dr DUMAS, nou-6 ~entÂ-on~ que
~'étude de ~a c.ou.feult .foc.a.ie étw devenue une néc.u~dé au thé~
âtAe, que fe temp~ éta-<t pa~~é de ce~ à-peu~pltè-6 vÂ-~ et dé-
modé~ qUÂ-. MU~~, jU,6qu'a~olt~, étaÂ-ent chafT.gé~ de fT.eplté~eYlÂ:efT. Â-n-
d-<
66éltemment e.e~ ueux ~e~ p.fM d.{lJ efT.~. On vo u.fa-<:t maÂ-ntenant, que
.fe~ pefT.MYJnage~ de chaque p-<-èc.e 6uMen:t mon.t'Lé~ avec. .feU!t,6 véJt-<--
tab.fe~ co~tume~ et dan~ .fe ~eu fT.ée~ oa -<-û avaÂ-ent véc.u." Ci té
par Denis BAB LET dans Esthétique générale du décor de
théâtre,
p.
18.

79
o~~ntal d~ ta ptac~, ~'ét~vait un~ to~d~ et hyb~d~ co~,~u~t{on 60~­
mé~ d~ tJLoJ..;s togJ..;s jux:tapo~é~.If(l)
HUGO ne se borne pas a evoquer le lieu;
il s'atta-
che à le représenter. Tous les détails qui font partie inté-
grante du décor sont donnés.
La forme de la place ainsi que
les accessoires qui bordent ce lieu sont révélés. Ces divers
éléments relèvent de la volonté de l'écrivain d'offrir un
décor concret et non abstrait.
Il ne s'en tiendra pas à la
place de Grève pour offrir un cadre visuel;
il créera un lieu
aussi excentrique que pittoresque: la Cour des Miracles
(2),
HUGO lui-même donne une dimension théâtrale à ladite cour et
à tout ce qui s'y passe
quand il l'assimile au ballet royal
de la Nuit et ci te BENSERADE :
IfTout~~ C~~coM:tanc~~ q~, d~ux ~~è-
cte~ (.Jtu~ tafLd, ~ ~mbtè~~nt ~i..- fLi..-~cut~ à ta cout[, c.omme eü;t SAUVAL,
qu'ûl~~ ~~fLvÙ1ent d~ raMe-:teme~ au t[o~ ~:t d'~nUé~ au baUet fLoljaR.. de
fa NuU, cü.vi..-~é
en qu~e ratL:ti..-e~ ~:t da~é ~UfL t~ :théâ:tfL~ du Peti..-t-
Bou~bon. "Jamais, ajoute un témoin oculaire de 1653, les subi tes
métamorphoses de la Cour des Miracles n'ont été plus heureusem~nt
représentées. BENSERADE nous y prépara par des vers assez galants." (3)
La particularité de la Cour des Miracles c'est d'ê-
tre à la fois un lieu clos et un lieu ouvert. Ouvert, parce
qu'elle forme une grande étendue sans murs. Clos, puisqu'el-
le constitue un lieu de refuge pour la racaille médiévale,
(1)
N.D.P.
2,
II, p.
60.
(2) Maria LEY-DEUTSCH compare le tableau de la Cour des Mira-
cles à un décor de théâtre et note à ce propos
: IfComm~nt
~xpti..-quet[ ta 60~c~ de c~ai..-n~ dé:ta~ q~ v~enn~n:t jU4temen:t 6au~~
~~ te pot[tJLa~:t ~:tof[),que ? t~ éR..ém~n~ hugot~en~ ~~ Aonn~nt e:t
M
cOY/bondent da~ un~ nOU\\J~U~ \\Ji..-~, pt~ 60tL:t~. ptu~ zYu:eVl.J.>~, qu~
c.ette qu~ t~ vi..-~i..-tte~ papefL~~~ ont t~~é écharpe~. L~ 6ait
:to~qu~ ~'~66ac~ de\\Jan:t t~ déco~ :théâtJLal et ~~~ b~ant~ ac.:t~u~~
[ ... ).
Le~ gu~ux d~ ta IfC~uche caMé~1f Mnt ~:t~ et tai..-d-1.
~ont :toujoufL~ à ta 60i..-~ é:tonnamm~nt p~o~~~qu~~ e:t étonnamm~nt ~cé­
MqU~'~ If. Voir dans Le gueux chez Victor Hugo, p. 113.
(3)
N.D.P.
2, VI, p.
85. C'est HUGO qui souligne. Dans le Bal-
let de la Nuit, dansé par Sa ~ajesté le 23 février 1653,
la XIVème Entrée représente : "ta Cou~ de-1 IIA~Jtacte4 oil ~~ fL~n­
d~n:t ~e ~o~ :toute ~Of[:t~ de Gu~ux et E~tJLopz~z, qu~ ~n ~otL:t~nt ~~n~
~:t gOAftMd~ POM daI1~~!L teufL entfLé~, ap~è~ taqu~Lt~ i..-t~ donnent une
SéfLéYlad~ ~zcü.cut~ au Mw:tfLe du c.-üu." Ci té par ~1aria LEY-DEUTSCH
p.
117.

80
Pour ceux qui y vont en intrus, elle est un lieu de perdi-
tion et d'hostilité. Elle a de ce fait une importance dra-
maturgique fondamentale aux yeux de l'écrivain. Cet endroit
insolite servira de théâtre à deux faits très peu ordinai-
res,
en accord avec la société en question:
le jugement de
Gringoire et la cérémonie de la "cruche cassée". Les situa-
tions que le philosophe va affronter éclaireront le "lecteur-
spectateur" sur ses aspirations,
ses angoisses et ses décep-
tions.
HUGO n'hésitera pas à utiliser des mots qui peuvent
paraître triviaux pour nommer les éléments du décor: "AutOU/L
d'un g~and Û~U q~ b~ût~ ~u~ un~ t~g~ d~tf~ ~ond~, ~ qu~ péné~ait
de ~u 6-eamm~~ t~4 t.-t~~~ ~oug~u d' un ~ép.-t~d v.-td~ pou~ t~ moment.. qu~t­
que~ tab-e~~ v~mou-eu~~ ~ta.-t~n~ ~u~é~~, çà ~ tà, au h~a~d, ~an~ qu~
t~ mo~nd~e taqu~ géomè~~ ~ût daigné aj~t~ t~~ pa~~ét~~m~ ou
v~~~ à ~~ qu'au mo.-tn~ ~u n~ ~~ ~oupa0~~nt pa4 à du an9t~~ t~op
.-tnu~dé~. SUt( ~e_~ tabtu ~rduüai~nt qu~tqu~~ pou ~MM~tant~ de v-tn
~t de ~~~vo-u~, e~ au/tou~ d~ ~~0 pou 0~ g~oupaient 6o~~~ v~ag~~ ba-
~Mque0, empou/Lp~é0 d~ û~u ~ d~ v~n." (1)
La description pittoresque des accessoires qui com-
posent la Cour des Miracles ne laissent aucune place à l ' i -
magination du lecteur.
L'état de délabrement des tables et
les pots de vin suggèrent la paillardise et la débauche des
gueux.
Le lieu scénique n'est pas seulement extérieur dans
le roman,
on peut observer que certaines scènes se déroulent
dans un cadre plus restreint.
Par exemple,
le bouge de la Fa-
lourdel annonce déjà une action criminelle odieuse;
les élé-
ments de décor en sont la preuve évidente~ C'est dans ce lieu
insalubre que le prêtre attentera à la vie du capitaine Phoe-
bus
: "c' éta.-ten~ du muM d~ ~~cu~, du MUv~~ nO~~0 au ptaryond, un~
~h~m.{né~ démaV&t~té~, ~oup~au ~han~ûan~ d~ tabte~ ~ d' ~0~abûtu bo.{-
t~~u, un ~nûant ~at~ daM t~~ ~~n~u, ~ daM te 60nd un ~0~o.L{~t( ou
ptu;(:ôt un~ é~heil~ de bo-u qu,i. abouW~~ à un~ t~app~ au pta6o nd ," (2)
(1)
N.D.P.
2, VI,
p.
84
(2)
Ibidem 7, VIII,
p.
291.

81
Atteindre les objets dans leur présence et les rendre
visibles semble être le point de mire de Victnr HUGO.
Comme
la Cour des Miracles,
le bouge se compose d'éléments concrets.
La vétusté de ses éléments de décoration -
cheminée démantelée,
tables et escabelles boiteuses -,
accentue son caractère malsain.
L'enfant assis dans les cendres est une sorte de fi0urant même
s ' i l remplacera l'écu par une feuille sèche;
indice gui permettra
aux juges d'accuser la bohémienne de sorcellerie.
Mais on ne peut manquer d'être frappé par le style
parfois laconique de Victor HUGO.
Ici,
l'écrivain recherche
une impression générale qui rappelle celle d'un dramaturge
situant une scène.
Le recours aux phrases courtes et nomina-
les donne un aspect schématique,
partant théâtral à cette
description.
Le décor funeste du bouge s'oppose au cadre somp-
tueux de la veuve de Gondelaurier.
Dans ce lieu d'une rare
magnificence,
la bohémienne subit les railleries et les hu-
miliations de Fleur-de-Lys et ses compagnes.
Conscient du ca-
ractère spectacu laire de cet te scène, HUGO remarque : "e 1 étai_t
vtr.aiment W1. -6pectacte cU.gne d'un -6peda;teutr. ptU-6 -tVL:tef..R.A.-ÇieVlt que Phoe-
bU-6, de vo,LI1.. comme ce-6 bef..R.e-6 6-Ltte-6, avecteuJr..-6 tan~1Ue-6 enve n-tmée-6 et
-tM~tée-6, MJr..pentaùVL:t, gLù-6a-teVL:t et -6e toJr..da-<-eVl-t cwtouJr.. de ta daVl-6eu-
M
deô fw.eô
(... ). C'éta-teVL:t de,-6 weJ.>, de-6 Vl..OVl-te-6, de0 hum-tt-tat-toM
-6aM b,{n." (7).
Le spectacle le plus surprenant,
c'est celui
qu'offre la petite chèvre Djali;
elle arrive à placer en or-
dre les lettres qui formeront le nom de Phoebus
(2). Voyons
comment est présenté ce cadre opulent :
"Le batcon oti. éta-LeVl-t
ce-6 jeUVle0 6ilteJ.> -6 1 ouvtr..ad -6uJr.. une chambtr..e f1..-tchement tap-LM,ée d'un cuitr.
de FtanMe de. couteuJr.. 6auve imptr..-<..me à f1..-tVlCeaUX d' 017., Le0 J.>OUVe0 qu-L
tr.atja-teVlt pMaUètement te ptatond amU-6a-<-eVLt t 1 oeil pM mille b-tzaJr..t1..e-6
/)cutptuJr..e0 pe.-tV!te-6 et dotr..ée-6. Sutr.. de-6 bahut-6 c-tJ.>e,té-6, de. -6ptend-Lde-6 é-
maux cha;totja-<-eVL:t çà et tCi.; UVle hutr.e de -6aV!guetr. eV! 6aZeV!ce CC'1..(tr..oV!V!~
uV! Me.MO-tfr. magV!-tn-tque doVL:t te-6 deux degJr..é-6 aV!VloV!ça-<-eVL:t que ta maZttr..eMe
du tog-tJ.> étad 6emme ou veuve. d'uV! chevalietr. baV!Vle.tr et. Au D0V!d, à côté
d' {me haute chem-LV!ée atrmof1..-tée et btMoV!V!ée du haut eV! bM·, Uad M-6-tJ.>e,
(1)
N.D.P.
7,
l,
p.
246.
(2)
Ibidem p.
24g.

82
dano UYI. tU..c.he- 6aut.e-tUl de- ve1.0UJL,6 fLouge-, la dame- de- Gonde1.autU..e-fL, don:t
tVJ c.-inquan:te- c.-inq an6 n' Ua-ie-n:t pM mo-in~ éc.~ .oufL Mn vUeme-n:t que-
.oU!L Mn v~age-. A c.ôté d' ~e- .oe- te-na-tt de-bout un jwne- homme d' M~e-z
MèfLe- m-tne., quo-ique- un peu vO---tne- e:t bfLavac.he- ... "[J).
L'organisation
de ce lieu montre bien jusqu'où va la minutie de Victor HU-
GO.
Le logis de Mme Gondelaurier contient un tas d'objets
décrits avec une netteté picturale
(2). Aucune démarche n'est
laissée au hasard; on a l'impression que Victor HUGO montre
toutes les données matérielles pour que le lecteur ne puis-
se pas douter de la véracité du décor. Les indications ty-
pographiques
".oUfL de-~ bahu:t-6 c.-i.oe1.é~", "çà u là", "du haut e.n bM",
"au 6ond"
sont celles d'un metteur en scène. Tou tes ces pré-
cisions géographiques en ce qui concerne les distances en-
tre les objets sont des qualités qui répondent à l'attente
d'une actualisation éventuelle.
L'imagination pittoresque de Victor HUGO est enco-
re remarquable quand il décrit la salle du tribunal;
les in-
dications géométriques "à gauche",
"au-dessus",
"en face",
"au fond"
y sont présentes
: "la ~alie- éta-tt p~te, bM~e, voû~
tée-. UVle- table 6f-wfLde-.tlj~ée-éta-tt au 6oVld, avec. UVi gfLctYl.d 6autetUl de
bO~6 de c.hêne ~c.uipté, qu-i éta-tt au pfLévôt e-t v-ide-, et un e.ocabeau à
gauche. POUfL l' auddeufL, ma2:tJre- FlofL-<'an. Au-de-MOU.o -6(' te-Vla-it le- gJre-~­
6-ie-fL gJr-i66onViaVit. EVI 6ace- éta-tt le pe-uple; u de-vant la poJt:te u de-van:t
la table nOfLc.e ~e-fLge-Vl:t-6 de la pfLévôté, en hoque.:toYl.-6 de- c.ame-lot v-iotet
à C.fLo-ix blaVlc.he~. Ve-ux ~e-Jrge-Vl:t/6 du PaJrlo-iJr-aux-BouJrge-o~,
vUu~ de le-uM
jaqueile.o de la TouMa-int, m-i-paJLt---te~ fLouge et bleu, 6ctùaù.nt MVlt-<-Vle1.-
ie de-vant une- poue- baJ.JM 6e-Jrmée qu 'on apeJrcevad au 60Vld de-JrtU..èfLe {'a
tabie."(3J
La variété des couleurs et des objets est dépeinte
d'une manière réaliste. On distingue dans ce décor des com-
(1)
N.D.P.
7,
l ,
p.
236.
(2)
Comme ses modèles flamands et hollandais,
HUGO va s'at~
tacher aux réalités concrètes,
à
la forme des objets, à
leur matière, à leurs reflets . . . Cf.
Claude GELY: Victor
HUGO poète de l'intimité,
p.
257.
( 3)
~~~ . 6, l, pp. l 92- l 93 .

83
parses dont HUGO décrit les costumes. Les phrases ont un
caractère tellement injonctif qu'elles font penser à des
instructions
(didascalies)
du dramaturge à ses interprè-
tes.
Par exemple,
la phrase
"Une. table. 6le.unde.lY-6é.e UcU:t au
bond, ave.c un gtlCLnd 1aute.uil de b(l~s -6cLdpté." siqnifierait : Met-:-
tez une table fleurdelysée au fond avec un qrand fauteuil ne bois.
En fait,
les lieux choisis par HUGO sont plus que des ca-
dres décoratifs vagues;
leur aspect palpable est remarqua-
ble et provient du goût de Victor HUGO pour le spectacle
et le caractéristique. Ce décor animé et coloré ne peut gue
procurer un réel plaisir de l'oeil au spectateur. Un autre
élément de décor figure dans Notre-Dame de Paris et peut
agir directement sur le spectateur:
l'éclairage.
B. L'éclairage
Il n'est pas vain de préciser que l'éclairage a
toujours joué et continue de jouer un rôle capital au thé-
âtre,
indépendamment de l'époque ou du genre dramatique re-
présenté. En réalité,
il ne peut y avoir création et commu-
nication théâtrales entre ceux qui jouent et ceux qui reqar-
dent si la scène n'est pas illuminée. L'éclairage permet
une meilleure vision des acteurs et des éléments de déco-
ration.
Il est par conséquent, un accessoire indispensable
et signifiant:
il peut avoir pour objet d'augmenter l'in-:-
tensité dramatique d'une scène, ou au contraire de la dimi-
nuer. C'est peut-être dans la perspective d'établir une réel-
le communication entre le lecteur et les personnages présents
dans certaines scènes,
et le souci de leur donner une valeur
dramatique que Victor HUGO s'est saisi de la technique d'é-
clairage. Avant d'aborder les procédés d'éclairage tels
qu'ils se manifestent dans le roman, nous avons cru utile
de jeter un coup d'oeil sur la conception que HUGO a de l'é-
clairage. Le Victor HUGO raconté retrace le différend qui
l'a opposé à Anténor JOLY à propos de la manière dont la

84
scène doit être éclairée : "Mit AVLté.vwlt JOLY viVlt Uvl mct:tiVl avec
.ta maque.:t:te d' Cl.Vle Vlouve11.e e<,>pèce de thé.âVLe. Se..tOvl .tu-i., .ta J'Lampe Vle
<,>'exp-fiquait pa<'>, ce.:t:te ltaVlgé.e de quiVlque~ qu~ <'>oJt:ta~ de tenne é.tait
ab<'>UlLde; daVl<'> .ta né.oL{;té., Ovl é.tait é.c.tailté. pa.Jr eVl haut et Vlon pan eVl
ba<'>. La nampe é.tait Uvl covt:tJte-<'>eVl<'>; .te<'> ac.:teun<'> Vl'é.taieVlt p.tu<'> deh hom-
me<'>, ~tc .•. La maquetie pné.<'>eVLta~ Uvl nouvecw <'>1J<,>tème; .te<'> qU~Vlquet<'>
é.c.ta,,(/1.aieVLt, comme .te M.teil, du haut de poJt:taVLt<'> d~M~mu.té.<'> daVl<'> .ta
COUWM.; Ovl ne <'>enait p.tU<'> au thé.citJle, Ovl <'>0'ta~ daVl<'> .ta nue, daVl<'> Uvl
boi<'>, daM UVle chambne. MOMie.un Victon HUGO <,>' oppo<'>a à .ta <'>uppneM~oVl
de .ta ltampe.
I.t né.pon~ que .ta né.oL{;té. cnue de .ta nepné.<'>eVltat-i.on <,>e-
nait eVl dé.<'>ac.cond avec .ta né.oL{;té. poé.:tique de .ta pièce, que .te dname
n'é.tait pa<'> .ta vie même, m~ .ta vie :tJtaMtîi~W!Lé.e eVl aJt:t, qu i l
1
é.tait
doVlc bon que .te<'> ac.:teUIL<'> üUMeVLt :tJtaM6iJtugé.<'> aUMi; qu'i.f.<'> .t'é.taùmt
dé.jà pM .teUIL b.teu et pM .teun !Louge, qu'il<,> .t ' UMeVLt
mùlLX pM
.ta nampe, et que c.etie -figne de 6eu qui <'>é.pMait .ta <'>a-.e..te de .ta <'>cèVle
é.tait .ta 6nontiène natu!Lelie du Jrée.-t e.:t de .t 1 idéaC ( 1) •
Les points de vue des deux hommes sont tout à fait
contradictoires. Anténor JOLY s'oppose au système de la ram-
pe et suggère une forme d'éclairage audacieuse, originale et
réaliste.
rl pense en effet que la rampe déforme et déshu-
manise les acteurs,
puisqu'ils ne sont pas éclairés d'une
manière naturelle.
rl est plutôt favorable à une lumière
qui vient d'en haut: celle gui permet un décor plus vivant
et moins artificiel.
Loin de chasser la convention de la rampe,
HUGO la
maintient au contraire; elle favorise une sorte de métamor-
phose de l'acteur et de la scène, et contribue à leur embel-
lissement en leur donnant une forme plus expressive. On pour-
rait se demander si par le système de la rampe,
HUGO ne vou-
drait pas rendre compte du caractère irréel du théâtre~ Une
chose est sûre, c'est que Victor HUGO refuse une lumière trop
crue qui,
au lieu de renforcer l'illusion théâtrale,
la dimi-
nuerait.
(1) Victor HUGO raconté par un témoin de sa vie,
éd~ Hetzel,
T.
II,
pp.
212-213.

85
Dans Notre-Dame de Paris, HUGO s'efforce de varier
l'éclairage en fonction des scènes; une scène mélancolique
correspond à une lumière blafarde
(le recours à la chandelle)
et une scène gaie est éclairée par une lampe.
Dans la chambre
voûtée en ogive de la Cour des Miracles par exemple,
Pierre
Gringoire mange avec voracité les maigres provisions de la
bohémienne.
Cette dernière le regarde d'un air étonné et tris-
te.
HUGO a choisi d'éclairer cette scène pour faire ressortir
le contraste entre la posture rêveuse et sombre de la Esmeral-
da,
et la manière emportée avec laquelle le philosophe mange
le pain et le lard
: "Une c.handett'e de c.--iAe jaune éc.faA./W{,t c.ette
J.Jcène de vOllac.aé et de llêve)[.{e." Il) Ici la lumière ne joue pas un
rôle purement passif, elle exprime les rapports de distance
et de réserve qui relient les deux personnages. Grâce à elle,
on les imagine dans un décor feutré et dans une atmosphère
d'incommunicabilité. Plus tard,
le procès de l'Egyptienne se
déroulera dans le grand palais de justice, ce sont les chan-
delles qui illuminent la scène : "U y avaLt déjà pfuJ.iieullJ.J chan-
de1feJ.J a~fwnéeJ.i çà et fà J.JUll deJ.i tabteJ.J et llayonnant J.iu~ deJ.J têteJ.J de
glle66ie~J.J an6aiJ.JJ.JéJ.J danJ.i deJ.J papellaJ.JJ.JeJ.J. La p~e a~té!l.{eulle de ta J.Jaf~
fe é-ta,d oc.c.upée pail fa Doufe; à Mode et à gauc.he i l y avad deJ.J hom-
meJ.i de llobe à deJ.J -tabteJ.J, au 6c!Yld, '.'>u~ une eJ.Juade 6011c.e juge,J.J dont feJ.J
de,![nièll"'-'''' ![angéeJ.J J.J' en6onça.{en-t danJ.J feJ.J -ténèbtLeJ.J; 6aceJ.J immobi~eJ.J et
J.JiniJ.JueJ.i.
LeJ.J muM é-tet.<.eYl.t MméJ.J de 6feullJ.J de fyJ.J J.JanJ.J nomblle. On d-06-
unguad vaguemen-t W1 glland chtLiJ.J-t au-deMu6 deJ.J jugeJ.J, et pafl-tou-t deJ.J
piqueJ.J et deJ.J hct-UeballdeJ.J au bout deJ.Jquet'feJ.J fa fwnièlle deJ.J c.hande,UeJ.J
me..t-taJ.en.-t deJ.J po.{nteJ.J de 6eu."(21
L'éclairage découvre l'organisation de cette scène
de jugement sur trois endroits,
-
à droite,
à gauche,
au fond
la position de la foule ne fait que renforcer la dimension
théâtrale de ladite scène. Cela est d'autant plus vrai que
Victor HUGO fait un rapprochement curieux entre le sentiment
qu'on éprouve au théâtre et celui de l'auditoire présent au
(1)
~.D.P. 2, VII, p. 99.
(2)
Ibidem 8,
l,
pp.
301-302.
- - -
/

86
tr ibunal
: "Quand ~e (E~mvuû.da) Jtentna, peUe e;t bodant, daM fa
~ille d' cwcüenc.e, un mUJtmUfte généJtaR. de pfaJ.J.:,Vr. f' ac.c.uulW. De fa paJtt
de l' aLtddo,iAe, c.' étad c.e .6 e~ment d '-impa..:Uenc.e UUM na-i.te qu' 0 Vl épno u-
ve cw tl1éâ,tJLe à l' exp,{JLa..:UOVl du dennùJL entJtac.t~ de fa c.omécüe, fo~que
fa toile ~e Jtelève et que. la 6;'Vl va c.ommencelL." ( 1J
Parfois la source lumineuse peut jouer un rôle dans
l'action.
C'est le cas de la lumière qui éclaire la scène a-
moureuse entre Phoebus et la bohémienne
: "n,uand il (fe p/[êtneJ
nev-<-ent à fLU, phoebu~ e;t fa E~meJta.e.da éta-ieVlt ~euf~, aM-<-~ ~un le c.066ne
de bo-<-~ à c.ôté de la lampe qu,( ~aJ.J.:,aJ..t Mj..LtJ..Jt aux yeux de l' aJtc.hJ..d'<'ac.ne
c.e!.l deux j eune~ 6·tguJte~, et UVl mù éJtabfe gJtabat au 60 nd du gaR.eta~." (2) .
Ici la lumière crée une atmosphère de solitude et d'intimité.
Elle a également pour rôle de dévoiler la beauté de l'Egyp-
tienne et de faire accroître l'amour vicié du prêtre.
Souvent,
l'éclairage apparaît plus spectaculaire,
c'est quand l'ombre et la lumière sont confrontées et confon-
dues.
En effet,
d'une oeuvre à l'autre, HUGO marque sa prédi-
lection pour le clair-obscur.
Ce procédé provient de l'influ-
ence de REMBRANDT
(3)
et a une valeur conflictuelle et symbo-
lique.
D'un côté,
la lumière est symbole du bien,
et de l'au-
tre,
l'ombre est symbole du mal,
du malheur. Mais cette oppo-
sition de l'ombre et de la lumière n'est oas sans avoir quel-
que rapport avec le spectacle théâtral.
Pour faire ressortir
cette opposition ombre-lumière,
le metteur en scène pourrait
attribuer une intensité lumineuse plus dense à un objet ou à
un personnage dont l'importance doit être rendue le plus vi-
sible possible.
Par contre,
i l a
la possibilité de faire dé-
rouler certaines actions dans l'obscurité, par pudeur ou pour
(1)
N.D.P.
8,
III,
P.
314.
Souligné par nQus.
(2)
Ibidem 7, VIII,
p.
292.
(3)
Comme le souligne Claude GELY,
Louis BOULANGER et Aloy-
sius BERTRAND auraient initié HUGO à l'art de REMBRANDT
"qu.( \\la ju~qu' à matéJt-<-a.tt~eJt .e' -<-nvù-ibfe, qu-<- tftaMb-tgUfte fe quot-<--
d~eVl, et. à tnaveM le.~ /[aljoM e.t fe~ omb/[e!.l de la c.ouleu/[, /[évèfe
.te/5 cta·'7.té~ e.t f~ doute!.l ql.U futtent au plu~ pJtofloVld de!.l âm~ ... ".
Cf.
Paul CLAUDEL:
"Introduction à la peinture hollandai-
se"
(Revue de Paris,
1er février 1935). Cité par Claude
GELY dans: Victor HUGO poète de l'intimité, p.
256.

87
susciter un climat d'angoisse et de tristesse. En cela,
l'op-
position de deux taches,
l'une brillante,
l'autre sombre est
capable de provoquer un choc qui aura un effet indéniable
sur le public. C'est ainsi que la malheureuse Sachet te appa-
raît sur un fond d'ombre et de lumière dans le Trou aux Rats
" ... EUe VIe. p/té.6e.YlX.ait au p/te.m-te./t a.6pe.ct qu'une ~o/tme. U/taVlge, découpée
.6u/t le. nOVld téVléb/te.ux de. la celfule., uVle e..6pèce. de :tftiaVlgle. Vloi/tât/te., que
le. /tayol1 de. jouIt ve.l1aYIX. de. fa lL{caJtl1e ,tltcmchait c/tûme.l1t e.11 de.ux VlUaI1Ce..6,
l'uVle Mmb/te., f'autJte. éclaJAée.. C'était un de. ce..6 .6pe.ctlLe..6 comme 011 voa
daM .te..6 /t élle..6 e.:t daM l' oeUl'/te. e.xt/tao/tMl1a~e. de. GOYA, pâle.;."
{mmo bile..6,
.6-tvU..6tJte.ô, acc/toupù .6u/t UI1e. tombe. ou adoMé.6 à.ta gJLilfe d'uVI cachot," (7)
L'attitude spectrale et picturale de la recluse explique peut-
être l'allusion à GOYA. Ce qui domine ici,
c'est le noir;
la
recluse vit des moments d'angoisse intense,
le noir exprime
son malheur et l'horreur de sa condition, De plus,
son immo-
bilité et ce mélange d'ombre et de lumière suscitent des fris-
sons et évoquent une forme de violence.
L'antithèse fondée sur l'opposition des couleurs est
encore visible au tribunal quand la Esmeralda paraît devant
les juges: "le.6 chcmde.f.te..6, dont 011 n'ava,{,t pa,q augme.YlX.é le I1Omb/te.,
je.:ta,{e.YIX. .6-t peu dr fWJ1-tè/te qu'ol1 11e. voyad pa.6 .te;., mM.6 de. .ta .ôaLfe. Le..ô
tél1èb/te..6 y e.Vlveloppa-te.~t tou.6 le..6 obje.;t.6 d'Lme MUe. de blLume.. Quelque))
6ace..6 apathique.6 de juge..6 y /teMo/ttaze.YIX. à peiVle.. V-t;"-à-vù d'e.ux, à
.t 1 e.xt/témdé de la .toVlgue. .6a.tle., -<.l.ô pouva.-ie.nt vo~ un p0-tvtt de blal1cheu./t
vague ,~e. détache./t ;"u/t le. bOl1d ;.,omb/te. C'éta;.t l' accu;.,ée.." (2). HUGO a
délibérément choisi cet éclairage pour donner une certaine
importance dramatique et ornementale à cette scène,
La lumiè-
re a une fonction de désignation,
c'est-à~dire qu'elle est
destinée à la mise en relief des personnages.
Si les juges
sont maintenus dans une semi-obscurité, c'est pour marquer
l'idée de violence et d'injustice qu'ils incarnent, L'accusée
désignée métaphoriquement par "la blancheur vague",
symboli-
se l'innocence et la pureté lesquelles s'opposent à la gros-
sièreté et à la cruauté des juges .
._-------------------~-----
(1)
N.D.P.
6, III,
p.
219.
- - -
(2)
Ibidem 8,
III,
p.
314.

88
Le clair-obscur a donc des résonances
profondes en
Victor HUGO. Pour certains critiques, c'est une vision sim-
pliste, mais pour l'auteur de Notre-Dame de Paris,
elle est
l'expression non seulement d'une sorte de violence de la pen~
sée, mais d'un besoin profond de peindre la réalité qui est
constituée de clarté et d'ombre.
C.
Les costumes
Soucieux de faire surgir un cadre concret,
HUGO ap-
porte aussi une attention particulière aux costumes des per-
sonnages. Ces costumes s'inscrivent bien dans la tradition
vestimentaire médiévale et reflètent souvent la condition so-
ciale de chacun. On sait que les effets harmonieux et la fui-
te de l'anachronisme vestimentaire sont les principales pré-
occupations du metteur en scène dans la conception des cos-
tumes.
HUGO semble rechercher cette adéquation entre le cos-
tume et le rang social du personnage. Par exemple,
la des-
cription méticuleuse des costumes des damoiselles Oudarde et
Gervaise témoigne de leur richesse.
L'alliaqe des couleurs
a quelque chose de criard et d'extravagant qui ne manque pas
de provoquer le sourire amusé du lecteur : "Deux de ce-6 ûemme-6
étcvtevtt vêtue-6 evt bonne.-6 bC1uJr.g(uJ-u'e-6 de Pa!L-u'. Leu!L Mne 90!LgeJr.ette bian-
c.ne, ieU!L jupe de t,{!Letcvtf?e !Layée !Louge et bieue, ieU!L6 CnaUMe-6 de t~­
cot bianc, à c.o-Ln-6 b!Lodé-6 en c.ouieu!L, b-Len wée-6 -6U!L fa Jambe, ieLL!L-6
MlUUe!L-6 CafL17. é.o de cu-tJr. 6au ve à -6 emelie.o no-t!Le-6 et -6 u!Ltout ie u!L c.o--i 6tU-
!Le, c.ette e-6pèc.e de co!Lne de cunquant -6u!Lc.nMgée de !LLLban-6 et de dentef-
ie/~ que ie-6 Cnampenoüe-6 pouent e.nc.o!Le ( ... ) annonçcvtent qu 1 etfe-6 appa!L-
tencvtent à cette claMe de !L-Lc.ne.o ma!Lc.nande-6 ... " (7) •
Victor HUGO s'efforce d'adqpter le costume non seu-
lement au milieu social, mais aussi à la situation qéographi-
que :
" Leu/1 c.ompagne éta-ü a-:tt-Ltlée à peu p!Lè6 de fa meme maVl-Lè!Le, maü
-Li y avcvtt dan6 -6a m-t6e et -6a touJr.nul1e c.e Je ne. -6cvt-6 quo~ q~. 6ent fa
6emme de not~e de pJr.ov--inc.e. On voyCi-Ü à fa man;è!Le·dont 6a c.e~ntu!Le
(1)
N.D.P.
6,
III, p.
204.

89
ILe_mo nteUt au- de.M LLo de..o han.che..o qu' eLte. n. 1 UeUt pM de.pu~ i.o n.gte.mp.o à
P~. AjOLde.z à cÛa un.e. goILge.ILe.tte. pfù.oé.e., de..o n.oeud-O de. ILuban..o .ouIL
fu, MUU.e.JL6, que. i.u, fLcu:.e..o de fa jupe Uaie.nt dan..o i.a faILge.uIL d
n.on.
dan..o i.a i.CJYlgUe.UIL, e.t mille. autfLe..o é.n.olLmLtê..o dont .0' J..ndign.a.,tt i.e bOl1 goût."
(1).
Avec une pointe d'ironie,
HUGO met l'accent sur l' habil-
lement de la Rémoise.
L'envie de la ridiculiser est visible
au vocabulaire et au ton employés. Le verbe "attifer" et la
phrase "des noeuds de rubans sur les souliers que les raies
de la jupe étaient dans la largeur et non dans la longueur"
sont pour se moquer de Mahiette et ont fonction de signale-
ment,
c'est-à-dire qu'ils servent à la distinguer des Pari-
siennes.
D'autre part,
le costume somptueux d'un des seigneurs
de Louis XI pourrait être un centre d'intérêt et l'objet de
cur ios i té du pub l ic
: "L e. pILe.m-ie.tt .oU!t i.e.que.i. tombad .ta i.u.mièILe. é.teUt
un. .ougn.e.uIL .oupe.fl.be.me.n.t vUu d'un haut."de.-chauMe..o d
d'un. jLl..otauCofl.p.o
écatt.tate. ILayé. d'attge.nt e.t d'une. cMaque. à mahoittte.o de. dfLap d'oIL à de..o-
.oJ..n..o n.oJ..!L.6. Ce. ,spi.e.ncU..de cO.6tume., CI({ .oe joucu:.t i.a i.u.mJ..èfLe., .oe.mbi.ad gi.a-
cé de 6i.amme à tou.o .oe..o pu..o. L'homme. quJ.. i.e. pofLtait avad .ouIL .ta PO{-
tfLJ..n.e .oe..o aJul1o<-fLJ..e..o bILodéu, de vJ..ve.o coui.e.utt.o : UV1 che.\\.ltton. accompagV1é eV1
poJ..nte d'un dcu:.m pa.o.oan.t ( ... ). Cd homme. pofLta;t à .oa Ce.-iV1tUILe. UV1e. IL{-
che. dague. dont .ta poJ..gn.é.e. de. l.Ie.fLme,-i.t éta{t cùe.i.ée. e.n 6o!Lme de. C{m-ie.IL
e.t .ouILmontée d'une. coulLon.ne. comta.te." (2)
L'exactitude dans la présentation du costume ne lais-
se pas le temps au lecteur de se poser des questions sur les
formes et les couleurs, L'aspect chatoyant
(3)
des couleurs
entraîne une décoration d'une singulière beauté. On peut no-
ter que HUGO se gausse du contraste entre la grande élégance
du seigneur et la mine grotesque et patibulaire du roi Louis
XI qui a
" ... de.ux ILotLl..te.o cagV1e.U6e.o, de.ux cu~.oe.o mcugtte.6 pauvILeJI1e.n..t
(1)
N.D.P.
6,
III,
p.
204.
(2)
Ibidem 10, V,
p.
426-427.
(3)
HUGO a toujours tendance à décrire les costumes des per-
sonnages en fonction de la luminosité; cette mention de
la clarté crée une perspective réaliste et concrète.

90
habil1.ée.-6 d' LU'/. vucot de. f..cUYl.e. Yl.o-Uce., Uyl. toMe. e.Yl.ve.f..oppé d'uYl. -6uJttout
de. 6uA:cUYl.e. ave.c UYl.e. 6oUJVtu!te. don.t Oyl. votjcUt mo~Yl.-6 de. pou que. de. cuVr.;
e.Yl.MYl. POU/I COU./lOYl.Yl.e.!l, Uyl. v~e.ux. chape.au g!lM du pf..U-6 méchan.t d!tap yl.O~
bO!ldé d' lm cO/Ido yl. c-Uccuf..cU!le. de. éigl.U!...-lYl.e.-6 de. pf..Qmb," ( 1J. Au lieu d' ê-
tre majestueux et alerte,
le roi est sombre,
terne et gâ-
teux. Tout se passe comme si HUGO ne voulait montrer que la
perspective la plus modeste et la plus ridicule de ce per~
sonnage qui occupe tout de même une place importante dans
l'histoire. HUGO ne recherche pas l'aspect prestigieux du
roi, mais des indices capables de donner un attrait singu~
lier à sa description,
à son tableau.
Cependant la peintu-
re pittoresque des costumes ne sera pas suffisante pour Vic-
tor HUGO;
il voudrait flatter en même temps,
l'oeil et l'o-
reille du lecteur.
D. Le bruitage
Nous avons vu au début de cette partie que le visuel
vient au premier plan chez HUGO. Mais les indices sonores ~
voix, cris, qalop des chevaux, cloches -
ne sont pas absents
du roman.
Ces références constantes aux bruits constituent
des signes de réalité. Mais ils diffèrent par leur nature
et par le rôle qu'ils jouent dans l'action.
Ce n'est guère un hasard si dès la première page
du livre, on es~ envahi par le son des cloches. L'éveil des
cloches correspond à celui des Parisiens; c'est l'euphorie
du jour qui se lève et le goût pour HUGO du spectacle sono-
re.
Si la cathédrale s'est vu attribuer un sonneur de cloches,
c'est bien pour entretenir ce décor sonore,
Quasimodo passe-
ra donc l'immense majorité de son temps à faire vibrer les
. cloches,
sauf peut-être pendant les moments de mélancolie.
La moindre fête sert de prétexte pour les ébranler au risque
de perturber les voisins et de susciter des actes d' hostilité. HU~O
(1)
~D.P. 10, V, p.
426.

91
le compare à un chef d'orchestre pour mettre en relief la
grande affection que le sonneur porte aux cloches et va
jusqu'à noter son discours
: "Va, d~ad-il, va, GabILie.tf.e. VeJL~
~e ton bJLuit dan~ la place. C'e~t aujouJLd'hu~ 6~e. - T~baufd, pa~
\\
de pc~~~e. Tu te JLale~~. Va, va donc! e~t-ce qu~ tu t'e~ JLouilf~,
6ain~ant ? - C'~t bi~n! Vite, vite! qu'on ne voie p~ le battant,
RencU,-l~ to~ MUJLd~ comme mo-<-. C' e~t cela, T~bauld, bJLa\\.lvnent!
( ... ). Bien! bien! ma GabJL-<-eUe, ~ou! plu~ 6ou! -: H~! que 6ade~­
vou~ donc là-haut tou~ deux, l~ Moineaux ? Je ne vou!.> voi~ pa!.> 6aiILe
le pe:td bJLuit ... " (7).
Ce qui est étrange,
c'est que Quasimodo
a baptisé ses cloches de noms de femmes.
Cette personnifi-
cation le rapproche davantage d'elles et l'arrache à sa S0-
litude originelle.
Mais le bruit des cloches n'est pas le seul bruit
qu'on entend.
La grande salle où a lieu la représentation
du mystère est ponctuée de bruits qui évoquent l'atmosphère
des salles de spectacle.
Ils sont des attributs d'une pré-
sence et existent pour qu'on les écoute et qu'on les enten-
de
"Le~ cw, l~ triJL(J~, le t/t~pignemeyd de c~ miUe pied~ 6a~a~ent
un gJLand bJLui:t et une g/tande c-tameu/t. De te.mp~ en temp~, cette clameL~
et ce bJLuit /tedoub-taient .. . "( 2) .
Le bruit qu'on perçoit quand la Esmeralda est en-
fouie dans son cachot,
n'est pas une suite de mots.
C'est
le bruit caractéristique et obsédant d'une goutte d'eau.
Abandonnée de Dieu et des hommes,
la jeune fille s'accroche
à ce bruit irritant qui perce le silence de mort de "l'in-
pace".
Il est peut-être exaspérant pour le lecteur,
mais
constitue une véritable compagnie pour l'infortunée
c'est
le seul élément vivant qui la rattache à la réalité
"EUe
~coutad ~:tupidement te b/tuit que nai~ait c~e goutte d'eau en tombant
dan!.> ta matre. à côté d' ei.-te. ( ... ), C'était là te ~eul mouvement qM tre-
muât encotre au:tou/t d'e.lle, fa !.> eu-te hOILloge qM maJLquiit te :temp~, le
~eul b/tui:t qui v-trU: ju~qu' à e.fle de tout le b/tuit qM ~e 6ait ~UJL Ra
(1)
~~~. 7, III, p. 260.
(2)
!eidem l,
1,
p.
Il.

92
-6U!l6ace de .ta teJULe" (1).
Choisir une goutte d'eau conune élément
sonore n'est pas un choix gratuit;
la goutte d'eau s'entend
bien sur un fond silencieux et peut aisément passer la ram-
pe. (2)
Enfin,
HUGO introduit un bruit bizarre au beau mi-
lieu de l'entretien entre Claude Frollo et Jacques Charmolue
c'est le grignotage d'une croüte de pain, qui provoque dans
l'esprit de Charmolue
(il ne se doute guère de la présence
de l'écolier)
un sentiment de méfiance et même d'angoisse:
"En ce moment LLYl bJwa de mâcho-ÛLe et de ma-6ucat-ton qu..-l paJLtcuA: de de-6-
MUo .te 60ulLneau V-tM 6lLappelL f'olLei...tfe -tnqu-tète de ChMmo-f.ue
[ .. ~l.
C'éta~t f'écG~e.JL qu-t, 60lLt gêné et 60lLt ennuyé dan-6 -6a cachette, ét~
pMvenu à y découv~ une v-tei..~-f.e clLoûte et un t'~an9-f.e de ~lLomage mO-t-
-6-t, et -6'é~~~ m~ à mangelL fe tou~ -6an-6 6açon, en gu-t-6e de con-6ofat~on
et de déjeunete.. Comme i l avM;t glLand 6ai..m, i..-f. 1wM;t glLand blLui..t, et
i l accentuad 60lLtement chaque bouchée, ce qu-t avcùt donné f'évû-f et
-f.' a-f-alLme au pfloculLeufl. JI (3)
Pour rassurer son hôte et justifier
ce bruit insolite,
le prêtre explique qu'il s'agit d'un chat.
Sa réponse est comique et théâtrale à cause du jeu de l'être
et du paraître: Frollo se sert d'un faux-fuyant qui semble
satisfaire maître Jacques. Or,
le lecteur sait que la réa-
lité est tout autre.
Pour clore ce chapitre consacré aux éléments de dé-
coration, nous dirons que Victor HUGO traite d'abord le lec-
teur en spectateur et ensuite en auditeur.
Le théâtre n'est-
il pas cet art qui appelle à la fois notre attention visuel-
le et auditive? Conscient du fait qu'il ne s'adresse pas à
un sourd,
l'écrivain va amener le lecteur à être tout yeux
et tout oreilles gr!ce aux dialogues,
aux monologues et aux
tirades qui acquièrent dans l'univers du roman,
un supplé-
ment de mobilité et d'efficacité.
(1)
~~D.P. 8,
IV,
p.
319.
(2)
Ce bruit pourra faire son effet sur le spectateur et tou-
chera directement sa sensibilité.
( 3)
!,:!.-=-~~. 7, V,P. 2 7 9 •

93
III. LE LANGAGE SCENIQUE
A. Les dialogues
Il semble difficile de parler de la mise en scène
sans souligner l'importance des dialogues dans Notre~Dame
de Paris. En effet, HUGO a su établir une sorte d'équilibre
dans son roman. Qu'est-ce à dire? C'est lui qui se charge
de raconter l'histoire mais le récit glisse sans arrêt vers
le dialogue.
On p~urrait nous objecter que les dialogues peu-
vent être aussi
romanesques,
certes, mais pas forcé~
ment. Le narrateur n'est pas obligé de faire parler ses per-
sonnages puisque c'est lui qui joue le rôle de rapporteur.
(1). S'il lui arrive de J.e faire,
le type de dialogue auquel
il recourt est différent d'un dialogue de théâtre.
Souvent,
le dialogue romanesque est en style direct et suppose la
présence pesante de l'auteur qui rapporte les propos du per-
sonnage, d'où la fréquence des incises;
"dit~il", "s'excla-
ma-t-il", etc.
Il n'y a pas confrontation immédiate des per-
sonnages qui s'interpellent. Par contre,
le dialogue drama-
tique est écrit en style direct et se présente comme un spec-
tacle. Les échanges entre les personnages ne sont pas rappor-
tés,
ils sont directement donnés à voir,
et c'est le passa-
ge du "il" de la narration au "je" et "tu" de la représen~
tation qui marque la différence essentielle entre le dialo-
gue romanesque et le dialogue théâtral.
Qui plus est,
le
dramaturge évite toujours d'insérer son jugement à l'inté-
rieur des dialogues, de peur de leur enlever leur force dra-
matique et de diminuer l'impression de vérité.
Dans Notre-Darne de Paris, certains dialogues tien-
nent à la fois du roman et du théâtre,
tandis que d'autres
sont purement romanesques puisqu'ils sont ~onctués de propo-
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
(1)
JOUVET a constaté que le romancier parle alors que le
dramaturge laisse parler ses personnages. Voir Paul
GINESTIER dans
: Le théâtre contemporain dans le mon?e,
p.
20.
\\

94
sitions incises. Mais nous avons choisi d'étudier ceux
qui nous ont paru plus théâtraux. Souvent ces dialogues
favorisent un échange d'opinions et se veulent persuasifs.
C'est-à-dire que l'écrivain s'en sert pour qu'un personna-
ge arrive à persuader son interlocuteur, soit pour l'inté-
rêt de l'interlocuteur,
soit pour le sien propre, L'exem-
ple du dialogue entre Jehan Frollo et le capitaine Phoebus
va dans ce sens.
En effet,
Phoebus et Jehan se sont livrés
à une orgie;
ils sont ivres. Phoebus essaie de convaincre
son compagnon de lui donner un peu d'argent, mais il va
s'établir entre eux un dialogue de sourds,
fondé essentiel~
lement sur le quiproquo. Afin de rendre compte de la beauté
et de la valeur dramatique de leur dialogue,
nous n'avons
pas résisté à la tentation de le reproduire dans sa guasi
totalité.
"- Coltbac.que! tâchez doVlc de mMchelt dtto;;(:, mOM.{.eult -fe bache.uelt,
VOU-6 /~a\\'ez qu'a 6cud que jr VOU-6 quÂ.-t.te. Vo;1à Mpt heUlle-6. J'a.{. ttrVl-
dez-\\Jou-6 c(\\Iec UVH' 6emme..
- La~M' z-mo.{. doVlc, VOU-6! Je IJO~ de.-6 é-toile-6 et de-6 -faVlCe-6 de 6eu.
Vou-6 ête-6 comme -fe château de VampmMûVl qu.{. cllève. de tt.{.tle,
- Pa!! fe.-6 \\Je.Il!!ur-6 de ma gltand-mèlte., Je.haVl, c' e.4t dé-ItwoVlVle.!t ave.c tllOp
d'acha.!tVleme.nt. - A P'lOP06, Jehan, e-6t-ce. qu'.{..e ne VOU-6 lte-6te. pf.U-6 d'att-
gent ?
- MOM,{.eult le lle.cte.UIl, d
n' y a paf., de 6aute., -fa petite boucheAü,
"pattva bouche~".
- Je.haVl, moVL ami Je.han! VOUô -6avez que j'a.{. donné Itendez-vouô à. cette
pe.tite au bout du pont Sa~lnt-/I;L{chü, que je. VLe pu~ la mene.1l que che.z
fa Fafoultde.l, la vitotièlte. du pont, et. qu'.{..e 6audlla payell la chamblte,
La vi~e. tt-ibaude à mou-6tache.ô blanche.-6 ne me. ~eJta pa-6 cltéd;;(:.
Jehan! de. gltâce.! e.~t-ce que VlOU-6 avon-6 bu toute l'euMceUe du cUIlé- '7
e.-6t-ce qu'i.e ne VOu-6 lte-6te plu.-6 un patLù.{.-6 ?
- La cOMcience d'a\\Joitt bieVl dépen6éf.e-6 auttte-6 he.LuleÔ eôt. un jU-6te. e.t
-6a\\loutLeux cOVld-iment de. tab.fe.
- Ve.ntJLe. et boyaux! t!Lê.\\Ie. cwx bdleve6ée.6! Vite.-6-moi, Jehan du Mable,
\\Jouô !!e4te-t-i.f que.fque. monVlc/le. ? Vonne.z
bédie.u! ou je. va~
1
vOUô
Joua-
eeIl, 6uMiez -l'O u/~ ):' <?-j)/l e.u x COtr1me. Jo b ~t ga-f eu x comme Cé6M!

95
- Mon~~~~, ia ~u~ G~ach~ ~t un~ ~u~ q~ a un bout ~u~ d~ ia v~~­
~~, U i'a~~ !w~ d~ ia T~x~~andw~.
- Eh b~~n o~, mon bon am~ J~han, mon pauv~~ cama~ad~, ia ~u~ Gai~ach~,
c' e,~t t~è~ b~~n, c' ~~t t~è~ b~~n. l\\kL~ au nom du c~ei, ~~v~n~z à vou.~.
Ii n~ m~ -6aut qu'un MU p~Ù, ~t c'e~t pou~ Mpt heM~~.
- S~.e.mc~ à ta ~onde, et att~~on au ~~-6~M.n [ ... ).
- Eh b~~n, ~co~e~ de i'Ant~c~~~t, pu~~~-tu ~~e ~:t~an9ié av~c .e.e~
t~pe~ de teL mè~e." ( 1)
Pas une seule fois,
HUGO est intervenu dans ce dia-
logue, d'où cette fluidité et cette vivacité qu'il conserve.
Le jeu des répliques parallèles aboutit à un effet de ten-
sion dramatique.
Les réponses décousues de Jehan sont celles
d'un homme qui n'est plus en possession de toutes ses facul-
tés mentales.
L'incohérence et la juxtaposition des répli-
ques créent un effet d'attente;
on se demande à guel résul-
tat ce quiproquo comique peut conduire. Le comique naît sur-
tout du contraste entre la ferme volonté qu'a Phoebus d'ob-
tenir satisfaction et le refus de comprendre du joyeux dril-
le.
Ce qui est remarquable chez le soldat,
c'est qu'il
sait user de tous les tons pour amener son ami à la raison.
Tour à
tour ironique:
"ColLbac.que,
tâch~z donc d~ ma~ch~~
d~o~t, mon~~eu~ i~ bach~i~e~", et faussement humble et doux
"J~han, mon am~ Jehan", et il devient brusquement menaçant;
"V~nt~~ ~t boyaux! t~ê.v~ aux b~ii~v~~é~~! V~t~~-,mo~ J~han r!u
d~abi~, vou~ ~~~t~-t-~i queiqu~ monna~~ ?".
La facilité de passer d'un état d'âme à un autre
et la variation soudaine dans le ton donne aux répliques du
soldat,
un caractère spontané, vif,
théâtral~ On pourrait
établir un parallèle entre ce dialogue et la manière dont
Walter SCOTT agence le sien
"(l)aUe,IL SCOTT,
écrit Louis MAI-
GRON,
Mût !la.i.''1e, pMie~ :tou:t i~ mond~, p~~n~~ t(Ju~ ie.~ :tOM, U m
mê.me t~mp~ qu' i l ob~~lLve fe~ mo~utz~ U iel conve.nanc~~ p~Op~~6 à cha-
(1)
N.D.P.
7, VII,
p.
286.

96
que. caJtad èILe. , i l ne. ~ oJ.;t j amaJA pe.ILdJte. ce;t;te. v--tvawé , ce;t hwno U!L , ce.
mo uve.me.nt ex cette. v--te. qu--t M nt pILO pILe.me.n;t un chMme., C' e.~:t comme. une
6-t'amme .tégèfLe. qu.{ coufLt ~uIL toute.~ ,fe.~ fLép.t-ique.~ r ... ), V' une adwa-
b.te. bOILCe. dfLamatique. daM .te.UfL conw--ton e.t .te.uJt bfL~qUe. déten;te, maü
ttLop v~--tb.te.ment atr.!Langé~ et ILamaMée-6 poulL .t' e.66et; au con:ttr.a-itr.e..
patLto ut un e,6ac..-t-f'dé, une aüanc e. me.ILvut,fe.u~ e~ . , . " ( 1)
Parfois, HUGO rend les répliques si rapides et si
succinctes qu'elles font penser au procédé de la stichomy-
thie. C'est par exemple,
le cas du dialogue entre le chef
des truands et Pierre Gringoire
"- Tu te !leconn~ me.mbILe. de .ta 6ILanche. bOU!Lge.o~--te. ? ( .. ,)
- Ve. .ta bJtanche. boufLge.O~--te..
- Sujet du. fLoyaume d'afLgot ?
- Vu !loyaume. d'afLgot.
- TILuand ?
- TfLuand.
- Dan~ l'âme. ?
- Van~ .t'âme" ( 2)
Ici,
les paroles des protagonistes semblent réellement per-
çues par l'oreille physique,
les répliques sont d'une telle
présence qu'on a le sentiment d'entendre les locuteurs.
El-
les mordent l'une sur l'autre comme au théâtre,
Le fait de
reprendre sous une forme affirmative les questi0ns du chef
des truands
Drovoque un effet comiaue.
Un autre exemple se rapproche du précédent, c'est
le dialogue de Gervaise et Oudarde.
Les deux Parisiennes
n'arrivent pas à se mettre d'accord sur le lieu où le souper
a été offert aux Flamands.
Leur dialogue est familier et
s'enchaîne avec rapidité et brièveté.
Il y a un véritable
échange direct des personnages renforcé par des effets de
répétition.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ._~_.~--~., ~.---.--
(1)
Louis MAIGRON,
Le roman historique à
l'époque romantique,
Essai sur l'influence de Walter SCOTT,
Hachett~, 1898,
pp.
225-226.
souligné dans le texte,
(2)
~~~~. 2, VI, p. 89.

97
"
Je vou-6 cLU, mO,t, qu' -<-u ont Ué MJtv~ pM Le Sec, -6Vtgent de -fa
v~e, à -f'hôtei du Pe;t{;t-BouJtbon, e:t qU.C2 c'e-6:t -fà ce quA.- vou-6
:t'Lompe.
- A -f'hôtei de v-<-.tte, \\.IOU-6 d;J.>-je 1
- Au PU{;t-Bou.Jtbon, ma chèJte 1 -6,( bùn qu'on avw ,d-fum-<-né en vVtJtu
mag-<-qu.e-6 .fe mot "f,~péJtcU'lce" qui u:t écJtÂ.;t -6M te gJtand pQf[:tai--t:
- A -f' hâta de \\.}~e! à i' hô:tei de v-<-ttel même que HuMon .fe Vo-<-Jt
jouad de ia Mûte 1
-
Je va Ll-6 dü que non!
-
Je vou-6 cLU, que -6-<-1
- Je vo U-6 d~ que no n 1" ( 1J
Les pronoms "je" et "vous" témoignent de la simultanéité et
de la vivacité de leur dialogue. Entre les deux personnages,
il n'y a aucun terrain d'entente,
ni de compromis possibles;
c'est l'opiniâtreté de chacune qui donne une force dramati-
que à
leur dialogue.
A propos de la fréquence des dialogues dans les Mi-
sérables,
Robert RICATTE fait cette réflexion qui pourrait
bien s'appliquer à Notre-Dame de Par is
:
1/ Le
dftamatuflge po-i.nte
au-feu/L-6. A VO-<-fl :tant de. d-<-Mogue-6 à en 6et -6' -i.nt'Lodu-<-.tte dan-6 -fe troman
-6aM .fe dégJtade'L, on -6 e dit que HUGO a :t!louvé un m~eutr empio-<- de -6U
don-6 eVl Re-6 ttraVI-6p0-6avl:t" (2).
Mais Victor HUGO est allé plus loinj
les monologues qu'il a mis dans la bouche de certains per-
sonnages supposent,
une fois de plus,
l'homme de théâtre.
B. Les monologues
Utilisant sans cesse les procédés du théâtre,
HUGO
n'oublie pas le monologue qui est typiquement théâtral.
rour
mieux faire éprouver au lecteur ou au spectateur la solitu-
de ou le désarroi d'un personnage, y a-t-il moyen plus effi-
(1)
N.D.P.
6,
III,
p.
207.
(2)
Robert RICATTE,
"Style parlé et psychologie".
Voir dans
le centenaire des Misérables,
1862-1962, p.
144.

98
cace que le monologue? Au sujet du monologue en effet, HU-
GO souligne la propension de Gringoire à se parler à lui-
même
: " ... GJUngo.-0'Ll' en v!ta--é poète CVwt11c!.X:ique était ~ujet aux mono-
togue~ ... "(7). Cela est-il dû au besoin de communication et
à
la difficulté de communiquer?
Ce qui paraît certain,
c'est que le monologue du
poète arrive à point nommé et vient compenser dans une cer-
taine mesure,
le ressentiment qu'il éprouve apr8s l'échec
du mystère.
On l'imagine seul au milieu de la grande salle,
dans un flot de paroles. Si HUGO a choisi de mettre ce mo-
nologue à la fin du livre qui correspond à la fin de la
pièce, ce n'est pas par hasard.
C'est cette place qui lui
donne au contraire une valeur dramatique : "Bûte c.ofwe d'âVl'2/.l
et de buto!t~ que c.e~ Pa!t--é~ien~! ( ... ) if~ v~ennent pou!t entend!te un
my~t~!te, et n' <2.n éc.outent !tien. IL~ ~e ~on:t occ.upé~ de tout .te monde,
de C.top--én T!louiJ'.1.e6ou, du c.Md--énCLt, de Coppenote, de C?,uMimodo! du
d--éab-fr?! maü de Mme ta V.Ù'J!.ge MCuUe po--ént. S~ j' avcU~ ~U, je vou~ en
aU!la~ donné, de~ V~e!tge.ô Ma!t--ée, badaud~! Et mo--é! ven.{!t pou!t vo~ de~
uüage~, et l'le VO~,'L que de~ do~! ê;t!te poète et avo~ te ,~ucc.è~ d'un
apotlû.ca~!te! If- e~t v!ta~ qu'Home!tu~ a mend-<.é pa!lte~ bou!l9adl'~ 9''Lec.-
que~, e>t que NaMn mOLL!tut en exif c.hez -fe~ Mo~c.ov--éte~. Maü je veux
que te d~ab.tc m' éco!tche ~--é je c.omp!tend~ c.e qu 1 ~t~ veutel1.:t d.i.,'1.e avec.
.teu!t E,~me!zatda!
(nu'e~.t-c.l' que c.'l'~t que c.e mot~.e.à d'abo!td? c'e~t de
.t 1 ég ypt-i.aque!" (2) .
Gringoire a un timbre de voix et un style familier
qui donnent à son monologue une allure claire et naturelle:
Les très nombreux points d'exclamation viennent appuyer
l'élan et le dynamisme de ce monologue.
L'allitération des
nasales
(ien, oin)
en accentue le caractère poétique.
On a
le sentiment que Pierre Gringoire récite des vers;
les so-
norités semblent appartenir à la poésie. Un aspect cependant
frappe d'emblée,
c'est que le poète ironise sur son échec
dramatique.
Il profite de ce coup de malchance pour faire
---------------------------~~------
(1)
N.D.P.
2,
III, p.
62.
(2)
Ibidem l, VI,
p.
56.

99
des gorges chaudes de lui-même et du public parisien, A tra-
vers l'expression "belle cohue d'ânes et de butors",
Grin-
goire exprime d'un ton sardonique,
l'immaturité du public.
Son jugement prend une coloration de plus en plus noire et
sarcastique quand il procède à une sorte d'''animalisation''
de ce peuple.
Les termes de "cohue",
"dnes",
"butors",
"ba-
dauds" ont un caractère péjoratif et traduisent l'état d'es-
prit du poète. On l'a vu au début de la représentation cou-
de à coude avec la foule,
il a fallu l'insuccès de sa pièce
pour qu'il adopte cet air de jactance vis-à~vis d'elle.
La double tonalité de son monologue est un fait no-
table. Gringoire commence par des propos presque agressifs
et acérés, dans un style lapidaire et accéléré.
Progressi-
vement, on passera de l'accélération du rythme au ralentis-
sement; de la harqne au corrique.
Les couples visages/dos,
-
1
poète/apothicaire, et l'allusion impromptue à Homerus et
Nason provoquent un effet étrange qui prête à rire.
Passer
des critiques acerbes à des propos burlesques relève du
doigté d'un acteur de théâtre qui possède ?resque toujours
le don de varier les tons en fonction des sentiments qu'il
éprouve.
Souvenons-nous aussi de la Sachette, cette malheu-
reuse qui,
tapie dans un trou, mène une vie de claustration
et de privations.
Sa vie solitaire et ascétique devient une
sorte d'expiation par laquelle elle tente de réparer la fau-
te commise: celle d'avoir laissé sa fille toute seule. On
voit dans le roman que le petit soulier de sa fille l'arra-
che soudain de son mutisme quotidien;
elle se répand en la-
mentations dans un long monologue
"0 ma 1ilt:e. [ .. , l ma MUe.!
ma paUVfle. c.hènc pe.:tJ..te. e.n6anX! je ne. te ve.nnu donc. pt:UD! C'e.Dt donc
{,J.nA..! I.e. me Mmbt:e. toujouM que. c.e.t:a D' ~t 6ut hJ..e.n! ~,IOVl DÙ'u, poun
me.f.a nepncndlte. D-t v-t.:te, if. vat:ait m,Le.ux ne. POvs me. t:a do Vlne.n . VOUD ne.
Dave.z donc paD que. no,-" e.n 1cUltD ;tLe.vlne.nt à Vlo,tne. Ve.Vlt.ILe., ct ({U 1 L{Vle. mène.
qu-{. Cl pe.ndu Mn ell~ant l'le. c.noA..:t pt:UD eVl DJ.e.u ? - Ah! m~énabt:e que je.
OUA..D d' ê;tfl e. M!t.tÙJ. c.e .i(1 uIL -.f. à! - S e.,L9 ne U/l, S e.J.g ne.U!L! po uIL me t:' 8teh
et.LMJ., VOUD ne m'avA..e.z donc. jall10vW ne.gaILdée. avec. e.Ue, t:onDque. je. t:a

100
/té.c.h.cULn-6cU..!.> :tOu:te. joye.Me. à mon 6e.u, €'OfU>qu'e.n'.e.
me. JU.cU;t e.n me. :tê.:tan:t,
.foMqUe. j e Ù~~ mon:te.Jt -6 e.-6 pe.:tJ..:t-6 p-<-e.dfJ fJult ma poŒUne. jU-6qu' a me.-6
.fèvlte.fJ ? Oh! -6--<- VOLtfJ av--<-e.z lte.gMdé ~e.fa, mon V,i.e.u, ~JOUfJ auft,,(e.z e.u pd-<-ê.
de. ma jo--<-e., vOu-6 ne m' cwJU.e.z pa-6 ô:tê. .fe. -6e.Ltf. amoult qu."i me !te6:téi.:t danfJ
f e. c.o e.ult ..• Il ( 7)
L'intérêt de ce monologue est essentiellement psy-
chologique.
Tendue à l'extrême,
la recluse se parle à elle-
même parce qu'elle est divisée:
il y a lutte entre l'envie
brûlante de revoir sa fille,
l'attachement indéfectible au
petit soulier,
et le besoin de s'adresser à quiconque veut
l'entendre. Les répétitions contenues dans son monologue
peuvent être non seulement un moyen pour la Sachette d'ex-
primer son remords et sa profonde douleur, mais aussi de
traduire la difficulté qu'elle éprouve à communiquer son an~
goisse,
à
se faire comprendre. Elles sont aussi l'expression
d'une conscience déchirée qui ne voit plus clair en elle et
qui ne se maîtrise plus. Les exclamations,
la forme hachée
et haletante marquent son désespoir. A la fin du monologue -
qu'on n'a pas pu reproduire -, on s'aperçoit que la recluse
renie la Sainte Vierge et lance même son imprécation de mè-
re contre Dieu.
La résonance pathétique:
"Seigneur,
ren-
dez-la moi",
est un cri de rage d'une grande intensité dra-
matique qui ne manque pas d'attendrir le lecteur.
D'autre part,
rêver est un phénomène naturel, mais
rêver tout haut alors qu'on est à l'état de veille semble
moins courant et plus artificiel. C'est par exemple,
le cas
de Dom Claude qui,
se croyant seul dans son capharnaüm,
rê-
ve tout haut.
Son "rêve" a l'allure d'un monologue: "Ou-t,
Manou Re. d.a, e.;{: ZotLoafJ:tlte. i.' e.Y!-6UgI1CL-ét, i.e. Mlf!-uR nw du I-eu, i.a .fu-
ne du Mi.U1.
Le. 6eu e.-6:t i.' âme. du q!tcmd :toLd. Se.-6 a:tome.-6 é.tê.me.n:ta-<-lte-6
~'épanc.f1eI1t e:t tzLuMe.i..fe.nt -tnc.e.Marmne.vd -6utL .fe. monde. pM c.outzan:t-6 --<-n-
6.{yz"t,.\\·
Aux po-<-ntfJ OL! c. e.fJ c.outLaVl:t-6 fJ' e.nue.c.oupe.n:t daM le. c.--<-e.f, ,U~ pltO-
du,L6e.nt .fa fwnù?.fre.i à le.uM pO-tnt-6 d'ùde.tLfJe.c.uon dan/.) ta :te.tLlte"
,éf~
p!tOdU-tM!Vl.:t f' o!t r ... ). A1a~ c.omme.n:t Sa-<lte poult MJu.UtLe.1t danfJ fa fJc.ù,n-
ce. le. ,.\\e.Clte..:t de ce.:t:te. f(l--<- géné!tafe. ? ((uo--<-! c.e.:t:te. fLtm--<-è!te qLU --<-Vlonde. ma
(1)
N.D.~. 8, V, pp.
331-332.

101
mcu.n, C'eAt de- l' oJt! CeA mêmeA a;tomeA dila;té~ ~üon une c.eJttaA.ne lo~,
~ ne ~'ag~ que de le-~ c.onde~en ~üon une- c.e-fLtaA.ne autfLe lo~! - Com-
ment 6aA.!Le ?"(1)
Le monologue du prêtre est différent des monologues
étudiés plus haut.
Il est évident que le lecteur pénètre
aussi l'intériorité du personnage, mais les aspirations et
les sentiments de Dom Claude sont d'une autre nature.
Il
s'agit en effet,
de l'intériorité d'un homme d'esprit
à
la recherche d'une technique chimique.
Le chercheur ne par-
vient pas à maîtriser sa pensée et à définir concrètement
ce qu'il veut; un certain nombre de questions sont encore
à
résoudre.
Toutefois,
l'impossibilité de communiquer avec
autrui semble être le point de contact entre les trois mo-
nologues. Mais chacun a sa voix,
sa manière d'articuler;
il y a souvent adéquation entre le ton adopté par le per-
sonnage et le sentiment qu'il veut exprimer, Le monologue
sera donc pour les différents personnages, un moyen d'ex-
pression privilégié pour se guérir de la violence de leurs
sentiments et pour voir clair dans leur situation.
HUGO
pousse à fond son désir d'entendre ses personnages et de
les faire entendre en recourant à un autre type de langage
la tirade.
C. Les tirades
La tirade est une "longue suite de phrases, de vers,
récitée sans interruption par un personnage de théâtre"
(2).
Cette définition peut s'appliquer aisément à certains passa-
ges du roman,
où les personnages ont une verve qui frôle
parfois la grandiloquence,
l'emphase théâtrale.
La verbosi-
té de Gringoire amène le prêtre impatient,
à
le traiter de
"Ruisseau de paroles"
(3).
Le philosophe aime en effet, de
(1)
~.D.P. 7, IV, p.
266.
(2)
Nous empruntons cette définition au dictionnaire ROBERT.
(3)
~.D.P. la, 1, lJ.
394.

102
longs discours et des explications interminables, même
quand ce n'est pas nécessaire,
au risque d'ennuyer son in-
terlocuteur.
Par exemple,
le discours autobiographique
qu'il tient à la Esmeralda est d'une prolixité telle,
que
HUGO emploie les mots "harangue" et "allocution" pour le
désigner. Gringoire fait preuve d'une même inflation ver-
bale quand il plaide pour sauver sa tête
: lISVee, n' éc..tettez
peu., en tonnvI/te ~lUI ,J..t peu de c.ho~e qLLe mo..t. La gnande 60udne de
V..te-u ne bombande peu., UYle -tadue. SVee, vou~ ê.te~ un aU9u~te monMque
tnè~ pu~~ant, ayez pilié d'un pauvne homme honnUe, e;t qu.-t ~eJta.{;t
p-tM empê.c.hé d' a~eJt une névotte qu'un gtaç.on de donnett une éûn.,-
c.u-te! Tnè~ gnac...teux S,Ute, ta débonnaVteté ~t veuu detton et de
no..t. Hé-ta~! fa Mgueun ne nad qu'e6{-,anouc.hen te~ e/.lp!1Œ, t~ boufJ-
fJées ..tmpUueu~e~ de ta b~e ne ~aUltaj ent 6a.{ne quiliett -te manteau au
pa~~ant, te ~o-te..t-t donnant de ~~ naljon~ peu à peu -t'éc.hau66e de tet-
te Mft;("e qu',iJ'. -te 6el1a mettfLe en c.hem~e. SVee, VC1U~ ê-t~ te ~o-te..tL
Je vou~ te p!w:t~te, mon Muvena..tn maUne et ~e..tgneun, je ne ~u,t~ peu.,
un c.ompagnon tl1ucwd, vo-teuft et déMndonné.
( ... ). Je ~u.-t~ un k{.dète
vaMat de Votne. 1\\laj e~:té. La mê.me jatou~..te qu'a -te mM.{ poufL -t' hoYl-
neun de M
6emme, te !1eMenti-ment qu'a -te 6it~ poufL -t' amoun de. Mn
pè!1e, un bon L'a,J,.sat -te~ dod avoVe pOUlt -ta g-toil1e de ~OYl 110,t, ~ doLt
!.Jéc.hel1 pOLin te zète de ~a ma..tMn, poufL -t'acc.no~~emeYlt de ~on ~env..tce.
Tou,te aut!le p,'[eM..ton qu.-t te tJta~ po ft-tefLad ne ~ el1ad que nU''! eun. Vo..t-
-tà Süe, m~ maûnJe~ d' Etat . .. " (])
Gringoire est animé par le désir de convaincre.
Il
possède toutes les qualités du grand orateur
: invention
verbale féconde,
art de marteler la pensée en recourant aux
répétitions "Sire! Sirel,
très gracieux Sire", aux antithè-
ses "Sire, n'éclatez pas en tonnerre sur si peu de chose gue
moi. La grande foudre de Dieu ne bombarde pas une laitue."
Il tente le tout pour le tout et compte obtenir la clémen-
ce du roi par la familiarité directe du style "mon s()uve-
rain maître et seigneur",
et par la flacTOrnerie "Sire vous
êtes le soleil". Le lecteur se doute bien que le poète ne
(1)
N.D.P.
l 0,
V,
r'p.
441- 4 4 2 .

103
croit pas un mot de ce qu'il débite au roi,
La richesse de
son allocution caractérisée par l'accumulation des formules
à effet:
hyperboles, aphorismes,
sophismes, donnent à son
discours l'ampleur d'une tirade.
De plus,
il parvient à pas-
ser de la solennité à une sorte de véhémence dans le langa-
ge. Cette variation dans le ton donne à son style, un ca-
ractère dramatique. Convaincu et conquis,
Louis XI se sent
dans l'obligation de grâcier Gringoire, mais n'oublie pas
de faire allusion à sa verbosité :
"Voilà un tV[/tib,fe btrcUUatrd,"
Jacques SEEBACHER fait un rapprochement entre le plaidoyer
de Gringoire et les discours que Sganarelle tient à Don Juan
(l) .
D'autre part,
le chapitre intitulé:
"Faites-vous
truand" oppose Claude Frollo à son jeune frère.
Le génie
oratoire de l'écolier ne manque pas de retenir l'attention.
On le voit qui revient vers le prêtre pour quémander quel-
ques parisis. L'accueil qui lui est réservé semble plutôt
froid.
Intelligent et rusé,
il feint de se confesser à son
frère pour se faire pardonner son libertinage et sa prodi-
galité. Mais tous les efforts déployés pour arracher son
frère du silence vont être inutiles. Frollo restera de mar-
bre, et se contentera de dire quelques mots.
Les répliques
de Jehan, on s'en doute bien,
sont plus longues et ressem-
blent à de courtes tirades
"
ll·lon btr(i,'le ( ... ) vouJ.l ê,te-!.l -6Â... bon pOUlI moÂ..., et vou-6 me donnez de -6i
bOn-6 cOn-6e.i,f-6 que je. tre\\JÂ...evr-6 toujoutr-6 à VOU-6.
- En-6uÂ...te ?
Hé,fa-!:, mon nlIètre, c' e/).{: que \\IOU-6 av-<-ez bÂ...en trcUMn quand \\JOU-6 me di-
,),tez : "Jehan! Jehan! ceMat doctotrum docu-ina, fucipueotrum d-i.J.lcÂ...-
p,fina. Jehan, Myez -6age, Jehan Myez docte, Jehan, ne petrVloctez pa-6
hOM ,fe coe.,fège Mn,) occMÂ...on .f.é~}Uime et conRé du ma:t,{,tre. r ... )
Ne POulIlIÂ....-S-6eZ pa-6 comme Uvl âne Â...Uetttré. qUMÂ... MÂ...nU-6 Â...Uate.trCttu-6,
-6utr.f.e 6eulItre de ,f'écoee r ... ). Hé.f.aJ.l! que c'é:tcUent.f.à de :tlIè-6 ex-
ce.f.,fen.f-6 av-i.J.l!
(1)
Jacques SEEBACHER, op. cit., p.
1175.

104
- Et plUl> ?
- Mon nILèILe, vou-6 voyez un coupabte, un cJUm;'ne.-€.,
un m~éILabte, un
libef1.un, un homme énoILme! /,10 VI che'L 6'LèILe, J ehan a nad de V06 g'La ~
ueux COVl-6U-f.-6 p~e e;t 6um;'e.!L à ~outeIL aux p;'ed-6. J'e.n -6UÙ b;'en
ch~~é, e;t te. bon V;'eu e-6t ext!LaolLd{na~ement jU-6te. TaV/;t que j'a~
eu de t'Mgen:t, j'cu but fL..{.putte,
60t~e e;t v~e joyeuoe. Oh! que
la débauche, -6;' chMma~te. de ôace, e-6t tude et ILech;.gnêe paIL de.!L-
~lèILe! Ma;.ntenant je n'u ptU-6 un blanc, j'a;. vendu ma nappe, ma
chemJ./!> e e;t ma ;to uculte, plu!.> de j 0 yeuo e v;'e! la bette chande.Ue eo t
éteùL:te et je n'az ptU-6 que ta vilaJ.ne mèche de -6uJ.6 q~ me 6ume
daVl-6 .te nez. Le-6 6illeo -6e moquent de moL Je bo~ de t ' ealL Je -6u;'-6
bou!L!Lelé de ILemo'Ld!.> e;t de cILêanc~e!L!.>.
- Le ILe-6te . .. 1/( 1)
Pour parvenir à ses fins,
Jehan joue le même jeu
que Pierre Gringoire;
il utilise la flatterie et feint de
légitimer les reproches que son aîné lui avait toujours a-
dressés. Afin de rendre son "mea culpa" plus expressif et
plus prenant,
il dresse un bilan, une sorte de rétrospecti-
ve des différentes remarques faites à son endroit.
Les ana~
phores "mon frère",
"très cher frère" trahissent son inten-
tion d'amadouer Dom Claude,
personne n'est à même de croi-
re le contraire.
En effet, conscient de l'extrême lucidité
du prêtre, Jehan adopte un ton pompeux et fait étalage de
ses connaissances en latin. L'accumulation des phrases fran-
çaises et latines,
et le recours aux antithèses forment une
chaîne de démonstrations comiques dans leur outrance, On
voit bien que l'écolier s'amuse;
il tend à exprimer les
sentiments qu'il n'éprouve pas. Nous retrouvons ici le jeu
théâtral de l'apparence et de la réalité. A travers les
"bêlements d'agneau perdu" qu'il lance, on l i t l'esprit de
persiflage qui le caractérise.
Un détail est pourtant diqne d'attention,
c'est la
disproportion au niveau des répliques. Aux tirades de l'é-
colier qui cherche à convaincre, s'opposent les questions
(l)
N. D. P.
10, II,
pp.
395 - 396.

105
laconiques de l'archidiacre. Le procédé qui consiste à don-
ner des réponses interrogatives est un signe de refus de
nouer la conversation.
Il rappelle sur le plan de la com-
position,
la scène l de l'acte II de Tartuffe. Dans cette
scène, Orgon s'enquiert des nouvelles de la maison après
un courlséjour à la campagne. Dorine, bavarde, croit bien
faire de lui raconter tout ce qui s'est passé pendant son
absence. Mais Orgon ne semble pas tenir compte de ses ex-
plications et se contente de répondre par le fameux leit-
motiv flEt Tartuffe ?f1. La dissonance qui existe entre les
informations de Dorine et la réplique d'Orgon semble se
rapprocher de la confession verbeuse de Jehan et des répli-
ques interrogatives et brèves du prêtre. En fai~ la tirade
est étroitement liée à la propension des personnages à la
grandiloquence.
Elle demeure aussi une arme de persuasion
et de lutte utile! Ainsi, Gringoire s'en sert pour se faire
pardonner en ébranlant une décision.
Jehan l'utilise pour
sensibiliser la conscience trop lucide de son frère.
Ce lan-
gage dans lequel s'articulent antithèses, répétitions, ma-
ximes, etc. s'impose à la mémoire et peut faire son effet
au théâtre.
Il nous reste à étudier un type de langage qu'on
s'attend à rencontrer dans toutes les formes de la création
littéraire, mais qui passe bien la rampe à cause de sa di-
mension ludique:
l'ironie.
D. L'ironie
HUGO a placé son roman pourtant triste, sous le si-
gne d'une étourdissante fantaisie verbale qui s'étend même
aux moments les plus poignants. L'emploi d'un certain voca-
bulaire, le goût du paradoxe,
l'insertion de plaisanteries
et d'épisodes bouffons créent un climat de farce,
si tragi-
que que soit le reste.
Cette disposition railleuse compte
parmi les marques les plus personnelles que HUGO a voulu

106
imprimer à son livre,
et donne l'impression qu'on se trouve
dans un univers de
jeu. Tout se passe comme si HUGO cher-
chait à écarter un climat éminemment sérieux,
pour le rem-
placer par la détente,
le persiflage.
En fait,
le roman est
constitué de deux registres d'ironie:
une ironie plus ou-
verte,
c'est-à-dire que l'auteur ou le personnage évite de
passer par des détours pour lancer une raillerie,
i l va
droit au but.
Une autre par contre,
consiste à un travestis-
sement de la pensée;
l'idée émise offre souvent un sens dif-
férent de son sens initial.
HUGO s'amuse par exemple,
de la jactance et de la
naïveté avec lesquelles Pierre Gringoire décline et reven-
dique la pa terni té du mystère
: "L r aute.U!L du Cid n'eût pa-6 dd
":""""=-.-----
ave.c. p-f.U-6 de n·ù!Até PùJL!l.e CO!LnejUe." (7).
Il n' y a pas moins d' i.,..
ronie dans le portrait que le romancier offre du b a i l l i :
"Le. badU du Pafa.{-6 étaA.-t une. upèc.e. de. magù:tJrat amprubü, une. t>o!tte
de c.hauve-MU!LÙ de f' oftdl1.e judù--ia-Ûte., tevwJ1t à la nOù du !Lat e.t de.
f' o,ùecw, du juge e.t du MJ-f.dat." (2). Ici l'ironie de HUGO rés ide
en "l'animalisation" du sénéchal.
C'est une constante chez
l'écrivain de recourir à des métaphores qui appartiennent
au règne animal pour se moquer de la laideur physique d'un
personnage,
Cette tendance à ravaler l'homme au rang d'animal
est visible chez Gringoire;
tout lui semble d'une telle é-
trangeté et d'une telle laideur quand i l arrive chez les
truands,
qu'il s'exclame sur un ton ironique
: "SaJ..nte-: V-<:eJL9e.
( ... ) ,f.e fto--i d' --ic..-i, ce dod ê.:tl1.e un bouc.. " [3)
A-t-on jamais vu un écrivain prendre des situations
tristes et tragiques si peu au sérieux ? La manière dont
Victor HUGO présente "le dilemme" de Gringoire est ironi-
que.
Son ironie se confond avec celle du poète
: "I-f. e-6t ce..!L-
ta.-in que GÜ.ngo,Lfte. étaJ..t dan-6 une cftue,f..fe peftplexdé, Il 0(JVlgea--it que
(1)
N.D.P.
l ,
II,
p.
27.
souligné par l'auteur.
( 2)
Ibidem l ,
IV,
p.
44.
( 3 )
Ibidem 2, VI,
p.
83.

107
~a ~hèvh~ aL~~~, d'aphè~ la l~g~fation ~x~tant~, ~~~ p~ndu~ ~~
eLf.~ ~tad h~plli~, qu~ ~~ ,j~ftad ghand dommag~, ~a paLLVh~ VjaLz!
qlL' ,u av~ tho p de d~ux è.oVldamn~~o cL-t.no.i. ac.c.hoc.hé~ aphèo ~u-i., qu' ~nMYl
,j(IYl ~ompagnoYl n~ d~maYldad pao 1l1.{~ux que de. ~~ c.hahgeJ1. de. !' égyp:t;'~Ylne.
I.e. o~ ~.{VhM:t en:t.Jt~ ~~ penûe~ Uyl v-i.(J~r2Yl:t c.ombat, dano ~equ~.f ~omme
~e. Jupd~h d~ !'IR-zade, a. peoa,(.t tOU/L à tou!l. ~'égypt-i.eYlYl~ et ~a c.hè-
vhe; ~:t .U ~~ /'L~gCt!l.da.{:t !' une aphè~ ~'auth~, ave~ d~~ yeux hum-i.d~~
d~ !ahm~, e.n d~oavl;t en:th~ MJ.:> d~nu : "j ~ ne p~ pM poull.:taYl.:t vou~
~auveJz. tou;t~ d~ux" ( ])
N'importe quel lecteur est à même de sentir le ton
ironique de ce passage et la fausse compassion du philoso-
phe.
L'allusion à Jupiter dans un contexte aussi ~ramati­
que est faite pour accentuer ce ton caustique et plaisan-
tin.
Au fond,
Gringoire pourrait trouver un moyen pour sau-
ver Djali;
il y voit un intérêt certain. Mais on ne saurait
en dire autant de la bohémienne,
Il arrive aussi à HUGO de parler par circonlocu-
tions.
Les antiphrases dont il use à la fin du roman en
sont la preuve concrète. On observe qu'il y a toujours une
opposition entre l'expression et la pensée;
le soin est lais-
sé au lecteur de distinguer une réflexion sérieuse d'une
moquer ie.
Par exemple,
la phrase: "Phoebu~ de. ChâtecwpeM 6d une ~~Vl
tllag-ique, il ,je maJI-i.a."(2l
n'est pas pour n'Jus éclairer; elle
est un rébus à décrypter et peut entraîner des interpréta-
tions diverses.
On pourrait se demander si Dar l'alliance
des mots mariage et fin tragique,
HUGO ne voudrait pas ex-
primer la mort de l'amour dans le mariage de Phoebus, On
sait que le capitaine n'aime pas Fleur-de-Lys et s'ennuie
même avec elle.
Nul doute qu'il s'est marié plus Dar inté-
rêt que par amour.
En cela,
l'ironie de HUGO trouve son ex-
plication.
Il est un autre mariage qui n'exclut pas toute é-
quivoque : c'est celui de Quasimodo. Parler de mariage avec
la Esmeralda quand il s'agit de mort est une ironie mordante,
----------------_._---~..--.--,._-_._--
(1)
N.D.P.
Il,
1, p.
464.
Souligné dans le texte.
(2)
Ibidem 3,
IV,
p.
498.

108
corrosive.
HUGO est à la limite du cynisme.
Il fait sans dou-
te allusion aux cadavres des deux personnages qu'on retrouve
enlacés dans la cave de Montfaucon.
Ce système qui consiste à ironiser sur des situa-
tions graves,
permet à HUGO non seulement de prendre du re-
cul face à ces situations, mais aussi de désamorcer leur
caractère tragique.
Il faut noter que HUGO appartient bien à son épo-
que:
tout le monde s'accorde à dire que l'ironie, arme de
combat,
jouait un rôle important dans la pensée romantique;
elle est
"Wle
cÜ..'!lPC'!ldÙ:Vl ph..-<X(I/)O)'JMqUe. ~e.f(:Vl faque.ffe. fe. m(IVlde. e.6t
lLe.ga/1.dé comme. un théwe où. ,e' OVl dod tevuA Min lLôfe en toute cOMc~eVl­
ce, en ~e fLé1éfLant à un autfLe. u~vefL~, né de. f'~mag~na;lLe,
qui e~t à
fa 6o~ en oppo~.{;Uon au pfLem~e.!L et e.n cOlLfLe.~pondaVlce avec fu-<." (1) •
L'esprit ironique de HUGO n'est donc pas dénué de fondement,
il s'inscrit aisément dans une vision du monde toute roman-
tique où tout est parodié.
Il est lié surtOut à cette humeur
ludique qu'on lui connaît déjà.
Tempérament qui pourrait bien
s'apparenter à la définition que René BOURGEOIS donne de
l'ironiste
: "L' ,{lLonùte. e~t d' abolLd ~pec;tateufL, qLte.f.que peu v01JeufL;
ma.{~ de. fa ~affe, ~ pa~~e. b~entôt ~UfL fa ~cèVle, où. ~ acq~Le!Lt f'ant
pa!l.6a.-<.t du coméd.{eVl. S',{.f ~'wnu~e et V10M amu~e, « nou~ 6ofLce. a.UM~
à fLé 6féch,{fL ~uJ1. fa cornéd.-ie du monde, et à cC'VlcfulLe que ~eVl n' e~t UfLCU
e.t que tout e~t V!T.a.{. FOfLme de paJtadoxe, .f..' ~fLolûe fLoma~que ~t daVl~
un monde ~an~ V~eu fa pfu~ haute. übeAté pOM~bf(J." (2). Ainsi,
il Y
a un rapport étroit entre les touches ironiques visibles
dans Notre-Dame de Paris,
et le désir de Victor HUGO de pré-
senter un univers où domine le jeu de l'être et du paraître,
où tout est sujet à caution.
HUGO n'affectionne-t-il pas la
double tonalité qui consiste nOn seulement à faire pleurer,
mais aussi à faire rire ?
+
+
+
(1)
René BOURGEOIS,
L'ironie romantique, p.
107.
(2)
Ibidem. Voir le résumé fait par l'auteur.

109
HUGO n'est donc pas celui qui se contente d'être
un simple romancier,
il cherche au contraire à s'imposer
comme un homme de théâtre accompli. Comment se fait-il
que Victor HUGO ait inventé dans son roman toutes sortes
de vocables, d'expressions qui sont sans évoquer le mon-
de du théâtre ? Porté essentiellement sur les éléments
spectaculaires, HUGO ne néglige rien qui puisse rendre
compte de la vérité matérielle qu'il entend représenter.
La peinture des costumes,
les notations d'éclairage et des
lieux scéniques,
les personnages aux gestes et aux attitu-
des bien réglés donnent aux scènes qu'il décrit une appa-
rence de réalité. Qui plus est, HUGO remplit aisément des
fonctions diverses:
il est en même temps,
auteur, metteur
en scène, costumier,
éclairagiste, etc.
Son pouvoir d'ubi-
quité confère à son roman,
une physionomie exceptionnelle.
Sont plus intéressants encore les rapports assez
nets que Notre-Dame de Paris semble entretenir avec cer-
tains genres dramatiques si on tient compte de la nature
des thèmes qui y sont développés.
Il semble qu'on y trou-
ve des références conscientes ou inconscientes à des pra-
tiques théâtrales préexistantes. Le roman de Notre-Dame
- ~ .
de Paris serait-il le réceptacle des genres les plus di-
vers ?

110
T ROI SIE ME
PAR T l E
L'HERITAGE THEATRAL DE VICTOR HUGO

I I I •
T ROI S I E M E
P A R T I E
L'HERITAGE THEATRAL DE VICTOR HUGO
"La puntuAe defJ pMfJi.onfJ, vaJUabie~ comme
ie coeun huma-Ln efJt une fJounce i.nép~i~abie
d'eXpfLefJfJi.OVLfJ et d'i.déefJ neuvefJ, .. "
VICTOR HUGO
LITTERATURE ET PHILOSOPHIE MELEES
NeiMn p. 152
1.
LES RESSORTS TRAGIQUES
A.
La peinture des passions
Il peut paraître paradoxal et arbitraire de parler des
ressorts tragiques quand i l s'agit de Notre-Dame de Paris;
la
production de ce roman coïncide avec une période où la citadelle
classique est attaquée de front et remise en cause par les roman-
tiques.
Coryphée de cette génération, Victor HUGO définit la
nouvelle école comme "ie ubéfLaLUme en utiéfLatufLe" (1 J. Sa formule
est l'expression explicite d'un désir profond de rompre avec
l'esthétique classique, pour la remplacer par une forme de lit-
térature nouvelle et originale.
Mpis est-ce si facile d'oublier la tradition quand on
est pénétré de cul ture classique? Comme l'affirme LOUIS ~lJ'IGRON
"On ne c/1CiVige pafJ jM habiludefJ de pen~efL e..t defJ MçonfJ de Mnti.fL auMi. ai.-
fJémeV1.t que defJ -iVLfJtdut.i.OI'7J!> potd~,quefJ ou defJ CadfLefJ admi.nM:Ut.at.i.6fJ" (2) •
(1)
VICTOR HUGO,
Préface d'Hernani
(1830).
(2)
LOUIS MAIGRON,
Le roman historique à l'époque romantique.
Essai sur l'influence d~ WALTER SCOTT.
Hachette,
1898, p.V.

112
Et LANSON : "Le JWmanti.6me eJ.Jt bi.en plU!.J C.lM<Ji.que qu'il n'a c.JW" ( Il .
Enfin, André JOUSSAIN accuse le romantisme de n'avoir pas
"JWmpu toute ctttac.he aVec. le c.laMi.c.~me"(2).
Ces constatations sont
d'importance; elles montrent que l'empreinte de la tradition
garde toujours sa puissance, en dépit des revendications et~
des protestations que les romantiques ont exprimées. (3).
Il Y a en
effet, des détails dans le roman de Victor HUGO qui n'ont pas
manqué de nous intriguer et qui semblent dénoter une filiation
évidente avec la tragédie.
Est-il besoin de rappeler que l'amour était perçu
comme un élément nécessaire dans la tragédie classique ? plu-
sieurs théoriciens ont insisté sur son intérêt.
C'est par exem-
ple le cas de BOILEAU : "Pugnez donc., j 1 Ij c.on6 eJ1J.l, leJ.J hélLO<J amoU!Leux".
HOUDAR DE LA MOTTE rappelle lui aussi cette exigence de mettre
l'amour au premier plan dans la tragédie.
Il pense même que
cette peinture de l'amour peut contribuer au succès d'un poème
"Un poème veut lLéuM~ e:t pOUlL lLéU!.J<J-Ut, U
6au~ pl~lLe. LeJ.J ùemmeJ.J ùo!lme~
une g!lande pa!l:ti.e de6eJ.J <Jpec.tateu!l<J et c.'e<Jt c.et:te palL~{e même qui. ~!le
l'au:t!le ( ... ). OlL, pOU!L fe<J émouvo-Ut, qLJ.ûf.e paMi.on plu<J p~<Jante que
l' amoute! " r4) .
HUGO dit la même chose que les écrivains précités,
mais à sa manière ~ "1'amou!l. au théMtle dod :toujouM malLc.he!l en p!lemi.è!le
li.gne, au-deMu<J de toute~ le,~ v~neJ.J c.C'n<Ji.dé!l~on<J
qui. mod-i.6i.ent d' O!l~­
n~!le le~ vofonté<J et le<J paMi.on<J de.6 homme<J. U e.ot la plu<J pUde deJ.J
c.ho<Je<J de .fa te/tlLe, <J'u n'en e<Jt fa pfu<J g!lande"(5l.
(1)
Edition des Méditations de LAMARTINE
(t.l; p. XIX).
Cité par
Pierre MOREAU dans le Classicisme des romantiques P.I.
(2)
Roma~tisme et religion, ALCAN, 1910, p. 85. Cité par Pierre
MOREAU, op.
cit., p.I.
(3)
Cette réflexion de Pierre MOREAU ne manque pas d'intérêt:
" ... Ai.melL fe<J tLomanti.que-!l pMc.e. qu' -Lu <JOM ÛaJ.l<Ji.queJ.J enc.olLe, e:t qu'ili
nOU<J 06 6te ent, !lenouvefée!.J e:t vi.vante!.J, le<J vVL:tU-!l même~ qu 1 i l i <J emb~e~
plLO!.>C!l-(!l.e; ac.c.eptelL et a<J-!li.m-ilelL - aM-imUeA, n' e<Jt-,c.e pM c.ho~i.!l... ?"
op. ci t ., p.
381.
(4)
Premier discours sur la tragédie,
1721.
(5)
Victor HUGO,
~ittérature et philosophie mêlées, p, 99
Plus tard,
dans la préface de Ruy BIas,
HUGO écrira : "le d!la-
me ;t(en:t de. fa :tkagédi.e pa!l fa pûntU!Le de<J paJ.l~i.OJ1J.l,
et pM let c.omé~e
pa!l fa pe.-e.ntulLe de-!l c.CUlac:tèlLe~".

113
On s'explique mieux alors l'habileté de Victor HUGO à décrire
les passions
(1).
L'écrivain met en scène des personnages qui
se trouvent confrontés avec le destin et qui sont animés par
des sentiments enflammés. Non seulement ces sentiments les
font agir, mais ils les conduisent inéluctablement au crime,
à
la mort. HUGO voudrait-il exprimer par le choc des passions,
les limites et les faiblesses de la condition humaine et en
offrir la vision tragique au lecteur 7
Ce qui est certain, c'est que la passion équivaut à
un désordre dans Notre-Dame de Paris
: les personnages passion-
nés troublent l'ordre et se troublent. La manifestation exté-
rieure et intérieure de leur trouble est très frappante,
Dans
le début du roman,
HUGO note soigneusement la condition socia-
le de chaque personnage et donne du Moyen~Age, l'image d'une
société très hiérarchisée.
Progressivement, on s'aperçoit que
la flambée de la passion détruit l'ordonnance qui avait été
mise en place. A mesure que l'intrigue se déroule, cette pas-
sion prend un caractère aigu, pour atteindre à son paroxysme
à
la fin du livre. En réalité,
la situation dans laquelle les
différents personnages sont engagés est scénique et tragique,
en raison de l'inconvenance de la passion que chacun éprouve
pour l'autre.
La Esmeralda, enfant volée et bohémienne,
tombe
éperdument amoureuse d'un homme de l'ordre: Phoebus de Châ-
teaupers. Quasimodo, monstre difforme,
plus proche de l'anima-
lité que de l'humanité,
succombe au charme irrésistible de l'E-
gyptienne.
Et enfin, Claude Frollo, homme noble et prêtre,
re-
nonce à son état de clerc en aimant follement la Esmeralda.
Pourtant,
la passion de Frollo s'impose avec une ardeur et une
violence incontrôlables; elle mérite qu'on s'y arrête un moment.
(1)
A ce sujet, on l i t dans la Revue des dêux mondes de 1831
"De ;{:OU-6 /10-6 poète!.J mOdeILne-6, VLëtoIL HUGO eo;{:, a\\.Jec VIGNY et MERIMEE,
ce.f'.Lu qui a te mùu.x dépûnt .t' amou.IL".
Et dans la Revue des deux mondes de 1923, Pierre MOREAU ob-
serve : " ... - Comme RACI NE, VJ..c:tolL HUGO étad né. poulL we .te po ète
de ea 6atafdé a\\Jeugfe et de t'a\\Jeu.gte PM-6-tOVl, e.t f'on ne peut donc
-6'é.:tonVlelL que .teo pJi.é.:tendu.o ctM-6Ù{Ue-6 de Mn tempo, apILè-6 a\\Jo-llL ad-
m--ltré CREBILLON
e.:t DUcrS, f'a.{eVl.t .:t.!Lou.\\Jé :tJwp "ILac/ln{en".

114
Ce prêtre est dominé par une passion démentielle qui
lui fait supprimer tous les obstacles moraux et le pousse à
trahir ses devoirs ecclésiastiques et scientifiques,
Il ne ca-
che pas sa faiblesse à l'être aimé,
son aveu lui donne une
dimension tragique
: "S--i. vou-6 -6av--i.e.z c.omb--i.e.n je. vOU-6 aÂJne.! (J.ue.f c.oe.un
c. ' e.-6t que. mon c.own! Oh! que.Ue. dé-6e.tVt<..on de. toute. ve.n;tu! quü abandon
dé-6e.-6pé/té de. mo--i.-même.! Voc.teu/t, je. banoue. fa -6c.--i.e.nc.e.; ge.Vl..tilhomme., je. dé-
c.h-<-!te. moVl Vlom; p/tê.Vr.e., je. na"t-6 du m~-6e.f Uvl o/te.~e./t de. fuxuJr..e., je. c.Jr..a-
c.he. au v~age. de moVl V--i.e.u! tout c.Üa pou/t to--i. e.VlC.hante./t~-6e.!
pou/t ê.tJte.
pfU-6 Mgne. de. tOVl e.VlnCJr.., u tu Vle. veux pM du damVlL .. " ( 1) . Manquer à
ses devoirs à cause d'une passion exclusive n'est pas sans
faire songer à Pyrrhus, Oreste et Phèdre. En effet, amoureux
d'Andromaque,
Pyrrhus renie ses engagements envers les Grecs,
Oreste manque à ses devoirs d'ambassadeur et Phèdre trahit ses
devoirs de reine, d'épouse et de mère
(2).
Plus Dom Claude
prendra conscience de la monstruosité de sa passion, plus ce
feu inextinguible ira en s'accentuant:
il est déterminé à ob-
tenir ce qu'il désire et le veut pour lui seul : liOn! e.Ue.! c.' e-6t
e.ffe! c.' e-6t c.etie --i.dée. n--i.xe. qu--i. Jr..eve.VlaA.;t -6an-6 c.e.Me, qu--i. .te. tOn;tlL/tW, qu-<-
fu-<- mo/tdw fa c.e./tveUe. U fu--i. déc.h-<.quuw fe.-6 e.nVr.~e~.
If ne. /te.g/te.t-
tau pM, .-{f Vle. -6 e. ne.pentw pM, --i.-f Mmw m--i.e.ux fa vo-<-Jt aux mMM du
bounJr..e.au qu 1 aux b/tM du c.apda.-{I1e. ... " (3). La passion de Frollo est hy-
pertrophique, partant,
tyrannique.
Pour traduire l'impétuosité
de cette passion,
HUGO recourt à des hyperboles dans le jeu
des images
: "mo/tdw -fa c.CJr..ve.Ue.", "déch-<.quuw -fe.-6 e.nVr.~e-6".
Or,
l'exagération et l'emphase sont liées au aenre et à la pratique
(1)
N.D.P.
Il,
l,
p.
468.
(2)
Il semble inévitable de songer à RACINE quand on parle des
passions délirantes.
Il nous arrivera souvent de faire allu-
sion à lui dans le courant de ce chapitre, Mais nous n'irons
pas jusqu'à faire de Victor HUGO un de ses disciples.
(3)
N.D.P.
9,
l,
p.
353. Nous soulignons ce groupe de mots pour
attirer l'attention sur le caractère obsédant de l'amour du
prêtre.
Pierre Aimé TOUCHARD donne une définition du personnage tra-
gique qui ne manque pas d'intérêt: elle semble s'appliquer
à l'obstination de Frollo
: "fe.-6 pe.Jr,~oI1I1age.-6 de t/tagéd--i.e ne Mnt
pM ncûbfe.-6, m(lÙ '-{.t:-6 OVlt d~ 6a--i.b-fe.Me-6. LWJr fJo/tc.e. e.-6t daVl-6 fa voton-
:té ( ... ). Ce qu--i. -fe.,~ pe/1d, c' e.-6t qu' U-6 me-UeVl,t UVle. --i.nMe.ûb-fe. vofon:té
au M/ttJ--i.c.e. de fe.u/t-6 ûCL-i.bfeMe.,~" op. cit., p.
132.

115
du théâtre,
indépendamment de la catégorie représentée.
Il semble aussi que la jeune danseuse exerce un at-
trai t mystérieux et magnétique sur le prêtre : "."
Mw dan.o
tcut~ ~~~ v~L[~, ~'ah~~~a~h~ n~ ~~gahd~ qu'un po~nt du pavé : ~a
p~a~~ du Pahv~ü; dan.o tout~ ~e;t:t~ 6ou1-~, qu' un~ 6iguh~ : ~a bohémi~nn~".
(7). Le regard de Dom Claude va du macrocosme au microcosme;
le
grandiose de Paris et l'épaisseur de la foule ont une impor-
tance moindre à ses yeux,
toute son attention est retenue par
l'Egyptienne.
En effet, dans un exemple donné plus haut,' Frol-
10 traite la jeune fille
Id'~nc.hant~~M~"; cela suppose que la
bohémienne occupe une place si importante dans son âme qu'il
se croit envoûté, possédé par elle. C'est bien l'expression
d'une passion indomptable qu'on perçoit encore à travers cette
confidence : "Ne. pouvant m' ~n débahtra.o.o~h,
~nt~ndant toujoUh.o ta c.hanMn
bOMdonn~h dan.o ma tU~, voyant toujoUM t~ pi~d.o dan.o~tr Mth mon bhév~ai­
h~, .o~ntant toujoUM ~a n~ ~n .oong~ ta 6ohm~ g~.o~h .oUh ma c.h~, j~
voufu.o t~ trevoih, te touc.h~, .oavo~ quz tu étw ( ... ). J~ t~ c.h~c.hai.
J~ te trevù. MMheuh! Quand je t'~u.o vu~ dwx6où, je voufu.o te vo-iA mif-
~e, je vou~aM te voitr. toujouM ( ... ). J~ d~v~tn.o vague U eJUlant comm~ toi.
Je t'attendai0~ou0~~.o pOhc.h~, je. t'épiw au C.OÙl. d~ hUe...~, je te guet-
taù du haut de ma tOUh. Il ( 2) .
Une autre indication semble frappante,
c'est que l'a-
mour du prêtre est surtout d'ordre visuel;
il a vu la Esmeral-
da et il l'a aimée aussitôt.
Son amour ne s'est pas développé,
il a éclaté. Mais Frollo éprouve des sentiments contradictoires
devant la personne aimée; elle est à la fois,
un objet de fas-
cination et la cause de ses tourments. Cette sorte d'ambivalen-
ce dans les sentiments fait penser à Phèdre
: elle aime Hippo-
lyte d'un amour ardent, mais se sent troublée quand elle le
voit. Voici,
à
titre d'exemple,
un aveu à sa confidente Oenone
à
l'acte l,
scène 3 :
Je ~e vù, je trougù, je pâu.o à .oa vu~.
Un :ttroub~e 0 ' éfeva dan.o mon âme ér~du~.
(1)
N.D.P.
7,
II,
p.
251.
( 2 )
8,
IV, pp .
3 25- 3 2 6 .

116
Me,6 yeux ne vo yuent piu.6, je ne po Livw paJl.1.eJt.
Je .6 erz,.t,W .to ut mo n c.oJtp.6 U .tJta.MVt U bJtûleJt (, •• J ,
J ' adoJtcU.6 Hippo.ty.te, U, .te voyant .6aM c.e,6.6e
Même au pied de,6 autw que je nWw numeJt
Je .t'évdw paJt.tout. 0 c.omb.te de mi.6èJte!
Me,6 yeux .te Jte.tJtouvuent daM .te.6 .tJtaJ...t.6 de .6on pèJte.
Phèdre et Frollo en proie à une passion névrotique,
donnent l'impression d'être entièrement obnubilés par la per-
sonne aimée. Dom Claude n'est plus ce personnage austère à la
vie intérieure disciplinée; on le découvre sous un nouveau
jour. Jusque-là, on avait de lui l'image d'un homme infrangi-
ble, dur envers lui-même et envers les autres, mais i l ressem-
ble au commun des mortels. On le voit se jeter à genoux, ou peu
s'en faut,
et sangloter comme un enfant devant l'Egyptienne
de façon théâtrale : "I.t c.ac.ha .6on vi.6age daM .6 e,6 mUM. La jeune nil-
.te .t'entendit p.teuJteJt. C'é..taA.-t.ta pJte.rrU.èJte n0i.6. M.YlJ.>i debout U .6ec.oué
paJt .te.6 .6ang.to.t.6, il Uad p.tu.6 mi.6éJta.b.te U p.tu.6 .6uppuant qu'à genoux.
Ii p.teuJta uMi un c.eJt.tun .temp.6" (1] •
Le fait de pleurer est un signe irréfutable de crise
profonde due à la passion, pleurer sans s'en rendre compte dans
l' immédia t
l'est encore davantage
: "
I i paMa .tentement .6a main
J.luJt J.le.6 jOUe.6 c.Jteu.6e.6, U JtegaJtda que.tqUe.6 iM.:ta..n.t.6 avec. J.l.tupeuJt.6e.6 doig.t.6
qui Uuent moui.t.téJ.l : "Quoi! muJtmuJta~.t-il, j'u p.teuJté! ''', [Z l. Après avoir
pleuré, l'image qu'il perçoit de lui l'étonne et lui semble in-
supportable : il dirige sur lui un regard insatisfait, à la li-
mite méprisant. Derrière cette question,
i l y a une prise de
conscience brutale de la gravité et de l'ignominie de l'action
commise; i l ne se comprend plus, il n'obtient de lui-même qu'une
image faussée et insolite. Mais la difficulté de se reconnaître
dans cet acte dégradant n'empêche pas Frollo de continuer d'ai-
mer l'Egyptienne aveuglément. Son caractère entier et sa réso-
lution inébranlable ne lui permettent pas de reculer;
ils ser-
(1)
N.D.P.
Il,
l ,
p.
467.
(2)
Ibidem p.
468.

117
vent au contraire de tremplin à la fermentation de sa passion
(1), laquelle le poussera sur une pente qu'il ne pourra plus
remonter; celle de la jalousie et du crime.
La bohémienne reste de marbre devant les déclarations
pétulantes et les implorations de l'infortuné prêtre, Elle est
entichée, elle, d'un archer du roi. Depuis qu'elle a échappé
au sonneur de cloches grâce à l'intervention chevaleresque du
capitaine, l'image de ce beau jeune homme ne l'a plus quittée.
On se souvient même qu'elle s'est fait prendre pour avoir crié
le nom de Phoebus. Qu'elle soit seule ou accompagnée, en sécu-
rité ou en danger,
tout son être est tourné vers le capitaine;
elle ne voit que lui,
rien ne peut la délivrer de cette obses~
sion. La passion pour Phoebus s'affirme avec une telle intensi-
té que la bohémienne apprend le nom magique à sa chèvre. Elle
ira même jusqu'à lui faire porter les lettres qui composent le
nom du soldat. Dans un aveu débordant de passion et de naïveté,
la jeune fille se donne entièrement à celui qu'elle adore et
renonce à la seule chance qui lui restait de retrouver sa mère
" ... Oh! va! pJtend6~moij pJtend6 tout! 6a.J..A c.e que tu vouclJz.a.6 de moi: je .6tL<A
à toi. Que m'i.mpoJt.te .f.' amu1..e:t.te! que m'i.mpoJt.te ma mèJtej c.' e.6:f~ toi qui. e.6
ma mèJte, pui..6que je t'al.me! PhoebU.6, mon PhoebU.6 bien-::a.A.mé, me voi..6.,.tu ?
C' e.6t moi, JtegaJtde~moi. C'e.6t c.e:t.te pe;tUe que tu veux bien ne pM JtepoU.6-
.6eJt, qui. vient, qui. vient d.f.e..,même te c.heJtc.heJt. Mon âme! ma vie, mon c.oJtp.6,
ma peMonne, tout c.el.a e.6t une c.ho.6e qlÛ e.6t à voli.6, mon c.ap-i.ta.,[ne."[Z)
La voix de la Esmeralda est d'une douceur extrême
la vue de Phoebus lui donne une sorte d'impulsion involontaire
qui lui fait dire des inepties. Cependant,
sa passion n'est pas
(l) "L'élément unl.veJt.6d.f.ement dominant du c.aJta.c..tèlte du héJto.6 de thééibte,
.tJtagique ou c.omi.que, écrit P. Aimé TOUCHARD, c.' e.6.t en en net, .f.' ob?
.6üna.ti.on,
et toute pièc.ede théa..tJte poU!lJl.lU;t .6' appel.eJt en .6oU.6."ti.-tAe :
.f. ' 0 b.6ilnailon VMnc.ue. "0 l? • ci t., P • l 3 7 •
HUGO fait une réflexion qui s'adapte bien à l'opiniâtreté
aveugle de Frollo : "Et c.e qu'il Ij a d'inexpüc.ab.f.e, c.' e.6t que p.f.U.6
c.e:t.te pM.6ion e.6t aveug.f.e, p.f.U.6 d.f.e e.6t tenac.e. EUe n' e.6t jamw ptU.6
.6oUde que loJt.6qu' d.f.e n'a plU.6 de Jtai.J.,on en d.f.e." Voir dans' N. n! P.
p.
369.
.
(2)
N.D.P.
7, VIII, p.
298.

118
déterminée par l'instinct du mal; elle conserve plutOt un ca-
ractère éthéré, contrairement à celle du prêtre qui repose sur
des motivations troubles, et semble fondée essentiellement sur
une exigence charnelle impure. Mais l'amour de la jeune fille
s'oppose à la réalité et apparaît conflictuel: i l n'est admis
ni par les conventions, ni par Phoebus lui~même.
Comme nous le faisions remarquer tout au début du cha-
pitre, une cloison sépare les personnages, par le jeu des pas-
sions, cette cloison sera brisée et les personnages deviendront
ambigus, voire inquiétants.
En fait, Notre-Dame de Paris est un univers où on as-
siste à des souffrances et à des frustrations consécutives à
l'impossibilité de se faire aimer. Les appels des uns et des
autres sont sans réponse, chacun reste dans sa solitude puis~
qu'aucun couple ne va se former.
B. Les amours non partagées
L'amour représenté dans Notre-Dame de Paris n'est pas
un amour heureux, c'est un amour unilatéral et malheureux.
Il
n'est plus ressenti comme un sentiment spontané, positif, mais
plutôt comme une blessure profonde. André BELLESSORT l'a obser-
vé :
"Son.gez a.u..6.6"t que daYl..6 c.e Jtoman. le plU.6 pM.6"tOn.n.e., le .6elLf. paM"ton.n.e.
qu'il oJ..;t e.c.w, l' a.mouJt hon.n.ête, l' a.mouJt heuJteux n.' élève pM la. vO"tx;
qu'il n.'y a pM de jwn.e..6 a.mouJteux; que l'uMque ja.loU.6"te tj mèn.e.6e..6 6u~
JteuJt.6 et Mn. dé.6e..6poiJt .•. " (1J. En effet, Frollo, la Esmeralda, Qua-
simodo vivent une situation tragique parce qu'ils aiment qui
ne les aime pas. Deux schémas différents peuvent mettre en lu~
mière cette tragédie des amours non partagées.
1. Claude Frollo
» Esmeralda
~ Phoebus
2.
Claude Frollo
) Esmeralda (,
Quasimodo
~
...
Phoebus
ft ..
(1) André BELLESSORT, op. ci t. , p. 101.
1

119
L'élément le plus frappant, c'est que la flèche est toujours
à sens unique, ce n'est pas un hasard! Cela signifie que cha-
cun essaie d'entrer dans l'univers de l'autre, mais i l s'en
voit purement et simplement rejeté. Ce phénomène de rejet
semble tragique : i l suscite chez ceux qui le subissent un
sentiment de désespoir ou de haine mortelle. On pourrait rap-
procher l'intrigue sentimentale de Notre .....Dame de Paris de cel-
--.,....c-
le d'Andromaque, même si la situation d'Andromaque est diffé-
rente de celle des amoureux du roman: Andromaque hésite entre
le devoir conjugal et le devoir filial.
Or, i l n'y a trace
d'hésitation ni chez Frollo, ni chez Esmeralda, ni même chez
Quasimodo. Le point de contact notable entre les deux oeuvres,
reste le conflit des sentiments. Il est vrai qu'Oreste aime
Hermione mais Hermione préfère pyrrhus et Pyrrhus aime Andro-
maque. Les conséquences de ces amours non partagées vont être
fatales de part et d'autre, pour plusieurs d'entre eux.
Claude Frollo semble le plus accablé par le rejet
de la bohémienne, parce qu'il est le plus asservi à la passion.
Les paroles méprisantes et injurieuses de la Esmeralda font de
lui un amoureux tyran. Le chapitre qui a pour titre : "Suite
de la clef de la porte rouge" est celui d'un grand affrontement;
HUGO y montre la ténacité morbide du prêtre et l'intransigeance
avec laquelle s'affirme le refus de la bohémienne. Aucun des
personnages ne cèdera, l'entêtement de l'un et de l'autre est
tragique:
"Le pJtê.ttr.e venaJ;t de.6e gLLMeJt pJtè.6 d'e1.1.e. I l l ' entoU!UU:t
de .6 e.6 deux bJtM.
EUe voulCLt vUeJt, ct ne pCLt. "Va~t' en, mOYl..6tJte! va..,.-t'en, M-
.6M.6-<-n! d-<-t-e1.1.e d'u.ne vo-<-x tJte.mblante ct bM.6e il 6oJtc.e de c.olèJte ct d' é~
pouvante.
- GJtâ.c.e ! 9Jtâ.c.e!" muJtmu.Jta. le pJtê.ttr.e en lu.-<- hnpJti.mant .6 e.6 lèvJte.6
.6 Uft le.6 épa.u.le.6.
EUe lIU pJt-<-t .6a tUe c.ha.uve il deux mMYL6 pM .6on Jtude de c.he-
veux ct .6 1 e660Jtça d'élo-<-gneJt .6e.6 ba.-<-.6eJt.6 c.omme .6-<- c.'el1t été de.6 mo!t.6Ufte.6.
"GJtâc.e! JtépUaJ;t l' -<-n6oJttuné. S-<- tu .6avw c.e que c. 1 e.6t mon
amoUft pOUft .to-<-! c.' e.6t du 6eu, du plomb 6ondu, rrUlle c.oCLteaux daY1..6 mon c.o eu.Jt! "
Et il a.JtJtUa. .6e6 deux bJtM avec. u.ne 6oJtc.e .6u.JthumMne,

120
EpeJtdue. : "Lâc.he.-moi, fui eUt-e..t.te., ou je. te. cJta.c.he. au v.uage.". (1)
Frollo tente désespérément de prendre l'Egyptienne
avec beaucoup de douceur et de sensualité, mais i l ne reçoit en
retour qu'invectives et coups
de griffes. A chaque mot doux
adressé à la jeune fille,
cette dernière répond presque terme
à terme par un mot contraire, violent, humiliant. Le terme de
"morsures" renvoie à l'idée de bestialité et rend compte du
dégoût que lui inspirent les baisers du prêtre.
La manifestation de l'amour non payé de retour
prend
encore un accent tragique lorsque la Esmeralda exprime sans am-
bages son amour pour le capitaine et son exécration de l'archi-
diacre
: "Ne. me. moncM pM, mOYL6:tJte.! c.Jtia-t...e..t.te.. Oh! f' odie.ux moin.e. in.-
6e.c.:t ! fa-U-!le.-moi! Je. va-U t ' aJtJtac.heJt te.-!l v~YL6 c.he.ve.ux gw e.:t te. fe.-!l
je.:teJt à poign.é.e.-!l paJL fa 1ac.e. [.•. 1, Je. te. fu que. je. -!lu"U. à mon. Phoe.6M,
que. c.' e.-!lt Phoe.bU-!l que. j'aime., que. c.' e.-!lt Phoe.bM qui eAt be.au! Toi, pnê..:tJte.,
:tu e.-!l vie.ux, tu e.-!l faid! Va-t'e.n.!"(2). Il va sans dire que ces paroles
de haine indéfinissable Eont sur le prêtre l'effet d'un couteau
qu'on retourne dans la plaie. Profondément ulcéré,
i l voit dans
la résistance farouche de la bohémienne, un affront irrépara-
ble.
Le cri qu'il pousse après les insultes adressées contre
lui est si déchirant et terrifiant que Victor HUGO a pris soin
de le noter : "If pOM-!la un. c.Jti viofe.nt, c.omme. fe. m-Uw6fe. auque..t on.
applique. un. 6eJt nouge.. 'IMe.uM do n.c. ! " eUt-il à :tM.ve.M un. gnmc.e.me.nt de.
de.Yl.Ü"(31.
c'est un cri à la fois de douleur et de colère qu'on
entend ici.
En mettant son veto à l'amour du prêtre, la bohé-
mienne a
signé son arrêt de mort et maintient Frollo dans un
brasier de jalousie et de cruauté.
Mais Phoebus ne rend guère l'amour profond et sincère
que la danseuse lui porte.
La qualité qui l'attire en elle, c'est
sa beauté un peu sauvage;
i l y voit une proie facile,
qu'il ou-
bliera d'ailleurs très vite, une fois qu'il aurait obtenu ce .
(1)
N.D.P.
9, VI,
pp.
381-382,
(2)
N.D.P. 11,
l,
p.
469.
(3) Ibidem

121
qu'il désirait. Le manque d'amour de Phoebus se confirme au mo-
ment de l'amende honorable.
Il aurait dU intervenir, une fois
de plus, en faveur de la bohémienne, mais son attitude dénote
une indifférence et une impudence choquantes
: "Phoebu.6, eJUa.-t-
eii-e, moYL Phoebu.6! Et eii-e vou1.LLt tenMe VeJ[.,6 .tui -6e!.> bJtM tJtemb.tanU d'a-
mouA et de JtaviMemeYLt, mcUA i l l UaieYLt attac.hê.-6. A.ioM, eUe va .te c.a.,.
paaiYLe 6JtOYLc.eJt .te -6ouJtw, une belle jeuYLe MUe qui !.S'appuyait -6uA .tui
.te JtegaJtdeJL avec. UYLe .tèvJte dédaigYLeu.6e et de!.> yeux iJtJtité-6, ptU-6 Phoebu.6
pJtOYLOYLç.a que.ique!.> mot-6 qui YLe viYLJteYLt pM ju.6qu'à eUe, et tOu.6 deux !.S'é.,.
c.üp-6èJteYLt pJtéc.ipitammeYLt deJtJtièJte .te vitltail du ba.ic.oYL qui -6e Jte6eJuna." (1)
Phoebus fuit devant les souffrances de celle qui lui
a tout donné et qui subit les pires humiliations, faute de n'ai-
mer que lui. Ce dernier geste a été un coup dur pour la pauvre
fille
elle s'évanouit, La dureté de coeur de Phoebus est pous-
sée à son comble quand i l se joint aux archers pour rechercher
la bohémienne et l'amener au gibet. Phoebus l'aurait réellement
aimée, il aurait cherché à la sauver.
C'est un personnage amoureux lui aussi de la jeune
fille, qui viendra l'arracher des mains du bourreau: l'affreux
Quasimodo. L'amour du bossu pour la danseuse ne s'impose pas
avec la même tyrannie que chez Frollo. Celui-ci est plus dis-
cret, mais non moins profond. On le voit qui s'abandonne à la
contemplation de la Esmeralda, amer et rêveur; cette fille est
bien trop belle pour moi! pense~t-il. Pendant qu'il admire la
bohémienne et sa chAvre,
il pronon~e une phrase qui révAle son
impuissance à lutter contre sa laideur originelle : "MoYL ma.iheuA,
c.'e!.>t que. je. Jte.J.S-6emb.te mc.oJte Vtop à .t'homme. Je vQu~ me toLLt à. 6ait
UYLe. bUe, c.omme. c.ette. c.hèvJte".(2J
Mais i l ne peut s'attendre à des
manifestations de tendresse de la jeune fille qui
"A c.haque mo-
meYLt [ ... ) déc.ouvJtait eYL QUM-Lmodo que.ique cli6 nO/unaé de piu.6. Son JtegaJtd
-6e pJtome.YLait de!.> genoux c.agYLeux au dO-6 bO-6-6u, du dO-6 bOJ.S-6U à .t'oei( uYLique..
EUe YLe. pouvait c.ompJtenMe qu'un êtJc.e .6-<- gauc.hemeYLt ébauc.hé ew;tâ;t" (3) •
(1)
N.D.P.
8, VI, pp.
347-348.
(2)
Ibidem 9,
IV, p.
371.
(3)
Ibidem 9,
III, p.
367.

122
Toutefois, elle fait un effort considérable pour l'admettre au
seuil de sa cellule. Quasimodo aime à venir l'écouter et se
prosterner devant elle, quand elle chante des romances espa-
gnoles.
Il se trouve du reste, dans une posture très scénique,:
" ... Lui, UaA.-t Jtu;té a genoux, lu mcUY!J.l join-tu, e-omme en pJt-i.èJte, atten-
ti6, Jtuphtan-t a pune, .6on Jtegevr.d Mxé .6Wl. lu pJtuneUe.6 bJU.ilan-te.6 de
la bohémienne. On eiLt da qu'il en-tendaA.-t .6a e-haY!J.lon daY!J.l .6U yeux," (1) !
La Esmeralda n'aime pas le bossu, elle en est même
effrayée, comme la Belle face à la Bête. N' est ...·ce pas par re-
connaissance pour cette difformité généreuse que la bohémienne
se montre moins virulente envers lui ? Mais Frollo évincé et
éconduit sans ménagement devient jaloux, non seulement de Phoe-
bus, mais de son fils adoptif. Pour tenter une négociation de
dernière chance auprès de l'Egyptienne, i l imagine un strata~
gème, en vain, puisqu'elle persistera à refuser son amour dé-
moniaque. Il lui donne de choisir entre l'amour qu'il lui offre
et le gibet, l'infortunée préfèrera la mort à l'amour quasi im-
placable de Dom Claude. Dans ce que nous appellerions un jeu
de scène symbolique, HUGO traduit le refus irréversible de la
bohémienne et sa sensation de dégoüt insurmontable vis-à-vis
de Dom Claude : JI ••• Il (le pJtUltel mevr.e-ha Mail au gibe-t, e-t lui mon-
;tJtan;t du doig;t : IJCho-i..6-i..6 en;tJte noU.6 deux lJ ,
da-cvU- 6!tOidemen-t~ EUe.6' evr.~
Jtae-ha de .6 e.6 mcUM e;t ;tomba au pied du gibe;t en embJtM.6an-t e-e-t appui 6u ~
nèbJte. Pu.i.6 eUe ;toWl.na .6a beUe ;tUe a demi e;t Jtegevr.da le pJtwe pevr.-du-
.6U.6 .6on épaule. (... 1 "I.e. me na-L;t ene-oJte moiY!J.l hoMeuJt que VOU.6"." (21.
Humilié, l'archidiacre tient à l'inflexible bohémienne des pro-
pos comminatoires et pleins de vengeance, avant de la livrer
à la recluse :
"Eh bien, oui! M.6M.6in! da""il, e-t je ;t'auJtcU, Tu ne
veux pM de moi pOWl. e.6c..e.ave, ;tu m'aU!ta.6 pOWl. mcûVte. Je ;t'auJtcU, J' cU Url
JtepMlte je ;te buûneJta-i.. Tu me .6uiv/ta.6, il 6audJta bien que ;tu me .6uive.6,
ou je ;te uvJte! I.e. 6au-t mo~, .ta. beUe, ou me a moD UAe au pJtêttte!
êttte a l'apo.6-ta-t! me a l'M.6M.6in! dè.6 e-e;t;te nua, en-tenM",,;tu e-ela ? Al-
lon.6! de .ta. joie! aUoM! ba-i..6e-moi, noUe! La ;tombe ou mon W!" (3) •
(l)
N. D. P .
9,
IV, pp.
3 7 1- 3 72 .
(2)
Ibidem 1~, l, pp. 466-467.
(3)
Ibidem p.
469.

123
Très conscient du mépris que la jeune fille lui accor-
de, Dom Claude la fera inexorablement condamner à mort;
le prê-
tre est grand dans sa haine comme i l fut grand dans son amour.
Cela revient à dire qu'amour et mort sont étroitement mêlés dans
Notre-Dame de Paris. Cet amour est essentiellement un amour tra-
gique où i l n'y a pas d'issue possible.
Il n'a ni solution, ni
recours, alors que son enjeu est des plus considérables. Il sem-
ble inhérent au concept de la fatalité que Victor HUGO évoque
sans arrêt dans son ouvrage.
C'est sur ce thème que nous allons méditer,
C. La fatalité tr~gique
L'objet de la tragédie, qu'elle soit antique ou clas-
sique,
réside dans la description de l'homme écrasé par le mé-
canisme infernal
: la fatalité
(1). Roland BARTHES donne une
défini tion intéressante de la puissance tragique : Ile' e.!.>t que. te.
héJtoJ.J J.Je. J.Je.nt toujOu.Jr.1:J ag..[ pM une. n0Jtc'e. e.X-tWe.Ufte. à tui..-même., pM un au-
de.tà t!tè.J.Jto,,[nta..tn e.t te.M.-tbte., do nt ..tt J.J e. J.J e.nt te. j 0ue.t, qui. pe.ut même.
cüvtie.Jt te. te.mpJ.J de. J.>a pe.JtJ.>onne., te. nJtuJ.J:tJte.Jt de. J.Ja pJtopJte. me.mobte., e.t qui
e.!.>t -6unntiamme.nt n0Jtt pOUft te. Jte.toUftne.Jt, te. 6ab!.e. paMe.Jt pM exempte. de.
r amoUft à ta. ha.-tne.11 (Z l . Pierre Aimé TOUCHARD, en définissant la
tragédie,
insiste lui aussi sur l'impuissance de la créature
humaine face à la fatalité
: Il ... Le. but même. de. ta tJtage.cüe. Uant
(.•. ) de. de.mon.t!te.Jt que. c.ontJtab!.eme.nt à noJ.J de.J.J..tM ou à noJ.J Jtêve.!.>, te. de.!.>"-
tin ne. J.Je. pltéoc.c.upe. pM de. no/.) J.Jou6nJtaYlC.M, et qu'il ..[gnoJte. te.!.> "c.btC.OYI.J.J-
tanc.e.!.>· atténuante.!.> Il ••• Il ( 3) •
Le pessimisme de ces deux réflexions est saisissant;
i l tend à démontrer que la fatalité est une force qui échappe
(1)
"La tJtagécüe., c.'e.!.>t t'..[ntJtM..[on de. ta Fata1J.;teJ ,
écrit Pierre Aim~
TOUCHARD.op. cit., p. 154.
(2)
Roland BARTHES, Sur Racine,
S.eui l, p.
47. Notons que cette
formule s'applique nettement à l'archidiacre pour qui l'ob-
jet d'amour se change fatalement en objet de haine,
(3)
op. cit., p. 151.

124
au contrOle de l'homme. Quoi qu'il fasse,
quoi qu'il dise, elle
frappe avec une iniquité implacable. Victor HUGO semble adhérer
à cette vision cruelle du destin.
Comme dans la tragédie, la
fatalité est sans cesse présente dans l'univers hugolien et se
manifeste sous la forme la plus pesante dans Notre-Dan:e de Paris
(1). Plusieurs commentateurs ont observé ce phénomène~ D'abord
SAINTE- BEUVE :
/1 U
manque. W'l j aWt c.Ue-6te. à c.e.tie. c.athédJtCLte. .6ainte..
PM un anac.hJtorU.-6me. .6~nguü.Vt e.t vo1..Llu, ta 6ataLUé ~que., t ' apJte. Anank.é,
pè.6e. .6Wt t' ailion, de. ta pJté6ac.e. au dénoue.me.nt, e.t j me. dan4 .6e-6 tJtaque.~
nMd.6, ave.c. W'le. c.Jtuûte. ~OMe., te-6 pdoyabte-6 héJto.6,"(2J, André BELLES-
SORT remarque
: "te-6 ~ncü.v~dU.6 n' Uaie.nt pM né.6 mauvcU.6, Une. 6oJtc.e. ~n­
c.onnue. te-6 a .6~~, c.ondud.6, e.ntJte.~he.uJtté.6, abtmé.6, Auc.un de4 ouvJtage-6
de. HUGO n' aboutit à une. c.ondU.6-Lon .6~ dé.6e-6péJtante.. Un' a ~e.n éc.Jt-i.t d'aU.6-
.6~ ~émécü.abte.me.nt ~te. que.. NotJte.-Vame. de. P~." (3], Et Maurice LE-
VAILLANT : "NotJte.-Vctme.. de. P~, .6-L t 1 on y Jté6téc.ha b~e.n (", J e-6t un
Jtoman .6ombJte. où te-6 pVt.6onnage-6 .6ont bJtoyé.6 te-6 Un.6 c.ontJte. te..6 autJte-6 pM
W'le. 6oJtc.e. .6upétUe.Wte., aU.6.6-L -Lnv~~bte. qu'eUe. e-6t hnpdoyabte.." (4). HUGO
fai t
remarquer lui-même dans la préface du roman : "U y a quû-
qUe-6 année-6 qu' e.n v~dant, ou, poWt m-i.e.ux. d-i.Jte., e.n 6Wte.tant NotJte.~Vame.,
t'aute.Wt de. c.e. üvJte. a tJtouvé dan.6 un c.o-Ln 0 b.6 c.Wt de. t'une. de..6 touM c.e.
mot gJtavé à ta main.6Wt te. mWt : Anank.é (, .. J. C'e..6t .6Wt c.e. mot qu'on a
6ad c.e. üvJte.."
Un tel aveu paralt capital et éclairant et ne laisse
aucun doute sur l'intention première de l'auteur.
Il permet
(1)
A cet égard, la Revue des deux mondes de janvier ~831 ;fait
une remarque qui ne manque pas d'intérêt : "Anank.é, Voilà
quû de.vJtad me. te. véwabte. tdJte. de: No:t!Le.';"Vame. de. PaJÛ.6. Ve..6ûn,
6ataLUé, oui, c.e. .6eJtad b~e.n c.Ûa, CM quelle. autJte. c.omb~~on de.
te.t:t!Le..6 que. c.ûte. du mot '60vtitUté e.xplique.!ta t' UeJtnû poWtquO-L ?
PoU!tquO-L c.e. mathe.Wt à mo~ 'p'tutôt qu'à. un autJte. ? Qu'ai-,je. 6ad poWt
c.ë0 ? qui m'a méJtdé d' me. c.ho~-L roWt .6ou66~ ? 0.uel.6 .6ont me..6
c.Ju.Jne-6 e.nve.Jt.6 le-6 homme-6, e.t me..6 outJtage..6 e.nvVt.6 V~e.u ?"
Auc.un."
(2)
Cité par Pierre MOREAU e t J . BüUDOUT, dans'Victor Hugo,
Oeuvres choisies, t.
l, p.
284.
(3) op. cit., p. lOI.
(4) Maurice LEVAILLANT, L'oeuvre de Victor Hugo.
Poés'ie, Prose,
Théâtre, éd. Classique,
1963, p.
42.

125
d'affirmer sans risque d'erreur que la fatalité est bien la
cheville ouvrière du roman et qu'elle se rattache à la psycho-
logie profonde de Victor HUGO
(1). Plus tard, en 1866, au dé-
but des TravailleurB de 1a mer,
i l dénoncera encore la triple
anankè qui pèse sur l' homme :
IlUI1 .:tJrA.p.te aYla.l1kè (.6ie.) pè.6e .6u!l. 110M,
.t 1 aMl1kè de.6 do gme.6, .t' al1al1kè de.6 .tO..t.6, .t 1 al1al1kè de.6 e.ho!.l~." VaM No)Ae-
Vam e de PalU../."
.t 'auteuJt a dél10 11e.é .te pJte.mùJl.; daM .te1JMé6 éJta.b.te.6, i l a
.-
.6igl1a..fé .te .6 ee.ol1d; MI1/.) e.e uvJte, i l il1dique .te tJr.o..t.6ième. A e.e.6 )AO..t.6
6a.taL<;té.6 qui el1ve.toppe.nt .t ' homme .6e mUe fu 6ataLUé inXéJUeuJte,.t'al1al1kè
.6 upJtême, .te e.o euJt hwnMI1."
On rencontre dans Notre-Darne' de Paris le terme de fa-
talité avec une fréquence accrue. C'est en fait une constante
chère à HUGO. d'utiliser abondamment un mot auquel i l veut don-
ner une certaine expressivité. Une statistique portant sur l'en-
semble du livre révèle que "fatalité" s'y trouve vingt huit fois.
Ce chiffre parle de lui-même! Des mots et des phrases apparte-
nant au champ lexical de la fatalité reviennent avec beaucoup
d'insistance :
".te de.6.:ti.n", ".ta tel1~e", ".te .6o/tt me .6W..t.6.6W", ".ta
de.6ûl1ée e.6t Ul1e 6oJte.e iJtJté.6..t.6tib.te", ete..
L'occurrence de ces vocables prouve que le bonheur
humain est mis en jeu et explique aussi l'engrenage dans le-
quel les personnages se trouvent pris. C'est par exemple,
la
fatalité qui a voulu que les regards de Dom Claude, de phoebus
et de Quasimodo se dirigeassent sur la Esmeralda. A partir de
cette polarisation de leur regard,
la machine infernale va se
mettre en marche; Frollo ne sera plus responsable de ses actes,
en voudra à quiconque osera poser son regard sur l'Egyptienne,
pour déclencher la catastrophe à la fin du livre, Son regard
ressemble d'ailleurs à celui d'un oiseau de proie, prêt à bon-
dir sur sa victime sans défense. Deux exemples peuvent illustrer
le caractère inquiétant et fatal de ce regard : "C'était que.tque
(1)
Charles BAUDOUIN observe:
"L'idée de .ta Fata..tilé e.6.:t d'~euJt.6
ul1e de.6 bMe.6 .te.6 p.tM e.OVL6.:ta.nte.6 de .ta pel1l.lée de HUGO. We JtepJté.6el1-
.:te toute.6 .te.6 .6eJtvilude.6 qui pè.6enX .6uJt .t ' Homme, et dont i l .tui irnpoJt-
te de .6 e déuvJteJt paJr. UI1 mûtac..te héJto:tque. " op . ci t . , p, 135.

126
~ho~~ d~ f'immob~é d'un mitan q~ vi~nt d~ dé~ouv~ un nid d~ moin~ux
et quÂ.. fe JtegaJ1.de" (1)
ou encore
"L~ pJtwe fa JtegMchU: de f' om d'un
mifan quÂ.. a fongtemp~ pfané en Jtond du pfM haut du uef autoUJt d'une pau-
vJte Mouette tapie daM f~ bfé~, quÂ.. a fo ngtemp~ Jtwéu en ~ilen~e f~
~MÛ~ 60Jtmidabf~ de Mn vof, et tout à ~oup ~'~t abattu ~uJt ~a pJtoie
~omme fa Mè~he de f'édaift, et fa tient pantefante daM ~a gJti66e."(2)
D'autre part, HUGO a mis dans la bouche de l'archi-
diacre, une allégorie qui résume et révèle le climat fatal du
roman : "Oh 0uÂ..! ~onUnua f~ pJtwe ave~ une voix qu'on eût dit veYÛJt de
~~ en:tJr..ajil~, voilà un ~ymbofe de tout. EUe vofe, ~e e6t jOljeMe, ~e
vient de na2tJte; ~~ ~hM~h~ fe pJtintemp~, fe gJtand aift, fa übMté; oh!
0uÂ.., m~ qu' ~e ~~ h~uJt:te à fa Jto~a~e 6atMe, f' aJtaigné.~ en ~oJt:t, f' aftai-
gné~ hid~M~! PauvJte daVL6~M~! pauvJte mou~he pJtéd~tiné~! Mcû:tJt~ Ja~qu~,
f~~~z6aÂ.Jt~!~'~t fa 6atafi:té.! ~ HUM! Cfaud~, tu ~ f'Maigné~. Cfau-
de tu ~ fa mou~h~ auMi! ... " (3)
Ce symbole renferme quatre mots im-
portants
:
JI fatal",
." araignée ",
"1aissez"""·faire" et IJ fatali té" .
Ils· ont tous une valeur négative et marquent surtout un senti-
1
ment d'impuissance, de chute irréversible. Charles BAUDOUIN
considère l'araignée comme IIfe pJtinClpe du MM ou d~ fa Fatafi:té uni-
v~eUe.1I (4). Edmond HUGUET donne aussi des exemples intéres-
sants sur les valeurs symboliques de l'araignée
(5).
L'utilisation du symbole arachnéen est si fréquente
dans Notre-Darne de Paris, qu'aux yeux du lecteur,
le roman se
transforme progressivement en une vaste toile au centre de la-
quelle s'agitent des êtres tour à tour pris au piège et que
l'insecte dévorateur: Anankè, finira par absorber
(6). Ce qui
(1)
N.D.P.
7,
l, p.
242.
(2)
Ibidem 8,
IV, p. 322. Le titre du chapitre JlLasciate ogni
speranza" qui signifie :
"Vous qui entrez ici,
laissez tou-
te espérance", annonce déjà un sentiment d'échec et de fata-
lité.
(3)
N.D.P.
7, V, p.
278,
(4)
Charles BAUDOUIN, op. cit., p.
135. C'est l'auteur qui souligne.
(5) Voir dans Sens de la forme dans les métaphores de Victor HUGO.
(6) Maria LEY-DEUTSCH signale l'anéantissement des personnagesp·114-11~
par la loi d'airain de la fatalité
: "Jouw d~ fa NatuJte, tOM
f~ ad~uM d~ No:tJt~-Vam~ ~u~~ombent aux pu"Wf.,an~~ ob~~uJt~. L~ ~oup~
d~ tonneM~ é~~nt, fa Jta6M~ d~ ~e.n6 empoJt:te tout ~~ qLÛ vit. M~
daM ~~ vMUg~ du paga~me, queUe ango~~~! QueU~ p~UJt devant f'in-
~onnu qui diJtig~ f~ d~tiné.~!... " op. ci t., p. 135.

127
est aussi notable dans le roman, c'est l'ambiguité de Frollo
et la Esmeralda:
l'un et l'autre sont à la fois mouche et a-
raignée.
Ils constituent des otages du destin, mais ils repré-
sentent eux-mêmes des fatalités.
En cela,
ils ne sont ni tout
à fait coupables, ni tout à fait innocents, partant, tragiques.
L'ambivalence de ce "couple" mérite qu'on s'y arrête un moment.
Que Frollo soit à l'image de l'araignée, cela ne fait aucun
doute.
Ses idées démoniaques conduiront la danseuse au gibet,
et provoqueront par ricochet,
la mort de son frère et de son
fils adoptif. Déjà, la bohémienne le tient pour responsable de
tous ses malheurs:
"Voi.eà de~ mo~ qu'i.e me POWl..f.,W, qu'il me menace,
qu'~ m'~pouvante! San~ -eui, mon Dieu, que j'~t~ heune~e! c'~t -eui q~
m'a j et~e dan~ cet abime! 0 ue.e! c' ~t -eui qui a tué.. .• C' ut -eui qui -e' a
tu~! mon Phoebu~!"(7J.
Mais Frollo conteste formellement son entière responsa-
bilité dans les malheurs de la jeune fille;
i l semble avoir
suivi la voie tracée par la fatalité.
En effet, ce qui est
tragique dans le cas du prêtre, c'est sa désillusion:
i l
se croyait puissant et il s'aperçoit qu'il ne l'est pas du
tout.
Il a plutôt la conviction qu'ils sont tous pris dans les
rêts d'une force qui les enserre et ne sait comment se délivrer
de ce rétiaire du destin acharné contre eux. Dom Claude sait
aussi qU'il n'est pas libre dans sa passion ni même dans l'ap-
plication de sa passion,
c'est l'anankè qui broie sa volonté
et fait naître en lui de pires instincts: "Peut-me y ault~-je
Itenonc~, peut-êtlte ma hide~e pen~~e ~e oeltait-etie de~~~ch~e dan~ mon
celtveau ~a~ poJttetr. Mn nltuil. Je cltoy~ qu' ~ d~pendJtaatoujoWl..f., de moi
de ~uivlte ou de Itomptr.e ce pltocèo. Maio toute mauv~e pe~é.e ut inexolta-
b-ee et veut devenilt un 6ait, m~ -eà où je me cltoyai~ tout-pui~~ant,
-ea
6atalité ~ta,t.:t p.e~ p~Mnte que moi. Hé.-eM! Hé.-eM! c'ut e-e.ee qui t'a
pwe. e.t qui t'a -eÂ.-vtr.ée au Itouage tetz.JUb-ee de. -ea macMne que. j' av~ t~né.­
blte~ement co~tltUÂ.-te ( ... ). Oh! ~é.ltab-ee.~ que. nou~ ~ommu, c' ~t ce Mm
(Phoebu~) qui no~ a pe.ltdu~! ou p-eutôt nou~ nou~ ~omme~ to~ peJtd~ -eu
u~ -ee~ autltu palt .e'inexpucab-ee jeu de -ea 6ataUté.!"(2). Autrè paradoxe
(1)
N.D.P.
8,
IV, p.
322.
(2)
Ibidem
pp.
326-327.

128
La Esmeralda. Elle représente d'une part,
la mouche - elle est
victime des tracasseries sans fin du prêtre et de la recluse;
qui plus est, une force inexpliquée la pousse vers le capitai-
ne -, de l'autre, elle incarne l'araignée - elle attire vers
l'hameçon fatal -. Bien plus, Frollo n'hésiterait pas à lui
déclarer qu'elle lui a été envoyée pour causer son malheur:
" ... AtoM j'e.vz;tAe.VAA le. p-tège. du démon., e;t je. n.e. doU/tcU plM que. tu n.e.
v-tn.~~e.~ de. l'e.n.6~ e;t que. tu n.'e.n. v-tn.~~~ po~ ma pe.hd{tion.. Je. le. ~hu~
( ... ). Je. le. ~UAA e.n.~Ohe.. - Ce.pe.n.daYl.t le. ~hMme. OpéhMX. pe.u à pe.u, :ta
daMe. me. to~n.o yMX. daM le. ~e.hve.au, j e. ~e.Yl.tcU~ le. my~téJUe.u.x ma1.éM~e.
~' a~~omp~ e.n. moL . . " [ 1). Cela revie~t à dire que Frollo et Esme-
ralda sont les instruments du destin.
On comprend alors l'in-
quiétude de Dom Claude :
"McUn.te.n.aYl.t, je. the.mble. e;t je. 6WM n.Yl.e., je.
dé6aille. à l'-tMtant dé~AA-t6, je. ~e.M quûque ~ho~e. de. ~uphê.me. qui n.OM
e.n.vûoppe. e;t je. ba1.b~e.." (2). Sa vue porte sur un sinistre pres-
sentiment qui sera réalisé; il livre la bohémienne à la méchan-
te recluse qui
"he.phé.~e.Yl.te thè~ n.ette.me.nt le. ~ymbole. de. la Mèhe. he.vé-
~he. (= Mèhe. te.lUUble.) qui a héM~-t à e.mpwon.n.e.h l' e.n.Ôant dan.~ l~ mail~
l~ de. Mn. hé~e.au." (3) •
HUGO décrit la lutte desespérée de la mouche et l'a-
raignée, de la vie et la mort, de la mère contre la fille
"ta jeun.e. oute. avetU he.~on.n.u la mé~hante. he.~lMe.. Ha1.e;taYl.te. de. teNte.~,
ûle. e.Maya de. ~e. dégage.h. EUe. ~e. tOhdU, ûle. 6a plu~-te~~ MubJt.~au.U
d'ago~e e;t de de~~po~, maJA l'authe. ta :te.n.Ctd ave.~ un.e. 60h~e. -tn.ouZe..
L~ d(l-tg:t~oMe.ux. e;t mcUgh~ qui la me.~~cUe.nt ~e. c.wpcUe.nt ~u.Jt. ~a
-è.h~ e;t ~e. he.jO-tgn.cUe.nt à t' e.nto~. On. e.û;t dU que. ~ette. mcUn. UMX. JU-
'-.
vée. ~n. bhM. C' UCtd ptM qu' un.e. ~ha2n.e., p-f.M qu' un. ~M~an., plM qu'un.
an.n.e.au d~e.h, ~'etCtd un.e. te.n.aille. -tntûüge.Yl.te. e;t v-tvaYl.te. qui Mft.tetU
d' W1 m~." (4). Les images dont se sert Victor HUGO sous-tendent
"une présence maléfique et fatale",
le destin a mené la Esme-
ralda là où il voulait,
impuissante, elle est vouée à une mort
( 1)
N. D . P.
8,
IV,
P • 324.
( 2)
I~idem Il,
l ,
p.
468.
(3)
OTTO RANK,Le traumatisme de la naissance, cité par Charles
BAUDOUIN, op. cit., p.
137.
(4)
N.D.P.
I l ,
l, p.
470.

129
tragique.
Pierre ALBOUY signale le caractère extra-humain de
la fatalité et la gratuité de l'action humaine dans le monde
sans indulgence de Notre-Dame de paris. Le moindre espoir s'ef-
face, on dirait qu'il n'est montré que pour mieux être détruit
"L'~ntkigu~ y ~t diabotiqu~m~nt ag~n~é~, d~ ~oht~ qu~, ~haqu~ flo~ qu~
no~ ~~péhO~ qu'E~m~alda pou~a é~happ~h à ~on d~~n, un mauv~~ h~ahd
~a hamèn~ à ~'~né~u~tab~~ g~b~. C~aud~ FhO~O ~t ~mpohté j~qu'au ~~,
~a~ avo~ pu hé~~t~h p~~ qu~ ~a mou~h~ pW~ da~ ~a toile d~ ~' ah~gnéL
La ~ou66han~~ n~ ~~ à ~~n; ~a h~~~~ du ThOU aux h~ a p~~é ph~qu~
tout~ ~a v~~ en p~èh~; ~xp~ant ~a baut~ pah ~a bMm ~ ~~ bhO~d; ~f.1.~ n~
h~ouv~a ~a bill~ qu~ pOM ~a p~hdh~ auMaôt. ~ à paht ~ 1 évw d~
~ 1 âm~ d~ Qua~hnodo, au~un~ ~o~ mohal~ n~ ~ ~ fuiA~ ~ apM~~vo.-é'L daM ~ut~
hiAto~~ d' où ~' ~péhan~~ a été a~~~ ban~~ qu~ d~ ~' Enn~ d~ Vant~." [1).
D'aucuns objecteront que la fatalité telle qu'elle
apparalt dans Notre-Dame de paris relèverait davantage du dra-
me romantique que de la tragédie classique. Nier qu'il y a une
fatalité dans les deux cas serait une grave erreur. Cependant,
il importe de noter qu'elle n'a pas la même portée chez l'un
et chez l'autre
(2). Une explication sur les deux types de fa-
talité serait nécessaire.
Il est bien évident que les personnages du drame se
sentent écrasés par l'anankè, mais ils ne se complaisent pas
dans une attitude de résignation;
ils sont plutôt déterminés
à aller contre vents et marées.
Si Hernani s' exclame
"J~ ~~
(1)
Pierre ALBOUY,
La création mythologique chez Victor HUGO,
p.
266. La constatation de Pierre Albouy se rapproche de
celle de JA~IN qui écrit à propos du caractère implacable
de la fatali té chez HUGO : "C' ~t toujOuJt.6 ~a mêm~ p~~an~~ ~m­
p~a~ab~~ 6atal~, ~a~ 'L~ga'Ld, ~an~ O'LuU~, ~a~ ~ntfta.-éU~, ph~qué
~a~ vo~x (... J, un~ ~6pè~~ d~ 60h~~ ~n~~ qu~ vou~ h~ouv~~z da~
~~~ thagédi~6 d~ Sopho~~~, m~~ au mo~n~ j~~6~é~ paft ~a ~ftoyan~~ h~­
UgJ..~u~~" cité par Anne UBERSFELD, op. cit., p. 346.
(2) Maria LEY-DEUTSCH note la singularité de la fatalité décri-
te dans Notre-Dame de Paris : "Hugo ~~hut~ ~~,(. d~~ ~x~t~n~~
pouh ~~quiU~ 1~ n f y a n1 hUOUh, ~ pahdon, ~ gha~~. L~ poU~,
q~ d' o!1.dinUJt~ n~ v~ut pM admutft~ ~a dé~héan~~ déM~v~, p~v~
~~~ ~~6 .p~on~ag~~ d~ tout~ po~~~bilité d~ ha~hat. Au~un n'é~happ~
au ~hd;Um~nt; ID m~M~nt ~a~ pahdon, dan~ ~~ ~!l,(m~ U d~ ~a hOtl-
t~." op. cit., p. 99.

130
une 6o!lc.e qtU va" , cela ne signifie pas qu'il renonce à lutter,
on a le sentiment qu'il veut assumer et surmonter la fatalité.
Quand i l s'écrie encore
1JOte-to-<- de mon c.he..mi..n 6atal .. ,", c'est plus
pour faire fi de l'anankè que de ployer sous sa force,
Plus la
puissance invisible s'impose avec âpreté, plus l'énergie et la
volonté du héros dramatique s'affermissent.
S'il trouve la
mort, c'est dans la grandeur et non dans l'ignominie.
Hernani
et Ruy Blas meurent, certes, mais leur mort n'est pas une dé-
faite, elle a plutôt un caractère héroïque et a valeur de ra-
chat, de libération. Ce type de fatalité,
tourné essentielle-
ment vers l'optimisme et la grandeur,
fait penser à l'univers
cornélien où le héros ne doit pas rester soumis à une force
extérieure quelle qu'elle soit,
Il doit au contraire puiser
en lui-même la force nécessaire pour arriver à bout de toutes
les difficultés. Tandis que l'univ'ers de Notre-Dame de Paris
semble un univers clos, où les personnages se dirigent vers
une mort certaine; on constate qu'ils cèdent volontairement
à la loi d'airain de la fatalité.
Le "laissez faire la fata-
lité" de Frollo par exemple se situe aux antipodes du "Ote-
toi de mon chemin fatal" d'Hernani.
Le sentiment d'insuffi-
sance et de faiblesse qui force le prêtre à se constituer pri-
sonnier du destin n'est pas sans rappeler l'exclamation d'O-
reste au début d' Andromaque
: 1JJe me üV!le en aveugle au deAtin qtU
m' ent'Lcûne" [JJ • Ni l'un, ni l'autre, ne cherche à lutter avant
de s'avouer vaincu;
ils mènent une vie de désespérance et se
précipitent passivement dans un sombre labyrinthe.
On dénote semblable attitude chez la Esmeralda. Elle
est une jeune fille adorable, devant la perspective de la mort,
elle trouve une sorte de satisfaction funeste et se montre
d'une équanimité digne d'un personnage tragique 11Ac.hevez! ac.he.,.
Liez! le de'LMe!l coup!" Et elfe ennonçw !.la tUe avec. te'L!leU!l en:t!le !.le.!.>
épauleA, c.omme la b!lebù qtU attend le coup de mM!.lue du bouc.he'L"(21.
Si
Victor HUGO a délibérément choisi le mot "brebis", ce n'est
pas pour le plaisir. Ce mot a ici une portée symbolique et
(1)
Andromaque, acte l,
scène l, vers 99,
( 2 ) N. D • P • 8,
IV, P . 322.

131
tragique;
nul doute que la bohémienne représente cette brebis
dépourvue de force et de détermination qu'on amène à l'abat-
toir sans résistance.
La manifestation de cette attitude de
renonciation et "d'à-quoi-bon" est encore visible au tribunal
lorsqu'elle avoue
"avo,{;c e.u c.ommeJtc.e. habdue1 avec. .te. cüab1.e", "avo,{;c
panti~pé aux agape.~, ~abb~ et ma1.é6~c.~ de 1.'enûen, avec. .t~ 1.ave.~,
1.~ mMque.~ et 1.e.~ ~:tJtyg~", et "avo,{;c, à 1.' ~de. du démon ( .. ,) me~
et M~M~~né un c.apLt~ne. nommé Phoe.bM de. ChiiteaureM Il ( 1). Or, on sait
que l'infortunée est condamnée à tort.
C'est précisément parce
qu'elle se sent impuissante qu'elle s'offre en holocauste:
"Tout c.e. que. voudne.z,népondLt-e11.e. 6~b1.e.me.nt, mW tue.z-mo~ vde.!"(l).
On pourrait se demander si la toile d'araignée dont
sont enveloppés les personnages de HUGO ne traduit pas l'ex-
périence douloureuse de la vie intime de l'auteur
(3).
Par mo-
ments,
nous sommes portée à croire à l'hypothèse selon laquelle
la souffrance de Frollo serait le drame intérieur vécu par l'é-
crivain lui-même. Malgré les épisodes de gaieté du roman et le
revêtement humoristique de Victor HUGO,
sa pensée reste profon-
dément pessimiste et tragique.
Arri vée au terme de ce chapitre,
nous
jugeons
né-
cessaire de rappeler qu'étudier les ressorts tragiques dans
Notre-Dame de Paris ne signifie pas que HUGO s'est inspiré di-
rectement et systématiquement de l'esthétique classique pour
écrire son livre.
Ce que nous avons voulu démontrer,
c'est que
l'écrivain a suivi par certains côtés la tradition malgré la
volonté qu'il exprimait de s'en défaire
(4),
( 1)
~ D • P. 8,
II,
p.
313.
(2)
Ibidem 8,
III,
p.
315.
( 3 )
" . .. MarL6 ,i.e e.~t un Ûad : HUGO c.omp.tU-.t que. ~a Ûemme. ne. t' cUmad ptu~,
et ~ en ~ou66.tU-.t. On ne. pe.ut ~'e.mp~c.he.n de. pe~e.n. que. c.e poème. noman-
c.é du moyen-âge., p.tun d'atmo~phè.ne. de. né\\)n(J~e, d'éc.noutement, c.ette.
oe.uvne de d~tnuc.~on 6ata1.e., q~ 6~nd dan~ t'anéa~~eme.nt, HUGO
.t'a éc.na peu de. temp~ avant qu'~ ne. 6û.:t attunt 1.~~même. d'une. c.a-
tM:tJtophe. : ta fupa~on Mud~ne. de. c.e. qu' ~ ava.~ c'nu ~a V~e".
Voir Maria LEY-DEUTSCH,
op.
cit., ~p. 135-136.
(4)
Jules JANIN s'est plu
d'ailleurs dans les DAhats à placer
CORNEILLE,
RACINE et MOLIERE dans la compagnie de HUGO. Voir
Pierre MOREAU dans le Classicisme des romantiques,
p.
355.

132
A vrai dire,
il est difficile de parler d'une révo-
lution en matière littéraire.
On aspire toujours à une sorte
de renouvellement,
de rajeunissement mais sans pour autant rom-
pre avec la chaîne des autres générations,
Beaucoup de criti-
ques ont même trouvé un rapport entre certaines pièces de HUGO
et la tragédie classique.
C' est par exemple la Revue de Par,is
"Ce. qu'il y a de. p-tM c.-tM~-<-qUe. dalU c.e. nouve.au Marne. (LucJtèc.e. BOfLg-<-a) ,

c.'~t c.e.tte. e.~pèc.e. de. 6at~~ qu-i. ~e.mb-te. pOM~e!L au C'.!Lime. -ta 6~e.
BOfLg-<-a" ( 1) ou 1 a Quo tidienne : "L' aute.uJr. IJ a d~p-to IJ~ M-6e.Z de. ta-te.nt
poufL qu' on appfL~Ue. Mn OUVfLage. c.omme. une. beLee. e.t gJr.ande. t!Lagécüe. e.t il
a aMe.z abU-6é de.~ -<-nvfLiLWe.mb-tanc.~,
d~ -6iluatiovus outJr.é~, d~ c.aJr.ac.tèJr.~
'.
hOM de. natufLe. POUfL que. ~a p-<-èc.e. n'obtie.nne. que. -t'-<.mpolLtanc.e. d'un mUo."(21
Ces critiques traduisent la tendance chez HUGO à concilier des
éléments
divers
pour arriver à une oeuvre mixte et indéfi~
nissable.
Il serait opportun d'étudier un genre qu'on dit suc-
cédané de la tragédie et avec lequel ~otre-Dame de Paris en-
tretient un rapport assez net
:
le mélodrame.
(1)
Cité par Anne UBERSFELD, ~E. cit., p.
180.
(2)
Ibidem
- - -

133
II.
LES COMPOSANTES MELODRAMATIQUES
A.
Préambule historique
Dans ce préambule,
nous n'entendons pas faire une
étude exhaustive dû mélodrame. Nous voudrions tout simplement
donner un aperçu de cette forme théâtrale qui n'a pas manqué
de susciter l'engouement des uns et le mépris des autres. Nous
essayerons de définir ses origines, en dégageant du même coup
l'impact qu'il avait sur le public et ses principales caracté-
ristiques.
Le mélodrame est un genre dramatique bien spécial
et très complexe,
à cause des origines diverses qu'on lui at-
tribue.
Beaucoup de critiques s'accordent à dire que Je?~ ~ac­
ques ROUSSEAU en serait le précurseur et que c'est dans son
monologue scénique de Pygmalion que se préciserait le genre
"PeMuadé que. .ta .tangue 6JLanç.ai6e., du.t.Uuée. de. touX acce.nt, n' e.J.Jt nulle.-
me.nt pJLOpJLe. à .ta mUJ.J~que. et pJL~nc~pafe.me.nt au JLé~~b, j'ai ~ag~ne. un
ge.nJLe. de. dJLarne. danJ.J fe.que..t .tu pMO.tU et .ta mUJ.J~que., au lie.u de. maJLche.JL
e.nJ.J e.rrofe., J.J e. 60 nt e.nte.ndJLe. J.JuccuJ.J~ve.me.nt,
et où fa pMM e. paJL.té e. u t e.n
que..tque. MJLte. annoncée. et pJLépMée. paJL .ta pMMe. mUJ.J~ca-te.. La J.Jcè.ne. de.
Pygmalion ut un e.xemp.te. de. ce. ge.VlJLe. de. compoJ.J~on qM n'a pM e.u d' .{m~­
tate.uJLJ.J. En pe.JL6e.cuonnant cette. méthode., on JLéuMMW .te. doub.te. avanta-
ge. de. J.Jou.tage.JL .t'ac.te.uJL pM de. 6JLéque.vttJ.J JLe.paJ.J et d'066~ au J.Jpe.c.tate.uJL
nJLanç.ai-!l f' u pèce. de. mé.ta dJLarne. .te pfM co nve.nab.te. à J.Ja .tangue. "( 1). r-1é 10-
drame ici est synonyme d'opéra et se définit comme un genre
en prose accompagné de musique.
D'après Willie HARTOG,
l'emploi
de mélodrame pour désigner l'opéra semble avoir cessé après
1782. Nous apprenons par la suite que le mot "mélodrame" n'a été
admis à l'Académie qu'en 1835, elle en donne la définition sui-
vante
: "SoJLte. de. dJLarne. .te. ~oJ1.ogue ut coupé pM une. mlL6~que. ~nJ.JtJLume.n­
ta-te."(2).
Avant cette date,
en 1802 plus précisément PIXERECOURT
, '
(1)
J.J.
ROUSSEAU,
Fragments d'observations sur l'Alceste ita-
lien de M.
le Chevalier Gluck. Cité par HARTOG dans Guilbert
de PIXERECOURT, p.
40.
(2)
willie HAR~n~, ~cjr., D.
43.

134
donne le titre de mélodrame à sa pièce La femme à deUx maris,
mais le mot est écrit "mélo-drame" avec un tiret.
Il prendra
plus tard un sens qu'il gardera longtemps; on appellera mélo-
drame
/Itou.): dttarne. popu1..ahr.e. qM. C.hVLc.he.lLa à ~mouvoVt. paIL ta v-tote.nc.e.
de.J.> -6duatioM e.:t t'e.xag~lLation de.J.> -6e.n:t-tme.nt-6/1(J). D'autre part, cer-
tains critiques reconnaissent que les théories de BEAUMARCHAIS,
de DIDEROT, de MERCIER et de SEDAINE sur le drame bourgeois
ont influencé la naissance du mélodrame. Nous citerons à titre
d'exemple, un fragment de Sébastien MERCIER qui annonce déjà
le mélodrame pui squ ' i l se tourne vers le peuple :
/lPOLLJtqUO-t fJVL-
me.z-voU-6 vo:tJte. th~â:tJLe. au pe.upte., nation oJtgue.~e.U-6e. ou avaILe. (. ,.)1
S-t VOU-6 juge.z te. -6pe.c.:tac.1e. u...tûe., de. que.i dttod e.n p!L-<'.ve.z"VOU-6 ta paJL:t-te.
ta ptU-6 nombJte.u-6e. de. ta nat-ton ? PouJtquo-t ta lLe.nvoye.z-VOU-6 -6U!L t~ bou1..e.-
vaJtM e.n:te.ndJte. de-6 p-tèc.e~ uc.e.nue.u-6e.J.>, où ruomphe.nt te. v-tc.e. e.:t ta glLO-6-
-6-tèlLe.t~ ( ... 1. Le. pauvJte. a c.e.pe.ndant ptU-6 be.J.>o-tn qu'un au:tJte. de. pte.uJte.Jt
et de. -6' a:t:te.ndw ( ... ), il applLe.ndttctit peut"UAe. à. -6oU66w ave.c. ptU-6 de.
pat-te.nc.e e.n lJoyant ta nation M-6e.mbt~e. ne. pO-tnt neJtme.Jt -6on (JlL~e. aux
ac.c.e.n:t-6 de t'~n60!L:tune. r .. . 1.Que.i -6VLa t'aute.U!L qu-t -60ngVLa à c.e. bon pe.u-
pte., qu-t tu-t donnVLa une. nOU!L!LZtU!Le -6a-tne. et aglL~abte., qM. plL~-6~dVLa à
-6e.-6 pt~w honnê-te.-6 et tu-<. appJtendJta à. te.-6 gOû.J.VL ?/I (Z).
C'est Guil-
bert de PIXERECOURT qui répondra à l'appel lancé par MERCIER;
i l est bien l'auteur qui songera au peuple puisqu'il écrira
pour
/1 c.e.ux
qu-<'. ne. -6avent pa-6 uJte./I.
Plusieurs circonstances ont été favorables à l'éclo-
sion du mélodrame.
Son apparition semble liée à la lassitude
du public qui trouvait la tragédie entièrement conventionnelle
et la versification ennuyeuse. Elle devenait moribonde et ne
touchait pas un public très large. La déclaration de ROBESPIER-
RE en 1786 montre bien le caractère décadent de la tragédie:
/lNoU-6 ~plLOUVVLOM que. no-6 ta!Lme.-6 pe.uve.nt c.ou1..VL pouJt d'au:tJte.J.> mathe.Wt.ô que.
c.e.ux d' OJte.J.>te. e.:t d'AndJromaque., noU-6 -6e.I'l..LUtOI1J.> que. ptU-6 t'awon Ite.Me.mbte.
aux -6c.è.ne.-6 de. ta v~e., ptU-6 te.;.; pe.!L-6onnage.-6 Mnt ltapplLoc.h~-6 de. no:tJte. c.onM-
(1)
Willie HARTOG, op. cit., p.
43.
(2)
Du théâtre ou Nouvel essai sur l'art dramatisue, cité par
HARTOG, op. cit., p.
76.

135
tion, ptu.-6 t' illu.-6~on ut comptUe., t' ~vr..:téfLê;t pui.6<savr..:t e..:t t' ~M.:t!Luc.tion
nfLappavr..:te" (1).
C'est en effet au lendemain de la Révolution que
se constitue définitivement le genre mélodramatique, A cette
époque, on est à la recherche des émotions fortes ~ frémisse-
ment, attendrissement -
et des spectacles les plus terribles
et les plus atroces.
La fréquence des souterrains, des fantô-
mes, des bandits dans le mélodrame répond à ce besoin de fré-
mir, de pleurer.
Dès 1797, PIXERECOURT donne son premier mélodrame à
grand succès: Victor ou l'enfant de la forêt.
Pendant une
trentaine d'années environ,
sous le Consulat,
l'Empire et la
Restauration,
le mélodrame règnera en maître et provoquera
l'enthousiasme de toutes les couches sociales. Le journal gé-
néral des théâtres note sous la Restauration que le public du
mélodrame est loin d'être constitué seulement de "ceux qu-<.. ne.
<save.vr..:t pa<s .ü./1.e",
on y trouve aussi des gens du monde : "Ce ne.
M vr..:t pa<s MUf. e.m ent t e.<s gJt.U, e..:t.:t u
du MMa-W e.t t e.<s fLO bu.-6t e.<s a!t.:tü an <S de
ta fLue du Te.mpte quA. ~)ont a~fLe.fL en 6fLé~Mant tu bande.<s de. vof.eUfL6, te<s
nu<sif.tadu et f.e~ tfL~.:t!LU de ta Gatté. Ce. ne <sont pa<s <seutemevr..:t te<s bon-
ne<s d' en6ant e.t tu cuÙin~è.fLU q~ vo vr..:t à t' Amb~gu <S e. co nvaùlcfLe que. ta
PfLol'idence l'e.iUe <SufL t'innocence oppfLhnée. e.t qu'eUe. ne t'abandonne ja-
maù : de<s ~n~l'idu<s d'une ctaMe p.f.u.-6 éf.euée vovr..:t e.n 60ute e.ntendfLe, non
<saM pta-W'{fL, de<s phtLa<se.<s Mntimevr..:tCLte<s et bOUMou6tée<s, où. ta f.angue., te
goût et f.a fLwon 1.JOvr..:t ou.:t!Lagé<s. PoufLfLa.,.t-on jama-W peMuadefL aux habdué~
de. .fa Gatté que. M. PIXERECOURT ne Md pM un CORNEILLE; ", LI intérêt pour
le mélodrame est tellement vif que
"daM tu 6amille.<s bOUfLge.O~~U,
011
donl"l.Ctit aux 'Mttu qu~ na-W<saievr..:t te. pfLénom de~ héfLO-lnU du métodtLame,
et i l l j eut un nombfLe incfLOljabte de Coe.una ... "(2).
L'engouement pour
le mélodrame ne fait pas de doute, même s ' i l y a eu des gens
qui ont::rié haro sur lui
: IJce. ge.Vl.fLe. déte.<stabte, où. i l lJ al'W un
(1) Cité par Paul GINISTY dans Le mélodrame, p.
13.
(2)
Paul GINISTY, op. cit., p.
8.
La vogue du mélodrame rap~elle la période de 1610-1640 où à
côté de la tragédie et de la comédie dont les règles se met-
tent en place,
la 'voque est à la tra~i-comédie, à la comé-
die héroïque,
3 la pastorale èramatique, c·est~à-èire 3 des
genres mêlés.

136
mUan.g e. de. gai, de. :tJzMte., de. mtL6-tque., de. la dé.c.i.amatio n. e.t deA baUe.:to,
e.n. un. mot un.e. c.on.ntL6ùm de.J.) ge.VlJLeA qu-i. eAt un.e. -tn.n.ovation. mon.MJwe.uJ.)e." r 7) .
Il est vrai que le mélodrame n'a pas eu de doctrine
comme la tragédie classique, ce sont les "mélodramaturaes" eux-
mêmes qui ont défini les traits generaux du aenre qu'ils adop-
taient.
PIXERECOURT,
qui fait fiqure de législateur en déqaae
les données générales
: "Et le. mUodJtame. auJta dé.MJtmw J.)eA lo~
quatJte. peJtMn.n.ageA eMe.n.t"tw : le tJto~~ème. Jtôle., tYJtan. ou tJtaÂ.tJLe., MtU1.-
de. tOtL6 leA v-t.c.eA, an.J.Jné de touteJ.) leA pMJ.)-t.OM mauvweA - un.e. 6e.mme.
malhe.uJte.uJ.)e. oJtn.é.e de. touteA leA veJttuJ.) - un. hon.n.ê..te. homme. pJtote.c.te.uJt de.
l' -t.n.n.oc.e.n.c.e. - le. c.om--i.que. ou le. "~", MY_On. le. tvune. c.oMac.Jté, qu-i. neJta
J.)uJtg--lJt le. we. au m--lUeu de.J.) ple.UM. Le. tJtaÂ..tJte. peM éc.ute.Jta la v..-tc.t--lme.,
c.e.Ue.-c.~ Mu6 6-wa jUJ.)qu' au mome.n.t où.. Mn. -tn.DOJttun.e. étan.t au c.omble., l' hon.~
n.ê..te. homme. aJtft-tve.Jta oppoJttunémen.t pOM la dilivJteJt et t--lfte..Jt de. Mn. e.n.n.e.m--i.
un.e. ve.n.ge.an.c.e e.xe.mplazJte., MJ.)~J.)té du c.om-t.que., qu-<- J.)e. Jtan.geJta tJta~on.n.e.f­
le.me.n.t du c.ôté deA oppJt--lméJ.) ... " f 2). Il est bien évident que nous n' a-
vons là que les caractéristiques essentielles du qenre, Progres-
sivement,
le génie inventif de PIXERECOURT et ses confrères va
s'élargir; d'autres procédés s'ajouteront à ce code,
L'origina-
lité de PIXERECOURT est d'avoir oris conscience non seulement
du changement de la société, mais de celui du public~ Il s'est
donc proposé de lui offrir des sensations de plus en plus for-
tes,
des situations extraordinaires mais avec des sentiments
moraux.
D'abord refusé, moqué puisque trop simpliste et al-
lant de soi,
le mélodrame a résisté à toutes les attaques qui
lui ont été faites.
Cela est d'autant plus vrai qu'il n'obtient
pas le succès seulement dans les milieux populaires et bourgeois,
on constate que certains noms de la scène littéraire de l'épo-
que ont exprimé leur admiration pour ce qenre pourtant décrié
et méprisé.
Bien des critiques affirment même que beaucoup d'é-
crivains de l'époque ont fait des mélodrames mais sous une éti-
quette différente.
Quelle a donc pu être l'attitude des roman-
tiques vis-à-vis du mélodrame ?
(1)
Paul GINISTY, op.
cit., p.
52.
(2)
Ibidem, p.
15.

137
B. Les romantiques et le mélOdrame
Tout le monde est unanime à reconnaître l'admiration
que bon nombre d'écrivains appartenant à la génération roman-
tique ont vouée au mélodrame. Charles NODIER qui avait de l'a-
mitié pour PIXERECOURT se faisait volontiers le porte-parole
de l'opinion générale : "Le mfI.todtLame, tû que noU!.> .t'avorv.. vu deptU.o
1800 [ ... ) e..ot devenu un genne nouveau: if e..ot à.ta 60~ le tableau vfIhi-
table du monde que .ta .oouUfI ~1OU!.> a 6w e..t .ta .oeuie uagédJ..e popu.taJ..Jte
qtU convJ..enne à noue fIpoque ( ... ), Le mélodtLame n'a jam~ fItfI ~ à.oa
piace, .oa na~.oance date de Coeuna" ( 1).
Pour témoigner son soutien
à
"Shakespirécourt", NODIER répondait aussi aux attaques cin-
glantes qu'on .adressai t
à
son style
"Le .oty.te du mfIlodJtame, a~t­
on dJ..-t, e..ot une J..nnovat~on dange.Jteu.oe daYl.o .ta .tangue. Ii e.ot tendu, a~6ec­
té, péhiphJta.oJ..e~, manJ..éné
darv...oe..o tou~, exagfIné dan.o .oe..o J..mage..o ( .. ,l.
Je veux bJ..en accepten cette pnopo.o~on dan.o toute .oa higueun. Je n'J..Yl.o~­
tenaJ.. pa.o même .oun le..o .oe.JtvJ..ce.o que M. de PIXERECOURT a nendu.o à .ta .tangue,
dont if po.o.oède .oJ.. bJ..en .te..o ne.o.oounce.o, en ne.opectant paJt.tout .oa coJtJtectJ..on
e,t -Oe.o Jtèg.te..o dan.o un genne dont la mode n'a pu corv..acnéjdont la c~que
ne peut pa.o jU!.>uMen toute..o le..o ucence.o ... '1 (2) •
N'est-ce pas le mélodrame qui a fait pleurer MARGOT?
Alfred de MUSSET écrira son fameux vers dans les Poés~es nou-
velles : "VJ..ve .te méiodJtame MaJtgot a pieuJté!".
Et Théophile GAUTIER
-
. .
,(' -
»
fait un eclatant panégyrique des prlnclpaux melodramaturges
dans la Juive de Constantine :
"0 GuifbVt.t de PIXERECOURT, 0 CAI(;I~IEZ!
o VJ..cton DUCANGE! SHAKESPEARES méconYlu.o, GOETHES du BouievaJtd du Temple,
avec quel .ooJ..n pJ..eux, que..t ne..opec.t 6J..Uctt, à la lueun pâLW.oante de .ta lam-
pe, cette amJ...e vwctuJtYle. qui .oe.mb.€.e
uav~en avec vou.o, nou.o avorv.. UudJ..é
\\10.0
conceptiorv.. 9J...gaYl.te,~que.o, oubuée..o de .ta 9~néna.tJ..oYl pnécédente! n,ue de
60 J....o .t' aunone nou.o a .oLinpw .oun que.tque owvn~ pnoduJ..-te, comme .te..o RuJ..ne.o
de Baby.tone, HanJ..adan BaJtbe.Jtou.o.oe, RobeJt.t, che.6\\de bhigand.o, L'Aque.du.cde
Co.oenza, Tekili et d'autJte.o pJ..èce.o admJ...Jtable.o".
(1)
Revue de Paris,
"Du mouvement intellectuel et littéraire
sous le Directoire et le Consulat".tome XIX,nol,
juillet 1835.
(2)
Cité par HARTOG,
0E- cit., p.
208. C'est l'auteur qui sou-
ligne.

138
Le jeune Victor HUGO a succombé aussi au charme du
mélodrame. Le Victor HUGO raconté dit qu'il n'a guère perdu
le souvenir des représentations, au théâtre de Bayonne, des
Ruines de Babylone : "On jouai.;t un mé-tod!tcune. de. PIXERECOURT, -tu RuÂ.--
nu de. Baby-to ne. C' é:tcU;t ~ftë-6 be.au ( ... ). Ce. n' Uili rM ~o rd' une. -6 e.-
~onde fte.rfté-6e.~ation rOUft e.n arrfté~~e.ft ~OU-6 -tu dé~~. C~e. 60~, -tu
~o~ 6ftèftu rHugo) ne. peJtMJte.~ pM un mot du d~a-togue. et fte.v~nftent -6a-
~ha.~ -te.-6 ~o~ auu pM ~oe.Uft" [ 7). Tous ces témoignages corrobo-
rent le vif intérêt que les jeunes romantiques accordaient au
mélodrame. Mais leur admiration est même allée plus loin, on
peut relever des analogies troublantes entre le mélodrame et
le drame romantique
(2).
Les deux genres recherchent des ef-
fets de couleur locale, négligent la psychologie dans l'étude
des personnages, et ont des thèmes en commun. Leur seul point
de dissemblance se situe au niveau de la morale.
Dans le dra-
me romantique,
les héros meurent, et il arrive même que les
traîtres y survivent à leurs forfaits;
ce qui est inadmissi-
ble dans le mélodrame. C'est peut-être pour cette raison que
PIXERECOURT a réfuté la paternité du drame romantique : "Vepu~
-6~X an-6, OYl a pftoduit un ~è0 gftaYld nomblte. d'oe.uvfte.-6 ftomantiquu, ~'ut~
à-MJte. mauv~e-6, dangeJteu-6u, -ünmofta-te-6, dépoUftvue-6 d'~~éftU et de vé-
~é ( ... ). POUftquo~ don~ -tu aLrte.uft-6 d'aujouftd'huÂ.- ne. 6o~~~ pa-6 ~omme.
mo~ ? PoU!tquo~ ~e.Uft-6 p~è~u ne. ft~6-6e.mb-te.~-~e-6
pa-6 aux ~e.nnu ? C'ut
qu'-U'.-6 n'o~ t1A-en de. -6e.mb-tab-te. a mo~, ~ -te.-6 ~déu, ~ -te
~a-togue, ~
-ta ma~èfte de 6~fte. UrI p-tan; ~'ut qu'~-6 n'ont ~ mon ~oe.Uft, ~ ma -6e.n~
-6~b~é, rU. ma ~oYl-6ue.n~e. Ce n' e.-6t don~ pM mo~ q~ ~ Uabli -te. genfte
ftomantique." (3).
Mais l ' histoire nous apprend que le drame roman-
tique et le mélodrame pouvaient se partager les mêmes acteurs
et actrices et les mêmes théâtres. Mme DORVAL ou Frédérick LE-
MAITRE pouvaient aussi bien tenir un rôle dans une pièce de
(1) Victor HUGO raconté par un témoin de sa vie, Librairie inter-
nationale,
1863, t.
l ,
pp.
132-133.
(2)
Dans son livre
: Autour du romantisme, Jules MARSAN fait une
réflexion qui ne laisse pas de surprendre : "la Pfté6a~e. de.
CftomweU, ~' e.-6t don~, e.n -6omme, -te méf.od!tame. pfte.nant ~('Yl-6~~e.n~e de
M-6 moye.n-6 et de. oa ~gndé",
p.
28.
(3)
Cité par Jules MARSAN, op.
cit., P.
31.

139
HUGO ou DUMAS. On s'en doute bien, une telle promiscuité ne
peut que favoriser des échanges, des emprunts voulus ou non.
HARTOG l'a fort bien souligné au sujet des pièces de DU~ffiS :
"En e.n 6et, -6J.. no M e.xa.m{.no YL6 .t05 pJ..èc.u de. DUMAS, no M bLo uv VtO YL6 qu' e.liu
ne. -6On.:t que. du mé.R.-ociJwme. de. c.oYL6bLuc;t.J..on a,Me.z o/tdJ..ncUJr..e., d'une. v/tcu:..oe.m-
b.tanc.e. aMe.z médJ..oc./te., et d'un -6ty.te. quJ.. n'a Jr.A.e.n à e.nvJ..Vt à c.ûuJ.. de. -6U
p/tédéc.u-ôe.~. He.nJtJ.. III et -60. C.OUft (1829) ut un mé.todJtame. hJ..6tO!tJ..qUe.,
RJ..c.haJtd DaltR.-J..ngton (1831) e.-ôt un métodJtame. d'un bout à .t'au.tJLe., On y bLou-
ve. .t' homme. amb-ilie.ux quJ.. c.omme--t tou-6 .tu c.!tJ..me.-6 pOUft paltve.rUJr. à -ôU MYL6;
puJ..-ô -ôa vJ..c.:t,ùrJe. quJ.. ut -60. tle.mme., puJ..-ô .te. pe./tMnnage. J..nc.onnu quJ.. -6cUt tout,
veil tout, mène. .tout, .. " (1).
HARTOG conf irme l'empreinte de l ' es-
thétique mélodramatique dans les pièces de Victor HUGO : "Nou-ô
/tec.onnMMoM J..mmédJ..a.:te.me.vd. daM .tu dJtamu de VJ..e.:to/t HUGO.ta m-Loe en. -ôcè-
ne. du mé.tod/tame. ave.c. .tu déc.oft-ô et ac.c.uy;,{.Jl U pou/t .tu mac.hJ..na.;ti.oM téné-
bJ1.eMU, tu -ôUftpwe.-6, L?./.) dueL~, te-6 c.om6m, .tu en.R.-ève.men.:tf"
.tu meu/t-
:tJr.u e.t .te-6 /te.c.onncUManc.e-6, En 6et-Wan.:t .t' ana.tYM.. de-6 c.altae.:tèJ1.e-6, noM J1.e-
c.onncu:..o-ôoYl.-ô ~ga.teme.n.:t .tu c.altac.tèJ1.e~ du mé.R.-odJtame. Dan-6 He.tnanJ.., dan-ô Ruy
BR.-a-ô, dan-6 .te-ô BUJ1.g/tave-ô /tepa./ta.~6-ôent .tu pe./t-6onnagu du d/tame poputcUJr..e
de PIXERECOURT. Ce Mnt .te.!. !,(/tc'-ô "p.teJ..n-ô de tleu e.t de. mé.tanc.oR.-J..e., p.te.-iYl.-ô
de. v~tanc.e et d'amou/t"; .ta jeune 6emme "pu/te c.omme. .te-ô ange-ô, )JM-6J..onné-
ment épfl.~e et atJr.oc.emen.:t pe.tLoéc.utée"; et en 6J..n , MYL6J.. que .te dJ..;t M. PeW
de Julle.v..Lf.e. .. "un quabL.i.è.me pe.ft-ôonnage, héJt-ilie/t d..ttLec.t du 60u de. no-ô vJ..eux
my-6tèJ1.e-ô et du gtLac.J..oM e-6pagnot, un pVtMnnage pu/tement g/tote.-ôque e.t don.:t
.ta M.u.f.-e. enttLée doil exc.de.tL dan-ô .te théâ:t,Jte une. aUég/tu-6e c.Onve.nue" (2) •
Que HUGO ait été marqué par le mélodrame dans sa production dra-
matique, cela ne fait aucun doute. Mais il est à la fois curieux
et intéressant de noter la fréquence avec laquelle certains cri-
tiques contemporains utilisent le mot "mélodrame" quand i l s'a-
git de Notre-Dame de Paris: cela laisse à penser au'ils croient
apercevoir un rapport entre le roman et le mélodrame,
Pierre HO-
REAU et J.
BOUDOUT remarquent : "Re.ndoM au mé.todJr.ame te. "pe.:tU:. MU-
.e-ie.tL" et .ta f1e.c.onna~-Ôanc.e ... " (3) • Et Jacques SEEBACHER : "Le. mé.todJtame
(1)
HARTOG Willie, op.
cit., p.
231.
(2)
Ibidem, pp.
227-228.
(3)
Pierre MOREAU et J.
BOUDOUT, Victor Hugo, Oeuvres choisies,
t.
1,
p.
77.

140
de4 enna~ volé~, de4 enna~ tAouvé~, de~ p~enté~ hetAouvée~ qui con-
nlue au p~ed de4 toUh~ de NotAe-Vame dan~ une ~é~e de cat~tAophe4 a
donc ~on o~g~ne natale dan~ le lieu o~g~n~e du c~actè~e ~aché de
la mon~clUe nhançcU-6e ... ".
Plus loin,
il parle
"de4 énohmdé~ mé-
lodham~que~ de l' ùl.vugue" (7). Enfin Marius François GUYARD sou-
ligne non sans ironie
: "Voutu ~u~ Mn bonheuJt, ~nteJthoga;tA..on~ dou-
louheu~e~ ~Uh le de~~n, ob~u~~on~, ~ouve~, en Jtéatité toute la v~e
~~me d'un homme ~e m~le étAodement à cu nantai~~e4 ~chéolo9~que~,
à ce mélodhame Muvent ab~uhde" 12).
Ces différents points de vue
justifient le titre que nous avons donné à notre chapitre.
Quels sont dans Notre-Dame de Paris,
les éléments qui semblent
provenir du genre mélodramatique ?
C. Le mélodrame,
l'univers des sensations fortes
Nous jugeons nécessaire de rappeler que le mélodrame
s'adressait essentiellement à un public populaire. Pour cette
raison,
les 'kélodramaturge~)s'efforçaientde créer des types
spécifiques qui devaient représenter chacun une entité. Le
spectateur s'attendait toujours à trouver les mêmes nersonna-
ges dès le début de chaque pièce. Ces stéréotypes lui évitaient
de se perdre dans l'intrigue souvent complexe. MARSAN a noté
cette constante du mélodrame
:
"Pa~ pfu~ que de l' ~to~e, le méto-
dMme ne ~e ôOuc-<-e de~ c~actèJte~ : ceta, c' e_~t an n~e aux geMM n()ble~.
U ne veut que de~ peM(Jnnage~ aux tA~~ nettement déMnù." (3). HUGO a
compris cette nécessité de mettre en scène des personnages dif-
férents les uns des autres,
en leur donnant une physionomie
extérieure et intérieure propre.
Nous pouvons retrouver dans Notre-Dame de Paris, des
types conventionnels du mélodrame.
Ils sont au nombre de quatre
(1)
Jacques SEEBACHER, op.
cit., p.
1049.
(2)
Marius François GUYARD,
Introduction à Notre-Dame de Paris,
Classiques Garnier,
1961, p. VI.
(3)
Jules MARSAN, op.
cit., p.
18.

141
et correspondent parfaitement à l'éthique mélodramatique:
ils ont figure d'allégories et représentent des valeurs bien
précises. On rencontre le type du traître aux idées perfides,
concupiscent et éhonté; Claude Frollo. Une jeune fille ingé-
nue et malheureuse, persécutée par le traître;
la Esmeralda.
Un fou qui provoque le rire et qui joue à l'occasion,
le rO-
le de l'honnête homme courant à la rescousse de l'héroïne;
Quasimodo. Et enfin un niais orgueilleux; Phoebus de Cfj~teau­
pers.
Nous avons voulu nous arrêter sur le personna0e du
traître et de l'héroïne persécutée parce qu'ils sont l'axe mê-
me de l'intrigue. Frollo est le type même du traître à cause
de ses jeux hypocrites et ses machinations savamment ourdies.
Sa traîtrise est déjà visible quand il tente d'enlever la bo-
hémienne aidé de son fils adoptif et homme de main.
La perfidie de Dom Claude est poussée à son comble
lors de la flagellation de Quasimodo:
ilLe rJ/tUfte ba,W~a .t~ !Jeux,
ftebftOUMa b!lu~quement chemi.n, pi.qua d~ deux, comme -6'd avaU eu hiite de
-6e déb~a~~e!l de ftéc.e.amati.o~ humdi.ante~ e~ 60Jtt peu de ~ouci. d'êtfte 6a-
.tué et fteconnu d'uV! pauvfte di.ab.te en pMeafe po~tU!te" ( 7).
C'est sans
doute pour sauvegarder son bon renom que Frollo refuse d'arrê-
ter le supplice qu'on inflige au bossu,
i l préfère rester et
agir dans l'ombre.
Toujours guidé par un instinct maléfique et machia-
vélique, on le voit marcher subrepticement derrière Phoebus, ce
qui laisse à supposer qu'il a déjà soigneusement préparé un
piège.
Il l'épie,
l'observe et l'attend avec la patience de ce-
lui qui veut perpétrer un assassinat.
Remarquons que la scène
se passe en pleine nuit, moment idéal pour un traître.
Il rôde
dans l'ombre pendant que sa cible se désaltère dans la taverne
"Un homme cependant M. pftomenaA~ i.mpeJttuftbabfement devant -fa bftuyante taveJt-
ne, Ij ftegaftdant 6aYl~ ceMe, et ne ~'en écaJt:tant pM p.f.U-6 qu'un pi.qui.eJt de ~a
guéJti.:te"(21. Ce qui frappe,
c'est que Victor HUGO utilise sans
( 1) N. D . P.
6,
IV,
P .
2 3 1 .
(2)
Ibidem 7, VII,
p.
285.

142
arrêt le mot "homme" pour décrire Frollo dans l'exécution de
ses coups fourrés,
comme s ' i l craignait de le nommer.
Ce pro-
cédé,
avons-nous pensé,
permet de rendre compte de l'anonymat
dans lequel Dom Claude entend rester et reflète bien évidemment,
sa fausseté et sa traîtrise.
Calculateur,
i l donne de quoi payer la chambre à
son
rival Phoebus,
lequel sera poignardé quelque temps après.
Son
dessein perfide accompli,
on frémit d'indignation et de révol-
te de voir ce tartuffe exécrable profiter de l'évanouissement
de la
jeune fille pour se permettre des actes impurs et igno-
bles.
HUGO l ' a bien observé quand i l :oarle
"d' Wl ct.ttouc.heme.nt de.
6e.u, d' Wl ba--ueA ptu~ bJtûlaYLt que. te. 6eA Muge. du bouJUte.au" (1).
Avec une
perspicacité digne d'un traître,
i l s'arrange pour laisser
l'arme du crime auprès des corps inertes,
Son esprit de pré-
voyance a
payé;
la pauvre danseuse sera accusée de meurtre et
jetée dans un cachot sordide et ténébreux.
Ses souffrances res-
semblent à celles d'Eugénie,
l'héroïne des Victimes cloîtrées
de PIXERECOURT.
Comme Eugénie,
la Esmeralda est enfermée dans
un souterrain,
coupée du reste du monde.
L'instigateur de l ' a -
bominable accusation,
Frollo,
y descend à pas de loup pour la
tourmenter: "Le. mot, R..'ac.c.e.YLt, te ~on de. \\Joix, ta 6.-tJteYLt tJteM~"
(2). Sûr d'avoir bien mené son intrigue odieuse et sachant sa
victime acculée,
i l peut enfin se présenter ouvertement à elle.
Qui plus est,
i l se retranche dans la légalité en se plaçant
en tête de l'escorte de prêtres chargés de dire des psaumes
- funèbres pendant la cérémonie de l'amende honorable.
Jusque-
là,
i l agissait toujours dans l'ombre,
maintenant,
i l peut ap-
paraître au grand jour.
Aucun scrupule n'arrête ce prêtre,
au-
cun sentiment de culpabilité ne l'effleure.
Il affiche au con-
traire une mine de recueillement et de solennité,
air qui
le
rend pl us détestable encore
: " ... Tt avait à ~ct 9au.c.he. te MM -c.han-
tJte. ~ à ~a d/toite. te. c.hantJte. ctJtmé du bâton de. ~on 066ic.e.. It avançait,ta
tUe. Jte.nve.Mêe. e.n ctJUt.-tèJte., te.~ Ije.ux 6üe.~ ~ ouveJr..U e.n c.haYLtaYLt d'u.ne voix
(1)
~D.P. 7, VIII, p.
299.
(2)
Ibidem 8,
IV,
p.
320.

143
toue" (1]. Opportuniste et tenace, on le voit s'avancer vers
la bohémienne et donner l'impression à l'assistance qu'il la
confesse, mais il n'en est rien,
il profite de l'occasion pour
lui conter son amour de damné. Cependant, il suscite dans l'â-
me de sa victime, un frémissement mêlé d'un sentiment d'indi-
gnation;
elle lui crie cette phrase qu'on ne peut lancer qu'à
un traître : "Va-t'en, démon! ou je te dénonce" (2).
Mais il répond
en des termes glacés et impudents : 1JOn ne te cfLo.uc.a pa.6. - Tu ne
6VLa.6 qu' ajoutVL un ~canda1e à un cJU.me. - Répond~ vue! veux-tu de mo.i. ?"
(3).
Sans tergiverser,
il donne le signal d'exécution au bour-
reau. Quasimodo joue heureusement le rôle de l'honnête homme
protecteur,
il arrache l'héroïne persécutée et l'emporte en
haut de la tour.
On pourrait trouver là une nouvelle analogie
entre Zaïda,
l'héroïne des Ruines de Babylone et la Esmeralda,
Comme l'Egyptienne,
Zaïda s'est réfugiée dans les ruines de Ba-
bylone pour fuir la colère de son frère Haroun-al Raschid, mais
un malheureux concours de circonstances a voulu qu'elle y trou-
ve celui qu'elle fuit.
La bohémienne connaît une situation ana-
logue : elle a été enlevée pour échapper au gibet et au prêtre,
mais son lieu d'asile est le repaire de son persécuteur, ce
qui est pour la jeune fille,
tomber de Charybde en Scylla. En
effet, Frollo saura plus tard que la bohémienne a été sauvée
et n'aura aucun mal à pénétrer dans la cellule de la jeune fil-
le
"Cepe.ndant elle. v.i.t à ~a lucaJtne une 6-<-guJte qu.i. la ltegaJtdait. U tj
ava~ une lampe qu.i. écla-Ui.ait cette app~on. Au momen~ elle ~e v.tt
apeJtçue de la E~mVLaeda, cefte 6.i.gutte Mu6Dla la lampe." r 4). Prévoyant
et fourbe,
il manigance une nouvelle machination en se servant
de Gringoire.
Son abjection éclate quand pour obtenir l'adhé-
sion du philosophe,
il utilise un ton moralisateur : "Ecoutez,
maÂÂ:fLe PÙMe, Muvene.Z-vou~ que vou~ lu.{ devez la v.i.e. Je vai~ vou~ CÜAe
nJtavzchement mon idée. L'égrue e~t gue):tée jOUft U nU-<-t. On n'en lW~e
(1)
N.D~. 8, VI, p. 345.
(2)
Ibidem,
8, VI, p.
346.
(3)
Ibidem
(4)
Ibidem 9, VI,
p.
381.

144
~o~ Que eeux Qu'on y a v~ e~~. Vo~ pou~ez done e~~. Vou~ v~en­
ciJr..ez. Je vo~ ~VlÂAodubr..M pftè~ d' d'.l.e. Vou~ ehan9~ez d' habili avee e.Lte
(..• J. Eite ~o~a avee vo~ hab~, vou~ ft~t~ez avee l~ ~~e~. On vOU~
penciJr..a peut-me, m~~ elle ~~a ~auvé.e." (1).
Mais Gringoire ne man-
que pas de perspicacité et de prudence.
La proposition pseudo-
altruiste de Dom Claude lui semble scabreuse.
Avec la ruse et l'ignominie qui le caractérisent,
Frollo lance cette phrase menaçante au poète réticent
:
"Je te
fLeVwuveft~"(2). Et Gringoire, qui doit se douter de la perver-
si té du prêtre se dit à lui-même
"Je ne veux pM Que ee ~able
d' homme me ftuftouve" (3). Il accepte de se joindre à Dom Claude et
l'aide à enlever la Esmeralda pendant que la cathédrale est
prise d'assaut.
L'angoisse de la jeune fille est sans limite
quand le poète la laisse à la merci du prêtre parjure
:
"La
pauvf1e égypue.nne 6wMna de ~e vo~ ~eule avee eu homme. ELie voulut
pMl~, e~etl, appûeft G~n9o~e, ~a langue. éta.J..:t ~neJtte da~ ~a bouehe,
e.:t aueun Mn ne MJz.:td de ~e~ lèvfte~.JI(4). On voit le bourreau assis-
ter avec complaisance et sadisme à la condamnation de sa vic-
time;
le rire qu'il arbore est d'une bassesse innommable
"All moment où c'étad .f.e p.f.u~ e~6f1oyable,
un ~e de démon, un ~e Qu'on
ne peut avoitl Que .f.o~Qu 1 on ni ~t plu~ homme, éûa;ta ~u!L le v~age. liv~de
du pf1Utre."(S).
Mais le prêtre est
puni
par Quasimodo qui
joue,
à cette occasion,
le rôle de redresseur de torts.
Cependant,
le dénouement de Notre-Dame de Paris est une distorsion par
rapport à l'éthique mélodramatique:
la Providence n'a rien
pu faire pour l'héroïne. A la fin du mélodrame,
la vertu l'em-
porte toujours sur le vice;
le traître est puni et l'innocen-
ce sauvée. Ce qui n'est pas le cas dans le roman de HUGO où le
traître,
la victime,
l'honnête homme protecteur meurent.
Cette
fin tragique n'exclut pas la proche parenté des personnaqes de
Notre-Dame de Paris avec ceux du canevas mélodramatique.
(1)
N.D.P. 10, 1, p.
39l.
(2 )
Ibidem p.
393
(3 )
Ibidem
( 4 ) Ibidem Il, 1, p.
464.
(5)
Ibidem II,
II,
p.
494.

145
2.
Substitution et reconnaissance
--.----------------------------
/1 La
Jz.ec.onna-U~anc.e,
c.omme -fe mot -f' incüque, ut un c.hange-
ment qui 6ait p~~eJz. de -f'ignoJz.anc.e à -fa c.onna-U~anc.e de -fa véhité et
quA- pJz.oduit ,t'arnouJz. ou ,ta haA.-ne danô ,t~ c.on~oM que ,te poUe a pJz.é-
paJz.é~ pouJz. -fe bonheuJz. ou -fe ma-theuJz. de ~~ peMonnag~. La Jtec.onna-U-
~anc.e e~t -fa p-f~ be-t.ee c.ho~e pO~~A-b,te quand -f~ péJt-Lpéti~ ~ry jOA-gnent
c.omme c.û-fe quA- e~t daM ,t' Oecüpe. /1 r 1).
Ces mots d'ARISTOTE ne man-
quentpas d'intérêt;
ils montrent que le procédé de la re-
connaissance était déjà pratiqué dans le théâtre antique et
qu'il a toujours conservé un certain charme.
Le mélodrame
s'en est emparé pour en faire une recette importante.
On sait
que l'art du mélodrame consistait à rechercher des scènes ou
des situations extraordinaires qui ont un haut degré d'émo-
tion,
la reconnaissance semble donc un ressort approprié.
CAIGNIEZ exploite par exemple,
ce thème de la reconnaissance
dans le Jugement de Salomon. C'est l'histoire d'une jeune fil-
le nommée Leïla. Elle est séduite par un orince aimable.
Ce-
lui-ci la quitte après lui avoir fait un enfant. Mais cet en-
fant lui sera volé et on mettra à la place,
un enfant mort.
Après une longue et patiente enquête, elle le retrouvera grâ-
ce à un petit signe au cou,
un autre au poignet.
Dans son roman, Victor HUGO a
imaginé une situation
presque similaire.
En effet,
Chantefleurie, ancienne fille de
joie, était abandonnée et moquée de tout le monde.
Ne pouvant
plus avoir d'amant, elle s'est mise à prier Dieu pour qu'elle
puisse devenir mère.
Son voeu fut exaucé,
elle eut une fille
qu'elle nomma Agnès. Mais Agnès fut volée et remplacée par un
monstre borgne et contrefait. Les ravisseurs de la petite fil-
le lui ont mis une amulette autour du cou qui devra l'aider à
retrouver sa mère et à s'en faire reconnaître, Ainsi,
comme
l'écrit ARISTOTE
: "La Jz.econna-U~ance peut poJt.:teJt quûque6o~
( ... ) ~uJz.
d~ objw ,lnan-Lmé~ et ~uJz. ,te~ p-fM vu-fgaiJte~; e-t-fe peut 'aM~A- conô~teJt
~-Lrnp,tement à déc.ouv~ qu'un peJz.~onnage a 6ait ou n'a p~ 6ait tet-fe c.ho-
~e./I(2). On aurait tort si on voyait dans l'amulette de la bo-
(1)
ARISTOTE,
Poétique, XI,
2.
(2)
Ibidem XI,
3.

146
hémienne un simple objet dépourvu de signification,
elle a au
contraire une valeur mélodramatique intense.
La Chantefleurie, alias la Sachette, garde jalouse-
ment de son côté,
l'unique objet qu'elle a pu conserver de sa
fille disparue
: le petit soulier.
Il va sans dire que la re-
cluse voue une sorte de culte à ce petit soulier;
tel à un ta-
bernacle:
"Je. 11e. CAO.lJ., pM qu'il y o.J.;t tU.e.YL au. monde. de. p.tU-6 tU.aYlt que.
.te.6 idée.-6 qui -6'éveit.e.e.Ylt dal1-6 le. Coe.Uh d'ul1e. meke. à la vue. du pe.tit -60U-
Ue.k de. Mn e.l1naYlt ( ... l. MaiJ., quaYLd l' e.YLnaYlt e.-6t. pe.kdu, Ce.-6 mLUe. image.-6
de. joie., de. chaJune., de. t.e.nMe.-6-6e. qui -6e. p!l.e.-6-6e.nt. autouk du pe.t.it. M~e.k
de.vie.I1I1e.nt. autant. de. cho-6e.-6 ho~ble.-6.
Le. jou -60uUe.k b~odé n'e.-6t. plu6
qu'un iYL-6uu.me.nt. de. t.ouu~e. qui bkOie. ét.e.knille.me.nt. le. Coe.Uh de. la meke.. Il
(1) .
A l'importance de l'amulette et du petit soulier,
s'a-
joute ce que HARTOG appelle "la voix du sang",
c'est-à-dire que
les personnages d'une même famille se sentent irrésistiblement
attirés l'un vers l'autre.
Pourtant,
cette "voix du sang" s'ex-
prime d'une manière singulière dans le roman.
Au lieu d'être
une attirance invincible,
elle se manifeste par des impréca-
tions de la recluse et par un sentiment de crainte de la bohé-
mienne.
L'auteur et le lecteur restent les seuls à connaître
la vérité.
On pourrait penser que c'est pour accroître la puis-
sance émotionnelle lors des retrouvailles que Victor HUGO rend
la recluse si haineuse vis-à-vis de son proore sanq.
Ou bien,
voudrait-il suggérer la présence de l'irrémédiable fatalité,
qui,
au lieu de faire naître des affinités secrètes entre la
mère et la fille,· favorise plutôt un climat de gêne et d'ini-
mitié ? une chose est sûre pourtant,
la reconnaissance entre
les deux personnages se fera brutalement, même si on sait que
HUGO la prépare depuis longtemps.
La recluse retrouve sa fille
trop tard!;
les soldats sont à ses trousses pour la clouer au
pilori. Les deux infortunés vont se contenter de quelques mi-
nutes de bonheur indéfinissable. Malgré la longueur de cette
(1)
N.D.P.
8, V,
pp.
330-33l.
Le petit soulier joue le rôle de la "croix de ma mère" ac-
cessoire obligé de tant de mélodrames.

147
scène de reconnaissance, nous avons jugé nécessaire de la re-
produire dans sa quasi intégralité, compte tenu de son grand
intérêt mélodramatique : la recluse harcèle sa propre fille
qu'elle ne reconnaît pas.
- Rend~-mo~ ma petite Agnè~! pou~u~vit Gudule ( ... ). S~-tu etie ~t,
ma petite nille ? T~en~, que je te montne. Vo~à ~on ~ouli~, tout ce
q~ m' en Jte~te. S~-tu où e~t le paJtût ? S~ tu le J.:,~, fu-le mo~~
et J.:,~ ce n'~t qu'à l'autJte bout de la te.hJte, je l'iJt~ ch~ch~ en maJt-
chant MUt l~ genoux ( ... ).
"MontJLez-mo~ ce ~ouli~, dit l'égyptienne en tJt~J.:,~arz;t. V~eu! V~eu! /'.
Et en mê.me tempJ.:"
de la m~n qu' eUe av~ libJte, eUe ouvJtw v~vemerz;t le
petit ~achet oJtné de vehJtote~e veJtte qu'eUe poJtt~ au cou,
"Va! va! gJtommel~ Gudule, n0ui11e ton amulette du dé.mon!" Tout à coup
etie ~'~ntehJtomp~t, tJtembla de tout Mn coJtpJ.:"
et c~a. avec une vo~x q~
venait du plUJ.:J pfLo6ond de~ entn~e~ : "Ma nille!".
L'égyptienne ve.nait de ~~ du J.:,achet un petit J.:,oulieJt ab~olument paJt~
à l' autJte. A ce petit MulieJl était attaché un paJtche.m<.n J.:,uJt -B.equel ce.
"CatLme." é.tait éc~ :
Quand le. paJte~ fLetJtouveJtM
Ta mèJte te tendJta
leJ.:, bJta~. ( 7]
Ce tableau dont la force réside dans la présence
scénique est très émouvant. Les répliques "ma mère!",
"ma fil-
le!" sont éminemment mélodramatiques et expriment l'effusion
de joie de la mère et de la fille.
Coelina lance une exclama-
tion semblable
(vous mon père!)
quand elle reconnaît comme son
père, le muet Francisque Humbert à qui elle avait toujours té-
moigné des égards charitables. On pourrait aussi tenter un rap-
prochement entre la scène de reconnaissance de Notre-Dame de
Paris et celle de Telusco et sa fille dans Lés Mexicains de
MELESVILLE. La similitude est quasi parfaite dans la valeur dés
objets qui favorisent l'identification et dans les exclamations
joyeuses. En effet, Thélaïre est une jeune fille qui a été recueillie
par le noble Alphonse d' Alvila,
lieutenant de Cortez, elle s'est
(1)
N.D.P.
la, l, p. 472.

148
convertie à sa foi,
et elle lui a inspiré une si vive passion
qu'il va l'épouser. Mais les Mexicains, qui semblaient soumis,
se révoltent, envahissent le palais de Don Alphonse, enlèvent
Thélaire et vont la sacrifier. Elle se défend en disant qu'elle
fût à l'âge de trois ans séparée de sa famille par une troupe
d'Indiens qui ravageaient le pays.
Le farouche Telusco,
chef
des Mexicains, va donner le signal au sacrificateur quand ses
yeux se posent sur la pierre d'un collier qu'elle porte. (1)
T~iu~co - M~xicain~, ~ét~z!
AtUmozin, de T~u~co - mon pèJt~, qu~i uoubi~ ~' e.mpalte d~ vo~ ~~n~ ?
T~u~co à ThéiaZlt~ - P~~z, qui vou~ a con6ié c~~ chaZn~ ?
ThéiaZlt~ - Eil~ ~~t à moi.
T~iMCO, ému - Quoi, VOM i' avez toujouM poJtté~ ?
ThétaiJt~ - ToujoUM, dep~ mon ~n6ance. Vo~ pi~uJt~z ?
T~u~co - A peine j~ Jt~~piJt~. Mendoza n'~t point voue. nom?
ThéiaZlte - J~ i'ignoJt~.
T~i~co - vo~ palt~nt!.> ..•
Théiai.'L~ - m~ Mnt inconYl~.
T~u~co - ci~!
Théia~~ - AJtJtaché~ de i~UM bJt~, à i'âge d~ 3 a~.
T~tu~co, avec 6oJtc~ - C'e~t ~it~!
Attimoûn - Que dd~~-vou~ ?
T~u~co - ma 6~~!
ThéiaZlt~ - mon pèJte!
T~~co, vivem~nt - 0 moment déuci~ux! oui C'~~t eti~, c'~t Théiai.Jte ma
6~~ bi~n-aimée .... Ce ~igne pJtéci~ux m' en donn~ i' ~~U!tanc~. .. Il (2)
Les exclamations "ma fille!",
"ma mère!", "mon père!"
visent surtout à
toucher le lecteur ou le spectateur et à sus-
citer le pathétique.
(1)
Paul GINISTY, op.
cit., p. 170.
(2)
Cité par Paul GINISTY, op.
cit.

149
Qu'il nous soit permis de rappeler que le mélodrame
est né après l'époque troublée de la Révolution.
Il était une
sorte "d'opium du peuple" où les spectateurs venaient dépen-
ser leur trop-plein d'affectivité devant les malheurs imagi-
naires des personnages. Chaque auteur de mélodrame s'appliquait
à
inventer toute une série de situations touchantes, où se trou-
vaient impliqués des personnages qui étaient eux-mêmes dignes
de pitié. C'est donc dans cette perspective qu'ils faisaient
intervenir les personnages d'enfants - orphelins, enfants vo-
lés -, ou des infirmes dans leurs pièces. PIXERECOURT insiste
lui-même sur cette nécessité de mettre en scène l'enfance mal-
heureuse : "L' aute-WL a che-Jtché- -6e--6 e-66e;t-6 danô uV!. -inté-JtU doux e;t tou-
chant quA- paJl.ie, au co wJt de--6 homme--6 : ce-tui qu' é- ve--ille- e-V!. V!.OM ta vue- de-
t'm6ance-, e;t donne- à Ml> pte,UM, à -6e--6 ptUèJte--6, un accent -ÛlAé--6-i-6tibte-."
(7).
Le ténor du mélodrame a illustré sa formule dans le Péle-
rin blanc où l'image de deux jeunes orphelins errants excite
une vive émotion.
HUGO réussit aisément à mettre en scène des situa-
tions qui emplissent l'âme du lecteur de pitié pour les victi-
mes. Le thème de l'enfant perdu qu'il évoque est très émouvant.
Le personnage de l'enfant étant le symbole de l'innocence et de
la pureté, on est bouleversé de voir cette enfance victime de
l'abandon ou des pires sévices. Le cas de la Esmeralda est très
saisissant
elle attire non seulement les sympathies du lec-
teur, mais provoque également pitié et attendrissement. Pitié
pour cette pauvre et frêle créature quand on la jette dans un
cachot exigu et sombre :
"EUe- Ua-it tà, pvr..due- dan-6 te--6 ténèbJte--6, e-n-
-6eve-~e, en6ou-ie-, mWLé-e-. QuA- t'e-ût pu vo-<-Jt en ce;t é-tat, apJtè-6 t'avoiJt vue
Jtine- e;t danôe-Jt au -6ote-~, e-ût 6Jté-mi. FJto~de- comme ta n~, nJto-ide- comme- ta
mo~, ptU-6 un -6ou66te- d'ai!t dan-6 -6e~ che-veux, ptU-6 un bJt~ hum~V!. à -6on
oJt~e., ptM une tueuJt de- jouJt dan-6 -6e--6 yeux, bJvL6é-e e-n deux, é-C.JtMé-e- de-
chaine--6, accJtoup-ie- pJtè-6 d'une- cJtuche- e~ d'un p~n -6uJt uV!. pe-u de- p~e-
danô ta malte- d'e-au qui -6 e 60Jtm~ -60M e-Ue de--6 -6uA-nte-me-n.t-6 du cachot, -6anô
(1)
Guilbert de PIXERECOURT, Théâtre cho~si II, p. 6.

150
mouveme.nt, plLe.-6que. -6aM haluYle., e.Ue. Yl' e.Yl UaJ.;,t mé.me. pfu-6 à Mu6 6w" [J l .
L'impression qui se dégage de cette description est une impres-
sion de tristesse profonde,
ressentie d'abord par la victime
elle-même et par le lecteur. La pauvre enfant vit un malheur
qu'elle ne mérite pas.
Sa condamnation est rendue plus doulou-
reuse encore quand on sait qu'elle n'a que seize ans!
Il est une autre scène où le pathétique semble poussé
à
son point d'orgue,
c'est quand la Esmeralda tente désespéré-
ment de se dépêtrer de l'anneau de fer qui la tient.
Ses ré-
pliques et ses supplications mâtinées de simplicité et de spon-
tanéi té enfantines sont émouvantes
: "Madame.! c.JUa.-t-ille. jO-tgYlant
fe.-6 ma-<-M e.t tombée. -6~ -6e.-6 de.ux ge.YlOUX, éc.he.ve.fée., épe.~due., nOUe. d'e.ù6~o-t,
madame.! aye.z p~é. It-6 v-te.YlYle.nt. Je. Yle. vou-6 a-<- ~e.Yl 6aJ.;,t. Voufe.z-vou-6 me.
vo~ mo~ de. c.e.tte. ho~~bfe. naÇon -60U-6 VO-6 ye.ux ? VOU-6 ave.z de. fa p~é
j'e.Yl -6u-t-6 -6Û~e.. C'e.-6t ~op a66~e.ux. Lai-6-6e.z-mo-t me. -6auve.~. Lâc.he.z-mo-t!
G~âc.e.! Je. Yle. ve.UX pM mou~ c.omme. c.e.fa!"(21. Victime sans équivoque
d'une justice cruelle et d'une mère qui ne la reconnaît pas à
temps,
la Esmeralda mourra au bout d'une corde et sera jetée
sans sépulture dans une cave ténébreuse. Mais avant sa condam-
nation,
HUGO fait vivre la scène des retrouvailles au lecteur.
Comment ne pas être frappé par cette scène de questions, d'ef-
fusions de joie, de projets et de souvenirs ?:"/o-t-6-tu ma petite.
6-tffe, ~e.p~e.YlaJ.;,t fa ~ec.fU-6e e.n e~e.c.oupant tOU-6 -6e.-6 mot-6 de. b~~, vo~­
tu, je. t' a-trn~a-<- b-te.Yl. NOU-6 YlOU-6 eYl ~OM d' -tu. Nou-6 aUoM ê;t~e b-te.n
heu~eUÂe.-6. J'a-<- hé~é que.fque. c.ho-6e. à Rum-6, daYl-6 YlO~e. paY-6, (... 1. Je.
te c.ouc.he~a-<- daYl-6 moYl uJ. MoYl Vie.u! moYl Vùu! qui e.-6t-c.e qui c.~oi~aJ.;,t
c.e.fa ? J' a-<- ma MUe!" f 3 1.
On se laisse entraîner à l'émotion de la recluse;
plus elle est émue, plus notre émotion augmente. ELle est d'au-
tant plus grande qu'on sait que ses projets ne verront jamais
le jour; un ouragan doit s'élever pour séparer à
jamais la mè-
re et la fille.
La recluse essaiera telle une lionne, de proté-
( 1) N. D. P.
8,
IV,
p.
318.
(2)
Ibidem 11,
l,
pp.
471-472.
( 3 ) lb idem 11,
l,
P .
4 7 4 .

151
ger sa progéniture contre les soldats mais ses efforts reste-
ront vains. Au bord de la crise et les yeux pleins de larmes,
elle implore le pardon et la grandeur d'âme des soldats sur
un ton attendrissant. Le rappel du passé à ces soldats au
coeur de pierre contribue à rehausser le pathétique de sa si-
tuation:
" ... Le..-6 égyptie..VlVle..-6 me.. t'OnA. vofée.., e..Ue..-6 me.. f'ont c.ac.hée
quinze an~. Je.. ta c.~oy~ mo~~e. J'ai pa-6~é quinze an~ ~~, dan~ c.~e
c.ave, ~an-6 6e..u t'~v~. C'e..-6t d~ c.e..R.a. [... ). J'ai ~ant c.~é que te bon
V~e..u m'a e..n~e..ndue. Ce..t~e nu~t, ~ m'a ~e..ndu ma 6~e..! C'e..-6t un ~ac.te..
du bon V~e..u. Ette.. n'était pa-6 mo~e... Vou~ ne.. me ta pne..n~e..z pa~, j'e..n
~~ ~ûne... Enc.o~e.. ~~ c.'é~~ mo~, je.. ne.. d~ai-6 pa~, m~ e..tte, un e..n6ant
de.. ~~ze.. an~! t~~e..z-tui te.. ~e..mp~ de.. vo~ te ~ot~! - Qu'e..~~-c.e.. qu'e..tte
vou.-s a 6~ ? ~e..n du tout. Mo~ non pt~. S~ vou~ ~av~e..z que.. je.. n'ai
qu'e..tte.., que.. je.. ~u~~ v~~e.., que.. c.'e..~~ une.. béné~c.tion que ta ~ainte
V~~ge.. m'e..nvo~e... (... ). Je.. t'aime! Mon~~e..~ te.. g~and p~évô~, j'~~~
~e..ux un ~~ou à me..-6 e..~aiUe..~ qu' une.. ég~atignu~e.. à Mn do~g~!" (7) •
Malgré l'adjuration touchante de la recluse, les soldats s'em-
pareront de sa fille,
mais non sans émotion:
" ... T~ù~an f'He..~­
~e.. 6~onça te M~c.~, maü c.' U~ pou~ c.ac.he..~ une.. t~e.. qui ~0uR.~
daM -6on om de tig~e". (2) Même le bourreau s'alangui t sur les
malheurs de la bohémienne et
" ... ta~~~ ~ombe..~ go~e à go~e..
de.. g~OMe..-6 tMme..-6 ~u~ e..tte ..• " (3).
HUGO ne résiste pas non plus à
l'émotion et constate : "Tou~e..~ deux aiM~ à ~~tr.e.., ta mè~e.. ~u~ ta
f.,~e.., 6aüaie..nt un ~pe..CÂ.aûe.. ~gne.. de.. p~é." (4).
Pourtant, un autre personnage inspire la pitié : Qua-
simodo.
Il se trouve souvent confronté à des situations sur les-
quelles les Parisiens s'exaltent de bon coeur, mais qui sont
attendrissantes. On imagine ses souffrances lors de l'épisode
de la flagellation,
houspillé et voué à l'exécration de tous.
,
Au cri de détresse qu'il pousse pour avoir un peu d'eau et é-
tancher sa soif,
il ne recevra que quolibets et jets de pierres.
(1)
N.D.P.
I l ,
l ,
p.
486.
( 2 )
Ibidem p.
487.
( 3 )
Ibidem
( 4 )
Ibidem

152
On ne peut rester insensible non plus aux tourments
de Dom Claude, bien qu'il soit devenu traître et démoniaque.
On garde de ce prêtre chaste à quarante ans,
l'image d'un per-
sonnage déséquilibré, qui,
faute de ne pas se sentir aimé,
paraît infiniment malheureux, partant pitoyable.
Il est par
exemple digne de compassion quand i l accepte avec beaucoup
d' humili té de se faire insulter par la bohémienne
"Eh b-i.eJ1,
ou-i.! (... ). Ou~ag~-mo-i., naiff~-mo-i., a~~abi~-mo-i.! ma-<-~ v-i.~nô, vz~n~. Hâ~
to~-nou~."r 1). Amoureux impénitent de la jolie bohémienne, il
essuie les pires avanies d'elle. La confession qu'il fait à
la fin du roman est d'une grande émotion : "Mo-i. j~ vou~ a-i.m~.
Oh! ~ûa ut poU!1-tant b-i.~n Vlta-<-. Ii n~ Mttt don~ tt-i.~n au~d~hoM d~ ~~
6eu. qu-i. m~ bltû1.~ -t~ ~O~UI[! HUa~! j~un~ MU~, nu-<-t U JOUit, ou-i., nu-<-t
U
JOUit, ~ûa n~ m~tt-i.te-t-~ au~un~ p~é ? c'~~t un amou.Jt d~ -ta nuit u
,
du JOUIt, vo~ ~-j~, c'ut un~ totttU/t~. - Oh! j~ ~ou66/t~ ~oPr ma pauvlt~
~n6ant! C'ut un~ ~ho~~ d-i.gn~ d~ ~omp~~-i.on, j~ vo~ ~~u.Jt~. Vou~ voy~z
qu~ j~ vo~ paJti~ dou~~~nt. J~ VOUMW b-i.~n qu~ vOU~ n'~~~-i.~z p-tu~
~W~ ho!t!t~u.Jt d~ moi. - En6-i.n, u.n homm~ qui a-i.m~ u.n~ 6~~, ~~ n' ut p~
~a 6aut~!" (2). L' atti tude de soumission totale du prêtre ne sem-
ble pas effleurer la bohémienne. On est donc choqué et ému de
la voir repousser l'infortuné pr8tre avec opiniâtreté et dé-
goût. La douleur que lui cause le refus de la Esmeralda rend
son souvenir moins odieux et plus pathétique.
Une autre composante se rapporte à la forme mélodra-
matique puisqu'elle prépare le spectateur aux émotions les plus
violentes et l'invite à avoir peur: c'est le fantastique.
En
effet, blasé de l'horreur sous toutes ses formes,
le public du
mélodrame recherchait paradoxalement les effets de peur et se
jetait avec plaisir dans ce monde surnaturel.
Signalons ici que
cette vogue du fantastique était venue d'Angleterre, notamment
(l)
N. D . P.
8,
IV,
p.
329.
(2)
Ibidem la, 1, p.
467.

153
du roman noir.
Le mélodrame l'empruntait volontiers aux oeu-
vres de Walter SCOTT, de BYRON,
de RADCLIFFE et de WALPOLE.
Cet univers fantastique est caractérisé par deux orientations
qui semblent intimement liées
:
le mystère et le terrible.
En réalité,
la plupart des mélodrames baignent dans une at-
mosphère mystérieuse, angoissante.
Certains titres sont déjà
suggestifs et annoncent un décor morbide,
puisqu'ils ont pour
lieux de prédilection des châteaux,
des monastères ou des
grottes.
Pour mémoire,
nous citerons le Monastère abandonné
ou la Malédiction,
les Ruines de Babylone,
le petit carillon-
neur ou la Tour Ténébreuse,
Rodolphe ou la Tour de ~arken­
stein,
les Ruines de Sainte Marguerite,
etc.
En ce qui concerne HUGO,
on constate que Walter
SCOTT a précisé chez lui ce penchant au mystère,
à
l'ombre.
L'imagination de HUGO est éprise de fantasmagorie,
d'inconnu
et d'occulte. (1). Le titre qu'il a donné à son roman cache
déjà un mystère; on se demande ce que peut bien receler cet-
te vieille cathédrale gothique. De plus,
HUGO fait une des-
cription sibylline et angoissante du capharnaüm de Dom Claude
"ce;Ue- c.dtule- avw été jafu pJUtt-tquée- pJte-.6que- au MmmU de- la ;toM,
paJtrn,( le-.6 n,td.6 de- c.oJtbe-aux, paJt l'év~que Hugo de- Be-.6ançon, q~ y avait
maléfl-tc.-<'é dan.6 Mn ;temp.6. Ce que- lte-nr)VtmW c.U:te c.illule, nul ne le .6a-
vW; mw on avw vu Muvent, de.6 gJtève-.6 du TVtJtain, la VlUa, à une pe-
;t,(;te f.uc.aJtne, qu' elle avw .6ult le deJtJt-<.èJte de la tOUIt, paJta.i.tJte, d-<..6pa-
JtaZ:tJc.e et ltepaJta1.tJte à -<'nteJtville/.! c.ouJt:t.6 U égaux une c.laJt:té Jtouge, -<'n~
tvunwente, b-<.zaJtJte, qu-<. .6emblw .6u-<.vJte le-.6 a.6p-<.Jto.;tion.6 ha1.uante-.6 d'un
Mu66lu u ven-<-Jt plu:tô;t d'une 6lamme que d'uVle lum-i-èJte". [2). Les sup-
(1)
Edmond HUGUET observe cette constante chez le futur spirite
de GUERNESEY à déformer la réalité par des incursions sur-
naturelles
: "Ma-<..6 V-<.uoJt HUGO .6e plaZt .6ulttou:t à donneJt la v-<'e aux
c.ho.6e-.6 -<'nanimée-.6, à ltec.onnaZ:tJc.e dan.6 le-.6 JtOc.heA.6 de.6 noJtme-.6 d'aYlimaux
ou de.6 plto6il.6 humMYl.6, à na-<.Jte de.6 aJtbJte.6, de.6 mwoM, de.6 vaM.6eaux,
~e-.6 mon:ta.gne..6, au:tant de .6pec.:tJte-.6 e6 nJtayaYlU au c.Jtépu.6c.ule, à c.heJtc.heJt
jU..6que daYl.6 le-.6 nuage/.!, e;t mê.me au mweude..6 M:tJte-.6, de..6 n-<'guJtu é.,
:tJtange.6 U
nantaMA.que.6." Cf. Le sens de la forine dans les mé-
taphores de Victor HUGO,
p.
25.
(2)
N.D.P.
4, V,
p.
160.

154
positions,
le jeu de l'apparition et de la disparition de la
lumière entraînent une sorte d'incertitude.
Ce sentiment qu'a
le lecteur de vivre un autre monde que le sien est renforcé
par les expressions "maléficié",
"les nids de corbeaux" et
par la présence d'une flamme plus fantasmagorique et inquié-
tante que réelle et rassurante.
Le goût des émotions surnaturelles est encore remar-
quable à l'entrée de la Cour des Miracles laquelle suggère rien
que
par la dénomination/un monde effrayant. Au moment où Grin-
goire y pénètre,
tout un climat ténébreux va se créer à partir
des présences bizarres, morbides et menaçantes : "A peine avait-
~ 6ait quelqu~ ~ dan~ la longue ~uelle, laquelle était en pente, non
pav~e, et de pl~ en plu~ boue~e et inQlinée, qu'~ ~em~qua quelque Qho~e
d'~~ez ~in9u~~. Eile n'~tait p~ d~~e~e. Ça et là, dan~ ~a lOYl.9ueu~,
~ampaient je ne ~ai~ queUe~ maM~ vague~ et inùo~e~, ~e dbUgeant tou-
te~ veM la lueM qui vauilait au bout de fa ~ue, QOmme Q~ lOMM iM eQ-
t~ qui ~e ~ainent de b~in d' h~be en b~n d' he~be ve!l.!.l un 6eu de pâ;tJz.e."
(1).
Tout se précisera proqressivement et deviendra parallèle-
ment plus mystérieux; on est plongé dans une véritable société
secrète dans la Cour des Miracles, avec des us et des rites
bien conventionnels, voire inquiétants.
L'épisode du "moine-bourru" relève aussi du désir de
HUGO de faire partager ses superstitions au lecteur.
Il est vrai
que nous devinons l'identité de celui qui se dissimule derrière
cette appellation, mais i l n'en demeure pas moins que cette om-
bre à l'allure figée et fantomatique jette épouvante et méfian-
ce dans l'esprit de Phoebus d'abord,
ensuite dans l'âme du lec-
teur : "Au moment où ~ (Phoeb~l ~enouait nonQhalamment ~~ aiguillette~,
le nez au vent, -<'1 vit l'omb!l.e qui ~'app~oQhait de lui à p~ lent~, ~i lentJ.J
qu' --il!.. eut tout le temp~ d' ob~~veJl que Qette omb~e avait un manteau et un
Qhapeau. Awv~e p!l.è-6 de lui, elle. ~' ~!l.ê.ta et demeU!l.a pl!..u~ immob~e. que l!..a
~tatue du Qa!l.d-<.nal Be~and." (2) •
Un peu plus loin,
HUGO décrit l'état hallucinatoire
(l)
N. D . P.
2,
VI,
p.
79.
(2)
Ibidem 7, VII,
p.
287.

155
et visionnaire de Frollo qui pourrait être le sien. En effet/de
retour de la rive gauche de la Seine où i l est allé se réfuqier
pour essayer d'oublier sa forfaiture,
Frollo revient vers la
Cathédrale où il va vivre un climat cauchemardesque :
"U :tJwu-
va dana i'ég~~ un~ ob~~~té ~ un ~~en~~ de ~av~n~.
Aux g~nd~ ombn~
qui tombtU~nt d~ tout~ pMt~ à io ng~ pan~, ~ n~~o nnut que ie/.> tentUfLe/.>
d~ ia ~énémoni~ du matin n'avtU~nt pa~ ~n~on~ été ~nt~vé~. La gnand~ ~noix
d'ang~nt ~~in~iait au 60nd d~ ténèbn~~, ~aupoudhé~ d~ qu~qu~~ poi~
étin~~ant~
(... l. U 6~ma i~ tj~ux, U quand ~ ie/.> nouvna, ~ ~nu;t qu~
~'était un c~n~i~ d~ v~ag~~ pâle/.> qui i~ n~gandaient. U ~~ mit à 6uin à
tnav~ i'ég~~. A1o~ ~ iui ~~mbia qu~ i'ég~~ au~~i ~'ébnaniait, n~­
muait, ~'animait, vivait, qu~ ~haqu~ gno~~~ ~oionn~ dev~nait un~ patt~
énonm~ qui battait i~ ~oi d~ ~a iang~ ~patui~ d~ pi~~, ~ qu~ ia gigan-
t~~qu~ ~athédnai~ n' était piu~ qu' un~ ~ont~ d' éiéphant pnodi9'{~ux... " (1] •
L'animation de l'église et l'obscurité qui y règne sont les phé-
nomènes de l'imagination de Victor HUGO.
Le choix seul des cou-
leurs est révélateur.
Aucune sensibilité ne peut ne pas tres-
saillir devant cette croix d'argent dans les ténèbres, ce vio-
let et ce bleui ces couleurs semblent porteuses de menace.
Ici,
les objets prennent des allures excentriques et donnent l'im-
pression d'intervenir dans le drame que vit l'archidiacre. Cet
univers extra-humain rappelle l'apocalypse où les animaux et
les choses prennent des formes humaines et parlent. Edmond HU-
GUET résume
la
vision cauchemardesque du monde chez Victor
HUGO: "Ainai nou~ vOljona ia natUfL~ U i'o~uvn~ d~ i'homm~ pn~ndn~ ~h~z
Vi~on HUGO ia vi~ tout au moina ia 6onm~ d~ i'animai. C~ que ia natun~
o66n~ d~ pf.M capniu~ux U d~ piu~ chaVlg~an-t, ~~ qu~ i'iVldustJU~ humain~
~née de piu~ miVluU~uX U d~ piM pnéeù, tout p~ut égai~~nt ~~ pnU~ à
c~~ tnana6onmation 6aVl-t~tiqu~. Vic-ton HUGO a ~kéé un mond~ nouv~au,
dana i~qu~f. ~~ n~n~ontJt~Vl-t ia Jtéaiité U ia mljthoiogi~."(2)
(1)
N.D.P.
9,
l,
p.
359.
(2)
Edmond HUGUET, op. cit., p.
140.

156
Il nous reste à traiter dans ce chapitre,
un point
qui occupe aussi une place importante dans le mélodrame
:
le
déguisement.
Nous devons préciser tout de suite qu'il est fré-
quent dans les mélodrames certes, mais i l appartient aussi à
l'esthétique théâtrale
en général.
Son utilisation systémati-
que dans le mélodrame est une des caractéristiques inhérentes
au genre. Les auteurs des mélodrames voulaient en effet,
un
spectacle qui ne fût pas trop intellectuel,
ils préféraient
quelque action, quelque tableau,
le déguisement semblait donc
une ressource adéquate.
Souvent, dans le mélodrame,
certains personnages se
cachent sous une fausse identité. C'est le cas par exemple, de
Vivaldi qui prend le nom d'Edgar pour servir Charles Quint,
dans L'homme à trois visages de PIXERECOURT.
D'autres person-
nages peuvent se déguiser sous une fausse apparence pour accom-
plir une mission bien déterminée.
L'exemple de la FortereSse
de Danube est caractéristique.
On y voit une jeune fille héroï-
que qui,
pour distraire les soldats et libérer son père,
se
déguise en jeune savoyard danseur et chanteur.
Un autre traves-
tissement consiste à se déguiser en feignant d'être atteint
d'une infirmité physique,
soit pour obtenir les bonne grâces
des autres,
soit pour les tromper.
Bastier,
dans le Monastère
abandonné ou la Malédiction paternelle est un prototype de faux
paralytique.
Il a en effet commis un assassinat, mais on est
loin de le soupçonner à cause de sa paralysie. Mais une seule
personne croit en l'innocence de Pietro Gérard qu'on accuse,
et
soupçonne plutôt Bastier. Pour s'assurer qu'il a affaire à un
véritable infirme,
le défenseur de Pietro fait semblant de met-
tre le feu à la paille de l'écurie où Bastier est couché,
le
faux paralytique se lève aussitôt et se précipite dehors.
Nous
pourrions établir un parralèle entre l'infirmi-
té de Bastier et celle des truands de la Cour des Miracles.
On s' aper-
çoi t que les éclopés et les aveugles qui peu~lent cette cour interdite

157
sont des faux
(1).
En voici un exemple typique : "Ce.pe.ndarU: f..e.
cu1-de.- ja:t:te., de.bou;t -6U!L -6e.-6 p.ie.d-6, coi66cU.;t G/tiYlgoilte. de. -6a f..oU!Lde. ja:t:te.
6eJ1Jtée., e;t f..'ave.ugf..e. f..e. !Le.gMdcU.;t e.n 6ace. ave.c de.-6 ye.ux 6f..amboyarU:-6"(Z).
On se situe dans un univers à double face,
caractérisé par la
violence et l'escroquerie.
HUGO insiste sur le déguisement
spécieux des brigands:
la manière dont ils s'y prennent pour
se grimer fait penser aux préparatifs des acteurs de théâtre
avant leur entrée en scène :
"C'étcU.;t UYle. e.-6pèce. de. 6aux Mf..dat, un
na!Lquoü qui dé6aùm e.yl -6i6MarU: fe.-6 bandage.-6 de. -6a 6auMe. ble.-6-6UlLe., e;t
qui dégoUlL~-6ait -6on ge.nou -6a--tYl e;t vigoUlLe.UX, e.mmaittoté depui-6 le. matiYl
daYl-6 mille. ligatu!Le.-6. Au !Le.boU!L-6, c' UcU.;t UVl maling!Le.ux qui. p!LépalLcU.;t ave.c
de. l' écf..aiJte. e;t du -6aYlg de. bo e.u 6 -6a jambe. de. Vie.u du f..e.Ylde.ma--tn. Ve.ux table.-6
plU/.) loiVl, Uyl coquillalLd, ave.c Mn cO-6tume comple;t de. pélwVl, épelait la
complaiYlte. de Sa--trU:e.-Re.ine., -6aYl-6 oublie.!L la p-6af..modù e;t f..e. YlMille.me.Ylt.
Aille.U!L-6 Uyl je.UYle. hubiYl p!Le.nait f..e.çon d'épif..e.p-6ie. d'UVl vùux -6aboule.ux
qui f..ui e.n-6e.igrtait f..'aJL;t d'écume.JL e.yl mâchant un mo!Lce.au de -6avon". (3),
Dom Claude aime aussi à se déguiser,
tel le traître
du mélodrame.
Le manteau dont il est souvent couvert l'aide
soit à masquer sa silhouette,
soit à cacher les traits de son
visage:
"If.. avait un marU:e.au jU-6qu'au ne.z. Ce. marU:e.au, i.e ve.nad de.
f..' ache;te.tt au 6/tipù.Jt. qui avoi-6iYlcU.;t .ea Pomme. d'Eve., -6aM doute. poulL -6e. ga-
!Lan:tilL du 6!Loid de.-6 -6oiltée.-6 de maJt.-6, pe.ut-êVte pou!L cache!L MVl CO-6tume.." (4)
( 1 )
A ce sujet, Maria LEY-DEUTSCH donne des indications précieu-
ses sur les mutilations fréquentes chez les hères au Moyen-
Age et ci te un passage de LESAGE : " ... Le-6 me.nMaVlU de. tou;te.-6
le.-6 VlatiOYl-6 du mOYlde. MrU: -6ujw à ce.:t:te. iYlhumandé pOU!L e.xcde.!L la
compM-6ioVl de.-6 pe.uple.-6; maù no:t!Le. PantaloYl, comme. Gê.VlO.u"
voulut -6UlL-
pa-6-6e!L tou-6 le-6 pè!Le.-6 là-de.-6-6u-6; i.e dé6igUlLa -6on 6il-6 de. te.lf..e. 6açon
qu'il en
6d Uyl mOYl-6:t/te. -6an-6 pMW. Ce. maf..heUlLe.ux en6arU:, en qui tout
Uait
cOrU:!Le6ait, à f..' exc.e.p;t..<.OVl de. f..a f..aYlgue e;t de.-6 b!LM, auxquel-6 01'1
Yl'avait pM touché, UarU: -60!Lti de. l'e.Yl6aVlce., allod patt le.-6 !Lue.-6 ( •. ~).
Il !Le.ce.vait de. g!LaYlde.-6 aumône.-6 qu'il Yle de.vod pM moiYl-6 à f..a ge.~e.-6­
-6e. de. -60Yl e.-6p/td qu'à la pi;tié que. -6a pe.!L-60nVle. iYl-6piltod". op. cit"
p.
325.
(2 )
N. D. P.
2,
VI, p.
81.
( 3 )
Ibidem, p.
85. Les brigands de la Cour des Miracles ne re-
présentent qu'une façade:
ils créent l'illusion. Leur habi-
leté à se modeler et à
jouer le jeu est théâtral et confirme
leur physionomie d'acteurs.
( 4 )
Ibidem 7, VII, p.
285.

158
c'est la deuxième éventualité qui semble plus plausible; i l
est normal pour un prêtre qui veut garder l'anonymat le plus
total de se déguiser.
On le voit qui enfile un autre déguise-
ment quand il descend dans
"l'in-pace" de la bohémienne.
Son
accoutrement est spectral et effrayant
: "Quand ille .fe-6 JWuv!U;t
(.fe-6 yeux) .fa po~e était ~e6enmée, .fe 6alot était po-6é -6u~ un deg~é de
.f' e.M.a.LtVL, un homme -6eu.f Uait debout devan.:t eLfe. UVle c.agou.fe VloVLe .ftû
tombait ju,oqu'aux p~ed.o, un c.a66a~dum de meme cou.feu~ .fui cachait le v~a­
ge, on ne voyait ~en de -6a pe~onne, n~ -6a 6ace, 11~ -6e-6 m~l1-6. C'était
Wl .fOVlg -6~e VlO~ qui -6e teVlait debout,
et Mu-6 .fequel OVl -6en.:tait ~e­
muVL que.fque cho-6 e. " [1]
En vérité,
ilya chez Victor HUGO un besoin de rap-
procher Notre-Dame de Paris des structures du mélodrame.
Les
thèmes et les procédés que nous venons de voir rendent cette
intention parfaitement claire.
Il est vrai que par moments,
HUGO inverse le code mélodramatique, mais plusieurs aspects
conduisent à des réminiscences de PIXERECOURT, de CAIGNIE'Z et
de bien d'autres.
Trouver des traces du mélodrame sous la plume de Vic-
tor HUGO ne doit pas trop surprendre.
N'appartient-il pas à la
génération qui a acclamé le mélodrame dans sa jeunesse ? On
sait d'ailleurs qu'il a écrit un mélodrame
(Inez de Castro)
en
trois actes et deux intermèdes tout au début de sa carrière
dramatique.
Il est possible de trouver une autre catégorie
théâtrale dans Notre-Dame de Paris qui semble avoir une pro-
che parenté avec le mélodrame:
l'opéra.
(l)
N. D. P.
8,
IV,
p.
320.

159
III.
L'OPERA
A. Musique et danse
L'opéra est une forme dramatique dont l'originalité
est d'offrir des spectacles hétérogènes:
chants, ballets, mu-
sique.
René LEIBOWITZ donne une définition qui met en évidence
la structure composite de l'opéra
: "Un opéfta eJ.>t un dtt~me mUJ.>~c.a1,
c.' eJ.>t-à-CÜAe un dttarne qM ~puque deJ.> pe.JLMnnageJ.> , une amon, de!.> J.>uua-
tionJ.> (topogftaphiqueJ.> e;t pJ.>yc.hoto9~queJ.>l, de!.> c.on6tdJ.> , etc. .•• mW où. -fe!.>
pVLMnnageJ.> J.>' exp~ent en c.hantant ex où, de p-fu-J.>, un é-fément qM appafr.-
tient eMentiillement au geYlJ1.e en queJ.>tion, r oftc.heJ.>tJr.e, J.>ou;ûent, c.ftée,
c.onJ.>~ue, acc.ompagne, dép~nt, J.>ymbo~e ( ... l -feJ.> peJr.,J.>oYlnageJ.>, -f'amon,
-fe!.> J.>uuationJ.> e;t -feJ.> con6uu" ( 1).
La déf ini tion de Ludovic CELLER
abonde dans le même sens que la précédente
:
"L' opéfta ftéJ.>~de danJ.>
-f'u~on, auJ.>J.>~ ~~e que pOJ.>J.>~b-fe
de -fa poéJ.>~e, de -fa mUJ.>~que, de -fa
danJ.>e, de!.> déc.oltJ.> e;t de!.> machineJ.>. U J.>efta d'autant p-fUJ.> c.omp-fet qu'il au-
fta pouMé au p-fu-J.> haut po~nt -f'emp-fo~ de c.eJ.> c.~nq UémeVLtf.,"(Zl.
S'agissant de Notre-Dame de Paris, on remarque que
Victor HUGO y introduit plusieurs accessoires divertissants et
spectaculaires qui ne sont pas sans faire songer à l'opéra. La
musique y joue un rôle particulier à cause des instruments va-
riés auxquels HUGO fait allusion. On sait par exemple que Grin-
goire avait tout un orchestre à sa disposition pour accompagner
son mystère. Mais le public s'en est emparé pour acclamer le
pape des fous.
La musique exécutée par le cortège procession-
nel a pour rôle de restituer l'atmosphère délirante de cette
fête populaire. Au lieu d'être euphonique, elle apparaît comme
une véritable cacophonie et accroît le caractère désordonné de
la fête des fous.
HUGO en parle non sans ironie et remarque
"Chacune deJ.> J.>emonJ.> de c.ute pftoceJ.>J.>~on gftoteJ.>que avad J.>a mUJ.>~que paftti-
c.u-f~èfte. Le!.> égyptienJ.> 6~~ent détonneft -feuf[,J.> ba1a~oJ.> et -feuJr.,J.> tarnbo~n~
(1)
Cité par Pierre BRUNEL, dans L'Opéra, Bordas,
p.
9.
(2)
Ludovic CELLER , Les origines de l'Opéra et le Ballet de la
reine.
F.
II.

160
d'A6~qu~. L~ ahgoti~, ~ac~ 6o~ p~u m~ical~, ~n étai~nt ~nco~~ à fa
viof~, au co~net à bouquin et à fa gothiqu~ ~ubb~b~ du douzièm~ ~iècf~.
L' emp~~ d~ Ga..tilé.~ n' était guè.~~ pf~ avancé.; à pUn~ futinguait-on da~
~a mu~iqu~ qu~qu~ m~é.~abf~ d~ f'~n6anc~ d~ f'~, ~nco~~ emp~onné. da~
f~ "~é.-fa-rni". M~ c.' ~t autoM du pap~ d~~ 6o~ qu~ ~~ dé.pfoyai~nt, da~
un~ c.acophoni~ magni6iqu~, tout~ f~ ~C.h~M~~ m~ic.al~ d~ f 1 é.rJoqu~. c~
n' é.tai~Jrt qu~ d~~~ d~ ~~b~c., hau.t~~-c.oYtt!l.~ de. ~~be.c., :taiff~ de. ~~b~c.,
~a~ compt~ f~~ 6fû;t~ et f~ cuiv~~."(1). La musique telle qu 1 elle
est décrite ici,
n'a aucune fonction émotionnelle; c'est une
musique d'accompagnement, ses gammes énerqiques et incohéren-
tes sont pour traduire la nature grotesque et éqrillarde de la
procession. Par contre,
le tambourin de basque de la Esmeralda
produit une musique moins rudimentaire. C'est grâce à lui que
la jeune fille déploie admirablement son talent de danseuse et
rencontre un immense succès auprès du public.
En effet,
une place imDortante revient à la danse
dans le roman : elle est une ressource intéressante et fasci-
nante;
il suffit d'observer la foule de badauds qu'elle entraî-
ne pour s'en convaincre. Cette danse a pour fonction, non seu-
lement d'embellir et de décorer l'action du roman, mais d'y
contribuer très largement. Elle prend la forme d'un agréable
intermède certes, mais elle est aussi dramatique; elle a servi
de ferment à la passion débridée de Frollo. Au sujet de cette
danse, HUGO fournit des notations précises : "Ell~ da~ait, ~~
tou~nait, ~~ tOMb~onnait ~M un vi~ux tap~ d~ p~~, Jeté. né.gügem-
m~nt M~ ~~ pi~~; d
chaqu~ 6o~ qu' ~n tOMnoyant ~a ~a1jonnant~ MgM~
pM~ait d~vant vo~, ~ ~ 9~aYL~ y~ux noiM vo~ j etai~nt un é.cfw ( ... ).
Eil~ ~~ ~~mit à da~~~. Ell~ p~ à t~~ d~ux é.pé.~ dont ~~ appuya fa
point~ ~u~ Mn 6~oJrt d
qu' ~~ Mt tOMn~ daM un ~~M tanfu qu' ~~
tOMYLait da~ f' a~~." (2).
La précision
dans les gestes de la
danseuse
révèle le besoin
de faire vrai et
de soulianer la
virtuosité
de
la bohémienne. L'harmonie de
ses qestes fas-
cine
les spectateurs
qui forment
un
eSDace
circulaire
autour
d'elle.
L'accumulation des verbes
"elle dansait,
(1)
N.D.P.
2,
III, p.
69.
(2)
Ibidem p.
63.

elle tournait, elle tourbillonnait" exprime l'ivresse et l'exal-
tation de la danseuse. Les spectateurs semblent envahis, ab-
sorbés par elle. Personne parmi eux ne songe à perturber cette
fille qui danse comme une sylphide. Tout le monde au contraire,
la respecte et "l'applaudit avec amour".
Pour traduire l'état
d'émerveillement et l'attitude figée des badauds, HUGO remar-
que : "Au..:toU/L d'eLf.e. :touJ.J f.e.J.J tr..e.gMdJ.J Uaie.VL:t Mxe.J.J, :tou..:te.J.J f.e.J.J bouche.J.J
ouve.tr..:te.J.J ••• "[l).
Cela ne fait aucun doute,
la bohémienne crée
par la danse, un climat de détente pour le public parisien qui
manifeste des transports de gaieté, et pour le lecteur qui a
le sentiment d'assister à un véritable ballet d'opéra. Mais
il est une autre ressource fondamentale dans le roman,
qu'on
ne doit pas oublier lorsqu'on parle de l'opéra; art de la pa-
role avant tout
: la chanson.
B. La chanson
On va à l'opéra pour voir les décors,
les costumes
et les danses, mais aussi pour apprécier la prouesse vocale
des différents personnages. En effet,
l'art lyrique accorde
une place de choix à la chanson,
sans doute parce qu'elle pos-
sède cette force de s'adresser directement aux sens du spec-
tateur et non à l'intelligence.
Ce qui est intéressant dans Notre-Dame de Paris, c'est
que la quasi totalité des personnages chantent. Cette accumula-
tion des chansons apparaît bien curieuse dans un contexte roma-
nesque et surprendra moins dans un livret d'opéra, par exemple.
Cependant,
i l faut observer que ces chansons sont différentes
les unes des autres,
aussi bien par leur portée que par leur
contenu.
Les personnages chantent généralement en solos~ soit
pour exprimer leur état d'euphorie,
soit au contraire, pour
traduire leurs émotions et leurs sentiments. La Esmeralda par
exemple parle très peu, mais elle reste l'objet de mire à cause
(1)
N. D. P.
2,
III,
p.
63

162
de sa voix de rossignol et ses performances de danseuse; c'est
la ballerine et la cantatrice de Notre-Dame de Paris. On l'en-
tend chanter tantôt en français,
tantôt en espagnol. Cette va-
riété dans les chansons donne à son répertoire un caractère
et un charme singuliers. Les vers qu'elle chante en espagnol
sont d'une telle mélancolie et d'un tel lyrisme, outils ne
manquent pas de toucher Gringoire qui
"-6enta);t vew -te-6 -taJtme-6
aux. yeux"
"Un c.onJte de gJtan Jtiqueza
H~aJton dentJ1.o un pdaJt,
VentJto deR., nu.evct.6 bandeJtct.6
Con MguJtct.6 de e-6pantaJt."(l)
HUGO reste impressionné lui aussi par la voix claire et limpi-
de de l'Egyptienne : "U en é-ta);t de .6a voix c.omme de -6a daMe, c.omme
de -6a beau.tL C' Ua);t indé-f..{.MMab-te et c.haJtmant; quefque c.ho.6 e de pM,
de .6OnoJte, d'aéftien, d' Gtdé, pOll.ft MMi dÙte. C' Uaient de c.o~YlueLo épa-
nouiMement.6, du méfocüe-6, du c.adenc.e-6 inattendUe-6, pu-l.6 du phJtct.6e.6 .6-lm-
p-te-6 .6emée.6 de note-6 ac.éJtée-6 et -6i6Mante.6, pu-l.6 de-6 -6aut.6 de gammu qui
eU-6-6ent déJtouté un Jto.6.6igno-t, mai.6 où -t'haJtmoMe .6e JtetJtouvctit toujOUJ1.-6,
pu,w de moile-6 ondui.at-loM d' oc.tave-6 qui .6 1 é.R.evaient et .6' ab~.6aient c.om-
me -te .6Un de -ta jeune c.hanteu.6e" (2) .
Ce qui est saisissant dans cet
exemple, c'est le vocabulaire du romancier.
Il se compose es-
sentiellement des expressions musicales:
"sonore",
"mélodies",
"notes acérées et sifflantes",
"des sauts de gamme",
"de molles
ondulations d'octaves qui s'élevaient et s'abaissaient".
Par
la faculté de passer du crescendo au decrescendo,.
la bohémien-
ne confirme ses talents de cantatrice.
Les notes "acérées et
sifflantes" qu'elle exécute correspondraient à la voix du so-
prano à l'opéra.
D'autre part, quand le poète essaie de lui arracher
quelques renseignements sur ses origines,
l'Egyptienne répond
par une sorte de récitatif qui reste vivace dans l'esprit du
lecteur devenu auditeur. Le refrain qu'elle chante Drovoaue la
(1)
N.D.P.
2,
III, p.
67.
(2)
Ibidem pp.
66-67.

163
commisération pour l'orpheline;
il est mélancolique et a une
grande puissance émotionnelle
"Mo n pèlte u t 0-05 eau,
Ma mèlte e~t oi~ef1e
Je p~~e t'eau ~an~ nacet1e,
J e pM~ et' eau ~a~ bateau.
Ma mèlte e~t oJ./.)ef1e,
Mo n pèlte u t 0-05 eau. " (1]
Plus qu'une fioriture,
la chanson de la jeune fille a pour fonc-
tion de signifier quelque chose à Gringoire,
donc de faire pas-
ser un message.
Mais celui qui paraît plus original quand il chante,
c'est Quasimodo le sourd.
On s'en doute bien,
sa chanson est
le miroir du personnage;
elle est tendre,
idyllique. Le son-
neur de cloches chante une complainte qui laisse une impression
singulière à cause de sa valeur expressive. Elle porte témoi-
gnage de son amour pour la Esmeralda et l'invite à se méfier
des apparences.
Cette chanson est destinée surtout à rehaus-
ser le pathétique de la vie psychique et sentimentale de Qua-
simodo qui,
désespéré,
essaie de descendre dans le tréfonds de
la bohémienne pour la sensibiliser
"Ne llegMde pa6 ta Mgulte
Jeune 6~f1e, Itega!tde te coeult.
Le coeult d'un beau jeune homme u t Muvent M660Jtme.
Tt Ij a du coeuM où. t'amoult ne ~e co~eltve pM.
Jeune 6J.f1e, le 6apin n'e6t pM beau.
N' e~t pM beau comme te peupuelt.
Ma-05 i l gMde Mn 6euillage t' MVeJt.
HétM! à quoi bon diJte cela?
Ce qui n'ut pM beau a to!tt d'me
La beauté n'aime que ta beauté
Avltit toultne te do~ à janvieJt"(2)
(l)
N.D.P.
2, VII,
p.
102.
(2)
Ibidem 9, V,
p.
378.

164
De son côté, Jehan Frollo, dont la vie courte n'est que joie
et plaisanterie, chante à plusieurs reprises. Mais ce n'est
guère pour marquer l'âpreté de ses sentiments.
Ses refrains
sont toujours chantés sur un ton goguenard, dû à son tempé-
rament de frondeur et de luron,
qu'on retrouvera plus tard
chez le gamin de Paris, Gavroche. Jehan trouve la parole in-
suffisante pour narguer ses ennemis;
i l se sert alors de la
chanson pour mieux se faire entendre. Avant d'avoir le crâne
fracassé contre le mur,
i l entonne un air populaire et r i t
effrontément au visage de Quasimodo
"EUe. e..6t b-Le.Yl. habil.1.é.e
La vil.1.e. de. CambJtu.
/vfaJtaé-LYl. .t'a p-LUée. .•. "(7)
Le prêtre Claude Frollo, dans un choeur,
se lie à d'autres prê-
tres pour chanter les psaumes lugubres;
ils renforcent l'im-
pression d'abandon et de détresse de la bohémienne. Le peuple
parisien,
friand de ce genre de spectacle,
écoute avec recueil-
lement.
En un mot,
HUGO est bien de son époque;
i l a subi
le charme de l'opéra. On sait que l'opéra connaît une vogue ex-
ceptionnelle au XIXème siècle. Les chansons qui émaillent son
roman,
la danse et la musique sont autant d'éléments qui suf-
fisent à appuyer les liens de Notre-Dame de Paris avec l'opéra.
Cela est d'autant plus vrai que Victor HUGO a écrit un livret
d'opéra en quatre actes,
inspiré du roman:
La Esmeralda. Nous
avons pensé qu'il serait intéressant de présenter ce livret en
faisant ressortir les occultations éventuelles et les ressem-
blances par rapport au roman.
C. La Esmeralda de Victor HUGO
Il arrive souvent qu'un homme de théâtre décide d'a-
dapter une oeuvre romanesque à la scène. Mais que l'auteur d'un
( 1)
N. D . P.
la,
IV, p.
422.
(

165
roman transpose à l'opéra une de ses oeuvres,
semble un phéno-
mène original. En effet, HUGO avait d'abord refusé d'adapter
son roman à l'opéra sur la proposition de BERLIOZ et de MEYER-
BEER.
Il Y a consenti à la fin à la demande de Louise BERTIN,
qui en composa la musique.
Pourtant,
la rédaction de ce libret-
to ne s'est pas faite rapidement; HUGO semblait très peu ins-
piré dans ce travail d'adaptation.
Le livret s'acheva tout de
même en 1834 et fut soumis au directeur de l'opéra Véron et
à M.
BERTIN, père de Louise BERTIN.
Le libretto est représenté pour la première fois en
1836, et connaît un succès modéré. Afin de le rendre plus in-
téressant et faire en sorte qu'il atteigne un public plus lar-
ge,
le directeur de l'opéra
y introduisit
un somptueux bal-
let et supprima plusieurs tableaux. A la sixième représenta-
tion,
il sera réduit à un acte, et l'oeuvre ne sera donnée
qu'en lever de rideau, avant un spectacle de danse. A la hui-
tième représentation,
l'opéra, ou ~lutôt ce qui en subsiste,
est sifflé avec tant de violence qu'on a dû baisser le rideau.
Le libretto n'a donc pas connu un succès éclatant, même si le
public de l'époque était féru de ce type d'adaptation
(1).
Ici,
notre propos n'est pas d'analyser les raisons de cet échec. Ce
qui nous intéresse, c'est de voir les modifications,
les inno-
vations et les ressemblances que le libretto présente par rap-
port au modèle romanesque.
L'ensemble du libretto dégage l'impression de fidéli-
té envers le roman.
HUGO indique clairement dans la note de
1836 qu'il s'est efforcé de suivre le roman de près
"Au lLe.-5te
quoique, même en éC!livant cet 0pu-5cu-fe, -f' auteUfL M -50« écMté -fe moi.n-5
pO-5-5ib-fe et -5eu~~ent quand ~a mU-5ique l'a exigé, de ce!l~ain~ condition-5
cOYl-5cÂ.enci.eU-5e-5 indi.-5pen~ab~e-5, -5elon ~ui, à toute oeuvlLe, petite ou gJLan-
de . .. ". On peu t remarquer en effet, que la trame de l' histoire
(1)
Nous avons emprunté ces renseignements à Van Philippe TIEGHEM
dans Le dictionnaire de Victor HUGO,
p.
96.

166
demeure la même dans le livret.Le fait d'avoir intitulé son
opuscule La Esmeralda laisse à penser que le roman et le li-
bretto demeurent voisins. Dans l'un et dans l'autre, la Esme-
ralda reste le personnage privilégié,
la pierre angulaire de
l'intrigue.
Le même cercle admiratif qui se forme autour d'el-
le quand elle exécute des pas de danse est repris dans le li-
bretto. La didascalie que le librettiste donne à ce sujet,
sui t de très près la description du roman : "EUe aJuuve au mJ.Lleu
du -théâVLe. LeJ.J :tJz.uanev., 60n-t c.e!tc1.e avec. adrrU.!ta.Uon au-toLUL dl eLte. HIe
daMe." (1).
On retrouve ici,
le même élan de ferveur du peuple
pour la danseuse.
La lumière particulière qu'elle diffuse est
mise en relief aussi bien dans le roman que dans le libretto.
Lorsqu'elle monte par exemple, chez les Gondelaurier pour dan-
ser, elle apparaît comme une sorte de madone que tout le monde
vénère. Comparons les deux textes afin de mettre en évidence
la magnificence et la quasi divinité de la bohémienne.
Notre-Dame de Paris
La Esmeralda
7,
1,
p.
243
Scène IV, acte II
"Son appaJÜuon avOvL;t p!l.oduit
En-tJte la bohém~enne, timide, contluôe
ôU!l. c.e g!toupe de jeuneô 6iUeô
e-t !tad-ieuôe. Mouvement d'adm,{JLat-i.on.
un en6e~ ô~nguiie!t ( ... ). EUe
La 60ule ô'éca!L.te devan-t eUe.
étOvL;t d'une beau-té ôi !talLe qu'au
Choeu!t.
momen-t où elle pa!l.u-t à l'eYl-t~ée
Rega!tdez! oon beau n!l.on-t bnJ11e
de l'appaJL.temen-t ~ ôembla qu'el-
ent!l.e le6 p~uô beaux.
le y !tépandaJ-t une ôon-te de lu-
Comme ne!t~ un ao:tJz.e en-tou!l.é
miè!te qu~ ~ui é~aJ-t p!top!l.e r ... )
de Mambeaux.
C'é-tOvL;t c.omme un 61ambeau qu'on
MonoieLUL De CheV!l.euM.
venait d'appoJL.tefL du glLand jouit
C' eô~ une c.HeJ.Jte 6~gu!te!
daM l'ombne. Leô nob~eô damoi-
Un de c.eô !t~veô enc.han-téô
ôelle.ô en 6u!l.en-t malg!té elleô
~u~ 610t-ten-t dan6 la nu~ Ob6c.U!l.e
é blo uJeô . 11
Et ôèmen~ l'omb!te de c.la/ttéô!
(1)
La Esmeralda,Edition HETZEL, 1886, scène première, acte 1.

167
Cette créature rayonnante provoque chez le prêtre Frollo la
même passion délirante. Mais la jeune fille le repousse avec
les mêmes marques d'horreur que dans le roman:
"Non, meWLtJUeA, jamaJJ..! ~ilence!
Ton lâche amou~ ~t une oéée~e.
Plutôt la tombe ou Je m'élance!
So.u, maucLét pMmt l~ mau~" (1)
D'autre part,
HUGO a cherché à être assez fidèle au roman en
restituant l'histoire de l'ordre romanesque.
Il a repris les
'.'
différents lieux scéniques décrits dans Notre-Dame., en tâchant
~
de représenter un certain nombre de petites séquences ou roman.
En ce qui concerne les lieux scéniques,
HUGO en a
repris six.
D'abord la Cour des Miracles dont l'indication
scénique succincte ne trahi t
pas l' espr i t
du roman
: "La Coutt
de~ ~acl~. Il e~t nuit. Foule de tttuan~. Dan~e.~ bttuyant~ et mendian-
t~ da~ leuM diveM~ attitude~ de. méuV!. Le ttoi de Thun~ ~utt Mn ton-
neau. Feux, tottche~, élambe.aux. CeAcle de IU.deu~~ maJJ.,o~ dan~ l'ombtte"(2).
Le deuxième lieu scénique est
"la place. de Gttève. Le pilotti, n.uMi-
modo au pilotti. Le peuple. ~U'L la place" (3). Ensui te, on entre chez
Mme de Gondelaur ier:
"Une ~ill-e magn.iMque où ~e. 60nt de~ p'Le.patta;t..{,6~
de. 6Ue"(4).
Le troisième lieu est
"le pttéau ext~e.~ d'un cabMet,
A dttoite, la taveAne. A gauche de~ Mbtte~. Au 6ond, une pottte. qu~ clôt le
pttéau. Au lo~n, la cttoupe. de Not'Le-Dame., ave.c ~e.~ deux touM et ~a Mèche,
une ~ilhoue;t;te oombtte du v.<.eux Patti.o qu~ ~e dUac.he ~~ le ue.! 'Louge. du
couc.hant. La Se.ine. au bM du tableau" (5).
Le chapi tre qui a pour ti-
tre "Utilité des fenêtres qui donnent sur la rivière",
passe
du roman au livret et devient
: "Une chambtte. Au bond, une éenwe.
qui donne ~utt la ~viètte. Clop~n Ttto~e6ou e.~ttte., ~on ôlambeau à la m~n;
i l e~.t acc.ompagné de. quelqu~ hommeJ.> auxque.!.o i l 6ait un 9~te d'inte.lli-
(1)
Esmeralda Acte IV,
scène l.
(2 )
Ibidem
( 3 )
Ibidem Acte II,
scène l .
( 4)
Ibidem Acte II,
scène 2.
( 5 )
Ibidem Acte III,
scène 1.

168
genc.e, e;t qu'il plac.e daM un c.o-<-n ob.ocU!t, où ID CÜ6pMuMent, p~ il
Jte;toU!tne veM la poue e;t Mmble 6we .o-<-gne à que.tqu' un de monteJt. Vom
Claude appMcût" (1).
Dans cette scène,
il Y a une modification
quant au scénario et les personnages qui occupent le lieu. Au
lieu de Phoebus, c'est Trouillefou qui demande à Dom Claude
de se cacher derrière une tapisserie.
Enfin,
le cachot où
l'Egyptienne se trouve enfermée est le dernier lieu scénique
choisi par le librettiste
(2).
On voit Frollo y descendre pour
prier la jeune fille de l'aimer.
Il y a une profonde similitu-
de entre les deux textes. On retrouve certaines phrases, cer-
taines exclamations,
les mêmes indications sur le comportement
des personnages. Par exemple, Frollo est affublé d'un déguise-
ment quand i l s'introduit dans "l'in-pace",
comme dans le ro-
man. La seule différence réside au niveau du style: l'écritu-
re romanesque est descriptive et assez détaillée,
tandis que
celle du librettiste se veut plus concise et laconique, Voici
la descente dans le cachot telle qu'elle est écrite dans le
roman et dans le livret
Notre-Dame de Paris
La Esmeralda
8,
IV, p.
320
Acte IV,
scène première
" . .. Et ille v-<..:t une lan:tefLne,
La pOfL:te .o'ouvJte. Entite Claude FJtollo,
une ma-<-n e;t la pafttie ~n6é.­
une lampe à la mun, le capuchon fLaba:t-
~euJte du COfLp.o de deux hom-
:tu .oUf[ .te ,-,ùage. Il v-<-en:t .oe placefL,
me.o, la poue étant :tf[OP ba-6-
immobile, en 6ace de la E.omeJta.tda.
-6e pouJt qu'e.tle pût apeJtcevoif[
leuM :tUe.o. La .tum-<-èJte la
ble6-6a 6~ vivement qu'elle
6eJtma.te.o yeux ( ... ). Un homme,
.oeul,é.:t.rU.X. debou:t devant rJl.l~.
Une cagoule noifte .t~ tombcUt
jU-6qu'aux ~ed.o, un c.a66aJtdum
de même c.ouleuJt l~ cachait
le vùage.."
(1)
Esmeralda Acte III,
scène 3.
(2)
Ibidem Acte IV,
scène première.

169
D'autres scènes semblent extrêmement proches de l'original ro-
manesque. Par exemple,
la scène où Dom Claude, fou de rage,
arrache les insignes pontificaux à Quasimodo.
Elle est reprise
presque textuellement,
sans doute à cause de son caractère
théâtral
(1). La flagellation de Quasimodo correspond égale-
ment au modèle du roman.
Quasimodo est saisi, garotté,
sous
les huées,
les projectiles et les sarcasmes de la foule,
On
voit la Esmeralda monter sur le pilori pour offrir à boire au
pauvre monstre qui a la gorge desséchée et le corps ensanglan-
té.
Notre-Dame de Paris
La Esmeralda
6,
IV,
p.
229
Acte II,
scène l
" ... Lu 6emme.o ouJtt.olLt éc.f.a.tiUe.nt.
Une. 6e.mme. du pe.upf.e..
Tou;te.o f.u,{ gMdiUent quef.que.
If. pao-6e.na dan-6 ma nue.
nanc.une., f.e.o unu de. oa maf~c.e.,
Au ne.toun du p~o~,
fu auttre.o de. .6a fiUde.un. Le.-6
Et c.' e.-6t P,{e.Me. TolLte.nue.
\\
de.nnD~ne.-6 UiUe.n;t f.e.o pf.M 6u-
Ou,{ va nOu-6 6~e. te. c.tr,{.
~e.MU .
Le. c.~e.un
"Oh! ma-6que. de. f.'Antéc.hwt r ... )
Ve. pM te. no,{, que. V,{e.u gMde.,
- Che.vauc.he.un de. manc.he. a batiU
L'homme. qu',{c.,{ l'on negande..
f ... l
Se.tra m~-6, -60U-6 bonne. gande..
La be.tf.e. gtr~mac.e. tnag,{que., hun~
poun une. he.une. au p'{f.o~.
f.a,{t une. ttro~,{~me.,
e.t qu,{ te.
6e.na,{t pape. du 60U-6, -6~ c.'é-
choe.un
tait aujound'hu,{ h,{e.n!
A ba-6! à bM!
- C'ut bon, ne.pne.nMt une. v,{m-
Le. bO-6-6u, f.e. -6ound, f.e. bonqne..
te.. vo~a fa g~mac.e. du p~on~.
Ce. Banna ba.o !
A quand c.e.tf.e. du g,{be.t}
Je. c.no~ moncüe.u qu' ~1 nOM longne..
- Quand -6e.na.o-tu c.O,{nbé de. ta
A ba.o f.e. Mnue.n!
gno-6-6e. c.f.oc.he. a c.e.nt p,{e.d-6
If. g~mac.e., ~ nue.!
-60U-6 teJz.ne., maucüt Mmne,un ?
If. nad abo ye.n
- C'e.-6t pountan;t ce. cüabte. qu,{
Le.o c.h,{e.n-6 dan-6 la nue.,
Mnne. t' angétM!
Voubf.e,z f.e. 6oue.t e.t l' ame.nde.
- Oh! te. oound! te. bongne.! te.
(1)
Cf. Acte l,
scène première.

170
.te bOMU! .te mOIUt!le!
QuMhnodo
- F-tgUfLe à 6aJ.Ae avolLtVt une
A bo-itte
gttoMU-6e mteux que ;(:oute-6
ChoeUfL
- - - -
médeune-6 et phaJtmaque-6!"
Qu'on -f.e pende!
()uM-tmodo
A bO-tJte!
Choeutt
SO-t-6 maud-t:t.
HUGO a conservé la ligne générale de la scène. Bien des mots
s'appuient assez fortement du texte initial. Toutefois, quel-
ques contorsions sont à signaler en ce qui concerne le scéna-
rio,
ainsi qu'uncertain réaménagement des personnages.
2. Les différences
Certes, HUGO a tenté dans le libretto, de restituer
l'intrigue en reprenant les moments clefs du roman,
c'est-à-
dire, ceux qui lui ont paru les plus aptes à rendre les effets
théâtraux. Mais on peut aussi y relever des absences et des ap-
paritions par rapport au texte original. D'abnrd,
le librettis-
te a sacrifié entièrement les descriptions oui ne sont quère
indispensables à la trame dramatique. Cela est d'autant plus
normal qu'un livret d'opéra ne pourrait jamais contenir de lon-
gues réflexions et des commentaires de l'auteur.
Ce qui fait peut-être la première arande différence
entre le roman et le livret, c'est l'occultation d'un certain
nombre de personnages qu'on croyait importants dans le roman,
et l'apparition de nouveaux personnages. Diane,
le Vicomte de
Gif, Monsieur de Chevreuse, Monsieur de Morlaix,
le crieur pu-
blic, le choeur, ne fiqurent pas du tout dans Notre-Dame de
Paris. Toutefois,
ils gardent leur caractère de nouveaux per-
sonnages car
leur rôle reste assez limité.
On peut reqretter par contre, l'absence du joyeux
drille Jehan Frollo qui, on doit l'avouer, était un personnaae
sympathique à cause de son sens de l'humour. C'est peut-être le

171
besoin de donner au libretto une portée plus grave, qui expli-
que la disparition de l'écolier: il servait en quelque sorte
de repoussoir à l'atmosphère tendue et tragique du roman.
Pierre Gringoire est gommé aussi,
sans doute pour
les mêmes raisons que Jehan. De plus, son tempérament verbeux
serait mal venu à l'opéra qui nécessite la sobriété et la con-
cision;
tout doit se dérouler dans une durée bien déterminée.
La Esmeralda danse et chante dans le livret comme
dans le roman, mais on est privé des momeries de la petite
chèvre Djali.
Un autre personnage qui pourtant,
semblait tenir un
rôle important dans le modèle romanesque est supprimé: c'est
la Sachette. Son occultation suppose que le rôle qu'elle joue
dans le roman est secondaire. Elle demeure une sorte de char-
nière entre la Esmeralda et Quasimodo;
l'une apparaît comme
l'unique trésor et l'autre un substitut indésiré et monstrueux.
Mais on comprend pourquoi HUGO a supprimé certains
personnages, c'est sürement dans le souci de raccourcir la piè-
ce et d'éviter une scène trop encombrée. Généralement,
il n'a
retenu que ceux qui sont directement impliqués dans l'action:
Esmeralda, Phoebus, Quasimodo, Frollo.
Néanmoins deux protagonistes apparaissent sous un
angle différent : Phoebus de Châteaupers et Clopin Trouillefou.
En effet, Phoebus a subi une véritable métamorphose;
il n'est
plus ce capitaine désinvolte, à la tête trouée et vide,
il est
devenu plus humain et réellement amoureux de la bohémienne.
Il
arrache sa bien-aimée des bras de Quasimodo qui tente de l'en-
lever, mais il arrive aussi à temps à l'acte JV,
scène 4, pour
sauver sa belle et dénoncer le coupable: Dom Claude.
"V-<-w ~o-<-:t .toué.! je. Jte.~pVte.
J'~ve. à ~emp~. Ce..t.te.-~-<­
~~ -<-~~o~e.n:te., e.:t vo-<-c-<-
mo~ M~a-6-6h1."
Phoebus meurt aux pieds de la Esmeralda.
Il va sans dire que
cette mort s'écarte du dénouement de Notre-Dame de Paris oü
<

172
la bohémienne est condamnée sous le regard impassible du ca-
pitaine. Avant d'expirer dans les bras de celle qu'il aime,
Phoebus lui ouvre son coeur sur un ton extrêmement émouvant
"Chaque. pa~ que. j'o..,( fJad. ve.M toJ.., ma bJ..e.n-a-J..mé.e.
A nouve.kt mo.. bi~~une. à pe.J..ne. e.ncone. fJe.nmé.e..
J'a-J.. pw poun moJ.. ia tombe. e.t te. iw~e. ie. joun.
J'e.Xp~e.. Le. ~okt te. ve.nge..
Je. vw vo~, Ô mon Po..uvne. ange.,
SJ.. ie. cJ..e1 vaut ton amoun!
Acüe.u!"
La grandeur d'âme de Phoebus s'oppose à sa dureté de coeur du
romani
il sacrifie sa vie pour la Esmeralda afin de lui prou-
ver son amour.
D'autre part,
le truand marginal de la Cour des Mi-
racles, Clopin Trouillefou,
apparaît d'une manière différente
dans le livret. On le voit qui offre ses services à Claude
Frollo contre de l'argent.
Il ne joue plus le rôle de protec-
teur et de libérateur de la bohémienne, mais il devient l'en-
tremetteur,
l'homme de main du prêtre et l'aide à se saisir
de la jeune fille.
C'est par exemple lui qui montre un enfon-
cement derrière une tapisserie à Claude Frollo et se charge
de placer ses acolytes,
lesquels doivent accuser et arrêter la
bohémienne après l'assassinat de Phoebus. Qui plus est,
il
s'arrange à l'acte IV,
scène 3, pour libérer la bohémienne et
la remettre à l'archidiacre
"Ne. cna-J..gne.z tUe.n de. 6une.~te.,
Mo~e.J..gneun, compte.z ~un moJ...
A ia chance. quJ.. vo~ ne.~te.
C'onMe.z-vo~ ~an~ e.6fJno--l."
Mettre le roi des truands au service du prêtre est une innova-
tion majeure de la part de Victor HUGO. Cela donne à penser
qu'il n'existe plus de barrières entre les deux couches socia-
les. Frollo,
symbole de l'ordre, du pouvoir, descend de son
piédestal pour entrer dans la marginalité et devient plus vil
encore que dans le roman. Clopin offrait un visage bien plus

173
sympathique dans le roman, malgré son appartenance à ce cloa-
que humain qu'est la Cour des Miracles;
se laisser soudoyer
par le prêtre annihile sa marginalité et l'avilit.
Mais les dissemblances qu'on a relevées entre le
roman et le libretto ne changent pas grand 'chose au fond du
roman.
HUGO n'a pas vraiment modifié la donnée fondamentale
de Notre-Dame de Paris en écrivant le livret.
Il a au contrai-
re, rempli la condition qu'on exige souvent de tout adaptateur;
celle de trouver et de suivre le fil conducteur de l'ouvrage
avant de l'adapter.
Jean-Louis BARRAULT précise bien cette exi-
gence quand i l d i t :
"TftoUVQ}L te. 6J...t c..oYlduc..te.uft du dJtame. d'uYl ftomaYl
~t pftéc..~~éme.nt R.'obje.t ~mpé~eux de. toute adaptation théâtftate. Vè~ to~,
te mote.uft ~t tltouvé e.t à t'obje.t ftoman c..o~e.~~ond, ~aYl~ tlta~oYl, t'ob-
jet théâtfte.." (7 ) .
En effet,
tout en utilisant le plus possible le tex-
te romanesque non seulement dans les détails, mais aussi dans
l'esprit,
HUGO a créé une adaptation concrète et vivante.
Il
a fait preuve de l'habileté et de la verve d'un véritable hom-
me de théâtre,
par ce travail d'ajustement ~u'exige une adap-
tation.
En général,
i l a gardé les pages qui l'ont le plus sé-
duit,
celles qui
lui ont semblé prédisposées à devenir scéni-
ques et qui sont chargées de fonction dramatique.
(1)
Jean~Louis BARRAULT, Le roman adapté au théâtre, in Cahiers
Barrault,
nO
91,
pp.
41-42.

174
CON C LUS l Q N

175
CON C LUS ION
Au terme d'un travail dont nous reconnaissons les lacu-
nes et les insuffisances,
il n'est pas exaaéré d'affirmer que
Notre-Dame de Paris, bien qu'étant une oeuvre romanesque, est
soumise à de nombreuses exigences proprement dramatiques.
L'ha-
bileté de Victor HUGO à s'adresser en même temps à nos yeux
et à nos oreilles en créant un univers matériel animé est re-
marquable et met le lecteur en état permanent de réceptivité.
Comme sur une scène de théâtre, le personnage huqolien vit au
présent,
il entre en rapport immédiat avec nous avant même que
nous ayons
la moindre information sur son passé.
Mais i l y a plus,
les notations méticuleuses des réac-
tions physiques liées aux diverses émotions des prota00nistes,
l'attention portée sans cesse aux formes,
aux costumes, aux
effets de lumière relèvent du domaine de la représentation où
tout est donné à voir.
L'empreinte du théâtre se trahit éqale-
ment par le vocabulaire scénique dont le roman est émaillé -
spectacle, acteur, auditoire,
spectateurs,
scpne, proloque,
applaudissements, etc.-, par l'abondance des dialoGues natu-
rels et vivants, par la fréquence des monnlo~ues, par une suc-
cession rapide d'événements. Ce n'est pas sans raison qu'An-
dré BELLESSORT remarque : "HUGO e-xcel-te- pCVLtou.:t à comb"cnVl. -t(!J.) gltancL6
e-6 6e.-t6 de- -théâVLe- . If:..6' e-mpaJte- de- -ta cUJU..o.6J..:té du -tecte-uJt, -ta tie-n.-t m
.6Mpe-n..o, -ta .tance- .6uJt une- ùauMe- p.z.o-te-, .ta Itamène- POUIt .ta déMJt-Ze-n.-tVl. e-n-
COlte-, u tou.:t à coup .ta .6aU.6 6aJ..:t e-n .ta .6ulte-xwan.-t." (1) • HUGO a bien
réalisé le programme qu'il se fixait en 1823 : celui de compo-
ser une oeuvre qui, au lieu de se cantonner dans le roman pur,
tiendrait à la fois du roman et du théâtre, du récit et de la
représentation. Nul doute aussi qu'en insérant autant d'élé-
ments liés au monde du théâtre dans son ouvrage, HUGO avait à
(1)
André BELLESSORT, Victor Hugo -
Ess~i sur son oeuvre,
op.
cit., pp.
317-318.
'

176
l'idée de mettre en avant une démarche qui lui était chère
puisqu'elle permet d'être fidèle au réel:
le mélange des
genres.
En effet,
non seulement HUGO se sert des facteurs
qui font partie intégrante de l'art dramatique en général,
mais i l rapproche aussi N?tre~Dame de Paris de tout un héri-
tage culturel -
tragédie, opéra, mélodrame -
par l'utilisa-
tion d'un certain nombre de procédés et de thèmes. (1), On
est en présence d'une oeuvre foisonnante et riche de subs-
tance dont on n'a pas fini d'explorer toutes les ressources,
D'autre part, on peut considérer que les rapports de
Notre-Darne de Paris avec le théâtre résultent de l'instinct
dramatique de HUGO : le démon du théâtre habite le génie hu-
golien
(2).
Le National du 12 décembre 1881 l'exprime très clai-
remen t
" . ,. Tout c.e. qUÂ.- MU de. la plume. de. V-<-c.tOIt HUGO çu.,t -6 drU-:
que.".
De plus,
i l n'est pas interdit de penser gue HUGO avait
présents à l'esprit les détails de son théâtre et les réem-
ployait de façon consciente ou non dans le roman.
La remar-
que s'impose d'autant plus que la rédaction de Notre-Darne de
~aris coïncide avec la production des grandes pièces de théâ-
tre de Victor HUGO.
Il est vrai que cette étude s'est limitée à un seul ou-
vrage, mais on pourrait aisément l'étendre à d'autres romans
de HUGO et y relever le développement des mêmes procédés, du
même style visuel.
Les nombreuses adaptations théâtrales ins-
pirées des romans de HUGO qui ont été réalisées en France et
à
l'étranger prouvent que la production romanesque hugolienne
se prête à un traitement scénique et confirment par conséquent
le bien-fondé de notre lecture.
(1)
Maria LEY-DEUTSCH qualif ie Notre-Dame de Paris de " •.. :to!t!te.n.:t
de. déve.loppe.me.n:t-6 tltag-<-que.-6, de. c.ahac.tè~e.-6 e.;(:' de. r~4-<-on4~ [.~.), Ce.
ltomaYl e.-6t UYl mélodJtame. -<-Mpbté. du pagarU-6me. aVLÛque. de. la Mû c.h!twe.Yl~
Yle. e.;(: Itac.o n.:té. pM Uyl YlaMate.LL!t de. 9 é.rUe.. "op. ci t ., p. 95.
(2)
"... Se.-6 plte.m-<-èlte.-6 te.Ylta:t-<-ve.-6 date.Ylt de. l' adole-6c.e.Ylc.e., plte.-6que. de.
l'e.Yl6 aYl c.e. e.t, de. la tltagé.d-<-e. au vaude.v~e., e.yl pa-6-6aYlt palt le. dJtame.
e.;(: le. mH.odJtame.,
lte.c.oUVlte.n.:t -fe. c.hamp du th é.â:tJt e. , " Voir Anne UBERS ...
FELD, Le roi et le bouffon, op. cit., p.
17.
.

177
A N N E X E S

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185
II. ADAPTATIONS THEATRALES DE NOTRE-DAME DE PARIS
(1)
Le roman de Victor HUGO a suscité de nombreuses a-
daptations en France et à l'étranger. Nous en citerons quel-
ques-unes
:
- DUBOIS,
artiste du théatre de VERSAILLES, produit un drame
en trois actes et sept tableaux, en juin 1832, Il avait dé-
coupé le roman, de façon
que la représentation n'exige
que deux décors: un d'intérieur, un d'extérieur .. La pièce
s'ouvrait sur celui de la place de Grève qu'on reverrait au
2ème acte,
3ème tableau, et au 3ème acte, dernier tableau.
Etaient en outre prévues "une salle basse" pour figurer la
Cour des Miracles
(2ème tableau),
"une salle de tribunal"
(2ème acte,
4ème tableau), une chambre dans la tour de No-
tre-Dame
(3ème acte,
6ème tableau) ..
- Au Théatre Saint-Antoine le 31 décembre 1836, THEAULON, LES-
GUILLON et CHAZET montent un vaudeville en deux actes
: La
Cour des Miracles.
- Alfred GOY choisit de mettre Quasimodo seul en scène, dans
un monologue en vers, créé au théatre èu Gymnase de MARSEIL-
LE le 21 avril 1841.
- En mars 1850, Paul FOUCHER
(beau-frère de HUGO)
et DINAUX
produisent un drame en cinq actes et quinze tableaux,
La mu-
sique était de M. ARTUS.
La distribution de la pièce était
la suivante
Quasimodo
(1er rôle)
SAINT-ERNEST. Claude Frollo : M. ARNAULT.
Gringoire
(1er comique)
CHILLY. Phoebus de Chateaupers
(jeune
1er rôle)
FETCHER. Jehan Frollo
(jeune comique)
LAURENT, Cop-
(1)
Nous avons recueilli la liste des adaptations à la ,Maison
de Victor HUGO et dans Pleins sur Victor HUGO de M, Arnaud
LASTER.
Le mémoire de maîtrise de Mme PETIT sur "Les adap'"
tations théatrales de Notre~Dame de Paris" nous a été éga-
lement d'une grande utilité.

186
penole : THIERRY. Tristan: BARD. Eustache, fille de Mahiet-
te : GAUNIER.
Le tourmenteur: MARTIN. Esmeralda
(jeune 1er
rôle) Mme ARNAULT. La Sachette
(1er rôle)
LUCIE~ ~~e de Gon-
delaurier
(Duègne noble)
LEMAIRE, Fleur-de-Lys
(Ingénuité)
CLOTILDE. Gervaise : ADALBERT. Oudarde : BOUSQUET. Mahiette
MESANGES.
Les tableaux étaient ainsi répartis
:
1er acte:
1 ~ La grand-salle.
2 - Le pape des fous
(place
du Châtelet). 3 -
Une rue,
4 - La Cour des Miracles.
2ème acte:
S - Le salon de Mme de Gondelaurier.
6 -
La Grè-
ve.
3ème acte
: 7 - La cellule de Claude Frollo.
8 -
Une chambre
sur la rivière.
9 ~ Le parvis de Notre-Dame.
4ème acte : 10 -
Une galerie supérieure de Notre-Dame,
Il ~ Intérieur de la tour des Truands.
12 - Les
toits des maisons du Parvis
(la nuit).
Sème acte : 13 ~ Une chambre riche chez Mme de Gondelaurier.
14 -
Intérieur de la recluse de la tour Roland.
lS -
Intérieur d'une des tours de Notre-Dame.
- En 1877, Paul MEURICE porte Notre-Dame de Pa~is à la scène.
Et en 1879, reprise de l'adaptation précédente en S actes et
12 tableaux. Avec comme principaux interprètes : LACRESSON-
NIERE
(Quasimodo). MONTI
(Claude Frollo). René DIDIER
(Phoe-
bus de Châteaupers). Henri RICHARD
(Gringoire). CHARLEY
(Je-
han Frollo). MORTIMER (Clopin Trouillefou). COURCELLE
(Coppe-
noIe). SAMSON
(Tristan l'Hermite). CHEVALIER
(Le Tourmenteur).
DALLEU
(Robin Poussepain) ,
- En 1879 Théodore de BANVILLE produisit Gringoire qui fut lu
sur la scène. Au cours d'un souper réunissant les artistes et
les représentations de la presse théâtrale, Mme LAURENT y re-
dit les vers de BANVILLE, et HUGO prononça une brève allocu-
tion.
-
En 1899, Georges FAGOT écrit un drame en cinq actes en vers

187
qui nIa pu être représenté
(1)
La Esmeralda.
-
En 1910, au Théâtre MONTMARTRE, dans des décors de CHARMOY
et HACKSPILL, avec YONNEL dans Phoebus, et SILVAIN dans Grin-
goire; et aussi les représentations de l'ODEON en 1924, dans
la mise en scène de Firmin GEMIER.
-
En 1978, adaptation d'Alain DECAUX et de Georges SORIA, mise
en scène de Robert HOSSEIN. Décors de J.~NDAROUX, avec Mi~
chel CRETRON
(le roi des truands), Jean de CONNICK
(Gringoi-
re), Gérod BONCARAR
(Quasimodo), Jean~Pierre BERNARD (Frollo),
Anne FONTAINE
(Esmeralda),
Signalons aussi les adaptations à l'étranger:
Notre-Darne de Paris, un des livres préférés du jeune TOLSTOI,
a donné lieu dès 1837 à une première adaptation sous le titre
La Esmeralda, montée à Pétersbourg. Dix ans plus tard, on y
jouait une pièce du dramaturge D. LENSKI, Quatre ans d'amour,
construite autour des relations des quatre principaux person-
nages du roman.
En 1923, on représente Notre-Darne de Paris à MOSCOU;
en 1924, à la Maison du Peuple de LENINGRAD, puis au théâtre
des Constructeurs de MOSCOU; et, en 1926, au Mayli Théâtre de
MOSCOU.
Nouvelle adaptation en 1940 au théâtre du Transport
(futur théâtre GOGOL)
par Vladimir GOLDFELD, régisseur très ap-
précié;
le spectacle brillant et émouvant allia romantisme et
réalisme, grâce aussi à la mise en scène d'A.
GONTCHAROV. Le
succès se confirma pendant des tournées en OURAL et en SIBERIE.
(1)
Paul MEURICE, exécuteur testamentaire de Victor HUGO, écrit
à Georges FAGOT
: "Vu momen.t que vou!.> édJ..-tez vo:tJte d!tarne, Je do-<-!.>
vou!.> aveP..tJ.Jt qu'aux teltme!.l de .ta juttMpJr.udenc.e en. ma-tièJr.e ~éJw.A..!l.e,
voU!.> ne pouvez pJr.endlte .te -ti:tJte de .ta. E!.>metta.tda, qui e!.lt celui du ü~
btz-etio éc.Jr.i-t pM V-<-c.toJr. HUGO .tui-même pouJr. .t 'opêAa. de MeUe Loui!.>e
BERTIN. Et
je ne pui!.>, moi, en vou!.> ée.tu.van.t, paJr.CÛ-tJte voU!.> au-towett
à ptz-endJr.e
c.e ~e."

188
Le théâtre tzigane ROMEN présenta à son tour en 1952
une adaptation originale du roman.
La liste reste ouverte •.•
Notre-Dame de Paris a été également adapté à l'opé-
ra.
Signalons l'adaptation de Victor HUGO lui-même en 1836. La
musique était de Louise BERTIN.
- Alexander DARGOMYJSKI a écrit un opéra en 1847,
- En décembre 1844, PERROT et PUGNI représentent la Esmeralda
à LONDRES.
L'Américain William Henry FRY présente un opéra à PHILADEL-
PHIE en 1864.
- L'Espagnol Felipe PEDRELL, musicologue et promoteur du renou-
veau de la musique espagnole, crée à BARCELONE en 1875 un li-
vret d'opéra.
- Mentionnons encore celui de l'Anglais Arthur Goring THOMAS
à LONDRES en 1883;
celui de l'Autrichien Franz SCR~IDT en
1914 à VIENNE.
L'Opéra de PARIS présentait en 1965 une nouvelle
Notre-Dame de Paris, chorégraphiée par Roland PETIT sur une
musique de Maurice JARRE, qui fut ensuite très chaleureusement
accueillie en Union Soviétique,

189
III. QUELQUES IMAGES INSPIREES DU ROMAN
.~ .... -~ ...
..-
r V
.1"./1',' ,~,,:
.. .,
j,
\\ "
\\
LA ESMERALDA DEPLOIE SON TALENT DE
DANSEUSE SUR UN TAPIS DE PERSE

190

191
" , \\ '
,.,,,.' ,,'
T Ph 1111 b .... C'O .. ... ~
UN MALADROIT AMI

192
GIBET DE MONTFAUCON

193
QUASIMODO AU TRIBUNAL

194
UTILITE DES FENETRES OUI DONNENT
SUR LA RIVIERE

195
..
FROLLO DANS SON CAPHARNAUM
Notez le regard indiscret du joyeux drille
Jehan Frollo

196
LA ESMERALDA CHEZ LA VEUVE DE GONDELAURIER
PERTE DE CONNAISSANCE DE FLEUR-DE-LYS

l
197
LE CONCOURS DE GRIMACES

.""1

198
QUASIMODO SUR UNE CLOCHE

199
//--:,~_.-:
QUASIMODO AU PILORI/>,":c"
/ '

200
LA CHAMBRE DE LOUIS XI

TABLE DES MATIERES
Pages
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
1
PREMIERE PARTIE : ESQUISSE DE DEFINITION DU GENRE
5
1. Réflexion sur le roman et le théâtre
6
II. La théorie hugolienne du roman
12
III. Les techniques de construction du récit
17
A. L'économie d~ temps romanesque
17
1)
Refus de décrire la vie des personnages
17
2) Ellipses, coups de théâtre, coïncidences
20
3) Le découpage en tableaux et en scènes
24
IV. Les reflets du drame romantique dans Notre-Darne
de Paris
28
Préliminaire
28
A. Rendre compte de la réalité
31
1) Le grotesque
31
2) Le goût de l'antithèse
39
a)
Les personnages
39
b)
Les situations
43
3)
La couleur locale
45
49
DEUXIEME PARTIE
DE PARIS
52
1. Etude de la mise en scène
53
1) L'importance du mot "regard"
53
2)
La fréquence d'un vocabulaire scénique
63
3)
La multitude des indiéations gestuelles
65

Pages
4)
Un microcosme théâtral dans le macrocosme
romanesque
72
II. L'attention apportée au décor
77
A. Les lieux scéniques
77
B. L'éclairage
83
C. Les costumes
88
D. Le bruitage
90
III. Le langage scénique
93
A. Les dialogues
93
B.
Les monologues
97
C. Les tirades
101
D. L'ironie
105
TROISIEME PARTIE: L'HERITAGE THEATRAL DE VICTOR HUGO
110
1. Les ressorts tragiques
I I I
A. La peinture des passions
I I I
B. Les amours non partagées
118
C. La fatalité tragique
123
II. Les composants mélodramatiques
133
A.
Préambule historique
133
B. Les romantiques et le mélodrame
137
C. Le mélodrame,
l'univers des sensations fortes
140
1. Les personnages du mélodrame
140
2. Substitution et reconnaissance
145
3. Le pathétique
149
4. Le fantastique
152
5. Le déguisement
156
III. L'opéra
159
A. Musique et danse
159
B. La chanson
161
C. La Esmeralda de Victor HUGO
164

\\1
Pages
1. Les ressemblances
165
2. Les différences
170
CONCLUSION
174
ANNEXES
177
1. Bibliographie sommaire
178
II. Adaptations théâtrales de Notre-Darne de Paris
185
III. Quelques images inspirées du roman
189
TABLE DES MATIERES
20~

SUD COPIE
SARL
37 bis. av. de la Justice - 34100 Montpellier - Tél. (67) 4î.23.63

. ~,
,R
E
S
U M E
,HUGO atouj ours
eu
un penchanttr~~ marqué pour
l'union
des
contraires.
Si
l'oh
cons id ~re
"la
conception
dfe~nsemble
de
Notre-Dame
de
p'aris,
on
s'aperçoit ,que l'écrivain reste fid~le à cette idée de
l'art
En ef-fe~l
sous une apparence, à' urùformi té,
HUGO
0
joue' de· registres
différent:s
et ~ Qoinpose
une
oe,uvre
," pluriel lé 0)1'" se côtoient les "éléments les plus divers.
_ .
. .
. . . . . ,
-Et c'est là un trait' qui paraît: profonctément orlgirial.
Nous
nou·sprop.osons
donc. ici
de
lire
le
rÇlman
sous un r:ou'!el angle;'/ de, dépasBer' 1e5' .a,pparences pO,U:
"dégager
et
essaye'r. ct 'éclairer
les: rapports
complex,es"
qui
se nouent
entre la créatiqn romane~9ue hugolienne.
et ~'uniVers 'théâtral:
.
MOTS -
CLEF.S
Roman.
Théâtre
Opéra"
"Tragéqie
~
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"
Mélodrame
Drame
r' -~-'~
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